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Full text of "Histoire ancienne de l'Afrique du Nord .."

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in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/histoireancienn05gsel 


HISTOIRE   ANCIENNE 


L'AFRIQUE  DU   NORD 


08EL^.  -    Afrique  du  Nord.  V. 


LIBRAIRIE    HACHETTE 

HISTOIRE  ANCIENNE  DE  L'AFRIQUE  DU  NORD 

Par    m.    STÉPHANE    GSELL 

I.   —  Les  Conditionii  du  développement  historique.  Les  Teynps  primilifs. 
La  Colotiimlion  phénicienne  et  l'Empire  de  Carlhage. 

II.  —  L'Etat  carthaginois. 

III.  —  Histoire  militaire  des  Carthaginois. 

Ces    volumes    ont  ohtemi     le    Grand    Prix    Broquette-Gonin,     à    l'Académie 
française  (1919). 

IV.  —  La  Civilisation  carthaginoise. 

V.  —  Les  Rogaumes  indigènes.  Organisation  sociale,  politique  et  économique. 
VI.  —  Les  Rogaumes  indigènes.  Vie  matérielle,  intellectuelle  et  morlae. 
VII.  —  La\rcpublique  romaine  et  les  rois  indigènes.  (En  préparation), 
VI II.  —  J ulés*-(Jësar  et  IWfrique.  Fin  des  rogaumes  indigènes.  (En  préparation). 


Hi'tiX.  —  Coulommiors.  liiip    I'ai  i    I(IU)I)Alil).  —  8-27. 


STEPHANE     GSELL 

MEMBRE     DE     l'inSTITUT 
PROFESSEUR    AU     COLLÈGE    DE     FRAJiCE 


HISTOIRE    ANCIENNE 


DE 


L'AFRIQUE  DU  NORD 


TOME    V 

LES  ROYAUMES  INDIGÈNES 
ORGANISATION  SOCIALE,   POLITIQUE  ET  ÉCONOMIQUE 


4 

iS 


LIBKAIIIIK      IIACHI:ïTR 

79,     BOULEVAIUJ    SAINT-GEKMAIN,    l'AlUS 
1927 


Ton»  (Iriillu  (le  Iriiiliicllim.  ilc  roprodiicllon 
Il  <riiilii|.liill»ii  ri''»iTV<*»  |ii>iir  IciiiH  luiyn, 
rtpyriyhl    liy    l.ilirahie    lliiclielle,    l'JH. 


Dr 

1111 


HISTOIRE    ANCIENNE 


DE 


L'AFRIQUE    DU    NORD 

-  V  — 


INTRODUCTION 


Dans  les  tomes  V  et  VI  de  cette  Histoire^  nous  étudierons 
l'organisation  sociale  et  politique,  la  vie  matérielle,  les  mœurs 
et  les  croyances  des  indigènes,  aux  temps  où  ils  n'étaient  pas 
encore  sujets  de  Rome. 

La  limite  géographique  de  ces  recherches  sera  la  lisière 
septentrionale  du  Sahara. 

De  nos  jours,  sur  toute  l'étendue  du  désert,  le  Tibesti  est  le 
seul  pays  où  les  noirs  soient  chez  eux;  ils  l'ont  occupé  sans 
doute  dès  une  époque  très  reculée*.  Ailleurs,  des  gens  de  cou- 
leur noire,  ou  du  moins  très  foncée-,  cultivent  la  plupart  des 
oasis,  lieux  généralement  malsains,  où,  cependant,  ils  peuvent 
vivre,  étant  d'ordinaire  indemnes  de  la  fièvre.  Les  uns  sont 
d'origine  soudanaise;  d'autres  sont  des  métis  de  nègres  du 
Soudan   et  de  blancs;  d'autres,  enfin,  descendent  de  popula- 

1.  CoHf.  E.-F.  Gautier,  Le  Sahara  (Paris,  1923).  p.  102. 

2.  Voir  t.  I,  p.  293-4. 


2  INTRODUCTION. 

tions  qui  ont  habité  le  Sahara  depuis  fort  longtemps  et  qui  se 
sont  très  largement  croisées  avec  de  nouveaux  venus. 

Mais  ces  hommes  ne  possèdent  pas  le  sol  sur  lequel  ils  tra- 
vaillent. Les  jardins  appartiennent,  en  majeure  partie,  à  des 
Berbères',  non  domiciliés  dans  les  oasis,  dont  le  climat  ne  leur 
convient  pas  et  où  ils  n'ont  que  des  magasins  :  nomades  qui 
vivent  au  grand  air,  s'accommodant  d'énormes  écarts  de  tem- 
pérature ^  et  qui  mènent  leurs  troupeaux  là  où  ils  trouvent  de 
l'eau  et  des  pâturages.  Ils  prélèvent  la  plus  grosse  part  des 
produits  du  labeur  des  noirs.  Les  blancs  mêmes  qui  résident 
dans  les  oasis,  négociants  ou  propriétaires,  sont,  le  plus  sou- 
vent, sous  la  protection  et  la  dépendance  des  nomades,  auxquels 
ils  paient  tribut  et  qui  se  réservent  les  transports  commerciaux^ 

De  quand  date  cet  état  de  choses*? 

Il  est  certain  que  les  blancs  étaient  les  maîtres  du  Sahara 
aux  ix'-x'  siècles  de  notre  ère  :  l'Islam,  s'avançant  alors  à  tra- 
vers le  désert,  y  rencontra  et  y  convertit  des  Berbères.  Pour 
les  temps  antérieurs,  nous  ne  connaissons  qu'un  témoignage 
précis.  Il  se  trouve  dans  un  petit  traité  géographique,  composé 
vers  350  après  J.-C.^  :  «  Au  Sud  de  l'Afrique  [il  s'agit  de 
VAfrica  romaine  officielle,  c'est-à-dire  de  la  Tripolitaine  et  de 
la  Tunisie],  s'étend  un  désert  très  vaste,  qui,  dit-on,  est  habité 
sur  quelques  points  par  des  peuplades  barbares  peu  nom- 
breuses, appelées  Mazices  et  Éthiopiens".  »  Comme    nous  le 

1.  Ou  à  des  Arabes  nomades,  (jui  se  sout  substitués  à  des  Berbères. 

2.  Gautier,  (.  c,  p.  14  et  157. 

3.  Ces  conditions  d'existence  des  habitants  du  Sahara  ont  commencé  à  se  niodi- 
ller  et  se  modineront  de  plus  en  plus,  avec  la  sécurité  établie  pur  la  domination 
française  et  avec  l'emploi  de  nouveaux  moyens  de  transport. 

4.  J'ai  traité  cette  (juestion  dans  une  étude  publiée  en  H)2G,  à  laquelle  je  ren- 
voie pour  plus  de  détails  :  Mi'moires  de  l'Acad.  des  Inscriptions,   .\L1I1,   p.   16(1  et 

suiv. 

rt.  Hsposilio  totiiis  nutndi,  dans  Hicsc.  Groijr.  Lut.  min.,  p.  123  :  •  ...  ubi  aiunt  in 
minima  parte  ipsius  deserli  liabilare  barbarorum  puucam  gentem,  quae  sic  voca- 
tur  Mazicuni  et  .Vethiopiirn.  - 

(1.  D'autres  ,tfxtes  indiqu.-nt  des  Mazin-s  dans  le  désert,  mais  dans  le  Sahara 
oriental,  entre  l'Kh'yple  et  la  Tripolitaine  :  i'.  infra,  p.  117. 


INTRODUCTION.  3 

verrons*,  le  terme  Mazices  s'applique  nécessairement  à  des 
Berbères. 

Il  ne  semble  pas  qu'on  puisse  remonter  beaucoup  plus  haut. 
En  effet,  la  prise  de  possession  du  Sahara  par  des  nomades  a 
eu  pour  condition  l'élevage  des  chameaux'.  Or  c'est  seulement 
à  partir  du  IV*  siècle  que  l'existence  d'un  grand  nombre  de  ces 
animaux  est  attestée  en  Afrique\  Peut-être  s'y  étaient-ils 
répandus  dès  le  siècle  précédent  :  on  ne  saurait  expliquer 
autrement  les  relations,  certainement  très  actives,  qui  se  déve- 
loppèrent entre  la  Tripolitaine  et  l'intérieur  du  continent  sous 
la  dynastie  des  Sévères*. 

La  plupart  des  Berbères  qui  vinrent  au  Sahara  ne  s'établirent 
sans  doute  pas  de  leur  plein  gré  dans  cette  contrée  déshéritée; 
ils  durent  y  être  refoulés  par  les  Romains.  C'est  précisément  à 
l'époque  des  Sévères  que  d'importantes  modifications  de  fron- 
tières étendirent  vers  le  Sud  les  provinces  africaines,  et  que  le 
progrès  des  cultures  exigea  la  mainmise  sur  de  vastes  terri- 
toires, abandonnés  jusqu'alors  à  des  troupeaux  errants. 

Le  chameau  permit  aux  exilés  de  vivre  dans  le  désert.  Et 
même  il  les  y  attacha,  car,  pendant  une  bonne  partie  de 
l'année,  il  s'y  trouve  dans  les  meilleures  conditions  hygié- 
niques ^  D'ailleurs,  c'est  par  le  chameau  que  le  pasteur  peut 
devenir  le  maître,  ou,  du  moins,  l'auxiliaire  indispensable  du 
commerce  saharien  et  transsaharien;  c'est  par  lui  qu'il  peut, 
atteignant  les  oasis  dispersées  à  travers  Tinmiense  espace,  y 
imposer  et  y  maintenir  sa  domination,  (^es  Berbères  fugitifs 
devinrent  ainsi  des  conquérants. 

Lnmigrations  et  conquêtes  se  répartirent  probablement  sur 


1.  1'.  1 15  (!t  suiv.  j 

2.  Voir(;autier,  l.  c,  p.  '.I!)-I0(). 

3.  T.  I,  p.  00. 

4.  Conf.  (Isell,  dans  Mémoires,  l.  c,  p.   154  el  suiv. 

5.  Cnnf.  (i.  Marçais,  Les  Arahe$  en  Brrbérie  du  Xr   au  Ml'  siècle,  p.  55:1  (cilaiil 
|l)n  Khaliloiin  , 


4  INTRODUCTION. 

plusieurs  siècles,  peut-être  même  après  que  l'Afrique  septen- 
trionale fut  tombée  au  pouvoir  des  Arabes.  On  a  cru  retrouver 
dans  le  grand  désert  des  noms  de  peuplades  qui  sont  mention- 
nées en  Berbérie  à  l'époque  romaine  ou  à  l'époque  byzantine. 
Rapprochements  presque  tous  contestables;  il  est  cependant 
admissible  que  les  Iforass,  qui  vivent  dans  l'Adrar,  se  rat- 
tachent aux  Ifuraces,  qui,  au  vi*  siècle,  vivaient  en  Tripoli- 
taine'. 

Aux  gens  venus  du  Nord,  on  peut  attribuer  l'introduction 
dans  le  Sahara  des  tombeaux  coniques  et  cylindriques  en 
pierres  sèches,  si  communs  dans  leur  ancienne  patrie;  certai- 
nement aussi  l'alphabet,  d'origine  libyque,  dont  les  Touareg  se 
servent  encore.  Mais  il  ne  faut  pas  exagérer  leur  rôle  civili- 
sateur. Longtemps  avant  eux,  il  y  avait  des  oasis  bien  cultivées, 
comme  l'atteste  Hérodote^.  Ces  pasteurs  nomades  ne  pouvaient 
rien  enseigner  en  matière  d'arboriculture  et  de  jardinage.  Il 
est  vrai  que  des  Berbères,  qui  avaient  auparavant  mené  une 
existence  de  sédentaires,  vinrent  se  fixer  sur  quelques  points 
du  désert  :  hérétiques  qui  fondèrent  au  viii"  siècle  Sijilmâsa,  à 
la  lisière  du  iVlaroc;  au  x"  et  au  xi'  siècle,  Sedrata  (près  d'Ouar- 
gla),  puis  les  villes  du  Mzab,  où  ils  sont  restés.  Ils  ont  vérita- 
blement créé  la  vie  là  où  ils  se  sont  fait  une  patrie  nouvelle, 
mais,  en  dehors  de  leurs  oasis,  ils  n'ont  pas,  comme  les 
nomades,  étendu  leur  domination  sur  le  Sahara. 

Nous  avons  dit  pourquoi  nous  croyons  que  la  pénétration 
de  ces  nomades  n'est  guère  antérieure  au  m'  siècle  de  notre 
ère.  Il  s'agit  ici  du  Sahara  central  et  occidental,  au  Sud  de  la 
contrée  dont  nous  étudi<jns  l'histoire.  On  a,  en  effet,  des  rai- 
sons de  croire  que,  dans  le  Sahara  oriental,  à  l'Ouest  de 
l'Egypte,  des    Berbères   ont,  bien    longtemps  auparavant,  été 


1.  Corippus,  Johannide,   II,    llll;   III.  412;  IV,  641;  Vlll.    490  et  648.    Pour  ce 
ra|iprucheiiiL'nt,  vdir  Gaulinr,  /.  c,  p.  1()2. 

2.  IV,  181  el  suiv. 


INTRODUCTION.  5 

maîtres  des  parties  habitables  du  désert  libyque.  C'est,  non 
seulement  des  pays  voisins  de  la  Méditerranée,  entre  l'Egypte 
et  la  grande  Syrte,  mais  de  régions  plus  méridionales,  que 
vinrent  ces  hordes  de  blancs,  qui,  dès  les  premières  dynasties 
égyptiennes,  essayèrent  d'envahir  la  vallée  du  Nil,  qui  firent 
des  tentatives  fort  redoutables  à  la  fin  du  xiii®  siècle  et  au  début 
du  XII®;  ces  tribus  et  ces  chefs  dont  les  noms  prouvent  qu'ils 
parlaient  une  langue  étroitement  apparentée  aux  dialectes  ber- 
bères'. Plus  tard,  un  historien  grec  copié  par  Diodore  de  Sicile - 
décrit  les  mœurs  des  Libyens  établis  dans  l'Est  du  Sahara, 
ancêtres  probables  des  Mazices  berbères,  qui,  sous  le  Bas- 
Empire  et  à  l'époque  byzantine,  rôdaient  dans  les  mêmes 
régions.  Dès  le  temps  d'Hérodote  %  l'oasis  d'Augila,  au  Sud  de 
la  Cyrénaïque,  était  visitée  chaque  automne  par  les  Nasamons, 
peuplade  du  littoral  de  la  grande  Syrte  :  ils  y  venaient  faire 
la  récolte  des  dattes;  peut-être  exerçaient-ils  ainsi  un  droit  de 
propriété,  semblable  à  celui  que  des  Berbères  nomades  exercent 
encore  sur  de  nombreuses  oasis*^. 

Plus  à  l'Ouest,  les  textes  anciens  ne  nous  apportent  aucune 
preuve  de  la  présence  d'ancêtres  des  Berbères  dans  le  Sahara, 
même  dans  le  Nord  de  cette  contrée.  On  ne  peut  invoquer 
Ptolémée,  qui,  au  Sud  des  provinces  romaines,  mentionne 
dans  la  «  Libye  intérieure  »  une  région  appelée  Gétulie^  et  une 
peuplade  de  Mélanogétules".  Les  Gétules  étaient  des  Berbères. 
Mais,  dans  ce  chapitre,  l'ouvrage  du  géographe  grec  est  plein 
d'erreurs  et  de  confusions  :  un  grand  nombre  de  noms  appar- 
tenant à  l'Afrique  septentrionale  reparaissent  dans  la  Libye 
intérieure;  ce  sont  là  des  fautes  évidentes.  Il  convient  de  prêter 

1.  Voir,  entre  autres,  Muspero,  llisl.  ancienne  des  peuples  de  VOrienI  classique,  II, 
p.  430,  n.  3. 

2.  111,  49,  2-5. 

3.  IV,  172  et  182. 

4.  (Jsell,  Hérodote  (Al-er,  1915).  p.  125. 

5.  IV,  6,  5  (p.  742,  édit.  Mùller)  :   Vxiio-Aiai. 

6.  Ibid.  :  M£),avoyaiToy),(ov. 


6  INTRODUCTION. 

plus  d'attention  à  un  passage  de  la  relation  d'Hannon,  laquelle 
date,  au  plus  tard,  du  iv®  siècle  avant  J.-C.  Ilaunon  raconte' 
qu'arrivé  à  l'embouchure  du  grand  fleuve  Lixos,  —  Toued 
Draa,  au  Sud  du  iMaroc,  —  il  y  trouva  des  pasteurs,  les  Lixites, 
avec  lesquels  il  entra  en  rapports  amicaux  et  qui  lui  fournirent 
des  interprètes  pour  la  suite  de  son  expédition;  au-dessus  d'eux, 
dans  des  montagnes,  habitaient  des  Éthiopiens  inhospitaliers. 
Ce  qui  permettrait  de  croire  que  les  Lixites  eux-mêmes  n'étaient 
pas  des  Ethiopiens,  peut-être  aussi  qu'ils  parlaient  un  dialecte 
libyque,  intelligible  à  des  compagnons  d'Hannon.  Mais  cette 
double  conclusion  est  loin  de  s'imposer.  En  tout  cas,  si  les 
Lixites  étaient  des  Libyens,  ils  devaient  former  une  sorte  de 
colonie,  entourée  d'Ethiopiens;  peu  avant  le  début  de  notre 
ère,  on  mentionne  des  Ethiopiens  riverains  à  la  fois  de  l'oued 
Draa  et  de  l'Océan'-,  établis^  par  conséquent,  là  où  étaient  les 
Lixites  d'Hannon. 

Nous  avons  étudié*  les  nombreux  textes  qui  prouvent  que, 
jusqu'aux  premiers  siècles  après  J.-C,  la  lisière  septentrionale 
du  désert  formait  la  limite  entre  les  blancs  et  les  noirs.  Dans 
le  Sahara,  il  n'y  avait,  à  notre  connaissance,  que  des  Ethio- 
piens, c'est-à-dire  des  gens  à  la  peau  naturellement  très  foncée. 
On  ignore,  du  reste,  s'ils  étaient  étroitement  apparentés  aux 
véritables  nègres  du  Soudan,  ou  s'ils  présentaient  des  carac- 
tères ethniques  différents,  qui  pourraient  se  retrouver  encore 
parmi  les  cultivateurs  attachés  à  la  glèbe  des  oasis*. 

l/avcnir   nous  apprendra   peut-être  si   ces  Ethiopiens  n'ont 

1.  Périple,  0-8,  dans  Gcojr.  Graeci  miit.,  édil.  Miiller,  I,  p.  .")-0.  Cmif.  ici,  l.  I, 
p.  484. 

2.  Agrippa  (a/)M(i  PIiik!  l'Ancien,  V,  10)  indiquait  dos  Gaetulot  Duras,  qu'on  ppiil 
8U|)piiser  «voir  habile  les  Ixirils  du  lleuve  Durât,  l'oued  Draa.  Mais  il  les  plaçait  ii 
linlérieur  di-s  terres,  »!l  il  ajoutait  :  ■■  at  in  ora  Aetliiopas  Oaralilas  ».  A  la  lin  du 
second  siècle  avant  J.-G.  rjt  au  preniii-r,  le  myauine  do  Mauiélanio  avait  des 
Ivlliiopiens  [xiur  vfiisins  au  Sud,  au  delà  de  l'Atlas  :  vnir  Appien,  I\'i(m.,  p.  104. 
c«dl.  Didol;  Stralion.  II.  :t,  4,  et  XVII,  :».  T). 

.'J.  T.  I.  p.  2'.(:i  et  Nuiv. 
4.  Voir  ibiiL.  p.  2'.l'.)-:)(»2. 


INTRODUCTION.  7 

pas  précédé  en  Berbérie  les  ancêtres  des  Berbères'.  Au  Sahara, 
c'est  à  eux,  sans  doute,  qu'il  faut  attribuer  cet  outillage  néoli- 
thique dont  l'abondance  et  la  perfection  étonnent,  où  dominent 
les  flèches,  armes  favorites  des  peuples  de  l'Afrique  intérieure, 
mais  auxquelles  les  Libyens  ont  préféré  les  javelots".  Ce  sont 
ces  Éthiopiens  qui  ont  étendu  leurs  champs  le  long  des  vallées 
que  des  rivières  parcouraient  encore;  qui,  plus  tard,  ont  dû  se 
grouper  en  des  lieux  privilégiés,  où,  par  la  culture  du  palmier 
et  l'aménagement  de  l'eau,  ils  ont  constitué  des  oasis. 

En  ces  temps,  ils  n'obéissaient  pas  à  des  maîtres  venus  du 
Nord.  De  véritables  nations  s'étaient  formées  chez  eux  :  entre 
autres,  les  Pharusiens  ou  Pérorses,  au  Sud  du  Maroc;  les 
Nigrites,  au  Sud  de  l'Algérie^;  les  Garamantes*,  «  peuple  fort 
nombreux,  »  dit  Hérodote^  qui  occupaient  le  Fezzan^  et  avaient 
à  leur  tête  un  roi^  Ces  peuplades,  du  moins  certaines  d'entre 
elles,  avaient  des  instincts  guerriers;  elles  disposaient  de  che- 
vaux et  de  chars ^  Au  v®  siècle  avant  J.-C,  les  Garamantes 
allaient,  à  travers  le  désert,  faire  la  chasse  à  des  Ethiopiens 
troglodytes'';  vers  la  fin  du  premier  siècle  de  notre  ère,  leur 
domination  s'étendait  sur  une  partie  du  Soudan'". 

Les  noirs  qui  habitaient  le  Sahara  n'ignoraient  assurément 
pas  les  Libyens,  ni  les  colons  ou  les  conquérants.  Phéniciens, 

1.  T.  I,  p.  302-4. 

2.  Ibid.,  p.  213-4.  Gautier,  l.  c,  p.  101. 

3.  Pour  ces  deux  peuples,  voir  t.  I,  p.  295-7.  C'étaient  des  Éthiopiens  (Pline,  V, 
10;  V,  15;  V,  43;  Ptolémée,  IV,  6,  5  et  6,  p.  743  et  745),  bien  que  certains  textes 
semblent  les  en  distinguer  (Strabon,  II,  5,  33,  et  XVll,  3,  7;  Pompouius  Mêla,  I, 
22;  Denys  le  Périégète,  215-8  (dans  Geogr.  Gr.  min.,  II,  p.  114). 

4.  (jui  étaient  aussi  des  Éthiopiens  :  voir  t.  I,  p.  298,  n.  3. 
5. IV,  183. 

6.  Conf.  Gsell,  Hrrodoie,  p.  148. 

7.  Pline,  VIII,  142.  Tacite,  Ann.,  lY,  23.  Ptolémée,  1,  8,  4,  |).  21.  Ht  le  texte  de 
basse  époque  cité  t.  I,  p.  (il,  n.  .j. 

8.  Voir  Strabon,  XVll,  3,  7,  pour  les  Pharusiens  et  les  Nigrites;  Périple,  dit  de 
Scylax,  112  (Geoijr.  Gr.  min.,  I.  p.  94),  pour  les  Éthiopiens  voisins  de  l'ile  de  Cerné; 
Hérodote,  IV,  183,  pour  les  (iaramantes.  Les  Garamantes  avaient  aussi  des  chiens 
de  guerre  :  Pline,  VIII,  142. 

9.  Hérodote,  IV,  183.  Conf.  Gsell,  Hérodote,  p.  ir)l-4. 
1(».  Ploiémée,  1,  8,  5,   p.  21-22, 


8  INTRODUCTION. 

Grecs,  Romains,  établis  dans  le  pays  des  Libyens.  Ils  avaient 
avec  eux  des  relations  commerciales,  que  nous  pouvons  entre- 
voir. Dès  le  temps  d'Hérodote,  des  caravanes, —  oîi  il  n'y  avait 
pas  encore  de  chameaux,  —  partaient  du  littoral  des  Syrtes, 
pour  gagner  le   pays  des  Garamantes'.  A  l'Ouest  de  ceux-ci, 
vivaient  des  peuplades  au  sujet  desquelles  l'historien  grec  a 
recueilli   quelques   informations^.  Sur  l'Océan,  Hannon  avait 
fondé,  au   delà  de    l'oued  Draa  et  probablement  en  face  des 
Canaries,  la  colonie  de  Cerné  %  où  des  marchands  phéniciens 
se  rendaient,  au  iv®  siècle,  pour  trafiquer  avec  des  Ethiopiens*. 
Des  Carthaginois  allaient  chercher,  on  ne  sait  où  sur  le  littoral 
de  l'Atlantique,  de   l'or  qu'ils  se   procuraient  en  le  troquant 
contre  de  la  pacotille^.  Cet  or  venait  apparemment  du  Soudan, 
et  il  se  peut  que  le  précieux  métal  ait  été  aussi  apporté  sur  le 
littoral  des  Syrtes  par  des  caravanes  qui  auraient  traversé,  soit 
le  pays  des  Garamantes,  soit  d'autres  oasis®.  On  a  cru  trouver 
des  indices  d'influences  puniques  jusque  dans  des  langues  de 
l'Afrique  tropicale\  L'erreur  qui  faisait  sortir  le  Nil  des  mon- 
tagnes du  Sud  marocain  a  été  répandue  chez  les  Grecs  avant  le 
milieu  du  iv®  siècle*.  Elle  s'explique  par  la  parenté  de  la  flore 
et  de  la  faune  du  Nil  et  de  quelque  rivière  descendant  du  ver- 
sant méridional  de  la  chaîne  atlantique.  Celle-ci  était  la  «  Mon- 
tagne  d'argent    ».    Tel    est  le  nom   que   lui  donnait   un   Grec 
antérieur  à  Aristote',  que   lui  donnaient  probablement  aussi 
les  Phéniciens'",  qui  auraient  connu  des  gisements  argentifères 

1.  Hérodote,  IV,  18:5.  Voir  Gsell,  /.  c,  p.  148-150,  et  ici,  t.  IV,  p.  138. 

2.  Hérodote,  IV,  184-5.  Couf.  Csell,  Hérodote,  p.  154-5. 

3.  Voir  t.  I,  p.  485  et  suiv. 

4.  Périple  de  Scylax,  112  (G.  G.  m.,  1,  p.  «i-'J.")). 

5.  Hérodote,  IV,  196.  Conf.  ici,  t.  I,  p.  514-5;  IV,  p.  141. 

6.  Voir  t.  IV,  p.  138-'.),  140;  (;seii,  dans  Mémoires  Ac.  Inscr.,  XLIII.  p.  156-7. 

7.  DelaTosse,   Lus  Noirs  de  VA/rique  (Paris,    1922),    p.   31-34.    (".e  qui  me  parait 
douteux. 

8.  .Vristote,  MeleoroL,  I,   13,  21  ;  Liber  de  inundacione  Nili,   daus  VAristote  de  la 
collection  Didot,  IV,  p.  214.  Voir  (Iseli,  Hérodote,  p.  211-2. 

9.  Textes  cités  à  la  note  précédente. 

10.  Voir  (isell,  l.  c.  (d'après  C.  Mùller,  édition  de  Ptolémée,  n.  à  la  p.  732). 


INTRODUCTION.  9 

dans  cette  région*.  Et  c'est  peut-être  à  la  même  rivière,  mais 
plus  en  aval,  qu'étaient  parvenus,  au  temps  d'Hérodote,  des 
Nasamons;  non  contents  de  visiter,  comme  beaucoup  des  leurs, 
l'oasis  d'Augila^  ou  de  pousser  vers  l'Est  jusqu'à  la  fameuse 
oasis  d'Ammon',  ils  s'étaient  dirigés  vers  l'Occident  à  travers 
le  désert,  et  avaient  fini  par  rencontrer  des  hommes  noirs 
vivant  au  bord  d'un  fleuve  peuplé  de  crocodiles*. 

De  leur  côté,  des  Sahariens  se  rendaient  en  Berbérie. 
Strabon  ^  nous  montre  des  Pharusiens  allant  à  Cirta  (Gonstan- 
tine),  sans  doute  à  des  foires  qui  se  tenaient  en  ce  lieu.  Ils 
avaient  à  traverser  un  pays  de  marais  et  de  lacs,  dont  l'eau 
n'était  pas  potable,  car  ils  attachaient  des  outres  pleines  sous 
le  ventre  de  leurs  chevaux  :  c'étaient  les  chotts  salés  des 
steppes  du  Maroc  oriental  et  de  l'Algérie. 

Il  se  peut  que,  là  où  les  blancs  et  les  noirs  étaient  tout  à  fait 
voisins,  ils  n'aient  pas  répugné  à  s'unir  par  des  mariages.  Pto- 

lémée*  mentionne  des  Mélanogétules,   et  l'on  peut  croire,  

sans  l'affirmer^,  —  que  ce  nom  s'appliquait  à  une  peuplade  où 
les  métis  de  noirs  et  de  Gétules  étaient  très  nombreux;  nous 
ignorons  où  se  trouvait  son  territoire  ^ 

Mais  les  rapports  entre  Sahariens  et  blancs  n'étaient  pas 
toujours  pacifiques.  A  une  époque  inconnue,  les  Pharusiens  et 
les  Nigrites  seraient  partis  en  expédition  pour  détruire  des 
comptoirs  phéniciens  sur  la  côte  de  l'Océan".  Vers  le  milieu  du 

1.  Mentionnés  par  divers  auteurs  arabes  du  moyen  âge.  Voir,  entre  autres,  El 
Bekri,  Descr.  de  VAfrique  septentr.,  trad.  de  Slane,  édit.  d'Alger,  1913,  p.  304,  308, 
316. 

2.  V.  supra,  p.  0. 

3.  Hérodote.  II.  32. 

4.  Hérodote,  ibid.  Pour  ce  récit,  voir  Gsell,  Hérodote,  p.  203  et  suiv. 

5.  XVII,  3,  7. 

6.  IV,  6,  5,  p.  742. 

7.  Car  c'étaient  peut-être  des  blancs  qui  avaient  la  couleur  noire  pour  emblème  : 
conf.  t.  I,  p.  299;  p.  301,  n.  4  et  7. 

8.  Il  n'y  a  rien  à  tiror  de  Plolémée  à  cet  égard. 

y.  Strabon,  XVll,  3,  3.  Il  n'y  croit  pas.  Peut-ôlre  y  a-t-il  là  un  souvenir  trouble 
de  la  destruction  par  les  indigènes  des  colonies  fondées  par  Hannon  dans  le  Sud 
du  Maroc.  Conf.  t.  II,  p.  178,  179-180. 


10  INTRODUCTION. 

premier  siècle  avant  J.-C,  le  roi  maure  Bogud  eut  des  démêlés 
avec  des  Éthiopiens  et  alla  les  combattre  chez  eux'.  Des  noirs 
qui  devaient  habiter  des  régions  du  Sahara  très  proches  de  la 
Berbérie  vinrent  prendre  part  à  des  insurrections  contre  les 
Romains  et  les  Byzantins,  à  la  fin  du  iv'  siècle  -  et  au  milieu 
du  VI''^  Les  Garamantes  ne  tournaient  pas  seulement  contre 
des  nègres  leur  ardeur  belliqueuse.  Connaissant  bien  le  chemin 
des  Syrtes,  ils  aimaient  à  le  prendre,  quand  des  occasions  favo- 
rables se  présentaient  à  eux  pour  faire  de  rapides  razzias  sur 
les  territoires  des  riches  cités  du  littoral  \  Ils  accueillaient  les 
fugitifs^  qui  venaient  se  mettre  en  sûreté  dans  leur  pays, 
surtout  ceux  qui  arrivaient  chargés  d'un  butin  dont  eux-mêmes 
réclamaient  leur  part^ 

Les  Romains  durent  châtier  plusieurs  fois  ces  bandits  du 
déserta  Pour  empêcher  le  renouvellement  de  leurs  pillages  et 
aussi  pour  assurer  les  relations  avec  le  Soudan,  ils  les  mirent 
sous  une  dépendance  plus  ou  moins  étroite.  Vers  la  fin  du 
premier  siècle  de  notre  ère,  des  officiers  se  rendirent  par  leur 
pays  au  cœur  de  l'Afrique,  et  ce  fut  le  roi  des  Garamantes  qui 
guida  une  de  ces  expéditions*.  Sous  les  Sévères,  des  troupes 
vinrent  tenir  garnison  dans  des  oasis  situées  bien  en  avant  de 
la  Tripolitaine^  Cependant,  les  limites  officielles  de  l'Empire 


1.  Strabon,  XVIi,  .'{,  5. 

2.  Aminien  Marcf  llin,  XXIX,  5,  37. 

3.  Corii)pus,  Joh.,  Vi,  92-95;  conf.  ici,  t.  I,  p.  298.—  Longtemps  auparavant, 
des  noirs  sont  mentionnés  dans  uno.  année  carthaginoise  :  Frontin,  Slrat.,  1,  11, 
18;  conf.  t.  I,  p.  3(J3,  n.  (>.  Appien  {Nuin.,  p.  104,  <-oll.  Didot)  préttuid  ([ue  Bocchus, 
roi  de  Maurétanie  à  la  fin  du  second  siècle,  envoya  recruter  des  troupes  chez 
des  lithiopiens  (jui  habitaient  près  de  ses  Etats,  au  pied  de  l'Atlas. 

4.  Tacite,  Ann.,  III,  74;  IV,  23;  Ilisl.,  IV,  50.  Pline  lAncien,  Y,  38. 

5.  Masinissa  détrôné  avait,  disait-on,  trouvé  un  rcfui^-e  de  ce  côté  :  Tile-Live, 
XXI.X,  33,9;  conf.  ici,  t.  III.  p.  190. 

0.  Tacite.  Aiin.,  III.  74;  IV,  23. 

7.  Pline,  V.  30  et  38.  Tacite,  Ann..  IV,  20;  Ilisl.,  IV,  50.  Conf.  «isell,  Hérodote, 
p.  l.V),  n.  0. 

8.  l'tolérnée,  I,  8.  4,  p.  21.  Conf.  (Jsell,  Ksmi  sur  le  rèijne  de  l'empereur  Doniitien, 
p.  236-7. 

9.  (Jsell,  dans  Mémoires  Ac.  Inscr.,  l.  c,  p.  153-4. 


INTRODUCTION.  11 

ne  dépassèrent  pas  de  ce  côté  la  bordure  du  Sahara.  Ailleurs, 
au  Sud  de  la  Tunisie,  au  Sud  et  au  Sud-Ouest  de  l'Aurès, 
elles  empiétaient  à  peine  sur  le  désert;  ailleurs,  enfin,  dans  les 
Maurétanies,  elles  s'en  tenaient  très  loin. 

Ce  fut  alors,  probablement,  qu'avec  ou  sans  le  consentement 
de  Rome,  des  Jierbères  commencèrent  à  se  répandre  dans  le 
Sahara  central  et  occidental.  Début  d'une  ère  nouvelle  pour 
cette  contrée',  qui  n'avait  encore  été  que  dans  une  très  faible 
mesure  associée  aux  destinées  de  l'Afrique  du  Nord,  et  dont 
les  habitants  différaient  des  Libyens  autant  par  leurs  mœurs 
que  par  leur  aspect  physique.  Le  désir  de  recruter  des  esclaves 
aurait  pu  entraîner  les  maîtres  de  la  Berbérie  dans  le  domaine 
des  noirs,  Sahara  et,  au  delà,  Soudan;  mais,  outre  que  les 
Ethiopiens  paraissaient  capables  de  se  défendre,  ce  désir  ne  se 
faisait  guère  sentir,  puisque  l'Afrique  septentrionale  était  assez 
peuplée  pour  n'avoir  pas  besoin  d'une  main-d'œuvre  étran- 
gère ^  Si  les  caravanes  revenant  du  Sud  amenaient  vers  les 
rivag-es  méditerranéens  des  nègres,  ramassés  par  les  Gara- 
mantes  ou  capturés  de  quelque  autre  manière  %  rien  ne  prouve 
que  ce  commerce  ait  pris  une  grande  importance.  Le  Sahara 
a  été  vraiment  dans  l'antiquité  une  barrière  pour  les  Berbères  : 
c'est  seulement  en  Berbérie  que  s'est  déroulée  leur  histoire. 


II 


Jusqu'aux  environs  de  l'ère  chrétienne,  ces  Berbères  et  leur 
pays  furent  très  mal  connus  des  Grecs  et  des  Latins.  C'est  ce 
que    Strabon    constatait^    :    «    La    plupart   des    peuples    qui 

1.  Sans  parler  du  Souda»,  dont  les  Herhcres  du  Sahara  dovinrent  les  voisins  : 
voir  Gsell,  /.  c,  p.  IGl-l. 

2.  Conf.  l.  I,  p.  302. 

3.  Voir  ibid.  et  t.  IV,  p.  U(),  174. 

4.  Il,  T),  33. 


12  INTRODUCTION. 

habitent  la  Libye  sont  ignorés.  Une  petite  partie  seulement  de 
cette  contrée  a  été  visitée  par  des  armées  ou  des  voyageurs 
étrangers.  Quant  aux  indigènes,  peu  d'entre  eux  viennent 
jusqu'à  nous;  ils  ne  veulent  pas  tout  dire  et  l'on  ne  peut  se 
fier  à  ce  qu'ils  disent.  » 

Dès  le  vu**  siècle,  et  surtout  au  yi%  de  nombreux  Grecs 
d'Asie  Mineure  avaient  navigué  vers  l'Ouest  ^  Marseille  la 
Phocéenne  prit  bientôt  une  part  prépondérante  à  ce  mouve- 
ment commercial.  Non  contents  de  fréquenter  la  grande  ville 
espagnole  de  Tartessos,  à  l'embouchure  du  Guadalquivir,  des 
gens  entreprenants  s'avancèrent  vers  le  Sud,  le  long  de  la 
Libye  ^^  Il  est  vraisemblable  qu'en  général,  les  marins  qui  se 
rendaient  au  delà  des  Colonnes  d'Hercule  suivaient  les  côtes 
ibériques;  cependant,  le  front  méditerranéen  de  la  Berbérie 
ne  semble  pas  leur  être  resté  entièrement  inconnu  ^  Ainsi 
furent  recueillis  des  renseignements  dont  la  science  ionienne 
tira  profit  et  qui,  plus  tard,  n'étaient  pas  tous  oubliés.  Mais  il 
ne  nous  en  est  parvenu  que  de  très  faibles  échos. 

Puis  Carthage  écarta  ses  rivaux*.  Elle  se  hâta  de  détruire  une 
colonie  dorienne,  fondée  à  la  fin  du  vi^  siècle  entre  les  Syrtes, 
et  fixa  la  limite  de  sa  propre  domination  au  fond  de  la  grande 
Syrte,  aux  bornes  que  l'on  appela  les  Autels  de  Philène  (ou 
des  Philènes).  Elle  ferma  aux  étrangers  le  détroit  de  Gibraltar. 

1.  Voir  t.  1,  p.  413. 

2.  C'est  probablement  à  cette  époque  que  les  Grecs  connurent  le  cap  Soloeis, 
c'est-à-dire  le  cap  Cantin  (Hérodote,  II,  32;  IV,  43;  conf.  Gsell,  Hérodote,  p.  75- 
76^,  et  qu'eut  lieu  le  voyage  du  Marseillais  Kuthymène,  qui,  longeant  la  côte 
occidentale  d'Afrique,  parvint  à  un  fleuve  où  il  y  avait  des  crocodiles  et  des 
hippopotames  (voir  t.  I,  p.  5tl;  Gsell,  Hérodote,  p.  210).  Les  doux  thèses  qu'il 
soutenait,  —  origine  océanique  du  Nil  et  rAle  des  vents  étésiens  dans  la  crue  du 
fleuve,  —  étaient,  l'uue  identique,  l'autre  analogue  à  des  opinions  émises  par  des 
savants  ioniens  du  vi"  siècle.  Du  reste,  entre  ce  siècle  et  les  conquêtes  d'Alexandre, 
auxquelles  le  voyage  d'Kuthymène  est  certainement  antérieur,  les  Carthaginois 
ne  permirent  pas  a  des  Marseillais  de  franchir  le  détroit. 

3.  Vers  500,  llécatée  mentionnait  en  ljii)ye  une  ville  ([n'il  appelait  MtTayfôvtov 
{Fragm.  hist.  Graec,  édit.  Millier,  I,  p.  2."),  n°  324).  Ce  lieu  était  situé  entre 
Carthage  et  le  détroit  :  voir  Gsell,  Hérodote,  p.  244,  n.  1,  et  ici,  t.  II,  p.  155-7. 

4.  Voir  t.  I,  p.  444;  IV,  p.  115  et  suiv. 


INTRODUCTION.  13 

Au  V®  siècle,  Hérodote  énumère  les  peuplades  qui  bordent  les 
Syrtes  et  donne  sur  leurs  mœurs  de  brèves  indications*,  qu'il 
a  peut-être  puisées  dans  des  ouvrag-es  plus  anciens.  Mais,  au 
delà  du  littoral  oriental  de  la  Tunisie,  il  ne  dit  rien  des  indi- 
gènes qui  habitent  la  Berbérie. 

Au  milieu  du  iv*^  siècle,  fut  composé  un  Périple^  qui  porte  à 
tort  le  nom  du  navigateur  Scylax,  contemporain  du  roi  Darius. 
Il  décrit  rapidement  les  côtes  méditerranéennes  de  l'Afrique  du 
Nord,  et  aussi  celles  de  l'Océan  jusqu'au  delà  du  Maroc'.  11 
est  possible  qu'une  partie  de  ces  informations  remonte  à  des 
géographes  ioniens  antérieurs  à  Hérodote;  d'autres  paraissent 
bien  être  d'origine  carthaginoise^  :  nous  ignorons  comment 
elles  s'étaient  transmises  à  des  Grecs.  Cet  écrit  ne  nous  apprend 
presque  rien  sur  les  autochtones.  \\  faut  en  dire  autant  d'un 
document  fort  précieux  à  d'autres  égards,  la  traduction 
grecque  du  Périple  d'Hannon*. 

L'expédition  d'Agathocle,  à  la  fin  du  iv®  siècle,  fit  connaître 
aux  Grecs  des  peuplades  vivant  en  Tunisie  et  dans  l'Algérie 
orientale.  Diodore  de  Sicile  l'a  racontée  d'après  un  ou  plusieurs 
auteurs  qui  furent  contemporains  des  événements  et  purent 
faire  usage  de  bonnes  sources  ^  Cependant  son  récit  s'occupe 
peu  des  indigènes  et  le  profit  que  nous  en  tirerons  sera  assez 
mince. 

Eratosthène  écrivit,  dans  le  dernier  tiers  du  m®  siècle,  un 
grand  ouvrage  géographique,  où,  après  avoir  donné  les 
mesures  générales  de  la  terre  habitée,  il  indiquait  les  différentes 
sections  entre  lesquelles  il  l'avait  répartie  et  fournissait  les 
renseignements  nécessaires  pour  en  dresser  la  carte.  C'était 
l'œuvre  d'un   homme  de  bibliothèque,  et  non  d'un  voyageur. 

i.  IV,  172-180,  180-1'.)4. 

2.  Dans  Geogr.  Gr.  min.,  édit.  Mùller,  I,  p.  84-95. 

3.  Voir  t.  IV,  p.  119-120. 

4.  T.  I,  p.  472  et  suiv. 

5.  T.  III,  p.  27. 

GsELL.  —  Afrique  du  Nord.  V.  2 


44  Introduction. 

Pour  l'Afrique,  il  s'était  servi  d'Hannoii  '■  ;  probablement  aussi 
d'une  description  des  côtes  de  l'Océan,  qu'un  contemporain 
d'Agathocle,  le  tyran  Ophélas  de  Cyrène,  avait  fait  compiler^; 
certainement  d'un  Traité  des  jJorls  que  Timosthène  avait  com- 
posé vers  260  ^,  et  où  cet  amiral  égyptien  donnait  des  preuves 
de  son  ignorance  des  côtes  au  delà  de  Carthage*.  Nous  ne 
connaissons  pas  les  autres  sources  d'Eratosthène.  Elles 
n'étaient  sans  doute  ni  nombreuses,  ni  très  sûres.  Lui-même 
constatait  qu'on  savait  peu  de  choses  certaines  sur  la  plus 
grande  partie  de  l'Occident,  les  Carthaginois  en  interdisant 
l'accès  ^  Son  ouvrage  est  perdu  et,  parmi  les  citations  qui  en 
ont  été  faites  par  des  auteurs  plus  récents,  bien  peu  concernent 
l'Afrique  du  Nord''. 

Les  guerres  puniques  mirent  les  Romains  en  relations  avec 
des  souverains  et  des  peuples  numides,  ennemis  ou  alliés.  Mais 
Strabon'  reproche  avec  raison  aux  conquérants  du  monde  de 
manquer,  en  général,  de  curiosité  scientifique  ou,  tout  au 
moins,  de  l'esprit  critique  d'observation  nécessaire  à  la  vraie 
science  ;  les  recherches  originales  restaient  le  privilège  des 
Grecs,  que  les  écrivains  latins  se  contentaient  le  plus  souvent 
de  copier  ou  de  résumer. 

Au  milieu  du  second  siècle,  Polybe  accompagna  Scipion  Émi- 
lion  en  Afrique,  d'abord  dans  une  mission  rapide  auprès  de 
Masinissa,  puis  pendant  plusieurs  mois,  lors  de  la  troisième 
guerre    punique  \    Il    put    donc    observer    et    interroger    les 


1.  T.  1,  p.  474,  n.  2. 

2.  Ibid.,  p.  474,  n.  1  ;  t.   III,  p.  43,  u.  1. 

3.  Ouvrage  (Hoiidn  (il  ifunprenail  dix  livres),  dont  Timosthène  donna  deux 
alirésés.  Pour  l'emploi  de  ce  traité  par  iMiitoslIiènc,  voir  Slrabon,  II,  1,  40;  Mar- 
cicn  d'll(^raclce,  dans  Geogr.  Gr.  min.,  I,  j).  5(i0. 

4.  Strabon,  II,  I,  il.Marcien,  /.  c. 

5.  Strabon,  XVII,  1,  19. 

0.  H.  Borjjer,  hic  (jcoijraphischcn  Frwimente  des  Eralosthenes  (Leipzig-,  1880), 
p.  307-9. 

7.  III,  4,  l'J. 

8.  T.  III,  p.  :t(l,S,  II.  ;t,  et  p.  :t72,  n.  ri. 


INTRODUCTION.  15 

indigènes;  il  eut  des  entretiens  avec  leurs  princes,  Masinissa  et 
Gulussa^  En  147,  Scipion  ayant  mis  à  sa  disposition  des 
vaisseaux,  il  entreprit,  en  compagnie  d'un  autre  Grec  célèbre, 
Panaetius,  un  voyage  le  long  des  côtes  et  s'avança  loin  au  delà 
des  Colonnes  d'Hercule  ^  Pour  des  temps  antérieurs,  il  se 
servit  d'auteurs  grecs  qui  avaient  été  en  rapports  étroits  avec 
les  Carthaginois  et  étaient  bien  renseignés  sur  les  Africains  ^ 
On  sait  dans  quel  état  de  mutilation  son  Histoire  nous  est  par- 
venue. La  plus  grande  partie  des  récits  relatifs  à  l'Afrique  est 
perdue;  de  même,  le  livre  qui  était  consacré  spécialement  à 
la  géographie*.  Polybe,  auquel  il  faut  joindre  les  emprunts 
que  lui  ont  faits  Tite-Live  et  Appien  %  n'en  demeure  pas  moins 
une  de  nos  meilleures  sources,  Il  convient  d'accueillir  avec 
beaucoup  plus  de  réserve  ce  qui,  dans  Tite-Live,  Appien  et 
d'autres,  provient  d'annalistes  romains  ^ 

Somme  toute,  si  les  guerres  puniques  sont  pour  nous  une 
occasion  de  connaître  un  peu  les  indigènes  du  m®  et  du 
II'  siècle,  il  ne  s'agit  guère  que  de  quelques  lueurs,  succédant 
à  une  nuit  presque  complète.  Nulle  part  un  exposé  de  leur 
état  politique  et  social,  de  leur  civilisation;  on  ne  s'intéresse  à 
eux  que 'dans  la  mesure  où  ils  ont  participé  à  la  grande  lutte 
de  Rome  et  de  Carthage. 

Artémidore  d'Éphèse  composa,  tout  à  la  fin  du  second  siècle, 
un  ouvrage  géographique  fort  estimé,  dans  lequel  il  décrivait 
en  détail  les  côtes  de  la  Méditerranée  et,  accessoirement,  des 


1.  Polybe,  IX,  25.  4  et  suiv.  Pline  l'Ancien,  Vlli,  31. 

2.  T.  ill.  p.  3Hi}-39;i. 

3.  Voir  t.  111,  p.  75,  n.  4;  p.  79,  n.  1;  p.  100-1,  147-8;  l.  IV,  p.  JU. 

4.  Le  livre  XX.KIV. 

5.  Dans  l'ouvraf^e  d"Appien,  le  VIII"  livre  est  consacré  à  l'histoire  de  la  Libye, 
depuis  la  fin  de  la  seconde  guerre  punique.  Nous  en  avons  conservé  la  première 
partie,  jusqu'à  la  destruction  de  Carthage  (pour  la  troisième  guerre  punique,  la 
source  d'Appien  était  Polybe).  De  la  seconde  partie,  concernant  les  rapports  des 
Romains  avec  les  rois  numides  depuis  146,  il  ne  nous  est  resté  que  quebiues 
fragments. 

0.  Coiif.  l.  111,  n.  150. 


16  INTRODUCTION. 

rivages  baignés  par  d'autres  mers.  Il  s'était  préparé  à  sa  tâche 
par  des  voyages  :  il  avait  parcouru  presque  toute  la  Mer  Inté- 
rieure et  même  franchi  les  Colonnes  d'Hercule  ^  La  descrip- 
tion qu'il  donnait  du  littoral  de  la  Berbérie*  n'est  connue  que 
par  des  emprunts  de  Strabon.  Il  est  probable  qu'elle  contenait 
peu  de  choses  sur  les  indigènes,  puisqu'elle  faisait  partie  d'un 
traité  de  circumnavigation. 

Peu  après  Arlémidore,  Posidonius  d'Apamée  se  rendit  à 
Gadès^,  oîi  il  séjourna  quelque  temps  pour  des  études  scienti- 
fiques*. De  là,  il  alla  en  Italie  et,  au  cours  de  cette  traversée, 
fut  poussé  par  les  vents  sur  les  côtes  d'Afrique  %  contrée  qu'il 
ne  parait  pas  avoir  autrement  visitée.  Il  en  parlait  pourtant 
dans  un  ou  deux  de  ses  ouvrages,  peut-être  dans  son  Traité 
sur  l'Océan,  certainement  dans  son  Histoire,  qui  s'étendait 
depuis  l'année  144  jusqu'à  78  au  moins  ^  Posidonius  y  faisait 
une  large  place  à  la  géographie,  à  l'histoire  naturelle,  à  l'ethno- 
graphie :  on  peut  supposer  que  c'était  dans  une  ou  plusieurs 
digressions,  à  propos  de  guerres  africaines,  guerre  de  Jugurtha, 
campagne  de  Pompée.  Ne  connaissant  pas  lui-même  le  pays, 
il  avait  dû  interroger  quelques-uns  de  ses  amis  de  l'aristocratie 
romaine,  qui  avaient  pris  part  à  ces  expéditions,  sans  doute 
aussi  des  gens  de  Gadès,  qui  étaient  allés  en  Maurétanie.  Son 
Histoire  a  péri  '',  mais  les  renseignements  qu'il  donnait  sur 
l'Afrique  indigène  ont  servi  à  deux  auteurs  dont  l'œuvre  nous 
est  parvenue,  à  Salluste  et  à  Strabon. 

La  campagne  de  Jules  César  en  Afrique  se  déroula  dans  la 

1.  .Marcien  d'Héraclée,  dans  G.  G.  m.,  I,  p.  ri6G. 

2.  Dans  le  septième  livre  de  son  traité,  qui  comprenait  onze  livres. 

3.  On  ne  sait  pas  exactement  à  quelle  date;  les  hypothèses  faites  à  ce  sujet 
sont  dénuées  de  fondement. 

4.  Strabon,  III,  1,  o;  III,  5,  8  et  9. 
.5.  Strabon,  111,2,  5;  XVII,  3,  4. 

6.  Peut-être  jusqu'en  5i)  :  E.  Meyer,  Cnesars  Monarchie,  2*  édit.,  p.  619, 
n.l. 

7.  Diodore  de  Sicile  s'en  était  beaucoup  servi.  Mais  ce  qui  nous  reste  de  lui 
pour  cette  période  de  l'histoire  africaine  se  réduit  à  peu  de  choses. 


INTRODUCTION.  17 

province  romaine  :  le  journal  exact  et  précis  que  nous  en  a 
laissé  un  compagnon  d'armes  du  dictateur  ne  nous  instruit  pas 
beaucoup  sur  les  indigènes. 

Salluste,  au  contraire,  raconta,  quelques  années  après,  la 
guerre  de  Jugurtha,  qui  avait  eu  la  Numidie  pour  théâtre.  Il 
avait  été,  en  46-45,  gouverneur  d  une  province  nouvelle,  qui 
comprenait  une  bonne  partie  de  cette  contrée  ;  il  n'ignorait 
donc  ni  le  pays,  ni  les  habitants.  Son  livre  nous  est  précieux  à 
cet  égard,  mais,  quand  nous  étudierons  la  guerre  de  Jugurtha, 
nous  montrerons  qu'il  ne  faut  pas  se  faire  une  trop  haute  idée 
des  connaissances  personnelles  de  Salluste;  nous  verrons  qu'il 
paraît  avoir  fait  de  larges  emprunts  à  Posidonius,  non  seule- 
ment pour  le  récit  des  événements,  mais  même  pour  la  des- 
cription des  lieux,  et  qu'en  copiant  ainsi  son  devancier,  il  a 
commis  des  erreurs  assez  déconcertantes  de  la  part  d'un 
ancien  proconsul  d'Afrique. 

Parmi  les  descendants  de  Masinissa,  il  y  eut  des  princes  qui 
se  piquèrent  de  littérature.  Salluste  nous  a  laissé  une  traduc- 
tion, probablement  abrégée,  d'un  récit  inséré  par  Hiempsal, 
roi  de  Numidie,  dans  un  livre  écrit  en  langue  punique.  Il 
s'agit  des  prétendues  origines  des  peuples  de  l'Afrique  septen- 
trionale :  c'est  une  légende,  derrière  laquelle  il  est  difficile  de 
découvrir  quelques  parcelles  de  vérité'.  Nous  n'avons  pas  un 
gros  ouvrage  sur  la  Libye,  écrit  en  grec  par  Juba  II -.  C'était 
un  sujet  que  ce  roi  de  Maurétanie  avait  évidemment  qualité 
pour  traiter;  il  se  peut,  cependant,  que  son  zèle  d'érudit 
philhellène  l'ait  entraîné,  même  sur  un  domaine  où  il  eût  pu  faire 
preuve  d'originalité,  à  usertroplargementde  ses  lecturesgrecques. 

Avant  lui,  un  certain  nombre  de  Grecs  avaient  publié  des 
Liùyra\   dont  nous  ne  savons  rien  ou  presque  rien  :  le  titre 

i.  Voir  t.  1,  p.  32!l  et  suiv. 

2.  Nous  en  parlerons  plus  lonf^ueineiit  au  loine  VIII. 

3.  Lycos  do  Hhé(>:ioii   (vers  la  lin  du  iv°  siècle),  auteur,  selon  Suidas,  d'une 
Histoire  de  Libye  (voir  Fragin.  hist.  Graec,  II,  p.  373-4).  —  Libyen,  en  trois  livres 


18  INTRODUCTION. 

pouvait  convenir  ;i  des  développements  variés.  Ces  ouvrages, 
quelquefois   rédigés  par  des  gens  qui  ne  connaissaient  nulle- 
ment l'Afrique,   n'étaient  sans    doute    que   des   compilations, 
faites  sur  des  données  peu  sûres.  Depuis  longtemps,  on  s'inté- 
ressait à  ce  qui  paraissait  étrange  dans  les  mœurs  des  peuples 
barbares  '  ;    on    accueillait  avec  facilité  les   dires  de   ceux  qui 
prétendaient  en  être  informés  d'une  manière  ou  d'une  autre;  onles 
répétait  d'âge  en  âge.  h' Histoire  d'Hérodote  témoigne  de  cette 
curiosité,  dans  la  partie  qui  concerne  la  Libye  comme  ailleurs- 
A  l'époque  de  Juba  II,  le  célèbre  polygraphe  Nicolas  de  Damas 
publiait  un  Recueil  de  mœurs  extraordinaires^  où  les  Libyens 
avaient  leur  place;  nous  en  avons  quelques  extraits-,  dont  on  ne 
doit  pas  faire  trop  de  cas  (l'un  d'eux  est  un  écho  d'Hérodote). 
Un   autre  contemporain    de  Juba,    Strabon,  a  terminé  son 
grand   traité   géographique  par  une   description    de  l'Afrique 
septentrionale  ^  Description  que,   dans  notre  pauvreté,    nous 
sommes  heureux  de  posséder,  mais  qui  est  incontestablement 
médiocre  :  trop  courte,  mal  ordonnée,  non  exempte  de  graves 
erreurs  matérielles*.  L'auteur  était  peut-être  pressé  d'en  finir. 

au  moins,  d'Agroitas,  qui  paraît  avoir  été  do  Cyrène  et  avoir  vécu  au  iii°  ou  au 
II"  siècle;  son  exposé,  surtout  mythologique,  était  peut-être  limité  à  la  Gyrénaïque 
et  aux  régions  voisines  (voir  ibid.,  1V^  p.  294-5).  —  Libyen,  ouvrage  en  trois  livres 
au  moins,  attribué  à  un  Hésianax  {ibid.,  III,  p.  70;  conf.  ici,  t.  III,  p.  83,  n.  3),  que 
l'on  cite  à  propos  de  la  première  guerre  punitjue;  peut-être  s'agil-il  d'ilégé- 
sianax,  un  (îrec  d'Asie  Mineure  qui  vivait  au  début  du  second  siècle.  —  Libyca, 
en  onze  livres,  de  Posidonios  d'Olbia  (d'après  Suidas);  peut-être  du  second  siècle 
(voir  Susemitil,  GcschiclUe  der  yriech.  lAlter.  in  der  Alexandrincvzeit,  I,  p.  642).  — 
Libijca,  en  trois  livres  au  moins,  d'Alexandre  Poiyhistor,  qui  écrivit  en  Italie 
au  premier  siècle  avant  notre  ère;  nous  en  avons  une  vingtaine  de  citations, 
faites  par  le  lexicographe  iltienne  de  Hyzance  et  se  rapportant  à  des  noms  géogra- 
phiques (Fr.  h.  G.,  111,  p.  238-0).  —  Suidas  attribue  des  Libyca  a.  Charon  de 
Lampsaque,  auteur  du  v"  siècle.  On  a  supposé  qu'il  y  a  là  une  confusion  et  que 
ces  Libyca  étaient  l'ujuvre  d'un  Charon  de  Carthage,  mentionné  aussi  par 
Suidas  :  voir  t.  I,  j».  474,  n.  1  ;  t.  IV,  p.  214. 

1.  Conf.  Gsell,  Hérodote,  p.  (il. 

2.  Fr.  II.  G.,  III,  p.  4()2-3. 

3.  XVll,  3,  1-23.  Sur  celte  partie  du  traité  de  Strabon,  voir  F.  Strenger,  Slrabos 
Erdlcunde  von  Libyen  (IJerlin,  1913). 

4.  .Wll,  3,  12  :  Adherlial  assiégé  dans  Utique  [au  lieu  de  Cirla].  Cotte  erreur 
est  bien  étrange  de  la  |>art  d'un  homme  (|iii  avait  écrit  une  histoire  où  la  guerre 
do  Jugurlha  contre  Adherbal  était  ecrlainemenl  racontée.  On  peut  so  demander 


INTRODUCTION.  19 

Il  devait  s'intéresser  assez  peu  à  une  contrée  qui,  —  sauf  Car- 
thage,  —  n'avait  joué  aucun  rôle  dans  le  développement  de  la 
civilisation  :  or,  aux  yeux  de  Strabon,  la  géographie  était 
surtout  un  enseignement  pour  les  hommes  politiques,  l'expli- 
cation des  grands  événements  historiques  dont  le  monde  avait 
été  le  théâtre'.  Il  n'avait  pas  visité  la  Berbérie-  :  il  fallait 
donc  qu'il  en  parlât  d'après  d'autres.  Il  ne  se  soucia  guère  d'en 
présenter  un  tableau  qui  fût  l'image  du  pays  à  l'époque  où  il 
publia  son  livre.  Il  mentionne  la  mort  récente  de  Juba  II, 
auquel  son  fils  Ptolémée  avait  succédé^  :  ce  qui  survint  en 
23  ou  24  après  J. -G,  Strabon  était  alors  âgé  d'environ  quatre- 
vingt-huit  ans*.  Il  avait  achevé  sa  Géographie  beaucoup  plus 
tôt,  probablement  vers  l'an  7  avant  notre  ère  ^  Il  s'agit  donc 
d'une  addition,  et  ce  qui  le  prouve,  c'est  que,  dans  un  autre 
passage,  il  parle  de  Juba  comme  d'un  homme  vivant".  Addi- 
tion qui  s'explique  sans  peine  :  le  roi  de  Maurétanie  était  assez 
célèbre  pour  que  le  bruit  de  sa  mort  se  fût  répandu  rapidement 
jusqu'en  Asie  Mineure,  où  Strabon  vieillissait  dans  la  retraite. 
Mais  il  ne  dit  rien  des  guerres  qui  se  livrèrent  en  Afrique  sous 
Auguste  et  sous  Tibère,  des  colonies  qu'Auguste  y  fonda  '  ;  il 

si  la  faute  ne  doit  pas  être  imputée  à  un  copiste.  —  XVII,  3,  13  :  les  deux  Hip- 
pones  qualifiées  de  résidences  royales,  ce  qui  ne  fut  jamçiis  le  cas  pour  Hippo 
Diarrhytus  (Bizerte).  —  XVII,  3,  10  (au  début)  :  l'île  de  Cossura  (Kôpao-^pa),  placée 
au  milieu  du  golfe  de  Carlhage,  probablement  par  suite  d'une  confusion  avec 
.Egimure  (que  Strabon  mentionne  aussi);  un  peu  plus  loin,  Cossura  (Kôcro-o-jpo;) 
est  indiquée  où  elle  devait  l'être.  —  Par  une  erreur  qu'il  emprunte  sans  doute  à 
Posidonius,  Strabon  (III,  .ï.  5)  met  les  Autels  des  Philènes  (ou  de  Philène)  entre 
les  deux  Syrtes;  ailleurs  (XVII,  3,  20),  il  connaît  leur  place  exacte,  sur  la  grande 
Syrte. 

1.  Voir,  en  particulier,  I,  1,  16;  I,  1,  23. 

2.  Gela  résulte  de  ce  qu'il  dit  de  ses  voyages  :  II,  5,  il.  En  Libye,  il  n'avait  pas 
dépassé  la  Cyrénaïque  (XVII,  3,  20). 

3.  XVII,  3,  7;  ibi.L,  9  et  25. 

4.  Il  était  né  vers  (ii  avant  J.-C. 

5.  Voir  E.  Pais,  Ricerche  storiche  e  geografiche  sull'ltalia  anlica  (Turin,  iilOSl. 
p.  631  et  suiv. 

6.  VI,  4,  2.  Au  livre  XVII  (3,  12),  il  indique  que  Salda  (Hougie)  est  la  limite  du 
pays  appartenant  à  Juba  et  de  celui  qui  appartient  aux  Komaius.  Cela  a  dii  être 
écrit  du  vivant  de  Juba. 

7.  Il  mentionne  (XVII,  3,  l.ï)   la   restauration  de  Cartilage  par  Jules  Césnr  et 


20  INTRODUCTION. 

indique  comme  détruites  des  villes  qui,  sous  cet  empereur, 
étaient  relevées'.  Même  lorsque  l'ouvrage  fut  composé,  il 
n'était  pas  au  courant  en  ce  qui  concernait  l'Afrique.  Strabon 
omet,  par  exemple,  l'expédition  qu'en  20  avant  J.-C,  le  pro- 
consul Cornélius  Balbus  fit  en  plein  Sahara,  jusqu'au  pays  des 
Garamantes,  et  qui  fut  pour  la  géographie  un  événement  fort 
important.  Il  mentionne  une  conversation  qu'il  avait  eue  avec 
un  successeur  de  Balbus  en  Afrique,  Cn.  Piso  (probablement 
Cn.  Calpurnius  Piso,  qui  fut  consul  en  23  avant  notre  ère);  ce 
personnage  lui  expliqua  que  le  désert  africain,  avec  ses  oasis, 
ressemblait  à  une  peau  de  panthère,  parsemée  de  taches  '^ 
Mais,  assurément,  Strabon  put  recueillir  ce  propos  sans  se 
livrer,  auprès  de  son  interlocuteur,  à  une  enquête  approfondie 
sur  la  Libye.  En  somme,  sauf  les  mentions  de  Juba  et  de  Pto- 
lémée,  et  aussi  celle  de  la  condition  administrative  faite  à  la 
province  romaine  en  l'an  27  avant  J.-C.%  il  ignore  ce  qui  s'est 
passé  en  Afrique  après  Jules  César.  11  lui  arrive  même  d'attri- 
buer au  présent  un  passé  qui  remontait  au  delà  de  l'expédition 
du  dictateur  contre  Juba  1"  et  les  Pompéiens  \ 

Il  avait  écrit  ^  une  Histoire  qui  s'étendait  depuis  l'année  144 
jusqu'à  31  ou  27.  Dans  quelques  passages  de  sa  Géograj)hie^  il 
a  mis  à  profit  les  connaissances  qu'il  avait  acquises  en  compo- 


ajoule  qu'elle  est  redevenue  très  florissante.  Mais  il  ne  dit  pas  que  cette  prospé- 
rité fut  due  surtout  à  un  nouvel  envoi  de  colons  par  Auguste. 

1.  XVII,  3,  12  et  16. 

2.  II,  5,  33  :  «  comme  d'autres  l'indiquent  et  comme  nous  l'a  expliqué  Gnseus 
Pison,  etc.  •  (Aîtte  comparaison  pittoresque  n'était  pas,  semble-t-il,  de  l'inven- 
tion de  Pison.  Elle  venait  peut-être  de  Posidonius.  Elle  se  retrouve  dans  Denys 
le  Périégéte  (vers  181-3  :  Geogr.  Gr.  min.,  Il,  p.  112).  qui  ne  paratt  pas  avoir  lu 
Strabon,  mais  qui  se  rattache  à  Posidonius. 

3.  XVII,  3,  25. 

4.  Il  mentionne  (XVII,  3,  19)  des  recensements  annuels  que  les  rois  font  faire 
et  qui  donnent  un  total  de  100.000  poulains.  Il  s'agit  évidemment  d'un  grand 
royaume,  celui  de  Numidie,  car  l'ordre  suivi  par  Strabon  et  le  contexte  excluent 
la  Maurélanie.  Or  ce  royaume  de  Numidie  avait  été  supprimé  par  César  en 
l'an  46.  —  Il  parle  de  Cirla  (XVII,  3,  13)  comme  si  elle  n'était  pas  devenue  une 
colonie  mmaine  (depuis  44,  au  plus  tard). 

5.  Avant  sa  Géographie  :  I,  1,  23. 


INTRODUCTION.  21 

sant  ce  premier  ouvrage.  Il  cite  incidemment  un  historien 
romain,  Tanusius ',  et  un  Ipbicrate%  qui  pourrait  être%  en 
réalité,  Hypsicrate,  historien  grec  que  nous  savons  par  ailleurs 
avoir  été  utilisé  par  Strabon  dans  son  Histoire'-  peut-être  en 
fut-il  de  même  de  Tanusius.  Mais  nous  ne  croyons  pas  qu^l  ait, 
comme  on  l'a  supposé,  fait  us^ge  du  Bellum  lugurthinum  de 
Salluste,  ni  du  Bellum  Africum,  récit  de  la  campagne  de  César. 
N'ayant  qu'une  connaissance  imparfaite  du  latin,  appréciant 
peu  les  ouvrages  écrits  parles  Romains  %  il  s'est  servi  surtout 
d'auteurs  grecs.  Dans  sa  description  de  la  Libye,  il  en  men- 
tionne trois,  et  il  se  peut  qu'il  n'en  ait  guère  consulté  davan- 
tage «  :  Ératosthène%  Artémidore%  Posidonius^  Comme  leurs 
œuvres  sont  perdues,  il  serait  vain  de  prétendre  indiquer  avec 
précision  ce  qui,  dans  Strabon,  provient  de  chacun  d'eux-.  Il 
n'a  pu  se  servir  d'Artémidore  que  pour  le  littoral 'S  puisque  le 
livre  de  son  devancier  ne  s'en  éloignait  pas;  il  a  dû  beaucoup 

1  XYII  3  8  TavOa.o;.  C'est  ainsi  qu'il  faut  lire,  d'après  le  meilleur  manuscrit. 
Tanusu.s'Ge'.ninus  écrivit  des  Annales  au  temps  de  Jules  César  :  vo.r  N.ese,  dans 
Rhein.  Muséum,  XXXYIII,  1883,  p.  000-2. 

2.  XVII,  3,  5. 

3.  Cela  n'est  pas  certain.  .     j   „     „  rj„ 

4.  Josèphe.  Antiq.  Jud.,  XIV,  8,  3,  139.  Slral.on  c.lc  cet  Hypsicrate  dans  sa  Géo- 
graphie, VII,  4,  6;  XI,  5,  1. 

l'  C'eTsansdotte  d'après  Ératosthène  qu'il  mentionne  le  Périple  d'Ophélas 
(XVII,  3,  3)  et  Timosthène  (XVII,  3,  6).  Peut-être  a-t-.l  eu  recours  a  Polybe  pou. 
ce  qu'il  dit  do  la  Carthage  punique  et  du  rôle  c.vilisateur  de  ^^^'^'^^^  ^^^  'l  j' 
14  et  1.5).  Mais  on  ne  saurait  l'affirmer.  En  tout  cas,  rien  n  indique  qu  il  ait  fait 
usa-e  du  livre  de  VHistoire  de  Polyl.e  consacré  spécialement  à  la  géographie. 

7"XVII  3  2  et  8  (mais  ces  citations  peuvent  être  empruntées  a  Artemidore;  de 
même  III  5,  5).  Voir  aussi  I,  3,  2.  Certaines  indications  de  mesures,  données 
par  Strabon,  doivent  venir  d'Éralosthène;  d'autres  viennent  peut-être  d  Arlcmi- 

dore.  ,    „    ,,,    j.    K 

8.  XVII,  3,  2  et  8  (où  il  le  critique).  Voir  aussi  111,  4,  à  ;  111,  o,  d. 
<»  XVll    3,  4;  ibid.,  10   où  il  le  critique).  Voir  aussi  III,  3,  3.  , 

10  Pour  îa  forme  du  continent  africain,  il  adopte  tantôt  l  opinion  d  hrato- 
sthène  qui  en  fait  un  triangle  rectangle,  tantôt  relie  de  Posidon.us,  qui  on  fait 
un  trapèze  :  XVII,  3,  1  et  2;  11.  .5,  33;  conf.  ici,  t.  I,  p.  503    n    2. 

11.  Strabon  décrit  l'Afrique  septentrionale  en  allant  de  l  Ouest  a  l  Est.  i,  e.t 
aussi  l'ordre  que  suivait  Arlémidore.  dont  les  si.x  premiers  ivres  ^|';';;"^  <:;»^«- 
crés  à  l'Europe,  le  septième  à  la  Libye,  les  suivants  a  1  Egypte  et  al  Asie.  D  après 
le  plan  général  de  son  ouvrage,  Strabon  aurait  dû  suivre  l  ordre  inverse. 


22  INTRODUCTION. 

l'abréger.  L'emploi  de  Posidonius  est  admissible  pour  les 
développements  relatifs  à  la  faune,  à  la  flore,  aux  mœurs 
des  indigènes.  On  voit  donc  qu'à  l'exception  de  quelques 
détails,  Strabon  nous  fait  connaître,  —  très  parcimonieu- 
sement, —  une  Afrique  déjà  vieille,  l'Afrique  d'Eratosthène,  à 
la  fm  du  m"  siècle,  surtout  celle  d'Artémidore  et  de  Posidonius, 
à  la  fin  du  second  et  au  début  du  premier  siècle. 

Pomponius  Mêla  publia  sa  Géographie  en  l'année  44  de 
notre  ère'.  Mais,  comme  Strabon,  il  fit  usage  de  sources  plus 
anciennes  :  c'était  un  lettré  bien  plus  qu'tin  savant,  et  son 
œuvre,  dénuée  d'originalité,  ne  témoigne  nullement  de 
recherches  étendues.  Il  appréciait  fort  Salluste  comme  écri- 
vain :  il  n'est  donc  pas  étonnant  qu'il  lui  ait  emprunté  une 
légende  relative  aux  Autels  des  Philènes^  Il  n'avait  pas  besoin 
d'être  très  instruit  pour  savoir  que  Juba  II  avait  eu  pour 
capitale  une  ville  nommée  précédemment  loi  et  appelée  par 
lui  Caesarea^.  Il  pouvait  aussi  savoir  sans  peine  qu'une  colonie 
romaine  avait  été  fondée  à  Zili*,  sur  la  côte  océanique  de  la 
Maurétanie,  car  il  était  originaire  de  Tingentera,  ville  espa- 
gnole où  des  gens  de  Zili  avaient  été  transportés  sous  Auguste ^ 
Dans  sa  description  des  côtes  de  l'Afrique  septentrionale  %  ce 
sont  les  deux  seuls  passages  qui  se  rapportent  à  des  temps 
postérieurs  au  début  de  l'Empire.  Mêla  a  donc  eu  recours  à 
une  source  plus  ancienne,  postérieure  cependantà  Jules  César'. 

1.  Voir  Wissowa,  daus  Hermès,  LI.  1916,  p.  89-%. 

2.  1,  38. 
:i.  I,  30. 

4.  m     107;  le  nom   de  la  colonie  a  disparu  dans   le  manuscrit,   mais  c'était 

certainemenl  Zili. 

5.  Voir  t.  il,  p.  170-2. 

6.  I.  25-a«;  III,  104-7. 

7.  Menlioti  de  la  iiiorl  di-  r.nlnn  (en  40)  :  I,  34;  des  colonies  romaines  de  Cirta 
et  de  (larlluige  (fondées  l'une  prohabiemeut,  l'autre  certainement  en  44)  :  1,  30 
et  :U.  VAfrir.a  commence  a  l'Ouest  au  cap  Métaponium  ou  au  fleuve  Ampsapa  : 
1  33  et  30;  ce  (jui  ne  fut  vrai  (|u'aprés  la  conslilulion,  en  4C,  de  la  province 
il' Africa  nuva  01  le  rattacliement  du  territoire  de  Cirta  à  cette  province  (peut-être 
,,,,  44).  On  pourrait  même  so  demander  si  celte  source  n'est  pas  postérieure 


INTRODUCTION.  23 

C'était  un  ouvrage  écrit  en  latin»,   dont  Pline  le  Naturaliste 
s'est    aussi    servi'.    On    a    conje^îturé    que    l'auteur    en   était 
Varron%  mort  presque   nonagénaire  en  27  avant  l'ère  chré- 
tienne, ou  Cornélius  Népos,  qui  vivait  encore  après  32  (Pline 
mentionne  Tun  et  l'autre  parmi  ses  sources  du  livre  V,  où  il 
décrit  l'Afrique).  Ces  hypothèses  sont  très  fragiles.  Il  se  peut 
que  la  source  commune  à  Mêla  et  à  Pline  pour  le  littoral  ait 
été  aussi  celle  qui  leur  a  servi  pour  les  populations  vivant  au 
Sud  de   la  Berbérie*,   un  auteur  latin,    dont  la    science    était 
d'origine  grecque  «  et  qui,  soit  directement,  soit  indirectement, 
avait  fait  de  larges  emprunts  à  Hérodote  ^  Quant  à  la  source 
commune  de  Mêla  et  de    Pline   pour  les   côtes  du    continent 
africain,   depuis  la  mer  Rouge  jusqu'à  la  Maurétanie%  on   a 
d'assez  bonnes  raisons  de  croire  que  c'était  Cornélius  Népos  '; 
mais  cela  ne  prouve  pas  qu'il  faille  en  dire  autant  pour  l'Afrique 

à  l'an  38  Mêla  (I,  29)  dit  du  fleuve  Mulucha  :  «  nunc  genlium,  olim  regnorum 
quoque  terminus,  Bocchi  lugurlhaeque  »,  preuve  que  la  Mulucha  n'était  plus  fron- 
tière entre  deux  royaumes.  Or  elle  cessa  de  l'être  en  l'an  38,  quand  Bocchus  le 
Jeune  réunit  à  son  royaume  celui  de  Bogud.  11  se  peut,  cependant  que  cette 
remarque  soit  de  Mêla,  et  non  de  sa  source  (elle  ne  se  retrouve  pas  dans  Pline, 
V  19  qui  copie  le  même  auteur).  Mêla  ferait  ici  allusion  à  l'annexion  de  la 
contrée  par  Rome,  quatre  ans  avant  la  publication  de  son  livre  :  la  Mulucha  ne 
pouvait  plus  séparer  des  royaumes,  comme  elle  l'avait  fait  jadis,  par  la  bonne 
raison  qu'il  n'y  avait  plus  de  royaumes  du  tout. 

1.  Polybe  y  était  consulté  :  voir  Mêla,  1,  35,  et  Pline,  V,  20,  pour  les  dimensions 
de  la  petite  Syrte.  ,^    .,  ,,     ,  ^.,.. 

2  Pline  (1  5)  indique  Mêla  parmi  les  sources  de  son  livre  V;  il  1  a  donc  utilise 
de  quelque  manière.  Mais,  si  l'on  compare  minutieusement  les  deux  aut^eurs  (ce 
que  nous  ne  pouvons  pas  faire  ici),  on  constate  plus  d'une  fois  que,  dans  les 
passages  parallèles,  l'hypothèse  de  l'emploi  de  Mêla  par  Pline  doit  céder  la  place 
L  celle  de  l'emploi  d'une  source  commune,  reproduite  par  Mêla  et  par  Pline  avec 

des  variantes.  ......  j   «#  i 

3  Voir  entre  autres,  Dellefseu,  Die  Géographie  Afrikas  bei  Plmms  md  Mêla 
(Berlin,  1908),  p.  55,  57;  le  même,  Die  Anordnung  dcr  geographischen  Bûcher  des 
Plinius  (Berlin,  l'JO!)),  p.  75.  ,,         ,   . 

4  Mêla  1  22-23.  43  48;  111,  %-98,  103.  Pline,  V,  43-46;  VIII.  77.  Sur  l'emploi 
qu'ils  ont'fait  de  leur  source  commune,  voir  Schweder,  dans  Philologus,  XLVIl. 
1889,  p.  636-()43. 

5  Comme  le  prouve  la  forme  des  noms  propres. 

G.  Il  y  a  aussi  un  souvenir  d'Hérodote  (IV,  180)  dans  la  description  du  littoral 
méditerranéen  par  Mêla  (I,  30). 

7.  Mêla,  111,89-95,  99-101.  Pline,  VI,  187-8.  197.  199-201. 

8.  Conf.  I.   1,  p.  474,  ii.  2. 


24  INTRODUCTION. 

du  Nord,  Quoi  qu'il  en  soit,  la  courte  description  que  Mêla 
nous  a  laissée  de  cette  contrée  et  qui  ne  dépasse  guère  le 
littoral,  ne  date  pas,  comme  son  livre,  du  milieu  du^  premier 
siècle  de  notre  ère;  elle  remonte,  en  réalité,  aux  derniers  temps 
de  la  République  romaine. 

Aux  auteurs  dont  nous  venons  de  parler,  il  convient  de 
joindre  de  brèves  indications  qu'on  trouve  çà  et  là  chez  des 
Grecs  ou  des  Latins,  et  qui  ne  sont  pas  toujours  sûres. 

L'épigraphie  ajoute  fort  peu  à  l'étude  des  textes.  Parmi  les 
inscriptions  rédigées  en  langue  punique,  on  ne  peut  attribuer 
avec  certitude  à  l'époque  des  rois  numides  qu'une  série  mono- 
tone d'ex-voto  de  Constantine'.  Deux  dédicaces,  vraiment 
importantes,  de  Dougga  sont  bilingues,  en  punique  et  en 
libyque  ;  l'une  concerne  un  mausolée,  l'autre,  un  temple  de 
Masinissa-.  Sauf  plusieurs  autres  inscriptions  de  Dougga%  que 
celle  du  temple  de  Masinissa  aide  à  comprendre  un  peu,  les 
textes  épigraphiques  en  langue  libyque  datent,  ou  paraissent 
dater  de  l'époque  romaine;  on  n'en  déchiffre  d'ailleurs  que  les 
noms  propres. 

La  numismatique  nous  apporte  des  documents  plus  abon- 
dants :  monnaies  frappées,  les  unes  par  des  rois,  les  autres  par 
des  cités.  L.  Mûller  en  a  fait,  il  y  a  plus  de  soixante  ans,  un 
recueil*  qui  est  encore  utile,  quoique  beaucoup  de  ses  attribu- 
tions soient  erronées  ou  très  contestables.  Des  découvertes 
ultérieures  ou  de  meilleures  lectures  des  légendes  en  ont  rec- 
tifié un  certain  nombre;  un  énorme  trésor  de  deniers  de  .Tuba  II, 
trouvé  au  Maroc,  a  notablement  accru  nos  connaissances  sur 
ce  prince^  Mais  bien  des  incertitudes  subsistent  dans  l'inter- 

1.  J.-lt.  Cliîihot,  l'imicu  (l'aris,  11)18),  p.  141)  el  suiv.  [=  Journal  asiatique,  1917, 
II,  p.  :i8  et  suiv.) 

•2.  Chaliol,  ihid.,  p.  201-220  f=  Juurit.  asial.,  1918,  il,  p.  2r)0-279]. 

3.  Chaltol,  dans  Journ.  asial.,  1921,  I,  p.  07-90. 

i.  ^'umixlnali(^uc  de  l'ancienne  Afri<iue,  l.  lil,  Les  monnaies  de  la  Nuniidte  et  de  la 
Mauritanie  H',i)pi:ii\ïiif:mi,  1802);  SupplémtMil  (1874),  p.  01  cl  suiv. 

.').  Pour  c(!  Irosor,  voir  au  lome  VIII. 


INTRODUCTION.  25 

prétation  des  monnaies  numides  et  maures,  surtout  pour  celles 

des  villes^ 

Des  monuments  élevés  par  les  indigènes  avant  la  domination 
romaine,  il  ne  reste  que  des  tombeaux  :  sépultures  en  pierres 
&èches  pour  les  gens  du  commun,  —  en  général,  il  est  impos- 
sible de  les  dater  avec  précision,  mais  une  bonne  partie  d'entre 
elles  remontent  certainement  à  l'époque  dont  nous  écrivons  ici 
l'histoire;  —  mausolées  d'art  punique  ou  grec;  vastes  tombes 
royales  qui  sont  des  tumulus  libyques,  des  tas  de  pierres,  revêtus 
d'une  enveloppe  étrangère^ 

Après  avoir  dressé  cette  sorte  de  bilan,  on  peut  se  demander 
si  les  documents  dont  on  dispose  permettent  vraiment  de 
savoir  ce  qu'ont  été  les  ancêtres  des  Berbères,  avant  que  Rome 
les  soumît  à  ses  lois.  Notre  étude  sera  pleine  de  lacunes, 
d'obscurités,  de  doutes.  Souvent,  pour  essayer  de  comprendre 
un  passé  qui  se  dérobe,  nous  devrons  nous  souvenir  que  ces 
indigènes  africains  sont,  de  tous  les  riverains  de  la  Méditer- 
ranée, les  plus  tenaces,  les  plus  obstinés  dans  leur  état  social, 
leurs  traditions  et  leurs  mœurs.  Ce  qu'ils  ont  été  dans  des 
temps  mieux  connus,  et  même  ce  qu'ils  sont  encore  aujour- 
d'hui, ils  l'étaient  déjà,  dans  une  très  large  mesure,  aux  siècles 
qui  ont  précédé  l'ère  chrétienne.  Il  ne  faut  pas,  assurément, 
faire  de  l'anachronisme  une  méthode,  car  on  risquerait  d'écrire 
ainsi  un  roman.  Mais,  souvent,  un  document,  en  apparence 
insignifiant  ou  suspect,  ne  révèle  sa  valeur  que  si  on  l'encadre 
dans  un  ensemble  reconstitué  à  l'image  d'autres  ensembles  qui 
nous  sont  familiers. 

1.  Ou  trouvera  quelques  indications  à  retenir  dans  L.  Charrier,  Description  des 
monnaies  de  la  Numidie  et  de  la  Mauritanie  (Mâcon,  1912). 

2.  Pour  ces  monuments  funéraires,  voir  t.  VI,  1.  Il,  •"h-  •»  etiv. 


LIVRE  PREiMIER 
ORGANISATION    SOCIALE    ET   POLITIQUE 


CHAPITRE    PREMIER 
LES   CADRES    DE   LA   SOCIÉTÉ   INDIGÈNE 


Aux  temps  primitifs,  des  hommes  vivaient  en  petites  bandes, 
se  déplaçant  sans  doute  souvent  pour  recueillir  plantes,  racmes, 
fruits,  menus  animaux  comestibles,  pour  se  livrer  à  la  chasse. 
Mais  d'autres  formaient  des  groupes  importants.  Dans  des 
stations  préhistoriques  d'époques  fort  lointaines,  —  stations 
que,  d'après  les  industries  qu'elles  contiennent,  on  qualifie 
d'acheuléennes,  acheuléo-moustériennes,  acheuléo-solutréennes, 
moustériennes,  —  sont  accumulés  des  centaines,  des  milliers 
d'outils  et  d'armes  ^  Beaucoup  ont  dû  servir  simultanément  : 

t.  Par  oxcmple,  un  millier  d'outils  achculéens,  recueillis  à  El  Ma  el  Abiod, 
dans  le  lit  d'un  pclit  oued,  sur  uno  longueur  d'une  centaine  de  mètres  a  peine; 
évidemment,  ils  ont  été  charriés  d'une  station  toute  voisine  (Heygasse  et  Lalapie, 
dans  lU'cucil  de  Constantine,  XLV.  1911,  p.  331-2).  Remarquer  qu'ils  sont  d'un  tra- 
vail très  soigné  et  généralement  en  fort  bon  état  :  ce  n'étaient  pas  des  objets 
qu'on  avait  mis  au  rebut.  —  Un  millier  d'outils,  tirés  d'une  station  chelléo- 
acheuléo-mousléiienne,  à  Tasbent  (Ueygasse,  i7>(<^.,  I.Il.  l'.Hil-l'.l2(),  p.  524).  —  Des 
centaines  dans  diverse»  stalions  moustériennes  et  solutréennes  df  la  région  de 
Tébessa  (ibid.,  LU,  p.  :V1'.),  VtW,  Tiil,  ."iW,  .mI,  5").");  LUI,  11121-2,  p.  IS;t). 


28  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

l'abondance  de  ce  matériel,  d'ordinaire  très  homogène,  ne 
s'explique  pas  seulement  par  une  occupation  qui  se  serait  pro- 
longée pendant  des  siècles,  A  l'époque  de  l'industrie  dite  gétu- 
lienne  ou  aurignacienne,  les  cendres,  les  amas  d'escargots,  les 
objets  en  pierre  taillée  forment  des  couches  épaisses  et  s'étendent 
souvent  sur  un  large  espace  :  ce  qui  atteste  à  la  fois  le  séjour 
au  même  lieu  de  bien  des  générations  successives  et  un  peu- 
plement assez  dense  de  gens  vivant  côte  à  côte;  des  gisements 
atteignent  150,  200  mètres  de  longueur'. 

D'autres  stations  paléolithiques  sont,  il  est  vrai,  bien  plus 
modestes  et  n'ont  du  être  occupées  que  par  quelques  individus; 
de  même,  les  grottes  et  les  abris  sous  roche.  Mais,  fréquem- 
ment, campements  en  plein  air  ou  demeures  de  troglodytes  se 
rencontrent  à  des  intervalles  très  rapprochés-  :  on  ne  peut 
croire  que  leurs  habitants  soient  restés  étrangers  les  uns  aux 
autres. 

Quand  un  pays  offrait  en  permanence  de  larges  ressources 
alimentaires,  il  était  naturel  qu'il  attirât  et  retînt  une  popula- 
tion nombreuse.  Celle-ci  pouvait  y  mener  une  vie  sédentaire^. 
Le  besoin  d'avoir  à  sa  disposition  l'eau,  qui  ne  coule  pas  par- 
tout, l'engageait  à  se  grouper  plus  ou  moins  étroitement.  La 
nécessité  de  se  défendre  l'y  invitait  aussi,  car,  ce  territoire 
qu'elle  exploitait,  elle  devait  être  capable  de  s'en  réserver  la 
propriété  contre  des  intrus. 

Quels  rapports  avaient  entre  eux  les  hommes,  femmes, 
enfants  qui  constituaient  ces  sociétés?  Il  serait  peut-être  raison- 
nable de  déclarer  simplement  que  nous  n'en  pouvons  rien 
savoir.    Pourtant,  dans    quelques    coutumes   que  mentionnent 

1.  T.  I,  p.  187,  n.  1.  Debruge,  liée,  de  Conslantinc,  LV,  1923-4,  p.  56. 

2.  Voir,  piir  fxemplp,  t.  I,  p.  182  (réj^ion  de  Gafsa);  Doumergue,  Bail.  d'Oran, 
1892,  p.  .")47-8  (région  de  Saïda);  les  iioinl)i(;uses  groUes  voisines  d'Oran. 

3.  Dans  les  escargotières  aurignariennes,  on  ne  constate  pas  l'existence  de 
rouches  stériles,  alternant  aVer  des  couches  de  cendres;  il  n'y  a  donc  pas  eu 
de  longues  périodes  d'abandon  :  Pallary,  dans  V Anlhrologie ,  XXIX,  1918-9,  p. 
98-99. 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  29 

des  textes  anciens  ou  qui  subsistent  encore,  on  a  cru  trouver 
des  survivances  d'un  passé  extrêmement  lointain  :  des  preuves, 
ou  tout  au  moins  des  indices  d'une  promiscuité  primitive  entre 
les  deux  sexes.  Nous  ne  devons  pas  écarter  à  priori  ces  interpréta- 
tions, mais  il  importe  d'en  examiner  de  près  la  valeur,  car,  de 
nosjours,  cette  prétendue  promiscuité  n'a  été  constatée  nuUepart 
avec  certitude,  même  parmi  les  peuplades  les  plus  sauvages*. 

Chez  les  Machlyes  et  les  Auses,  —  c'étaient  des  riverains  de 
la  petite  Syrte,  —  les  femmes,  au  dire  d'Hérodote-,  étaient  en 
commun;  on  ne  s'y  mariait  pas,  et  les  sexes  se  mêlaient  à  la 
façon  des  bêtes.  Les  Nasamons,  peuple  de  la  grande  Syrte, 
avaient  des  rapports  avec  n'importe  quelle  femme^  Chez  les 
Gindanes  (entre  les  deux  Syrtes),  les  femmes  se  faisaient  gloire 
d'être  aimées  par  le  plus  grand  nombre  possible  d'hommes  et 
ajoutaient  un  anneau  en  cuir  autour  de  leurs  chevilles  après 
chacune  de  leurs  conquêtes*. 

En  pareille  matière,  les  exagérations,  les  généralisations 
excessives  ne  sont  pas  rares.  Il  n'est  donc  pas  très  sûr  que  les 
informations  recueillies  par  Hérodote  soient  exactes.  Un  autre 
auteur  grec  racontait  de  quelle  façon  se  mariaient  les  Machlyes% 
ces  Libyens  chez  lesquels  le  mariage  aurait  été  inconnu.  Héro- 
dote lui-même  indique  que  les  Machlyes  et  les  Auses  estimaient 
fort  la  virginité  chez  les  jeunes  filles'^.  Et,  après  avoir  affirmé 
qu'ils  se  mêlaient  à  la  façon  des  bêtes  (façon  qui,  soit  dit  en 
passant,  n'est  nullement  celle  de  toutes  les  bêtes),  il  nous  les 


1.  Conf.  Gsell,  Hérodote,  p.  lOo;  Appleton,  dans  Rev.  générale  du  droil,  1916, 
p.  69-82,  154-172. 

2.  IV,  180. 

3.  Hérodote,  IV,  172. 

4.  Le  môme,  IV,  176. 

5.  Nicolas  de  Damas,  dans  Fragm.  hist.  Graec,  111,  p.  402-;),  n"  136.  Le  nom  do 
la  peuplade  est  léfi^èrement  altéré  ('la/yXE'jEÏ;.  au  lieu  de  .Ma-/X\j£ï;),  mais  il  n'est 
guère  douteux  qu'il  ne  s'agisse  des  Mâ/X-je;  d'IIérodolo. 

6.  IV,  180.  Chez  ces  Libyens,  les  jeunes  fllies  se  battent  à  coups  do  pierres  et 
de  bâtons  dans  une  fête  annuelle.  Il  en  est  (jui  meurent  de  leurs  blessures;  on 
dit  alors  que  c'étaient  de  fausses  vierges. 

Gsell.  —  Afri(iuo  du  Nord.  V.  3 


30  ORGANISATION  SOCIALE   ET  POLITIQUE. 

montre  organisant  de  leur  mieux  la  famille  :  lorsque  l'enfant 
d'une  femme  a  atteint  l'âge  de  la  puberté,  les  hommes,  dans 
une  assemblée  qui  a  lieu  trois  mois  plus  tard,  le  déclarent  fils 
de  celui  auquel  il  ressemble'.  Apparemment,  si  l'enfant,  élevé 
jusqu'alors  par  sa  mère,  était  ainsi  pourvu  d'un  père  légal, 
c'était  pour  créer  des  devoirs  particuliers  entre  ce  père  et  lui. 
Hérodote  nous  apprend  aussi  que  le  mariage  existait  chez  les 
Nasamons-,  qui,  à  l'en  croire,  ne  se  refusaient  aucune  femme. 
Voici  ce  qu'il  dit  à  propos  de  ce  mariage^  :  «  La  première 
fois  qu'un  Nasamon  se  marie,  l'usage  veut  que  la  mariée  se 
livre  pendant  la  première  nuit  à  tous  les  invités;  chacun  de 
ceux  qui  ont  commerce  avec  elle  lui  donne  un  présent  qu'il 
apporte*.  »  On  peut  admettre  qu'Hérodote  est  ici  bien  ren- 
seigné. La  même  coutume  existait  dans  l'antiquité  non  loin 
de  la  Berbérie,  aux  îles  Baléares"';  elle  existait  au  moyen  âge 
chez  une  peuplade  du  Maroc,  les  Ghomara";  elle  a  été  con- 
statée dans  l'Amérique  du  Sud  et  en  Océanie.  On  en  a  donné 
des  explications  diverses  \  L'une  d'elles  reconnaît  là  un  vestige 
de  communisme  :  avant  de  renoncer  à  ses  droits  en  faveur 
d'un  individu,  la  communauté  les  exercerait  une  dernière 
fois.  Ce  n'est  qu'une  hypothèse  ingénieuse;  elle  n'est  guère 
valable  pour  le  cas  des  Nasamons,  puisque,  chez  eux,  le  mariage 
n'aurait  pas  eu  pour  conséquence  la  possession  exclusive  de 
la  femme  par  son  mari. 

1.  L.  c.  La  même  coutume  est  signalée  par  Aristote  {Polit.,  II,  I,  13)  chez  cer- 
tains Libyens  qui  vivent  à  l'intérieur  des  terres;  par  Mêla  (I,  45)  et  Pline 
l'Ancien  Y,  4.Ï),  faisant  usage  d'une  môme  source,  chez  les  Garamantes,  lesquels 
habilaienlen  plein  désert.  Ce  sont  là,  sans  doute,  des  échos  déformés  d'Hérodote  : 
voir  Gsell,  Hérodote,  p.  194. 

2.  IV,  172. 

3.  Ibid. 

4.  Kcho  d'Hérodote  dans  Pomponius  Mêla,  1,  46,  où  celle  coutume  est  attribuée 
aux  Augiles. 

.").  Diodore  de  Sicile,  Y,  18. 

0.  Avec  quelques  variantes.  Yoir  lîl  Uekri,  Descr.  de  l'Afrique  scplcntr.,  Irad.  de 
Slaae,  édit.  d'Alger,  p.  201. 
7.  (Iscll,  L  c,  p.  191).  Appleton,  /.  c,  p,  73,  n.  1. 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  31 

Les  Adyrmachides,  peuple  voisin  de  l'Egypte,  ont,  selon 
Hérodote  ',  une  coutume  qu'on  ne  retrouve  pas  chez  les  autres 
Libyens.  «  Ils  présentent  au  roi  les  jeunes  filles  qui  sont  sur  le 
point  de  se  marier,  et,  si  quelqu'une  lui  plaît,  il  la  déflore.  » 
Il  s'agit  du  droit  du  seigneur,  ou  droit  de  la  première  nuit.  Ici 
encore,  Hérodote  est  sans  doute  exactement  informée  Ce  droit, 
dont  on  connaît  quelques  exemples  dans  l'Afrique  du  Nord 
jusqu'à  une  époque  récente',  qui  existait  aux  Canaries*,  a  été 
exercé  ailleurs  que  chez  les  Berbères;  personne  n'ignore  qu'il 
s'est  longtemps  conservé  dans  quelques  pays  d'Europe.  Survi- 
vance, a-t-on  dit,  d'une  promiscuité  primitive  :  le  bénéficiaire, 
chef  ou  prêtre,  serait  dans  cette  circonstance  le  représentant  de 
la  communauté.  Mais  d'autres  explications  ont  été  proposées^; 
peut-être  la  meilleure  est-elle  l'hypothèse  d'un  privilège  que  se 
serait  arrogé  le  plus  fort. 

A  Sicca  (Le  Kef,  en  Tunisie),  des  femmes  se  prostituaient 
aux  visiteurs,  dans  le  sanctuaire  d'une  déesse  que  les  Latins 
appelaient  Ve7ius.  Etait-ce  là  une  coutume  d'origine  indigène? 
Il  se  peut;  mais  il  est  possible  aussi  qu'elle  ait  été  importée  en 
ce  lieu  par  des  étrangers.  Phéniciens  ou  autres  ^  C'est  à  une 
tribu  arabe,  et  non  berbère,  qu'appartiennent  les  filles  des 
Ouled  Naïl,  qui,  maintenant  encore,  font  ouvertement  le  métier 
de  courtisanes,  pour  amasser  une  dot\  Et  l'on  ne  saurait 
assigner  sans  hésitation  des  origines  fort  lointaines  à  la  facilité 
avec  laquelle  certaines  femmes  ayant  un  caractère  sacré,  puis- 
qu'elles sont  plus  ou  moins  maraboutes,  se  livrent  au  premier 


1.  IV,  168. 

2.  Il   doit  se  tromper  quand  il  dit  que,  parmi   les  Libyens,  les  Adyrmacliides 
sont  les  seuls  à  agir  ainsi. 

3.  Gsell,  /.  c,  p.  196,  n.  7.   Wcsterniarck,  Les  cérémonies  du  mariage  au  Maroc, 
trad.  Arin,  p.  238. 

4.  Létourneau,  L'évolution  du  mariage  et  de  la  famille,  p.  200. 

5.  Gsoil,  l.  c,  p.  197. 

6.  Voir  t.  VI,  1.  II,  ch.  ii,  §  V. 

7.  Gonf.  t.  IV,  p.  403,  n.  6. 


32  ORGANISATION  SOCIALE  ET   POLITIQUE. 

venu'.  Assurément,  de  telles  mœurs  ont  été  en  usage  chez  les 
ancêtres  des  Berbères,  comme  elles  le  furent  chez  beaucoup 
d'autres  peuples.  Mais  rien  n'autorise  à  y  reconnaître  des  ves- 
tiges d'un  état  social  oii  les  femmes  auraient  été  en  commun. 
Lorsqu'il  ne  s'agit  pas  simplement  de  lucre  ou  de  débauche,  la 
magie  donne  l'explication  la  plus  vraisemblable^.  Ce  fut  jadis 
une  croyance  très  répandue  que,  par  une  action  sympathique, 
le  commerce  sexuel  favorise  la  génération,  quelle  qu'elle  soit, 
et  en  particulier  la  bonne  venue  des  céréales  confiées  à  la  terre. 
De  là,  divers  rites,  que  l'on  a  continué  à  pratiquer  même 
quand  on  avait  cessé  de  les  comprendre,  et,  le  plus  souvent, 
en  les  altérant.  Telles  les  prostitutions  qui  n'avaient  plus  de 
sacré  que  le  lieu  où  elles  s'accomplissaient,  qui  comportaient 
un  salaire,  qui  même,  par  un  oubli  complet  de  leur  origine, 
s'accommodaient  de  perversions  sexuelles  \ 

La  même  interprétation  vaut  pour  les  «  nuits  de  l'erreur  ». 
Chez  une  peuplade  libyenne,  au  dire  d'un  auteur  copié  par 
Nicolas  de  Damas*,  hommes  et  femmes  se  réunissaient  à  un 
jour  déterminé,  qui  suivait  le  coucher  des  Pléiades \  Après  un 
repas,  les  hommes  allaient  rejoindre  les  femmes,  qui  s'étaient 
retirées  à  part;  les  lumières  étant  éteintes,  chacun  prenait 
possession  de  celle  sur  laquelle  il  tombait.  Cela  n'est  pas  un 
conte.  Cette  coutume  est  mentionnée  au  xvi^  siècle  par  Léon 
l'Africain*,  comme  ayant  existé  à  Ain   el  Asnam,  au  Sud  de 

1.  E.  Doutlé,  Les  marabouts  (Paris,  1900),  p.  97;  le  même,  En  tribu  (Paris,  1914), 
p.  i8.S  et  suiv.  II.  Basset,  dans  Rev.  afric,  LXIi,  1921,  p.  371,  n.  2. 

2.  Conf.  t.  IV,  p.  402. 

3.  T.  IV,  p.  403-4. 

4.  Fra'jm.  hist.  Graec,  III,  p.  4G2,  n"  135  :  chez  les  Aal/oXiSus;.  Ce  nom  paraît 
être  estropié.  On  a  proposé  deux  corrections  :  1"  t)a|/o),i6y£;,  «  Libyens  de 
Thapsus  •;  il  y  avait  en  Afrique  deux  villes  maritimes  de  ce  nom  (t.  II,  p.  1.33 
el  151),  mais  c'étaient  des  colonies  phéniciennes;  —  2°  Ail/oXtSuî;,  les  «  Libyens 
altérés  •  (conjecture  d'O.  IJatos,  The  Easlern  Libyans,  p.  179,  n.  2).  Mais  il  s'agit 
sans  doute  d'un  rite  d'origine  agraire,  qui  n'a  pas  dû  prendre  naissance 
au  pays  de  la  Soif;  il  faut  dire  pourtant  qu'il  s'est  répandu  jusque  dans  le  Sahara. 

5.  En  octobre  ou  en  novembre  :  donc  vers  repo(]ue  des  semailles. 
0.  Description  de  l'Afrique,  trad.  Temporal,  édit.  Schefor,  II,  p.  363. 


LES  CADRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  33 

Sfrou  (Maroc).  Elle  s'est  maintenue,  dit-on,  jusqu'à  nos  jours 
en  divers  lieux  du  Maroc  et  du  Sahara  ^ 

Nous  n'avons  pas  de  témoignages  antiques  pour  d'autres  rites 
sexuels  qui  sont  sans  doute  très  vieux  en  Berbérie  et  qui  peu- 
vent s'expliquer  de  la  même  manière.  Ici,  c'est  l'union  en 
grande  cérémonie  de  deux  «  fiancés  du  Bien  »,  mariés  pour  un 
seul  jour-.  Là,  c'est  la  coutume  de  célébrer  en  même  temps 
tous  les  mariages  de  l'année^;  la  date  paraît  avoir  été  d'abord 
en  relation  avec  la  vie  des  céréales*,  mais  elle  se  confond  sou- 
vent aujourd'hui  avec  une  fête  mobile  musulmane.  Ces 
mariages  collectifs  ont  été  en  usage  ailleurs  que  dans  l'Afrique 
du  Nord,  en  Bretagne  par  exemple. 

Une  autre  coutume  où  l'on  a  voulu  reconnaître  un  vestige 
de  promiscuité  est  l'offre  faite  à  un  hôte  d'une  des  femmes  de 
la  maison  où  il  est  accueilli^  Au  xi"^  siècle,  El  Bekri  la  signale 
chez  une  tribu  marocaine  ^  Il  n'y  a  pas  bien  longtemps,  des 
Kabyles  agissaient  de  même'.  C'est  là  encore  un  usage  cons- 
taté chez  d'autres  peuples  ^  Depuis  des  siècles,  il  n'était  plus 
pour  les  Berbères  qu'une  manière  généreuse  d'être  agréables 
aux  nouveaux  venus  :  au  moyen  âge,  c'étaient  de  jeunes 
garçons,  et  non  des  femmes,  qu'on  leur  présentait  ainsi  dans 
la  petite  Kabylie'.  Fut-ce  à  l'origine  un  rite,  dont  la  significa- 
tion se  serait  perdue?  On  peut  le  supposer,  mais  nous  sommes 
à  cet  égard  dans  une  incertitude  complète. 

1.  Doutté,  Magie  et  religion  dans  l'Afrique  du  Nord  (Alger,  1909),  p.  40,  557-8. 
Laoust,  Mots  et  choses  berbères  (Paris,  1920),  p.  196-7,  note.  H.  Basset,  Le  culte  des 
grottes  au  Maroc  (Alger,  1920),  p.  45-40. 

2.  Laoust,  /.  c,  p.  191-3  (dans  un  village  de  l'Anti-Âtlas). 

3.  Laoust,  dans  Hespéris,  1921,  p.  46  et  suiv. 

4.  En  automne  ou  à  la  fin  du  printemps. 

5.  Mais  non  pas  l'épouse  de  celui  qui  reçoit  l'étranger.  C'est,  de  préférence,  une 
parente  restée  veuve. 

6.  L.  c,  p.  201  :  chez  les  Ghoiuara. 

7.  Doutté,  En  tribu,  p.  290.  Cette  coutume  existait  encore,  il  y  a  une  trentaine 
d'années,  dans  un  village  des  Gi'ifser,  au  Sud  de  Hougie. 

8.  Voir,  entre  autres,  DeniUer,  Races  et  peuples  de  la  terre,  p.  280-1. 

9.  Ibn  Haucal,  trad.  de  Slane,  dans  Journ.  asiat.,  1842, 1.  p.  241,  247.  Edrisi,  Descr. 
de  l'Afrique  et  de  l'Espagne,  Irad.  Dozy  et  de  Goeje,  p.  110. 


34  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

En  résumé,  de  tous  les  faits  que  nous  venons  d'énumérer, 
aucun  ne  confirme  nettement  l'hypothèse  d'une  communauté 
primitive  des  femmes.  Les  uns  comportent  des  interprétations 
diverses,  mais  également  douteuses.  D'autres  sont  très  proba- 
blement des  rites  de  magie  sympathique.  Pour  d'autres,  le 
désir  de  donner  satisfaction  à  de  violents  appétits  sexuels  peut 
paraître  une  explication  suffisante.  Dans  l'antiquité,  les  Afri- 
cains passaient  pour  des  gens  qui  ne  savaient  pas  maîtriser 
leurs  sens'.  Le  plus  grand  d'entre  eux,  saint  Augustin,  y  a 
réussi,  mais  après  quelles  luttes,  dont  il  a  fait  la  confession 
émouvante,  et  avec  quelles  craintes  de  rechute!  La  poésie  popu- 
laire témoigne  de  cette  véritable  obsession  qu'exerce  l'amour'. 
Chez  les  Berbères  d'aujourd'hui,  la  licence  des  mœurs  est 
d'ordinaire  très  grande^;  elle  le  serait  plus  encore  si  les 
femmes  n'étaient  pas  étroitement  surveillées  et  si  les  débauchés 
ne  couraient  de  gros  risques  quand  ils  se  livrent  à  des  actes 
interdits. 

Mais  cela  n'est  pas  incompatible  avec  une  réglementation 
créant  des  liens  légaux  dans  un  intérêt  social. 


II 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'examiner,  —  problème  d'ailleurs 
insoluble  au  point  de  vue  scientifique,  —  si,  dans  l'humanité 
comme  chez  certains  animaux,  l'union  durable  de  deux  indi- 

1.  Tite-Live,  XXIX,  23,  4  :  «  sunt  aute  omnes  barbares  Numidae  elTusi  ia  Vene- 
rem  »;  XXX,  12,  18  :  «  est  pcQus  Nuinidarum  iii  Venercm  praeceps  ».  Voir 
encore  Salvion,  Guhern.  Dd,  Vil,  16,  05.  Pédérastie  fréquente  chez  les  Maures  : 
klien,  Nat.  anim.,  XIV,  o. 

2.  H.  Basset,  Essai  sur  la  liltcraturc  des  Berbères,  p.  305  et  suiv.  Pour  l'antiquité, 
Élieu,  l.  c. 

3.  Plus  souvent  encore  chez  les  Berbères  arabisés  que  chez  les  Berbères  purs. 
Mais  beaucoup  de  ceux-ci  ne  valeut  pas  mieux  que  les  premiers  :  par  exemple, 
les  Djebala  (dans  le  Nord  du  Maroc),  l<;s  gens  de  l'Aurès,  les  Touarejr  sout  extrê- 
mement corrompus.  Dans  d'autres  régions,  la  prostitution  est  en  apparence  fort 
rare,  mais,  si  l'on  se  cache,  on  n'est  pas  beaucoup  plus  vertueux. 


LES  CADRER  DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  35 

vidus  de  sexes  différents,  qui  procréent  et  élèvent  des  enfants, 
est  un  fait  naturel  et  le  groupement  primitif,  ou  si  elle  a  été 
précédée  d'un  état  de  promiscuité.  En  tout  cas,  la  famille  est, 
depuis  fort  longtemps,  une  institution  juridique,  dont  l'exis- 
tence importe  à  la  société,  car  elle  lui  permet  de  se  maintenir, 
de  se  perpétuer  :  c'est  donc  par  la  société  qu'ont  été  établis  les 
droits  et  les  devoirs  qui  en  découlent. 

Le  mariage  et  la  famille,  dont  il  est  le  fondement,  sont  cer- 
tainement très  anciens  chez  les  Libyens.  Hérodote,  le  plus 
vieux  des  auteurs  grecs  qui  nous  parlent  de  ces  barbares,  men- 
tionne à  deux  reprises  des  mariages  célébrés  publiquement'.  Il 
nous  montre  les  Nasamons  visitant  les  tombeaux  de  leurs 
ancêtres-,  qui  leur  sont,  par  conséquent,  fort  bien  connus.  Au 
second  millénaire  avant  J.-C,  des  femmes,  des  fils  de  chefs 
libyens  apparaissent  dans  des  documents  égyptiens'. 

L'union  légale  entre  hommes  et  femmes  peut  prendre  plu- 
sieurs formes  :  un  seul  homme  avec  une  seule  femme;  un  seul 
homme  avec  plusieurs  femmes;  enfin,  ce  ^ui  est  bien  plus  rare, 
une  seule  femme  avec  plusieurs  hommes.  Nous  allons  voir  que 
la  première  et  la  seconde  de  ces  formes,  la  monogamie  et  la 
polygamie,  ont  été  en  usage  chez  les  Libyens.  Quant  à  l:i  troi- 
sième, la  polyandrie,  on  n'en  trouve  aucune  trace. 

Rien  ne  prouve  non  plus  que  les  ancêtres  des  Berbères  se 

1.  IV,  108  el  172  :  chez  k's  Adyirnachides  et  chez  les  Nasamons. 

2.  IV,  172. 

3.  Chabas,  Études  sur  VanliquUé  historique,  2-  édit.,  p.  198,  200,202,  203,244,24."). 
—  J'ai  mentionné  au  tome  I  (p.  241,  n.  2)  des  ^''^^uros  rupestres  du  Sud  orauais, 
qui  appartiennent  peut-être  aussi  au  second  millénaire  :  les  jrens  qui  y  sont 
représentes  forment  souvent  des  couples,  composés,  semble-t-il,  d'un  homme  et 
d'une  femme,  et  un  trait  rrlie  leurs  parties  génitales  :  voir  G.-B.-M,  Flamand. 
Les  pierres  écrites  (Paris,  1021),  pi.  XXVII  et  suiv.  Nous  pouvons  supposer  que  ces 
individus  avaient  des  relations  sexuelles.  Mais  cela  m-  prouverait  pas  qu'ils  aient 
été  unis  par  h;  lien  permanent  du  mariage.  On  a  indi(iué,  il  est  vrai,  sur  une 
de  ces  gravures,  un  troisième  personnage,  de  i)lus  pelite  taille,  associé  ,de  la 
môme  manière  au  couple;  ce  serait  l'image  d'une  famille  véritable,  père,  mère 
et  enfant,  Mais  il  y  a  là  une  erreur  :  les  excellentes  reproductions  données  par 
Flamand  ne  nous  montrent  ([ue  des  couples. 


36  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

soient  imposé  lexogamie,  c'est-à-dire  l'interdiction  du  mariage 
entre  hommes  et  femmes  d'un  même  groupe  et  l'obligation 
pour  eux  de  se  marier  dans  d'autres  groupes  déterminés.  Cette 
réglementation,  si  fréquente  dans  l'Amérique  du  Nord,  en 
Océanie,  ailleurs  encore,  semble  avoir  été  aussi  inconnue  dans 
l'Afrique  septentrionale  que  dans  l'Asie  occidentale  et  en 
Europe. 

Chez  beaucoup  de  peuplades  sauvages  existe,  à  l'état  plus 
ou  moins  pur,  ou  a  existé,  ce  qu'on  appelle  la  famille  mater- 
nelle, la  filiation  utérine  '.  Cette  filiation  est  indiquée  par  le 
nom  de  la  mère  et,  quand  on  se  souvient  des  ancêtres,  la 
généalogie  est  établie  en  ligne  féminine.  Il  n'y  a  pas  d'autre 
parenté  légale  :  la  famille  est  unilatérale.  L'enfant  appartient 
à  la  mère;  il  est  et  reste  attaché  à  la  condition  de  celle-ci,  au 
groupe  social  dont  elle  fait  partie.  Le  frère  ou  un  autre  parent 
de  sa  mère  exerce  sur  lui  l'autorité  et  la  tutelle  qui  reviennent 
à  un  homme. 

L'origine  de  cette  forme  de  famille  peut  s'expliquer  par  le 
fait  que  le  rùle  du  père  dans  la  génération  aurait  été  d'abord 
inconnu.  La  filiation  utérine  se  serait  ensuite  maintenue  à 
cause  de  son  caractère  d'évidence,  qui  manque  à  la  filiation 
masculine.  C'était  la  seule  parenté  qu'il  fût  possible  de  cons- 
tater dans  des  groupes  pratiquant  la  promiscuité  sexuelle,  — 
à  supposer  qu'il  y  en  ait  eu,  —  dans  des  unions  temporaires 
et  successives,  dans  la  polyandrie.  Mais  la  désignation  de 
fenfant  par  le  nom  de  sa  mère  et  son  appartenance  à  la  famille 
maternelle  ont  souvent  aussi  persisté  dans  des  formes  légales 
d'union  où  le  père  est  connu,  où  la  femme  se  sépare  des  siens 
pour  aller  habiter  avec  son  mari. 

Ce  système  se  retrouve  chez  des  populations  nègres 
d'Afrique;  jadis,   il  devait  être  bien  plus  répandu,  mais  il  est 

1.  Ce  système  acxorupagrii'  ordinairement  rexoj^aiiiie,  mais  il  n'y  a  pas  là  un 
lien  nécessaire. 


LE^  CADRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  37 

en  recul  devant  la  famille  paternelle-  Il  s'est  conservé  plus 
opiniâtrement  dans  un  cas  où  il  importe  beaucoup  que  la 
pureté  du  sang  ne  soit  l'objet  d'aucun  doute  :  le  droit  hérédi- 
taire à  la  succession  au  pouvoir.  «  Les  Ethiopiens,  écrit 
Nicolas  de  Damas  \  honorent  particulièrement  leurs  sœurs, 
et  c'est  aux  fils  de  leurs  sœurs,  non  pas  à  leurs  propres  fils, 
que  les  rois  laissent  leur  succession.  »  Au  moyen  âge,  l'auto- 
rité suprême  se  transmettait  de  la  même  manière  dans  les 
puissants  royaumes  soudanais  de  Gana  ^  et  de  Melli  ^  On  lit 
dans  El  Bekri  :  «  Chez  le  peuple  de  Gana,  l'usage  et  les  règle- 
ments exigent  que  le  roi  ait  pour  successeur  le  fils  de  sa  sœur, 
car,  disent-ils,  le  souverain  a  la  certitude  que  son  neveu  est 
bien  le  fils  de  sa  sœur,  mais  il  ne  peut  pas  être  assuré  que 
celui  qu'il  regarde  comme  son  propre  fils  le  soit  en  réalité.  » 

Nous  n'avons  pas  de  preuves  que,  dans  l'antiquité,  la  famille 
maternelle  ait  existé  chez  les  Libyens  *,  tandis  que,  chez  cer- 
tains d'entre  eux,  nous  trouvons  la  famille  paternelle  dès  le 
second  millénaire  ^  Mais  la  filiation  utérine  est  restée  jusqu'à 
nos  jours  en  usage  chez  les  Touareg,  ou,  du  moins,  chez  une 

1.  Fragm.  hist.  Gràcc,  111,  p.  473,  n"  142. 

2.  El  Bekri,  Descr.,  p.  328. 

3.  Ibn  Khaldoun,  Hisl.  des  Berbères,  trad.  de  Slane,  II,  p.  111. 

4.  Selon  Hérodote  (IV,  172),  les  Nasainons  ont  des  rapports  sexuels  avec 
n'importe  quelle  femme;  ils  connaissent  pourtant  leurs  ancôlres  (i'.  supra,  p.  35). 
D'où  l'on  pourrait  conclure  que,  chez  eux,  la  lilialion  s'établit  en  ligne  féminine. 
Mais,  puis(|ue  Hérodote  nous  dit  aussi  (ju'ils  se  marient,  une  autre  conclusion  est 
fort  admissible  :  comme  chez  beaucoup  d'autres  peuples,  la  paternité  légale 
aurait  résulté  du  mariage;  les  généalogies  auraient  pu  ainsi  s'établir  en  ligne 
masculine.  Ailleurs  (u.  supra,  p.  30),  Hérodote  prétend  que  des  peuplades  où  les 
femmes  sont  en  commun  attribuent  un  père  à  chaque  enfant  :  c'est  la  négation 
même  de  la  famille  maternelle.  —  On  raconte  que  la  Kâhina,  princesse  de 
l'Aurès  à  la  fin  du  vu»  siècle,  voulut  adopter  un  Arabe,  Khàlid  ben  Yazid.  Elle 
pétrit  avec  de  l'huile  un  peu  de  farine  d'orge,  qu'elle  plaça  sur  ses  seins,  et  la 
fit  ainsi  manger  à  ses  fils  et  à  Khàlid,  auxquels  elle  dit  :  «  Vous  voilà  devenus 
frères!  »  Voir  H.  Fournel,  Les  Berbères,  I,  p.  220-1.  C'était  là  une  manière 
symboliiiue  d'établir  la  parenté  par  le  lait.  Celle-ci  peut  être  regardée  comme 
une  forme  atténuée  de  la  parenté  utérine.  Mais,  même  si  l'anecdote  n'était  pas 
très  suspecte,  elle  ne  prouverait  pas  que  cette  parenté  ait  été  seule  admise,  à 
l'exclusion  de  la  parenté  masculine.  D'ailleurs,  je  ne  connais  dans  l'antiquité 
aucun  exemple  d'une  adoption  légale  par  une  femme  berbère. 

5.  V.  infra,  p.  42. 


38  ORGANISATION  SOCIALE  ET   POLITIQUE. 

partie  d'entre  eux.  Or  ils  descendent  de  gens  originaires  de 
la  Berbérie,  qui  ne  sont  probablement  venus  dans  le  Sahara 
qu'après  l'ère  chrétienne  '.  Chez  ce  peuple,  le  fils  appartient  à 
la  tribu  et  à  la  condition,  noble  ou  serve,  de  sa  mère.  Si,  con- 
formément au  droit  musulman,  les  héritages  privés  se  trans- 
mettent en  ligne  masculine,  l'héritage  politique  d'un  chef  passe 
à  l'aîné  des  frères  utérins  qu'il  laisse,  ou,  à  défaut  de  frères, 
au  fils  aîné,  soit  de  sa  tante  maternelle,  soit  de  sa  soeur  aînée  *. 
Rappelons  aussi  ^  que,  pour  exprimer  l'étroite  parenté  qui  les 
unit,  croient-ils,  à  l'ourane,  des  Touareg  disent  que  cet  animal 
est  leur  oncle  maternel  :  ce  qui  s'explique  par  le  système  de 
la  filiation  utérine. 

Il  était  en  usage  au  xiv"  siècle  de  notre  ère  ^;  nous  ignorons 
s'il  est  plus  ancien.  On  pourrait  supposer  que  les  conquérants 
berbères  du  Sahara  l'ont  emprunté  aux  Ethiopiens  des  oasis, 
ou  aux  nègres  du  Soudan,  avec  lesquels  ils  ont  été  en  rapports 
presque  constants,  qu'ils  ont  même  parfois  dominés.  Mais 
l'hypothèse  se  heurterait  à  une  objection  grave  :  si,  très  sou- 
vent, la  famille  paternelle  a  remplacé  la  famille  maternelle, 
l'évolution  inverse  n'a,  que  je  sache,  jamais  été  constatée.  Il 
faudrait  donc  croire  que  les  ancêtres  des  Touareg  ont  apporté 
de  Berbérie  la  filiation  utérine.  La  question  ne  me  paraît  pas 
pouvoir  être  résolue  dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances. 


1.  V.  supra,  p.  3. 

2.  Benhazcra,  Six  mois  chez  les  Touareg  du  Ahaggar  (Alger,  1908),  p.  51.  Ce  que 
j'ai  dit  à  ce  sujet  t.  I,  p.  240,  u.  3,  n'est  pas  eiilièrcinenl  exact. 

3.  T.  1,  p.  24(),  n.  1. 

4.  Mentionné  au  milieu  de  ce  siècle  par  Iljn  IJaloulah,  Voyages,  trad.  Dcfrcmery 
et  Sanguinetti,  IV,  p.  388;  au  milieu  du  siècle  suivant,  par  uu  marchand  ilalicn, 
Mallant  :  voir  de  la  Homùére,  La  découverte  de  l'Afrique  au  moyen  âge,  I,  p.  153. 
C'est  donc  à  tort  que  M.  van  Geunep  (L'élat  actuel  du  problème  tolcmique,  p.  224) 
aflirme  que  «  la  lllialion  utérine  chez  les  Touareg;;  du  Nord  date  tout  au  plus  de 
six  f^'r-néralions  ».  Au  xn'  siècle,  les  souverains  ainuiravides,  qui  appartenaient 
à  une  famille  Ijerhère  originaire  du  Sahara,  se  succédèrent  de  père  en  (ils  dans 
leur  royaume  ilu  Ma^hreh.  Mais  ils  avaient  pu  renoncer  à  leur  système  familial 
et  adopter  celui  de  leurs  sujet».  Ce  n'est  donc  pas  là  une  preuve  que  la  (lliation 
utérine  n'était  point  alors  usitée  au  Sahara. 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIETE  INDIGENE.  39 

L'existence  de  cette  organisation  familiale  chez  les  Libyens 
serait  incontestable,  qu'elle  ne  légitimerait  pas  l'hypothèse 
d'une  période  de  leur  histoire  où  les  hommes  auraient  été 
subordonnés  aux  femmes.  La  filiation  utérine  se  justifie,  nous 
l'avons  dit,  par  son  évidence,  l'appartenance  de  l'enfant  à  la 
mère,  par  la  gestation,  la  naissance,  les  soins  que,  seule,  elle 
peut  lui  donner  dans  son  premier  âge.  Gela  n'implique  pas  ce 
que  l'on  a  appelé  la  gynécocratie,  le  matriarcat. 

Nous  lisons  dans  Diodore  de  Sicile  '  un  long  récit  qu'il  a 
emprunté  à  un  auteur  grec  du  second  siècle  avant  J.-C, 
Dionysios,  dit  Scytobrachion.  Avant  l'époque  de  Persée  et 
d'Hercule,  une  nation  d'Amazones  existait  à  l'extrémité  occiden- 
tale de  la  Libye.  Seules,  les  femmes  étaient  admises  au  service 
militaire  et,  pendant  ce  temps,  elles  restaient  vierges.  Ensuite, 
elles  se  mariaient,  pour  avoir  des  enfants.  Les  hommes, 
maintenus  dans  une  condition  subalterne,  avaient  à  s'occuper 
de  toutes  les  besognes  domestiques.  Mais  aux  femmes  étaient 
réservées  toutes  les  fonctions  de  l'Etat.  Etc.  C'est  là,  naturel- 
lement, un  pur  roman,  dont  il  ne  faut  tenir  aucun  compte. 

Il  n'y  a  pas  lieu,  non  plus,  de  retrouver  des  indices  d'une 
gynécocratie  primitive  dans  le  rôle  qu'ont  joué  quelques 
femmes  aux  temps  historiques  ^  Telle  Cyria,  qui,  au  iv^  siècle 
de  notre  ère,  prit  une  très  grande  part  à  la  révolte  de  son 
frère,  le  prince  maure  Firmus,  contre  l'Empire  romain  ^  Telle 
l'héroïne  de  la  résistance  à  la  conquête  arabe,  la  Kâhina, 
à  laquelle,  dit-on,  son  don  de  prophétie  assura  un  prestige 
exceptionnel  et  qui,  par  l'intermédiaire  de  ses  fils,  exerça  un 
pouvoir  presque  absolu  sur  une  bonne  partie  des  Berbères  *. 
Ce  sont  encore  deux  célèbres  magiciennes  et  devineresses, 
tante  et  sœur  d'un  faux  prophète,  chez  les  Ghomara  du  Maroc 

1.  III,  52  et  suiv.  Coiif.  ici,  t.  I,  p.  354,  n.  7. 

2.  Sur  ce  rôle,  vuir  Uoulté,  Magie,  p.  31-32;  II.  liasset,  Essai,  p.  2'iS. 

3.  Ainmien  Marccllin,  XXIX,  5,  28. 

4.  Ibn  Khaidnun,  Histoire.  III,  p.  l'.)3. 


40  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

septentrional,  au  x'  siècle  '  ;  Zineb,  magicienne  elle  aussi,  qui, 
un  siècle  plus  tard,  eut  une  grande  influence  sur  son  mari, 
Youssef  ben  Tachfme,  le  fondateur  de  l'Empire  almoravide  ^ 
Puis,  au  xiii^  siècle,  la  mère  d'Yaghmoracène,  prince  de 
Tlemcen,  cette  femme  virile  qui  se  rendit  au  camp  ennemi 
pour  conclure  un  traité  ^;  au  xiv^  siècle,  Chimchi,  qui,  assistée 
de  ses  dix  fils,  gouverna  une  partie  de  la  Kabylie  *;  de  nos 
jours  enfin,  dans  la  même  région,  la  maraboute  Lalla  Fatma, 
qui  fut,  en  1857,  l'âme  d'une  insurrection  contre  la  France. 

De  toutes  ces  femmes  célèbres,  il  est  certain  que  les  unes  et 
très  probable  que  les  autres  n'ont  jamais  été  investies  d'aucune 
autorité  légale  ^  Elles  ont  dominé  grâce  à  l'ascendant  que, 
par  leur  intelligence  et  leur  énergie,  elles  ont  exercé,  soit  sur 
leurs  proches  parents,  possesseurs  légitimes  du  pouvoir,  soit 
dans  un  rayon  plus  étendu.  Plusieurs  d'entre  elles  avaient  un 
caractère  sacré  :  magiciennes,  prophétesses,  maraboutes. 

Comme  l'ont  fait  ou  le  font  encore  d'autres  peuples,  les 
Berbères  attribuent  volontiers  aux  femmes  une  puissance 
magique,  bienfaisante  ou  nuisible.  Ils  redoutent  leurs  malé- 
dictions, qui  peuvent  avoir  les  effets  les  plus  funestes  ^  Ils 
s'abstiennent,  probablement  pour  cette  raison,  de  leur  faire 
subir  le  sort  qu'à  la  guerre,  ils  infligent  aux  vaincus.  Dans 
des  tribus  du  iMuroc  où  la  condition  des  femmes  est  fort  infé- 
rieure à  celle  des  hommes,  un  individu  en  danger  de  mort 
peut  sauver  sa  tête  en  se  réfugiant  auprès  d'une  femme,  qu'il 


1.  El  Bekri,   Descr.,  p.  198.  Ibn  Khaldoun,  II,  p.  144. 

2.  Ibu  Khaldouu,  11,  p.  71;  III,  p.  272. 

3.  Le  même,  III,  p.  34G. 

4.  Le  même,  I,  p.  257. 

5.  Un  extrait  de  Nicolas  de  Damas  (F.  h.  G.,  111.  p.  462,  n"  133)  concerne  une 
peuplade  libyenne  qui  nous  est  tout  à  fait  inconnue,  les  Hjaoï.  Chez  eux,  «  un 
homme  rè^ue  sur  les  Munîmes,  une  femme  sur  les  femmes  ■.  Cela  prouverait, 
en  tout  cas,  que  les  femmes  n'y  commaudaieut  pas  aux  hommes.  Mais  (|uel  crédit 
peut  mériter  cette  information,  si  contraire  à  ce  «jue  nous  savons  par  ailleurs 
des  Libyens?  Pour  le  cas  de  Cléopàlre  Séléné,  reine  de  Maurétanie.u.  infra,  p.  121). 

(■».  Westermarck,  Cérémonies  du  mariwjc,  p.  297. 


LES  CADRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  41 

saisit  par  la  taille  et  dont  il  implore  la  protection;  il  est  rare 
que  ses  ennemis  osent  commettre  un  sacrilège  en  violant  cet 
asile  '.  C'était  à  des  femmes,  et  non  pas  à  des  hommes,  —  du 
moins  parmi  les  vivants,  —  qu'on  attribuait,  dans  l'antiquité 
et  même  plus  tard,  le  privilège  de  prévoir  l'avenir  '  :  nous 
connaissons  ainsi  des  prophétesses  fameuses,  dont  quelques- 
unes  étaient  de  haut  rang  :  la  mère  de  Masinissa,  la  Kâhina, 
reine  de  l'Aurès. 

L'Islam  admet  des  maraboutes,  acquérant  elles-mêmes  ou 
recevant  en  héritage  cette  sorte  de  fluide  sacré  qui  donne  à  ses 
détenteurs  un  pouvoir  extraordinaire.  Mais,  du  culte  public, 
il  a  écarté  les  femmes.  Cette  exclusion  a  été  une  nouveauté 
pour  les  Berbères.  Hérodote'  décrit  une  grande  fête  religieuse 
que  des  jeunes  filles  célébraient  dans  la  région  de  la  petite 
Syrte,  après  s'être  livrées  à  un  rite  magique  d'expulsion  du 
mal.  Les  femmes  participent  encore  à  nombre  de  cérémonies 
magiques  qui  persistent  dans  l'Afrique  du  Nord  et  qui  se  sont 
fort  peu  islamisées  '.  Cependant  il  serait  tout  à  fait  téméraire 
d'attribuer  le  rôle  important  qu'elles  y  jouent  à  une  gynéco- 
cratie  lointaine,  ou  même  à  une  organisation  primitive  des 
groupes  sociaux  en  familles  maternelles. 


III 

Sauf  chez  les  Touareg,  le  système  familial  est  partout  le 
même  chez  les  Berbères.  Ils  appartiennent  sans  doute  à  des 
races  diverses,  qu'une  longue  série  d'événements  inconnus  a 
superposées  ou  juxtaposées.  Mais  le  temps  a  unifié  leurs 
institutions  sociales,  comme  leurs  mœurs,  comme  leur  langue. 

1.  Doulté,  En  tribu,  p.  79. 

2.  Voir  t.  VI,  1.  Il,  ch.  ii,  §VI. 

3.  IV,  180. 

4.  Voir  t.  VI,  1.  H,  ch.  ii,  §1. 


42  ORGANISATION   SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

Il  serait  vain  de  chercher  à  savoir  quels  ont  été  parmi  eux 
ceux  qui  ont  donné  et  ceux  qui  ont  reçu.  La  seule  chose  que 
nous  puissions  constater,  c'est  la  ressemblance  de  leur  organi- 
sation familiale  avec  celle  des  peuples  que  Ton  a  pris  l'habi- 
tude d'appeler,  d'après  leur  langage,  Aryens  et  Sémites.  Il  y  a 
pourtant  des  différences;  à  défaut  de  témoignages  explicites 
concernant  l'antiquité,  certaines  d'entre  elles  nous  permet- 
tront de  supposer,  avec  une  grande  vraisemblance,  que  nous 
avons  affaire  à  des  règles,  à  des  coutumes  antérieures  aux 
conquêtes  romaine  et  musulmane. 

Fondée  sur  le  mariage,  la  famille  berbère  a  pour  chef 
l'homme,  chez  lequel  la  femme  doit  habiter,  auquel  elle  doit 
obéissance  et  fidélité  conjugale.  La  polygamie  est  licite.  La 
filiation  est  indiquée  d'après  le  père,  c'est-à-dire  d'après  le 
mari  de  la  mère  :  car  celui-ci,  s'il  ne  peut  pas  faire  la  preuve 
de  l'adultère  de  sa  femme,  doit  reconnaître  pour  siens  les 
enfants  qu'elle  met  au  jour.  La  famille  se  perpétue  de  mâle 
en  mâle;  les  filles  en  sortent  lors  de  leur  mariage  et  leurs 
descendants  en  sont  exclus.  Les  biens  personnels  se  transmet- 
tent aussi  de  mâle  en  mâle  ;  les  épouses  et  filles,  admises  à 
une  part  d'héritage  dans  la  loi  musulmane,  n'ont  aucun  droit 
à  la  succession  dans  la  coutume  berbère*. 

Que  cette  organisation  date  d'une  époque  reculée,  c'est  ce 
dont  on  ne  saurait  douter.  Les  plus  anciens  documents  qui 
concernent  les  ancêtres  des  Berbères  sont  des  inscriptions 
égyptiennes.  Elles  nous  apprennent  qu'au  xiii'^  et  au  xii^  siècle 
avant  J. -G.,  le  pouvoir  était  héréditaire  de  mâle  en  mâle  chez 
des  Libyens-  :  ce  qui  prouve  l'existence  de  la  famille  pater- 
nelle. Plus  tarfl,  dans  des  inscriptions  libyques,  puniques  et 
latines,  des  indigènes  indiquent  le  nom  de  leur  père;  on  n'a, 

1.  Fait  lomarqiiahle  :  les  Kabyles,  après  avoir  adopté  à  cet  éj;ard  la  loi  inusiil- 
manc,  y  ont  reuoncé  au  milieu  du  xviu*  siècle.  Conf.  II.  Basset,  dans  Rev.  afric, 

Lxiii.  11)20,  p.  mo-i. 

2.  V.  infra,  p.  71. 


LES  CADRES   DE   LA   SOCIETE   INDIGENE.  43 

je  crois,  aucune  mention  de  filiation  utérine.  Tout  ce  que  nous 
savons  sur  les  rois  et  princes  royaux  en  Numidie  et  en  Mauré- 
tanie,  sur  la  transmission  de  la  souveraineté  dans  ces  contrées 
aux  trois  derniers  siècles  avant  notre  ère,  exclut  la  filiation 
utérine  et  atteste  la  filiation  masculine. 

Le  célibat  est  fort  rare  chez  les  Berbères;  le  divorce  et  le 
veuvage  sont  d'ordinaire  suivis  d'une  nouvelle  union,  quand 
la  vieillesse  ne  s'y  oppose  pas.  En  général,  hommes  et  femmes 
se  marient  très  jeunes  pour  la  première  fois;  les  femmes,  à 
peine  pubères.  Ce  fait  explique  pourquoi  la  plupart  d'entre 
elles  sont  encore  vierges.  Mais  il  ne  suffit  pas  à  l'expliquer. 
Dans  l'antiquité,  la  virginité  était  appréciée,  probablement 
même  exigée,  chez  les  jeunes  filles*.  Elle  l'est  encore "^ 
Presque  partout,  la  preuve  doit  en  être  faite  publiquement, 
lors  de  la  consommation  du  mariage^;  faute  de  quoi,  l'union 
peut  être  rompue  et,  dans  certaines  tribus,  la  femme  ainsi 
renvoyée  peut  être  tuée  par  les  siens.  Chez  les  Kabyles,  il  y 
a  moins  d'un  siècle,  la  jeune  fille  qui  avait  un  enfant  naturel 
était  mise  à  mort  avec  lui.  La  valeur  matrimoniale  des  veuves, 
des  divorcées  est  moindre  que  celle  des  vierges. 

Dans  le  mariage,  il  convient  de  distinguer  les  rites  et  l'achat 
de  la  femme. 

Les  rites  *^  sont  d'origine  magique.  On  les  célèbre  aujourd'hui 
machinalement,  et  la  signification  s'en  est  le  plus  souvent 
perdue.  Ils  ont  exprimé  jadis  des  croyances,  des  craintes,  des 
désirs  fort  divers,  qui  se  sont  mêlés  sans  souci  de  se  mettre 

1.  Pour  les  Machlyes  et  les  Auses,  v.  supra"^  p.  29.  Chez  les  Adyrmachides,  il  y 
avait  des  jeunes  filles  qui  restaient  vierges  jusqu'à  leur  mariage  (Hérodote,  IV,  168). 

2.  Les  lilles  de  la  tribu  arabe  des  Ouled  Nail,  qui  se  marient  après  une  période 
plus  ou  moins  longue  de  prostitution  publique  {supra,  p.  31),  constituent  une 
exception,  peu  prisée  des  autres  indigènes. 

3.  Par  une  exhibition  de  linge,  qui  n'est  souvent  qu'une  pseudo-preuve. 

4.  Pour  ces  rites,  voir  la  bibliographie  dans  W.  .Mariais  et  Ahderrahniàn 
Gulga,  Textes  arabes  de  Takroâna,  1  (Paris,  1925),  p.  390  et  suiv.  Le  principal 
ouvrage  est  celui  de  Westermarck,  Les  cérémonies  du  mariage  au  Maroc,  Irad.  .\rin 
(Paris,  1921). 


44  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

d'accord.  La  plupart  ont  ou  paraissent  avoir  une  valeur  puri- 
ficatrice ou  prophylactique  :  il  faut  écarter  les  dangers  aux- 
quels sont  exposés  les  deux  époux  à  leur  entrée  dans  une  vie 
nouvelle.  D'autres  semblent  destinés  à  conjurer  les  malheurs 
que  la  mariée,  par  son  influence  magique,  peut  attirer,  non 
seulement  sur  le  marié,  mais  encore  sur  les  personnes  pré- 
sentes, ou,  au  contraire,  à  utiliser  ce  que  cette  influence  peut 
avoir  de  bienfaisant.  D'autres  doivent  faciliter  la  consom- 
mation du  mariage,  le  rendre  fécond,  assurer  le  bonheur 
et  la  concorde  du  ménage.  Certains  pourraient  être  inter- 
prétés comme  des  vestiges  de  rapt  *,  mode  d'acquisition  de 
la  femme  entièrement  contraire  au  caractère  légal  de  l'insti- 
tution. 

Le  mariage  berbère  résulte,  en  effet,  d'un  accord  conclu 
publiquement  entre  les  pères  des  futurs  époux.  Il  est  un  achat 
fait  par  le  père  du  jeune  homme  au  père  de  la  jeune  fille.  Le 
consentement  de  celle-ci  n'est  pas  nécessaire  et,  très  souvent, 
il  n'est  pas  demandé.  Dans  quelques  tribus,  le  droit  qu'a  le 
père  de  vendre  sa  fille  est  aussi  absolu  quand  elle  a  déjà  été 
mariée,  que  quand  elle  est  vierge.  Telle  devait  être  la  règle 
primitive.  Si  elle  a  fléchi  ailleurs,  si,  d'ordinaire,  les  veuves 
et  divorcées  peuvent  disposer  d'elles-mêmes,  c'est  probable- 
ment à  l'exemple  du  droit  musulman.  C'est  au  même  droit 
que  des  Berbères  ont  emprunté  le  douaire  constitué  à  la 
femme  par  son  mari  :  tantôt  ce  douaire  et  le  prix  d'achat 
restent  bien  distincts,  tantôt  ils  s'enchevêtrent  ou  même  se 
confondent.  Dans  le  droit  indigène  primitif,  ce  qui  était  remis 

1.  Combat  fictif  entre  les  hommes  des  deux  familles  pour  la  possession  de  la 
fiancée;  tentatives  simulées  par  ses  parentes  pour  empêcher  la  consommation 
du  mariaf^e;  vive  résistance  qu'elle  oppose  elle-même  à  son  mari.  Mais  d'autres 
interprétations  peuvent  être  proposées  de  ces  rites.  L'explication  par  le  rapt  ne 
convient  pas  à  un  rite  qu'on  retrouve  chez  les  Berbères,  comme  chez  les 
Romains,  et  aussi  dans  d'autres  pays  :  pénétrant  dans  le  domicile  conjugal,  la 
mariée  est  portée  par-dessus  le  seuil,  qu'elle  ne  doit  pas  toucher.  Souvent,  en 
ellet.  c'est  quelqu'un  de  sa  propre  famille  (jui  l'introduit  ainsi.  Voir  Wester- 
marck,  /.  c,  p.  192-3. 


LES  CADRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  LNDIGENE.  45 

au  père  de  la  fiancée,  bétail,  provisions  de  bouche,  argent, 
était  sans  doute  gardé  par  lui  intégralement. 

Le  nombre  des  hommes,  s'il  n'est  pas  diminué  par  des 
guerres  très  meurtrières,  différant  peu  de  celui  des  femmes  ' 
et  le  célibat  étant  exceptionnel,  la  plupart  des  Berbères  sont 
nécessairement  monogames  "^  Certains  d'entre  eux  répugnent 
même  à  la  polygamie  :  par  exemple,  les  Mzabites,  les  Haha 
et  d'autres  Marocains. 

Cependant  la  polygamie  est  fort  vieille  dans  l'Afrique  du 
Nord,  fort  antérieure  à  la  diffusion  de  l'Islam,  qui  l'admet, 
comme  on  le  sait.  Dès  le  xiii''  siècle,  une  inscription  égyp- 
tienne mentionne  la  capture,  après  une  bataille,  de  douze 
femmes  du  chef  des  Rebou  (Libyens  orientaux),  qui  les  avait 
amenées  avec  lui  ^  Des  témoignages  plus  récents,  s'échelon- 
nant  entre  le  v''  siècle  avant  J.-C.  et  le  vi"  après  notre  ère, 
prouvent  l'existence  de  la  polygamie  en  Berbérie.  «  Chez  les 
Nasamons,  dit  Hérodote  ',  chacun  a  coutume  d'épouser  plu- 
sieurs femmes.  »  Les  indigènes  qui  vivent  à  l'intérieur  des 
terres  «  ont,  dit  Strabon  %  de  nombreuses  femmes  »;  «  ont 
chacun,  dit  Pomponius  Mêla  \  plusieurs  femmes  en  même 
temps  ».^  Nous  lisons  dans  Salluste  '  :  «  Chez  les  Numides  et 
les  Maures,  chacun  prend  autant  de  femmes  qu'il  le  peut,  en 
proportion  de  sa  fortune,  les  uns  dix,  d'autres  davantage,  les 
rois  plus  encore.  »  L'auteur  du  récit  de  la  campagne  de  César 
en  Afrique  mentionne  les  épouses  de  Juba  I"^  Sous  le  Bas- 
Empire,   Claudien   parle,   avec  une  exagération  permise  h  un 

1.  Pourtant,  d'après  les  statistiques,  il  y  aurait  en  Algérie  une  différence  assez 
forte  eu  faveur  des  hommes  (53  contre  47  0/0)  :  voir  Démontés,  L'Algérie  économique, 
II  (Alger,  1923),  p.  52,  485  et  suiv. 

2.  Chez  les  iudigènes  de  l'Algérie,  il  y  a  actuellement  un  mari  polygame  sur  six. 

3.  Chabas,  Études,  p.  203. 

4.  IV,  172. 

5.  XVII,  3,  19. 

6.  I,  42. 

7.  Jug.,  LXXX,  0. 

8.  Bell.  Af rie,  XCl,2-i. 

GsELL.  —  Afrique  du  Nord.  V.  « 


46  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE.     ' 

poète,  des  «  mille  mariages  »  des  Africains  '.  Au  vi**  siècle, 
Procope  indique  que  des  chefs  ont  plusieurs  femmes^.  Il 
raconte  que  le  général  b3'zantin  Solomon,  ayant  menacé  des 
révoltés  de  tuer  leurs  enfants,  détenus  auprès  de  lui  comme 
otages,  reçut  d'eux  cette  réponse  :  «  Il  vous  convient  d'avoir 
souci  de  vos  enfants,  vous  à  qui  il  n'est  permis  d'épouser 
qu'une  seule  femme.  Quant  à  nous,  qui  en  prenons  jusqu'à 
cinquante,  si  des  occasions  se  présentent,  les  enfants  ne  nous 
manqueront  jamais  ^  » 

Comme  le  montrent  plusieurs  de  ces  textes,  c'étaient  les 
riches,  les  chefs,  les  souverains  qui  avaient  le  plus  de  femmes, 
car  ils  pouvaient  les  acheter  et  les  entretenir. 

Des  princes,  des  rois  avaient  aussi  des  concubines*,  qui 
devaient  être  souvent  des  esclaves.  Mais  elles  ne  comptaient 
pas  comme  épouses,  et  les  fils  qui  naissaient  d'elles  hors 
mariage  n'étaient  pas  tenus  pour  légitimes. 

Cette  polygamie  s'explique  surtout  par  la  sensualité  des  indi- 
gènes. La  femme  vieillit  plus  vite  que  l'homme.  Et,  quand 
elle  est  jeune,  l'enfantement,  l'allaitement  et  d'autres  causes  la 
soustraient  fréquemment  aux  rapports  sexuels.  Or  les  maris  ne 
se  soucient  pas  de  se  soumettre  à  la  continence.  De  plus,  la 
pluralité  des  femmes  procure  de  nombreux  enfants  à  ceux  qui 
souhaitent  en  avoir  :  ce  qu'atteste  la  réponse,  vraie  ou  supposée, 
des  Maures  à  Solomon.  Masinissa  put  ainsi  donner  naissance 
à  44  fils  ^  Pour  les  gens  d'une  condition  peu  relevée,  les  femmes 
sont  des  servantes,  un  capital  productif  presque  au  même  titre 
que  les  esclaves.  La  polygamie  facilitant  les  tâches  domestiques 

1.  Bell.  Gi7don.,  441  :  «  conubia  mille  ». 

2.  Dell.  yand.,U,  10,  11;  II,  20,  24. 
.1  Ibid.,  II,  11.  \'.i. 

4.  Appien,  Lib.,  106  (Masiiiiss.i).  Salluslo,  Jug.,  V,  7  (le  roi  Mastanabal);  ibid., 
CVIIl,  1  (dans  la  famille  de  Masiuissa).  Plutaniue,  Marius,  40  (le  roi  Hiem- 
psal).  Aminien  .Marccllin,  XXIX,  5,  2  (Nubel,  prince  maure  sous  le  Bas-Em- 
pire). 

5.  T.  III,  p.  302. 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGENE.  47 

par  le  partage  du  travail,  les  épouses  elles-mêmes  y  trouvent 
certains  avantages. 

Monogames  ou  polygames,  les  maris  exigent  de  leurs  femmes 
qu'elles  demeurent  avec  eux,  chez  eux.  Ce  qui  caractérise 
essentiellement  la  vie  conjugale,  c'est  la  constitution  d'une 
association  permanente,  dont  la  durée  n'est  limitée  ni  par  l'âge 
où  la  femme  cesse  d'être  propre  à  la  vie  sexuelle,  ni  par  l'âge 
où  les  enfants  n'ont  plus  besoin  de  leurs  parents.  Et,  chez  les 
Berbères,  la  communauté  d'existence  n'est  admise  qu'entre 
époux  légitimes  :  les  «  faux  ménages  »  sont  extrêmement  rares. 
Pour  les  riches,  le  concubinage  avec  des  femmes  de  condition 
inférieure  ne  supprime  pas  le  mariage,  mais  le  complète  en 
quelque  sorte,  qu'ils  aient  une  ou  plusieurs  épouses. 

L'union  peut,  il  est  vrai,  être  rompue.  Les  maris  ont  le  droit 
de  répudiation.  Presque  partout,  ils  en  font  largement  usage, 
sans  avoir  à  justifier  les  motifs  de  leur  décision.  Dans  certaines 
tribus,  la  somme  qui  a  été  dépensée  pour  acheter  la  femme 
est  restituée,  soit  par  le  père  de  celle-ci,  soit  par  un  nouveau 
mari.  Ce  droit  au  divorce  est  unilatéral  :  propriété  de  l'homme 
en  vertu  d'un  achat,  la  femme  ne  peut  être  dégagée  du  mariage 
ni  par  sa  volonté,  ni  même  par  une  décision  judiciaire.  Il  s'agit 
là,  certainement,  de  coutumes  fort  anciennes  :  pour  le  divorce, 
l'Islam  témoigne  de  moins  de  dureté  à  l'égard  des  femmes. 

Les  maris  ne  sont  pas  tenus  à  la  fidélité  conjugale.  Et,  lors- 
qu'ils s'adressent  à  des  prostituées,  ils  n'ont  à  répondre  à  per- 
sonne de  leur  conduite.  Ils  ne  courent  de  risques  que  quand  ils 
font  tort  à  un  autre  mari  en  entretenant  des  rapports  avec  sa 
femme,  ou  quand  ils  diminuent  la  valeur  matrimoniale  d'une 
jeune  fille  en  la  privant  de  sa  virginité. 

L'épouse  appartient  entièrement  à  son  époux,  qui  aurait 
même  le  droit  de  trafiquer  d'elle.  Commerce  très  rare  et  pro- 
fondément méprisé.  Car,  la  famille  se  perpétuant  de  mâle  en 
mâle,  il  faut  que  la  transmission  du  sang  soit  réelle.  L'adultère 


48  ORGANSATIOIN  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

de  la  femme  est  donc,  en  général,  puni  de  mort,  et  le  complice 
est  également  frappé  de  peines  très  rigoureuses.  Quand  Héro- 
dote' indique  que  les  Nasamons  admettent  la  coexistence  du 
mariage  et  de  relations  libres  avec  les  femmes,  on  peut  se 
demander  si  cela  est  conforme  à  la  vérité.  En  tout  cas,  nous  ne 
trouvons  rien  de  tel  chez  les  Berbères,  ni  dans  le  présent,  ni 
dans  le  passé  que  nous  pouvons  atteindre^.  Il  ne  faudrait 
faire  exception  que  pour  certains  rites  magiques,  célébrés  à  de 
longs  intervalles,  et  d'ailleurs  mal  connus,  pour  ces  «  nuits  de 
l'erreur  »%  s'il  était  prouvé  que  des  femmes  mariées  y  prenaient 
part. 

Le  meilleur  moyen  d'empêcher  l'adultère,  c'est  d'enlever  à 
l'épouse  l'occasion  de  le  commettre.  Les  femmes  des  campagnes 
ne  sont  pas  soumises  à  cette  réclusion  qui  est  imposée  aux  cita- 
dines*, et  qui  serait  inconciliable  avec  une  partie  des  tâches 
dont  elles  doivent  s'acquitter;  elles  sortent  le  visage  découvert. 
Dans  les  migrations  des  nomades,  elles  sont  naturellement 
mêlées  à  la  foule  en  marche  ^  Elles  assistent  souvent  aux 
combats  que  livrent  leurs  maris,  leurs  frères,  leurs  fils^  Mais, 
dans  la  vie  ordinaire,  elles  doivent  s'abstenir  le  plus  possible 
d'entrer  en  conversation  avec  des  hommes  qui  n'appartiennent 
pas  à  leur  famille,  se  détourner  même  quand  elles  les  rencon- 
trent. Dans  les  marchés  et  autres  lieux  publics,  elles  ne 
s'approchent  pas  d'eux,  à  moins  que  leur  vieillesse  n'enlève 

t.  IV.  172. 

2.  Sauf  peul-êlre  pour  les  GuanchRS  des  Canaries;  des  chroniqueurs  espagnols 
prétendent  que,  chez  eux,  les  femmes  étaient  presque  communes  et  que  les 
hommes  se  les  prêtaient  volontiers:  voir  Létourneau,  L'évolution  du  mariage  et  de 
la  famille,  p.  199. 

3.  V.  supra,  p.  32. 

4.  Et  qui  est  de  règle  dans  les  villes  du  Mzah,  hahitée»  par  de  purs  Berbères. 
Il  se  peut  donc  que  ce  ne  soit  pas  une  importation  orientale,  postérieure  à  la 
difTusion  de  l'Islam. 

.5.  Sauf  les  femmes  des  chefs,  que  cachent  des  palanquins  portés  par  des 
chameaux  :  usage  (|ui  est  probablement  d'origine  orientale,  comme  les  chameaux 
eux-mêmes. 

0.  Voir  t.  VI,  ).  1,  ch.  III,  §  l. 


LES  CADRES  DE  LA  SOCIETE  INDIGENE.  49 

tout  danger  à  ce  contact.  C'est  entre  elles  qu'elles  se  réunissent, 
soit  au  cimetière,  soit  dans  la  plupart  des  fêtes.  En  dehors  de 
la  famille,  les  deux  sexes  ont  une  existence  rigoureusement 
distincte. 

Malgré  le  caractère  magico-sacré  qui,  dans  certaines  circons- 
tances, est  reconnu  aux  femmes,  les  Berbères  sont  bien  con- 
vaincus de  leur  infériorité.  L'épouse  est  entièrement  subor- 
donnée au  mari.  Sans  doute,  il  arrive  que,  par  l'attrait  qu'elle 
exerce  ou  par  son  intelligence,  elle  prenne  assez  d'ascendant 
sur  lui  pour  obtenir  d'être  bien  traitée,  pour  faire  accepter  ses 
conseils.  Les  Carthaginoises'  et  les  Romaines'  qui  épousèrent 
des  princes  indigènes  ne  se  résignèrent  évidemment  pas  à  une 
sorte  d'esclavage.  On  sait  quelle  influence  la  belle  et  instruite 
Sophonisbe  eut  sur  l'esprit  du  roi  Syphax  et  combien  son  nou- 
veau mariage  avec  Masinissa  alarma  les  Romains  \  Nous  avons 
cité*  d'autres  exemples  de  l'autorité  morale  conquise  par  des 
femmes,  qui  étaient,  elles,  de  sang  berbère. 

Mais  c'étaient  là  des  exceptions.  Autrefois  comme  aujourd'hui, 
la  femme  du  peuple  était  une  servante,  accablée  des  plus  dures 
besognes  %  vieillie  prématurément  par  cette  existence  pénible, 
et  aussi  par  la  fréquence  de  ses  couches. 

Il  faut  dire,  cependant,  qu'entre  les  Rerbères,  les  Touareg 
se  distinguent  par  la  condition  bien  meilleure  qu'ils  accordent 
à  leurs  femmes.  Nous  avons  vu"  que,  seuls,  ils  admettent  la 
filiation  utérine,  qui,  sans  impliquer  le  matriarcat,  est  une  sorte 
d'honneur  pour  les  mères.  D'autres  traits  de  leurs  mœurs  sont 
également  favorables  aux  femmes.  Elles  ne  sont  pas  brutalisées  ; 
elles  jouissent  d'une  grande  liberté,  dont  elles  usent  et  abusent, 

1.  Voir  t.  m.  p.  190,  l'J7. 

2.  Gorippus,  Joh.,  IV,  rjll  ;  V,  151;  Vlll,  271. 

3.  T.  III,  p.  207,  229,  230,  238-9. 

4.  P.  3'.)-4l). 

5.  Voir,  p.  ex.,  Pliiin  l'Ancien,  .WII,  41.  Il  dit  qu'il  a  vu  dans  le  Byzaciuni  une 
charrue  altelée  à  la  fois  d'un  âne  et  d'une  vieille  femme. 

6.  P.  37. 


50  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

se  déplaçant  comme  elles  le  veulent,  s'entretenant  avec  qui 
bon  leur  semble,  se  mêlant  aux  hommes  dans  des  réunions 
musicales  et  autres  '.  Elles  ne  se  marient  que  si  elles  y  con- 
sentent; la  somme  versée  par  la  famille  de  l'époux  est,  non  pas 
un  prix  d'achat,  mais  un  douaire  qui  leur  est  remis  et  dont 
.elles  ont  la  pleine  propriété.  Elles  peuvent  posséder  d'autres 
biens.  La  fidélité  conjugale  est  le  seul  devoir  qui  s'impose  à 
elles  :  en  principe  plus  qu'en  fait,  car  l'adultère  est  rarement 
châtié  d'une  manière  impitoyable.  Le  droit  de  rompre  l'union 
leur  appartient,  comme  à  leurs  maris  ;  du  reste,  ni  les  unes,  ni 
les  autres  ne  l'exercent  guère.  La  polygamie  est  exceptionnelle. 

Nous  avouons  que  cette  condition  de  la  femme  chez  les 
Touareg  pose  pour  nous  un  problème  embarrassant.  Il  n'est 
pas  probable  qu'elle  soit  un  fait  récent,  postérieur  à  la  venue 
de  leurs  pères  dans  le  Sahara,  car  on  ne  voit  pas  pour  quels 
motifs  ceux-ci,  s'ils  avaient  eu  les  mêmes  règles  familiales  que 
les  autres  Berbères,  y  auraient  si  complètement  renoncé.  On 
est  plus  disposé  à  croire  que  les  mœurs  actuelles  des  Touareg, 
si  particulières  à  cet  égard,  furent  jadis  apportées  par  eux  du 
Nord  de  l'Afrique.  Ce  n'est  cependant  pas  une  raison  d'admettre 
qu'elles  aient  été  répandues  très  largement  à  travers  la  Berbérie, 
du  moins  à  l'époque  historique,  dans  les  siècles  qui  ont  précédé 
l'ère  chrétienne  et  dans  ceux  qui  l'ont  suivie.  Nos  informations, 
si  maigres  qu'elles  soient,  peuvent  suffire  pour  nous  autoriser 
à  affirmer  que  la  famille  paternelle  existait  chez  les  Numides 
et  chez  les  Maures,  à  croire  même  qu'il  n'existait  chez  eux  pas 
d'autre  système  familial.  Il  est  certain,  d'autre  part,  que  le  sort 
des  femmes  était,  en  général,  très  dur,  puisque  le  droit  musul- 
man, peu  généreux  envers  elles,  leur  est  pourtant  plus  favo- 
rable que  les  vieilles  coutumes  berbères. 

Mais,  que  des   (lélules  nomades,  voisins   du    Sahara  où  ils 

1.   Aussi  «'st-il   fi)rl  ran-,    pariiit-il,  ([iic   les  jcmiHs  (illos  soient  vierges  à  leur 
rnuriafçc. 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  51 

devaient  ensuite  émigrer,  aient  fait  usage  de  la  filiation  uté- 
rine et  qu'ils  aient  bien  traité  leurs  femmes,  il  n'est  pas  interdit 
de  le  supposer;  de  supposer  aussi  qu'ils  avaient  conservé  obsti- 
nément un  régime  abandonné  depuis  fort  longtemps  par  les 
autres  habitants  de  la  Berbérie.  A  vrai  dire,  nous  n'avons  là- 
dessus  aucun  témoignage  direct. 

Laissons  cette  question  insoluble  et  examinons  la  condition 
des  enfants  dans  la  famille  paternelle. 

Les  Berbères  acceptent  volontiers  une  nombreuse  progéni- 
ture :  c'est,  nous  l'avons  indiqué,  une  des  raisons  pour  lesquelles 
ils  sont  polygames,  quand  ils  le  peuvent.  Désireux  de  perpétuer 
leur  famille,  ils  saluent  avec  joie  la  naissance  de  leurs  fils; 
ceux-ci  sont,  d'ailleurs,  des  éléments  de  force  dans  le  petit 
groupe  social  auquel  ils  appartiennent.  Quant  aux  filles,  leur 
venue  est  moins  bien  accueillie.  Cependant  on  ne  se  débarrasse 
d'elles  ni  par  le  meurtre,  ni  par  l'abandon.  Elles  rendent  des 
services  en  aidant  leur  mère  dans  ses  travaux  domestiques; 
nubiles,  elles  ont  une  valeur  marchande  qui  compense,  dans 
une  certaine  mesure,  les  frais  qu'elles  ont  coûtés.  Plusieurs 
auteurs  anciens  attestent  que  les  Africains  avaient  beaucoup 
d'enfants'.  Il  est  vrai  que,  chez  ces  populations  qui  menaient 
une  existence  très  rude,  la  mortalité  du  jeune  âge  devait  être, 
comme  de  nos  jours,  très  forte. 

La  vie  commune  que  crée  le  mariage  a  surtout  pour  objet 
d'assurer  l'entretien  des  enfants.  La  mère  les  soigne  et  les 
éduque  comme  elle  peut;  le  père,  qui  a  moins  d'intimité  avec 
eux,  leur  fournit  les  moyens  de  subsistance  et  les  protège  au 
besoin.  La  plupart  des  Berbères  s'acquittent  de  ces  devoirs 
avec  des  sentiments  affectueux. 

Pourtant   l'autorité  paternelle,   aussi  absolue  que    celle   du 


1.  Slrabon,  XVII,  3,  10.  Mêla,  I,  42.  Claudien,  Bell.  Gildun.,  443.  Procope, 
Bell.  Vand.,  II,  11,  13  (u.  supra,  p.  40).  GoluincUe  {III,  8)  dit  que,  chez  les 
.\fricains,  la  naissance  de  jumeaux  est  extrômemcnt  fréquente. 


52  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

pater  familias  romain,  pourrait  s'exercer  de  la  manière  la  plus 
brutale.  Comme  dans  d'autres  sociétés  où  la  constitution  de  la 
famille  était  la  même,  le  père  a  eu  sans  doute  à  l'origine  tous 
les  droits  sur  ses  enfants,  y  compris  celui  de  vie  et  de  mort. 
Ses  filles  sont  vendues  par  lui  à  ceux  qui  veulent  les  acheter. 
Ses  fils  restent,  aujourd'hui  encore,  soumis  à  sa  puissance 
jusqu'à  leur  mariage,  qu'ils  ne  peuvent  contracter  librement, 
que  le  père  décide  et  négocie,  souvent  sans  même  les  con- 
sulter. Peut-être  leur  sujétion  durait-elle  jadis  jusqu'à  la  mort  de 
leur  père,  car,  en  se  mariant,  ils  ne  sortaient  pas  de  leur  famille, 
comme  leurs  sœurs;  ils  ne  faisaient  qu'ajouter  un  anneau  à  la 
longue  chaîne  que  formaient  les  mâles  de  cette  famille. 

Outre  la  filiation  physiologique,  que  démontre  légalement 
le  mariage,  la  coutume  berbère  reconnaît  la  filiation  par 
adoption.  Mais,  contrairement  au  droit  musulman ,  cette 
adoption  n'est  admise  qu'au  bénéfice  d'un  neveu,  fils  d'un 
frère,  par  conséquent  en  faveur  du  parent  le  plus  proche  après 
les  fils,  ou  à  défaut  d'eux.  C'est  ainsi  qu'au  second  siècle  avant 
notre  ère,  le  roi  Micipsa  adopta  son  neveu  Jugurtha,  fils  de 
son  frère  Mastanabal  '. 

La  famille  berbère,  que  nous  venons  de  décrire  à  grands 
traits,  remplit  son  principal  rôle  social  :  la  continuité  et  la 
solidarité  des  générations.  A  une  époque  où  les  civilisés  du 
monde  antique  limitaient  le  nombre  de  leurs  enfants,  ils 
disaient  volontiers  que  les  Africains  avaient  trop  de  fils 
pour  les   aimer   beaucoup  ^.  Ce   reproche   était  une   mauvaise 


i.  Sallusto,  Jug.,  IX,  3  :  «  slatimque  eum  adoptavit  et  testamento  pariter  cum 
(lliis  heredeiii  inslituit.  »  Micipsa  prit  en  faveur  de  sou  nevou  deux  mesures.  Il 
l'adopta  pour  (Ils  :  c'était  là  un  acte  privé.  Il  décida  de  lui  laisser  une  part  de  sa 
succession  royale,  et  c'était  là  un  acte  de  souveraineté.  Ces  deu.K  mesures, 
Salluste  les  distingue  mal  :  voir  t.  VII,  I.  Il,  cli.  i,  §  il. 

2.  Claudicn,  Bell.  Gildon.,    442-3  : 

Non  illis  gcneris  ncxus,  non  pignora  curao, 
Sod  numéro  languet  pictas. 

Voir  plus  haut,  p.  46,  co  que  Procope  fait  dire  à  des  Maures. 


LES  CADRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  53 

excuse  de  leur  propre  égoïsme.  Mais  Salluste  '  a  montré  en 
quelques  mots  fort  justes  la  tare  de  la  polygamie  :  «  Cette 
multitude  d'épouses  empêche  l'afTection  des  hommes  de  se 
fixer  :  aucune  d'elles  n'est  traitée  comme  une  compagne  ;  toutes 
sont  également  dédaignées.  »  Ajoutons  que  la  concorde  est 
rarement  parfaite  entre  ces  femmes  et  que  des  enfants  nés  de 
différentes  mères  ne  s'attachent  pas  entre  eux  aussi  fortement 
que  s'ils  étaient  frères  par  leurs  deux  parents.  Intrigues,  ran- 
cunes ou  haines  s'agitent  autour  du  mari,  du  père,  et  affai- 
blissent le  groupe  familial.  Il  ne  faut  cependant  pas  oublier 
que  la  polygamie  est,  en  somme,  une  exception. 

Ce  qui  fait  vraiment  la  faiblesse  de  la  famille  berbère,  c'est 
la  condition  inférieure  de  l'épouse,  aussi  bien,  et  peut-être  plus 
encore,  dans  les  ménages  monogames  que  dans  l'état  de 
polygamie  ^  A  cet  égard,  le  droit  musulman  a  été  incontes- 
tablement un  progrès  pour  les  indigènes  qui  l'ont  adopté  : 
vérité  souvent  méconnue.  Achetée  comme  une  chose,  répudiée 
au  gré  d'un  mari  dont  elle  ne  peut  se  séparer  elle-même, 
livrée  à  ses  volontés  arbitraires,  accablée  des  plus  pénibles 
travaux,  la  femme  berbère  n'a  sur  son  maître  que  le  pouvoir 
de  sa  jeunesse,  bien  vite  fanée,  puis  des  liens  que  crée  l'accou- 
tumance au  foyer  commun,  —  quand  l'homme  ne  les  rompt  pas 
brutalement.  Elle  a  surtout  pour  réconfort  l'affection  de  ses 
fils,  qui  est  d'ordinaire  très  vive  et  que  l'âge  ne  diminue  pas. 


IV 

Comme  chez  les  Grecs,  chez  les  Romains,  chez  d'autres  encore, 
la  famille  restreinte,  comprenant  les  époux  et  leurs  enfants, 
fait  partie  chez   les   Berbères  d'une  famille   étendue,   qui  est, 

l.Jug.,  LXXX,  7. 

2.  Car  la  polygamie  exige,  de  la  part  du  mari,  de  la  richesse,  ou,  du  moins, 
quelque  aisance  :  donc  uu  bien-ùlrc  dont,  ses  femmes  prolltent. 


54  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

elle  aussi,  une  institution  juridique,  un  cadre  sans  doute  formé,  en 
tout  cas  adopté  par  une  société  pour  y  distribuer  ses  membres. 

C'est  un  groupe  composé  d'un  nombre  plus  ou  moins  grand 
de  mâles,  descendant  en  ligne  masculine  d'un  ancêtre  com- 
mun. A  ces  mâles  sont  agrégées  leurs  femmes.  Quant  aux 
filles,  elles  n'appartiennent  au  groupe,  comme  à  la  famille 
restreinte,  que  jusqu'à  leur  mariage. 

En  latin,  ce  groupe  de  parents  par  les  mâles,  d'agnats, 
agnati,  était  appelé  gens  \  Chez  les  Kabyles,  c'est  la  thakher- 
roubt,  terme  arabe  (kharouba)  légèrement  berbérisé;  au  Maroc, 
c'est  Vikhs.  Nous  l'appellerions  volontiers  claîi,  si  les  socio- 
logues les  plus  récents  n'avaient  décidé  de  qualifier  ainsi  des 
groupes  d'une  organisation  différente. 

On  s'attendrait  à  le  trouver  appelé  gens  dans  les  textes  latins 
concernant  les  indigènes  africains.  Mais  ce  mot  a  été  appliqué 
par  les  Romains  aux  tribus,  peut-être  parce  qu'ils  les  ont  tout 
d'abord  connues  superficiellement,  avant  de  bien  discerner  les 
groupes  familiaux  qui  les  composaient. 

Ce  sont  les  termes  familia  et  tribus  que  les  Latins  ont 
employés  pour  la  famille  étendue  des  Africains.  Parlant  des 
nomades  de  l'intérieur,  Pomponius  Mêla  ^  dit  qu'ils  vivent 
en  familiae,  composées  d'agjiati.  Familia  se  retrouve  avec  la 
même  signification,  croyons-nous,  dans  un  passage  de  Pline 
l'Ancien  ^  et  dans  une  inscription  de  Tunisie  *  :  «  Mathun, 
Massiranis  filius,  princeps  familiae  Medid.  »  [nom  écrit  en 
abrégé,  peut-être  celui   de   l'ancêtre  commun]  ^  Nous  avons, 

1.  Chez  les  Grecs,  -févo;,  qui  peut  désiguer,  soit  la  famille  restreinte,  soit  la 
famille  étendue. 

2.  I,  42  :  •  Quîinquain  in  fainilias  passiin  et  sine  loge  dispersi  nihil  in 
commune  consultant,  tamen,  quia  singulis  aliquot  simul  coniuges  et  plure8  ob  id 
liberi  adgnatique  sunt,  nus(]uain  i)auc,i.  >■ 

3.  V,  17  :  •  (gens)  Mauroruni  ...  attenuata  bellis  ad  paucas  recidit  familias  •. 

4.  Gagnât  et  Merlin,  Jnscr.  lui.  d'Afruiuc,  107  (=  Uessau,  Inscr.  lat.  seL.,  9  410). 
T).  Voir   peut-ùtre  aussi   Gsell,   Inscr.   lai.  de  l'Algérie,   I,  3  809.  Sur  une  autre 

inscription  concernant  une  tribu,  le  mot  fandlidc  parait  désigner  les  esclaves 
des  indigènes  :  C.  /.  /..,  VIII,  21  m\. 


LES  CADRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  «5 

d'autre  part,  des  inscriptions  latines  où  le  nom  d'un  indigène 
est  accompagné  de  la  mention  de  la  tnbus  à  laquelle  d  appar- 
tenait'. 11  s'agit  d'un  groupe  moins  étendu  que  celu,  que  nous 
appelons  en  trança>s  tribu  et  auquel  les  Romains  ont  apphque 
abusivement  le  terme  ,.hs  :  la  ,ens  est  une  fo>s  md.quee  en 
même  temps  que  la  mbu.'.  Dans  ces  inscriptions  le  mot 
.„.«  est  su,v.  dun  nom  propre,  qui  parait  b.en  des.gner 
un  homme.  H  y  a  lieu  de  croire  que  la  tnbu.  eta.  un 
groupe  d'agnats,   dénommé   d'après   l'ancêtre  commun  à  ses 

""'un''ruUe  de  cet  ancêtre  et  des  autres  ascendants  décédés 
était-il  un  des  éléments  de  la  solidarité  du  groupe?  Un  passage 
d'Hérodote  ■,  sur  lequel  nous  reviendrons  ',  pourra.t  être 
allégué  comme  ind.ce,  non  comme  preuve:  «  Pour  fa.re  de 
U  divination,  les  Nasamons  vont  aux  tombeaux  de  leurs 
ancêtres  et  s'endorment  par-dessus  après  avoir  pne;  ,1s  se  con- 
forment à  ce  qu'ils  voient  en  songe.  » 

Du  reste,  si  cétaU  la  parenté  du  sang  qu,  constitua.t  le 
„oupe,  c'était  la  vie  commune  qui  le  maintena.t  :  che^  les 
Lmades,  dans  leurs  déplacements,  dans  leurs  séjours  tempo- 
raires en  divers  lieux;  che.  les  sédentaires,  so,t  dans  une 
habitation  unique,  soit  dans  un  ensemble  d'habitaUons  con 
tigués  ou  très  rapprochées.  Cette  communauté  d  existence  a  pu 
avoir  pr,mitivement  pour  corollaire  l'indivsmn  des  b.ens,  de 
ceux,  du  moins,  que  leur  nature  même  (ob  ets  de  parure, 
armes,  etc.)  ne  destinait  pas  à  l'usage  personnel. 

,    m    '  ■.    I     rw  •  .  Nabdhseu,  Culuzanis  f(ilius),  trib(u) 
,     Ose.1.  insçr.  loL^e  ^^^^  '    ;,;^,,,,r^;Hus).   Uil.u  LMlisictri   -.Pour  ia 

^.::^^:r^  '  -^-^  -^p^--  ^''-^  ''■•''  ''''-' 

-t^Slu    l   c     3144  (voir  uole  précédente),  où  le'.no,  Masalanù  désigne  la  ,ens 
à  laquelle  appàrlenail  Tindividu  .nonUontie. 

3.  IV,  172. 

li.  Voir  t.  Yl.  1.  H.  <1'-  "'  S  ^' 


56  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

Le  groupe  a  besoin  d'un  chef  '  pour  le  diriger,  pour  le 
représenter  vis-à-vis  des  autres  groupes  semblables,  qui  font 
partie,  comme  lui,  d'une  société  plus  large.  Ce  peut  être,  soit 
l'aîné  de  la  branche  aînée,  —  il  en  était  ainsi  dans  la  gens 
romaine,  —  soit  le  plus  âgé  des  membres  de  la  famille  agna- 
tique  ^.  Il  est  probable  que,  chez  les  anciens  Berbères,  comme 
chez  leurs  descendants,  comme  chez  les  Arabes  préislamiques 
et  chez  d'autres  peuples,  l'âge,  et  non  la  primogéniture,  con- 
férait le  droit  à  la  suprématie.  Nous  verrons  ^  que  telle  était 
la  règle,  au  iii^  siècle  avant  notre  ère,  dans  le  royaume  mas- 
syle,  pour  la  succession  à  la  souveraineté;  elle  était  sans  doute 
empruntée  au  droit  familial.  Nous  verrons  aussi  *  la  place 
importante  attribuée  aux  vieillards  dans  les  conseils  des  groupes 
qui  embrassent  un  nombre  plus  ou  moins  grand  de  familles 
agnatiques.  Il  devait  en  être  de  même  dans  ces  familles.  Appa- 
remment, le  chef  n'agissait  pas  en  tyran,  mais  consultait  les 
gens,  d'ordinaire  âgés,  qui,  libérés  de  la  puissance  pater- 
nelle par  la  mort  de  leurs  ascendants,  étaient  à  la  tête  des 
petites  familles. 

Si  la  famille  agnatique  semble  bien  être,  comme  la  famille 
restreinte,  un  mode  d'organisation  d'une  société  plus  étendue, 
elle  est  devenue  un  corps  autonome,  n'admettant  dans  sa  vie 
intérieure  aucune  autorité  étrangère.  C'est  à  elle  qu'appartient, 
au-dessus  des  droits  exercés  par  les  chefs  des  petites  familles, 
le  châtiment  des  fautes  commises  dans  son  sein.  A  défaut  du 
mari  et,  au  besoin,  contre  son  gré,  elle  punit  de  mort  la  femme 
adultère,  dont  l'infidélité  risque  d'introduire  un  intrus  dans  le 
groupe.  Vis-à-vis  des  étrangers,  sa  solidarité  est  très  rigoureuse 
et  crée  des   obligations,   des  responsabilités   qui  s'imposent  à 

1.  Ce  qu'était  sans  doulc  \i'princi[)sfamiliaeMedid...  que  mcnlioune  l'iascription 
citée  p.  54. 

2.  Le  princcps  mcationné  ù  la  tinte  précédcnle  mourut  à  soixaute-dix  ans. 

3.  P.  122. 

4.  P.  g:{. 


LES  CADRES  UE   LA   SOCIETE   INDIGENE.  57 

tous  les  agnats,  les  femmes  en  étant  d'ordinaire  exemptes,  eu 
égard  surtout  à  leur  faiblesse,  peut-être  aussi  parce  qu'elles  sont 
seulement  agrégées  au  groupe.  C'est  un  devoir  pour  tous  de 
venger  les  injures,  violences  et  crimes  commis  sur  un  des 
membres  de  la  famille.  Le  châtiment  est  la  peine  du  talion  *: 
en  principe,  la  coutume  berbère  n'admet  pas  la  composition 
pécuniaire  et  c'est  au  droit  musulman  qu'elle  l'a  empruntée. 
D'autre  part,  le  groupe  est  solidaire  dans  la  responsabilité  du 
crime  commis  par  un  des  siens  :  la  vendetta  peut  frapper,  non 
pas  le  coupable,  mais  un  autre  agnat  dont  la  valeur  d'homme 
répond  mieux  à  celle  de  la  victime. 

Quand  un  conflit  éclate  entre  deux  individus  appartenant  à 
des  familles  agnatiques  différentes,  et  ne  s'est  pas  exaspéré  au 
point  d'exiger  une  vengeance,  c'est  à  ces  familles  qu'incombe 
le  devoir  de  trouver  un  arrangement  amiable,  ou  de  le  demander 
à  un  arbitre.  De  même,  pour  la  conclusion  des  contrats,  qui, 
dans  le  vieux  droit  berbère,  lient  deux  groupes  familiaux,  et 
non  deux  individus;  si  l'achat  d'une  femme  est  devenu  une 
affaire  privée  entre  les  pères  des  futurs  époux,  nous  avons 
des  indices  que,  primitivement,  les  deux  familles  agnatiques 
prenaient  part  à  ce  marché  ^ 

Aux  membres  du  groupe  ont  pu  être  agrégés  d'autres 
hommes,  de  condition  inférieure,  clients,  esclaves.  Mais,  pour 
l'antiquité,  on  n'a  aucun  renseignement  à  cet  égard. 

Dans  une  contrée  où  les  enfants  étaient  nombreux,  il  devait 
être  rare  que  des  familles  disparussent  par  extinction,  sauf  en 
cas  de  guerre.  Mais  elles  pouvaient  se  fractionner  pour  diverses 
raisons  :  affaiblissement  des  liens  d'affection,  de  l'esprit  de 
corps  entre  des  parents  de  plus  en  plus  éloignés;  discordes 
intestines  provoquant  une  scission  violente;  difficulté  pour  ces 


1.  Sauf  en  cas  de  rapports  sexuels  interdits,  où  la  peine  est  la  mort. 

2.  Très  souvent  encore,  le  père  de  la  jeune  fille  se  croit  obligé  de  consulter 
ses  proches  au  sujet  de  la  demande  en  mariage. 


58  ORGANISATION  SOCIALE   ET  POLITIQUE. 

groupes,  s'accroissant  d'âge  en  âge,  de  continuer  la  vie  com- 
mune dans  le  cadre  étroit  qui  avait  contenu  les  générations 
précédentes  et  que,  souvent,  il  leur  était  impossible  d'élargir  : 
d'oîi  la  nécessité  d'essaimer. 


V 


Constituée  dans  d'autres  groupes  qui  échappent  à  notre  con- 
naissance, la  famille  agnatique  jouit  d'une  très  grande  liberté 
au  sein  de  la  société  dont  elle  fait  partie.  Peut-être  même, 
s'isolant  matériellement,  a-t-elle  mené  çà  et  là  une  existence 
complètement  indépendante.  Pomponius  Mêla'  dit  qu'à  l'inté- 
rieur des  terres,  les  nomades  vivent  en  familles  d'agnats, 
dispersés,  sans  lois,  sans  prendre  de  délibérations  communes. 
Il  a  pu  en  être  ainsi,  non  point  partout,  comme  Mêla  le  croit, 
mais  dans  des  régions  très  pauvres,  où  le  peu  d'abondance  des 
pâturages  et  de  l'eau  ne  permettait  pas  à  un  grand  nombre 
d'hommes  de  se  réunir,  où  ces  petits  groupements  familiaux 
n'avaient  pas  à  craindre  que  de  plus  forts  vinssent  leur  disputer 
leurs  chétives  ressources,  et  où  eux-mêmes  devaient  rester, 
étant  trop  faibles  pour  aller  tenter  ailleurs  des  conquêtes  qui 
eussent  pu  leur  assurer  un  meilleur  sort. 

Cependant  la  nécessité  de  former  de  larges  associations  s'est 
imposée  de  très  bonne  heure  à  beaucoup  d'habitants  de  la 
Berbérie;  elle  a  été  plus  puissante  que  l'amour  jaloux  de  l'indé- 
pendance et  l'esprit  d'indiscipline  qui  sont  des  traits  dominants 
de  leur  caractère.  Nous  avons  déjà  constaté  Mes  agglomérations 
importantes  dès  les  temps  où  les  hommes  ne  vivaient  que  de  la 
chasse  et  des  produits  végétaux  naturels,  et  nous  les  avons 
expliquées  par  les  besoins  de  la  défense  et  l'appel  des  sources. 


1.  I,  42.  Ce  tcxlo  est  cité  p.  54,  n.  2. 

2.  P.  27-28. 


LES  CADRES  DE   LA   SOCIÉTÉ   INDIGÈNE.  59 

Quand  l'élevage  et  l'agriculture  se  répandirent,  cette  obligation 
de  s'associer  devint  plus  pressante  encore. 

Les  régions  de  la  Berbérie  qui  ont  des  pâturages  pendant 
tout  le  cours  de  l'année  sont  assez  rares.  Dans  le  Tell,  les 
herbes  des  plaines  se  dessèchent  en  été;  celles  des  montagnes 
sont  souvent  couvertes  de  neige  en  hiver,  et,  dans  ces  lieux 
élevés,  le  froid  éprouve  le  bétail.  11  est  donc  utile,  ou  même 
indispensable,  de  pratiquer  la  transhumance.  Les  steppes 
offrent  des  ressources  durant  l'hiver.  Mais,  l'été,  les  troupeaux 
doivent  abandonner  ces  espaces  dépourvus  alors  d'eau  et 
d'herbe,  et  prendre  le  chemin  du  Tell,  ou,  comme  pis-aller,  se 
rendre  dans  les  montagnes  de  l'Atlas  saharien';  ceux  qui  les 
mènent  sont  astreints  à  la  vie  nomade.  Je  ne  parle  pas  ici  du 
grand  nomadisme,  qui  s'étend  du  Sahara  au  Tell,  car  il  est  la 
conséquence  de  l'élevage  des  chameaux-,  encore  inusité  à 
l'époque  que  nous  étudions. 

Dans  des  sociétés  policées,  un  petit  nombre  de  bergers 
suffisent  pour  conduire  et  garder  le  bétail.  Mais  quand  il  faut 
qu'il  soit  défendu  contre  les  tentatives  d'enlèvement,  quand 
il  est  l'unique  ou  presque  l'unique  bien  de  ses  propriétaires, 
ceux-ci  sont  contraints  de  l'accompagner,  eux  et  leur  famille  ^ 
Comme  le  dit  Polybe*,  ils  vivent  de  leurs  troupeaux  et  avec 
leurs  troupeaux.  Ils  ne  se  déplacent  pas  au  hasard.  Ils  doivent 
suivre  les  pistes  qui  sont  jalonnées  par  des  points  d'eau, 
s'assurer  le  libre  passage  des  cols,  des  défilés,  des  vallées  qui 
les  amèneront  aux  lieux  où  ils  pourront  séjourner  et  dont  ils 

1.  Pour  ce  qui  précèdf,  ronf.  t.  I,  p.  160-170. 

2.  Qui  ont  besoin  d'unie  chaleur  sèche. 

3.  Au  VI'  siècle  de  noire  ère,  Corippus  et  Procope  nous  montrent  des  indigènes 
de  la  Tripolilaine  et  du  Sud  de  la  Tunisie  emmenant  leurs  troupeaux  de  hœufs, 
de  moutons,  d'ànes,  de  chameaux,  dans  leurs  campap:nes  contre  les  Byzantins  : 
Corippus,  Joh.,  II,  93-5,  31)7-9;  IV,  OOO,  OU-o:  V,  490-1;  VII,  08-69,  280;  Procope. 
Bell.  Va^.,  I,  8,  2."î;  II,  II,  17  et  53.  De  même,  bien  des  siècles  auparavant,  les 
Libyens  qui  envahirent  l'Égyple,  sous  le  règne  de  .Ménephtah  :  Chabas,  Éludes, 
2*  édit..  p.  190,  200  {ho'ufs,  chèvres  et  ânes). 

4.  XII,  3,  4. 


60  ORGANISATION   SOCIALE  ET   POLITIQUE. 

connaissent  les  ressources  pour  y  avoir  vécu  les  années  précé- 
dentes. Il  peut  arriver,  il  est  vrai,  que  de  longues  périodes  de 
sécheresse  aient  stérilisé  ces  régions  :  ils  doivent  alors  se 
transporter  ailleurs,  là  où  la  pluie  a  tombé.  Où  qu'ils  aillent, 
ils  ont  besoin  de  disposer  des  larges  espaces  que  l'élevage 
réclame. 

De  là,  cent  causes  de  conflits  avec  d'autres  pasteurs.  C'est  la 
dispute  des  pays  où,  d'ordinaire,  des  pluies  abondantes  assurent 
le  débit  régulier  des  sources  et  la  richesse  des  pâturages  ;  quand 
les  pluies  ont  manqué,  l'âpre  combat  pour  l'existence  des 
troupeaux  et  des  hommes;  dans  les  migrations,  les  querelles 
autour  des  points  d'eau.  C'est  la  nécessité,  pour  les  groupes  où 
les  naissances  humaines  sont  nombreuses  et  où  le  bétail 
s'accroît  rapidement,  de  s'étendre  de  plus  en  plus,  en  refoulant 
ou  en  détruisant  les  groupes  qui  gênent  leur  expansion.  Ce 
sont  aussi  les  razzias,  qui  n'ont  pour  cause  que  la  brutale  con- 
voitise du  bien  d'autrui*. 

Le  droit  de  vivre  et  le  désir  de  vivre  mieux,  la  défense 
comme  l'attaque,  exigent  l'union  et  une  certaine  discipline 
commune,  la  constitution  de  sociétés  permanentes  assez  fortes 
pour  écarter  les  intrus  des  terres  qu'elles  veulent  réserver  à 
leurs  troupeaux,  pour  s'ouvrir  les  routes  qu'elles  devront 
suivre  dans  leurs  migrations  périodiques,  pour  conquérir 
l'espace  qui  leur  manque,  pour  opérer  à  l'occasion  des  coups 
de    main    fructueux  ^    Dans   les    marches,    on    s'avance   tous 


1.  La  n'-ptitatiou  dos  Africains  comme  pillards  clail  ttiea  établie  chez  les  Grecs 
et  les  Romains  :  Slrabou,  XVII,  3,  15;  Tacite,  Ann.,  II,  52;  Festus  Aviénus, 
Descr.  orbis,  279;  etc.  Pour  les  (iétuies,  v.  infra,  p.  112. 

2.  Ce  groupe  do  nomades,  intermédiaire  entre  la  famille  et  la  tribu,  s'appelle 
en  arabe  ferqa,  mol  qui  signifie  «  fraction  »  (de  tribu).  Dans  les  tribus  actuelles, 
il  constitue,  en  elîet,  uue  subdivision.  Si  l'on  veut  faire  des  hypothèses  pour  des 
temps  très  lointains,  on  peut  supposer,  soit  que  de  tels  groupes  étaient  primiti- 
vement indépendants  et  se  sont  ensuite  unis  pour  former  une  société  plus  large, 
une  tribu,  soit  qu'une  société,  dev(;nue  trop  vaste,  s'est  scindée  en  groupes 
embrassant  un  certain  nombre  de  familles.  Ces  deu.K  hypothèses  sont  probablement 
vraies  l'une  et  l'autre. 


LES  CADRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  61 

ensemble,  ou  bien  par  échelons,  de  manière  à  ne  pas  encombrer 
et  tarir  les  sources  ou  les  puits.  Sur  les  pâturages,  chaque 
famille  d'agnats  forme  un  groupe  d'habitations  mobiles,  le 
plus  souvent  isolé,  mais  assez  rapproché  des  autres  groupes 
pour  qu'on  puisse  se  prêter  appui  ;  le  bétail,  qui  paît  le  jour 
aux  environs,  y  est  ramené  et  gardé  la  nuit.  Les  chefs  des 
familles  s'assemblent  pour  prendre  les  décisions  qui  intéressent 
la  communauté.  Nous  n'avons  pas  de  preuves  que  le  lien 
unissant  les  associés  ait  été  renforcé  par  un  culte  collectif. 

Parmi  les  indigènes,  Hérodote  '  distingue  très  nettement  les 
pasteurs  et  les  cultivateurs,  les  premiers  habitant  des  demeures 
transportables,  les  autres,  des  maisons  fixes.  Cette  distinction 
se  retrouve  plus  tard 2.  Elle  n'est  pas  rigoureusement  exacte. 
S'il  y  a  eu  des  Africains  adonnés  uniquement  à  l'élevage,  ceux 
qui  se  livrent  à  la  culture  ne  se  sont  jamais  interdit  d'avoir  des 
animaux  domestiques  \  Cependant  il  est  vrai  de  dire  que  le 
contraste  entre  la  vie  des  pasteurs  nomades  et  celle  des  paysans 
sédentaires  a  dominé,  à  travers  les  siècles,  l'histoire  écono- 
mique de  l'Afrique  du  Nord. 

L'agriculture  attache  au  sol,  l'arboriculture  encore  plus. 
Mais,  là  aussi,  les  causes  de  conflit,  et,  par  conséquent,  les 
risques  de  dépossession  sont  nombreux.  Entre  voisins,  on  se 
dispute  l'eau  courante,  qui  peut  servir  à  des  irrigations  et  dont 
ceux  d'amont  peuvent  priver  ceux  d'aval;  on  se  dispute  auss 
les  terres,  plus  ou  moins  fertiles.  Les  pasteurs,  surtout,  sont  les 
ennemis  naturels  des  agriculteurs.  Ils  veulent  se  réserver 
l'usage    des   plaines   où   les    laboureurs  tracent  leurs   sillons; 

1.  IV,  190,  191. 

2.  Diodore,  III,  49,  2.  Mêla,  I,  41-42. 

3.  Qui  leur  sont  utiles  pour  leurs  travaux  agricoles.  Le  cheval,  aulnial  de 
guerre,  était  élevé  dans  l'antiquité,  non  seulement  par  des  pasteurs,  mais  aussi 
par  des  agriculteurs.  Hérodote  (IV,  193)  mentionne  des  chevaux  chez  les  Zauèces, 
qu'il  range  parmi  les  cultivateurs.  Salluste  (Jug.,  XLVI,  5,  et  XLVIII,  4)  nous 
montre  Métellus  parcourant  en  Numidie  des  régions  où  il  trouve  à  la  fois  des 
agriculteurs  et  des  troupeaux. 

GsELL.  —  Afrique  du  Nord.  V.  5 


6â  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

lorsque  le  blé  et  l'orge  sortent  de  terre,  ce  sont  des  aliments  de 
choix  pour  leur  bétail.  Se  déplaçant  aisément,  depuis  qu'ils  se 
servent  de  chevaux,  ils  tombent  à  l'improviste  sur  les  séden- 
taires, pillent  leurs  demeures,  emportent  leurs  grains.  Les 
agriculteurs  peuvent,  il  est  vrai,  cacher  leurs  récoltes  dans  des 
souterrains,  que  l'ennemi  ne  découvre  pas  toujours.  Mais  leurs 
autres  biens,  leur  liberté  et  leur  vie  même  sont  à  la  merci  des 
nomades,  s'ils  vivent  dans  des  maisons  ou  des  hameaux  isolés, 
au  milieu  de  leurs  champs.  Les  attaques  sont  si  brusques  qu'ils 
n'ont  souvent  pas  le  temps  de  s'enfuir  et  de  se  mettre  à  l'abri 
dans  des  lieux  d'accès  difficile. 

Le  souci  de  leur  sécurité  leur  commande  donc  d'habiter  des 
villages,  protégés  par  des  obstacles  naturels  et,  s'il  le  faut,  par 
des  remparts.  Ces  villages  s'élèvent  en  général  auprès  d'une 
source,  qui  invite  les  hommes  à  former  autour  d'elle  un  groupe 
proportionné  à  la  quantité  d'eau  qu'elle  leur  offre.  D'autres 
causes  les  convient  à  cette  communauté  d'existence  :  le  besoin 
de  société,  les  services  mutuels  qu'on  peut  se  rendre  dans  les 
tâches  qui  exigent  un  prompt  achèvement  et  des  bras  nom- 
breux, telles  que  la  construction  d'une  maison,  la  moisson. 
Mais,  en  Berbérie  comme  en  Espagne,  le  village  est,  avant  tout, 
la  réunion,  dans  un  but  défensif,  de  ceux  qui  exploitent  la 
campagne  d'alentour.  Chez  les  Grecs  et  les  Latins,  le  territoire 
cultivé  n'est  que  l'annexe  de  la  ville;  chez  les  Africains,  —  où 
les  villes  sont  rares,  —  c'est  le  territoire  qui  crée  le  village. 
Celui-ci  est  plus  ou  moins  peuplé;  il  n'est  jamais  très  étendu, 
puisqu'il  est,  en  réalité,  un  refuge  permanent  dans  une  position 
forte.  Naturellement,  on  le  place  le  plus  près  possible  des 
champs,  oii  les  cultivateurs  doivent  pouvoir  se  rendre  sans 
perdre  trop  de  temps. 

Jusqu'à  nos  jours  ou  jusqu'à  une  époque  très  rapprochée  de 
nous,  nous  trouvons  presque  partout  chez  les  Berbères  séden- 
taires, en  Kabylie  comme  dans  l'Aurès,  dans  le  Rif  marocain 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  63 

comme  dans  l'Atlas,  un  mode  de  groupement  et  d'organi- 
sation' qui  doit  remonter  à  une  antiquité  lointaine,  sans 
qu'on  puisse  savoir  de  quelle  manière  il  s'est  établi  et  propagé. 
Le  village  est  une  république^,  composée  d'un  certain  nombre 
de  familles  d'agnats,  lesquelles  gardent  leur  cohésion,  leur 
solidarité  et  le  droit  de  régler  elles-mêmes  leurs  propres 
affaires. 

Quant  aux  affaires  d'intérêt  commun,  elles  sont  discutées  et 
décidées  par  une  assemblée  '  (la  djemaâ  en  arabe),  dont  la 
composition  varie.  A  l'origine,  ce  devaient  être  les  chefs  des 
groupes  dont  la  réunion  formait  la  république,  c'est-à-dire  les 
chefs  des  familles  agnatiques.  Il  en  est  encore  ainsi  çà  et  là*. 
Ailleurs,  ce  sont  des  délégués  de  ces  familles,  ou  bien  des 
notables  élus.  En  d'autres  lieux,  tous  les  hommes  adultes 
assistent  à  cette  assemblée,  droit  qui  leur  a  peut-être  été  conféré 
parce  qu'ils  ont  tous  à  participer  à  la  défense  du  village.  Mais, 
seuls,  les  vieillards  se  font  entendre  dans  les  délibérations  et, 
souvent,  les  décisions  à  prendre  ont  été  préalablement  arrê- 
tées dans  un  comité  restreint,  composé  de  notables  âgés.  De 
toute  façon,  ce  sont  les  anciens  qui  gouvernent  la  petite  répu- 
blique. Ils  la  gouvernaient  déjà  il  y  a  quinze  ou  vingt 
siècles.  Des  inscriptions  latines  nous  font  connaître  des  seniores 


1.  Pour  la  conslitutioQ  des  villages  berbères  comme  pour  celle  des  tribus,  les 
deux  principaux  ouvrages  sont  ceux  d'Hanoteau  et  Letourneux,  La  Kabylie  et  les 
coutumes  kabyles  (2«  édit.,  Paris,  1893),  et  do  Masqueray,  Formation  des  cités  chez 
les  populations  sédentaires  de  l'Algérie  (Paris,  1886).  —  Pour  le  Maroc,  voir  eu  par- 
ticulier Doutté,  dans  Bull,  de  l'Afrique  française,  1903,  Supplément;  A.  Bernard, 
Les  confins  algéro-marocains  (Paris,  1911),  p.  87  et  suiv.  ;  le  même.  Le  Maroc  (Paris, 
1914),  p.  214  et  suiv. 

2.  11  peut  arriver  (c'est  assez  souvent  le  cas  dans  le  Sud  du  Maroc)  que  cette 
république  soit  formée,  non  par  un  groupe  de  population  réuni  dans  un  village, 
mais  par  les  habitants  de  plusieurs  hameaux  dispersés  dans  la  campagne.  Pour 
des  raisons  diverses,  la  concentration  matérielle  ne  s'est  pas  faite,  ou  s'est  défaite, 
mais  l'absence  de  village  n'empêche  pas  l'association  politique. 

3.  Pomponius  Mêla  (1,  42)  dit  dos  nomades  de  l'intérieur  :  «  nihil  in  commune 
consultant  •,  ce  qui  pourrait  être  une  allusion  aux  assemblées  des  sédentaires 
soit  dans  les  villages,  soit  dans  les  tribus. 

4.  Dans  le  Nord  et  le  centre  du  Maroc. 


et  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

de  castella  *,  des  conseils  de  vieillards  fonctionnant  dans  des 
villages. 

Ces  assemblées  ont  à  statuer  sur  des  questions  fort  diverses  : 
entretien  des  chemins,  des  conduites  d'eau,  du  cimetière, 
distribution  de  l'eau  d'irrigation,  répartition  des  terres  à 
cultiver  là  où  existe  la  propriété  collective,  contestations  de 
limites  là  où  la  propriété  familiale  ou  individuelle  est  con- 
stituée, corvées,  réception  des  hôtes,  rapport  d'alliance  ou 
conflits  avec  les  voisins,  etc. 

Malgré  le  désir  des  familles  de  rester  indépendantes,  il  est 
impossible  qu'elles  conservent  pleinement  leur  droit  de 
vengeance  et  leur  responsabilité  collective  :  ce  serait  la  guerre 
civile  en  permanence.  Dans  l'intérêt  de  l'ordre,  la  communauté 
doit  intervenir  et  frapper  les  coupables.  L'assemblée  édicté  des 
amendes  pour  injures,  vols,  dégâts,  coups,  blessures,  etc.,  et  il 
se  forme  ainsi  un  petit  code  pénal,  généralement  non  écrit ^, 
qui  porte  en  Algérie  le  nom  de  qanoun^.  Ce  mot  est  évidem- 
ment d'origine  grecque  (xavwv)  et  il  a  été  employé  par  les 
Latins,  en  Afrique  comme  ailleurs,  du  reste  avec  un  sens 
différent\  II  est  très  douteux  qu'il  se  soit  perpétué  en  Berbérie 
depuis  l'antiquité;  peut-être  a-t-il  été  importé  d'Orient  à  une 
époque  relativement  récente  ^  Quoi  qu'il  en  soit,  il  faut  admettre 
que  la  chose  est  beaucoup  plus  ancienne  que  le  nom  :  le  droit 
coutumier  des  villages  berbères,  certainement  antérieur  à  la  loi 

1.  C.  /.  L.,  Vlll,  15  066,  15  667,  15  669,  15  721  (=  1  615),  15  722  (=  1  616);  pro- 
bablement aussi  Bull,  archéol.  du  Comité,  1915,  p.  CLXXXVI.  Pour  C.  I.  L.,  VIII, 
17  327  et  d'autres  textes,  v.  infra,  p.  05,  D.  2  et  3. 

2.  Les  codes  mis   par  écrit  l'ont  été  il  n'y  a  pas  longtemps,  en  langue  arabe. 

3.  Au  Maroc,  azref,  mot  qui  parait  être  berbère  :  H.  Basset,  Essai  sur  la  littér. 
des  Berbères,  p.  86. 

4.  .  Prix  du  loyer  .  :  voir,  p.  ex..  Code  Théodosien,  IX,  42,  16;  XI,  1,  30;  XI,  7, 
19;  XI,  10,  13. 

5.  Dans  l'P^mpire  ottoman,  le  mot  qanoun  désignait  l'ensemble  des  lois  et  des 
règlements  publics,  ce  qui  répond  assez  bien  à  l'emploi  qui  en  est  fait  en 
Algérie.  —  Ce  même  mot  est  usité  en  Tunisie  et  au  Maroc,  mais  dans  un  sens 
fiscal  :  en  Tunisie,  pour  une  taxe  perçue  sur  des  arbres  fruitiers;  au  Maroc,  pour 
désigner  le  foyer,  unité  imposable. 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  65 

coranique,  avec  laquelle  il  ne  s'accorde  pas  toujours,  a  dû 
commencer  à  se  constituer  dès  la  naissance  de  ces  républiques, 
qui  n'eussent  pu  subsister  sans  une  discipline  sanctionnée  par 
des  peines. 

L'assemblée  que  composent  les  anciens,  ou  qu'ils  dirigent, 
peut  être  l'autorité  unique  du  village*.  Il  est  même  assez 
probable  qu'il  en  fut  d'abord  partout  ainsi  :  des  textes  latins, 
mentionnant  des  seniores,  n'indiquent  point  de  magistrats 
locaux  auprès  d'eux  ^  Cela  est  conforme  au  caractère  de  ces 
républiques,  où  les  familles  n'admettent  pas  sans  peine  une 
autorité  extérieure. 

Mais,  le  plus  souvent,  l'exécution  des  volontés  de  l'assemblée 
et  le  maintien  du  bon  ordre,  —  assuré  par  des  mesures  de 
police  et  des  pénalités,  —  sont  confiés  à  une  sorte  de  maire. 
C'est,  croyons-nous,  le  magistratus  qui  apparaît  avec  des 
seniores  dans  une  inscription  latine  de  Numidie^  L'assemblée 
l'élit,  soit  pour  un  an  seulement*  (dans  ce  cas,  il  est  d'ordinaire 
rééligible),  soit  sans  limitation  de  temps,  mais  avec  faculté  de 

1.  Tel  est  ou  était  le  cas  dans  une  bonne  partie  du  Nord  du  Maroc  et  dans 
l'Aurès. 

2.  C.  /.  L.,  VllI,  15  600-9,  15  721-2.  Bull,  archéol.  du  Conilé,  1915,  p.  clxxxvi.  Au 
n°  15  607  du  Corpus,  les  duumvirs  mentionnés  avec,  les  seniores  Ucubitani  sont 
d,es  magistrats  de  Sicca,  colonie  à  laquelle  le  caslellum  d'Ucubi  était  ratlaclié.  Au 
même  lieu  que  lésa"'  15  721-2,  qui  mentionnent  les  seniores  d'un  castellum,  a  été 
trouvé  le  n"  15  726,  indiquant  un  pr(a)ef(ectus)  caste{lli).  Ce  n'était  pas  un  magis- 
trat local,  mais  un  préfet  établi  par  la  colonie  de  Sicca  et  exerçant  sa  juridiction 
sur  un  caslellum  qui,  comme  Ucubi,  dépendait  de  cette  colonie.  Peut-être  faut-il 
lire  caste(lloruni)  :  le  ressort  du  préfet  aurait  compris  plusieurs  castella.  —  Concile 
tenu  en  Afrique  au  temps  de  saint  Augustin,  «pud  Mansi,  Conciliorum  collectio, 
IV,  p.  497  (il  s'agit  de  convoquer  les  praeposili  des  donatistes)  :  «  in  singulis  qui- 
busque  civitatibus  vel  locis  per  magistratus  vel  seniores  locorum  »;  l'exécution 
de  la  mesure  prescrite  incombera  donc,  ici,  aux  magistrats  des  cités,  là,  à  défaut 
de  magistrats,  aux  seniores.  —  Conférence  de  Cartbage  en  411,  I,  5,  apud  Migne, 
Pair.  Lat.,  XI,  p.  1202  (dans  un  édit  ordonnant  de  convocjuer  les  évéqucs)  :  «  uni- 
versos  cunctarum  provinciarum  curalores,  magistratus  et  ordinis  viros,  nec  non 
et  actores,  procuratoros,  vel  seniores  singuiorum  locorum  ».  —  Ibid.,  p.  1419 
(dans  une  sentence  ordonnant  la  saisie  des  églises  donatistes)  :  énuniération 
analogue,  se  terminant  |)ar  les  «  seniores  omnium  locorum  ». 

3.  C.  /.  L.,  Vlll,  17  327  :  temple  restauré  sous  Dioclétien  par  les  •  univers! 
seniores  Mas[...]rensium,....  anno  Fortunatiani  mag(istratus)  ». 

4.  Voir  l'inscription  citée  à  la  note  précédente. 


66  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

le  révoquer'.  En  droit,  il  est  un  agent,  beaucoup  plus  qu'un 
chef.  Cependant  on  le  choisit  toujours  parmi  les  notables,  et  il 
peut  acquérir  une  réelle  puissance,  grâce  à  sa  richesse,  sa 
bravoure,  son  intelligence,  son  adresse  à  se  concilier  les  esprits 
et  à  s'attacher  les  intérêts;  il  peut  ainsi  se  perpétuer  dans  sa 
magistrature,  la  rendre  même,  en  fait,  héréditaire. 

Telle  est,  dans  ses  traits  essentiels-  et  certainement  fort 
anciens,  la  constitution  des  villages  berbères,  unités  politiques 
oii  se  groupent  les  unités  sociales  que  sont  les  familles  d'agnats. 
Celles-ci  doivent  faire  des  sacrifices  à  l'intérêt  commun.  Mais 
ce  n'est  qu'une  abdication  limitée.  Les  décisions  prises  par  les 
anciens  le  sont  en  vertu  d'un  accord  entre  eux  tous,  et  non 
pas  par  la  volonté  des  plus  nombreux,  et  la  nécessité  d'obtenir 
ce  consentement  unanime  fait  accepter  des  compromis.  La 
juridiction  pénale  vaut  surtout  pour  les  délits;  pour  les  crimes, 
les  familles  estiment,  en  général,  que  leur  honneur  ne  leur 
permet  pas  de  renoncer  au  droit  et  au  devoir  de  les  venger'. 


VI 


Au-dessus  des  familles  d'agnats,  des  groupes  de  familles 
pastorales,  des  républiques  villageoises,  les  tribus  sont  de 
petits  Etats  fédératifs,  formés  pour  la  défense  ou  l'attaque,  les 
groupes  inférieurs  n'ayant  pas  la  force  d'assurer  isolément,  soit 
le  maintien  de  leur  existence,  soit  la  réalisation  de  leurs  désirs 
d'expansion,  de  domination  fructueuse  ou  de  vengeance. 

La  tribu,  si  solidement  constituée  chez  d'autres  peuples,  par 


1.  I>a  révocation  est  rare,  mais  (in  a  des  moyens  de  faire  comprendre  au  maire 
qu'il  est  temps  pour  lui  de  démissionner. 

2.  En  néglipeanl  les  cas  particuliers  et  les  exceptions  qu'il  serait  facile  d'op- 
poser à  ce  tableau  d'ensemble. 

3.  Comme  nous  l'avons  déjà  dit  (p.  57),  c'est  l'Islam  qui  a  fait  admettre  chez 
une  partie  des  Herbères,  et  non  chez  tous,  la  possibilité  de  racheter  pécuniai- 
rement un  crime. 


LES  CADRES  DE   LA  SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  67 

exemple  les  Gaulois  et  les  Germains,  où  ses  éléments  se 
cimentent  en  une  unité  territoriale,  politique,  administrative, 
religieuse,  économique',  n'est  chez  les  Berbères  qu'un  assem- 
blage de  groupes  qui  gardent  jalousement  leur  autonomie  et 
leur  esprit  particulariste,  qui  se  détachent  aisément  d'une  tribu 
pour  s'attacher  à  une  autre,  quand  leur  intérêt  le  leur  conseille. 
Elle  est  avant  tout,  et  souvent  exclusivement,  une  ligue  poli- 
tique et  militaire  contre  l'étranger. 

C'est  arbitrairement  que  ceux  qui  la  composent  se  prétendent 
parents  à  la  manière  des  agnats  ^  :  l'ancêtre  commun  n'est  qu'un 
personnage  légendaire,  et  la  facilité  avec  laquelle  les  tribus 
s'agrègent  des  éléments  nouveaux  suffît  à  prouver  le  mensonge 
de  cette  parenté  ^ 

Dès  le  second  millénaire  avant  J.-C.,  des  documents 
égyptiens  mentionnent  des  tribus  africaines  entre  la  vallée  du 
Nil  et  les  Syrtes  *.  Pour  la  Berbérie  proprement  dite,  nos  sources 
ne  nous  permettent  pas  de  remonter  au  delà  du  v^  siècle.  Au 
chapitre  suivant,  nous  indiquerons  les  rares  tribus,  à  peine  une 
vingtaine,  que  nous  font  connaître  Hérodote  et  des  auteurs 
plus  récents,  jusqu'à  la  conquête  romaine.  Elles  étaient 
beaucoup  plus  nombreuses,  les  cadres  géographiques  auxquels 
elles  devaient  s'adapter  étant  d'ordinaire  assez  étroits  :  à  l'époque 
d'Auguste,  on   en    comptait    des    centaines    dans    la  province 

1.  Voir  Jullian,  De  la  Gaule  à  la  France,  p.  111-2. 

2.  Peut-être  est-ce  cette  prétendue  parenté  qui  a  fait  donner  par  les  Romains 
à  la  tribu  berbère  le  nom  de  gens,  lequel  désigne  chez  eux  la  fiimille  agnatique. 
Les  textes  qui  attribuent  un  ancêtre  mythique  à  des  (ribus  africaines  sont  des 
inventions  d'auteurs  grecs,  non  des  témoignages  indigènes  :  voir  Pline  IWncien, 
VII,  14  (d'après  Agalharchide);  Josèphe,  Ant.  Jiid.,  I,  15,  241  (d'après  Alexandre 
Polyhistor);  Apollonius  de  Rhodes,  !V,  1494,  1496.  Mais  cette  fiction  d'une  origine 
commune  des  membres  d'une  tribu  est  extrêmement  répandue  en  Rerbérie  au 
moyen  âge  et  aux  temps  modernes  :  d'où  la  fréquence  des  termes  Oulad  et  Béni 
(les  fils  d'un  tel)  pour  désigner  ces  tribus.  Peut-être  des  influences  arabes  y  ont- 
elles  aidé  :  conf.  G.  Marçais,  Les  Arabes  en  Berbérie,  p.  43-44;  ce  n'est  pas  là,  du 
reste,  une  hypothèse  nécessaire,  car,  chez  beaucoup  de  peuples  anciens,  les 
liens  sociaux  ont  été  expliqués  et  justifiés  par  de  proleudu'i  liens  de  parente. 

3.  Conf.  Hanoteau  et  Letourneux,  La  Kabylie,  II,  p.  07. 

4.  0.  Bâtes,  Tke  Eastern  Libyans,  p.  46  et  suiv. 


68  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

d'Afrique,  c'est-à-dire  en  Tunisie,  en  Tripolitaine  et  dans 
l'Algérie  orientale*.  Les  Grecs  les  désignaient  sous  le  nom 
d'È'Ovrj^;  les  Latins  les  appelaient  gentes^,  parfois  nationes''^ 
populi^. 

Les  éléments  dont  la  tribu  se  compose  sont  nécessairement 
des  groupes  de  voisins,  qui,  pour  mieux  protéger  leurs  propres 
terres,  s'associent  et  deviennent  ainsi  les  défenseurs  solidaires 
d'une  région  plus  ou  moins  étendue.  Une  tribu  ne  se  conçoit 
pas  sans  un  territoire  qu'elle  se  réserve,  ou,  du  moins,  dont  elle 
dispose,  qu'elle  habite  en  permanence  ou  pendant  une  bonne 
partie  de  l'année.  Cette  association  se  forme,  en  général,  entre 
gens  qui  mènent  la  même  vie  et  ont,  par  conséquent,  les  mêmes 
intérêts  à  sauvegarder.  Ses  limites  lui  sont  souvent  assignées 
par  la  structure  du  sol;  comme  les  pays  de  la  vieille  Gaule,  mais 
dans  une  moindre  mesure  et  avec  plus  d'élasticité,  bien  des 
territoires  de  tribus  africaines  sont  en  même  temps  des  régions 
naturelles. 

L'agriculture  se  répandit  lentement  chez  les  Libyens.  Si,- au 
V®  siècle  avant  notre  ère,  les  populations  de  l'Est  de  la  Tunisie 
s'adonnaient  aux  céréales^  s'il  en  fut  de  même  de  celles  que 
Carthage  soumit  à  sa  domination  directe,  la  plupart  des 
Numides  et  des  Maures,  habitants  du  Nord  de  l'Algérie  et  du 
Maroc,  se  bornaient,  au  début  du  second  siècle,  à  l'élevage  du 
bétail,  même  là  où  le  climat  et  le  sol  leur  auraient  permis  de 

1.  Pline  l'Ancieu,  V,  29  (d'après  un  document  ol'flciel  du  règne  d'Auguste)  : 
mention  de  5\()  populi,  dont  la  plupart  étaient  des  tribus  (conf.  ibid.,  V,  30). 

2.  Hécatée,  dans  Frwjm.  hist.  Graec,  I,  p.  23,  u°  307.  Hérodote,  II,  32;  IV,  167, 
171,  172.  Kratostliène,  ai>ud  StraLon,  111,  5,  5.  Polylie,  Vil,  1),  5  et  7;  XII,  3,  4. 
Diodore  do  Sicile,  Xlll,  80,  2.  Appien,  Lib.,  59.  Élion,  Nat.  anim.,  Vil,  23;  XVII, 
27.  'I>;>a,  dans  Denys  le  Ptriégète,  180  {(ieoijr.  Gr.  min.,  11,  p.  112).  l'évr,,  dans 
Diodore,  111,  49,  1  et  2.  —  Pour  la  Gaule,  le  mot  k'Ovr)  désigne  des  peuplades, 
çO/.a  les  tribus  dont  se  com|)osenl  ces  peuplades  :  Jullian,  llist.  de  la  Goule,  II, 
p.  14-1"),  19. 

3.  Pline  l'Ancien,  V,  5;  9;  17;  21;  52;  etc.  Très  fréquemment  dans  Ammien 
Marcellin  (XXIX,  5,  11  et  suiv.),  dans  la  Juluiimidc  de  Corippus,  dans  les  inscrip- 
tions latines  d'Afrique. 

4.  Pline,  V,  30.  Ammien,  XXIX,  5,2;  14;  28  et  44.  C.  /./..,  V,  5  207  ;  VIII,  22  729. 

5.  Pline,  V,  1.  Ammien,  XXIX,  5,  40.  Paul  Orose,  Adv.  pwj.,  IV,  9,  9.  Etc. 


LES  CADRES   DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  69 

suivre  l'exemple  des  indigènes  delà  Berbérie  orientale'.  A  ces 
tribus  pastorales  du  Tell,  de  longs  déplacements  n'étaient  pas 
nécessaires.  Il  leur  suffisait  de  disposer  de  plaines  pour  le 
pacage  d'hiver,  de  forêts  et  de  montagnes  où  elles  menaient 
leurs  troupeaux  pendant  l'été,  et  où  elles  trouvaient  du  gibier 
en  abondance  :  tel  devait  être  le  double  aspect  des  territoires 
qu'elles  réussissaient  ou  cherchaient  à  se  constituer-.  Entre  deux 
plaines  ou  deux  vallées  appartenant  à  deux  tribus  différentes, 
une  chaîne  boisée  était  propre  à  former  une  zone  frontière,  où 
l'on  n'avait  peut-être  pas  cure  de  fixer  des  limites  précises.  A 
la  lisière  du  pays  plat  et  de  la  montagne,  dans  un  lieu  escarpé, 
la  tribu  pouvait  établir  un  refuge,  où  elle  allait  s'enfermer  avec 
ses  troupeaux,  si  son  territoire  était  envahi  par  des  ennemis 
plus  forts,  où,  souvent,  elle  déposait  ses  objets  précieux  et  les 
grains  qu'elle  avait  achetés  ou  pris  de  force  ^ 

Le  passage  de  la  vie  pastorale  à  la  vie  agricole  est,  soit  un 
effort  vers  plus  de  bien-être,  vers  une  existence  plus  tranquille, 
soit  une  déchéance,  au  moins  temporaire,  à  laquelle  doivent  se 
résigner  les  éleveurs  qui  ont  perdu  leur  bétail.  Ce  sont  fréquem- 
ment des  vaincus*;  ils  vont  se  fixer  où  ils  peuvent.  Les  autres 
tribus  agricoles  s'étendent  de  préférence  dans  des  plaines  assez 
larges  pour  permettre  l'alternance  des  jachères  et  des  champs 
emblavés,  avec  une  ceinture  de  hauteurs  sur  lesquelles  sont 
juchés  les  villages,  et  qui,  lorsque  l'arboriculture  se  dévelop- 
pera, porteront  des  vergers.  Par  derrière,  des  forêts  fourniront 
le  bois  nécessaire  au  chauffage  et  à  la  construction. 

1.  V.  infra,  p.  175-0. 

2.  Il  en  était  ainsi  du  territoire  des  Maces,  sur  le  littoral  des  Syrtes,  au  iv*  siècle 
avant  J.-C.  Ces  Libyens  passaient  l'hiver  avec  leurs  troupeaux  sur  le  bord  de  la 
mer;  en  été,  l'eau  manquant,  ils  les  emmenaient  dans  l'inlérieur  des  terres,  au- 
dessus  (c'est-à-dire  dans  les  monlajrnes  (jui  forment  l'exlrémité  Nord-Est  du 
Djebel  tripolitain).  Voir  Périple  de  Scylax,  109,  dans  G.  G.  m.,  I,  p.  85  (ce  passage 
est  cité  t.  IV,  p.  42). 

3.  V.  infra,  p.  233  et  suiv. 

4.  Mais  non  pas  toujours  :  il  faut  penser  aux  épizoolies,  qui  pouvaient  faire  de 
terribles  ravages. 


70  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

Les  pasteurs  établis  dans  les  steppes  y  forment  des  tribus 
dont  le  territoire  doit  être  beaucoup  plus  vaste,  eu  égard  aux 
maigres  ressources  de  ces  régions,  même  pendant  l'hiver.  L'été 
venu,  la  tribu  entière  émigré  dans  le  Tell  ou  dans  l'Atlas 
saharien.  Parfois,  elle  a  pu  s'y  constituer  un  territoire  qui 
fait  suite  à  celui  des  steppes,  et  oîi  elle  a  des  refuges  et  des 
magasins.  Mais,  plus  souvent,  elle  doit  mener  ses  troupeaux  hors 
de  chez  elle  et  obtenir,  de  gré  ou  de  force,  le  droit  de  pacage. 

Etant  des  ligues  de  groupes  autonomes,  les  tribus  peuvent 
se  passer  d'un  chef.  Les  résolutions  communes  sont  prises  par 
une  assemblée  de  représentants  de  ces  groupes,,  qui  ne  se  réunit 
que  quand  les  circonstances  l'exigent.  Ce  sont,  soit  des  délé- 
gués des  conseils  d'anciens,  parfois  même,  dans  les  cas  graves, 
tous  les  membres  de  ces  conseils,  soit  les  maires  des  villages. 
Au  VI*  siècle  de  notre  ère,  Corippus'  mentionne  les  patres 
d'une  tribu,  qui  décident  qu'elle  fera  sa  soumission  à  un  général 
byzantin  ;  dans  une  inscription  latine^  qui  est  à  peu  près  de 
la  même  époque,  apparaissent  des  seniores,  formant,  autant 
qu'il  semble,  le  conseil  d'une  autre  tribu\ 

Un  chef  n'est  nécessaire  que  quand  il  s'agit  de  faire  la  guerre. 
L'assemblée  fédérale  choisit  alors  dans  la  tribu  un  homme  qu'elle 
investit  du  commandement  pour  la  durée  des  hostilités,  ou  pour 
un  an  :  les  choses  se  passaient  ainsi,  par  exemple,  en  Kabylie. 

Mais  ce  chef  peut  abuser  de  l'autorité  temporaire  qui  lui  a  été 
conférée,  du  prestige  qu'il  a  acquis,  de  la  reconnaissance  que 
lui  valent  les  services  rendus,  et  refuser  de  rentrer  dans  le  rang 

1.  JoU.,  VI,  404-5  : 

Tua  focdera  patres 
(lentis  amant  optantquo  siinul,  etc. 

2.  C.  I.  L,  Vlll,  20  216  (=8  37!>). 

.3.  Hérodote  (IV,  180)  meiilioniie  dos  assemblées  d'hommes  chez  les  Machlyes  et 
les  Anses,  deux  tribus  riveraines  de  la  petite  Syrie.  Mais,  comme  il  s'agissait, 
selon  cet  auteur,  de  déclarer  un  enfant  (Ils  de  celui  des  assistants  auquel  il 
ressemblait,  on  pourrait  en  conclure  que  l'assemblée  n'était  pas  nombreuse, 
qu'elle  comprenait  seulement  une  fraction  de  la  tribu,  si  l'on  voulait  accepter 
cette  indication,  très  suspecte  (i'.  supra,  p.  30). 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  71 

quand  la  paix  est  rétablie  ;  parmi  ses  anciens  compagnons 
d'armes,  il  peut  former  une  troupe  de  fidèles,  de  clients',  qui 
l'aide  à  se  maintenir.  Il  devient  ainsi  un  véritable  prince,  non 
pas  toujours  un  tyran,  car  il  est  prudent  de  sa  part  de  respecter 
l'autonomie  des  groupes  constituant  la  tribu;  il  lui  arrive 
même  de  réunir  leurs  représentants  pour  les  consulter,  quand 
des  décisions  importantes  doivent  être  prises.  Cette  autorité 
qu'il  a  rendue  viagère  à  son  profit,  il  s'efforce  de  la  rendre  héré- 
ditaire dans  sa  famille^,  et,  si  la  transmission  du  pouvoirnéces- 
site  encore  une  élection,  —  ce  dont  nous  n'avons  pas  la  preuve*, 
—  il  n'y  a  plus  là  qu'une  formalité. 

Dans  le  voisinage  de  l'Egypte,  nous  constatons  que,  dès  la 
fin  du  second  millénaire,  les  Lebou  (ou  Rebou)  étaient  com- 
mandés par  des  princes  héréditaires*.  Au  v*  siècle,  Hérodote 
connaît  des  «  rois  »  dans  des  tribus  libyques^  Plus  tard,  des  textes 
grecs  et  latins  mentionnent,  chez  les  indigènes  de  la  Berbérie, 
des  princes,  des  roitelets,  ouvaTTa'.",  ^aT'.AsV,  apyovTî^^,  principes^ , 

1.  Ce  qn'oa  appelle  en  arabe  une  zmala. 

2.  Soit  dans  sa  famille  agnatique,  dont  le  chef,  après  lui,  sera  le  plus  âgé  des 
agnats,  soit  dans  sa  famille  restreinte,  composée  de  ses  flis. 

3.  Sauf  chez  les  Touarag,  où  l'élection  du  chef,  de  Vaménokhal,  par  le  peuple 
confirme  la  transmission  héréditaire  (en  ligne  utérine). 

4.  Vers  1229,  par  Màraîou,  fils  de  Didi  ;  vers  1195,  par  deux  chefs  qui  portaient 
les  mêmes  noms,  Didi  et  Màraîou,  et  appartenaient  sans  doute  à  la  même  famille  : 
voir  Maspero,  Hist.  ancienne  des  peuples  de  l'Orient  classique,  II,  p.  431,  456.  —  Vers 
1189,  sont  mentionnés  Kapour,  chef  des  Mashaouasha,  et  son  fils  Mashashalou  : 
ibid.,  p.  471,  472. 

5.  IV,  159,  168  :  paaOetç. 

6.  Diodore,  III,  49,  3.  Appien,  Lib.,  10;  33;  41;  44.  Le  terme  ôuvâcTTri?  est  par- 
fois synonyme  de  painXejç  :  Diodore,  XX,  17,  1,  et  18,  3;  Appien,  Iber.,  15;  le 
même,  BelL  civ.,  I,  62,  et  II,  96. 

7.  Diodore,  III,  49,  2;  Xlll,  80.  2.  Nicolas  de  Damas,  dans  Fragm.  hist.  Graec, 
III,  p.  462,  n"  133;  p.  463,  n"»  137  et  141.  Cependant  le  terme  ^asù.E-jz,  do  môme 
que  rex,  est  plutôt  réservé  à  des  souverains,  chefs  d'États.  Aux  chefs  des  tribus 
convient  mieux  le  nom  de  SjvâTTr,;.  Conf.,  pour  l'emploi  de  ces  deux  mots,  Polybe, 
XXI,  11,  8  (Tile-Livc,  XXXVII,  25,  9,  les  traduit  par  rex  et  regulus) 

8.  Procope,  Bell.  Vand.,  II,  11,  14;  37;  47;  II,  13,  19. 

9.  C'est  le  titre  que  portent  d'ordinaire  les  chefs  des  tribus  africaines  sur  les 
inscriptions  lutines  de  ré(io(|ue  iinj)ériale.  Dans  dos  textes  qui  se  rapportent  à 
une  époque  antérieure,  le  sens  du  mol  primeps  n'apparait  pas  d'une  manière 
aussi  précise  :  Tite-Live,  XXVIII,  35,  4;  .\XI.\,  29,  10;  De  viris  illustr.,  (iO;  Paul 
Orose,  Adv.  pwj.,  IV,  9,  9, 


72  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

reguli\  reges'^;  le  terme  berbère  guellid^  aguellid,  est  déjà 
attesté  dans  l'antiquité^  Ailleurs,  sont  mentionnés  des  nobles, 
des  grands,  ttow-o-.*,  sùyevsV,  nobiles^,  illustriores\  proceres^^ 
primores^^  qui  exercent  des  commandements,  combattent  auprès 
des  souverains,  servent  dans  leur  garde;  il  est  permis  de 
croire  que  cette  sorte  de  noblesse  était  constituée  par  les 
familles  qui  détenaient  l'autorité  dans  les  tribus.  Les  rois 
numides  et  maures,  puis  Rome  ne  lui  furent  pas  hostiles.  Ils 
jugèrent  sans  doute  qu'ils  avaient  intérêt  à  la  maintenir,  à 
l'étendre  même,  pourvu  qu'ils  l'eussent  en  main.  Le  gouverne- 
ment central  souhaitait  de  véritables  chefs,  recevant  facilement 
ses  ordres,  responsables  vis-à-vis  de  lui,  obéissants  et  obéis; 
il  ne  pouvait  s'enfoncer  dans  une  poussière  de  notables. 

Ces  principautés  étaient  d'origine  et  de  nature  guerrière  :  elles 
s'expliquent  par  le  fait  que  la  tribu  est,  comme  nous  l'avons 
dit,  une  ligue  constituée  pour  la  défense  et  l'attaque,  ayant 
besoin  d'être  commandée,  du  moins  en  temps  de  crise.  Pou- 
vons-nous supposer  que  certains  chefs  ont  eu  un  caractère  reli- 
gieux? On  ne  saurait  alléguer  que  le  cas  d'Ierna,  prince  de  la 
tribu  des  Laguatan  au  vi^  siècle  de  notre  ère  :  Corippus  nous 

1.  Tile-Live,  XXVII,  4,  8;  XXIX,  4,  4.  Aminien  Marcellin,  XXIX,  5,  2.  Ce  nom 
s'applique  aussi  à  des  fils  de  rois  (Tite-Live,  XLII,  24  et  6.5;  XLIII,  3;  XLV,  14), 
ou  à  de  jeunes  rois,  voire  même  à  des  rois  dont  on  indique  ainsi  le  peu  d'impor- 
tance (Tite-Live,  XXIX,  30,  G  et  10;  XXX,  36,  8;  Salluste,  Jug.,  XI,  2,  etXM,  1; 
Pline  l'Ancien,  VIII,  31,  et  XVIII,  22). 

2.  Ammien,  XXIX,  5,  46.  C.  /.  L.,  VIII,  2  615,  20  216  (=8  379).  Gagnât,  Merlin 
et  Châtelain,  Inscr.  lai.  d'Afrique,  609  et  610.  L'emploi  de  ce  terme  n'est  pas  fré- 
quent dans  la  langue  officielle. 

3.  Avec  le  sens  général  de  chef,  prince,  roi  :  voir  t.  I,  p.  310,  n.  3.  Ce  mot 
a  servi  de  prétexte  à  la  fable  qui  donne  Djalout  (Goliath)  pour  roi  à  des  ancêtres 
des  Berbères  :  ibid.,  I,  p.  355,  n.  3.  Hérodote  (IV,  155)  dit  que  pà-To;  signifie 
roi  (paa.Aôu;)  dans  la  langue  des  Libyens  (de  Cyrénaique). 

4.  Zonaras,  IX,  13,  p.  440,  c. 

5.  Élien,  Nal.  anim.,  VII,  23. 

6.  Tile-Live,  XXX,  13,  2.  Salluste,  Jug.,  LXX,  2.  Suétone,  Jules  César,  71.  — 
Bell.  Afric,  LVI,  3  :  •  Gaetuli...  nobiliores  ».  Eutrope,  III.  20,  4  :  «  nobilissimis 
Numidis  ». 

7.  bcll.  Afric,  XXXII,  4. 

8.  Corippus,  Joli.,  IV,  333. 

9.  Tile-Live,  XXX,  17,  1.  Pomponius  Mêla,  I,  41. 


LES  CADRES   DE   LA   SOCIÉTÉ   INDIGÈNE.  73 

apprend  qu'il  était  en  même  temps  prêtre  d'un  dieu  nommé 
Gurzil'.  Mais  c'était  là  une  exception^  Les  autres  chefs  indi- 
gènes, dont  Coripus  parle  longuement,  ne  paraissent  pas  avoir 
été  investis  de  fonctions  sacerdotales.  Il  est,  du  reste,  impos- 
sible d'affirmer  que  la  célébration  d'un  culte  commun  ait  créé 
un  lien  entre  les  membres  d'une  tribu. 


VII 

Organes  de  résistance  et  de  lutte,  les  tribus  se  heurtent  sou- 
vent. Si  la  Berbérie  est  divisée  par  la  nature  en  de  nombreux 
compartiments,  il  ne  faut  pas  exagérer  les  difficultés  des  com- 
munications entre  ces  régions  :  ce  sont  des  obstacles  moins  forts 
que  les  nécessités  de  la  transhumance  et  du  nomadisme,  le 
goût  des  aventures  et  du  pillage.  Les  Africains  ont  la  réputation 
d'être  des  gens  querelleurs,  avides  de  cKangement,  et,  dans 
l'antiquité,  aucune  autorité  religieuse  ne  s'interpose  pour  pré- 
venir ou  apaiser  les  conflits. 

Des  tribus  vaincues  disparaissent  :  leurs  membres  sont  mas- 
sacrés, asservis,  dispersés;  leur  territoire  est  occupé  par  les 
vainqueurs.  D'autres  sont  refoulées  dans  des  montagnes,  où  la 
défense  est  beaucoup  plus  aisée  que  la  poursuite  et  l'attaque  : 
aussi  certains  massifs  de  la  Berbérie,  surtout  la  grande  Kabylie, 
ont-ils  été  de  vastes  refuges,  où  la  population  s'est  accumulée, 

1  Joh  II  109-  V,  23-24,  495.  C'est  de  l'oasis  d'Ammon  que  Silius  Italicus  (XV, 
672'  et  suiv.)  fait  venir  Nabis,  un  guerrier  qu'il  pare  d'un  insigne  sacerdotal.  Il 
est  prudent  de  ne  pas  invoquer  ce  témoignage  poétique. 

2  Dans  un  fragment  de  Nicolas  de  Damas  (F.  h.  G.,  III,  p.  463,  n"  141).  nous 
lisons  que  des  Libyens,  les  Panèbes,  quand  leur  roi  est  mort,  enterrent  son  corps, 
mais  coupent  sa  tête,  qu'ils  dorent  et  placent  dans  un  sanctuaire.  Cette  tribu 
aurait  donc  rendu  une  sorte  de  culte  à  ses  chefs  défunts,  ce  qui  pourrait  faire 
croire  que,  de  leur  vivant,  ils  avaient  un  caractère  sacré.  Mais  ces  Panèbes  sont 
inconnus,  et  l'on  peut  môme  douter  qu'ils  aient  été  vraiment  des  Libyens  (conf. 
Bâtes.  The  Eastern  Libyens,  p.  182.  n.  2).  Une  coutume  analogue  est  attribuée  par 
Hérodote  à  des  Scythes  (IV,  26);  voir  aussi,  pour  des  Gaulois.  Tite-Live  XXllI. 
24,  11-12;  Zonaras,  IX,  2,  p.  422,  6,  et.  d'une  manière  générale,  R.  Andrée, 
Bthnographische  Parallelen,  1,  p.  133  et  suiv. 


74  ORGANISATION  SOCIALE  ET   POLITIQUE. 

malgré  la  pauvreté  du  sol'.  D'autres  vaincus  demeurent  sur 
leur  territoire,  mais  deviennent  vassaux  ;  par  exemple,  des 
agriculteurs  paient  un  impôt,  sous  forme  de  grains,  à  des 
nomades,  leurs  suzerains,  qui  les  épargnent  ou  même,  dans  leur 
propre  intérêt,  les  protègent. 

Ailleurs  enfin,  des  contrats  interviennent  par  consentement 
mutuel.  Les  tribus  sédentaires  ne  sont  pas  fatalement  à  la  merci 
des  nomades  :  il  est  facile  de  barrer  à  ceux-ci  le  passage  d'un 
col,   d'empoisonner  les  puits  sur  lesquels  ils  comptent   dans 
leurs  migrations,  de  tenir  bon  dans  des  villages  fortifiés,  où  on 
a  mis  les  récoltes  à  l'abri.  S'ils  ne  peuvent  prendre  de  force  les 
grains  dont  ils  ont  besoin,  —  car,  pour  leur  nourriture,  ils  ne  se 
contentent  pas  des  produits  de  l'élevage  et  de  la  chasse,  —  ils 
se  résigneront  à  échanger  ces  grains  contre  des  laines,  des  peaux, 
et  leur  venue  sera  utile,  même  souhaitée.  Ils  pourront  être  de 
précieux    auxiliaires    pour    écarter    d'autres    nomades,    pour 
régler  des  querelles  avec  des  voisins.  Des  accords  se  concluent 
donc  et    se    transmettent   de    génération   en  génération;    des 
mariages   les  resserrent.  Une  tribu  nomade  acquiert  chez  des 
sédentaires  des  droits  de  parcours  et  d'usage,  gratuitement  ou 
contre  des  redevances  en  nature.  Ces  conventions  ne  lient  pas 
seulement  des  pasteurs  et  des  agriculteurs.  Deux  tribus  pasto- 
rales, habitant  l'une  la  plaine,  l'autre  la  montagne,  l'une  le  Tell, 
l'autre  la  steppe,  ont  intérêt  à  user  réciproquement  de  leurs  terri- 
toires, soit  pendant  l'hiver,  soit  pendant  l'été.  Des  tribus  faibles 
des  steppes  peuvent  obtenir  la  jouissance    en    été   de  terres 
appartenant  à  des  tribus  du  Tell,  qui  vont  transhumer  dans  des 
lieux  plus  favorisés. 

Il  s'établit  ainsi  un  certain  équilibre.  Fort  instable,  à  vrai  dire. 
Les  tribus  vassales  souhaitent  naturellement  reprendre  leur 
indépendance.  Celles  qui  ont  été  poussées  dans  les  montagnes  et 

1.  Ce  n'est  pas  là  un  fait  général.  Le  Moyen  et  le  Haut-Atlas  marocains  sont 
peu  peuplés  :  conf.  t.  I,  p.  27,  n.  i. 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIETE  INDIGENE.  75 

y  vivent  avec  peine,  guettent  le  moment  propice  pour  en  descen- 
dre. Celles  des  steppes  peuvent  être  tentées,  dans  leur  rapports 
avec  les  Telliens,  de  préférer  la  domination  à  des  arrangements 
amiables. 

Montagnes  et  steppes,  —  et,  au  delà  des  steppes,  désert, 
quand  le  Sahara  fut  devenu  une  contrée  berbère,  —  tels  ont 
été,  dans  l'histoire  de  l'Afrique  du  Nord,  les  points  de  départ 
des  conquêtes.  Endurcis  par  la  rude  vie  qu'ils  mènent,  les  gens 
de  ces  pays  pauvres  ont  des  qualités  guerrières  qui  manquent 
souvent  aux  habitants  des  plaines  fertiles,  aux  privilégiés  qu'a- 
mollit le  bien-être.  L'excès  de  population  entraîne  des  migra- 
tions partielles  ou  totales,  qui  provoquent  des  conflits;  dans 
les  années  de  sécheresse,  les  nécessités  pastorales  font  éclater 
les  frontières.  Et  ceux  qui  cèdent  aux  plus  forts  deviennent  à 
leur  tour  agresseurs,  quand  ils  le  peuvent,  pour  trouver  ailleurs 
des  compensations  à  leurs  pertes. 

De  nombreuses  causes  extérieures  amènent  donc  des  change- 
ments dans  la  condition  des  tribus.  Dans  leur  constitution 
interne,  ces  fédérations  de  groupes  autonomes  manquent  de 
cohésion.  Souvent  aussi,  des  dissensions  affaiblissent  encore 
cette  unité  si  peu  solide.  Pour  faire  prévaloir  leurs  intérêts, 
quels  qu'ils  soient,  des  groupes  s'associent  en  une  coterie,  en 
un  po/"',  auquel  s'oppose  un  autre  çof\  ces  deux  factions  s'éten- 
dent et  arrivent  à  se  partager  la  tribu  entière.  Elles  la  débor- 
dent même  et,  de  ce  besoin  universel  de  querelle,  naissent  de 
vastes  ligues,  qui  n'ont  d'autre  but  que  l'assistance  mutuelle 
contre  des  rivaux  présents  et  futurs,  les  causes  des  rivalités 
n'important  guère  ;  ligues  d'où  l'on  sort,  du  reste,  sans  aucune 

1.  Mot  arabe,  qui  signifie  file,  rang.  Au  Maroc,  on  dil  lef,  qui  est  également  un 
mot  arabe,  signifiant  enveloppe.  Mais  l'existence  de  ces  coteries  est  sans  doute 
beaucoup  plus  ancienne.  On  pourrait  en  chercher  un  vague  témoignage  dans  un 
passage  de  Tite-Livc,  XXIX,  29,  8  (d'après  Polybe)  :  «  [Capussa]  cum  ...  oblineret 
regnum,  extilit  quidam  Mazaetullus  nomine,  non  alicnus  sanguine  regibus, 
familiae  semper  inimicae  ac  de  imperio  varia  fortuna  cum  iis,  qui  tum  obtine- 
baat,  certantis.  » 


76'  ORGANISATION  SOCIALE   ET  POLITIQUE. 

honte,  si  l'on  croit  plus  avantageux  de  s'affilier  à  la  ligue 
adverse.  Ces  çofs  ne  sont  pas  entièrement  malfaisants,  car  ils 
créent  des  relations  et  des  liens  à  travers  les  diverses  tribus  et,  en 
s'équilibrant,  ils  se  neutralisent  dans  une  certaine  mesure.  Mais,  à 
l'intérieur  même  des  tribus,  ils  sont  des  causes  de  désagrégation*. 
Menacées  du  dehors  et  du  dedans,  bien  des  tribus  ne 
peuvent  résister.  Les  unes  s'effondrent.  D'autres  se  démembrent 
et  se  dispersent.  D'autres  se  resserrent  par  la  perte  d'une  partie 
de  leur  territoire  et  de  leur  population.  Sur  le  sol  de  la  France, 
on  retrouve  encore  les  pays  qui  formaient  les  territoires  des 
tribus  de  la  Gaule.  En  Afrique,  des  noms  ethniques  semblables 
se  rencontrent,  et  se  rencontraient  déjà  vers  le  début  de  notre 
ère,  dans  des  régions  fort  éloignées  :  ils  témoignent  de  dislo- 
cations. La  répartition  et  la  nomenclature  des  tribus  se  modifient 
profondément  à  quelques  siècles  de  distance  ^  H  y  a  cependant 
des  conditions  géographiques,  qui,  souvent,  imposent  des 
cadres  assez  fixes^  quoique  diversement  remplis. 


VIII 


Des  tribus  voisines,  ayant  les  mêmes  ennemis,  peuvent 
s'unir  afin  de  les  combattre  :  ce  qu'ont  fait  des  indigènes 
vivant  à  l'Ouest  de  l'Egypte,  dès  le  second  millénaire  avant 
J.-C.  \  et  probablement  même  plus  tôt,  dès  les  temps  très 
lointains  où  ils  ont  cherché  à  envahir  la  vallée  du  Nil.  Ces 
ligues  sont  conclues  pour  la  durée  de  la  guerre  :  celle-ci  ter- 
minée, chacun  reprend  sa  pleine  liberté  d'action  et  ne  se  fait 
pas  scrupule  de  tomber  sur  ses  associés  de  la  veille.  Les  con- 

1.  A  moins  qae  la  tribu  eutière  ne  se  rattache  à  un  même  çof  et  ne  s'y  tienne. 

2.  A.  Bernard,  Le  Maroc,  p.  226. 

3.  Lors  des  invasions  qui  eurent  lieu  aux  temps  de  Môncphtah  et  de  Ramsès 
III,  plusieurs  tribus  africaines  s'avancèrent  sous  le  haut  commandement  de 
Mâralou,  roi  des  Lebou;  puis  de  Didi  et  Mùralou;  enfin  de  Kapour,  chef  des 
Mashaouasha  (pour  ces  personnages,  v.  supra,  p.  71,  n.  4). 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  77 

tingents  alliés  restent  distincts,  mais  le  commandement  suprême 
peut  être  confié  à  un  chef  temporaire,  élu';  les  décisions 
communes  sont  prises  par  une  assemblée  composée  de  repré- 
sentants des  diverses  tribus  -. 

D'autres  confédérations  ont  une  existence  plus  longue  et 
font  figure  de  peuplades.  Elles  embrassent  des  tribus  qui 
habitent  une  région  formant  une  assez  vaste  unité  géo- 
graphique, par  exemple  un  grand  massif  montagneux,  une 
suite  de  plaines  ^  Ce  cadre  et  l'identité  des  conditions  d'exis- 
tence, parfois  aussi  l'usage  d'un  même  dialecte,  créent  une 
certaine  solidarité,  qui  ne  s'affirme  guère  que  dans  des  luttes 
contre  des  étrangers,  mais  qui  est  considérée  comme  perma- 
nente et  s'exprime  par  une  dénomination  commune.  Les  liens 
sont  cependant  très  lâches,  à  moins  que  le  chef  d'une  de  ces 
tribus  n'arrive  à  étendre  sa  suprématie  sur  les  autres  et  à 
constituer  ainsi  un  petit  État,  qu'il  s'efforce  de  transmettre  aux 
siens  ^  et  où  le  pouvoir  personnel  tend  à  dominer  ou  à  annuler 
l'assemblée  fédérale. 

La  Berbérie  a  connu  dès  l'antiquité  des  groupements  beau- 
coup plus  vastes,  créés  sans  doute  par  la  force  des  armes, 
comme  ceux  qui  se  sont  formés  au  moyen  âge.  Il  nous  est 
impossible  de  remonter  au  delà  des  siècles  qui  ont  immédia- 
tement précédé  l'ère  chrétienne.  On  ne  saurait  dire  si  de  véri- 
tables États,  unissant  un  grand  nombre  de  tribus  pour  en  faire 
des  ébauches  de  nations,  ont  existé  plus  tôt  dans  cette  contrée. 

142-/:  *^'''  ^  '''''"''"*"  ''^''^°^'"*''  Garcasan.chof  dosifuraces.  Corippus,  yo/i.,  VI, 

■  ■•  functi  clamoro  sccuiiiiitnr 
Carfasanquo  froiiiunt,  Carcasan  omnilius  unum 
Contibus  esse  ducom  linguis  animisquo  fatentur. 
2.  Soit  de  leurs  clu-fs.  soit  d'une  délégation  de  notables 
Doukiria,'er''  '"    ^"''"''  "'   '^«"'^^^''^''«'^^  d««  I^'-àber.   des    Chaouia.    des 
4.   Comme   les  rois   de    Kouko,  en  grande  Kabylie.  aux  xvr-xv.i"  siècles    les 

S  rdt'î'AU.  ''  '"  '^"  ^^"^'  '"'''  '^  "^^^^--"  '^  Constantin^.  Icï'sd- 

gneurs  de  1  Atlas   marocain,  etc.   Nous  trouvons  des  principautés  analo-uos  aux 
époques  vandale  et  byzantine.  h  ipauie^,  .in.iio„ui^  aux 

UsELL.  —  Afrique  du  Nord.  V.  û: 


78  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

L'uniformité  des  civilisations  aux  temps  préhistoriques  n'exige 
pas  l'hypothèse  de  conquêtes  violentes  et  étendues.  Comment 
s'est  répandue  la  langue  libyque?  On  peut  se  demander  si  elle 
n'a  pas  été  imposée  par  des  envahisseurs,  qui  auraient  submergé 
l'Afrique  du  Nord  et  y  auraient  fondé  un  empire.  Cet  empire 
se  serait  ensuite  brisé,  et  la  langue  commune  aurait  été  mor- 
celée en  de  nombreux  dialectes.  Mais  une  autre  hypothèse  est 
permise  :  la  diffusion  de  cette  langue  a  pu  être  très  lente,  par  une 
série  de  migrations,  de  conquêtes  partielles,  qui  se  seraient 
échelonnées  sur  de  longs  siècles,  et  la  formation  des  dialectes  a 
pu  accompagner,  non  suivre  ce  mouvement  d'expansion. 

Nous  avons  étudié'  le  récit  que  Salluste^  a  emprunté  aux 
libri  Punici  du  roi  Hiempsal.  Des  Perses,  débarqués  sur  la 
côte  océanique  du  Maroc,  s'y  seraient  mélangés  aux  Gétules, 
avec  lesquels  ils  auraient  mené  une  vie  nomade;  l'accroisse- 
ment de  la  population  aurait  déterminé  un  exode  et  la  conquête 
du  pays,  voisin  de  la  Méditerranée,  qu'occupaient  auparavant 
les  Libyens  et  qui  aurait  reçu  alors  le  nom  de  Numidie.  Il  n'y 
a  rien  à  garder  de  ce  roman.  Tout  au  plus  pourrait-on  y 
chercher  une  sorte  de  projection  dans  un  passé  fabuleux 
d'événements  plus  récents  :  de  conquêtes  accomplies  par  des 
tribus  nomades  qui,  venues  de  l'Extrême  Ouest,  auraient 
étendu  leur  domination  sur  l'Algérie  et  une  partie  de  la 
Tunisie  ^  De  même,  au  xi''  siècle  après  J.-C,  les  Almoravides 
sont  sortis  du  Sahara  occidental  pour  se  jeter  sur  la  Berbérie. 
Nous  verrons*  que  le  plus  puissant  des  trois  royaumes  qui 
existaient  à  la  fin  du  m''  siècle  avant  notre  ère,  celui  des  Masae- 
syles,  paraît  avoir  été  fondé  par  une  tribu  originaire  du  Maroc  ^ 


1.  T.  I,  p.  329-336. 

2.  Jug.,  XVIII. 

3.  Conf.  infra,  p.  KHi,  n.  G. 

4.  P.  yo-'.n. 

5.  Il  est  vrai  que  Pline  l'Ancien  (V,  17)  distingue  expressément  cette  tribu  des 
Gétules,  auxquels  Hiempsal  attribuait  la  conquête  de  la  Numidie. 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  79 

On  a  voulu  établir  un  lien  entre  le  récit  d'Hiempsal  et  des 
généalogies  répandues  dans  le  monde  berbère  aux  x'-xi®  siècles 
de  l'ère  chrétienne'.  Elles  partagent  la  race  autochtone  en 
deux  branches,  les  Beranès  et  les  Botr,  ainsi  appelés  d'après 
leurs  légendaires  ancêtres,  Bernes  et  Madghis  el  Abter.  Faut-il 
reconnaître  là  une  division  très  ancienne,  répondant  à  celle 
des  Libyens  et  des  Gétules,  ces  habitants  primitifs  de  l'Afrique 
du  Nord,  au  dire  d'HiempsaP?  Et  l'antagonisme  de  ces 
deux  peuples  a-t-il  dominé  depuis  les  temps  les  plus  reculés 
l'histoire  du  pays,  expliquant  les  guerres  et  les  conquêtes,  la 
formation  des  États  et  leur  chute?  Il  serait  fort  imprudent  de 
le  croire.  Les  généalogistes  du  moyen  âge  ont  dû  dresser  leurs 
tableaux,  —  dont  les  détails  variaient  d'un  auteur  à  l'autre,  — 
en  tenant  compte  des  alliances  et  des  groupements  contempo- 
rains %  de  la  place  privilégiée  qu'ils  revendiquaient  en  faveur 
de  leur  tribu  natale,  des  visées  politiques  de  leurs  princes, 
peut-être  aussi  de  ressemblances  dans  les  mœurs,  les  coutumes, 
les  dialectes,  qui  pouvaient  leur  paraître  des  preuves  de 
parenté*.  Et  la  répartition  géographique  des  Botr  et  des 
Beranès  cadre  fort  mal  avec  celle  des  Libyens,  habitants  du 
Tell,  et  des  Gétules,  habitants  des  steppes. 

1.  Sur  les  origines  de  ces  généalogies,  voir  l\.  Basset,  dans  Archives  berbères,  I, 
1915,  p.  3-9. 

2.  Vivien  de  Saint-Martin,  Le  iVord  de  L'Afrique  dans  Vanliqaité,  p.  130-1.  II  veut 
voir  dans  It^s  Botr  les  descendants  des  Libyens,  parce  que,  parmi  ces  Botr,  on 
compte  les  Louata,  nom  qu'il  rapproche  de  Libyes;  les  Beranès,  parmi  lesquels 
sont  rangés  les  Gazzoula,  seraient  les  descendants  des  Gétules  (conf.  L.  Millier, 
Niimism.  de  l'ancienne  Afrique,  Supplément,  p.  82).  Mais  ces  rapprochements  de 
noms  sont  très  prohahlement  illusoires. 

3.  E.  Garette  {Recherchas  sur  l'origine  des  principales  tribus  de  l'Afrique  septentrio- 
nale, p.  38)  a  essayé,  sans  y  réussir,  de  prouver  que  celte  classification  se  rapporte 
au  groupement  des  Berbères  en  deux  grands  Etats,  à  l'époque  de  la  venue  des 
Arabes. 

4.  A.  Hanoteau  (Essai  de  grammaire  kabyle,  p.  xv)  rejette  cependant  l'hypo- 
thèse que  cette  répartition  outre  Botr  et  Beranès  repose  sur  l'existence  de  deux 
familles  do  dialectes.  M.  Deslaing,  au  contraire,  serait  enclin  à  établir  un  classe- 
ment des  dialectes  berbères  en  deux  groupes,  qui  répondraient  à  peu  près  aux 
grandes  familles  des  généalogistes  [Mémoires  de  la  Soc.  de  linguistique  de  Paris, 
XXI,  1920,  p.  139-148;  XXII,  1921.  p.  186-200. 


80  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

Nous  n'avons  donc  aucun  moyen  de  reconstituer  l'histoire 
des  grands  mouvements  qui  ont  agité  la  Berbérie,  jusqu'à 
l'époque  où  nous  constatons  l'existence  de  trois  Etats  impor- 
tants entre  l'Atlantique  et  le  territoire  de  Carthage.  On  peut 
cependant  supposer  que  le  fer  et  le  cheval  ont  assuré  une 
grande  supériorité  à  ceux  qui  possédaient  ces  puissants  instru- 
ments de  combat,  introduits  vraisemblablement  dans  l'Afrique 
septentrionale  vers  la  fm  du  second  millénaire  ou  le  début 
dû  premier*. 

D'une  manière  générale,  il  est  probable  que  cette  histoire 
lointaine  a  beaucoup  ressemblé  à  celle  de  la  Berbérie  au 
moyen  âge^. 

D'un  pays  pauvre,  montagne  %  steppe  ou  désert*,  une  tribu 
s'élance  vers  des  régions  plus  riches.  Aux  convoitises  maté- 
rielles s'est  parfois  jointe,  dans  l'Afrique  musulmane,  l'ardeur 
fanatique  d'une  foi  qui  voulait  s'étendre  et  s'imposer.  L'attaque 
est  menée  par  un  homme  auquel  son  intelligence,  son  énergie, 
son  autorité  religieuse  assurent  un  grand  prestige  :  véritable 
chef,  qui  soulève  des  enthousiasmes  et  inspire  des  dévoue- 
ments exaltés.  Les  progrès  peuvent  être  très  rapides,  si  les 
tribus  que  le  flot  atteint  sont  prises  au  dépourvu  ou  ne  savent 
pas  s'unir,  si  certaines  d'entre  elles  se  joignent  aux  envahis- 
seurs. Un  État  se  fonde  ;  la  tribu  qui  a  conquis  l'hégémonie  le 
soutient  et  l'exploite. 

Mais,  en  général,  il  dure  peu,  car  cette  tribu  s'use  dans  les 
combats  ou  les  plaisirs;  l'homme  qui  l'a  conduite  et  dont  elle 

1.  Voir  t.  I,  p.  212  ot  233. 

2.  Pour  le  mode  de  foniialioii  et  la  chute  rapide  des  Etats  berbères,  voir,  entre 
autres,  A.  Bernard,  I.e  Maroc,  p.  85-86,  102;  E.-F.  Gautier,  Structure  de  l'Algérie, 
p.  213.  Les  Prolégomènes  du  célèbre  historien  Ibn  Khaldoun  contiennent  des 
réflexions  très  justes  ace  sujet. 

3.  Petite  Kabylie,  patrie  des  Ketaina,  (jui  ont  Tonde  le  royaume  fatimite;  Haut- 
Atlas  marocain,  patri(!  des  .Maçinouda,  fondateurs  du  royaunio  almohade. 

4.  Sahara  occidental  pour  les  Almoravides;  lisière  septentrionale  du  désert 
algérien  pour  les  Béni  Mérine  et  les  Béni  Abd  el  Ouad,  fondateurs  de  royaumes 
k  Fès  et  à  Tlemcen. 


LES  CADRES  DE  LA   SOCIÉTÉ  INDIGÈNE.  81 

a  fait  un  souverain,  disparaît  et  a  souvent  des  héritiers  inca- 
pables. Pour  que  l'Etat  ainsi  créé  puisse  se  maintenir,  il  faut 
qu'il  s'organise  :  que  la  succession  royale  soit  fixée  de  manière 
à  éviter  des  compétitions  violentes;  que  le  pouvoir  central 
s'appuie  sur  des  cadres  administratifs  et  sur  des  forces  mili- 
taires, remplaçant  la  tribu  épuisée;  que,  par  une  police 
prompte  et  efficace,  il  protège  le  travail  et  s'assure  la  fidélité 
des  populations  sédentaires,  sur  lesquelles  il  doit  surtout 
compter  pour  se  procurer  des  ressources  financières.  Autre- 
ment, c'est  l'anarchie,  la  guerre  civile  presque  sans  répit, 
l'incapacité  de  résister  à  la  poussée  d'une  nouvelle  tribu  qui, 
sortant  de  la  montagne  ou  de  la  steppe,  réclame  à  son  tour 
l'hégémonie. 

Des  raisons  géographiques  s'opposent,  d'ailleurs,  à  une  unité 
durable,  quand  une  volonté  énergique  ou  une  armature  solide 
ne  l'imposent  pas  *.  Des  pays  isolés  et  d'un  accès  difficile,  comme 
l'Aurès,  la  grande  Kabylie,  le  Rif,  etc.,  défendent  ou  recouvrent 
leur  indépendance.  Et  la  Berbérie  est  à  la  fois  trop  longue  et 
trop  étroite  pour  qu'une  domination  unique  puisse  se  maintenir 
depuis  l'Océan  jusqu'aux  Syrtes  :  la  bande  se  fractionne  en 
plusieurs  tronçons,  la  nature  imposant  des  coupures,  dont  la 
place  est  déterminée  par  les  luttes  ou  les  accords  des  hommes  : 
dans  les  temps  modernes,  la  Tunisie,  l'Algérie  et  le  Maroc;  au 
moyen  âge,  le  royaume  des  Ilafsides  en  Tunisie  et  sur  l'Est 
de  l'Algérie,  celui  des  Zeianides  dans  le  centre  et  l'Ouest  de 
l'Algérie,  celui  des  Mérinides  au  Maroc;  dans  l'antiquité,  avant 
la  conquête  romaine  et  en  dehors  du  territoire  punique,  les 
royaumes  des  Massyles,  des  Masirsyles  et  des  Maures.  Etats 
qui  répugnent  à  accepter  comme  définitives  des  frontières  arti- 
ficielles; entre  eux,  l'équilibre  n'est  jamais  assuré. 

1.  Conf.  t.  I,  p.  25  et  suiv. 


CHAPITRE    II 
TRIBUS,    NATIONS   ET   PEUPLES 

I 

On  trouve  dans  des  textes  grecs  les  noms  de  quelques  tribus 
ou  peuplades  qui  habitaient  l'Afrique  du  Nord  avant  la  conquête 
romaine.  Nous  disons  «  tribus  ou  peuplades  »,  car  il  se  peut 
que  certains  de  ces  noms  désignent,  tion  pas  des  tribus,  mais  des 
groupes  de  tribus,  unies  par  des  liens  plus  ou  moins  étroits. 

Vers  le  milieu  du  v*  siècle,  Hérodote  en  indique  plusieurs, 
le  long  de  la  Méditerranée  '.  Il  les  a  connus,  soit  par  des  rensei- 
gnements oraux,  de  source  grecque,  soit  par  des  auteurs  plus 
anciens",  en  particulier  Hécatée  de  Milet,  qui  écrivit  son 
ouvrage  géographique  à  la  fin  du  vf  siècle  ou  au  début  du  v*. 

Sur  la  grande  Syrte,  vivent  en  nomades  les  Nasamons^, 
peuple  nombreux.  Ils  occupaient  d'abord  le  littoral  oriental  de 
ce  golfe,  mais  ils  se  sont  ensuite  étendus  sur  la  côte  méridionale, 
remplaçant  les  Psylles,   qui  ont  disparu*.  Ils  vont,  en  outre, 

1.  Sur  ces  peuplades,  voir  Gsell,  Hérodote,  p.  124-139,  livre  auquel  nous  renvoyons 
pour  plus  de  détails.  Nous  laissons  ici  de  côté  les  peuplades  qu'Hérodote  men- 
tionne à  l'intérieur  du  continent,  dans  les  oasis  du  Nord  du  Sahara  (Gsell,  l.  c, 
p.  139-155).  C'était  le  domaine  des  éthiopiens,  non  des  Libyens. 

2.  Voir  Gsell,  l.  c,  p.  55  et  suiv. 

3.  NaTaixmve;  :  Hérodote,  IV,  172,  173,  182;  11,  32. 

4.  Hécatée  connaissait  les  Psylles,  puisqu'il  donnait  le  nom  de  golfe  Psyllique 
à  la  grande  Syrte  [Frwj.  Idsl.  Graec,  I,  p.  23,  n"  303).  Hérodote  (IV,  173)  reproduit 
un  récit  fantaisiste  de  la  destruction  de  ces  indigènes.  11  est  probable  que  les 
Nasamons  s'emparèrent  de  leur  territoire  après  les  avoir  vaincus  et  en  bonne 
partie  exterminés.  Il  resta  cependant  des  l'sylles,  les  uns  peut-être  assujettis  eux 
Nasamons,  les  autres  refoulés  à  l'intérieur  des  terres  :  voir  Gsell,  L  c,  p.  127. 


TRIBUS,   NATIONS  ET  PEUPLES.  ^  83 

faire  tous  les  ans  la  récolte  des  dattes  dans  l'oasis  d'Augila  :  on 
peut  donc  croire  qu'ils  ont  réduit  les  cultivateurs  de  cette  oasis 
à  la  condition  de  tributaires  '. 

Les  Maces  ^  sont  établis  sur  le  côté  occidental  de  la  grande 
Syrte  et,  au  delà,  dans  la  région  où  coule  le  Ginyps  :  cette 
rivière  se  jette  dans  la  mer  à  peu  de  distance  à  l'Est  de  Lebda, 
dans  l'antiquité  Leptis  Magna. 

Plus  à  l'Ouest,  c'est  le  territoire  des  Gindanes^  En  avant  de 
ce  peuple,  les  Lotophages  *  détiennent  «  la  partie  de  la  côte  qui 
fait  saillie  »,  c'est-à-dire,  probablement,  l'espace  compris  entre 
la  région  du  Cinyps  et  la  petite  Syrte  ^  Le  nom  de  Loto- 
phages apparaît  déjà  dans  l'Odyssée",  sans  qu'on  puisse  savoir 
où  le  poète  place  cette  peuplade.  Au  iv''  siècle,  il  se  retrouve 
dans  le  Périple  du  Pseudo-Scylax',  appliqué  à  ceux  qu'Héro- 
dote appelait  ainsi;  plus  tard,  les  Lotophages  d'Homère 
furent  cherchés  dans  divers  autres  parages  ^  l\  n'y  a  pas  lieu 
de  supposer  que  le  nom  grec  ait  été  la  traduction  d'un  nom 
indigène,  et  peut-être  ces  Lotophages  ne  constituaient-ils 
pas  une  tribu  particulière  :  il  se  peut  que  les  Grecs  aient 
désigné  ainsi  ceux  des  Gindanes  qui  vivaient  en  bordure 
du  littoral  et  qu'ils  voyaient  se  nourrir  des  fruits  du  lotus 
(jujubier)^ 

Autour  du  grand  lac  Tritonis,  sont  les  Machlyes  *"  et  les 
Auses",  séparés  par  le  fleuve  Triton,  qui  se  jette  dans  le  lac. 

1.  V.  supra,  p.  5. 

2.  Màxai  :  Hérodote,  IV.  173;  V,  42. 

3.  rivôàvEî  :  le  même,  IV,  176, 

4.  AoiTo^âyot  :  id.,  IV,  177. 

5.  Gsell,  l.  c,  p.  131. 

6.  IX,  84  et  suiv.;  XXIII,  311.  Ou  ignore  ce  qu'était  pour  Homère  le  lotos,  dout 
les  fruits,  doux  comme  le  miel,  servaient  de  nourriture  à  ces  Lotophages.  Conf. 
Gsell,  l.  c,  p.  94. 

7.  §  110,  dans  Geugr.  Gr.  min.,  l,  p.  85-87. 

8.  Gsell,  (.  c,  p.  130. 

9.  Gsell,  ibid.  (d'après  Uawlinsou). 

10.  Màx>^ue(;  :  Hérodote,  IV,  178. 

11.  AùiTÉEc  :id.,  IV,  180. 


84  ORGANISATION  SOCIALE   ET  POLITIQUE. 

S'il  est  impossible  d'identifier  le  fleuve,  le  lac  est  sans  doute 
le  fond  de  la  petite  Syrte'. 

Toutes  ces  peuplades  sont  nomades.  Au  delà  des  Auses,  «  à 
l'Occident  du  fleuve  Triton-  »,  Hérodote  connaît  d'autres 
Libyens,  qui  s'adonnent  à  l'agriculture  et  habitent  des  maisons. 
Il  convient  de  les  chercher  en  Tunisie,  le  long  de  la  côte 
orientale,  à  laquelle  notreauteur  donne  par  erreur  une  direction 
générale*  Est-Ouest'.  De  leur  côté,  se  trouvait,  dit  Hérodote  % 
l'île  Cyraunis  :  aujourd'hui  Kerkenna^  Ce  sont  d'abord  les 
Maxyes®,  puis  les  Zauèces^,  enfin  les  Gyzantes^  chez  ces  der- 
niers %  il  y  avait  des  montagnes,  qui  peuvent  répondre  à  la 
chaîne  Zeugitane,  au  dessus  de  la  plaine  de  l'Enfida  '".  Nous 
parvenons  ainsi  jusqu'aux  régions  qui  firent  partie  du  territoire  de 
Carthage,  puis  de  la  province  romaine  créée  en  146  avant  J.-G. 

La  plupart  des  peuplades  mentionnées  par  Hérodote  ne 
reparaissent   pas   dans   des  temps   plus   récents".  H  faut  faire 

1.  Gsell,  l.  c.  p.  79-80. 

2.  Hérodote,  IV,  187  et  191. 

3.  Gsell,  L  c,  p.  76  et  80. 

4.  IV,  19.J  (d'après  un  reaselgnement  d'origine  carthaginoise)  :  v.ixza.  toÛtouç, 
ce  qui  peut  s'appliquer,  soit  aux  Gyzaates,  mentionnés  en  dernier  lieu,  soit 
plutôt  aux  trois  peuples  dont  les  noms  précèdent,  Maxyes,  Zauèces  et  Gyzantes. 

5.  Gsell,  l.  c,  p.  83-86. 

6.  Uàljsi  :  Hérodote,  IV,  191. 

7.  Zajr,y.e;  :  le  même,  IV,  193. 

8.  rJCavTEi;  :  id.,  IV,  194.  Hécatée  {l.  c,  p.  23,  n°  306)  parlait  de  Z^yavrii,  en 
Libye,  ville  dont  les  habitants  furent  identiliés  dès  l'antiquité  avec  les  FûÇavTE; 
d'Hérodote  :  voir  Gsell,  l.  c,  p.  58,  59  et  135. 

'.».  Hérodote,  IV,  194,  si,  dans  ce  passage,  le  mot  oiizoï  désigne  seulement  les 
Gyzantes;  il  pourrait  s'appliquer  aussi  aux  Zauèces. 

10.  Gsell,  L  c,  p.  136. 

11.  Les  Machlyes  sont  mentionnés  dans  un  fragment  de  Nicolas  de  Damas 
(F.  h.  G.,  m,  p.  402,  n"  130;  conf.  supra,  p.  29,  n.  3).  Ce  peut  être  un  emprunt  à 
une  source  bien  plus  ancienne.  Cependant,  au  ii*  siècle  de  notre  ère,  Ptolémée 
(IV,  3,  6,  p.  041,  édil.  .Mùller)  indi(]ue,  dans  la  région  de  la  petite  Syrie,  des 
Mi/p-jti,  dont  le  nom  rappelhï  les  Mï/'aje;  d'Hérodote.  —  La  mention  des  AÙ(T£Ïi; 
dan»  le  traité  géographi(]ue  d'Apollodore  d'Athènes  a  été  sans  doute  empruntée 
à  Hérodote  :  voir  Gsell,  l.  c,  p.  133.  —  C'est  probablement  à  tort  qu'Etienne  de 
Hyzance  croit  que  les  l'ùCavTE;  d'Hérodote  étaient  eu  réalité  appelés  Bj^avieç  [et 
habitaient,  par  conséquent,  Ja  région  appelée  plus  tard  liyzaciwn,  entre  les  golfes 
de  Gabès  et  d'Hammamet];  à  tort  aussi  (jue  l'on  a  rapproché  le  nom  des  Zauèces 
de  la  Zeuyilana  reijio  (.N(»rd  de  la  Tunisie)  et  du  nions  /n/utTis/s  (djebel  Zaghouane)  : 
voir  Gsell,  L  c,  p.  138-9. 


TRIBUS,  NATIONS  ET  PEUPLES.  85 

exception  pour  les  Nasamons  et  les  Maces.  Les  premiers  con- 
tinuèrent à  habiter  les  cotes  orientale  et  méridionale  de  la 
grande  Syrte,  au  moins  jusqu'à  la  fin  du  premier  siècle  de 
notre  ère'.  Les  Maces  se  retrouvent  aussi  là  où  Hérodote  les 
indique ^  Un  Périple  du  milieu  du  iv^  siècle  avant  J.-C.  ^  nous 
apprend  que  leur  territoire  s'étendait  à  la  fois  sur  le  littoral  et 
sur  le  pays  montagneux  situé  en  arrière. 

D'autres  noms  de  tribus  nous  sont  connus  par  des  textes 
postérieurs  à  Hérodote  :  les  Erébides  et  les  Mimaces,  dans  des 
citations  tirées  de  Philistos  le  Syracusain  *,  qui  écrivait  dans  la 
première  moitié  du  iv'  siècle;  les  Myndônes,  dans  une  citation 
de  l'histoire  composée  par  Ephore^  vers  le  milieu  du  même 
siècle.  Les  Erébides,  qui  étaient,  disait  Philistos,  «  une  partie 
des  Lotophages  »,  doivent  être  cherchés  entre  les  deux  Syrtes. 
Hs  sont  encore  mentionnés  sous  l'Empire  romain  par  Ptolémée*^, 
comme  les  Mimaces  \  qu'on  ne  sait  où  placer.  Même  ignorance 
en  ce  qui  concerne  les  Myndônes,  dont  P]phore  vantait  la 
sagesse  et  le  bien-être. 

Le  récit  que  Diodore  de  Sicile  nous  a  laissé  de  l'expédition 
d'Agathocle  (à  la  fin  du  iV  siècle)  nous  apporte  deux  noms  : 
celui  des  Zuphônes  *  et  celui  des  Asphodélodes%  lesquels,  par 
la  couleur  de  leur   peau,   ressemblaient  aux    Ethiopiens.    Les 

1.  Voir,  entre  autres,  Scylax,  109  (p.  84);  Diodore,  III,  49,  1;  Strabon,  XVII,  3, 
20;  Pliae  l'Ancien,  V,  3^,  et  VII,  14.  Gseil,  l.  c,  p.  125-6. 

2.  Scylax,  109.  Diodore,  /.  c.  Silius  Ilalicus,  II,  GO;  III,  275.  Ptolémée,  IV,  3,  G 
(p.  642).  Etc.  Voir  Gseil.  i.  c,  p.  129. 

3.  Le  Périple  dit  de  Scylax  (i.  c).  Gonf.  supra,  p.  69,  n.  2. 

4.  Apud  Etienne  de  Hyzance  (=  F.  h.  G.,  1,  p.  188.  u"  33)  ;  'EpeêiSat,  M;[i.ay.£^  (des 
manuscrits  donnent  Mqj.a>/.e;).  Les  'EXoét-ioi,  que,  selon  Etienne  de  Byzance, 
Philistos  aurait  rangés  parmi  les  Libyens  (F.  h.  G.,  i.  c,  n°  30),  étaient  un  peuple 
espagnol  :  voir  Iluhner,  dans  la  Real-Encyclopàdie  de  Pauly-Wissowa,  V,  p.  2242-3; 
Schulten,  NumaïUia,  I,  p.  36. 

5.  Apud  Etienne  de  Hyzance  {=■  F.  /i.  G.,  l,  p.  274,  n"  149  a)  :  Mùvîtovs;  [et  non 
Mûvfîove;]. 

6.  IV,  3,  6  (p.  642). 

7.  A  la  fois  dans  la  province  d'Afri(iue  et  dans  la  Libye  intérieure,  sans  doute 
par  suite  d'une  confusion  :  IV,  3,  0  (p.  G41);  IV,  6,  5  et  6  (p.  744  et  747). 

8.  Zo-jçwve;   :  Diodore,  XX,  38,  2. 

9.  'Aa:?o5£).wSTt^  :  le  même,  XX,  .57,  5. 


86  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

premiers  habitaient  peut-être  dans  le  centre  de  la  Tunisie  *  ;  les 
autres,  probablement  dans  le  Nord-Ouest  de  cette  contrée,  en 
Khoumirie^.  Comme  AwTocpàyot.,  'Aa-'^oBeXtôosi;  est  une  déno- 
mination grecque  %  qui  peut  avoir  pour  origine  l'usage  qu'au- 
raient eu  ces  indigènes  de  faire  leurs  cabanes  avec  des  asphodèles*. 

Dans  le  texte  grec,  copié  par  Polybe  ^  d'une  inscription 
bilingue  qu'Hannibal  fît  graver  en  Italie,  le  Carthaginois  indi- 
quait des  peuples  africains  chez  lesquels  il  avait  recruté  des 
cavaliers  en  219-218  :  lesLergètes^  et,  parmi  les  Numides,  les 
Massyles,  les  Masaesyles,  les  Maccoiens  \  les  Maurusiens.  Nous 
retrouverons  les  Massyles,  les  Masaesyles  et  les  Maurusiens, 
sujets  de  trois  royaumes.  On  ignore  oîi  vivaient  les  Lergètes  et 
les  Maccoiens*. 

A  l'époque  de  la  guerre  des  mercenaires  et  de  la  seconde 
guerre  punique,  sont  mentionnés  les  Micatanes%  Numides 
révoltés  contre  Carthage  :  l'emplacement  de  cette  tribu  est 
inconnu.  Il  en  est  de  même  pour  d'autres  Numides,  appelés 
Aréacides '",  dont  le  chef  se  mit  à  la  disposition  d'Hannibal, 
alors  à  Hadrumète  (en  203-202)". 

Des  Sophaces  '-  figurent  dans  un  passage  d'Alexandre  Poly- 


1.  On  ne  sait  pas  où  exactement  :  conf.  t.  III,  p.  40,  u.  4. 

2.  T.  I,  p.  303-4;  t.  III,  p.  50-51. 

3.  Peut-être  traduite  du  punique. 

4.  Conf.  Hérodote,  IV,  190;  Hellanicos,  dans  F.  h.  G.,  I,  p.  57,  n"  93.  Voir,  à  ce 
sujet,  Bertholon  et  Chantre.  Recherches  anthropologiques  dans  la  Berbérie  orientale, 
I,  p.  422;  0.  Dates,   The  Ëastern  Libyans,  p.  168. 

5.  III,  33,  15. 

6.  AepY'^i'f*'-  Confondus  dans  Tite-Live  (XXI,  22,  3)  avec  les  Ilergètes,  peuple 
espagnol  :  voir  t.  il,  p.  362. 

7.  Maxxoîoi. 

8.  Qu'il  n'y  a  pas  de  bonnes  raisons  d'identifier  avec  les  Maces  des  Syrtes  : 
voir  t.  Il,  p.  308,  u.  7.  Ils  ne  semblent  pas  non  plus  devoir  être  identifiés  avec 
les  Max/.ôot,  que  Ptoiémoe  (IV,  0,6,  p.  740)  place  dans  la  Libye  intérieure  et  qui, 
eux,  pourraient  bien  être  identiques  aux  .Maces  :  conf.  Mùller,  édit.  de  Ptolémée, 
Dote  à  la  p.  630. 

9.  M'.xaxavoi  :  Diodore,  XXVl,  23.  Conf.  ici.  t.  III,  p.  124,  n.  3,  et  p.  184. 

10.  'ApeaKiSac  :  Appien,  Lib.,  33. 

11.  Conf.  t.  III,  p.  251. 

12.  S'içaxE;. 


TRIBUS,   NATIONS  ET  PEUPLES.  87 

histor,  écrivain  du  premier  siècle  avant  notre  ère,  qui  copiait 
là  Cléodème,  historien  des  Juifs*.  Ils  auraient  dû  leur  nom  à 
Sophon,  descendant  à  la  fois  d'Abraham  et  d'Hercule.  Nous 
ne  savons  pas  oii  était  la  tribu  qui  donna  prétexte  à  ces  niai- 
series^. 

Enfin,  Nicolas  de  Damas,  contemporain  d'Auguste,  parlait, 
d'après  des  sources  plus  anciennes,  de  diverses  peuplades 
africaines.  Dans  les  extraits  de  cet  auteur  qui  nous  sont  parvenus, 
certains  noms  semblent  être  altérés,  et  il  n'est  pas  sûr  que  tous 
ceux  que  Nicolas  qualifiait  de  Libyens  l'aient  été  véritablement  ^ 
Les  Bao-0'j)v'.£i;ç\  —  lisez  MaiouX^elq,  —  sont  les  Massyles,  sujets 
d'un  royaume;  les  laX-^Xsuelç^  sont  sans  doute  les  Mà^^Aueç 
d'Hérodote^;  les  B'jaoi'',  les  Aa'|o).iêu£s  ^  les  nàvr.êo'.',  les 
'AXi,x£[JLvt.ot.'°  restent  inconnus. 

Voilà  un  butin  bien  maigre  et  de  qualité  bien  médiocre'^  En 
somme,  on  ne  sait  à  peu  près  rien  sur  la  répartition  des  tribus 
avant  l'époque  romaine. 

1.  Apud  Josèphe,  Ant.  Jud.,  I,  15,  241  (conf.  Eusèbe,  Praep.  evang.,  IX,  20,  5). 

2.  On  a  voulu  (Movers,  Die  Phônizier,  II,  2  p.  293;  Vivien  de  Saint-Martin,  Le 
Nord  de  V Afrique,  p.  414)  l'identifier  avec  des  ïlo^ouxaîoi,  que  Ptolémée  (IV,  6,  6, 
p.  745)  indique  dans  la  Libye  intérieure. 

3.  F.  h.  G.,  m,  p.  463,  n"  140  :  les  'A^iâpavTEi;,  —  lire  'Atâpavre?,  —  étaient, 
non  des  Libyens,  mais  des  Éthiopiens,  qui  vivaient  au  Sahara  :  voir  Gsell,  Héro- 
dote, p.  154-5. 

4.  F.  h.  G.,  III,  p.  462,  n°  134. 

5.  Ibid.,  n»  136. 

6.  V.  supra,  p.  84,  n.  11. 

7.  F.  h.  G.,  III,  p.  462,  n"  133.  La  lecture  n'est  pas  sûre.  Pour  ce  texte,  v.  supra, 
p.  40,  n.  ."). 

8.  Ibid.,  n°  135.  Le  nom  est  peut-ôtro  altéré  :  v.  supra,  p.  32,  u.  4. 

9.  Ibid.,  p.  463,  n°  141.  Sur  ce  peuple,  qui  n'était  peut-être  pas  libyen,  v.  supra, 
p.  73,  n.2. 

10.  Ibid.,  n°  138.  Leur  nom  rappelle  des  'AXitafxooc,  que  Ptolémée  (IV,  6,  6, 
p.  748)  place  dans  la  Libye  intérieure,  en  plein   Sahara. 

11.  Pour  la  tribu  gétule  des  Autololes,  v.  infra,  p.  110.  —  Dans  un  passaj^e  qui 
provient  peut-être  de  Juba  II,  Élien  (Nat.  anini.,  XVIL  27)  indique  une  tribu 
(k'ôvo;)  app(!lée  Nô(Aaiov,  <jui  aurait  été  détruite  par  des  lions.  Le  nom  ne  paraît 
pas  certain.  Artémidore  (apud  Strabon,  III,  5,  5)  reprochait  à  Kratosthène  d'avoir 
pris  le  ternie  Metay'ii'jviov  pour  le  nom  d'une  tribu  numide,  riveraine  du  détroit  de 
Gibraltar. 


88  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 


II 


Au  III®  siècle  avant  notre  ère,  la  plupart  des  indigènes  qui 
vivent  entre  le  territoire  punique  et  l'Océan  forment  trois 
nations,  à  la  tête  desquelles  sont  des  rois. 

L'une  d'elles  s'étend  sur  le  Nord  du  Maroc.  C'est  celle  des 
Maures,  appelés  par  les  Grecs  Ma'jpoûo-'.o'..  Ce  nom  se  trouve 
dans  Polybe'  et  dans  de  nombreux  auteurs  plus  récents  ^  Il 
fut  en  usage  avant  Polybe  :  il  se  lisait  dans  le  texte  grec  de 
l'inscription  bilingue  d'Hannibal^Diodo^e  de  Sicile*  l'emploie 
en  racontant  des  événements  qui  se  passèrent  à  la  fin  du 
V'  siècle,  et  en  l'empruntant  peut-être  à  Timée  (début  du 
III*  siècle).  Des  Romains  qui  se  servent  de  sources  grecques  le 
transcrivent  parfois  sous  la  forme  MaurusiP-,  on  rencontre 
aussi  l'adjectif  Maurusius  chez  des  poètes*^  et  même  sur  des 
inscriptions  latines  d'Afrique'.  Mais,  comme  le  fait  remarquer 
Strabon\  le  nom  latin  était  Mauri,  dont  on  a  une  foule 
d'exemples,  depuis  l'auteur  du  Bellum  Africum  et  Salluste; 
c'est  par  imitation  des  Romains  que  quelques  Grecs  de  l'époque 
impériale  écrivent  MaGooi,    au  lieu   de   yWu^oùyio'J.    Le   nom 

1.  XV,  11,  1;  XXXVIII,  7,  9  (édit.  BiJttner-Wobst;  alias  XXXIX,  1). 

2.  Diodore  de  Sicile,  Strabon,  Plutarque,  Appien,  Athénée,  Élien,  Hérodien, 
Procbpe,  etc. 

3.  Apud  Polybe,  111,  33,  15. 

4.  XIII,  80,  3. 

5.  Cœlius,  af>ud  H.  Peter,  Histor.  Rom.  fragm.,  p.  107.  u"  .^5.  Tite-Live,  XXIV, 
49,  5  (ailleurs,  il  se  sert  du  mot  Mauri).  Pline  l'Ancien,  V,  17  :  «  Maurorum,... 
quos  pleriquc  Maurusios  dixerunt.  •  Festus  Aviénus,  Ora  marit.,  345. 

6.  Virf^ile,  Lucaiu,  Silius  Italicus,  Claudien,  Corippus,  etc. 

7.  Gsell,  Inscr.  lai.  de  l' Algérie,  I,  2  033  et  3  O.ïl).  L'adjectif  latin  correspondant 
est  Mnuricus  :  Varron,  apud  Aulu-Gelle,  II,  25;  Aminion  Marcellin,  XXVI,  4,  5; 
Corippus,  Jo/i..  Il,  137;  CI.  L.,  VIII,  8  435,  9  327;  etc. 

8.  XVII,  3,  2  :  «  ceux  qui  sont  appelés  Majpoûcrioi  par  les  Grecs,  Ma-jpoi  par 
les  Hornains  et  par  les  indigènes  ». 

9.  Joscphe,  Ant.  Jud.,  I,  0.  133;  Bell.  Jud.,  II.  16,  381.  Lucien,  Quom.  hist.  conscr., 
28  et  31.  Pausanias,  I,  33.  5;  VIII,  43,  3.  Oppien,  Cyn.,  I,  289.  Dion  Gassius,  LX,  9 
(il  emploie  aussi  la  forme  MaupcOaiot  :  LX,  8).  Etc.  Ktienne  de  Uyzauce.  citant 
Asinius  (juadratus  (m*  siècle)  :  Maupoûiioi  y.al  Majpo.. 


TRIBUS,   NATIONS  ET   PEUPLES.  89 

en  usage  chez  les  indigènes  était,  ajoute  Strabon,  le  même 
que  chez  les  Romains;  il  devait  donc  ressembler  beaucoup 
plus  à  Mauri  qu'à  MaupojT'.o'..  Nous  n'avons  aucun  exemple 
de  la  forme  punique'. 

Diverses  étymologies  ont  été  proposées  dans  l'antiquité  et 
de  nos  jours-.  Il  faut  naturellement  écarter  celle  que  donnait 
le  récit  contenu  dans  les  libii  Punici  du  roi  Hiempsal  et  repro- 
duit par  Salluste^  :  iMauri  aurait  été  une  déformation  par  les 
indigènes  du  nom  des  Medi,  des  Mèdes,  compagnons  d'Hercule 
avec  des  Perses  et  des  Arméniens.  Il  faut  aussi  rejeter  l'étymo- 
logie  qu'on  a  tirée  du  motgrec  [j-aùpo.;  (pour  àj^aupô;),  «  obscur», 
et  qu'on  a  prétendu  expliquer  par  le  teint  foncé de3  indigènes*  : 
sans  avoir  besoin  d'autres  arguments,  constatons^  que  les 
Grecs  disaient  Mauzoùmoi;  ils  n'ont  adopté  que  par  exception  la 
forme  Maùooi,  d'après  l'usage  latin.  Il  se  peut,  du  reste,  que  l'exis- 
tence en  leur  langue  du  mot  ij.aùpo;  et  le  teint  basané  des  Maures 
y  aient  contribué  %  mais  c'eût  été  par  un  simple  jeu  de  mots. 

Le  célèbre  hébraïsant  Bochart^  a  mis  en  avant  une  étymo- 
logie    phénicienne,    que   beaucoup   ont  jugée    séduisante*.  Il 

1.  Salluste  (Jug.,  XVIIl,  10),  cilanl  les  libri  Punici  du  roi  Hiempsal,  écrit  : 
.  Nomen  eorum  [des  Mèdes]  paulatiin  Libyes  conrupere,  barbara  lingua  Mauros 
pro  Médis  adpellaates  »  Il  est  à  croire  que,  dans  le  texte  punique,  les  deux  noms 
désignant  les  Mèdes  et  les  Maures  avaient  plus  de  ressemblance  que  les  mots 
latins  Medi  et  Mauri  :  autrement,  cette  origine  attribuée  au  nom  des  Maures  ne  se 
comprendrait  pas  (conf.  t.  I,  p.  335). 

2.  Je  laisse  de  côté  des  élymologies  invraisemblables,  entre  autres  celle  de 
Sabatier(/?tfu.  d'anlhropoL,  1884,  p.  414),  alléguant  un  mot  berbère  qui  signifierait 
les  Montagnards,  et  celle  de  Judas  (Sur  Vécriture  et  la  langue  berbères,  p.  27),  qui 
retrouve  ici  un  nom  punique  signifiant  les  Troglodytes, 

3.  V.  supra,  n.  1. 

4.  Cette  étvmoiogie  date,  au  plus  tard,  des  environs  de  l'ère  chrétienne,  car 
Manilius  (IV,  727-8)  y  fait  allusion  :  voir  t.  I,  p.  285,  n.  2.  Elle  a  été  reprise  par 
quelques  érudits  modernes. 

5.  Avec  Tissot,  Géographie  de  la  province  romaine  d'Afrique,  I,  p.  392  et  445. 

6.  En  français,  on  emploie  familièrement  le  mot  moricaud,  qui  vient  de  More, 
pour  désigner  des  gens  au  teint  basané. 

7.  Geographia  sacra  (édit.  de  Caen,  1646),  p.  544. 

8.  P.  ex.,  de  Cliéuier,  Recherches  historiques  sur  les  Maures,  I,  p.  38;  Vivien  de 
Saint-Martin,  i.c,  p.  100;  Tissot,  l.  c,  1,  p.  392;  E.  Cat,  Essai  sur  la  prov.  romaine 
de  Maurétanie  Césarienne,  p.  55;  Quodeufeldl,  dans  liev.  afric,  XLVl,  1902,  p.  81. 


90  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

s'agirait  d'un  mot  signifiant  «  les  Occidentaux  »  :  les  Cartha- 
ginois auraient  appelé  Maouharîm  les  habitants  du  Nord-Ouest 
de  l'Afrique,  tout  comme  les  Arabes  appelèrent  cette  contrée 
«  l'Occident  »,  Maghrib^.  Cette  désignation  géographique  d'ori- 
gine étrangère  ne  serait  devenue  que  plus  tard  un  nom 
ethnique.  Il  n'y  a  pas,  cependant,  de  bonnes  raisons  de  rejeter 
l'assertion  de  Strabon  attribuant  au  nom  Mauri  une  origine 
indigène.  Que  les  Carthaginois,  en  l'adoptant,  l'ait  altéré,  pour 
lui  donner  un  sens  dans  leur  langue,  cela  n'est  pas  impossible, 
mais,  tant  qu'on  n'aura  pas  trouvé  un  texte  donnant  le  nom 
punique,  il  vaudra  mieux  s'abstenir  d'inutiles  hypothèses. 

Un  passage  de  Pline  l'Ancien  ^  autorise  à  supposer  que  le 
nom  libyque  désignait  d'abord  une  tribu  :  «  Des  tribus  de  la 
province  (romaine)  de  (Maurétanie)  Tingitane,  la  principale 
était  jadis  celle  des  Mauri^  qui  lui  a  donné  son  nom  et  que  la 
plupart  ont  appelée  Maurusii.  Des  guerres  l'ont  réduite  à  quel- 
ques familles  ^  »  Comme  les  Ketama,  les  Masmouda,  etc.,  du 
moyen  âge,  cette  tribu  aurait  fondé  un  Etat,  puis  elle  se  serait 
épuisée  par  la  tâche  écrasante  qu'aurait  exigée  le  maintien  de 
sa  suprématie  *.  L'Etat  aurait  cependant  subsisté,  en  se  créant 
d'autres  appuis. 

La  contrée  sur  laquelle  il  s'étendit  fut  appelée  MaupouaLa 
par  les  Grecs  %  Mauretania  par  les  Romains  ",  qui  paraissent 

1.  Comme  ils  appellent  el  Gharb,  .  l'Occident  •,  une  partie  de  la  région  océa- 
nique du  Maroc. 

2.  V,  17. 

3.  Pline  mentionne  ensuite  la  tribu  des  Masaesyles,  également  éteinte.  Il 
ajoute  :  «  Gaelulae  nunc  tenent  gentes  »,  ce  qui  doit  se  rapporter  à  l'ancien 
territoire  de  la  tribu  des  Maures,  aussi  bien  qu'à  celui  de  la  tribu  des  Masaesyles. 
Eu  égard  aux  régions  occupées  par  les  Gétules,  ces  territoires  devaient  être 
situés,  non  pas  dans  le  voisinage  de  la  Méditerranée,  mais  plus  au  Sud. 

4.  Conf.  supra,  p.  80. 

5.  Strabon,  11,  3,  4;  XVll,  3,  2.  Plutarque,  Sertorius,  7.  Élien,  Nat.  anim.,  V, 
54.  Etc. 

6.  Vitruve,  Vlll.  2,  16  :  «  Maurusia,  quam  nostri  Mauretaniam  appellant.  • 
Cicéron,  Pro  Sulla,  20.  56;  César,  Bell,  civ.,  1,  6,  3;  Salluste,  CatiL,  XXI,  3;  etc. 
Des  auteurs  grecs  de  basse  époque  se  servent  du  mot  latin  :  Ptolémée,  IV,  1,  1 
(p.  572);  Diou  Cassius,  XLIIl,  3,  1;  Procope,  Uell.  Vand.,  II,  13,  19;  etc. 


TRIBUS,   NATIONS  ET  PEUPLES.  91 

avoir  calqué  cette  forme  sur  celles  qu'ils  avaient  adoptées  pour 
des  noms  de  contrées  espagnoles  :  Turdetania,  Caryetania  '. 

Le  royaume  des  Maures  existait  dès  le  milieu  du  iv®  siècle 
avant  J.-C.  %  peut-être  même  plus  tôt  %  et  les  Carthaginois, 
qui  avaient  des  colonies  sur  la  côte  du  Maroc,  entretenaient 
des  relations  avec  les  souverains  de  cet  Etat\  A  la  fin  du 
III''  siècle,  est  mentionné  un  roi  des  Maures,  Baga,  prince  puis- 
sant ^  Un  siècle  plus  tard,  Bocchus,  beau-père  de  Jugurtha, 
régnait,  dit  Salluste  \  sur  tous  les  Maures. 

Ce  royaume,  groupant  un  certain  nombre  de  tribus  aux- 
quelles fut  étendu  le  nom  de  Maures,  faisait  face  au  Nord  à 
l'Espagne  et  était  baigné  à  l'Ouest  par  l'Océan  \  Il  ne  semble 
pas  s'être  avancé  très  loin  vers  le  Sud.  De  ce  côté,  il  était 
bordé  par  des  peuplades  indépendantes,  du  moins  à  l'origine, 
que  l'on  appelait  Gétules  et  dont  nous  reparlerons  \ 

A  l'Est,  un  fleuve,  la  Mulucha  %  formait,  dans  son  cours 
inférieur,  la  limite  entre  les  deux  royaumes  de  Maurétanie  et 
de  Numidie,  pendant  la  seconde  moitié  du  ii''  siècle,  aux  temps 

1.  Conf.  t.  1,  p.  324,  n   5. 

2.  Justin,  XXI,  4,  7  :  Hannon,  révolté,  appelle  à  son  aide  le  roi  des  Maures. 
Conf.  t.  II,  p.  255  et  suiv. 

3.  Justin  (XIX,  2,  4)  mentionne  une  guerre  des  Carthaginois  contre  les  Maures 
vers  le  milieu  du  v"  siècle.  A  la  fin  du  môme  siècle,  Carthage  recruta  des  troupes 
chez  des  Maures  alliés  :  Diodore,  XIII,  80,  3. 

4.  Peut-être  jusqu'à  la  veille  de  la  destruction  de  Carthage,  pendant  la  troi- 
sième guerre  punicju*  :  voir  t.  II,  p.  3ô6,  n.  4;  t.  III,  p.  389. 

5.  Tite-Live,  XXIX,  30,  1  :  Baga  met  4  000  Maures  à  la  disposition  de  Masinissa, 
pour  l'escorter  depuis  la  Maurétanie  jusqu'au  royaume  massyle. 

6.  Jug.,  XIX,  7. 

7.  Inscription  d'IIannibal,  apud  Polybe,  III,  33,  15.  Cœlius,  dans  Peter,  Hisi. 
Rom.  frwjm.,  p.  107,  n°  55.  Tite-Live,  XXIV,  49,  5;  XXIX,  30.  1.  Appien,  Lib., 
106.  Salluste,  Jug.,  XIX,  4.  Slrabon,  XVII,  3,  2  et  suiv.  Etc. 

8.  Quand  les  rois  maures  étendaient  ou  prétendaient  étendre  leur  autorité  sur 
les  Gétules,  leurs  Etats   confinaient  au   Sud  avec  les  pays  que  les  Ethiopiens 
habitaient,  au  delà  du  Haut-Atlas  :  v.  supra,  p.  10,  n.  1  et  3;  conf.  Pline  l'Ancien 
XIII,  91  :  «  Atlas  nions  ...  (Confines  ei  Mauri.  » 

9.  La  question  de  la  Mulucha,  fleuve  frontière,  a  été  très  débattue  :  voir,  entre 
autres,  Tissol,  dans  Mémoires  présentés  à  l'Acad.  des  Inscriptions,  IX,  1"  partie  (1878), 
p.  142-7  (il  me  paraît  avoir  vu  juste);  La  Blanchère,  dans  Bull,  de  corrcsp.  afric, 
II,  1884,  p.  136-140;  Tauxior,  dans  Rev.  afric.,  XXIX,  1885,  p.  41  ot  suiv.;  Cat, 
Maur.  César.,  p.  32-38;  Slreuger,  Slrabos  Erdkunde  von  Libyen,  p.  72-74. 


92  ORGANISATION  SOCIALE   ET   POLITIQUE. 

de  Micipsa  et  de  Jugurtha  :  ce  qu'atteste  Salluste  '.  Strabon, 
qui  se  sert  peut-être  ici  d'Artémidore  (vers  100  avant  J.-C), 
ou  de  Posidonius  (un  peu  plus  tard),  indique  la  Mulucha 
(MoXoyàG)  comme  limite  entre  les  Maures  et  les  Masœsyles  ^,  et 
le  contexte  permet  d'identifier  ce  fleuve  avec  la  Moulouia. 
Syphax,  roi  des  Masœsyles  à  la  fin  du  m"  siècle,  possédait 
Siga,  qui  était  même  une  de  ses  capitales  '  ;  cette  ville  était 
située  à  environ  90  kilomètres  à  l'Est  de  la  Moulouia  *  :  ce  qui 
confirme  le  témoignage  de  Strabon  ^  Le  royaume  masaesyle 
tomba,  après  Syphax,  entre  les  mains  de  Masinissa,  roi  des 
Massyles,  et  de  ses  successeurs  Micipsa  et  Jugurtha  :  nous 
venons  de  voir  que  la  Mulucha  était  la  frontière  occidentale  de 
leurs  Etats,  ainsi  agrandis.  Sous  le  double  nom  de  Mulucha  et 
de  Malva,  la  Moulouia  servit  encore  de  limite,  au  milieu  du 
premier  siècle  avant  notre  ère,  entre  deux  rois  maures  ^',  puis, 
en  l'an  42  après  J.-C.  et  pendant  des  siècles,  entre  les  deux 
provinces  romaines  de  Maurétanie  Césarienne  et  de  Mauré- 
tanie  Tingitane  \ 

Il  est  vrai  qu'un  auteur  copié  par  Pomponius  Mêla  ^  et  par 
Pline  l'Ancien  '^  mentionnait  un  fleuve  Mulucha,  qui,  d'après 
ses  indications,   devrait  être  identifié,  non  pas  avec  la  Mou- 

1.  Jug.,  ex,  8;  XIX,  7;  XCII,  5. 

2.  XVII,  3,  6  el  9  (avec  des  distances  erronées). 

3.  Voir  t.  H,  p.  164:  III,  p.  185,  n.  1. 

4.  Gsell,  Atlas  archéol  de  l'Algérie,  f"  31  (Tleincen),  n°  1. 

5.  Du  reste,  Strabon  ajoute  (XVII,  3,  9)  que  ce  pays  des  Masœsyles,  limité  par 
la  Molochath,  avait  eu  successivement  pour  maîtres  Syphax,  dont  la  capitale 
était  Sif^a,  puis  Masinissa,  Micipsa,  etc. 

6.  La  limite  des  deux  provinces  romaines  était,  dit  Pline  (V,  19),  la  môme  que 
celle  des  deux  royaumes  de  liocciius  et  de  Boj^ud  (contemporains  de  César),  et 
Siga  appartenait  à  la  Maurétanie  de  Boccluis,  celle  de  l'IJst. 

7.  Ptolémée  (IV,  1,  3,  p.  58:5-4)  mentionne  les  fleuves  MoXo/àe  el  .MaXoûa,  qui 
sont,  en  réalité,  le  même  cours  d'eau.  Il  dit  que  l'embouchure  de  la  Maloûa 
forme  la  frontière  (intre  les  deux  provinces  (IV,  1,4,  p.  584;  IV,  2,  1,  p.  592). 
MAme  indication  dans  l'Itinéraire  d'Anlonin,  édit  Parthey  et  Pinder,  p.  5  (flumen 
Malva).  Voir  aussi  Paul  Orose.  Adv.  pay.,  I,  2,  93  et  94.  Pline  (V,  18)  appelle  Mal- 
vane  ce  fleuve,  qu'il  place,  comme  il  convient,  (uilre  Hhysaddir  (Mélilla)  et  Siga. 

8.  I,  29. 

9.  V,  19. 


TRIBUS,   NATIONS  ET   PEL'PLËS.  93 

louia,  mais  avec  un  cours  d'eau  situé  bien  plus  à  l'Est,  —  et  à 
l'Est  aussi  de  Siga,  —  soit  la  Macta,  soit  plutôt  le  Chélif. 
Cependant  Mêla  et  Pline  ajoutent  que  ce  fleuve  avait  formé 
limite  «  entre  des  royaumes,  ceux  de  Bocchus  et  de  Jugurtha  », 
dit  Tun  ',  «  entre  Bocchus  et  les  Masœsyles  »,  dit  l'autre  ^  Or, 
comme  nous  savons  par  ailleurs  que  cette  limite  était  à  l'Ouest 
de  Siga  et  à  l'embouchure  de  la  Moulouia,  il  faut  en  conclure 
que  l'auteur  de  Mêla  et  de  Pline  a  commis  une  erreur.  Pour- 
quoi s'est-il  ainsi  trompé?  Peut-être  la  Macta  ou  le  Chélif  ont- 
ils  porté,  comme  la  Moulouia,  le  nom  de  3Iulucha^;  peut-être 
un  de  ces  fleuves  a-t-il  servi  de  frontière  à  Bocchus,  après  que 
Rome  lui  eut  permis  de  joindre  à  ses  Etats  une  partie  du 
royaume  de  Jugurtha  *  :  une  de  ces  deux  hypothèses,  ou  les 
deux  réunies  pourraient  expliquer  la  confusion.  Mais  ce  qui  est 
certain,  c'est  qu'auparavant,  la  Moulouia  formait  la  limite  du 
royaume  des  Maures,  et  que,  plus  tard,  elle  redevint  un  fleuve 
frontière.  De  nos  jours  encore,  on  a  souvent  soutenu  qu'elle 
devrait  être  la  limite  commune  de  l'Algérie  et  du  Maroc. 
Pourtant,  ce  ne  sont  pas  des  raisons  géographiques  qui  peu- 
vent être  légitimement  invoquées  ^  :  le  cours  inférieur  de  la 


1.  Mêla,  l.  c.  ■:  ■<  Mulucha  ille  quem  diximus  amnis  est,  nunc  gentium,  olim 
regnorum  quo<jue  teriniuus,  Bocchi  lugurlhaeque.  »  Un  peu  plus  haut  (I,  25), 
Mêla  mentionne,  eu  elTet,  la  Mulucha,  qui  est.  dit-il,  la  limite  de  la  Maurétanie, 
comme  il  dit  (I,  30)  (lu'elle  esl  la  limite  de  la  Numidie.  Après  la  guerre  de 
Jugurtha,  la  frontière  du  royaume  maure  avait  été  reportée  plus  à  l'Est,  mais 
Mêla  (ou  plutôt  sa  source)  n'en  fait  pas  moins  commencer  à  la  Mulucha  le  pays 
des  Numides,  dont  les  Masa\sylcs  faisaient  partie. 

2.  Pline,  i.  c.  :  «  Amnis  Mulucha,  Bocchi  Masaesylorumque  Unis.  •  On  peut 
supposer  que  la  source  commune  indiquait  la  Mulucha  à  la  fois  comme  la  limite 
des  Maures  et  des  Masa'syles,  et  comme  celle  des  royaumes  de  Bocchus  et  de 
Jugurtha.  Dans  Mêla,  l'antithèse  «  nunc  gentium,  olim  regnorum  quoque  •  serait 
une  addition  :  conf.  supra,  p.  22,  n.  7. 

3.  Les  noms  antiques  de  ces  deux  fleuves  ne  sont  pas  connus  avec  certitude  : 
voir  Gsell,  AHns  an-héol.  de.  l'Algérie,  î"  21  (.Mostaganem),  n"  11,  et  f°  11  (Bosquet), 
n"  3.  Si  le  Chélif  s'appelait  XjA'.(A(xO,  nom  indiqué  par  Ptolémée  (IV,  2,  2,  p.  594), 
on  pourrait  admettre  une  confusion  avec  le  nom  MoXoxàO,  par  une  interversion 
du  •/  et  du  (j.. 

4.  Pour  cette  hypothèse,  voir  t.  Vil,  l.  II,  ch.  iv  ,  §  VI. 

5.  Conf.  A.  Bernard,  Les  confins  algéro-marocains,  p.  32. 

Gsell.  —  Afrique  du  Nord.  V.  7 


94  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

Moulouia  ne  sépare  nullement  des  régions  distinctes|  les  cloisons 
naturelles  des  deux  contrées  setrouvent,  soitplusàl'Est,  soitplusà 
l'Ouest,  et,  depuis  les  temps  antiques,  les  maîtres  du  Maroc  et  ceux 
de  l'Algérie  occidentale  se  sont  rarement  arrêtés  à  cette  Moulouia' . 
Elle  a  été  dans  le  passé  une  limite  conventionnelle  :  rien  de  plus. 

A  la  fin  du  second  siècle  et  au  milieu  du  premier,  la  fron- 
tière du  royaume  de  Maurétanie  fut  avancée  vers  l'Est,  dans  la 
contrée  qu'on  appelait  la  Numidie  :  elle  atteignit  sur  la  Médi- 
terranée l'embouchure  de  l'Ampsaga  (oued  el  Kebir),  au  Nord- 
Ouest  de  Constantine.  Ce  fut  aussi  la  frontière  orientale  de 
l'une  des  deux  provinces  formées  après  l'annexion  du  royaume 
par  Rome,  la  Maurétanie  Césarienne.  Le  nom  Mauri  suivit 
cette  progression.  Il  s'étendit  même  beaucoup  plus  loin  que  le 
nom  Mauretania,  qui  resta  confiné  dans  les  limites  des  pro- 
vinces romaines  auxquelles  il  fut  donné.  On  en  vint  à  appeler 
Mauri  tous  les  indigènes  de  la  Berbérie,  même  ceux  qui 
vivaient  dans  les  autres  provinces  africaines  ^. 

Déjà,  l'auteur  du  récit  de  la  campagne  de  Jules  César  qua- 
lifiait de  Mauri  des  cavaliers  numides  %  et  Horace  de  Maura 
l'eau  des  Syrtes  *.  Au  ii^  siècle  de  notre  ère,  un  historien,  — 


1.  Ibn  Klialdoun  {Uisl.  des  Berbères,  Irad.  de  Slaae,  I,  p.  194)  ludique  pourtant 
la  Moulouia  comme  la  limite  du  Maghreb  el  Acsa. 

2.  Conf.  Movers,  Die  Phonider,  11,  2,  p.  372-4. 

3.  Bell.  Afric,  III,  1;  VI,  3;  VII,  5;  LXXXIIl,  4.  Dans  un  autre  passage  du 
même  écrit  (XCV,  1),  on  lit  que  Sittius,  ayant  vaincu  un  général  du  roi  de 
Numidie  Juba,  se  rendit  per  Mauretaniam  vers  César,  qui  était  dans  la  province 
romaine.  Or  c'était  la  Numidie  qu'il  devait  traverser.  Mais  le  texte  ne  serait-il 
pas  corrompu? 

4.  Odes,  II,  6,  3-4  : 

liarbaras  Syrtes,  ubi  Maura  scmper 
Acstuat  unda. 

On  pourrait  se  demander  si  Horace  n'a  pas  voulu  comparer  ainsi  les  marées 
qui,  sur  les  rives  africaines  de  la  Méditerranée,  ne  se  produisent  que  dans  le 
golfe  des  Syrtes,  avec  celles  des  côtes  océaniques  du  môme  continent,  en  Mauréta- 
nie; mais  la  pensée  serait  bien  sublile.  —  C'est  par  pure  erreur  que  quelques 
U'xtes  r|uali(lent  Syphax,  Masinissa,  ,luba  1",  de  rois  des  Maures  :  De  viris  illuslr., 
49  (conf.  ici,  t.  III,  p.  178,  n.  6);  Athénée,  XII,  16;  Pseudu-Lucien,  Macrob.,  17; 
Kiien.  Nnl.  anim..  Vil,  23.  Conf.  Epilome  de  Tite-Live,  1,  CX  ;  hlutropp,  VI,  23,  1; 
pour  Fiorus,  infra,  p.  95,  n.  2. 


TRIBUS,   NATIONS  ET   PEUPLES.  95 

ou,  pour  mieux  dire,  un  rhéteur,  —  Florus,  appelle  Mauri 
des  Numides  \  peut-être  par  erreur  -.  A  partir  du  m''  siècle  % 
surtout  sous  le  Bas-Empire  *  et  aux  époques  vandale  '  et  byzan- 
tine %  cet  emploi  généralisé  du  terme  Mauri.,  en  grec  Maj- 
pojT'.o'.,  devient  très  fréquent  '.  Tous  les  indigènes,  depuis 
l'Atlantique  jusqu'à  la  Cyrénaïque,  sont  désormais  des  Maures. 

Nous  n'avons  pas  de  motifs  de  croire  qu'eux-mêmes  aient 
adopté  le  sens  si  large  qu'avait  pris  un  nom  limité  peut-être 
jadis  à  une  tribu  du  Maroc.  En  tout  cas,  ce  nom  ne  s'est  pas 
conservé  dans  les  dialectes  berbères,  non  plus  que  dans  la 
langue  arabe.  Ce  sont  les  Européens  qui  l'ont  appliqué  de 
nouveau  à  des  habitants  de  l'Afrique  :  citadins,  dont  beaucoup 
descendent  des  Mores  chassés  d'Espagne;  nomades  du  Sahara 
occidental. 

Entre  le  royaume  des  Maures  et  le  territoire  carthaginois, 
s'étendaient,  au  m''  siècle  avant  notre  ère,  deux  autres  royaumes, 
celui  des  Masaesyles  et  celui  des  Massyles.  Ces  deux  noms  sont 
certainement    indigènes^;    au    singulier,   les    formes    libyques 

1.  II,  13,  34.  De  même,  au  siècle  précédent,  le  poète  Lucaia  (IV,  784;  VIII, 
283). 

2.  Il  s'agit  de  sujets  de  Juba  I".  Or  Florus  paraît  croire  que  ce  roi  de  Numidie 
était  roi  de  Maurétauie  (II,  13,  65  et  89).  —  Pour  l'emploi  du  mot  Ma-jpo-jffto'. 
dans  deux  passages  d'Appien,  v.  injra,  p.  107,  n.  6. 

3.  Hérodien,  VII,  9,  1  («  ceux  des  Maurusiens  que  les  Romains  appellent 
Numides  •).  Dédicaces  Dits  Mauris  et  Cereri  Mauriisiae,  trouvées  en  Numidie  : 
G.  /.  L.,  VIII,  2  637-2  641;  Gsell,  Inscr.  lat.  de  l'Algérie,  I,  2  033,  2  078,  3  000  (une 
de  ces  inscriptions,  G.  I.  L.,  2  637,  est  même  du  second  siècle). 

4.  Vibius  Sequester  {apud  Riese,  Geogr.  Lai.  min.,  p.  157,  158)  :  Barcaei,  Gara- 
mantes,  Numidae,  qualifiés  de  Mauri.  Ammien  Marcellin,  XXVI  4,  5  :  «  Mauricae 
gentes  »  en  Tripolitaine.  Servius,  In  Aen,,  VI,  60  :  «  Massyli  sunt  Mauri.  >> 

S.Victor  de  Vite,  II,  28. 

6.  Procope,  Bell.  Vand.,  II,  4,  27  (en  Numidie);  11,13,  26  (dans  l'Aurès);  II,  8,9 
(en  Ryzacène  et  en  Numidie);  H,  24,  5  (en  Byzacène);  I,  8,  15,  et  II,  21,  2  (en  Tri- 
politaine); Aedif.,  VI,  2  et  3  (en  Cyrénaïque  et  en  Tripolitaine);  etc.  Gorippus. 
Joh.,  II,  2,  29,  157,  183,  etc.  (pour  des  indigènes  de  la  Numidie,  de  la  Byzacène, 
de  la  Tripolitaine). 

7.  Procope  (Milcnd  si  hien  le  terme  Ma-^po-Jcriot  dans  ce  sens  général,  ([u'il  se 
sert  d'un  autre  mol,  MajpiTavoi,  pour  désigner  les  habitants  de  la  iMaurétanie  : 
B.  V.,  Il,  17,  3o;  II,  20,  21. 

8.  Beaucoup  de  noms  indigènes  commencent  par  Mas...  (conf.  t.  I,  p.  315,  n.  4) 
et  certains  ressemblent  fort  à  ceux  des  Masa'syles  et  des  Massyles  :  p.  ex.,  dés  lo 


H  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

devaient  être  Masaïsoul,  ou  Masaïsîl\  et  Masoul,  ou  MasiV-. 
Les  étrangers  les  ont  transcrites  et  déclinées  de  diverses 
manières^  :  pour  les  Masœsyles,  les  formes  les  plus  fréquentes 
sont,  en  grec*,  MaTa^o-jÀio!.^  ou  Mas-a'lo-jÀoi*,  parfois  avec  deux  t 
après  Ma',  en  latin,  Masaesijlii^^  Masaest/li^;  pour  les  Massyles, 
en  grec,  Mao-ûÀ-.o'.*",  Mao-a-yAi-o'.",  Maa-a-ûXo'.'-,  Mas-uAs^'^  en  latin, 
Massylii^^  Massyli^^. 
Avant  de  donner  leur  nom  à  un  Etat,  les  xVïasaesyles  avaient 

XII'  siècle,  on  mentionne  un  chef  africain  appelé  Mashashalou  :  Maspero,  IJist. 
anc.  des  peuples  de  VOrient  classique,  III,  p.  472;  voir  aussi  t.  IV  de  cette  Histoire, 
p.  174,  n.  9-11. 

1.  Conf.  peut-être  Masaisilen,  nom  de  personne  sur  une  inscription  latine  de 
Maurétanie  :  C.  I.  L.,  VIII,  9  010,  et  Gsell,  dans  Rec.  de  Constantine,  XXXVI,  1902, 
p.  30,  n.  3.  Masesu...,  sur  une  autre  :  C.  /.  L.,  9  641. 

2.  Masul  {Masulis,  au  génitif),  nom  propre  sur  des  inscriptions  latines  :  C.  I.  L., 
VIII,  8  296,  11310-1;  Bull,  archéol.  du  Comité,  1894,  p.  346,  n"  23.  Silius  Italiens 
(I,  405)  appelle  /rfasulis  un  Carthaginois.  —  Peut-être  MSYL,  sur  une  inscription 
iibyque  :  Halévy,  dans  Joarn.  asiat.,  1874,  I,  p.  140,  n°  100. 

3.  Les  Massyles  sont  mentionnés,  sous  la  forme  [M]yLYYM,  dans  une  inscrip- 
tion néopunique  de  Cherchel  :  Rev.  d'assyrioL,  II,  p.  36. 

4.  Les  leçons  varient  souvent  dans  les  manuscrits,  en  particulier  dans  Strabon, 
II,  5,33;  XVII,  3,  6;  ibid.  7  et  9. 

5.  Polybe,  III,  33,  13  (inscription  d'Hannibal);  XVI,  23,  6.  Strabon,  dans  cer- 
tains manuscrits.  Plutarque,  De  inulier.  virtut.,  10.  Etienne  de  Byzance,  s.  u.  ;  Sui- 
das, s.  V. 

6.  Strabon,  dans  certains  manuscrits.  Ptolémée,  IV,  2,  5  (p.  603).  —  Etienne  de 
Byzance  mentionne  encore  les  formes  Maaai<7j/£ï;  et  Maaa-.TuXt-ïai.  M£<7oa(toj- 
>,ô'7<7a)v,  au  génitif,  sur  une  inscription  grecque  métrique  de  Cherchel  :  C.  /.  L., 
VIII,  21  441  (s'il  s'agit  bien  des  Mas.esyles). 

7.  Dans  des  manuscrits  de  Strabon. 

8.  Priscien,  Pericg.,  177  (dans  Geogr.  Gr.  min.,  II,  p.  191).  Masaesulii  dans  Tite- 
Live,  XXVIII,  17,  o;  XXIX,  30,  10;  XXIX,  32,  14;  XXX,  11,  8  et  11. 

9.  Pline  l'Ancien,  V,  17-,  V,  19;  V,  52;  XXI,  77  (où  il  y  a  Massaesylis,  au 
datif). 

10.  Polybe,  III,  33,  15  (inscription  d'Hannibal). 

11.  Appien,  Lib.,  10;  26;  27;  40. 

12.  Apollodore  d'Athènes,  apud  Ktienne  de  Byzance,  s.  v.  :  telle  est,  du  moins, 
la  leçon  des  manuscrits. 

13.  Polybe.  VII,  14,  c,  édil.  HûUiier-Wobst.  —  MaajAteî;,  dans  Strabon,  II,  5,  33; 
XVII,  3,  9;  ibid.,  12  et  13  (avec  des  variantes  dans  les  manuscrits).  [M]a(70j/,iEr;, 
dans  Nicolas  do  Damas,  F.  h.  G.,  III,  p.  462,  n"  134  (conf.  supra,  p.  87).  Macru/riEç, 
dans  Denys  le  Périégète,  187  (G.  G.  m..  Il,  p.  112). 

14.  Kpitome  de  Tite-Live,  aux  livres  24,  28,  29.  Isidore  de  Séville,  Etym.,  IX.  2, 
123.  —  Maesulii  dans  Tite-Live,  XXIV,  48.  13;  XXIX,  29,  10;  XXI.\,  31,  4  et  suiv.; 
XXIX,  32,  4  et  12;  X.\X,  11,  1. 

15.  Pline,  V,  30.  Silius  llalicus,  III,  282.  Etc.  Massytum  (b.\i  génitif,  pour  ^/aiisy- 
lorum),  dans  Virgile,  Enéide,  VI,  00;  Silius,  IV,  510.  —  Isidore  (I.  c.)  dit  que 
Masauli  est  une  forme  altérée. 


TRIBUS,   NATIONS  ET   PEUPLES.  97 

été  une  tribu.  Pline  TAncien^  dit  que  cette  tribu,  établie  jadis 
dans  la  contrée  qui  devint  la  province  de  Maurétanie  Tingitane, 
s'était  éteinte  par  suite  de  guerres,  comme  celle  des  Maures, 
sa  voisine,  et  que  son  territoire  avait  été  occupé  par  des 
Gétules.  Si  cela  est  exact,  il  faut  en  conclure  que  les  Masœ- 
syles,  —  ou,  du  moins,  bon  nombre  d'entre  eux,  —  étaient 
sortis  de  l'intérieur  du  Maroc  pour  aller  s'emparer  de  la  plus 
grande  partie  de  l'Algérie.  Pline'  et  Ptolémée*  mentionnent 
aussi  une  ou  deux  tribus  de  MassBsyles  dans  la  Maurétanie 
Césarienne  :  on  peut  croire,  si  l'on  veut,  que  c'étaient  des 
fractions  de  la  tribu  conquérante,  installées  dans  le  pays  con- 
quis; d'autres  hypothèses  sont,  d'ailleurs,  possibles. 

Les  Massyles  étaient  sans  doute  aussi  une  tribu.  Nous  igno- 
rons où  se  trouvait  son  territoire.  Un  auteur  de  très  basse 
époque,  Isidore  de  Séville*,  indique,  non  loin  de  l'Atlas,  c'est- 
à-dire  au  Maroc,  une  cité  appelée  Massylia,  de  laquelle  les 
Massylii  auraient  tiré  leur  nom.  De  son  côté,  Pline'  signale 
une  tribu  de  Alassyli  dans^la  province  d'Afrique  (entre  l'Amp- 
saga  et  la  Cyrénaïque). 

D'autre  part,  au  Nord-Ouest  de  l'Aurès,  et  auprès  d'un  lac 
appelé  par  les  anciens  le  lac  Royal,  lacus  Regius,  se  voit  encore 
un  mausolée  colossal,  dit  le  Médracen,  qui  est  certainement  la 
sépulture  d'un  souverain  puissant  et  qui  peut  dater  du  m"  siècle 
avant  J.-C.^  Pourquoi  a-t-on  choisi  cet  emplacement?  Il  n'y 

1.  Après  avoir  indiqué  que  la  principale  tribu  de  la  Tingitane  avait  été  celle 
des  Maures,  réduite  par  des  guerres  à  quelques  familles,  Pline  ajoute  (V,  17)  : 
«  Proxima  illi  Masaesylorum  fuerat.  Simili  modo  exlincta  est.  Gaelulae  nuoc 
tenent  génies.  • 

2.  V,  52,  d'après  Juba  II  :  le  Nil,  après  être  sorti  d'une  montagne  de  la  Mau- 
rétanie Inférieure,  non  loin  do  l'Océan,  et  avoir  rempli  un  lac,  se  cache  «  aliquot 
dieruin  itinere  .,  puis  forme  un  autre  lac,  plus  grand,  «  in  Caesariensis  Maure- 
taniae  gente  Masaesylum  •.  Voir  aussi  Pline,  XXI,  77. 

3.  IV,  2,  5  (p.  603;. 

4.  Etyni.,  IX,  2,  123  :  •<  .Massylia  civitas  Africae  est,  non  longe  ab  Atlante  et 
hortis  Hes'peridum,  a  qua  civilate  Massylii  vocali  sunt,  quos  nos  corruplo  Mas- 
sulos  vocamus.  »  Les  jardins  des  llespérides  étaient  placés  près  de  Lixus. 

.").  V,  30. 

0.  Voir  t.  VI,. l.  II.  ch.  iv,  S  Ml. 


98  OR»ANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE, 

avait  dans  le  voisinage  aucune  ville  qui  eût  pu  être  la  capitale 
d'un  grand  Etat.  Ce  roi  n'aurait-il  pas  élevé  son  tombeau  dans 
la  petite  patrie  de  sa  famille,  sur  le  territoire  de  la  tribu  qui, 
conduite  par  lui-même  ou  un  de  ses  ancêtres,  aurait  réussi  à 
fonder  un  Empire  nouveau?  L'Aurès  aurait  élé  le  berceau  d'une 
dynastie,  qui  serait  allée  régner  à  Girta  ou  ailleurs  :  plus  tard, 
à  diverses  époques,  ce  massif  montagneux  a  joué  un  rôle  his- 
torique important*.  Cependant,  malgré  les  noms  de  «  Tombeau 
de  Syphax  »  ou  de  «  Tombeau  de  Masinissa  »,  dont  le  Médracen 
a  été  gratifié  par  des  archéologues  amateurs,  on  n'a  aucune 
raison  vraiment  sérieuse  de  l'attribuer  soit  à  un  roi  masœsyle, 
soit  à  un  roi  massyle. 

Les  Mascesyles  sont  mentionnés  à  partir  de  Tannée  220-, 
avant  et  durant  la  seconde  guerre  punique^;  ils  avaient  alors 
pour  souverain  Syphax^.  Nous  ne  pouvons  dire  quand  le 
royaume  auquel  ils  donnèrent  leur  nom  fut  fondé. 

Quant  aux  Massyles,  un  texte  très  peu  sur  les  mentionne 
plus  tôt,  eux  et  leur  roi,  au  temps  de  la  première  guerre 
punique^  Gaïa,  leur  souverain  lors  de  la  seconde  guerre^,  était 
d'une  famille  qui  détenait  l'autorité  royale  depuis  plusieurs 
générations'.  Naravas,  qui,  lors  de  la  révolte  des  mercenaires, 
rendit  de  grands  services  à  Amilcar  Barca  et  auquel  celui-ci 


1.  Résistanco  aux  Romains,  attestée  en  particulier  par  l'établissement  du 
camp  de  la  légion  d'Afrique  à  Lambèse,  au  Nord-Ouest  du  massif;  guerre  contre 
les  Byzantins,  au  temps  de  Justinien;  lutte  contre  les  conquérants  arabes,  dirigée 
par  la  Kàhina,  reine  de  l'Aurès;  révolte  de  l'Homme  à  l'âne  contre  les  Fatimites, 
au  X"  siècle. 

2.  A  celte  date,  il  y  avait  des  Masiosyles  dans  l'armée  d'Uannibal  en  Espagne  : 
Plutarque,  De  mal.  virt.,  10  (conf.  ici,  t.  Il,  p.  361,  n.  6). 

3.  Inscription  d'Uannibal,  apud  Polybe,  III,  33,  15  :  les  Masa'syles,  comme  les 
Massyles,  fournirent  en  219-218  quebjues  troupes  a  llannibal.  Etc. 

4.  Voir  t.  m,  p.  178  et  suiv. 

5.  llésianax,  dans  F.  h.  G.,  III,  p.  70,  n"  11.  Gonf.  t.  III,  p.  83,  n.  3. 
G.  T.  III,  p.  177  et  suiv. 

7.  Son  père  n'était  pas  roi  (voir  t.  111,  p.  177,  n.  4),  mais  son  (Ils  Masinissa 
ayant  eu  des  ancêtres  (|ui  avaient  régné  (t.  111,  p.  175,  n.  1  ;  p.  287  et  291),  il 
faut,  semble-t-il,  admettre  (jue  la  royauté  avait  appartenu,  avant  Gaia,  à  une 
autre  branche  de  la  famille  (t.  III,  p.  190). 


TRIBUS,   NATIONS  ET  PEUPLES.  99 

promit  sa  fille,  commandait  à  des  Numides;  il  avait  succédé  à 
son  père*.  Appartenait-il  aussi  à  cette  famille?  C'est  ce  que 
nous  ignorons.  Nous  ne  savons  pas  non  plus  où  se  trouvaient 
les  Etats  d'Ailymas,  ce  «  roi  des  Libyens  »,  qui,  à  la  fin  du 
iv^  siècle,  fut  l'allié,  puis  l'ennemi  d'Ag•athocle^ 

Quelle  était  l'étendue  des  deux  royaumes  des  Masspsyles  et 
des  Massyles,  de  la  «  Masaesylie  »  et  de  la  «  Massylie  ))^'? 

Selon  Strabon*  (d'après  Artémidore  ou  Posidonius),  le  pays 
des  Masaesyles  était  compris  entre  la  Mulucha  (la  Moulouia)  et 
le  cap  Trêton,  aujourd'hui  cap  Bougaroun,  au  Nord  de  Con- 
stantine^  ;  au  Trêton  commençait  le  pays  des  Massyles*^.  Peut- 
être  la  limite  exacte  tombait-elle  à  l'embouchure  de  VAmpsaga,  au 
Sud-Ouest  de  ce  cap.  Comme  la  Mulucha,  l'Ampsaga  fut,  dans 
l'antiquité,  une  frontière  traditionnelle  :  entre  les  Etats  de  Juba 
II  et  la  province  d'Afrique',  puis  entre  deux  provinces  romaines*. 
C'était  une  frontière  purement  politique,  car,  pas  plus  que  la 
Mulucha,  ce  fleuve  ne  sépare  des  régions  géographiques  distinctes^ 

D'autres  textes  s'accordent  avec  les  indications  de  Strabon, 
pour  la  fin  du  ni*"  siècle,  au  temps  oîi  le  royaume  des  Mas?e- 
syles  appartenait  à  Syphax'**.  Comme,  après  la  chute  de  ce 
royaume,  la  contrée  comprise  entre  la  Moulouia  et  le  cap  Bou- 
garoun  continua  à  être  qualifiée  de  pays  des  Masit'syles,  bien 


1.  T.  III,  p.  113  et  suiv. 

2.  Ibid.,  p.  35,  37. 

3.  Ces  noms  ont  été  rarement  employés  :  MaaatcTuXsa,  dans  Etienne  de  Byzance; 
Masaesylia,  dans  Pline,  X,  22;  Afassylia,  dans  Servius,  In  Aeneid.,  VI,  60. 

4.  XVII,  3,  9  (où  il  faut  restituer  le  mot  Tpr,Tov)  et  13. 

5.  Gsell,  Atlas  archéol.  de  VAlgérie,  f  1  (Gap  Bougaroun). 

6.  StraboQ,  II.  ce. 

7.  Voir  t.  VIII,  1.  Il,  ch.  ii,  §  I. 

8.  Gsell,  Atlas,  f  8  (Philippeville),  n"  a  (p.  2.  col.  2). 

9.  Conf.  Gautier,  Structure  de  l'Algérie,  p.  212. 

10.  En  206,  Syphax  résida  à  Siga,  à  environ  22  lieues  à  l'Est  de  la  Muluclia 
(I.  MI,  p.  185),  puis  à  Girla  {ibid.,  p.  101).  A  cette  époque,  la  fronlière  occidenlalo 
des  Massyles  était  à  peu  de  distance  à  l'Ouest  de  Thapsus,  c'est-à-dire  de  l'Iiilip- 
peville  (ibid.).  Tile-Live  écrit  (XXVIll,  17,  5)  :  ■■  Masaosuiii,  gens  adiinis  Mauris, 
in  regionem  Ilispaniae  maxime  ijua  sita  Nova  Garthago  est  speclaut.  •  Gela  con- 
vient seulement  à  la  partie  occidentale  du  royaume. 


O.  M.  L  ^ 


100  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

qu'elle  appartînt  désormais  à  des  rois  massyles,  il  est  à  croire 
que  c'étaient  là  des  limites  déjà  vieilles  et,  en  quelque  sorte, 
consacrées  par  l'usage.  A  l'intérieur  des  terres,  Syphax  possé- 
dait en  206-203  Cirta  (Constantine).  Selon  Tite-Live,  cette 
ville  faisait  partie  de  ses  anciens  États,  non  de  ses  récentes 
conquêtes  sur  les  Massyles'.  Si  cela  est  exact,  le  royaume  des 
Massyles  était  beaucoup  moins  vaste  que  celui  des  ÎNEassesyles  : 
il  ne  comprenait  guère  que  la  partie  orientale  du  département 
de  Constantine,  à  l'Est  de  Cirta.  Car,  dans  la  seconde  moitié 
du  m"  siècle,  les  frontières  de  la  province  punique,  à  laquelle 
il  confinait^,  devaient  être  à  peu  près  celles  qui  séparent 
l'Algérie  de  la  Tunisie\  Il  est  vrai  qu'auparavant,  elles  étaient 
plus  rapprochées  de  Carthage,  et  que  les  Carthaginois  s'étaient 
probablement  agrandis  aux  dépens  du  royaume  massyle.  Du 
reste,  entre  Etats  voisins,  les  querelles,  les  guerres,  les  modifi- 
cations de  limites  paraissent  avoir  été  fréquentes  :  on  nous  le 
dit  pour  l'époque  de  Syphax  et  de  Gaïa^  Les  trois  royaumes 
indigènes  étaient  des  agrégats  de  tribus,  dont  certaines  pou- 
vaient trouver  avantage  à  changer  de  souverain.  Il  se  peut 
aussi  que  d'autres  aient  été  capables  de  maintenir  ou  de  recou- 
vrer leur  indépendance,  à  l'intérieur  même  de  ces  royaumes^ 

1.  Voir  I.  111.  p.  170. 

2.  Sirabon,  XVII,  3,  13. 

3.  T.  Il,  p.  96-102. 

4.  Territoire  enlevé  par  Gaïa  aux  Carthajïinois  :  t.  II,  p.  96.  Territoire  disputé 
entre  Syphax  et  Gaia  :  l.  III,  p.  182.  En  206.  Sypliax  devait  être  en  mauvais  termes 
avec  Ba^a,  roi  de  .Maurétanie,  qui  donna  à  Masinissa  une  petite  armée  pour  tra- 
verser le  royaume  masflesyle  :  t.  III.  p.  191.  En  205-204,  Syphax  était  en  guerre 
avec  des  voisins  :  ibid.,  p.  197,  n.  1. 

5.  .\ppien  (IJb..  10)  dit  que,  chez  les  Numides,  il  y  avait  beaucoup  de  princes, 
dont  le  plus  puissant  était  Syphax  :  il  semble  qu'il  s'agisse  de  chefs  indépendants. 
Carthage  et  Home  eurent  des  relations  directes  d'alliance  avec  certains  de  ces 
princes  :  .Vppien,  Lib.,  33;  41;  44;  Tite-Live,  XXVII,  4,  8;  XXIX,  4,  4.  Dans  un 
passage  où  il  se  sert  de  Posidonius,  Strabon  (II,  5,  33)  iudi(iue  (\ue  les  Numides 
s'étendent  entre  le  territoire  carthaginois  [devenu  province  romaine]  et  les  Mau- 
rusiens,  et  que,  parmi  ces  Numides,  les  plus  connus  sont  les  Massyles  et  les 
Mas.'i'syles.  On  pourrait  en  conclure  qu'il  y  avait  dans  cotte  contrée,  vers  le 
début  du  I"  siècle,  des  Numides  qui  n'appartenaient  pas  aux  deux  Etats  d'abord 
distincts,  puis  n-unis  sous  la  domination  de  Masinissa  et  de  ses  successeurs. 


TRIBUS,   NATIONS  ET  PEUPLES.  101 

Du  coté  du  Sud,  la  Mastesylie  et  la  Massylie  étaient,  comme  la 
Maurétanie,bordéespar  des  tribusgétules,  les  unes  toutàfaitlibres, 
d'autres  plus  ou  moins  soumises,  plutôt  vassales  que  sujettes'. 

Après  avoir  joint  à  ses  Etats,  pendant  quelques  mois,  le 
royaume  massyle -,  Syphax  s'effondra,  en  203.  Il  est  impos- 
sible de  savoir  s'il  y  a  quelque  chose  à  garder  des  récits  qui  lui 
donnent  son  fils  Vermina  pour  successeur  sur  une  partie  des 
Massesyles,  et  qui,  à  la  veille  de  la  troisième  guerre  punique, 
nous  montrent  son  petit-fils,  Arcobarzane,  capable  de  lever 
une  forte  armée  ^.  Ce  qui  est  sur,  c'est  que  ^lasinissa,  lors  de 
sa  mort,  en  148,  était  maître  de  toute  la  contrée  qui  s'éten- 
dait depuis  la  Maurétanie  jusqu'à  la  province  punique 
(laquelle,  deux  ans  plus  tard,  devint  romaine),  depuis  la 
Mulucha  jusqu'à  la  Tusca,  près  de  Tabarca*.  Comme  lui,  son 
fils  Micipsa  et  son  petit-fils  JugUrtha  réunirent  sous  leur  auto- 
rité le  royaume  des  Massyles,  héritage  de  leurs  pères,  et  celui 
des  Mastesyles,  conquête  sanctionnée  par  Rome.  Officielle- 
ment, ils  continuèrent  à  se  qualifier  de  rois  des  Massyles, 
même  dans  les  régions  qui  avaient  appartenu  auparavant  aux 
souverains  massesyles^. 

Les  noms  de  Masœsylie,  Massylie,  de  pays  des  Masa?syles, 
des  Massyles,  se  conservèrent  pendant  un  certain  temps 
comme  désignations  géographiques  ^  :  peut-être  même  répon- 
daient-ils à  des  divisions  administratives  du  royaume  de 
Numidie,  sous  Masinissa  et  ses  successeurs.  A  l'époque 
romaine,  ces  noms  ne  se  maintinrent  pas,  comme  ceux  de 
Mauri,  Gaetuli,  Numidae.  On  a  vu'  que  des  tribus,  sans  doute 


1.  V.  infra,  p.  112  et  163-0. 

2.  T.  m,  p.  193-6. 

3.  Ibid.,  p.  282  et  suiv..  3û.ï. 

4.  Ibid.,  p.  284,  n.  4;  p.  304. 

5.  Inscription  de  Clierchel,  où  Micipsa  est  appelé  roi  des  Massyles  :   Herpor, 
Rev.  d'assyriol..  II,  p.  30. 

G.  Apud  Slrabon,  XVII,  3,  6;  9;  12  ;  13;  20;  Pline  l'Ancien,  X.  22. 
7.  P.  97. 


102  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

peu  importantes,  de  Masyesyles  et  de  Massyles  subsistèrent 
dans  les  provinces  de  Maurétanie  Césarienne  et  d'Afrique. 
Quelques  indigènes  portaient  encore  comme  noms  propres 
ceux  des  fameuses  tribus  auxquelles  Syphax  et  Masinissa 
avaient  appartenu  ^  Enfin,  les  poètes  latins  avaient  adopté 
Massylus,  substantif  ou  adjectif  (parfois  Massylius),  pour  l'ap- 
pliquer vaguement  à  des  hommes  et  choses  d'Afrique-. 


III 


Le  terme  A-lêus;  a  été  employé  par  les  Grecs  pour  désigner, 
ou  l'ensemble  des  habitants  de  l'Afrique  du  Nord,  ou  une 
partie  d'entre  eux. 

11  est  d'origine  africaine.  Des  documents  égyptiens  anté- 
rieurs au  premier  millénaire  avant  J.-C.  mentionnent  les 
Hebou  ou  Leboit,  peuplade  qui  vivait  entre  la  vallée  du  Nil  et 
le  golfe  des  Syrtes'.  Les  Grecs  connurent  ces  Lebou,  soit  indi- 
rectement, par  l'intermédiaire  de  l'Egypte,  soit  directement, 
sur  le  littoral  méditerranéen;  ils  les  appelèrent  A-lêus;,  et  leur 
pays  A'.gjr,,  nom  qui  se  trouve  dans  l'Odyssée*. 

Dès  le  vi^  siècle,  ce  nom  A-.êjr,  avait  été  étendu  par  des 
géographes  ioniens  à  tout  le  continent  africaine  II  garda  désor- 
mais cette  signification  ;  il  n'y  eut  désaccord  que  sur  la  limite 
orientale  qu'il  convenait  d'assigner  à  la  Libye  :  pour  les  uns, 
ce  fut  le  Nil;  pour  d'autres,  l'isthme  de  Suez  et  la  mer  Rouge; 
pour  d'autres  enfin,  la  frontière  occidentale  de  l'Egypte. 

Le  mot  A'X'jô;  ne  reçut  pas  une  extension  aussi  grande.  La 

1.  Supra,  p.  90,  n.  1  (il  2. 

2.  Virgile,  lï:néide,  IV,  132  et  483;  VI,  100.  Après  lui,  Lucain,  Silius  Ualicus 
(qui  qualifie  ainsi  le  roi  des  Masœsyles  Syphax  :  XVI,  258;  XVII,  110),  Slace, 
Martial,  Claudien,  Curippus,  elc. 

3.  Bâtes,  The  Eastern  Libyans,  p.  212.  Gsell,  Hérodote,  p.  "0. 

4.  IV,  85;  XIV,  295. 

5.  Hérodote,  II.  10.  Couf.  Gsell,  /.  c,  p.  71. 


TRIBUS,   NATIONS  ET   PEUPLES.  103 

Libye,  dit  Hérodote*,  «  est  occupée  par...  deux  peuples  indi- 
gènes, ...  les  Libyens  {A'fyjzç)  et  les  Éthiopiens,  qui  habitent, 
les  uns  au  Nord,  les  autres  au  Sud  de  la  Libye  ».  Et,  chez 
des  auteurs  plus  récents,  nous  retrouvons  le  terme  AlS-jeç, 
appliqué  aux  habitants  de  l'Afrique  septentrionale,  depuis 
l'Egypte  jusqu'à  l'Océan,  depuis  la  Méditerranée  jusqu'aux 
pays  où  vivent  les  Éthiopiens  :  par  exemple,  les  Numides, 
les  Maures  sont  des  Libyens  2.  Parfois  même,  Ai-êLiy,  désigne, 
non  pas  le  continent  tout  entier,  mais  seulement  le  Nord  de 
ce  continents 

Un  sens  plus  restreint  encore  s'attacha  au  mot  A-lêysc, 
comme  l'attestent  divers  passages  de  Diodore  de  Sicile  (copiant 
peut-être  Timée  ou  Douris),  de  Polybe,  d'AppienS  Les  Grecs 
appelèrent  ainsi  ceux  que  les  Romains  nommèrent  Afri, 
c'est-à-dire  les  indigènes  du  territoire  soumis  à  la  domination 
officielle  de  Carthage,  par  opposition  auxNoyàSc;,  qui  vivaient 
au  delà.  Ce  territoire,  —  ou  plutôt  ce  qui  en  restait  après  les 
usurpations  de  Masinissa,  —  ayant  été  annexé  par  Rome  au 
milieu  du  second  siècle,  la  nouvelle  province,  VAfrica  des 
Romains,  fut  nommée  A'.êuY,  par  les  Grecs'  :  ce  qui  était  tout 
naturel,  puisqu'elle  était  peuplée  de  Aiêjs;. 

Il  est  probable  que  les  Carthaginois  ont,  eux  aussi,  employé 
ce  terme  pour  désigner  des  indigènes  :  des  inscriptions  de  la 
Carthage  punique  mentionnent  des  gens  appelés  LBY,  LBT" 
{=Louhi?  Loubat?);  c'est-à-dire,  autant  qu'il  semble,  «  le 
Libyen  »,  c<  la  Libyenne  »'.  Plus  tard,  au  début  de  notre  ère, 

1.  IV,  197.  Gonf.  Gsell,  l.  c,  p.  113,  118. 

2.  Voir  t.  H,  p.  99,  n.  4;  Gsell,  Hérodote,  p.  119,  n.  1. 
.3,  Par  exemple,  dans  Slrabon,  XVII,  3,  23,  in  Jine. 

4.  Voir  t.  II,  p.  99,  n.  5  et  6. 

5.  Voir  t.  vu,  l.  I,ch.  i,  §  I. 

6.  T.  IV,  p.  174,  n.  13  et  14. 

7.  Go  nom  de  peuple,  étant  devenu  un  nom  de  personne,  a  pu  désigner  des 
Gartliagiuois,  comme  des  indigènes.  Une  Loubat  était  lllle  vl  arrièro-pelite-fllle 
de  sufotes  :  Vasscl  et  Icard,  Les  inscriptions  du  temple  de  Tanit,  I,  p.  9  (extrait  de 
la  Bev.  lunis.,  1923). 


104  OUGANISATION  SOCIALE  ET   POLITIQUE. 

une  inscription  néopunique'  qualifie  de  «  chef  de  l'armée  au 
pays  des  Loubim  (LWBYM)  »  un  proconsul  de  la  province 
d'Afrique,  la  province  de  A'-<5J7,  des  auteurs  grecs.  Y  a-t-il  eu 
là  un  emprunt  aux  Grecs  -?  ou  les  Phéniciens  ont-iJs,  dès  une 
époque  lointaine,  fait  usage  de  ce  nom,  qu'ils  auraient 
emprunté  aux  Égyptiens?  Comme  les  Grecs,  ils  l'auraient 
d'abord  donné  aux  indigènes  vivant  à  l'Ouest  de  l'Egypte, 
puis  à  ceux  qui  habitaient  plus  à  l'Ouest  encore.  On  peut  sup- 
poser que  les  Hébreux  l'ont  connu  par  eux  :  il  se  trouve  sous 
lu  forme  Lehabim  dans  un  passage  très  ancien  de  la  Genèse  ^,  et 
sous  la  forme  Loubim  dans  des  textes  plus  récents  de  la  Bible  \ 
Des  monnaies  %  datant  de  la  première  moitié  du  ii'  siècle 
avant  J.-C.*,  portent  la  légende  grecque  A-.êJojv;  la  plupart 
d'entre  elles  offrent  aussi  une  lettre  punique.  Elles  ont  donc 
été  frappées  dans  une  contrée  africaine  ouverte  également  aux 
influences  helléniques  et  aux  influences  carthaginoises,  c'est- 
à-dire  dans  la  région  des  Syrtes.  Elles  attestent  que  des  indi- 
gènes, se  servant  de  la  langue  grecque,  acceptaient  le  nom 
que  les  Grecs  leur  donnaient.  Mais  nous  n'avons  aucune 
preuve  que  ce  nom  ait  été  usité  chez  ceux  qui  parlaient  seule- 
ment leur  propre  langue.  Nous  trouvons,  il  est  vrai,  les  Libijes 
mentionnés,  avec  les  Gaeluli,  comme  les  plus  anciens  habitants 
de  l'Afrique  du  Nord,  dans  le  récit  que  Salluste  a  reproduit 
d'après  les  libri  Punici  du  roi  numide  Hiempsal  ',  récit  con- 
forme, affirme-t-il,  à  l'opinion  des  gens  du  pays  ^  Mais  c'était, 

1.  Rép.  d'épigr.  sémil.,  II,  662  et  943. 

2.  Dans  le  texte  grec  d'une  inscription  bilingue  rédigée  par  les  soins  d'IIan- 
nibal,  les  sujets  de  Garlhage  étaient  appelés  AiêuEç  (Polybe,  III,  33,  15  et  16). 
Mais,  pour  la  question  qui  nous  occupe  ici,  cela  ne  prouve  rien. 

3.  X.  13. 

4.  11  Chron.,  XII,  3;  ibid.,  XVI,  8.  Nahum,  III,  9.  Daniel,  XI,  43.  >» 

5.  L.  Millier,  Numism.  de  L'ancienne  Afrique,  I,  p.  130-5;  Supplément,  p.  21-23. 

6.  Plusieurs  de  ces  monnaies  furent  frappées  sur  des  monnaies  carthaginoises; 
sur  plusieurs  autres,  au  contraire,  c'est  une  empreinte  carthaginoise  qui  recouvre 
celle  des  Libyens. 

7.  Jug.,  XVI II.  Conf.  t.  I,  p.  330-1. 

8.  Ju(i.,  XVII,  7. 


TRIBUS,   NATIONS  ET  PEUPLES.       '  105 

selon  toute  apparence,  un  emprunt  soit  à  des  Carthaginois, 
soit  à  des  Grecs  *. 

Hérodote^  répartit  les  Libyens  en  pasteurs,  vouâoî^,  et  en 
cultivateurs,  àporrips;.  Le  mot  vouLàoî;  est  donc  pour  lui  un 
qualificatif  grec,  indiquant  une  manière  de  vivre.  Il  a  été 
employé  de  même  par  Hécatée^,  Hellanicos*  et  PindareS  à 
propos  d'indigènes  africains. 

3Iais  Nouâoî;  est  devenu  un  nom  propre,  désignant  un 
peuple  ou  un  groupe  de  peuples.  Nous  le  trouvons  avec  cette 
signification  dans  l'histoire  des  guerres  puniques  racontée  par 
Polybe  ^  Et  il  faut  sans  doute  remonter  plus  haut.  Diodore 
de  Sicile,  reproduisant  un  auteur  du  début  du  iii^  siècle, 
Timée  ou  Douris,  mentionne  des  Nouâosç  dans  des  guerres 
qui  eurent  lieu  à  la  fin  du  v^  siècle  et  au  iv'' ^  Eratosthène, 
vers  la  fin  du  m*  siècle,  paraît  aussi  avoir  connu  des  Nouàos; 
en  Afrique  ^  Les  Latins  emploient  la  forme  Numidae'  : 
Salluste,  dans  son  Jugurtha^^',  Tite-Live,  dans  son  récit  de  la 
seconde  guerre  punique^';  Justin,  abréviateur  de  Trogue- 
Pompée,  à  propos  d'événements  qui  se  passèrent  au  v^  siècle  '^; 
etc.  A  la  fin  du  ii^  siècle,  les  succès  de  Métellus  sur  Jugurtha 
lui  valurent  le  surnom  de  Numidicus.  Il  est  probable  que  le 
terme  Numidae  fut  adopté  par  les  Romains  dès   le  m"  siècle, 


1.  Pour  les  éléments  puniques  et  grecs  qu'on  retrouve  dans  le  récit  d'Hiempsal, 
voir  t.  I,  p.  332-3. 

2.  IV,  181,  186,  187,  188,  190,  191,  192.  Voir  Gsell,  Hérodote,  p.  167. 

3.  Apud  Etienne  de  Byzance,  s.  v.  }i\àX,Jt:>^=  Fragm.  hist.  Grnec,  I,  p.  23,  a"  304 
(si  c'est  bien  uue  citation  textuelle). 

4.  F.  h.  G.,  1,  p.  57,  n"  93. 

5.  Pylh.,  IX,  123. 

6.  I,  19.  3;  1,  31,  2;  I.  65,  3;  1,  74,  7;  XIV,  1,  4;  etc. 

7.  XIII,  80,  3;  XX,  38-39;  XX,  55,  4;  XX.  57,  4. 

8.  >4pu(i  Strabon,  111,  5,  5.  Conf.  Gsell,  Hérodote,  p.  168,  n.  5. 

9.  Parfois,  surtout  chez  des  poètes,  iSomades,  simple  Iranscription  du  mot  grec  : 
Virgile,  linéide,  IV,  320,  535;  VIII,  724;  Siiius  Italiens,  VI,  075;  .Martial,  XII.  26, 
0;  etc.  Voir  aussi  Columelle,  VU,  2,  2;  Arnobe,  I,  16. 

10.  V,  1  et  4;  VI,  3;  etc. 

11.  XXI.  22,  3;  XXI,  29,  1;  elc. 

12.  XIX,  2,  4.  Conf.  iind.,  XXII,  8,  10  (pour  la  (in  du  iV  siècle). 


106  ORGANISATION   SOCIALE   ET  POLITIQUE. 

au  temps  où  leurs  luttes  contre  Carthage  les  mirent  en   rap- 
ports avec  les  indigènes  de  la  Berbérie  *. 

L'appellation  Nouàoî;  est-elle  d'origine  purement  grecque, 
par  la  transformation  de  voaàSeç  en  un  nom  propre,  «  les 
Pasteurs  »  ?  et  le  mot  Numidae  en  est-il  une  transcription 
latine,  assez  peu  régulière,  il  faut  le  reconnaître?  On  le  croit 
d'ordinaire^,  et  nous  n'avons  pas  de  raisons  décisives  pour  le 
nier. 

Toutefois,  une  autre  hypothèse  peut  être  présentée.  Les 
Grecs  et  les  Latins  n'auraient-ils  pas  trouvé  en  Berbérie  un 
nom  ethnique,  se  prononçant  à  peu  près  comme  No[a.àÔ£(;, 
Numidae^?  Les  premiers  l'auraient  transformé  en  Notjiàoc.;,  par 
un  calembour  d'autant  plus  facile  que  beaucoup  de  ces  Afri- 
cains étaient  des  pasteurs  *.  Les  seconds  l'auraient  simple- 
ment adopté,  en  le  soumettant  aux  règles  de  leur  première 
déclinaison.  Peut-être  ce  nom  indigène  s'était-il  appli- 
qué d'abord  à  une  tribu  importante,  dont  des  fractions 
auraient  encore  subsisté  dans  diverses  régions,  sous  l'Empire 
romain  ^  Il  aurait  été  étendu  à  un  ensemble  de  populations, 
soit    par    les    indigènes    eux-mêmes  *,    ce    dont    on    n'a  pas 

1.  Ennius  l'a  employé  (Ann.,  224,  2'  édit.  Vahlen). 

2.  No|xâÔ£;,  appelés  ainsi  à  cause  de  leur  genre  de  vie  :  Strabon,  11,  5,  3:{,  et 
XVII,  3,  15.  C'est  aussi  l'opinion  du  plus  grand  nombre  des  auteurs  modernes. 
De  même,  la  plupart  d'entre  eux  rattachent  le  latin  Numidae  au  grec  No[i.(iÔEç  : 
voir  Gsell  et  Joly,  Klinmissa  (Alger-Paris,  1914),  p.  14,  n.  3. 

3.  Hypothèse  admise  par  quelques  savants  :  Letourneux,  apud  Ragot,  Rec.  de 
Constanline,  XVI,  1873-4,  p.  122;  Rinn,  Rev.  afric,  XXIX,  1885,  p.  243;  Cat,  Maa- 
rél.  Césarienne,  p.  60,  n.  1.  Mais  je  ne  puis  adopter  les  arguments  linguistiques 
qu'ils  invoquent. 

4.  Conf.  Pline  l'Ancien,  V,  22  :  •  Numidia...  Melagonitis  terra  a  Graecis  appel- 
lata,  Numidae  vero  Nomades  a  permutandis  pabulis.  » 

5.  Une  gens  Numidaruin  dans  la  région  de  Khamissa  (Algérie  orientale)  :  Gsell, 
Inscr.  lat.  de  C Algérie,  I,  p.  115.  Une  autre  gens  Numidarum  bien  plus  à  l'Ouest  : 
C.  I.  L.,  VIII,  8  813  et  8  814. 

6.  Dans  ce  cas,  on  pourrait  supposer  qu'à  une  époque  indéterminée,  cette  tribu 
avait  exercé  son  hégémonie  sur  de  vastes  territoires  :  conf.  supra  ce  que  nous 
avons  dit  dos  Masa-syles,  des  Massyles  (;t  des  Maures.  On  pourrait  même  s'elTorcer 
de  découvrir  une  ombre  de  vérité  dans  le  récit  du  roi  Hiempsal  (Salluste,  Jug., 
XVIII).  A  des  nomades,  qui.  pour  cette  raison,  se  seraient  appelés  eux-mêmes 
Nomades  et  qui  seraient  venus  de  la  côte  océanique  du  Maroc,  il  attribuait  la 


TRIBUS,  NATIONS  ET  PEUPLES.  107 

la  preuve,  soit  par  les  Grecs,  ou,  avant  les  Grecs,  par  les 
Carthaginois  \ 

Ce  sont  là  des  hypothèses  bien  fragiles.  Mais  il  est  certain 
que  le  nom  No^àos;,  Numidae,  a  été  appliqué  par  divers  auteurs 
à  tous  les  indigènes  de  l'Afrique  du  Nord,  à  l'exception  des 
habitants  du  territoire  punique,  puis  de  la  province  romaine, 
appelés  A'.ë'js:;  et  Afri.  Diodore  de  Sicile^  (d'après  Timée?)  dit  que 
les  Noaàoeç,  à  la  fin  du  IV*  siècle,  occupaient  une  très  grande  partie 
delà  Libye,  jusqu'au  désert.  Salluste  appelle  A^Mmîc^ae  les  gens  de 
Capsa  (Gafsa),  au  Sud  de  la  Tunisie  %  les  indigènes  qui  vivaient  à 
Leptis  la  Grande,  entre  les  deux  Syrtes*.  Hannibal,  dans  une  ins- 
cription grecque^  et  d'autres^  qualifient  les  Maures  de  Numides^ 

Cependant  ce  nom  prit  un  sens  plus  restreint.  Des  Gétules  et 
des  Maures,  qui  occupaient,  les  premiers  l'intérieur  du  pays, 
les  seconds  le  Nord  du  Maroc,  on  distingua  les  Numides 
proprement  dits**,  habitants  de  la  contrée,  voisine  du  littoral, 

conquête  de  la  contrée  dont  le  nom,  Numidia,  aurait  été  emprunté  au  leur.  Natu- 
rellement, il  faut  laisser  de  côté  la  légende  qui  fait  de  ces  conquérants  des 
Perses  mélangés  à  des  Gétules,  et  l'absurdité  qui  leur  impute  l'adoption  d'un 
nom  pris  à  la  langue  grecque.  Ce  serait  Hiempsal  qui,  après  d'autres,  aurait 
expliqué  par  le  grec  un  nom  indigène. 

1.  Hannibal  se  servait  du  terme  NofxaÔE;  dans  la  partie  grecque  d'une  inscription 
bilingue  {v.  infra,  n.  5).  Mais,  comme  nous  ignorons  ce  qu'il  y  avait  dans  le  pas- 
sage correspondant  de  la  partie  punique,  nous  ne  pouvons  tirer  aucune  conclu- 
sion de  ce  texte  en  ce  qui  concerne  les  Carthaginois. 

2.  XX,  55,  4. 

3.  Jug.,  XCI,  4  et  6. 

4.  Ibid.,  LXXVIII.  4. 

5.  Polybe,  III,  .33,  1.5.  Hannibal  y  indiquait  parmi  les  Nojiâoe;.  non  seulement 
les  MauJA'.o:  et  les  MotTataJ/io-.,  mais  encore  les  Ma/./.oïoi  (dont  la  position  est 
inconnue  :  v.  supra,  p.  86)  et  les  MajpoJato;,  voisins  de  l'Océan. 

6.  Tite-Live,  XXIV,  49,  5  :  «  Maurusios  Numidas  ».  Bocchus,  qui  était  roi  des 
Maures,  est  qualKié  par  Plutarque  de  No[j.d(;  (Marius,  32),  de  roi  des  Noixiôe; 
(Sylla,  3).  —  Appien  (Bell,  civ.,  I,  42,  et  II,  44)  parle  de  Nofxiôs;  MajpoOa-.ot  et  de 
Ma'jpoj(7to'.  No(iO(0£;,  mais,  dans  ces  deux  passages  d'un  auteur  du  a"'  siècle  après 
J.-C,  le  mot  Ma^poÛTioi  paraît  être  pris  dans  le  sens  étendu  qu'on  lui  donna  sous 
l'Empire  (v.  supra,  p.  !)4-'J."))  :  il  s'agit  de  Numides  faisant  partie  des  Maures,  et 
non  de  .Maures  faisant  partie  des  Numides. 

7.  On  peut  supposer  qu'Ératosthène  {apud  Strabon,  III,  5,  .5)  plaçait  la  rive 
africaine  du  détroit  de  Gibraltar  dans  le  pays  des  NoiJiâSe;;  conf.  t.  II,  p.  150. 

8.  Pour  la  disliuctitm  entre  les  Numides,  les  .Maures  et  les  (létulcs,  voir  Salluste, 
Ju<j.,  XIX,  4-5  et  7;  LXXX,  1  et  6.  Pour  celle  des  Numides  et  des  Maures,  Diodore 


108      ■  ORGANISATION  SOCIALE   ET   POLITIQUE. 

qui  était  comprise  entre  le  royaume  maure  et  la  province 
carthaginoise.  Au  iif  siècle,  c'étaient  les  sujets  des  souverains 
masaesyles  et  massyles;  ceux-ci  sont  qualifiés  les  uns  et  les 
autres  de  rois  des  Numides,  du  moins  dans  des  textes  grecs  et 
latins*,  car  rien  ne  prouve  qu'ils  aient  eux-mêmes  pris  ce  titre -. 
Le  royaume  masaesyle  ayant  cessé  d'exister  et  les  rois  massyles 
ayant  étendu  leur  domination  depuis  la  Moulouia  jusqu'à 
Tabarca,  tel  fut  le  pays  qu'on  appela  désormais  Numidia^. 
Nous  avons  indiqué*  qu'il  fut  ensuite  partiellement  annexé  au 
royaume  maure,  dont  les  Romains  firent,  en  42  après  J.-C, 
leurs  deux  provinces  de  Maurétanie  :  du  côté  de  l'Ouest,  la 
limite  de  la  Numidia  devint  l'Ampsaga^.  Le  nom  de  Numidae 
recula  jusque-là  devant  celui  de  Mauri,  qui  même  déborda  bien 
plus  loin  vers  l'Est*,  sans  cependant  faire  disparaître  celui  de 
Numidae  dans  la  contrée  à  laquelle  les  Romains  conservèrent 
le  nom  officiel  de  Numidia. 

Comme  on  le  voit,  ces  noms,  Nouàoe;  et  Numidae^  pourraient 
être  d'origine  indigène,  —  ce  que  je  ne  veux  pas  affirmer,  — 

de  Sicile,  XIII,  80,  3;  Justin,  XIX,  2,  4;  Strabon,  II,  5,  33  (sans  doute  d'après 
Po?idonius):  Pomponius  Mêla,  I,  22;  Appien,  Lib.,  106;  etc. 

1.  Pour  Syphax,  voir  Tite-Live,  XXIV,  48,  2;  Appien,  Iber.,  15.  Pour  Masinissa, 
Polybe,  XXXVI,  16,  1  (édit.  Biiltner-Wohst;  alias  XXXVII,  3);  Salluste,  Jug.,  V,  4; 
Justin.  XXXIII,  1,  2,  et  XXXVill,  6,  4.  Dans  Tite-Live  (XXX.  12,  13),  Sophouisbe 
dit  à  .Masinissa  :  •  Nuniidarum  noinea  (|uod  tibi  curn  Syphace  commune  fuit.  • 
Pour  (iulussa,  Polybe,  XXXVill,  7,  1  (alias  XX.\I.\,  1).  Pour  Micipsa,  Appien,  Ibcr., 
67.  Pour  Jufjurtha,  Salluste,  V,  1;  Appien,  Bell,  civ.,  I,  42;  Dessau,  Inscr.  lat.  sel., 
.^6;  etc. 

2.  -Micipsa  est  qualifié,  non  de  roi  des  Numides,  —  qui  tous  étaient  ses  sujets, 
—  mais  de  roi  des  Massyles,  sur  une  inscription  néopunique  de  Cherchel  :  v.  supra, 
p.  101.  n.  5. 

3.  Nom  qui  dut  être  en  usape  chez  les  Latins  dès  l'époque  de  Masinissa. 
Noixaôia  dans  Polvbe,  XXXVI,  16,  7. 

4.  P.  94. 

^).  Pline  l'Ancien,  V,  22.  Hrouillanl  les  opo(jues,  l'auteur  qu'a  copié  Pomponius 
Mêla  (I,  29;  30;  33)  donnait  pour  limites  à  la  Numidia  la  Mulucha  à  l'Ouest, 
l'Ampsaga  (ou  le  cap  .Métaj^oniuin)  à  l'Kst;  il  faisait  commencer  l'vl /;(ca  à  cette 
seconde  limite.  La  première  était  leile  (|ui  avait  jadis  séparé  les  royaumes  des 
.Maures  et  des  Numides,  la  seconde,  celle  de  l'Afrique  romaine  après  Jules  César 
(couf.  supra,  p.  22,  n.  7).  En  fait,  dans  cette  Africa,  le  nom  de  Numidia  resta 
atlaclié  à  la  réf^ion  comprise  entre  l'Ampsafça  et  la  Tusca  (prés  de  Tabarca). 

0.  Voir  p.  94-95. 


TftIBUS,   NATIONS  ET  PEUPLES.  109 

mais  c'est,  autant  qu'il  semble,  aux  Grecs  et  aux  Romains 
qu'ils  ont  dû  leur  extension,  variable  selon  les  limites  des  Etats 
et  des  provinces. 

Le  terme  raixoù/.oi.  \  Gaetuli  %  se  rencontre  depuis  la  fin  du 
second  siècle  avant  notre  ère^  Il  désigne  des  indigènes  qui 
paraissent  avoir  été  auparavant  confondus  dans  l'ensemble  des 
peuples  appelés  Numides.  On  peut  supposer,  mais  non  prouver, 
que,  comme  Masœsyles,  Massyles,  Maures,  et  peut-être  Numides, 
c'était  primitivement  le  nom  d'une  tribu*,  nom  qui  aurait  été 
ensuite  étendu  à  beaucoup  d'autres. 

Jamais,  cependant,  les  Gétules  ne  constituèrent  un  Etat\ 
C'étaient  les  habitants  d'une  vaste  zone,  s'allongeant  au  Sud 
des  régions,  voisines  de  la  Méditerranée,  où  vivaient  les  Maures, 
les  Maseesyles,  les  Massyles,  les  sujets  de  Carthage  et  de  Rome; 


1.  Ou  ra;TOj),oi  :  voir  le  grammairien  Hérodien,  apud  Eustalhe,  dans  le  com- 
mentaire à  Denys  le  Périégète,  v.  215  (Geogr.  Gr.  min.,  II,  p.  254).  Artémidore 
écrivait  ra:ivl:oi  (Etienne  de  Byzance,  s.  v.  rait&û/.oi),  ou  peut-être  rai-roÛAioi 
(Eustathe,  l.  c). 

2.  L'a  est  souvent  omis.  Galtuli,  forme  archaisante,  dans  une  inscription  de 
l'époque  de  Claude  :  C.  /.  L.,  X,  797. 

3.  On  ne  le  trouve  pas  dans  Polybe.  C'est  à  quelque  chroniqueur  romain  que 
Tite-Live  (XXIII,  18,  1)  emprunte  un  récit  où  figurent  des  GaeluU  au  service 
d'Hannibal.  Mention  dans  Artémidore,  tout  à  la  fin  du  ii'  siècle  :  Etienne  de 
Byzance,  /.  c.  Eustathe,  l.  c.  (conf.  Fragm.  hist.  Graec,  III,  p.  488)  attribue  par 
erreur  cette  mention  à  Athénodore  de  Tarse,  contemporain  d'Auguste.  Salluste 
(Jug.,  XVIII,  1)  nous  apprend  que  les  Ubri  Punici  du  roi  Hiempsal  indiquaient  les 
Gaetuli  et  les  Libyes  comme  les  plus  anciens  habitants  de  l'Afrique.  Autres  men- 
tions des  Gétules  dans  le  Jugurlka  de  Salluste  (passirn),  dans  le  Bellum  Africum 
{idem),  dans  Virgile,  Enéide,  IV,  326;  dans  Strabon  (passini,  en  partie,  sans  doute, 
d'après  Artémidore  et  Posidonius);  etc. 

4.  De  nombreux  auteurs  modernes  (Marmol,  Chénier,  de  Slane,  Vivien  de 
Saint-Martin,  Faidherbe,  Reclus,  Tissot,  Quedoufeldt,  Cat,  Schirmer,  etc.)  ont 
fait  des  rapprochements,  qui  ne  sont  nullement  convaincants,  entre  le  nom 
antique  Gaetuli  et  des  noms  de  tribus  berbères  :  1°  les  Gazzoula.  qui,  à  l'époque 
des  Almoravides,  quittèrent  le  Sahara,  où  ils  vivaient,  pour  aller  s'établir  dans 
le  Sud  du  Maroc;  on  en  retrouve  encore  à  l'Est  du  Sous,  entre  le  Haut-Atlas  et 
l'Anti-Atlas;  2"  les  Gaddala,  dans  le  Sahara  occidental;  3°  les  Guechtoula,  dans 
la  grande  Kabylie,  pays  qui  était  en  dehors  de  la  Gétulie. 

ri.  Strabon  (XVII,  3,  2)  dit  des  Gétules  qu'ils  sont  le  plus  grand  des  peuples 
libyques  (conf.  Eustathe,  l.  c).  En  réalité,  c'était  une  longue  traînée  de  tribus  : 
•  Nalio  frequens  multiplexque  Gaetuli  »,  écrit  Pomponius  Mêla  (1,  23).  Une  ins- 
cription du  i"  siècle  de  notre  ère  (C.  /.  /-.,  V,  5  267)  mentionne  un  préfet  de  six 
de  ces  tribus  :  -  nation(um)  Gaetulicnr(um)  sex  quae  sunt  iu  Nuinidia  ». 
GsELL.  —  Afrique  du  Nord.  V.  8 


110  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

au  Nord  de  la  lisière  saharienne,  qu'occupaient  çà  et  là  des 
Ethiopiens  K  La  Gaetulia^  était  donc  une  expression  géogra- 
phique, s'appliquant  à  une  suite  de  plaines,  en  général  sèches 
et  nues  ^,  et  aussi  aux  chaînes  de  montagnes  qui  les  bordent  du 
côté  du  désert*.  Les  limites  méridionales  de  cette  zone 
séparaient  les  domaines  des  blancs  et  des  noirs.  Mais  nous 
n'avons  aucune  preuve  que  la  Gétulie  ait  eu  au  Nord  des  fron- 
tières anthropologiques.  Comme  la  structure  du  sol  et  le  climat 
n'imposaient  pas  non  plus  une  démarcation  précise,  il  est  permis 
de  croire  que  le  nom  de  Gétules  fut  donné  aux  peuplades  qui, 
lors  de  la  constitution  des  royaumes  maure,  masaesyle  et 
massyle,  restèrent  en  dehors  de  ces  Etats. 

Au  Maroc,  il  y  avait  des  tribus  gétules  entre  l'oued 
Bou  Regreg^  le  littoral  de  l'Océan  ^  et  l'Atlas^,  ainsi 
que  dans  l'Atlas   même  ^  La  principale  était  celle  des  Auto- 

1.  Voir  Salluste,  Ji^g.,  XIX,  5;  Strabon,  II,  5,  33;  XVII.  3,  2;  ibid.,  9  et  19;  Pline 
l'Ancien,  XXI,  77;  Plolc-tnée,  IV,  6,  5  (p.  742,  édit.  Miiller). 

2.  Ce  nom  se  trouve  pour  la  première  fois  dans  Varron  (Rust.,  II,  11,  11).  Il 
était  employé  par  Agrippa  (voir  Dimens.  prov.,  25,  et  Divis.  orbis,  26,  apud  Riese, 
Geogr.  Lai.  min.,  p.  13  et  19).  Etc. 

3.  Conf.  Strabon,  XVII,  3,  9  et  23;  Saint  Augustin,  De  ordine,  II,  5,  15;  Enarr. 
in  Psalm.,  CXLVIII,  10. 

4.  Montagnes  dans  le  pays  des  Gétules  :  Strabon,  XVII,  3,  19;  Pline,  XXV, 
78-79;  Apulée,  ApoL,  XLI,  5. 

5.  La  ville  de  Sala  (auprès  de  Rabat,  à  l'embouchure  de  l'oued  Bou  Regreg) 
était,  dit  Pline  (V,  5),  exposée  aux  al  laques  de  la  tribu  (gélule)  des  Autololes, 
«  per  quam  iler  esl  ad  monlem  Atlantem  ». 

fi.  Hiempsal,  apud  Sallusle,  Vu^.,  XVIII,  5  el  7.  Agrippa,  apud  Plino,  V,  9  : 
•  Gaelulos  Auloleles  »  [corriger  sans  doute  Autololes],  sur  la  côle,  au  delà  du 
promunlurium  Solis  (cap  Cantin)  et  du  portus  Uhysaddir  (Mogador?  :  voir  t.  II, 
p.  178).  L'Ile  d'ilcra,  située,  selon  Plolémée  (IV,  6,  14,  p.  753,  avec  la  correction 
certaine  proposée  par  Miiller),  en  face  des  Autololes,  parait  bien  être  l'Ile  de 
Mogador  (conf.  Pline,  VI,  201  :  mention  d'«  insulac  ex  advorso  Aulololum  •)  :  voir 
t.  I,  p.  522,  u.  0.  Côte  gélule  de  ruccan  :  Mêla,  III,  104;  Pline,  V,  12.  ellX,  127. 

7.  Pline,  V,  5  (conf.  supra,  n.  5). 

8.  Euphorbe  recueillie  par  des  Gétules  «  in  munie  Atlante  »  :  Pline  (d'après 
Juba),  XXV,  78-79.  Agrippa,  apud  Pline,  V,  10,  mentionne  «  in  inedilcrraneo  Gaelulos 
Daras  »  (ainsi  nommés  du  Daral,  l'oued  Draa,  qui  sort  de  l'Atlas). —  Plolémée 
place  la  Gétulie,  le»  .Mélanogélulos,  les  Autololes  (il  écrit  AJTOAâXat  :  IV,  G,  6, 
p.  744)  dans  la  •  Libye  intérieure  »,  qu'il  fait  commencer  sur  le  littoral  au  delà 
du  .  Grand  Atlas  »  (IV.  1,  1,  et  IV.  <1,  1,  p.  572.  ."i77,  729),  mais  nous  avons  déjà 
fait  remarquer  (supra,  p.  5)  qu'il  insère  dans  cette  Libye  intérieure  beaucoup  de 
noms  géographiques  se  rapportant  à  des  pays  jilus  septentrionaux. 


TRIBUS,   NATIONS  ET  PEUPLES.  11 1 

loles  *,  dont  le  territoire,  très  vaste,  s'étendait  depuis  le  voisi- 
nage de  Rabat  jusqu'au  delà  de  Mogador^.  Avec  d'autres  Gétules, 
les  Baniures,  ils  avaient  occupé,  on  ne  sait  quand,  les  territoires 
de  deux  tribus  déchues,  qui  avaient  joué  un  rôle  historique  fort 
important,  les  Maures  et  les  Masœsyles  ^  Ces  Autololes  jouirent 
d'une  certaine  célébrité  dans  le  monde  romain.  Des  poètes, 
Lucain*,  Silius  Italiens^,  Claudien%  Sidoine  Apollinaire',  les 
introduisent  dans  des  développements  qui  n'ont,  d'ailleurs, 
aucune  prétention  à  l'exactitude  géographique. 

Dans  l'Algérie  orientale,  la  limite  septentrionale  du  pays  gétule 
devait  passer  à  peu  de  distance  au  Sud  de  Constantine  ^  et  elle 
était  très  voisine  de  Madaure  (entre  Souk-Arrhas  et  Tébessa)  '\ 
Au  Midi,  le  fleuve  Nigris  séparait  la  Gétulie  de  l'Ethiopie  '°  : 
c'était  très  probablement  l'oued  Djedi  ^',  qui  s'allonge  depuis' 
les  environs  de  Laghouat  jusqu'au  Sud-Est  de  Biskra'-.  Au  Sud  de 
la  province  d'yl /rica,  les  Gétules  atteignaient  le  littoral  syrtique'^ 

1.  Pline,  V,  17,  où  il  faut  corriger  Aatotelcs  en  Autololes. 

2.  V.  supra,  p.  110,  n.  6.  C'est  sans  doute  à  lorl  que  le  nom  des  Autololes  a  été 
rapproché  (Vivien  de  Saint-Martin,  Le  Nord  de  l'Afrique,  p.  371  el  410;  Tissot, 
Méni.  présentés  à  l'Acad.  Inscr.,  IX,  1"=  partie,  p.  311)  de  celui  des  Ait  Hilàla  (ou 
Uàlan),  tribu  du  Sous  (Massignon,  Le  Maroc  d'après  Léon  V Africain,  Alger,  1900, 
p.  194)  :  dans  Ait  Hilùla,  Ait  signifie  clan. 

3.  Pline,  V,  17.  Gonf.  supra,  p.  97. 

4.  IV,  677  (parmi  les  sujets  de  Juba  \"\). 

5.  II,  63;  III,  30G,  et  ailleurs. 

6.  De  consul.  Stilich.,  I,  356. 

7.  Carm.,  Y,  336. 

8.  Après  avoir  pris  Girla  (Constanline),  Sitlius  s'empara  de  «  duo  oppida  Gaetu- 
lorum  »  :  Bell.  Afric,  XXV,  3. 

9.  Au  second  siècle  de  notre  ère,  Apulée  de  Madaure  (Apol.,  XXIV,  1)  se  qualifie 
de  semi-Numide  et  de  semi-Gétule;  il  dit  que  sa  patrie  est  située  •  Numidiae  et 
Gaeluliae  in  ipso  confliiio  ».  La  limite  entre  les  Musulamii,  peuplade  gétule,  et 
Madauro  passait,  en  effet,  tout  près  de  cette  ville  :  conf.  Gsell  et  Joly,  Mdaourouch 
(Alget-Paris,  1922),  p.  5  el  18. 

10.  Pline,  V,  30  :  «  ...  tota  Gaetulia  ad  llumen  Nigrim,  qui  Africam  ah  Aethiopia 
dirimit.  » 

11.  Voir  t.  I,  p.  297. 

12.  La  Table  de  Peutinger  iudi(iue  des  Gaetuli  sur  un  vaste  espace,  depuis  Ad 
Calceum  Herculis  (Kl  Kanlara)  jusqu'au  delà  de  Capsa  ((iafsa). 

13.  Virgile,  Enéide,  Y,  192  :  «  in  Gaetulis  Syrtibus  ...  Florus,  II,  31  :  ■■  Gaetulos 
accolas  Syrtium  ..  Voir  aussi  Strabon,  XVII,  .'t,  9.  Les  rameurs  gétules  (|ui  furent 
employés  dans  la  Hotte  pompéienne  (Bell.  Afric,  LXll,  I)  devaient  être  originaires 
des  côtes  des  Syrtes. 


112  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

Des  Gélules  sont  aussi  mentionnés  en  Tripolitaine  et  même  en 
Cyrénaique\ 

Ces  indigènes  étaient  presque  tous  des  nomades  ^.  Du  reste, 
une  bonne  partie  des  régions  qui  leur  appartenaient  ne  com- 
portaient guère  d'autre  genre  d'existence. 

Les  nécessités  de  leur  vie  pastorale  et,  sans  doute  plus  encore, 
le  goût  du  pillage  ^  devaient  les  mettre  en  relations  avec  leurs 
voisins  du  Nord.  Les  souverains  numides  et  maures  furent 
amenés  à  étendre  sur  la  Gétulie  leur  domination  *,  qui  paraît 
n'avoir  jamais  été  bien  solide  ^  Il  est  à  croire  que  les  Gétules 
entretenaient  aussi  des  rapports  avec  les  Ethiopiens  ^ 


IV 

Nous  trouvons  dans  les  historiens  et  géographes  arabes  un 
nom  qui  s'applique  à  l'ensemble  des  populations  autochtones 
de  l'Afrique  septentrionale  :  Bràbei\  Berâber  (au  singulier  Ber- 
bei\  Berbeviy .  Les  Européens  l'ont  adopté,  les  Français  sous 

1.  Straboa,  XVII,  3,  19  et  23.  Paul  Orose,  Adv.  pagan.,  I,  2,  90.  Table  de  Peutin- 
ger  :  au  Sud  de  Sabralha  et  de  la  grande  Syrte. 

2.  Salluste,  Jug.,  XIX,  6  :  «  Gaetulos...  partim  in  tuguriis,  alios  incultius  vagos 
agitare  ».  Mêla,  III,  104  :  «  Gaelulorum  passim  vagantium  ».  Paul  Orose,  VI,  21, 
18  :  «  Gaetulos  latius  vagantes  ». 

3.  Salluste,  Jug.,  GlII,  4,  et  Pline  l'Ancien,  X,  201  :  «  Gaetuli  latrones  ».  Les 
Gétules  passaient  pour  des  gens  belliqueux  :  Salluste,  l.  c,  XVIII,  12  (d'après  les 
libri  Punici  d'Hiernpsal). 

4.  Salluste,  Jug.,  XIX,  7.  Bell.  Afric,  XXV,  3;  LV,  1.  Dion  Cassius,  XLIII,  3,  4; 
LUI,  20,  2;  LV,  28,  3.  Dans  le  Sud  de  la  Tunisie,  Capsa  et  Thala,  qui  apparte- 
naient à  Jugurtlia,  étaient  en  pays  gétule.  Cette  région  avait  certainement  fait 
partie  du  royaume  de  .Masinissa,  puisqu'elle  reliait  le  pays  numide  à  la  région 
des  Syrtes,  dont  Masiuissa  s'empara.  Des  rois  de  Maurétanie,  Bocchus,  contem- 
porain de  Marius,  et  Hogud,  contemporain  de  César,  eurent  des  relations,  paci- 
fiques ou  hostiles,  avec  des  Ethiopiens  (u.  supra,  p.  10,  n.  1  et  3);  on  doit  en 
conclure  qu'ils  étaient  libres  de  traverser  les  régions  intermédiaires,  occupées  par 
des  Gétules. 

5.  V.  infra,  p.  164-5. 
G.  Conf.  supra,  p.  9. 

7.  La  (lUPstion  de  l'origine  du  nom  HrAber  a  été  bien  traitée  par  H.  Schirmer, 
De  nomine  cl  génère  populoruin  gui  Hcrbcri  viilgo  dicunlur  (Paris,  1892),  p.  4  et  suiv. 
Je  renvoie  à  cet  ouvrage  pour  la  bibliographie. 


TIUBUS,  NATIONS  ET   PEUPLES.  113 

la  forme  Berbères.  Il  faut  dire  que,  dans  le  langage  courant,  il 
est  peu  usité  chez  les  tribus  d'origine  arabe  ou  arabisées;  celles 
qui  parlent  des  dialectes  dits  berbères  ne  l'emploient  pas  pour 
se  désigner  elles-mêmes  '. 

Les  étymologies  qu'indiquent  des  auteurs  arabes  du  moyen 
âge  reposent  sur  des  calembours  et  n'ont  aucune  valeur  "^  Des 
savants  modernes  ont  soutenu  qu'il  s'agit  d'un  ethnique 
antérieur  à  la  conquête  romaine  ^  Selon  les  uns,  il  aurait  été, 
dès  une  époque  très  lointaine,  le  nom  que  se  serait  donné  un 
grand  peuple,  et  il  aurait  subsisté  çà  et  là  pendant  l'antiquité 
historique,  pour  reprendre  ensuite  l'acception  générale  qu'il 
aurait  eue  d'abord.  Selon  d'autres,  il  aurait  désigné  une  ou 
plusieurs  tribus  importantes,  et  les  Arabes  l'auraient  géné- 
ralisé. 

Nous  avons  déjà  montré  *  que,  pour  étayer  la  première  de 
ces  hypothèses,  on  ne  saurait  chercher  des  arguments  en  dehors 
de  la  Berbérie,  dans  l'Afrique  orientale,  voire  même  au  delà  : 
il  n'y  a  aucune  raison  d'admettre,  que  la  contrée  nommée 
Barbaria  sous  l'Empire  romain  (le  pays  des  Somalis),  que  les 
Berabra  de  la  vallée  du  Nil,  au  Sud  de  l'Egypte,  soient  des 
témoins  d'une  communauté  préhii^torique  de  sang  et  de  nom 
avec  nos  Berbères  ^ 

Les  arguments  présentés  à  l'appui  de  la  seconde  hypothèse*^ 
ne  sont  pas  meilleurs.  C'est  être  dupe  d'une  très  vague  ressem- 

1.  E.  Masqueray,  Formation  des  cités  chez  les  populations  sédentaires  de  l'Algérie, 
p.  2.  Les  Bràber  du  Moyen  et  du  Haut-Atlas  ne  font  pas  exception  :  E.  Destaing, 
Étude  sur  le  dialecte  berbère  des  Ait  Seghrouchen  {Paris,  1920),  p.  lxxxvii,  n.  1. 

2.  Voir  Ibn  Khaidoun,  Hist.  des  Berbères,  Irad.  de  Slane,  l,  p.  168,  176;  de  Slane, 
ibid.,  IV,  p.  494;  E.  Carelle,  Recherches  sur  l'origine  des  tribus  de  l'Afrique  septentr., 
p.  17-18;  Tissot,  Géogr.,  I,  p.  393,  n.  1. 

3.  Cari  Riller,  Movers,  Carelte,  Vivien  de  Saint-Martin,  Tissot,  Quedenfeldl, 
etc.;  enfin  A.  Schulten  (Numantia,  l,  p.  36-37),  qui  est  disposé  à  croire  à  la  com- 
munauté de  nom  des  Berbères  et  des  Ibères. 

4.  T.  I,  p.  336-7. 

T).  Il  est  pntbai)!e  que  ces  noms  de  l'Afrique  orientale  dérivent  du  fçrec 
pâpSapo'.,  comme  celui  des  Hrâbcr  de  l'Afrique  du  Nord  dérive  du  latin  barbari. 
Mais  il  n'y  a  pas  de  rapports  directs  entre  ces  emprunts  au  grec  et  au  latin. 

6.  Voir  surtout  Tissot,  /.  c,  I,  p.  39.1. 


114  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

blance  de  mots  que  d'invoquer  les  Suburbures\  grande  tribu 
numide  aux  premiers  siècles  de  notre  ère.  Les  Barbares  d^un 
auteur  de  basse  époque  -^  étaient  probablement,  en  réalité,  des 
Bavares,  nom  d'une  autre  tribu  dont  les  fractions  étaient 
éparses  dans  diverses  régions  \  Que  signifie  Barbari  dans  la 
dénomination  j97'omon<ormw  Barbari,  cap  qu'un  routier  romain, 
l'Itinéraire  d'Antonin*,  indique  sur  la  côte  du  Rif?  Nous 
l'ignorons  :  peut-être  ce  nom  est-il  altéré;  en  tout  cas,  rien 
ne  prouve  qu'il  se  rapporte  à  une  tribu.  Le  nom  de  Béni  Bar- 
bar,  qui  est  donné  aux  habitants  du  djebel  Chechar  (à  l'Est 
de  l'Aurès)  et  qu'ils  acceptent,  celui  de  Brâber^  attribué  aux 
montagnards  du  Moyen-Atlas  et  du  Haut-Atlas  oriental, 
au  Maroc,  mais  non  adopté  par  eux,  ne  datent  pas,  à  notre 
connaissance,  de  temps  reculés  :  ce  sont  sans  doute  des 
applications  régionales  du  mot  latin  barbari  %  du  terme  arabe 
Brâber. 

Ce  dernier  vient  précisément  àe -barbari.  Telle  est  l'opinion 
de  nombreux  érudits%  et  elle  nous  paraît  justifiée. 

Barbants  est  un  mot  emprunté  par  les  Latins  au  grec 
jjàoêapo^,  qui  est  d'origine  indo-européenne  ".  Il  désigne  ceux 
qui  parlent  des  langues  autres  que  le  grec  et  le  latin,  et,  dans 
un  sens  plus  large,  ceux  qui  sont  étrangers  à  la  civilisation 
gréco-romaine  :  par  conséquent,  des  gens  restés  dans  un  état 
d'infériorité.  Unefoule  de  textes,  depuis  Salluste  et  l'auteur  du 

1.  Telle  esl  l'orthographe  des  inscriptions  :  voir  Gseil,  Allas  archéol.  de  l'Algérie, 
t'  17  (Conslanline),  n"  214  (conf.  f  1(1,  Sélif,  n"  468);  le  môme,  dans  Bull,  archéol. 
du  Comité,  1917,  p.  342.  Peul-ôlre  idenliciucs  aux  Sabarbares  de  Pline  (V,  30)  et 
aux  i^aSovp^ojpe;  de  Ptolémée  (lY,  3,  6,  p.  040). 

2.  Julius  Honorius,  daus  Hiese,  Geogr.  Lai.  min.,  p.  53  et  54. 

3.  Voir  Gsell,  Rec.  de  Conslanline,  XL,  1000,  p.  110-7,  et  Bull,  archéol.  du  Comilé, 
1907,  1).  ccxxix. 

4.  Kdit.  Parlliey  et  Pinder,  p.  4. 

5.  Ce  que  croit  .Masqueray  pour  les  IJcni  Harbar  {Uev.  afric,  XXII,  1878,  p.  136). 

6.  Elle  est  déjà  iiidi(|ué«!  par  Marmol  ol  elle  a  été  soutenue  par  Ghénier,  .Malte- 
Brun,  Castiglioni,  de  Slane,  Fournel,  .Meitzer,  Schirmer,  etc. 

7.  Huge,  dans  nealEncyclopiidie  de  Pauly-Wissowa,  11,  p.  2858.  Pour  un  passage 
d'Hérodote  qu'on  a  inal  interprété,  conf.  t.  I,  p.  337,  n.  2. 


TRIBUS,   NATIONS   ET    PEUPLES.  H5 

Belluyn  Africum  jusqu'à  Corippus*,  prouvent  que  les  Romains 
donnaient  ce  nom  de  barbari  aux  Africains  qui  n'avaient  ni 
leur  langue,  ni  leurs  mœurs  :  c'était  un  terme  dédaigneux, 
que  les  indigènes  ne  devaient  pas  accepter  volontiers.  Il  est 
intéressant  de  remarquer  qu'un  petit  écrit  grammatical  qui  peut 
dater  du  m"  siècle,  liste  de  locutions  vicieuses,  condamne 
l'emploi  de  barbai\  pour  barbarus^;  or  cette  liste  a  été  très 
probablement  composée  à  Carthage^  Dans  le  latin  populaire 
d'Afrique,  barbarus  avait  donc  pris  la  forme  que  les  Arabes 
adoptèrent. 

Les  conquérants  musulmans  trouvèrent  à  leur  venue  deux 
populations  distinctes  :  l'une  parlait  le  latin  et  était  chrétienne, 
l'autre  avait  gardé  sa  langue,  ses  coutumes,  et,  le  plus  souvent, 
ses  divinités  païennes.  C'étaient,  d'une  part,  les  Romani., 
d'autre  part,  les  barbari;  conservant  ces  dénominations,  les 
Arabes  appelèrent  les  premiers  Roum,  les  seconds  Bràber''. 
Ce  dernier  nom  se  maintint  dans  les  œuvres  littéraires,  mais 
beaucoup  moins  dans  la  langue  parlée,  qui  n'a  plus  aujour- 
d'hui de  terme  général  pour  désigner  ceux  que  les  Français, 
à  la  suite  des  Grecs,  des  Romains,  des  Arabes,  appellent  Ber- 
bères. Il  ne  s'applique  plus  guère  qu'à  un  groupe  important  de 
montagnards  marocains. 

Il  faut  donc  renoncer  à  y  voir  un  nom  ethnique  d'origine 
indigène  et  de  date  lointaine. 

Il  en  est  autrement  du  nom  Amazigh.,  Tamùzight  au  féminin, 
Imazighen    au   pluriels    Beaucoup    de   Berbères  se   qualifient 

1.  Schirmer  {l.  c,  p.  32  et  suiv.)  en  cite  un  certain  nombre.  Il  me  parait  super- 
flu d'en  ajouter  d'autres.  Sur  des  inscriptions  :  C.  /.  L.,  VIII,  1)158,  9  324  (où 
l'on  a  gravé  par  erreur  babaris,  au  lieu  de  barbaris),  18  219,  18  275,  20  827. 

2.  Appendix  Probi,  édil.  Hcraeus,  dans  Archiv  fur  latein.  Lexikographie,  XI,  p.  397. 
Voir  aussi  Probus,  dans  Graniin.  Lat.  de  Keil,  IV,  p.  102. 

3.  Voir  G.  Paris,  dans  Mélanges  Renier,  p.  301  et  suiv.,  et  dans  Mélanges  Boissier, 
p.  5  et  suiv. 

4.  Un  troisième  groupe  esl  parfois  distingué  :  les  Afarelc  (du  mot  latin  Africa), 
chrétiens  mi-indigènes,  mi-Romains  :  voir  t.  VII,  I.  I,  cli.  i,  §  1. 

5.  Sur  le  nom  Imazighen-.Mazices,  voir  Schirmer,  L  c,  p.  42  et  suiv. 


M6  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

eux-mêmes  ainsi  :  les  habitants  du  Rif  marocain;  ceux  du 
Moyen  et  du  Haut-Atlas  (les  Bràber  des  Arabes)  '  ;  des  gens 
qui  parlent  un  dialecte  berbère  à  Sened,  dans  la  Tunisie  méri- 
dionale' ;  des  indigènes  du  djebel  Nefouça,  en  Tripolitaine;  une 
tribu  de  la  région  de  Ghadamès,  au  Sahara^;  les  Touareg  de 
l'Air*.  Divers  dialectes  sont  appelés  tamazight  :  ceux  du  Rif, 
des  Brâber,  de  l'Aurès,  de  Figuig,  de  Sened,  de  Djerba,  du 
Mzab,  etc.  La  grande  extension  de  ce  terme  est  attestée  par 
des  généalogies  dressées  au  moyen  âge  %  où  un  héros  légen- 
daire, Mazigh,  est  indiqué  comme  l'ancêtre  d'une  des  deux 
races  des  Berbères,  les  Beranès*^;  où  une  femme,  Tamzight, 
figure  parmi  les  ancêtres  de  l'autre  race,  les  Botr^ 

Le  même  nom  apparaît  dès  l'antiquité.  11  a  été  donné  à  des 
individus  :  on  le  trouve  employé  ainsi  dans  des  inscriptions 
libyques,  sous  la  forme  MSK^  dans  des  inscriptions  romaines, 
sous  les  formes  Mazic\  Masik'\  Mazix'\  au  féminin  AJazica'% 
avec  une  désinence  latine;  Masac^^  est  peut-être  le  même  nom, 
prononcé  d'une  manière  un  peu  différente  *\ 

C'était  aussi,  aux  premiers  siècles  de  notre  ère,  le  nom  de 

1.  Voir,  entre  autres,  Deslaing,  Dialecte  des  AU  Seghrouchen,  p.  lxx. 

2.  Provotelle,  ''Étude  sur  la  tamazir't  ou  zenatia  de  Qalad  es-Sened  (Paris,  1911), 

p.  3. 

3.  De  Foucauld,  Dictionn.  touareg-français,  I,  p.  452.  Les  Béni  Mazigh  sont  une 
fraction  de  la  population  de  Ghadamès  :  Duveyrier,  Sahara  algérien  et  tunisien. 
Journal  de  route,  p.  KiS,  n.  1;  Donau  et  Pervinquière,  dans  Bull,  de  géogr.  histor. 
du  Comité,  1912,  p.  483,  n.  4. 

4.  Duveyrier,  Les  Touareg  du  Nord,  p.  317. 

5.  Conf.  supra,  p.  79. 

6.  Ibu  Khaldoun, //is<.,  trad.  de  Slano,  I,  p.  169,  178,  184. 

7.  Ibid.,  p.  181. 

8.  Halévy,  dans  Journ.  asiat.,  1874,  I,  p.  118,  n"  47;  p.  179,  n°  173. 

9.  C.  1.  L.,  Vlll,  21  120. 

10.  Gseil,  Inscr.  lat.  de  l'Algérie,  I,  008. 

11.  G.  I.  L.,  Vlll.  15  928. 

12.  Ibid.,  8  817,  i5n9:i,  17  748,  18  392.21  737.  Bull,  archéol.  du  Comité,  1911,  p.  112. 
Conf.  C.  /.  L.,  Vlll,  21  109  :  Mazicia"?}:  Cseil,  l.  c,  1198  :  Mazzic,  cognonien  d'une 
femme. 

13.  C.  1.  L.,  Vlll,  11  308-11  310.  11  312. 

14.  Poul-èlrr-  le  nom  Mazucan  se  ratlaclie-t-il  aussi  à  Mazic  :  pour  ce  nom,  voir 
Gsell,  Bec.  de  Constantine,  XXXVl,  1902,  p.  21-23. 


TRIBUS,   NATIONS  ET  PEUPLES.  117 

plusieurs  tribus.  Ptolémée  »  indique  des  Mà^ixs;  en  Maurétanie 
Tingitane,  dans  le  pays  qui  s'appelle  aujourd'hui  le  Rif.  11  en 
mentionne  en  Césarienne,  du  côté  de   iMiliana^;  ces  derniers 
reparaissent  sur  une  inscription  latine,  découverte   à  Miliana 
même%  et  dans  le  récit  qu'Ammien  Marcellin*  nous  a  laissé 
de  la  révolte  de  Firmus,  vers  la  fin  du  iv^  siècle.  Une  autre 
inscription  d'Afrique  %  de  la  fin  du  ii^  siècle  ou  du  début  du  iii% 
mentionne  des  Mazices  reg{ionis)  Montem{is\  que  des  troupes 
romaines  eurent  à  combattre;  nous  ignorons  où  était  leur  terri- 
toire :  peut-être   se  confondent-ils  avec  une  des   deux  tribus 
précédentes  «.  Sous  le  Bas-Empire,  des  WA^y^t^,  gens  du  désert, 
opéraient  des  razzias,  d'une  part  dans  les  oasis  situées  à  l'Ouest 
de  l'Egypte,  d'autre   part  en  Tripolitaine^  L'existence  d'une 
tribu  de  Mazacesi  en  Numidie,  au  \"  siècle,  semble  attestée  par 
la  mention  de  deux  episcopi  Mazacenses  ^  Des  Mauri  Mazazeses 
sont  indiqués  en  Maurétanie  dans  un  document  de  la  fin  du 

iir  siècle  ^ 

Le  nom  que  les  Grecs  et  les  Latins  ont  transcrit  Màî;(.x£ç, 
Mazices,  et  peut-être  Mazaces,  a  dû  appartenir  à  des  tribus 
africaines  avant  la  domination  romaine.  Dans  la  légende  de  la 
fondation  de  Carthage  par  Didon,  le  roi  du  pays  où  s'élève  la 
colonie  tyrienne  a  pour  sujets  des  Mà^..xs;,  selon  Eustathe  '\  des 

1.  IV,  1,  5  (p.  585,  édit.  Millier). 

2.  IV,  2,  5  (p.  603). 

3.  C.  I.  L.,  VIII,  9  613,  et  Gsell,  l  c,  p.  23,  n.  2. 

4.  XXIX,  5,  17;  21;  25-26;  30;  ol.     ' 

5    C.  1.  L.,  Vlll,  2  786  (Lambèse),  épitaphe  d'un  ceaturion   :    «   ...  deDeuaton 
hoVtium  prov(inciâ)  His(paQia)  et  Ma.icum  reg(ioais)  Montens(is).  - 
6.  Autre   mention   de   Ma/.ices  en  Afrique,  dans  Julius  Honorius,  apud  Riese. 

'7 Pl^st^ÏÏ;:  'il'':  eccles.,  XI,  8  (Migne.  Pair.  Or.,  LXV,^  603)  Nes^jus. 
apud  Évagre  le  Scolastique.  Hist.  écoles.,  I.  7  (Migne,  ^-  «.,  LXXXVI  p.  2440  , 
conf.  Nicéphore  Calliste,  Hist.  ecdes.,  XIV,  36  (M.gne,  P.  G.,  CXLVI,  p.  1180). 
Jean  d'Antioche,  dans  Fragm.  hist.  Graec,  IV.  p.  621,  n"  216.  Vo.r  ^^'^oredaulves 
textes,  cités  par  R.  Basset,  Le  dialecte  de  Syouah  (Pans,  1890),  p.  6-8,  et  par 
0.  Bâtes,  The  Eastern  Libyans,  p.  237-8. 

8.  Voir  Mesnage,  L'Afrique  chrétienne,  p.  422. 

9    Liste  dite  de  Vérone,  apud  Seeck,  édit.  de  la  Nolitia  Dignitatum,  p.  ioi. 

10.  Commentaire  de  Denys  le  Périégcte,  v.  m  {Geogr.  Gr.  min.,  11.  p.  2..I). 


118  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

Maxitani^  selon  Justin'.  C'est  peut-être  aussi  ce  nom  qui  se 
retrouve,  sous  deux  formes  légèrement  différentes,  dans 
Hécatée,  vers  l'an  500,  et  dans  Hérodote,  vers  le  milieu  du 
v°  siècle.  Le  premier  mentionne  des  MàJ^ueç  en  Libye  ^;  le  second, 
des  Mà;j£;^,  qu'il  place  à  l'Occident  du  fleuve  Triton,  c'est- 
à-dire  sur  la  côte  orientale  de  la  Tunisie  *. 

Dans  des  textes  latins,  pour  la  plupart  poétiques,  le  nom 
Mazaces  ne  s'applique  pas  strictement  à  une  ou  plusieurs  tribus, 
mais  il  a  une  signification  plus  générale,  du  reste  vague  ^  :  le 
mot  Massyli  a  été,  nous  l'avons  vu%  employé  de  la  même  manière. 

Un  écrit  géographique  du  iv^  siècle  après  J.-G.  \  que  nous 
avons  déjà  cité*,  mentionne  dans  le  désert,  au  delà  de  l'Afrique 
romaine,  des  barbares  appelés  Mazices  et  Aethiopes  :  ici, 
Mazices,  comme  Aethiopes,  paraît  bien  désigner  un  ensemble 
de  tribus,  répandues  à  travers  d'immenses  espaces.  Ce  sens 
n'est  pas  douteux  dans  un  autre  traité  géographique  de  fort 
basse  époque  %  où  il  est  question  de  «  gentes  Mazices  multas  »  *". 

1.  XVIII,  G,  1. 

2.  Etienne  de  Byzance,  s.  v.  Mâ'H.yjzç  (=  F.  h.  G.,  I,  p.  23,  n°  30i)  :  Mà^us;,  o\ 
Aiêûr,;  vô(iaû£;'   'Ky.aTaîoç. 

3.  IV,  191  et  193.  C'étaient,  dit  Hérodote,  des  cultivateurs.  Les  Mazyes  d'Hécatée 
étaient  des  nomades. 

4.  V.  supra,  p.  84. 

5.  Suétone  (Néron,  30)  dit  que  Néron  se  faisait  accompagner  dans  ses  voyages 
par  une  foule  de  Mazaces  et  de  cursores.  Lucain  énumère  pêle-mêle  des  peuplades 
africaines,  qu'il  dit  être  sujettes  de  Juba  i".  Parmi  elles,  figure  le  Mazax  {IV, 
681).  Némésien  (Cyneg.,  261)  donne  à  ce  mot  le  sens  d'indigène  africain.  Claudien, 
Consul.  Stilich.,  I,  356  :  h;  Mazax  en  compagnie  du  Nasanion,  du  Garamas,  des 
Aulololes,  du  Maurus.  Dans  Corippus,  Mazax  est  employé  assez  fréquemment,  avec 
un  sens  vague  (Joh.,  1,  549;  V,  80  et  376;  VI,  44,  167,  450  et  600;  VIII,  305)  :  il 
est  synonyme  de  Maurus  (conf.  Uiehl,  L'Afrique  byzantine,  p.  306,  n.  5). 

6.  P.  102. 

7.  Expositio  totius  mundi,  dans  Riese,  Geogr.  Lat.  min.,  p.  123. 

8.  P.  2. 

9.  Cosmographie  dite  d'^Ethicus,  dans  Riese,  l.  c,  p.  88. 

10.  La  même  conclusion  pourrait  être  tirée  d'un  passage  de  la  Chronique  com- 
pilée par  saint  Hippolyte  au  m'  siècle  (Bauer,  Chror.ik  des  Hippolytos,  p.  102).  Il 
indique,  parmi  les  langues  parlées  en  Afrique,  celle  des  Mi^txeç,  avec  celles  des 
Maûpoi,  l'aiTO-j/oi,  "A;.poi.  Gonf.  Mommsen,  Chronica  minora,  I,  p.  107;  Chronique 
pascale,  édil.  de  Bonn,  I,  p.  57.  —  Végèce,  K/nt.  rei  milit.,  III,  23  :  «  ...  Urcilliani 
iutra  Africam,  vel  ceteri  .Mazices  »,  ce  qui  attesterait  aussi  le  sens  étendu  du 
mot  Mazices,  si  la  lecture  était  certaine. 


TBIBUS,  NATIONS  ET  PEUPLES.  H9 

On  peut  même  croire  qu'Hécalée  donnait  déjà  au  mol 
MàÇ..,-  un  sens  étendu.  «  Mazyes  :  les  nomades  de  la  Libye  », 
dit  Etienne  de  Byzance  en  le  citant'.  Vers  le  même  temps,  au 
début  du  V  siècle,  l'inscription  funéraire  de  Darius  mentionne, 
à  la  fin  de  l'énumération  des  peuples  qui  ont  été  tributaires  du 
srand  roi,  les  Makiia  (ou  Massiiu)  et  les  Karka\  qu'il  convient 
peut-être  de  chercher  dans  l'Afrique  du  Nord.  Oppert  et 
d'autres  savants  '  ont  voulu  reconnaître  ici  les  indigènes  de 
cette  contrée  et  les  Carthaginois,  et  ils  ont  rapproche,  à  tort 
ou  à  raison,  les  Makiia  des  Mazyes,  Maxyes,  Maztces. 

Le  terme  qui  subsiste  encore  sous  la  forme  Amaztgh,  Ima- 
zighen,  semble  donc  avoir  désigné,  depuis  très  longtemps, 
une  partie  importante    des  populations  de  l'Afrique   septen- 

trionale.  i  f  <. 

Avant  d'être  un  nom  propre  de  tribus,  de  personnes,  il  fut 
peut-être  un  mot  de  la  langue  usuelle,  un  adjectif.  Au  xvf  siècle, 
Léon  l'Africain  ^  affirme  que  tous  les  Berbères  ont  une  seule 
langue,   appelée  par  eux  tous  aqnel  amazig,  ce  qui    signifie, 
aioute-t-il,    la   langue   noble.    On  a  fait  observer^   que   c  est 
là  un  contresens  et  qu'il  s'agit,  non  de  langue,  mais  de  peuple, 
Ae/ étant  un  collectif  qui  signifie  c<  gens  de...  »  dans  certains  dia- 
lectes   Il   faudrait  traduire  «  le  peuple  noble  ».  D'autre   part, 
desérudits  croient  qu'ama.^•^/t  a  d'abord  eu  le  sens  de  ce  libre  »  ^ 
Il  y  aurait  lieu  de  rapprocher  le  nom  que  nous  étudions,  soit 
de  celui  des  Aryas%  mot  qui  signifie  «  les  Nobles  »,  soit  de 
celui  des  Francs,  «  les  Libres  ». 

2    wTs'sbach 'd"  Lunscnr^ften  éer  AcMmeniéen,  p.  89  (conf  ,.  09). 
3"  PouMes  références,  voir  t.  I,  p.  418,  n.  6.  Sur  celle  quesUon,  .ouf.  Pra..  k. 
Geschichte  der  Meder  und  Penser,  II,  p.  73-74. 

^TZ'èrs!^Di!'p^^nuier,  II,  2,  p.  395.  Carette.  RecUerCes  sur  L'origine  des  iril>as, 
^■7^  Conquérants  du  plateau  iranien  et  d'une  partie  de  l'Inde. 


120  ORGANISATION  SOCIALE  ET   POLITIQUE. 

Comment  s'explique  l'extension  de  ce  nom  à  de  nombreux 
groupes  de  Berbères?  Un  peuple  conquérant' aurait-il^  à  iane 
époque  inconnue,  dominé  sur  une  bonne  partie  de  1  Afrique  du 
Nord,  en  y  répandant  la  langue  libyque  et  en  se  distinguant 
par  son  nom  de  ses  vassaux  et  sujets^?  Il  aurait  été  ensuite 
morcelé  et  dispersé  en  un  grand  nombre  de  tribus.  Mais  on 
pourrait  faire  d'autres  hypothèses,  qu'il  n'est  même  pas  utile 
de  présenter  ici,  car  on  n'aurait  aucun  argument  solide  pour 
les  soutenir. 


1.  On  pourrait  se  demander  si  ce  n'étaient  pas  des  conquérants  d'origine 
étrangère.  Selon  Hérodote  (IV,  191),  les  Maxyes  «  disent  qu'ils  ont  pour  ancêtres 
des  Troyens  ».  Mais  cette  assertion  n'a  sans  doute  aucune  valeur  :  voir  Gsell, 
Hérodote,  p.  119-120,  et  ici,  t.  I,  p.  346. 

2.  Il  y  a  encore  chez  les  Touareg  des  tribus  nobles  et  des  tribus  vassales  : 
voir,  entre  autres,  Duveyrier,  Les  Touareg  du  Nord,  p.  329. 


CHAPITRE    III 
LES  ROIS  ET  LEURS   SUJETS 


Dans  les  États  qui  se  formèrent  en  Berbérie  avant  la  conquête 
romaine,  la  royauté  était  surtout  un  commandement  guerrier. 
Il  convenait  qu'elle  fût  exercée  par  des  hommes.  Nous  ne  voyons 
pas  que  les  femmes  y  aient  été  admises*,  à  l'exception  de 
Cléopâtre  Séléné,  qui,  aux  environs  de  notre  ère,  fut  très 
probablement  associée  à  son  mari  Juba  II,  l'avant-dernier  roi 
de  Maurétanie'.  Mais  c'était  une  étrangère,  fille  d'une  Egyp- 
tienne et  d'un  Romain,  et,  si  l'hypothèse  d'un  partage  de  la 
royauté  entre  elle  et  Juba  est  fondée,  ce  partage  fut  imposé  par 
la  volonté  de  l'empereur  Auguste.  Aux  temps  oîi  les  Etats 
indigènes  jouissaient  de  leur  indépendance,  l'autorité  royale 
paraît  avoir  été  réservée  à  des  mâles. 

Elle  était  héréditaire.  Mais  ce  principe  ne  fut  pas  appliqué 
d'une  manière  uniforme  :  on  constate  divers  modes  de  trans- 
mission. 

Chez  les  Massyles,  au  m"  siècle  avant  J.-C,  la  royauté  était  la 
propriété  d'une  famille,  dans  le  sens  large  dé  ce  terme,  c'est-à- 
dire  d'un  ensemble  d'agnats  remontant  par  les  mâles  à  un 
ancêtre  commun.  Il  s'agissait  d'un  ancêtre  réel,  fondateur  histo- 

1.  Conf.  supra,  p.  40. 

2.  Voir  t.  VIII,  1.  Il,  ch.ii,  §11. 


122  ORGANISATION  SOCIALE   ET  POLITIQUE. 

rique  de  la  dynastie.  Ce  fut  sans  doute  plus  tard  que  le  désir 
de  rehausser  le  prestige  de  la  famille  royale  fitéclore  des  généa- 
logies mythiques,  lui  attribuant  une  lointaine  origine  divine  ^ 
Divine  ou  simplement  humaine,  elle  formait  dans  la  nation  un 
groupe  privilégié;  ses  membres  avaient  droit  à  des  honneurs 
spéciaux^. 

Dans  cette  famille,  le  chef  était  le  plus  âgé  des  mâles  vivants, 
issus  de  mariages  légitimes.  A  lui  appartenait  la  royauté ^  A  sa 
mort,  elle  passait  à  celui  qui  devenait  l'aîné  du  groupe  d'agnats. 
Telle  fut  la  règle  suivie  lors  de  la  mort  de  Gaïa\  vers  207  :  il 
eut  pour  successeur,  non  pas  son  fils  Masinissa,  alors  âgé 
d'une  trentaine  d'années,  mais  son  frère  Œzalcès,  déjà  vieux. 
Œzalcès  étant  mort  bientôt  après,  son  fils  aîné,  Capussa,  lui 
succéda  :  il  devait  être  plus  âgé  que  Masinissa,  car  rien 
n'indique  que  celui-ci  ait  eu  alors  à  faire  valoir  des  droits  légi- 
times ^ 

Cet  ordre  de  succession  n'était  pas  propre  aux  Massyles.  Il 
fut  usité  chez  d'autres  peuples:  par  exemple,  à  la  même  époque, 
dans  la  péninsule  ibérique^;  plus  tard,  nous  le  retrouverons  en 
Afrique  chez  les  Vandales';  il  existe  encore  dans  le  beylicat  de 
Tunis*,  où  il  a  été  emprunté  aux  Turcs.  On  peut  supposer  qu'à 
l'origine,  la  même  règle,  application  du  droit  commun  des 
familles  agnatiques  '',  était  en  vigueur  dans  les  autres  royaumes 
indigènes,  chez  les  Masa-syles  et  les  Maures. 

1.  Voir  t.  VI,  1.  II,  ch.  ii,  §  V  (Hercule,  ancêtre  des  rois  indigènes). 

2.  Tite-  Live,  XXIX,  30,  11  :  honneurs  dont  jouissent  Œzalcès  sous  le  règne  de 
son  frère  Gaïa,  Lacurnazès  sous  son  cousin  Masinissa. 

3.  A  moins,  sans  doute,  d'incapacité  absolue  (folie,  etc.). 

4.  On  ignore  comment  le  pouvoir  royal  se  transmit  avant  Gaïa.  Le  père  de 
celui-ci,  Zilalsan,  ne  régna  pas;  il  est  simplement  qualifié  de  sufète  dans  une 
inscription  bilingue  de  Dougga  :  Chabot,  Punica,  p.  210. 

5.  Pour  tout  cela,  voir  Tile-Live,  XXIX,  29,  6-8  (d'après  Polybc);  conf.  ici,  t.  III, 
p.  18«-190. 

(1.  Voir  Tilo-Live,  XXVIII,  21,  7. 

7.  l'rocope,  Kdl.   Vand.,  I,  17,  29. 

8.  La  règle  y  est  exactement  celle-ci  :  la  succession  appartient  à  l'atné  des 
enfanta  du  bey  qui  a  le  jjIus  anciennement  régné. 

9.  V.  supra,  p.  56. 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  123 

Elle  ne  fut  pas  maintenue.  D'une  part,  elle  exposait  l'État  à 
tomber  entre  les  mains  de  vieillards,  dépourvus  des  forces 
physiques  et  intellectuelles  nécessaires  à  l'accomplissement  de 
leurs  fonctions  :  ce  qui  pouvait  inciter  des  princes  jeunes  et 
ambitieux  à  s'emparer  par  la  violence  d'une  dignité  à  laquelle 
ils  n'avaient  pas  droit.  D'autre  part,  il  était  naturel  que  les  rois 
désirassent  laisser  leur  succession,  non  pas  à  des  parents  plus  ou 
moins  éloignés,  mais  à  leurs  propres  enfants,  ou,  faute  de  fils,  à 
un  frère.  Dès  une  époque  antérieure  au  règne  de  Gaïa,  il  y  avait 
eu  des  compétitions  dans  la  famille  royale  des  Massyles,  divisée 
en  deux  branches  ennemies  K  Quand  Capussa  périt,  après  un 
règne  très  court,  ce  fut  son  frère,  encore  enfant,  Lacumazès,  qui 
fut  proclamé  roi,  par  la  volonté  d'un  autre  prince,  appartenant 
à  la  branche  riva-le  de  celle  de  Gaïa.  Masinissa,  plus  âgé 
que  Lacumazès,  dut  faire  triompher  ses  droits  par  les  armes  ^ 

Il  mourut  nonagénaire,  en  148.  Il  n'est  guère  probable  qu'il 
restât  alors  en  Numidie  des  membres  de  sa  famille,  qui,  plus 
âgés  que  ses  enfants,  auraient  eu,  selon  la  règle  ancienne,  des 
droits  à  la  royauté.  Ce  furent  ses  fils  légitimes,  Micipsa, 
Gulussa  et  Mastanabal,  qui  lui  succédèrent,  les  fils  de  concu- 
bines étant  exclus.  Masinissa  avait-il  souhaité  que  son  héritage 
fût  réservé  à  l'aîné  seul,  Micipsa,  ou  bien  attribué  aux  trois 
frères?  Avant  de  mourir,  il  avait  chargé  Scipion  Émilien  de 
régler  sa  succession.  Nous  ignorons  si  le  Romain  le  fit  confor- 
mément aux  désirs  du  défunt,  à  supposer  qu'il  les  ait  connus. 
En  tout  cas,  il  décida  qu'il  y  aurait  trois  souverains,  entre 
lesquels  le  royaume  demeurerait  indivis,  mais  qu'ils  se  parta- 
gei'aient  les  attributions  royales,  administration,  guerre,  justice  '\ 
Nous  n'avons  aucune  raison  de  croire  que  Scipion  se  soit 
inspiré  de  précédents  qu'il  aurait  trouvés   dans  l'histoire  des 

!.  TiU'-Live,  XXIX.  20,  8  (passage  cite  p.  75,  n.  1). 

2.  Ibid.,  XXIX,  2y,  11  et  suiv.;  ronf.  ici,  t.  111,  p.  190-1. 

3.  Appieii,Li6.,  lUG.  Cuuf.  t.  111,  p.  363-5. 


124  ORGANISATION  SOCIALE   ET   POLITIQUE. 

Massyles;  nous  voyons  fort  bien,  au  contraire,  que  Rome  avait 
intérêt  à  morceler  le  pouvoir  suprême  dans  le  vaste  Etat  fondé 
par  Masinissa.  Du  reste,  Micipsa,  ayant  longtemps  survécu  à 
ses  deux  frères,  devint  seul  maître  du  royaume. 

Il  le  laissa  par  son  testament  à  Adherbal  et  à  Hiempsal,  ses 
deuxfds,  età  Jugurtha,son  fils  adoptif*;  faute  de  cette  adoption, 
Jugurtha  n'aurait  eu  aucun  droit,  car,  s'il  était  né  de  Masta- 
nabal,  sa  mère  avait  été,  non  une  épouse,  mais  une  concubine  -. 
Outre  ces  trois  princes,  nous  connaissons  deux  autres  membres 
de  la  famille  royale,  Massiva,  fils  de  Gulussa%  et  Gauda,  fils 
de  Mastanabal *,  qui  étaient  sans  doute  de  naissance  légitime^ 
et,  par  conséquent,  qualifiés  pour  accéder  au  trône".  On  ne  sait 
s'ils  étaient  plus  âgés  que  les  fils  de  Micipsa  et  si,  à  la  mort  de 
celui-ci,  ils  auraient  eu  des  droits  à  lui  succéder,  conformément  à 
la  règle  en  usage  chez  les  Massyles  à  la  fin  du  m"  siècle.  Gauda 
fut    désigné   par  Micipsa   comme   héritier  en  seconde  ligne  '. 

De  quelle  manière  Micipsa  voulait-il  que  l'autorité  royale  fût 
exercée  par  ses  trois  successeurs?  Est-ce  comme  elle  l'avait  été 
par  lui-même  et  ses  deux  frères,  après  la  mort  de  son  père? 
Nous  n'avons  pas  de  données  précises  à  cet  égard  ^  Adherbal, 
Hiempsal  et  Jugurtha  décidèrent  un  partage  territorial,  qui,  en 
réalité,  lit  de  la  Numidie  trois  royaumes  distincts.  S'il  eût  été 
conforme  à  la  volouté  de  Micipsa,  il  fut  entré  en  vigueur  sans 
qu'un  accord  entre  ses  héritiers  fût  nécessaire. 


1.  Conf.  supra,  p.  52. 

2.  Salluste,  Jug.,  V,  7. 

3.  Ibid.,  X.XXV. 

4.  Ibid.,  LXV. 

J5.  Puisque  Massiva  revendiqua  la  royautr  et  que  Gauda  l'oblint. 

0.  Il  n'en  était  pas  de  inônio  d'un  autre  descendant  de  Masinissa,  Dabar, 
mentionné  par  Salluste  {Juy.,  GVllI,  1),  car  son  père  Massiif^rada  était  né  d'une 
concubine. 

7.  Salluste,  Juij.,  LXV,  I  :  ••  ...  (juetn  Micipsa  lostatnenlo  secundum  ticredein 
scripscrut.  • 

5.  Dans  le  di.scours  que  Salluste  attribue  à  Micipsa  mourant,  celui-ci  recom- 
mande à  ses  trois  bériliers  de  réjrner  en  plein  accord,  c'est-à-dire,  évidemment, 
dans  un  royaume  cjui  {gardera  son  unité  (Juy.,  X,  3-8). 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  125 

Après  l'assassinat  d'Hiempsal  et  une  guerre  entre  Jugurtha 
et  Adherbal,  la  République  romaine  fixa  la  part  territoriale  des 
deux  survivants.  Puis  Jugurtha  se  rendit  maître,  de  toute  la 
Numidie.  Fait  prisonnier,  il  fut  mis  à  mort  en  Italie,  et  ses  fils 
furent  exclus  de  la  succession'.  Rome  donna  le  royaume  à 
Gauda,  qui,  en  vertu  du  testament  de  Micipsa,  en  était  le  légi- 
time héritier,  et  qui  le  laissa  à  son  fils  HiempsaP.  Il  se  peut, 
cependant,  que  la  Numidie  ait  été  alors  partagée,  dans  des 
conditions  qui  restent  fort  obscures  ^  Le  successeur  d'Hiempsal 
fut  son  fils  Juba;  on  ne  sait  si  ce  dernier  avait  des  frères,  qui 
n'auraient  pas  été  appelés  à  bénéficier  d'un  partage. 

Chez  les  Masaesyles,  Syphax  régnait  au  temps  de  la  seconde 
guerre  punique;  ses  origines  ne  nous  sont  pas  connues.  Il  n'est 
pas  inadmissible  qu'il  se  soit  associé  son  fils  Vermina^,  lequel 
lui  aurait  succédé  dans  un  royaume  fort  amoindri  ^ 

En  206,  Baga  détenait  la  souveraineté  chez  les  Maures  ^  De 
même,  Bocchus,  à  la  fin  du  ii^  siècle  et  au  commencement  du  i". 
On   ignore  s'ils   appartenaient  à  la  même  famille.   On  ignore 

1.  Jugurtha  avait  un  certain  nombre  de  fiis,  dont  les  uns  étaient  enfants,  les 
autres  au  moins  adolescents  lors  de  la  guerre  qu'il  soutint  contre  les  Romains 
Salluste,  Jufir.,  XXVIII,  1  ;  XLVI,  1;  XLVII,  3;  LXII,  1;  LXXV,  1;  LXXVI,  1.  Deux 
d'entre  eux  figurèrent  avec  leur  père  au  triomphe  de  Marins  :  Tite-Live,  Epil.  l. 
LXVII;  Eutrope,  IV,  27,  6;  Paul  Orose,  Adv.  pagan.,  V.  15,  19.  Un  fils  de  Jugurtha 
vivait  en  Italie  quinze  ans  plus  tard  :  .\ppien,  Bell,  civ.,  I,  42. 

2.  Un  Adherbal,  «  fllius  régis  Numidarum  »,  était  otage  à  Rome  au  début  du 
I"  siècle  {De  viris  illustr.,  66).  Peut-être  était-ce  un  fils  de  Gauda.  Nous  n'avons 
aucune  preuve  qu'il  ait  régné. 

3.  Voir  t.  VII,  1.  II,  ch.  vi,  §  VI. 

4.  Voir  t.  III,  p.  283-4,  pour  les  monnaies  qui  portent  la  légende  «  Verminad 
roi  »,  en  punique,  et  qui  ressemblent  à  des  monnaies  de  Syphax.  Je  croirai 
volontiers  que  ces  monnaies  ont  été  frappées  sous  le  règne  de  Syphax,  et  non 
plus  tard.  Vermina  y  apparaît  tout  jeune,  dépourvu  de  barbe,  sans  doute  parce 
qu'il  n'en  avait  pas  encore,  car,  en  ce  temps,  les  Numides  ne  se  rasaient  pas. 
Or,  deux  ans  avant  la  chute  de  Syphax,  Vermina  était  assez  âgé  pour  exercer 
un  commandement  militaire  :  Tite-Live,  XXL\,  33,  1.  Syphax  avait  un  autre 
Uls  (Appien,  Lib.,  26;  conf.  ici,  t.  III,  p.  237,  n.  1  ;  p.  283  et  284),  qui  fut  fait 
prisonnier  avec  lui,  sur  un  champ  de  bataille.  .Mais  on  n'a  aucun  motif  de 
supposer  qu'il  se  le  fut  associé. 

5.  T.  III,  p.  282-5.  Pour  un  prétendu  petit-tlls  de  Syphax,  qui  aurait  régné 
quelque  part  en  Afrique  au  milieu  du  ii"  siècle,  voir  t.  III,  p.  305;  t.  V,  p.  101. 

6.  Tite-Live,  XXIX,  30,  1. 

CiSELL.  —  Afrique  du  .Nord.  V.  9 


126  ORGANISATION   SOCIALE  ET   POLITIQUE. 

également  si,  de  son  vivant,  Bocchus  s'associa  son  fils  Bogud 
et  si  ce  dernier  lui  succéda.  Au  milieu  du  i"  siècle,  il  y  avait 
deux  rovaumes  maures  distincts,  séparés  par  la  Mulucha  :  à 
l'Est,  celui  de  Bocchus;  à  l'Ouest,  celui  de  Bogud.  Ces  princes 
appartenaient  probablement  à  la  famille  de  l'autre  Bocchus  et 
de  l'autre  Bogud,  mais  nous  ne  pouvons  pas  affirmer  que  la 
Maurétanie  ait  été  partagée,  comme  un  héritage,  entre  deux 
frères  :  nous  ne  savons  rien  sur  la  cause,  ni  sur  la  date  de  cette 
division'. 

C'est  Auguste  qui  fit  du  fils  de  Juba  I"  un  souverain  de  la 
^Maurétanie.  Juba  II  s'associa  Ptolémée^,  qui  régna  seul  après 
la  mort  de  son  père  et  n'eut  pas  de  successeur,  le  royaume 
ayant  été  annexé  par  Borne. 

Tels  sont  les  maigres  renseignements  que  nous  possédons  sur 
la  transmission  du  pouvoir  royal  dans  les  Etats  indigènes.. 
Aucun  texte  n'indique  une  participation  légale  des  sujets  à  la 
désignation  de  leurs  maîtres.  En  laissant  de  côté  les  interven- 
tions romaines,  nous  constatons  que  la  royauté  appartient 
d'abord  à  un  groupe  d'agnats  et  est  exercée  par  le  membre  le 
plus  âgé  du  groupe.  Puis  les  souverains  la  laissent,  comme 
une  propriété  personnelle,  à  leurs  fils  légitimes,  aux  droits 
desquels  les  droits  des  autres  parents  sont  subordonnés.  Tantôt 
plusieurs  de  ces  fils  se  partagent,  soit  les  fonctions,  soit  le 
territoire.  Tantôt  un  seul  fils  hérite;  mais  les  textes  ne  nous 
permettent  pas  de  dire  si  c'est  parce  qu'il  est  l'ainé,  ou  parce 
qu'il  est  lils  unique.  Parfois,  un  roi  s'associe  son  fils  et  fuit  de 
lui,  sinon  son  égal,  du  moins  son  collègue,  sans  doute  autant 
pour  lui  apprendre  le  métier  royal  que  pour  habituer  les  sujets 
ù,  lui  obéir  :  la  vacance  du  pouvoir  est  ainsi  supprimée,  avec  les 
risques  de  troubles  qu'elle  entraîne. 

1.  Voir  t.  VII,  1.   Il,  cil.  V,  S  I. 

2.  Voir  t.  Vlll,  I.  11,  ch.  iv,  S  1- 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  127 


II 


Les  rois  portent  dans  la  langue  libyque  le  titre  de  guellid^, 
ou  aguellid^  qui  s'est  maintenu  dans  les  dialectes  berbères,  et 
que  l'historien  arabe  Ibn  Khaldoun  ^  dit  être  équivalent  au 
terme  sultan;  du  reste,  ce  titre  était  aussi  donné  à  des  chefs 
d'un  rang  moins  élevé  \  En  punique,  roi  se  disait  melek,  mais, 
sur  les  monnaies^  et  sur  les  inscriptions  %  on  emploie,  à  la  suite 
du  nom  du  souverain,  le  terme  abstrait  mamleket^  «  royauté  », 
ou  plutôt  «  personne  royale  «'^  :  il  y  a  là  un  emprunt  à  la 
Phénicie '.  En  grec  et  en  latin,  ce  sont  naturellement  les  mots 
[iacr',A£'j;  et  rex  qui  servent  à  désigner  les  rois  et  dont  ils  font 
eux-mêmes  usage ^;  regulus,  qui  marque  une  nuance  de  dédain, 
et  ojvy.TT/,;  se  trouvent  chez  quelques  auteurs''. 

Les  rois,  du  moins  depuis  Syphax  et  Masinissa,  se  ceignent 
du  diadème  '",  étroit  bandeau  d'étoffe  qu'ils  ont  emprunté  aux 
successeurs  d'Alexandre,  et  qu'Alexandre  lui-même  avait  adopté 

1.  Inscription  bilingue  de  Dougga  (Chabot,  Panica,  p.  210),  où  ce  mot  est 
représenté  par  le  groupe  de  lettres  libyques  GLD,  ou  bien  GLDT,  qui  est  une 
forme  abstraite  (Cbabot,  l.  c,  p.  213). 

2.  Hist.  des  Berbères,  trad.  de  Slane,  II,  p.  270. 

3.  Voir  cette  même  inscription  bilingue  de  Dougga.  Conf.  supra,  p.  72. 

4.  Monnaies  de  Syphax,  Termina,  Masinissa,  MastanesosusC?),  Juba  I",  Bocchus  : 
HMMLKT  (nom  précède  de  l'article).  Voir  L.  Muller,  Numism.  de  tancienne  Afrique, 
III,  p.  8  et  suiv.;  Supplément,  p.  60  et  73;  Babelou,  Mélanges  numismaliques, 
I  (1892),  p.  119;  le  môme,  dans  Bull,  archéol.  du  Comité,  1891,  p.  253. 

5.  Inscription  bilingue  de  Dougga,  /.  c.  Inscription  néopunique  de  Cherchel 
{Rev.  d'assyrioL,  IL,  p.  36)  :  MMLK'T,  titre  appliqué  à  Micipsa. 

6.  ConL  en  latin  l'emploi",  d'abord  abstrait,  puis  concret,  du  mot  magislratus  : 
Lidzbarski,  AUsemiliscke  Texte,  1,  p.  13. 

7.  C.  I.S.,  I,  nM,  1.  11;  n"  3,  1.  4,  6,10,  20.22. 

8.  Monnaies  à  légende  latine  de  Juba  1",  Bogud,  Juba  II,  Plolémée.  Monnaies 
à  légende  grecque  de  Juba  II  :  Millier,  A'iimism..  III,  p.  107,  n°  75;  Suppl.,  p.  74. 
n"  102  a.  Le  mol  rex  peut  aussi  désigner  un  prince  royal,  non  associé  au  pouvoir 
suprême;  Plolémée,  fils  de  Juba  II,  fut  qualilié  ainsi  étant  encore  fort  jeune  : 
voir  t.  VIII,  1.  II,  ch.  iv,  §  1.  Pour  le  titre  paaiXe-j;  ou  rex  donné  à  des  chefs  de 
tribus  ou  de  peuplades,  v.  supra,  p.  71-72. 

9.  Supra,  p.  71,  n.  G,  et  p.  72,  n.  1. 

10.  Monnaies  de  Sypha.x,  Vcrmina,  Masinissa,  Juba  1",  Juba  II,  Ptolémée.  Tôles 
en  marbre  représentant  ces  deux  derniers  rois,  peut-être  aussi  Juba  I". 


i-28  •  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

à  l'imitation  des  rois  de  Perse.  Plusieurs  d'entre  eux,  Masinissa  ', 
Juba  II-,  rappellent  leurs  victoires  en  ornant  leur  tête,  sur 
certaines  de  leurs  monnaies,  d'une  couronne  laurée^  Car  les 
souverains  africains  imitent  les  rois  hellénistiques  en  mettant 
leur  effigie  sur  les  monnaies  qu'ils  font  frapper*.  Le  sceptre  est  un 
de  leurs  attributs  ^  Ils  portent  un  vêtement  de  pourpre,  quand 
ils  veulent  paraître  avec  la  pompe  qui  convient  à  leur  dignité®. 
Ils  sont  très  attentifs  aux  règles  de  l'étiquette,  à  ce  que 
Salluste  appelle  le  decus  regium'' .  Les  rois  de  Numidie  ne  con- 
sentent à  embrasser  aucun  de  leurs  sujets  ^  Hiempsal,  désireux 

1.  Bail,  archéol.  du  Comité,  1891,  p.  253.  Miiller,  Numism.,  III,  p.  17-19,  n°'  19-35 
(ce  sont  des  monnaies  de  Masinissa). 

2.  Miiller,  III,  p.  107,  n°^  72  et  suiv.  (sur  quelques  monnaies  de  bronze).  La  tète 
de  Ptolémée,  flls  de  Juba  II,  est  parfois  aussi  laurée,  sur  des  monnaies  de  bronze  : 
ibid.,  p.  130,  n»^  197-8. 

3.  Des  monnaies  d'argent,  qu'on  a  rapportées  à  Hiempsal  II,  représentent  une 
tète  d'homme  imberbe,  couronnée  d'épis  :  Miiller,  111,  p.  38,  n°=  45-47.  Mais  je 
doute  fort  que  ce  soit  une  effigie  du  roi  :  v.  infra,  p.  159,  n.  5. 

4.  Depuis  Syphax  et  Masinissa,  chez  les  Numides  (l'effigie  de  Masinissa  figure 
aussi  sur  les  monnaies  frappées  par  ses  successeurs).  On  n'a  aucune  effigie 
certaine  des  rois  de  Maurétanie  avant  Juba  II. 

5.  Monnaie  de  Masinissa  :  Miiller,  111,  p.  17,  n»  19.  Mûller  (p.  26)  fait  observer 
que  Masinissa  avait  reçu  de  Scipion  r.\fricain  un  sceptre  d'ivoire  et  une  couronne 
d'or  :  Tite-Live,  XXX,  15,  11.  Mais  cette  indication  est  fort  suspecte  et  le  sceptre 
figuré  sur  la  monnaie  est  très  probablement  une  imitation  de  celui  des  souve- 
rains d'Égvpte  :  conf.  Sorlin-Dorigny,  dans  Diclionn.  des  antiquités, 'lY,  p.  1  118. 
—  Monnaies  de  Juba  1"  :  Miiller,  III,  p.  42,  n"'  50.  51,  53;  de  Juba  II  :  ibid,, 
p.  103,  n»"  23-25;  p.  107,  n°  71;  Dieudonné,  dans  Hev.  numism.,  1908,  p.  352-4, 
n"»  H,  12,  17-20,  27;  de  Ptolémée  :  Miiller,  III,  p.  127,  n"'  132-143.  Mais  le  sceptre 
figuré  sur  d'autres  monnaies  de  Juba  11  et  de  Ptolémée  était  un  don  du  peuple 
romain  :  ibid.,  p.  106,  n"  70;  p.  129,  n"'  185-195. 

C.  Au  début  du  i"'  siècle  avant  J.-C,  pendant  la  guerre  sociale,  un  chef  des 
Italiens,  voulant  provoquer  la  défection  de  Numides  qui  servaient  dans  l'armée 
romaine,  leur  montra  un  fils  de  Jugurtha,  qu'il  avait  revêtu  de  la  pourpre 
royale  :  Appien,  liell.  civ.,  I,  42.  Juba  I^'  invita  Scipion,  général  des  Pompéiens,  à 
renoncer  à  son  manteau  de  pourpre  :  il  ne  convenait  pas,  disait-il,  que  ce 
vêtement  fiit  porté  par  un  autre  que  lui-même  :  Bell.  Afric.,  LVII,  5.  Manteau 
de  pourpre  du  roi  Ptolémée  :  Suétone,  Caligula,  35.  —  Les  souverains  indigènes 
ont  pu  emprunter  ce  vêtement  de  pourpre  aux  généraux  carthaginois  (conf.  t.  II, 
p.  4j1,  n.  3).  Noter  aussi  que  des  toges,  tuniques  et  manteaux  de  pourpre 
faisaient  partie  des  présents  oITerts  par  le  peuple  romain  aux  rois  alliés  :  à 
Syphax,  selon  un  récit  peu  sûr  do  Tite-Live  (X.Wll,  4,  8),  à  Masinissa  (Tite-Live, 
XXX,  15,  11;  X\yi,  17,  13;  XXXI,  11,  12;  Appien,  Lib.,  32  :  indications  également 
suspectes). 

7.  Jug.,  XX.XIII,  1;  LXXIl,  2. 

8.  Valère-.Maxime,  II,  G,  17. 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  129 

d'offenser  Jiigurtha,  va  s'asseoir  à  la  droite  d'Adherbal,  pour 
que  leur  frère  adoptif  ne  puisse  prendre  la  place  du  milieu, 
regardée  par  les  Numides  comme  la  plus  honorable'.  Gauda 
ressent  vivement  l'affront  que  lui  fait  le  général  romain  Métellus 
en  ne  lui  permettant  pas  de  siéger  à  son  côté'^  Juba  P'",  devant 
s'asseoir  auprès  de  Vwiperator  Scipion  et  de  Caton,  s'empare 
de  la  place  d'honneur,  entre  les  deux  Romains,  et  Caton  doit 
lui  donner  une  leçon  en  se  transportant,  avec  son  siège,  à  la 
droite  de  Scipion  ^ 

Ces  rois  habitent  des  palais  dans  leurs  capitales*  et,  par  goût 
ou  par  devoir,  ils  y  vivent  avec  luxe  ^  Ils  ont  une  cour,  une 
domesticité  nombreuse  %  et  aussi  un  harem  bien  garni  ^  Ils  se 
font  construire  des  sépultures  colossales  ^  Après  leur  mort,  et 
déjà  peut-être  pendant  leur  vie,  ils  reçoivent  des  honneurs 
divins  ^ 

III 

Le  souverain  prétend  exercer  un  pouvoir  absolu'".  Mais 
son  autorité  est  fort  loin  de  ressembler  au  despotisme  des 
monarques  d'Egypte,  servi  par  une  administration  qui  pénètre 
partout.  Son  royaume  est  une  vaste  mosaïque  dégroupes  sociaux 
et  politiques,  gardant  leur  organisation  propre  et  leur  autonomie. 

Ce  sont  ces  familles  d'agnats,  ces  villages  de  sédentaires, 
ces   associations   de   nomades,    ces  tribus,   ces  peuplades,    où 

1.  Sallusle,  Jag.,  XI,  3. 

2.  Ibid.,  LXV,  2.  Dion  Cassius,  fragin.  87,  4,  édit.  Mélber. 

3.  Plutarque,  Caton  le  Jeune,  57. 

4.  T.  VI,  1.  I,  ch.  III,  §  II. 

5.  Voir,  p.  ex.,  t.  III,  p.  303,  pour  Masinissa,  si  simple  en  campagne. 

6.  Esclaves  royaux  qui  accompagnent  un  lils  de  Masinissa,  envoyé  en  ambas- 
sade à  Rome  :  Tite-Live,  XLV,  14. 

7.  V.  supni,  p.  4.")-46. 

8.  T.  VI,  1.  II,  ch.  IV.  §  m. 

9.  Ibid.,  ch.  II,  §  M. 

10.  En  particulier  Masinissa.  On  nous  montre  Hannibal  faisant  aux  Numides  un 
épouvantai!  de  l'amour  immodéré  de  ce  prince  pour  le  pouvoir  :  Polvbe  XV  3  5- 
Tite-Live,  XXX,  33,  10.  ..... 


430  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

chaque  groupe  ne  s'attache''à  un  groupe  plus  large  qu'en 
sacrifiant  le  moins  possible  son  indépendance.  Le  roi  n'a  donc 
pas  à  s'immiscer  dans  leur  vie  intérieure,  ni  à  substituer  des 
fonctionnaires  à  leurs  chefs.  Que  ceux-ci  se  fassent  obéir,  qu'ils 
profitent  de  leur  autorité  comme  ils  l'entendent,  et  surtout 
comme  ils  le  peuvent,  cela  n'est  pas  son  affaire;  ou,  du  moins, 
cela  ne  le  regarde  que  dans  la  mesure  où  ses  intérêts  essentiels 
sont  en  jeu.  Ces  chefs  appartiennent  aux  groupes  à  la  tête 
desquels  ils  sont  placés.  Il  y  a  lieu  de  croire  que  le  roi  n'inter- 
vient pas  dans  le  choix  des  moins  importants.  Quant  aux 
princes  qui  commandent  à  des  tribus,  à  des  peuplades,  beau- 
coup doivent  se  transmettre  le  pouvoir  comme  un  bien  familial 
héréditaire.  Le  souverain  s'est-il  attribué  un  droit  formel 
d'investiture?  L'hypothèse  est  admissible,  quoique  tout  ren- 
seignement nous  manque  à  cet  égard. 

Ce  sont  encore  des  cités,  qui  s'administrent  elles-mêmes. 

Les  unes,  éparses  sur  le  littoral,  avaient  été,  pour  la  plupart, 
des  colonies  phéniciennes  ou  carthaginoises.  Tombées  au  pou- 
voir des  rois  numides  et  maures  *,  elles  conservèrent  leurs 
institutions  municipales  ^  :  très  probablement  des  magistrats 
-appelés  sufètes,  un  sénat,  une  assemblée  des  citoyens  ^  Plu- 
sieurs d'entre  elles  obtinrent  un  droit  que  Carthage  leur  avait 
refusé,  celui  d'émettre,  pour  les  besoins  du  commerce  local, 
des  pièces  de  bronze,  avec  leur  nom  écrit  en  punique  *  :  mon- 

1.  A  diverses  épo(|ues  :  conf.  t.  Il,  p.  180;  t.  111,  p.  314  et  suiv. 

2.  Pour  ces  iaslituUoDS,  voir  t.  II,  p.  290  et  suiv. 

.3.  Sallusle  dit  (Juçj.,  LXXVIIl,  4)  que  Leptis  [Leptis  la  Grande,  entre  les  deux 
Syrtes]  avait  gardé,  en  général,  les  lois  el  les  coutumes  des  Sidonieus.  Il  y 
rnontionne  des  magistrats  au  temps  de  Jugurtha  (LXXVII,  1  :  «  imperia  magis- 
traluum  »).  Il  y  avait  encore  des  sufètes  dans  cette  ville  vers  le  début  de 
l'Empire  :  C.  /.  L.,  VIII,  7. 

4.  En  laissant  de  côté  des  attributions  très  contestables,  on  a  dos  monnaies  de 
bronze,  à  légendes  puniques  ou  néopuniques,  des  villes  maritimes  suivantes 
(voir  Mijllor,  Pfuinism.,  t.  II  et  III,  pafsim)  :  Leptis  la  Grande  (dont  les  monnaies 
sont  probablement  toutes  postérieures  à  l'époque  où  Leptis  se  détacha  du 
royaume  de  Numidie,  en  IH  avant  J.-C).  (tl'3a,  Sabratha,  ThiTna»,  dans  la  région 
de«  Syrtes;  —  Tbabraca  et  Tnniza  (monnaies  qui  seraient  communes  à  ces  deux 
villes);  —  Ilippone  (?)  et  Tliapsus  (aujourd'hui  Philippiville),  [)lutôt  que  Tipasa, 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  131 

Tiayage  qui  atteste  leur  autonomie.  Des  monnaies  de  Lixus  et 
de  Tingi  portent  même  l'indication  expresse  qu'elles  ont  été 
frappées  par  les  citoyens,  par  la  cité  '■  :  Lixus  était  une  très 
vieille  colonie  de  Tyr  ^;  quant  à  Tingi,  dont  les  rois  maures 
firent  leur  capitale,  il  se  peut  qu'elle  n'ait  jamais  appartenu 
aux  Phéniciens  %  mais  elle  avait  adopté  leur  langue  eb  leurs 
institutions. 

A  l'intérieur  des  terres,  des  cités,  qui  étaient  d'origine  indi- 
gène, jouissaient,  elles  aussi,  d'une  organisation  municipale. 
Quelques-unes  furent  autorisées  à  émettre  des  monnaies  de 
Lronze  :  cela  est  certain  pour  Cirta  ^  (Constantine)  et  vraisem- 
blable pour  Thagura  ^  (dans  l'Est  de  l'Algérie);  d'autres  mon- 
naies encore  paraissent  appartenir  à  des  villes  numides,  mais 
on  n'a  pas  réussi  jusqu'à  présent  à  les  classer  d'une  manière 
satisfaisante  ^  Quant  à  la  constitution  de  ces  cités,  nous  la 
connaissons  fort  mal.  A  Vaga  '   (Béja),  il  y  avait,  à  la  fin  du 

que  propose  MùUer  (monnaies  communes  aux  deux  villes);  —  Gunugu  (conf.  t.  II, 
p.  161,  n.  7);  —  Rusaddir,  Tamuda  (?  :  voir  t.  II,  p.  167),  Tingi,  ZiJi,  Lixus 
(appelée  aussi  Shemesh  :  t.  II,  p.  174),  Sala.  Aucune  de  ces  monnaies  n'est 
peut-être  antérieure  au  i"  siècle  avant  J.-C,  et  il  en  est  qui  peuvent  se  placer 
sous  la  domination  romaine,  comme  celles  des  mêmes  villes  qui  portent  des 
preuves  certaines  de  leur  frappe  au  début  de  l'Empire.  Des  monnaies  de  C.L'sarea 
(Gherchel),  avec  le  nom  de  cette  ville  en  latin,  sont,  au  plus  lût,  du  temps  de 
Juba  II  (MùUer,  III,  p.  138,  n°'  209,  210).  —  On  ne  connaît  qu'une  monnaie  muni- 
cipale d'Afrique  en  argent  (Miiller,  II,  p.  3,  n°  13);  elle  a  été  frappée  à  Leptis, 
sans  doute  à  une  époque  où  cette  ville  ne  dépendait  plus  des  rois  numides  : 
voir  t.  VII,  1.  I,  ch.  ii,  §  I.  Les  monnaies  municipales  de  bronze,  qui  ne  servaient 
guère  qu'à  la  circulation  locale  et  avaient  la  valeur  qu'il  convenait  à  chaque 
cité  de  leur'donner,  offrent  des  poids  très  variés. 

1.  Mnller,  III,  p.  155-0,  n"'  234,  230,  238,  239-241;  p.  144-5,  a"^  210-223. 

2.  T.  Il,  p.  172. 

3.  Ibid.,  p.  108-9. 

4.  Miiller,  III,  p.  00. 

5.  Millier,  Supplément,  p.  07,  n"  76  a  :  les  lettres  piiniciues  TGRN  conviennent 
bien  à  cette  attribution.  Pour  Thagura,  voir  Gsell.  Atlas  archéol.  de  VAhjéric,  i"  19 
{El  Kef),  n»  80. 

0.  Miiller  (tome  III  et  Supplément)  a  attribué  à  diverses  villes  de  Numidie  des 
monnaies  de  bronze  à  légendes  puniques  et  néopuniques  :  Bulla  Regia.  Suthul, 
Oazauphala,  Macomades,  Zarai,  etc.  Mais  ces  classcmnnls  sont,  ou  fort  contes- 
tables, ou  manifestement  erronés. 

7.  Ville  qui  appartint  à  Carlhage  jusque  vers  le  milieu  du  second  siècle  (voir 
t.  III,  p.  327).  Il  se  peut  que  sa  constitution  municipale  soit  antérieure  nu  temps 
•où  elle  tomba  au  pouvoir  des  rois  numides. 


132  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

second  siècle,  un  sénat  '  et  sans  doute  aussi  des  magistrats  "-. 
Des  textes  vagues  permettent  de  supposer  que  des  magistrats 
administraient  Girta  ^  et  Theveste  *  dès  le  m®  siècle. 
•  Que   cette  constitution   ait  pu  être  empruntée  à  celle   des 
colonies   phéniciennes    qui   s'échelonnaient    sur    les   côtes   de 
Numidie  et  de  ]\Jaurétanie,   c'est  là  une  hypothèse  fort  plau- 
sible. Des  villes  qui,  sur  leurs  monnaies,  faisaient  usage  de  la 
langue     punique,     qui,     parfois,     portaient    même     un     nom 
punique  ^,   devaient  adopter  volontiers  le   régime   municipal 
carthaginois.  Le  titre  sufète  était  passé  dans  la  langue  des  indi- 
gènes :  ce  dont  témoigne  une  inscription  bilingue  de  Dougga, 
où  il  se  lit  aussi  bien  dans  le  texte  libyque  que  dans  le  texte 
punique   ^    Il    s'y   applique    à  un    personnage    qui   vécut    au 
m®  siècle,  Zilalsan,  grand-père  du  roi  Masinissa  et  père  du  ro 
Gaïa;  il  est,  d'ailleurs,  très  douteux  qu'il  désigne  ici  un  simple 
magistrat  de  cité.  Mais  il  y  avait  des  sufètes,  magistrats  locaux, 
à  Volubilis,  au  cœur  de  la  Maurétanie  occidentale,  avant  que 
la   conquête  romaine  y  créât  un  municipe  \   Une  inscription 
punique  de   Girta  semble  aussi  mentionner  un  sufète  ^  Sous 
l'Empire,   des   inscriptions  latines   et  néopuniques   nous   font 
connaître  des  sufètes  dans  diverses  cités  de  la  Numidie  :  Thugga% 


1.  Bo-j>,T,  :  Appiea,  Nurnid.,  p.  163,  coll.  Didot. 

2.  Salluste  (Jug.,  LXVI,  2)  raconte  une  conspiration  des  principes  civitatis  contre 
les  Romains. 

3.  Tite-Live  (XXX,  12,  8)  mentionne  les  principes  Cirtensium,  à  propos  d'un 
événement  qui  se  passa  en  203. 

4.  Mention  de  ■nçiztjô-j-.içtrn,  au  milieu  du  m*  siècle  :  Diodore  de  Sicile,  XXIV, 
10,  2  (conf.  ici.  t.  III.  p.  92). 

5.  C'est  le  cas  pour  Alacomndes,  située  en  pleine  Numidie,  au  Sud-Est  de  Girta 
(u.  infra,  p.  27r)-G).  Pour  ce  nom  punique,  voir  t.  II,  p.  118-120,  120. 

0.  Chabot,  Punica,  p.  210,  1.  1  et  0. 

T.  Caj^nat,  Merlin  et  Châtelain,  Inscr.  lai.  d'Afrique,  034  (il  y  avait  aussi 
dans  cette  cité  des  magistrats  inféiieurs,  que  la  môme  inscription  latine 
appelle  aediles).  Je  crois  que  le  municipe  romain  de  Volubilis,  créé  sous  Claude, 
a  remplacé  une  cité  indigène  et  n'a  pas  coc^xisté  avec  elle  (conf.  t.  IV,  p.  493, 
n.  4). 

8.  Chabot,  Punica,  \>.  179,  11°  110.  Cela  n'est  pas  certain. 

9.  Inscription  latine  du  temps  de  l'empereur  Claude  :  C.  l.  L.,  VIII,  20  317. 
La  même  inscri|)ti(in  mcntiminr  It^  senalus  et  la  plebs  de  celte  cité. 


LES  ROIS  ET   LEURS  SUJETS.  133 

Mactaris',  Limisa',  Althiburos%  Masculula',  Capsa',  Calama'', 
et  peut-être  en  un  lieu  situé  au  Sud  de  Galama^  Sans  être^ 
affîrmatif,   on  peut  croire  que  cette  magistrature  existait  déjà 
dans  ces  villes  aux  temps  de  l'indépendance. 

Il  ne  faut  cependant  pas  oublier  que  des  villages  berbères 
ont  du  posséder  de  très  bonne  heure  une  organisation  assez 
analogue,  mais  non  pas  empruntée  à  celle  des  villes  puniques  ^ 
Quand  certaines  de  ces  communes  se  sont  transformées  en 
cités,  il  se  peut  qu'elles  n'aient  pas  renoncé  à  leurs  institutions 
primitives,  pour  se  modeler  sur  des  exemples  étrangers.  Il  se 
peut  aussi  que,  çà  et  là,  de  vieilles  coutumes  se  soient  mélan- 
gées à  des  emprunts.  Nous  n'avons  pas  de  documents  qui  nous 
renseignent  avec  précision. 

L'inscription  bilingue  de  Dougga  '',  déjà  mentionnée,  est  une 
dédicace  de  l'année  139  avant  J.-C,  faite  par  «  les  citoyens  de 
Thugga  ».  Elle  énumère  quelques  dignités  ou  fonctions,  qui 
doivent  se  rapporter  à  la  cité  et  dont  plusieurs  se  retrouvent 
sur  des  inscriptions  libyques  du  même  lieu.  Mais  les  unes  res- 
tent d'une  explication  incertaine,  les  autres  sont  tout  à  fait 
énigmatiques.  C'est  un  «  roi  »  '",  —  le  titre  est  le  même  que 
pour  les  souverains  de  la  Numidie  :  mamleket  en  punique, 
guellidat  en  libyque,  —  magistrat  unique  et  annuel  ".  Il  n'est 

1.  Inscription  néopunique  :  Berger,  Mém.  de  l'Acad.  des  Inscr.,  XXXVI,  2°  partie, 
p.  168  (peut-être  trois  sufètes). 

2.  C.  /.  L.,  VIII,  12  036. 

3.  Inscription  néopunique  :  Berger,  Journ.  asiat.,  1887,  I,  p.  461  (trois  sufètes). 

4.  Inscription  néopunique  :  Chabot,  C.  /•.  Acad.  Inscr.,  1916,  p.  348;  le  nii'^me, 
Punica,  p.  53. 

5.  C.  L  L.,  VIII,  22  7'J6  :  inscription  Ifitine  du  temps  de  Traj<in. 

6.  Gsell,  Inscr.  lai.  de  l'Abjérie,  I,  233  et  peut-être  290. 

7.  Inscription  néopuni(iue  trouvée  à  Bir  el  Abiod  (Atlas  archéol.  de  l'Algérie, 
f  18,  Souk-Arrhas,  n"  36,");.  M.  l'ablié  Chabot  a  cru  y  reconnaître  la  mention 
de  sufètes. 

8.  r.  subira,  p.  63  et  suiv. 

9.  Chabot,  Punica,  p.  208  et  suiv. 
10.  Fils  lui-même  d'un  «  roi  ». 

il.  Le  titre  guellid,  guellidat  se  lit  sur  d'autres  inscriptions  libyques  de  Dougga; 
plusieurs  de  ceux  qui  le  portent  sont  (ils  de  •  rois  •  :  Chabot,  Journ.  asiat.,  1921,  I, 
p.  81-82. 


134  ORGANISATION  SOCIALE  ET   POLITIQUE. 

pas  fait  mention  de  sufètes  municipaux,  quoiqu'il  en  ait  existé 
plus  tard,  sous  l'Empire  romain,  dans  la  cité  de  Thugga  '.  Ce 
sont  deux  «  chefs  des  Cent  »  -,  exerçant  ensemble  cette  dignité, 
qui  est  peut-être  d'origine  phénicienne,  car  le  même  titre  se 
retrouve  à  Tyr  ^  S'agit-il  des  chefs  du  sénat  municipal? 
D'autres  fonctions,  qui  n'ont  qu'un  seul  titulaire  (du  moins 
d'après  la  teneur  de  l'inscription),  sont  désignées  par  des 
termes  libvques,  même  dans  le  texte  punique,  et  doivent,  par 
conséquent,  être  d'origine  indigène  (on  ne  sait  même  pas  com- 
ment ces  mots  se  prononçaient,  puisque  les  voyelles  ne  sont 
pas  écrites)  :  MÇÇKWY;  GZBY;  GLDGYML*,  nom  composé, 
dont  le  premier  élément  est  le  mot  guellid^  «  roi,  chef  ».  Il 
serait  vain  de  faire  des  conjectures  au  sujet  de  ces  titres.  Nous 
ne  savons  pas  non  plus  ce  qu'était  un  «  préfet  des  cin- 
quante »  ^,  mentionné  à  la  fm  de  l'énumération.  Celui  qui 
exerçait  cette  fonction  était  fils  d'un  «  roi  »,  c'est-à-dire  d'un 
magistrat  suprême  de  la  cité.  On  pourrait  se  demander,  entre 
autres  hypothèses,  s'il  n'était  pas  le  chef  d'un  corps  de  police. 
A  Cirta,  plusieurs  dédicaces  puniques  ont  été  faites  par  des 
personnages  qui  indiquent  leur  année  de  règne  (on  trouve  les 
chiffres  5,  44  et  50)''.  Il  n'est  pas  vraisemblable  que  cette  dignité, 
sans  doute  viagère,  puisse  être  comparée  à  la  «  royauté  » 
annuelle  de  Thugga,  et  il  n'est  pas  sûr  qu'elle  ait  été  exercée  à 
€irta   même".    Nous   avons  signalé   la   mention  possible  d'un 

1.  Voir  p.  132,  n.  9. 

2.  En  libyque  MW.^^N.  Titre  qui  apparaît  sur  d'autres  textes  libyques  du  mi^rae 
lieu  :  J.  as.,  l.  c,  p.  82-83. 

3.  rtép.  dépigr.  sémil.,  III,  1  502.  Conf.  ici,  t.  Il,  p.  214. 

4.  Ces  titres  se  lisent,  comme  les  précédents,  sur  d'autres  inscriplicms  libyques 
de  Dougf:^a  :  J.  as.,  t.  c.  83-8.^. 

5.  Dans  le  texte  libyque,  GLDMÇK,  où  les  trois  premières  lettres  donnent  le 
root  giiellid.  Même  titre  dans  d'autres  inscriptions  liliy(iues  de  Dougg;a,  où  il  est 
porté  par  des  flls  de  «  mis  »  :  J.  as.,  l.  c,  p.  84. 

0.  liép.  d'épigr.  sémit.,  I,  330,  337,  338  (=  III,  I  5.39). 

7.  On  ignore  ce  que  signifient  exuclement  les  mots  MLK  'DM  (=  melck  adam, 
«  roi  du  peuple  .?),  (|ui  apparaissent  sur  quelques  inscriptions  punii|ues  de 
Cirta,  deux  fois  ii  la  suite  du  nom  du  dédicant.  et  avant  l'indication  BSH'M  BTM 
(^  «  à  .Shâram  IJatini  »  ?)  ;  liép.,  1,334-5.  Ailleurs,  res  mots  suivent  des  noms  de 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  13S 

sufète  sur  une  inscription  punique  exhumée  à  Constantme'.  Sur 
des  monnaies  municipales  à  légendes  néopuniques,  on  lit  un 
nom  propre,  qui  est  apparemment  celui  du  magistrat  suprême^ 
Des  scribes,  que  nous  font  connaître  des  inscriptions  puniques^ 
-ont  pu  être  au  service,  soit  de  la  commune,  soit  du  roi  de 
Numidie,  résidant  à  Girta. 

Ailleurs,  des  textes  néopuniques^  datant  de  l'époque  impé- 
riale, mentionnent  le  mizrah,  c'est-à-dire  le  «  corps  constitué  »% 

peut-être  le  conseil  de  la  cité,  —  et  son  chef'';  il  y  a  lieu 

de  supposer  que  c'était  un  legs  de  l'époque  numide.  Certains 
termes,  accolés  à  des  noms  de  personnessurdesinscriptionspum- 
ques  et  libyques^  ont  pu  être  des  titres  de  fonctions  munici- 
pales, mais  d'autres  conjectures^  ne  seraient  pas  plus  fragiles. 
Quelles  qu'aient  été  leurs  institutions,  ces  cités,  puniques  ou 
indigènes,  semblent  avoir  joui  d'une  large  autonomie,  comme 
les  tribus.  On  n'y  constate  pas  la  présence  de  représentants  per- 
manents de  l'autorité  royale,  chargés  de  les  administrer  direc- 
tement, ou  superposés  aux  administrateurs  locaux^ 

divinités  :  voir  t.  IV,  p.  240,  n.  1.  Même  incertitude  en  ce  qui  concerne  les  mots 
MLK  'MR,  suivant  un  nom  d'iiomme  à  Cirta  (Chabot,  Punica,  p.  160),  et  aussi  à 
Garthage  :  voir  t.  IV,  p.   172,  n.  8. 

1-  P-  132.  .  ,^   ^„ 

2.  Millier,  Numism.,  III,  p.  60,  W'  70,  71,  et  probablement  aussi   /2,  i3. 

3.  Chabot,  Punica,  p.  165,  n°  22;  p.  173,  n»  72.  Eép.,  III,  1  562. 

4.  Trouvés  à  Henchir  Médeina  (Althiburos)  et  à  Maktar. 

5  Conf.  t.  II,  p.  213  (d'après  Clermont-Ganneau). 

6  Grande  inscription  de  Maktar  {Rép.,  IV,  2  221,  1.  16)  :  lo  .  rab  du  mizrah  . -, 
«on  nom  est  suivi  de  31  autres,  désignant  les  membres  du  mizrah.  Le  princeps, 
qu'une  inscription  latine  de  Guelma  mentionne  avec  des  sufètes,  était  peut-être 
le  premier  des  membres  du  conseil  municipal  :  Gsell,  Inscr.  lai.  de  CAlgéne,  I, 
233  (conf.  290,  et  à  la  p.  20). 

7  MDYTY,  à  Maktar,  à  Dougga  et  ailleurs  :  Chabot,  C.  r.  Acad.  Inscr.,  l.Hb, 
,p.  129-131;  le  môme,  Punica,  p.  224-G.  MY8TR,  à  Cirla  :  Chabot,  Pun.,  p.  S7. 
FYTR',  FTR,  à  Maktar  et  à  Cirta  :  ibid.,  p.  132-3. 

8.  Noms  de  métiers,  dignités  sacerdotales,  etc. 

9  Les  praefecti  établis  par  Syphax,  avec  des  garnisons  (praesidia),  chez  les 
.Massyles  (Tite-Live,  XXX,  11,  2;  conf.  XXX,  12,  22),  étaient  des  chefs  militaires, 
chargés  de  maintenir  sous  son  autorité  une  contrée  qu'il  venait  de  conquérir. 
—  Un  passage  de  Satluste  {Jug.,  XLVI,  5)  mentionne  d'autres  praefecti.  Maigre 
les  offres  de  soumission  que  lui  fait  Jugurlha,  Métellus  entre  avec  son  armée  on 
^Sumidie,  où  il  reçoit  bon  accueil;  les  préfets  du  roi  (■.  praefecti  régis  •)  sortent 


136  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

Au  delà  de  leurs  remparts,  elles  disposent  sans  doute,  comme 
les  cités  phéniciennes  \  comme  les  cités  grecques  et  latines, 
d'un  territoire  plus  ou  moins  étendu.  Celui  de  Cirta  paraît  avoir 
été  très  vaste\  Les  villages  qui  s'élevaient  sur  ces  territoires 
devaient  avoir  leurs  chefs,  subordonnés  naturellement  aux  chefs 
des  cités. 

IV 

Ces  groupes  divers  de  nomades,  d'agriculteurs  sédentaires, 
de  citadins,  se  montrent  anxieux  de  garder  leur  indépendance. 
Ils  sont  séparés  par  des  jalousies  et  de  vieilles  inimitiés, 
qu'attisent  des  querelles,  sans  cesse  renaissantes.  Ils  ont  une 
petite  patrie,  à  l'horizon  très  étroit;  ils  n'en  voient  guère  une 
grande  dans  cet  Etat,  auquel  ils  appartiennent  moins  de  gré 
que  de  force.  Etat  dont  les  limites  changent  souvent  et  qui 
renferme  de  nombreuses  régions  disparates,  communiquant 
mal  entre  elles.  Ils  n'ont  pas  l'esprit  de  discipline,  les  traditions 
communes,  qui  forment  et  font  durer  les  nations  véritables^  La 
diversité  des  dialectes  est  un  obstacle  aux  relations;  avant  la 

des  villes  et  des  villages  (•■  ex  oppidis  et  mapalibus  •)  à  sa  rencontre,  prêts  à  lui 
fournir  du  blé,  à  transporter  ses  vivres,  à  lui  obéir  en  tout.  Ici,  on  pourrait 
croire  qu'il  s'agit  de  fonctionnaires  royaux  permanents,  préposés  à  la  population 
civile,  dans  les  villes  comme  dans  les  campagnes.  Mais  cela  n'est  pas  vrai- 
semblable. L'administration  directe  de  la  Numidie  par  la  royauté  aurait  exigé  un 
personnel  très  nombreux,  dont  l'existence  n'est  attestée  par  aucun  autre  docu- 
ment, et,  d'une  manière  générale,  l'histoire  des  Étals  berbères  nous  les  montre 
constitués  par  la  réunion  de  groupes  autonomes.  Donc,  ou  Salluste  s'est  servi 
d'une  expression  impropre,  en  qualifiant  de  praefecti  régis  les  chefs  des  ruraux 
et  des  citadins,  ou  Jugurtha,  en  guerre  depuis  deux  ans  avec  les  Romains,  avait 
jugé  nécessaire  de  renforcer  son  autorité  dans  les  parties  de  son  royaume  qui 
confinaient  à  la  province  d'Afrique. 

1.  Conf.  t.  Il,  p.  11.5. 

2.  Strabon  (XVll,  3,  i:l,  peut-être  d'après  Posidonius)  dit  qu'au  temps  de  .Micipsa, 
Cirta  pouvait  fournir  10  000  cavaliers  et  20  000  fantassins.  Cela  suppose  une 
population  de  I.jOOOO  à  180  000  âmes.  Il  est  impossible  qu'elle  ait  été  entassée 
sur  l'étroit  rocher  autour  duquel  des  précipictïs  constituaient  pour  la  ville  des 
limites  infranchissables,  et  il  est  évident  que  les  10  000  chevaux,  —  auxquels  il 
faut  joindre  ceux  qui  ne  partaient  pas  en  guerre,  —  avaient  besoin,  pour  paître, 
de  larges  espaces. 

.1.  flonf.  t,  I,   p.  27. 


LES  ROIS  ET   LEURS  SUJETS.  137 

diffusion  de  l'Islam,  les  croyances  religieuses  ne  paraissent  pas 
avoir  créé  des  liens.  Les  Grecs,  les  Gaulois,  malgré  toutes  leurs 
discordes,  ont  conscience  d'être  frères  :  il  n'en  est  pas  ainsi  des 
indigènes  africains. 

Ils  n'éprouvent  surtout  aucun  désir  de  s'unir  sous  un  maître, 
qui,  pour  maintenir  son  autorité,  doit  exiger  d'eux  des  sacrifices. 
Tite-Live*,  —  c'est-à-dire  Polybe,  qu'il  copie,  —  constate  leur 
haine  de  la  royauté;  plus  tard,  les  Berbères  se  vantent  de  mettre 
une  bride  à  leurs  souverains,  comme  à  leurs  chevaux".  Ils  ont  un 
tempérament  anarchique  et  le  besoin,  presque  maladif,  d'une  agi- 
tation dont  les  résultats  sont  nuls,  oune  valentpasl'effortdépensé. 
Dans  l'antiquité,  on  nous  les  montre  tels  qu'ils  ont  toujours  été  : 
inquiets,  mobiles,  turbulents,  prompts  à  la  colère  etàlarévolte^ 

Les  tribus  qui  vivent  dans  les  montagnes,  à  l'abri  des 
nomades,  y  sont  également  à  l'abri  du  roi,  dont  la  protection 
leur  est  superflue.  Les  bandes  de  cavaliers  pillards  qui  se 
répandent  tout  à  coup  dans  les  plaines  se  retirent  aussi  vite 
qu'elles  sont  venues,  avant  qu'on  ait  le  temps  de  les  rejoindre. 
Les  grands  nomades,  ces  Gétules  qui,  à  la  fin  du  printemps, 
sortent  des  steppes  pour  gagner  le  Tell,  ont  moins  de  mobilité, 
car  ils  traînent  avec  eux  leurs  familles  et  leurs  troupeaux;  mais, 
soit  par  nécessité  pastorale,  soit  par  goût  de  la  rapine,  ils  abusent 
volontiers  de  l'hospitalité  qu'ils  reçoivent;  loin  dans  le 
Sud,  ils  ont  des  lieux  de  recel,  difficiles  à  atteindre  et  à  forcer. 
Les  agriculteurs  sont  d'un  maniement  plus  aisé;  cependant, 
d'eux  aussi,  il  faut  craindre  des  désordres,  surtout  dans  les 
mois  d'été  où  le  soleil  échauffe  les  têtes,  où,  la  moisson  étant 
faite  et  rentrée,  l'inaction  est  mauvaise  conseillère,  où  le  sou- 
verain réclame  sa  part  delà  récolte  nouvelle.  Partout,  les  villes, 
les  villages,  les  refuges  ont  des  défenses  naturelles  ou  faites 

1.  XXIX,  29,  9  :  «  ...  concitatis  popularibus,  apud  quos  iavidia  regum  magnae 
auctoritatis  orat.  • 

2.  A.  Bernard,  Le  Maroc,  p.  90. 

.3.  Voir  les  textes  cités  t.  VI,  1.  II.  ch.  v,  §  I. 


-138  ORGANISATION   SOCIALE   ET   POLITIQUE. 

de  main  d'homme,  qui  permettent  de  longues  résistances,  eii 
ces  temps  et  en  ces  pays  où  les  assiégeants  manquent,  le  plus  sou- 
vent, des  moyens  de  brusquer  l'attaque. 

Plus  d'un  chef  de  grande  tribu,  de  peuplade,  envie  le  roi' 
et  a  l'ambition  de  le  remplacer.  Dans  la  famille  royale,  dans 
le  palais  même,  des  princes  songent  à  ravir,  par  la  révolte  ou 
l'assassinat,  la  souveraineté  à  l'homme  qui  l'exerce.  La  trahison 
l'entoure  et  le  tient  dans  une  angoisse  perpétuelle.  Quand  il 
meurt,  l'ordre  régulier  de  la  succession,  ou  les  décisions  qu'il 
a  prises  ne  sont  pas  toujours  respectés  :  des  compétitions,  des 
guerres  acharnées  éclatent'. 

Les  conflits  entre  Etats  voisins  sont  fréquents,  causés 
par  des  razzias,  que  suivent  des  contre-razzias,  par  le  désir  de 
reculer  des  frontières  mal  fixées,  peut-être  par  des  intrigues  de 
rebelles,  qui  cherchent  un  appui  au  dehors,  quelquefois  par 
l'impossibilité  de  garder  une  attitude  neutre  dans  des  guerres 
que  Carthage  ou  Rome  font  à  des  rois  indigènes,  et  par  l'espé- 
rance de  participer  largement  aux  fruits  de  la  victoire.  Et,  dans 
l'Extrême  Sud,  au  delà  des  Gétules,  plus  souvent  hostiles  que 
soumis,  on  ne  sait  quelles  querelles  provoquent  des  expéditions 
jusque  chez  les  Éthiopiens-. 

La  tâche  du  roi  est  donc  ardue.  De  tous  côtés,  menaces  et 
obstacles  se  dressent  contre  lui.  La  royauté  subsiste  pourtant, 
car  ceux  qui  détiennent  cette  sorte  de  propriété  familiale  ont 
l'orgueil  de  leur  haute  dignité,  la  volonté  de  jouir  ,du  prestige 
et  des  satisfactions  matérielles  qu'elle  procure,  d'ordinaire  aussi 
la  cruauté  inexorable  qui  ne  répugne  ni  aux  supplices,  ni  aux 
massacres, et  qui  fait  de  la  terreur  un  instrument  de  règne  ^ 


1.  Pour  ce  qui  se  passa  chez  les  Massyles  après  la  mort  d'OEzalcès,  eu  206, 
voir  t.  III,  p.  190  et  suiv. 

2.  V.  supra,  p.  10. 

3.  Traits  de  cruauté  de  Jugurliia  :  Salluste,  Jui;.,  XXVI,  3;  de  BocchusTAncieu  : 
De  viris  iUuslr.,  OC»;  de  Juba  I"'  :  César,  Bell,  civ.,  II,  44,  2;  Bell.  A/ric,  LXVI,  4; 
LXXIV,  3;  XCI,  3.  Klc. 


LES   ROIS  ET   LEURS  SUJETS.  139 

Ils  ont  besoin  de  grandes  ressources,  non  seulement  pour  ali- 
menter leur  vie  luxueuse,  mais  encore  pour  payerles  concours  qui 
leur  permettent  de  rester  debout  et  de  réunir  ces  ressources  mêmes .. 

Leurs  meilleurs  contribuables  sont  les  citadins  et  les  gens 
sédentaires  des  plaines,  sur  lesquels  leur  autorité  s'étend  sans 
trop  d'efforts  et  qui  peuvent  acquérir  du  bien-être  en  se  livrant 
au  commerce  et  aux  travaux  de  la  terre.  Le  souverain  a  tout 
profit  au  développement  de  l'agriculture,  qui  lui  donne  des 
sujets  d'une  exploitation  fructueuse.  Son  intérêt  lui  commande 
de  leur  assurer  une  existence  qui  ne  soit  pas  trop  inquiète.  Il 
faut  les  empêcher  de  s'entre-détruire;  il  faut  surtout  les  protéger 
contre  les  pilleries  et  les  violences  desnomades.  Lesdéplacements 
de  ceux-ci  doivent  être  surveillés  et  leurs  excès  réprimés. 
On  peut,  du  reste,  tirer  d'eux  quelques  revenus,  par  des  taxes 
sur  les  troupeaux  qui  transhument  :  la  nécessité  d'amener  leur 
bétail  dans  le  Tell  les  engage  à  se  montrer  accommodants 
lorsqu'ils  ne  se  sentent  pas  les  plus  forts.  Quant  aux  tribus  qui 
occupent  des  régions  d'accès  difficile,  le  roi  leur  interdira  de 
porter  le  désordre  ailleurs  et,  même  sans  pénétrer  chez  elles, 
il  leur  inspirera  le  désir  de  vivre  en  paix  avec  lui,  par  la  menace 
de  leur  fermer  les  marchés  où  elles  viennent  vendre  et  acheter; 
mais  il  ne  cherchera  à  les  soumettre  et  à  exiger  d'elles  des 
impôts  que  s'il  juge  que  le  bénéfice  en  vaudra  la  peine. 

Il  est  aussi  de  son  intérêt  de  développer  les  relations  com- 
merciales et  d'en  garantir  la  sécurité,  car  il  pourra  lever  des 
taxes  sur  les  ventes,  des  droits  de  douane  et  de  péage.  Comme 
la  plupart  des  impôts  ne  lui  sont  pas  versés  en  argent,  il  doit 
sans  doute  être  commerçant  lui-même,  pour  obtenir  de  l'étranger 
le  numéraire  dont  il  a  besoin,  par  la  vente  des  produits  en 
nature  que  ses  sujets  lui  livrent.  Il  doit  encore  chercher  à 
acquérir  de  vastes  propriétés  foncières,  sur  les  fruits  desquelles 
il  se  réservera  une  part  plus  forte  que  là  où  il  perçoit  seule- 
ment un  impôt  comme  souverain. 


140  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

On  voit  que  la  volonté  de  maintenir  son  autorité  contre  les 
tendances  anarchiques  de  son  peuple  l'astreint  à  de  lourds 
devoirs.  D'autant  plus  lourds  que  tout,  ou  presque  tout,  repose 
sur  sa  personne,  sur  son  intelligence,  son  activité  et  son 
énergie.  Si  son  âge,  —  trop  de  jeunesse  ou  trop  de  vieillesse, 
—  si  la  fragilité  de  son  corps  ou  la  faiblesse  de  ses  facultés 
l'empêchent  de  remplir  son  rôle,  il  peut  arriver  que,  der- 
rière lui,  un  parent,  ou  même  des  serviteurs'  exercent  en 
fait  le  pouvoir.  Mais  le  prestige,  élément  important  de  la 
royauté,  leur  manque,  et  la  tentation  est  trop  forte  pour  ces 
hommes  de  faire  passer  leurs  intérêts  avant  ceux  du  maître 
nominal,  incapable  de  défendre  les  siens.  L'Etat  se  décom- 
pose vite,  car  il  n'est  pas  soutenu  par  une  armature  adminis- 
trative. 

Assurément,  le  roi  ne  peut  se  passer  d'agents  pour  l'ex- 
pédition des  affaires  :  secrétaires,  comptables,  trésoriers, 
intendants,  courriers,  etc.  ^.  Mais  rien  ne  nous  permet  d'en- 
trevoir l'existence  d'un  corps  de  fonctionnaires  régulièrement 
organisé.  Libres  ^  ou  esclaves,  ces  gens  sont  au  service 
personnel  du  souverain;  les  offices  de  cour  et  d'Etat  se  con- 
fondent. 

Il  est  également  fort  douteux  que  le  roi  ait  été  secondé  par 
de  véritables  ministres,  dignitaires  aux  attributions  nettement 
définies.  Auprès  de  lui,  il  n'a  que  des  hommes  auxquels  il 
donne  et  retire,  quand  il  lui  plaît,  sa  confiance,  se  déchargeant 
sur  eux,  soit  d'une  affaire  particulière  qui  se  présente  et  qu'il 
importe   de   résoudre,  soit  d'un   ensemble  d'affaires  connexes, 

1.  Le  dernier  roi  de  Maurétanie,  Ptolémée.  abandonna  le  gouvernement  à  des 
alTranchis  :  Tacite,  Ann.,  IV,  23. 

2.  Pour  des  scribes,  peut-6lre  royaux,  mentionnés  à  Girta,  v.  supra,  p.  135. 

3.  Comme  dans  le  maghzen  marocain,  les  (Mnplois  qui  exigeaient  de  l'instruction 
devaient  Être  tenus  surtout  par  des  citadins  :  les  villes  puniques  pouvaient,  à 
cet  égard,  fournir  aux  rois  de  bons  agents.  Cependant  Nabdalsa,  auquel  Jugurtha 
abandonne  une  partit;  des  allaires,  a  pour  secrétaire  un  Numide  :  Salluste,  Jug., 
LXXI,  3-4.  Un  Numide,  originaire  d'une  petite  ville  indigène,  est  qualifié  par 
Salluste  de  proxumus  liclor  de  Jugurlba  :  ibid.,  Xll,  3-4. 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  141 

qui,  dans  un  État  bien  ordonné,  ressortiraient  à  un  département 
ministériel  permanent'.  Ce  sont,  de  préférence,  ses  proches 
parents,  et  tout  d'abord  ses  fils,  qu'il  emploie  ainsi  :  ils  reçoivent 
de  lui  des  missions  diplomatiques-,  des  commandements  mili- 
taires, tantôt  en  Afrique  même^  tantôt  à  la  tête  de  troupes 
qu'il  met  à  la  disposition  de  ses  alliés\  Il  a  aussi  des  «  amis  », 
terme  dont  se  servent  souvent  les  auteurs  grecs  et  latins  ^  Quand 
ils  n'appartiennent  pas  à  sa  famille,  ces  amis  sont  peut-être  sur- 
tout des  chefs  de  grandes  tribus  et  de  peuplades^  qui  viennent 
faire  à  la  cour  des  séjours  plus  ou  moins  longs.  Le  roi  prend 
leur  avis  dans  les  cas  graves''  et  leur  confie  des  missions, 
officielles  ou  secrètes^  Il  les  charge  de  commandements  dans 

1.  Après  la  mort  de  Masinissa,  ses  trois  fils  eurent  en  commun  le  titre  de  roi, 
mais  l'un  s'occupa  de  l'administration  et  des  finances,  le  second  des  affaires 
militaires,  le  troisième  de  la  justice  :  supra,  p.  123.  11  se  peut  que  même  des 
rois  qui  n'avaient  pas  de  collègue  aient  institué  un  partage  analogue,  en  déléguant, 
par  exemple,  toutes  les  affaires  judiciaires  à  un  prince  de  leur  famille  ou  à 
quelque  autre  personnage.  Le  père  du  roi  Gaia,  Zilalsan,  qui  ne  fut  pas  roi, 
mais  qui  appartenait  à  la  famille  royale,  est  qualifié  de  sufète  sur  la  dédi- 
cace d'un  temple  élevé  à  Masinissa  (conf.  supra,  p.  132);  peut-être,  sous  le  règne 
d'un  de  ses  parents,  fut-il  chargé  de  remplacer  le  souverain  comme  grand 
justicier. 

2.  Gulussa  et  Masgaba,  fils  de  Masinissa,  envoyés  par  lui  au  Sénat  romain  : 
Tite-Live,  XLII,  23  et  24;  XLIIl,  3;  XLV,  13-14;  Epit.  l.  XLVIll.  De  même,  un  fils 
de  Jugurtha  :  Salluste,  Jug.,  XXVIII,  1.  Mission  à  Rome  de  Juba,  fils  du  roi 
Hiempsal  :  Gicéron,  De  lege  agrar.,  II,  22,  59.  Mission  de  .Micipsa  et  de  Gulussa 
à  Garthage,  en  151-150  :  Appien,  Lib.,  70. 

3.  Masinissa,  sous  Gaia  :  Tite-Live,  XXIV,  49,  4  et  6.  Vermina,  sous  Syphax  : 
ibid.,  XXIX,  33.  Yolux,  sous  Bocchus  :  Salluste,  Jug.,  Cl,  5;  CV,  3.  Bogud,  sous 
le  même  roi,  selon  Paul  Orose,  Adv.  pagan.,  V,  21,  14. 

4.  Masinissa,  sous  Gaia,  en  Espagne,  avec  les  Carthaginois  :  voir  t.  II,  p.  3C3, 
n.  1.  Misagène,  sous  Masinissa,  en  Orient,  avec  les  Romains  :  Tite-Live,  XLII,  29; 
62;  65;  67;  XLIV,  4;  XLV,  14.  Un  fils  de  Masinissa,  en  Espagne  (?)  :  Appien, 
Lib.,  68  (conf.  t.  III,  p.  310).  A  ces  fils  de  rois,  on  peut  joindre  Jugurtha,  envoyé 
par  son  oncle  Micipsa  auprès  de  Scipion  Émilien.  devant  Nuraance  :  Salluste, 
Jug.,  VII,  2;  Appien,  Iber.,  89. 

5.  Ot/stoi,  çiXoi,  amici,  proxiini,  necessarii,  familiares.  Folybe,  XV,  3,  5.  Salluste, 
Jug.,  XIV,  15;  XXVIII,  1  ;  XXXV.  4  et  9;  LXl,  4;  LXXIV,  1;  LXXX,  3;  XCVII,  2; 
Cil,  15;  cm,  2;  CXIII,  3;  ibid.,  5  et  6.  Strabon,  II,  3,  4.  Tite-Live,  XXIX,  30,  3. 
Frontin,  Slrat.,  l,  8,  8.  Appien,  Numid.,  p.  164,  coll.  Didot. 

(■).  Tycliaios,  «  ami  »  de  Syphax,  possède  les  meilleurs  chevaux  do^toute  l'Afrique: 
il  amené  ù  Hannibal  deux  mille  cavaliers  (Folybo,  L  c). 

7.  Salluste,  LXII,  1;  LXX,  1;  LXXX,  3;  XCVII.  2;  CU.  i:i;  ClII,  2;  CXlll,  3. 
Strabon,  L  c. 

8.  Salluste,  XXXV,  4;  GUI,  2.  Appien,  l.  c. 


GsELL.  —  Afii(|ue  du  Nonl.  V. 


10 


142  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

l'armée  qu'il  conduit  lui-même',  ou  dans  des  opérations  dont 
il  leur  laisse  la  direction^.  Il  leur  abandonne  quelquefois  une 
part  plus  ou  moins  large  de  l'administration,  ce  dont  ils  pro- 
fitent pour  accroître  leurs  richesses  ^  Mais  ce  ne  sont  pas  là  de 
véritables  fonctions  publiques;  ce  sont  des  délégations  que  le 
roi  accorde  selon  son  bon  plaisir,  qu'il  peut  révoquer  à  toute 
heure,  et  qui  deviennent  caduques  dès  qu'il  disparaît.  Il  est 
donc  vrai  de  dire  que  le  gouvernement  de  l'Etat  lui  appartient 
tout  entier  :  naturellement  dans  les  limites  où  il  veut  et  peut 
l'exercer,  c'est-à-dire  au-dessus,  et  non  à  l'intérieur  des. 
groupes  autonomes. 


Ce  gouvernement  s'appuie  surtout  sur  la  force,  mais  il  a 
d'autres  moyens  d'action.  Le  roi  prend  des  garanties  contre  les 
trahisons  et  les  rébellions  possibles  des  grands  chefs,  en  déte- 
nant des  otages,  d'ailleurs  sous  des  formes  honorables  :  il 
choisit  pour  femme  quelqu'une  de  leurs  filles'',  —  la  poly- 
gamie lui  donne  toute  liberté  à  cet  égard  — ;  il  appelle  près  de 
lui  leurs  fils  et  les  fait  entrer  dans  sa  garde  noble\ 

Comme  plus  tard  les  Turcs  et  les  sultans  marocains,  il  pra- 
tique l'art  de  diviser  pour  régner.  S'efîorçant  d'être  bien  ren- 
seigné, il  exploite  les  soupçons  et  les  haines  des  parents  dans 

1.  Ces  généraux  sont  appelés  dans  les  textes  latins  praefecLi  :  Tite-Live,  XXIX, 
33,  1;  Salluste,  Jug.,  XLIX,  l;  LU,  5;  LXXIV,  1;  César,  Bell,  civ..  H,  38,  1  et  3. 

2.  Bucar,  «  ex  praefectis  regiis  »,  sous  Syphax  :  Tite-Live,  XXIX,  32,  1  (conf. 
ici,  t.  III,  p.  194).  Nabdalsa,  sous  Jugurtha  :  Salluste,  Jug.,  LXX,  2  et  4.  Saburra, 
praefeclas  sous  Juba  I"  :  Bell.  Afric,  XLVIII,  1  ;  XCV,  1  ;  Appien,  Bell,  civ.,  IV,  54. 

3.  Salluste,  Jag.,  LXX,  2  :  Nabdalsa,  homme  noble,  riche  et  populaire,  expédie 
d'ordinaire  les  aiïairos  fjue  Juj;urlha,  fatigué  ou  occupé  de  soins  plus  importants, 
doit  négliger;  c'est  pour  ce  Numide  une  source  de  grands  profits. 

4.  Les  textes  anciens  no  nous  offrent  pas  d'exemples  de  ces  mariages  entre 
souverains  et  lllles  de  grands  chefs,  si  fré(iueuts  dans  les  dynasties  berbères  du 
moyen  âge  et  des  temps  modernes.  .Nous  connaissons  un  mariage  qui  unit  deux 
rois  de  Numidie  et  de  Maurétanie  :  Jugurtlia  épousa  une  lUle  de  Bocchus. 
(Salluste,  Jug.,  LXXX,  G). 

5.  Bell.  Afric,  LVl,  4  :  «  Gaeluli  ex  ecjui  alu  rogio  nobiliores.  • 


LES  ROIS  ET  LEl'RS  SUJETS.  143 

les  familles,  des  familles  dans  les  tribus  et  les  cités.  Il  s'assure 
l'obéissance  par  la  crainte  des  rivaux  qu'il  peut  susciter  et 
soutenir.  Successivement  ou  simultanément,  il  accorde  ses 
faveurs  aux  diverses  coteries,  à  ces  çofs  qui  doivent  déjà 
s'étendre  sur  toute  la  société  berbère'.  Il  oppose  tribu  à  tribu, 
chef  à  chef.  Il  fait  surveiller  les  suspects  par  ceux  qui  paraissent 
plus  disposés  à  rester  fidèles.  Lorsqu'une  tribu  mérite  un  châ- 
timent dont  il  préfère  ne  pas  se  charger,  il  la  donne  à  «  manger  » 
à  des  voisins  ou  à  des  pillards  nomades.  Quand  une  autre 
tribu  devient  trop  forte,  il  peut  la  fractionner  sans  trop  de 
peine,  en  fomentant  des  compétitions  dans  la  famille  dirigeante. 
Evidemment,  cette  politique  ne  favorise  pas  l'éclosion  d'un 
large  patriotisme  chez  ses  sujets;  elle  prévient,  du  moins,  le 
seul  accord  dont  ceux-ci  semblent  capables  :  l'insurrection  en 
masse  contre  leur  maître. 

Mais  le  roi  est  un  guerrier,  bien  plus  qu'un  diplomate.  On 
ne  lui  obéit  guère  que  dans  la  mesure  où  l'on  sent  la  vigueur 
de  son  poing  ou  la  menace  de  son  bras. 

Nous  sommes  fort  mal  renseignés  sur  la  manière  dont  il  fait 
la  police  de  ses  Etats.  Nous  ne  saurions  dire,  par  exemple, 
s'il  entretient  des  garnisons  permanentes  dans  les  cités  les 
plus  importantes  du  littoral  et  de  l'intérieur;  nous  n'en  connais- 
sons qu'en  temps  de  guerre^,  et,  alors,  elles  ont  plutôt  pour 
tâche  de  défendre  les  villes  contre  l'ennemi  que  de  les  con- 
traindre à  rester  fidèles  au  souverain. 

Des  troupes  ont  pu  occuper  en  tout  temps  certains  lieux, 
villes  ou  simples  forts,  situés  dans  des  positions  stratégiques, 
comme  les  kasbas  créées  en  Algérie  par  les  Turcs,  au  Maroc 


1.  V.  supra,  p.  73. 

2.  Bell.  Afric,  XXIH,  1  :  en  un  lieu  que  ce  texte  appelle  Ascurum  et  indique 
comme  une  ville  maritime  du  royaume  de  Bogud.  Ibid.,  LX.WII,  1  :  à  Thabena, 
c'est-à-dire  à  TliaMuv,  sur  la  petite  Syrte,  dans  le  royaume  de  Juba  1".  Voir 
peut-être  aussi  Salluste,  Jug.,  XLVI,  5  :  praefecti  régis,  qui  se  trouvent  dans  des 
oppida  (mais  à  ce  sujet,  i'.  supra,  p.  135,  n.  9j. 


144  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

par  la  dynastie  actuelle.  De  là,  elles  auraient  tenu  le  pays 
environnant,  assuré,  autant  que  possible,  les  communications, 
surveillé  à  distance  les  montagnards,  contrôlé  et,  au  besoin, 
empêché  les  passages  des  nomades.  Ces  forteresses,  établies 
dans  les  conditions  les  plus  favorables  à  la  défense,  munies  de 
bons  remparts,  là  où  la  nature  n'opposait  pas  aux  attaques 
d'obstacles  suffisants,  auraient,  en  cas  d'insurrection  ou  de 
guerre,  servi  de  places  de  sûreté,  de  points  d'appui  pour  les 
troupes  en  campagne,  de  centres  de  ravitaillement,  grâce  aux 
vivres  qu'on  aurait  pris  soin  d'y  accumuler'.  Tels  étaient  peut- 
être  ces  châteaux  royaux,  ces  tours  royales,  que  quelques  textes 
mentionnent  dans  des  récits  de  guerres  :  forts  juchés  dans  des 
lieux  escarpés,  oii  sont  amassées  de  grandes  provisions  de  blé, 
et  même  déposées  d'importantes  sommes  d'argent". 

Ces  garnisons  ne  parent  pas  à  tous  les  dangers  qui  menacent 
l'ordre.  Le  roi  doit  avoir  à  sa  disposition  des  troupes,  pour 
protéger  sa  personne  contre  des  coups  de  main  et  pour  entre- 
prendre les  expéditions  nécessaires  :  répression  immédiate 
d'une  révolte,  qu'il  faut  empêcher  de  s'étendre;  chevauchées 
rapides,  afin  d'arrêter  une  razzia  de  nomades,  puis  d'essayer  de 
reprendre  leur  butin  à  ces  voleurs  qui  s'enfuient;  tournées 
à  travers  des  tribus  qui  se  refusent  à  payer  l'impôt;  châti- 
ments plus  ou  moins  graves  infligés  aux  récalcitrants,  aux 
rebelles,  aux  perturbateurs  de  la  paix',  qu'il  convient,  selon 
les  circonstances  et  selon  les  possibilités,  de  piller,  d'écraser 


1.  Conf.  Salluste,  Jug.,  XC,  I  :  «  quodcumque  natum  fueral  iussu  régis  in  loca 
munita  contulerant  (Numidae).  » 

2.  Salluste,  Jug.,  XGll,  5-7  :  castellum  près  du  fleuve  Mulucha,  dans  une  position 
presque  inexpugnable;  «  ii)i  refais  thesauri  eranl,...  virorum  et  armorum  salis,  et 
magna  vis  frurnenli.  •  Bell.  Afric,  XXXVl,  4  (dans  la  région  de  Cirta)  :  «  castellum 
in  rnonlis  loco  munilo  locaUim,  in  quod  luba  belli  gorendi  gralia  et  frumentura 
et  rcs  cèleras,  quae  ad  bollum  usui  soient  esse,  romportaverat.  »  Salluste,  Jug., 
cm,  1  :  mention  d'une  turris  rcgia,  que  Jugurtlia,  en  temps  de  guerre,  a  fait 
occuper  par  tous  les  transfuges.  Salluste  indique  qu'elle  se  trouve  dans  un  pays 
désert.  Voir  peul-ôtre  aussi  llésianax,  dans  Fragm.  hist.  Grâce,  III,  p.  70,  a°  11 
(au  temps  de  la  première  guerre  punique). 


LES  ROIS   ET  LEURS  SUJETS.  14o 

d'amendes,  de  dépouiller  de  leurs  biens  et  de  leurs  terres,  de 
transporter  au  loin,  de  réduire  en  esclavage,  de  détruire  par 
des  massacres. 

Ces  besognes  de  police,  auxquelles  il  faut  procéder  sans 
retard,  dans  des  régions  souvent  éloignées  des  lieux  où  sont 
cantonnées  les  troupes,  exigent  surtout  des  forces  très  mobiles, 
cavalerie  et  infanterie  légère,  passant  partout  et  ne  s'encom- 
brant  pas  de  bagages. 

Mais  les  rois  ont  aussi,  de  temps  en  temps,  de  véritables 
guerres  à  soutenir,  soit  contre  d'autres  rois,  soit  contre  des 
ennemis  plus  redoutables  encore.  Carthaginois  ou  Romains.  Ils 
doivent  alors  réunir  un  grand  nombre  d'hommes  et  employer 
des  moyens  de  combat  moins  primitifs  que  ceux  qui  peuvent 
suffire  contre  des  brigandages  de  Gétules  ou  des  émeutes  de 
paysans. 

Leurs  armées  se  composent  donc  de  deux  éléments.  D'une 
part,  un  groupe  de  troupes  permanentes,  qui  forment  leur 
garde  et  probablement  aussi  des  garnisons  en  divers  lieux, 
qui  font  la  police  du  royaume,  qui  fournissent  sans  doute  les 
auxiliaires  que  le  souverain  met  au  service  de  Rome,  quand 
celle-ci  lui  demande  son  concours*;  en  temps  de  guerre,  c'est 
le  'noyau  solide  qui  soutient  la  multitude  en  armes,  c'est  la 
réserve  sur  les  champs  de  bataille.  D'autre  part,  une  masse  de 
contingents,  convoqués  quand  une  guerre  éclate,  et  licenciés 
quand  les  hostilités  sont  terminées  ou  suspendues. 

L'histoire  plus  récente  de  la  Berbérie  peut  nous  autoriser  à 
présenter  des  hypothèses  sur  la  manière  dont  les  troupes  régu- 
lières étaient  recrutées  à  l'époque  que  nous  étudions.  Elles 
durent  être  fournies  tout  d'abord  par  la  tribu  à  laquelle  appar- 
tenait la  famille  royale,  et  qui,  avec  elle,  avait  fondé  l'État. 

1.  Tite-Live,  XXXF,  11,  10;  XXXI,  19,  4;  XXXII,  27,  2;  XXXVI,  4,  8;  XLII 
29;  35;  52;  62;  63;  XLIII,  6;  XLIV,  4;  XLV,  14.  Appien,  Iber.,  46  et  89.  Salluste] 
Jug.,  VII,  2.  Diodore  de  Sicile,  XXXVI,  5,  4.  César,  Bell.  GalL,  II,  7,  1;  TI,  10,  1; 
II.  24,  4.  Galba,  apud  Cicéron,  Ad  fam.,  X,  30,  3. 


146  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

Mais  cette  tribu  s'épuise  vite'.  Il  faut  que  d'autres  la  renforcent 
ou  la  suppléent.  Au  besoin,  le  roi  les  déplace,  pour  les  avoir 
sous  la  main  aux  lieux  où  il  réside,  au  cœur  même  des  régions 
■dont  elles  auront  à  faire  la  police.  Elles  forment  une  sorte  de 
classe  militaire,  qui  jouit  de  quelques  privilèges,  et  surtout  de 
l'exemption  des  impôts,  mais  où  les  hommes  valides,  —  en 
totalité  ou  en  partie,  —  sont  astreints  au  service;  d'ailleurs, 
ils  reçoivent  probablement  une  solde  et,  dans  les  expéditions 
où  on  les  emploie,  ils  trouvent  souvent  des  occasions  de  profits. 
Ces  réguliers  sont  répartis  dans  des  corps,  commandés  par 
des  officiers  %  munis  d'enseignes^,  capables  de  discipline,  ayant 
l'expérience  de  la  guerre.  Souvent,  ils  sont  mieux  équipés, 
mieux  pourvus  d'armes  offensives  et  défensives  que  la  plupart 
des  indigènes.  Jnba  I"  a  formé  des  c<  légions  »  *,  c'est-à-dire 
sans  doute  des  corps  d'infanterie  lourde,  sur  le  modèle  romain^. 
Les  chevaux  de  ses  cavaliers  réguliers  ont  des  mors^.  Parmi 
les  troupes  légères,  il  y  a,  non  seulement  des  hommes  qui 
portent  le  javelot,  cette  arme  nationale  des  Berbères,  mais  quel- 
■quefois  aussi  des  archers  et  des  frondeurs',  qui  peuvent 
atteindre  l'ennemi  de  plus  loin.  Des  chefs  adoptent  l'armement 
des  officiers  romains  et  grecs  ^  Les  corps  d'élite  ne  dédaignent 
pas  le  bien-être  :  les  Gétules  de  la  garde  noble  se  font  accom- 
pagner par  des  valets  ^ 


1.  CoQf.  supra,  p.  80  et  90. 

2.  Bell.  Afric,  LVI,  4  :  praefecli  de  Vequitatus  regius.  Peut-être  aussi  ibid., 
XCII,  3  :   «  ex  regiis  copiis  duces  complures.  » 

3.  Salluste,  Jug.,  XLIX,  5;  LXXIV,  3;  LXXX,  2;  XCIX,  3. 

i.  Bell.  Afric,  I,  4  :  «  legiones  regiae  IV  »  (tel  aurait  élé  le  nombre  des  légions 
de  Juba,  selon  des  bruits  qui  couraient  en  Sicile).  Le  roi  vint  rejoindre  Scipion 
avec  trois  légions  :  ibid.,  XLVIII,  1.  Mention  de  six  cohortes,  légionnaires  autant 
qu'il  semble  :  ibid.,  LV,  2. 

5.  Bogud,  roi  de  la  Maurétanie  occidentale,  amena  eu  48  une  légion  en  Espagne, 
au  secours  du  général  romain  Cassius  Longinus  :  Bell.  Alexandr.,  LXII,  1. 

6.  Bell.  Afric,  XLVIll,  I. 

7.  Jugurttia  en  emmena  au  siège  do  Numance  ;  Appien,  Ibrr.,  89. 

8.  Voir  t.  Vf,  1.  I,  ch.  ii,  §  I,  in  fine. 

9.  Bell.  Afric,  LVl.  4. 


LES  ROIS  ET  LEURS   SUJETS.  147 

Dans  cette  armée  permanente,  c'est  la  cavalerie  qui  joue  le 
principal  rôle  '■  :  il  faut  souvent,  nous  l'avons  dit,  aller  loin  et 
vite.  Le  pays  abonde,  du  reste,  en  chevaux  excellents  et  les 
Africains,  surtout  les  Numides,  sont  des  cavaliers  renommés. 

Mais  les  troupes  de  fantassins  ne  font  pas  défaut.  Un  récit 
qui,  on  doit  l'avouer,  est  fort  suspect,  nous  montre  Syphax 
cherchant  à  constituer  une  infanterie  régulière,  avec  l'assistance 
d'instructeurs  romains  ^  Si  nous  manquons  de  renseignements 
pour  Masinissa  et  ses  successeurs,  nous  connaissons  les  légions 
■de  Juba  I". 

Les  souverains  qui  ont  régné  dans  la  Berbérie  musulmane 
ont  fréquemment  employé  des  miliciens  d'origine  étrangère  : 
chrétiens  ou  renégats  venus  d'Europe,  surtout  d'Espagne, 
nègres  du  Soudan,  Turcs,  Kurdes,  etc.  C'étaient,  en  général, 
•de  bons  soldats,  pourvu  qu'on  les  payât  bien  et  qu'on  leur 
permît  le  pillage;  n'ayant  point  d'attaches  dans  le  pays,  ils 
n'avaient  aucun  intérêt  à  épargner  les  tribus  indigènes  qu'on 
leur  ordonnait  de  combattre.  Mais  ils  étaient  facilement  tur- 
bulents et  disposés  à  participer,  contre  Téeompense,  à  des 
révolutions  de  palais  :  l'Afrique  berbère  a  eu,  elle  aussi,  ses 
prétoriens.  Dans  l'antiquité,  nous  trouvons  quelques  mentions 
d'étrangers  au  service  des  rois  numides.  Sous  Jugurtha,  ce  sont 
des  transfuges  de  l'armée  romaine,  une  cohorte  de  Ligures^ 
deux  escadrons  de  Thraces,  d'autres  encore  ^  Comme  leur  sort 
n'est  pas  douteux  s'ils  tombent  aux  mains  de  ceux  qu'ils  ont 
trahis*,  ils  sont  nécessairement  des  auxiliaires  sur  lesquels  on 

1.  Ce  sont  ces  rcgii  équités,  qui,  dit  Salluste  {Jug.,  LIV,  4),  sont  seuls  à  ne  pas 
déserter  après  une  bataille  perdue.  Equitatus  regius,  dans  Bell.  Afric,  LVi,  4. 
Voir  encore  ibid.,  XGII,  4,  où  je  crois  qu'il  faut  lire,  avec  R.  .Schneider,  regii 
[et  non  regni]  équités. 

2.  Tile-Live,  XXIV,  48,  1   (voir  aussi  ibid.,  XXX,  11,  4).  Conf.  t.  III,  p.  179-180. 

3.  Salluste,  Jug.,  XXXVIII,  6;  LVI,  2;  LXII,  6  et  7  ;  LXXV,  1;  LXXVI,  5-6; 
cm,  1.  Appion,  Numid.,  p.   103,  c(»ll.  Didot.  Pnul  Orose,  Adv.pagan.,  V,   ir),  7. 

4.  Ceux  que  Jugurtha  livra  à  Métellus  périrent  dans  d'affreux  supplices  :  Dion, 
fragm.  87,  1;  Appien  et  Orose,  U.  ce.  D'aulros,  lors  de  la  prise  de  Thala,  se 
tuèrent  plutôt  que  de  se  rendre  :  Salluste,  LXXVI,  0. 


148  ORGANISATION  SOCIALE  ET   POLITIQUE. 

peut  compter*.  Jiiba  I"  a  2  000  cavaliers  espagnols  et  gaulois, 
sans  doute  des  mercenaires,  passés  on  ne  sait  comment  à  son 
service,  et  dont  il  a  fait  ses  gardes  du  corps  ^ 

Ces  gens  d'outre-mer  dépendaient  entièrement  des  rois  qui 
les  employaient.  Il  n'en  fut  pas  de  même  de  Sittius,  qui,  de 
64  à  47  avant  J.-C,  vécut  dans  l'Afrique  indigène,  à  la  tête  de 
bandes  d'Italiens  et  d'Espagnols,  et  vendit  ses  services  tantôt  à 
un  souverain,  tantôt  à  un  autre  ^  C'était  un  condottiere,  qui,  le 
marché  conclu,  paraît  avoir  conduit  les  hostilités  à  sa  guise. 
Le  cas  est  exceptionnel  :  nous  n'en  connaissons,  du  moins,  pas 
d'autre  exemple. 

Aux  troupes  régulières  se  joignent,  en  temps  de  guerre,  les 
contingents  fournis  par  les  tribus*  :  ce  qu'en  Algérie,  on 
appelle  aujourd'hui  les  goums.  L'ordre  de  convocation  est  évi- 
demment donné  aux  chefs  de  ces  tribus,  et  ce  sont  eux  qui 
amènent  et  commandent  leurs  gens.  Selon  les  besoins,  l'appel 
s'étend  à  tout  ou  partie  du  royaume,  aux  hommes  qui  sont 
dans  la  pleine  force  de  l'âge  ou  à  tous  ceux  qui  ne  sont  pas 
incapables  de  faire  campagne  ^  On  peut  former  ainsi  des 
armées  nombreuses,  aussi  nombreuses  que  le  permettront  les 
ressources  dont  on  disposera  pour  assurer  leur  nourriture  fru- 
gale. Nous  trouvons  dans  les  auteurs  anciens  des  chiffres  pour 
les  effectifs  de  ces  armées"  :  il  ne  faut  trop  s'y  fier.  Cependant 

1.  Ce  que  remarque  Salluste,  LVI,  2. 

2.  César,  Bell,  civ..  H,  40,  1  :  «  II  milia  Hispanorum  atque  Gallorum  equitum, 
quo9  suae  custodiae  causa  circuin  se  habcre  consuerat.  » 

3.  Voir  t.  Vlil.  1.  I,ch.  ii,  §  I. 

4.  Juba,  dit  l'auteur  du  Bellum  Africain  (XLVIII,  1),  sort  de  son  royaume  «  cum 
tribus  legionibus  equitibusque  frenatis  DGCC,  Numidis  sine  frenis  peditibusque 
levis  armaturae  grandi  numéro  ».  11  s'agit,  d'une  part,  de  troupes  régulières, 
d'autre  part,  de  contingents. 

5.  .Svphax  promet  aux  Carthaginois  de  lever  toute  la  iuventus  de  son  royaume  : 
Tite-Live,  XXX,  7,  11;  voir  aussi  ibid.,  XXX,  11,  4. 

6.  Lacumazès,  roi  des  Massyles,  et  son  tuteur  Maz.ctulle  opposent  à  Masinissa 
15  000  fantassins  et  10  000  cavaliers;  mais  une  partie  de  ces  forces  leur  a  été 
fournie  par  Syphax  :  Tite-Live,  X.XIX,  30,  9.  Masinissa  réunit  environ  20  000  cava- 
liers :  Appicn,  Ub.,  11,  dans  un  récit  sans  valeur  (conf.  t.  III,  p.  196,  n.  1).  En 
205,   rentrant  dans  son  royaume  d'où   il  a  été  chassé,   il  rassemble  eu  quelques 


LES  ROIS   ET  LEURS  SUJETS.  14» 

il  n'est  pas  invraisemblable  que,  clans  quelques  guerres, 
cinquante  mille  hommes,  et  même  davantage,  aient  été  réunis. 
Les  -arsenaux  et  les  haras  royaux  ne  sont  pas  assez  remplis 
pour  équiper  une  telle  foule  ^  :  cavaliers  et  fantassins  viennent 
avec  les  armes  qu'ils  possèdent,  des  javelots,  un  coutelas,  un 
petit  bouclier  ^  les  cavaliers  sur  leurs  propres  chevaux,    qui 

n'ont  pas  de  mors^ 

Ces  soldats  d'occasion  sont  doués  des  qualités  de  leur  race, 
sobriété,  endurance,  agilité  et,  quand  il  le  faut,  courage.  Mais 
ils  ont  un  armement  trop  sommaire;  ils  manquent  de  discipline 
et  de  cohésion;  dans  les  batailles,  ils  sont  peu  redoutables  à 
des  adversaires  bien  armés,  qui  ne  s'émeuvent  pas  de  leurs 
attaques  tumultueuses  et  savent  garder  leurs  rangs  \  Faire  leur 
éducation  militaire  est  chose  malaisée^  et,  d'ordinaire,  on  n'en 
a  guère  le  temps.  Quand  ils  ne  sont  pas  retenus  par  l'espoir  du 
butin,  ils  désirent  ardemment  retourner  chez  eux.  Ils  désertent 
aussitôt  qu'ils  en  trouvent  l'occasion,  surtout  dans  la  confusion 

iours  6  000  fantassins  et  4  000  cavaliers  :  Tite-Live,  XXLK,  32   13.  Syphax  rejoint, 
C204  les  Carthaginois  avec  50  00 )  fantassins  et  10  000  cavahers  :  Polybe.  XV 
14     Tte-Uve,  XXIX,  35,  H.  En  202,  Masin.ssa.  Q-,--^  f  , ---;%  ^.^ 
Laùme.  amène  à  Scipion  6  000  fantassins  et  4  000  cavaliers  :  P^»'»'^'  ^^J,  ^;/-3 
En ToO  i    commande  une  armée  de  plus  de  50  000  hommes  :  App.en.  Lib.,  71  et  73 
(conf    t      iT  P    306).  Paul  Oroso  (Adv.  pagan.,  V,  15,  10)  mentionne  une  bataille 
,ù  Ju^urhà  aurai    eu  60  000  cavaliers;  puis  (V,  15,  18)  une  autre,  ou  Jugurtha 
^BocC  auraient  opposé  aux  Romains  90  000  hommes,  ^-s  ces  chi  ^res^n^ 
méritent  aucune  confiance.  Juba  1",  qui  avait  mis  beaucoup  de  cavaliers  a  la 
S^ÎSon  des  Pompéiens,  amena  des  forces  importantes  quand  .1  vint  lu.-niôme 
Sattre  CésaMc^.  supra,  p.  148,  n.  4),  tandis  qu'une  autre  armée,  confiée  a 
un  de    es^énéraux,  Saburra  était  occupée,  dans  l'Ouest  de  ses  Etats,  a  combattre 
le  ro   Bocchus  et  I    condottiere  Sittius  (voir  t.  YIII,  1.  D-  -Pour  les  Çontingen  s 
qu'au  temps  de  Micipsa,  pouvaient  être  tirés  du  territoire  de  Crta.  ..  supra. 

^'/'Titelu've  (XXX,  7,  il.  et  XXX,  M,  4)  dit  pourtant  que  Syphax  donna  do* 
armes  et  des  chevaux  à  la  multitude  de  paysans  numides  qu'il  rassembla. 

2.  Voir  t.  VI,  1.  I.  ch.  II,  §  I. 

t    Ro;/    Afric     XLVIII.  1;  voir  aussi  i6id.,  XIa.  4,  lai,  — 

4*  Voir'  t  {"  "1.  II.  ch.  H,  8  II.  -  Jugurtha,  dit  Salluste  (Ju,,,  LlV  3),  rassembla 
une  armée  nombreuse,  mais  sans  vigueur  et  sans  force  :  gens  Pl-  P^P-^  t 
rtivoTles  Champs  et  à  garder  les  troupeaux  qu'à  faire  la  guerre  Conf..  pour 
les  armées  de  Syphax,  Tite-Live,  X\\,  7,  11  ;  \X\,  8,  7,  XXX,  H.  o. 

5. Tgurlha  l'aurait  essayé  sur  des  recrues  gélules  :  Salluste,  Jag.,  LXXX.  2. 


150  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

qui  suit  une  bataille  perdue'.  A  l'époque  des  semailles  et  des 
moissons,  il  est  impossible  de  retenir  les  agriculteurs;  à 
l'automne,  les  nomades  qui  étaient  venus  estiver  dans  le  Tell 
veulent  ramener  leurs  troupeaux  dans  les  steppes^. 

Les  rois  s'efforcent  pourtant  d'imiter  certains  procédés  de 
guerre  dont  les  nations  civilisées  font  usage.  Au  lieu  de  se 
contenter  de  simples  blocus,  ils  emploient  parfois  un  matériel 
de  siège  pour  forcer  les  places  ^  Dans  les  batailles  de  plaine, 
ils  se  servent  d'éléphants,  à  l'exemple  des  Carthaginois.  A  la 
fin  de  la  seconde  guerre  punique,  Masinissa  a  reçu  de  Rome 
une  partie  de  ceux  que  possédait  Carthage*;  après  lui,  les 
rois  de  Numidie  et  de  Maurétanie  gardent  ceux  dont  ils  ont 
hérité^,  ou  ordonnent  des  chasses  en  forêt  pour  s'en  procurer 
de  nouveaux^  Ils  en  mettent  quelques-uns  à  la  disposition 
des  armées  romaines  combattant  en  Orient,  en  Espagne,  en 
Gaule  \  Dans  leurs  guerres  africaines,  ils  en  emmènent 
un  assez  grand  nombre  ^  Jugurtha  en  a  44  à  la  bataille  du 


1.  Sallusto,  LIV,  4  :  «  Sauf  les  cavaliers  royaux,  personne  chez  les  Numides  ne 
«uit  le  roi  dans  sa  fuite;  chacun  se  relire  où  bon  lui  semble,  conduite  qui  n'est 
pas  regardée  comme  déshonorante  :  telles  sont  les  mœurs  de  ce  peuple.  » 

2.  Masquera)',  Formation  des  cités  de  l'Algérie,  p.  107.  G.  Marçais,  Les  Arabes  en 
Berbérie  du  xi'  au  xiV^  siècle,  p.  726. 

3.  A  propos  du  siège  de  Cirta  par  Jugurtha,  Salluste  écrit  (XXI,  3)  :  «  oppidum 
circumsedit,  vineis  turribusque  et  machinis  omnium  generum  expugnare  adgre- 
ditur.  »  Ibid..  XXIII,  1  :  «  turres  extruit.  » 

4.  Voir  t.  III,  p.  294. 

5.  Élien,  A^a<.  anim.,  IX,  58. 

6.  Florus  (11,  13,  67)  dit  que  les  éléphants  de  Juba  1°%  qui  combattirent  à 
Thapsus,  étaient  «  bellorum  rudes  et  nuperi  a  silva  ». 

7.  Tite-Live,  XXXll,  27,  2;  XXXVl,  4,  8;  XLII,  29;  XLII,  35;  XLII,  62  et  -eS; 
XLIII,  6;  XLIV,  5.  Appien,  Tbcr.,  46;  67;  89;  Ub.,ll.  Valèrc-Maxime.  IX,  3,  7. 
Pour  la  Gaule,  voir  Florus,  I,  37,  5;  Paul  Orose,  yidu.  pagfan.,  V,  13,  2  (on  ne  dit  pas 
cependant  que  ces  élé|)hants  aient  été  envoyés  par  des  rois  africains). 

8.  Pour  l'emploi  d'éléphants  par  des  rois  indigènes,  voir,  outre  les  textes  que 
nous  allons  citer,  Appien,  Lib.,  126  (éléphants  do  Gulussa,  lors  de  la  troisième 
guerre  punique);  IMutaniue,  Pompée,  14  (Pompée  ramène  à  Home  beaucoup 
d'éléphants  royaux,  dont  il  s'est  emparé).  Souvenir  de  ces  éléphants  de  guerre 
chez  un  auteur  nralx;  du  xi"  siècle.  Kl  Bekri  (Dcscr.  de  VAfruim'  scptenir.,  trad. 
de  Slaue,  édit.  d'Alger,  p.  214)  :  dans  les  temps  anciens,  les  rois  du  Maghreb 
avaient  établi  le  siège  de  leur  empire  à  Tanger,  et  un  de  ces  princes  avait  dans 
son  armée  trente  éléphants. 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  ibl 

Muthul'  et,  après  celte  bataille  où  tous  sont  tués  ou  pris,  il  lui  en 
reste  encore".  Son  beau-père  Bocchus  en  possède  au  moins  60\ 
A  Thapsus,  64  éléphants  de  Juba  I"  sont  pris  par  César^  Ce 
jour-là,  on  eut  une  nouvelle  preuve  des  désastres  que  pouvaient 
causer  ces  auxiliaires  à  ceux  qui  les  emplo3^aient  :  comme  en 
■d'autres  circonstances  %  ils  s'affolèrent,  devinrent  furieux,  se 
retournèremt  contre  leur  propre  armée  et  la  mirent  en  désordre. 
Cependant  les  derniers  souverains  de  la  Maurétanie,  Bocchus  le 
Jeune  ^,  Juba  II  et  Ptolémée\  paraissent  bien  avoir  eu  encore 
des  éléphants  de  guerre.  Chez  les  Carthaginois,  ces  animaux  ne 
portaient  d'ordinaire  qu'un  cornac,  pour  les  diriger,  et  c'était  à 
€ux  seuls  qu'on  confiait  la  tâche  de  faire  le  plus  de  mal  pos- 
sible à  l'ennemie  L'usage  de  les  munir  de  tours,  contenant 
des  guerriers,  fut  plus  fréquent  chez  les  rois  indigènes'. 

Ces  princes  eurent  même  une  marine,  qui,  à  vrai  dire,  ne 
semble  pas  avoir  été  importante  :  les  témoignages  qui  la  con- 
cernent sont  rares  et  assez  vagues  '°.  Elle  pouvait  servir  surtout 

1.  Salluste,  Jug.,  LUI,  4.  Le  roi  avait  auparavant  livré  30  éléphants  aux  Romains, 
qui  les  lui  avaient  rendus  :  ibid.,  XXIX,  6;  XXXIl,  3:  XL,  1. 

2.  Il  les  livra  ensuite  à  Métellus  :  ibid.,  LXII,  5-6.  Mention  des  éléphants  de 
Jugurtha  dans  Végèce,  Epif.  reimilit.,  III,  24. 

3.  Pline  l'Ancien,  VIII,  lo  (sans  doute  d'après  Juba  II).  Pour  les  éléphants  do 
Bocchus,  voir  encore  De  viris  illuslr.,  66. 

4.  Bell.  Afric,  LXXXVI,  2.  Pour  le  nombre  des  éléphants  que  possédait  Juba  I", 
voir  t.  VIII,  1.  I,  ch.  i,  §  IV.  Éléphant  sur  des  monnaies  de  ce  roi  :  Millier, 
Numism.,  III,  p.  42-43,  n°'  55-56. 

5.  Voir  t.  II,  p.  411. 

6.  Éléphant  portant  avec  sa  trompe  une  palme,  signe  de  victoire,  sur  une 
monnaie  qui  est  probablement  de  la  fin  du  règne  de  ce  Bocchus  :  Millier,  l.  c, 
p.  100,  n"  16. 

7.  Monnaie  de  Juba  II,  représentant  un  éléphant,  qui  porte  une  tour  et  tient 
une  couronne  :  Millier,  p.  107,  n"  76.  Éléphant  sur  d'autres  monnaies  de  Juba  II  : 
Millier,  p.  103,  n°  20;  Dieudonné,  dans  Rev.  numism.,  1908,  p.  355.  n"  36,  ot  pi.  XIII, 
flg.  20.  Sur  des  monnaies  de  Ptolémée  :  Millier,  p.  120,  n"'  125-6. 

8.  T.  11,  p.  407-8. 

9.  Mentions  d'éléphants  turriti,  dans  le  Rcllum  Africum,  XX.X,  2;XLI,  2;  «  cum 
turribus  »  :  LXXXVI,  2.  Éléphant  portant  une  tour  sur  une  monnaie  de  Juba  II  : 
V.  supra,  n.  7. 

10.  Gicéron,  Verrincs,  Act.  H,  iv,  46,  103  (conf.  Valère-Maxime,  I,  1,  e.\t.,  2)  :  un 
praefectus  reijius,  commandant  une  flotte  de  Masinissa;  mention  d'une  quinque- 
rème.  Vers  le  début  du  i"  siècle,  Eudoxe  de  Cyzique  prio  le  roi  de  Maun-tanie 
de  lui  donner  les  moyens  d'entreprendre  une  oxi^éditiou  le  long  de  la  côte  afri- 


152  ORGANISATION   SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

à  réprimer  la  piraterie,  à  moins  qu'elle  ne  s'y  adonnât  elle- 
même,  ce  dont  nous  avons  un  exemple  pour  l'époque  de  Masi- 
nissa'. 


VI 


Le  principal  souci  des  rois  est  de  se  procurer  des  ressources 
financières.  Les  impôts^  pèsent  d'un  poids  inégal  sur  les  habi- 
tants de  leurs  Etats  :  réguliers  dans  les  villes  et  les  campagnes 
ouvertes,  sujets  ailleurs  à  des  variations  qui  dépendent  de  la 
force  de  contrainte  dont  le  souverain  peut  user.  Certains 
groupes  sont  entièrement  exemptés,  pour  un  temps  ou  d'une 
manière  définitive  :  des  cités,  qui  reçoivent  ce  privilège^;  pro- 
bablement aussi  des  tribus  qui  ont  des  devoirs  militaires  parti- 
culiers, ou  auxquelles  on  ne  demande  rien  parce  qu'on  ne 
pourra  rien  obtenir  d'elles. 

Les  impôts  sur  les  produits  du  sol  s'acquittent  sans  doute 
en  nature,  ce  qui  est  plus  commode  pour  les  contribuables. 
Ainsi  s'expliquent  les  quantités  importantes  de  blé  et  d'orge 
dont  les  rois  disposent,  qu'ils  livrent  aux  Romains*,  ou  qu'ils 
entassent  dans  des  lieux  sûrs^  Plutarque*^  nous  apprend 
qu'après  avoir  converti  en   province   le  royaume  de  Juba  I", 

caine  de  l'Océan  (Strabon,  II,  3,  4,  d'après  Posidouius)  :  ce  qui,  à  vrai  dire,  n'est 
pas  une  preuve  bien  forte  que  ce  roi  ait  eu  des  vaisseaux  de  guerre.  Proue  de 
galère  sur  une  monnaie  du  roi  Bogud,  contemporain  de  César  :  Millier,  III, 
p.  95,  n°  8.  —  En  46,  un  chef  pompéien  garnit  ses  vaisseaux  de  rameurs  et  de 
soldats  de  marine  gélules  {Bell.  Afric,  LXII,  1).  C'étaient  probablement  des  sujets 
de  Juba  1*',  allié  des  Pompéiens;  ils  devaient  venir  du  littoral  des  Syrtes  : 
»;.  supra,  p.  111,  n.  13.  Juba  II  eut  certainement  une  flotte;  il  envoya  une  expédi- 
tion aux  Iles  Canaries  :  Pline  l'Ancien,  VI,  203. 

1.  Passages  de  Cicéron  et  de  Valère-Maxime  cités  note  précédente. 

2.  .Mention  de  ces  impôts  sous  Masinissa  :  Appien,  Lib.,  106.  Masintha,  prince 
numide  réfugié  à  Rome,  est,  conformément  à  la  demande  d'Hiempsal,  déclaré 
slipendinrius,  c'est-à-dire  tributaire  de  ce  roi  :  Suétone,  Jules  César,  71. 

3.  Salluste  {Jug.,  LXXXl.X,  4)  dit  de  Capsa  :  •  Eius  cives  aipud  lugurtham 
immunes.  • 

4.  Pour  les  livraisons  de  .Masinissa,  voir  t.  III,  p.  309. 

5.  Salluste,  Ju^.,  XCIl.  7.  Bell.  Afric,  XXXVl,  4.  Conf.  supra,  p.  144. 

6.  César,  55. 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  153 

César  se  félicita  devant  le  peuple  romain  d'avoir  donné  à  la 
République  un  pays  dont  elle  tirerait  tous  les  ans  1  200  000  bois- 
seaux de  blé*  (c'est-à-dire  105  000  hectolitres)-.  On  peut  sup- 
poser que  telle,  ou  à  peu  près  telle,  était  la  quantité  de  blé 
que  l'impôt  en  nature  rapportait  à  Juba^  dans  la  partie  de  ses 
Etats  qui  devint  la  province  d'Africa  nova.  Était-ce  déjà,  au 
temps  des  rois,  un  revenu  annuel,  toujours  le  même?  Etait-ce, 
au  contraire,  une  quotité  prélevée  sur  la  récolte,  une  «  dime  », 
qui  aurait  été  fixée  soit  au  dixième  du  produit,  soit  à  un  autre 
taux,  le  cinquième,  le  quart,  etc.?  Nous  l'ignorons.  Dans  la 
première  hypothèse,  on  serait  en  droit  de  croire  que  l'impôt, 
étant  invariable,  n'était  pas  très  élevé;  autrement,  en  cas  de 
mauvaise  récolte,  il  n'aurait  laissé  rien,  ou  presque  rien,  aux 
agriculteurs. 

Il  y  avait  certainement  aussi  des  taxes  sur  le  bétail,  qui  res- 
tait la  principale  richesse  des  indigènes.  Nous  lisons  dans 
Strabon*  que  les  rois  faisaient  tous  les  ans  recenser  les  pou- 
lains. Cette  opération  pouvait  leur  fournir  des  renseignements 
utiles  au  point  de  vue  militaire,  mais  elle  devait  avoir  surtout 
un  caractère  fiscal.  Comme  sous  la  domination  turque  en 
Algérie,  l'impôt  aurait  pu  être  perçu,  non  en  argent,  mais  en 
nature  :  par  exemple,  à  raison  d'un  bœuf  sur  trente,  d'un 
mouton  sur  cent.  Pour  les  chevaux,  il  y  aurait  eu  là  une 
source  d'approvisionnement  des  haras  royaux  ^  Mais,  si  ce 
mode  de  paiement  était  admissible  quand  il  s'agissait  de  recou- 

1.  Plutarque  dit  :  200  000  médimnes;  César  a  dû  indiquer  le  chiffre  en  modii. 

2.  Qu'auraient  eu  à  verser,  peul-on  croire,  ceux  qui  auraient  pris  à  ferme  la 
perception  de  l'impôt  eu  nature,  levé  sur  les  agriculteurs.  Après  sa  campagne. 
César  paraît  avoir  fait  des  adjudications  à  Zama.  Bell.  Afric,  XGVII,  1  :  «  tributis 
vectigaiil)us(|ue  regiis  locatis  >•  (correction  de  Schneider,  à  la  place  de  «  togatis  », 
que  donnent  la  plupart  des  manuscrits). 

3.  A  moins  que  les  1  200  000  hoisseaux  ne  représentent  la  quantité  de  blé  exigée 
des  publicains  auxquels  César  aurait  alTermé  les  revenus  des  anciens  domaines 
royaux.  V.  infra,  p.  191-2. 

4.  XVII,  3,  19. 

.5.  Cela  eût  nécessité  un  service  do  contrôle,  car,  autrement,  les  contribuables 
n'auraient  livré  que  des  animaux  de  rebut. 


134  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

vrer  ce  que  devait  un  groupe  de  pasteurs  solidaires,  ou  um 
gros  éleveur,  il  ne  pouvait  être  appliqué  par  le  percepteur  aux. 
gens  qui  ne  possédaient  personnellement  qu'un  très  petit, 
nombre  de  tètes  de  bétail. 

C'est  en  argent  que  s'acquittaient  les  impôts  perçus  dans  les- 
villes*;  on  peut  admettre  qu'ils  consistaient  surtout  en  des 
taxes  de  capitation,  plus  ou  moins  élevées  selon  la  fortune  des> 
contribuables. 

Il  n'est  pas  vraisemblable  que  le  roi  ait  entretenu  un  nom- 
breux personnel,  chargé  du  détail  des  opérations  financières. 
Cette  tâche  incombait  sans  doute  aux  autorités  locales,  dans  les- 
cités,  les  tribus,  les  villages.  Les  recensements,  plus  ou  moins 
précis,  auxquels  elles  procédaient  et  qui,  naturellement, 
devaient  être  soumis  à  un  certain  contrôle,  permettaient  aux. 
secrétaires,  royaux  de  déterminer  la  capacité  de  chaque  groupe 
en  matière  d'impôts.  Sur  ces  données,  se  faisait,  entre  les. 
divers  groupes,  la  répartition  de  la  somme  totale  dont  le  roi 
avait  besoin,  et  c'étaient  les  chefs  des  groupes  qui  avaient  à 
procéder  à  la  répartition  locale,  puis  à  la  perception,  par  les- 
moyens  qu'ils  jugeaient  les  meilleurs.  C'étaient  eux  qui  livraient 
les  versements,  dont  ils  étaient  responsables.  11  va  sans  dire 
que  leurs  administrés  répugnaient  à  s'exécuter,  d'autant  plus 
qu'ils  savaient  bien  que,  d'ordinaire,  ces  opérations  procuraient 
aux  percepteurs  des  bénéfices  illicites.  Souvent  même,  le  refus 
de  payer  était  catégorique  et  général.  Le  roi  devait  intervenir, 
et  faire  ce  que  faisaient  les  Carthaginois  dans  leur  province-, 
ce  que  feront  plus  tard  les  Turcs    en  Algérie,   les    sultans  aui 

1.  Ceux  que  les  Carthaginois  araient  levés  dans  des  villes  de  la  région  des 
Syrles  furent  exigés  par  .Masinissa.  Tite-Live,  .\XX1V,  02,  2  :  «  quasdam  urbe* 
vectigales  Carlhaginiensiurn  sibi  coegit  slipendiuin  pendere.  •  Polybe,  XXXI,  21, 
8,  édit.  Buttner-Wobsl  (alias  XXXll,  2)  :  Cartilage  doit  verser  500  talents  à  Masi- 
nissa, somme  représentant  les  ri.?venus  qu'elle  avait  perçus  dans  la  région  des- 
Emporia,  depuis  le  commencement  du  dilTérend  entre  elle  et  le  roi  (il  s'agit  de 
revenus  tirés  des  villes,  conservées  par  Garthage,  taudis  que  les  campagnes, 
étaient  tombées  au  pouvoir  de  Masinissa;  conf.  t.  Il,  p.  2Uf),  n.  3). 

2.  Voir  t.  Il,  p.  302,  n.  4;  p.  303,  n.  1. 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS  I55. 

Maroc.  Une  colonne  de  réguliers,  quelquefois  accompagnée  par 
des  tribus  voisines,  qu'attire  la  curée,  pénètre  sur  le  territoire  des 
récalcitrants,  et  se  charge  de  la  levée  de  l'impôt,  ou  plutôt  d'un 
pillage  bien  plus  productif,  dont  elle  se  réserve  une  large  part. 

D'autres  tribus  peuvent  se  trouver,  vis-à-vis  du  souverain, 
dans  une  situation  intermédiaire  entre  celles  qui  sont  assez 
fortes  pour  refuser  tout  impôt  et  celles  qui  sont  incapables  de 
résister  longtemps  à  des  exigences  appuyées  par  les  armes. 
Les  risques  paraissant  à  peu  près  égaux,  on  se  met  d'accord 
pour  les  éviter,  et  le  roi  se  contente  d'un  versement  volon- 
aire,  d'un  «  cadeau  »  que  la  tribu  lui  offre  de  temps  en  temps. 
C'est  là  un  compromis  qui  se  pratique  encore  au  Maroc.  Il 
doit  remonter  à  un  passé  lointain.  De  même,  tout  ce  système 
fiscal  rudimentaire  que  nous  venons  d'attribuer  à  l'époque  des 
dynasties  numides  et  maures,  non  parce  que  des  témoignages 
précis  nous  y  autorisaient,  mais  parce  que  les  choses  n'ont 
point  dû  se  passer  alors  autrement  qu'à  des  époques  mieux, 
connues  de  l'histoire  de  la  Berbérie. 

Nous  n'avons  pas  de  renseignements  sur  les  profits  que  les 
rois  tiraient  des  douanes,  des  péages,  des  taxes  qu'ils  levaient 
probablement  sur  les  marchés.  Même  ignorance  en  ce  qui  con- 
cerne les  revenus  des  domaines*.  Il  ne  semble  pas  que  l'exploi- 
tation des  mines  ait  été  active^;  d'ailleurs,  on  ne  sait  si  les 
souverai-ns  s'en  étaient  réservé  la  propriété  et,  dans  le  cas 
contraire,  s'ils  percevaient  des  droits,  A  Simitthu,  lieu 
d'extraction  du  fameux  marbre  numidique,  la  «  carrière 
royale  »  devait  appartenir  au  roi  \ 

Quels  qu'aient  été  les  moyens  que  ces  princes  employaient 
pour  se  procurer  de  l'argent,  il  est  certain  qu'ils  n'en  man- 
quaient pas.  Masinissa  et  Micipsa   laissèrent  des  trésors  bien 

1.  Vdir  te  pendant  l'hypothèse  présentée  p.  1.")^,  n.  3. 

2.  V.  infra,  p.  211. 
.3.  Infra,  ibid. 


156  ORGANISATION   SOCIALE   ET   POLITIQUE. 

remplis*.  Le  plus  important  était  assurément  celui  qui  se 
trouvait  dans  leur  capitale,  Cirta.  Au  siècle  suivant,  c'est  à 
Zama,  sa  capitale,  que  Juba  P^  réunit  de  grosses  sommes^. 
Mais  des  trésors  royaux  sont  aussi  mentionnés  dans  d'autres 
villes^  :  Suthul*,  Thala  ^  Capsa".  Peut-être  étaient-ce  des 
caisses,  dans  lesquelles  on  aurait  versé  les  recettes  des  régions 
dont  ces  villes  auraient  été  les  chefs-lieux  financiers;  on  y 
aurait  puisé,  d'autre  part,  l'argent  nécessaire  aux  paiements 
qui  devaient  être  faits  dans  les  mêmes  régions. 

Personne  n'ignore  que  Jugurtha  put  disposer  de  sommes 
fort  élevées  pour  acheter  des  consciences  à  Rome.  Plus  tard, 
les  largesses  des  rois  africains  ne  furent  pas,  prétendit-on, 
étrangères  aux  utiles  sympathies  qu'ils  se  créèrent  parmi 
l'aristocratie  delà  grande  République  \  Juba,  envoyé  par  son 
père,  le  roi  Hiempsal,  pour  traiter  certaines  affaires,  était,  dit 
Cicéron  *,  aussi  bien  pourvu  d'écus  que  de  cheveux.  Quand 
Jugurtha  offrit  de  faire  sa  soumission,  Métellus  exigea  de  lui 
un  versement  immédiat  de  200  000  livres  d'argents 

Nous  avons  pourtant  des  raisons  de  croire  que  presque  tout 
l'argent  qui    circulait    dans  l'Afrique    indigène    et   dont    une 

1.  Appien,  Lib.,  106  ;  Valère-Maxime,  V,  2,  ext.,  4.  Sallusle,  Jug.,  XII,  1-2. 

2.  Bell.  Afric,  XGI,  2  :  «  oppidum  Zaïnani,...  quo  ex  cuncto  regno  omnem 
pecuniam  carissimasque  res  comportaverat.  » 

3.  Salluste  (Ju^-,  XII,  2)  dit  que  les  trois  successeurs  de  Micipsa,  après  avoir 
conféré,  se  retirèrent,  chacun  de  son  côté,  «  in  loca  propinqua  thesauris  ».  L'un 
d'eux  se  rendit  en  un  lieu  que  les  manuscrits  appellent  Thirmida  :  peut-être 
Thimida  Bure,  ii  proximité  de  Tliugga.où  auraient  été  les  trésors  dont  il  est  ques- 
tion ici;  r.  in/ra,  p.  265-0. 

4.  Salluste,  ./u^.,  .\XXVI1,3;  conf.  Paul  Orose,  Adv.  pa<jan.,W,  15,0  (il  ne  nomme 
pas  Sutliul). 

5.  Salluste,  LXXV,  1;  voir  aussi  LXXVI,  1.  " 

6.  Strabon,  XVII,  3,  12.  Paul  Orose,  V,  15,  8. 

7.  Voir  De  uiris  illuslr.,  60  :  Livius  Drusus,  le  tribun  de  l'année  !)1  avant  J.-C, 
est  aciieté  par  Bocchus,  roi  de  .Maurétanie,  et  il  cherche  à  se  faire  acheter  par  le 
roi  de  Numidie. 

8.  De  lege  agraiia.  II,  22,  50  :  ■  luba,  régis  Iliius,  adulescens  non  minus  bcne 
nummatus  (|uam  bone  capillatus.  • 

9.  Salluste,  ^u^/.,  L.XII,  5.  Ce  (jui  équivaut  à  O'i  400  kilogrammes.  Au  contraire, 
quatre  ans  plus  tard,  après  la  lin  de  cette  longue  gucirre,  le  butin  en  or  cl  en 
argent  porté  au  triomphe  de  Marius  fui  fort  médiocre  :  voir  Plutnrque,  Marias,  12. 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  157 

bonne  partie  passait  par  les  trésors  royaux,  était  importé  de 
l'étranger.  En  effet,  si  les  rois  du  pays  avaient  exploité  des 
mines  de  métaux  précieux,  ils  ne  se  seraient  pas  contentés 
d'en  faire  des  lingots,  mais  ils  auraient  frappé  en  abondance 
des  monnaies  d'or  et  d'argent,  comme  ils  frappaient  des  mon- 
naies de  bronze.  Or  il  n'en  était  rien.  Un  trésor  de  237  pièces 
d'argent,  enfoui  à  Cirta  en  79  avant  J.-C,  ou  un  peu  plus 
tard,  et  retrouvé  de  nos  jours',  contenait  des  monnaies 
d'Athènes,  de  Carthage,  de  Marseille,  d'Espagne,  surtout  des 
deniers  de  la  République  romaine,  mais  pas  une  seule  mon- 
naie frappée  en  Numidie.  Et  pourtant,  nous  sommes  ici  dans 
la  capitale  de  celte  contrée,  en  un  lieu  oij,  plus  que  partout 
ailleurs,  auraient  dû  circuler  les  monnaies  d'argent  numides 
si  elles  avaient  été  d'un  usage  courant. 

Parmi  les  monnaies  des  royaumes  indigènes  qui  peuvent 
être  datées,  les  plus  anciennes  furent  émises  par  Syphax,  à  la 
fin  du  III'  siècle.  Elles  sont  en  bronze  et  portent  le  nom  du 
roi  en  punique ^  De  Vermina,  fils  de  Syphax  et  roi,  soit  en 
même  temps  que  lui,  soit  après  lui  %  on  a  des  monnaies 
d'argent,  du  reste  extrêmement  rares*;  si  elles  sont  contem- 
poraines du  règne  de  Syphax,  il  y  a  lieu  de  supposer  que  ce 
dernier  a  aussi  frappé  des  monnaies  d'argent,  dont  aucun 
exemplaire  ne  nous  serait  parvenu. 

On  recueille  souvent,  surtout  en  Algérie  et  en  Tunisie,  des 
monnaies  offrant  l'effigie  d'un  roi  barbu,  qui  porte  un  diadème 
ou  une  couronne  laurée  ^  Elles  sont,  soit  en  bronze,  soit  en 

1.  L.  Charrier,  Descr.  des  monnaies  de  la  Numidie,  p.  10. 

2.  Muller,  Numism.,  III,  p.  90-91,  n"'  2-4,  et  Supplément,  p.  69.  Babelon,  Bull,  des 
antiq.  afric,  I,  1882-3,  p.  129-133.  Carhonnel,  Rec.  de  Constantine,  XLII,  1908,  p.  189. 

3.  La  première  hypothèse  nous  paraît  la  plus  probable  :  v.  supra,  p.  125,  n.  4. 

4.  Muller,  III,  p.  88,  n'  1,  et  Suppl.,  p.  69.  Conf.  ici,  t.  III,  p.  283,  d.  7.' 

5.  Muller,  III,  p.  18-19,  n°'  20-30;  p.  32,  n"'  37-42.  Les  monnaies'à  tète  laurée, 
qu'on  a  commencé  à  frapper  avant  la  mort  de  Masiuissa,  semblent  plus  récentes 
que  les  monnaies  à  tète  diadémée  :  dans  un  trésor  qui  contenait  des  exemplaires 
des  deux  types,  ceux  du  premier  étaient  moins  usés  que  ceux  du  second  :  Rev. 
numism.,  1901,  p.  291. 

GsELL.  —  Afrique  du  Nord.  V.  {{ 


158  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

plomb;  les  pièces  en  plomb  abondent  tellement'  qu'il  faut  les; 
regarder  comme  des  monnaies  à  cours  légal,  et  non  comme 
des  produits  frauduleux,  imitant  des  pièces  d'argent  :  du  reste,, 
aucune  monnaie  semblable,  frappée  en  argent,  n'a  été  trouvée. 
Malgré  d'assez  notables  différences,  qui  tiennent  avant  tout  à 
l'inexpérience  des  artisans,  toutes  ces  images  représentent  le 
même  homme,  Masinissa,  comme  le  prouvent  un  ou  deux 
exemplaires  où  son  nom  et  son  titre  royal  ont  été  inscrits*. 
Mais  l'effigie  du  grand  souverain  fut  conservée  par  ses  succes- 
seurs, ses  fils  et  petits-fils,  qui  ne  la  remplacèrent  pas  par  la 
leur*.  En  effet,  des  monnaies  qui  offrent  cette  tête  paraissent 
dater  des  règnes  de  Micipsa,  de  Gulussa,  d'Adherbal,  peut- 
être  aussi  de  Gauda  :  ces  princes  se  seraient  contentés  d'y 
inscrire  la  lettre  initiale  et  la  lettre  finale  de  leur  nom,  M  et  N^ 
G  etN,  A  et  L*.  On  n'en  connaît,  jusqu'à  présent,  ni  de  Mas- 
tanabal,  ni  d'Hiempsal,  fils  de  Micipsa,  ni  de  Jugurtha^ 

Tout  ce  monnayage  des  royaumes  massesyle  et  massyle  se 
modèle  sur  celui  de  Carthage  :  le  système  métrologique  semble 
bien   être   le   même,    le   cheval    des    monnaies  carthaginoises 


1.  Muller,  p.  19,  n"  36.  et  p.  31. 

2.  Exemplaire  à  tôle  laurée,  trouvé  à  Constantine  :  Babelon,  dans  Bull.  archéoL 
du  Comité,  1801,  p.  253;  conf.  Doublet  et  Gauckler,  Afusée  de  Constantine,  p.  24. 
Autre  exemplaire  endommagé,  que  l'on  peut  compléter  d'après  celui-là  :  Muller, 
p.  n,  n"  19;  Babelon,  Mélanges  numismatiques,  I,  p.  123,  et  dans  B.  a.  Comité, 1891^ 

p.  2")3. 

3.  Un  trésor  enfoui  à  Mazia,  en  Croatie,  peu  après  89,  —  c'est-à-dire  environ 
soixante  ans  après  la  mort  de  Masinissa,  —  contenait  328  monnaies  numides,  qui, 
toutes,  portaient  cette  effigie,  soit  diadémée  (11  exemplaires),  soit  laurée  (317  exem- 
plaires) :  Bev.  numisin.,  1901,  p.  291. 

4.  Voir  Berger,  Bev.  archéoL,  1889,  1,  p.  212-5;  Babelon,  B.  a.  Comité,  1891, 
p.  2D4-5.  Les  lettres  M-N  peuvent  désigner  M{asinissa)n,  —  ce  doit  être  le  cas 
pour  toutes  les  monnaies  à  tèto  diadémée,  — ou  M[ilciwça)n;  les  lettres  G-N,  soit 
aiulussa)n,  soit  G(auda)n;  le  nom  A(dherba)l  est  représenté  par  A-L. —  Les  mon- 
naies d'argent  et  de  bronze  que  Millier  (III,  p.  13,  n"'  1-5)  attribue  à  Masinissa 
sont  sans  doute  espagnoles;  de  même,  des  monnaies  d'argent  qu'il  attribue  à 
Micipsa  (ibid.,  p.  16-17,  n"'  8-18)  :  voir  ici,  t.  II,  p.  328-9.  Les  deux  monnaies  d'or 
qu'il  propose  d'attribuer  &  Micipsa  (p.  16,  n"  6-7)  sont  indéterminées  (de  Juba  1°'??  : 
V.  infra,  p.  160). 

5.  (Jn  doit  très  probablement  cberclier  en  Espagne  l'origine  des  monnaies 
d'argent  que  Muller  (p.  34,  n"'  43,  44)  attribue  à  Jugurtlia  :  voir  t.  Il,  p.  329,  n.  3. 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  15^ 

reparaît  sur  les  monnaies  numides,  les  légendes  sont  ea 
punique. 

Il  n'est  pas  impossible  que  certaines  monnaies,  frappées  en 
Afrique  au  ii*  siècle,  peut-être  même  jusqu'au  i",  et  dépour- 
vues d'effigie  royale,  aient  été  cependant  émises  par  des  rois 
numides  :  hypothèse  qu'on  ne  doit  avancer  qu'avec  beaucoup 
de  réserve.  Ce  sont  des  bronzes,  qui  offrent,  d'un  côté,  une 
tête  virile  et  jeune  entre  deux  épis,  de  l'autre,  un  cheval  galo- 
pante Peut-être  aussi  des  pièces  de  bronze  et  d'argent,  avec 
une  tête  de  déesse,  d'ordinaire  coiffée  d'une  dépouille  d'oiseau,, 
et,  au  revers,  trois  épis  ;  des  lettres  puniques,  abréviations  de 
noms  indéterminés,  accompagnent  ces  images^.  Nous  avons 
mentionné  ^  des  monnaies  d'argent  et  de  bronze,  qui  portent 
l'inscription  Ai.êjcov  et  souvent  aussi  une  lettre  punique,  et 
qui  ont  dû  être  frappées  entre  la  Cyrénaïque  grecque  et 
l'Afrique  carthaginoise  :  on  peut  se  demander  si  elles  ne 
datent  pas  de  l'époque  où  Masinissa  s'empara  de  la  région  des- 
Emporia,  sur  les  Syrtes*. 

Au  f  siècle  avant  notre  ère,  régnèrent  en  Numidie  Hiempsal^ 
puis  son  fils  Juba.  Des  monnaies  de  bronze  et  d'argent,  mar- 
quées de  la  lettre  punique  H,  ont  été  attribuées  à  HiempsaP  : 

1.  Mûller,  M,  p.  145  :  il  croit  ces  monnaies  siciliennes.  Beaucoup  ont  été 
frappées  sur  des  monnaies  carthaginoises.  Elles  doivent  être  africaines  et,  à  en 
juger  par  certaines  trouvailles,  appartenir  au  ii°  siècle  :  voir  Gauckler,  Bull, 
archéol.  du  Coiniié,  1904,  p.  c.xcv  ;  de  Bray,  Bull,  de  Sousse,  V,  1907,  p.  96-97;. 
Merlin,  B.  a.  Coinilé,  1919,  p.  209. 

2.  Millier,  III,  p.  176-7,  n"»  284-200;  Suppl.,  p.  81,  n<"  290  a,  291-4.  Ces  mon- 
naies, frappées  quelquefois  sur  des  monnaies  de  Carthage,  sont,  au  moins  en 
partie,  antérieures  à  la  chute  de  cette  ville  :  voir  Delattre,  B.  a.  Comité,  1893, 
p.  116.  On  en  trouve  souvent  en  Algérie.  Conf.  t.  IV,  p.  9,  n.  1  (où  j'indique  que 
Babelon  les  croit  carthaginoises);  ibid.,  p.  272,  n.  3. 

3.  V.  supra,  p.   104. 

4.  Voir  t.  111,  p.  314  et  suiv. 

.".  Miillcr,  III,  p.  38,  n'"  45-49.  La  lettre  punique  serait  l'initiale  du  nom  du  roi. 
Le  n"  47  porte  HT,  qu'on  pourrait  interpréter  à  la  rigueur  (?) //(.tfmpsaZ  heinainleke)t, 
c'est-à-dire  «  Iliempsal,  personne  royale  ».  L'efligie  représentée  sur  ces  monnaies 
est  tautùt  celle  d'une  déesse  couronnée  d'épis,  tantôt  une  tète  virile,  imberbe, 
également  couronnée  d'épis  :  peut-élre  un  dieu,  et  nou  pas  le  roi,  car  il  est  fort 
probable  qu'Hiempsal  portait  la  barbe,  comme  son  IIU  Juba. 


160  ORGANISATION  SOCIALE  ET   POLITIQUE. 

ce  qui  est  fort  incertain;  celles  qui  sont  en  argent  appartien- 
nent au  système  métrologique  romain.  De  Juba  I",  il  existe 
des  monnaies  en  bronze  et  en  argent^,  —  celles-ci  du  système 
romain,  —  avec  le  nom  du  roi;  les  bronzes  portent  une  légende 
en  langue  phénicienne  et  en  écriture  néopunique;  les  deniers 
et  quinaires  d'argent,  qui  offrent,  pour  la  plupart,  l'effigie  du 
roi,  sont  bilingues^,  à  inscriptions  latine  et  néopunique.  Il  ne 
paraît  pas  inadmissible  "  que  Juba  ait  aussi  frappé  des  mon- 
naies d'or  *,  011  son  portrait  aurait  été  remplacé  par  un  buste 
ailé  de  la  Victoire;  ces  monnaies  sont  dépourvues  de  légende, 
mais  l'image  de  la  face  et  celle  du  revers  (un  cheval  galopant)  se 
retrouvent  sur  des  quinaires  émis  certainement  parce  souveraine 

En  62  avant  notre  ère,  régnait,  entre  les  Etats  d'Hiempsal 
et  la  Maurétanie,  un  prince  que  Cicéron  ^  appelle  Mastanesosus. 
C'est  peut-être  à  lui  qu'il  convient  d'attribuer  des  bronzes, 
portant  la  légende  néopunique  MSTNÇN  HMMLKT,  «  Masta- 
neçan(?),  personne  royale  »  ^ 

Pour  la  Maurétanie,  nous  ne  connaissons  aucune  monnaie 
royale  qui  puisse  être  assignée  avec  certitude  à  des  souverains 
antérieurs  à  Bocchus  et  à  Bogud,  contemporains  de  César*. 
De  Bocchus,  on  a  des  bronzes,  avec  son  nom  et,  sur  plusieurs, 
aussi  son  litre,  en  écriture  néopunique";  la  légende  du  revers 


1.  Millier,  III,  p.  42-43,  n"'  50-58  (le  n"  54,  sesterce  d'argent,  peut,  en  effet,  être 
de  Juba  I",  quoiqu'il  ne  porte  ni  l'effigie,  ni  le  nom  du  roi). 

2.  Sauf  le  n"  53  (quinaire),  qui  est  anépigraphe. 

3.  Hypothèse  de  L.  Charrier,  Desc.  des  monnaies  de  la  Numidie,  p.  21-22. 

4.  Muller,  III,  p.  10,  n"'  6-7. 

5.  Ibid.,  p.  42,  n"  52. 

6.  In  Valinium,  5,  12. 

7.  Muller,  III,  p.  48,  n"'  59-61  (et  Suppl.,  p.  65)  :  il  les  attribue  à  un  Masinissa,  qui 
fut  contemporain  de  Juba  I".  L'altribution  à  Mastanesosus  a  été  proposée  par 
M.  von  Duhn,  ZeitschriJ't  f.  Nunmmalik,  III,  187fi,  p.  41. 

8.  C'est  sans  raisons  valables  que  Muller  attribue  certaines  monnaies  de  bronze 
et  d'argent  à  des  rois  qu'il  appelle  Bocchus  I",  Bocchus  II,  Bogud  I"  :  Nuniism., 
III.  p.  88,  n"  1,  et  p.  90-1)1,  n"'2-4  [il  s'agit  de  monnaies  de  Vermina  et  de  Syphax]; 
Suppl.,  p.  71,  n°'  4  a  et  6  [monnaies  indéterminées  :  conf.  ici,  t.  11,  p.  329,  n.  6j. 

9.  .Millier,  III,  i>.  97-98,  n"'  9-14.  La  monnaie  bilingue  (latine  et  néopunique), 
publiée  ibid.,  p.  100,  n°  15  (conf.  Suppl.,  p.  73,  n"  15  a),  nomme  le  roi  Bocchus, 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.     .  161 

nous  apprend  qu'une  partie  au  moins  de  ces  pièces  furent 
frappées  dans  les  villes  de  Siga  et  de  Shemesli  (c'est-à-dire, 
croyons-nous ',  Lixus,  sur  l'Océan).  Bogud  a  laissé  des  mon- 
naies d'argent,  du  système  romain,  et  des  bronzes,  portant  les 
unes  et  les  autres  la  légende  latine  Rex  Bogut-,  Nous  parlerons 
plus  tard^  du  monnayage  de  Juba  II,  de  sa  femme  Cléopâtre 
Séléné  et  de  son  fils  Ptolémée,  contemporains  des  premiers 
empereurs;  la  langue  punique  n'apparaît  plus  que  sur  des 
bronzes  de  Juba  frappés  à  Shemesh  et  portant,  du  reste,  le 
nom  du  roi  en  latin;  partout  ailleurs,  les  légendes  sont  en 
latin,  ou  en  grec,  et  les  pièces  d'argent  sont  des  deniers  du 
système  romain. 


VII 


Parmi  les  rois  indigènes,  Syphax  est  le  premier  qui  fasse 
figure  dans  l'histoire.  Il  fut  maître  pendant  quelque  temps  de 
toute  la  contrée  qui  s'appelle  aujourd'hui  l'Algérie;  il  eut  pour 
capitales  à  la  fois  Siga,  vers  l'extrémité  occidentale  de  l'Oranie, 
et  Cirta,  aujourd'hui  Constantine.  Il  épousa  une  jeune  fille  de 
la  plus  haute  noblesse  carthaginoise.  Il  vit  Rome  et  Carthage 
solliciter  son  alliance;  dans  la  lutte  décisive  entre  les  deux  Répu- 
bliques, il  put  croire  que  la  fortune  pencherait  du  côté  où  il 
jetterait  le  poids  de  ses  armes.  Il  prétendit  s'égaler  aux 
monarques  de  l'Orient  grec,  se  ceignant,  comme  eux,  du 
diadème,  mettant  son  image  sur  les  monnaies  qu'il  fut  sans 
doute  le  premier  à  frapper  en  Numidie.  Cependant  son  règne 
ne  fut  qu'une  longue  lutte  contre  ses  voisins  *,  probablement 

mais  c'est  sans  doute  une  monnaie  municipale,  frappée  àTingi;  voir  probable- 
ment aussi  ibid.,  u"  16. 

1.  T.  II,  p.  174. 

2.  Millier,  III,  p.  95,  n"'  5-8. 

3.  Voir  t.  VIII,  I.  Il.ch.  ii  et  iv. 

4.  Outre  les  guerres  contre  les  rois  masayles,  dont  le  récit  est  donné  t.  III, 
p.   180,  182,  192  et  suiv.,  voir  des  allusions  à  d'autres  guerres,  ibid.,  p.  197,  n.  1. 


162  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

aussi  contre  ses  sujets,  sans  parler  des  guerres  qu'il  soutint 
contre  Carthage  et  Rome.  Son  empire  s'effondra  tout  d'un 
coup;  Masinissa  n'eut  qu'à  se  présenter  devant  Cirta  pour  s'en 
faire  ouvrir  les  portes  ;  la  plus  grande  partie  du  royaume  masae- 
syle  se  soumit  sans  résistance  aux  vainqueurs. 

Masinissa  accomplit  une  œuvre  plus  durable*;  il  fut  le  plus 
grand  entre  les  grands  souverains  de  la  Berbérie,  TAlmoravide 
Youssef  ben  Tachfine,  l'Almohade  Abd  el  Moumen,  le  chérif 
marocain  Moulay  Ismaïl,  qui,  à  bien  des  égards,  lui  ressem- 
blèrent. Il  étendit  ses  États  de  la  Maurétanie  à  la  Cyrénaïque, 
il  amassa  de  très  grosses  sommes  d'argent,  il  entretint  des 
troupes  nombreuses  et  aguerries.  Il  propagea  l'agriculture  et 
développa  la  vie  urbaine.  Grecs  et  Romains  reconnurent  en  lui 
un  vrai  monarque.  Beaucoup  de  ses  sujets,  peut-être  la  plupart 
d'entre  eux,  oublièrent  leur  haine  instinctive  de  la  royauté,  et 
l'affection  se  joignit  à  la  crainte  pour  les  attacher  àlui^  Son 
culte  se  perpétua  à  travers  les  siècles  '. 

Mais  l'empire  qu'il  avait  créé,  qu'il  avait  soutenu  de  son  bras 
puissant,  il  ne  l'avait  point  organisé.  Et,  quoique  nous  connais- 
sions fort  mal  son  long  règne,  en  dehors  de  ses  rapports  avec 
les  Romains  et  les  Carthaginois,  nous  savons  qu'il  eut  à  com- 
battre des  rebelles'';  que,  deux  ans  à  peine  avant  sa  mort, 
six  mille  cavaliers,  conduits  par  des  traîtres,  passèrent  de  son 
camp  dans  le  camp  ennemi  ^ 

Après  lui,  le  royaume  de  Numidie  aurait  pu  se  décomposer 
très  vite,  comme  tant  d'autres  royaumes  berbères,  si  Masinissa 
avait  eu  des  successeurs  tout  à  fait  incapables,  énervés  et 
hébétés  par  une  vie  de  plaisirs.  Son  petit-fils  Gauda,  qui,  par 
la  grâce  des   Romains,   remplaça  Jugurlha,  était,  au  dire  de 

1.  Corif.  t.   m,  p.  304  (;tsuiv. 

2.  Popuhiril»' de  Masinissa  parmi  lesMassyles  :  Tite-Livc,XXIX,  32, 13;  XXX,  tl.2. 

3.  Voir  l.  VI,  1.  II.  (11.  II,  §  II. 

4.  Voir  t.  III,  p.  314,  315,  pour  l'afTaire  d'Aphther. 
:y.  Ibid.,  p.  323-4. 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  163 

Salluste',  débile  de   corps  et   d'esprit,  mais  très  attaché   aux 
honneurs  auxquels  il  avait  droit;  il  put  transmettre  ses  États  à 
son  fils  Hiempsal.  Le  dernier  des  descendants  de  Masinissa,  le 
roi.  de  Maurétanie   Ptolémée,   paraît  avoir  été  un  dégénéré; 
peut-être     ses    sujets    l'auraient-ils     précipité    du    trône,    si 
l'empereur  Caligula  n'avait  pas  pris  ce  soin.  Mais,  en  général, 
les  princes    qui    régnèrent    en  Numidie   et  en   Maurétanie  se 
montrèrent    désireux    de    maintenir  leur    prestige;    avec    des 
aptitudes  diverses,  ils  s'acquittèrent  d'une  partie  au  moins  des 
devoirs  qui  leur  incombaient.  Jugurtha  fut  un  homme  remar- 
quable, avec  de  très  grands  défauts  et  de  très  grandes  qualités; 
il    se    rendit  populaire  chez  les  Numides-  et  même  chez  ses 
voisins,  les    Maures  ^  La    dynastie    à  laquelle  Masinissa  avait 
donné  tant  d'éclat,  resta,  sous    ses    héritiers,  maîtresse   de  la 
Numidie  pendant  un  siècle;  puis  elle  posséda,  pendant  plus  de 
soixante  ans,  la  Maurétanie,  que  les  Romains  lui  confièrent,  et 
où  elle  remplaça  une  autre  dynastie,  qui  semble  avoir  eu,  elle 
aussi,  une  longue    existence  avant   de    s'éteindre.  Après  leur 
mort,  les  successeurs  de  Masinissa  reçurent,  comme  lui,  des 
honneurs  divins,  dont  nous  avons  des  témoignages  datant  de 
la  domination  romaine. 

Cependant,  si  les  dynasties  durèrent,  les  royaumes  ne  s'affer- 
mirent pas.  Les  rares  traits  de  lumière  qui  percent  l'obscurité 
dans  laquelle  leur  histoire  est  plongée,  nous  révèlent  les 
désordres  auxquels  ils  sont  en  proie. 

Ce  sont,  dans  la  famille  royale  de  Numidie,  des  haines 
implacables  :  Jugurtha  fait  assassiner  l'un  de  ses  frères  d'adop- 
lion,  Hiempsal;  il  fait  périr  dans  les  supplices  l'autre,  Adher- 
bal;  il  se  débarrasse  aussi  par  l'assassinat  de  son  cousin  Mas- 
siva,  qui,  réfugié  à  Rome,  s'élève  contre  lui  en  rival;  Gauda 

1.  Jug.,  LXV.  Voir  aussi  Dion  Cassius,  fragm.  87,  4. 

2.  Salfuste,  Jug.,  VI,  1  et  3;  LXVI,  2;  LXXXIX,  4.  Ses  naciens  sujets  restèrent 
attachés  à  sa  mémoire  :  voir  Appien,  Bell.civ.,  l,  42. 

3.  Salluste,  CXI,  2. 


164  ORGANISATION   SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

s'écarte  de  son  frère  Jugurtha  et  va  se  mettre  au  service  des 
Romains. 

Des  partages  ou  des  démembrements  affaiblissent  la  royauté, 
sans  mettre  fin  aux  compétitions.  Après  Micipsa,  ses  États  sont 
divisés  en  trois  royaumes,  puis  en  deux,  mais  Jugurtha  veut 
reconstituer  l'unité  à  son  profit  et  y  réussit  par  le  meurtre  et  la 
guerre.  Trente  ans  plus  tard^  autre  guerre  en  Numidie,  entre 
Hiempsal,  successeur  de  son  père  Gauda,  et  un  Hiarbas,  qui 
nous  est  à  peu  près  inconnu.  Puis  nous  constatons,  en  62, 
l'existence  du  royaume  de  Mastanesosus,  dans  une  partie  de 
cette  Numidie  que  Masinissa,  Micipsa  et  Jugurtha  avaient 
possédée  tout  entière.  En  47,  un  Masinissa  règne  à  l'Ouest  de 
Cirta;  il  est  vrai  qu'il  est  l'allié  de  l'autre  roi  numide, 
Juba  P""'.  Du  temps  de  Jugurtha,  toute  la  Maurétanie  appar- 
tenait à  Bocchus^;  en  81,  un  prince  appelé  Ascalis  est  maître 
de  Tingi,  la  ville  la  plus  importante  du  pays';  en  49,  nous 
trouvons  la  Maurétanie  partagée  entre  deux  rois,  Bocchus 
et  Bogud^  et  cette  division  dure  jusqu'au  jour  où  Bocchus 
s'empare  des  Etats  de  Bogud. 

Des  a  amis  »,  des  parents  du  roi,  de  grands  chefs  conspirent 
et  trahissent;  ils  sont  punis  de  supplices  atroces  quand  ils  se 
laissent  prendre.  Pendant  la  troisième  guerre  punique,  Bithyas 
abandonne  Gulussa  et  déserte  avec  huit  cents  cavaliers  chez  les 
Carthaginoise  Bomilcar,  Nabdalsa,  qui  sont  les  principaux 
auxiliaires  de  Jugurtha,  forment  un  complot  pour  le  livrer  aux 
Romains*;  d'autres  sont  aussi  très  disposés  à  le  vendre  e  Le  roi 
vit  dans  le  soupçon  et  la  peur;  il  met  à  mort  quelques-uns  des 
coupables,  mais  n'ose   les    faire   tous   périr,  de  peur  que  ces 

{.  Appien,  Bell,  civ.,  IV,  54. 
2.  Salluste.  Jug.,  XIX,  7. 
'.\.  Plutarquo,  Serlorius,  9. 

4.  Pour  tout  cola,  voir  t.  VII,  1.  Il,  ch.  v. 

5.  Appipn,  Ub.,  111.  Voir  l.  III,  p.  369. 
0.  Sallusle,  Jug.,  LXl.i-.');  LXX-LXXI. 
7.  Ibid.,  XLVI,  4;XLVI!,  4. 


LES  ROIS   ET  LEURS  SUJETS.  165 

exécutions  ne  déchaînent  des  troubles'.  Magudulsa,  prince 
maure,  a  été  un  des  confidents  de  Bocchus^  mais,  nous  ne 
savons  pourquoi,  il  a  dû  s'enfuir  à  Rome;  Bocchus  se  le  fait 
remettre  et  le  jette  à  un  éléphant,  qui  l'écrase  ^  Un  Masintha 
[ou  plutôt  Masinissa],  contre  lequel  Hiempsal  a  des  griefs  et 
qui  est  peut-être  son  parent,  s'est,  lui  aussi,  réfugié  à  Rome,  où 
le  fils  d'Hiempsal,  Juba,  vient  le  réclamer*. 

Des  sujets  se  révoltent.  La  ville  de  Leptis  la  Grande  profite 
de  la  guerre  dans  laquelle  Jugurtha  est  engagé  contre  les 
Romains  pour  se  détacher  de  lui'.  Pendant  la  campagne  de 
César  contre  les  Pompéiens  et  Juba  I",  les  habitants  deThabena 
[Thœnœ]  massacrent  la  garnison  royale  et  se  donnent  au  dicta- 
teur^  Les  gens  de  Zama,  capitale  de  Juba,  lui  interdisent 
l'entrée  de  la  ville  après  sa  défaite  à  Thapsus  et  appellent  César  \ 
La  capitale  de  Bogud,  Tingi,  proclame  sa  déchéance,  tandis 
qu'il  guerroie  en  Espagne  ^  Des  tribus,  des  peuplades  numides 
gardent  ou  reprennent  leur  indépendance  ^  Il  est  probable  que, 
comme  dans  le  Maroc  d'hier,  il  y  a  deux  pays,  le  pays  soumis 
et  celui  qui  ne  l'est  pas,  et  que  l'un  et  l'autre  s'étendent  ou  se 
restreignent  selon  la  force  ou  la  faiblesse  du  souverain. 

Au  temps  de  Jugurtha,  les  Gétules  qui  vivent  dans  les  steppes 
au  Sud  de  la  Numidie  sont,  les  uns  indépendants,  les  autres 
sujets  du  roi'°.  Celui-ci  peut  faire  chez  eux  des  levées  impor- 
tantes^'.  Mais  d'autres  Gétules  vont  servir  dans  l'armée  romaine 
et  sont  pour  Marins  d'utiles  auxiliaires  '-.  Juba  I"  fait  dans  le 

1.  Ibid.,LXX,  1;  LXXII;  LXXIV,  1;  LXXVI,  1. 

2.  Appien,  Niiinid.,  p.  1G4,  coll.  Didot. 

3.  De  viris  illustr.,  66. 

4.  Suétone,  Jules  César,  71. 

5.  Salluste,  Jug.,  LXXVII,  2. 

6.  BelLAfric,  LXXVII,  1. 

7.  Ibid.,  XC1-.\G1I. 

8.  DionCassius,  XLVlll,  45,  2. 

9.  Conf.  supra,  p.  100. 

10.  Sallustn,  Jug.,  XIX,  7  :  «  Gaeluinrum  magna  pars...  sub  lugurlha  eraut.  » 

11.  Jbid.,  LXXX,  1-2;   LXXXVIII,  3;  XCVII,  4. 

12.  Bell.  Afric,  XXXII,  3;  XXXV,  4;  LVI,  4. 


i66  ORGANISATION  SOCIALE  ET  POLITIQUE. 

Sud,  contre  des  rebelles,  une  expédition  qui  dure  de  longs 
mois'.  Plus  tard,  pendant  qu'il  est  occupé  contre  César,  des 
Gétules  se  soulèvent  et,  pour  protéger  son  royaume,  il  doit 
détacher  une  partie  de  ses  forces-.  En  Maurétanie,  les  Gétules 
ne  sont  pas  plus  paisibles  :  nous  les  avons  vus  s'emparer 
des  territoires  possédés  auparavant  par  les  tribus  des  Maures 
et  des  Masœsyles^  Comme  son  père,  Juba  II  a  des  Gétules  à 
combattre*. 

Ce  sont  encore  des  brouilles  et  des  conflits  entre  rois  voisins, 
•comme  à  l'époque  de  Syphax  et  de  Masinissa.  Bocchus,  beau- 
père  de  Jugurlha,  est  en  mauvais  termes  avec  lui,  et,  s'il  devient 
•ensuite  son  allié,  il  le  trahit  et  le  livre  aux  Romains  ^  Au 
I"  siècle,  des  guerres  en  Afrique  sont,  plus  d'une  fois,  des 
•épisodes  des  luttes  qui  déchirent  la  République  romaine;  quand 
un  roi  se  déclare  pour  un  parti,  son  voisin  trouve  là  une  bonne 
occasion  de  se  jeter  sur  lui,  en  se  déclarant  pour  le  parti 
adverse.  Bogud,  fils  de  Bocchus  l'Ancien,  va  prendre  à  revers 
Hiarbas,  qui  s'est  allié  avec  les  Marianistes  et  que  combattent 
Pompée  et  HiempsaP.  Juba  P'  s'étant  rangé  du  côté  des 
Pompéiens,  Bocchus  le  Jeune  se  met  du  côté  de  César  et 
envahit  la  Numidie.  Huit  ans  après,  ce  Bocchus,  avec  l'auto- 
risation d'Octave,  s'empare  du  royaume  de  Bogud,  qui  est  un 
client  d'Antoine \  Mais  on  se  bat  entre  voisins  même  quand  le 
prétexte  d'une  intervention  dans  les  guerres  romaines  fait 
défaut.  Le  condottiere  Siltius  a  pu  exercer  son  fructueux 
métier  pendant  de  longues  années,  en  passant  d'un  roi  à  un 
autre. 

El   ces  royaumes  dont  l'existence  est  si  âprcment  disputée 

1.  Klien,  Nal.  anim.,  VIF,  23. 

2.  lidi  Afric,  LV. 

3.  V.  supra,  p.  97,  Ul. 

4.  Dion  Cassius,  LV,  28,  3. 

5.  Voir  l.  Vil,  I.  11,  ch.  m  el  iv. 

4j.  Paul  Orose,  Adv.  pagan.,  V,  21,  U. 
7.  Dion  Cassius,  XLVllI,  45,  3. 


LES  ROIS  ET  LEURS  SUJETS.  167 

s'écroulent  soudain,  lorsqu'un  désastre  les  prive  de  leur  maître. 
Après  la  défaite  d'Adherbal,  après  celle  de  Juba  I",  comme 
après  celle  de  Syphax,  et  encore  quand  Bocchus  envahit  les 
Etats  de  Bogud  absent,  les  sujets  du  vaincu  se  soumettent 
•en  masse  au  vainqueur.  Les  Etats  sont  pour  les  indigènes  des 
groupements  instables,  et  non  des  patries. 

L'histoire  de  laNumidie  et  de  la  M aurétanie  avant  la  conquête 
romaine  fut,  en  somme,  très  semblable  à  celle  de  l'Afrique 
berbère  au  moyen  âge.  C'est  la  même  confusion,  la  même 
suite,  monotone  et  rebutante,  de  complots,  de  meurtres,  de 
révoltes,  de  guerres,  d'effondrements;  le  même  mélange  de 
boue  et  de  sang;  la  même  incapacité,  de  la  part  des  maîtres, 
•d'organiser  les  rouages  de  la  machine  gouvernementale,  de  la 
part  des  sujets,  de  comprendre  que  la  force  de  l'Etat  fait  la 
prospérité  des  individus,  et  que  l'acceptation  sincère  d'une  disci- 
pline est,  en  fin  du  compte,  profitable  à  tous,  aux  pires 
égoïstes  comme  aux  autres. 


LIVRE  II 

EXPLOITATION    DU  SOL  ET 
MODES   D'HABITATION 


CHAPITRE   PREMIER 
ÉLEVAGE   ET   CULTURE 


Les  premiers  habitants  de  la  Berbérie  s'étaient  procuré  par 
la  chasse  une  très  large  part  de  leur  nourriture'.  L'élevage  et 
l'agriculture  ne  firent  pas  renoncer  leurs  descendants  à  ce 
moyen  de  vivre ^  Le  gibier  était  très  abondant^  :  les  pasteurs 
pouvaient  ainsi  épargner  leurs  troupeaux,  les  cultivateurs 
joindre  de  la  viande  à  l'alimentation  végétale  qu'ils  tiraient  de 

leur  travail. 

Une  autre  raison  faisait  de  la  chasse  une  nécessité.  Les 
fauves  pullulaient  au  point  d'être  un  fléau  :  s'attaquant  aux 
hommes,  s'attaquant  surtout  au  bétail,  rendant  dans  certaines 

4  Voir  t  1  p  216.  Romarqucr  pourtant  que,  dans  les  stations  dites  gétu- 
liennes  (ou  aûrignaciennes),  où  les  escargots  forment  des  couches  épaisses,  les 
ossements  d'animaux  sont  rares  :  les  gens  qui  y  vivaient  n'éta.ent  donc  pas  de 
grands  chasseurs.  Conf.  Paliary,  dans  UAnlhropologie,  XXIX,  1918-J,  p.  Jy. 

2    Voir  Salluste,  Jug.,  LXXXIX,  7;  PomponiusMéla,  I,  41. 

3.  Pour  l'ahondance  des  animaux  sauvages  dans  l'Afrique  du  >ord.  voir  t.  1. 
p.  109. 


170  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 

régions  l'élevage  presque  impossible'.  Il  fallait,  par  une  guerre 
sans  merci,  écarter  ces  dangereux  voisins,  ou  réduire  leur 
nombre.  C'était  là  une  tàclie  qui  exigeait  de  l'endurance,  de  la 
bravoure  et  de  l'adresse.  Les  Africains  s'y  adonnèrent  avec 
plaisir  et  même  avec  passion  ^  La  santé  et  la  vigueur  physique 
s'y  fortifiaient  au  grand  air;  l'amour-propre,  très  vif  chez  ces 
hommes,  trouvait  là  des  occasions  de  se  satisfaire  par  des 
prouesses  ou  d'ingénieux  stratagèmes  ^ 

La  chasse  fut  aussi  un  moyen  de  procurer  à  l'étranger  des. 
produits  et  des  animaux  qu'il  attendait  de  l'Afrique.  Les 
défenses  d'éléphants,  que  les  indigènes  gaspillaient  à  de  vils 
usages*,  fournissaient  aux  Carthaginois,  aux  Grecs,  aux 
Romains,  l'ivoire  qu'ils  employaient  dans  leurs  œuvres  d'art 
et  leur  mobilier  ^  Les  œufs  et  probablement  aussi  les  plumes 
d'autruches  étaient  recherchés.  De  même,  les  peaux  de  lions 
et  de  panthères.  On  demandait  des  singes  qui,  apprivoisés, 
devenaient  les  hôtes  familiers  des  demeures  aristocratiques". 

jMais  c'était  surtout  aux  spectacles  du  cirque  romain  que  les 
chasseurs  numides  et  maures  avaient  à  pourvoira  Dès  le  début 
du  II*  siècle  avant  J.-C,  il  y  parut  des  lions,  des  panthères, 
des  éléphants,  des  autruches,  des  ours  (qui,  comme  ces  autres 
animaux,  devaient  être,  au  moins  en  partie,  originaires 
d'Afrique)  \  Un  vieux  sénatus-consulte  interdisaitrintroduction 
en  Italie  des  Africanae  (appellation  qui  désignait  principalement 

1.  Voir  les  textes  cités  t.  I,  p.  110,  n.  1,  et  p.  111,  n.  5. 

2.  Ibid..  p.  110,  n.  3. 

3.  Salluste  (Jug.,  VI,  1)  dit  du  jeune  Jugurttia  :  «  Pleraque  tempora  in  venando 
agere,  leonem  atque  alias  feras  primus  aut  in  primis  ferire.  • 

4.  Pline  l'Ancien,  VIII,  31,  citant  Polybe;  conf.  ici,  t.  1,  p.  7i.  Plus  tard,  les 
indigènes  se  montrèrent  plus  soucieux  de  recherclior  les  défenses  d'éléphants, 
([ue,  sans  doute,  on  leur  payait  bien  :  Élien,  Nal.  anim.,  XIY,  5  (peut-être  d'après 
Juba  H). 

5.  T.  I,  p.  79,  u.  9. 

0.  Voir  t.  III,  p.  304  (d'après  Ptolémée  Kvergète  II). 

7.  Conf.  Slrabon,  II,  5,  33. 

8.  Tite-Live,  XXXIX,  22  (en  180);  XLIV,  8,  (en  109).  Plaute,  Pocnulus,  1011-2; 
Persa,  199.  Conf.  t.  I,  p.  110,  n.  8;  t.  III,  p.  312,  n.  1. 


ELEVAGE  ET  CULTURE.  [It 

les  panthères  *)  :  le  peuple  décida  qu'il  ne  serait  pas  appliqué 
pour  les  bêtes  destinées  aux  jeux  publics^.  A  la  fin  du  même 
siècle,  on  vit  pour  la  première  fois,  selon  Pline  l'Ancien',  des 
lions  combattre  dans  le  cirque.  Quelques  années  après,  ce  fut 
le  tour  des  éléphants*;  puis,  en  79,  on  mit  aux  prises 
éléphants  et  taureaux  ^  Sylla,  préteur  en  93,  donna  le  spectacle 
de  cent  lions  attaqués  par  des  Africains,  munis  de  javelots; 
fauves  et  gens  lui  avaient  été  envoyés  par  son  ami  le  roi  de 
MaurétanieBocchus".  En  61,  le  peuple  vit  cent  ours  de  Numidie, 
opposés  à  autant  de  chasseurs  éthiopiens';  en  58,  on  lui 
présenta  150  panthères*.  Aux  fêtes  que  Pompée  célébra  pour 
l'inauguration  de  son  théâtre,  en  55,  figurèrent  410  panthères', 
500  ou  600  lions*",  et  une  vingtaine  d'éléphants  y  luttèrent 
contre  des  Gétules,  porteurs  de  javelots  ".  En  46,  lors  des 
triomphes  de  César,  400  lions  parurent  au  cirque'^,  ainsi  que 
deux  troupeaux  de  vingt  éléphants;  le  premier  avait  pour 
adversaires  500  fantassins;  le  second,  où  les  animaux  étaient 


1.  T.  I.  p.  110. 

2.  Pline  l'Ancien,  VIll,  64  :  sur  la  proposition  du  tribun  Cn.  Aufldius,  peut- 
être  le  personnage  qui  exerça  cette  charge  en  170  (voir  Real-Encyclop.  de  Pauly- 
Wissowa,  11,  p.  2288-9,  n°'  4  et  5).  Mais  cela  ne  se  concilierait  guère  avec 
Tite-Live,  XXXIX,  22,  qui  mentionne  une  cbasse  de  lions  et  de  panthères  aux 
jeux  romains  dès  186;  voir  aussi  Plante,  Poenulus,  1011-2  (comédie  représentée 
vers  190),  où,  sous  le  nom  plaisant  de  mures  Africani,  paraissent  être  désignées 
des  panthères,  destinées  au  cirque  (conf.  t.  I,  p.  127,  n.  7). 

3.  VIII,  5-3. 

4.  Pline,  VIII,  19  (en  99). 

5.  Ibid. 

6.  Pline,  VllI,  53.  Sénèque,  De  brevit.  vitae,  XIII,  6.  Auparavant,  on  avait 
vivement  souhaité  que  Sylla  fût  édile,  pour  qu'il  donnât  des  chasses  et  des 
combats  d'animaux  africains  :  on  connaissait,  eu  effet,  son  amitié  avec  Hocchus. 
C'est  ainsi,  du  moins,  que  Sylla  expliquait  son  échec  à  la  préture  en  95.  Voir 
Plutarquo,  Sylla,  5. 

7.  Pline,  VIII,  131. 

8.  Id.,  VIII,  64. 

9.  Pline,  ibid. 

10.  Pline,  VIII,  53  (600  lions).  Plutarque,  Pompih-,  52,  et  Dion  Cassius,  XXXIX, 
38,2  (500  lions). 

11.  Pline,  VII!,  20.  Sénèque,  l.  c.  Dion,  /.  c.  Les  chiffres  varient  :  20,  18,  ou  17. 
Voir  aussi  Plutarque,  Pompée,  52;  Ciréron,  Adfamil..  VII,  I,  3. 

12.  Pline,  VIII,  53. 


172  EXPLOITATION   DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

armés   de  tours  portant  des  guerriers,  eut  à  combattre,  outre 
500  fantassins,  le  même  nombre  de  cavaliers'. 

C'étaient  encore  des  fantaisies  auxquelles  servaient  des 
animaux  d'Afrique  :  Pompée  faisant  atteler  à  son  char  des 
éléphants,  lors  de  son  triomphe  africain^;  Marc-Antoine  le 
triumvir  se  constituant  un  attelage  de  lions  ^ 

Il  est  possible  que  ces  acquisitions  de  bêtes  exotiques  aient 
été  faites  quelquefois  par  l'intermédiaire  de  commerçants, 
d'entrepreneurs,  qui  se  procuraient  et  transportaient  comme  ils 
le  pouvaient  la  précieuse  marchandise \  Mais,  en  général,  les 
magistrats  qui  donnaient  des  jeux  devaient  s'adresser  aux  rois 
du  pays%  empressés  à  les  satisfaire. 

Les  procédés  de  chasse  variaient  naturellement  selon  la  force 
des  animaux  et  ce  qu'on  voulait  faire  d'eux  :  les  tuer  sur  place 
ou  les  prendre  vivants.  On  rabattait  les  éléphants  vers  des 
fosses,  couvertes  de  branchages,  dans  lesquelles  ils  tombaient  % 
ou  vers  de  longs  boyaux  sans  issue  \  Des  fosses  servaient  aussi 
à  capturer  les  fauves  ^  Au  fond  de  ces  trous,  ou  bien  encore  à 
l'intérieur  de  filets  entre  lesquels  on  les  ramenait,  on  plaçait  une 
cage,  où  l'on  suspendait  un  appât,  par  exemple  un  chevreau, 
un  morceau  de  viande  pourrie,  cage  dont  la  trappe  s'abaissait 
comme  la  porte  d'une  souricière  ^ 

i.  D'après  Pline,  VIII,  22.  Suétono  {César,  .39)  et  Appien  {Bell,  civ.,  Il,  102) 
meationaent  deux  p:roiipes  de  vingt  éléphants,  opposés  l'un  à  l'autre.  Voir 
encore  Velléius  Patercuius,  II,  56,  1;  Dion,  XLUI,  23. 

2.  Pline,  VIII,  4.  Plutarque,  Pompée,  14. 

3.  Pline,  VIII,  55. 

4.  Conf.  une  plaisanterie  de  Plaute,  Poenulus,  1011-2. 

5.  Gomme  le  fit  Sylla  lors  de  sa  préture. 

6.  Pline,  VIII,  24;  Plutarque,  De  sollert.  anim.,  17  (d'après  Juba  II). 

7.  Pline,  VllI,  25  (procédé  employé,  dil-il,  par  les  rois). 

8.  Pline,  VIII,  54.  Conf.,  pour  une  époque  plus  récente,  Claudien,  Consul.  Stilich., 
III,  339-341. 

9.  Klion,  Nnt.  anim.,  XIII,  10  (peut-être  d'après  Juba  II).  Conf.,  pour  l'époque 
romaine,  Oppicn,  Cyneg.,  IV,  77  et  suiv.  ;  Claudien,  l.  c,  340-1  ;  Invent,  des  mosaïques 
de  l'Afrique,  Tunisie,  par  Gauckler,  n"  007;  ibid.,  Algérie,  par  de  Pachtere, 
n"  45.  —  D'autres  slratagémcs  sont  Fiientionnés  par  Élien,  L  c,  XIV,  11;  Oppien, 
/.  c,  IV,  320;  etc. 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  173 

Les  Africains  chassaient  surtout  à  cheval',  s'efforçant  de 
rejoindre  ou  de  cerner  les  animaux  qui  s'enfuyaient  devant 
eux,  cerfs,  ânes  sauvages,  antilopes,  autruches,  renards,  voire 
même  lièvres,  puis  les  tuant  à  coups  de  javelots,  ou  les  captu- 
rant avec  un  lasso  ^  Mais  les  grands  fauves,  les  sangliers,  les 
ours,  qui  faisaient  face  à  l'attaque  et  que  les  javelots  ne  jetaient 
pas  à  terre,  devaient  être  souvent  combattus  corps  à  corps,  avec 
la  lance,  l'épieu,  le  coutelas  \ 

L'usage  des  chiens  de  chasse  n'était  pas  répandu  partout\ 
Cependant,  comme  ils  n'étaient  point  inconnus  dès  l'époque 
préhistorique  '  et  qu'ils  furent  très  employés  à  l'époque  romaine  ', 
on  peut  croire  que  les  contemporains  des  rois  numides  et 
maures  ne  dédaignaient  pas  ces  auxiliaires.  Mais,  dans  l'anti- 
quité comme  aujourd'hui,  le  chien  devait  servir  surtout  à  la 
garde  des  demeures,  peut-être  aussi,  chez  certains  peuples,  à 
l'alimentation  '. 


1.  Nombreux  témoignages  à  l'époque  romaine  :  Élien,  Nat.anim.,  X(V,  7;  10; 
11;  U;  Arrien,  Cyneg.,  24;  Gsell,  Inscr.  lai.  de  VAlgérie,  I,  2  831.  Mosaïques,  apud 
Gauckler,  n»»  17,  64,  375,  .ï93,  607,  672,  753,  703,  770,  771,  886;  de  Pachtere,  n"'  45, 
260.  422,  425;  Tunisie,  Supplément,  par  Merlin,  n"  615  a. 

2.  Emploi  du  lasso  :  Arrien.  Cyneg.,  24,  3.  Mosaïques,  apud  Gauckler,  n"  886;  de 
Pachtere,  n°  45;  Merlin,  n°  615  a. 

3.  Mosaïques  de  l'époque"  romaine,  apud  Gauckler,  n°  593;  de  Pachtere, 
n"'  316,  329,  443,  450.  Peinture  :  Bull  archéol  du  Comité,  1910,  p.  92.  Des  gens 
courageux  jetaient  même  leur  manteau  sur  la  tête  du  lion,  de  manière  à  lui 
couvrir  les  yeux  :  Pline,  YIII,  54;  Lucain,  IV,  685-6.  Mais  Pline  (l.  c.)  dit  que  ce 
fut  au  temps  de  l'empereur  Claude  qu'un  Gélule  s'avisa  de  ce  procédé.  Capture 
d'un  ours  au  lasso  :  mosaïque,  apud  Merlin,  n°  465  a. 

4.  Klien,  i\at.  anim.,  VI,  10.  Oppien,  Cyneg.,  IV,  46  et  suiv. 

5.  Voir  t.  I,  p.  217. 

6.  Comme  le  prouvent  les  mosaïques  africaines  représentant  des  chasses  : 
apud  Gauckler,  n"'  64,  178,  598,  648,  753,  763,  770,  887;  de  Pachtere,  n'"  260, 
262,  329,  443.  Bas-relief  :  B.  a.  Comité,  1902,  p.  407-8;  peut-être  aussi  Doublet, 
Musée  d'Alger,  pi.  VI.  Arrien,  Cyneg.,  24,  4.  Némésien,  Cyneg.,  229-230.  Gsell, 
Inscr.  lai.  de  l'Algérie,  1,  2  831. 

7.  Voir  t.  VI,  1.  I,  ch.  i,  §  I.  Pour  l'absence  probable  de  chiens  de  berger, 
voir  p.  179. 


Gsell.  —  Afrique  du  Nord.  V. 


12 


174  EXPLOITATIOxN  DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 


II 


Salluste  dit  brièvement  que  le  sol  de  l'Afrique  est  «  bon 
pour  le  bétail  »  '  :  ce  qui  est  vrai,  quoique  le  climat  crée  à 
l'élevage  d'assez  grandes  difficultés^.  Au  second  siècle  avant 
notre  ère,  Polybe  écrivait^  :  «  Dans  cette  contrée,  l'abondance 
des  chevaux,  des  bœufs,  des  moutons,  et  aussi  des  chèvres,  est 
telle  que  je  ne  pense  pas  qu'on  puisse  trouver  rien  de  semblable 
dans  tout  le  reste  de  la  terre.  »  Et  il  ajoutait  :  «  La  raison  en 
est  que  beaucoup  de  tribus  de  la  Libye  ne  font  pas  usage  des- 
produits de  la  culture,  mais  vivent  de  leurs  troupeaux  et 
avec  leurs  troupeaux.  » 

C'étaient,  dit  Tite-Live  *,  les  troupeaux  qui,  chez  les  Numides,, 
constituaient  la  richesse;  ce  que  Pomponius  Méla^  dit  aussi 
pour  les  indigènes  qui  vivaient  loin  du  littoral.  Au  v*  siècle, 
Hérodote*^  ne  connaissait  que  des  pasteurs,  vo|j.ào£ç,  entre 
l'Egypte  et  la  petite  Syrte.  Plus  tard,  le  nom  de  Noaioe;  fut 
donné  par  les  Grecs  aux  peuplades  qui  s'étendaient  depuis  le 
territoire  de  Carthage  jusqu'à  l'Océan.  Ce  fut  peut-être,  on  l'a 
vu'',  la  transformation,  par  un  jeu  de  mots,  d'un  nom  indigène, 
mais,  que  celte  hypothèse  soit  fondée  ou  non,  l'adoption  du 
terme  Nojjiàos.;  prouve  que  ces  peuples  étaient,  aux  yeux  des 
Grecs,  des  pasteurs;  il  se  peut,  du  reste,  que  l'appellation,  une 
fois  admise,  ait  fait  exagérer  l'importance,  assurément  très 
grande,  de  l'élevage  chez  les  Africains. 

Ils  s'y  adonnaient  depuis  fort  longtemps.  Les  stations  néoli- 

1.  Jug.,  .W^II,  5  :  •  aj^er...  bonus  pocori.  •  Montions  de  troupeaux  appartenant 
à  des  indigènes,  ibid.,  XX,  3:  XLVI,  5;  XLVill,  4;  LXXV,  4;  XG,  2. 

2.  Voir  t.  1,  p.  109-17(1. 

•i.  XII,  .3,  3-4.  J'ai  déjà  cité  ce  passage  t.  IV,  p   40. 

4.  X.XiX,  31,  8  :  «  ...  pocoribus  suis,  —  ea  pecunia  illis  esl.  » 

5.  1,41. 

<;.   IV,  181,  180. 
7.  P.  100. 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  175 

thiques  contiennent  des  ossements  de  moutons,  de  chèvres,  de 
bœufs  '  ;  les  gravures  rupestres  offrent  des  images  de  ces 
animaux  domestiques  ^  Le  cheval  a  été  au  service  de  l'homme, 
en  Libye,  depuis  la  fin  du  second  millénaire  avant  J.-C^  Rien 
ne  prouve  que  les  colons  venus  de  Phénicie,  que  les  Cartha- 
ginois aient  largement  contribué  à  répandre  l'élevage  parmi  les 
indigènes,  que  ceux-ci  aient  reçu  d'eux  d'utiles  leçons  pour  les 
soins  à  donner  au  bétail  et  le  perfectionnement  des  races. 

Le  développement  de  l'agriculture,  qui  diminua  les  espaces 
dont  les  pasteurs  disposaient,  n'empêcha  cependant  pas  l'éle- 
vage de  rester  l'occupation  du  plus  grand  nombre  des  Africains. 
«  Les  Numides,  dit  Salluste*,  s'appliquent  plus  à  entretenir  des 
troupeaux  qu'à  cultiver  la  terre.  »  Il  en  était  ainsi,  naturellement, 
dans  les  régions  où  le  sol  est  trop  pauvre,  où  les  pluies  sont 
trop  rares  pour  permettre  l'agriculture.  Mais  il  y  avait  encore 
des  populations  pastorales  dans  des  pays  qui  auraient  fort  bien 
convenu  à  la  culture  des  céréales.  Strabon  le  constatait^  :  «  Les 
Maures,  quoique  habitant  une  contrée  généralement  fertile, 
continuent,  pour  la  plupart,  à  vivre  en  pasteurs.  »  Et  il  faisait 
la  même  remarque  à  propos  des  Numides''. 

Nous  avons  déjà  indiqué^  pourquoi  tant  d'indigènes 
demeuraient  fidèles  au  genre  de  vie  de  leurs  pères.  C'était  sans 
doute  surtout  par  routine  et  par  paresse  ^  :  à  ces  hommes,  inca- 
pables de  s'imposer  un  dur  labeur  et  insoucieux  de  se  procurer 
à   ce  prix  un  peu  plus  d'aisance,  la   charrue  devait  paraître, 


1.  T.  I,  p.  219,  225  (pour  les  bœufs,  il  n'est  pas  certain  qu'il  s'agisse  d'animaux 
domestiques). 

2.  ]bid.,  p.  221,  225-6. 

3.  Ibid.,  p.  233. 

4.  Jug.,  XG,  1  :  «  Numidae  pahulo  pecoris  magis  quam  arvo  sludent.  » 

5.  XVII,  3,  7. 

0.  XVll,  3,  15.  Il  dit  que  Masinissa  les  a  transformés  en  agriculteurs,  ce  qui 
n'est  vrai  que  pour  une  partie  d'entre  eux. 

7.  T.  I,  p.  23"). 

8.  Pomponius  Mêla  (1,  28)  dit  de  la  Maurétanie  :  «  solo  quam  viris  molior  el 
segnitia  genlis  obscura.  » 


176  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D  HABITATION. 

comme  à  d'autres  peuples  anciens  et  modernes',  un  instrument 
de  servitude,  digne  de  leur  mépris.  C'était  probablement  aussi 
parce  qu'il  leur  semblait  plus  facile  de  mettre  leur  bétail  hors  de 
l'atteinte  des  ennemis,  des  pillards,  que  d'empêcher  ceux-ci  de 
détruire  des  récoltes-  et  de  couper  des  arbres  fruitiers.  La 
formation  de  grands  royaumes  n'avait  établi  définitivement  ni 
la  paix,  ni  la  sécurité  :  il  ne  fallait  pas  trop  compter  sur  la 
protection  du  souverain. 

Cependant  un  peu  d'ordre  et  de  police  s'était  introduit  dans 
le  chaos  :  condition  favorable  à  l'élevage  aussi  bien  qu'à  la 
culture.  La  diminution  du  nombre  des  fauves,  chassés  avec 
ardeur,  était  aussi  un  bienfait  pour  les  propriétaires  de  troupeaux. 

Parmi  les  pasteurs,  les  uns  avaient  des  demeures  fixes,  ou  ne 
se  déplaçaient  que  dans  un  espace  restreint,  les  autres  étaient 
véritablement  des  nomades.  Cette  distinction  n'a  pas  échappé 
aux  anciens  :  elle  est  indiquée  par  Pomponius  Mêla  d'une 
manière  très  nette  %  et  aussi  par  Salluste\  Dans  le  Tell,  il  y  a 
quelques  régions  où  le  bétail  peut  vivre  toute  l'année  ;  il  y  a 
aussi  des  plaines  à  pâturages  d'hiver  et,  à  proximité,  des 
montagnes,  des  forêts  à  pâturages  estivaux  :  une  tribu  qui 
possède  les  unes  et  les  autres  y  conduit  alternativement  ses 
troupeaux' et  y  trouve,  par  surcroît,  un  climat  doux  pendant 
l'hiver,  la  fraîcheur  pendant  l'été.  Ces  pasteurs,  qui  ont  de  l'eau 
et  des  herbages  en  abondance,  élèvent  surtout  du  gros  bétail, 
des  bœufs  et  des  chevaux''. 

!.  P.  ex.,  dans  l'antiquité,  les  Thraces  (Héroddle,  V,  6),  les  Galiciens  (Silius 
Italicus,  III,  231-2),  les  Gaulois  (Cicéron,  République,  III,  î),  I.")):  do  nos  jours,  les 
Arabes,  les  Touareg,  etc. 

2.  Il  est  vrai  que,  pour  le  pasieur.  la  perte  de  son  bétail  est  bien  plus  grave 
que  ne  l'est,  pour  l'agriculteur,  la  perte  d'une  récolte.  Mais  le  premier  peut 
échapper  à  ce  ri'^que  en  s'enfuyanl  avec  ses  troupeaux  ou  en  les  enfermant  dans 
un  refuge,  tandis  que  le  second  doit  abandonner  la  récolle  sur  pied. 

3.  1,  41-42. 

4.  Jug.,  Xl.\,  5. 

5.  V.  supra,  p.  OU. 

6.  Sur  les  conditions  de  l'élevage  du  bœuf  et  du  cheval,  voir  t.  I.  p.  170-1. 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  177 

Les  vraies  tribus  nomades  hivernent  dans   les  steppes,  où 
elles  ont  leur  territoire   propret  Elles  s'y  déplacent  souvent 
car  les  pâturages  sont  pauvres,  et  la  plupart  des  points  d'eau 
vite  épuisés-.  Leur  bétail  se  compose  surtout  d'animaux  sobres 
et  résistants,  chèvres,  moutons^,  ânes;  le  climat  sec  qui  règne 
dans   ces   pays    en    hiver    convient  mieux   aux    moutons    que 
le  froid  humide  d'une  bonne  partie  du  Tell.  Elles  ont  aussi  des 
chevaux,  qui  sont  plus  exigeants,  mais  qui,  pourtant,  peuvent 
vivre  dans  la  steppe.  Ces  nomades,  ce  ne  sont  pas  les  Africains 
auxquels  les  Grecs  et  les  Latins  réservèrent  le  nom  de  Noixàoî^, 
Numidae,  après  l'avoir  donné  à  tous  les  indigènes  non  sujets 
de  Cartilage  ;  ce  ne  sont  pas  les  habitants  de  la  Numidie  pro- 
prement dite,  entre  l'ancien  territoire  punique,  devenu  province 
romaine,  et  la  Maurétanie,  entre  la  Méditerranée  et  les  steppes. 
Ce   sont   les    Gétules\  qui  bordent  au  Sud  la  Maurétanie,  la 
Numidie  et  la  province.  Strabon  ^  remarque  qu'ils  ressemblent 
aux  Arabes  nomades  :  preuve,  entre  beaucoup  d'autres,  que  la 
grande  invasion  arabe  du  xi^  siècle  de  notre  ère  n'a  pas  introduit 
en  Berbérie  des  mœurs  nouvelles.  Ce  sont  ces  pasteurs  de  Libye 
qu'a  dépeints  Virgile®  :  leur  troupeau  paît  nuit  et  jour  pendant 

1.  Voir  ifi,  p.  70. 

2.  Conf.  t.  I,  p.  170. 

3.  Sur  les  conditions  de  l'élevage  de  ces  animaux,  voir  t.  I,  p.  171-2.  Il  n'v  a 
évidemment  aucun  compte  à  tenir  d'un  passage  de  Strabon  (XVII,  3,  19),  qui 
prétend  que  les  Gétules,  surtout  dans  les  régions  les  plus  voisines  des  Ktliio- 
piens,  nourrissent  de  lait  et  de  viande  leurs  moutons.  Pour  le  lait,  celte  indica- 
tion serait  admissible  s'il  s'agissait  de  poulains,  et  non  pas  de  moutons.  Dans 
les  stoppes  de  l'Algérie,  on  donne  souvent  aux  poulains  du  lait  caillé  de 
chamelle,  et  aussi  de  brebis  et  de  chèvre. 

4.  Pour  le  nomadisme  des  Gétules,  v.  supra,  p.  112. 

5.  XVII.  3,  19. 

6.  Géorg.,  III,  339-345  : 

Quiil  lil.ii  pastoros  Lihyap,  qiiid  pasoua  versa 
Prosoquar,  et  raris  hal)itata  raapalia  tectis  ? 
Saepo  diein  noctcmque,  et  totum  ex  ordine  menscm 
Pasritiir,  itquo  porus  longa  in  desorta  sine  uUis 
Ilospitiis  :  tantum  oampi  iarct.  Oninia  scciiin 
Armcntarius  Afcr  agit,  tcctuniquo,  laremque, 
Armaquc,  .Vniyolacumquo  caneni,  Cressanique  pharptrani. 

Tous  les  détails  de  cette  de.scriptioQ  poétique  ne  doivent  pas  être  pris  au  pied 
de  la  lettre.  Les  nomades  africains  n'avaient  probablement  pas  de  chiens  comme 


178  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 

des  mois,  s'avançant  dans  de  longs  déserts,  où  il  ne  trouve  aucun 
abri,  et  couchant  sur  le  sol;  eux-mêmes  portent  tout  avec  eux, 
leur  toit,  leur  foyer,  leurs  armes. 

En  été,  il  faut  quitter  ces  vastes  plaines,  devenues  vraiment 
désertiques.  Nous  avons  dit'  dans  quelles  conditions  ceux  qui 
ne  doivent  pas  se  contenter  des  montagnes  du  Sud  pénètrent 
dans  le  Tell,  les  désordres,  les  conflits,  et  aussi  les  accords  qui 
naissent  de  ces  migrations.  Quoiqu'on  n'ait  aucun  renseignement 
à  cet  égard,  on  peut  croire  que  les  rois  désireux  de  faire  la 
police  de  leurs  Etats,  surtout  Masinissa,  s'efforcèrent  de  régu- 
lariser les  déplacements  des  nomades  et  de  les  empêcher  de 
commettre  trop  d'excès. 


III 


Les  chevaux  exceptés,  nous  ne  savons  presque  rien  sur  les 
animaux  domestiques  possédés  par  les  indigènes.  Aucun  texte 
ne  mentionne  de  porcs,  bien  qu'il  ne  soit  pas  impossible  que 
des  Libyens  en  aient  élevé  :  les  Guanches  des  îles  Canaries  en 
avaient,  et  c'était  sans  doute  de  l'Afrique  du  Nord  que  cet 
animal  avait  été  importé  chez  eux,  comme  le  chien,  le  mouton 
et  la  chèvre.  Mais,  au  v'  siècle  avant  notre  ère,  les  Libyens 
orientaux  s'abstenaient  de  viande  de  porc,  h  l'exemple  des 
Egyptiens^,  et  l'interdiction  put  s'étendre  vers  l'Ouest;  on  ne 
saurait  dire  si  les  Phéniciens,  —  qui  ne  mangeaient  pas  de 
porc%  —  exercèrent  à  cet  égard  quelque  influence  sur  les  gens 
du  pays. 

surveillants  de  troupeaux,  ni  peut-iHre  môme  comme  rompagaons  de  chasse. 
Leur  armement  ordinaire  était,  non  pas  l'arc,  mais  le  javelot.  —  Conf.  Mêla, 
I,  42  :  ■>  Interiores  incultius  etiam  scquuntur  vagi  pecora,  utque  a  pabulo  ducta 
sunt,  ita  se  ac  tuguria  sua  promovent,  atque,  ubi  dies  deflcit,  ibi  noctom  agUQt.  » 
Voir  aussi  le  inf-me,  III,  104. 

1.  P.  .T.Mil,  74-7."). 

2.  Hérodote,  IV,  186.  Conf.  t.  I,  p.  22:j. 

3.  T.  IV,  p.  44. 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  179 

Dans  un  passage  précédemment  cité  ^,  Polybe  vante  la  richesse 
de  la  Libye  en  chevaux,  bœufs,  moutons  et  chèvres.  L'abon- 
dance des  moutons  chez  les  Libyens  orientaux  était  déjà  presque 
proverbiale  en  Grèce  quelques  siècles  plus  tôt^.  Nous  n'avons 
pas  d'informations  sur  les  races,  mais  l'espèce  dite  barbarine, 
à  grosse  queue,  était  probablement  répandue  au  delà  du  territoire 
carthaginois,  oii  son  existence  est  attestée  par  des  images  que 
portent  des  stèles  ^  Comme  aujourd'hui,  les  chèvres  devaient 
être  souvent  mêlées  aux  moutons  *  et  les  conduire,  car  l'emploi 
des  chiens  de  berger  était  inconnu,  ou  du  moins  très  rare^ 
Outre  les  services  que  les  ovins  et  les  caprins  rendaient  par 
leur  lait,  et  aussi  par  leur  viande,  —  dont  on  n'abusait  pas,  car 
on  ne  tuait  les  bêtes  que  par  nécessité  et  on  mangeait  surtout  du 
gibier,  — les  toisons  et  les  poils  servaient  à  faire  des  vêtements. 
Avec  les  poils  delà  race  caprine  du  Cinyps  (rivière  située  entre 
les  deux  Syrtes),  on  fabriquait  des  feutres,  qui  furent  renommés  à 
l'époque  romaine".  Partout,  les  gens  du  peuple  aimaient  à  se 
couvrir  de  peaux  de  chèvres  \ 

Selon  Paul  Orose  \  qui  a  dû  copier  Tite-Live,  Carthage,  au 
milieu  du  iii^  siècle,  aurait  condamné  des  Numides,  alliés  de 
Régulus,  à  lui  livrer  20  000  bœufs  :  il  s'agit  peut-être  de  tribus 

1.  P.  174. 

2.  Odyssée,  IV,  85-89.  Pindare,  Pylh.,  IX,  6.  Oracles  attribués  à  la  Pythie,  apud 
Hérodote,  IV,  155  et  157.  Pour  les  moutons  des  Libyens,  voir  aussi  Hérodote,  IV, 
187;  pour  les  chèvres,  ibid.,  187  el  189,  et,  plus  tard,  Llien.  A'at.  anim.,  VU,  8; 
XVI,  33. 

3.  T.  IV,  p.  44. 

4.  Ce  qu'on  pourrait  à  la  riirueur  induire  du  passage  de  Polybe  (XII,  3,  3)  où, 
dans  l'énuméralion  des  animaux  domestiques  qui  vivent  en  Libye,  il  unit 
étroitement  les  moutons  et  les  chèvres  :  ...  TipoSiTuv,  ajia  6a  to'Jto-.;  alviûv 
•nAriOoç. 

5.  Élien  (Nat.  anim.,  YI,  10)  dit  que  les  Libyens  nomades  n'ont  pas  de  chiens. 
Actuellement,  les  bergers  du  Nord  de  l'Afrique  s'en  passent  d'ordinaire,  sauf 
dans  quelques  régions  du  Maroc. 

6.  Virgile,  Géorg.  III,  311-3,  et  le  commentaire  de  Probus.  Pline  l'Ancien,  VIII. 
203.  Martial,  Vil,  95,  13;  XIV,  140.  Anlhol.  Lat.,  édit.  Riese,  p.  132,  n"  117,  v.  c! 
Isidore  de  Séville,  Elym.,  XIF,  1,  14. 

7.  Voir.  t.  VI,  1.  I,  ch.  i,  §  IV. 

8.  Adv.  pagan.,  IV,  9,  9.  Conf.  ici,  t.  III,  p.  92. 


180  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  DHABITATION. 

qui  vivaient  dans  le  Nord-Ouest  et  le  centre  de  la  Tunisie, 
pays  propices  à  l'élevage  de  ces  animaux.  Cependant  le  chiffre 
indiqué  est  si  élevé  qu'il  ne  paraît  pas  admissible'.  La  race 
bovine  qui  est  aujourd'hui  répandue  dans  l'Afrique  du  Nord  y 
vit  sans  doute  depuis  fort  longtemps-.  Pour  l'époque  que 
nous  étudions,  nous  n'avons  ni  textes,  ni  images^  qui  nous 
permettent  de  la  reconnaître.  Strabon*  affirme  qu'à  l'intérieur 
des  terres,  chez  les  Gétules,  les  bœufs  ont  le  cou  plus  long 
qu'ailleurs,  et  c'est  en  plein  Sahara,  chez  les  Garamantes, 
qu'Hérodote  °  relègue  ses  bœufs  opisthonomes;  ils  ont,  dit-il, 
les  cornes  inclinées  en  avant,  au  point  d'être  forcés  de  paître  à 
reculons  :  assertion  des  plus  suspectes  ^ 

L'espèce  bovine  ne  servait  pas  seulement  à  l'alimentation  par 
sa  viande  et  son  lait,  à  l'industrie  par  son  cuir,  aux  travaux 
agricoles  par  son  emploi  à  la  charrue.  Au  Maroc  (dans  le  Moyen- 
Atlas)  comme  au  Soudan,  on  met  encore  des  bâts  sur  des 
bœufs  pour  faire  des  transports,  et  c'est  là  un  usage  fort  ancien  \ 
Il  se  peut  même  que,  dans  certaines  régions  de  la  Berbérie, 
comme  chez  les  Garamantes  *,  comme  chez  des  nègres  de  l'Afrique 
orientale',  les  bœufs  aient  servi  de  montures. 

Les  Libyens  voisins  de  l'Egypte  possédaient  des  ânes  au 
second  millénaire  avant  J.-C.  '".  IMalgré  l'absence  de  preuves 
pour  les  temps  antérieurs  à  la  conquête  romaine,  on  se  per- 
suade aisément  qu'un  animal  qui  vivait  en  Berbérie  à  l'état 
sauvage  "   était  largement  employé  à  l'état  domestique,  où  il 

1.  Aujourd'hui, il  n'yapas200000 bovins  danstoulda  Tunisie(l  lOOOOOenAlgérie). 

2.  Voir  t.  I,  p.  218  et  suiv. 

3.  Image  très  grossière  d'un  bœuf  sur  une  stèle  de  Cirta  :  Rec.  de  Conslanline, 
XVIII,  1876-7,  pi.  I,  rig.  1. 

4.  XVII,  3.  19. 

5.  IV,  183. 

6.  Voir  Gsell.  Hérodote,  p.  170-1. 

7.  Pour  dos  bœufs  bâtés  à  l'époque  préhislori(iue,  voir  t.  I,  p.  221. 

8.  Voir  t.  I,  p.  Cl. 

9.  Ch.  de  la  Honcière,  La  découverte  de  CAfrique  ait  moyen  àye,  I,  p.  80. 

10.  T.  I,  p.  228. 

11.  Ibid.,  p.  116. 


ÉLEVAGE  ET   CULTURE.  181 

pouvait  rendre  tant  de  services  en  exigeant  si  peu.de  soins.  II. 
est  à  croire  aussi  que  Télevage  du  mulet,  pratiqué  sur  le  ter- 
ritoire punique  ',  n'était  pas  inconnu  des  indigènes. 

Qu'ils  aient  eu  beaucoup  de  chevaux,  c'est  ce  qu'atteste, 
outre  Polybe  -,  la  proportion  élevée  de  la  cavalerie  dans  les 
armées,  par  rapport  à  l'infanterie  \  L'élevage  du  cheval  s'était 
répandu  jusque  dans  le  Sahara  \  Mais  c'était  surtout  en 
Numidie  qu'on  s'y  livrait.  Nous  savons  de  quelle  utilité  les  cava- 
liers numides  furent  pour  Carthage  \  Ils  ne  furent  pas  moins 
utiles  à  leurs  rois  et  aux  Romains.  Au  milieu  du  i"  siècle, 
Juba  en  leva  un  très  grand  nombre,  qui  servirent  soit  dans  ses 
troupes,  soit  sous  les  ordres  des  chefs  pompéiens  ^  Au  temps 
deMicipsa,  Cirta  pouvait,  selon  Strabon  ^  en  mettre  10  000  à 
la  disposition  du  souverain. 

Le  même  auteur  dit  *  que  les  rois  donnaient  une  attention 
particulière  à  l'élevage  des  chevaux  et  qu'ils  faisaient  faire 
chaque  année  le  recensement  des  poulains  :  on  en  comptait 
environ  100  000.  Strabon  n'indique  pas  avec  précision  de  quels 
rois  il  s'agit  \  C'étaient  sans  doute  les  maîtres  du  grand 
royaume  de  Numidie,  tel  que  l'avait  constitué  Masinissa  et  que 
l'avaient  possédé  après  lui  Micipsa  et  Jugurtha.  Le  chiffre  est, 
du  reste,  invraisemblable,  s'il  se  rapporte  bien  à  un  recen- 
sement des  poulains,  c'est-à-dire  des  animaux  nés  dans  le  cours 
de  l'année  qui  s'écouhiTt  entre  deux  recensements.  Cela  sup- 
poserait un  total  d'au  moins  un  million  de  chevaux   de  tout 


1.  T.  IV,  p.  40. 

2.  Passage  cité  p.  174. 

3.  V,  supra,  p.  148,  n.  6. 

4.  Voir  p.  7,  n.  8. 

5.  T.  II,  p.  361  et  suiv. 

6.  Voir  t.  VIIl,  1.  I,  ch.  i,  §  IV.  Quelques  années  plus  tard,  un  prinre  numide, 
Arabion,  disposait  de  nombreux  cavaliers  :  Dion  Gassius,  XLVIII,  22,  (5. 

7.  XVII,  3,  13.  Conf.  supra,  p.  136,  n.  2. 

8.  XVII,  3,  l'J  (peut-être  d'après  Posidonius).  Conf.  supra,  p.  20,  n.  4,  et  p.  153. 

9.  Cette  assertion  se  trouve  dans  un  développement  sur  l'intérieur  de  la  Libye- 
et  sur  les  Gélules. 


•182  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 

■âge;  or,  de  nos  jours,  dans  toute  l'Algérie,  on  n'en  compte 
^uère  plus  de  220  000  ',  et  il  n'y  en  a  que  40  000  en  Tunisie. 
Si  ce  passage  de  Strabon  mentionnait  10  000  poulains,  au  lieu 
de  100  000,  ou  bien  100  000  chevaux,  au  lieu  de  100  000  pou- 
lains, il  inspirerait  plus  de  confiance. 

Mais,  quand  le  géographe  affirme  la  sollicitude  des  rois  pour 
i'élevage  du  cheval,  il  a  certainement  raison.  Il  importait  à  ces 
princes  de  disposer  d'une  bonne  cavalerie  pour  maintenir  leur 
domination.  Eux-mêmes  devaient,  comme  leurs  sujets,  aimer 
les  chevauchées,  soit  en  chasse,  soit  en  guerre  -.  Un  fils  de 
Masinissa,  Mastanabal,  tira  de  ses  haras  des  poulains  capables 
d'aller  remporter,  en  168  ou  164,  le  prix  aux  courses  des  Pana- 
thénées ^  Un  cheval  est  représenté  au  revers  des  monnaies  de 
Syphax  *,  de  A'ermina  ^,  de  presque  toutes  celles  qui  portent 
l'effigie  de  Masinissa  et  qui  furent  frappées  par  ce  prince  et  ses 
successeurs  ^  C'était,  il  est  vrai,  à  l'imitation  des  monnaies 
carthaginoises,  mais  les  souverains  indigènes  n'auraient  pas 
adopté  cette  image,  si  elle  ne  leur  eût  été  agréable,  s'ils  ne 
l'eussent  jugée  propre  à  être,  en  quelque  sorte,  le  symbole  de 
leur  pays.  Cirta  ^  et  d'autres  villes  situées,  semble-t-il,  en 
JVumidie  *  figurèrent  aussi  un  cheval  sur  leurs  monnaies. 

Représentations  fort  imparfaites  %  suffisantes  cependant  pour 


1.  ChilTre  moyen  pour  la  période  1900-1915  (ce  nombre  a  diminué  depuis  la 
guerre  :  en  1920-1,  la  statistique  officielle  n'en  indique  que  162  000). 

2.  De  même  que  son  aïeul  .Masinissa,  Jugurtha  était  sans  doute  un  brillant 
■cavalier  :  voir  Salluste,  Jug.,  VI,  1. 

3.  Inscr.  Graecae,  II,  968,  1.  41-42.  Conf.  t.  III,  p.  308. 

4.  Mùller,  Numism.,  III,  p.  90-91,  n"'  2-4. 

5.  Ibid.,Y>.  88.  n"  1. 

6.  Ibid.,  p.  17-19  et  32,  n"'  19-42.  Plus  tard,  sur  des  monnaies  d'Hiempsal  II  (?)  : 
ibid.,  p.  38,  n"*  4.Ï-49;  de  Juba  l"  :  p.  42,  n"'  52,  53,  et  peut-être  p.  16,  n»'  6-7; 
de  Ptolémée  :  p.  126,  n'"  123-4. 

7.  Ibid., p.  GO,  n"*?!,  72. 

8.  Ibid.,  p.  65,  n"  75-76;  p.  66,  n»  79;  p.  67,  n"'  80-81.  Les  aUributions  de 
Mûllcr  sont  très  contestables. 

9.  Auxquelles  on  peut  joindre  deux  stèles  de  Cirta,  où  des  chevaux  sont 
figurés  :  C.  I.S.,  I,  t.  Il,  p.  242,  au  n"  1756;  pour  l'une  d'elles,  Uec.de  Constantine, 
.XVIII,  1876-7,  pi.   Il,   flg.  4.  —  Pour  l'époque  romaine,  nous  avons  de  meilleurs 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  183 

nous  permettre  de  reconnaître  sur  ces  monnaies,  comme  sur 
celles  de  Carthage  S  les  ancêtres  de  la  race  barbe  ^  aux  formes 
lourdes,  ramassées,  à  la  tête  forte,  à  l'encolure  large  ^  à  la 
crinière  abondante,  au  dos  concave,  à  la  croupe  courte,  aux 
jambes  basses.  Ce  sont  là  ces  chevaux,  petits  *,  maigres  ^  dis- 
gracieux %  dont  parlent  quelques  auteurs.  «  La  tète  est  laide, 
dit  un  poète  latin  d'Afrique  ^  le  ventre  difforme,...  la  crinière 
fouette  les  épaules  saillantes.  »  Au  galop,  cette  tête,  tendue, 
s'allonge  sans  élégance  en  avant  du  cou  raidi  \  L'aspect 
général  est  à  la  fois  rude  et  mesquin.  Mais  les  barbes  ont  des 
qualités  que  les  anciens  n'ignoraient  point  et  qui  font  d'eux 
d'admirables  auxiliaires  pour  la  guerre. 

D'abord,  sobriété  et  endurance.  Les  chevaux  des  Numides 
supportent,  s'il  le  faut,  la  soif  et  la  faim.  «  Ils  ne  connaissent 
pas  l'orge,  dit  Appien  %  ils  ne  mangent  que  de  l'herbe;  ils  boi- 
vent rarement.  »  Us  n'exigent  pas  de  soins  :  on  ne  se  donne 
pas  la  peine  de  les  étriller,  de  les  laver,  de  nettoyer  leurs 
sabots,  de  peigner  leur  crinière;  quand,  après  une  longue 
course,  le  cavalier  est  descendu  de  sa  bête,  il  ne  s'occupe  plus 
d'elle  et  la  laisse  simplement  chercher  sa  nourriture  dans  les 
prés,  souvent  bien  maigres,  d'alentour  '°. 

Ces  animaux  sont  dociles  et  se  dressent  aisément  ".  Us  peu- 
documents  :  chevaux  africains  représentés  sur  des  mosaïques  et  sur  la  colonne 
Trajane. 

1.  Voir  t.  IV,  p.  39. 

2.  Sur  cette  race,  voir  t.  I,  p.  229-230. 

3.  Selon  une  assertion  recueillie  par  Strabon  (XVII,  3,  19),  les  chevaux  des 
Gétules  ont,  comme  leurs  bœufs,  le  cou  plus  long  que  ceux  des  autres  races. 

4.  Strabon,  XVII,  3,  7.  Tite-Live,  XXXV,  11,  7.  Appien,  Lib.,  100.  Elien, 
Nat.  anim.,  XIV,  10. 

5.  Tite-Live,  l.  c.  Élien,  Nat.  anim.,  III,  2. 

6.  Tite-Live,  ?.  c.  :  «  Nihil  primo  adspectu  contemptius.  » 

7.  Némésien  de  Carthage.  Cyncg.,  263-3. 

8.  Tite-Live,  XXXV,  11,  8  :  •  deformis  ipse  cursus  rigida  cervice  et  extento 
capile  currenti'um.  -  Couf.  des  images  sur  des  monnaies  :  MuUer,  III,  p.  42,  n"  52; 
p.  88,  n»  1  ;  p.  90,  n°  2. 

fl.  Lib.  11.  Voir  aussi  ibid.,  100. 

10.  Élien,  Nat.  anim.,  III,  2.  Conf.  Lucain,  IV,  678. 

11.  Strabon,  XVIi,  3,  7.  Tite-Live,  XXIII,  29,  5.  Némésien,  Cyneg.,2m. 


184  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D  HABITATION. 

vent  être  montés  par  des  enfants  *.  Certains  suivent  leur  maître 
comme  des  chiens  -,  Ils  sont  sensibles  aux  sons  de  la  flûte,  qui 
sert  parfois  à  diriger  leurs  mouvements  et  à  régler  leur  allure  ^ 

Ils  résistent  bien  à  la  fatigue  *  et  font,  au  besoin,  de  longs 
trajets.  Ils  courent  très  rapidement  ^  Ils  ont  le  pied  sûr  et 
passent  dans  les  terrains  les  plus  difficiles  ®. 

A  la  guerre,  les  Africains,  comme  d'autres  peuples,  les  ont 
longtemps  employés  en  les  attelant  à  des  chars,  par  paire  ou 
par  quatre  \  Des  textes  mentionnent  ces  chars  au  v*  siècle  *  et 
à  la  fin  du  iv®  %  chez  des  peuplades  de  Tunisie.  Puis,  peut-être 
en  même  temps  que  les  Carthaginois  '°,  les  indigènes  y  renon- 
cèrent :  à  l'époque  des  guerres  puniques  et  plus  tard,  on  ne 
trouve  chez  les  Numides  et  les  Maures  que  des  cavaliers. 
Strabon  "  signale  des  chars  chez  les  Pharusiens  et  les  Nigrites, 
Ethiopiens  qui  vivaient  au  Sud  du  Haut-Atlas  marocain  *^; 
mais  il  y  a  là  probablement  un  écho  d'un  auteur  plus  ancien  : 
d'une  autre  indication  de  Strabon  '%  nous  pouvons  conclure 
qu'au  I"  siècle  avant  J.-C,  les  Pharusiens  montaient  des  bêtes 
non  attelées. 

1.  Arrien,  Cyneg.,  24,  3. 

2.  Strabon,  l.  c. 

3.  Élien,  Nat.  anim.,  XII,  44  (peut-être  d'après  Juba  II)  :  •  Les  juments  des 
Libyens  sont  sensibles  à  la  flûte,;  elles  suivent  ceux  qui  en  jouent,  et  même 
pleurent  de  joie  [!].  »  Pollux,  IV,  74.  Pour  les  chevaux  d'aujourd'hui,  conf. 
Tissot,  Géographie,  I,  p.  356. 

4.  Hlien,  III,  2.  Oppien,  Cyneg.,  I,  289. 

5.  Strabon,  XVll,  3,  7.  Appien,  Lib.,  100.  Kiien,  III,  2;  XIV,  10.  Oppien,  l.  c. 

6.  Sallusle,  Jug.,  L,  6.  Au  iV  siècle  de  notre  ère,  Ammien  Marccllin  (XXIX,  5,  41) 
dit  du  cheval  de  Firmus  le  Maure  :  «  equo...  per  saxa  et  rupes  discurrere  citius 
adsueto.  • 

7.  Voir  t.  I,  p.  243-4. 

8.  Chez  les  Zauèces  (Tunisie  orientale)  :  Hérodote,  IV,  193.  Autour  du  lac 
Tritonis  (petite  Syrie)  :  ibid.,  IV,  180. 

9.  Chez  des  indigènes  qui  se  rangèrent  du  côté  d'Agathocle  :  Diodore  de  Sicile, 
XX,  38,  1;  XX,  64,  1. 

10.  Voir  t.  H,  p.  400. 

11.  XVll,  3,  7. 

12.  Ces  chars  auraient  même  été  armés  de  faux,  comme  ceux  qui  figuraient  en 
Orient  dans  de  grandes  batailles  :  détail  (|ui  n'est  pas  vraisemi)lable. 

13.  Ibid.  Il  dit  (|ue  les  Pharusiens  attachaient  des  outres  sous  le  ventre  de  leurs 
chevaux,  ce  (jui  ne  se  comprendrait  guère  si  ceux-ci  avaient  traîné  des  chars. 


ELEVAGE  ET  CULTCRE.  18b 

Les  indigènes  ne  paraissent  pas  avoir  employé  leurs  che- 
vaux, —  plus  endurants  que  robustes,  —  à  de  grosses  beso- 
gnes, à  traîner  des  chariots  ou  à  faire  le  va-et-vient  en  avant 
d'une  charrue.  Ils  se  servaient  d'eux  pour  s'épargner,  dans 
leurs  promenades-ou  leurs  migrations,  l'ennui  et  la  fatigue  de 
la  marche  ',  pour  les  parties  de  chasse  et  surtout  pour  com- 
battre-. Ils  avaient  la  réputation  méritée  d'être  d'excellents 
cavaliers  ^;  ils  l'étaient  dès  l'enfance  *. 

D'ordinaire,  ils  montaient  à  cru  :  ce  qu'attestent  à  la  fois 
auteurs  ^  et  représentations  figurées  ®;  âgé  de  quatre-vingt- 
huit  ans,  Masinissa  dédaignait,  comme  ses  sujets,  l'usage  de  la 
selle  ^  Le  cheval  restait  complètement  nu  ou  ne  portait  qu'un 
collier  %  qui,  quand  il  n'était  pas  un  simple  ornement,  pouvait 
servir  à  suspendre  quelque  amulette  ^  La  plupart  des  indi- 
gènes  ne  faisaient  pas  usage   de  mors,   ni  de  brides  '°;  on  a 

1.  Les  Maures,  dit  Pausanias  (YIIL  43,  3),  ne  font  pas  usage  de  chariots, 
comme  les  Scythes,  mais  ils  se  déplacent  sur  des  chevaux,  eux  et  leurs  femmes. 

2.  T.  II,  p.  363  et  suiv. 

3.  Tite-Live,  XXLX,  34,  5. 

4.  Tite-Live,  XXIV,  48,  6.  Arrien  (Cyneg.,  24,  3)  dit  qu'en  Afrique,  des  enfants 
montent  à  cheval  dès  l'àge  de  huit  ans. 

5.  Textes  d'Appien,  de  Strabon,  Lucain,  Silius  Italiens,  Arrien,  Claudien,  cités 
t.  Il,  p.  364,  n.  1. 

6.  Monnaies  de  Syphax  :  Millier,  Aumism.,  III,  p.  90-91,  n°'  2-4.  Cavaliers 
raaures  de  la  colonne  Trajane  :  Gagnât,  Varmée  romaine  d'Afrique,  2*  édit., 
planche  à  la  p.  268.  Stèles  trouvées  en  Kabylie  :  voir,  entre  autres,  Doublet, 
Musée  d'Alger,  pi.  VI. 

7.  Appieu,  Lib.,  71.  Conf.  t.  111,  p.  302. 

8.  Fréquent  sur  les  monnaies  de  Masinissa  :  Millier,  l.  c,  flg.  aux  p.  18  et  19. 
On  le  voit  déjà  sur  des  monnaies  de  Carthage  :  MûUer,  II,  p.  116.  Les  chevaux 
des  cavaliers  maures  de  la  colonne  Trajane  portent  un  collier  tressé. 

9.  Sur  une  stèle  de  Kahylie  (Doublet,  l.  c),  le  cheval  d'un  guerrier  porte  au 
cou,  autant  qu'il  semble,  une  pendeloque  compliquée,  que  l'on  suppose  être 
une  amulette  (Tissot,  Géogr.,  I,  p.  493;  Doublet,  p.  72-73).  Noter  que  l'image, 
d'ailleurs  très  grossière,  n'indique  pas  le  licou  auquel  cet  objet  aurait  été 
suspendu. 

10.  Monnaies  de  Syphax  mentionnées  n.  6.  Textes  de  Tite-Live,  du  Bellum 
Africum  (ajouter  L.XI,  2),  de  Virgile,  Lucain,  Silius  Italieus,  Oppien,  llérodien, 
Claudien,  cités  t.  Il,  p.  364,  n.  4.  Némésien,  Cyneg.,  268.  Voir  aussi  les  chevaux 
maures  de  la  colonne  Trajane.  —  Strabon  (XVII,  3,  7)  dit  que  les  chevaux  des  Maures 
ont  des  brides  en  jonc.  Il  s'agit  sans  doute  d'une  corde,  qui,  «  passée  dans  la 
bouche,  servait  à  la  fois  de  mors  et  de  rênes  »  (Tissot,  Géogr.,  I,  p.  3.57).  Selon 
le  mc'Mue  auteur  (/.  c.),chez  les  Masœsyles  et  d'autres  Libyens,  les  chevaux  portent 


186  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

vu',  cependant,  que,  parmi  les  troupes  de  Juba  I",  les  réguliers 
en  étaient  pourvus  et  se  distinguaient  ainsi  des  contingents 
envoyés  par  les  tribus  ^  Pas  d'éperons  non  plus  ^  L'animal 
était  dirigé  avec  une  légère  baguette*;  peut-être  même  souvent 
par  de  simples  pressions  de  genou,  ou,  au  besoin,  de  rapides 
mouvements  de  main. 


IV 


La  culture  des  céréales  avait  dû  s'introduire  en  Berbérie  dès 
une  époque  très  reculée,  fort  antérieure  à  la  colonisation  phéni- 
cienne ^.  Elle  s'était  répandue  dans  la  Tunisie  orientale  avant 
que  Carthage  y  eût  établi  sa  domination  '';  elle  avait  pénétré 
jusque  dans  le  Sahara  \  Puis  elle  se  développa  dans  la  contrée 
qui  devint  le  territoire  punique  ^,  et  elle  ne  fut  certainement 
pas  négligée  autour  des  cités  phéniciennes  et  carthaginoises 
qui  s'échelonnaient  sur  les  côtes,  en  deçà  et  en  dehors  du 
détroit  de  Gibraltar;  là,  du  moins,  où  les  colons  disposaient  de 

un  collier  «  en  bois  »,  —  c'est-à-dire  en  matière  végétale,  —ou  en  crin,  auquel 
la  bride  est  suspendue.  Ce  texte  est  d'une  interprétation  difficile.  Tissot  (l.  c, 
p.  359)  croit  qu'il  s'agit  d'  «  un  simple  licou,  attaché  à  la  partie  supérieure  de 
l'encolure  du  cheval,  et  dont  l'extrémité,  servant  de  bride,  permettait  d'exercer 
sur  l'encolure  de  l'animal  une  traction  sufûsante  pour  le  diriger  à  droite  ou  à 
gauche  ».  Mais  ces  deux  manières  de  diriger  le  cheval  ne  devaient  pas  être  aussi 
répandues  que  Slrabon  l'afûrme.  Les  textes  et  les  monuments  flgurés  que  nous 
venons  de  citer  indiquent  l'absence  complète  de  bride. 

1.  P.  UG. 

2.  Cheval  bridé,  sur  des  monnaies  de  Ptolémée,  dernier  roi  de  Maurétanie  : 
Miiller,  Numisin.,  111,  p.  120,  n°^  123-4.  On  trouve  plus  tard  des  exemples  de 
l'usage  de  brides  :  image  de  la  Maurétanie,  tenant  un  cheval  par  la  bride,  sur 
dos  monnaies  de  leiiipereur  Hadrien  :  Cohen,  Descr.  des  monnaies  impériales, 
2'  édit.,  11,  p.  185,  n"''  !)52-'JGl;  Corippus,  Joli.,  11,  89;  IV,  544;  V,  12-13. 

3.  A  l'époque  byzantine,  des  chefs  indigènes  se  servaient  d'éperons  :  Corippus, 
II,  46;  V,  212  (mais  rcunarquer  que,  dans  le  premier  de  ces  deux  passages,  le 
poète  africain  imilo  Virgile). 

4.  Monnaies  de  Syphax.  Textes  de  Strabon,  Lucain,  Silius  Italiens,  Arrien, 
Oppien,  Hérodien,  Claudieu,  cités  t.  II,  p.  304,  n.  5.  Martial,  IX,  22,  14.  Némésien» 
Cyneg.,  267. 

5.  Voir  t.  I,  p.  236. 

0.  T.  I,  p.  236,  n.  3;  t.  IV,  p.  9. 

7.  Chez  les  Garamautes  (dans  lo  Fezzan),  au  dire  d'Hérodote,  IV,  183. 

a.  Voir  t.  IV,  p.  10. 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  187 

banlieues  étendues  '.  Ces  exemples  furent  peut-être  suivis  par 
des  indigènes,  qui,  sans  dépendre  de  Carthage,  vivaient  dans  le 
voisinage  de  son  territoire  et  de  ses  colonies. 

C'est  pourtant  à  Masinissa  que  Polybe  et  d'autres,  Strabon, 
Valère-Maxime^  Appien%  attribuent  l'introduction  de  l'agri- 
culture en  Nuniidie.  «  Voici,  dit  Polybe  \  ce  qu'il  fit  de  plus 
grand  et  de  plus  merveilleux.  Avant  lui,  toute  la  Numidie  était 
inutile  et  considérée  comme  incapable  par  sa  nature  de  donner 
des  produits  cultivés.  C'est  lui  le  premier,  lui  seul,  qui  montra 
qu'elle  peut  les  donner  tous,  autant  que  n'importe  quelle  autre 
contrée,  car  il  mit  en  pleine  valeur  de  très  grands  espaces.  » 
Et  nous  lisons  dans  Strabon  ^  :  «  Ce  fut  Masinissa  qui  rendit 
les  Numides  sociables  et  en  fit  des  agriculteurs.  » 

Ces  éloges  sont  sans  doute  exagérés.  Mais,  si  Masinissa  n'a 
pas  été  l'initiateur,  il  fut  le  propagateur  énergique  de  la  vie 
agricole  dans  le  vaste  Élat  qu'il  avait  su  fonder.  A  cela,  il 
trouva  son  intérêt  de  roi  :  des  sujets  attachés  au  sol  et  jouis- 
sant de  plus  d'aisance  devenaient  plus  paisibles,  plus  disposés 
à  obéir  au  maître  qui  pouvait  les  châtier  en  détruisant  leurs 
récoltes,  plus  capables  de  payer  les  impôts  qu'il  exigeait  ^  A 
un  point  de  vue  supérieur,  qui  ne  fut  pas  indifférent  au  grand 
Africain,  le  développement  de  l'agriculture  était  une  condition 
essentielle  du  progrès  de  la  civilisation. 

Mjisinissa  possédait  les  cités  maritimes  qui,  en  Numidie 
comme  sur  les  rivages  des  Syrtes,  avaient  obéi  à  Carthage  ;  il 
avait  conquis  une  partie   du  territoire   punique,   les    Grandes 

i.  T.  IV,  p.  13. 

2.  VIII,  13,  ext.,  1  (d'après  Tite-Livc,  copiant  Polybe?)  :  [Masinissa]  «  terram, 
quam  vastam  et  deserlam  accoperat,  perpetuo  culturae  studio  frugiferam  reli- 
quit.  » 

3.  Lib.  100  (d'après  Polybe?)  :  [Masinissa],  «  à  qui  la  faveur  divine  a  donné  de 
mettre  en  valeur  une  vaste  contrée,  où,  auparavant,  les  Numides  se  nourrissaient 
surtout  d'herbe,  parce  (ju'ils  ne  se  livraient  i^as  à  la  culture.  » 

4.  X.\XVI,  16,  7-8,  édit.  Hiittner-Wobst  (nlias  XX.KVII,  3). 

5.  XVll,  3,  13.  C'est  sans  doute  un  écho  do  Polybe. 

6.  Gonf.  supra,  p.  139. 


188  EXPLOITATION  DC  SOL   ET  MODES  D  HABITATIOX. 

PJaines  de  la  Medjerda,  la  Tunisie  centrale  ',  régions  propices 
aux  céréales.  Il  s'était  ainsi  annexé  de  nombreux  agriculteurs 
et  n'avait  pas  besoin  de  chercher  des  leçons  hors  de  son  propre 
royaume.  A  ceux  de  ses  sujets  qui  voulaient  travailler,  son 
autorité  vigoureuse  inspirait  l'espoir  de  ne  pas  être  privés  du 
fruit  de  leur  labeur.  Il  prit  sans  doute  des  mesures  pour  faire 
de  la  place  aux  cultures,  en  restreignant  les  parcours  de  ceux 
qui  continuaient  à  ne  pratiquer  que  l'élevage;  pour  assurer 
aux  tribus  agricoles  la  propriété  de  territoires  aux  limites 
certaines,  où  les  nomades  ne  pénétreraient  que  dans  des  con- 
ditions déterminées,  en  hôtes,  non  en  envahisseurs  et  en  pillards. 
Mais  nous  n'avons  aucun  renseignement  à  cet  égard. 

Il  n'est  pas  vraisemblable  que  le  passage  de  la  vie  pastorale 
à  la  vie  agricole  ait  été  soudain.  Ces  deux  vies  pouvaient  se 
combiner  ^.  Les  céréales  ne  réclamaient  l'activité  des  hommes 
cj[ue  pendant  deux  périodes  de  l'année,  aux  labours  accompa- 
gnant les  semailles  et  à  la  moisson.  L'entretien  de  troupeaux 
fournissait  les  bêtes  employées  au  labourage,  au  dépiquage, 
au  transport  des  récoltes;  l'usage  de  la  jachère  laissait  au  bétail 
des  terrains  qu'il  engraissait  de  son  fumier  et  rendait  plus 
propres  à  être  ensemencés  de  nouveau;  les  chaumes  lui  ser- 
vaient de  nourriture  pendant  quelques  semaines,  après  la 
moisson,  qui  ne  coupait  que  les  épis.  Ensuite,  faute  d'herbes 
sur  pied  et  faute  de  réserves,  on  devait  le  conduire  dans  la 
forêt  ou  dans  la  montagne.  Ailleurs,  c'était  peut-être  durant  la 
saison  d'hiver,  après  les  semailles  et  les  labours,  qu'on  l'emme- 
nait sous  un  ciel  plus  clément.  Mais,  lorsque  la  main  ferme 
du  roi  savait  assurer  la  paix,  il  suffisait,  soit  de  quelques 
gardiens  pour  veiller  sur  le  village  et  sur  les  magasins  de 
grains,  soit  de  quelques  patres  pour  faire  transhumer  les  trou- 
peaux. 

1.  Voir  t.  III,  p.  .314  ot  suiv. 

2.  Corif.  supra,  \i.  01. 


ÉLEVAGE   ET  CULTURE.  189 

L'agriculture  ne  pouvait,  d'ailleurs,  s'emparer  tout  d'un 
coup  des  sols  qui  lui  étaient  favorables.  L'œuvre  de  défriche- 
ment fut  évidemment  de  longue  durée  et,  pendant  qu'elle 
s'accomplissait,  l'élevage  restait  une  nécessité.  Il  fallait  surtout 
lutter  contre  des  plantes  et  des  broussailles  aux  racines  tenaces 
et  profondes,  palmiers  nains,  jujubiers  épineux,  etc.,  qui 
s'étendaient  sur  les  plaines  et  dont  l'arrachement  a  été  le 
travail  opiniâtre  d'une  série  de  générations  :  ainsi,  se  prépara 
obscurément  la  prospérité  de  l'Afrique  romaine  \  La  forêt  dut 
être  aussi  attaquée  :  il  était  facile  en  été  d'y  mettre  le  feu  et 
d'amender  ainsi  le  sol  par  les  cendres  que  laissait  l'incendie  ; 
c'était,  en  outre,  un  moyen  de  combattre  le  fléau  des  fauves  -. 
Mais  les  terrains  forestiers  sont  souvent  d'une  fertilité  très 
médiocre,  et  il  est  raisonnable  de  les  conserver  comme  pâtu- 
rages d'été,  quoique  beaucoup  d'indigènes,  dans  leur  impré- 
voyance, ne  s'en  soucient  guère  ^ 

Aux  travaux  préliminaires  et  aux  tâches  annuelles  qu'exigeait 
l'agriculture,  les  bras  ne  manquaient  pas.  Les  indigènes  étaient 
nombreux*  et  prolifiques^;  pourvu  qu'ils  consentissent  à 
l'effort  nécessaire,  ils  n'avaient  pas  besoin  d'être  renforcés  par 
des  éléments  étrangers  ^  Nous  avons  vu  que  beaucoup  d'entre 
eux  ne  firent  pas  cet  effort  et  continuèrent  à  s'adonner  exclu- 
sivement à  l'élevage. 

Les  résultats  qu'obtint  Masinissa  n'en  sont  pas  moins  dignes 
d'admiration.  Il  voulut  lui-même  servir  d'exemple  à  ses  sujets. 
«  Il  excella,  écrit  Diodore  de  Sicile'',  dans  les  travaux  de 
l'agriculture,  au    point  qu'il   laissa  à  chacun   de    ses  fils  une 

1.  T.  I,  p.  164. 

2.  Ibid.,  p.  153. 
;    3.  Ibid.,  p.  155. 

4.  Tite-Live,  XXIV,  48,  7  (pour  le  royaume  de  Syphax).  Sallustc,  ,/u;/.,  XVI,  îJ 
(pour  la  Numidie  occidentale). 

5.  1'.  supra,  p.  ol. 

6.  Conf.  supra,  p.  11. 

7.  XXXII,  17.  Diodore  a  emprunté  cela  à  Polybe  (XXXVI,  10,  S,  édit.  Uiiltner- 
Wobst). 

GsKLL.  —  Afrique  du  Nord.  V.  1.1 


iOO  EXPLOITATIOxX   DU  SOL  ET   MODES  D'HABITATION. 

terre  de  10  000  plèthres  *,  munie  de  tout  le  matériel  nécessaire 
à  l'exploitation.  » 

L'impulsion  qu'il  avait  donnée  ne  fut  pas  arrêtée  par  sa 
mort.  Au  temps  de  Jugurtha,  l'agriculture  prospérait  dans 
une  bonne  partie  de  la  Numidie  ^  De  même,  au  temps  de- 
Juba  I"  *.  Cependant,  les  guerres  et  les  troubles  qui  furent 
fréquents  depuis  la  fin  du  II"  sièclejusqu'à  la  conquête  romaine  cau- 
sèrent des  crises  plus  ou  moins  longues,  plus  ou  moins  graves\ 

La  Maurétanie  était  sans  doute  en  retard  sur  la  Numidie. 
Le  sol,  dit  Pomponius  Mêla  %  y  valait  mieux  que  les  hommes. 
Ceux-ci  n'avaient  pas  eu  un  Masinissa  pour  maître. 

Les  céréales  cultivées  par  les  indigènes  étaient,  comme  sur 
le  territoire  punique,  le  blé  et  l'orge  *.  Des  épis  de  blé  sont, 
représentés  sur  des  monnaies  de  quelques  rois,  iMastanesosus(?)  ', 
Bocchus  le  Jeune  ^  Juba  H',  Ptolémée'",  de  la  ville  de  Cirta",. 
de  plusieurs  villes  maritimes  de  la  Maurétanie  *^  Dès  le  dé- 
but du  II'  siècle,  Masinissa  put  envoyer  à  plusieurs  reprises,, 
soit  à  Rome,  soit  aux  armées  romaines  combattant  en  Orient, 
du  blé  et  de  l'orge,  par  centaines  de  milliers  de  boisseaux; 
une  fois  même,   un  million  de  boisseaux  '\   Micipsa  expédia 

1.  Le  plèllire  éciaivaut  à  874  mèlres  carrés.  Donc  la  superficie  de  chaque- 
domaine  était  de  874  hectares. 

2.  Salluste.  Jug.,  XVI,  5;  X.KIX.  4:  XLVI,  o;  XLVIII,  4. 

3.  Voir  Piutarque,  César,  5.j. 

4.  Gonf.  Strabon,XVII,3,  12. 

5.  I,  28;  voir  aussi  I,  :10,  et  III,  lOo. 

6.  .\u  vi"  siècle  de  notre  ère,  Procope  [Bdl.  Vand.,  II,  6,  13)  indique  que  les- 
jndi"-èaes  cultivent  le  blé,  l'épeautre  et  l'orge.  Pour  la  culture  de  ces  céréales  sur 
le  territoire  carlliaginois,  voir  t.  IV,  p.  9. 

7.  Millier,  A'umism.,  III,  p.  48-49,  n°'  60-61. 

8.  Ibid.,  p.  98,  n'"  12-14  (monnaies  frap[)ées  à  Shemesh). 

y.  Ibid.,  p.  103,  n"  19.  Dieudonné,  Rev.  nuinism.,  1908,  p.  3ol,  n"»  2-4  (pi.  XIII, 
ng.  8  et  9). 

10.  Millier,  l.  c,  ii.  120-8,  n"»  122,  132-7;  p.  130,  n"  196.  Bull,  archéol.  du  Comité, 
1889,  llg.  à  la  p.  388. 

11.  MiJller,  II!,  p.  60,  n»  73. 

12.  V.  infra,  p.  191.  —  Kpis^  sur  d'autres  monnaies,  qui  sont  peut-être  numides: 
V.  supra,  p.  159. 

13.  Textes  cités  t.  III,  p.  309,  n.  2.  Illé  envoyé  par  Masinissa  à  Délos  :  i6i<i.^ 
|).  307,  n.  5. 


ÉLEVAGE  ET  CULTUKE.  191 

du    blé    à    des    troupes  romaines   qui   faisaient  campagne   en 
Sardaigne  *. 

Nous  avons  vu  ^  que,  selon  une  déclaration  de  César,  repro- 
duite par  Plutarque  %  la  province  créée  en  46  avant  J.-C. 
devait  rapporter  annuellement  au  peuple  romain  1  200  000  bois- 
seaux de  blé  (103  000  hectolitres),  perçus,  peut-on  croire,  à 
titre  d'impôt.  A  supposer  que  ce  fût  le  dixième  d'une  récolte 
moyenne,  celle-ci  aurait  été  à  peine  supérieure  à  un  million 
d'hectolitres  pour  l'ensemble  des  terres  soumises  à  cet  impôt. 
11  faut  avouer  que  ce  n'eût  pas  été  beaucoup  *.  La  contrée  dont, 
parlait  César  n'était  pas  tout  le  royaume  de  Juba,  car  la  partie 
occidentale,  la  région  de  Cirta,  en  avait  été  détachée  pour  con- 
stituer un  véritable  Etat,  donné  à  Sittius  et  évidemment  exempt 
de  charges  fiscales  vis-à-vis  de  Rome.  Mais  la  nouvelle  pro- 
vince comprenait  le  Nord-Est  de  l'Algérie,  le  Nord-Ouest  et  le 
centre  de  la  Tunisie,  où  d'excellentes  terres  à  blé  s'étendent 
sur  de  vastes  espaces.  Il  conviendrait  donc  de  se  demander  si 
les  1  200  000  boisseaux  ne  représentaient  pas  un  impôt  bien 
plus  léger,  ou  si  le  passage  de  Plutarque  ne  contient  pas- 
quelque  erreur  ",  ou  encore  si  la  richesse  de  la  Numidie  en 
céréales  sous  les  rois  indigènes  n'a  pas  été  exagérée.  Une 
autre  hypothèse  pourrait  être  présentée.  Il  s'agirait,  non  pas 
d'un  impôt,  mais  de  ce  qu'auraient  rapporté  au  peuple  romain 
les    domaines    royaux,    devenus    sa    propriété   :  César    aurait 


1.  Platarciuc,  C.  Gracchus,  2. 

2.  P.  152. 

3.  César,  55. 

4.  Actuellement,  la  production  moyenne  de  rAlgéiio  en  blé  dur  est  de  sept  mil- 
lions et  demi  d'hectolitres. 

5.  Une  quantité  de  1  200  000  boisseaux  permettait  de  faire  des  distributions 
gratuites  à  20 000  citoyens  (à  raison  de  GO  boisseaux  par  an).  Or  le  nombre  des 
bénéficiaires  de  ces  distributions  fut  fixe  par  César  à  150  000  en  iti  (après  avoir 
dépassé  le  double  de  ce  chilfre).  La  nouvelle  con(iuôte  n'aurait  pas  couvert  le 
septième  des  besoins.  II  n'y  aurait  pas  eu  là  de  quoi  se  vanter  outre  mesure. 
L'impôt  on  huile,  exigé  par  César  de  Leptis  la  Grande,  trois  millions  de  livres 
par  an  (Bell.  Afric,  XCVll,  :t  ;  Plutarque,  César,  .'i.")),  était  bien  autrement  avan- 
tageux pour  le  peuple  ronuiin. 


192  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D"HABITâT10N. 

affermé  les  revenus  de  ces  domaines,  et  les  adjudicataires 
auraient  eu  à  verser  des  quantités  fixes  de  blé,  non  des  sommes 
d'argent,  comme  c'était  l'usage.  En  somme,  il  serait  imprudent 
de  tirer  de  ce  texte  des  conclusions  précises  sur  la  production 
agricole  de  la  Numidie  orientale  au  milieu  du  i"  siècle. 

Il  prouve,  du  moins,  que,  dans  cette  contrée,  une  bonne 
partie  de  la  population  se  livrait  alors  à  la  culture  des  céréales. 
Il  en  était  déjà  ainsi  au  siècle  précédent.  Au  temps  de  Jugurtha, 
Vaga  est  un  grand  marché,  qui  attire  beaucoup  d'Italiens  K 
Comme  aujpurd'hui  à  Béja  ^,  —  tel  est  le  nom  que  porte  la 
vieille  ville  africaine,  —  o^^  y  vend  sans  doute  les  grains 
récoltés  dans  la  région  des  Grandes  Plaines,  que  la  Medjerda 
traverse  au  Sud-Ouest  de  ce  lieu  '.  Le  général  romain  Métellus, 
sortant  de  la  province  romaine  cVAfrica  et  pénétrant  dans  le 
royaume  numide  par  une  route  peu  éloignée  de  Vaga,  ren- 
contre partout  des  cultivateurs,  reçoit  partout  des  offres  de 
blé  *.  On  récolte  aussi  des  céréales  dans  la  région  de  Sicca 
(Le  Kef)  ^;  à  l'Ouest  de  cette  ville,  les  bords  du  Muthul  (oued 
Mellègue)  sont  habités  par  des  agriculteurs  ^  Bien  plus  loin 
vers  l'Ouest,  Cirta  est  entourée  de  champs  de  blé,  puisque, 
probablement  au  i""  siècle,  elle  fait  figurer  des  épis  sur  une 
de  ses  monnaies  ^ 

Lorsque,  vers  l'année  117,  le  royaume  de  Masinissa  et  de 
Micipsa  fut  partagé  entre   Adherbal   et  Jugurtha,  le  premier 

1.  Salluste,  Jug.,  XLVII,  1  :  «  Oppidum  Numidarum  nomine  VcTg-a,  forum  rerum 
vf'iialium  tntiusregni  maxumc  celebratum,  ubict  iocolero  et  mercari  consucverant 
Italici  generis  muUi  morlales.  » 

2.  Au  XI»  siècle  de  notre  ère,  El  Bekri  écrivait  {Descr.  de  VAfr'uiuc  septentr., 
trad.  de  Slane,  édit.  d'Alger,  p.  119-120)  :  «  Badja,  ville  qui  est  surnommée  le 
grenier  de  l'ifrlkiya.  • 

3.  En  111,  c'est  à  Vaga  que  se  rend  un  (jucstiMir  pour  recevoir  le  blé  que 
Jugurtha  doit  lui  livrer  :  Salluste,  XXIX,  4. 

4.  Salluste,  XLVI,  5  (conf.  XLVII,  1). 
.5.  W.,  LVl,  3. 

G.  /d.,XLVlIl,  4. 

7.  V.  supra,  p.  100,  n.  II.  Cette  monnaie,  pourvue  d'une  légende  en  écriture 
néopunique,  n'est  sans  doute  pas  antérieure  au  1"  siècle,  mais  elle  fut  frappée 
avant  la  comiuétf;  de  Cirta  par  l'Italien  Sittius,  en  40. 


ELEVAGE  ET   CULTURE.  193 

reçut  la  partie  orientale,  depuis  la  province  jusqu'au  delà  de 
Cirta,  ville  où  il  résida.  Le  reste,  jusqu'à  la  Maurétanie,  c'est- 
à-dire  jusqu'à  la  Moulouia,  échut  à  Jugurtha.  Or,  Salluste  ' 
écrit  que  la  part  de  celui-ci  était  la  plus  riche  en  terres  cultivées 
et  en  hommes,  tandis  que  celle  d'Adherbal,  mieux  pourvue 
de  ports  et  d'édiiîces,  avait  plus  d'apparence  que  de  valeur 
réelle.  Une  indication  analogue  se  lit  dans  Strabon*  :  il  affirme 
que,  dans  le  pays  des  Masaesyles,  la  partie  voisine  de  la  Mau- 
rétanie est  celle  qui  rapporte  le  plus  et  offre  le  plus  de  ressources  ; 
celle  qui  est  du  côté  de  la  région  carthaginoise  et  du  pays 
des  Massyles  est  plus  florissante,  et  mieux  exploitée.  Salluste 
et  Strabon  ont  probablement  copié  ici  le  même  auteur,  Posi- 
donius\  Il  n'est  pas  certain  que  ces  assertions  soient  rigou- 
reusement exactes.  La  part  de  Jugurtha  comprenait  le  Tell 
des  provinces  d'Oran,  d'Alger  et  de  l'Ouest  de  la  province  de 
Constantine,  où  il  y  a  de  belles  terres  à  blé,  surtout  autour 
de  Sidi  bel  Abbès  et  de  Sétif  ;  mais,  dans  la  part  d'Adherbal, 
étaient,  entre  autres,  les  pays  de  Cirta,  de  Sicca,  des  Grandes 
Plaines,  dont  des  documents  sûrs  attestent  la  prospérité  agri- 
cole. Il  semble  bien  que  l'avantage  ait  été  en  faveur  de  la 
Numidie  orientale.  Mais  la  Numidie  occidentale  faisait,  elle 
aussi,  bonne  figure. 

Entre  la  province  romaine  et  la  Maurétanie,  les  céréales 
s'étaient  donc  répandues  à  travers  toute  la  région  voisine  de  la 
Méditerranée,  dans  tout  le  Tell  algérien,  sans  occuper  cepen- 
dant la  totalité  des  sols  qui  leur  étaient  propices.  Il  y  avait  là, 
comme  le  remarque  Pomponius  IMéUi',  ou  plutôt  un  auteur 
copié  par  Mêla,  des  cultivateurs  qui,  par  leurs  mœurs,  ne 
différaient  guère  de  ceux  de  l'Europe  méridionale. 

Si,    en  Maurétanie,   l'agriculture  s'était  moins    développée, 

1.  Jug.,  XVI,  5. 

2.  XVII,  3.  12. 

3.  Voir  t.  Vil,  I.  II,  ch.  i,  «  1. 

4.  1,  41   :  «  Orue  sic  liabikiulur  ad  uostruin  maxime  ritum  moratis  culturibus.  • 


494  EXPLOITATION  DU   SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

elle  n'était  pas  dédaignée  partout  :  ce  que  prouvent  les  épis 
représentés  sur  des  monnaies  frappées,  soit  au  i"  siècle  avant 
J.-C,  soit  un  peu  plus  tard,  par  des  villes  du  littoral  médi- 
terranéen, Rusaddir  et  probablement  Tamuda,  et  par  des  villes 
■de  l'Océan,  Tingi,  Zili,  Lixus,  Sala,  sans  parler  de  celles  qu'on 
n'a  pas  identifiées'.  Les  Gétules  eux-mêmes,  ces  nomades  par 
•excellence,  ne  restaient  peut-être  pas  tous  complètement 
■étranoers  à  la  culture  des  céréales^. 

Terre  d'élevage,  l'Afrique  du  Nord  était  aussi  devenue  la 
contrée  féconde  en  grains,  frvgum  fertilis,  dont  parle  Salluste^ 
On  exagérait  même  sa  fertilité.  Au  y"  siècle,  Hérodote*  avait 
entendu  dire  que,  dans  la  vallée  du  Cinyps,  entre  les 
deux  Syrtes,  le  blé  rendait  jusqu'à  trois  cents  grains  pour  un 
grain  de  semence;  sur  l'ancien  territoire  punique,  converti  en 
province  romaine,  la  région  qui  entourait  Hadrumète  passait 
pour  donner  des  rendements  de  100  et  de  150  pour  un". 
Strabon"'  raconte  des  choses  aussi  merveilleuses  à  propos  des 
Masa'syles,  habitants  de  l'Algérie  occidentale  et  centrale  : 
«  Certains  d'entre  eux  occupent  des  terres  qui  fructiOent 
deux  fois;  ils  font  deux  récoltes,  l'une  en  été,  l'autre  au  prin- 
temps. La  tige  de  la  plante  atteint  une  hauteur  de  cinq  coudées 
[2m, 20]  et  une  grosseur  égale  à  celle  du  petit  doigt;  le  rende- 
ment est  de  240  pour  un.  Au  printemps,  on  ne  sème  pas;  on  se 
contente  de  gratter  le  sol  avec  des  balais  faits  de  branches  épi- 
neuses, et  les  grains  qui  sont  tombés  à  terre  pendant  la  moisson 
suffisent  pour  donner  une  pleine  récolte  en  été.  »  Ce  sont  là 
des  fables.  Ces  rendements  très  élevés,  — qu'on  attribue  encore, 
en   pleine  époque  musulmane,  à  diverses  régions  de   la  Ber- 

1.  Voir  los  références  données  t.  IV,  p.  13,  n.  3  et  4. 

2.  .Strabon,  XVII,  3,  i),  vers  la  fin;  mais  le  texte  est  altéré  et  la  restitution  n'est 
pas  sure. 

3.  Jug.,  XVII,  5. 

4.  IV,  198.  Conf.  ici.  1. 1,  p.  09. 

5.  Voir  t.  IV,  p.  12. 

<i.  XVII,  3,  11  (d'après  Posidnnius?). 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  195. 

fcérie',  —  ne  peuvent  être  normaux,  et,  dans  les  cas  où  ils 
sont  vraiment  constatés,  ils  n'ont  que  l'intérêt  de  curiosités 
botaniques  ^  D'autre  part,  des  récoltes  doubles  sont  possibles, 
—  et  mentionnées  dès  l'antiquité',  —  mais  sous  un  ciel  très 
chaud,  sur  des  terrains  irrigables,  et  non  pas  dans  les  condi- 
tions qu'indique  Strabon  :  il  faut  naturellement  de  nouvelles 
semailles  et  l'on  choisit  d'ordinaire  une  seconde  culture,  diffé- 
rente de  la  première,  par  exemple  du  sorgho  après  du  blé,  car 
deux  récoltes  successives  de  blé  ou  d'orge  épuiseraient  le  sol. 
Nous  ne  savons  rien  sur  les  pratiques  en  usage  pour  les 
labours  et  la  moisson*,  ni  sur  le  matériel  agricole.  La  houe, 
■qui,  aux  Canaries,  resta  l'outil  de  travail  des  Guanches  et  qui 
est  encore  employée  dans  les  oasis  sahariennes  %  précéda  peut- 
être  la  charrue  en  Jîerbérie,  puis  disparut  devant  elle.  Sur 
des  stèles  puniques,  nous  avons  rencontré  des  images  de 
€harrues  qui  ressemblent  à  l'araire  le  plus  répandu  aujourd'hui 
dans  l'iVfrique  du  Nord''.  D'autres  types  existent  chez  les 
indigènes^  et  remontent  sans  doute  à  une  lointaine  antiquité. 
Tous  ces  instruments  sont  de  structure  très  simple;  il  en  est 
même  oîi  le  soc  est  constitué  par  une  pointe  en  bois,  durcie  au 

1.  Voir  El  Bekri,  Descr.,  p.  25  (plaine  voisine  de  Tripoli),  p.  56  (plaine  à  l'Ouest 
•de  Kairouan),  p.  308  (territoire  de  Tamedelt,  dans  le  Sous,  au  Sud  du  Maroc). 
Dans  ces  trois  passage,  il  indique  des  rendements  de  cent  pour  un. 

2.  Conf.  t.  IV,  p.  12-13. 

3.  Gorippus,  Joli.,  Il,   156-7  (a  Vadis,  au  Sud  de  l'Aurès)  : 

Quiquo  Vadis  topidae  messes  bis  tondet  in  anno 
Maunis  arans,   bino  perstringit,  et  hordea  culmo. 

Conf.  El   Rekri  (p.   152),    à  propos  do  Badls  (le  même  lieu)  :    «  On  y  fait  deux 
récolles  d'orge  chaque  année,  grâce  aux  nombreux  ruisseaux  qui  arrosent  le  sol.  » 

4.  Entre  les  semailles,  accompagnant  les  labours,  et  la  moisson,  on  devait  se 
■contenter  de  sarcler  les  champs,  (|uand  on  prenait  cette  peine.  La  culture 
indigène  ne  comportait  pas  l'emploi  d'engrais  :  la  jachère  en  tenait  lieu. 

5.  Et  même  (.-a  et  là  dans  le  Tell  (surtout  en  Kabylie  et  dans  le  Maroc  septen- 
trional), quand  la  surface  du  sol  est  trop  inclinée  ou  trop  irrégulière  pour 
permettre;  l'emploi  do  la  charrue. 

6.  T.  IV,  p.  13-14. 

7.  Voir  les  références  données  t.  IV,  p.  l'i,  n.  2.  Ajouter  Laoust.  Mots  et  choses 
berbères  (Paris,  1920),  p.  275  et  suiv.;  W.  .Marçais  et  .\bderrahmàii  (iuiga.  Textes 
<irabes  de  Takroûna,  I  (l'aris,  192.")),  p.  352-3;  \.  Bernard,  C.  r.  du  Congrès  intern.  de 
^éo(jra]jUie  du  Caire  (192^)),  t.  IV,-  p.  283  et  suiv. 


i96  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D  HABITATION. 

feu,  et  non  par  une  lame  en  fer*.  Quelle  est  l'origine  de  ces 
divers  araires?  Nous  l'ignorons.  Mais  une  observation  inté- 
ressante a  été  faite  ^.  Pour  désigner  les  différentes  pièces  qui 
forment  le  corps  même  de  leurs  charrues,  les  Berbères  se 
servent  de  mots  de  leur  langue;  ils  n'ont  fait  aucun  emprunt  à 
la  langue  punique,  ni  à  d'autres.  Au  contraire,  ils  emploient 
certains  mots  d'origine  latine  pour  des  pièces  de  l'attelage. 
D'où  il  est  peut-être  permis  de  conclure  que,  chez  eux,  la 
charrue  n'a  pas  été  un  instrument  d'importation  phénicienne, 
et  que  c'est  seulement  à  l'époque  romaine  qu'ils  l'ont  perfec- 
tionnée, en  adoptant  les  procédés  d'attelage  de  leurs  maîtres. 
La  moisson  se  faisait  à  la  faucille  %  en  coupant  les  tiges  tout 
près  des  épis  :  la  faux  n'a  pas  été  adoptée  dans  l'Afrique  du 
Nord  avant  la  conquête  française.  Le  dépiquage  devait  être  le 
plus  souvent  confié,  comme  de  nos  jours,  à  des  animaux 
domestiques,  foulant  les  épis  sur  une  aire*. 

Il  fallait  mettre  en  sûreté  les  grains  qui,  après  la  récolte, 
n'étaient  pas  aussitôt  vendus,  ou  versés  aux  collecteurs 
d'impôts,  ceux  qui  n'étaient  pas  gardés  dans  les  maisons  pour 
servir  à  la  consommation  courante.  On  connaît^  les  celliers 
souterrains,  les  silos,  qu'un  texte  mentionne  dans  la  province 
d'Afrique  au  milieu  du  i"  siècle  avant  J.-C.  ^  et  dont  l'usage 
remontait  certainement  bien  plus  haut.  Il  est  fort  possible  que 
des  indigènes,  en  dehors  du  territoire  carthaginois,  aient  eu 
des  silos,  sans  avoir  emprunté  aux  Phéniciens  ce  mode  de 
conservation  des  grains,  adopté  par  d'autres  peuples  depuis 
longtemps,  par  des  Espagnols  dès  l'époque  néolithique.  Nous 

1.  Il  se  peul  qu'il  y  ait  ou  primitivement  des  socs  en  pierre  :  voir  Hamy, 
Assoc.  franr.  pour  l'avancement  des  sciences,  Paris,  1900,  I,  p.  (iO. 

2.  Luousl,  /.  c,  en  particulier,  p.  :{Oll-l.  Conf.  II.  Uasset,  Rev.  afric,  LXII.  1921, 
p.  aio-O. 

3.  Débris  d'une  faucille  dans  un  dcilmen  de  Sila  :  Frobenius,  Pn'iliistor. 
Zeitschrifl,  Vlli,  1916,  p.  07,  (Ig.  07. 

4.  Conf.  l.  IV,  p.  10. 
").   y.  ibid. 

0.   Bell.  Afric,  LXV,  1. 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  19^ 

n'en  avons  pas  la  preuve.  Le  creusement  de  silos  est  surtout 
justifié  auprès  des  fermes  et  des  hameaux  situés  dans  le 
voisinage  immédiat  des  champs  cultivés  :  on  soustrait  ainsi, 
en  les  cachant,  les  récoltes  aux  tentatives  de  pillage  et  de  con- 
fiscation. 

Mais,  en  général,  les  agriculteurs  indigènes  ne  vivaient  pas 
dispersés  dans  la  campagne;  ils  se  réunissaient  pour  habiter 
des  villages,  des  bourgs,  pourvus  de  défenses  naturelles  et  arti- 
ficielles. C'est  là  que  les  récoltes  étaient  portées  d'ordinaire  et 
placées  sous  la  protection  de  la  communauté.  Il  n'était  plus 
nécessaire  de  les  dissimuler.  Et,  si  les  silos  offraient  l'avantage 
de  préserver  les  grains  de  l'incendie,  le  sol  sur  lequel  s'élevait 
/  le  village  était  souvent  du  roc,  qu'il  eût  été  trop  pénible  de 
creuser;  il  pouvait  ailleurs  n'être  pas  assez  étanche  pour 
assurer  les  dépôts  contre  les  risques  de  pourriture.  La  plupart 
des  Berbères  groupés  en  sociétés  villageoises  ont  des  magasins 
non  souterrains  S  qui,  outre  des  grains,  contiennent  d'autres 
choses  qu'on  désire  mettre  à  l'abri. 

Dans  diverses  régions  ^  ces  magasins  sont  réunis,  de  manière 
à  pouvoir  être  confiés  à  des  gardiens  peu  nombreux,  qui  restent 
seuls,  tandis  que  les  autres  habitants  font  des  absences  plus  ou 
moins  longues,  soit  pour  la  guerre,  soit  pour  la  transhumance 
du  bétail.  On  les  établit  au  haut  du  village,  ou  bien  au-dessus, 
ou  à  côté,  dans  des  sites  particulièrement  difficiles  à  atteindre 
et  aisés  à  défendre.  Ici,  ce  sont  des  constructions  à  plusieurs 
étages,  séries  de  chambres  appartenant  aux  chefs  des  familles^ 
Là,'^  de   véritables  forteresses,    munies    de   tours   aux    angles, 

1  Cela  n'est  pas,  du  reste,  une  règle  absolue.  -  Au  xu«  siècle,  Kdrisi  (Descr, 
éerAfmue  et  de  r Espagne,  tr^d.  Dozy  et  de  Goeje,  p.  111  et  112)  vante  rexcellence 
des  .aagasins  souterrains  où  l'on  conserve  des  grains  sous  toutes  es  .na.sous 
dans  la  ville  de  Constantine.  Mais  c'étaient  la  des  celliers  de  citadins,  non  des 

silos  de  paysans.  »,,,.. 

2.  Montagne   tripolitaine,   Exlrème-Sud   tunisien  (pays   des  MatinaKi),   Aun.>, 

Maroc  central  et  méridional,  etc. 

3.  Ksourdans  rKxtréine-Sud  tunisien,  jue/aas  daus  l'.Vun-s. 


i98  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

capables  de  soutenir  des  sièges,  et  où  chaque  famille  a  aussi 
son  local'.  Du  reste,  des  agglomérations  de  celliers  ou  des 
forteresses  servent  à  conserver  les  grains  et  d'autres  objets, 
même  en  des  lieux  qui  ne  sont  pas  des  centres  d'habitation  : 
magasins  communs  de  tribus  dont  les  gens  vivent  çà  et  là  aux 
alentours-,  ou  bien  de  nomades  qui,  l'hiver,  parcourent 
les  steppes  et  vont,  l'été,  soit  dans  le  Tell,  soit  dans  l'Atlas 
saharien  ^  Il  y  là  des  coutumes  assurément  fort  anciennes. 
Tels  devaient  être,  en  partie  du  moins,  les  lieux  fortifiés,  loca 
7nunita,  dans  lesquels,  au  temps  de  Jugurtha,  s'accumulaient 
les  récoltes  *  :  mais  non  pas  tous,  car  ce  terme  a  pu  désigner 
des  châteaux  royaux  ^ 

Les  grains  ainsi  emmagasinés  étaient,  pour  une  bonne  part, 
destinés  à  nourrir  ceux  qui  les  avaient  récoltés;  il  en  fallait 
aussi  pour  les  semailles.  Il  convenait  de  faire  des  réserves  assez 
larges,  eu  égard  aux  irrégularités  de  la  production,  causées 
par  les  caprices  du  climat  africain.  Le  reste  était  versé  comme 
impôt  en  nature  ou  vendu. 

Il  y  avait  sans  doute  trois  catégories  d'acheteurs  :  les  pas- 
teurs, qui,  en  retour,  offraient  des  laines,  des  peaux,  du 
bétaiT';  les  citadins,  qui  étaient  vendeurs  d'objets  manufacturés, 
fabriqués   dans   leur  ville    ou   importés;  enfin   les   gros   com- 

1.  Au  Marne,  tiyhrematin  (au  singulier  ligliremt),  dans  le  Moyon  et  le  Haut-Atlas. 

2.  Les  villages-mafrasins  fortifiés  (i(joadar;  au  singulier  agadir),  servant  à  des 
Irihus  chez  les  Clileuhs,  dans  le  Sud  du  Maroc.  De  mt-me,  certains  ksour  du  Sud 
tunisien,  qui  ne  sont  pas  immédiatement  auprès  d'habitations.  Dans  le  Moyen- 
Atlas,  des  séries,  souvent  éiagées,  de  grottes  naturelles,  s'ouvrant  dans  des 
falaises  et  d'accès  très  difllcilc,  sont  des  greniers  pour  des  gens  du  voisinage, 
mais  c'étaient  peut-être  jadis  des  habitations  :  voir  Gautier,  dans  Hespéris,  192.'>, 
p.  :{.S.3  et  suiv. 

3.  Les  hsour  du  djebel  Amour,  servant  de  magasins  à  des  nomades  et  gardés  en 
leur  absence  par  des  serfs. 

4.  Salluste,  Jiuj.,  XC,  1  (texte  cité  p.  14i,  n.  1). 

5.  V.  supra,  p.  i44.  Ajoutons  que,  dans  la  jihrase  de  Salluste,  les  mots  iussu 
régis  conviennent  mal  au  transport  des  grains  dans  les  loca  iminita  où  les  culti- 
vateurs avaient  coutume  d'enfermer  tous  les  ans  leurs  recolles,  de  leur  plein 
gre. 

6.  Il  est  probable  qu'entre  éleveurs  et  fullivuteurs,  les  affaires  se  faisaient 
souvent  par  troc,  non  par  achat  et  vente. 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  ^^9 

merçants  d'outre-mer.  Nous  avons  dit^  que  la  monnaie  d'or  et 
d'argent  venait  presque  entièrement  de  l'étranger  :  parmi  les 
produits  africains  qu'elle  servait  à  acheter,  les  céréales  tenaient, 
semble-t-il,  la  première  place.  Les  nombreux  négociants   ita- 
liens, qui  fréquentaient  ou  même  habitaient  Vaga^  et  Cirta  , 
devaient  surtout  traiter  des  affaires  de  grains.  Par  l'impôt  et 
les   revenus  de  leurs  domaines,  les  rois  disposaient  de  beau- 
<,oup  de  blé  et  d'orge  :  ils  étaient  sans  doute  ceux  qui  en  ven- 
daient le  plus  à  ces  étrangers\  Mais,  évidemment,  leurs  sujets 
suivaient  leur  exemple.  Ce  trafic  exigeait  des  intermédiaires, 
des  lieux  de  vente,  marchés  et  foires  dans  les  campagnes  et  aux 
portes    des    villes,  une   organisation    des    transports,  qui,  en 
l'absence  de  routes,  avait  recours  au  bât  beaucoup  plus  qu  au 
<^hariot,  des  mesures  de  précaution,  voire  même  des  contrats 
de  sauvegarde^^  pour   échapper  au  brigandage.  Sur  tout  cela, 
aucun  renseignement  ne  nous  est  parvenu. 


De  nos  jours,  c'est  à  la  culture  des  arbres  fru.liers  et  des 
lécumes  que  s'adonnent  la  plupart  des  sédentaires  vivant  autour 
de^a  Méditerranée.  La  Berbérie  offre  à  cet  égard  des  condi- 
tions favorables'^  Les  Phéniciens  ne  l'ont  pas  ignoré.  Ils  ont 
largement  contribué  au  développement  de  l'arboriculture  dans 
cette  contrée^  Si  la  vigne,  l'olivier,  le  figuier  y  sont  indigènes, 
ce  furent  peut-être  les  Phéniciens  qui,  les  premiers,  les  y  cul- 
tivèrent; ils   durent  importer  des  variétés  d'origine  orientale, 

i;  ES  ;.rXXL';  XXVI.  Vo.l.V,...I.c..  ..,,,!.. 

t;  'raloTr^  la  ;' otoction  accordée  conUe  argon,,  récenunont  encore,  par  des 
ch^fs  do  iribas  à  J  marchands  qui  voyageaienl  dans  certa.nos  part.es  du  Maroc. 

6.  Voir  t.  I,  p.  lf)^>  et  suiv. 

7.  T.  IV,  p.  IS  ol  suiv. 


200  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES   D  HABITATION. 

greffer  les  sauvageons,  pratiquer  la  caprificalion  sur  les  figuiers 
et,  d'une  manière  générale,  introduire  tout  ce  qui  constituait 
chez  eux,  depuis  des  siècles,  l'art  des  vergers;  ils  firent  en 
Afrique,  comme  dans  leur  patrie,  du  vin  et  de  l'huile.  Peut- 
être  aussi  enrichirent-ils  le  pa3's  d'arbres  nouveaux,  du  gre- 
nadier par  exemple^  On  a  vu  que  l'arboriculture  fut  florissante  sur 
le  territoire  punique  :  du  moins  sur  les  domaines  appartenant  aux 
Carthaginois,  car  les  sujets  de  la  République  paraissent  avoir 
été  surtout  des  agriculteurs  et  des  éleveurs^.  Les  cultures  maraî- 
chères avaient  de  même  prospéré  dans  la  région  de  Carthage\ 
Vergers,  olivettes,  vignobles,  potagers  s'étaient  aussi  plus 
ou  moins  étendus  autour  d'un  certain  nombre  de  colonies 
maritimes,  éparses  depuis  l'Océan  jusqu'aux  Syrtes^.  Ils  ne 
disparurent  pas  quand  ces  villes  passèrent  sous  la  domination 
des  rois  numides  et  maures.  Des  grappes  de  raisin  sont  repré- 
sentées sur  des  monnaies  frappées,  au  i^'"  siècle  avant  notre  ère, 
à  Lixus,  à  Sala  et  dans  d'autres  lieux  de  la  Maurétanie  que 
l'on  n'a  pas  pu  déterminer  avec  certitude  ^  Sur  des  monnaies 
de  Gunugu  (à  l'Ouest  de  Cherchel),  la  grappe  accompagne  un 
dieu  auquel  ont  été  donnés  les  traits  de  Dionysos^  Entre  les 
deux  Syrtes,  Leptis  la  Grande  était  tombée  aux  mains  de 
Masinissa'  et  elle  resta  au  pouvoir  de  ses  successeurs  jusqu'à 
l'année  111;  elle  se  détacha  alors  de  Jugurtha  et  devint  une 
cité  amie  et  alliée  du  peuple  romain**,  séparée  de  la  province 
d'Afrique  par  le   royaume  numide ^  Sur  son  vaste  territoire, 

1.  T.  IV,  p.  33. 

2.  Ibid.,  p.  20  el  48. 

3.  Ibid.,  p.  35. 

4.  Voir  t.  IV.  p.  20-21. 

5.  Voir  les  références  donuées  ibid.,  p.  21,  n.  2-4.  Ajouter  Mûller,  Numism., 
III,  p.  109,  u°  254  (ville  inconnue). 

6.  T.  IV,  p.  20.  a.  T). 

7.  T.  111,  p.  322. 

8.  Sallustf,  Jufj.,  LX.WIl.  2. 

1».  Couf.  César.  Bell,  cir.,  Il,  38.  1;  ficU.  Afric,  XCVII.  3.  Quoi  qu'on  en  ait 
pensé  (voir,  entre  autres.  Hoinanelli,  Leptis  Maijna,  p.  14-16),  il  s'agit,  dans  ces 
passages,   de  Leptis  la   (iraude,  et  non  de  LP|)lis  la   Petite.   Celle-ci,   enclavée 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  201 

s'étaient  formées  d'immenses  olivettes  :  en  46,  Jules  César  put 
la  frapper  d'une  amende  annuelle  de  trois  millions  de  livres 
d'huile'. 

Mais  les  indigènes  ne  semblent  pas  avoir  mis  beaucoup 
d'empressement  à  imiter  les  exemples  que  leur  donnaient  les 
colons  des  cités  phéniciennes  et  carthaginoises.  Il  est  possible 
que  certaines  villes  de  l'intérieur,  surtout  Cirta,  la  capitale,  se 
soient  entourées  d'une  ceinture  de  jardins,  dont  les  fruits  et 
les  légumes  auraient  servi  à  la  consommation  locale.  Il  se 
peut  aussi  que,  dans  quelques  régions,  la  culture  de  l'olivier 
ait  commencé  à  se  répandre,  par  la  greffe  des  sauvageons, 
plus  encore  que  par  des  plantations.  Les  Berbères  emploient, 
commetes  Arabes,  le  terme  zehoiidj,  d'origine  incertaine,  pour 
désigner  l'olivier  sauvage;  ils  font  usage  d'un  mot  de  leur 
propre  langue,  zemmoiir,  soit  avec  la  même  signification,  soit 
avec  le  sens  d'oléastre  greffé;  pour  l'olivier  cultivé  et  pour 
l'huile,  ils  se  servent  de  mots  d'origine  sémitique,  et  très  pro- 
bablement phénicienne,  zitoun  et  zit""  :  ce  qui  permet  de  croire 
qu'en  oléiculture,  ils  ont  été  les  élèves  des  Phéniciens. 

Cependant,  avant  l'Empire  romain,  les  cultures  arbustives 
étaient  encore  peu  développées  chez  eux.  Selon  Salluste,  le  sol 
de  l'Afrique  n'est  pas  favorable  aux  arbres',  assertion  qui  peut 
s'appliquer  aux  arbres  fruitiers  comme  aux  espèces  forestières. 
Selon   Pline  l'Ancien',  l'huile  et  le  vin  sont  des  présents  que 

dans  la  province  romaine  d'Afrique,  ne  pouvait  avoir  avec  Juba  I"  des  rapports 
de  voisina-c.  De  plus,  pendant  la  campagne  de  César,  elle  s'était  mise  du  coté 
du  dictateur,  qui  n'avait,  par  conséquent,  aucune  raison  de  lui  inliiger  une 
amende.  Conf.  Gsell,  dans  Rivisia  dclla  Tripolitania,  I,  1924-5.  p.  41-42. 

1.  Bell.  Afric,  L  c;  conf.  Plularque,  César,  .^)5  (où  Loptis  nest  pas  nommée). 
Voir  Gsell,  l.  c.  Cette  prestation  équivaut  à  10G78  hectolitres.  En  admettant,  — 
pure  hypothèse,  —  qu'elle  représentait  le  dixième  de  la  production  totale  des 
Leptitains,  celle-ci  aurait  dépassé  annuellemenl  100  000  hectolitres.  La  produc- 
tion moyenne  de  l'Algérie  est  de  350  000  hectolitres. 

2.  Voir  Laoust,  Mots  et  choses  berbères,  p.  444;  H.  Basset,  Rev.  afric,  LXU, 
1921,  p.  348.  Corriger  ce  que  j'ai  dit  à  ce  sujet,  l.  1,  p.  238. 

3.  Jwj.,  XVII,  5  :  •  arbori  infecundus  ». 

4.  XV,  8.  Conf.  ici,  t.  IV,  p.  30. 


202  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

la  nature  s'est  contentée  de  ne  pas  refuser  à  l'Afrique,  livrée 
tout  entière  par  elle  à  Cérès.  L'un  et  l'autre  exagèrent.  iMais 
il  est  certain  que  de  vastes  régions,  qui,  après  l'époque  de 
Pline,  se  couvrirent  de  plantations,  étaient  encore  incultes  aux 
temps  de  Jugurtha  et  de  Salluste.  Dans  les  plaines  qui  s'étendent 
au  Sud  du  massif  central  tunisien,  les  Romains  ont  laissé  par- 
tout des  pressoirs  à  huile,  témoins  de  leurs  innombrables 
olivettes.  Avant  eux,  c'étaient,  comme  aujourd'hui,  de  mornes 
steppes.  Capsa  [Gafsa],  dit  Salluste',  s'élève  au  milieu  d'im- 
menses solitudes;  sauf  les  environs  de  la  ville,  tout  le  pays  est 
désert,  inculte,  dépourvu  d'eau,  infesté  de  serpents.  Le  site  de 
Thala  est  le  même-.  Entre  Thala  et  le  fleuve  le  plus  proche,  — 
distant  de  cinquante  milles,  —  il  n'y  a  que  des  espaces  arides 
et  déserts'.  Jugurtha  s'enfuit  de  ce  lieu  en  traversant  de  vastes 
solitudes*.  Et  Strabon  dit,  à  son  tour-',  que  toute  la  contrée 
située  à  l'intérieur  des  terres  est  déserte,  depuis  le  pays  des 
Masœsyles  jusqu'aux  Syrtes. 

Les  Numides,  quand  ils  le  pouvaient,  appréciaient  le  vin^ 
et  plus  que  de  raison^  Mais  ces  bonnes  aubaines  étaient  rares. 
Les  vins  qui  venaient  d'outre-mer,  ou  qu'on  fabriquait  autour 
des  villes  puniques,  n'arrivaient  guère  jusque  chez  eux;  ils 
n'en  faisaient  point  eux-mêmes,  ou  ils  en  faisaient  fort  peu.  Si 
les  Berbères  ont  adopté  le  nom  phénicien  de  l'olivier  cultivé', 
c'est  à  la  langue  latine  que  sont  empruntés,  dans  divers  dia- 
lectes, les  mots  qui  désignent  d'autres  arbres  fruitiers^  :  il  est 
donc  probable  que  ceux-ci  n'ont  guère  été  connus  avant  l'époque 
romaine. 

1.  Jwj.,   LXXXIX,  4-ri. 

2.  Ibid.,  LXXXIX,  C. 

3.  Ibid.,  LXXV,  2. 
i.  Ibid.,  LXXX,  1. 

5.  XVII,  3,  !).  Coiif.  Salluste.  Jiig.,  LXXVIII,  5. 
0.  Texles  cit^s  t.  IV,  p.  20,  n.  n. 

7.  Il  se  peut  aussi  qu'ils  aient  emprunté  au  phénicien  le  nom  qu'ils  douneat 
ou  grenadier,  UirmouiU  :  voir  Mercier,  Journ.  asiat.,  11)24.  II,  p.  199. 

8.  H.  Basset,  Kcv.  afric,  LXIl,  1921,  p.  349. 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  205 

Cet  essor  tardif  de  l'arboriculture  dans  l'Afrique  indigène- 
s'explique  sans  peine.  Les  arbres  fruitiers  ne  produisent  rien 
pendant  plusieurs  années,  et  il  faut  attendre  plus  longtemps 
encore,  —  jusqu'à  vingt  ans  en  ce  qui  concerne  l'olivier,  — 
pour  qu'ils  soient  en  plein  rapport.  On  ne  peut  entreprendre 
ces  cultures  que  si  l'on  a  d'autres  moyens  de  subsistance  pen- 
dant la  période  stérile,  si  l'on  se  croit  certain  de  rester  définiti- 
vement là  où  l'on  a  planté,  si  l'on  n'a  pas  trop  à  craindre  le 
désastre  soudain  et  irréparable  que  causeraient  des  ennemis  en 
coupant  les  arbres.  Autrement,  qui  peut  se  soucier  d'acquérir 
l'expérience  et  de  s'assujettir  aux  travaux  qu'exigent  la  greffe, 
la  taille,  l'irrigation,  etc.?  Or,  cette  sécurité  n'était  pas  pleine- 
ment garantie,  même  sous  des  rois  énergiques.  D'ailleurs,  en 
dehors  des  banlieues  urbaines  oii  s'alimentaient  les  marchés 
locaux,  c'étaient  là  des  cultures  qui  ne  pouvaient  être  rémuné- 
ratrices qu'à  la  condition  de  trouver  d'assez  larges  débouchés. 
^rais  les  indigènes  étaient,  en  général,  trop  peu  à  l'aise  pour- 
être  de  bons  acheteurs.  Exporter  du  vin,  il  n'y  fallait  pas 
songer  :  Rhodes  et  l'Italie,  au  contraire,  en  importaient  en 
Afrique'.  Quant  à  l'huile,  elle  eût  pu  faire  l'objet  d'un  com- 
merce d'outre-mer  assez  actifs,  mais  il  eût  été  nécessaire  qu'elle 
fût  fabriquée  avec  assez  de  soin  pour  rivaliser  avec  l'huile 
d'Italie  et  d'autres  contrées  méditerranéennes. 

Il  existait  pourtant  des  lieux,  les  oasis  disséminées  au  Sud  de 
la  Berbérie,  où  la  vie  sédentaire  avait  pour  condition  la  culture 
d'un  arbre  fruitier,  le  palmier-dattier^  Par-dessous,  on  pouvait 
faire  venir  d'autres  arbres  à  fruits,  et  aussi  du  blé  et  de  l'orge,  en 
employant  la  houe  du  jardinier,  non  la  charrue  du  laboureur\ 

1.  Voir  t.  VI,  !.  I,  ch.  lu,  §  II. 

2.  C'était  peut-être  le  cas  pour  Leptis  la  Grande,  qui,  sur  son  territoire,  produi- 
sait une  quantité  d'huile  très  supérieure  à  ses  besoins  :  v.  supra,  p.  200-1. 

3.  Les  textes  anciens  concernant  la  culture  du  dattier  dans  l'Afrique  du  Nord 
sont  indiqués  t.  I,  p.  IfiG,  n.  3. 

4.  Pour  les  éla;j;es  de  culturei  dans  les  oasis,  voir  la  description   que  Pline- 
r.Vncien  donne  do  Tacape  (Gabès)  :  XVIIl,  188-9. 


^Oi  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

Au  v^  siècle,  Hérodote  '  énumérait  dans  le  Sahara  septen- 
trional une  série  de  lieux  habités.  Quoique  nos  connaissances 
ne  remontent  pas  plus  haut,  il  est  probable  que  la  constitu- 
tion des  oasis  était  beaucoup  plus  ancienne,  et  on  a  des 
raisons  de  supposer  que  cette  exploitation  de  quelques  par- 
ties privilégiées  du  désert  avait  suivi  des  exemples  venus  de 
l'Est,  de  l'Egypte^.  Mais  nous  sommes  ici  sur  le  domaine  des 
Éthiopiens,  non  des  Berbères^  Cependant  des  oasis  appar- 
tinrent à  Carthage  et  aux  rois  indigènes  :  le  long  des  Syrtes 
et,  à  l'intérieur  des  terres,  dans  le  Sud  de  la  Tunisie,  Capsa, 
dont  les  gens  furent  des  sujets  dévoués  de  Jugurtha^  Les 
dattes  ne  sont  bonnes  ni  à  Gafsa,  trop  septentrionale,  ni  sur  la 
€Ôte,  où  le  climat  es-t  trop  humide;  elles  ne  devaient  guère 
servir  qu'à  l'alimentation  locale,  avec  les  produits  des  cultures 
subsidiaires ^  11  est  probable  que  les  oliviers,  si  abondants,  du 
territoire  de  Leptis  se  dressaient^  non  sous  des  palmiers,  mais  à 
l'air  libre,  surtout  dans  la  région  montagneuse  voisine  de  la  ville. 
On  ignore  quand  l'apiculture  se  répandit  à  travers  la  Berbérie, 
où  elle  est  pratiquée  dans  de  nombreuses  tribus  sédentaires  de 
la  région  du  littoral^  Hérodote'  indique  que,  chez  les  Gyzantes, 
peuplade  de  la  côte  orientale  de  la  Tunisie,  les  abeilles  font 
beaucoup  de  miel;  mais,  ajoute-t-il,  «  il  y  a  chez  eux  des  gens 
habiles  qui  en  font  bien  plus  encore  ».  Nous  ne  savons  ce 
qu'était  ce  miel  artificiel**;   il  ne  s'agit  sans   doute  pas'  d'un 

1.  IV,  181-5.  Voir  Gsell,  Hérodote,  p.  141  et  suiv. 

2.  Conf.  l.  I,  p.  239. 

3.  V.  supra,  p.  7. 

4.  Salliislo,  Jtifj.,  LX.WIX,  4.  11  n'est  pas  sur  que  Capsa  ait  dépcudu  aupara- 
vant de  Cartilage  ;  voir  t.  II,  p.  98-99. 

5.  Saliuste  {\('A,  4  et  ."))  nous  montre  de  nomliroux  habitants  de  Capsa  sortant 
de  la  ville,  au  point  du  jour,  évidemment  pour  allt-r  à  leurs  cultures. 

(').   Les   abeilles  d'Afrique,  dit   IMine  l'Ancien   (XI,  33),   sont  renommées  pour 
l'abondance  de  leur  miel. 

7.  IV,  194.  Conf.  Gsell,  Hérodote,  p.  175. 

8.  Fabriqué,  selon  Kuduxe  de  Cnidc,  avec  des  fleurs  :  Ktienne  de  Hvzance,  s.  v. 

9.  Comme  on  l'a  supposé  :  voir  Gsell,  /.  c. 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  205 

résidu  de  dattes,  puisque  les  palmiers  ne  fructifient  pas  dans 
le  pays  qu'occupaient  les  Gyzantes.  L'élevage  des  abeilles  était 
en  honneur  chez  les  Carthaginois',  qui  ne  furent  peut-être  pas 
les  initiateurs  des  indigènes,  mais  purent  leur  donner  d'utiles 
leçons.  En  Maurétanie,  Rusaddir  (Melilla),  colonie  phénicienne 
du  littoral  méditerranéen,  et  une  autre  ville,  qui  était  proba- 
blement de  même  origine,  représentaient  une  abeille  sur  leurs 
monnaies  vers  le  i^'' siècle  avant  notre  ère-.  Les  Berbères  ont 
(ou  avaient  jusqu'à  une  époque  récente)  divers  types  de  ruches  % 
rectangulaires  ou  cylindriques,  faites  avec  des  tiges  d'osier, 
des  roseaux,  de  petits  rondins,  avec  un  segment  de  tronc 
d'arbre  évidé,  ou  bien  encore  en  écorce  de  chêne  liège,  en 
poterie:  il  n'est  pas  possible  d'en  démêler  les  origines\  Le 
roi  de  Maurétanie  Juba  II  recommandait  un  coffre  en  bois% 
mais  nous  n'avons  pas  de  détails  sur  la  manière  dont  il  le  con- 
cevait. 


VI 


La  vie  pastorale  comporte,  pour  les  tribus  qui  s'y  livrent,  la 
possession  d'un  territoire*',  où  elles  font  paître  leurs  troupeaux, 
soit  en  tout  temps,  soit  pendant  une  partie  de  l'année;  où 
d'autres  ne  doivent  pénétrer  qu'avec  leur  permission  et  ne 
peuvent  avoir  que  des  droits  d'usage.  Sur  ce  territoire,  il  n'y 
a  pas  lieu    de    partager   le  sol.    Le  bétail  se  répand    là   où    il 

i.  Voir  t.  IV,  p.  44-45. 

2.  Pour  Rusaddir,  voir  Mûller,  Nuinism.,  Suppl.,  p.  78,  n°  215  a.  Pour  l'autre 
villo,  indéterminée,  ibid.,  p.  80,  n"  233  a  (avec  des  vestiges  d'une  légende 
punique). 

3.  Voir  W.  Marçais  et  Abderrahmàu  Guîga,  Textes  arabes  de  Takrouna,  I, 
p.  352-3. 

4.  Hniny  (dans  C.  r.  Acad.  Inscr.,  1900,  p.  41-42,  et  Assoc.  poar  Vav.  des  sciences, 
Paris,  iUOO,  I,  p.  08-70)  a  constaté  en  Bcrbérie  l'existence  de  plusieurs  types  de 
ruches  décrits  par  Varron  {liust.,  111,  16,  15).  Mais  cela  ne  nous  dit  pas  quand 
ils  ont  été  introduits  dans  celte  contrée. 

5.  Géoponiques,  XV,  2,  21. 
0.  Supra,  p.  08. 

GsEi.L.  —  Afrique  du  Nord.  V.  14 


206  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 

trouve  des  pâturages  ;  ceux-ci  sont  à  la  disposition  de  tous  les 
membres  de  la  tribu,  et,  seuls,  les  animaux  domestiques  sont 
matière  à  propriété  individuelle  ou  familiale. 

Là  où  l'élevage  n'est  plus  l'occupation  exclusive  du  groupe, 
les  parties  du  territoire  qui  ne  sont  pas  propres  à  la  culture, 
par  exemple  les  forêts,  restent  ce  qu'était  auparavant  le  terri- 
toire tout  entier  :  propriété  collective,  avec  droit  de  jouissance 
pour  tous, 

La  culture  des  céréales  admet,  dans  la  condition  des  terres, 
divers  modes,  qu'il  serait  arbitraire  de  classer  d'après  une 
rigoureuse  succession  chronologique. 

1°  Le  sol  est  la  propriété  collective  de  l'ensemble  des  hommes, 
qui  forment  une  petite  république  villageoise.  Dans  ce  cas^ 
l'exploitation  peut  être  commune;  commune  aussi  la  récolte, 
qui  est  ensuite  répartie  entre  les  familles  selon  le  nombre  des 
bouches  à  nourrir.  Je  ne  suis  pas  disposé  à  croire  que  cette 
manière  de  procéder  ait  été  usitée  dans  l'Afrique  du  Nord,  du 
moins  aux  temps  historiques.  Le  groupe  familial  est  alors 
l'élément  essentiel  de  la  société  indigène  '  ;  il  se  fond  le  moins 
possible  dans  les  groupes  plus  étendus  dont  il  fait  partie.  Il 
répugne  au  communisme. 

2°  Une  autre  méthode,  adoptée  ailleurs,  par  exemple  chez 
les  anciens  Germains^,  pouvait  mieux  convenir  aux  Berbères; 
elle  est  encore,  ou  a  été  jusqu'à  une  époque  rapprochée  de 
nous,  en  usage  chez  certains  d'entre  eux.  Tout  en  demeurant 
propriété  collective,  les  champs  à  ensemencer  sont  partagés^ 
chaque  année,  entre  les  familles,  auxquelles  appartient  le  pro- 
duit de   leur  travail*.  Des  hommes  qui    auraient    habité    des 

1.  Voir  p.  53  et  suiv. 

2.  César,  fiell.  GalL,  VI,  22,  2. 

3.  Dans  les  villaf^es  herbores,  ce  droit  de  partage  appartient  au  conseil  des- 
anciens,  c'est-à-dire,  en  principe,  à  l'asscrnlilée  des  cliefs  de  famille. 

*•  Chez  les  Vaccéens,  peuplade  espagnole,  il  y  avait  partage  annuel  des 
terres  à  cul li ver,  mais  les  récoltes  étaient  mises  en  commun  :  Diodore  de  Sicile^ 
V,  34,  3  (d'après  Posidouius). 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  207 

fermes  isolées  auraient  désiré  se  réserver  les  espaces  cultivables 
aux  alentours  et,  par  conséquent,  se  constituer  des  propriétés 
privées.  Mais  nous  avons  vu  que,  le  plus  souvent,  la  popula- 
tion vivait  agglomérée.  Il  est  vrai  qu'on  devait  rechercher  les 
meilleures  terres,  celles  aussi  qui  étaient  le  plus  près  du  village. 
L'indivision  de  la  propriété  eût  permis  de  les  assigner  succes- 
sivement aux  diverses  familles  :  mesure  équitable  *.  Les  jachères, 
n'étant  attribuées  à  personne,  seraient  restées,  pour  la  pâture, 
à  la  disposition  de  tous;  de  même,  les  chaumes  que  la  moisson 
laissait  sur  les  champs  cultivés. 

3°  Dans  un  autre  système,  le  sol  est  morcelé  en  propriétés 
privées  :  soit  familiales,  qu'en  règle  générale,  le  chef  de  la 
famille  ne  peut  aliéner,  puisqu'il  en  est  seulement  le  gérant; 
soit  appartenant  à  des  individus,  qui  en  ont  la  pleine  dispo- 
sition. Une  des  origines  de  ce  mode  de  propriété  peut  être  le 
principe,  admis  dans  divers  droits  primitifs^,  que  la  terre 
appartient  à  l'homme  qui  la  vivifie  :  lui-même  et  ceux  auxquels 
elle  est  transmise  après  lui  en  restent  les  maîtres,  tant  qu'ils 
ne  l'abandonnent  pas  au  point  qu'elle  redevienne  une  terre 
morte;  le  droit  de  l'occuper  est  alors  ouvert  à  qui  veut  la 
vivifier  à  son  tour. 

De  quelque  manière  qu'elle  se  constitue,  la  propriété  privée 
attache  d'ordinaire  fortement  au  sol  et  donne  le  désir  de  l'amé- 
liorer pour  en  tirer  plus  de  bénéfices.  Elle  est  la  condition 
presque  nécessaire  des  cultures  arbustives.  Celui  qui  greffe  ou 
plante  des  arbres  fruitiers,  qui  les  entretient,  a  besoin  d'être 
assuré  de  la  possession  permanente  du  sol  sur  lequel  il  travaille 
ou  fait  travailler. 

Nous  ignorons  ce  qu'était  la  condition  des  terres  dans  les 

1.  L'assignation  des  terres  collectives^  pour  une  durée  plus  lonpue  qu'une 
année  agricole,  ou  le  renouvoUemenl  sans  modiflcilions  des  partages  précé- 
dent» aurai(!nt  créé,  en  fuit, des  propriétés  privées,  dans  des  conditions  favoraltlos 
aux  uns,  défavorables  aux  autres.  11  se  peut  que  ce  système  ail  été  adopté  là  où 
l'intérêt  des  plus  influents  i)rcviilait  sur  l'intérêt  commun. 

2.  Et  resté  en  vigueur  dans  le  droit  musulman. 


208  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D  HABITATION. 

tribus  de  cultivateurs  au  temps  des  rois  indigènes.  Mais  les 
Phéniciens  et  les  Carthaginois  qui  avaient  fondé  des  colonies 
sur  les  côtes  y  avaient  certainement  établi,  comme  chez  eux,  la 
propriété  privée.  C'était  le  seul  régime  admissible  pour  les 
vergers  et  les  jardins  entourant  ces  villes.  C'était  celui  qu'exi- 
geaient aussi,  à  la  lisière  septentrionale  du  Sahara,  les  cultures 
des  oasis  *. 

Dans  quelle  mesure  se  répandit-il  parmi  les  Berbères,  qui, 
quand  ils  n'étaient  pas  pasteurs,  s'adonnaient  beaucoup  plus  à 
l'agriculture  qu'à  l'arboriculture,  et  qui,  par  conséquent, 
n'étaient  pas,  en  général,  contraints  de  l'adopter?  Il  nous  est 
impossible  de  le  dire.  Nous  savons  cependant  que  Masinissa  se 
constitua  de  grands  domaines  et  que  ses  fils  en  héritèrent, 
ceux  qui  furent  rois  après  lui  comme  les  autres^.  Peu  d'an- 
nées avant  notre  ère,  un  prince  indigène,  devenu  citoyen 
romain,  C.  Julius,  fils  de  Masinissa,  possédait  dans  la  Tunisie 
centrale  une  propriété  fort  vaste,  puisqu'elle  contenait  un  gros 
bourg,  qualifié  à! oppidum  par  Vitruve^  Ce  Numide  l'avait 
peut-être  recueillie  comme  un  héritage  de  ses  ancêtres.  Mais 
il  se  peut  aussi  qu'elle  n'ait  été  donnée,  soit  à  son  père,  soit  à 
lui-même,  qu'après  la  création  par  Jules  César,  en  l'année  40, 
de  la  province  à'Africa  nova. 

Dans  cette  nouvelle  province*,  de  grandes  propriétés  privées, 
appartenant  à  des  Romains,  existaient  au  début  de  l'Empire. 
Peut-être  étaient-ce  des  terres  qui,  confisquées  lors  de  l'an- 
nexion du  royaume  de  Numidie,  avaient  été  vendues  par 
l'Etat  à    des  particuliers.  Et,  si  elles   avaient  été  confisquées. 


1.  Au  premier  siècle  de  notre  èro,  Pline  l'Ancien  (XVIII,  188-9)  aUeste  que,  dans 
l'oasis  de  Gahés,  le  sol  était  possédé  par  des  parliculiers  cl  se  vendait  fort  cher. 

2.  V.  supra,  p.  189-li)0. 

3.  VIll,  3,  24-25  :  •  Gaius  Iulius  Masinissae  fllius,  cuius  crant  totius  oppidi 
agrorum  possessiones,  cum  paire  Caesare  [ou  Caesari]  militavit,  etc.  •  Cet 
oppidum,  appelé  Isinuc,  était  à  vingt  milles  de  Zama,  l'ancienne  capitale  de 
Juba  I". 

4.  Qui,  après  une  brève  existence,  fut  rattachée  à  l'ancienne  province  d'Afrique. 


ÉLEVAGE  ET  CULTURE.  209 

c'est  vraisemblablement  parce  qu'elles   appartenaient    au    roi 
Juba,  l'ennemi  de  Jules  César'.  Juba  aurait  pu  en  hériter  de 
ses  pères,  du  grand  Masinissa,  qui,  entre  la  seconde  et  la  troi- 
sième guerre    punique,  s'était    emparé   du   pays    où,    sous  les 
empereurs,  nous  rencontrons  ces  domaines ^  Il  l'avait  enlevé 
à  Carthage,  qui,  elle-même,  en  était  peut-être  devenue  maîtresse 
au  m*    siècle ^  On   peut  se  demander  si  Carthage  n'avait  pas 
alors  déclaré  domaine   public  une   grande  partie   de  sa  con- 
quête; si,  de  ce  domaine  public,  Masinissa  n'avait  pas  fait  un 
domaine  royal,    lequel    serait    resté   tel    jusqu'à    l'annexion 
romaine.  Nous    venons    de  présenter  toute  une  série  d'hypo- 
thèses ^  dont  la  fragilité  ne  nous  échappe  pas.  Mais  peut-être 
sont-elles   celles   qui    expliquent  le  mieux   la   genèse  de    ces 
domaines,  de  ces  saltus,  au  mode  d'exploitation  uniforme,  que 
des  inscriptions  célèbres  nous  ont  fait  connaître  dans  VAfrica 
nova.  Par  ses  usurpations  sur  le  territoire  punique,  Masinissa 
serait  devenu  un  très  grand  propriétaire  foncier. 

Lui-même  et  les  autres  souverains  qui  régnèrent  en  Numidie 
et  en  Maurétanie  prétendirent-ils  à  la  propriété,  non  seulement 
des  terres  qu'ils  possédaient  comme  biens  patrimoniaux  ou 
comme  acquisitions  personnelles,  mais,  d'une  manière  géné- 
rale, de  tout  leur  royaume,  à  la  manière  des  Pharaons?  Pro- 
priété qui  se   serait  superposée  à  celle  des  groupes   sociaux, 

1.  Ou  bien  à  des  princes  qui,  avec  leur  roi,  auraient  combattu  César.  —  Le 
domaine  dont  on  a  retrouvé,  au  lieu  dit  Henchir  Mettich,  le  règlement  d'exploi- 
tation, datant  du  temps  de  Trajan  (C.  /.  L.,  VllI,  23  902),  s'appelait  Villa  Mwjna 
Variana  sive  Mappalia  Siga.  On  pourrait  supposer  qu'avant  de  devenir  un  domaine 
privé,  appartenant  à  un  Romain,  Varius,  il  était  terre  royale  ou  priucière.  Des 
indigènes  y  auraient  habité  un  village  {mapalia),  en  un  lieu  nommé  Siga.  Ils 
auraient  exploité  le  sol,  en  remettant  une  part  des  fruits  au  propriétaire, 
comme,  plus  tard,  les  coloni  du  domaine,  dont  beaucoup  étaient  peut-être  leurs 
descendants. 

2.  Voir  t.  III,  p.  321. 

3.  Kn  tout  cas.  il  semble  que  ce  soit  seulement  au  lll"  siècle  qu'elle  acheva 
l'annexion  de  ce  pays.  Voir  t.  II,  p.  102;  t.  III,  p.  124,  126. 

4.  M.  Poinssol  (Les  fouilles  de  Dougga  en  l'Jl'J,  dans  i\oav.  Arch.  des  Missions, 
XXII,  fasc.  2,  p.  40)  est  disposé  à  admettre  que  les  saltus  de  la  Tunisie  centrale 
avaient  appartenu  aux  rois  avant  la  conquête  romaine. 


210  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 

des  familles  ou  des  individus,  et  qui  aurait  été  plus  théorique 
que  réelle';  nulle,  en  fait,  là  où  le  sol  était  sans  valeur,  comme 
dans  les  steppes,  là  où  les  tribus  n'avaient  cure  de  l'autorité 
royale.  Sur  cette  hypothèse,  il  convient  de  ne  pas  plus  insister 
que  sur  les  précédentes.  Elle  pourrait  cependant  (avec  d'autres 
raisons)  expliquer  pourquoi  les  deux  provinces  romaines  qui 
remplacèrent  le  royaume  de  Maurétanie  furent,  comme  l'Egypte, 
des  sortes  de  domaines  impériaux,  gérés  par  des  intendants  du 
prince,  et  non  des  territoires  du  peuple  romain,  gouvernés  par 
des  magistrats  ou  par  des  lieutenants  du  magistrat  suprême. 

Les  conditions  de  l'exploitation  nous  sont  encore  plus  mal 
connues  que  le  régime  des  terres. 

La  population  libre  suffisait  aux  tâches  qui  lui  paraissaient 
nécessaires  pour  s'assurer  une  vie  frugale,  tout  en  se  soumet- 
tant aux  exigences  du  fisc^  Il  est  probable  que,  pour  certaines 
besognes,  les  hommes  faisaient  volontiers  travailler  les  femmes^ 
Ils  avaient  sans  doute  rarement  des  esclaves.   Ils  étaient  trop 
pauvres  pour  en  acheter,  et,  à  supposer  que  des  guerres  heu- 
reuses leur  en  eussent  procuré,  mieux  eût  valu  les  vendre  que 
de  les  nourrir.  D'ailleurs,  les  rois  devaient  s'efforcer  de  rendre  ' 
moins  fréquentes  les  luttes  entre  tribus  et  peuplades,  et  aussi 
de  se  réserver  les  profits  de  la  vente  des  esclaves  :  à  cet  égard,  la 
répression  d'une  révolte  était  pour  eux  une  opération  fructueuse. 
Si  l'existence  de  vastes  domaines  royaux  est  une  hypothèse 
fondée,  on  peut  croire  qu'ils  étaient  cultivés,  comme  les  saltus 
romains  qui   leur   auraient  succédé,   par  des  hommes   libres, 
établis  sur  le  domaine  sans  contrat,  ni  limitation  de  temps,  et 
astreints    à  verser    au    propriétaire  une   quote-part    de    leurs 
récoltes. 


1.  Elle  aurait  pu  jusliller  la  perception  do  l'impôt  à  litre  de  loyer.  Mais  les  rois 
juf^eaicnt-ils  nécessaire  d'invo(iuer  une  théorie  juridique  à  l'appui  de  leurs 
exigences  llscales? 

2.  Conf.  suprrt,  p.  181J. 

3.  Voir  t.  VI,  1.  1,  ch.  m,  §  I. 


ELEVAGE  ET  CULTURE.  211 


VII 


Parmi  les  richesses  naturelles  qui  furent  exploitées  à  l'époque 
•des  rois,  il  faut  mentionner  l'arbre  appelé  par  les  Grecs  Gjov, 
par  les  Romains  citriis,  le  thuya*.  Il  fournissait  un  bois  d'ébé- 
nisterie,  renommé  dès  le  iii^  siècle  avant  notre  ère.  Masinissa 
«nvoya  aux  Rhodiens  du  thuya  et  de  l'ivoire^.  A  la  fin  de 
la  République  et  au  commencement  de  l'Empire,  l'engouement 
fut  très  vif  à  Rome  pour  ce  bois,  avec  lequel  on  fabriquait 
surtout  des  tables,  qu'on  payait  des  prix  fort  élevés  ^  Les  rois 
Juba*  et  Ptolémée'  en  eurent  aussi,  qui  furent  célèbres.  Les 
exigences  du  luxe  devinrent  telles  qu'en  peu  de  temps  les  plus 
belles  forêts  de  citrus  disparurent. 

Nous  ne  connaissons  qu'une  mine  en  Numidie  avant  la  domi- 
nation romaine  :  une  mine  de  cuivre,  qui  se  trouvait,  dit  Stra- 
bon^,  dans  le  pays  des  Masœsyles.  Peut-être  était-ce  celle  qui  est 
voisine  de  Ténès  et  où  des  vestiges  de  travaux  anciens  ont  été  cons- 
tatés; l'exploitation  aurait  été  commencée  parles  Phéniciens^ 

Le  beau  marbre  jaune  et  rose  de  Simitthu  (Chemtou),  le 
marmor  IVumidicum,  fut  importé  à  Rome  depuis  78  avant  J. -G. ,  ou 
même  plus  tôt,  dès  le  second  siècle ^  La  région  des  Grandes 
Plaines,    à    laquelle   appartenait    Simitthu,    resta    au    pouvoir 

1.  Conf.  t.  I,p.  143-7. 

2.  Suidas,  s.  v.  O-jov. 

3.  Voir  t.  I,  l.  c. 

4.  Pline  l'Ancien,  XIII,  92  :  deux  tables,  qui  furent  mises  en  vente.  Elles 
avaient  probablement  appartenu  à  Juba  1'^',  dont  le  mobilier  fut  vendu  après  sa 
mort,  en  l'année  46  {Bdl.  Afric,  XCVII,  1),  et  non  pas  à  Juba  II,  dont  les  biens 
passèrent  à  son  fils  Ptolémée. 

5.  Pline,  XIII,  93. 

6.  XVII,  3,  11. 

7.  Voir  Gsell,  Allas  archéol.  de  V Algérie,  i"  12  (Orléansville),  n"  20,  in  fine,  et 
n°  41.  Ici,  t.  II,  p.  1G3. 

8.  T.  IV,  p.  50.  J'y  ai  dit  qu'il  ne  s'est  pas  rencontré  dans  les  ruines  de  la  pre- 
mière Cartilage;  on  indique  pourtant  comme  ayant  été  trouvé  en  ce  lieu  un 
fragment  de  chapiteau  en  marbre  de  Chemtou,  qui  n'est  pas  de  travail  romain: 
Saladin,  Archives  des  Missions,  3"  série,  XIII,  p.  218  et  flg.  366;  La  Blanchère  et 
Gauckler,  Catalogue  du  musée  Alaoui,  p.  33,  u"  2  et  pi.  IX. 


212  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 

de  Masinissa  et  de  ses  successeurs  pendant  plus  d'un  siècle, 
jusqu'à  la  constitution  de  VAfrica  nova^  en  46.  C'est  avant  cette 
date  qu'on  ouvrit  Vofficina  regia^  la  c<  carrière  royale  »,  dont  des 
inscriptions  latines  de  Chemtou  nous  ont  gardé  le  souvenir*. 

Dans  d'autres  pays  méditerranéens,  les  deux  principales 
occupations  des  gens  du  littoral  sont  le  jardinage  et  la  pêche. 
On  a  vu  qu'avant  la  conquête  romaine,  les  cultures  arbustives 
et  maraîchères  étaient  encore  peu  répandues  chez  les  Berbères; 
d'autre  part,  rien  n'indique  que  beaucoup  d'entre  eux  se  soient 
livrés  à  la  pêche.  De  nos  jours  encore,  le  poisson  n'est  pas  un 
aliment  favori  des  indigènes  ^.  Il  pouvait  en  être  autrement 
dans  les  cités  maritimes  d'origine  phénicienne  ou  carthaginoise. 
Au  bord  de  la  petite  Syrte,  subsistaient,  sous  les  rois  numides, 
des  pêcheries  et  des  fabriques  de  salaisons,  créées  longtemps 
auparavant  ^  En  Maurétanie,  la  vieille  colonie  de  Lixus  repré- 
sentait des  poissons,  probablement  des  thons,  sur  certaines  de 
ses  monnaies,  aux  environs  de  notre  ère\  C'étaient  cependant 
des  pêcheurs  venus  du  port  espagnol  de  Gadès  qui  exploitaient 
surtout  les  parages  africains  de  l'Atlantique  ^ 

Les  pêcheries  et  ateliers  de  pourpre  que  les  Phéniciens  avaient 
certainement  établis  sur  divers  points  ne  disparurent  pas  avec 
la  domination  punique*,  et  nous  verrons^  que  le  roi  Juba  II 
fonda  des  teintureries  a.ux  Purpurariae  insulae,  c'est-à-dire,  sans 
doute,  à  Mogador,  sur  la  côte  marocaine  ^ 

1.  C.  /.  L.,\Ul,  14  578-9.14  583. 

2.  Sauf  sur  le  littoral  océanique,  où  la  pêche  remonte  sans  doute  à  des  temps 
lointains  :  voir  Laoust,  dans  Hespéris,  1923,  p.  263.  —  Poche  chez  des  indigènes 
africains,  aux  époques  romaine  et  byzantine:  Pline  l'Ancien,  XVI,  178;  Corippus, 
Joh.,  II,  120-2. 

3.  Strabon,  XVII,  3,  18  (peut-être  d'après  Artémidore)  :  à  l'entrée  du  lac  des 
Bibàn.  Ces  salaisons  sont  mentionnées  dès  le  iv<^  siècle  :  voir  t.  II,  p.  123-4;  t.  IV» 
p.  51,  n.  6.  Strabon,  XVII,  3,  17  {in  fine)  :  à  Gabès. 

4.  Muller,  l\umism.,  111,  p.  156,  n"*  238  et  239. 

5.  Voir  t.  IV,  p.  52. 

6.  Voir  ibid.,  p.  50-51. 

7.  T.  VIII,  1.  il,  cb.  II,  §  IV. 

8.  Pline  l'Ancien,  VI,  201  et  203.  Conf.  t.  I,  p.  523,  u.  i,  et  t.  Il,  p.  180,  n.  1. 


CHAPITRE  II 
HABITATIONS 

I 

Aux  temps  de  la  civilisation  de  la  pierre,  une  partie  des  indi- 
gènes avaient  élu  domicile  dans  des  cavernes  ou  des  abris  sous- 
roche'.  Bien  plus  tard,  des  auteurs  grecs  et  latins  mentionnent 
des  troglodytes  à  proximité  du  Sahara  et  dans  le  Sahara  même; 
ils  habitaient  des  grottes  naturelles  ou  faites  de  main  d'homme  ^ 
Il  y  en  avait  aussi  en  pleine  Berbérie.  Une  tribu,  dont  le  prin- 
cipal groupe  vivait,  au  début  du  moyen  âge,  dans  la  région  de 
Tlemcen,  s'appelait  les  Béni  Ifrène;  son  nom  venait  sans  doute 
du    mot   berbère   ifri\    «   caverne    ».    Ces  Africains,    ou,   du 
moins,  leurs  ancêtres,  étaient  donc  troglodytes,  comme  l'étaient, 
avant  la  conquête  des  Canaries  par  les  Européens,  la  plupart 

des  Guanches^ 

Aujourd'hui  encore,  on  trouve  des  troglodytes  en  Tripoli- 

1  T  I  o  184  189.  190.  Celaient  des  cavités  naturelles.  Mais,  d'assez  bonne^ 
heure  oa  a  creusé  des  grottes.  Ilea  existe,  -  qui  semblent  avoir  ete  des  sanc- 
tuaire's  non  des  habila.fons,  -  sur  l'oued  Itel,  au  Sud-Ouest  de  B.skra  e  e 
rmporlent  des  couloirs  d'accès  et  des  galeries,  et  offrent  des  gravures  oit 
anTnnes,  peut-être  du  II«  millénaire  avant  J.-G.  Voir  Blanchet  /^ec  de  Con^lan- 
îine!  XXXIII    1899,  p.  296-7;  conf.    Gsell,  Monuments  antiques  de  l  Algérie,  I,  p.  4S. 

^'hes  lifs^nf  indiqués  t.   I,  p.  .85.  n.  1,  et  dans  Gsell.  Hérodote,  p.  151-4. 

^\  Comme  le  dit  Ibn  Khaldoun,  Hist.  des  Berbères,  trad.  de  Slane,  111.  p.   197-8. 
Conf.  H.  Basset.  Le  culte  des  grottes  au  Maroc,  p.  14. 
4.  Verneau,  Revue  d'ethnographie,  VIII,  1890,  p.  222  et  su.v. 


214  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D  HABITATION. 

taine  et  dans  le  Sud  de  la  Tunisie,  c'est-à-dire  dans  la  région 
des  Syrtes,  où  Sénèque  en  indique*,  et  aussi  dans  l'Aurès, 
dans  l'Ouest  de  l'Algérie  (en  particulier  à  Tlemcen),  au  Maroc  ^ 
Les  uns  occupent  des  cavités  naturelles,  complétées  au  besoin 
par  de  grossiers  murs  en  pierres  sèches  ^  ;  les  autres  se  sont 
creusé  leurs  demeures  dans  le  tuf.  Ce  sont  tantôt  des  logements 
souterrains  *,  tantôt  des  chambres  établies  au-dessus  du  sol, 
derrière  des  parois  verticales  ou  très  peu  inclinées,  ressauts  ou 
falaises.  Parfois,  abris  naturels  ou  artificiels  se  superposent 
dans  les  flancs  d'un  piton,  d'un  éperon,  dont  le  sommet  peut 
servir  de  refuge  ^ 

Si  ce  mode  d'habitation  s'est  perpétué  çà  et  là,  c'est  par  la 
force  des  vieilles  coutumes,  et  aussi  à  cause  des  avantages 
qu'il  offre  à  des  gens  le  plus  souvent  misérables  :  demeure  qui 
n'exige  pas  d'entretien  et  n'a  à  craindre  ni  l'incendie,  ni,  en 
général,  les  autres  risques  de  destruction,  défense  facile  contre 
les  gens  malintentionnés  et  les  fauves,  abri  sûr  contre  les  mau- 
vais temps,  fraîcheur  en  été,  chaleur  en  hiver.  Il  est  vrai  que 
ces  tanières  manquent  d'air  et  de  lumière,  qu'elles  sont  fré- 
quemment d'une  humidité  malsaine  et  que  la  vermine  y  pullule 
à  l'aise. 


1.  Ad  Lucil.,  XC,  17  :  «  Non  in  defosso  latent  Syrticae  génies,  quibus  propter 
nimios  solis  ardores  nullum  tegimentura  satis  repelleudis  caloribus  solidum  est, 
nisi  ipsa  arens  humus?  » 

2.  Voir,  entre  autres,  11.  Basset,  l.  c,  p.  14-17,  et  dans  H(^spéris,  192o,  p.  427- 
439;  Voiaot,  Bull.  d'Oran,  1920,  p.  24-2,'),  69;  Gautier,  Ilespéris,  1925,  p.  383-393, 
Souvent,  les  grottes,  à  proximité  desquelles  ont  été  construits  des  gourbis  ou  des 
maisons,  ne  servent  plus  que  de  magasins  ou  d'étables. 

3.  P.  ex.,  dans  l'Aurès  :  Masqueray,  Kcv.  afric,  XXII,  1878,  p.  43.  Grottes  natu- 
relles dans  le  Moyen-Atlas  :  Gautier,  L  c. 

4.  Les  plus  remarquables  de  ces  demeures  souterraines  sont  celles  du  ])ays  des 
Matmata,  dans  le  Sud-Est  de  la  Tunisie.  Elles  ont  été  souvent  décrites  :  voir, 
entre  autres,  Ilamy,  dans  V Anthropologie,  11,  1891,  p.  528  et  suiv. 

5.  P.  ex.,  à  Taza,  au  Maroc  :  Basset,  Hespéris,  /.  c.  ;  à  Douirat,  dans  l'ExIréme- 
■Sud  tunisien. 


HABITATIONS.  213 


II 


On  a  vu  que,  dans  les  siècles  qui  précédèrent  notre  ère,  la 
plupart  des  indigènes  s'adonnaient  à  l'élevage.  Ceux  qui  occu- 
paient dans  le  Tell  des  pays  bien  pourvus  de  pâturages  et  d'eau 
pouvaient  mener  une  existence  presque  sédentaire;  si  la  séche- 
resse les  obligeait  à  aller  passer  l'été  ailleurs,  il  n'était  pas  rare 
qu'ils  pussent  faire  un  long  séjour  au  lieu  qu'ils  avaient  choisi. 
Cependant,  comme  leur  bétail  était  leur  seule  richesse,  il  fallait 
qu'ils  fussent  prêts  à  le  soustraire  par  la  fuite  à  des  incursions 
de  pillards,  et  cette  crainte  les  engageait  à  préférer  des  abris 
mobiles  à  des  habitations  fixes.  Les  pasteurs  qui,  l'hiver, 
vivaient  dans  les  steppes,  étaient  contraints  de  s'y  déplacer 
souvent;  l'été  venu,  ils  gagnaient,  par  de  longues  migrations, 
le  Tell  ou  les  montagnes  du  Sud'.  Ils  devaient  emporter  avec 
eux  leur  demeure,  n'ayant  ni  le  temps,  ni,  d'ordinaire,  les 
moyens  d'en  édifier  une  à  chaque  station. 

Aujourd'hui,  les  nomades  de  l'Afrique  du  Nord  s'abritent 
sous  des  tentes  plus  ou  moins  grandes,  assemblages  de  longues 
bandes  tissées  en  laine  et  en  poil  de  chameau  ou  de  chèvre. 
Chargées  sur  des  bêtes  de  somme,  avec  quelques  pieux  et  des 
piquets,  ces  tentes  se  dressent  et  s'enlèvent  en  peu  de  temps  ; 
groupées  en  cercle,  —  tel  est  le  sens  du  mot  arabe  douar,  — 
elles  constituent  une  sorte  d'enceinte,  où  les  troupeaux  sont 
réunis  tous  les  soirs.  Ce  ne  sont  pas  seulement  des  demeures 
de  nomades.  Des  sédentaires,  qui  ont  des  maisons,  vivent 
volontiers  pendant  l'été  sous  la  tente,  plus  fraîche  la  nuit  et 
plus  facile  à  défendre  des  insectes  parasites  ;  aux  abords  des 
lieux  où  ils  s'établissent,  leur  bétail  laisse  un  fumier  qui  féconde 
le  sol  destiné  à  être  ensemencé  à  l'automne ^  Souvent  même, 

1.  V.  supra,  p.  176  et  suiv. 

2.  A.  Bernard,  Enquête  sur  l'habitation  rurale  des  indi<jcnes  de  l'Algérie  (Mger,  192!), 
p.  5-6. 


216  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D  HABITATION. 

dans  les  pays  où  l'hiver  n'est  pas  trop  rigoureux,  la  tente  est 
la  seule  habitation  dont  on  fasse  usage. 

Cependant  elle  s'est  répandue  tardivement  chez  les  Berbères. 
Ce  fut  surtout  après  la  conquête  musulmane  qu'ils  l'adoptèrent, 
à  l'exemple  de  leurs  nouveaux  maîtres  :  au  viii*  siècle,  un 
grand  nombre  d'entre  eux  avaient  des  tentes,  semblables  à 
celles  des  Arabes*.  Mais  il  se  peut  que  certains  en  avaient  eu 
plus  tôt.  Deux  siècles  auparavant,  le  poète  africain  Corippus 
mentionne  à  plusieurs  reprises^  des  tentoria  chez  les  indigènes 
qui  faisaient  alors  la  guerre  aux  Byzantins.  'Ils  possédaient 
aussi  des  chameaux,  animaux  fort  rares  en  Berbérie  jusqu'au 
m®  siècle  de  notre  ère,  mais  que  l'on  employait  déjà  beaucoup 
dans  le  Sud  de  cette  contrée  sous  le  Bas-Empire  ^  Or,  c'est 
avec  du  poil  de  chameau  qu'en  général,  on  fabrique  les  tentes; 
ce  sont  surtout  des  chameaux  qui  servent  à  les  transporter,  car 
elles  sont  d'ordinaire  trop  lourdes  pour  d'autres  bêtes  de 
somme.  Par  la  matière  et  parles  dimensions,  les  <e?iformdontparle 
Corippus  ont  donc  pu  ressembler  aux  tentes  que  les  chame- 
liers arabes  apportèrent  d'Orient  au  vu*'  siècle.  Cela  n'est  d'ail- 
leurs pas  certain,  car  on  peut  aussi  bien  supposer  que  ces  abris 
étaient  faits  à  l'imitation  de  ceux  qu'employaient  les  troupes 
byzantines  *. 

De  petites  tentes  en  cuir,  semblables  à  celles  dont  les  Touareg 
se  servent  encore,  paraissent  avoir  été  en  usage  chez  des  Afri- 
cains dès  une  lointaine  antiquité.  Telles  étaient  sans  doute  les 
tentes  de  cuir  possédées  par  des  Mashaouasha,  que  les  Egyptiens 
eurent  à  combattre  au  temps  de  la  XIX"  dynastie^  ;  peut-être  aussi 
les  abris  de  quelques  peuplades,  qualifiées  de  Scénites  (Sxr.vTTat,)^ 

1.  El  Bekri,  Descr.  de  l'Afrique  si'ptentr.,  trad.  de  Slane,  édit.  d'Alger,  p.  139. 

2.  Joh.,  Il,  101,  41.5,  430;  IV,  321;  VII,  405. 

3.  T.  1,  p.  60. 

4.  Et  que  Corippus  meiitioiinii  plus  d'une  fois  :  Joh.,  I,  514;    II,  273;   etc. 

V).  Gtial)as,  Éludes  sur  Vanlviuilé  liislorique,  2'-  édit.,  p.  201.  Dates,   The  Eastern 
Libyans,  p.  108. 
6.  Ptolémée,  IV,  7,  10  (p.  785,  édit.  Miiller)  :  i3Ky,vïTai,  qu'il  place  dans  le  désert- 


HABITATIONS.  217, 

par  des  auteurs  postérieurs  à  l'ère  chrétienne.  Il  convient 
cependant  de  rappeler  que  le  terme  a-xr,vri  ne  signifie  pas 
nécessairement  tente  :  on  l'a  appliqué  à  des  huttes,  fixes  ou 
mobiles  '. 

Il  est  probable  que,  dans  des  expéditions  guerrières,  des 
indigènes  adoptèrent  la  tente,  à  l'exemple  des  armées  romaines 
qu'ils  combattaient  ou  avec  lesquelles  ils  faisaient  campagne  : 
surtout  les  généraux,  les  princes,  les  rois.  La  nycr^rr^  ^  ou  le 
tabernaculum  de  Masinissa  ^,  le  tabernaculum  de  Nabdalsa, 
lieutenant  de  Jugurtha  \  ne  devaient  pas  être  de  misérables 
abris,  comme  ceux  dont  se  servaient  les  nomades. 

Ces  demeures  mobiles  des  nomades  sont  souvent  mentionnées, 
depuis  le  v"  siècle  avant  notre  ère  jusqu'au  vi^  après  J.-C.  ^ 

Lucien,  Dipsades,  2  :   Garamantes  [qui  étaient  des  Éthiopiens,  non  des  Libyens], 
qualifiés  d'avepwTtot  (T/.r,vtTat.  Poilux  (IV,  74)  parle,  d'une  manière  générale,  de 
Libyens  scénites  :  AîSueç...  oi  (7xr,vïTa;. 
1.'  Gonf.  t.  II,  p.  419,  n.  9. 

2.  Polybe,  XXXVI,  16,  12,  édit.  Buttner-Wobst  (ahas  XXXVII,  3). 

3.  Tite-Live,  XXX,  15,  2.  Pseudo-Frontin,  Strat.,  IV,  3,  U.  Selon  Tite-Live 
(XXX,  17,  13),  le  Sénat  aurait  fait  don  à  Masinissa,  en  203,  de  deux  tentes  d'ap- 
parat (indication  très  suspecte). 

4.  Sallusle,  Jug.,  LXXI,  4. 

5.  Hérodole,  IV,  190  (à  propos  des  Libyens  nomades)  :  -<  Leurs  demeures  sont 
faites  d'asptiodèles  entrelacés  de  joncs;  elles  sont  portatives.  »  Hellanicos  (dans 
Fragni.  hist.  Graec,  I,  p.  57,  n°  93)  :  «  Gertains  Libyens  nomades  ont  des  habi- 
tations faites  en  asphodèles,  juste  assez  grandes  pour  fournir  de  l'ombre;  ils  les 
transportent  là  où  ils  vont.  »  Virgile,  Géorgiques,  III,  343-4  (cité  supra,  p.  177, 
n.  6).  Tite-Live,  XXIX,  31,  8  :  ■<  Familiae  aliquot  cum  mapalibus  pecoribusque 
suis...  persecuti  sunt  regem.  »  Pomponius  Mêla,  1,  42  :  [les  gens  de  l'intérieur  de 
l'Afrique]  «  sequuntur  vagi  pecora,  utque  a  pabulo  ductasunt,  ita  se  ac  tuguria 
sua  promovcnt,  atque,  ubi   dies  déficit,  ibi  noctem  agunt.  »   Lucain,  IV,  68i-5  : 

ICt  solitus  vacuis  errare  mapalibus  Afer 
Venator... 

Pline  l'Ancien,  V,  22  :  «  Numidae  vero  Nomades  [appellati],  a  permutandis 
pabulis,  mapalia  sua,  hoc  est  domos,  plauslris  circuiiiferentes.  »  Silius  llalicus, 
III,  290-1  (à  propos  des  Gétules)  : 

Nulla  domus;  plaustris  habitant;  migrare  por  arva 
Mos  atquo  errantes  cirounivectarc  pénates. 

Le  mémo,  XVII,  80.  Tacite,  Ann.,  III.  74  :  «  Per  expeditos  et  soliluJinum  gnaros 
mutantem  mapalia  Tacfarinatem  proturbabat.  »  Ibid.,  IV,  23  :  «  Adfertnr 
Numidas  apud  casteilum...  positis  mapalibus  consedisse.  ••  Corippus,  Joh.,  Vil, 
65  :  «  motis...  cannis  »;  VII,  2(')4,  et  VUI,  124  :  •  coinmotis...  caniiis  ».  —  Gonf. 
Gsell,  Hérodole,  p.  177  9. 


218  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D  HABITATION. 

Elles  étaient  faites  en  matières  végétales,  asphodèles  ',  joncs  ^^ 
asphodèles  entrelacés  de  joncs  %  roseaux  *,  chaumes  ^ 

On  pourrait  se  demander  si  beaucoup  d'entre  elles  n'étaient 
pas  démontables  et  ne  consistaient  pas,  comme  certaines  tentes 
encore  usitées  au  Maroc  \  en  quelques  nattes,  qui,  roulées^ 
auraient  été  aisément  portées  par  des  bêtes  de  somme,  avec  des 
pieux,  perches  et  piquets;  l'assemblage  de  ces  diverses  pièces 
eût  pu  se  faire  très  rapidement,  et  la  case  ainsi  édifiée  eût  été, 
au  moment  du  départ,  disloquée  plus  rapidement  encore.  Mais 
les  textes  qui  concernent  ces  abris  se  prêtent  mal  à  une  telle 
hypothèse;  quelques-uns  même  s'y  opposent  nettement.  Nulle 
part,  il  n'est  question  d'assemblage  et  de  démontage.  C'est  la 
maison  même  que  l'on  déplace,  et  cette  maison  se  transporte 
par  charroi.  Un  poète  latin,  Silius  Italiens,  dit  des  nomades 
africains  qu'ils  habitent  des  chariots;  Pline  l'Ancien,  qu'ils 
transportent  leurs  maisons  sur  des  chariots. 

Selon  Silius,  ces  maisons  auraient  donc  été  de  véritables 
roulottes  ;  selon  Pline,  des  cases,  des  cahutes,  indépendantes 
des  chariots  sur  lesquels  on  les  aurait  chargées.  Des  roulottes 
eussent  constitué  des  logements  instables,  si  elles  n'avaient  pas 
été  munies  de  quatre  roues;  au  contraire,  pour  transporter 
une  sorte  de  cage,  on  pouvait  employer  de  légers  véhicules, 
pourvus  seulement  de  deux  roues  assez  grandes  :  ce  qui  valait 
mieux  que  des  chariots  à  quatre  roues  dans  des  pays  sans 
routes.  La  cage  elle-même  était  fort  légère,  eu  égard  aux 
matériaux  dont  elle  était  faite  et  au  mobilier  très  rudimentaire 
qu'elle    contenait.    La   forme   qui    s'imposait    était  celle   d'un 


1.  llcllaiiicos,  l.  c. 

li.  Pline  l'Anficn,  XVI,  178. 

3.  IK'rodolo,  /.  c. 

4.  Silius  Italicus.  XVII,  88-89.  Corippus  (II.  ce,  ot  II,  16;  VIII,  44)  appelle  ces- 
demeures  cannae. 

.").  Lucain,  I,\,  945. 

0.  Conf.  noutlé,  Mcrnlltrch,  p.  24  ;  tentes  tissées  en  libres  que  l'on  tire  du  pal- 
mier nain  ou  de  l'aspliodùie.  D'autres  sont  constituées  par  des  nattes  d'alfa. 


HABITATIONS.  21^ 

cadre  de  voiture,  c'est-à-dire  d'un  rectangle.  Le  toit  pouvait 
être,  soit  plat,  soit  à  double  pente;  il  est  permis  de  suppo- 
ser qu'on  le  garantissait  des  intempéries  en  le  couvrant  de 
peaux. 

Nous  n'avons  aucun  renseignement  sur  l'attelage.  Des  bœufs 
eussent  fort  bien  convenu  :  on  sait  l'usage  que,  dans  leurs 
migrations,  les  barbares  d'Europe  et  d'Asie  faisaient  d'eux 
comme  bêtes  de  trait.  Mais  les  pasteurs  qui  avaient  le  plus 
besoin  de  se  déplacer  étaient  ceux  qui  vivaient  dans  les  régions 
les  plus  pauvres,  les  moins  propres  à  l'élevage  du  bœuf.  Beau- 
coup d'entre  eux  possédaient  des  chevaux,  mais  ils  devaient  se 
les  réserver  comme  montures  à  la  chasse  et  à  la  guerre.  Peut- 
être  avaient-ils  recours  à  des  ânes;  peut-être  aussi,  faute  de 
mieux,  se  mettaient-ils  eux-mêmes  aux  brancards. 

Pour  désigner  ces  habitations  mobiles,  les  Grecs  et  les  Latins 
se  servent  parfois  de  termes  vagues,  ayant  simplement  le  sens 
de  «  maison  »,  «  cabane  »  K  Dans  Corippus,  nous  rencontrons 
le  terme  cannae  ^,  qui  indique  la  matière  dont  elles  sont  faites  : 
le  poète  oppose  les  cannae  des  indigènes  aux  tentoria  des 
troupes  byzantines  ^  Mais  on  trouve  plus  fréquemment  chez  les 
Latins  un  mot  qu'ils  n'emploient  guère  que  pour  des  demeures 
africaines,  et  qui  se  présente  presque  toujours  au  pluriel,  sous 
deux  formes  :  magalia  ^  et  mapalia  ^  (quelquefois  avec  deux  p  : 
mappalia  ").  Il  s'agit  sans  doute  d'une  simple  différence  de 
transcription  ^;  mapalia  est  beaucoup  plus  usité.  Le  mot  est 
certainement   africain.    Parmi    les    auteurs    anciens,    les    uns 

1.  Or/.T|[xaTa  :  Hérodote;  olxcat  :  Hellanicos;  <u(7uri«  :  Mêla. 

2.  V.  supra,  p.  218,  n.  4. 

3.  Joh.,  Vlll,  42-44. 

4.  Celte  forme  se  trouve  dans  Yir^We,  Enéide,  I,  421;  IV,  259.  Servius  (/«  Aen.,. 
IV,  259)  dit  que  magalia  et  mapalia  sont  synonymes. 

5.  Virgile,  Géorgiques,  Ili,  340.  Tile-Live,  X.XIX,  31,  8.  Lucain,  11,  89;  IV,  684; 
IX,  945.  Pline  l'Ancien,  V,  22;  XVI,  178.  Siiius  Italiens,  111,  287;  XVil,  S9.  Tacite, 
Ann.,  111,  74;  IV,  25.  Servius,  In  Aen.,  IV,  40.  Corippus,  Jo/i.,  11,  5  et  G3. 

6.  Voir,  p.  ex.,  C.  /.  L.,  Vlll,  25  902;  Victor  de  Vite.  1,  10. 

7.  Nous  avons  fait  remarquer  (t.  I,  p.  313,  n.  G)  que  le  /)  est  à  peu  près  inconnu 
aux  Berbères:  ils  ne  devaient  donc  pas  prononcer  mapal. 


220  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

paraissent  le  croire  d'origine  indigène';  Servius  le  dit 
punique  ^  En  tout  cas,  si  l'on  veut  admettre  que  le  mot  était 
punique,  il  n'y  a  aucune  raison  de  croire  que  la  chose  l'était 
aussi  ^  :  les  mapalia  mobiles  servaient  aux  nomades,  dont  le 
genre  de  vie  différait  entièrement  de  celui  des  Carthaginois. 


III 

Le  terme  mapalia  a  été  également  appliqué  par  les  Latins  à 
des  habitations  de  sédentaires  africains  *.  Ces  abris  de  pauvres 
gens  devaient,  comme  les  mapalia  mobiles,  être  faits  surtout 
en  matières  végétales.  On  peut  même  se  demander  si  le  mot  ne 
désignait  pas,  d'une  manière  générale,  des  demeures  ainsi 
construites,  qu'elles  fussent  fixes  ou  portatives  ^  Nous  trou- 
vons aussi  des  termes  qui  ne  sont  pas  propres  à  l'Afrique  % 
•/aÀ-jêa',  en  grec  ',  tucjuria  en  latin  **;  le  mot  très  rare  attegiae, 

1.  Voir  les  passages  de  Salluste  et  de  saint  Jérôme  cités  t.  I,  l.  c. 

2.  Selon  cet  erudit(/n  Aen.,  I,  421),  la  forme  correcte  devrait  être  magaria,  non 
magalia,  le  mot  magar  signifiant  villa  (ferme)  en  punique.  Mais  ce  rapproche- 
ment n'a  sans  doute  aucune  valeur. 

3.  Malgré  des  textes  qui  l'affirment.  Deutéro-Servius,  Jn  Aen.,  I,  421  :  •  Alii 
magalia  casas  Poenorum  pastorales  dicunt  »  (Servius,  In  Aen.,  IV,  259,  dit,  au 
contraire  :  «  Magalia,  Afrorum  casas  ■■).  Festus,  s.  u.  :  «  mapalia  casae  Poenicae 
iippcUantur  ».  Martial,  VIII,  55,  3  :  •  Poena  mapalia  •;  ailleurs  (X,  20,  7),  il  dit  : 
«  sicci  Gaetula  mapalia  Poeni  ». 

4.  Salluste,  Jug.,  XVIIl,  8;  XLVI,  5.  Mêla,  I,  41.  Glaudien,  Consul.  Stilich.,  III, 
344.  Voir  aussi  les  textes  de  Caton  et  de  saint  Jérôme  qui  sont  cités  infra,  p.  222, 
n.  0  et  7,  et  qui  se  rapportent  à  des  mapalia  fixes.  Ce  nom  Mapalia  (ou  Mappalia)  a 
désigné  sous  l'Empire  romain  divers  lieux  habités  en  Afrique  :  un  faubourg  de 
Carthagc  (Actes  de  saint  Cyprien,  5;  saint  Augustin,  Sermons,  LXII,  17;  Victor  de 
Vite,  I,  16;  De  miraculis  S.  Stcphani,  dans  Migne,  Patr.  Lai.,  XLI,  p.  848);  un 
domaine  dans  la  Tunisie  centrale  (C.  /.  L.,  VllI,  25  902);  un  autre  domaine, 
voisin  d'IIippone  (saint  Augustin,  Lettres,  LXVl,  1;  le  même.  Contra  litteras  Peti- 
liani,  II,  83,  184,  et  II,  99,  228). 

5.  Plus  tard,  le  terme  maiialia  a  pu  s'étendre  à  de  misérables  habitations  con- 
struites en  pierres,  mais  couvertes  en  matières  vé{^étales,  à  ce  que  nous  appelons 
des  chaumières. 

6.  Et  ijui  s'appliquent  à  des  demeures  bâties  en  pierres,  aussi  bien  qu'à  des 
huttes  on  matières  végélales. 

7.  Pausanias,   X,  17,  2.  Klien,  Nat.  anim.,  III,  1.  Procope,  Bell.  Vand.,  II,  C,  10. 

8.  Salluste,  Jug.,  XII,  5;  XIX,  5;  XLVI,  5;  LXXV,  4.  Sulpice  Sévère,  Dialog.,  I,  3 
{Patr.  Ut.,  XX,  p.  180). 


HABITATIONS.  _  221 

dont  Juvénal  '    se   sert    à    propos    des   Maures,   est   d'origine 
inconnue. 

On  a  dû  édifier  des  huttes  fixes  dès  une  antiquité  très 
reculée.  Il  se  peut  qu'il  y  en  ait  eu  déjà  dans  des  stations  pré- 
historiques, où  des  gens  qui  ne  connaissaient  encore  ni  l'éle- 
vage, ni  la  culture,  se  groupaient  et  menaient  une  vie  séden- 
taire. Plus  tard,  ces  demeures  purent  convenir  à  des  pasteurs 
qui  n'avaient  pas  besoin  de  se  déplacer  souvent,  à  des  agri- 
culteurs qui  vivaient  disséminés  dans  la  campagne.  Les  Aspho- 
délodes  -,  appelés  probablement  ainsi  à  cause  des  huttes  en 
asphodèles  qu'ils  habitaient,  étaient,  autant  qu'il  semble,  une 
tribu  du  Nord-Ouest  de  la  Tunisie  ';  or,  dans  cette  région  très 
favorisée  par  les  pluies,  les  demeures  n'étaient  sans  doute  pas 
des  mapalia  mobiles,  domiciles  de  nomades.  Des  huttes  ana- 
logues abritaient  des  troupes  qui,  quand  les  opérations  mili- 
taires étaient  suspendues,  prenaient  leurs  cantonnements  *. 

Telles  ont  été  les  cabanes  dont  beaucoup  d'Africains  se  sont 
contentés  à  travers  les  siècles  %  tels  sont  encore  ces  gourbis, 
dont  les  parois  sont  faites  en  roseaux,  en  branchages  entre- 
lacés, en  treillis  de  tiges  flexibles,  et  dont  le  toit  est  aussi  en 
matière  végétale,  surtout  en  diss  ou  en  chaume  :  habitations 
à  chambre  unique,  sans  autre  ouverture  que  l'étroite  baie  de  la 
porte.  Rien  de  plus  aisé  à  construire  que  ces  huttes,  quand  on 
a  les  éléments  sous  la  main.  Lorsqu'elles  sont  trop  dégradées, 
lorsque  la  vermine  les  rend  vraiment  intenables,  on  les  aban- 
donne, en  emportant  les  perches  qui  soutenaient  la  toiture  et 

1.  XIV,  196.  Oa  retrouve  ce  lormc  sur  une  inscription  latine  de  Germanie  : 
C.  /.  /..,  km,  G054. 

2.  Diodore  de  Sicile,  X.\,  57,  5  :   'ATcpoôcXujScis- 

3.  V.  supra,  p.  83-80. 

4.  Troupes  de  Syphax,  cantonnées  dans  des  huttes  on  roseaux  et  en  feuiliaj?e  : 
Polylie.  XIV.  1,7;  conf.  Tite-Live,  XXX,  3,  9. 

.5.  Voir,  p.  ex.,  Ibn  Khaldoun,  llist.  dfs  BerhÎTcs,  trnd.de  Slane,  I,  p.  237.  par- 
lant d'une  tribu  qui  vivait  entre  Fès  et  Tlemcen,  à  l'époque  de  la  conciutMe 
arabe  :  ■■  Les  Matgliara  iiabitaient  à  demeure  fixe  dans  des  cabanes  faites  de 
broussailles.  » 

fisEi.L    —  Alrifino  'lu  Nord.  V.  ''^ 


222  EXPLOITATION   DU  SOL  ET   MODES   D  HABITATION. 

qui  peuvent  servir  encore,  et  on  va  édifier  un  nouveau  gourbi 
plus  ou  moins  loin  de  l'ancien.  Appliqué  sur  les  parois,  un 
enduit  de  terre  argileuse,  souvent  mêlée  de  bouse  de  vache,  est 
utile  pour  protéger  du  froid  et  des  rayons  trop  ardents  du 
soleil  :  il  est  probable  que  ce  mode  de  calfeutrage,  assez  fré- 
quent, est  employé  depuis  fort  longtemps.  De  même,  une  gar- 
niture intérieure  de  nattes,  qu'on  accroche  verticalement. 

La  plupart  des  huttes  modernes  sont  de  forme  allongée,  avec 
un  toit  à  deux  pentes;  le  plan  est,  soit  rectangulaire,  soit 
elliptique  (ou,  plus  exactement,  à  quatre  côtés,  parallèles  deux 
à  deux  et  réunis  par  des  segments  de  cercle).  Mais  la  forme  cir- 
culaire, avec  toit  conique,  existe  dans  l'Ouest  du  Maroc  *  et  en 
Tripolitaine  -,  régions  où  elle  est  d'origine  soudanaise  \  On  la 
retrouve  plus  au  Nord,  dans  le  centre  de  la  Tunisie  ^.  Dans  la 
grande  Kabylie,  elle  est  en  usage,  non  pas  pour  les  habitations, 
qui  sont  en  pierre,  mais  pour  des  magasins  de  paille  %  et  ce 
n'est  sans  doute  pas  au  Soudan  que  les  Berbères  de  ce  pays 
l'ont  empruntée. 

Dès  l'époque  néolithique,  on  a  construit  des  huttes  rondes 
dans  beaucoup  de  contrées  de  la  Méditerranée  et  de  l'Europe 
centrale  et  occidentale.  Il  en  a  peut-être  été  de  même  dans 
l'Afrique  du  Nord.  Les  Romains  y  ont  encore  connu  des  inapalia 
de  cette  forme  :  ce  qu'indiquent  Caton  l'Ancien'^  et  saint 
Jérôme',  qui  les  compare  à  des  fours.  Il  s'agit  dans  ces  textes 

1.  Voir,  entre  autres,  Doutté,  Merràkcch,  p.  2cS4  et  suiv.;  Michaux-Bellaire  et 
Salriiou,  dans  Archives  marocaines,  lY,  l'JO."),  p.  114-5. 

2.  Voir,  p.  ex.,  de  .Mathuisieulx,  A  travers  la  Tripolitaine,  p.  128  et  flg.  à  la  p.  129. 
Dans  le  Sud  tunisien,  autour  de  Médenine,  des  indifrènes  habitent  en  été  des 
huttes  de  cette  forme  :  A.  Bernard,  Enquête  sur  l'habitation  rurale  des  indigènes  de 
la  Tunisie  (Tunis,  1924),  p.  19-20. 

3.  Gela  est  du  moins  ecrlain  pour  la  Tripolitaine  :  Mathuisieulx,  /.  c. 

4.  Dans  la  région  de  Maklar  :  Bernard,  /.  c,  p.  16. 
.').  Laoust,  Mots  et  choses  berbères,  p.  303,  not(^ 

0.  Ueutéro-Servius,  In  Aen.,  1,  421  :  «  Gato  Originum  quarto  inagalia  aedificia 
quasi  cohortes  rotundas  dicit.  •  Festus,  s.  v.  mapalia  :  «  Gato  Origiuum  lihro 
quarto  :  mapalia  vocaïUur  ubi  habitant;  oa  quasi  cohortes  rotundae  sunt.  » 

7.  Comment,  in  Amos,  l'rolog.  (l'utr.  Lai.,  XXV,  p.  990)  :  «  agrestes  quidenk 
casae  et  furnoruin  simiies,  (juas  Afri  appellant  mapalia  ». 


HABITATIONS.  223 

de  mapalia  fixes,  car,  comme  nous  l'avons  fait  observer', 
l'emploi  d'une  forme  circulaire  aurait  compliqué  très  inuti- 
lement la  construction  des  chariots  servant  au  transport  des 
huttes  mobiles. 

Mais,  dans  les  campagnes  africaines,  il  y  avait  aussi,  au  témoi- 
gnage de  Salluste-,  des  cabanes  oblongues,  dont  les  toits,  aux 
côtés  courbes,  ressemblaient  à  des  carènes  de  navires  retournés. 
C'est  cette  forme  oblongue  qui  a  prévalu,  avec  le  toit  à  double 
pente.  Et  même,  dans  certaines  régions,  le  profil  du  toit  est 
caréné  %  ce  qui  justifie  la  comparaison  de  Salluste,  ou  plutôt 
du  roi  numide  Hiempsal,  que  Salluste  a  copié \ 


IV 

Les  huttes  en  matières  végétales  offrent  un  grand  danger  : 
elles  peuvent  être  la  proie  facile  et  rapide  du  feu,  qui,  quand 
le  vent  le  porte  à  travers  des  groupes  d'habitations,  cause,  en 
quelques  instants,  des  désastres.  En  outre,  ces  cases,  aux 
parois  minces,  sont  des  abris  fort  insuffisants  contre  le  froid  et 
la  chaleur.  Des  sédentaires  ont  dû  sentir  de  bonne  heure  le 
besoin  de  se  construire  des  demeures  plus  sûres  et  mieux 
garanties  des  excès  de  la  température  extérieure.  Comme  ils 
n'avaient  pas  l'intention  de  les  abandonner,  puisqu'ils  étaient 
fixés  au  sol,  il  était  naturel  qu'ils  les  fissent  assez  solides  pour 
qu'elles  pussent  servir  de   longues  années  à   eux-mêmes  et  à 

l.P.  21S-9. 

2.  Jug.,  XVIII,  8  :  •  Cetenim  adhuc  aedillcia  Numidarum  agresliuiu,  (juae 
mapalia  illi    vocant,  oblouga,   iucurvis   lateribus    tecta,  quasi    naviuin   cariuae 

sunt.  » 

3.  Dans  le  Nord  du  Maroc  :  Tissot,  Géogr.,  I,  p.  481.  Eu  Klioumirie  :  Bertliolon. 
dans  Bull,  de  géogr.  histor.  du  Comité,  181)1,  p.  497. 

4.  La  i)hrase  citée  supra,  n.  2,  est  intercalée  dans  un  récit  emprunté  à  Hiempsal. 
Celui-ci  racontait  que  des  Perses,  venus  en  Afrique,  s'étaient  servis,  en  puise  de 
cabanes,  des  carcasses  de  leurs  navires,  retournés  :  légende  qui  avait  évidem- 
ment son  origine  dans  la  forme  des  mapalia  habités  par  les  indigènes  au  temps 
d'IIiempsal. 


224  EXPLOITATION   DU   SOL   ET   MODES   D'HABITATION. 

leurs  enfants.  Aux  huttes  se  substituèrent  de  véritables  maisons, 
de  ces  maisons  qu'Hérodote  indique,  au  v''  siècle,  comme  les 
habitations  des  Libyens  cultivateurs  \ 

Elles  furent  faites  en  terre  ou  en  pierre.  La  terre  convient  là 
où  les  pluies  sont  rares.  C'est  ainsi  qu'on  bâtit  les  maisons  des 
oasis,  sans  doute  depuis  fort  longtemps^.  Nous  pouvons 
supposer  que  l'exemple  est  venu  de  l'Est,  où  l'usage 
d'édifier  des  maisons  en  terre  est  très  ancien,  sur  le  Nil  aussi 
bien  que  sur  l'Euphrate.  Mais  ce  mode  de  construction  a  pu 
être  adopté  dans  des  pays  plus  septentrionaux;  il  est  encore 
usité  en  Tunisie  et  au  Maroc,  dans  des  régions  qui  ne  sont 
nullement  dépourvues  de  pluies.  Les  murs  en  terre'  se  font  de 
deux  manières.  Tantôt,  —  c'est  ainsi  qu'on  procède  dans  le 
Sud,  —  on  pétrit  des  sortes  de  pains,  dits  toûb^  où  l'argile, 
pour  acquérir  plus  de  consistance,  est  mélangée  de  paille 
hachée  et  de  cailloux;  après  les  avoir  exposés  au  soleil,  qui 
les  sèche,  on  les  juxtapose  et  superpose  comme  nos  maçons  le 
font  pour  les  briques.  Tantôt,  —  surtout  au  Maroc,  —  on 
tasse  de  l'argile  mouillée,  souvent  mêlée  de  chaux,  dans  des 
coiTrages  en  planches,  dont  le  vide  intérieur  a  la  largeur  de  la 
paroi  à  bâtir  et  qu'on  enlève  quand  la  terre  a  rempli  ce  vide. 
C'est  la  construction  en  pisé.  Les  Carthaginois  l'ont  connue*  et 
ont  pu  la  faire  connaître  aux  indigènes.  Mais  le  pisé  et,  plus 
encore,  les  toûb  se  dégradent  vite;  quand  la  désagrégation  est 
consommée,  ils  ne  laissent  pas  de  ruines^  :  il  est  donc  impos- 
sible de  prouver,  par  des  documents  archéologiques,  que  les 
ancêtres  des  Berbères  ont  fait  usage  de  ces  deux  procédés. 

1.  IV.  191  :  oîxia;.  Il  vii-iit  de  dire  que  les  nomades  iint  des  habita  lions  (oîxr,|j.aTa) 
portatives. 

2.  Hérodote  (IV,  IS-"))  dit  que,  dans  le  désert,  les  maisons  sont  construites  avec 
des  morceaux  de  sel.  Il  s'aj^it  de  terre,  très  mélangée  de  sel.  Conf.  Gsell,  Héro- 
dote, p.  180. 

3.  Ils  reposent  souvent  sur  un  soubassement  en  pierre,  construit  comme  celui 
des  maisons  dont  des  pierres  forment  les  parois  (u.  injra,  p.  22.J-6). 

4.  T.  IV,  p.  1%. 

5.  Conf.  Jolv,  Rev.  afric,  LUI,  lOOÎ),  p.   1."),  n.  t. 


HABITATIONS.  225 

La  construction  en  pierre  est  mieux  appropriée  aux  pays 
pluvieux.  On  sait  combien  elle  a  été  en  faveur  dans  les  contrées 
méditerranéennes  depuis  des  temps  très  lointains  :  surtout 
pour  les  demeures  des  morts,  qui  doivent  être  solides  et  durables, 
mais  aussi  pour  celles  des  vivants.  Les  matériaux  se  présentaient 
d'eux-mêmes  en  Afrique  :  galets  dans  les  lits  des  torrents, 
petites  pierres  éparses  sur  le  sol,  roches  feuilletées  fournissant 
des  dalles,  auxquelles  quelques  coups  de  masse  donnaient  les 
dimensions  et  la  forme  désirées. 

Les  ruines  dites  berbères,  restes  de  maisons,  d'enclos,  tle 
remparts,  sont  innombrables.  Elles  se  répartissent  sur  une 
longue  série  de  siècles.  Mais,  d'ordinaire,  elles  ne  se  laissent 
pas  dater.  Les  plans  et  les  modes  d'exécution  se  sont,  en  effet, 
perpétués  :  rien  ne  ressemble  plus  aux  vestiges  d'un  village 
abandonné  depuis  cinquante  ans,  que  ceux  d'un  village  qu'il 
est  permis  de  croire  contemporain  de  l'époque  romaine,  ou 
même  antérieur.  Nous  verrons,  cependant,  que  les  repères 
chronologiques  ne  font  pas  partout  défaut'. 

Dans  les  constructions  anciennes  comme  dans  les  récentes, 
les  murs  ont  fort  peu  de  fondations,  Om,  20-Om,  30  à  peine, 
et,  en  général,  l'intérieur  des  habitations  n'est  pas  creusé  au- 
dessous  du  sol-,  comme  ce  fut  souvent  le  cas  en  Europe.  Le 
bas  des  murs  est  fréquemment  constitué  par  deux  rangées  de 
dalles  dressées,  parements  entre  lesquels  a  été  jetée  de  la  pier- 
raille ^    Ce  procédé,  appelé  appareil  berbère,   n'est  d'ailleurs 


1.  Infra,  p.  241. 

2.  Il  y  a  cepeadant  dos  exceptions.  Dans  la  région  de  Zaghouane,  les  indigènes 
creusent  assez  souvent  le  soi  d'environ  0in,50,  à  Tinlérieur.  ce  qui  permet  de 
maintenir  les  murs  assez  bas,  pour  donner  peu  de  prise  au  vent  :  Bernard,  EtKjuétc 
sur  l'habit,  rurale  de  Tunisie,  p.  16. 

3.  Voir,  entre  autres,  La  Hlancliére,  Archives  des  Missions,  3<^  série,  X  (1883), 
p.  28  et  pi.  Vli,  (ig.  4,  n"  3  a;  .Maumené,  liev.  archéoL,  l'.)OI,  II,  p.  32;  Hamy, 
Bull,  de  géogr.  histor.  du  Comité,  1904,  p.  ol,  G4;  Stuhimann,  Einkuiturgeschichtlicher 
Ausjlu(j  in  den  Aures,  p.  ol  ;  Pallary,  Instructions  pour  les  recherches  préhist.  rfu/is 
le  Nord-Ouest  de  VAfriijue,  p.  80  et  11g.  00;  Voinot,  Bull.  d'Oran,  1913,  p.  520,  et 
11116,  p.  264,  270;  Doumergue,  ihid.,  191'.),  p.  75. 


226  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

pas  propre  à  la  Berbérie;  il  fut,  par  exemple,  usité  en  Crète  au 
second  millénaire  avant  J.-C.  \  Mais  on  ne  disposait  pas 
partout  de  dalles,  ou  bien  on  préférait  un  autre  agencement  : 
on  se  servait  alors  de  gros  galets,  de  blocs  bruts  ou  sommai- 
rement équarris,  qui,  mis  à  plat,  formaient  l'assiette  du  mur-. 

Par-dessus  le  soubassement,  on  dressait  les  parois  avec  des 
matériaux  plus  légers,  qui  se  sont  presque  toujours  écroulés  : 
moellons,  tantôt  empilés  au  hasard,  tantôt  étages  en  assises 
plus  ou  moins  régulières.  Il  n'est  pas  rare  que  des  galets, 
placés  obliquement,  forment  des  rangées  superposées,  une 
rangée  oîi  l'inclinaison  est  à  droite  étant  surmontée  d'une 
autre  où  l'inclinaison  est  à  gauche,  et  ainsi  de  suite,  de  telle 
sorte  que  les  éléments  de  deux  assises  voisines  ont  l'aspect  d'épis 
couchés  ou  de  séries  de  chevrons  ^  Des  pierres  plus  grosses, 
qu'on  a  taillées  quelque  peu,  prennent  place  aux  angles  du 
bâtiment  et  dans  le  cadre  de  la  porte.  Ces  divers  assemblages 
ne  sont  pas  liés  avec  du  mortier,  mais  il  est  probable  que,  jadis 
comme  aujourd'hui,  on  bouchait  les  interstices  avec  de  la  boue 
argileuse,  mêlée  d'excréments.  Il  se  peut  aussi  que,  de  distance 
en  distance,  on  ait  coupé  la  paroi  en  pierre  par  un  lit  de 
branches,  qui  lui  aurait  donné  plus  de  cohésion  :  ce  procédé 
est  encore  en  usage  dans  l'Aurès^ 

La  forme  ronde,  qui  domina  pendant  longtemps  dans  les 
maisons  des  contrées  européennes  et  que  nous  avons  cons- 
tatée en  Berbérie  pour  une  partie  des  huttes,  se  rencontre 
rarement  dans  les   ruines   d'habitations   en    pierre^;    elle    est 

1.  On  le  rctroiivo  lï  Malle  :  A.  Mayr,  Die  Inscl  Malin  iin  Allertum,  p.  41. 

2.  Voiriot,  Hull.  d'Oran.  191G,  p.  272.  Voir  aussi  Bertholoii  et  Chantre,  Recherches 
cnlhro[io(.  dans  la  Berbérie  orientale,  1,  p.  432.  Etc. 

3.  Voir  llamy,  l.  c,  p.  52,0."). 

4.  Masqueray,  Fo/-ma/ion  dm  cilrs,  p.  1.54.  Cela  rappelle  les  traverses  en  bois  que 
l'on  encastrait  souvent  dans  la  rnanoniieric  en  Crète,  au  second  millénaire 
avant  J.-C. 

5.  On  en  a  sip:nalé  quelques  exemples.  Voir  La  Blanch«>re,  /.  c,  p.  32  (prés  de 
Saidtt,  en  Oranie);  Joly,  Ftev.  afnc,  LUI,  l'JOO,  p.  14  et  11^.23,  26  (Alj;éric  cen- 
trale). 


HABITATIONS.  227 

aujourd'hui  abondonnée.  Il  est  impossible  de  dire  si,  à  une 
époque  reculée,  elle  était  fréquente.  Nous  étudierons  plus  tard' 
des  sépultures  en  pierres  sèches,  les  chouchet  (c'est-à-dire  «  les 
calottes  »),  qui  ressemblent  à  des  tours  basses;  mais,  si  l'on 
voulait  soutenir  qu'elles  ont  été  faites  à  l'imitation  de  maisons, 
on  n'aurait  aucun  bon  argument  à  présenter  en  faveur  de  cette 
opinion.  Remarquons  pourtant  que  les  habitations  en  pierre 
des  Guanches  étaient  beaucoup  plus  souvent  rondes  ou  ellip- 
tiques que  quadrangulaires^  :  eu  égard  à  la  parenté  de  la  civi- 
lisation des  insulaires  des  Canaries  avec  celle  des  Berbères 
primitifs,  nous  pouvons  nous  demander  si  ces  derniers  n'ont 
pas,  eux  aussi,  fait  largement  usage  de  la  forme  circulaire. 

La  forme  quadrangulaire  prévalut.  Peut-être  faut-il  admettre 
des  influences  orientales'.  Mais  ce  n'est  pas  là  une  hypothèse 
nécessaire.  Cette  forme  est  plus  commode  que  la  forme  ronde, 
lorsqu'on  veut  grouper  plusieurs  chambres,  avec  des  parois 
mitoyennes.  Surtout,  elle  permet  de  couvrir  plus  facilement 
l'aire  enfermée  par  les  murs.  Et,  pour  la  même  raison,  la  largeur 
est  généralement  peu  développée,  tandis  que  la  longueur  l'est 
plus  ou  moins,  selon  l'espace  dont  on  a  besoin  :  le  bâtiment  a 
une  forme  oblongue.  En  effet,  la  couverture,  toit  ou  terrasse, 
ne  peut  s'étendre  beaucoup  dans  le  sens  de  la  largeur  :  autrement, 
elle  exigerait  des  perches  très  grandes  et  très  fortes,  qu'on  ne 
trouve  pas  aisément. 

Le  toit  est  soutenu  par  une  poutre,  traversant  la  salle  au 
milieu,  parallèlement  aux  côtés  longs.  Chacune  des  extrémités 
de  cette  poutre  de  faîte  repose  souvent,  non  sur  l'un  des  deux 
côtés  courts,  mais  sur  un  poteau,  drossé  verticalement;  on  l'a 
taillé  dans  un  arbre,  de  façon  à  ménager,  à  l'intersection  du 
tronc  et  d'une  grosse  branche,  une  fourche  dans  laquelle  la 

1.  T.  VI,  I.  Il.ch.iii,  §  VI. 

2.  Verneau,  liev.  d\'lhiw:iraphic,\U\,  1890,  p.  243,  244,  248,  249. 

3.  Surtout  pour  les  conslruétions  en  terre,  apparentées  aux  maisons  rectangu- 
laires en  bri(iues  crues  de  la  Mésopotamie  et  de  l'Kgypte. 


228  EXPLOITATION  DU   SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

poutre  puisse  s'encastrer.  Si  la  salle  est  trop  longue  pour  les 
poutres  dont  on  dispose,  on  en  met  deux  ou  trois  bout  à  bout, 
et  des  poteaux  fourchus  les  soutiennent.  Des  perches  inclinées 
s'appuient,  d'une  part,  sur  ce  faîte,  d'autre  part,  sur  la  crête 
d'un  des  deux  murs  longs,  et  constituent  une  carcasse  en  dos 
d'âne.  Là-dessus,  sont  posés  en  travers  des  roseaux  ou  des 
lattes,  qui  portent  un  lit  épais  de  débris  végétaux,  diss,  alfa, 
palmier  nain,  chaume,  algues,  etc.  Souvent,  ce  toit  est  recouvert 
d'une  couche  de  terre  glaise,  le  rendant  imperméable.  L'emploi 
de  tuiles  cuites  semi-cylindriqueS;  de  ces  tuiles  qu'on  appelle, 
dans  le  Midi  de  la  France,  «  tuiles  romaines  »,  est  certainement 
dû  à  des  influences  étrangères,  soit  romaines,  soit  plus 
récentes,  andalouses  ou  autres  :  on  le  constate  dans  quelques 
villes  '   et  dans  les   villages  de  la  Grande  Kabylie  -. 

Les  terrasses^  sont  constituées  par  des  perches  posées  dans 
le  sens  de  la  largeur,  par  des  lattes  ou  des  rondins  que  ces 
perches  soutiennent,  enfin  par  une  couche  d'argile  damée.  Elles 
protègent  mieux  qu'un  toit  contre  les  températures  excessives; 
si  elles  supportent  moins  bien  les  fortes  chutes  de  neige  et  les 
pluies  torrentielles,  elles  résistent  mieux  aux  vents  violents;  en 
été,  elles  oiîrent  un  espace  frais  pour  le  repos  du  soir  et  le 
sommeil  de  la  nuit;  elles  sont  des  observatoires  et,  au  besoin, 
des  postes  défensifs,  quand  les  maisons  s'étagent  sur  des 
pentes,  ce  qui  est  très  fréquent  en  Berbérie. 

On  trouve  des  terrasses,  non  seulement  dans  la  plupart  des 
villes,  —  dans  toutes  celles  du  Sud  et  dans  la  majorité  de  celles 
du  Tell,  —  mais  aussi  dans  des  villages,  en  des  pays  où  l'on 
s'attendrait  plutôt  à  rencontrer  des  toits  :  par  exemple,  dans  le 
massif  montagneux  de  l'Aurès,  sur  les  pentes  méridionales  du 

1.  P.  ex.,  fQ  Tunisie,  li  Tébourba.  Testour,  Tél)Oursouic  (Bertholon  et  Chantre, 
l.  c,  p.  428);  en  Algérie,  ù  Constaniine,  Mila,  Clu-rchel  (A.  Uernard,  Enquête  sur 
Vliabilat.  rurale  de  VAbjérie,  p.  94). 

2.  Où  ces  toits  en  tuiles  sont  très  répandus  aujourd'hui,  mais  étaient  encore 
rares  au  début  de  la  con(|u6le  française. 

3.  Sur  ce  mode  de  couverture,  voir  Bernard,  l.  c,  p.  31  et  suiv. 


HABITATIONS.  22^ 

DJLirdjiira,  dans  l'Atlas  marocain.  Pourtant  ce  mode  de  cou- 
verture des  maisons  convient  surtout  à  des  climats  chauds  et 
secs.  Il  a  dû  être  importé  d'Orient  :  peut-être  d'Éjrypte,  pour 
les  oasis;  peut-être  de  Phénicie,  pour  les  lieux  voisins  du 
littoral.  Les  maisons  de  Carlhage  étaient  pourvues  de  ter- 
rasses'. De  même,  celles  de  la  ville  numide  de  Vaga  (Béja),  à 
la  fin  du  if  siècle  avant  J.-C.  :  ce  que  nous  apprend  un  épi- 
sode de  la  guerre  de  Jugurtha,  raconté  par  Salluste'. 

Nous  ne  saurions  dire  dans  quelle  mesure  les  Berbères  d'alors 
avaient  adopté  la  terrasse.  Elle  est  assurément  postérieure  chez 
eux  au  toit  à  double  pente.  C'était  ce  toit  qui,  comme  Salluste 
l'indique,  coiffait  les  huiles  oblongûes  en  branchages,  inca- 
pables d'ailleurs  de  porter  une  terrasse.  Des  huttes,  il  avait  dû 
passer  sur  les  habitations  construites  en  pierre'. 

Les  maisons  des  indigènes  n'ont,  pour  la  plupart,  qu'une 
chambre.  La  baie  de  la  porte  est  la  seule,  oa  presque  la  seule 
ouverture.  Il  n'y  a  pas  de  fenêtres;  souvent,  cependant,  une  ou 
plusieurs  petites  lucarnes  sont  ménagées  vers  le  haut  des  murs. 
A  l'intérieur,  le  sol  est  en  terre  battue.  Au  milieu,  un  trou 
circulaire,  très  peu  profond,  constitue  le  foyer,  pour  le 
chauffage  et  surtout  pour  la  cuisine;  trois  pierres  y  sont  dis- 
posées en  triangle,  de  manière  à  porter  plats  et  marmites.  La 
fumée  s'échappe  par  la  porte  ou  par  les  lucarnes,  quelquefois 
aussi  par  un  trou  qui,  s'ouvrant  dans  le  toit,  fait  office  de 
cheminée.  Fréquemment,  cette  salle  unique  est  divisée  par  une 
murelte  en  deux  compartiments,  dont  l'un  sert  de  logeuient, 
l'autre    d'écurie   et    d'élable   pour    les   chevaux   et  les  bo-ufs. 


1.  Voir  t.  m,  p.  399. 

2.  Jug.,  L.WII,  1  :  «  lauliorcs  puerique  pro  tectis  aediflciorum  saxa  elalia,  quae 
locu.s  praebcl.at,C(Mlatiiii  iinUevo  »  (sur  des  soldats  romains  qui  passent  dans  les 
rues).  . 

3.  Quant  aux  maisons  surmonlécs  de  voûtes  et  de  coupoles  maçonnées,  ce  mode 
de  couverture,  usité  dans  le  Sud,  depuis  l'île  de  Djerba  jusqu'au  Souf,  s'explique 
par  le  manque  de  bois;  il  paraît  avoir  été  importé  d'Orient.  Voir  il.  Basset, 
llespéris,  1924,  [).  310.  Je  n'en  connais  pas  d'exemples  remontant  ii  l'antiquité. 


-230  EXPLOITATION  DU   SOL   ET  MODES  D  HABITATION. 

Hérodote  aurait  pu  dire  des  Libyens  ce  qu'il  disait  des  Egyp- 
tiens *  :  qu'ils  habitaient  avec  leurs  animaux  domestiques. 

D'ordinaire,  la  maison  ne  s'ouvre  pas  directement  sur  la 
campag-ne  ou  sur  la  rue  du  village.  Elle  est  précédée  d'une 
cour,  plus  ou  moins  grande,  qu'entoure  une  enceinte,  de  forme 
rectangulaire  ou  circulaire^  ;  soit  une  haie  morte  en  branches 
épineuses^,  soit  un  mur  en  pierres  sèches.  Cette  cour  précède 
aussi  beaucoup  de  gourbis^.  Elle  isole  le  logis  et  le  défend  des 
regards  indiscrets;  en  général,  la  porte  qui  y  donne  accès 
n'est  pas  dans  l'axe  de  celle  de  la  maison.  C'est  là  qu'on 
parque  la  nuit  les  moutons  et  les  chèvres,  à  l'abri  des  voleurs 
et  des  fauves  ;  là  que  les  femmes  vaquent  à  des  travaux  qu'il 
leur  est  plus  commode  d'accomplir  en  plein  air  et  en  pleine 
lumière;  là  qu'on  prend  le  frais  dans  les  soirées  d'été.  Par- 
dessous,  on  creuse  quelquefois  de  petits  celliers  pour  les  grains  ^ 

Telle  est  la  maison  berbère  sous  sa  forme  la  plus  simple. 
^lais  la  chambre  unique  ne  suffit  pas  toujours  à  ceux  dont  la 
demeure  est  limitée  par  l'enceinte  de  la  cour.  Plusieurs 
chambres  s'élèvent  cote  à  côte,  et  chacune  d'elles  abrite  un  des 
ménages  d'une  famille  dont  les  membres  mâles  ne  se  sont  pas 
séparés  après  avoir  contracté  mariage.  Le  désir  d'un  peu  plus 
de  bien-être  crée  des  locaux  accessoires;  l'écurie  et  l'étable 
forment  des  bâtiments  particuliers,  édifiés  en  branchages®  ou 
en  pierres  ;  des  annexes  sont  des  magasins,  des  logements  pour 


1.  Il,  36. 

2.  Pour  des  ruines  d'enceiiilcs  circulairos,  voir,  p.  ex..  Carton,  Bull,  de  Sousse, 
VU,   1909,  p.  95;  Joly,  Rev.  afric,  LUI,  1909,  p.  14,  fiir.  2.5  et  26. 

3.  Nalurelletnent,  l'oxislenco  de  cette  haie  autour  d'hai)ilations  antiques  est  une 
hypoliièse.  .\ujourd'liui,  {"enceinte  est  souvent  une  haie  vive,  formée  de  cactus. 
.Mais  celte  [)iante  est  d'orif^ine  américaine  et,  par  conséquent,  d'importation 
Técente  en  Berhéric. 

4.  Des  ruines  d'enceintes,  aujourd'hui  vides,  peuvent  avoir  enfermé  des  huttes, 
non  des  maisons.  Voir,  p.  ex.,  Voiuot,  Bull.  d'Oran,  1913,  p.  521  ;  1910,  p.  268, 
269  (Maroc  oriental). 

5.  Voir  [..a  nianchérc.  Arch.  des  Missions,  3'  série,  X,  p.  55  et  pi.  VII,  flg.  4,  n"  2; 
-Carton,  Bull,  de  Sousse.  VII,  1909,  p.  9,");  Campardou,  Bull.  d'Oran,  1921,  p.  188, 

6.  Cas  fréquent  dans  le  Nord  do  la  Tunisie. 


habitations:  231 

les  serviteurs',  des  chambres  pour  les  hôtes ^  De  là,  des  types 
de  maisons  très  variés.  Il  est  fort  rare,  dans  les  campagnes  et 
dans  les  bourgs,  qu'elles  soient  pourvues  d'un  étage;  quand 
elles'  en  ont  un  %  il  sert  à  l'habitation,  le  rez-de-chaussée  étant 
une  écurie  ou  une  étable. 

Des  fermes  isolées  peuvent  être  fortifiées  ;  celles  des  Berbères 
de  l'île  de  Djerba  offrent  des  bastions  aux  quatre  angles  \  dis- 
position que  l'on  retrouve  au  Maroc  ^  et  qui  n'était  pas  inconnue 
dans  l'antiquité  ^ 

1.  Le  roi  Hiempsal,  qui  occupe  dans  une  petite  ville  la  maison  d'un  Numide, 
s'enfuit  devant  des  assassins  et  va  se  cacher  dans  la  cabane  d'une  servante 
(«  tugurio  mulieris  ancillae  ••)  :  Salluste,  Jug.,  XII,  5. 

2.  Pour  des  ruines  d'habitations  à  plusieurs  chambres,  voir,  p.  ex.,  La  Blan- 
chère,  l.  c,  pi.  VII,  lig.  4,  n"  2;  Joly,  l.  c,  p.  14,  fig.  26-28. 

3.  C'est  surtout  au  Maroc  qu'on  trouve  des  exemples  de  ces  maisons  rurales  à 
étage. 

4.  Bernard,  Enquête  sur  riiabit.  rurale  de  Tunisie,  p.  38. 

5.  Tighremt,  maison-forteresse  de  l'Atlas  :  voir,  entre  autres,  P.  Ricard,  Pour  com- 
prendre Vart  musulman,  p.  GO. 

6.  Bell.  Afric,  XL,  1  :  «  Erat  in  eo  campo...  villa  permagna,  turribus  IV  in- 
structa.  »  Mais  nous  sommes  là  dans  la  région  d'Hadrumète,  colonie  phénicienne, 
et  dans  la  province  romaine.  Celte  ferme  n'était  peut-être  pas  une  construction 
indigène. 


CHAPITRE  III 
LIEUX   HABITÉS 

I 

Les  pasteurs  doivent  se  disséminer  avec  leur  bétail  dans  la 
campagne,  où  ils  ont  leurs  demeures  :  aujourd'hui,  des  tentes; 
dans  l'antiquité,  des  mapalia  mobiles  ou  fixes.  Quant  aux  agri- 
culteurs, nous  avons  indiqué'  les  raisons  pour  lesquelles  ils  se 
sont  groupés  dans  des  villages.  De  nos  jours  encore,  malgré 
la  sécurité  qui  règne  sur  la  majeure  partie  de  la  Berbérie,  la 
plupart  des  cultivateurs  indigènes  répugnent  à  habiter  des 
fermes,  des  hameaux  isolés*.  Il  y  avait  cependant  de  ces  fermes 
même  avant  la  paix  romaine  ^  :  la  commodité  de  résider  sur 
les  lieux  où  l'on  avait  à  travailler,  les  ressources  en  eau  qu'y 
pouvaient  fournir  des  fontaines  ou  des  puits,  y  retenaient  des 
familles  qui  ne  craignaient  pas  trop  les  risques  et  l'ennui  de 
la  solitude. 

Malgré  leur  dispersion,  ces  gens,  pasteurs  ou  agriculteurs, 

1.  p.  02. 

2.  Hépu^nance  qui  u'esl  pas  f^éuéralp.  Par  exemple,  dans  l'île  de  Djerba,  les 
hnbilalions  rurales  sont  d'ordinaire  isolées  au  milieu  des  vergers.  On  trouve  des 
fermes  disséminées  parmi  les  champs  ciillivés  dans  la  Tunisie  centrale,  dans  le 
centre  du  déparicmeni  de  Con^lanline,  dans  le  djebel  (Ihenoua  (prés  de  Gher- 
chel),  dons  l'Esl  du  Itif,  chez  les  liaha  el  les  Chiadma  (.Maroc  occidental),  etc. 
Mais  il  se  peut  que,  pour  cerlainos  de  ces  régions,  la  dispersion  des  habitations 
ne  soil  pas  très  ancienne  :  voir,  pour  les  llaiia,  .Montagne,  I[esi)éris,  1924, 
p.  320. 

3.  Kn  101),  les  bords  du  Miitliul  (oued  Mellègue),  plantés  d'arbres,  étaient,  dit 
Salluste  (Jug.,  .\LV111,  4),  garnis  de  troupeaux  el  de  cultivaleur.>^. 


LIEUX   HABITES.  233 

appartenaient  à  un  groupe  social  dont  le  devoir  le  plus  impor- 
tant était  de  protéger  la  vie  de  ses  membres.  Sur  le  territoire 
que  ce  groupe  regardait  comme  sien,  il  fallait  un  lieu  qui,  en 
cas  de  guerre,  d'invasion,  servît  d'abri,  sinon  à  tous,  du  moins 
aux  non-combattants,  où  l'on  put  aussi  mettre  hors  de  l'atteinte 
des  ennemis  le  bétail  et  les  choses  auxquelles  on  attachait 
du  prix. 

Asiles,  refuges,  que  la  nature  oITre  abondamment  en  Afrique. 
Ce  sont  des  croupes  s'allongeant  en  pointe  entre  deux  ravins, 
ou  presque  entièrement  ceintes  par  la  boucle  d'une  rivière,  des 
crêtes    escarpées,    surtout   des    plateaux    aux    flancs    abrupts, 
n'ayant  d'accès  que  par  un  isthme  étroit  ou  une  montée  difficile. 
Presque   horizontales   ou   plus   ou  moins    déclives,    ces  tables 
couvrent   parfois   de    larges   espaces  *   :  telles  la  hammada  de 
Kessera,  dans  la  Tunisie  centrale,  la  Kalaat  Senane,  au  Nord- 
Est  de  Tébessa,  la  table  du  Djahfa,  au  Nord-Est  de  l'Aurès,  la 
JMestaoua,  qui  se  dresse  à  quelque  distance  au  Nord-Ouest  de 
ce  massif  et  qu'ont  encore  occupée,  il  y  a  un  demi-siècle,  des 
indigènes  rebelles;   tel   aussi   le   rocher  de  Constantine,   qui, 
avant  de  porter  une  ville,  a  pu  être  un  asile  pour  les  popula- 
tions   environnantes.   D'autres  hauteurs  ou  plateaux,  qui  ont 
servi  de  refuges,  sont  d'une  étendue  bien  plus   modeste,  soit 
parce  qu'ils   n'étaient   pas  destinés  à  recevoir  des   hôtes  très 
nombreux,    soit  parce    que   les   gens   d'alentour,    n'ayant   pas 
trouvé    mieux,  se  résignaient  à  s'y  entasser.   Il   va  sans  dire 
qu'on  recherchait  surtout  les  lieux  pourvus  d'une  ou  plusieurs 
sources,  ceux  qui,  tout  au  moins,  dominaient  des  sources,  des 
rivières  où  l'on  pouvait  faire  des  provisions  d'eau. 

Souvent,    les    défenses   naturelles,    profonds    ravins,    parois 
rocheuses,  suffisaient   presque  pour  décourager  l'ennemi.   La 

1.  Conf.  Masqueray,  Rev.  afric,  XXII,  1878,  p.  137;  Moncliicourl,  La  ré<iion  du 
Haul-Tell  en  Tunisie,  p.  415  et  suiv.  Pour  la  lable  du  Djahfa,  voir  (îsell.  Allas 
archéol.  de  V Algérie,  f"  39  (Ghéria),  n"  3;  pour  la  Meslaoua,  ibid.,  f°  27  (Ualna),  au 
Nord  du  a"  108. 


234  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

rempart  n'était  nécessaire  que  là  où  débouchait  le  sentier  par 
lequel  on  faisait  l'ascension,  là  où  s'étendait  l'isthme  qui  reliait 
le  plateau  à  la  hauteur  voisine.  On  élevait  donc  sur  ce  point 
une  muraille  de  barrage,  en  n'y  réservant  qu'un  passage  très 
étroit  pour  l'entrée*.  Ailleurs,  il  pouvait  être  utile  de  construire 
çà  et  là  quelques  autres  murs,  afin  de  protéger  des  points 
faibles.  Parfois  même,  deux  murs  se  succédaient  sur  une  pente, 
le  second  renforçant  le  premier^.  Mais  on  n'a  que  rarement 
éprouvé  le  besoin  d'entourer  le  refuge  d'une  enceinte  continue. 
Ces  remparts  sont  construits  en  blocs  bruts,  assemblés  à  sec. 
Ici,  les  pierres  s'entassent  presque  sans  ordre;  là,  elles  se 
superposent  en  assises  grossières,  qui  sont  en  retrait  les  unes 
sur  les  autres';  là,  nous  retrouvons  le  mur  dit  berbère*^ 
avec  deux  parements  en  gros  matériaux  et  un  remplissage  en 
moellons  ^ 

En  principe,  le  refuge,  destiné  à  n'être  occupé  que  temporai- 
rement et  le  moins  longtemps  possible,  ne  comporte  pas 
d'habitations  construites  en  matériaux  durables.  Et,  de  fait,  il 
n'y  a  pas  de  ruines  dans  beaucoup  de  ces  lieux.  On  s'y  instal- 
lait au  hasard,  sous  des  peaux,  sous  des  huttes  improvisées,  ou 
simplement  en  plein  air.  Cependant,  là  où  l'on  ne  disposait  pas 
d'une  source,  où  l'on  n'avait  pas  dans  le  voisinage  immédiat 
quelque  rivière  dont  l'ennemi  ne  pût  interdire  l'accès,  il  était 
bon  de  constituer  des  réserves  d'eau  :  certains  refuges,  qui  ne 

1.  Dont  l'api)roclie  pouvait  ùtre  iril(»rdil(>  {^ràce  à  des  disposilions  particulières. 
Tissol  (Géogr.,  I,  p.  499)  écrit,  ;i  propos  d'un  refuge  du  Maroc  :  «  Les  portes  de 
l'enceinte  .sont  délilées  et  décrivent  un  anj^le  vers  la  gauche,  de  façon  à  livrer 
aux  coups  do  Tassiégé  le  flanc  droit  do  l'assaillant  (|ui  aurait  tenté  d'eu  forcer 
l'accès.  » 

2.  Voir,  p.  ex.,  de  Bosredon,  liée,  de  Constanline,  XVIII,  1876-7,  p.  424  (au 
djebel  Osmor,  près  de  Téliessa);  Jacquet,  ihid.,  \\A,  l'.)07,  p.  156  et  plan  (conf. 
Gsell,  Allas  archéoL,  f  20,  Mon  Taleb,  n°  84);  Levistrc,  Anlhropos,  II,  1907,  p.  138 
(région  de  Duvivier,  au  Sud  de  Hi'tiie).  Ces  tnurs  peuvent  n'dtre  pas  toujours  con- 
temporains l'un  de  l'autre. 

3.  Hefuge  du  djebel  cl  Kalaa  :  Alla\  arclu'ol.  de  la  Tunisie,  ("  Tozegrane, 
n"  130. 

4.  V.  supra,  p.  22."». 
.').  Jacqudt,  l.  c. 


LIEUX  HABITÉS.  23b 

paraissent  pas  très  anciens,  sont  pourvus  de  citernes  ou  de 
bassins  \ 

La  pensée  dut  venir  de  bonne  heure  que  ces  asiles,  néces- 
saires en  temps  de  guerre,  pouvaient  être  utiles  en  d'autres 
temps;  qu'ils  étaient  propres  à  contenir  des  magasins,  où  ce 
qu'on  apporterait  serait  plus  en  sûreté  que  dans  la  campagne  : 
surtout  les  grains,  dont  les  pasteurs  mêmes  avaient  besoin  et 
qu'ils  se  procuraient  par  des  moyens  violents  ou  pacifiques. 
Pour  y  veiller,  il  suffisait  de  quelques  hommes.  C'est  ainsi 
qu'aujourd'hui  encore,  des  nomades  ont,  au  Sud  de  l'Algérie, 
dans  l'Atlas  saharien,  des  ksoui\  sortes  de  places  fortes  qui  leur 
servent  d'entrepôts  pour  leurs  grains,  leurs  dattes,  leurs  laines, 
et  oîi  n'habitent  en  permanence  qu'un  petit  nombre  de  gens 
de  basse  condition,  chargés  de  la  garde'-. 

Il  pouvait  arriver  aussi  que  le  chef  de  ceux  qui  vivaient  aux 
alentours  crût  bon  de  se  ménager,  dans  le  refuge,  une  maison 
solide,  résidence  et  magasin'''  :  ce  qu'on  appelle  en  arabe  un 
bordj'".  Il  s'y  trouvait  plus  en  sécurité  et  avait  sous  la  main  ses 
provisions  et  ses  richesses  mobilières;  quant  à  ses  troupeaux, 
dispersés  dans  la  campagne,  il  laissait  à  des  parents,  à  des  ser- 
viteurs, le  soin  de  les  surveiller. 

On  connaît  des  centaines  d'anciens  refuges  dans  l'Afrique  du 
Nord,  surtout  en  Algérie^;  car,  en  Tunisie,  le  village  fortifié, 

1.  Pelil  bassin  dans  un  refuge  du  djebel  Osnior  :  Bosredon,  l.  c.  Bassins 
d'époque  indélerminée  à  la  Kalaat  Senane  :  MouchicourI,  L  c,  p.  416. 

2.  V.  supra,  p.  198. 

3.  Telle  a  pu  élre  la  destination  de  la  forleresse  berbère  qui  se  dresse  sur  un 
piton,  à  l'e.xtrémité  Nord-Est  de  la  table  du  Djahfa  (Gsell,  Atlas,  f°  39,  n"  3;  Rinn, 
Bev.  afric,  XXIX,  1885,  p.  208).  Elle  est  construite  en  «  gros  blocs  de  rocher,  en 
partie  taillés  et  fort  adroitement  ajustés  »  ;  Vaissière,  Rev.  afric,  XXXVll,  1893, 
p.  137.  Elle  n'appartient  peut-ôtre  (ju"aiix  derniers  temps  de  l'antiquité.  —  Fortin 
en  blocs  bruts,  occupant,  près  de  Duvivier,  le  sommet  d'un  mamelon,  dont  une 
double  enceinte  a  fait  un  refuge  :  Levislre,  Anlhropos,  11,  1907,  p.  138. 

4.  Mot  qui  parait  se  rattacher  au  grec  Ttjpyo;  (<;onf.  en  langue  germanique  et 
en  latin  barg  et  burgus). 

.j.  Où  ils  n'ont  guère  été  étudiés.  Pour  ceux  de  l'intérieur  des  départements 
d'Alger  et  d'Oran,  voir  Joly,  Hev.  afric,  LUI,  1909,  p.  l:M4.  Dans  le  centre  du 
département    de    (lonstanline    :    Mauinené,    Ucv.   archcoL,   1901,   11,    p.   33-34.  Ua 


236  EXPLOITATION   DU   SOL  ET   MODES  D'HABITATION.       ' 

habité  d'une  manière  permanente,  semble  avoir  prévalu  de 
bonne  heure  sur  l'asile  temporaire ^  Ils  paraissent  être  nom- 
breux aussi  au  Maroc-,  dont  l'étude  archéologique  est  à  peine 
commencée.  Même  dans  des  régions  mieux  explorées,  il  en 
existe  certainement  beaucoup  qui  n'ont  pas  été  signalés.  Leurs 
vestiges  sont  d'ordinaire  très  maigres  et  ne  se  révèlent  qu'à 
des  regards  attentifs  :  des  tessons  qui  jonchent  un  plateau  ou 
une  croupe;  quelques  bouts  de  remparts,  qui  ont  gardé  leur 
cohésion  sur  une  faible  hauteur,  tandis  qu'ailleurs,  les  pierres 
de  ces  murailles  se  sont  écroulées  et,  n'ayant  pas  été  taillées, 
ne  peuvent  témoigner  de  leur  emploi  par  Ihomme. 

Comme  pour  toutes  les  ruines  berbères,  il  est  difflcile,  ou 
même  impossible,  de  dater  ces  refuges,  en  usage  depuis  l'anti- 
quité, et  sans  doute  depuis  une  très  haute  antiquité,  jusqu'à 
une  époque  rapprochée  de  nous.  Le  mode  de  construction  des 
murailles  ne  donne  pas  d'indices,  à  moins  que,  par  hasard, 
quelques  pierres  de  taille,  empruntées  à  des  ruines  romaines 
voisines,  n'y  aient  pris  place;  encore  conviendrait-il  de  savoir 
si  ce  ne  sont  pas  des  réparations  partielles  \  Des  silex  taillés, 
recueillis  à  l'intérieur  du  refuge,  prouvent  une  occupation  fort 
ancienne*,  mais  ne  prouvent  pas  que  les  murailles  derrière 
lesquelles  ils  se  rencontrent  aient  été  élevées  dès  les  temps  où 
ils  servaient  d'outils  et  d'armes.  11  n'y  a  rien  à  conclure  des 
tessons  de  poteries  berbères  non  décorées,  puisque  ces  pote- 
refuge  silué  à  Tideniatiae,  près  de  Saida  (déparlement  d'Oran),  a  t-lé  décrit  par 
La  Illanchère,  Arcli.  des  Missions,  3*  série,  X,  p.  46,  pL  IV. 

1.  Conf.  Tissol,  Géogr.,  I,  p.  491).  Appien  {Lib.,  101)  nous  montre  des  Libyens  se 
réfu;^iant,  au  milieu  du  ii°  siècle  avani  J.-C,  dans  des  lours  cl  des  lieux  fortifiés, 
TT'jpyo-j;  -xa'-.  cppo-jp'.a,  qui,  dit-il,  étaient  nombreux  dans  le  pays  (il  s'agit  du  lerri- 
loire  carthaginois).  Le  mot  Tr-jpyo'.  pourrait  désigner  ici  des  refuges,  el  çpojpta 
des  villages  fortifiés.  Cependant  on  peut  aussi  bien  admettre  que  ces  deux  mots 
soni  synonymes  et  s'appliquent  à  des  villages  :  v.  infra,  p.  240. 

2.  Tissol,  L  c,  p.  4'.t.S-9. 

3.  11  y  a  en  Afrique,  dans  des  campagnes  romanisées,  des  refuges  don!  les 
murailles  sont  tout  à  fait  de  type  byzantin  et  ne  peuvent  être  antérieures  au 
VI'  siècle  :  voir  Gsell,  Monuments  antiques  de  l'Algérie,  11,  p.  392-5. 

4.  Voir  JacquoI,  Rer.  de  (Jonslanline,  XLI,  1907,  p.  150;  Joly,  Hev.  afric,  LUI, 
1909,  p.  14. 


LIEUX   HABITÉS.  237 

ries  se  ressemblent  toutes,  qu'elles  soient  préhistoriques  ou 
modernes.  Des  débris  de  vases,  faits  au  tour  dans  des  fabriques 
romaines  ou  plus  récentes  encore,  attestent  seulement  que  le 
refuge  a  été  occupé  en  pleine  époque  historique;  des  fouilles 
permettraient  peut-être  de  dire  s'il  l'a  été  beaucoup  plus  tôt. 
Parfois,  aux  abords,  s'élèvent  des  dolmens,  sépultures  dont  les 
plus  récentes  ne  doivent  pas  être  postérieures  aux  premiers 
siècles  de  notre  ère'  :  il  est  vraisemblable  qu'on  a  voulu  éta- 
blir ces  demeures  des  morts  auprès  de  l'asile  des  vivants,  et 
nous  avons  ainsi  une  indication,  assez  vague,  du  temps  où 
ceux-ci  faisaient  usage  du  refuge. 

Diodore  de  Sicile"  décrit,  on  ne  sait  d'après  quel  auteur,  les 
mœurs  de  Libyens  habitant,  non  pas  la  Berbérie,  mais  le 
Sahara  oriental,  brigands  qui  allaient  faire,  en  dehors  du 
désert,  de  rapides  expéditions  de  pillage.  «  Leurs  chefs,  dit-il, 
ne  résident  pas  dans  des  villes  (toâsi.ç^);  mais  ils  ont  des  tours 
(Ti'jproi.),  près  de  lieux  oii  il  y  a  de  l'eau,  et  ils  y  déposent  ce 
que,  dans  leur  butin,  ils  mettent  en  réserve.  »  Plus  d'un  sei- 
gneur numide,  maure  ou  gétule  devait  en  faire  autant. 

Au  VI''  siècle  après  J.-C,  labdas,  prince  de  l'Aurès,  effrayé 
de  l'approche  d'une  armée  byzantine,  fit  conduire  ses  femmes 
et  porter  ses  trésors  dans  une  tour  (-ypro;),  construite  bien 
longtemps  auparavant,  refuge  presque  inaccessible  sur  un 
rocher  entouré  de  profonds  précipices*. 

D'autres  textes  anciens,  que  j'ai  déjà  cités^,  mentionnent  des 
lieux   très   difficiles  d'accès,  où   sont  établis   des  magasins  de 


1.  Ooliui'ii.-  auprès  d'un  refuge  voisin  de  Tébessa,  au  djebel  Osraor  :  Faidherbe, 
Duli.  d'Hi[)iJon('.,  [V,  1868,  p.  70;  de  Bosredon,  Rec.  de  Conslantine,  XVllI,  1876-7, 
p.  424;Duprat,  iiid.,  XXIX,  1894,  p.  .^544-5.  Une  centaine  de  dolmens  autour  d'un 
refuge  voisin  de  Duvivier  :  Levislre,  Anthropos,  II,  1907,  p.  138.  Nécropole  de 
doiriiciis  auprès  d'un  refuge,  non.  loin  de  Djelfu  :  H.irtm.i)er,  Rev.  afric,  XXIX, 
1885,  p.  14'2  (conf.  Gsell,  Mon.  ant.,  1,  p.  1;}). 

2.  m,  49,  3. 

3.  Mot  qui  signifie  aussi  «  village  »  :  v.  infra,  p.  240. 

4.  Procope,  Bell.  Vand.,  II,  20,  23. 
ri.  P.  144,  n.  2. 

Gsi;i,i..  —  Afrii|Uo  du  Nord.  V.  10 


238  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

grains,  et  gardés  des  trésors.  Ce  sont  des  châteaux  royaux^ 
appartenant  aux  souverains  de  la  Numidie.  Mais,  par  leur  site, 
ils  ressemblent  fort  à  ces  refuges  où,  depuis  des  siècles,  des 
campagnards  berbères  enferment  leurs  familles  et  souvent 
s'enferment  eux-mêmes  aux  heures  de  danger,  et  qui,  fréquem- 
ment, sont  munis  de  greniers,  d'entrepôts,  utilisés  en  tout 
temps. 

Il 

Fort  loin  dans  le  passé,  des  Africains  qui  ignoraient  l'élevage 
et  l'agriculture  s'étaient  réunis  par  groupes  compacts  en  des 
lieux  où  les  témoignages  de  leur  séjour  couvrent  entièrement 
des  milliers  de  mètres  carrés'.  C'étaient  là  de  véritables  vil- 
lages. Nous  avons  constaté  que  beaucoup  d'emplacements  avaient 
été  choisis  en  tenant  compte  de  la  proximité  de  l'eau  et  de  la 
facilité  de  la  défense,  ces  conditions  essentielles  des  établisse- 
ments humains  en  Berbérie^ 

L'élevage,  combiné  avec  la  chasse,  n'était  pas  rigoureuse- 
ment incompatible  avec  cette  vie  en  commun,  quand  les  envi- 
rons immédiats  restaient,  en  toute  saison,  assez  riches  en  her- 
bages pour  que  les  troupeaux  n'eussent  pas  trop  de  chemin  à 
faire  entre  le  village  et  les  prés  où  on  les  menait  paître;  quand 
la  sécurité  paraissait  assez  grande  pour  qu'on  pût  les  laisser 
dans  la  campagne  en  les  confiant  à  des  gardiens  peu  nom- 
breux. Mais  il  en  était  rarement  ainsi;  l'élevage,  nous  l'avons 
dit,  exigeait  en  général  la  dispersion  de  ceux  qui  le  pratiquaient. 

Au  contraire,  les  cultivateurs  se  sont  d'ordinaire  agglomérés 
dans  des  lieux  où  ils  avaient  l'eau  à  leur  portée  et  où  leurs 
familles,  leurs  réserves  de  grains  et  leurs  autres  biens  se  trou- 
vaient en   sûreté'.  L'agriculture   a   besoin  de  moins   d'espace 

1.  V.  supra,  p.  27-28. 

2.  Gonf.  t.  I,  p.   181-2,  187. 

3.  V.  supra,  p.  02. 


LIEUX  HABITES.  239 

que  l'élevage  :  le  village  peut  se  garnir  d'habitants,  sans  que 
les  distances  soient  trop  fortes  entre  les  maisons  et  les  champs; 
d'ailleurs,  cette  agriculture  primitive  ne  demande  un  travail 
assidu  que  dans  les  deux  périodes  où  l'on  fait  semailles  et 
labours,  moisson  et  battage'.  C'est  donc  dans  le  village  que 
l'on  demeure  en  permanence,  ou,  du  moins,  pendant  la  majeure 
partie  de  l'année,  car  des  cultivateurs  qui  ont  des  troupeaux 
peuvent  temporairement  émigrer  avec  eux  vers  des  pâturages 
lointains  et  y  vivre  sous  de  légers  abris'. 

Certains  de  ces  villages  existaient  sans  doute  dès  l'époque 
préhistorique;  les  générations  nouvelles  avaient  seulement 
ajouté  la  culture  aux  occupations  de  leurs  ancêtres.  D'autres 
purent  succéder  à  des  refuges,  lorsque  ceux-ci  n'étaient  pas 
d'une  ascension  trop  pénible  et  situés  trop  à  l'écart  des  champs 
exploités,  lorsque  l'eau  y  abondait.  D'autres  enfin  prirent  nais- 
sance sur  des  emplacements  vierges,  au  fur  et  à  mesure  que 
les  indigènes  adoptaient  la  vie  agricole  et  croissaient  en 
nombre.  Dans  le  Tell,  la  plupart  des  Berbères  finirent  par  se 
grouper  en  villages,  ce  que  Pline  l'Ancien  remarquait  au 
i*""  siècle  de  notre  ëre\  Il  en  avait  été  de  même,  pour  les  mêmes 
raisons,  dans  d'autres  pays  méditerranéens,  en  Espagne*,  en 
Ligurie,  en  Albanie. 

C'est  dans  des  villages,  —  on  les  comptait  par  centaines,  — 
que  vivait  presque  toute  la  population  libyenne  que  Carthage 
avait  jadis  assujettie\  Une  partie  d'entre  eux  tombèrent  aux 
mains  de  Masinissa^  Sous  ce  prince  et  ses  successeurs,  le  déve- 
loppement de   l'agriculture   dut  en   faire  éclore    beaucoup   en 

1.  Voir  p.  19.'),  n.  i. 

2.  Ce  que  font  beaucoup  de  moiilac;nards  de  l'Aurès,  qui,  après  les  semailles, 
sortent  de  leurs  villages  el  vont  passer  l'hiver  avec  leurs  troupeaux  à  la  lisière 
du  Sahara. 

3.  V,  1  :  «  castella  ferme  inhabitanl  ». 

4.  A  cet  éjrard,  l'auteur  du  Beiluni  llispanit-nse  (VIII,  3)  fait  une  comparaison 
très  jusiidée  entre  l'Espagne  et  l'Afrique. 

5.  Voir  t.  II,  p.  i04-.5. 

6.  Tive-Live,  XLII,  23.  Apiuen,  fJb.,  GS.  Voir  ici,  t.  III.  p.  3IS,  321. 


240  EXPLOITATION   DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 

Numidie,  et  aussi  transformer  bien  des  groupements  peu 
importants  en  de  gros  bourgs,  là  où  l'abondance  de  l'eau  et  la 
fertilité  des  campagnes  voisines  le  permettaient. 

Villages  et  bourgs  sont  généralement  désignés  dans  les  textes 
latins  sous  le  nom  de  castella\  tandis  que  le  terme  oppida,  qui 
l'accompagne  souvent-,  désigne  des  villes.  Vicus  est  rare^  Il 
répond  au  grec  xwjj(.tj\  Polybe%  suivi  par  d'autres'',  qualifiait 
de  -nÔAs'.s  aussi  bien  les  villages  que  les  villes.  Posidonius  lui 
reprochait  d'avoir  ainsi  élevé  à  la  dignité  de  t:ô},£..-  de  simples 
Tîûpvo'.  d'Ibérie'.  Ce  qui  montre  que  le  mot  -njoyoç  pouvait 
s'appliquer  à  des  villages  fortifiés,  aussi  bien  qu'à  des  refuges^ 
4>ûojp'.ov  répond  mieux  au  latin  castelliitn^ . 

L'archéologie  nous  fait  connaître  en  Berbérie  nombre  d'an- 
ciens villages  ou  bourgs  indigènes.  Beaucoup  ont  continué  à 
être  habités  sous  la  domination  de  Rome,  et  plus  tard  encore, 
souvent  même  jusqu'à  nos  jours,  car  la  source,  qui  a  appelé 
les  hommes,  les  a  retenus  auprès  d'elle.  Et  c'est  au  temps  de  la 
paix  romaine  que  ces  lieux  semblent  avoir  été  le  plus  pros- 
pères :  des  castella  se  sont  alors  transformés  en  villes  ;  les  maisons 
et  les  édifices  bâtis  selon  les  procédés  classiques  ont  remplacé 
les  constructions  africaines.  Mais  quelques  restes  de.  remparts. 


1.  Salhislo,  Jiig.,  LIV,  6;  LXXXVII.  1;  LXXXIX,  1.  Bell.  Afric,  II,  6;  VI,  6; 
XXVI,  6.  Til<;-Live,  XLII,  2.3.  Justin,  XXil,  5,  T).  Plino  l'Ancien,  V,  1.  Castella 
autour  de  Sicca  :  G.  /.  L.,  VIII,  15  609,  i5  72l-L\  îo726;  autour  de  Girt.i  :  Gsell, 
Atlas  archéol.  de  l'Alijérie,  f  17  (Gonslanline),  p.  12.  col.  2. 

2.  Salluste,  Bell.  Afric,  Tile-Live,  II.  ce.  Gonf.  Justin,  /.  c.  :  «  urbes  caslellaque 
Africae  ». 

3.  Tilc-Livo,  XXiX,  30,  7. 

4.  Appieii,  Lih.,  12. 
f).  XIV,  I,  7. 

6.  Strnboii,  XVII,  .'{,  15.  Appien,  Lib.,  08. 

7.  Slrabnn,  III,  4,  13.  El  Sirabon  ajoute  :  «  Les  gens  ([ui  disent  que  ics  Ibères 
ont  plus  de  mille  villes  (7tô/.ei<;)  metleni  en  compte  les  grands  villages  (rà;  (leyâXaî 

8.  Gonf.  supra,  p.  237. 

S).  Appien  (Lib.,  101)  l'ernploii'  dans  le  passaj;e  cité  .su/i/y/,  p.  231),  n.  1.  Sladias- 
mas  inarii  Mnijai,  dans  Geoyr.  Grorci  min.,  I,  p.  4."')S,  S  S  G  :  çpo'jf.iov  [■Japfîàpwv.  Dans 
H^fianax  {Frugm.  Uial.  Graec,  III,  p.  70,  ii°  II),  il  s'aj^it  peut-tHre  d'une  Ibrleresse 
r.iyaie,  non  d'un  bourg  forlidé  :  rouf,  sujifa,  p.  I4'i,  n.  2. 


LIEUX  HABITÉS.  '^41 

qu'on  retrouve  sous  les  murs  romains',  surtout  des  dolmens, 
tout  proches  de  l'espace  couvert  par  les  habitations-,  attestent 
un  passé   antérieur  au   triomphe   de  la    civilisation   latine.  Il 
serait  imprudent  de  joindre  à  ces  témoignages  les  noms  libyques 
que  portent  sous  l'Empire  bien  des  bourgs  et  des  villes  dont 
l'aspect  est  latin:  cesnomsprouventassurémentqueleslieuxqu'ils 
désignent  ont  été  fréquentés  avant  l'époque  romaine,  mais  non 
pas  qu'ils   aient  été   occupés  par  une  population  sédentaire. 
Ailleurs,  ce   sont  des  ruines  d'aspect  berbère  %   c'est-à-dire 
des  ruines  qui,  en  général,  ne  peuvent  être  datées*.  Pourtant, 
des  repères  se  rencontrent  çà  et  là  :  une  citerne,  revêtue  d'un 
ciment  de   confection   romaine^;  quelques  débris  d'un   édifice 
qu'un  personnage  important  de  l'endroit  a  fait  bâtir  par  des 
gens  appelés  du  dehors  et  travaillant  d'après  des  modèles  car- 
thaginois ou  latins^;    des  tessons  de  poteries  faites  dans  des 
fabriques  romaines";  une  inscription  libyque,  qui  ne  peut  être 
de  beaucoup  antérieure,  ni  postérieure  à  notre  ère^;  enfin  des 
tombeaux  indigènes,  dolmens,  tumulus,  tours,  où  l'on  cons- 
tate des  rites  funéraires,  où  l'on  trouve  des  objets  en  usage 
chez  les    Libyens  dans  les   deux  siècles  qui  ont  précédé  l'ère 
chrétienne  et  les  deux  siècles  qui  l'ont  suivie*. 

i.  A  KsarMahidjiba  et  à  Tiddis,  dans  la  région  de  Conslanline  :  v.  infra,  p.  2"."), 

2.  P.  ex.,  en  divers  lieux  autour  de  Constanline  :  voir  p.  275,  n.  6-8. 

3.  Voir,  entre  autres,  .Masqueray,  Rev.  afric,  XXII,  1878,  p.  42  (djebel  Chechar, 
à  l'Est  de  l'Aurès)  ;  Joly,  Bull,  archéol.  du  Comité,  1900,  p.  clxiv-v,  et  Rev.  afric, 
LUI,  19U0,  p.  15-16  (centre  des  départements  d'Alger  et  d'Oran);  La  Blanchère, 
Arch.  des  Missions,  3"  série,  X,  p.  29-31,  43-44  (région  de  Saïda,  dans  le  departcnu-nt 
d'Oran);  Voinot,  Bull.  d'Oran,  1913,  p.  522;  1916,  p.  264  et  suiv.  (Maroc  oriental); 
Campardou,  ibid.,  1921,  p.  187-8  (région  de  Taza). 

4.  Conf.  supra,  p.  225. 

5.  La  Blanciière,  l.  c,  p.  31. 

6.  Cliapileau  de  style  puniiiue  dans  les  ruines  d'Henchir  el  Aria,  qui  soni  tout 
à  fait  d'aspect  liliyque  :  Gsell,  Atlas  archéol.  de  CAlijérie,  f  18  (!>ouk--4rrhas), 
a°  390. 

7.  I'.  ex.,  Joly.  B.  a.  Comité,   1900,  p.  clxv. 

8.  A  Ilenchir  el  Aria  :  tJsoll,  Atlas,  l.  c.  A  Karkab  :  La  Blanchùro,  /.  c,  p.  45, 

9.  Dolmens  auprès  de  ruines  de  villages  el  de  bourgs,  dans  l'Endda  (Tunisie 
orientale)  :  Ilamy,  Bull,  de  géogr.  hislor.  du  Comité,  1904,  p.  51  et  suiv.;  Carton, 
Bull,  de  Sousse,  VII,  1909,   p.  95;  dans  le  Nord-Ksl  do  l'Algérie   :  Mercier,  B.  a. 


242  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 

•  Dans  le  bas  pays  que  borde  la  côte  orientale  de  la  Tunisie 
et  qui  fit  partie  du  territoire  punique,  puis  de  la  province 
romaine  constituée  en  146  avant  J.-C,  il  y  avait  des  bourgs 
situés  en  plaine  et,  pour  la  plupart,  alimentés  en  eau  par  des 
puits'.  On  n'aurait  guère  pu  exploiter  autrement  cette  fertile 
région.  Mais,  en  Numidie  et  en  Maurétanie,  où  la  sécurité 
était  bien  plus  précaire,  les  villages  s'écartaient  du  pays  plat, 
dépourvu  de  défenses  naturelles.  Ils  s'écartaient  aussi  du  voisi- 
nage immédiat  des  rivières,  impropres  à  la  navigation,  sujettes 
à  des  inondations  soudaines,  ne  fournissant  d'ordinaire  qu'une 
eau  de  mauvaise  qualité  et  répandant  autour  d'elles  la  fièvre. 

Ils  allaient  s'asseoir  au  dessus  des  vallées  et  des  plaines, 
assez  près,  cependant,  pour  que  les  travailleurs  des  champs 
pussent  descendre  et  remonter  sans  se  fatiguer,  sans  perdre  leur 
temps  à  de  longues  marches;  tout  auprès  d'une  de  ces  sources 
qui  ne  sont  pas  rares  à  la  lisière  des  régions  accidentées  ;  enfin 
dans  un  site  offrant  des  défenses  naturelles  :  langue  de  terre 
bordée  par  deux  ravins  qui  se  rejoignent,  éperon  d'un  con- 
trefort, table  isolée,  piton  conique.  La  vue  doit,  autant  que 
possible,  être  dégagée,  car  l'ennemi  aura  ainsi  moins  de 
chances  de  s'approcher  par  surprise.  D'ailleurs,  un  lieu  auquel 
les  vents  n'auraient  pas  libre  accès  serait  un  foyer  de  maladies 
et,  pendant  la  saison  chaude,  une  fournaise. 

Aux  alentours,  les  ravins  et  les  pentes  fournissent  des  galets 
et  des  pierres  roulantes,  propres  à  construire  les  maisons;  des 
matériaux    plus    volumineux   peuvent   être    tirés  de   carrières 

Comité,  1887,  p.  451,  et  1888,  p.  102;  Toussaint,  ibid.,  1897,  p.  277,  a"  52.  Au  Nord 
de  l'Aurès,  lo  gros  bourg  d'Ichoukkàne  est  ontouré  d'ua  grand  nombre  de  dol- 
mens sous  tumulus  et  de  sépultures  en  forme  de  tour  :  voir  Gsell,  Monuments 
antiques  de  l'Algérie,  1,  p.  16  (d'après  Masqueray);  Atlas  archéol.,  f  27  (Batiia). 
D"  357.  Ruines  de  villages  berbères,  flamiuéps  ou  entourées  de  lumulus,  dans 
rOranie  et  \i\  Maroc  oriental  :  voir,  p.  ox.,  Pallary,  dans  Matériaux  pour  Chist. 
primit.  et  natur.  de  Vliomme,  XXI,  1887,  p.  451;  Voinot,  Bull.  d'Oran,  1913,  p.  527,  et 
1916,  p.  206  et  suiv. 

1.  Bourgs  de  i'Enflda  mentionnés  supra,  p.  2il,  n.  9.  Dans  la  région  qui  s'étend 
au  Sud  de  Sousse,  la  relation  de  la  campagne  de  Jules  César  mentionne  plusieurs 
grog  bourgs,  qui  étaient  corlainemenl  ou  très  probablement  en  plaine. 


LIEUX  HABITÉS.  243 

ouvertes  dans  les  roches.  Les  forêts  qui  s'élèvent  dans  la 
proche  montagne  donnent  le  hois  de  charpente  et  de  chauf- 
fage; elles  accueillent  le  bétail  en  été.  Quand  l'arboriculture 
se  joindra  à  la  culture  des  céréales,  les  terrains  inclinés  qui 
avoisinent  le  village  se  prêteront,  en  général,  à  des  plantations 
€t  aux  irrigations  nécessaires.  Même,  en  beaucoup  de  lieux, 
des  oliviers  sauvages  n'attendent  que  la  greffe  pour  accroître 
leur  chétif  produit. 

On  peut  reprocher  à  ces  sites  leur  éloignement  des  cultures 
-et  des  voies  naturelles  de  communication.  Mais,  —  nous 
l'avons  déjà  dit',  —  le  premier  inconvénient  n'était  guère 
ressenti  qu'à  deux  époques  de  l'année,  en  automne  et  au  com- 
mencement de  l'été.  Quant  au  second,  on  ne  songeait  sans 
•doute  pas  à  s'en  plaindre,  car  le  village  n'était  nullement  des- 
tiné à  des  opérations  commerciales,  à  des  visites  d'étrangers 
qui  n'y  auraient  même  pas  trouvé  une  auberge.  Il  était  une 
petite  place  forte,  où,  pour  des  raisons  de  sécurité,  s'accumu- 
lait la  population  d'un  canton  agricole.  C'est  ce  qu'indique 
<;lairement  le  terme  castellu7n,  qui  le  désigne  en  latin. 

Les  défenses  naturelles  qu'offre  le  site  sont  presque  toujours 
renforcées  par  des  ouvrages  exécutés  de  main  d'homme  ^.  Une 
enceinte  en  pierre  entoure  le  village,  à  moins  que  des  roches 
verticales  ne  permettent  de  l'interrompre.  C'est  une  simple 
muraille,  barrière  massive  qui  épouse  les  formes  du  terrain  et 
«st  généralement  dépourvue  de  redans  et  de  tours  ^  Les 
pierres,  brutes  ou  sommairement  équarries,  sont  assem- 
blées à  sec;    quelquefois,    elles   alleigncnt  de  grandes  dimen- 

I.P.  239. 

2.  L'auteur  du  Dellum  Hispaniense  (VHI,  3)  écrit,  à  propos  de  l'Espagne  ulté- 
rieure :  «  Propter  barbaroruiii  crebras  excursiones,  oinnia  loca,  quae  sunt  ab 
oppidis  remola,  lurribus  et  muiiilionibus  relincnlur,  sicul  in  Africa.  »  La  suite 
montre  qu'il  s'agit  do  lieux  habités,  et  non  de  refuges. 

3.  Aussi  ces  défenses  élaient-elles  souvent  insuffisantes  contre  les  moyens  de 
siège  dont  disposaient  les  Romains.  Salluste,  Jug.,  LIV,  G  :  (Métellus)  «  mulla 
castella  et  opi)ida  temere  munita...  capit.  »  Ihid.,  LXXXVIl,  1  :  (Mnrius)  «  cas- 
tolla  cl  oppida  uatura  et  viris  parum  munita  adgreditur.  » 


244  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 

sions'.  Les  modes  de  construction  sont  ceux  que  nous  avons 
indiqués  pour  les  refuges  "^ 

Dans  les  villages  préhistoriques,  sur  l'emplacement  desquels 
on  ne  retrouve  que  des  cendres,  des  restes  d'aliments  et  des 
instruments  en  pierre,  les  habitations  ont  pu  consister  en  des 
huttes,  des  mapalia  fixes  ^  Il  n'est  pas  impossible  que,  même 
dans  les  temps  qui  ont  précédé  immédiatement  notre  ère,  il  y 
ait  eu  encore  des  villages  partiellement  ou  entièrement  formés 
de  ces  cabanes  en  matières  végétales  \  Mais  leur  entassement 
sur  un  étroit  espace  était  un  terrible  danger  en  cas  d'incendie, 
et,   d'autre  part,  les  matériaux  pour   construire  des  bâtiments 
en  pierre    se   trouvaient   sous  la  main.    La  maison  que  nous 
avons  décrite,  avec  sa  cour  entourée  d'un  mur,  telle  a  dû  être, 
chez  les    Numides    et   les    Maures,    comme    sur    le  territoire 
punique,  la  demeure  ordinaire  des  villageois.  Ces  maisons  ne 
bordent  pas  des  rues,  qui  détermineraient  leur  emplacement. 
A  proprement  parler,  il  n'y  a  pas  de  rues  et   les  espaces   qui 
en  tiennent  lieu,  qui  permettent  l'accès  des  habitations,  sont 
les  intervalles  à   contours  irréguliers  qui  s'étendent  entre  les 
maisons.  Celles-ci  s'élèvent  presque  au  hasard  sur  l'aire  que 
clôt   le    rempart.    Souvent,    cependant,    un    certain    nombre 
d'entre  elles    s'appuient    par  derrière    à  ce  rempart,  qu'elles 
renforcent  ^  Ou  même,  formant  une  longue  chaîne,  elles  cons- 
tituent l'enceinte  par  la  continuité  de  leurs  murs  postérieurs". 

1.  Voir,  p.  ex.,  Toussaint,  Bull,  archéol.du  Comité,  1897,  p.  277,  u"  .'52;  Jacquot, 
Jiec.  de  Conslantine,  XXXV,  1901,  p.  99-100  (bas  des  murs  en  très  gros  blocs;  au- 
dessus,  enlassemeni  do  matériaux  plus  pelils);  La  Blanchère,  l.  c,  p.  31. 

2.  P.  234. 

3.  Conf.  supra,  p.  221. 

4.  Salluste,  Jug.,  XLVl,  5  :  (à  l'entrée  de  Méleilus  dans  le  royaume  de  Numidie) 
•  ex  oppidis  el  mapalibus  praefecti  regii  obvii  procedebant.  »  Ces  hommes,  que 
l'historien  appelle,  à  tort  ou  à  raison,  praefecti  regii,  ne  pouvaient  exercer  leur 
autorité  (|ue  dans  un  centre,  ville  (oppidum)  ou  bourg.  11  y  a  donc  lieu  de  croire 
que,  par  le  terme  mapalia,  Salluste  désigne  dos  castella.  Mais  il  ne  faut  peut-être  pas 
trop  presser  le  sens  de  ce  mot,  (jui  peut  s'applicjuer  ici  à  de  pauvres  maisons, 
ronslruiles  en  pierre,  et  non  à  des  huttes. 

.").  La  IJIonchére,  /.  c,  p.  43.  Campardou,  Bull.  d'Oran,  1921,  p.  187.  Etc. 

6.   Disposition  fréquente  dans  les  villages  de  la  Kabylie  et  du  Maroc  :  conf. 


LIEUX  HABITES.  -*^ 


Au  sommet  du  village,  se  dresse  parfois  une  citadelle  S 
refuge  quand  l'ennemi  a  franchi  le  rempart,  et  qui  peut  servir 
aussi  de  magasin  commune  C'est  là,  sans  doute,  qu'est  établi 
l'observatoire  d'où  une  vigie  surveille  la  campagne  ^ 

Cette  citadelle,  quand  elle  existe,  peut  être  le  seul  bâtiment 
public,  à  moins  qu'un  local  spécial  ne  soit  destiné  aux  réunions 
des  anciens.  L'accomplissement  des  rites  magiques  et  religieux 
n'exige  pas  de  temples.  Les  marchés  se  tiennent  dans  la  cam- 
pagne, en   dehors  des  lieux  habités^  :  c'est  là,  ou  dans  une 
ville,  quand  on  s'y  rend,  qu'on  se  procure  ce  que  le  travail 
domestique  ne  produit  pas.    Dans  le  village,  il  n'y  a  pas   de 
boutiques;  il  peut  même  n'y   avoir  pas   d'artisans.   Car   n'im- 
porte qui  s'improvise  maçon  et,  si  l'on  veut  un  homme  vrai- 
ment expert  dans  l'art  de   bâtir,  on  l'appelle  temporairement 
de  la  ville  voisine.  De  même,  le  menuisier.  Quant  au  forgeron, 
c'est  un  paria  :  il  vit  à  l'écart  lorsqu'il   se  fixe  quelque  part; 
d'ordinaire,  il  mène  une  existence  ambulante  à  travers  villages 
et  marchés. 

m 

Sur  la  Méditerranée  et  sur  l'Atlantique,  en  bordure  de  la 
Tripolitaine,  de  l'Algérie,  du  xAlaroc,  s'échelonnaient  des  villes, 
fondées  jadis  par  les  Phéniciens  et  les    Carthaginois  ^   Places 

Th  Fischer,  Mittelmecrbilder,  II,  p.  372.  KUc  fut  adoptée,  à  défaut  de  rempart. 
Las  des  villes  d'Afnque.  au  ten.ps  de  la  domination  vandale  :  Procope.  Aed^f., 
VI    6,  3  (à  Hadrumèto);  BeU.  Vand.,  I,  16,  0  (à  SuUecthe). 

i  Vesi-^es  d'une  citadelle  libvque  à  Ksar  Malmljiba  :  Gsell,  Atlas  archéol.  de 
vliJ^T^Tl  (Constanline),  n"  172;  a  S.di  Jd.di,  entre  Zaghouane  et  Uammamet  : 
Carton,  Bull,  de  Sousse,  Vil,  1909,  p.  «3-94. 

2  11  en  est  ainsi  dans  des  villages  de  TAurès,  dont  les  maisons  s'etagent  sur 
un  pilon  et  sont  dominées  par  la  guclaa,  à  la  fo.s  forteresse  et  grenier  commun. 

""TVentTon'de'res  observatoires  dans  les  villages  d'Espagne,  qui  ressemblaient 
tant  Iceux  d'Afrique.  Bell.  Hisp.,  Vlll,3  :  «  In  bis  (locis)  habent  spéculas  et 
propter  altitudiuem  late  longeque  prospiciunt.  » 

J;  VôliM'  vhL:^'  l 'il.  p.  H,  e.  suiv.;  pour  ,o..r  ad,„,nis.,aU„„,  ici. 
p.  130-1. 


-2Î6  EXPLOITATION  DU   SOL    ET  MODES  D  HABITATION. 

commerciales,  elles  étaient  les  portes  des  royaumes  dont  elles 
faisaient  désormais  partie. 

Un  certain  nombre  d'entre  "elles  sont  nommées  par  Strabon 
et  Pomponius  Mêla,  deux  auteurs  qui  écrivaient  sous  l'Em- 
pire, mais  qui,  pour  la  description  des  côtes  africaines,  ont 
fait  usage  de  documents  antérieurs  '.  On  peut  y  joindre  de 
rares  mentions  dans  d'autres  textes,  des  monnaies  municipales, 
quelques  documents  archéologiques.  Du  reste,  même  en 
l'absence  de  témoignages  qui  datent  du  temps  des  rois,  il  est 
à  croire  que  des  cités  dont  l'existence  est  certaine  pour  l'époque 
punique,  puis  pour  l'époque  romaine,  ne  disparurent  pas  dans 
l'intervalle. 

Ces  villes  formaient  trois  groupes  :  celles  qui  étaient  situées 
le  long  du  double  golfe  des  Syrtes;  celles  qui  se  succédaient 
de  l'Est  à  l'Ouest  en  Numidie,  depuis  la  province  romaine  (à 
l'embouchure  de  la  Tusca,  près  de  Tabarca)  jusqu'à  la 
Mulucha  (la  Moulouia)  ;  enfin  celles  qui,  à  l'Est  et  au  Sud  du 
détroit  de  Gibraltar,  appartenaient  à  la  Maurétanie. 

Masinissa  avait  étendu  son  royaume  jusqu'à  la  Cyrénaïque  ", 
par  conséquent  jusqu'aux  Autels  de  Philène,  limite  des  Cartha- 
ginois et  des  Grecs  au  fond  de  la  grande  Syrte.  Sur  ce  golfe, 
Strabon  ^  indique  trois  lieux,  Charax,  la  Tour  d'Euphrantas 
et  Aspis  :  ce  n'étaient  pas  là  des  villes*.  Entre  les  deux  Syrtes, 
s'élevait  la  vieille  colonie  de  Leptis^,  qui  disposait  d'un  terri- 
toire étendu  et  bien  cultivé  %  et  qui  avait  peut-être  servi  de 
-chef-lieu  à  la  domination  carthaginoise  dans  la  région  syrtique  ^ 

1.  V.  supra,  p.  21-24. 

2.  Appien.  Lih.,  106. 

3.  XVII,  3,  20. 

4.  Aspis,  dit  Strabon,  est  lo  plus  beau  port  de  la  grande  Syrte.  11  n'y  a  cepen- 
dant, au  lieu  où  l'on  peut  placer  Aspis,  qu'un  mouillage  fort  médiocre  :  Tissot, 
Geojr.,  1,  p.  218. 

5.  •  Néapolis,  (|Uo  l'on  appelle  aussi  Leplis  •,  dit  Strabon  (XVII,  3,  18)  :  conf. 
ici,  t.  II,  p.  121. 

0.  V.  supra,  p.  200-1. 
7.  T.  II,  p.  128  ft  3I«. 


LIEUX  HABITES.  247 

Leptis  recouvra  sa  liberté  au  début  de  la  guerre  de  Jugurtha. 
Mais  les  Etats  des  successeurs  de  ce  roi  confinaient  à  son 
territoire'  et  même  devaient  l'entourer,  si,  comme  au  temps 
de  Masinissa,  ils  s'avançaient  jusqu'aux  Autels  de  Philène.  Du 
côté  opposé,  ils  bordaient  le  littoral  jusqu'à  la  province 
d'Africa.  Strabon  mentionne  dans  ces  parages  Abrotonon, 
c'est-à-dire  Sabratha,  et  «  plusieurs  autres  petites  villes  »  "  (il 
s'agit  sans  doute  de  Gaphara  et  d'Oea%  entre  Leptis  et 
Sabratha)  ;  puis  Zouchis  (sur  le  lac  des  Bibân),  avec  des  tein- 
tureries de  pourpre  et  des  salaisons  de  toute  sorte*;  sur  la 
petite  Syrte,  quelques  «  petites  villes  »  et,  au  fond,  «  un  très 
grand  marché  »  %  dont  le  nom,  omis  dans  les  manuscrits  de 
Strabon,  est  certainement  Tacape,  ou  Tacapas  (Gabès);  enfin 
une  autre  «  petite  ville  »,  Thaina,  ou  Threna,  que  d'autres 
documents  appellent  Thaenae\  et  qui  était  située  à  la  limite  du 
royaume  et  de  la  province  romaine.  Dans  l'île  de  Meninx, 
aujourd'hui  Djerba,  il  y  avait  aussi  «  plusieurs  petites  villes  », 
dont  l'une  portait  le  même  nom  que  l'île  \ 

Au  delà  de  la  Tusca,  étaient  Thabraca  (Tabarca)  et  Tuniza 


1.  Supra,  p.  200,  n.  9. 

2.  XVII,  3,  18. 

3.  Mêla  (I,  37)  mentionne  Oea.  De  cette  ville  et  de  Sabratha,  on  a  des  monnaies 
à  légendes  néopuniques  (Mùller,  Numism.,  II,  p.  15-16,  20,  23,  26-29),  dont  les 
unes  ne  furent  frappées  que  sous  .\uguste  et  Tibère,  dont  les  autres  peuvent 
être  un  peu  antérieures. 

4.  Strabon,  l.  c. 

5.  XVII,  3,  17. 

6.  XVII,  3,  16  :  ©aiva;  XVII,  3,  12  :  ÔÉva.  Elle  doit  être  identifiée  avec  la  ville 
maritime  qui  est  mentionnée  dans  le  Bellum  Africum  (LXXVII,  2),  sous  le  nom 
de  Thabena  {Thenam,  à  l'accusatif,  dans  plusieurs  manuscrits),  et  qui  était  à  la 
limite  du  royaume  de  Juba  I"'  (César  la  fit  occuper  sur  la  prière  de  ses  habitants, 
ce  qui  répond  à  une  indication  de  Strabon  :  César  se  rendit  maître  de  Thena  sans 
coup  férir).  Le  fossé  qui  limitait  la  province  d'Afri(iue  atteignait  la  mer  à  Thenae, 
dit  Pline  l'Ancien  (V,  2.^5).  Mais  la  ville  appartenait  au  royaume  de  Numidie,  con- 
trairement à  ce  qu'a  cru  Tissot  (Géo<jr.,  II,  p.  18-19),  égaré  par  dos  renseigne- 
ments inexacts  (voir  Keinach,  apud  Tissot,  II,  p.  18,  n.  1,  et  p.  7")1,  n.  2),  et  con- 
trairement à  ce  que  j'ai  cru  moi-môme  (ici,  t.  II,  p.  129).  Thœn.o  frappa  sous 
.\uguste  des  monnaies  à  légende  néapuni(iue  (Miiller,  11,  p.  40);  il  n'est  pas  sur 
qu'elle  en  ait  frappé  plus  tôt. 

7.  Strabon,  XVII,  3,  17. 


248  EXPLOITATION   DU   SOL    ET  MODES  D  HABITATION. 

(La  Galle),  qui,  au  i"  siècle  avant  notre  ère,  frappèrent  peut- 
être  des  monnaies  communes';  Hippo  (près  de  Bône)^,  appelée 
par  les  Latins  Hippo  Regius  ^,  ce  qui  parait  indiquer  des  liens 
particuliers  avec  les  souverains  numides*;  Thapsus  ou  Rusi- 
cade  ^  (Philippeville),  qui  peut  avoir  eu  des  monnaies  communes 
avec  Hippo  ^  ;  Chullu  (Collo),  où  l'on  a  trouvé  des  sépultures 
de  l'époque  royale^;  Igilgili  (Djidjeli),  où  des  caveaux  funé- 
raires datent  peut-être  de  la  même  époque^;  Saldœ,  ou 
plutôt  Saldas  (Bougie),  «  grand  port  »,  dit  Strabon^  Quand 
Auguste  créa  des  colonies  de  vétérans  le  long  de  ces  côtes, il  les 
établit  dans  de  vieilles  villes,  dont  plusieurs  attestaient  leur 
origine  par  leur  nom  phénicien  :  à  Igilgili,  à  Saldas,  puis, 
plus  à  l'Ouest,  à  Rusazus  (iVzefîoun,  sur  la  côte  de  la  grande 
Kabylie),  à  Rusguniœ  (au  Nord-Est  de  la  baie  d'Alger),  à 
Gunugu  (à  l'Ouest  de  Cherchel),  à  Gartennas  (Ténès)  '^  Des 
monnaies  de  Gunugu  datent  de  l'époque  royale".  La  cité  phéni- 
cienne d'Iol  (Gherchel)  crût  alors  en  importance.  Une  inscrip- 
tion néopunique  semble  prouver  que  le  règne  de  Micipsa  y 
avait  laissé  de  bons  souvenirs  '^.  Un  roi  maure,  Bocchus,  sans 

1.  Millier,  111,  p.  52-53,  et  Suppl.,  p.  G5-66. 

2.  Sur  l'Hippone  phénicienne,  voir  t.  II,  p.  149-151.  Le  mur  mentionné  p.  150 
est  romain  :  voir  Gsell,  Bull,  archéol.  du  Comité,  1921,  p.  clvii;  Albertini,  ibid., 
1924,  p.  Lxxni-Lxxv. 

3.  liell.  Afric,  XCVl,  1.  Tite-Live,  XXIX,  3,  7.  Mêla,  I,  33.  Etc.  Voir  Gsell,  Allas 
archéol.  de  l'Abjérie,  f  9  (BAne),  p.  G,  col.  1. 

4.  C'est  sans  doute  cette  épithète  qui  fait  qualifier  Hippone  de  résidence  royale 
(3aai>.eiov)  par  Stralion  (XVll,  3,  13;  il  quaiifh^  de  même,  mais  à  tort,  l'autre 
Hippoue,  aujourd'hui  Bizerte).  Silius  Italicus  (III,  259)  interprète  l'épithèle  Regius 
de  la  même  manière  : 

...  anliquis  dilectus  regibus  Hippo. 

5.  Mêla  (I,  33)  mentionne  «  Rusiccade  »  en  môme  temps  qu'llippo  Regius  et 
Thabraca.  Pour  Thapsus,  voir  t.  Il,  p.  151-2. 

6.  Millier,  III,  p.  53,  et  Suppl.,  p.  06.  H  les  attribue  à  Hippone  et  à  Tipcsa. 

7.  T.  Il,  p.  154. 

8.  Ibid.,  p.  157. 

!).  XVll,  3,  12  :  (ieya;...  >'.[i.r|V,  ov  Xày.îav  xaXovfft. 

10.  Pline  rAucicu,  Y,  20  et  21. 

11.  T.  Il,  p.  101,  n.  7.  Pour  les  caveaux  funéraires  punicjues  do  Gunugu,  dont 
les  plus  anciens  sont  antérieurs  à  cette  époque,  mais  dont  certains  doivent  être 
du  II'  siècle,  voir  ihid.,  p.  162. 

12.  Berger,  dans  Hev.  d'assyrioL,  II,  p.  30.  Gette  inscription  n'est  sans  doute  pas 


LIEUX   HABITES.-  249 

doute  Bocchus  le  Jeune,  qui  fut  contemporain  de  César,  y 
résida',  avant  que  Juba  II  en  fît  sa  capitale  %  sous  le  nom  de 
Caesarea.  Les  villes  maritimes,  dit  Strabon  %  étaient  nom- 
breuses le  long  du  pays  des  Masaesyles  (entre  le  cap  Bougaroun 
et  la  Moulouia).  A  celles  que  nous  venons  de  mentionner, 
on  pourrait  en  ajouter  d'autres,  Icosium  (-Algerj,  Tipasa,  le 
lieu  appelé  par  les  Romains  Portus  Magnus  (à  l'Est  d'Oran),etc.  *, 
qui  n'ont  livré  aucun  témoignage  précis  de  leur  existence  au 
temps  des  rois  \  Près  de  l'embouchure  de  la  Tafna,  Siga,  vieil 
établissement  phénicien  comme  loi  ^,  fut,  à  la  fin  du  iii^  siècle, 
une  des  capitales  de  Syphax^  Plus  tard,  elle  aurait  été  détruite, 
selon  Strabon  ^  :  ce  qui  ne  semble  pas  exact,  car,  sous  Bocchus 
le  Jeune,  il  y  eut  là  un  atelier  monétaire  royal  ^ 

En  Maurétanie,  des  monnaies  ont  été  frappées,  au  i"  siècle 
avant  J.-C.  ou  au  début  de  notre  ère,  par  Kusaddir  (Melilla), 
peut-être  par  Tamuda  '"  (à  Tétouan  ou  non  loin  de  ce  lieu),  par 

contemporaine  de  ■\Iicipsa.  Elle  peut  se  rapporter  à  un  culte  du  roi  après  sa 
mort. 

\.  Solin,  XXV,  16  :  «  Caesarea...,  Bocchi  prius  regia,  postmodum  lubae  indul- 
gentia  populi  Romani  dono  data.  »  Les  mots  «  Bocchi  prius  regia  »  sont  insérés  ici, 
on  ne  sait  d'après  quelle  source,  dans  un  passage  où  Solin  copie  Pline  l'Ancien. 

2.  Indication  que  Strabon  (XVII,  3,  12)  et  .Mêla  (I,  30)  ont  probablement  ajoutée 
d'eux-mêmes  à  la  mention  d'iol,  trouvée  par  eux  dans  Jcur  source  (couf.  supra, 
p.  22). 

3.  XVH,  3,  9. 

4.  Voir  t.  Il,  p.  158  el  suiv. 

5.  Mêla,  qui  ignore  les  colonies  fondées  par  Auguste  sur  cette  côte,  y  indique 
(I,  31)  Rutdisia  (altération  probable  de  Rusguniae),  Icosium,  et,  plus  à  rOue>t, 
Cartinna  et  Arsinna,  qu'il  qualilie  d'oppida,  enfla  Avisa  castellum  (c'est-à-dire 
bourg).  Il  faut  lire  Arsenaria  et  Quiza  :  voir  Gsell,  Atlas  archéol.  de  VAhjérie, 
l"  12  (Orléansville),  n°  13,  et  fMl  (Bosquet),  n°  2.  Ces  deux  lieux  étaient  situés 
l'un  et  l'autre  à  quelque  distance  de  la  mer,  et  n'étaient  probablement  (]ue  des 
centres  indigènes. 

6.  On  doit  peut-être  distinguer  la  ville  phénicienne,  qui  aurait  été  sur  la  mer 
même,  et  une  ville  indigène,  qui  se  serait  élevée  à  l'intérieur  des  terres,  à  cinq 
kilomètres  de  là,  et  à  laquelle  la  ville  phénicienne  aurait  servi  de  port.  Conf. 
t.  II,  p.  1(>4-G. 

7.  Tite-Live,  XXVIII,  17.  Strabon,  XVU,  3,  9.  Pline  l'Ancien.  V,  19.  Conf.  (.  H. 
p.  164,  n.  7;  t.  III,  p.  18"),  n.  1. 

8.  L.  c. 

9.  Muller,  lil,  p.  97-98,  142;  conf.  Demaeghl,  Bull.  d'Oran,  1893.  p.  109-111. 
Mêla  (L  29)  mentionne  Siga  et  la  qualifie  de  petite  ville. 

10.  Qui  a  pu  être  une  ville  indigène. 


2o0  EXPLOITATION  DU  SÙL   ET   MODES  D'HABITATION. 

Zili(Azila),  Lixus  (sur  l'oued  Lekkous),  Sala  (auprès  de  Rabat)  '. 
Dans  la  ville  du  Soleil  {Maqom  Shemesh),  c'est-à-dire  à  Lixus, 
il  y  avait  un  atelier  monétaire  royal  sous  Bocchus  le  Jeune  et 
sous  Juba  II  "-.  Mais  on  ne  retrouve  plus  de  traces  des  colonies- 
fondées  jadis  par  Hannon  :  ni  de  celle  qu'il  établit,  en  deçà 
de  Sala,  à  l'embouchure  de  l'oued  Sebou  -,  ni  de  celles  qui 
s'échelonnaient  au  delà  du  cap  Cantin*.  Elles  avaient  été  sans, 
doute  abandonnées  ou  détruites  ^  Une  de  ces' colonies  s'était 
peut-être  élevée  à  Mogador;  pourtant,  quand  Juba  II  créa  en 
ce  lieu  des  teintureries  de  pourpre"',  il  paraît  avoir  trouvé  la 
place  vide  ". 


IV 


Si  la  ville  était  le  cadre  qui  convenait  aux  }*héniciens,  le 
village  était  celui  qui  suffisait  à  la  plupart  des  sédentaires 
indigènes.  Lieu  de  concentration  de  paysans  cultivant  les  terres 
environnantes,  il  n'était  pas,  en  général,  destiné  à  accueillir 
une   population    très   nombreuse.    Les    conditions   matérielles 

1.  T.  II.  p.  166,  167,  170,  172,  174.  176;  ici,  p.  130,  n.  4.  Strabon  (XVII.  3,  2  et 
6)  meutioune  Zélis  et  Lixos;  Méia  (III,  107),  Lixus  et  Sala.  11  est  très  probable 
qu'il  mentionnait  aussi  Zili,  et  qu'il  savait,  pour  des  raisons  personnelles, 
qu'Auguste  y  avait  fondé  une  colonie  :  voir  plus  haut,  p.  22.  Sur  la  Méditerranée, 
il  donne  par  erreur  à  Rusaddir  le  nom  do  Rusigada  (I,  29).  —  Pour  la  petite  ville 
de  Trigx,  ou  Lygx,  que  Strabon  (XVII,  3,  2  et  S)  signale  près  du  cap  .<partel  et 
qui  n'était  probablement  pas  une  colonie  phénicienne,  voir  t.  II,  p.  169-170.  Au 
temps  du  roi  Juba  II.  Agrippa  (cité  par  Pline,  V,  9)  indiquait  un  •  oppidum  in 
promunturio  .Mulelacha  •,  au  delà  de  Lixus  et  avant  l'embouchure  de  l'oued  Sebou 
(pour  le  site  exact,  voir  Ti^sot,  dans  Mémoires  présentés  <i  l'Acad.  des  Inscr.,  IX, 
1"  partie,  p.  221-3  . 

2.  Millier,  III.  p.  98.  n"'  12-14;  p.   111,  n    107. 

3.  T.  I,  p.  480:  t.  II,  p.  176. 

4.  T.  I.  p.  483;  t.  Il,  p    177-8. 

5.  Coof.  t.  1,  p.  507,  n.  4;  t.   II.  p.   179-180. 
11.  Conf.  supra,  p.  212,  n.  S. 

7.  Pline  l'Ancien.  VI,  201  :  >  Paucas  (insulas)  modo  constat  esse  ex  adverso 
Autololum  a  luba  repertas,  in  quibus  Gai*lulicam  purpuram  linguere  instituerai.  • 
Vers  le  début  du  règne  de  Juba,  Agrippa  (apud  Pline,  V,  9)  indiquait,  en  deçà  du 
promunturium  .^olis  (cap  Canlin),  le  porlus  Rutubis  (baie  de  .Mazaghan?)  et,  au 
delà  du  cap.  le  porlus  Rhyssadir  (à  Mogador?);  il  ne  manjuait  pas  que,  dans  ces 
ports,  il  y  eiit  des  villes. 


LIEUX   HABITES.  251 

qui  limitaient  son  développement  donnaient  à  ses  hôtes,  se 
succédant  de  génération  en  génération,  Thabitude  et  le  goût 
d'une  communauté  d'existence  restreinte,  d'un  particularisme 
cantonal,  très  opposé,  par  exemple,  à  la  large  sociabilité  des 
Gaulois.  C'est  dans  des  villages  que  vivent  encore  et  se  plaisent 
à  vivre  beaucoup  de  Berbères  :  en  Kabylie,  dans  l'Aurès, 
dans  le  Rif,  dans  le  Moyen  et  le  Haut-Atlas'. 

Cependant  les  textes  grecs  et  latins  mentionnent  dans  les 
royaumes  indigènes  des  villes,  -oas'.ç,  urhes,  oppida.  11  est  vrai 
que  le  mot  t.o'/j.ç  a  été  appliqué  abusivement  à  des  villages  et 
à  des  bourgs  -,  mais,  quand  on  Toppose  à  xoVjly,  («  village  »)  ^, 
il  désigne  bien  une  ville.  De  même,  quand  les  Latins  se  servent 
des  termes  oppida  castellaque  *,  ils  entendent  parler  de  villes 
et  de  villages. 

Sur  quoi  reposait  cette  distinction?  Pour  des  étrangers,  ce 
devait  être  surtout  une  affaire  d'impression  :  une  ville  était 
un  lieu  plus  peuplé,  plus  animé,  de  meilleure  apparence  qu'un 
village.  Quant  à  nous,  il  nous  est  presque  toujours  impossible 
d'apprécier  l'étendue  des  centres  habités  sous  la  domination 
des  rois  :  il  n'en  subsiste  rien,  ou  presque  rien,  sous  les  ruines 
ou  les  bâtiments  appartenant  à  des  âges  plus  récents.  Du  reste, 
ce  n'est  pas  nécessairement  l'espace,  plus  ou  moins  large,  cou- 
vert par  des  maisons,  qui  fait  ici  la  ville,  là  le  A'illage.  Dans 
des  pays  très  fertiles,  il  y  avait  sans  doute  certains  bourgs  plus 
grands  que  telle  cité  fondée  jadis  par  les  Carthaginois  sur 
la  cote. 

On  peut  sans  hésitation  qualifier  de  villes  les  centres  où, 
comme  dans  de  vieilles  colonies  puniques,  ont  été  frappées  des 

1.  Au  >ahara,  OQ  doit  nécessairement  s'entasser  dans  les  rares  lieux  où  l'eau 
permet  la  culture  :  de  là,  l'existence  de  villes.  Mais  ce  n'est  parfois  qu'une  appa- 
rence :  plus  d'une  de  ces  villes  est,  en  réalité,  le  proupemcnt  inévitable  de 
plusieurs  villages,  dont  chacun  est  enfermé  dans  une  enceinte. 

2.  V.  ?upri.  p.  240. 

3.  Appi.-n,  Lib.,  12. 

4.  Voir  p.  240.  n.  2. 


252  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

monnaies  autonomes,  ceux  aussi  qui  ont  emprunté  leurs  insti- 
tutions municipales  à  ces  colonies.  Mais  nous  en  connaissons 
fort  peu.  D'autre  part,  il  est  probable  que,  dès  cette  époque, 
maints  villages  indigènes  avaient  une  organisation  municipale  : 
l'autonomie  n'était  donc  pas  un  privilège  réservé  aux  villes. 

A  l'époque  musulmane,  on  reconnaissait  aisément  la  ville  à 
sa  mosquée,  où  se  faisait  la  prière  publique  du  vendredi  et  que 
signalait  un  haut  minaret,  à  ses  bazars,  à  ses  hôtels  et  à  ses 
bains,  enfin  à  sa  kasba^  ou  citadelle. 

Dans  l'antiquité,  des  villes  possédaient  des  temples,  mais, 
nulle  part,  nous  n'avons  la  preuve  que  le  temple  ait  créé  la 
ville  par  le  concours  des  dévots  qu'il  aurait  attirés;  il  apparaît, 
au  contraire,  comme  une  conséquence  de  la  civilisation  urbaine. 
La  ville  est  alors  essentiellement  un  centre  politique,  ou  un 
centre  économique,  le  plus  souvent  les  deux  à  la  fois. 

C'est  un  chef-lieu  ou  une  capitale,  siège  d'une  autorité  qui, 
de  là,  s'étend  sur  une  région  ou  sur  une  contrée.  Chef-lieu  et 
citadelle  d'une  famille  princière,  qui  a  réussi  à  dominer  une 
grande  tribu  ou  un  groupe  de  tribus.  Capitale  d'un  royaume, 
fondé  tantôt  par  une  de  ces  tribus,  qui  s'est  emparée  de  l'hégé- 
monie, tantôt  par  des  conquérants  nomades,  qui  ne  peuvent 
se  maintenir  sans  un  point  d'appui;  place  d'armes  et  de  sûreté 
en  prévision  des  combats  qu'il  faudra  encore  livrer,  lien  entre 
vainqueurs  et  vaincus  par  l'attraction  et  le  rayonnement  que 
cette  ville  exerce. 

Le  premier  soin  de  tout  chef  d'un  nouvel  Etat  berbère  est  de 
se  faire  sa  capitale,  ou  ses  capitales,  car  il  en  a  souvent  plusieurs. 
Il  les  installe  dans  des  villes  existantes,  ou  bien  il  les  crée,  soit 
p.ir  un  nrgucil  de  parvoiiii,  qui  veut  éclipsoi-  le  passé,  soit  pour 
des  raisons  inililaircs  ou  économicjucs.  De  là,  cette  longue 
succession  de  ca[)i(alos  (jue  nous  oiïro  l'histoire  de  la  Herbérie 
au  moyen  ûgo. 

Nous    sommes    bien    |»lii.s    mal    renseignés    pour   les    tem])S 


LIEUX  HABITÉS.  253 

antiques.  Il  y  eut  certainement  d'autres  capitales  que  celles  qui 
sont  mentionnées  :  Sig-a,  Cirta,  loi,  Zama,  auxquelles  il  faut 
ajouter  Tingi  '. 

Zama  est  sans  doute  la  ville  que  des  textes  appellent  Zama 
Regia-.  Or  la  même  épithète  est  jointe  à  d'autres  noms  de  lieux. 
Parfois,  ce  sont  peut-être  seulement  de  grands  domaines, 
appartenant  aux  souverains  ^  Mais,  quand  il  s'agit  de  cités 
importantes,  Hippo  Hegiiis^,  Bulla  Regia^^  on  peut  supposer 
qu'elles  reçurent  ce  titre  parce  qu'elles  furent  des  résidences 
royales.  Tliala  possédait  un  palais,  oîi  Jugurthafaisait  élever  ses 
enfants'^  :  c'était  donc  une  capitale. 

Ces  villes  royales  étaient  situées,  les  unes  sur  la  côte,  les 
autres  à  l'intérieur  des  terres.  Comme  les  sultans  du  Maroc, 
qui  habitent  tantôt  Fès,  tantôt  Meknès,  ou  Rabat,  ou  Merrakech, 
selon  leurs  goûts  ou  les  exigences  du  gouvernement,  certains 
rois  résidaient  successivement  dans  plusieurs  capitales  :  nous 
trouvons,  en  206,  Syphax  à  Siga,  et,  bientôt  après,  à  Cirta  '. 

La  ville  politique  est  presque  nécessairement  une  ville  com- 
merçante, grâce  au  séjour  du  prince  et  de  son  entourage,  grâce 
aux  visites  de  ceux  qui  ont  à  traiter  des  affaires  avec  lui  ou 
avec  ses  auxiliaires.  Ailleurs,  c'est  le  commerce  seul,  qui, 
mettant  à  profit  des  conditions  géographiques  favorables,  a  créé 
le  centre  urbain  et  le  fait  prospérer.  Le  village  n'a  ni  industrie, 
ni  commerce.  Dans  la  ville,  des  ateliers  fabriquent  armes, 
outils  et  autres  objets  mobiliers,  vêtements,  parures;  ou  bien 

1.  V.  infra,p.  255,  n.  4. 

2.  Voir  p.  261». 

3.  Cette  hypothèse  paraît  admissible  pour  Aquae  Hegiae,  au  Sud-Ouest  de 
Kairouan  :  Tissot,  Grogr.,  II,  p.  587-8.  Peut-être  aussi  pour  le  lieu  appelé  Regias 
(Arbal,  au  Sud  d'Oran)  :  Gsell.  Allas  archéol.  de  VAbjérie,  f"  20  (Oran),  n"  33.  On 
pourrait  encore  se  demander  si  l'épithète  ne  désifrnait  pas  une  forteresse  royale 
(mention  d"uae  lurrls  regia  dans  Salluste,  Jug.,  CIII,  1).  Pour  Thimida  Regia. 
V.  infra,  p.  26.")-G. 

4.  Sufira,  p.  248. 

5.  Infra,  p.  2G2. 

6.  Salluste,  Jug.,  LX.KV.  1,  et  L.XXVI,     .  /.  infra,  p.  277. 

7.  T.  III,  p.  185  et  191. 

GsELi,.  —  Afrùiuo  ilii  Nord.  V.  I  7 


254  EXPLOITATION   DU  SOL   ET   MODES  D  HABITATION. 

des  intermédiaires  les  reçoivent  du  dehors  et  les  entreposent.  Une- 
partie  de  ces  objets  peut  être  colportée  sur  les  marchés  des  cam- 
pao-nes.  Mais  les  paysans  viennent  volontiers  faire  leurs  emplettes 
dans  les  villes,  où  ils  trouvent  des  auberges  et  des  lieux  de  plaisir. 

Quant  aux  citadins,  ceux  qui  le  peuvent  recherchent  le  bien- 
être  dans  l'aménagement  de  leurs  demeures.  Des  édifices  publics 
dominent  les  maisons.  Après  Carthage,  que  Rome  a  détruite, 
d'autres  villes  phéniciennes  offrent  des  modèles,  et  aussi  des 
architectes.  La  terrasse  d'origine  orientale  remplace  le  toit  en 
dos  d'âne  et  en  matières  végétales  de  la  vieille  habitation 
berbère*;  des  rues  sont  tracées,  peut-être  même  dallées  ^ 

Nous  avons  fait  remarquer  qu'aujourd'hui  encore,  certaines 
parties  de  l'Afrique  septentrionale  manquent  de  villes.  Il  en 
était  déjà  ainsi  dans  l'antiquité,  là  où  la  vie  économique  ne 
s'était  pas  développée,  où  des  Etats,  petits  ou  grands,  n'avaient, 
pas  pris  naissance  et  racine.  Mais  l'existence  de  villes  se 
iustifiait  sur  le  littoral,  à  cause  des  relations  maritimes  qui 
pouvaient  être  entretenues  avec  l'étranger.  Elle  se  justifiait  au 
cœur  des  pays  dont  les  terres  fertiles  étaient  mises  en  valeur  et 
faisaient  vivre  une  population  nombreuse,  laquelle  avait  besoin 
de  centres  commerciaux.  Et  aussi  aux  points  de  contact  entre 
des  récrions  diverses,  montagnes  et  plaines,  Tell  et  steppes,  en 
des  lieux  où  agriculteurs  et  éleveurs  pouvaient  le  plus  commo- 
dément échanger  leurs  produits,  où  l'autorité  royale  pouvait  le 
mieux  surveiller  les  mouvements  des  nomades  et  des  monta- 
gnards, et,  à  l'occasion,  recruter  des  troupes  chez  ces  tribus 
guerrières.  Enfin,  aux  grands  nœuds  de  routes  naturelles,  et  là 
où  dans  une  contrée  desséchée,  l'abondance  de  l'eau  com- 
mandait le  passage  et  entretenait  la  vie. 

Le  long  du  littoral,  les  vieilles  cités  phéniciennes  et  puniques 
répondaient  aux  besoins.  Mais  il  se  créa  aussi  des  villes  indi- 

1.  l'our  les  lerrasso»  de  Vaf^a,  voir  p.  229. 

2.  Od  sait  que  les  GarUiagiuois  dalliiient  leurs  rues  :  voir  t.  II,  p.  82,  n.  9. 


LIEUX  HABITES.  255 

gènes,  les  unes  près  de  ces  colonies  étrang-ères,  sans  doute  parce 
que  les  deux  populations  voulaient  rester  en  relations  étroites, 
et  pourtant  ne  pas  se  mêler  '  ;  d'autres  encore,  qui  ne  se  con- 
tentaient pas  de  ce  rôle  de  satellite  :  à  Tingi  (Tanger),  qui  était 
de  fondation  très  ancienne-,  il  n'y  eut  jamais,  semble-t-il,  qu'une 
cité  indigène  ^  Plusieurs  de  ces  villes  maritimes,  Siga,  loi, 
Tingi,  et  peut-être  Hippo  Regius,  devinrent  des  capitales*  : 
exposées  aux  flottes  ennemies  et  même  aux  pirates,  mais 
ouvertes  aux  civilisations  d'outre-mer,  plus  policées  et  jouissant 
d'un  climat  plus  agréable  que  les  villes  de  l'intérieur. 

Celles-ci  avaient  pu  souvent  remplacer  des  villages,  —  comme 
des  villages  avaient  remplacé  des  refuges,  —  quand  les 
ressources  en  eau,  l'étendue  de  l'espace  disponible,  la  facilité 
relative  de  l'accès  permettaient  cette  transformation,  et  qu'elle 
se  justifiait  par  des  raisons  politiques  ou  économiques. 

Etablies  ou  non  dans  des  lieux  précédemment  habités,  ces 
villes  doivent,  avant  tout,  satisfaire  aux  deux  conditions  sur 
lesquelles  nous  avons  insisté  :  posséder  une  ou  plusieurs 
sources,  être   à    l'abri   des   attaques.  La    plupart  d'entre  elles 


1.  C'est  ainsi  qu'il  y  avait  une  ville  indigène  près  de  Lixus,  et  une  autre  près 
d'une  ville  phénicienne  qui  était  peut-être  à  Ténès  :  voir  t.  Il,  p.  H3  (n.  3), 
163,  1734. 

2.  T.  II,  p.  168-9. 

3.  Tingi   est  mentionnée  par  Strabon  (XVII,  3,  6)  et  Mêla  (I,  26).   Elle  devint 
une  commune   de   citoyens  romains  dès   l'année  38  avant  J.-C.   (Dion  Cassius 
XLVIU,  4."),  3).  Les  monnaies  à  légende  uniquement  phénicienne  qu'elle  a  frappées 
(Millier,  Numism.,  111,  p.  144-6)  sont  sans  doute  antérieures  à  cette  date. 

4.  On  n'en  a  aucun  témoignage  direct  pour  Tingi.  Mais  des  fables  attribuaient 
la  fondation  de  la  ville  à  un  souverain  du  pays  (voir  t.  II,  p.  169,  n.  3).  Eu  81 
c'est  là  qu'un  roi,  Ascalis,  soutint  avec  ses  frères  uu  siège  contre  Sertorius 
(Plutarque,  Sertorius,  9).  En  38,  ce  fut  la  révolte  de  Tingi  qui  fit  perdre  au  roi 
Bogud  la  Maurélanie  occidentale  (Dion  Cassius,  XLVIII,  43,  2).  11  est  à  croire, 
du  reste,  (jue,  dans  Isl  Mauralania  Tiiujitana,  comme  dans  la  Maurelania  Caesariensis 
les  Romains  établirent  le  chef-lieu  de  la  province  dans  l'ancienne  capitale  du 
royaume.  A  Tingi,  se  trouvaient  les  tombeaux  des  anciens  rois  du  pays,  si  l'on 
interprète  ainsi  un  vers  peu  clair  de  Prudence  {Perislrphaa.,  IV,  46).  Au  xi'  siècle, 
El  IJekri  écrivait,  à  propos  de  Tanger  (Descr.  de  l'Afrique  septentr.,  trad.  de  Slane, 
édit.  d'Alger,  p.  214)  :  •  Dans  les  temps  anciens,  les  rois  du  Maghreb  y  avaient 
établi  le  siège  de  leur  empire;  un  de  ces  princes  avait  dans  sou  armée  trente 
éléphants.  • 


256  EXPLOITATION  DU  SOL   ET   MODES  D'HABITATION. 

occupent,  comme  les  villes  d'Espagne',  des  sites  pourvus  de 
défenses  naturelles,  déjà  décrits  à  propos  des  refuges  et  des 
villages  :  un  plateau  aux  flancs  escarpés,  une  croupe  ou  un 
éperon  entre  deux  ravins,  un  contrefort  de  montagne,  la  pente 
ou  le  sommet  d'une  colline.  Mais,  comme  la  ville  n'est  pas  un 
repaire  réservé  à  ceux  qui  l'habitent,  qu'elle  doit  être  accueil- 
lante à  ceux  qui  la  visitent  et  qui  contribuent  à  sa  prospérité, 
on  évite  de  la  reléguer  trop  à  l'écart  et  sur  une  hauteur 
exigeant  une  ascension  trop  rude. 

Dès  cette  époque,  comme  plus  tard  dans  la  Berbérie  musul- 
mane', quelques  grandes  cités  s'étendaient  même  en  plaine. 
Tel  était  le  cas  pour  Zama,  importante  à  l'époque  de  Jugurtha 
et  presque  sûrement  identique  à  la  Zama  qui  servit  de  capitale 
à  Juba  I".  Pourquoi  l'avait-on  placée  ainsi?  Nous  l'ignorons, 
le  site  exact  de  cette  ville  restant  incertaine  Ailleurs,  c'était  la 
présence  d'une  source  très  abondante  qui  faisait  établir  la  ville 
sur  un  sol  presque  uni  :  par  exemple,  à  Theveste  (Tébessa).  La 
raison  principale  qui  déterminait  le  choix  de  certains  lieux  non 
défendus  par  la  nature  était  évidemment  la  facilité  d'accès. 
C'est  en  plaine  que  sont  d'ordinaire  les  nœuds  des  grandes 
voies  :  je  veux  dire  des  voies  terrestres,  les  carrefours  fluviaux 
ne  pouvant  jouer  en  Afrique  le  rôle  qu'ils  ont  joué  en  Gaule  ^. 
Partout,  même  quand  leur  position  les  protégeait,  les  villes 
étaient  fortifiées,  comme  le  prouve  l'emploi  par  les  Latins  du 
mot  o/)/}frf«'',  bien  plus  fréquent  que  le  terme  itrbes^.  Des  textes 

1.  Conf.  liell.  llisp.,  vin,  4. 

2.  Où  nous  trouvons,  comme  chez  les  Numides  et  les  Maures,  des  capitales 
maritimes  et  des  capitales  intérieures,  et,  parmi  celles-ci,  des  villes  de  plaine, 
Kairounn,  M^ila,  Merrakech. 

3.  V.  infra,  p.  209. 

4.  Conf.  t.  I,  p.  27. 

5.  Très  nombreux  textes  (conf.  snpra,  p.  240,  n.  2).  C'est  ainsi  que  Salluste 
désigne  le  plus  souvent  les  villes  (Jufi.,  XII,  :j;  XXI,  2  et  3;  XXIX,  4;  etc.)  Voir 
aussi  Itell.  Afric,  XXV,  2;  XGl,  2;  Tite-Live,  XXX,  44,  12;  Pline  l'Ancien,  V,  1; 
Apulée,  ^['OL,  XXIV,  7. 

(K  Salluste,  Jng.,  V,  4;  XXVIll,  7;  LVI,  1;  LXI,  1;  LXXXVIII,  4.  Tite-Live, 
XXX,  12,  22;  XXX,  44,  12. 


LIEUX  HABITÉS.  25: 

mentionnent  les  murs,  les  portes  de  Vaga,  Sicca,  Cirta,  Zama, 
Capsa,  Thala*.  Quelques  ruines  de  remparts  subsistent  çà  et 
là^  Quoiqu'ils  ne  fussent  pas  toujours  d'une  solidité  à  toute 
épreuve  %  on  les  construisait  généralement  avec  plus  de  soin 
que  ceux  des  villages.  On  les  flanquait  volontiers  de  tours*. 
A  Vaga^  et  sans  doute  dans  d'autres  villes,  il  y  avait  une 
citadelle,  arsenal  et  réduit  de  la  défense. 


Divers  témoignages  anciens  nous  apprennent  que  les  villes 
et  les  villages  fortifiés  {oppida  et  castella)  abondaient  dans  la 
partie  orientale  de  la  Numidie,  c'est-à-dire  dans  le  centre  et  le 
Nord-Ouest  de  la  Tunisie  et  dans  le  Nord-Est  de  l'Algérie. 
Masinissa,  dépouillant  Carthage,  en  avait  pris  une  fois  plus  de 
soixante-dix,  une  autre  fois  cinquante ^  D'après  Salluste  '  et 
Strabon  \  qui  copient  probablement  ici  Posidonius  %  la  Numidie 
occidentale  (limitée  à  l'Ouest  par  la  Moulouia)  était  moins  riche 
en  édifices,  moins  florissante,  moins  bien  pourvue,  quoique  la 
terre  y  fût  plus  productive  et  la  population  plus  dense  :  la  vie 
urbaine  y  était  donc  moins  développée.  Nous  savons  par 
Pomponius  Mêla  '"  qu'il  y  avait,  à  l'intérieur  de  la  Maurétanic, 


1.  V.  infra,  à  ces  villes. 

2.  A  Doupga,  Maktar,  Cirta  :  i'.  infra. 

3.  VoirSalluste,  LIV,  6;  LXXXVli,  1  (passages  cités  p.  24:5,  n.  3). 

4.  A  Vaga  :  Salluste,  LXIX,  2.  Restes  de  tours  à  Dougga  :  Carton,  Thugga, 
p.  108-9. —  Pour  la  triple  euceinte  de  Zama,  v.  infra.  p.  260. 

.^.  Voir  p.  261. 

6.  Tite-Live,  XLIl,  23  («  oppida  castellaque  •).  Ap[)ien,  Lib..  68  (tiôasi;,  dans 
la  région  de  Dougga).  Voir  t.  lll,  p.  318  et  321.  —  Autres  textes  mentionnant, 
d'une  manière  générale,  des  ttoXe;;,  urbes,  oppida  et  castella  dans  la  Numidie 
orientale  :  Appien,  Lib.,  12  et  33;  Tite-Live,  XXX,  12,  22;  Sallu.ste,  Jiig.,  V.  4; 
LIV,  6;  LXXXVIl,  1  ;  LXXXIX,  1  ;  XCII,  3. 

T.  Jug.,  XVI,  5. 

5.  XVII,  3,   12. 

!l.  Conf.  supra,  p.  11)3. 
10.  m,  107. 


258  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 

des  villes,  qu'il  qualifie  de  petites  et  qui  n'étaient  sans  doute 
pas  nombreuses  :  il  n'en  nomme  que  deux  ou  trois'. 

Au  delà  de  ces  contrées  A^oisines  de  la  Méditerranée,  les 
villes  faisaient  défaut,  selon  le  même  auteur^  :  on  pénétrait 
dans  la  vaste  zone,  s'étendant  de  l'Océan  aux  Syrtes,  dont  les 
habitants  étaient  les  nomades  appelés  Gétules.  D'autres  affirment 
que  les  Gétules  n'avaient  pas  de  villes ^  Il  s'en  était  pourtant 
fondé  quelques-unes  dans  les  régions  qu'ils  parcouraient  avec 
leurs  troupeaux  :  l'auteur  du  Bellum  Africum  en  mentionne 
deux,  sans  les  nommer*;  Capsa,  Theveste,  Thala  étaient  en 
Gélulie.  Mais  c'étaient  des  sortes  d'oasis  dans  des  pays  qui,  par 
leur  solitude,  semblaient  des  vestibules  du  désert °.  On  voit 
que,  sauf  quelques  exceptions,  la  vie  urbaine  ne  dépassait  pas 
le  Tell  et  qu'elle  décroissait  de  l'Est  à  l'Ouest  ^ 

Quant  aux  villages,  leur  existence  était  liée  au  développe- 
ment de  l'agriculture,  qui,  sous  Masinissa  et  ses  successeurs, 
se  répandit  largement  dans  la  Numidie  occidentale  :  il  est  donc 
probable  que  celle-ci  n'en  manquait  pas  plus  que  la  Numidie 
orientale. 

Nous  trouvons  dans  les  textes  des  mentions  d'un  petit  nombre 
de  villes  indigènes,  dont  l'emplacement  ne  nous  est  pas  tou- 
jours connu  :  on  ignore,  par  exemple,  où  s'élevaient  Meschela, 
Acris,  Miltiné,  que  des  Grecs  prirent  ou  s'efforcèrent  de  prendre 
à  la  fin  du  iv*"  siècle^  Narcé,  ville  du  royaume  de  Masinissa^; 

1.  V.  infra,  p.  281-2. 
2.1,  41. 

3.  A  propos  (l'un  passa?:e  de  l'Knéide  (IV,  40  :  <■  Hinc  Gaelulae  urbes  »),  Servius 
fait  ceUc  remarque  :  ••  Ad  terrorcm  urbes  posait,  nani  in  mapalibus  habit[ab]aut.  » 
Taciti!  (Ann..  il,  52)  dit  des  Miisuliiinii,  peuplade  gélule  :  «  nullo  tum  urbiuin 
cuitu  •  (au  temps  de  Tibère). 

4.  XXV,  3. 

5.  Sufira,  p.  202. 

6.  Conf.  Toutaiti,  dans  Mélanges  Cagnat,  p.  320  et  suiv. 

7.  Diodore  di-  Sicile,  XX.  57,  r.-C);  XX.  fiS,  1.  Conf.  t.  Il,  p.  95  ;  t.  lil,  p.  51,  52. 
S.   Appien,  Ub.  33.  Conf.    t.    III,    p.  252.  Dans  !-oii  récit  de  la  bataille  dilo  de 

Zama,  Appien  {Lib.,  :t!l;  40;  47)  menlioniie  plusieurs  villes,  dont  la  position  nous 
est  inconnue,  aussi  bien  (pie  le  liiii  de  la  bataille  :  voir  t.  II.  p.  111;  t.  III, 
p.  262-3. 


LIEUX  HABITÉS.  259 

Suthul  et  Thala,  qui  figurent  dans  le  récit  de  la  guerre  de 
Jugurtha  par  Salluste'. 

D'autre  part,  beaucoup  de  ruines  romaines,  souvent  impor- 
tantes, se  rencontrent  dans  des  sites  escarpés,  qui  ont  été 
•certainement  choisis  à  cause  des  avantages  qu'ils  offraient 
pour  la  défense  :  par  conséquent,  en  des  temps  troublés,  qu  on 
«st  plus  disposé  à  placer  avant  que  pendant  la  domination  de 
Rome  en  Afrique  ;  la  force  de  l'habitude  aurait  retenu  dans  ces 
lieux  les  descendants  des  premiers  occupants.  Mais,  si  celte 
conclusion  est  recevable  pour  l'Est  de  la  Berbérie,  où  la  paix 
romaine  régna  véritablement  durant  des  siècles,  elle  l'est  bien 
moins  pour  le  centre  de  cette  contrée  et  ne  l'est  pas  du  tout 
pour  l'Ouest,  où  Rome  ne  réussit  pas  à  garantir  la  sécurité  d'une 
manière  définitive,  et  où  des  précautions  restèrent  aussi  nécessaires 
que  par  le  passé.  Naturellement,  là  où  l'on  peut  croire  à  un 
établissement  antérieur,  les  ruines  des  constructions  romaines  qui 
l'ont  recouvert  ne  nous  permettent  pas  d'en  apprécier  l'étendue. 

Nous  avons  dit^  que  les  noms  indigènes  portés  par  de  nom- 
breuses villes  sous  l'Empire  ne  prouvent  pas  l'existence  de 
centres  urbains  à  une  époque  plus  ancienne.  Les  noms  puniques, 
d'ailleurs  rares,  sont  de  meilleurs  arguments  à  cet  égard,  car 
ils  n'ont  guère  dû  être  donnés  qu'à  des  lieux  ayant  quelque 
importance  commerciale  ou  politique,  donc  à  des  villes. 

En  dehors  d'une  quinzaine  de  cités  du  littoral  et  de  deux 
ou  trois  de  l'intérieur,  les  monnaies  municipales  à  légendes 
puniques  sont  d'attribution  incertaine.  Des  magistrats  appelés 
sufètes,  comme  dans  les  villes  d'origine  phénicienne,  témoignent 
d'une  organisation  urbaine.  Mais,  parmi  les  documents  concer- 
nant des  sufètes,  très  peu  nombreux  sont  ceux  qui  remontent 

1.  Voir  ici,  p.  271-2  et  27T-.S.  Pour  Zama,  voir  p.  268-0.  Parmi  les  villes  qui 
furent  détruites  dans  des  guerres  antérieures  à  l'Empire,  Slrabon  (XVH,  3,  12) 
indique  Ti-jiaoOc  et  Ziy/a  (dans  certains  manuscrits  Zi/a),  qui  sont  inconnues; 
peut-être  les  noms  ont-ils  été  altérés  par  les  copistes. 

2.  P.  241. 


260  EXPLOITATION   DU  SOL   ET  MODES  D  HABITATION. 

aux  temps  des  royaumes  indigènes.  Les  autres,  qui  datent 
de  la  domination  romaine  ',  n'attestent  pas  péremptoire- 
ment l'existence  antérieure  du  sufétat  aux  lieux  où  on  les  a 
trouvés,  car  il  n'est  pas  inadmissible  que  le  gouvernement 
de  Rome  ait  accordé  une  constitution  de  type  punique  à  des 
cités  nouvelles. 

On  ne  peut  pas  non  plus  invoquer  avec  certitude  les  inscrip- 
tions puniques,  qui,  sauf  à  Cirta,  appartiennent  en  général  à  la 
période  romaine.  Cependant,  là  où  elles  se  découvrent  en 
grand  nombre,  il  est  vraisemblable  que  la  langue  des  Cartha- 
ginois, langue  du  commerce  et  langue  officielle  sous  les  rois, 
s'est  implantée  dès  cette  époque  dans  un  milieu  urbain,  et 
qu'elle  y  a  été,  non  seulement  parlée,  mais  écrite  :  ce  qui  lui  a 
donné  assez  de  force  pour  résister  ensuite  plus  ou  moins  long- 
temps au  latin. 

Des  débris  d'édifices  de  style  gréco-punique  sont  des  docu- 
ments plus  probants  encore,  car  les  plus  récents  ne  sont  pas 
postérieurs  au  début  de  notre  ère.  Ces  œuvres  d'art  étaient 
à  leur  place  dans  des  villes,  mieux  que  dans  des  villages 
de  paysans.  Quant  aux  sépultures  indigènes,  —  qui  ne  sont 
pas  toutes  de  l'époque  des  rois,  —  on  en  élevait  auprès  des 
villages  comme  auprès  des  villes,  et  même  à  l'écart  des  lieux 
habités. 

Somme  toute,  avec  les  matériaux  dont  nous  disposons,  il 
nous  est  impossible  d'étudier  d'une  manière  précise  la  réparti- 
tion des  centres  urbains  et  des  bourgs  dans  les  royaumes  de 
Numidie  et  de  Maurétanie.  Nous  devrons  nous  contenter  ici 
d'une  esquisse  fort  incomplète. 

1.   V.  supra,  p.  132-3. 


LIEUX  HABITÉS.  261 


VI 


Au  Nord  de  la  Medjerda,  tout  près  de  la  province  romaine, 
Vaga  (aujourd'hui  Béja)*  s'élevait  sur  les  pentes  assez  raides 
d'une  croupe  dominant  une  large  vallée  ^.  Ce  fut  une  des  der- 
nières conquêtes  de  Masinissa  sur  les  Carthaginoise  Les  mai- 
sons, couvertes  de  terrasses*,  étaient  protégées  par  une  enceinte 
fortifiée^;  elles  s'étageaient  au-dessous  d'une  citadelle*,  qui 
occupait  certainement  le  même  emplacement  que  la  forteresse 
byzantine  et  la  kasba  de  l'époque  musulmane.  A  quelques 
centaines  de  mètres  au  Nord-Ouest,  on  a  trouvé  un  assez  grand 
nombre  de  caveaux  funéraires^,  creusés,  au  moins  en  partie, 
pendant  la  domination  numide,  mais  dont  la  disposition  et  le 
mobilier  sont  ceux  qu'on  pourrait  rencontrer  dans  les  tombes 
d'une  ville  punique.  Punique  était  peut-être  aussi  l'organisation 
municipale  eSallusle  qualifie  Vaga  de  «  cité  grande  et  opu- 
lente »e  C'était,  dit-il  encore^",  le  marché  le  plus  fréquenté  de 
tout  le  royaume  :  on  a  vu''  que  beaucoup  de  commerçants 
italiens  y  traitaient  sans  doute  surtout  des  affaires  de  grains. 
Métellus  détruisit  Vaga  en  l'année  108'^;  nous  ne  savons  pas  si 
elle  se  releva  avant  la  réduction  de  la  Numidie  en  province 
romaine. 

Les  Grandes  Plaines,  —  celles  de  Souk  el  Arba  et  de  Souk 

1.  Atlas  archéol.  de  la  Tuniiiie,  I'  Béja,  n°  128. 

2.  •  Badja,  dit  El  Bekri  {Deitcr.  de  C Afrique  sept  mlr.,  p.  119),  est  hùtio  sur  une 
haute  colline,...  qui  a  la  forme  d'un  capuchon.  » 

3.  T.  m,  p.  327.  n.  6. 

4.  V.  supra,  p.  229. 

5. .Mentions  des  portes  et  des  tours  dans  .^alluste,  Jng.,  LXVII,  1  :  L.XIX.  1  et  2. 

6.  Salluste,  LXVII.  1. 

7.  Voir  t.  II,  p.  109. 

8.  V.  supra,  p.  131-2. 

9.  LXIX,  3  :  «  civitas  magna  el  opulens  ». 

10.  XLVII,  1. 

11.  P.  192. 

12.  Salluste,  LXIX,   3.  Conf.  Strabon,  XVII,  3,  12,  où  les  manuscrits  donnent 
O-j'ara,  au  lieu  de  O^'aya  :  la  correction  ne  me  parait  pas  douteuse. 


^62  EXPLOITATION   DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

el  Khemis,  traversées  par  la  Medjerda',  —  véritables  greniers 
de  la  Tunisie  septentrionale,  avaient  été  enlevées  par  Masinissa 
à  Carthage'.  Polybe  y  mentionne  des  -ôaô'.ç^  terme  qu'il 
-applique  à  des  bourgs  comme  à  des  villes.  C'était  bien  une 
ville  que  Bulla,  qui  occupait  un  plateau,  au  pied  du  djebel 
Rebia,  à  peu  de  distance  au  Nord  du  fleuve*.  Il  faut  renoncer  à 
voir,  avec  Tissot^,  une  citadelle  numide  dans  des  ruines  qui 
appartiennent  incontestablement  à  des  thermes  romains ^  Mais 
on  a  découvert,  autour  de  ce  lieu,  de  nombreuses  sépultures 
qui  datent  des  époques  punique  et  royale  :  soit  des  tombes  de 
type  carthaginois,  soit  des  dolmens  indigènes^  En  81  avant 
J.-C,  un  roi  vaincu,  Hiarbas,  se  réfugia  dans  Bulla*.  L'épithète 
Regia,  que  les  Latins  joignaient  au  nom  de  la  ville',  atteste 
peut-être  qu'elle  eut  rang  de  capitale  *". 

Plus  en  amont,  sur  la  rive  gauche  de  la  Medjerda  et  autour 
d'un  contrefort,  se  trouvait  Simitthu  (Chemtou)".  Nous  avons 
parlé  *^  des  carrières  de  marbre  qui  y  furent  exploitées  dès 
l'époque    royale.   Des  restes  d'un  grand  temple  d'architecture 

!.  T.  JI,  p.  96. 

2.  T.  m,  p.  321. 

3.  XIV,  9,  4.  Conf.  Tite-Live,  XXX,  9,  2.  qui,  traduisant  Polybe,  se  sert  du  mot 
urbes. 

4.  Allas  archéol.  de  la  Tunisie,  î"  Fernana,  n"  137. 

5.  Géogr.,  II,  p.  200-1. 

6.  Vidi.  Carton,  C.r.  Acad.   Inscr.,  1919,  p.  375. 

7.  Conf.  t.  Il,  p.  109,  n.  13. 

8.  Paul  Orose,  Adv.  pagan.,  V,  21,  14  (prnb.Thlenient  d'après  Tite-Live)  : 
•  Poinpeius  llierlam  [corr.  Iliarbam]  Numidiae  rfpem  persccutus  fugientemque 
a  Bo^'-udc,  Bocchi  Maurorum  refais  (ilio,  spoliari  oinnit)Uâ  i-opiis  fecit;  quem 
continuo  Builam  reversum  tradito  sibi  oj)pi(lo  interfccit.  »  Le  mot  reversam 
semble  indiquer  que  ce  roi  avait  fait  de  Huila  son  lieu  de  résidence.  Il  est  à  croire 
que  c'était  Bulla  Itfigia,  et  non  une  autre  Bulla,  qui  est  mentionnée  dans  des 
documents  de  l'époque  cbrétionne  et  qui  était  probablement  une  ville  sans 
importance. 

9.  Pline  l'Ancien,  V,  22.  Itinéraire  d'Antonin  et  Table  de  Peutinger.  C.  /.  L., 
VIII,  25  515,  25  522.  Etc. 

10.  Supra,  p.  253.  L'attribution  à  Bulla  Bepia  de  monnaies  portant  la  légende 
BB'L,  en  lettres  puniques  (Miiller,  Numism.,  III,  p.  57),  est  arbitraire.  II  n'est 
4néme  pas  sur  que  ces  monnaies  soient  africaines. 

fl.  Allas  archéol.  de  la  Tunisie,  {'  (Jhardimaou,  n"  70. 
12.  P.  211-2. 


LIEUX  HABITÉS.  263 

grecque  *,  qu'on  peut  dater  du  second  ou  du  premier  siècle 
avant  notre  ère,  prouvent  qu'une  cité  s'élevait  déjà  à  Simitthu. 
A  peu  de  distance  au  Nord-Ouest,  sur  une  des  dernières  pentes 
des  montagnes  qui  bordent  au  Nord  la  plaine  où  coule  le  fleuve, 
Thuburnica  (Sidi  Ali  Belkassem-)  semble  avoir  été,  elle  aussi,  une 
ville  ancienne,  où  l'usage  de  la  langue  punique  s'était  répandu*. 

La  région  montagneuse,  forestière  et  très  humide,  qui  s'étend 
entre  la  Medjerda  et  la  mer,  au  Sud  de  Tabarca  et  de  La  Galle, 
et  que  coupe  aujourd'hui  la  frontière  algéro-tunisienne,  était 
moins  propre  à  l'agriculture  qu'à  l'élevage,  mais  à  un  élevage 
qui  pouvait  être  pratiqué  par  des  populations  presque  séden- 
taires. Des  villages  s'y  étaient  créés  çà  et  là*;  mais  les  villes 
devaient  être  fort  rares.  C'est  cependant  de  ce  côté  qu'il  con- 
vient, semble-t-il,  de  chercher  Phelliné,  la  «  ville  des  Chênes 
lièges  »,  prise  par  des  troupes  d'Agathocle  à  la  fin  du  iv''  siècle  ^ 
Et  c'est  certainement  une  vieille  cité  numide  qui,  au  Sud-Ouest 
de  La  Galle,  couvrait  un  plateau  dominant  la  longue  vallée  delà 
Cheffia,  à  Kef  Béni  Feredj''.  Cette  ville,  dont  le  nom  était  écrit 
par  les  Romains  Thullium  \  ne  renonçait  pas,  sous  l'Empire, 
à  faire  un  très  large  usage  de  l'écriture  libyque;  les  sépultures 
indigènes  en  forme  de  dolmen  ne  manquent  pas  autour  d'elle. 

11  serait  chimérique  de  prétendre  retrouver  les  cinquante 
«  villes  »  du  pays  de  Thugga  qui  tombèrent  aux  mains  de 
Masinissa  ^  La  plus  importante  était  naturellement  Thugga 
(Dougga)  \   dont  le  nom  est  écrit  TBGG  (ou  TBG'G')  sur  des 

1.  Cajïnat,  Gaucklcr  el  Sadoux,  Les  temples  païens  de  la  Tunisie,  p.  110  (d'après 
Saladin). 

2.  Atlas  Tunisie,  f  Ghardimaou,  n"  7. 

3.  Oii  y  a  trouvé  plusieurs  inscriptions  néopuni(iues  :  fiép.  d'épigr.  sémil.,  II, 
938,  939.  " 

4.  Voir,  p.  ex..  Mercier,  ISull.  archéol.du  Comil(\  1887,  p.  451. 
.5.  Diodore,  XX,  .57,  5.  Conf.  ici,  t.  Il,  p.  95;  t.  111,  p.  50. 

6.  Gsell,  Allas  archéol.  de  V Algérie,  t"  9  (Hône),  n"  242. 

7.  Gsell,  Inscr.  lat.  de  VAlgérie,  I,  137. 

8.  .\ppien,  Lib.,  68.  Dans  ce  lexte,  il  s'apit,  croynns-ndus,  de  la  région  de 
Thuppa,  et  non  de  la  Tusca  :  voir  t.  H,  p.  110;  UI,  p.  321. 

9.  Allas  Tunisie,  t'  Téboursouk,  n"  183. 


264  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

inscriptions  puniques  et  libyques  \  C'était  déjà  une  cité  d'une 
belle  grandeur  à  la  fin  du  iv^  siècle  ^  Elle  ne  déchut  pas  sous 
ses  nouveaux  maîtres,  dont  elle  accepta  volontiers  la  domi- 
nation :  neuf  ans  après  la  mort  de  Masinissa,  elle  lui  dédia 
officiellement  un  sanctuaire  ^  La  ville  libyque  était  située  sur 
un  plateau,  bordé  par  des  falaises  au  Nord-Est  et  à  l'Est,  et  se 
terminant  au  Midi  par  un  étroit  éperon  *.  Il  reste  quelques 
vestiges  d'un  rempart,  muni  de  tours  ^  Des  dolmens  se  ren- 
contrent au  delà  de  cette  muraille  ";  à  quelques  centaines  de 
mètres  au  Sud,  se  dresse  le  fameux  mausolée  gréco-punique, 
qui  date  sans  doute  du  second  siècle  avant  J.-C  \  II  y  avait  à 
Thug-ga  d'autres  monuments  de  même  style,  mausolées  ou 
temples,  comme  le  prouvent  des  débris  d'architecture  *.  Un, 
peut-être  deux  sanctuaires  de  Baal  Hammon  avaient  été  établis 
tout  auprès  de  la  ville  ^  Les  deux  langues  punique  et  libyque 
étaient  l'une  et  l'autre  en  usage  dans  l'épigraphie,  même  dans 
des  inscriptions  officielles  '°.  Quoique  très  pénétrée  de  civili- 
sation carthaginoise,  Thugga  paraît  avoir  tenu  à  ne  pas  perdre 
entièrement  sa  physionomie  indigène.  Il  ne  semble  pas  que  ses 
institutions  municipales  aient  été  servilement  copiées  sur  celles 
des  cités  phéniciennes  *^ 

1.  Chabot.  C.  r.  Acad.  Inscr.,  1916,  p.  126,  136-7. 

2.  Uiodore,  XX,  57,  4.  Conf.  ici,  t.  Il,  p.  110;  t.  111,  p.  49-50. 

3.  Cliabot,  Punica,  p.  208  et  suiv. 

4.  l'oins.sol,  A'ouc.  Arch.  des  Missions,  XXII,  fasc.  2  (1921),  p.  170. 

5.  Carton,  Thuggi,  p.  108-9  (assises  en  blocs  simplement  équarris,  superposés 
sans  mortier). 

6.  Carton,  Découvrîtes  épigr.  faites  en  Tunisie,  p.  355  et  suiv.  (conf.  ici,  t.  II, 
p.  110,  n.  10). 

7.  Voir  t.  VI,  1.  Il,  cil.  IV.  §  II. 

8.  Poinssot,  liull.archéol.  du  Comité, 1912,  p.  ccxLiii;  Nouv.  Arch,  Miss.,  l.  c,  p.  171. 

9.  Là  où  furent  élevés  plus  tard  des  temples  de  Saturne,  l'un  au  Nord-li;>tde  la 
ville  libyque  (Carton,  Thugga,  p.  51  et  suiv.),  l'autre  au  Sud-Ouest  (Poinssot, 
Nouv.  Arch.  Miss.,  l.  c,  p.  170  et  177). 

10.  Dédicace  biliiifjiie  du  sanctuaire  de  Masinissa.  Inscriptionslibyquesofflcielles: 
Chabot,  dans  Journ.  asint.,  1921,  I,  p.  67  et  suiv.  Dédicace  bilingue  du  mausolée  : 
(jhabot,  Punica,  p.  201  et  suiv.  Inscriptions  néopuiiiques  plus  récentes,  votives  et 
Iiiiiéraircs  :  Chabot,  C.  r.  Acad.  Inscr.,  1916.  p.  119  et  suiv. 

11.  r.  suprit,  p.  133-4. 


LIEUX   HABITES.  265 

Autour  de  Thugga,  des  villes  romaines  remplacèrent  des 
bourgs  ou  des  villes  libyques  :  ce  dont  témoignent,  d'une 
manière  plus  ou  moins  certaine,  le  choix  des  sites,  la  présence 
de  dolmens,  formant  parfois  de  grands  cimetières,  enfin  quel- 
ques fragments  d'architecture  gréco-punique.  Sans  vouloir  être 
complet,  nous  citerons,  au  Sud-Est  de  Dougga,  Agbia  '  ;  au 
Sud-Ouest,  Aunobari  -,  et,  plus  loin,  Musti  ^;  du  Nord-Est  au 
Nord-Ouest,  Thubursicu  (ou  Thibursicu)  Bure  *,  Thimida 
Bure  %  Thigibba  Bure  ^  Le  terme  Bure,  commun  à  ces  trois 
villes,  désignait  peut-être  la  région  où  elles  s'élevaient  '. 

On  lit  dans  Salluste  *  que  le  roi  Hiempsal,  fils  de  iMicipsa, 
séjourna  «  in  oppido  Thirmida  »,  dans  une  maison  mise  à  sa 
disposition  par  un  Numide.  Peut-être  faut-il  corriger  Thimida 
et  s'agit-il  de  Thimida  lîure.  Une  ville  appelée  Thimida  Regia 
est  connue  par  des  documents  de  l'époque  romaine  ^;  une  ins- 
cription latine,  trouvée  dans  des  ruines  de  la  vallée  de  l'oued 
Miliane  voisines  d'Oudna*",  est  une  dédicace  officielle  à  un  per- 
sonnage qui  portait,  entre  autres  titres,  celui  de  [cur^^ator  splen- 
didissimae  rei  publicae  Thimidensium  Regiorum  :  d'où  l'on  a 

1.  Aïn  Hedja  :  Atlas  Tunisie,  T  Téhonrsouk,  n°  l'JO.  Chapiteau  do  pilastre 
gréco-puaique  :  DiehI.  Nom.  Arch.  Missions.  IV  (1S9.3),  p.  432  et  flg.  i. 

2.  Henchir  Kern  el  Kebch  :  Atlas,  l.  c,  n"  160.  Nécropole  mégalithique  :  Carton, 
Découv.,  p.  364  et  suiv. 

3.  Henchir  Mest  :  Atlas  Tunisie,  f"  Jama,  n°  3. 

4.  Téljoursouk  :  ibid.,  C  Tébnursouk,  n"  27.  Caveau  funéraire  du  i"  siècle  avant 
J.-C.  :  Ravard,  Bull,  archéol.  du  Comité.  1896,  p.  143-6.  Nombreux  dolmens  au-dessus 
de  Téboursouk  :  Atlas,  l.  c,  n"28;  Carton,  Découv.,  p.  344  et  suiv.  Inscriptions 
néopuniques  :  Chabot,  Punica,  p.  190;  C.  r.  Acad.  Inscr.,  1919,  p.  212. 

5.  Kouch  Batia  :  Atlas,  l.  c.  n"  2.  Le  nom  est  écrit  en  abrégé  sur  les  inscrip- 
tions C.  f.  L..  VIII,  15  420-1  :  Tkini.  Bure;  mais  il  n'est  guère  douteux  que  la 
ville  ne  se  soit  appelée  Thimida.  Vaste  nécropolo  mégalithique  sur  le  djebel  Gorra, 
au  Sud  de  ce  lieu  :  Carton,  Découv.,  p.  326  et  suiv.  IMus  prés,  chambres  funéraires 
taillées  dans  le  roc  :  Carton,  /.  c,  p.  285,  3fiS  et  suiv. 

6.  Djebba  :  Atlas  7'unisie,  f  Souk  el  Arba,  n"  20.  C.  I.  f...  VIll.  26  166  :  Thiyilnba) 
Bur(e);  conf.  ibid.,  20  167-9. 

7.  Conf.  Merlin  et  Poinssot.  .Méni.  des  Antiiiaairrs  de  France,  LX.XU,  1913,  p.  152-4. 
Dans  une  inscription  de  Téboursouk  (C.  /.  /,.,  Vill,  I.")  33.')),  l'ethnique  Bure(n)sis 
est  employé  comme  cognomen. 

8.  Jug.,  XII,  3. 

9.  Ce  fut  un  évêché  :  voir  .Mesnage.  L'Afrique  chrétienne,  p.  28. 

10.  C.  /.  L.,  VIII,  883;  découverte  à  Sidi  Mi  Sedllni  (/1/tas  TunisiV,  f  Oudna,  n»  42). 


266  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D  HABITATION. 

conclu  que  Thimida  Regia  était  en  ce  lieu.  Mais,  comme  nous 
sommes  là  dans  la  province  romaine  créée  en  146  avant  J. -G.,     ' 
l'épithète  Regia  s'explique  malaisément,  si  elle  se  rapporte  au 
roi  de  Numidie  *.  Il  faudrait  donc  admettre  que  cette  Thimida 
Regia    s'élevait,   en  réalité,  loin   de   l'endroit    oii  la   dédicace 
a  été  découverte.  Rieii  n'autorise,  du  reste,  à  l'identifier  avec 
Thimida  Bure,  avec  la  «  Thirmida  »  mentionnée  par  Salluste  : 
il  n'y  avait  sans  doute  pas  de  résidence  royale  dans  celle-ci, 
puisque  Hiempsal  dut  s'y  contenter  d'une  maison  particulière  ^. 
Au  Sud-Ouest  de  la  région  de  Dougga,  Sicca  (Le  Kef)  '  était 
la  principale  ville  d'un  pays  de  larges  plaines.  Située  au  croi- 
sement de  plusieurs  routes  naturelles  et  à  peu  de  distance  de  la 
Gétulie,  elle  occupait,  auprès  d'une  source  très  abondante,  une 
forte  position  sur  les  pentes  raides  et  rocheuses  du  djebel  Dyr, 
d'où  Ton  a  des  vues  très  étendues.  Des  textes  la  mentionnent  au 
milieu  du  m' siècle*  et  au  temps  delaguerrede  Jugurtha\  Marins, 
alors  lieutenant  de  Métellus,  alla  s'y  approvisionner  en  blé.  Sicca 
devait  être  un  marché  très  fréquenté  ^  Les  étrangers  y  visitaient 
le  sanctuaire  d'une  déesse  que  les  Latins  identifiaient  avec  Venus^ 
lieu  oîi   des  femmes  se    livraient    à   la  prostitution^  :  il  n'est 
-pas  sûr  que  ce  fût  là  une  importation  de  mœurs  phéniciennes  ^ 
Des    bourgs    qui    entouraient    Sicca    dépendaient    d'elle    à 

1.  M.  Poinssot  (G.  r.  Acad.  Inscr.,  1907,  p.  470,  a.  2)  conteste  que  Thimida  Regia 
ait  été  là.  Cependant  ou  pourrait  à  la  rigueur  admettre  que  les  rois  numides 
avaient  un  domaine  en  ce  lieu  (ils  possédaient  des  terres  dans  la  province 
d'Afrique  :  voir  t.  Vil,  1.  I,  ch.  m,  §  II).  On  pourrait  encore  supposer  que  Régla 
était  la  traduction  d'un  terme  punique  et  ne  concernait  pas  un  souverain  indigène  :  le 
mot  mdelc  ciiez  les  Phéniciens  désignait  des  rois  divins,  comme  des  rois  humains. 

2.  Thibaris  et  Uchi  majus,  villes  situées  à  quelques  lieues  au  Nord-Ouest  et  à 
rOuest  de  Thugga,  se  qualifiaient,  sous  l'Empire  romain,  de  municipiiim  Marianum, 
de  cobmia  Mariuna.  Leur  existence  remontait  donc  à  l'époque  de  Murius.  Peut-être 
le  vainqueur  do  Jugurlha  y  avait-il  établi  des  Gélules.  Voir  t.  Vil.  1.  1,  ch.  i,  §  II). 

:L  Atlas  Tunisie,  ("  Le  Kef,  n"  ii"). 

4.  Polybe,  1,00,  G.  Siccaappartenailaiorsà  Carthage.  Gonf.  t.  Il,  p. 96;  t.  III,  p.  101-2. 

5.  Salluste,  Jw/.,  LVl,  il-i.  H  indique  une  porte  de  cette  ville  forte  (oppidum). 

6.  On  a  rattaché  le  nom  de  Sicca  à  un  mol  phénicien,  signidant  «  marché  »  : 
voir,  enire  autres,  Tissot,  G(*ofifr.,  11,  p.  370.  Cette  étymologie  est  fort  douteuse. 

7.  Valère-Miixime,  II,  0,  15. 

S.  Voir  t.  IV,  p.  403,  cl  ici,  p.  31. 


LIEUX  HABITÉS.  267 

l'époque  romaine  ^  Il  est  probable  qu'ils  existaient  déjà  à 
l'époque  numide.  Dans  l'un  d'eux,  Aubuzza,  on  a  trouvé  un 
chapiteau,  débris  d'un  monument  grec  ou  gréco-punique  ^ 
C'étaient  encore,  au  Sud-Est  de  Sicca,  Lares  ^,  qui  avait 
quelque  importance  à  la  fin  du  ii^  siècle,  car  Marius  y  mit  en 
dépôt  des  vivres  et  de  l'argent  pour  la  solde  de  ses  troupes  *  ; 
au  Sud,  Obba  %  avec  des  monuments  d'architecture  punique  et 
grecque  ®;  une  ville  homonyme  de  Thugga  (les  Romains  l'appe- 
laient Thugga  Terebinthina)  ''  ;  Althiburos  *,  qui  a  donné  des 
inscriptions  puniques  (l'une  d'elles  est  peut-être  de  l'époque 
royale  •')  et  qui  fut  administrée  par  des  sufètes  '°. 

Nombreux  aussi  étaient  les  villes  et  villages  au  Sud  du  pays 
de  Dougga,  sur  le  plateau  central  tunisien.  Là,  une  table 
rocheuse  portait  Mactar  ",  où  subsistent  quelques  restes  d'un 
rempart  préromain  '-,  ainsi  que  des  dolmens  ^^  Nous  y  rencon- 
trons des  sufètes  '*,  magistrature  qui  y  fut  peut-être  instituée 
avant  la  domination  romaine,  et  des  preuves  épigraphiques 
d'un  usage  très  étendu  de  la  langue  punique  ^^. 

1.  L'un  à  Nibbeur,  au  Nord-Est  du  Kef;  un  autre,  Ucubi  (Henchir  Kaoussat),  à 
l'Est;  un  autre,  Aubuzza  (Hencbir  Djezza),  au  Sud.  Voir  C.  /.  L.,  VIII,  p.  1516, 
1519,  1563;  Atlas  Tunisie,  f  Ksour,  n"  35  (Aubuzza). 

2.  Saladin,  Arch.  des  Missions,  3'  série,  XIII  (1887),  p.  201,  fig.  348-9  [=  Instruc- 
tions pour  la  recherche  des  antiquités  dan^  le  Nord  de  l'Afrique,  p.  89,  flg.  66]. 

3.  Lorbeus  :  Atlas  Tunisie,  ('  Ksour,  u"  70. 

4.  Salluste,  Jug.,  XC,  2  :  «  oppidum  Laris  ». 

5.  Ebba  :  Atlas,  l.  c,  n°' 87-88. 

6.  Linteau  et  corniche  :  Saladin,  l.  c,  p.  199,  11g.  344-5  [=  Instructions,  p.  90, 
fig.  68;  p.  92,  lig.  70].  A  Ksour  {Atlas,  l.  c,  n°  99),  chapiteau  peul-ôtre  gréco- 
punique  :  Saladin,  L  c,  p.  197,  fig.  343  [=  Instructions,  p.  89,  (ig.  67];  il  a  |pu 
être  apporté  d'une  ruine  voisine,  Obba  ou  Althiburos. 

7.  Honchir  Dougga  :  Atlas,  l,  c,  n"  123. 

8.  Hencbir  Mdeina  :  ibid.,  n°  97. 

9.  Berger,  Journ.  asiat.,  1887,  I,  p.  467.  Elle  est  d'un  type  intermédiaire  entre 
l'écriture  puni(]ue  et  l'écriture  néopunii|ue. 

10.  Mentionnés  dans  une  inscription  ucopunique  :  Uerger,  l.  c,  p.  460-1. 
M.  Atlas  Tunisie,  f  Maktar,  n"  186.  Appelée  Maclaris  à  l'époque  romaine. 

12.  Herger,  Mémoires  de  l'Acad.  des  Inscr.,  XXXVI,  2°  partie  (1901),  p.  136. 

13.  Au  Sud  et  au  Sud-Est  de  la  ville  :  voir  Atlas,  l.  c.  (n"  1  sur  le  plan  de  Maktar). 

14.  Inscription  néopunique  :  Berger,  Mém.,  l.  c,  p.  168. 

15.  On  connaît  environ  120  inscriptions  néopuniques  de  ce  lieu.  Voir  Chabot, 
Punica,  p.  11  et  suiv.,  129  et  suiv.,  220  et  suiv. 


268  EXPLOITATION   DU  SOL   ET  MODES  D  HABITATION. 

Dans  la  même  région  que  Majctar,  des  dolmens  attestent 
l'ancienneté  d'Hammam  ez  Zouakra  \  de  Magraoua  ^,  d'Ellès  % 
de  Ksar  Mdoudja  *,  d'Henchir  Djemal  \  de  Kessera  ^  (qui 
s'appelait  Chusira),  d'Henchir  el  Ksiba  %  d'Henchir  Meded  \ 
autrefois  Mididi.  A  Mididi,  on  a,  comme  à  Mactar,  parlé  et 
écrit  longtemps  la  langue  punique  ^ 

De  ce  côté,  non  loin  de  Sicca  ^\  se  trouvait  Zama,  qui  résista 
avec  succès  à  Métellus,  lors  de  la  guerre  de  Jugurtha  :  «  grande 
ville,  dit  Salluste,  riche  en  armes  et  en  hommes,  citadelle  de 
la  partie  du  royaume  oii  elle  était  située  ".  »  —  «  Cette  ville, 
ajoute-t-il,  établie  en  plaine,  était  mieux  défendue  par  l'art 
que  par  la  nature  '-  »  :  indication  qui  interdit  de  l'identifier 
avec  les  deux  Zama  que  des  inscriptions  latines  ont  fait  con- 
naître, l'une  à  Jama  '^  (à  environ  30  kilomètres,  à  vol  d'oiseau, 
au  Nord  de  Mactar),  l'autre  à  Sidi  Amor  el  Djedidi  '^  (à  une  qua- 
rantaine de  kilomètres  à  l'Est  de  la  première),  car  l'une  et 
l'autre  sont  en  terrain  accidenté  ''. 

1.  Atlas  Tunisie,  f  Maktar,  n°  127. 

2.  /6id.,  n"  125. 
:\.  Ibid..  n"  121. 

4.  Ibid.,  n°  133. 

5.  Ibid.,  n"  231. 

6.  Ibid.,  n"  234. 

7.  Ibid.,  n"  280. 

8.  Atlas  Tunisie,  t"  El  .Ua,  n"  4. 

9.  Bép.  d'épigr.  sémit.,  1,  107-180;  II,  781.  Chabot.  Punica,  p.  28  et  suiv.  —  Des 
inscriptions  ncopiiniques  ont  été  trouvées  dans  quelques  autres  lieux  de  la  région 
de  .Maktar  :  ù  Zama  (Jama),  à  llzappa  (Ksour  Abd  el  Melek  :  Allas  Tunisie,  f  Mak- 
tar, n"  153),  ii  liaminam  ez  Zouakra. 

10.  Voir  Salluste,  Jwj.,  LVI,  3,  et  LVII,  1. 

11.  Jug.,  LVI,  1  :  •  urbem  magnam  et  in  ea  parte,  qua  sita  erat,  arcem  regni. 
Domine  Zamam.  •■  Ibid.,  LVII,  1  :  «  oppidum...  armis  virisque  opulcntum.  » 

12.  Jug.,  LVII.  1  :  «  id  oppidum,  in  campo  situm,  magis  opère  quam  natura 
munitum  erat.  •  Mentions  des  remparts  :  ibid.,  LVI,  2;  LVII,  2  et  4;  LIX,  1  ;  LX,  3 et 6. 

13.  Atlas  Tunisie,  V  Jama,  n"  72. 

14.  Ibid.,  f  Ujebel  Hou  Dabouss,  a"  14.  Je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  douter  qu'il 
y  ait  eu  une  Zama  en  ce  lieu,  où  a  été  découverte^  une  dédicace  faite  d{ccreto) 
dierurionum)  par  un  magistrat  coloniae  Zaniensis  (C.  I.  L.,  VIII,  12  018),  et  qui 
était  voisin  de  Furnos  et  d'Abthugni,  comme  une  Zama  mentionnée  dans  un 
texte  latin  :  voir  t.  III,  p.  255,  n.  5. 

15.  Sur  cette  question,  voir  t.  III,  p.  255-8,  à  propos  de  la  Zama  auprès  de 
laquelle  IIfiiiiiii)al    carnpa  avant  la  i)ataille  où  il  fut  vaincu  par  Scipion. 


LIEUX  HABITES.  269 

La  Zama  dont  parle  Salluste  était  sans  doute  identique  '  à  la 
Zama  qui  servit  de  capitale  à  Juba  P"  -;  ce  roi  y  éleva  deux 
enceintes  nouvelles  autour  de  celle  qui  existait  déjà  ^,  précau- 
tion justifiée  en  un  lieu  dépourvu  de  défenses  naturelles. 

D'autre  part,  la  capitale  de  Juba  était  évidemment  Zama  la 
Royale,  Zama  Regia,  mentionnée  sous  l'Empire  *  et  située  dans 
la  même  région  que  la  Zama  dont  les  ruines  se  voient  à  Jama  '\ 
Il  reste  à  retrouver  cette  cité  célèbre  ^ 

Dans  les  montagnes  qui  s'étendent  au  Nord-Ouest  du  Kef, 
entre  Sicca  et  la  Medjerda,  Masculula  '  et  la  civiias  Popthensis  * 
occupaient  des  sites  escarpés,  qu'on  peut  qualifier  de  berbères, 
et  elles  ont  fourni  un  certain  nombre  de  textes  néopuniques  "  : 
peut-être  se  sont-elles  constituées  avant  l'Empire  romain.  Il  est 
fort  douteux  que  Naraggara,  située  à  Sidi  Youssef  '",  à  l'Ouest 
de  Sicca,  ait  été  la  ville  qu'un  manuscrit  de  Tite-Live  appelle 
ainsi  ",  ville  dont  Scipion  l'Africain  s'empara  avant  de  livrer  à 
Hannibal  la  bataille  dite  de  Zama. 


1.  Quoi  qu'en  pense  T.  R.  Holmes,  The  Roman  Republic,  III,  p.  539. 

2.  Bell.  Afric,  XCI,  2  {ibid.,  3  :  mention  du  forum  de  celte  ville).  Strabon,  XVII, 
3,  9.  Vitruve,  VIII,  3,  24  :  «  Zama...,  civitas  AIrorum,  cuius  nioenia  rex  luba  du- 
plici  muro  saepsit  ibique  regiam  domum  sibi  constituit.  » 

3.  Vitruve,  cité  n.  2.  Conf.  Bell.  Afric,  XCI,  3  :  «  oppidum  Zama,...  quod  inito 
bello  operibus  maximis  muniverat  (Juba).  » 

4.  Table  de  Peutinger.  C.  I.  L.,  VI,  1  686;  VIII,  23  601. 

5.  Voir  t.  III,  p.  256. 

6.  Strabon  (XVII,  3,  9  et  12,  où  les  manuscrits  donneni  Zâzpta)  afllrme  que  Zama, 
la  capitale  de  Juba,  fut  détruite  au  cours  des  guerres  qui  désolèrent  IWfrique  avant 
l'Empire.  César,  en  46,  traita  bien  cette  ville,  qui  avait  abandonné  le  roi  Juba 
(voir  Bell.  Afric,  XCII  et  XCVII,  1).  Six  ans  plus  tard,  Sextius,  gouverneur  de 
VAfrica  velus,  s'empara  de  Zama  après  un  long  siège  (Dion  Cassius,  .XLVIU,  23,  3); 
mais  on  ne  nous  dit  pas  qu'il  l'ait  détruite.  En  tout  cas,  Zama  Regia  existait  aux 
premiers  siècles  de  notre  ère.  —  On  ignore  où  élait  Ismuc,  lieu  situé  à  vingt  milles  de 
Zama.  C'était,  dit  Vitruve  (VllI,  3,  24-2,ï),  un  oppidum  dont  toutes  les  terres  apparte- 
naient à  un  prince  numide,  compagnon  d'armes  de  Jules  César  (conf.  supra,  p.  208). 

7.  Henchir  Guergour  :  Atlas  Tunisie,  C  Ouargba,  n°  1. 

8.  Ksiba  :  Atlas  Algérie,  f"  19  (El  Kef),  n°  37.  Pour  le  nom,  voir  Gsell, /nscr.  lat. 
de  l'Algérie,  I,  1109. 

9.  Chabot,  Punica,  p.  40  et  suiv.,  122  et  suiv.  L'une  des  inscriptions  de  Masculula 
mentionne  des  sufètes. 

10.  Atlas  Algérie,  ('  19,  n°  73. 

11.  Tile-Live,  XXX,  29,  9  (A'arcara dans  d'autres  manuscrits).  .Mâpyapov  (il  l'accu- 
satif), dans  Polybe,  XV,  5,  14,  Voir  t.  III,  p.  261-2. 

GsKi.L.  —  Afrique  du  .Nord.  ^■.  18 


270  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D  HABITATION. 

Plus  à  l'Ouest,  étaient  Thagura  '  et  Madauros  ^,  dont  l'exis- 
tence est  mieux  attestée  pour  l'époque  numide.  On  attribue 
avec  vraisemblance  à  Thagura  une  monnaie  offrant,  en  lettres 
néopuniques,  la  légende  TGRN  ^  Quant  à  Madauros,  Apulée, 
un  de  ses  enfants,  nous  apprend  qu'après  avoir  appartenu  à 
Syphax,  elle  fut  soumise  à  l'autorité  de  Masinissa  *. 

Madaure  était  à  la  lisière  du  pays  des  Gétules  %  qui,  traver- 
sant le  centre  de  la  province  de  Constantine,  s'étendait  sur  une 
suite  de  vastes  plaines,  vouées  alors  à  l'élevage.  Au  Nord,  dans 
le  ïcll,  montagneux,  mais  sillonné  de  vallées  fertiles,  les 
Numides  vivaient  dans  des  villes  et  des  villages,  qui  se  trans- 
formèrent profondément  sous  la  domination  romaine  ^  On 
devine  uq  passé  plus  lointain  à  quelques  indices'  :  sépultures 
de  types  indigènes  \  débris  d'architecture  punique  **,  inscrip- 
tions néopuniques  %  abondance  de  noms  d'origine  phénicienne 
sur  des  incriptions  latines  '°.  Témoignages  qui  ne  sont  pas  anté- 
rieurs à  l'Empire  ",  mais  qui  valent,  dans  une  certaine  mesure, 
pour  l'époque  royale  :  dans  des  lieux  où  elles  étaient  établies 
depuis  longtemps,  les  civilisations  libyque  et  punique  ont  dû 

1.  Taoura  :  Allas  Algérie,  t  19,  q"  80. 

2.  Mdaouroucli,  ibid.,  f  18  (Souk-Arrhas),  n"  432. 

3.  V.  supra,  p.  131,  n.  5. 

4.  ApoL,  XXIV,  7-8  :  «...  etsi  adliuc  Syphacis  oppidum  essemus.  Quo  tamen 
victo,  ad  Masinissam  regem  muiiere  populi  Romani  concessimus.  »  Coaf.  Gselt 
et  Joly,  Mdaourouch,  p.  8. 

a.  Supra,  p.  111,  n.  0. 

6.  Voir,  p.  ex.,  dans  Gseli  et  Joly,  Khamism,  p.  12  et  suiv.,  l'histoire  de  la  trans- 
formation de  Thuiiursicu  Nuinidarum  (Atlas  Algérie,  V  18,  u"  2'.)7),  qui  fut  d'abord 
le  chef-lieu  d'une  trihu  de  Numides. 

7.  A  Guelaa  Bou  Atfane,  Henchir  el  Aria,  Tifech  :  Allas,  l.  c,  n"  200,  390,. 
391.  Etc. 

8.  Chapiteaux  f^réco-puniiiues  trouvés  à  Tifech,  Henchir  el  Aria,  Guelaa  Bou 
Atfane;  autre,  conservé  à  Mammam  .Meskoutine.  Voir  Gsell,  Bull,  archéol.  du 
Comité,  1900,  p.  379-381;  do  VavMiaTe^,  Musée  de  Guelma,  p.  39  et  49;  pi.  VIII.  flg.  1. 
et  pi.  X.  flh'.  1. 

9.  A  Tifech,  Khamissa,  Guelaa  Hou  Atfane,  Kef  Be/ioun  (dans  l'antiiiuité  Zat- 
tara  :  Atlas,  l.  c,  n"  233).  four  ces  deux  derniers  lieux,  voir  Chabot,  Punica,  p.  ."54 
et  33. 

10.  Kn  particulier  à  Khamissa  et  ti  Guelaa  Bou  Atfane  :  voir  Gsell,  Inscr.  lat.  de 
VAlgérie,  I,  p.  11."»  et  suiv.,  p.  60  et  suiv. 

11.  Sauf  peut-f'tre  des  chapiteaux  de  style  punique  et  des  sépultures. 


LIEUX  HABITÉS.  271 

se  maintenir  plus  aisément  qu'elles  ne  se  sont  introduites  dans 
des  centres  nouveaux,  alors  que  Rome  était  maîtresse  de  la 
Numidie  et  que  sa  civilisation  s'offrait  à  ses  sujets. 

Tipasa  (Tifecli)  et  Calama  (Guelma)  ^  ont-elles  emprunté  leur 
nom  à  la  langue  phénicienne?  On  ne  peut  l'affirmer  sans  hési- 
tation, quoique  ces  deux  noms  se  retrouvent  sur  des  côtes 
fréquentées  et  colonisées  par  les  Phéniciens-.  Tipasa  paraît 
avoir  été  une  vieille  ville  ^,  et  il  n'est  pas  douteux  qu'un  centre 
de  population  assez  important  ait  existé  à  Calama  avant  l'époque 
romaine.  Ce  n'est  pas  le  site  qui  le  prouve,  car  celte  ville 
s'étendait  sur  une  pente  douce,  très  facilement  accessible.  Il  y 
eut  là  pourtant  une  cité  qui,  avant  de  devenir  latine,  adopta 
largement  la  langue  et  les  institutions  puniques  \  qui  fut  admi- 
nistrée par  des  sufètes^ 

Paul  Orose,  qui  copie  très  probablement  Tile-Live,  dit  que 
Jugurtha  vainquit,  près  de  la  ville  de  Calama,  le  Romain  Aulus 
Postumius,  qu'avait  attiré  l'espoir  de  s'emparer  des  trésors 
royaux*^.  Salluste  ne  mentionne  pas  à  ce  propos  Calama.  C'était, 
d'après  lui,  dans  une  ville  forte  appelée  Suthul,  que  se  trouvaient 
les  trésors.  Postumius  essaya  vainement  de  la  prendre.  Ayant 
levé  le  siège,  il  suivit,  pendant  plusieurs  jours,  à  travers  des 
lieux  boisés,  Jugurtha,  qui  feignait  de  s'enfuir  devant  lui; 
surpris  par  le  roi,  il  dut  capituler'.  Suthul  était  située  à  l'extré- 
mité d'une  montagne  abrupte*  et  entourée  de  terrains  plats, 

1.  Atlas  Algérie,  f"  9  (Bûue),  n"  146. 

2.  Pour  Tipasa,  voir  t.  Il,  p.  124-5,  n.  16.  Pour  Calama.  ville  situ(^e  dans  le  Nord - 
Oaestde  l'Algérie,  peut-être  sur  le  littoral,  voir  Allas  Algérie,  f"30(Netnours),  au  n"  1 1. 

3.  V.  sapra,  p.  270,  n.  7,  »,  !). 

4.  Voir  (Isell,  Allas  Algérie,  !"  9,  p.  17,  col.  1;  p.  20,  col.  1-2.  i.,es  iuâcripliona 
néopuniques    sont  nombreuses  à    Guelma  :  Chabot,    Punica,   p.  57   et    suiv.    La 

.  langue  puui(iue  se  répandit  aussi  aux  environs;  on  a  des  inscriplimis  néopu- 
niques d'Ain  Nechma  (.Kius,  P  9,  n"  150).  de  Guelaa  Bou  Sba  (ibid.,  n"  91),  d'Ain 
el  Kebcb  (ibid.,  n»  222)  :  voir  Chabot,  Punica,  p.  LU  et  suiv.,  232  et  suiv. 

5.  Gsell,  Inscr.  lat.de  l'Algérie,  I,  233. 

6.  Adv.  pagan..  Y,  I"»,  6  :  •  apud  Calamam  urbeiii  thesauris  regiis  condilis 
inhianteni  bello  opprcssit.  » 

7.  ./«!/.,  XXXVII-XXXVIll. 

8.  Ibid.,  XX.XVII,  4  :  -  silum  in  i)raeruiili  montis  oxtremo  ». 


272  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D  HABITATION. 

que  des  pluies  abondantes  pouvaient  transformer  en  marécages. 
Cela  ne  convient  nullement  à  Guelma  ',  et,  si  l'on  veut  concilier 
Orose  et  Salluste,  il  faut  admettre  que  Suthul  et  Calama  étaient 
deux  villes  bien  distinctes,  que  les  trésors  étaient  à  Suthul, 
mais  que  la  marche  de  Postumius  après  la  levée  du  siège 
Tamena  près  de  Calama.  Il  se  peut  que  celte  Calama  ait  été 
Guelma  :  le  délai  de  dix  jours,  qui  fut  donné  à  Postumius  pour 
évacuer  la  Numidie^,  s'accorde  avec  la  distance  d'environ  240  ki- 
lomètres qu'il  eût  fallu  parcourir  avant  d'atteindre  la  province 
romaine ^  Quant  à  l'emplacement  de  Suthul  \  il  est  inconnu". 

Cirta  (Constantine)  ®  était,  dès  le  m"  siècle  avant  notre  ère,  et 
est  restée  depuis  lors  une  grande  ville  :  aux  temps  de  la  paix 
romaine  et  de  la  paix  française,  elle  a  survécu  aux  raisons  de 
son  existence. 

Car  le  site  qu'elle  occupe  est  celui  d'un  refuge,  capable  de 
résister  à  tous  les  moyens  d'attaque  dont  les  anciens  dispo- 
saient. Ce  plateau  trapézoïdal,  incliné  du  Nord  au  Sud,  est  la 
table  supérieure  d'un  énorme  rocher,  dont  les  hautes  parois  se 
dressent  verticalement,  interdisant  toute  ascension;  l'accès  n'est 
possible  que  par  un  isthme  étroit,   au    Sud-Ouest.   Sur  toute 

1.  Où  plusieurs  savants  ont  voulu  placer  à  la  fois  Suthul  et  Calama  :  voir 
Gsell,  Atlas,  f"  'J.  p.  17,  col.  i. 

2.  Juij.,  XX.WllI.  9. 

3.  (iontraircmeut  à  l'opinion  de  F.  Strenper  (Strabos  Erdkunde  von  Libyen,  p.  73), 
on  doit  écarter  la  Calama  qui  se  trouvait  au  Nord-Ouest  do  rAlp;erie,  fort  loin  de 
la  province  d'Africa.  Nous  n'avons  pas  de  bonnes  raisons  de  croire  à  l'existence 
d'une  troisième  (Calama. 

4.  A  laquelle  Millier  (!\umism,  III,  p.  59)  a  voulu,  sans  motifs  plausiMes,  attri- 
buer des  monnaies  portant  les  deux  lettres  puniques  ÇT. 

5.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  la  placer,  comme  on  l'a  proposé,  à  Ain  Nechma,  tout  près 
de  Guelma  :  voir  fisell,  Atlas,  !'  9,  n"  l.ïO.  Selon  une  autre  hypothèse,  Suthul 
serait  le  même  lien  que  Suletula  (Sbeïtla),  au  Sud  du  massif  central  tunisien,  et 
Calama  devrait  être  cherchée  au  lieu  ajipele  aujourd'hui  Djilma,  aune  trentaine 
de  kilomètres  a  l'Kst-Nord-Kst  de  Sbeïlla  :  lîarbié  du  Bocage,  dans  la  traduction 
de  Salluste  publiée  en  1813  par  Mollevaul,  p.  4.")7;  .ludas.  Essai  sur  la  lantjue 
phénir.ienne.  (i'aris,  1S45|,  p.  4-G ;  etc.  Mais  Sufelula  n'était  pas,  comme  Suthul, 
•  in  praerupti  inonlis  exiremo  «  (voir  le  plan  de  Sbeïtla  dans  A.  Merlin,  Forum 
et  églisrs  de  Sufelula,  Paris,  191li,  pi.  I),  et  il  est  fort  douteux  qu'il  y  ait  eu  des 
lieux  boisés  dans  cette  région. 

6.  Allas  Algérie,  f  17  (Consiaotine),  n"  IJO. 


LIEUX    HABITES.  273 

l'étendue  du  plateau,  il  n'y  a  que  quelques  poches  d'eau'  : 
avant  que  des  aqueducs  romains  fussent  allés  capter  des  sources 
plus  ou  moins  éloignées  de  la  ville,  celle-ci  devait  compter  sur 
les  pluies.  Cependant,  de  grands  rois  se  sont  accommodés  de 
cette  forteresse  et  l'ont  aménagée  le  mieux  qu'ils  ont  pu. 

On  admet  d'ordinaire  que  Cirta{Cirlha  dans  quelques  textes)  * 
est  un  nom  d'origine  phénicienne,  ayant  le  sens  de  «  ville  ». 
Cela  est  très  douteux  :  sur  des  monnaies  de  Cirta  à  légendes 
néopuniques,  le  mot  est  écrit  KRTN  {^=  Kirthan)^,  avec  un 
kaph  au  début,  tandis  que  le  terme  phénicien  qui  signifiait 
ville  s'écrivait  QRT  (QaiH),  avec  un  goph. 

Cirta  est  mentionnée  pour  la  première  fois  vers  la  fin  de  la 
seconde  guerre  punique.  Elle  servait  alors  de  capitale  à  Syphax, 
roi  des  Masœsyles  ^  :  Masinissa,  après  la  défaite  de  Syphax,  y 
trouva  la  Carthaginoise  iSophonisbe,  femme  de  ce  dernier^ 
Rome  lui  ayant  confirmé  la  possession  de  Cirta  %  il  en  fit  à  son 
tour  sa  capitale''.  Il  y  mourut  en  148  avant  notre  ère*.  Ce  fut 
ensuite  la  résidence  de  Micipsa'  et  d'autres  rois '°.  Adherbal  y 
fut  assiégé  pendant  plusieurs  mois  par  Jugurtha".  Elle  resta 
une  capitale  jusque  sous  le  dernier  roi  de  Numidie,  Juba  I"'^, 
qui,  pourtant,  préférait  habiter  Zama. 

1.  Bosco,  Rtc.de  Constantine,  Ll,   1917-8,  p.  182. 

2.  Nous  in;norons  pourquoi  le  même  nom  fut  donné  à  Sicca.  C.  I.  L.,  VIII,  1  632  : 
colonia  Inlia  Veneria  Cirta  Nova  Sicca:  conf.  ibid.,  1  641,  1  648,  15  883,  16  258. 

3.  Millier,  Numism.,  III,  p.  60. 

4.  Tile-Live,  XXIX,  30,  5;  XXIX,  32,  14;  XXX,  12,  3.  .\ppien,  Lib.,  27.  Mêla,  I, 
30.  Zonaras,  IX,  13,  p.  439,  d.  Conf.  ici,  t.  II,  p.  98,  n.  3  et  4;  p.  152,  n.  1;  t.  III, 
p.  176,191,  237-8. 

5.  Tite-Live,  XXX,  12,  11  et  suiv.  Appien,  l.  c.  Paul  Orose,  Adv.  pagan.,  IV, 
18,  21.  Conf.  t.  III,  p.  238. 

6.  Tite-Live,  XXX,  44,  12. 

7.  Slrabou,  XVII,  3,  13.  Orose,  V,   15,  10. 

8.  Polybe,  XXXYI,  16,  10,  édit.  Hiittner-Wobst  (ahas  XXXVII,  3). 

9.  Strabon,  l.  c.  Appien.  Lib.,  106. 

10.  Strabon,  L  c  Mêla,  L  c. 

11.  Salluste,  Jug.,  XXI  et  suiv. 

12.  Appien  (liell.  civ.,  II,  96)  dit  de  Cirta  :  r,  fiailAîiov  r^^  'looa.  L'auteur  du 
BeUam  Africain  {X.XW ,  3)  la  qualttie  d' «  oppidum  opalentissimam  eius[=Iubae] 
reirni  ». 


274  EXPLOITATION  DU  SOL   ET  MODES  D'HABITATION. 

Elle  était,  dit  Strabon',  très  bien  fortiflée^  Il  eût  pu  suffire 
de  barrer  l'isthme;  cependant  il  semble  que  des  remparts  aient 
été  élevés  ailleurs,  sur  les  bords  abrupts  du  plateau  ^  Il  y  avait 
sans  doute  une  citadelle  au  point  culminant,  là  où  fut  plus  tard 
le  Capitole  romain,  la  kasba  arabe  et  turque. 

On  vantait  l'opulence  de  Cirta\  Micipsa  surtout  eut  à  cœur 
de  l'embellir".  Il  ne  reste  que  de  bien  pauvres  débris  des  mo- 
numents de  cette  époque  %  qui  devaient  être  apparentés  au  beau 
mausolée  du  Khroub,  construit  au  second  siècle,  non  loin  de 
la  vieille  cité\  Résidence  de  princes  dont  le  punique  était  la 
langue  officielle,  grande  place  de  commerce,  Cirta  s'était 
ouverte  à  la  civilisation  phénicienne  ^  En  dehors  de  Carthage, 
c'est  à  Constantine  qu'on  a  trouvé  le  plus  d'inscriptions  puniques, 
dédicaces  aux  dieux  carthaginois  Baal  Hammon  et  Tanit  Pené 
Baal,  faites  par  des  gens  qui  portaient  presque  tous  des  noms 
phéniciens;  la  plupart  de  ces  inscriptions  datent  certainement  de 
l'époque  royale".  D'outre-mer  venaient  des  Grecs  et  des  Italiens, 
attirés  par  la  cour  et  par  le  négoce  '".  Cirta  était  même  visitée 
par  des  Éthiopiens,  qui  vivaient  au  delà  de  l'Atlas  marocain". 


l.XVII.  3.  13. 

2.  Mentions  des  remparts,  'de  portes  :  Tite-Live,  XXX,  12,  9  et  10;  Salluste,  Jugr., 
XXI,  2;  XXIII,  1;  XXVI,  1.  Porte  de  ville,  munie  de  créneaux,  sur  une  des 
monnaies  de  Cirta  :  Millier,  A'umis/n.,  III,  p.  60,  n°  70.  Sur  ces  monnaies  (ihid., 
n"' 70-73),  la  déesse  prolectrice  de  la  ville  perle,  selon  rusaf::e  hellénistique,  une 
couronne  tourelée,  qui  lui  convenait  bien. 

3.  Bosco  (liée,  de  Conslantine,  LU,  11)1'.)- 1920,  p.  270)  en  signale  qiiehmes  restes 
probahles,  en  pierres  «  massives  ». 

4.  .Mêla,  I,  30  :  «  (Mrta...,  cura  Syphacis  foret,  opulentissima.  «Bell.  Afric,  Le. 

5.  Strabon,  /.  c. 

6.  Voir  Allas  Al<iéric,  f  17,  p.  10,  col.  1. 

7.  Voir  t.  VI,  1.  11,  fh.  IV,  §  II. 

8.  Ce  sont  des  léfreiidcs  puniques  que  portent  ses  monnaies,  comme,  du  reste, 
celles  des  autres  villes  des  loyaumes  indigènes. 

9.  Voir  t.  VI,  1.  il.  cb.  iiiij  lV..Sous  1"  Km  pire  romain,  le  punique  parait  avoir  disparu 
à  Cirta  df^vant  l((  lutin.  Il  se  maintint  ca  et  là  autour  de  cette  ville,  comme  le 
prouvent  dos  inscriptions  néopuniques  découvertes  en  (luelcjucs  lieux  à  l'Ouest  et 
au  Sud-Kst  de  Constantine;  voir  aussi,  pour  Tigisis,  Procope,  BcH.  Vand.,  II,  10, 
22  (conf.  ici,  t.  I,  p.  339,  34(1). 

10.  Voir  t.  VI.  I.  I,  cb.  m,  §  II. 

11.  SIrabon,   .Wll,  3,  7.  Conf.  supra,  p.  9. 


LIEUX  HABITÉS.  275 

Son  territoire  était  très  étendu'.  Tout  autour  de  la  ville, 
s'élevaient  de  nombreux  bourgs,  que  les  inscriptions  latines 
appellent  castella^  et  qui  furent  prospères  sous  l'Empire  :  Caldis, 
Tiddis,  Celtianis,  au  Nord;  Thibilis,  à  l'Est;  Tigisis,  Gadiaufala, 
au  Sud-Est;  Saddar,  Sila,  Sigus,auSud;  Subzuar,  Arsacal,  au 
Sud-Ouest;  le  castellum  Elephantum,  3Iastar,  Uzelis,  Phua,  à 
l'Ouest  *  ;  d'autres  encore,  dont  les  noms  ne  nous  sont  pas  connus. 
Sauf  de  rares  exceptions*,  ils  occupent  des  sites  attestant  un 
souci  de  se  défendre  que  la  paix  romaine  devait  rendre  superflu; 
quelques-uns  offrent  encore  des  vestiges  de  remparts  préro- 
mains ^  Les  dolmens  ne  sont  pas  rares  aux  abords  de  ces  lieux  ^  ; 
à  Sila''  et  à  Sigus%  ils  forment  de  vastes  nécropoles,  où  l'on 
a  fait  des  ensevelissements  jusqu'au  second  siècle  de  notre  ère, 
mais  qui  remontent  à  des  temps  plus  anciens.  Les  castella  de 
la  région  cirtéenne  existaient  sans  doute  tous,  ou  presque  tous, 
dès  l'époque  des  rois  numides. 

Au  Sud,  ils  s'avançaient  jusqu'à  la  lisière  du  pays  des 
Gétules.  Vers  l'entrée  de  ce  pays,  dans  la  région  d'Ain  Beïda, 
un  itinéraire  romain  ^  indique,  sur  la  route  de  Cirta  à  Theveste, 
Macomadibus,  que  mentionnent  aussi  des  listes  d'évêchés  '". 
C'est  un  nom  phénicien,  affublé  d'une  terminaison  latine.  Il 
signifie  «  ville  nouvelle  »  et  se  retrouve  sur  le  littoral  des 
Syrtes".  Mais  ce  ne   sont  pas  les  Carthaginois  qui  ont  fondé 

1.  V.  supra,  p.  136. 

2.  Gsell,  Atlas  Algérie,  f«  17,  p.  12,  col.  2. 

3.  Pour  ces  lieux,  voir^</a.s  Algérie,  à  l'index. 

4.  Celtianis  :  Allas,  f  8  (Philippeville),  u"  91.  Saddar  :  ibid.,  î'  17  (Constantine), 
n»  276. 

5.  A  Ksar  Mnhidjiba  :  Allas,  C  17,  ii°  172;  Bosco  et  Solignac.  Rec.  de  Conslanline, 
XLV,  1911,  p.  329.  A  Tiddis  :  Allas,  l.  c,  u">  89;  BruQon,  Rcc.  de  Consl.,  XVIII, 
1876-7,  p.  326. 

6.  A  Ksar  Maliidjiha,  à  Tiddis,  à  Caldis  (Atlas,  f  8,  n"  173);  à  proximité  de  Thi- 
bilis (ibid.,  f«  18,  n»  107). 

7.  Atlas,  f  17,  n»  333. 

8.  Ibid.,  n"  3.35. 

9.  itinéraire  d'Anlonin,  édit.  Partliey  et  Pinder,  p.  11. 
iO.  Voir  Csell,  Atlas,  f"  28  (Ain  Beïda),  n"  3. 

il.  V.  supra,  p.  132,  n.  5. 


276  EXPLOITATION  DU   SOL   ET   MODES  D'HABITATION. 

cette  Macomades,  si  loin  du  territoire  qu'ils  s'étaient  annexé. 
Il  s'agit  d'une  ville  indigène,  qui  emprunta  son  nom  à  la  langue 
adoptée  officiellement  par  les  rois  et  qui  fut  peut-être  une 
création  royale'.  Elle  paraît  avoir  été  à  Mrikeb  Thala',  où  se 
voient  des  ruines  romaines  étendues.  Le  lieu  est  en  plaine. 
Peut-être  fut-ce  d'abord  un  marché,  commun  aux  Numides  et 
aux  Gétules. 

Nous  ignorons  où  étaient  situées  les  deux  villes  des  Gétules, 
«  duo  oppida  Gaetulorum  »,  dont  le  condottiere  Sittius  s'empara 
en  46,  au  cours  de  la  campagne  qui  le  rendit  maître  de  Cirta  \ 
Elles  ne  devaient  pas  être  fort  éloignées  de  la  capitale  numide  *. 

Dès  le  milieu  du  iii^  siècle,  Theveste  (Tébessa)  ^  était  une 
ville  importante^;  elle  tomba  alors  au  pouvoir  des  Cartha- 
ginois qui  la  perdirent  certainement  à  la  fin  de  la  seconde 
guerre  punique.  Son  existence  se  justifiait  par  les  routes 
naturelles  qui  s'y  croisent  et  qui  la  mettaient  en  communica- 
tions faciles  avec  la  petite  Syrte,  Hadrumète,  la  Tunisie  cen- 
trale (et,  au  delà,  Carthage),  Madaure,  Cirta.  Bâtie  en  terrain 
plat,  auprès  d'une  belle  source,  elle  put  être  de  bonne  heure 
un  grand  marché  ^ 

A  environ  53  kilomètres  au  Nord-Est  de  Tébessa,  se  trouve 
Thala^    dont  le  nom  signifie  source  en  berbère  :  elle  possède, 

1.  Des  moanaies  portant  la  légende  MQM',  en  lettres  puniques,  lui  ont  été 
attribuées  par  Miiller  (Namisin.,  III,  p.  66-67)  :  hypothèse  contestable. 

2.  Allas,  L  c. 

3.  Bell.  Afric,  XXV,  3. 

4.  Conf.  supra,  p.  IH,  n.  8. 

5.  Allas  Algérie,  i"  2».)  (Thala),  n»  101. 

6.  Déguisée  sous  le  nom  grec  d'Hécatompylos  :  Polybe,  1,73,  1;  Diodore,  XXIV, 
10,1.  Conf.  t.  11,  p.  «5-90;  t.  111,  p.  92. 

7.  Dans  la  direction  de  Carthage,  à  llaïdra,  à  37  kilomètres  de  Tébessa.  s'éleva 
h  l'époque  romaine  la  grande  ville  d'Amma-dara  (le  nom  oITre  des  variantes 
d'orlho"raphe).  en  un  lieu  où,  auparavant,  la  légion  ///  Augusta  semble  avoir  eu 
son  camp  permanent,  d'Auguste  à  Vespasien.  Ce  nom  rappelle  celui  d'Adme- 
dera  ville  de  Syrie,  au  Nord-Est  de  Damas.  On  peut  donc,  se  demander  s'il  n'est 
pas  sémitique  et  s'il  ne  fut  pas  donné  par  les  Carthaginois  à  un  gite  d'étape  sur 
la  roule  de  Theveste. 

8  Allas  Tunisif,  f' Thala,  n"  77.  C'était  bien  le  nom  atiliciue  de  ce  lieu  :  voir 
Gagnât  et  Merlin,  [user.  lut.  d'AJriqur,  180. 


LIEUX  HABITES.  277 

en  effet,  plusieurs  sources.  Des  dolmens  témoignent  d'une 
occupation  ancienne. 

Le  nom  de  lieu  Thala  (ou  Tala)  se  rencontre  dans  des  textes 
latins^;  eu  égard  à  sa  signification,  il  était  sans  doute  assez 
répandu.  Jugurtha  avait  une  demeure  royale  à  Thala  ^,  «  ville 
grande  et  riche  »%  bien  fortifiée*,  où  était  déposée  une  bonne 
partie  de  ses  trésors  et  où  il  faisait  élever  luxueusement  ses 
jeunes  fils^  Auprès  des  murs,  jaillissaient  quelques  sources'', 
mais  le  pays  environnant  ressemblait  à  un  désert  :  cinquante 
milles  (74  kilomètres)  s'étendaient  entre  Thala  et  le  fleuve  le 
plus  proche,  et  l'espace  intermédiaire  manquait  entièrement 
d'eau'.  Thala  était  donc  une  véritable  oasis.  Si  Jugurtha  en 
avait  fait  une  de  ses  capitales,  c'était  peut-être  afin  de  tenir  en 
main  les  Gétules,  sujets  indociles,  mais,  au  besoin,  auxiliaires 
précieux  pour  ses  armées.  Le  général  romain  Métellus  marcha 
sur  Thala,  malgré  les  difficultés  de  cette  expédition;  après 
s'être  arrêté  au  fleuve  pour  s'approvisionner  d'eau,  il  atteignit 
la  ville;  il  la  prit  et  probablement  la  détruisit  ^ 

Faut-il  identifier  cette  Thala  avec  la  Thala  moderne^?  C'est 
impossible,  à  moins  que  Salluste  n'ait  beaucoup  exagéré  la 
sécheresse  du  pays  que  traversa  Métellus  :  quand  on  s'éloigne 
de  la  Thala   moderne    vers  le   Nord,    côté    d'où    venaient  les 

1.  Tacite,  Ann.,  III,  21.  Deux  mentions,  dont  l'une  est  douteuse,  dans  des  docu- 
ments chrétiens  :  Mesnage,  L'Afrique  chrétienne,  p.  159. 

2.  Salluste,  Jug.,  LXXVI,  4  :  •■  domum  regiam  ». 

3.  Ibid.,  LXXV,  i  :  «  oppidum  magnum  at(iue  opulentum,  uhi  picrique  thesauri 
flliorumque  eius  multus  pueritiae  cultus  erat.  ■• 

4.  Ibid.,  LXXVI,  2  :  «  oppidum  et  operibuset  loco  munilum  ».  Mentions  des  rem- 
parts :  LXXVI,  2,  etLXXXIX,6.  Par  ■<  loco  muiiitum  »,  il  faut  entendre  que  Thala 
se  trouvait  dans  une  région  difficile  à  parcourir,  à  cause  de  sa  nature  désertique. 
Salluste  ne  veut  pas  dire  que  la  ville  fût  dans  un  site  escarpé.  Il  nous  montre 
(LXXVI,  2)  Métellus  l'entourant  d'un  fossé  et  d'un  retranchement. 

5.  Voir  n.3. 

6.  Salluste,  LXXXIX,  6  :  «  apud  Thalam  non  longe  a  moonibus  aliquot  fontes 
erant.  » 

7.  Ibid.,  LXXV,  2.  Gonf.  supra,  p.  202. 

8.  Voir  t.  Vil,  1.  II,  ch.  m.  §  V. 

9.  Comme  le  croit  (après  Grenville  Temple  et  d'autres)  .M.  Toutain,  dans 
Mélanges  Cagnat,  p.  322. 


278  EXPLOITATION  DU  SOL   ET   MODES   D  HABITATION. 

troupes  romaines,  il  n'est  nullement  nécessaire  de  parcourir 
cinquante  milles  pour  trouver  soit  des  sources,  soit  des  rivières 
pourvues  d'eau,  même  en  été'.  Nous  ne  saurions  donc  indiquer 
avec  certitude  où  était  la  Thala  royale,  dont  le  site,  dit  !Sal- 
luste,  ressemblait  à  celui  de  Capsa^. 

Pour  Capsa,  aucune  hésitation  n'est  permise  :  Gafsa^  est 
restée  la  seule  ville  de  quelque  importance  entre  la  Tunisie 
centrale  et  la  région  saharienne  des  grands  chotts.  Salluste* 
trace  un  sombre  tableau  des  immenses  solitudes  qui  l'entourent, 
espaces  nus  et  sans  eau^.  Mais  la  ville,  «  grande  et 
forte®  »,  avait,  à  l'intérieur  de  ses  remparts',  une  source,  qui, 
avec  l'appoint  des  pluies,  fournissait  l'eau  potable  aux  habi- 
tants** et  qui  permettait  aussi  d'entretenir,  par  des  irrigations, 
une  oasis  en  dehors  des  murs^ 

Capsa  était  une  vieille  cité;  elle  passait  même  pour  avoir  été 
fondée  par  un  dieu,  l'Hercule  libyen  ou  phénicien^".  Il  y  avait 
là  un  nœud  de  routes  naturelles,  menant  aux  oasis  voisines 
des  chotts,  à  Gabès,  à  la  Byzacène,  à  Maktar,  à  Tébessa''.  Il 

1.  L'oued  Haïdra  passe  à  dix  kilomètres  au  Nord-Ouest. 

2.  Jag.,  LXXXIX,  6  :  «  oppidum  Thaiara,...  Iiaud  dissimiiiter  situm  muni- 
tumque.   • 

3.  Atlas  Tunisie,  ('  Gafsa,  n°  23. 

4.  Jug.,  LXXXLX,  4-5.  Conf.  supra,  p.  202. 

5.  Il  n'y  a,  en  eiïet,  aucune  source  importante  à  moins  de  60  kilomètres  de  Gafsa. 

6.  Jug..  LXXXIX,  4  :  «  oppidum  magnum  atque  valens  ». 

7.  Mentions  des  remparts  et  des  portes  :  ibid.,  LXXXIX,  4;  XCI,  4. 

8.  Ihid.,  LXX.KLX,  6  :  •  Capsenses  una  modo,  atque  ea  intra  oppidum,  iugi 
aqua,  cetera  pluvia  ulebantur.  »  Il  s'agit  sans  doute  de  la  source  chaude  appelée 
Tarmidz  (du  latin  thermis),  qui  naît  dans  la  citadelle  :  voir  Tissot,  Géogr.,  II, 
p.  660;  Gœtschy,  Rec.  de  Conslanline,  X.XVIll,  1893,  p.  134-5  et  plan;  Bodereau, 
La  Capsa  ancienw.  In  Gafsa  moderne  (Paris,  1907).  p.  58-59.  Ce  n'est  pns  la  seule 
source  que  des  auteurs  postérieurs  à  Sallusle  mentionnent  dans  la  ville  mémo  : 
El  Hekri,  Descr.  de  l'AJ'rigue  seplentr.,  trad.  de  Slane,  édit.  d'Alger,  p.  100;  Kilab 
el  Islihçar,  trad.  Fagnan, /ît-c.  de  Conslantine,  X.XXIII,  1899,  p.  71;  Shaw,  Voyages 
dans  plusieurs  provinres  de  la  Berbérie,  trad.  française  de  1743,  1,  p.  252;  Tissot, 
/.  c,  p.  067-8.  .Mais  il  se  peut  qu'au  temps  de  Jugurlha,  il  n'ait  jailli  ({u'une 
source,  comme  le  dit  .Salluste. 

9.  V.  supra,  p.  204,  n.  5. 

10.  Sallusle,  Juf/..  LXXXIX,  4  («  Hercules  Lihys  »).  Paul  Orose,  Adv.  pagan.,  V, 
]"),  8  (•  ah  Hercule  Phoenice  -).  Voir  aussi  Florus,  I,  30,  14  (•  urhem  Herculi  con- 

■dilam  »). 

il.  Conf.  Tissot,  l.  c.,  p.  008. 


LIEUX  HABITÉS.  279 

n'est  pas  inadmissible  que  les  Carthaginois  aient  occupé 
Capsa^  Jugurtha,  qui  désirait  conserver  une  cité  trop  éloignée 
pour  èlre  aisément  tenue  par  la  force,  la  traitait  avec  faveur  : 
«lie  était  exempte  d'impôts^  Marins  ^incendia^  Mais  elle  se 
releva.  Sous  Trajan,  c'était  une  commune  qu'administraient 
dessufètes^  Peut-être  cette  magistrature  d'origine  punique  y 
avait-elle  été  instituée  bien  longtemps  auparavant. 

Dans  l'intérieur  du  Tell  algérien,  aucune  ville  n'est  men- 
tionnée à  l'Ouest  de  Cirta  avant  l'Empire  romain^  :  car  c'est 
à  tort  "=  qu'on  a  identifié  une  Auza,  colonie  phénicienne  du 
IX' siècle  avant  J.-C,  avec  Auzia,  aujourd'hui  Aumale^  L'ar- 
chéologie ne  nous  permet  pas  de  suppléer  à  ce  silence  des 
textes.  Des  cimetières  de  dolmens  paraissent  avoir  servi  à  des 
populations  qui  ne  vivaient  pas  dans  des  villes;  d'autres  tom- 
beaux indigènes  flanquent  des  centres  plus  ou  moins  importants, 
mais  sont,  ou  peuvent  être,  comme  ceux-ci,  contemporains  de 
la  domination  romaine.  Les  inscriptions  puniques  manquent  ^ 
De  même,  les  débris  architecturaux  qu'on  pourrait  dater  de 
l'époque  des  rois  :  la  Numidie  occidentale,  Salluste  l'a  dit  avec 
raison  %  était  moins  riche  en  édifices  que  la  Numidie  orientale. 

Que,  pourtant,  les  villes  y  aient  fait  entièrement  défaut,  cela 

1.  Voir  t.  II,  p.  98-99. 

2.  Salluste,  LXXXIX,  4.  Slrabon  et  Paul  Orose  disent  que  des  trésors  royaux 
étaient  déposés  à  Capsa  :  v.  supra,  p.  l.'iô,  n.  6. 

3.  Salluste,  XCI,  6.  Voir  aussi  Strabon,  XVII,  3,  12. 

4.  G.  /.  L.,  VIII,  22  79G.  Conf.  ici,  t.  II,  p.  99,  n.  2. 

.").  Dans  la  province  romaine  de  Maurétanie  Césarienne,  on  ne  sait  où,  existait 
une  ville  appelée  Timici  (Pline  l'Ancien,  V,  21  ;  Ptolémée,  IV,  2,  6,  p.  605,  édil. 
Millier;  Mesnage,  L'Afrique  chréLienne,  p.  .ï04).  11  faut  regarder  comme  douteuse 
l'attribution  que  Muller  (A'umism.,  III,  p.  143,  n"  125)  fait  à  ce  lieu  d'une  monnaie 
d'époque  antérieure,  portant  la  légende  néopunique  TMKY. 

0.  Voir  t.  1,  p.  362. 

7.  Atlas  Algérie,  f  14  (Médéa),  n"  105. 

8.  A  l'intérieur  des  terres,  à  l'Ouest  de  Cirta,  on  n'a  trouvé  d'inscriptions  néo- 
puniques qu'à  Oudjel  (Uzelis,  caslcUum  qui  dépendait  de  Cirta  :  Atlas,  f"  17, 
n"  99).  et  à  Mila  (Milev  :  ibid.,  n"  59),  où  exista  probablement  une  ville  numide. 
Un  peu  au  delà,  chez  les  Boni  Oukden,  a  été  découvert!!  une  inscription  bilingue, 
libyque  et  néopuni(iue  {ibid.,  n°  19). 

9.  Jufj.,  XVI,  5.  Conf.  supra,  p.  257. 


280  EXPLOITATION   DU  SOL   ET   MODES  D  HABITATION. 

n'est  pas  vraisemblable.  Des  massifs  montagneux,  habités  par 
des  sédentaires,    comme    la   Kabylie  et  le    Rif,  des    steppes, 
parcourues  par    des   nomades,    peuvent   se   passer    de  centres 
urbains.  xMais  il  en  faut  aux  points  de  contact  et  de  suture  des 
diverses  régions,  quand  des  relations  économiques  s'établissent 
entre    elles,  quand   elles   sont    réunies   sous    une  domination 
commune.  Une  ville,  par  exemple,  est  presque  une  nécessité 
entre  le  Tell  oriental  de  l'Algérie,  vaste  ensemble  de  monta- 
gnes, et  le  Tell  occidental,  qu'occupent,  en  grande  partie,  des 
plaines  basses,   dont  les  unes  sont  très   proches   de   la   mer, 
dont  les  autres  constituent  la  large  vallée  du  Ghélif^,  Cette  ville, 
c'est  Miliana,  ou  c'est  Médéa^  qui,  l'une  et  l'autre,  ont  rem- 
placé des  cités   antiques.   A   Miliana  %    une   colonie   romaine, 
fondée  par  Auguste  *  dans  une  contrée  qui  ne  devint  que  bien 
plus  tard  une  province  de  l'Empire,  ne  fut  sans  doute  pas  éta- 
blie sur  un  emplacement  vide.  Ce  lieu,  où  l'on  constate  des 
traces  d'influences  puniques  %  s'appelait  Zucchabar^,  un  nom 
dans  lequel    est  peut-être   entré  un  mot  phénicien,  signifiant 
«  marché  » '. 

Une  autre  colonie  fut  fondée  par  Auguste  à  Tubusuptu^  au 
Sud-Ouest  de  Bougie,  dans  la  vallée  de  la  Soummame^  Là 
encore,  on  peut  croire  à  l'existence  d'une  ancienne  ville,  car 
c'est  un  point  de  pénétration  vers  la  grande  Kabylie,  à  l'Ouest, 
vers  la  petite,  à  l'Est,  et  aussi  une  étape  d'une  des  rares  voies 


1.  E.-F.  Gautier,  Structure  de  r Algérie,  p.  149  et  suiv. 

2.  Et,  sur  le  littoral,  c'est  Alger-,  pendant  une  partie  de  l'antiquité,  ce  fut 
Caesarea  (Cherchel). 

3.  Atlas  Algérie,  {'  13  (Miliana),  n"  70. 

4.  l'Iiue  l'Ancien,  V,  21. 

5.  Atlas,  l.  c. 

6.  Voir  Atlas,  l.  c. 

7.  •  Le  marché  du  i)lé  .,  selon  Gesenius.  Le  même  nom  se  retrouve  dans  la 
région  des  Syrles,  où  il  pourrait  être  aussi  d'importation  phénicienne.  Mais  il  est 
attribué  à  une  montagne  (Ptolémée,  IV,  3,  5,  p.  036  :  opoc  Zo'j-/âf>6api),  à  laquelle 
se  serait  diriicilemenl  appliquée  la  signiflcation  «  marché  du  blé  >. 

H.  Pline  l'Ancien,  V,  21. 

y.  A  Tiklat  :  Atlas  Algérie,  t'  7  (Bougie),  n»  27. 


LIEUX  HABITES.  281 

naturelles   qui   relient  le  littoral  au  haut  pays   (par  la  Soum- 
mame,  puis  la  plaine  de  la  iMedjana  et,  plus  loin,  le  Hodna)^. 

Le  commerce  et  la  politique  ont  dû  exiger  de  bonne  heure 
des  villes  sur  d'autres  voies  naturelles,  perpendiculaires  ou 
parallèles  à  la  côte  méditerranéenne.  Si  l'on  veut  faire  des 
hypothèses,  on  peut  chercher  une  de  ces  villes  vers  Tiaret-,  à 
la  tête  du  couloir  que  la  vallée  de  la  Mina  forme  entre  les 
hauts  plateaux  et  la  plaine  inférieure  du  Chélif^;  une  autre, 
vers  Aumale,  sur  la  route  qui  s'allonge  d'Est  en  Ouest,  au 
pied  de  la  chaîne  des  liibans,  et  qui  relie  la  région  de  Sétif  à 
celle  de  Médéa*;  une  autre,  à  Tlemcen%  si  riche  en  eaux,  à  la 
charnière  du  haut  pays  et  de  la  plaine  sublittorale,  au-dessus 
de  la  grande  voie  qui  unit  l'Algérie  et  le  Maroc,  qui  unissait 
jadis  le  royaume  des  Masaesyles  et  celui  des  Maures. 

Au  delà  de  la  Moulouia,  la  Mulucha  des  anciens,  cette  voie 
se  continue  vers  l'Océan  par  le  couloir  de  Taza.  Juchée  sur  un 
éperon  rocheux  qui  domine  la  plaine,  Taza  commande  vers 
l'Est  la  vallée  d'un  affluent  de  la  Moulouia,  vers  l'Ouest  celle 
d'un  aflluent  de  l'oued  Sebou^  Là  aussi,  la  nature  indiquait 
aux  hommes  la  place  d'une  ville.  Mais  les  preuves  de  la  haute 
antiquité  de  Taza  manquent  encore,  car  les  nombreux  caveaux, 
creusés  dans  le  roc,  qui  l'entourent,  ne  contiennent  pas  d'objets 
paraissant  antérieurs  au  moyen  âge'. 

Parmi  les  «  petites  villes  »  qui  existaient  à  l'intérieur  de  la 
Maurétanie,  Pomponius  Mêla  mentionnait  «  les  plus  opulentes». 
Mais  son  texte  est  altéré  à  cet  endroit^  Le  manuscrit  porte  : 

1.  Voir  Gautier,  Structure,  p.  103  etsuiv. 

2.  Atlas  Aliiérie,  f  33  (Tiaret),  ii<>  1  i. 

3.  Gautier,  l.  c,  p.  196  et  suiv.  Conf.  ici,  t.  I,  p.  10. 

4.  Gautier,  /.  c,  p.  138  et  suiv.  Les  noms  puoiques  sont  fréquents  sur  les  ins- 
criptions latines  d'Aumale. 

5.  Atlas  Algérie,  f'  31  (Tlemceu),  n°  .ï6. 

6.  Conf.  t.  I,  p.  3. 

7.  Sur  ces  caveaux,  voir  Gampardou,  Bull.  d'Oran,  1917.  p.  2S9  et  suiv.  11  les 
croit  plus  anciens. 

8.  III,  107. 


282  EXPLOITATION  DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION. 

«  procul  a  mari  Gildavo  dubritania  ».  Il  est  facile  de  recon- 
naître Gilda,  qu'un  itinéraire  romain  place  sur  la  route  de 
Tingi  à  Volubilis,  à  28  milles  de  ce  dernier  lieu^,  et  qui  était 
peut-être  la  «  Gilda,  ville  de  Libye  »,  dont  parlait  un  contem- 
porain de  César,  Alexandre  Polyhistor'.  Après  Gilda,  on  a 
proposé  de  lire  dans  Mêla  «  Volubilis,  Banasa  »%  restitution 
très  probable  en  ce  qui  concerne  Volubilis,  mais  fort  hypothé- 
tique pour  Banasa.  Celle-ci  était  située  sur  l'oued  Sebou,  à 
Sidi  Ali  Bon  Djenoun^  :  ce  fut  un  des  deux  lieux  de  l'intérieur 
de  la  Maurétanie  occidentale  où  Auguste  envoya  des  colons 
(l'autre  colonie  fut  établie  à  Babba,  dont  on  ne  connaît  pa& 
l'emplacement)  '. 

Quant  à  Volubilis,  elle  a  laissé  de  belles  ruines  romaines,  à 
peu  de  distance  au  Nord  de  Meknès.  Elle  fut  érigée  en  muni- 
cipe  sous  Claude,  très  peu  de  temps  après  l'annexion  de  la 
Maurétanie  à  l'Empire ^  Mais,  auparavant^,  elle  était  admi- 
nistrée par  des  sufèles  *  :  une  cité  de  type  punique  existait  donc 
en  ce  lieu  à  l'époque  ro3'^ale.  Il  est  probable  que  le  nom  de 
Volubilis,  d'aspect  latin,  est  une  modification  par  calembour 
d'un  nom  indigène,  dont  nous  ignorons  la  forme  exacte.  Volu- 
bilis s'étendait  sur  un  plateau,  entre  un  oued  et  deux  ravins, 
mais  dans  une  position  qui  n'était  pas  très  forte.  On  peut  se 
demander  si,  dans  des  temps  antérieurs,  la  ville  indigène 
n'avait  pas  occupé,  tout  près  de  là,  un  emplacement  plus  sûr, 
celui  qu'occupe  aujourd'hui  la  ville  de  Moulay  Idris. 

1.  Itinéraire  d'Antouiii,  p.  9,  édit.  ParLhey  el  Piader.  L'emplacement  de  Gilda 
n'est  pas  connu  avec  certitude  :  conf.  Tissot,  Mém.  préscnlcs  à  rAcad.  des  Inscr.^ 
IX,  1'°  partie,  \).  21).'). 

2.  Frwim.  Iiisl.  (inirc,  111,  p.  238  ((PiXoa). 

'.\.  Correction  d(^  Frick,  dans  son  édition  de  Mêla. 
4.  Tissot,  l.  c,  p.  277. 
f).  Pline  l'Ancien,  V,  5. 

6.  Voir  Constans,  Musée  belye,  XXVlli,  1924,  p.  105. 

7.  Voir  t.  IV.  p.  4«5,  u.  4;  Constans,  l.  c,  p.  107. 
X.  y.  suprn,   |).  tli2. 


INDEX  ALPHABÉTIQLE 


Abeilles  :  204-5. 

Adherbal,  roi  numide  :  124,  129,  158, 
273;  ressources  de  son  royaume  :  193. 
— ,  prince  numide  :  125. 

Adoption  chez  les  Berbères  :  52. 

Adyrmachides,  peuiilade  :  31. 

Agathocle,  expédition  d' — en  Afrique  :  13. 

Agbia,  ville  :  265. 

Agnats,  parents    par  les  mâles  :  54,  58. 

Agriculteurs,  disséminés  dans  les  cam- 
pagnes :  232;  groupés  en  villages  : 
62,  238-9,  250:  tribus  d'—  :  69;  les  — 
et  les  rois  :  137,  139;  modes  de 
propriété  chez  les  —  :  206-7. 

Agriculture  chez  les  indigènes  :  186  et 
suiv. 

Aguellid.  Voir  Guellid. 

Ailymas,  prince  indigène  :  99. 

Alexandre  Polyhistor,  sur  les  Libyens  : 
18,  80-87. 

Althiburos,  ville  :  267. 

Amazigh,  Tamazight,  Iinazighen,  appel- 
lations berbères  :  11.5-6. 

Amazones,  prétendues  —  en  Libye  :  39. 

»  Amis  »  des  rois   indigènes:  141. 

Amitsaga  (oued  el  Kebir),  lleuve  servant 
de  limite  :  94,99. 

An"s  chez  les  indigènes  :  180. 

Apiculture  :  204-5. 

Arboriculture  :  190-20'i.. 

Arcobarzane,  peLit-lils  de  Svpha.x  :  lUl, 
125. 

Aréacides,  triiiu  :  86. 

Argent,  montagne  d' — ,  dans  le  Sud  du 
Maroc  :  8. 

Armées  royales  :  I4.")-!.")!). 


Artémidore,  sur  l'Afrique  du  Nord  :  15- 

16;  source  de  Strabon  :  21. 
Ascalis,  roi  maure  :  164. 
Ascurum,  ville  :  143. 
Asphodélodes,  tribu  :  85-86. 
Âspis,  lieu  r  246. 
Aubuzza,  ville  :  267. 
Augila,  oasis  :  5,  83. 
Aunobari,   ville  :  265. 
Auses,  peuplade  :  29,  83,  84. 
Autololes,  peuplade  gétule  :    110-1. 
Auzia  (Aumale),  ville  :  279,281. 


B 


Baga,  roi  des  Maures  :  91,  125. 

Banasa,  ville  :  282. 

Bavares,  peuplade  :  114. 

Béni  Barbar,  tribu  berbère  :  114. 

Béni  If  rêne,  troglodytes  :  213. 

£fer6t'res,  origine  de  ce  nom  :  112-5. 

Blé,  culture:  19.5-6:  rendements:   104; 

commerce    :  198-9;  exportation  :  190- 

191. 
Bocc/ius  r.Vncien,  roi    des  Maures   :  91, 

125-6;  beau-père  de  Juguriha  :   142; 

ses  rapports  avec  des  Ethiopiens:  10; 

pourvoyeur   du  cirque  romain  ;    171. 

—   le   Jeune,    roi   dos    Maures,   126, 

164,    166;    réside     à     loi  :  249;     ses 

monnaies  :  160-1. 
Bœufs  chez  les  indigènes  :  179-180. 
Bogud,  prince   maure.   Mis  de   Bocchus 

l'Ancien:    126,   141,  166.  — ,  roi   des 

Maures  :  126,   164,   166;   combat  des 

l'Uhiopiens  :  10;  ses  monnaies  :  161. 
liomUrar,  lieutenant  deJugurtha  :  161. 


284 


INDEX  ALPHABÉTIQUE. 


Bràber,  nom  donné  par  les  Arabes  aux 
indigènes  :  112;  ce  nom  est  d'origine 
latine  :  113-5. 

Buaoi,  tribu   :  40,  87. 

Bucar,  général  de  Syphax  :  142. 

Bulla  Regia,  ville  :  253,  262. 


Calama  (Gueima),  ville  :  271. 

Cn.  Calpiirnius  Piso,  proconsul  d'Afrique  : 
20. 

Capitales  d'États  indigènes  :  252-3,  256. 

Capsa  (Gaf-ia),  ville  :  278-9;  son  oasis  : 
204;  entourée  de  déserts  :  202. 
Exempte  d'impôts  :  132.  Trésor  royal 
à  —  :  156. 

Capussa,  roi  des  Massyles  :  122. 

Cartennas  (Ténès),  ville  :  248. 

Castella,  terme  désignant  des  villages  : 
240. 

Cavalerie  royale  :  147.  —  chez  les  Numi- 
des: 181." 

Céréales,  culture  :  186  et  suiv.;  com- 
merce :  198-9. 

Cerné,  colonie  d'IIannon  :  8. 

César,  ses  déclarationssur  la  production 
en   blé  de  VAMca  nova  :   153,  101-2. 

Chameau,  soa  introduction  en  Afrique  : 
3. 

Charax,  lieu  :  246. 

Chariots,  pour  transporter  des  cases 
mobiles   :  218. 

Charrues  :  195-6. 

Chars  de  guerre  :  184. 

Chasse  chez  les  indigènes  :  169-173. 

Châteaux  royaux  :  144,  237-8. 

Chi'vnux  chez  les  indigènes  :  80,  181-6. 

Chèvres  :  179. 

Chiens,  à  la  chasse  :  173;  absence  de  — 
de  berger  :  179. 

Chimchi,  princesse  berbère  :  40. 

Chnllu  (Collo),  ville  :  248. 

Cirque,  animaux  africains  au  —  romain  : 
170-2. 

Cirla  (Constantine),  ville  :  272-4;  capi- 
tale de  Syjiliax  :  100,  273  ;  de  Masinissa 
et  de  ses  successeurs:  273;  constitution 
municipale  :  132.  llii-5;  monnaies  : 
131:  territoire  :  136;  bourgs  dépen- 
dant de  —  :  275;  agriculture  autour 
de  —  :  192;  —  fréquentée  par  des 
IMiarusieiis  :  9. 


Citadelles  :  245,  257,  261,  274. 
Cléopâtre  Séléiié,  reine  de  Maurétanie  : 

121. 
Çofs,  factions  chez  les  Berbères  :  75-76. 
Colonies  phéniciennes  et  carthaginoises 

du  littoral  :  245-250;  leur  constitution 

municipale  :  130-1. 
Commerce  des  grains:  198-9;  — urbain: 

253-4. 
Concubines  :   46. 
Cornélius  Népos,   source  de  Pomponius 

Mêla  :  23. 
Cour,  précédant  la  maison  :  230. 
Couronne  laurée,   portée   par  des  rois   : 

128. 
Cyraunis  (Kerkenna),  lie  :  84. 
Cyria,  princesse  maure  :  39. 


Dapsolibyes  (?),  peuplade  :  32,  87. 
Darius,  son  inscription  funéraire  :  119. 
Dattier,  culture  du  —  :  203-4. 
Défrichement  :  189. 
Déserteurs   au    service   de    Jugurtha   : 

147-8. 
Diadème,  insigne  royal  :  127. 
Didi,  nom  de  chef  libyen  :  76. 
Diodore  de  Sicile,  sur  l'Afrique  du  Nord  : 

13;  sur  les  .\mazones  libyennes:  39; 

sur  des   tribus   africaines    :   85;  sur 

des  refuges  :  237. 
Divorce  chez  les  Berbères  :  47. 
Dolmens,  près  de  refuges  :  237;  près  de 

villages   :   241;    près   de  villes  :  262, 

263,  264,  265,  267,  268,  275,  277. 
Domaines  royaux    :  139,    189-190,    191-2. 
Dougga.  Voir  Thugga. 
Droit  du  seigneur  :  31. 


Éléphants  dans  les  armées  royales  : 
150-1;  dans  les  spectacles  romains  : 
170-2;  capture  des  —  :  172. 

Élevage  chey.  les  indigènes  :  174  et  suiv.  ; 
combiné  avec  l'agriculture  :  01,  188. 

Éphore,  sur  une  peuplade  africaine  :  85. 

Ératosthène,  sur  rAfri(|uo  du  Nord  :  13- 
14;  source  de  Strahon  :  21. 

Érébides.  peuplade  :  85. 

Élata  berbères,  leur  mode  de  formation  : 
77,  80;  roiiinieiit  ils  tombent  :  8(k-81. 


INDEX   ALPHABETIOL'E. 


ÉUdapicns  au  Sahara  :  2,  (J-T,  9-10. 

Éliiiueite  chez    les  rois  numides  :    128. 

Euphranlas,  tour  :  24G. 

Euthym'ene,  explorateur  marseillais  :  12. 

Exogamie,  non  attestée  chez  les  Ber- 
bères :  3.5-36. 

Exploitation,  modes  d'  —  des  terres  : 
210. 


Familia,  mot  latin  désignant  les  familles 
d'agnats  :  ij4. 

Famille  chez  les  Berbères  :  35-36  ;  — 
Oiateriielie  chez  les  Touareg  :  37-38: 
—  paternelle  :  42-43,  47-49,  .51-53;  — 
étendue,  composée  d'agnats,  53-58. 

Faucilles  :  196. 

Fer,  instrument  de  conquêtes  :  80. 

Filiation  utérine  :  36-38. 

Forgerons  :  245. 


Gaïa,    roi  des  Massyles  :  98,  100,  122. 

Gaphara,  ville  :  247. 

Garamantes,  peuple  habitant  le  Fezzan  : 

7,  8,  10,  30. 
Garde  noble  des  rois  :  142,  146. 
Gauda,  prince,  puis  roi  numide  :  124, 125, 

129,  138,  158,  162-3,  163-4. 
Généalogies  berbères  :  79,  116. 
Gens,   mot  latin,  désignant  les  tribus  : 

54,  63,  64. 
Ge'<u/(;s,  peuplades  africaines,  109;  leur 

extension,  109-112;  nomades,  112, 137. 

177,  194  ;  leurs  rapports  avec  les  rois  : 

112,  165-6. 
Gétulic,  contrée  :  5.  110;  elle  manque 

de  villes  :  258. 
Gilda,  ville  :  282. 
Gindancs,  peuplade  :  29,  83. 
Gourbis  :  221. 
Guanches  (dans  les  îles  Canaries),  leurs 

habitations  :  213,  227. 
Guellid,    mot    libyque    signifiant    chef, 

roi  :  72,  127.  133. 
Gulussa,   fils  de   Masinissa    :  141;   roi: 

123,  138,  158. 
Gunugu,  ville  :  248. 
Gynécocratie,     non     attestée     chez    les 

Berbères  ;  39-41. 
Gyzantes,  peuplade  :  84,  204. 

GsELL.  —  Afrique  du  Noni.  V. 


H 

Habitations  mobiles  :  21.5-220;  —  fixes  : 
220  et  suiv. 

Hannon,  ses  rapports  avec  les  Lixites  : 
6:  fonde  la  colonie  de  Cerné  :  8. 

Hérodote,  sur  les  oasis  :  4:  sur  les 
peuples  et  tribus  de  l'Afrique  du 
Nord  :  13, 18,  23,  82-84;  sur  les  mœurs 
des  Libyens:  29-31,  35,  37,  41,48 
55,  61. 

Hiarbas,  roi  numide  :  164,  166,  262. 

Hiempsal  (flls  de  Micipsa),  roi  :  124, 
129,  231,  265.  —  (flls  de  Gauda)' 
roi  :  125,  159;  son  récit  des  origines 
africaines  :  17,  78,  89,  106,  109. 

Hippo  fiegius  (près  de  Bône),  ville  ; 
248. 

Houe,  culture  à  la  —  :  195,  203. 

Huttes  :  220-3,  244. 

Hypsicrate,  historien  grec  :  21. 

I 

labdas,  prince  de  l'Aurès  :  237. 

lerna,  roi-prêtre  :  72-73. 

Ifuraces,  peuplade  :  4. 

Igilgili  (Djidjeli),  ville  :  248. 

Imazighen.  Voir  Amazigh. 

Impôts  :  152-5. 

loi  (Cherchel),  ville  :  248-9. 

Iphicrate  (?),  source  de  Strabon  :  21. 

Ismuc,  domaine  princier  :  208,  269. 

Ivoire  des  éléphants  d'Afrique  :  170. 


Juba  I"',    roi  de   Numidie    :    125.    129; 

réside  à   Zama  :   156,    105,  269;  fait 

une  expédition  dans  le  Sud  :  165-6-. 

ses  monnaies  :  100. 
Juba  II,  roi   de  Maurétanie    :    126;  son 

•ouvrage  sur  la  Libye  :  17. 
Jugurtlia,   envoyé     devant    Numance  : 

141;  adopté  par    .Micipsa:    52.    124: 

roi  :  124-5,  129,  1.58,  163.  192. 
C.    Julius,    flls    de    Masinissa,    [)rincc 

numide  :   208. 


Kdhina  (lu),  i)rinccsse  herbèrc  :  37,  39. 
Kapour,  chef  libyen  :  76. 

r.i 


286 


INDEX  ALPHABETIQUE. 


Lacumazès,  roi  des  Massyles  :  123. 
Langue      libyque,     comment     s'est-elle 

répandue?  :  78,  79. 
Lares  (Lorbeus),  ville  :  267. 
Lebou  (ou  Rebou),  peuple  :  71,  76.  102. 
Légions  dans  les  armées  royales   :  146. 
Leplis  la  Grande,  ville  :  130.  131,  246-7  ; 

entourée  d'oliviers    :   200-1.    Elle  se 

détache  de  Jugurtha  :  163,  247. 
Lergètes,  tribu  :  86. 
Libyca,    ouvrages    composés     par    des 

Grecs  et  par  Juba  II  :  17-18. 
Libye,  pays  des  Lebou,   puis  continent 

africain  :  102. 
Libyens,    origine    de    ce   nom    :    102: 

e.xtension  de  sa  signification  :  102-3; 

son  emploi  par  les  Carthaginois  et  par 

des  indigènes  :  103-4;  monnaies  des 

—  :  104,  139. 
Lions  au  cirque  romain  :  170,  171. 
Lixites,  peuplade  :  6. 
Lixos  (oued  Draa),  fleuve  :6. 
Lixus,  ville  :  250:  ses  monnaies  :  131. 
Lolophages,  peuplade  :  83. 


M 


Maccoiens,  tribu  :  86. 

Maces,  peuplade  :  83,  85,  86. 

Machlyes,  peuplade  :  29,83,  84,  87. 

Macomades  (MrikebThala),  ville  :  275-6. 

Maclar  (Maktar),  ville  :  267. 

Madaure,  ville,  :  111,  270. 

Ma  cl  Abiod  (cl),  station  préhistorique  : 

27. 
Magalia.  Voir  Mapalia. 
Magasins   communs    pour    les    grains   : 

197-8,  245. 
Magie,   rites    de    —    :  32,  33,  43-44;  — 

pratiquée  par  des  femmes  :  39-40. 
Magistrats   dans    des   villages    :  65-60; 

dans  des  cités  :  130,  132,  133,  239-260. 
Magudulsa,  prince  maure  :  165. 
Maisons:  2211-23 1. 
Maleiia,  peuple  :  119. 
Malva  (Moulouia),  (leuve  :  92. 
Mamlckcl,  titre  royal,  en  punique  :  127, 

133.  159,  100. 
Mapalia      (ou      mogalia),      habitations 

mobiles  :  219-220;  habitations  tixes  : 

220,  2i4. 


Mâraiou,  nom  de  chefs  libyens  :  76. 

Marbre  iiumidiqiie  :  153,  211-2. 

Mariage  chez  les  anciens  Berbères  :  29, 
30,  31,  33,  33.  43-43. 

Marine  royale  :  131-2, 

Masac,  nom  de  personnes  :  116. 

Masœsyles,  nation  :  95-96;  étaient 
primitivement  une  tribu  :  96-97. 
Royaume  des  —  :  98  :  limites, 
99-101:  ressources  agricoles  :  193. 

Mascuhila,  ville   :  269. 

Masgaba,  fils  de  Masiuissa  :  141. 

Mashaouasha,  peuplade  :  76. 

Masinissa,  prince  royal  :  141;  roi  :  101, 
122,  123:  son  gouvernement  :  162; 
monnaies  à  son  effigie  :  157-8;  déve- 
loppe l'agriculture  dans  ses  États  : 
187-8;  donne  l'exemple  à  cet  égard  : 
189-190;  grand  propriétaire  foncier  : 
208-9;  réside  à  Cirla  :  274.  Sanctuaire 
de  —  à  ïhugga  :  264. 

Masinissa,  roi  numide,  contemporain  de 
Juba  I"  :  164. 

Masinissa,  prince  numide,  contemporain 
de  César  :  208. 

Masintlta  (=  Masinissa?).  prince  nu- 
mide :  152,   165. 

Massiva,  prince  numide  :  124,  163. 

Massyles,  nation  :  93;  étaient  peut-être 
primitivement  une  tribu  :  97. 
Royaume  des  —  :  97-98;  limites  : 
99-101.  Transmission  de  la  royauté 
chez  les  —  :  121-2. 

Mastanabal,  roi  numide  :  123,  182. 

Mastanesosus,  roi  numide   :  100,  164. 

Matriarcat,  non  attesté  chez  les 
Berbères  :  39-41. 

Maures,  formes  et  origine  de  ce  nom  : 
88-90;  les  —  étaient  primitivement 
unelrihu  :  90;  ils  créent  un  État:  91; 
limites  de  cet  État  :  91-94.  Extension 
vers  l'Est  du  nom  de  —  :  94-93.  Leur 
état  agricole  :  190,  19-3-4. 

Maitretania,  pays  des  Maures  :  90-91. 

Maxitani,  peuple  :  118. 

Maxyes,  peuplade  :  84,  118,  120. 

Mazaces,  nom  de  tribu  :  tl7;  — ,  dans 
un  sons  plus  général  :  118. 

Mazic,  Ma:ira,  nom  de  personnes  :  116; 
sens  de  ce  mot  :  119. 

Maziccs,  nom  de  tribus  et  de  peuples  : 
2,  5,   117-120. 

Mazigh,  héros  légendaire  :  116. 

Mazycs,  peuple  :  118,  119. 


INDEX  ALPHABÉTIQUE. 


287 


Médracen,  tombeau  royal  :  97-98. 

Mélanogétules,  peuplade  :  o,  9. 

Meninx  (Djerba),  lie  :  247. 

iMercenaires  dans  les  armées  royales  :  148. 

Micatanes,  tribu  :  86. 

Micipsa,  fils  de  Masinissa  :  141;  roi  do 

Numidie  :  123,  1.58;  réside  à  Girta  : 

273,   274;  adopte   Jugurtha   :  52;  sa 

succession  :  124. 
Mididi  (Henchir  Meded),  ville  :  268. 
Miel  :  204-3. 
Milev  (Mila),  ville  :  279. 
Mimaces,  peuplade  :  83. 
Mines  :  211. 

Misagène,  fils  de  Masinissa  :  141. 
Mizrah,  corps  constitué   :  135. 
Monnaies  de  l'Afrique  du  Nord  :  24-23  ;  — 

municipales  :  130--1  ;  —  royales  :  137- 

161,  182. 
Moutons  chez  les  indigènes  :   179. 
Miilucha  (Moulouia),  fleuve  servant  de 

limite  :  23,  91-93. 
Musulames,  peuplade  gétule  :  111. 
Myndônes,  tribu  :  83. 
Mzab.  région  saharienne  :  4. 

N 

Nabdalsa,  lieutenant  de  Jugurtha  :  142, 
164. 

Naraggara,  ville  :  269. 

Naravas,  prince  numide  :  98. 

Nasamons,  peuplade  riveraine  de  la 
grande  Syrte  :  82-83,  85;  ils  fré- 
quentent l'oasis  d'Augila  :  5,  83;  leurs 
voyages  à  travers  le  Sahara  :  9;  leurs 
mœurs  :  29-30,  37,  45,  48;  leurs  visites 
aux  tombeaux  :  35,  55. 

Aicolas  de  Damas,  sur  les  Libyens  :  18, 
29,  32,  40,  73,  87;  sur  les  Éthiopiens  : 
37. 

Nigris  (oued  Djedi),  fleuve  :  111. 

Nigriles,  peuple  :  7,  9,  184. 
A'(/,  prétendue  origine  occidentale  du  — -: 
8-9. 

Noblesse,  chez  les  anciens  Berbères  :  72. 

Nomades  sahariens  :  2,  4  ;  —  en  Berbérie  : 
59-02,  70,  lU.j,  137,  139,  174,  170-8; 
modes  d'habitation  :  215-220. 

Nomades,  adjectif  grec  appliqué  à  des 
Africains  :  103;  nom  do  peuple  :  105; 
peut-être  d'origine  indigène  :  106; 
extension  de  ce  nom  :  107-8. 

Nuits  de  l'erreur  :  32. 


Numidae,  nom  latin  de  peuple  africain 
105,  106. 


Oasis   sahariennes,  populations    qui    les 

habitent  :  1-2;  mise   en   culture  :  4, 

203-4. 
Obba,  ville  :  207. 
Oea  (Tripoli),  ville  :  247. 
Œzalcès,  roi   des  Massyles   :   122. 
Olivier,  culture  de  1'—   :  199,  200,  201, 

203,  204.  243. 
Ophélas,  Périple  d' —  :  14,  21. 
Oppida,  villes  fortes  :  240,  231,  256. 
Or,  commerce  de  1' —  :  8. 
Ours  africains,  au  cirque  romain  ;  170, 

171. 


Panèbes,  tribu  :  73,  87. 

Panthères,  au  cirque  romain  :  170,  171. 

Pasteurs  dans  l'Afrique  du  Nord  :  59-61  ; 

tribus  de  —  :  68-69,  70,  203-6;  modes 

d'habitation  :  215-220,  232,  238. 
Pêche  chez  les  indigènes  :  212. 
Pérorses,  peuple  :  7. 
Pharusiens,  peuple  :  7,  9,  184. 
Phelliné,  ville  :  263. 
Philène  (autels  de),  au  fond  de  la  grande 

Syrte  :  246. 
Philistos,  sur  des  peuplades  africaines  : 

85. 
Pierre,  maisons  en  —  :  225  et  suiv. 
Pisé,  mode  de  construction  :  224. 
Polybe,  sur  l'Afrique  du  Nord  :  14-15,  21. 
Polygamie  chez  les  anciens  Berbères  : 

43-47. 
Pomponius  Mêla,  sur  l'Afrique  du  Nord  : 

22-24,  58. 
Poplhensis  (civitas),  rille  :  269. 
Porc,  non  mentionné  chez  les  indignes  : 

178. 
Posidonius,  sur  l'Afrique  du  Nord   :  16; 

source  de  Salluste  :  17  ;  source  de  Stra- 

bon  :  21,  22. 
Pourpre,  pêcheries  et  ateliers  :  212,250; 

vêtement  de  — ,  insigne  royal  :  128. 
Préfets  royaux  :  135,  142. 
Promiscuité  sexuelle,  prétendue  —  :  29- 

34. 
Prophétesses  :  41. 

Propriété,  collective,   familiale,   indivi- 
duelle :  205  et  suiv. 


INDEX  ALPHABÉTIQUE. 


Psylles,  peuplade  :  82. 
Ptoléinée,  roi  de  Maurétaaie  :  126,  163. 
Pyrgos  (Ttjpyo;),  mot  grec  désignant  des 
refuges  :  237;  des  villages  :  240. 


Q 


Qanoun,  code   pénal  dans   les   villages 
berbères  :  64. 


R 


Rebou.  Voir  Lebou. 

Recensements  de  chevaux   :   153,   181-2. 

Refuges  :  233-8. 

Remparts  des  villages  :  243-4;  des  villes  : 

256-7. 
Républiques  villageoises  :  63-66. 
Répudiation  chez  les  Berbères  :  47. 
Rois  de  tribus,  de  peuplades  :  71-72;  — 

d'États   :  121    et  suiv.  ;  —  dans   des 

cités  :  133,  134. 
Ruches  :  203. 

Rusaddir  (Meliila),  ville  :  249. 
Rusazus  (AzelToun),  ville  :  248. 
Rusguniae  (Matifou),  ville  :  248. 
Rnsicade  (Philippeville),  ville  :  248. 


Sabratha,  ville  :  247. 

Saburra,  général  de  Juba  1<^'  :  142. 

Sahara,  conquis  par  des  Berbères  :  3-3, 

11. 
Sala,  ville  :  250. 
Salaisons  :  212. 
Saldas  (Bougie),  ville  :  248. 
Sallusle,  sur  l'Afrique  du  Nord  :  17. 
Sceptre,  insigne  royal  :  128. 
Scribes  :  133. 
Scylax,  Périple  attribué    faussement  à 

—  :  13,83,85. 
Sedrata,  ville   saharienne    :  4. 
Seniores,  dans  des  villages  :  63-64;  dans 

des  tribus,  70. 
Shemesh,  nom  donné  à  la  ville  de  Lixus  : 

161,250;  atelier  monétaire  :  101. 
Sicca  (Le   Kef),  ville  :  266;  marché  de 

céréales  :  102;   prostitutions  sacrées 

il  —  :  31. 
Siga,  ville  :  240;  capitule  de  Syphax  : 

02,  00;  atelier  monétaire  à  —  :  161. 
Sijilmdsa,  ville  :  4. 


Silos  :  196-7. 

Simitthu  (Ghemtou),  ville  :  262  ;  carrières 

de  marbre  :   155,  211-2. 
Sittius,  condottiere  ;  148,  166. 
Sophaces,  peuplade   :  86. 
Sophonisbe,  femme  de  Syphax  :  49. 
Strabon,    sur   l'Afrique   du  Nord   :    11, 

18-22. 
Saburbures,  tribu  :  114. 
Succession,  règles  de  —  à  la  royauté  : 

122. 
Sufètes,    magistrats  municipaux  :  130, 

132-3,  259-260. 
Sufetula  (Sbeïtla),  ville  :  272. 
Suthul,  ville  :  271-2;  trésor  royal  à  —  : 

156. 
Syphax,  roi  des  Mas.esyles  :  98,  99,  lOU, 

101,    125;  son  gouvernement  :  161-2; 

ses  monnaies  :   157;  il  réside  à  Siga 

et  à  Cirta  :  249,  253. 


Tacape  (Gabès),  ville  :  247. 

Tamazight.  Voir  Amazigh. 

Tamuda,  ville  :  249. 

Tanusius  Gemiaus,  source  de  Strabon  : 
21. 

Tasbent,  station  préhistorique  :  27. 

Taza,  ville  :  281. 

Tentes   :  215-7. 

Terrasses  sur  des  maisons  :  228-9,  234. 

Terre,  maisons  en  —  :  224. 

Thabena,  ville.   Voir  Thaenae. 

Thabraca  (Tabarca),  ville  :  247. 

Thaenae,  ville  de  la  petite  Syrte  :  143, 
165,  247. 

Thagura,  ville  :  131,  270. 

Thala,  ville  :  253,  276-8;  entourée  de 
déserts  :  202;  trésor  royal  à  —  :  156. 

Thapsus  (Philippeville),  ville  :  248. 

Theveste  (Tébessa),  ville  :  132,  256,  27(;. 

Thigibba  Bure,  ville  :  265. 

Thimidd  Bure,  ville   :  265. 

Thimida  Regia,  ville  :  263-6. 

Thirmida,  ville  :  156,  265;  probablement 
Thimida  :  265. 

Thuburnica,  ville  :  263. 

Thubursicu Bure  (Téboursouk),  ville:  265. 

r/iu6ursic(iyVumidarum  (Khamissa),  ville  : 
270. 

Thugga  (l)ougga),  ville  :  263-4:  consti- 
tution municipale  :  133-4;  inscriptions 
puniques  et  libyques  :  24,  264. 


INDEX  ALPHABÉTIQUE. 


289 


Tkugga  Terebinlhina,  ville  :  267. 

ThuUium,  ville  :  263. 

Thuya,  bois  d'ébénisterie  :  211. 

Tibesti,  contrée  saharienne  :  1. 

Timici,  ville  :  279. 

Timosthène,  auteurd'un  Traité  des  ports: 
14,21. 

Tingi  (Tanger),  capitale  :  165,  253,  255; 
monnaies  :  131. 

ripasa  (Tifech),  ville  :  271. 

Toits  des  habitations  :  221,  223,  227-8. 

Touareg,  la  famille  chez  les  —  :  37-38, 
49-50. 

Transhumance  :  59. 

Trésors  royaux  :  155-6. 

Trêton  (cap  Bougaroun)  :  99. 

Tribus,  mode  de  formation  :  66-68; 
territoire  :  68-70;  organisation  :  70- 
73.  Conflits  entre  —  :  73-75;  accords: 
74;  confédérations  :  76-77.  —  connues 
avant   la  conquête    romaine   :  82-87. 

Tribus,  mot  latin,  désignant  les  familles 
d'agnats  :  54-55. 

Troglodytes  :  213-4. 

Tubusuptu  (Tiklat),  ville  :  280. 

Tuniza  (La  Galle),  ville  :  247. 

Tychaios,  prince   numide  :  141. 


Vaga  (Béja),  ville  :  261  ;  constitution 
municipale  :  131-2;  marché  de  céréa- 
les :  192. 


Varron,  source  de  Pomponius  Méla(?)  : 
23. 

Vermina,  fils  de  Syphax  :  141  :  roi  :  101, 
125:  ses  monnaies  :  157. 

Vigne,  culture  de  la  —  :  199,  200,  202. 
203. 

Villages  préhistoriques  :  28,  238,  244;  — 
d'agriculteurs  :  62,  238-240,  2.50-1: 
noms  en  grec  et  en  latin  :  240; 
mentions  et  restes  archéologiques  : 
240-1;  sites  :  242-3;  aspect  :  243-5; 
organisation  municipale  :  63-66. 

7î7ies  phéniciennes  et  carthaginoises  du 
littoral  :  130-1,  245-250;  —  indigènes: 
251  ;  raisons  de  leur  formation  :  252-4; 
sites,  255-6;  répartition:  254,  257-8: 
aspect:  254,  256-7:  constitution  muni- 
cipale :  131-5. 

Volubilis,  ville:  132,  282. 

Volux,  fils  de  Bocchus  :  141. 


Zama,  ville  :  2.a3,  256,  268-9;  capitale 
de  Juba  V  :  156,  165,  269.  —  Regia  : 
2.53,   269. 

Zauèces,  peuplade  :  84. 

Zilalsan,  grand-père  de  Masinissa  :  122, 
132,141. 

Zili  (Azila),  ville  :  22,  250. 

Zineb,  princesse  berbère  :  40. 

Zouchis,  ville  :  247. 

Zucchabar  (Miliana),  ville  :  280. 

Zuphônes,  tribu  :  85-86. 


TABLE    DES   MATIÈRES 


INTRODUCTION 

I.  La  lisière  septentrioaaie  du  Sahara  sera  la  limite  géographique  de  notre 
étude,  l.  —  Condition  actuelle  des  noirs  dans  le  Sahara,  1-2.  —  Prédomi- 
nance des  Berbères  nomades,  2.  —  Ces  Berbères  ne  sont  probablement 
pas  venus  dans  le  Sahara  central  et  occidental  avant  le  m"  siècle  de  notre 
ère,    2-3.   —   Dans    quelles   conditions    ils   sont    venus  et  ce  qu'ils  ont 
apporté,    3-4.    —   11   y   avait  des  oasis  bien  avant  eux,    4;  des  Berbères 
sédentaires  en   ont  créé   quel  |ues   autres   au    moyen    âge,    4.   —   Des 
Libyens  se  sont  établis  dans   le   Sahara  oriental  dès  une  époque  très 
reculée,  4-3;  mais  non  pas  dans  le  Sahara  central  et  occidental,  3-6.  — 
Ce   sont  des   Éthiopiens    qui,  dans  l'antiquitâ,  occupent  cette  contrée 
jusqu'au  voisinage  de  la-  Berbérie,  6-7.  —  Ils  la  cultivent,  7.  —  Ils  sont 
maîtres  chez  eux  et  forment  des  nations,  7.  —  Us  ont  des  relations  avec 
les  habitants  de  la  Berbérie,  7-9;  quelquefois  aussi  des  conflits,  9-10.  — 
Mais,   avant  d'être  conquis  par  des  Berbères,  le   Sahara  a   été  fort  peu 
mêlé  à  l'histoire  de  la  Berbérie,  10-11. 
II.  Avant  la  conquête  romaine,  la  Berbérie  était  fort  mal  connue  des  Grecs 
et  des  Latins,  11-12.  —  Informations  des  Ioniens,  12.  —  Carthage  écarte 
les  Grecs,   12.  —  Les  connaissances   d'Hérodote  s'arrêtent  à  la  Tunisie 
orientale.'  13.  —  Le  Périple  dit  de  Scylax,  13.—  L'expédition  d'Agathocle, 
13.  —  Périples  d'Ophélas  et  de  Timosthène,  14.  —  Ératosthène,  13-14.  — 
Les  guerres   puniques,   14.   —   Polybe,  14-15.  —   Arlémidore,  13-16.  — 
Posidonius,  16.  —  Le  Bellum  Africum,  16-17.  —  Salluste,  17.—  Écrits  du 
roi  Hiempsal,  17.   —  Les  Libyca  du  roi  Juba  11,  17.  —  Grecs  auteurs  de 
Libyca,  de  recueils  de  mœurs  barbares,  17-18.  —  Strabon,  18;  insufQsanee 
de  sa  description  de  l'Afrique  du  Nord,  lS-19:  elle  n'est  pas  au  courant, 
19-20;  auteurs  que  Strabon   utilise  accessoircinent,   21;  ses  principales 
sources  sont  Ératosthène,  Ârtemidore,  Posidonius,  21-22.  —  Pomponius 
Mêla  a  peu  ajouté  à  une  source  déjà  ancienne,  22;  cette  source  est  un 
écrit  latin,  composé   peu  après   Jules   César,  22-24.  —  Renseignements 
fournis   par  répigrapliie   punlifue   et  libyque,  24;  par  la  numismatique, 
24-23;  par  les  monuments   funéraires,  23.  —Comparaisons  à  faire  avec 
l'histoire  plus  récente  de  la  Berbérie,  23. 


292  TABLE  DES  MATIERES. 

LIVRE    PREMIER 
ORGANISATION     SOCIALE    ET    POLITIQUE 

Chapitre  premier.  —  Les  cadres   de  la  société    indigène 27-81 

I,  Des  ag-glomérations  importantes  se  sont  formées  dès  une  époque  fort 
lointaine,  27-28.  —  Ailleurs,  solidarité  probable  d'habitants  de  stations 
très  voisines,  28.  —  Raisons  de  ces  groupements,  28.  —  Quelles  relations 
ont  eues  entre  eux  les  individus  qui  les  composent?,  28.  —  A-t-on  des 
indices  d'une  promiscuité  sexuelle  primitive?,  29.  —  Assertions 
d'Hérodote,  très  sujettes  à  caution,  sur  la  communauté  des  femmes  chez 
certaines  peuplades  libyennes,  29-30.  —  La  nuit  de  noces  chez  les 
Nasamons,  30;  le  droit  du  seigneur,  31.  —  Prostitutions  sacrées,  31-32; 
nuits  de  l'erreur.  32-33;  autres  rites  sexuels,  33.  —  Offre  d'une  femme  à 
l'hôte,  33.  —  Rien  de  tout  cela  ne  prouve  une  communauté  primitive  des 
femmes,  34.   —  Licence  des  mœurs  chez  les  Berbères,  34. 

IL  Haute  antiquité  du  mariage  et  de  la  famille  chez  les  Libyens,  34-35.  — 
Formes  diverses  de  la  famille,  35.  —  Aucune  preuve  d'exogamie  en 
Berbérie,  35-36.  —  Famille  maternelle  et  filiation  utérine,  36;  ce  système 
est  en  usage  au  Soudan,  36-37;  on  n'a  aucune  preuve  qu'il  ait  existé 
chez  les  Libyens,  37.  —  Mais  la  famille  maternelle  existe  chez  les 
Touareg,  37-38;  d'où  leur  est-elle  venue?,  38.  —  La  famille  maternelle 
n'atteste  pas  le  matriarcat,  39.  —  Prétendus  indices  dantique  matriarcat 
chez  les  Berbères,  .39;  les  Amazones  de  Diodore,  39;  rôle  politique  de 
quelques  femmes  célèbres,  39-40;  puissance  magique  attribuée  aux 
femmes,  40-41. 

HT.  Uniformité  du  système  familial  chez  les  Berbères,  41;  impossibilité  de 
dire  comment  il  s'est  répandu,  42.  —  La  famille  paternelle,  42.  —  Elle 
remonte  à  des  temps  très  reculés,  42;  preuves  pour  les  temps  historiques, 
42-43.  —  Les  Berbères  se  marient  jeunes,  43;  prix  attaché  à  la  virginité 
de  la  femme,  43.  —  Le  mariage,  43:  distinguer  les  rites,  d'origine 
magique,  43-44,  et  l'achat  de  la  femme,  44-4o.  — Monogamie  et  polygamie, 
l'une  et  l'autre  en  usage  dans  l'antiquité,  45-46;  épouses  et  concubines, 
46;  motifs  de  la  polygamie,  46-47.  —  Cohabitation  des  époux,  47.  — 
Droit  de  répudiation,  unilatéral,  47.  —  Devoir  de  fidélité,  unilatéral, 
47-48.  —  Ilcmmes  et  femmes  ont  une  existence  distincte,  48-49.  —  En 
général,  condition  inférieure  des  femmes,  49.  —  Condition  bien  meilleure 
chez  les  Touareg,  49-50;  comment  l'expliquer?,  50-51.  —  Nombreux 
enfants,  51.  —  Devoirs  des  parents,  51.  —  Droits  du  père,  51-52.  — 
Filiation  par  adoi)tion,  52.  —  Jugement  sur  celle  famille,  52-53. 

IV.  La  famille  étendue,  ou  agnaliqiio,  53-54.  —  Elle  est  appelée  par  les 
Latins,  non  <jens,  mais  familia,  ou  irilnis,  54-55.  —  A-t-elle  un  culte 
particulier?,  .55.  —  Vie  commune  et  indivision  de  certains  biens,  55.  — 
Le  chef  de  la  famille  agnatique.  5(1.  —Autonomie  de  cetle  famille,  .50.  — 
Solidarité  vis-à-vis  des  étrangers,  56;  vengeance  et  responsabilité 
collectives,  57.  —  Rapports  avec  d'autres  groupes,  57.  —  Fractionnement 
des  familles  agnaliques,  57-.58. 

V.  La  fomille  agnatique  a  peut-être  été  çà  et  là  pleinement  indépendante, 
58.  —  Besoin  d'assocjalions  plus  larges,  .58.  —  Transhumance  et 
nomadisme,  s'imposnnt  à  beaucoup  de  pasteurs,  59:  rondilious  de  ces 
migrations,  59-60;  causes  de  conflits,  60:  d'où  nécessité  pour  les  pasteurs 


TABLE  DES  MATIÈRES-  -93 

de  s'unir,  60-61.  —  Contraste  entre  les  vies  pastorale  et  agricole,  61.  — 
Causes  de  conflits  entre  agriculteurs,  61;  entre  agriculteurs  et  pasteurs, 
61-62.  —  Nécessité  pour  les  agriculteurs  de  se  grouper  dans  des  villages, 
62.  —  Ce  que  sont  ces  villages,  62.  —  Éléments  constitutifs  des  sociétés 
villageoises,  62-63.  —  Conseils  d'anciens,  63-64;  leurs  attributions,  64.  — 
Règlements  pour  le  maintien  de  l'ordre,  64-65.  —Souvent,  la  république 
se  passe  d'un  chef,  65.  -  Maires  de  villages,  65-66.  -  Caractère  de  ces 
républiques  villageoises,  66. 

VI.  Les  tribus  sont  essentiellement  des  ligues  de  défense  et  d'attaque, 
66-67.  —  Ce  ne  sont  pas  des  familles  élargies,  67.  —  Haute  antiquité 
des  tribus,  67-68.  —  Noms  sous  lesquels  les  Grecs  et  les  Romains  les 
désignent,  68.  —  Territoires  des  tribus  chez  les  pasteurs  du  Tell,  68-69; 
chez  les  agriculteurs,  69;  chez  les  nomades,  70.  —  Tribus  dépourvues  de 
chef,  70.  —  Chefs  de  guerre,  70.  —  Certains  se  maintiennent  après  la 
guerre  et  transmettent  leur  pouvoir  à  leur  famille,  70-71.  —Noms  donnés 
à  ces  nobles,  71-72.  —  Nature  de  leur  autorité,  72;  rien  ne  prouve  qu'elle 
ait  eu  un  caractère  religieux,  72-73. 

VII.  Conflits  entre  tribus,  73.  —  Des  tribus  disparaissent;  d'autres  sont 
refoulées,  ou  deviennent  vassales,  73-74.  —  Contrats  entre  tribus,  74.  — 
Un  certain  équilibre  se  réalise,  mais  il  est  très  instable,  74-75.  —  Causes 
internes  de  désagrégation  dans  les  tribus,  7.5-76.  —  Changements  fréquents, 
qu'atteste  la  nomenclature  géographique,  76. 

VIII.  Confédérations  temporaires  de  tribus,  76-77.  —  Ébauches  de  peu- 
plades, 77.  —  Formation  d'États,  77.  —  On  n'a  pas  de  preuves  de 
l'existence  d'États  aux  temps  préhistoriques,  77-78;  aucun  argument 
solide  à  tirer  du  récit  d'Hiempsal,  dans  Salluste,  78;  ni  des  généalogies 
berbères,  79.  —  Importance  probable  des  armes  en  fer  et  du  cheval, 
80.  —  Mode  de  formation  des  États  berbères,  80.  —  Comment  ils  dispa- 
raissent, 80-81.  —  Causes  géographiques  qui  s'opposent  à  l'unité,  81. 

Chapitre  U.  —  Tribus,  nations   et  peuples 82-120 

I.  Tribus  et  peuplades  mentionnées  antérieurement  à  la  conquête  romaine, 
82  :  dans  Hérodote,  82-84;  dans  des  auteurs  i)lus  récents,  84-87. 

II.  Nations,  88.  —  Les  Maures  (Ma-.po:'7'.oi,  Mauri),  88-89.  —  Étymologies 
proposées,  89-90.  —  Les  Maures  ont  d'abord  été  une  tribu,  90.  —  Le 
royaume  des  Maures,  90-91.  —  Limites  de  ce  royaume,  91;  à  l'Est,  la 
Mulucha  (aujourd'hui  la  Moulouia),  91-94.  —  Extension  vers  l'Est  du 
nom  de  Maures,  94-95.  —  Masœsyles  etMassyles,  95-96.  —  C'étaient  d'abord 
des  tribus,  96-97.  —  Hypothèse  au  sujet  du  tombeau  royal  dit  le 
Médracen,  97-98.  —  De  quand  datent  les  royaumes  masœsyle  et  massyle?, 
98-99,  _  Leurs  limites,  99-100.  —  Tribus  indépendantes.  100.  —  Fin 
du  royaume  masœsyle,  101.  —  Persistance  des  noms  désignant  ces 
royaumes,  101-2. 

III.  Libyens,  terme  d'origine  indigène;  les  Lebou,  102.  —  La  Libye, 
continent,  102.  —  Aioueç,  habitants  de  l'Afrique  septentrionale,  102-3; 
dans  un  sens  plus  restreint,  sujets  de  Carihage,  103.  —  Emploi  de  ce 
nom  par  les  Carlhaginois,  103-4.  —  Il  ne  parait  pas  avoir  appartenu  à  la 
langue  des  indigènes  de  la  Berbérie,  104-5.  —  Libyens  nomades,  dans 
Hérodote  et  d'autres,  105.  —  NoixàSs;  employé  comme  nom  propre,  105; 
Numidae,  en  latin,  10."i-6.  —  Origine  de  ce  nom,  106;  peut-être  désignait- 
il  d'abord  une  tribu,  106-7.  —  Il  s'étend  à  l'ensemble  des  indigènes  non 
sujets  de  Carthage,  107.  —  Puis  le  sens  se  restreint,  107-8.—  Les  Gélules, 


294  TABLE  DES  MATIÈRES. 

109.  —  D'où  vieat  ce  nom?,  109.  —  Les  Gélules  ne  constituent  pas  un  État,. 
109.  —  Leur  extension  géographique,  109-110;  Gétules  au  Maroc,  110-1; 
Gélules  plus  à  l'Est,  111-2.  —  Rapports  des  Gétules,  Berbères  nomades, 
avec  les  royaumes  de  l'Afrique  du  Nord,  112. 

IV.  Les  Berbères  {Brâbcr  en  arabe),  112-3.  —  Ce  n'est  pas  un  nom  ethnique 
ancien,  113-i.  —  Ce  mot,  d'origine  latine,  vient  de  barbarus,  114-5,  —  Le 
terme  Amazigh  chez  les  indigènes,  115-6.  — Mazigh.  ancêtre  légendaire 
des  Berbères,  116.  —  Mazigh,  nom  propre  d'individus  dans  l'antiquité, 
116;  nom  de  tribus  à  l'époque  romaine,  116-7;  nom  de  tribus  ou  de 
peuplades  avant  l'époque  romaine,  117-8.  —  Sens  plus  général  donné  à 
ce  terme,  118-9.  —  C'était  peut-être  à  l'origine  un  adjectif,  signifiant 
noble  ou  libre,  119.  —  Pourquoi  désigne-t-il  de  nombreux  groupes  d'indi- 
gènes?, 120. 

Chapitre  III.  —  Les  rois  et  leurs   sujets 121-161 

I.  La  royauté,  121.  ^Les  femmes  en  sont  exclues,  121.  —  Elle  est  héréditaire, 
121.  —  Chez  les  Massyles,  elle  est  d'abord  la  propriété  d'une  famille  et 
est  réservée  au  plus  âgé  de  la  famille,  121-2.  —  Pourquoi  cet  ordre  de 
succession  ne  se  maintient  pas,  123.  —  La  succession  de  Masinissa, 
123-4.  —  La  succession  de  Micipsa,  124. — Transmission  du  pouvoir  en 
Numidie  après  Jugurtha,  125.  — Transmission  du  pouvoir  chez  les  Masee- 
syles,  125;  chez  les  Maures,  125-6. 

II.  Titres  que  portent  les  rois,  127.  —  Insignes  rovaux,  127-8.  —  Étiquette, 
128-9.  —  Pompe  royale,  129. 

m.  Le  pouvoir  royal,  absolu  en  théorie,  est  limité  par  l'autonomie  des 
groupes  sociaux  et  politiques  dont  se  compose  le  royaume,  129-130.  — 
Tribus,  130.  —  Cités,  130.  —  Anciennes  colonies  puniques  du  littoral;  leur 
constitution  municipale,  130-1.  —  Cités  d'origine  indigène;  leur  consti- 
tution, 131-2;  emprunts  probables  au  régime  municipal  punique,  132-3.— 
Institutions  municipales  qui  peuvent  être  indigènes,  133.  —Organisation 
de  la  cité  de  Thugga,  133-4.  —  Cirta,  134-3.  —Autres  indices  d'institutions 
municipales,  133.  —  Autonomie  probable  des  cités,  133.  —  Leur  terri- 
toire, 136. 

IV.  Caractère  anarchique  des  indigènes,  136-7.  —  Résistances  à  la 
royauté,  137-8.  —  Elle  se  maintient  pourtant,  138.  —  Nécessité  pour  les 
rois  de  disposer  de  grandes  ressources,  139;  comment  ils  peuvent  se  les 
procurer,  139.  —  Tout  le  poids  de  l'État  repose  sur  le  souverain,  14U. — 
Il  n'y  a  pas  de  véritables  fonctionnaires  publics,  140.—  Seulement  des 
hommes  de  confiance,  parents  ou  amis,  140-2. 

V.  Politique  royale  :  diviser  pour  régner,  142-3.  —  Emploi  de  la  force,  143.  — 
Forteresses  royales,  143-4.  —  Troupes  mobiles  pour  la  police  du  royaume, 
144-3.  —  Armiies  pour  les  guerres,  143.  —Les  corps  réguliers  et  les 
contingents,  143.  —  Recrutement  des  réguliers,  143-6.  —  Leur  organisation, 
146;  cavalerie  et  infanliMie,  147.  —  Soldats  étrangers,  147-8.  —  Le  condot- 
tiere Sittius,  148.  —  Contingents  levés  en  temps  de  guerre,  148-9.  — 
Défauts  de  ce  système,  149-130.  —  Matériel  de  siège,  150.  —  Éléphants, 
130-1.  —.Marine,   131-2. 

VI.  Ressources  financières,  132.  —  Inégalilé  des  charges  fiscales,  exem[)tions, 
■f        132.  —    .Imui^s  sur   les  produits  du  sol,  132-3:   sur    le   bétail,  153-4.   — 

Ifnpôts   sur  les  citadins,  134.   —  Les   o|)éralions   financières   incombent 
sans  doute   aux  chefs  di-  ccuxijui  doivent  les  impôts,    I3i.  — _PerccptioQ 


TABLE  DES  MATIÈRES-  293- 

par  voie  d'exécution  raililaire,  ir34-5.  -  Autres  ressources,  155.  -  f^^^^^^^ 
S      Iverains,    135.  -  Trésors  royaux   156.  -  Largesses  ro,^^^^^^^^^ 
butin  fait  par  les  Romains,  136.  -  L'or  et  l'argent  viennent  de  1  «tran  er 
rareté  des  monnaies  indigènes  en  métaux  précieux,  lo6-7.  -  Monnayage 
royal  aux  iii'-ii^  siècles,  157-9  ;  au  i^'  siècle,  lo9-lbl. 
VIT    I  a  rovauté  de  Svphax,  161-2.  -  La  royauté  de  Masinissa,  162.  -  Le» 
oi^  indi'oTnes  ap,.i     Masinissa.  162-3.   -Agitation  et  désordre  presque 
"ermanents,  163.'-  Haines  et  meurtres  dans  la  famille  ^^f^^^^' 
'partages   et  démembrements,  causes  de  .ue-_s  ci. le.   \l^^         f^^^^ 

lef- 1!^  ;^;ïï;:;i  ":s:^  o;:;ïs  J^i^e  lo.  voisms,  i66.  -  E.on- 

drements,  167.  —  Conclusion,  16/. 

LIVRE    II 

EXPLOITATION   DU  SOL  ET  MODES  D'HABITATION 

169-212' 
Chapitre  premier.  -  Élevage  et  culture 

T    î  a  ohasse  nrocure  aux  indigènes  une  partie  de  leur  nourriture,  169.  - 

'■  ^:^:j:rLn  des  fauves,  169-lTO.  -  Elle  ^ourniU  ^étranger  de 

l'ivoire,  des  peaux  et  des  animaux  vivants,  1/0.  -/^"''"'^^"^ '^^z.f,  * 

Rome  pour  les  spectacles  du  cirque,  170-2.  -  Procèdes  de  chasse,  12-3^ 

IL  Abondance    du   bétail,  174;  importance   ^e   la   vie    pa^orale     1 -4^ 

Antiquité    de  l'élevage,   174-5.  -  H  ^«  ^^'-^f  V'.  ^^^f-V*^' P^>°,Cdes 
l'agriculture,   175-6.  -   Pasteurs  presque  sédentaires,  Ub.  -   Nomade», 

l8l-'>  -  Ces  animaux  appartiennent  à  la  race  barbe,  182-3,  leur=  qua^'^^s 
m-ï.  -  Abandon  des  chars  de  guerre,  184.  -  A  quoi    l'on  emploie  les 
chevaux,  185.  —  Comment  on  les  monte,  18.J-6. 
IV    Antiauité   de   la  culture    des  céréales,   186-7.   -  Impulsion  donnée  a 
l'aS'ùre   par  Masinissa,  187;  intérêt  qu'il  y  trouve,  18/;  condition, 
av°orabes    187-8    -  Combinaison  des  vies  agricole  et  pastorale,  188.  - 
Djfr  :     ments    189.-  Main-dœuvre  abondante,  189.       Masinissa  donne 
?exempleà  se;  sujets,  189-190.  -  l^'^o-icullure  après  Mas.nis.a    m  - 
Preuves  de  la  culture  des  céréales  (monnaies,  textes),  1.9'|-^;  "  «'^-;,"_'^^ 
nroductrices    •    Numidie    orientale,    192;    Num.d.e    occidentale     19^-3 . 
MaurTtane    193-4   -  Exagérations  sur  la  fertilité  de  l'Afrique,   194-.    - 
PratqLes  agricoles  :  labours,  moisson,  193-6.  -  Conservation  des  récoltes  . 
si^os,  196-7°  magasins  communs,  197-8.  -  Vente  des  grains,  198-9. 
V    Part  des  Phéniciens  au  développement  de  l'arboriculture  en  Berberie 
199%0    -  Cultures  arbustives  autour  des  vieilles  villes  .nantîmes,  2^.0 
llivettes  autour  do  Leptis  la  Grande,  200-1.  -  L'arboriculture  se    epand 
;eni:î^trindigénL,  201-2.  -De  v-tes  étemlu^  ne  seron^  P-a-Uees 
en  oliviers  que  sous  l'Empire  romain,  202.  -  Pa^  <le  Mtituiture,  -u-. 

ert:  Ll  désignant  des  arbres  frui.iers  e,  ;^"-^-.  ;j.;^  ^ 
tardive  202.  -  Causes  du  médiocre  developpemen  de  l  arbor  ciilluri  . 
203  -  Les  oasis  appartiennent  pour  la  plupart  aux  Ethiopiens,  203-4.  - 
Apiculture,  204-5. 


296  TABLE  DES  MATIÈRES. 

VI.  Condition  des  terres  chez  les  pasteurs,  205-6.  —  Chez  les  agriculteurs  : 
propriété  collective,  200-7  ;  ou  propriété  privée,  207.  —  Nécessité  de  la 
propriété  privée  chez  les  arboriculteurs,  207-8.  —  Propriétés  privées  dans 
les  royaumes  indigènes,  208.  —  Domaines  royaux,  209.  —  Les  rois  se 
sont-ils  attribué  la  propriété  théorique  du  sol  de  leurs  États?,  209-210.  — 
Modes  d'exploitation,  210:  par  des  hommes  libres,  non  par  des  esclaves, 
210. 

VIL  Bois  de  thuya,  211.  —  Mines,  211.  —  Carrières  de  marbre  de  Chemtou, 
211-2.  —  Pèche,  212.  —  Pêcheries  et  ateliers  de  pourpre,  212. 

Ch.\pitre  II.  —  Habitations 213-231 

I.  Le  troglodytisme  des  temps  préhistoriques  persiste  çà  et  là,  212:  les  Béni 
Ifrène,  au  début  de  l'époque  musulmane,  213;  troglodytes  modernes, 
213-4.  —  Avantages  et  inconvénients  du  troglodytisme,    214. 

IL  La  plupart  des  pasteurs  ont  besoin  de  demeures  mobiles,  215.  —  Usage 
de  la  tente  en  laine  et  poil,  21.5-6;  elle  s'est  répandue  tardivement  chez 
les  Berbères,  216.  —  Emploi,  dès  une  époque  lointaine,  de  petites  tentes 
en  cuir.  216-7.  —  Emploi,  peu  répandu,  de  tentes  à  l'imitation  des 
troupes  romaines,  217.  —  Demeures  mobiles  des  nomades,  en  matières 
végétales,  217-8.  —  Elles  ne  sont  pas  démontables,  comme  des  tentes, 
218.  —  Ce  sont,  soit  des  roulottes,  soit  des  cases,  qu'on  charge  sur  des 
chariots,  218.  —  Forme  de  ces  demeures,  218-9.  —  Comment  étaient-elles 
attelées?,  219.  —  Termes  servant  à  les  désigner;  emploi  du  mot  mapalia, 
219-220. 

III.  Mapalia  ILxes,  huttes  en  matières  végétales,  220-2.  —  Forme  circulaire 
et  forme  oblongue,  222-3. 

IV.  Avantages  des  maisons  sur  les  huttes,  223-4.  —  Construction  en  terre, 
224.  —  Construction  en  pierre,  225.  —  Difficulté  de  dater  les  ruines  de 
maisons,  225.  —  Mode  de  construction  des  murs,  225-6.  —  Prédominance 
de  la  forme  rectangulaire  sur  la  forme  ronde,  226-7.  —  Toit,  227-8.  — 
Terrasse,  probablement  d'importation  orientale,  228-9.  —  Porte  et 
dispositions  intérieures,  229-230.  —  Cour,  230.  -^  Maisons  pourvues  de 
plusieurs  chambres  et  d'anue.xes,  230-1. 

CiiAPiTRK  III.  —   Lieux  habités 232-282 

I.  Pasteurs  el,  parfois,  agriculteurs  dispersés  dans  la  campagne,  232.  —  11 
leur  faut  des  refuges,  qu'ils  occupent  en  cas  de  danger,  233.  —  11  existe 
en  .\fri(iuo  beaucoup  de  lieu.x  propres  à  servii'  de  refuges,  233.  —  Défenses 
naturelles,  complétées  par  des  remparts,  2.33-4.  —  En  principe,  ces  lieux 
ne  sont  que  des  asiles  temporaires,  234;  mais,  souvent,  on  y  établit  des 
magasins,  235.  —  Des  refuges  peuvent  servir  de  résidences  à  des  chefs, 
235.  —  Vestiges  de  refuges  anciens,  2.35-0.  —  Il  est  difficile  ou  impossible 
de  les  dater,  236-7.  —  Textes  concernant  des  refuges,  237-8. 

H.  Villages  préliistori(|ues,  238.  —  La  vie  de  village  ne  convient  guère  aux 
éleveurs,  238.  —  Elle  prédomine  chez  les  agriculteurs,  238-9.  —  Formation 
de  ces  villages,  239-240.  —  Noms  qui  les  désignent  en  grec  et  en  latin,  240. 
—  Témoignages  archéologiques  de  l'existence  d'anciens  villages  et  bourgs 
dans  des  lieux  qui  ont  continué  à  être  habités  à  l'épociue  romaine  et  plus 
tard,  240-1.  —  Buines  de  villages  purement  indigènes,  241;  difficiles  à 
dater,  241.  —  D'ordinaire,  ces  villages  ne  sont  pas  sitoés  en  plaine,  ni 
sur  II"  bord  des  rivières,  242.  —  On  les  établit  surtout  dans  des  lieux   domi- 


TABLE  DES  MATIERES-  29  7 

nani  des  vallées  et  des  plaines,  242;  avantages  de  ces  sites,  242-3.  — 
Enceinte  fortifiée,  243-4.  —  Maisons  en  pierre,  244.  —  Absence  d'un  plan 
d'ensemble  régulier,  244-5.  —  PaiTois,  une  citadelle-magasin  au  sommet, 
245.  —  Le  village  n'est  pas  un  centre  de  commerce,  ni  d'industrie,  243. 
IIL  Villes  maritimes  phéniciennes  et  carthaginoises,  annexées  aux  royaumes 
indigènes,  245-6.  —  Sur  les  Syrtes,  246-7.  —  De  la  Tusca  à  la  Mulucha, 
217-9.  —  En  Maurétanie,  249-2o0. 

IV.  En  général,  les  indigènes  préfèrent  le  villageà  la  ville,  250-1.--  iMentions 
de  villes  dans  les  textes  anciens,  251.  —  Motifs  de  la  distinction  faite  entre 
la  ville  et  le  village,  251-2.  —  Villes,  centres  politiques,  232;  capitales 
successives  ou  simultanées,  252-3.  —  Villes,  centres  économiques,  253-4. 
— •  Témoignages  matériels  de  bien-être  et  de  richesse.  234.  —  Régions 
favorables  à  la  création  et  au  développement  de  villes,  254.  —  Villes 
indigènes  sur  le  littoral,  254-5.  —  Villes  de  l'intérieur;  transformation 
d'anciens  villages  et  centres  nouveaux,  255.  —  Ces  villes  sont,  pour  la 
plupart,  situées  dans  des  lieux  pourvus  de  défenses  naturelles,  233-6; 
quelques-unes  en  plaine,  236.  —  Remparts  et  citadelle,  256-7. 

V.  La  Numidie  orientale  a  plus  de  villes  que  les  régions  du  Tell  situées 
plus  à  l'Ouest,  257-8.  —  Les  villes  sont  très  rares  à  l'intérieur  des  terres, 
en  Gétulie,  258.  —  11  y  a  sans  doute  des  villages  dans  toutes  les  régions 
agricoles,  258.  —  Les  textes  anciens  n'indiquent  qu'un  petit  nombre  de 
villes,  dont  l'emplacement  n'est  pas  toujours  connu,  258-9.  —  Ce  que  nous 
apprennent  les  sites,  259.  —  Documents  divers  :  noms  géographiques 
indigènes  et  puni(iues,  239;  monnaies  municipales,  239;  mentions  de 
sufètes,  239-260;  inscriptions  puniques,  260;  monuments  de  style  gréco- 
punique  et  sépultures  indigènes,  260. 

VI.  Vaga,  261.  —  La  région  des  Grandes  Plaines  :  Bulla  Regia,  Simitthu, 
261-3.  —  Massif  montagneux  entre  la  Medjerda  et  la  mer,  263.  —  Thugga, 
263-4.  —  Le  pays  de  Thugga,  263;  Thimida  Bure  et  Thimida  Regia,  265-6. 

—  Sicca,  266.  —  Régi{jn  de  Sicca,  266-7.  —  Le  plateau  central  tunisien  : 
Mactar,  etc.,  267-8.  —  Zama  Regia,  268-9.  —  Pays  montagneux  à  l'Ouest 
de  Sicca,  au  Sud  de  la  Medjerda,  269.  —  Thagura  et  Madaure,  270;  autres 
villes  et  bourgs  de  la  même  région,  270-1.  —  Tipasa,  271.  —  Calama  et 
SuthuI,  271-2.  —  Cirta,  272;  site,  272-3;  nom,  273.  —  Cirta,  capitale 
numide,  273;  fortifications,  monuments,  274;  civilisation  punique,  274; 
hùtes  étrangers,  274.  ^  Rourgs  autour  de  Cirta,  275.  —  Macomades,  275-6. 

—  Villes  chez  les  Gélules,  276.  —  Theveste,  276.  —  Thala,  277-8.  — 
Capsa,  278-9.  —  A  l'Ouest  de  Cirta,  on  n'a  pas  de  preuves  de  l'existence 
de  villes  en  Numidie  avant  l'époque  romaine,  279;  il  devait  pourtant 
en  exister  quelques-unes,  exigées  par  des  nécessités  politicjues  et  commer- 
ciales, 278-281.  —  Villes  en  Maurétanie,  2S1-2. 

Indkx  alphabétique 283-289 


S041.  —  Coulomiiiiors.  Iiiin.  I'aui.  UKODAKD.  —  10--J7 


w 


La  S^btiotk^que. 
Université  d'Ottawa 
Echéance 


The,  LÀ,bàjCL/iy 
Uni  vers ity  of  Ottawa 
Date  Due 


Ce 


390  0  3    00 39 U 6682b 


CF    DT       0198 
.G8H    1913    \/ÛC5 
COO       GShLL,     STEPH 
ACC#    1085330 


HISTOIRE    ANC 


U  D'  /  OF  OTTAWA 


COLL  ROW  MODULE  SHELF    BOX   POS    C 

333    07       02        06       18    04    7