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University of Ottawa
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HISTOIRE ANCIENNE
L'AFRIQUE DU NORD
08EL^. - Afrique du Nord. V.
LIBRAIRIE HACHETTE
HISTOIRE ANCIENNE DE L'AFRIQUE DU NORD
Par m. STÉPHANE GSELL
I. — Les Conditionii du développement historique. Les Teynps primilifs.
La Colotiimlion phénicienne et l'Empire de Carlhage.
II. — L'Etat carthaginois.
III. — Histoire militaire des Carthaginois.
Ces volumes ont ohtemi le Grand Prix Broquette-Gonin, à l'Académie
française (1919).
IV. — La Civilisation carthaginoise.
V. — Les Rogaumes indigènes. Organisation sociale, politique et économique.
VI. — Les Rogaumes indigènes. Vie matérielle, intellectuelle et morlae.
VII. — La\rcpublique romaine et les rois indigènes. (En préparation),
VI II. — J ulés*-(Jësar et IWfrique. Fin des rogaumes indigènes. (En préparation).
Hi'tiX. — Coulommiors. liiip I'ai i I(IU)I)Alil). — 8-27.
STEPHANE GSELL
MEMBRE DE l'inSTITUT
PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRAJiCE
HISTOIRE ANCIENNE
DE
L'AFRIQUE DU NORD
TOME V
LES ROYAUMES INDIGÈNES
ORGANISATION SOCIALE, POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE
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LIBKAIIIIK IIACHI:ïTR
79, BOULEVAIUJ SAINT-GEKMAIN, l'AlUS
1927
Ton» (Iriillu (le Iriiiliicllim. ilc roprodiicllon
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1111
HISTOIRE ANCIENNE
DE
L'AFRIQUE DU NORD
- V —
INTRODUCTION
Dans les tomes V et VI de cette Histoire^ nous étudierons
l'organisation sociale et politique, la vie matérielle, les mœurs
et les croyances des indigènes, aux temps où ils n'étaient pas
encore sujets de Rome.
La limite géographique de ces recherches sera la lisière
septentrionale du Sahara.
De nos jours, sur toute l'étendue du désert, le Tibesti est le
seul pays où les noirs soient chez eux; ils l'ont occupé sans
doute dès une époque très reculée*. Ailleurs, des gens de cou-
leur noire, ou du moins très foncée-, cultivent la plupart des
oasis, lieux généralement malsains, où, cependant, ils peuvent
vivre, étant d'ordinaire indemnes de la fièvre. Les uns sont
d'origine soudanaise; d'autres sont des métis de nègres du
Soudan et de blancs; d'autres, enfin, descendent de popula-
1. CoHf. E.-F. Gautier, Le Sahara (Paris, 1923). p. 102.
2. Voir t. I, p. 293-4.
2 INTRODUCTION.
tions qui ont habité le Sahara depuis fort longtemps et qui se
sont très largement croisées avec de nouveaux venus.
Mais ces hommes ne possèdent pas le sol sur lequel ils tra-
vaillent. Les jardins appartiennent, en majeure partie, à des
Berbères', non domiciliés dans les oasis, dont le climat ne leur
convient pas et où ils n'ont que des magasins : nomades qui
vivent au grand air, s'accommodant d'énormes écarts de tem-
pérature ^ et qui mènent leurs troupeaux là où ils trouvent de
l'eau et des pâturages. Ils prélèvent la plus grosse part des
produits du labeur des noirs. Les blancs mêmes qui résident
dans les oasis, négociants ou propriétaires, sont, le plus sou-
vent, sous la protection et la dépendance des nomades, auxquels
ils paient tribut et qui se réservent les transports commerciaux^
De quand date cet état de choses*?
Il est certain que les blancs étaient les maîtres du Sahara
aux ix'-x' siècles de notre ère : l'Islam, s'avançant alors à tra-
vers le désert, y rencontra et y convertit des Berbères. Pour
les temps antérieurs, nous ne connaissons qu'un témoignage
précis. Il se trouve dans un petit traité géographique, composé
vers 350 après J.-C.^ : « Au Sud de l'Afrique [il s'agit de
VAfrica romaine officielle, c'est-à-dire de la Tripolitaine et de
la Tunisie], s'étend un désert très vaste, qui, dit-on, est habité
sur quelques points par des peuplades barbares peu nom-
breuses, appelées Mazices et Éthiopiens". » Comme nous le
1. Ou à des Arabes nomades, (jui se sout substitués à des Berbères.
2. Gautier, (. c, p. 14 et 157.
3. Ces conditions d'existence des habitants du Sahara ont commencé à se niodi-
ller et se modineront de plus en plus, avec la sécurité établie pur la domination
française et avec l'emploi de nouveaux moyens de transport.
4. J'ai traité cette (juestion dans une étude publiée en H)2G, à laquelle je ren-
voie pour plus de détails : Mi'moires de l'Acad. des Inscriptions, .\L1I1, p. 16(1 et
suiv.
rt. Hsposilio totiiis nutndi, dans Hicsc. Groijr. Lut. min., p. 123 : • ... ubi aiunt in
minima parte ipsius deserli liabilare barbarorum puucam gentem, quae sic voca-
tur Mazicuni et .Vethiopiirn. -
(1. D'autres ,tfxtes indiqu.-nt des Mazin-s dans le désert, mais dans le Sahara
oriental, entre l'Kh'yple et la Tripolitaine : i'. infra, p. 117.
INTRODUCTION. 3
verrons*, le terme Mazices s'applique nécessairement à des
Berbères.
Il ne semble pas qu'on puisse remonter beaucoup plus haut.
En effet, la prise de possession du Sahara par des nomades a
eu pour condition l'élevage des chameaux'. Or c'est seulement
à partir du IV* siècle que l'existence d'un grand nombre de ces
animaux est attestée en Afrique\ Peut-être s'y étaient-ils
répandus dès le siècle précédent : on ne saurait expliquer
autrement les relations, certainement très actives, qui se déve-
loppèrent entre la Tripolitaine et l'intérieur du continent sous
la dynastie des Sévères*.
La plupart des Berbères qui vinrent au Sahara ne s'établirent
sans doute pas de leur plein gré dans cette contrée déshéritée;
ils durent y être refoulés par les Romains. C'est précisément à
l'époque des Sévères que d'importantes modifications de fron-
tières étendirent vers le Sud les provinces africaines, et que le
progrès des cultures exigea la mainmise sur de vastes terri-
toires, abandonnés jusqu'alors à des troupeaux errants.
Le chameau permit aux exilés de vivre dans le désert. Et
même il les y attacha, car, pendant une bonne partie de
l'année, il s'y trouve dans les meilleures conditions hygié-
niques ^ D'ailleurs, c'est par le chameau que le pasteur peut
devenir le maître, ou, du moins, l'auxiliaire indispensable du
commerce saharien et transsaharien; c'est par lui qu'il peut,
atteignant les oasis dispersées à travers Tinmiense espace, y
imposer et y maintenir sa domination, (^es Berbères fugitifs
devinrent ainsi des conquérants.
Lnmigrations et conquêtes se répartirent probablement sur
1. 1'. 1 15 (!t suiv. j
2. Voir(;autier, l. c, p. '.I!)-I0().
3. T. I, p. 00.
4. Conf. (Isell, dans Mémoires, l. c, p. 154 el suiv.
5. Cnnf. (i. Marçais, Les Arahe$ en Brrbérie du Xr au Ml' siècle, p. 55:1 (cilaiil
|l)n Khaliloiin ,
4 INTRODUCTION.
plusieurs siècles, peut-être même après que l'Afrique septen-
trionale fut tombée au pouvoir des Arabes. On a cru retrouver
dans le grand désert des noms de peuplades qui sont mention-
nées en Berbérie à l'époque romaine ou à l'époque byzantine.
Rapprochements presque tous contestables; il est cependant
admissible que les Iforass, qui vivent dans l'Adrar, se rat-
tachent aux Ifuraces, qui, au vi* siècle, vivaient en Tripoli-
taine'.
Aux gens venus du Nord, on peut attribuer l'introduction
dans le Sahara des tombeaux coniques et cylindriques en
pierres sèches, si communs dans leur ancienne patrie; certai-
nement aussi l'alphabet, d'origine libyque, dont les Touareg se
servent encore. Mais il ne faut pas exagérer leur rôle civili-
sateur. Longtemps avant eux, il y avait des oasis bien cultivées,
comme l'atteste Hérodote^. Ces pasteurs nomades ne pouvaient
rien enseigner en matière d'arboriculture et de jardinage. Il
est vrai que des Berbères, qui avaient auparavant mené une
existence de sédentaires, vinrent se fixer sur quelques points
du désert : hérétiques qui fondèrent au viii" siècle Sijilmâsa, à
la lisière du iVlaroc; au x" et au xi' siècle, Sedrata (près d'Ouar-
gla), puis les villes du Mzab, où ils sont restés. Ils ont vérita-
blement créé la vie là où ils se sont fait une patrie nouvelle,
mais, en dehors de leurs oasis, ils n'ont pas, comme les
nomades, étendu leur domination sur le Sahara.
Nous avons dit pourquoi nous croyons que la pénétration
de ces nomades n'est guère antérieure au m' siècle de notre
ère. Il s'agit ici du Sahara central et occidental, au Sud de la
contrée dont nous étudi<jns l'histoire. On a, en effet, des rai-
sons de croire que, dans le Sahara oriental, à l'Ouest de
l'Egypte, des Berbères ont, bien longtemps auparavant, été
1. Corippus, Johannide, II, llll; III. 412; IV, 641; Vlll. 490 et 648. Pour ce
ra|iprucheiiiL'nt, vdir Gaulinr, /. c, p. 1()2.
2. IV, 181 el suiv.
INTRODUCTION. 5
maîtres des parties habitables du désert libyque. C'est, non
seulement des pays voisins de la Méditerranée, entre l'Egypte
et la grande Syrte, mais de régions plus méridionales, que
vinrent ces hordes de blancs, qui, dès les premières dynasties
égyptiennes, essayèrent d'envahir la vallée du Nil, qui firent
des tentatives fort redoutables à la fin du xiii® siècle et au début
du XII®; ces tribus et ces chefs dont les noms prouvent qu'ils
parlaient une langue étroitement apparentée aux dialectes ber-
bères'. Plus tard, un historien grec copié par Diodore de Sicile -
décrit les mœurs des Libyens établis dans l'Est du Sahara,
ancêtres probables des Mazices berbères, qui, sous le Bas-
Empire et à l'époque byzantine, rôdaient dans les mêmes
régions. Dès le temps d'Hérodote % l'oasis d'Augila, au Sud de
la Cyrénaïque, était visitée chaque automne par les Nasamons,
peuplade du littoral de la grande Syrte : ils y venaient faire
la récolte des dattes; peut-être exerçaient-ils ainsi un droit de
propriété, semblable à celui que des Berbères nomades exercent
encore sur de nombreuses oasis*^.
Plus à l'Ouest, les textes anciens ne nous apportent aucune
preuve de la présence d'ancêtres des Berbères dans le Sahara,
même dans le Nord de cette contrée. On ne peut invoquer
Ptolémée, qui, au Sud des provinces romaines, mentionne
dans la « Libye intérieure » une région appelée Gétulie^ et une
peuplade de Mélanogétules". Les Gétules étaient des Berbères.
Mais, dans ce chapitre, l'ouvrage du géographe grec est plein
d'erreurs et de confusions : un grand nombre de noms appar-
tenant à l'Afrique septentrionale reparaissent dans la Libye
intérieure; ce sont là des fautes évidentes. Il convient de prêter
1. Voir, entre autres, Muspero, llisl. ancienne des peuples de VOrienI classique, II,
p. 430, n. 3.
2. 111, 49, 2-5.
3. IV, 172 et 182.
4. (Jsell, Hérodote (Al-er, 1915). p. 125.
5. IV, 6, 5 (p. 742, édit. Mùller) : Vxiio-Aiai.
6. Ibid. : M£),avoyaiToy),(ov.
6 INTRODUCTION.
plus d'attention à un passage de la relation d'Hannon, laquelle
date, au plus tard, du iv® siècle avant J.-C. Ilaunon raconte'
qu'arrivé à l'embouchure du grand fleuve Lixos, — Toued
Draa, au Sud du iMaroc, — il y trouva des pasteurs, les Lixites,
avec lesquels il entra en rapports amicaux et qui lui fournirent
des interprètes pour la suite de son expédition; au-dessus d'eux,
dans des montagnes, habitaient des Éthiopiens inhospitaliers.
Ce qui permettrait de croire que les Lixites eux-mêmes n'étaient
pas des Ethiopiens, peut-être aussi qu'ils parlaient un dialecte
libyque, intelligible à des compagnons d'Hannon. Mais cette
double conclusion est loin de s'imposer. En tout cas, si les
Lixites étaient des Libyens, ils devaient former une sorte de
colonie, entourée d'Ethiopiens; peu avant le début de notre
ère, on mentionne des Ethiopiens riverains à la fois de l'oued
Draa et de l'Océan'-, établis^ par conséquent, là où étaient les
Lixites d'Hannon.
Nous avons étudié* les nombreux textes qui prouvent que,
jusqu'aux premiers siècles après J.-C, la lisière septentrionale
du désert formait la limite entre les blancs et les noirs. Dans
le Sahara, il n'y avait, à notre connaissance, que des Ethio-
piens, c'est-à-dire des gens à la peau naturellement très foncée.
On ignore, du reste, s'ils étaient étroitement apparentés aux
véritables nègres du Soudan, ou s'ils présentaient des carac-
tères ethniques différents, qui pourraient se retrouver encore
parmi les cultivateurs attachés à la glèbe des oasis*.
l/avcnir nous apprendra peut-être si ces Ethiopiens n'ont
1. Périple, 0-8, dans Gcojr. Graeci miit., édil. Miiller, I, p. .")-0. Cmif. ici, l. I,
p. 484.
2. Agrippa (a/)M(i PIiik! l'Ancien, V, 10) indiquait dos Gaetulot Duras, qu'on ppiil
8U|)piiser «voir habile les Ixirils du lleuve Durât, l'oued Draa. Mais il les plaçait ii
linlérieur di-s terres, »!l il ajoutait : ■■ at in ora Aetliiopas Oaralilas ». A la lin du
second siècle avant J.-G. rjt au preniii-r, le myauine do Mauiélanio avait des
Ivlliiopiens [xiur vfiisins au Sud, au delà de l'Atlas : vnir Appien, I\'i(m., p. 104.
c«dl. Didol; Stralion. II. :t, 4, et XVII, :». T).
.'J. T. I. p. 2'.(:i et Nuiv.
4. Voir ibiiL. p. 2'.l'.)-:)(»2.
INTRODUCTION. 7
pas précédé en Berbérie les ancêtres des Berbères'. Au Sahara,
c'est à eux, sans doute, qu'il faut attribuer cet outillage néoli-
thique dont l'abondance et la perfection étonnent, où dominent
les flèches, armes favorites des peuples de l'Afrique intérieure,
mais auxquelles les Libyens ont préféré les javelots". Ce sont
ces Éthiopiens qui ont étendu leurs champs le long des vallées
que des rivières parcouraient encore; qui, plus tard, ont dû se
grouper en des lieux privilégiés, où, par la culture du palmier
et l'aménagement de l'eau, ils ont constitué des oasis.
En ces temps, ils n'obéissaient pas à des maîtres venus du
Nord. De véritables nations s'étaient formées chez eux : entre
autres, les Pharusiens ou Pérorses, au Sud du Maroc; les
Nigrites, au Sud de l'Algérie^; les Garamantes*, « peuple fort
nombreux, » dit Hérodote^ qui occupaient le Fezzan^ et avaient
à leur tête un roi^ Ces peuplades, du moins certaines d'entre
elles, avaient des instincts guerriers; elles disposaient de che-
vaux et de chars ^ Au v® siècle avant J.-C, les Garamantes
allaient, à travers le désert, faire la chasse à des Ethiopiens
troglodytes''; vers la fin du premier siècle de notre ère, leur
domination s'étendait sur une partie du Soudan'".
Les noirs qui habitaient le Sahara n'ignoraient assurément
pas les Libyens, ni les colons ou les conquérants. Phéniciens,
1. T. I, p. 302-4.
2. Ibid., p. 213-4. Gautier, l. c, p. 101.
3. Pour ces deux peuples, voir t. I, p. 295-7. C'étaient des Éthiopiens (Pline, V,
10; V, 15; V, 43; Ptolémée, IV, 6, 5 et 6, p. 743 et 745), bien que certains textes
semblent les en distinguer (Strabon, II, 5, 33, et XVll, 3, 7; Pompouius Mêla, I,
22; Denys le Périégète, 215-8 (dans Geogr. Gr. min., II, p. 114).
4. (jui étaient aussi des Éthiopiens : voir t. I, p. 298, n. 3.
5. IV, 183.
6. Conf. Gsell, Hrrodoie, p. 148.
7. Pline, VIII, 142. Tacite, Ann., lY, 23. Ptolémée, 1, 8, 4, |). 21. Ht le texte de
basse époque cité t. I, p. (il, n. .j.
8. Voir Strabon, XVll, 3, 7, pour les Pharusiens et les Nigrites; Périple, dit de
Scylax, 112 (Geoijr. Gr. min., I. p. 94), pour les Éthiopiens voisins de l'ile de Cerné;
Hérodote, IV, 183, pour les (iaramantes. Les Garamantes avaient aussi des chiens
de guerre : Pline, VIII, 142.
9. Hérodote, IV, 183. Conf. Gsell, Hérodote, p. ir)l-4.
1(». Ploiémée, 1, 8, 5, p. 21-22,
8 INTRODUCTION.
Grecs, Romains, établis dans le pays des Libyens. Ils avaient
avec eux des relations commerciales, que nous pouvons entre-
voir. Dès le temps d'Hérodote, des caravanes, — oîi il n'y avait
pas encore de chameaux, — partaient du littoral des Syrtes,
pour gagner le pays des Garamantes'. A l'Ouest de ceux-ci,
vivaient des peuplades au sujet desquelles l'historien grec a
recueilli quelques informations^. Sur l'Océan, Hannon avait
fondé, au delà de l'oued Draa et probablement en face des
Canaries, la colonie de Cerné % où des marchands phéniciens
se rendaient, au iv® siècle, pour trafiquer avec des Ethiopiens*.
Des Carthaginois allaient chercher, on ne sait où sur le littoral
de l'Atlantique, de l'or qu'ils se procuraient en le troquant
contre de la pacotille^. Cet or venait apparemment du Soudan,
et il se peut que le précieux métal ait été aussi apporté sur le
littoral des Syrtes par des caravanes qui auraient traversé, soit
le pays des Garamantes, soit d'autres oasis®. On a cru trouver
des indices d'influences puniques jusque dans des langues de
l'Afrique tropicale\ L'erreur qui faisait sortir le Nil des mon-
tagnes du Sud marocain a été répandue chez les Grecs avant le
milieu du iv® siècle*. Elle s'explique par la parenté de la flore
et de la faune du Nil et de quelque rivière descendant du ver-
sant méridional de la chaîne atlantique. Celle-ci était la « Mon-
tagne d'argent ». Tel est le nom que lui donnait un Grec
antérieur à Aristote', que lui donnaient probablement aussi
les Phéniciens'", qui auraient connu des gisements argentifères
1. Hérodote, IV, 18:5. Voir Gsell, /. c, p. 148-150, et ici, t. IV, p. 138.
2. Hérodote, IV, 184-5. Couf. Csell, Hérodote, p. 154-5.
3. Voir t. I, p. 485 et suiv.
4. Périple de Scylax, 112 (G. G. m., 1, p. «i-'J.")).
5. Hérodote, IV, 196. Conf. ici, t. I, p. 514-5; IV, p. 141.
6. Voir t. IV, p. 138-'.), 140; (;seii, dans Mémoires Ac. Inscr., XLIII. p. 156-7.
7. DelaTosse, Lus Noirs de VA/rique (Paris, 1922), p. 31-34. (".e qui me parait
douteux.
8. .Vristote, MeleoroL, I, 13, 21 ; Liber de inundacione Nili, daus VAristote de la
collection Didot, IV, p. 214. Voir (Iseli, Hérodote, p. 211-2.
9. Textes cités à la note précédente.
10. Voir (isell, l. c. (d'après C. Mùller, édition de Ptolémée, n. à la p. 732).
INTRODUCTION. 9
dans cette région*. Et c'est peut-être à la même rivière, mais
plus en aval, qu'étaient parvenus, au temps d'Hérodote, des
Nasamons; non contents de visiter, comme beaucoup des leurs,
l'oasis d'Augila^ ou de pousser vers l'Est jusqu'à la fameuse
oasis d'Ammon', ils s'étaient dirigés vers l'Occident à travers
le désert, et avaient fini par rencontrer des hommes noirs
vivant au bord d'un fleuve peuplé de crocodiles*.
De leur côté, des Sahariens se rendaient en Berbérie.
Strabon ^ nous montre des Pharusiens allant à Cirta (Gonstan-
tine), sans doute à des foires qui se tenaient en ce lieu. Ils
avaient à traverser un pays de marais et de lacs, dont l'eau
n'était pas potable, car ils attachaient des outres pleines sous
le ventre de leurs chevaux : c'étaient les chotts salés des
steppes du Maroc oriental et de l'Algérie.
Il se peut que, là où les blancs et les noirs étaient tout à fait
voisins, ils n'aient pas répugné à s'unir par des mariages. Pto-
lémée* mentionne des Mélanogétules, et l'on peut croire,
sans l'affirmer^, — que ce nom s'appliquait à une peuplade où
les métis de noirs et de Gétules étaient très nombreux; nous
ignorons où se trouvait son territoire ^
Mais les rapports entre Sahariens et blancs n'étaient pas
toujours pacifiques. A une époque inconnue, les Pharusiens et
les Nigrites seraient partis en expédition pour détruire des
comptoirs phéniciens sur la côte de l'Océan". Vers le milieu du
1. Mentionnés par divers auteurs arabes du moyen âge. Voir, entre autres, El
Bekri, Descr. de VAfrique septentr., trad. de Slane, édit. d'Alger, 1913, p. 304, 308,
316.
2. V. supra, p. 0.
3. Hérodote. II. 32.
4. Hérodote, ibid. Pour ce récit, voir Gsell, Hérodote, p. 203 et suiv.
5. XVII, 3, 7.
6. IV, 6, 5, p. 742.
7. Car c'étaient peut-être des blancs qui avaient la couleur noire pour emblème :
conf. t. I, p. 299; p. 301, n. 4 et 7.
8. Il n'y a rien à tiror de Plolémée à cet égard.
y. Strabon, XVll, 3, 3. Il n'y croit pas. Peut-ôlre y a-t-il là un souvenir trouble
de la destruction par les indigènes des colonies fondées par Hannon dans le Sud
du Maroc. Conf. t. II, p. 178, 179-180.
10 INTRODUCTION.
premier siècle avant J.-C, le roi maure Bogud eut des démêlés
avec des Éthiopiens et alla les combattre chez eux'. Des noirs
qui devaient habiter des régions du Sahara très proches de la
Berbérie vinrent prendre part à des insurrections contre les
Romains et les Byzantins, à la fin du iv' siècle - et au milieu
du VI''^ Les Garamantes ne tournaient pas seulement contre
des nègres leur ardeur belliqueuse. Connaissant bien le chemin
des Syrtes, ils aimaient à le prendre, quand des occasions favo-
rables se présentaient à eux pour faire de rapides razzias sur
les territoires des riches cités du littoral \ Ils accueillaient les
fugitifs^ qui venaient se mettre en sûreté dans leur pays,
surtout ceux qui arrivaient chargés d'un butin dont eux-mêmes
réclamaient leur part^
Les Romains durent châtier plusieurs fois ces bandits du
déserta Pour empêcher le renouvellement de leurs pillages et
aussi pour assurer les relations avec le Soudan, ils les mirent
sous une dépendance plus ou moins étroite. Vers la fin du
premier siècle de notre ère, des officiers se rendirent par leur
pays au cœur de l'Afrique, et ce fut le roi des Garamantes qui
guida une de ces expéditions*. Sous les Sévères, des troupes
vinrent tenir garnison dans des oasis situées bien en avant de
la Tripolitaine^ Cependant, les limites officielles de l'Empire
1. Strabon, XVIi, .'{, 5.
2. Aminien Marcf llin, XXIX, 5, 37.
3. Corii)pus, Joh., Vi, 92-95; conf. ici, t. I, p. 298.— Longtemps auparavant,
des noirs sont mentionnés dans uno. année carthaginoise : Frontin, Slrat., 1, 11,
18; conf. t. I, p. 3(J3, n. (>. Appien {Nuin., p. 104, <-oll. Didot) préttuid ([ue Bocchus,
roi de Maurétanie à la fin du second siècle, envoya recruter des troupes chez
des lithiopiens (jui habitaient près de ses Etats, au pied de l'Atlas.
4. Tacite, Ann., III, 74; IV, 23; Ilisl., IV, 50. Pline lAncien, Y, 38.
5. Masinissa détrôné avait, disait-on, trouvé un rcfui^-e de ce côté : Tile-Live,
XXI.X, 33,9; conf. ici, t. III. p. 190.
0. Tacite. Aiin., III. 74; IV, 23.
7. Pline, V. 30 et 38. Tacite, Ann.. IV, 20; Ilisl., IV, 50. Conf. «isell, Hérodote,
p. l.V), n. 0.
8. l'tolérnée, I, 8. 4, p. 21. Conf. (Jsell, Ksmi sur le rèijne de l'empereur Doniitien,
p. 236-7.
9. (Jsell, dans Mémoires Ac. Inscr., l. c, p. 153-4.
INTRODUCTION. 11
ne dépassèrent pas de ce côté la bordure du Sahara. Ailleurs,
au Sud de la Tunisie, au Sud et au Sud-Ouest de l'Aurès,
elles empiétaient à peine sur le désert; ailleurs, enfin, dans les
Maurétanies, elles s'en tenaient très loin.
Ce fut alors, probablement, qu'avec ou sans le consentement
de Rome, des Jierbères commencèrent à se répandre dans le
Sahara central et occidental. Début d'une ère nouvelle pour
cette contrée', qui n'avait encore été que dans une très faible
mesure associée aux destinées de l'Afrique du Nord, et dont
les habitants différaient des Libyens autant par leurs mœurs
que par leur aspect physique. Le désir de recruter des esclaves
aurait pu entraîner les maîtres de la Berbérie dans le domaine
des noirs, Sahara et, au delà, Soudan; mais, outre que les
Ethiopiens paraissaient capables de se défendre, ce désir ne se
faisait guère sentir, puisque l'Afrique septentrionale était assez
peuplée pour n'avoir pas besoin d'une main-d'œuvre étran-
gère ^ Si les caravanes revenant du Sud amenaient vers les
rivag-es méditerranéens des nègres, ramassés par les Gara-
mantes ou capturés de quelque autre manière % rien ne prouve
que ce commerce ait pris une grande importance. Le Sahara
a été vraiment dans l'antiquité une barrière pour les Berbères :
c'est seulement en Berbérie que s'est déroulée leur histoire.
II
Jusqu'aux environs de l'ère chrétienne, ces Berbères et leur
pays furent très mal connus des Grecs et des Latins. C'est ce
que Strabon constatait^ : « La plupart des peuples qui
1. Sans parler du Souda», dont les Herhcres du Sahara dovinrent les voisins :
voir Gsell, /. c, p. IGl-l.
2. Conf. l. I, p. 302.
3. Voir ibid. et t. IV, p. U(), 174.
4. Il, T), 33.
12 INTRODUCTION.
habitent la Libye sont ignorés. Une petite partie seulement de
cette contrée a été visitée par des armées ou des voyageurs
étrangers. Quant aux indigènes, peu d'entre eux viennent
jusqu'à nous; ils ne veulent pas tout dire et l'on ne peut se
fier à ce qu'ils disent. »
Dès le vu** siècle, et surtout au yi% de nombreux Grecs
d'Asie Mineure avaient navigué vers l'Ouest ^ Marseille la
Phocéenne prit bientôt une part prépondérante à ce mouve-
ment commercial. Non contents de fréquenter la grande ville
espagnole de Tartessos, à l'embouchure du Guadalquivir, des
gens entreprenants s'avancèrent vers le Sud, le long de la
Libye ^^ Il est vraisemblable qu'en général, les marins qui se
rendaient au delà des Colonnes d'Hercule suivaient les côtes
ibériques; cependant, le front méditerranéen de la Berbérie
ne semble pas leur être resté entièrement inconnu ^ Ainsi
furent recueillis des renseignements dont la science ionienne
tira profit et qui, plus tard, n'étaient pas tous oubliés. Mais il
ne nous en est parvenu que de très faibles échos.
Puis Carthage écarta ses rivaux*. Elle se hâta de détruire une
colonie dorienne, fondée à la fin du vi^ siècle entre les Syrtes,
et fixa la limite de sa propre domination au fond de la grande
Syrte, aux bornes que l'on appela les Autels de Philène (ou
des Philènes). Elle ferma aux étrangers le détroit de Gibraltar.
1. Voir t. 1, p. 413.
2. C'est probablement à cette époque que les Grecs connurent le cap Soloeis,
c'est-à-dire le cap Cantin (Hérodote, II, 32; IV, 43; conf. Gsell, Hérodote, p. 75-
76^, et qu'eut lieu le voyage du Marseillais Kuthymène, qui, longeant la côte
occidentale d'Afrique, parvint à un fleuve où il y avait des crocodiles et des
hippopotames (voir t. I, p. 5tl; Gsell, Hérodote, p. 210). Les doux thèses qu'il
soutenait, — origine océanique du Nil et rAle des vents étésiens dans la crue du
fleuve, — étaient, l'uue identique, l'autre analogue à des opinions émises par des
savants ioniens du vi" siècle. Du reste, entre ce siècle et les conquêtes d'Alexandre,
auxquelles le voyage d'Kuthymène est certainement antérieur, les Carthaginois
ne permirent pas a des Marseillais de franchir le détroit.
3. Vers 500, llécatée mentionnait en ljii)ye une ville ([n'il appelait MtTayfôvtov
{Fragm. hist. Graec, édit. Millier, I, p. 2."), n° 324). Ce lieu était situé entre
Carthage et le détroit : voir Gsell, Hérodote, p. 244, n. 1, et ici, t. II, p. 155-7.
4. Voir t. I, p. 444; IV, p. 115 et suiv.
INTRODUCTION. 13
Au V® siècle, Hérodote énumère les peuplades qui bordent les
Syrtes et donne sur leurs mœurs de brèves indications*, qu'il
a peut-être puisées dans des ouvrag-es plus anciens. Mais, au
delà du littoral oriental de la Tunisie, il ne dit rien des indi-
gènes qui habitent la Berbérie.
Au milieu du iv*^ siècle, fut composé un Périple^ qui porte à
tort le nom du navigateur Scylax, contemporain du roi Darius.
Il décrit rapidement les côtes méditerranéennes de l'Afrique du
Nord, et aussi celles de l'Océan jusqu'au delà du Maroc'. 11
est possible qu'une partie de ces informations remonte à des
géographes ioniens antérieurs à Hérodote; d'autres paraissent
bien être d'origine carthaginoise^ : nous ignorons comment
elles s'étaient transmises à des Grecs. Cet écrit ne nous apprend
presque rien sur les autochtones. \\ faut en dire autant d'un
document fort précieux à d'autres égards, la traduction
grecque du Périple d'Hannon*.
L'expédition d'Agathocle, à la fin du iv® siècle, fit connaître
aux Grecs des peuplades vivant en Tunisie et dans l'Algérie
orientale. Diodore de Sicile l'a racontée d'après un ou plusieurs
auteurs qui furent contemporains des événements et purent
faire usage de bonnes sources ^ Cependant son récit s'occupe
peu des indigènes et le profit que nous en tirerons sera assez
mince.
Eratosthène écrivit, dans le dernier tiers du m® siècle, un
grand ouvrage géographique, où, après avoir donné les
mesures générales de la terre habitée, il indiquait les différentes
sections entre lesquelles il l'avait répartie et fournissait les
renseignements nécessaires pour en dresser la carte. C'était
l'œuvre d'un homme de bibliothèque, et non d'un voyageur.
i. IV, 172-180, 180-1'.)4.
2. Dans Geogr. Gr. min., édit. Mùller, I, p. 84-95.
3. Voir t. IV, p. 119-120.
4. T. I, p. 472 et suiv.
5. T. III, p. 27.
GsELL. — Afrique du Nord. V. 2
44 Introduction.
Pour l'Afrique, il s'était servi d'Hannoii '■ ; probablement aussi
d'une description des côtes de l'Océan, qu'un contemporain
d'Agathocle, le tyran Ophélas de Cyrène, avait fait compiler^;
certainement d'un Traité des jJorls que Timosthène avait com-
posé vers 260 ^, et où cet amiral égyptien donnait des preuves
de son ignorance des côtes au delà de Carthage*. Nous ne
connaissons pas les autres sources d'Eratosthène. Elles
n'étaient sans doute ni nombreuses, ni très sûres. Lui-même
constatait qu'on savait peu de choses certaines sur la plus
grande partie de l'Occident, les Carthaginois en interdisant
l'accès ^ Son ouvrage est perdu et, parmi les citations qui en
ont été faites par des auteurs plus récents, bien peu concernent
l'Afrique du Nord''.
Les guerres puniques mirent les Romains en relations avec
des souverains et des peuples numides, ennemis ou alliés. Mais
Strabon' reproche avec raison aux conquérants du monde de
manquer, en général, de curiosité scientifique ou, tout au
moins, de l'esprit critique d'observation nécessaire à la vraie
science ; les recherches originales restaient le privilège des
Grecs, que les écrivains latins se contentaient le plus souvent
de copier ou de résumer.
Au milieu du second siècle, Polybe accompagna Scipion Émi-
lion en Afrique, d'abord dans une mission rapide auprès de
Masinissa, puis pendant plusieurs mois, lors de la troisième
guerre punique \ Il put donc observer et interroger les
1. T. 1, p. 474, n. 2.
2. Ibid., p. 474, n. 1 ; t. III, p. 43, u. 1.
3. Ouvrage (Hoiidn (il ifunprenail dix livres), dont Timosthène donna deux
alirésés. Pour l'emploi de ce traité par iMiitoslIiènc, voir Slrabon, II, 1, 40; Mar-
cicn d'll(^raclce, dans Geogr. Gr. min., I, j). 5(i0.
4. Strabon, II, I, il.Marcien, /. c.
5. Strabon, XVII, 1, 19.
0. H. Borjjer, hic (jcoijraphischcn Frwimente des Eralosthenes (Leipzig-, 1880),
p. 307-9.
7. III, 4, l'J.
8. T. III, p. :t(l,S, II. ;t, et p. :t72, n. ri.
INTRODUCTION. 15
indigènes; il eut des entretiens avec leurs princes, Masinissa et
Gulussa^ En 147, Scipion ayant mis à sa disposition des
vaisseaux, il entreprit, en compagnie d'un autre Grec célèbre,
Panaetius, un voyage le long des côtes et s'avança loin au delà
des Colonnes d'Hercule ^ Pour des temps antérieurs, il se
servit d'auteurs grecs qui avaient été en rapports étroits avec
les Carthaginois et étaient bien renseignés sur les Africains ^
On sait dans quel état de mutilation son Histoire nous est par-
venue. La plus grande partie des récits relatifs à l'Afrique est
perdue; de même, le livre qui était consacré spécialement à
la géographie*. Polybe, auquel il faut joindre les emprunts
que lui ont faits Tite-Live et Appien % n'en demeure pas moins
une de nos meilleures sources, Il convient d'accueillir avec
beaucoup plus de réserve ce qui, dans Tite-Live, Appien et
d'autres, provient d'annalistes romains ^
Somme toute, si les guerres puniques sont pour nous une
occasion de connaître un peu les indigènes du m® et du
II' siècle, il ne s'agit guère que de quelques lueurs, succédant
à une nuit presque complète. Nulle part un exposé de leur
état politique et social, de leur civilisation; on ne s'intéresse à
eux que 'dans la mesure où ils ont participé à la grande lutte
de Rome et de Carthage.
Artémidore d'Éphèse composa, tout à la fin du second siècle,
un ouvrage géographique fort estimé, dans lequel il décrivait
en détail les côtes de la Méditerranée et, accessoirement, des
1. Polybe, IX, 25. 4 et suiv. Pline l'Ancien, Vlli, 31.
2. T. ill. p. 3Hi}-39;i.
3. Voir t. 111, p. 75, n. 4; p. 79, n. 1; p. 100-1, 147-8; l. IV, p. JU.
4. Le livre XX.KIV.
5. Dans l'ouvraf^e d"Appien, le VIII" livre est consacré à l'histoire de la Libye,
depuis la fin de la seconde guerre punique. Nous en avons conservé la première
partie, jusqu'à la destruction de Carthage (pour la troisième guerre punique, la
source d'Appien était Polybe). De la seconde partie, concernant les rapports des
Romains avec les rois numides depuis 146, il ne nous est resté que quebiues
fragments.
0. Coiif. l. 111, n. 150.
16 INTRODUCTION.
rivages baignés par d'autres mers. Il s'était préparé à sa tâche
par des voyages : il avait parcouru presque toute la Mer Inté-
rieure et même franchi les Colonnes d'Hercule ^ La descrip-
tion qu'il donnait du littoral de la Berbérie* n'est connue que
par des emprunts de Strabon. Il est probable qu'elle contenait
peu de choses sur les indigènes, puisqu'elle faisait partie d'un
traité de circumnavigation.
Peu après Arlémidore, Posidonius d'Apamée se rendit à
Gadès^, oîi il séjourna quelque temps pour des études scienti-
fiques*. De là, il alla en Italie et, au cours de cette traversée,
fut poussé par les vents sur les côtes d'Afrique % contrée qu'il
ne parait pas avoir autrement visitée. Il en parlait pourtant
dans un ou deux de ses ouvrages, peut-être dans son Traité
sur l'Océan, certainement dans son Histoire, qui s'étendait
depuis l'année 144 jusqu'à 78 au moins ^ Posidonius y faisait
une large place à la géographie, à l'histoire naturelle, à l'ethno-
graphie : on peut supposer que c'était dans une ou plusieurs
digressions, à propos de guerres africaines, guerre de Jugurtha,
campagne de Pompée. Ne connaissant pas lui-même le pays,
il avait dû interroger quelques-uns de ses amis de l'aristocratie
romaine, qui avaient pris part à ces expéditions, sans doute
aussi des gens de Gadès, qui étaient allés en Maurétanie. Son
Histoire a péri '', mais les renseignements qu'il donnait sur
l'Afrique indigène ont servi à deux auteurs dont l'œuvre nous
est parvenue, à Salluste et à Strabon.
La campagne de Jules César en Afrique se déroula dans la
1. .Marcien d'Héraclée, dans G. G. m., I, p. ri6G.
2. Dans le septième livre de son traité, qui comprenait onze livres.
3. On ne sait pas exactement à quelle date; les hypothèses faites à ce sujet
sont dénuées de fondement.
4. Strabon, III, 1, o; III, 5, 8 et 9.
.5. Strabon, 111,2, 5; XVII, 3, 4.
6. Peut-être jusqu'en 5i) : E. Meyer, Cnesars Monarchie, 2* édit., p. 619,
n.l.
7. Diodore de Sicile s'en était beaucoup servi. Mais ce qui nous reste de lui
pour cette période de l'histoire africaine se réduit à peu de choses.
INTRODUCTION. 17
province romaine : le journal exact et précis que nous en a
laissé un compagnon d'armes du dictateur ne nous instruit pas
beaucoup sur les indigènes.
Salluste, au contraire, raconta, quelques années après, la
guerre de Jugurtha, qui avait eu la Numidie pour théâtre. Il
avait été, en 46-45, gouverneur d une province nouvelle, qui
comprenait une bonne partie de cette contrée ; il n'ignorait
donc ni le pays, ni les habitants. Son livre nous est précieux à
cet égard, mais, quand nous étudierons la guerre de Jugurtha,
nous montrerons qu'il ne faut pas se faire une trop haute idée
des connaissances personnelles de Salluste; nous verrons qu'il
paraît avoir fait de larges emprunts à Posidonius, non seule-
ment pour le récit des événements, mais même pour la des-
cription des lieux, et qu'en copiant ainsi son devancier, il a
commis des erreurs assez déconcertantes de la part d'un
ancien proconsul d'Afrique.
Parmi les descendants de Masinissa, il y eut des princes qui
se piquèrent de littérature. Salluste nous a laissé une traduc-
tion, probablement abrégée, d'un récit inséré par Hiempsal,
roi de Numidie, dans un livre écrit en langue punique. Il
s'agit des prétendues origines des peuples de l'Afrique septen-
trionale : c'est une légende, derrière laquelle il est difficile de
découvrir quelques parcelles de vérité'. Nous n'avons pas un
gros ouvrage sur la Libye, écrit en grec par Juba II -. C'était
un sujet que ce roi de Maurétanie avait évidemment qualité
pour traiter; il se peut, cependant, que son zèle d'érudit
philhellène l'ait entraîné, même sur un domaine où il eût pu faire
preuve d'originalité, à usertroplargementde ses lecturesgrecques.
Avant lui, un certain nombre de Grecs avaient publié des
Liùyra\ dont nous ne savons rien ou presque rien : le titre
i. Voir t. 1, p. 32!l et suiv.
2. Nous en parlerons plus lonf^ueineiit au loine VIII.
3. Lycos do Hhé(>:ioii (vers la lin du iv° siècle), auteur, selon Suidas, d'une
Histoire de Libye (voir Fragin. hist. Graec, II, p. 373-4). — Libyen, en trois livres
18 INTRODUCTION.
pouvait convenir ;i des développements variés. Ces ouvrages,
quelquefois rédigés par des gens qui ne connaissaient nulle-
ment l'Afrique, n'étaient sans doute que des compilations,
faites sur des données peu sûres. Depuis longtemps, on s'inté-
ressait à ce qui paraissait étrange dans les mœurs des peuples
barbares ' ; on accueillait avec facilité les dires de ceux qui
prétendaient en être informés d'une manière ou d'une autre; onles
répétait d'âge en âge. h' Histoire d'Hérodote témoigne de cette
curiosité, dans la partie qui concerne la Libye comme ailleurs-
A l'époque de Juba II, le célèbre polygraphe Nicolas de Damas
publiait un Recueil de mœurs extraordinaires^ où les Libyens
avaient leur place; nous en avons quelques extraits-, dont on ne
doit pas faire trop de cas (l'un d'eux est un écho d'Hérodote).
Un autre contemporain de Juba, Strabon, a terminé son
grand traité géographique par une description de l'Afrique
septentrionale ^ Description que, dans notre pauvreté, nous
sommes heureux de posséder, mais qui est incontestablement
médiocre : trop courte, mal ordonnée, non exempte de graves
erreurs matérielles*. L'auteur était peut-être pressé d'en finir.
au moins, d'Agroitas, qui paraît avoir été do Cyrène et avoir vécu au iii° ou au
II" siècle; son exposé, surtout mythologique, était peut-être limité à la Gyrénaïque
et aux régions voisines (voir ibid., 1V^ p. 294-5). — Libyen, ouvrage en trois livres
au moins, attribué à un Hésianax {ibid., III, p. 70; conf. ici, t. III, p. 83, n. 3), que
l'on cite à propos de la première guerre punitjue; peut-être s'agil-il d'ilégé-
sianax, un (îrec d'Asie Mineure qui vivait au début du second siècle. — Libyca,
en onze livres, de Posidonios d'Olbia (d'après Suidas); peut-être du second siècle
(voir Susemitil, GcschiclUe der yriech. lAlter. in der Alexandrincvzeit, I, p. 642). —
Libijca, en trois livres au moins, d'Alexandre Poiyhistor, qui écrivit en Italie
au premier siècle avant notre ère; nous en avons une vingtaine de citations,
faites par le lexicographe iltienne de Hyzance et se rapportant à des noms géogra-
phiques (Fr. h. G., 111, p. 238-0). — Suidas attribue des Libyca a. Charon de
Lampsaque, auteur du v" siècle. On a supposé qu'il y a là une confusion et que
ces Libyca étaient l'ujuvre d'un Charon de Carthage, mentionné aussi par
Suidas : voir t. I, j». 474, n. 1 ; t. IV, p. 214.
1. Conf. Gsell, Hérodote, p. (il.
2. Fr. II. G., III, p. 4()2-3.
3. XVll, 3, 1-23. Sur celte partie du traité de Strabon, voir F. Strenger, Slrabos
Erdlcunde von Libyen (IJerlin, 1913).
4. .Wll, 3, 12 : Adherlial assiégé dans Utique [au lieu de Cirla]. Cotte erreur
est bien étrange de la |>art d'un homme (|iii avait écrit une histoire où la guerre
do Jugurlha contre Adherbal était ecrlainemenl racontée. On peut so demander
INTRODUCTION. 19
Il devait s'intéresser assez peu à une contrée qui, — sauf Car-
thage, — n'avait joué aucun rôle dans le développement de la
civilisation : or, aux yeux de Strabon, la géographie était
surtout un enseignement pour les hommes politiques, l'expli-
cation des grands événements historiques dont le monde avait
été le théâtre'. Il n'avait pas visité la Berbérie- : il fallait
donc qu'il en parlât d'après d'autres. Il ne se soucia guère d'en
présenter un tableau qui fût l'image du pays à l'époque où il
publia son livre. Il mentionne la mort récente de Juba II,
auquel son fils Ptolémée avait succédé^ : ce qui survint en
23 ou 24 après J. -G, Strabon était alors âgé d'environ quatre-
vingt-huit ans*. Il avait achevé sa Géographie beaucoup plus
tôt, probablement vers l'an 7 avant notre ère ^ Il s'agit donc
d'une addition, et ce qui le prouve, c'est que, dans un autre
passage, il parle de Juba comme d'un homme vivant". Addi-
tion qui s'explique sans peine : le roi de Maurétanie était assez
célèbre pour que le bruit de sa mort se fût répandu rapidement
jusqu'en Asie Mineure, où Strabon vieillissait dans la retraite.
Mais il ne dit rien des guerres qui se livrèrent en Afrique sous
Auguste et sous Tibère, des colonies qu'Auguste y fonda ' ; il
si la faute ne doit pas être imputée à un copiste. — XVII, 3, 13 : les deux Hip-
pones qualifiées de résidences royales, ce qui ne fut jamçiis le cas pour Hippo
Diarrhytus (Bizerte). — XVII, 3, 10 (au début) : l'île de Cossura (Kôpao-^pa), placée
au milieu du golfe de Carlhage, probablement par suite d'une confusion avec
.Egimure (que Strabon mentionne aussi); un peu plus loin, Cossura (Kôcro-o-jpo;)
est indiquée où elle devait l'être. — Par une erreur qu'il emprunte sans doute à
Posidonius, Strabon (III, .ï. 5) met les Autels des Philènes (ou de Philène) entre
les deux Syrtes; ailleurs (XVII, 3, 20), il connaît leur place exacte, sur la grande
Syrte.
1. Voir, en particulier, I, 1, 16; I, 1, 23.
2. Gela résulte de ce qu'il dit de ses voyages : II, 5, il. En Libye, il n'avait pas
dépassé la Cyrénaïque (XVII, 3, 20).
3. XVII, 3, 7; ibi.L, 9 et 25.
4. Il était né vers (ii avant J.-C.
5. Voir E. Pais, Ricerche storiche e geografiche sull'ltalia anlica (Turin, iilOSl.
p. 631 et suiv.
6. VI, 4, 2. Au livre XVII (3, 12), il indique que Salda (Hougie) est la limite du
pays appartenant à Juba et de celui qui appartient aux Komaius. Cela a dii être
écrit du vivant de Juba.
7. Il mentionne (XVII, 3, l.ï) la restauration de Cartilage par Jules Césnr et
20 INTRODUCTION.
indique comme détruites des villes qui, sous cet empereur,
étaient relevées'. Même lorsque l'ouvrage fut composé, il
n'était pas au courant en ce qui concernait l'Afrique. Strabon
omet, par exemple, l'expédition qu'en 20 avant J.-C, le pro-
consul Cornélius Balbus fit en plein Sahara, jusqu'au pays des
Garamantes, et qui fut pour la géographie un événement fort
important. Il mentionne une conversation qu'il avait eue avec
un successeur de Balbus en Afrique, Cn. Piso (probablement
Cn. Calpurnius Piso, qui fut consul en 23 avant notre ère); ce
personnage lui expliqua que le désert africain, avec ses oasis,
ressemblait à une peau de panthère, parsemée de taches '^
Mais, assurément, Strabon put recueillir ce propos sans se
livrer, auprès de son interlocuteur, à une enquête approfondie
sur la Libye. En somme, sauf les mentions de Juba et de Pto-
lémée, et aussi celle de la condition administrative faite à la
province romaine en l'an 27 avant J.-C.% il ignore ce qui s'est
passé en Afrique après Jules César. 11 lui arrive même d'attri-
buer au présent un passé qui remontait au delà de l'expédition
du dictateur contre Juba 1" et les Pompéiens \
Il avait écrit ^ une Histoire qui s'étendait depuis l'année 144
jusqu'à 31 ou 27. Dans quelques passages de sa Géograj)hie^ il
a mis à profit les connaissances qu'il avait acquises en compo-
ajoule qu'elle est redevenue très florissante. Mais il ne dit pas que cette prospé-
rité fut due surtout à un nouvel envoi de colons par Auguste.
1. XVII, 3, 12 et 16.
2. II, 5, 33 : « comme d'autres l'indiquent et comme nous l'a expliqué Gnseus
Pison, etc. • (Aîtte comparaison pittoresque n'était pas, semble-t-il, de l'inven-
tion de Pison. Elle venait peut-être de Posidonius. Elle se retrouve dans Denys
le Périégéte (vers 181-3 : Geogr. Gr. min., Il, p. 112). qui ne paratt pas avoir lu
Strabon, mais qui se rattache à Posidonius.
3. XVII, 3, 25.
4. Il mentionne (XVII, 3, 19) des recensements annuels que les rois font faire
et qui donnent un total de 100.000 poulains. Il s'agit évidemment d'un grand
royaume, celui de Numidie, car l'ordre suivi par Strabon et le contexte excluent
la Maurélanie. Or ce royaume de Numidie avait été supprimé par César en
l'an 46. — Il parle de Cirla (XVII, 3, 13) comme si elle n'était pas devenue une
colonie mmaine (depuis 44, au plus tard).
5. Avant sa Géographie : I, 1, 23.
INTRODUCTION. 21
sant ce premier ouvrage. Il cite incidemment un historien
romain, Tanusius ', et un Ipbicrate% qui pourrait être% en
réalité, Hypsicrate, historien grec que nous savons par ailleurs
avoir été utilisé par Strabon dans son Histoire'- peut-être en
fut-il de même de Tanusius. Mais nous ne croyons pas qu^l ait,
comme on l'a supposé, fait us^ge du Bellum lugurthinum de
Salluste, ni du Bellum Africum, récit de la campagne de César.
N'ayant qu'une connaissance imparfaite du latin, appréciant
peu les ouvrages écrits parles Romains % il s'est servi surtout
d'auteurs grecs. Dans sa description de la Libye, il en men-
tionne trois, et il se peut qu'il n'en ait guère consulté davan-
tage « : Ératosthène% Artémidore% Posidonius^ Comme leurs
œuvres sont perdues, il serait vain de prétendre indiquer avec
précision ce qui, dans Strabon, provient de chacun d'eux-. Il
n'a pu se servir d'Artémidore que pour le littoral 'S puisque le
livre de son devancier ne s'en éloignait pas; il a dû beaucoup
1 XYII 3 8 TavOa.o;. C'est ainsi qu'il faut lire, d'après le meilleur manuscrit.
Tanusu.s'Ge'.ninus écrivit des Annales au temps de Jules César : vo.r N.ese, dans
Rhein. Muséum, XXXYIII, 1883, p. 000-2.
2. XVII, 3, 5.
3. Cela n'est pas certain. . j „ „ rj„
4. Josèphe. Antiq. Jud., XIV, 8, 3, 139. Slral.on c.lc cet Hypsicrate dans sa Géo-
graphie, VII, 4, 6; XI, 5, 1.
l' C'eTsansdotte d'après Ératosthène qu'il mentionne le Périple d'Ophélas
(XVII, 3, 3) et Timosthène (XVII, 3, 6). Peut-être a-t-.l eu recours a Polybe pou.
ce qu'il dit do la Carthage punique et du rôle c.vilisateur de ^^^'^'^^^ ^^^ 'l j'
14 et 1.5). Mais on ne saurait l'affirmer. En tout cas, rien n indique qu il ait fait
usa-e du livre de VHistoire de Polyl.e consacré spécialement à la géographie.
7"XVII 3 2 et 8 (mais ces citations peuvent être empruntées a Artemidore; de
même III 5, 5). Voir aussi I, 3, 2. Certaines indications de mesures, données
par Strabon, doivent venir d'Éralosthène; d'autres viennent peut-être d Arlcmi-
dore. , „ ,,, j. K
8. XVII, 3, 2 et 8 (où il le critique). Voir aussi 111, 4, à ; 111, o, d.
<» XVll 3, 4; ibid., 10 où il le critique). Voir aussi III, 3, 3. ,
10 Pour îa forme du continent africain, il adopte tantôt l opinion d hrato-
sthène qui en fait un triangle rectangle, tantôt relie de Posidon.us, qui on fait
un trapèze : XVII, 3, 1 et 2; 11. .5, 33; conf. ici, t. I, p. 503 n 2.
11. Strabon décrit l'Afrique septentrionale en allant de l Ouest a l Est. i, e.t
aussi l'ordre que suivait Arlémidore. dont les si.x premiers ivres ^|';';;"^ <:;»^«-
crés à l'Europe, le septième à la Libye, les suivants a 1 Egypte et al Asie. D après
le plan général de son ouvrage, Strabon aurait dû suivre l ordre inverse.
22 INTRODUCTION.
l'abréger. L'emploi de Posidonius est admissible pour les
développements relatifs à la faune, à la flore, aux mœurs
des indigènes. On voit donc qu'à l'exception de quelques
détails, Strabon nous fait connaître, — très parcimonieu-
sement, — une Afrique déjà vieille, l'Afrique d'Eratosthène, à
la fm du m" siècle, surtout celle d'Artémidore et de Posidonius,
à la fin du second et au début du premier siècle.
Pomponius Mêla publia sa Géographie en l'année 44 de
notre ère'. Mais, comme Strabon, il fit usage de sources plus
anciennes : c'était un lettré bien plus qu'tin savant, et son
œuvre, dénuée d'originalité, ne témoigne nullement de
recherches étendues. Il appréciait fort Salluste comme écri-
vain : il n'est donc pas étonnant qu'il lui ait emprunté une
légende relative aux Autels des Philènes^ Il n'avait pas besoin
d'être très instruit pour savoir que Juba II avait eu pour
capitale une ville nommée précédemment loi et appelée par
lui Caesarea^. Il pouvait aussi savoir sans peine qu'une colonie
romaine avait été fondée à Zili*, sur la côte océanique de la
Maurétanie, car il était originaire de Tingentera, ville espa-
gnole où des gens de Zili avaient été transportés sous Auguste ^
Dans sa description des côtes de l'Afrique septentrionale % ce
sont les deux seuls passages qui se rapportent à des temps
postérieurs au début de l'Empire. Mêla a donc eu recours à
une source plus ancienne, postérieure cependantà Jules César'.
1. Voir Wissowa, daus Hermès, LI. 1916, p. 89-%.
2. 1, 38.
:i. I, 30.
4. m 107; le nom de la colonie a disparu dans le manuscrit, mais c'était
certainemenl Zili.
5. Voir t. il, p. 170-2.
6. I. 25-a«; III, 104-7.
7. Menlioti de la iiiorl di- r.nlnn (en 40) : I, 34; des colonies romaines de Cirta
et de (larlluige (fondées l'une prohabiemeut, l'autre certainement en 44) : 1, 30
et :U. VAfrir.a commence a l'Ouest au cap Métaponium ou au fleuve Ampsapa :
1 33 et 30; ce (jui ne fut vrai (|u'aprés la conslilulion, en 4C, de la province
il' Africa nuva 01 le rattacliement du territoire de Cirta à cette province (peut-être
,,,, 44). On pourrait même so demander si celte source n'est pas postérieure
INTRODUCTION. 23
C'était un ouvrage écrit en latin», dont Pline le Naturaliste
s'est aussi servi'. On a conje^îturé que l'auteur en était
Varron% mort presque nonagénaire en 27 avant l'ère chré-
tienne, ou Cornélius Népos, qui vivait encore après 32 (Pline
mentionne Tun et l'autre parmi ses sources du livre V, où il
décrit l'Afrique). Ces hypothèses sont très fragiles. Il se peut
que la source commune à Mêla et à Pline pour le littoral ait
été aussi celle qui leur a servi pour les populations vivant au
Sud de la Berbérie*, un auteur latin, dont la science était
d'origine grecque « et qui, soit directement, soit indirectement,
avait fait de larges emprunts à Hérodote ^ Quant à la source
commune de Mêla et de Pline pour les côtes du continent
africain, depuis la mer Rouge jusqu'à la Maurétanie% on a
d'assez bonnes raisons de croire que c'était Cornélius Népos ';
mais cela ne prouve pas qu'il faille en dire autant pour l'Afrique
à l'an 38 Mêla (I, 29) dit du fleuve Mulucha : « nunc genlium, olim regnorum
quoque terminus, Bocchi lugurlhaeque », preuve que la Mulucha n'était plus fron-
tière entre deux royaumes. Or elle cessa de l'être en l'an 38, quand Bocchus le
Jeune réunit à son royaume celui de Bogud. 11 se peut, cependant que cette
remarque soit de Mêla, et non de sa source (elle ne se retrouve pas dans Pline,
V 19 qui copie le même auteur). Mêla ferait ici allusion à l'annexion de la
contrée par Rome, quatre ans avant la publication de son livre : la Mulucha ne
pouvait plus séparer des royaumes, comme elle l'avait fait jadis, par la bonne
raison qu'il n'y avait plus de royaumes du tout.
1. Polybe y était consulté : voir Mêla, 1, 35, et Pline, V, 20, pour les dimensions
de la petite Syrte. ,^ ., ,, , ^.,..
2 Pline (1 5) indique Mêla parmi les sources de son livre V; il 1 a donc utilise
de quelque manière. Mais, si l'on compare minutieusement les deux aut^eurs (ce
que nous ne pouvons pas faire ici), on constate plus d'une fois que, dans les
passages parallèles, l'hypothèse de l'emploi de Mêla par Pline doit céder la place
L celle de l'emploi d'une source commune, reproduite par Mêla et par Pline avec
des variantes. ...... j «# i
3 Voir entre autres, Dellefseu, Die Géographie Afrikas bei Plmms md Mêla
(Berlin, 1908), p. 55, 57; le même, Die Anordnung dcr geographischen Bûcher des
Plinius (Berlin, l'JO!)), p. 75. ,, , .
4 Mêla 1 22-23. 43 48; 111, %-98, 103. Pline, V, 43-46; VIII. 77. Sur l'emploi
qu'ils ont'fait de leur source commune, voir Schweder, dans Philologus, XLVIl.
1889, p. 636-()43.
5 Comme le prouve la forme des noms propres.
G. Il y a aussi un souvenir d'Hérodote (IV, 180) dans la description du littoral
méditerranéen par Mêla (I, 30).
7. Mêla, 111,89-95, 99-101. Pline, VI, 187-8. 197. 199-201.
8. Conf. I. 1, p. 474, ii. 2.
24 INTRODUCTION.
du Nord, Quoi qu'il en soit, la courte description que Mêla
nous a laissée de cette contrée et qui ne dépasse guère le
littoral, ne date pas, comme son livre, du milieu du^ premier
siècle de notre ère; elle remonte, en réalité, aux derniers temps
de la République romaine.
Aux auteurs dont nous venons de parler, il convient de
joindre de brèves indications qu'on trouve çà et là chez des
Grecs ou des Latins, et qui ne sont pas toujours sûres.
L'épigraphie ajoute fort peu à l'étude des textes. Parmi les
inscriptions rédigées en langue punique, on ne peut attribuer
avec certitude à l'époque des rois numides qu'une série mono-
tone d'ex-voto de Constantine'. Deux dédicaces, vraiment
importantes, de Dougga sont bilingues, en punique et en
libyque ; l'une concerne un mausolée, l'autre, un temple de
Masinissa-. Sauf plusieurs autres inscriptions de Dougga% que
celle du temple de Masinissa aide à comprendre un peu, les
textes épigraphiques en langue libyque datent, ou paraissent
dater de l'époque romaine; on n'en déchiffre d'ailleurs que les
noms propres.
La numismatique nous apporte des documents plus abon-
dants : monnaies frappées, les unes par des rois, les autres par
des cités. L. Mûller en a fait, il y a plus de soixante ans, un
recueil* qui est encore utile, quoique beaucoup de ses attribu-
tions soient erronées ou très contestables. Des découvertes
ultérieures ou de meilleures lectures des légendes en ont rec-
tifié un certain nombre; un énorme trésor de deniers de .Tuba II,
trouvé au Maroc, a notablement accru nos connaissances sur
ce prince^ Mais bien des incertitudes subsistent dans l'inter-
1. J.-lt. Cliîihot, l'imicu (l'aris, 11)18), p. 141) el suiv. [= Journal asiatique, 1917,
II, p. :i8 et suiv.)
•2. Chaliol, ihid., p. 201-220 f= Juurit. asial., 1918, il, p. 2r)0-279].
3. Chaltol, dans Journ. asial., 1921, I, p. 07-90.
i. ^'umixlnali(^uc de l'ancienne Afri<iue, l. lil, Les monnaies de la Nuniidte et de la
Mauritanie H',i)pi:ii\ïiif:mi, 1802); SupplémtMil (1874), p. 01 cl suiv.
.'). Pour c(! Irosor, voir au lome VIII.
INTRODUCTION. 25
prétation des monnaies numides et maures, surtout pour celles
des villes^
Des monuments élevés par les indigènes avant la domination
romaine, il ne reste que des tombeaux : sépultures en pierres
&èches pour les gens du commun, — en général, il est impos-
sible de les dater avec précision, mais une bonne partie d'entre
elles remontent certainement à l'époque dont nous écrivons ici
l'histoire; — mausolées d'art punique ou grec; vastes tombes
royales qui sont des tumulus libyques, des tas de pierres, revêtus
d'une enveloppe étrangère^
Après avoir dressé cette sorte de bilan, on peut se demander
si les documents dont on dispose permettent vraiment de
savoir ce qu'ont été les ancêtres des Berbères, avant que Rome
les soumît à ses lois. Notre étude sera pleine de lacunes,
d'obscurités, de doutes. Souvent, pour essayer de comprendre
un passé qui se dérobe, nous devrons nous souvenir que ces
indigènes africains sont, de tous les riverains de la Méditer-
ranée, les plus tenaces, les plus obstinés dans leur état social,
leurs traditions et leurs mœurs. Ce qu'ils ont été dans des
temps mieux connus, et même ce qu'ils sont encore aujour-
d'hui, ils l'étaient déjà, dans une très large mesure, aux siècles
qui ont précédé l'ère chrétienne. Il ne faut pas, assurément,
faire de l'anachronisme une méthode, car on risquerait d'écrire
ainsi un roman. Mais, souvent, un document, en apparence
insignifiant ou suspect, ne révèle sa valeur que si on l'encadre
dans un ensemble reconstitué à l'image d'autres ensembles qui
nous sont familiers.
1. Ou trouvera quelques indications à retenir dans L. Charrier, Description des
monnaies de la Numidie et de la Mauritanie (Mâcon, 1912).
2. Pour ces monuments funéraires, voir t. VI, 1. Il, •"h- •» etiv.
LIVRE PREiMIER
ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE
CHAPITRE PREMIER
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE
Aux temps primitifs, des hommes vivaient en petites bandes,
se déplaçant sans doute souvent pour recueillir plantes, racmes,
fruits, menus animaux comestibles, pour se livrer à la chasse.
Mais d'autres formaient des groupes importants. Dans des
stations préhistoriques d'époques fort lointaines, — stations
que, d'après les industries qu'elles contiennent, on qualifie
d'acheuléennes, acheuléo-moustériennes, acheuléo-solutréennes,
moustériennes, — sont accumulés des centaines, des milliers
d'outils et d'armes ^ Beaucoup ont dû servir simultanément :
t. Par oxcmple, un millier d'outils achculéens, recueillis à El Ma el Abiod,
dans le lit d'un pclit oued, sur uno longueur d'une centaine de mètres a peine;
évidemment, ils ont été charriés d'une station toute voisine (Heygasse et Lalapie,
dans lU'cucil de Constantine, XLV. 1911, p. 331-2). Remarquer qu'ils sont d'un tra-
vail très soigné et généralement en fort bon état : ce n'étaient pas des objets
qu'on avait mis au rebut. — Un millier d'outils, tirés d'une station chelléo-
acheuléo-mousléiienne, à Tasbent (Ueygasse, i7>(<^., I.Il. l'.Hil-l'.l2(), p. 524). — Des
centaines dans diverse» stalions moustériennes et solutréennes df la région de
Tébessa (ibid., LU, p. :V1'.), VtW, Tiil, ."iW, .mI, 5")."); LUI, 11121-2, p. IS;t).
28 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
l'abondance de ce matériel, d'ordinaire très homogène, ne
s'explique pas seulement par une occupation qui se serait pro-
longée pendant des siècles, A l'époque de l'industrie dite gétu-
lienne ou aurignacienne, les cendres, les amas d'escargots, les
objets en pierre taillée forment des couches épaisses et s'étendent
souvent sur un large espace : ce qui atteste à la fois le séjour
au même lieu de bien des générations successives et un peu-
plement assez dense de gens vivant côte à côte; des gisements
atteignent 150, 200 mètres de longueur'.
D'autres stations paléolithiques sont, il est vrai, bien plus
modestes et n'ont du être occupées que par quelques individus;
de même, les grottes et les abris sous roche. Mais, fréquem-
ment, campements en plein air ou demeures de troglodytes se
rencontrent à des intervalles très rapprochés- : on ne peut
croire que leurs habitants soient restés étrangers les uns aux
autres.
Quand un pays offrait en permanence de larges ressources
alimentaires, il était naturel qu'il attirât et retînt une popula-
tion nombreuse. Celle-ci pouvait y mener une vie sédentaire^.
Le besoin d'avoir à sa disposition l'eau, qui ne coule pas par-
tout, l'engageait à se grouper plus ou moins étroitement. La
nécessité de se défendre l'y invitait aussi, car, ce territoire
qu'elle exploitait, elle devait être capable de s'en réserver la
propriété contre des intrus.
Quels rapports avaient entre eux les hommes, femmes,
enfants qui constituaient ces sociétés? Il serait peut-être raison-
nable de déclarer simplement que nous n'en pouvons rien
savoir. Pourtant, dans quelques coutumes que mentionnent
1. T. I, p. 187, n. 1. Debruge, liée, de Conslantinc, LV, 1923-4, p. 56.
2. Voir, piir fxemplp, t. I, p. 182 (réj^ion de Gafsa); Doumergue, Bail. d'Oran,
1892, p. .")47-8 (région de Saïda); les iioinl)i(;uses groUes voisines d'Oran.
3. Dans les escargotières aurignariennes, on ne constate pas l'existence de
rouches stériles, alternant aVer des couches de cendres; il n'y a donc pas eu
de longues périodes d'abandon : Pallary, dans V Anlhrologie , XXIX, 1918-9, p.
98-99.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 29
des textes anciens ou qui subsistent encore, on a cru trouver
des survivances d'un passé extrêmement lointain : des preuves,
ou tout au moins des indices d'une promiscuité primitive entre
les deux sexes. Nous ne devons pas écarter à priori ces interpréta-
tions, mais il importe d'en examiner de près la valeur, car, de
nosjours, cette prétendue promiscuité n'a été constatée nuUepart
avec certitude, même parmi les peuplades les plus sauvages*.
Chez les Machlyes et les Auses, — c'étaient des riverains de
la petite Syrte, — les femmes, au dire d'Hérodote-, étaient en
commun; on ne s'y mariait pas, et les sexes se mêlaient à la
façon des bêtes. Les Nasamons, peuple de la grande Syrte,
avaient des rapports avec n'importe quelle femme^ Chez les
Gindanes (entre les deux Syrtes), les femmes se faisaient gloire
d'être aimées par le plus grand nombre possible d'hommes et
ajoutaient un anneau en cuir autour de leurs chevilles après
chacune de leurs conquêtes*.
En pareille matière, les exagérations, les généralisations
excessives ne sont pas rares. Il n'est donc pas très sûr que les
informations recueillies par Hérodote soient exactes. Un autre
auteur grec racontait de quelle façon se mariaient les Machlyes%
ces Libyens chez lesquels le mariage aurait été inconnu. Héro-
dote lui-même indique que les Machlyes et les Auses estimaient
fort la virginité chez les jeunes filles'^. Et, après avoir affirmé
qu'ils se mêlaient à la façon des bêtes (façon qui, soit dit en
passant, n'est nullement celle de toutes les bêtes), il nous les
1. Conf. Gsell, Hérodote, p. lOo; Appleton, dans Rev. générale du droil, 1916,
p. 69-82, 154-172.
2. IV, 180.
3. Hérodote, IV, 172.
4. Le môme, IV, 176.
5. Nicolas de Damas, dans Fragm. hist. Graec, 111, p. 402-;), n" 136. Le nom do
la peuplade est léfi^èrement altéré ('la/yXE'jEÏ;. au lieu de .Ma-/X\j£ï;), mais il n'est
guère douteux qu'il ne s'agisse des Mâ/X-je; d'IIérodolo.
6. IV, 180. Chez ces Libyens, les jeunes fllies se battent à coups do pierres et
de bâtons dans une fête annuelle. Il en est (jui meurent de leurs blessures; on
dit alors que c'étaient de fausses vierges.
Gsell. — Afri(iuo du Nord. V. 3
30 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
montre organisant de leur mieux la famille : lorsque l'enfant
d'une femme a atteint l'âge de la puberté, les hommes, dans
une assemblée qui a lieu trois mois plus tard, le déclarent fils
de celui auquel il ressemble'. Apparemment, si l'enfant, élevé
jusqu'alors par sa mère, était ainsi pourvu d'un père légal,
c'était pour créer des devoirs particuliers entre ce père et lui.
Hérodote nous apprend aussi que le mariage existait chez les
Nasamons-, qui, à l'en croire, ne se refusaient aucune femme.
Voici ce qu'il dit à propos de ce mariage^ : « La première
fois qu'un Nasamon se marie, l'usage veut que la mariée se
livre pendant la première nuit à tous les invités; chacun de
ceux qui ont commerce avec elle lui donne un présent qu'il
apporte*. » On peut admettre qu'Hérodote est ici bien ren-
seigné. La même coutume existait dans l'antiquité non loin
de la Berbérie, aux îles Baléares"'; elle existait au moyen âge
chez une peuplade du Maroc, les Ghomara"; elle a été con-
statée dans l'Amérique du Sud et en Océanie. On en a donné
des explications diverses \ L'une d'elles reconnaît là un vestige
de communisme : avant de renoncer à ses droits en faveur
d'un individu, la communauté les exercerait une dernière
fois. Ce n'est qu'une hypothèse ingénieuse; elle n'est guère
valable pour le cas des Nasamons, puisque, chez eux, le mariage
n'aurait pas eu pour conséquence la possession exclusive de
la femme par son mari.
1. L. c. La même coutume est signalée par Aristote {Polit., II, I, 13) chez cer-
tains Libyens qui vivent à l'intérieur des terres; par Mêla (I, 45) et Pline
l'Ancien Y, 4.Ï), faisant usage d'une môme source, chez les Garamantes, lesquels
habilaienlen plein désert. Ce sont là, sans doute, des échos déformés d'Hérodote :
voir Gsell, Hérodote, p. 194.
2. IV, 172.
3. Ibid.
4. Kcho d'Hérodote dans Pomponius Mêla, 1, 46, où celle coutume est attribuée
aux Augiles.
."). Diodore de Sicile, Y, 18.
0. Avec quelques variantes. Yoir lîl Uekri, Descr. de l'Afrique scplcntr., Irad. de
Slaae, édit. d'Alger, p. 201.
7. (Iscll, L c, p. 191). Appleton, /. c, p, 73, n. 1.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 31
Les Adyrmachides, peuple voisin de l'Egypte, ont, selon
Hérodote ', une coutume qu'on ne retrouve pas chez les autres
Libyens. « Ils présentent au roi les jeunes filles qui sont sur le
point de se marier, et, si quelqu'une lui plaît, il la déflore. »
Il s'agit du droit du seigneur, ou droit de la première nuit. Ici
encore, Hérodote est sans doute exactement informée Ce droit,
dont on connaît quelques exemples dans l'Afrique du Nord
jusqu'à une époque récente', qui existait aux Canaries*, a été
exercé ailleurs que chez les Berbères; personne n'ignore qu'il
s'est longtemps conservé dans quelques pays d'Europe. Survi-
vance, a-t-on dit, d'une promiscuité primitive : le bénéficiaire,
chef ou prêtre, serait dans cette circonstance le représentant de
la communauté. Mais d'autres explications ont été proposées^;
peut-être la meilleure est-elle l'hypothèse d'un privilège que se
serait arrogé le plus fort.
A Sicca (Le Kef, en Tunisie), des femmes se prostituaient
aux visiteurs, dans le sanctuaire d'une déesse que les Latins
appelaient Ve7ius. Etait-ce là une coutume d'origine indigène?
Il se peut; mais il est possible aussi qu'elle ait été importée en
ce lieu par des étrangers. Phéniciens ou autres ^ C'est à une
tribu arabe, et non berbère, qu'appartiennent les filles des
Ouled Naïl, qui, maintenant encore, font ouvertement le métier
de courtisanes, pour amasser une dot\ Et l'on ne saurait
assigner sans hésitation des origines fort lointaines à la facilité
avec laquelle certaines femmes ayant un caractère sacré, puis-
qu'elles sont plus ou moins maraboutes, se livrent au premier
1. IV, 168.
2. Il doit se tromper quand il dit que, parmi les Libyens, les Adyrmacliides
sont les seuls à agir ainsi.
3. Gsell, /. c, p. 196, n. 7. Wcsterniarck, Les cérémonies du mariage au Maroc,
trad. Arin, p. 238.
4. Létourneau, L'évolution du mariage et de la famille, p. 200.
5. Gsoil, l. c, p. 197.
6. Voir t. VI, 1. II, ch. ii, § V.
7. Gonf. t. IV, p. 403, n. 6.
32 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
venu'. Assurément, de telles mœurs ont été en usage chez les
ancêtres des Berbères, comme elles le furent chez beaucoup
d'autres peuples. Mais rien n'autorise à y reconnaître des ves-
tiges d'un état social oii les femmes auraient été en commun.
Lorsqu'il ne s'agit pas simplement de lucre ou de débauche, la
magie donne l'explication la plus vraisemblable^. Ce fut jadis
une croyance très répandue que, par une action sympathique,
le commerce sexuel favorise la génération, quelle qu'elle soit,
et en particulier la bonne venue des céréales confiées à la terre.
De là, divers rites, que l'on a continué à pratiquer même
quand on avait cessé de les comprendre, et, le plus souvent,
en les altérant. Telles les prostitutions qui n'avaient plus de
sacré que le lieu où elles s'accomplissaient, qui comportaient
un salaire, qui même, par un oubli complet de leur origine,
s'accommodaient de perversions sexuelles \
La même interprétation vaut pour les « nuits de l'erreur ».
Chez une peuplade libyenne, au dire d'un auteur copié par
Nicolas de Damas*, hommes et femmes se réunissaient à un
jour déterminé, qui suivait le coucher des Pléiades \ Après un
repas, les hommes allaient rejoindre les femmes, qui s'étaient
retirées à part; les lumières étant éteintes, chacun prenait
possession de celle sur laquelle il tombait. Cela n'est pas un
conte. Cette coutume est mentionnée au xvi^ siècle par Léon
l'Africain*, comme ayant existé à Ain el Asnam, au Sud de
1. E. Doutlé, Les marabouts (Paris, 1900), p. 97; le même, En tribu (Paris, 1914),
p. i8.S et suiv. II. Basset, dans Rev. afric, LXIi, 1921, p. 371, n. 2.
2. Conf. t. IV, p. 402.
3. T. IV, p. 403-4.
4. Fra'jm. hist. Graec, III, p. 4G2, n" 135 : chez les Aal/oXiSus;. Ce nom paraît
être estropié. On a proposé deux corrections : 1" t)a|/o),i6y£;, « Libyens de
Thapsus •; il y avait en Afrique deux villes maritimes de ce nom (t. II, p. 1.33
el 151), mais c'étaient des colonies phéniciennes; — 2° Ail/oXtSuî;, les « Libyens
altérés • (conjecture d'O. IJatos, The Easlern Libyans, p. 179, n. 2). Mais il s'agit
sans doute d'un rite d'origine agraire, qui n'a pas dû prendre naissance
au pays de la Soif; il faut dire pourtant qu'il s'est répandu jusque dans le Sahara.
5. En octobre ou en novembre : donc vers repo(]ue des semailles.
0. Description de l'Afrique, trad. Temporal, édit. Schefor, II, p. 363.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 33
Sfrou (Maroc). Elle s'est maintenue, dit-on, jusqu'à nos jours
en divers lieux du Maroc et du Sahara ^
Nous n'avons pas de témoignages antiques pour d'autres rites
sexuels qui sont sans doute très vieux en Berbérie et qui peu-
vent s'expliquer de la même manière. Ici, c'est l'union en
grande cérémonie de deux « fiancés du Bien », mariés pour un
seul jour-. Là, c'est la coutume de célébrer en même temps
tous les mariages de l'année^; la date paraît avoir été d'abord
en relation avec la vie des céréales*, mais elle se confond sou-
vent aujourd'hui avec une fête mobile musulmane. Ces
mariages collectifs ont été en usage ailleurs que dans l'Afrique
du Nord, en Bretagne par exemple.
Une autre coutume où l'on a voulu reconnaître un vestige
de promiscuité est l'offre faite à un hôte d'une des femmes de
la maison où il est accueilli^ Au xi"^ siècle, El Bekri la signale
chez une tribu marocaine ^ Il n'y a pas bien longtemps, des
Kabyles agissaient de même'. C'est là encore un usage cons-
taté chez d'autres peuples ^ Depuis des siècles, il n'était plus
pour les Berbères qu'une manière généreuse d'être agréables
aux nouveaux venus : au moyen âge, c'étaient de jeunes
garçons, et non des femmes, qu'on leur présentait ainsi dans
la petite Kabylie'. Fut-ce à l'origine un rite, dont la significa-
tion se serait perdue? On peut le supposer, mais nous sommes
à cet égard dans une incertitude complète.
1. Doutté, Magie et religion dans l'Afrique du Nord (Alger, 1909), p. 40, 557-8.
Laoust, Mots et choses berbères (Paris, 1920), p. 196-7, note. H. Basset, Le culte des
grottes au Maroc (Alger, 1920), p. 45-40.
2. Laoust, /. c, p. 191-3 (dans un village de l'Anti-Âtlas).
3. Laoust, dans Hespéris, 1921, p. 46 et suiv.
4. En automne ou à la fin du printemps.
5. Mais non pas l'épouse de celui qui reçoit l'étranger. C'est, de préférence, une
parente restée veuve.
6. L. c, p. 201 : chez les Ghoiuara.
7. Doutté, En tribu, p. 290. Cette coutume existait encore, il y a une trentaine
d'années, dans un village des Gi'ifser, au Sud de Hougie.
8. Voir, entre autres, DeniUer, Races et peuples de la terre, p. 280-1.
9. Ibn Haucal, trad. de Slane, dans Journ. asiat., 1842, 1. p. 241, 247. Edrisi, Descr.
de l'Afrique et de l'Espagne, Irad. Dozy et de Goeje, p. 110.
34 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
En résumé, de tous les faits que nous venons d'énumérer,
aucun ne confirme nettement l'hypothèse d'une communauté
primitive des femmes. Les uns comportent des interprétations
diverses, mais également douteuses. D'autres sont très proba-
blement des rites de magie sympathique. Pour d'autres, le
désir de donner satisfaction à de violents appétits sexuels peut
paraître une explication suffisante. Dans l'antiquité, les Afri-
cains passaient pour des gens qui ne savaient pas maîtriser
leurs sens'. Le plus grand d'entre eux, saint Augustin, y a
réussi, mais après quelles luttes, dont il a fait la confession
émouvante, et avec quelles craintes de rechute! La poésie popu-
laire témoigne de cette véritable obsession qu'exerce l'amour'.
Chez les Berbères d'aujourd'hui, la licence des mœurs est
d'ordinaire très grande^; elle le serait plus encore si les
femmes n'étaient pas étroitement surveillées et si les débauchés
ne couraient de gros risques quand ils se livrent à des actes
interdits.
Mais cela n'est pas incompatible avec une réglementation
créant des liens légaux dans un intérêt social.
II
Ce n'est pas ici le lieu d'examiner, — problème d'ailleurs
insoluble au point de vue scientifique, — si, dans l'humanité
comme chez certains animaux, l'union durable de deux indi-
1. Tite-Live, XXIX, 23, 4 : « sunt aute omnes barbares Numidae elTusi ia Vene-
rem »; XXX, 12, 18 : « est pcQus Nuinidarum iii Venercm praeceps ». Voir
encore Salvion, Guhern. Dd, Vil, 16, 05. Pédérastie fréquente chez les Maures :
klien, Nat. anim., XIV, o.
2. H. Basset, Essai sur la liltcraturc des Berbères, p. 305 et suiv. Pour l'antiquité,
Élieu, l. c.
3. Plus souvent encore chez les Berbères arabisés que chez les Berbères purs.
Mais beaucoup de ceux-ci ne valeut pas mieux que les premiers : par exemple,
les Djebala (dans le Nord du Maroc), l<;s gens de l'Aurès, les Touarejr sout extrê-
mement corrompus. Dans d'autres régions, la prostitution est en apparence fort
rare, mais, si l'on se cache, on n'est pas beaucoup plus vertueux.
LES CADRER DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 35
vidus de sexes différents, qui procréent et élèvent des enfants,
est un fait naturel et le groupement primitif, ou si elle a été
précédée d'un état de promiscuité. En tout cas, la famille est,
depuis fort longtemps, une institution juridique, dont l'exis-
tence importe à la société, car elle lui permet de se maintenir,
de se perpétuer : c'est donc par la société qu'ont été établis les
droits et les devoirs qui en découlent.
Le mariage et la famille, dont il est le fondement, sont cer-
tainement très anciens chez les Libyens. Hérodote, le plus
vieux des auteurs grecs qui nous parlent de ces barbares, men-
tionne à deux reprises des mariages célébrés publiquement'. Il
nous montre les Nasamons visitant les tombeaux de leurs
ancêtres-, qui leur sont, par conséquent, fort bien connus. Au
second millénaire avant J.-C, des femmes, des fils de chefs
libyens apparaissent dans des documents égyptiens'.
L'union légale entre hommes et femmes peut prendre plu-
sieurs formes : un seul homme avec une seule femme; un seul
homme avec plusieurs femmes; enfin, ce ^ui est bien plus rare,
une seule femme avec plusieurs hommes. Nous allons voir que
la première et la seconde de ces formes, la monogamie et la
polygamie, ont été en usage chez les Libyens. Quant à l:i troi-
sième, la polyandrie, on n'en trouve aucune trace.
Rien ne prouve non plus que les ancêtres des Berbères se
1. IV, 108 el 172 : chez k's Adyirnachides et chez les Nasamons.
2. IV, 172.
3. Chabas, Études sur VanliquUé historique, 2- édit., p. 198, 200,202, 203,244,24.").
— J'ai mentionné au tome I (p. 241, n. 2) des ^''^^uros rupestres du Sud orauais,
qui appartiennent peut-être aussi au second millénaire : les jrens qui y sont
représentes forment souvent des couples, composés, semble-t-il, d'un homme et
d'une femme, et un trait rrlie leurs parties génitales : voir G.-B.-M, Flamand.
Les pierres écrites (Paris, 1021), pi. XXVII et suiv. Nous pouvons supposer que ces
individus avaient des relations sexuelles. Mais cela m- prouverait pas qu'ils aient
été unis par h; lien permanent du mariage. On a indi(iué, il est vrai, sur une
de ces gravures, un troisième personnage, de i)lus pelite taille, associé ,de la
môme manière au couple; ce serait l'image d'une famille véritable, père, mère
et enfant, Mais il y a là une erreur : les excellentes reproductions données par
Flamand ne nous montrent ([ue des couples.
36 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
soient imposé lexogamie, c'est-à-dire l'interdiction du mariage
entre hommes et femmes d'un même groupe et l'obligation
pour eux de se marier dans d'autres groupes déterminés. Cette
réglementation, si fréquente dans l'Amérique du Nord, en
Océanie, ailleurs encore, semble avoir été aussi inconnue dans
l'Afrique septentrionale que dans l'Asie occidentale et en
Europe.
Chez beaucoup de peuplades sauvages existe, à l'état plus
ou moins pur, ou a existé, ce qu'on appelle la famille mater-
nelle, la filiation utérine '. Cette filiation est indiquée par le
nom de la mère et, quand on se souvient des ancêtres, la
généalogie est établie en ligne féminine. Il n'y a pas d'autre
parenté légale : la famille est unilatérale. L'enfant appartient
à la mère; il est et reste attaché à la condition de celle-ci, au
groupe social dont elle fait partie. Le frère ou un autre parent
de sa mère exerce sur lui l'autorité et la tutelle qui reviennent
à un homme.
L'origine de cette forme de famille peut s'expliquer par le
fait que le rùle du père dans la génération aurait été d'abord
inconnu. La filiation utérine se serait ensuite maintenue à
cause de son caractère d'évidence, qui manque à la filiation
masculine. C'était la seule parenté qu'il fût possible de cons-
tater dans des groupes pratiquant la promiscuité sexuelle, —
à supposer qu'il y en ait eu, — dans des unions temporaires
et successives, dans la polyandrie. Mais la désignation de
fenfant par le nom de sa mère et son appartenance à la famille
maternelle ont souvent aussi persisté dans des formes légales
d'union où le père est connu, où la femme se sépare des siens
pour aller habiter avec son mari.
Ce système se retrouve chez des populations nègres
d'Afrique; jadis, il devait être bien plus répandu, mais il est
1. Ce système acxorupagrii' ordinairement rexoj^aiiiie, mais il n'y a pas là un
lien nécessaire.
LE^ CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 37
en recul devant la famille paternelle- Il s'est conservé plus
opiniâtrement dans un cas où il importe beaucoup que la
pureté du sang ne soit l'objet d'aucun doute : le droit hérédi-
taire à la succession au pouvoir. « Les Ethiopiens, écrit
Nicolas de Damas \ honorent particulièrement leurs sœurs,
et c'est aux fils de leurs sœurs, non pas à leurs propres fils,
que les rois laissent leur succession. » Au moyen âge, l'auto-
rité suprême se transmettait de la même manière dans les
puissants royaumes soudanais de Gana ^ et de Melli ^ On lit
dans El Bekri : « Chez le peuple de Gana, l'usage et les règle-
ments exigent que le roi ait pour successeur le fils de sa sœur,
car, disent-ils, le souverain a la certitude que son neveu est
bien le fils de sa sœur, mais il ne peut pas être assuré que
celui qu'il regarde comme son propre fils le soit en réalité. »
Nous n'avons pas de preuves que, dans l'antiquité, la famille
maternelle ait existé chez les Libyens *, tandis que, chez cer-
tains d'entre eux, nous trouvons la famille paternelle dès le
second millénaire ^ Mais la filiation utérine est restée jusqu'à
nos jours en usage chez les Touareg, ou, du moins, chez une
1. Fragm. hist. Gràcc, 111, p. 473, n" 142.
2. El Bekri, Descr., p. 328.
3. Ibn Khaldoun, Hisl. des Berbères, trad. de Slane, II, p. 111.
4. Selon Hérodote (IV, 172), les Nasainons ont des rapports sexuels avec
n'importe quelle femme; ils connaissent pourtant leurs ancôlres (i'. supra, p. 35).
D'où l'on pourrait conclure que, chez eux, la lilialion s'établit en ligne féminine.
Mais, puis(|ue Hérodote nous dit aussi (ju'ils se marient, une autre conclusion est
fort admissible : comme chez beaucoup d'autres peuples, la paternité légale
aurait résulté du mariage; les généalogies auraient pu ainsi s'établir en ligne
masculine. Ailleurs (u. supra, p. 30), Hérodote prétend que des peuplades où les
femmes sont en commun attribuent un père à chaque enfant : c'est la négation
même de la famille maternelle. — On raconte que la Kâhina, princesse de
l'Aurès à la fin du vu» siècle, voulut adopter un Arabe, Khàlid ben Yazid. Elle
pétrit avec de l'huile un peu de farine d'orge, qu'elle plaça sur ses seins, et la
fit ainsi manger à ses fils et à Khàlid, auxquels elle dit : « Vous voilà devenus
frères! » Voir H. Fournel, Les Berbères, I, p. 220-1. C'était là une manière
symboliiiue d'établir la parenté par le lait. Celle-ci peut être regardée comme
une forme atténuée de la parenté utérine. Mais, même si l'anecdote n'était pas
très suspecte, elle ne prouverait pas que cette parenté ait été seule admise, à
l'exclusion de la parenté masculine. D'ailleurs, je ne connais dans l'antiquité
aucun exemple d'une adoption légale par une femme berbère.
5. V. infra, p. 42.
38 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
partie d'entre eux. Or ils descendent de gens originaires de
la Berbérie, qui ne sont probablement venus dans le Sahara
qu'après l'ère chrétienne '. Chez ce peuple, le fils appartient à
la tribu et à la condition, noble ou serve, de sa mère. Si, con-
formément au droit musulman, les héritages privés se trans-
mettent en ligne masculine, l'héritage politique d'un chef passe
à l'aîné des frères utérins qu'il laisse, ou, à défaut de frères,
au fils aîné, soit de sa tante maternelle, soit de sa soeur aînée *.
Rappelons aussi ^ que, pour exprimer l'étroite parenté qui les
unit, croient-ils, à l'ourane, des Touareg disent que cet animal
est leur oncle maternel : ce qui s'explique par le système de
la filiation utérine.
Il était en usage au xiv" siècle de notre ère ^; nous ignorons
s'il est plus ancien. On pourrait supposer que les conquérants
berbères du Sahara l'ont emprunté aux Ethiopiens des oasis,
ou aux nègres du Soudan, avec lesquels ils ont été en rapports
presque constants, qu'ils ont même parfois dominés. Mais
l'hypothèse se heurterait à une objection grave : si, très sou-
vent, la famille paternelle a remplacé la famille maternelle,
l'évolution inverse n'a, que je sache, jamais été constatée. Il
faudrait donc croire que les ancêtres des Touareg ont apporté
de Berbérie la filiation utérine. La question ne me paraît pas
pouvoir être résolue dans l'état actuel de nos connaissances.
1. V. supra, p. 3.
2. Benhazcra, Six mois chez les Touareg du Ahaggar (Alger, 1908), p. 51. Ce que
j'ai dit à ce sujet t. I, p. 240, u. 3, n'est pas eiilièrcinenl exact.
3. T. 1, p. 24(), n. 1.
4. Mentionné au milieu de ce siècle par Iljn IJaloulah, Voyages, trad. Dcfrcmery
et Sanguinetti, IV, p. 388; au milieu du siècle suivant, par uu marchand ilalicn,
Mallant : voir de la Homùére, La découverte de l'Afrique au moyen âge, I, p. 153.
C'est donc à tort que M. van Geunep (L'élat actuel du problème tolcmique, p. 224)
aflirme que « la lllialion utérine chez les Touareg;; du Nord date tout au plus de
six f^'r-néralions ». Au xn' siècle, les souverains ainuiravides, qui appartenaient
à une famille Ijerhère originaire du Sahara, se succédèrent de père en (ils dans
leur royaume ilu Ma^hreh. Mais ils avaient pu renoncer à leur système familial
et adopter celui de leurs sujet». Ce n'est donc pas là une preuve que la (lliation
utérine n'était point alors usitée au Sahara.
LES CADRES DE LA SOCIETE INDIGENE. 39
L'existence de cette organisation familiale chez les Libyens
serait incontestable, qu'elle ne légitimerait pas l'hypothèse
d'une période de leur histoire où les hommes auraient été
subordonnés aux femmes. La filiation utérine se justifie, nous
l'avons dit, par son évidence, l'appartenance de l'enfant à la
mère, par la gestation, la naissance, les soins que, seule, elle
peut lui donner dans son premier âge. Gela n'implique pas ce
que l'on a appelé la gynécocratie, le matriarcat.
Nous lisons dans Diodore de Sicile ' un long récit qu'il a
emprunté à un auteur grec du second siècle avant J.-C,
Dionysios, dit Scytobrachion. Avant l'époque de Persée et
d'Hercule, une nation d'Amazones existait à l'extrémité occiden-
tale de la Libye. Seules, les femmes étaient admises au service
militaire et, pendant ce temps, elles restaient vierges. Ensuite,
elles se mariaient, pour avoir des enfants. Les hommes,
maintenus dans une condition subalterne, avaient à s'occuper
de toutes les besognes domestiques. Mais aux femmes étaient
réservées toutes les fonctions de l'Etat. Etc. C'est là, naturel-
lement, un pur roman, dont il ne faut tenir aucun compte.
Il n'y a pas lieu, non plus, de retrouver des indices d'une
gynécocratie primitive dans le rôle qu'ont joué quelques
femmes aux temps historiques ^ Telle Cyria, qui, au iv^ siècle
de notre ère, prit une très grande part à la révolte de son
frère, le prince maure Firmus, contre l'Empire romain ^ Telle
l'héroïne de la résistance à la conquête arabe, la Kâhina,
à laquelle, dit-on, son don de prophétie assura un prestige
exceptionnel et qui, par l'intermédiaire de ses fils, exerça un
pouvoir presque absolu sur une bonne partie des Berbères *.
Ce sont encore deux célèbres magiciennes et devineresses,
tante et sœur d'un faux prophète, chez les Ghomara du Maroc
1. III, 52 et suiv. Coiif. ici, t. I, p. 354, n. 7.
2. Sur ce rôle, vuir Uoulté, Magie, p. 31-32; II. liasset, Essai, p. 2'iS.
3. Ainmien Marccllin, XXIX, 5, 28.
4. Ibn Khaidnun, Histoire. III, p. l'.)3.
40 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
septentrional, au x' siècle ' ; Zineb, magicienne elle aussi, qui,
un siècle plus tard, eut une grande influence sur son mari,
Youssef ben Tachfme, le fondateur de l'Empire almoravide ^
Puis, au xiii^ siècle, la mère d'Yaghmoracène, prince de
Tlemcen, cette femme virile qui se rendit au camp ennemi
pour conclure un traité ^; au xiv^ siècle, Chimchi, qui, assistée
de ses dix fils, gouverna une partie de la Kabylie *; de nos
jours enfin, dans la même région, la maraboute Lalla Fatma,
qui fut, en 1857, l'âme d'une insurrection contre la France.
De toutes ces femmes célèbres, il est certain que les unes et
très probable que les autres n'ont jamais été investies d'aucune
autorité légale ^ Elles ont dominé grâce à l'ascendant que,
par leur intelligence et leur énergie, elles ont exercé, soit sur
leurs proches parents, possesseurs légitimes du pouvoir, soit
dans un rayon plus étendu. Plusieurs d'entre elles avaient un
caractère sacré : magiciennes, prophétesses, maraboutes.
Comme l'ont fait ou le font encore d'autres peuples, les
Berbères attribuent volontiers aux femmes une puissance
magique, bienfaisante ou nuisible. Ils redoutent leurs malé-
dictions, qui peuvent avoir les effets les plus funestes ^ Ils
s'abstiennent, probablement pour cette raison, de leur faire
subir le sort qu'à la guerre, ils infligent aux vaincus. Dans
des tribus du iMuroc où la condition des femmes est fort infé-
rieure à celle des hommes, un individu en danger de mort
peut sauver sa tête en se réfugiant auprès d'une femme, qu'il
1. El Bekri, Descr., p. 198. Ibn Khaldoun, II, p. 144.
2. Ibu Khaldouu, 11, p. 71; III, p. 272.
3. Le même, III, p. 34G.
4. Le même, I, p. 257.
5. Un extrait de Nicolas de Damas (F. h. G., 111. p. 462, n" 133) concerne une
peuplade libyenne qui nous est tout à fait inconnue, les Hjaoï. Chez eux, « un
homme rè^ue sur les Munîmes, une femme sur les femmes ■. Cela prouverait,
en tout cas, que les femmes n'y commaudaieut pas aux hommes. Mais (|uel crédit
peut mériter cette information, si contraire à ce «jue nous savons par ailleurs
des Libyens? Pour le cas de Cléopàlre Séléné, reine de Maurétanie.u. infra, p. 121).
(■». Westermarck, Cérémonies du mariwjc, p. 297.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 41
saisit par la taille et dont il implore la protection; il est rare
que ses ennemis osent commettre un sacrilège en violant cet
asile '. C'était à des femmes, et non pas à des hommes, — du
moins parmi les vivants, — qu'on attribuait, dans l'antiquité
et même plus tard, le privilège de prévoir l'avenir ' : nous
connaissons ainsi des prophétesses fameuses, dont quelques-
unes étaient de haut rang : la mère de Masinissa, la Kâhina,
reine de l'Aurès.
L'Islam admet des maraboutes, acquérant elles-mêmes ou
recevant en héritage cette sorte de fluide sacré qui donne à ses
détenteurs un pouvoir extraordinaire. Mais, du culte public,
il a écarté les femmes. Cette exclusion a été une nouveauté
pour les Berbères. Hérodote' décrit une grande fête religieuse
que des jeunes filles célébraient dans la région de la petite
Syrte, après s'être livrées à un rite magique d'expulsion du
mal. Les femmes participent encore à nombre de cérémonies
magiques qui persistent dans l'Afrique du Nord et qui se sont
fort peu islamisées '. Cependant il serait tout à fait téméraire
d'attribuer le rôle important qu'elles y jouent à une gynéco-
cratie lointaine, ou même à une organisation primitive des
groupes sociaux en familles maternelles.
III
Sauf chez les Touareg, le système familial est partout le
même chez les Berbères. Ils appartiennent sans doute à des
races diverses, qu'une longue série d'événements inconnus a
superposées ou juxtaposées. Mais le temps a unifié leurs
institutions sociales, comme leurs mœurs, comme leur langue.
1. Doulté, En tribu, p. 79.
2. Voir t. VI, 1. Il, ch. ii, §VI.
3. IV, 180.
4. Voir t. VI, 1. H, ch. ii, §1.
42 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Il serait vain de chercher à savoir quels ont été parmi eux
ceux qui ont donné et ceux qui ont reçu. La seule chose que
nous puissions constater, c'est la ressemblance de leur organi-
sation familiale avec celle des peuples que Ton a pris l'habi-
tude d'appeler, d'après leur langage, Aryens et Sémites. Il y a
pourtant des différences; à défaut de témoignages explicites
concernant l'antiquité, certaines d'entre elles nous permet-
tront de supposer, avec une grande vraisemblance, que nous
avons affaire à des règles, à des coutumes antérieures aux
conquêtes romaine et musulmane.
Fondée sur le mariage, la famille berbère a pour chef
l'homme, chez lequel la femme doit habiter, auquel elle doit
obéissance et fidélité conjugale. La polygamie est licite. La
filiation est indiquée d'après le père, c'est-à-dire d'après le
mari de la mère : car celui-ci, s'il ne peut pas faire la preuve
de l'adultère de sa femme, doit reconnaître pour siens les
enfants qu'elle met au jour. La famille se perpétue de mâle
en mâle; les filles en sortent lors de leur mariage et leurs
descendants en sont exclus. Les biens personnels se transmet-
tent aussi de mâle en mâle ; les épouses et filles, admises à
une part d'héritage dans la loi musulmane, n'ont aucun droit
à la succession dans la coutume berbère*.
Que cette organisation date d'une époque reculée, c'est ce
dont on ne saurait douter. Les plus anciens documents qui
concernent les ancêtres des Berbères sont des inscriptions
égyptiennes. Elles nous apprennent qu'au xiii'^ et au xii^ siècle
avant J. -G., le pouvoir était héréditaire de mâle en mâle chez
des Libyens- : ce qui prouve l'existence de la famille pater-
nelle. Plus tarfl, dans des inscriptions libyques, puniques et
latines, des indigènes indiquent le nom de leur père; on n'a,
1. Fait lomarqiiahle : les Kabyles, après avoir adopté à cet éj;ard la loi inusiil-
manc, y ont reuoncé au milieu du xviu* siècle. Conf. II. Basset, dans Rev. afric,
Lxiii. 11)20, p. mo-i.
2. V. infra, p. 71.
LES CADRES DE LA SOCIETE INDIGENE. 43
je crois, aucune mention de filiation utérine. Tout ce que nous
savons sur les rois et princes royaux en Numidie et en Mauré-
tanie, sur la transmission de la souveraineté dans ces contrées
aux trois derniers siècles avant notre ère, exclut la filiation
utérine et atteste la filiation masculine.
Le célibat est fort rare chez les Berbères; le divorce et le
veuvage sont d'ordinaire suivis d'une nouvelle union, quand
la vieillesse ne s'y oppose pas. En général, hommes et femmes
se marient très jeunes pour la première fois; les femmes, à
peine pubères. Ce fait explique pourquoi la plupart d'entre
elles sont encore vierges. Mais il ne suffit pas à l'expliquer.
Dans l'antiquité, la virginité était appréciée, probablement
même exigée, chez les jeunes filles*. Elle l'est encore "^
Presque partout, la preuve doit en être faite publiquement,
lors de la consommation du mariage^; faute de quoi, l'union
peut être rompue et, dans certaines tribus, la femme ainsi
renvoyée peut être tuée par les siens. Chez les Kabyles, il y
a moins d'un siècle, la jeune fille qui avait un enfant naturel
était mise à mort avec lui. La valeur matrimoniale des veuves,
des divorcées est moindre que celle des vierges.
Dans le mariage, il convient de distinguer les rites et l'achat
de la femme.
Les rites *^ sont d'origine magique. On les célèbre aujourd'hui
machinalement, et la signification s'en est le plus souvent
perdue. Ils ont exprimé jadis des croyances, des craintes, des
désirs fort divers, qui se sont mêlés sans souci de se mettre
1. Pour les Machlyes et les Auses, v. supra"^ p. 29. Chez les Adyrmachides, il y
avait des jeunes filles qui restaient vierges jusqu'à leur mariage (Hérodote, IV, 168).
2. Les lilles de la tribu arabe des Ouled Nail, qui se marient après une période
plus ou moins longue de prostitution publique {supra, p. 31), constituent une
exception, peu prisée des autres indigènes.
3. Par une exhibition de linge, qui n'est souvent qu'une pseudo-preuve.
4. Pour ces rites, voir la bibliographie dans W. .Mariais et Ahderrahniàn
Gulga, Textes arabes de Takroâna, 1 (Paris, 1925), p. 390 et suiv. Le principal
ouvrage est celui de Westermarck, Les cérémonies du mariage au Maroc, Irad. .\rin
(Paris, 1921).
44 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
d'accord. La plupart ont ou paraissent avoir une valeur puri-
ficatrice ou prophylactique : il faut écarter les dangers aux-
quels sont exposés les deux époux à leur entrée dans une vie
nouvelle. D'autres semblent destinés à conjurer les malheurs
que la mariée, par son influence magique, peut attirer, non
seulement sur le marié, mais encore sur les personnes pré-
sentes, ou, au contraire, à utiliser ce que cette influence peut
avoir de bienfaisant. D'autres doivent faciliter la consom-
mation du mariage, le rendre fécond, assurer le bonheur
et la concorde du ménage. Certains pourraient être inter-
prétés comme des vestiges de rapt *, mode d'acquisition de
la femme entièrement contraire au caractère légal de l'insti-
tution.
Le mariage berbère résulte, en effet, d'un accord conclu
publiquement entre les pères des futurs époux. Il est un achat
fait par le père du jeune homme au père de la jeune fille. Le
consentement de celle-ci n'est pas nécessaire et, très souvent,
il n'est pas demandé. Dans quelques tribus, le droit qu'a le
père de vendre sa fille est aussi absolu quand elle a déjà été
mariée, que quand elle est vierge. Telle devait être la règle
primitive. Si elle a fléchi ailleurs, si, d'ordinaire, les veuves
et divorcées peuvent disposer d'elles-mêmes, c'est probable-
ment à l'exemple du droit musulman. C'est au même droit
que des Berbères ont emprunté le douaire constitué à la
femme par son mari : tantôt ce douaire et le prix d'achat
restent bien distincts, tantôt ils s'enchevêtrent ou même se
confondent. Dans le droit indigène primitif, ce qui était remis
1. Combat fictif entre les hommes des deux familles pour la possession de la
fiancée; tentatives simulées par ses parentes pour empêcher la consommation
du mariaf^e; vive résistance qu'elle oppose elle-même à son mari. Mais d'autres
interprétations peuvent être proposées de ces rites. L'explication par le rapt ne
convient pas à un rite qu'on retrouve chez les Berbères, comme chez les
Romains, et aussi dans d'autres pays : pénétrant dans le domicile conjugal, la
mariée est portée par-dessus le seuil, qu'elle ne doit pas toucher. Souvent, en
ellet. c'est quelqu'un de sa propre famille (jui l'introduit ainsi. Voir Wester-
marck, /. c, p. 192-3.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ LNDIGENE. 45
au père de la fiancée, bétail, provisions de bouche, argent,
était sans doute gardé par lui intégralement.
Le nombre des hommes, s'il n'est pas diminué par des
guerres très meurtrières, différant peu de celui des femmes '
et le célibat étant exceptionnel, la plupart des Berbères sont
nécessairement monogames "^ Certains d'entre eux répugnent
même à la polygamie : par exemple, les Mzabites, les Haha
et d'autres Marocains.
Cependant la polygamie est fort vieille dans l'Afrique du
Nord, fort antérieure à la diffusion de l'Islam, qui l'admet,
comme on le sait. Dès le xiii'' siècle, une inscription égyp-
tienne mentionne la capture, après une bataille, de douze
femmes du chef des Rebou (Libyens orientaux), qui les avait
amenées avec lui ^ Des témoignages plus récents, s'échelon-
nant entre le v'' siècle avant J.-C. et le vi" après notre ère,
prouvent l'existence de la polygamie en Berbérie. « Chez les
Nasamons, dit Hérodote ', chacun a coutume d'épouser plu-
sieurs femmes. » Les indigènes qui vivent à l'intérieur des
terres « ont, dit Strabon % de nombreuses femmes »; « ont
chacun, dit Pomponius Mêla \ plusieurs femmes en même
temps ».^ Nous lisons dans Salluste ' : « Chez les Numides et
les Maures, chacun prend autant de femmes qu'il le peut, en
proportion de sa fortune, les uns dix, d'autres davantage, les
rois plus encore. » L'auteur du récit de la campagne de César
en Afrique mentionne les épouses de Juba I"^ Sous le Bas-
Empire, Claudien parle, avec une exagération permise h un
1. Pourtant, d'après les statistiques, il y aurait en Algérie une différence assez
forte eu faveur des hommes (53 contre 47 0/0) : voir Démontés, L'Algérie économique,
II (Alger, 1923), p. 52, 485 et suiv.
2. Chez les iudigènes de l'Algérie, il y a actuellement un mari polygame sur six.
3. Chabas, Études, p. 203.
4. IV, 172.
5. XVII, 3, 19.
6. I, 42.
7. Jug., LXXX, 0.
8. Bell. Af rie, XCl,2-i.
GsELL. — Afrique du Nord. V. «
46 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE. '
poète, des « mille mariages » des Africains '. Au vi** siècle,
Procope indique que des chefs ont plusieurs femmes^. Il
raconte que le général b3'zantin Solomon, ayant menacé des
révoltés de tuer leurs enfants, détenus auprès de lui comme
otages, reçut d'eux cette réponse : « Il vous convient d'avoir
souci de vos enfants, vous à qui il n'est permis d'épouser
qu'une seule femme. Quant à nous, qui en prenons jusqu'à
cinquante, si des occasions se présentent, les enfants ne nous
manqueront jamais ^ »
Comme le montrent plusieurs de ces textes, c'étaient les
riches, les chefs, les souverains qui avaient le plus de femmes,
car ils pouvaient les acheter et les entretenir.
Des princes, des rois avaient aussi des concubines*, qui
devaient être souvent des esclaves. Mais elles ne comptaient
pas comme épouses, et les fils qui naissaient d'elles hors
mariage n'étaient pas tenus pour légitimes.
Cette polygamie s'explique surtout par la sensualité des indi-
gènes. La femme vieillit plus vite que l'homme. Et, quand
elle est jeune, l'enfantement, l'allaitement et d'autres causes la
soustraient fréquemment aux rapports sexuels. Or les maris ne
se soucient pas de se soumettre à la continence. De plus, la
pluralité des femmes procure de nombreux enfants à ceux qui
souhaitent en avoir : ce qu'atteste la réponse, vraie ou supposée,
des Maures à Solomon. Masinissa put ainsi donner naissance
à 44 fils ^ Pour les gens d'une condition peu relevée, les femmes
sont des servantes, un capital productif presque au même titre
que les esclaves. La polygamie facilitant les tâches domestiques
1. Bell. Gi7don., 441 : « conubia mille ».
2. Dell. yand.,U, 10, 11; II, 20, 24.
.1 Ibid., II, 11. \'.i.
4. Appien, Lib., 106 (Masiiiiss.i). Salluslo, Jug., V, 7 (le roi Mastanabal); ibid.,
CVIIl, 1 (dans la famille de Masiuissa). Plutaniue, Marius, 40 (le roi Hiem-
psal). Aminien .Marccllin, XXIX, 5, 2 (Nubel, prince maure sous le Bas-Em-
pire).
5. T. III, p. 302.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGENE. 47
par le partage du travail, les épouses elles-mêmes y trouvent
certains avantages.
Monogames ou polygames, les maris exigent de leurs femmes
qu'elles demeurent avec eux, chez eux. Ce qui caractérise
essentiellement la vie conjugale, c'est la constitution d'une
association permanente, dont la durée n'est limitée ni par l'âge
où la femme cesse d'être propre à la vie sexuelle, ni par l'âge
où les enfants n'ont plus besoin de leurs parents. Et, chez les
Berbères, la communauté d'existence n'est admise qu'entre
époux légitimes : les « faux ménages » sont extrêmement rares.
Pour les riches, le concubinage avec des femmes de condition
inférieure ne supprime pas le mariage, mais le complète en
quelque sorte, qu'ils aient une ou plusieurs épouses.
L'union peut, il est vrai, être rompue. Les maris ont le droit
de répudiation. Presque partout, ils en font largement usage,
sans avoir à justifier les motifs de leur décision. Dans certaines
tribus, la somme qui a été dépensée pour acheter la femme
est restituée, soit par le père de celle-ci, soit par un nouveau
mari. Ce droit au divorce est unilatéral : propriété de l'homme
en vertu d'un achat, la femme ne peut être dégagée du mariage
ni par sa volonté, ni même par une décision judiciaire. Il s'agit
là, certainement, de coutumes fort anciennes : pour le divorce,
l'Islam témoigne de moins de dureté à l'égard des femmes.
Les maris ne sont pas tenus à la fidélité conjugale. Et, lors-
qu'ils s'adressent à des prostituées, ils n'ont à répondre à per-
sonne de leur conduite. Ils ne courent de risques que quand ils
font tort à un autre mari en entretenant des rapports avec sa
femme, ou quand ils diminuent la valeur matrimoniale d'une
jeune fille en la privant de sa virginité.
L'épouse appartient entièrement à son époux, qui aurait
même le droit de trafiquer d'elle. Commerce très rare et pro-
fondément méprisé. Car, la famille se perpétuant de mâle en
mâle, il faut que la transmission du sang soit réelle. L'adultère
48 ORGANSATIOIN SOCIALE ET POLITIQUE.
de la femme est donc, en général, puni de mort, et le complice
est également frappé de peines très rigoureuses. Quand Héro-
dote' indique que les Nasamons admettent la coexistence du
mariage et de relations libres avec les femmes, on peut se
demander si cela est conforme à la vérité. En tout cas, nous ne
trouvons rien de tel chez les Berbères, ni dans le présent, ni
dans le passé que nous pouvons atteindre^. Il ne faudrait
faire exception que pour certains rites magiques, célébrés à de
longs intervalles, et d'ailleurs mal connus, pour ces « nuits de
l'erreur »% s'il était prouvé que des femmes mariées y prenaient
part.
Le meilleur moyen d'empêcher l'adultère, c'est d'enlever à
l'épouse l'occasion de le commettre. Les femmes des campagnes
ne sont pas soumises à cette réclusion qui est imposée aux cita-
dines*, et qui serait inconciliable avec une partie des tâches
dont elles doivent s'acquitter; elles sortent le visage découvert.
Dans les migrations des nomades, elles sont naturellement
mêlées à la foule en marche ^ Elles assistent souvent aux
combats que livrent leurs maris, leurs frères, leurs fils^ Mais,
dans la vie ordinaire, elles doivent s'abstenir le plus possible
d'entrer en conversation avec des hommes qui n'appartiennent
pas à leur famille, se détourner même quand elles les rencon-
trent. Dans les marchés et autres lieux publics, elles ne
s'approchent pas d'eux, à moins que leur vieillesse n'enlève
t. IV. 172.
2. Sauf peul-êlre pour les GuanchRS des Canaries; des chroniqueurs espagnols
prétendent que, chez eux, les femmes étaient presque communes et que les
hommes se les prêtaient volontiers: voir Létourneau, L'évolution du mariage et de
la famille, p. 199.
3. V. supra, p. 32.
4. Et qui est de règle dans les villes du Mzah, hahitée» par de purs Berbères.
Il se peut donc que ce ne soit pas une importation orientale, postérieure à la
difTusion de l'Islam.
.5. Sauf les femmes des chefs, que cachent des palanquins portés par des
chameaux : usage (|ui est probablement d'origine orientale, comme les chameaux
eux-mêmes.
0. Voir t. VI, ). 1, ch. III, § l.
LES CADRES DE LA SOCIETE INDIGENE. 49
tout danger à ce contact. C'est entre elles qu'elles se réunissent,
soit au cimetière, soit dans la plupart des fêtes. En dehors de
la famille, les deux sexes ont une existence rigoureusement
distincte.
Malgré le caractère magico-sacré qui, dans certaines circons-
tances, est reconnu aux femmes, les Berbères sont bien con-
vaincus de leur infériorité. L'épouse est entièrement subor-
donnée au mari. Sans doute, il arrive que, par l'attrait qu'elle
exerce ou par son intelligence, elle prenne assez d'ascendant
sur lui pour obtenir d'être bien traitée, pour faire accepter ses
conseils. Les Carthaginoises' et les Romaines' qui épousèrent
des princes indigènes ne se résignèrent évidemment pas à une
sorte d'esclavage. On sait quelle influence la belle et instruite
Sophonisbe eut sur l'esprit du roi Syphax et combien son nou-
veau mariage avec Masinissa alarma les Romains \ Nous avons
cité* d'autres exemples de l'autorité morale conquise par des
femmes, qui étaient, elles, de sang berbère.
Mais c'étaient là des exceptions. Autrefois comme aujourd'hui,
la femme du peuple était une servante, accablée des plus dures
besognes % vieillie prématurément par cette existence pénible,
et aussi par la fréquence de ses couches.
Il faut dire, cependant, qu'entre les Rerbères, les Touareg
se distinguent par la condition bien meilleure qu'ils accordent
à leurs femmes. Nous avons vu" que, seuls, ils admettent la
filiation utérine, qui, sans impliquer le matriarcat, est une sorte
d'honneur pour les mères. D'autres traits de leurs mœurs sont
également favorables aux femmes. Elles ne sont pas brutalisées ;
elles jouissent d'une grande liberté, dont elles usent et abusent,
1. Voir t. m. p. 190, l'J7.
2. Gorippus, Joh., IV, rjll ; V, 151; Vlll, 271.
3. T. III, p. 207, 229, 230, 238-9.
4. P. 3'.)-4l).
5. Voir, p. ex., Pliiin l'Ancien, .WII, 41. Il dit qu'il a vu dans le Byzaciuni une
charrue altelée à la fois d'un âne et d'une vieille femme.
6. P. 37.
50 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
se déplaçant comme elles le veulent, s'entretenant avec qui
bon leur semble, se mêlant aux hommes dans des réunions
musicales et autres '. Elles ne se marient que si elles y con-
sentent; la somme versée par la famille de l'époux est, non pas
un prix d'achat, mais un douaire qui leur est remis et dont
.elles ont la pleine propriété. Elles peuvent posséder d'autres
biens. La fidélité conjugale est le seul devoir qui s'impose à
elles : en principe plus qu'en fait, car l'adultère est rarement
châtié d'une manière impitoyable. Le droit de rompre l'union
leur appartient, comme à leurs maris ; du reste, ni les unes, ni
les autres ne l'exercent guère. La polygamie est exceptionnelle.
Nous avouons que cette condition de la femme chez les
Touareg pose pour nous un problème embarrassant. Il n'est
pas probable qu'elle soit un fait récent, postérieur à la venue
de leurs pères dans le Sahara, car on ne voit pas pour quels
motifs ceux-ci, s'ils avaient eu les mêmes règles familiales que
les autres Berbères, y auraient si complètement renoncé. On
est plus disposé à croire que les mœurs actuelles des Touareg,
si particulières à cet égard, furent jadis apportées par eux du
Nord de l'Afrique. Ce n'est cependant pas une raison d'admettre
qu'elles aient été répandues très largement à travers la Berbérie,
du moins à l'époque historique, dans les siècles qui ont précédé
l'ère chrétienne et dans ceux qui l'ont suivie. Nos informations,
si maigres qu'elles soient, peuvent suffire pour nous autoriser
à affirmer que la famille paternelle existait chez les Numides
et chez les Maures, à croire même qu'il n'existait chez eux pas
d'autre système familial. Il est certain, d'autre part, que le sort
des femmes était, en général, très dur, puisque le droit musul-
man, peu généreux envers elles, leur est pourtant plus favo-
rable que les vieilles coutumes berbères.
Mais, que des (lélules nomades, voisins du Sahara où ils
1. Aussi «'st-il fi)rl ran-, pariiit-il, ([iic les jcmiHs (illos soient vierges à leur
rnuriafçc.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 51
devaient ensuite émigrer, aient fait usage de la filiation uté-
rine et qu'ils aient bien traité leurs femmes, il n'est pas interdit
de le supposer; de supposer aussi qu'ils avaient conservé obsti-
nément un régime abandonné depuis fort longtemps par les
autres habitants de la Berbérie. A vrai dire, nous n'avons là-
dessus aucun témoignage direct.
Laissons cette question insoluble et examinons la condition
des enfants dans la famille paternelle.
Les Berbères acceptent volontiers une nombreuse progéni-
ture : c'est, nous l'avons indiqué, une des raisons pour lesquelles
ils sont polygames, quand ils le peuvent. Désireux de perpétuer
leur famille, ils saluent avec joie la naissance de leurs fils;
ceux-ci sont, d'ailleurs, des éléments de force dans le petit
groupe social auquel ils appartiennent. Quant aux filles, leur
venue est moins bien accueillie. Cependant on ne se débarrasse
d'elles ni par le meurtre, ni par l'abandon. Elles rendent des
services en aidant leur mère dans ses travaux domestiques;
nubiles, elles ont une valeur marchande qui compense, dans
une certaine mesure, les frais qu'elles ont coûtés. Plusieurs
auteurs anciens attestent que les Africains avaient beaucoup
d'enfants'. Il est vrai que, chez ces populations qui menaient
une existence très rude, la mortalité du jeune âge devait être,
comme de nos jours, très forte.
La vie commune que crée le mariage a surtout pour objet
d'assurer l'entretien des enfants. La mère les soigne et les
éduque comme elle peut; le père, qui a moins d'intimité avec
eux, leur fournit les moyens de subsistance et les protège au
besoin. La plupart des Berbères s'acquittent de ces devoirs
avec des sentiments affectueux.
Pourtant l'autorité paternelle, aussi absolue que celle du
1. Slrabon, XVII, 3, 10. Mêla, I, 42. Claudien, Bell. Gildun., 443. Procope,
Bell. Vand., II, 11, 13 (u. supra, p. 40). GoluincUe {III, 8) dit que, chez les
.\fricains, la naissance de jumeaux est extrômemcnt fréquente.
52 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
pater familias romain, pourrait s'exercer de la manière la plus
brutale. Comme dans d'autres sociétés où la constitution de la
famille était la même, le père a eu sans doute à l'origine tous
les droits sur ses enfants, y compris celui de vie et de mort.
Ses filles sont vendues par lui à ceux qui veulent les acheter.
Ses fils restent, aujourd'hui encore, soumis à sa puissance
jusqu'à leur mariage, qu'ils ne peuvent contracter librement,
que le père décide et négocie, souvent sans même les con-
sulter. Peut-être leur sujétion durait-elle jadis jusqu'à la mort de
leur père, car, en se mariant, ils ne sortaient pas de leur famille,
comme leurs sœurs; ils ne faisaient qu'ajouter un anneau à la
longue chaîne que formaient les mâles de cette famille.
Outre la filiation physiologique, que démontre légalement
le mariage, la coutume berbère reconnaît la filiation par
adoption. Mais, contrairement au droit musulman , cette
adoption n'est admise qu'au bénéfice d'un neveu, fils d'un
frère, par conséquent en faveur du parent le plus proche après
les fils, ou à défaut d'eux. C'est ainsi qu'au second siècle avant
notre ère, le roi Micipsa adopta son neveu Jugurtha, fils de
son frère Mastanabal '.
La famille berbère, que nous venons de décrire à grands
traits, remplit son principal rôle social : la continuité et la
solidarité des générations. A une époque où les civilisés du
monde antique limitaient le nombre de leurs enfants, ils
disaient volontiers que les Africains avaient trop de fils
pour les aimer beaucoup ^. Ce reproche était une mauvaise
i. Sallusto, Jug., IX, 3 : « slatimque eum adoptavit et testamento pariter cum
(lliis heredeiii inslituit. » Micipsa prit en faveur de sou nevou deux mesures. Il
l'adopta pour (Ils : c'était là un acte privé. Il décida de lui laisser une part de sa
succession royale, et c'était là un acte de souveraineté. Ces deu.K mesures,
Salluste les distingue mal : voir t. VII, I. Il, cli. i, § il.
2. Claudicn, Bell. Gildon., 442-3 :
Non illis gcneris ncxus, non pignora curao,
Sod numéro languet pictas.
Voir plus haut, p. 46, co que Procope fait dire à des Maures.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 53
excuse de leur propre égoïsme. Mais Salluste ' a montré en
quelques mots fort justes la tare de la polygamie : « Cette
multitude d'épouses empêche l'afTection des hommes de se
fixer : aucune d'elles n'est traitée comme une compagne ; toutes
sont également dédaignées. » Ajoutons que la concorde est
rarement parfaite entre ces femmes et que des enfants nés de
différentes mères ne s'attachent pas entre eux aussi fortement
que s'ils étaient frères par leurs deux parents. Intrigues, ran-
cunes ou haines s'agitent autour du mari, du père, et affai-
blissent le groupe familial. Il ne faut cependant pas oublier
que la polygamie est, en somme, une exception.
Ce qui fait vraiment la faiblesse de la famille berbère, c'est
la condition inférieure de l'épouse, aussi bien, et peut-être plus
encore, dans les ménages monogames que dans l'état de
polygamie ^ A cet égard, le droit musulman a été incontes-
tablement un progrès pour les indigènes qui l'ont adopté :
vérité souvent méconnue. Achetée comme une chose, répudiée
au gré d'un mari dont elle ne peut se séparer elle-même,
livrée à ses volontés arbitraires, accablée des plus pénibles
travaux, la femme berbère n'a sur son maître que le pouvoir
de sa jeunesse, bien vite fanée, puis des liens que crée l'accou-
tumance au foyer commun, — quand l'homme ne les rompt pas
brutalement. Elle a surtout pour réconfort l'affection de ses
fils, qui est d'ordinaire très vive et que l'âge ne diminue pas.
IV
Comme chez les Grecs, chez les Romains, chez d'autres encore,
la famille restreinte, comprenant les époux et leurs enfants,
fait partie chez les Berbères d'une famille étendue, qui est,
l.Jug., LXXX, 7.
2. Car la polygamie exige, de la part du mari, de la richesse, ou, du moins,
quelque aisance : donc uu bien-ùlrc dont, ses femmes prolltent.
54 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
elle aussi, une institution juridique, un cadre sans doute formé, en
tout cas adopté par une société pour y distribuer ses membres.
C'est un groupe composé d'un nombre plus ou moins grand
de mâles, descendant en ligne masculine d'un ancêtre com-
mun. A ces mâles sont agrégées leurs femmes. Quant aux
filles, elles n'appartiennent au groupe, comme à la famille
restreinte, que jusqu'à leur mariage.
En latin, ce groupe de parents par les mâles, d'agnats,
agnati, était appelé gens \ Chez les Kabyles, c'est la thakher-
roubt, terme arabe (kharouba) légèrement berbérisé; au Maroc,
c'est Vikhs. Nous l'appellerions volontiers claîi, si les socio-
logues les plus récents n'avaient décidé de qualifier ainsi des
groupes d'une organisation différente.
On s'attendrait à le trouver appelé gens dans les textes latins
concernant les indigènes africains. Mais ce mot a été appliqué
par les Romains aux tribus, peut-être parce qu'ils les ont tout
d'abord connues superficiellement, avant de bien discerner les
groupes familiaux qui les composaient.
Ce sont les termes familia et tribus que les Latins ont
employés pour la famille étendue des Africains. Parlant des
nomades de l'intérieur, Pomponius Mêla ^ dit qu'ils vivent
en familiae, composées d'agjiati. Familia se retrouve avec la
même signification, croyons-nous, dans un passage de Pline
l'Ancien ^ et dans une inscription de Tunisie * : « Mathun,
Massiranis filius, princeps familiae Medid. » [nom écrit en
abrégé, peut-être celui de l'ancêtre commun] ^ Nous avons,
1. Chez les Grecs, -févo;, qui peut désiguer, soit la famille restreinte, soit la
famille étendue.
2. I, 42 : • Quîinquain in fainilias passiin et sine loge dispersi nihil in
commune consultant, tamen, quia singulis aliquot simul coniuges et plure8 ob id
liberi adgnatique sunt, nus(]uain i)auc,i. >■
3. V, 17 : • (gens) Mauroruni ... attenuata bellis ad paucas recidit familias •.
4. Gagnât et Merlin, Jnscr. lui. d'Afruiuc, 107 (= Uessau, Inscr. lat. seL., 9 410).
T). Voir peut-ùtre aussi Gsell, Inscr. lai. de l'Algérie, I, 3 809. Sur une autre
inscription concernant une tribu, le mot fandlidc parait désigner les esclaves
des indigènes : C. /. /.., VIII, 21 m\.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. «5
d'autre part, des inscriptions latines où le nom d'un indigène
est accompagné de la mention de la tnbus à laquelle d appar-
tenait'. 11 s'agit d'un groupe moins étendu que celu, que nous
appelons en trança>s tribu et auquel les Romains ont apphque
abusivement le terme ,.hs : la ,ens est une fo>s md.quee en
même temps que la mbu.'. Dans ces inscriptions le mot
.„.« est su,v. dun nom propre, qui parait b.en des.gner
un homme. H y a lieu de croire que la tnbu. eta. un
groupe d'agnats, dénommé d'après l'ancêtre commun à ses
""'un''ruUe de cet ancêtre et des autres ascendants décédés
était-il un des éléments de la solidarité du groupe? Un passage
d'Hérodote ■, sur lequel nous reviendrons ', pourra.t être
allégué comme ind.ce, non comme preuve: « Pour fa.re de
U divination, les Nasamons vont aux tombeaux de leurs
ancêtres et s'endorment par-dessus après avoir pne; ,1s se con-
forment à ce qu'ils voient en songe. »
Du reste, si cétaU la parenté du sang qu, constitua.t le
„oupe, c'était la vie commune qui le maintena.t : che^ les
Lmades, dans leurs déplacements, dans leurs séjours tempo-
raires en divers lieux; che. les sédentaires, so,t dans une
habitation unique, soit dans un ensemble d'habitaUons con
tigués ou très rapprochées. Cette communauté d existence a pu
avoir pr,mitivement pour corollaire l'indivsmn des b.ens, de
ceux, du moins, que leur nature même (ob ets de parure,
armes, etc.) ne destinait pas à l'usage personnel.
, m ' ■. I rw • . Nabdhseu, Culuzanis f(ilius), trib(u)
, Ose.1. insçr. loL^e ^^^^ ' ;,;^,,,,r^;Hus). Uil.u LMlisictri -.Pour ia
^.::^^:r^ ' -^-^ -^p^-- ^''-^ ''■•'' ''''-'
-t^Slu l c 3144 (voir uole précédente), où le'.no, Masalanù désigne la ,ens
à laquelle appàrlenail Tindividu .nonUontie.
3. IV, 172.
li. Voir t. Yl. 1. H. <1'- "' S ^'
56 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Le groupe a besoin d'un chef ' pour le diriger, pour le
représenter vis-à-vis des autres groupes semblables, qui font
partie, comme lui, d'une société plus large. Ce peut être, soit
l'aîné de la branche aînée, — il en était ainsi dans la gens
romaine, — soit le plus âgé des membres de la famille agna-
tique ^. Il est probable que, chez les anciens Berbères, comme
chez leurs descendants, comme chez les Arabes préislamiques
et chez d'autres peuples, l'âge, et non la primogéniture, con-
férait le droit à la suprématie. Nous verrons ^ que telle était
la règle, au iii^ siècle avant notre ère, dans le royaume mas-
syle, pour la succession à la souveraineté; elle était sans doute
empruntée au droit familial. Nous verrons aussi * la place
importante attribuée aux vieillards dans les conseils des groupes
qui embrassent un nombre plus ou moins grand de familles
agnatiques. Il devait en être de même dans ces familles. Appa-
remment, le chef n'agissait pas en tyran, mais consultait les
gens, d'ordinaire âgés, qui, libérés de la puissance pater-
nelle par la mort de leurs ascendants, étaient à la tête des
petites familles.
Si la famille agnatique semble bien être, comme la famille
restreinte, un mode d'organisation d'une société plus étendue,
elle est devenue un corps autonome, n'admettant dans sa vie
intérieure aucune autorité étrangère. C'est à elle qu'appartient,
au-dessus des droits exercés par les chefs des petites familles,
le châtiment des fautes commises dans son sein. A défaut du
mari et, au besoin, contre son gré, elle punit de mort la femme
adultère, dont l'infidélité risque d'introduire un intrus dans le
groupe. Vis-à-vis des étrangers, sa solidarité est très rigoureuse
et crée des obligations, des responsabilités qui s'imposent à
1. Ce qu'était sans doulc \i'princi[)sfamiliaeMedid... que mcnlioune l'iascription
citée p. 54.
2. Le princcps mcationné ù la tinte précédcnle mourut à soixaute-dix ans.
3. P. 122.
4. P. g:{.
LES CADRES UE LA SOCIETE INDIGENE. 57
tous les agnats, les femmes en étant d'ordinaire exemptes, eu
égard surtout à leur faiblesse, peut-être aussi parce qu'elles sont
seulement agrégées au groupe. C'est un devoir pour tous de
venger les injures, violences et crimes commis sur un des
membres de la famille. Le châtiment est la peine du talion *:
en principe, la coutume berbère n'admet pas la composition
pécuniaire et c'est au droit musulman qu'elle l'a empruntée.
D'autre part, le groupe est solidaire dans la responsabilité du
crime commis par un des siens : la vendetta peut frapper, non
pas le coupable, mais un autre agnat dont la valeur d'homme
répond mieux à celle de la victime.
Quand un conflit éclate entre deux individus appartenant à
des familles agnatiques différentes, et ne s'est pas exaspéré au
point d'exiger une vengeance, c'est à ces familles qu'incombe
le devoir de trouver un arrangement amiable, ou de le demander
à un arbitre. De même, pour la conclusion des contrats, qui,
dans le vieux droit berbère, lient deux groupes familiaux, et
non deux individus; si l'achat d'une femme est devenu une
affaire privée entre les pères des futurs époux, nous avons
des indices que, primitivement, les deux familles agnatiques
prenaient part à ce marché ^
Aux membres du groupe ont pu être agrégés d'autres
hommes, de condition inférieure, clients, esclaves. Mais, pour
l'antiquité, on n'a aucun renseignement à cet égard.
Dans une contrée où les enfants étaient nombreux, il devait
être rare que des familles disparussent par extinction, sauf en
cas de guerre. Mais elles pouvaient se fractionner pour diverses
raisons : affaiblissement des liens d'affection, de l'esprit de
corps entre des parents de plus en plus éloignés; discordes
intestines provoquant une scission violente; difficulté pour ces
1. Sauf en cas de rapports sexuels interdits, où la peine est la mort.
2. Très souvent encore, le père de la jeune fille se croit obligé de consulter
ses proches au sujet de la demande en mariage.
58 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
groupes, s'accroissant d'âge en âge, de continuer la vie com-
mune dans le cadre étroit qui avait contenu les générations
précédentes et que, souvent, il leur était impossible d'élargir :
d'oîi la nécessité d'essaimer.
V
Constituée dans d'autres groupes qui échappent à notre con-
naissance, la famille agnatique jouit d'une très grande liberté
au sein de la société dont elle fait partie. Peut-être même,
s'isolant matériellement, a-t-elle mené çà et là une existence
complètement indépendante. Pomponius Mêla' dit qu'à l'inté-
rieur des terres, les nomades vivent en familles d'agnats,
dispersés, sans lois, sans prendre de délibérations communes.
Il a pu en être ainsi, non point partout, comme Mêla le croit,
mais dans des régions très pauvres, où le peu d'abondance des
pâturages et de l'eau ne permettait pas à un grand nombre
d'hommes de se réunir, où ces petits groupements familiaux
n'avaient pas à craindre que de plus forts vinssent leur disputer
leurs chétives ressources, et où eux-mêmes devaient rester,
étant trop faibles pour aller tenter ailleurs des conquêtes qui
eussent pu leur assurer un meilleur sort.
Cependant la nécessité de former de larges associations s'est
imposée de très bonne heure à beaucoup d'habitants de la
Berbérie; elle a été plus puissante que l'amour jaloux de l'indé-
pendance et l'esprit d'indiscipline qui sont des traits dominants
de leur caractère. Nous avons déjà constaté Mes agglomérations
importantes dès les temps où les hommes ne vivaient que de la
chasse et des produits végétaux naturels, et nous les avons
expliquées par les besoins de la défense et l'appel des sources.
1. I, 42. Ce tcxlo est cité p. 54, n. 2.
2. P. 27-28.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 59
Quand l'élevage et l'agriculture se répandirent, cette obligation
de s'associer devint plus pressante encore.
Les régions de la Berbérie qui ont des pâturages pendant
tout le cours de l'année sont assez rares. Dans le Tell, les
herbes des plaines se dessèchent en été; celles des montagnes
sont souvent couvertes de neige en hiver, et, dans ces lieux
élevés, le froid éprouve le bétail. 11 est donc utile, ou même
indispensable, de pratiquer la transhumance. Les steppes
offrent des ressources durant l'hiver. Mais, l'été, les troupeaux
doivent abandonner ces espaces dépourvus alors d'eau et
d'herbe, et prendre le chemin du Tell, ou, comme pis-aller, se
rendre dans les montagnes de l'Atlas saharien'; ceux qui les
mènent sont astreints à la vie nomade. Je ne parle pas ici du
grand nomadisme, qui s'étend du Sahara au Tell, car il est la
conséquence de l'élevage des chameaux-, encore inusité à
l'époque que nous étudions.
Dans des sociétés policées, un petit nombre de bergers
suffisent pour conduire et garder le bétail. Mais quand il faut
qu'il soit défendu contre les tentatives d'enlèvement, quand
il est l'unique ou presque l'unique bien de ses propriétaires,
ceux-ci sont contraints de l'accompagner, eux et leur famille ^
Comme le dit Polybe*, ils vivent de leurs troupeaux et avec
leurs troupeaux. Ils ne se déplacent pas au hasard. Ils doivent
suivre les pistes qui sont jalonnées par des points d'eau,
s'assurer le libre passage des cols, des défilés, des vallées qui
les amèneront aux lieux où ils pourront séjourner et dont ils
1. Pour ce qui précèdf, ronf. t. I, p. 160-170.
2. Qui ont besoin d'unie chaleur sèche.
3. Au VI' siècle de noire ère, Corippus et Procope nous montrent des indigènes
de la Tripolilaine et du Sud de la Tunisie emmenant leurs troupeaux de hœufs,
de moutons, d'ànes, de chameaux, dans leurs campap:nes contre les Byzantins :
Corippus, Joh., II, 93-5, 31)7-9; IV, OOO, OU-o: V, 490-1; VII, 08-69, 280; Procope.
Bell. Va^., I, 8, 2."î; II, II, 17 et 53. De même, bien des siècles auparavant, les
Libyens qui envahirent l'Égyple, sous le règne de .Ménephtah : Chabas, Éludes,
2* édit.. p. 190, 200 {ho'ufs, chèvres et ânes).
4. XII, 3, 4.
60 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
connaissent les ressources pour y avoir vécu les années précé-
dentes. Il peut arriver, il est vrai, que de longues périodes de
sécheresse aient stérilisé ces régions : ils doivent alors se
transporter ailleurs, là où la pluie a tombé. Où qu'ils aillent,
ils ont besoin de disposer des larges espaces que l'élevage
réclame.
De là, cent causes de conflits avec d'autres pasteurs. C'est la
dispute des pays où, d'ordinaire, des pluies abondantes assurent
le débit régulier des sources et la richesse des pâturages ; quand
les pluies ont manqué, l'âpre combat pour l'existence des
troupeaux et des hommes; dans les migrations, les querelles
autour des points d'eau. C'est la nécessité, pour les groupes où
les naissances humaines sont nombreuses et où le bétail
s'accroît rapidement, de s'étendre de plus en plus, en refoulant
ou en détruisant les groupes qui gênent leur expansion. Ce
sont aussi les razzias, qui n'ont pour cause que la brutale con-
voitise du bien d'autrui*.
Le droit de vivre et le désir de vivre mieux, la défense
comme l'attaque, exigent l'union et une certaine discipline
commune, la constitution de sociétés permanentes assez fortes
pour écarter les intrus des terres qu'elles veulent réserver à
leurs troupeaux, pour s'ouvrir les routes qu'elles devront
suivre dans leurs migrations périodiques, pour conquérir
l'espace qui leur manque, pour opérer à l'occasion des coups
de main fructueux ^ Dans les marches, on s'avance tous
1. La n'-ptitatiou dos Africains comme pillards clail ttiea établie chez les Grecs
et les Romains : Slrabou, XVII, 3, 15; Tacite, Ann., II, 52; Festus Aviénus,
Descr. orbis, 279; etc. Pour les (iétuies, v. infra, p. 112.
2. Ce groupe do nomades, intermédiaire entre la famille et la tribu, s'appelle
en arabe ferqa, mol qui signifie « fraction » (de tribu). Dans les tribus actuelles,
il constitue, en elîet, uue subdivision. Si l'on veut faire des hypothèses pour des
temps très lointains, on peut supposer, soit que de tels groupes étaient primiti-
vement indépendants et se sont ensuite unis pour former une société plus large,
une tribu, soit qu'une société, dev(;nue trop vaste, s'est scindée en groupes
embrassant un certain nombre de familles. Ces deu.K hypothèses sont probablement
vraies l'une et l'autre.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 61
ensemble, ou bien par échelons, de manière à ne pas encombrer
et tarir les sources ou les puits. Sur les pâturages, chaque
famille d'agnats forme un groupe d'habitations mobiles, le
plus souvent isolé, mais assez rapproché des autres groupes
pour qu'on puisse se prêter appui ; le bétail, qui paît le jour
aux environs, y est ramené et gardé la nuit. Les chefs des
familles s'assemblent pour prendre les décisions qui intéressent
la communauté. Nous n'avons pas de preuves que le lien
unissant les associés ait été renforcé par un culte collectif.
Parmi les indigènes, Hérodote ' distingue très nettement les
pasteurs et les cultivateurs, les premiers habitant des demeures
transportables, les autres, des maisons fixes. Cette distinction
se retrouve plus tard 2. Elle n'est pas rigoureusement exacte.
S'il y a eu des Africains adonnés uniquement à l'élevage, ceux
qui se livrent à la culture ne se sont jamais interdit d'avoir des
animaux domestiques \ Cependant il est vrai de dire que le
contraste entre la vie des pasteurs nomades et celle des paysans
sédentaires a dominé, à travers les siècles, l'histoire écono-
mique de l'Afrique du Nord.
L'agriculture attache au sol, l'arboriculture encore plus.
Mais, là aussi, les causes de conflit, et, par conséquent, les
risques de dépossession sont nombreux. Entre voisins, on se
dispute l'eau courante, qui peut servir à des irrigations et dont
ceux d'amont peuvent priver ceux d'aval; on se dispute auss
les terres, plus ou moins fertiles. Les pasteurs, surtout, sont les
ennemis naturels des agriculteurs. Ils veulent se réserver
l'usage des plaines où les laboureurs tracent leurs sillons;
1. IV, 190, 191.
2. Diodore, III, 49, 2. Mêla, I, 41-42.
3. Qui leur sont utiles pour leurs travaux agricoles. Le cheval, aulnial de
guerre, était élevé dans l'antiquité, non seulement par des pasteurs, mais aussi
par des agriculteurs. Hérodote (IV, 193) mentionne des chevaux chez les Zauèces,
qu'il range parmi les cultivateurs. Salluste (Jug., XLVI, 5, et XLVIII, 4) nous
montre Métellus parcourant en Numidie des régions où il trouve à la fois des
agriculteurs et des troupeaux.
GsELL. — Afrique du Nord. V. 5
6â ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
lorsque le blé et l'orge sortent de terre, ce sont des aliments de
choix pour leur bétail. Se déplaçant aisément, depuis qu'ils se
servent de chevaux, ils tombent à l'improviste sur les séden-
taires, pillent leurs demeures, emportent leurs grains. Les
agriculteurs peuvent, il est vrai, cacher leurs récoltes dans des
souterrains, que l'ennemi ne découvre pas toujours. Mais leurs
autres biens, leur liberté et leur vie même sont à la merci des
nomades, s'ils vivent dans des maisons ou des hameaux isolés,
au milieu de leurs champs. Les attaques sont si brusques qu'ils
n'ont souvent pas le temps de s'enfuir et de se mettre à l'abri
dans des lieux d'accès difficile.
Le souci de leur sécurité leur commande donc d'habiter des
villages, protégés par des obstacles naturels et, s'il le faut, par
des remparts. Ces villages s'élèvent en général auprès d'une
source, qui invite les hommes à former autour d'elle un groupe
proportionné à la quantité d'eau qu'elle leur offre. D'autres
causes les convient à cette communauté d'existence : le besoin
de société, les services mutuels qu'on peut se rendre dans les
tâches qui exigent un prompt achèvement et des bras nom-
breux, telles que la construction d'une maison, la moisson.
Mais, en Berbérie comme en Espagne, le village est, avant tout,
la réunion, dans un but défensif, de ceux qui exploitent la
campagne d'alentour. Chez les Grecs et les Latins, le territoire
cultivé n'est que l'annexe de la ville; chez les Africains, — où
les villes sont rares, — c'est le territoire qui crée le village.
Celui-ci est plus ou moins peuplé; il n'est jamais très étendu,
puisqu'il est, en réalité, un refuge permanent dans une position
forte. Naturellement, on le place le plus près possible des
champs, oii les cultivateurs doivent pouvoir se rendre sans
perdre trop de temps.
Jusqu'à nos jours ou jusqu'à une époque très rapprochée de
nous, nous trouvons presque partout chez les Berbères séden-
taires, en Kabylie comme dans l'Aurès, dans le Rif marocain
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 63
comme dans l'Atlas, un mode de groupement et d'organi-
sation' qui doit remonter à une antiquité lointaine, sans
qu'on puisse savoir de quelle manière il s'est établi et propagé.
Le village est une république^, composée d'un certain nombre
de familles d'agnats, lesquelles gardent leur cohésion, leur
solidarité et le droit de régler elles-mêmes leurs propres
affaires.
Quant aux affaires d'intérêt commun, elles sont discutées et
décidées par une assemblée ' (la djemaâ en arabe), dont la
composition varie. A l'origine, ce devaient être les chefs des
groupes dont la réunion formait la république, c'est-à-dire les
chefs des familles agnatiques. Il en est encore ainsi çà et là*.
Ailleurs, ce sont des délégués de ces familles, ou bien des
notables élus. En d'autres lieux, tous les hommes adultes
assistent à cette assemblée, droit qui leur a peut-être été conféré
parce qu'ils ont tous à participer à la défense du village. Mais,
seuls, les vieillards se font entendre dans les délibérations et,
souvent, les décisions à prendre ont été préalablement arrê-
tées dans un comité restreint, composé de notables âgés. De
toute façon, ce sont les anciens qui gouvernent la petite répu-
blique. Ils la gouvernaient déjà il y a quinze ou vingt
siècles. Des inscriptions latines nous font connaître des seniores
1. Pour la conslitutioQ des villages berbères comme pour celle des tribus, les
deux principaux ouvrages sont ceux d'Hanoteau et Letourneux, La Kabylie et les
coutumes kabyles (2« édit., Paris, 1893), et do Masqueray, Formation des cités chez
les populations sédentaires de l'Algérie (Paris, 1886). — Pour le Maroc, voir eu par-
ticulier Doutté, dans Bull, de l'Afrique française, 1903, Supplément; A. Bernard,
Les confins algéro-marocains (Paris, 1911), p. 87 et suiv. ; le même. Le Maroc (Paris,
1914), p. 214 et suiv.
2. 11 peut arriver (c'est assez souvent le cas dans le Sud du Maroc) que cette
république soit formée, non par un groupe de population réuni dans un village,
mais par les habitants de plusieurs hameaux dispersés dans la campagne. Pour
des raisons diverses, la concentration matérielle ne s'est pas faite, ou s'est défaite,
mais l'absence de village n'empêche pas l'association politique.
3. Pomponius Mêla (1, 42) dit dos nomades de l'intérieur : « nihil in commune
consultant •, ce qui pourrait être une allusion aux assemblées des sédentaires
soit dans les villages, soit dans les tribus.
4. Dans le Nord et le centre du Maroc.
et ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
de castella *, des conseils de vieillards fonctionnant dans des
villages.
Ces assemblées ont à statuer sur des questions fort diverses :
entretien des chemins, des conduites d'eau, du cimetière,
distribution de l'eau d'irrigation, répartition des terres à
cultiver là où existe la propriété collective, contestations de
limites là où la propriété familiale ou individuelle est con-
stituée, corvées, réception des hôtes, rapport d'alliance ou
conflits avec les voisins, etc.
Malgré le désir des familles de rester indépendantes, il est
impossible qu'elles conservent pleinement leur droit de
vengeance et leur responsabilité collective : ce serait la guerre
civile en permanence. Dans l'intérêt de l'ordre, la communauté
doit intervenir et frapper les coupables. L'assemblée édicté des
amendes pour injures, vols, dégâts, coups, blessures, etc., et il
se forme ainsi un petit code pénal, généralement non écrit ^,
qui porte en Algérie le nom de qanoun^. Ce mot est évidem-
ment d'origine grecque (xavwv) et il a été employé par les
Latins, en Afrique comme ailleurs, du reste avec un sens
différent\ II est très douteux qu'il se soit perpétué en Berbérie
depuis l'antiquité; peut-être a-t-il été importé d'Orient à une
époque relativement récente ^ Quoi qu'il en soit, il faut admettre
que la chose est beaucoup plus ancienne que le nom : le droit
coutumier des villages berbères, certainement antérieur à la loi
1. C. /. L., Vlll, 15 066, 15 667, 15 669, 15 721 (= 1 615), 15 722 (= 1 616); pro-
bablement aussi Bull, archéol. du Comité, 1915, p. CLXXXVI. Pour C. I. L., VIII,
17 327 et d'autres textes, v. infra, p. 05, D. 2 et 3.
2. Les codes mis par écrit l'ont été il n'y a pas longtemps, en langue arabe.
3. Au Maroc, azref, mot qui parait être berbère : H. Basset, Essai sur la littér.
des Berbères, p. 86.
4. . Prix du loyer . : voir, p. ex.. Code Théodosien, IX, 42, 16; XI, 1, 30; XI, 7,
19; XI, 10, 13.
5. Dans l'P^mpire ottoman, le mot qanoun désignait l'ensemble des lois et des
règlements publics, ce qui répond assez bien à l'emploi qui en est fait en
Algérie. — Ce même mot est usité en Tunisie et au Maroc, mais dans un sens
fiscal : en Tunisie, pour une taxe perçue sur des arbres fruitiers; au Maroc, pour
désigner le foyer, unité imposable.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 65
coranique, avec laquelle il ne s'accorde pas toujours, a dû
commencer à se constituer dès la naissance de ces républiques,
qui n'eussent pu subsister sans une discipline sanctionnée par
des peines.
L'assemblée que composent les anciens, ou qu'ils dirigent,
peut être l'autorité unique du village*. Il est même assez
probable qu'il en fut d'abord partout ainsi : des textes latins,
mentionnant des seniores, n'indiquent point de magistrats
locaux auprès d'eux ^ Cela est conforme au caractère de ces
républiques, où les familles n'admettent pas sans peine une
autorité extérieure.
Mais, le plus souvent, l'exécution des volontés de l'assemblée
et le maintien du bon ordre, — assuré par des mesures de
police et des pénalités, — sont confiés à une sorte de maire.
C'est, croyons-nous, le magistratus qui apparaît avec des
seniores dans une inscription latine de Numidie^ L'assemblée
l'élit, soit pour un an seulement* (dans ce cas, il est d'ordinaire
rééligible), soit sans limitation de temps, mais avec faculté de
1. Tel est ou était le cas dans une bonne partie du Nord du Maroc et dans
l'Aurès.
2. C. /. L., VllI, 15 600-9, 15 721-2. Bull, archéol. du Conilé, 1915, p. clxxxvi. Au
n° 15 607 du Corpus, les duumvirs mentionnés avec, les seniores Ucubitani sont
d,es magistrats de Sicca, colonie à laquelle le caslellum d'Ucubi était ratlaclié. Au
même lieu que lésa"' 15 721-2, qui mentionnent les seniores d'un castellum, a été
trouvé le n" 15 726, indiquant un pr(a)ef(ectus) caste{lli). Ce n'était pas un magis-
trat local, mais un préfet établi par la colonie de Sicca et exerçant sa juridiction
sur un caslellum qui, comme Ucubi, dépendait de cette colonie. Peut-être faut-il
lire caste(lloruni) : le ressort du préfet aurait compris plusieurs castella. — Concile
tenu en Afrique au temps de saint Augustin, «pud Mansi, Conciliorum collectio,
IV, p. 497 (il s'agit de convoquer les praeposili des donatistes) : « in singulis qui-
busque civitatibus vel locis per magistratus vel seniores locorum »; l'exécution
de la mesure prescrite incombera donc, ici, aux magistrats des cités, là, à défaut
de magistrats, aux seniores. — Conférence de Cartbage en 411, I, 5, apud Migne,
Pair. Lat., XI, p. 1202 (dans un édit ordonnant de convocjuer les évéqucs) : « uni-
versos cunctarum provinciarum curalores, magistratus et ordinis viros, nec non
et actores, procuratoros, vel seniores singuiorum locorum ». — Ibid., p. 1419
(dans une sentence ordonnant la saisie des églises donatistes) : énuniération
analogue, se terminant |)ar les « seniores omnium locorum ».
3. C. /. L., Vlll, 17 327 : temple restauré sous Dioclétien par les • univers!
seniores Mas[...]rensium,.... anno Fortunatiani mag(istratus) ».
4. Voir l'inscription citée à la note précédente.
66 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
le révoquer'. En droit, il est un agent, beaucoup plus qu'un
chef. Cependant on le choisit toujours parmi les notables, et il
peut acquérir une réelle puissance, grâce à sa richesse, sa
bravoure, son intelligence, son adresse à se concilier les esprits
et à s'attacher les intérêts; il peut ainsi se perpétuer dans sa
magistrature, la rendre même, en fait, héréditaire.
Telle est, dans ses traits essentiels- et certainement fort
anciens, la constitution des villages berbères, unités politiques
oii se groupent les unités sociales que sont les familles d'agnats.
Celles-ci doivent faire des sacrifices à l'intérêt commun. Mais
ce n'est qu'une abdication limitée. Les décisions prises par les
anciens le sont en vertu d'un accord entre eux tous, et non
pas par la volonté des plus nombreux, et la nécessité d'obtenir
ce consentement unanime fait accepter des compromis. La
juridiction pénale vaut surtout pour les délits; pour les crimes,
les familles estiment, en général, que leur honneur ne leur
permet pas de renoncer au droit et au devoir de les venger'.
VI
Au-dessus des familles d'agnats, des groupes de familles
pastorales, des républiques villageoises, les tribus sont de
petits Etats fédératifs, formés pour la défense ou l'attaque, les
groupes inférieurs n'ayant pas la force d'assurer isolément, soit
le maintien de leur existence, soit la réalisation de leurs désirs
d'expansion, de domination fructueuse ou de vengeance.
La tribu, si solidement constituée chez d'autres peuples, par
1. I>a révocation est rare, mais (in a des moyens de faire comprendre au maire
qu'il est temps pour lui de démissionner.
2. En néglipeanl les cas particuliers et les exceptions qu'il serait facile d'op-
poser à ce tableau d'ensemble.
3. Comme nous l'avons déjà dit (p. 57), c'est l'Islam qui a fait admettre chez
une partie des Herbères, et non chez tous, la possibilité de racheter pécuniai-
rement un crime.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 67
exemple les Gaulois et les Germains, où ses éléments se
cimentent en une unité territoriale, politique, administrative,
religieuse, économique', n'est chez les Berbères qu'un assem-
blage de groupes qui gardent jalousement leur autonomie et
leur esprit particulariste, qui se détachent aisément d'une tribu
pour s'attacher à une autre, quand leur intérêt le leur conseille.
Elle est avant tout, et souvent exclusivement, une ligue poli-
tique et militaire contre l'étranger.
C'est arbitrairement que ceux qui la composent se prétendent
parents à la manière des agnats ^ : l'ancêtre commun n'est qu'un
personnage légendaire, et la facilité avec laquelle les tribus
s'agrègent des éléments nouveaux suffît à prouver le mensonge
de cette parenté ^
Dès le second millénaire avant J.-C., des documents
égyptiens mentionnent des tribus africaines entre la vallée du
Nil et les Syrtes *. Pour la Berbérie proprement dite, nos sources
ne nous permettent pas de remonter au delà du v^ siècle. Au
chapitre suivant, nous indiquerons les rares tribus, à peine une
vingtaine, que nous font connaître Hérodote et des auteurs
plus récents, jusqu'à la conquête romaine. Elles étaient
beaucoup plus nombreuses, les cadres géographiques auxquels
elles devaient s'adapter étant d'ordinaire assez étroits : à l'époque
d'Auguste, on en comptait des centaines dans la province
1. Voir Jullian, De la Gaule à la France, p. 111-2.
2. Peut-être est-ce cette prétendue parenté qui a fait donner par les Romains
à la tribu berbère le nom de gens, lequel désigne chez eux la fiimille agnatique.
Les textes qui attribuent un ancêtre mythique à des (ribus africaines sont des
inventions d'auteurs grecs, non des témoignages indigènes : voir Pline IWncien,
VII, 14 (d'après Agalharchide); Josèphe, Ant. Jiid., I, 15, 241 (d'après Alexandre
Polyhistor); Apollonius de Rhodes, !V, 1494, 1496. Mais cette fiction d'une origine
commune des membres d'une tribu est extrêmement répandue en Rerbérie au
moyen âge et aux temps modernes : d'où la fréquence des termes Oulad et Béni
(les fils d'un tel) pour désigner ces tribus. Peut-être des influences arabes y ont-
elles aidé : conf. G. Marçais, Les Arabes en Berbérie, p. 43-44; ce n'est pas là, du
reste, une hypothèse nécessaire, car, chez beaucoup de peuples anciens, les
liens sociaux ont été expliqués et justifiés par de proleudu'i liens de parente.
3. Conf. Hanoteau et Letourneux, La Kabylie, II, p. 07.
4. 0. Bâtes, Tke Eastern Libyans, p. 46 et suiv.
68 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
d'Afrique, c'est-à-dire en Tunisie, en Tripolitaine et dans
l'Algérie orientale*. Les Grecs les désignaient sous le nom
d'È'Ovrj^; les Latins les appelaient gentes^, parfois nationes''^
populi^.
Les éléments dont la tribu se compose sont nécessairement
des groupes de voisins, qui, pour mieux protéger leurs propres
terres, s'associent et deviennent ainsi les défenseurs solidaires
d'une région plus ou moins étendue. Une tribu ne se conçoit
pas sans un territoire qu'elle se réserve, ou, du moins, dont elle
dispose, qu'elle habite en permanence ou pendant une bonne
partie de l'année. Cette association se forme, en général, entre
gens qui mènent la même vie et ont, par conséquent, les mêmes
intérêts à sauvegarder. Ses limites lui sont souvent assignées
par la structure du sol; comme les pays de la vieille Gaule, mais
dans une moindre mesure et avec plus d'élasticité, bien des
territoires de tribus africaines sont en même temps des régions
naturelles.
L'agriculture se répandit lentement chez les Libyens. Si,- au
V® siècle avant notre ère, les populations de l'Est de la Tunisie
s'adonnaient aux céréales^ s'il en fut de même de celles que
Carthage soumit à sa domination directe, la plupart des
Numides et des Maures, habitants du Nord de l'Algérie et du
Maroc, se bornaient, au début du second siècle, à l'élevage du
bétail, même là où le climat et le sol leur auraient permis de
1. Pline l'Ancieu, V, 29 (d'après un document ol'flciel du règne d'Auguste) :
mention de 5\() populi, dont la plupart étaient des tribus (conf. ibid., V, 30).
2. Hécatée, dans Frwjm. hist. Graec, I, p. 23, u° 307. Hérodote, II, 32; IV, 167,
171, 172. Kratostliène, ai>ud StraLon, 111, 5, 5. Polylie, Vil, 1), 5 et 7; XII, 3, 4.
Diodore do Sicile, Xlll, 80, 2. Appien, Lib., 59. Élion, Nat. anim., Vil, 23; XVII,
27. 'I>;>a, dans Denys le Ptriégète, 180 {(ieoijr. Gr. min., 11, p. 112). l'évr,, dans
Diodore, 111, 49, 1 et 2. — Pour la Gaule, le mot k'Ovr) désigne des peuplades,
çO/.a les tribus dont se com|)osenl ces peuplades : Jullian, llist. de la Goule, II,
p. 14-1"), 19.
3. Pline l'Ancien, V, 5; 9; 17; 21; 52; etc. Très fréquemment dans Ammien
Marcellin (XXIX, 5, 11 et suiv.), dans la Juluiimidc de Corippus, dans les inscrip-
tions latines d'Afrique.
4. Pline, V, 30. Ammien, XXIX, 5,2; 14; 28 et 44. C. /./.., V, 5 207 ; VIII, 22 729.
5. Pline, V, 1. Ammien, XXIX, 5, 40. Paul Orose, Adv. pwj., IV, 9, 9. Etc.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 69
suivre l'exemple des indigènes delà Berbérie orientale'. A ces
tribus pastorales du Tell, de longs déplacements n'étaient pas
nécessaires. Il leur suffisait de disposer de plaines pour le
pacage d'hiver, de forêts et de montagnes où elles menaient
leurs troupeaux pendant l'été, et où elles trouvaient du gibier
en abondance : tel devait être le double aspect des territoires
qu'elles réussissaient ou cherchaient à se constituer-. Entre deux
plaines ou deux vallées appartenant à deux tribus différentes,
une chaîne boisée était propre à former une zone frontière, où
l'on n'avait peut-être pas cure de fixer des limites précises. A
la lisière du pays plat et de la montagne, dans un lieu escarpé,
la tribu pouvait établir un refuge, où elle allait s'enfermer avec
ses troupeaux, si son territoire était envahi par des ennemis
plus forts, où, souvent, elle déposait ses objets précieux et les
grains qu'elle avait achetés ou pris de force ^
Le passage de la vie pastorale à la vie agricole est, soit un
effort vers plus de bien-être, vers une existence plus tranquille,
soit une déchéance, au moins temporaire, à laquelle doivent se
résigner les éleveurs qui ont perdu leur bétail. Ce sont fréquem-
ment des vaincus*; ils vont se fixer où ils peuvent. Les autres
tribus agricoles s'étendent de préférence dans des plaines assez
larges pour permettre l'alternance des jachères et des champs
emblavés, avec une ceinture de hauteurs sur lesquelles sont
juchés les villages, et qui, lorsque l'arboriculture se dévelop-
pera, porteront des vergers. Par derrière, des forêts fourniront
le bois nécessaire au chauffage et à la construction.
1. V. infra, p. 175-0.
2. Il en était ainsi du territoire des Maces, sur le littoral des Syrtes, au iv* siècle
avant J.-C. Ces Libyens passaient l'hiver avec leurs troupeaux sur le bord de la
mer; en été, l'eau manquant, ils les emmenaient dans l'inlérieur des terres, au-
dessus (c'est-à-dire dans les monlajrnes (jui forment l'exlrémité Nord-Est du
Djebel tripolitain). Voir Périple de Scylax, 109, dans G. G. m., I, p. 85 (ce passage
est cité t. IV, p. 42).
3. V. infra, p. 233 et suiv.
4. Mais non pas toujours : il faut penser aux épizoolies, qui pouvaient faire de
terribles ravages.
70 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Les pasteurs établis dans les steppes y forment des tribus
dont le territoire doit être beaucoup plus vaste, eu égard aux
maigres ressources de ces régions, même pendant l'hiver. L'été
venu, la tribu entière émigré dans le Tell ou dans l'Atlas
saharien. Parfois, elle a pu s'y constituer un territoire qui
fait suite à celui des steppes, et oîi elle a des refuges et des
magasins. Mais, plus souvent, elle doit mener ses troupeaux hors
de chez elle et obtenir, de gré ou de force, le droit de pacage.
Etant des ligues de groupes autonomes, les tribus peuvent
se passer d'un chef. Les résolutions communes sont prises par
une assemblée de représentants de ces groupes,, qui ne se réunit
que quand les circonstances l'exigent. Ce sont, soit des délé-
gués des conseils d'anciens, parfois même, dans les cas graves,
tous les membres de ces conseils, soit les maires des villages.
Au VI* siècle de notre ère, Corippus' mentionne les patres
d'une tribu, qui décident qu'elle fera sa soumission à un général
byzantin ; dans une inscription latine^ qui est à peu près de
la même époque, apparaissent des seniores, formant, autant
qu'il semble, le conseil d'une autre tribu\
Un chef n'est nécessaire que quand il s'agit de faire la guerre.
L'assemblée fédérale choisit alors dans la tribu un homme qu'elle
investit du commandement pour la durée des hostilités, ou pour
un an : les choses se passaient ainsi, par exemple, en Kabylie.
Mais ce chef peut abuser de l'autorité temporaire qui lui a été
conférée, du prestige qu'il a acquis, de la reconnaissance que
lui valent les services rendus, et refuser de rentrer dans le rang
1. JoU., VI, 404-5 :
Tua focdera patres
(lentis amant optantquo siinul, etc.
2. C. I. L, Vlll, 20 216 (=8 37!>).
.3. Hérodote (IV, 180) meiilioniie dos assemblées d'hommes chez les Machlyes et
les Anses, deux tribus riveraines de la petite Syrie. Mais, comme il s'agissait,
selon cet auteur, de déclarer un enfant (Ils de celui des assistants auquel il
ressemblait, on pourrait en conclure que l'assemblée n'était pas nombreuse,
qu'elle comprenait seulement une fraction de la tribu, si l'on voulait accepter
cette indication, très suspecte (i'. supra, p. 30).
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 71
quand la paix est rétablie ; parmi ses anciens compagnons
d'armes, il peut former une troupe de fidèles, de clients', qui
l'aide à se maintenir. Il devient ainsi un véritable prince, non
pas toujours un tyran, car il est prudent de sa part de respecter
l'autonomie des groupes constituant la tribu; il lui arrive
même de réunir leurs représentants pour les consulter, quand
des décisions importantes doivent être prises. Cette autorité
qu'il a rendue viagère à son profit, il s'efforce de la rendre héré-
ditaire dans sa famille^, et, si la transmission du pouvoirnéces-
site encore une élection, — ce dont nous n'avons pas la preuve*,
— il n'y a plus là qu'une formalité.
Dans le voisinage de l'Egypte, nous constatons que, dès la
fin du second millénaire, les Lebou (ou Rebou) étaient com-
mandés par des princes héréditaires*. Au v* siècle, Hérodote
connaît des « rois » dans des tribus libyques^ Plus tard, des textes
grecs et latins mentionnent, chez les indigènes de la Berbérie,
des princes, des roitelets, ouvaTTa'.", ^aT'.AsV, apyovTî^^, principes^ ,
1. Ce qn'oa appelle en arabe une zmala.
2. Soit dans sa famille agnatique, dont le chef, après lui, sera le plus âgé des
agnats, soit dans sa famille restreinte, composée de ses flis.
3. Sauf chez les Touarag, où l'élection du chef, de Vaménokhal, par le peuple
confirme la transmission héréditaire (en ligne utérine).
4. Vers 1229, par Màraîou, fils de Didi ; vers 1195, par deux chefs qui portaient
les mêmes noms, Didi et Màraîou, et appartenaient sans doute à la même famille :
voir Maspero, Hist. ancienne des peuples de l'Orient classique, II, p. 431, 456. — Vers
1189, sont mentionnés Kapour, chef des Mashaouasha, et son fils Mashashalou :
ibid., p. 471, 472.
5. IV, 159, 168 : paaOetç.
6. Diodore, III, 49, 3. Appien, Lib., 10; 33; 41; 44. Le terme ôuvâcTTri? est par-
fois synonyme de painXejç : Diodore, XX, 17, 1, et 18, 3; Appien, Iber., 15; le
même, BelL civ., I, 62, et II, 96.
7. Diodore, III, 49, 2; Xlll, 80. 2. Nicolas de Damas, dans Fragm. hist. Graec,
III, p. 462, n" 133; p. 463, n"» 137 et 141. Cependant le terme ^asù.E-jz, do môme
que rex, est plutôt réservé à des souverains, chefs d'États. Aux chefs des tribus
convient mieux le nom de SjvâTTr,;. Conf., pour l'emploi de ces deux mots, Polybe,
XXI, 11, 8 (Tile-Livc, XXXVII, 25, 9, les traduit par rex et regulus)
8. Procope, Bell. Vand., II, 11, 14; 37; 47; II, 13, 19.
9. C'est le titre que portent d'ordinaire les chefs des tribus africaines sur les
inscriptions lutines de ré(io(|ue iinj)ériale. Dans dos textes qui se rapportent à
une époque antérieure, le sens du mol primeps n'apparait pas d'une manière
aussi précise : Tite-Live, XXVIII, 35, 4; .\XI.\, 29, 10; De viris illustr., (iO; Paul
Orose, Adv. pwj., IV, 9, 9,
72 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
reguli\ reges'^; le terme berbère guellid^ aguellid, est déjà
attesté dans l'antiquité^ Ailleurs, sont mentionnés des nobles,
des grands, ttow-o-.*, sùyevsV, nobiles^, illustriores\ proceres^^
primores^^ qui exercent des commandements, combattent auprès
des souverains, servent dans leur garde; il est permis de
croire que cette sorte de noblesse était constituée par les
familles qui détenaient l'autorité dans les tribus. Les rois
numides et maures, puis Rome ne lui furent pas hostiles. Ils
jugèrent sans doute qu'ils avaient intérêt à la maintenir, à
l'étendre même, pourvu qu'ils l'eussent en main. Le gouverne-
ment central souhaitait de véritables chefs, recevant facilement
ses ordres, responsables vis-à-vis de lui, obéissants et obéis;
il ne pouvait s'enfoncer dans une poussière de notables.
Ces principautés étaient d'origine et de nature guerrière : elles
s'expliquent par le fait que la tribu est, comme nous l'avons
dit, une ligue constituée pour la défense et l'attaque, ayant
besoin d'être commandée, du moins en temps de crise. Pou-
vons-nous supposer que certains chefs ont eu un caractère reli-
gieux? On ne saurait alléguer que le cas d'Ierna, prince de la
tribu des Laguatan au vi^ siècle de notre ère : Corippus nous
1. Tile-Live, XXVII, 4, 8; XXIX, 4, 4. Aminien Marcellin, XXIX, 5, 2. Ce nom
s'applique aussi à des fils de rois (Tite-Live, XLII, 24 et 6.5; XLIII, 3; XLV, 14),
ou à de jeunes rois, voire même à des rois dont on indique ainsi le peu d'impor-
tance (Tite-Live, XXIX, 30, G et 10; XXX, 36, 8; Salluste, Jug., XI, 2, etXM, 1;
Pline l'Ancien, VIII, 31, et XVIII, 22).
2. Ammien, XXIX, 5, 46. C. /. L., VIII, 2 615, 20 216 (=8 379). Gagnât, Merlin
et Châtelain, Inscr. lai. d'Afrique, 609 et 610. L'emploi de ce terme n'est pas fré-
quent dans la langue officielle.
3. Avec le sens général de chef, prince, roi : voir t. I, p. 310, n. 3. Ce mot
a servi de prétexte à la fable qui donne Djalout (Goliath) pour roi à des ancêtres
des Berbères : ibid., I, p. 355, n. 3. Hérodote (IV, 155) dit que pà-To; signifie
roi (paa.Aôu;) dans la langue des Libyens (de Cyrénaique).
4. Zonaras, IX, 13, p. 440, c.
5. Élien, Nal. anim., VII, 23.
6. Tile-Live, XXX, 13, 2. Salluste, Jug., LXX, 2. Suétone, Jules César, 71. —
Bell. Afric, LVI, 3 : • Gaetuli... nobiliores ». Eutrope, III. 20, 4 : « nobilissimis
Numidis ».
7. bcll. Afric, XXXII, 4.
8. Corippus, Joli., IV, 333.
9. Tile-Live, XXX, 17, 1. Pomponius Mêla, I, 41.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 73
apprend qu'il était en même temps prêtre d'un dieu nommé
Gurzil'. Mais c'était là une exception^ Les autres chefs indi-
gènes, dont Coripus parle longuement, ne paraissent pas avoir
été investis de fonctions sacerdotales. Il est, du reste, impos-
sible d'affirmer que la célébration d'un culte commun ait créé
un lien entre les membres d'une tribu.
VII
Organes de résistance et de lutte, les tribus se heurtent sou-
vent. Si la Berbérie est divisée par la nature en de nombreux
compartiments, il ne faut pas exagérer les difficultés des com-
munications entre ces régions : ce sont des obstacles moins forts
que les nécessités de la transhumance et du nomadisme, le
goût des aventures et du pillage. Les Africains ont la réputation
d'être des gens querelleurs, avides de cKangement, et, dans
l'antiquité, aucune autorité religieuse ne s'interpose pour pré-
venir ou apaiser les conflits.
Des tribus vaincues disparaissent : leurs membres sont mas-
sacrés, asservis, dispersés; leur territoire est occupé par les
vainqueurs. D'autres sont refoulées dans des montagnes, où la
défense est beaucoup plus aisée que la poursuite et l'attaque :
aussi certains massifs de la Berbérie, surtout la grande Kabylie,
ont-ils été de vastes refuges, où la population s'est accumulée,
1 Joh II 109- V, 23-24, 495. C'est de l'oasis d'Ammon que Silius Italicus (XV,
672' et suiv.) fait venir Nabis, un guerrier qu'il pare d'un insigne sacerdotal. Il
est prudent de ne pas invoquer ce témoignage poétique.
2 Dans un fragment de Nicolas de Damas (F. h. G., III, p. 463, n" 141). nous
lisons que des Libyens, les Panèbes, quand leur roi est mort, enterrent son corps,
mais coupent sa tête, qu'ils dorent et placent dans un sanctuaire. Cette tribu
aurait donc rendu une sorte de culte à ses chefs défunts, ce qui pourrait faire
croire que, de leur vivant, ils avaient un caractère sacré. Mais ces Panèbes sont
inconnus, et l'on peut môme douter qu'ils aient été vraiment des Libyens (conf.
Bâtes. The Eastern Libyens, p. 182. n. 2). Une coutume analogue est attribuée par
Hérodote à des Scythes (IV, 26); voir aussi, pour des Gaulois. Tite-Live XXllI.
24, 11-12; Zonaras, IX, 2, p. 422, 6, et. d'une manière générale, R. Andrée,
Bthnographische Parallelen, 1, p. 133 et suiv.
74 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
malgré la pauvreté du sol'. D'autres vaincus demeurent sur
leur territoire, mais deviennent vassaux ; par exemple, des
agriculteurs paient un impôt, sous forme de grains, à des
nomades, leurs suzerains, qui les épargnent ou même, dans leur
propre intérêt, les protègent.
Ailleurs enfin, des contrats interviennent par consentement
mutuel. Les tribus sédentaires ne sont pas fatalement à la merci
des nomades : il est facile de barrer à ceux-ci le passage d'un
col, d'empoisonner les puits sur lesquels ils comptent dans
leurs migrations, de tenir bon dans des villages fortifiés, où on
a mis les récoltes à l'abri. S'ils ne peuvent prendre de force les
grains dont ils ont besoin, — car, pour leur nourriture, ils ne se
contentent pas des produits de l'élevage et de la chasse, — ils
se résigneront à échanger ces grains contre des laines, des peaux,
et leur venue sera utile, même souhaitée. Ils pourront être de
précieux auxiliaires pour écarter d'autres nomades, pour
régler des querelles avec des voisins. Des accords se concluent
donc et se transmettent de génération en génération; des
mariages les resserrent. Une tribu nomade acquiert chez des
sédentaires des droits de parcours et d'usage, gratuitement ou
contre des redevances en nature. Ces conventions ne lient pas
seulement des pasteurs et des agriculteurs. Deux tribus pasto-
rales, habitant l'une la plaine, l'autre la montagne, l'une le Tell,
l'autre la steppe, ont intérêt à user réciproquement de leurs terri-
toires, soit pendant l'hiver, soit pendant l'été. Des tribus faibles
des steppes peuvent obtenir la jouissance en été de terres
appartenant à des tribus du Tell, qui vont transhumer dans des
lieux plus favorisés.
Il s'établit ainsi un certain équilibre. Fort instable, à vrai dire.
Les tribus vassales souhaitent naturellement reprendre leur
indépendance. Celles qui ont été poussées dans les montagnes et
1. Ce n'est pas là un fait général. Le Moyen et le Haut-Atlas marocains sont
peu peuplés : conf. t. I, p. 27, n. i.
LES CADRES DE LA SOCIETE INDIGENE. 75
y vivent avec peine, guettent le moment propice pour en descen-
dre. Celles des steppes peuvent être tentées, dans leur rapports
avec les Telliens, de préférer la domination à des arrangements
amiables.
Montagnes et steppes, — et, au delà des steppes, désert,
quand le Sahara fut devenu une contrée berbère, — tels ont
été, dans l'histoire de l'Afrique du Nord, les points de départ
des conquêtes. Endurcis par la rude vie qu'ils mènent, les gens
de ces pays pauvres ont des qualités guerrières qui manquent
souvent aux habitants des plaines fertiles, aux privilégiés qu'a-
mollit le bien-être. L'excès de population entraîne des migra-
tions partielles ou totales, qui provoquent des conflits; dans
les années de sécheresse, les nécessités pastorales font éclater
les frontières. Et ceux qui cèdent aux plus forts deviennent à
leur tour agresseurs, quand ils le peuvent, pour trouver ailleurs
des compensations à leurs pertes.
De nombreuses causes extérieures amènent donc des change-
ments dans la condition des tribus. Dans leur constitution
interne, ces fédérations de groupes autonomes manquent de
cohésion. Souvent aussi, des dissensions affaiblissent encore
cette unité si peu solide. Pour faire prévaloir leurs intérêts,
quels qu'ils soient, des groupes s'associent en une coterie, en
un po/"', auquel s'oppose un autre çof\ ces deux factions s'éten-
dent et arrivent à se partager la tribu entière. Elles la débor-
dent même et, de ce besoin universel de querelle, naissent de
vastes ligues, qui n'ont d'autre but que l'assistance mutuelle
contre des rivaux présents et futurs, les causes des rivalités
n'important guère ; ligues d'où l'on sort, du reste, sans aucune
1. Mot arabe, qui signifie file, rang. Au Maroc, on dil lef, qui est également un
mot arabe, signifiant enveloppe. Mais l'existence de ces coteries est sans doute
beaucoup plus ancienne. On pourrait en chercher un vague témoignage dans un
passage de Tite-Livc, XXIX, 29, 8 (d'après Polybe) : « [Capussa] cum ... oblineret
regnum, extilit quidam Mazaetullus nomine, non alicnus sanguine regibus,
familiae semper inimicae ac de imperio varia fortuna cum iis, qui tum obtine-
baat, certantis. »
76' ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
honte, si l'on croit plus avantageux de s'affilier à la ligue
adverse. Ces çofs ne sont pas entièrement malfaisants, car ils
créent des relations et des liens à travers les diverses tribus et, en
s'équilibrant, ils se neutralisent dans une certaine mesure. Mais, à
l'intérieur même des tribus, ils sont des causes de désagrégation*.
Menacées du dehors et du dedans, bien des tribus ne
peuvent résister. Les unes s'effondrent. D'autres se démembrent
et se dispersent. D'autres se resserrent par la perte d'une partie
de leur territoire et de leur population. Sur le sol de la France,
on retrouve encore les pays qui formaient les territoires des
tribus de la Gaule. En Afrique, des noms ethniques semblables
se rencontrent, et se rencontraient déjà vers le début de notre
ère, dans des régions fort éloignées : ils témoignent de dislo-
cations. La répartition et la nomenclature des tribus se modifient
profondément à quelques siècles de distance ^ H y a cependant
des conditions géographiques, qui, souvent, imposent des
cadres assez fixes^ quoique diversement remplis.
VIII
Des tribus voisines, ayant les mêmes ennemis, peuvent
s'unir afin de les combattre : ce qu'ont fait des indigènes
vivant à l'Ouest de l'Egypte, dès le second millénaire avant
J.-C. \ et probablement même plus tôt, dès les temps très
lointains où ils ont cherché à envahir la vallée du Nil. Ces
ligues sont conclues pour la durée de la guerre : celle-ci ter-
minée, chacun reprend sa pleine liberté d'action et ne se fait
pas scrupule de tomber sur ses associés de la veille. Les con-
1. A moins qae la tribu eutière ne se rattache à un même çof et ne s'y tienne.
2. A. Bernard, Le Maroc, p. 226.
3. Lors des invasions qui eurent lieu aux temps de Môncphtah et de Ramsès
III, plusieurs tribus africaines s'avancèrent sous le haut commandement de
Mâralou, roi des Lebou; puis de Didi et Mùralou; enfin de Kapour, chef des
Mashaouasha (pour ces personnages, v. supra, p. 71, n. 4).
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 77
tingents alliés restent distincts, mais le commandement suprême
peut être confié à un chef temporaire, élu'; les décisions
communes sont prises par une assemblée composée de repré-
sentants des diverses tribus -.
D'autres confédérations ont une existence plus longue et
font figure de peuplades. Elles embrassent des tribus qui
habitent une région formant une assez vaste unité géo-
graphique, par exemple un grand massif montagneux, une
suite de plaines ^ Ce cadre et l'identité des conditions d'exis-
tence, parfois aussi l'usage d'un même dialecte, créent une
certaine solidarité, qui ne s'affirme guère que dans des luttes
contre des étrangers, mais qui est considérée comme perma-
nente et s'exprime par une dénomination commune. Les liens
sont cependant très lâches, à moins que le chef d'une de ces
tribus n'arrive à étendre sa suprématie sur les autres et à
constituer ainsi un petit État, qu'il s'efforce de transmettre aux
siens ^ et où le pouvoir personnel tend à dominer ou à annuler
l'assemblée fédérale.
La Berbérie a connu dès l'antiquité des groupements beau-
coup plus vastes, créés sans doute par la force des armes,
comme ceux qui se sont formés au moyen âge. Il nous est
impossible de remonter au delà des siècles qui ont immédia-
tement précédé l'ère chrétienne. On ne saurait dire si de véri-
tables États, unissant un grand nombre de tribus pour en faire
des ébauches de nations, ont existé plus tôt dans cette contrée.
142-/: *^''' ^ '''''"''"*" ''^''^°^'"*'' Garcasan.chof dosifuraces. Corippus, yo/i., VI,
■ ■• functi clamoro sccuiiiiitnr
Carfasanquo froiiiunt, Carcasan omnilius unum
Contibus esse ducom linguis animisquo fatentur.
2. Soit de leurs clu-fs. soit d'une délégation de notables
Doukiria,'er'' '" ^"''"'' "' '^«"'^^^''^''«'^^ d«« I^'-àber. des Chaouia. des
4. Comme les rois de Kouko, en grande Kabylie. aux xvr-xv.i" siècles les
S rdt'î'AU. '' '" '^" ^^"^' '"''' '^ "^^^^--" '^ Constantin^. Icï'sd-
gneurs de 1 Atlas marocain, etc. Nous trouvons des principautés analo-uos aux
époques vandale et byzantine. h ipauie^, .in.iio„ui^ aux
UsELL. — Afrique du Nord. V. û:
78 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
L'uniformité des civilisations aux temps préhistoriques n'exige
pas l'hypothèse de conquêtes violentes et étendues. Comment
s'est répandue la langue libyque? On peut se demander si elle
n'a pas été imposée par des envahisseurs, qui auraient submergé
l'Afrique du Nord et y auraient fondé un empire. Cet empire
se serait ensuite brisé, et la langue commune aurait été mor-
celée en de nombreux dialectes. Mais une autre hypothèse est
permise : la diffusion de cette langue a pu être très lente, par une
série de migrations, de conquêtes partielles, qui se seraient
échelonnées sur de longs siècles, et la formation des dialectes a
pu accompagner, non suivre ce mouvement d'expansion.
Nous avons étudié' le récit que Salluste^ a emprunté aux
libri Punici du roi Hiempsal. Des Perses, débarqués sur la
côte océanique du Maroc, s'y seraient mélangés aux Gétules,
avec lesquels ils auraient mené une vie nomade; l'accroisse-
ment de la population aurait déterminé un exode et la conquête
du pays, voisin de la Méditerranée, qu'occupaient auparavant
les Libyens et qui aurait reçu alors le nom de Numidie. Il n'y
a rien à garder de ce roman. Tout au plus pourrait-on y
chercher une sorte de projection dans un passé fabuleux
d'événements plus récents : de conquêtes accomplies par des
tribus nomades qui, venues de l'Extrême Ouest, auraient
étendu leur domination sur l'Algérie et une partie de la
Tunisie ^ De même, au xi'' siècle après J.-C, les Almoravides
sont sortis du Sahara occidental pour se jeter sur la Berbérie.
Nous verrons* que le plus puissant des trois royaumes qui
existaient à la fin du m'' siècle avant notre ère, celui des Masae-
syles, paraît avoir été fondé par une tribu originaire du Maroc ^
1. T. I, p. 329-336.
2. Jug., XVIII.
3. Conf. infra, p. KHi, n. G.
4. P. yo-'.n.
5. Il est vrai que Pline l'Ancien (V, 17) distingue expressément cette tribu des
Gétules, auxquels Hiempsal attribuait la conquête de la Numidie.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 79
On a voulu établir un lien entre le récit d'Hiempsal et des
généalogies répandues dans le monde berbère aux x'-xi® siècles
de l'ère chrétienne'. Elles partagent la race autochtone en
deux branches, les Beranès et les Botr, ainsi appelés d'après
leurs légendaires ancêtres, Bernes et Madghis el Abter. Faut-il
reconnaître là une division très ancienne, répondant à celle
des Libyens et des Gétules, ces habitants primitifs de l'Afrique
du Nord, au dire d'HiempsaP? Et l'antagonisme de ces
deux peuples a-t-il dominé depuis les temps les plus reculés
l'histoire du pays, expliquant les guerres et les conquêtes, la
formation des États et leur chute? Il serait fort imprudent de
le croire. Les généalogistes du moyen âge ont dû dresser leurs
tableaux, — dont les détails variaient d'un auteur à l'autre, —
en tenant compte des alliances et des groupements contempo-
rains % de la place privilégiée qu'ils revendiquaient en faveur
de leur tribu natale, des visées politiques de leurs princes,
peut-être aussi de ressemblances dans les mœurs, les coutumes,
les dialectes, qui pouvaient leur paraître des preuves de
parenté*. Et la répartition géographique des Botr et des
Beranès cadre fort mal avec celle des Libyens, habitants du
Tell, et des Gétules, habitants des steppes.
1. Sur les origines de ces généalogies, voir l\. Basset, dans Archives berbères, I,
1915, p. 3-9.
2. Vivien de Saint-Martin, Le iVord de L'Afrique dans Vanliqaité, p. 130-1. II veut
voir dans It^s Botr les descendants des Libyens, parce que, parmi ces Botr, on
compte les Louata, nom qu'il rapproche de Libyes; les Beranès, parmi lesquels
sont rangés les Gazzoula, seraient les descendants des Gétules (conf. L. Millier,
Niimism. de l'ancienne Afrique, Supplément, p. 82). Mais ces rapprochements de
noms sont très prohahlement illusoires.
3. E. Garette {Recherchas sur l'origine des principales tribus de l'Afrique septentrio-
nale, p. 38) a essayé, sans y réussir, de prouver que celte classification se rapporte
au groupement des Berbères en deux grands Etats, à l'époque de la venue des
Arabes.
4. A. Hanoteau (Essai de grammaire kabyle, p. xv) rejette cependant l'hypo-
thèse que cette répartition outre Botr et Beranès repose sur l'existence de deux
familles do dialectes. M. Deslaing, au contraire, serait enclin à établir un classe-
ment des dialectes berbères en deux groupes, qui répondraient à peu près aux
grandes familles des généalogistes [Mémoires de la Soc. de linguistique de Paris,
XXI, 1920, p. 139-148; XXII, 1921. p. 186-200.
80 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Nous n'avons donc aucun moyen de reconstituer l'histoire
des grands mouvements qui ont agité la Berbérie, jusqu'à
l'époque où nous constatons l'existence de trois Etats impor-
tants entre l'Atlantique et le territoire de Carthage. On peut
cependant supposer que le fer et le cheval ont assuré une
grande supériorité à ceux qui possédaient ces puissants instru-
ments de combat, introduits vraisemblablement dans l'Afrique
septentrionale vers la fm du second millénaire ou le début
dû premier*.
D'une manière générale, il est probable que cette histoire
lointaine a beaucoup ressemblé à celle de la Berbérie au
moyen âge^.
D'un pays pauvre, montagne % steppe ou désert*, une tribu
s'élance vers des régions plus riches. Aux convoitises maté-
rielles s'est parfois jointe, dans l'Afrique musulmane, l'ardeur
fanatique d'une foi qui voulait s'étendre et s'imposer. L'attaque
est menée par un homme auquel son intelligence, son énergie,
son autorité religieuse assurent un grand prestige : véritable
chef, qui soulève des enthousiasmes et inspire des dévoue-
ments exaltés. Les progrès peuvent être très rapides, si les
tribus que le flot atteint sont prises au dépourvu ou ne savent
pas s'unir, si certaines d'entre elles se joignent aux envahis-
seurs. Un État se fonde ; la tribu qui a conquis l'hégémonie le
soutient et l'exploite.
Mais, en général, il dure peu, car cette tribu s'use dans les
combats ou les plaisirs; l'homme qui l'a conduite et dont elle
1. Voir t. I, p. 212 ot 233.
2. Pour le mode de foniialioii et la chute rapide des Etats berbères, voir, entre
autres, A. Bernard, I.e Maroc, p. 85-86, 102; E.-F. Gautier, Structure de l'Algérie,
p. 213. Les Prolégomènes du célèbre historien Ibn Khaldoun contiennent des
réflexions très justes ace sujet.
3. Petite Kabylie, patrie des Ketaina, (jui ont Tonde le royaume fatimite; Haut-
Atlas marocain, patri(! des .Maçinouda, fondateurs du royaunio almohade.
4. Sahara occidental pour les Almoravides; lisière septentrionale du désert
algérien pour les Béni Mérine et les Béni Abd el Ouad, fondateurs de royaumes
k Fès et à Tlemcen.
LES CADRES DE LA SOCIÉTÉ INDIGÈNE. 81
a fait un souverain, disparaît et a souvent des héritiers inca-
pables. Pour que l'Etat ainsi créé puisse se maintenir, il faut
qu'il s'organise : que la succession royale soit fixée de manière
à éviter des compétitions violentes; que le pouvoir central
s'appuie sur des cadres administratifs et sur des forces mili-
taires, remplaçant la tribu épuisée; que, par une police
prompte et efficace, il protège le travail et s'assure la fidélité
des populations sédentaires, sur lesquelles il doit surtout
compter pour se procurer des ressources financières. Autre-
ment, c'est l'anarchie, la guerre civile presque sans répit,
l'incapacité de résister à la poussée d'une nouvelle tribu qui,
sortant de la montagne ou de la steppe, réclame à son tour
l'hégémonie.
Des raisons géographiques s'opposent, d'ailleurs, à une unité
durable, quand une volonté énergique ou une armature solide
ne l'imposent pas *. Des pays isolés et d'un accès difficile, comme
l'Aurès, la grande Kabylie, le Rif, etc., défendent ou recouvrent
leur indépendance. Et la Berbérie est à la fois trop longue et
trop étroite pour qu'une domination unique puisse se maintenir
depuis l'Océan jusqu'aux Syrtes : la bande se fractionne en
plusieurs tronçons, la nature imposant des coupures, dont la
place est déterminée par les luttes ou les accords des hommes :
dans les temps modernes, la Tunisie, l'Algérie et le Maroc; au
moyen âge, le royaume des Ilafsides en Tunisie et sur l'Est
de l'Algérie, celui des Zeianides dans le centre et l'Ouest de
l'Algérie, celui des Mérinides au Maroc; dans l'antiquité, avant
la conquête romaine et en dehors du territoire punique, les
royaumes des Massyles, des Masirsyles et des Maures. Etats
qui répugnent à accepter comme définitives des frontières arti-
ficielles; entre eux, l'équilibre n'est jamais assuré.
1. Conf. t. I, p. 25 et suiv.
CHAPITRE II
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES
I
On trouve dans des textes grecs les noms de quelques tribus
ou peuplades qui habitaient l'Afrique du Nord avant la conquête
romaine. Nous disons « tribus ou peuplades », car il se peut
que certains de ces noms désignent, tion pas des tribus, mais des
groupes de tribus, unies par des liens plus ou moins étroits.
Vers le milieu du v* siècle, Hérodote en indique plusieurs,
le long de la Méditerranée '. Il les a connus, soit par des rensei-
gnements oraux, de source grecque, soit par des auteurs plus
anciens", en particulier Hécatée de Milet, qui écrivit son
ouvrage géographique à la fin du vf siècle ou au début du v*.
Sur la grande Syrte, vivent en nomades les Nasamons^,
peuple nombreux. Ils occupaient d'abord le littoral oriental de
ce golfe, mais ils se sont ensuite étendus sur la côte méridionale,
remplaçant les Psylles, qui ont disparu*. Ils vont, en outre,
1. Sur ces peuplades, voir Gsell, Hérodote, p. 124-139, livre auquel nous renvoyons
pour plus de détails. Nous laissons ici de côté les peuplades qu'Hérodote men-
tionne à l'intérieur du continent, dans les oasis du Nord du Sahara (Gsell, l. c,
p. 139-155). C'était le domaine des éthiopiens, non des Libyens.
2. Voir Gsell, l. c, p. 55 et suiv.
3. NaTaixmve; : Hérodote, IV, 172, 173, 182; 11, 32.
4. Hécatée connaissait les Psylles, puisqu'il donnait le nom de golfe Psyllique
à la grande Syrte [Frwj. Idsl. Graec, I, p. 23, n" 303). Hérodote (IV, 173) reproduit
un récit fantaisiste de la destruction de ces indigènes. 11 est probable que les
Nasamons s'emparèrent de leur territoire après les avoir vaincus et en bonne
partie exterminés. Il resta cependant des l'sylles, les uns peut-être assujettis eux
Nasamons, les autres refoulés à l'intérieur des terres : voir Gsell, L c, p. 127.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. ^ 83
faire tous les ans la récolte des dattes dans l'oasis d'Augila : on
peut donc croire qu'ils ont réduit les cultivateurs de cette oasis
à la condition de tributaires '.
Les Maces ^ sont établis sur le côté occidental de la grande
Syrte et, au delà, dans la région où coule le Ginyps : cette
rivière se jette dans la mer à peu de distance à l'Est de Lebda,
dans l'antiquité Leptis Magna.
Plus à l'Ouest, c'est le territoire des Gindanes^ En avant de
ce peuple, les Lotophages * détiennent « la partie de la côte qui
fait saillie », c'est-à-dire, probablement, l'espace compris entre
la région du Cinyps et la petite Syrte ^ Le nom de Loto-
phages apparaît déjà dans l'Odyssée", sans qu'on puisse savoir
où le poète place cette peuplade. Au iv'' siècle, il se retrouve
dans le Périple du Pseudo-Scylax', appliqué à ceux qu'Héro-
dote appelait ainsi; plus tard, les Lotophages d'Homère
furent cherchés dans divers autres parages ^ l\ n'y a pas lieu
de supposer que le nom grec ait été la traduction d'un nom
indigène, et peut-être ces Lotophages ne constituaient-ils
pas une tribu particulière : il se peut que les Grecs aient
désigné ainsi ceux des Gindanes qui vivaient en bordure
du littoral et qu'ils voyaient se nourrir des fruits du lotus
(jujubier)^
Autour du grand lac Tritonis, sont les Machlyes *" et les
Auses", séparés par le fleuve Triton, qui se jette dans le lac.
1. V. supra, p. 5.
2. Màxai : Hérodote, IV. 173; V, 42.
3. rivôàvEî : le même, IV, 176,
4. AoiTo^âyot : id., IV, 177.
5. Gsell, l. c, p. 131.
6. IX, 84 et suiv.; XXIII, 311. Ou ignore ce qu'était pour Homère le lotos, dout
les fruits, doux comme le miel, servaient de nourriture à ces Lotophages. Conf.
Gsell, l. c, p. 94.
7. § 110, dans Geugr. Gr. min., l, p. 85-87.
8. Gsell, (. c, p. 130.
9. Gsell, ibid. (d'après Uawlinsou).
10. Màx>^ue(; : Hérodote, IV, 178.
11. AùiTÉEc :id., IV, 180.
84 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
S'il est impossible d'identifier le fleuve, le lac est sans doute
le fond de la petite Syrte'.
Toutes ces peuplades sont nomades. Au delà des Auses, « à
l'Occident du fleuve Triton- », Hérodote connaît d'autres
Libyens, qui s'adonnent à l'agriculture et habitent des maisons.
Il convient de les chercher en Tunisie, le long de la côte
orientale, à laquelle notreauteur donne par erreur une direction
générale* Est-Ouest'. De leur côté, se trouvait, dit Hérodote %
l'île Cyraunis : aujourd'hui Kerkenna^ Ce sont d'abord les
Maxyes®, puis les Zauèces^, enfin les Gyzantes^ chez ces der-
niers % il y avait des montagnes, qui peuvent répondre à la
chaîne Zeugitane, au dessus de la plaine de l'Enfida '". Nous
parvenons ainsi jusqu'aux régions qui firent partie du territoire de
Carthage, puis de la province romaine créée en 146 avant J.-G.
La plupart des peuplades mentionnées par Hérodote ne
reparaissent pas dans des temps plus récents". H faut faire
1. Gsell, l. c. p. 79-80.
2. Hérodote, IV, 187 et 191.
3. Gsell, L c, p. 76 et 80.
4. IV, 19.J (d'après un reaselgnement d'origine carthaginoise) : v.ixza. toÛtouç,
ce qui peut s'appliquer, soit aux Gyzaates, mentionnés en dernier lieu, soit
plutôt aux trois peuples dont les noms précèdent, Maxyes, Zauèces et Gyzantes.
5. Gsell, l. c, p. 83-86.
6. Uàljsi : Hérodote, IV, 191.
7. Zajr,y.e; : le même, IV, 193.
8. rJCavTEi; : id., IV, 194. Hécatée {l. c, p. 23, n° 306) parlait de Z^yavrii, en
Libye, ville dont les habitants furent identiliés dès l'antiquité avec les FûÇavTE;
d'Hérodote : voir Gsell, l. c, p. 58, 59 et 135.
'.». Hérodote, IV, 194, si, dans ce passage, le mot oiizoï désigne seulement les
Gyzantes; il pourrait s'appliquer aussi aux Zauèces.
10. Gsell, L c, p. 136.
11. Les Machlyes sont mentionnés dans un fragment de Nicolas de Damas
(F. h. G., m, p. 402, n" 130; conf. supra, p. 29, n. 3). Ce peut être un emprunt à
une source bien plus ancienne. Cependant, au ii* siècle de notre ère, Ptolémée
(IV, 3, 6, p. 041, édil. .Mùller) indi(]ue, dans la région de la petite Syrie, des
Mi/p-jti, dont le nom rappelhï les Mï/'aje; d'Hérodote. — La mention des AÙ(T£Ïi;
dan» le traité géographi(]ue d'Apollodore d'Athènes a été sans doute empruntée
à Hérodote : voir Gsell, l. c, p. 133. — C'est probablement à tort qu'Etienne de
Hyzance croit que les l'ùCavTE; d'Hérodote étaient eu réalité appelés Bj^avieç [et
habitaient, par conséquent, Ja région appelée plus tard liyzaciwn, entre les golfes
de Gabès et d'Hammamet]; à tort aussi (jue l'on a rapproché le nom des Zauèces
de la Zeuyilana reijio (.N(»rd de la Tunisie) et du nions /n/utTis/s (djebel Zaghouane) :
voir Gsell, L c, p. 138-9.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 85
exception pour les Nasamons et les Maces. Les premiers con-
tinuèrent à habiter les cotes orientale et méridionale de la
grande Syrte, au moins jusqu'à la fin du premier siècle de
notre ère'. Les Maces se retrouvent aussi là où Hérodote les
indique ^ Un Périple du milieu du iv^ siècle avant J.-C. ^ nous
apprend que leur territoire s'étendait à la fois sur le littoral et
sur le pays montagneux situé en arrière.
D'autres noms de tribus nous sont connus par des textes
postérieurs à Hérodote : les Erébides et les Mimaces, dans des
citations tirées de Philistos le Syracusain *, qui écrivait dans la
première moitié du iv' siècle; les Myndônes, dans une citation
de l'histoire composée par Ephore^ vers le milieu du même
siècle. Les Erébides, qui étaient, disait Philistos, « une partie
des Lotophages », doivent être cherchés entre les deux Syrtes.
Hs sont encore mentionnés sous l'Empire romain par Ptolémée*^,
comme les Mimaces \ qu'on ne sait où placer. Même ignorance
en ce qui concerne les Myndônes, dont P]phore vantait la
sagesse et le bien-être.
Le récit que Diodore de Sicile nous a laissé de l'expédition
d'Agathocle (à la fin du iV siècle) nous apporte deux noms :
celui des Zuphônes * et celui des Asphodélodes% lesquels, par
la couleur de leur peau, ressemblaient aux Ethiopiens. Les
1. Voir, entre autres, Scylax, 109 (p. 84); Diodore, III, 49, 1; Strabon, XVII, 3,
20; Pliae l'Ancien, V, 3^, et VII, 14. Gseil, l. c, p. 125-6.
2. Scylax, 109. Diodore, /. c. Silius Ilalicus, II, GO; III, 275. Ptolémée, IV, 3, G
(p. 642). Etc. Voir Gseil. i. c, p. 129.
3. Le Périple dit de Scylax (i. c). Gonf. supra, p. 69, n. 2.
4. Apud Etienne de Hyzance (= F. h. G., 1, p. 188. u" 33) ; 'EpeêiSat, M;[i.ay.£^ (des
manuscrits donnent Mqj.a>/.e;). Les 'EXoét-ioi, que, selon Etienne de Byzance,
Philistos aurait rangés parmi les Libyens (F. h. G., i. c, n° 30), étaient un peuple
espagnol : voir Iluhner, dans la Real-Encyclopàdie de Pauly-Wissowa, V, p. 2242-3;
Schulten, NumaïUia, I, p. 36.
5. Apud Etienne de Hyzance {=■ F. /i. G., l, p. 274, n" 149 a) : Mùvîtovs; [et non
Mûvfîove;].
6. IV, 3, 6 (p. 642).
7. A la fois dans la province d'Afri(iue et dans la Libye intérieure, sans doute
par suite d'une confusion : IV, 3, 0 (p. G41); IV, 6, 5 et 6 (p. 744 et 747).
8. Zo-jçwve; : Diodore, XX, 38, 2.
9. 'Aa:?o5£).wSTt^ : le même, XX, .57, 5.
86 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
premiers habitaient peut-être dans le centre de la Tunisie * ; les
autres, probablement dans le Nord-Ouest de cette contrée, en
Khoumirie^. Comme AwTocpàyot., 'Aa-'^oBeXtôosi; est une déno-
mination grecque % qui peut avoir pour origine l'usage qu'au-
raient eu ces indigènes de faire leurs cabanes avec des asphodèles*.
Dans le texte grec, copié par Polybe ^ d'une inscription
bilingue qu'Hannibal fît graver en Italie, le Carthaginois indi-
quait des peuples africains chez lesquels il avait recruté des
cavaliers en 219-218 : lesLergètes^ et, parmi les Numides, les
Massyles, les Masaesyles, les Maccoiens \ les Maurusiens. Nous
retrouverons les Massyles, les Masaesyles et les Maurusiens,
sujets de trois royaumes. On ignore oîi vivaient les Lergètes et
les Maccoiens*.
A l'époque de la guerre des mercenaires et de la seconde
guerre punique, sont mentionnés les Micatanes% Numides
révoltés contre Carthage : l'emplacement de cette tribu est
inconnu. Il en est de même pour d'autres Numides, appelés
Aréacides '", dont le chef se mit à la disposition d'Hannibal,
alors à Hadrumète (en 203-202)".
Des Sophaces '- figurent dans un passage d'Alexandre Poly-
1. On ne sait pas où exactement : conf. t. III, p. 40, u. 4.
2. T. I, p. 303-4; t. III, p. 50-51.
3. Peut-être traduite du punique.
4. Conf. Hérodote, IV, 190; Hellanicos, dans F. h. G., I, p. 57, n" 93. Voir, à ce
sujet, Bertholon et Chantre. Recherches anthropologiques dans la Berbérie orientale,
I, p. 422; 0. Dates, The Ëastern Libyans, p. 168.
5. III, 33, 15.
6. AepY'^i'f*'- Confondus dans Tite-Live (XXI, 22, 3) avec les Ilergètes, peuple
espagnol : voir t. il, p. 362.
7. Maxxoîoi.
8. Qu'il n'y a pas de bonnes raisons d'identifier avec les Maces des Syrtes :
voir t. Il, p. 308, u. 7. Ils ne semblent pas non plus devoir être identifiés avec
les Max/.ôot, que Ptoiémoe (IV, 0,6, p. 740) place dans la Libye intérieure et qui,
eux, pourraient bien être identiques aux .Maces : conf. Mùller, édit. de Ptolémée,
Dote à la p. 630.
9. M'.xaxavoi : Diodore, XXVl, 23. Conf. ici. t. III, p. 124, n. 3, et p. 184.
10. 'ApeaKiSac : Appien, Lib., 33.
11. Conf. t. III, p. 251.
12. S'içaxE;.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 87
histor, écrivain du premier siècle avant notre ère, qui copiait
là Cléodème, historien des Juifs*. Ils auraient dû leur nom à
Sophon, descendant à la fois d'Abraham et d'Hercule. Nous
ne savons pas oii était la tribu qui donna prétexte à ces niai-
series^.
Enfin, Nicolas de Damas, contemporain d'Auguste, parlait,
d'après des sources plus anciennes, de diverses peuplades
africaines. Dans les extraits de cet auteur qui nous sont parvenus,
certains noms semblent être altérés, et il n'est pas sûr que tous
ceux que Nicolas qualifiait de Libyens l'aient été véritablement ^
Les Bao-0'j)v'.£i;ç\ — lisez MaiouX^elq, — sont les Massyles, sujets
d'un royaume; les laX-^Xsuelç^ sont sans doute les Mà^^Aueç
d'Hérodote^; les B'jaoi'', les Aa'|o).iêu£s ^ les nàvr.êo'.', les
'AXi,x£[JLvt.ot.'° restent inconnus.
Voilà un butin bien maigre et de qualité bien médiocre'^ En
somme, on ne sait à peu près rien sur la répartition des tribus
avant l'époque romaine.
1. Apud Josèphe, Ant. Jud., I, 15, 241 (conf. Eusèbe, Praep. evang., IX, 20, 5).
2. On a voulu (Movers, Die Phônizier, II, 2 p. 293; Vivien de Saint-Martin, Le
Nord de V Afrique, p. 414) l'identifier avec des ïlo^ouxaîoi, que Ptolémée (IV, 6, 6,
p. 745) indique dans la Libye intérieure.
3. F. h. G., m, p. 463, n" 140 : les 'A^iâpavTEi;, — lire 'Atâpavre?, — étaient,
non des Libyens, mais des Éthiopiens, qui vivaient au Sahara : voir Gsell, Héro-
dote, p. 154-5.
4. F. h. G., III, p. 462, n° 134.
5. Ibid., n» 136.
6. V. supra, p. 84, n. 11.
7. F. h. G., III, p. 462, n" 133. La lecture n'est pas sûre. Pour ce texte, v. supra,
p. 40, n. .").
8. Ibid., n° 135. Le nom est peut-ôtro altéré : v. supra, p. 32, u. 4.
9. Ibid., p. 463, n° 141. Sur ce peuple, qui n'était peut-être pas libyen, v. supra,
p. 73, n.2.
10. Ibid., n° 138. Leur nom rappelle des 'AXitafxooc, que Ptolémée (IV, 6, 6,
p. 748) place dans la Libye intérieure, en plein Sahara.
11. Pour la tribu gétule des Autololes, v. infra, p. 110. — Dans un passaj^e qui
provient peut-être de Juba II, Élien (Nat. anini., XVIL 27) indique une tribu
(k'ôvo;) app(!lée Nô(Aaiov, <jui aurait été détruite par des lions. Le nom ne paraît
pas certain. Artémidore (apud Strabon, III, 5, 5) reprochait à Kratosthène d'avoir
pris le ternie Metay'ii'jviov pour le nom d'une tribu numide, riveraine du détroit de
Gibraltar.
88 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
II
Au III® siècle avant notre ère, la plupart des indigènes qui
vivent entre le territoire punique et l'Océan forment trois
nations, à la tête desquelles sont des rois.
L'une d'elles s'étend sur le Nord du Maroc. C'est celle des
Maures, appelés par les Grecs Ma'jpoûo-'.o'.. Ce nom se trouve
dans Polybe' et dans de nombreux auteurs plus récents ^ Il
fut en usage avant Polybe : il se lisait dans le texte grec de
l'inscription bilingue d'Hannibal^Diodo^e de Sicile* l'emploie
en racontant des événements qui se passèrent à la fin du
V' siècle, et en l'empruntant peut-être à Timée (début du
III* siècle). Des Romains qui se servent de sources grecques le
transcrivent parfois sous la forme MaurusiP-, on rencontre
aussi l'adjectif Maurusius chez des poètes*^ et même sur des
inscriptions latines d'Afrique'. Mais, comme le fait remarquer
Strabon\ le nom latin était Mauri, dont on a une foule
d'exemples, depuis l'auteur du Bellum Africum et Salluste;
c'est par imitation des Romains que quelques Grecs de l'époque
impériale écrivent MaGooi, au lieu de yWu^oùyio'J. Le nom
1. XV, 11, 1; XXXVIII, 7, 9 (édit. BiJttner-Wobst; alias XXXIX, 1).
2. Diodore de Sicile, Strabon, Plutarque, Appien, Athénée, Élien, Hérodien,
Procbpe, etc.
3. Apud Polybe, 111, 33, 15.
4. XIII, 80, 3.
5. Cœlius, af>ud H. Peter, Histor. Rom. fragm., p. 107. u" .^5. Tite-Live, XXIV,
49, 5 (ailleurs, il se sert du mot Mauri). Pline l'Ancien, V, 17 : « Maurorum,...
quos pleriquc Maurusios dixerunt. • Festus Aviénus, Ora marit., 345.
6. Virf^ile, Lucaiu, Silius Italicus, Claudien, Corippus, etc.
7. Gsell, Inscr. lai. de l' Algérie, I, 2 033 et 3 O.ïl). L'adjectif latin correspondant
est Mnuricus : Varron, apud Aulu-Gelle, II, 25; Aminion Marcellin, XXVI, 4, 5;
Corippus, Jo/i.. Il, 137; CI. L., VIII, 8 435, 9 327; etc.
8. XVII, 3, 2 : « ceux qui sont appelés Majpoûcrioi par les Grecs, Ma-jpoi par
les Hornains et par les indigènes ».
9. Joscphe, Ant. Jud., I, 0. 133; Bell. Jud., II. 16, 381. Lucien, Quom. hist. conscr.,
28 et 31. Pausanias, I, 33. 5; VIII, 43, 3. Oppien, Cyn., I, 289. Dion Gassius, LX, 9
(il emploie aussi la forme MaupcOaiot : LX, 8). Etc. Ktienne de Uyzauce. citant
Asinius (juadratus (m* siècle) : Maupoûiioi y.al Majpo..
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 89
en usage chez les indigènes était, ajoute Strabon, le même
que chez les Romains; il devait donc ressembler beaucoup
plus à Mauri qu'à MaupojT'.o'.. Nous n'avons aucun exemple
de la forme punique'.
Diverses étymologies ont été proposées dans l'antiquité et
de nos jours-. Il faut naturellement écarter celle que donnait
le récit contenu dans les libii Punici du roi Hiempsal et repro-
duit par Salluste^ : iMauri aurait été une déformation par les
indigènes du nom des Medi, des Mèdes, compagnons d'Hercule
avec des Perses et des Arméniens. Il faut aussi rejeter l'étymo-
logie qu'on a tirée du motgrec [j-aùpo.; (pour àj^aupô;), « obscur»,
et qu'on a prétendu expliquer par le teint foncé de3 indigènes* :
sans avoir besoin d'autres arguments, constatons^ que les
Grecs disaient Mauzoùmoi; ils n'ont adopté que par exception la
forme Maùooi, d'après l'usage latin. Il se peut, du reste, que l'exis-
tence en leur langue du mot ij.aùpo; et le teint basané des Maures
y aient contribué % mais c'eût été par un simple jeu de mots.
Le célèbre hébraïsant Bochart^ a mis en avant une étymo-
logie phénicienne, que beaucoup ont jugée séduisante*. Il
1. Salluste (Jug., XVIIl, 10), cilanl les libri Punici du roi Hiempsal, écrit :
. Nomen eorum [des Mèdes] paulatiin Libyes conrupere, barbara lingua Mauros
pro Médis adpellaates » Il est à croire que, dans le texte punique, les deux noms
désignant les Mèdes et les Maures avaient plus de ressemblance que les mots
latins Medi et Mauri : autrement, cette origine attribuée au nom des Maures ne se
comprendrait pas (conf. t. I, p. 335).
2. Je laisse de côté des élymologies invraisemblables, entre autres celle de
Sabatier(/?tfu. d'anlhropoL, 1884, p. 414), alléguant un mot berbère qui signifierait
les Montagnards, et celle de Judas (Sur Vécriture et la langue berbères, p. 27), qui
retrouve ici un nom punique signifiant les Troglodytes,
3. V. supra, n. 1.
4. Cette étvmoiogie date, au plus tard, des environs de l'ère chrétienne, car
Manilius (IV, 727-8) y fait allusion : voir t. I, p. 285, n. 2. Elle a été reprise par
quelques érudits modernes.
5. Avec Tissot, Géographie de la province romaine d'Afrique, I, p. 392 et 445.
6. En français, on emploie familièrement le mot moricaud, qui vient de More,
pour désigner des gens au teint basané.
7. Geographia sacra (édit. de Caen, 1646), p. 544.
8. P. ex., de Cliéuier, Recherches historiques sur les Maures, I, p. 38; Vivien de
Saint-Martin, i.c, p. 100; Tissot, l. c, 1, p. 392; E. Cat, Essai sur la prov. romaine
de Maurétanie Césarienne, p. 55; Quodeufeldl, dans liev. afric, XLVl, 1902, p. 81.
90 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
s'agirait d'un mot signifiant « les Occidentaux » : les Cartha-
ginois auraient appelé Maouharîm les habitants du Nord-Ouest
de l'Afrique, tout comme les Arabes appelèrent cette contrée
« l'Occident », Maghrib^. Cette désignation géographique d'ori-
gine étrangère ne serait devenue que plus tard un nom
ethnique. Il n'y a pas, cependant, de bonnes raisons de rejeter
l'assertion de Strabon attribuant au nom Mauri une origine
indigène. Que les Carthaginois, en l'adoptant, l'ait altéré, pour
lui donner un sens dans leur langue, cela n'est pas impossible,
mais, tant qu'on n'aura pas trouvé un texte donnant le nom
punique, il vaudra mieux s'abstenir d'inutiles hypothèses.
Un passage de Pline l'Ancien ^ autorise à supposer que le
nom libyque désignait d'abord une tribu : « Des tribus de la
province (romaine) de (Maurétanie) Tingitane, la principale
était jadis celle des Mauri^ qui lui a donné son nom et que la
plupart ont appelée Maurusii. Des guerres l'ont réduite à quel-
ques familles ^ » Comme les Ketama, les Masmouda, etc., du
moyen âge, cette tribu aurait fondé un Etat, puis elle se serait
épuisée par la tâche écrasante qu'aurait exigée le maintien de
sa suprématie *. L'Etat aurait cependant subsisté, en se créant
d'autres appuis.
La contrée sur laquelle il s'étendit fut appelée MaupouaLa
par les Grecs % Mauretania par les Romains ", qui paraissent
1. Comme ils appellent el Gharb, . l'Occident •, une partie de la région océa-
nique du Maroc.
2. V, 17.
3. Pline mentionne ensuite la tribu des Masaesyles, également éteinte. Il
ajoute : « Gaelulae nunc tenent gentes », ce qui doit se rapporter à l'ancien
territoire de la tribu des Maures, aussi bien qu'à celui de la tribu des Masaesyles.
Eu égard aux régions occupées par les Gétules, ces territoires devaient être
situés, non pas dans le voisinage de la Méditerranée, mais plus au Sud.
4. Conf. supra, p. 80.
5. Strabon, 11, 3, 4; XVll, 3, 2. Plutarque, Sertorius, 7. Élien, Nat. anim., V,
54. Etc.
6. Vitruve, Vlll. 2, 16 : « Maurusia, quam nostri Mauretaniam appellant. •
Cicéron, Pro Sulla, 20. 56; César, Bell, civ., 1, 6, 3; Salluste, CatiL, XXI, 3; etc.
Des auteurs grecs de basse époque se servent du mot latin : Ptolémée, IV, 1, 1
(p. 572); Diou Cassius, XLIIl, 3, 1; Procope, Uell. Vand., II, 13, 19; etc.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 91
avoir calqué cette forme sur celles qu'ils avaient adoptées pour
des noms de contrées espagnoles : Turdetania, Caryetania '.
Le royaume des Maures existait dès le milieu du iv® siècle
avant J.-C. % peut-être même plus tôt % et les Carthaginois,
qui avaient des colonies sur la côte du Maroc, entretenaient
des relations avec les souverains de cet Etat\ A la fin du
III'' siècle, est mentionné un roi des Maures, Baga, prince puis-
sant ^ Un siècle plus tard, Bocchus, beau-père de Jugurtha,
régnait, dit Salluste \ sur tous les Maures.
Ce royaume, groupant un certain nombre de tribus aux-
quelles fut étendu le nom de Maures, faisait face au Nord à
l'Espagne et était baigné à l'Ouest par l'Océan \ Il ne semble
pas s'être avancé très loin vers le Sud. De ce côté, il était
bordé par des peuplades indépendantes, du moins à l'origine,
que l'on appelait Gétules et dont nous reparlerons \
A l'Est, un fleuve, la Mulucha % formait, dans son cours
inférieur, la limite entre les deux royaumes de Maurétanie et
de Numidie, pendant la seconde moitié du ii'' siècle, aux temps
1. Conf. t. 1, p. 324, n 5.
2. Justin, XXI, 4, 7 : Hannon, révolté, appelle à son aide le roi des Maures.
Conf. t. II, p. 255 et suiv.
3. Justin (XIX, 2, 4) mentionne une guerre des Carthaginois contre les Maures
vers le milieu du v" siècle. A la fin du môme siècle, Carthage recruta des troupes
chez des Maures alliés : Diodore, XIII, 80, 3.
4. Peut-être jusqu'à la veille de la destruction de Carthage, pendant la troi-
sième guerre punicju* : voir t. II, p. 3ô6, n. 4; t. III, p. 389.
5. Tite-Live, XXIX, 30, 1 : Baga met 4 000 Maures à la disposition de Masinissa,
pour l'escorter depuis la Maurétanie jusqu'au royaume massyle.
6. Jug., XIX, 7.
7. Inscription d'IIannibal, apud Polybe, III, 33, 15. Cœlius, dans Peter, Hisi.
Rom. frwjm., p. 107, n° 55. Tite-Live, XXIV, 49, 5; XXIX, 30. 1. Appien, Lib.,
106. Salluste, Jug., XIX, 4. Slrabon, XVII, 3, 2 et suiv. Etc.
8. Quand les rois maures étendaient ou prétendaient étendre leur autorité sur
les Gétules, leurs Etats confinaient au Sud avec les pays que les Ethiopiens
habitaient, au delà du Haut-Atlas : v. supra, p. 10, n. 1 et 3; conf. Pline l'Ancien
XIII, 91 : « Atlas nions ... (Confines ei Mauri. »
9. La question de la Mulucha, fleuve frontière, a été très débattue : voir, entre
autres, Tissol, dans Mémoires présentés à l'Acad. des Inscriptions, IX, 1" partie (1878),
p. 142-7 (il me paraît avoir vu juste); La Blanchère, dans Bull, de corrcsp. afric,
II, 1884, p. 136-140; Tauxior, dans Rev. afric., XXIX, 1885, p. 41 ot suiv.; Cat,
Maur. César., p. 32-38; Slreuger, Slrabos Erdkunde von Libyen, p. 72-74.
92 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
de Micipsa et de Jugurtha : ce qu'atteste Salluste '. Strabon,
qui se sert peut-être ici d'Artémidore (vers 100 avant J.-C),
ou de Posidonius (un peu plus tard), indique la Mulucha
(MoXoyàG) comme limite entre les Maures et les Masœsyles ^, et
le contexte permet d'identifier ce fleuve avec la Moulouia.
Syphax, roi des Masœsyles à la fin du m" siècle, possédait
Siga, qui était même une de ses capitales ' ; cette ville était
située à environ 90 kilomètres à l'Est de la Moulouia * : ce qui
confirme le témoignage de Strabon ^ Le royaume masaesyle
tomba, après Syphax, entre les mains de Masinissa, roi des
Massyles, et de ses successeurs Micipsa et Jugurtha : nous
venons de voir que la Mulucha était la frontière occidentale de
leurs Etats, ainsi agrandis. Sous le double nom de Mulucha et
de Malva, la Moulouia servit encore de limite, au milieu du
premier siècle avant notre ère, entre deux rois maures ^', puis,
en l'an 42 après J.-C. et pendant des siècles, entre les deux
provinces romaines de Maurétanie Césarienne et de Mauré-
tanie Tingitane \
Il est vrai qu'un auteur copié par Pomponius Mêla ^ et par
Pline l'Ancien '^ mentionnait un fleuve Mulucha, qui, d'après
ses indications, devrait être identifié, non pas avec la Mou-
1. Jug., ex, 8; XIX, 7; XCII, 5.
2. XVII, 3, 6 el 9 (avec des distances erronées).
3. Voir t. H, p. 164: III, p. 185, n. 1.
4. Gsell, Atlas archéol de l'Algérie, f" 31 (Tleincen), n° 1.
5. Du reste, Strabon ajoute (XVII, 3, 9) que ce pays des Masœsyles, limité par
la Molochath, avait eu successivement pour maîtres Syphax, dont la capitale
était Sif^a, puis Masinissa, Micipsa, etc.
6. La limite des deux provinces romaines était, dit Pline (V, 19), la môme que
celle des deux royaumes de liocciius et de Boj^ud (contemporains de César), et
Siga appartenait à la Maurétanie de Boccluis, celle de l'IJst.
7. Ptolémée (IV, 1, 3, p. 58:5-4) mentionne les fleuves MoXo/àe el .MaXoûa, qui
sont, en réalité, le même cours d'eau. Il dit que l'embouchure de la Maloûa
forme la frontière (intre les deux provinces (IV, 1,4, p. 584; IV, 2, 1, p. 592).
MAme indication dans l'Itinéraire d'Anlonin, édit Parthey et Pinder, p. 5 (flumen
Malva). Voir aussi Paul Orose. Adv. pay., I, 2, 93 et 94. Pline (V, 18) appelle Mal-
vane ce fleuve, qu'il place, comme il convient, (uilre Hhysaddir (Mélilla) et Siga.
8. I, 29.
9. V, 19.
TRIBUS, NATIONS ET PEL'PLËS. 93
louia, mais avec un cours d'eau situé bien plus à l'Est, — et à
l'Est aussi de Siga, — soit la Macta, soit plutôt le Chélif.
Cependant Mêla et Pline ajoutent que ce fleuve avait formé
limite « entre des royaumes, ceux de Bocchus et de Jugurtha »,
dit Tun ', « entre Bocchus et les Masœsyles », dit l'autre ^ Or,
comme nous savons par ailleurs que cette limite était à l'Ouest
de Siga et à l'embouchure de la Moulouia, il faut en conclure
que l'auteur de Mêla et de Pline a commis une erreur. Pour-
quoi s'est-il ainsi trompé? Peut-être la Macta ou le Chélif ont-
ils porté, comme la Moulouia, le nom de 3Iulucha^; peut-être
un de ces fleuves a-t-il servi de frontière à Bocchus, après que
Rome lui eut permis de joindre à ses Etats une partie du
royaume de Jugurtha * : une de ces deux hypothèses, ou les
deux réunies pourraient expliquer la confusion. Mais ce qui est
certain, c'est qu'auparavant, la Moulouia formait la limite du
royaume des Maures, et que, plus tard, elle redevint un fleuve
frontière. De nos jours encore, on a souvent soutenu qu'elle
devrait être la limite commune de l'Algérie et du Maroc.
Pourtant, ce ne sont pas des raisons géographiques qui peu-
vent être légitimement invoquées ^ : le cours inférieur de la
1. Mêla, l. c. ■: ■< Mulucha ille quem diximus amnis est, nunc gentium, olim
regnorum quo<jue teriniuus, Bocchi lugurlhaeque. » Un peu plus haut (I, 25),
Mêla mentionne, eu elTet, la Mulucha, qui est. dit-il, la limite de la Maurétanie,
comme il dit (I, 30) (lu'elle esl la limite de la Numidie. Après la guerre de
Jugurtha, la frontière du royaume maure avait été reportée plus à l'Est, mais
Mêla (ou plutôt sa source) n'en fait pas moins commencer à la Mulucha le pays
des Numides, dont les Masa\sylcs faisaient partie.
2. Pline, i. c. : « Amnis Mulucha, Bocchi Masaesylorumque Unis. • On peut
supposer que la source commune indiquait la Mulucha à la fois comme la limite
des Maures et des Masa'syles, et comme celle des royaumes de Bocchus et de
Jugurtha. Dans Mêla, l'antithèse « nunc gentium, olim regnorum quoque • serait
une addition : conf. supra, p. 22, n. 7.
3. Les noms antiques de ces deux fleuves ne sont pas connus avec certitude :
voir Gsell, AHns an-héol. de. l'Algérie, î" 21 (.Mostaganem), n" 11, et f° 11 (Bosquet),
n" 3. Si le Chélif s'appelait XjA'.(A(xO, nom indiqué par Ptolémée (IV, 2, 2, p. 594),
on pourrait admettre une confusion avec le nom MoXoxàO, par une interversion
du •/ et du (j..
4. Pour cette hypothèse, voir t. Vil, l. II, ch. iv , § VI.
5. Conf. A. Bernard, Les confins algéro-marocains, p. 32.
Gsell. — Afrique du Nord. V. 7
94 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Moulouia ne sépare nullement des régions distinctes| les cloisons
naturelles des deux contrées setrouvent, soitplusàl'Est, soitplusà
l'Ouest, et, depuis les temps antiques, les maîtres du Maroc et ceux
de l'Algérie occidentale se sont rarement arrêtés à cette Moulouia' .
Elle a été dans le passé une limite conventionnelle : rien de plus.
A la fin du second siècle et au milieu du premier, la fron-
tière du royaume de Maurétanie fut avancée vers l'Est, dans la
contrée qu'on appelait la Numidie : elle atteignit sur la Médi-
terranée l'embouchure de l'Ampsaga (oued el Kebir), au Nord-
Ouest de Constantine. Ce fut aussi la frontière orientale de
l'une des deux provinces formées après l'annexion du royaume
par Rome, la Maurétanie Césarienne. Le nom Mauri suivit
cette progression. Il s'étendit même beaucoup plus loin que le
nom Mauretania, qui resta confiné dans les limites des pro-
vinces romaines auxquelles il fut donné. On en vint à appeler
Mauri tous les indigènes de la Berbérie, même ceux qui
vivaient dans les autres provinces africaines ^.
Déjà, l'auteur du récit de la campagne de Jules César qua-
lifiait de Mauri des cavaliers numides % et Horace de Maura
l'eau des Syrtes *. Au ii^ siècle de notre ère, un historien, —
1. Ibn Klialdoun {Uisl. des Berbères, Irad. de Slaae, I, p. 194) ludique pourtant
la Moulouia comme la limite du Maghreb el Acsa.
2. Conf. Movers, Die Phonider, 11, 2, p. 372-4.
3. Bell. Afric, III, 1; VI, 3; VII, 5; LXXXIIl, 4. Dans un autre passage du
même écrit (XCV, 1), on lit que Sittius, ayant vaincu un général du roi de
Numidie Juba, se rendit per Mauretaniam vers César, qui était dans la province
romaine. Or c'était la Numidie qu'il devait traverser. Mais le texte ne serait-il
pas corrompu?
4. Odes, II, 6, 3-4 :
liarbaras Syrtes, ubi Maura scmper
Acstuat unda.
On pourrait se demander si Horace n'a pas voulu comparer ainsi les marées
qui, sur les rives africaines de la Méditerranée, ne se produisent que dans le
golfe des Syrtes, avec celles des côtes océaniques du môme continent, en Mauréta-
nie; mais la pensée serait bien sublile. — C'est par pure erreur que quelques
U'xtes r|uali(lent Syphax, Masinissa, ,luba 1", de rois des Maures : De viris illuslr.,
49 (conf. ici, t. III, p. 178, n. 6); Athénée, XII, 16; Pseudu-Lucien, Macrob., 17;
Kiien. Nnl. anim.. Vil, 23. Conf. Epilome de Tite-Live, 1, CX ; hlutropp, VI, 23, 1;
pour Fiorus, infra, p. 95, n. 2.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 95
ou, pour mieux dire, un rhéteur, — Florus, appelle Mauri
des Numides \ peut-être par erreur -. A partir du m'' siècle %
surtout sous le Bas-Empire * et aux époques vandale ' et byzan-
tine % cet emploi généralisé du terme Mauri., en grec Maj-
pojT'.o'., devient très fréquent '. Tous les indigènes, depuis
l'Atlantique jusqu'à la Cyrénaïque, sont désormais des Maures.
Nous n'avons pas de motifs de croire qu'eux-mêmes aient
adopté le sens si large qu'avait pris un nom limité peut-être
jadis à une tribu du Maroc. En tout cas, ce nom ne s'est pas
conservé dans les dialectes berbères, non plus que dans la
langue arabe. Ce sont les Européens qui l'ont appliqué de
nouveau à des habitants de l'Afrique : citadins, dont beaucoup
descendent des Mores chassés d'Espagne; nomades du Sahara
occidental.
Entre le royaume des Maures et le territoire carthaginois,
s'étendaient, au m'' siècle avant notre ère, deux autres royaumes,
celui des Masaesyles et celui des Massyles. Ces deux noms sont
certainement indigènes^; au singulier, les formes libyques
1. II, 13, 34. De même, au siècle précédent, le poète Lucaia (IV, 784; VIII,
283).
2. Il s'agit de sujets de Juba I". Or Florus paraît croire que ce roi de Numidie
était roi de Maurétauie (II, 13, 65 et 89). — Pour l'emploi du mot Ma-jpo-jffto'.
dans deux passages d'Appien, v. injra, p. 107, n. 6.
3. Hérodien, VII, 9, 1 (« ceux des Maurusiens que les Romains appellent
Numides •). Dédicaces Dits Mauris et Cereri Mauriisiae, trouvées en Numidie :
G. /. L., VIII, 2 637-2 641; Gsell, Inscr. lat. de l'Algérie, I, 2 033, 2 078, 3 000 (une
de ces inscriptions, G. I. L., 2 637, est même du second siècle).
4. Vibius Sequester {apud Riese, Geogr. Lai. min., p. 157, 158) : Barcaei, Gara-
mantes, Numidae, qualifiés de Mauri. Ammien Marcellin, XXVI 4, 5 : « Mauricae
gentes » en Tripolitaine. Servius, In Aen,, VI, 60 : « Massyli sunt Mauri. >>
S.Victor de Vite, II, 28.
6. Procope, Bell. Vand., II, 4, 27 (en Numidie); 11,13, 26 (dans l'Aurès); II, 8,9
(en Ryzacène et en Numidie); H, 24, 5 (en Byzacène); I, 8, 15, et II, 21, 2 (en Tri-
politaine); Aedif., VI, 2 et 3 (en Cyrénaïque et en Tripolitaine); etc. Gorippus.
Joh., II, 2, 29, 157, 183, etc. (pour des indigènes de la Numidie, de la Byzacène,
de la Tripolitaine).
7. Procope (Milcnd si hien le terme Ma-^po-Jcriot dans ce sens général, ([u'il se
sert d'un autre mol, MajpiTavoi, pour désigner les habitants de la iMaurétanie :
B. V., Il, 17, 3o; II, 20, 21.
8. Beaucoup de noms indigènes commencent par Mas... (conf. t. I, p. 315, n. 4)
et certains ressemblent fort à ceux des Masa'syles et des Massyles : p. ex., dés lo
H ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
devaient être Masaïsoul, ou Masaïsîl\ et Masoul, ou MasiV-.
Les étrangers les ont transcrites et déclinées de diverses
manières^ : pour les Masœsyles, les formes les plus fréquentes
sont, en grec*, MaTa^o-jÀio!.^ ou Mas-a'lo-jÀoi*, parfois avec deux t
après Ma', en latin, Masaesijlii^^ Masaest/li^; pour les Massyles,
en grec, Mao-ûÀ-.o'.*", Mao-a-yAi-o'.", Maa-a-ûXo'.'-, Mas-uAs^'^ en latin,
Massylii^^ Massyli^^.
Avant de donner leur nom à un Etat, les xVïasaesyles avaient
XII' siècle, on mentionne un chef africain appelé Mashashalou : Maspero, IJist.
anc. des peuples de VOrient classique, III, p. 472; voir aussi t. IV de cette Histoire,
p. 174, n. 9-11.
1. Conf. peut-être Masaisilen, nom de personne sur une inscription latine de
Maurétanie : C. I. L., VIII, 9 010, et Gsell, dans Rec. de Constantine, XXXVI, 1902,
p. 30, n. 3. Masesu..., sur une autre : C. /. L., 9 641.
2. Masul {Masulis, au génitif), nom propre sur des inscriptions latines : C. I. L.,
VIII, 8 296, 11310-1; Bull, archéol. du Comité, 1894, p. 346, n" 23. Silius Italiens
(I, 405) appelle /rfasulis un Carthaginois. — Peut-être MSYL, sur une inscription
iibyque : Halévy, dans Joarn. asiat., 1874, I, p. 140, n° 100.
3. Les Massyles sont mentionnés, sous la forme [M]yLYYM, dans une inscrip-
tion néopunique de Cherchel : Rev. d'assyrioL, II, p. 36.
4. Les leçons varient souvent dans les manuscrits, en particulier dans Strabon,
II, 5,33; XVII, 3, 6; ibid. 7 et 9.
5. Polybe, III, 33, 13 (inscription d'Hannibal); XVI, 23, 6. Strabon, dans cer-
tains manuscrits. Plutarque, De inulier. virtut., 10. Etienne de Byzance, s. u. ; Sui-
das, s. V.
6. Strabon, dans certains manuscrits. Ptolémée, IV, 2, 5 (p. 603). — Etienne de
Byzance mentionne encore les formes Maaai<7j/£ï; et Maaa-.TuXt-ïai. M£<7oa(toj-
>,ô'7<7a)v, au génitif, sur une inscription grecque métrique de Cherchel : C. /. L.,
VIII, 21 441 (s'il s'agit bien des Mas.esyles).
7. Dans des manuscrits de Strabon.
8. Priscien, Pericg., 177 (dans Geogr. Gr. min., II, p. 191). Masaesulii dans Tite-
Live, XXVIII, 17, o; XXIX, 30, 10; XXIX, 32, 14; XXX, 11, 8 et 11.
9. Pline l'Ancien, V, 17-, V, 19; V, 52; XXI, 77 (où il y a Massaesylis, au
datif).
10. Polybe, III, 33, 15 (inscription d'Hannibal).
11. Appien, Lib., 10; 26; 27; 40.
12. Apollodore d'Athènes, apud Ktienne de Byzance, s. v. : telle est, du moins,
la leçon des manuscrits.
13. Polybe. VII, 14, c, édil. HûUiier-Wobst. — MaajAteî;, dans Strabon, II, 5, 33;
XVII, 3, 9; ibid., 12 et 13 (avec des variantes dans les manuscrits). [M]a(70j/,iEr;,
dans Nicolas do Damas, F. h. G., III, p. 462, n" 134 (conf. supra, p. 87). Macru/riEç,
dans Denys le Périégète, 187 (G. G. m.. Il, p. 112).
14. Kpitome de Tite-Live, aux livres 24, 28, 29. Isidore de Séville, Etym., IX. 2,
123. — Maesulii dans Tite-Live, XXIV, 48. 13; XXIX, 29, 10; XXI.\, 31, 4 et suiv.;
XXIX, 32, 4 et 12; X.\X, 11, 1.
15. Pline, V, 30. Silius llalicus, III, 282. Etc. Massytum (b.\i génitif, pour ^/aiisy-
lorum), dans Virgile, Enéide, VI, 00; Silius, IV, 510. — Isidore (I. c.) dit que
Masauli est une forme altérée.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 97
été une tribu. Pline TAncien^ dit que cette tribu, établie jadis
dans la contrée qui devint la province de Maurétanie Tingitane,
s'était éteinte par suite de guerres, comme celle des Maures,
sa voisine, et que son territoire avait été occupé par des
Gétules. Si cela est exact, il faut en conclure que les Masœ-
syles, — ou, du moins, bon nombre d'entre eux, — étaient
sortis de l'intérieur du Maroc pour aller s'emparer de la plus
grande partie de l'Algérie. Pline' et Ptolémée* mentionnent
aussi une ou deux tribus de MassBsyles dans la Maurétanie
Césarienne : on peut croire, si l'on veut, que c'étaient des
fractions de la tribu conquérante, installées dans le pays con-
quis; d'autres hypothèses sont, d'ailleurs, possibles.
Les Massyles étaient sans doute aussi une tribu. Nous igno-
rons où se trouvait son territoire. Un auteur de très basse
époque, Isidore de Séville*, indique, non loin de l'Atlas, c'est-
à-dire au Maroc, une cité appelée Massylia, de laquelle les
Massylii auraient tiré leur nom. De son côté, Pline' signale
une tribu de Alassyli dans^la province d'Afrique (entre l'Amp-
saga et la Cyrénaïque).
D'autre part, au Nord-Ouest de l'Aurès, et auprès d'un lac
appelé par les anciens le lac Royal, lacus Regius, se voit encore
un mausolée colossal, dit le Médracen, qui est certainement la
sépulture d'un souverain puissant et qui peut dater du m" siècle
avant J.-C.^ Pourquoi a-t-on choisi cet emplacement? Il n'y
1. Après avoir indiqué que la principale tribu de la Tingitane avait été celle
des Maures, réduite par des guerres à quelques familles, Pline ajoute (V, 17) :
« Proxima illi Masaesylorum fuerat. Simili modo exlincta est. Gaelulae nuoc
tenent génies. •
2. V, 52, d'après Juba II : le Nil, après être sorti d'une montagne de la Mau-
rétanie Inférieure, non loin do l'Océan, et avoir rempli un lac, se cache « aliquot
dieruin itinere ., puis forme un autre lac, plus grand, « in Caesariensis Maure-
taniae gente Masaesylum •. Voir aussi Pline, XXI, 77.
3. IV, 2, 5 (p. 603;.
4. Etyni., IX, 2, 123 : •< .Massylia civitas Africae est, non longe ab Atlante et
hortis Hes'peridum, a qua civilate Massylii vocali sunt, quos nos corruplo Mas-
sulos vocamus. » Les jardins des llespérides étaient placés près de Lixus.
."). V, 30.
0. Voir t. VI,. l. II. ch. iv, S Ml.
98 OR»ANISATION SOCIALE ET POLITIQUE,
avait dans le voisinage aucune ville qui eût pu être la capitale
d'un grand Etat. Ce roi n'aurait-il pas élevé son tombeau dans
la petite patrie de sa famille, sur le territoire de la tribu qui,
conduite par lui-même ou un de ses ancêtres, aurait réussi à
fonder un Empire nouveau? L'Aurès aurait élé le berceau d'une
dynastie, qui serait allée régner à Girta ou ailleurs : plus tard,
à diverses époques, ce massif montagneux a joué un rôle his-
torique important*. Cependant, malgré les noms de « Tombeau
de Syphax » ou de « Tombeau de Masinissa », dont le Médracen
a été gratifié par des archéologues amateurs, on n'a aucune
raison vraiment sérieuse de l'attribuer soit à un roi masœsyle,
soit à un roi massyle.
Les Mascesyles sont mentionnés à partir de Tannée 220-,
avant et durant la seconde guerre punique^; ils avaient alors
pour souverain Syphax^. Nous ne pouvons dire quand le
royaume auquel ils donnèrent leur nom fut fondé.
Quant aux Massyles, un texte très peu sur les mentionne
plus tôt, eux et leur roi, au temps de la première guerre
punique^ Gaïa, leur souverain lors de la seconde guerre^, était
d'une famille qui détenait l'autorité royale depuis plusieurs
générations'. Naravas, qui, lors de la révolte des mercenaires,
rendit de grands services à Amilcar Barca et auquel celui-ci
1. Résistanco aux Romains, attestée en particulier par l'établissement du
camp de la légion d'Afrique à Lambèse, au Nord-Ouest du massif; guerre contre
les Byzantins, au temps de Justinien; lutte contre les conquérants arabes, dirigée
par la Kàhina, reine de l'Aurès; révolte de l'Homme à l'âne contre les Fatimites,
au X" siècle.
2. A celte date, il y avait des Masiosyles dans l'armée d'Uannibal en Espagne :
Plutarque, De mal. virt., 10 (conf. ici, t. Il, p. 361, n. 6).
3. Inscription d'Uannibal, apud Polybe, III, 33, 15 : les Masa'syles, comme les
Massyles, fournirent en 219-218 quebjues troupes a llannibal. Etc.
4. Voir t. m, p. 178 et suiv.
5. llésianax, dans F. h. G., III, p. 70, n" 11. Gonf. t. III, p. 83, n. 3.
G. T. III, p. 177 et suiv.
7. Son père n'était pas roi (voir t. 111, p. 177, n. 4), mais son (Ils Masinissa
ayant eu des ancêtres (|ui avaient régné (t. 111, p. 175, n. 1 ; p. 287 et 291), il
faut, semble-t-il, admettre (jue la royauté avait appartenu, avant Gaia, à une
autre branche de la famille (t. III, p. 190).
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 99
promit sa fille, commandait à des Numides; il avait succédé à
son père*. Appartenait-il aussi à cette famille? C'est ce que
nous ignorons. Nous ne savons pas non plus où se trouvaient
les Etats d'Ailymas, ce « roi des Libyens », qui, à la fin du
iv^ siècle, fut l'allié, puis l'ennemi d'Ag•athocle^
Quelle était l'étendue des deux royaumes des Masspsyles et
des Massyles, de la « Masaesylie » et de la « Massylie ))^'?
Selon Strabon* (d'après Artémidore ou Posidonius), le pays
des Masaesyles était compris entre la Mulucha (la Moulouia) et
le cap Trêton, aujourd'hui cap Bougaroun, au Nord de Con-
stantine^ ; au Trêton commençait le pays des Massyles*^. Peut-
être la limite exacte tombait-elle à l'embouchure de VAmpsaga, au
Sud-Ouest de ce cap. Comme la Mulucha, l'Ampsaga fut, dans
l'antiquité, une frontière traditionnelle : entre les Etats de Juba
II et la province d'Afrique', puis entre deux provinces romaines*.
C'était une frontière purement politique, car, pas plus que la
Mulucha, ce fleuve ne sépare des régions géographiques distinctes^
D'autres textes s'accordent avec les indications de Strabon,
pour la fin du ni*" siècle, au temps oîi le royaume des Mas?e-
syles appartenait à Syphax'**. Comme, après la chute de ce
royaume, la contrée comprise entre la Moulouia et le cap Bou-
garoun continua à être qualifiée de pays des Masit'syles, bien
1. T. III, p. 113 et suiv.
2. Ibid., p. 35, 37.
3. Ces noms ont été rarement employés : MaaatcTuXsa, dans Etienne de Byzance;
Masaesylia, dans Pline, X, 22; Afassylia, dans Servius, In Aeneid., VI, 60.
4. XVII, 3, 9 (où il faut restituer le mot Tpr,Tov) et 13.
5. Gsell, Atlas archéol. de VAlgérie, f 1 (Gap Bougaroun).
6. StraboQ, II. ce.
7. Voir t. VIII, 1. Il, ch. ii, § I.
8. Gsell, Atlas, f 8 (Philippeville), n" a (p. 2. col. 2).
9. Conf. Gautier, Structure de l'Algérie, p. 212.
10. En 206, Syphax résida à Siga, à environ 22 lieues à l'Est de la Muluclia
(I. MI, p. 185), puis à Girla {ibid., p. 101). A cette époque, la fronlière occidenlalo
des Massyles était à peu de distance à l'Ouest de Thapsus, c'est-à-dire de l'Iiilip-
peville (ibid.). Tile-Live écrit (XXVIll, 17, 5) : ■■ Masaosuiii, gens adiinis Mauris,
in regionem Ilispaniae maxime ijua sita Nova Garthago est speclaut. • Gela con-
vient seulement à la partie occidentale du royaume.
O. M. L ^
100 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
qu'elle appartînt désormais à des rois massyles, il est à croire
que c'étaient là des limites déjà vieilles et, en quelque sorte,
consacrées par l'usage. A l'intérieur des terres, Syphax possé-
dait en 206-203 Cirta (Constantine). Selon Tite-Live, cette
ville faisait partie de ses anciens États, non de ses récentes
conquêtes sur les Massyles'. Si cela est exact, le royaume des
Massyles était beaucoup moins vaste que celui des ÎNEassesyles :
il ne comprenait guère que la partie orientale du département
de Constantine, à l'Est de Cirta. Car, dans la seconde moitié
du m" siècle, les frontières de la province punique, à laquelle
il confinait^, devaient être à peu près celles qui séparent
l'Algérie de la Tunisie\ Il est vrai qu'auparavant, elles étaient
plus rapprochées de Carthage, et que les Carthaginois s'étaient
probablement agrandis aux dépens du royaume massyle. Du
reste, entre Etats voisins, les querelles, les guerres, les modifi-
cations de limites paraissent avoir été fréquentes : on nous le
dit pour l'époque de Syphax et de Gaïa^ Les trois royaumes
indigènes étaient des agrégats de tribus, dont certaines pou-
vaient trouver avantage à changer de souverain. Il se peut
aussi que d'autres aient été capables de maintenir ou de recou-
vrer leur indépendance, à l'intérieur même de ces royaumes^
1. Voir I. 111. p. 170.
2. Sirabon, XVII, 3, 13.
3. T. Il, p. 96-102.
4. Territoire enlevé par Gaïa aux Carthajïinois : t. II, p. 96. Territoire disputé
entre Syphax et Gaia : l. III, p. 182. En 206. Sypliax devait être en mauvais termes
avec Ba^a, roi de .Maurétanie, qui donna à Masinissa une petite armée pour tra-
verser le royaume masflesyle : t. III. p. 191. En 205-204, Syphax était en guerre
avec des voisins : ibid., p. 197, n. 1.
5. .\ppien (IJb.. 10) dit que, chez les Numides, il y avait beaucoup de princes,
dont le plus puissant était Syphax : il semble qu'il s'agisse de chefs indépendants.
Carthage et Home eurent des relations directes d'alliance avec certains de ces
princes : .Vppien, Lib., 33; 41; 44; Tite-Live, XXVII, 4, 8; XXIX, 4, 4. Dans un
passage où il se sert de Posidonius, Strabon (II, 5, 33) iudi(iue (\ue les Numides
s'étendent entre le territoire carthaginois [devenu province romaine] et les Mau-
rusiens, et que, parmi ces Numides, les plus connus sont les Massyles et les
Mas.'i'syles. On pourrait en conclure qu'il y avait dans cotte contrée, vers le
début du I" siècle, des Numides qui n'appartenaient pas aux deux Etats d'abord
distincts, puis n-unis sous la domination de Masinissa et de ses successeurs.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 101
Du coté du Sud, la Mastesylie et la Massylie étaient, comme la
Maurétanie,bordéespar des tribusgétules, les unes toutàfaitlibres,
d'autres plus ou moins soumises, plutôt vassales que sujettes'.
Après avoir joint à ses Etats, pendant quelques mois, le
royaume massyle -, Syphax s'effondra, en 203. Il est impos-
sible de savoir s'il y a quelque chose à garder des récits qui lui
donnent son fils Vermina pour successeur sur une partie des
Massesyles, et qui, à la veille de la troisième guerre punique,
nous montrent son petit-fils, Arcobarzane, capable de lever
une forte armée ^. Ce qui est sur, c'est que ^lasinissa, lors de
sa mort, en 148, était maître de toute la contrée qui s'éten-
dait depuis la Maurétanie jusqu'à la province punique
(laquelle, deux ans plus tard, devint romaine), depuis la
Mulucha jusqu'à la Tusca, près de Tabarca*. Comme lui, son
fils Micipsa et son petit-fils JugUrtha réunirent sous leur auto-
rité le royaume des Massyles, héritage de leurs pères, et celui
des Mastesyles, conquête sanctionnée par Rome. Officielle-
ment, ils continuèrent à se qualifier de rois des Massyles,
même dans les régions qui avaient appartenu auparavant aux
souverains massesyles^.
Les noms de Masœsylie, Massylie, de pays des Masa?syles,
des Massyles, se conservèrent pendant un certain temps
comme désignations géographiques ^ : peut-être même répon-
daient-ils à des divisions administratives du royaume de
Numidie, sous Masinissa et ses successeurs. A l'époque
romaine, ces noms ne se maintinrent pas, comme ceux de
Mauri, Gaetuli, Numidae. On a vu' que des tribus, sans doute
1. V. infra, p. 112 et 163-0.
2. T. m, p. 193-6.
3. Ibid., p. 282 et suiv.. 3û.ï.
4. Ibid., p. 284, n. 4; p. 304.
5. Inscription de Clierchel, où Micipsa est appelé roi des Massyles : Herpor,
Rev. d'assyriol.. II, p. 30.
G. Apud Slrabon, XVII, 3, 6; 9; 12 ; 13; 20; Pline l'Ancien, X. 22.
7. P. 97.
102 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
peu importantes, de Masyesyles et de Massyles subsistèrent
dans les provinces de Maurétanie Césarienne et d'Afrique.
Quelques indigènes portaient encore comme noms propres
ceux des fameuses tribus auxquelles Syphax et Masinissa
avaient appartenu ^ Enfin, les poètes latins avaient adopté
Massylus, substantif ou adjectif (parfois Massylius), pour l'ap-
pliquer vaguement à des hommes et choses d'Afrique-.
III
Le terme A-lêus; a été employé par les Grecs pour désigner,
ou l'ensemble des habitants de l'Afrique du Nord, ou une
partie d'entre eux.
11 est d'origine africaine. Des documents égyptiens anté-
rieurs au premier millénaire avant J.-C. mentionnent les
Hebou ou Leboit, peuplade qui vivait entre la vallée du Nil et
le golfe des Syrtes'. Les Grecs connurent ces Lebou, soit indi-
rectement, par l'intermédiaire de l'Egypte, soit directement,
sur le littoral méditerranéen; ils les appelèrent A-lêus;, et leur
pays A'.gjr,, nom qui se trouve dans l'Odyssée*.
Dès le vi^ siècle, ce nom A-.êjr, avait été étendu par des
géographes ioniens à tout le continent africaine II garda désor-
mais cette signification ; il n'y eut désaccord que sur la limite
orientale qu'il convenait d'assigner à la Libye : pour les uns,
ce fut le Nil; pour d'autres, l'isthme de Suez et la mer Rouge;
pour d'autres enfin, la frontière occidentale de l'Egypte.
Le mot A'X'jô; ne reçut pas une extension aussi grande. La
1. Supra, p. 90, n. 1 (il 2.
2. Virgile, lï:néide, IV, 132 et 483; VI, 100. Après lui, Lucain, Silius Ualicus
(qui qualifie ainsi le roi des Masœsyles Syphax : XVI, 258; XVII, 110), Slace,
Martial, Claudien, Curippus, elc.
3. Bâtes, The Eastern Libyans, p. 212. Gsell, Hérodote, p. "0.
4. IV, 85; XIV, 295.
5. Hérodote, II. 10. Couf. Gsell, /. c, p. 71.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 103
Libye, dit Hérodote*, « est occupée par... deux peuples indi-
gènes, ... les Libyens {A'fyjzç) et les Éthiopiens, qui habitent,
les uns au Nord, les autres au Sud de la Libye ». Et, chez
des auteurs plus récents, nous retrouvons le terme AlS-jeç,
appliqué aux habitants de l'Afrique septentrionale, depuis
l'Egypte jusqu'à l'Océan, depuis la Méditerranée jusqu'aux
pays où vivent les Éthiopiens : par exemple, les Numides,
les Maures sont des Libyens 2. Parfois même, Ai-êLiy, désigne,
non pas le continent tout entier, mais seulement le Nord de
ce continents
Un sens plus restreint encore s'attacha au mot A-lêysc,
comme l'attestent divers passages de Diodore de Sicile (copiant
peut-être Timée ou Douris), de Polybe, d'AppienS Les Grecs
appelèrent ainsi ceux que les Romains nommèrent Afri,
c'est-à-dire les indigènes du territoire soumis à la domination
officielle de Carthage, par opposition auxNoyàSc;, qui vivaient
au delà. Ce territoire, — ou plutôt ce qui en restait après les
usurpations de Masinissa, — ayant été annexé par Rome au
milieu du second siècle, la nouvelle province, VAfrica des
Romains, fut nommée A'.êuY, par les Grecs' : ce qui était tout
naturel, puisqu'elle était peuplée de Aiêjs;.
Il est probable que les Carthaginois ont, eux aussi, employé
ce terme pour désigner des indigènes : des inscriptions de la
Carthage punique mentionnent des gens appelés LBY, LBT"
{=Louhi? Loubat?); c'est-à-dire, autant qu'il semble, « le
Libyen », c< la Libyenne »'. Plus tard, au début de notre ère,
1. IV, 197. Gonf. Gsell, l. c, p. 113, 118.
2. Voir t. H, p. 99, n. 4; Gsell, Hérodote, p. 119, n. 1.
.3, Par exemple, dans Slrabon, XVII, 3, 23, in Jine.
4. Voir t. II, p. 99, n. 5 et 6.
5. Voir t. vu, l. I,ch. i, § I.
6. T. IV, p. 174, n. 13 et 14.
7. Go nom de peuple, étant devenu un nom de personne, a pu désigner des
Gartliagiuois, comme des indigènes. Une Loubat était lllle vl arrièro-pelite-fllle
de sufotes : Vasscl et Icard, Les inscriptions du temple de Tanit, I, p. 9 (extrait de
la Bev. lunis., 1923).
104 OUGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
une inscription néopunique' qualifie de « chef de l'armée au
pays des Loubim (LWBYM) » un proconsul de la province
d'Afrique, la province de A'-<5J7, des auteurs grecs. Y a-t-il eu
là un emprunt aux Grecs -? ou les Phéniciens ont-iJs, dès une
époque lointaine, fait usage de ce nom, qu'ils auraient
emprunté aux Égyptiens? Comme les Grecs, ils l'auraient
d'abord donné aux indigènes vivant à l'Ouest de l'Egypte,
puis à ceux qui habitaient plus à l'Ouest encore. On peut sup-
poser que les Hébreux l'ont connu par eux : il se trouve sous
lu forme Lehabim dans un passage très ancien de la Genèse ^, et
sous la forme Loubim dans des textes plus récents de la Bible \
Des monnaies % datant de la première moitié du ii' siècle
avant J.-C.*, portent la légende grecque A-.êJojv; la plupart
d'entre elles offrent aussi une lettre punique. Elles ont donc
été frappées dans une contrée africaine ouverte également aux
influences helléniques et aux influences carthaginoises, c'est-
à-dire dans la région des Syrtes. Elles attestent que des indi-
gènes, se servant de la langue grecque, acceptaient le nom
que les Grecs leur donnaient. Mais nous n'avons aucune
preuve que ce nom ait été usité chez ceux qui parlaient seule-
ment leur propre langue. Nous trouvons, il est vrai, les Libijes
mentionnés, avec les Gaeluli, comme les plus anciens habitants
de l'Afrique du Nord, dans le récit que Salluste a reproduit
d'après les libri Punici du roi numide Hiempsal ', récit con-
forme, affirme-t-il, à l'opinion des gens du pays ^ Mais c'était,
1. Rép. d'épigr. sémil., II, 662 et 943.
2. Dans le texte grec d'une inscription bilingue rédigée par les soins d'IIan-
nibal, les sujets de Garlhage étaient appelés AiêuEç (Polybe, III, 33, 15 et 16).
Mais, pour la question qui nous occupe ici, cela ne prouve rien.
3. X. 13.
4. 11 Chron., XII, 3; ibid., XVI, 8. Nahum, III, 9. Daniel, XI, 43. >»
5. L. Millier, Numism. de L'ancienne Afrique, I, p. 130-5; Supplément, p. 21-23.
6. Plusieurs de ces monnaies furent frappées sur des monnaies carthaginoises;
sur plusieurs autres, au contraire, c'est une empreinte carthaginoise qui recouvre
celle des Libyens.
7. Jug., XVI II. Conf. t. I, p. 330-1.
8. Ju(i., XVII, 7.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. ' 105
selon toute apparence, un emprunt soit à des Carthaginois,
soit à des Grecs *.
Hérodote^ répartit les Libyens en pasteurs, vouâoî^, et en
cultivateurs, àporrips;. Le mot vouLàoî; est donc pour lui un
qualificatif grec, indiquant une manière de vivre. Il a été
employé de même par Hécatée^, Hellanicos* et PindareS à
propos d'indigènes africains.
3Iais Nouâoî; est devenu un nom propre, désignant un
peuple ou un groupe de peuples. Nous le trouvons avec cette
signification dans l'histoire des guerres puniques racontée par
Polybe ^ Et il faut sans doute remonter plus haut. Diodore
de Sicile, reproduisant un auteur du début du iii^ siècle,
Timée ou Douris, mentionne des Nouâosç dans des guerres
qui eurent lieu à la fin du v^ siècle et au iv'' ^ Eratosthène,
vers la fin du m* siècle, paraît aussi avoir connu des Nouàos;
en Afrique ^ Les Latins emploient la forme Numidae' :
Salluste, dans son Jugurtha^^', Tite-Live, dans son récit de la
seconde guerre punique^'; Justin, abréviateur de Trogue-
Pompée, à propos d'événements qui se passèrent au v^ siècle '^;
etc. A la fin du ii^ siècle, les succès de Métellus sur Jugurtha
lui valurent le surnom de Numidicus. Il est probable que le
terme Numidae fut adopté par les Romains dès le m" siècle,
1. Pour les éléments puniques et grecs qu'on retrouve dans le récit d'Hiempsal,
voir t. I, p. 332-3.
2. IV, 181, 186, 187, 188, 190, 191, 192. Voir Gsell, Hérodote, p. 167.
3. Apud Etienne de Byzance, s. v. }i\àX,Jt:>^= Fragm. hist. Grnec, I, p. 23, a" 304
(si c'est bien uue citation textuelle).
4. F. h. G., 1, p. 57, n" 93.
5. Pylh., IX, 123.
6. I, 19. 3; 1, 31, 2; I. 65, 3; 1, 74, 7; XIV, 1, 4; etc.
7. XIII, 80, 3; XX, 38-39; XX, 55, 4; XX. 57, 4.
8. >4pu(i Strabon, 111, 5, 5. Conf. Gsell, Hérodote, p. 168, n. 5.
9. Parfois, surtout chez des poètes, iSomades, simple Iranscription du mot grec :
Virgile, linéide, IV, 320, 535; VIII, 724; Siiius Italiens, VI, 075; .Martial, XII. 26,
0; etc. Voir aussi Columelle, VU, 2, 2; Arnobe, I, 16.
10. V, 1 et 4; VI, 3; etc.
11. XXI. 22, 3; XXI, 29, 1; elc.
12. XIX, 2, 4. Conf. iind., XXII, 8, 10 (pour la (in du iV siècle).
106 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
au temps où leurs luttes contre Carthage les mirent en rap-
ports avec les indigènes de la Berbérie *.
L'appellation Nouàoî; est-elle d'origine purement grecque,
par la transformation de voaàSeç en un nom propre, « les
Pasteurs » ? et le mot Numidae en est-il une transcription
latine, assez peu régulière, il faut le reconnaître? On le croit
d'ordinaire^, et nous n'avons pas de raisons décisives pour le
nier.
Toutefois, une autre hypothèse peut être présentée. Les
Grecs et les Latins n'auraient-ils pas trouvé en Berbérie un
nom ethnique, se prononçant à peu près comme No[a.àÔ£(;,
Numidae^? Les premiers l'auraient transformé en Notjiàoc.;, par
un calembour d'autant plus facile que beaucoup de ces Afri-
cains étaient des pasteurs *. Les seconds l'auraient simple-
ment adopté, en le soumettant aux règles de leur première
déclinaison. Peut-être ce nom indigène s'était-il appli-
qué d'abord à une tribu importante, dont des fractions
auraient encore subsisté dans diverses régions, sous l'Empire
romain ^ Il aurait été étendu à un ensemble de populations,
soit par les indigènes eux-mêmes *, ce dont on n'a pas
1. Ennius l'a employé (Ann., 224, 2' édit. Vahlen).
2. No|xâÔ£;, appelés ainsi à cause de leur genre de vie : Strabon, 11, 5, 3:{, et
XVII, 3, 15. C'est aussi l'opinion du plus grand nombre des auteurs modernes.
De même, la plupart d'entre eux rattachent le latin Numidae au grec No[i.(iÔEç :
voir Gsell et Joly, Klinmissa (Alger-Paris, 1914), p. 14, n. 3.
3. Hypothèse admise par quelques savants : Letourneux, apud Ragot, Rec. de
Constanline, XVI, 1873-4, p. 122; Rinn, Rev. afric, XXIX, 1885, p. 243; Cat, Maa-
rél. Césarienne, p. 60, n. 1. Mais je ne puis adopter les arguments linguistiques
qu'ils invoquent.
4. Conf. Pline l'Ancien, V, 22 : • Numidia... Melagonitis terra a Graecis appel-
lata, Numidae vero Nomades a permutandis pabulis. »
5. Une gens Numidaruin dans la région de Khamissa (Algérie orientale) : Gsell,
Inscr. lat. de C Algérie, I, p. 115. Une autre gens Numidarum bien plus à l'Ouest :
C. I. L., VIII, 8 813 et 8 814.
6. Dans ce cas, on pourrait supposer qu'à une époque indéterminée, cette tribu
avait exercé son hégémonie sur de vastes territoires : conf. supra ce que nous
avons dit dos Masa-syles, des Massyles (;t des Maures. On pourrait même s'elTorcer
de découvrir une ombre de vérité dans le récit du roi Hiempsal (Salluste, Jug.,
XVIII). A des nomades, qui. pour cette raison, se seraient appelés eux-mêmes
Nomades et qui seraient venus de la côte océanique du Maroc, il attribuait la
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 107
la preuve, soit par les Grecs, ou, avant les Grecs, par les
Carthaginois \
Ce sont là des hypothèses bien fragiles. Mais il est certain
que le nom No^àos;, Numidae, a été appliqué par divers auteurs
à tous les indigènes de l'Afrique du Nord, à l'exception des
habitants du territoire punique, puis de la province romaine,
appelés A'.ë'js:; et Afri. Diodore de Sicile^ (d'après Timée?) dit que
les Noaàoeç, à la fin du IV* siècle, occupaient une très grande partie
delà Libye, jusqu'au désert. Salluste appelle A^Mmîc^ae les gens de
Capsa (Gafsa), au Sud de la Tunisie % les indigènes qui vivaient à
Leptis la Grande, entre les deux Syrtes*. Hannibal, dans une ins-
cription grecque^ et d'autres^ qualifient les Maures de Numides^
Cependant ce nom prit un sens plus restreint. Des Gétules et
des Maures, qui occupaient, les premiers l'intérieur du pays,
les seconds le Nord du Maroc, on distingua les Numides
proprement dits**, habitants de la contrée, voisine du littoral,
conquête de la contrée dont le nom, Numidia, aurait été emprunté au leur. Natu-
rellement, il faut laisser de côté la légende qui fait de ces conquérants des
Perses mélangés à des Gétules, et l'absurdité qui leur impute l'adoption d'un
nom pris à la langue grecque. Ce serait Hiempsal qui, après d'autres, aurait
expliqué par le grec un nom indigène.
1. Hannibal se servait du terme NofxaÔE; dans la partie grecque d'une inscription
bilingue {v. infra, n. 5). Mais, comme nous ignorons ce qu'il y avait dans le pas-
sage correspondant de la partie punique, nous ne pouvons tirer aucune conclu-
sion de ce texte en ce qui concerne les Carthaginois.
2. XX, 55, 4.
3. Jug., XCI, 4 et 6.
4. Ibid., LXXVIII. 4.
5. Polybe, III, .33, 1.5. Hannibal y indiquait parmi les Nojiâoe;. non seulement
les MauJA'.o: et les MotTataJ/io-., mais encore les Ma/./.oïoi (dont la position est
inconnue : v. supra, p. 86) et les MajpoJato;, voisins de l'Océan.
6. Tite-Live, XXIV, 49, 5 : « Maurusios Numidas ». Bocchus, qui était roi des
Maures, est qualKié par Plutarque de No[j.d(; (Marius, 32), de roi des Noixiôe;
(Sylla, 3). — Appien (Bell, civ., I, 42, et II, 44) parle de Nofxiôs; MajpoOa-.ot et de
Ma'jpoj(7to'. No(iO(0£;, mais, dans ces deux passages d'un auteur du a"' siècle après
J.-C, le mot Ma^poÛTioi paraît être pris dans le sens étendu qu'on lui donna sous
l'Empire (v. supra, p. !)4-'J.")) : il s'agit de Numides faisant partie des Maures, et
non de .Maures faisant partie des Numides.
7. On peut supposer qu'Ératosthène {apud Strabon, III, 5, .5) plaçait la rive
africaine du détroit de Gibraltar dans le pays des NoiJiâSe;; conf. t. II, p. 150.
8. Pour la disliuctitm entre les Numides, les .Maures et les (létulcs, voir Salluste,
Ju<j., XIX, 4-5 et 7; LXXX, 1 et 6. Pour celle des Numides et des Maures, Diodore
108 ■ ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
qui était comprise entre le royaume maure et la province
carthaginoise. Au iif siècle, c'étaient les sujets des souverains
masaesyles et massyles; ceux-ci sont qualifiés les uns et les
autres de rois des Numides, du moins dans des textes grecs et
latins*, car rien ne prouve qu'ils aient eux-mêmes pris ce titre -.
Le royaume masaesyle ayant cessé d'exister et les rois massyles
ayant étendu leur domination depuis la Moulouia jusqu'à
Tabarca, tel fut le pays qu'on appela désormais Numidia^.
Nous avons indiqué* qu'il fut ensuite partiellement annexé au
royaume maure, dont les Romains firent, en 42 après J.-C,
leurs deux provinces de Maurétanie : du côté de l'Ouest, la
limite de la Numidia devint l'Ampsaga^. Le nom de Numidae
recula jusque-là devant celui de Mauri, qui même déborda bien
plus loin vers l'Est*, sans cependant faire disparaître celui de
Numidae dans la contrée à laquelle les Romains conservèrent
le nom officiel de Numidia.
Comme on le voit, ces noms, Nouàoe; et Numidae^ pourraient
être d'origine indigène, — ce que je ne veux pas affirmer, —
de Sicile, XIII, 80, 3; Justin, XIX, 2, 4; Strabon, II, 5, 33 (sans doute d'après
Po?idonius): Pomponius Mêla, I, 22; Appien, Lib., 106; etc.
1. Pour Syphax, voir Tite-Live, XXIV, 48, 2; Appien, Iber., 15. Pour Masinissa,
Polybe, XXXVI, 16, 1 (édit. Biiltner-Wohst; alias XXXVII, 3); Salluste, Jug., V, 4;
Justin. XXXIII, 1, 2, et XXXVill, 6, 4. Dans Tite-Live (XXX. 12, 13), Sophouisbe
dit à .Masinissa : • Nuniidarum noinea (|uod tibi curn Syphace commune fuit. •
Pour (iulussa, Polybe, XXXVill, 7, 1 (alias XX.\I.\, 1). Pour Micipsa, Appien, Ibcr.,
67. Pour Jufjurtha, Salluste, V, 1; Appien, Bell, civ., I, 42; Dessau, Inscr. lat. sel.,
.^6; etc.
2. -Micipsa est qualifié, non de roi des Numides, — qui tous étaient ses sujets,
— mais de roi des Massyles, sur une inscription néopunique de Cherchel : v. supra,
p. 101. n. 5.
3. Nom qui dut être en usape chez les Latins dès l'époque de Masinissa.
Noixaôia dans Polvbe, XXXVI, 16, 7.
4. P. 94.
^). Pline l'Ancien, V, 22. Hrouillanl les opo(jues, l'auteur qu'a copié Pomponius
Mêla (I, 29; 30; 33) donnait pour limites à la Numidia la Mulucha à l'Ouest,
l'Ampsaga (ou le cap .Métaj^oniuin) à l'Kst; il faisait commencer l'vl /;(ca à cette
seconde limite. La première était leile (|ui avait jadis séparé les royaumes des
.Maures et des Numides, la seconde, celle de l'Afrique romaine après Jules César
(couf. supra, p. 22, n. 7). En fait, dans cette Africa, le nom de Numidia resta
atlaclié à la réf^ion comprise entre l'Ampsafça et la Tusca (prés de Tabarca).
0. Voir p. 94-95.
TftIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 109
mais c'est, autant qu'il semble, aux Grecs et aux Romains
qu'ils ont dû leur extension, variable selon les limites des Etats
et des provinces.
Le terme raixoù/.oi. \ Gaetuli % se rencontre depuis la fin du
second siècle avant notre ère^ Il désigne des indigènes qui
paraissent avoir été auparavant confondus dans l'ensemble des
peuples appelés Numides. On peut supposer, mais non prouver,
que, comme Masœsyles, Massyles, Maures, et peut-être Numides,
c'était primitivement le nom d'une tribu*, nom qui aurait été
ensuite étendu à beaucoup d'autres.
Jamais, cependant, les Gétules ne constituèrent un Etat\
C'étaient les habitants d'une vaste zone, s'allongeant au Sud
des régions, voisines de la Méditerranée, où vivaient les Maures,
les Maseesyles, les Massyles, les sujets de Carthage et de Rome;
1. Ou ra;TOj),oi : voir le grammairien Hérodien, apud Eustalhe, dans le com-
mentaire à Denys le Périégète, v. 215 (Geogr. Gr. min., II, p. 254). Artémidore
écrivait ra:ivl:oi (Etienne de Byzance, s. v. rait&û/.oi), ou peut-être rai-roÛAioi
(Eustathe, l. c).
2. L'a est souvent omis. Galtuli, forme archaisante, dans une inscription de
l'époque de Claude : C. /. L., X, 797.
3. On ne le trouve pas dans Polybe. C'est à quelque chroniqueur romain que
Tite-Live (XXIII, 18, 1) emprunte un récit où figurent des GaeluU au service
d'Hannibal. Mention dans Artémidore, tout à la fin du ii' siècle : Etienne de
Byzance, /. c. Eustathe, l. c. (conf. Fragm. hist. Graec, III, p. 488) attribue par
erreur cette mention à Athénodore de Tarse, contemporain d'Auguste. Salluste
(Jug., XVIII, 1) nous apprend que les Ubri Punici du roi Hiempsal indiquaient les
Gaetuli et les Libyes comme les plus anciens habitants de l'Afrique. Autres men-
tions des Gétules dans le Jugurlka de Salluste (passirn), dans le Bellum Africum
{idem), dans Virgile, Enéide, IV, 326; dans Strabon (passini, en partie, sans doute,
d'après Artémidore et Posidonius); etc.
4. De nombreux auteurs modernes (Marmol, Chénier, de Slane, Vivien de
Saint-Martin, Faidherbe, Reclus, Tissot, Quedoufeldt, Cat, Schirmer, etc.) ont
fait des rapprochements, qui ne sont nullement convaincants, entre le nom
antique Gaetuli et des noms de tribus berbères : 1° les Gazzoula. qui, à l'époque
des Almoravides, quittèrent le Sahara, où ils vivaient, pour aller s'établir dans
le Sud du Maroc; on en retrouve encore à l'Est du Sous, entre le Haut-Atlas et
l'Anti-Atlas; 2" les Gaddala, dans le Sahara occidental; 3° les Guechtoula, dans
la grande Kabylie, pays qui était en dehors de la Gétulie.
ri. Strabon (XVII, 3, 2) dit des Gétules qu'ils sont le plus grand des peuples
libyques (conf. Eustathe, l. c). En réalité, c'était une longue traînée de tribus :
• Nalio frequens multiplexque Gaetuli », écrit Pomponius Mêla (1, 23). Une ins-
cription du i" siècle de notre ère (C. /. /-., V, 5 267) mentionne un préfet de six
de ces tribus : - nation(um) Gaetulicnr(um) sex quae sunt iu Nuinidia ».
GsELL. — Afrique du Nord. V. 8
110 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
au Nord de la lisière saharienne, qu'occupaient çà et là des
Ethiopiens K La Gaetulia^ était donc une expression géogra-
phique, s'appliquant à une suite de plaines, en général sèches
et nues ^, et aussi aux chaînes de montagnes qui les bordent du
côté du désert*. Les limites méridionales de cette zone
séparaient les domaines des blancs et des noirs. Mais nous
n'avons aucune preuve que la Gétulie ait eu au Nord des fron-
tières anthropologiques. Comme la structure du sol et le climat
n'imposaient pas non plus une démarcation précise, il est permis
de croire que le nom de Gétules fut donné aux peuplades qui,
lors de la constitution des royaumes maure, masaesyle et
massyle, restèrent en dehors de ces Etats.
Au Maroc, il y avait des tribus gétules entre l'oued
Bou Regreg^ le littoral de l'Océan ^ et l'Atlas^, ainsi
que dans l'Atlas même ^ La principale était celle des Auto-
1. Voir Salluste, Ji^g., XIX, 5; Strabon, II, 5, 33; XVII. 3, 2; ibid., 9 et 19; Pline
l'Ancien, XXI, 77; Plolc-tnée, IV, 6, 5 (p. 742, édit. Miiller).
2. Ce nom se trouve pour la première fois dans Varron (Rust., II, 11, 11). Il
était employé par Agrippa (voir Dimens. prov., 25, et Divis. orbis, 26, apud Riese,
Geogr. Lai. min., p. 13 et 19). Etc.
3. Conf. Strabon, XVII, 3, 9 et 23; Saint Augustin, De ordine, II, 5, 15; Enarr.
in Psalm., CXLVIII, 10.
4. Montagnes dans le pays des Gétules : Strabon, XVII, 3, 19; Pline, XXV,
78-79; Apulée, ApoL, XLI, 5.
5. La ville de Sala (auprès de Rabat, à l'embouchure de l'oued Bou Regreg)
était, dit Pline (V, 5), exposée aux al laques de la tribu (gélule) des Autololes,
« per quam iler esl ad monlem Atlantem ».
fi. Hiempsal, apud Sallusle, Vu^., XVIII, 5 el 7. Agrippa, apud Plino, V, 9 :
• Gaelulos Auloleles » [corriger sans doute Autololes], sur la côle, au delà du
promunlurium Solis (cap Cantin) et du portus Uhysaddir (Mogador? : voir t. II,
p. 178). L'Ile d'ilcra, située, selon Plolémée (IV, 6, 14, p. 753, avec la correction
certaine proposée par Miiller), en face des Autololes, parait bien être l'Ile de
Mogador (conf. Pline, VI, 201 : mention d'« insulac ex advorso Aulololum •) : voir
t. I, p. 522, u. 0. Côte gélule de ruccan : Mêla, III, 104; Pline, V, 12. ellX, 127.
7. Pline, V, 5 (conf. supra, n. 5).
8. Euphorbe recueillie par des Gétules « in munie Atlante » : Pline (d'après
Juba), XXV, 78-79. Agrippa, apud Pline, V, 10, mentionne « in inedilcrraneo Gaelulos
Daras » (ainsi nommés du Daral, l'oued Draa, qui sort de l'Atlas). — Plolémée
place la Gétulie, le» .Mélanogélulos, les Autololes (il écrit AJTOAâXat : IV, G, 6,
p. 744) dans la • Libye intérieure », qu'il fait commencer sur le littoral au delà
du . Grand Atlas » (IV. 1, 1, et IV. <1, 1, p. 572. ."i77, 729), mais nous avons déjà
fait remarquer (supra, p. 5) qu'il insère dans cette Libye intérieure beaucoup de
noms géographiques se rapportant à des pays jilus septentrionaux.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 11 1
loles *, dont le territoire, très vaste, s'étendait depuis le voisi-
nage de Rabat jusqu'au delà de Mogador^. Avec d'autres Gétules,
les Baniures, ils avaient occupé, on ne sait quand, les territoires
de deux tribus déchues, qui avaient joué un rôle historique fort
important, les Maures et les Masœsyles ^ Ces Autololes jouirent
d'une certaine célébrité dans le monde romain. Des poètes,
Lucain*, Silius Italiens^, Claudien% Sidoine Apollinaire', les
introduisent dans des développements qui n'ont, d'ailleurs,
aucune prétention à l'exactitude géographique.
Dans l'Algérie orientale, la limite septentrionale du pays gétule
devait passer à peu de distance au Sud de Constantine ^ et elle
était très voisine de Madaure (entre Souk-Arrhas et Tébessa) '\
Au Midi, le fleuve Nigris séparait la Gétulie de l'Ethiopie '° :
c'était très probablement l'oued Djedi ^', qui s'allonge depuis'
les environs de Laghouat jusqu'au Sud-Est de Biskra'-. Au Sud de
la province d'yl /rica, les Gétules atteignaient le littoral syrtique'^
1. Pline, V, 17, où il faut corriger Aatotelcs en Autololes.
2. V. supra, p. 110, n. 6. C'est sans doute à lorl que le nom des Autololes a été
rapproché (Vivien de Saint-Martin, Le Nord de l'Afrique, p. 371 el 410; Tissot,
Méni. présentés à l'Acad. Inscr., IX, 1"= partie, p. 311) de celui des Ait Hilàla (ou
Uàlan), tribu du Sous (Massignon, Le Maroc d'après Léon V Africain, Alger, 1900,
p. 194) : dans Ait Hilùla, Ait signifie clan.
3. Pline, V, 17. Gonf. supra, p. 97.
4. IV, 677 (parmi les sujets de Juba \"\).
5. II, 63; III, 30G, et ailleurs.
6. De consul. Stilich., I, 356.
7. Carm., Y, 336.
8. Après avoir pris Girla (Constanline), Sitlius s'empara de « duo oppida Gaetu-
lorum » : Bell. Afric, XXV, 3.
9. Au second siècle de notre ère, Apulée de Madaure (Apol., XXIV, 1) se qualifie
de semi-Numide et de semi-Gétule; il dit que sa patrie est située • Numidiae et
Gaeluliae in ipso confliiio ». La limite entre les Musulamii, peuplade gétule, et
Madauro passait, en effet, tout près de cette ville : conf. Gsell et Joly, Mdaourouch
(Alget-Paris, 1922), p. 5 el 18.
10. Pline, V, 30 : « ... tota Gaetulia ad llumen Nigrim, qui Africam ah Aethiopia
dirimit. »
11. Voir t. I, p. 297.
12. La Table de Peutinger iudi(iue des Gaetuli sur un vaste espace, depuis Ad
Calceum Herculis (Kl Kanlara) jusqu'au delà de Capsa ((iafsa).
13. Virgile, Enéide, Y, 192 : « in Gaetulis Syrtibus ... Florus, II, 31 : ■■ Gaetulos
accolas Syrtium .. Voir aussi Strabon, XVII, .'t, 9. Les rameurs gétules (|ui furent
employés dans la Hotte pompéienne (Bell. Afric, LXll, I) devaient être originaires
des côtes des Syrtes.
112 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Des Gélules sont aussi mentionnés en Tripolitaine et même en
Cyrénaique\
Ces indigènes étaient presque tous des nomades ^. Du reste,
une bonne partie des régions qui leur appartenaient ne com-
portaient guère d'autre genre d'existence.
Les nécessités de leur vie pastorale et, sans doute plus encore,
le goût du pillage ^ devaient les mettre en relations avec leurs
voisins du Nord. Les souverains numides et maures furent
amenés à étendre sur la Gétulie leur domination *, qui paraît
n'avoir jamais été bien solide ^ Il est à croire que les Gétules
entretenaient aussi des rapports avec les Ethiopiens ^
IV
Nous trouvons dans les historiens et géographes arabes un
nom qui s'applique à l'ensemble des populations autochtones
de l'Afrique septentrionale : Bràbei\ Berâber (au singulier Ber-
bei\ Berbeviy . Les Européens l'ont adopté, les Français sous
1. Straboa, XVII, 3, 19 et 23. Paul Orose, Adv. pagan., I, 2, 90. Table de Peutin-
ger : au Sud de Sabralha et de la grande Syrte.
2. Salluste, Jug., XIX, 6 : « Gaetulos... partim in tuguriis, alios incultius vagos
agitare ». Mêla, III, 104 : « Gaelulorum passim vagantium ». Paul Orose, VI, 21,
18 : « Gaetulos latius vagantes ».
3. Salluste, Jug., GlII, 4, et Pline l'Ancien, X, 201 : « Gaetuli latrones ». Les
Gétules passaient pour des gens belliqueux : Salluste, l. c, XVIII, 12 (d'après les
libri Punici d'Hiernpsal).
4. Salluste, Jug., XIX, 7. Bell. Afric, XXV, 3; LV, 1. Dion Cassius, XLIII, 3, 4;
LUI, 20, 2; LV, 28, 3. Dans le Sud de la Tunisie, Capsa et Thala, qui apparte-
naient à Jugurtlia, étaient en pays gétule. Cette région avait certainement fait
partie du royaume de .Masinissa, puisqu'elle reliait le pays numide à la région
des Syrtes, dont Masiuissa s'empara. Des rois de Maurétanie, Bocchus, contem-
porain de Marius, et Hogud, contemporain de César, eurent des relations, paci-
fiques ou hostiles, avec des Ethiopiens (u. supra, p. 10, n. 1 et 3); on doit en
conclure qu'ils étaient libres de traverser les régions intermédiaires, occupées par
des Gétules.
5. V. infra, p. 164-5.
G. Conf. supra, p. 9.
7. La (lUPstion de l'origine du nom HrAber a été bien traitée par H. Schirmer,
De nomine cl génère populoruin gui Hcrbcri viilgo dicunlur (Paris, 1892), p. 4 et suiv.
Je renvoie à cet ouvrage pour la bibliographie.
TIUBUS, NATIONS ET PEUPLES. 113
la forme Berbères. Il faut dire que, dans le langage courant, il
est peu usité chez les tribus d'origine arabe ou arabisées; celles
qui parlent des dialectes dits berbères ne l'emploient pas pour
se désigner elles-mêmes '.
Les étymologies qu'indiquent des auteurs arabes du moyen
âge reposent sur des calembours et n'ont aucune valeur "^ Des
savants modernes ont soutenu qu'il s'agit d'un ethnique
antérieur à la conquête romaine ^ Selon les uns, il aurait été,
dès une époque très lointaine, le nom que se serait donné un
grand peuple, et il aurait subsisté çà et là pendant l'antiquité
historique, pour reprendre ensuite l'acception générale qu'il
aurait eue d'abord. Selon d'autres, il aurait désigné une ou
plusieurs tribus importantes, et les Arabes l'auraient géné-
ralisé.
Nous avons déjà montré * que, pour étayer la première de
ces hypothèses, on ne saurait chercher des arguments en dehors
de la Berbérie, dans l'Afrique orientale, voire même au delà :
il n'y a aucune raison d'admettre, que la contrée nommée
Barbaria sous l'Empire romain (le pays des Somalis), que les
Berabra de la vallée du Nil, au Sud de l'Egypte, soient des
témoins d'une communauté préhii^torique de sang et de nom
avec nos Berbères ^
Les arguments présentés à l'appui de la seconde hypothèse*^
ne sont pas meilleurs. C'est être dupe d'une très vague ressem-
1. E. Masqueray, Formation des cités chez les populations sédentaires de l'Algérie,
p. 2. Les Bràber du Moyen et du Haut-Atlas ne font pas exception : E. Destaing,
Étude sur le dialecte berbère des Ait Seghrouchen {Paris, 1920), p. lxxxvii, n. 1.
2. Voir Ibn Khaidoun, Hist. des Berbères, Irad. de Slane, l, p. 168, 176; de Slane,
ibid., IV, p. 494; E. Carelle, Recherches sur l'origine des tribus de l'Afrique septentr.,
p. 17-18; Tissot, Géogr., I, p. 393, n. 1.
3. Cari Riller, Movers, Carelte, Vivien de Saint-Martin, Tissot, Quedenfeldl,
etc.; enfin A. Schulten (Numantia, l, p. 36-37), qui est disposé à croire à la com-
munauté de nom des Berbères et des Ibères.
4. T. I, p. 336-7.
T). Il est pntbai)!e que ces noms de l'Afrique orientale dérivent du fçrec
pâpSapo'., comme celui des Hrâbcr de l'Afrique du Nord dérive du latin barbari.
Mais il n'y a pas de rapports directs entre ces emprunts au grec et au latin.
6. Voir surtout Tissot, /. c, I, p. 39.1.
114 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
blance de mots que d'invoquer les Suburbures\ grande tribu
numide aux premiers siècles de notre ère. Les Barbares d^un
auteur de basse époque -^ étaient probablement, en réalité, des
Bavares, nom d'une autre tribu dont les fractions étaient
éparses dans diverses régions \ Que signifie Barbari dans la
dénomination j97'omon<ormw Barbari, cap qu'un routier romain,
l'Itinéraire d'Antonin*, indique sur la côte du Rif? Nous
l'ignorons : peut-être ce nom est-il altéré; en tout cas, rien
ne prouve qu'il se rapporte à une tribu. Le nom de Béni Bar-
bar, qui est donné aux habitants du djebel Chechar (à l'Est
de l'Aurès) et qu'ils acceptent, celui de Brâber^ attribué aux
montagnards du Moyen-Atlas et du Haut-Atlas oriental,
au Maroc, mais non adopté par eux, ne datent pas, à notre
connaissance, de temps reculés : ce sont sans doute des
applications régionales du mot latin barbari % du terme arabe
Brâber.
Ce dernier vient précisément àe -barbari. Telle est l'opinion
de nombreux érudits% et elle nous paraît justifiée.
Barbants est un mot emprunté par les Latins au grec
jjàoêapo^, qui est d'origine indo-européenne ". Il désigne ceux
qui parlent des langues autres que le grec et le latin, et, dans
un sens plus large, ceux qui sont étrangers à la civilisation
gréco-romaine : par conséquent, des gens restés dans un état
d'infériorité. Unefoule de textes, depuis Salluste et l'auteur du
1. Telle esl l'orthographe des inscriptions : voir Gseil, Allas archéol. de l'Algérie,
t' 17 (Conslanline), n" 214 (conf. f 1(1, Sélif, n" 468); le môme, dans Bull, archéol.
du Comité, 1917, p. 342. Peul-ôlre idenliciucs aux Sabarbares de Pline (V, 30) et
aux i^aSovp^ojpe; de Ptolémée (lY, 3, 6, p. 040).
2. Julius Honorius, daus Hiese, Geogr. Lai. min., p. 53 et 54.
3. Voir Gsell, Rec. de Conslanline, XL, 1000, p. 110-7, et Bull, archéol. du Comilé,
1907, 1). ccxxix.
4. Kdit. Parlliey et Pinder, p. 4.
5. Ce que croit .Masqueray pour les IJcni Harbar {Uev. afric, XXII, 1878, p. 136).
6. Elle est déjà iiidi(|ué«! par Marmol ol elle a été soutenue par Ghénier, .Malte-
Brun, Castiglioni, de Slane, Fournel, .Meitzer, Schirmer, etc.
7. Huge, dans nealEncyclopiidie de Pauly-Wissowa, 11, p. 2858. Pour un passage
d'Hérodote qu'on a inal interprété, conf. t. I, p. 337, n. 2.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. H5
Belluyn Africum jusqu'à Corippus*, prouvent que les Romains
donnaient ce nom de barbari aux Africains qui n'avaient ni
leur langue, ni leurs mœurs : c'était un terme dédaigneux,
que les indigènes ne devaient pas accepter volontiers. Il est
intéressant de remarquer qu'un petit écrit grammatical qui peut
dater du m" siècle, liste de locutions vicieuses, condamne
l'emploi de barbai\ pour barbarus^; or cette liste a été très
probablement composée à Carthage^ Dans le latin populaire
d'Afrique, barbarus avait donc pris la forme que les Arabes
adoptèrent.
Les conquérants musulmans trouvèrent à leur venue deux
populations distinctes : l'une parlait le latin et était chrétienne,
l'autre avait gardé sa langue, ses coutumes, et, le plus souvent,
ses divinités païennes. C'étaient, d'une part, les Romani.,
d'autre part, les barbari; conservant ces dénominations, les
Arabes appelèrent les premiers Roum, les seconds Bràber''.
Ce dernier nom se maintint dans les œuvres littéraires, mais
beaucoup moins dans la langue parlée, qui n'a plus aujour-
d'hui de terme général pour désigner ceux que les Français,
à la suite des Grecs, des Romains, des Arabes, appellent Ber-
bères. Il ne s'applique plus guère qu'à un groupe important de
montagnards marocains.
Il faut donc renoncer à y voir un nom ethnique d'origine
indigène et de date lointaine.
Il en est autrement du nom Amazigh., Tamùzight au féminin,
Imazighen au pluriels Beaucoup de Berbères se qualifient
1. Schirmer {l. c, p. 32 et suiv.) en cite un certain nombre. Il me parait super-
flu d'en ajouter d'autres. Sur des inscriptions : C. /. L., VIII, 1)158, 9 324 (où
l'on a gravé par erreur babaris, au lieu de barbaris), 18 219, 18 275, 20 827.
2. Appendix Probi, édil. Hcraeus, dans Archiv fur latein. Lexikographie, XI, p. 397.
Voir aussi Probus, dans Graniin. Lat. de Keil, IV, p. 102.
3. Voir G. Paris, dans Mélanges Renier, p. 301 et suiv., et dans Mélanges Boissier,
p. 5 et suiv.
4. Un troisième groupe esl parfois distingué : les Afarelc (du mot latin Africa),
chrétiens mi-indigènes, mi-Romains : voir t. VII, I. I, cli. i, § 1.
5. Sur le nom Imazighen-.Mazices, voir Schirmer, L c, p. 42 et suiv.
M6 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
eux-mêmes ainsi : les habitants du Rif marocain; ceux du
Moyen et du Haut-Atlas (les Bràber des Arabes) ' ; des gens
qui parlent un dialecte berbère à Sened, dans la Tunisie méri-
dionale' ; des indigènes du djebel Nefouça, en Tripolitaine; une
tribu de la région de Ghadamès, au Sahara^; les Touareg de
l'Air*. Divers dialectes sont appelés tamazight : ceux du Rif,
des Brâber, de l'Aurès, de Figuig, de Sened, de Djerba, du
Mzab, etc. La grande extension de ce terme est attestée par
des généalogies dressées au moyen âge % où un héros légen-
daire, Mazigh, est indiqué comme l'ancêtre d'une des deux
races des Berbères, les Beranès*^; où une femme, Tamzight,
figure parmi les ancêtres de l'autre race, les Botr^
Le même nom apparaît dès l'antiquité. 11 a été donné à des
individus : on le trouve employé ainsi dans des inscriptions
libyques, sous la forme MSK^ dans des inscriptions romaines,
sous les formes Mazic\ Masik'\ Mazix'\ au féminin AJazica'%
avec une désinence latine; Masac^^ est peut-être le même nom,
prononcé d'une manière un peu différente *\
C'était aussi, aux premiers siècles de notre ère, le nom de
1. Voir, entre autres, Deslaing, Dialecte des AU Seghrouchen, p. lxx.
2. Provotelle, ''Étude sur la tamazir't ou zenatia de Qalad es-Sened (Paris, 1911),
p. 3.
3. De Foucauld, Dictionn. touareg-français, I, p. 452. Les Béni Mazigh sont une
fraction de la population de Ghadamès : Duveyrier, Sahara algérien et tunisien.
Journal de route, p. KiS, n. 1; Donau et Pervinquière, dans Bull, de géogr. histor.
du Comité, 1912, p. 483, n. 4.
4. Duveyrier, Les Touareg du Nord, p. 317.
5. Conf. supra, p. 79.
6. Ibu Khaldoun, //is<., trad. de Slano, I, p. 169, 178, 184.
7. Ibid., p. 181.
8. Halévy, dans Journ. asiat., 1874, I, p. 118, n" 47; p. 179, n° 173.
9. C. 1. L., Vlll, 21 120.
10. Gseil, Inscr. lat. de l'Algérie, I, 008.
11. G. I. L., Vlll. 15 928.
12. Ibid., 8 817, i5n9:i, 17 748, 18 392.21 737. Bull, archéol. du Comité, 1911, p. 112.
Conf. C. /. L., Vlll, 21 109 : Mazicia"?}: Cseil, l. c, 1198 : Mazzic, cognonien d'une
femme.
13. C. 1. L., Vlll, 11 308-11 310. 11 312.
14. Poul-èlrr- le nom Mazucan se ratlaclie-t-il aussi à Mazic : pour ce nom, voir
Gsell, Bec. de Constantine, XXXVl, 1902, p. 21-23.
TRIBUS, NATIONS ET PEUPLES. 117
plusieurs tribus. Ptolémée » indique des Mà^ixs; en Maurétanie
Tingitane, dans le pays qui s'appelle aujourd'hui le Rif. 11 en
mentionne en Césarienne, du côté de iMiliana^; ces derniers
reparaissent sur une inscription latine, découverte à Miliana
même% et dans le récit qu'Ammien Marcellin* nous a laissé
de la révolte de Firmus, vers la fin du iv^ siècle. Une autre
inscription d'Afrique % de la fin du ii^ siècle ou du début du iii%
mentionne des Mazices reg{ionis) Montem{is\ que des troupes
romaines eurent à combattre; nous ignorons où était leur terri-
toire : peut-être se confondent-ils avec une des deux tribus
précédentes «. Sous le Bas-Empire, des WA^y^t^, gens du désert,
opéraient des razzias, d'une part dans les oasis situées à l'Ouest
de l'Egypte, d'autre part en Tripolitaine^ L'existence d'une
tribu de Mazacesi en Numidie, au \" siècle, semble attestée par
la mention de deux episcopi Mazacenses ^ Des Mauri Mazazeses
sont indiqués en Maurétanie dans un document de la fin du
iir siècle ^
Le nom que les Grecs et les Latins ont transcrit Màî;(.x£ç,
Mazices, et peut-être Mazaces, a dû appartenir à des tribus
africaines avant la domination romaine. Dans la légende de la
fondation de Carthage par Didon, le roi du pays où s'élève la
colonie tyrienne a pour sujets des Mà^..xs;, selon Eustathe '\ des
1. IV, 1, 5 (p. 585, édit. Millier).
2. IV, 2, 5 (p. 603).
3. C. I. L., VIII, 9 613, et Gsell, l c, p. 23, n. 2.
4. XXIX, 5, 17; 21; 25-26; 30; ol. '
5 C. 1. L., Vlll, 2 786 (Lambèse), épitaphe d'un ceaturion : « ... deDeuaton
hoVtium prov(inciâ) His(paQia) et Ma.icum reg(ioais) Montens(is). -
6. Autre mention de Ma/.ices en Afrique, dans Julius Honorius, apud Riese.
'7 Pl^st^ÏÏ;: 'il'': eccles., XI, 8 (Migne. Pair. Or., LXV,^ 603) Nes^jus.
apud Évagre le Scolastique. Hist. écoles., I. 7 (Migne, ^- «., LXXXVI p. 2440 ,
conf. Nicéphore Calliste, Hist. ecdes., XIV, 36 (M.gne, P. G., CXLVI, p. 1180).
Jean d'Antioche, dans Fragm. hist. Graec, IV. p. 621, n" 216. Vo.r ^^'^oredaulves
textes, cités par R. Basset, Le dialecte de Syouah (Pans, 1890), p. 6-8, et par
0. Bâtes, The Eastern Libyans, p. 237-8.
8. Voir Mesnage, L'Afrique chrétienne, p. 422.
9 Liste dite de Vérone, apud Seeck, édit. de la Nolitia Dignitatum, p. ioi.
10. Commentaire de Denys le Périégcte, v. m {Geogr. Gr. min., 11. p. 2..I).
118 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Maxitani^ selon Justin'. C'est peut-être aussi ce nom qui se
retrouve, sous deux formes légèrement différentes, dans
Hécatée, vers l'an 500, et dans Hérodote, vers le milieu du
v° siècle. Le premier mentionne des MàJ^ueç en Libye ^; le second,
des Mà;j£;^, qu'il place à l'Occident du fleuve Triton, c'est-
à-dire sur la côte orientale de la Tunisie *.
Dans des textes latins, pour la plupart poétiques, le nom
Mazaces ne s'applique pas strictement à une ou plusieurs tribus,
mais il a une signification plus générale, du reste vague ^ : le
mot Massyli a été, nous l'avons vu% employé de la même manière.
Un écrit géographique du iv^ siècle après J.-G. \ que nous
avons déjà cité*, mentionne dans le désert, au delà de l'Afrique
romaine, des barbares appelés Mazices et Aethiopes : ici,
Mazices, comme Aethiopes, paraît bien désigner un ensemble
de tribus, répandues à travers d'immenses espaces. Ce sens
n'est pas douteux dans un autre traité géographique de fort
basse époque % où il est question de « gentes Mazices multas » *".
1. XVIII, G, 1.
2. Etienne de Byzance, s. v. Mâ'H.yjzç (= F. h. G., I, p. 23, n° 30i) : Mà^us;, o\
Aiêûr,; vô(iaû£;' 'Ky.aTaîoç.
3. IV, 191 et 193. C'étaient, dit Hérodote, des cultivateurs. Les Mazyes d'Hécatée
étaient des nomades.
4. V. supra, p. 84.
5. Suétone (Néron, 30) dit que Néron se faisait accompagner dans ses voyages
par une foule de Mazaces et de cursores. Lucain énumère pêle-mêle des peuplades
africaines, qu'il dit être sujettes de Juba i". Parmi elles, figure le Mazax {IV,
681). Némésien (Cyneg., 261) donne à ce mot le sens d'indigène africain. Claudien,
Consul. Stilich., I, 356 : h; Mazax en compagnie du Nasanion, du Garamas, des
Aulololes, du Maurus. Dans Corippus, Mazax est employé assez fréquemment, avec
un sens vague (Joh., 1, 549; V, 80 et 376; VI, 44, 167, 450 et 600; VIII, 305) : il
est synonyme de Maurus (conf. Uiehl, L'Afrique byzantine, p. 306, n. 5).
6. P. 102.
7. Expositio totius mundi, dans Riese, Geogr. Lat. min., p. 123.
8. P. 2.
9. Cosmographie dite d'^Ethicus, dans Riese, l. c, p. 88.
10. La même conclusion pourrait être tirée d'un passage de la Chronique com-
pilée par saint Hippolyte au m' siècle (Bauer, Chror.ik des Hippolytos, p. 102). Il
indique, parmi les langues parlées en Afrique, celle des Mi^txeç, avec celles des
Maûpoi, l'aiTO-j/oi, "A;.poi. Gonf. Mommsen, Chronica minora, I, p. 107; Chronique
pascale, édil. de Bonn, I, p. 57. — Végèce, K/nt. rei milit., III, 23 : « ... Urcilliani
iutra Africam, vel ceteri .Mazices », ce qui attesterait aussi le sens étendu du
mot Mazices, si la lecture était certaine.
TBIBUS, NATIONS ET PEUPLES. H9
On peut même croire qu'Hécalée donnait déjà au mol
MàÇ..,- un sens étendu. « Mazyes : les nomades de la Libye »,
dit Etienne de Byzance en le citant'. Vers le même temps, au
début du V siècle, l'inscription funéraire de Darius mentionne,
à la fin de l'énumération des peuples qui ont été tributaires du
srand roi, les Makiia (ou Massiiu) et les Karka\ qu'il convient
peut-être de chercher dans l'Afrique du Nord. Oppert et
d'autres savants ' ont voulu reconnaître ici les indigènes de
cette contrée et les Carthaginois, et ils ont rapproche, à tort
ou à raison, les Makiia des Mazyes, Maxyes, Maztces.
Le terme qui subsiste encore sous la forme Amaztgh, Ima-
zighen, semble donc avoir désigné, depuis très longtemps,
une partie importante des populations de l'Afrique septen-
trionale. i f <.
Avant d'être un nom propre de tribus, de personnes, il fut
peut-être un mot de la langue usuelle, un adjectif. Au xvf siècle,
Léon l'Africain ^ affirme que tous les Berbères ont une seule
langue, appelée par eux tous aqnel amazig, ce qui signifie,
aioute-t-il, la langue noble. On a fait observer^ que c est
là un contresens et qu'il s'agit, non de langue, mais de peuple,
Ae/ étant un collectif qui signifie c< gens de... » dans certains dia-
lectes Il faudrait traduire « le peuple noble ». D'autre part,
desérudits croient qu'ama.^•^/t a d'abord eu le sens de ce libre » ^
Il y aurait lieu de rapprocher le nom que nous étudions, soit
de celui des Aryas% mot qui signifie « les Nobles », soit de
celui des Francs, « les Libres ».
2 wTs'sbach 'd" Lunscnr^ften éer AcMmeniéen, p. 89 (conf ,. 09).
3" PouMes références, voir t. I, p. 418, n. 6. Sur celle quesUon, .ouf. Pra.. k.
Geschichte der Meder und Penser, II, p. 73-74.
^TZ'èrs!^Di!'p^^nuier, II, 2, p. 395. Carette. RecUerCes sur L'origine des iril>as,
^■7^ Conquérants du plateau iranien et d'une partie de l'Inde.
120 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Comment s'explique l'extension de ce nom à de nombreux
groupes de Berbères? Un peuple conquérant' aurait-il^ à iane
époque inconnue, dominé sur une bonne partie de 1 Afrique du
Nord, en y répandant la langue libyque et en se distinguant
par son nom de ses vassaux et sujets^? Il aurait été ensuite
morcelé et dispersé en un grand nombre de tribus. Mais on
pourrait faire d'autres hypothèses, qu'il n'est même pas utile
de présenter ici, car on n'aurait aucun argument solide pour
les soutenir.
1. On pourrait se demander si ce n'étaient pas des conquérants d'origine
étrangère. Selon Hérodote (IV, 191), les Maxyes « disent qu'ils ont pour ancêtres
des Troyens ». Mais cette assertion n'a sans doute aucune valeur : voir Gsell,
Hérodote, p. 119-120, et ici, t. I, p. 346.
2. Il y a encore chez les Touareg des tribus nobles et des tribus vassales :
voir, entre autres, Duveyrier, Les Touareg du Nord, p. 329.
CHAPITRE III
LES ROIS ET LEURS SUJETS
Dans les États qui se formèrent en Berbérie avant la conquête
romaine, la royauté était surtout un commandement guerrier.
Il convenait qu'elle fût exercée par des hommes. Nous ne voyons
pas que les femmes y aient été admises*, à l'exception de
Cléopâtre Séléné, qui, aux environs de notre ère, fut très
probablement associée à son mari Juba II, l'avant-dernier roi
de Maurétanie'. Mais c'était une étrangère, fille d'une Egyp-
tienne et d'un Romain, et, si l'hypothèse d'un partage de la
royauté entre elle et Juba est fondée, ce partage fut imposé par
la volonté de l'empereur Auguste. Aux temps oîi les Etats
indigènes jouissaient de leur indépendance, l'autorité royale
paraît avoir été réservée à des mâles.
Elle était héréditaire. Mais ce principe ne fut pas appliqué
d'une manière uniforme : on constate divers modes de trans-
mission.
Chez les Massyles, au m" siècle avant J.-C, la royauté était la
propriété d'une famille, dans le sens large dé ce terme, c'est-à-
dire d'un ensemble d'agnats remontant par les mâles à un
ancêtre commun. Il s'agissait d'un ancêtre réel, fondateur histo-
1. Conf. supra, p. 40.
2. Voir t. VIII, 1. Il, ch.ii, §11.
122 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
rique de la dynastie. Ce fut sans doute plus tard que le désir
de rehausser le prestige de la famille royale fitéclore des généa-
logies mythiques, lui attribuant une lointaine origine divine ^
Divine ou simplement humaine, elle formait dans la nation un
groupe privilégié; ses membres avaient droit à des honneurs
spéciaux^.
Dans cette famille, le chef était le plus âgé des mâles vivants,
issus de mariages légitimes. A lui appartenait la royauté ^ A sa
mort, elle passait à celui qui devenait l'aîné du groupe d'agnats.
Telle fut la règle suivie lors de la mort de Gaïa\ vers 207 : il
eut pour successeur, non pas son fils Masinissa, alors âgé
d'une trentaine d'années, mais son frère Œzalcès, déjà vieux.
Œzalcès étant mort bientôt après, son fils aîné, Capussa, lui
succéda : il devait être plus âgé que Masinissa, car rien
n'indique que celui-ci ait eu alors à faire valoir des droits légi-
times ^
Cet ordre de succession n'était pas propre aux Massyles. Il
fut usité chez d'autres peuples: par exemple, à la même époque,
dans la péninsule ibérique^; plus tard, nous le retrouverons en
Afrique chez les Vandales'; il existe encore dans le beylicat de
Tunis*, où il a été emprunté aux Turcs. On peut supposer qu'à
l'origine, la même règle, application du droit commun des
familles agnatiques '', était en vigueur dans les autres royaumes
indigènes, chez les Masa-syles et les Maures.
1. Voir t. VI, 1. II, ch. ii, § V (Hercule, ancêtre des rois indigènes).
2. Tite- Live, XXIX, 30, 11 : honneurs dont jouissent Œzalcès sous le règne de
son frère Gaïa, Lacurnazès sous son cousin Masinissa.
3. A moins, sans doute, d'incapacité absolue (folie, etc.).
4. On ignore comment le pouvoir royal se transmit avant Gaïa. Le père de
celui-ci, Zilalsan, ne régna pas; il est simplement qualifié de sufète dans une
inscription bilingue de Dougga : Chabot, Punica, p. 210.
5. Pour tout cela, voir Tile-Live, XXIX, 29, 6-8 (d'après Polybc); conf. ici, t. III,
p. 18«-190.
(1. Voir Tilo-Live, XXVIII, 21, 7.
7. l'rocope, Kdl. Vand., I, 17, 29.
8. La règle y est exactement celle-ci : la succession appartient à l'atné des
enfanta du bey qui a le jjIus anciennement régné.
9. V. supra, p. 56.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 123
Elle ne fut pas maintenue. D'une part, elle exposait l'État à
tomber entre les mains de vieillards, dépourvus des forces
physiques et intellectuelles nécessaires à l'accomplissement de
leurs fonctions : ce qui pouvait inciter des princes jeunes et
ambitieux à s'emparer par la violence d'une dignité à laquelle
ils n'avaient pas droit. D'autre part, il était naturel que les rois
désirassent laisser leur succession, non pas à des parents plus ou
moins éloignés, mais à leurs propres enfants, ou, faute de fils, à
un frère. Dès une époque antérieure au règne de Gaïa, il y avait
eu des compétitions dans la famille royale des Massyles, divisée
en deux branches ennemies K Quand Capussa périt, après un
règne très court, ce fut son frère, encore enfant, Lacumazès, qui
fut proclamé roi, par la volonté d'un autre prince, appartenant
à la branche riva-le de celle de Gaïa. Masinissa, plus âgé
que Lacumazès, dut faire triompher ses droits par les armes ^
Il mourut nonagénaire, en 148. Il n'est guère probable qu'il
restât alors en Numidie des membres de sa famille, qui, plus
âgés que ses enfants, auraient eu, selon la règle ancienne, des
droits à la royauté. Ce furent ses fils légitimes, Micipsa,
Gulussa et Mastanabal, qui lui succédèrent, les fils de concu-
bines étant exclus. Masinissa avait-il souhaité que son héritage
fût réservé à l'aîné seul, Micipsa, ou bien attribué aux trois
frères? Avant de mourir, il avait chargé Scipion Émilien de
régler sa succession. Nous ignorons si le Romain le fit confor-
mément aux désirs du défunt, à supposer qu'il les ait connus.
En tout cas, il décida qu'il y aurait trois souverains, entre
lesquels le royaume demeurerait indivis, mais qu'ils se parta-
gei'aient les attributions royales, administration, guerre, justice '\
Nous n'avons aucune raison de croire que Scipion se soit
inspiré de précédents qu'il aurait trouvés dans l'histoire des
!. TiU'-Live, XXIX. 20, 8 (passage cite p. 75, n. 1).
2. Ibid., XXIX, 2y, 11 et suiv.; ronf. ici, t. 111, p. 190-1.
3. Appieii,Li6., lUG. Cuuf. t. 111, p. 363-5.
124 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Massyles; nous voyons fort bien, au contraire, que Rome avait
intérêt à morceler le pouvoir suprême dans le vaste Etat fondé
par Masinissa. Du reste, Micipsa, ayant longtemps survécu à
ses deux frères, devint seul maître du royaume.
Il le laissa par son testament à Adherbal et à Hiempsal, ses
deuxfds, età Jugurtha,son fils adoptif*; faute de cette adoption,
Jugurtha n'aurait eu aucun droit, car, s'il était né de Masta-
nabal, sa mère avait été, non une épouse, mais une concubine -.
Outre ces trois princes, nous connaissons deux autres membres
de la famille royale, Massiva, fils de Gulussa% et Gauda, fils
de Mastanabal *, qui étaient sans doute de naissance légitime^
et, par conséquent, qualifiés pour accéder au trône". On ne sait
s'ils étaient plus âgés que les fils de Micipsa et si, à la mort de
celui-ci, ils auraient eu des droits à lui succéder, conformément à
la règle en usage chez les Massyles à la fin du m" siècle. Gauda
fut désigné par Micipsa comme héritier en seconde ligne '.
De quelle manière Micipsa voulait-il que l'autorité royale fût
exercée par ses trois successeurs? Est-ce comme elle l'avait été
par lui-même et ses deux frères, après la mort de son père?
Nous n'avons pas de données précises à cet égard ^ Adherbal,
Hiempsal et Jugurtha décidèrent un partage territorial, qui, en
réalité, lit de la Numidie trois royaumes distincts. S'il eût été
conforme à la volouté de Micipsa, il fut entré en vigueur sans
qu'un accord entre ses héritiers fût nécessaire.
1. Conf. supra, p. 52.
2. Salluste, Jug., V, 7.
3. Ibid., X.XXV.
4. Ibid., LXV.
J5. Puisque Massiva revendiqua la royautr et que Gauda l'oblint.
0. Il n'en était pas de inônio d'un autre descendant de Masinissa, Dabar,
mentionné par Salluste {Juy., GVllI, 1), car son père Massiif^rada était né d'une
concubine.
7. Salluste, Juij., LXV, I : •• ... (juetn Micipsa lostatnenlo secundum ticredein
scripscrut. •
5. Dans le di.scours que Salluste attribue à Micipsa mourant, celui-ci recom-
mande à ses trois bériliers de réjrner en plein accord, c'est-à-dire, évidemment,
dans un royaume cjui {gardera son unité (Juy., X, 3-8).
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 125
Après l'assassinat d'Hiempsal et une guerre entre Jugurtha
et Adherbal, la République romaine fixa la part territoriale des
deux survivants. Puis Jugurtha se rendit maître, de toute la
Numidie. Fait prisonnier, il fut mis à mort en Italie, et ses fils
furent exclus de la succession'. Rome donna le royaume à
Gauda, qui, en vertu du testament de Micipsa, en était le légi-
time héritier, et qui le laissa à son fils HiempsaP. Il se peut,
cependant, que la Numidie ait été alors partagée, dans des
conditions qui restent fort obscures ^ Le successeur d'Hiempsal
fut son fils Juba; on ne sait si ce dernier avait des frères, qui
n'auraient pas été appelés à bénéficier d'un partage.
Chez les Masaesyles, Syphax régnait au temps de la seconde
guerre punique; ses origines ne nous sont pas connues. Il n'est
pas inadmissible qu'il se soit associé son fils Vermina^, lequel
lui aurait succédé dans un royaume fort amoindri ^
En 206, Baga détenait la souveraineté chez les Maures ^ De
même, Bocchus, à la fin du ii^ siècle et au commencement du i".
On ignore s'ils appartenaient à la même famille. On ignore
1. Jugurtha avait un certain nombre de fiis, dont les uns étaient enfants, les
autres au moins adolescents lors de la guerre qu'il soutint contre les Romains
Salluste, Jufir., XXVIII, 1 ; XLVI, 1; XLVII, 3; LXII, 1; LXXV, 1; LXXVI, 1. Deux
d'entre eux figurèrent avec leur père au triomphe de Marins : Tite-Live, Epil. l.
LXVII; Eutrope, IV, 27, 6; Paul Orose, Adv. pagan., V. 15, 19. Un fils de Jugurtha
vivait en Italie quinze ans plus tard : .\ppien, Bell, civ., I, 42.
2. Un Adherbal, « fllius régis Numidarum », était otage à Rome au début du
I" siècle {De viris illustr., 66). Peut-être était-ce un fils de Gauda. Nous n'avons
aucune preuve qu'il ait régné.
3. Voir t. VII, 1. II, ch. vi, § VI.
4. Voir t. III, p. 283-4, pour les monnaies qui portent la légende « Verminad
roi », en punique, et qui ressemblent à des monnaies de Syphax. Je croirai
volontiers que ces monnaies ont été frappées sous le règne de Syphax, et non
plus tard. Vermina y apparaît tout jeune, dépourvu de barbe, sans doute parce
qu'il n'en avait pas encore, car, en ce temps, les Numides ne se rasaient pas.
Or, deux ans avant la chute de Syphax, Vermina était assez âgé pour exercer
un commandement militaire : Tite-Live, XXL\, 33, 1. Syphax avait un autre
Uls (Appien, Lib., 26; conf. ici, t. III, p. 237, n. 1 ; p. 283 et 284), qui fut fait
prisonnier avec lui, sur un champ de bataille. .Mais on n'a aucun motif de
supposer qu'il se le fut associé.
5. T. III, p. 282-5. Pour un prétendu petit-tlls de Syphax, qui aurait régné
quelque part en Afrique au milieu du ii" siècle, voir t. III, p. 305; t. V, p. 101.
6. Tite-Live, XXIX, 30, 1.
CiSELL. — Afrique du .Nord. V. 9
126 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
également si, de son vivant, Bocchus s'associa son fils Bogud
et si ce dernier lui succéda. Au milieu du i" siècle, il y avait
deux rovaumes maures distincts, séparés par la Mulucha : à
l'Est, celui de Bocchus; à l'Ouest, celui de Bogud. Ces princes
appartenaient probablement à la famille de l'autre Bocchus et
de l'autre Bogud, mais nous ne pouvons pas affirmer que la
Maurétanie ait été partagée, comme un héritage, entre deux
frères : nous ne savons rien sur la cause, ni sur la date de cette
division'.
C'est Auguste qui fit du fils de Juba I" un souverain de la
^Maurétanie. Juba II s'associa Ptolémée^, qui régna seul après
la mort de son père et n'eut pas de successeur, le royaume
ayant été annexé par Borne.
Tels sont les maigres renseignements que nous possédons sur
la transmission du pouvoir royal dans les Etats indigènes..
Aucun texte n'indique une participation légale des sujets à la
désignation de leurs maîtres. En laissant de côté les interven-
tions romaines, nous constatons que la royauté appartient
d'abord à un groupe d'agnats et est exercée par le membre le
plus âgé du groupe. Puis les souverains la laissent, comme
une propriété personnelle, à leurs fils légitimes, aux droits
desquels les droits des autres parents sont subordonnés. Tantôt
plusieurs de ces fils se partagent, soit les fonctions, soit le
territoire. Tantôt un seul fils hérite; mais les textes ne nous
permettent pas de dire si c'est parce qu'il est l'ainé, ou parce
qu'il est lils unique. Parfois, un roi s'associe son fils et fuit de
lui, sinon son égal, du moins son collègue, sans doute autant
pour lui apprendre le métier royal que pour habituer les sujets
ù, lui obéir : la vacance du pouvoir est ainsi supprimée, avec les
risques de troubles qu'elle entraîne.
1. Voir t. VII, 1. Il, cil. V, S I.
2. Voir t. Vlll, I. 11, ch. iv, S 1-
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 127
II
Les rois portent dans la langue libyque le titre de guellid^,
ou aguellid^ qui s'est maintenu dans les dialectes berbères, et
que l'historien arabe Ibn Khaldoun ^ dit être équivalent au
terme sultan; du reste, ce titre était aussi donné à des chefs
d'un rang moins élevé \ En punique, roi se disait melek, mais,
sur les monnaies^ et sur les inscriptions % on emploie, à la suite
du nom du souverain, le terme abstrait mamleket^ « royauté »,
ou plutôt « personne royale «'^ : il y a là un emprunt à la
Phénicie '. En grec et en latin, ce sont naturellement les mots
[iacr',A£'j; et rex qui servent à désigner les rois et dont ils font
eux-mêmes usage ^; regulus, qui marque une nuance de dédain,
et ojvy.TT/,; se trouvent chez quelques auteurs''.
Les rois, du moins depuis Syphax et Masinissa, se ceignent
du diadème '", étroit bandeau d'étoffe qu'ils ont emprunté aux
successeurs d'Alexandre, et qu'Alexandre lui-même avait adopté
1. Inscription bilingue de Dougga (Chabot, Panica, p. 210), où ce mot est
représenté par le groupe de lettres libyques GLD, ou bien GLDT, qui est une
forme abstraite (Cbabot, l. c, p. 213).
2. Hist. des Berbères, trad. de Slane, II, p. 270.
3. Voir cette même inscription bilingue de Dougga. Conf. supra, p. 72.
4. Monnaies de Syphax, Termina, Masinissa, MastanesosusC?), Juba I", Bocchus :
HMMLKT (nom précède de l'article). Voir L. Muller, Numism. de tancienne Afrique,
III, p. 8 et suiv.; Supplément, p. 60 et 73; Babelou, Mélanges numismaliques,
I (1892), p. 119; le môme, dans Bull, archéol. du Comité, 1891, p. 253.
5. Inscription bilingue de Dougga, /. c. Inscription néopunique de Cherchel
{Rev. d'assyrioL, IL, p. 36) : MMLK'T, titre appliqué à Micipsa.
6. ConL en latin l'emploi", d'abord abstrait, puis concret, du mot magislratus :
Lidzbarski, AUsemiliscke Texte, 1, p. 13.
7. C. I.S., I, nM, 1. 11; n" 3, 1. 4, 6,10, 20.22.
8. Monnaies à légende latine de Juba 1", Bogud, Juba II, Plolémée. Monnaies
à légende grecque de Juba II : Millier, A'iimism.. III, p. 107, n° 75; Suppl., p. 74.
n" 102 a. Le mol rex peut aussi désigner un prince royal, non associé au pouvoir
suprême; Plolémée, fils de Juba II, fut qualilié ainsi étant encore fort jeune :
voir t. VIII, 1. II, ch. iv, § 1. Pour le titre paaiXe-j; ou rex donné à des chefs de
tribus ou de peuplades, v. supra, p. 71-72.
9. Supra, p. 71, n. G, et p. 72, n. 1.
10. Monnaies de Sypha.x, Vcrmina, Masinissa, Juba 1", Juba II, Ptolémée. Tôles
en marbre représentant ces deux derniers rois, peut-être aussi Juba I".
i-28 • ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
à l'imitation des rois de Perse. Plusieurs d'entre eux, Masinissa ',
Juba II-, rappellent leurs victoires en ornant leur tête, sur
certaines de leurs monnaies, d'une couronne laurée^ Car les
souverains africains imitent les rois hellénistiques en mettant
leur effigie sur les monnaies qu'ils font frapper*. Le sceptre est un
de leurs attributs ^ Ils portent un vêtement de pourpre, quand
ils veulent paraître avec la pompe qui convient à leur dignité®.
Ils sont très attentifs aux règles de l'étiquette, à ce que
Salluste appelle le decus regium'' . Les rois de Numidie ne con-
sentent à embrasser aucun de leurs sujets ^ Hiempsal, désireux
1. Bail, archéol. du Comité, 1891, p. 253. Miiller, Numism., III, p. 17-19, n°' 19-35
(ce sont des monnaies de Masinissa).
2. Miiller, III, p. 107, n°^ 72 et suiv. (sur quelques monnaies de bronze). La tète
de Ptolémée, flls de Juba II, est parfois aussi laurée, sur des monnaies de bronze :
ibid., p. 130, n»^ 197-8.
3. Des monnaies d'argent, qu'on a rapportées à Hiempsal II, représentent une
tète d'homme imberbe, couronnée d'épis : Miiller, 111, p. 38, n°= 45-47. Mais je
doute fort que ce soit une effigie du roi : v. infra, p. 159, n. 5.
4. Depuis Syphax et Masinissa, chez les Numides (l'effigie de Masinissa figure
aussi sur les monnaies frappées par ses successeurs). On n'a aucune effigie
certaine des rois de Maurétanie avant Juba II.
5. Monnaie de Masinissa : Miiller, 111, p. 17, n» 19. Mûller (p. 26) fait observer
que Masinissa avait reçu de Scipion r.\fricain un sceptre d'ivoire et une couronne
d'or : Tite-Live, XXX, 15, 11. Mais cette indication est fort suspecte et le sceptre
figuré sur la monnaie est très probablement une imitation de celui des souve-
rains d'Égvpte : conf. Sorlin-Dorigny, dans Diclionn. des antiquités, 'lY, p. 1 118.
— Monnaies de Juba 1" : Miiller, III, p. 42, n"' 50. 51, 53; de Juba II : ibid,,
p. 103, n»" 23-25; p. 107, n° 71; Dieudonné, dans Hev. numism., 1908, p. 352-4,
n"» H, 12, 17-20, 27; de Ptolémée : Miiller, III, p. 127, n"' 132-143. Mais le sceptre
figuré sur d'autres monnaies de Juba 11 et de Ptolémée était un don du peuple
romain : ibid., p. 106, n" 70; p. 129, n"' 185-195.
C. Au début du i"' siècle avant J.-C, pendant la guerre sociale, un chef des
Italiens, voulant provoquer la défection de Numides qui servaient dans l'armée
romaine, leur montra un fils de Jugurtha, qu'il avait revêtu de la pourpre
royale : Appien, liell. civ., I, 42. Juba I^' invita Scipion, général des Pompéiens, à
renoncer à son manteau de pourpre : il ne convenait pas, disait-il, que ce
vêtement fiit porté par un autre que lui-même : Bell. Afric., LVII, 5. Manteau
de pourpre du roi Ptolémée : Suétone, Caligula, 35. — Les souverains indigènes
ont pu emprunter ce vêtement de pourpre aux généraux carthaginois (conf. t. II,
p. 4j1, n. 3). Noter aussi que des toges, tuniques et manteaux de pourpre
faisaient partie des présents oITerts par le peuple romain aux rois alliés : à
Syphax, selon un récit peu sûr do Tite-Live (X.Wll, 4, 8), à Masinissa (Tite-Live,
XXX, 15, 11; X\yi, 17, 13; XXXI, 11, 12; Appien, Lib., 32 : indications également
suspectes).
7. Jug., XX.XIII, 1; LXXIl, 2.
8. Valère-.Maxime, II, G, 17.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 129
d'offenser Jiigurtha, va s'asseoir à la droite d'Adherbal, pour
que leur frère adoptif ne puisse prendre la place du milieu,
regardée par les Numides comme la plus honorable'. Gauda
ressent vivement l'affront que lui fait le général romain Métellus
en ne lui permettant pas de siéger à son côté'^ Juba P'", devant
s'asseoir auprès de Vwiperator Scipion et de Caton, s'empare
de la place d'honneur, entre les deux Romains, et Caton doit
lui donner une leçon en se transportant, avec son siège, à la
droite de Scipion ^
Ces rois habitent des palais dans leurs capitales* et, par goût
ou par devoir, ils y vivent avec luxe ^ Ils ont une cour, une
domesticité nombreuse % et aussi un harem bien garni ^ Ils se
font construire des sépultures colossales ^ Après leur mort, et
déjà peut-être pendant leur vie, ils reçoivent des honneurs
divins ^
III
Le souverain prétend exercer un pouvoir absolu'". Mais
son autorité est fort loin de ressembler au despotisme des
monarques d'Egypte, servi par une administration qui pénètre
partout. Son royaume est une vaste mosaïque dégroupes sociaux
et politiques, gardant leur organisation propre et leur autonomie.
Ce sont ces familles d'agnats, ces villages de sédentaires,
ces associations de nomades, ces tribus, ces peuplades, où
1. Sallusle, Jag., XI, 3.
2. Ibid., LXV, 2. Dion Cassius, fragin. 87, 4, édit. Mélber.
3. Plutarque, Caton le Jeune, 57.
4. T. VI, 1. I, ch. III, § II.
5. Voir, p. ex., t. III, p. 303, pour Masinissa, si simple en campagne.
6. Esclaves royaux qui accompagnent un lils de Masinissa, envoyé en ambas-
sade à Rome : Tite-Live, XLV, 14.
7. V. supni, p. 4.")-46.
8. T. VI, 1. II, ch. IV. § m.
9. Ibid., ch. II, § M.
10. En particulier Masinissa. On nous montre Hannibal faisant aux Numides un
épouvantai! de l'amour immodéré de ce prince pour le pouvoir : Polvbe XV 3 5-
Tite-Live, XXX, 33, 10. .....
430 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
chaque groupe ne s'attache''à un groupe plus large qu'en
sacrifiant le moins possible son indépendance. Le roi n'a donc
pas à s'immiscer dans leur vie intérieure, ni à substituer des
fonctionnaires à leurs chefs. Que ceux-ci se fassent obéir, qu'ils
profitent de leur autorité comme ils l'entendent, et surtout
comme ils le peuvent, cela n'est pas son affaire; ou, du moins,
cela ne le regarde que dans la mesure où ses intérêts essentiels
sont en jeu. Ces chefs appartiennent aux groupes à la tête
desquels ils sont placés. Il y a lieu de croire que le roi n'inter-
vient pas dans le choix des moins importants. Quant aux
princes qui commandent à des tribus, à des peuplades, beau-
coup doivent se transmettre le pouvoir comme un bien familial
héréditaire. Le souverain s'est-il attribué un droit formel
d'investiture? L'hypothèse est admissible, quoique tout ren-
seignement nous manque à cet égard.
Ce sont encore des cités, qui s'administrent elles-mêmes.
Les unes, éparses sur le littoral, avaient été, pour la plupart,
des colonies phéniciennes ou carthaginoises. Tombées au pou-
voir des rois numides et maures *, elles conservèrent leurs
institutions municipales ^ : très probablement des magistrats
-appelés sufètes, un sénat, une assemblée des citoyens ^ Plu-
sieurs d'entre elles obtinrent un droit que Carthage leur avait
refusé, celui d'émettre, pour les besoins du commerce local,
des pièces de bronze, avec leur nom écrit en punique * : mon-
1. A diverses épo(|ues : conf. t. Il, p. 180; t. 111, p. 314 et suiv.
2. Pour ces iaslituUoDS, voir t. II, p. 290 et suiv.
.3. Sallusle dit (Juçj., LXXVIIl, 4) que Leptis [Leptis la Grande, entre les deux
Syrtes] avait gardé, en général, les lois el les coutumes des Sidonieus. Il y
rnontionne des magistrats au temps de Jugurtha (LXXVII, 1 : « imperia magis-
traluum »). Il y avait encore des sufètes dans cette ville vers le début de
l'Empire : C. /. L., VIII, 7.
4. En laissant de côté des attributions très contestables, on a dos monnaies de
bronze, à légendes puniques ou néopuniques, des villes maritimes suivantes
(voir Mijllor, Pfuinism., t. II et III, pafsim) : Leptis la Grande (dont les monnaies
sont probablement toutes postérieures à l'époque où Leptis se détacha du
royaume de Numidie, en IH avant J.-C). (tl'3a, Sabratha, ThiTna», dans la région
de« Syrtes; — Tbabraca et Tnniza (monnaies qui seraient communes à ces deux
villes); — Ilippone (?) et Tliapsus (aujourd'hui Philippiville), [)lutôt que Tipasa,
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 131
Tiayage qui atteste leur autonomie. Des monnaies de Lixus et
de Tingi portent même l'indication expresse qu'elles ont été
frappées par les citoyens, par la cité '■ : Lixus était une très
vieille colonie de Tyr ^; quant à Tingi, dont les rois maures
firent leur capitale, il se peut qu'elle n'ait jamais appartenu
aux Phéniciens % mais elle avait adopté leur langue eb leurs
institutions.
A l'intérieur des terres, des cités, qui étaient d'origine indi-
gène, jouissaient, elles aussi, d'une organisation municipale.
Quelques-unes furent autorisées à émettre des monnaies de
Lronze : cela est certain pour Cirta ^ (Constantine) et vraisem-
blable pour Thagura ^ (dans l'Est de l'Algérie); d'autres mon-
naies encore paraissent appartenir à des villes numides, mais
on n'a pas réussi jusqu'à présent à les classer d'une manière
satisfaisante ^ Quant à la constitution de ces cités, nous la
connaissons fort mal. A Vaga ' (Béja), il y avait, à la fin du
que propose MùUer (monnaies communes aux deux villes); — Gunugu (conf. t. II,
p. 161, n. 7); — Rusaddir, Tamuda (? : voir t. II, p. 167), Tingi, ZiJi, Lixus
(appelée aussi Shemesh : t. II, p. 174), Sala. Aucune de ces monnaies n'est
peut-être antérieure au i" siècle avant J.-C, et il en est qui peuvent se placer
sous la domination romaine, comme celles des mêmes villes qui portent des
preuves certaines de leur frappe au début de l'Empire. Des monnaies de C.L'sarea
(Gherchel), avec le nom de cette ville en latin, sont, au plus lût, du temps de
Juba II (MùUer, III, p. 138, n°' 209, 210). — On ne connaît qu'une monnaie muni-
cipale d'Afrique en argent (Miiller, II, p. 3, n° 13); elle a été frappée à Leptis,
sans doute à une époque où cette ville ne dépendait plus des rois numides :
voir t. VII, 1. I, ch. ii, § I. Les monnaies municipales de bronze, qui ne servaient
guère qu'à la circulation locale et avaient la valeur qu'il convenait à chaque
cité de leur'donner, offrent des poids très variés.
1. Mnller, III, p. 155-0, n"' 234, 230, 238, 239-241; p. 144-5, a"^ 210-223.
2. T. Il, p. 172.
3. Ibid., p. 108-9.
4. Miiller, III, p. 00.
5. Millier, Supplément, p. 07, n" 76 a : les lettres piiniciues TGRN conviennent
bien à cette attribution. Pour Thagura, voir Gsell. Atlas archéol. de VAhjéric, i" 19
{El Kef), n» 80.
0. Miiller (tome III et Supplément) a attribué à diverses villes de Numidie des
monnaies de bronze à légendes puniques et néopuniques : Bulla Regia. Suthul,
Oazauphala, Macomades, Zarai, etc. Mais ces classcmnnls sont, ou fort contes-
tables, ou manifestement erronés.
7. Ville qui appartint à Carlhage jusque vers le milieu du second siècle (voir
t. III, p. 327). Il se peut que sa constitution municipale soit antérieure nu temps
•où elle tomba au pouvoir des rois numides.
132 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
second siècle, un sénat ' et sans doute aussi des magistrats "-.
Des textes vagues permettent de supposer que des magistrats
administraient Girta ^ et Theveste * dès le m® siècle.
• Que cette constitution ait pu être empruntée à celle des
colonies phéniciennes qui s'échelonnaient sur les côtes de
Numidie et de ]\Jaurétanie, c'est là une hypothèse fort plau-
sible. Des villes qui, sur leurs monnaies, faisaient usage de la
langue punique, qui, parfois, portaient même un nom
punique ^, devaient adopter volontiers le régime municipal
carthaginois. Le titre sufète était passé dans la langue des indi-
gènes : ce dont témoigne une inscription bilingue de Dougga,
où il se lit aussi bien dans le texte libyque que dans le texte
punique ^ Il s'y applique à un personnage qui vécut au
m® siècle, Zilalsan, grand-père du roi Masinissa et père du ro
Gaïa; il est, d'ailleurs, très douteux qu'il désigne ici un simple
magistrat de cité. Mais il y avait des sufètes, magistrats locaux,
à Volubilis, au cœur de la Maurétanie occidentale, avant que
la conquête romaine y créât un municipe \ Une inscription
punique de Girta semble aussi mentionner un sufète ^ Sous
l'Empire, des inscriptions latines et néopuniques nous font
connaître des sufètes dans diverses cités de la Numidie : Thugga%
1. Bo-j>,T, : Appiea, Nurnid., p. 163, coll. Didot.
2. Salluste (Jug., LXVI, 2) raconte une conspiration des principes civitatis contre
les Romains.
3. Tite-Live (XXX, 12, 8) mentionne les principes Cirtensium, à propos d'un
événement qui se passa en 203.
4. Mention de ■nçiztjô-j-.içtrn, au milieu du m* siècle : Diodore de Sicile, XXIV,
10, 2 (conf. ici. t. III. p. 92).
5. C'est le cas pour Alacomndes, située en pleine Numidie, au Sud-Est de Girta
(u. infra, p. 27r)-G). Pour ce nom punique, voir t. II, p. 118-120, 120.
0. Chabot, Punica, p. 210, 1. 1 et 0.
T. Caj^nat, Merlin et Châtelain, Inscr. lai. d'Afrique, 034 (il y avait aussi
dans cette cité des magistrats inféiieurs, que la môme inscription latine
appelle aediles). Je crois que le municipe romain de Volubilis, créé sous Claude,
a remplacé une cité indigène et n'a pas coc^xisté avec elle (conf. t. IV, p. 493,
n. 4).
8. Chabot, Punica, \>. 179, 11° 110. Cela n'est pas certain.
9. Inscription latine du temps de l'empereur Claude : C. l. L., VIII, 20 317.
La même inscri|)ti(in mcntiminr It^ senalus et la plebs de celte cité.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 133
Mactaris', Limisa', Althiburos% Masculula', Capsa', Calama'',
et peut-être en un lieu situé au Sud de Galama^ Sans être^
affîrmatif, on peut croire que cette magistrature existait déjà
dans ces villes aux temps de l'indépendance.
Il ne faut cependant pas oublier que des villages berbères
ont du posséder de très bonne heure une organisation assez
analogue, mais non pas empruntée à celle des villes puniques ^
Quand certaines de ces communes se sont transformées en
cités, il se peut qu'elles n'aient pas renoncé à leurs institutions
primitives, pour se modeler sur des exemples étrangers. Il se
peut aussi que, çà et là, de vieilles coutumes se soient mélan-
gées à des emprunts. Nous n'avons pas de documents qui nous
renseignent avec précision.
L'inscription bilingue de Dougga '', déjà mentionnée, est une
dédicace de l'année 139 avant J.-C, faite par « les citoyens de
Thugga ». Elle énumère quelques dignités ou fonctions, qui
doivent se rapporter à la cité et dont plusieurs se retrouvent
sur des inscriptions libyques du même lieu. Mais les unes res-
tent d'une explication incertaine, les autres sont tout à fait
énigmatiques. C'est un « roi » '", — le titre est le même que
pour les souverains de la Numidie : mamleket en punique,
guellidat en libyque, — magistrat unique et annuel ". Il n'est
1. Inscription néopunique : Berger, Mém. de l'Acad. des Inscr., XXXVI, 2° partie,
p. 168 (peut-être trois sufètes).
2. C. /. L., VIII, 12 036.
3. Inscription néopunique : Berger, Journ. asiat., 1887, I, p. 461 (trois sufètes).
4. Inscription néopunique : Chabot, C. /•. Acad. Inscr., 1916, p. 348; le nii'^me,
Punica, p. 53.
5. C. L L., VIII, 22 7'J6 : inscription Ifitine du temps de Traj<in.
6. Gsell, Inscr. lai. de l'Abjérie, I, 233 et peut-être 290.
7. Inscription néopuni(iue trouvée à Bir el Abiod (Atlas archéol. de l'Algérie,
f 18, Souk-Arrhas, n" 36,");. M. l'ablié Chabot a cru y reconnaître la mention
de sufètes.
8. r. subira, p. 63 et suiv.
9. Chabot, Punica, p. 208 et suiv.
10. Fils lui-même d'un « roi ».
il. Le titre guellid, guellidat se lit sur d'autres inscriptions libyques de Dougga;
plusieurs de ceux qui le portent sont (ils de • rois • : Chabot, Journ. asiat., 1921, I,
p. 81-82.
134 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
pas fait mention de sufètes municipaux, quoiqu'il en ait existé
plus tard, sous l'Empire romain, dans la cité de Thugga '. Ce
sont deux « chefs des Cent » -, exerçant ensemble cette dignité,
qui est peut-être d'origine phénicienne, car le même titre se
retrouve à Tyr ^ S'agit-il des chefs du sénat municipal?
D'autres fonctions, qui n'ont qu'un seul titulaire (du moins
d'après la teneur de l'inscription), sont désignées par des
termes libvques, même dans le texte punique, et doivent, par
conséquent, être d'origine indigène (on ne sait même pas com-
ment ces mots se prononçaient, puisque les voyelles ne sont
pas écrites) : MÇÇKWY; GZBY; GLDGYML*, nom composé,
dont le premier élément est le mot guellid^ « roi, chef ». Il
serait vain de faire des conjectures au sujet de ces titres. Nous
ne savons pas non plus ce qu'était un « préfet des cin-
quante » ^, mentionné à la fm de l'énumération. Celui qui
exerçait cette fonction était fils d'un « roi », c'est-à-dire d'un
magistrat suprême de la cité. On pourrait se demander, entre
autres hypothèses, s'il n'était pas le chef d'un corps de police.
A Cirta, plusieurs dédicaces puniques ont été faites par des
personnages qui indiquent leur année de règne (on trouve les
chiffres 5, 44 et 50)''. Il n'est pas vraisemblable que cette dignité,
sans doute viagère, puisse être comparée à la « royauté »
annuelle de Thugga, et il n'est pas sûr qu'elle ait été exercée à
€irta même". Nous avons signalé la mention possible d'un
1. Voir p. 132, n. 9.
2. En libyque MW.^^N. Titre qui apparaît sur d'autres textes libyques du mi^rae
lieu : J. as., l. c, p. 82-83.
3. rtép. dépigr. sémil., III, 1 502. Conf. ici, t. Il, p. 214.
4. Ces titres se lisent, comme les précédents, sur d'autres inscriplicms libyques
de Dougf:^a : J. as., t. c. 83-8.^.
5. Dans le texte libyque, GLDMÇK, où les trois premières lettres donnent le
root giiellid. Même titre dans d'autres inscriptions liliy(iues de Dougg;a, où il est
porté par des flls de « mis » : J. as., l. c, p. 84.
0. liép. d'épigr. sémit., I, 330, 337, 338 (= III, I 5.39).
7. On ignore ce que signifient exuclement les mots MLK 'DM (= melck adam,
« roi du peuple .?), (|ui apparaissent sur quelques inscriptions punii|ues de
Cirta, deux fois ii la suite du nom du dédicant. et avant l'indication BSH'M BTM
(^ « à .Shâram IJatini » ?) ; liép., 1,334-5. Ailleurs, res mots suivent des noms de
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 13S
sufète sur une inscription punique exhumée à Constantme'. Sur
des monnaies municipales à légendes néopuniques, on lit un
nom propre, qui est apparemment celui du magistrat suprême^
Des scribes, que nous font connaître des inscriptions puniques^
-ont pu être au service, soit de la commune, soit du roi de
Numidie, résidant à Girta.
Ailleurs, des textes néopuniques^ datant de l'époque impé-
riale, mentionnent le mizrah, c'est-à-dire le « corps constitué »%
peut-être le conseil de la cité, — et son chef''; il y a lieu
de supposer que c'était un legs de l'époque numide. Certains
termes, accolés à des noms de personnessurdesinscriptionspum-
ques et libyques^ ont pu être des titres de fonctions munici-
pales, mais d'autres conjectures^ ne seraient pas plus fragiles.
Quelles qu'aient été leurs institutions, ces cités, puniques ou
indigènes, semblent avoir joui d'une large autonomie, comme
les tribus. On n'y constate pas la présence de représentants per-
manents de l'autorité royale, chargés de les administrer direc-
tement, ou superposés aux administrateurs locaux^
divinités : voir t. IV, p. 240, n. 1. Même incertitude en ce qui concerne les mots
MLK 'MR, suivant un nom d'iiomme à Cirta (Chabot, Punica, p. 160), et aussi à
Garthage : voir t. IV, p. 172, n. 8.
1- P- 132. . ,^ ^„
2. Millier, Numism., III, p. 60, W' 70, 71, et probablement aussi /2, i3.
3. Chabot, Punica, p. 165, n° 22; p. 173, n» 72. Eép., III, 1 562.
4. Trouvés à Henchir Médeina (Althiburos) et à Maktar.
5 Conf. t. II, p. 213 (d'après Clermont-Ganneau).
6 Grande inscription de Maktar {Rép., IV, 2 221, 1. 16) : lo . rab du mizrah . -,
«on nom est suivi de 31 autres, désignant les membres du mizrah. Le princeps,
qu'une inscription latine de Guelma mentionne avec des sufètes, était peut-être
le premier des membres du conseil municipal : Gsell, Inscr. lai. de CAlgéne, I,
233 (conf. 290, et à la p. 20).
7 MDYTY, à Maktar, à Dougga et ailleurs : Chabot, C. r. Acad. Inscr., l.Hb,
,p. 129-131; le môme, Punica, p. 224-G. MY8TR, à Cirla : Chabot, Pun., p. S7.
FYTR', FTR, à Maktar et à Cirta : ibid., p. 132-3.
8. Noms de métiers, dignités sacerdotales, etc.
9 Les praefecti établis par Syphax, avec des garnisons (praesidia), chez les
.Massyles (Tite-Live, XXX, 11, 2; conf. XXX, 12, 22), étaient des chefs militaires,
chargés de maintenir sous son autorité une contrée qu'il venait de conquérir.
— Un passage de Satluste {Jug., XLVI, 5) mentionne d'autres praefecti. Maigre
les offres de soumission que lui fait Jugurlha, Métellus entre avec son armée on
^Sumidie, où il reçoit bon accueil; les préfets du roi (■. praefecti régis •) sortent
136 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Au delà de leurs remparts, elles disposent sans doute, comme
les cités phéniciennes \ comme les cités grecques et latines,
d'un territoire plus ou moins étendu. Celui de Cirta paraît avoir
été très vaste\ Les villages qui s'élevaient sur ces territoires
devaient avoir leurs chefs, subordonnés naturellement aux chefs
des cités.
IV
Ces groupes divers de nomades, d'agriculteurs sédentaires,
de citadins, se montrent anxieux de garder leur indépendance.
Ils sont séparés par des jalousies et de vieilles inimitiés,
qu'attisent des querelles, sans cesse renaissantes. Ils ont une
petite patrie, à l'horizon très étroit; ils n'en voient guère une
grande dans cet Etat, auquel ils appartiennent moins de gré
que de force. Etat dont les limites changent souvent et qui
renferme de nombreuses régions disparates, communiquant
mal entre elles. Ils n'ont pas l'esprit de discipline, les traditions
communes, qui forment et font durer les nations véritables^ La
diversité des dialectes est un obstacle aux relations; avant la
des villes et des villages (•■ ex oppidis et mapalibus •) à sa rencontre, prêts à lui
fournir du blé, à transporter ses vivres, à lui obéir en tout. Ici, on pourrait
croire qu'il s'agit de fonctionnaires royaux permanents, préposés à la population
civile, dans les villes comme dans les campagnes. Mais cela n'est pas vrai-
semblable. L'administration directe de la Numidie par la royauté aurait exigé un
personnel très nombreux, dont l'existence n'est attestée par aucun autre docu-
ment, et, d'une manière générale, l'histoire des Étals berbères nous les montre
constitués par la réunion de groupes autonomes. Donc, ou Salluste s'est servi
d'une expression impropre, en qualifiant de praefecti régis les chefs des ruraux
et des citadins, ou Jugurtha, en guerre depuis deux ans avec les Romains, avait
jugé nécessaire de renforcer son autorité dans les parties de son royaume qui
confinaient à la province d'Afrique.
1. Conf. t. Il, p. 11.5.
2. Strabon (XVll, 3, i:l, peut-être d'après Posidonius) dit qu'au temps de .Micipsa,
Cirta pouvait fournir 10 000 cavaliers et 20 000 fantassins. Cela suppose une
population de I.jOOOO à 180 000 âmes. Il est impossible qu'elle ait été entassée
sur l'étroit rocher autour duquel des précipictïs constituaient pour la ville des
limites infranchissables, et il est évident que les 10 000 chevaux, — auxquels il
faut joindre ceux qui ne partaient pas en guerre, — avaient besoin, pour paître,
de larges espaces.
.1. flonf. t, I, p. 27.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 137
diffusion de l'Islam, les croyances religieuses ne paraissent pas
avoir créé des liens. Les Grecs, les Gaulois, malgré toutes leurs
discordes, ont conscience d'être frères : il n'en est pas ainsi des
indigènes africains.
Ils n'éprouvent surtout aucun désir de s'unir sous un maître,
qui, pour maintenir son autorité, doit exiger d'eux des sacrifices.
Tite-Live*, — c'est-à-dire Polybe, qu'il copie, — constate leur
haine de la royauté; plus tard, les Berbères se vantent de mettre
une bride à leurs souverains, comme à leurs chevaux". Ils ont un
tempérament anarchique et le besoin, presque maladif, d'une agi-
tation dont les résultats sont nuls, oune valentpasl'effortdépensé.
Dans l'antiquité, on nous les montre tels qu'ils ont toujours été :
inquiets, mobiles, turbulents, prompts à la colère etàlarévolte^
Les tribus qui vivent dans les montagnes, à l'abri des
nomades, y sont également à l'abri du roi, dont la protection
leur est superflue. Les bandes de cavaliers pillards qui se
répandent tout à coup dans les plaines se retirent aussi vite
qu'elles sont venues, avant qu'on ait le temps de les rejoindre.
Les grands nomades, ces Gétules qui, à la fin du printemps,
sortent des steppes pour gagner le Tell, ont moins de mobilité,
car ils traînent avec eux leurs familles et leurs troupeaux; mais,
soit par nécessité pastorale, soit par goût de la rapine, ils abusent
volontiers de l'hospitalité qu'ils reçoivent; loin dans le
Sud, ils ont des lieux de recel, difficiles à atteindre et à forcer.
Les agriculteurs sont d'un maniement plus aisé; cependant,
d'eux aussi, il faut craindre des désordres, surtout dans les
mois d'été où le soleil échauffe les têtes, où, la moisson étant
faite et rentrée, l'inaction est mauvaise conseillère, où le sou-
verain réclame sa part delà récolte nouvelle. Partout, les villes,
les villages, les refuges ont des défenses naturelles ou faites
1. XXIX, 29, 9 : « ... concitatis popularibus, apud quos iavidia regum magnae
auctoritatis orat. •
2. A. Bernard, Le Maroc, p. 90.
.3. Voir les textes cités t. VI, 1. II. ch. v, § I.
-138 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
de main d'homme, qui permettent de longues résistances, eii
ces temps et en ces pays où les assiégeants manquent, le plus sou-
vent, des moyens de brusquer l'attaque.
Plus d'un chef de grande tribu, de peuplade, envie le roi'
et a l'ambition de le remplacer. Dans la famille royale, dans
le palais même, des princes songent à ravir, par la révolte ou
l'assassinat, la souveraineté à l'homme qui l'exerce. La trahison
l'entoure et le tient dans une angoisse perpétuelle. Quand il
meurt, l'ordre régulier de la succession, ou les décisions qu'il
a prises ne sont pas toujours respectés : des compétitions, des
guerres acharnées éclatent'.
Les conflits entre Etats voisins sont fréquents, causés
par des razzias, que suivent des contre-razzias, par le désir de
reculer des frontières mal fixées, peut-être par des intrigues de
rebelles, qui cherchent un appui au dehors, quelquefois par
l'impossibilité de garder une attitude neutre dans des guerres
que Carthage ou Rome font à des rois indigènes, et par l'espé-
rance de participer largement aux fruits de la victoire. Et, dans
l'Extrême Sud, au delà des Gétules, plus souvent hostiles que
soumis, on ne sait quelles querelles provoquent des expéditions
jusque chez les Éthiopiens-.
La tâche du roi est donc ardue. De tous côtés, menaces et
obstacles se dressent contre lui. La royauté subsiste pourtant,
car ceux qui détiennent cette sorte de propriété familiale ont
l'orgueil de leur haute dignité, la volonté de jouir ,du prestige
et des satisfactions matérielles qu'elle procure, d'ordinaire aussi
la cruauté inexorable qui ne répugne ni aux supplices, ni aux
massacres, et qui fait de la terreur un instrument de règne ^
1. Pour ce qui se passa chez les Massyles après la mort d'OEzalcès, eu 206,
voir t. III, p. 190 et suiv.
2. V. supra, p. 10.
3. Traits de cruauté de Jugurliia : Salluste, Jui;., XXVI, 3; de BocchusTAncieu :
De viris iUuslr., OC»; de Juba I"' : César, Bell, civ., II, 44, 2; Bell. A/ric, LXVI, 4;
LXXIV, 3; XCI, 3. Klc.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 139
Ils ont besoin de grandes ressources, non seulement pour ali-
menter leur vie luxueuse, mais encore pour payerles concours qui
leur permettent de rester debout et de réunir ces ressources mêmes ..
Leurs meilleurs contribuables sont les citadins et les gens
sédentaires des plaines, sur lesquels leur autorité s'étend sans
trop d'efforts et qui peuvent acquérir du bien-être en se livrant
au commerce et aux travaux de la terre. Le souverain a tout
profit au développement de l'agriculture, qui lui donne des
sujets d'une exploitation fructueuse. Son intérêt lui commande
de leur assurer une existence qui ne soit pas trop inquiète. Il
faut les empêcher de s'entre-détruire; il faut surtout les protéger
contre les pilleries et les violences desnomades. Lesdéplacements
de ceux-ci doivent être surveillés et leurs excès réprimés.
On peut, du reste, tirer d'eux quelques revenus, par des taxes
sur les troupeaux qui transhument : la nécessité d'amener leur
bétail dans le Tell les engage à se montrer accommodants
lorsqu'ils ne se sentent pas les plus forts. Quant aux tribus qui
occupent des régions d'accès difficile, le roi leur interdira de
porter le désordre ailleurs et, même sans pénétrer chez elles,
il leur inspirera le désir de vivre en paix avec lui, par la menace
de leur fermer les marchés où elles viennent vendre et acheter;
mais il ne cherchera à les soumettre et à exiger d'elles des
impôts que s'il juge que le bénéfice en vaudra la peine.
Il est aussi de son intérêt de développer les relations com-
merciales et d'en garantir la sécurité, car il pourra lever des
taxes sur les ventes, des droits de douane et de péage. Comme
la plupart des impôts ne lui sont pas versés en argent, il doit
sans doute être commerçant lui-même, pour obtenir de l'étranger
le numéraire dont il a besoin, par la vente des produits en
nature que ses sujets lui livrent. Il doit encore chercher à
acquérir de vastes propriétés foncières, sur les fruits desquelles
il se réservera une part plus forte que là où il perçoit seule-
ment un impôt comme souverain.
140 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
On voit que la volonté de maintenir son autorité contre les
tendances anarchiques de son peuple l'astreint à de lourds
devoirs. D'autant plus lourds que tout, ou presque tout, repose
sur sa personne, sur son intelligence, son activité et son
énergie. Si son âge, — trop de jeunesse ou trop de vieillesse,
— si la fragilité de son corps ou la faiblesse de ses facultés
l'empêchent de remplir son rôle, il peut arriver que, der-
rière lui, un parent, ou même des serviteurs' exercent en
fait le pouvoir. Mais le prestige, élément important de la
royauté, leur manque, et la tentation est trop forte pour ces
hommes de faire passer leurs intérêts avant ceux du maître
nominal, incapable de défendre les siens. L'Etat se décom-
pose vite, car il n'est pas soutenu par une armature adminis-
trative.
Assurément, le roi ne peut se passer d'agents pour l'ex-
pédition des affaires : secrétaires, comptables, trésoriers,
intendants, courriers, etc. ^. Mais rien ne nous permet d'en-
trevoir l'existence d'un corps de fonctionnaires régulièrement
organisé. Libres ^ ou esclaves, ces gens sont au service
personnel du souverain; les offices de cour et d'Etat se con-
fondent.
Il est également fort douteux que le roi ait été secondé par
de véritables ministres, dignitaires aux attributions nettement
définies. Auprès de lui, il n'a que des hommes auxquels il
donne et retire, quand il lui plaît, sa confiance, se déchargeant
sur eux, soit d'une affaire particulière qui se présente et qu'il
importe de résoudre, soit d'un ensemble d'affaires connexes,
1. Le dernier roi de Maurétanie, Ptolémée. abandonna le gouvernement à des
alTranchis : Tacite, Ann., IV, 23.
2. Pour des scribes, peut-6lre royaux, mentionnés à Girta, v. supra, p. 135.
3. Comme dans le maghzen marocain, les (Mnplois qui exigeaient de l'instruction
devaient Être tenus surtout par des citadins : les villes puniques pouvaient, à
cet égard, fournir aux rois de bons agents. Cependant Nabdalsa, auquel Jugurtha
abandonne une partit; des allaires, a pour secrétaire un Numide : Salluste, Jug.,
LXXI, 3-4. Un Numide, originaire d'une petite ville indigène, est qualifié par
Salluste de proxumus liclor de Jugurlba : ibid., Xll, 3-4.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 141
qui, dans un État bien ordonné, ressortiraient à un département
ministériel permanent'. Ce sont, de préférence, ses proches
parents, et tout d'abord ses fils, qu'il emploie ainsi : ils reçoivent
de lui des missions diplomatiques-, des commandements mili-
taires, tantôt en Afrique même^ tantôt à la tête de troupes
qu'il met à la disposition de ses alliés\ Il a aussi des « amis »,
terme dont se servent souvent les auteurs grecs et latins ^ Quand
ils n'appartiennent pas à sa famille, ces amis sont peut-être sur-
tout des chefs de grandes tribus et de peuplades^ qui viennent
faire à la cour des séjours plus ou moins longs. Le roi prend
leur avis dans les cas graves'' et leur confie des missions,
officielles ou secrètes^ Il les charge de commandements dans
1. Après la mort de Masinissa, ses trois fils eurent en commun le titre de roi,
mais l'un s'occupa de l'administration et des finances, le second des affaires
militaires, le troisième de la justice : supra, p. 123. 11 se peut que même des
rois qui n'avaient pas de collègue aient institué un partage analogue, en déléguant,
par exemple, toutes les affaires judiciaires à un prince de leur famille ou à
quelque autre personnage. Le père du roi Gaia, Zilalsan, qui ne fut pas roi,
mais qui appartenait à la famille royale, est qualifié de sufète sur la dédi-
cace d'un temple élevé à Masinissa (conf. supra, p. 132); peut-être, sous le règne
d'un de ses parents, fut-il chargé de remplacer le souverain comme grand
justicier.
2. Gulussa et Masgaba, fils de Masinissa, envoyés par lui au Sénat romain :
Tite-Live, XLII, 23 et 24; XLIIl, 3; XLV, 13-14; Epit. l. XLVIll. De même, un fils
de Jugurtha : Salluste, Jug., XXVIII, 1. Mission à Rome de Juba, fils du roi
Hiempsal : Gicéron, De lege agrar., II, 22, 59. Mission de .Micipsa et de Gulussa
à Garthage, en 151-150 : Appien, Lib., 70.
3. Masinissa, sous Gaia : Tite-Live, XXIV, 49, 4 et 6. Vermina, sous Syphax :
ibid., XXIX, 33. Yolux, sous Bocchus : Salluste, Jug., Cl, 5; CV, 3. Bogud, sous
le même roi, selon Paul Orose, Adv. pagan., V, 21, 14.
4. Masinissa, sous Gaia, en Espagne, avec les Carthaginois : voir t. II, p. 3C3,
n. 1. Misagène, sous Masinissa, en Orient, avec les Romains : Tite-Live, XLII, 29;
62; 65; 67; XLIV, 4; XLV, 14. Un fils de Masinissa, en Espagne (?) : Appien,
Lib., 68 (conf. t. III, p. 310). A ces fils de rois, on peut joindre Jugurtha, envoyé
par son oncle Micipsa auprès de Scipion Émilien. devant Nuraance : Salluste,
Jug., VII, 2; Appien, Iber., 89.
5. Ot/stoi, çiXoi, amici, proxiini, necessarii, familiares. Folybe, XV, 3, 5. Salluste,
Jug., XIV, 15; XXVIII, 1 ; XXXV. 4 et 9; LXl, 4; LXXIV, 1; LXXX, 3; XCVII, 2;
Cil, 15; cm, 2; CXIII, 3; ibid., 5 et 6. Strabon, II, 3, 4. Tite-Live, XXIX, 30, 3.
Frontin, Slrat., l, 8, 8. Appien, Numid., p. 164, coll. Didot.
(■). Tycliaios, « ami » de Syphax, possède les meilleurs chevaux do^toute l'Afrique:
il amené ù Hannibal deux mille cavaliers (Folybo, L c).
7. Salluste, LXII, 1; LXX, 1; LXXX, 3; XCVII. 2; CU. i:i; ClII, 2; CXlll, 3.
Strabon, L c.
8. Salluste, XXXV, 4; GUI, 2. Appien, l. c.
GsELL. — Afii(|ue du Nonl. V.
10
142 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
l'armée qu'il conduit lui-même', ou dans des opérations dont
il leur laisse la direction^. Il leur abandonne quelquefois une
part plus ou moins large de l'administration, ce dont ils pro-
fitent pour accroître leurs richesses ^ Mais ce ne sont pas là de
véritables fonctions publiques; ce sont des délégations que le
roi accorde selon son bon plaisir, qu'il peut révoquer à toute
heure, et qui deviennent caduques dès qu'il disparaît. Il est
donc vrai de dire que le gouvernement de l'Etat lui appartient
tout entier : naturellement dans les limites où il veut et peut
l'exercer, c'est-à-dire au-dessus, et non à l'intérieur des.
groupes autonomes.
Ce gouvernement s'appuie surtout sur la force, mais il a
d'autres moyens d'action. Le roi prend des garanties contre les
trahisons et les rébellions possibles des grands chefs, en déte-
nant des otages, d'ailleurs sous des formes honorables : il
choisit pour femme quelqu'une de leurs filles'', — la poly-
gamie lui donne toute liberté à cet égard — ; il appelle près de
lui leurs fils et les fait entrer dans sa garde noble\
Comme plus tard les Turcs et les sultans marocains, il pra-
tique l'art de diviser pour régner. S'efîorçant d'être bien ren-
seigné, il exploite les soupçons et les haines des parents dans
1. Ces généraux sont appelés dans les textes latins praefecLi : Tite-Live, XXIX,
33, 1; Salluste, Jug., XLIX, l; LU, 5; LXXIV, 1; César, Bell, civ.. H, 38, 1 et 3.
2. Bucar, « ex praefectis regiis », sous Syphax : Tite-Live, XXIX, 32, 1 (conf.
ici, t. III, p. 194). Nabdalsa, sous Jugurtha : Salluste, Jug., LXX, 2 et 4. Saburra,
praefeclas sous Juba I" : Bell. Afric, XLVIII, 1 ; XCV, 1 ; Appien, Bell, civ., IV, 54.
3. Salluste, Jag., LXX, 2 : Nabdalsa, homme noble, riche et populaire, expédie
d'ordinaire les aiïairos fjue Juj;urlha, fatigué ou occupé de soins plus importants,
doit négliger; c'est pour ce Numide une source de grands profits.
4. Les textes anciens no nous offrent pas d'exemples de ces mariages entre
souverains et lllles de grands chefs, si fré(iueuts dans les dynasties berbères du
moyen âge et des temps modernes. .Nous connaissons un mariage qui unit deux
rois de Numidie et de Maurétanie : Jugurtlia épousa une lUle de Bocchus.
(Salluste, Jug., LXXX, G).
5. Bell. Afric, LVl, 4 : « Gaeluli ex ecjui alu rogio nobiliores. •
LES ROIS ET LEl'RS SUJETS. 143
les familles, des familles dans les tribus et les cités. Il s'assure
l'obéissance par la crainte des rivaux qu'il peut susciter et
soutenir. Successivement ou simultanément, il accorde ses
faveurs aux diverses coteries, à ces çofs qui doivent déjà
s'étendre sur toute la société berbère'. Il oppose tribu à tribu,
chef à chef. Il fait surveiller les suspects par ceux qui paraissent
plus disposés à rester fidèles. Lorsqu'une tribu mérite un châ-
timent dont il préfère ne pas se charger, il la donne à « manger »
à des voisins ou à des pillards nomades. Quand une autre
tribu devient trop forte, il peut la fractionner sans trop de
peine, en fomentant des compétitions dans la famille dirigeante.
Evidemment, cette politique ne favorise pas l'éclosion d'un
large patriotisme chez ses sujets; elle prévient, du moins, le
seul accord dont ceux-ci semblent capables : l'insurrection en
masse contre leur maître.
Mais le roi est un guerrier, bien plus qu'un diplomate. On
ne lui obéit guère que dans la mesure où l'on sent la vigueur
de son poing ou la menace de son bras.
Nous sommes fort mal renseignés sur la manière dont il fait
la police de ses Etats. Nous ne saurions dire, par exemple,
s'il entretient des garnisons permanentes dans les cités les
plus importantes du littoral et de l'intérieur; nous n'en connais-
sons qu'en temps de guerre^, et, alors, elles ont plutôt pour
tâche de défendre les villes contre l'ennemi que de les con-
traindre à rester fidèles au souverain.
Des troupes ont pu occuper en tout temps certains lieux,
villes ou simples forts, situés dans des positions stratégiques,
comme les kasbas créées en Algérie par les Turcs, au Maroc
1. V. supra, p. 73.
2. Bell. Afric, XXIH, 1 : en un lieu que ce texte appelle Ascurum et indique
comme une ville maritime du royaume de Bogud. Ibid., LX.WII, 1 : à Thabena,
c'est-à-dire à TliaMuv, sur la petite Syrte, dans le royaume de Juba 1". Voir
peut-être aussi Salluste, Jug., XLVI, 5 : praefecti régis, qui se trouvent dans des
oppida (mais à ce sujet, i'. supra, p. 135, n. 9j.
144 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
par la dynastie actuelle. De là, elles auraient tenu le pays
environnant, assuré, autant que possible, les communications,
surveillé à distance les montagnards, contrôlé et, au besoin,
empêché les passages des nomades. Ces forteresses, établies
dans les conditions les plus favorables à la défense, munies de
bons remparts, là où la nature n'opposait pas aux attaques
d'obstacles suffisants, auraient, en cas d'insurrection ou de
guerre, servi de places de sûreté, de points d'appui pour les
troupes en campagne, de centres de ravitaillement, grâce aux
vivres qu'on aurait pris soin d'y accumuler'. Tels étaient peut-
être ces châteaux royaux, ces tours royales, que quelques textes
mentionnent dans des récits de guerres : forts juchés dans des
lieux escarpés, oii sont amassées de grandes provisions de blé,
et même déposées d'importantes sommes d'argent".
Ces garnisons ne parent pas à tous les dangers qui menacent
l'ordre. Le roi doit avoir à sa disposition des troupes, pour
protéger sa personne contre des coups de main et pour entre-
prendre les expéditions nécessaires : répression immédiate
d'une révolte, qu'il faut empêcher de s'étendre; chevauchées
rapides, afin d'arrêter une razzia de nomades, puis d'essayer de
reprendre leur butin à ces voleurs qui s'enfuient; tournées
à travers des tribus qui se refusent à payer l'impôt; châti-
ments plus ou moins graves infligés aux récalcitrants, aux
rebelles, aux perturbateurs de la paix', qu'il convient, selon
les circonstances et selon les possibilités, de piller, d'écraser
1. Conf. Salluste, Jug., XC, I : « quodcumque natum fueral iussu régis in loca
munita contulerant (Numidae). »
2. Salluste, Jug., XGll, 5-7 : castellum près du fleuve Mulucha, dans une position
presque inexpugnable; « ii)i refais thesauri eranl,... virorum et armorum salis, et
magna vis frurnenli. • Bell. Afric, XXXVl, 4 (dans la région de Cirta) : « castellum
in rnonlis loco munilo locaUim, in quod luba belli gorendi gralia et frumentura
et rcs cèleras, quae ad bollum usui soient esse, romportaverat. » Salluste, Jug.,
cm, 1 : mention d'une turris rcgia, que Jugurtlia, en temps de guerre, a fait
occuper par tous les transfuges. Salluste indique qu'elle se trouve dans un pays
désert. Voir peul-ôtre aussi llésianax, dans Fragm. hist. Grâce, III, p. 70, a° 11
(au temps de la première guerre punique).
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 14o
d'amendes, de dépouiller de leurs biens et de leurs terres, de
transporter au loin, de réduire en esclavage, de détruire par
des massacres.
Ces besognes de police, auxquelles il faut procéder sans
retard, dans des régions souvent éloignées des lieux où sont
cantonnées les troupes, exigent surtout des forces très mobiles,
cavalerie et infanterie légère, passant partout et ne s'encom-
brant pas de bagages.
Mais les rois ont aussi, de temps en temps, de véritables
guerres à soutenir, soit contre d'autres rois, soit contre des
ennemis plus redoutables encore. Carthaginois ou Romains. Ils
doivent alors réunir un grand nombre d'hommes et employer
des moyens de combat moins primitifs que ceux qui peuvent
suffire contre des brigandages de Gétules ou des émeutes de
paysans.
Leurs armées se composent donc de deux éléments. D'une
part, un groupe de troupes permanentes, qui forment leur
garde et probablement aussi des garnisons en divers lieux,
qui font la police du royaume, qui fournissent sans doute les
auxiliaires que le souverain met au service de Rome, quand
celle-ci lui demande son concours*; en temps de guerre, c'est
le 'noyau solide qui soutient la multitude en armes, c'est la
réserve sur les champs de bataille. D'autre part, une masse de
contingents, convoqués quand une guerre éclate, et licenciés
quand les hostilités sont terminées ou suspendues.
L'histoire plus récente de la Berbérie peut nous autoriser à
présenter des hypothèses sur la manière dont les troupes régu-
lières étaient recrutées à l'époque que nous étudions. Elles
durent être fournies tout d'abord par la tribu à laquelle appar-
tenait la famille royale, et qui, avec elle, avait fondé l'État.
1. Tite-Live, XXXF, 11, 10; XXXI, 19, 4; XXXII, 27, 2; XXXVI, 4, 8; XLII
29; 35; 52; 62; 63; XLIII, 6; XLIV, 4; XLV, 14. Appien, Iber., 46 et 89. Salluste]
Jug., VII, 2. Diodore de Sicile, XXXVI, 5, 4. César, Bell. GalL, II, 7, 1; TI, 10, 1;
II. 24, 4. Galba, apud Cicéron, Ad fam., X, 30, 3.
146 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Mais cette tribu s'épuise vite'. Il faut que d'autres la renforcent
ou la suppléent. Au besoin, le roi les déplace, pour les avoir
sous la main aux lieux où il réside, au cœur même des régions
■dont elles auront à faire la police. Elles forment une sorte de
classe militaire, qui jouit de quelques privilèges, et surtout de
l'exemption des impôts, mais où les hommes valides, — en
totalité ou en partie, — sont astreints au service; d'ailleurs,
ils reçoivent probablement une solde et, dans les expéditions
où on les emploie, ils trouvent souvent des occasions de profits.
Ces réguliers sont répartis dans des corps, commandés par
des officiers % munis d'enseignes^, capables de discipline, ayant
l'expérience de la guerre. Souvent, ils sont mieux équipés,
mieux pourvus d'armes offensives et défensives que la plupart
des indigènes. Jnba I" a formé des c< légions » *, c'est-à-dire
sans doute des corps d'infanterie lourde, sur le modèle romain^.
Les chevaux de ses cavaliers réguliers ont des mors^. Parmi
les troupes légères, il y a, non seulement des hommes qui
portent le javelot, cette arme nationale des Berbères, mais quel-
■quefois aussi des archers et des frondeurs', qui peuvent
atteindre l'ennemi de plus loin. Des chefs adoptent l'armement
des officiers romains et grecs ^ Les corps d'élite ne dédaignent
pas le bien-être : les Gétules de la garde noble se font accom-
pagner par des valets ^
1. CoQf. supra, p. 80 et 90.
2. Bell. Afric, LVI, 4 : praefecli de Vequitatus regius. Peut-être aussi ibid.,
XCII, 3 : « ex regiis copiis duces complures. »
3. Salluste, Jug., XLIX, 5; LXXIV, 3; LXXX, 2; XCIX, 3.
i. Bell. Afric, I, 4 : « legiones regiae IV » (tel aurait élé le nombre des légions
de Juba, selon des bruits qui couraient en Sicile). Le roi vint rejoindre Scipion
avec trois légions : ibid., XLVIII, 1. Mention de six cohortes, légionnaires autant
qu'il semble : ibid., LV, 2.
5. Bogud, roi de la Maurétanie occidentale, amena eu 48 une légion en Espagne,
au secours du général romain Cassius Longinus : Bell. Alexandr., LXII, 1.
6. Bell. Afric, XLVIll, I.
7. Jugurttia en emmena au siège do Numance ; Appien, Ibrr., 89.
8. Voir t. Vf, 1. I, ch. ii, § I, in fine.
9. Bell. Afric, LVl. 4.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 147
Dans cette armée permanente, c'est la cavalerie qui joue le
principal rôle '■ : il faut souvent, nous l'avons dit, aller loin et
vite. Le pays abonde, du reste, en chevaux excellents et les
Africains, surtout les Numides, sont des cavaliers renommés.
Mais les troupes de fantassins ne font pas défaut. Un récit
qui, on doit l'avouer, est fort suspect, nous montre Syphax
cherchant à constituer une infanterie régulière, avec l'assistance
d'instructeurs romains ^ Si nous manquons de renseignements
pour Masinissa et ses successeurs, nous connaissons les légions
■de Juba I".
Les souverains qui ont régné dans la Berbérie musulmane
ont fréquemment employé des miliciens d'origine étrangère :
chrétiens ou renégats venus d'Europe, surtout d'Espagne,
nègres du Soudan, Turcs, Kurdes, etc. C'étaient, en général,
•de bons soldats, pourvu qu'on les payât bien et qu'on leur
permît le pillage; n'ayant point d'attaches dans le pays, ils
n'avaient aucun intérêt à épargner les tribus indigènes qu'on
leur ordonnait de combattre. Mais ils étaient facilement tur-
bulents et disposés à participer, contre Téeompense, à des
révolutions de palais : l'Afrique berbère a eu, elle aussi, ses
prétoriens. Dans l'antiquité, nous trouvons quelques mentions
d'étrangers au service des rois numides. Sous Jugurtha, ce sont
des transfuges de l'armée romaine, une cohorte de Ligures^
deux escadrons de Thraces, d'autres encore ^ Comme leur sort
n'est pas douteux s'ils tombent aux mains de ceux qu'ils ont
trahis*, ils sont nécessairement des auxiliaires sur lesquels on
1. Ce sont ces rcgii équités, qui, dit Salluste {Jug., LIV, 4), sont seuls à ne pas
déserter après une bataille perdue. Equitatus regius, dans Bell. Afric, LVi, 4.
Voir encore ibid., XGII, 4, où je crois qu'il faut lire, avec R. .Schneider, regii
[et non regni] équités.
2. Tile-Live, XXIV, 48, 1 (voir aussi ibid., XXX, 11, 4). Conf. t. III, p. 179-180.
3. Salluste, Jug., XXXVIII, 6; LVI, 2; LXII, 6 et 7 ; LXXV, 1; LXXVI, 5-6;
cm, 1. Appion, Numid., p. 103, c(»ll. Didot. Pnul Orose, Adv.pagan., V, ir), 7.
4. Ceux que Jugurtha livra à Métellus périrent dans d'affreux supplices : Dion,
fragm. 87, 1; Appien et Orose, U. ce. D'aulros, lors de la prise de Thala, se
tuèrent plutôt que de se rendre : Salluste, LXXVI, 0.
148 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
peut compter*. Jiiba I" a 2 000 cavaliers espagnols et gaulois,
sans doute des mercenaires, passés on ne sait comment à son
service, et dont il a fait ses gardes du corps ^
Ces gens d'outre-mer dépendaient entièrement des rois qui
les employaient. Il n'en fut pas de même de Sittius, qui, de
64 à 47 avant J.-C, vécut dans l'Afrique indigène, à la tête de
bandes d'Italiens et d'Espagnols, et vendit ses services tantôt à
un souverain, tantôt à un autre ^ C'était un condottiere, qui, le
marché conclu, paraît avoir conduit les hostilités à sa guise.
Le cas est exceptionnel : nous n'en connaissons, du moins, pas
d'autre exemple.
Aux troupes régulières se joignent, en temps de guerre, les
contingents fournis par les tribus* : ce qu'en Algérie, on
appelle aujourd'hui les goums. L'ordre de convocation est évi-
demment donné aux chefs de ces tribus, et ce sont eux qui
amènent et commandent leurs gens. Selon les besoins, l'appel
s'étend à tout ou partie du royaume, aux hommes qui sont
dans la pleine force de l'âge ou à tous ceux qui ne sont pas
incapables de faire campagne ^ On peut former ainsi des
armées nombreuses, aussi nombreuses que le permettront les
ressources dont on disposera pour assurer leur nourriture fru-
gale. Nous trouvons dans les auteurs anciens des chiffres pour
les effectifs de ces armées" : il ne faut trop s'y fier. Cependant
1. Ce que remarque Salluste, LVI, 2.
2. César, Bell, civ.. H, 40, 1 : « II milia Hispanorum atque Gallorum equitum,
quo9 suae custodiae causa circuin se habcre consuerat. »
3. Voir t. Vlil. 1. I,ch. ii, § I.
4. Juba, dit l'auteur du Bellum Africain (XLVIII, 1), sort de son royaume « cum
tribus legionibus equitibusque frenatis DGCC, Numidis sine frenis peditibusque
levis armaturae grandi numéro ». 11 s'agit, d'une part, de troupes régulières,
d'autre part, de contingents.
5. .Svphax promet aux Carthaginois de lever toute la iuventus de son royaume :
Tite-Live, XXX, 7, 11; voir aussi ibid., XXX, 11, 4.
6. Lacumazès, roi des Massyles, et son tuteur Maz.ctulle opposent à Masinissa
15 000 fantassins et 10 000 cavaliers; mais une partie de ces forces leur a été
fournie par Syphax : Tite-Live, X.XIX, 30, 9. Masinissa réunit environ 20 000 cava-
liers : Appicn, Ub., 11, dans un récit sans valeur (conf. t. III, p. 196, n. 1). En
205, rentrant dans son royaume d'où il a été chassé, il rassemble eu quelques
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 14»
il n'est pas invraisemblable que, clans quelques guerres,
cinquante mille hommes, et même davantage, aient été réunis.
Les -arsenaux et les haras royaux ne sont pas assez remplis
pour équiper une telle foule ^ : cavaliers et fantassins viennent
avec les armes qu'ils possèdent, des javelots, un coutelas, un
petit bouclier ^ les cavaliers sur leurs propres chevaux, qui
n'ont pas de mors^
Ces soldats d'occasion sont doués des qualités de leur race,
sobriété, endurance, agilité et, quand il le faut, courage. Mais
ils ont un armement trop sommaire; ils manquent de discipline
et de cohésion; dans les batailles, ils sont peu redoutables à
des adversaires bien armés, qui ne s'émeuvent pas de leurs
attaques tumultueuses et savent garder leurs rangs \ Faire leur
éducation militaire est chose malaisée^ et, d'ordinaire, on n'en
a guère le temps. Quand ils ne sont pas retenus par l'espoir du
butin, ils désirent ardemment retourner chez eux. Ils désertent
aussitôt qu'ils en trouvent l'occasion, surtout dans la confusion
iours 6 000 fantassins et 4 000 cavaliers : Tite-Live, XXLK, 32 13. Syphax rejoint,
C204 les Carthaginois avec 50 00 ) fantassins et 10 000 cavahers : Polybe. XV
14 Tte-Uve, XXIX, 35, H. En 202, Masin.ssa. Q-,--^ f , ---;% ^.^
Laùme. amène à Scipion 6 000 fantassins et 4 000 cavaliers : P^»'»'^' ^^J, ^;/-3
En ToO i commande une armée de plus de 50 000 hommes : App.en. Lib., 71 et 73
(conf t iT P 306). Paul Oroso (Adv. pagan., V, 15, 10) mentionne une bataille
,ù Ju^urhà aurai eu 60 000 cavaliers; puis (V, 15, 18) une autre, ou Jugurtha
^BocC auraient opposé aux Romains 90 000 hommes, ^-s ces chi ^res^n^
méritent aucune confiance. Juba 1", qui avait mis beaucoup de cavaliers a la
S^ÎSon des Pompéiens, amena des forces importantes quand .1 vint lu.-niôme
Sattre CésaMc^. supra, p. 148, n. 4), tandis qu'une autre armée, confiée a
un de es^énéraux, Saburra était occupée, dans l'Ouest de ses Etats, a combattre
le ro Bocchus et I condottiere Sittius (voir t. YIII, 1. D- -Pour les Çontingen s
qu'au temps de Micipsa, pouvaient être tirés du territoire de Crta. .. supra.
^'/'Titelu've (XXX, 7, il. et XXX, M, 4) dit pourtant que Syphax donna do*
armes et des chevaux à la multitude de paysans numides qu'il rassembla.
2. Voir t. VI, 1. I. ch. II, § I.
t Ro;/ Afric XLVIII. 1; voir aussi i6id., XIa. 4, lai, —
4* Voir' t {" "1. II. ch. H, 8 II. - Jugurtha, dit Salluste (Ju,,, LlV 3), rassembla
une armée nombreuse, mais sans vigueur et sans force : gens Pl- P^P-^ t
rtivoTles Champs et à garder les troupeaux qu'à faire la guerre Conf.. pour
les armées de Syphax, Tite-Live, X\\, 7, 11 ; \X\, 8, 7, XXX, H. o.
5. Tgurlha l'aurait essayé sur des recrues gélules : Salluste, Jag., LXXX. 2.
150 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
qui suit une bataille perdue'. A l'époque des semailles et des
moissons, il est impossible de retenir les agriculteurs; à
l'automne, les nomades qui étaient venus estiver dans le Tell
veulent ramener leurs troupeaux dans les steppes^.
Les rois s'efforcent pourtant d'imiter certains procédés de
guerre dont les nations civilisées font usage. Au lieu de se
contenter de simples blocus, ils emploient parfois un matériel
de siège pour forcer les places ^ Dans les batailles de plaine,
ils se servent d'éléphants, à l'exemple des Carthaginois. A la
fin de la seconde guerre punique, Masinissa a reçu de Rome
une partie de ceux que possédait Carthage*; après lui, les
rois de Numidie et de Maurétanie gardent ceux dont ils ont
hérité^, ou ordonnent des chasses en forêt pour s'en procurer
de nouveaux^ Ils en mettent quelques-uns à la disposition
des armées romaines combattant en Orient, en Espagne, en
Gaule \ Dans leurs guerres africaines, ils en emmènent
un assez grand nombre ^ Jugurtha en a 44 à la bataille du
1. Sallusto, LIV, 4 : « Sauf les cavaliers royaux, personne chez les Numides ne
«uit le roi dans sa fuite; chacun se relire où bon lui semble, conduite qui n'est
pas regardée comme déshonorante : telles sont les mœurs de ce peuple. »
2. Masquera)', Formation des cités de l'Algérie, p. 107. G. Marçais, Les Arabes en
Berbérie du xi' au xiV^ siècle, p. 726.
3. A propos du siège de Cirta par Jugurtha, Salluste écrit (XXI, 3) : « oppidum
circumsedit, vineis turribusque et machinis omnium generum expugnare adgre-
ditur. » Ibid.. XXIII, 1 : « turres extruit. »
4. Voir t. III, p. 294.
5. Élien, A^a<. anim., IX, 58.
6. Florus (11, 13, 67) dit que les éléphants de Juba 1°% qui combattirent à
Thapsus, étaient « bellorum rudes et nuperi a silva ».
7. Tite-Live, XXXll, 27, 2; XXXVl, 4, 8; XLII, 29; XLII, 35; XLII, 62 et -eS;
XLIII, 6; XLIV, 5. Appien, Tbcr., 46; 67; 89; Ub.,ll. Valèrc-Maxime. IX, 3, 7.
Pour la Gaule, voir Florus, I, 37, 5; Paul Orose, yidu. pagfan., V, 13, 2 (on ne dit pas
cependant que ces élé|)hants aient été envoyés par des rois africains).
8. Pour l'emploi d'éléphants par des rois indigènes, voir, outre les textes que
nous allons citer, Appien, Lib., 126 (éléphants do Gulussa, lors de la troisième
guerre punique); IMutaniue, Pompée, 14 (Pompée ramène à Home beaucoup
d'éléphants royaux, dont il s'est emparé). Souvenir de ces éléphants de guerre
chez un auteur nralx; du xi" siècle. Kl Bekri (Dcscr. de VAfruim' scptenir., trad.
de Slaue, édit. d'Alger, p. 214) : dans les temps anciens, les rois du Maghreb
avaient établi le siège de leur empire à Tanger, et un de ces princes avait dans
son armée trente éléphants.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. ibl
Muthul' et, après celte bataille où tous sont tués ou pris, il lui en
reste encore". Son beau-père Bocchus en possède au moins 60\
A Thapsus, 64 éléphants de Juba I" sont pris par César^ Ce
jour-là, on eut une nouvelle preuve des désastres que pouvaient
causer ces auxiliaires à ceux qui les emplo3^aient : comme en
■d'autres circonstances % ils s'affolèrent, devinrent furieux, se
retournèremt contre leur propre armée et la mirent en désordre.
Cependant les derniers souverains de la Maurétanie, Bocchus le
Jeune ^, Juba II et Ptolémée\ paraissent bien avoir eu encore
des éléphants de guerre. Chez les Carthaginois, ces animaux ne
portaient d'ordinaire qu'un cornac, pour les diriger, et c'était à
€ux seuls qu'on confiait la tâche de faire le plus de mal pos-
sible à l'ennemie L'usage de les munir de tours, contenant
des guerriers, fut plus fréquent chez les rois indigènes'.
Ces princes eurent même une marine, qui, à vrai dire, ne
semble pas avoir été importante : les témoignages qui la con-
cernent sont rares et assez vagues '°. Elle pouvait servir surtout
1. Salluste, Jug., LUI, 4. Le roi avait auparavant livré 30 éléphants aux Romains,
qui les lui avaient rendus : ibid., XXIX, 6; XXXIl, 3: XL, 1.
2. Il les livra ensuite à Métellus : ibid., LXII, 5-6. Mention des éléphants de
Jugurtha dans Végèce, Epif. reimilit., III, 24.
3. Pline l'Ancien, VIII, lo (sans doute d'après Juba II). Pour les éléphants do
Bocchus, voir encore De viris illuslr., 66.
4. Bell. Afric, LXXXVI, 2. Pour le nombre des éléphants que possédait Juba I",
voir t. VIII, 1. I, ch. i, § IV. Éléphant sur des monnaies de ce roi : Millier,
Numism., III, p. 42-43, n°' 55-56.
5. Voir t. II, p. 411.
6. Éléphant portant avec sa trompe une palme, signe de victoire, sur une
monnaie qui est probablement de la fin du règne de ce Bocchus : Millier, l. c,
p. 100, n" 16.
7. Monnaie de Juba II, représentant un éléphant, qui porte une tour et tient
une couronne : Millier, p. 107, n" 76. Éléphant sur d'autres monnaies de Juba II :
Millier, p. 103, n° 20; Dieudonné, dans Rev. numism., 1908, p. 355. n" 36, ot pi. XIII,
flg. 20. Sur des monnaies de Ptolémée : Millier, p. 120, n"' 125-6.
8. T. 11, p. 407-8.
9. Mentions d'éléphants turriti, dans le Rcllum Africum, XX.X, 2;XLI, 2; « cum
turribus » : LXXXVI, 2. Éléphant portant une tour sur une monnaie de Juba II :
V. supra, n. 7.
10. Gicéron, Verrincs, Act. H, iv, 46, 103 (conf. Valère-Maxime, I, 1, e.\t., 2) : un
praefectus reijius, commandant une flotte de Masinissa; mention d'une quinque-
rème. Vers le début du i" siècle, Eudoxe de Cyzique prio le roi de Maun-tanie
de lui donner les moyens d'entreprendre une oxi^éditiou le long de la côte afri-
152 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
à réprimer la piraterie, à moins qu'elle ne s'y adonnât elle-
même, ce dont nous avons un exemple pour l'époque de Masi-
nissa'.
VI
Le principal souci des rois est de se procurer des ressources
financières. Les impôts^ pèsent d'un poids inégal sur les habi-
tants de leurs Etats : réguliers dans les villes et les campagnes
ouvertes, sujets ailleurs à des variations qui dépendent de la
force de contrainte dont le souverain peut user. Certains
groupes sont entièrement exemptés, pour un temps ou d'une
manière définitive : des cités, qui reçoivent ce privilège^; pro-
bablement aussi des tribus qui ont des devoirs militaires parti-
culiers, ou auxquelles on ne demande rien parce qu'on ne
pourra rien obtenir d'elles.
Les impôts sur les produits du sol s'acquittent sans doute
en nature, ce qui est plus commode pour les contribuables.
Ainsi s'expliquent les quantités importantes de blé et d'orge
dont les rois disposent, qu'ils livrent aux Romains*, ou qu'ils
entassent dans des lieux sûrs^ Plutarque*^ nous apprend
qu'après avoir converti en province le royaume de Juba I",
caine de l'Océan (Strabon, II, 3, 4, d'après Posidouius) : ce qui, à vrai dire, n'est
pas une preuve bien forte que ce roi ait eu des vaisseaux de guerre. Proue de
galère sur une monnaie du roi Bogud, contemporain de César : Millier, III,
p. 95, n° 8. — En 46, un chef pompéien garnit ses vaisseaux de rameurs et de
soldats de marine gélules {Bell. Afric, LXII, 1). C'étaient probablement des sujets
de Juba 1*', allié des Pompéiens; ils devaient venir du littoral des Syrtes :
»;. supra, p. 111, n. 13. Juba II eut certainement une flotte; il envoya une expédi-
tion aux Iles Canaries : Pline l'Ancien, VI, 203.
1. Passages de Cicéron et de Valère-Maxime cités note précédente.
2. .Mention de ces impôts sous Masinissa : Appien, Lib., 106. Masintha, prince
numide réfugié à Rome, est, conformément à la demande d'Hiempsal, déclaré
slipendinrius, c'est-à-dire tributaire de ce roi : Suétone, Jules César, 71.
3. Salluste {Jug., LXXXl.X, 4) dit de Capsa : • Eius cives aipud lugurtham
immunes. •
4. Pour les livraisons de .Masinissa, voir t. III, p. 309.
5. Salluste, Ju^., XCIl. 7. Bell. Afric, XXXVl, 4. Conf. supra, p. 144.
6. César, 55.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 153
César se félicita devant le peuple romain d'avoir donné à la
République un pays dont elle tirerait tous les ans 1 200 000 bois-
seaux de blé* (c'est-à-dire 105 000 hectolitres)-. On peut sup-
poser que telle, ou à peu près telle, était la quantité de blé
que l'impôt en nature rapportait à Juba^ dans la partie de ses
Etats qui devint la province d'Africa nova. Était-ce déjà, au
temps des rois, un revenu annuel, toujours le même? Etait-ce,
au contraire, une quotité prélevée sur la récolte, une « dime »,
qui aurait été fixée soit au dixième du produit, soit à un autre
taux, le cinquième, le quart, etc.? Nous l'ignorons. Dans la
première hypothèse, on serait en droit de croire que l'impôt,
étant invariable, n'était pas très élevé; autrement, en cas de
mauvaise récolte, il n'aurait laissé rien, ou presque rien, aux
agriculteurs.
Il y avait certainement aussi des taxes sur le bétail, qui res-
tait la principale richesse des indigènes. Nous lisons dans
Strabon* que les rois faisaient tous les ans recenser les pou-
lains. Cette opération pouvait leur fournir des renseignements
utiles au point de vue militaire, mais elle devait avoir surtout
un caractère fiscal. Comme sous la domination turque en
Algérie, l'impôt aurait pu être perçu, non en argent, mais en
nature : par exemple, à raison d'un bœuf sur trente, d'un
mouton sur cent. Pour les chevaux, il y aurait eu là une
source d'approvisionnement des haras royaux ^ Mais, si ce
mode de paiement était admissible quand il s'agissait de recou-
1. Plutarque dit : 200 000 médimnes; César a dû indiquer le chiffre en modii.
2. Qu'auraient eu à verser, peul-on croire, ceux qui auraient pris à ferme la
perception de l'impôt eu nature, levé sur les agriculteurs. Après sa campagne.
César paraît avoir fait des adjudications à Zama. Bell. Afric, XGVII, 1 : « tributis
vectigaiil)us(|ue regiis locatis >• (correction de Schneider, à la place de « togatis »,
que donnent la plupart des manuscrits).
3. A moins que les 1 200 000 hoisseaux ne représentent la quantité de blé exigée
des publicains auxquels César aurait alTermé les revenus des anciens domaines
royaux. V. infra, p. 191-2.
4. XVII, 3, 19.
.5. Cela eût nécessité un service do contrôle, car, autrement, les contribuables
n'auraient livré que des animaux de rebut.
134 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
vrer ce que devait un groupe de pasteurs solidaires, ou um
gros éleveur, il ne pouvait être appliqué par le percepteur aux.
gens qui ne possédaient personnellement qu'un très petit,
nombre de tètes de bétail.
C'est en argent que s'acquittaient les impôts perçus dans les-
villes*; on peut admettre qu'ils consistaient surtout en des
taxes de capitation, plus ou moins élevées selon la fortune des>
contribuables.
Il n'est pas vraisemblable que le roi ait entretenu un nom-
breux personnel, chargé du détail des opérations financières.
Cette tâche incombait sans doute aux autorités locales, dans les-
cités, les tribus, les villages. Les recensements, plus ou moins
précis, auxquels elles procédaient et qui, naturellement,
devaient être soumis à un certain contrôle, permettaient aux.
secrétaires, royaux de déterminer la capacité de chaque groupe
en matière d'impôts. Sur ces données, se faisait, entre les.
divers groupes, la répartition de la somme totale dont le roi
avait besoin, et c'étaient les chefs des groupes qui avaient à
procéder à la répartition locale, puis à la perception, par les-
moyens qu'ils jugeaient les meilleurs. C'étaient eux qui livraient
les versements, dont ils étaient responsables. 11 va sans dire
que leurs administrés répugnaient à s'exécuter, d'autant plus
qu'ils savaient bien que, d'ordinaire, ces opérations procuraient
aux percepteurs des bénéfices illicites. Souvent même, le refus
de payer était catégorique et général. Le roi devait intervenir,
et faire ce que faisaient les Carthaginois dans leur province-,
ce que feront plus tard les Turcs en Algérie, les sultans aui
1. Ceux que les Carthaginois araient levés dans des villes de la région des
Syrles furent exigés par .Masinissa. Tite-Live, .\XX1V, 02, 2 : « quasdam urbe*
vectigales Carlhaginiensiurn sibi coegit slipendiuin pendere. • Polybe, XXXI, 21,
8, édit. Buttner-Wobsl (alias XXXll, 2) : Cartilage doit verser 500 talents à Masi-
nissa, somme représentant les ri.?venus qu'elle avait perçus dans la région des-
Emporia, depuis le commencement du dilTérend entre elle et le roi (il s'agit de
revenus tirés des villes, conservées par Garthage, taudis que les campagnes,
étaient tombées au pouvoir de Masinissa; conf. t. Il, p. 2Uf), n. 3).
2. Voir t. Il, p. 302, n. 4; p. 303, n. 1.
LES ROIS ET LEURS SUJETS I55.
Maroc. Une colonne de réguliers, quelquefois accompagnée par
des tribus voisines, qu'attire la curée, pénètre sur le territoire des
récalcitrants, et se charge de la levée de l'impôt, ou plutôt d'un
pillage bien plus productif, dont elle se réserve une large part.
D'autres tribus peuvent se trouver, vis-à-vis du souverain,
dans une situation intermédiaire entre celles qui sont assez
fortes pour refuser tout impôt et celles qui sont incapables de
résister longtemps à des exigences appuyées par les armes.
Les risques paraissant à peu près égaux, on se met d'accord
pour les éviter, et le roi se contente d'un versement volon-
aire, d'un « cadeau » que la tribu lui offre de temps en temps.
C'est là un compromis qui se pratique encore au Maroc. Il
doit remonter à un passé lointain. De même, tout ce système
fiscal rudimentaire que nous venons d'attribuer à l'époque des
dynasties numides et maures, non parce que des témoignages
précis nous y autorisaient, mais parce que les choses n'ont
point dû se passer alors autrement qu'à des époques mieux,
connues de l'histoire de la Berbérie.
Nous n'avons pas de renseignements sur les profits que les
rois tiraient des douanes, des péages, des taxes qu'ils levaient
probablement sur les marchés. Même ignorance en ce qui con-
cerne les revenus des domaines*. Il ne semble pas que l'exploi-
tation des mines ait été active^; d'ailleurs, on ne sait si les
souverai-ns s'en étaient réservé la propriété et, dans le cas
contraire, s'ils percevaient des droits, A Simitthu, lieu
d'extraction du fameux marbre numidique, la « carrière
royale » devait appartenir au roi \
Quels qu'aient été les moyens que ces princes employaient
pour se procurer de l'argent, il est certain qu'ils n'en man-
quaient pas. Masinissa et Micipsa laissèrent des trésors bien
1. Vdir te pendant l'hypothèse présentée p. 1.")^, n. 3.
2. V. infra, p. 211.
.3. Infra, ibid.
156 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
remplis*. Le plus important était assurément celui qui se
trouvait dans leur capitale, Cirta. Au siècle suivant, c'est à
Zama, sa capitale, que Juba P^ réunit de grosses sommes^.
Mais des trésors royaux sont aussi mentionnés dans d'autres
villes^ : Suthul*, Thala ^ Capsa". Peut-être étaient-ce des
caisses, dans lesquelles on aurait versé les recettes des régions
dont ces villes auraient été les chefs-lieux financiers; on y
aurait puisé, d'autre part, l'argent nécessaire aux paiements
qui devaient être faits dans les mêmes régions.
Personne n'ignore que Jugurtha put disposer de sommes
fort élevées pour acheter des consciences à Rome. Plus tard,
les largesses des rois africains ne furent pas, prétendit-on,
étrangères aux utiles sympathies qu'ils se créèrent parmi
l'aristocratie delà grande République \ Juba, envoyé par son
père, le roi Hiempsal, pour traiter certaines affaires, était, dit
Cicéron *, aussi bien pourvu d'écus que de cheveux. Quand
Jugurtha offrit de faire sa soumission, Métellus exigea de lui
un versement immédiat de 200 000 livres d'argents
Nous avons pourtant des raisons de croire que presque tout
l'argent qui circulait dans l'Afrique indigène et dont une
1. Appien, Lib., 106 ; Valère-Maxime, V, 2, ext., 4. Sallusle, Jug., XII, 1-2.
2. Bell. Afric, XGI, 2 : « oppidum Zaïnani,... quo ex cuncto regno omnem
pecuniam carissimasque res comportaverat. »
3. Salluste (Ju^-, XII, 2) dit que les trois successeurs de Micipsa, après avoir
conféré, se retirèrent, chacun de son côté, « in loca propinqua thesauris ». L'un
d'eux se rendit en un lieu que les manuscrits appellent Thirmida : peut-être
Thimida Bure, ii proximité de Tliugga.où auraient été les trésors dont il est ques-
tion ici; r. in/ra, p. 265-0.
4. Salluste, ./u^., .\XXVI1,3; conf. Paul Orose, Adv. pa<jan.,W, 15,0 (il ne nomme
pas Sutliul).
5. Salluste, LXXV, 1; voir aussi LXXVI, 1. "
6. Strabon, XVII, 3, 12. Paul Orose, V, 15, 8.
7. Voir De uiris illuslr., 60 : Livius Drusus, le tribun de l'année !)1 avant J.-C,
est aciieté par Bocchus, roi de .Maurétanie, et il cherche à se faire acheter par le
roi de Numidie.
8. De lege agraiia. II, 22, 50 : ■ luba, régis Iliius, adulescens non minus bcne
nummatus (|uam bone capillatus. •
9. Salluste, ^u^/., L.XII, 5. Ce (jui équivaut à O'i 400 kilogrammes. Au contraire,
quatre ans plus tard, après la lin de cette longue gucirre, le butin en or cl en
argent porté au triomphe de Marius fui fort médiocre : voir Plutnrque, Marias, 12.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 157
bonne partie passait par les trésors royaux, était importé de
l'étranger. En effet, si les rois du pays avaient exploité des
mines de métaux précieux, ils ne se seraient pas contentés
d'en faire des lingots, mais ils auraient frappé en abondance
des monnaies d'or et d'argent, comme ils frappaient des mon-
naies de bronze. Or il n'en était rien. Un trésor de 237 pièces
d'argent, enfoui à Cirta en 79 avant J.-C, ou un peu plus
tard, et retrouvé de nos jours', contenait des monnaies
d'Athènes, de Carthage, de Marseille, d'Espagne, surtout des
deniers de la République romaine, mais pas une seule mon-
naie frappée en Numidie. Et pourtant, nous sommes ici dans
la capitale de celte contrée, en un lieu oij, plus que partout
ailleurs, auraient dû circuler les monnaies d'argent numides
si elles avaient été d'un usage courant.
Parmi les monnaies des royaumes indigènes qui peuvent
être datées, les plus anciennes furent émises par Syphax, à la
fin du III' siècle. Elles sont en bronze et portent le nom du
roi en punique ^ De Vermina, fils de Syphax et roi, soit en
même temps que lui, soit après lui % on a des monnaies
d'argent, du reste extrêmement rares*; si elles sont contem-
poraines du règne de Syphax, il y a lieu de supposer que ce
dernier a aussi frappé des monnaies d'argent, dont aucun
exemplaire ne nous serait parvenu.
On recueille souvent, surtout en Algérie et en Tunisie, des
monnaies offrant l'effigie d'un roi barbu, qui porte un diadème
ou une couronne laurée ^ Elles sont, soit en bronze, soit en
1. L. Charrier, Descr. des monnaies de la Numidie, p. 10.
2. Muller, Numism., III, p. 90-91, n"' 2-4, et Supplément, p. 69. Babelon, Bull, des
antiq. afric, I, 1882-3, p. 129-133. Carhonnel, Rec. de Constantine, XLII, 1908, p. 189.
3. La première hypothèse nous paraît la plus probable : v. supra, p. 125, n. 4.
4. Muller, III, p. 88, n' 1, et Suppl., p. 69. Conf. ici, t. III, p. 283, d. 7.'
5. Muller, III, p. 18-19, n°' 20-30; p. 32, n"' 37-42. Les monnaies'à tète laurée,
qu'on a commencé à frapper avant la mort de Masiuissa, semblent plus récentes
que les monnaies à tète diadémée : dans un trésor qui contenait des exemplaires
des deux types, ceux du premier étaient moins usés que ceux du second : Rev.
numism., 1901, p. 291.
GsELL. — Afrique du Nord. V. {{
158 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
plomb; les pièces en plomb abondent tellement' qu'il faut les;
regarder comme des monnaies à cours légal, et non comme
des produits frauduleux, imitant des pièces d'argent : du reste,,
aucune monnaie semblable, frappée en argent, n'a été trouvée.
Malgré d'assez notables différences, qui tiennent avant tout à
l'inexpérience des artisans, toutes ces images représentent le
même homme, Masinissa, comme le prouvent un ou deux
exemplaires où son nom et son titre royal ont été inscrits*.
Mais l'effigie du grand souverain fut conservée par ses succes-
seurs, ses fils et petits-fils, qui ne la remplacèrent pas par la
leur*. En effet, des monnaies qui offrent cette tête paraissent
dater des règnes de Micipsa, de Gulussa, d'Adherbal, peut-
être aussi de Gauda : ces princes se seraient contentés d'y
inscrire la lettre initiale et la lettre finale de leur nom, M et N^
G etN, A et L*. On n'en connaît, jusqu'à présent, ni de Mas-
tanabal, ni d'Hiempsal, fils de Micipsa, ni de Jugurtha^
Tout ce monnayage des royaumes massesyle et massyle se
modèle sur celui de Carthage : le système métrologique semble
bien être le même, le cheval des monnaies carthaginoises
1. Muller, p. 19, n" 36. et p. 31.
2. Exemplaire à tôle laurée, trouvé à Constantine : Babelon, dans Bull. archéoL
du Comité, 1801, p. 253; conf. Doublet et Gauckler, Afusée de Constantine, p. 24.
Autre exemplaire endommagé, que l'on peut compléter d'après celui-là : Muller,
p. n, n" 19; Babelon, Mélanges numismatiques, I, p. 123, et dans B. a. Comité, 1891^
p. 2")3.
3. Un trésor enfoui à Mazia, en Croatie, peu après 89, — c'est-à-dire environ
soixante ans après la mort de Masinissa, — contenait 328 monnaies numides, qui,
toutes, portaient cette effigie, soit diadémée (11 exemplaires), soit laurée (317 exem-
plaires) : Bev. numisin., 1901, p. 291.
4. Voir Berger, Bev. archéoL, 1889, 1, p. 212-5; Babelon, B. a. Comité, 1891,
p. 2D4-5. Les lettres M-N peuvent désigner M{asinissa)n, — ce doit être le cas
pour toutes les monnaies à tèto diadémée, — ou M[ilciwça)n; les lettres G-N, soit
aiulussa)n, soit G(auda)n; le nom A(dherba)l est représenté par A-L. — Les mon-
naies d'argent et de bronze que Millier (III, p. 13, n"' 1-5) attribue à Masinissa
sont sans doute espagnoles; de même, des monnaies d'argent qu'il attribue à
Micipsa (ibid., p. 16-17, n"' 8-18) : voir ici, t. II, p. 328-9. Les deux monnaies d'or
qu'il propose d'attribuer & Micipsa (p. 16, n" 6-7) sont indéterminées (de Juba 1°'?? :
V. infra, p. 160).
5. (Jn doit très probablement cberclier en Espagne l'origine des monnaies
d'argent que Muller (p. 34, n"' 43, 44) attribue à Jugurtlia : voir t. Il, p. 329, n. 3.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 15^
reparaît sur les monnaies numides, les légendes sont ea
punique.
Il n'est pas impossible que certaines monnaies, frappées en
Afrique au ii* siècle, peut-être même jusqu'au i", et dépour-
vues d'effigie royale, aient été cependant émises par des rois
numides : hypothèse qu'on ne doit avancer qu'avec beaucoup
de réserve. Ce sont des bronzes, qui offrent, d'un côté, une
tête virile et jeune entre deux épis, de l'autre, un cheval galo-
pante Peut-être aussi des pièces de bronze et d'argent, avec
une tête de déesse, d'ordinaire coiffée d'une dépouille d'oiseau,,
et, au revers, trois épis ; des lettres puniques, abréviations de
noms indéterminés, accompagnent ces images^. Nous avons
mentionné ^ des monnaies d'argent et de bronze, qui portent
l'inscription Ai.êjcov et souvent aussi une lettre punique, et
qui ont dû être frappées entre la Cyrénaïque grecque et
l'Afrique carthaginoise : on peut se demander si elles ne
datent pas de l'époque où Masinissa s'empara de la région des-
Emporia, sur les Syrtes*.
Au f siècle avant notre ère, régnèrent en Numidie Hiempsal^
puis son fils Juba. Des monnaies de bronze et d'argent, mar-
quées de la lettre punique H, ont été attribuées à HiempsaP :
1. Mûller, M, p. 145 : il croit ces monnaies siciliennes. Beaucoup ont été
frappées sur des monnaies carthaginoises. Elles doivent être africaines et, à en
juger par certaines trouvailles, appartenir au ii° siècle : voir Gauckler, Bull,
archéol. du Coiniié, 1904, p. c.xcv ; de Bray, Bull, de Sousse, V, 1907, p. 96-97;.
Merlin, B. a. Coinilé, 1919, p. 209.
2. Millier, III, p. 176-7, n"» 284-200; Suppl., p. 81, n<" 290 a, 291-4. Ces mon-
naies, frappées quelquefois sur des monnaies de Carthage, sont, au moins en
partie, antérieures à la chute de cette ville : voir Delattre, B. a. Comité, 1893,
p. 116. On en trouve souvent en Algérie. Conf. t. IV, p. 9, n. 1 (où j'indique que
Babelon les croit carthaginoises); ibid., p. 272, n. 3.
3. V. supra, p. 104.
4. Voir t. 111, p. 314 et suiv.
.". Miillcr, III, p. 38, n'" 45-49. La lettre punique serait l'initiale du nom du roi.
Le n" 47 porte HT, qu'on pourrait interpréter à la rigueur (?) //(.tfmpsaZ heinainleke)t,
c'est-à-dire « Iliempsal, personne royale ». L'efligie représentée sur ces monnaies
est tautùt celle d'une déesse couronnée d'épis, tantôt une tète virile, imberbe,
également couronnée d'épis : peut-élre un dieu, et nou pas le roi, car il est fort
probable qu'Hiempsal portait la barbe, comme son IIU Juba.
160 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
ce qui est fort incertain; celles qui sont en argent appartien-
nent au système métrologique romain. De Juba I", il existe
des monnaies en bronze et en argent^, — celles-ci du système
romain, — avec le nom du roi; les bronzes portent une légende
en langue phénicienne et en écriture néopunique; les deniers
et quinaires d'argent, qui offrent, pour la plupart, l'effigie du
roi, sont bilingues^, à inscriptions latine et néopunique. Il ne
paraît pas inadmissible " que Juba ait aussi frappé des mon-
naies d'or *, 011 son portrait aurait été remplacé par un buste
ailé de la Victoire; ces monnaies sont dépourvues de légende,
mais l'image de la face et celle du revers (un cheval galopant) se
retrouvent sur des quinaires émis certainement parce souveraine
En 62 avant notre ère, régnait, entre les Etats d'Hiempsal
et la Maurétanie, un prince que Cicéron ^ appelle Mastanesosus.
C'est peut-être à lui qu'il convient d'attribuer des bronzes,
portant la légende néopunique MSTNÇN HMMLKT, « Masta-
neçan(?), personne royale » ^
Pour la Maurétanie, nous ne connaissons aucune monnaie
royale qui puisse être assignée avec certitude à des souverains
antérieurs à Bocchus et à Bogud, contemporains de César*.
De Bocchus, on a des bronzes, avec son nom et, sur plusieurs,
aussi son litre, en écriture néopunique"; la légende du revers
1. Millier, III, p. 42-43, n"' 50-58 (le n" 54, sesterce d'argent, peut, en effet, être
de Juba I", quoiqu'il ne porte ni l'effigie, ni le nom du roi).
2. Sauf le n" 53 (quinaire), qui est anépigraphe.
3. Hypothèse de L. Charrier, Desc. des monnaies de la Numidie, p. 21-22.
4. Muller, III, p. 10, n"' 6-7.
5. Ibid., p. 42, n" 52.
6. In Valinium, 5, 12.
7. Muller, III, p. 48, n"' 59-61 (et Suppl., p. 65) : il les attribue à un Masinissa, qui
fut contemporain de Juba I". L'altribution à Mastanesosus a été proposée par
M. von Duhn, ZeitschriJ't f. Nunmmalik, III, 187fi, p. 41.
8. C'est sans raisons valables que Muller attribue certaines monnaies de bronze
et d'argent à des rois qu'il appelle Bocchus I", Bocchus II, Bogud I" : Nuniism.,
III. p. 88, n" 1, et p. 90-1)1, n"'2-4 [il s'agit de monnaies de Vermina et de Syphax];
Suppl., p. 71, n°' 4 a et 6 [monnaies indéterminées : conf. ici, t. 11, p. 329, n. 6j.
9. .Millier, III, i>. 97-98, n"' 9-14. La monnaie bilingue (latine et néopunique),
publiée ibid., p. 100, n° 15 (conf. Suppl., p. 73, n" 15 a), nomme le roi Bocchus,
LES ROIS ET LEURS SUJETS. . 161
nous apprend qu'une partie au moins de ces pièces furent
frappées dans les villes de Siga et de Shemesli (c'est-à-dire,
croyons-nous ', Lixus, sur l'Océan). Bogud a laissé des mon-
naies d'argent, du système romain, et des bronzes, portant les
unes et les autres la légende latine Rex Bogut-, Nous parlerons
plus tard^ du monnayage de Juba II, de sa femme Cléopâtre
Séléné et de son fils Ptolémée, contemporains des premiers
empereurs; la langue punique n'apparaît plus que sur des
bronzes de Juba frappés à Shemesh et portant, du reste, le
nom du roi en latin; partout ailleurs, les légendes sont en
latin, ou en grec, et les pièces d'argent sont des deniers du
système romain.
VII
Parmi les rois indigènes, Syphax est le premier qui fasse
figure dans l'histoire. Il fut maître pendant quelque temps de
toute la contrée qui s'appelle aujourd'hui l'Algérie; il eut pour
capitales à la fois Siga, vers l'extrémité occidentale de l'Oranie,
et Cirta, aujourd'hui Constantine. Il épousa une jeune fille de
la plus haute noblesse carthaginoise. Il vit Rome et Carthage
solliciter son alliance; dans la lutte décisive entre les deux Répu-
bliques, il put croire que la fortune pencherait du côté où il
jetterait le poids de ses armes. Il prétendit s'égaler aux
monarques de l'Orient grec, se ceignant, comme eux, du
diadème, mettant son image sur les monnaies qu'il fut sans
doute le premier à frapper en Numidie. Cependant son règne
ne fut qu'une longue lutte contre ses voisins *, probablement
mais c'est sans doute une monnaie municipale, frappée àTingi; voir probable-
ment aussi ibid., u" 16.
1. T. II, p. 174.
2. Millier, III, p. 95, n"' 5-8.
3. Voir t. VIII, I. Il.ch. ii et iv.
4. Outre les guerres contre les rois masayles, dont le récit est donné t. III,
p. 180, 182, 192 et suiv., voir des allusions à d'autres guerres, ibid., p. 197, n. 1.
162 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
aussi contre ses sujets, sans parler des guerres qu'il soutint
contre Carthage et Rome. Son empire s'effondra tout d'un
coup; Masinissa n'eut qu'à se présenter devant Cirta pour s'en
faire ouvrir les portes ; la plus grande partie du royaume masae-
syle se soumit sans résistance aux vainqueurs.
Masinissa accomplit une œuvre plus durable*; il fut le plus
grand entre les grands souverains de la Berbérie, TAlmoravide
Youssef ben Tachfine, l'Almohade Abd el Moumen, le chérif
marocain Moulay Ismaïl, qui, à bien des égards, lui ressem-
blèrent. Il étendit ses États de la Maurétanie à la Cyrénaïque,
il amassa de très grosses sommes d'argent, il entretint des
troupes nombreuses et aguerries. Il propagea l'agriculture et
développa la vie urbaine. Grecs et Romains reconnurent en lui
un vrai monarque. Beaucoup de ses sujets, peut-être la plupart
d'entre eux, oublièrent leur haine instinctive de la royauté, et
l'affection se joignit à la crainte pour les attacher àlui^ Son
culte se perpétua à travers les siècles '.
Mais l'empire qu'il avait créé, qu'il avait soutenu de son bras
puissant, il ne l'avait point organisé. Et, quoique nous connais-
sions fort mal son long règne, en dehors de ses rapports avec
les Romains et les Carthaginois, nous savons qu'il eut à com-
battre des rebelles''; que, deux ans à peine avant sa mort,
six mille cavaliers, conduits par des traîtres, passèrent de son
camp dans le camp ennemi ^
Après lui, le royaume de Numidie aurait pu se décomposer
très vite, comme tant d'autres royaumes berbères, si Masinissa
avait eu des successeurs tout à fait incapables, énervés et
hébétés par une vie de plaisirs. Son petit-fils Gauda, qui, par
la grâce des Romains, remplaça Jugurlha, était, au dire de
1. Corif. t. m, p. 304 (;tsuiv.
2. Popuhiril»' de Masinissa parmi lesMassyles : Tite-Livc,XXIX, 32, 13; XXX, tl.2.
3. Voir l. VI, 1. II. (11. II, § II.
4. Voir t. III, p. 314, 315, pour l'afTaire d'Aphther.
:y. Ibid., p. 323-4.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 163
Salluste', débile de corps et d'esprit, mais très attaché aux
honneurs auxquels il avait droit; il put transmettre ses États à
son fils Hiempsal. Le dernier des descendants de Masinissa, le
roi. de Maurétanie Ptolémée, paraît avoir été un dégénéré;
peut-être ses sujets l'auraient-ils précipité du trône, si
l'empereur Caligula n'avait pas pris ce soin. Mais, en général,
les princes qui régnèrent en Numidie et en Maurétanie se
montrèrent désireux de maintenir leur prestige; avec des
aptitudes diverses, ils s'acquittèrent d'une partie au moins des
devoirs qui leur incombaient. Jugurtha fut un homme remar-
quable, avec de très grands défauts et de très grandes qualités;
il se rendit populaire chez les Numides- et même chez ses
voisins, les Maures ^ La dynastie à laquelle Masinissa avait
donné tant d'éclat, resta, sous ses héritiers, maîtresse de la
Numidie pendant un siècle; puis elle posséda, pendant plus de
soixante ans, la Maurétanie, que les Romains lui confièrent, et
où elle remplaça une autre dynastie, qui semble avoir eu, elle
aussi, une longue existence avant de s'éteindre. Après leur
mort, les successeurs de Masinissa reçurent, comme lui, des
honneurs divins, dont nous avons des témoignages datant de
la domination romaine.
Cependant, si les dynasties durèrent, les royaumes ne s'affer-
mirent pas. Les rares traits de lumière qui percent l'obscurité
dans laquelle leur histoire est plongée, nous révèlent les
désordres auxquels ils sont en proie.
Ce sont, dans la famille royale de Numidie, des haines
implacables : Jugurtha fait assassiner l'un de ses frères d'adop-
lion, Hiempsal; il fait périr dans les supplices l'autre, Adher-
bal; il se débarrasse aussi par l'assassinat de son cousin Mas-
siva, qui, réfugié à Rome, s'élève contre lui en rival; Gauda
1. Jug., LXV. Voir aussi Dion Cassius, fragm. 87, 4.
2. Salfuste, Jug., VI, 1 et 3; LXVI, 2; LXXXIX, 4. Ses naciens sujets restèrent
attachés à sa mémoire : voir Appien, Bell.civ., l, 42.
3. Salluste, CXI, 2.
164 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
s'écarte de son frère Jugurtha et va se mettre au service des
Romains.
Des partages ou des démembrements affaiblissent la royauté,
sans mettre fin aux compétitions. Après Micipsa, ses États sont
divisés en trois royaumes, puis en deux, mais Jugurtha veut
reconstituer l'unité à son profit et y réussit par le meurtre et la
guerre. Trente ans plus tard^ autre guerre en Numidie, entre
Hiempsal, successeur de son père Gauda, et un Hiarbas, qui
nous est à peu près inconnu. Puis nous constatons, en 62,
l'existence du royaume de Mastanesosus, dans une partie de
cette Numidie que Masinissa, Micipsa et Jugurtha avaient
possédée tout entière. En 47, un Masinissa règne à l'Ouest de
Cirta; il est vrai qu'il est l'allié de l'autre roi numide,
Juba P""'. Du temps de Jugurtha, toute la Maurétanie appar-
tenait à Bocchus^; en 81, un prince appelé Ascalis est maître
de Tingi, la ville la plus importante du pays'; en 49, nous
trouvons la Maurétanie partagée entre deux rois, Bocchus
et Bogud^ et cette division dure jusqu'au jour où Bocchus
s'empare des Etats de Bogud.
Des a amis », des parents du roi, de grands chefs conspirent
et trahissent; ils sont punis de supplices atroces quand ils se
laissent prendre. Pendant la troisième guerre punique, Bithyas
abandonne Gulussa et déserte avec huit cents cavaliers chez les
Carthaginoise Bomilcar, Nabdalsa, qui sont les principaux
auxiliaires de Jugurtha, forment un complot pour le livrer aux
Romains*; d'autres sont aussi très disposés à le vendre e Le roi
vit dans le soupçon et la peur; il met à mort quelques-uns des
coupables, mais n'ose les faire tous périr, de peur que ces
{. Appien, Bell, civ., IV, 54.
2. Salluste. Jug., XIX, 7.
'.\. Plutarquo, Serlorius, 9.
4. Pour tout cola, voir t. VII, 1. Il, ch. v.
5. Appipn, Ub., 111. Voir l. III, p. 369.
0. Sallusle, Jug., LXl.i-.'); LXX-LXXI.
7. Ibid., XLVI, 4;XLVI!, 4.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 165
exécutions ne déchaînent des troubles'. Magudulsa, prince
maure, a été un des confidents de Bocchus^ mais, nous ne
savons pourquoi, il a dû s'enfuir à Rome; Bocchus se le fait
remettre et le jette à un éléphant, qui l'écrase ^ Un Masintha
[ou plutôt Masinissa], contre lequel Hiempsal a des griefs et
qui est peut-être son parent, s'est, lui aussi, réfugié à Rome, où
le fils d'Hiempsal, Juba, vient le réclamer*.
Des sujets se révoltent. La ville de Leptis la Grande profite
de la guerre dans laquelle Jugurtha est engagé contre les
Romains pour se détacher de lui'. Pendant la campagne de
César contre les Pompéiens et Juba I", les habitants deThabena
[Thœnœ] massacrent la garnison royale et se donnent au dicta-
teur^ Les gens de Zama, capitale de Juba, lui interdisent
l'entrée de la ville après sa défaite à Thapsus et appellent César \
La capitale de Bogud, Tingi, proclame sa déchéance, tandis
qu'il guerroie en Espagne ^ Des tribus, des peuplades numides
gardent ou reprennent leur indépendance ^ Il est probable que,
comme dans le Maroc d'hier, il y a deux pays, le pays soumis
et celui qui ne l'est pas, et que l'un et l'autre s'étendent ou se
restreignent selon la force ou la faiblesse du souverain.
Au temps de Jugurtha, les Gétules qui vivent dans les steppes
au Sud de la Numidie sont, les uns indépendants, les autres
sujets du roi'°. Celui-ci peut faire chez eux des levées impor-
tantes^'. Mais d'autres Gétules vont servir dans l'armée romaine
et sont pour Marins d'utiles auxiliaires '-. Juba I" fait dans le
1. Ibid.,LXX, 1; LXXII; LXXIV, 1; LXXVI, 1.
2. Appien, Niiinid., p. 1G4, coll. Didot.
3. De viris illustr., 66.
4. Suétone, Jules César, 71.
5. Salluste, Jug., LXXVII, 2.
6. BelLAfric, LXXVII, 1.
7. Ibid., XC1-.\G1I.
8. DionCassius, XLVlll, 45, 2.
9. Conf. supra, p. 100.
10. Sallustn, Jug., XIX, 7 : « Gaeluinrum magna pars... sub lugurlha eraut. »
11. Jbid., LXXX, 1-2; LXXXVIII, 3; XCVII, 4.
12. Bell. Afric, XXXII, 3; XXXV, 4; LVI, 4.
i66 ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE.
Sud, contre des rebelles, une expédition qui dure de longs
mois'. Plus tard, pendant qu'il est occupé contre César, des
Gétules se soulèvent et, pour protéger son royaume, il doit
détacher une partie de ses forces-. En Maurétanie, les Gétules
ne sont pas plus paisibles : nous les avons vus s'emparer
des territoires possédés auparavant par les tribus des Maures
et des Masœsyles^ Comme son père, Juba II a des Gétules à
combattre*.
Ce sont encore des brouilles et des conflits entre rois voisins,
•comme à l'époque de Syphax et de Masinissa. Bocchus, beau-
père de Jugurlha, est en mauvais termes avec lui, et, s'il devient
•ensuite son allié, il le trahit et le livre aux Romains ^ Au
I" siècle, des guerres en Afrique sont, plus d'une fois, des
•épisodes des luttes qui déchirent la République romaine; quand
un roi se déclare pour un parti, son voisin trouve là une bonne
occasion de se jeter sur lui, en se déclarant pour le parti
adverse. Bogud, fils de Bocchus l'Ancien, va prendre à revers
Hiarbas, qui s'est allié avec les Marianistes et que combattent
Pompée et HiempsaP. Juba P' s'étant rangé du côté des
Pompéiens, Bocchus le Jeune se met du côté de César et
envahit la Numidie. Huit ans après, ce Bocchus, avec l'auto-
risation d'Octave, s'empare du royaume de Bogud, qui est un
client d'Antoine \ Mais on se bat entre voisins même quand le
prétexte d'une intervention dans les guerres romaines fait
défaut. Le condottiere Siltius a pu exercer son fructueux
métier pendant de longues années, en passant d'un roi à un
autre.
El ces royaumes dont l'existence est si âprcment disputée
1. Klien, Nal. anim., VIF, 23.
2. lidi Afric, LV.
3. V. supra, p. 97, Ul.
4. Dion Cassius, LV, 28, 3.
5. Voir l. Vil, I. 11, ch. m el iv.
4j. Paul Orose, Adv. pagan., V, 21, U.
7. Dion Cassius, XLVllI, 45, 3.
LES ROIS ET LEURS SUJETS. 167
s'écroulent soudain, lorsqu'un désastre les prive de leur maître.
Après la défaite d'Adherbal, après celle de Juba I", comme
après celle de Syphax, et encore quand Bocchus envahit les
Etats de Bogud absent, les sujets du vaincu se soumettent
•en masse au vainqueur. Les Etats sont pour les indigènes des
groupements instables, et non des patries.
L'histoire de laNumidie et de la M aurétanie avant la conquête
romaine fut, en somme, très semblable à celle de l'Afrique
berbère au moyen âge. C'est la même confusion, la même
suite, monotone et rebutante, de complots, de meurtres, de
révoltes, de guerres, d'effondrements; le même mélange de
boue et de sang; la même incapacité, de la part des maîtres,
•d'organiser les rouages de la machine gouvernementale, de la
part des sujets, de comprendre que la force de l'Etat fait la
prospérité des individus, et que l'acceptation sincère d'une disci-
pline est, en fin du compte, profitable à tous, aux pires
égoïstes comme aux autres.
LIVRE II
EXPLOITATION DU SOL ET
MODES D'HABITATION
CHAPITRE PREMIER
ÉLEVAGE ET CULTURE
Les premiers habitants de la Berbérie s'étaient procuré par
la chasse une très large part de leur nourriture'. L'élevage et
l'agriculture ne firent pas renoncer leurs descendants à ce
moyen de vivre ^ Le gibier était très abondant^ : les pasteurs
pouvaient ainsi épargner leurs troupeaux, les cultivateurs
joindre de la viande à l'alimentation végétale qu'ils tiraient de
leur travail.
Une autre raison faisait de la chasse une nécessité. Les
fauves pullulaient au point d'être un fléau : s'attaquant aux
hommes, s'attaquant surtout au bétail, rendant dans certaines
4 Voir t 1 p 216. Romarqucr pourtant que, dans les stations dites gétu-
liennes (ou aûrignaciennes), où les escargots forment des couches épaisses, les
ossements d'animaux sont rares : les gens qui y vivaient n'éta.ent donc pas de
grands chasseurs. Conf. Paliary, dans UAnlhropologie, XXIX, 1918-J, p. Jy.
2 Voir Salluste, Jug., LXXXIX, 7; PomponiusMéla, I, 41.
3. Pour l'ahondance des animaux sauvages dans l'Afrique du >ord. voir t. 1.
p. 109.
170 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
régions l'élevage presque impossible'. Il fallait, par une guerre
sans merci, écarter ces dangereux voisins, ou réduire leur
nombre. C'était là une tàclie qui exigeait de l'endurance, de la
bravoure et de l'adresse. Les Africains s'y adonnèrent avec
plaisir et même avec passion ^ La santé et la vigueur physique
s'y fortifiaient au grand air; l'amour-propre, très vif chez ces
hommes, trouvait là des occasions de se satisfaire par des
prouesses ou d'ingénieux stratagèmes ^
La chasse fut aussi un moyen de procurer à l'étranger des.
produits et des animaux qu'il attendait de l'Afrique. Les
défenses d'éléphants, que les indigènes gaspillaient à de vils
usages*, fournissaient aux Carthaginois, aux Grecs, aux
Romains, l'ivoire qu'ils employaient dans leurs œuvres d'art
et leur mobilier ^ Les œufs et probablement aussi les plumes
d'autruches étaient recherchés. De même, les peaux de lions
et de panthères. On demandait des singes qui, apprivoisés,
devenaient les hôtes familiers des demeures aristocratiques".
jMais c'était surtout aux spectacles du cirque romain que les
chasseurs numides et maures avaient à pourvoira Dès le début
du II* siècle avant J.-C, il y parut des lions, des panthères,
des éléphants, des autruches, des ours (qui, comme ces autres
animaux, devaient être, au moins en partie, originaires
d'Afrique) \ Un vieux sénatus-consulte interdisaitrintroduction
en Italie des Africanae (appellation qui désignait principalement
1. Voir les textes cités t. I, p. 110, n. 1, et p. 111, n. 5.
2. Ibid.. p. 110, n. 3.
3. Salluste (Jug., VI, 1) dit du jeune Jugurttia : « Pleraque tempora in venando
agere, leonem atque alias feras primus aut in primis ferire. •
4. Pline l'Ancien, VIII, 31, citant Polybe; conf. ici, t. 1, p. 7i. Plus tard, les
indigènes se montrèrent plus soucieux de recherclior les défenses d'éléphants,
([ue, sans doute, on leur payait bien : Élien, Nal. anim., XIY, 5 (peut-être d'après
Juba H).
5. T. I, p. 79, u. 9.
0. Voir t. III, p. 304 (d'après Ptolémée Kvergète II).
7. Conf. Slrabon, II, 5, 33.
8. Tite-Live, XXXIX, 22 (en 180); XLIV, 8, (en 109). Plaute, Pocnulus, 1011-2;
Persa, 199. Conf. t. I, p. 110, n. 8; t. III, p. 312, n. 1.
ELEVAGE ET CULTURE. [It
les panthères *) : le peuple décida qu'il ne serait pas appliqué
pour les bêtes destinées aux jeux publics^. A la fin du même
siècle, on vit pour la première fois, selon Pline l'Ancien', des
lions combattre dans le cirque. Quelques années après, ce fut
le tour des éléphants*; puis, en 79, on mit aux prises
éléphants et taureaux ^ Sylla, préteur en 93, donna le spectacle
de cent lions attaqués par des Africains, munis de javelots;
fauves et gens lui avaient été envoyés par son ami le roi de
MaurétanieBocchus". En 61, le peuple vit cent ours de Numidie,
opposés à autant de chasseurs éthiopiens'; en 58, on lui
présenta 150 panthères*. Aux fêtes que Pompée célébra pour
l'inauguration de son théâtre, en 55, figurèrent 410 panthères',
500 ou 600 lions*", et une vingtaine d'éléphants y luttèrent
contre des Gétules, porteurs de javelots ". En 46, lors des
triomphes de César, 400 lions parurent au cirque'^, ainsi que
deux troupeaux de vingt éléphants; le premier avait pour
adversaires 500 fantassins; le second, où les animaux étaient
1. T. I. p. 110.
2. Pline l'Ancien, VIll, 64 : sur la proposition du tribun Cn. Aufldius, peut-
être le personnage qui exerça cette charge en 170 (voir Real-Encyclop. de Pauly-
Wissowa, 11, p. 2288-9, n°' 4 et 5). Mais cela ne se concilierait guère avec
Tite-Live, XXXIX, 22, qui mentionne une cbasse de lions et de panthères aux
jeux romains dès 186; voir aussi Plante, Poenulus, 1011-2 (comédie représentée
vers 190), où, sous le nom plaisant de mures Africani, paraissent être désignées
des panthères, destinées au cirque (conf. t. I, p. 127, n. 7).
3. VIII, 5-3.
4. Pline, VIII, 19 (en 99).
5. Ibid.
6. Pline, VllI, 53. Sénèque, De brevit. vitae, XIII, 6. Auparavant, on avait
vivement souhaité que Sylla fût édile, pour qu'il donnât des chasses et des
combats d'animaux africains : on connaissait, eu effet, son amitié avec Hocchus.
C'est ainsi, du moins, que Sylla expliquait son échec à la préture en 95. Voir
Plutarquo, Sylla, 5.
7. Pline, VIII, 131.
8. Id., VIII, 64.
9. Pline, ibid.
10. Pline, VIII, 53 (600 lions). Plutarque, Pompih-, 52, et Dion Cassius, XXXIX,
38,2 (500 lions).
11. Pline, VII!, 20. Sénèque, l. c. Dion, /. c. Les chiffres varient : 20, 18, ou 17.
Voir aussi Plutarque, Pompée, 52; Ciréron, Adfamil.. VII, I, 3.
12. Pline, VIII, 53.
172 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
armés de tours portant des guerriers, eut à combattre, outre
500 fantassins, le même nombre de cavaliers'.
C'étaient encore des fantaisies auxquelles servaient des
animaux d'Afrique : Pompée faisant atteler à son char des
éléphants, lors de son triomphe africain^; Marc-Antoine le
triumvir se constituant un attelage de lions ^
Il est possible que ces acquisitions de bêtes exotiques aient
été faites quelquefois par l'intermédiaire de commerçants,
d'entrepreneurs, qui se procuraient et transportaient comme ils
le pouvaient la précieuse marchandise \ Mais, en général, les
magistrats qui donnaient des jeux devaient s'adresser aux rois
du pays% empressés à les satisfaire.
Les procédés de chasse variaient naturellement selon la force
des animaux et ce qu'on voulait faire d'eux : les tuer sur place
ou les prendre vivants. On rabattait les éléphants vers des
fosses, couvertes de branchages, dans lesquelles ils tombaient %
ou vers de longs boyaux sans issue \ Des fosses servaient aussi
à capturer les fauves ^ Au fond de ces trous, ou bien encore à
l'intérieur de filets entre lesquels on les ramenait, on plaçait une
cage, où l'on suspendait un appât, par exemple un chevreau,
un morceau de viande pourrie, cage dont la trappe s'abaissait
comme la porte d'une souricière ^
i. D'après Pline, VIII, 22. Suétono {César, .39) et Appien {Bell, civ., Il, 102)
meationaent deux p:roiipes de vingt éléphants, opposés l'un à l'autre. Voir
encore Velléius Patercuius, II, 56, 1; Dion, XLUI, 23.
2. Pline, VIII, 4. Plutarque, Pompée, 14.
3. Pline, VIII, 55.
4. Conf. une plaisanterie de Plaute, Poenulus, 1011-2.
5. Gomme le fit Sylla lors de sa préture.
6. Pline, VIII, 24; Plutarque, De sollert. anim., 17 (d'après Juba II).
7. Pline, VllI, 25 (procédé employé, dil-il, par les rois).
8. Pline, VIII, 54. Conf., pour une époque plus récente, Claudien, Consul. Stilich.,
III, 339-341.
9. Klion, Nnt. anim., XIII, 10 (peut-être d'après Juba II). Conf., pour l'époque
romaine, Oppicn, Cyneg., IV, 77 et suiv. ; Claudien, l. c, 340-1 ; Invent, des mosaïques
de l'Afrique, Tunisie, par Gauckler, n" 007; ibid., Algérie, par de Pachtere,
n" 45. — D'autres slratagémcs sont Fiientionnés par Élien, L c, XIV, 11; Oppien,
/. c, IV, 320; etc.
ÉLEVAGE ET CULTURE. 173
Les Africains chassaient surtout à cheval', s'efforçant de
rejoindre ou de cerner les animaux qui s'enfuyaient devant
eux, cerfs, ânes sauvages, antilopes, autruches, renards, voire
même lièvres, puis les tuant à coups de javelots, ou les captu-
rant avec un lasso ^ Mais les grands fauves, les sangliers, les
ours, qui faisaient face à l'attaque et que les javelots ne jetaient
pas à terre, devaient être souvent combattus corps à corps, avec
la lance, l'épieu, le coutelas \
L'usage des chiens de chasse n'était pas répandu partout\
Cependant, comme ils n'étaient point inconnus dès l'époque
préhistorique ' et qu'ils furent très employés à l'époque romaine ',
on peut croire que les contemporains des rois numides et
maures ne dédaignaient pas ces auxiliaires. Mais, dans l'anti-
quité comme aujourd'hui, le chien devait servir surtout à la
garde des demeures, peut-être aussi, chez certains peuples, à
l'alimentation '.
1. Nombreux témoignages à l'époque romaine : Élien, Nat.anim., X(V, 7; 10;
11; U; Arrien, Cyneg., 24; Gsell, Inscr. lai. de VAlgérie, I, 2 831. Mosaïques, apud
Gauckler, n»» 17, 64, 375, .ï93, 607, 672, 753, 703, 770, 771, 886; de Pachtere, n"' 45,
260. 422, 425; Tunisie, Supplément, par Merlin, n" 615 a.
2. Emploi du lasso : Arrien. Cyneg., 24, 3. Mosaïques, apud Gauckler, n" 886; de
Pachtere, n° 45; Merlin, n° 615 a.
3. Mosaïques de l'époque" romaine, apud Gauckler, n° 593; de Pachtere,
n"' 316, 329, 443, 450. Peinture : Bull archéol du Comité, 1910, p. 92. Des gens
courageux jetaient même leur manteau sur la tête du lion, de manière à lui
couvrir les yeux : Pline, YIII, 54; Lucain, IV, 685-6. Mais Pline (l. c.) dit que ce
fut au temps de l'empereur Claude qu'un Gélule s'avisa de ce procédé. Capture
d'un ours au lasso : mosaïque, apud Merlin, n° 465 a.
4. Klien, i\at. anim., VI, 10. Oppien, Cyneg., IV, 46 et suiv.
5. Voir t. I, p. 217.
6. Comme le prouvent les mosaïques africaines représentant des chasses :
apud Gauckler, n"' 64, 178, 598, 648, 753, 763, 770, 887; de Pachtere, n'" 260,
262, 329, 443. Bas-relief : B. a. Comité, 1902, p. 407-8; peut-être aussi Doublet,
Musée d'Alger, pi. VI. Arrien, Cyneg., 24, 4. Némésien, Cyneg., 229-230. Gsell,
Inscr. lai. de l'Algérie, 1, 2 831.
7. Voir t. VI, 1. I, ch. i, § I. Pour l'absence probable de chiens de berger,
voir p. 179.
Gsell. — Afrique du Nord. V.
12
174 EXPLOITATIOxN DU SOL ET MODES D'HABITATION.
II
Salluste dit brièvement que le sol de l'Afrique est « bon
pour le bétail » ' : ce qui est vrai, quoique le climat crée à
l'élevage d'assez grandes difficultés^. Au second siècle avant
notre ère, Polybe écrivait^ : « Dans cette contrée, l'abondance
des chevaux, des bœufs, des moutons, et aussi des chèvres, est
telle que je ne pense pas qu'on puisse trouver rien de semblable
dans tout le reste de la terre. » Et il ajoutait : « La raison en
est que beaucoup de tribus de la Libye ne font pas usage des-
produits de la culture, mais vivent de leurs troupeaux et
avec leurs troupeaux. »
C'étaient, dit Tite-Live *, les troupeaux qui, chez les Numides,,
constituaient la richesse; ce que Pomponius Méla^ dit aussi
pour les indigènes qui vivaient loin du littoral. Au v* siècle,
Hérodote*^ ne connaissait que des pasteurs, vo|j.ào£ç, entre
l'Egypte et la petite Syrte. Plus tard, le nom de Noaioe; fut
donné par les Grecs aux peuplades qui s'étendaient depuis le
territoire de Carthage jusqu'à l'Océan. Ce fut peut-être, on l'a
vu'', la transformation, par un jeu de mots, d'un nom indigène,
mais, que celte hypothèse soit fondée ou non, l'adoption du
terme Nojjiàos.; prouve que ces peuples étaient, aux yeux des
Grecs, des pasteurs; il se peut, du reste, que l'appellation, une
fois admise, ait fait exagérer l'importance, assurément très
grande, de l'élevage chez les Africains.
Ils s'y adonnaient depuis fort longtemps. Les stations néoli-
1. Jug., .W^II, 5 : • aj^er... bonus pocori. • Montions de troupeaux appartenant
à des indigènes, ibid., XX, 3: XLVI, 5; XLVill, 4; LXXV, 4; XG, 2.
2. Voir t. 1, p. 109-17(1.
•i. XII, .3, 3-4. J'ai déjà cité ce passage t. IV, p 40.
4. X.XiX, 31, 8 : « ... pocoribus suis, — ea pecunia illis esl. »
5. 1,41.
<;. IV, 181, 180.
7. P. 100.
ÉLEVAGE ET CULTURE. 175
thiques contiennent des ossements de moutons, de chèvres, de
bœufs ' ; les gravures rupestres offrent des images de ces
animaux domestiques ^ Le cheval a été au service de l'homme,
en Libye, depuis la fin du second millénaire avant J.-C^ Rien
ne prouve que les colons venus de Phénicie, que les Cartha-
ginois aient largement contribué à répandre l'élevage parmi les
indigènes, que ceux-ci aient reçu d'eux d'utiles leçons pour les
soins à donner au bétail et le perfectionnement des races.
Le développement de l'agriculture, qui diminua les espaces
dont les pasteurs disposaient, n'empêcha cependant pas l'éle-
vage de rester l'occupation du plus grand nombre des Africains.
« Les Numides, dit Salluste*, s'appliquent plus à entretenir des
troupeaux qu'à cultiver la terre. » Il en était ainsi, naturellement,
dans les régions où le sol est trop pauvre, où les pluies sont
trop rares pour permettre l'agriculture. Mais il y avait encore
des populations pastorales dans des pays qui auraient fort bien
convenu à la culture des céréales. Strabon le constatait^ : « Les
Maures, quoique habitant une contrée généralement fertile,
continuent, pour la plupart, à vivre en pasteurs. » Et il faisait
la même remarque à propos des Numides''.
Nous avons déjà indiqué^ pourquoi tant d'indigènes
demeuraient fidèles au genre de vie de leurs pères. C'était sans
doute surtout par routine et par paresse ^ : à ces hommes, inca-
pables de s'imposer un dur labeur et insoucieux de se procurer
à ce prix un peu plus d'aisance, la charrue devait paraître,
1. T. I, p. 219, 225 (pour les bœufs, il n'est pas certain qu'il s'agisse d'animaux
domestiques).
2. ]bid., p. 221, 225-6.
3. Ibid., p. 233.
4. Jug., XG, 1 : « Numidae pahulo pecoris magis quam arvo sludent. »
5. XVII, 3, 7.
0. XVll, 3, 15. Il dit que Masinissa les a transformés en agriculteurs, ce qui
n'est vrai que pour une partie d'entre eux.
7. T. I, p. 23").
8. Pomponius Mêla (1, 28) dit de la Maurétanie : « solo quam viris molior el
segnitia genlis obscura. »
176 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
comme à d'autres peuples anciens et modernes', un instrument
de servitude, digne de leur mépris. C'était probablement aussi
parce qu'il leur semblait plus facile de mettre leur bétail hors de
l'atteinte des ennemis, des pillards, que d'empêcher ceux-ci de
détruire des récoltes- et de couper des arbres fruitiers. La
formation de grands royaumes n'avait établi définitivement ni
la paix, ni la sécurité : il ne fallait pas trop compter sur la
protection du souverain.
Cependant un peu d'ordre et de police s'était introduit dans
le chaos : condition favorable à l'élevage aussi bien qu'à la
culture. La diminution du nombre des fauves, chassés avec
ardeur, était aussi un bienfait pour les propriétaires de troupeaux.
Parmi les pasteurs, les uns avaient des demeures fixes, ou ne
se déplaçaient que dans un espace restreint, les autres étaient
véritablement des nomades. Cette distinction n'a pas échappé
aux anciens : elle est indiquée par Pomponius Mêla d'une
manière très nette % et aussi par Salluste\ Dans le Tell, il y a
quelques régions où le bétail peut vivre toute l'année ; il y a
aussi des plaines à pâturages d'hiver et, à proximité, des
montagnes, des forêts à pâturages estivaux : une tribu qui
possède les unes et les autres y conduit alternativement ses
troupeaux' et y trouve, par surcroît, un climat doux pendant
l'hiver, la fraîcheur pendant l'été. Ces pasteurs, qui ont de l'eau
et des herbages en abondance, élèvent surtout du gros bétail,
des bœufs et des chevaux''.
!. P. ex., dans l'antiquité, les Thraces (Héroddle, V, 6), les Galiciens (Silius
Italicus, III, 231-2), les Gaulois (Cicéron, République, III, î), I.")): do nos jours, les
Arabes, les Touareg, etc.
2. Il est vrai que, pour le pasieur. la perte de son bétail est bien plus grave
que ne l'est, pour l'agriculteur, la perte d'une récolte. Mais le premier peut
échapper à ce ri'^que en s'enfuyanl avec ses troupeaux ou en les enfermant dans
un refuge, tandis que le second doit abandonner la récolle sur pied.
3. 1, 41-42.
4. Jug., Xl.\, 5.
5. V. supra, p. OU.
6. Sur les conditions de l'élevage du bœuf et du cheval, voir t. I. p. 170-1.
ÉLEVAGE ET CULTURE. 177
Les vraies tribus nomades hivernent dans les steppes, où
elles ont leur territoire propret Elles s'y déplacent souvent
car les pâturages sont pauvres, et la plupart des points d'eau
vite épuisés-. Leur bétail se compose surtout d'animaux sobres
et résistants, chèvres, moutons^, ânes; le climat sec qui règne
dans ces pays en hiver convient mieux aux moutons que
le froid humide d'une bonne partie du Tell. Elles ont aussi des
chevaux, qui sont plus exigeants, mais qui, pourtant, peuvent
vivre dans la steppe. Ces nomades, ce ne sont pas les Africains
auxquels les Grecs et les Latins réservèrent le nom de Noixàoî^,
Numidae, après l'avoir donné à tous les indigènes non sujets
de Cartilage ; ce ne sont pas les habitants de la Numidie pro-
prement dite, entre l'ancien territoire punique, devenu province
romaine, et la Maurétanie, entre la Méditerranée et les steppes.
Ce sont les Gétules\ qui bordent au Sud la Maurétanie, la
Numidie et la province. Strabon ^ remarque qu'ils ressemblent
aux Arabes nomades : preuve, entre beaucoup d'autres, que la
grande invasion arabe du xi^ siècle de notre ère n'a pas introduit
en Berbérie des mœurs nouvelles. Ce sont ces pasteurs de Libye
qu'a dépeints Virgile® : leur troupeau paît nuit et jour pendant
1. Voir ifi, p. 70.
2. Conf. t. I, p. 170.
3. Sur les conditions de l'élevage de ces animaux, voir t. I, p. 171-2. Il n'v a
évidemment aucun compte à tenir d'un passage de Strabon (XVII, 3, 19), qui
prétend que les Gétules, surtout dans les régions les plus voisines des Ktliio-
piens, nourrissent de lait et de viande leurs moutons. Pour le lait, celte indica-
tion serait admissible s'il s'agissait de poulains, et non pas de moutons. Dans
les stoppes de l'Algérie, on donne souvent aux poulains du lait caillé de
chamelle, et aussi de brebis et de chèvre.
4. Pour le nomadisme des Gétules, v. supra, p. 112.
5. XVII. 3, 19.
6. Géorg., III, 339-345 :
Quiil lil.ii pastoros Lihyap, qiiid pasoua versa
Prosoquar, et raris hal)itata raapalia tectis ?
Saepo diein noctcmque, et totum ex ordine menscm
Pasritiir, itquo porus longa in desorta sine uUis
Ilospitiis : tantum oampi iarct. Oninia scciiin
Armcntarius Afcr agit, tcctuniquo, laremque,
Armaquc, .Vniyolacumquo caneni, Cressanique pharptrani.
Tous les détails de cette de.scriptioQ poétique ne doivent pas être pris au pied
de la lettre. Les nomades africains n'avaient probablement pas de chiens comme
178 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
des mois, s'avançant dans de longs déserts, où il ne trouve aucun
abri, et couchant sur le sol; eux-mêmes portent tout avec eux,
leur toit, leur foyer, leurs armes.
En été, il faut quitter ces vastes plaines, devenues vraiment
désertiques. Nous avons dit' dans quelles conditions ceux qui
ne doivent pas se contenter des montagnes du Sud pénètrent
dans le Tell, les désordres, les conflits, et aussi les accords qui
naissent de ces migrations. Quoiqu'on n'ait aucun renseignement
à cet égard, on peut croire que les rois désireux de faire la
police de leurs Etats, surtout Masinissa, s'efforcèrent de régu-
lariser les déplacements des nomades et de les empêcher de
commettre trop d'excès.
III
Les chevaux exceptés, nous ne savons presque rien sur les
animaux domestiques possédés par les indigènes. Aucun texte
ne mentionne de porcs, bien qu'il ne soit pas impossible que
des Libyens en aient élevé : les Guanches des îles Canaries en
avaient, et c'était sans doute de l'Afrique du Nord que cet
animal avait été importé chez eux, comme le chien, le mouton
et la chèvre. Mais, au v' siècle avant notre ère, les Libyens
orientaux s'abstenaient de viande de porc, h l'exemple des
Egyptiens^, et l'interdiction put s'étendre vers l'Ouest; on ne
saurait dire si les Phéniciens, — qui ne mangeaient pas de
porc% — exercèrent à cet égard quelque influence sur les gens
du pays.
surveillants de troupeaux, ni peut-iHre môme comme rompagaons de chasse.
Leur armement ordinaire était, non pas l'arc, mais le javelot. — Conf. Mêla,
I, 42 : ■> Interiores incultius etiam scquuntur vagi pecora, utque a pabulo ducta
sunt, ita se ac tuguria sua promovent, atque, ubi dies deflcit, ibi noctom agUQt. »
Voir aussi le inf-me, III, 104.
1. P. .T.Mil, 74-7.").
2. Hérodote, IV, 186. Conf. t. I, p. 22:j.
3. T. IV, p. 44.
ÉLEVAGE ET CULTURE. 179
Dans un passage précédemment cité ^, Polybe vante la richesse
de la Libye en chevaux, bœufs, moutons et chèvres. L'abon-
dance des moutons chez les Libyens orientaux était déjà presque
proverbiale en Grèce quelques siècles plus tôt^. Nous n'avons
pas d'informations sur les races, mais l'espèce dite barbarine,
à grosse queue, était probablement répandue au delà du territoire
carthaginois, oii son existence est attestée par des images que
portent des stèles ^ Comme aujourd'hui, les chèvres devaient
être souvent mêlées aux moutons * et les conduire, car l'emploi
des chiens de berger était inconnu, ou du moins très rare^
Outre les services que les ovins et les caprins rendaient par
leur lait, et aussi par leur viande, — dont on n'abusait pas, car
on ne tuait les bêtes que par nécessité et on mangeait surtout du
gibier, — les toisons et les poils servaient à faire des vêtements.
Avec les poils delà race caprine du Cinyps (rivière située entre
les deux Syrtes), on fabriquait des feutres, qui furent renommés à
l'époque romaine". Partout, les gens du peuple aimaient à se
couvrir de peaux de chèvres \
Selon Paul Orose \ qui a dû copier Tite-Live, Carthage, au
milieu du iii^ siècle, aurait condamné des Numides, alliés de
Régulus, à lui livrer 20 000 bœufs : il s'agit peut-être de tribus
1. P. 174.
2. Odyssée, IV, 85-89. Pindare, Pylh., IX, 6. Oracles attribués à la Pythie, apud
Hérodote, IV, 155 et 157. Pour les moutons des Libyens, voir aussi Hérodote, IV,
187; pour les chèvres, ibid., 187 el 189, et, plus tard, Llien. A'at. anim., VU, 8;
XVI, 33.
3. T. IV, p. 44.
4. Ce qu'on pourrait à la riirueur induire du passage de Polybe (XII, 3, 3) où,
dans l'énuméralion des animaux domestiques qui vivent en Libye, il unit
étroitement les moutons et les chèvres : ... TipoSiTuv, ajia 6a to'Jto-.; alviûv
•nAriOoç.
5. Élien (Nat. anim., YI, 10) dit que les Libyens nomades n'ont pas de chiens.
Actuellement, les bergers du Nord de l'Afrique s'en passent d'ordinaire, sauf
dans quelques régions du Maroc.
6. Virgile, Géorg. III, 311-3, et le commentaire de Probus. Pline l'Ancien, VIII.
203. Martial, Vil, 95, 13; XIV, 140. Anlhol. Lat., édit. Riese, p. 132, n" 117, v. c!
Isidore de Séville, Elym., XIF, 1, 14.
7. Voir. t. VI, 1. I, ch. i, § IV.
8. Adv. pagan., IV, 9, 9. Conf. ici, t. III, p. 92.
180 EXPLOITATION DU SOL ET MODES DHABITATION.
qui vivaient dans le Nord-Ouest et le centre de la Tunisie,
pays propices à l'élevage de ces animaux. Cependant le chiffre
indiqué est si élevé qu'il ne paraît pas admissible'. La race
bovine qui est aujourd'hui répandue dans l'Afrique du Nord y
vit sans doute depuis fort longtemps-. Pour l'époque que
nous étudions, nous n'avons ni textes, ni images^ qui nous
permettent de la reconnaître. Strabon* affirme qu'à l'intérieur
des terres, chez les Gétules, les bœufs ont le cou plus long
qu'ailleurs, et c'est en plein Sahara, chez les Garamantes,
qu'Hérodote ° relègue ses bœufs opisthonomes; ils ont, dit-il,
les cornes inclinées en avant, au point d'être forcés de paître à
reculons : assertion des plus suspectes ^
L'espèce bovine ne servait pas seulement à l'alimentation par
sa viande et son lait, à l'industrie par son cuir, aux travaux
agricoles par son emploi à la charrue. Au Maroc (dans le Moyen-
Atlas) comme au Soudan, on met encore des bâts sur des
bœufs pour faire des transports, et c'est là un usage fort ancien \
Il se peut même que, dans certaines régions de la Berbérie,
comme chez les Garamantes *, comme chez des nègres de l'Afrique
orientale', les bœufs aient servi de montures.
Les Libyens voisins de l'Egypte possédaient des ânes au
second millénaire avant J.-C. '". IMalgré l'absence de preuves
pour les temps antérieurs à la conquête romaine, on se per-
suade aisément qu'un animal qui vivait en Berbérie à l'état
sauvage " était largement employé à l'état domestique, où il
1. Aujourd'hui, il n'yapas200000 bovins danstoulda Tunisie(l lOOOOOenAlgérie).
2. Voir t. I, p. 218 et suiv.
3. Image très grossière d'un bœuf sur une stèle de Cirta : Rec. de Conslanline,
XVIII, 1876-7, pi. I, rig. 1.
4. XVII, 3. 19.
5. IV, 183.
6. Voir Gsell. Hérodote, p. 170-1.
7. Pour dos bœufs bâtés à l'époque préhislori(iue, voir t. I, p. 221.
8. Voir t. I, p. Cl.
9. Ch. de la Honcière, La découverte de CAfrique ait moyen àye, I, p. 80.
10. T. I, p. 228.
11. Ibid., p. 116.
ÉLEVAGE ET CULTURE. 181
pouvait rendre tant de services en exigeant si peu.de soins. II.
est à croire aussi que Télevage du mulet, pratiqué sur le ter-
ritoire punique ', n'était pas inconnu des indigènes.
Qu'ils aient eu beaucoup de chevaux, c'est ce qu'atteste,
outre Polybe -, la proportion élevée de la cavalerie dans les
armées, par rapport à l'infanterie \ L'élevage du cheval s'était
répandu jusque dans le Sahara \ Mais c'était surtout en
Numidie qu'on s'y livrait. Nous savons de quelle utilité les cava-
liers numides furent pour Carthage \ Ils ne furent pas moins
utiles à leurs rois et aux Romains. Au milieu du i" siècle,
Juba en leva un très grand nombre, qui servirent soit dans ses
troupes, soit sous les ordres des chefs pompéiens ^ Au temps
deMicipsa, Cirta pouvait, selon Strabon ^ en mettre 10 000 à
la disposition du souverain.
Le même auteur dit * que les rois donnaient une attention
particulière à l'élevage des chevaux et qu'ils faisaient faire
chaque année le recensement des poulains : on en comptait
environ 100 000. Strabon n'indique pas avec précision de quels
rois il s'agit \ C'étaient sans doute les maîtres du grand
royaume de Numidie, tel que l'avait constitué Masinissa et que
l'avaient possédé après lui Micipsa et Jugurtha. Le chiffre est,
du reste, invraisemblable, s'il se rapporte bien à un recen-
sement des poulains, c'est-à-dire des animaux nés dans le cours
de l'année qui s'écouhiTt entre deux recensements. Cela sup-
poserait un total d'au moins un million de chevaux de tout
1. T. IV, p. 40.
2. Passage cité p. 174.
3. V, supra, p. 148, n. 6.
4. Voir p. 7, n. 8.
5. T. II, p. 361 et suiv.
6. Voir t. VIIl, 1. I, ch. i, § IV. Quelques années plus tard, un prinre numide,
Arabion, disposait de nombreux cavaliers : Dion Gassius, XLVIII, 22, (5.
7. XVII, 3, 13. Conf. supra, p. 136, n. 2.
8. XVII, 3, l'J (peut-être d'après Posidonius). Conf. supra, p. 20, n. 4, et p. 153.
9. Cette assertion se trouve dans un développement sur l'intérieur de la Libye-
et sur les Gélules.
•182 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
■âge; or, de nos jours, dans toute l'Algérie, on n'en compte
^uère plus de 220 000 ', et il n'y en a que 40 000 en Tunisie.
Si ce passage de Strabon mentionnait 10 000 poulains, au lieu
de 100 000, ou bien 100 000 chevaux, au lieu de 100 000 pou-
lains, il inspirerait plus de confiance.
Mais, quand le géographe affirme la sollicitude des rois pour
i'élevage du cheval, il a certainement raison. Il importait à ces
princes de disposer d'une bonne cavalerie pour maintenir leur
domination. Eux-mêmes devaient, comme leurs sujets, aimer
les chevauchées, soit en chasse, soit en guerre -. Un fils de
Masinissa, Mastanabal, tira de ses haras des poulains capables
d'aller remporter, en 168 ou 164, le prix aux courses des Pana-
thénées ^ Un cheval est représenté au revers des monnaies de
Syphax *, de A'ermina ^, de presque toutes celles qui portent
l'effigie de Masinissa et qui furent frappées par ce prince et ses
successeurs ^ C'était, il est vrai, à l'imitation des monnaies
carthaginoises, mais les souverains indigènes n'auraient pas
adopté cette image, si elle ne leur eût été agréable, s'ils ne
l'eussent jugée propre à être, en quelque sorte, le symbole de
leur pays. Cirta ^ et d'autres villes situées, semble-t-il, en
JVumidie * figurèrent aussi un cheval sur leurs monnaies.
Représentations fort imparfaites % suffisantes cependant pour
1. ChilTre moyen pour la période 1900-1915 (ce nombre a diminué depuis la
guerre : en 1920-1, la statistique officielle n'en indique que 162 000).
2. De même que son aïeul .Masinissa, Jugurtha était sans doute un brillant
■cavalier : voir Salluste, Jug., VI, 1.
3. Inscr. Graecae, II, 968, 1. 41-42. Conf. t. III, p. 308.
4. Mùller, Numism., III, p. 90-91, n"' 2-4.
5. Ibid.,Y>. 88. n" 1.
6. Ibid., p. 17-19 et 32, n"' 19-42. Plus tard, sur des monnaies d'Hiempsal II (?) :
ibid., p. 38, n"* 4.Ï-49; de Juba l" : p. 42, n"' 52, 53, et peut-être p. 16, n»' 6-7;
de Ptolémée : p. 126, n'" 123-4.
7. Ibid., p. GO, n"*?!, 72.
8. Ibid., p. 65, n" 75-76; p. 66, n» 79; p. 67, n"' 80-81. Les aUributions de
Mûllcr sont très contestables.
9. Auxquelles on peut joindre deux stèles de Cirta, où des chevaux sont
figurés : C. I.S., I, t. Il, p. 242, au n" 1756; pour l'une d'elles, Uec.de Constantine,
.XVIII, 1876-7, pi. Il, flg. 4. — Pour l'époque romaine, nous avons de meilleurs
ÉLEVAGE ET CULTURE. 183
nous permettre de reconnaître sur ces monnaies, comme sur
celles de Carthage S les ancêtres de la race barbe ^ aux formes
lourdes, ramassées, à la tête forte, à l'encolure large ^ à la
crinière abondante, au dos concave, à la croupe courte, aux
jambes basses. Ce sont là ces chevaux, petits *, maigres ^ dis-
gracieux % dont parlent quelques auteurs. « La tète est laide,
dit un poète latin d'Afrique ^ le ventre difforme,... la crinière
fouette les épaules saillantes. » Au galop, cette tête, tendue,
s'allonge sans élégance en avant du cou raidi \ L'aspect
général est à la fois rude et mesquin. Mais les barbes ont des
qualités que les anciens n'ignoraient point et qui font d'eux
d'admirables auxiliaires pour la guerre.
D'abord, sobriété et endurance. Les chevaux des Numides
supportent, s'il le faut, la soif et la faim. « Ils ne connaissent
pas l'orge, dit Appien % ils ne mangent que de l'herbe; ils boi-
vent rarement. » Us n'exigent pas de soins : on ne se donne
pas la peine de les étriller, de les laver, de nettoyer leurs
sabots, de peigner leur crinière; quand, après une longue
course, le cavalier est descendu de sa bête, il ne s'occupe plus
d'elle et la laisse simplement chercher sa nourriture dans les
prés, souvent bien maigres, d'alentour '°.
Ces animaux sont dociles et se dressent aisément ". Us peu-
documents : chevaux africains représentés sur des mosaïques et sur la colonne
Trajane.
1. Voir t. IV, p. 39.
2. Sur cette race, voir t. I, p. 229-230.
3. Selon une assertion recueillie par Strabon (XVII, 3, 19), les chevaux des
Gétules ont, comme leurs bœufs, le cou plus long que ceux des autres races.
4. Strabon, XVII, 3, 7. Tite-Live, XXXV, 11, 7. Appien, Lib., 100. Elien,
Nat. anim., XIV, 10.
5. Tite-Live, l. c. Élien, Nat. anim., III, 2.
6. Tite-Live, ?. c. : « Nihil primo adspectu contemptius. »
7. Némésien de Carthage. Cyncg., 263-3.
8. Tite-Live, XXXV, 11, 8 : • deformis ipse cursus rigida cervice et extento
capile currenti'um. - Couf. des images sur des monnaies : MuUer, III, p. 42, n" 52;
p. 88, n» 1 ; p. 90, n° 2.
fl. Lib. 11. Voir aussi ibid., 100.
10. Élien, Nat. anim., III, 2. Conf. Lucain, IV, 678.
11. Strabon, XVIi, 3, 7. Tite-Live, XXIII, 29, 5. Némésien, Cyneg.,2m.
184 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
vent être montés par des enfants *. Certains suivent leur maître
comme des chiens -, Ils sont sensibles aux sons de la flûte, qui
sert parfois à diriger leurs mouvements et à régler leur allure ^
Ils résistent bien à la fatigue * et font, au besoin, de longs
trajets. Ils courent très rapidement ^ Ils ont le pied sûr et
passent dans les terrains les plus difficiles ®.
A la guerre, les Africains, comme d'autres peuples, les ont
longtemps employés en les attelant à des chars, par paire ou
par quatre \ Des textes mentionnent ces chars au v* siècle * et
à la fin du iv® % chez des peuplades de Tunisie. Puis, peut-être
en même temps que les Carthaginois '°, les indigènes y renon-
cèrent : à l'époque des guerres puniques et plus tard, on ne
trouve chez les Numides et les Maures que des cavaliers.
Strabon " signale des chars chez les Pharusiens et les Nigrites,
Ethiopiens qui vivaient au Sud du Haut-Atlas marocain *^;
mais il y a là probablement un écho d'un auteur plus ancien :
d'une autre indication de Strabon '% nous pouvons conclure
qu'au I" siècle avant J.-C, les Pharusiens montaient des bêtes
non attelées.
1. Arrien, Cyneg., 24, 3.
2. Strabon, l. c.
3. Élien, Nat. anim., XII, 44 (peut-être d'après Juba II) : • Les juments des
Libyens sont sensibles à la flûte,; elles suivent ceux qui en jouent, et même
pleurent de joie [!]. » Pollux, IV, 74. Pour les chevaux d'aujourd'hui, conf.
Tissot, Géographie, I, p. 356.
4. Hlien, III, 2. Oppien, Cyneg., I, 289.
5. Strabon, XVll, 3, 7. Appien, Lib., 100. Kiien, III, 2; XIV, 10. Oppien, l. c.
6. Sallusle, Jug., L, 6. Au iV siècle de notre ère, Ammien Marccllin (XXIX, 5, 41)
dit du cheval de Firmus le Maure : « equo... per saxa et rupes discurrere citius
adsueto. •
7. Voir t. I, p. 243-4.
8. Chez les Zauèces (Tunisie orientale) : Hérodote, IV, 193. Autour du lac
Tritonis (petite Syrie) : ibid., IV, 180.
9. Chez des indigènes qui se rangèrent du côté d'Agathocle : Diodore de Sicile,
XX, 38, 1; XX, 64, 1.
10. Voir t. H, p. 400.
11. XVll, 3, 7.
12. Ces chars auraient même été armés de faux, comme ceux qui figuraient en
Orient dans de grandes batailles : détail (|ui n'est pas vraisemi)lable.
13. Ibid. Il dit (|ue les Pharusiens attachaient des outres sous le ventre de leurs
chevaux, ce (jui ne se comprendrait guère si ceux-ci avaient traîné des chars.
ELEVAGE ET CULTCRE. 18b
Les indigènes ne paraissent pas avoir employé leurs che-
vaux, — plus endurants que robustes, — à de grosses beso-
gnes, à traîner des chariots ou à faire le va-et-vient en avant
d'une charrue. Ils se servaient d'eux pour s'épargner, dans
leurs promenades-ou leurs migrations, l'ennui et la fatigue de
la marche ', pour les parties de chasse et surtout pour com-
battre-. Ils avaient la réputation méritée d'être d'excellents
cavaliers ^; ils l'étaient dès l'enfance *.
D'ordinaire, ils montaient à cru : ce qu'attestent à la fois
auteurs ^ et représentations figurées ®; âgé de quatre-vingt-
huit ans, Masinissa dédaignait, comme ses sujets, l'usage de la
selle ^ Le cheval restait complètement nu ou ne portait qu'un
collier % qui, quand il n'était pas un simple ornement, pouvait
servir à suspendre quelque amulette ^ La plupart des indi-
gènes ne faisaient pas usage de mors, ni de brides '°; on a
1. Les Maures, dit Pausanias (YIIL 43, 3), ne font pas usage de chariots,
comme les Scythes, mais ils se déplacent sur des chevaux, eux et leurs femmes.
2. T. II, p. 363 et suiv.
3. Tite-Live, XXLX, 34, 5.
4. Tite-Live, XXIV, 48, 6. Arrien (Cyneg., 24, 3) dit qu'en Afrique, des enfants
montent à cheval dès l'àge de huit ans.
5. Textes d'Appien, de Strabon, Lucain, Silius Italiens, Arrien, Claudien, cités
t. Il, p. 364, n. 1.
6. Monnaies de Syphax : Millier, Aumism., III, p. 90-91, n°' 2-4. Cavaliers
raaures de la colonne Trajane : Gagnât, Varmée romaine d'Afrique, 2* édit.,
planche à la p. 268. Stèles trouvées en Kabylie : voir, entre autres, Doublet,
Musée d'Alger, pi. VI.
7. Appieu, Lib., 71. Conf. t. 111, p. 302.
8. Fréquent sur les monnaies de Masinissa : Millier, l. c, flg. aux p. 18 et 19.
On le voit déjà sur des monnaies de Carthage : MûUer, II, p. 116. Les chevaux
des cavaliers maures de la colonne Trajane portent un collier tressé.
9. Sur une stèle de Kahylie (Doublet, l. c), le cheval d'un guerrier porte au
cou, autant qu'il semble, une pendeloque compliquée, que l'on suppose être
une amulette (Tissot, Géogr., I, p. 493; Doublet, p. 72-73). Noter que l'image,
d'ailleurs très grossière, n'indique pas le licou auquel cet objet aurait été
suspendu.
10. Monnaies de Syphax mentionnées n. 6. Textes de Tite-Live, du Bellum
Africum (ajouter L.XI, 2), de Virgile, Lucain, Silius Italieus, Oppien, llérodien,
Claudien, cités t. Il, p. 364, n. 4. Némésien, Cyneg., 268. Voir aussi les chevaux
maures de la colonne Trajane. — Strabon (XVII, 3, 7) dit que les chevaux des Maures
ont des brides en jonc. Il s'agit sans doute d'une corde, qui, « passée dans la
bouche, servait à la fois de mors et de rênes » (Tissot, Géogr., I, p. 3.57). Selon
le mc'Mue auteur (/. c.),chez les Masœsyles et d'autres Libyens, les chevaux portent
186 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
vu', cependant, que, parmi les troupes de Juba I", les réguliers
en étaient pourvus et se distinguaient ainsi des contingents
envoyés par les tribus ^ Pas d'éperons non plus ^ L'animal
était dirigé avec une légère baguette*; peut-être même souvent
par de simples pressions de genou, ou, au besoin, de rapides
mouvements de main.
IV
La culture des céréales avait dû s'introduire en Berbérie dès
une époque très reculée, fort antérieure à la colonisation phéni-
cienne ^. Elle s'était répandue dans la Tunisie orientale avant
que Carthage y eût établi sa domination ''; elle avait pénétré
jusque dans le Sahara \ Puis elle se développa dans la contrée
qui devint le territoire punique ^, et elle ne fut certainement
pas négligée autour des cités phéniciennes et carthaginoises
qui s'échelonnaient sur les côtes, en deçà et en dehors du
détroit de Gibraltar; là, du moins, où les colons disposaient de
un collier « en bois », — c'est-à-dire en matière végétale, —ou en crin, auquel
la bride est suspendue. Ce texte est d'une interprétation difficile. Tissot (l. c,
p. 359) croit qu'il s'agit d' « un simple licou, attaché à la partie supérieure de
l'encolure du cheval, et dont l'extrémité, servant de bride, permettait d'exercer
sur l'encolure de l'animal une traction sufûsante pour le diriger à droite ou à
gauche ». Mais ces deux manières de diriger le cheval ne devaient pas être aussi
répandues que Slrabon l'afûrme. Les textes et les monuments flgurés que nous
venons de citer indiquent l'absence complète de bride.
1. P. UG.
2. Cheval bridé, sur des monnaies de Ptolémée, dernier roi de Maurétanie :
Miiller, Numisin., 111, p. 120, n°^ 123-4. On trouve plus tard des exemples de
l'usage de brides : image de la Maurétanie, tenant un cheval par la bride, sur
dos monnaies de leiiipereur Hadrien : Cohen, Descr. des monnaies impériales,
2' édit., 11, p. 185, n"'' !)52-'JGl; Corippus, Joli., 11, 89; IV, 544; V, 12-13.
3. A l'époque byzantine, des chefs indigènes se servaient d'éperons : Corippus,
II, 46; V, 212 (mais rcunarquer que, dans le premier de ces deux passages, le
poète africain imilo Virgile).
4. Monnaies de Syphax. Textes de Strabon, Lucain, Silius Italiens, Arrien,
Oppien, Hérodien, Claudieu, cités t. II, p. 304, n. 5. Martial, IX, 22, 14. Némésien»
Cyneg., 267.
5. Voir t. I, p. 236.
0. T. I, p. 236, n. 3; t. IV, p. 9.
7. Chez les Garamautes (dans lo Fezzan), au dire d'Hérodote, IV, 183.
a. Voir t. IV, p. 10.
ÉLEVAGE ET CULTURE. 187
banlieues étendues '. Ces exemples furent peut-être suivis par
des indigènes, qui, sans dépendre de Carthage, vivaient dans le
voisinage de son territoire et de ses colonies.
C'est pourtant à Masinissa que Polybe et d'autres, Strabon,
Valère-Maxime^ Appien% attribuent l'introduction de l'agri-
culture en Nuniidie. « Voici, dit Polybe \ ce qu'il fit de plus
grand et de plus merveilleux. Avant lui, toute la Numidie était
inutile et considérée comme incapable par sa nature de donner
des produits cultivés. C'est lui le premier, lui seul, qui montra
qu'elle peut les donner tous, autant que n'importe quelle autre
contrée, car il mit en pleine valeur de très grands espaces. »
Et nous lisons dans Strabon ^ : « Ce fut Masinissa qui rendit
les Numides sociables et en fit des agriculteurs. »
Ces éloges sont sans doute exagérés. Mais, si Masinissa n'a
pas été l'initiateur, il fut le propagateur énergique de la vie
agricole dans le vaste Élat qu'il avait su fonder. A cela, il
trouva son intérêt de roi : des sujets attachés au sol et jouis-
sant de plus d'aisance devenaient plus paisibles, plus disposés
à obéir au maître qui pouvait les châtier en détruisant leurs
récoltes, plus capables de payer les impôts qu'il exigeait ^ A
un point de vue supérieur, qui ne fut pas indifférent au grand
Africain, le développement de l'agriculture était une condition
essentielle du progrès de la civilisation.
Mjisinissa possédait les cités maritimes qui, en Numidie
comme sur les rivages des Syrtes, avaient obéi à Carthage ; il
avait conquis une partie du territoire punique, les Grandes
i. T. IV, p. 13.
2. VIII, 13, ext., 1 (d'après Tite-Livc, copiant Polybe?) : [Masinissa] « terram,
quam vastam et deserlam accoperat, perpetuo culturae studio frugiferam reli-
quit. »
3. Lib. 100 (d'après Polybe?) : [Masinissa], « à qui la faveur divine a donné de
mettre en valeur une vaste contrée, où, auparavant, les Numides se nourrissaient
surtout d'herbe, parce (ju'ils ne se livraient i^as à la culture. »
4. X.\XVI, 16, 7-8, édit. Hiittner-Wobst (nlias XX.KVII, 3).
5. XVll, 3, 13. C'est sans doute un écho do Polybe.
6. Gonf. supra, p. 139.
188 EXPLOITATION DC SOL ET MODES D HABITATIOX.
PJaines de la Medjerda, la Tunisie centrale ', régions propices
aux céréales. Il s'était ainsi annexé de nombreux agriculteurs
et n'avait pas besoin de chercher des leçons hors de son propre
royaume. A ceux de ses sujets qui voulaient travailler, son
autorité vigoureuse inspirait l'espoir de ne pas être privés du
fruit de leur labeur. Il prit sans doute des mesures pour faire
de la place aux cultures, en restreignant les parcours de ceux
qui continuaient à ne pratiquer que l'élevage; pour assurer
aux tribus agricoles la propriété de territoires aux limites
certaines, où les nomades ne pénétreraient que dans des con-
ditions déterminées, en hôtes, non en envahisseurs et en pillards.
Mais nous n'avons aucun renseignement à cet égard.
Il n'est pas vraisemblable que le passage de la vie pastorale
à la vie agricole ait été soudain. Ces deux vies pouvaient se
combiner ^. Les céréales ne réclamaient l'activité des hommes
cj[ue pendant deux périodes de l'année, aux labours accompa-
gnant les semailles et à la moisson. L'entretien de troupeaux
fournissait les bêtes employées au labourage, au dépiquage,
au transport des récoltes; l'usage de la jachère laissait au bétail
des terrains qu'il engraissait de son fumier et rendait plus
propres à être ensemencés de nouveau; les chaumes lui ser-
vaient de nourriture pendant quelques semaines, après la
moisson, qui ne coupait que les épis. Ensuite, faute d'herbes
sur pied et faute de réserves, on devait le conduire dans la
forêt ou dans la montagne. Ailleurs, c'était peut-être durant la
saison d'hiver, après les semailles et les labours, qu'on l'emme-
nait sous un ciel plus clément. Mais, lorsque la main ferme
du roi savait assurer la paix, il suffisait, soit de quelques
gardiens pour veiller sur le village et sur les magasins de
grains, soit de quelques patres pour faire transhumer les trou-
peaux.
1. Voir t. III, p. .314 ot suiv.
2. Corif. supra, \i. 01.
ÉLEVAGE ET CULTURE. 189
L'agriculture ne pouvait, d'ailleurs, s'emparer tout d'un
coup des sols qui lui étaient favorables. L'œuvre de défriche-
ment fut évidemment de longue durée et, pendant qu'elle
s'accomplissait, l'élevage restait une nécessité. Il fallait surtout
lutter contre des plantes et des broussailles aux racines tenaces
et profondes, palmiers nains, jujubiers épineux, etc., qui
s'étendaient sur les plaines et dont l'arrachement a été le
travail opiniâtre d'une série de générations : ainsi, se prépara
obscurément la prospérité de l'Afrique romaine \ La forêt dut
être aussi attaquée : il était facile en été d'y mettre le feu et
d'amender ainsi le sol par les cendres que laissait l'incendie ;
c'était, en outre, un moyen de combattre le fléau des fauves -.
Mais les terrains forestiers sont souvent d'une fertilité très
médiocre, et il est raisonnable de les conserver comme pâtu-
rages d'été, quoique beaucoup d'indigènes, dans leur impré-
voyance, ne s'en soucient guère ^
Aux travaux préliminaires et aux tâches annuelles qu'exigeait
l'agriculture, les bras ne manquaient pas. Les indigènes étaient
nombreux* et prolifiques^; pourvu qu'ils consentissent à
l'effort nécessaire, ils n'avaient pas besoin d'être renforcés par
des éléments étrangers ^ Nous avons vu que beaucoup d'entre
eux ne firent pas cet effort et continuèrent à s'adonner exclu-
sivement à l'élevage.
Les résultats qu'obtint Masinissa n'en sont pas moins dignes
d'admiration. Il voulut lui-même servir d'exemple à ses sujets.
« Il excella, écrit Diodore de Sicile'', dans les travaux de
l'agriculture, au point qu'il laissa à chacun de ses fils une
1. T. I, p. 164.
2. Ibid., p. 153.
; 3. Ibid., p. 155.
4. Tite-Live, XXIV, 48, 7 (pour le royaume de Syphax). Sallustc, ,/u;/., XVI, îJ
(pour la Numidie occidentale).
5. 1'. supra, p. ol.
6. Conf. supra, p. 11.
7. XXXII, 17. Diodore a emprunté cela à Polybe (XXXVI, 10, S, édit. Uiiltner-
Wobst).
GsKLL. — Afrique du Nord. V. 1.1
iOO EXPLOITATIOxX DU SOL ET MODES D'HABITATION.
terre de 10 000 plèthres *, munie de tout le matériel nécessaire
à l'exploitation. »
L'impulsion qu'il avait donnée ne fut pas arrêtée par sa
mort. Au temps de Jugurtha, l'agriculture prospérait dans
une bonne partie de la Numidie ^ De même, au temps de-
Juba I" *. Cependant, les guerres et les troubles qui furent
fréquents depuis la fin du II" sièclejusqu'à la conquête romaine cau-
sèrent des crises plus ou moins longues, plus ou moins graves\
La Maurétanie était sans doute en retard sur la Numidie.
Le sol, dit Pomponius Mêla % y valait mieux que les hommes.
Ceux-ci n'avaient pas eu un Masinissa pour maître.
Les céréales cultivées par les indigènes étaient, comme sur
le territoire punique, le blé et l'orge *. Des épis de blé sont,
représentés sur des monnaies de quelques rois, iMastanesosus(?) ',
Bocchus le Jeune ^ Juba H', Ptolémée'", de la ville de Cirta",.
de plusieurs villes maritimes de la Maurétanie *^ Dès le dé-
but du II' siècle, Masinissa put envoyer à plusieurs reprises,,
soit à Rome, soit aux armées romaines combattant en Orient,
du blé et de l'orge, par centaines de milliers de boisseaux;
une fois même, un million de boisseaux '\ Micipsa expédia
1. Le plèllire éciaivaut à 874 mèlres carrés. Donc la superficie de chaque-
domaine était de 874 hectares.
2. Salluste. Jug., XVI, 5; X.KIX. 4: XLVI, o; XLVIII, 4.
3. Voir Piutarque, César, 5.j.
4. Gonf. Strabon,XVII,3, 12.
5. I, 28; voir aussi I, :10, et III, lOo.
6. .\u vi" siècle de notre ère, Procope [Bdl. Vand., II, 6, 13) indique que les-
jndi"-èaes cultivent le blé, l'épeautre et l'orge. Pour la culture de ces céréales sur
le territoire carlliaginois, voir t. IV, p. 9.
7. Millier, A'umism., III, p. 48-49, n°' 60-61.
8. Ibid., p. 98, n'" 12-14 (monnaies frap[)ées à Shemesh).
y. Ibid., p. 103, n" 19. Dieudonné, Rev. nuinism., 1908, p. 3ol, n"» 2-4 (pi. XIII,
ng. 8 et 9).
10. Millier, l. c, ii. 120-8, n"» 122, 132-7; p. 130, n" 196. Bull, archéol. du Comité,
1889, llg. à la p. 388.
11. MiJller, II!, p. 60, n» 73.
12. V. infra, p. 191. — Kpis^ sur d'autres monnaies, qui sont peut-être numides:
V. supra, p. 159.
13. Textes cités t. III, p. 309, n. 2. Illé envoyé par Masinissa à Délos : i6i<i.^
|). 307, n. 5.
ÉLEVAGE ET CULTUKE. 191
du blé à des troupes romaines qui faisaient campagne en
Sardaigne *.
Nous avons vu ^ que, selon une déclaration de César, repro-
duite par Plutarque % la province créée en 46 avant J.-C.
devait rapporter annuellement au peuple romain 1 200 000 bois-
seaux de blé (103 000 hectolitres), perçus, peut-on croire, à
titre d'impôt. A supposer que ce fût le dixième d'une récolte
moyenne, celle-ci aurait été à peine supérieure à un million
d'hectolitres pour l'ensemble des terres soumises à cet impôt.
11 faut avouer que ce n'eût pas été beaucoup *. La contrée dont,
parlait César n'était pas tout le royaume de Juba, car la partie
occidentale, la région de Cirta, en avait été détachée pour con-
stituer un véritable Etat, donné à Sittius et évidemment exempt
de charges fiscales vis-à-vis de Rome. Mais la nouvelle pro-
vince comprenait le Nord-Est de l'Algérie, le Nord-Ouest et le
centre de la Tunisie, où d'excellentes terres à blé s'étendent
sur de vastes espaces. Il conviendrait donc de se demander si
les 1 200 000 boisseaux ne représentaient pas un impôt bien
plus léger, ou si le passage de Plutarque ne contient pas-
quelque erreur ", ou encore si la richesse de la Numidie en
céréales sous les rois indigènes n'a pas été exagérée. Une
autre hypothèse pourrait être présentée. Il s'agirait, non pas
d'un impôt, mais de ce qu'auraient rapporté au peuple romain
les domaines royaux, devenus sa propriété : César aurait
1. Platarciuc, C. Gracchus, 2.
2. P. 152.
3. César, 55.
4. Actuellement, la production moyenne de rAlgéiio en blé dur est de sept mil-
lions et demi d'hectolitres.
5. Une quantité de 1 200 000 boisseaux permettait de faire des distributions
gratuites à 20 000 citoyens (à raison de GO boisseaux par an). Or le nombre des
bénéficiaires de ces distributions fut fixe par César à 150 000 en iti (après avoir
dépassé le double de ce chilfre). La nouvelle con(iuôte n'aurait pas couvert le
septième des besoins. II n'y aurait pas eu là de quoi se vanter outre mesure.
L'impôt on huile, exigé par César de Leptis la Grande, trois millions de livres
par an (Bell. Afric, XCVll, :t ; Plutarque, César, .'i.")), était bien autrement avan-
tageux pour le peuple ronuiin.
192 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D"HABITâT10N.
affermé les revenus de ces domaines, et les adjudicataires
auraient eu à verser des quantités fixes de blé, non des sommes
d'argent, comme c'était l'usage. En somme, il serait imprudent
de tirer de ce texte des conclusions précises sur la production
agricole de la Numidie orientale au milieu du i" siècle.
Il prouve, du moins, que, dans cette contrée, une bonne
partie de la population se livrait alors à la culture des céréales.
Il en était déjà ainsi au siècle précédent. Au temps de Jugurtha,
Vaga est un grand marché, qui attire beaucoup d'Italiens K
Comme aujpurd'hui à Béja ^, — tel est le nom que porte la
vieille ville africaine, — o^^ y vend sans doute les grains
récoltés dans la région des Grandes Plaines, que la Medjerda
traverse au Sud-Ouest de ce lieu '. Le général romain Métellus,
sortant de la province romaine cVAfrica et pénétrant dans le
royaume numide par une route peu éloignée de Vaga, ren-
contre partout des cultivateurs, reçoit partout des offres de
blé *. On récolte aussi des céréales dans la région de Sicca
(Le Kef) ^; à l'Ouest de cette ville, les bords du Muthul (oued
Mellègue) sont habités par des agriculteurs ^ Bien plus loin
vers l'Ouest, Cirta est entourée de champs de blé, puisque,
probablement au i"" siècle, elle fait figurer des épis sur une
de ses monnaies ^
Lorsque, vers l'année 117, le royaume de Masinissa et de
Micipsa fut partagé entre Adherbal et Jugurtha, le premier
1. Salluste, Jug., XLVII, 1 : « Oppidum Numidarum nomine VcTg-a, forum rerum
vf'iialium tntiusregni maxumc celebratum, ubict iocolero et mercari consucverant
Italici generis muUi morlales. »
2. Au XI» siècle de notre ère, El Bekri écrivait {Descr. de VAfr'uiuc septentr.,
trad. de Slane, édit. d'Alger, p. 119-120) : « Badja, ville qui est surnommée le
grenier de l'ifrlkiya. •
3. En 111, c'est à Vaga que se rend un (jucstiMir pour recevoir le blé que
Jugurtha doit lui livrer : Salluste, XXIX, 4.
4. Salluste, XLVI, 5 (conf. XLVII, 1).
.5. W., LVl, 3.
G. /d.,XLVlIl, 4.
7. V. supra, p. 100, n. II. Cette monnaie, pourvue d'une légende en écriture
néopunique, n'est sans doute pas antérieure au 1" siècle, mais elle fut frappée
avant la comiuétf; de Cirta par l'Italien Sittius, en 40.
ELEVAGE ET CULTURE. 193
reçut la partie orientale, depuis la province jusqu'au delà de
Cirta, ville où il résida. Le reste, jusqu'à la Maurétanie, c'est-
à-dire jusqu'à la Moulouia, échut à Jugurtha. Or, Salluste '
écrit que la part de celui-ci était la plus riche en terres cultivées
et en hommes, tandis que celle d'Adherbal, mieux pourvue
de ports et d'édiiîces, avait plus d'apparence que de valeur
réelle. Une indication analogue se lit dans Strabon* : il affirme
que, dans le pays des Masaesyles, la partie voisine de la Mau-
rétanie est celle qui rapporte le plus et offre le plus de ressources ;
celle qui est du côté de la région carthaginoise et du pays
des Massyles est plus florissante, et mieux exploitée. Salluste
et Strabon ont probablement copié ici le même auteur, Posi-
donius\ Il n'est pas certain que ces assertions soient rigou-
reusement exactes. La part de Jugurtha comprenait le Tell
des provinces d'Oran, d'Alger et de l'Ouest de la province de
Constantine, où il y a de belles terres à blé, surtout autour
de Sidi bel Abbès et de Sétif ; mais, dans la part d'Adherbal,
étaient, entre autres, les pays de Cirta, de Sicca, des Grandes
Plaines, dont des documents sûrs attestent la prospérité agri-
cole. Il semble bien que l'avantage ait été en faveur de la
Numidie orientale. Mais la Numidie occidentale faisait, elle
aussi, bonne figure.
Entre la province romaine et la Maurétanie, les céréales
s'étaient donc répandues à travers toute la région voisine de la
Méditerranée, dans tout le Tell algérien, sans occuper cepen-
dant la totalité des sols qui leur étaient propices. Il y avait là,
comme le remarque Pomponius IMéUi', ou plutôt un auteur
copié par Mêla, des cultivateurs qui, par leurs mœurs, ne
différaient guère de ceux de l'Europe méridionale.
Si, en Maurétanie, l'agriculture s'était moins développée,
1. Jug., XVI, 5.
2. XVII, 3. 12.
3. Voir t. Vil, I. II, ch. i, « 1.
4. 1, 41 : « Orue sic liabikiulur ad uostruin maxime ritum moratis culturibus. •
494 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
elle n'était pas dédaignée partout : ce que prouvent les épis
représentés sur des monnaies frappées, soit au i" siècle avant
J.-C, soit un peu plus tard, par des villes du littoral médi-
terranéen, Rusaddir et probablement Tamuda, et par des villes
■de l'Océan, Tingi, Zili, Lixus, Sala, sans parler de celles qu'on
n'a pas identifiées'. Les Gétules eux-mêmes, ces nomades par
•excellence, ne restaient peut-être pas tous complètement
■étranoers à la culture des céréales^.
Terre d'élevage, l'Afrique du Nord était aussi devenue la
contrée féconde en grains, frvgum fertilis, dont parle Salluste^
On exagérait même sa fertilité. Au y" siècle, Hérodote* avait
entendu dire que, dans la vallée du Cinyps, entre les
deux Syrtes, le blé rendait jusqu'à trois cents grains pour un
grain de semence; sur l'ancien territoire punique, converti en
province romaine, la région qui entourait Hadrumète passait
pour donner des rendements de 100 et de 150 pour un".
Strabon"' raconte des choses aussi merveilleuses à propos des
Masa'syles, habitants de l'Algérie occidentale et centrale :
« Certains d'entre eux occupent des terres qui fructiOent
deux fois; ils font deux récoltes, l'une en été, l'autre au prin-
temps. La tige de la plante atteint une hauteur de cinq coudées
[2m, 20] et une grosseur égale à celle du petit doigt; le rende-
ment est de 240 pour un. Au printemps, on ne sème pas; on se
contente de gratter le sol avec des balais faits de branches épi-
neuses, et les grains qui sont tombés à terre pendant la moisson
suffisent pour donner une pleine récolte en été. » Ce sont là
des fables. Ces rendements très élevés, — qu'on attribue encore,
en pleine époque musulmane, à diverses régions de la Ber-
1. Voir los références données t. IV, p. 13, n. 3 et 4.
2. .Strabon, XVII, 3, i), vers la fin; mais le texte est altéré et la restitution n'est
pas sure.
3. Jug., XVII, 5.
4. IV, 198. Conf. ici. 1. 1, p. 09.
5. Voir t. IV, p. 12.
<i. XVII, 3, 11 (d'après Posidnnius?).
ÉLEVAGE ET CULTURE. 195.
fcérie', — ne peuvent être normaux, et, dans les cas où ils
sont vraiment constatés, ils n'ont que l'intérêt de curiosités
botaniques ^ D'autre part, des récoltes doubles sont possibles,
— et mentionnées dès l'antiquité', — mais sous un ciel très
chaud, sur des terrains irrigables, et non pas dans les condi-
tions qu'indique Strabon : il faut naturellement de nouvelles
semailles et l'on choisit d'ordinaire une seconde culture, diffé-
rente de la première, par exemple du sorgho après du blé, car
deux récoltes successives de blé ou d'orge épuiseraient le sol.
Nous ne savons rien sur les pratiques en usage pour les
labours et la moisson*, ni sur le matériel agricole. La houe,
■qui, aux Canaries, resta l'outil de travail des Guanches et qui
est encore employée dans les oasis sahariennes % précéda peut-
être la charrue en Jîerbérie, puis disparut devant elle. Sur
des stèles puniques, nous avons rencontré des images de
€harrues qui ressemblent à l'araire le plus répandu aujourd'hui
dans l'iVfrique du Nord''. D'autres types existent chez les
indigènes^ et remontent sans doute à une lointaine antiquité.
Tous ces instruments sont de structure très simple; il en est
même oîi le soc est constitué par une pointe en bois, durcie au
1. Voir El Bekri, Descr., p. 25 (plaine voisine de Tripoli), p. 56 (plaine à l'Ouest
•de Kairouan), p. 308 (territoire de Tamedelt, dans le Sous, au Sud du Maroc).
Dans ces trois passage, il indique des rendements de cent pour un.
2. Conf. t. IV, p. 12-13.
3. Gorippus, Joli., Il, 156-7 (a Vadis, au Sud de l'Aurès) :
Quiquo Vadis topidae messes bis tondet in anno
Maunis arans, bino perstringit, et hordea culmo.
Conf. El Rekri (p. 152), à propos do Badls (le même lieu) : « On y fait deux
récolles d'orge chaque année, grâce aux nombreux ruisseaux qui arrosent le sol. »
4. Entre les semailles, accompagnant les labours, et la moisson, on devait se
■contenter de sarcler les champs, (|uand on prenait cette peine. La culture
indigène ne comportait pas l'emploi d'engrais : la jachère en tenait lieu.
5. Et même (.-a et là dans le Tell (surtout en Kabylie et dans le Maroc septen-
trional), quand la surface du sol est trop inclinée ou trop irrégulière pour
permettre; l'emploi do la charrue.
6. T. IV, p. 13-14.
7. Voir les références données t. IV, p. l'i, n. 2. Ajouter Laoust. Mots et choses
berbères (Paris, 1920), p. 275 et suiv.; W. .Marçais et .\bderrahmàii (iuiga. Textes
<irabes de Takroûna, I (l'aris, 192.")), p. 352-3; \. Bernard, C. r. du Congrès intern. de
^éo(jra]jUie du Caire (192^)), t. IV,- p. 283 et suiv.
i96 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
feu, et non par une lame en fer*. Quelle est l'origine de ces
divers araires? Nous l'ignorons. Mais une observation inté-
ressante a été faite ^. Pour désigner les différentes pièces qui
forment le corps même de leurs charrues, les Berbères se
servent de mots de leur langue; ils n'ont fait aucun emprunt à
la langue punique, ni à d'autres. Au contraire, ils emploient
certains mots d'origine latine pour des pièces de l'attelage.
D'où il est peut-être permis de conclure que, chez eux, la
charrue n'a pas été un instrument d'importation phénicienne,
et que c'est seulement à l'époque romaine qu'ils l'ont perfec-
tionnée, en adoptant les procédés d'attelage de leurs maîtres.
La moisson se faisait à la faucille % en coupant les tiges tout
près des épis : la faux n'a pas été adoptée dans l'Afrique du
Nord avant la conquête française. Le dépiquage devait être le
plus souvent confié, comme de nos jours, à des animaux
domestiques, foulant les épis sur une aire*.
Il fallait mettre en sûreté les grains qui, après la récolte,
n'étaient pas aussitôt vendus, ou versés aux collecteurs
d'impôts, ceux qui n'étaient pas gardés dans les maisons pour
servir à la consommation courante. On connaît^ les celliers
souterrains, les silos, qu'un texte mentionne dans la province
d'Afrique au milieu du i" siècle avant J.-C. ^ et dont l'usage
remontait certainement bien plus haut. Il est fort possible que
des indigènes, en dehors du territoire carthaginois, aient eu
des silos, sans avoir emprunté aux Phéniciens ce mode de
conservation des grains, adopté par d'autres peuples depuis
longtemps, par des Espagnols dès l'époque néolithique. Nous
1. Il se peul qu'il y ait ou primitivement des socs en pierre : voir Hamy,
Assoc. franr. pour l'avancement des sciences, Paris, 1900, I, p. (iO.
2. Luousl, /. c, en particulier, p. :{Oll-l. Conf. II. Uasset, Rev. afric, LXII. 1921,
p. aio-O.
3. Débris d'une faucille dans un dcilmen de Sila : Frobenius, Pn'iliistor.
Zeitschrifl, Vlli, 1916, p. 07, (Ig. 07.
4. Conf. l. IV, p. 10.
"). y. ibid.
0. Bell. Afric, LXV, 1.
ÉLEVAGE ET CULTURE. 19^
n'en avons pas la preuve. Le creusement de silos est surtout
justifié auprès des fermes et des hameaux situés dans le
voisinage immédiat des champs cultivés : on soustrait ainsi,
en les cachant, les récoltes aux tentatives de pillage et de con-
fiscation.
Mais, en général, les agriculteurs indigènes ne vivaient pas
dispersés dans la campagne; ils se réunissaient pour habiter
des villages, des bourgs, pourvus de défenses naturelles et arti-
ficielles. C'est là que les récoltes étaient portées d'ordinaire et
placées sous la protection de la communauté. Il n'était plus
nécessaire de les dissimuler. Et, si les silos offraient l'avantage
de préserver les grains de l'incendie, le sol sur lequel s'élevait
/ le village était souvent du roc, qu'il eût été trop pénible de
creuser; il pouvait ailleurs n'être pas assez étanche pour
assurer les dépôts contre les risques de pourriture. La plupart
des Berbères groupés en sociétés villageoises ont des magasins
non souterrains S qui, outre des grains, contiennent d'autres
choses qu'on désire mettre à l'abri.
Dans diverses régions ^ ces magasins sont réunis, de manière
à pouvoir être confiés à des gardiens peu nombreux, qui restent
seuls, tandis que les autres habitants font des absences plus ou
moins longues, soit pour la guerre, soit pour la transhumance
du bétail. On les établit au haut du village, ou bien au-dessus,
ou à côté, dans des sites particulièrement difficiles à atteindre
et aisés à défendre. Ici, ce sont des constructions à plusieurs
étages, séries de chambres appartenant aux chefs des familles^
Là,'^ de véritables forteresses, munies de tours aux angles,
1 Cela n'est pas, du reste, une règle absolue. - Au xu« siècle, Kdrisi (Descr,
éerAfmue et de r Espagne, tr^d. Dozy et de Goeje, p. 111 et 112) vante rexcellence
des .aagasins souterrains où l'on conserve des grains sous toutes es .na.sous
dans la ville de Constantine. Mais c'étaient la des celliers de citadins, non des
silos de paysans. »,,,..
2. Montagne tripolitaine, Exlrème-Sud tunisien (pays des MatinaKi), Aun.>,
Maroc central et méridional, etc.
3. Ksourdans rKxtréine-Sud tunisien, jue/aas daus l'.Vun-s.
i98 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
capables de soutenir des sièges, et où chaque famille a aussi
son local'. Du reste, des agglomérations de celliers ou des
forteresses servent à conserver les grains et d'autres objets,
même en des lieux qui ne sont pas des centres d'habitation :
magasins communs de tribus dont les gens vivent çà et là aux
alentours-, ou bien de nomades qui, l'hiver, parcourent
les steppes et vont, l'été, soit dans le Tell, soit dans l'Atlas
saharien ^ Il y là des coutumes assurément fort anciennes.
Tels devaient être, en partie du moins, les lieux fortifiés, loca
7nunita, dans lesquels, au temps de Jugurtha, s'accumulaient
les récoltes * : mais non pas tous, car ce terme a pu désigner
des châteaux royaux ^
Les grains ainsi emmagasinés étaient, pour une bonne part,
destinés à nourrir ceux qui les avaient récoltés; il en fallait
aussi pour les semailles. Il convenait de faire des réserves assez
larges, eu égard aux irrégularités de la production, causées
par les caprices du climat africain. Le reste était versé comme
impôt en nature ou vendu.
Il y avait sans doute trois catégories d'acheteurs : les pas-
teurs, qui, en retour, offraient des laines, des peaux, du
bétaiT'; les citadins, qui étaient vendeurs d'objets manufacturés,
fabriqués dans leur ville ou importés; enfin les gros com-
1. Au Marne, tiyhrematin (au singulier ligliremt), dans le Moyon et le Haut-Atlas.
2. Les villages-mafrasins fortifiés (i(joadar; au singulier agadir), servant à des
Irihus chez les Clileuhs, dans le Sud du Maroc. De mt-me, certains ksour du Sud
tunisien, qui ne sont pas immédiatement auprès d'habitations. Dans le Moyen-
Atlas, des séries, souvent éiagées, de grottes naturelles, s'ouvrant dans des
falaises et d'accès très difllcilc, sont des greniers pour des gens du voisinage,
mais c'étaient peut-être jadis des habitations : voir Gautier, dans Hespéris, 192.'>,
p. :{.S.3 et suiv.
3. Les hsour du djebel Amour, servant de magasins à des nomades et gardés en
leur absence par des serfs.
4. Salluste, Jiuj., XC, 1 (texte cité p. 14i, n. 1).
5. V. supra, p. i44. Ajoutons que, dans la jihrase de Salluste, les mots iussu
régis conviennent mal au transport des grains dans les loca iminita où les culti-
vateurs avaient coutume d'enfermer tous les ans leurs recolles, de leur plein
gre.
6. Il est probable qu'entre éleveurs et fullivuteurs, les affaires se faisaient
souvent par troc, non par achat et vente.
ÉLEVAGE ET CULTURE. ^^9
merçants d'outre-mer. Nous avons dit^ que la monnaie d'or et
d'argent venait presque entièrement de l'étranger : parmi les
produits africains qu'elle servait à acheter, les céréales tenaient,
semble-t-il, la première place. Les nombreux négociants ita-
liens, qui fréquentaient ou même habitaient Vaga^ et Cirta ,
devaient surtout traiter des affaires de grains. Par l'impôt et
les revenus de leurs domaines, les rois disposaient de beau-
<,oup de blé et d'orge : ils étaient sans doute ceux qui en ven-
daient le plus à ces étrangers\ Mais, évidemment, leurs sujets
suivaient leur exemple. Ce trafic exigeait des intermédiaires,
des lieux de vente, marchés et foires dans les campagnes et aux
portes des villes, une organisation des transports, qui, en
l'absence de routes, avait recours au bât beaucoup plus qu au
<^hariot, des mesures de précaution, voire même des contrats
de sauvegarde^^ pour échapper au brigandage. Sur tout cela,
aucun renseignement ne nous est parvenu.
De nos jours, c'est à la culture des arbres fru.liers et des
lécumes que s'adonnent la plupart des sédentaires vivant autour
de^a Méditerranée. La Berbérie offre à cet égard des condi-
tions favorables'^ Les Phéniciens ne l'ont pas ignoré. Ils ont
largement contribué au développement de l'arboriculture dans
cette contrée^ Si la vigne, l'olivier, le figuier y sont indigènes,
ce furent peut-être les Phéniciens qui, les premiers, les y cul-
tivèrent; ils durent importer des variétés d'origine orientale,
i; ES ;.rXXL'; XXVI. Vo.l.V,...I.c.. ..,,,!..
t; 'raloTr^ la ;' otoction accordée conUe argon,, récenunont encore, par des
ch^fs do iribas à J marchands qui voyageaienl dans certa.nos part.es du Maroc.
6. Voir t. I, p. lf)^> et suiv.
7. T. IV, p. IS ol suiv.
200 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
greffer les sauvageons, pratiquer la caprificalion sur les figuiers
et, d'une manière générale, introduire tout ce qui constituait
chez eux, depuis des siècles, l'art des vergers; ils firent en
Afrique, comme dans leur patrie, du vin et de l'huile. Peut-
être aussi enrichirent-ils le pa3's d'arbres nouveaux, du gre-
nadier par exemple^ On a vu que l'arboriculture fut florissante sur
le territoire punique : du moins sur les domaines appartenant aux
Carthaginois, car les sujets de la République paraissent avoir
été surtout des agriculteurs et des éleveurs^. Les cultures maraî-
chères avaient de même prospéré dans la région de Carthage\
Vergers, olivettes, vignobles, potagers s'étaient aussi plus
ou moins étendus autour d'un certain nombre de colonies
maritimes, éparses depuis l'Océan jusqu'aux Syrtes^. Ils ne
disparurent pas quand ces villes passèrent sous la domination
des rois numides et maures. Des grappes de raisin sont repré-
sentées sur des monnaies frappées, au i^'" siècle avant notre ère,
à Lixus, à Sala et dans d'autres lieux de la Maurétanie que
l'on n'a pas pu déterminer avec certitude ^ Sur des monnaies
de Gunugu (à l'Ouest de Cherchel), la grappe accompagne un
dieu auquel ont été donnés les traits de Dionysos^ Entre les
deux Syrtes, Leptis la Grande était tombée aux mains de
Masinissa' et elle resta au pouvoir de ses successeurs jusqu'à
l'année 111; elle se détacha alors de Jugurtha et devint une
cité amie et alliée du peuple romain**, séparée de la province
d'Afrique par le royaume numide ^ Sur son vaste territoire,
1. T. IV, p. 33.
2. Ibid., p. 20 el 48.
3. Ibid., p. 35.
4. Voir t. IV. p. 20-21.
5. Voir les références donuées ibid., p. 21, n. 2-4. Ajouter Mûller, Numism.,
III, p. 109, u° 254 (ville inconnue).
6. T. IV, p. 20. a. T).
7. T. 111, p. 322.
8. Sallustf, Jufj., LX.WIl. 2.
1». Couf. César. Bell, cir., Il, 38. 1; ficU. Afric, XCVII. 3. Quoi qu'on en ait
pensé (voir, entre autres. Hoinanelli, Leptis Maijna, p. 14-16), il s'agit, dans ces
passages, de Leptis la (iraude, et non de LP|)lis la Petite. Celle-ci, enclavée
ÉLEVAGE ET CULTURE. 201
s'étaient formées d'immenses olivettes : en 46, Jules César put
la frapper d'une amende annuelle de trois millions de livres
d'huile'.
Mais les indigènes ne semblent pas avoir mis beaucoup
d'empressement à imiter les exemples que leur donnaient les
colons des cités phéniciennes et carthaginoises. Il est possible
que certaines villes de l'intérieur, surtout Cirta, la capitale, se
soient entourées d'une ceinture de jardins, dont les fruits et
les légumes auraient servi à la consommation locale. Il se
peut aussi que, dans quelques régions, la culture de l'olivier
ait commencé à se répandre, par la greffe des sauvageons,
plus encore que par des plantations. Les Berbères emploient,
commetes Arabes, le terme zehoiidj, d'origine incertaine, pour
désigner l'olivier sauvage; ils font usage d'un mot de leur
propre langue, zemmoiir, soit avec la même signification, soit
avec le sens d'oléastre greffé; pour l'olivier cultivé et pour
l'huile, ils se servent de mots d'origine sémitique, et très pro-
bablement phénicienne, zitoun et zit"" : ce qui permet de croire
qu'en oléiculture, ils ont été les élèves des Phéniciens.
Cependant, avant l'Empire romain, les cultures arbustives
étaient encore peu développées chez eux. Selon Salluste, le sol
de l'Afrique n'est pas favorable aux arbres', assertion qui peut
s'appliquer aux arbres fruitiers comme aux espèces forestières.
Selon Pline l'Ancien', l'huile et le vin sont des présents que
dans la province romaine d'Afrique, ne pouvait avoir avec Juba I" des rapports
de voisina-c. De plus, pendant la campagne de César, elle s'était mise du coté
du dictateur, qui n'avait, par conséquent, aucune raison de lui inliiger une
amende. Conf. Gsell, dans Rivisia dclla Tripolitania, I, 1924-5. p. 41-42.
1. Bell. Afric, L c; conf. Plularque, César, .^)5 (où Loptis nest pas nommée).
Voir Gsell, l. c. Cette prestation équivaut à 10G78 hectolitres. En admettant, —
pure hypothèse, — qu'elle représentait le dixième de la production totale des
Leptitains, celle-ci aurait dépassé annuellemenl 100 000 hectolitres. La produc-
tion moyenne de l'Algérie est de 350 000 hectolitres.
2. Voir Laoust, Mots et choses berbères, p. 444; H. Basset, Rev. afric, LXU,
1921, p. 348. Corriger ce que j'ai dit à ce sujet, l. 1, p. 238.
3. Jwj., XVII, 5 : • arbori infecundus ».
4. XV, 8. Conf. ici, t. IV, p. 30.
202 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
la nature s'est contentée de ne pas refuser à l'Afrique, livrée
tout entière par elle à Cérès. L'un et l'autre exagèrent. iMais
il est certain que de vastes régions, qui, après l'époque de
Pline, se couvrirent de plantations, étaient encore incultes aux
temps de Jugurtha et de Salluste. Dans les plaines qui s'étendent
au Sud du massif central tunisien, les Romains ont laissé par-
tout des pressoirs à huile, témoins de leurs innombrables
olivettes. Avant eux, c'étaient, comme aujourd'hui, de mornes
steppes. Capsa [Gafsa], dit Salluste', s'élève au milieu d'im-
menses solitudes; sauf les environs de la ville, tout le pays est
désert, inculte, dépourvu d'eau, infesté de serpents. Le site de
Thala est le même-. Entre Thala et le fleuve le plus proche, —
distant de cinquante milles, — il n'y a que des espaces arides
et déserts'. Jugurtha s'enfuit de ce lieu en traversant de vastes
solitudes*. Et Strabon dit, à son tour-', que toute la contrée
située à l'intérieur des terres est déserte, depuis le pays des
Masœsyles jusqu'aux Syrtes.
Les Numides, quand ils le pouvaient, appréciaient le vin^
et plus que de raison^ Mais ces bonnes aubaines étaient rares.
Les vins qui venaient d'outre-mer, ou qu'on fabriquait autour
des villes puniques, n'arrivaient guère jusque chez eux; ils
n'en faisaient point eux-mêmes, ou ils en faisaient fort peu. Si
les Berbères ont adopté le nom phénicien de l'olivier cultivé',
c'est à la langue latine que sont empruntés, dans divers dia-
lectes, les mots qui désignent d'autres arbres fruitiers^ : il est
donc probable que ceux-ci n'ont guère été connus avant l'époque
romaine.
1. Jwj., LXXXIX, 4-ri.
2. Ibid., LXXXIX, C.
3. Ibid., LXXV, 2.
i. Ibid., LXXX, 1.
5. XVII, 3, !). Coiif. Salluste. Jiig., LXXVIII, 5.
0. Texles cit^s t. IV, p. 20, n. n.
7. Il se peut aussi qu'ils aient emprunté au phénicien le nom qu'ils douneat
ou grenadier, UirmouiU : voir Mercier, Journ. asiat., 11)24. II, p. 199.
8. H. Basset, Kcv. afric, LXIl, 1921, p. 349.
ÉLEVAGE ET CULTURE. 205
Cet essor tardif de l'arboriculture dans l'Afrique indigène-
s'explique sans peine. Les arbres fruitiers ne produisent rien
pendant plusieurs années, et il faut attendre plus longtemps
encore, — jusqu'à vingt ans en ce qui concerne l'olivier, —
pour qu'ils soient en plein rapport. On ne peut entreprendre
ces cultures que si l'on a d'autres moyens de subsistance pen-
dant la période stérile, si l'on se croit certain de rester définiti-
vement là où l'on a planté, si l'on n'a pas trop à craindre le
désastre soudain et irréparable que causeraient des ennemis en
coupant les arbres. Autrement, qui peut se soucier d'acquérir
l'expérience et de s'assujettir aux travaux qu'exigent la greffe,
la taille, l'irrigation, etc.? Or, cette sécurité n'était pas pleine-
ment garantie, même sous des rois énergiques. D'ailleurs, en
dehors des banlieues urbaines oii s'alimentaient les marchés
locaux, c'étaient là des cultures qui ne pouvaient être rémuné-
ratrices qu'à la condition de trouver d'assez larges débouchés.
^rais les indigènes étaient, en général, trop peu à l'aise pour-
être de bons acheteurs. Exporter du vin, il n'y fallait pas
songer : Rhodes et l'Italie, au contraire, en importaient en
Afrique'. Quant à l'huile, elle eût pu faire l'objet d'un com-
merce d'outre-mer assez actifs, mais il eût été nécessaire qu'elle
fût fabriquée avec assez de soin pour rivaliser avec l'huile
d'Italie et d'autres contrées méditerranéennes.
Il existait pourtant des lieux, les oasis disséminées au Sud de
la Berbérie, où la vie sédentaire avait pour condition la culture
d'un arbre fruitier, le palmier-dattier^ Par-dessous, on pouvait
faire venir d'autres arbres à fruits, et aussi du blé et de l'orge, en
employant la houe du jardinier, non la charrue du laboureur\
1. Voir t. VI, !. I, ch. lu, § II.
2. C'était peut-être le cas pour Leptis la Grande, qui, sur son territoire, produi-
sait une quantité d'huile très supérieure à ses besoins : v. supra, p. 200-1.
3. Les textes anciens concernant la culture du dattier dans l'Afrique du Nord
sont indiqués t. I, p. IfiG, n. 3.
4. Pour les éla;j;es de culturei dans les oasis, voir la description que Pline-
r.Vncien donne do Tacape (Gabès) : XVIIl, 188-9.
^Oi EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
Au v^ siècle, Hérodote ' énumérait dans le Sahara septen-
trional une série de lieux habités. Quoique nos connaissances
ne remontent pas plus haut, il est probable que la constitu-
tion des oasis était beaucoup plus ancienne, et on a des
raisons de supposer que cette exploitation de quelques par-
ties privilégiées du désert avait suivi des exemples venus de
l'Est, de l'Egypte^. Mais nous sommes ici sur le domaine des
Éthiopiens, non des Berbères^ Cependant des oasis appar-
tinrent à Carthage et aux rois indigènes : le long des Syrtes
et, à l'intérieur des terres, dans le Sud de la Tunisie, Capsa,
dont les gens furent des sujets dévoués de Jugurtha^ Les
dattes ne sont bonnes ni à Gafsa, trop septentrionale, ni sur la
€Ôte, où le climat es-t trop humide; elles ne devaient guère
servir qu'à l'alimentation locale, avec les produits des cultures
subsidiaires ^ 11 est probable que les oliviers, si abondants, du
territoire de Leptis se dressaient^ non sous des palmiers, mais à
l'air libre, surtout dans la région montagneuse voisine de la ville.
On ignore quand l'apiculture se répandit à travers la Berbérie,
où elle est pratiquée dans de nombreuses tribus sédentaires de
la région du littoral^ Hérodote' indique que, chez les Gyzantes,
peuplade de la côte orientale de la Tunisie, les abeilles font
beaucoup de miel; mais, ajoute-t-il, « il y a chez eux des gens
habiles qui en font bien plus encore ». Nous ne savons ce
qu'était ce miel artificiel**; il ne s'agit sans doute pas' d'un
1. IV, 181-5. Voir Gsell, Hérodote, p. 141 et suiv.
2. Conf. l. I, p. 239.
3. V. supra, p. 7.
4. Salliislo, Jtifj., LX.WIX, 4. 11 n'est pas sur que Capsa ait dépcudu aupara-
vant de Cartilage ; voir t. II, p. 98-99.
5. Saliuste {\('A, 4 et .")) nous montre de nomliroux habitants de Capsa sortant
de la ville, au point du jour, évidemment pour allt-r à leurs cultures.
('). Les abeilles d'Afrique, dit IMine l'Ancien (XI, 33), sont renommées pour
l'abondance de leur miel.
7. IV, 194. Conf. Gsell, Hérodote, p. 175.
8. Fabriqué, selon Kuduxe de Cnidc, avec des fleurs : Ktienne de Hvzance, s. v.
9. Comme on l'a supposé : voir Gsell, /. c.
ÉLEVAGE ET CULTURE. 205
résidu de dattes, puisque les palmiers ne fructifient pas dans
le pays qu'occupaient les Gyzantes. L'élevage des abeilles était
en honneur chez les Carthaginois', qui ne furent peut-être pas
les initiateurs des indigènes, mais purent leur donner d'utiles
leçons. En Maurétanie, Rusaddir (Melilla), colonie phénicienne
du littoral méditerranéen, et une autre ville, qui était proba-
blement de même origine, représentaient une abeille sur leurs
monnaies vers le i^'' siècle avant notre ère-. Les Berbères ont
(ou avaient jusqu'à une époque récente) divers types de ruches %
rectangulaires ou cylindriques, faites avec des tiges d'osier,
des roseaux, de petits rondins, avec un segment de tronc
d'arbre évidé, ou bien encore en écorce de chêne liège, en
poterie: il n'est pas possible d'en démêler les origines\ Le
roi de Maurétanie Juba II recommandait un coffre en bois%
mais nous n'avons pas de détails sur la manière dont il le con-
cevait.
VI
La vie pastorale comporte, pour les tribus qui s'y livrent, la
possession d'un territoire*', où elles font paître leurs troupeaux,
soit en tout temps, soit pendant une partie de l'année; où
d'autres ne doivent pénétrer qu'avec leur permission et ne
peuvent avoir que des droits d'usage. Sur ce territoire, il n'y
a pas lieu de partager le sol. Le bétail se répand là où il
i. Voir t. IV, p. 44-45.
2. Pour Rusaddir, voir Mûller, Nuinism., Suppl., p. 78, n° 215 a. Pour l'autre
villo, indéterminée, ibid., p. 80, n" 233 a (avec des vestiges d'une légende
punique).
3. Voir W. Marçais et Abderrahmàu Guîga, Textes arabes de Takrouna, I,
p. 352-3.
4. Hniny (dans C. r. Acad. Inscr., 1900, p. 41-42, et Assoc. poar Vav. des sciences,
Paris, iUOO, I, p. 08-70) a constaté en Bcrbérie l'existence de plusieurs types de
ruches décrits par Varron {liust., 111, 16, 15). Mais cela ne nous dit pas quand
ils ont été introduits dans celte contrée.
5. Géoponiques, XV, 2, 21.
0. Supra, p. 08.
GsEi.L. — Afrique du Nord. V. 14
206 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
trouve des pâturages ; ceux-ci sont à la disposition de tous les
membres de la tribu, et, seuls, les animaux domestiques sont
matière à propriété individuelle ou familiale.
Là où l'élevage n'est plus l'occupation exclusive du groupe,
les parties du territoire qui ne sont pas propres à la culture,
par exemple les forêts, restent ce qu'était auparavant le terri-
toire tout entier : propriété collective, avec droit de jouissance
pour tous,
La culture des céréales admet, dans la condition des terres,
divers modes, qu'il serait arbitraire de classer d'après une
rigoureuse succession chronologique.
1° Le sol est la propriété collective de l'ensemble des hommes,
qui forment une petite république villageoise. Dans ce cas^
l'exploitation peut être commune; commune aussi la récolte,
qui est ensuite répartie entre les familles selon le nombre des
bouches à nourrir. Je ne suis pas disposé à croire que cette
manière de procéder ait été usitée dans l'Afrique du Nord, du
moins aux temps historiques. Le groupe familial est alors
l'élément essentiel de la société indigène ' ; il se fond le moins
possible dans les groupes plus étendus dont il fait partie. Il
répugne au communisme.
2° Une autre méthode, adoptée ailleurs, par exemple chez
les anciens Germains^, pouvait mieux convenir aux Berbères;
elle est encore, ou a été jusqu'à une époque rapprochée de
nous, en usage chez certains d'entre eux. Tout en demeurant
propriété collective, les champs à ensemencer sont partagés^
chaque année, entre les familles, auxquelles appartient le pro-
duit de leur travail*. Des hommes qui auraient habité des
1. Voir p. 53 et suiv.
2. César, fiell. GalL, VI, 22, 2.
3. Dans les villaf^es herbores, ce droit de partage appartient au conseil des-
anciens, c'est-à-dire, en principe, à l'asscrnlilée des cliefs de famille.
*• Chez les Vaccéens, peuplade espagnole, il y avait partage annuel des
terres à cul li ver, mais les récoltes étaient mises en commun : Diodore de Sicile^
V, 34, 3 (d'après Posidouius).
ÉLEVAGE ET CULTURE. 207
fermes isolées auraient désiré se réserver les espaces cultivables
aux alentours et, par conséquent, se constituer des propriétés
privées. Mais nous avons vu que, le plus souvent, la popula-
tion vivait agglomérée. Il est vrai qu'on devait rechercher les
meilleures terres, celles aussi qui étaient le plus près du village.
L'indivision de la propriété eût permis de les assigner succes-
sivement aux diverses familles : mesure équitable *. Les jachères,
n'étant attribuées à personne, seraient restées, pour la pâture,
à la disposition de tous; de même, les chaumes que la moisson
laissait sur les champs cultivés.
3° Dans un autre système, le sol est morcelé en propriétés
privées : soit familiales, qu'en règle générale, le chef de la
famille ne peut aliéner, puisqu'il en est seulement le gérant;
soit appartenant à des individus, qui en ont la pleine dispo-
sition. Une des origines de ce mode de propriété peut être le
principe, admis dans divers droits primitifs^, que la terre
appartient à l'homme qui la vivifie : lui-même et ceux auxquels
elle est transmise après lui en restent les maîtres, tant qu'ils
ne l'abandonnent pas au point qu'elle redevienne une terre
morte; le droit de l'occuper est alors ouvert à qui veut la
vivifier à son tour.
De quelque manière qu'elle se constitue, la propriété privée
attache d'ordinaire fortement au sol et donne le désir de l'amé-
liorer pour en tirer plus de bénéfices. Elle est la condition
presque nécessaire des cultures arbustives. Celui qui greffe ou
plante des arbres fruitiers, qui les entretient, a besoin d'être
assuré de la possession permanente du sol sur lequel il travaille
ou fait travailler.
Nous ignorons ce qu'était la condition des terres dans les
1. L'assignation des terres collectives^ pour une durée plus lonpue qu'une
année agricole, ou le renouvoUemenl sans modiflcilions des partages précé-
dent» aurai(!nt créé, en fuit, des propriétés privées, dans des conditions favoraltlos
aux uns, défavorables aux autres. 11 se peut que ce système ail été adopté là où
l'intérêt des plus influents i)rcviilait sur l'intérêt commun.
2. Et resté en vigueur dans le droit musulman.
208 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
tribus de cultivateurs au temps des rois indigènes. Mais les
Phéniciens et les Carthaginois qui avaient fondé des colonies
sur les côtes y avaient certainement établi, comme chez eux, la
propriété privée. C'était le seul régime admissible pour les
vergers et les jardins entourant ces villes. C'était celui qu'exi-
geaient aussi, à la lisière septentrionale du Sahara, les cultures
des oasis *.
Dans quelle mesure se répandit-il parmi les Berbères, qui,
quand ils n'étaient pas pasteurs, s'adonnaient beaucoup plus à
l'agriculture qu'à l'arboriculture, et qui, par conséquent,
n'étaient pas, en général, contraints de l'adopter? Il nous est
impossible de le dire. Nous savons cependant que Masinissa se
constitua de grands domaines et que ses fils en héritèrent,
ceux qui furent rois après lui comme les autres^. Peu d'an-
nées avant notre ère, un prince indigène, devenu citoyen
romain, C. Julius, fils de Masinissa, possédait dans la Tunisie
centrale une propriété fort vaste, puisqu'elle contenait un gros
bourg, qualifié à! oppidum par Vitruve^ Ce Numide l'avait
peut-être recueillie comme un héritage de ses ancêtres. Mais
il se peut aussi qu'elle n'ait été donnée, soit à son père, soit à
lui-même, qu'après la création par Jules César, en l'année 40,
de la province à'Africa nova.
Dans cette nouvelle province*, de grandes propriétés privées,
appartenant à des Romains, existaient au début de l'Empire.
Peut-être étaient-ce des terres qui, confisquées lors de l'an-
nexion du royaume de Numidie, avaient été vendues par
l'Etat à des particuliers. Et, si elles avaient été confisquées.
1. Au premier siècle de notre èro, Pline l'Ancien (XVIII, 188-9) aUeste que, dans
l'oasis de Gahés, le sol était possédé par des parliculiers cl se vendait fort cher.
2. V. supra, p. 189-li)0.
3. VIll, 3, 24-25 : • Gaius Iulius Masinissae fllius, cuius crant totius oppidi
agrorum possessiones, cum paire Caesare [ou Caesari] militavit, etc. • Cet
oppidum, appelé Isinuc, était à vingt milles de Zama, l'ancienne capitale de
Juba I".
4. Qui, après une brève existence, fut rattachée à l'ancienne province d'Afrique.
ÉLEVAGE ET CULTURE. 209
c'est vraisemblablement parce qu'elles appartenaient au roi
Juba, l'ennemi de Jules César'. Juba aurait pu en hériter de
ses pères, du grand Masinissa, qui, entre la seconde et la troi-
sième guerre punique, s'était emparé du pays où, sous les
empereurs, nous rencontrons ces domaines ^ Il l'avait enlevé
à Carthage, qui, elle-même, en était peut-être devenue maîtresse
au m* siècle ^ On peut se demander si Carthage n'avait pas
alors déclaré domaine public une grande partie de sa con-
quête; si, de ce domaine public, Masinissa n'avait pas fait un
domaine royal, lequel serait resté tel jusqu'à l'annexion
romaine. Nous venons de présenter toute une série d'hypo-
thèses ^ dont la fragilité ne nous échappe pas. Mais peut-être
sont-elles celles qui expliquent le mieux la genèse de ces
domaines, de ces saltus, au mode d'exploitation uniforme, que
des inscriptions célèbres nous ont fait connaître dans VAfrica
nova. Par ses usurpations sur le territoire punique, Masinissa
serait devenu un très grand propriétaire foncier.
Lui-même et les autres souverains qui régnèrent en Numidie
et en Maurétanie prétendirent-ils à la propriété, non seulement
des terres qu'ils possédaient comme biens patrimoniaux ou
comme acquisitions personnelles, mais, d'une manière géné-
rale, de tout leur royaume, à la manière des Pharaons? Pro-
priété qui se serait superposée à celle des groupes sociaux,
1. Ou bien à des princes qui, avec leur roi, auraient combattu César. — Le
domaine dont on a retrouvé, au lieu dit Henchir Mettich, le règlement d'exploi-
tation, datant du temps de Trajan (C. /. L., VllI, 23 902), s'appelait Villa Mwjna
Variana sive Mappalia Siga. On pourrait supposer qu'avant de devenir un domaine
privé, appartenant à un Romain, Varius, il était terre royale ou priucière. Des
indigènes y auraient habité un village {mapalia), en un lieu nommé Siga. Ils
auraient exploité le sol, en remettant une part des fruits au propriétaire,
comme, plus tard, les coloni du domaine, dont beaucoup étaient peut-être leurs
descendants.
2. Voir t. III, p. 321.
3. Kn tout cas. il semble que ce soit seulement au lll" siècle qu'elle acheva
l'annexion de ce pays. Voir t. II, p. 102; t. III, p. 124, 126.
4. M. Poinssol (Les fouilles de Dougga en l'Jl'J, dans i\oav. Arch. des Missions,
XXII, fasc. 2, p. 40) est disposé à admettre que les saltus de la Tunisie centrale
avaient appartenu aux rois avant la conquête romaine.
210 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
des familles ou des individus, et qui aurait été plus théorique
que réelle'; nulle, en fait, là où le sol était sans valeur, comme
dans les steppes, là où les tribus n'avaient cure de l'autorité
royale. Sur cette hypothèse, il convient de ne pas plus insister
que sur les précédentes. Elle pourrait cependant (avec d'autres
raisons) expliquer pourquoi les deux provinces romaines qui
remplacèrent le royaume de Maurétanie furent, comme l'Egypte,
des sortes de domaines impériaux, gérés par des intendants du
prince, et non des territoires du peuple romain, gouvernés par
des magistrats ou par des lieutenants du magistrat suprême.
Les conditions de l'exploitation nous sont encore plus mal
connues que le régime des terres.
La population libre suffisait aux tâches qui lui paraissaient
nécessaires pour s'assurer une vie frugale, tout en se soumet-
tant aux exigences du fisc^ Il est probable que, pour certaines
besognes, les hommes faisaient volontiers travailler les femmes^
Ils avaient sans doute rarement des esclaves. Ils étaient trop
pauvres pour en acheter, et, à supposer que des guerres heu-
reuses leur en eussent procuré, mieux eût valu les vendre que
de les nourrir. D'ailleurs, les rois devaient s'efforcer de rendre '
moins fréquentes les luttes entre tribus et peuplades, et aussi
de se réserver les profits de la vente des esclaves : à cet égard, la
répression d'une révolte était pour eux une opération fructueuse.
Si l'existence de vastes domaines royaux est une hypothèse
fondée, on peut croire qu'ils étaient cultivés, comme les saltus
romains qui leur auraient succédé, par des hommes libres,
établis sur le domaine sans contrat, ni limitation de temps, et
astreints à verser au propriétaire une quote-part de leurs
récoltes.
1. Elle aurait pu jusliller la perception do l'impôt à litre de loyer. Mais les rois
juf^eaicnt-ils nécessaire d'invo(iuer une théorie juridique à l'appui de leurs
exigences llscales?
2. Conf. suprrt, p. 181J.
3. Voir t. VI, 1. 1, ch. m, § I.
ELEVAGE ET CULTURE. 211
VII
Parmi les richesses naturelles qui furent exploitées à l'époque
•des rois, il faut mentionner l'arbre appelé par les Grecs Gjov,
par les Romains citriis, le thuya*. Il fournissait un bois d'ébé-
nisterie, renommé dès le iii^ siècle avant notre ère. Masinissa
«nvoya aux Rhodiens du thuya et de l'ivoire^. A la fin de
la République et au commencement de l'Empire, l'engouement
fut très vif à Rome pour ce bois, avec lequel on fabriquait
surtout des tables, qu'on payait des prix fort élevés ^ Les rois
Juba* et Ptolémée' en eurent aussi, qui furent célèbres. Les
exigences du luxe devinrent telles qu'en peu de temps les plus
belles forêts de citrus disparurent.
Nous ne connaissons qu'une mine en Numidie avant la domi-
nation romaine : une mine de cuivre, qui se trouvait, dit Stra-
bon^, dans le pays des Masœsyles. Peut-être était-ce celle qui est
voisine de Ténès et où des vestiges de travaux anciens ont été cons-
tatés; l'exploitation aurait été commencée parles Phéniciens^
Le beau marbre jaune et rose de Simitthu (Chemtou), le
marmor IVumidicum, fut importé à Rome depuis 78 avant J. -G. , ou
même plus tôt, dès le second siècle ^ La région des Grandes
Plaines, à laquelle appartenait Simitthu, resta au pouvoir
1. Conf. t. I,p. 143-7.
2. Suidas, s. v. O-jov.
3. Voir t. I, l. c.
4. Pline l'Ancien, XIII, 92 : deux tables, qui furent mises en vente. Elles
avaient probablement appartenu à Juba 1'^', dont le mobilier fut vendu après sa
mort, en l'année 46 {Bdl. Afric, XCVII, 1), et non pas à Juba II, dont les biens
passèrent à son fils Ptolémée.
5. Pline, XIII, 93.
6. XVII, 3, 11.
7. Voir Gsell, Allas archéol. de V Algérie, i" 12 (Orléansville), n" 20, in fine, et
n° 41. Ici, t. II, p. 1G3.
8. T. IV, p. 50. J'y ai dit qu'il ne s'est pas rencontré dans les ruines de la pre-
mière Cartilage; on indique pourtant comme ayant été trouvé en ce lieu un
fragment de chapiteau en marbre de Chemtou, qui n'est pas de travail romain:
Saladin, Archives des Missions, 3" série, XIII, p. 218 et flg. 366; La Blanchère et
Gauckler, Catalogue du musée Alaoui, p. 33, u" 2 et pi. IX.
212 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
de Masinissa et de ses successeurs pendant plus d'un siècle,
jusqu'à la constitution de VAfrica nova^ en 46. C'est avant cette
date qu'on ouvrit Vofficina regia^ la c< carrière royale », dont des
inscriptions latines de Chemtou nous ont gardé le souvenir*.
Dans d'autres pays méditerranéens, les deux principales
occupations des gens du littoral sont le jardinage et la pêche.
On a vu qu'avant la conquête romaine, les cultures arbustives
et maraîchères étaient encore peu répandues chez les Berbères;
d'autre part, rien n'indique que beaucoup d'entre eux se soient
livrés à la pêche. De nos jours encore, le poisson n'est pas un
aliment favori des indigènes ^. Il pouvait en être autrement
dans les cités maritimes d'origine phénicienne ou carthaginoise.
Au bord de la petite Syrte, subsistaient, sous les rois numides,
des pêcheries et des fabriques de salaisons, créées longtemps
auparavant ^ En Maurétanie, la vieille colonie de Lixus repré-
sentait des poissons, probablement des thons, sur certaines de
ses monnaies, aux environs de notre ère\ C'étaient cependant
des pêcheurs venus du port espagnol de Gadès qui exploitaient
surtout les parages africains de l'Atlantique ^
Les pêcheries et ateliers de pourpre que les Phéniciens avaient
certainement établis sur divers points ne disparurent pas avec
la domination punique*, et nous verrons^ que le roi Juba II
fonda des teintureries a.ux Purpurariae insulae, c'est-à-dire, sans
doute, à Mogador, sur la côte marocaine ^
1. C. /. L.,\Ul, 14 578-9.14 583.
2. Sauf sur le littoral océanique, où la pêche remonte sans doute à des temps
lointains : voir Laoust, dans Hespéris, 1923, p. 263. — Poche chez des indigènes
africains, aux époques romaine et byzantine: Pline l'Ancien, XVI, 178; Corippus,
Joh., II, 120-2.
3. Strabon, XVII, 3, 18 (peut-être d'après Artémidore) : à l'entrée du lac des
Bibàn. Ces salaisons sont mentionnées dès le iv<^ siècle : voir t. II, p. 123-4; t. IV»
p. 51, n. 6. Strabon, XVII, 3, 17 {in fine) : à Gabès.
4. Muller, l\umism., 111, p. 156, n"* 238 et 239.
5. Voir t. IV, p. 52.
6. Voir ibid., p. 50-51.
7. T. VIII, 1. il, cb. II, § IV.
8. Pline l'Ancien, VI, 201 et 203. Conf. t. I, p. 523, u. i, et t. Il, p. 180, n. 1.
CHAPITRE II
HABITATIONS
I
Aux temps de la civilisation de la pierre, une partie des indi-
gènes avaient élu domicile dans des cavernes ou des abris sous-
roche'. Bien plus tard, des auteurs grecs et latins mentionnent
des troglodytes à proximité du Sahara et dans le Sahara même;
ils habitaient des grottes naturelles ou faites de main d'homme ^
Il y en avait aussi en pleine Berbérie. Une tribu, dont le prin-
cipal groupe vivait, au début du moyen âge, dans la région de
Tlemcen, s'appelait les Béni Ifrène; son nom venait sans doute
du mot berbère ifri\ « caverne ». Ces Africains, ou, du
moins, leurs ancêtres, étaient donc troglodytes, comme l'étaient,
avant la conquête des Canaries par les Européens, la plupart
des Guanches^
Aujourd'hui encore, on trouve des troglodytes en Tripoli-
1 T I o 184 189. 190. Celaient des cavités naturelles. Mais, d'assez bonne^
heure oa a creusé des grottes. Ilea existe, - qui semblent avoir ete des sanc-
tuaire's non des habila.fons, - sur l'oued Itel, au Sud-Ouest de B.skra e e
rmporlent des couloirs d'accès et des galeries, et offrent des gravures oit
anTnnes, peut-être du II« millénaire avant J.-G. Voir Blanchet /^ec de Con^lan-
îine! XXXIII 1899, p. 296-7; conf. Gsell, Monuments antiques de l Algérie, I, p. 4S.
^'hes lifs^nf indiqués t. I, p. .85. n. 1, et dans Gsell. Hérodote, p. 151-4.
^\ Comme le dit Ibn Khaldoun, Hist. des Berbères, trad. de Slane, 111. p. 197-8.
Conf. H. Basset. Le culte des grottes au Maroc, p. 14.
4. Verneau, Revue d'ethnographie, VIII, 1890, p. 222 et su.v.
214 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
taine et dans le Sud de la Tunisie, c'est-à-dire dans la région
des Syrtes, où Sénèque en indique*, et aussi dans l'Aurès,
dans l'Ouest de l'Algérie (en particulier à Tlemcen), au Maroc ^
Les uns occupent des cavités naturelles, complétées au besoin
par de grossiers murs en pierres sèches ^ ; les autres se sont
creusé leurs demeures dans le tuf. Ce sont tantôt des logements
souterrains *, tantôt des chambres établies au-dessus du sol,
derrière des parois verticales ou très peu inclinées, ressauts ou
falaises. Parfois, abris naturels ou artificiels se superposent
dans les flancs d'un piton, d'un éperon, dont le sommet peut
servir de refuge ^
Si ce mode d'habitation s'est perpétué çà et là, c'est par la
force des vieilles coutumes, et aussi à cause des avantages
qu'il offre à des gens le plus souvent misérables : demeure qui
n'exige pas d'entretien et n'a à craindre ni l'incendie, ni, en
général, les autres risques de destruction, défense facile contre
les gens malintentionnés et les fauves, abri sûr contre les mau-
vais temps, fraîcheur en été, chaleur en hiver. Il est vrai que
ces tanières manquent d'air et de lumière, qu'elles sont fré-
quemment d'une humidité malsaine et que la vermine y pullule
à l'aise.
1. Ad Lucil., XC, 17 : « Non in defosso latent Syrticae génies, quibus propter
nimios solis ardores nullum tegimentura satis repelleudis caloribus solidum est,
nisi ipsa arens humus? »
2. Voir, entre autres, 11. Basset, l. c, p. 14-17, et dans H(^spéris, 192o, p. 427-
439; Voiaot, Bull. d'Oran, 1920, p. 24-2,'), 69; Gautier, Ilespéris, 1925, p. 383-393,
Souvent, les grottes, à proximité desquelles ont été construits des gourbis ou des
maisons, ne servent plus que de magasins ou d'étables.
3. P. ex., dans l'Aurès : Masqueray, Kcv. afric, XXII, 1878, p. 43. Grottes natu-
relles dans le Moyen-Atlas : Gautier, L c.
4. Les plus remarquables de ces demeures souterraines sont celles du ])ays des
Matmata, dans le Sud-Est de la Tunisie. Elles ont été souvent décrites : voir,
entre autres, Ilamy, dans V Anthropologie, 11, 1891, p. 528 et suiv.
5. P. ex., à Taza, au Maroc : Basset, Hespéris, /. c. ; à Douirat, dans l'ExIréme-
■Sud tunisien.
HABITATIONS. 213
II
On a vu que, dans les siècles qui précédèrent notre ère, la
plupart des indigènes s'adonnaient à l'élevage. Ceux qui occu-
paient dans le Tell des pays bien pourvus de pâturages et d'eau
pouvaient mener une existence presque sédentaire; si la séche-
resse les obligeait à aller passer l'été ailleurs, il n'était pas rare
qu'ils pussent faire un long séjour au lieu qu'ils avaient choisi.
Cependant, comme leur bétail était leur seule richesse, il fallait
qu'ils fussent prêts à le soustraire par la fuite à des incursions
de pillards, et cette crainte les engageait à préférer des abris
mobiles à des habitations fixes. Les pasteurs qui, l'hiver,
vivaient dans les steppes, étaient contraints de s'y déplacer
souvent; l'été venu, ils gagnaient, par de longues migrations,
le Tell ou les montagnes du Sud'. Ils devaient emporter avec
eux leur demeure, n'ayant ni le temps, ni, d'ordinaire, les
moyens d'en édifier une à chaque station.
Aujourd'hui, les nomades de l'Afrique du Nord s'abritent
sous des tentes plus ou moins grandes, assemblages de longues
bandes tissées en laine et en poil de chameau ou de chèvre.
Chargées sur des bêtes de somme, avec quelques pieux et des
piquets, ces tentes se dressent et s'enlèvent en peu de temps ;
groupées en cercle, — tel est le sens du mot arabe douar, —
elles constituent une sorte d'enceinte, où les troupeaux sont
réunis tous les soirs. Ce ne sont pas seulement des demeures
de nomades. Des sédentaires, qui ont des maisons, vivent
volontiers pendant l'été sous la tente, plus fraîche la nuit et
plus facile à défendre des insectes parasites ; aux abords des
lieux où ils s'établissent, leur bétail laisse un fumier qui féconde
le sol destiné à être ensemencé à l'automne ^ Souvent même,
1. V. supra, p. 176 et suiv.
2. A. Bernard, Enquête sur l'habitation rurale des indi<jcnes de l'Algérie (Mger, 192!),
p. 5-6.
216 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
dans les pays où l'hiver n'est pas trop rigoureux, la tente est
la seule habitation dont on fasse usage.
Cependant elle s'est répandue tardivement chez les Berbères.
Ce fut surtout après la conquête musulmane qu'ils l'adoptèrent,
à l'exemple de leurs nouveaux maîtres : au viii* siècle, un
grand nombre d'entre eux avaient des tentes, semblables à
celles des Arabes*. Mais il se peut que certains en avaient eu
plus tôt. Deux siècles auparavant, le poète africain Corippus
mentionne à plusieurs reprises^ des tentoria chez les indigènes
qui faisaient alors la guerre aux Byzantins. 'Ils possédaient
aussi des chameaux, animaux fort rares en Berbérie jusqu'au
m® siècle de notre ère, mais que l'on employait déjà beaucoup
dans le Sud de cette contrée sous le Bas-Empire ^ Or, c'est
avec du poil de chameau qu'en général, on fabrique les tentes;
ce sont surtout des chameaux qui servent à les transporter, car
elles sont d'ordinaire trop lourdes pour d'autres bêtes de
somme. Par la matière et parles dimensions, les <e?iformdontparle
Corippus ont donc pu ressembler aux tentes que les chame-
liers arabes apportèrent d'Orient au vu*' siècle. Cela n'est d'ail-
leurs pas certain, car on peut aussi bien supposer que ces abris
étaient faits à l'imitation de ceux qu'employaient les troupes
byzantines *.
De petites tentes en cuir, semblables à celles dont les Touareg
se servent encore, paraissent avoir été en usage chez des Afri-
cains dès une lointaine antiquité. Telles étaient sans doute les
tentes de cuir possédées par des Mashaouasha, que les Egyptiens
eurent à combattre au temps de la XIX" dynastie^ ; peut-être aussi
les abris de quelques peuplades, qualifiées de Scénites (Sxr.vTTat,)^
1. El Bekri, Descr. de l'Afrique si'ptentr., trad. de Slane, édit. d'Alger, p. 139.
2. Joh., Il, 101, 41.5, 430; IV, 321; VII, 405.
3. T. 1, p. 60.
4. Et que Corippus meiitioiinii plus d'une fois : Joh., I, 514; II, 273; etc.
V). Gtial)as, Éludes sur Vanlviuilé liislorique, 2'- édit., p. 201. Dates, The Eastern
Libyans, p. 108.
6. Ptolémée, IV, 7, 10 (p. 785, édit. Miiller) : i3Ky,vïTai, qu'il place dans le désert-
HABITATIONS. 217,
par des auteurs postérieurs à l'ère chrétienne. Il convient
cependant de rappeler que le terme a-xr,vri ne signifie pas
nécessairement tente : on l'a appliqué à des huttes, fixes ou
mobiles '.
Il est probable que, dans des expéditions guerrières, des
indigènes adoptèrent la tente, à l'exemple des armées romaines
qu'ils combattaient ou avec lesquelles ils faisaient campagne :
surtout les généraux, les princes, les rois. La nycr^rr^ ^ ou le
tabernaculum de Masinissa ^, le tabernaculum de Nabdalsa,
lieutenant de Jugurtha \ ne devaient pas être de misérables
abris, comme ceux dont se servaient les nomades.
Ces demeures mobiles des nomades sont souvent mentionnées,
depuis le v" siècle avant notre ère jusqu'au vi^ après J.-C. ^
Lucien, Dipsades, 2 : Garamantes [qui étaient des Éthiopiens, non des Libyens],
qualifiés d'avepwTtot (T/.r,vtTat. Poilux (IV, 74) parle, d'une manière générale, de
Libyens scénites : AîSueç... oi (7xr,vïTa;.
1.' Gonf. t. II, p. 419, n. 9.
2. Polybe, XXXVI, 16, 12, édit. Buttner-Wobst (ahas XXXVII, 3).
3. Tite-Live, XXX, 15, 2. Pseudo-Frontin, Strat., IV, 3, U. Selon Tite-Live
(XXX, 17, 13), le Sénat aurait fait don à Masinissa, en 203, de deux tentes d'ap-
parat (indication très suspecte).
4. Sallusle, Jug., LXXI, 4.
5. Hérodole, IV, 190 (à propos des Libyens nomades) : -< Leurs demeures sont
faites d'asptiodèles entrelacés de joncs; elles sont portatives. » Hellanicos (dans
Fragni. hist. Graec, I, p. 57, n° 93) : « Gertains Libyens nomades ont des habi-
tations faites en asphodèles, juste assez grandes pour fournir de l'ombre; ils les
transportent là où ils vont. » Virgile, Géorgiques, III, 343-4 (cité supra, p. 177,
n. 6). Tite-Live, XXIX, 31, 8 : ■< Familiae aliquot cum mapalibus pecoribusque
suis... persecuti sunt regem. » Pomponius Mêla, 1, 42 : [les gens de l'intérieur de
l'Afrique] « sequuntur vagi pecora, utque a pabulo ductasunt, ita se ac tuguria
sua promovcnt, atque, ubi dies déficit, ibi noctem agunt. » Lucain, IV, 68i-5 :
ICt solitus vacuis errare mapalibus Afer
Venator...
Pline l'Ancien, V, 22 : « Numidae vero Nomades [appellati], a permutandis
pabulis, mapalia sua, hoc est domos, plauslris circuiiiferentes. » Silius llalicus,
III, 290-1 (à propos des Gétules) :
Nulla domus; plaustris habitant; migrare por arva
Mos atquo errantes cirounivectarc pénates.
Le mémo, XVII, 80. Tacite, Ann., III. 74 : « Per expeditos et soliluJinum gnaros
mutantem mapalia Tacfarinatem proturbabat. » Ibid., IV, 23 : « Adfertnr
Numidas apud casteilum... positis mapalibus consedisse. •• Corippus, Joh., Vil,
65 : « motis... cannis »; VII, 2(')4, et VUI, 124 : • coinmotis... caniiis ». — Gonf.
Gsell, Hérodole, p. 177 9.
218 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
Elles étaient faites en matières végétales, asphodèles ', joncs ^^
asphodèles entrelacés de joncs % roseaux *, chaumes ^
On pourrait se demander si beaucoup d'entre elles n'étaient
pas démontables et ne consistaient pas, comme certaines tentes
encore usitées au Maroc \ en quelques nattes, qui, roulées^
auraient été aisément portées par des bêtes de somme, avec des
pieux, perches et piquets; l'assemblage de ces diverses pièces
eût pu se faire très rapidement, et la case ainsi édifiée eût été,
au moment du départ, disloquée plus rapidement encore. Mais
les textes qui concernent ces abris se prêtent mal à une telle
hypothèse; quelques-uns même s'y opposent nettement. Nulle
part, il n'est question d'assemblage et de démontage. C'est la
maison même que l'on déplace, et cette maison se transporte
par charroi. Un poète latin, Silius Italiens, dit des nomades
africains qu'ils habitent des chariots; Pline l'Ancien, qu'ils
transportent leurs maisons sur des chariots.
Selon Silius, ces maisons auraient donc été de véritables
roulottes ; selon Pline, des cases, des cahutes, indépendantes
des chariots sur lesquels on les aurait chargées. Des roulottes
eussent constitué des logements instables, si elles n'avaient pas
été munies de quatre roues; au contraire, pour transporter
une sorte de cage, on pouvait employer de légers véhicules,
pourvus seulement de deux roues assez grandes : ce qui valait
mieux que des chariots à quatre roues dans des pays sans
routes. La cage elle-même était fort légère, eu égard aux
matériaux dont elle était faite et au mobilier très rudimentaire
qu'elle contenait. La forme qui s'imposait était celle d'un
1. llcllaiiicos, l. c.
li. Pline l'Anficn, XVI, 178.
3. IK'rodolo, /. c.
4. Silius Italicus. XVII, 88-89. Corippus (II. ce, ot II, 16; VIII, 44) appelle ces-
demeures cannae.
."). Lucain, I,\, 945.
0. Conf. noutlé, Mcrnlltrch, p. 24 ; tentes tissées en libres que l'on tire du pal-
mier nain ou de l'aspliodùie. D'autres sont constituées par des nattes d'alfa.
HABITATIONS. 21^
cadre de voiture, c'est-à-dire d'un rectangle. Le toit pouvait
être, soit plat, soit à double pente; il est permis de suppo-
ser qu'on le garantissait des intempéries en le couvrant de
peaux.
Nous n'avons aucun renseignement sur l'attelage. Des bœufs
eussent fort bien convenu : on sait l'usage que, dans leurs
migrations, les barbares d'Europe et d'Asie faisaient d'eux
comme bêtes de trait. Mais les pasteurs qui avaient le plus
besoin de se déplacer étaient ceux qui vivaient dans les régions
les plus pauvres, les moins propres à l'élevage du bœuf. Beau-
coup d'entre eux possédaient des chevaux, mais ils devaient se
les réserver comme montures à la chasse et à la guerre. Peut-
être avaient-ils recours à des ânes; peut-être aussi, faute de
mieux, se mettaient-ils eux-mêmes aux brancards.
Pour désigner ces habitations mobiles, les Grecs et les Latins
se servent parfois de termes vagues, ayant simplement le sens
de « maison », « cabane » K Dans Corippus, nous rencontrons
le terme cannae ^, qui indique la matière dont elles sont faites :
le poète oppose les cannae des indigènes aux tentoria des
troupes byzantines ^ Mais on trouve plus fréquemment chez les
Latins un mot qu'ils n'emploient guère que pour des demeures
africaines, et qui se présente presque toujours au pluriel, sous
deux formes : magalia ^ et mapalia ^ (quelquefois avec deux p :
mappalia "). Il s'agit sans doute d'une simple différence de
transcription ^; mapalia est beaucoup plus usité. Le mot est
certainement africain. Parmi les auteurs anciens, les uns
1. Or/.T|[xaTa : Hérodote; olxcat : Hellanicos; <u(7uri« : Mêla.
2. V. supra, p. 218, n. 4.
3. Joh., Vlll, 42-44.
4. Celte forme se trouve dans Yir^We, Enéide, I, 421; IV, 259. Servius (/« Aen.,.
IV, 259) dit que magalia et mapalia sont synonymes.
5. Virgile, Géorgiques, Ili, 340. Tile-Live, X.XIX, 31, 8. Lucain, 11, 89; IV, 684;
IX, 945. Pline l'Ancien, V, 22; XVI, 178. Siiius Italiens, 111, 287; XVil, S9. Tacite,
Ann., 111, 74; IV, 25. Servius, In Aen., IV, 40. Corippus, Jo/i., 11, 5 et G3.
6. Voir, p. ex., C. /. L., Vlll, 25 902; Victor de Vite. 1, 10.
7. Nous avons fait remarquer (t. I, p. 313, n. G) que le /) est à peu près inconnu
aux Berbères: ils ne devaient donc pas prononcer mapal.
220 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
paraissent le croire d'origine indigène'; Servius le dit
punique ^ En tout cas, si l'on veut admettre que le mot était
punique, il n'y a aucune raison de croire que la chose l'était
aussi ^ : les mapalia mobiles servaient aux nomades, dont le
genre de vie différait entièrement de celui des Carthaginois.
III
Le terme mapalia a été également appliqué par les Latins à
des habitations de sédentaires africains *. Ces abris de pauvres
gens devaient, comme les mapalia mobiles, être faits surtout
en matières végétales. On peut même se demander si le mot ne
désignait pas, d'une manière générale, des demeures ainsi
construites, qu'elles fussent fixes ou portatives ^ Nous trou-
vons aussi des termes qui ne sont pas propres à l'Afrique %
•/aÀ-jêa', en grec ', tucjuria en latin **; le mot très rare attegiae,
1. Voir les passages de Salluste et de saint Jérôme cités t. I, l. c.
2. Selon cet erudit(/n Aen., I, 421), la forme correcte devrait être magaria, non
magalia, le mot magar signifiant villa (ferme) en punique. Mais ce rapproche-
ment n'a sans doute aucune valeur.
3. Malgré des textes qui l'affirment. Deutéro-Servius, Jn Aen., I, 421 : • Alii
magalia casas Poenorum pastorales dicunt » (Servius, In Aen., IV, 259, dit, au
contraire : « Magalia, Afrorum casas ■■). Festus, s. u. : « mapalia casae Poenicae
iippcUantur ». Martial, VIII, 55, 3 : • Poena mapalia •; ailleurs (X, 20, 7), il dit :
« sicci Gaetula mapalia Poeni ».
4. Salluste, Jug., XVIIl, 8; XLVI, 5. Mêla, I, 41. Glaudien, Consul. Stilich., III,
344. Voir aussi les textes de Caton et de saint Jérôme qui sont cités infra, p. 222,
n. 0 et 7, et qui se rapportent à des mapalia fixes. Ce nom Mapalia (ou Mappalia) a
désigné sous l'Empire romain divers lieux habités en Afrique : un faubourg de
Carthagc (Actes de saint Cyprien, 5; saint Augustin, Sermons, LXII, 17; Victor de
Vite, I, 16; De miraculis S. Stcphani, dans Migne, Patr. Lai., XLI, p. 848); un
domaine dans la Tunisie centrale (C. /. L., VllI, 25 902); un autre domaine,
voisin d'IIippone (saint Augustin, Lettres, LXVl, 1; le même. Contra litteras Peti-
liani, II, 83, 184, et II, 99, 228).
5. Plus tard, le terme maiialia a pu s'étendre à de misérables habitations con-
struites en pierres, mais couvertes en matières vé{^étales, à ce que nous appelons
des chaumières.
6. Et ijui s'appliquent à des demeures bâties en pierres, aussi bien qu'à des
huttes on matières végélales.
7. Pausanias, X, 17, 2. Klien, Nat. anim., III, 1. Procope, Bell. Vand., II, C, 10.
8. Salluste, Jug., XII, 5; XIX, 5; XLVI, 5; LXXV, 4. Sulpice Sévère, Dialog., I, 3
{Patr. Ut., XX, p. 180).
HABITATIONS. _ 221
dont Juvénal ' se sert à propos des Maures, est d'origine
inconnue.
On a dû édifier des huttes fixes dès une antiquité très
reculée. Il se peut qu'il y en ait eu déjà dans des stations pré-
historiques, où des gens qui ne connaissaient encore ni l'éle-
vage, ni la culture, se groupaient et menaient une vie séden-
taire. Plus tard, ces demeures purent convenir à des pasteurs
qui n'avaient pas besoin de se déplacer souvent, à des agri-
culteurs qui vivaient disséminés dans la campagne. Les Aspho-
délodes -, appelés probablement ainsi à cause des huttes en
asphodèles qu'ils habitaient, étaient, autant qu'il semble, une
tribu du Nord-Ouest de la Tunisie '; or, dans cette région très
favorisée par les pluies, les demeures n'étaient sans doute pas
des mapalia mobiles, domiciles de nomades. Des huttes ana-
logues abritaient des troupes qui, quand les opérations mili-
taires étaient suspendues, prenaient leurs cantonnements *.
Telles ont été les cabanes dont beaucoup d'Africains se sont
contentés à travers les siècles % tels sont encore ces gourbis,
dont les parois sont faites en roseaux, en branchages entre-
lacés, en treillis de tiges flexibles, et dont le toit est aussi en
matière végétale, surtout en diss ou en chaume : habitations
à chambre unique, sans autre ouverture que l'étroite baie de la
porte. Rien de plus aisé à construire que ces huttes, quand on
a les éléments sous la main. Lorsqu'elles sont trop dégradées,
lorsque la vermine les rend vraiment intenables, on les aban-
donne, en emportant les perches qui soutenaient la toiture et
1. XIV, 196. Oa retrouve ce lormc sur une inscription latine de Germanie :
C. /. /.., km, G054.
2. Diodore de Sicile, X.\, 57, 5 : 'ATcpoôcXujScis-
3. V. supra, p. 83-80.
4. Troupes de Syphax, cantonnées dans des huttes on roseaux et en feuiliaj?e :
Polylie. XIV. 1,7; conf. Tite-Live, XXX, 3, 9.
.5. Voir, p. ex., Ibn Khaldoun, llist. dfs BerhÎTcs, trnd.de Slane, I, p. 237. par-
lant d'une tribu qui vivait entre Fès et Tlemcen, à l'époque de la conciutMe
arabe : ■■ Les Matgliara iiabitaient à demeure fixe dans des cabanes faites de
broussailles. »
fisEi.L — Alrifino 'lu Nord. V. ''^
222 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
qui peuvent servir encore, et on va édifier un nouveau gourbi
plus ou moins loin de l'ancien. Appliqué sur les parois, un
enduit de terre argileuse, souvent mêlée de bouse de vache, est
utile pour protéger du froid et des rayons trop ardents du
soleil : il est probable que ce mode de calfeutrage, assez fré-
quent, est employé depuis fort longtemps. De même, une gar-
niture intérieure de nattes, qu'on accroche verticalement.
La plupart des huttes modernes sont de forme allongée, avec
un toit à deux pentes; le plan est, soit rectangulaire, soit
elliptique (ou, plus exactement, à quatre côtés, parallèles deux
à deux et réunis par des segments de cercle). Mais la forme cir-
culaire, avec toit conique, existe dans l'Ouest du Maroc * et en
Tripolitaine -, régions où elle est d'origine soudanaise \ On la
retrouve plus au Nord, dans le centre de la Tunisie ^. Dans la
grande Kabylie, elle est en usage, non pas pour les habitations,
qui sont en pierre, mais pour des magasins de paille % et ce
n'est sans doute pas au Soudan que les Berbères de ce pays
l'ont empruntée.
Dès l'époque néolithique, on a construit des huttes rondes
dans beaucoup de contrées de la Méditerranée et de l'Europe
centrale et occidentale. Il en a peut-être été de même dans
l'Afrique du Nord. Les Romains y ont encore connu des inapalia
de cette forme : ce qu'indiquent Caton l'Ancien'^ et saint
Jérôme', qui les compare à des fours. Il s'agit dans ces textes
1. Voir, entre autres, Doutté, Merràkcch, p. 2cS4 et suiv.; Michaux-Bellaire et
Salriiou, dans Archives marocaines, lY, l'JO."), p. 114-5.
2. Voir, p. ex., de .Mathuisieulx, A travers la Tripolitaine, p. 128 et flg. à la p. 129.
Dans le Sud tunisien, autour de Médenine, des indifrènes habitent en été des
huttes de cette forme : A. Bernard, Enquête sur l'habitation rurale des indigènes de
la Tunisie (Tunis, 1924), p. 19-20.
3. Gela est du moins ecrlain pour la Tripolitaine : Mathuisieulx, /. c.
4. Dans la région de Maklar : Bernard, /. c, p. 16.
.'). Laoust, Mots et choses berbères, p. 303, not(^
0. Ueutéro-Servius, In Aen., 1, 421 : « Gato Originum quarto inagalia aedificia
quasi cohortes rotundas dicit. • Festus, s. v. mapalia : « Gato Origiuum lihro
quarto : mapalia vocaïUur ubi habitant; oa quasi cohortes rotundae sunt. »
7. Comment, in Amos, l'rolog. (l'utr. Lai., XXV, p. 990) : « agrestes quidenk
casae et furnoruin simiies, (juas Afri appellant mapalia ».
HABITATIONS. 223
de mapalia fixes, car, comme nous l'avons fait observer',
l'emploi d'une forme circulaire aurait compliqué très inuti-
lement la construction des chariots servant au transport des
huttes mobiles.
Mais, dans les campagnes africaines, il y avait aussi, au témoi-
gnage de Salluste-, des cabanes oblongues, dont les toits, aux
côtés courbes, ressemblaient à des carènes de navires retournés.
C'est cette forme oblongue qui a prévalu, avec le toit à double
pente. Et même, dans certaines régions, le profil du toit est
caréné % ce qui justifie la comparaison de Salluste, ou plutôt
du roi numide Hiempsal, que Salluste a copié \
IV
Les huttes en matières végétales offrent un grand danger :
elles peuvent être la proie facile et rapide du feu, qui, quand
le vent le porte à travers des groupes d'habitations, cause, en
quelques instants, des désastres. En outre, ces cases, aux
parois minces, sont des abris fort insuffisants contre le froid et
la chaleur. Des sédentaires ont dû sentir de bonne heure le
besoin de se construire des demeures plus sûres et mieux
garanties des excès de la température extérieure. Comme ils
n'avaient pas l'intention de les abandonner, puisqu'ils étaient
fixés au sol, il était naturel qu'ils les fissent assez solides pour
qu'elles pussent servir de longues années à eux-mêmes et à
l.P. 21S-9.
2. Jug., XVIII, 8 : • Cetenim adhuc aedillcia Numidarum agresliuiu, (juae
mapalia illi vocant, oblouga, iucurvis lateribus tecta, quasi naviuin cariuae
sunt. »
3. Dans le Nord du Maroc : Tissot, Géogr., I, p. 481. Eu Klioumirie : Bertliolon.
dans Bull, de géogr. histor. du Comité, 181)1, p. 497.
4. La i)hrase citée supra, n. 2, est intercalée dans un récit emprunté à Hiempsal.
Celui-ci racontait que des Perses, venus en Afrique, s'étaient servis, en puise de
cabanes, des carcasses de leurs navires, retournés : légende qui avait évidem-
ment son origine dans la forme des mapalia habités par les indigènes au temps
d'IIiempsal.
224 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
leurs enfants. Aux huttes se substituèrent de véritables maisons,
de ces maisons qu'Hérodote indique, au v'' siècle, comme les
habitations des Libyens cultivateurs \
Elles furent faites en terre ou en pierre. La terre convient là
où les pluies sont rares. C'est ainsi qu'on bâtit les maisons des
oasis, sans doute depuis fort longtemps^. Nous pouvons
supposer que l'exemple est venu de l'Est, où l'usage
d'édifier des maisons en terre est très ancien, sur le Nil aussi
bien que sur l'Euphrate. Mais ce mode de construction a pu
être adopté dans des pays plus septentrionaux; il est encore
usité en Tunisie et au Maroc, dans des régions qui ne sont
nullement dépourvues de pluies. Les murs en terre' se font de
deux manières. Tantôt, — c'est ainsi qu'on procède dans le
Sud, — on pétrit des sortes de pains, dits toûb^ où l'argile,
pour acquérir plus de consistance, est mélangée de paille
hachée et de cailloux; après les avoir exposés au soleil, qui
les sèche, on les juxtapose et superpose comme nos maçons le
font pour les briques. Tantôt, — surtout au Maroc, — on
tasse de l'argile mouillée, souvent mêlée de chaux, dans des
coiTrages en planches, dont le vide intérieur a la largeur de la
paroi à bâtir et qu'on enlève quand la terre a rempli ce vide.
C'est la construction en pisé. Les Carthaginois l'ont connue* et
ont pu la faire connaître aux indigènes. Mais le pisé et, plus
encore, les toûb se dégradent vite; quand la désagrégation est
consommée, ils ne laissent pas de ruines^ : il est donc impos-
sible de prouver, par des documents archéologiques, que les
ancêtres des Berbères ont fait usage de ces deux procédés.
1. IV. 191 : oîxia;. Il vii-iit de dire que les nomades iint des habita lions (oîxr,|j.aTa)
portatives.
2. Hérodote (IV, IS-")) dit que, dans le désert, les maisons sont construites avec
des morceaux de sel. Il s'aj^it de terre, très mélangée de sel. Conf. Gsell, Héro-
dote, p. 180.
3. Ils reposent souvent sur un soubassement en pierre, construit comme celui
des maisons dont des pierres forment les parois (u. injra, p. 22.J-6).
4. T. IV, p. 1%.
5. Conf. Jolv, Rev. afric, LUI, lOOÎ), p. 1."), n. t.
HABITATIONS. 225
La construction en pierre est mieux appropriée aux pays
pluvieux. On sait combien elle a été en faveur dans les contrées
méditerranéennes depuis des temps très lointains : surtout
pour les demeures des morts, qui doivent être solides et durables,
mais aussi pour celles des vivants. Les matériaux se présentaient
d'eux-mêmes en Afrique : galets dans les lits des torrents,
petites pierres éparses sur le sol, roches feuilletées fournissant
des dalles, auxquelles quelques coups de masse donnaient les
dimensions et la forme désirées.
Les ruines dites berbères, restes de maisons, d'enclos, tle
remparts, sont innombrables. Elles se répartissent sur une
longue série de siècles. Mais, d'ordinaire, elles ne se laissent
pas dater. Les plans et les modes d'exécution se sont, en effet,
perpétués : rien ne ressemble plus aux vestiges d'un village
abandonné depuis cinquante ans, que ceux d'un village qu'il
est permis de croire contemporain de l'époque romaine, ou
même antérieur. Nous verrons, cependant, que les repères
chronologiques ne font pas partout défaut'.
Dans les constructions anciennes comme dans les récentes,
les murs ont fort peu de fondations, Om, 20-Om, 30 à peine,
et, en général, l'intérieur des habitations n'est pas creusé au-
dessous du sol-, comme ce fut souvent le cas en Europe. Le
bas des murs est fréquemment constitué par deux rangées de
dalles dressées, parements entre lesquels a été jetée de la pier-
raille ^ Ce procédé, appelé appareil berbère, n'est d'ailleurs
1. Infra, p. 241.
2. Il y a cepeadant dos exceptions. Dans la région de Zaghouane, les indigènes
creusent assez souvent le soi d'environ 0in,50, à Tinlérieur. ce qui permet de
maintenir les murs assez bas, pour donner peu de prise au vent : Bernard, EtKjuétc
sur l'habit, rurale de Tunisie, p. 16.
3. Voir, entre autres, La Hlancliére, Archives des Missions, 3<^ série, X (1883),
p. 28 et pi. Vli, (ig. 4, n" 3 a; .Maumené, liev. archéoL, l'.)OI, II, p. 32; Hamy,
Bull, de géogr. histor. du Comité, 1904, p. ol, G4; Stuhimann, Einkuiturgeschichtlicher
Ausjlu(j in den Aures, p. ol ; Pallary, Instructions pour les recherches préhist. rfu/is
le Nord-Ouest de VAfriijue, p. 80 et 11g. 00; Voinot, Bull. d'Oran, 1913, p. 520, et
11116, p. 264, 270; Doumergue, ihid., 191'.), p. 75.
226 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
pas propre à la Berbérie; il fut, par exemple, usité en Crète au
second millénaire avant J.-C. \ Mais on ne disposait pas
partout de dalles, ou bien on préférait un autre agencement :
on se servait alors de gros galets, de blocs bruts ou sommai-
rement équarris, qui, mis à plat, formaient l'assiette du mur-.
Par-dessus le soubassement, on dressait les parois avec des
matériaux plus légers, qui se sont presque toujours écroulés :
moellons, tantôt empilés au hasard, tantôt étages en assises
plus ou moins régulières. Il n'est pas rare que des galets,
placés obliquement, forment des rangées superposées, une
rangée oîi l'inclinaison est à droite étant surmontée d'une
autre où l'inclinaison est à gauche, et ainsi de suite, de telle
sorte que les éléments de deux assises voisines ont l'aspect d'épis
couchés ou de séries de chevrons ^ Des pierres plus grosses,
qu'on a taillées quelque peu, prennent place aux angles du
bâtiment et dans le cadre de la porte. Ces divers assemblages
ne sont pas liés avec du mortier, mais il est probable que, jadis
comme aujourd'hui, on bouchait les interstices avec de la boue
argileuse, mêlée d'excréments. Il se peut aussi que, de distance
en distance, on ait coupé la paroi en pierre par un lit de
branches, qui lui aurait donné plus de cohésion : ce procédé
est encore en usage dans l'Aurès^
La forme ronde, qui domina pendant longtemps dans les
maisons des contrées européennes et que nous avons cons-
tatée en Berbérie pour une partie des huttes, se rencontre
rarement dans les ruines d'habitations en pierre^; elle est
1. On le rctroiivo lï Malle : A. Mayr, Die Inscl Malin iin Allertum, p. 41.
2. Voiriot, Hull. d'Oran. 191G, p. 272. Voir aussi Bertholoii et Chantre, Recherches
cnlhro[io(. dans la Berbérie orientale, 1, p. 432. Etc.
3. Voir llamy, l. c, p. 52,0.").
4. Masqueray, Fo/-ma/ion dm cilrs, p. 1.54. Cela rappelle les traverses en bois que
l'on encastrait souvent dans la rnanoniieric en Crète, au second millénaire
avant J.-C.
5. On en a sip:nalé quelques exemples. Voir La Blanch«>re, /. c, p. 32 (prés de
Saidtt, en Oranie); Joly, Ftev. afnc, LUI, l'JOO, p. 14 et 11^.23, 26 (Alj;éric cen-
trale).
HABITATIONS. 227
aujourd'hui abondonnée. Il est impossible de dire si, à une
époque reculée, elle était fréquente. Nous étudierons plus tard'
des sépultures en pierres sèches, les chouchet (c'est-à-dire « les
calottes »), qui ressemblent à des tours basses; mais, si l'on
voulait soutenir qu'elles ont été faites à l'imitation de maisons,
on n'aurait aucun bon argument à présenter en faveur de cette
opinion. Remarquons pourtant que les habitations en pierre
des Guanches étaient beaucoup plus souvent rondes ou ellip-
tiques que quadrangulaires^ : eu égard à la parenté de la civi-
lisation des insulaires des Canaries avec celle des Berbères
primitifs, nous pouvons nous demander si ces derniers n'ont
pas, eux aussi, fait largement usage de la forme circulaire.
La forme quadrangulaire prévalut. Peut-être faut-il admettre
des influences orientales'. Mais ce n'est pas là une hypothèse
nécessaire. Cette forme est plus commode que la forme ronde,
lorsqu'on veut grouper plusieurs chambres, avec des parois
mitoyennes. Surtout, elle permet de couvrir plus facilement
l'aire enfermée par les murs. Et, pour la même raison, la largeur
est généralement peu développée, tandis que la longueur l'est
plus ou moins, selon l'espace dont on a besoin : le bâtiment a
une forme oblongue. En effet, la couverture, toit ou terrasse,
ne peut s'étendre beaucoup dans le sens de la largeur : autrement,
elle exigerait des perches très grandes et très fortes, qu'on ne
trouve pas aisément.
Le toit est soutenu par une poutre, traversant la salle au
milieu, parallèlement aux côtés longs. Chacune des extrémités
de cette poutre de faîte repose souvent, non sur l'un des deux
côtés courts, mais sur un poteau, drossé verticalement; on l'a
taillé dans un arbre, de façon à ménager, à l'intersection du
tronc et d'une grosse branche, une fourche dans laquelle la
1. T. VI, I. Il.ch.iii, § VI.
2. Verneau, liev. d\'lhiw:iraphic,\U\, 1890, p. 243, 244, 248, 249.
3. Surtout pour les conslruétions en terre, apparentées aux maisons rectangu-
laires en bri(iues crues de la Mésopotamie et de l'Kgypte.
228 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
poutre puisse s'encastrer. Si la salle est trop longue pour les
poutres dont on dispose, on en met deux ou trois bout à bout,
et des poteaux fourchus les soutiennent. Des perches inclinées
s'appuient, d'une part, sur ce faîte, d'autre part, sur la crête
d'un des deux murs longs, et constituent une carcasse en dos
d'âne. Là-dessus, sont posés en travers des roseaux ou des
lattes, qui portent un lit épais de débris végétaux, diss, alfa,
palmier nain, chaume, algues, etc. Souvent, ce toit est recouvert
d'une couche de terre glaise, le rendant imperméable. L'emploi
de tuiles cuites semi-cylindriqueS; de ces tuiles qu'on appelle,
dans le Midi de la France, « tuiles romaines », est certainement
dû à des influences étrangères, soit romaines, soit plus
récentes, andalouses ou autres : on le constate dans quelques
villes ' et dans les villages de la Grande Kabylie -.
Les terrasses^ sont constituées par des perches posées dans
le sens de la largeur, par des lattes ou des rondins que ces
perches soutiennent, enfin par une couche d'argile damée. Elles
protègent mieux qu'un toit contre les températures excessives;
si elles supportent moins bien les fortes chutes de neige et les
pluies torrentielles, elles résistent mieux aux vents violents; en
été, elles oiîrent un espace frais pour le repos du soir et le
sommeil de la nuit; elles sont des observatoires et, au besoin,
des postes défensifs, quand les maisons s'étagent sur des
pentes, ce qui est très fréquent en Berbérie.
On trouve des terrasses, non seulement dans la plupart des
villes, — dans toutes celles du Sud et dans la majorité de celles
du Tell, — mais aussi dans des villages, en des pays où l'on
s'attendrait plutôt à rencontrer des toits : par exemple, dans le
massif montagneux de l'Aurès, sur les pentes méridionales du
1. P. ex., fQ Tunisie, li Tébourba. Testour, Tél)Oursouic (Bertholon et Chantre,
l. c, p. 428); en Algérie, ù Constaniine, Mila, Clu-rchel (A. Uernard, Enquête sur
Vliabilat. rurale de VAbjérie, p. 94).
2. Où ces toits en tuiles sont très répandus aujourd'hui, mais étaient encore
rares au début de la con(|u6le française.
3. Sur ce mode de couverture, voir Bernard, l. c, p. 31 et suiv.
HABITATIONS. 22^
DJLirdjiira, dans l'Atlas marocain. Pourtant ce mode de cou-
verture des maisons convient surtout à des climats chauds et
secs. Il a dû être importé d'Orient : peut-être d'Éjrypte, pour
les oasis; peut-être de Phénicie, pour les lieux voisins du
littoral. Les maisons de Carlhage étaient pourvues de ter-
rasses'. De même, celles de la ville numide de Vaga (Béja), à
la fin du if siècle avant J.-C. : ce que nous apprend un épi-
sode de la guerre de Jugurtha, raconté par Salluste'.
Nous ne saurions dire dans quelle mesure les Berbères d'alors
avaient adopté la terrasse. Elle est assurément postérieure chez
eux au toit à double pente. C'était ce toit qui, comme Salluste
l'indique, coiffait les huiles oblongûes en branchages, inca-
pables d'ailleurs de porter une terrasse. Des huttes, il avait dû
passer sur les habitations construites en pierre'.
Les maisons des indigènes n'ont, pour la plupart, qu'une
chambre. La baie de la porte est la seule, oa presque la seule
ouverture. Il n'y a pas de fenêtres; souvent, cependant, une ou
plusieurs petites lucarnes sont ménagées vers le haut des murs.
A l'intérieur, le sol est en terre battue. Au milieu, un trou
circulaire, très peu profond, constitue le foyer, pour le
chauffage et surtout pour la cuisine; trois pierres y sont dis-
posées en triangle, de manière à porter plats et marmites. La
fumée s'échappe par la porte ou par les lucarnes, quelquefois
aussi par un trou qui, s'ouvrant dans le toit, fait office de
cheminée. Fréquemment, cette salle unique est divisée par une
murelte en deux compartiments, dont l'un sert de logeuient,
l'autre d'écurie et d'élable pour les chevaux et les bo-ufs.
1. Voir t. m, p. 399.
2. Jug., L.WII, 1 : « lauliorcs puerique pro tectis aediflciorum saxa elalia, quae
locu.s praebcl.at,C(Mlatiiii iinUevo » (sur des soldats romains qui passent dans les
rues). .
3. Quant aux maisons surmonlécs de voûtes et de coupoles maçonnées, ce mode
de couverture, usité dans le Sud, depuis l'île de Djerba jusqu'au Souf, s'explique
par le manque de bois; il paraît avoir été importé d'Orient. Voir il. Basset,
llespéris, 1924, [). 310. Je n'en connais pas d'exemples remontant ii l'antiquité.
-230 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
Hérodote aurait pu dire des Libyens ce qu'il disait des Egyp-
tiens * : qu'ils habitaient avec leurs animaux domestiques.
D'ordinaire, la maison ne s'ouvre pas directement sur la
campag-ne ou sur la rue du village. Elle est précédée d'une
cour, plus ou moins grande, qu'entoure une enceinte, de forme
rectangulaire ou circulaire^ ; soit une haie morte en branches
épineuses^, soit un mur en pierres sèches. Cette cour précède
aussi beaucoup de gourbis^. Elle isole le logis et le défend des
regards indiscrets; en général, la porte qui y donne accès
n'est pas dans l'axe de celle de la maison. C'est là qu'on
parque la nuit les moutons et les chèvres, à l'abri des voleurs
et des fauves ; là que les femmes vaquent à des travaux qu'il
leur est plus commode d'accomplir en plein air et en pleine
lumière; là qu'on prend le frais dans les soirées d'été. Par-
dessous, on creuse quelquefois de petits celliers pour les grains ^
Telle est la maison berbère sous sa forme la plus simple.
^lais la chambre unique ne suffit pas toujours à ceux dont la
demeure est limitée par l'enceinte de la cour. Plusieurs
chambres s'élèvent cote à côte, et chacune d'elles abrite un des
ménages d'une famille dont les membres mâles ne se sont pas
séparés après avoir contracté mariage. Le désir d'un peu plus
de bien-être crée des locaux accessoires; l'écurie et l'étable
forment des bâtiments particuliers, édifiés en branchages® ou
en pierres ; des annexes sont des magasins, des logements pour
1. Il, 36.
2. Pour des ruines d'enceiiilcs circulairos, voir, p. ex.. Carton, Bull, de Sousse,
VU, 1909, p. 95; Joly, Rev. afric, LUI, 1909, p. 14, fiir. 2.5 et 26.
3. Nalurelletnent, l'oxislenco de cette haie autour d'hai)ilations antiques est une
hypoliièse. .\ujourd'liui, {"enceinte est souvent une haie vive, formée de cactus.
.Mais celte [)iante est d'orif^ine américaine et, par conséquent, d'importation
Técente en Berhéric.
4. Des ruines d'enceintes, aujourd'hui vides, peuvent avoir enfermé des huttes,
non des maisons. Voir, p. ex., Voiuot, Bull. d'Oran, 1913, p. 521 ; 1910, p. 268,
269 (Maroc oriental).
5. Voir [..a nianchérc. Arch. des Missions, 3' série, X, p. 55 et pi. VII, flg. 4, n" 2;
-Carton, Bull, de Sousse. VII, 1909, p. 9,"); Campardou, Bull. d'Oran, 1921, p. 188,
6. Cas fréquent dans le Nord do la Tunisie.
habitations: 231
les serviteurs', des chambres pour les hôtes ^ De là, des types
de maisons très variés. Il est fort rare, dans les campagnes et
dans les bourgs, qu'elles soient pourvues d'un étage; quand
elles' en ont un % il sert à l'habitation, le rez-de-chaussée étant
une écurie ou une étable.
Des fermes isolées peuvent être fortifiées ; celles des Berbères
de l'île de Djerba offrent des bastions aux quatre angles \ dis-
position que l'on retrouve au Maroc ^ et qui n'était pas inconnue
dans l'antiquité ^
1. Le roi Hiempsal, qui occupe dans une petite ville la maison d'un Numide,
s'enfuit devant des assassins et va se cacher dans la cabane d'une servante
(« tugurio mulieris ancillae ••) : Salluste, Jug., XII, 5.
2. Pour des ruines d'habitations à plusieurs chambres, voir, p. ex., La Blan-
chère, l. c, pi. VII, lig. 4, n" 2; Joly, l. c, p. 14, fig. 26-28.
3. C'est surtout au Maroc qu'on trouve des exemples de ces maisons rurales à
étage.
4. Bernard, Enquête sur riiabit. rurale de Tunisie, p. 38.
5. Tighremt, maison-forteresse de l'Atlas : voir, entre autres, P. Ricard, Pour com-
prendre Vart musulman, p. GO.
6. Bell. Afric, XL, 1 : « Erat in eo campo... villa permagna, turribus IV in-
structa. » Mais nous sommes là dans la région d'Hadrumète, colonie phénicienne,
et dans la province romaine. Celte ferme n'était peut-être pas une construction
indigène.
CHAPITRE III
LIEUX HABITÉS
I
Les pasteurs doivent se disséminer avec leur bétail dans la
campagne, où ils ont leurs demeures : aujourd'hui, des tentes;
dans l'antiquité, des mapalia mobiles ou fixes. Quant aux agri-
culteurs, nous avons indiqué' les raisons pour lesquelles ils se
sont groupés dans des villages. De nos jours encore, malgré
la sécurité qui règne sur la majeure partie de la Berbérie, la
plupart des cultivateurs indigènes répugnent à habiter des
fermes, des hameaux isolés*. Il y avait cependant de ces fermes
même avant la paix romaine ^ : la commodité de résider sur
les lieux où l'on avait à travailler, les ressources en eau qu'y
pouvaient fournir des fontaines ou des puits, y retenaient des
familles qui ne craignaient pas trop les risques et l'ennui de
la solitude.
Malgré leur dispersion, ces gens, pasteurs ou agriculteurs,
1. p. 02.
2. Hépu^nance qui u'esl pas f^éuéralp. Par exemple, dans l'île de Djerba, les
hnbilalions rurales sont d'ordinaire isolées au milieu des vergers. On trouve des
fermes disséminées parmi les champs ciillivés dans la Tunisie centrale, dans le
centre du déparicmeni de Con^lanline, dans le djebel (Ihenoua (prés de Gher-
chel), dons l'Esl du Itif, chez les liaha el les Chiadma (.Maroc occidental), etc.
Mais il se peut que, pour cerlainos de ces régions, la dispersion des habitations
ne soil pas très ancienne : voir, pour les llaiia, .Montagne, I[esi)éris, 1924,
p. 320.
3. Kn 101), les bords du Miitliul (oued Mellègue), plantés d'arbres, étaient, dit
Salluste (Jug., .\LV111, 4), garnis de troupeaux el de cultivaleur.>^.
LIEUX HABITES. 233
appartenaient à un groupe social dont le devoir le plus impor-
tant était de protéger la vie de ses membres. Sur le territoire
que ce groupe regardait comme sien, il fallait un lieu qui, en
cas de guerre, d'invasion, servît d'abri, sinon à tous, du moins
aux non-combattants, où l'on put aussi mettre hors de l'atteinte
des ennemis le bétail et les choses auxquelles on attachait
du prix.
Asiles, refuges, que la nature oITre abondamment en Afrique.
Ce sont des croupes s'allongeant en pointe entre deux ravins,
ou presque entièrement ceintes par la boucle d'une rivière, des
crêtes escarpées, surtout des plateaux aux flancs abrupts,
n'ayant d'accès que par un isthme étroit ou une montée difficile.
Presque horizontales ou plus ou moins déclives, ces tables
couvrent parfois de larges espaces * : telles la hammada de
Kessera, dans la Tunisie centrale, la Kalaat Senane, au Nord-
Est de Tébessa, la table du Djahfa, au Nord-Est de l'Aurès, la
JMestaoua, qui se dresse à quelque distance au Nord-Ouest de
ce massif et qu'ont encore occupée, il y a un demi-siècle, des
indigènes rebelles; tel aussi le rocher de Constantine, qui,
avant de porter une ville, a pu être un asile pour les popula-
tions environnantes. D'autres hauteurs ou plateaux, qui ont
servi de refuges, sont d'une étendue bien plus modeste, soit
parce qu'ils n'étaient pas destinés à recevoir des hôtes très
nombreux, soit parce que les gens d'alentour, n'ayant pas
trouvé mieux, se résignaient à s'y entasser. Il va sans dire
qu'on recherchait surtout les lieux pourvus d'une ou plusieurs
sources, ceux qui, tout au moins, dominaient des sources, des
rivières où l'on pouvait faire des provisions d'eau.
Souvent, les défenses naturelles, profonds ravins, parois
rocheuses, suffisaient presque pour décourager l'ennemi. La
1. Conf. Masqueray, Rev. afric, XXII, 1878, p. 137; Moncliicourl, La ré<iion du
Haul-Tell en Tunisie, p. 415 et suiv. Pour la lable du Djahfa, voir (îsell. Allas
archéol. de V Algérie, f" 39 (Ghéria), n" 3; pour la Meslaoua, ibid., f° 27 (Ualna), au
Nord du a" 108.
234 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
rempart n'était nécessaire que là où débouchait le sentier par
lequel on faisait l'ascension, là où s'étendait l'isthme qui reliait
le plateau à la hauteur voisine. On élevait donc sur ce point
une muraille de barrage, en n'y réservant qu'un passage très
étroit pour l'entrée*. Ailleurs, il pouvait être utile de construire
çà et là quelques autres murs, afin de protéger des points
faibles. Parfois même, deux murs se succédaient sur une pente,
le second renforçant le premier^. Mais on n'a que rarement
éprouvé le besoin d'entourer le refuge d'une enceinte continue.
Ces remparts sont construits en blocs bruts, assemblés à sec.
Ici, les pierres s'entassent presque sans ordre; là, elles se
superposent en assises grossières, qui sont en retrait les unes
sur les autres'; là, nous retrouvons le mur dit berbère*^
avec deux parements en gros matériaux et un remplissage en
moellons ^
En principe, le refuge, destiné à n'être occupé que temporai-
rement et le moins longtemps possible, ne comporte pas
d'habitations construites en matériaux durables. Et, de fait, il
n'y a pas de ruines dans beaucoup de ces lieux. On s'y instal-
lait au hasard, sous des peaux, sous des huttes improvisées, ou
simplement en plein air. Cependant, là où l'on ne disposait pas
d'une source, où l'on n'avait pas dans le voisinage immédiat
quelque rivière dont l'ennemi ne pût interdire l'accès, il était
bon de constituer des réserves d'eau : certains refuges, qui ne
1. Dont l'api)roclie pouvait ùtre iril(»rdil(> {^ràce à des disposilions particulières.
Tissol (Géogr., I, p. 499) écrit, ;i propos d'un refuge du Maroc : « Les portes de
l'enceinte .sont délilées et décrivent un anj^le vers la gauche, de façon à livrer
aux coups do Tassiégé le flanc droit do l'assaillant (|ui aurait tenté d'eu forcer
l'accès. »
2. Voir, p. ex., de Bosredon, liée, de Constanline, XVIII, 1876-7, p. 424 (au
djebel Osmor, près de Téliessa); Jacquet, ihid., \\A, l'.)07, p. 156 et plan (conf.
Gsell, Allas archéoL, f 20, Mon Taleb, n° 84); Levistrc, Anlhropos, II, 1907, p. 138
(région de Duvivier, au Sud de Hi'tiie). Ces tnurs peuvent n'dtre pas toujours con-
temporains l'un de l'autre.
3. Hefuge du djebel cl Kalaa : Alla\ arclu'ol. de la Tunisie, (" Tozegrane,
n" 130.
4. V. supra, p. 22."».
.'). Jacqudt, l. c.
LIEUX HABITÉS. 23b
paraissent pas très anciens, sont pourvus de citernes ou de
bassins \
La pensée dut venir de bonne heure que ces asiles, néces-
saires en temps de guerre, pouvaient être utiles en d'autres
temps; qu'ils étaient propres à contenir des magasins, où ce
qu'on apporterait serait plus en sûreté que dans la campagne :
surtout les grains, dont les pasteurs mêmes avaient besoin et
qu'ils se procuraient par des moyens violents ou pacifiques.
Pour y veiller, il suffisait de quelques hommes. C'est ainsi
qu'aujourd'hui encore, des nomades ont, au Sud de l'Algérie,
dans l'Atlas saharien, des ksoui\ sortes de places fortes qui leur
servent d'entrepôts pour leurs grains, leurs dattes, leurs laines,
et oîi n'habitent en permanence qu'un petit nombre de gens
de basse condition, chargés de la garde'-.
Il pouvait arriver aussi que le chef de ceux qui vivaient aux
alentours crût bon de se ménager, dans le refuge, une maison
solide, résidence et magasin''' : ce qu'on appelle en arabe un
bordj'". Il s'y trouvait plus en sécurité et avait sous la main ses
provisions et ses richesses mobilières; quant à ses troupeaux,
dispersés dans la campagne, il laissait à des parents, à des ser-
viteurs, le soin de les surveiller.
On connaît des centaines d'anciens refuges dans l'Afrique du
Nord, surtout en Algérie^; car, en Tunisie, le village fortifié,
1. Pelil bassin dans un refuge du djebel Osnior : Bosredon, l. c. Bassins
d'époque indélerminée à la Kalaat Senane : MouchicourI, L c, p. 416.
2. V. supra, p. 198.
3. Telle a pu élre la destination de la forleresse berbère qui se dresse sur un
piton, à l'e.xtrémité Nord-Est de la table du Djahfa (Gsell, Atlas, f° 39, n" 3; Rinn,
Bev. afric, XXIX, 1885, p. 208). Elle est construite en « gros blocs de rocher, en
partie taillés et fort adroitement ajustés » ; Vaissière, Rev. afric, XXXVll, 1893,
p. 137. Elle n'appartient peut-ôtre (ju"aiix derniers temps de l'antiquité. — Fortin
en blocs bruts, occupant, près de Duvivier, le sommet d'un mamelon, dont une
double enceinte a fait un refuge : Levislre, Anlhropos, 11, 1907, p. 138.
4. Mot qui parait se rattacher au grec Ttjpyo; (<;onf. en langue germanique et
en latin barg et burgus).
.j. Où ils n'ont guère été étudiés. Pour ceux de l'intérieur des départements
d'Alger et d'Oran, voir Joly, Hev. afric, LUI, 1909, p. l:M4. Dans le centre du
département de (lonstanline : Mauinené, Ucv. archcoL, 1901, 11, p. 33-34. Ua
236 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION. '
habité d'une manière permanente, semble avoir prévalu de
bonne heure sur l'asile temporaire ^ Ils paraissent être nom-
breux aussi au Maroc-, dont l'étude archéologique est à peine
commencée. Même dans des régions mieux explorées, il en
existe certainement beaucoup qui n'ont pas été signalés. Leurs
vestiges sont d'ordinaire très maigres et ne se révèlent qu'à
des regards attentifs : des tessons qui jonchent un plateau ou
une croupe; quelques bouts de remparts, qui ont gardé leur
cohésion sur une faible hauteur, tandis qu'ailleurs, les pierres
de ces murailles se sont écroulées et, n'ayant pas été taillées,
ne peuvent témoigner de leur emploi par Ihomme.
Comme pour toutes les ruines berbères, il est difflcile, ou
même impossible, de dater ces refuges, en usage depuis l'anti-
quité, et sans doute depuis une très haute antiquité, jusqu'à
une époque rapprochée de nous. Le mode de construction des
murailles ne donne pas d'indices, à moins que, par hasard,
quelques pierres de taille, empruntées à des ruines romaines
voisines, n'y aient pris place; encore conviendrait-il de savoir
si ce ne sont pas des réparations partielles \ Des silex taillés,
recueillis à l'intérieur du refuge, prouvent une occupation fort
ancienne*, mais ne prouvent pas que les murailles derrière
lesquelles ils se rencontrent aient été élevées dès les temps où
ils servaient d'outils et d'armes. 11 n'y a rien à conclure des
tessons de poteries berbères non décorées, puisque ces pote-
refuge silué à Tideniatiae, près de Saida (déparlement d'Oran), a t-lé décrit par
La Illanchère, Arcli. des Missions, 3* série, X, p. 46, pL IV.
1. Conf. Tissol, Géogr., I, p. 491). Appien {Lib., 101) nous montre des Libyens se
réfu;^iant, au milieu du ii° siècle avani J.-C, dans des lours cl des lieux fortifiés,
TT'jpyo-j; -xa'-. cppo-jp'.a, qui, dit-il, étaient nombreux dans le pays (il s'agit du lerri-
loire carthaginois). Le mot Tr-jpyo'. pourrait désigner ici des refuges, el çpojpta
des villages fortifiés. Cependant on peut aussi bien admettre que ces deux mots
soni synonymes et s'appliquent à des villages : v. infra, p. 240.
2. Tissol, L c, p. 4'.t.S-9.
3. 11 y a en Afrique, dans des campagnes romanisées, des refuges don! les
murailles sont tout à fait de type byzantin et ne peuvent être antérieures au
VI' siècle : voir Gsell, Monuments antiques de l'Algérie, 11, p. 392-5.
4. Voir JacquoI, Rer. de (Jonslanline, XLI, 1907, p. 150; Joly, Hev. afric, LUI,
1909, p. 14.
LIEUX HABITÉS. 237
ries se ressemblent toutes, qu'elles soient préhistoriques ou
modernes. Des débris de vases, faits au tour dans des fabriques
romaines ou plus récentes encore, attestent seulement que le
refuge a été occupé en pleine époque historique; des fouilles
permettraient peut-être de dire s'il l'a été beaucoup plus tôt.
Parfois, aux abords, s'élèvent des dolmens, sépultures dont les
plus récentes ne doivent pas être postérieures aux premiers
siècles de notre ère' : il est vraisemblable qu'on a voulu éta-
blir ces demeures des morts auprès de l'asile des vivants, et
nous avons ainsi une indication, assez vague, du temps où
ceux-ci faisaient usage du refuge.
Diodore de Sicile" décrit, on ne sait d'après quel auteur, les
mœurs de Libyens habitant, non pas la Berbérie, mais le
Sahara oriental, brigands qui allaient faire, en dehors du
désert, de rapides expéditions de pillage. « Leurs chefs, dit-il,
ne résident pas dans des villes (toâsi.ç^); mais ils ont des tours
(Ti'jproi.), près de lieux oii il y a de l'eau, et ils y déposent ce
que, dans leur butin, ils mettent en réserve. » Plus d'un sei-
gneur numide, maure ou gétule devait en faire autant.
Au VI'' siècle après J.-C, labdas, prince de l'Aurès, effrayé
de l'approche d'une armée byzantine, fit conduire ses femmes
et porter ses trésors dans une tour (-ypro;), construite bien
longtemps auparavant, refuge presque inaccessible sur un
rocher entouré de profonds précipices*.
D'autres textes anciens, que j'ai déjà cités^, mentionnent des
lieux très difficiles d'accès, où sont établis des magasins de
1. Ooliui'ii.- auprès d'un refuge voisin de Tébessa, au djebel Osraor : Faidherbe,
Duli. d'Hi[)iJon('., [V, 1868, p. 70; de Bosredon, Rec. de Conslantine, XVllI, 1876-7,
p. 424;Duprat, iiid., XXIX, 1894, p. .^544-5. Une centaine de dolmens autour d'un
refuge voisin de Duvivier : Levislre, Anthropos, II, 1907, p. 138. Nécropole de
doiriiciis auprès d'un refuge, non. loin de Djelfu : H.irtm.i)er, Rev. afric, XXIX,
1885, p. 14'2 (conf. Gsell, Mon. ant., 1, p. 1;}).
2. m, 49, 3.
3. Mot qui signifie aussi « village » : v. infra, p. 240.
4. Procope, Bell. Vand., II, 20, 23.
ri. P. 144, n. 2.
Gsi;i,i.. — Afrii|Uo du Nord. V. 10
238 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
grains, et gardés des trésors. Ce sont des châteaux royaux^
appartenant aux souverains de la Numidie. Mais, par leur site,
ils ressemblent fort à ces refuges où, depuis des siècles, des
campagnards berbères enferment leurs familles et souvent
s'enferment eux-mêmes aux heures de danger, et qui, fréquem-
ment, sont munis de greniers, d'entrepôts, utilisés en tout
temps.
Il
Fort loin dans le passé, des Africains qui ignoraient l'élevage
et l'agriculture s'étaient réunis par groupes compacts en des
lieux où les témoignages de leur séjour couvrent entièrement
des milliers de mètres carrés'. C'étaient là de véritables vil-
lages. Nous avons constaté que beaucoup d'emplacements avaient
été choisis en tenant compte de la proximité de l'eau et de la
facilité de la défense, ces conditions essentielles des établisse-
ments humains en Berbérie^
L'élevage, combiné avec la chasse, n'était pas rigoureuse-
ment incompatible avec cette vie en commun, quand les envi-
rons immédiats restaient, en toute saison, assez riches en her-
bages pour que les troupeaux n'eussent pas trop de chemin à
faire entre le village et les prés où on les menait paître; quand
la sécurité paraissait assez grande pour qu'on pût les laisser
dans la campagne en les confiant à des gardiens peu nom-
breux. Mais il en était rarement ainsi; l'élevage, nous l'avons
dit, exigeait en général la dispersion de ceux qui le pratiquaient.
Au contraire, les cultivateurs se sont d'ordinaire agglomérés
dans des lieux où ils avaient l'eau à leur portée et où leurs
familles, leurs réserves de grains et leurs autres biens se trou-
vaient en sûreté'. L'agriculture a besoin de moins d'espace
1. V. supra, p. 27-28.
2. Gonf. t. I, p. 181-2, 187.
3. V. supra, p. 02.
LIEUX HABITES. 239
que l'élevage : le village peut se garnir d'habitants, sans que
les distances soient trop fortes entre les maisons et les champs;
d'ailleurs, cette agriculture primitive ne demande un travail
assidu que dans les deux périodes où l'on fait semailles et
labours, moisson et battage'. C'est donc dans le village que
l'on demeure en permanence, ou, du moins, pendant la majeure
partie de l'année, car des cultivateurs qui ont des troupeaux
peuvent temporairement émigrer avec eux vers des pâturages
lointains et y vivre sous de légers abris'.
Certains de ces villages existaient sans doute dès l'époque
préhistorique; les générations nouvelles avaient seulement
ajouté la culture aux occupations de leurs ancêtres. D'autres
purent succéder à des refuges, lorsque ceux-ci n'étaient pas
d'une ascension trop pénible et situés trop à l'écart des champs
exploités, lorsque l'eau y abondait. D'autres enfin prirent nais-
sance sur des emplacements vierges, au fur et à mesure que
les indigènes adoptaient la vie agricole et croissaient en
nombre. Dans le Tell, la plupart des Berbères finirent par se
grouper en villages, ce que Pline l'Ancien remarquait au
i*"" siècle de notre ëre\ Il en avait été de même, pour les mêmes
raisons, dans d'autres pays méditerranéens, en Espagne*, en
Ligurie, en Albanie.
C'est dans des villages, — on les comptait par centaines, —
que vivait presque toute la population libyenne que Carthage
avait jadis assujettie\ Une partie d'entre eux tombèrent aux
mains de Masinissa^ Sous ce prince et ses successeurs, le déve-
loppement de l'agriculture dut en faire éclore beaucoup en
1. Voir p. 19.'), n. i.
2. Ce que font beaucoup de moiilac;nards de l'Aurès, qui, après les semailles,
sortent de leurs villages el vont passer l'hiver avec leurs troupeaux à la lisière
du Sahara.
3. V, 1 : « castella ferme inhabitanl ».
4. A cet éjrard, l'auteur du Beiluni llispanit-nse (VIII, 3) fait une comparaison
très jusiidée entre l'Espagne et l'Afrique.
5. Voir t. II, p. i04-.5.
6. Tive-Live, XLII, 23. Apiuen, fJb., GS. Voir ici, t. III. p. 3IS, 321.
240 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
Numidie, et aussi transformer bien des groupements peu
importants en de gros bourgs, là où l'abondance de l'eau et la
fertilité des campagnes voisines le permettaient.
Villages et bourgs sont généralement désignés dans les textes
latins sous le nom de castella\ tandis que le terme oppida, qui
l'accompagne souvent-, désigne des villes. Vicus est rare^ Il
répond au grec xwjj(.tj\ Polybe% suivi par d'autres'', qualifiait
de -nÔAs'.s aussi bien les villages que les villes. Posidonius lui
reprochait d'avoir ainsi élevé à la dignité de t:ô},£..- de simples
Tîûpvo'. d'Ibérie'. Ce qui montre que le mot -njoyoç pouvait
s'appliquer à des villages fortifiés, aussi bien qu'à des refuges^
4>ûojp'.ov répond mieux au latin castelliitn^ .
L'archéologie nous fait connaître en Berbérie nombre d'an-
ciens villages ou bourgs indigènes. Beaucoup ont continué à
être habités sous la domination de Rome, et plus tard encore,
souvent même jusqu'à nos jours, car la source, qui a appelé
les hommes, les a retenus auprès d'elle. Et c'est au temps de la
paix romaine que ces lieux semblent avoir été le plus pros-
pères : des castella se sont alors transformés en villes ; les maisons
et les édifices bâtis selon les procédés classiques ont remplacé
les constructions africaines. Mais quelques restes de. remparts.
1. Salhislo, Jiig., LIV, 6; LXXXVII. 1; LXXXIX, 1. Bell. Afric, II, 6; VI, 6;
XXVI, 6. Til<;-Live, XLII, 2.3. Justin, XXil, 5, T). Plino l'Ancien, V, 1. Castella
autour de Sicca : G. /. L., VIII, 15 609, i5 72l-L\ îo726; autour de Girt.i : Gsell,
Atlas archéol. de l'Alijérie, f 17 (Gonslanline), p. 12. col. 2.
2. Salluste, Bell. Afric, Tile-Live, II. ce. Gonf. Justin, /. c. : « urbes caslellaque
Africae ».
3. Tilc-Livo, XXiX, 30, 7.
4. Appieii, Lih., 12.
f). XIV, I, 7.
6. Strnboii, XVII, .'{, 15. Appien, Lib., 08.
7. Slrabnn, III, 4, 13. El Sirabon ajoute : « Les gens ([ui disent que ics Ibères
ont plus de mille villes (7tô/.ei<;) metleni en compte les grands villages (rà; (leyâXaî
8. Gonf. supra, p. 237.
S). Appien (Lib., 101) l'ernploii' dans le passaj;e cité .su/i/y/, p. 231), n. 1. Sladias-
mas inarii Mnijai, dans Geoyr. Grorci min., I, p. 4."')S, S S G : çpo'jf.iov [■Japfîàpwv. Dans
H^fianax {Frugm. Uial. Graec, III, p. 70, ii° II), il s'aj^it peut-tHre d'une Ibrleresse
r.iyaie, non d'un bourg forlidé : rouf, sujifa, p. I4'i, n. 2.
LIEUX HABITÉS. '^41
qu'on retrouve sous les murs romains', surtout des dolmens,
tout proches de l'espace couvert par les habitations-, attestent
un passé antérieur au triomphe de la civilisation latine. Il
serait imprudent de joindre à ces témoignages les noms libyques
que portent sous l'Empire bien des bourgs et des villes dont
l'aspect est latin: cesnomsprouventassurémentqueleslieuxqu'ils
désignent ont été fréquentés avant l'époque romaine, mais non
pas qu'ils aient été occupés par une population sédentaire.
Ailleurs, ce sont des ruines d'aspect berbère % c'est-à-dire
des ruines qui, en général, ne peuvent être datées*. Pourtant,
des repères se rencontrent çà et là : une citerne, revêtue d'un
ciment de confection romaine^; quelques débris d'un édifice
qu'un personnage important de l'endroit a fait bâtir par des
gens appelés du dehors et travaillant d'après des modèles car-
thaginois ou latins^; des tessons de poteries faites dans des
fabriques romaines"; une inscription libyque, qui ne peut être
de beaucoup antérieure, ni postérieure à notre ère^; enfin des
tombeaux indigènes, dolmens, tumulus, tours, où l'on cons-
tate des rites funéraires, où l'on trouve des objets en usage
chez les Libyens dans les deux siècles qui ont précédé l'ère
chrétienne et les deux siècles qui l'ont suivie*.
i. A KsarMahidjiba et à Tiddis, dans la région de Conslanline : v. infra, p. 2"."),
2. P. ex., en divers lieux autour de Constanline : voir p. 275, n. 6-8.
3. Voir, entre autres, .Masqueray, Rev. afric, XXII, 1878, p. 42 (djebel Chechar,
à l'Est de l'Aurès) ; Joly, Bull, archéol. du Comité, 1900, p. clxiv-v, et Rev. afric,
LUI, 19U0, p. 15-16 (centre des départements d'Alger et d'Oran); La Blanchère,
Arch. des Missions, 3" série, X, p. 29-31, 43-44 (région de Saïda, dans le departcnu-nt
d'Oran); Voinot, Bull. d'Oran, 1913, p. 522; 1916, p. 264 et suiv. (Maroc oriental);
Campardou, ibid., 1921, p. 187-8 (région de Taza).
4. Conf. supra, p. 225.
5. La Blanciière, l. c, p. 31.
6. Cliapileau de style puniiiue dans les ruines d'Henchir el Aria, qui soni tout
à fait d'aspect liliyque : Gsell, Atlas archéol. de CAlijérie, f 18 (!>ouk--4rrhas),
a° 390.
7. I'. ex., Joly. B. a. Comité, 1900, p. clxv.
8. A Ilenchir el Aria : tJsoll, Atlas, l. c. A Karkab : La Blanchùro, /. c, p. 45,
9. Dolmens auprès de ruines de villages el de bourgs, dans l'Endda (Tunisie
orientale) : Ilamy, Bull, de géogr. hislor. du Comité, 1904, p. 51 et suiv.; Carton,
Bull, de Sousse, VII, 1909, p. 95; dans le Nord-Ksl do l'Algérie : Mercier, B. a.
242 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
• Dans le bas pays que borde la côte orientale de la Tunisie
et qui fit partie du territoire punique, puis de la province
romaine constituée en 146 avant J.-C, il y avait des bourgs
situés en plaine et, pour la plupart, alimentés en eau par des
puits'. On n'aurait guère pu exploiter autrement cette fertile
région. Mais, en Numidie et en Maurétanie, où la sécurité
était bien plus précaire, les villages s'écartaient du pays plat,
dépourvu de défenses naturelles. Ils s'écartaient aussi du voisi-
nage immédiat des rivières, impropres à la navigation, sujettes
à des inondations soudaines, ne fournissant d'ordinaire qu'une
eau de mauvaise qualité et répandant autour d'elles la fièvre.
Ils allaient s'asseoir au dessus des vallées et des plaines,
assez près, cependant, pour que les travailleurs des champs
pussent descendre et remonter sans se fatiguer, sans perdre leur
temps à de longues marches; tout auprès d'une de ces sources
qui ne sont pas rares à la lisière des régions accidentées ; enfin
dans un site offrant des défenses naturelles : langue de terre
bordée par deux ravins qui se rejoignent, éperon d'un con-
trefort, table isolée, piton conique. La vue doit, autant que
possible, être dégagée, car l'ennemi aura ainsi moins de
chances de s'approcher par surprise. D'ailleurs, un lieu auquel
les vents n'auraient pas libre accès serait un foyer de maladies
et, pendant la saison chaude, une fournaise.
Aux alentours, les ravins et les pentes fournissent des galets
et des pierres roulantes, propres à construire les maisons; des
matériaux plus volumineux peuvent être tirés de carrières
Comité, 1887, p. 451, et 1888, p. 102; Toussaint, ibid., 1897, p. 277, a" 52. Au Nord
de l'Aurès, lo gros bourg d'Ichoukkàne est ontouré d'ua grand nombre de dol-
mens sous tumulus et de sépultures en forme de tour : voir Gsell, Monuments
antiques de l'Algérie, 1, p. 16 (d'après Masqueray); Atlas archéol., f 27 (Batiia).
D" 357. Ruines de villages berbères, flamiuéps ou entourées de lumulus, dans
rOranie et \i\ Maroc oriental : voir, p. ox., Pallary, dans Matériaux pour Chist.
primit. et natur. de Vliomme, XXI, 1887, p. 451; Voinot, Bull. d'Oran, 1913, p. 527, et
1916, p. 206 et suiv.
1. Bourgs de i'Enflda mentionnés supra, p. 2il, n. 9. Dans la région qui s'étend
au Sud de Sousse, la relation de la campagne de Jules César mentionne plusieurs
grog bourgs, qui étaient corlainemenl ou très probablement en plaine.
LIEUX HABITÉS. 243
ouvertes dans les roches. Les forêts qui s'élèvent dans la
proche montagne donnent le hois de charpente et de chauf-
fage; elles accueillent le bétail en été. Quand l'arboriculture
se joindra à la culture des céréales, les terrains inclinés qui
avoisinent le village se prêteront, en général, à des plantations
€t aux irrigations nécessaires. Même, en beaucoup de lieux,
des oliviers sauvages n'attendent que la greffe pour accroître
leur chétif produit.
On peut reprocher à ces sites leur éloignement des cultures
-et des voies naturelles de communication. Mais, — nous
l'avons déjà dit', — le premier inconvénient n'était guère
ressenti qu'à deux époques de l'année, en automne et au com-
mencement de l'été. Quant au second, on ne songeait sans
•doute pas à s'en plaindre, car le village n'était nullement des-
tiné à des opérations commerciales, à des visites d'étrangers
qui n'y auraient même pas trouvé une auberge. Il était une
petite place forte, où, pour des raisons de sécurité, s'accumu-
lait la population d'un canton agricole. C'est ce qu'indique
<;lairement le terme castellu7n, qui le désigne en latin.
Les défenses naturelles qu'offre le site sont presque toujours
renforcées par des ouvrages exécutés de main d'homme ^. Une
enceinte en pierre entoure le village, à moins que des roches
verticales ne permettent de l'interrompre. C'est une simple
muraille, barrière massive qui épouse les formes du terrain et
«st généralement dépourvue de redans et de tours ^ Les
pierres, brutes ou sommairement équarries, sont assem-
blées à sec; quelquefois, elles alleigncnt de grandes dimen-
I.P. 239.
2. L'auteur du Dellum Hispaniense (VHI, 3) écrit, à propos de l'Espagne ulté-
rieure : « Propter barbaroruiii crebras excursiones, oinnia loca, quae sunt ab
oppidis remola, lurribus et muiiilionibus relincnlur, sicul in Africa. » La suite
montre qu'il s'agit do lieux habités, et non de refuges.
3. Aussi ces défenses élaient-elles souvent insuffisantes contre les moyens de
siège dont disposaient les Romains. Salluste, Jug., LIV, G : (Métellus) « mulla
castella et opi)ida temere munita... capit. » Ihid., LXXXVIl, 1 : (Mnrius) « cas-
tolla cl oppida uatura et viris parum munita adgreditur. »
244 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
sions'. Les modes de construction sont ceux que nous avons
indiqués pour les refuges "^
Dans les villages préhistoriques, sur l'emplacement desquels
on ne retrouve que des cendres, des restes d'aliments et des
instruments en pierre, les habitations ont pu consister en des
huttes, des mapalia fixes ^ Il n'est pas impossible que, même
dans les temps qui ont précédé immédiatement notre ère, il y
ait eu encore des villages partiellement ou entièrement formés
de ces cabanes en matières végétales \ Mais leur entassement
sur un étroit espace était un terrible danger en cas d'incendie,
et, d'autre part, les matériaux pour construire des bâtiments
en pierre se trouvaient sous la main. La maison que nous
avons décrite, avec sa cour entourée d'un mur, telle a dû être,
chez les Numides et les Maures, comme sur le territoire
punique, la demeure ordinaire des villageois. Ces maisons ne
bordent pas des rues, qui détermineraient leur emplacement.
A proprement parler, il n'y a pas de rues et les espaces qui
en tiennent lieu, qui permettent l'accès des habitations, sont
les intervalles à contours irréguliers qui s'étendent entre les
maisons. Celles-ci s'élèvent presque au hasard sur l'aire que
clôt le rempart. Souvent, cependant, un certain nombre
d'entre elles s'appuient par derrière à ce rempart, qu'elles
renforcent ^ Ou même, formant une longue chaîne, elles cons-
tituent l'enceinte par la continuité de leurs murs postérieurs".
1. Voir, p. ex., Toussaint, Bull, archéol.du Comité, 1897, p. 277, u" .'52; Jacquot,
Jiec. de Conslantine, XXXV, 1901, p. 99-100 (bas des murs en très gros blocs; au-
dessus, enlassemeni do matériaux plus pelils); La Blanchère, l. c, p. 31.
2. P. 234.
3. Conf. supra, p. 221.
4. Salluste, Jug., XLVl, 5 : (à l'entrée de Méleilus dans le royaume de Numidie)
• ex oppidis el mapalibus praefecti regii obvii procedebant. » Ces hommes, que
l'historien appelle, à tort ou à raison, praefecti regii, ne pouvaient exercer leur
autorité (|ue dans un centre, ville (oppidum) ou bourg. 11 y a donc lieu de croire
que, par le terme mapalia, Salluste désigne dos castella. Mais il ne faut peut-être pas
trop presser le sens de ce mot, (jui peut s'applicjuer ici à de pauvres maisons,
ronslruiles en pierre, et non à des huttes.
."). La IJIonchére, /. c, p. 43. Campardou, Bull. d'Oran, 1921, p. 187. Etc.
6. Disposition fréquente dans les villages de la Kabylie et du Maroc : conf.
LIEUX HABITES. -*^
Au sommet du village, se dresse parfois une citadelle S
refuge quand l'ennemi a franchi le rempart, et qui peut servir
aussi de magasin commune C'est là, sans doute, qu'est établi
l'observatoire d'où une vigie surveille la campagne ^
Cette citadelle, quand elle existe, peut être le seul bâtiment
public, à moins qu'un local spécial ne soit destiné aux réunions
des anciens. L'accomplissement des rites magiques et religieux
n'exige pas de temples. Les marchés se tiennent dans la cam-
pagne, en dehors des lieux habités^ : c'est là, ou dans une
ville, quand on s'y rend, qu'on se procure ce que le travail
domestique ne produit pas. Dans le village, il n'y a pas de
boutiques; il peut même n'y avoir pas d'artisans. Car n'im-
porte qui s'improvise maçon et, si l'on veut un homme vrai-
ment expert dans l'art de bâtir, on l'appelle temporairement
de la ville voisine. De même, le menuisier. Quant au forgeron,
c'est un paria : il vit à l'écart lorsqu'il se fixe quelque part;
d'ordinaire, il mène une existence ambulante à travers villages
et marchés.
m
Sur la Méditerranée et sur l'Atlantique, en bordure de la
Tripolitaine, de l'Algérie, du xAlaroc, s'échelonnaient des villes,
fondées jadis par les Phéniciens et les Carthaginois ^ Places
Th Fischer, Mittelmecrbilder, II, p. 372. KUc fut adoptée, à défaut de rempart.
Las des villes d'Afnque. au ten.ps de la domination vandale : Procope. Aed^f.,
VI 6, 3 (à Hadrumèto); BeU. Vand., I, 16, 0 (à SuUecthe).
i Vesi-^es d'une citadelle libvque à Ksar Malmljiba : Gsell, Atlas archéol. de
vliJ^T^Tl (Constanline), n" 172; a S.di Jd.di, entre Zaghouane et Uammamet :
Carton, Bull, de Sousse, Vil, 1909, p. «3-94.
2 11 en est ainsi dans des villages de TAurès, dont les maisons s'etagent sur
un pilon et sont dominées par la guclaa, à la fo.s forteresse et grenier commun.
""TVentTon'de'res observatoires dans les villages d'Espagne, qui ressemblaient
tant Iceux d'Afrique. Bell. Hisp., Vlll,3 : « In bis (locis) habent spéculas et
propter altitudiuem late longeque prospiciunt. »
J; VôliM' vhL:^' l 'il. p. H, e. suiv.; pour ,o..r ad,„,nis.,aU„„, ici.
p. 130-1.
-2Î6 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
commerciales, elles étaient les portes des royaumes dont elles
faisaient désormais partie.
Un certain nombre d'entre "elles sont nommées par Strabon
et Pomponius Mêla, deux auteurs qui écrivaient sous l'Em-
pire, mais qui, pour la description des côtes africaines, ont
fait usage de documents antérieurs '. On peut y joindre de
rares mentions dans d'autres textes, des monnaies municipales,
quelques documents archéologiques. Du reste, même en
l'absence de témoignages qui datent du temps des rois, il est
à croire que des cités dont l'existence est certaine pour l'époque
punique, puis pour l'époque romaine, ne disparurent pas dans
l'intervalle.
Ces villes formaient trois groupes : celles qui étaient situées
le long du double golfe des Syrtes; celles qui se succédaient
de l'Est à l'Ouest en Numidie, depuis la province romaine (à
l'embouchure de la Tusca, près de Tabarca) jusqu'à la
Mulucha (la Moulouia) ; enfin celles qui, à l'Est et au Sud du
détroit de Gibraltar, appartenaient à la Maurétanie.
Masinissa avait étendu son royaume jusqu'à la Cyrénaïque ",
par conséquent jusqu'aux Autels de Philène, limite des Cartha-
ginois et des Grecs au fond de la grande Syrte. Sur ce golfe,
Strabon ^ indique trois lieux, Charax, la Tour d'Euphrantas
et Aspis : ce n'étaient pas là des villes*. Entre les deux Syrtes,
s'élevait la vieille colonie de Leptis^, qui disposait d'un terri-
toire étendu et bien cultivé % et qui avait peut-être servi de
-chef-lieu à la domination carthaginoise dans la région syrtique ^
1. V. supra, p. 21-24.
2. Appien. Lih., 106.
3. XVII, 3, 20.
4. Aspis, dit Strabon, est lo plus beau port de la grande Syrte. 11 n'y a cepen-
dant, au lieu où l'on peut placer Aspis, qu'un mouillage fort médiocre : Tissot,
Geojr., 1, p. 218.
5. • Néapolis, (|Uo l'on appelle aussi Leplis •, dit Strabon (XVII, 3, 18) : conf.
ici, t. II, p. 121.
0. V. supra, p. 200-1.
7. T. II, p. 128 ft 3I«.
LIEUX HABITES. 247
Leptis recouvra sa liberté au début de la guerre de Jugurtha.
Mais les Etats des successeurs de ce roi confinaient à son
territoire' et même devaient l'entourer, si, comme au temps
de Masinissa, ils s'avançaient jusqu'aux Autels de Philène. Du
côté opposé, ils bordaient le littoral jusqu'à la province
d'Africa. Strabon mentionne dans ces parages Abrotonon,
c'est-à-dire Sabratha, et « plusieurs autres petites villes » " (il
s'agit sans doute de Gaphara et d'Oea% entre Leptis et
Sabratha) ; puis Zouchis (sur le lac des Bibân), avec des tein-
tureries de pourpre et des salaisons de toute sorte*; sur la
petite Syrte, quelques « petites villes » et, au fond, « un très
grand marché » % dont le nom, omis dans les manuscrits de
Strabon, est certainement Tacape, ou Tacapas (Gabès); enfin
une autre « petite ville », Thaina, ou Threna, que d'autres
documents appellent Thaenae\ et qui était située à la limite du
royaume et de la province romaine. Dans l'île de Meninx,
aujourd'hui Djerba, il y avait aussi « plusieurs petites villes »,
dont l'une portait le même nom que l'île \
Au delà de la Tusca, étaient Thabraca (Tabarca) et Tuniza
1. Supra, p. 200, n. 9.
2. XVII, 3, 18.
3. Mêla (I, 37) mentionne Oea. De cette ville et de Sabratha, on a des monnaies
à légendes néopuniques (Mùller, Numism., II, p. 15-16, 20, 23, 26-29), dont les
unes ne furent frappées que sous .\uguste et Tibère, dont les autres peuvent
être un peu antérieures.
4. Strabon, l. c.
5. XVII, 3, 17.
6. XVII, 3, 16 : ©aiva; XVII, 3, 12 : ÔÉva. Elle doit être identifiée avec la ville
maritime qui est mentionnée dans le Bellum Africum (LXXVII, 2), sous le nom
de Thabena {Thenam, à l'accusatif, dans plusieurs manuscrits), et qui était à la
limite du royaume de Juba I"' (César la fit occuper sur la prière de ses habitants,
ce qui répond à une indication de Strabon : César se rendit maître de Thena sans
coup férir). Le fossé qui limitait la province d'Afri(iue atteignait la mer à Thenae,
dit Pline l'Ancien (V, 2.^5). Mais la ville appartenait au royaume de Numidie, con-
trairement à ce qu'a cru Tissot (Géo<jr., II, p. 18-19), égaré par dos renseigne-
ments inexacts (voir Keinach, apud Tissot, II, p. 18, n. 1, et p. 7")1, n. 2), et con-
trairement à ce que j'ai cru moi-môme (ici, t. II, p. 129). Thœn.o frappa sous
.\uguste des monnaies à légende néapuni(iue (Miiller, 11, p. 40); il n'est pas sur
qu'elle en ait frappé plus tôt.
7. Strabon, XVII, 3, 17.
248 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
(La Galle), qui, au i" siècle avant notre ère, frappèrent peut-
être des monnaies communes'; Hippo (près de Bône)^, appelée
par les Latins Hippo Regius ^, ce qui parait indiquer des liens
particuliers avec les souverains numides*; Thapsus ou Rusi-
cade ^ (Philippeville), qui peut avoir eu des monnaies communes
avec Hippo ^ ; Chullu (Collo), où l'on a trouvé des sépultures
de l'époque royale^; Igilgili (Djidjeli), où des caveaux funé-
raires datent peut-être de la même époque^; Saldœ, ou
plutôt Saldas (Bougie), « grand port », dit Strabon^ Quand
Auguste créa des colonies de vétérans le long de ces côtes, il les
établit dans de vieilles villes, dont plusieurs attestaient leur
origine par leur nom phénicien : à Igilgili, à Saldas, puis,
plus à l'Ouest, à Rusazus (iVzefîoun, sur la côte de la grande
Kabylie), à Rusguniœ (au Nord-Est de la baie d'Alger), à
Gunugu (à l'Ouest de Cherchel), à Gartennas (Ténès) '^ Des
monnaies de Gunugu datent de l'époque royale". La cité phéni-
cienne d'Iol (Gherchel) crût alors en importance. Une inscrip-
tion néopunique semble prouver que le règne de Micipsa y
avait laissé de bons souvenirs '^. Un roi maure, Bocchus, sans
1. Millier, 111, p. 52-53, et Suppl., p. G5-66.
2. Sur l'Hippone phénicienne, voir t. II, p. 149-151. Le mur mentionné p. 150
est romain : voir Gsell, Bull, archéol. du Comité, 1921, p. clvii; Albertini, ibid.,
1924, p. Lxxni-Lxxv.
3. liell. Afric, XCVl, 1. Tite-Live, XXIX, 3, 7. Mêla, I, 33. Etc. Voir Gsell, Allas
archéol. de l'Abjérie, f 9 (BAne), p. G, col. 1.
4. C'est sans doute cette épithète qui fait qualifier Hippone de résidence royale
(3aai>.eiov) par Stralion (XVll, 3, 13; il quaiifh^ de même, mais à tort, l'autre
Hippoue, aujourd'hui Bizerte). Silius Italicus (III, 259) interprète l'épithèle Regius
de la même manière :
... anliquis dilectus regibus Hippo.
5. Mêla (I, 33) mentionne « Rusiccade » en môme temps qu'llippo Regius et
Thabraca. Pour Thapsus, voir t. Il, p. 151-2.
6. Millier, III, p. 53, et Suppl., p. 06. H les attribue à Hippone et à Tipcsa.
7. T. Il, p. 154.
8. Ibid., p. 157.
!). XVll, 3, 12 : (ieya;... >'.[i.r|V, ov Xày.îav xaXovfft.
10. Pline rAucicu, Y, 20 et 21.
11. T. Il, p. 101, n. 7. Pour les caveaux funéraires punicjues do Gunugu, dont
les plus anciens sont antérieurs à cette époque, mais dont certains doivent être
du II' siècle, voir ihid., p. 162.
12. Berger, dans Hev. d'assyrioL, II, p. 30. Gette inscription n'est sans doute pas
LIEUX HABITES.- 249
doute Bocchus le Jeune, qui fut contemporain de César, y
résida', avant que Juba II en fît sa capitale % sous le nom de
Caesarea. Les villes maritimes, dit Strabon % étaient nom-
breuses le long du pays des Masaesyles (entre le cap Bougaroun
et la Moulouia). A celles que nous venons de mentionner,
on pourrait en ajouter d'autres, Icosium (-Algerj, Tipasa, le
lieu appelé par les Romains Portus Magnus (à l'Est d'Oran),etc. *,
qui n'ont livré aucun témoignage précis de leur existence au
temps des rois \ Près de l'embouchure de la Tafna, Siga, vieil
établissement phénicien comme loi ^, fut, à la fin du iii^ siècle,
une des capitales de Syphax^ Plus tard, elle aurait été détruite,
selon Strabon ^ : ce qui ne semble pas exact, car, sous Bocchus
le Jeune, il y eut là un atelier monétaire royal ^
En Maurétanie, des monnaies ont été frappées, au i" siècle
avant J.-C. ou au début de notre ère, par Kusaddir (Melilla),
peut-être par Tamuda '" (à Tétouan ou non loin de ce lieu), par
contemporaine de ■\Iicipsa. Elle peut se rapporter à un culte du roi après sa
mort.
\. Solin, XXV, 16 : « Caesarea..., Bocchi prius regia, postmodum lubae indul-
gentia populi Romani dono data. » Les mots « Bocchi prius regia » sont insérés ici,
on ne sait d'après quelle source, dans un passage où Solin copie Pline l'Ancien.
2. Indication que Strabon (XVII, 3, 12) et .Mêla (I, 30) ont probablement ajoutée
d'eux-mêmes à la mention d'iol, trouvée par eux dans Jcur source (couf. supra,
p. 22).
3. XVH, 3, 9.
4. Voir t. Il, p. 158 el suiv.
5. Mêla, qui ignore les colonies fondées par Auguste sur cette côte, y indique
(I, 31) Rutdisia (altération probable de Rusguniae), Icosium, et, plus à rOue>t,
Cartinna et Arsinna, qu'il qualilie d'oppida, enfla Avisa castellum (c'est-à-dire
bourg). Il faut lire Arsenaria et Quiza : voir Gsell, Atlas archéol. de VAhjérie,
l" 12 (Orléansville), n° 13, et fMl (Bosquet), n° 2. Ces deux lieux étaient situés
l'un et l'autre à quelque distance de la mer, et n'étaient probablement (]ue des
centres indigènes.
6. On doit peut-être distinguer la ville phénicienne, qui aurait été sur la mer
même, et une ville indigène, qui se serait élevée à l'intérieur des terres, à cinq
kilomètres de là, et à laquelle la ville phénicienne aurait servi de port. Conf.
t. II, p. 1(>4-G.
7. Tite-Live, XXVIII, 17. Strabon, XVU, 3, 9. Pline l'Ancien. V, 19. Conf. (. H.
p. 164, n. 7; t. III, p. 18"), n. 1.
8. L. c.
9. Muller, lil, p. 97-98, 142; conf. Demaeghl, Bull. d'Oran, 1893. p. 109-111.
Mêla (L 29) mentionne Siga et la qualifie de petite ville.
10. Qui a pu être une ville indigène.
2o0 EXPLOITATION DU SÙL ET MODES D'HABITATION.
Zili(Azila), Lixus (sur l'oued Lekkous), Sala (auprès de Rabat) '.
Dans la ville du Soleil {Maqom Shemesh), c'est-à-dire à Lixus,
il y avait un atelier monétaire royal sous Bocchus le Jeune et
sous Juba II "-. Mais on ne retrouve plus de traces des colonies-
fondées jadis par Hannon : ni de celle qu'il établit, en deçà
de Sala, à l'embouchure de l'oued Sebou -, ni de celles qui
s'échelonnaient au delà du cap Cantin*. Elles avaient été sans,
doute abandonnées ou détruites ^ Une de ces' colonies s'était
peut-être élevée à Mogador; pourtant, quand Juba II créa en
ce lieu des teintureries de pourpre"', il paraît avoir trouvé la
place vide ".
IV
Si la ville était le cadre qui convenait aux }*héniciens, le
village était celui qui suffisait à la plupart des sédentaires
indigènes. Lieu de concentration de paysans cultivant les terres
environnantes, il n'était pas, en général, destiné à accueillir
une population très nombreuse. Les conditions matérielles
1. T. II. p. 166, 167, 170, 172, 174. 176; ici, p. 130, n. 4. Strabon (XVII. 3, 2 et
6) meutioune Zélis et Lixos; Méia (III, 107), Lixus et Sala. 11 est très probable
qu'il mentionnait aussi Zili, et qu'il savait, pour des raisons personnelles,
qu'Auguste y avait fondé une colonie : voir plus haut, p. 22. Sur la Méditerranée,
il donne par erreur à Rusaddir le nom do Rusigada (I, 29). — Pour la petite ville
de Trigx, ou Lygx, que Strabon (XVII, 3, 2 et S) signale près du cap .<partel et
qui n'était probablement pas une colonie phénicienne, voir t. II, p. 169-170. Au
temps du roi Juba II. Agrippa (cité par Pline, V, 9) indiquait un • oppidum in
promunturio .Mulelacha •, au delà de Lixus et avant l'embouchure de l'oued Sebou
(pour le site exact, voir Ti^sot, dans Mémoires présentés <i l'Acad. des Inscr., IX,
1" partie, p. 221-3 .
2. Millier, III. p. 98. n"' 12-14; p. 111, n 107.
3. T. I, p. 480: t. II, p. 176.
4. T. I. p. 483; t. Il, p 177-8.
5. Coof. t. 1, p. 507, n. 4; t. II. p. 179-180.
11. Conf. supra, p. 212, n. S.
7. Pline l'Ancien. VI, 201 : > Paucas (insulas) modo constat esse ex adverso
Autololum a luba repertas, in quibus Gai*lulicam purpuram linguere instituerai. •
Vers le début du règne de Juba, Agrippa (apud Pline, V, 9) indiquait, en deçà du
promunturium .^olis (cap Canlin), le porlus Rutubis (baie de .Mazaghan?) et, au
delà du cap. le porlus Rhyssadir (à Mogador?); il ne manjuait pas que, dans ces
ports, il y eiit des villes.
LIEUX HABITES. 251
qui limitaient son développement donnaient à ses hôtes, se
succédant de génération en génération, Thabitude et le goût
d'une communauté d'existence restreinte, d'un particularisme
cantonal, très opposé, par exemple, à la large sociabilité des
Gaulois. C'est dans des villages que vivent encore et se plaisent
à vivre beaucoup de Berbères : en Kabylie, dans l'Aurès,
dans le Rif, dans le Moyen et le Haut-Atlas'.
Cependant les textes grecs et latins mentionnent dans les
royaumes indigènes des villes, -oas'.ç, urhes, oppida. 11 est vrai
que le mot t.o'/j.ç a été appliqué abusivement à des villages et
à des bourgs -, mais, quand on Toppose à xoVjly, (« village ») ^,
il désigne bien une ville. De même, quand les Latins se servent
des termes oppida castellaque *, ils entendent parler de villes
et de villages.
Sur quoi reposait cette distinction? Pour des étrangers, ce
devait être surtout une affaire d'impression : une ville était
un lieu plus peuplé, plus animé, de meilleure apparence qu'un
village. Quant à nous, il nous est presque toujours impossible
d'apprécier l'étendue des centres habités sous la domination
des rois : il n'en subsiste rien, ou presque rien, sous les ruines
ou les bâtiments appartenant à des âges plus récents. Du reste,
ce n'est pas nécessairement l'espace, plus ou moins large, cou-
vert par des maisons, qui fait ici la ville, là le A'illage. Dans
des pays très fertiles, il y avait sans doute certains bourgs plus
grands que telle cité fondée jadis par les Carthaginois sur
la cote.
On peut sans hésitation qualifier de villes les centres où,
comme dans de vieilles colonies puniques, ont été frappées des
1. Au >ahara, OQ doit nécessairement s'entasser dans les rares lieux où l'eau
permet la culture : de là, l'existence de villes. Mais ce n'est parfois qu'une appa-
rence : plus d'une de ces villes est, en réalité, le proupemcnt inévitable de
plusieurs villages, dont chacun est enfermé dans une enceinte.
2. V. ?upri. p. 240.
3. Appi.-n, Lib., 12.
4. Voir p. 240. n. 2.
252 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
monnaies autonomes, ceux aussi qui ont emprunté leurs insti-
tutions municipales à ces colonies. Mais nous en connaissons
fort peu. D'autre part, il est probable que, dès cette époque,
maints villages indigènes avaient une organisation municipale :
l'autonomie n'était donc pas un privilège réservé aux villes.
A l'époque musulmane, on reconnaissait aisément la ville à
sa mosquée, où se faisait la prière publique du vendredi et que
signalait un haut minaret, à ses bazars, à ses hôtels et à ses
bains, enfin à sa kasba^ ou citadelle.
Dans l'antiquité, des villes possédaient des temples, mais,
nulle part, nous n'avons la preuve que le temple ait créé la
ville par le concours des dévots qu'il aurait attirés; il apparaît,
au contraire, comme une conséquence de la civilisation urbaine.
La ville est alors essentiellement un centre politique, ou un
centre économique, le plus souvent les deux à la fois.
C'est un chef-lieu ou une capitale, siège d'une autorité qui,
de là, s'étend sur une région ou sur une contrée. Chef-lieu et
citadelle d'une famille princière, qui a réussi à dominer une
grande tribu ou un groupe de tribus. Capitale d'un royaume,
fondé tantôt par une de ces tribus, qui s'est emparée de l'hégé-
monie, tantôt par des conquérants nomades, qui ne peuvent
se maintenir sans un point d'appui; place d'armes et de sûreté
en prévision des combats qu'il faudra encore livrer, lien entre
vainqueurs et vaincus par l'attraction et le rayonnement que
cette ville exerce.
Le premier soin de tout chef d'un nouvel Etat berbère est de
se faire sa capitale, ou ses capitales, car il en a souvent plusieurs.
Il les installe dans des villes existantes, ou bien il les crée, soit
p.ir un nrgucil de parvoiiii, qui veut éclipsoi- le passé, soit pour
des raisons inililaircs ou économicjucs. De là, cette longue
succession de ca[)i(alos (jue nous oiïro l'histoire de la Herbérie
au moyen ûgo.
Nous sommes bien |»lii.s mal renseignés pour les tem])S
LIEUX HABITÉS. 253
antiques. Il y eut certainement d'autres capitales que celles qui
sont mentionnées : Sig-a, Cirta, loi, Zama, auxquelles il faut
ajouter Tingi '.
Zama est sans doute la ville que des textes appellent Zama
Regia-. Or la même épithète est jointe à d'autres noms de lieux.
Parfois, ce sont peut-être seulement de grands domaines,
appartenant aux souverains ^ Mais, quand il s'agit de cités
importantes, Hippo Hegiiis^, Bulla Regia^^ on peut supposer
qu'elles reçurent ce titre parce qu'elles furent des résidences
royales. Tliala possédait un palais, oîi Jugurthafaisait élever ses
enfants'^ : c'était donc une capitale.
Ces villes royales étaient situées, les unes sur la côte, les
autres à l'intérieur des terres. Comme les sultans du Maroc,
qui habitent tantôt Fès, tantôt Meknès, ou Rabat, ou Merrakech,
selon leurs goûts ou les exigences du gouvernement, certains
rois résidaient successivement dans plusieurs capitales : nous
trouvons, en 206, Syphax à Siga, et, bientôt après, à Cirta '.
La ville politique est presque nécessairement une ville com-
merçante, grâce au séjour du prince et de son entourage, grâce
aux visites de ceux qui ont à traiter des affaires avec lui ou
avec ses auxiliaires. Ailleurs, c'est le commerce seul, qui,
mettant à profit des conditions géographiques favorables, a créé
le centre urbain et le fait prospérer. Le village n'a ni industrie,
ni commerce. Dans la ville, des ateliers fabriquent armes,
outils et autres objets mobiliers, vêtements, parures; ou bien
1. V. infra,p. 255, n. 4.
2. Voir p. 261».
3. Cette hypothèse paraît admissible pour Aquae Hegiae, au Sud-Ouest de
Kairouan : Tissot, Grogr., II, p. 587-8. Peut-être aussi pour le lieu appelé Regias
(Arbal, au Sud d'Oran) : Gsell. Allas archéol. de VAbjérie, f" 20 (Oran), n" 33. On
pourrait encore se demander si l'épithète ne désifrnait pas une forteresse royale
(mention d"uae lurrls regia dans Salluste, Jug., CIII, 1). Pour Thimida Regia.
V. infra, p. 26.")-G.
4. Sufira, p. 248.
5. Infra, p. 2G2.
6. Salluste, Jug., LX.KV. 1, et L.XXVI, . /. infra, p. 277.
7. T. III, p. 185 et 191.
GsELi,. — Afrùiuo ilii Nord. V. I 7
254 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
des intermédiaires les reçoivent du dehors et les entreposent. Une-
partie de ces objets peut être colportée sur les marchés des cam-
pao-nes. Mais les paysans viennent volontiers faire leurs emplettes
dans les villes, où ils trouvent des auberges et des lieux de plaisir.
Quant aux citadins, ceux qui le peuvent recherchent le bien-
être dans l'aménagement de leurs demeures. Des édifices publics
dominent les maisons. Après Carthage, que Rome a détruite,
d'autres villes phéniciennes offrent des modèles, et aussi des
architectes. La terrasse d'origine orientale remplace le toit en
dos d'âne et en matières végétales de la vieille habitation
berbère*; des rues sont tracées, peut-être même dallées ^
Nous avons fait remarquer qu'aujourd'hui encore, certaines
parties de l'Afrique septentrionale manquent de villes. Il en
était déjà ainsi dans l'antiquité, là où la vie économique ne
s'était pas développée, où des Etats, petits ou grands, n'avaient,
pas pris naissance et racine. Mais l'existence de villes se
iustifiait sur le littoral, à cause des relations maritimes qui
pouvaient être entretenues avec l'étranger. Elle se justifiait au
cœur des pays dont les terres fertiles étaient mises en valeur et
faisaient vivre une population nombreuse, laquelle avait besoin
de centres commerciaux. Et aussi aux points de contact entre
des récrions diverses, montagnes et plaines, Tell et steppes, en
des lieux où agriculteurs et éleveurs pouvaient le plus commo-
dément échanger leurs produits, où l'autorité royale pouvait le
mieux surveiller les mouvements des nomades et des monta-
gnards, et, à l'occasion, recruter des troupes chez ces tribus
guerrières. Enfin, aux grands nœuds de routes naturelles, et là
où dans une contrée desséchée, l'abondance de l'eau com-
mandait le passage et entretenait la vie.
Le long du littoral, les vieilles cités phéniciennes et puniques
répondaient aux besoins. Mais il se créa aussi des villes indi-
1. l'our les lerrasso» de Vaf^a, voir p. 229.
2. Od sait que les GarUiagiuois dalliiient leurs rues : voir t. II, p. 82, n. 9.
LIEUX HABITES. 255
gènes, les unes près de ces colonies étrang-ères, sans doute parce
que les deux populations voulaient rester en relations étroites,
et pourtant ne pas se mêler ' ; d'autres encore, qui ne se con-
tentaient pas de ce rôle de satellite : à Tingi (Tanger), qui était
de fondation très ancienne-, il n'y eut jamais, semble-t-il, qu'une
cité indigène ^ Plusieurs de ces villes maritimes, Siga, loi,
Tingi, et peut-être Hippo Regius, devinrent des capitales* :
exposées aux flottes ennemies et même aux pirates, mais
ouvertes aux civilisations d'outre-mer, plus policées et jouissant
d'un climat plus agréable que les villes de l'intérieur.
Celles-ci avaient pu souvent remplacer des villages, — comme
des villages avaient remplacé des refuges, — quand les
ressources en eau, l'étendue de l'espace disponible, la facilité
relative de l'accès permettaient cette transformation, et qu'elle
se justifiait par des raisons politiques ou économiques.
Etablies ou non dans des lieux précédemment habités, ces
villes doivent, avant tout, satisfaire aux deux conditions sur
lesquelles nous avons insisté : posséder une ou plusieurs
sources, être à l'abri des attaques. La plupart d'entre elles
1. C'est ainsi qu'il y avait une ville indigène près de Lixus, et une autre près
d'une ville phénicienne qui était peut-être à Ténès : voir t. Il, p. H3 (n. 3),
163, 1734.
2. T. II, p. 168-9.
3. Tingi est mentionnée par Strabon (XVII, 3, 6) et Mêla (I, 26). Elle devint
une commune de citoyens romains dès l'année 38 avant J.-C. (Dion Cassius
XLVIU, 4."), 3). Les monnaies à légende uniquement phénicienne qu'elle a frappées
(Millier, Numism., 111, p. 144-6) sont sans doute antérieures à cette date.
4. On n'en a aucun témoignage direct pour Tingi. Mais des fables attribuaient
la fondation de la ville à un souverain du pays (voir t. II, p. 169, n. 3). Eu 81
c'est là qu'un roi, Ascalis, soutint avec ses frères uu siège contre Sertorius
(Plutarque, Sertorius, 9). En 38, ce fut la révolte de Tingi qui fit perdre au roi
Bogud la Maurélanie occidentale (Dion Cassius, XLVIII, 43, 2). 11 est à croire,
du reste, (jue, dans Isl Mauralania Tiiujitana, comme dans la Maurelania Caesariensis
les Romains établirent le chef-lieu de la province dans l'ancienne capitale du
royaume. A Tingi, se trouvaient les tombeaux des anciens rois du pays, si l'on
interprète ainsi un vers peu clair de Prudence {Perislrphaa., IV, 46). Au xi' siècle,
El IJekri écrivait, à propos de Tanger (Descr. de l'Afrique septentr., trad. de Slane,
édit. d'Alger, p. 214) : • Dans les temps anciens, les rois du Maghreb y avaient
établi le siège de leur empire; un de ces princes avait dans sou armée trente
éléphants. •
256 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
occupent, comme les villes d'Espagne', des sites pourvus de
défenses naturelles, déjà décrits à propos des refuges et des
villages : un plateau aux flancs escarpés, une croupe ou un
éperon entre deux ravins, un contrefort de montagne, la pente
ou le sommet d'une colline. Mais, comme la ville n'est pas un
repaire réservé à ceux qui l'habitent, qu'elle doit être accueil-
lante à ceux qui la visitent et qui contribuent à sa prospérité,
on évite de la reléguer trop à l'écart et sur une hauteur
exigeant une ascension trop rude.
Dès cette époque, comme plus tard dans la Berbérie musul-
mane', quelques grandes cités s'étendaient même en plaine.
Tel était le cas pour Zama, importante à l'époque de Jugurtha
et presque sûrement identique à la Zama qui servit de capitale
à Juba I". Pourquoi l'avait-on placée ainsi? Nous l'ignorons,
le site exact de cette ville restant incertaine Ailleurs, c'était la
présence d'une source très abondante qui faisait établir la ville
sur un sol presque uni : par exemple, à Theveste (Tébessa). La
raison principale qui déterminait le choix de certains lieux non
défendus par la nature était évidemment la facilité d'accès.
C'est en plaine que sont d'ordinaire les nœuds des grandes
voies : je veux dire des voies terrestres, les carrefours fluviaux
ne pouvant jouer en Afrique le rôle qu'ils ont joué en Gaule ^.
Partout, même quand leur position les protégeait, les villes
étaient fortifiées, comme le prouve l'emploi par les Latins du
mot o/)/}frf«'', bien plus fréquent que le terme itrbes^. Des textes
1. Conf. liell. llisp., vin, 4.
2. Où nous trouvons, comme chez les Numides et les Maures, des capitales
maritimes et des capitales intérieures, et, parmi celles-ci, des villes de plaine,
Kairounn, M^ila, Merrakech.
3. V. infra, p. 209.
4. Conf. t. I, p. 27.
5. Très nombreux textes (conf. snpra, p. 240, n. 2). C'est ainsi que Salluste
désigne le plus souvent les villes (Jufi., XII, :j; XXI, 2 et 3; XXIX, 4; etc.) Voir
aussi Itell. Afric, XXV, 2; XGl, 2; Tite-Live, XXX, 44, 12; Pline l'Ancien, V, 1;
Apulée, ^['OL, XXIV, 7.
(K Salluste, Jng., V, 4; XXVIll, 7; LVI, 1; LXI, 1; LXXXVIII, 4. Tite-Live,
XXX, 12, 22; XXX, 44, 12.
LIEUX HABITÉS. 25:
mentionnent les murs, les portes de Vaga, Sicca, Cirta, Zama,
Capsa, Thala*. Quelques ruines de remparts subsistent çà et
là^ Quoiqu'ils ne fussent pas toujours d'une solidité à toute
épreuve % on les construisait généralement avec plus de soin
que ceux des villages. On les flanquait volontiers de tours*.
A Vaga^ et sans doute dans d'autres villes, il y avait une
citadelle, arsenal et réduit de la défense.
Divers témoignages anciens nous apprennent que les villes
et les villages fortifiés {oppida et castella) abondaient dans la
partie orientale de la Numidie, c'est-à-dire dans le centre et le
Nord-Ouest de la Tunisie et dans le Nord-Est de l'Algérie.
Masinissa, dépouillant Carthage, en avait pris une fois plus de
soixante-dix, une autre fois cinquante ^ D'après Salluste ' et
Strabon \ qui copient probablement ici Posidonius % la Numidie
occidentale (limitée à l'Ouest par la Moulouia) était moins riche
en édifices, moins florissante, moins bien pourvue, quoique la
terre y fût plus productive et la population plus dense : la vie
urbaine y était donc moins développée. Nous savons par
Pomponius Mêla '" qu'il y avait, à l'intérieur de la Maurétanic,
1. V. infra, à ces villes.
2. A Doupga, Maktar, Cirta : i'. infra.
3. VoirSalluste, LIV, 6; LXXXVli, 1 (passages cités p. 24:5, n. 3).
4. A Vaga : Salluste, LXIX, 2. Restes de tours à Dougga : Carton, Thugga,
p. 108-9. — Pour la triple euceinte de Zama, v. infra. p. 260.
.^. Voir p. 261.
6. Tite-Live, XLIl, 23 (« oppida castellaque •). Ap[)ien, Lib.. 68 (tiôasi;, dans
la région de Dougga). Voir t. lll, p. 318 et 321. — Autres textes mentionnant,
d'une manière générale, des ttoXe;;, urbes, oppida et castella dans la Numidie
orientale : Appien, Lib., 12 et 33; Tite-Live, XXX, 12, 22; Sallu.ste, Jiig., V. 4;
LIV, 6; LXXXVIl, 1 ; LXXXIX, 1 ; XCII, 3.
T. Jug., XVI, 5.
5. XVII, 3, 12.
!l. Conf. supra, p. 11)3.
10. m, 107.
258 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
des villes, qu'il qualifie de petites et qui n'étaient sans doute
pas nombreuses : il n'en nomme que deux ou trois'.
Au delà de ces contrées A^oisines de la Méditerranée, les
villes faisaient défaut, selon le même auteur^ : on pénétrait
dans la vaste zone, s'étendant de l'Océan aux Syrtes, dont les
habitants étaient les nomades appelés Gétules. D'autres affirment
que les Gétules n'avaient pas de villes ^ Il s'en était pourtant
fondé quelques-unes dans les régions qu'ils parcouraient avec
leurs troupeaux : l'auteur du Bellum Africum en mentionne
deux, sans les nommer*; Capsa, Theveste, Thala étaient en
Gélulie. Mais c'étaient des sortes d'oasis dans des pays qui, par
leur solitude, semblaient des vestibules du désert °. On voit
que, sauf quelques exceptions, la vie urbaine ne dépassait pas
le Tell et qu'elle décroissait de l'Est à l'Ouest ^
Quant aux villages, leur existence était liée au développe-
ment de l'agriculture, qui, sous Masinissa et ses successeurs,
se répandit largement dans la Numidie occidentale : il est donc
probable que celle-ci n'en manquait pas plus que la Numidie
orientale.
Nous trouvons dans les textes des mentions d'un petit nombre
de villes indigènes, dont l'emplacement ne nous est pas tou-
jours connu : on ignore, par exemple, où s'élevaient Meschela,
Acris, Miltiné, que des Grecs prirent ou s'efforcèrent de prendre
à la fin du iv*" siècle^ Narcé, ville du royaume de Masinissa^;
1. V. infra, p. 281-2.
2.1, 41.
3. A propos (l'un passa?:e de l'Knéide (IV, 40 : <■ Hinc Gaelulae urbes »), Servius
fait ceUc remarque : •• Ad terrorcm urbes posait, nani in mapalibus habit[ab]aut. »
Taciti! (Ann.. il, 52) dit des Miisuliiinii, peuplade gélule : « nullo tum urbiuin
cuitu • (au temps de Tibère).
4. XXV, 3.
5. Sufira, p. 202.
6. Conf. Toutaiti, dans Mélanges Cagnat, p. 320 et suiv.
7. Diodore di- Sicile, XX. 57, r.-C); XX. fiS, 1. Conf. t. Il, p. 95 ; t. lil, p. 51, 52.
S. Appien, Ub. 33. Conf. t. III, p. 252. Dans !-oii récit de la bataille dilo de
Zama, Appien {Lib., :t!l; 40; 47) menlioniie plusieurs villes, dont la position nous
est inconnue, aussi bien (pie le liiii de la bataille : voir t. II. p. 111; t. III,
p. 262-3.
LIEUX HABITÉS. 259
Suthul et Thala, qui figurent dans le récit de la guerre de
Jugurtha par Salluste'.
D'autre part, beaucoup de ruines romaines, souvent impor-
tantes, se rencontrent dans des sites escarpés, qui ont été
•certainement choisis à cause des avantages qu'ils offraient
pour la défense : par conséquent, en des temps troublés, qu on
«st plus disposé à placer avant que pendant la domination de
Rome en Afrique ; la force de l'habitude aurait retenu dans ces
lieux les descendants des premiers occupants. Mais, si celte
conclusion est recevable pour l'Est de la Berbérie, où la paix
romaine régna véritablement durant des siècles, elle l'est bien
moins pour le centre de cette contrée et ne l'est pas du tout
pour l'Ouest, où Rome ne réussit pas à garantir la sécurité d'une
manière définitive, et où des précautions restèrent aussi nécessaires
que par le passé. Naturellement, là où l'on peut croire à un
établissement antérieur, les ruines des constructions romaines qui
l'ont recouvert ne nous permettent pas d'en apprécier l'étendue.
Nous avons dit^ que les noms indigènes portés par de nom-
breuses villes sous l'Empire ne prouvent pas l'existence de
centres urbains à une époque plus ancienne. Les noms puniques,
d'ailleurs rares, sont de meilleurs arguments à cet égard, car
ils n'ont guère dû être donnés qu'à des lieux ayant quelque
importance commerciale ou politique, donc à des villes.
En dehors d'une quinzaine de cités du littoral et de deux
ou trois de l'intérieur, les monnaies municipales à légendes
puniques sont d'attribution incertaine. Des magistrats appelés
sufètes, comme dans les villes d'origine phénicienne, témoignent
d'une organisation urbaine. Mais, parmi les documents concer-
nant des sufètes, très peu nombreux sont ceux qui remontent
1. Voir ici, p. 271-2 et 27T-.S. Pour Zama, voir p. 268-0. Parmi les villes qui
furent détruites dans des guerres antérieures à l'Empire, Slrabon (XVH, 3, 12)
indique Ti-jiaoOc et Ziy/a (dans certains manuscrits Zi/a), qui sont inconnues;
peut-être les noms ont-ils été altérés par les copistes.
2. P. 241.
260 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
aux temps des royaumes indigènes. Les autres, qui datent
de la domination romaine ', n'attestent pas péremptoire-
ment l'existence antérieure du sufétat aux lieux où on les a
trouvés, car il n'est pas inadmissible que le gouvernement
de Rome ait accordé une constitution de type punique à des
cités nouvelles.
On ne peut pas non plus invoquer avec certitude les inscrip-
tions puniques, qui, sauf à Cirta, appartiennent en général à la
période romaine. Cependant, là où elles se découvrent en
grand nombre, il est vraisemblable que la langue des Cartha-
ginois, langue du commerce et langue officielle sous les rois,
s'est implantée dès cette époque dans un milieu urbain, et
qu'elle y a été, non seulement parlée, mais écrite : ce qui lui a
donné assez de force pour résister ensuite plus ou moins long-
temps au latin.
Des débris d'édifices de style gréco-punique sont des docu-
ments plus probants encore, car les plus récents ne sont pas
postérieurs au début de notre ère. Ces œuvres d'art étaient
à leur place dans des villes, mieux que dans des villages
de paysans. Quant aux sépultures indigènes, — qui ne sont
pas toutes de l'époque des rois, — on en élevait auprès des
villages comme auprès des villes, et même à l'écart des lieux
habités.
Somme toute, avec les matériaux dont nous disposons, il
nous est impossible d'étudier d'une manière précise la réparti-
tion des centres urbains et des bourgs dans les royaumes de
Numidie et de Maurétanie. Nous devrons nous contenter ici
d'une esquisse fort incomplète.
1. V. supra, p. 132-3.
LIEUX HABITÉS. 261
VI
Au Nord de la Medjerda, tout près de la province romaine,
Vaga (aujourd'hui Béja)* s'élevait sur les pentes assez raides
d'une croupe dominant une large vallée ^. Ce fut une des der-
nières conquêtes de Masinissa sur les Carthaginoise Les mai-
sons, couvertes de terrasses*, étaient protégées par une enceinte
fortifiée^; elles s'étageaient au-dessous d'une citadelle*, qui
occupait certainement le même emplacement que la forteresse
byzantine et la kasba de l'époque musulmane. A quelques
centaines de mètres au Nord-Ouest, on a trouvé un assez grand
nombre de caveaux funéraires^, creusés, au moins en partie,
pendant la domination numide, mais dont la disposition et le
mobilier sont ceux qu'on pourrait rencontrer dans les tombes
d'une ville punique. Punique était peut-être aussi l'organisation
municipale eSallusle qualifie Vaga de « cité grande et opu-
lente »e C'était, dit-il encore^", le marché le plus fréquenté de
tout le royaume : on a vu'' que beaucoup de commerçants
italiens y traitaient sans doute surtout des affaires de grains.
Métellus détruisit Vaga en l'année 108'^; nous ne savons pas si
elle se releva avant la réduction de la Numidie en province
romaine.
Les Grandes Plaines, — celles de Souk el Arba et de Souk
1. Atlas archéol. de la Tuniiiie, I' Béja, n° 128.
2. • Badja, dit El Bekri {Deitcr. de C Afrique sept mlr., p. 119), est hùtio sur une
haute colline,... qui a la forme d'un capuchon. »
3. T. m, p. 327. n. 6.
4. V. supra, p. 229.
5. .Mentions des portes et des tours dans .^alluste, Jng., LXVII, 1 : L.XIX. 1 et 2.
6. Salluste, LXVII. 1.
7. Voir t. II, p. 109.
8. V. supra, p. 131-2.
9. LXIX, 3 : « civitas magna el opulens ».
10. XLVII, 1.
11. P. 192.
12. Salluste, LXIX, 3. Conf. Strabon, XVII, 3, 12, où les manuscrits donnent
O-j'ara, au lieu de O^'aya : la correction ne me parait pas douteuse.
^62 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
el Khemis, traversées par la Medjerda', — véritables greniers
de la Tunisie septentrionale, avaient été enlevées par Masinissa
à Carthage'. Polybe y mentionne des -ôaô'.ç^ terme qu'il
-applique à des bourgs comme à des villes. C'était bien une
ville que Bulla, qui occupait un plateau, au pied du djebel
Rebia, à peu de distance au Nord du fleuve*. Il faut renoncer à
voir, avec Tissot^, une citadelle numide dans des ruines qui
appartiennent incontestablement à des thermes romains ^ Mais
on a découvert, autour de ce lieu, de nombreuses sépultures
qui datent des époques punique et royale : soit des tombes de
type carthaginois, soit des dolmens indigènes^ En 81 avant
J.-C, un roi vaincu, Hiarbas, se réfugia dans Bulla*. L'épithète
Regia, que les Latins joignaient au nom de la ville', atteste
peut-être qu'elle eut rang de capitale *".
Plus en amont, sur la rive gauche de la Medjerda et autour
d'un contrefort, se trouvait Simitthu (Chemtou)". Nous avons
parlé *^ des carrières de marbre qui y furent exploitées dès
l'époque royale. Des restes d'un grand temple d'architecture
!. T. JI, p. 96.
2. T. m, p. 321.
3. XIV, 9, 4. Conf. Tite-Live, XXX, 9, 2. qui, traduisant Polybe, se sert du mot
urbes.
4. Allas archéol. de la Tunisie, î" Fernana, n" 137.
5. Géogr., II, p. 200-1.
6. Vidi. Carton, C.r. Acad. Inscr., 1919, p. 375.
7. Conf. t. Il, p. 109, n. 13.
8. Paul Orose, Adv. pagan., V, 21, 14 (prnb.Thlenient d'après Tite-Live) :
• Poinpeius llierlam [corr. Iliarbam] Numidiae rfpem persccutus fugientemque
a Bo^'-udc, Bocchi Maurorum refais (ilio, spoliari oinnit)Uâ i-opiis fecit; quem
continuo Builam reversum tradito sibi oj)pi(lo interfccit. » Le mot reversam
semble indiquer que ce roi avait fait de Huila son lieu de résidence. Il est à croire
que c'était Bulla Itfigia, et non une autre Bulla, qui est mentionnée dans des
documents de l'époque cbrétionne et qui était probablement une ville sans
importance.
9. Pline l'Ancien, V, 22. Itinéraire d'Antonin et Table de Peutinger. C. /. L.,
VIII, 25 515, 25 522. Etc.
10. Supra, p. 253. L'attribution à Bulla Bepia de monnaies portant la légende
BB'L, en lettres puniques (Miiller, Numism., III, p. 57), est arbitraire. II n'est
4néme pas sur que ces monnaies soient africaines.
fl. Allas archéol. de la Tunisie, {' (Jhardimaou, n" 70.
12. P. 211-2.
LIEUX HABITÉS. 263
grecque *, qu'on peut dater du second ou du premier siècle
avant notre ère, prouvent qu'une cité s'élevait déjà à Simitthu.
A peu de distance au Nord-Ouest, sur une des dernières pentes
des montagnes qui bordent au Nord la plaine où coule le fleuve,
Thuburnica (Sidi Ali Belkassem-) semble avoir été, elle aussi, une
ville ancienne, où l'usage de la langue punique s'était répandu*.
La région montagneuse, forestière et très humide, qui s'étend
entre la Medjerda et la mer, au Sud de Tabarca et de La Galle,
et que coupe aujourd'hui la frontière algéro-tunisienne, était
moins propre à l'agriculture qu'à l'élevage, mais à un élevage
qui pouvait être pratiqué par des populations presque séden-
taires. Des villages s'y étaient créés çà et là*; mais les villes
devaient être fort rares. C'est cependant de ce côté qu'il con-
vient, semble-t-il, de chercher Phelliné, la « ville des Chênes
lièges », prise par des troupes d'Agathocle à la fin du iv'' siècle ^
Et c'est certainement une vieille cité numide qui, au Sud-Ouest
de La Galle, couvrait un plateau dominant la longue vallée delà
Cheffia, à Kef Béni Feredj''. Cette ville, dont le nom était écrit
par les Romains Thullium \ ne renonçait pas, sous l'Empire,
à faire un très large usage de l'écriture libyque; les sépultures
indigènes en forme de dolmen ne manquent pas autour d'elle.
11 serait chimérique de prétendre retrouver les cinquante
« villes » du pays de Thugga qui tombèrent aux mains de
Masinissa ^ La plus importante était naturellement Thugga
(Dougga) \ dont le nom est écrit TBGG (ou TBG'G') sur des
1. Cajïnat, Gaucklcr el Sadoux, Les temples païens de la Tunisie, p. 110 (d'après
Saladin).
2. Atlas Tunisie, f Ghardimaou, n" 7.
3. Oii y a trouvé plusieurs inscriptions néopuni(iues : fiép. d'épigr. sémil., II,
938, 939. "
4. Voir, p. ex.. Mercier, ISull. archéol.du Comil(\ 1887, p. 451.
.5. Diodore, XX, .57, 5. Conf. ici, t. Il, p. 95; t. 111, p. 50.
6. Gsell, Allas archéol. de V Algérie, t" 9 (Hône), n" 242.
7. Gsell, Inscr. lat. de VAlgérie, I, 137.
8. .\ppien, Lib., 68. Dans ce lexte, il s'apit, croynns-ndus, de la région de
Thuppa, et non de la Tusca : voir t. H, p. 110; UI, p. 321.
9. Allas Tunisie, t' Téboursouk, n" 183.
264 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
inscriptions puniques et libyques \ C'était déjà une cité d'une
belle grandeur à la fin du iv^ siècle ^ Elle ne déchut pas sous
ses nouveaux maîtres, dont elle accepta volontiers la domi-
nation : neuf ans après la mort de Masinissa, elle lui dédia
officiellement un sanctuaire ^ La ville libyque était située sur
un plateau, bordé par des falaises au Nord-Est et à l'Est, et se
terminant au Midi par un étroit éperon *. Il reste quelques
vestiges d'un rempart, muni de tours ^ Des dolmens se ren-
contrent au delà de cette muraille "; à quelques centaines de
mètres au Sud, se dresse le fameux mausolée gréco-punique,
qui date sans doute du second siècle avant J.-C \ II y avait à
Thug-ga d'autres monuments de même style, mausolées ou
temples, comme le prouvent des débris d'architecture *. Un,
peut-être deux sanctuaires de Baal Hammon avaient été établis
tout auprès de la ville ^ Les deux langues punique et libyque
étaient l'une et l'autre en usage dans l'épigraphie, même dans
des inscriptions officielles '°. Quoique très pénétrée de civili-
sation carthaginoise, Thugga paraît avoir tenu à ne pas perdre
entièrement sa physionomie indigène. Il ne semble pas que ses
institutions municipales aient été servilement copiées sur celles
des cités phéniciennes *^
1. Chabot. C. r. Acad. Inscr., 1916, p. 126, 136-7.
2. Uiodore, XX, 57, 4. Conf. ici, t. Il, p. 110; t. 111, p. 49-50.
3. Cliabot, Punica, p. 208 et suiv.
4. l'oins.sol, A'ouc. Arch. des Missions, XXII, fasc. 2 (1921), p. 170.
5. Carton, Thuggi, p. 108-9 (assises en blocs simplement équarris, superposés
sans mortier).
6. Carton, Découvrîtes épigr. faites en Tunisie, p. 355 et suiv. (conf. ici, t. II,
p. 110, n. 10).
7. Voir t. VI, 1. Il, cil. IV. § II.
8. Poinssot, liull.archéol. du Comité, 1912, p. ccxLiii; Nouv. Arch, Miss., l. c, p. 171.
9. Là où furent élevés plus tard des temples de Saturne, l'un au Nord-li;>tde la
ville libyque (Carton, Thugga, p. 51 et suiv.), l'autre au Sud-Ouest (Poinssot,
Nouv. Arch. Miss., l. c, p. 170 et 177).
10. Dédicace biliiifjiie du sanctuaire de Masinissa. Inscriptionslibyquesofflcielles:
Chabot, dans Journ. asint., 1921, I, p. 67 et suiv. Dédicace bilingue du mausolée :
(jhabot, Punica, p. 201 et suiv. Inscriptions néopuiiiques plus récentes, votives et
Iiiiiéraircs : Chabot, C. r. Acad. Inscr., 1916. p. 119 et suiv.
11. r. suprit, p. 133-4.
LIEUX HABITES. 265
Autour de Thugga, des villes romaines remplacèrent des
bourgs ou des villes libyques : ce dont témoignent, d'une
manière plus ou moins certaine, le choix des sites, la présence
de dolmens, formant parfois de grands cimetières, enfin quel-
ques fragments d'architecture gréco-punique. Sans vouloir être
complet, nous citerons, au Sud-Est de Dougga, Agbia ' ; au
Sud-Ouest, Aunobari -, et, plus loin, Musti ^; du Nord-Est au
Nord-Ouest, Thubursicu (ou Thibursicu) Bure *, Thimida
Bure % Thigibba Bure ^ Le terme Bure, commun à ces trois
villes, désignait peut-être la région où elles s'élevaient '.
On lit dans Salluste * que le roi Hiempsal, fils de iMicipsa,
séjourna « in oppido Thirmida », dans une maison mise à sa
disposition par un Numide. Peut-être faut-il corriger Thimida
et s'agit-il de Thimida lîure. Une ville appelée Thimida Regia
est connue par des documents de l'époque romaine ^; une ins-
cription latine, trouvée dans des ruines de la vallée de l'oued
Miliane voisines d'Oudna*", est une dédicace officielle à un per-
sonnage qui portait, entre autres titres, celui de [cur^^ator splen-
didissimae rei publicae Thimidensium Regiorum : d'où l'on a
1. Aïn Hedja : Atlas Tunisie, T Téhonrsouk, n° l'JO. Chapiteau do pilastre
gréco-puaique : DiehI. Nom. Arch. Missions. IV (1S9.3), p. 432 et flg. i.
2. Henchir Kern el Kebch : Atlas, l. c, n" 160. Nécropole mégalithique : Carton,
Découv., p. 364 et suiv.
3. Henchir Mest : Atlas Tunisie, f" Jama, n° 3.
4. Téljoursouk : ibid., C Tébnursouk, n" 27. Caveau funéraire du i" siècle avant
J.-C. : Ravard, Bull, archéol. du Comité. 1896, p. 143-6. Nombreux dolmens au-dessus
de Téboursouk : Atlas, l. c, n"28; Carton, Découv., p. 344 et suiv. Inscriptions
néopuniques : Chabot, Punica, p. 190; C. r. Acad. Inscr., 1919, p. 212.
5. Kouch Batia : Atlas, l. c. n" 2. Le nom est écrit en abrégé sur les inscrip-
tions C. f. L.. VIII, 15 420-1 : Tkini. Bure; mais il n'est guère douteux que la
ville ne se soit appelée Thimida. Vaste nécropolo mégalithique sur le djebel Gorra,
au Sud de ce lieu : Carton, Découv., p. 326 et suiv. IMus prés, chambres funéraires
taillées dans le roc : Carton, /. c, p. 285, 3fiS et suiv.
6. Djebba : Atlas 7'unisie, f Souk el Arba, n" 20. C. I. f... VIll. 26 166 : Thiyilnba)
Bur(e); conf. ibid., 20 167-9.
7. Conf. Merlin et Poinssot. .Méni. des Antiiiaairrs de France, LX.XU, 1913, p. 152-4.
Dans une inscription de Téboursouk (C. /. /,., Vill, I.") 33.')), l'ethnique Bure(n)sis
est employé comme cognomen.
8. Jug., XII, 3.
9. Ce fut un évêché : voir .Mesnage. L'Afrique chrétienne, p. 28.
10. C. /. L., VIII, 883; découverte à Sidi Mi Sedllni (/1/tas TunisiV, f Oudna, n» 42).
266 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
conclu que Thimida Regia était en ce lieu. Mais, comme nous
sommes là dans la province romaine créée en 146 avant J. -G., '
l'épithète Regia s'explique malaisément, si elle se rapporte au
roi de Numidie *. Il faudrait donc admettre que cette Thimida
Regia s'élevait, en réalité, loin de l'endroit oii la dédicace
a été découverte. Rieii n'autorise, du reste, à l'identifier avec
Thimida Bure, avec la « Thirmida » mentionnée par Salluste :
il n'y avait sans doute pas de résidence royale dans celle-ci,
puisque Hiempsal dut s'y contenter d'une maison particulière ^.
Au Sud-Ouest de la région de Dougga, Sicca (Le Kef) ' était
la principale ville d'un pays de larges plaines. Située au croi-
sement de plusieurs routes naturelles et à peu de distance de la
Gétulie, elle occupait, auprès d'une source très abondante, une
forte position sur les pentes raides et rocheuses du djebel Dyr,
d'où Ton a des vues très étendues. Des textes la mentionnent au
milieu du m' siècle* et au temps delaguerrede Jugurtha\ Marins,
alors lieutenant de Métellus, alla s'y approvisionner en blé. Sicca
devait être un marché très fréquenté ^ Les étrangers y visitaient
le sanctuaire d'une déesse que les Latins identifiaient avec Venus^
lieu oîi des femmes se livraient à la prostitution^ : il n'est
-pas sûr que ce fût là une importation de mœurs phéniciennes ^
Des bourgs qui entouraient Sicca dépendaient d'elle à
1. M. Poinssot (G. r. Acad. Inscr., 1907, p. 470, a. 2) conteste que Thimida Regia
ait été là. Cependant ou pourrait à la rigueur admettre que les rois numides
avaient un domaine en ce lieu (ils possédaient des terres dans la province
d'Afrique : voir t. Vil, 1. I, ch. m, § II). On pourrait encore supposer que Régla
était la traduction d'un terme punique et ne concernait pas un souverain indigène : le
mot mdelc ciiez les Phéniciens désignait des rois divins, comme des rois humains.
2. Thibaris et Uchi majus, villes situées à quelques lieues au Nord-Ouest et à
rOuest de Thugga, se qualifiaient, sous l'Empire romain, de municipiiim Marianum,
de cobmia Mariuna. Leur existence remontait donc à l'époque de Murius. Peut-être
le vainqueur do Jugurlha y avait-il établi des Gélules. Voir t. Vil. 1. 1, ch. i, § II).
:L Atlas Tunisie, (" Le Kef, n" ii").
4. Polybe, 1,00, G. Siccaappartenailaiorsà Carthage. Gonf. t. Il, p. 96; t. III, p. 101-2.
5. Salluste, Jw/., LVl, il-i. H indique une porte de cette ville forte (oppidum).
6. On a rattaché le nom de Sicca à un mol phénicien, signidant « marché » :
voir, enire autres, Tissot, G(*ofifr., 11, p. 370. Cette étymologie est fort douteuse.
7. Valère-Miixime, II, 0, 15.
S. Voir t. IV, p. 403, cl ici, p. 31.
LIEUX HABITÉS. 267
l'époque romaine ^ Il est probable qu'ils existaient déjà à
l'époque numide. Dans l'un d'eux, Aubuzza, on a trouvé un
chapiteau, débris d'un monument grec ou gréco-punique ^
C'étaient encore, au Sud-Est de Sicca, Lares ^, qui avait
quelque importance à la fin du ii^ siècle, car Marius y mit en
dépôt des vivres et de l'argent pour la solde de ses troupes * ;
au Sud, Obba % avec des monuments d'architecture punique et
grecque ®; une ville homonyme de Thugga (les Romains l'appe-
laient Thugga Terebinthina) '' ; Althiburos *, qui a donné des
inscriptions puniques (l'une d'elles est peut-être de l'époque
royale •') et qui fut administrée par des sufètes '°.
Nombreux aussi étaient les villes et villages au Sud du pays
de Dougga, sur le plateau central tunisien. Là, une table
rocheuse portait Mactar ", où subsistent quelques restes d'un
rempart préromain '-, ainsi que des dolmens ^^ Nous y rencon-
trons des sufètes '*, magistrature qui y fut peut-être instituée
avant la domination romaine, et des preuves épigraphiques
d'un usage très étendu de la langue punique ^^.
1. L'un à Nibbeur, au Nord-Est du Kef; un autre, Ucubi (Henchir Kaoussat), à
l'Est; un autre, Aubuzza (Hencbir Djezza), au Sud. Voir C. /. L., VIII, p. 1516,
1519, 1563; Atlas Tunisie, f Ksour, n" 35 (Aubuzza).
2. Saladin, Arch. des Missions, 3' série, XIII (1887), p. 201, fig. 348-9 [= Instruc-
tions pour la recherche des antiquités dan^ le Nord de l'Afrique, p. 89, flg. 66].
3. Lorbeus : Atlas Tunisie, (' Ksour, u" 70.
4. Salluste, Jug., XC, 2 : « oppidum Laris ».
5. Ebba : Atlas, l. c, n°' 87-88.
6. Linteau et corniche : Saladin, l. c, p. 199, 11g. 344-5 [= Instructions, p. 90,
fig. 68; p. 92, lig. 70]. A Ksour {Atlas, l. c, n° 99), chapiteau peul-ôtre gréco-
punique : Saladin, L c, p. 197, fig. 343 [= Instructions, p. 89, (ig. 67]; il a |pu
être apporté d'une ruine voisine, Obba ou Althiburos.
7. Honchir Dougga : Atlas, l, c, n" 123.
8. Hencbir Mdeina : ibid., n° 97.
9. Berger, Journ. asiat., 1887, I, p. 467. Elle est d'un type intermédiaire entre
l'écriture puni(]ue et l'écriture néopunii|ue.
10. Mentionnés dans une inscription ucopunique : Uerger, l. c, p. 460-1.
M. Atlas Tunisie, f Maktar, n" 186. Appelée Maclaris à l'époque romaine.
12. Herger, Mémoires de l'Acad. des Inscr., XXXVI, 2° partie (1901), p. 136.
13. Au Sud et au Sud-Est de la ville : voir Atlas, l. c. (n" 1 sur le plan de Maktar).
14. Inscription néopunique : Berger, Mém., l. c, p. 168.
15. On connaît environ 120 inscriptions néopuniques de ce lieu. Voir Chabot,
Punica, p. 11 et suiv., 129 et suiv., 220 et suiv.
268 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
Dans la même région que Majctar, des dolmens attestent
l'ancienneté d'Hammam ez Zouakra \ de Magraoua ^, d'Ellès %
de Ksar Mdoudja *, d'Henchir Djemal \ de Kessera ^ (qui
s'appelait Chusira), d'Henchir el Ksiba % d'Henchir Meded \
autrefois Mididi. A Mididi, on a, comme à Mactar, parlé et
écrit longtemps la langue punique ^
De ce côté, non loin de Sicca ^\ se trouvait Zama, qui résista
avec succès à Métellus, lors de la guerre de Jugurtha : « grande
ville, dit Salluste, riche en armes et en hommes, citadelle de
la partie du royaume oii elle était située ". » — « Cette ville,
ajoute-t-il, établie en plaine, était mieux défendue par l'art
que par la nature '- » : indication qui interdit de l'identifier
avec les deux Zama que des inscriptions latines ont fait con-
naître, l'une à Jama '^ (à environ 30 kilomètres, à vol d'oiseau,
au Nord de Mactar), l'autre à Sidi Amor el Djedidi '^ (à une qua-
rantaine de kilomètres à l'Est de la première), car l'une et
l'autre sont en terrain accidenté ''.
1. Atlas Tunisie, f Maktar, n° 127.
2. /6id., n" 125.
:\. Ibid.. n" 121.
4. Ibid., n° 133.
5. Ibid., n" 231.
6. Ibid., n" 234.
7. Ibid., n" 280.
8. Atlas Tunisie, t" El .Ua, n" 4.
9. Bép. d'épigr. sémit., 1, 107-180; II, 781. Chabot. Punica, p. 28 et suiv. — Des
inscriptions ncopiiniques ont été trouvées dans quelques autres lieux de la région
de .Maktar : ù Zama (Jama), à llzappa (Ksour Abd el Melek : Allas Tunisie, f Mak-
tar, n" 153), ii liaminam ez Zouakra.
10. Voir Salluste, Jwj., LVI, 3, et LVII, 1.
11. Jug., LVI, 1 : • urbem magnam et in ea parte, qua sita erat, arcem regni.
Domine Zamam. •■ Ibid., LVII, 1 : « oppidum... armis virisque opulcntum. »
12. Jug., LVII. 1 : « id oppidum, in campo situm, magis opère quam natura
munitum erat. • Mentions des remparts : ibid., LVI, 2; LVII, 2 et 4; LIX, 1 ; LX, 3 et 6.
13. Atlas Tunisie, V Jama, n" 72.
14. Ibid., f Ujebel Hou Dabouss, a" 14. Je ne crois pas qu'on puisse douter qu'il
y ait eu une Zama en ce lieu, où a été découverte^ une dédicace faite d{ccreto)
dierurionum) par un magistrat coloniae Zaniensis (C. I. L., VIII, 12 018), et qui
était voisin de Furnos et d'Abthugni, comme une Zama mentionnée dans un
texte latin : voir t. III, p. 255, n. 5.
15. Sur cette question, voir t. III, p. 255-8, à propos de la Zama auprès de
laquelle IIfiiiiiii)al carnpa avant la i)ataille où il fut vaincu par Scipion.
LIEUX HABITES. 269
La Zama dont parle Salluste était sans doute identique ' à la
Zama qui servit de capitale à Juba P" -; ce roi y éleva deux
enceintes nouvelles autour de celle qui existait déjà ^, précau-
tion justifiée en un lieu dépourvu de défenses naturelles.
D'autre part, la capitale de Juba était évidemment Zama la
Royale, Zama Regia, mentionnée sous l'Empire * et située dans
la même région que la Zama dont les ruines se voient à Jama '\
Il reste à retrouver cette cité célèbre ^
Dans les montagnes qui s'étendent au Nord-Ouest du Kef,
entre Sicca et la Medjerda, Masculula ' et la civiias Popthensis *
occupaient des sites escarpés, qu'on peut qualifier de berbères,
et elles ont fourni un certain nombre de textes néopuniques " :
peut-être se sont-elles constituées avant l'Empire romain. Il est
fort douteux que Naraggara, située à Sidi Youssef '", à l'Ouest
de Sicca, ait été la ville qu'un manuscrit de Tite-Live appelle
ainsi ", ville dont Scipion l'Africain s'empara avant de livrer à
Hannibal la bataille dite de Zama.
1. Quoi qu'en pense T. R. Holmes, The Roman Republic, III, p. 539.
2. Bell. Afric, XCI, 2 {ibid., 3 : mention du forum de celte ville). Strabon, XVII,
3, 9. Vitruve, VIII, 3, 24 : « Zama..., civitas AIrorum, cuius nioenia rex luba du-
plici muro saepsit ibique regiam domum sibi constituit. »
3. Vitruve, cité n. 2. Conf. Bell. Afric, XCI, 3 : « oppidum Zama,... quod inito
bello operibus maximis muniverat (Juba). »
4. Table de Peutinger. C. I. L., VI, 1 686; VIII, 23 601.
5. Voir t. III, p. 256.
6. Strabon (XVII, 3, 9 et 12, où les manuscrits donneni Zâzpta) afllrme que Zama,
la capitale de Juba, fut détruite au cours des guerres qui désolèrent IWfrique avant
l'Empire. César, en 46, traita bien cette ville, qui avait abandonné le roi Juba
(voir Bell. Afric, XCII et XCVII, 1). Six ans plus tard, Sextius, gouverneur de
VAfrica velus, s'empara de Zama après un long siège (Dion Cassius, .XLVIU, 23, 3);
mais on ne nous dit pas qu'il l'ait détruite. En tout cas, Zama Regia existait aux
premiers siècles de notre ère. — On ignore où élait Ismuc, lieu situé à vingt milles de
Zama. C'était, dit Vitruve (VllI, 3, 24-2,ï), un oppidum dont toutes les terres apparte-
naient à un prince numide, compagnon d'armes de Jules César (conf. supra, p. 208).
7. Henchir Guergour : Atlas Tunisie, C Ouargba, n° 1.
8. Ksiba : Atlas Algérie, f" 19 (El Kef), n° 37. Pour le nom, voir Gsell, /nscr. lat.
de l'Algérie, I, 1109.
9. Chabot, Punica, p. 40 et suiv., 122 et suiv. L'une des inscriptions de Masculula
mentionne des sufètes.
10. Atlas Algérie, (' 19, n° 73.
11. Tile-Live, XXX, 29, 9 (A'arcara dans d'autres manuscrits). .Mâpyapov (il l'accu-
satif), dans Polybe, XV, 5, 14, Voir t. III, p. 261-2.
GsKi.L. — Afrique du .Nord. ^■. 18
270 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
Plus à l'Ouest, étaient Thagura ' et Madauros ^, dont l'exis-
tence est mieux attestée pour l'époque numide. On attribue
avec vraisemblance à Thagura une monnaie offrant, en lettres
néopuniques, la légende TGRN ^ Quant à Madauros, Apulée,
un de ses enfants, nous apprend qu'après avoir appartenu à
Syphax, elle fut soumise à l'autorité de Masinissa *.
Madaure était à la lisière du pays des Gétules % qui, traver-
sant le centre de la province de Constantine, s'étendait sur une
suite de vastes plaines, vouées alors à l'élevage. Au Nord, dans
le ïcll, montagneux, mais sillonné de vallées fertiles, les
Numides vivaient dans des villes et des villages, qui se trans-
formèrent profondément sous la domination romaine ^ On
devine uq passé plus lointain à quelques indices' : sépultures
de types indigènes \ débris d'architecture punique **, inscrip-
tions néopuniques % abondance de noms d'origine phénicienne
sur des incriptions latines '°. Témoignages qui ne sont pas anté-
rieurs à l'Empire ", mais qui valent, dans une certaine mesure,
pour l'époque royale : dans des lieux où elles étaient établies
depuis longtemps, les civilisations libyque et punique ont dû
1. Taoura : Allas Algérie, t 19, q" 80.
2. Mdaouroucli, ibid., f 18 (Souk-Arrhas), n" 432.
3. V. supra, p. 131, n. 5.
4. ApoL, XXIV, 7-8 : «... etsi adliuc Syphacis oppidum essemus. Quo tamen
victo, ad Masinissam regem muiiere populi Romani concessimus. » Coaf. Gselt
et Joly, Mdaourouch, p. 8.
a. Supra, p. 111, n. 0.
6. Voir, p. ex., dans Gseli et Joly, Khamism, p. 12 et suiv., l'histoire de la trans-
formation de Thuiiursicu Nuinidarum (Atlas Algérie, V 18, u" 2'.)7), qui fut d'abord
le chef-lieu d'une trihu de Numides.
7. A Guelaa Bou Atfane, Henchir el Aria, Tifech : Allas, l. c, n" 200, 390,.
391. Etc.
8. Chapiteaux f^réco-puniiiues trouvés à Tifech, Henchir el Aria, Guelaa Bou
Atfane; autre, conservé à Mammam .Meskoutine. Voir Gsell, Bull, archéol. du
Comité, 1900, p. 379-381; do VavMiaTe^, Musée de Guelma, p. 39 et 49; pi. VIII. flg. 1.
et pi. X. flh'. 1.
9. A Tifech, Khamissa, Guelaa Hou Atfane, Kef Be/ioun (dans l'antiiiuité Zat-
tara : Atlas, l. c, n" 233). four ces deux derniers lieux, voir Chabot, Punica, p. ."54
et 33.
10. Kn particulier à Khamissa et ti Guelaa Bou Atfane : voir Gsell, Inscr. lat. de
VAlgérie, I, p. 11."» et suiv., p. 60 et suiv.
11. Sauf peut-f'tre des chapiteaux de style punique et des sépultures.
LIEUX HABITÉS. 271
se maintenir plus aisément qu'elles ne se sont introduites dans
des centres nouveaux, alors que Rome était maîtresse de la
Numidie et que sa civilisation s'offrait à ses sujets.
Tipasa (Tifecli) et Calama (Guelma) ^ ont-elles emprunté leur
nom à la langue phénicienne? On ne peut l'affirmer sans hési-
tation, quoique ces deux noms se retrouvent sur des côtes
fréquentées et colonisées par les Phéniciens-. Tipasa paraît
avoir été une vieille ville ^, et il n'est pas douteux qu'un centre
de population assez important ait existé à Calama avant l'époque
romaine. Ce n'est pas le site qui le prouve, car celte ville
s'étendait sur une pente douce, très facilement accessible. Il y
eut là pourtant une cité qui, avant de devenir latine, adopta
largement la langue et les institutions puniques \ qui fut admi-
nistrée par des sufètes^
Paul Orose, qui copie très probablement Tile-Live, dit que
Jugurtha vainquit, près de la ville de Calama, le Romain Aulus
Postumius, qu'avait attiré l'espoir de s'emparer des trésors
royaux*^. Salluste ne mentionne pas à ce propos Calama. C'était,
d'après lui, dans une ville forte appelée Suthul, que se trouvaient
les trésors. Postumius essaya vainement de la prendre. Ayant
levé le siège, il suivit, pendant plusieurs jours, à travers des
lieux boisés, Jugurtha, qui feignait de s'enfuir devant lui;
surpris par le roi, il dut capituler'. Suthul était située à l'extré-
mité d'une montagne abrupte* et entourée de terrains plats,
1. Atlas Algérie, f" 9 (Bûue), n" 146.
2. Pour Tipasa, voir t. Il, p. 124-5, n. 16. Pour Calama. ville situ(^e dans le Nord -
Oaestde l'Algérie, peut-être sur le littoral, voir Allas Algérie, f"30(Netnours), au n" 1 1.
3. V. sapra, p. 270, n. 7, », !).
4. Voir (Isell, Allas Algérie, !" 9, p. 17, col. 1; p. 20, col. 1-2. i.,es iuâcripliona
néopuniques sont nombreuses à Guelma : Chabot, Punica, p. 57 et suiv. La
. langue puui(iue se répandit aussi aux environs; on a des inscriplimis néopu-
niques d'Ain Nechma (.Kius, P 9, n" 150). de Guelaa Bou Sba (ibid., n" 91), d'Ain
el Kebcb (ibid., n» 222) : voir Chabot, Punica, p. LU et suiv., 232 et suiv.
5. Gsell, Inscr. lat.de l'Algérie, I, 233.
6. Adv. pagan.. Y, I"», 6 : • apud Calamam urbeiii thesauris regiis condilis
inhianteni bello opprcssit. »
7. ./«!/., XXXVII-XXXVIll.
8. Ibid., XX.XVII, 4 : - silum in i)raeruiili montis oxtremo ».
272 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
que des pluies abondantes pouvaient transformer en marécages.
Cela ne convient nullement à Guelma ', et, si l'on veut concilier
Orose et Salluste, il faut admettre que Suthul et Calama étaient
deux villes bien distinctes, que les trésors étaient à Suthul,
mais que la marche de Postumius après la levée du siège
Tamena près de Calama. Il se peut que celte Calama ait été
Guelma : le délai de dix jours, qui fut donné à Postumius pour
évacuer la Numidie^, s'accorde avec la distance d'environ 240 ki-
lomètres qu'il eût fallu parcourir avant d'atteindre la province
romaine ^ Quant à l'emplacement de Suthul \ il est inconnu".
Cirta (Constantine) ® était, dès le m" siècle avant notre ère, et
est restée depuis lors une grande ville : aux temps de la paix
romaine et de la paix française, elle a survécu aux raisons de
son existence.
Car le site qu'elle occupe est celui d'un refuge, capable de
résister à tous les moyens d'attaque dont les anciens dispo-
saient. Ce plateau trapézoïdal, incliné du Nord au Sud, est la
table supérieure d'un énorme rocher, dont les hautes parois se
dressent verticalement, interdisant toute ascension; l'accès n'est
possible que par un isthme étroit, au Sud-Ouest. Sur toute
1. Où plusieurs savants ont voulu placer à la fois Suthul et Calama : voir
Gsell, Atlas, f" 'J. p. 17, col. i.
2. Juij., XX.WllI. 9.
3. (iontraircmeut à l'opinion de F. Strenper (Strabos Erdkunde von Libyen, p. 73),
on doit écarter la Calama qui se trouvait au Nord-Ouest do rAlp;erie, fort loin de
la province d'Africa. Nous n'avons pas de bonnes raisons de croire à l'existence
d'une troisième (Calama.
4. A laquelle Millier (!\umism, III, p. 59) a voulu, sans motifs plausiMes, attri-
buer des monnaies portant les deux lettres puniques ÇT.
5. Il n'y a pas lieu de la placer, comme on l'a proposé, à Ain Nechma, tout près
de Guelma : voir fisell, Atlas, !' 9, n" l.ïO. Selon une autre hypothèse, Suthul
serait le même lien que Suletula (Sbeïtla), au Sud du massif central tunisien, et
Calama devrait être cherchée au lieu ajipele aujourd'hui Djilma, aune trentaine
de kilomètres a l'Kst-Nord-Kst de Sbeïlla : lîarbié du Bocage, dans la traduction
de Salluste publiée en 1813 par Mollevaul, p. 4.")7; .ludas. Essai sur la lantjue
phénir.ienne. (i'aris, 1S45|, p. 4-G ; etc. Mais Sufelula n'était pas, comme Suthul,
• in praerupti inonlis exiremo « (voir le plan de Sbeïtla dans A. Merlin, Forum
et églisrs de Sufelula, Paris, 191li, pi. I), et il est fort douteux qu'il y ait eu des
lieux boisés dans cette région.
6. Allas Algérie, f 17 (Consiaotine), n" IJO.
LIEUX HABITES. 273
l'étendue du plateau, il n'y a que quelques poches d'eau' :
avant que des aqueducs romains fussent allés capter des sources
plus ou moins éloignées de la ville, celle-ci devait compter sur
les pluies. Cependant, de grands rois se sont accommodés de
cette forteresse et l'ont aménagée le mieux qu'ils ont pu.
On admet d'ordinaire que Cirta{Cirlha dans quelques textes) *
est un nom d'origine phénicienne, ayant le sens de « ville ».
Cela est très douteux : sur des monnaies de Cirta à légendes
néopuniques, le mot est écrit KRTN {^= Kirthan)^, avec un
kaph au début, tandis que le terme phénicien qui signifiait
ville s'écrivait QRT (QaiH), avec un goph.
Cirta est mentionnée pour la première fois vers la fin de la
seconde guerre punique. Elle servait alors de capitale à Syphax,
roi des Masœsyles ^ : Masinissa, après la défaite de Syphax, y
trouva la Carthaginoise iSophonisbe, femme de ce dernier^
Rome lui ayant confirmé la possession de Cirta % il en fit à son
tour sa capitale''. Il y mourut en 148 avant notre ère*. Ce fut
ensuite la résidence de Micipsa' et d'autres rois '°. Adherbal y
fut assiégé pendant plusieurs mois par Jugurtha". Elle resta
une capitale jusque sous le dernier roi de Numidie, Juba I"'^,
qui, pourtant, préférait habiter Zama.
1. Bosco, Rtc.de Constantine, Ll, 1917-8, p. 182.
2. Nous in;norons pourquoi le même nom fut donné à Sicca. C. I. L., VIII, 1 632 :
colonia Inlia Veneria Cirta Nova Sicca: conf. ibid., 1 641, 1 648, 15 883, 16 258.
3. Millier, Numism., III, p. 60.
4. Tile-Live, XXIX, 30, 5; XXIX, 32, 14; XXX, 12, 3. .\ppien, Lib., 27. Mêla, I,
30. Zonaras, IX, 13, p. 439, d. Conf. ici, t. II, p. 98, n. 3 et 4; p. 152, n. 1; t. III,
p. 176,191, 237-8.
5. Tite-Live, XXX, 12, 11 et suiv. Appien, l. c. Paul Orose, Adv. pagan., IV,
18, 21. Conf. t. III, p. 238.
6. Tite-Live, XXX, 44, 12.
7. Slrabou, XVII, 3, 13. Orose, V, 15, 10.
8. Polybe, XXXYI, 16, 10, édit. Hiittner-Wobst (ahas XXXVII, 3).
9. Strabon, l. c. Appien. Lib., 106.
10. Strabon, L c Mêla, L c.
11. Salluste, Jug., XXI et suiv.
12. Appien (liell. civ., II, 96) dit de Cirta : r, fiailAîiov r^^ 'looa. L'auteur du
BeUam Africain {X.XW , 3) la qualttie d' « oppidum opalentissimam eius[=Iubae]
reirni ».
274 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
Elle était, dit Strabon', très bien fortiflée^ Il eût pu suffire
de barrer l'isthme; cependant il semble que des remparts aient
été élevés ailleurs, sur les bords abrupts du plateau ^ Il y avait
sans doute une citadelle au point culminant, là où fut plus tard
le Capitole romain, la kasba arabe et turque.
On vantait l'opulence de Cirta\ Micipsa surtout eut à cœur
de l'embellir". Il ne reste que de bien pauvres débris des mo-
numents de cette époque % qui devaient être apparentés au beau
mausolée du Khroub, construit au second siècle, non loin de
la vieille cité\ Résidence de princes dont le punique était la
langue officielle, grande place de commerce, Cirta s'était
ouverte à la civilisation phénicienne ^ En dehors de Carthage,
c'est à Constantine qu'on a trouvé le plus d'inscriptions puniques,
dédicaces aux dieux carthaginois Baal Hammon et Tanit Pené
Baal, faites par des gens qui portaient presque tous des noms
phéniciens; la plupart de ces inscriptions datent certainement de
l'époque royale". D'outre-mer venaient des Grecs et des Italiens,
attirés par la cour et par le négoce '". Cirta était même visitée
par des Éthiopiens, qui vivaient au delà de l'Atlas marocain".
l.XVII. 3. 13.
2. Mentions des remparts, 'de portes : Tite-Live, XXX, 12, 9 et 10; Salluste, Jugr.,
XXI, 2; XXIII, 1; XXVI, 1. Porte de ville, munie de créneaux, sur une des
monnaies de Cirta : Millier, A'umis/n., III, p. 60, n° 70. Sur ces monnaies (ihid.,
n"' 70-73), la déesse prolectrice de la ville perle, selon rusaf::e hellénistique, une
couronne tourelée, qui lui convenait bien.
3. Bosco (liée, de Conslantine, LU, 11)1'.)- 1920, p. 270) en signale qiiehmes restes
probahles, en pierres « massives ».
4. .Mêla, I, 30 : « (Mrta..., cura Syphacis foret, opulentissima. «Bell. Afric, Le.
5. Strabon, /. c.
6. Voir Allas Al<iéric, f 17, p. 10, col. 1.
7. Voir t. VI, 1. 11, fh. IV, § II.
8. Ce sont des léfreiidcs puniques que portent ses monnaies, comme, du reste,
celles des autres villes des loyaumes indigènes.
9. Voir t. VI, 1. il. cb. iiiij lV..Sous 1" Km pire romain, le punique parait avoir disparu
à Cirta df^vant l(( lutin. Il se maintint ca et là autour de cette ville, comme le
prouvent dos inscriptions néopuniques découvertes en (luelcjucs lieux à l'Ouest et
au Sud-Kst de Constantine; voir aussi, pour Tigisis, Procope, BcH. Vand., II, 10,
22 (conf. ici, t. I, p. 339, 34(1).
10. Voir t. VI. I. I, cb. m, § II.
11. SIrabon, .Wll, 3, 7. Conf. supra, p. 9.
LIEUX HABITÉS. 275
Son territoire était très étendu'. Tout autour de la ville,
s'élevaient de nombreux bourgs, que les inscriptions latines
appellent castella^ et qui furent prospères sous l'Empire : Caldis,
Tiddis, Celtianis, au Nord; Thibilis, à l'Est; Tigisis, Gadiaufala,
au Sud-Est; Saddar, Sila, Sigus,auSud; Subzuar, Arsacal, au
Sud-Ouest; le castellum Elephantum, 3Iastar, Uzelis, Phua, à
l'Ouest * ; d'autres encore, dont les noms ne nous sont pas connus.
Sauf de rares exceptions*, ils occupent des sites attestant un
souci de se défendre que la paix romaine devait rendre superflu;
quelques-uns offrent encore des vestiges de remparts préro-
mains ^ Les dolmens ne sont pas rares aux abords de ces lieux ^ ;
à Sila'' et à Sigus% ils forment de vastes nécropoles, où l'on
a fait des ensevelissements jusqu'au second siècle de notre ère,
mais qui remontent à des temps plus anciens. Les castella de
la région cirtéenne existaient sans doute tous, ou presque tous,
dès l'époque des rois numides.
Au Sud, ils s'avançaient jusqu'à la lisière du pays des
Gétules. Vers l'entrée de ce pays, dans la région d'Ain Beïda,
un itinéraire romain ^ indique, sur la route de Cirta à Theveste,
Macomadibus, que mentionnent aussi des listes d'évêchés '".
C'est un nom phénicien, affublé d'une terminaison latine. Il
signifie « ville nouvelle » et se retrouve sur le littoral des
Syrtes". Mais ce ne sont pas les Carthaginois qui ont fondé
1. V. supra, p. 136.
2. Gsell, Atlas Algérie, f« 17, p. 12, col. 2.
3. Pour ces lieux, voir^</a.s Algérie, à l'index.
4. Celtianis : Allas, f 8 (Philippeville), u" 91. Saddar : ibid., î' 17 (Constantine),
n» 276.
5. A Ksar Mnhidjiba : Allas, C 17, ii° 172; Bosco et Solignac. Rec. de Conslanline,
XLV, 1911, p. 329. A Tiddis : Allas, l. c, u"> 89; BruQon, Rcc. de Consl., XVIII,
1876-7, p. 326.
6. A Ksar Maliidjiha, à Tiddis, à Caldis (Atlas, f 8, n" 173); à proximité de Thi-
bilis (ibid., f« 18, n» 107).
7. Atlas, f 17, n» 333.
8. Ibid., n" 3.35.
9. itinéraire d'Anlonin, édit. Partliey et Pinder, p. 11.
iO. Voir Csell, Atlas, f" 28 (Ain Beïda), n" 3.
il. V. supra, p. 132, n. 5.
276 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
cette Macomades, si loin du territoire qu'ils s'étaient annexé.
Il s'agit d'une ville indigène, qui emprunta son nom à la langue
adoptée officiellement par les rois et qui fut peut-être une
création royale'. Elle paraît avoir été à Mrikeb Thala', où se
voient des ruines romaines étendues. Le lieu est en plaine.
Peut-être fut-ce d'abord un marché, commun aux Numides et
aux Gétules.
Nous ignorons où étaient situées les deux villes des Gétules,
« duo oppida Gaetulorum », dont le condottiere Sittius s'empara
en 46, au cours de la campagne qui le rendit maître de Cirta \
Elles ne devaient pas être fort éloignées de la capitale numide *.
Dès le milieu du iii^ siècle, Theveste (Tébessa) ^ était une
ville importante^; elle tomba alors au pouvoir des Cartha-
ginois qui la perdirent certainement à la fin de la seconde
guerre punique. Son existence se justifiait par les routes
naturelles qui s'y croisent et qui la mettaient en communica-
tions faciles avec la petite Syrte, Hadrumète, la Tunisie cen-
trale (et, au delà, Carthage), Madaure, Cirta. Bâtie en terrain
plat, auprès d'une belle source, elle put être de bonne heure
un grand marché ^
A environ 53 kilomètres au Nord-Est de Tébessa, se trouve
Thala^ dont le nom signifie source en berbère : elle possède,
1. Des moanaies portant la légende MQM', en lettres puniques, lui ont été
attribuées par Miiller (Namisin., III, p. 66-67) : hypothèse contestable.
2. Allas, L c.
3. Bell. Afric, XXV, 3.
4. Conf. supra, p. IH, n. 8.
5. Allas Algérie, i" 2».) (Thala), n» 101.
6. Déguisée sous le nom grec d'Hécatompylos : Polybe, 1,73, 1; Diodore, XXIV,
10,1. Conf. t. 11, p. «5-90; t. 111, p. 92.
7. Dans la direction de Carthage, à llaïdra, à 37 kilomètres de Tébessa. s'éleva
h l'époque romaine la grande ville d'Amma-dara (le nom oITre des variantes
d'orlho"raphe). en un lieu où, auparavant, la légion /// Augusta semble avoir eu
son camp permanent, d'Auguste à Vespasien. Ce nom rappelle celui d'Adme-
dera ville de Syrie, au Nord-Est de Damas. On peut donc, se demander s'il n'est
pas sémitique et s'il ne fut pas donné par les Carthaginois à un gite d'étape sur
la roule de Theveste.
8 Allas Tunisif, f' Thala, n" 77. C'était bien le nom atiliciue de ce lieu : voir
Gagnât et Merlin, [user. lut. d'AJriqur, 180.
LIEUX HABITES. 277
en effet, plusieurs sources. Des dolmens témoignent d'une
occupation ancienne.
Le nom de lieu Thala (ou Tala) se rencontre dans des textes
latins^; eu égard à sa signification, il était sans doute assez
répandu. Jugurtha avait une demeure royale à Thala ^, « ville
grande et riche »% bien fortifiée*, où était déposée une bonne
partie de ses trésors et où il faisait élever luxueusement ses
jeunes fils^ Auprès des murs, jaillissaient quelques sources'',
mais le pays environnant ressemblait à un désert : cinquante
milles (74 kilomètres) s'étendaient entre Thala et le fleuve le
plus proche, et l'espace intermédiaire manquait entièrement
d'eau'. Thala était donc une véritable oasis. Si Jugurtha en
avait fait une de ses capitales, c'était peut-être afin de tenir en
main les Gétules, sujets indociles, mais, au besoin, auxiliaires
précieux pour ses armées. Le général romain Métellus marcha
sur Thala, malgré les difficultés de cette expédition; après
s'être arrêté au fleuve pour s'approvisionner d'eau, il atteignit
la ville; il la prit et probablement la détruisit ^
Faut-il identifier cette Thala avec la Thala moderne^? C'est
impossible, à moins que Salluste n'ait beaucoup exagéré la
sécheresse du pays que traversa Métellus : quand on s'éloigne
de la Thala moderne vers le Nord, côté d'où venaient les
1. Tacite, Ann., III, 21. Deux mentions, dont l'une est douteuse, dans des docu-
ments chrétiens : Mesnage, L'Afrique chrétienne, p. 159.
2. Salluste, Jug., LXXVI, 4 : •■ domum regiam ».
3. Ibid., LXXV, i : « oppidum magnum at(iue opulentum, uhi picrique thesauri
flliorumque eius multus pueritiae cultus erat. ■•
4. Ibid., LXXVI, 2 : « oppidum et operibuset loco munilum ». Mentions des rem-
parts : LXXVI, 2, etLXXXIX,6. Par ■< loco muiiitum », il faut entendre que Thala
se trouvait dans une région difficile à parcourir, à cause de sa nature désertique.
Salluste ne veut pas dire que la ville fût dans un site escarpé. Il nous montre
(LXXVI, 2) Métellus l'entourant d'un fossé et d'un retranchement.
5. Voir n.3.
6. Salluste, LXXXIX, 6 : « apud Thalam non longe a moonibus aliquot fontes
erant. »
7. Ibid., LXXV, 2. Gonf. supra, p. 202.
8. Voir t. Vil, 1. II, ch. m. § V.
9. Comme le croit (après Grenville Temple et d'autres) .M. Toutain, dans
Mélanges Cagnat, p. 322.
278 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
troupes romaines, il n'est nullement nécessaire de parcourir
cinquante milles pour trouver soit des sources, soit des rivières
pourvues d'eau, même en été'. Nous ne saurions donc indiquer
avec certitude où était la Thala royale, dont le site, dit !Sal-
luste, ressemblait à celui de Capsa^.
Pour Capsa, aucune hésitation n'est permise : Gafsa^ est
restée la seule ville de quelque importance entre la Tunisie
centrale et la région saharienne des grands chotts. Salluste*
trace un sombre tableau des immenses solitudes qui l'entourent,
espaces nus et sans eau^. Mais la ville, « grande et
forte® », avait, à l'intérieur de ses remparts', une source, qui,
avec l'appoint des pluies, fournissait l'eau potable aux habi-
tants** et qui permettait aussi d'entretenir, par des irrigations,
une oasis en dehors des murs^
Capsa était une vieille cité; elle passait même pour avoir été
fondée par un dieu, l'Hercule libyen ou phénicien^". Il y avait
là un nœud de routes naturelles, menant aux oasis voisines
des chotts, à Gabès, à la Byzacène, à Maktar, à Tébessa''. Il
1. L'oued Haïdra passe à dix kilomètres au Nord-Ouest.
2. Jag., LXXXIX, 6 : « oppidum Thaiara,... Iiaud dissimiiiter situm muni-
tumque. •
3. Atlas Tunisie, (' Gafsa, n° 23.
4. Jug., LXXXLX, 4-5. Conf. supra, p. 202.
5. Il n'y a, en eiïet, aucune source importante à moins de 60 kilomètres de Gafsa.
6. Jug.. LXXXIX, 4 : « oppidum magnum atque valens ».
7. Mentions des remparts et des portes : ibid., LXXXIX, 4; XCI, 4.
8. Ihid., LXX.KLX, 6 : • Capsenses una modo, atque ea intra oppidum, iugi
aqua, cetera pluvia ulebantur. » Il s'agit sans doute de la source chaude appelée
Tarmidz (du latin thermis), qui naît dans la citadelle : voir Tissot, Géogr., II,
p. 660; Gœtschy, Rec. de Conslanline, X.XVIll, 1893, p. 134-5 et plan; Bodereau,
La Capsa ancienw. In Gafsa moderne (Paris, 1907). p. 58-59. Ce n'est pns la seule
source que des auteurs postérieurs à Sallusle mentionnent dans la ville mémo :
El Hekri, Descr. de l'AJ'rigue seplentr., trad. de Slane, édit. d'Alger, p. 100; Kilab
el Islihçar, trad. Fagnan, /ît-c. de Conslantine, X.XXIII, 1899, p. 71; Shaw, Voyages
dans plusieurs provinres de la Berbérie, trad. française de 1743, 1, p. 252; Tissot,
/. c, p. 067-8. .Mais il se peut qu'au temps de Jugurlha, il n'ait jailli ({u'une
source, comme le dit .Salluste.
9. V. supra, p. 204, n. 5.
10. Sallusle, Juf/.. LXXXIX, 4 (« Hercules Lihys »). Paul Orose, Adv. pagan., V,
]"), 8 (• ah Hercule Phoenice -). Voir aussi Florus, I, 30, 14 (• urhem Herculi con-
■dilam »).
il. Conf. Tissot, l. c., p. 008.
LIEUX HABITÉS. 279
n'est pas inadmissible que les Carthaginois aient occupé
Capsa^ Jugurtha, qui désirait conserver une cité trop éloignée
pour èlre aisément tenue par la force, la traitait avec faveur :
«lie était exempte d'impôts^ Marins ^incendia^ Mais elle se
releva. Sous Trajan, c'était une commune qu'administraient
dessufètes^ Peut-être cette magistrature d'origine punique y
avait-elle été instituée bien longtemps auparavant.
Dans l'intérieur du Tell algérien, aucune ville n'est men-
tionnée à l'Ouest de Cirta avant l'Empire romain^ : car c'est
à tort "= qu'on a identifié une Auza, colonie phénicienne du
IX' siècle avant J.-C, avec Auzia, aujourd'hui Aumale^ L'ar-
chéologie ne nous permet pas de suppléer à ce silence des
textes. Des cimetières de dolmens paraissent avoir servi à des
populations qui ne vivaient pas dans des villes; d'autres tom-
beaux indigènes flanquent des centres plus ou moins importants,
mais sont, ou peuvent être, comme ceux-ci, contemporains de
la domination romaine. Les inscriptions puniques manquent ^
De même, les débris architecturaux qu'on pourrait dater de
l'époque des rois : la Numidie occidentale, Salluste l'a dit avec
raison % était moins riche en édifices que la Numidie orientale.
Que, pourtant, les villes y aient fait entièrement défaut, cela
1. Voir t. II, p. 98-99.
2. Salluste, LXXXIX, 4. Slrabon et Paul Orose disent que des trésors royaux
étaient déposés à Capsa : v. supra, p. l.'iô, n. 6.
3. Salluste, XCI, 6. Voir aussi Strabon, XVII, 3, 12.
4. G. /. L., VIII, 22 79G. Conf. ici, t. II, p. 99, n. 2.
."). Dans la province romaine de Maurétanie Césarienne, on ne sait où, existait
une ville appelée Timici (Pline l'Ancien, V, 21 ; Ptolémée, IV, 2, 6, p. 605, édil.
Millier; Mesnage, L'Afrique chréLienne, p. .ï04). 11 faut regarder comme douteuse
l'attribution que Muller (A'umism., III, p. 143, n" 125) fait à ce lieu d'une monnaie
d'époque antérieure, portant la légende néopunique TMKY.
0. Voir t. 1, p. 362.
7. Atlas Algérie, f 14 (Médéa), n" 105.
8. A l'intérieur des terres, à l'Ouest de Cirta, on n'a trouvé d'inscriptions néo-
puniques qu'à Oudjel (Uzelis, caslcUum qui dépendait de Cirta : Atlas, f" 17,
n" 99). et à Mila (Milev : ibid., n" 59), où exista probablement une ville numide.
Un peu au delà, chez les Boni Oukden, a été découvert!! une inscription bilingue,
libyque et néopuni(iue {ibid., n° 19).
9. Jufj., XVI, 5. Conf. supra, p. 257.
280 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D HABITATION.
n'est pas vraisemblable. Des massifs montagneux, habités par
des sédentaires, comme la Kabylie et le Rif, des steppes,
parcourues par des nomades, peuvent se passer de centres
urbains. xMais il en faut aux points de contact et de suture des
diverses régions, quand des relations économiques s'établissent
entre elles, quand elles sont réunies sous une domination
commune. Une ville, par exemple, est presque une nécessité
entre le Tell oriental de l'Algérie, vaste ensemble de monta-
gnes, et le Tell occidental, qu'occupent, en grande partie, des
plaines basses, dont les unes sont très proches de la mer,
dont les autres constituent la large vallée du Ghélif^, Cette ville,
c'est Miliana, ou c'est Médéa^ qui, l'une et l'autre, ont rem-
placé des cités antiques. A Miliana % une colonie romaine,
fondée par Auguste * dans une contrée qui ne devint que bien
plus tard une province de l'Empire, ne fut sans doute pas éta-
blie sur un emplacement vide. Ce lieu, où l'on constate des
traces d'influences puniques % s'appelait Zucchabar^, un nom
dans lequel est peut-être entré un mot phénicien, signifiant
« marché » '.
Une autre colonie fut fondée par Auguste à Tubusuptu^ au
Sud-Ouest de Bougie, dans la vallée de la Soummame^ Là
encore, on peut croire à l'existence d'une ancienne ville, car
c'est un point de pénétration vers la grande Kabylie, à l'Ouest,
vers la petite, à l'Est, et aussi une étape d'une des rares voies
1. E.-F. Gautier, Structure de r Algérie, p. 149 et suiv.
2. Et, sur le littoral, c'est Alger-, pendant une partie de l'antiquité, ce fut
Caesarea (Cherchel).
3. Atlas Algérie, {' 13 (Miliana), n" 70.
4. l'Iiue l'Ancien, V, 21.
5. Atlas, l. c.
6. Voir Atlas, l. c.
7. • Le marché du i)lé ., selon Gesenius. Le même nom se retrouve dans la
région des Syrles, où il pourrait être aussi d'importation phénicienne. Mais il est
attribué à une montagne (Ptolémée, IV, 3, 5, p. 036 : opoc Zo'j-/âf>6api), à laquelle
se serait diriicilemenl appliquée la signiflcation « marché du blé >.
H. Pline l'Ancien, V, 21.
y. A Tiklat : Atlas Algérie, t' 7 (Bougie), n» 27.
LIEUX HABITES. 281
naturelles qui relient le littoral au haut pays (par la Soum-
mame, puis la plaine de la iMedjana et, plus loin, le Hodna)^.
Le commerce et la politique ont dû exiger de bonne heure
des villes sur d'autres voies naturelles, perpendiculaires ou
parallèles à la côte méditerranéenne. Si l'on veut faire des
hypothèses, on peut chercher une de ces villes vers Tiaret-, à
la tête du couloir que la vallée de la Mina forme entre les
hauts plateaux et la plaine inférieure du Chélif^; une autre,
vers Aumale, sur la route qui s'allonge d'Est en Ouest, au
pied de la chaîne des liibans, et qui relie la région de Sétif à
celle de Médéa*; une autre, à Tlemcen% si riche en eaux, à la
charnière du haut pays et de la plaine sublittorale, au-dessus
de la grande voie qui unit l'Algérie et le Maroc, qui unissait
jadis le royaume des Masaesyles et celui des Maures.
Au delà de la Moulouia, la Mulucha des anciens, cette voie
se continue vers l'Océan par le couloir de Taza. Juchée sur un
éperon rocheux qui domine la plaine, Taza commande vers
l'Est la vallée d'un affluent de la Moulouia, vers l'Ouest celle
d'un aflluent de l'oued Sebou^ Là aussi, la nature indiquait
aux hommes la place d'une ville. Mais les preuves de la haute
antiquité de Taza manquent encore, car les nombreux caveaux,
creusés dans le roc, qui l'entourent, ne contiennent pas d'objets
paraissant antérieurs au moyen âge'.
Parmi les « petites villes » qui existaient à l'intérieur de la
Maurétanie, Pomponius Mêla mentionnait « les plus opulentes».
Mais son texte est altéré à cet endroit^ Le manuscrit porte :
1. Voir Gautier, Structure, p. 103 etsuiv.
2. Atlas Aliiérie, f 33 (Tiaret), ii<> 1 i.
3. Gautier, l. c, p. 196 et suiv. Conf. ici, t. I, p. 10.
4. Gautier, /. c, p. 138 et suiv. Les noms puoiques sont fréquents sur les ins-
criptions latines d'Aumale.
5. Atlas Algérie, f' 31 (Tlemceu), n° .ï6.
6. Conf. t. I, p. 3.
7. Sur ces caveaux, voir Gampardou, Bull. d'Oran, 1917. p. 2S9 et suiv. 11 les
croit plus anciens.
8. III, 107.
282 EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION.
« procul a mari Gildavo dubritania ». Il est facile de recon-
naître Gilda, qu'un itinéraire romain place sur la route de
Tingi à Volubilis, à 28 milles de ce dernier lieu^, et qui était
peut-être la « Gilda, ville de Libye », dont parlait un contem-
porain de César, Alexandre Polyhistor'. Après Gilda, on a
proposé de lire dans Mêla « Volubilis, Banasa »% restitution
très probable en ce qui concerne Volubilis, mais fort hypothé-
tique pour Banasa. Celle-ci était située sur l'oued Sebou, à
Sidi Ali Bon Djenoun^ : ce fut un des deux lieux de l'intérieur
de la Maurétanie occidentale où Auguste envoya des colons
(l'autre colonie fut établie à Babba, dont on ne connaît pa&
l'emplacement) '.
Quant à Volubilis, elle a laissé de belles ruines romaines, à
peu de distance au Nord de Meknès. Elle fut érigée en muni-
cipe sous Claude, très peu de temps après l'annexion de la
Maurétanie à l'Empire ^ Mais, auparavant^, elle était admi-
nistrée par des sufèles * : une cité de type punique existait donc
en ce lieu à l'époque ro3'^ale. Il est probable que le nom de
Volubilis, d'aspect latin, est une modification par calembour
d'un nom indigène, dont nous ignorons la forme exacte. Volu-
bilis s'étendait sur un plateau, entre un oued et deux ravins,
mais dans une position qui n'était pas très forte. On peut se
demander si, dans des temps antérieurs, la ville indigène
n'avait pas occupé, tout près de là, un emplacement plus sûr,
celui qu'occupe aujourd'hui la ville de Moulay Idris.
1. Itinéraire d'Antouiii, p. 9, édit. ParLhey el Piader. L'emplacement de Gilda
n'est pas connu avec certitude : conf. Tissot, Mém. préscnlcs à rAcad. des Inscr.^
IX, 1'° partie, \). 21).').
2. Frwim. Iiisl. (inirc, 111, p. 238 ((PiXoa).
'.\. Correction d(^ Frick, dans son édition de Mêla.
4. Tissot, l. c, p. 277.
f). Pline l'Ancien, V, 5.
6. Voir Constans, Musée belye, XXVlli, 1924, p. 105.
7. Voir t. IV. p. 4«5, u. 4; Constans, l. c, p. 107.
X. y. suprn, |). tli2.
INDEX ALPHABÉTIQLE
Abeilles : 204-5.
Adherbal, roi numide : 124, 129, 158,
273; ressources de son royaume : 193.
— , prince numide : 125.
Adoption chez les Berbères : 52.
Adyrmachides, peuiilade : 31.
Agathocle, expédition d' — en Afrique : 13.
Agbia, ville : 265.
Agnats, parents par les mâles : 54, 58.
Agriculteurs, disséminés dans les cam-
pagnes : 232; groupés en villages :
62, 238-9, 250: tribus d'— : 69; les —
et les rois : 137, 139; modes de
propriété chez les — : 206-7.
Agriculture chez les indigènes : 186 et
suiv.
Aguellid. Voir Guellid.
Ailymas, prince indigène : 99.
Alexandre Polyhistor, sur les Libyens :
18, 80-87.
Althiburos, ville : 267.
Amazigh, Tamazight, Iinazighen, appel-
lations berbères : 11.5-6.
Amazones, prétendues — en Libye : 39.
» Amis » des rois indigènes: 141.
Amitsaga (oued el Kebir), lleuve servant
de limite : 94,99.
An"s chez les indigènes : 180.
Apiculture : 204-5.
Arboriculture : 190-20'i..
Arcobarzane, peLit-lils de Svpha.x : lUl,
125.
Aréacides, triiiu : 86.
Argent, montagne d' — , dans le Sud du
Maroc : 8.
Armées royales : I4.")-!.")!).
Artémidore, sur l'Afrique du Nord : 15-
16; source de Strabon : 21.
Ascalis, roi maure : 164.
Ascurum, ville : 143.
Asphodélodes, tribu : 85-86.
Âspis, lieu r 246.
Aubuzza, ville : 267.
Augila, oasis : 5, 83.
Aunobari, ville : 265.
Auses, peuplade : 29, 83, 84.
Autololes, peuplade gétule : 110-1.
Auzia (Aumale), ville : 279,281.
B
Baga, roi des Maures : 91, 125.
Banasa, ville : 282.
Bavares, peuplade : 114.
Béni Barbar, tribu berbère : 114.
Béni If rêne, troglodytes : 213.
£fer6t'res, origine de ce nom : 112-5.
Blé, culture: 19.5-6: rendements: 104;
commerce : 198-9; exportation : 190-
191.
Bocc/ius r.Vncien, roi des Maures : 91,
125-6; beau-père de Juguriha : 142;
ses rapports avec des Ethiopiens: 10;
pourvoyeur du cirque romain ; 171.
— le Jeune, roi dos Maures, 126,
164, 166; réside à loi : 249; ses
monnaies : 160-1.
Bœufs chez les indigènes : 179-180.
Bogud, prince maure. Mis de Bocchus
l'Ancien: 126, 141, 166. — , roi des
Maures : 126, 164, 166; combat des
l'Uhiopiens : 10; ses monnaies : 161.
liomUrar, lieutenant deJugurtha : 161.
284
INDEX ALPHABÉTIQUE.
Bràber, nom donné par les Arabes aux
indigènes : 112; ce nom est d'origine
latine : 113-5.
Buaoi, tribu : 40, 87.
Bucar, général de Syphax : 142.
Bulla Regia, ville : 253, 262.
Calama (Gueima), ville : 271.
Cn. Calpiirnius Piso, proconsul d'Afrique :
20.
Capitales d'États indigènes : 252-3, 256.
Capsa (Gaf-ia), ville : 278-9; son oasis :
204; entourée de déserts : 202.
Exempte d'impôts : 132. Trésor royal
à — : 156.
Capussa, roi des Massyles : 122.
Cartennas (Ténès), ville : 248.
Castella, terme désignant des villages :
240.
Cavalerie royale : 147. — chez les Numi-
des: 181."
Céréales, culture : 186 et suiv.; com-
merce : 198-9.
Cerné, colonie d'IIannon : 8.
César, ses déclarationssur la production
en blé de VAMca nova : 153, 101-2.
Chameau, soa introduction en Afrique :
3.
Charax, lieu : 246.
Chariots, pour transporter des cases
mobiles : 218.
Charrues : 195-6.
Chars de guerre : 184.
Chasse chez les indigènes : 169-173.
Châteaux royaux : 144, 237-8.
Chi'vnux chez les indigènes : 80, 181-6.
Chèvres : 179.
Chiens, à la chasse : 173; absence de —
de berger : 179.
Chimchi, princesse berbère : 40.
Chnllu (Collo), ville : 248.
Cirque, animaux africains au — romain :
170-2.
Cirla (Constantine), ville : 272-4; capi-
tale de Syjiliax : 100, 273 ; de Masinissa
et de ses successeurs: 273; constitution
municipale : 132. llii-5; monnaies :
131: territoire : 136; bourgs dépen-
dant de — : 275; agriculture autour
de — : 192; — fréquentée par des
IMiarusieiis : 9.
Citadelles : 245, 257, 261, 274.
Cléopâtre Séléiié, reine de Maurétanie :
121.
Çofs, factions chez les Berbères : 75-76.
Colonies phéniciennes et carthaginoises
du littoral : 245-250; leur constitution
municipale : 130-1.
Commerce des grains: 198-9; — urbain:
253-4.
Concubines : 46.
Cornélius Népos, source de Pomponius
Mêla : 23.
Cour, précédant la maison : 230.
Couronne laurée, portée par des rois :
128.
Cyraunis (Kerkenna), lie : 84.
Cyria, princesse maure : 39.
Dapsolibyes (?), peuplade : 32, 87.
Darius, son inscription funéraire : 119.
Dattier, culture du — : 203-4.
Défrichement : 189.
Déserteurs au service de Jugurtha :
147-8.
Diadème, insigne royal : 127.
Didi, nom de chef libyen : 76.
Diodore de Sicile, sur l'Afrique du Nord :
13; sur les .\mazones libyennes: 39;
sur des tribus africaines : 85; sur
des refuges : 237.
Divorce chez les Berbères : 47.
Dolmens, près de refuges : 237; près de
villages : 241; près de villes : 262,
263, 264, 265, 267, 268, 275, 277.
Domaines royaux : 139, 189-190, 191-2.
Dougga. Voir Thugga.
Droit du seigneur : 31.
Éléphants dans les armées royales :
150-1; dans les spectacles romains :
170-2; capture des — : 172.
Élevage chey. les indigènes : 174 et suiv. ;
combiné avec l'agriculture : 01, 188.
Éphore, sur une peuplade africaine : 85.
Ératosthène, sur rAfri(|uo du Nord : 13-
14; source de Strahon : 21.
Érébides. peuplade : 85.
Élata berbères, leur mode de formation :
77, 80; roiiinieiit ils tombent : 8(k-81.
INDEX ALPHABETIOL'E.
ÉUdapicns au Sahara : 2, (J-T, 9-10.
Éliiiueite chez les rois numides : 128.
Euphranlas, tour : 24G.
Euthym'ene, explorateur marseillais : 12.
Exogamie, non attestée chez les Ber-
bères : 3.5-36.
Exploitation, modes d' — des terres :
210.
Familia, mot latin désignant les familles
d'agnats : ij4.
Famille chez les Berbères : 35-36 ; —
Oiateriielie chez les Touareg : 37-38:
— paternelle : 42-43, 47-49, .51-53; —
étendue, composée d'agnats, 53-58.
Faucilles : 196.
Fer, instrument de conquêtes : 80.
Filiation utérine : 36-38.
Forgerons : 245.
Gaïa, roi des Massyles : 98, 100, 122.
Gaphara, ville : 247.
Garamantes, peuple habitant le Fezzan :
7, 8, 10, 30.
Garde noble des rois : 142, 146.
Gauda, prince, puis roi numide : 124, 125,
129, 138, 158, 162-3, 163-4.
Généalogies berbères : 79, 116.
Gens, mot latin, désignant les tribus :
54, 63, 64.
Ge'<u/(;s, peuplades africaines, 109; leur
extension, 109-112; nomades, 112, 137.
177, 194 ; leurs rapports avec les rois :
112, 165-6.
Gétulic, contrée : 5. 110; elle manque
de villes : 258.
Gilda, ville : 282.
Gindancs, peuplade : 29, 83.
Gourbis : 221.
Guanches (dans les îles Canaries), leurs
habitations : 213, 227.
Guellid, mot libyque signifiant chef,
roi : 72, 127. 133.
Gulussa, fils de Masinissa : 141; roi:
123, 138, 158.
Gunugu, ville : 248.
Gynécocratie, non attestée chez les
Berbères ; 39-41.
Gyzantes, peuplade : 84, 204.
GsELL. — Afrique du Noni. V.
H
Habitations mobiles : 21.5-220; — fixes :
220 et suiv.
Hannon, ses rapports avec les Lixites :
6: fonde la colonie de Cerné : 8.
Hérodote, sur les oasis : 4: sur les
peuples et tribus de l'Afrique du
Nord : 13, 18, 23, 82-84; sur les mœurs
des Libyens: 29-31, 35, 37, 41,48
55, 61.
Hiarbas, roi numide : 164, 166, 262.
Hiempsal (flls de Micipsa), roi : 124,
129, 231, 265. — (flls de Gauda)'
roi : 125, 159; son récit des origines
africaines : 17, 78, 89, 106, 109.
Hippo fiegius (près de Bône), ville ;
248.
Houe, culture à la — : 195, 203.
Huttes : 220-3, 244.
Hypsicrate, historien grec : 21.
I
labdas, prince de l'Aurès : 237.
lerna, roi-prêtre : 72-73.
Ifuraces, peuplade : 4.
Igilgili (Djidjeli), ville : 248.
Imazighen. Voir Amazigh.
Impôts : 152-5.
loi (Cherchel), ville : 248-9.
Iphicrate (?), source de Strabon : 21.
Ismuc, domaine princier : 208, 269.
Ivoire des éléphants d'Afrique : 170.
Juba I"', roi de Numidie : 125. 129;
réside à Zama : 156, 105, 269; fait
une expédition dans le Sud : 165-6-.
ses monnaies : 100.
Juba II, roi de Maurétanie : 126; son
•ouvrage sur la Libye : 17.
Jugurtlia, envoyé devant Numance :
141; adopté par .Micipsa: 52. 124:
roi : 124-5, 129, 1.58, 163. 192.
C. Julius, flls de Masinissa, [)rincc
numide : 208.
Kdhina (lu), i)rinccsse herbèrc : 37, 39.
Kapour, chef libyen : 76.
r.i
286
INDEX ALPHABETIQUE.
Lacumazès, roi des Massyles : 123.
Langue libyque, comment s'est-elle
répandue? : 78, 79.
Lares (Lorbeus), ville : 267.
Lebou (ou Rebou), peuple : 71, 76. 102.
Légions dans les armées royales : 146.
Leplis la Grande, ville : 130. 131, 246-7 ;
entourée d'oliviers : 200-1. Elle se
détache de Jugurtha : 163, 247.
Lergètes, tribu : 86.
Libyca, ouvrages composés par des
Grecs et par Juba II : 17-18.
Libye, pays des Lebou, puis continent
africain : 102.
Libyens, origine de ce nom : 102:
e.xtension de sa signification : 102-3;
son emploi par les Carthaginois et par
des indigènes : 103-4; monnaies des
— : 104, 139.
Lions au cirque romain : 170, 171.
Lixites, peuplade : 6.
Lixos (oued Draa), fleuve :6.
Lixus, ville : 250: ses monnaies : 131.
Lolophages, peuplade : 83.
M
Maccoiens, tribu : 86.
Maces, peuplade : 83, 85, 86.
Machlyes, peuplade : 29,83, 84, 87.
Macomades (MrikebThala), ville : 275-6.
Maclar (Maktar), ville : 267.
Madaure, ville, : 111, 270.
Ma cl Abiod (cl), station préhistorique :
27.
Magalia. Voir Mapalia.
Magasins communs pour les grains :
197-8, 245.
Magie, rites de — : 32, 33, 43-44; —
pratiquée par des femmes : 39-40.
Magistrats dans des villages : 65-60;
dans des cités : 130, 132, 133, 239-260.
Magudulsa, prince maure : 165.
Maisons: 2211-23 1.
Maleiia, peuple : 119.
Malva (Moulouia), (leuve : 92.
Mamlckcl, titre royal, en punique : 127,
133. 159, 100.
Mapalia (ou mogalia), habitations
mobiles : 219-220; habitations tixes :
220, 2i4.
Mâraiou, nom de chefs libyens : 76.
Marbre iiumidiqiie : 153, 211-2.
Mariage chez les anciens Berbères : 29,
30, 31, 33, 33. 43-43.
Marine royale : 131-2,
Masac, nom de personnes : 116.
Masœsyles, nation : 95-96; étaient
primitivement une tribu : 96-97.
Royaume des — : 98 : limites,
99-101: ressources agricoles : 193.
Mascuhila, ville : 269.
Masgaba, fils de Masiuissa : 141.
Mashaouasha, peuplade : 76.
Masinissa, prince royal : 141; roi : 101,
122, 123: son gouvernement : 162;
monnaies à son effigie : 157-8; déve-
loppe l'agriculture dans ses États :
187-8; donne l'exemple à cet égard :
189-190; grand propriétaire foncier :
208-9; réside à Cirla : 274. Sanctuaire
de — à ïhugga : 264.
Masinissa, roi numide, contemporain de
Juba I" : 164.
Masinissa, prince numide, contemporain
de César : 208.
Masintlta (= Masinissa?). prince nu-
mide : 152, 165.
Massiva, prince numide : 124, 163.
Massyles, nation : 93; étaient peut-être
primitivement une tribu : 97.
Royaume des — : 97-98; limites :
99-101. Transmission de la royauté
chez les — : 121-2.
Mastanabal, roi numide : 123, 182.
Mastanesosus, roi numide : 100, 164.
Matriarcat, non attesté chez les
Berbères : 39-41.
Maures, formes et origine de ce nom :
88-90; les — étaient primitivement
unelrihu : 90; ils créent un État: 91;
limites de cet État : 91-94. Extension
vers l'Est du nom de — : 94-93. Leur
état agricole : 190, 19-3-4.
Maitretania, pays des Maures : 90-91.
Maxitani, peuple : 118.
Maxyes, peuplade : 84, 118, 120.
Mazaces, nom de tribu : tl7; — , dans
un sons plus général : 118.
Mazic, Ma:ira, nom de personnes : 116;
sens de ce mot : 119.
Maziccs, nom de tribus et de peuples :
2, 5, 117-120.
Mazigh, héros légendaire : 116.
Mazycs, peuple : 118, 119.
INDEX ALPHABÉTIQUE.
287
Médracen, tombeau royal : 97-98.
Mélanogétules, peuplade : o, 9.
Meninx (Djerba), lie : 247.
iMercenaires dans les armées royales : 148.
Micatanes, tribu : 86.
Micipsa, fils de Masinissa : 141; roi do
Numidie : 123, 1.58; réside à Girta :
273, 274; adopte Jugurtha : 52; sa
succession : 124.
Mididi (Henchir Meded), ville : 268.
Miel : 204-3.
Milev (Mila), ville : 279.
Mimaces, peuplade : 83.
Mines : 211.
Misagène, fils de Masinissa : 141.
Mizrah, corps constitué : 135.
Monnaies de l'Afrique du Nord : 24-23 ; —
municipales : 130--1 ; — royales : 137-
161, 182.
Moutons chez les indigènes : 179.
Miilucha (Moulouia), fleuve servant de
limite : 23, 91-93.
Musulames, peuplade gétule : 111.
Myndônes, tribu : 83.
Mzab. région saharienne : 4.
N
Nabdalsa, lieutenant de Jugurtha : 142,
164.
Naraggara, ville : 269.
Naravas, prince numide : 98.
Nasamons, peuplade riveraine de la
grande Syrte : 82-83, 85; ils fré-
quentent l'oasis d'Augila : 5, 83; leurs
voyages à travers le Sahara : 9; leurs
mœurs : 29-30, 37, 45, 48; leurs visites
aux tombeaux : 35, 55.
Aicolas de Damas, sur les Libyens : 18,
29, 32, 40, 73, 87; sur les Éthiopiens :
37.
Nigris (oued Djedi), fleuve : 111.
Nigriles, peuple : 7, 9, 184.
A'(/, prétendue origine occidentale du — -:
8-9.
Noblesse, chez les anciens Berbères : 72.
Nomades sahariens : 2, 4 ; — en Berbérie :
59-02, 70, lU.j, 137, 139, 174, 170-8;
modes d'habitation : 215-220.
Nomades, adjectif grec appliqué à des
Africains : 103; nom do peuple : 105;
peut-être d'origine indigène : 106;
extension de ce nom : 107-8.
Nuits de l'erreur : 32.
Numidae, nom latin de peuple africain
105, 106.
Oasis sahariennes, populations qui les
habitent : 1-2; mise en culture : 4,
203-4.
Obba, ville : 207.
Oea (Tripoli), ville : 247.
Œzalcès, roi des Massyles : 122.
Olivier, culture de 1'— : 199, 200, 201,
203, 204. 243.
Ophélas, Périple d' — : 14, 21.
Oppida, villes fortes : 240, 231, 256.
Or, commerce de 1' — : 8.
Ours africains, au cirque romain ; 170,
171.
Panèbes, tribu : 73, 87.
Panthères, au cirque romain : 170, 171.
Pasteurs dans l'Afrique du Nord : 59-61 ;
tribus de — : 68-69, 70, 203-6; modes
d'habitation : 215-220, 232, 238.
Pêche chez les indigènes : 212.
Pérorses, peuple : 7.
Pharusiens, peuple : 7, 9, 184.
Phelliné, ville : 263.
Philène (autels de), au fond de la grande
Syrte : 246.
Philistos, sur des peuplades africaines :
85.
Pierre, maisons en — : 225 et suiv.
Pisé, mode de construction : 224.
Polybe, sur l'Afrique du Nord : 14-15, 21.
Polygamie chez les anciens Berbères :
43-47.
Pomponius Mêla, sur l'Afrique du Nord :
22-24, 58.
Poplhensis (civitas), rille : 269.
Porc, non mentionné chez les indignes :
178.
Posidonius, sur l'Afrique du Nord : 16;
source de Salluste : 17 ; source de Stra-
bon : 21, 22.
Pourpre, pêcheries et ateliers : 212,250;
vêtement de — , insigne royal : 128.
Préfets royaux : 135, 142.
Promiscuité sexuelle, prétendue — : 29-
34.
Prophétesses : 41.
Propriété, collective, familiale, indivi-
duelle : 205 et suiv.
INDEX ALPHABÉTIQUE.
Psylles, peuplade : 82.
Ptoléinée, roi de Maurétaaie : 126, 163.
Pyrgos (Ttjpyo;), mot grec désignant des
refuges : 237; des villages : 240.
Q
Qanoun, code pénal dans les villages
berbères : 64.
R
Rebou. Voir Lebou.
Recensements de chevaux : 153, 181-2.
Refuges : 233-8.
Remparts des villages : 243-4; des villes :
256-7.
Républiques villageoises : 63-66.
Répudiation chez les Berbères : 47.
Rois de tribus, de peuplades : 71-72; —
d'États : 121 et suiv. ; — dans des
cités : 133, 134.
Ruches : 203.
Rusaddir (Meliila), ville : 249.
Rusazus (AzelToun), ville : 248.
Rusguniae (Matifou), ville : 248.
Rnsicade (Philippeville), ville : 248.
Sabratha, ville : 247.
Saburra, général de Juba 1<^' : 142.
Sahara, conquis par des Berbères : 3-3,
11.
Sala, ville : 250.
Salaisons : 212.
Saldas (Bougie), ville : 248.
Sallusle, sur l'Afrique du Nord : 17.
Sceptre, insigne royal : 128.
Scribes : 133.
Scylax, Périple attribué faussement à
— : 13,83,85.
Sedrata, ville saharienne : 4.
Seniores, dans des villages : 63-64; dans
des tribus, 70.
Shemesh, nom donné à la ville de Lixus :
161,250; atelier monétaire : 101.
Sicca (Le Kef), ville : 266; marché de
céréales : 102; prostitutions sacrées
il — : 31.
Siga, ville : 240; capitule de Syphax :
02, 00; atelier monétaire à — : 161.
Sijilmdsa, ville : 4.
Silos : 196-7.
Simitthu (Ghemtou), ville : 262 ; carrières
de marbre : 155, 211-2.
Sittius, condottiere ; 148, 166.
Sophaces, peuplade : 86.
Sophonisbe, femme de Syphax : 49.
Strabon, sur l'Afrique du Nord : 11,
18-22.
Saburbures, tribu : 114.
Succession, règles de — à la royauté :
122.
Sufètes, magistrats municipaux : 130,
132-3, 259-260.
Sufetula (Sbeïtla), ville : 272.
Suthul, ville : 271-2; trésor royal à — :
156.
Syphax, roi des Mas.esyles : 98, 99, lOU,
101, 125; son gouvernement : 161-2;
ses monnaies : 157; il réside à Siga
et à Cirta : 249, 253.
Tacape (Gabès), ville : 247.
Tamazight. Voir Amazigh.
Tamuda, ville : 249.
Tanusius Gemiaus, source de Strabon :
21.
Tasbent, station préhistorique : 27.
Taza, ville : 281.
Tentes : 215-7.
Terrasses sur des maisons : 228-9, 234.
Terre, maisons en — : 224.
Thabena, ville. Voir Thaenae.
Thabraca (Tabarca), ville : 247.
Thaenae, ville de la petite Syrte : 143,
165, 247.
Thagura, ville : 131, 270.
Thala, ville : 253, 276-8; entourée de
déserts : 202; trésor royal à — : 156.
Thapsus (Philippeville), ville : 248.
Theveste (Tébessa), ville : 132, 256, 27(;.
Thigibba Bure, ville : 265.
Thimidd Bure, ville : 265.
Thimida Regia, ville : 263-6.
Thirmida, ville : 156, 265; probablement
Thimida : 265.
Thuburnica, ville : 263.
Thubursicu Bure (Téboursouk), ville: 265.
r/iu6ursic(iyVumidarum (Khamissa), ville :
270.
Thugga (l)ougga), ville : 263-4: consti-
tution municipale : 133-4; inscriptions
puniques et libyques : 24, 264.
INDEX ALPHABÉTIQUE.
289
Tkugga Terebinlhina, ville : 267.
ThuUium, ville : 263.
Thuya, bois d'ébénisterie : 211.
Tibesti, contrée saharienne : 1.
Timici, ville : 279.
Timosthène, auteurd'un Traité des ports:
14,21.
Tingi (Tanger), capitale : 165, 253, 255;
monnaies : 131.
ripasa (Tifech), ville : 271.
Toits des habitations : 221, 223, 227-8.
Touareg, la famille chez les — : 37-38,
49-50.
Transhumance : 59.
Trésors royaux : 155-6.
Trêton (cap Bougaroun) : 99.
Tribus, mode de formation : 66-68;
territoire : 68-70; organisation : 70-
73. Conflits entre — : 73-75; accords:
74; confédérations : 76-77. — connues
avant la conquête romaine : 82-87.
Tribus, mot latin, désignant les familles
d'agnats : 54-55.
Troglodytes : 213-4.
Tubusuptu (Tiklat), ville : 280.
Tuniza (La Galle), ville : 247.
Tychaios, prince numide : 141.
Vaga (Béja), ville : 261 ; constitution
municipale : 131-2; marché de céréa-
les : 192.
Varron, source de Pomponius Méla(?) :
23.
Vermina, fils de Syphax : 141 : roi : 101,
125: ses monnaies : 157.
Vigne, culture de la — : 199, 200, 202.
203.
Villages préhistoriques : 28, 238, 244; —
d'agriculteurs : 62, 238-240, 2.50-1:
noms en grec et en latin : 240;
mentions et restes archéologiques :
240-1; sites : 242-3; aspect : 243-5;
organisation municipale : 63-66.
7î7ies phéniciennes et carthaginoises du
littoral : 130-1, 245-250; — indigènes:
251 ; raisons de leur formation : 252-4;
sites, 255-6; répartition: 254, 257-8:
aspect: 254, 256-7: constitution muni-
cipale : 131-5.
Volubilis, ville: 132, 282.
Volux, fils de Bocchus : 141.
Zama, ville : 2.a3, 256, 268-9; capitale
de Juba V : 156, 165, 269. — Regia :
2.53, 269.
Zauèces, peuplade : 84.
Zilalsan, grand-père de Masinissa : 122,
132,141.
Zili (Azila), ville : 22, 250.
Zineb, princesse berbère : 40.
Zouchis, ville : 247.
Zucchabar (Miliana), ville : 280.
Zuphônes, tribu : 85-86.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
I. La lisière septentrioaaie du Sahara sera la limite géographique de notre
étude, l. — Condition actuelle des noirs dans le Sahara, 1-2. — Prédomi-
nance des Berbères nomades, 2. — Ces Berbères ne sont probablement
pas venus dans le Sahara central et occidental avant le m" siècle de notre
ère, 2-3. — Dans quelles conditions ils sont venus et ce qu'ils ont
apporté, 3-4. — 11 y avait des oasis bien avant eux, 4; des Berbères
sédentaires en ont créé quel |ues autres au moyen âge, 4. — Des
Libyens se sont établis dans le Sahara oriental dès une époque très
reculée, 4-3; mais non pas dans le Sahara central et occidental, 3-6. —
Ce sont des Éthiopiens qui, dans l'antiquitâ, occupent cette contrée
jusqu'au voisinage de la- Berbérie, 6-7. — Ils la cultivent, 7. — Ils sont
maîtres chez eux et forment des nations, 7. — Us ont des relations avec
les habitants de la Berbérie, 7-9; quelquefois aussi des conflits, 9-10. —
Mais, avant d'être conquis par des Berbères, le Sahara a été fort peu
mêlé à l'histoire de la Berbérie, 10-11.
II. Avant la conquête romaine, la Berbérie était fort mal connue des Grecs
et des Latins, 11-12. — Informations des Ioniens, 12. — Carthage écarte
les Grecs, 12. — Les connaissances d'Hérodote s'arrêtent à la Tunisie
orientale.' 13. — Le Périple dit de Scylax, 13.— L'expédition d'Agathocle,
13. — Périples d'Ophélas et de Timosthène, 14. — Ératosthène, 13-14. —
Les guerres puniques, 14. — Polybe, 14-15. — Arlémidore, 13-16. —
Posidonius, 16. — Le Bellum Africum, 16-17. — Salluste, 17.— Écrits du
roi Hiempsal, 17. — Les Libyca du roi Juba 11, 17. — Grecs auteurs de
Libyca, de recueils de mœurs barbares, 17-18. — Strabon, 18; insufQsanee
de sa description de l'Afrique du Nord, lS-19: elle n'est pas au courant,
19-20; auteurs que Strabon utilise accessoircinent, 21; ses principales
sources sont Ératosthène, Ârtemidore, Posidonius, 21-22. — Pomponius
Mêla a peu ajouté à une source déjà ancienne, 22; cette source est un
écrit latin, composé peu après Jules César, 22-24. — Renseignements
fournis par répigrapliie punlifue et libyque, 24; par la numismatique,
24-23; par les monuments funéraires, 23. —Comparaisons à faire avec
l'histoire plus récente de la Berbérie, 23.
292 TABLE DES MATIERES.
LIVRE PREMIER
ORGANISATION SOCIALE ET POLITIQUE
Chapitre premier. — Les cadres de la société indigène 27-81
I, Des ag-glomérations importantes se sont formées dès une époque fort
lointaine, 27-28. — Ailleurs, solidarité probable d'habitants de stations
très voisines, 28. — Raisons de ces groupements, 28. — Quelles relations
ont eues entre eux les individus qui les composent?, 28. — A-t-on des
indices d'une promiscuité sexuelle primitive?, 29. — Assertions
d'Hérodote, très sujettes à caution, sur la communauté des femmes chez
certaines peuplades libyennes, 29-30. — La nuit de noces chez les
Nasamons, 30; le droit du seigneur, 31. — Prostitutions sacrées, 31-32;
nuits de l'erreur. 32-33; autres rites sexuels, 33. — Offre d'une femme à
l'hôte, 33. — Rien de tout cela ne prouve une communauté primitive des
femmes, 34. — Licence des mœurs chez les Berbères, 34.
IL Haute antiquité du mariage et de la famille chez les Libyens, 34-35. —
Formes diverses de la famille, 35. — Aucune preuve d'exogamie en
Berbérie, 35-36. — Famille maternelle et filiation utérine, 36; ce système
est en usage au Soudan, 36-37; on n'a aucune preuve qu'il ait existé
chez les Libyens, 37. — Mais la famille maternelle existe chez les
Touareg, 37-38; d'où leur est-elle venue?, 38. — La famille maternelle
n'atteste pas le matriarcat, 39. — Prétendus indices dantique matriarcat
chez les Berbères, .39; les Amazones de Diodore, 39; rôle politique de
quelques femmes célèbres, 39-40; puissance magique attribuée aux
femmes, 40-41.
HT. Uniformité du système familial chez les Berbères, 41; impossibilité de
dire comment il s'est répandu, 42. — La famille paternelle, 42. — Elle
remonte à des temps très reculés, 42; preuves pour les temps historiques,
42-43. — Les Berbères se marient jeunes, 43; prix attaché à la virginité
de la femme, 43. — Le mariage, 43: distinguer les rites, d'origine
magique, 43-44, et l'achat de la femme, 44-4o. — Monogamie et polygamie,
l'une et l'autre en usage dans l'antiquité, 45-46; épouses et concubines,
46; motifs de la polygamie, 46-47. — Cohabitation des époux, 47. —
Droit de répudiation, unilatéral, 47. — Devoir de fidélité, unilatéral,
47-48. — Ilcmmes et femmes ont une existence distincte, 48-49. — En
général, condition inférieure des femmes, 49. — Condition bien meilleure
chez les Touareg, 49-50; comment l'expliquer?, 50-51. — Nombreux
enfants, 51. — Devoirs des parents, 51. — Droits du père, 51-52. —
Filiation par adoi)tion, 52. — Jugement sur celle famille, 52-53.
IV. La famille étendue, ou agnaliqiio, 53-54. — Elle est appelée par les
Latins, non <jens, mais familia, ou irilnis, 54-55. — A-t-elle un culte
particulier?, .55. — Vie commune et indivision de certains biens, 55. —
Le chef de la famille agnatique. 5(1. —Autonomie de cetle famille, .50. —
Solidarité vis-à-vis des étrangers, 56; vengeance et responsabilité
collectives, 57. — Rapports avec d'autres groupes, 57. — Fractionnement
des familles agnaliques, 57-.58.
V. La fomille agnatique a peut-être été çà et là pleinement indépendante,
58. — Besoin d'assocjalions plus larges, .58. — Transhumance et
nomadisme, s'imposnnt à beaucoup de pasteurs, 59: rondilious de ces
migrations, 59-60; causes de conflits, 60: d'où nécessité pour les pasteurs
TABLE DES MATIÈRES- -93
de s'unir, 60-61. — Contraste entre les vies pastorale et agricole, 61. —
Causes de conflits entre agriculteurs, 61; entre agriculteurs et pasteurs,
61-62. — Nécessité pour les agriculteurs de se grouper dans des villages,
62. — Ce que sont ces villages, 62. — Éléments constitutifs des sociétés
villageoises, 62-63. — Conseils d'anciens, 63-64; leurs attributions, 64. —
Règlements pour le maintien de l'ordre, 64-65. —Souvent, la république
se passe d'un chef, 65. - Maires de villages, 65-66. - Caractère de ces
républiques villageoises, 66.
VI. Les tribus sont essentiellement des ligues de défense et d'attaque,
66-67. — Ce ne sont pas des familles élargies, 67. — Haute antiquité
des tribus, 67-68. — Noms sous lesquels les Grecs et les Romains les
désignent, 68. — Territoires des tribus chez les pasteurs du Tell, 68-69;
chez les agriculteurs, 69; chez les nomades, 70. — Tribus dépourvues de
chef, 70. — Chefs de guerre, 70. — Certains se maintiennent après la
guerre et transmettent leur pouvoir à leur famille, 70-71. —Noms donnés
à ces nobles, 71-72. — Nature de leur autorité, 72; rien ne prouve qu'elle
ait eu un caractère religieux, 72-73.
VII. Conflits entre tribus, 73. — Des tribus disparaissent; d'autres sont
refoulées, ou deviennent vassales, 73-74. — Contrats entre tribus, 74. —
Un certain équilibre se réalise, mais il est très instable, 74-75. — Causes
internes de désagrégation dans les tribus, 7.5-76. — Changements fréquents,
qu'atteste la nomenclature géographique, 76.
VIII. Confédérations temporaires de tribus, 76-77. — Ébauches de peu-
plades, 77. — Formation d'États, 77. — On n'a pas de preuves de
l'existence d'États aux temps préhistoriques, 77-78; aucun argument
solide à tirer du récit d'Hiempsal, dans Salluste, 78; ni des généalogies
berbères, 79. — Importance probable des armes en fer et du cheval,
80. — Mode de formation des États berbères, 80. — Comment ils dispa-
raissent, 80-81. — Causes géographiques qui s'opposent à l'unité, 81.
Chapitre U. — Tribus, nations et peuples 82-120
I. Tribus et peuplades mentionnées antérieurement à la conquête romaine,
82 : dans Hérodote, 82-84; dans des auteurs i)lus récents, 84-87.
II. Nations, 88. — Les Maures (Ma-.po:'7'.oi, Mauri), 88-89. — Étymologies
proposées, 89-90. — Les Maures ont d'abord été une tribu, 90. — Le
royaume des Maures, 90-91. — Limites de ce royaume, 91; à l'Est, la
Mulucha (aujourd'hui la Moulouia), 91-94. — Extension vers l'Est du
nom de Maures, 94-95. — Masœsyles etMassyles, 95-96. — C'étaient d'abord
des tribus, 96-97. — Hypothèse au sujet du tombeau royal dit le
Médracen, 97-98. — De quand datent les royaumes masœsyle et massyle?,
98-99, _ Leurs limites, 99-100. — Tribus indépendantes. 100. — Fin
du royaume masœsyle, 101. — Persistance des noms désignant ces
royaumes, 101-2.
III. Libyens, terme d'origine indigène; les Lebou, 102. — La Libye,
continent, 102. — Aioueç, habitants de l'Afrique septentrionale, 102-3;
dans un sens plus restreint, sujets de Carihage, 103. — Emploi de ce
nom par les Carlhaginois, 103-4. — Il ne parait pas avoir appartenu à la
langue des indigènes de la Berbérie, 104-5. — Libyens nomades, dans
Hérodote et d'autres, 105. — NoixàSs; employé comme nom propre, 105;
Numidae, en latin, 10."i-6. — Origine de ce nom, 106; peut-être désignait-
il d'abord une tribu, 106-7. — Il s'étend à l'ensemble des indigènes non
sujets de Carthage, 107. — Puis le sens se restreint, 107-8.— Les Gélules,
294 TABLE DES MATIÈRES.
109. — D'où vieat ce nom?, 109. — Les Gélules ne constituent pas un État,.
109. — Leur extension géographique, 109-110; Gétules au Maroc, 110-1;
Gélules plus à l'Est, 111-2. — Rapports des Gétules, Berbères nomades,
avec les royaumes de l'Afrique du Nord, 112.
IV. Les Berbères {Brâbcr en arabe), 112-3. — Ce n'est pas un nom ethnique
ancien, 113-i. — Ce mot, d'origine latine, vient de barbarus, 114-5, — Le
terme Amazigh chez les indigènes, 115-6. — Mazigh. ancêtre légendaire
des Berbères, 116. — Mazigh, nom propre d'individus dans l'antiquité,
116; nom de tribus à l'époque romaine, 116-7; nom de tribus ou de
peuplades avant l'époque romaine, 117-8. — Sens plus général donné à
ce terme, 118-9. — C'était peut-être à l'origine un adjectif, signifiant
noble ou libre, 119. — Pourquoi désigne-t-il de nombreux groupes d'indi-
gènes?, 120.
Chapitre III. — Les rois et leurs sujets 121-161
I. La royauté, 121. ^Les femmes en sont exclues, 121. — Elle est héréditaire,
121. — Chez les Massyles, elle est d'abord la propriété d'une famille et
est réservée au plus âgé de la famille, 121-2. — Pourquoi cet ordre de
succession ne se maintient pas, 123. — La succession de Masinissa,
123-4. — La succession de Micipsa, 124. — Transmission du pouvoir en
Numidie après Jugurtha, 125. — Transmission du pouvoir chez les Masee-
syles, 125; chez les Maures, 125-6.
II. Titres que portent les rois, 127. — Insignes rovaux, 127-8. — Étiquette,
128-9. — Pompe royale, 129.
m. Le pouvoir royal, absolu en théorie, est limité par l'autonomie des
groupes sociaux et politiques dont se compose le royaume, 129-130. —
Tribus, 130. — Cités, 130. — Anciennes colonies puniques du littoral; leur
constitution municipale, 130-1. — Cités d'origine indigène; leur consti-
tution, 131-2; emprunts probables au régime municipal punique, 132-3.—
Institutions municipales qui peuvent être indigènes, 133. —Organisation
de la cité de Thugga, 133-4. — Cirta, 134-3. —Autres indices d'institutions
municipales, 133. — Autonomie probable des cités, 133. — Leur terri-
toire, 136.
IV. Caractère anarchique des indigènes, 136-7. — Résistances à la
royauté, 137-8. — Elle se maintient pourtant, 138. — Nécessité pour les
rois de disposer de grandes ressources, 139; comment ils peuvent se les
procurer, 139. — Tout le poids de l'État repose sur le souverain, 14U. —
Il n'y a pas de véritables fonctionnaires publics, 140.— Seulement des
hommes de confiance, parents ou amis, 140-2.
V. Politique royale : diviser pour régner, 142-3. — Emploi de la force, 143. —
Forteresses royales, 143-4. — Troupes mobiles pour la police du royaume,
144-3. — Armiies pour les guerres, 143. —Les corps réguliers et les
contingents, 143. — Recrutement des réguliers, 143-6. — Leur organisation,
146; cavalerie et infanliMie, 147. — Soldats étrangers, 147-8. — Le condot-
tiere Sittius, 148. — Contingents levés en temps de guerre, 148-9. —
Défauts de ce système, 149-130. — Matériel de siège, 150. — Éléphants,
130-1. —.Marine, 131-2.
VI. Ressources financières, 132. — Inégalilé des charges fiscales, exem[)tions,
■f 132. — .Imui^s sur les produits du sol, 132-3: sur le bétail, 153-4. —
Ifnpôts sur les citadins, 134. — Les o|)éralions financières incombent
sans doute aux chefs di- ccuxijui doivent les impôts, I3i. — _PerccptioQ
TABLE DES MATIÈRES- 293-
par voie d'exécution raililaire, ir34-5. - Autres ressources, 155. - f^^^^^^^
S Iverains, 135. - Trésors royaux 156. - Largesses ro,^^^^^^^^^
butin fait par les Romains, 136. - L'or et l'argent viennent de 1 «tran er
rareté des monnaies indigènes en métaux précieux, lo6-7. - Monnayage
royal aux iii'-ii^ siècles, 157-9 ; au i^' siècle, lo9-lbl.
VIT I a rovauté de Svphax, 161-2. - La royauté de Masinissa, 162. - Le»
oi^ indi'oTnes ap,.i Masinissa. 162-3. -Agitation et désordre presque
"ermanents, 163.'- Haines et meurtres dans la famille ^^f^^^^'
'partages et démembrements, causes de .ue-_s ci. le. \l^^ f^^^^
lef- 1!^ ;^;ïï;:;i ":s:^ o;:;ïs J^i^e lo. voisms, i66. - E.on-
drements, 167. — Conclusion, 16/.
LIVRE II
EXPLOITATION DU SOL ET MODES D'HABITATION
169-212'
Chapitre premier. - Élevage et culture
T î a ohasse nrocure aux indigènes une partie de leur nourriture, 169. -
'■ ^:^:j:rLn des fauves, 169-lTO. - Elle ^ourniU ^étranger de
l'ivoire, des peaux et des animaux vivants, 1/0. -/^"''"'^^"^ '^^z.f, *
Rome pour les spectacles du cirque, 170-2. - Procèdes de chasse, 12-3^
IL Abondance du bétail, 174; importance ^e la vie pa^orale 1 -4^
Antiquité de l'élevage, 174-5. - H ^« ^^'-^f V'. ^^^f-V*^' P^>°,Cdes
l'agriculture, 175-6. - Pasteurs presque sédentaires, Ub. - Nomade»,
l8l-'> - Ces animaux appartiennent à la race barbe, 182-3, leur= qua^'^^s
m-ï. - Abandon des chars de guerre, 184. - A quoi l'on emploie les
chevaux, 185. — Comment on les monte, 18.J-6.
IV Antiauité de la culture des céréales, 186-7. - Impulsion donnée a
l'aS'ùre par Masinissa, 187; intérêt qu'il y trouve, 18/; condition,
av°orabes 187-8 - Combinaison des vies agricole et pastorale, 188. -
Djfr : ments 189.- Main-dœuvre abondante, 189. Masinissa donne
?exempleà se; sujets, 189-190. - l^'^o-icullure après Mas.nis.a m -
Preuves de la culture des céréales (monnaies, textes), 1.9'|-^; " «'^-;,"_'^^
nroductrices • Numidie orientale, 192; Num.d.e occidentale 19^-3 .
MaurTtane 193-4 - Exagérations sur la fertilité de l'Afrique, 194-. -
PratqLes agricoles : labours, moisson, 193-6. - Conservation des récoltes .
si^os, 196-7° magasins communs, 197-8. - Vente des grains, 198-9.
V Part des Phéniciens au développement de l'arboriculture en Berberie
199%0 - Cultures arbustives autour des vieilles villes .nantîmes, 2^.0
llivettes autour do Leptis la Grande, 200-1. - L'arboriculture se epand
;eni:î^trindigénL, 201-2. -De v-tes étemlu^ ne seron^ P-a-Uees
en oliviers que sous l'Empire romain, 202. - Pa^ <le Mtituiture, -u-.
ert: Ll désignant des arbres frui.iers e, ;^"-^-. ;j.;^ ^
tardive 202. - Causes du médiocre developpemen de l arbor ciilluri .
203 - Les oasis appartiennent pour la plupart aux Ethiopiens, 203-4. -
Apiculture, 204-5.
296 TABLE DES MATIÈRES.
VI. Condition des terres chez les pasteurs, 205-6. — Chez les agriculteurs :
propriété collective, 200-7 ; ou propriété privée, 207. — Nécessité de la
propriété privée chez les arboriculteurs, 207-8. — Propriétés privées dans
les royaumes indigènes, 208. — Domaines royaux, 209. — Les rois se
sont-ils attribué la propriété théorique du sol de leurs États?, 209-210. —
Modes d'exploitation, 210: par des hommes libres, non par des esclaves,
210.
VIL Bois de thuya, 211. — Mines, 211. — Carrières de marbre de Chemtou,
211-2. — Pèche, 212. — Pêcheries et ateliers de pourpre, 212.
Ch.\pitre II. — Habitations 213-231
I. Le troglodytisme des temps préhistoriques persiste çà et là, 212: les Béni
Ifrène, au début de l'époque musulmane, 213; troglodytes modernes,
213-4. — Avantages et inconvénients du troglodytisme, 214.
IL La plupart des pasteurs ont besoin de demeures mobiles, 215. — Usage
de la tente en laine et poil, 21.5-6; elle s'est répandue tardivement chez
les Berbères, 216. — Emploi, dès une époque lointaine, de petites tentes
en cuir. 216-7. — Emploi, peu répandu, de tentes à l'imitation des
troupes romaines, 217. — Demeures mobiles des nomades, en matières
végétales, 217-8. — Elles ne sont pas démontables, comme des tentes,
218. — Ce sont, soit des roulottes, soit des cases, qu'on charge sur des
chariots, 218. — Forme de ces demeures, 218-9. — Comment étaient-elles
attelées?, 219. — Termes servant à les désigner; emploi du mot mapalia,
219-220.
III. Mapalia ILxes, huttes en matières végétales, 220-2. — Forme circulaire
et forme oblongue, 222-3.
IV. Avantages des maisons sur les huttes, 223-4. — Construction en terre,
224. — Construction en pierre, 225. — Difficulté de dater les ruines de
maisons, 225. — Mode de construction des murs, 225-6. — Prédominance
de la forme rectangulaire sur la forme ronde, 226-7. — Toit, 227-8. —
Terrasse, probablement d'importation orientale, 228-9. — Porte et
dispositions intérieures, 229-230. — Cour, 230. -^ Maisons pourvues de
plusieurs chambres et d'anue.xes, 230-1.
CiiAPiTRK III. — Lieux habités 232-282
I. Pasteurs el, parfois, agriculteurs dispersés dans la campagne, 232. — 11
leur faut des refuges, qu'ils occupent en cas de danger, 233. — 11 existe
en .\fri(iuo beaucoup de lieu.x propres à servii' de refuges, 233. — Défenses
naturelles, complétées par des remparts, 2.33-4. — En principe, ces lieux
ne sont que des asiles temporaires, 234; mais, souvent, on y établit des
magasins, 235. — Des refuges peuvent servir de résidences à des chefs,
235. — Vestiges de refuges anciens, 2.35-0. — Il est difficile ou impossible
de les dater, 236-7. — Textes concernant des refuges, 237-8.
H. Villages préliistori(|ues, 238. — La vie de village ne convient guère aux
éleveurs, 238. — Elle prédomine chez les agriculteurs, 238-9. — Formation
de ces villages, 239-240. — Noms qui les désignent en grec et en latin, 240.
— Témoignages archéologiques de l'existence d'anciens villages et bourgs
dans des lieux qui ont continué à être habités à l'épociue romaine et plus
tard, 240-1. — Buines de villages purement indigènes, 241; difficiles à
dater, 241. — D'ordinaire, ces villages ne sont pas sitoés en plaine, ni
sur II" bord des rivières, 242. — On les établit surtout dans des lieux domi-
TABLE DES MATIERES- 29 7
nani des vallées et des plaines, 242; avantages de ces sites, 242-3. —
Enceinte fortifiée, 243-4. — Maisons en pierre, 244. — Absence d'un plan
d'ensemble régulier, 244-5. — PaiTois, une citadelle-magasin au sommet,
245. — Le village n'est pas un centre de commerce, ni d'industrie, 243.
IIL Villes maritimes phéniciennes et carthaginoises, annexées aux royaumes
indigènes, 245-6. — Sur les Syrtes, 246-7. — De la Tusca à la Mulucha,
217-9. — En Maurétanie, 249-2o0.
IV. En général, les indigènes préfèrent le villageà la ville, 250-1.-- iMentions
de villes dans les textes anciens, 251. — Motifs de la distinction faite entre
la ville et le village, 251-2. — Villes, centres politiques, 232; capitales
successives ou simultanées, 252-3. — Villes, centres économiques, 253-4.
— • Témoignages matériels de bien-être et de richesse. 234. — Régions
favorables à la création et au développement de villes, 254. — Villes
indigènes sur le littoral, 254-5. — Villes de l'intérieur; transformation
d'anciens villages et centres nouveaux, 255. — Ces villes sont, pour la
plupart, situées dans des lieux pourvus de défenses naturelles, 233-6;
quelques-unes en plaine, 236. — Remparts et citadelle, 256-7.
V. La Numidie orientale a plus de villes que les régions du Tell situées
plus à l'Ouest, 257-8. — Les villes sont très rares à l'intérieur des terres,
en Gétulie, 258. — 11 y a sans doute des villages dans toutes les régions
agricoles, 258. — Les textes anciens n'indiquent qu'un petit nombre de
villes, dont l'emplacement n'est pas toujours connu, 258-9. — Ce que nous
apprennent les sites, 259. — Documents divers : noms géographiques
indigènes et puni(iues, 239; monnaies municipales, 239; mentions de
sufètes, 239-260; inscriptions puniques, 260; monuments de style gréco-
punique et sépultures indigènes, 260.
VI. Vaga, 261. — La région des Grandes Plaines : Bulla Regia, Simitthu,
261-3. — Massif montagneux entre la Medjerda et la mer, 263. — Thugga,
263-4. — Le pays de Thugga, 263; Thimida Bure et Thimida Regia, 265-6.
— Sicca, 266. — Régi{jn de Sicca, 266-7. — Le plateau central tunisien :
Mactar, etc., 267-8. — Zama Regia, 268-9. — Pays montagneux à l'Ouest
de Sicca, au Sud de la Medjerda, 269. — Thagura et Madaure, 270; autres
villes et bourgs de la même région, 270-1. — Tipasa, 271. — Calama et
SuthuI, 271-2. — Cirta, 272; site, 272-3; nom, 273. — Cirta, capitale
numide, 273; fortifications, monuments, 274; civilisation punique, 274;
hùtes étrangers, 274. ^ Rourgs autour de Cirta, 275. — Macomades, 275-6.
— Villes chez les Gélules, 276. — Theveste, 276. — Thala, 277-8. —
Capsa, 278-9. — A l'Ouest de Cirta, on n'a pas de preuves de l'existence
de villes en Numidie avant l'époque romaine, 279; il devait pourtant
en exister quelques-unes, exigées par des nécessités politicjues et commer-
ciales, 278-281. — Villes en Maurétanie, 2S1-2.
Indkx alphabétique 283-289
S041. — Coulomiiiiors. Iiiin. I'aui. UKODAKD. — 10--J7
w
La S^btiotk^que.
Université d'Ottawa
Echéance
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Date Due
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HISTOIRE ANC
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