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guiie' i/e.' la jfpfntlatÙHi ram/tienne', ai»i ÂorixOU leJ Mua.' ancien; /uffiotneàe.'
aune.' origine.' aaiatiane', aroùaouÛé U uneJ orùiùte.' africaine.'. - d,a langue.' et.
ie/t.' ajfuutéic.' oemitiguea.' ; le.' fftuple' et. lea. 'principaux fittiic'au. il comporte '.
*r£a frremièreJ ciWlijation aeJ l tegupteJ .■ aea.' aurviimnceaJ aux tempo.}
ntâlorigue/t-', leaJ cattrtùaneaJ a \_/3jnon, leJ mariage.', leaJ aroiia.J aeaJ etiptnta.'
et. aeJ la jfemme,'. • dea.? ntaùona-' ; leJ mobilier'] leJ costume'. leaJ aù'oux
leaJ armeaJ en ooia.?, mua.' en métal. • .lu pie> i?rimitiireJ ; la. ftéctieJ ex, la
chatte.'; leJ ùtpo- et. ùz. êola ; la aomeàfication. aea,' animaux. - ^lea.' planteaJ
empù>ue'eic> d l alimentation : leJ ùitua.' '; ùaJ cértaùicJ '; la AoueJ et. la cnarrue.'.
.J.a congucfe> aeJ la paucc? ; leaJ aigaeszJ, lea.' èafiùta.'. lim'ijatio/i. -
aiea princea '. leaJ nomea. ', lea,' frremièrea.} pTrùicùmu/ea.; localea. '. - Cnyta -
nùatian tartlivt> au Jûelta; caractères a&c> ftotiulationa. '
gui lAa&iieni,. - J/lorceUement, ^ptroare/Sy aea>
lirincipauleaJ et, i/arioùilité aeJ leur^
territoire^ -■ leJ dieu aeJ la cite'.
CHAPITRE PREMIER
LE NIL ET L'ÊGVPTE
LE FLEUVE ET SON INFLUENCE SUR L'ENSEMBLE DE LA CONSTITUTION DU rkff. LES PLUS ANCIENS
HABITANTS. — LA PB Eï 1ERE ORGANISATION POLITIQUE DE LA VALLÉE.
tttne longue rive basse, plate, à peine visible au-dessus
es flots, une chaîne de lacs et de marais dont les
limites incertaines se modifient sans cesse, puis, au
delà, une plaine triangulaire dont la pointe s'enfonce
à trente lieues dans les terres : toute la partie de
l'Egypte qui affleure à la mer est une lente conquête
et comme un don du Nil*. La Méditerranée s'avan-
çait jadis jusqu'au pied du plateau sablonneux que
les Pyramides dominent, et formait un golfe spa-
cieux où nous voyons aujourd'hui les plaines du
Delta s'étendre à l'infini. Les dernières ondulations
de la montagne Arabique l'arrêtaient vers l'est, du
Gebel Mokattam au Gebel Géneffé : un détroit sinueux et peu profond la
I . De fia de Boudier, d'aprèê une photographie du voyageur holtandaù lui'mger, priie en I88A.
i. Hérodote, II, v : tari Aiiuirriourt M*tr,t6( ti pi *<tl Zûpav toC notau-où. La même expression
a été attribuée à llécaléc de Milet {MClicr-Dii-oi, Fragmenta lliëloricorvm Grteeonim, t. I, p. 19.
fragni. ï"9; cf. Dm.s, ttermet, t. XXII, p- 4Ï3). On a remarqué souvent que l'expression a un aspert
égjplicn ; elle rappelle, en effet, des tournures telles que eelle-ci, que j'emprunte à une formule fré-
quenle sur les stèles funéraires : . Toutes les choses que le ciel crée, que la terre donne, que le
Xit apporte de tel toureet myttérievici •. Toutefois les textes hiéroglyphiques n'ont rien fourni
4 LE NIL ET L'EGYPTE.
prolongeait entre l'Afrique et l'Asie, et la reliait à la mer Rouge1. A l'ouest,
le littoral s'adaptait exactement au relief du plateau Libyque, mais une
flèche calcaire s'en détachait vers le 31° et allait se terminer au cap d'Abou-
kîr*. Les alluvions comblèrent d'abord le fond de la baie, puis elles se dépo-
sèrent sous l'influence des courants qui rasaient la côte orientale, et s'enfer-
mèrent derrière un rempart de dunes dont on aperçoit les restes vers Benha.
C'était comme un Delta en miniature où s'ébauchait assez exactement la
structure de notre grand Delta actuel. Le Nil s'y partageait en trois bras diver-
gents, qui coïncidaient à peu près avec le cours méridional des branches de
Rosette et de Damiette et avec le canal moderne d'Abou-Méneggéh. Les boues
qu'il ne cessait d'entraîner franchirent bientôt cette première ligne, et, tou-
jours empiétant sur les eaux, leur marche ne s'arrêta qu'au moment où elles
sortirent de l'abri que la pointe d'Aboukîr leur offrait : là, le grand courant
côtier qui va d'Afrique en Asie s'empara d'elles et en façonna un cordon
recourbé, dont l'extrémité aboutit au massif du Gasios, sur la frontière de
Syrie. Depuis lors, l'Egypte ne s'est plus accrue vers le nord, et la côte
est demeurée sensiblement ce qu'elle était il y a des milliers d'années3 :
l'intérieur seul s'est asséché, affermi, exhaussé graduellement. Les habitants
croyaient pouvoir mesurer avec certitude le temps que "l'œuvre de création
avait duré à s'accomplir. Le premier de leurs rois humains, Menés, trouva,
disaient-ils, la vallée plongée sous les eaux. La mer pénétrait presque au
Fayoum, et le reste du pays, moins le canton de Thèbes, était un bourbier
malsain4; l'Egypte aurait employé à se constituer les quelques siècles qui
suivirent Menés. On ne se contente plus de si peu, et tel géologue de nos jours
déclare que le Nil travailla au moins soixante-quatorze mille ans à conquérir
son estuaire5. Le chiffre est certainement exagéré, car le progrès des boues
jusqu'à présent qui répondit exactement aux termes mêmes des historiens grecs, don (&ôpov) du
Nil ou son œuvre (£pY<>v) naturelle (Aristote, Meteorologica, I, 14,11).
1. La formation du Delta a été étudiée et expliquée tout au long, il y a quarante ans et plus, par
Élir de Beacmoxt, Leçons de Géologie, t. I, p. 405-492. C'est de ce livre qu'ont été tirées, avec quelques
changements pour la plupart insignifiants, les théories qu'on trouve exposées jusque dans les
ouvrages les plus récents sur l'Egypte.
2. Sur le rôle du chatnon calcaire d'Aboukîr dans la formation du cordon littoral, voir Élif. df.
Beaumont, Leçons de Géologie, t. I, p. 483 sqq. ; la composition en a été analysée en dernier lieu par
Oscar Fraas, A us dem Orient, t. I, p. 175-176.
3. Élir dr Beaumont, Leçons de Géologie, t. I, p. 460 : « Ce qui distingue le Delta du Nil, c'est l'inva-
riabilité presque complète de son contour extérieur.... La côte de l'Egypte est demeurée, à très peu
près, ce qu'elle était il y a trois mille ans. » Les dernières observations prouvent qu'elle s'abaisse et
diminue du côté d'Alexandrie pour se soulever constamment au voisinage de Port-Saïd.
4. Hérodote, II, iv; cf. xcix.
5. D'autres, par exemple Schweinfl*rth (Bulletin de l'Institut égyptien, in série, t. XII, p. 206),
sont plus modérés et pensent qu' « il a fallu environ deux cents siècles pour que le dépôt qui forme
le sol cultivable de l'Egypte ait acquis la puissance que nous constatons aujourd'hui ».
LE DELTA ET SA STRUCTURE. S
marchait plus rapide autrefois sur les bas-fonds du golfe qu'il ne fait aujour-
d'hui dans les eaux profondes de la Méditerranée : même en le réduisant,
on est obligé d'avouer que les Égyptiens ne soupçonnaient guère l'âge réel
de leur patrie. Non seulement le Delta existait depuis longtemps déjà à
l'avènement de Menés; son dessin était entièrement achevé au moment où
les peuples d'Egypte y entrèrent pour la première fois. Les Grecs, l'esprit
préoccupé des vertus mystérieuses qu'ils prêtaient aux nombres, recon-
naissaient sept branches principales du Nil et sept embouchures, à coté
desquelles les autres n'étaient que de fausses bouches1. Il n'y avait en
réalité que trois percées maîtresses : la Ganopique inclinait vers l'ouest, et
se perdait dans la Méditerranée aux environs du cap d'Aboukir, à l'extré-
mité occidentale de l'arc que décrit la ligne du littoral'; la Pélusiaque des-
cendait le long de la chaîne Arabique, et aboutissait à l'autre extrémité; la
Sébennytique divisait en deux segments presque égaux le triangle compris
entre la Pélusiaque et la Ganopique. Elles se séparaient, il y a deux mille
l. TfjSoirritisitt
i, selon l'expression lien géographes alexandrins, conservée par Slrabon (liv. XVI,
p. "88, 801); cf. Pi
rue. //. nat., V, 10 : • duodecim enim repporiuntur, superque i|ualtuor, quai ipsi
faim ora appctlanl
1. Lancrel en «va
it retrouvé le tracé, mais la mort ne lui a pas permis d'exposer sa découverte avec
les développements
qu'elle comportai! (LtlWIH, Notice mr ta Branche Canopii/ue, suivi d'une A'Iili*
'">" de '"»•"•. <iai>
s la Deicriptinn de l'Egypte, î- éd., 1. VIII, p. 19-Î6).
6 LE NIL ET L'EGYPTE.
ans, au bourg de Kerkasore1, à six kilomètres au nord du site où le Caire
s'élève; mais, depuis que la Pélusiaque a cessé d'exister, la fourche du
fleuve s'est usée d'âge en âge et s'est reportée à 15 kilomètres plus bas1.
Les trois grandes voies sont réunies par un lacis de rivières artificielles,
de canaux, de fossés, les uns naturels, les autres creusés à main d'homme,
qui s'envasent, se ferment, se rouvrent, se déplacent sans interruption, se
ramifient en veines innombrables à la surface du sol, répandant partout la
vie et la fécondité. Le réseau se rétrécit et se simplifie à mesure qu'on
s'élève vers le sud, la terre noire et les cultures s'amoindrissent, la ligne
fauve du désert apparaît, les montagnes de Libye et d'Arabie se relèvent, se
rapprochent, resserrent de plus en plus l'horizon : au point où l'on dirait
qu'elles vont se réunir, le Delta finit et la véritable Egypte commence.
C'est une simple bande de terre végétale, tendue du nord au sud entre deux
régions de sécheresse et de désolation, une oasis allongée aux bords du Nil,
créée par lui, nourrie par lui. Deux rangées de hauteurs presque parallèles la
pressent et se poursuivent sur tout son parcours, à la distance moyenne de
20 kilomètres8. Aux premiers âges du monde, le fleuve remplissait l'espace
qui les sépare, et leurs parois, polies, usées, noircies jusqu'au sommet,
portent encore la trace non équivoque de son action. Appauvri et descendu
au fond de son ancien lit, il s'y fraye son chemin à travers les couches épaisses
de limon qu'il a déposées. Le gros de ses eaux appuie vers l'est : c'est le Nil
proprement dit, la Grande Rivière des inscriptions hiéroglyphiques4. Un
1. Le nom de Kerkasore (Hérodote, H, xv, xvu, xcvii) ou Kerkésoura (Strabon, liv. XVII, p. 806)
répondrait, d'après Brugsch ifieogr. Ins., t. 1, p. 244, 296), à un original égyptien Kerk-osiri; mais
Kerk-osiri aurait donné en transcription grecque une forme Kerkosiris, dont M. Wilcken a retrouvé
la variante Kerkeusiris dans la nomenclature du Fayoum (Wilcken, JEgyptische Eigennamen in
Griechischen Texten, dans la Zeitschrift fur Aigyptische Sprache, 1883, p. 162). M. Wilcken propose
de corriger le texte d'Hérodote et de Strabon, et d'y introduire la leçon Kerkeusiris au lieu de
Kerkasoros ou de Kerkésoura. Kerkeusiris signifierait, d'après l'observation de M. Erman, Habitation
d'Osiris, et renfermerait le radical korkou, kkrkou, qu'on retrouve dans Kerkésoukhos, Kcrkéramsfsou-
Miamoun, et dans le nom moderne de Girgéh. L'emplacement d'El-Akhsas, que d'Anville avait attribué
à Kerkasore {Mémoires géographiques sur rÈgyptc, p. 73), est trop septentrional : le village ancien
devait être situé dans le voisinage du bourg actuel d'Embabéh.
2. Elle était, dès la lin de l'époque byzantine, à quelque distance au sud de Shetnoufi, aujourd'hui
Shatanouf (Champollion, /' Egypte sous les Pharaons, t. II, p. 28, 147-151), c'est-à-dire à son empla-
cement actuel. Les géographes arabes appellent la pointe du Delta Uatn-el-Bakarah, le Ventre de la
Vache, a Ce nom, donné à l'endroit où commence la partie la plus fertile de l'Egypte, n'cst-il pas
un souvenir de la vache divine, d'Isis, symbole de fécondité et personnification de l'Egypte? »
(Ampkre, Voyage en Egypte et en Nubie, p. 120.)
3. IIozikrk évaluait la largeur moyenne à 15 kilomètres seulement (De la constitution physique de
l'Egypte et de ses rapports avec les anciennes institutions de cette contrée, dans la Descrip-
tion de l'Egypte, t. XX, p. 270).
4. latour-âou, laour-âou, qui devient en copte Iar-o, lal-o (Brugsch, Geographische Inschriften,
t. I, p. 78-79, et Dictionnaire Géographique, p. 84-88). Le mot Phiala, par lequel Timée le mathéma-
ticien désignait les sources du Nil (Pline, Hist. N.% V, 9; cf. Solin, Polyhisl., ch. xxxv), n'est que ce
nom lalo précédé de l'article masculin phi, ph. Le géographe Ptolémée a traduit exactement le
terme indigène par A {léyaç icotaji^;, le grand fleuve (Brugsch, Geogr. Ins., t. I, p. 78-79).
L'ASPECT DES K1VES.
second bras côtoie fidèlement le désert de Libye, canalisé par endroits, par
endroits abandonné à lui-même. De la pointe du Delta au village de Déroût,
on l'appelle Bahr-Youssouf ; au delà de Déroût, c'est l'ibrahimiéh, le
Sohagiéh, le Ratennàn jusqu'au Gebel Silsiléh : les noms anciens ne nous
sont pas connus. Ce Nil de l'ouest demeure à sec pendant l'hiver, dans la
partie supérieure de son cours; où il ne tarit pas, il est alimenté tant bien
que mal par des affluents dérivés de l'autre Nil. H se divise à son tour au
nord de Hénassiéh, et lance, par la gorge d'Illahoun, un rameau qui va se
perdre au delà des montagnes, dans le bassin du Fayoum. Le vrai Nil, le Nil
de f'est, est moins un fleuve qu'un lac sinueux encombré d'ilôts et de bancs
de sable, entre lesquels le chenal navigable serpente capricieusement. Il file
d'un jet puissant et régulier, sous des berges noires, taillées droites dans le
terreau d'alluvion. Des bois légers de dattiers, des bouquets d'acacia et de
sycomores, des carrés d'orge ou de blé, des champs de fèves ou de bersim*,
çà et là une coulée de sable que le moindre vent soulève en tourbillons, et
sur le tout, un grand silence, interrompu à peine par des cris d'oiseaux ou
par un chant de rameurs dans une barque qui passe. Un peu de vie humaine
s'agite sur les rives, mais adoucie et poétisée par la distance : une femme à
demi voilée, un paquet d'herbes sur la tète, chasse ses chèvres devant elle ;
une file irrégulière de baudets ou de chameaux chargés sort d'un pli de
terrain et s'enfonce presque aussitôt dans un chemin creux; un groupe de
I. Dessin de Boudier, d'aprts une photographie de M. Insinger, prise en *88.S.
t. Le bentm est une espèce do trèfle, TrifottHm Aleiandrinum Likn., très répandue en Egypte,
ta seule qu'on cultive d'une manière générale pour la nourriture des bestiaux (Ittïi'KNfcM-DRLiLi, ait-
luire des plantes cultivées en Egypte, dam la Description de l'Egypte, t. XIX. p. 59 »qq).
LE NIL ET L'EGYPTE.
paysans, accroupis sur une plage à la manière antique, genoux, au menton,
attendent avec résignation le retour du bac; un village se montre coquet et
de bonne mine sous ses palmiers. De près, c'est la laideur et la saleté toute
nue : un amas de huttes basses et grises en boue et en lattis, deux ou trois
maisons plus hautes, enduites d'un crépi blanc, une place en bordure, om-
bragée de sycomores, quelques vieillards assis paisiblement sur le devant de
leur porte, des poulets, des enfants, des chèvres, des moutons pêle-mêle,
une deini-douzaine de bateaux a mariés contre, terre. A mesure qu'on s'éloi-
I. La deux vignette» tout de Uaadier, d'aprt* de» photographie» de .M. iiainger, priait en W6.
LES MONTAGNES.
gne, la misère s'atténue ut s'efface, le détail ignoble se noie dans ta lumière;
longtemps avant de disparaître au détour du fleuve, le village a repris ses
semblants de gaieté et de grâce sereine. Le même paysage recommence el
recommence pendant des journées. Partout les mêmes bois alternent avec
les mêmes champs qui verdoient ou poudroient au soleil, selon la saison : le
Nil déroule du même mouvement ses méandres semés d'îles et ses berges
abruptes; les villages succèdent aux villages, à la fois riants et sordides
sous leur couronne de feuillage. Les terrasses du désert Libvque,. tenues à
distance par le bras de l'ouest, se haussent à peine au-dessus de l'horizon,
liséré blanchâtre entre le vert de la plaine et le bleu du ciel.
. Le* deux tigncllet tant de Bouttier, d'aprèt des photographiée de M. Iniinger. prîiei en ISHt.
10 LE NIL ET L'EGYPTE.
Les monts Arabiques ne se déploient pas en ligne continue : ils forment une
série de massifs et de contreforts distincts, qui se rapprochent du fleuve et
fuient au désert à intervalles presque réguliers. Le Mokattam et le Gebel
Ahmar se dressent à l'entrée de la vallée; le Gebel Hémour-Shimoul et le
Gebel Shéîkh-Embarek s'échelonnent du nord au sud, puis le Gebel et-Téîr,
où une vieille légende rassemble chaque année les oiseaux du monde entier1,
puis le Gebel Abou-Fédah, redouté des matelots pour ses bourrasques sou-
daines5. Le calcaire domine partout, blanc ou jaunâtre, entrecoupé de filons
d'albâtre ou de grès rouge et gris. Ses lits horizontaux s'étendent et se
superposent à pic avec tant de symétrie, qu'on dirait souvent un mur de
ville plutôt qu'un flanc de montagne : seulement le temps a démantelé les
crêtes au hasard et descellé les assises, l'homme a troué les parements pour
y creuser ses carrières et y loger ses tombeaux, le courant mine sourdement
la base et a pratiqué la brèche en mainte place. Sitôt qu'une bordure de
limon s'est déposée entre la falaise et la rivière, l'halfah et les herbes folles
s'en emparent, des dattiers venus on ne sait d'où s'y implantent, un hameau
s'établit à la gorge des ravins avec ses touffes d'arbres et ses champs en
miniature. Au delà de Siout, la lumière devient plus intense, l'air plus sec
et plus vibrant, le vert des cultures se ternit, le palmier doum mêle de plus
en plus son profil anguleux à celui des lourds sycomores et des palmes ordi-
naires, les ricins se multiplient; mare les changements se produisent par
gradations si lentes qu'ils sont accomplis depuis longtemps déjà au moment
qu'on les remarque. Cependant la plaine se resserre. A Thèbes, elle a encore
15 ou 16 kilomètres de largeur, elle disparaît presque au défilé de Gébéléîn,
au Gebel Silsiléh elle a disparu complètement. Une digue naturelle de grès
la barrait en cet endroit : les eaux y ont creusé juste ce qu'il leur fallait
d'espace pour s'écouler librement, et l'Egypte n'est plus que le lit même de
son Nil entre deux escarpements de pierre nue3.
1 . « Cette montagne, tous les ans, à jour fixe, est le rendez-vous des hérons garde-bœuf (Boukîr, Ardea
bubulcus, Cuv.). Chacun d'eux va successivement introduire son bec dans une fente de la montagne,
et ils continuent jusqu'à ce que la fente se referme sur l'un d'eux qui est pris. Tous les autres s'en-
volent aussitôt, mais l'oiseau qui a été pris se débat jusqu'à ce qu'il meure et reste là jusqu'à ce
qu'il tombe en poussière. » (Makrizi, Description de l'Egypte, édit. de Boulaq, t. 1, p. 31.) Le même
récit se retrouve chez d'autres écrivains arabes dont on verra rémunération dans Étiknmk Quatre-
mrre, Mémoires historiques et géographiques sur l'Egypte et quelques contrées voisines, t. I, p. H 1-33.
Il rappelle de loin la tradition antique de lu Fente, située près d'Abydos, et par laquelle les âmes,
oiseaux à tète humaine, devaient passer pour gagner l'autre monde (Lefébire, Étude sur Abydos, dans
les Proceedings de la Société d'Archéologie biblique, t. XV, p. 149-150).
2. Ebers, Cicérone durch das aile- und neu-jEgypten, t. II, p. 157-158.
3. La longueur du défilé du Gebel Silsiléh est d'environ douze cents mètres (P. -S. Girard, Obser-
vations sur la vallée de l'Egypte et sur l'exhaussement séculaire du sol qui la recouvre, dans la
Description, t. XX, p. 35), sa largeur de cinq cents au plus étroit (Isambert, Egypte, p. 590). Sur le
LE SAUT D'ASSOUAN. H
Elle reparait au delà, mais amoindrie et presque méconnaissable. Les
collines, taillées en plein grès, courent à 3 ou 4 000 mètres l'une de l'autre',
basses, écrasées, ternes, informes ; bientôt une forêt de palmiers, la dernière
de ce côté, annonce Assouân et la Nubie. Cinq bancs de granit, alignés
entre le 24" et le 18' degré de latitude, la traversent de l'est à l'ouest et
du nord-est au sud-ouest, comme autant de remparts jetés entre la Médi-
terranée et le cœur de l'Afrique. Le Nil les a pris à revers et les franchît
l'un après l'autre, en rapides qu'on a glorifiés du nom de cataractes. Les
écrivains classiques se plaisaient à le dépeindre précipité dans les gouffres
de Sjène, avec un fracas tel que les peuples d'alentour en demeuraient
assourdis' : même une colonie de Perses, envoyée par Cambyse, n'avait pu
supporter le bruit de la chute et était allée chercher ailleurs un site plus
tranquille4. La première cataracte est une sorte de couloir incliné, sinueux,
long de 10 kilomètres, qui descend de l'île de Philae au port d'Assouàn.
Eléphantine en égaie doucement les abords de ses bosquets toujours verts;
barrage primitif du Nil par le Gebcl Sîlsiléh, voir limitât, De la constitution physique de l'Egypte,
dans la Description, t. XXI, p. ÎG «qq., el le récent ouvrage de ChM.ii, le Nil, le Soudan, l'Egypte,
p. 77-78, où la rupture est placée avant l'arrivée de l'homme en Egypte; Wilkinson, au contraire
(dans VHerodotut de C. R*»msos, t. II, p. Î5i), suivi par A. W'icdcmann (Mgyptiiche Geschichte
P ÎS5), fait durer l'obstacle jusque vers l'époque des Pasteurs.
1. P.-S. Gin**». Obiervationt sur la ealte'e de l'Egypte, dans la Description de l'Egypte, t. XX,
p. 34-35. Sur tfi nature et l'aspect du terrain entre le Ccbel Silsiiéh et Assouân, voir Hoiirhe, De la
constitution physique de l'Egypte, dan» la Description de l'Egypte, t. XXI, p. 4-118.
t. Vue prite det hauteur* qui sont situées en face d'Éléphanlinc, par M. Iiuinger, eu 1884.
3. Le» passages des auteurs anciens relatifs aux cataractes ont été recueilli» par Jomard [Deicrip-
lion, t. I, p. 154-174). On pourra se rendre compte de la confiance que leurs récits obtenaient
encore à la fin du ivii* siècle en parcourant le curieux opuscule De hominibus ad caladupat Nili
obiurdetcentibut, Coiitenlîente Amplisstmo Philoiophorum Online, Publiée disputabunt Prrset
H. Jo. Leoihasddf Ltuirs, et rcspondeiu Jt>. BtsTinLOsccs Lemius, Harcobreitha-Franci, d. 24 Deecmbr.
■DCicii. In auditorio Minori. — Wittebergr, Typii Chriitiani Schnrdterî, Acad. Typii.
4. SfciËgux, Raturai QuKtt., liv. 11. § t.
H LE MIL KT L'EGYPTE.
derrière elle, ce ne sont plus que falaises rongées et plages sablonneuses,
traînées de roches moutonnées et noircies qui jalonnent le lit des cou-
rants, récifs découpés bizarrement, les uns nus, les autres voilés de longues
herbes et de plantes grimpantes où nichent des milliers d'oiseaux. Des îlots
s'y mêlent, dont plusieurs sont assez vastes pour avoir nourri jadis quelque
population, Amerade, Saloug, Sehel. En amont de Sehel, le seuil granitique
s'est rompu, et ses débris, entassés en désordre contre la rive droite, sem-
blent encore y disputer le passage aux eaux : elles se choquent, se froissent,
s'écoulent en grondant par des canaux tortueux où chaque filet se brise et
se décompose en petites cascades. Le chenal qui range la rive gauche est
navigable en tout temps. Pendant la crue, les écueils de la rive droite se
recouvrent entièrement et ne trahissent leur présence que par des remous ;
à l'éliage, une chute s'établit, dont la hauteur ne dépasse pas deux mètres,
et que les grosses barques remontent à la cordelle en serrant la côte, ou
descendent sans trop de peine en s'abandonnant au courant*. Toutes les
variétés du granit se rencontrent et se mêlent dans ce coin de l'Afrique :
syénite rose et rouge, granit porphyrique, granit jaune, granit gris, granit
blanc ou noir, granit veiné de noir et de blanc3; dès qu'on l'a quitté, les
grès ressortent de terre, alliés au calcaire le plus grossier. Les montagnes
hérissées de petits blocs crevassés, de pics éboulés à demi, de mamelons
âpres et pelés, prolongent lieue après lieue leurs lignes basses et sans
1 Vue priie de la pointe méridionale de Phîlte, d'aprit tint photographie d'Emile Brugtch-Bey.
ï. Tour 1b description exacte de la première ratararte, cf. Johahu, Description de Sytne et de*
cataracte», dans la Description de l'Egypte, t. I, p. UJ-1!>1.
3. Le dénombrement et l'analyse des granit* de Syéne ont été faits par Koiimt, De ta constitu-
tion physique de l'Egypte, dan» la Description île l'Éuuple, I. XXI. p. :i!t-!l:i.
14 LE NIL ET L'EGYPTE.
noblesse. Ça et là, une brusque vallée s'ouvre sur le désert, et révèle
des perspectives infinies d'escarpements et de cimes, échelonnées en retraite
jusqu'aux derniers plans de l'horizon, comme une caravane immobile. Le
fleuve, moins large, s'échappe avec un bourdonnement profond, que le
coassement des grenouilles et le grincement rythmique des sakiéhs1 accom-
pagnent nuit et jour. Des épis de pierre brute, construits on ne sait quand
par un peuple inconnu, s'avancent et font digue jusqu'au milieu de son
lit9. Les champs de dourah et d'orge, tout en longueur, plongent et se
noient à chaque instant sous un flot de sable ; des lambeaux de pâturage
aromatique et dru, des acacias, des dattiers, des doums, quelques syco-
mores brûlés, s'éparpillent sur les deux rives. Un reste de pylône croulant
marque la place d'une cité antique, une paroi de rochers criblée de tombes
monte à pic, surplombant les eaux, et parmi ces reliques d'un autre âge,
de misérables huttes, des hameaux clairsemés, une ou deux villes entourées
de jardinets, témoignent seuls que toute vie ne s'est point retirée de la
J. Li lalitêh est composée d'une roue à tympan, fnée verticalement sur "" arbre horïïontal, cl
mue |iar d'autre* roues dentées, auxquelles un attelage de bccitlï ou d'ânes imprime un mouvement
continu : un long chapelet de pots en terre va chercher l'eau au fleuve même, ou dans un petit canal
la distribuer sur les terres voisines. Plusieurs espèces de ruucliines élf'vjitoires appartenant à ce
type sont décrites et dessinées dans la Deteriplion de l'Egypte, t. XII, p. 1118- i 15, et Allai, État
moderne, t. Il, Art» et Mftirri, pi. lll-V.
1. 0min île Boudier, d'aprèi une photographie de M. Imittger, priie cw 1881.
X. • Notre marche était fréquemment arrêtée par des jetées en pierres brutes qui s'avançaient jus-
qu'au milieu du fleuve. Etaient-elles destinées à élever le niveau du Nil aui époques d'inondl-
Lion ?... Kl les forment des courants très rapides; il arrive que la barque, tirée i «rand'peinc jusqu'à
la pointe saillante, ne peut la franchir; on exécute alors un demi-tour en entraînant les cordes et l'on
redescend h quelques centaines de mètres. • (11. Gainas el A. Lefêvk, la Vallte du Aï/, p. 104.) Le gise-
ment de ces épis csl indiqué avec assci de soin sur la carte de Prokesch (Land lœitchen den kteineix
utid grouen Katarakten dei Nil. Antronomisch bestimmt und aufgenammem im Jaltre <S?7 durfh...
A. ton Prokeich, Vienne, C. Gerold).
LA NUBIE. 13
Nubie. Au sud de Ouady-Halfah , le second banc de granit s'est disloqué,
et la deuxième cataracte étage ses rapides sur une étendue de quatre lieues :
l'archipel compte plus de 350 îlots, dont une soixantaine environ portent mai-
sons et moissons1. Les mêmes traits qui signalent les deux premières cata-
ractes se répètent avec
quelques variations aux
trois suivantes, à Hannek,
à Guerendid, à el-HoumarV
C'est l'Egypte encore, mais
une Egypte sans douceur
et sans joie, appauvrie,
enlaidie, presque vide.
C'est toujours la double
muraille de collines qui
tantôt encaisse étroite-
ment la vallée, tantôt se
dérobe et semble s'échap-
per au désert. C'est le
sable épandu partout en
nappes mouvantes, la berge
noire cultivée en bandes
minces, les villages pres-
que invisibles, tant les
huttes en sont basses. Le
sycomore s'arrête au Ge-
bel IWkaI, les dattiers s'espacent et disparaissent. Seul le Nil n'a point
changé : tel il était à Phi Le, tel on le retrouve à Berber. Voici pourtant, sur
la rive droite, à 600 lieues de la mer, un premier affluent, le Takazzé, qui
lui apporte de manière intermittente les eaux de l'Ethiopie septentrionale.
A Khartoum, le Ht unique dans lequel il coulait se dédouble, et deux autres
lits s'ouvrent dans la direction du midi, deux fleuves nouveaux dont chacun
I. La nomenclature en Uiiik»c nubienne des [lots et rocher» a été dressée assez incorrectement
|iar J.-J, RimoD, Tableau de l'Egypte, de la Kubic et da lieux circoneoitiiu, p. 83-60 (vers la lin du
volume, après les Vocabulaire*). Itifaud ne complaît, au commencement de noire nièclc, que quarante-
quatre lie» qui lussent cultivées.
î. Le régime des cataractes a été étudié oj le plan publié par ¥.. ut GoirnERc, Des miaiactra du Hit
el tp/cialemenl de cellet de Ilannek et de Kaybar, 18G7, Paris, in-1, et plus récemment par ChSli-,
le Nil. le Soudan, l'Egypte, p. Î9-73.
3. Vue priât du haut dci rocheri d'Aboutir, d'après une photographie de M. Intinger, en JS8I.
ltf LE ML ET l/ÊGYPTE.
est aussi puissant que l'ancien. Lequel est le Nil véritable, le Nil Bleu qui
semble descendre des montagnes lointaines, ou le Nil Blanc qui parcourt
les plaines immenses de l'Afrique équatoriale? Les vieux Égyptiens ne le
surent jamais : le fleuve leur cacha le secret de ses sources, aussi obstiné-
ment qu'il le fit pour nous jusque dans ces dernières années. Vainement
leurs armées victorieuses l'avaient suivi pendant des mois à la poursuite
des tribus qui habitent ses rives : toujours elles l'avaient vu aussi large,
aussi plein, aussi irrésistible d'allures. C'était une mer d'eau douce, et nier
— iaoumcU iômâ — était le nom qu'ils lui donnaient1.
Aussi ne lui cherchaient-ils pas ses origines. Ils se figuraient l'univers
entier comme une caisse entre elliptique et rectangulaire, dont le plus grand
diamètre est dirigé du sud au nord, le plus petit de l'est à l'ouest*. Notre
terre en fermait le fond avec ses continents et ses océans alternés : c'était
une sorte de table mince, oblongue, légèrement concave dont l'Egypte occu-
pait le milieu1. Le ciel s'étendait au-dessus, pareil à un plafond de fer4, plat
selon les uns5, voûté selon les autres*. La face qu'il tourne vers nous était
semée capricieusement de lampes suspendues à des câbles puissants, et
qui, éteintes ou inaperçues pendant le jour, s'allumaient la nuit ou deve-
naient visibles à nos yeux7. Comme il ne pouvait demeurer arrêté au milieu
des airs sans être appuyé de quelque support, on avait inventé de l'assurer
au moyen de quatre colonnes, ou plutôt de quatre troncs d'arbre fourchus,
1. Maspero, les Contes populaires de V Egypte ancienne, 2°édit., p. 20, 177. Sur la comparaison du
Nil à la mer chez les anciens, voir Letronne, Jiecherches géographiques et critiques sur le livre ■ De
Mcnsura Orbis Terrae », composé en Islande au commencement du ix* siècle par Dicuil; texte, p. 25,
§ 8; sur le môme sujet chez les Arabes, voir S. de Sacy, Chrestomathie arabe, 2* éd., t. F, p. 13-15.
2. Maspero, Etudes de Mythologie et d'Archéologie égyptiennes, t. I, p. 159-162, 330 sqq., et t. Il,
p. 205-208 (cf. Bulletin de l'Institut égyptien, 2* série, t. VI, p. 10-20, et Revue de l Histoire des
lieiigtons, t. XVIII, p. 266-270). Pour les idées analogues qu'on trouve encore à l'époque byzantine,
voir le mémoire de Lctronnc sur les Opinions cosmographiques des Pères de l'Église (Œuvres
choisies, 2* série, t. I, p. 382 sqq.).
3. Horapollon, Hieroglyphica (éd. Leemans), I, xxi, p. 31 : yj Atyjimwv yr,, èuei (jls<tyj tyjç oixoupivr,;
(>7rôpXet- Cf. un fragment d'Hermès Trismégiste dans Stobée, Eclog. I, 52 : ' EîteI Se èv tw ui<T<i> tt,;
Y"ïj; ii Ttôv irpoY<5vcov ^fjuov UpoTdrnrj xwpâ... Un groupe hiéroglyphique de basse époque exprime la
même idée par l'agencement de ses parties et peut s'interpréter la terre du milieu.
\. Dévèria est le premier à ma connaissance qui ait démontré que « les Égyptiens croyaient à un
ciel de fer ou d'acier » (Th. Dkvèria, le Fer et l'Aimant, leur nom et leur usage dans V Ancienne
Egypte, dans les Mélanges d'Archéologie, t. I, p. 9-10). La croyance au ciel plafond de fer était si
bien établie que le fer en conserva dans la langue commune le nom de Bai-ni-pit (en copte Benipi,
benipv), métal du ciel (Charas, V Antiquité historique, 1ro éd., p. 64-67).
5. C'est ce que prouve suffisamment la forme même du caractère ■— -^ employé dans l'écriture
hiéroglyphique pour désigner le ciel ou les dieux et déesses du ciel.
6. Certaines stèles cintrées sont surmontées du caractère indiqué à la note précédente, mais courbe
pour représenter le ciel voûté. Brugsch a donné quelques bons exemples de cette façon d'envisager
le firmament dans sa lieligion und Mythologie der ait en JEgyptcr, p. 203 sqq.
7. Les variantes du signe de la nuit ^i M sont des plus significatives : le bout du câble auquel
l'étoile est accrochée passe au-dessus du ciel ■— -^ et retombe librement, comme s'il s'agissait d'une
lampe qu'on pouvait descendre ou remonter à volonté pour l'allumer ou pour l'éteindre. Le nom
khabtsou des étoiles est d'ailleurs le même mot qui désigne la lampe d'usage commun.
LES QUATRE PILIERS ET LES QUATRE MONTAGNES. 17
semblables à ceux qui soutenaient la maison primitive'; mais on craignit
sans doute qu'ils ne fussent renversés dans quelque tourmente', car on
les remplaça par quatre pics sourcilleux, dressés aux quatre points cardinaux
et reliés par une chaîne de montagnes ininterrompue. On connaissait peu
celui du nord : la Méditerranée, la Très Verte, s'interposait entre l'Egypte
et lui*, et empêchait qu'on l'approchât d'assez prés pour l'apercevoir. Celui
I. Ces piliers isoles ont la forme Y, mais on les voîl soumit réunie pour soutenir le riel ¥¥¥¥'
Bruine II qui, le premier, en étudia le rôle, crut qu'ils étaient situés tous les quatre au nord, et
qu'ils représentaient au» Égyptien! les montagnes Je l'Arménie [Geographiiche tnsthriflen, 1. 1, p. 3j-
311); il reconnut ensuite qu'on les dressait chacun il l'un des quatre points cardinaux, mais pensa
que celte conception de leur emploi ne remontait pas au delà du temps des l'tolémces ('!. tut., t. III.
p. 5Î-5S). Il admet aujourd'hui, comme ton* Ifs t!gyptol<.igii[.'s, qu'ils ont toujours été placés aux quatre
points cardinaux (Religion und Mythologie, p. illl-itlî).
1. Les mots qui désignent la tourmente, l'orage, un cataclysme quelconque, sont suivis du
signe «Hffr, qui montre lu ciel détaché de ses quatre piliers et tombant; les magiciens menaçaient
parfois de renverser les quatre pilier», si les dieux n'ohéissaient pas à leurs ordres.
3. (.'nif/jc prise à la hauteur d' llermopoli* : n gauche, la barque du toleil tur le fleuve célcite.
i. Le nom de Ouu:-olrit. la Tret Verte, a été reconnu pour la première fois par Birch {The Annal*
afThotma III. dans VArckrotogia, 1. XXXV, p. loi et p. 4fi ilu tirage à part), dont E. de Bougé
(Satire de quttquet textes hiéroglyphique* rerrmmenl publirtpar M. lireen dont l'AthénrUM Fraueau,
t«S5, p. li-li du tirage a part) et surtout Brugsch (Grographiiche Intchrifteu, t. I, p. :i"-J<l) complé-
tèrent la démonstratiou de façon surabondante : la mer llouge s'appelait Qim-Oirit, la Tri» Noire.
d8 LE NIL ET L'EGYPTE.
du sud s'appelait Apit-to1, la Corne de la Terre, celui de Test Bàkhou, le
Mont de la Naissance, et celui de l'ouest, Manou, parfois Onkhît, la Région
de Vie*. Bàkhou n'était pas une montagne fictive : c'était le plus haut des
sommets qu'on apercevait au loin des bords du Nil dans la direction de la nier
Rouge. Manou répondait de même à quelque colline du désert Libyque
dont la tête semblait fermer l'horizon3. Quand on découvrit que ni Bàkhou,
ni Manou ne bornaient le monde, on ne renonça pas pour cela à l'idée
d'étayer le plafond céleste : on se contenta de reculer les piliers à perte
de vue et d'imaginer des cimes fabuleuses auxquelles on appliqua le nom
des réelles. On ne disait pas qu'elles limitaient exactement l'univers : un
grand fleuve les séparait de ses extrémités, analogue à l'Océan des Grecs, et
circulait sur une sorte de banquette courant comme en corniche le long des
parois de la boîte, un peu au-dessous de la crête continue sur laquelle
le ciel étoile s'appuyait. 11 se bordait dans la partie nord de l'ellipse d'une
berge abrupte qui naissait à l'ouest au pic de Manou, et qui se haussait
assez rapidement pour s'interposer bientôt comme un écran entre lui et
notre terre. La vallée étroite qu'elle masquait s'appelait Daît depuis les
temps les plus reculés4 : la nuit l'enveloppait éternellement de ses ombres
lourdes et l'emplissait d'un air épais, irrespirable aux vivants5. Vers l'est,
la berge s'abaissait rapidement : elle expirait un peu au delà de Bàkhou,
et le fleuve s'écoulait entre des rives basses, presque plates, de l'est au
sud, puis du sud à l'ouest6. Le soleil était un disque de feu posé sur un
bateau7. Le courant l'entraînait d'un mouvement toujours égal le long des
i. Cf. l'expression des géographes grecs Nôtou xépoc;, 'Eauépou ycipaiz. Brugsch a le premier
signalé la position de l'Api t-to à l'extrémité sud du monde (Geographische Inschriften, t. I, p. 3.'»-
36, t. III, p. 32). Il a identifié dubitativement la Corne de la Terre a\ec les Monts de la Lune des
géographes arabes. Je crois que les égyptiens de la grande époque thebaine (XVIII*-XX° dynasties)
désignaient de la sorte le massif montagneux de l'Ahyssinie; ils l'aperçurent de loin dans les razzias
qu'ils menaient le long du Mil Bleu et de ses affluents, mais ils n'y pénétrèrent jamais.
2. Sur lia h hou et Manou, consulter un article de Brugscli (Ueber den (ht- und Westpunhl des Son-
nc niait f es nach den altiigyptischen Yorstellunyen, dans la Zeitschrift, 1804, p. 73-76), rédigé sur des
indications de Diimichen; aussi Brk.scu, Die altâyyptischc Vôlkertafcl (dans les Vcrhandlunqen des
bien Orientalisten Congresses, t. II, Afrikanische Sektion, p. 62-63) et Maspkro, Études de Mythologie
et d'Archéologie égyptiennes, t. II, p. 6-8 (cf. Revue de C Histoire des Religions, t. XV, p. 270-272).
Brugsch place le mont Bàkhou un peu trop au sud, au Gebcl Zmouroud.
3. Le nom de Manou est localisé dans le nome Libyque de la Basse-Egypte, sur les listes de l'époque
ptolémaïque (Bric.sch, Dictionnaire géographique, p. 259): on devait le rencontrer quelque part sur
le chemin qui mène à travers le désert jusqu'à l'Ouady-Natroun.
I Le nom de Dait et l'épithète Daiti, « habitant du bail », qui en dérive, se rencontrent fré-
quemment dans les textes des pyramides, et appartiennent par conséquent au vieux fonds de la langue.
,*i. Kakoui samoui, Maspkko, Etudes de Mythologie et d'Archéologie égyptiennes, t. II, p. 31 (cf. la
Revue de l'Histoire des Religions, t. XVII, p. 274).
lï. Maspkro, Études de Mythologie et de Religion égyptiennes, t. II, p. 16-18 (cf. la Revue- des Reli-
gions, t. XVIII, p. 206-268), où toutes ces conceptions ont été indiquées pour la première fois.
7. C'est ainsi que les peintres l'ont représenté, par exemple, dans plusieurs vignettes du Livre des
Morts (édit. Navillk, t. I, pi. XXX, CXLIV).
LE NIL CÉLESTE. 19
remparts du monde. Du soir au matin, il disparaissait dans les gorges du
Daït, sa lumière n'arrivait pas jusqu'à nous et c'était la nuit; du matin au
soir, ses rayons, n'étant plus arrêtés par aucun obstacle, se répandaient
librement d'un bout de la boîte à l'autre, et c'était le jour. Le Nil se déta-
chait du fleuve céleste à son tournant méridional1; aussi le sud représen-
tait-il pour les Egyptiens le point cardinal par excellence, celui sur lequel
ils s'orientaient, mettant le levant à leur gauche, le couchant à leur droite'.
Au temps qu'ils ne dépassaient guère les défilés du Gebel Silsiléh, ils pen-
saient que l'endroit où les eaux d'en haut quittaient le ciel était situé entre
Éléphantine et Philae : elles s'abattaient en une chute immense, dont Syènc
marquait les derniers ressauts, et peut-être les récits des écrivains classiques
sur la première cataracte ne sont-ils que l'écho lointain de cette tradition
barbare1. Les conquêtes menées au cœur de l'Afrique forcèrent les Égyptiens
à reconnaître leur erreur, mais sans diminuer leur foi en l'origine surnatu-
relle du fleuve : plus ils poussèrent avant, plus ils la reculèrent vers le midi4,
plus aussi ils l'entourèrent de fables et de merveilles. Us contaient qu'à force
de remonter le courant, les matelots finissaient par atteindre une contrée
indécise, placée comme une sorte de marche entre ce monde et l'autre, une
Terre des Mânes, dont les habitants n'étaient déjà plus que des nains, des
monstres ou des esprits5; ils débouchaient ensuite dans une mer semée d'îles
mystérieuses, semblables à ces archipels enchantés que les marins portugais
et bretons apercevaient parfois dans leurs croisières et qui s'évanouissaient
dès qu'ils voulaient en approcher. Elles étaient peuplées de serpents à
voix humaine, quelquefois bienveillants, quelquefois cruels aux naufragés.
Quiconque en sortait ne pouvait plus y rentrer : elles se résolvaient en
flots et se perdaient au sein des ondes*. Un géographe d'aujourd'hui ne
1. Les écrivains classiques eux-mêmes savaient que, d'après les Égyptiens, le Nil descendait du
ciel : vO<xipÉ; è<mv 6 NeîXo;, 6v il oùpavov xaTaçépe<r8ai oi'ovrat (Porphyre, dans Eiskbk, Prœp.
Evang., III, il, 54 sqq.). La légende selon laquelle il prenait sa source dans le fleuve Océan (Héro-
dote, 11, 21; Diodore, I, 37) n'était qu'une transposition grecque du dogme égyptien qui reconnaissait
en lui un bras du fleuve sur lequel le soleil circule autour de la terre.
2. Cette façon de s'orienter des Égyptiens a été découverte par Chabas, les Inscriptions des Mines
d'or, 1862, p. 32 sqq.
3. Maspf.ro, Études de Mythologie égyptienne, t. II, p. 17-18 (cf. Revue de l'Histoire des Religions.
t. XVIII, p. 269-270); cf. p. II du présent volume.
4. C'est peut-être en songeant à une légende de ce genre que des Nubiens décrivaient à Burckhardt
la seconde cataracte * tombant comme du ciel » (Burckhardt, Travels in Nubia, p. 78, note 2) : les
sources du Nil ont dû s'arrêter un moment aux environs de Ouadv-IIalfah ou de Semnéh, avant de
continuer leur route vers le centre de l'Afrique.
5. La terre des Esprits est mentionnée dès la VI° dynastie, dans le récit des voyages d'Hirkhouf
(Schiaparelli, Una Tomba Egiziana inédit a delta VI* Dinaslia ron iscrizioni storiche e geogra fiche,
p. 21, 33, 34; cf. Maspero, Hevue critique, 1892, t. II, p. 362, 366); elle était située vaguement au
voisinage du Pouanit, c'est-à-dire vers la région des Aromates des géographes gréco-romains.
6. C'est le sujet d'un conte découvert et publié en 1881 par M. W. Golknischeff, Sur un ancien
20 LE m ET L'EGYPTE.
comprend guère pareilles fantaisies : il suffit pourtant de jeter les yeux sur
certaines cartes du xvi* et du xvne siècle, pour y voir dessiné nettement ce
que les Égyptiens imaginaient, le centre de l'Afrique occupé par un grand
lac d'où sortent le Congo, le Zambèze et le Nil1. Les marchands arabes du
moyen âge croyaient qu'un homme déterminé pouvait s'élever de rivière en
rivière depuis Alexandrie et depuis le Caire jusqu'au pays des Zindjes et à
l'océan Indien'. Beaucoup des légendes qu'on racontait à ce sujet ont disparu :
d'autres furent recueillies par les théologiens juifs et chrétiens et embellies
de traits nouveaux. Le Nil jaillissait du Paradis, et parcourait des régions
brûlantes inaccessibles à l'homme, puis il tombait dans une mer d'où il
s'échappait vers l'Egypte : il entraînait quelquefois avec lui de sa patrie
céleste des rameaux et des fruits dont les pareils n'existent point sur notre
terre'. La mer qu'on retrouve dans toutes ces histoires est peut-être
d'invention moins extravagante qu'on ne serait tenté de le croire. Un lac
presque aussi grand que le Nyanza-Kérewé recouvrait jadis la plaine maré-
cageuse où le Bahr el-Abiad s'unit au Sobat et au Bahr el-Ghazâl. Les allu-
vions l'ont comblé, à l'exception d'un creux plus profond que le reste et qu'on
appelle Birket-Nou4, mais il devait être encore assez vaste, pendant les
siècles qui précédèrent notre ère, pour donner aux soldats et aux bateliers
égyptiens l'idée d'une véritable mer ouverte sur l'océan Indien. Les mon-
tagnes dont la ligne se dessinait vaguement sur l'autre rive, bien loin vers
le sud, recelaient sans doute la source mystérieuse4. L'inondation s'y pré-
parait et y commençait à jour fixe. Le Nil céleste avait ses croissances et
ses décroissances régulières d'où celles du Nil terrestre dépendaient. Chaque
conte égyptien, 1881, Berlin, et dans les Abhandlungen du Congrès des Orientalistes de Berlin, sec-
tion africaine, p. 100-122; cf. Maspero, les Contes -populaires de l'Ancienne Egypte, 2° édit.,
p. 131-M6.
1. Etienne Quatrcmère a réuni divers passages d'auteurs arabes relatifs à ce sujet dans les Mémoires
historiques et géographiques sur V Egypte, t. II, p. 22-23, 181 sqq. Figari-Bey admettait encore en
18o9 que les grands lacs équatoriaux auraient « deux courants, dont l'un se dirigerait vers l'ouest,
descendrait la vallée au nord, et se précipiterait dans la grande cataracte de Gehel Regef » pour
former le Nil et descendre à la Méditerranée; « le second se dirigerait en sens contraire, formerait
la rivière de Mélinde, qui est à soixante-quinze lieues environ au nord de l'Equateur», et débouche-
rait dans l'océan Indien (Figari-Bey, Aperçu théorique de la Géographie géognostique de l'Afrique
ventral'1, dans les Mémoires de V Institut Egyptien, t. I, p. 108, et la carte de la page 114).
2. A. Kirchkr, QEdipus .Egyptiacus, t. I, p. 52; Letronne, Sur la situation du Paradis terrestre,
dans les Œuvres choisies, 2* série, t. I, p. 415-122. Joinville a décrit dans un chapitre spécial les ori-
gines et les merveilles du Nil, auxquelles il croyait comme à un article de foi (Histoire de saint Louis.
ch. xi.); encore au commencement du xvn# siècle, Wendelinus consacrait une partie de ses Admi-
randa Nili ($ III, p. 27-31) à démontrer que le fleuve ne prenait point sa source dans le Paradis ter-
restre. Le voyageur écossais Rhind recueillit à Gournah, il y a quarante ans, une légende musulmane
qui affirme que le Nil descend des cieux (Thebes, ils Tomba and their Tenants, p. 301-304).
3. Elisée Reclus, Nouvelle Géographie universelle, t. X, p. 67 sqq.
4. Cf., pour la conception égyptienne des sources du Nil, et pour les conséquences qui en décou-
lent, les observations de Maspero, les Contes populaires, 2* éd., p. xem sqq.
LES PLEURS D'ISIS.
année, vers le milieu de juin, Isis, en deuil d'Osiris, y laissait tomber une
des larmes qu'elle versait sur son frère : le fleuve s'enflait aussitôt et des-
cendait ici-bas1. Isis n'a plus de fidèles depuis longtemps, et son nom même
est inconnu aux descendants de ses adorateurs : la tradition de ses pleurs
I. Fac-similé de la carte piihliïr jmr K iin-.irKK. dF.dipu.i .■fciji/plitiru.i, lonic i ilioiiitmus II). p. 59.
1. La légende des larmes ilïsis est certainement for! ancienne Isis et Pipphlliys avaient rempli le
rûle de pleureuses pendant l'embaumement puis pendant les funérailles d'Osiris, et leurs larmes
avaient contribué à rappeler le dieu à la vie : or (Isiris est un Nil. Les telles des Pyramide.-, con-
naissent déjà la nuit du grand flot de larmes iun de la Grande Déesse ((lutin*, I. 3!ij). el cette
espression se rapporle très probablement à la n«i( de ta goutte (I.epagk-IIkxoit, JVi/e btythnltigy, dans
les l'roccedingt de la Société d'Archéologie biblique. I. XIII, p. !)), I.n première forme authentique de
la tradition nous .1 été transmise par Paus; nias (X, «m, g 10) : 'Eoixore îè avSpà; rjxouaa <I»o!-<txo;
ïft'v lij "IfriSi Aî^uitrio-jî T7]v lùpriiv, St( airilv tôv "Ooipiv Ttév8tiï \ifa\iai. Tï)vix«iT« Si liai
o Ntïioî ivapaiviiv oyioiv ap/îTOi, xai iwv imjridpfa» iroÀïoiç itniv Élpr,[itva. i( ta auÇovta tiv
HiTi|ibv xal apîstv tàj àpoùpaç mioûvra Boxp-jà ét;i tt(; "Ioiïo;. La date du phénomène nous est
donnée par la tradition moderne qui met la nuit de la goutte en juin (Brugsch, Matériaux pour
tenir à la construction du calendrier de* anciens Égyptiens, p. 11 *qq.)
22 LE m ET L'EGYPTE.
fécondants a survécu à sa mémoire. Aujourd'hui encore, chacun en Egypte,
musulman ou chrétien, sait qu'une goutte divine tombe du ciel pendant la
nuit du 17 au 18 juin, et produit aussitôt la crue1.
Grossi par les pluies qui s'abattent au mois de février sur la région des
Grands Lacs, le Nil Blanc se précipite vers le nord, balayant devant lui les
nappes croupissantes que les débordements de Tannée précédente avaient
oubliées sur le sol. A gauche, le Bahr el-Ghazàl lui apporte le trop-plein du
bassin mal délimité qui s'étend entre le Darfour et le Congo ; le Sobat lui verse
sur la droite le tribut des rivières qui sillonnent les versants méridionaux du
massif abyssin. Le premier flot passe à Khartoum dès la fin d'avril, et y relève
le niveau de 30 centimètres environ, puis il chemine lentement à travers la
Nubie, et vient expirer en Egypte au commencement de juin. Ses eaux, infectées
dans les marais équatoriaux de débris organiques à moitié putréfiés, ne se puri-
fient pas entièrement au cours de leur long voyage, mais conservent une teinte
verte jusque dans le Delta : on dit qu'elles sont empoisonnées et causent à qui
les boit des douleurs de vessie insupportables. Ce Nil vert est heureusement
de courte durée : il s'écoule d'ordinaire en trois ou quatre jours et sert d'avant-
coureur à la crue véritable*. La fonte des neiges et les pluies désordonnées du
printemps avaient enflé subitement tous les torrents qui naissent dans le pla-
teau central de l'Abyssinie; le Nil Bleu, qui les recueille, se rue sur la
plaine avec une telle impétuosité qu'en tombant à Khartoum au milieu de
mai, il refuse de se mêler au Nil Blanc, et ne perd sa couleur propre qu'à
500 kilomètres plus loin, aux environs d'Abou-Hamed. Dès lors, la hausse
s'accélère de jour en jour : le fleuve, toujours renforcé par les masses qui lui
arrivent coup sur coup des Grands Lacs et de l'Abyssinie, monte par saccades
furieuses, et prendrait les allures d'un torrent destructeur, si les cataractes
de Nubie n'étaient là pour mettre un frein à ses emportements. Elles divisent
son cours en six bassins étages l'un au-dessus de l'autre, où l'eau s'emma-
gasine et d'où elle ne sort que tamisée en partie et comme apprivoisée3. On
la signale à Syène vers le 8 juin, au Caire du 17 au 20, où l'on fête officiel-
I. Lank, Manners and Cusloms of Modem Egyptians, 4° éd., t. II, p. 24.4. La date officielle se
déplace, et les modernes fixent la chute de la goutte tantôt à la nuit du 17-18, tantôt à celles du
18-11) etdu 19-40 juin, selon les années.
4. Les principaux textes arabes et occidentaux relatifs au Nil vert ont été réunis par Silvestrk
i>k Sacv, Helation de l 'Egypte par Abd-Aflatif, p. 334-338, 344-340. Je dois dire que, pendant cinq
ans, au mois de juin, j'ai bu les eaux vertes puisées à même dans le Nil, sans autre précaution que
de les filtrer à travers une jarre poreuse, comme les eaux ordinaires : je n'en ai jamais éprouvé
aucun inconvénient, non plus que les nombreuses personnes qui vivaient autour de moi.
3. Le rôle modérateur des Cataractes a été défini très judicieusement par K. w. Gottbf.rg, Des
Cataracte* du AV/, p. 10-11.
t
NIL VERT ET NIL KOUGE. M
lement sa naissance pendant la nuit de la goutte1, dans le Delta deux jours
plus tard, juste à temps pour sauver le pays de la soif et de la stérilité.
L'Egypte, brûlée par le khamsin, ce vent de l'ouest qui souffle sans inter-
ruption cinquante jours durant, semble n'être plus qu'un prolongement du
désert. Une couche de poussière grise enduit les arbres et les étouffe; de
maigres carrés de légumes arrosés à grand'peine végètent péniblement autour
des villages ; quelques apparences de verdure subsistent le long des canaux
et dans les creux d'où toute humidité ne s'est pas encore évaporée; la
plaine halette au soleil, nue, poudreuse, couleur de cendres, rayée à perte de
vue de crevasses entre-croisées; le Nil ne conserve plus que la moitié de sa
largeur habituelle et le vingtième environ du volume qu'il roulait en octobre.
Il a d'abord fort à faire de reconquérir son ancien lit. Il s'y élève par grada-
tions si subtiles qu'à peine s'aperçoit-on qu'il monte; pourtant il gagne sans
cesse, et, d'instant en instant, c'est un banc de sable qui se couvre, un chenal
vide qui se trouve plein, des îlots qui se découpent où l'on avait une grève
continue, un bras nouveau qui se détache et se porte à la rive. Le premier
contact est ruineux pour les berges : leurs talus droits, désagrégés et fendus
par la chaleur, n'opposent plus de résistance au courant et s'abattent avec
fracas sur un front de 100 mètres et plus. A mesure que les ondes successives
se propagent plus fortes et plus limoneuses, la masse entière se trouble et
change de couleur. En huit ou dix jours elle a varié du bleu grisâtre au rouge
sombre : à certains moments, le ton est si intense, qu'on dirait une coulée de
sang fraîchement répandu. Le Nil rouge n'est pas malsain comme le Nil vert :
les boues qu'il charrie, et auxquelles il doit son apparence équivoque, ne lui
enlèvent rien de sa douceur et de sa légèreté. Il bat son plein vers le
lo juillet, mais les digues qui l'encaissent et les barrages construits à l'em-
bouchure des canaux s'opposent encore à ce qu'il déborde : on attend avant
de le déchaîner qu'on l'ait reconnu assez haut pour submerger efficacement
les terres*. Les vieux Egyptiens mesuraient son altitude par coudées de
1. Voir la description des fètes et des pratiques superstitieuses qui se rattachent à la goutie, dans
Lane, Manners and Customs of Modem Egyptiam, 4* éd., t. II, p. 224.
2. On possède peu de documents qui indiquent la hauteur jugée nécessaire par les Égyptiens pour
une bonne inondation. Une inscription d'époque ptoléinaïque nous apprend, cependant, qu'au
moment où « le Nil sort de ses sources en son temps, s'il atteint à Éléphantine la hauteur de
24 coudées 3 1/4 aunes, il n'y a point insuffisance, le nombre n'est pas défectueux et il vient pour
inonder les champs » (BRrr.scn, Angabc ciner Xilhôhe nach Ellen in cinem Hieroylyphischen Texte.
dans la Zeitschrift, 18(15, p. 43-11). Un autre texte (Brugsch, Die Biblischen sieben Jahre der Hun-
gersiioth, p. 153) fixe la hauteur à 28 coudées, au nilomètre d'Éléphantine, à 7 au nilomèlrc de
Diospolis dans le Delta. La mesure de 24 coudées prise au nilomètre d'ftlcphantine est justifiée par
différents passages d'auteurs anciens et modernes. Les indications données dans mon texte se rap-
portent au nilomètre de Kodah, comme c'est l'usage. J'ai adopté pour l'évaluation des crues
24 LE NIL ET L'EGYPTE.
54 centimètres. A 14 coudées, ils proclamaient la crue excellente; au-dessous
de 13 ou au-dessus de 15, ils la jugeaient insuffisante ou trop forte, et, dans
les deux cas, c'était la famine et peut-être la peste à bref délai. Aussi
est-ce avec une curiosité anxieuse qu'aujourd'hui encore le peuple en
observe la marche : à partir du 3 juillet, des crieurs publics parcourent les
rues du Caire, et annoncent chaque matin les progrès accomplis depuis la
veille1. Des traditions plus ou moins authentiques prétendent qu'on préludait
à l'ouverture des canaux en jetant solennellement à l'eau une jeune fille de
famille noble, parée comme pour des épousailles, la Fiancée du Nil*. Même
après la conquête arabe, on ne cessa de considérer l'irruption du fleuve
au sein des terres comme un mariage véritable : un cadi en dressait le con-
trat, et des témoins en constataient la consommation avec les formalités les
plus bizarres du cérémonial oriental*. C'est d'ordinaire entre le 1er et le
16 juillet qu'on se décide à rompre les digues. L'opération accomplie solen-
nellement, le flot met quelques jours à remplir les canaux, puis se déverse sur
les terres basses et s'avance de proche en proche jusqu'aux confins du désert.
L'Egypte est alors une nappe d'eau trouble, étalée entre deux cordons de
rochers et de sables, mouchetée où sont les villes et les reliefs du sol de
taches vertes et noires, divisée en compartiments irréguliers par les chaussées
qui relient les villages entre eux. Le fleuve atteint son point le plus haut
vers la fin d'août en Nubie, trois semaines ou un mois plus tard au Caire
et dans le Delta. Il reste stationnaire huit jours environ, puis commence à
décroître imperceptiblement. Quelquefois une poussée nouvelle se produit
en octobre, et il se reprend à monter, mais son effort ne se soutient pas :
il baisse de nouveau, avec autant de rapidité qu'il en avait mis à hausser;
vienne décembre, et il est rentré complètement dans son lit. Les sources
qui le nourrissaient se ferment ou s'appauvrissent l'une après l'autre : le
anciennes à Memphis le résultat des calculs auxquels s'est appliqué Rozière, De la constitution
physique de C Egypte, dans la Description, t. XX, p. 351-381. Il montre, d'après Lk Père [Mémoire
sur la vallée du Nil et sur le nilomèlre de Vile de Iioudah, dans la Description, t. XVIII, p. 555
sqq.), que l'augmentation du nombre des coudées est purement apparente, et que les hauteurs
effectives demeurent à peu près invariables, bien que les indications des nilomètres croissent de
siècle en siècle. On trouvera le tableau de la plupart des crues connues anciennes et modernes
dans l'ouvrage récent de Cmitr, le Nil, le Soudan, l'Egypte, p. 8I-U3.
1. Les crieurs du Nil ont été décrits par Laiw, Manne m and Customs, -ic éd., t. Il, p. 225-236.
Leurs proclamations n'ont guère changé depuis le temps où il les recueillait : l'usage de la vapeur
y a introduit seulement des images nouvelles pour marquer la rapidité de la crue.
2. G. Lumbroso a rassemblé les principaux passages des auteurs anciens et modernes relatifs à la
Fiancée du Nil, dans l'Egillo al tempo dei Greci e dei Romani, p. 6-10. Cette tradition a fourni à
G. Ebers la matière d'un roman, Die Nilbraut, où les mœurs des Coptes pendant les premières
années de la domination arabe sont peintes avec beaucoup de justesse et de vivacité.
3. Silvestkk uk Sacy, le Livre des Etoiles errantes, par le Scheikh Schemseddin Mohammed bin
Abilsorour al-Dakerihl-Sadiki, dans les Notices et Extraits des Manuscrits, t. I, p. 275.
26 LE ML ET L'EGYPTE.
Tacazzé s'égare dans les sables avant de le rejoindre, et le Nil Bleu, aban-
donné lui-même par la plupart de ses affluents, ne trouve plus qu'à s'ali-
menter parcimonieusement aux neiges de l'Abyssinie. Le Nil Blanc doit
aux Grands Lacs de garder plus de tenue : il nourrit le courant jusqu'à la
Méditerranée et empêche la vallée de se dessécher tout à fait pendant l'hiver.
Mais il a beau rallier à lui le plus qu'il peut de ses eaux, chaque jour abaisse
son niveau et diminue sa masse. Les bancs de sable, longtemps cachés,
affleurent, se découvrent, se raccordent en ligne continue, les îles s'agran-
dissent et se bordent de grèves qui se rejoignent et les rejoignent insensible-
ment à la rive, les bras secondaires se bouchent et ne dessinent plus que des
réseaux de flaques et d'étangs vaseux bientôt secs, le grand bras lui-même
cesse d'être navigable par endroits : passé mars, les bateaux s'y engravent
et sont forcés d'attendre sur place le retour de l'inondation pour se dégager.
Du milieu d'avril au milieu de juin, l'Egypte ne vit plus qu'à moitié, dans
l'attente du Nil nouveau1.
Ces eaux rouges et lourdes, qui s'en vont et reviennent avec une régularité
presque mathématique, lui amènent et lui laissent la dépouille des contrées
qu'elles ont traversées, les sables de la Nubie, les argiles blanchâtres de la
région des Lacs, les boues ferrugineuses de l'Abyssinie et ses roches diverses*.
Les matières n'y sont pas disséminées d'une manière uniforme dans toute la
masse : elles s'y répartissent proportionnellement à leur pesanteur spécifique
et tombent dès que la vitesse du courant tend à se ralentir. Les galets aplatis
et les cailloux roulés s'arrêtent au sortir de la cataracte, entre Syène et
Qénèh. Les particules les plus grossières du sable restent suspendues dans
les couches profondes et servent à exhausser le lit, ou sont charriées jusqu'à
la mer et contribuent à l'accroissement des plages qui s'établissent lente-
ment aux embouchures de Damiette et de Rosette ; les plus fines et le
limon s'élèvent jusque dans les couches superficielles et se déposent sur les
terres, après la rupture des digues3. Un sol qui sort tout entier du fleuve, et
1. Les principales phases de la crue sont notées principalement d'après le rapport très détaillé
qu'en a donné Le Pkrk, Mémoire sur la vallée du Nil et le nilomèlrc de Vile de Iioudah, dans la
Description de V Egypte, t. XVIII, p. 555-645.
2. Les anciens racontaient toutes sortes de merveilles sur la composition des eaux du Nil et sur
leurs propriétés fécondantes. L'analyse en a été faite pour la première fois d'une façon scientifique
par Ukgnait, Analyse de Ceau du Nil et de quelques eaux salées, dans la Décade égyptienne, t. I,
p. 261-271. Le résultat des recherches les plus récentes est consigné, à grand luxe de détails,
dans l'ouvrage de Chki.i , te Nil, le Soudan, l'Egypte, p. 177-17!».
3. Sur la nature et le mécanisme des alluvions, voir P. -S. Girard, Observations sur la vallée
d'Egypte et sur l'exhaussement séculaire du sol qui la recouvre, dans la Description de V Egypte,
t. XIX, p. 140 sqq.;et aussi Rozikrk, De la constitution physique de l'Egypte et de ses rapports arec
les anciennes institutions de cette contrée, daus la Description de l'Egypte, t. XX, p. 328 sqq.
PAUVRETÉ DE LA FLORE. 27
qui en est envahi périodiquement, nourrit nécessairement une flore assez
pauvre. On sait qu'en général le nombre des espèces végétales augmente de
degré en degré à mesure qu'on s'éloigne des pôles pour se rapprocher de
l'équateur : on reconnaît aussi que l'Egypte fait exception à cette règle.
Elle n'entretient qu'un millier d'espèces au plus, où l'Angleterre, par exem-
ple, en possède près de quinze cents à surface égale, encore la plupart n'y
sont-elles pas indigènes1. Le fleuve en apporta beaucoup du fond de l'Afrique;
les oiseaux et les courants de l'atmosphère ont continué l'œuvre des eaux,
et l'homme lui-même a contribué pour sa part à la rendre de plus en plus
complète*. 11 a tiré de l'Asie, à diverses époques, le froment, l'orge, l'olivier,
le pommier, l'amandier rose ou blanc, et vingt autres espèces qui sont
acclimatées aujourd'hui aux bords du Nil. Les plantes de marais prédominent
dans le Delta; mais le papyrus et les trois variétés de lotus bleu, rose et
blanc, qui y prospéraient autrefois, s'en sont retirés presque entièrement et
sont revenus à leur pays d'origine, dès qu'on a cessé de les cultiver8.
Le sycomore et le dattier, importés l'un et l'autre du centre de l'Afrique
même, s'accommodent mieux de leur exil et se sont naturalisés entièrement
égyptiens. Le sycomore4 pousse en plein sable, à la lisière du désert, aussi
vigoureusement qu'au milieu des terres arrosées : ses racines vont chercher
très bas les eaux qui s'infiltrent jusque dans les gorges de la montagne et
l'abreuvent largement même aux endroits où la sécheresse semble régner
sans partage. Son tronc lourd, trapu, tourmenté, atteint parfois des dimen-
1. Gay-Li:ssac, Du sol égyptien, dans le Bulletin de ï Institut égyptien, 2* sér., t. II, p. 221. Raffe-
neau-Delile (Florae JEgyptiacx Illustrât io,ânns la Description, t. XIX, p. 69-114) énuraère 1030 espèces.
Wilkinson (Manners and Cuttoms, 2* éd., t. II, p. 403) en compte environ 1 300, dont 250 ne se
rencontrent qu'au désert, ce qui nous ramène pour l'Egypte propre au chiffre de Delile et de Gay-
Lussac: Ascherson et Schwcinfurth (Illustration de la Flore d'Egypte, dans les Mémoires de l'Institut
égyptien, t. II, p. 25-260) en ont obtenu récemment 1 260. De nouvelles recherches en ont porté
le nombre à I 313 (Schweinfirth, Sur la Flore des anciens jardins arabes, dans le Bulletin de l'In-
stitut égyptien, 2* sér., t. VIII, p. 331). Coquebert avait déjà été frappé de la pauvreté de la flore
égyptienne comparée à celle de la France (Hé flexions sur quelques points de comparaison à établir
entre les plantes d'Egypte et celles de France, dans la Description de CEgypte, t. XIX, p. 8-0).
2. A. Raffeneau-Delile, Mémoire sur les plantes qui croissent spontanément en Egypte, dans la
Description de V Egypte, t. XIX, p. 23 sqq. : Scrweinfurth, Végétaux cultivés en Egypte et qui se retrou-
vent à Vétat spontané dans le Soudan et dans Vintérieur de Ï Afrique, dans le Bulletin de l'Institut
égyptien, lr# sér., t. XII, p. 200 sqq.
3. Sur le lotus en général, voir Raffenf.ai>Deui,fm Flore d'Egypte (dans la D scriplion, t. XIX, p. 41 5-
435) et F. Wcesic, Die Pflanzen im AU en .Egyptcn, p. 17-74. Le lotus blanc, Nymphœa Lotus, s'appe-
lait soshini en égyptien (Lorkt, Sur les noms égyptiens du lotus, dans le Becueil de Travaux, t. I,
p. 191-192, et la Flore pharaonique d'après les documents hiéroglyphiques et les spécimens découverts
dans les tombes, n° 129, p. 53-55); le lotus bleu, Nymphsea cserulea, le plus fréquent dans les tombeaux
(ScftwEiNFURTH, De la Flore pharaonique, dans le Bulletin de l'Institut égyptien, 2* sér., t. III, p. 60
sqq.), se nommait sarpedou (Loret, Sur les noms égyptiens, dans le Becueil de Travaux, t. I, p. 194),
et le lotus rose, nakhabou, nahbou (id., p. 192-193). M. Pleyte (De Egyptische. Lotus, p. 9) pense
que cette dernière espèce a été introduite en Egypte assez tard, vers l'époque de Darius ctdeXerxès.
4. Les matériaux anciens et modernes relatifs au sycomore d'figypte (nouhit, nonhe) ont été réunis
assez complètement par F. Wuknh;, Die Pflamru im Allen Mgyplen, p. 280-292.
48 LE NIL ET L'EGYPTE.
fiions colossales, sans jamais monter bien haut; son feuillage, compact et
divisé en masses globuleuses, s'étend si loin, qu'un seul pied peut donner à
distance l'impression de plusieurs arbres réunis; son ombre est dense et
impénétrable au soleil. Le dattier présente avec le sycomore un contraste
frappant*. Son tronc, svelte et rond, s'élance d'un seul jet à 12 ou 15 mètres
de hauteur; sa tète se couronne d'un bouquet de feuilles flexibles, disposées
sur deux ou trois rangs, mais si maigres, si impitoyablement découpées,
qu'elles n'interceptent point la lumière et projettent une ombre grêle et sans
fraîcheur; peu d'arbres ont le port aussi élégant, mais peu l'ont d'une
élégance aussi monotone. Où qu'on tourne les yeux, les palmiers sont partout
en Egypte, isolés, assemblés par deux ou par trois à l'entrée des ravins,
autour des villages, le long des berges, alignés en files régulières, comme
des rangées de colonnes, plantés symétriquement en forets claires : ils for-
ment le fond toujours le même sur lequel les autres arbres se groupent
en proportions diverses pour varier le paysage. Le lin lamarisque* et le
I . Dessin de llvudiei , d'après une photographie d'Iminger, priât en 1881.
4. A. IUmissac-Delile, Flore d'Egypte, clans la Description de VÈgypte, t. XX. p. U5-448. Les
ÊgypticuB nommaient le dattier bainmiril, baouuit {Lowit, Étude sur quelques arbres égyptiens,
dans le Recueil de Travaux, t. Il, p. Î1-Ï6).
3. Le nom égyptien du lamarisque, a tari, atri, est identique aux noms que les languei sémitique»
anciennes ou moderne* donnaient il cet orhro (l.oKtr, la Flore pharaouir/iie, n* 88, p. 88); on peut
si
S s.
5»
il
■1
t*
3 f
30 LE NIL ET L'EGYPTE.
nabéca1, le moringa* et le caroubier5, plusieurs variétés d'acacias et de
mimosas, le sont*, l'habbas5, l'acacia blanchâtre6, l'acacia farnesiana7, le
grenadier8, se multiplient à mesure qu'on s'éloigne de la Méditerranée :
l'atmosphère sèche de la vallée leur convient à merveille, mais donne à
leur feuillage un tissu fibreux et coriace, une allure aérienne et des teintes
pâlies qu'on ne leur connaissait pas sous d'autres climats9. La plupart ne
se reproduisent pas spontanément, et tendent à disparaître dès qu'on les
néglige. L'acacia séyyâl*0, jadis abondant aux bords du fleuve, s'est réfugié
presque entièrement dans quelques vallées du désert thébain, avec une
variété de doum à noyau !i dont les anciens Égyptiens nous ont laissé la
donc se demander s'il n'est pas originaire d'Asie. En ce cas, il aurait été importé en Egypte dès une
très haute antiquité, car il ligure dans les textes des Pyramides. Les briques en limon du Nil et les
tombeaux memphites ou thébains nous ont rendu des feuilles, des brindilles et même des bran-
ches entières de tamarisque (Schwkinfi rth, les Dernières Découvertes botaniques dans les anciens tom-
beaux de l'Egypte, dans le Bulletin de V Institut égyptien, 2* sér., t. VI, p. 283).
1. Le nabéca ou nabk, Zizyphus Spina Ch ri sli Desf. est le noubsou des vieilles listes égyptiennes
(Lorkt, la Flore pharaonique, na 112, p. 41-45; DCmiches, dans Moi.de.nkk, Ueber die in all-JEgyptischen
Texten erivâhnten Baume, p.- 108-109, note; Maspero, Notes au jour le jour, § 12, dans les Pro-
ceedings of the Society of Biblical Archœology, 1890-1891, t. XIII, p. 496-501); on en a trouvé des
fruits ou du bois dans les tombes, surtout dans celles de la XX* dynastie (Schweinfi rth, tes Dernières
Découvertes, dans le Bulletin de l'Institut égyptien, 2' sér., t. VI, p. 260).
2. Le Moringa aptera, qui produit l'huile de ben, le myrobalan des anciens, s'appelait bdkou, et son
huile est déjà mentionnée dans des textes très anciens (Lorkt, Heeherches sur plusieurs plantes
connues des anciens Égyptiens, dans le Recueil de Travaux, t. VII, p. 103-106, et la Flore pha-
raonique, n° 95, p. 39-40). Sur sa présence dans les tombeaux thébains, voir Schweinfurth, les
Dernières Découvertes botaniques, dans le Bulletin de V Institut égyptien, 2* sér., t. VI, p. 270.
3. Le caroubier, Ceratonia siliqua, s'appelait dounraga, tenraka (Loret, la Flore pharaonique,
n° 96, p. 40, et Becueil de Travaux, t. XV, p. 126-130). Unger(0t> Pflanzen des Alt en Algyplcns,
p. 132) pensait en avoir retrouvé des restes dans les tombeaux égyptiens, mais Schweinfurth (Sur
la Flore des anciens jardins arabes tfÉgyptc, dans le Bulletin de l Institut égyptien, 2e sér., t. VIII,
p. 306, 334-335) n'admet pas le témoignage d'Unger.
4. Le sont, en ancien égyptien, sliondou, shonti, est identifié depuis longtemps avec Y Acacia flï/«-
tica Del. : on en trouvera l'histoire dans le mémoire de Schwkinfi:rth, Aufzahlung und Bcschrcibung
der Acacia-Arten des Nil-Gebietst dans la Linnsea, XXXV (Neue Folge I), p. 333-334.
5. Mimosa habbas, A. Raffkneau-Dkmle, Florse Aïgyptiacse Illustratio, dans la Description de
l'Egypte, t. XIX, p. 111.
6. V Acacia albida est encore assez fréquent sur l'ancien emplacement de Thèbes, du côté de
Médinet-Habou (Wh.kinson, Manners and Customs, 2" éd., t. II, p. 405, note 2).
7. C'est l'acacia à grappes de fleurs jaunes odorantes et légères qu'on appelle la cassie dans le
midi de la France : il est commun aujourd'hui dans toute la vallée. Loret pense que ses graines che-
velues s'appelaient pirshonou et senuârou (le Kyphi, parfum sacré des anciens Egyptiens, p. 52-54,
et la Flore pharaonique, n° 94, p. 39); mais l'arbre existait-il dans l'Egypte pharaonique?
8. Le grenadier ne parait pas sur les monuments égyptiens avant la XVIIIe dynastie : peut-être
a-t-il été introduit en Egypte vers cette époque. Il est représenté quelquefois (Champollion, Monuments,
pi. CLXXIV; Lkpsiis, De n km., III, 48) et des fleurs en ont été découvertes dans plusieurs tombeaux
thébains (S<:hwkisfirth, les Dernières Découvertes botaniques, dans le Bulletin de l'Institut égyptien,
2" sér., t. VI, p. 268). Le nom égyptien anhrama, anhramon, a été retrouvé à la fois par Loret
(Heeherches sur plusieurs plantes connues des anciens Egyptiens, dans le Becueil, t. VU, p. 108-111)
et par Moldenke (Anrhemcn, Pomegranate-Tree, dans les Éludes archéologiques dédiées à M. Lee-
mans, p. 17-18, et Ueber die in den altâgyptischen Texten erivâhnten Baume, p. 114-115).
9. A. Baffknkai-Dki.ilk, Mémoire sur les plantes qui croissent spontanément en Egypte, dans la Des-
cription de V Egypte, t. XIX, p. 35-36.
10. L'acacia séyyAl est probablement Vas hou des anciens textes (Lorkt, 1rs Arbres ash, sib et shent,
dans le Becueil de Travaux, t. II, p. 60 sqq., et la Flore pharaonique, n° 93, p. 39; Moldenke, Ueber
die in altâgyptischen Texten erwâhnlcn Baume, p. 87-92).
11. C'est Yllyphiene Argûn Mart. ou Medemia Argun Hook., nommé par les anciens Marna ni kha-
nini ou doum à noyaux (Loret, Etude sur quelques arbres égyptiens, dans le Becueil, t. Il, p. 21-26,
et la Flore pharaonique, n° 29, p. 16: Moi.dknkk. Ueber die in altâgyptischen Texten erwâhnten
LES ACACIAS, LE l'ALMIEK DO UN.
description poétique'. Le doum ordinaire1 se sépare, à 8 ou 10 mètres du
sol, en deux branches, qui en produisent elles-mêmes deux autres, et se
terminent par des faisceaux de vingt à trente feuilles palmées, ligneuses,
longues de 2 mètres ou 2 mètres et demi : commun dans la Haute-Egypte
au commencement du siècle, il y devient rare, et l'on prévoit le moment où
il ne se rencontrera plus que par exception au nord de la première cataracte.
Les saules' diminuent en nombre, et le perséa*, qui était un des arbres
sacrés de l'antique Egypte, n'existe plus qu'isolé dans quelques jardins.
Aucune des essences qui restent n'est assez commune pour former des bois
de grande étendue, et l'Egypte, réduite à ses futaies de dattiers, présente cette
Baume, p. 71-73). Quelques fruits en ont Été retrouvai dan» le* tombeau* tbébains [Uwui, Bie
Pflanien de» Altrn Aigyptens, p. KIT; StMwturtiitH, Veber l'flanzcni-nte au* altàgyptUchen Gra-
bern, dan» lei lierichte der BeuHchcn Botanilchen Getellichafl, IK8I, p. ÏI.U).
1. Daiin de Boudier, daprè* une photographie d'Intingcr, prise en tHHA.
1. l'appui Solfier I, pi. VIII, I. 1-j.
3. Le nom égyptien dii doum {llyphmie Thcbaiea Minr.] est marna et son fruit s'appelle le
gougou (Lnurr, Etude *ur guelguei arbre* égyptien*, dans le llerueil de Travait-r, t. II, SI -M), [.'arbre
lui-même a été décrit Ira» complètement par H m km; il-Dklii.>;, Drtcription du palmier-doum de
la Haute Egypte ou l'.urifcra Thebaira, dans la Description île l'Egypte. I. XX, p. Il sqq.
■t. Tarit, tore en anrïen égyptien (Lu*ht, la flore pharaon ig ne, u° lî, p. -±\\), aujourd'hui Salix
ta frit f Fors». : ses feuille* servaient à fabriquer les guirlandes funéraires qu'on retrouve en grand
nombre dan» les tombeau* thebains des XVIII'XX' dynasties (Schummuuth, Veber l-flamenrcite au*
allâgyptitc.hen Grâberii, dans les Berirhte der D. Ilot. Ces., Itmi, p. :«fl).
j. Le perséa, thaouaba en ancien égyptien, avait été identifié avec la liaianite* .-Egy/itiara Dix., le
tebakhdp.s auteur» arabesdu moyeu âge, par Hinfini-l'Fi.ii.E, Flore d'Egypte, dans la Description^. XIX,
p. -..'ûLS-iKll ; Shltiiim-l&ith i.iel/er l'fîanïenrcntc, p. Si) ila montré ipie r'i'lait le Minimn/i* Schimperi IIothst.
32 LE NIL ET L'EGYPTE.
singularité d'une vaste contrée où les arbres ne manquent point, et qui
pourtant est presque sans ombrages1.
Pays de transition pour la flore, l'hgypte l'est également pour la faune :
toutes ses espèces animales lui ont
été fournies parles contrées envi-
ronnantes. Quelques-unes d'entre
elles, le cheval* et le chameau* par
exemple, ne s'y implantèrent
qu'à une époque relativement ré-
cente, le cheval vers le x\*ou vers
le xviii* siècle avant notre ère, le
chameau plus tard encore. Le plus
grand nombre sont d'origine afri-
l'Inine rt sos isos*. caine comme les végétales, bœufs
à longues cornes et à cornes cour-
tes, variétés de chèvres ou de chiens* : l'âne surtout y garde une pureté
de formes et une vigueur que notre baudet d'Europe ne connaît plus". Le
porc et le sanglier7, le lièvre à longues oreilles, le hérisson, l'ichneumon*. le
I, RoiikKK, fie la constitution physique de VKgyjite, dans la Description de r Egypte, t. \\, p. iSO-iRI.
i. Les fait* relatifs à l'histoire ilu cheval en Egypte ont été exposés pour la première Ibis à rua
connaissance par I'mssf. u'Ayenniis, fies Chevaux chez le» ancien» Egyptien», dans Pin «01, Alwu-ltekr
ibn Bedr le Kaçeri, la Perfection det deux art» ou Traité d'hippiatrique, ISIii. t. I, p. H8 sqq. Repro-
duits par Vu. I.niiiui, Kola sur un voyage en Egypte, IK"II, p. ï-t, ils ont île combattue par
CH.inii, Elude» *ur r Antiquité hittarique, î* édil.. p. Kl sqq.p mais sans Buccès. M, Lf.f«>ike [Sur
l'Ancienneté' du cheval en Egypte, dans l'Annuaire de ta Faculté, de» lettre» de Lyon, î" année.
p. l-li, cl te Soui du chrral, dans les l'roeeedings de la Sociélé d'Archéologie biblique. ISJTMSWI,
t. XII. p. .it!Mr><>) si essayé depuis, mai- eaus mieux réussir, de montrer que le cheval était connu en
figyplc nous la XII* dynastie cl même aux temps antérieurs. Los renReiRnement» le* plus complcls
sur l'histoire du cheval en fcgypto sont réunis dans l'ouvrage de C.-A. Pi*tkb«o7, le» Chevaux
dan» le» temps préhiitoriques et historiques, JHH3, p. 15U sqq.
ï. Le chameau n'est pu* m présenté sur les monuments égyptiens avant l'époque saite: il êlail cer-
tainement inroiiim pendant les siècles qui ont précédé. Les textes où M. Chjbis (Eludes »ur l'auti-
guilf hiiloriipic, 4" éd., p. 397 sqq.; cf. W. lluif.BMN, Was Ihe Carnet knoion to the Ancieut Egyp-
tiaiuf dans les Proeeeding*. 1HB!>-1H!M>, t. XII. p. Sl-Hl) avait cru reconnaître son nom sonl
traduits incorrecte ment, ou s'appliquent à d'iulres animaux, peut-être aux. mulcls.
1. Destin de Fattchcr-Gudin, d'après une photographie de Ditmor.x, Hesuttale der l'hatographisch-
Anhirologi'chen Expédition, t. tl. pi. X. Iji scéneett empruntée au tombeau de Ti.
5. V». LiMiimir, Sur le» animaux employé* pae tes ancien» Égyptiens à la chatte et à la guerre,
IH7I1. I™ cl i' notes, reproduite" dans le premier volume des Première* Civilisation».
fi. r>. Lf.nmix.uit, Sur l'antiquité' de l'une et du cheval, dans ses Kote» sur un voyage en Egypte,
p. î-i. L'origine alricainc de l'ànu a été mise en lumière pour la première lois par 11. Hiloe Rduards
dans le» Compte» rendu» de l'Académie de» science», IHliil, l. I.XIX, p. liSS.
1, Le porc est assez, rarement représenté sur les monuments égyptiens. Fa. LtNOIWiNT {Sur l'intro-
duction et la damextùité du porc e/irs tes ancien» Egyptiens, p. j) ne croyait pas qu'il frtl connu sous
les premières dynasties : on en trouve pourtant quelques exemples caractéristiques dès la IV"
(LtfS1l!«, llenkm.. Il, ïi. Pitbif., Medum, p. 3'} et pi, \\i).
H. Sur la coin pa raison des espèces animales anciennes avec les modernes de l'Egypte, je ne
connais que deux mémoires d'ensemble, l'un de Itosellini (Monument! civili. t. 1, p. ÏUi-iïn),
l'autre de II. lia rt m a il il (l'eriuch eince tyslemalisrhen Auf-.âhlung der von der allai Agyptcrn
tiildlich dargestelllcn Thiere. mit Riichticlit auf die heulige Fauna des Kilgebietes, dans 11 Zeit-
LES SEKPENTS, LliK/EUS. 33
mouflon à manehettes, une quantité innombrable île gazelles, algazelles,
défassas, antilopes à cornes en formes de lyre, appartiennent aussi bien à
l'Asie occidentale qu'à l'Afrique, c
taille auxquels ils servent de pà
loup, le chacal, l'hyène striée et
l'once, le guépard, le lion enfin
des serpents grands et petits s
quelques-uns innocents, comme
meux, la scytale, le céraste, la
vipère hajé, l'aspic. C'est ce der-
nier que les Égyptiens appe-
laient uraeus*, et qu'ils ado-
raient. 11 atteint parfois jusqu'à
2 mètres de longueur : dès qu'on
s'approche de lui, il dresse la têt"
et gonfle le cou, prêt à s'élan-
cer. Sa morsure tue, comme
celle du céraste : les oiseaux
tombent littéralement foudroyéspar L>Miw B.^pjf Lnïfi(, rmt l-mwi*
la puissance du venin, les grands
mammifères et l'homme finissent le plus souvent par succomber après une
agonie plus ou moins longue*. L'urœus ne se rencontre guère qu'au désert
ou dans les champs : le scorpion se glisse partout du désert à la ville, et si la
piqûre n'entraîne pas ordinairement la mort, elle cause toujours des douleurs
insupportables. Il est probable que l'Egypte nourrissait autrefois plusieurs
genres de serpents gigantesques, analogues aux pythons de l'Afrique équa-
toriale. On les voit représentés encore dans les tableaux funéraires, mais
on ne les voit que là* : ils avaient disparu, dès l'époque historique, comme
trhrift, 1861, p. 7-14, 10-48), plus une note trop brève de Mariette dan» le llutleliii <tr ï Institut
égyptien. 1" série, t. XIV. |j, B7-66.
I. 1,'ichne union N'appelai! khatournu, klmtoul, shntonl, en égyptien (LrftfïiHE, le Soin égyptien de
i'ichneumon, dans tes Proeeediugi de In Sociale d'Archéologie biblique, 18Bi-IH8'>, t. VII. p. 1!I8-IÏU).
t. Aottrûit, aurait, transcrit en j-rec Ûjpaîoî (IIomwiluw, Ilieroglgpkica, liv. 1, $ '■ éd.
Lee mis, p. t).
». Derfin de Fauc/ier-Ciudin. d'après la Description de V Egypte, HKrTii.ts-Si'PM.iiiiENT, pi. III.
Â. Les serpents venimeux de l'Egypte ont été démis par Isiileiro (irolTro) -Sa ml-lli luire dans la
Jseteription, t. XXIV. p. 77-9B. Les effets de leur venin ont été étudiés par le W P«ni:ikm, Ksperiense
mtorni) agti ejfrlti del retenu delta Saja EgUiana e drlle Ceraitr. Waples, 1873, aiu'i i|iie dans le
Bulletin de Vtnttitut égyptien, I™ série, t. XII, p. 187-1113. et I. XIII, p. 8H-D2.
5. Ainsi dans le Livre des Morl« (\iyillk, Todtenbuch, 1. 1, pi. LIV, el F.inleitung, p. IHk) et dans les
compositions mythologiques des tombes royales théhairips (l.tftum, le Tombeau de Séti I", dans les
Mémoire» de la Million du Caire, t. Il, f part., pi. X. XL-XLI, XI.III, etc.). L-exartitudc avec laquelle
H4 LE NIL ET L'EGYPTE.
l'éléphant, comme la girafe1, comme d'autres animaux qui ne prospèrent
plus aujourd'hui que bien loin vers le sud. L'hippopotame a résisté longtemps
avant de retourner aux régions équatoriales d'où le Nil l'avait apporté : il
était fréquent sous les premières dynasties, mais il se retira dans les marais
du Delta et s'y maintenait en nombre au xme siècle de notre ère *. Les croco-
diles, qui étaient venus avec lui, comme lui sont obligés de battre en retraite.
Maîtres du fleuve pendant toute la durée des temps antiques, adorés et pro-
tégés dans certains cantons, exécrés et proscrits dans d'autres, on les aperce-
vait rarement au voisinage du Caire vers le commencement de notre siècle3.
En 1840, ils ne dépassaient déjà plus les parages du Gebel et-Téîr4, en 1849,
ceux de Manfalout5. Trente ans plus tard, Mariette constatait qu'ils émigrent
de plus en plus, pour fuir les coups de fusil des touristes et l'agitation que le
passage régulier des bateaux à vapeur0 produit dans les eaux profondes.
Aujourd'hui, on n'en connaît plus qui soient établis en deçà d'Assouàn, mais
ils continuent d'infester la Nubie et les rochers de la première cataracte7 :
parfois l'un d'eux se laisse emporter au courant et dérive jusqu'en Egypte, où
il ne tarde pas à être tué par les fellahs ou par quelque voyageur en quête
d'aventures. La fertilité du sol8, l'immensité des lacs et des marécages attirent
les détails caractéristiques de certaines espèces sont figurés montre que les Égyptiens avaient vu
eux-mêmes les serpents monstrueux qu'ils reproduisaient (Maspkro, Etudes de Mythologie égyptienne,
t. I, p. 32, n. 3; cf. la Bévue de l'Histoire des religions, t. XV, p. 296).
i. Le signe de l'éléphant sert à écrire le nom Abou de la ville et de l'ilc d'Élépbantine dans le»
textes de la Va et de la VI* dynastie (Inscription d'Ouni, 1. 38, dans Mariette, Abydos, t. II, pi. 48;
cf. Schiaparflli, Una Tomba Egisiana inédit a delta VI9 Dinastia, p. 23, 1. 5); dès cette époque, il est
ussez maladroitement ligure pour qu'on soit autorisé à penser que les gens d'Assouàn ne voyaient
plus la béte que rarement. Le signe de la girafe apparaît comme syllabique ou comme déterminatit
dans plusieurs mots qui ont le son sarou, sorou.
2. Silvkstrk de Sacy, Relation de V Egypte par Abd-Allatif, p. 143-145, 165-1 60. Le consul de
France, Du Maillet, signale encore la présence d'un de ces animaux près de Damiette, au commence-
ment du x v 1 1 1° siècle (Le Mascrier, Description de CÉgypte, p. 31*). Burckhardt (Travels in Nubia,
p. 62) raconte qu'en 1812, un troupeau d'hippopotames franchit la seconde cataracte et passa à
Ouady-Ilalfah et à Dcrr; l'un d'eux, entraîné par le courant, descendit les rapides d'Assouàn et fut
encore vu à Deraou, à une journée de marche au nord de la première cataracte.
3. Isidore Geoffroy Saint-IIilaire affirmait peu après qu'« il n'en existe plus présentement dans les
cent lieues de longueur du Nil inférieur; il faut remonter jusqu'à Thcbes pour en apercevoir ».
[Description des crocodiles d'Egypte dans la Description de l'Egypte, t. XXIV, p. 408). Il se trompait,
comme le prouve le témoignage d'une demi-douzaine de voyageurs plus récents.
4. Marmont les y signalait encore, à cette date, dans le voisinage immédiat du Courent de la Pou-
lie (Voyages du duc de Raguse, t. IV, p. il).
5. Baylk Sunt-John, Village Life in Egypt with skelches of the Said, t. I, p. 268. On trouvera
dans Maxime Di Camp, le Nil, p. 108, une légende arabe qui prétend expliquer (vers 1849) pourquoi les
crocodiles ne peuvent descendre au delà de Shétkh-Abadéh : celle que cite Baylc Saint-John a pour
objet de montrer pourquoi ils se maintiennent entre Manfalout et Siout.
6. Mariette, Itinéraire des invités aux fêtes de l'inauguration du canal de Suez, 186Î), p. 175.
7. J'en ai encore vu plusieurs en 1883, étendus sur un banc de sable, à quelques centaines demi-très
de la pointe méridionale de l'Ile d'Éléphantine. La même année, les passeurs de la cataracte en
avaient pris deux, qu'ils oiïraient vivants encore en vente aux voyageurs.
8. Les oiseaux de l'Egypte moderne ont été décrits par J.-O. Savicny, Système des oiseaux de C Egypte
et de la Syrie, dans la Description de l'Egypte, t. XXIII, p. 221 sqq. Rosellini a réuni, sur les plan-
ches VII-X1V de ses Monument 1 civili, un assez grand nombre de figures d'oiseaux, copiées dans
les tombeaux de Thèbes et de Déni-Hassan (cf. le texte dans le t. I des Monumenti civili, p. 146-190).
LES OISEAUX. 35
quantité d'oiseaux erratiques, de passereaux, de palmipèdes qui s'y donnent
rendez-vous de tous les points de la Méditerranée : nos hirondelles d'Europe,
nos cailles, nos oies et nos- canards sauvages, nos hérons, pour ne citer que
les plus connus, y viennent passer l'hiv
l'abri du froid et des intempéries. Et la
plupart des espèces sédentaires ne
sont, à vrai dire, que des étrangers
acclimatés par un long séjour. Les unes
fondent avec nos races européennes, 1;
terelle, la pie, le martin-pécheur, la p
le moineau; les autres trahissent par
cité de leurs couleurs leur origine équa
ibis blancs et noirs', les flamants rose
les cormorans égayent les eaux du fleuv
fourrés du Delta de leurs variétés infir
rangés en longues files sur les banc
sable, péchant et digérant au soleil :
dain, une panique s'empare de la band
s'enlève lourdement et va se poser plus loin. L-lva t'fcmii,
L'aigle et le faucon, le milan, le vautour à
tète chauve, l'émouchet, l'épervier doré trouvent dans les creux de la
montagne des retraites inaccessibles d'où ils fondent sur la plaine, comme
autant de barons pillards et puissamment armés. Mille petits oiseaux babil-
lards viennent le soir percher en bandes sur les branches grêles des acacias
et des tamarisques. Beaucoup de poissons de mer montent frayer en eau
douce, les dupées, les mugils, les perches, le labre, et poussent leurs
excursions très haut dans le Saïd1. Les espèces qui ne sortent pas de la
Méditerranée sont arrivées du fond de l'Ethiopie, et en arrivent encore chaque
année avec la crue, le raschal, le rai, la tortue molle, le doemac, les mor-
l.oret a proposé quelques identilications fort ingénieuses cnlrc les nom» graves sur les monu-
ments anciens, et diverses espèces modernes {Piolet tur la Faune pharaonique, dans la Zcitichrift,
I. XXX, p. M-30).
1. Les faits relatifs à l'ibis ont été recueillis par CutIu, Mémoire lur l'ibit dei ancien' Egyptien*.
dans les Annalei du Mutéum d'hitlaire naturelle, 180*. t. IV, p. lift sqq., et par J.-C. Saihhii, Jlit-
loire naturelle et mythologique de l'ibit, dont un extrait est reproduit dans la Description de l'Egypte.
t. XXIII, p. 435 sqq. On pense qu'une des espèces antiques a disparu de l'Egypte et ne se rencontre
plus que vers les régions du Ilaut-MI; il se pourrait qu'il en subsistât quelques familles dans les
grands fourrés d'eau qui encombrent la partie occidentale du lac Memaléh.
t. Bénin de Faueker-Gudin, d'aprtt la Commiition d'Egypte, Oisbiui, pi. Vil, 1.
3. HitiovoTi, 11, ICIU, dont Isidore CeofTmv Rilnt-lllliire a corrigé les erreurs dans la Deirrîptioa
de l'Egypte. I. XXIV. p. ISS.
3<i LE NIL ET L'EGYPTE.
myres'. Plusieurs atteignent une taille gigantesque, le bayad et la tortue'
près de 1 mètre, le latus jusqu'à 3 mètres1; d'autres se distinguent par leurs
propriétés électriques, comme le silure trembleur*. La nature semble avoir
créé le fahaka dans un moment de bonne humeur. C'est un poisson allongé,
"ui naît au delà des cataractes.
Le Nil l'entraîne d'autant plus
fc aisément qu'il a la faculté
de s'emplir d'air et de se
gonfler à volonté : quand il est
;ndu outre mesure, il bascule
LB tiBAtl et file à la dérive, le ventre au vent
et tout semé d'épines qui lui prêtent
l'apparence d'un hérisson. Pendant l'inondation, il roule de canal en
canal au gré du courant; les eaux en se retirant l'abandonnent dans les
champs limoneux, où il devient la proie des oiseaux ou des chacals et sert
de jouet aux enfants1.
Tout se règle donc sur le fleuve, le sol, ses productions, l'espèce des
animaux qu'il porte et des oiseaux qu'il nourrit : les Egyptiens l'avaient
rangé au nombre de leurs dieux'. Us lui attribuaient la figure d'un homme
1. Isidork Gfiorrcor StiST-HiniiiE, llittoire naturelle dei paillons du NU, dans la Dttcription
rie l'Egypte, l. XXIV, p. 101, 335, pic.
t. Trùmyx /Egyptiacus;el, Loret, Note* eur la Faaue pharaonique, dans la Zeitsrhrifl, t. XXX, p. Î5.
3. Isidiwl Gkokeroi Siifti-lliuiBi, llittoire naturelle ilei poissons du Nil, dans la Description, 1. XXIV,
|j. à'», 346-347. I.e lalus s'appelait en égyptien ûliou, le guerrier (Pktrie, Medum, pi. XII et p. 38) :on
en voit un exemplaire de grande taille dans la vignette do la pape 87.
4. Le nârou dos anciens figyplieiiB (Maspebo. Éludée égyptienne*. I. II. p. 75, il. 4), décrit par
lniikirv Geoffroy Saint-Ililairc- [Histoire naturelle de* poiitoit* du Ml, dans la Description, l. XXIV,
p. 390-3117).
5. Ceofkhov Saint-Hiiairr, llittoire naturelle de* poiison* du Nil. dans ta Description, t. XXIV.
p. 176-ÏI7. La liste la plus complète que je connaisse des poissons du Nil est celle d'A.-B. Clot-Bki.
Aperçu général *ur [Egypte, I. I, |>. 431-Ï34, mais les noms arabes y sont fort délivrés.
fi. Jabloiiski a réuni, dans son l'unlheon tâgyptiorum, t. Il, p. 138-1711, il-t-iM, i3l-ï5H, les ren-
LE DIEU ML. 37
aux traits réguliers, au corps vigoureux et chargé d'embonpoint, ainsi qu'il
convient un homme riche et de haute race. Ses seins, développés comme
ceux d'une femme, mais moins fermes, pendent lourdement sur une poitrine
large et plissée de graisse. Une ceinture étroite, dont les bouts lui flottent
sur les cuisses, soutient la
masse de son ventre : des san-
dales aux pieds, sur la tête un
bonnet collant, surmonté à
l'ordinaire d'une couronne de
plantes aquatiques, complè-
tent son ajustement. Quel-
quefois l'eau jaillit de sa
mamelle ; il présente une
grenouille ou des vases à
libations', il tient un paquet
de croix ansées*, symboles de duii ricmsrn niuct » utci qu'ils mwiin h nuxp»3.
vie, il porte une table plate
couverte d'offrandes, des bottes de fleurs, des épis, des paquets de poissons
et d'oies attachées par les pattes. Les inscriptions l'appellent « Hàpi, le père
des dieux, te maître des aliments, qui fait naître les subsistances et inonde
les deux Êgyptes de ses produits, qui donne la vie, chasse la misère, et remplit
les greniers à regorger' ». Il se dédouble en deux personnes, colorées
parfois l'une en rouge, l'autre en bleu : la première, qui a sur la tête un
bouquet de lotus, préside à l'Egypte du sud, la seconde est coiffée d'une
touffe de papyrus et veille au Delta". A ces deux Hàpi correspondaient deux
déesses, Mirit Qimàit, la berge méridionale, Mirit Mîhit, la berge septentrionale,
qui personnifient les deux rives : on les voit souvent debout, les bras levés
seignemeDta que les écrivains classiques nous avaient légués «ut le dieu Nil. On trouvera l»s princi-
paux textes hiérogljphiquei relatifs à cette divinité dans AnusDALt-Bmioxi-Binui, Gattery af Antiguitien
nelerted from the BrilUh Muieum, p. ir.-tc, pi. XIII : YYiliumm, Mannert and lluitomt, V éd., t. III.
pi. XLIV.p. îtlft-ilO; Bxvesr.u.Gcogr. Intchrifttn, l. I, p. 77-7H, el Religion und Mythologie lier altr.ii
.Egypter, p. B38-G*l ; LiMMi, Diiionario di Mitologia Eghia, p. Sl-t-SSS, pi, CXCVI1I-CXCIX.
I. CMkHPoLUim.Monnnuntt de l'Egypte, p\.f.\\XUl, ! ; IIoselli.m, JUoiiuniend'dei Culto, pi. XXV, XXVII
I. WiLiraoN, Materia (Ser. Il), pi. XLII, n* 3. et Vannera ami Cuilnmt, f éd., I. RI, pi. XLIV, n- 3
II. Dettin de Faucher-Gudin, d'aprèt une peinture de Mëidoum. — Pire», Medûm. pi. XII.
t AmniHALE-Boxavi-BiRCN, Gattery of Antiquitirt, pi. 13 ; [.mus. Auswtiht derieichligilen iirkunden
dit A'.gyptitchen AltAerthum», pi. XV e.
S. Cm» pull ion, Monument», pi. CGC: Rosf.li.isi, Moaumenti storici. pi. XXXIX: Lr.Kirs. Denlim.,
III, ï. Wilkïnson (Mannert and C.uttonu. f éd., t. III, p. Ï09) est le premier qui se soit avitc do
reconnaître dans le dieu peint en rouge le Nil haut, le Nil rouge, et dans le dieu peint en bleu le
Nil a l'étiage. Cette opinion a été généralement Adoptée Hcpiiii (Rmellisi, Mon. ttiir., P" 1\ p. ii!l,
o.t; AavKtuLE-Bunnifi-BiacH, l'.atlery, p. ï!>); elle me paraît être moins certaine qu'on ne l'a cru. I.a
couleur n'est là, comme ailleurs, qu'un moyen de différencier au\ veu\ ilem perMiririnjji's.
:w
LE !fIL ET L'EGYPTE.
comme pour demander l'eau qui doit les rendre fécondes1. Le Nil avait
chaque canton sa chapelle et ses prêtres, auxquels le droit
revenait d'ensevelir tous les cadavres d'hommes ou d'animaux
que le courant rejetait sur les rives : le dieu les avait pris,
ils appartenaient à ses serviteurs2. Plusieurs villes lui étaient
* i consacrées, Hàthâpi, Nouît-
W Hâpi, NilopolisV En Thé-
baïde, on disait qu'il habitait
dans l'île de Bigèh une grotte,
une châsse (tophit), de la-
quelle il sortait à l'inonda-
tion : c'était une tradition du
temps où l'on croyait que la
cataracte coulait aux bornes
du monde et amenait le fleuve
dans
LA DÉKSSK HIRIT
COirrftK DU BOI'QIET DR PAPYRUS.
divin du ciel sur notre
terre 4. Deux gouffres
(qorîtï), béants au pied
des deux falaises de gra-
muni : ., \ 1.ii'i
TTn'M ■ • i , . T^ rr*^Trri-» i <\ ' \ , .mi ihi^
LE DIEU NIL5.
nit (monîtï) entre lesquelles il s'échappe, donnaient
accès à cette retraite mystérieuse*. Un bas-relief de Philae nous montre
les blocs empilés, le vautour du midi et l'épervier du nord perchés chacun
sur un sommet, la chambre ronde où Hâpi se cache : H est accroupi et serre
dans chaque main un vase à libations. Un serpent enroulé sur lui-même
dessine le contour du réduit et laisse, entre sa tète et le bout de sa queue,
une étroite ouverture par laquelle la crue déborde en son temps et va porter à
1. Cck déesses sont représentées dans Wilkinsox, Ma ferla Hierog/yphica (Ser. 12), pi. XLV1I, part, 1,
et Manners and Customs, «• éd., t. III, p. 230-232, pi. LUI, 2, ainsi que dans Lasiohe, Dizionario
di Mitologia, p. 317-318, pi. XV, CXXX. Le rôle qui leur est attribué ici leur a été reconnu par
Mahpero, Fragment d'un commentaire sur le Livre II d'Hérodote, II, xxvm, p. 5 (cf. Annales de la
Faculté des lettres de Bordeaux, t. Il, 1880).
2. Héroiiote, II, xc; cf. Wjf.dkmann, HerodoVs Zweites Iiuch, p. 364-365.
3. Brlw.n, Dictionnaire géographique, p. 483-488, 1338. Nilopolis est mentionnée par Etienne de
n>znncc(«.t>. NeiXoç) d'après Hécatée de Milct(fragm. 277 dans MCller-Didot, Fragm. Hisl.grKC.,t.\tp. 10).
4. Voir plus haut, p. 19, ce qui est dit de cette tradition.
5. Dessin de Faucher-Gudin, d'après une statue du Brilish Muséum, dédiée, vers l'an 880 av.
J.-C, par le grand prêtre d'Amon Thébain Sheshonqou, plus tard roi d'Egypte sous le nom de Se-
shonqou II : ce personnage est représenté derrière la jambe du dieu, la peau de panthère sur le dos,
et les deux bras levés en signe d'adoration. La statue est mutilée : le bout du nez, la barbe, une
partie de la table qu'elle porte ont disparu, mais ont été rétablis par le dessinateur. Les deux petits
oiseaux qui pendent, avec le paquet d'épis, auprès des oies, sont des cailles grasses.
6. Le passage le plus significatif à cet égard se trouve dans Maspero, Mémoire sur quelques papyrus
du Louvre, p. 09-100, reproduit par Brigstii, Dictionnaire géographique, p. 860-861.
LES FÊTES DU liEBEL SILSILÊH.
39
l'Egypte « toutes les choses bonnes, douces et pures », dont les hommes et
les dieux se nourrissent. Vers le solstice d'été, au moment où l'eau sainte
des gouffres de Syène arrivait à Silsiléh, les prêtres de cette localité, quelque-
fois le souverain régnant ou un de
ses fils, sacrifiaient un taureau et
des oies, puis lançaient à l'eau un
rouleau de papyrus scellé : c'était
Tordre écrit de tout faire pour assurer
à l'Egypte les bienfaits d'une inon-
dation normale1. Quand Pharaon avait
daigné officier lui-même, une stèle,
gravée sur les rochers, conservait
le souvenir de l'événement8 ; même
en son absence, les fêtes du Nil
étaient des plus solennelles et des
plus gaies qu'il y eût*. Une tradition,*
transmise d'âge en âge, faisait dé-
pendre la prospérité ou le malheur
de l'année du luxe et de la ferveur
avec lesquels on les célébrait; si
les fidèles avaient montré la moindre
tiédeur, le Nil aurait pu refuser
d'obéir à l'édit et de se répandre
abondamment sur les campagnes. Les paysans venus de loin, chacun avec
ses provisions, mangeaient en commun pendant plusieurs jours, et s'enivraient
brutalement, tout le temps que cette façon de foire durait. Le grand jour
1. Les questions relatives au passage du Nil à Silsiléh ont été traitées par Brit.sch, Mater iaiu pour
servir à la reconstruction du calendrier des anciens Égyptiens, p. 37 sqq., et surtout par E. de Hocgk,
Sur le nouveau système proposé par M. Brugsch pour V interprétation du calendrier égyptien, dans
la Zeitschrift, 1866, p. 3-7. Le souvenir de cet usage a donné probablement naissance à la légende
d'après laquelle le calife Omar aurait ordonné par écrit au fleuve de procurer à l'Egypte une
inondation favorable (Mocrtam, les Merveilles de l'Egypte, traduction de Pierre Vatticr, p. 165-167).
2. Les stèles officielles connues jusqu'à présent appartiennent à trois Pharaons, Ramsès II (Cham-
pollio*, Notices, t. I, p. 641 sqq.. Lkpsius, Denkm., III, 175 a), Minéphtah (Ghampollion, Monuments,
pi. CXIV; Rosf.llim. Monum. storici, p. 302-301 et pi. CXX, 1; Lkpsius, Denkm., III, 200 d.\ Brigsch,
Hecueil de monuments, t. II, pi. LXXIV, 5-6 et p. 83-81) et Ramsès III (Champollion, Monuments,
pi. CIV; Lepsiis, Denkm., 111, 217 d); elles ont été traduites par L. Stern, Die Nilstelc von Gebel-
Silsileh, dans la Zeitschrift, 1873, p. 125-135.
3. Les fétes du Nil à l'époque classique ont été décrites par le romancier Hkliouork, AZthiopica,
liv. IX, § 9, probablement d'après quelque auteur aujourd'hui perdu du temps des Ptoléinées.
4. La châsse du SU est reproduite d'après un bas-relief du petit temple construit à Philao par
Trajan et ses successeurs (Wilkinson, Materia llieroglyphica (Ser. 11), pi, XL1I, fig. 4; Chahpollion,
Monuments, pi. XCIII, 1; Roskllini, Monumenti del Culto, pi. XXVII, 3; DCmichen, Geogr. Ins., t. Il,
pi. LXXIX). La fenêtre ou la porte en ouvrait sur Blgéh, et, si l'on compare le dessin de l'artiste
LA CHÂSSE DU NIL A BICKH4.
40 LE ML ET L'EGYPTE.
arrivé, les prêtres sortaient en procession du sanctuaire et promenaient la statue
du dieu le long des berges, au son des instruments et au chant des hymnes1.
« I. — Salut à toi, Hàpi, — qui sors en cette terre et arrives — pour
donner la vie à l'Egypte; — toi qui caches ta venue dans les ténèbres — en ce
jour même où Ton chante ta venue1, — flot qui s'étale sur les vergers que Rà
crée — pour donner la vie à tous ceux qui ont soif, — et qui se refuse à
abreuver le désert — du débordement des eaux du ciel*; dès que tu descends,
— Sibou, le dieu terre, s'énamoure des pains, — Napri, le dieu grain, pré-
sente son offrande, — Phtah fait prospérer tout atelier*.
« II. — Maître des poissons, dès qu'il passe la cataracte, — les oiseaux
ne s'abattent plus sur les champs; — faiseur de blé, producteur d'orge, —
il prolonge la durée des temples. — Ses doigts chôment-ils, souffre-t-il ?
— alors tous les millions d'êtres sont misérables; — diminue-t-il au ciel?
alors les dieux — eux-mêmes périssent et les hommes;
« 111. — Les bestiaux s'affolent et la terre entière, — grands et petits,
sont au supplice ! — Si au contraire les hommes sont exaucés lorsqu'il monte
— et qu'il se fait Khnoumou8 [pour eux], — dès qu'il se lève, alors la terre
crie d'allégresse, — alors tout ventre est en joie, — tout dos est secoué par
le rire, — toute dent broie.
« IV. — Apportant les subsistances, riche en provisions, — créateur de
toutes les choses bonnes, — maître de tous les germes, doux à ses élus,
— si l'on se fait un ami de lui, — il produit le fourrage des bestiaux, —
égyptien à la vue qu'on a du fond de la chambre, on y reconnaît aisément la silhouette des rochers
entassés dans l'Ile. Le dessinateur moderne a renversé la scène par erreur.
1. Le texte de cet hymne nous a été conservé par deux papyrus du British Muséum, le Papyrus
Sallier II [Select Papyri, t. I, pi. XXI, 1. «, pi. XXIII) et le Papyrus Anastasi VU (id., pi. CXXXIV,
I. 7, pi. CXXXIX). Il a été traduit entièrement par Maspkro (Hymne au Nil, 1868; cf. Histoire
ancienne des peuples de l'Orient, 4* éd., p. 11-13), par F*. Cook (Hccords of the Past, \r" sér.,
t. IV, p. 105 sqq.), par Amklinkac (Bibliothèque de l'Ecole des hautes études. Section des sciences
religieuses, t. I, p. 341-371) et par Gcikysse (Recueil de Travaux, t. XIII, p. 1-46); quelques strophes
ont été rendues en allemand par Brigsch (Religion und Mythologie, p. 649-0 41).
4. Litt. : • Cachant la traversée des ténèbres — au jour des chants de traverser ». Le texte fait
allusion au passage du fleuve céleste dont le Nil est issu à travers les régions obscures de l'Occi-
dent : l'origine du dieu demeure cachée, même le jour où il arrive en Egypte pour inonder le sol, et
où l'on accueille son flot au chant des hymnes.
3. Litt. : * Faire boire au désert le débordement du ciel, c'est son horreur! » Les vergers, créés
par Kà, sont naturellement favorisés du dieu Nil, mais le désert, lu montagne, appartenant à SIt,
est en horreur à la crue qui descend du ciel et n'est que l'écoulement d'Osiris; cf. p. il, note 3.
A. Débarrassée des allusions mythologiques, la fin de la phrase signifie qu'à l'arrivée du flot la
terre se reprend à la vie et produit le pain : le blé pousse, et tous les métiers prospèrent sous les
auspices de Phtah, le dieu ciseleur et maçon.
5. Litt. : « Exaucés les hommes lorsqu'il pousse [ses eaux], étant la forme Khnoumou ». Khnou-
mou, le maître d'Éléphantine et de la cataracte, est un Nil, et, en tant que dieu suprême, il a pétri le
monde du limon mêlé à ses eaux. Le poète égyptien, pour montrer d'une seule image comprise de
tous ce que peut le Nil, lorsqu'il écoute les prières des hommes et qu'il consent a monter sur les
terres, déclare qu'il se donne la forme de Khnoumou, c'est-à-dire qu'il se fait le dieu créateur pour
ses fidèles, et qu'il travaille à leur fabriquer tous les biens avec son limon.
L'HYMNE AU NIL.
et il pourvoit aux sacrifices de tous les dieux, — et l'encens qui vient de lui
est le plus fin; — il prend les deux pays — et les greniers sont pleins,
les entrepôts prospères, — et les biens des misérables foisonnent.
* V. — Il se met pour les exaucer au service de tous les vœux, — sans en
rien rabattre. Faire qu'il y ait des bateaux c'est son fort à lui*. — On ne lui
sculpte point de pierres — ni de statues où l'on pose la double couronne; —
on ne l'aperçoit point; on ne lui paie tribut et on ne lui apporte offrandes,
— on ne l'enchante point par des mots mystérieux; — on ne connaît le
lieu où il est, — on ne trouve point sa châsse par vertu d'écrits magiques;
« VI. — Il n'y a maison qui soit assez large pour toi, — ni personne
qui pénètre ton cœur! — Pourtant les générations de tes enfants se réjouis-
sent de toi, — car tu gouvernes comme un roi — dont les décrets sont
établis pour la terre entière, — qui se manifeste en présence des gens du
Midi et de ceux du Nord, — par qui sont bues les larmes de tous les yeux, —
et qui est prodigue de ses bontés.
» Vil. — Où était la douleur, la joie éclate — et tout coeur est content,
— Sovkou le crocodile, l'enfant de Nit, saute d'allégresse1; — car ta neuvaine
I. lifuin de FnuektT-Gudin, d'aprei une photographie de Déalo.
1. Lilt. : t 11 Tail prospérer (tourovd) au bâton (cr klitï) de tous désirs, — sans retrancher en cu« :
faire être bateaux (ammou) c'est sa vaillance. • On disait d'un homme ou d'une chose qui dépendait
d'un haut personnage, le Pharaon ou le grand prêtre d'Ainon par exemple, qu'elle était au hûtrm (ni
kalrl du Pharaon ou du grand prêtre. Notre auteur représente le Nil se mettant au bâtou de tout 1er
détirt pour Taire prospérer l'Egypte; eomme le trafic du pays s'accomplit presque entièrement par
eau, il ajoute immédiatement que le fort du SU. ce à quoi il réussit
richesses qu'il en oblige les riverains à construire des hateoux en no
doivent transporter,
3. La déesse SU. la génisse née au milieu des eaui primordiales,
dilcs, que les monuments nous montrent parfois pendus a son scii
raison pour laquelle on les rnttarhail à la déesse sont encore mal
LE NIL ET L'EGYPTE.
des dieux qui t'accompagne a tout disposé, — le débordement abreuve
les champs — et rend tous les hommes vaillants; — l'un s'abreuve du'
travail de l'autre, — sans qu'on lui fasse son procès*
« IX. — Si tu entres au milieu des chants pour sortir au milieu de l'allé-
gresse1, — si l'on danse de joie quand tu sors de l'inconnu, — c'est que ta
lourdeur3 est anéantissement et corruption. — Aussi quand l'on t'implore
pour obtenir l'eau de l'année, — on voit côte à côte les gens de la Thébaïde et
ceux du Nord, — on voit chaque individu avec les instruments de son
métier, — aucun ne demeure en arrière de son voisin; — nul ne s'habille
[en fête] de ceux qui s'habillaient, — les enfants de Thot, le dieu de richesse,
ne se parent plus de bijoux*, — ni la neuvaine des dieux, mais on est dans
la nuit! — Dès que tu as répondu par la crue, — chacun se parfume.
« X. — Stabiliteur des vrais biens, désir des hommes, — voici des
paroles séduisantes5 pour que tu répondes; — si tu réponds par les flots de
l'Océan céleste à l'humanité, — Napri, le dieu grain, présente son offrande,
— les dieux [t'Jadorent tous, — les oiseaux ne s'abattent plus sur la
montagne; — quand ce que ta main pétrit serait de l'or — ou la forme d'une
.brique d'argent, — ce n'est pas le lapis-lazuli qu'on mange, — mais le blé
vaut plus que les pierres précieuses.
« XI, — On a commencé à te chanter sur la harpe, — on te chante au
rythme des mains, — et les générations de tes enfants se réjouissent pour toi,
— et l'on t'a comblé de messages louangeurs ; — car il est le dieu de Richesse
qui pare la terre, — qui fait prospérer les barques à la face des hommes
— qui vivifie le cœur des femmes enceintes — et qui aime la multipli-
cation des troupeaux.
« XII. — Quand tu t'es levé dans la cité du Prince, — alors le riche est
rassasié — le petit fait fi des lotus, — toute chose est solide et de bonne
qualité, — tous les herbages sont à ses enfants. — Oublie-t-il de donner à
1. C'est une allusion aux querelles et aux procès que la répartition des eaux occasionnait dans les
années de crue médiocre ou mauvaise : quand l'inondation est abondante, les disputes cessent.
2. Ici encore le texte est corrompu : je l'ai corrigé en prenant pour modèle les phrases où l'on dit
d'un personnage haut placé qu'il entre devant le roi au milieu des paroles élogieuses, et sort au
milieu des chants, — âqou khir moudÎtou pirou khir hosîtou (C. 26 du Louvre, dans IMkrrkt, Recueil
des inscriptions inédites, t. H, p. 25, 1. 5). La cour d'Egypte avait, comme celle de Byzance, ses for-
mules de chants et de récitatifs gradués pour marquer l'entrée et la sortie des grands personnages :
le Nil, qui amène l'inondation et sort de ses sources inconnues, est comparé à l'un de ces grands per-
sonnages et acclamé comme tel, selon l'étiquette.
3. La lourdeur du dieu est celle de ses eaux, la peine qu'il éprouve à se répandre sur les terres.
A. Sur l'identité de Shopsou, le dieu de la richesse, avec Thot, l'ibis ou le cynocéphale, seigneur
des lettres et des chants, voir BRn.sr.H, Religion und Mythologie, p. iil.
;i. Litl. : « des paroles trompeuses ». On enjôlait les dieux par des promesses qu'on savait ne pas
pouvoir tenir : le dieu s'y laissait prendre quand même et y répondait par l'inondation.
LEURS NOMS. 43
manger? — le bonheur délaisse les demeures, — et la terre tombe dans le
marasme. »
Le mot Nil est d'origine indécise1 : il nous vient des Grecs, et ceux-ci
l'avaient emprunté à un peuple étranger, Phéniciens ou Khîti, tribus de
Libye ou d'Asie Mineure. Quand les indigènes ne voulaient pas traiter leur
fleuve en dieu, en Hâpi, ils l'appelaient la mer, la rivière par excellence1 :
ils employaient vingt termes et plus pour désigner les allures variées qu'il
prend selon les saisons5, mais ils n'auraient pas su ce qu'on leur voulait si on
leur avait parlé du Nil. Le nom d'Egypte appartient de même à la tradition
hellénique4; peut-être l'a-t-elle dérivé d'un des noms religieux de Memphis,
Hâikouphtah5, que les barbares riverains de la Méditerranée durent longtemps
entendre résonner à leurs oreilles, comme celui de la ville la plus importante
et la plus riche que l'on connût en ces parages. Les Égyptiens s'intitulaient
orgueilleusement Romitou, Rotou6, les hommes; leur patrie était Qimit,
la terre noire7. D'où venaient-ils? A quelle distance dans la durée devons-
1. L'étymologic la moins invraisemblable est celle qui dérive Neilos de l'hébreu nakhal, nahr,
rivière, cours d'eau (Lepsius, Einleitung zur Chronologie der JEgypler, p. 275); M. Groff le dérive
de Ne-ialou, les branches du Nil dans le Delta ( Huile lin de l' Institut égyptien, 3a série, t. 111, p. 165-175).
2. Voir plus haut, p. 15, ce qui est dit à ce sujet; cf. également p. 6, note -I.
3. On les trouvera énumérés en partie dans le Papyrus Hood du British Muséum (Brugsch, Diction-
naire géographique, p. 1282-1283; Maspero, Etudes égyptiennes, t. Il, p. 5-6).
4. Il se rencontre pour la première fois dans les poèmes homériques, où il est appliqué au fleuve
(Odyssée, IV, 355, XIV, 258) comme au pays {Odyssée, IV, 351, XIV, 257).
5. Hâikouphtah, Hâkouphtah, signifie le Château des doubles du dieu Phtah. C'est l'étymologic pro-
posée par Brugsch [Geogr. Ins., t. I, p. 83). Déjà, au siècle passé, Forstcr avait imaginé une dérivation
analogue: Ai-go-phtah, qu'il traduisait Maison mondaine de Phtah (Jablonski, Opuscula, éd. Te Watkr,
t. I, p. 426-427). On pourrait trouver une confirmation pour cette conjecture dans le nom de
Héphaestia que l'on a appliqué parfois au pays : Héphaestos est en effet le dieu que les Grecs iden-
tifiaient à Phtah. Une autre hypothèse, proposée d'abord par Reinisch {Ueber die Samen Mgyptens
bei den Semiten und Griechen, dans les Sitzungsberichte de l'Académie des Sciences de Vienne,
1859), adoptée avec de légères modifications par Ebers (Mgyplcn und die Bûcher Moses, p. 132 sqq.),
dérive .Ëgyptos de Ai-Kaphtor, l'Ile de Kaphtor; le Kaphtordc la Bible serait alors le Delta et non la
Crète. Gutschmid (Kleine Schriften, t. I, p. 382-383), suivi par Wiedcmann (Herodols Zueiles Hue h.
p. 47, n. 1), y reconnaît une forme archaïque mais purement grecque tirée, comme aiY'jirié;, de
fv^* vautour. « Le fleuve impétueux, avec ses bras nombreux, donnait aux Hellènes l'impression d'un
oiseau de proie à l'allure puissante : le terme rare d'Aigle, ocet6;, qu'on applique au fleuve, fournit
un appui incontestable à cette étymologic. •
6. La forme romitou est la plus ancienne et se trouve couramment dans les textes des Pyramides :
elle a produit, par chute du t final, le rômi, ramé des Coptes, le Pi-râmi-s d'Hécatéc de Milet et
d'Hérodote (II, cxliii). Rômi est un des mots qui ont inspiré à M. Licblcin l'idée de chercher dans la
langue des Tsiganes des traces de l'ancien égyptien (Om Ziguenerne, dans ses MgyplalogisUe Sludier,
p. 26-27; cf. Yidensk. Selsk. Forhandlinger de Christiania, 1870). liôtou, lotou, est le même mot que
romitou, moins la nasale médiate. Le sens ethnique en fut reconnu par Champollion (Lettres écrites
d'Egypte, 2e éd., p. 259); E. de Bougé l'a rapproché de Loudim, qui désigne dans la Genèse (X, 13)
le fils aîné de IMizraïm (Recherches sur les monuments quon peut attribuer aux six premières dynas-
ties de Manéthon, p. 6). Rocheraonteix (Sur les noms des fils de Mizraïm, dans le Journal asiatique,
1888, VIII" S., t. XII, p. 199-201 ; cf. Œuvres diverses, p. 86-89) y voit un nom des fellahs et du petit
peuple par opposition au terme d'Anamim qui marquerait la classe riche, les zaouat de l'époque
musulmane.
7. On trouve le résumé des discussions anciennes sur ce nom dans Champollion (l'Egypte sous les
Pharaons, t. 1, p. 101-111), et celui des recherches modernes clans Brugsch (Geogr. Ins., 1. 1, p. 73-74).
Il était connu des Grecs sous la forme Khémia, Khimia (De Isidc et Osiride, § 33, éd. Parthey,
p. 58, 7), mais rarement employé, au moins dans l'usage littéraire.
44 LE NIL ET L'EGYPTE.
nous reporter le moment de leur arrivée? Les plus anciens monuments que
nous possédions jusqu'à ce jour ne nous mènent pas au delà de six mille
ans; mais ils sont d'un art si (in, si bien arrêté dans ses grandes lignes, ils
nous révèlent un système d'administration, de gouvernement et de religion
si ingénieusement combiné, qu'on devine derrière eux un long passé de
siècles accumulés. On éprouvera toujours quelque difficulté à évaluer avec cer-
titude le temps qu'il fallut à un peuple aussi bien doué que Tétaient les
Égyptiens pour monter de la barbarie à la culture élevée : je crois pourtant
qu'on ne se trompera guère si on leur accorde quarante ou cinquante siècles
afin de conduire à bien une œuvre aussi compliquée, et si Ton place leurs
débuts à huit ou dix mille ans avant notre ère1. Leur horizon premier s'en-
fermait entre des bornes étroites. À l'ouest, leur regard s'égarait sur les pla-
teaux ravinés du désert Libyque, sans pouvoir atteindre aux sommets fabu-
leux de Manou où le soleil se couchait chaque soir1; mais à l'est, ils aper-
cevaient de la vallée le pic de Bâkhou, qui marquait la limite des régions
accessibles aux humains3. Le To-noutri, la Terre des dieux, commençait au
delà ; les brises qui passaient sur elle s'y imprégnaient de ses parfums et les
apportaient parfois aux mortels égarés dans le désert4. Le monde s'arrêtait au
nord vers les lagunes du Delta : les ilôts inaccessibles qu'elles contenaient
offraient, croyait-on, un séjour aux âmes après la mort3. Au sud, les connais-
sances précises ne dépassaient guère les défilés du Gebel Silsiléh, où les der-
niers débris du seuil de grès n'avaient peut-être pas entièrement disparu : le
canton situé par delà, le Konousît, demeurait encore une contrée étrangère,
presque mythique, que la cataracte rattachait directement au ciel0. Longtemps
1. C'est le chiffre qu'admet Chabas, l'un des savants les moins disposés qu'il y ait à prêter une anti-
quité exagérée aux races humaines (Etudes sur l'antiquité historique, 2* éd., p. 6-10).
2. Sur les monts de Manou, voir ce qui est dit plus haut, p. 10-20.
3. Brugsch [Die altâgyptische Vôlkertafcl, dans les Vcrhandlungen des bien Orientalistcn- Con-
gresses, t. Il, p. 62-64) identifie le mont Bâkhou avec la montagne des Ëmcraudcs de la géographie
classique, aujourd'hui Gebcl Zabarah. Le nom de Bâkhou ne parait pas avoir été restreint à une
chaîne de faible étendue. Les textes prouvent qu'il a été appliqué à plusieurs des montagnes situées
au nord du Gebcl Zabarah, en particulier au Gebel Doukhàn. L'un des pics de cette région, le Gebel
Ghârib, atteint 1 885 mètres de hauteur (Schweinfirth, la Terra incognito, dell'Egitto propiamente
delto, dans YEsploratore, 1878), et s'aperçoit de fort loin.
4. Biugscii, Dictionnaire géographique, p. 382-385, 396-398, 1231, 1234-1236. Les parfums et les
bois odorants do la Terre Divine étaient célèbres en Egypte : le voyageur ou le chasseur qui traver-
sait le désert « pouvait-il ne pas être vivement impressionné en sentant tout à coup, au milieu du
désert, l'odeur pénétrante du roboul (Pulicharia undulata Schwkinf.), dont le parfum nous a pour-
suivis une fois pondant une journée et deux nuits, sans que nous pussions, à certains endroits, en
définir l'origine, par exemple lorsque nous traversions des espaces de terraius sans traces aucunes de
végétation! • (GoLKNisc.HKifi\ Une excursion à Bérénice, dans le Recueil de Travaux, t. XIII, p. 93-94).
5. Maspkko, Eludes de Mythologie et d'Archéologie égyptiennes, t. Il, p. 12-14 (cf. la Revue de l'His-
toire des Religions, t. XVII, t. 259-261). M. Lauth, le premier (Aus /Egyptens Vorzeit, p. 53 sqq.)
montra que le séjour des morts égyptiens, la Sokhit larou, était localisé dans un canton du Delta.
6. Maspkko, Etudes de Mythologie et d Archéologie égyptiennes, t. Il, p. 17-18 (cf. la Revue de
l'histoire des Religions, t. XVlIl/p. 269-270).
PROBABILITÉ D'UNE ORIGINE AFRICAINE. 45
après que les Égyptiens eurent rompu ce cercle étroit, le nom des localités
qui avaient comme jalonné leurs frontières resta lié dans leur esprit à l'idée
des quatre points cardinaux. Bâkhou et Manou leur fournirent l'expression la
plus fréquente de l'est et de l'ouest lointains1 : Nekhabît et Bouto, les plus
peuplées des villes qui avoisinaient le Gebel Silsiléh et les étangs du Delta,
s'opposèrent l'une à l'autre pour désigner le midi et le nord*. C'est dans
cet espace restreint que la civilisation égyptienne germa et mûrit, comme en
vase clos. Ce qu'étaient les peuples qui la développèrent, le pays d'où ils
sortaient, les races auxquelles ils appartenaient, nul ne le sait aujourd'hui.
Le plus grand nombre leur attribue l'Asie pour berceau3, mais sans pouvoir
se mettre d'accord, lorsqu'il s'agit de déterminer la route qu'ils ont suivie
pour émigrer en Afrique. Les uns pensent qu'ils prirent la voie la plus
courte à travers l'isthme de Suez4, d'autres les obligent à des pérégrinations
plus longues et à un itinéraire plus compliqué. Ils auraient franchi le détroit
de Bab-el-Mandeb, puis les montagnes abyssines; à force de remonter vers
le nord en longeant le Nil, ils seraient descendus enfin dans ce qui est
notre Egypte d'à présent5. A examiner les choses d'un peu près, il faut bien
reconnaître que l'hypothèse d'une origine asiatique, si séduisante qu'elle
paraisse, est assez malaisée à défendre. Le gros de la population égyptienne
présente les caractères des races blanches qu'on trouve installées de toute
antiquité dans les parties du continent libyen qui bordent la Méditerranée :
il est originaire de l'Afrique même et se transporta en Egypte par l'ouest
ou par le sud-ouest *. Peut-être rencontra-t-il dans la vallée quelque peuplade
1. Bri:gkr, Ueber den Ost-und Westpunkt des Sonnenlaufes nachden altâgyplischen Vorstellungen ,
dans la Zeitschrift, 1864, p. 73-76.
2. Brccsch, Dictionnaire géographique, p. 213-215, 351-353.
3. La plupart des égyptologues contemporains, Brugsch, Ebcrs, Lauth, Lieblein, se sont ralliés à
cette opinion à la suite d'E. de Kougé (Recherches sur les monuments,- p. 1-11) : la note extrême en ce
sens a été donnée par l'assyriologuc Ilommcl, qui penche à dériver entièrement la civilisation égyp-
tienne de la babylonienne. Après avoir énoncé sommairement cette thèse dans sa Geschichte Babylo-
niens und Assyriens, p. 12 sqq., il l'a exposée tout au long dans un traité spécial, Ver li a by Ionise hc
Urspntng der âgyplischen Kultur, '1892, où il essaye de démontrer que les mythes héliopolitains, et
par suite la religion entière de l'Egypte, sont dérivés des cultes d'Eridou : le nom On ou, Aounou, de
la cité égyptienne serait identique à celui de Noun-ki, Noun, que porte la chaldécnnc.
4. E. »E Rougk, Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties,
p. 4; Bri-gsch, Geschichte /Egyptens, p. 8; Wiedemans, JEgyplische Geschichte, p. 21 sqq.
5. Ebkrs, /Egyplen und die Bûcher Moses, p. 41, l'Egypte (trad. française), t. II, p. 230: DfMicHK.v,
Geschichte des Allen /Egyptens, p. 118-119. Brugsch s'est rallié à cette opinion dans ses JEgyplische
lie Ur âge zur Vôlkerkunde der al test en XYelt [Deutsche Bévue, 1881, p. 48).
6. C'est la théorie que les naturalistes et les ethnologues admettent de préférence (H. Hartmann, Die
S ig rider, t. I, p. 180 sqq. ; Mouton, d'abord hostile à cette opinion, s'y est rallié dans les Transactions
ofthe American Elhnological Society, t. III, p. 215; cf. Nott-Gliddos, Types of Mankind, p. 318; Hamy,
Aperçu sur les races humaines de la basse vallée du Nil, dans le Bulletin de la Société d'anlhro-
jHtlogie, 1886, p. 718-743). Un égyptologue de Vienne, M. Reinisch, soutient même, non seulement
que les Égyptiens sont des Africains d'origine, mais que « les races humaines de l'Ancien Monde,
Europe, Asie et Afrique, descendent d'une seule famille dont le siège originel était au bord des
46 LE NIL ET L'EGYPTE.
noire qu'il détruisit ou qu'il refoula1; peut-être y fut-il accru après coup
d'éléments asiatiques introduits par l'isthme et par les marais du Delta.
D'où qu'on fasse venir ces ancêtres des Égyptiens, à peine établis aux bords
du Nil, le pays les conquit et se les assimila comme il n'a cessé de faire
les étrangers qui s'y établissent : au moment où l'histoire commence pour
nous, tout ce qui habitait l'Egypte n'avait plus qu'une seule langue et ne
formait plus qu'un seul peuple depuis longtemps.
La langue parait tenir aux idiomes sémitiques par beaucoup de ses racines1.
Elle construit comme eux ses pronoms des personnes, suffixes ou absolus3;
l'un des temps de la conjugaison, le plus simple et le plus archaïque, est
composé avec des affixes identiques de part et d'autre. Sans insister sur ces
rapprochements qui laissent prise au doute, on peut presque affirmer que la
plupart des procédés grammaticaux en usage dans les langues sémitiques se
retrouvent dans l'égyptien à l'état rudiment aire. On dirait que le parler des
habitants de l'Egypte et ceux des peuples sémites, après avoir appartenu à
un même groupe, se sont séparés de très bonne heure, dans un temps où
leur vocabulaire et leur système grammatical flottaient encore. Soumises à
des influences différentes, les deux familles auraient traité de façon diverse
les éléments qu'elles possédaient en commun. Tandis que l'égyptien, cultivé
plus tôt, s'arrêtait dans sa croissance, les dialectes sémitiques continuaient à
se développer pendant des siècles : « S'il y a un rapport de souche évident
grands lacs de l'Afrique équatoriale » (Der einheitliche Ursprung der Sprachender Alten Welt, mch-
gewiesen durch Vergleichuug der Afrikanischen, Erytrœischen und Indogermanischcn Spraehen,
mit Zugrundlegung des Teda, Vienne, 1873, p. X).
1. Lkpsks, (Jeber die Annahme eines sogenannten prâhistorischen Steinaltera in JEgyptcn, dans la
Zeitschrift, 1870, p. 92 sqq. ; Lef£bi;rf., le Cham et l'Adam égyptiens, dans les Transactions, de la
Société d'Archéologie biblique, t. X, p. 172-173.
2. C'est l'opinion la plus accréditée parmi les égyptologues, depuis les recherches de Benkky, Ueber
dos Yerhâltniss der JEqyptischcn Sprache zum Semitischen Sprachslamm, 1844; cf. Schwartzf., Dos
Aile Mgyptcn, t. 1, 21** Th., p. 2003 sqq.; E. dk Koigê, Recherches sur les monuments, p. 2-4; Lkpsiis,
Veber die Annahme, dans la ZeiUchrifl, 1870, p. 91-92; Brigsch, Geschichte JSgyptens, p. 8-9;
Ed. Meykr, Geschichte des alten JEgyptens, p. 23. Erman (JEgyptcn, p. oi-55) est tenté d'expliquer la
parenté qu'on découvre entre l'égyptien et les idiomes du nord de l'Afrique par l'action d'une série
d'immigrations qui auraient eu lieu à des époques différentes, probablement assez éloignées l'une de
l'autre : un premier Ilot de peuples blancs aurait recouvert l'Egypte très anciennement, un autre
la Syrie et l'Arabie, un troisième enfin l'Afrique orientale. M. Erman a publié d'ailleurs un mémoire
fort substantiel, où il expose avec beaucoup de réserve les points de contact qu'on peut observer
entre les langues sémitiques et l'égyptien (A. Erman, bas Verhaltniss des JEgyptischen zu den semi-
tischen Spraehen, dans la Zeitschrift der Morgenlândischen Gesellscha/ft, t. XLVI, p. 85-129). Il faut
éviter d'employer comme termes de comparaison les mots sémitiques fort nombreux qui ont été
introduits dans l'égyptien classique à partir de la XVIII* dynastie : on en trouvera une liste à
peu près complète dans Roniii, Dem Hehràisch- Phônizischen Sjrrachiweigc angehbrige Lehnwôrter in
hicroglyphischen und hieratischen Texten, Leipzig, 1880.
3. Maspkro, Des Pronoms personnels en égyptien et dans les langues sémitiques, dans les Mémoires
de la Société de linguistique, t. 11, p. 1 sqq. On trouvera des conclusions différentes exposées très
fortement dans le mémoire de Lkfakk-Rkxocf, Pronominal Forma in Egyplian (Vroceedinga de la
Société d'Archéologie biblique, 1888-1889, p. 247-264).
Ï.ES TYPES EGYPTIENS. tf
entre la langue de l'Egypte et celle de l'Asie, ce rapport est cependant assez
éloigné pour laisser au peuple égyptien une physionomie distincte1 b. Nous
la connaissons et par les portraits sculptés ou peints, et par les milliers de
cadavres momifiés qui sont sortis des hypogées*. L'Égyptien
du type le plus noble était grand, élancé, avec quelque <
de fier et d'impérieux dans le port de la tête et dans
le maintien. 11 avait les épaules larges et pleines, les
pectoraux saillants et vigoureux, les bras nerveux,
la main fine et longue, les hanches peu développées,
les jambes sèches : le détail du genou et les muscles
du mollet s'accusent assez fortement sous la peau, les
pieds allongés, minces, cambrés faiblement, s'apla-
tissent à l'extrémité par l'habitude d'aller sans chaus-
sure. La tête est plutôt courte, le visage ovale, le front
fuit modérément en arrière; les yeux s'ouvrent bien
et grandement, les pommettes ne présentent pas un
relief trop accentué, le nez est assez fort, droit ou de
courbe aquiline; la bouche est longue, la lèvre char-
nue et légèrement bordée, les dentssont petites, égales,
bien plantées et remarquablement saines; les oreilles
s'attachent haut à la tempe. La peau, blanche à la
naissance, brunit plus ou moins vite, selon qu'elle
est plus ou moins attaquée du soleil'. Les hommes
sont généralement enluminés de rouge dans les tableaux :
en fait, on aurait observé parmi eux toutes les nuances
qu'on remarque chez la population actuelle, depuis le rose le plus délicat
jusqu'au ton du bronze enfumé. Les femmes, qui s'exposaient moins au grand
jour, sont d'ordinaire peintes en jaune : leur teint se maintenait d'autant plus
doux qu'elles appartenaient à une classe plus élevée. Les cheveux tendaient à
onduler, même à friser en petits anneaux, mais sans jamais tourner à la laine
des nègres; la barbe était clairsemée et ne poussait dru qu'au menton.
t. E. KRoceï, Reeherchet lur lei monument t qu'on peut attribuer aux tîx première» dynattiei, p. 3.
1. Tous lus trails des deux portraits qui suivent oui été empruntas unit aui statues, suit au* lias-
reliefs, soit mil trie nombreuses iniimins <\nr j'ai eu l'occasion do voir et d'étudier pondant mon
séjour en Egypte. Ils concordent presque avec r.cui qu'a tracés ll.iar. Aperçu ttir let rare» humaine*
de la haut ealUe du Nil, p. i sqq. (cf. Bulletin de la Société d'Anthropologie, 1886, p. 7*1 iqq.).
3. Statue de Hânofir{V' dynaitiej au mutée de Ghêh.d'apret une -photographie d'Emile Itrugicfi-lleg.
1. Sur celle question, cf. en dernier lieu II. Vincanw, Anthropologie .fcqyptent. dans ta Corretpon-
deiotltatt der Dfuttrhm Anthropatajitrhen Oesrthchaft, IRAS, il* II), p. 10" sqq.
« LE NIL ET L'EGYPTE.
Voilà le type le plus haut; le plus commun était trapu, courtaud et lourd.
La poitrine et les épaules semblent s'y élargir, au détriment du bassin et
L -'les, si bien que la disproportion entre le haut et
j corps devient choquant"
ieuse. Le crâne est allon-
n peu refoulé, un peu
laissé du sommet; les I
ils sont grossiers et
rime taillés dans la chair
grands coups d'éhauc
tits yeux bridés, nez bi-el
é de narines étalées large
îesrondes, menton carré,
Tes épaisses mais non
q versées; cette physionomie ingrate et risible par-
is s'anime d'une expression
sée qui rappelle la mine
a toi se de nos vieux
paysans, souvent s'é-
claire d'un reflet de
douceur et de bonté triste
Les caractères extérieur
ÉGïptie» du iv« coMusi'. de ces deux types prin-
cipaux, dont les varié-
tés infinies se rencontrent sur les monuments an-
ciens, se perçoivent encore de nos jours sur le ™& »'«« m.u* or. n
vivant'. Le profil d'une momie thébaine, ramassée
au hasard dans la nécropole de la xvm" dynastie, et placée en regard du por-
trait d'un paysan de Louxor, pourrait presque passer pour un portrait de
famille", des aventuriers bisharis ont hérité la face d'un grand seigneur con-
1. Slnlur tt'Quiiri mu m tuer Je Gi:fh [V l' dyntiitir), d'nprfi une photographie il' Emile Brugich-llry .
t. Selon Vircliow {Anthropologie jEgyptent. I. I), cette impression ne «trait pas justifiée par le?
rail*, Diver* oricntnlinU-*, surtout Bircli {Egypl front Ihr eartiett Titan lo U.C.. 3119-310) cl Sayre
(TAr Aiirinil Empira of the Etui, p. -llW-.'iW]. avaient relevé des différences consul érables dans le
ly|ie do» iKTaonnagos représentes sur les monuments des différentes époques. Virrhow (Die Mumieii
lier Ktmige in Muttum van tttilaq. p. 1". cf. SU mngiberichle de l'Académie de Berlin, I88S.
p. 181-783, et Anthropologie Algypleiis. I. I) s'est efforcé de montrer que la différence élail plu»
grande encore qu'on ne l'avait dit avant lui : l'égyptien ancien aurait été brachycéphalo, tandis que le
moderne esl décidément dolichocéphale
S lirteription de l'Egypte. Anl.. t. Il, pi, XI.IX, tig. I, el le texte de Jomard (t. Il, p. 78-Tn). . J'»i
LA PREMlÊltE HEPKESENTATION. 49
temporain de Khéops, une fellahine prise au hasard dans un coin du Delta
porte sur les épaules la tète d'un roi antérieur aux Hyksos, et tel bourgeois
du Caire contemple avec étonnement, au musée de Roulaq, la statue do
Kliéphrên ou de Séti V qui reproduit trait pour trait, à cinquante siècles de
distance, la ressemblance de ces vieux Pharaons.
Rien ou presque rien ne nous reste des générations primitives : la plu-
part des armes et des outils en silex taillés qu'on a découverts en différents
lieux ne sauraient jusqu'à présent leur être attribués de façon authentique'.
Les habitants de l'Egypte ont continué d'employer la pierre, où d'autres peu-
ples usaient déjà des métaux. Ils fabriquaient des pointes de flèches, des mar-
teaux, des couteaux, des grattoirs en pierre sous les Pharaons, sous les
essayé une fois, ajoute ret auteur, de deviner une rainure à la turque sur une tète copier d'aprè»
une momie. Ayant demandé à quelqu'un qui connaissait parfaitement tous les grands personnages du
Caire, auquel de* rhevfclis ressemblai! celte ligure, il inr nomma sans hésiter un rheykh tlu divan,
auquel on elTet plie ressemblait beaucoup. • llamy a institué une comparaison analogue rt des plus
frappantes entre la télé signalée |>ar Jo marri et lu portrait d'un fellah de la Haiilc-figypte peint par
Lefcburc pour les collection* du Muséum d'Histoire naturelle (Aprrçu des rarri humaine» de la
ûatte vallée du Xil. p. IfMi: cf. Bulletin de la Soriété d Anthropologie, IR86, p. 7S7-7Ï9) : ce sont
les Jeux types reproduits par Fauclicr-Gudm à la page tH. l'un au-dessus de l'autre.
1 . Le portrait, prit originairement à part, a été reparte tutr une photographie de Nanitte, repré-
tenlanl une fellahine accroupie au prêt d'une ttlc colmiale; le nez de cette dernière a été restauré.
i. La question, soulevée pour la première fois par Hnmv el Fr. I.euonnant (Dérourertetdc rate* de
l'âge de pierre eu Egypte, dans les Complet rendus de t' Académie dci Srienccs. iinov. Idlilt), a donné
lieu à une longue polémique à laquelle la jilupnrl des saianls de l'Kumpc ont pris part. I.a biblio-
graphie en est donnée presque complète par Siuiii" Hkimch, Description raisonner du mutée de
Saint-Germain, 1. I, p. 87-811. L'examen des lieux me porte à croire, comme Mariette, que nul des
atelier» signalé» jusqu'à présent n'est antérieur à l'époque historique.
50 LE NIL ET L'EGYPTE.
Romains, pendant toute la durée du moyen âge, et la mode n'en a pas cessé
entièrement1 : ces objets et les ateliers où on les façonnait peuvent donc être
moins anciens que la plupart des monuments hiéroglyphiques. Mais, à défaut
d'oeuvres qui remontent aux premiers âges, on rencontre à l'époque historique
nombre de pratiques et d'usages qui contrastent avec l'état général des mœurs :
si on les rapproche des coutumes analogues des nations barbares, la compa-
raison les éclaire, les complète, et nous y montre les survivances des moments
successifs par lesquels le peuple égyptien a dû passer avant de parvenir à sa
constitution définitive. Nous savons par exemple que, même sous les Césars,
on choisissait la plus jolie fille qu'il y eût parmi les familles nobles de Thèbes,
pour la consacrer dans le temple d'Amon : une fois vouée au dieu, non seu-
lement elle avait le droit de se livrer selon son caprice à qui bon lui sem-
blait, mais elle gagnait honneur et profit en son métier, et trouvait toujours à
se marier richement, quand l'âge l'obligeait à prendre sa retraite*. Les Thé-
baines ne sont pas les seules au monde à qui pareille licence fut accordée
ou imposée par les lois; mais partout où l'on voit une pratique de ce genre en
pays civilisé, on ne tarde pas à j *econnaître une coutume d'autrefois dégénérée
par la suite des siècles en fonction religieuse8. L'institution des courtisanes
d'Amon est le legs d'un temps où le mariage n'existait pas encore, et où
toutes les femmes d'une même tribu ou d'un même groupe se devaient indif-
féremment à tous les hommes*. L'âge et la maternité les dispensaient de
cette obligation, et leur évitaient ces incestes entre mère et fils dont on
a la preuve chez d'autres peuples5, mais l'union du père et de la fille n'était
peut-être pas entièrement prohibée6, et l'on réputait celle du frère et de la
1. Toute une collection d'outils en pierre, la plupart emmanchés de bois, haches, hcrmineUcs,
couteaux, faucilles, a été retrouvée par M. Pétrie dans les ruines de kahoun à l'entrée du Fayoum
(Illahun, Kahun and Gurob, p. 12, 51-55) : elle remonte au temps de la XIIe dynastie, à plus de trois
mille ans avant notre ère. Mariette avait signalé à la curiosité du monde savant (Bulletin de l'Institut
égyptien, 1869-1871, lr" série, L XI, p. 58; cf. De l'âge de la pierre en Egypte, dans le Itecueil de
Tramux, t. VII, p. 129) un des réis de l'administration des fouilles, le copte Salin d'Abulos, qui se
rasait la tête avec un couteau en silex, comme c'était, disait-il, la coutume générale dans sa jeunesse,
entre 1820 et 1835. J'ai connu ce personnage, qui est mort en 1887, à l'âge de quatre-vingts ans passés:
il était encore fidèle à son outil de pierre, mais ses fils et toute la population d'EI-kharbéh ne se
servaient plus que de rasoirs en métal. Comme, après l'opération, son crâne était raclé presque à
vif, il se couvrait la tête de feuilles dont la fraîcheur calmait l'inflammation de la peau.
2. Strabo*, liv. XVII, §46, p. 817: Diodorc (I, 47) ne parle que des tombeaux de ces Pal/acides
d'Amon, dout son garant, Ilécalée d'Abdère, ne parait pas avoir connu le genre de vie.
3. Lippkrt, Kulturgeschichte der Menschheit in ihrem organischen Aufbau, t. Il, p. 15.
4. Voir le développement complet et les preuves de la théorie sur laquelle repose cette apprécia-
tion du fait dans Lippkrt, Kulturgeschichte der Menschheit, t. II, p. 6 sqq.
5. Ainsi, chez les Mèdcs, la classe des Mages au témoignage de Xanthos de Lydie (fragm. 28, dans
MPu.kr-Didot, Frag. hist. grsec, t. 1, p. 43) et de Clésias (fragm. 30, éd. MCller-Didot, p. 60).
6. K. de Ilougé pensait que Ramsès II avait épousé deux au moins de ses filles, Bint-Anati et
Honîttooui; Wiedeiuann (.Ëgyptisc/ic Geschichte, p. 622) admet que Psamitik Ier avait pris de même
pour femme Nitocris, qu'il avait eue de la princesse thébaine Shapenouapit. Les rois achéménides en
agissaient de même: Artaxerxès épousa deux de ses propres tilles (Putarqik, Artajrerxex, g 27).
LE MARIAGE. oi
sœur la plus juste et la plus naturelle1 : les mots frère et sœur prennent
dans les chants d'amour égyptiens la même signification que chez nous ceux
d'aman/ ou de maîtresse1, La paternité demeurait nécessairement douteuse
dans une communauté de ce genre, et, par suite, le lien entre pères et enfants
assez léger : il n'y avait famille, au sens où nous entendons ce terme, qu'autour
de la femme devenue mère. La parenté par les femmes était donc la seule
qu'on admît ouvertement, et les enfants indiquaient leur filiation par le nom
de la mère seule5. Quand la femme cessa d'appartenir à tous et se réserva
pour un seul mari, l'homme conserva le privilège de s'attacher autant
d'épouses qu'il voulait ou pouvait en nourrir, à commencer par ses propres
sœurs; mais toutes ne jouirent point de droits identiques. Les unes, nées des
mêmes parents que lui ou issues d'un sang égal au sien, conservaient leur
indépendance : si la loi le proclamait le maître, nîbou, auquel elles devaient
obéissance et fidélité*, elles étaient maîtresses de maison, nîbît pirou ^ en
même temps qu'épouses, hîmîtou, et ce titre exprime en deux mots leur
condition5. Chacune d'elles occupait en effet sa maison, pirou, qu'elle tenait
de ses parents ou de son mari, et dont elle était maîtresse, nîbît, absolue.
Elle y vivait et s'y livrait sans contrainte à tous les devoirs des femmes,
alimentant le feu, broyant le grain, vaquant à la cuisine et au tissage, prépa-
rant les vêtements et les parfums, allaitant et instruisant ses enfants8 :
quand le mari lui rendait visite, c'était un hôte qu'elle accueillait sur pied
d'égalité. Il semble qu'au début on plaçât ces épouses multiples sous l'auto-
rité d'une femme plus âgée qu'elles, qu'elles considéraient comme leur
1. Le fait avait été relevé dès les tcmju anciens, entre autres par Diodore , I, 27, qui le justifie en
citant le mariage d'Os iris avec sa sœur Isis : le témoignage des historiens de l'époque classique est
confirmé chaque jour par celui des monuments originaux.
2. Maspkro, Etude» égyptiennes, t. I, p. 221, 228, 232-233, 237, 239-240, etc.
3. Le même usage existait chez les Lyciens (Hérodote, I, clxxii; Nicolas de Damas, fragra. 129, .dans
M(llkr-Didot, Fragm. hist. gr., t. 111, p. 461, etc.) et chez beaucoup de peuples à demi civilisés des
temps anciens ou modernes (J. Llbbock, lus Origine* de la civilisation, p. 139 sqq.). Le premier qui
l'ait signalé en Egypte est, à ma connaissance, Schow, Charta Papyracca grsece scripta Musci Bor-
(jiani Velitris, p. XXXIV-XXXV.
4. Sur les plus anciens monuments que nous possédions, la femme dit d'elle-même qu'elle est
• la dévouée à son maître — qui fait ce que son ma lire aimey chaque jour, et que son maître aime à
cause de cela » (Lepsics, De n km.. II. 10 h) : c'est de même qu'un serviteur ou le favori d'un roi dit
« qu'il aime son maître et que son maître l'aime » (Lkpsiis, Denkm.. II, 20).
5. Le titre nîbît pirou est interprété d'ordinaire comme si la femme qui le porte était maîtresse de
la maison de son mari. M. Pétrie (A Se a sou in Egypt, p. 8-9) a reconnu que cette traduction n'est
pas exacte et a proposé de voir des veuves dans les femmes qu'on dit nîbît pirou. Cette explication
ne tient pas devant les passages où une femme, mariée ou non, dit à son amant : « Mon bel ami, mon
désir est de partager tes biens comme ta maîtresse de maison » (Maspkro, Etudes égyptiennes, t. I,
p. 247); évidemment elle ne demande pas encore à devenir la veuve de son bien-aimé. L'interpréta-
tion proposée ici m'a été suggérée par un genre de mariage que pratiquent encore plusieurs
tribus de l'Afrique et de l'Amérique (Lippert, Kulturgeschichte der Menschheit, t. II, p. 27 sqq.).
6. Voir le tahleau touchant que l'auteur du Papy ru* moral de Uoulaq trace de la bonne mère, à la
fin de l'époque thebaine (Chabas, VÈgyptologic, t. Il, p. 42-o4).
52 LE NIL ET L'EGYPTE.
mère et qui défendait leurs droits et leurs intérêts contre le maître, mais
l'usage en disparut des familles humaines et ne subsistait plus à Fépoque
historique que chez les divines : les chanteuses consacrées à Amon et à
d'autres dieux obéissaient à plusieurs supérieures, dont la principale, ordi-
nairement veuve d'un roi ou d'un grand prêtre, s'intitulait supérieure en chef
des dames du harem d'Amon*. A côté des épouses il y avait les concubines,
esclaves achetées ou nées dans la maison, prisonnières de guerre, égyp-
tiennes de classe inférieure, qui étaient la chose de l'homme et dont il pouvait
faire ce que bon lui semblait1. Tous les enfants d'un même père comptaient
légitimes, que la mère fût épouse ou comme concubine, mais sans obtenir
entièrement les mêmes avantages : ceux d'entre eux qui naissaient d'un frère
ou d'une sœur unis en légitime mariage prenaient le pas sur ceux dont la mère
était une épouse de sang différent ou une esclave5. Dans un système de famille
constitué de la sorte, la femme a tout l'air de jouer le premier rôle. Les
enfants se réclamaient de leur mère. Le mari semblait entrer dans la maison
de ses épouses plutôt que ses épouses entrer dans la sienne, et il en retirait
une apparence d'infériorité si sensible que les Grecs s'y laissèrent tromper.
Ils affirmèrent que la femme était reine en Egypte; au moment du mariage,
l'homme lui promettait obéissance et s'engageait par contrat à n'élever aucune
objection contre ce qu'elle pourrait lui commander*.
Il faut donc avouer que les premiers Égyptiens étaient de demi-sauvages,
analogues à ceux qui vivent encore en Afrique ou en Amérique, organisés
comme eux, outillés comme eux8. Un petit nombre demeurèrent au désert,
dans les oasis de la Libye à l'est, ou dans les vallées profondes de la Terre
1. La plupart des princesses de la famille des grands prêtres d'Amon Thébain avaient ce titre
(Masprro, les Momies royales de Déîr-el-Bahari , dans les Mémoires de la Mission française du Caire,
I. I, p. 575-580). Dans le genre de mariage africain moderne, auquel je compare le plus ancien mariage
égyptien, les épouses d'un même homme sont réunies sous l'autorité d'une vieille femme à laquelle
elles donnent le titre de mère : le harem du dieu formerait dans cette hypothèse une communauté
de ce genre où les plus vieilles sont les supérieures des plus jeunes. Ici encore la famille divine
aurait conservé une institution qui n'existait plus de longue date dans la famille humaine.
2. Une des concubines de Khnoumhotpou à Beni-Hassan, après avoir donné un (ils à son maître,
avait été mariée par lui à un officier inférieur, dont elle avait d'autres enfants (Ghampoi.uon, Monu-
ments de l'Egypte, t. II, p. 390, 392, 415; Lepsiis, Denkm., t. II, 128, 130, 132).
3. Cela ressort, comme nous aurons occasion de le voir dans le second volume, de l'histoire des
enfants de Thoutmosis Ior et des autres princes de la famille des Ahmessides.
4. Diodokk de Sicile, I, 80. Ici, comme dans tout ce qu'il dit de l'Egypte, Diodore de Sicile a puisé
largement au roman historique et philosophique d'Hécatée d'Abdère.
5. Il n'y a eu jusqu'à présent que peu d'efTorts tentés pour reconstituer ces premiers temps de
l'Egypte: M. Erman (JCgypten, p. 59-60) et M. Ed. Meyer (Geschichtc .Egyptens, p. 24-30) leur onl
consacré quelques pages à peine. L'examen des signes de l'écriture m'a fourni plusieurs rensei-
gnements heureux : ils nous ont conservé parfois l'image d'objets et, par suite, le sou\enir d'usages
en vigueur au temps où on les traça pour la première fois (Masperq, Notes au jour le jour, g 5, dans
les Proceedingsde\a. Société d'Archéologie biblique, 1890-1891, t. XIII, p. 310-311 ; Pétrie, Epigrophy
in Egypï.Mt Research, dans YAsiatic and Quarlcrly lieview, 1891, p. 315-320, Medum, p. 29-34).
LES MAISONS, LE MOBILIER. 53
Rouge — Doshirit, To Doshirou, — entre le Nil et la Mer : la pauvreté du
pays les maintint toujours dans leur grossièreté native1. Les autres, descendus
sur la Terre Noire, s'y po-
licèrent progressivement.
Leurs maisons étaient, de
môme que celles des fellahs
d'aujourd'hui, des cahutes
basses, en clayonnages en-
duits de terre battue ou en
briques séchées au soleil.
Elles renfermaient une
chambre unique, oblongue ««omum niches vtius ■» ru» es p**u m hxtkUi*
ou carrée, sans ouverture
que la porte* : celles des plus riches étaient seules assez larges pour qu'on
jugeât prudent d'en étayer le toit au moyen d'un ou plusieurs troncs d'arbre
qui remplissaient l'office de colonnes'. Des vases en terre cuite tournés à la
main", des nattes de jonc ou de paille tressée, deux pierres plates à broyer
le grain*, quelques meubles en bois, escabeaux, chevets où appuyer la tête
pendant la nuit7, en composaient tout le mobilier. Les hommes allaient à peu
près nus, sauf les nobles, qui se paraient d'une peau de panthère, tantôt
jetée sur les épaules*, tantôt serrée autour des reins et couvrant le bas-ventre,
ainsi que plusieurs tableaux nous montrent plus tard les nègres du Haut-Nil ,
1. Le» Égyptiens, même des basses époques, n'avaient pas cependant oublié les lien» de commune
origine >|ui le* rattachaient à ces trihus demeurée» à l'état barbare (Bair.si'H. Die t. geogr., \i. il"",),
t. XIX' dynastie; dettin de faurher-Gudin, d'aprtt Hosellim, Moimnienti itorici, pi. I.XXXV. Ce
-ont des Nègres du Haut-Nil, prisonnier» de ftamscs II, à Ibsamhoul.
3. C'est ainsi que la représentent te» signes C"D, [ ] et leurs variantes, qui ont servi do toute anti-
quité à rendre, dan» l'écriture courante, l'idée de maison et d'habitation en général.
1. Les signes |YV |T| et leurs variantes montrent un kiosque étayé d'un tronc d'arbre fourchu.
".. On en a trouvé des fragments plus ou moins authentiques dans divers endroits de l'Egypte
(Aiir.Ki.is, ludutlrie primitive en Egypte et en Syrie, p. **).
fi. Identiques à ('elles devant lesquelles les W\. u-.it. de j>rniri du musée de Ci?éh sont agenouillées
(Mariette, Album photographique, pi. XX; X.isi>i:ttr), Guide du cititeur, p. iin. n" IIHi-1013).
"i. Uni, Sole tur les chetetë det aiirienx Èyyptirni et turlet affinité» ethnique* que mniiifetle leur
emploi, dans les Etude» dédiée» à Leemaia, p. 3Ï-3I. Le rflle que le chevet Y joue comme délcr-
ininatir des verbes exprimant l'idée de porter dans les textes de l'ancien empire, montre surabon
dam ment la haute antiquité de son emploi (Xaspeio, Nota au jour le jour, § ifl, dans les Proceeding»
de la Société d'Archéologie biblique, 1B«I-IS:'4. t. XIV, p. 3il-3*i|.
B. C'est la peau de panthère qu'on voit, entre autres, sur les épaules des prisonniers nègres à la
XVIIf dynastie (Wilxissos, Maimert and Custoiut, f éd., t. 1, p. *59, n- (3 c, d); elle est de rigueur
pour certains ordres de prêtres ou de personnages accomplissant des fonctions sacerdotales d'un
ordre déterminé (Statues A GO, 6G. lt. 7fi du Louvre, E. ni KoircÉ, Kolice tomntnire de* Monument» de
la Galerie égyptienne, 187*. p. 44, 36, 38, 311; Lepsus. Deuhn., Il, 18, 1D, Si, il, 30, 31 b, 3i. etc.;
cf. WiLiiiisw, Manner» and Cuitomt, t' éd., t. I, p. 181-184 ; Enii, Mgypten, p. i8fi] Le enstume
sacerdotal est ici, comme dans beaucoup d'autres cas, le costume passé de mode du chef de famille
ou du noble en cérémonie. \.r« indhiilu* i[ui piisséilaieul nérrilil.iii-L'iiicnl. nu qui iraient obtenu le
U LE NIL ET L'EGYPTE.
la queue de l'animal leur trainait sur les talons*. Je pense bien qu'au début
ils s'enduisaient tous les membres de graisse ou d'huile1 et qu'ils se tatouaient,
au moins en partie, la face et le corps, mais la pratique ne s'en conserva que
dans les classes inférieures3. En revanche, on ne cessa jamais de se farder.
Pour que la toilette du visage fût complète, il fallait qu'un trait de poudre
d'antimoine accentuât l'arc des sourcils, cernât en noir le tour des veux et se
prolongeât en s'évasant légèrement jusqu'au milieu de la tempe; une couche
de couleur verte empâtait le dessous de la paupière inférieure*, de l'ocre
et du carmin avivaient le ton des joues et des lèvres5. La chevelure nattée,
bouclée, huilée, feutrée de graisse, formait un édifice aussi compliqué chez
l'homme que chez la femme. Était-elle trop courte? on lui substituait une
perruque noire ou bleue dressée avec beaucoup d'habileté* : des plumes d'au-
truche se balançaient sur la tête des guerriers7, et une grosse tresse, plaquée
derrière l'oreille droite, distinguait les chefs militaires ou religieux de leurs
subordonnés*. Quand l'art de tisser se fut répandu, la ceinture et le pagne en
droit de revêtir à l'occasion la peau de panthère, recevaient sous l'ancien empire le titre de Olrou
bousil, « grande de la fourrure » (Mariette, les Mastabas, p. 252, 253, 254, 275, etc.).
1. Wilki.nson, Manners and Customs, 2* éd., t. I, p. 259, n° 84, 9-13, et p. 272, n° 88.
2. Les fellahs de la Haute-Egypte et les Nubiens se Trottent encore aujourd'hui le corps de l'huile
qu'ils extraient du ricin commun : elle les préserve contre les moustiques et empêche leur peau de
se gercer au soleil. L'huile de ricin est l'huile de kiki, dont parle Hérodote (II, xciv). Elle s'appelait
saqnounou, en transcription grecque psagdas avec l'article masculin p de l'égyptien ; la forme sim-
ple, sans article, Xotyfia; se rencontre chez Hésychius.
3. Champoi.lio.n, Monuments, t. I, pi. CCCLXXX1 bis, A; Rosellini, Monumenti ciuili, pi. XLI, texte,
t. II, p. 21-22, où l'on voit des femmes tatouées au sein. Encore sur la plupart des bas-reliefs des
temples de Philae et d'Ombos, les déesses et les reines ont le sein tailladé de longues incisions qui,
partant de la circonférence, se rejoignent à la base du mamelon comme en un centre. Les cartonnages
d'Akhmim montrent qu'à l'époque des Sévères, le tatouage était aussi commun qu'il l'est aujourd'hui
chez la petite bourgeoisie de province et chez les fellahs (Maspero, Études de Mythologie et d'Ar-
chéologie égyptiennes, t. I, p. 218; cf. Bulletin de l'Institut égyptien, 2* sér., t. VI, p. 89).
4. Le vert (ouùztt) et la poudre noire de charbon végétal ou d'antimoine (maszimil) comptent
parmi les offrandes indispensables au mort; mais, dès le temps des Pyramides, le vert semble avoir
été chez les vivants une affectation d'archaïsme, et on ne le rencontre que sur un petit nombre de
monuments, tels que les statues de Sapi au Louvre (E. de Rougé, Notice sommaire, p. 50, A, 36, 37, 28)
et la stèle de Hathdrnofirhotpou à Gizéh (Maspero, Guide du visiteur, p. 212-213, noa 991 et 1000).
L'usage du kohol noir passait dès lors, comme aujourd'hui, pour guérir ou même pour prévenir
les ophtalmies, et l'œil fardé ^^ s'appelait ouzaît, le bien portant, nom qui s'applique couramment
aux yeux du ciel, le soleil et la lune (Maspero, Notes au jour le jour, § 25, dans les Proceedings de la
Société d'Archéologie biblique, 1891-1892, t. XIV, p. 313-316).
5. Les deux momies de Honittooui et de Nsitanibashrou (Maspero, les Momies royales de Détr el-
Hahari, dans les Mémoires de la Mission française, t. I, p. 577, 579) avaient été peignées et leur
visage fardé au moment de l'ensevelissement : les fards de couleur diverse qu'elles portent encore
en couche épaisse se composent d 'ocre, de brique pilée ou de carmin incorporés à une graisse animale
6. Les perruques figurent, dès la haute antiquité, dans les listes d'offrandes; l'usage en est com-
mun chez beaucoup des peuples sauvages de l'Afrique contemporaine. La perruque bleue a été décou-
verte chez quelques-unes des tribus qui dépendent de l'Abyssinie, et des spécimens en ont été rap-
portés à Paris par Jules Borelli; on peut les étudier au Musée d'Ethnographie du Trocadéro.
7. On les voit sur la tête du petit signe |L££i f^* jsA&, qui représente les fantassins dans récri-
ture courante; plus tard, elles ne furent plus conservées que parles mercenaires d'origine libyenne.
8. A l'époque historique, les enfants seuls portent communément la tresse : chez les hommes faits
elle demeure la marque des princes de famille royale ou l'indice de certaines hautes fonctions sacer-
dotales (WiLkiNsoN, Manners and Customs, 2e éd., t. I, p. 162, 163, 182).
LE COSTUME. S3
toile blanche remplacèrent le vêtement en cuir'. Attaché à la taille, mais
assez bas pour laisser le nombril à découvert, le pagne tombait souvent jus-
" ou : souvent aussi la partie postérieure,
e entre les jambes, venait s
ivsint sur la ceinture, de ma:
limuler un caleçon *. La qu
animal et la peau de fauve
furent plus désormais qu'
insigne d'autorité dont les pi
très et les princes se décor
rent aux jours de fête et <
cérémonies religieuses". Cet
sorte de pelisse quelquefc
se posait négligemment s
l'épaule gauche et flottait ai
mouvements du corps, qut
quefois s'ajustait minutieuser
épaule sous l'autre, de mani
tement accuser la saillie ilt
poitrine. La tête de la
n>nnui mim w hiud iuiue bête, préparée avec soin ntn% mctait la mv »
mi.ke ej animée de grands yeux " ™AV"S ni " mit»»* .
en émail, reposait sur l'épaule ou descendait sur le ventre du personnage;
les pattes, garnies de leurs griffes, lui battaient la cuisse et les reins; les
mouchetures étaient taillées de manière à simuler des étoiles à cinq brandies.
On endossait sur le tout, au moment de sortir, une grande couverture unie
chez l'artisan au travail (I.h^ii-, Driikm., II, 1. S, 14, 4:(. 41, i.:i, 48, 3S. 10. etc.).
t. La première forme est figurée souvent dans Lersiis, Dcnkm., Il, p. 1, B. 44, 4,'l, Si, 43, etc.;
b seconde dans Winnsoi, Marinera and Cuifomt, t' cil., t. Il, p. 3*4. Cf. 1rs deux statues p. 47 et 4*.
3. L'usage de s'attacher une queue en paille, en filasse ou en crin cuistc encore aujourd'hui chex
beaucoup de tribus du llaut-Sil (fii.istt lUo.r*. Géographie nuire ml le, t. IX, p. 1411, 18S, 16,'i. 17;;,
II», etc.). Lus queues d'apparat eu Éeyple simulaient la queue de chacal, et non, comme on dit, une
i| ne ne de lion. Kl le» se r< imposaient d'une partie souple, en cuir ou en crin tressé à Innliriiiire. avec
une partie ridule en bois : le musée de Marseille possède un de ces appendices de dois (Misphiii,
Catalogue du ttutie. Egyptien, p. Il*, n- 470). Klles faisaient partie du costume du mort, et l'on en
trouve de deux cs|>éces dans sa earile-rolie |Vrscoyii, Moamuriili Egiiiani delta raeeolla del Siipior
llemetrio l'apandriopulo, ni. VI: Lf.Kit.s. .Klteite. Texte, pi. T. 37; M utrKito, Tro» Années de fouille»,
dans le* Mémoire» de. la mi»»ion du Caire, t. I. p. 417, 4*3, i33).
4. Maine eu (wii du mutée de Giiéh {IV' dunnttir), drtrin de h'aurher-Gudhi, d'après une phnln-
graphie de. Héchard. — Cf. Mimuti:. Album du Mutée de Boulag, pi. 411, et Natter, tirs prùtripuu*
moaumeal». 4' cdil., p. 43Ï, n* 1711; Htsrtiio. Guide du r'iiileur. p. 4111, n- UHIB.
",. Statue du i' prophète d'Aman Aa-nen. à Turin (XVIII' dyiiaxtié . ileitîn de r'aucher-Hiulin.
3(1 LE NIL ET L'EGYPTE.
ou velue, analogue à celle dont les Nubiens et dont les Abyssins s'envelop-
"""*' "--"-" aujourd'hui, et qui pouvait se draper de
nières, transversalement sur l'épaule gau-
ie le châle à franges des Ohaldéens, ou
> sur les deux épaules en guise de man-
" était un manteau en effet, dont on s'abri-
u soleil ou de la pluie, du chaud ou du
1; jamais on ne songea, comme plus
l la toge romaine, à le transformer en un
tement de luxe et d'apparat, dont l'aro-
deur assurait la gravité du maintien, et
dont les plis soigneusement arrangés à
l'avance se répart issaient autour du
corps avec une grâce étudiée. On le
dépouillait dès qu'on cessait d'en avoir
besoin, et on le pliait. L'étoffe, fine et
souple, se serrait aisément et se rédui-
roanuMAGE muant dm» le onsii lAxtEK '. sait à ne former plus qu'un rouleau long,
mince, qu'on attachait par les deux
bouts et qu'on passait en bandoulière en travers du buste, comme chez nous
un manteau de cavalier'. Les voyageurs, les bergers, tous les gens que
représenté sur le» monuments, (luire les deux slalnes reproduites plus haut, je pourrais citer
celles d'Ouahihrl cl Je Tholnolir :■ il Louvre (K. nt ItornE, Kotia des Monuments de la Galerie égyp-
tienne, IKlt, n- Sa el 31. |i. 3i, *i). puis la dame Hofrlt nu musée de Gitvh (Maspero, Guide du
visiteur, n' IUSII, p. «Il- Thnlhotpim porte ce manteau dans son tombeau (Li;»sii>, tienkm.. II. 131c),
plusieurs Finplnvé* de K h non m ho t pou et Khnoumholpou lui-même l'ont à Béni-Hassan (I.Ersiis,
Itriikm.. II. Itli. I ~i7>, ainsi qu'un des primes d'rllépliiiiitiiie dans tes lombes récemment découvertes,
et liiNjiu-nup «"Égyptiens de toute Musse dinis les hipogéc* llicliains (cf. un bon exemple au tombes»
de llaruihahi, C*aiii-um.i<is, Uonumrult de. VKgyfilr, pi. U.VI.Ï-, H.i-ki.i.im. Monument! C.irili, pl.CVVl, I :
UcjimiM, le Tombeau de thtrmhiibi, dans les Mémoires de la Million du Caire, I. V, pi. III). S'il n'est
pas plus souvent ligure, c'est, en premier lieu, que tes artistes éi;v]Uiei!s éprouvèrent des difficultés
réelles à en rendre les plis et la dra|ierie, si rudimentaire fùl-elle à cote de l'appareil compliqué
des loues romaines; e'esl ensuite que les talileauv représentent ordinairement soit des scènes d'inté-
rieur, soil les travail* des champs ou îles mi-tiers divers, soit îles épisodes de guerre ou des cérémo-
nies du culte, où le uiniiteau n'avait que faire. Chaque homme du peuple égyptien possédai! pourtant
le sien qui lui servait dans l'usage île la vie journalière.
t. Statue de Khili au mutée de tli-.éh (Xll'rt Xlll'dynastiei), destin de Fmtelier-Cudin-, cf. Jf.Mtm.
Xntire tira priiirifiauj: monument'. ■(■ cd , p IKK. w ICI. Cntiilngue général ilri Monmnenlt il' Abydiis,
p. (îli. ii'.ltil, et Album photographique du musée de Moulai/, pi. XXV. Klle provient d'Abydos.
3. Les exemples du manteau ainsi porté sont nombreux, bien qu'on ne les ail guère relevés; la
plupart des dessinaleiirs, ignorant eu qu'ils avaient à représenter, l'ont interprété d'une façon peu
exacte. Voici quelques rus pris au hasard : l'api I", en guerre moire les nomades du Sinal, a le
niiiiile.nl. mais avec les deux bouts passés dans la ceinture du pagne (I.f.psius. Denkm.. Il, II»; a):
à Zaoniél el-Maiétln. klinnnas rliassant les oiseaux au l.oumérang en l>ari|ue. l'a également, mais sim-
pleuieul posé sur l'épaule gauche, les deux exlréniilés li lires el ll'il Imites (.>/., M. UNI a), klmoumliolpou
de Heni-llassaii (id.. 11. 13(1), des Khrihabi {id.. Illl b). des surveillants {id., HKi b. 1 111 o, etc.) ou
LE COSTUME. 57
leurs occupations appelaient aux champs, l'emportaient en paquet au bout
de leur bâton; arrivés au lieu de leurs travaux
dans un coin avec leurs provisions jusqu'au m
servir'. Les femmes se contentaient d'abord
identique à celui des hommes* : il s'élargit, s
descendit jusqu'à la cheville, remonta jusqu'
sous des seins, et se métamorphosa en un fo
presque collant au corps, qu'une paire de band
vauchant les épaules en guise de bretelles ei
de glisser1. La chaussure n'était pas d'usagi
nalier; à l'occasion pourtant on paraît de s:
en gros cuir, en paille tressée, en joncs déc
ou même en bois peint, ces beaux pieds ég;
que nous voudrions peut-être un peu moins
Hommes et femmes aimaient les bijoux et si
geaient le cou, la poitrine, le haut des br
poignets, la cheville, de colliers et de brac
plusieurs rangs. C'étaient des files decoquilla^
forés1 mêlés à des graines, à de petits cail-
loux brillants ou de forme bizarre. On
substitua par la suite des imitations en terre
cuite aux coquilles naturelles et des pierres amen m imt fc'""^"- :
précieuses aux cailloux ainsi que des perles
d'émail, les unes rondes, les autres allongées en poires ou en cylindres7 :
ldi-l plisse sur les deu» épaules («/., i:ll li.J). Si l'un ohjei'Liit les ilimciisi.inH e\inuos auxquelles la
pièce d'étoffe où ji! reconnais le manteau l'^yfilivn es! réduite (Lins l.i plupart de ces représentations,
je rappellerais le petit volume qu'occupe l'énorme manteau de nus cavaliers lorsqu'il est liien
|>:iqiieté et passé en sautoir.
t. WiLXimON, Hannert and Cutlomt, ï* éd., t. 11. p. 11)11, n° 360, et p. 3!>1, n- lliii. où l'on mil doux
manteaux roulés et déposés dans un champ, tandis que les ouvriers piorhent .< cil té. l'n porclter, qui
porte s/m manteau on paquet au bout de son hiton. est reproduit à la pa«o fil du présent ouvrage.
ï. On rencontre encore, dans les scènes de récolle de l'Ancicn-Empiic. des finîmes velues du
partie troussé en caleçon, afin de pouvoir travailler plus à l'aise (I.Krsurs. Dcnkm.. H).
3. Lepsius, Deakm., Il, 5. R e, 11, 1.1, 19, 40, il, lu. il, 57, 3H, etc.
i. Les sandales figurent aussi do tout temps parmi les objets qui complètent la garde-robe du morl
[VistosTi, Monumenli Egiziani, pi. VII; I.ekics. Ailleile Texte, pi. XI, p. XLII1 ; Xmpuui, Trait Année»
de fouilla, dans les Mémoire* de ta Million franeaife, t. I, p. 21N, «K, «7).
5. Le* nécropoles d'Abvdos, surtout celles des époque* les plus .lucicuncs. nous ont rendu par
millier» des coquillages percés et enfilés eu colliers: ils appartiennent tous ii l'espèce des canrics
employées comme monnaie dans l'Afrique de nos jours (MmiKiit, ta Galerie de l'Egypte ancienne ù
Vexpotilion rétraipeelice du Trnrailéru, p. Mï: .YIisrfcHo, Guide du risiteiir. p. Ï7I, n- il, lu).
fi. Detëin de Fmicher~Gudiu, d'âpre! une det fîleutet de CEipotititm viiirerxellc de 1XN9. Kilo avait
oie restituée d'après les peintures du tombes u de Khnoumhotpoii, à Béni-Hassan.
ï. Les colliers de graines ont élé trouvés dans les nécropoles d'Abvdos, de Thèbes et du Génélélu.
Schweinfurth y a reconnu, entre autres espèces, la Cania abtui L , • une mauvaise herbe du Soudan,
38 LE NIL ET L 'EGYPTE.
plusieurs plaquettes en bois, en os, en ivoire, en faïence, en terre colorée,
"™*ô°" de trous où passer les fils, mainte-
l'écart entre les rangs et fixaient les
tés du collier1. Les armes étaient,
ns chez les nobles, le complément
;nsable de la parure. La plupart sér-
ia lutte corps à corps, bâtons, mas-
sues, lances garnies d'un os aiguisé
ou d'une pointe de pierre", haches
en silex*, sabres et casse-tête en
os et en bois de façons variées,
pointus ou arrondis du bout, à lame
mousse ou tranchante, assez inof-
fensifs en apparence, mais qui,
brandis par une main vigoureuse,
brisaient un bras, défonçaient une poitrine, fracassaient un crâne avec toute
la précision désirable5. L'arc simple ou à triple courbure était l'arme favorite
pour l'attaque à distance', mais on y joignait la fronde, la javeline et un
dont In* graines se vendent sous lu nom de chichm au bazar des droguistes. au Caire H à Alexandrie,
comme remède <i pli ta Unique très apprécié, des indigènes • {le* Dernière* Dért.ut-e'i't botanique* dans
les anciens tombeaui de l'Egypte, dada le Bulletin de VlnUitul égyptien. S- sir , t. VI, p 1S1) l'ourles
colliers de cailloux, cf. Maspubo, Guide du t'itileur, p. «0-Î71, o* iti'J. ti iun grand nombre de
ce;- caillou*, ceux surtout qui présentent dus formes bizarres ou un méhuge de cou'cjm extraor-
dinaires, ont dû être considérés comme des amulettes ou des Tétiches par leurs propriétaire! égyp-
tien*! (les ces analogues, fhfli d'antres peuples, ont été signâtes par En. Tui*. la l'.irilitation pri-
uiiliec, t. If, p. 1RS sqq., 41)3 sqq,). l'our les imitations en terre émailléc hleuc. des cauries cl des
coquillages, cT Maspkbi), Guide du visiteur, p. 171, n* 4130, p- 176. n° 4160; elles sont nombreuses à
Abjdos, a coté des caurics naturelles.
I. La naturu lie ces petites plaques a été méconnue par la plupart des savants : on les a laissées
do cité, rumine objets d'image douteux, ou on les a mal décrites dans les catalogue* de nos musées.
1. Le nom N.ialT île la lance ou de la javeline est déjà mentionné dans les plus anciennes
Formules des pyramides (Pipi l", 1. 4ii, dans le Recueil lie Travaux, t. V I, p. 105). La mablt, lance
nu javeline, élail armée de pointes en silex, en os, en métal, analogues à celles des flèches (Cinis,
Etude* sur l'antiquité historique, 1° éd., p. 3RÎ sqq., SOS).
3. On trouve dans divers musées, notamment à Leyde, des haches égyptiennes en pierre, notam-
ment en serpentine, brûles et polies (Cuisis, Etude* iBf l'antiquité historique, f éd., p. 3H1-3K2).
4. Deitin de Fitncher-Gudiii d'après un portrait du Pharaon Seli I" de la XIX' dynastie (IIosellim.
Monument! sloriri, pi. ¥, IX) : le bas du collier a été complété.
ï. Le cassc-téle primitif pamtt avoir été un os d'animal, comme le prouve la figure de l'objet
que le signe V— > tient à la main (M.ispebo, Note* au jour le jour. Jj j, dans les l'roccedings de la
Société d'Archéologie biblique, 1KM-IS9I, t. XIII, p. 310-311): l'hiéroglyphe ML t—» qui sert à
déterminer dans l'écriture toutes les idées de violence et de force brutale, remonte au temps où
li. Sur les deux formes principales de l'arc, cf. l.trsu s, Uer ItiM/en in der Ilîeroglyphik {ZeîUchri/1.
I»7i, |). 70-8R). fiés les temps les plus anciens, le signe fjft montre le soldat arme de l'arc et du
paquet de flèches ; le cari] unis, d'origine asiatique, ne fut ail opte qu'a.seï la ni i M is|. khi., Piolet au jour
le jour, g IS, dans les Proeeetling* de la Société d'Archéologie biblique, l8.M-]«!ri, t. XIV. p. 184-
1R7). rians les textes contemporains des première» dynasties., l'idée n'arme* est rendue pac l'arc,
la flèche, le cassc-tétc eu la luelie (i: m. IIiht.é. Itnhncliet tur les inonumenU, p. 101).
LES ARMES EN BOIS ET EN MÉTAL. 59
engin presque oublié aujourd'hui, le boumérang1; seulement rien ne prouve
que les Égyptiens aient manié le boumérang avec l'adresse dont les Austra-
liens y font preuve, ni qu'ils aient
su le lancer de manière à le rame-
ner à son point de départ'. Tel
était à peu près l'équipement le
plus ancien qu'il nous soit permis
de deviner: mais l'Egypte connut
fort tôt le cuivre et le fera. Elle
remplaça la plupart des armes en
bois, longtemps avant l'histoire, par
des armes en métal, poignards,
sabres, haches, qui gardèrent la
forme des vieux instruments aux-
quels elles succédaient. Elle réserva
pour la chasse celles qui persistè-
rent, ou ne les étala plus que dans u kmiIbak br gi;imk h l'arc'
les circonstances solennelles, par
respect de la tradition. Le bâton de guerre se changea en bâton de com-
mandement, puis en simple canne, dans la main des nobles ou des riches.
Le casse-tète ne fut plus pour les seigneurs qu'une marque distînctive de
1. Le boumérang esl employé aujourd'hui encore par certains peuples qui habitant la vallée du
>it (Kusiii: Rscurs, Géographie uniuerselte, l. IX. p. 3Si). It csl représenté dans les tombes les plus
anciennes {Lekws. Denkm., Il, tï, 60, 106. etc.), et tous les musées en |.os«èdont de différente*
tailles (E. iiï Rougk, Notice sommaire. Salle Civile, Armoire II, p. 73; Haspkho, Guide du visiteur,
p. 303, n* 4713). Outre le boomerang ordinaire, les Egyptiens employaient un boomerang terminé en
boule (Maspsbo, Guide du visiteur, p. 303, n* ilti) et un boumérang en forme rt« ilomi-scrjx'nl (Châtia*.
Etude* tvr l'antiquité historique, ï" éd., p. SU; Maspkru, Soles au jour te jour, $ 17, dans lus Pro-
ceediugs de la Société d'Archéologie biblique, t. XIV, 1801-1BM, p. 3ÏO-31I). qui, reproduit de petites
dimensions en cornaline ou en jaspe rouge, servit d'amulette et fut déposé sur les momies, pour
fournir au mort une arme de guerre ou de ebasse dans l'autre monde.
ï. Le boumérang australien est beaucoup plus grand que l'égyptien ; il est long d'un peu moins
d'un mètre et large de 5 centimètres sur S millimètres d'épaisseur. Pour la façon de le maueeuvrei
el pour les effets qu'on en peut obtenir, voir Liibbocs. t Homme préhistorique, \>. iili-iun.
3. L'introduction des métaux en Egypte était fort ancienne, puisque la classe des forgerons est
liée au culte de l'Horus d'Edfou et figure déjà dans le récit des guerres mythiques de ce dieu i^Usikini.
les Forgerons if florin, dans les Études de Mythologie, t. Il, p. 313 sqq.). Les plus anciens outils en
cuivre ou en brome que l'on possède remontent jusqu'à la IV dynastie {Cunsnist, On mclallir
Copper, Tin and Antimony front Anricnl Egypt, dans les Procecdings de la Société d'Archéologie
biblique, tS91-tR9S, p. Î23-Ïili| : des morceaux de fer ont été trouvés a plusieurs reprises dans la
maçonnerie des pyramides (Vïm>, Pyramide of Gheh, t. I, n. ï 75-17 11 ; Saut-Jus» Vu.cr.MT Daï. Eia-
mination of the fragment of iron fram Ihe greal Pyramidoftiiieh, dans les Transactions of tlie intei -
national Congres* of Orientalists, IB74, p. 3!»fi-39S; Maskro, Guide du visiteur, p. f»iî, et Bulle-
tin de la Société d'anthropologie, 1883, p. 813 sqq.). M. Nontélius a contesté à plusieurs reprises
l'authenticité de ces découvertes el pense que le fer n'a été connu en Egypte i|iin beaucoup plus
lard (l'Age du brome en Egypte, dans l' Anthropologie, t. I, p. 30 sqq,).
A. Dessin de Faueher-Gudin, d'après une peinture du tombeau de Kltnoumhotpou. à Béni-Hassan.
(r.tiiMuioif, Monuments de l'Egypte, pi CGC; Hoscllisi, Monument! eirili, pi. r.XVtt, S).
m LE NIL ET L'EGYPTE.
leur rang1. Enfin le croc et la masse à manche en bois à tête en pierre
___ blanche, après avoir été les
|j^*«-ta-É"— ■^"— ^^^^"^^N^; armes préférées des prin-
HtcHE ïoiiïe ^ t»o oui* in , ce^ demeurèrent jusqu'aux
derniers jours les insignes les plus respectés de la royauté1.
La vie s'écoulait relativement facile et douce. Des étangs que
le fleuve à son déclin abandonne en pleine campagne, les uns se dessèchent
plus ou moins promptement pendant l'hiver et laissent sur le sol des quan-
tités prodigieuses de poissons que les oiseaux et
les bêtes sauvages disputent à l'homme*, mais
les autres se peqiétuent jusqu'à l'inondation sui-
vante, comme autant de viviers qui conservent le
poisson frais aux riverains. Pèche à la fourche,
pèche à la ligne, pêche au filet, pèche à ta nasse,
tous les genres de pèche furent connus des Égyp-
tiens et usités de bonne heure. Où les étangs fai-
saient défaut, le Nil voisin leur fournissait des
ressources inépuisables. Montés sur des canots
légers ou plutôt sur des paquets de joncs liés en
fuseau et surmontés d'un plancher', ils s'aven-
roi idui le mon, turaient en plein courant, malgré le danger tou-
jours présent que l'hippopotame leur faisait
courir, ou pénétraient dans les canaux et dans les fourrés de plantes aqua-
tiques, pour y abattre à coups de boumérang les oiseaux qui y nichaient :
I. Le cassc-télr- en bois, le plus commun I, est l'insigne ordinaire des nobles. Plusieurs espèces
différents, faisaient partie du mobilier funéraire (Ltr-sus, .atteste Texte, ni. X, if-iK. 3H; Misrimo.
Trois Années de fouilla, dans les Mémoires de la Mission française, I. 1. p. il, «I, i3±, etc.).
i, A manche lie boit, à lame de brome, rattachée au manche par un Ireillit de courroie* en cuir
\Musce de Ghth). Destin de Fnucher-Oudin, d'après une photographie d'f.mile Drugsch-hcy.
3. Le croc f es! le sceptre du prince, d» Pharaon ou du dieu; la massue blanche f a encore la
valeur d'un semblant d'arme entre les mains du roi qui la brandit au-dessus du groupe de prisonniers
nu du bœuf qu'il sacrifie à une divinité (Lepsics, Deakm.. II, t a,c, W, f, 116, etc.). La plupart des
musées renferment la tête en pierre de cette masse, dont on méconnaît l'usage : j'en ai fait entrer
plusieurs au musée de Boulaq (Extrait de l'inventaire, p. 10, n<* 2058(1-46587, dans le Bulletin de
t Institut égyptien. S- sér.. t. VI). Il en renfermait déjà un simulacre loul en bois (M.iaisni, la
Calcrie de l'Egypte ancienne, p. 101; SIaspeho, Guide, p. 303, n" iltt).
1. Cf. la description que Geoffroy-Saint-H Maire donne de ces étangs à propos du fahaqa {llùloire
naturelle des poissons du fiit, dans la Description de l'EgypIe, l. XXII, p. 1BÎ-I83). Aujourd'hui
encore, les chacals descendent de la montagne pendant la nuit, et viennent se repaître du poisson
laissé sur les terres par le dessèchement progressif de ces pièces d'eau.
1. La fabrication de cette espèce de canot est représentée su tombeau de Ptahhotpou (DtiKin,
llrsultate der archâologitch-phntogrophisrhen Expédition, t. I, pi. VIII).
f: llat-relief du temple de Louxar, d'après une photographie de M. Insinger priée en 1S8S.
LA PECHE ET LA CHASSE. 61
oiseaux et poissons, ils séchaient ce qui ne pouvait être mangé frais, ils le
salaient ou le fumaient en réserve pour les mauvais jours1. Comme la rivière,
le désert présentait ses périls et ses ressources. On n'y rencontrait que trop
fréquemment le Mon, le léopard, la panthère et d'autres félins de grande taille.
Les nobles revendiquaient le privilège ou le devoir d'aller les relancer et les
détruire jusque dans leurs repaires, comme plus tard les Pharaons. Les gens du
commun s'attaquaient de préférence aux gazelles, aux oryx, aux moulions, à
l'ibex, au bœuf sauvage, à l'autruche, mais sans dédaigner les gibiers plus hum-
bles, le hérisson et le lièvre à longues oreilles : des meutes incohérentes, où le
chacal et le chien hyénoïde figuraient à côté du chien loup et du slougtu efflan-
i. Sur le revenu de» pêcherie» anciennes, voir Mébodoti, II, cilii (cl". III, ne), Diodouk, I, 5Ï;
pour le mode de fermage usilé bu co m me née m en I du siècle, cf. Kicbjvb. Correipondance <f Orient,
t. vi. lettre 156. et Wiuumon, Manner» and Ctatom», !- éd., I. Il, p. lii-UC.
i. Figure ùolée d'une grande scène de pêche au tombeau de Khnoumhatpou à Béni-Haiian ; dettln
de Faucher-Gudin d'aprel Hosellini, Monumenti cicili, pi. XXV, 1.
3. Denin de Faucher-Gudin . d'apret d't cttampaget du tombeau de Ti.
6-2 LE NIL ET L'EGYPTE.
que, dépistaient et rabattaient pour le maître la proie qu'il perçait de ses
flèches1. Parfois un petit suivait le chasseur qui venait de tuer sa mère, et qui
emportait le cadavre, parfois une gazelle blessée légèrement était traînée au
village et guérissait. Au contact journalier de l'homme, ces animaux s'apprivoi-
saient et formaient autour de son logis des sortes de hardes disparates, que
l'on gardait un peu par amusement, beaucoup pour le profit qu'on en retirait :
c'était, en cas de besoin, une provision de viande sur pied*. Aussi cherchait-on
I. Sur le* chien* égyptien*, voir Hoskilim, Monumenlt eirili, I. I, ». I9T-301; r>. I.ktommvi, Irt
Animanr employé» par let ancien» Egyptien» à la chatte et à la guerre, itoiis les Première* Cirilita-
lioni. I. I, |). 313 si|4. ; Dibch, the Tab'let of Aatefna II, dans les Trantactioitt of Ihe Society of Ilibti-
cal Archsrology, 1. IV, p. I7Î-19B.
ï Tombeau de Ti; detiiii de r'aucher-Gudin, d'après ni'mcRM, lletullate. I. Il, pi. X.
3. Deuinde Faacher-Gudin, d'aprtt une peinture de ll'ni-Haitaii . I.epsiis, Denkm., Il, ISS.
i. C'e>
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LE LAÇO ET LA BOLA. 63
à l'augmenter, et le désir de s'en procurer les bêles sans les endommager
sérieusement porta les Égyptiens à employer des engins moins brutaux que
la tlèche et la javeline: le filet
pour les oiseaux, le laço et la
bola pour les quadrupèdes'.
I^a bola se composait chez eux
d'une seule pierre arrondie,
attachée à une courroie d'envi-
ron 5 mètres de long. La pierre
lancée, la corde allait s'entor-
tiller autour des jambes, du
museau ou du cou de la béte
poursuivie, et y formait un nœud sur lequel on pesait à grand effort de bras
et d'épaules, jusqu'à ce qu'elle s'affaissât à demi étranglée. Il n'y a point de
pierre au laço, maïs un nœud préparé à l'avance, et l'adresse consiste, pour
le chasseur, à le passer en coi
Un prenait indifféremment te
nait à portée, sans distinc-
tion de taille ni de race.
Les chasses renouvelées
journellement entretenaient
ces troupeaux apprivoisés
d'algazelles, de bouquetins,
de défassas, de grues, d'au-
truches, que les monu-
ments de l'Ancien Empire comptent encore par centaines*. Le temps seul
enseigna à distinguer entre les espèces dont on pouvait tirer bon parti et
celtes que leur naturel farouche rendait rebelles à la domestication : la
I. La chasse à I» bola est représentée fort souvent dans les tableau* du l'époque memphitc comme
dans ceux de la thébame. Wilkinson (Mannert and Cattomt. f éd., t. Il, p. 87, f 3SÏ-3r>3) l'a confon-
due avec la chasse au laço et son erreur a été reproduite par d'autres ceyplolOKucs (Ks».is, £gypleu,
p. 334). On voit la chasse au laço dans Lursus, Dtakm.. Il, Mli, clans lU'mcHKx, Reiullale. t. I,
pi. VIII, et surtout dans les nombreuses scènes Je sacrifice où le roi est censé prendre lui-même le
taureau du midi ou du nord qu'il va offrir au dieu f.V.mumi;, Abytlo». t. I, pi. 53]. Sur les noms de la
chasse U la l.ola et au laço, cf. .H.ispsno, Hôte* au jour le jour, j$j 4 el !», dans les l'ioreedingt de la
Société d'Archéologie biblique, iR!in-IS91, t. XII, p. 310 et iïT-lifl.
î. n««in de Faucher-Gudin. d'aprèt un bat-relief de l'htahhotpou (Ddhichkh, llemltale. 1. 1, pi. IX).
(.es chiens du premier reeistro ionl des Huons hjénoldes, ceux du second des sloughis.
i. De— in de r'auchrr-Cudin, d'aprâ ua bai-relief de. fhlahholpou (uOimchks. Heiuttate, t. l.pl. VIII):
au petit registre, deux hérissons, dont Pu», à demi sorti de sou trou, saisit une sauterelle.
4. Les tombeaux de l'Ancien K ru j lire nous tri mi Iran l de nombreux troupeaux de Raidies, d'antilopes,
de grues, qui paissent sous la surveillance de bergers, Fr. Leiionnant eu avait conclu que les Egyp-
M LE NIL ET L'EGYPTE.
conquête des plus utiles n'était pas terminée au début de l'époque historique.
L'âne, le mouton, la chèvre vivaient déjà en pleine domesticité, mais le porc
gîtait dans les marais à l'état demi-sauvage, sous la garde de bergers spé-
ciaux', et les rites religieux conservaient le souvenir du temps où le bœuf
était assez peu maté pour qu'on fût obligé de capturer au pâturage avec ie laço
les bêtes qu'on destinait au sacrifice ou à la boucherie*,
Les Européens s'étonnent de rencontrer encore aujourd'hui des populations
entières qui se régalent d'herbes et
de plantes, dont la sa,veur et les pro-
priétés rebutent nos estomacs : ce
sont pour la plupart autant de legs
d'une antiquité reculée, et l'huile de
ricin, par exemple, dont les Berbérins
se frottent les membres, ou dont les
fellahs du Saïd assaisonnent leur pain
et leurs légumes, était celle que les
Égyptiens de l'âge pharaonique préféraient pour les soins du corps et pour
le service de la cuisine*. Ils avaient commencé par manger sans discernement
tous les fruits que le pays produit. Quand l'expérience leur eut appris à
en connaître les vertus, ils en éliminèrent beaucoup de l'alimentation et les
reléguèrent peu à peu dans la pratique de la médecine; d'autres tombèrent
tiena des premières époques avaient roussi à s'attacher des espèces rebelles aujourd'hui à la
[loi ilicalion (ici Première.? C.iviliiationt, t. I, p. 343-33S}. "e crois que les animaux représenté*
ainsi sont apprivoisés, non domestiqués, cl proviennent des grandes citasses au désert. Les faits
mêmes que Lcnonnant avait produits à l'appui de son opinion peuvent être retournés contre lui.
Ainsi le faon de gazelle allaité par sa mère (Lfcpsirs, Dtnkm., 11. iï) ne prouve pas la reproduction de
l'espèce en captivité; la gazelle a pu être capturée pleine, ou |icu après la naissance de son polit. La
mode passa d'avoir eu troupeaux les animaux pria au désert, entre la XII* et la XVIII- dynastie : au
temps du Nouvel Empire on n'en possédait plus qu'un ou deux individus familiers, qui servaient de
jouets a ut enfants on aux femmes, et dont on enterrait parfois la momie à coté de celle de leur
maîtresse (JtAsruto, Guide du l'ititcur au mutée de floulaq, p. 3*7, n- 3MII).
t. La haine des Egyptiens pour le pore (IlÉaowiTK, 11, ilïii) est attribuée à lies motifs mythologiques
(Sjïillb, te Chapitre (l\lt du livre de* Mort*, dans les Eludes archéologique* dédiée» a .M. le
If- C. Leemam. p. 73-77). Lippert (Kullurgeiehuhle, t. I, p. 343 sqq.) pense qu'elle n'est pas en
Egypte un fait primitif. Au début, le porc aurait été la nourriture principale du peuple; puis, comme
le chien dans d'autres régions, il aurait été peu à peu chassé de la consommation par des animaux
d'ordre plus relevé, gazelles, moutons, chèvres, boeuns, et serait tombé dans le mépris. Aux raisons
que Lippert donne et qui sont fortes, ou ]K>utrait en ajouter d'autres tirées de l'étude de* m; Oies
égyptiens, pour montrer que le porc a été considéré souvent comme un animal des plus estimables.
Ainsi [sis est représentée, jusqu'aux basses époques, sous la forme d'une truie, cl la truie, suivie
ou non de ses gorets, est une des amulettes qu'on déposai! dans le tombeau avec le mort afin de
lui assurer la protection de la déesse (Mi>imn, Guide du Vixitcur, p. ÏT3, n* iISîj).
t. Mahihtk, Âhydo*{l. I, pi. lu A. «3). Pour empêcher la héte d'éviter le laco et de s'échapper pen-
dant le sacrifice, on lui «Hachait la patte droite de derrière à la corne gauche.
3. /'(Mutin de ratir.her-r.udiii. daprt* une peinturr d'un lambeau Ikfbain de la AT///' dynaitie.
4. J'ai été obligé plusieurs fois, par politesse, de manger, chez les ngents indigènes que les
puissances européennes nomment au Sald, des salades et même des sauces mayonnaises assaisonnées
à l'huile de ricio : le goût n'était pas aussi fâcheux qu'on pourrait l'imaginer de prime abord.
LES PLANTES EMPLOYÉES A L'ALIMENTATION. «5
en désuétude et ne parurent plus que dans les sacrifices et dans les repas
funèbres; les autres enfin se sont maintenus jusqu'à nos jours, les baies aigre-
lettes du nabéca et du caroubier, les figues stvptiques du sycomore, la chair
insipide du doum, à côté de ceux qui plaisent à nos palais occidentaux, comme
on connut l'art d'en ""' presser le vin de temps immémorial, et les monu-
ments les plus anciens énumèrent déjà une demi-douzaine de crus fameux,
blancs ou rouges*. La vesce, le lupin, les fèves, les pois chiches, les len-
tilles, les oignons, le fenugrec', la bamiah*. la méloukhiah*. la colocase",
poussaient naturellement dans les champs, et le fleuve lui-même apportait son
contingent de plantes nourricières. Deux des espèces de lotus qui y crois-
I. Itcuîn de Fauckrr-I'iudiit. ttnprè* la Dmrrip/iitii tir. ÏEijyjilr, llisraiitr. Nitibu.le, pi. 61.
î. Sur les vin* (le l'Egypte pharaonique!, rf. BiunstH, lleiie iiaih der lirouen Oaie el-Khargell, p. 911-
!I3. Les quatre espèces de vin canoniques tirées de chacune îles régions Nord, Sud, Est et Ouest
du pays l'ont partit; du repas officiel et de la rave des morts depuis la plus haute antiquité.
K. Toutes ces ospci-cs tint elé retminées dans les tonihefiui et déterminées par les savants qui se
sont occupés d'archéologie botanique, Kunth, L'iiger, Schncinfurth (Loiiit. la Flore Pharaonique, p. 17,
■H», iî, «. il" 3», HT, 1(1*. nu, M», 1H6).
i. La bamiah, Uibmciu etruleiitui I, , est une plante de la famille des Malvacécs dont les fruits à
rinq luges, couverts d'un poil piquant, rerirernu'iit des griiiiies rondes, blanches, molles, d'un «oilt
il il peu sucré, mais île saveur sljptii|ue, et très inurilagiiieuses (S. m. Sut, llclaiion de l'Egypte par
Abd-Allatif, p. 16, 87-40). Elle est figurée sur les monuments d'époque pharannique (HostLiuu, Jfonii-
menti cirili,p\.X\\n.-A, et leste, 1. 1, [..SB0-3M ; cf. Wœme, [)ie Pflaiizeu im Allen £gyplen, p. ÏIB-iîd).
5. I.a mcloukhiah, t'.orcltorut Oltloriui I... est une plante de la famille des Tilliacécs, qu'on hache
et qu'on fait cuire à peu près comme chci nous les endives, mail que peu d'Européens peuvent
supporter, a cause du mucilage dans lequel elle baigne (S. i>s S.icï, Relation lit l'Egypte par Abd-
Allalif. p. 16-17, in-it). Thcophrastc dit qu'elle était célèbre par son amertume {Uistoria Plant.,
Vil. 7); on s'en nourrissait pourtant dans la ville grecque d'Alexandrie (Plisc, 11. (V., XXI, 13, Si).
6. La colocase. Arum «i/o™™ I... est mentionnée dans Pline (//. J¥., XIX. S, XXIV, 16) parmi les
plantes potagères de l'Egypte : aujourd'hui encore, on en mange la racine cuite à l'eau.
66 LE ML ET L'EGYPTE.
sent, la blanche et la bleue, produisent des têtes assez semblables à celles
du pavot : leurs capsules contiennent de petites graines de la taille d'un grain
de mil. Le lotus rose « porte son fruit sur une tige différente de celle où naît
la fleur et qui sort de la racine même; il approche pour la forme aux gâteaux
de cire des abeilles », ou, plus prosaïquement, à une pomme d'arrosoir. 11
est percé, à la partie supérieure, de vingt à trente cavités, « dont chacune
contient une semence de la grosseur d'un noyau d'olive, bonne à manger,
fraîche ou desséchée1 ». C'est lace que les anciens appelaient la fève d'Egypte*.
« On cueille également les pousses annuelles du papyrus. Après les avoir
arrachées dans les marais, on en coupe la pointe, qu'on rejette, et ce qui reste
est à peu près de la longueur d'une coudée. On s'en régale et on le vend
publiquement, mais les délicats ne le mangent qu'après l'avoir passé au
four3. » Vingt sortes de graines et de fruits, écrasées entre deux pierres,
puis pétries et cuites, fournissaient des galettes ou des pains, qui sont men-
tionnés souvent dans les textes, pains de nabéca, pains de dattes, pains de
figues. Les pains de lis, fabriqués avec les racines et les semences du lotus,
affriandaient les plus gourmands et figuraient encore sur la table des rois
de la XIXe dynastie*; le pain et les galettes de céréales formaient la nour-
riture habituelle du peuple5. La dourah est originaire d'Afrique : c'est le grain
du midi des inscriptions6. On suppose au contraire que le froment et l'orge à
six rangs proviennent des régions de l'Euphrate. On les y trouverait encore
à Tétat sauvage, et ils les auraient quittées pour se répandre sur le monde7 :
TÉgypte les aurait reçus et cultivés des premières8. La terre y est si
1. Hérodote, II, xcii. Les habitants à demi sauvages du lac Monzaléh estiment encore la racine de
deux espèces de lotus, mais ils préfèrent de beaucoup celle du Nymph&a Cserulea (Savary, Lettres
sur i Egypte, t. I, p. 8, note 8; 11affe.nkau-Dki.ilr, Flore d'Egypte, dans la Description, t. XIX, p. 425).
2. Diodork dk Sicile, I, 10, 34; Thkophraste, Hittt. PL, IV, 10: Strabon, XVII, 7<K).
3. Hérodote, II, xcn. Sur le papyrus d'Egypte en général, et sur ses usages alimentaires ou autres,
voir Kr. Wgenig, Die Pflanzen im Allen Aïgypten, p. 74-129.
4. Le mot tiou, qui est le plus ancien pour désigner le pain, paraît avoir signifié au début toute
espèce de pâte, fabriquée avec toute espèce de fruits ou de graines; tlqou, plus moderne, s'applique
surtout au pain de céréales. Les pains de lit sont mentionnés au Papyrus Anastasi, n° IV, p. 14, I. 1.
5. Les rations des ouvriers sont payées en blé ou en pains, à partir de l'Ancien Empire*. Le pain
allongé et plat «sa* est d'ailleurs l'offrande principale qu'on apporte aux morts; un autre pain ovoïde
sert de déterminatif ê avec le vase d'eau à l'idée de repas funéraire Çl ' rp qu» fait remonter
son usage bien loin dans le passé préhistorique de l'Egypte.
0. L'origine africaine de la dourah commune, Uolcus Sorghum L., est admise par E. dk Candollk,
Origine des plantes cultivées, p. 30.V307. On en a trouvé des graines dans les tombeaux (Lorkt,
la Flore Pharaonique, p. 12, n° 20) et la représentation dans les peintures thébaines (Koskllini,
Monumenti eivili, pi. XXXVI, 2, et texte, t. I, p. 34* 1 sqq.). Je l'ai rencontrée mentionnée sous le
nom de dirati dans le Papyrus Anastasi, n° IV, p. 13, I. 12, p. 17, I. 4.
7. Le froment, souo, est le blé du nord des inscriptions. L'orge est iali, ioti. Sur l'origine asiatique
du froment, voir E. de Ca.ndollk, Origine des plantes cultivées, p. 283-288, dont les conclusions me
paraissent insuffisamment supportées par les faits. Le nom sémitique du froment se retrouve sous la
forme kamhou dans les Pyramides (Maspero, la Pyramide du roi Teti, dans le Recueil, t. V, p. 10).
H. La place que le froment et l'orge occupent dans les listes d'offrandes prouve l'antiquité de leur
LA HOUE ET LA CHARRUE. h-7
maternelle à l'homme qu'en beaucoup d'endroits elle n'exige aucun travail.
Dés le moment que les eaux se retirent,
on l'ensemence sans avoir besoin de la |
façonner, et le grain, tombant en pleine
boue, y prospère autant que dans les
sillons les mieux tracés1. Où elle a quel-
que fermeté, il faut bien l'ouvrir, mais
la simplicité même des instruments dont
on l'attaque prouve quelle faible résistance
elle oppose. La houe suffit longtemps,
une houe composée de deux pièces de .
bois de longueur inégale, assemblées à
une de leurs extrémités, assurées au milieu par une corde un peu lâche :
la charrue, quand on l'inventa, ne fut qu'une lioue agrandie à peine et tirée
par des bœufs3. La culture
des céréales, implantée aux
bords du Nil, s'y développa
dès les temps les plus an-
ciens au point de tout enva- '
hir : la chasse, la pèche, la
pâture des bestiaux n'y fu-
rent plus que des soucis se-
condaires au prix du labour,
et l'Egypte devint, cequ'elle
est demeurée jusqu'à nos . 4
jours, un vaste grenier à blé.
La vallée fut conquise la première du Gebel Silsiléli à la pointe du Delta5.
Kl le développe de montagne à montagne une surface légèrement convexe,
sillonnée dans le sens de la longueur par une échancrure, au fond de laquelle
jirùsoTu'i; iti i^jjili.' : Un ri cite avilit Irouvr ilo l'cItaiuMlnnu li'iwKP il ans In» tomlips <fi> LA 1 1 1 ■ ï h. ■ t . Kni|iiri>
ii Saqijariih (Schwkikfi'*th, Xotirr *ur le* rette* de régélaux de l'Ancienne Egypte contenu* dent une
armoire du mutée de Boulag, dans le Bulletin de t'tnititnl Égyptien, J" «crie. I. V, p. .1).
I. I> -S. GiflAHU. Mémoire mr f Agriculture, t Industrie et le Commerce de t'Égupte, dans In Des-
cription de f Egypte. I. XVIII, p. lit.
t. Bat-relief du tombeau de Ti; de*»in de Faurlter-tïutliit. d'âpre» "ne phatogr. d'É. Ih ugstli-lley .
,1. Ccwtiï, Grotte» d' Eléthyia, dan» la Ihteription de l'Egypte, 1. VI. |i 105; Misrmo, Études Egyp-
tiennes, t. Il, p. AH-71.
I. Bat-relief du Inmtieau de Ti : dcitin de Faurlier-t'.udin. d'nprit une phntogr. d'E. Urngselt-ltey
'.,. C'a été In Imilitiiin rie I ' : i ti ( L « i u 1 1 iv i-nlu-n>. Hérodote rsu-oiitait, i['a[iri's lis F;i,'\|. liens, ip'inniit
Hént"* rËgjplu, ii IV\ii!|ilion du iinmc lliéhuin. fonniiil un marais iinriiiïtiKiï UlUiui-ui. 11. iv|. Ari-iloli:
( Keteorotog , I. ut) ajoute nue la mer UouKe, la )lédil..rranûf «M IVspncc owtipê aujourd'hui par Ik
68 LE NIL ET L'EGYPTE.
le Nil se ramasse et s'enferme, passé l'inondation. Pendant l'été, dès qu'il
avait franchi la crête des berges, les eaux se précipitaient par leur propre
poids vers les bas-côtés, creusant sur leur passage de longues ravines dont
quelques-unes ne se desséchaient jamais complètement à l'étiage1. La culture
était aisée dans le voisinage de ces réservoirs naturels ; mais, partout ailleurs,
les mouvements du fleuve nuisaient plus à l'homme qu'ils ne le servaient.
Le flot ne recouvrait presque jamais les parties hautes de la vallée, qui res-
taient improductives; il courait trop rapidement sur les terrains d'altitude
moyenne, et séjournait avec tant de persistance sur les bas-fonds, qu'il les
changeait en étangs herbeux et croupissants*. Les sables envahissaient tout ce
qu'il n'arrosait pas chaque année : on passait de la végétation désordonnée
des pays chauds à l'aridité absolue. Aujourd'hui, un système d'irrigation
ingénieusement établi permet aux agriculteurs d'asservir et de distribuer la
crue presque à leur gré. De Gébéléîn à la mer, le Nil et ses bras principaux
sont bordés de longues digues, qui en épousent tous les contours et donnent
à leurs berges une stabilité suffisante. Nombre de canaux s'en détachent à
droite et à gauche; ils se dirigent plus ou moins obliquement vers les extré-
mités de la vallée, coupés d'espace en espace par des digues uouvelles
qui s'appuient d'un côté sur le Nil, de l'autre sur le Bahr-Yousouf ou sur les
derniers gradins du désert. Les unes ne protègent qu'un canton et consistent
en une simple levée de terre; les autres commandent de vastes espaces, et la
rupture entraînerait la ruine d'une province entière. Celles-là ressemblent
parfois à de véritables remparts, construits en briques crues cimentées soi-
gneusement; rarement, comme à Qoshéîsh, elles offrent un noyau en grosses
pierres de taille, que les générations postérieures ont recouvert de massifs de
briques et fortifié d'épaulements en terre sans cesse renouvelés. Elles serpen-
tent à travers la plaine, en tours et retours imprévus, dont on ne comprend
pas l'utilité au premier coup d'œil : en y regardant de plus près, on voit qu'on
aurait tort d'en attribuer l'irrégularité à l'ignorance ou au caprice. L'expé-
rience avait appris aux Égyptiens l'art de démêler sur le relief presque
insensible du sol les lignes les plus faciles à défendre contre la crue; ils en
ont suivi les moindres flexions, et c'est à la nature qu'on doit s'en prendre,
si leurs tracés se dessinent sur le terrain de façon singulière. Des digues
1, Toute l«i description dos ravages que le Nil peut exercer, dans les localités où il n'est pas sui-
\eillé, est empruntée à Lisant dk Bkllkfonds, Mémoire sur les principaux travaux d'utilité publique, p. 3.
4. Otte constitution physique du pays explique la présence aux très anciennes époques de ces
serpents gigantesques dont j'ai déjà signalé plus haut l'existence; cf. p. 33, note *i, de cette Histoire.
LES DIGUES, LES BASSINS, L'IRRIGATION. 69
complémentaires, jetées entre les digues maîtresses, parallèlement au Nil, dis-
tinguent les terres hautes, contiguës au fleuve, des terres basses qui se ran-
gent sur les flancs de la vallée, et découpent les grands bassins en bassins
secondaires d'étendue variable, dont l'irrigation se règle au moyen de rigoles
spéciales1. Tant que le Nil descend, les riverains laissent leurs canaux en
libre communication avec lui; ils les barrent vers la fin de l'hiver, quelque
temps avant le retour du flot, et n'en rouvrent plus l'entrée que dans les
premiers jours d'août, quand l'inondation nouvelle atteint son plus haut. Les
eaux, pénétrant par la tranchée, viennent alors se heurter contre la pre-
mière digue transversale et refluent sur les champs. Quand elles y ont
séjourné assez longtemps pour en saturer les terres, on perce la digue et on
les reverse sur le bassin suivant, jusqu'à ce que la digue prochaine les
arrête à son tour et les force à s'étaler. L'opération se renouvelle de digue
en digue : la vallée n'est bientôt plus qu'une suite d'étangs artificiels, étages
les uns au-dessus des autres et se dégorgeant les uns dans les autres, du
Gebel Silsiléh à la fourche du Delta. En automne, on barre de nouveau l'accès
de chaque fosse, mais pour empêcher la masse liquide de rentrer dans son
lit. On ferme de même les coupures pratiquées à différents points des digues
transversales, et les bassins ne sont bientôt plus que des lacs clos, séparés
par des chaussées étroites. Dans certains endroits, la couche d'eau empri-
sonnée est si mince que le sol la boit tout entière ; ailleurs, elle est assez
épaisse pour qu'après l'avoir gardée plusieurs semaines, on soit obligé de la
rejeter dans le bassin du bas ou directement dans le fleuve*.
L'histoire ne nous fait point connaître les péripéties de la lutte que les
Égyptiens engagèrent contre le Nil, ni le temps qu'il leur en coûta pour la
terminer. La légende attribuait l'idée du système et en partie l'exécution au
dieu Osiris*; puis Menés, le premier roi humain, aurait bâti la digue de
Qoshéish, d'où dépend la prospérité de la Moyenne-Egypte et du Delta*, et
le fabuleux Mœris aurait étendu au Fayoum les bienfaits de l'irrigation5. En
1. Les premiers renseignements précis sur l'organisation d'un bassin ou d'une série de bassins ont
été réunis au commencement de notre siècle par .Martin, Description géographique des provinces de
BeniSoueyf et du Fayoum, dans la Description de l'Egypte, t. XVI, p. 6 sqq. Le régime auquel les
bassins de la Haute-Égyptc et ceux du Delta sont soumis actuellement a été fort bien décrit par
Chklc, le Nil y le Soudan, l'Egypte, p. 323 sqq.
2. P.-S. Girard, Mémoire sur l'Agriculture, V Industrie et le Commerce de l'Egypte, dans la Des-
cription de l'Egypte, t. XV11, p. 10-13. Pour le détail technique de remplissage et du vidage progressif
des bassins, voir de nouveau Chei.it, le Nil, le Soudan, l'Egypte, p. 325-333.
3. Diodohf. i>k Sien.*:, I, 1U, qui a emprunté cette donnée aux hymnes d'époque alexandrine.
i. Bi'!tsK!«, Egypt's place in the World's Story, t. II, p. il, interprétant un passage d'Hérodote (II,
xci), pense que la digue de Qoshéish était celle dont les Égyptiens attribuaient la construction à Menés.
». H£roi»otk, II, ci, cxlix, où il est inutile de chercher sous le nom de M<eris un Pharaon réel.
7(1 LE ML ET L EGYPTE.
réalité, l'aménagemenl des eaux et la conquête des terres cultivables sont
l'oeuvre des générations sans histoire qui peuplèrent la vallée : les rois histo-
riques n'eurent qu'à entretenir et à développer sur quelques points ce qu'ailes
avaient Fait, et la Hauie-Égypte est encore enlacée aujourd'hui dans le réseau
dont ses premiers habitants la couvrirent. Le travail (lut commencer simulta-
nément sur plusieurs points à la fois, sans entente préalable et comme d'in-
stinct. Une digue protégeant un village, un canal qui drainait ou qui arrosait
un canton de peu d'étendue, n'exigeaient que l'effort d'un petit nombre d'in-
dividus; puis les digues se rencontrèrent, les canaux se rejoignirent à force de
se prolonger, l'œuvre entreprise au hasard se rectifia et gagna de proche en
proche, avec le concours de populations toujours plus nombreuses. Ce qui
se passait encore à la (in du siècle dernier nous montre au prix de quelles
querelles et de combien de sang versé elle s'agrandit et se régla. Chaque
canton en exécutait sa pari dans son propre intérêt, captait les eaux, les con-
servait, s'en délivrait à sa guise, sans se demander s'il en privait ou s'il en
surchargeait les cantons voisins : de là des rixes et des batailles perpétuelles.
Il fallut, pour faire respecter les droits du plus faible et pour coordonner le
système de distribution, que le pays reçût un commencement au moins
d'organisation sociale analogue à celle qu'il posséda plus tard : le Nil com-
manda la constitution politique comme la constitution physique de l'Egypte*.
Kilo était répartie entre des communautés, dont tous les membres étaient
censés provenir du même germe (pâîl) et appartenir à la même famille
I. Itut-relief du lambeau de Ti ; drain de Vaurhcr-t',udiu. d'aprèt mir photagr. (fil. Ilriigsrlt-ltcg.
i. Sur l'état du servire îles irrigations .iu rouiiii(>ii<-i-mi'iil île noire siècle, sur les différends <]ui
sï-li'vaieiil l'iiLio les lillnfes à |mi|>ns île h rfis.li -ihiilion lies i'uiix et sur la façon donl on les (ran-
cirait, voir l'.-S. Oihihii, Némiùic «ne l'Agriculture. l'Industrie et Ir Commerce de l'Egypte, ilaiis
la Ihieriptiun de l'Egypte, t. XVII, |i. [3 sc]i|. ; la législation actuelle dans Chéli, le Nil. te Soudan,
V Egypte, |>. 3H8-3il,«* sqq.
LES PRINCES DES NOMES. 71
(pâîlou*) : les chefs s'en appelaient ropâîtou, le gardien, le pasteur de la famille,
et leur nom devint plus tard un titre qu'on attribua à tous les nobles en général.
Les familles se combinaient
en groupes de valeur inégale
sous l'autorité d'un chef en
premier — ropâîtou kâ '.
C'étaient de véritables sei-
gneurs héréditaires : ils ren-
daient Injustice, prélevaient
la taxe en nature sur leurs
subordonnés, se réservaient
la répartition des terres,
menaient les hommes au com-
bat, célébraient le sacrifice
aux dieux". Les territoires
sur lesquels leur autorité
s'exerçait formaient un petit
État dont nous pouvons
encore, en certains cas,
indiquer nettement les limi-
tes. La principauté du Téré-
binthe' occupait le cœur
même de l'Egypte, à l'en- .
™ r ('S CP.1SB SEICSEI» ÉCVPIIf, Tl, ET SI Ftlll'.
droit où la vallée est le plus
large, le Nil le plus sagement réglé par la nature, le pays le mieux
préparé pour servir de berceau à une civilisation naissante. Siaout (Siout),
sa capitale, est bâtie presque au pied de la chaîne Libyque, sur l'isthme large
de 1500 mètres à peine qui sépare le fleuve et la montagne, lin canal l'envc-
I. Le mot pâitou :i élé interprété par M. Lepage-Henouf {Proeeetliiig* de la Soeiélé d' Archéologie
biblique. 1RK--1SS8. t. X, p. 77) romnic signifiant ■ les morts, les générations passées .. Le sens
indiqué dan» le train a été pro]M>aé par Maspern {Elude» Égyptienne!, t. II. |>. 15 sqq.) irl adopte
ensuite par Rrugsrli {Die .Egyptologie, p. t'.lij.
t. Ces titres ont élé expliqués pnr Maspcro (Étitilei Egyptienntt. t. II. p. 15-19. et Nolei au jour te
jour,§i5, dans les Proceedingi de la Société d'Are néologie biblique, IKtlI-IRili. I. XIV, p. 314;
cf. Piehl, dans le Recueil de Travaux, t. I. p. 133, n. I, et Zeiltehrifl, I8H3, p. liK|,
8. Ce sont les prérogatives que les princes des nomes exerçaient encore sous le Moyen et sous le
Nouvel Empire (Maspeuo, la Grande Inscription de lleni-llaman, dans le Recueil, 1. I. p. I"!I-1HI); ils
n'en jouissaient plus alors que sous le bon plaisir du souverain régnant.
4. Le nom égyptien de l'arbre qui désigne celle principauté est atf, ialf, ittf: c'est par élimination
que je suis arrivé a l'identifier avec le Pittacia Tcrebinthui }.., qui fournissait aux Égyptiens la
résine parfumée, tnoutir (Loret, ta Flore pharaonique, p. 44, n° 110'.
5. Dénia de Faucher-liiuliii, d'aprèt une photographie de DMichl.ï, tlctullatc, t. Il, pi. VII.
72
LE NIL ET L'EGYPTE.
loppe de trois côtés et servait comme de fossé naturel à ses murs; pendant
l'inondation, elle ne se rat-
tache à la terre ferme que par
d'étroites chaussées ombra-
gées de mimosas, et semble
un radeau de verdure échoué
au fil du courant1. Le site en
est aussi heureux qu'il est
pittoresque; non seulement
elle commande les deux bras
du fleuve et en ouvre ou en
ferme le passage à son gré,
mais la plus fréquentée des
routes qui mènent au centre
de l'Afrique aboutit à ses por-
tes de temps immémorial, et
lui amène le commerce du
Soudan. Elle régnait au début
sur les deux rives, de mon-
tagne à montagne, au nord,
jusque vers Dérout, à l'endroit
où le Bahr-Yousouf actuel se
détache du Nil, au sud, jus-
que dans les parages du Gebel
Shêikh-Harîdi. L'étendue et
le nombre primitif des autres
principautés ne se laissent pas
déterminer facilement . Les
principales, au nord deSiout,
étaient celles du Lièvre et
du Laurier-Rose. La principauté du Lièvre n'atteignait pas les dimensions de
sa voisine du Térébinthe, mais elle avait pour chef-lieu Khmounou, dont l'exis-
tence remontait si haut qu'une tradition acceptée de tous y plaçait quelques-
uns des actes les plus importants de la création*. Celle du Laurier-Rose, au
1. Le dessin de Boudier reproduit à la page i.%, d'après une photographie de Béato, rend très
fidèlement l'aspect que la plaine et la ville moderne de Siout présentent pendant l'inondation.
2. Khmounou, aujourd'hui Ashmoiinéin, est l'Hermopolis des Grecs, la ville du dieu Thot. Sur la
In/T
LES NOM ES
de la
MOYENNE EGYPTE
Echdle
-ar—
U,lfiL Apotcft
nr Muhù(Fù>Umâii,<
LES PREMIÈRES PRINCIPAUTES.
contraire, l'emportait sur celle du Térébinthe même, et son chef dominait de
Hininsou les marécages du Fayoum, comme les plaines de Beni-SoueP. Au
sud , Apou gouvernait,
sur la rive droite, un
canton enfermé si exac-
tement entre un coude du
NÎ1 et deux ressauts de la
montagne, que ses limites
n'ont jamais pu varier
beaucoup depuis les temps
anciens. Ses habitants s'a-
donnaient également à la
culture des céréales et au
tissage des étoffes : ils
détenaient dès l'antiquité
le priviièged'habillerune
bonne partie de l'Egypte,
et leurs métiers fabri-
quent encore aujourd'hui
pour les fellahines ces
mélavahs quadrillées ou
rayées qu'elles jettent
par-dessus leurs longues
chemises bleues*. Au delà
d'Apou et sur les deux
rives, Thinis, la Girgéh
des Arabes, le disputait à Khmounou en antiquité et à Siout en richesse :
ses plaines produisent aujourd'hui encore les moissons les plus abondantes
et nourrissent les troupeaux de moutons, d'ânes et de bœufs les plus nombreux
du Saïd. A mesure qu'on remonte vers la cataracte, les renseignements devien-
géographie du nome du Lièvre, dont elle est la capitale, voir Mtspmo, Note* au jour le jour, g 19,
dans le» Proceedings de la Société d'Archéologie biblique. lH9M8!tt, t. XIV, p. lR1-ïO-t.
VHeraeleopoti* Magna des Grecs, actuellement llénassiéh.
AhnaH-el-.VJédinch. Le nom égyptien de l'arbre qui donne Bon nom
chu, lirtchifhle .f.gyptent, \i. ïllIt-ilO), Loret a montré que cet arb
l'arbre ft'drou de* ancien* Égyptien*, dan* le Recueil de Travaux, t. X
i. Apou était la Panopolis ou C h cuirai s des Grecs, la ville du di<
(Biici.sch, Dictionnaire géographique, p. jïj, ISSU). Ses manufacture
Strabon (XVII, p. HI3); la plus grande partie des belles tapisserie
ont été importées en Europe dans ces derniers temps proviennent d<
ta principauté est ».
74 LE NIL ET L'EGYPTE.
nent plus rares. Qobti et Aounou du Midi, la Coptos et l'Hermonthis des Grecs,
se partageaient sans grand éclat la plaine que Thèbes couvrit plus tard de ses
temples, et Nekhabît veillait avec Zobou à la sécurité de l'Egypte*. Nekhabit
perdit de bonne heure sa position de ville frontière, et la portion de la Nubie
comprise entre le Gebel Silsiléh et les rapides de Syène forma une sorte
de marche avancée, dont Noubît-Ombos fut le sanctuaire principal et Abou-
Éléphantine la forteresse8 : la barbarie commençait au delà, et les régions
inabordables d'où le Nil descend sur notre terre.
Il semble que le Delta s'organisa moins promptement. Il devait ressem-
bler sensiblement aux terres basses de l'Afrique équatoriale, vers le confluent
du Bahr el-Abiad et du Bahr el-Ghazàl : de grands espaces fangeux dont on ne
saurait dire avec certitude s'ils sont solides ou liquides, des marécages semés
parcimonieusement d'iles sablonneuses, hérissés de papyrus, de nymphéas, de
plantes énormes, à travers lesquels les bras du Nil se frayent paresseusement
un cours sans cesse déplacé, des landes basses entrecoupées de rigoles et de
flaques, impropres à la culture, bonnes à peine à la pâture des bestiaux8. La
population, sans cesse en lutte contre la nature, y conserva toujours des mœurs
plus rudes, un caractère plus âpre, plus sauvage, plus impatient de toute
autorité. La conquête commença par les bords. Quelques principautés s'éta-
blirent vers la pointe, aux endroits où le sol parait avoir été le plus ancien-
nement racheté des eaux. L'une d'elles possédait, ce semble, tout le pays qui
précède et qui enveloppe la fourche du Nil sur les deux rives : Aounou du
Nord, l'Héliopolis des Grecs, en était la capitale. Elle se scinda dans des
temps très anciens, et forma trois États nouveaux, indépendants l'un de
l'autre. Celui d' Aounou et celui de la Cuisse de Bœuf se faisaient vis-à-vis,
le premier sur la rive arabique du Nil, le second sur la libyque; la cité du
Mur-Blanc confinait au nord à celle de la Cuisse de Bœuf et s'en allait
rejoindre au sud le territoire du Laurier-Rose. Plus bas, entre les grandes
branches, les chefs de Sais et de Bubastis, ceux d'Athribis et de Busiris
se partageaient le Delta primitif*. Deux marches de grandeur inégale, l'Ara-
1. Noukhabit, Nekhabit dont le nom hiéroglyphique a été lu correctement pour la première fois
par M. de Hougé (Cours professé au Collège de France, 18G9), est el-Kab, l'Eilithyia des Grecs
(Brugsch, Dictionnaire Géographique, p. 351-353) et Zobou, Edfou, Apollino'polis Magna (Brit.sch, Dic-
tionnaire Géographique, p. 921-924).
2. Le nome d'Éléphantinc s'appelait Khontit, l'avancée, la pointe de l'Egypte (Lepsiis, Der liogen in
der Hieroglyphik, dans la Zeitschrift, 1872, p. 86-88; cf. Brit.sch, Die Biblischcn sieben Jahre der
llungersnoth, p. 2<î sqq.)-
3. Tous les traits de cette description sont empruntés à mes notes de voyage : c'est l'aspect que
le pays présente dans les cantons du Delta où le régime artificiel des eaux a complètement disparu,
par l'incurie séculaire du gouvernement centra1.
A. Voir page -i du présent volume ce qu'était ce delta primitif.
ORGANISATION TARDIVE DU DELTA. 75
bique à l'est dans l'Ouady Toumilàt, la Libyque à l'ouest au sud du lac
Maréotis, défendaient l'accès du pays contre les attaques des Bédouins asia-
tiques et des nomades africains. Les marais de l'intérieur et les dunes du
littoral ne prêtaient guère à un grand développement d'industrie ou de
civilisation. On n'y rencontrait que des territoires mal peuplés, ceux du
Harpon, celui de la Vache, et d'autres dont les limites flottaient encore et
variaient de siècle en siècle au gré du Nil. L'œuvre d'assainissement et de
canalisation, qui avait si bien réussi dans la vallée, fut ici moins efficace
et marcha plus lentement. Les digues n'avaient plus la montagne où s'ap-
puyer : elles se prolongeaient au hasard à travers le marais, coupées à chaque
instant pour livrer passage à un canal ou à une ramification du fleuve. Les
eaux sortaient de leurs anciens lits au moindre prétexte et s'en frayaient
de nouveaux à travers champs. Le sol meuble et mai asséché retournait
au bourbier dès que la crue s'y attardait : quelques semaines d'inondation
76 LE NIL ET L'EGYPTE.
en plus qu'à l'ordinaire défaisaient pour longtemps l'œuvre de plusieurs
générations. Le Delta d'une époque présenta rarement le même aspect que
celui des époques précédentes, et l'Egypte du nord ne se rendit jamais aussi
pleinement maîtresse de son sol que l'Egypte méridionale avait fait du sien1.
Ces premières principautés, si petites qu'elles nous paraissent, étaient
trop grandes encore pour rester toujours indivises. En ce temps de com-
munications lentes, la puissance d'attraction qu'une capitale exerce sur les
cantons soumis à son autorité ne s'étendait jamais bien loin. La partie de la
population du Térébinthe qui vivait assez près de Siout pour y venir le matin
en quelques heures, et pour rentrer dans ses villages le soir après affaires
faites, n'éprouvait nullement le besoin de se soustraire à la domination du
prince qui trônait dans cette ville. Au contraire, celle qui séjournait en
dehors de ce cercle restreint était obligée de chercher ailleurs quelques points
où se réunir pour vaquer à l'administration de la justice, pour sacrifier en
commun aux dieux nationaux, pour échanger les produits des champs et des
manufactures locales. Les villes qui eurent la bonne fortune de la rallier se
posèrent naturellement en rivales de la résidence, et leurs chefs tendirent à
se rendre indépendants du prince, avec le district dont les habitants gravi-
taient pour ainsi dire autour d'eux. Lorsqu'ils y réussirent, ils conservèrent
assez souvent pour l'État qu'ils avaient créé le vieux nom modifié à peine par
l'adjonction d'une épithète. Le territoire primitif de Siout se divisa de la sorte
en trois communautés distinctes, deux qui restèrent fidèles au vieil emblème
de l'arbre, le Térébinthe-Supérieur avec Siout même, au centre, le Térébinthe-
Inférieur avec Qousit au nord; la troisième, au sud et à l'est, prit pour totem
le serpent éternel qui vivait dans ses montagnes, et s'appela le Mont-Serpent
avec la ville de l'Ëpervier. Le territoire du Laurier-Rose produisit en se
démembrant la principauté du Laurier-Rose Supérieur, celle du Laurier-
Rose Inférieur et celle du Couteau. Le territoire du Harpon dans le Delta
se décomposa en Harpon Occidental et Harpon Oriental1. La scission ne dut
pas s'accomplir sans luttes dans la plupart des cas, mais elle s'accomplit, et
toutes les principautés dont le domaine présentait quelque étendue la subi-
rent, quoi qu'elles fissent pour s'y soustraire. Le morcellement se poursuivit
au hasard des circonstances, jusqu'au moment où l'Egypte entière, à l'ex-
1. Pour la géographie du Delta, consulter l'ouvrage de J. de Roigè, Géographie ancienne de la Basse-
Egypte, 1891, où sont réunies, discutées et coordonnées avec soin toutes les données éparses au
hasard de Tordre alphabétique dans l'admirable Dictionnaire Géographique de Brugsch.
•2. J. dr Rorr.rt, Géographie ancienne de la Batse-Ëgypte, p. 30-5fi.
LE DIEU DE LA CITÉ. 77
ception des districts à demi déserts qui avoisinent la cataracte, ne fut plus
qu'une agglomération de petites cités à peu près égales en force et en
population1.
Les Grecs les appelaient nomes, et nous leur avons emprunté ce terme* : les
indigènes les désignaient de plusieurs manières, dont la plus ancienne était
nouît, qu'on peut traduire domaine3, et dont la plus commune aux époques
récentes était hospou, qui signifie district1. Le nombre en varia sensiblement
au cours des siècles : les monuments hiéroglyphiques et les auteurs clas-
siques le fixent tantôt à trente-six, tantôt à quarante, tantôt à quarante-
quatre ou même à cinquante. Le peu que nous savons jusqu'à présent de leur
histoire nous donne la raison de cette instabilité : sans cesse disputés entre
les familles princières qui les possédaient, les guerres civiles, les mariages,
la conquête abaissaient les nomes ou les élevaient tour à tour, et les faisaient
passer continuellement en des mains nouvelles, entiers o» par parcelles. Ces
Égyptiens, qu'on est accoutumé à considérer comme si respectueux de l'ordre
établi et si conservateurs des traditions antiques, se montraient aussi remuants
et aussi portés à modifier ou à détruire l'œuvre du passé que le sont les plus
inconstants de nos peuples modernes. L'éloignement où nous vivons d'eux
et l'absence presque complète de documents leur prêtent une apparence d'im-
mobilité à laquelle on se laisse tromper sans le vouloir; le jour où les monu-
ments qui subsistent encore seront sortis de terre, leur histoire présentera la
même complexité d'incidents, les mêmes agitations, la même instabilité qu'on
devine ou que l'on constate chez la plupart des autres peuples orientaux. Une
seule chose subsistait chez eux parmi tant de révolutions, qui les empêchait
de perdre la conscience d'eux-mêmes et de se fondre dans une commune
unité : un dogme et un culte qui les attachaient à un dieu particulier. Si les
petites capitales des petits États dont l'origine se perd dans la nuit des
temps, Edfou et Dendérah, Nekhabît et Bouto, Siout, Thinis, Khmounou, Sais,
Bubaste, Athribis, n'avaient eu d'importance que celle qu'elles dérivaient de
1. Les exemples de subdivision des nomes anciens et de création des nomes nouveaux se rencon-
trent fort longtemps encore après l'époque primitive. On trouve par exemple le nome du Harpon Occi-
dental scindé sous les Grecs et les Romains en deux districts, celui du Harpon proprement dit, dont le
chef-lieu est Sonti-nofir, et celui de Ranoufir avec l'Onouphis des géographes classiques pour capitale
(Britgscr, Dictionnaire Géographique, p. 1012-1020).
2. On trouvera la définition du mot nome et les passages des auteurs anciens qui nous l'ont
conservée dans Jablonski, Opuscula, éd. T. Water, t. I, p. 189-176.
3. Pour les sens divers de ce mot, voir Maspf.ro, Sur le sens des mots Nouit et Hait, dans les Pro-
reedings de la Société d'Archéologie biblique, 1889-1890, t. XII, p. 236 sqq.
4. Brugsch, Geogr. Ins., t. I, p. 18-21 ; cf. Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. 183-186. Le mot tôsh,
qui dans les textes coptes a remplacé hospou et nouit, signifiait à l'origine limite, frontière; c'est
à proprement parler le terrain délimité et borné par des stèles qui dépend d'une ville ou d'un village.
78 LE NIL ET L'EGYPTE.
la présence d'un principicule ambitieux ou de la richesse de leurs habitants,
elles n'auraient point traversé saines et sauves les longs siècles de vie qu'elfes
fournirent, du début à la (in de l'histoire d'Egypte. La fortune haussa leurs
seigneurs, quelques-uns jusqu'au rang de maîtres du monde, et les trahit
tour à tour : à côté du maître terrestre, dont la gloire s'éclipsait trop
souvent, un maître céleste, un dieu, trônait dans chacune d'elles, le dieu
de la cité, noutir nouîti, dont la grandeur ne périssait jamais. Les familles
princières pouvaient s'éteindre ou s'exiler, le territoire diminuer ou s'agran-
dir, la ville doubler son étendue et sa population ou tomber en ruines : le
dieu subsistait parmi tant de vicissitudes, et sa seule présence supportait
intacts les droits de la cité sur laquelle il régnait souverain. Si quelque
désastre frappait ses adorateurs, son temple ralliait autour de lui tous ceux
qui avaient échappé à la catastrophe, la foi les empêchait de se mêler aux
habitants des cités voisines et de se perdre parmi eux : les survivants se
multipliaient avec cette fécondité incroyable qui est la caractéristique du
fellah égyptien, et quelques années de paix suffisaient à réparer les pertes
les plus irréparables en apparence. La religion locale était le lien qui tenait
ensemble les éléments divers dont chaque principauté se composait, et tant
qu'elle dura, les nomes durèrent : ils disparurent le jour où elle disparut.
ï^pïpsgii
*JJe<tJ> vl/ietwe a^ l'Gauvt
,/eJ
d.eur~^ 'nombre.' ei. leur-' nature.', /et.' dieux -féodaux vitraïUic' a. mort/cl;
le*.' trùule*.'. *J.e*J temple*' ei. le*'aacerdoce*->;
*.' ' cosmogonie*^ du Jûelia, le*J OnneailenJ d ' ^/ùe'uofoliitJ ei. dJ&emytol*
de*' dieux en. Oaujde.': la plè&e.' divine.' eu *e*J variété*'
humaine*', animale*.', intermédiaire*.' entres la léie' ei. lAommc'; le*J dieux
d origine' étrangère.?, le*? dieux ùidiaene*' ei. leur*' jformc*? contradictoire*?
àelonli conception gu. on ae'jfaitaù- de? leur*' nature.'.
.-le*? aâtre*?-dieux. - ..-te' CJvlet/ C'eil i/tt Ciel, le? aoleil oioeau, le'àoletl
veau, le' aolcil nomme', te*.' laraue*', te* ' navigation*.' lUitour-' du monde.' a.
je*.' lutte*' avec le? terpeni. ^jL?éi?i. - .-le' dieu.-~J.une> ei. te*' ennemi*.'. - die*.*
dieux-étoile*.' .■ Hz. Ctufie? de.' tMiruA / \/vypxp>tdamc->, le? .-Lion, le*J cùta
^/Ùoru*J de*' frlanètea ; Ôotnù-Ôiriu*' ei. &aliou-Clrion.
*J.a féodalité divine* ei. te*.? cla/Së*? .- le*.? dieux- idl.ù/c>, le*.' dieux-
terre', le*? dieux-ciel ei. le*) dieux-ôoleil. le*? iJVoru*'. - &Le*J dieux ei. le*'
deefie*? aom. égaux deva/n le' droit. ^JeoaiU : leur*' ^ forme*?, leur*) alliance*'
ei. leunc? mariaget.' : leur*' enfant*'. - de*.? triade*' ei. leurre? développemerd*'
da nature' deic? dieux .- le? douole ', lame ', le ' corp* '. la mort, de*.'
AommenJei. de*.' dieux, leur*? destinée*.' t_vre*J la mort. ; necefitlé deJconaenrcr^
leJ emKi /i tnimiyutilÙHi. - &les<J aïeux /jW/c' dieux dexJ ntorùtJ. - *4e*J
aieux iriva/UitJ, teum.' tenwlest ', leuntJ ùnaaenJ. .Ue.t ' aïeux iHym/aisr/i ',
arùrta.*, âerpen&C->, -fëticnea.' familiaux. - &La. £nâ)rie.> OeJ ta itrierrJ et. au
oaeryîc*.'; le' fieraotuiet aeaJ tenudeaJ, ùaJ ùietiaJ aeaJ aïeux et. Un.' coltèaea.'
aaceraotaax.
tXerc' dhfnuraoftieic.' au mûeÙn. : Ôioou et. .vùmil, C'aura.' et. lJmo.;
Cjù. et. iSCapAmurCi - •Jve/utpo&ùtJ et. âeaJ écoleaJ taeotoaiaueaJ ; iSlâ, aon
ùtent^catùm avec iSvoruttJ, oon aeaiiuà/emetit. et. ta concarfion, a^AUoamou, •
de^ÙiineiiaeitjAe'uovoùtaùie^'/^-forrna/ùm-deJÙig Tt/utt et,
l <j>it/ie'aae.Jhermaiioliltii/ie.': ta création. ffat-,lavaroteJet.jtar^
lamHX.- ^i)0uûion ae^eJ ùtute'aaerc' .- leur-'atua/iceJavtc
UaJtriaaea.'localea.'. teJaieu lin et. ù'ttieti .Jvuù-,
&LcaJ dieux tutiiftieaJ et, aoataûta,'.
CHAPITRE DEUXIÈME
LES DIEUX DE L'EGYPTE
; FÉODW.X, VIVANTS t
jj oïisqu'os parcourt les ouvrages où nos savants ont repro-
j duit par le menu les restes des monuments égyptiens,
ce qui frappe au premier coup d'œil, c'est l'abondance
presque incroyable de tableaux religieux qui sont arrivés
jusqu'à nous. Il y a peu de planches où l'on ne ren-
contre une figure au moins de divinité qui reçoit d'un
air impassible les prières de quelque fidèle et ses
offrandes : on dirait que le pays était habité surtout
par des dieux, et contenait, d'hommes ou de bêtes,
juste ce qu'il en fallait pour les besoins du culte.
Ce qu'on distingue d'abord quand on pénètre dans
ce monde mystérieux, c'est une véritable plèbe divine
dont les membres n'ont jamais mené qu'une existence
étroite et presque inconsciente d'elle-même. Ils repré-
sentaient une fonction, un moment, dans la vie de l'homme ou de l'univers :
Naprit s'identifiait à l'épi mûr ou au grain de blé", Maskhonït apparaissait
i. Bat-relief du Irmple de Louior. — Ucn'in de Bnuilier, d'aprè4 une photographie de Déalo,
pritr en }#9I). Les iiea\ oersoniiaKcs qui marchent l'n Wte, portant de praiidn bouquets et levant la
main. Pont les derniers d'une longue pniression dos [ils de Ionisés II. I.ii lettrine, qui est paiement
du Uoudicr. re présente le roi Sêli I" agenouillé, d'après un has-relief du temple d'Abjdos.
t. Le mot naprit signifie tjrain. le tfrain de hic (Um-i:sca, Dict. Hiéroglyphique, p. "Si-7S3). Le
dieu du grain est représente; dans le tombeau de Séli I" (I.HKBcaK, le Tombeau de Se.ti I", dans les
H1ST. m. i>f. i/miihkt. — t. i. Il
8i LES DIEUX 1IE L'EGYPTE.
auprès du berceau de l'enfant à l'heure précise où il naissait', Raninit prési-
dait au choix d'un nom et à la nourriture des nou-
veau-nés1. Ni Raninit la fée marraine ni Maskhonit
n'exerçaient sur l'ensemble de la nature cette auto-
rité souveraine que nous sommes habitués à consi-
dérer comme l'apanage originel des dieux. Elles
passaient tous les jours de toutes les années, l'une à
soulager les douleurs des mères en couches, l'autre
à choisir pour le petit être un nom qui sonnât favo-
rablement et qui conjurât plus tard les influences
du destin mauvais. Leur tâche achevée dans un
endroit, elles couraient aussitôt vers un autre où
quelque naissance imminente réclamait leur pré-
sence et leurs soins : elles allaient de lit d'accou-
chée en lit d'accouchée, et pourvu qu'elles se fus-
sent acquittées du seul emploi auquel on les recon-
naissait propices, les dévots n'exigeaient plus rien
d'elles. Les cynocéphales mystérieux qui fréquen-
taient en bandes les montagnes de l'Est et de l'Ouest
•'irT- concentraient de même leur activité entière sur
un instant fugitif de la journée : ils dansaient et caquetaient pendant une
Mémoire* de la Mission Fi-anraiie. t. Il, *" partie, pi. XXIX. V rentre, pi. XXXI, 3- registre); e'ral
un homme qui a sur la tête deux gros épis de froment ou d'orge. Il est mentionné vers le même
temps dans Yllymnc au Kit (cf. [i. 40) et dans deux ou trois autres testes d'époque différente. Il
est doublé dans son relie par la déesse Knprtl ou Kaptt, dont il est question ici (llrsTOK. Exterpta
Hierogtijphiea, pi. XIX; Upsius, Iknkm., IV, 5i; DI'hickes. Itesultale, l. Il, pi. lu); elle eut coiffée
d'une botte d'épis (Uiijii, Diiionario di Milologia, p. 380-381), comme daim notre vignette.
I. Cette déesse, dont le nom exprime et dont la figure personnilie la couche en brique ou eu
pierre, le lit ou la chaise lie travail, sur laquelle les femme* s'accroupissaient au moment de la déli-
vrance, se subdivise quelquefois en deux ou quatre divinités secondaires (JIabiette, Dendtrah, t. IV,
pi. LXX1V a, et texte, p. *88). On In mentionne avec ShaU, le destin, et avec Hanintl, la nourriture
(Maspemi, Ktadet Egyptienne; t. I, p. i~). Son rôle de fée marraine auprès du berceau de l'enfant
nouveau-né est mis en lumière par le passage du Papyrus Westrar, où la naissance de trois rois
de la V- dynastie est racontée en détail (ëhuas. Die Mârchen des Papyrus W'eilrar, pi. IX, liv. *i sqq. ;
cf. H isi'i.Kn, /et Contes populaire» de F Egypte Ancienne, *■ éd., p. "(i-M). On la représente sous la
l'orme humaine, et elle porte souvent sur la têle deui longues pousses de palmier recourbées à
l'extrémité (I..v\zose, Diiionario di Milologia, p. 3*9-330, el pi. CXXXIV, 1-î).
S, llaninlt préside à l'allaitement de l'enfant, mais elle lui donne aussi son nom (M.isptao, let
Contée populaires, i" éd., p. "K, n. 1) el par suite sa fortune (Mispeko, Etudes Egyptiennes, I. I.
p. *"); elle est d'une manière générale la déesse nourricière [I..i™bk, lliiioiiario di Hitoiogia,
p. *-*-i-J, et pi. GLXXXVtll-CI XXXIX). On la représente quelquefois comme une femme à léte
humaine (I.kcsiis, Denkm., III, 188 a ; Wii.ki.vsok, Mannere antl Customt, i" edit.. t. III, pi. XLV, 5-0
el p. *i3-ilt) ou à tétc de lionne (Lkfsii-s, Denkm., IV, S"), le plus souvent a tète de serpent
(l.irsirs. Denkm., III, pi. Cl. XX: Puisse ii\He«es. Monuments, pi. I: M miette, Dendtrah, t. III,
pi. LXXV b-e)\ c'est aussi une ur.-cus habillée et coiffée de deux longues plumes (Pius-k d'Atemes,
Monuments, Frontispice), dont nous retrouverons la ligure sur la vignette de la page 1*0.
3. La deeue Kaprll. Kaptt, bas-relief de la première des ehambret dOsiris, sur le cAM Est de
la terrasse du grand temple de Dendtrah. — Dessin de Fauchcr-tiudin.
LA PLÈBE DIVINE ET SES VARIETES. 83
demi-heure les uns à l'Orient, pour saluer le Soleil à son lever, les autres à
l'Occident, pour l'acclamer à son entrée dans la nuit1. Certains génies rece-
vaient pour consigne d'ouvrir une des portes de l'Hadès ou de garder un des
chemins sur lesquels le Soleil circulait journellement'; ils restaient éternelle-
ment à leur poste, sans liberté de s'en éloigner jamais, et sans autre faculté
que de remplir à heure fixe l'office auquel ils étaient préposés. Leur exis-
tence, inaperçue à l'ordinaire, se révélait brusquement à la minute où l'acte
unique de leur vie allait s'accomplir : accompli, ils retombaient dans leur
inertie, et leur fonction les résorbait pour ainsi dire jusqu'à l'occasion pro-
QL'ELQVES-UNS BES ANISIALX FABULEUX QUI HABITAIENT LE DÉSERT d'éGYPTE-'.
chaîne'. Ces êtres à peine entrevus, il n'était pas facile de les dépeindre, et
l'on ignorait souvent leur figure réelle : on s'ingéniait alors à ia conjecturer
d'après le métier qu'ils exerçaient. Ceux d'entre eux qui cheminaient à travers
l'Hadès pour percer les morts d'une flèche ou d'un javelot, on leur prêtait
les traits et le costume d'un archer ou d'un piquier; ceux qui rodaient autour
des âmes pour les égorger et les dépecer, on en faisait des femmes armées
d'un couteau, des trancheuses, donît — ou des déehireuses — nokit*. Plu-
sieurs mouvaient un corps d'homme; d'autres étaient des animaux, taureaux
ou lions, béliers ou singes, serpents, poissons, ibis, êperviers; d'autres se
1. C'est le sujet d'une vigne tic du Livre de» Mort», eh. XV[ (édit. "Saulle, pt. XXI, Ai et la,
pi. XXII, Da). où l'on voit ies cynocéphales échelonne» en file», sur les pcnlca de la montagne
d'horizon, i la droite et a la gauche du disque solaire rayonnant qu'ils adorent en gesticulant.
1. M.spKiio, Étude* de Mythologie et d' Archéologie Égyptienne», I. Il, p. 34-35.
3. Detiiii de Faucher-Gudin, U'aprea let copies de Champoition. Ce «ont dea tableaux des tombes
de Boni-Hassan : on voit ii droite le i/ia, l'un des animaux de SU et qui a la figure exacte du dieu,
; compris laqueueraideen forme de hois de flèche, puis le eafir, le griffon, enfin ]aia;o à léte de serpent.
4. I.cs Égyptiens employaient pour rendre colle idée une expression plus énergique encore que
notre mot résorber; ils disaient des objets où ces génies se tenaient cachés, et d'où ils sortaient pour
y rentrer aussitôt, que leur forme le* mangeait ou qu'ils mangeaient leur propre forme (Mmhm,
F.tudet de Mythologie et d'Arcliéologie Égyptienne*, I. Il, p. «04-105. I0G, 1Î4, etc.).
5. Maspebo, Etude* de Mythologie et d'Archéologie F.gyptiem.e$, t. Il, p. 34-36. Les dont! et les
nokit sont figurées, entre autres, sur les murs du tombeau de Séli 1" {Leffiihe, le Tombeau de
Siiti I-, dans les Mémoire! tir In H ii.it ou Frauçaite, t. Il, 4' partie, pi. XLIV, *• registre).
84 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
logeaient dans des objets inanimés, un arbre1, un sistre*, un pieu fiché en
terre8; beaucoup enfin trahissent une origine mêlée par l'alliance des formes
de l'homme à celles de la bête. Ceux-ci, qui seraient des monstres pour nous,
étaient pour les anciens des êtres plus rares peut-être que les autres, mais
non moins réels et dont on rencontrait les pareils au voisinage de l'Egypte*.
Comment douter qu'il y eût des divinités à buste d'homme et à tête de
taureau ou d'épervier, quand on connaissait autour de soi des sphinx et des
griffons en chair et en os? Nombre d'observations authentiques constataient
l'existence de ces créatures paradoxales : plus d'un chasseur les avait vues
courir distinctement sur les plans lointains de l'horizon, par delà les bandes
de gazelles qu'il poursuivait, et les bergers ne les redoutaient pas moins
pour leurs troupeaux que les lions ou les grands félins du désert5.
Comme les peuples des hommes, ce peuple des dieux renfermait des éléments
étrangers dont les Égyptiens eux-mêmes connaissaient l'origine. Ils savaient
qu'Hâthor, la vache nourricière, s'était établie chez eux en des temps très
anciens, et ils l'appelaient la dame de Pouanît, selon le nom de sa patrie pre-
mière6. Bîsou l'avait rejointe par la suite des siècles et leur avait réclamé sa
part d'honneurs et de culte à côté d'elle. Il s'était manifesté d'abord comme
un léopard, puis comme un homme vêtu d'une peau de léopard, mais un
1. Ainsi les sycomore» plantés isolément à la lisière du désert et qu'on croyait habités par Hàthor,
Noutt, Sclkit, Nît ou quelque autre déesse (Maspero, Etudes de Mythologie et d Archéologie Égyp-
tiennes, t. II, p. 28-29). Dans les vignettes qui représentent le mort arrêté de\ant l'un de ces arbres
et y recevant de l'eau et des pains, on voit d'ordinaire la déesse sortant en buste du feuillage qui
l'abrite (Lanzone, Dizionario di Mitologia, pi. CLI, 2). Quelquefois pourtant, comme sur le sarcophage
de Pétosiris (Maspkro, Catalogue du Musée Égyptien de Marseille, p. 52), la transformation est com-
plète, et le corps même du dieu ou de la déesse figure le tronc d'où les branches du sycomore
s'échappent (cf. Rochemonteix, Edfou, pi. XXIX a, Isis et Nephthys dans le Sycomore). Souvent enfin, le
corps est caché tout entier, et l'on n'aperçoit qu'un bras ou même une main de la déesse émergeant
du milieu de l'arbre, l'hydrie débordante à la main (INaville, Todtenbuch, pi. LXXUI, CUI).
2. On trouvera, dessinée dans Mariette, Dendérah, t. II, pi. 55 c, l'image du grand sistre consacré
par Thoulmosis III et qui était le fétiche de la déesse Hàthor pour le temple de Dendérah.
3. Le tronc d'un arbre, ébranché, puis planté en terre, me parait être l'origine de l'emblème osirien
qu'on appelle tat ou didou (Maspkro, Catalogue du Musée Egyptien de Marseille, p. 164, uQ 878). Le
symbole fut régularisé plus tard de manière à figurer quatre colonnes vues en perspective, chacun des
chapiteaux dépassant l'autre; il devint ainsi l'image des quatre piliers qui soutiennent le monde
(Pktrie, Medum, p. 31 ; Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. Il, p. 359, note 3).
4. La croyance à l'existence réelle des animaux fantastiques a été signalée pour la première fois
par Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 117-H8, 132, et t. II, p. 213.
Jusqu'alors les savants ne voulaient reconnaître dans le sphinx et dans les monstres égyptiens que
des combinaisons allégoriques, par lesquelles les prêtres avaient prétendu exprimer visiblement Ja
réunion chez un même être composite de qualités physiques ou morales appartenant à plusieurs êtres
différents. L'idée a été adoptée depuis lors par M. Wiedemann (le Culte des animaux en Egypte,
p. 14-15), et par la plupart des égyptologues contemporains.
b. Plusieurs des quadrupèdes fantastiques dont il est parlé dans le texte, griffons, hiéracosphinx,
lions à tête de serpent, sont mêlés à Boni-Hassan et à Thèbes parmi les animaux que les princes
de la localité étaient exposés à rencontrer pendant leurs chasses au désert (Champollion, Monuments
de l'Egypte et de la Nubie, pi. CfXLXXXIl, 3, 4, CCIXXVIII bit, et t. II, p. 330, 360; Bosellini, Monu-
menti civili, pi. XXXIII ; Wilkinson, Mann ers and Customs, cf. the Ancient Egyptians, 2« édit., t. II, p. 93).
fi. Sur Hàthor, dame de Pouanît, sur son importation en figypte et sur les liens de parenté qui
l'unissent à Bisou, voir Plkytk, Chapitres supplémentaires du Livre des Morts, p. 134 sqq.
LES DIEUX D'ORIGINE ÉTRANGÈRE. 83
homme de figure étrange et de caractère inquiétant, un nain à la grosse tète
et aux pommettes saillantes, à la bouche largement ouverte d'où pendait une
langue énorme, à la fois belliqueux et jovial, ami de la danse et des combats'.
Tous les peuples que les Pharaons soumirent à l'époque historique cédèrent
quelques-unes de leurs principales divinités à leurs vainqueurs, et l'on vit
trôner dans la vallée le Libyen Shehahidi aussi bien que le Sémite Baàlou,
avec son cortège d'Astartés et d'Aniti, de Resheph et de Kadshou1. Il en fut
de ces colons divins comme de tous les étrangers qui ont essayé de s'implanter
aux bords du Nil : le pays se les assimila promptement, les travailla, les
repétrit, et tira d'eux des Égyptiens à peine distincts des dieux de vieille race.
Ce panthéon mêlé graduait ses nobles, ses princes, ses rois, et représentait en
chacun d'eux l'un des éléments qui constituaient le monde ou l'une des forces
qui en règlent l'ordonnance. Le ciel, la terre, les astres, le soleil, le Nil,
comptaient pour autant de personnes respirantes et pensantes dont la vie se
révélait chaque jour dans la vie de l'univers. On les adorait d'un bout de la
vallée à l'autre, et le peuple entier s'accordait à proclamer leur puissance sou-
veraine : mais le consentement cessait dès qu'il essayait de les nommer, de
définir leur pouvoir et leurs attributs, de préciser le corps qu'ils revêtaient ou
les rapports qu'ils entretenaient entre eux. Chaque principauté, chaque nome,
chaque ville, presque chaque bourgade les concevait et les figurait à sa
. !. Bisou x été étudié de très près par l'Ieyto {Chapitre* tupplèmentaire* du Livre de* Mort*, Tra-
duction et Commentaire, p, lll-INi) ei par Krall [Veticr de» iKgypti*chea tiotl Bei, dans BKvmoiir-
Xie»*»fi, dat lleroon non GjBlbatchi-Tryni, p. 'it-VCij. Il est ligure en cul-do lampe sous le; sommaire
du présent chapitre, d'après une amulette en terre cuilo émaillée hloue : le dessin est de Fauclicr-nudiu
t. Shchadidi se rencontre dans te nom d'un certain l'étésheuadidi, dont la statue est passée de la
collection Posno (Antiquité1* Egyptienne*, 1R83, p. I:i, n" 57 et pi. ï] au Musée de Berlin; cf. le dieu
Saharouaou. cité par NtSfKRO, Sur deux ilèle* récemment découverte*, dans le Ileriieit. (. XV, p. 8;i.
I.ch dieux sémitique» introduits en f:j;jplc ont été étudiés longuement par M. de Vogue [Hél/nti/nt
d'Archéologie Orientale, p. 41 sqq., "H sqq.) et par Ktl. Noyer (tleber einige Semîliiehe Oolter, g II,
Semitiichc GSIIerm Xgypten, dans la ZeiUchrift d. Deut. Norg. C.ctetUchoft, t. XXXI, p. 7*1-74»}.
H. Le monstre a tète d'éporvicr et à queue fleurie ligure dans cette vignette s'appelait la toga.
86 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
façon. Les unes disaient que le ciel est Horus le Grand, Haroêris, l'épervier
ts bariolées, qui plane au plus haut des airs et qui em-
i de son regard fixe le champ entier de ia création',
ne son nom assonait en calembour au terme horou qui
igné le visage humain, on mêla les deux sens, et on joi-
nt à l'idée de l'épervier celle d'une face divine dont les
deux yeux s'ouvrent tour à tour, l'œil droit, le soleil,
pour éclairer les jours, l'œil gauche, la lune, pour illu-
miner les nuits'. Elle possédait d'ailleurs sa lumière
propre, la lumière zodiacale, qui éclatait à des inter-
valles imprévus, le matin ou le soir, un peu avant
le lever, un peu après le coucher du soleil : les rayons
brillants, partis d'un point commun perdu dans les
hauteurs du firmament, se répandent en une large
nappe d'un bleu humide et dessinent le profil d'une
pyramide dont la base s'appuie sur le sol, mais dont la
pointe s'incline légèrement vers le zénith*. Quatre gros-
ses nattes de cheveux encadraient symétriquement le
isage divin et le rattachaient à la terre; c'étaient les
liera qui étayent le firmament et qui l'empêchent de
crouler sur nos têtes*. Une tradition non moins antique
irtait comme une fable ce qu'on racontait de l'épervier
de la face, et enseignait que le ciel et la terre forment un
le de dieux, Sibou et Nouît, dont le mariage produit tout
i a été, tout ce qui est, tout ce qui sera. La plupart leur
uaient une figure humaine et représentaient volontiers le
soin l'éiol* ' dieu-terre Sibou étendu sous Nouît l'étoilée; la déesse étirait
ses bras, étirait ses jambes grêles, étirait son corps au-dessus
des nuages et penchait vers l'Occident sa tête échevelée. Mais beaucoup
1. On adiuel gé né raie m en I que Hnroëris est HA, le soleil (Rkit,sch, Religion und Mythologie der
alleu .£gyptcr, p. 52 U sqq.). Ilaroeris, adoré dans ta Haule-Êgypie, y foi-mail, avec Slt d'Ombos, un
roupie représentant le ciel et la terre (Masi-eto, Eluda de Mythologie et d'Archéologie, l. El,
|>. 3Ï!I sqq.)', on le» dépeignait souvent comme un personnage à dcui Wles(LtPSius, llenkm., I[|, i3ib).
t. ¥.. I.i.uLhue, les Vi-uj- d'Iloita, p. !>fi-!IR. I.e rôle des deux veut de l'HoruB céleste, mlir, oi nln,
a clé reconnu en premier lieu par Brugsrh (GeogrophUche htichriften, t. I. p. T5).
3. Drk.sch, £ ou la lumière zodiacale, dans les Proceedingi de la Société d'Archéologie Biblique,
18!i*-IS93, I. XV, p. *33 sqq.; llfMiiw Gitisn*. Im Ileiche Aet Lichtei. Soanen, Zodiakallichter,
Komrleii, DSmmerungiticht-Pyramiden naeh deu iilteiten ngyptiiehen Quellea, 1893.
4. Le» Iraiet cl les dieu* qui y président sont mentionnés dans les Pyramides (Papi I", I. 436-411),
Miriuri, l. 613-656; et. Misrnio, Eludes de Mythologie et d' Archéologie, I. Il, p. 306-36").
5. Dettin de Faucher-Gudin, d'aprei une peinture d'un cercueil de la XXP dyiiattie à fayde.
LEURS FORMES CuNTKADICTlHKËS. 87
croyaient aussi que Sibou se cache dans un jars colossal dont la femelle avait
pondu jadis l'œuf du Soleil, et peut-être le pondait encore chaque matin : les
cris perçants par lesquels il félicitait sa compagne et annonçait la bonne
nouvelle à qui voulait l'entendre, comme c'est la mode en pareil cas chez ses
teur!. D'autres versions répudiaient l'oie, et lui substituaient un taureau
vigoureux, le père des dieux et des hommes3. Sa compagne devenait alors
une vache, une Hàthor aux larges yeux et à la belle face. Le chef de la bonne
bête monte dans les profondeurs d'en haut, les eaux mystérieuses où le monde
est noyé roulent sur son échine, les habitants de notre terre aperçoivent d'elle
le ventre abondamment semé d'étoiles que nous nommons le firmament : ses
jambes sont les quatre piliers, dressés aux quatre points cardinaux du monde*.
Selon qu'on se figurait le ciel, les astres et surtout le soleil changeaient de
forme et de nature. Le disque de feu — Atonou — , par lequel le soif il se
I. Destin de Fauclicr-Gudin. d'aprtéunc ttele du Minée de tlntlt [fiittfmiT, le Mutée Égyptien, pi. NI).
Ce n'est pas ici l'oie île Sihou, mais l'oie d'Atnon, colle qu'on nourrissait Huns te temple île karnak
et qui s'appelait Srnonou : devant l'oie, la châtie de Moût, femme d'Amon. Amou. étant à J'ori^ini-
un dieu-terre, mranwtliius le verrons, se cou Tondait avec Si liou et lui prenait naturellement sa forme d'oie.
■J. Livre des Mort; ch. liv, éd. N.ivh.lk, t. I, pi. LXVI ; cf. Umge-IImoi'f, Seb the great Caekler,
dans les l'roceedingt de la Société d'Archéologie Biblique, t. VII, p. liii-ir.i. Sur l'ieuf de Sibou, et
en général sur les idées que les fie;, pi uns nttai-haient il l'œuf, voir Unturae, l'Œuf dam la Iteli-
gjou Egyptienne (dans la lictue de l'Hittnire des Retigioiu, t. XVI, p. 16-45). Divers égyptologue*,
Orugsrh (Religion nnd Mythologie, p. ITM73), l.ieMeiu [l'rmci-diagt, tRHi-IMM'i. p. tty-tnnj. consi-
dèrent a l'inverse que le siejie de l'oie, employé dans l'écriture, rouranle pour rendre le nom il u dieu,
a donné naissance au mythe d'après lequel le dieu aurait eu la forme d'une oie.
II. C'est pour ce motif qu'il est appelé taureau de Souil dans la pyramide d'Uunan il i'.ii).
4. En voir l'image chez UnSmint, le Tombeau de irtf I", dan» les Mrmoirei de la Million, I. Il,
HH LES DIEUX fit I, ÊCYI'TK.
révèle aux hommes, était un dieu vivant appelé Rà ainsi que l'astre lui-même1.
Où l'on concevait le ciel comme un
Horus, Rà^ servait d'œiï droit à ta
face divine*: quand il entrouvrait ses
paupières lematin.il produisait l'aube
et le jour; quand il les refermait vers
le soir, les ténèbres et la nuit ne tar-
daient pas à paraître. Où le ciel s'in-
carnait en une déesse, on donnait Râ
pour fils à cette déesse et au dieu
Terre1 : il naissait et renaissait à cha-
que aurore nouvelle, la tresse sur
l'oreille et le doigt aux lèvres, dans
la pose conventionnelle des enfants
humains. C'était lui encore l'œuf lumi-
neux que l'oie céleste pond et couve
à l'Orient, et d'où l'astre éclôt pour
inonder l'univers de ses ravons'.
Toutefois, par une anomalie fréquente
s dans les religions, l'œuf ne contenait
pas toujours un oiseau de même
espèce : un vanneau, un héron en sortaient', ou bien, en mémoire d'Horus, un
I. Le nom dp lia a été expliqué dp diverses manierea. L'élymolofjio la plus répandue y reeonnalt
par exrellouoe (IIib.h di.us Wit.vrssin, Mannera and Cuttomt, ±- éd., t. III, p. *14), l'aulour de tout
(liait,*. n, Religion tinil Mythologie, p. 8fi-8T); l.aiilh (Aut /Egyptem Voneit, p. tfi, B8) va jusqu'à
déclarer que • US, malgré sa brièveté, esl un composé (a-t. faiseur — i*lre) ■. l.o mot n'csl m réalité
que le nom inouïe dp l'ji^lrc n [■ p-l ■■] ■]'- au dieu. Il sijfnitir- toleit, rien de plu*.
t. Los loxlcs d'Edmii inonlionnenl la faee d'Ilorus, munie de ici deux yeux (Naïille, Tertrt rela-
lift ou mythe d'Ilonië, pi. XXII, I. I): pour l'identinealion do l'teil droit du cliou aver lo soleil. cl\
les preuves irrécusables qu'uni recueillies Oiabas {Lettre à M. te f>' U. J.cptim »«r (et umlt fgyp-
lirnt tiguifiant la droite el ta gaurhe, dans la Zeittchrift, IRt",. p. 10) ot l.epsius {An Herrn
F. Chabot, ùber redit* and links in Hieroglyphitehen, dans la Zeittchrifl, I8fir>, p. 13).
S. Plusieurs passages tics r>iartiiilrs prouvent qui1, très anciennement, on se représentait les deux
yeux roimiio appartenant à la facp dp Nouft (Papi I", 1. KHI), et coite conception persista jusqu'aux
derniers joins ilu paganisme emplie». Nous ne devons doue pas nous étonner si les inscription* nous
montrent lo plus souvent le dieu 11.1 sortant du sein de Tioult sous la forme d'un disque ou d'un scara-
bée, ot naissant d'elle à la façon dont naissent les enfants des hommes (Papi 1", I. tu. llï, fi», etc.).
i. Ce sont les expressions mêmes qui sont employées au chapitre vvu du livre dei Mort! (éd. Ti.i-
(illk. t. I. pi. XXV, I. :;«-«|; Lui-sus, Totllenbueh, pi." IX, 1. uO-SIL
S. Dettin de llovditr. d'âpre* la statue en batallr vert du Mimée de Giifh. A'A'.V* dynattie IMvs-
pr.nn. Guide du Visiteur, p. SIS, n'frilS). Kilt- a été publiée deux fois par Mahiktte, Monument» direr*,
p[. OH A-H. ol Album photographique du Maure île Hoalaq, pi. X.
ronstaiilo dont il est mis eu rapport avec lloliopoli- el aver ses dieux nous montre aussi on lui une
l'omit! serouiliiire tle IIS. Cf. la ligure t|ue le soleil prend pondant la Iroisienio heure tin jour, dans lo
texte p.rlilié ot expliqué par Bai i.min, Die Kapitel der \ ei teand lange n (Zeittchrifl. ISO", p. ■ÎH).
LE SOLEIL HOMME.
de ces beaux éperviers dorés communs dans l'Egypte méridionale1. Un soleil-
épervier planant au ciel à pleine envergure offrait du moins à l'esprit une
image poétique et hardie, mais que dire d'un soleil-veau? C'était pourtant sous
l'aspect innocent et naïf d'un veau tacheté, d'un « veau de lait à la bouche
pure J » , que les Égyptiens se plaisaient à le décrire, quand ils faisaient de
Sibou, son père, un taureau, et d'Hàthor une génisse. La conception la plus
fréquente était encore celle qui comparait la vie du soleil à celle de l'homme.
Les deux divinités qui président à l'est recevaient Tastre sur leurs mains, au
sortir du sein maternel, comme les accoucheuses reçoivent le nouveau-né, et
l'entouraient de soins pendant la première heure du jour et de sa vie4. 11 les
1. Livre det Morte, cil. m-ri (Ut., édit. INaville, pi. I.XXXVIH. 1. S sqq.] et ch. LXXflII (pi. LXXXIX);
ef. les formes du soleil pendant la troisième cl la huitième heure du jour dans le texte public el
explique par Bmjckk, Die Kapi'el der Vericandlungen (ZeiUchrift, 1867, p. 23-24).
2. te» doute forma du loleit vivant pendant tri douze heures du jour, d'après te plafond de la
salie du Nouvel An à Edfou (RocHïKOsrEix, Edfou, pi. XXXIII c). — Dessin de Fauclur-Gudin.
3. Le veau est représenté au chapitre eu du Livre det Horti (édit. Naville, pi. CXX). où le texte
dit (I. 10-11) : • Je sais que c'est HarmaUiU le Soleil ce veau, qui n'eat autre que l'Étoile du malin
• saluant Hi. chaque jour ■. L'expression veau de lait à la bouche pure est empruntée mot pour mol
à une formule que les textes des Pyramides nous ont conservée (Ounoa, I. !0).
4. L'accouchement de la déesse et la naissance du soleil étaient représentés en détail à Ermcnt
(ClUFOLLHffl, Monument», pi. CXLV; Rojbllipu, Monument i det C.ullo, pi. Ll 1-1.1 II et Texte, p. 233 sqq. ;
90 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
quittait bientôt et s'avançait <r sous le ventre de Nouit », grandi et affermi de
minute en minute : à midi, c'est un héros triomphant dont la splendeur s'é-
panche sur toutes les créatures. Mais à mesure que la nuit approche, ses forces
l'abandonnent et sa gloire s'obscurcit : il se courbe, il se casse, il se traîne
péniblement comme un vieillard appuyé sur son bâton1. Il s'évanouit enfin der-
rière l'horizon, il plonge à l'Occident dans la bouche de Nouît, et lui traverse
le corps pendant la nuit, pour renaître d'elle au matin prochain et pour voya-
ger de nouveau sur les chemins qu'il avait parcourus la veille*.
Une première barque, la Saktîtr\ l'attendait à son apparition et l'emmenait
à travers l'Orient aux extrémités méridionales du monde. Une seconde barque,
la Mâzît\ le prenait au midi et le transportait dans le pays de Manou, à l'en-
trée de l'Hadès; d'autres barques moins connues le conduisaient par la nuit,
de son coucher à son lever matinal6. Tantôt on supposait qu'il y montait
seul : alors elles étaient fées et se dirigeaient d'elles-mêmes, sans rames, sans
voiles, sans gouvernail*. Tantôt on les armait d'un équipage complet, composé
comme celui des barques égyptiennes, pilote à l'avant pour sonder le chenal
et pour sentir le vent, pilote à l'arrière pour gouverner, quartier-maître au
milieu pour transmettre au pilote d'arrière les commandements de celui d'avant:
une demi-douzaine de matelots maniaient la perche ou l'aviron7. La barque
glissait pacifiquement sur le fleuve céleste, aux acclamations des divinités qui
en habitaient les deux rives. Parfois cependant Apôpi, un serpent gigantesque,
analogue à celui qui se cache encore dans le Nil d'ici-bas et qui en dévore les
berges, sortait du fond des eaux et se dressait sur le chemin du dieu8 :
Lepsius, Denkm., IV, pi. 60, a, c, d), et plus brièvement sur le sarcophage d'un des béliers de Mondes,
qui est conservé au Musée de Gizéh (Mariette, Monuments divers, pi. LXVI et Texte, p. 13-14).
1. Le progrès et la décroissance des formes du soleil sont marqués nettement dans le tableau que
Brugsch a publié le premier (die Kapitel der Verwandlungen, dans la Zeitschrift, 1867, p. 21-26 et
planche; Thésaurus Inscriptionum sEgyptiacarum, p. 55-59), d'après le cercueil de Khâf au musée
de Gizéh, et d'après deux tableaux de Dendérah (Description de l Egypte, Ant., t. IV, pi. 16-19) et de
la Chambre du Nouvel-An à Edfou (Chanpollioh, Monuments de VÈgypte et de la Nubie, pi. CXXII1
sqq. ; Rocheuonteix, Edfou, dans les Mémoires de la Mission du Caire, t. IX, pi. XXXIII c).
2. Maspero, Études de Mythologie et d' Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 218, note 2.
3. La forme la plus ancienne du nom e*tSamktit (Teti, 1. 222: Papi Pr, 1. 570, 670, etc.). Brugsch
(Dictionnaire Hiéroglyphique, p. 1327-1328) a fixé le premier le rôle de la Sakttt et de la Màzft.
4. Mânzit, avec la nasale intercalaire, dans les textes les plus anciens (Teti, 1. 222, 223, 344, etc.).
5. Dans les formules du Livre de savoir ce qu'il y a dans tlladès, le soleil mort continue à monter
la barque Saktft pendant une partie de la nuit. Il ne change de barque que pour traverser les quatrième
et cinquième heures (Maspero, Etudes de Mythologie et d' Archéologie Égyptiennes, t. Il, p. 69 sqq.).
6. La barque que le soleil navigue dans l'autre monde est de ce genre : bien qu'elle porte un équi-
page complet de dieux, elle avance la plupart du temps sans leur secours, par sa propre volonté. On
rencontre la barque où le soleil est figuré seul, dans beaucoup de vignettes du Livre des Morts (édit.
Navillk, pi. XXX, La, Ag, pi. CXIII, Pe, CXXX1II, Pa, CXLV)et au sommet d'un grand nombre de stèles.
7. Maspero, Études de Mythologie et d* Archéologie Égyptienne**, t. Il, p. 38-39.
8. La croyance au serpent monstrueux qui habite au fond du IN il et qui incarne le génie du fleuve
est fort répandue dans la liait te-Égypte. Au retrait de l'inondation, il produit les éboulements (bala-
bit) qui détruisent souvent les berges et mangent des champs entiers : on lui fait alors des offrandes de
LES NAVIGATIONS DU SOLEIL 91
l'équipage courait aux armes et engageait la lutte contre lui, à force prières et
coups de piques. Tant qu'elle se prolongeait, les hommes voyaient le soleil
défaillir et cherchaient à le secourir malgré l'éloignement : ils criaient, s'agi-
taient, se battaient la poitrine, sonnaient leurs instruments de musique, frap-
paient à tour de bras sur tout ce qu'ils possédaient de vases ou d'ustensiles en
métal, pour que la rumeur, montant vers le ciel, effrayât le monstre. Après
quelques minutes d'angoisse, Râ surgissait de l'ombre et reprenait sa course,
tandis qu'Apôpi se recouchait dans l'abîme1, paralysé par la magie des dieux
et percé de vingt blessures. À part ces éclipses momentanées dont nul ne
savait prédire le retour, le roi Soleil poursuivait régulièrement son voyage
autour du monde, selon des lois auxquelles sa volonté même ne pouvait rien
changer. Jour après jour, il montait obliquement de l'orient vers le sud pour
redescendre obliquement du sud vers l'occident. L'obliquité de sa course
diminuait pendant les mois d'été et il semblait venir vers l'Egypte, elle aug-
mentait pendant les mois d'hiver et il s'éloignait : il exécutait son double
mouvement avec tant de régularité, d'équinoxe en solstice et de solstice en
équinoxe, qu'on pouvait prédire à jour fixe et son départ et son retour. Les
Égyptiens expliquaient ce phénomène au gré des idées qu'ils se forgeaient
sur la constitution du monde. La barque solaire côtoyait toujours celle des
berges qui est le plus voisine des hommes. Au moment où le fleuve, gonflé par
la crue annuelle, débordait sur ses rives, elle sortait avec lui du lit accoutumé
et se rapprochait de l'Egypte. A mesure qu'il décroissait, la barque descen-
dait et se retirait : son plus grand éloignement correspondait au niveau le
plus bas des eaux. A l'inondation suivante, la force ascendante du flot la
ramenait vers nous, et, comme le phénomène se répétait chaque année, les
fluctuations périodiques du Nil d'en haut entraînaient pour conséquence
nécessaire la périodicité des mouvements obliques du Soleil5.
dourah, de poulets, de dattes, qu'on lui jette pour apaiser sa faim. Ce ne sont pas les indigènes seu-
lement qui se livrent à ces pratiques superstitieuses : pendant l'automne de 1881, une partie des ter-
rains de l'hôtel de Karnak, à Louqsor, étant tombés à l'eau, le gérant, un Grec, offrit au serpent du Ml
les sacrifices accoutumés (Maspbro, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptie fines, t. II, p. 412-113).
1. Le caractère d'Apôpi et sa lutte contre le soleil ont été fort bien définis dès le début, par
Champollion (Lettres écrites d'Egypte, 2* édit., 1833, p. 231 sqq.), comme étant la lutte de la lumière
contre l'obscurité en général. Dans certains cas fort rares, Apôpi parait l'emporter, et son triomphe
sur Rà fournil une explication de l'éclipsé solaire (Lf.pkbirk, les Yeux d'Horus, p. 49 sqq.; Lkpace-
Kr.nouf, The Eclipse in Egyptien Texts, dans les Proccedings de la Société d'Archéologie Biblique,
1884-1885, t. VIII, p. 163 sqq.) analogue à celle qu'on rencontre chez beaucoup de peuples ; cf. E. Talor,
la Civilisation primitive, t. 1, p. 376 sqq. Dans une vieille forme de la légende, le serpent, nommé
llaîou, attaquait le soleil figuré par un âne sauvage, et courant autour du monde, sur le flanc des
montagnes qui étayent le ciel (Ounas, 544-545; Livre des Morts, ch. XL, édit. Naville, t. I, pi. LIV).
2. Cette interprétation des croyances égyptiennes sur la marche oblique du soleil a été proposée
par Maspkro, Éludes de Mythologie et d' Archéologie Egyptiennes, t. II, p. 208-210 : elle n'est ni
plus étrange ni plus puérile que la plupart de celles que les anciens cosmographes grecs avaient
92 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
Le même courant qui l'emportait charriait aussi tout un peuple de dieux,
dont la nuit seule trahissait l'existence aux habitants de notre terre. Le disque
pâle de la Lune — Jâouhou. Aouhou ~- suivait celui du Soleil en barque, à
douze heures de distance, le long des remparts du monde'. 11 était, lui aussi,
vingt êtres divers, ici un homme né de Nouît1, là un cynocéphale ou un
ibis3, ailleurs l'Œil gauche d'Horus*, gardé à vue par l'ibis ou par le cyno-
céphale. Comme Rà, il avait ses ennemis qui le guettaient sans relâche, le
crocodile, l'hippopotame, la truie. C'était surtout dans son plein, vers le
15 de chaque mois, qu'il courait les plus grands périls. La truie fondait sur
lui, l'arrachait de la face céleste et le jetait au Nil d'en haut, ruisselant de sang
et de larmes'. Il s'y éteignait graduellement et s'y perdait pendant quelques
énoncées du même phénomène (Lbtmwsf., Opinions populaire» et sric/ili/lques des Grecs sur la
roule oblique du soleil, dan» ses OEuvret choisies, ï" sér., I. I, p. 336-353).
1. Le dieu Tholh-l.uno esl représenté, au sommet de» stèles, seul, assis dans sa barque, sous forme
d'homme a tôle d'ibis ou de disque lunaire (Ljbio.se, Dizionario di Milotugia Egizia. pi. XXXVII-
S.XXVII1); on Ml d'ailleurs dans le De Istde (chnp. nxtv, éd. PtimtEV, p. 58) : "IUiov !i *«l ïlilW où/
âpu,aaiv iXJi itïofoi; àyjfuuun xpiupivou; jtEpmltEy «il. Les exemple» le* plus frappants s'en trouvent
sur les plafonds astronomiques d'Esnéh et de Dendcrab, souvent reproduits depuis qu'ils ont été
publiés, au commencement du siècle, dans la Description de [Egypte, An!., 1.1, pi. LXXIX ; t. IV, pi. XVIII.
1. Un le voit sous forme d'enfant ou d'homme portant lu disque lunaire sur la tête et pressant l'eeil
lunaire etndiv «;i poitrine (I.amijm:, Diiitmarw, pi XXXV], 4, i, WlLKUrwa, Manners and Customs . 4* éd.,
I. III, pi. XXXVI, 3 et p. no, n° 51). Le degré de parente entre Thot, Sibou et Noull est indiqué
par les passades de la pyramide d'Uunas (I. Ï3tl, 140-151) qui montrent en Thot le frère dïsis, de Slt
et de Ncphthjs; plus tard on lit de lui un fils de M (BRiicscn, Hetigion und Mythologie, p. US).
3. Le temple de Thot à Khmnunou renfcrniaït encore à l'époque gréco-romaine un ibis sacré, incar-
na lion du dieu, et que le sacerdoce local disait être éternel: les sacristains du temple l'avaient
montré au grammairien Apion, qui rapporte le fait, tout en n") croyant pas (Anos Oisin, fragm, 1 1.
dans Mf'i.LKk-DlMT, Fragmenta historirontm girrorum, t. III, p. Siï). Voir l'image du dieu Thot
cynocéphale dans Wilïissos, Mamiers and Customs, t' éd., t. Il, pi. XXXVI, l.
1. Les textes allégués par Chalias et par Lepsius (p. R8, note t) pour montrer que le disque du
soleil est l'œil droit d'Ilorus prouvent aussi que celui de la lune est l'reil gauche du même dieu.
5, Dessin de r'aitchcr-t'.udiii. d'après le plafond du llamesiéiim. A droite, l'hippopotame femelle
portant le crorodite, et appuyée sur la MonfiV; au rentre, la Cuisse, représentée ici par le taureau
entier; à gauche, SelAlt, VEperrier, puis le Lion et te d'uni luttant contre le Crocodile.
G. Les faits sont racontés d'une façon brève mais suffisamment intelligible aux chapitres cm
LES DIEt'X-ÉTOILES. 93
jours, mais son jumeau le Soleil ou le cynocéphale son champion partaient
aussitôt à sa recherche et le rapportaient à Horus. A peine remis en place, il
guérissait lentement et recouvrait son éclat : quand il était sain — ouzaît', —
la truie l'attaquait et le mutilait, puis les dieux le recueillaient et le ravivaient
de nouveau. Il fournissait chaque mois quinze jours de jeunesse et de splendeur
croissantes que suivaient quinze jours d'agonie et de pâleur progressives :
il naissait pour mourir et mourait pour renaître douze fois dans l'année, et
chacune de ses crises mesurait un mois aux habitants du monde. Entre temps,
un accident toujours le même troublait la routine de son existence : la truie,
profitant d'une distraction des gardiens, l'avalait gloutonnement, et sa lumière
s'effaçait brusquement, d'un seul coup, au lieu de s'affaiblir par degrés. Ces
éclipses, qui effrayaient les hommes au moins autant que celles du Soleil,
ne duraient jamais bien longtemps; les dieux obligeaient le monstre à vomir
l'œil avant qu'il l'eût digéré1. La barque lunaire débouchait chaque soir de
l'Hadès par la porte que Rà avait franchie le matin, et, à mesure qu'elle
montait à l'horizon, les lampes-étoiles éparses au firmament apparaissaient
l'une après l'autre, comme on voit s'allumer à l'aventure les feux d'une armée
et chu du Litre des Morts (éd. N.mius, t. I, pi. CXXIV-CXXV: éd. I.kpsius. pi, Xl.lll), donl l' importance
a pli- signalée par Gooilwin (On thf It^C/tapier of the Diluai, dans la ZcitscArift, IS7I, p. 141-147),
la première partie de son ouvrage sur lo Mythe Osirirn : I. les Ymx rf'Wcin».
I. J'ai indiqué le sens exact de celte expression, p. lit, note 1, el p. RS. note 4, de cette Histoire,
t. Pour Ici pli cal ion de ce petit drame, cf. l'ouvrage de LefMuhk, les Yeux d Horus, p. 43 sqq.
94 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
lointaine. Autant on en pouvait compter, autant il y avait d'Indestructibles — -
Akhîmau Sokou — ou d'Immuables — Akhtmou ourdou — chargée de les ser-
vir et de veiller à leur entretien'.
La main qui les avait suspendues ne les avait pas disséminées au hasard :
une méthode certaine
avait présidé à leur
répartition, et elles
s'agençaient en groupes
invariables qui for-
maient comme autant
de républiques d'étoi-
les, indépendantes de
l* cuisse de BŒ«r cici.Usd * l'mwpopotahe fbhllr*. leurs voisines. Elles
dessinaient des corps
d'hommes ou d'animaux dont les contours, esquissés vaguement sur le
fond de la nuit, se rehaussaient de flammes plus brillantes aux endroits les
plus importants. Sept d'entre elles, où nous sommes accoutumés à deviner
un chariot, simulaient pour les Egyptiens l'image d'une cuisse de bœuf posée
sur le bord septentrional de l'horizon1. Deux moindres rattachaient la Cuisse
— Maslchait — à treize autres dont l'ensemble rappelait la silhouette d'un
hippopotame femelle — Rirît — dressé sur les pattes de derrière* : celui-ci
1. Les Akhtmou-Sohou et les Akhtmou-Ourdou ont été définis do façon fort différente par les divers
nryploluftucs qui se sont occupés d'eux. Chabas {Hymne à Osirii, dans la ton archéologique, I"sér.,
t. XIV, p. 71, n. t, et le Papyrus magique Marris, p. RÏ-84) y reconnaissait les génies ou les dieux,
clos constellations de l'écliplique, qui marquent dans le ciel la route apparente du soleil. Il y voyait
aussi, sur les indications de Dévéria, les matelots de la barque solaire et peut-être les dieux des
douze heures, divisés en doux fiasses : ceux qui rament, les Akhtmou Sokou, ceux qui reposent, les
AkMmou-Ounlou. Il résulte au contraire des passages découverts et cités par Hrugscli {Thésaurus
Inscriptionuni .Egyptiacarum, p. 40-44; die Mgyptologie, p. 3il sqq.), que les Akhtmau-Sokou sont
les astres qui accompagnent Hà dans le ciel du nord, les Akfttmou-Ourdou , ceux qui l'escortent dans
le ciel du midi. La nomenclature de* étoile! qui appartiennent » ces deux classes nous est fournie
par des monuments d'é|ioqucs très diverses (Bnrcsm, Thésaurus lusrriptionum .Ëgyptiacarum.
p. 1!> sqq). Les deux noms doivent se traduire, chacun selnn le sens des mois qui le composent,
Akhtmon Sokou, ceux qui uc connaissent point la destruction, les Indestructibles, Akhtmou Our.ou
{Ourdou), ceux qui ne connaissent pas l'immobilité produite par la mort, les Impérissables.
i. Dessin de Faucher-liudin, d'après vue des scènes du zodiaque rectangulaire sculpte" au plafond
du grand temple de Dendérah{uC»K«r.i,He-uttate, 1. Il, pi. XXXIX).
3. La Tonne et le nombre des étoiles qui composaient les constellations nous sont révélés, pour les
ilitlV rente. i'|ifii|in's. par les tableaux astronomiques des lombes et dos temples. L'idenlilé de la Cuisse
avec le Chariot, la Grande Ourse de l'astronomie moderne, a été découverte par Lepsius (Einleïtung
swr Chronologie der Mgypter, p. 184] et confirmée par Bint {Sur les restes de l'ancienne Vranographie
égyptienne que l'en pourrait retrouver aujourd'hui chet le* Arabes gui habitent f intérieur île [Egypte,
p. al sqq.. extrait du Journal des Savant*:. 1854). Mariette a signalé chez les Dt'douins des l'viamide*
le nom de f.'tf'W [cr-liigl) appliqué au mémo groupe d'étoiles qui le portait cher les anciens Kgyp
tiens {rt. Bkicm k, die .F.gyplnluijie, p. 343), Cliampollion avait noté exactement ta place que la
Cuissr occupait dans le riel du nord {Dictionnaire hiéroglyphique, p. A'-V.>\. mais n'avait préposé aucune
identification pour elle. Elle appartenait à Sll-Typlion {De Iside et Otiride, S il, édit. Pabtmiï, p. 3K).
4. L'hippopotame femelle, Itiril, se relie à la Cuisse de manière évidente dans les tableaux de
LES HORUS DES PLANÈTES.
9o
portait gaillardement sur ses épaules un crocodile monstrueux dont la gueule
s'ouvrait menaçante au-dessus de sa tête. Dix-huit points lumineux de taille et
d'éclat différents jalonnaient les lignes d'un Lion gigantesque couché la queue
raide, la tête droite et tournée vers la Cuisse, dans l'attitude de la bête au
repos1. La plupart des constellations ne quittaient jamais notre ciel : nuit après
ORION, SOTRIS ET TROIS HORUS-PLANÈTES DEBOUT SUR LEURS BARQUES*.
nuit, on les retrouvait à la même place, ou peu s'en faut, et scintillant d'une
intensité toujours égale. D'autres s'animaient d'un mouvement lent qui les
faisait dériver chaque année au delà des limites de notre vue et les tenait
cachées pendant des mois entiers. Cinq au moins de nos planètes étaient con-
nues de toute antiquité, chacune avec sa couleur et ses allures propres qu'on
s'efforçait de noter : on y croyait voir souvent autant d'Horus à tête d'éper-
vier. Ouapshetatooui, notre Jupiter, Kahiri-Saturne, Sobkou-Mercure condui-
Philse et d'Edfou (Brugsch, Thésaurus, p. 126-127) : c'était Isis tenant Typhon enchatné pour l'em-
pêcher de nuire à Sàhou-Osiris (Id., p. 144). Jollois et Devilliers (Recheî'ches sur les bas-reliefs
astronomiques des Égyptiens, dans la Description, t. VIII, p. 451) avaient cru reconnaître l'hippo-
potame dans notre Grande Ourse. Biot (Recherches sur plusieurs points de l'astronomie égyptienne*
p. 87-91) combattit leurs conclusions, et, tout en déclarant que l'hippopotame pouvait répondre pour
une partie au moins à notre constellation du Dragon, pensa qu'il n'était probablement placé dans le
tableau qu'à titre d'ornement ou d'emblème (cf. Sur les restes de C ancienne uranographie égyp-
tienne, p. 56). Aujourd'hui on penche à l'identifier avec le Dragon et avec un certain nombre
d'étoiles détachées des constellations qui environnent le Dragon (Brugsch, Die AZgyptologie, p. 343).
1. Le Lion est représenté avec ses dix-huit étoiles au tombeau de Séti {"'(Lkfébure, le Tombeau de
Séti l*r, 4* part., pi. XXXVI, dans les Mémoires de la Mission française, t. II), au plafond du Rames-
séum (BitRTOtt, Ejcerpta Hicroglyphica, pi. LVIII, Kosellim, Monument i del Culto, pi. LXXII, Lepsius,
Denkmâler, III, 170) et sur le sarcophage de Htari (Brugsch, Recueil de monuments, t. I, pi. XVII); il
a parfois une queue de crocodile. D'après Biot (Sur un calendrier astronomique et astrologique
trouvé à Thèbes en Egypte, p. 102-111), le Lion égyptien n'a rien de commun avec le Lion grec et
avec le nôtre; il serait composé de petites étoiles appartenant à la constellation grecque de la Coupe
ou à la continuation de l'Hydre, de sorte que sa tête, son corps et sa queue feraient suite à a de
l'Hydre entre ç' et Ç de cette constellation ou y de la Vierge.
4. D* après le plafond astronomique du tombeau de Séti Imr (Lefébure, 4e partie, pi. XXXVI).
96 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
Baient leur barque droit devant eux à la façon d'Iàouhou et de Râ, mais Mart-
Doshiri, le rouge, dirigeait la sienne à reculons, et Bonou l'oiseau (Vénus) se
manifestait comme un astre en deux personnes1. Le soir, on l'appelait Ouàiti,
l'étoile solitaire qui pointe la première et souvent sans atten-
dre que la nuit soit tombée ; ie matin il devenait Tiou-noutiri,
le dieu qui salue le soleil avant son lever et qui annonce aux
vivants la venue prochaîne du jour*.
Sàhou et Sopdft, Orion et Sirius, étaient les souverains de ce
monde mystérieux. Sàhou se composait de quinze étoiles, sept
grandes et huit petites, rangées de façon à représenter un cou-
reur lancé à travers l'espace; la plus belle brillait au-dessus de
sa tète et le signalait de très loin à l'admiration des mortels.
Il brandissait une croix ansée de la main droite; la tète inclinée
vers Sothis, il l'appelait de la main gauche, et semblait l'invi-
ter à le suivre. La déesse debout, le sceptre au poing et cou-
ronnée d'un diadème de hautes plumes que surmonte le plus
puissant de ses feux, répondait du geste à son appel, et mon-
tait derrière lui sans se hâter, comme si elle ne se souciait
pas de le rejoindre3. Ou bien elle était une vache couchée dans
la barque, avec trois étoiles le long de l'échiné et Sirius
flamboyant entre les deux cornes*. Elle ne se contentait
itwMMmiœi . p0int de scintiller la nuit, mais ses rayons bleuâtres projetés
brusquement en plein jour, sans que rien permît de prévoir leur appa-
rition, dessinaient souvent au ciel les lignes mystiques du triangle dont
1. Les personnages qui représentent les cinq planètes connues des anciens Égyptiens ont été
distingués pour la première fois par Lopsiua (Einleitung zur Chronologie der £gypter, p. 81 sqq.),
puis leurs noms établis en partie par BrugBCh (Nouvelle! Recherche» tur la diviiion» de l'année
chez le» ancien! Égyptien*, luiniet d'un mémoire »ur det observation» planétaire!, p. 110 sqq.) et
liiés définitivement par E, do Hougé (Sole tur In nom» égyptien* de* planète», dans le Bulletin
archéologique de VAthinmum françai», t. Il, p. IB-it, 15-Î8).
t. Le lien entre Ouàiti et Tiou-noutiri, entre l'étoile du Soir cl celle du Matin, a été signalé pour
la première fois par Brugsch (Thetauru* interiptionum, p. Ti sqq,, et die .Egyplologic , p. 331-337).
3. C'est la façon dont Sàhou et Sopdil sont représentés au llamesséum (BCKTOH, Excetpta, pi. LVI1I;
Rosellim, Monument! det C.ulto, pi. LXXI; Lewis, Denkm.. III. 170). au tombeau de Séli ]-(LErÈsm:,
le Tombeau de Séti l-, 4* part., pi. XXXVI. dans les Mémoire» de ta MUlion française, I, II), et, avec
quelques variantes, sur d'autres monuments (Baucscn, Thésaurus Inicriplionum, p. 80). Champollion,
qui avait reconnu le personnage d 'Orion dans le tableau astronomique de Dendéral), lisait le nom
Ketke» ou Ko», je ne sais d'après quelle autorité (Grammaire Egyptienne, p. OS). Lepsius (Einleitung
zur Chronologie, p. 71) proposa Sek, et E. de Hougé trouva la véritable lecture Sàhou (Mémoire sur
l'inscription rTAhmct, p. 88 sqq.). Champollion transcrivait de même Thot. Tel, le nom de Sothis, sans
se tromper d'ailleurs sur l'identité de la déesse (Grammaire Égyptienne, p. 96, Mémoire tur le*
ligne» employé» par le* ancien* Égyptien» à ta notation de» divisions du temps, p, 38); Lepsius a le
premier déchiffré exactement le groupe (Einleilung zur Chronologie, p. I35-I3G).
1. Détail) de Faucher-Gudin, d'après la itatuetle en bronze du Mutée de Gizéh, publiée dan» Mimetti,
Album photographique du Musée de Floulaq, pi. il. Les jambes sont une restauration moderne.
5. L'identité de la vache avec Sothis a été découverte par Jollnis cl de Villiers (Sur les bas-relief»
ORION ET SOTHIS. 97
on écrit son nom : elle produisait alors ces curieux phénomènes de lumière
zodiacale que d'autres légendes attribuaient à Horus lui-même1. Une des mille
histoires qu'on racontait sur ce couple de dieux, une des plus anciennes peut-
être, faisait de Sâhou un chasseur sauvage1. Le fer du firmament supportait
un monde aussi vaste que le nôtre, divisé comme lui en mers et en continents,
entrecoupé de rivières et de canaux, peuplé de races inconnues aux hommes.
Sàhou le traversait pendant le jour, entouré des génies qui présidaient aux
lampes dont sa constellation se compose. Dès qu'il se montrait, « les astres
se préparaient au combat, les archers célestes se précipitaient, tes os des
dieux qui sont à l'horizon tremblaient à sa vue », car ce n'était pas gibier
ordinaire qu'il courait, mais les dieux eux-mêmes. Tandis que l'un des pi-
queurs arrêtait la proie au lasso comme on saisit les taureaux dans les pâtu-
rages, un second examinait chaque prise pour décider si elle était pure et
bonne à manger. La vérification terminée, d'autres liaient la victime divine,
lui ouvraient la gorge, lui extradaient les entrailles, la dépeçaient, en jetaient
les morceaux dans la marmite et en surveillaient la cuisson. Sàhou ne dévorait
pas indifféremment tout ce que (e hasard de ses battues lui livrait, mais il
•utronomiipiti. dans la Description de l'Egypte, 1. VIII, p. Ifii-iilH). Sothis e*! rppréM-iiti'f *<-•"*
relie forme animale dann la plupart clos temples d'époque lircco-romaine, il DrnaVrah, k fidfou, il
Ksntih, à Dcir rl-Xrdinch (ilKii.srin, Thrtavrti» In-riptionum .■Egyptiacarum, p. Kif-82).
I, Biu-r.sc>, & ou la lumière iodiacaU dan» les Proceedingi de In Société d'ArcliéolORic Biblique,
IK91-1B83, t. XV, p. «3, cl liant. Ilm»,^ r.nw. Im lleirhe det Lichtet, p. itn-lf,.
î. Pour celle légende, voir Ounat, I. -t!«i-rrfS. et Teli, I. 318-331. I.c koiis en a Ole indiqué par
Hi^mro, Etudet de Mythologie et <C Archéologie Egyptienne*. I. I. p,8G»qq.: I. Il, p. 18 sqq., t3l-i3ï.
3. Tableau emprunté au zodiaque rectangulaire de Douterait. Deiittt de. Faurhcr-C.udin, d'aprèt
In photographie priée à la lumière du magniiiiim par Dlinicmui, lleiullate. pi. XXXVI.
98 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
séparai! son gibier en catégories pour en user selon ses besoins. Il absorbait
les grands dieux le matin à son déjeuner, les moyens à son diner vers midi,
les petits à son souper: les
vieux et les vieilles pas-
saient au four. Chacun
d'eux, en s'assimilant à
lui, lui infusait ses vertus
les plus précieuses : la sa-
gesse des vieux renforçait
sa sagesse, la jeunesse des
jeunes réparait ce qu'il
usait journellement de sa
propre jeunesse, et leur
flamme, pénétrant en lui,
entretenait toujours clair
l'éclat de ses flammes.
C'est à l'une ou à l'autre
de ces catégories naturelles
no.v«I iKXTinU a Binon de wpkk ei pobt.ist ses attbiblts'. "
que lesdivinités des nomes
se rattachaient toutes, celles qui présidaient aux destinées des cités de
l'Egypte et constituaient au-dessus de la féodalité des hommes une véritable
féodalité de dieux*. En vain s 'offrent -elles à nous avec les faces les plus
mobiles et les attributs les plus décevants : quelque soin qu'elles mettent à se
déguiser, quand nous les dévisageons de prés, nous finissons le plus souvent
par démêler les traits principaux de leur physionomie originelle. Osiris du
Delta1, Khnoumou de la cataracte*, Llarshàfitou d'Héracléopolis5 incarnaient
I. Tableau du mur Nord de la Sa/le hyp style de Knriiak: dessin de Doudicr, d'après une photi -
graphie d'Imiinjei, priie en IHKi. Le roi Séti I" présente le bouquet de feuilles h A ni on -M lu ou.
derrière lequel la ennuie Isis (de Coptusj ne lient debout, le sceptre et l,i croi* ansée en main.
i. libnmpollinn avait déjà reconnu fort nettement ce caractère primordial do ta religion égyptienne.
. Ces dieus, disait-il, s'étaient, en quelque sorte, partagé rkgv|>tc et la Nubie, constituant ainsi une
itspècc de répartition féodale. • (Cihïpillios. Lettres rentes d'Egypte, f éd.. 1839, p. 157.)
i. L'identité il'Osiris el du !\il était Lien connue des écrivains île l'époque cla>sique : ai & oo?uJïepùi
;r.jv ir^ÉMv rj-j U.0VOV :<jv ytii'i.ifi "Oaipiv ïiV'.'jitiï,... i'/'i.i "Oiipiv uiv iiûiû; inomaï rr,v ifvj-oiijv
î-./r.v y. ai 5Jvnu.lv, aïriav yiviaiMt ï*l nîrÉpjinTo; w'jaiai iay.i"ni-iz... tôy Bà "Ompiv au irà/.iv jAtlâv-
/P'.'jv -■;Yt,'JFV'; P'J'««ï™" (We '*'rf' e> O'iride, $ ïïmii, éd. l'mrHEr, p. !iT ; cf., ^ mltl, |i. jl).
|]'élait là en effet son caractère originel, relui auquel sont venus s'adjoindre et qu'ont recouïerl
Ou partie les attributs différents qu'on lui attribua en le confondant a ver (Vautre* diouv
1 l'our l'analyse du rôle que l'on prêtait au dieu Klinoiiriiuu de la cataracte, et pour son identité
avec le Ml, voirMisrKiut, Études de Mythologie et ilAretiMogie Egt/ptûruiiri, i. Il, p. *"3 sqq.
:i. I.e rote du dieu llarsinifllou. 'ApTisr,;. il 1ler:irleu|ioli- ll;iun:i n'a pas encore été étudié ranime
il mériterait de l'être. Brunch (Ileligimi uiid Mythologie, p. 3U3-:H1N) admet encore que c'est un
doublet de Khnouiiiou et telle est l'opinion le plus généralement reçue, Mes recherches personnelles
m'ont amené à le considérer co le étant un dieu Ml. ainsi que tous les dieu* à tète de bélier.
chacun en son particulier le Nil fécondant et nourricier. On les trouve établis
et adorés de préférence dans les localités où un changement :
tant s'opère au régime des eaux : Khnoumou à l'endroit i
entrent en Egypte, puis au bourg de Hàourit, vers le poir
grand bras se détache du fleuve de l'Est pour se porter
montagne Libyque et pour former le Bahr-Yousouf; Har-
shàfitou aux gorges du Fayoum, quand le Bahr-Yousouf
se jette hors de la vallée, Osiris enfin à Mendès et à
Busiris, vers l'embouchure de sa branche médiane, celle
que les habitants considéraient comme étant le Nil par
excellence'. Isis de Bouto exprimait à leurs yeux l'humus
noir de la vallée, la terre même de l'Egypte sur laquelle
dation s'étend et qu'elle rend mère d'année en année'. A
traire la terre en général, la terre appareillée au ciel, !:
avec ses continents, ses mers, ses alternances de déserts
et de contrées fertiles, était un homme, Plitah à Memphis',
à Thébes, Mfnou à Coptos et à Panopolis1. Atnon repré
plutôt le sol qui produit, tandis que Minou régnait au d<
mais ce n'étaient là que des nuances où l'on ne s'arrêtait
manière invariable, et les fidèles revêtaient souvent Ame
même des attributs de Minou les plus significatifs. Comme I
dieux-Terre, les dieux-Ciel se partageaient en deux groupe
l'un de femmes, Hàthor de Dendérah ou Nit de Sais; l'autre ni
d'hommes identiques à Horus ou dérivés de lui, Anhouri-
Shou" de Sébennytos et de Thinis, Harmerati, Horus les deux yeux, à Pharbœ-
thos7, Har-Sapdi, Horus source de la lumière zodiacale, dans l'Ouady Toumilât",
1. Htm&O, Eludei de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. II. p. 333.
i. Encore à l'époque grecque, la lerre est tantôt Isis même (De laide tt (friride,% xiiïiii, éd. Païtiih.
p. S4. § l'H. p. !!>*), tantôt lo corps d'Isis : "Idiîo; a<uu.« fT,v ïyvjti xsl vop.i;Vjsiï, o'j nàiEv,
oUâ' îj; 6 NtîXo; hrulatat OTitpu,»ivwv *«i u,ivvCu,evo;- £* 5e tf,; a-jio'jiia; totjtij; vS„M3, T;JV
'Ûpov (M.. S kxtviii , p. ï,B-6G). Il s'a(,'it pour elle, comme puni- Osiris, de marquer ce qu'était son
caractère orLKinel. celui qu'elle avait en tant que déesse ilu Itella ; elle devint plus tard une personne
multiple et contraria ! ■•• ; ;■■ ' ■ <* ".simi qu'on fit d'elle avec un certain nombre d'autres divinités
3. La nature de phlah se manifeste dans les procédés de création et dans les surnoms divers
Tout», To-tBui.iir.il (Bmtriùi, Hrligien und Mythologie, p. 509-511 ; Win».»*, Die lleligioii der allai
.ïlgypter, p. 7l-"5). que plusieurs ili -es formes les plus anciennes avaient pris à Sleinpliis.
i. A mon el son \oi«in Minou. de Oiptos, sont en eiïet ily phalliques l'un et l'autre et momies à l'nc-
casionï ils se coiffent également ii jrlier surmonté des deux longues plumes.
rr. Drttiil de r'aurhtr-tinJtn. d'npret une. statuette en bronze d'épognr suite, eu mil poileltwn.
à l'autre, voir Mispkiw, E'udei de Mythologie et d Archéologie Égyptiennes, t. Il, p. 3.'.j. S.ïii-*iT.
T. IIiui.sh, nrlii/uiit mu! ilt/t/iultit/ir iler allrn .Ij/yplrr, p. fli',7 ; I.o/iim., Ihzinnario di Miloloijia
£gizi„, p. eie-eio.
8. BartsCM. A ou la lumière ïmliaralr dans tes l'rmeetling* île la Société d'Airlii'oloeie Biblique,
400 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
enfin Harhouditi à Edfou'. Rà, le disque solaire, trônait à Héliopolis, et les
ils étaient nombreux parmi les dieux des
imes, mais des Soleils alliés de fort près
; représentants du ciel et qui tenaient d'Ho-
îoins autant que de Rà. Le ciel, qu'on le
florus ou Anhouri, s'était en effet identifié
avec son astre le plus éclatant, arec son œil
inité s'était comme fondue dans la divinité
-soleil et Rà, le dieu-soleil d'Héliopolis, se
en à leur tour qu'on ne sut plus dire oit
ni où l'autre finissait : Horus usurpa suc-
; les rôles de Rà et Rà s'empara de toutes
'Horus. Le soleil s'intitula : Harmakhouitî,
ux montagnes, l'Horus qui sort de la mon-
au matin, et qui, le soir, rentre dans la
l'Ouest3; Hartimâ, l'Horus piquier, l'Horus
sa lance l'hippopotame ou le serpent des
'; Harnoubî, l'Horus d'or, le grand épervier
imes bariolées qui met tous les oiseaux en
fuite1, et ces dénominations s'appliquf-rerit
indistinctement à chacun des dieux féo-
daux qui représentaient le soleil. Ils
étaient nombreux. Les uns joignaient au
" ' "h " '"""'"■" terme générique d'Horus une qualification
géographique, Harkhobi, l'Horus de Khobiou7; les autres assumaient un nom
1B9i-tn33. t. XV, p. J38; cf. sur te rôle féodal d'Horus Sapdi, ou Sajxtlti, à l'orient du Delta,
Barcsca, ttclitjion vnit Mythologie der Alten .f.gypter. p. 566-B7I.
I. Lu lecture llar-Belioudlli a été pro|M>séc par M. Lepage-llenouf (Procredings de la Société d'Ar-
chéolo|<ic, UWj-IRRti, p. 143-IJI) et adoptée |kip la plupart des é|i> ptoloeues : elle ne me parait pas
être établie asse* fermement pour qu'il soit nécessaire de rhaiiffer In lecture ancienne llaudit, du nom
de la ville d'Kdfou (M.ispkro, Elude» de Mythologie et a" Archéologie Egyptienne*, t. 11. p. 313, note S).
i. La confusion d'Horus, le ciel, avec lia, le soleil, a fourni ,i V. Lefébure la matière d'un des
clin pi Ires le plus inléivssanls de ses lVnr d'Horus, p. !ll sqq., auquel je renvoie pour le détail.
3. Ilaruiakhoulti est identifié, depuis Champollion, avec l'Harmakhis des Grecs, le jirand Bphin\.
.(. Ilar-timâ a été considéré pendant longtemps comme un Iturus faisant la vérité par la destruc-
tion de ses adversaires (PcEHi.LT, le Panthéon égyptien, p. ttt-ît). J'ai donné le sens véritable de ce
nom dès 1R7U, dans mes cours du Collège de Fiance (MisfEBO, Etude» de Mythologie, t. 1, ». 411).
<;. Ilarnoubi est le dieu du nome ÀnUcopolile (J. i.t IIwok, Textes géographiques du temple d'Edfou.
dans la Itevue archéologique, f série, t. XXII, p. 6-î : cf. Bai^sca, Dictionnaire géographique, p. Km).
G. Statuette de brome de la collection Posno. aujourd'hui au Louvre (époque faite): detsin de
Faiicher-Gudin. Le dieu était représenté levant à deu* mains le vase à libations et versant l'eau vivi-
fiante sur le roi debout ou prosterné devant lui : le vase, qui était rapporté, a disparu. Horus est tou-
jours aidé dans celte cérémonie par un autre dieu, le plus souvent Sit, quelquefois Thot ou Ànubis.
. . 7. liar/thobi. Haroumkhobiau est l'Horus des marais {khobiou) du Itclta, le petit Horus fils d'isi*
■ * tBm-nsr.a, Dictionnaire géographique, p. SC8 sqq.). dont on fit également le fil» ilOsiris.
L'ËfîALITË DES DIEUX ET DES DÉESSES. 101
spécial dérivé presque toujours du rôle qu'on leur prêtait. Le dieu-ciel adoré à
Thinis dans la Haute-Egypte, à Zorîli et à Sébennytos dans la Basse, s'appelait
Anhouri : lorsqu'il se con-
fondit avec Rà et lui em-
prunta sa nature solaire, on
interpréta son nom comme
s'il signifiait le conquérant
du ciel. C'était en effet un
batailleur : la tête cou-
ronnée d'un rang de plumes
droites, la lance levéeet tou-
jours prête à frapper l'en-
nemi, il s'avançait le long
du firmament et le côtoyait
triomphant chaque jour1.
Le soleil qui dominait avant
Amnn sur la plaine thé-
baine, à Médâmôt.àTaoud,
à Erment, était de même
un guerrier et son nom de Montou rappelait sa façon de combattre : on le
peignait brandissant le sabre recourbé et tranchant la tête de ses adversaires'.
Chacun des dieux féodaux nourrissait naturellement ses prétentions à la
domination universelle et se proclamait le suzerain, le père de tous les dieux.
Il l'était comme le prince était le suzerain, le père de tous les hommes :
sa suzeraineté effective s'arrêtait où commençait celle de ses pairs qui
régnaient sur les nomes voisins. Les déesses participaient à l'exercice du
pouvoir suprême : de même que les femmes dans le droit humain, elles étaient
aptes à hériter et à détenir la souveraineté'. Isis s'intitulait dame et maîtresse
I. La lecture réelle <tii nom remonte a Lepsius (Ucber den erttrn .Egyplitehen CMIerkreii, p. 17".
n 3). Le rôle du di.'u et Ik nature ilu lien qui le rattache a Shou ont été expliqué* par Maspen,
(Etude* de Mythologie et d'ArrheotogU égyptienne*, t. Il, p. 33i. SSMin). Le- Crées, qui tn.nscri-
vaienl m nom Onouris, l'Identifiaient avee Are» (l.im-is, l'apyri Grœci, t. I. u, iïi, I. 13. et p. IÏN)
i Nonlou était, avant Amon, le dieu de tout le pais situé entre ko us et fiébéléin : il reprit -ou
rang a l'époque gréro-romainc, après la destruction de "Niches. La plupart des Êgyplologuos. et en
dernier lieu Drugsch (Religion und Mythologie, p. TOI), font de lui une forme secondaire d'Amoii, ee
qui est contraire à ee que nous Bavons de l'histoire de la province : de même qu'Onou du midi
(Erment) était avant Théhes la ville la plu» importante de eetle région. Monlou en était le dieu le
plus vénéré. M. VViedemann (Die lletigion der alten .Egypte», p. 7t) pense que son nom est apparenté
à celui d'Amon, et tiré de la même racine mon. Bien, par l'adjonction de la finale tou.
3. L'égalité des déesses et des dieux, dont on n'a pas assez tenu compte lorsqu'on a essayé de
reconstituer le plan des religions égyptiennes, a été mise en lumière pour la première fois par
Maspero (Etndf* de Mythologie et d'Archéologie Égyptienne; I. II. p. 153 «qq.J.
1(H LES DIEUX DE L'EGYPTE.
à Bouto, comme Hâthor à Dendérah, comme Nit à Sais, « la première qui
naauit au temps où il n'y avait pas encore eu
issance' ». Elles y jouissaient des mêmes
urs que les dieux mâles dans leurs villes :
îe ceux-ci étaient rois, elles étaient
et tout s'inclinait devant elles. Les bètes
jeaient la toute-puissance avec les dieux
re humaine, les bètes totales ou les dieux
■ de bete et à corps d'homme. L'Horus
mou s'abattait sur le dos d'une gazelle
ju'un épervier chasseur", l'Hàthor de Dén-
otait une vache, la Bastit de Bubaate une
chatte ou une tigresse, la Nekhabît d'el-
Kab un gros vautour chauve1. Hermo-
polis vénérait l'ibis et le cynocéphale
de Thot, Oxyrrhynchus le poisson mor-
myre', Ombos et le Fayown un croco-
dile, sous le nom de Sobkou", parfois
avec le sobriquet d'Azaï, le brigand6.
, On ne comprend pas toujours quels
motifs avaient décidé les habitants de
chaque canton à se passionner pour un animal plutôt que pour un autre :
pourquoi adorait-on le chacal et le chien même, vers l'époque gréco-romaine,
I. Cuis mu. uns. Monument* de l'Egypte et de la Xubic, t. I, p. 6S3 A; rf. le paajage de la statuette
Naophorodu Vatican (Datcscu, Iheiautw bucriptùmum .Hiji/plianirum, p. G37, I. S) : . Nlt, la grande,
mère de lia. i| «ai la première naquit au temps qu'il n'y avait encore eu aucune naissance ■.
4. J. CE Honot, Teitei Géographique! du Temple d'Edfou, dans la Revue Archéologique, f série,
I. XXIII, p. 74-73; BaiiiiîOH, Religion und Mythologie der allen .€yypler. p. fifii-665.
3. Mokhabll, la déesse du Sud. cal le vautour représenté ni souvent dans les tableaux de guerre ou
d'offrandes, et qui plane au-dessus do la tète des Pharaons. C'est aussi une femme à télé de «autour
chauve (LtjuwiE, Diiionario di Milologia F.gi-Ja. p. 1040 et pi. CIXXLVIII, t, i).
I. D'après le témoignage des écrivains classiques, Stxmmh, I- XVII. p. 814 ; De Itidr et Otiride.
S vu, odit. P.tBTHtv, p. il, 311, 14B; ÊUE.X, Hitl. anim., I. X, $ 40.
•j. Sobkau, Sovbou est le nom même de l'animal, et la traduction exarte de Sovkou sérail le dieu
crocodile : la transcription grecque en est Soi^o; (Stmmj, I. XVII, p. «Il ; cf. Wncitii. der Labij-
rintherbauer l'eteiuehat, dans la Zeittehrifl, ISS-t, p. 136-1311). L'assonance l'a fait confondre parfois
avec .SlVeu. Sibov par les Égyptiens eux-mêmes, et lui a valu les titres île re dieu (IIoïkllini, Monit-
meuti del Culto, pi. XX, 3; cf. Biu-cscn, Religion und Mythologie, p. !S!Ml-.">!il ). surtout à l'époque où,
Sit étant proscrit. Sovkou, le crocodile allié de Sil, partageait le mauvais renom de celui-ri. et cher-
chait à dissimuler aillant que [nisnililc non nom ou son carartere véritable.
li. Axai est considéré ordinairement comme étant l'Osiris du Kayoum (Bucsck, Oie tionnaire géogra-
phique, p. "711; LiNiffiiE, Diiionario di Milologia, p. 1113). mois il n'est devenu Osiris qu'après coup,
par une assimilation des plus hardies. L'expression complète de son nom, Otiri A:aî hi-kâit Ta-ihit
(Mmir.TTi:, Monument» dirert, pi. 39 b) le déduit comme Filtirit brigand qui est liant le Fayoum ou
dans le canton du Kayoum appelé To-shil. c'est-à-dire comme Sovkou identifié à Osiris.
ï. Ocssiii de Fawlfi-tiitttiii. ila/irêt une figurine /l'émail vert en ma posicuion [l'poque latte).
LES TRIADES. 103
à Siout'? Comment Sit s'incarnait-il dans une gerboise ou dans un quadru-
pède fantastique'? Plus d'une fois pourtant on saisit encore le mouvement
des idées qui déterminèrent le '
laines espèces de singes de s'a
sorte de cour plénière et de jase
ensemble un peu avant le lever
cher du soleil, justifie presque
Égyptiens encore barbares d'a-
voir confié aux cynocéphales
la charge de saluer l'astre, cha-
que matin et chaque soir, lors- f ( liMBU](h „„„,„„ slPP(B11 E ■
qu'il parait à l'Orient ou qu'il
s'efface à l'Occident*. Si, aux vieilles époques, Râ passe pour être un criquet,
c'est qu'il vole haut dans les cieux comme ces nuées de sauterelles chassées
di * ' ■- '"'- -■- ,;„
su tl.
La plupart des dieux-Nil, Khnoumou, Osirîs, Harshafitou, s'incarnent dans un
bélier ou dans un bouc : la vigueur de ces mâles et leur furie génératrice ne les
désignent-ils pas naturellement pour figurer le Nil, donneur de vie, et le débor-
dement de ses eaux? On conçoit aisément que le voisinage d'un marais ou d'un
rapide encombré de rochers ait suggéré aux habitants du Fayoum ou d'Ombos
1. Oua|H>uallou, le guide de» mia eitletlet, iju'il no faut pas roi i fondre avee l'An u lus du nome
Cynopolite dp la lUute-fifrypte, était à l'origine le dieu féodal de Siout. Il «uidiiil indifféremment le*
irues humaines an paradis des Oasis et le soleil sur les routes du midi et du nord, du jour et de la nuil,
t. Ilhampollion, Itosellini, Lepsius ont considéré ranimai Ijphonien connue iiVvistant pas. et Wil-
KiiiMin » dit que les Égyptiens oui avoué sa nature imaginaire en le représentant parmi les liétci-
rantasliques (Maiiiirr» ami Cuitomt. t' édit., I. III, p. 13IÎ-13Ï) : ce sérail plutûl la jireuve qu'il*
croyaient à la réalité de son existence Irf. p. Kl de relie IIkIihit). Pkyle (la llrligion des Pré-
Itraélilet, p, IST) pense i[u'il [n.'iit être une dégénérescence de l'àne ou de l'oi'ï*.
3. MtMtmo, Eluda de Mythologie ri d'Archéologie Eggptieuuet, I. Il, p. 3i-3.".; cf. Umsi:-H»:soi t.
The Ilonk «f thr ùrad dans les l'rneralingi île la Sorielé d'Archéologie liililinuc, I. XIV. p. tlt-HX
I. Cf. la utulcrrtle île Ha chez l'api II, I. fif.ll. dans le Recueil de Travans, t. XII, ji. IT«.
S. Tableau giaeé et priai dant le cintre dune ttcle, au année de lihi'h. tie'tin de Faurhrr-
l',udiu. tTaprt» uae photographie d'Emile ttrugteh-Uey.
104 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
la pensée que le crocodile était le dieu suprême. Les crocodiles se multipliaient
si fort en ces parages qu'ils y constituaient un danger sérieux : ils s'y mon-
traient les maîtres, qu'on apaisait seulement à force de sacrifices et de
prières. Quand la réflexion succéda à la terreur instinctive et qu'on prétendit
indiquer l'origine des cultes, la nature même de l'ani-
mal sembla expliquer la vénération dont on l'entourait.
I<e crocodile est amphibie. Si Sobkou est un crocodile,
c'est qu'avant la création le dieu souverain plongeait
inconscient dans l'eau ténébreuse; il en sortit pour
ordonner le monde, comme le crocodile sort du fleuve
afin de déposer ses œufs sur la rive1.
La plupart des divinités féodales avaient débuté par
vivre isolées dans leur grandeur, étrangères à leurs
voisines, souvent hostiles : on leur assigna une famille
après coup'. Chacune d'elles s'annexa deux compagnes
et se mît en trinité, ou, comme on dit plus souvent,
en triade, mais il y eut plusieurs espèces de triades.
Dans les nomes où le maître était un dieu, il se con-
tenta souvent d'une seule femme et d'un seul fils;
souvent aussi deux déesses se joignirent à lui, qui lui servirent à la fois de
sœurs et d'épouses, selon l'usage national. Ainsi Thot d'Hermopolis s'attribua
un harem composé de Seshait-Safkhîtâboui et de Nahmàouit'. Toumou partagea
l'hommage des habitants d'Iléliopolis avec Nebthôtpit et avec lousàsit'. Khnou-
! d'Umbos, dieu Sibou pure
c do Mcshfl {Plolémai»), crocodile qui se lève lumineux de l'eau du Sou
tient, et. une rois qu'il fut, tout re uni a été depuis le temps de Hà fut. ■
i. I. 'existence des triades de l'Egypte a été découverte et définie par Chain poil ion {Lettrct écrite!
d'Egypte, V édit.. 1833, |). l:i:i-1Sît). Klles ont longtemps servi de fondement à tous les sjstèmeï de
religion égyptienne que les écrivains modernes oui essayé d'élablir. Brugsrh le premier a voulu avec
raison substituer l'Eunéade aux triades, dans son livre Ucliyion n"d Mythologie det alten ,€gypter.
le procédé de formation îles triades locales, lel qu'il esl evposé ici. El été indiqué par Masporo
{Ehidei de Mythologie et d'Archéologie Égyptienne», t. Il, p. ïli'J sou.).
3. On trouve Thot suivi de ses deux femmes à Denuerali par exemple (nfuicmu, Bauurkunde det
Trnipelaiilagcii rmt Dendera, p. 1(1-37). Nahmaoull, Ntu.ttvoC;, est une variété d'Hàthor el porte le
sistre sur la léle. Son nom est eu eiïel une é|iilhèle dllàllior, celle qui arrache le mal-, il fuit allu.ion
à la propriété qu'avait le son du sistre d'écarter le» mauvais esprits (llm tsi;n, Ileligion uud Mytho-
logie, p. -I71-4:i). Le nom de Safthit-âhoiii ou Scshait (Lepack-IIemiif, tlie Baok ofthe Dead, dans les
p'rvcrrdiiigi de la Société d'Archéologie Biblique, I89Ï-I893, t. XV, p. 378) n'a pas été encore inter-
prété de façon satisfaisante : la déesse elle-même esl un doublet de Thot dans non rôle d'inventeur
des lettres et de fondateur des lemples (Hrhisi n, Heligivn vnd Mythologie, p. j"3-i7j).
i. Ici cneore les noms ne sont que des épillièlos qui montrent le earurterc impersonnel des déesses.
I.e premier peut signifier la dame de la carrière ou de la mine et marquer ITlâlhor de Helljcis ou
du SinaV. unie à Toumou : on te rencontre sur les monuments des diverses époque» (fiaiiLSiia, [)>.-
lù/niiaire géographique, p. 332-333, Iï7i-li73). Le second, transcrit ïiwo-t; par les Crées [De Itide
et Otiride, $' »»'. édit. I'ahthcï, p. *«). semble s'interpréter : . Elle vient, elle grandit .,' et n'est
aussi qu'une qualification ilumiéc à llàthor, par allusion à quelque fait que non; Ile connaissons pas
LES TRIADES. 103
mou séduisit et épousa les deux fées de la cataracte voisine : Anoukit, l'étrei-
gneuse, qui serre le Nil entre ses rochers de Philae à Syène, Satît, l'archère,
qui décoche le courant avec la raideur et la rapidité d'une flèche'. Où c'était la
déesse qui régnait sur la cité, la triade se compléta de deux mâles, un dieu-
consort et un dieu-fils : Nit de Sais épousa Osiris de Mendè
enfanta de ses œuvres un lionceau, Ari-hos-nonV; Hâthor
Dendérah recruta sa maison d'Haroèris et d'un Horus plus
jeune qui reçut le sobriquet d'Ahi, le batteur de sistre*. Les
unions du premier genre ne portaient pas de fruits légi-
times, et par conséquent mécontentaient un peuple chez qui
le manque de postérité était considéré comme une malédic-
tion d'en haut; celles où la présence d'un fils semblait assu-
rer la perpétuité de la race répondaient mieux à l'idée d'une
famille prospère et bénie, telle que celle des dieux devait
l'être. Les triades à deux déesses se rompirent presque par-
tout en deux triades nouvelles, dont chacune renfermait un
dieu-père, une déesse-mère et un dieu-fils. Deux ménages
féconds sortirent du ménage stérile de Thot avec Safkhîtâ-
boui et Nahmâouit, l'un composé de Thot, de Safkhitâboui et
d'Harnoubi l'épervier doré', l'autre dont Nahmâouît faisait
partie avec son nourrisson Nofirhorou'. Les personnes com-
plémentaires des vieilles divinités féodales n'appartenaient pas toutes à la même
catégorie. Il y en a, surtout parmi les déesses, qui ont été fabriquées sur com-
mande, et qu'on pourrait qualifier de grammaticales, tant l'artifice de langage
qui leur a donné naissance se reconnaît aisément : on a tiré de Râ, d'Amon,
d'Horus, de Sobkou, des Rà, des Amon, des Horus, des Sobkou femelles, en
encore (Ledrus, le Popyrui de huynet, dans le Recueil de Travaux, t. I, p. 91 . cT Mi»rt« >. Etudes
de Mythologie et d'Archéologie Égyptienne!, I. 11). Elles son! représentées deb.n;t ilrmêri- leur mari,
au Papyrus de Luynes par exemple {Recueil, I. I, planche annexe au mémoire de M. I.edrain).
I. Mmpsm, Élude» de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. II. p. Ï73 sqq
î. Arihosnofir signifie le lion don! le regard fascine de façon bienfaisante iliiioi, Religion uni!
Mythologie, p. 349-351). On lui applique aussi le nom de Toutou, qui paraît devoir se traduire le
bondUtanl, et n'être qu'une épithète caractérisant l'une des allures du dieu-lion.
3. Brugsch (Religion und Mythologie der alten AZgyptcr, p. 3"fi) explique le nom d'Alii par celui qui
fait manier ses eaux, et reconnaît dans le personnage, entre autres choses, une Tonne du \i\. L'impli-
cation que je propose est justifiée par les nombreux tableaux où l'on voit l'enfant d'Hathor qui joue
du sistre et de la monûil (I.iMost. Dhionario di Mitologia, pi. XL, î-3) ; ahi, ahtt est d'ailleurs te
titre constant des prêtres et prêtresses qui batlent, dans les cérémonies, le sistre et l'autre instrument
mystique, le fouet bruyant appelé monâtt (cf. Maspero, dans la Revue Critique, 1893, t. 1, p. Î89).
4. Celte triade assez rare a été signalée par Wilkinson (Manners and Cuslomt, i' edit., t. III.
p. 330); on la rencontre sculptée sur la paroi d'une chambre des carrières de Tourah.
h. Drcssch, Religion und Mythologie der alten AZgyptcr, p. 493-484.
fi. Destin de Faucher-Gudin, d'après une statuette eu brome incrustée d'or, du Musée de Gi^h
(Mil Uni, Album du Musée de Roulaq, pi. fi) ; le siège est en albâtre et de fabrication moderne.
100 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
ajoutant la finale régulière du féminin au nom masculin primitif, Ràit, Amom't,
Horit, Sobkit1. De même, plusieurs dieux-fils sont dos surnoms
détachés du dieu-père et pourvus d'un corps pour la circon-
stance : Imhotpou était une épithète de Phtah et signifiait celui
qui vient en paix avant de s'incarner au troisième membre de la
triade memphite*. Ailleurs on a conclu l'alliance entre divinités
de souche antique, mais originaires de nomes différents : c'est
le cas pour Isis de Bouto et Osiris le Mendésien, pour Haroèris
d'Edfou et Hâthor de Dendérah, pourSokhit deLétopolis et pour
fiastit de Bubaste, quand on s'empara d'elles afin de les unir à
Phtah de Memphis, dont le fils est Nofirtoumou1. Dans la plupart
des cas, les convenances de voisinage déterminèrent ces unions
imprévues : on maria les divinités des principautés limitrophes
comme les rois de deux États voisins marient leurs enfants, afin
de nouer ou de consolider les relations et d'établir des liens de
parenté entre des pouvoirs rivaux, dont l'hostilité continuée sans
relâche aurait ruiné promptement des peuples entiers.
La mise en triades, commencée aux temps primitifs, continuée
sans interruption jusqu'aux derniers jours du polythéisme égyp-
tien, loin d'enlever quelque chose au prestige des dieux féo-
daux, le rehaussa plutôt aux yeux de la foute. Si puissants
seigneurs que les nouveaux venus étaient chez eux, ils n'en-
traient dans une cité étrangère qu'à titre auxiliaire et sous la
condition d'en subir la loi religieuse. Hâthor, souveraine à Dendérah.
se faisait petite à Edfou devant Haroèris et n'y conservait que le rôle assez
effacé d'une femme dans la maison de son mari\ En revanche, Haroèris à
I . Mispf.FKi. Élude* de Mythologie rt d'Archéologie Egyptienne!. I. Il, p. "-R, 456.
t. imholpou, l'Imouthès des Grecs et identifié par eux avec Asklépios, a été découvert par Sait
(ËiMi «ar lei Hiéroglyphe*. Ir. franc., p. l'-aH, pi. III, I) et le nom traduit d'abord par celui gui vient
avec l'offrande (Arlidule-Binoiii-Rifigii, tlallery of Antiguitiei telected front Ihe Ilritiih Muteuni, p. iB).
La traduction celui gui vient ai paix, proposée par F. ai: limité, i«l Aujourd'hui udiiptéu de tous
(il iirr.se H, Uetigion und Mythologie, p. Kï6 ; Pinmi.r, le Panthéon Egyptien, p. 17 ; Wiehebaks, die Reli-
gion der alten /Egyptcr, p. 7"). imhotpou ne prit corps qu'au temps du Nouvel Empire; sa grande
popularité à Memphis et dans le reste de l'Egypte date de l'époque salte et grecque.
3. Nofirtoumou parait avoir été à l'origine le fils des déesses à télé de chatte ou de lionne. Basttl
cl Sokhlt, et peul avoir reçu d'elles la télé de lion qu'il possède dans bien des cas (cf. Loiois,
Dhionario di Milolagia, p. 385, pi. CXLVII, t. CXLVIII, 1-2). Son nom montre qu'il Tut d'abord une
incarnation d'Atoumou, mais il passa au dieu Phtah de Memphis quand celui-ci devint le mari de se?
mires, et il forma avant Imhotpou le troisième personnage de la plus ancienne Iriadc memphitc.
i. Deuin de Fauchcr-Gudin, daprèt une itatuetle en brome incruitée d'or du Musée de Ghéh
(NtMETTE, Album photographigue. du Mutée de Boulaq, pi. 5).
5. Chaque année, i date fixe, la déesse venait en grande pompe passer quelques jours dans le grand
temple d'Edfou, auprès de son mari Haroèris (J. ne ttot'ct, Terle* géographique! du temple d Edfou,
p. !ii-53: H.«mKTTii, Dendérah, i. III. pi. VII, 73, et Teste, p. tlfl. 1117).
LEUR NATURE SEMBLABLE A CELLE DES HOMMES. 107
Dendérah descendait du rang suprême et n'était plus que l'époux presque
inutile de la dame Hâthor. On proclamait son nom le premier dans l'appel de
la triade, parce qu'il y remplissait les fonctions de mari et de père, mais
c'était simple convenance d'étiquette : Hâthor, même quand on la
nommait en second lieu, n'en restait pas moins le chef réel de
Dendérah et de sa famille divine1. Le personnage principal de
chaque triade demeurait donc celui qui avait été le patron du
nome avant l'introduction de la triade, un dieu-père dans certains
endroits, une déesse-mère dans certains autres. Le dieu-fils ne
possédait par lui-même qu'une autorité restreinte. Dans la triade
où Osiris est associé à Isis, c'était d'ordinaire un Horus en has
âge, nu ou paré uniquement de colliers et de bracelets : une grosse
natte de cheveux lui retombe sur la tempe, sa mère accroupie ou
assise le berce sur ses genoux et lui tend une mamelle gonflée
de lait'. Même dans les triades où on te concevait arrivé à l'état
d'homme, on le rejetait au dernier rang et on lui imposait à
l'égard de ses parents l'attitude respectueuse que les enfants
de la race humaine sont tenus d'observer dans la société des leurs. Il leur
cédait le pas dans toutes les réceptions solennelles, ne parlait qu'avec leur
permission, n'agissait que sur leur ordre et en exécuteur de leur volonté
nettement exprimée. Quelquefois on lui accordait son caractère propre et il
remplissait une fonction particulière, comme à Memphis, où Imhotpou proté-
geait les sciences'. Le plus souvent on ne lui connaissait ni un office ni même
une individualité arrêtée; son être ne présentait qu'un reflet affaibli de l'être
de son père, et ne possédait de vie et d'autorité que celles qu'il lui emprun-
lendérah. qu'on ne voit jamais le dieu en triade
ï foin dans nos quatre volumes de planches, cl
à Thèbcs, à Memphis, à l'hilaj, aux Cataractes,
ppi]sci([»emi>iils que l'on est dans l'iiabitudc de
leur avec plus de facilité. Il ne rancirait pas,
podant, conclure de ce silence que la triade n'a pas existé. I.a triade se compose à Kdfou
d'Hor-Hul. d'IIathor et d'Ilor-Kain-U-ui. Elle se compose à Dériderai) d'Halhor, d'itor-llut et d'Ilor-
Sain-ta-ui. On voit la différence. Tandis qu'à Edfou, le principe mile, représenté par Ilor-llul. prend
la première place, la première personne ù Hcndàrah est llalhor, qui représente le principe femelle. ■
(H-mniTTri, Dendérah, Terlc. p. 8(1-81.)
j. Voir pour les représentations d'Iiarpocriite, lloruii-Eiifanl, I.axiose, Uiiïoiiarïo dï Milolaijin
Egi-.ia, pi. CCXXVil-CCXXVlll; on trouvera notamment à la planche CCCX, t, un tableau oii le jeune
dieu, figure comme un epervier, prend néanmoins avec son bec le sein de sa mère Isis.
3. Daiîn de Faucher-Gudin, d'âpre* une itatuette en brame d'époque aaite, au Mutée de Gisïh
(MtMKm, Album du Mutée de Jlaulaq, pi. 4).
4. K. iie llnir.t, Xotice tomtnnire des Monument! Egyptien*, IfTiii, p. MO; Rrui-iii, Itelî/jimi un/1
Mythologie der alleu Sgypter, p. rrfti sqq.; WiuiiiW. die Religion drr atlrn /Egupler, p. 77. C'est
pour cela qu'on le représente d'ordinaire assis ou accroupi et lisant avec attention un rouleau du
papyrus déployé sur «es genoux, comme c'est le cas dans la vignette de la page 103.
1. Le
rôle d'IIiroêrii
chI si
peu considéra
bli
idj le
(empli
:. ■ I.a tr
iade n
n fiRur
0 pas ui
V a d'
plus heu
d'en
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rcmarq
Êlcpb,
1. de tôt
if MU
: temples.
celui
qui s
e livre
10R LES DIEUX DE l.'ÉGYPTE.
tait. Deux personnes aussi voisines l'une de l'autre devaient se confondre :
elles se confondirent en effet, au point de n'être plus que deux aspects d'un
même dieu qui réunissait en lui des degrés de parenté contradictoires dans
une famille humaine. Père en tant que
premier membre de la triade, fils en
tant que troisième membre, identique
à lui-même dans ses deux rôles, il
était à la fois son propre père, son
propre fils et le mari de sa mère1.
Les dieux consistaient comme
l'homme de deux parties au moins,
l'âme et le corps*, mais l'idée de l 'âme
. hi mM mAlli!lt ÀT , varia en Egypte selon les temps et
les écoles : c'était un insecte, papil-
lon, abeille ou mante religieuse'; c'était un oiseau, l'épervier ordinaire,
l'épervier à tête humaine, un héron ou une grue — Ai, Aaï — à qui ses ailes
permettaient de se transporter rapidement à travers l'espace'; c'était l'ombre
noire — khaîbîl — qui s'attache à tous les corps', mais que la mort en peut
détacher et qui s'anime alors d'une existence indépendante, jusqu'à se mou-
voir et à circuler librement, jusqu'à sortir en plein soleil; c'était enfin une
sorte d'ombre claire, analogue au reflet qu'on aperçoit à la surface d'une eau
calme ou d'un miroir poli, une projection vivante et colorée de la figure
humaine, un double — ha — qui reproduisait dans ses moindres détails
I. l.c rûlc et la genèse desdiouj-filsoul été définis nettement pour ta première fois par E. de Rougé
| Explication d'une imcriplion égyptienne prouvant que la ancient Ègypliem ont connu la généra-
tion éternelle du Fîtt de Dieu, p. ïl sqq., cf. Annaleë de pkitatophie chrétienne, mai 18SI ; Étude
sur vue ttète égyptienne appartenant à ta Bibliothèque impériale, p, 6-7).
i. Pan» un texte des Pyramide», Sàhou-Orion, le chasseur sauvage, prend les dieux, les égorge,
arrache leurs entrailles, fait cuire leurs pïères, leur» fuisses, leurs jambes dans nés chaudron*
brùlants, et se repaît de leurs aines comme de leurs corps (Ûunat, I. 50!M>11). I.cs dieux n'avaient
pas qu'un seul corps et une seule âme: nous savons par plusieurs textes que Ri possédait *r;)l
omet et quatorze doublet (Df «Km*. Tempel-Intchriften, I, Edfou, pi. XXIX ; E. vos BtKUKn,
Hieroglyphiiche Intckriften, |il. XXX1M, I. 3, et Texte, p. iS, n. t : Batr.scu, Dictionnaire hïérogly-
/ihii/uf.. Supplément, p. mi, 1*311 ; LKriGt-llfcjmir, On the truc Sente of an important Egyptian Word,
dans les Trantaitiant de la Société d'Archéologie Biblique, I. VI, p. 504-501!).
a. Dettin de Fauchei-Gudin, d'après PUvii,lk. da* Thrbanitehe Todtcnbuch, t. I, pi. C1V, te.
.1. M. Lcpago-Renouf conjecture que l'àme a pu elre à de certains moments considérée comme un
papillon, ainsi qu'en Grèce (.! Second fiole dans les l'rocre.dingt (in la Sociélé d'Archéologie Biblique,
t. XIV, p. 400); M. Lcfébure pense qu'on a dû parfois l'incarner dans une guêpe, je dirais plutôt dans
une abeille ou dans une mante religieuse (Etude tur Abydot dans les Vroceedingt, t. XV, p. 14Î-U3).
II. L'épervier simple exprime surtout lame divine _^,, l'épervier à tète humaine J^,, le héron ou
la grue ^f le* ames tant divines qu'humaines. I,e symbolisme de l'épervier et la prononciation
bai du nom de l'aine nous sont connus par Ilorapollon (liv. I. S 7, éd. I.f.khans, p. ». 15I-I3Î).
fi. Consulter sur l'Ombre noire le mémoire de Rihci, On the Shade or Shadoui of the Dead(Trant-
actiont of the Society of tUblicat Archxology, I, VIII, \i. 3Kii-3[l"), et les ligures qu'il renferme.
aine.
l'image entière de l'objet ou de l'individu auquel il appartenait1. L
l'ombre, le double des dieux ne différaient point en nature de l'âme, de
l'ombre, du double des hommes : leur corps était, il est vrai, pétri d'une sub-
stance plus ténue et invisible à l'ordinaire, mais douée des mêmes qualités
et atteinte des mêmes imperfections que les nôtres. Qui disait les dieux disait
donc, à tout prendre, des hommes plus affinés, plus forts, plus puissants,
I. La nature du douille a longtemps été méconnue par le* Ëgyptologues, qui avaient été jusqu'à
faire de non nom une sorte <le Tonne pronominale (E. ut HuiiiÉ, Chrettoinatltic Égyptienne, t' partie,
p. Iil-*i3). Elle a été proclamée presque simullanémeril, pour l:i première fois eu 1HÏ8, par Naspero
(Étude» lit Mythologie el d' Archéologie Égyptienne", t. I, p. I-3J;cf. ibid., p. 3S-3Ï), puis hiunlol après
par Lepage-llcnouf (On the trve Srme of an important Kgtjptian Word, dan» les Tratuarlîani of
the Society of Biblieal Archirotogy, t. VI, p. 4!M-;iiHI). L'idée que les Egyptiens se faisaient du dou-
ble et l'influence que l'idée du double a e*ercéc sur leur conception de l'autre vie ont été étudiées
surtout par Maspcro (Étndei de Mythologie el d Arekiologit Egyptienne!, t. I, p. 77-91, 3H8-J0I!).
ï. Corniche de la chambre antérieure d'Qliril lui- la terrante du grand temple de Dendrrah,
daiin de Faucher-Gudiii, iCapret une photographie de Dl'mcuo, Retultale, t. 1], pi. LIX. I.'ame de
gauche appartient à llonis, celle de droite appartient à Osiris, chef de l'Ainenllt ; elles portent l'une
cl l'autre sur la télé l'assemblage de haute! plumes qui caractérise les figures d'Anhouri (cf. p. un).
110 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
mieux préparés pour commander, pour jouir et pour souffrir que les hommes
ordinaires, mais des hommes. Ils avaient des os, des muscles, de la chair, du
sang1; ils avaient faim et ils mangeaient, ils avaient soif et ils buvaient; nos
passions, nos chagrins, nos joies, nos infirmités étaient les leurs. Un fluide
mystérieux, le sa, qui circulait à travers leurs membres, y portait la santé, la
vigueur et la vie*. Tous ne pouvaient pas également s'en charger, mais il y en
avait plus chez les uns, moins chez les autres, et leur puissance d'action se
proportionnait à la quantité qu'ils en contenaient. Les mieux pourvus en
déversaient volontiers le trop-plein sur ceux qui en manquaient, et tous le
transmettaient à l'homme sans difficulté. La transfusion t'en opérait couram-
ment dans les temples. Le roi ou le mortel ordinaire qu'os voulait imprégner
se présentait devant la statue du dieu et s'accroupissait à ses pieds en lui tour-
nant le dos : elle lui imposait alors la main droite sur la nuque, et le fluide qui
s'écoulait d'elle pendant les passes s'amassait en lui comme en un récipient.
La cérémonie n'avait qu'une efficacité temporaire, et l'on devait la renouveler
souvent, sous peine d'en perdre le bénéfice. Les dieux eux-mêmes épuisaient
leur sa de vie par l'usage qu'ils en faisaient : les moins vigoureux s'en appro-
visionnaient auprès des plus forts, et ceux-ci allaient en puiser une plénitude,
nouvelle dans un étang mystérieux du ciel septentrional qu'on appelait YÊlang
du Sa3. Les corps divins, alimentés sans cesse par l'influx de cette onde ma-
gique, conservaient leur vigueur bien au delà du terme alloué aux corps de
l'homme et de la bête. La vieillesse, au lieu de les détruire rapidement, les
durcissait et les transformait en métaux précieux. Leurs os se changeaient en
argent, leurs chairs en or; leur chevelure, échafaudée et teinte en bleu, selon
l'usage des grands chefs, se pétrifiait en lapis-lazuli*. Cette transformation,
qui faisait d'eux autant de statues animées, ne suspendait pas complètement
1. Le texte de la Destruction des homme* (1. 2) et d'autres documents nous apprennent, par
exemple, que les chairs du solqil vieilli étaient devenues d'or et ses os d'argent (Lkfkbirk, le Tombeau
de St'ti /«% i° partie, pi. XV, 1. 2, dans le tome H des Mémoires de la Mission du Caire). Le sang
de Rà est mentionné dans le Livre des Morts (ch. xvn, 1. 29, éd. Naville, pi. XXIV), ainsi que le
sang d'isis (ch. clvi; cf. Mirinrt, I. 774) et d'autres divinités.
2. Sur le sa de vie, dont l'action avait été étudiée partiellement déjà par E. de Rour.it, Etude sut-
une stèle égyptienne appartenant à la Bibliothèque impériale, p. 110 sqq., voir Maspero, Études de
Mythologie et d'Archéologie Egyptiennes, t. I, p. 307-309.
3. C'est ainsi qu'on voit, dans le Conte de la fille du prince de Hahkian, une des statues de Khonsou
théhain s'approvisionner de sa auprès d'une autre statue représentant une des formes les plus puis-
santes du dieu (E. de Roigé, Étude sur une stèle, p. 110-111; Maspero, les Contes populaires, 2e éd.,
p. 221). Le bassin de Sa où vont puiser les dieux est mentionné dans les textes des Pyramides.
i. Cf. le texte déjà cité de la Destruction des hommes (l. 1-2) où la vieillesse produit sur le corps
du soleil les transformations indiquées. Si l'on songe à ce changement du corps des dieux en
or, en argent et en pierres précieuses, on comprendra pourquoi les alchimistes, disciples des Égyp-
tiens, ont souvent comparé la transmutation des métaux à la métamorphose d'un génie ou d'une
divinité : ils croyaient précipiter à volonté par leur art ce qui était une opération lente de la nature.
LA MORT DES HOMMES ET DES DIEUX. 111
les ravages des ans. La décrépitude, pour arriver plus lentement que chez
l'homme, n'en arrivait pas
moins irrémédiable : le
Soleil étant devenu vieux,
■ la bouche lui grelotta,
la bave lui ruissela vers
la terre, la salive lui dé-
goutta sur le sol1 ».
Aucun des dieux féo-
daux n'avait échappé à
cette destinée, mais le jour
s'était levé pour eux
comme pour les hommes
où ils avaient dû quitter
la citéet s'en aller au tom-
beau1. Les peuples anciens
ont longtemps refusé de
croire que la mort fût
chose naturelle et inévi-
table. Ils pensaient que
lavie.unefoiscommencée, ,
L IIFUSITUM DU SA AO KOI AMfcS LE COU «OSSÏMITIT '
pouvait se poursuivre in-
définiment : si aucun accident ne l'enrayait net, quel motif avait-elle d'ar-
rêter elle-même son développement? L'homme ne mourait donc pas en Egypte,
mais on l'assassinait*. Le meurtrier appartenait souvent à notre monde et se
laissait désigner facilement, un autre homme, une bête, un objet inanimé, une
pierre détachée de la montagne, un arbre qui s'abattait sur le passant et
l'écrasait. Souvent aussi, il se dissimulait parmi les invisibles et ne se trahissait
que par la malignité de ses attaques : c'était un dieu, un mauvais esprit,
t. Pletts-IIossi, let Papyrut Hiératique! de Turin, pi. CXXXII, 1, 1-2; cf. Ufedïre, Un Chapitre de
la chronique talaire, dans la Zcitichrift, 1883. p. 88.
t. L'idée de 11 mort inévitable des dieux cet «primée, entre autres endroits, dans un passage du
chapitre nu du titre det mort* (éd. «aville, pi. X, I. 6-1) qui n'a pas été encore signalé que je sache :
■ Je suis cet Osiris dans l'Occident, et Osiris connaît son jour où il ne sera plus ■, c'est-à-dire le
jour de sa mort ou il cessera d'ciister. Tous les dieux, Atoumou. Horus, RI, Thot, Phlah. khnoumou,
sont représentés sous forme de momie, ce qui les suppose morts. On montrait d'ailleurs leurs tom-
beaux dans plusieurs localités de l'Egypte (de Itide et Otiride, § il. édit. Leeiam, p. 36).
3. Tableau dam la lalle hypottyle de Louior : destin de Boudier, d'aprrt une photographie de
M. Gayet, priie en 1889. Celle vignette montre la position relative du prince et du dieu. Aman, après
avoir posé le pschent sur la tête du Phnraon Àmenfltliès 111 agenouillé devant lui, fui impute le ta.
i. M.spkro, F.tudci de Mythologie et d'Archéologie Egyptienne», t. Il, p. KO.
113 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
une âme désincarnée, qui se glissait sournoisement dans un vivant, ou se
précipitait sur lui avec une violence irrésistible. La maladie était la lutte du
possédé contre le possesseur : dès que le premier avait succombé, on l'em-
portait loin des siens, et sa place ne le connaissait plus, mais est-ce que tout
finissait pour lui du moment qu'il avait cessé de respirer? Le corps, personne
n'ignorait son avenir. 11 tombait rapidement en pourriture, et peu d'années
suffisaient à le réduire en squelette; puis le squelette, des siècles s'écoulaient
avant qu'il se désagrégeât à son tour et se réduisît en une traînée de poussière
prête à s'envoler au premier souffle. L'âme pouvait fournir une carrière plus
longue et des destinées plus complètes, mais on croyait qu'elles dépendaient
de celles du corps et se mesuraient sur elles. Chaque progrès de la décom-
position lui enlevait quelque chose d'elle-même : sa conscience s'atténuait
graduellement jusqu'à ne lui laisser qu'une forme inconsistante et vide,
enfin effacée quand plus rien ne restait du cadavre. Enfoui dans la terre que
le Nil inonde, celui-ci se hâtait de retourner au néant, et sa fin condamnait
l'âme à une seconde mort où rien ne survivait plus d'elle. Si, au contraire, on
l'ensevelissait au désert, la peau, promptement desséchée et durcie, se chan-
geait en une gaine de parchemin noirâtre sous laquelle les chairs se consu-
maient lentement1 : il demeurait intact, au moins en apparence, et son intégrité
assurait celle de l'âme. L'usage s'établit donc de mener les morts à la mon-
tagne et de les confier à l'action préservatrice des sables; puis on chercha
des procédés artificiels pour obtenir à volonté cette incorruptibilité de la
larve humaine sans laquelle la persistance de l'âme n'est qu'une agonie pro-
longée inutilement. Un dieu passait pour les avoir découverts, Anubis le
chacal, le maître de l'ensevelissement : il avait purgé le cadavre des viscères,
dont la corruption est la plus rapide, l'avait saturé de sels et d'aromates,
protégé d'abord par une peau de bête*, puis par une couche épaisse d'étoffes,
et son art, transmis aux embaumeurs, changea en momies tout ce qui avait eu
vie et qu'on désirait conserver. Où la montagne s'élevait voisine, on continua
d'y transporter les morts momifiés, un peu par habitude, un peu parce que la
sécheresse de l'air et du sol leur promettait une chance de plus. Dans les can-
tons du Delta, où les collines étaient trop éloignées pour qu'on pût s'v rendre
sans grands frais, on profita du moindre îlot sablonneux qui pointait au-dessus
1. Les cadavres des moines coptes des vi% vin0, xi" siècles que j'ai retrouvés dans les cimetières des
couvents de Contra-Syène, de Taoud et d'Akhmfm, situés en plein désert, présentaient cet aspect.
4. Sur l'ensevelissement primitif dans une peau de bête et sur les rites qui en dérivent, cf. Lkfé-
blre, Élude sur Abydos, II, dans les Proceeding», i 892- 1 893, t. XV, p. 433-135.
I
LES DESTINÉES APRÈS LA MORT.
des marais et on y établit un cimetière1 : où cette ressource manquait, on
confia bravement la momie à la terre même, mais après l'avoir enfermée
dans un sarcophage en pierre dure, dont le couvercle, luté hermétiquement
à la cuve avec du ciment, ne laissait point pénétrer l'humidité. L'âme, sans
crainte sur ce point, suivait le corps au tombeau, et y vivait à côté de lui,
comme dans une maison éternelle qu'elle possédait sur les confins du monde
invisible et du monde réel.
Elle y conservait son caractère et sa figure « de dessus terre » : double
en deçà des funérailles, elle demeurait double i
avec la faculté d'accomplir à sa façon toutes les
de la vie animale. Elle se mouvait, allait, venait
respirait, parlait, accueillait l'hommage des dé
vots, mais sans joie et comme par machine, pi
une horreur instinctive de l'anéantissement qui
désir raisonné de ne point périr. Le regret
du monde lumineux qu'elle avait quitté é
troublait sans trêve son existence, inerte et
morne. * 0 mon frère, ne t'arrête point de
boire, de manger, de l'enivrer, d'aimer, de te donner du bon temps, de
suivre ton désir nuit et jour; ne mets pas le chagrin en ton cœur, qu'est-ce
en effet des années que l'on passe sur terre? L'Occident est une terre de
sommeil et de ténèbres lourdes, une place où les habitants, une fois établis,
dorment en leurs formes de momies, sans plus s'éveiller pour voir leurs
frères, sans jamais plus apercevoir leur père et leur mère, le cœur oublieux
de leurs femmes et de leurs enfants. L'eau vive, que la terre donne à quiconque
vit sur elle, n'est plus ici pour moi qu'une eau croupie et morte: elle vient
vers quiconque est sur terre, mais elle n'est plus pour moi que pourriture
liquide, l'eau qui est avec moi. Je ne sais plus où j'en suis depuis que je
suis arrivé dans cette Vallée funèbre. Qu'on me donne à boire de l'eau qui
court! .. qu'on me mette la face au vent du Nord, sur le bord de l'eau, afin
que la brise me caresse et que mon cœur en soit rafraîchi de son chagrin*! »
1. Ainsi les tlols qui formaient le cimetière de la grande ville de Tennis, au milieu du lac Ncnzaléh
(f.Tit.KiK Qïitiimëbk, Mémoires géographique! et historiques sur l'Egypte, t. I, p. 331-331).
t. Dessin de Faucher-Gudin , d'après un chacal de boit stuquê et peint en noir, provenant de
Thebet, en ma possession {XKVi' dynastie). C'est un de ces chacals qu"on posait sur le couvercle dci
boites funéraires en forme de naos où l'un enfermait les quatre vases, dits Canapés, entre lesquels
on répartissait les viscères du mort, le cœur, le foie, les poumons, la rate.
3. Le tente est publié dans Prisse iT Aï expies, Monuments, pi. XXVI bis, 1. 15-31, et dans Lirai'*.
Atuaahl der wichtigsten Urkunden, pi. XVI. Il a été traduit en anglais par Bcacn, On tteo Egyptian
114 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
Le double demeurait caché dans le tombeau pendant le jour. S'il sortait la
nuit, ce n'était pas caprice ou désir sentimental de revoir une fois encore les
lieux où il avait mené une vie plus heureuse. Ses organes voulaient être nour-
ris comme ceux de son corps l'avaient été jadis, et de lui-même il ne possé-
dait rien « que la faim pour nourriture, la soif pour boisson1 * : le besoin et la
misère le chassaient donc de sa retraite et le rabattaient sur la vallée. Il s'en
allait à la maraude par les champs et par les villages, ramassant au hasard ce
qu'il trouvait sur le sol et s'en repaissant avec avidité, les débris de pain ou de
viande oubliés ou perdus, le rebut des ménages et des étables, et quand cette
triste ressource lui manquait, l'ordure la plus repoussante et les excré-
ments*. Ce spectre affamé n'avait pas la forme indécise et vaporeuse, le long
suaire ou les draperies flottantes de nos fantômes modernes; il s'enfermait
dans des contours nets et précis, il se montrait nu ou revêtu des mêmes
habits qu'il avait portés au temps qu'il était encore sur terre, et tout son
être dégageait une lueur pâle qui lui valut son nom de Lumineux, — Khouy
Khouou*. 11 n'admettait pas que les siens l'oubliassent et il employait tous les
moyens dont il disposait pour les forcer à se souvenir de lui : il pénétrait
dans leurs maisons et dans leurs corps, les terrifiait de ses apparitions sou-
daines pendant la veille ou pendant le semmeil, les frappait de maladies ou
de folie*, quelquefois même suçait leur sang comme le vampire des peuples
Tablets of the Ptolemaic Period (extrait de YArchxologia, t. XXXIX), en allemand par Brcgsch, Die
Aïgyptische Grâberwelt, p. 39-40, et en français par Maspero, Éludes Egyptienne», 1. 1, p. 187-190. Sur
la perpétuité de cette conception ténébreuse que les Égyptiens se faisaient de l'autre monde, voir
Maspero, Etudes de Mythologie et d Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 179-181.
1. Téti, 1. 74-75: « C'est l'horreur de Téti que la faim et il ne la mange pas; c'est l'horreur de
Téti que la soif et il ne l'a point bue. > On voit que les Égyptiens faisaient de la faim ou delà soif deux
substances ou deux êtres qu'on avalait comme on avale les aliments, mais qui agissaient à la manière
des poisons, si l'on n'en contre-balançait pas les effets par l'absorption immédiate d'une nourriture
plus réconfortante (Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 154-156).
2. Le roi Téti, séparant son sort de celui des morts du commun, constatait qu'il avait de quoi se
nourrir abondamment et par suite qu'il n'en était pas réduit à si triste extrémité : « C'est l'horreur de
.Téti que les excréments, Téti rejette les urines et Téti déteste ce qui est détestable en lui; Téti a
horreur des matières fécales et ne les mange pas, Téti a horreur des matières liquides > (Teti,
I. 68-69). On retrouve la même doctrine dans plusieurs endroits du Livre des Morts.
3. Le nom de lumineux a été d'abord expliqué de telle sorte qu'on reconnaissait dans la lumière
dont les âmes étaient revêtues une parcelle de la lumière divine (Maspero, Éludes détnotiques, dans
le Recueil, t. I, p. 21, n. 6, et Revue critique, 1872, t. II, p. 338; Dèvéria, Lettre à M. Paul Pierret
sur le chapitre Inr du Todlenbuch, dans la Zeitschrift, 1870, p. 62—64). Je pense qu'il répond à une
idée moins abstraite et nous montre l'àme égyptienne se présentant, comme celle de beaucoup de
peuples, sous les espèces d'une flamme pâle, ou émettant une lueur analogue au halo phosphorescent
qui entoure pendant la nuit un morceau de bois pourri ou de poisson décomposé. Par la suite, cette
conception première a dû s'affaiblir, et khou devenir un de ces noms flatteurs qu'on se croit obligé
à donner aux morts pour ne pas les offenser, le glorieux, un des mânes (Maspero, Études Égyptiennes,
t. II, p. 12, note 1); il a pris alors le sens éclatant de lumière qu'on lui attribue ordinairement.
4. Les incantations dont est rempli le Papyrus de Leyde publié par Pleyte {Études Eg y pto logiques,
t. I) sont dirigées contre les morts ou les mortes qui s'introduisaient dans un vivant pour lui infliger
la migraine et de violents maux de tête. Un autre papyrus de Leyde (Leemans, Monuments Egyptiens du
musée d'antiquités des Pays-Bas à Leyde, 2" partie, pi. CLXXXIII-CLXXXIV), analysé sommairement
par Chabas (Notices sommaires des Papyrus égyptiens, p. 49). traduit par Maspero (Études Égyptiennes,
LEUR MOMIFICATION. 115
modernes'. On avait un moyen efficace, un seul, d'échapper à sa visite ou
même de la prévenir : c'était d'aller lui porter au tombeau ce qu'il venait
chercher dans les maisons
de ce monde, les provisions
de tout genre qui lui étaient
nécessaires. Les sacrifices
funéraires et le culte régu-
lier des morts prirent nais-
sance au besoin qu'on éprou-
vait de pourvoir à la nourri-
turedes mânes par l'offrande,
après avoir assuré la perpé-
tuité de leur existence par la
momification des cadavres*.
Un leur amenait des gazel-
les et des bœufs, et on les
sacrifiait à la porte de leur
chapelle : on leur présentait
les cuisses de la victime, son
cœur, sa poitrine et on les
entassait sur le sol , afin qu'ils
les y trouvassent lorsque l'en-
vie leur naîtrait de manger. Lï mbmum *u «ort dais u cupule rcataAiM*.
On leur apportait des cru-
ches de bière ou de vin, de grandes jarres d'eau fraîche clarifiée au natron ou
parfumée à l'encens pour qu'ils en bussent au gré de leurs désirs, et l'on pen-
sait acheter leur bienveillance par ces tributs volontaires, comme on faisait en -
l'ordinaire de la vie celle d'un voisin trop puissant pour qu'on osât lui résister.
1. I, p. M3-I59), renferme la jilainle, ou plutôt le réquisitoire en bonne forme, d'un mari que lu
lumineux de sa femme revenait tourmenter dans sa maison, sans motif suffisant.
1. Mispebo, Hottt tur quelques point» de grammaire et dhïitoire, g S, [tans la Zcittehrifl, I87'J,
p. ;>3, d'après un te île du Litre des Mort*.
•i. Plusieurs chapitres du Livre des fiortt avaient pour objet de donner à manger à la survivance
humaine, ainsi le chapitre ov. Chapitre d'approruionner le double (éd. Haïilui, pi. CXVII), el le cha-
pitre en. Chapitre de donner l'abondance chaque jour au défunt, dans MemphU (éd. Itinus, pi. CXVII1).
3. Stèle d Antouf I- '. prince de Thtbes. Dessin de Faucher-Cudin, d'après une photographie d'Emile
Rrugtch-ifry (cf. IHirietif, Monument! divers, pi. 30 b). Au bas, les serviteur» et les parents amènent
les victimes et dépècent le bœuf à la porte du tombeau. Au milieu, le mort assis sous son kiosque
reçoit l'offrande : un serviteur lui tend à boire, un autre lui apporte une cuisse de omut, un troi-
sième une roiiiïi' et deux jarre*; les provisions remplissent toule la i-hambre. Derrière AnluiiT, denv
domestiques dont un l'éveiile et l'antre Ini lient son bâton el ses sandales, la position de la porte au
registre du bait montre que les action* représentées au-dessus s'accomplissent à l'intérieur du tombeau.
116 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
La mort n'épargnait aux dieux aucune des angoisses, aucun des dangers
dont elle se montre si tristement prodigue pour les hommes. Leur corps
s'altérait et se détruisait pièce à pièce jusqu'à tomber du tout au néant ;
leur âme demeurait solidaire du corps comme l'âme humaine et s'éteignait
par dépérissements successifs, si l'on ne remédiait en bon temps à son infir-
mité naturelle. La même nécessité qui commandait aux hommes s'imposait
donc aux dieux de rechercher le genre de sépulture qui prolongeait le plus la
durée de leur âme. On les enterra d'abord à la montagne, et un de leurs titres
les plus anciens nous montre en eux les êtres qui sont sur leurs sables1 , à
l'abri de la putréfaction ; puis, quand on eut découvert les arts de l'em-
baumement, on leur accorda le bénéfice de l'invention nouvelle et on les
momifia. Tous les nomes avaient la momie et le tombeau de leur dieu mort,
momie et tombeau d'Anhouri à Thinis, momie d'Osiris à Mendès, momie de
Toumou à Héliopolis2. Plusieurs n'admettaient pas qu'il modifiât son nom à
changer son mode d'existence : Osiris défunt restait Osiris, Nit ou Hàthor
mortes demeuraient Nît ou Hâthor à Sais ou à Dendérah. Mais Phtah de Mem-
phis devenait Sokaris en mourant5 ; mais Ouapouaitou, le chacal de Siout, se
transformait en Ànubis*, et le ciel ensoleillé de Thinis, Ânhouri, lorsque son
disque avait disparu chaque soir, demeurait jusqu'au matin suivant Khonta-
mentît, le Maître de l'Occident3. Pas plus que les hommes, les dieux morts ne
connaissaient dans l'autre vie les jouissances que nous rêvons d'y goûter. Leur
corps n'était plus qu'une larve inerte, « au cœur immobile0 », aux membres
débiles et flétris, incapable de se tenir droit sur ses pieds, si le maillot qui
1. Le Livre de Savoir ce qu'il y a dans VU ad es donne, aux quatrième et cinquième heures de
la nuit, la description du royaume sablonneux de Sokaris et des dieux Hiriou Shditou-senou, qui
sont sur leurs sables (Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. Il, p. 64-37).
Un cynocéphale sur ses sables est figuré ailleurs dans le même ouvrage (Lef£bure, Tombeau de Se fi /",
A" partie, pi. XXXII) et les dieux de la huitième heure sont également des dieux mystérieux qui
sont sur leurs sables (id., pi. XLV1I, sqq.) Partout, dans les vignettes où ces personnages sont repré-
sentés, l'artiste égyptien a dessiné soigneusement l'ellipse peinte en jaune et semée de points rouges
qui rend le sable et les régions sablonneuses d'une manière conventionnelle.
2. Les sépultures de Toumou, de Khopri, de Rà, d'Osiris, et dans chacune d'elles, l'amas de sable qui
cache les corps, sont représentées au tombeau de Séti l*r (Lefkdire, le Tombeau de Séti I", -i" partie,
pi. XLIV-XLV) ainsi que les quatre béliers où les âmes des dieux s'incarnent (cf. Maspero, Études de
Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. 11, p. 112). Encore à l'époque romaine on connaissait
en Egypte les tombeaux des dieux : Où jjlûvov Se toutou ('Oaipifioç) oi Upeî; Xé*fou<nv àXkà xat
T<ôv aXXwv Oewv, ôsoi u-tj â"jevvr,TOi {jltqÔ' âçQapToi, Ta u,èv <r<ôu.aTa rcap' ocÙtoÏ; xeurOat xapiovra xai
Oepaiteûcffdat, xàç fie ^u^àc êv oùpav<î> Xdtu.iteiv aorpa (De hideet Osiride, chap. xxi, éd. Parthey, p. 36).
3. Maspero, Etudes de Mythologie et d'Archéologie Egyptiennes, t. Il, p. Si-22.
A. C'est du moins ce qui me paraît résulter des monuments de Siout où le dieu chacal est appelé
Ouapouattou en tant que Dieu vivant, seigneur de la ville, et Anoupou, maître de l'embaumement ou
de l'Oasis, seigneur de Ha-qrirît, en tant que dieu des morts. Ha-qririt, la porte du four, était le nom
que les habitants de Siout donnaient à la nécropole de leur ville et au domaine infernal de leur dieu.
3. Maspero, Etudes de Mythologie et d'Archéologie Egyptiennes, t. II, p. 23-2-i.
6. C'est l'épithèle caractéristique d'Osiris mort, Ourdou-hit, celui dont le cœur est immobile, celui
dont le cœur ne bat plus, et qui, par conséquent, a cessé de vivre.
LES DIEUX MORTS DIEUX DES MORTS. H1
l'enserrait ne l'avait raidie tout d'une pièce. Leurs mains seules et leur tète
sortaient des bandelettes : encore étalaient-elles les teintes vertes ou noires
de la chair pourrie. Leur double à la fois craignait et regrettait la lumière
comme le double de l'homme : la faim dont il
souffrait étouffait en lui tout sentiment, et les
dieux qui, vivants, se signalaient par leur
bonté miséricordieuse, se changeaient au tom-
beau en tyrans féroces et sans pitié. Sokans,
Khontamentit, Osiris lui-même', dès qu'ils ont
mandé quelqu'un auprès d'eux, « les mortels
viennent effarant leur cœur par la crainte du
dieu, et nul n'ose le regarder en face parmi les
dieux et les hommes, et les grands sont pour
lui comme les petits. H n'épargne pas qui
l'aîme, il enlève l'enfant à sa mère et aussi le
vieillard qui traverse son chemin; tous les
êtres, remplis de peur, implorent devant lui,
mais lui ne tourne point sa face vers eux1, s
Les vivants et les morts n'échappaient aux
effets de son humeur farouche qu'à la condi-
tion de lui payer constamment leur tribut et
de le nourrir comme un simple double humain. Les vivants s'acquittaient
de leurs redevances envers lui par des pompes et par des sacrifices solennels
qui se répétaient d'année en année à intervalles réguliers'; les morts ache-
taient plus chèrement la protection qu'il daignait étendre sur eux. Prières,
repas funéraires, offrandes des parents aux jours de fêtes, il ne leur permet-
tait de rien recevoir directement; mais tout ce qui leur était adressé devait
passer par ses mains avant de leur parvenir. Lors donc qu'on désirait leur
expédier le vin et l'eau, le pain et la viande, les légumes et les fruits
dont on les approvisionnait, il voulait qu'on les lui présentât d'abord et qu'on
les lui donnât par acte formel : ensuite, on le priait humblement de les trans-
mettre à tel ou tel double, dont on lui indiquait le nom et la filiation. Il les
I . Sur le rfllc funoslc d'Osiris, voir Mjspeiio. Études de Mythologie et d'Archéologie, 1. Il, p. 1 1-li.
i. C'est la suilo du leste cité plus haut. |>. 113 de relie lliiloire.
3. Dell in et Faurhrr-tlmtin, tfaprii une ttatuette. en brome découverte dont le département de
r Hérault, au fond d'une aatrrir ilr mines antique (époque Saite).
i. Les plu» snk'iirids ili- chs sacrifiers riaient cùli'liri';» dans 1rs luiTiiiiTs jours ilr l'année, au moino.nl
de la fêle Quagait, ainsi qu'il résulte, entre autres, des lentes du tomhcati do Nolirholpou (BfiMtiiiTK,
te Tombeau de fioferholpou, dans los Mémoire! de la Million franeaiie, t. V, p. 417 sqi).).
448 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
prenait, en retenait partie pour son usage, et de ce qui restait faisait largesse
au destinataire1. La mort ne changeait point, comme on voit, la position
relative du dieu féodal et de ses adorateurs. L'adorateur qui se disait féal
— amakhou — du dieu le temps de sa vie, était encore au tombeau sujet et
féal du dieu momifié*. Le dieu qui, vivant, régnait sur les vivants, mort,
continuait à régner sur les morts de la cité.
Son logis s'élevait à la ville, auprès du prince et au milieu de ses sujets : Rà
habitait Héliopolis avec le prince d'Héliopolis, Haroêris Edfou avec le prince
d'Edfou, Nit Sais avec le prince de Sais. Ce que les temples étaient à l'origine,
le nom qu'on leur donne dans le langage courant nous l'apprend, quand même
aucun d'entre eux n'a duré jusqu'à nous. On les tenait pour le château du
dieu8 — hâîty — pour sa maison — pirou, pi, — plus soignée et plus res-
pectée que celle de l'homme, mais non différente. On les bâtissait dans des
endroits élevés légèrement au-dessus du niveau de la plaine, de façon qu'ils
fussent à l'abri de l'inondation, et quand il n'y avait pas de butte naturelle
on y suppléait par l'érection d'un terre-plein rectangulaire : une couche
de sable répandue uniformément dans le sous-sol le consolidait contre les
tassements ou contre les infiltrations et servait de premier lit aux fondations
de l'édifice*. Celui-ci consistait d'abord en une seule pièce étroite, sombre,
couverte d'un toit légèrement bombé et sans ouverture que la porte : deux
grands mâts encadraient la baie, auxquels on attachait des banderoles pour
attirer de loin l'attention des fidèles, et un parvis bordé de palissades s'éten-
dait devant la façade \ On voyait à l'intérieur des nattes, des tables basses en
pierre, en bois ou en métal, quelques ustensiles pour la cuisson des offrandes,
quelques vases à recevoir le sang, l'huile, le vin, l'eau, les liquides dont on
1. Ce rôle du dieu des morts a été défini nettement pour la première fois par Maspero en 1878
[Éludes de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 3-6).
2. Le mot amakhou est appliqué à l'individu qui s'est attaché librement au service d'un roi ou d'un
baron et qui l'a reconnu pour son seigneur : amakhou khir nabouf est le féal auprès de son sei-
gneur. Tout vivant se choisissait de la sorte un dieu, qui devenait comme son patron et dont il était
V amakhou, le féal. Il devait au dieu le service du bon vassal, tribut, sacri lices, offrandes, et le dieu lui
rendait en échange l'office du suzerain, protection, nourriture, accueil sur ses domaines auprès do
sa personne. On était absolument nib amakhit, maître de féauté, ou relativement à un dieu amakhou
khir Osiri, le féal auprès d'Osiris, amakhou khir Phtah-Sokari, le féal auprès de Phtah-Sokaris.
3. Maspero, Sur le sens des mots Nouit et Hait, p. 22-23; cf. Proceedings of the Society of
Biblical Archxology, 1889-1890, t. XII, p. 256-257. On trouvera le développement de cette idée chez
Hocukmontkix, sur la Grande Salle hypostyle de Karnak, dans ses OEuwcs diverses, p. 49 sqq.
4. Cet usage subsistait encore à l'époque gréco-romaine, dans le rituel de fondation des temples ;
le roi, après avoir creusé le sol que l'édifice devait occuper, y répandait le sable mêlé de cailloux et de
pierres précieuses sur lequel il allait placer le premier lit de pierre (ÏKmichen, liaugeschichte des Den-
dcratempels, pi. M, et Bhit.st.h, Thésaurus Inscript ionu m <Egyptiacarum, p. 1272-1273).
5. Aucun temple égyptien de la première époque n'est parvenu jusqu'à nous, mais M. Erinan
(.Kgypten, p. 379) a fait remarquer très justement que la silhouette nous en a été conservée par plu-
sieurs des signes qui servent à écrire le mot temple dans les textes de l'Empire Memphite.
LEURS TEMPLES ET LEURS IMAGES. 119
gratifiait le dieu chaque jour. Quand le matériel du sacrifice s'accrut, le
nombre des chambres s'accrut avec lui, et des salles destinées aux fleurs,
aux parfums, aux étoffes, aux vases précieux, aux provisions de houche se
groupèrent autour du réduit primitif : ce qui composait d'abord le temple
entier se restreignit à n'être plus que le sanctuaire du temple1. Le dieu y habi-
tait non pas seulement en
esprit, mais en corpB*, et
l'obligation de résider dans
plusieurs cités nel'empèchait
pas d'être présent dans toutes
à la fois. Il pouvait en effet
diviser son double et le ré-
pandre sur autant de corps
distincts qu'il le voulait,
corps d'hommes ou de bêtes,
objets naturels ou fabriqués, »nuin >..««, mm» ou «je vis3.
statues en pierre, en métal
ou en bois*. Plusieurs dieux s'incarnèrent béliers, Osiris à Mendès, Harshafitou
à Héracléopolis, Khnoumou à Eléphantîne : on nourrissait des béliers vivants
dans leurs temples, et quelque fantaisie qui passât par leur tête de bête on
leur permettait de la satisfaire. Plusieurs autres se faisaient taureaux, Râ à
Héliopolis, plus lard Phtah à Memphis, Minou à Thèbes, et Montou à Her-
monthis. lis marquaient par avance de certains stigmates les bêtes qu'ils
comptaient animer d'un de leurs doubles : qui avait appris à connaître les
signes n'était pas en peine de trouver un dieu vivant, quand le temps venait
d'en chercher un et de l'offrir dans le temple à la vénération des fidèles*. Les
I. Maspbbo, Archéologie Égyptienne, p. «5-6R, 105-106; H. de Ror.KEiioriTEU, Œuvres diverses,
p. III sqq.
ï. Ainsi à Dcndcrah (Mimerre, Dendciah, t. I, pi. LIT), il
le ciel • soub la forme d'un épei-vicr de lapis .i l»";tc humai
venir n'unir à la statue ». — ■ P'autresexemples, ajoute Mariette (Terte. p. 156), si
riserà penser que les Egyptiens accordaient une certaine vie a in statues et aux images qu'ils entaient
et que dans leur croyance (ce qui s'applique particulièrement aux tombeaux) l'esprit hantait les repré-
sentations faites à son image. •
3. Modèle de sculpteur provenant de Tanit et conservé au mutée de Chéh (Maiuette, Notice det
principaux monument!, 187B, p. îïî, n- CI16). Destin de Faucher-Gudin, d'après une photographie
d'Emile Brugsch-Bey. Les marques sacrées ont été ajoutées après coup, d'après les figures ana-
logues de* stèles du SÉrapéum, conservées aujourd'hui dans notre musée du Louvre.
i. SlispEito, Ëludet de Mythologie et d'Archéologie Égyptienne!, t. 1. p. 77 sqq. ; I" Archéologie Égyp-
tienne, p. 106-10". Cette idée des statues machinées paraissait si étrange et si indigne de la sagesse
Égyptienne que des Êgyptologues de la valeur de M. de Rougé (Élude tur une ttèle égyptienne
de la Bibliothèque Impériale, p. 109) ont pris au sens abstrait et métaphorique les expressions
qui marquent dans les textes le mouvement automatique des images divines.
5. Les taureaux de Ri et de Phtah, le Mnévis et l 'Ha pis, sont connus par le témoignage des classiques
«0 LES tUEUX DE L'EGYPTE.
statues, si elles n'avaient point comme les animaux la réalité extérieure de
l'existence, n'en cachaient pas moins sous leurs dehors rigides une puissance
de vie intense qui se trahissait à l'occasion par des gestes ou par des paroles.
Elles indiquaient ainsi, en un langage compris de leurs serviteurs, la volonté
des dieux ou leur opinion sur les événements du jour, elles répondaient aux
questions qu'on leur posait
selon des formesprescri tes,
quelquefois même elles
prédisaient l'avenir. Cha-
que temple en contenait un
assez grand nombre qui
représentaient autant d'in-
corporations de la divinité
locale et des membres de
sa triade. Ceux-ci parta-
CHjMpl gealent, mais à un degré
moindre, tous les honneurs
et toutes les prérogatives du maître. Ils recevaient le sacrifice, ils exauçaient les
prières, ils prophétisaient quand il le fallait. Ils séjournaient soit dans le
sanctuaire même, soit dans des salles bâties autour du sanctuaire principal,
soit enfin dans des chapelles isolées qui leur appartenaient sous la suzeraineté
du dieu féodal*. Celui-ci avait sa cour divine qui l'assistait en l'administration
de ses domaines, comme les ministres d'un prince l'aident à régir les siens.
Cette religion d'État, si complexe dans ses manifestations et dans son
principe, ne suffisait pas cependant à la piété exubérante de la population. On
rencontrait dans tous les nomes des divinités dépourvues de caractère officiel,
et qui n'en étaient pas moins aimées pour cela. C'était, en plein désert, un
anciens (Dr Uide et Oiiride, S. 4. 33, de . .'■ I Punit, p T-8. *:* etc . ■!■ ■im.oïk. Il, cuu, [II, MWH
Diooons, I, 84. AS; Elus, XI, Il : Ami' «.mmn, XXII, 1 1. ï) Le taureau de M mou a Ttièbi*» %»"'
dans la procession du dieu, telle qu'on la »■•■! représentée »ur lc« monuments de Hamsès II el de
Ramsès III (Winissm, Maimenand t.-Maiat, f ed . t II), pi I.X) Le lourcau dïlermonthis, Dàkhou
(Bakis, chef les Grées], esl Auuré a*«e» rarement, «urtoul >ur quelque- stèles d'assez basse époque
du muser de Gi/éh (Gn£ii.tt'r, le Miintr l'.qypt'rH. pi. VI. où. maigre la différence de nom, c'e-l hieu le
taureau dïlermonthis dont il s'agit) il e-t surtout connu par les le»le« (cf. Bm-cscH, Dictionnaire
(Uugrapkigtu, p. Î00 cf. Macmib, Sottnttalrt, I. il: On a pu établir la nature des signes par-
lirnik'i's qui di-.tint;« nient chacun de ces animou\ sacre- et par le témoignage des écrivain» anciens
et par l'examen des monuments ligure- ; la disposition et la forme d'une partie des taches noires de
! Ilapis enf très reconnaissnblc sur la vielle de la pane MO.
1. Btuin de Faurher-Gudin, d'aprfê une photographie du tombeau dr Khopirkerltonbou (Sciiil,
Mémoire» de la Million Fraitcaiir, \. V, pi IV, paroi I, du tombeau, i* rcgislre). La légende tj-acée
derrière l'urseus nous apprend quelle représente Uannuii longntlr. dame du double, grenier.
t. Ce sont les 8iol oiwaoi des auteurs grées. Pour la façon dont nu In logeait dans les temples,
cf. M. nr, RucBEïo-irtii, CEni-ret diveries, p. Il sqq.
CULTE DES SERPENTS ET 1>ES ARBRES. \H
palmier très haut1, un rocher de silhouette extraordinaire, une source qui
filtrait de la montagne goutte à goutte et où les chasseurs venaient se désal-
térer aux heures les plus chaudes du jour*. C'était un gros serpent qu'on
réputait immortel et qui hantait un champ, un bouquet d'arbres, une grotte
ou un ravin dans la montagne3. Les paysans du voisinage lui apportaient du
pain, des gâteaux, des fruits, et
croyaient, en le gorgeaut d'of-
frandes,appeler surleurs terres
les bénédictions d'en haut. On
rencontre partout à la lisière
des terres cultivées et même à
quelque distance de la vallée
de beaux sycomores isolés qui
prospèrent comme par miracle
sur leur lit de sable : leur ver-
dure tranche violemment sur le
ton fauve du paysage environ-
nant, et leur ramure impéné- LiniMI „, nrta 10 trama„*.
trable défie même eu éié le
soleil de midi. Si l'on étudie le site, on s'aperçoit bientôt qu'ils s'abreuvent
à des nappes d'infiltration dérivées du Nil, et dont rien ne révèle la présence
à la surface du sol : leurs pieds plongent en quelque sorte dans le fleuve sans
que personne s'en doute autour d'eux. Les Égyptiens de tout rang les esti-
maient divins et leur rendaient un culte suivi1, lis leur donnaient des figues,
du raisin, des concombres, des légumes, de l'eau enfermée dans des jarres
poreuses et renouvelée chaque jour par de braves gens charitables; les passants
I. Tel «si le palmier haut de ccnl coudées cl appartenant à l'espèce, si rare aujourd'hui, de
VHyphane Argun, Nabt. ; l'auteur de la prière conservée au Papyrui Sallier I, pi. VIII, I. 4-S, l'idcn-
tilic à Tliot, le dieu des lettres et de l'éloquence.
i. Ainsi la source de l'Ouady Saboun près d'Akhnilm, le Bir-el-AIn, où la retraite d'un ouèlî musul-
man a succédé à la chapelle d'un saint chrétien et au sanctuaire rustique d'une forme du dieu Htnou
(M.isMKO. Eluda de Mythologie el d'Archéologie Égyptienne», t. I, p. ÎIO sqq.).
3. C'est un serpent de celte espèce qui avait valu son nom à la montagne du Shéikh-Harldt et
au nome voisin du Monl-Serpenl (DI'mchkk, Géographie de» Allen-. -Egyplen, p. ns-lTJ; HUspero,
Etude» de Mythologie et d' Arrhiologir Égyptiennes, t. Il, ji. il*): aujourd'hui encore t|u'il est devenu
musulman, il hante la montagne el a conservé sa faculté de ressuscilcr chaque fois qu'on lu tue.
4. tiatin de r'aueher-Oud'm, d'âpre» une représentation du tombeau île Khopirkerltonbou (cf:
Scbiil, Mémoire» de la Mission française, t. V, pi. IV, paroi C, registre du haut). Le sycomore sacré
csl placé ici à l'extrémité d'un champ de blé el scmlile éleridi-e *a prolpefion sur la récolte.
5. Xtsnno, Élude» de Mythologie et d' Archéologie. Egyptienne», t. Il, p. ïii-ïî". On les représen-
tait comme animés par un esprit qui se cachait en eux, mais qui pouvait se manifester en certaines
ions : ïl sortait alors du tronc sa télé ou son corps entier, puis quand il rentrait, le tronc le résor-
■e mangeait de nouveau, pour employer l'expression égyptienne (M*spibo. Etude» de Mythologie,
■■ lo*-10S, IUB. etc.) que j'ai déjà eu l'occasion de citer, p. 83, note i, de cotte Histoire.
ifi LES DIEUX DE L'EGYPTE.
s'y désaltéraient et payaient leur aubaine d'une courte prière. Le nome Mem-
phtte et le nome Létopolite, de Dahshour à Gizéh, en nourrissaient plusieurs
où des doubles détachés de Nouît et d'Hâthor habitaient au su de tous, et
dont les successeurs sont vénérés aujourd'hui encore par les fellahs musul-
mans et chrétiens1 : aussi appelait-on ces cantons Pays du Sycomore, et le
nom s'en étendit plus tard à la ville de Memphis. Le plus célèbre d'entre
eux, le Sycomore du Sud, — nouhU rîsît, — était comme le corps vivant
d'Hâthor sur notre terre*. Chaque nome montrait avec fierté, à côté de se» dieux
humains et de ses statues prophétiques, un ou plusieurs animaux sacrés, un
ou plusieurs arbres-fées. Chaque famille et presque chaque individu possé-
dait de même ses dieux et ses fétiches, qui lui avaient été indiqués par la
rencontre fortuite d'une bête ou d'un objet, par un songe, par une intuition
soudaine. On leur réservait une place dans un des coins de la maison, une
niche dans la paroi : une lampe brûlait sans cesse devant eux, et on leur
accordait quelque menue offrande chaque jour, en plus de ce qui leur revenait
aux fêtes solennelles. Ils se constituaient en échange les protecteurs de la
maison, ses gardiens, ses conseillers : on s'adressait à eux dans toutes les
occasions de la vie, et leurs arrêts n'étaient pas moins scrupuleusement exé*-
cutés par leur petit cercle de fidèles, que les volontés du dieu féodal par les
habitants de la principauté.
Le prince était le prêtre par excellence3. La religion du nome reposait sur
lui tout entière et au début il en accomplissait lui-même les cérémonies. La
principale était le sacrifice, c'est-à-dire un banquet qu'il devait préparer et
servir au dieu de ses propres mains. 11 allait aux champs lacer le taureau à
demi sauvage, le liait, l'égorgeait, l'écorchait, en brûlait une partie à la face de
l'idole, en distribuait le reste aux assistants avec une profusion de gâteaux, de
fruits, de légumes et de vin4 : le dieu assistait à l'œuvre, corps et double, se
laissait vêtir et parfumer, m&igeait et buvait le meilleur de ce qu'on plaçait
1. L'arbre appelé communément arbre de la Vierge, h Matariéh, me parait avoir succédé à un arbre
sacré d'IIéliopolis, dans lequel une déesse, peut-être Ilàthor, se faisait adorer.
2. Brk;sch, Dictionnaire Géographique, p. 330-332, 1244, etc.; cf. I.anzoxk, Diziojwrio di Milologia.
p. 878. L'Ilàthor Memphite s'appelait la dame du Sycomore méridional.
3. Voir, à la XII* dynastie, l'exemple des princes de Bcni-llassan et d'Ashmounéin (Maspkro. la
Grande Inscription de Béni- Hassan, dans le Recueil de Travaux, t. I, p. 179-180), à la VI* et à la VII-,
celui des princes d'Êléphantinc (Bor riant, les Tombeaux d' Assouan, dans le Recueil de Travaux, t. X,
p. 182-193). M. Lepage-ltcnouf a résumé très clairement les notions courantes sur la matière dans son
article On the Priestly Character of the Earliest Egyptian Civilisation (Proceedings de la Société
d'Archéologie Biblique, 1889- 1800, t. XII, p. 3:i.i sqq.).
4. C'est ce qui résulte du rituel du sacrilice tel qu'il était pratiqué dans tous les temples jusqu'aux
derniers temps du paganisme; cf. par exemple la vignette de la page 123 (Mariette, Abydos, t. I.
pi. LUI), où l'on voit le roi laçant le taureau. Ce qui n'était plus qu'un simulacre et qu'une survi-
vance à l'époque historique avait été une réalité au début (Maspero, Lectures historiques, p. 71-73).
LA THÉORIE DE LA PRIERE ET DU SACRIFICE. 123
devant lui sur la table, mettait une part des provisions en réserve pour
l'avenir. C'était le moment de lui demander ce qu'on désirait, tandis que la
bonne chère l'égayait et l'ouvrait à la bienveillance. Il n'était pas sans soup-
çonner à quelle intention on lui menait si grand fête, mais il avait posé
ses conditions à l'avance, et, pourvu qu'on les exécutât fidèlement, il cédait
volontiers aux moyens de séduction qu'on déployait contre lui. Il avait
d'ailleurs réglé lui-même le cérémonial selon une sorte de contrat passé avec
ses adorateurs, et perfectionné d'âge en âge par la piété des générations nou-
velles*. Il exigeait avant tout la propreté matérielle. L'officiant devait se
laver — ouâbou — soigneusement le visage, la bouche, les mains, le corps
et l'on jugeait si nécessaire cette purification préparatoire, que le prêtre
de profession en dérivait son nom d'ouibou, le lavé, le propre". Le costume
était le costume archaïque, modifié selon le cas. Tel culte ou tel moment d'un
I . Ilnt-relirf du temple île SMi I" à Ahijiloi : dénia de Itoutlier, d'apret mie photographie de
.V. Ihiaiel Héron. Séli 1". deuxième roi de I» XIX- dynastie, lance le lasso : son fils K a m ses II, encore
prince royal, maintient le taureau par la queue, pour l'empêcher de se dérober au nœud coulanl.
t. L'exemple le plus frappant de cette institution divine des cultes nous est fourni par l'inscription
i|ui raconte la destruction dus hommes sous le régne de Ri (Ltituint, le Tombeau de Séli I", iv* par-
tie, pi. XVI. I, 31 sqq., dans le I. Il des Mémoire! de la Million t'rançaiie du Caire) : le dieu, avanl
île monter au ciel aans retour, remplace le sacrifice des victimes humaines par celui des bestiaux,
3. L'idée de propreté matérielle ressort de variantes comme oulbou tolovi, • propre des deux
mains », qu'on rencontre sur les stèles pour le litre simple ouibou. On sait de reste, par le témoi-
gnage des auteurs anciens, quel soin scrupuleux les prêtres égyptiens prenaient journellement de leur
corps (IIésoooie II, mvii; cf. WuOiBiASï, Herodali Zweilei Buch, p. tGfi sqq). L'idée de pureté
morale ne vint jamais qu'en seconde ligne dans la conception qu'on se faisait du prêtre. Le rituel de la
purification du célébrant est contenu dans un papyrus du Mutée de Berlin ; l'analyse et la table des
chapitres on ont été publiées par M. Osc.ia ae Lui, Dat Ritualbuch de» Ammonsdientlet, p. i sqq.
«■
424 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
sacrifice comportait les sandales, la peau de panthère à l'épaule et la grosse
tresse tombante sur l'oreille droite1; tel autre voulait que l'officiant se ceignît
du pagne à queue de chacal et se déchaussât avant d'entrer en action, ou
s'attachât au menton une barbe postiche1. L'espèce, le poil, l'âge de la
victime, la façon de l'amener, puis de lui lier les membres, le mode et le
détail de l'abatage, l'ordre qu'on suivait en ouvrant le corps et en détachant
les morceaux, étaient réglés minutieusement et de manière immuable3. Encore
n'étaient-ce là que les moindres exigences du dieu et les plus faciles à con-
tenter. Les formules qui accompagnaient chacun des actes du sacrificateur
comprenaient un nombre déterminé de mots, dont les séquences et les harmo-
nies ne pouvaient être modifiées en quoi que ce soit, ni par le dieu lui-même,
sous peine de perdre leur efficacité. On les récitait d'un rythme constant, sur
une mélopée dont chaque ton avait sa vertu, avec des mouvements qui en
confirmaient le sens et qui exerçaient une action irrésistible : une note fausse,
un désaccord entre la succession des gestes et l'émission des paroles sacra-
mentelles, une hésitation, une gaucherie dans l'accomplissement d'un seul
rite, et le sacrifice était nul*.
Le culte ainsi conçu devenait une véritable action juridique, au cours de
laquelle le dieu aliénait sa liberté, en échange de certaines compensations dont
la loi fixait la valeur et le mode. L'homme transférait par instrument solennel,
aux ayants droit de la divinité contractante, les objets meubles ou immeubles
qui lui paraissaient être de nature à payer une faveur demandée ou à racheter
une faute commise. S'il observait scrupuleusement les conditions innom-
brables dont on avait entouré le transfert, le dieu ne pouvait se soustraire à
l'obligation d'exaucer la requête5; s'il omettait la plus petite d'entre elles,
l'offrande restait acquise au temple, et allait grossir les biens de main-
morte, mais le dieu n'était tenu à rien en échange. L'officiant assumait donc
1. Ainsi le prêtre faisant fonction de Samou et $ Anmaoutif, quelles que soient d'ailleurs la nature
et la signification de ces deux titres sacerdotaux (Lepsics, Denktn., II, 18, 19, 21, 23, etc.; Mariette,
Abydos, t. 1, pi. XXXI, XXXII, XXXIII, XXXIV, etc.).
3. Mariette, Abydos, t. I, pi. XVII, XXXV, XLIII, XLIV, etc., où les fonctions sacerdotales sont exer-
cées constamment par le roi Séti 1er en personne, aidé de ses fils.
3. Voir la représentation détaillée du sacrifice dans Mariette, Abydos, t. I, pi. XLVIII. Sur l'examen
des victimes et sur les signes auxquels les prêtres reconnaissaient qu'elles étaient bonnes à être
tuées devant les dieux, cf. Hérodote, II, xxxvm (Wiedemann, Herodots Zweites Buch, p. 180 sqq.).
4. La valeur réelle des formules et de la mélopée dans les rites égyptiens a été reconnue par Mas-
pero, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 304-303, 373 sqq.
5. Cette obligation ressort clairement des textes où, comme dans le poème de Pentaoutrit, un roi
en danger réclame à son dieu favori l'équivalent en protection des sacrifices qu'il lui a offerts et des
biens dont il l'a enrichi. « Ne t'ai-je pas fait des offrandes très nombreuses? dit Ramsès II à Amon. J'ai
rempli ton temple de mes prisonniers, je t'ai bâti un château pour des millions d'années.... Ah! s'il y
a un sort malheureux pour qui t'insulte, tes desseins sont heureux pour qui t'estime, Amon» (E. et
J. de Rouge, le Poème de Pentaour, dans la Revue Egyptologique, t. V, p. 15 sqq.).
LE PERSONNEL ET LES BIENS DES TEMPLES. 425
vis-à-vis des siens une responsabilité redoutable : un défaut de mémoire ou
une tache d'impureté involontaire faisait de lui un mauvais prêtre, nuisible à
lui-même, nuisible aux dévots qui le chargeaient de leurs intérêts auprès des
dieux. Comme on ne pouvait attendre la perfection ritualistique d'un prince
distrait sans cesse par les affaires de la cité, l'usage s'établit de placer à côté
de lui des prêtres de métier, des personnages qui vouaient leur vie entière à
l'étude et à la pratique des mille formalités dont l'ensemble constituait les
religions locales. Chaque temple fut desservi par un sacerdoce, indépendant
des sacerdoces des temples voisins, et dont les membres, obligés à conserver
sans cesse les mains nettes et la voix juste, s'échelonnaient selon les degrés
d'une hiérarchie savante1. Au sommet de l'échelle, un souverain pontife les
dirigeait dans l'exercice de leurs fonctions. Il s'appelait en plusieurs endroits
premier prophète, ou plutôt premier hiérodule — hon-noutir topi — premier
prophète d'Amon à Thèbes, premier prophète d'Anhouri à Thinis*. Le plus
souvent il revêtait un titre approprié à la nature du dieu dont il se proclamait
le serviteur3. Celui de Râ, à Héliopolis et dans toutes les villes qui adop-
tèrent Je culte héliopoli tain, se nommait Oîrou maou, le maître des visions :
seul en effet avec le souverain du nome ou de l'Egypte, il jouissait du privi-
lège de pénétrer dans le sanctuaire, d' « entrer au ciel et d'y contempler le
dieu » face à face4. De même le grand prêtre d'Anhouri à Sébennytos
s'intitulait le Combattant sage et pur — ahouîti saou ouîbou — parce que
son dieu marchait armé de la pique et qu'un dieu soldat exigeait pour le
servir un pontife soldat comme lui5.
Ces hauts personnages ne s'enfermèrent pas toujours strictement dans les
limites du domaine religieux. Les dieux acceptaient de leurs fidèles, et sollici-
1. Le premier travail où l'on ait essayé d'établir, d'après les monuments, la hiérarchie du sacerdoce
égyptien est dû à M. A. Baillet, De ^Election et de la durée des fonctions du grand prêtre d' A mm on à
T/tèbes (extrait de la Revue Archéologique , 2* sér., t. VI, 1862). Longtemps après, M. Reinisch tenta de
démontrer que l'organisation savante du sacerdoce égyptien n'est pas antérieure à la XII* dynastie et
date surtout du second empire thébain [Ursprung und Entwickelungsgeschichte des jEgyptischeu
Priestertuins und Ausbildung der Lehre von der Einheit Gottes, Vienne, 1878). L'exposition la plus
complète qu'il y ait de nos connaissances à ce sujet, le catalogue des principaux sacerdoces, les
titres des grands prêtres et des prétresses qui étaient attachés au culte du dieu ou de la déesse
féodale dans chaque nome, se trouvent dans Brit.sc.h, die Mgyptologie, p. 275-291.
2. Ce titre de premier prophète est propre aux sacerdoces des villes peu importantes et des divinités
secondaires. Si on le trouve appliqué a la divinité thébaine, c'est qu'Àmon débuta par être un dieu
provincial et ne monta au premier rang qu'après la fortune de Thèbes, surtout après les grandes
conquêtes de la XV11I«et de la XIX" dynastie (Maspero, Etudes Egyptiennes, t. II, p. 53-55).
3. Voir la liste très développée de ces titres dans Brugsch, die /Egyptologic, p. 280-282.
4. Le chapitre cxv du Livre des Morts (éd. Lepsiis, pi. XLIV) raconte l'origine mystique de ce nom
de VOtrou maou (Ed. Naville, Un Ustracon Egyptien, extrait des Annales du Musée Gvimel, t. 1.
p. 51 sqq.). La haute fonction de VOtrou maou est décrite dans la stèle de Piânkhi (éd. E. de Roicé,
Chrestomathie, t. IV, p. 59-61), où l'on voit le roi éthiopien l'exerçant à son entrée dans Héliopolis.
5. Brit.sch, Dictionnaire Géographique, p. 1368.
426 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
taient, à l'occasion, des maisons, des champs, des vignes, des vergers, des
esclaves, des étangs de pêche, dont le produit assurait leur subsistance et
l'entretien de leur temple. Il n'y avait pas d'Égyptien qui ne nourrît l'ambi-
tion de faire au patron de sa ville un legs de ce genre, « en monument de lui-
même », à charge pour les prêtres d'instituer à son intention des prières ou
des sacrifices perpétuels1. Ces donations accumulées pendant des siècles fini-
rent par former de véritables fiefs sacrés — hotpou-noutir — analogues aux
biens ouakfde l'Egypte musulmane*. Le grand prêtre les gérait et au besoin
les défendait par la force contre l'avidité des princes ou des rois. Deux, trois
ou même quatre classes de prophètes ou de hiérodules placés sous ses
ordres l'aidaient aux fonctions du culte, de l'enseignement religieux ou de
l'administration. Les femmes ne prenaient pas un rang égal à celui des
hommes dans le temple des dieux mâles : elles y formaient une sorte de harem
où le dieu choisissait ses épouses mystiques, ses concubines, ses servantes,
les musiciennes et les danseuses chargées du soin de le distraire et d'égayer
ses fêtes3. Elles occupaient les premiers postes dans les temples des déesses
et s'intitulaient hiérodules ou prêtresses, hiérodules de NU, hiérodules
d'Hâthor, hiérodules de Pakhit*. De même que dans les maisons princières,
les menus emplois des maisons divines étaient aux mains d'un troupeau de
serviteurs et d'artisans, bouchers pour couper la gorge aux victimes, cuisi-
niers, pâtissiers, confiseurs, tisserands, cordonniers, fleuristes, cellériers, por-
teurs d'eau et de lait5. C'était un véritable État dans l'État : aussi le prince
1. On commence à posséder pour l'époque saïte beaucoup de stèles enregistrant la donation d'une
terre ou d'une maison faite à un dieu, par un dieu ou par un particulier (Révillout, Acte de fonda-
tion d'une chapelle à Hor-mrrti dans la ville de Pharbxtus, et Acte de fondation d'une chapelle à
Hast dans la ville de Bubastis, dans la Revue Égyptologique, t. Il, p. 32-44; Maspero, Notes sur
plusieurs points de grammaire et d'histoire, dans la Zeitschrift, 188!, p. 117, et 1885, p. 10, et Sur
deux stèles récemment découvertes, dans le Becueit de Travaux, t. XV, p. 84-86).
2. Le Grand Papyrus Harris nous montre quelle était la fortune d'Amon à la tin du règne de Ram-
sès III : on en trouvera le détail dans Brigsch, die jEgyplologie, p. 271-274. Cf. dans ÎSavillk, Bubastis.
p. Ht, le calcul des quantités de métaux précieux que l'un des moindres temples de Bubastis possédait
sous la XXII* dynastie : l'or et l'argent s'y comptent par milliers de livres.
3. Les noms des prêtresses principales de l'Egypte sont réunis dans Brigsch, die Aïgyptologie,
p. 282-283; sur leurs rôles et leurs fonctions, cf. Erman, JEqypten, p. 399-401, qui me parait donner
une origine trop moderne à la conception d'après laquelle les prêtresses d'un dieu étaient considé-
rées comme formant son harem sur terre. On trouve, dès l'Ancien Empire, des prophétesses de Thol
Mariette, les Mastabas de C Ancien Empire, p. 183) et d'Ouapoualtou (id., p. 162).
4. Sur la prêtresse d'Hâthor à Dendérah, voir Mariette, Dendérah, texte, p. 86-87. Mariette remarque
(ibid., p. 83-86) que les prêtres ne jouent qu'un rôle effacé dans le temple d'Hâthor : ce fait, qu
l'étonné, s'explique fort bien si l'on se rappelle qu'Hàthor étant une déesse, les femmes ont le pas sur
les hommes dans le temple qui lui est consacré. A Saïs, le chef du sacerdoce était un homme, le
kharp-kûitou (Brigsch, Dictionnaire Géographique, p. 1368); la persistance avec laquelle les femmes
du plus haut rang et même les reines prenaient, dès l'Ancien Empire, le titre de prophétesse de Nft
(Mariette, les Mastabas, p. 90, 162, 201, 262, 302-303, 326, 377, etc.), montre que la prétresse de la
déesse avait dans cette ville un rang au moins égal, sinon supérieur, à celui du prêtre.
5. On en trouvera l'énumération partielle au Papyrus Hood (Maspero, Études Égyptiennes, t. Il,
p. 56-64), où ils remplissent de leurs titres la moitié de la seconde page.
LES COSMOGOMES UU DELTA. Hl
avait-il soin de s'en réserver le gouvernement, soit qu'il revêtit un de ses
enfants des titres et des fonctions de grand pontife, soit qu'il se les attribuât
à lui-même'. Il paraît alors aux erreurs qui auraient annulé le sacrifice, eu
s adjoignant plusieurs maîtres des cérémonies, qui lui commandaient les
évolutions réglementaires autour du dieu et de la vic-
time, lui indiquaient la succession des gestes ou les
changements de costume et lui soufflaient les paroles
de chaque invocation d'après un livre ou d'après une
tablette qu'ils tenaient à la main'.
Chacun des collèges sacerdotaux ainsi constitués pos-
sédait, avec ses rites et sa hiérarchie particulière, une
théologie adaptée à la nature et aux attributs du dieu
qu'il adorait. Le dogme fondamental en professait
l'unité du dieu de la cité, sa grandeur, sa suprématie
sur les dieux de l'Egypte et de l'étranger3. Ceux-ci
existaient eux aussi, et personne ne songeait à nier
leur réalité ou à contester leur puissance; eux aussi ils „„„,. «dusyajt lk oml*.
se vantaient de leur unité, de leur grandeur, de leur
suprématie, mais, quoi qu'ils en eussent, le dieu de la cité demeurait leur
maître à tous, leur prince, leur régent, leur roi : lui seul gouvernait le monde,
lui seul le conservait en bon état, lui seul l'avait créé. Non qu'il l'eût évoqué
du néant : on n'avait pas imaginé encore le concept du rien, et la création
n'était pour les plus raffinés des théologiens primitifs que la mise en œuvre
d'éléments préexistants. Les germes latents des choses avaient dormi pendant
des âges et des âges dans le sein du Nou, de l'eau ténébreuse1; quand les
temps furent venus, le dieu de chaque cité les tira de leur sommeil, les
anima, les assortit, les ordonna selon son génie particulier, et en composa
son univers, avec les façons d'opérer qui lui appartenaient en propre. Nît de
I. Ainsi les princes do Boni -Hassan et de Bcrshcli sous la XII' d) nantie (Maspero, ta Grande Imcrip-
lion de lieiii-llanaii, dans le Recueil de Travaux, t. I. p. 1 19-180).
i. Le litre de ce» perso mm (jeu est kkri-habi, l'homme au rouleau ou il ta tablette, à cause du rouleau
de pap>rus ou de la tablette eu bois qu'ils tenaient à In main, et i| n L renfermait leur rituel.
S. Tous les dieu» locau\ ont dans les inscriptions les titres nV fiviitir ouâ, dieu unique, de SiiiiIoii
noulirou. Sounllrou, Sovlrqp, lloi det dieux, de Nnutir au nib pit, dieu Crand maître du ciel, qui
trahissent leurs prétentions h la souveraineté et au rdlo de créateur universel.
i. Dettin de Faurher-Gndin, d'a/irri une figurine. île. lerre émail têt icrle, ru tua pvUFsxiou. Celte
image a fourni auiGrers les n-pri'i-enluliiiu* lifiiréi's et peut-être le invthe d'Alias.
S. Le nom est lu d'ordinaire Noua (et. IIhi-cmii, Religion und Mythologie, p. HIT) ; j'ai donné ailleurs
les raisons de la lecture Abu {liei-ue critique, i»'t, t. I, p. t*S), qui d'ailleurs appartient à M. .le liiuijjé
[Eludet sur le rituel funéraire det aiiriinia l-'.r/yptieti*, \>. .11). Nou paraît n'être qu'un personnage île
raison, dérivé par les théologiens de Jouit, la déesse du ciel (Maspero, Élude» de Mythologie et
d Archéologie Egyptieunct, t. Il, p. ojS-339); '' n'a jamais eu d'adorateurs, ni de sanctuaire particuliers.
4*28 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
Sais, qui était tissandière, avait tramé et chaîné le monde comme la mère
de famille trame et chaîne le linge de ses enfants1. Khnoumou, le Nil de la
cataracte, avait amassé le limon de ses eaux et en avait modelé les êtres
sur le tour à potier*. Dans les cités orientales du Delta, les opérations
s'étaient accomplies moins simplement3. On y admit que la terre et le ciel
étaient au début un couple d'amants perdus dans le Nou et qui se tenaient
étroitement embrassés, le dieu sous la déesse. Le jour de la création, un
dieu nouveau, Shou, sortit des eaux éternelles, se glissa entre les deux, et,
saisissant Nouit à pleines mains, la haussa par-dessus sa tête à toute la volée
de ses bras4. Tandis que le buste étoile de la déesse s'allongeait dans l'espace,
la tête à l'ouest, les reins à l'est, et devenait le ciel, ses pieds et ses mains
retombaient deçà et delà sur notre sol. C'étaient les quatre piliers du
firmament sous une autre forme, et l'on attacha à leur conservation les
dieux d'autant de principautés voisines. Osiris ou Horus l'épervier présida au
pilier méridional et Sît au septentrional, Thot à celui de l'ouest et Sapdi,
l'auteur de la lumière zodiacale, à celui de Test8. Ils se partagèrent le monde
en quatre régions, ou plutôt en quatre maisons, délimitées par les monta-
gnes qui le bordent et par les diamètres qui se croisent entre les piliers;
chacune des maisons appartenait à un seul d'entre eux, et les trois autres,
ni même le Soleil, ne pouvaient y entrer, y séjourner, ou la traverser sans
avoir obtenu l'autorisation du maître0. Sibou cependant ne s'était pas contenté
d'opposer une force d'inertie à l'irruption de Shou. Il avait essayé de lutter,
et les peintures nous le montrent dans la posture de l'homme qui vient de
s'éveiller et qui se retourne à demi sur sa couche afin de se mettre debout7.
i. D. Mallkt, le Culte de Neith à Sais, p. 185-186.
2. Il est appelé à Philœ « Khnoumou,... le père des dieux, qui est lui-même, qui pétrit (khnoumou)
les humains et modèle (masou) les dieux • (Brugsch, Thésaurus Inscriptionum Algyptiacarum, p. 752,
n°1i).
3. Sibou et Nouit, appartenant au vieux fonds commun des religions égyptiennes, surtout dans le
Delta, devaient être connus à Sébennytos comme dans les cités voisines. Il est difficile de décider en
l'état de nos connaissances si leur séparation par Shou est une conception des théologiens locaux ou
une invention des prêtres d'Héliopolis, lors de la constitution de la Grande Ennéade (Maspkro, Etudes
de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 356-357, 370).
.4. C'était ce que les Égyptiens appelaient les soulèvements de S/wu (Livre des Morts, éd. Navillk,
pi. XXIII, ch. xvii, liv. 26-27; cf. Maspero, Etudes de Mythologie et d1 Archéologie Égyptiennes, t. I.
'S p. 357-3 tO). Cet événement s'était accompli pour la première fois à Ilermopolis Magna, dans la
Moyenne Egypte; certaines légendes ajoutaient que le dieu avait dû se servir, pour arriver à la hau-
teur voulue, d'un escalier ou d'un tertre situé dans cette ville et qui était demeuré célèbre par toute
l'Egypte (Livre des Morts, éd. M a vu. le, pi. XXIII, chap. xvn, I. 4-5).
5. Osiris et Horus sont ici les dieux féodaux de Mendès et des cités osiriennes situées à l'orient du
Delta, SU est le maître des districts voisins de Tanis, Thot est à Bakhliéh, Sapdi dans le nome d'Arabie,
à l'Ouady-Toumilàt (cf. Maspkro, Etudes de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 364 sqq.).
6. Sur les maisons du monde et sur le sens qu'il convient d'attacher à cette expression, voir Mas-
pero, la Pyramide du roi Papi II, dans le Recueil de Travaux, t. XII, p. 78-79.
7. On trouvera dans Lanzonl, Dhionario di Mitologia, pi. CLV-CLVIII, un nombre assez considérable
OSIRIS ET ISIS. 12f)
Une de ses jambes est étendue, l'autre se replie et s'arc-boute pour servir
de point d'appui à l'élan du corps. Les reins ne sont pas encore déplacés,
mais le buste se soulève péniblement sur le coude gauche ou sur l'avant-
bras et la tête s'incline, tandis que le bras droit se porte vers le ciel. L'effort
s'arrêta brusquement avant d'aboutir. Sibou, frappé d'immobilité par le
créateur, demeura comme pétrifié dans la pose où il se trouvait : les
mouvements de terrain qu'on remarque à la surface de notre monde sont
dus à l'attitude tourmentée dans laquelle il fut saisi'. Depuis lors, ses flancs
se sont habillés de verdure, les générations des bêtes et des hommes se
sont succédé sur son dos3, sans apporter aucun soulagement à sa peine : il
souffre toujours du grand déchirement dont il fut victime quand Nouit lui fut
ravie, et sa plainte ne cesse nuit et jour de monter vers le ciel'.
L'aspect des plaines inondées du Delta, du fleuve qui les sillonne et les
féconde, des sables et du désert qui les menacent, avait inspiré aux théologiens
de Mendès et de Bouto une explication du mystère de la création où les divinités
dp lableaul où Si hou cl Noull sont représentes, souvent avec Slmu qui I» sépare ri soutient Nouil.
(Juelques-uns prêtent au dieu des attitudes particulières, sur lesquelles il n'est pas besoin d'insister ;
la plupart lui attribuent une pose analogue il celle qne je décris, et qui est celle de la vignelte.
I . BantscB, Religion und Mythologie lier alleu .Egyptcr, p. tii.
•'. Dtniti de Faucher-Oudin. d'apret une. peinture du cercueil de Boutehamon au mutée de Turin
(LtaiMI, Bi:iv»ario di Milologia, plCLXl, i). • Nhou. dieu grand, maître du ciel ■, reçoit l'adoration
ries deui âme* à téle de bélier, placées i sa droite et a sa gauche, entre ciel et terre.
di Milologia, pi. CLV, 1). L'oiprcssion tur le dot de Sibou est fréquente dans les textes, surtout
dans ceui qui appartiennent a l'époque ptolémaïque: la valeuren s été mise en relief par DI'miche*,
tlauurkunde det Tempelanlagen von Edfu, dans la Zeittehrift, 1811. p. llt-SS.
(. Les Grecs savaient que Kronos se plaignait et qu'il pleurait ; la mer était formée de ses larmes
130 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
féodales de ces cités et de plusieurs cités voisines, Osiris, Sit, Isis, remplis-
saient le rôle principal'. Osiris représenta d'abord le Nil incot
«tant et sauvage des époques primitives; puis le côté heureux
de sa nature avait prévalu à mesure que les
riverains avaient appris à régler son cours, et
il n'avait pas tardé à se transformer en un bien
faiteur de l'humanité, l'être bon par exce
i lence, Ounnofriou, Onnophris*. Maître de la
irincîpauté de Didou, le long de la branche .
lébenny tique, entre les marais côtiers et l'ou- fl
erture de l'ouady Toumilàt, son domaine s'éita
oindé, mais les deux nomes qui en sortirent, i
neuvième et le seizième du Delta sur les listes
pharaoniques, lui avaient gardé leur allégeance :
il y trônait sans rival, à lïusiris comme à
1 Mendès'. La plus célèbre de ses idoles était le
u; ninni- i.'osibis*. „ . , i ■ ■■■ • ■ »... ■ - , , lk biooii hahi.lè'
Didou, nu ou habille, le tetiche forme des
quatre colonnes superposées qui avait donné son nom à la principauté* : on
animait ce Didou, on lui dessinait une face un peu grotesque, aux grosses
joues, aux lèvres épanouies, on lui jetait un collier au cou, autour du corps
une longue robe flottante qui dissimulait la base sous ses plis, et deux bras
(De Ilide et Oliride, % 3Î, éd. PuitteT, p. SB) : Autii Si xai tô Cuti twv IIuB*Toeiïrûv Xrfdiunav, <i; t,
6âïiiTra Kpdvou îoiipvov iniv aivlvreoflai tb pr, *afl»pbv puSl a-ù(ifu).o> ilvai. La croyance pythago-
ricienne était probablement un emprunt à l'Egypte, el il y a dans 1rs livres égyptiens des allusion'
au chagrin de Sibou (B_ram, Religion und Mythologie der A^gypler, p. îîl).
1. MtwKKa. Etude! de Mythologie et iF Archéologie Kgypliennet, t. II, p. 35!>-36i. a indiqué le pre-
mier que relte. cosmogonie s'était formée ilanK le Delta, autour des villes osiriennes.
î. [.'origine ahydéuiennc d'Osiris a été Ion kIciii|ih un dogme pour les f.gyptologues. Maspero a mon-
Iré par les titres mêmes du dieu qu'il était originaire du Delta {Éttidet de Mythologie et d'Archéo-
logie Egyptienne!, t. II, p. iMO), el plus spécialement de Busiris el de Mondes.
». Pour ces deui nomes, voir J. nE Hoix.it, Géographie ancienne de lu Banc-Egypte, p. 57-fill
(nome Busirito), IOfi-11". (nome Mernlésien). oii sont réunies et coordonnée» les nolions disséminées
par Ilrugsch dans son Dictwnnaiic Géographique, p. Il, IBB, 171, IBS. 953, 977, 1141, 1149, etc.
i. Destin de Fancher-Gudin, d'apre» un exemplaire en terre émnillêe bleue en ma pnneuion.
S. Omiih ife Faurhrr-tiudin , daprts un modèle frégurnt au fané det cercueil» tkébain* dt la
XXI' et de la XXII- dynastie (Wnnsma. Manneri and Cuttomt. f éd., t. III, pi. XXV. n° t.).
B. I.e IHduu a élé interprété de manières fort différentes. On l'a pris pour une sorte de nilomètre
(C.Hut'ni.i.gnj). [.our une selle de sculpteur ou de modeleur (Salvolisi, Analyie grammaticale rationnée
de différent' texte' ancien* égyptien*, p. il. ri* 171) ou pour un chevalet de peintre (An[ suLX-Boxoiit-
Risra, Galtery af Anliguitiei in the llrili'h Muteum, p. 31; Brsso, .Fgyptrnt Stelle. I. I. p. 68H,
n* î"). pour un autel avec quatre tables superposées, ou pour une sorte de pied soutenant quatre
linteau* île porte (K. m. llmui:. t'.hreslomathie égyptienne, t. I, p. US, n. I), pour une série de quatre
colonnes disposées en enfilade el dont ou ne distingue que les chapiteaux étages l'un au-dessus de
l'iiutie (Kli.<ui).hs i'h.TMK, Vedtmt, p. 31). L'explication admise dans le texte a élé donnée par Houvens
{Lettici à M. I^lronne. I. p. CM), qui y reconnais il une rcpré,i.ii talion sjmbolique des quatre régions
du monde, puis par Wnri.no, Etudes de Mythologie el d'Archéologie Egyptienne', t. Il, p. 359. noie 3.
Selon les théologiens de l'Egypte, le Didou représentait encore l'épine dorsale d'Osiris, conservée
comme relique du dieu dans h ville qui portail le nom de Didou, Didtt.
0S1RIS ET. ISIS. 131
repliés sur la poitrine, qui tenaient un fouet et un crochet, symbole de l'auto-
rité souveraine. C'était là peut-
être le plus vieil Osïris, mais
on l'imaginait aussi comme un
homme, et on lui prêtait la
ligure d'un bélier1 et d'un tau-
reau, même celle d'un des oi-
seaux aquatiques, vanneaux,
hérons et grues, qui s'ébat-
taient sur les lacs du voisinage*.
La déesse que nous sommes
habitués à ne point séparer de
lui, Isis, la vache ou la femme
aux cornes de vache, ne lui
avait pas appartenu de tout
temps. C'était d'origine une
divinité indépendante qui rési-
dait à Bouto, au milieu des
étangs d'Adhou. Sans mari,
sans amant, elle avait conçu
de sa propre activité, puis elle
avait mis au monde et allaité
dans les roseaux un petit Ho
rus, qu'on appelait Harsiisit,
Bonis, fils d'Isis, pour le dis-
tinguer d'Haroêris". Elle s'unit ,-.« Hms i>: rotrw et ik cmkm a juins*
de bonne heure à son voisin
Gsiris, et nulle alliance ne convenait mieux à ses affinités. Elle personnifiait,
et nous ont conservé le récit de ses exploits (IttRODori:, II, ilvi ; cf. Wimmuuvi. UerodaU Zweitet Itueh.
p. îtt! aqq.j. Le culte du bélier sacré ne remonterai!, d'après Vanéthon, qu'au roi Kaiékbos de la
11* djn»ntic (éd. tt.ir.t«, |) 81) ; uue nécropole de béliers sacrés d'époque ptolémaïquo a été découverte
par Mariette à Tmai cl-Aradld, dans les ruines de Thmouis, et les urrophages sont conservés aujour-
d'hui au musée de Gitéh (Mariettk, Munumealt dil-ere, pi. XI.H, XI.VI, texte, p. 12. 13-11).
i. Le principal de ces oiseaux est le iloiuiu, qui n'i-sl pas. comme on l'a dit souvent, le l'héuix
(BFutsc», Nmatlle* Iterherehet tur la diritiou de Cannée, p. M-VM, Wi»eiju, Aie PhônU Saae ira
atten AKgypten. 1878, p. 8U-II16, cl Hérodote Ziceitei Buch. p. 3U-3IB), mais un vanneau ou une
espèce de héron, soit VArdea cinerea, lïéqtieul en Kpjjjtc, soit une variété voisine.
a. L'orij[i"c d'Isis et le caractère particulier éc sa inatcrnilé spontanée ont été signalés par «...s-
pr.so, Elude» de Mythologie et a" Archéologie Kijypticimet, t. II. p. isl-ï;iï. ;ij<J-36i.
t. Dettiu de Boudicr, il'upret la itatue en Oatalte vert profilant lie Siti/aaiah et ewirerive au
Mutée de liiléh (Montai), fluide du. Visiteur, p. :iij, u- Sîi.'i). Klle a été publiée par Mimmi, Mono-
menti diver: pi. 'Jfi, », et Album photographique du musée de Boulait, |il. 10.
m LES DIEUX UE L'ËdYl'TE.
en effet, la terre, non pas. comme Sibou, la terre en général, avec ses alter-
nances inégales de mers et
de montagnes, de déserts
et de champs cultivés,
mais la plaine noire et
grasse du Delta, où les
races d'hommes, de plan-
tes et d'animaux croissent
et se multiplient en géné-
rations toujours renais-
santes1. Or, cette énergie
de reproduction inépuisa-
ble, à qui la devait-elle,
sinon à son voisin Osiris,
sinon au Nil?LeNil monte,
déborde, séjourne lente-
ment sur le sol; chaque
année, il épouse la terre,
et la terre sort verte et
féconde de ses embrasse-
ments. Le mariage des
deux éléments suggéra
celui des deux divinités :
Osiris épousa Isis et adopta
le jeune Horus.
■m. cowb i* «à»*™ * conm ». ««*«. M»'» ce couple proli-
fique et doux n'exprimait
pas à lui seul tout ce qu'il y a dans la nature. La région orientale du Delta
confine aux solitudes de l'Arabie; on y rencontre quelques cantons riches et
faciles à cultiver, mais la plupart ne doivent leur existence qu'au labeur
acharné de leurs habitants. L'homme n'en obtient l'usufruit qu'à la condition
de les conquérir journellement par ses soins et par sa régularité dans la distri-
bution des eaux : dès qu'il suspend la lutte ou relâche la surveillance, le désert
I. Cf.. |i. US, noie i île culte Hinlnirr. le témoignage <lu traita de Itidc sur ta Dalurc de la dr'fsse.
i. Destin de Uimdier, d'aprri la itatue en batalie vert du Mutée de Oiiék (Mispero, Guide du Visi-
teur, |J. ttili. il' rrtifi). Kll(< a été |iiililioc par Mmii.TTK, Miiaumrut* direri, pi. !)<ï, c, ot Album photo-
graphique, |il. 10. Kilo c*t roprouiiilr ici il' si près une photographie d'Emile: BruR-ch-lk').
SIT ET NEPHTHYS. 133
les reprend et les frappe de stérilité. Sit était l'esprit de la montagne, la pierre
et le sable, la terre rouge et sèche, par opposition à I
humide et noire de la vallée*. 11 levait sur un corps de I
de chien une tète fantastique au museau grêle et recour
oreilles droites et coupées carrémei
leue, fendue à l'extrémité, se hérissai
■rrière lui, comme une fourche plantée
es reins1. Il revêtait aussi la figure hi
ou ne gardait qu'une tête bestiale si
une poitrine d'homme. On le sentait
traître et cruel, toujours prêt tigt
à brûler les moissons de son
souffle enflammé et à étouffer l'Ëgj
sous un linceul de sable mouvant. Le
traste était frappant entre ce mauvais
le couple bienfaisant d'Osiris et d'Isis
pourtant Nil et désert, terre rouge
terre noire, les théologiens du Del
attribuèrent bientôt une origine coin
mune à ces divinités rivales. Si bat;
les avait engendrées, Nouît
s'était délivrée d'elles coup
sur coup, lorsque le démiurge M
la sépara de son mari, et les
jours de la création avaient été ceux de leur naissance5. Chacune d'elles s était
confinée d'abord dans sa moitié de l'univers. Même Sit, qui avait commence
I. Sur Sit on peut consulter la monographie d'En. Xeitmi, Set-Typhon, oii pourtant l'interprétation
mystique est poussée trop loin. L'explication do Sit par le désert et la sécheresse est coursinlc dès
l'antiquité (cf. de hide et Otiride, S 33, éd. Psbthm, p. 3" :...Tuf<Sv« ôijtïv to aiixnnpoi *«' «->P<"6eç
K*i f>,pcmtxi» élan lal noXiu.iov vf, ùff-iTtitO- C'eut par un artifice de langage qu'on a transformé en
un dieu représentant le soleil meurtrier cl dévorant (Bbicsch, Religion uud Mythologie, p. ~Ht sqq.J.
t. Voir p. 83. dan» la \ «nette, l'animal typhonien représenté marchant, bous lo nom de Slia.
8. Deuil» de Fattchcr-Gudin, d'après une figurine en haie priai, provenant d'un lit funéraire
<r,\khmtm, et qui te trouée en ma pottession. La déesse porte sur la tête l'hiéroglyphe de non nom ;
elle est agenouillée au pied du lit funèbre d'Osiris et pleure le dieu mort.
i. Statuette en bronie incrustée d'or de ta collection iiofmamt [XX' dynattie] : dettin de Fau-
rhrr-Gudin, d'apret une photographie de Legrain prise en 18$I. L'un des propriétaires égyptiens
de ce petit monument a essayé de le dénaturer, vers le temps où le eullc de Sit fut proscrit, et
de le transformer en une statuette du dieu Khnoumou : il arracha les oreilles droites et les remplaça
par des cornes de hélier. sans du rosit' loucher au reste. J'ai fail disparaître les cornes courbes
d'insertion récente cl rétablir, dans le dessin de fauchcr-Cnilin, les oreilles droites donl la marque
est encore i isihle le long des deux faces latérales de la coiiïure.
:i. D'apret une légende d'origine assez antique, les quatre enfants du Noull et son petit-fils llorus
134 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
par vivre seul, s'était marié pour De le céder en rien à Osîris. Sa compagne,
Nephthjs, ne manifestait pas, à dire vrai, une vie des plus actives. Elle
n'était guère qu'un dédoublement factice de la femme d'Osiris, une seconde
Isis, que son mari ne réussissait pas à rendre mère1 : le désert, stérile par
lui-inéme, la stérilisait comme tout ce qu'il touche. Cependant elle n'avait
perdu ni le désir, ni le pouvoir de la fécondité, et la postérité que Sit ne
lui procurait point, elle ta
demanda à un autre. La tra-
dition racontait qu'elle eni-
vra Osiris, l'attira dans ses
bras sans qu'il en eût con-
science, conçut de lui : un
enfant naquit de cette union
furtive, le chacal Anubis*.
Ainsi le Nil, quand une crue
plus haute le jette sur des
terres qu'il n'est pas ac-
coutumé à recouvrir et qui
restent improductives faute
d'eau, elles s'imprègnent avi-
dement et font éclore les
germes endormis qu'elles recelaient dans leur sein. L'envahissement progressif
du domaine de Sit par Osiris marque le commencement des hostilités*. Sit se
révolte contre le crime, même involontaire, dont il est victime; il surprend
son frère, le tue en trahison, relègue un moment Isis dans ses marais, puis
règne sur l'empire d'Osiris comme sur le sien. Toutefois son triomphe est de
courte durée : llortis, devenu grand, prend les armes contre lui, le défait en
vingt rencontres, le bannit à son tour. La création du monde avait mis en
seraient nev l'un après l'autre, chacun dans l'un des jours épagomènes de l'année (CliMs, le Calendrier
detj'iun faite» et néfatlrt de Cannée égyptienne, p. IIIS-Klfi); elle était encore courante à lepou,ue
grecque {de Ilide et Otiride, § nu. éd. l>.miHKi, p. 18-it).
I. Le caractère iiiipi-rsuunr-l de Xcphthjs, son origine artificielle et i-a dérivation dïsis ont été
signalés par Mjsptao, Etude» de Mythologie et d'Archéologie Égyptienne*, t. Il, p. 3fi*-3iit. Le nom
même de la déesse, qui signilic la dame (nibit) du château (liait), confirma celte opinion.
t. De Itide et Otîride, $ 1.1, 3H, édit. pAHiKtï, p. ïi-iï, fil. tue autre légende prétendait uu'Nis,
et non pas Scphlhys, était la mère du chacal Anilbis (de IiUlc et Otiride, g 14, éd. I'ibtiiki, p. 77 ;
cf. WiLKiftNM, Mannert and Cvttom», t- éd., t. III, p. 157).
ï. Plan de Thuiltier, d'nprè* la Ikirription de l 'Egypte (Alias, Ant., I. V, pi. ïfi. I).
I. Ile hide et Otiride, g 3H. éd. I'ibtbrt, p. lit! : " CHav Eé ùitip fia >.«>-. xai nïfovàaa; à XiO.o;
iirixEivi n>.r,(TiàTr, toi; irr/.aïev(.'„at. toùto [tiïiv 'Odpiêo; npô; NiçU-jv xaï.o-jaiu. ànô t<ûv àvapiao-
mvdvTUi puTûv Éic|yopivT|'j. J>* «ai ;i. juli'iuiâ* io-riv, oô yr,ii [iSSa( inapp'jivTo; xat aml^'ifWvTOC
atiUiïTiv yï,Mai lufùvi Tr,( «ipi tàv lap-ûv àîimd;.
HEL10P0LIS ET SES ECOLES DE THÉOLOGIE. 133
présence les dieux destructeurs et les dieux nourriciers; la vie du monde est
l'histoire de leurs rivalités et de leurs guerres.
Aucune de ces conceptions n'expliquait à elle seule le mécanisme entier de
la création, ni la part que les différents dieux y avaient prise. Le sacerdoce
d'Héliopolis s'empara d'elles, en modifia et en élimina quelques détails, y
ajouta des personnages nouveaux, et du tout édifia une cosmogonie complète
dont les éléments savamment combinés répondaient chacun à l'une des opéra-
tions qui avaient tiré le monde du chaos et l'avaient conduit progressivement
à son état actuel'. Héliopolis ne s'est jamais mêlée de façon directe aux
grandes révolutions de l'histoire politique : mais nulle cité n'a remué autant
d'idées mystiques, et, par suite, n'a exercé autant d'influence qu'elle sur le
développement de la civilisation \ C'était une petite ville, bâtie en plaine à
faible distance du Nil, k la hauteur de la pointe du Delta. Elle s'enveloppait
i. Rat-relief dit temple de Séli I", à Aliydns; destin de Faurher-Gitdin. d'aprèê une p/iotographie
de lléaln. Les deux divinités conduisent vtr» la déesse Htilhor le roi Kamsès II identifié à Osiris.
4. Le Pille du sacerdoce héliopoliiain clans lu constitution île la cosmogonie adoptée par l'Egypte his-
torique a été mis en lumière par M .isi-emi, Etude* île Mythologie, t. Il, p. Ï36 sqq., 'Mit sqq.
3. Ses habitants la disaient plus ancienne que toutes les aulres rites île rfi^ypte (Diihkibe. I, V, 56).
136 LES DIEUX DE L'EGYPTE,
d'une haute muraille en briques crues, dont les restes, encore visibles au com-
mencement de notre siècle, ont pres-
que entièrement disparu aujourd'hui.
Un obélisque debout en plein champ,
quelques monticules de décombres,
des pierres éparses, deux ou trois
pans de murs croulants marquent
seuls la place où elle fut1. Elle ado-
rait RA, et son nom grec d'Héliopolis
n'est que la traduction du nom Pi-râ,
Ville du Soleil, que les prêtres lui
donnaient*. Son temple principal, le
Château du Prince*, s'élevait à peu
près au milieu de l'enceinte et abri-
tait, avec le dieu lui-même, les ani-
maux dans lesquels il s'incarnait, le
taureau Mnévis, et parfois le Phénix.
Une légende ancienne voulait que cet
oiseau merveilleux ne parût en Egypte
qu'une fois en cinq siècles : il naît et
vit au fond de l'Arabie lointaine,
mais quand son père meurt, il en-
duit le cadavre d'une couche de myr-
rhe, l'apporte à tire-d'aile au temple
"°"BI ■»«"*■ d'Héliopolis et l'y ensevelit pieuse-
ment1. Rà était à l'origine et demeura toujours pour le peuple le soleil maté-
riel, dont les feux semblent s'allumer à l'Orient chaque matin et s'éteindre le
1. Lw.nr.i et Dr IIoys-Aiïë, Description d'Hrlùipotii, dans la Detrripthti de Vf.gyple, t. V, p. lïlWÏÏ.
La plus grande partie île» murs et des débris d'édifices lisibles à celle époque oui disparu aujour-
d'hui, depuis que In famille dlbrahim-l'adia, à i|iii le terrain appartient, l'a livré a la culture.
*. Bu-cwa, Geographitche huchriflen, t. I, p. Ï34.
3. lIAit Sarou (BinGsr.it, Dictionnaire Géographique, p. 153, où l'auteur lit Hàl urâ cl trtuluil
i'alau de l'Ancien, Pataix du licuj-, en quoi il eut approuvé par LiFÊtDm, Sur le Chant et l'Adam
Égyptien, dans les Tramartiam de la Société d'Archéologie Biblique, t. IX, p. 175-1711). Ce nom
avilit été donné au temple du Soleil parce qu'il passait peur avoir servi de résidence à Rà pendant
le séjour prolongé que le dieu avait fait sur la terre comme roi d'Egypte : cl. chapitre III, p. 160 sqq.
4. Destin de Faucher-Gudïn. Le lotus épanoui, flanqué de deux boulons l'un à droite, l'autre à
gauche, est posé sur le signe ordinaire du bassin; celui-ci représente le Bon, l'abime des eau* téné-
5. l.e Phénix n'est pas le hmtou (cf. p. 131, note t), mais un oiseau fabuleux dérive de l'épervicr
rloré où s'incarnaient Maroéris et, après lui, les dieu* soleils. Hérodote raconte, d'après se- cuinVs
héliopolitains (liv. Il, LtXIIIl), qu'il ressemblait à l'aigle pour la forme et pour la grandeur, ce qui
aurait du suffire pour écarter tout rapprochement avec le Douent, qui est un héron ou un vanneau.
RA, SON IDENTIFICATION AVEC HORUS. 137
soir à l'Occident*. Les théologiens professaient à son égard des doctrines assez
différentes. Les uns prétendaient que le disque était le corps du dieu qu'il
revêt pour s'offrir à la vénération des fidèles. D'autres affirmaient qu'il en
représentait plutôt l'âme active et radieuse. Beaucoup enfin le définissaient un
des êtres — khopriou — une des manifestations du dieu, sans oser décider si
c'était son corps ou son âme qu'il daignait révéler à nos yeux. Ame ou corps,
on convenait qu'il avait existé dans le Nou avant la création3; comment expli-
quer alors qu'il eût séjourné au fond de l'Océan primordial sans le dessécher
ou sans être étouffé par lui? Ici l'identification de Rà avec Horus et avec son
œil droit intervenait fort à propos : le dieu n'avait eu qu'à fermer la paupière
pour soustraire ses flammes au contact de l'eau*. On disait aussi qu'il tenait
son disque emprisonné dans un bouton de lotus dont les pétales repliés
l'avaient garanti"; la fleur s'était ouverte le matin du premier jour et le
1. E. in. Hoir.*, Élude* tur le Rituel funéraire lien ancien* Égyptien*, p. "t>.
t. Dénia de Faucker-Oudiu, d'après faquarettt publiée par l.F.rsn s. Dation., 1, Mi. la vue est prise
du centre il*'?, ruines, au pii.il de l'obélisque d'Uusirtnseii. Un ruisseau court au premier plan et tra-
verse une mari? bourbeuse: à droite el ;■ usuelle, des monceaux de décombres, «lors assez hauts, mais
qui ont été rasés en partie; au fond, la silhouette lointaine, du Caire se dessine vers le sud-ouest.
H. Livre det Morlt, ehap. im. éd. H a ville, t. I, pi. XX11I, 1. a sc|q.
1. C'est ee qu'indique suffisamment l'expression employée si souvent par les écrivains sacrés de
l'Egypte ancienne pour marquer l'apparition du Soleil et son action première au moment de la créa-
tion : . Tu ouerei le.i deux yeux et la terre est inondée de rayons de lumière. .
j. SUmitte, Dendérah, t, I, nl.LVo; Bni_ï:sch, Tliciaurui liucriptionum .Eayptiacarvm. p. 7li4, n'fflî.
138 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
dieu en avait jailli brusquement comme un enfant coiffé du disque solaire.
De toute façon, la réflexion amenait les théologiens à distinguer deux
époques et comme deux
êtres dans la divinité suprê-
me : un soleil pré-mondain,
inerte au sein des eaux té-
nébreuses, puis notre soleil
journalier, qui vit et qui ré-
pand la vie autour de lui '.
Une partie de l'école con-
serva les termes et les ima-
ges traditionnelles pour dé-
signer ces Soleils. Elle laissa
au premier la forme hu-
maine et le titre de Rà,
h Ha» m s • auquel on prêta le sens ab-
strait de créateur en le déri-
vant du verbe râ, qui signifie donner*. Elle réserva au second le corps d'un
épervier et le nom d'Harmakhouîtî, Horus dans les deux horizons, qui mar-
quait nettement son rôle*. Elle résuma l'idée totale du soleil en un seul nom
de Rà-Harmakhouïti, et en une seule image où la tête d'épervier d'Horus se
greffait sur le torse humain de Râ. Le reste de l'école inventa des noms nou-
veaux pour les conceptions nouvelles. Elle appela créateur — Toumov, Alov-
mou — le soleil antérieur au monde1, et Khopri — celui qui est — notre
soleil terrestre. Toumou était un homme couronné et revêtu des insignes du
I. M.speho, Études de Mythologie et iT Arrhtologte Égyptienne*, t. 11. p. ÏS1 sqq., 356 «qq.
■t. Mur extérieur yard de la talle hyportyle de Hantait; detein de Boudier. iTaprèt une photogra-
phie d'Intinger. Harmakhis donne les années et les fêles au Pharaon Sétî 1" agenouille devant lui
et que lui présente la déesse à télé de lionne, Sokhlt, qualifiée ici de magicienne, Otrlt hikaou.
A. Cette étymologie après coup a élu acceptée par une partie au moins des théologiens égyptiens,
comme le prouvent les jeux de mots perpétuels entre le nom RA du Soleil et le verbe râ, donner,
faire; cf., pour la valeur qu'il convient de lui allribuer, p. SU, noie 1, de eelto Hitlaire.
k. Ilarmakhoulti est llorus, le eiel dans les dem horiions, c'est-à-dire le ciel diurne et le ciel noc-
turne; quand l'Horus céleste se fut confondu avec Ha et devint le Soleil (cT p, KHI), il passa tout
naturellement à l'état de Soleil dans les deux bornons, Soleil diurne et Soleil nocturne.
S. E. oc Koi'Gt, Etudti tur le Rituel funéraire, p. 16 ; • Son nom peut se rapprocher de deui radi-
caux : tem est une négation ; on peul y voir Cinaceeiiible, l'inconnu (comme à Thèhes. Amoun signi-
fiant mystère). Aloum est en effet désigné comme < existant seul dans l'abîme ■. avant l'apparition
de la lumière. C'est dans celle période obscure qu Aloum fait le premier acte de la création, ce qui
permet de rapprocher également son nom du copte tahio, creare. Atoum est aussi le prototype de
l'homme (en copte me, hnmo), qui devient . un loum . parfait après sa résurrection. > Brugsch (Reli-
gion und Mythologie, p. Î31-i3i) préfère interpréter Towmou par te Parfait, le Complet. Les rappro-
chements philologiques de M. de Hougé ne sont plus admissibles; mais 'l'explication qu'il donne
du nom repond ni bien au râle du personnage que je ne vois pas le moyen de la récuser.
LA CONCEPTION II' ATOUMOU. 139
pouvoir suprême, un véritable roi des dieux, majestueux et impassible comme
les Pharaons qui se succédaient sur le trône d'Egypte; une allitération fortuite
avec le nom — kkopirrou — ■ du scarabée valut à Khopri la figure d'un scara-
bée inclus au disque, d'un
homme portant le scarabée
sur la tète ou d'une momie
ayant pour tête un scara-
bée. L'écart était si faible
qu'il s'effaça entre les for-
mes possibles du dieu : les
noms s'unirent par deux,
par trois, de toutes les
façons imaginables, le sca-
rabée de Khopri vint se
poser sur la tète de Ità, le
masque d'épervîer passa
des épaulesd'Harmakhouiti
à celles de Toumou. Les
êtres complexes qui naquirent de ces combinaisons, Rà-Toumou, Atoumou-Râ,
Râ -Toumou- Khopri, Rà-Harmakhouiti-Toumou, Ïoum-Harmakhouiti -Khopri,
ne réalisèrent jamais une individualité nettement accusée. Ils furent le plus
souvent de simples doublets du dieu féodal, des noms plutôt que des per-
sonnes; et, si on ne les prit pas toujours indifféremment l'un pour l'autre, du
moins les distinctions qu'on établit entre eux portèrent sur des détails de
fonctions et d'attributs. C'est ainsi qu'on s'avisa de matérialiser en chacun d'eux
l'une des phases principales de la vie du soleil pendant le jour et pendant
l'année. Râ symbolisa le soleil au printemps et avant son lever, Harmakhouiti
le soleil qui préside à l'été et aux matinées, Atoumou le soleil d'automne et
celui de l'après-midi, Khopri le soleil d'hiver et de la nuit'. Le peuple adopta
le nom et les images nouvelles qu'on proposait à sa dévotion, mais en leR
subordonnant à son iïâ bien-aimé. Râ ne cessa point d'être pour lui le dieu de
la cité; Atoumou resta le dieu des théologiens qu'ils invoquèrent où le peuple
préférait Rà. Anhouri encourut à Thinis et à Sébennytos la même destinée
le arande ugioité par Bnifcrch [Religion und Mythologie, p. iiJl-ïllO), surtout d'après le* inscrip-
des temple* construits a l'époutie ptolniiiituur ri romaine. Malheureusement [irup-rii a prèli
spéculations de sanctuaire une importance ijuulles n'obtinrent jamais ihu* la religion populaire
140 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
que Rà dans Héliopolis. Identifié avec le Soleil, il entraîna Shou à sa suite :
on avait jadis deux dieux jumeaux, Anhouri et Shou, incarnant le ciel et la
terre, on n'eut bientôt plus qu'un seul dieu en deux personnes, Anhouri-
Shou, dont une moitié, gardant le titre d'Anhouri, représenta, comme Atou-
mou, l'être primordial, et dont l'autre moitié, Shou, devint, ainsi que son nom
l'indique, le soleil créateur, le dieu qui soulève (shou) le ciel1.
C'est donc Toumou et non Rà que les prêtres héliopolitains placèrent au
sommet de leur cosmogonie pour en être le moteur et l'ordonnateur suprême.
Plusieurs versions circulaient parmi eux de la manière dont il passa de l'iner-
tie à l'action, du personnage de Toumou à celui de Rà. La plus répandue ensei-
gnait qu'il cria soudain sur les eaux : « Viens à moi!1 », le lotus mystérieux
déploya ausssitôt ses pétales et Rà parut au bord du calice épanoui sous les
espèces d'un disque, d'un enfant nouveau-né, ou d'un épervier couronné du
disque3. Ce n'était là probablement qu'un adoucissement d'une tradition plus
sauvage : on affirmait au début que Rà lui-même avait dû séparer Sibou de
Nouît, afin d'organiser le ciel et la terre. Mais on trouva sans doute qu'à le
faire intervenir aussi brutalement on prêtait un rôle trop bas à la forme même
inférieure de la divinité suzeraine : on emprunta Shou à la religion voisine
d'Anhouri et on le chargea, comme à Sébennytos, de saisir le ciel, puis de
l'élever à la hauteur de ses bras. La violence que Shou exerçait sur Nouit
donna lieu de rattacher le dogme osirien de Mendès au dogme solaire de Sében-
nytos, et de compléter la tradition qui racontait la création de la terre par celle
qui en expliquait la répartition en déserts et en contrées fertiles. Sibou, caché
jusqu'alors sous le corps de sa compagne, apparut au soleil : Osiris et Sît, Isis
et Nephthys naquirent aussitôt, et, tombant du sein maternel sur les membres
de leur père, s'en partagèrent l'étendue. La doctrine héliopolitaine reconnaissait
donc trois moments principaux dans la création de l'univers, le dédoublement
du seigneur dieu et l'éclosion de la lumière, le soulèvement du ciel et la mise
à nu de la terre, la naissance du Nil et l'aménagement du sol de l'Egypte, le
tout exprimé par des manifestations de divinités successives4. Les dernières
d'entre elles s'étaient constitué déjà une famille de père, de mère et d'enfants,
i. Maspero, Éludes de Mythologie et a' Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 282, 356-357.
2. C'est à cause de cela que les Egyptiens donnaient au premier jour du monde le nom de Jour de
Yiens-à-moi! (E. de 11oit.k, Etudes sur le Hit uel funéraire des anciens Égyptiens, p. 54-55) ; dans le
texte du chapitre wn du Livre des Morts, Toumou est remplacé par Osiris en ce rôle de créateur.
3. Voir p. 13H de cette Histoire la vignette qui montre le Soleil enfant jaillissant du lotus épanoui.
4. Sur la formation de l'Knnéade héliopolitaine, voir Misi'kro, Etudes de Mythologie et d'Archéologie
Egyptiennes, t. Il, p. 244 »qq., 352 sqq. Brugsch a établi de façon toute différente la composition, la
dérivation et l'histoire de cette Knnéade (Heligion und Mythologie der alten .Egyptcr, p. 183 sqq.).
LA CRÉATION SELON LES HÉUOPOLITAINS. 141
selon les règles de l'humanité : on profita de leur exemple pour nouer des rela-
tions analogues entre les autres et pour les réunir savamment en une lignée
unique. Comme Atoumou-Rà ne devait pas rencontrer d'égaux, on le laissa
seul au premier rang et l'on décida que Shou serait son fils : il l'avait tiré
de lui-même au premier jour, sans coopération féminine, par la simple intensité
de sa force virile. Shou,
rabaissé à la condition de
dieu (ils, engendra à son tour
les deux divinités qu'il sépa-
rait, Sibou et Nouit. On ne
lui avait point connu de
compagne jusqu'alors, et il
aurait pu, lui aussi, se pro-
curer à lui seul sa propre
postérité : on le maria, pour
éviter de lui accorder une
puissance de spontanéité génératrice égale à celle du démiurge, et l'on
supposa que sa femme Tafnouit était sa sœur jumelle, née du même acte que
lui. Cette déesse d'occasion ne s'anima jamais d'une vie pleine et demeura, à
l'exemple de Nephthys, une entité théotogique plutôt qu'une personne réelle.
I^es textes la dépeignent comme une pâle copie de son mari. Elle porte le
ciel avec lui et avec lui reçoit chaque matin le soleil naissant, lorsqu'il se
dégage de la montagne d'Orient; elle est lionne s'il est lion, femme s'il est
homme, femme à tête de lionne s'il est homme à tète de lion; elle s'irrite
quand il s'irrite, elle s'apaise quand il s'apaise, elle n'a point de sanctuaire où
il ne soit adoré; bref, elle forme avec lui un être unique en deux corps, ou,
pour employer l'expression égyptienne, a une seule âme en ses deux jumeaux* ».
On le voit, les Héliopolitains proclamaient que la création est l'œuvre du
Soleil, Atoumou-Rà, et des quatre couples divins qu'il avait produits. C'était,
au fond, une variante érudite de la vieille doctrine3, où l'univers se composait
1. Dcisiii de Fauchet-Gudin, daprct une vignette du papyrun d'Aui, au Briiiih .Wujctim, publiée
par l.EP.ict-ltETOiT clans le» Proeecding* de In Société d'Archéologie Itililiqor, t. XI, 1889-18110, |>. 46-Ï8.
L'un des deux lions, celui île droite, a pour légende itifoit, ■ hier », l'autre douaott, • ce malin ■.
■i. Lh-re dcë Mort*, chap. ml. I. i:ii sqq. (éd. Kaïille, t. I. pi. XXIV]. Sur le rôle de Tafnli ou
Talnoull à coté de Shou, voir Mispkhu, Etude* de Mythologie et d'Archéologie Egyptiennes, t. It,
(i. StT-îiK. 3;i 7, cl Bni'GSf», lleligion uad Mythologie, |>. "i7l-:;7.!;. l'our il. I,em<;k-Hk.sui i (Egyptian
Hylliology, piirtiiulmly trith rrfrrenrr to Mut and l'.lutid, dans les 'Iraniaciion* de la Société
d'Archéologie Elililiijiie, t. VII], p. im; sqq.), Shou et Tafnouit sont l'Aurore, plus exactement les
deux Aurore», une Aurore ni ait- cl une Aurore femelle.
3. Voir p. 86-87, 1*8-13» de cette Histoire quelques-une* des variantes antiques de cette doctrine.
U-2 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
d'un dieu du ciel, Horus, étayé de ses quatre enfants et de leurs quatre piliers :
défait, les quatre fils de la conception héliopoiitaine, Shou et Sibou, Osiris
et Sit, se substituèrent parfois aux quatre dieux antiques des maisons du
monde. Cela dit, il faut remarquer des différences considérables entre les
deux systèmes. Tout d'abord, les quatre dieux héliopolitains, au lieu d'être
rangés sur la même ligne de temps et d'apparition comme les quatre enfants
d'Horus, se déduisent l'un de l'autre et se succèdent par ordre de naissance.
Ils n'ont pas cette nature uniforme de soutien qui les attache pour toujours à
une fonction déterminée, mais chacun d'eux se sent doué des facultés et
armé des pouvoirs spéciaux qui sont nécessaires à sa condition. Us s'associent
enfin à des déesses, dont l'adjonction porte à neuf le nombre total des êtres
qui travaillèrent par des opérations diverses à l'organisation du grand tout.
Aussi les appelait-on d'un nom commun, l'Ennéade, la Neuvaine des dieux
— paouît noulîrou1, — et le dieu qui marchait à leur tête, le dieu de
l'Ennéade, — Paouîti. Mais, la création achevée, mille organes en assuraient
la continuation et la durée, au jeu desquels les personnes de l'Ennéade
n'avaient point le loisir de veiller elles-mêmes : elles réclamaient des auxi-
liaires pour présider à chacun des actes dont l'accomplissement semblait indis-
pensable à la marche régulière des choses. Les théologiens d'Héliopolis
choisirent dix-huit des innombrables divinités que les cultes féodaux de
l'Egypte laissaient à leur disposition, et les distribuèrent en deux Ennéades
secondaires, issues de l'Ennéade créatrice. La première des deux, qu'on
appelait ordinairement la petite, reconnaissait pour chef Harsiésis, le propre
fils d'Osiris Harsiésis était à l'origine un dieu de la terre, qui avait vengé son
père assassiné et sa mère proscrite par Sit, c'est-à-dire rendu au Nil la plé-
nitude et au Delta la fécondité. Incorporé aux religions solaires d'Héliopolis,
on ne toucha pas à sa filiation qui établissait un lien naturel entre les deux
1. Le signe qui sert à écrire paouit fut confondu par les premiers égyptologucs avec le signe À* A cl
le mot lu khet, autre (Champollion, Grammaire Égyptienne, p. 292, 320, 331, 404, etc.). M. de Bougé,
le premier, en détermina la prononciation phonétique : il « doit se lire Paou et désigne un ensemble
de dieux » (Lettre de M. de Rouge, juin 1832, publiée dans F. Lajard, Hecherches sur le Cyprès
Pyramidal aux Mémoires de V Académie des Inscription* et Belles-Lettres, t. XX, 2* partie, p. 176).
Brugsch démontra bientôt après (Ueber die Hiéroglyphe des Neumondes und ihre rerschiedenen Bedeu-
tungen, dans la Zeitschrift der Morg. G., t. X, p. 868 sqq.) que « l'ensemble de Dieux invoqué par
M. K. de Bougé devait se composer de neuf dieux », d'une Ennéade. Cette explication ne fut d'abord
admise ni par Lepsius (Uebcr die Gôltcr der Vier Eletnente bei den .Egypter), ni par Mariette, qui
avait avancé une interprétation mystique du mot dans son Mémoire sur la mère d'Apis (p. 25-36), ni
par E. de Bougé (Études sur le Bituel funéraire, p. 43), ni par Chabas (Une Inscription historique du
règne de Séti Pr, p. 37, et Un Hymne à Osiris, dans la Bévue Archéologique, i'9 série, t. XIV, p. 1*18-
200). Le sens Neuvaine, Ennéade, ne fut adopté franchement que plus tard (Maspkro, Mémoire sur
quelques Papyrus du Louvre, p. U4-U5), surtout après la découverte des textes des Pyramides (BRrcscH,
Thésaurus Inscriptionum sEgypliacarum, p. 707 sqq.); c'est le seul qu'on reconnaisse aujourd'hui.
Naturellement l'Ennéade égyptienne n'a de commun que le nom avec les Ennéades néo-platoniciennes.
LES ENNÉADES HERM0P0L1TAINES. 143
Ennéades, mais on adapta sa personne à celle du milieu nouveau dans
lequel on le transportait : on l'identifia avec Itâ par l'entremise de l'ancien
Honis, Haroéris-Harmakhis, et la petite Ennéade débuta, comme ta grande,
par un dieu-Soleil. On ne poussa pas cependant l'assimilation jusqu'à investir
le jeune Honis des mêmes pouvoirs que son ancêtre fictif : il fut le soleil de
notre monde terrestre, le soleil journalier, tandis qu'A ton mou-Kà demeurait
le soleil antérieur au monde, le soleil éternel. Nous connaissons mal les huit
personnages qui lui succé-
daient et la liste en varie.
On voit seulement qu'elle
comprenait surtout les dieux
qui gardent l'astre contre ses
ennemis et qui l'aident à
parcourir sa route accoutu-
mée. Ainsi Harhouditi, l'Ho-
LE« QI'tTRE GÉflISS TÏNÉMUI', *K$tT, HilPI, TIOl'«tOlTF, XtlKtONOCF '
rus d'Edfou, poursuit, lapique
à la main, les hippopotames ou les serpents qui hantent les eaux célestes et
menacent le dieu. Thot règle la marche de la barque lumineuse par ses incan-
tations. Ouapouaîtou, le double chacal de Siout, la guide et au besoin la
tire à la cordelle le long du ciel du Midi et du Nord. H semble que la dernière
F.nnéade comptât parmi ses membres Anubis le chacal et les quatre génies
funéraires, enfants d'Horus, Hàpi, Ainsi!, Tioumaoutf, Kabhsonouf; il semble
aussi qu'elle eût pour métier de soigner et de défendre le soleil mort, le
soleil de nuit, comme la seconde faisait le soleil vivant. Ses fonctions étaient
tellement obscures et semblaient si insignifiantes au prix de celles que rem-
plissaient les autres Ennéades que les théologiens ne se donnèrent point la
peine de la représenter ni d'en énumérer les personnes : ils la nommaient en
bloc après les deux autres, dans les formules où ils croyaient nécessaire de
mettre en jeu toutes les forces créatrices et préservatrices de l'univers, mais
c'était acquit de conscience et amour de l'exactitude plutôt que respect réel.
Les trois Ennéades réunies mouvaient et perpétuaient le monde sous l'impul-
sion du maître d'Héliopolis : les dieux qu'elles n'avaient point recueillis dans
leur sein étaient ou bien des ennemis qu'elles devaient combattre ou bien des
serviteurs aux ordres de l'une d'elles*.
1. Deuinâe Faacher-Gudin.daprèi'Wit.vvfti^.ManneTtandCiulemt.t- èA., I. III, p. Ht, pl.XLVIII.
î. Le peu qu'on «ait sur les dcui Ennéades secondaires d'Héliopolis a été rassemblé par HmfMo,
f.tuda de Mythologie et d'Archéologie Égyptienne; 1. II. p. Î99 iq<|., 353-351, 371-372.
4U LES DIEUX DE LÉÉCYPTE.
Le dogme de l'Ennêade héliopolîtaine conquit une fortune prompte et dura-
ble. Il présentait un tableau de la création si clair et ordonné de façon si con-
forme à l'esprit des traditions que les collèges sacerdotaux l'adoptèrent l'un
après l'autre, en le pliant
aux exigences du patrio-
tisme local. Ils placèrent
chacun le dieu de leur cité
en tète de l'Ennêade comme
k dieu neuvainier » , « dieu
de la première fois », créa-
teur du ciel et de la terre,
souverain des hommes et
maître de tout faire : de
même qu'on voyait l'En-
nêade d'Atoumou à Hélio- ,
polis, on vit celle d' Att-
irai ri à Thinis et à Sêben-
njtos, celle de Mfnou à
Coptos et à Panopolis, celle
d'Haroêris à Edfou, celle
de Sobkou à Ombos, plus
tard celle de Phtah àMera-
phïs et celle d'Anton à
Thèbes1. Les nomes qui adoraient une déesse n'éprouvèrent aucun scrupule à
lui prêter le rôle d'Atoumou et à lui attribuer la maternité spontanée de Shou
et de Tafnouit : Nit émit et dirigea l'Ennêade de Sais, Isis celte de Bouto,
Hâthor celle de Dentlérah1. La plupart des collèges sacerdotaux n'allèrent pas
plus loin que cette substitution. Pourvu que leur dieu prit rang de maître
suprême, le reste leur importait peu et ils ne changeaient rien à la suc-
cession des autres agents créateurs : même les emplois inférieurs où la tra-
dition héliopolttaine reléguait des puissances comme Osiris, Sibou, SU, recon-
I. Plan de Thuitlirr, /Taprr$ la Description de rÊayple. An!., t. IV, pi. 511.
±. Les lieux Ennéndes de Phtah cl d'Amoii, ce dernier remplacé par Nontou aux liasses époques,
non! relie» dont on possède jusqu'il puisent le plus grand nombre d'exemples (Lursins. Uehtr de»
Entett .•EgyiilUehen V.nUerkreii. pi. I-III ; Bblssch, Thctaunu Inuriplinnvm, p. 7i"-"3(l).
3. Sur l'Ennêade d'Hàthor à Dendérah, voir ««mette, Deiidrrah. texte, p. «Il «u,q Le fait que Nlt.
Isis el en «.énéral toutes les déesses féodales étaient les maîtresse* de l'Ennêade locale est prouvé par
les épil hèles qu'on leur donne, et qui les rc. présente ni routine ayant le pouvoir créateur, seules, par
leur propre puissance, au même Litre que le dieu-màle, rlief de l'Krinéade liéliopolitaine.
THOT ET I/ENNÊADE HERMOPOLITAINE. 145
. dans le pays entier, n'étaient pas pour déplaire à leur
vanité. Seuls les théologiens d'Hermopolis se refusèrent à emprunter le
système nouveau machinalement et de toutes pièces. Her-
mopolis avait été dès le début l'une des cités maî-
tresses de l'Egypte Moyenne. Isolée dans les terres à
mi-chemin entre le Nil de l'Est et celui de l'Ouest,
elle avait établi sur chacun des deux grands bras
du fleuve un port et une douane, où tous les bateaux
qui voulaient monter ou descendre le courant devaient
, acquitter un droit de péage avant de continuer leur
route. Non seulement les blés et les produits naturels
de la vallée et du Delta, mais les denrées que les caravanes soudanaises
apportaient à Siout de l'Afrique lointaine contribuaient à remplir son trésor*.
Son dieu Thot, ibis ou babouin, était de natui
dieu-lune qui mesurait le temps, comptait lesjoi
dénombrait les mois, enregistrait les années3. (
les divinités lunaires jouissent partout des pouv<
les plus étendus : elles commandent aux forces i
térieuses de l'univers, elles connaissent les sons,
mots, les gestes qui les mettent en mouvement,
non contentes d'en user pour elles-mêmes, .
enseignent à leurs adorateurs l'art de s'en servir.
ne faisait pas exception à cette loi. Il était le
seigneur de la voix, le maître des paroles et
des livres, le possesseur ou l'inventeur des .
écrits magiques auxquels rien ne résiste au ciel,
sur la terre et dans l'Hadès1. Il avait découvert les incantations qui produisent
et régissent les dieux, îl en avait transcrit le texte et noté la mélopée,
1. Drain de Fauchtr-Gudin, d'aprèt une figure de lerre émaitUe en ma postemion. provenant de
Coptot. Le cou. les pattes, la queue sont en émail bleu, le reste est en émail vert. I.a petite figu-
rine de femme accroupie sous le bec est relie de la déesse Malt, la Vérité, l'alliée de Thot. I.'ibîs
était muni d'une bélière. aujourd'hui cassée, mais dont l'amorce se voit encore derrière su tèle.
ï. Sur ces douanes d'Hermopolis, et sur la raison de leur établissement, voir Mispek», fiole» nu
jour le jour, g 19. dans les Proeeedingt de la Société d'Archéologie Biblique, l8!M-IB9i, t. XIV, p . HHS-iO*.
3. Le nom de Thot. Zehouli, Tehouti, parait signifier celui qui appartient a l'oiseau Zehou, Tehou,
celui qui est l'ibis ou qui appartient à l'ibis divin (Bai'ncn, Religion und Mythologie, p. 4411).
4. bénin de r'auelicr-Gudin, d'aprèt une figurine de terre entaillée rerle en ma po'tetiion. prove-
nant rie Coptot (époque faite).
5. t'J. dans le conte de Satnî (Maspeiio, Contre populaire» de CAnrienne Egypte, 4* éd., p, 175) In
description du ■ livre que Thot a écrit de sr propre main lui-même >. et qui fait de son possc-irur
ciel, b terre, l'Hadès, les montagnes, le* eaux ; lu connaîtras les oiseau* du ciel et les reptiles, tous
446 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
il les récitait avec la justesse d'intonation — ma khrôou — qui les fait souve-
raines; tous les êtres, hommes ou dieux, à qui il les communiquait et dont il
rendait la voix juste — smâ khrôou — devenaient comme lui les maîtres de
l'univers1. La création n'avait pas été pour lui un effort musculaire auquel
les autres dieux avaient dû de naître : il l'avait accomplie par la formule ou
même par la voix seule, « la première fois » qu'il s'était éveillé dans le Nou.
La parole articulée et la voix exerçaient en effet une puissance créatrice
que rien ne dépassait : elles ne demeuraient pas immatérielles en sortant des
lèvres vivantes, mais elles se prenaient pour ainsi dire en substances tangi-
bles, en corps animés eux-mêmes de vie et de vertu créatrices, en dieux et
en déesses qui vivaient ou qui créaient à leur tour. Déjà Toumou avait mis en
branle les dieux ordonnateurs par une phrase très courte, le Viens à moi
qu'il avait lancé à plein gosier le jour de la création et qui avait évoqué le
Soleil hors du Lotus*. Thot avait ouvert les lèvres, et sa voix poussée au
dehors s'était fait être, le son s'était figé en matière, les quatre dieux qui
président aux quatre maisons du monde étaient tombés tout vifs de sa
bouche sans tension corporelle et sans évocation parlée. La création par la voix
simple dénote un raffinement de pensée presque aussi subtile que celui qui a
substitué la création par la parole à la création par le geste. Le son est en
effet à la parole ce que le coup de sifflet d'un officier de quart est au com-
mandement par le porte-voix dans la manœuvre d'un navire : il simplifie
la parole et la réduit comme à l'abstraction pure. Au début le créateur avait
parlé le monde, plus tard il le sonna : il lui restait encore à le penser, mais
c'est là une conception à laquelle les théologiens ne paraissent pas avoir
songé8. On racontait à Hermopolis, et cette légende fut plus tard acceptée de
tous, même des Héliopolitains, que la séparation de Nouît et de Sibou avait
été opérée sur l'emplacement de la cité : Shou avait escaladé le tertre où
l'on bâtit ensuite le temple féodal, pour mieux porter la déesse et pour sou-
lever le ciel à la hauteur convenable*. La conception d'un conseil créateur
quant ils sont; tu verras les poissons de l'abîme, car une force divine les fera montera la surface de
l'eau. Si tu lis la seconde formule, encore que tu sois dans la tombe, tu reprendras la forme que tu
avais sur terre; même tu verras le soleil se levant au ciel et son cycle de dieux, la lune en la forme
qu'elle a lorsqu'elle parait. »
1. Pour le sens de ces expressions, voir Maspero, Études de Mythologie, t. I, p. 93-114.
2. Voir le récit de cet épisode mythologique à la page 140, et la vignette qui montre le Soleil
enfant sortant du lotus épanoui, à la page 137 de cette Histoire.
3. La théorie de la création par la voix et par le son, ainsi que son influence sur le développement
de l'Ennéade Hermopolitaine, ont été exposées pour la première fois par Maspero, Création by the
Voice and the Ennead of Hermopolis (dans V Oriental Quarterly Review, 2* sér., t. 111, p. 365 sqq.),
et bientôt après dans les Études de Mythologie et d Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 372 sqq.
i. Livre des Morts (éd. Naville, pi. XXIII), ch. xvn, I. 3 sqq. Aussi d'autres textes affirment-ils que
LA CRÉATION PAR LA PAROLE ET PAR LA VOIX. 147
de cinq dieux prévalut si bien à Hermopolis que la ville en reçut de toute
antiquité le nom de Maison des Cinq : son temple s'appela la Demeure
des Cinq jusqu'aux derniers jours de l'Egypte, et son prince, qui était par
hérédité chef du sacerdoce de Thot, inscrivit au premier rang parmi ses titres
officiels celui de Grand de la maison des Cinq*.
Les quatre couples qui avaient assisté Atoumou s'identifièrent aux quatre
dieux auxiliaires de Thot et modifièrent le conseil des Cinq en une Grande
Ennéade Hermopolitaine, mais au prix d'étranges métamorphoses*. Si arti-
ficiellement qu'on les eût groupés autour d'Atoumou, ils avaient conservé
tous une physionomie assez particulière pour qu'on ne fût pas tenté de les
confondre l'un avec l'autre ; du moment que l'univers à l'organisation duquel
ils avaient collaboré résultait en dernière analyse d'opérations très diverses,
qui exigeaient un déploiement considérable de force matérielle, il fallait bien
que chacun d'eux gardât l'individualité nécessaire à produire les effets qu'on
attendait de lui. Ils n'auraient pu exister et développer leur action s'ils ne
s'étaient conformés aux conditions ordinaires de l'humanité : comme ils nais-
saient l'un de l'autre, ils devaient se doubler de déesses vivantes, aussi capa-
bles d'enfanter qu'eux-mêmes l'étaient d'engendrer. Au contraire, les quatre
d'Hermopolis pratiquaient un seul moyen d'action, la voix : sortis de la bou-
che du maître, c'est par la bouche qu'ils avaient créé, c'est par la bouche
qu'ils perpétuaient le monde. Us auraient pu se passer de déesses, si le
mariage ne leur avait été imposé par leur identification avec les dieux cor-
respondants de l'Ennéade Héliopolitaine ; du moins leurs femmes n'eurent-
elles qu'une apparence de vie presque sans réalité. Puisqu'ils possédaient le
procédé de Thot, ils prenaient sa figure et trônaient à ses côtés comme autant
de singes. Les huit dieux d'Héliopolis, associés au maître d'Hermopolis, assu-
mèrent le caractère et la forme des quatre dieux auxquels ils s'unissaient.
On les représenta souvent comme huit babouins assemblés autour du babouin
suprême8, comme quatre paires de dieux et de déesses sans attributs et sans
le norae hermopolitain est celui « où la lumière commença quand ton père lia se leva du lotus »; Dûmi-
chen, Geographische Inschriften, t. I (111 du Recueil de Monuments), pi. L\\ I. 2-3; cf. pi. XCVI, 1. 21.
i. E. dk Roigk, Recherches sur les monuments quon peut attribuer aux six premières dynasties
de Manéthon, p. 62; Brugsch, Dictionnaire Géographique, p. 962; au Papyrus Magique Harris (pi. III,
1. 5-6, éd. Chabas, p. 53), on les appelle « ces cinq dieux... qui ne sont ni au ciel ni sur terre, et
que le soleil n'éclaire pas ». Sur la conception cosmogonique que ces titres hermopolitains sup-
posent, voir Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 259-261, 381.
2. Les rapports des Huit avec l'Knnéadc et avec le dieu Un ont été indiqués par iMaspero (Mémoire
sur quelques Papyrus du Louvre, p. 91-95) ainsi que la formation et le caractère de l'Ennéade
Hermopolitaine (Études de Mythologie et d Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 257-261, 381-383).
3. W. Golk.niciif.kf, Die Metternichstele, pi. 1, où les singes adorent le disque solaire dans sa barque :
cette scène est fréquente sur les hypocéphales qu'on trouve sous la tête des momies gréco-romaines.
148 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
visage caractéristiques1, enlin comme quatre couples de personnages à corps
d'homme et à tête de grenouille pour les dieux, à corps de femme et à tète
serpent pour les déesses1. Ils chantent matin et soir, et
hymnes mystérieux dont ils saluent le lever et le coucher
soleil assurent la continuité de son cours. Leurs noms
nés ne survécurent pas à leur métamorphose : on ne
r en donna plus qu'un par couple, dont la terminaison
rîe selon qu'on veut désigner le dieu ou la déesse, Nou
Nouît, Hehou et Hehît, Kakou et Kakjl, Ninou et Ninit.
a paire Nou-Nouit répond, autant qu'il est permis d'en
uger, à Shou-Tafnouit, Hehou-Hehît à Sibou et à Nouît,
hvakou-Kakit à Ostrïs et à Isis, NinouNinit à Sît et à
ephthys. Aussi bien ne trouvait-on pas souvent l'occasion
les invoquer séparément : on les appelait les Huit, —
mounou3 — sans entrer dans le détail, et Hermopolis
;ut à cause d'eux le nom de'Khmounou, la Ville des Huit*,
i leur retira par la suite le peu de vie individuelle que
tte condition leur laissait encore, et on les fondit en un
ml être dont les textes parlent comme de Khomniuou,
le dieu Huit. L'Ennéade de Thot en arriva donc d'étape
en étape à ne plus contenir que deux termes, le dieu
) Un et le dieu Huit, la Monade et l'Ogdoade, encore le
«whi ue thèses3. dernier n'existait-il guère qu'en théorie et s'absorbait- il
le plus souvent dans la personne du premier. Les théolo-
giens d'Hermopolis dégagèrent graduellement l'unité du dieu féodal de la
multiplicité des dieux cosmogoniques".
Comme ils avaient fait la doctrine héliopolitaine, les collèges sacerdotaux
I. Luron, Disionario di Mil'ilogia Eghia, pi. XII.
*. LtpsiiTs, Denkm., IV, m c; Markttk, flenaVraA, t. IV, pi. 70: Chahpollio*, Monument* deCÉgypte.
|>l. CXXX. On a discuté et l'an discute encore sur la valeur qu'il convient d'attacher à chacun d'eux.
I.cpsius, le premier, a essayé de montrer dans un mémoire npécînl (Veber die Gôtter drr fier Ele-
mtttle bei den .Egyptern, ISjH) qu'ils étaient les dieux de» quatre éléments; Diimichen voit dans cha-
cun de* quatre couples la Matière primitive, l'Espace primitif, le Temps primitif1, la Force primitive
[tienrh'n-hte .Egypleim, p, ÏW sqq.); Brunch {Iteligion und Mythologie, p. tï3 sqq.) préfère > recon-
naître l'Eau primordiale, l'filcruilc. l'Obscurité, l'Inertie primordiale.
3. I.c nom a été lu pendant longtemps Senuunav, il'après Cliampollion : Bruptcli en a découvert la
véritable prononciation khmounou (licite nark ttrr lironrii (Mit el-Khargch, p. 3»; cf. Veber die
Auttprache eiuiger ZaMwârler im Atlâgyptiicheii, dans la Zcittchrift, 1874, p. 145-117).
1. I>'où sou nom moderne El-Ashmounéln ; cf. Bhussck, Dictionnaire Géographique, p, 719-751.
5. Itenii! de Fauclier-Gudia, (Câpres une italuetle de bronze en ma pottctiion, trouvée à Thèhrt.
i\. M.isrEB.i, fltude* de Hythalogie et d' Archéologie Égyptienne: t. Il, p. 383 sqq., oii cette façon
d'envisager l'Eimëade hermopolilKlne a été exposée pour la première fois.
DIFFUSION DES ENNÊADES.
adoptèrent pour la plupart celle d'Hermopolis : Amon, par exemple, présida
indifféremment les huit babouins et les quatre couples indépendants de l'Ën-
néade primitive1. Le procédé d'adaptation ne différait aucunement dans les deux
vas et n'aurait point souffert de difficulté si les divinités auxquelles on l'appli-
I. Orttin de t'iiHcher-tiuditi, il'aprit mie jiAofciflm/i/nV de Ilé/iin; ci. 1.i:psh s, lleiikm., IV. |il. Gii. r.
J'ai réuni ilans celle vignette les ilem extrémités d'un «ranH lalileaii de rhilic, où les Huit, j>:iHjij;i's
un deux (;rou|jFU de quatre, assistent à l'adoration du rai. Selon un usa^c fréoncut \ers ré|>oi|ii!'
Kréco-roinainu, If sculpteur a donné aux pieds de ses dieux la forme d'une tête de chacal : c'est
façon de rendre la métaphore où l'on compare un coureur ;iu chacal qui rode autour de ]'fieypte
t. Amon préside à l'Ennéade llermoiiolitaine doua un lias-relief île Pliil»' (I.lisii s, Dcnkin., IV,
150 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
quait n'avaient jamais eu de famille : il aurait suffi de changer dans chaque
ville un nom, un seul, à la liste héliopolitaine, et le nombre de la Neuvaine
serait demeuré neuf après comme avant l'opération. Mais depuis qu'elles
étaient devenues triades, on ne pouvait plus les considérer de prime abord
comme de simples unités capables de se combiner sans arrangement préalable
avec les éléments de l'une ou l'autre des Ennéades : il fallait bon gré mal gré
prendre avec elles les deux compagnons qu'elles s'étaient choisis, et, rempla-
çant le seul Thot ou le seul Atoumou par les trois patrons de chaque nome,
changer en onzain la neuvaine traditionnelle. Heureusement la constitution de
la triade se prêtait à tous les accommodements. Nous savons déjà que le père
et le fils étaient, si l'on voulait, un seul et même personnage. Nous savons
encore que l'un des deux parents dominait toujours l'autre de si haut qu'il
l'annulait presque entièrement : tantôt la déesse disparaissait derrière son
époux, tantôt le dieu n'existait que pour justifier la fécondité de la déesse et
ne s'attribuait d'autre raison d'être que son emploi de mari1. On en vint
assez vite à mêler deux personnages si étroitement unis et à les définir comme
étant les deux faces, les deux aspects masculin et féminin d'un seul être.
D'une part, le père était un avec le fils et de l'autre il était un avec la mère ;
la mère était donc une avec le fils comme avec le père, et les trois dieux de
la triade se ramenaient à un dieu unique en trois personnes. Grâce à ce sub-
terfuge, mettre une triade au sommet de l'Ennéade n'était plus qu'une façon
détournée d'y mettre un seul dieu : les trois personnes n'y comptaient que
pour un, et les onze noms additionnés n'accusaient au total que les neuf
divinités canoniques. Telle Ennéade thébaine d'Amon-Mout-Khonsou, Shou,
ïafnouit, Sibou, Nouît, Osiris, Isis, Sit, Nephthys, est, malgré son irrégularité
apparente, aussi correcte que l'Ennéade-type. Isis se double des déesses de
même nature qu'elle Hâthor, Selkit, Taninit et ne vaut qu'un encore. Enfin
Osiris appelle son fils Horus, et celui-ci s'entoure de tous les dieux qui jouent
comme lui dans une des triades le rôle de dieux-fils. Les théologiens avaient
des procédés variés pour ramener les personnes de l'Ennéade au chiffre de
neuf, quel que fût le nombre dont il leur plût la composer1. Les surnuméraires
00 r); c'est à lui que les huit babouins adressent leurs hymnes au Papyrus Magique Harri*
(pi. III, 1. 6 sqq., éd. Chabas, p. 00, 09), pour le prier de venir en aide aux magiciens.
1. Voir plus haut, p. 104-1(17 de cette Histoire, l'explication de ce fait.
î. De nombreux exemples de ces Ennéades irrégulières ont été réunis par Lepsius d'abord (Ueber
den Krsten Aïgyptischcn Gôtterkreis, pi. I-IV), puis par Brugsch (Thésaurus Inscr iptionum AZgyptiaca-
rum% p. 724-730). L'explication qu'on en donne ici en a été proposée par Maspcro (Études de
Mythologie et a" Archéologie Égyptiennes, t. Il, p. 245-240) : la traduction la meilleure qu'on puisse
donner alors de paouit, est le mot cycle, cycle de dieux, qui ne suppose aucun nombre fixe.
LES DIEUX UNIQUES ET SOLITAIRES. 151
allaient par-dessus le marché, comme ces ombres des soupers romains qu'on
amenait avec soi sans prévenir l'hôte, et dont la présence ne changeait rien à
la quantité ou à l'ordonnance des convives officiels.
L'Ennéade d'Héliopolis, ainsi remaniée par tous les bouts, prit aisément
son parti de ces caprices sacerdotaux, et profita des facultés que la triade
lui offrait de s'élargir sans se déformer. Aussi bien la version qu'elle avait
adoptée des origines de Shou-Tafnouît dut-elle paraître à la longue d'une
barbarie par trop primitive. Si hardis que les Égyptiens de l'époque pharao-
nique fussent restés à l'habitude, il y avait dans l'acte d'émission spontanée
par lequel Atoumou avait produit ses deux enfants jumeaux un excès de bru-
OIIPOjSE DE QBtTOME D
talité au moins inutile à conserver, quand la mise du dieu en triade les
autorisait à expliquer cette double naissance d'une façon conforme aux lois
ordinaires de la vie. I.' Atoumou solitaire du dogme plus ancien s'effaça
devant l'Atoumou mari et père de famille. Il avait, à dire vrai, deux femmes,
lousàsit et Nebthotpît, mais d'une individualité si faible qu'on ne se donna
pas la peine de choisir entre elles : elles passèrent l'une et l'autre pour
être la mère de Shou et de Tafnouît. Cette combinaison, d'une ingéniosité
puérile, eut les conséquences les plus graves pour l'histoire des religions
égyptiennes. Dès l'instant qu'on transformait Shou en un dieu-fds de la
triade héliopolitaine, on pouvait bien l'assimiler avec le dieu-fils de toutes
les triades qui remplaçaient Toumou au sommet des Ennéades provinciales.
On vit donc Horus fds d'Isis à Bouto, Arihosnofir fils de Nil à Sais, Khnoumou
fils d'Hâthor à Esnéh, s'identifier tour à tour avec Shou fils d'Atoumou et
perdre leur individualité dans la sienne. C'était amener à délai plus ou
moins long le rapprochement de toutes les triades et leur absorption l'une
dans l'autre. A force de répéter que les dieux-fils de la triade étaient iden-
tiques à Shou au second rang de l'Ennéade, on en vint à penser qu'ils l'étaient
1S3 LES DIEUX DE L'EGYPTE.
encore, même dans la triade indépendante de l'Ennéade, en d'autres termes,
que la troisième personne des familles divines était partout et toujours SI1011
sous un nom différent. Or, on avait fini par admettre dans les collèges sacer-
dotaux que Shou et Toumou, le père et le fds, sont un : tous les dieux-fils
étaient donc identiques à Toumou, le père de Shou, et, comme ils se confon-
daient chacun avec leurs parents, od devait en conclure que ces parents eux-
mêmes étaient identiques à Toumou. En raisonnant de la sorte, les Égyptiens
s'acheminaient naturellement vers le concept de l'unité divine où les menait
déjà la théorie de l'Ogdoade hermopolitaine. Ils y touchèrent en effet, et les
monuments nous montrent d'assez bonne heure les théologiens occupés à
réunir en un seul être les attributions que leurs ancêtres avaient dispersées
sur mille êtres divers. Mais ce dieu vers lequel ils tendent n'a rien de com-
mun avec le dieu de nos religions et de nos philosophies modernes. Il n'était
pas, comme le nôtre est pour nous, Dieu tout court : il était Toumou, le dieu
unique et solitaire — non tir onâou ottâîti — à Héliopolis, Anhouri-Shou
le dieu unique et solitaire à Sébennytos et à Thinis. L'unité d'Atoumou
n'excluait pas celle d'Anhouri-Shou, mais chacun de ces dieux, unique dans
son domaine, cessait de l'être dans le domaine de l'autre. L'esprit féodal, tou-
jours vivace et jaloux, s'opposa à ce que le dogme entrevu dans les temples
v triomphât des religions locales et s'étendit au pays entier. L'Egypte connut
autant de dieux uniques qu'elle avait de grandes cités et même de temples
importants : elle n'accepta jamais le dieu unique, Dieu.
J^'e/yna^ea.'Jioine^'.- ffla, é&>u, 0»rU>, <&. 3&ru«S.
Vaot. et. I invention aeic> Jci'esicea ' et. de '/ écriture. '. - . '/lehèii.' et. len.' trv
^prentierea > dunaJtie/t. ' Auntaûiea.'.
d.cti> Oijyptie/ut.' ae.' ^proc/amcnt. te. p/urc> ancien elnt' ^peup/ett' I
fraattio/ia.' aur-' la cte'afionde'lnamnteJ'et- dea. ' oete/e.'. - J.evt^ùanéadea.' nttio-
poutaùie*.' -pountipent. le.' caale.' dca-' dipiaj/ien > dit>ùiea-'. - *./tà, premier-'
roi d Ot/ypfe ' et. mmi At'jtotre ' fao'u/euàe} : il ,ie' /at/i'e ' tromper^ et depoau/er
■par-' ^/îln. '. détruit- ù/i ' nommea. ' te'vo/te'ic', jtuia.' mende.' au de/.
.-/a /ctjendc' de' CWO» et. de.' Ôiùoa. - =/.e' reyne' a1 C/MriitJ CÀinopArùiJ
et. dtdéiaJ : i/o.' tifi/ijeJit. lùai/pte.' et. le> monde.'. - C/jiriit', tue par- C'ù.,
eM. etije.veli par-' tdaùt. ' et. venae' par-* iduortut '. - d-e/t ' quicrrta.J de > vi/pnon et.
a tJvorurcJ : pacification et. parfaite.' ae' l Oat/pte' en ileit.v. moiiie'rc' pour*^
chacun dea.' deux dieu*:
.J. cntoaumement. otirien .- le' rouatime' a C/>irûc' eâl. ouvert, aux C'ui-
nantrc' d*/Vorua.'. - -~le' .-livre' dea ' J/iorta.'. - <J.e/i' pe're'au'itiitiona ' ae'
/ àtne' en ottête* deit' cÂantpa' a, /a/ou. • ^ie ' /'uaement. ae ' /âme ', /a co/t-
/epion neaatio*.'. - cJ.ejtJ privi/rae/t. > et. /est ' aevoinz ' dea.' itmelit ' oiirieaiiea '.
* toii/uMon de/e.' ideeic' ojirieiuiea.' et. dacJ ideeic' aoutireu.' Jur-'la condition
aac' mortrL> : ùiL> morttc' ttaji/tJ la ùaraueJ au Ôoleil. - ^La sortie' jten-dant.
le'jour-\ - cdUtcJ caawajvt&c? et \JOeumaJcnùt' conlrcJ cVî.
ù/ioi, mut rMeJ aùttwu'eui*' : il ret>élc' aux nommttt' toutea.' leu.'
âciaicest-K - .~C astronomie ; letc' iaeù/L.' stellaireit'; laanèe.', aeaJ aifiàiorut.',
û&t> inuKtféctioniL' '.- I ùyluenee' etea.' astreicJ et. item' ioum.' sur-' ' lea.' de.<iûite/<. ?
Aiimaùieic?. - *LejtJ astre.} maaiauea.^ ; lest ' cotijuratiotuc -', l&tJ aniuletteji.'. - .Ua
nte'eleciiic' : ici.' eMiritaJ Ptàutx; lea.> diagutoûtictt-', ItttJ remèj/ea.'. - *L écriture' ;
iaeoaraitniaue.', ,<ti//a/>i<ijie ', a//wi<ibeù'aue '.
Cuncefttion Iraixi/ianne/le ' ite > I. \JVÙtaire ' a Ogrutrte ' : ■ >/Can/tfu>ti. tetc '
lesteu-J rvaalesc', tea ' qranaeic ' aiinsionn. > iteJ l/tistoire '. - i/ncrrtituae.' aeu. '
commencement '.' . r/Cé/iè^JeJ-fa le'aeuite'ae.' ^'/Certwhuz.'. -tXeic 'troùt. ' frremierett.'
i/i//nr.'/ie/r ' ftiimaineu ', lieux mùtitea' et. la troisième ' mempnite \ •
C^ataclère.' et. orùfiiir' eteic' lèae/utejt.' au on en raconte':
Ai stèle' de ' la fltmine '. • ^iem ' fvtntieta^'
/nona nient, i ' : la fn/ramtete ' à aearr/C '
CHAPITRE III
L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE
if,s ; ni, shou, osmis. sIt, hurls.
L'INVENTION DES SCIENCES ET DE l/ÊCRITUHE. MÉNf.S ET LES TROIS PREMIÈRES
c
Iomme la constitution du sol, la formation et la
I diffusion de l'Ennéade exigèrent des siècles d'ef-
forts soutenus, dont les Égyptiens eux-mêmes ne
savaient ni le nombre, ni l'histoire authentique. Qui
les interrogeait sur le passé de leur race, ils se pro-
clamaient les plus anciens des hommes, auprès de
qui le reste ne paraissait qu'un ramassis d'enfants
en bas âge, et ils éprouvaient pour les peuples qui
repoussaient leurs prétentions l'indulgence mêlée de
pitié des gens devant lesquels on révoque en doute
une vérité connue de tout temps : ils s'étaient
manifestés sur les bords du Ml avant même que
le créateur eût achevé son œuvre, tant les dieux
ivaient hâte de les voir naître. Personne entre eux ne contestait la réalité
arci une photographie de titato (RoMllisi.
i de derrière et les pattes levées en ligne
\m L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
de ce droit d'aînesse qui ennoblissait la race entière, mais quand on
leur demandait le nom de leur père divin, l'accord se rompait, et chacun
faisait valoir les droits d'un personnage différent1. Phtah avait modelé
l'humanité de ses propres mains*. Khnoumou l'avait façonnée sur le tour
a potier*. Râ, apercevant la terre déserte et nue à son premier lever,
l'avait inondée de ses rayons comme d'un flot de larmes : tout ce qui
a vie, plantes, animaux, l'homme lui-même, avait jailli de ses prunelles
pêle-mêle et s'était répandu à la surface du monde avec la lumière1. On
présentait parfois les faits sous un aspect moins poétique. La boue du
Nil, chauffée à outrance par les ardeurs du soleil, avait fermenté et enfante
sans germes les races des hommes et des animaux5; elle s'était comme
pétrie elle-même en mille formes vivantes, puis sa puissance génératrice
s'était affaiblie, presque épuisée. On rencontrait pourtant encore, sur les
bords du fleuve, au plus fort de l'été, des bêtes de petite taille, dont l'état
témoignait de ce qui s'était passé autrefois pour les espèces les plus grandes.
Les unes semblaient déjà complètes et s'agitaient pour se dégager de la
boue qui les oppressait; les autres, encore inachevées, remuaient faible-
ment la tête et les pattes de devant, tandis que le train de derrière finissait
de s'articuler et de prendre forme dans sa matrice de terre*. Râ n'était pas
1. Hippys de Rhégum, fragm. 1, dans MCller-Didot, Fragm. Hist. Gr., t. H, p. 13; Aristote, Politique.
VU, 9, et Météorol., I, 14; Diodore de Sicile,!, 10, 22, 50, etc. On connaît les paroles que Platon met
dans la bouche d'un prêtre égyptien : « 0 Solon, Solon, voua autres Grecs, vous n'êtes toujours que
des enfants, et il n'y a point de Grec qui soit vieux. Vous êtes tous jeunes par l'âme, car vous n'y
avez pas la tradition antique, ni doctrine ancienne, ni enseignement blanchi par le temps (Timée,
p. 22 H) ». D'autres peuples leur disputaient la primauté, les Phrygiens (Hérodote II, n), les Mèdes
ou, chez les Mèdes, la tribu des Mages (Aristote dans Diog. Laerce, pr. G), les Éthiopiens (Diodore,
III, 2), les Scythes (Ji'stin, II, 1 ; A* ai en Marcellin, XXXI, 15, 2); un cycle de légendes s'était formé
à ce sujet, où l'on racontait les expériences instituées par Psainitik ou par d'autres souverains pour
savoir qui avait raison des Égyptiens ou des étrangers (Wikdemann, Herodots Zweites Bue h, p. -43-40).
2. Phtah est représenté à Philae (Rosellini, Monumenli del Culto, pi. XXI, 1) et à Dendérah, entas-
sant sur le tour à potier la quantité d'argile plastique d'où il va tirer un corps humain (Lanzone,
Dizionario di Mitologia, pi. CCCVIII), ce qu'on appelle assez improprement l'œuf du monde, et qui
est en réalité la masse de terre d'où l'homme sortit au moment de la création.
3. A Philaj, Khnoumou s'intitule « le potier façon n eu r des hommes, le modeleur des dieux » (Chah-
pollion, Monuments de l'Egypte et de la Nubie, pi. LXXIII, 1 ; Rosellini, Monument i del Culto, pi. XX, 1 ;
Brugsch, Thésaurus Inscriplionum JZgypliacarum, p. 752, n° 11). Il y pétrit les membres d'Osiris, le
mari de l'isis locale (Rosellini, Monument! del Culto, pi. XXII, 1), comme il fait à Ermcnt le corps
d'Harsamtaoui (Rosellini, Monumenti del Culto, pi. XLVIII, 3), ou plutôt la figure de Ptoléroée Césa-
rion, fils de Jules César et de la célèbre Cléopâtrc, identifié à Harsamtaoui.
4. A propos des substances qui sortent de l'œil de Râ, voir les observations de Birch, Sur un
Papyrus magique du Musée Britannique, p. 3 (cf. Revue Archéologique, 2" série, 1863, t. Vil),
et de Maspero, Mémoire sur quelques papyrus du Louvre, p. 91-92. Horus, ou son œil identifié avec
le soleil, avait donné naissance par ses pleurs (romit) à tous les hommes, aux Égyptiens (romftou.
rotou), aux Libyens, et aux Asiatiques, sauf aux Nègres; ceux-ci étaient sortis d'une autre partie de
son corps par le même procédé qu'Atoumou employa pour créer Shou et Tafnouît (Lefébure, les
Quatre Races humaines au jugement dernier, dans les Transactions de la Société d'Archéologie
Biblique, t. 111, p. 44 sqq., et Le Cham et V Adam égyptien, dans le même recueil, t. IV, 1887, p. 167 sqq.)
5. Diodore de Sicile, 1. 1, i, 10.
6. Pomponius Mêla, de Situ or bis, I, 9. « IN il u a glebis etiam infundit animas, ipsaque humo vitalia
effingit : hoc eo manifestum est, quod, ubi sedavit diluvia, ac se sibi reddidit, per humentes campos
TRADITIONS SUR LA CRÉATION DE L'HOMME ET DES BETES. 157
le seul dont les larmes fussent douées de vertu vivifiante. Toutes les
divinités bienfaisantes ou funestes pouvaient donner l'être en pleurant',
Sit comme Ostris ou comme Isis; l'œuvre de leurs veux une fois tombée sur
la terre y prospérait et s'y per-
pétuait aussi vigoureuse que celle
des yeux de Rà. Le tempérament
personnel du créateur n'était pas
indifférent à la nature de la chose
créée : le bien sortait nécessaire-
ment des dieux du bien, le mal
des dieux du mal, et l'on expli-
quait par là ce mélange de choses
excellentes et détestables qu'on
signale partout dans l'univers. SU
et ses partisans étaient, volontai-
rement ou non, la cause et l'ori-
gine de tout ce qui nuit : leurs
yeux versaient chaque jour sur
le monde les sucs qui empoison-
nent les plantes, les influences
malignes, le crime, la folie. Leur . ,
salive, l'écume qui découlait de
leur bouche dans leurs accès de fureur, leur sueur, leur sang même, n'étaient
pas moins à craindre : dès qu'une goutte en touchait le sol, elle germait et
qu«dam nondum perfectn animolia, sed lum primant flccipicnlia spiritum, et ex parle jain formais, ex
parte adhuc terra visuntur. ■ La mime histoire est racontée, mais seulement à propos des rats, par
Pline (II. X„ X, r.8), par Diodore (I, i. 15), par Rlien {H Anim.. Il, V,6, VI, M), par Macrobc {Salurn.,
VII, 17, etc.). et par d'autres auteurs grecs ou latins. Ce prétendu phénomène rencontrait récemment
encore en Europe un certain degré de créance, comme on peut s'en convaincre en lisant le curieux
ouvrage de Margi Kïeukbici Wesielisi archi-palaliiii. Admïranda Niti, Krancofurti, xccttui, cap. XXI,
p. 157-183. Rn Egypte, tous les fellahs tiennent la génération spontanée des rats pour article de
foi : ils m'en ont parlé a Thèbes, à Ilendérah, dans la plaine d'Ahvdos, et le major Brown l'a
signalée récemment au Fajoum (B. II. Brous, The Fayum and Lakê Nwrit, p. *6>. La variante
qu'il a recueillie de la bouche des notahles est curieuse, car elle prétend expliquer pourquoi les
rats, qui infestent les champs en bandes innombrables durant la saison sèche, en dispuraissciil
subitement dés que l'inondation revient : nés de la houe et des eaux putrides de l'année précédente, ils
retournent à la boue, et se fondent, pour ainsi dire, dès que l'eau nouvelle les touche.
I. Les larmes de Shou el de Tafnoult se changent en plantes qui portent l'encens (Bmca, Sur un
papyrui magique du Mutée britannique, p. 3); c'était surtout le jour de la mort d'Osiris que les
dieux avaient versé leurs larmes fécondantes. Sur les effets produits par la sueur des dieux el par
leur sang, voir Bircu, ibid., p. 3, fi., et Naspeuo, Mémoire fur quelque! papyrus du Louvre p. 93.
ï. Destin de Boudter, daprit une photographie de Gayet. La scène est empruntée aux tableaux
du temple de Louxor, où l'on voit le dieu Êhnoumou achevant de modeler le roi futur Àmenothés III
et son double, figurés par deux enfants, coiffés de la Irease et parés du collier large : le premier
porte le doigt a ses lèvres, tandis que le second a les deux bras ballants.
158 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
produisait je ne sais quoi de malfaisant, un serpent, un scorpion, un plant
de belladone ou de jusquiame. Le soleil au contraire était tout bon, et les
personnes ou les choses qu'il lançait dans la vie participaient infailliblement
de sa bénignité. Le vin qui égayé l'homme, l'abeille qui travaille pour
lui dans les fleurs et qui sécrète la cire et le miel1, la chair et les herbes
qui le nourrissent, les étoffes qui l'habillent, tout ce qu'il se fabrique d'utile
à lui-même, non seulement émanait du soleil Œil d'Horus, mais encore
n'était que l'Œil d'Horus sous des apparences diverses et se présentait sous
son nom dans les sacrifices*. Les dévots en concluaient pour la plupart que
les premiers Égyptiens, fils et troupeau de Râ, vinrent au monde heureux et
parfaits3; leurs descendants déchurent par degrés de la félicité native à la
condition actuelle. D'aucuns affirmaient au contraire que leurs ancêtres étaient
nés autant de brutes dépourvues des arts les plus nécessaires à la douceur de
l'existence : ils ignoraient jusqu'aux procédés du langage articulé et ne ces-
sèrent de s'exprimer par des cris, comme les autres animaux, jusqu'au jour
où Thot leur enseigna la parole et l'écriture.
Ces récits suffisaient à l'édification du peuple; ils offraient un maigre
aliment à l'intelligence des lettrés. Ceux-ci ne bornaient pas leur ambition à
posséder quelques renseignements incomplets et contradictoires sur les débuts
de l'humanité : ils voulaient en connaître le développement suivi depuis la
première heure, quel genre de vie leurs pères avaient mené, à quels chefs
ils avaient obéi et les noms ou les aventures de ces chefs, pour quelle raison
une partie des nations avait quitté les rives bénies du Nil et était allée
s'établir sur la terre étrangère, par quelles étapes et en combien de temps
ceux qui n'avaient pas émigré s'étaient élevés de la barbarie native au degré
de civilisation dont témoignaient les monuments les plus anciens. Ils n'avaient
aucun effort d'imagination à faire pour contenter leur curiosité : le vieux fond
des traditions indigènes était assez riche, pourvu qu'ils prissent la peine de
1. Birch, Sur un papyrus magique du Musée Britannique, p. 3 : « Quand le Soleil pleure une
seconde fois et laisse tomber de l'eau de ses yeux, elle se change en abeilles qui travaillent; elles
travaillent dans les fleurs de toutes espèces, et il se produit du miel et de la cire au lieu de l'eau. »
Ailleurs on supprime les abeilles, et le miel ou la cire coulent directement de l'Œil de Rà (Maspkro.
Mémoire sur quelques papyrus du Louvre, p. 21, 22, 41, 97).
2. Brugsch est le premier, je crois, qui ait reconnu des espèces différentes de vins et d'étoffes
dans les expressions où entre l'Œil d'Horus (Dictionnaire Hiéroglyphique, p. 103; cf. Supplément,
p. 106-114); depuis lors, les textes des Pyramides ont conârmé amplement et généralisé sa découverte.
3. l/expression troupeau du Soleil, troupeau de Râ, est celle que le dieu Ho ru s emploie au tom-
beau de Séti I"r pour désigner les hommes (Sharpe-Bonomi, The A la bas ter Sarcophagus ofOimenephtah 1.
King of Egypt, pi. VU, D, 1. 1-2, 4). L'état de bonheur et de perfection dans lequel les premières
générations de l'humanité vivaient résulte des expressions mêmes employées parles auteurs égyptiens :
ceux-ci considéraient le temps de Râ, le temps du dieu, c'est-à-dire les siècles qui suivirent immé-
diatement la création, comme l'époque idéale depuis laquelle rien d'excellent n'avait paru sur la terre.
LES ENNÉADES CADRE DES DYNASTIES DIVINES. 159
l'exploiter méthodiquement et d'en éliminer les éléments les plus disparates.
Héliopolis se chargea de la mise en œuvre, comme elle avait déjà fait à
propos des mythes qui touchent à la création, et les Ennéades lui prêtèrent
un cadre tracé d'avance : elle changea les dieux qui les composaient en autant
de rois, évalua à quelques jours près la longueur de leur règne, et leur com-
pila une biographie de récits puisés aux sources populaires1. La division du
dieu féodal en deux personnes fournissait une occasion admirable de rattacher
l'histoire du monde à celle du chaos. On identifia Toumou avec Nou et on
le relégua dans l'Océan primordial : on réserva Râ et on le proclama le
premier des rois de la terre. Ce ne fut pas sans peine qu'il établit sa domi-
nation : les êtres hostiles à l'ordre et à la lumière, les Enfants de la Défaite,
lui livrèrent de rudes batailles, et il ne réussit à organiser son royaume
qu'après les avoir vaincus à Hermopolis et à Héliopolis même, dans un com-
bat de nuit*. Le serpent Apôpi, percé de coups, tomba au fond de l'Océan,
à l'heure précise où la nouvelle année commençait3. Les membres secondaires
de la Grande Ennéade formèrent avec le Soleil une première dynastie, qui
débutait à l'aube du premier jour et qui se terminait à l'avènement d'Horus,
fils d'Isis. Les écoles de théologie locales accueillirent cette façon d'écrire
l'histoire d'aussi bonne grâce qu'elles avaient fait le principe même de
l'Ennéade. Les unes conservèrent le démiurge héliopolitain et s'empressèrent
de l'associer au leur; les autres l'éliminèrent et lui substituèrent entièrement
leur divinité féodale, Amon à Thèbes, Thot à Hermopolis, Phtah à Memphis,
sans rien changer au reste de la dynastie4. Les dieux ne compromirent point
1. L'identité des premières dynasties divines avec les Ennéades héliopolitaines a été démontrée
tout au long par Maspero, Étude* de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 279-296.
2. Les Enfants de la Défaite, en égyptien Mosou batashou ou Mo sou batashit, sont confondus
souvent avec les partisans de SU, ennemis d'Osiris. Us en différaient au début et représentaient les
êtres et les forces hostiles au Soleil, le dragon Apôpi à leur tête. Leur défaite à Hermopolis correspond
au moment où Shou, soulevant le ciel sur le tertre sacré de cette ville (cf. p. 146), substitue l'ordre
et la lumière au chaos et à l'obscurité : elle est mentionnée entre autres au chapitre XVII du Livre
des Morts (édit. Naville, t. I, pi. XXIII, 1. 3 sqq.), où E. de Rougé en a expliqué le sens pour la
première fois (Études sur le Rituel funéraire des Anciens Égyptiens, p. 41-42). La bataille de
nuit d'Héliopolis, à la fin de laquelle Râ se manifesta sous la forme d'un chat ou d'un lion et tran-
cha la tête au grand serpent, est également rappelée au même chapitre du Livre des Morts (édit.
Naville, t. I, pi. XXIV-XXV, 1. 54-58; cf. E. dp. RorcÊ, Études sur le Rituel funéraire, p. 56-37).
3. Birch, Inscriptions in the Hieratic and Démolie Charactcr, pi. XXIX, 1. 8-9, et Sur une Stèle
hiératique, dans Chabas, Mélanges Égyptologiques, 2° série, p. 334.
4. Sur Àmon-Râ, et sur Montou, premier roi d'Egypte dans la tradition thébaine, voir Lepsutk, Ueber
den ersten <£gyptischen Gôttcrkreis, p. 173-174, 180-183, 186. Thot est le chef de l'Ennéade hcrmopoli-
taine (voir ch. h, p. 145 sqq. de cette Histoire), et les titres que lui attribuent les inscriptions où
l'on constate sa suprématie (Brigsch, Religion und Mythologie, p. 445 sqq.) montrent bien qu'on le
considérait aussi comme ayant été le premier roi. Un des Ptolémées disait de lui-même qu'il venait
• comme la Majesté de Thot, parce qu'il était l'égal d'Atoumou, par conséquent l'égal de khopri, par
conséquent l'égal de Rà » ; Atoumou-Khopri-Râ étant le premier roi terrestre, la Majesté de Thot, à
laquelle le Ptoléméc s'identifie en se comparant à ces trois formes du dieu Rà, est aussi le premier
roi terrestre. Enfin, sur l'inscription de Phtah en tête des dynasties meinphites, voir les observations
160 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
leur prestige à prendre corps et à descendre ici-bas. Comme ils étaient des
hommes d'une nature plus fine, et que leurs qualités, même celle d'opérer
des miracles, étaient les qualités humaines élevées au plus haut degré d'in-
tensité, on n'estimait pas qu'ils eussent dérogé à veiller en personne sur
l'enfance et sur la jeunesse des hommes primitifs. Les railleries qu'on se per-
mit quelquefois à leur égard, le rôle débonnaire et même ridicule qu'on leur
attribua dans certaines légendes ne prouvent ni que le zèle eût tiédi pour
eux, ni qu'on les méprisât : ce sont là de ces licences que les croyants
tolèrent d'autant plus facilement qu'ils respectent davantage les objets de
leur foi. La condescendance des membres de l'Ennéade, loin de les rabaisser
aux yeux des générations venues trop tard pour vivre familièrement avec eux,
ajoutait à l'amour et à la vénération dont on les entourait.
Rien ne le montre mieux que l'histoire de Râ. Son univers était l'ébauche
du nôtre, car, Shou n'existant pas encore, Nouît continuait de reposer entre
les bras de Sibou et le ciel ne faisait qu'un avec la terre1. 11 y avait pourtant
des plantes, des animaux, des hommes dans ce premier essai de monde, et
l'Egypte s'y trouvait toute formée avec ses deux chaînes de montagnes, son
Nil, ses cités, le peuple de ses nomes, ses nomes eux-mêmes. Le sol s'y
montrait plus généreux que notre sol, les moissons y poussaient plus hautes
et plus abondantes que nos moissons, et l'ouvrier ne peinait pas à les pro-
duire* : quand les Égyptiens de l'époque pharaonique voulaient marquer leur
admiration pour une personne ou pour une chose, ils disaient qu'on n'avait
jamais rien vu de pareil depuis le temps de Râ. C'est l'illusion commune
à tous les peuples; comme le présent n'apaise jamais la soif de bonheur qui
les dévore, ils se rejettent vers le passé le plus lointain, pour y chercher un
siècle où leurs ancêtres possédaient en réalité cette félicité souveraine dont
ils ne connaissent que la conception idéale. Râ résidait à Héliopolis, et la
de Lepsii's, Ueber den ersten ASgyptischea Gôtterkreis, p. 1 «8-1 73, 184, 186, 188-190, et de Maspero,
Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptienne*, t. H, p. i83 sqq.
1. Cette conception du monde égyptien primitif résulte clairement des termes même que l'auteur
de la Destruction des hommes a employés. Nouît ne se lève pour former le ciel qu'au moment où Rà
songe à terminer son règne, c'est-à-dire quand l'Egypte existait déjà depuis des siècles nombreux.
(Lkfémrk, le Tombeau de Séti hr, IV- partie, pi. XVI, I. 28 sqq.). Le chapitre XVII du Livre des Morts
(édit. Navillk, t. I, pi. XXIII, 1. 3-5) affirme de la royauté de M qu'elle commença au temps oit
les soulèvements n'avaient pas eu lieu, c'est-à-dire au temps où Shou n'avait pas encore séparé Noutt
de Sibou et ne l'avait pas soulevée \iolemmcnt au-dessus du corps de son mari (Naville, Deux lignes
du Livre des Morts, dans la Zeitschrift, 1874, p. 59, et la Destruction des hommes par les Dieux, dans
les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. IV, p. 3).
2. Cet idéal est conforme à la peinture qu'on traçait dos champs d'Ialou au chapitre CX du Livre
des Morts (édit. Naville, t. I, pi. CXXI-CXXHI) ; le séjour des morts osiriens conservait, comme c'est
le cas pour le paradis chez la plupart des peuples, les privilèges dont la terre avait joui pendant les
premières années qui suivirent la création, c'est-à-dire sous le règne direct de Râ.
RÀ, PREMIER ROI D'EGYPTE. loi
partie la plus ancienne du temple de cette ville, celle qu'on appelait le
Château du Prince — Hait Sarou, — passait pour avoir été son palais'. Sa
cour se composait surtout de dieux et de déesses, visibles comme lui. Quel-
ques hommes s'y mêlaient qui remplissaient de menus emplois auprès de sa
personne, préparaient ses aliments, recevaient les offrandes de ses sujets,
veillaient à l'entretien de son linge ou de sa maison : on disait que Voîrou-
maou, le grand prêtre de Rà, Vhankistit, sa grande prêtresse, et en général
tous les servants du temple d'Héliopolis descendaient de cette première
domesticité du dieu ou lui avaient succédé en ligne directe1. Il sortait le matin
avec sa troupe divine, s'embarquait aux acclamations de la foule pour fournir
sa course habituelle autour du monde et ne rentrait chez lui que douze heures
plus tard, après journée faite*. Les provinces le voyaient. arriver tour à tour,
I. Sur le Château du Prince, voir à ta page 136 de celte Histoire. On l'appelle aussi couramment
Hait (il/, le Grand Château (Bunr.sf.B, Dictionnaire Géographiaue, p. 475-i"li), qui est le nom qu'on
donnait aux résidences des rois ou des princes (IH.ispero, Sur le ttm des mots Xouit et Huit, dans
les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, 1889-1890, t. XII. p. Îj3 eqq).
■î. Dessin de Faucher-Gudin . d'après un det tableaux figuré/ sur le* architrave* du pronaos,
A F.dfou (RomllIsI, Monument! del Culte, pi. XXX VIII, n* t).
3. Le récit de la Destruction det hommes cite, parmi les serviteurs bu mains du Pharaon (ta. un meu-
nier et des bmycuses de grain pour préparer la bière (LnFÉunr., le Tombeau de Séti I", IV' partie,
pi. XV, I. 17-18J. L'origine de Vhankistit, la prêtresse aux cheveux tressés, était reportée rn y l h illogi-
quement jusqu'au règne de Ita, dans un passage du chapitre CXV du Livre det Morts (édil. Ltrsirs,
1. 5-fi), assez obscur pour avoir échappé aux premiers interprètes (Goflanis, Ou chapter 115 of thr.
Buok of the Dead, dans la Zeittchrift, 1873, p. 106; Lefi-iuhe, le Chapitre CXV du Livre de* Morts,
dans les Mélange* d" Archéologie Égyptienne et Assyrienne, l, I, p. tlîl, tfl3, t65).
i. Cf. Plette-Bossi, le* Papyrus de Turin, pi. CXXXII, l. S, S, où Ion raconte la sortie du dieu, selon
sa coutume de chaque jour. L'auteur a simplement appliqué au Soleil Pharaon le protocole qui appar-
tenait an Soleil astre, lorsqu'il se lève le matin pour faire le tour du monde et pour éclairer la journée.
162 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
et il séjournait une heure dans chacune d'elles, afin de régler en dernier
ressort les affaires pendantes1. Il donnait audience aux petits comme aux
grands, il apaisait leurs querelles et jugeait leurs procès, il accordait à
qui l'avait mérité l'investiture de fiefs détachés du domaine royal et assignait
ou confirmait à chaque famille le revenu dont elle avait besoin pour vivre,
il compatissait aux souffrances de son peuple et s'ingéniait à les alléger de
son mieux : il enseignait à tout venant les formules efficaces contre les reptiles
et contre les animaux féroces, les charmes dont on chasse les esprits posses-
seurs et les recettes les meilleures pour prévenir les maladies. À force de lar-
gesses, il en vint à ne plus conserver qu'un seul de ses talismans, le nom
que son père et sa mère lui avaient imposé au moment de sa naissance, qu'ils
lui avaient révélé à lui seul et qu'il tenait caché au fond de sa poitrine,
de peur qu'un sorcier s'en emparât et l'employât au succès de ses maléfices*.
Cependant la vieillesse arrivait et les infirmités après elle : le corps de Rà
se courbait, « la bouche lui grelottait, la bave lui ruisselait vers la terre, et
la salive lui dégouttait sur le soi8». Isis, jusqu'alors simple femme au ser-
vice du Pharaon, conçut le projet de lui dérober son secret « afin de pos-
séder le monde et de se faire déesse par le nom du dieu auguste4 ». La
violence n'aurait pas réussi : tout affaibli qu'il était par les ans, personne ne
possédait assez de vigueur pour lutter contre lui avec succès. Mais Isis
« était une femme savante en sa malice plus que des millions d'hommes,
habile entre des millions de dieux, égale à des millions d'esprits et qui
n'ignorait rien au ciel et sur la terre, non plus que Râ8 ». Elle imagina un
stratagème des plus ingénieux. Un homme ou un dieu frappé de maladie,
on n'avait chance de le guérir que de connaître son nom véritable et d'en
adjurer l'être méchant qui le tourmentait6. Isis résolut de lancer contre Râ
un mal terrible dont elle lui cacherait la cause, puis de s'offrir à le soigner
et de lui arracher par la souffrance le mot mystérieux indispensable au
1. Le Soleil mort continuait à agir de même dans le monde de la nuit, et l'emploi de son temps
était calqué sur celui du temps des Pharaons (Maspero, Etudes de Mythologie et d'Archéologie Egyp-
tienne*, t. II, p. 44-45). De même pour le Soleil, roi d'Egypte, quand « il sort afin de voir ce qu'il a créé,
et de parcourir les deux royaumes qu'il a faits * (Pleyte-Rossi, les Papyrus de Turin, pi. CXXXII, 1. 12).
2. La légende du Soleil dépouillé de son cœur par Isis a été publiée en trois fragments par
MM. Pleyte et Rossi (les Papyrus hiératiques de Turin, pi. XXXI, LXXVII, CXXXI-CXXXVUI), mais ils
n'en soupçonnèrent pas la valeur. Le sens en fut reconnu pour la première fois par Lefébure {Un cha-
pitre de la Chronique solaire, dans la Zeitschrift, 1883, p. 27-33), qui a traduit complètement le texte.
3. Pleyte-Rossi, les Papyrus hiératiques de Turin, pi. CXXXII, 1. 2-3.
4. Pleyte-Rossi, les Papyrus hiératiques de Turin, pi. CXXXII, I. i-2. J'ai déjà indiqué plus haut
cette façon de vieillir des dieux, aux pages 110-111 de celte Histoire.
5. Pleyte-Rossi, les Papyrus hiératiques de Turin, pi. CXXXI, 1. 14- pi. CXXXII, 1. 1.
6. Sur la puissance des noms divins et sur l'intérêt que les magiciens avaient à les connaître
exactement, cf. Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 298 sqq.
HÀ SE LAISSE TROMPER ET DÉPOUILLER PAR ISIS. 463
succès de l'exorcisme. Elle ramassa la boue imprégnée de la bave divine, et
en pétrit un serpent sacré qu'elle enfouit dans la poussière du chemin. Le
dieu, mordu à l'improviste tandis qu'il partait pour sa ronde journalière,
poussa un hurlement ; « sa voix monta jusqu'au ciel et sa Neuvaine, « Qu'est-ce,
qu'est-ce? » et ses dieux, « Quoi donc, quoi donc? » mais il ne trouva que
leur répondre, tant ses lèvres claquaient, tant ses membres tremblaient, tant
le venin prenait sur ses chairs, comme le Nil prend sur le terrain qu'il
envahit1 ». Il revint à lui pourtant et réussit à exprimer ce qu'il ressentait.
« Quelque chose de douloureux m'a poinct : mon cœur le perçoit et pourtant
mes deux yeux ne le voient; ma main ne l'a point ouvré, rien de ce que j'ai
fabriqué ne sait ce que c'est, et pourtant je n'ai jamais goûté peine pareille
et il n'y a douleur au-dessus.... Ce n'est point du feu, ce n'est point de l'eau,
et pourtant mon cœur est en flammes, mes chairs tremblent, tous mes mem-
bres sont pleins de frissons nés de souffles magiques. Çà, qu'on m'amène les
enfants des dieux aux paroles bienfaisantes, qui connaissent le pouvoir de leur
bouche et dont la science atteint le ciel ! » Ils vinrent, les enfants des dieux,
un chacun d'eux avec ses grimoires. Elle vint Isis avec sa sorcellerie, la bou-
che pleine de souffles vivifiants, sa recette pour détruire la douleur, ses
paroles qui versent la vie aux gosiers sans haleine, et elle dit : « Qu'est-ce,
qu'est-ce, ô père-dieux? Serait-ce pas qu'un serpent produit la souffrance en
toi, qu'un de tes enfants lève la tête contre toi? Certes il sera renversé par des
incantations bienfaisantes et je le forcerai de battre en retraite à la vue de tes
rayons'. » Le Soleil, apprenant la cause de ses tourments, s'épouvante et
recommence à se lamenter de plus belle, c Moi donc, tandis que j'allais par
les routes, voyageant à travers mon double pays d'Egypte et sur mes mon-
tagnes, afin de contempler ce que j'ai créé, j'ai été mordu d'un serpent que
je ne voyais pas. Ce n'est point du feu, ce n'est point de l'eau, et pourtant
j'ai froid plus que l'eau, je brûle plus que le feu, tous mes membres ruis-
sellent de sueur, je tremble, mon œil n'est point ferme et je ne distingue
plus le ciel, l'eau coule sur ma face comme en la saison d'été\ » lsis lui
propose son remède et lui demande discrètement le nom ineffable, mais
il devine la ruse et tente de se tirer d'affaire par l'énumération de ses titres.
11 prend l'univers à témoin qu'il s'appelle « Khopri le matin, Râ au midi,
Toumou le soir ». Le venin ne refluait pas, mais il marchait toujours et le
1. Plkyte-Rossi, les Papyrus hiératiques de Turin, pi. CXXXII, I. G-8.
2. lu. ibid.f pi. CXXXII, I. 9-pl. CXXXIII, I. 3.
3. 1d. ibid., pi. CXXXIII, 1. 3-5.
164 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
dieu grand n'était pas soulagé. Alors Isis dit à Râ : « Ton nom n'est pas
énoncé dans ce que tu m'as récité! Dis-le-moi et le venin sortira, car l'indi-
vidu vit qu'on charme en son propre nom. » Le venin ardait comme le feu, il
était fort comme la brûlure de la flamme, aussi la Majesté de Râ dit : « J'ac-
corde que tu fouilles en moi, ô mère Isis, et que mon nom passe de mon sein
dans ton sein1. » Le nom tout-puissant se cachait véritablement dans le corps
du dieu, et l'on ne pouvait l'en extraire que par une opération chirurgicale,
analogue à celle que les cadavres subissent au début de la momification. Isis
l'entreprit, la réussit, chassa le poison, se fit déesse par la vertu du nom.
l'habileté d'une simple femme avait dépouillé Râ de son dernier talisman.
Le temps vint enfin où les hommes s'aperçurent de sa décrépitude*, lis
échangèrent des propos contre lui : « Voici, Sa Majesté vieillit, ses os sont
d'argent, ses chairs sont d'or, ses cheveux sont de lapis-lazuli3. » Dès que
Sa Majesté perçut les discours que les hommes tenaient, Sa Majesté dit à ceux
qui étaient à sa suite : « Convoquez de ma part mon Œil divin, Shou, Taf-
nouit, Sibou, Nouît, les pères et les mères-dieu qui étaient avec moi quand
j'étais dans le Nou, auprès du dieu Nou. Que chacun d'eux amène son cycle
avec lui, puis, quand tu les auras amenés en cachette, tu viendras avec eux au
grand château, afin qu'ils me prêtent leur avis et leur assentiment, arrivant
du Nou en cet endroit où je me suis produit*. » Le conseil de famille se
réunit donc, les ancêtres de Râ et sa postérité qui attendait encore dans le
sein des eaux primordiales l'instant de se manifester, ses enfants Shou et
Tafnouît, ses petits-enfants Sibou et Nouît. Us se rangent sur les côtés du
trône, et, prosternés, le front contre terre, selon l'étiquette, la délibération
commence : « 0 Nou, dieu aîné en qui j'ai pris l'être, et vous, dieux-ancêtres,
voici que les hommes émanés de mon œil ont tenu des propos contre moi.
1. Pleyte-Rossi, les Papy rut hiératiques de Turin, pi. CXXXII, 1. KM 2.
2. L'histoire des événements légendaires qui terminèrent le règne de Rà avait été gravée dans deux
des tombes royales de Thèbes, dans celles de Séti Ier et de Rarasès III : on peut la rétablir encore
aujourd'hui presque complète, malgré les nombreuses mutilations que les deux exemplaires ont
subies. Kl le fut découverte, traduite et commentée par Naville (la Destruction des hommes par les
Dieux, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. IV, p. 1-19, où sont reproduites
les copies de Hay, exécutées au commencement de ce siècle, et l Inscription de la Destruction des
hommes dans le tombeau de Hamsès III, dans les Transactions, t. VIII, p. 412-420), puis publiée de
nouveau par M. de Bergmann (Hieroglyphische Inschriften, pi. LXXV-LXXXII et p. 55-56), traduite
entièrement par Brugsch (die nette Weltordnung nach Vcrnichtung des sûndigcn Menschengesehiechts
nach einer Altâgyptischen Uebcrlieferung, 1881), en partie par Lauth (Aus Mgypiens Vorzeit, p. 70-81)
et par Lefébure (Un chapitre de la chronique solaire, dans la Zcitschrift, 1883, p. 32-33).
3. Naville, la Destruction des hommes par les Dieux, t. IV, pi. I, 1. 2, et t. VIII, pi. 1, 1. 2. Cette
façon de décrire la vieillesse du Soleil se rencontre mot pour mot dans d'autres textes, ainsi au
papyrus géographique du Fayoum (Mariette, les Papyrus hiératiques de Boulaq, t. I, pi. II, n* vu
1. 2-3; cf. Lauth, Aus Mgypiens Vorzeit, p. 72); voir p. 110-111 de cette Histoire.
4. Naville, la Destruction des hommes par les Dieux, t. IV, pi. 1, 1. 1-G, et t. VIII, pi. I, I. 1-ti.
HA ItÉTKlJIT LES HOMMES 11 Ê VOLT ES. 165
Dîtes-moi ce que vous feriez à cela, car je vous ai mandés avant de les mas-
sacrer, afin d'entendre ce que vous diriez à cela'. » Nou, qui a le droit de
parler le premier, comme doyen d'âge, réclame la mise en jugement des cou-
pables et leur condamnation selon les formes régulières. « Mon fils Rà, dieu
plus grand' que le dieu qui l'a fait, plus ancien que les dieux qui l'ont créé,
siège en ta place, et la terreur sera grande quand ton Œil pèsera sur ceux qui
complotent contre toi. » Mais Rà craint, non sans
raison, qu'en voyant l'appareil solennel de la jus-
tice royale, les hommes se doutent du sort qui
les attend et ne « se sauvent au désert, le cœur
terrifié de ce que j'ai à leur dire ». Le désert
était dès lors hostile aux divinités protectrices de
l'Egypte et offrait un asile presque inviolable à
leurs ennemis. Le conseil avoue que les appré-
hensions de Rà sont justifiées et se prononce pour
une exécution sommaire; l'Œil divin servira de
bourreau, o Fais-le marcher afin qu'il frappe
ceux qui ont médité contre toi des projets funes-
tes, car aucun Œil n'est plus redoutable que le
tien alors qu'il charge en forme d'Hâthor. » L'Œil
prend donc la figure d'Hâthor, fond sur les hommes
à ['improviste, les massacre à grands coups de cou-
teau par monts et par vaux. Au bout de quelques heures, ,Rà, qui veut châtier
ses enfants, non les détruire, lui commande de cesser le carnage, mais la
déesse a goûté le sang et refuse de lui obéir. « Par ta vie, répond-elle,
quand je meurtris les hommes, mon cœur est en liesse; •> c'est pour cela
qu'on l'appela plus tard Sokhit, la meurtrière1, et qu'on la représenta sous
la forme d'une lionne sauvage. La tombée de la nuit arrêta sa course aux
environs d'Héracléopolis : entre Héliopolis et cette ville elle n'avait cessé
de piétiner dans le sang*. Tandis qu'elle sommeillait, Râ prit en hâte les
mesures les plus propres à l'empêcher de recommencer le lendemain.
I. ISiYiLLt, ta Deitruction dei hommct par tes Dieux, t. IV, pi. |, I. S- III, et t. VIII, pi. I, I: !i-ll .
t. Deiuàa de Fauciier-Gudin, d'aprèi une figurine en brome d'époque lafle eanrerréc au Mutée
de (liïih (Mjwette, Album photographique du Mutée de Boulai/, pi. 8).
3. Sokhit peut venir en effet du verbe tokhou, frapper, assommer d'un coup de bâton.
i. Le passage ou papyrus du Kayoura que j'ai déjà cité contient une allusion à ce massacre,
mais d'après une tradition différente de la noire : les hommes auraient résisté ouvertement au dieu
et lui auraient livre uuc bataille rangée rians une localité voisine il'llérarléopolis Magna (Mametic,
tel Papyrut Egyptien» du ntittét de Boutai], t. I, pi. II. n" vi, I. 1-0).
466 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
« II dit : « Uu'on appelle de par moi des messagers agiles, rapides, qui
filent comme le vent! » Quand on lui eut amené ces messagers sur le
champ, la Majesté de ce dieu dit : « Qu'on coure à Ëléphantine et qu'on
m'apporte des mandragores en quantité1. » Dès qu'on lui eut apporté ces
mandragores, la Majesté de ce dieu grand manda le meunier qui est dans
Héliopolis, afin de les piler; les servantes ayant écrasé le grain pour la bière,
on mit les mandragores avec le brassin et avec le sang des hommes, et Ton
fabriqua du tout sept mille cruches de bière. » Rà examina lui-même ce breu-
vage alléchant et lui ayant reconnu les vertus qu'il en attendait : « C'est
bien, dit-il, avec cela je sauverai les hommes de la déesse », puis, s'adressant
aux gens de sa suite : « Chargez vos bras de ces cruches et les portez
au lieu où elle a sabré les hommes ». Le roi Rà fit pointer l'aube au milieu
de la nuit pour qu'on pût verser ce philtre à terre, et les champs en furent
inondés à la hauteur de quatre palmes, selon qu'il plut aux âmes de
Sa Majesté. La déesse vint donc au matin », afin de se remettre au carnage,
« mais elle trouva tout inondé et son visage s'adoucit : quand elle eut bu,
ce fut son cœur qui s'adoucit, elle s'en alla ivre, sans plus songer aux
hommes » . On pouvait craindre que sa fureur lui revînt dès que les fumées
de l'ivresse seraient dissipées; pour écarter ce danger, Râ institua un rite
destiné, en partie à instruire les générations futures du châtiment qu'il avait
infligé aux impies, en partie à consoler Sokhit de sa déconvenue. Il décréta
qu'on « lui brasserait au jour de l'an autant de cruches de philtre qu'il y avait
de prêtresses du soleil. Ce fut là l'origine de ces cruches de philtre que tous
les hommes fabriquent en nombre égal à celui des prêtresses lors de la fête
d'Hâthor, depuis ce premier jour*. »
La paix était rétablie, mais devait-elle durer longtemps, et les hommes,
revenus de leur terreur, ne se reprendraient-ils pas bientôt à comploter contre
le dieu? Râ d'ailleurs n'éprouvait plus que dégoût pour notre race. L'ingrati-
tude de ses enfants l'avait blessé profondément; il prévoyait des révoltes
nouvelles à mesure que sa faiblesse irait s'accusant davantage, et il lui
répugnait d'avoir à ordonner de nouveaux massacres où l'humanité périrait
entière. « Par ma vie, dit-il aux dieux qui l'escortaient, mon cœur est
I. Les mandragores d'Élcphautine servaient à fabriquer une boisson enivrante et soporifique qu'on
employait en médecine (Kbkrs, Papyrus Ebcrs, pi. XXXIX, 1. 10) ou en magie. Brugsch a réuni
dans un article spécial les renseignements que les textes nous ont conservés sur les usages de celte
plante (die Air aune als altâgyptische Zauberpflanse, dans la Zeitschrift, t. XXIX, p. 31-33) : on ne
lui prêtait pag encore la forme humaine et l'espèce de vie que les sorciers occidentaux lui ont attribuée.
4. Naville, la Destruction des hommes par les Dieu*, t. IV, pi. I-II, 1. 1-i"; t. VIII, pi. I-Il, 1. 1-34.
RÀ MONTE AU CIEL. 167
trop las pour que je reste avec les hommes et que je les sabre jusqu'au
néant : annihiler n'est pas des dons que j'aime à faire. » Les dieux de
se récrier dans leur surprise : « Ne souffle mot de tes lassitudes au moment où
tu remportes la victoire à ton gré*. » Mais Râ ne se rend pas à leurs représen-
tations; il veut quitter un royaume où l'on murmure contre lui, et, se tour-
nant vers Nou : « Mes membres sont décrépits pour la première fois, je ne
veux pas aller à un endroit où l'on puisse m'atteindre ! » Lui procurer une
retraite inaccessible n'était pas chose facile dans l'état d'imperfection où le
premier effort du démiurge avait laissé l'univers; Nou n'avisa d'autre moyen de
sortir d'embarras que de se remettre à l'œuvre et d'achever la création. La tra-
dition antique avait imaginé la séparation du ciel et de la terre comme un acte
de violence exercé par Shou sur Sibou et sur Nouit* : l'histoire présenta les
faits d'une manière moins brutale. Shou y devint un fils vertueux qui consa-
crait son temps et ses forces à porter Nouit, pour rendre service à son père.
Nouit se montrait de son côté la fille dévouée qu'il n'était point nécessaire de
rudoyer afin de lui enseigner ses devoirs; elle consentait d'elle-même à quitter
son mari et k mettre hors d'atteinte son aïeul bien-aimé. <c La Majesté de
Nou dit : « Fils Shou, agis pour ton père Râ selon ses commandements, et toi,
« fille Nouît, place-le sur ton dos et tiens-le suspendu au-dessus de la terre! »
Nouît dit : « Et comment cela, mon père Nou? j> Ainsi parla Nouit, et elle fit
ce que Nou lui ordonnait : elle se transforma en vache et plaça la majesté de
Râ sur son dos. Quand ceux des hommes qui n'avaient pas été tués vinrent
rendre grâce à Râ, voici qu'ils ne le trouvèrent plus dans son palais, mais une
vache était debout, et ils l'aperçurent sur le dos de la vache. » Ils n'essavèrent
pas de le détourner de sa résolution, tant ils le virent décidé au départ; du
moins voulurent-ils lui donner une preuve de repentir qui leur assurât le par-
don complet de leur crime. « Ils lui dirent : <r Attends jusqu'à demain, ô Râ,
a notre maître, et nous abattrons tes ennemis qui ont tenu des propos contre
« toi. » Sa Majesté revint donc à son château, descendit de la vache, entra avec
eux, et la terre fut plongée dans les ténèbres. Mais quand la terre s'éclaira au
matin nouveau, les hommes sortirent avec leurs arcs et leurs flèches, et ils
commencèrent à tirer contre les ennemis. Sur quoi, la Majesté de ce dieu leur
dit : « Vos péchés vous sont remis, car le sacrifice exclut l'exécution du cou-
or pable. » Et ce fut l'origine des sacrifices sanglants sur terre*. »
1. Naville, la Destruction des hommes par les Dieux, t. IV, pi. II, 1. 27-29; 1. VIII, pi. H, ]. 34-37.
2. Voir au chapitre u, p. 128-129, de cette Histoire, ce qui est dit de Nouît arrachée aux bras de Sibou.
3. Navillr, la Destruction des hommes par les Dieux, t. IV, pi. H, 1. 27-36. De nombreuses lacunes
168 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
C'est ainsi qu'au moment de se séparer à jamais, le dieu et les hommes s'en-
tendirent pour régler les rapports qu'ils entretiendraient à l'avenir. Les hommes
offraient au dieu la vie de ceux qui l'avaient offensé. Le sacrifice humain
apparaissait à leurs yeux comme le sacrifice obligatoire, l'unique qui pût
racheter complètement les fautes commises contre la divinité; seul un homme
était digne de laver dans son sang les péchés des hommes1. Le dieu accepta
une première fois l'expiation telle qu'on la lui présentait, puis la répugnance
qu'il éprouvait à tuer ses enfants l'emporta : il substitua la bête à l'homme
et décida que le bœuf, la gazelle, les oiseaux feraient désormais la matière
du sacrifice*. Ce point réglé, il remonta sur la vache. Celle-ci se leva,
s'arc-bouta de ses quatre jambes comme d'autant de piliers : son ventre, allongé
en plafond au-dessus de la terre, forma le ciel. Lui, cependant, s'occupait
d'organiser le monde nouveau qu'il découvrait sur le dos ; il le peuplait d'êtres
nombreux, y choisissait deux cantons pour y établir sa résidence, le Champ
des Souchets, — Sokhit Jalou — et le Champ du Repos — Sokhît Hotpit,
— y suspendait les étoiles qui devaient éclairer les nuits. Le tout avec
force jeux de mots destinés, selon l'usage oriental, à expliquer les noms
que la légende assignait aux diverses régions du ciel. Il s'écriait, à la vue
d'une plaine dont le site lui plaisait : <r Le Champ repose au loin ! » et c'était
l'origine des Champs du Repos; il ajoutait : « J'y cueillerai des herbes *, et
le Champ des Souchets en prenait son nom. Tandis qu'il se livrait à ce
passe-temps philologique, Nouît, transportée soudain à des hauteurs inac-
coutumées, s'effarait et criait au secours : <* Donne-moi, par grâce, des étais
pour me soutenir! » Ce fut le commencement des dieux-étais. Ils vinrent s'in-
interrompent cette partie du texte et en rendent la lecture difficile dans les deux exemplaires que
nous possédons : le sens général en est certain, à quelques nuances près qu'il est permis de négliger.
1. La légende, en voulant nous expliquer pourquoi il n'y avait plus de sacrifices humains chez les
Égyptiens, nous fournit la preuve directe de leur existence aux temps primitifs (Naville, la Destruction
des hommes par les Dieux, dans les Transactions, t. IV, p. 17-18). Beaucoup de faits confirment ce
témoignage. Nous verrons qu'en déposant les ouashhiii dans les tombeaux on suppléait les esclaves
mâles ou femelles qu'on égorgeait au début sur la tombe des riches et des princes, pour les aller
servir dans l'autre monde (cf. p. 193 de cette Histoire) : encore à Thèbes, sous la XIX- dynastie, on
trouve dans certains hypogées des tableaux qui peuvent faire croire qu'accidentellement au moins
on envoyait des victimes humaines aux doubles de distinction (Maspero, le Tombeau de Montou-
hikhopshouf, dans les Mémoires de la Mission du Caire, t. V, p. 452 sqq.). On continuait du reste
à la môme époque de mettre a mort devant les dieux l'élite des chefs ennemis pris à la guerre:
dans plusieurs villes, ainsi à Eilithyia {de. Iside et Osiride, § 73, édit. Parthey, p. 12ÎM30) et à
Héliopolis (Porphyre, de Abstinentiâ, 11, 55, cf. Kïskbe, Prœpar. Etang., IV, 16), ou devant certains
dieux comme Osiris (Diodork, I, 88) ou Kronos-Sibou (Sextts Empiricis, Ilf, 24, 221), le sacrifice de
l'homme se prolongea jusque vers l'époque romaine. On peut dire pourtant d'une manière générale
qu'il était fort rare. Presque partout on avait remplacé les hommes par des gâteaux de forme parti-
culière qu'on appelait mu.u,aTa (Seleuci;s d'Alexandrie, dans Athénée, IV, p. 172), ou par des animaux.
2. On prétendait que les ennemis de Hà, d'Osiris et des autres dieux, les partisans d'Apdpi et de Sft,
s'étaient réfugiés dans le corps de certains animaux : c'étaient donc en réalité des victimes humaines
ou divines qu'on offrait, quand on égorgeait devant les autels les bétes destinées au sacrifice.
LA LÉGENDE DE SHOl ET DE SIBOU. 469
staller chacun à côté de l'une des quatre jambes, qu'ils consolidèrent de leurs
mains et près de laquelle ils ne cessèrent plus de monter la garde. Comme Us
ne suffisaient pas encore à rassurer la bonne bète, « Rà dit : « Mon fils Shou,
place-toi sous ma fille Nouït, et, veillant pour moi sur ces étais-ci et sur ces
étais-la, qui vivent dans le crépuscule, maintiens-la au-dessus de ta tête
et sois son pasteur! » Shou obéit; Nouit se rasséréna, et le monde, muni du
ciel qui lui avait manqué jusqu'alors, reçut enfin la forme harmonieuse que
nous lui connaissons1.
Les deux premiers successeurs de Rà, Shou et Sibou, n'acquirent pas une
popularité aussi durable que celle de leur grand ancêtre : ils avaient pourtant
leurs annales, dont tes fragments sont parvenus jusqu'à nous1. Leur pouvoir
s'étendait encore sur l'univers entier : « La Majesté de Shou était le roi excellent
I. Dettin de Fauclier-Gudin ; cf. Chuhlluhi, Monuments de l'Egypte et de la Subie, pi. ccmi, 3;
LerÉ»im, le Tombeau de Séti I" (ilans le» Mémoire* de Ut Million du Caire, I. Il), IV* partie, pi. ivii.
S. NiïiiLK, ta Destruction de» hommes par tes Dieux, dans los Transaction*. I. IV, pi. Il, 1. 37 sqq.
3. lin nous ont clé conservés sur les parois d'un naos, qui fui élevé d'abord dans une ville du
Délia Oriental, Att-Sobsou, puis transporté plus tard, vers l'époque romaine, dans la bourgade de
Rhinocoloura, aujourd'hui el-Arlsh. Ce naos, découvert cl signalé par Guérin (Judée, t. Il, p. 441) il
V a plus de vingt ans, a éle copié, publié el traduit par CRirm-K, tke Antiquities of Tell et-
Yahadtaen, pi. XXI1I-XXV et p. TIMi; cf. Masplbo dans la Ile ave Critique, 18S)|, t. I, p. 14-46,
170 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
du ciel, de la terre, de l'Hadès, de l'eau, des vents, de l'inondation, des
deux chaînes de montagnes, de la mer, gouvernant d'une voix juste, selon
tous les préceptes de son père Râ-Harmakhis1. » Seuls « les enfants du ser-
pent Apôpi, les impies qui hantent les solitudes et le désert », méconnais-
saient son autorité. Comme plus tard les Bédouins, ils débouchaient à l'impro-
viste par les routes de l'isthme, montaient en Egypte sous le couvert de la
nuit, tuaient et pillaient, puis regagnaient leurs repaires à la hâte avec le
butin qu'ils avaient enlevé1. Râ avait fortifié contre eux la frontière orientale,
entre les deux mers. Il avait entouré de murs les cités principales, les avait
embellies de temples, y avait enfermé des talismans mystérieux qui valaient
plus pour la défense qu'une garnison humaine : c'est ainsi qu'Aît-nobsou, vers
la sortie de l'Ouady-Toumilât, possédait une des cannes du Soleil, l'urseus
vivante de sa couronne dont l'haleine dévore tout ce qu'elle touche, enfin,
une boucle de ses cheveux qui, lancée dans les eaux d'un lac, s'y transformait
en crocodile à tête d'épervier, pour mettre l'envahisseur en pièces3. L'usage
en était dangereux pour qui n'avait pas encore l'habitude de les manier, et
pour les divinités elles-mêmes. Quand Shou, las de régner, remonta au ciel
dans une tempête de neuf jours, Sibou, à peine intronisé, commença l'inspec-
tion des marches orientales, et se fit ouvrir la boite où l'on gardait l'uraeus
de Râ. « Dès que la vipère vivante eut soufflé son haleine contre La Majesté
de Sibou, ce fut un grand désastre, un grand, car ils succombèrent ceux
qui étaient à la suite du dieu, et Sa Majesté elle-même fut brûlée en ce
jour. Quand Sa Majesté eut couru au nord d'Aît-nobsou, poursuivie par le
feu de cette uraeus magique, voici qu'en arrivant aux prés du hennèh,
comme sa brûlure n'était' pas encore calmée, les dieux qui étaient der-
rière lui dirent : « 0 sire, qu'on prenne cette mèche de Râ qui est là,
« quand Ta Majesté ira la voir elle et son mystère, et Sa Majesté sera guérie
« dès qu'on l'aura posée sur toi. » La Majesté de Sibou se fit donc apporter
la mèche talismanique à Piarit — cette mèche pour laquelle on a fabri-
qué ce grand reliquaire en pierre véritable qui est caché au lieu secret de
I. Grutith, the Antiquities of Tell~el-Ya/tûdtych, pi. XXIV, 1. 1-*.
S. Id. ibid., pi. XXIV, 1. 24 sqq.
3. Les Égyptiens de toutes les époques n'étaient pas pour s'effrayer de ces merveilles : un des
contes que nous possédons du second empire thébain nous parle d'un morceau de cire transformé
en crocodile vivant quand on le jetait à l'eau, et capable de dévorer un homme (Krxax, die Màrchrn
des Papyrus Westcar, pi. 1I1-1V, p. 8; cf. Maspero, les Contes populaires, t* édit., p. 60-63). Les talis-
mans protecteurs de l'Egypte contre les invasions barbares sont mentionnés par le Pseudo-Callisthènes
($ 1, édit. Miîllkr, dans l'Arrien de la collection Didot) qui attribue l'invention de plusieurs d'entre
eux au Pharaon Nectanébo; les historiens arabes en parlent souvent (V Egypte de Murtadi, trad. Vat-
tier, p. 26, 57, etc.; Maçoudi, tes Prairies d'Or, trad. Barbier de Meymard, t. II, p. 41 -1-4 17).
LE RÈGNE D'OSIRIS ONNOPHRIS ET D'ISIS. 171
Piarit, dans le canton de la mèche divine du Seigneur Rà, — et, voici,
ce feu s'en alla des membres de La Majesté de Sibou. El, beaucoup d'an-
nées après cela, quand on reporta cette mèche, qui avait appartenu de la
sorte au dieu Sibou, à Piarît dans Aît-nobsou, et qu'on la jeta dans le
grand lac de Piarit, dont le nom est Ait-loslesou, la demeure des vagues,
afin de la purifier, voici que cette mèche devint un crocodile : elle
s'envola à l'eau et devint Sobkou, le crocodile divin d'Aît-nobsou'. » C'est
ainsi que, de génération en génération, les dieux de la dynastie solaire multi-
pliaient les talismans et enrichissaient de reliques les sanctuaires de l'Egypte.
Vit-on jamais légendes plus plates et de fantaisie plus vieillotte? Elles ne
sont pas écloses spontanément sur les lèvres d'un peuple; elles ont été com-
posées à loisir par des prêtres désireux de rehausser l'antiquité de leur culte,
et d'accroître à son profit la vénération des fidèles. On voulait, dans chaque
cité, que le sanctuaire féodal eût été fondé le jour même de la création, que
ses privilèges eussent été étendus ou confirmés au cours de la première
dynastie divine, que son trésor renfermât, à l'appui de ces prétentions, des
objets ayant appartenu aux plus anciens des rois-dieux1. De là ces contes où
l'on dépeint de façon souvent ridicule le personnage du Pharaon bienfaiteur :
si nous possédions l'ensemble des archives sacrées, nous y verrions mentionné,
comme pièce authentique, plus d'un document aussi artificiel que la chronique
d'Aît-nobsou. Le caractère et la forme des récits changent dès qu'on arrive
I. Gnirrini. Ihe Anliquitin of Telltl-Yahûdtyeh, pi. XXV, I. |Mi.
t. Deuin de Fauchtr-Gudtn, a"aprtt U croquis tic Gnimm, the AntiquiHe» of Tetl-el-Yahûdlyth,
pi. XXIII, 3. L« trois talismans représentés ici sont deux couronnes dans un naos et l'ursus brûlante.
3. Dendérah, par eiemple. avait été fondée bous les dynasties divines, su temps des Srrvitturi
d'IIorui iDfmor.s, Itauurkumfe der Trmprtaiilagcn van Deadera, p. 18-10 et pi. XV, I. 37-38).
m L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
aux derniers membres de l'Ennéade. Sans doute Osiris et Sit n'échappèrent
pas sans blessures aux mains des théologiens, mais l'intervention sacerdotale,
si elle gâta leur légende, ne la défigura pas complètement. On y remarque
encore par endroits une sincérité de sentiments et une vivacité d'imagination,
qu'on ne rencontre jamais dans les annales de Shou et de Sibou. C'est qu'en
effet l'emploi de ces dieux les laisse étrangers, ou peu s'en faut, aux affaires
courantes de l'univers. Shou est l'étai, Sibou l'assise brute du monde : tant
que l'un continue à porter sans plier le poids du firmament, et que l'autre
tolère sur son dos le piétinement des générations humaines, les dévots ne
s'inquiètent pas plus d'eux qu'ils ne s'inquiètent eux-mêmes des dévots. Mais
Osiris, sa vie se mêlait intimement à celle des Égyptiens et son acte le moin-
dre influait sur leurs destinées d'un contre-coup immédiat. On suivait le mou-
vement de ses eaux, on notait les péripéties de ses luttes contre la séche-
resse, on enregistrait ses défaillances de chaque année compensées chaque
année par des retours offensifs et par la victoire passagère qu'il remportait
sur Typhon, on étudiait minutieusement son tempérament et ses allures.
S'il se gonfle presque à jour fixe et se répand sur la terre noire de la vallée,
ce n'est point fonction machinale d'un être indifférent aux conséquences de
ce qu'il fait : il agit après réflexion et dans la pleine conscience du service
qu'il rend. Il sait qu'en répandant l'inondation, il empêche le triomphe du
désert : il est la vie, il est le bon — Onnofriou — et Isis, associée à ses
efforts, devient, comme lui, le type de la bonté parfaite. Dans le temps qu'il
se développe pour le mieux, Sît se transforme pour le pis et gagne en
méchanceté tout ce que son frère acquiert en pureté et en élévation morale.
A mesure que sa personne se précise et se détache en traits plus nets, ce
qu'elle recelait de mauvais s'accentue par contraste à ce qu'Osiris renferme
de bon. Ce qui était d'abord lutte instinctive de deux êtres assez vaguement
définis, du désert contre le Nil, de l'eau contre la sécheresse, se change en
inimitié raisonnée et en volonté de détruire. Il n'y a plus conflit de deux
éléments, mais guerre entre deux dieux, dont l'un travaille à donner la
richesse quand l'autre s'efforce de l'anéantir, dont l'un est le bien et la vie
quand l'autre incarne le mal et la mort.
Une légende fort ancienne plaçait la naissance d'Osiris et de ses frères dans
les cinq jours additionnels qui terminent l'année1. On l'expliqua plus tard en
1. Ces cinq jours picnaient aux yeux des Égyptiens une importance particulière; ils étaient autant de
fêtes consacrées aux cultes des morts. Nous possédons encore, dans un papyrus hiératique de l'époque
OSIRIS ET ISIS CIVILISENT L'EGYPTE. 173
contant que Nouît et Sibou avaient contracté mariage contre la volonté expresse
de Râ et à son insu : lorsqu'il s'en aperçut, il entra dans une colère violente
et jeta sur la déesse un charme qui devait empêcher sa délivrance en tel mois
et en tel an que ce fût. Mais Thot eut pitié d'elle, et, jouant aux dames avec la
lune, il lui gagna, en plusieurs parties, un soixante-douzième de ses feux, dont
il composa cinq jours entiers : comme ils n'appartenaient pas au comput régu-
lier, Nouît put y mettre au monde cinq enfants coup sur coup, Osiris, Haroêris,
Sit, Isis et Nephthys1. Osiris était beau de visage, mais avec un teint mat et
noir : sa taille dépassait cinq mètres*. Il naquit à Thèbes5, le premier des
jours additionnels, et une voix mystérieuse annonça aussitôt que le maître de
tout — nibou-r-zorou — venait de paraître : des cris de joie accueillirent la
bonne nouvelle, suivis de pleurs et de lamentations quand on sut les malheurs
qui le menaçaient4. L'écho en arriva jusqu'à Râ dans sa résidence lointaine,
et son cœur se réjouit, malgré la malédiction dont il avait chargé Nouît :
il manda son arrière-petit-fils dans Xoïs, et il le reconnut sans hésiter comme
héritier de son trône8 Osiris épousa sa sœur Isis, et même, disait-on,
au temps qu'ils reposaient encore, l'un et l'autre, dans le sein de leur mère* :
lorsqu'il fut roi, il fit d'elle une reine active et l'associa à ses entreprises.
Les Égyptiens restaient à demi sauvages : ils se dévoraient entre eux,
des Ramessides (I 346 de Leyde), un Livre des cinq jours en sus de l'année, qui a été traduit et com-
menté sommairement par Chabas (le Calendrier des jours fastes et néfastes de Cannée égyptienne,
p. 101-107) : Osiris était né le premier jour, Haroêris le second, Sft le troisième, Isis le quatrième,
Nephthys le cinquième. Les mentions éparses sur les monuments confirment Tordre indiqué par le
papyrus. Ainsi une inscription du grand prêtre Mankhopirrt de la XXIe dynastie rappelle qu'lsis était
née le quatrième de ces jours, qui coïncidait avec la fête d'Amon au commencement de Tannée
(Brugsch, Recueil de Monuments, t. I, pi. XXII, 1. 9, et E. de Rouge, Étude sur les monuments du
massif de Karnak dans les Mélanges d'Archéologie, t. I, p. 133). Une inscription du petit temple
d'Aptt à Thèbes (Lepsius, Denkm., IV, 29) indique la naissance d'Osiris au premier jour épagomène.
1. Nous ne possédons de cette légende que l'interprétation hellénisée qui en a été donnée dans le
de Iside et Osiride (édit. Leemans, § 12, p. 18-21), mais on ne saurait douter qu'elle ait été puisée à
bonne source, comme la plupart des récits qui sont consignés dans ce curieux traité.
2. De Iside et Osiride (édit. Leemans, § 33, p. 57) : rbv fié "Ocnpiv au irotXiv u.eXd(YXP0UV YtYOvéva*.
u.v6o).OYoC<nv. Osiris est en effet représenté souvent avec la face et les mains noires ou vertes,
comme c'est l'usage pour les dieux des morts; c'est probablement cette particularité qui a donné au
peuple l'idée de son teint noir (Wilkinson, Manners and Customs, 2* édit., t. III, p. 81). La taille du
dieu est fixée à sept coudées par le passage d'un papyrus magique du temps des Ramessides
(Chabas, le Papyrus magique Harris, p. 116-117), et à huit coudées six palmes trois doigts par
une phrase d'une inscription ptolémaïque (DOmichen, Hislorische Inschriften, t. Il, pi. XXXV).
3. Lepsius, Denkm., IV, 296, 53 a; Brugsch, Dictionnaire Géographique, p. 865. Il est Mendésien à
l'origine (voir p. 130 de cette Histoire) : son changement de patrie date de la grandeur thébaine.
4. Une variante de la légende racontait qu'un certain Pamylis, à Thèbes, étant allé puiser de l'eau,
avait entendu une voix qui sortait du temple de Zeus, et qui lui ordonnait d'annoncer hautement à
l'univers la naissance du grand roi, le bienfaisant Osiris. Il avait reçu l'enfant des mains de Kronos,
l'avait élevé jusqu'à l'adolescence, et les Égyptiens lui avaient consacré la fête des Pamylies qui res-
semble à celle des Phalléphories grecques (de Iside et Osiride, édit. Leemans, § 12, p. 19-20).
5. Papyrus S079 du Louvre, p. 11, 1. 18-20, dans Pierrbt, Études Égyplologiques, p. 33-34 ; cf. Brugsch,
Religion und Mythologie der alten jEgypter, p. 627-628.
6. De Iside et Osiride, édit. Leemans, § 12, p. 20-21. Haroêris, l'Apollon des Grecs, serait issu du ma-
riage consommé avant la naissance des deux époux, tandis qu'ils étaient encore enfermés dans le sein
174 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
et s'ils vivaient, à l'occasion, des fruits de la terre, c'était au hasard et sans
savoir les produire régulièrement. Osiris leur enseigna l'art de fabriquer les
instruments de labour, la charrue et la houe, de façonner les champs et de
les assoler, de récolter le blé et l'orge1, de cultiver la vigne5. Isis les désha-
bitua de l'anthropophagie3, les guérit par la médecine ou par la magie, unit
les femmes aux hommes en unions légitimes4, et leur montra la façon de mou-
dre le grain entre deux pierres plates pour préparer le pain de la maison 5 ; elle
inventa le métier à tisser, de concert avec sa sœur Nephthys, et, la première,
ourdit et blanchit la toile6. Le culte des dieux n'existait pas : Osiris l'institua,
désigna les offrandes, régla l'ordre des cérémonies, composa le texte et la
mélopée des liturgies7. Il bâtit des villes, les uns disaient Thèbes même8, où
les autres assuraient qu'il était né. Comme il avait été le modèle des rois
justes et pacifiques, il voulut l'être également des conquérants dompteurs
de peuples : il remit la régence à Isis et partit en guerre contre l'Asie
avec Thot l'ibis et le chacal Anubis. C'est à peine s'il employa la violence
et les armes. Il attaquait les hommes par la douceur et par la persuasion,
les amollissait par des chants où les voix se mariaient aux instruments, et
leur enseignait les mêmes arts qu'il avait révélés aux Égyptiens. Nul pays
n'échappa à son action bienfaisante; il ne revint aux bords du Nil qu'après
avoir parcouru et civilisé la terre d'un horizon à l'autre9.
Sît-Typhon était roux de chevelure et blanc de peau, d'un caractère violent,
sombre et jaloux10. Il aspirait secrètement à la couronne et la vigilance d'isis
de leur mère Rhéa-Noutt (de laide et Osiride, édit. Leemans, § 12, p. 20-21 et § 54, p. 7) : c'était une
manière de rattacher aux mythes osiriaques le personnage d'Haroéris, en le confondant avec son
homonyme Harsiésis. le (ils d'isis qui devint fils d'Osiris par le mariage de sa mère avec ce dieu.
1. Diodore (liv. 1, g 14) lui attribue même la découverte de l'orge et du blé : c'est la conséquence
de l'identification établie par les Grecs entre Isis et Déméter. D'après l'historien Léon de Pella (fragm.
3-4 dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grxcnrum, t. II, p. 331) la déesse se tressa une cou-
ronne d'épis mûrs et la posa sur sa tête, un jour qu'elle offrait un sacrifice à ses parents.
2. De Iside et Osiride (édit. Leemans), § 13, p. 21; Diodore de Sicile, liv. 1, § 14-15; èyw icopoù;
otv6pwitot; otvéSeiÇa (Hymne trouvé dans l'tle d'Ios, Kaibel, Epigrammata Grxca, p. xxi). Osiris est
l'inventeur de la charrue dans Avien, Desc. Orbis, 354, et dans Servics, ad Georgicorum, 1, 19).
3. 'Eyiù liera xoO dtSeXçoG 'Oac'peu>ç toc; àvOpcoicoçaytaç Ëicauov (Kaibel, Epigrammata Grxca, p. xn).
4. 'Eyà> yuvaîxa xai avÔpa ffvvrçyaya (Hymne d'Ios, dans Kaibel, Epigrammata Grttca, p. xxi).
5. Diodore de Sicile, liv. I,§ 25; cf. les recettes médicales ou magiques qu'on lui attribue au Papyrus
Ebers, pl.XLVII, I. 5-10, et sur la Stèle de Metternich, édit. Golenischeff, pi. IV, I. 4, V, 1. 100, et p. 10-12
6. Cela résulte entre autres des passages du Rituel de l'Embaumement où l'on voit Isis et Nephthys,
l'une filer le lin, l'autre tramer la toile (Maspero, Mémoire sur quelques papyrus du Louvre, p. 35, 81).
7. Les premiers temples furent élevés par Osiris et Isis (Diodore de Sicile, I, §15) ainsi que les pre-
mières images des dieux : iyïû àyâù\LotxaL îorâv èÔt5a£a, èyà> teuiv/) Oeûv etôpwrdtfiTiv (Hymne d'Ios.
dans Kaibel, Epigrammata Grœca, p. xxi-xxii). Osiris inventa deux des espèces de flûte dont les Égyp-
tiens se servaient dans les fêtes (Ji-ba, fragm. 73, dans Mûller-Didot, Fragm. H.Grvc, t. III, p. 481).
8. Bâton, fragm. des Persica dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grvcorum, t. IV, p. 318.
9. Diodore de Sicile, I, g 17-20; de Iside et Osiride, édit. Leemans, g 13, p. 21.
10. On comparait la couleur de son poil à celle d'un âne roux, et l'âne lui était consacré pour
cette raison (de Iside et Osiride, g 22, 30, 31, édit. Leemans, p. 37, 51, 52). Sur son caractère vio-
lent et jaloux, voir l'appréciation de Diodore de Sicile, I, 21, et la peinture de Synésios dans le pain-
OSIRIS, TUÉ PAR SIT, EST ENSEVELI PAR ISIS. 175
l'avait seule empêché de se révolter pendant l'absence de son frère'; les
réjouissances qui signalèrent le retour à Memphis lui fournirent l'occasion de
s'emparer du trône. 11 invita Osiris à un banquet avec soixante-douze de ses
officiers dont il s'était assuré l'appui, fabriqua une caisse en bois d'un travail
curieux et donna l'ordre qu'on la lui
apportât au milieu de la fête. Comme cha-
cun en admirait la beauté, il dit d'un air
enjoué qu'il la donnerait en cadeau à
celui des convives qui la remplirait exac-
tement. Tous l'essayèrent les uns après
les autres, mais sans succès; dès qu'Osins
s'y fut couché, les conjurés en rabattirent
le couvercle qu'ils clouèrent solidement,
ils en bouchèrent les joints avec du plomb
fondu, puis ils la jetèrent dans la branche
Tan i tique du Nil qui la charria à la mer'.
La nouvelle du crime répandit partout la
terreur. Les dieux amis d'Osiris redou- la ihuoe miriime, «ours, ramu, isu».
tèrent le sort de leur maître et se cachè-
rent dans des corps d'animaux pour échapper à la méchanceté du nouveau
roi*; Isis se coupa la chevelure, déchira ses vêtements et partit à la recherche
du coffre. Elle le retrouva échoué près de l'embouchure du fleuve', à l'ombre
d'un acacia gigantesque', le déposa dans un lieu détourné où personne ne
phlet intitulé l'Égyptien : on contait qu'il avait déchire en naissant les entrailles de ilhéa-Noult et
qu'il s'était frayé un chemin à travers le flanc maternel (de laide et Otiride, édit. Lieius, § 12, p. 40).
1. De Itide et Otiride, édit. Liras», § 13, p. il.
ï. L'épisode du coffre où Sit enferma Osiris est mentionné d'uni' façon sommaire, mais parfaite-
ment intelligible, dans une formule du Grand Papyrus magique Harrit (édit. C.hieis, p. HG-ll").
3. Dénia de Haudicr, repraduitant le groupe en or du Mutée du Louvre (PlHICT, Catalogue de la
Salle Uîi torique de la Galerie Égyptienne du Mutée du Louvre, n' îi, p. 13-16). Le dose in eat fait
J'aprAa nno photographie ayant appartenu à M. de Witte, et antérieure à l'acquisition du monument
par E. de Bougé, en 1871 : le petit pilier carré de lapis-lazuli sur lequel Osiris se lient accroupi
est mal ajusté, et la légende du roi Osorkon, qui dédia cette triade, est placée sens dessus dessous.
i. De Itide et Otiride, édit. Uemahj, § "i, p. lifi.
!i, La légende de l'époque Sattc et Grecque ajoutait en cet endroit tout un chapitre, où elle racon-
tait comment le coffre, entraîné a la mer. avait été jeté sur la côte de Phénicic, près de Byhlos :
l'acacia, devenu pour la circonstance une bruyère ou un genêt monstrueux, avait poussé autour
de lui cl l'avait enfermé dans son tronc {de Itide et Otiride, édit. Lkibmw, g 13-17, p. Î5-ÏU). C'est
une addition à la légende primitive qui a dû naître entre la XVIII- et la XX* dynastie, au moment
îles grands rapport» de l'Egypte avec les peuples d'Asie : on n'en a trouvé jusqu'à présent aucune
trace sur les monuments égyptiens proprement dits, mémo sur les plus modernes.
6. I!n bas-relief du petit temple de Taharkou, à Thèbcs (Puisse b'Athtciu, "foiiHRifNf* de t Egypte,
pi. XXX), montre un arbre croissant sur un tertre, dans l'intérieur duquel le nom d'Osiris eut insrril :
la légende nous apprend que c'est V Acacia Niiotica du eo/fre, sous lequel le cercueil divin avait été
déposé par les caui (Divi.su, Sur un biu-rrlirf égyptien relatif à det texte» de Ptutarguc, dans le
llulietin de la Société de» Antiquaires de France, 1SS8, S* série, t. V, p. 133-130),
176 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
pénétrait jamais ; elle se réfugia ensuite à Bouto, son domaine et sa ville d'ori-
gine, dont les marais la mirent à l'abri des entreprises de Typhon, comme aux
siècles historiques ils protégèrent plus d'un Pharaon contre les attaques de ses
ennemis. Elle y accoucha du jeune Horus, elle l'allaita et réleva en secret au
milieu des roseaux, loin des embûches du malin1. Celui-ci cependant, chas-
sant par un clair de lune, aperçut le coffre, l'ouvrit et, reconnaissant le cadavre,
le découpa en quatorze morceaux qu'il dispersa au hasard. Isis reprit son dou-
loureux pèlerinage : elle recouvra tous les lambeaux de chair à l'exception
d'un seul que l'oxyrrhynque avait dévoré gloutonnement2, les rajusta avec
l'aide de sa sœur Nephthys, de son fils Horus, d'Anubis et de Thot, les
embauma et changea cet amas de débris en une momie impérissable, capable
de supporter éternellement l'âme d'un dieu. Dès qu'Horus parvint à sa majo-
rité, il réunit les Égyptiens demeurés fidèles et en composa une armée*. Ses
Suivants — Shosouou Horou — battirent les Conjurés de Sît — Samiou SU. —
ceux-ci durent se métamorphoser à leur tour en gazelles, en crocodiles, en
serpents, qui restèrent impurs et typhoniens. Les deux chefs bataillaient
depuis trois jours, sous forme d'hommes et d'hippopotames, quand Isis,
inquiète sur l'issue du duel, résolut d'en finir. « Voici qu'elle fit descendre des
fers sur eux et les laissa tomber sur Horus. Horus aussitôt prononça une prière
à haute voix, disant : « Je suis ton fils Horus! » Alors Isis s'adressa aux fers,
disant : « Brisez-vous, détachez- vous de mon fils Horus ! » Elle fit descendre
d'autres fers et les laissa tomber sur son frère Sit. Aussitôt il poussa un fort
hurlement et des cris de douleur, et elle s'adressa aux fers et leur dit :
« Brisez-vous! » Oui, comme Sit la priait un grand nombre de fois disant :
« Ne prendras-tu pas en pitié le frère de la mère de ton fils? » alors son cœur
s'apitoya beaucoup et elle cria aux fers : <r Brisez-vous, car il est mon frère
1. C'est l'Isis au milieu des roseaux qui est reproduite en tête de ce chapitre (p. 155), d'après
un monument de Phila?. L'image de la déesse accroupie sur une natte a donné probablement nais-
sance à la légende de l'île flottante de Khemmis, qu'Hécatée de Milet (fragm. 284, dans MCller-Didot,
Fragmenta Historieorum Grsecorum, t. I, p. 20) avait vue sur le lac de Bouto, et dont Hérodote (II, cm)
niait l'existence en dépit du témoignage d'Hécatée.
2. La légende était si bien établie sur ce point, que, dès la XIX* dynastie, elle fournissait des
éléments à la littérature populaire : quand Bitiou, le héros du Conte de» deux Frères, se mutila
lui-même, pour échapper au soupçon d'adultère, il jeta à l'eau son membre sanglant, que VOxyr-
rhynque dévora (Maspero, les Contes populaires de l'antique Egypte, 2* édit., p. 15).
3. On intercalait vers cet endroit, à l'époque grecque, un récit d'après lequel Osiris serait revenu
du monde des morts pour armer son fils et pour l'exercer aux combats. Il lui aurait demandé lequel
des animaux lui paraissait être le plus utile en temps de guerre, et Horus lui aurait désigné le cheval
au lieu du lion : le lion n'a de valeur que pour l'être faible ou lâche en quête de secours, le cheval
au contraire sert à la poursuite des ennemis et à leur anéantissement. Osiris jugea d'après cette
réponse qu'Horus était préparé à tout affronter et lui permit d'entrer en campagne (de Iside et Osi-
ride, édit. Lkkmans, g 19, p. 30-31). La mention du cheval prouve suffisamment l'origine relativement
récente de cet épisode (cf. p. 32, note 2 de cette Histoire, la date de l'acclimatation du cheval).
PARTAGE DE L'EGYPTE ENTRE HORUS ET S1T. 477
aîné! > et les fers se détachèrent de lui, et les deux ennemis se retrouvèrent
en présence, comme deux hommes qui ne veulent point s'entendre. » Horus,
furieux de voir que sa mère lui enlevait sa proie, se retourcu
contre elle comme une panthère du Midi. Elle se sauva devant
lui en ce jour où bataille fut livrée à Sit le violent, et il lu:
trancha la tête ; mais Thot la transforma par ses enchantements
et lui lit une tête de vache », qui l'identifia à sa compagne
Hàthor'. La guerre se poursuivait avec des chances diverses
lorsque les dieux prirent le parti d'évoquer tes deux rivaux
devant leur tribunal. D'après une tradition fort ancienne,
ceux-ci choisirent pour arbitre de leur querelle le maître
d'une cité voisine, Thot seigneur d'HermopolÎB la petite*.
Sit plaida le premier et soutint qu'Horus n'était pas le fils
d'Osiris, mais un bâtard qu'lsis avait conçu après la mort de
son mari : Horus prouva victorieusement la légitimité de sa
naissance et Thot condamna Sit à restituer les uns disaient
totalité de l'héritage qu'il détenait indûment, les autres, une p<
tion seulement. Les dieux ratifièrent le jugement et décer-
nèrent à l'arbitre le titre à'Ottapi-rahouhoui, celui qui décide
entre les deux compagnons. Une légende, d'origine plus récente,
et qui se propagea quand le culte d'Osiris se fut répandu par ,si*.hatiio«
l'Egypte entière, affirmait que la cause avait été retenue par * TL,t Dt 1AC" '
Sibou, le père et l'aïeul des parties. Sibou s'était prononcé d'ailleurs dans
le même sens que Thot et avait divisé le royaume en deux moitiés —
poxhoui : Si't conserva la vallée, des environs de Memphis à la première
cataracte, tandis qu'Horus entrait en possession du Delta*. L'Egypte forma
désormais deux royaumes distincts, dont l'un, celui du Nord, reconnut comme
1. Papyrus Sallier IV, pi. Il, I. fi sqq.; Cmiis, U Calendrier dtt jour» faites et néfastes de l'année,
|>. 38-3(1. 1*8. U même histoire au de Itide et Otiride (édit. Leeva.is). g 19, p. U, cf. g ÎO.
■i. La forme grecque de la Iradilion représente Thot comme ayant été l'avocat, non t'arbitre (de
Itide, éilil. Lemmm, S 19, p. 3i}. II résulte du titre même de Ûuapi-rahnuhoui, que Thot fut réellement
le juge du différend. Hahouhou signifie au propre camarade, compagnon, aitocié (K. de Br.sGmwi,
Imchrïftlïche Dtitkmâlcr der Sammlung ngyptitchen Allrrthiimer, dans le Recueil de Travaux, t. IX,
p. 51. note i, et Mispebo, Eluda Egyptiennes, t. Il, p. 83-83).
3. beitin de Fauchrr-Gudin, d'aprtt une statuette en brome d'époque toile, conservée au mutée de
Gizéh (II«kiit7i, Album photographique du mutée de Boulaq, pi. 5, n" 161).
4. Cette légende a été découverte par Goodwin (Upon an Inscription of the reign o( Shaba/ta, dans
Ciiiu, Mélangée égyptologiquet, 3* Série, t. 1, p. 216-îflr.) dan» un lente du Britinh Muséum que Sharpe
a publié (Egyptian Intcriptiont, I" série, pi. XXXVI-XXXVIII). L'eicm plaire que nous en possédons
date seulement du temps de Sabacon, mais un avertissement du scribe égyptien nous apprend que
c'élail une copie d'un monument très ancien. La réconciliation des deux ennemis est indiquée égale-
ment dans le de Itide et Otiride (édit. Lehahs), § SS. p. 98.
178 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
patron Horus, fils d'Isis, et dont l'autre, celui du Sud, se plaça sous la pro-
tection de Sît Noubîti, le dieu d'Ombos1 : la moitié d'Horus et celle de Sît
constituaient le domaine, l'héritage de Sibou, que les enfants du dieu
n'avaient pas su garder intact, et que les Pharaons de race humaine réunirent
plus tard entre leurs mains*.
Les trois dieux qui avaient précédé Osiris sur le trône avaient cessé de
régner, mais non de vivre : Râ s'était réfugié au ciel par dégoût de ses pro-
pres créatures, Shou avait disparu au milieu d'une tempête3 et Sibou rentra
pacifiquement dans son palais, son temps de terre accompli. Non que la mort
n'existât point : elle était née au commencement avec le reste des êtres et des
choses, mais sévissant sur les hommes et sur les bêtes, elle avait respecté les
dieux. Osiris fut le premier d'entre eux qu'elle frappa et dont il fallut célé-
brer les funérailles : ce fut aussi le premier à qui la piété des siens se préoc-
cupa de préparer une existence heureuse au delà du tombeau. Bien qu'il
exerçât à Mendès la royauté des morts et des vivants, selon le droit de toutes
les divinités féodales, sa souveraineté d'outre-vie ne lui épargnait pas plus
qu'au vulgaire cette torpeur douloureuse où tout ce qui est mortel tombait
après avoir rendu le dernier souffle. L'imagination populaire ne se résigna
pas à le laisser éternellement dans cette condition misérable : à quoi lui
aurait-il servi d'avoir pour femme Isis la grande Sorcière, le sage Horus
pour enfant, deux maîtres en magie pour serviteurs, Thot l'ibis et le chacal
Ânubis, si leur habileté n'avait pas réussi à lui procurer une survie moins
sombre et moins lamentable que celle de l'humanité? Anubis avait inventé la
momification depuis longtemps déjà4, et sa science mystérieuse assurait la
persistance infinie de la chair, mais à quel prix ! Elle substituait au corps
palpitant, chaud, coloré, libre de ses mouvements et de ses fonctions, une
masse immobile, glacée, noirâtre, sur laquelle le double s'appuyait encore
pour durer machinalement, mais qu'il ne pouvait ni soulever ni conduire,
dont le poids le paralysait et dont l'inertie le condamnait à végéter dans les
1. Une autre forme de la légende plaçait le jugement vers le 27 Athyr, et attribuait à Horus l'Egypte,
à SU la Nubie ou le Doshirit, le pays rouge (Papyrus Sa Hier IV, pi. IX, 1. 4 sqq.). Elle doit dater
du moment, vers la XVI II* dynastie, où la piété ne permit plus aux dévots d'admettre que le meur-
trier d'Osiris pût être le patron légitime d'une moitié du pays; on plaçait alors la moitié de Sft
soit en Nubie, soit dans le désert à l'Ouest de l'Egypte qui était en effet son domaine de tout temps.
2. Sit et Horus, considérés comme dieux du Midi et du Nord, s'appellent parfois les deux Horus,
et leurs royaumes les deux moitiés des deux Horus. Les exemples de ces locutions ont été réunis par
Ed. Meyer, Set-Typhon, p. 31-40, où le sens n'en est pas indiqué assez clairement.
3. Griffith, the Antiquities of Tell-el-Yahûdtyeh, pi. XXV, 1. 6-8. On remarquera ici la première
mention connue de la tempête dont les éclats cachent aux hommes la disparition et l'apothéose des
souverains montés vivants au ciel : cf., entre autres exemples, l'histoire de Homulus.
4. Voir ce qui est dit de l'embaumement d'Anubis au chapitre II, p. 112 sqq. de cette Histoire.
L'EMBAUMEMENT OSIHIEN. 179
ténèbres, sans joie et presque sans conscience de lui-même. Thot, Isis et
Horus s'appliquèrent à corriger pour Osiris ce que la pratique première de
l'embaumenient présentait de nuisible au bien-être et à la mobilité de ceux
qui la subissaient. Ils ne supprimèrent pas les manipulations qu'Anubis avait
M hûiiie 0smiEs.11: PHÉptitKc et cocciUe sgr li
instituées, mais ils leur infusèrent une force nouvelle par leurs opérations
magiques : ils inscrivirent sur les bandelettes principales des figures et des
formules préservatrices, ils garnirent les membres d'amulettes aux vertus
assorties, ils tracèrent les scènes multiples de l'existence terrestre et de la
vie d'outre-tombe sur les ais du cercueil et sur les parois de la chambre
1. Bewin dr. Faucher-Gudin, d'âpre» Rosellim, Monumeriti civiti, jil. CXXXIV, t. Tandis qu'Anubis
éterid les deux main» pour allonger la momie sur son lit, l'âme plane au-dessus de la poitrine, el
porte aux narines le sceptre et la voile gonflée, emblème de la respiration el de la vie nouvelle.
180 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
funéraire'. La chair une fois rendue indestructible, ils s'ingénièrent à lui
restituer l'une après l'autre toutes les facultés dont leurs manœuvres venaient
de la priver. Ils dressèrent la momie à l'entrée du caveau, placèrent à coté
d'elle une statue qui représentait le vivant, et tirent le simulacre de leur
ouvrir. la bouche, les yeux, les oreilles, de leur délier bras et jambes, de
rendre le souffle à leurs gosiers et le battement à leur cœur : les incantations
dont ils accompagnèrent chacun de ces actes furent si puissantes que le dieu
parla et mangea, vit et entendit, se servit de ses membres aussi librement
que s'il ne s'était jamais macéré dans les cuves de l'embaumeur*. II aurait pu
reprendre sa place parmi les hommes, et diverses légendes prouvent qu'il se
montra quelquefois à ses fidèles. Il préféra quitter leurs villes, comme ses
ancêtres avaient fait avant lui, et se retirer dans un domaine qui lui appartint
en propre. Les cimetières des habitants de Busiris et de Mendès s'appelaient
Sokhil ïalou, la prairie des Souchets, Sokhit Holpou, la prairie du Repos'; ils
se cachaient au milieu des marais, dans de petits archipels d'ilôts sablon-
neux où les cadavres entassés reposaient à l'abri des inondations1. Ce fut le
I. Les incantations qui accompagnaient le* opérations et lient décrites dans le Hituel de l'Embau-
mement, ilont la lin seule nous est parvenue (Makiet™, Papym* égyptiene du mutée de Boulaq, t. I,
pi. Vl-XIVj DfitÉRU, Catalogue de* Manuscrit* égyptien* gui tout eontervét au Mutée Égyptien du
Louvre, p. t fiR- 169; Humo, Mémoire *ur quelqvri jxipyrut du Louvre, p. t i-1114).
■î. Le Livre de l'ouverture de la bouche, qui nous a conservé la description de ces cérémonies, a
été publié, traduit et commenté par E. Schuparelli, Il Libro dei Fuurrali dei Anlichi Egiziani. On
[■n lit îles extrait! fort longs dans les pyramides de la V- et de la VI' dynastie, puis dans beaucoup de
tombeaux memphites ou thébains, et surtout dans celui de Pétéménophis, qui date de la XXVI- dy-
nastie (lirmcKEi, àer Grabpalait det Paluamenap in der Thebanitcheii Hekropolit, l-ll). l'ne grande
partie en a été étudiée par Mastmo, Etude* de Mythologie et d'Archéologie Égyptienne!, t. I. p. 4R3 sqq.
S. Dettin de Faurher-Cudin, rfajirèt une peinture du tombeau dé Roi dam la nécropole thébainr
(llti-n.ii m, Moimmenli eh-ili, pi. CXXIX, n° I ; Cm«w)u.ios, Monument* de FEgypte et de la tiubîr,
pi. CLXXVIII; Wii.ïissos, Manuer* and Cuitomt, f éd., t, III. pi. LXVIII).
4., Liera, Au* £gypten* Voneil, p. 53 sqq.. qui le premier signala ce fait important pour l'his-
loire des doctrines égyptiennes; cf. Uni iach, Dirtinnnairt i/éoip-iip/iique, p. fil-tiï, et Religion und
Mythologie der allé» AJgypter, p. 1T3-ITG : Misptko, Etudet de Mythologie, t. Il, p. ii-lfi.
5, Sur la découverte de quelques-unes de ces nécropoles insulaires par les Arabes, voir un passage
d'K. Q.i'AT*EiiÊae, Mémoire* hiitorique* et géographique* lur l'Egypte, t. I, p. 331-3ÏÎ.
I.E ROYAUME U'OSIRIS S'OUVRE AUX SUIVANTS D'HORUS. 181
premier royaume d'Osiris, mais qui se déplaça bientôt, quand l'on connut
mieux ta nature du pays où il se trouvait et la géographie des contrées envi-
ronnantes. Il franchit les mers, s'arrêta peut-être sur la côte phénicienne,
puis s'éleva au ciel, dans la voie Lactée, entre le Nord et l'Est, mais plus prés
du Nord que de l'Est'. Il n'était pas sombre et morne comme celui des autres
dieux morts, Sokaris ou Khontamentit. Le soleil et la lune l'éc! a iraient', le
vent du Nord y tempérait de son souffle régulier les ardeurs du jour, les mois-
sons y poussaient vigoureuses et abondantes*. Des murs épais le fortifiaient
contre les entreprises de Sit et des esprits malfaisants'; un palais construit à
I. XniM, Éludée de Mythologie et d' 'Archéologie Égyptienne!, t. I, p. 336 sqq., et t. II, p. 15-16.
C'est alors qu'on on attribua la possession à Ha. ainsi que nous l'avons vu à la p. 188 de relie Hittoire.
t. Denin de Boudirr, d~aprei une photographie de Daniel Héron, priée en iR8t, dont le temple de
Séti I" à Abydot.
a. Les vignettes reproduites aux pages l!li, Iflt de cette llîttoirc, et qui sont empruntées au
papyrus funéraire de Ncbhopll à Turin, nous montrent les prés il'lalou éclairés par le disque rayon-
nai]! du Soleil et par celui de la lune (LikWMt. Dilionario di Mitologia Egiiia, pi. V).
4. La description cil est donnée au chapitre ci du Litre det Marti (édit. Niyillk, t. I, pi. CXXI-
CXXlll: cf. Lkmii-s Todtenbuck, pi. XLI), ainsi qu'une sorte de carte pittoresque où les dispositions
principales de l'archipel céleste sont ligurées avec les noms des Iles et îles bras d'eau qui les séparent.
îi. Litre det Mort; ch. en (édit. FUtlLLI, t. I, pi. l'.XX, I. 7; cf. Litu™, Todteubuch, pi. XXXIX,
th. tllO, I. -I). Laulh (Aui Mgypteiu Vorieit, p. ,'iti, III) rapproche le nom des forteresses égyptiennes
Aiiliuu, Tsi/n;, qui est appliqué au mur d'Ijdon, de celui de l'Ile d'Klbo, dans les marais de Oouto,
où la légende courante à l'époque salte plaçait la retraite de l'aveugle Anysis, pendant toute la
durée de la domination éthiopienne, et dont nul après lui no connut la position jusqu'au jour où le
Pharaon Amyrtéo s'y réfugia pour échapper aux généraux perses (HImmmtiî, 11, cil).
182 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE UE L'EGYPTE.
limage des palais de Pharaon s'y élevait au milieu de jardins délicieux1.
Osiris, entouré des siens, y menait une existence tranquille où tous les plaisirs
de la vie terrestre s'offraient à lui tour à tour sans aucune de ses douleurs.
La même bonté qui lui avait valu son titre d'Onnophris* pendant qu'il
séjournait ici-bas lui inspira le désir et le moyen d'ouvrir les portes de son
paradis aux âmes de ses anciens sujets. Elles n'y entraient pas sans examen
ni sans épreuves. Chacune d'elles devait justifier d'abord qu'elle avait appar-
^^___ tenu en son vivant à un ami ou. comme
disent les textes égyptiens, à un féal
d'Osiris — amakhou khir Osiri — l'un
de ceux qui avaient servi Horus dans
son exil ou qui s'étaient ralliés sous sa
bannière dès le premier jour des guerres
typhoniennes. C'étaient lessuivantsd'Ho-
rus — Shosouou Horou — dont il est si
souvent question dans la littérature de
l'époque historique' : le maitre, après
les avoir comblés de ses faveurs pen-
dant leurs années de vie, avait décidé de
leur étendre après la mort les privilèges qu'il avait conférés à son père. II
convoqua autour de leur cadavre les dieux qui avaient travaillé avec lui à
l'embaumement d'Osiris, Anubis et Thot, lsis et Nephthys, ses quatre enfants
Hàpi, Qabhsonouf, Amsit et Tioumaoutf, auxquels il avait confié la garde
du cœur et des viscères, lis reprirent tous leur rôle de point en point, répé-
tèrent les mêmes cérémonies, récitèrent les mêmes formules au même moment
de l'opération, si bien que le mort devint sous leurs doigts un véritable
Osiris à la voix juste et joignit désormais le nom du dieu à son propre
nom : il avait été Sakhomka ou Menkaourî, il fut l'OsirisSakhomka ou l'Osiris
Menkaourî, juste de voix'. Horus et ses compagnons célébrèrent ensuite les
rites consacrés à l'Ouverture de la Bouche el des Yeux, animèrent la statue
I. La description des pylônes d'ialou fait l'objet d'un chapitre spécial du Litre de* Uorlt, le cha-
pitre c-.ilv (edit. Navii.le, t. I, [il. CLVI-CI.1X; <■(. Ufsiis, Tadtenbuch, pi. LX1-LXV).
t. Cf. p. 171 do coite Histoiie l'explication du surnom d'Onnophris qu'on donnait à Osiris.
3. Cf. p. 176 de cette Hittoirt. Les Suivant! d'Ilorui, c'est-à-dire ceux qui avaient suivi Horu* pen-
dant les Riierres typhoniennes, étaient mentionnés dans le fra(jmcnl du Canon Royal de Turin oii l'au-
teur résumait la chronologie des temps divins (I.kpsus, Aimoahl der vichligilrn Urkuiidrn, pi. III.
fragin. t, I. 0-1(1). Comme le renne de Ma, le temps où ils étaient rensé* avoir vécu formait pour les
Égyptiens de l'époque classique le terme extrême au delà- duquel l'histoire n'atteignait pas.
I. Deminde Faucher-Cudia d'après Nmillk, dat jEgypIiirhc Todtenburh, t. I. pi. CXXVII1, it".
S. Sur la poi> jiate et sur l'importance qu'on lui attribuait en Egypte, cf. p. 145-UCdc cetlo Bitloirr.
LE LIVRE DES MORTS. 183
du mort, déposèrent la momie au tombeau où Anubîs la reçut dans ses
bras. Le double, rappelé à la vie et au mouvement, reprenait l'une après
l'autre toutes les fonctions de l'être. Il allait, venait, assistait aux cérémonies
du culte qu'on lui rendait dans son tombeau. On l'y voyait agréer les hom-
mages de ses proches, serrant contre sa poitrine son âme, un gros oiseau
à tète humaine dont les traits
reproduisaient ceux de son visa-
ge; puis, une fois qu'on l'avait
équipé des formules et des
amulettes dont on avait muni
son modèle Usina', il partait à
la recherche du Champ des Sou-
chets. La route était longue,
ardue, semée de périls auxquels
il aurait succombé dès les pre-
mières étapes, si l'on ne s'était
inquiété de les lui signaler par
avance et de l'armer contre eux V
Un papyrus déposé avec la mo-
mie dans le cercueil contenait
les indications topographiques
et les mots de passe nécessaires pour qu'il ne s'égarât pas ou ne périt pas en
chemin. Les plus sages en copiaient eux-mêmes ou en apprenaient par cœur
les chapitres principaux, pendant la vie, afin de n'être pas pris au dépourvu
par delà; ceux qui ne s'étaient pas avisés de cette précaution consultaient ou
étudiaient après la mort l'exemplaire qu'on leur avait confié. Comme la plu-
part des Égyptiens ne savaient pas lire, un prêtre ou un parent du défunt,
son fils de préférence, récitait les oraisons à l'oreille de la momie et les lui
enseignait avant qu'on l'emportât au cimetière. Si le double observait à la lettre
les prescriptions contenues dans ce Livre des Morts, il arrivait au but sans
mécompte*. Il tournait le dos à la vallée en quittant sa tombe, escaladait, le
1. Ce soin qu'a» prenait de l'équiper des amulettes et Je l'inxlruire des formules lui valait les
noms de Khou âpirou, • Mine équipé ■. et de Khou ai/trou, . Mine instruit ■, qu'on rencontre assit'*
souvent dans les inscriptions des stèle» funéraires (Misrttio, Étude» de Mythologie et <l ' Arcktotogit
Egyptienne», 1. 1. p. HIT, et Rapport tur une Million en Italie dans le Recueil, t. III. p. 10">-U>6).
i. M*spmo, Elude» de Mythologie et rf" Arch/o/ogie Egyptiennes, 1. 1, p. 3Gi sqq.
3. Bénin de Faucher-Gudin, d'âpre» Gïiei«i>Lefi B( an, le. Papyrut de Soulimet. pi. VIII. Le trait
de l'original a été malheureusement rertitié et affaibli par le dessinateur.
-i. Les manuscrits de cet uuirap1 reiiré-senteiil environ les neuf dixièmes des papyrus découverts
ISi L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
bâton à la main, la montagne qui la borne à l'Occident, et s'enfonçait hardiment
dans le désert1, où quelque oiseau, même un insecte bienveillant, une mante
religieuse, une sauterelle, un papillon, lui servait de guide*. Il y rencontrait
qui poussent loin du Nil en
llahs tiennent pour arbres-
fées1. Une déesse, Nouît,
Hàthor ou Nit, sortait du
feuillage à rai-corps, lui
tendait un plat couvert de
fruits et de pains, un vase
rempli d'eau : dès qu'il
avait accepté ces dons, il
devenait l'hôte de la déesse
et ne pouvait plus revenir
sur ses pas', à moins de
t» tTwctauut mm « m» ri le. t>u » Nn»r*. permission spéciale. Des
pays d'épouvante s'éten-
daient au delà du sycomore, infestés de serpents et d'animaux féroces',
sillonnés de torrents d'eau bouillante7, entrecoupés d'étangs et de marais où
jusqu'à présent. Tous ne sonl pas Bêlement développés : les exemplaires complets demeurent relati-
vement assez rares, et la plupart de coin qu'on trouve sur les momies ne contiennent que des extraits
de longueur variable. Le livre lui-même avait été étudié par Champollion. qui l'appela le Hituel
funéraire; Lepsius lui donna plus tard le nom plus vague de Livre dei MorU qui tend à prévaloir.
Ou l'a connu surtout par l'exemplaire hiéroglyphique de Turin, que Lepsius calqua et fit lilhographicr
en 1841, sous le titre liai Todlenbuch der .Eyypter. E. de Rougé avait commencé en 1863 la publica-
tion il ou exemplaire hiératique du Louvre, mais depuis 1886 on possède une édition critique des manu-
scrits de l'époque Ihébaine, établie avec le plu» grand soin par E. N* ville, Dm jEgyptiicke Todtenburh
der XVIII bit XX Dynaitie, Berlin, 1886, S vol. in-folio do planches et un volume in-4- d'Introduction,
cf. surcetlc édition HtspBao, F.tudei de Mythologie et d'Archéologie Egyptienne!, t. I, p. 3i'5-3B7.
i. Haspkho, Èludeê de Mythologie et d'Archéologie Egyptienne!, . I, p. 345.
t. Lepsics, Aeltette Texte, pi. ii,"l. 41-44, Maspero, Quatre Annéei de fouille*, dans les Mrmoirci
de la Million du Caire, t. I, p. 165, I. 468-46» et p. 178, I. 744. • Non guide est la sirène, rac, mes
guides sonl les sirènes. • La sirène est ce petit oiseau vert, fréquent dans la plaine de Thcbes et bien
connu des touristes, qui trotte devant les baudels en semblant indiquer le chemin aux voyageurs. Sur
cette question de l'oiseau ou de l'insecte qui sort de guide aux Ames dans l'autre monde, voir Lf.ph.i-
IIksolt, A Second Sale (dans les Proceedingi de la Société d'Archéologie Biblique, 189I-I81W, l. XIV.
p. 39S sqq.), et LKrf.ncar., Étude lur Abydoi [Proceedingt, ISuS-lgilH, t. \V, p. 135 sqq.).
3. Voir ce qui esl dil de ces arbres-fées au chapitre 11, p. lil-tïî de cette Hutoire.
4. M.ispeuu, Eludet de Mythologie el d'Archéologie Égyptienne', t. Il, p. tU-it'. Ce nVsl pas dans
l'Kjsjjite seule que le fait d'accepter les aliments présentés par le dieu des morts constitue une
rororinaistauce de suzeraineté el empêche lame humaine de revenir au monde des vivants : la même
croyance se retrouve un peu partout, chez les modernes comme chez les anciens, cl E. Tylor en «
réuni de nombreux exemples dans la Civilitation primitive (édil. franc.), t. 11, p. tiî, 68, note t.
5. Denin de Faucher-Gudin, d'après te fac-similé de Déveria (E. df. Roir.F., Etudet lur le Hiluel
Funéraire, pi, IV, n" 4). Les âme» ignorantes que les cynocéphales pèchent onl ici la forme de pois-
sons, tondis que l'âme de Nofiroubnou, instruite de la formule prolectrice, conserve la figure humaine.
6. Les chapitres XXXI et XXXII du Livre det Morti (édit. Saville, t. I, pi. XLIV-XLY) prolègcnl le
mort contre les crocodiles; les chapitres XXXVI-XL (édit. Nayille, I. I, pi. XLVI-LIV) lui servent à
repousser toutes les espèces de reptiles, grondes et petites.
7. La vignette du chapitre l.MII B (édil. .YiviLLt, t. I, pi. LXy.IV) nous montre le mort traversant
LES PEREGRINATIONS DE L'AME. ISS
des singes gigantesques jetaient leurs filets1. Les âmes ignorantes ou mal
préparées à la lutte n'avaient pas beau jeu à s'y engager imprudemment.
Celles que la soif ou la faim ne terrassaient pas dès les premiers jours, une
LE «DUT ET SA FFJHU R F.(,0 IV [S T LE FAIM ET L'i
uraeus les mordait ou une vipère à cornes dissimulée méchamment sous le
sable, et elles périssaient dans les convulsions du poison; les crocodiles en
saisissaient autant qu'ils pouvaient au gué des rivières; les cynocéphales les
emmaillaient et les dévoraient pêle-mêle avec les poissons où se cachent les
partisans de Typhon. Elles ne se tiraient saines et sauves d'une épreuve que
pour tomber dans une autre, et elles succombaient infailliblement avant d'avoir
fourni la moitié du voyage. Au contraire, le double équipé, instruit, armé
de la voix juste, opposait à chacun de ses ennemis le phylactère et l'incan-
tation qui le tenaient en échec. Dès qu'il voyait paraître l'un d'eux, il récitait
tranquillement une rivière d'eau bouillante qui lui monte au-dessus de la cheville. Au chapitre [.XIII A
(m! il. Naïille, t. I, pi. LXXIII), il boit do l'eau chaude, sans se brûler ni la main ni In bouche.
1. Chapitre CLXIII (édit. Havilu. I. I, pi. CI.XXVI-CLXXVI1I ; cf. E. de Route, Ètudtt lur le Rituel
Funéraire da Ancien» Ëgyplirm, p. 3:>, pi. IV-V). Les cynocéphales employés à cet office sont pro-
bablement ce ux qui saluent le soleil a son coucher, quand il arrive, près d'Abydos. à l'entrée de la
première heure de la nuit; cf. ce qui est dil de ces animaux aus p. 82-83, 103 de cette Ilitloire.
i Detiinde h'auchcr-fltidin.d'aprei la planche rnlnrite dr Roselliki, Monumenti eivili. pi. CXXXIV. 3.
**
186 L'HISTOIRE LEGENDAIRE DE L'EGYPTE.
le chapitre de son livre que la circonstance exigeait, il se proclamait haute-
ment lia, Toumou, Horus, Khopri, celui des dieux dont te nom et les qualités
convenaient le mieux à repousser le danger présent, et les flammes s'écartaient
à sa voix, les monstres fuyaient ou s'affaissaient paralysés, les génies les plus
cruels rentraient leurs griffes ou baissaient leurs armes devant lui. Il obligeait
les crocodiles à détourner la tête, il perçait les serpents de sa lance, il s'ap-
provisionnait à volonté des vivres dont il avait besoin, et s'élevait progres-
nramani 1*. [ong des montagnes qui bordent le
quefois seul et luttant pied à pied,
escorté de divinités bienfaisantes. La
: Hàthor, ta dame d'Occident, se
ôte daus les prés remplis de grandes
herbes où elle reçoit le soleil à
son coucher, chaque soir1. S'il
savait l'en prier selon le rite
voulu, elle le chargeait sur ses
épaules' et l'emportait au galop à
le no»! riHCE in ww ws m "s« . travers les contrées maudites :
parvenu au nord, il s'arrêtait sur les bords d'un lac immense, le lac de Kha,
et apercevait de loin la silhouette des lies bienheureuses. Une tradition, si
vieille qu'on se la rappelait à peine vers le temps des Ramessides, contait que
Thot l'Ibis l'attendait là et l'enlevait sur son aile4; une autre non moins
antique, mais demeurée plus populaire, affirmait qu'un bac dessert régulière-
ment la terre ferme et les côtes du paradis1. Le dieu qui le manœuvre pose
des questions aux morts, puis la barque elle-même continue de les examiner,
avant de les admettre à son bord, car elle est fée. « Dis-moi mon nom »,
s'écriait le mat, et les voyageurs : « Celui qui conduit la Grande déesse
1. Voir Ici différente» vignettes du chapitre CLXXXVI du Livre de» Mort» que Nivilie > réunies
k 11 fin de son édition (dot XgypIUche Todtenbuch, t. 1, pi. CCX1I). La vache, tantôt est figurée
entière, tantôt sort à mi-corps seulement des flancs arides de la montagne libyque.
i. Les cercueils à fond jaune des XX' et XXI" dynasties présentent assez fréquemment cette scène,
dont Lanione nous fournit un bon exemple (Dïïionario di Mitotogia, pi. CŒXXI1, 1) d'après un cer-
cueil de Lcydcii (cf. p. 187 de cette Histoire). Le plus souvent elle est sous les pieds du mort, , l'ei-
trémité inférieure du cartonnage : la vache lancée au galop emporte la momie couchée sur son dos.
3. Deuin de Faueher-Gudin, iTaprèt le croqua rfaHàriUI, da$ /EgyptitckeTodtenbuch.i. I. pi- LUI,
P h. Les serpents de diverses sortes étaient les plus nombreux des ennemis qui s'opposaient aux morts.
A. Kl le est souvent mentionnée dan» les textes des Pyramides; elle y a inspiré un des chapitres les
moins clairs du recueil qui était gravé sur ces monuments (Teli, l. IRj-IOO; cf. Recueil de Travaux,
t. V, p. Ï1-Î3). Il semble que l'Ibis n'obtenait le passage qu'au prix d'une lutte contre Slt.
!>. On la trouve, comme la précédente, employée fréquemment dans les Pyramides, ainsi dans trois
formules où l'on invoque le dieu qui pilote le bac, en lui apprenant les raisons qu'il s de bien
accueillir le mort [Pitpi I", I. 396--H1 ; cf. liccutil de Travaux, t. VII, p. IG1-163).
LE JCGEMEMT !>E L'AME OSJRIENNE. 181
sur son chemin est ton nom. » — n Dis-moi mon nom, répétaient les bras.
— V Échine du Chacal Ouapouaîtou est ton nom. » — « Dis-moi mon nom,
continue le caicet. — Le Cou d'Amsil est ton nom. u — ■ Dis-moi mon nom.
demande la voile. — Notttt est ton nom. • Toutes les parties de la coque et du
gréement prenaient la parole à leur tour et interrogeaient le postulant : leur
nom est d'ordinaire une phrase mystique par laquelle on les identifie avec une
divinité complète ou avec les membres d'une divinité. Quand le double avait
prouvé par la justesse de
ses réponses qu'il avait le
droit de passer, la barque
consentait à le recevoir et à
l'emmener vers l'autre rive '.
11 y était accueilli par les
dieux et parles déesses qui
composaient la cour d'Osi-
ris, par Anubis, parHàthor
la dame du cimetière, par
Nit, par les deux Mâît qui
présidaient à la justice et à t
la vérité, par les quatre en-
fants d'Horus tout raides dans leurs gaines de momie'. C'était comme une
escorte d'honneur qui l'introduisait, lui et son guide ailé1, dans une pièce
immense soutenue de colonnes en bois peint, élégantes et légères. Osiris
était assis au fond, sous un naos dont les portes ouvertes laissaient entrevoir,
dans un demi-jour mystérieux, son étroit maillot de bandelettes blanches
cravaté de rouge, sa face verte surmontée du haut diadème blanc flanqué de
plumes, ses poings grêles, armés des emblèmes de sa puissance, le fléau et
1. Le chapitre XCIX du Livre des Mort* (édit. Nnn.Lt, t. I, pi. CX-CXII) esl consacre tout entier à
l'amenée du bac et aux longs interrogatoires qu'elle comporte; cf. Haspsro, Eludes de Mythologie et
a? Archéologie Egyptiennes, I. I, p. 374-37(1.
t. Dessin de Faucher-Gudin d'après le fac-similé en couleurs publié par I.KF-ï.ns. Monuments
Egyptietu du Mutée d'Antiquité» det Pays-Bas à I.eydea, III* partie, pi. XII.
3. Toutes tes «cènes qui précèdent et qui accompagnent le jugement des morts sont représentées
fréquemment sur la paroi extérieure de» cercueils de momie à vernis jaune, de la XX- à la XXVI" dynas-
tie. Ces monuments abondent dana les musées, mais ils n'ont été jusqu'à présent ni publiés, ni étu-
diés comme ils le méritent. Celui auquel j'ai emprunté la description des tableaux cl les légende*
traduites en partie dans le texte vient de la collection Clot-Bev et appartient au Musée de Marseille; il
a été signalé par .Maspeso, Catalogue du Mutée Égyptien de Marseille, p. 36-39.
t. Liorc det Morts, ch. I.XXVI (édit. Natilli, t. 1, pi. LXXXVM, I. 1-2; cf. Lfpsiis, Todtcibuch,
eh. 76, I. 1) : • J'entre au Palais du Prince, car l'Oiseau me conduit .; de mémo au chapitre CIV
(édit. Navilu, 1. 1, pi. CXVI, 1. 4-3). Cf. Lr.p«f.E-Rfcsoi;r, A Second Soie (dans les Proreedings do la Société
d'Archéologie Biblique, I. XIV, p. 399-40(1), et LEriirM, Étude sur Abydos (iil., I. XV, p. 143-144).
1KH L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
le crochet : Isis et Nephthys debout derrière son siège continuaient à veiller
sur lui, la main levée, le sein nu, le corps droit dans leur fourreau de toile.
Quarante-deux jurés, morts et ressuscites comme le maître, et choisis chacun
dans une des villes de l'Egypte qui reconnaissaient son autorité, se tenaient
accroupis à la gauche et à la droite, et attendaient silencieusement qu'on
leur adressât la parole, immobiles sous leur linceul collant. Lame s'avançait
d'abord jusqu'au pied du trône, portant sur ses mains étendues l'image de son
cœur ou de ses yeux, agents ou complices de ses fautes et de ses vertus : il
flairait la terre humblement, puis se redressait, et, les mains placées en
avant du visage, il récitait sa profession de foi1. « Salut à vous, maîtres
de Vérité, salut à toi, dieu grand, maître de Vérité et de Justice! Je suis
venu sous toi, mon maître, je suis amené pour voir tes beautés! Car je te
connais, je connais ton nom, je connais le nom de tes quarante-deux divi-
nité», qui sont avec toi dans la Salle des deux Vérités, vivant des débris des
pêcheurs, se gorgeant de leur sang, en ce jour où l'on rend ses comptes devant
Onnophris, le juste de voix. Ton nom à toi, c'est le dieu dont les deux jumelles
I. Dr»in de Fauclier-Gudin, iTapret NiviiLK, dut Thebanuehe Todtenbuch, I. I. pi. CXXXVI Ar.
i. Ccsl le chapitre CXXV du Livre des Mort* (Mil. Natille, t. I. pt. CXXXI1I-CXXXIX), si fameux
depuis quu Dliampollion le signala à l'attention des savant* et l'interpréta (Explication de la principale
teène peinte det l'apyru» Funéraires Egyptien/, dan» te Bulletin Vnîrerttl de* Sciences et de flndur-
trie. VIII" section, l, IV, p. 3U-.1.'Wi). Une édition spéciale, avec traduction cl commentaire philolo-
gique, en a été publiée pur YV. l'itviK, Etude iur le chapitre itS du Rituel Funéraire, Lejdo, IBïii;.
LA CONFESSION NÉGATIVE.
sont les dames des deux Vérités : or, moi, je vous connais, seigneurs des deux
Vérités, et je vous apporte la Vérité, j'ai détruit pour vous les péchés. —
Je n'ai point commis d'iniquités contre les hommes! Je n'ai point opprimé les
petites gens! Je n'ai pas opéré de détournements dans la nécropole! Je n'ai
jamais imposé du travail à homme libre quelconque, en plus de celui qu'il
faisait pour lui-même! Je n'ai point transgressé, je n'ai point faibli, je n'ai
point défailli, je n'ai point accompli ce qui est abominable aux dieux! Je
n'ai pas fait maltraiter un esclave par son maître! Je n'ai affamé personne.
je n'ai point fait pleurer, je n'ai pas assassiné, je n'ai point fait assassiner
traîtreusement, et je n'ai commis de trahison envers personne! Je n'ai rien
retranché aux provisions des temples! Je n'ai point gâté les pains de propo-
sition des dieux! Je n'ai pas enlevé les gâteaux et le maillot des morts! Je
n'ai point fait œuvre de chair dans l'enceinte sacrée des temples! Je n'ai
pas juré! Je n'ai rien retranché aux redevances sacrées! Je n'ai pas tiré
sur le peson de la balance! Je n'ai pas faussé le fléau de la balance! Je n'ai
pas enlevé le lait de la bouche des nourrissons! Je n'ai point lacé les bes-
tiaux sur leurs herbages! Je n'ai pas pris au fdet les oiseaux des dieux! Je
n'ai pas péché les poissons de leurs étangs! Je n'ai pas repoussé l'eau en sa
saison! Je n'ai pas coupé une rigole sur son passage! Je n'ai pas éteint le
feu en son heure! Je n'ai pas fraudé la Neuvaine des dieux des morceaux
490 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
choisis des victimes ! Je n'ai pas repoussé les bœufs des liens des dieux ! Je
n'ai point repoussé le dieu en sa sortie! — Je suis pur! Je suis pur! Je suis
pur! Je suis pur! Pur comme est pur ce Grand Bonou d'Héracléopolis!... 11
n'y a aucun crime contre moi en cette terre de la Double Vérité! Comme je
connais le nom des dieux qui sont avec toi dans la Salle de la Double Vérité,
sauve-moi d'eux !» Il se tournait ensuite vers les jurés et plaidait sa cause
auprès d'eux. Us étaient appelés chacun à connaître d'un péché particulier,
et le mort les prenait à témoin par leur nom qu'il était innocent du péché
qu'ils enregistraient. Sa requête terminée, il revenait au juge suprême et
répétait, sous une forme parfois très mystique, les idées qu'il lui avait
exposées dans la première partie de son discours. « Salut à vous, dieux qui
êtes dans la Grande Salle de la Double Vérité, qui n'avez point le mensonge
en votre sein, mais qui vivez de Vérité dans Àounou et en nourrissez votre
cœur par-devant le Seigneur dieu qui habite en son disque solaire. Délivrez-
moi du Typhon qui se nourrit d'entrailles, à chefs, en ce jour du jugement
suprême ; — donnez au défunt de venir à vous, lui qui n'a point péché, qui n'a
ni menti, ni fait le mal, qui n'a commis nul crime, qui n'a point rendu de faux
témoignage, qui n'a rien fait contre lui-même, mais qui vit de vérité, se nourrit
de vérité. Il a répandu partout la joie; ce qu'il a fait, les hommes en parlent
et les dieux s'en réjouissent. Il s'est concilié le dieu par son amour; il a donné
du pain à l'affamé, de l'eau à l'altéré, des vêtements au nu; il a donné une
barque au naufragé, il a offert des sacrifices aux dieux, des repas funéraires
aux mânes. Délivrez-le de lui-même, ne parlez point contre lui par-devant le
Seigneur des Morts, car sa bouche est pure, et ses deux mains sont pures ! »
Cependant au centre de la Salle, les assesseurs s'occupaient de peser ses
actions. La balance est fée, comme tous les objets qui appartiennent aux
divinités, et le génie qui l'anime montre parfois sa tête, une tête humaine,
mignonne et fine, au-dessus du pied droit qui forme son corps1. Tout en
elle rappelle une origine surhumaine : un cynocéphale, emblème de Thot,
perche sur le montant et veille au fléau ; les cordes qui soutiennent les pla-
teaux se composent de croix ansées et de tats alternés*. La Vérité s'accroupit
sur l'un des plateaux; Thot, à tête d'Ibis, place le cœur sur l'autre, et toujours
1. L'âme des objets animes de la sorte est mentionnée et représentée assez souvent dans le Livre de
savoir ce qu'il y a dans l'Hadès; elle sort sa tête du corps matériel auquel elle est attachée, quand le
Soleil passe devant elle, puis elle la rentre quand il a disparu, et son corps la résorbe, la mange,
(cf. p. 83, note 4, de cette Histoire), comme dit énergiquement le texte égyptien (Maspf.ro, Eludes de
Mythologie et d'Archéologie Egyptiennes, t. II, p. 104, 105, 106, 144, etc.).
2. Voir la figure de l'amulette appelée Tatou Didou, à la page 130 de cette Histoire (cf. p. 84, note 3).
LA CONFESSION NÉGATIVE. 191
miséricordieux appuie du côté de la Vérité pour faire pencher le jugement.
11 constate que le cœur est léger de fautes, inscrit le résultat de l'opération
sur une tablette en bois et prononce le verdict à haute voix. « Ce que dit
Thot, seigneur des discours divins, greffier de la Grande Ennéade, à son père
Osiris, maître de durée : « Voici le défunt dans cette Salle de la Double Vérité,
et son cœur a été estimé à la balance en présence des grands génies, maîtres
de l'Hadès, et il a été trouvé vrai, on n'a point découvert trace d'impureté
terrestre dans son cœur; maintenant qu'il sort du tribunal juste de voix,
son cœur lui est rendu, ainsi que ses yeux et l'enveloppe matérielle de son
cœur, pour être remis en leur place chacun en son temps, son âme au ciel,
son cœur à l'autre monde, comme c'est l'usage des Suivants d'Horus. Que
désormais son corps soit aux mains d'Ànubis qui préside aux tombeaux;
qu'il ait des offrandes au cimetière en présence d'Onnophris ; qu'il soit comme
un de ces favoris qui marchent derrière toi ; que son âme puisse s'établir en
tout lieu qui lui plait dans la nécropole de sa ville, à lui, dont la voix est
juste par-devant la Grande Ennéade1. j>
Tout n'est pas également beau dans cette Confession négative que les fidèles
d'Osiris enseignaient à leurs morts. Les intérêts matériels du temple y tien-
nent trop de place, et c'y est un crime aussi abominable de tuer une oie
sacrée ou de dérober un gâteau d'offrande que de calomnier un homme ou de
l'assassiner. Mais pour quelques traces de mesquinerie sacerdotale qu'on y
découvre, que de préceptes s'y rencontrent dont nulle préoccupation égoïste
ne ternit la pureté. Toute notre morale s'y montre en germe, avec des raffi-
nements de délicatesse que n'ont pas eus des peuples de civilisation plus
complète et moins éloignés de nous. Le dieu n'y réserve pas sa tendresse
aux heureux et aux puissants de ce monde, mais les faibles en obtiennent
leur part : il veut qu'on les nourrisse, qu'on les habille, qu'on les exempte
des tâches trop lourdes, qu'on ne les pressure point, qu'on leur épargne les
larmes inutiles. Si ce n'est pas encore l'amour du prochain tel que nos
religions le prêchent, c'est du moins la sollicitude ingénieuse qu'un bon
seigneur doit à ses vassaux, et sa pitié s'étend jusqu'aux esclaves : non seu-
lement il entend qu'on ne les maltraite pas soi-même, mais il défend qu'on
les fasse maltraiter par leurs maîtres. Cette profession de foi, l'une des plus
nobles que le vieux monde nous ait léguées, est d'origine fort ancienne. On
en lit les morceaux épars sur les monuments des premières dynasties, et la
I. Maspkro, Catalogue du Musée Égyptien de Marseille \ p. 38.
(92 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
façon dont les rédacteurs d'inscriptions en manient les idées nous prouve
qu'on ne la considérait plus comme nouvelle : c'était dès lors un texte si
bien connu et de si longue date, que les formules en circulaient naturelle-
ment dans toutes les bouches et avaient leur place marquée dans les
épitaphes'. Fut-ce à Mondes qu'on le composa, dans la patrie du dieu, fut-ce
à Héliopolis quand les théologiens de cette ville s'approprièrent le dieu de
Mendès pour l'incorporer à leur Ennéade ? La conception en appartient certai-
nement au sacerdoce d'Osiris, mais il ne dut se répandre en Egypte et y pénétrer
partout qu'au moment où l'Ennéade héliopolitaine fut adoptée communément
dans les cités. Sitôt
jugé, le mort entrait en
possession de ses droits
d'àme pure. Il recevait
là-haut du Maître Uni-
versel ce que les rois
et les princes d'ici-bas
LE LA AGI ET H MOrSSOK DES A1EJ IIAHS LES CB.mPS D U . distribuaient à IcilFS
fidèles, des rations de vivres1, une maison, des jardins, des champs, qu'il
détenait aux conditions ordinaires de la loi égyptienne, l'impôt, le service
militaire, la corvée*. Si les partisans de Sit attaquaient l'île, les doubles
Osiriens accouraient en masse pour les repousser et se battaient bravement.
Chacun d'eux versait aux magasins célestes la dîme des revenus que ses
parents lui expédiaient à jour fixe par la voie des sacrifices, mais ce n'était là
que la moindre partie des charges auxquelles les lois du pays l'assujettis-
saient. Elles ne souffraient pas qu'il s'amollît dans l'oisiveté, mais elles l'obli-
geaient à travailler comme au temps qu'il demeurait encore en Egypte" : il
1. l'ne des formules que l'on rencontre dans le» tombeaui nicm|ihite>> dit, par exemple, que le mort
a été l'ami de non père, le chéri de sa mère, qu'il a été duui pour tuua ceux qui vivaient avec lui,
gracieux a se» frères, aimé de ses serviteurs, el qu'il il a jamais cherché mauvaise querelle à per-
sonne, bref qu'il a dit et fait le bien ici-bas (Lepsiis, Dtnkni . 11. lî r, d; cf. Pleïie, Élude rar le
chapitre iîa du Rituel funéraire, p. It-IÏ; Maskro, Note* tur différent* point» de Grammaire et
d'Hiitoire, §S1, dans tes Mélangei d'Archéologie Égyptienne et Attynenne. I. Il, p. Ïl5-ilfi).
ï. Drttin de Fauclier-Cudin, d'après la vignette du Fapym* funéraire de Xebhaptt à Turin [Lis-
io*e, Dhionario di Mitologia Egisia, pi. V).
3. C'est la formule du tempu des Pyramides : . Ton millier de bœufs, Ion millier d'oies, du rflli et
des viandes bouillies de la boucherie du dieu, du pain, une quantité des biens présentés dans la salle
d'Osiris . (Papi 11. 1. 1348, dans le Recueil de Travaux, t. XIV, p. 1!i0),
t. Sur cette assimilation des morts enrôlés sous un dieu aux vassaux de Pharaon, cf. MiSKfto,
Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptienne*, t. Il, p. 44-*6.
5. Livre de* Mort*, ch. C.\ (édit. faviLLE, t. I. pi. CXXI-CXXHI). La vignette de ce chapitre nou«
montre le mort vaquant à ses diverses occupations, dans l'archipel d'ialou ; on en connaît des
variantes nombreuses, dont les plus curieuses sont peut-être celles du papyrus funéraire de Nebhopil
■ Turin, qui ont clé publiées |mr Lamiom, Dhionarin di Mitologia, pi. V, cl qui sont reproduites en
partie sur la vignette de cette page 19Ï, en parlie à la page 19* de cette llittoire.
LES PRIVILÈGES DES AMES USIKIENNES. 1SJ3
veillait à l'entretien des canaux et des digues, il façonnait la terre, il semait,
il moissonnait, il rentrait le blé pour son seigneur et pour lui-même. Ces
obligations posthumes, suite et continuation du devoir féodal, finirent cepen-
dant par sembler trop lourdes à ceux qui les subissaient, et tes théologiens
s'ingénièrent à en alléger le poids : ils autorisèrent les mânes à s'en
remettre sur leurs serviteurs du soin de vaquer à tous les travaux
manuels qu'ils auraient dû exécuter eux-mêmes. L'n mort, si
pauvre qu'il fût, arrivait rarement seul aux villes éternelles;
il y amenait une suite proportionnée à sa condition et à sa for-
tune de dessus terre. C'étaient d'abord des doubles véritables,
ceux des esclaves ou des vassaux qu'on égorgeait sur la
tombe et qui partaient avec le double du maître pour le servir
au delà comme ils avaient fait en deçà de la tombe1. On rem-
plaça plus tard ce cortège de victimes par des escouades do
statues et d'images auxquelles la magie prêtait une âme intelli-
gente et active. Elles commencèrent par être de grande taille
si bien que les riches seuls ou les nobles pouvaient s'en procurer'
On les diminua peu à peu et on les réduisit à ne plus avoir qu
quelques centimètres de haut. Les unes étaient découpées dar
l'albâtre, le granit, le diorite, le calcaire fin, ou pétries d'une ocumIti*.
argile de choix délicatement modelée; les autres ne présentaient
presque plus l'aspect humain1. On les animait au moyen d'une formule,
qu'on récitait sur elles au moment de la fabrication, puis qu'on traçait
sur leurs jambes, et elles jouissaient toutes des mêmes facultés : quand le
dieu chargé d'appeler les Osiriens à la corvée prononçait le nom du mort à
qui elles appartenaient, elles se levaient et répondaient à sa place, d'où
le terme de Répondants — Ouashbili — par lequel on les désignait5.
Équipées pour les travaux des champs, la houe au poing, le sac à
I. Sur la persistance du sacrifice humain, réel ou simulé, jusque nous In second empire tliébain,
dans des cas exceptionnels, consulter M.ispr.BO, le Tombeau île Montouhikhopshouf, dans lr. Mé-
moire* de la Mûtion française du Caire, t. V, p. Y.it sqq. Cf. p. 168, note t, de celte Histoire.
t. Ce sont les broycuses de grain, les pétrisseurs, les cellériers qu'on trouve parfois dans les
tombes soignées de l' Ancien-Empire (M*srmo, Guide du Visiteur au mutée de /(ou/no, p. ïi.'i, Ï18,
319, ïiO); peut-être même les statues de double doiveol-ellei fiira rangées dans cette catégorie.
a. Dessin de Fauc/ier-liudiu, d'aprtH une statuette en calcaire peint prorenant du tombeau de
Soniioimou à Tbèbei; fin de la XXe dynastie.
i. L'origine et la signification des fiuashbtti ou Répandants ont été indiquées déjà à plusieurs
rcpi'ii.i'!. piir M isvr.no. Guide du Visiteur au musée de boulaq, p. 131-133, et Etudes de ilythol"gie
cl d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 3Sj-3;iti.
S. La formule magique destinée à donner la vie aux Répondants et à leur commander leur tache
dans l'autre monde forme le chapitre VI du Lii-re des Morts (cuit. iS.iïiLLt, I. I, |>1. VIII). Kllc a été
(94 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE,
grain sur l'épaule, elles s'en allaient travailler dans l'endroit qu'on leur
indiquait et fournissaient autant de jours de prestation qu'on en exigeait
d'elles. Elles rachetaient par
là jusqu'à un certain point
les inégalités de condition
que la mort même n'effaçait
pas chez les féaux d'Osiris.
On les vendait si bon marché
que les plus pauvres se trou-
vaient toujours assez riches
pour s'en acheter ou pour
en donner quelques-unes à
leurs parents : le fellah, l'ar-
tisan, l'esclave leur devaient
de ne pas continuer aux îles
bienheureuses leur routine
de labeuret defatigues inces-
LB KOHI ET SA rtïHÏ JOUENT llil BAIES BA.1S LE HllSyUl1. , .
santés. Tandis que les petits
bonshommes de pierre ou d'émail peinaient, piochaient et semaient conscien-
cieusement, leurs maîtres jouissaient en pleine paresse de toutes les félicités
du paradis égyptien. Ils s'asseyaient mollement au bord de l'eau, à l'ombre
toujours verte des grands arbres, et respiraient la brise fraîche du Nord. Us
oiuiitO<! par Cii.ibas, Obtereationt iur le Chapitre VI du Rituel funéraire égyptien, à propoi d'une
ttatuette funéraire du mutée île Langrrs (Extrait ite>s Mémoire! de ta Société historique et archéo-
logique de Langret, I8il3) et nul-tout par V. Louer, les Slatiietlet funéraire! du musée de Boutai/,
dan-' le liecueiliie Traraur, 1. IV. |i. 80-1IT, t. V, p. 70-70.
1. Destin de Faucher-Gudin, d'âpre» une vignette du i'apyrut u' i de Dublin [Savii.le, Dat Algup-
tùche Todteiibuch, I. I. pi. XXVII. Du). Le nom de dame» n'ont u»s tout a fait evact; on trouvera lu
définition uVecjeii dans t'.ii.ktM.ii, Oamet Ancieui and Oriental and hou- toptay them. |>. s-IOI.
*. ÙeuÎH de Fancher-Giidin, à" âpre* le Papy rut deSebhopit, à Turin (I.imii.m;, Di-.ionarîn di ilito-
lorjia Egi-.ia, [il. V). Ce dessin fait jiiirtiir du même laliteau uuu la vignot le do ta jiage 1i»â.
CONFUSION DES IDÉES OS1R1ENNES ET DES IDEES SOLAIRES. 195
péchaient à la ligne au milieu des lotus, ils montaient en barque et se faisaient
tirer à la cordelle par leurs serviteurs, ou parfois ils daignaient prendre eux-
mêmes la pagaie et se promener lentement sur les canaux; ils chassaient
l'oiseau dans les fourrés, ou se retiraient sous leurs kiosques peints pour y
tence. Leur forme morte, momifiée puis ranimée selon le mythe Osirien, se fit
Osiris comme celle des gens du commun. Quelques-uns poussèrent l'assimila-
tion si loin qu'ils absorbèrent le dieu de Mendès ou s'absorbèrent en lui :
Phtah-Sokaris devint à MemphisPhtah-Sokar-Osiris, et Khontamentit à Thinis
Osiris Khontamentit3. Le Soleil s'y prêta d'autant mieux que sa vie ressemble
plus à celle de l'homme, et par suite à la vie d'Osiris qui se modèle sur
1. Le» eierctcesdu corps, la chasse, la pèche, les promenade» en barque, sonl représenta» don* les
lombeaui thébains ; 1b jeu dp dames e-.t nienlionne dans le titre du chapitre XVII du Livre dei Mortt
(édil. PUville, t. I, pi. XXIII, I. t), et lo kiosque de» femmes est ligure au tombeau do Itakhmirl (Virei,
le Tombeau de Hekhmara, dans lus Mrmoirei de la million du Caire, t. V, pi. XXV). La lecture des
ron tes est prouvée pur la présence dans les tombeau* A'oslrai-a brisés, |iortant de long» fragment*
d'ii'iivre» littéraires : on le» mellail en pièces pour les tuer et pour envoyer leur double diin» l'antre
monde au double du mort (MAsrr.Ro, le* Première» Ligne» de» Vémoircê de Sitiouhit, p. i-S).
t. Dettin de Boudier, d'aprèi une photographie d'Emile Hmgirh-lleg. L'original provient des fouilles
de M. de Morgan a Melr et se trouve à Giiéh : le mortes! assis dans la cabine, enveloppé du manteau. Ce
bateau est le seul à ma connaissance qui ail conservé sa voilure antique (XI" ou Xl!° dynastie),
.1. H.MFMO, Kludtt dr Mythologie et d'Archéologie Egyptienne», t. II, p. îl-îl.
L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
celle de l'homme. Il naît le matin, il vieillit à mesure que le jour décline,
il s'éteint doucement le soir. Du moment qu'il entre au ciel jusqu'à celui
qu'il en sort, il règne là-haut comme il régna ici-bas au début des temps;
dès qu'il a quitté le ciel pour s'enfoncer dans l'Hadès, il n'est plus qu'un
mort semblable aux autres, et qui subit comme eu* l'embaumement d'Osiris.
Les mêmes dangers qui menacent leur âme humaine menacent son àme;
quand elle lésa vaincus, non point
par sa vertu propre, mais par la
puissance des amulettes et des
formules magiques, elle pénètre
aux champs d'ialou et devrait y
séjourner éternellement sous l'au-
torité d'Onnophris. Elle n'en fai-
sait rien pourtant, et l'on voyait
le soleil reparaître à l'Orient, douze
LA B.IBOCC SOLAIRE SU Uftl'UU LE nom VA SOUTE* '.
heures après qu'il s'était plongé
dans les ténèbres de l'Occident. Est-ce chaque fois un astre nouveau, ou bien
le même soleil éclaire-t-il tous les jours? Dans les deux cas le résultat ne
différait point : le dieu sortait de la mort et rentrait dans la vie. Après
avoir identifié la carrière du Soleil à celle de l'homme et Ità à Osiris pour
une première journée et pour une première nuit, il était difficile de ne pas
pousser les choses plus loin et de ne pas l'identifier pour tous les jours et pour
toutes les nuits qui suivraient, c'est-à-dire de ne pas déclarer que l'homme
et Osiris pouvaient, s'ils le voulaient, renaître le matin comme Rà et avec
lui*. Si les Égyptiens avaient éprouvé une douceur réelle à quitter l'ombre
du tombeau pour aller s'enfermer aux prés lumineux d'ialou, de quelle joie
ne devait-elle pas les remplir cette conception qui leur permettait de
substituer le domaine entier du soleil à un petit archipel perdu dans un coin
de l'univers? Ije premier point pour eux était d'obtenir l'accès de la barque
divine, et c'est à quoi pourvurent des pratiques et des prières de toute sorte,
dont le texte, joint à celui qui renfermait déjà les formules osiriennes, assu-
rait à qui les possédait la protection infatigable de Râ'. L'âme qui désirait
s'en servir se rendait, au sortir de l'hypogée, à l'endroit préeis où le dieu
I. Dritin de Fatieher~C,udiu, tVaprï* nue vignette du Pnpynit de Xebijadov. il Paria,
t. M.sriso, Etudes de Mythologie et d'Archéologie Égyptienne», t. II, p. ïl-37.
■1. Le» formule» destinées a faire monter l'ame sur la barque solaire sont principalement le* cha-
pitre» C-CIl (edit. Niïillb, 1. 1, pi. CXIII-CXIV), CXXXIV-CXXXVI (édit. Nuvilui, 1. 1, pi. CXI.V-CXI.IX) du
I.ES MORTS DANS LA BARQUE DU SOLEIL. 107
quittant notre terre s'enfonçait dans l'Hadès. C'était quelque part au voisinage
immédiat d'Abydos, et l'on y parvenait par une gorge étroite percée dans
la chaîne Libyque, par une
Fente dont la Bouche s'ou-
vrait en vue du temple
il'Osiris K h on ta mentit, un
peu au Nord-Ouest de la
ville'. Une petite flottille
de bateaux, chargée de pro-
visions, de mobilier et de
statues, montée par des
bandes d'amis ou de prê-
tres, et qu'on déposait dans
le caveau le jour des funé-
railles, était censée trans-
porterl'âme jusque-là*. Les
" J 1 LA BtRQUÏ SOLAIRE IKWMKI DAMS l» HOMACSE 0 OCCImMT '.
incantations qu'on récitait
sur elle pendant l'une des premières nuits de l'année, aux fêtes anniversaires
des morts, la mettaient en branle*. L'insecte ou l'oiseau qui jadis servait de
guide à l'âme voyageuse, se plaçait au gouvernail pour lui montrer la voie
droite"; elle partait pour Abydos sous ses ordres, pénétrait mystérieusement
par la Fente dans la mer Occidentale inaccessible aux vivants*, et attendait
Litre de* Horlt. Toutefois le! mélange des conceptions solaires avec les osîrienncfi est déjà complet
dans cet ouvrage, et beaucoup des chapitres destinés à d'autres usages contiennent des allu'um-;
nombreuses il t'embarquera»! des âmes à bord du bateau de Hà.
1. Pour la Bouehe de la Feule et la façon dont les morts y arrivaient, on peut consulter JHaspero,
Éluda de Mythologie et d'Archéologie, t. I. p. t 1, etc.. et Etude* Egyptiennes, t. I. p. lîl sq<|.
t. Beaucoup de ces bateaux sont conservés dans les musées, et nous en possédons plusieurs au
Louvre (Salle Civile, armoire K). I.e* seules flottilles dont on connaisse l'origine sont celle du musée
de Berlin, qui vient de Thèbes (Passalacoia, Catalogne, p. lïfi-iifl, reproduite dans Prisse n'Aiu«i.
Histoire de l'Art Égyptien) et celles du musée de Giïéh, qui ont été trouvées, l'une à Saqqarah
{Haspero. Quatre Annie* de fouille*, dans les Mémoire* de la Mi'tion du Caire, t. I, p. ÎOT et plan-
che), l'autre a Mélr, au nord de Siout : elles appartiennent à ta XI' et à la XII* dynastie.
3. Drain de Faiicher-Cudin, d'apte* une photographie tre* petite, publiée dan* le Catalogue de In
Vente Minulali {V.atalng der Saminluiigen voit Miieterirerken lier Industrie nnd Knn*t xusanimenge-
brachl durrh lin. Freiherrn, Dr Marauder van Hinutoli, kêln, IR7r,).
i. Ces formules sont tracées sur les murs d'un tombeau de la XVIII- dvnastie, celui de JloHrhol-
pou. a Thèbes; elles ont été publiées par nrmr.HEs, Kalandarisrhe Inschriften. pi. XXXV. I. 81-60 (cf.
Die Flotte ainer .■Fgyptiichen Kiinigin, pi. XXXI, p. 31-fiit) et par Besèmti, le Tooibeau de Néfcrhot-
pou, dans les Mémoire* de la Mi**ion du Caire, I. V, p. nifi sqq. et planche.
5. ■ Tu remontes comme la sauterelle d'Abydns, à qui il est fait place dans la oarqne d'Osiris et
qui accompagne le dieu jusqu'au territoire de la Fente • (Sbaupe, F.gyplian Inscription*. 1- série,
pi. iO.Ï, t. 43-44: K. A. W. Bihof:, Kote* on Egyplian Ste/x, prittripally oftke XVIIIth Dynatly, dans
les Trauta ction* de la Société d'Archéologie Biblique, t. VIII, p. 347 ; I.eféh«e, Etude sur Abydos,
dans les Proceeding* de in même Société, 1. XV, p. I3G-I37). Le pilote dea barques divines est d'or-
dinaire un homme a tète d'épervier, un Ilorus, probablement eu souvenir de cet oiseau pilote.
6. HsWI.O, fondre Egyptiennes, t. I, p. IÎ3-1.1D.
198 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
la venue quotidienne du Soleil mourant. Dés que la barque du dieu paraissait
au dernier coude du Nil céleste, lès cynocéphales qui gardaient les approches
de la nuit se mettaient à danser et à gesticuler sur les berges, en entonnant
' ' ' 'eux d'Abydos mêlaient leurs
babouins sacrés : la barque
ttières du jour et les âmes
se faire reconnaître et rece-
ls, elles prenaient part à la
ntre les dieux ennemis, mais
urage ou l'équipement néces-
! et aux terreurs du voyage,
dans quelqu'une des régions
e de Khontamentit, celui de
.iris les accueillait comme si
bac ou sur l'aile de Thot :
es, sous la suzeraineté des
îant de rien, mais condamnées
s brève exceptée où la barque
solaire passait au milieu
d'eux et les éclairait de
rayons1. Le moins grand
nombre persévéraient et
se sentaient l'audace d'ac-
compagner l'astre jus-
qu'au bout : elles étaient
dédommagées de leurs pei-
nes par le sort le plus
brillant qu'âme égyptienne
pût rêver. Renaissant avec le Soleil et se manifestant avec lui aux portes de
l'Orient, elles s'assimilaient à lui et partageaient ses privilèges de ne vieillir
et de ne s'éteindre que pour rajeunir sans cesse et pour se raviver d'un éclat
1. I.c tableau de l'embarquement i't du vova^e rie l'Ame est e. uni posé avec les indications fournie*
par l'une des vignettes du chapitre XVI duLirre det Mort» (édit. \iï]lle, t. 1, [il. XXII) et avec le
teite d'une formule fréquente à partir de la XI" et de la XII- dynastie (Masckbo, Études de Mythologie
et «"Archéologie Égyptienne: I. I, p 14-18, et Études Égyptienne», t. I, p. t«-lî3).
*, M.isrïM, Études de Mythologie et </' ArckMugie Égyptienne*, t. II. p. 4-1-15.
a. [festin de Faurher-tiu'lin, d'après D1.vr.Ri\, /e Papyrus de Ïieti-Qed, pi. 1 (cf. Chaius, fiotire sui-
te Pire-cnthroit, dans les Mémoires du Congres des Orientalistes de Paris, t. Il, p. Ii-50, pi. LVIII,
et Yiviu.k, Da> Mgyptinhe Tadteuburk, t. I. pi. IV, Pej. I.n scène où l'ante contemple le masque
LA SORTIE DES AMES PENDANT LE JOUR. 193
toujours nouveau. Elles débarquaient où il leur plaisait et revenaient à leur
gré dans notre monde1. Si parfois l'envie les possédait de revoir ce qui subsis-
tait de leur corps terrestre, l'épervier à tète humaine descendait à plein vol
le long du puits, s'abattait sur le lit, et, les mains posées doucement à l'en-
droit où le cœur avait battu jadis, levait les yeux vers le masque immobile
de sa momie. Ce n'était que pour un instant, car rien n'obligeait ces âmes
parfaites à s'enfermer dans la tombe comme les doubles d'autrefois, par
crainte de la lumière. Elles sortaient pendant le jour* et habitaient les lieux où
elles avaient vécu, elles se promenaient dans leur jardin au bord de leur bassin
d'eau courante, elles se perchaient comme autant d'oiseaux sur les branches
des arbres qu'elles avaient plantés, ou prenaient le frais à l'ombre de leurs syco-
mores, elles mangeaient et buvaient à leur plaisir, elles voyageaient par monts
et par vaux, elles remontaient sur la barque de Rà et en redescendaient, sans
fatigue et sans dégoût de ce recommencer perpétuel*. Cette conception, qui se
de la momie est reprend niée souvent sur les exemplaires théhnins du Litre de* Morts (édit. Niville,
I. 1, pi. Cl, eh. imu); elle est le mieux rendue dans le pelit monument du serine llil (.Uispefw, Guide
du Visiteur au Mutée de Boulai/, p. 130-131, n* liiil) i|ui est reproduit sur celle page.
I. MisfEBO, Etudes de Mythologie et d'Archéologie Egyptiennes, t. Il, p. il-ïî.
i. Dessin de Faucker-Gudin, d'après une photographie d'Emile Hrugsch-ISey, reproduisant le cer-
cueil en miniature du teribe ISâ (Mast-mio, Guide du Visiteur, p. 130-131, n1 1(121).
3. C'est le titre Pirou-m-krou, de la première section du Lirre des Morts et de plusieurs chapitres
dans les autres sections (SIispeuo, Éludes de Mythologie et iC Archéologie Égyptienne*, t. I, p. 332-
333|. (In l'a traduit, sortir du jour, se manifester nu jour, sortir comme le jour; l;i traduction réelle
lortir pendant le jour a été indiquée par Keinisch {Die .Egyptischen Dcnkmiilcr in Miramar, n, 11]
et démontrée par Lcfébure (le l'er-m-hrau. Etude sur la vie future che: les Egyptien*, dans Cninis,
Mélanges Egyptologiguet, if série, t. II. p. ÎIB-ÏH; cf. K. vos Uew:*a*\ bat tlucli ram Durchwandeln
iler Eaigkeit, p. 8, 31).
1. Celte peinture de la vie de l'àme qui tort pendant le jour est empruntée à la formule fréquente
sur les stèles des XVIII -\\- dynasties, dont l'exemplaire le plus connu est notre slcle t: Sii du Louvre
200 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
développa assez tard, ramenait les Égyptiens au point d'où ils étaient partis
quand ils s'étaient engagés dans leurs spéculations sur l'autre vie : l'àme, après
avoir quitté le lieu de son incarnation auquel elle s'était attachée tout d'abord,
après s'être élevée au ciel et y avoir cherché vainement un abri qui lui convint,
abandonnait les refuges qu'elle avait rencontrés là-haut et se rabattait réso-
lument sur notre terre. Du moins n'y retombait-elle que pour y mener au
grand jour une vie paisible, heureuse, libre, avec la vallée entière pour paradis.
L'alliance toujours plus intime d'Osiris et de Rà mêla graduellement
des mythes et des dogmes qui avaient été entièrement séparés au début.
Les amis et les ennemis de chacun d'eux devinrent les amis et les ennemis de
l'autre, et perdirent leur originalité native pour former des personnes mixtes
où les éléments les plus contradictoires se combinaient, souvent sans réussir
à se fondre. Les Horus célestes rejoignirent à tour de rôle Horus, fils d'Isis,
et lui apportèrent leurs attributs comme ils lui empruntèrent les siens. Apôpi
et les monstres qui guettaient Rà dans ses croisières sur l'Océan d'en haut,
l'hippopotame, le crocodile, le porc sauvage, ne firent plus qu'un avec Sit et
avec ses complices. Sit possédait encore sa moitié de l'Egypte, et son anti-
que fraternité avec l'Horus du ciel ne s'était pas rompue, soit qu'ils n'eussent
tous les deux qu'un même temple comme à Noubit, soit qu'ils fussent adorés
solidairement dans deux nomes contigus, à Oxyrrhynchos, par exemple, et
dans Héracléopolis-la-Grande. La répulsion qui s'attacha au meurtrier d'Osiris
ne dissocia point partout les deux cultes : certaines cités s'obstinèrent à les
pratiquer côte à côte jusqu'aux derniers temps du paganisme. C'était, après
tout, se montrer fidèles aux plus vieilles traditions de la race, mais le gros
des Égyptiens, qui ne les connaissait plus, imagina des raisons tirées de
l'histoire des dynasties divines pour expliquer le fait. La sentence de Thot
ou de Sibou n'avait pas mis fin aux entreprises de Sit : elles avaient recom-
mencé dès qu'Horus avait quitté la terre et s'étaient poursuivies, avec des for-
tunes diverses, sous les rois-dieux de la seconde Ennéade1. Or, en l'an ccclxiii
(Pierrkt, Recueil d'inscriptions inédites, t. Il, p. 90-93; cf. E. A. W. Bcuge, Noies on Egyptian Stclie.
principally of thc XVIIlth Dynasly, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique,
t. VIII, p. 306-312).
1. La guerre d'Ilarmakhis et de Sit est racontée et illustrée tout au long sur les parois du sanc-
tuaire dans le temple d'Edfou. Les inscriptions et les tableaux qui s'y rapportent ont été copiés,
publiés et interprétés pour la première fois par E. Navillk, Textes relatifs au Mythe d' Horus recueil-
lis dans le temple d'Edfou, y\. XII-XXXI, et p. 1(3-25; Brugsch en donna peu après, dans son mémoire
sur Die Sage von der geflûgellen Son ne use ha bc nach altagyplwchen Quellen {Aus den XIV Bande der
Abhandlungcn der K. Ges. der Wissetischaflen zu Gotlingen, 1870), une traduction allemande et un
commentaire dont il a rectifié beaucoup de points dans divers articles de son Dictionnaire Géogra-
phique. L'interprétation du texte adoptée ici a été proposée par Masi-kro, Études de Mythologie et
d Archéologie Egyptiennes, t. Il, p. 321 sqq.
LES CAMPAGNES U'HARMAKHIS CONTRE SlT. 201
d'Harmakhis, les Typhoniens reprirent la campagne. Vaincus une première
fois auprès d'Edfou, ils se retirèrent précipitamment vers le Nord, s'arrètant
pour offrir bataille dans toutes les localités où leurs partisans prédominaient,
à Zatmit dans le nome Thébain1, à Khaît-noutrit au Nord-Kst deDendérah', à
liibonou, dans la princi-
pauté de la Gazelle3. Plu-
sieurs combats sanglants
livrés entre Oxyrrhynchos
et la Grande-Héracléopolis
les rejetèrent définitivement
hors delà vallée : ils se ral-
lièrent une dernière fois
dans les cantons orientaux
du Delta, furent battus à
Zalou', et, renonçant à ten-
ter la chance des armes sur
terre, s'embarquèrent au
fond du golfe de Suez pour
revenir aux déserts de Nu-
bie, leur refuge habituel
dans les mauvais jours. La mer était l'élément typhonien par excellence,
et ils pouvaient s'y croire en sûreté : Horus les y suivit pourtant, les rejoi-
gnit près de Shas-hirtV, les dispersa, et, de retour à Edfou, célébra sa
victoire par des fêtes solennelles. A mesure qu'il s'était emparé des loca-
lités où Sît régnait en maître, il avait pris des mesures énergiques pour
y établir l'autorité d'Osiris et du cycle solaire. Il y avait bâti partout un
i. Zalnitt (Barr.scn, Okl. Géographique, p. 1011(1) parait «voir été située à quelque distance lie
Itavadtych, à l'endroit où la carte de la Commission d'Egypte marque les ruines d'un village moderne.
Il y avait là une nécropole assez considérable ; les marchands de Lou*or s'y approvisionnent d'objets
intiques, dont beaucoup remontent au premier empire thébain.
î. Khalt ou Khalti-noutrlt {Bmt.sch, Dicl. Géographique, p. tm-f-i) me parait être représentée
aujourd'hui par l'un des bonrga <]ui forment !a commune de llendérah, celui de Soutah : Kbalt ou sérail
tombé ou se serait con fondu avec le terme ad m inistralif nnkhiét, qui s'applique encore à l'une des parties
du village, Hakhirt-finutah (Masfeko, Étude- de Mylhnlngie et d'Arrliéo/ogie Egyptienne-, t. Il, p. 3*G],
3. liibonou (B»i«sai, Dicl. Géographique, p. 490-491, Ità-i) est aujourd'hui 'linii-h (XtsPKRO, Sota
au joarte jour, jjj 14, ibns les Viorteilingt île Li Société d'AirhéiilucJc Biblique, t. XIII, |i. 5uG-!>U").
4. Zalou, Zarou (Dwr.scH, Dictionnaire Géographique, p. H!'Ï-!IU") est la Selle des géographes clas-
sique»; cf. la Carie des nomes du Delta a la page 75 de celte Hutoirr,
5. Dettiii de Faucher-Gudin d'apré* te releré du tombeau d'Anni par touinr, membre de la mit-
espèces d'arbres qui composaient le jardin d'.Vimi pendant sa vie.
li. Shas-hirlt est le nom égyptien dune des villes de Bérénice que les l'tolémees construisirent sur
In merllouge (UmtscH, Dictionnaii-e Géographique, p. 'iiï-TSM, 1 33S-J 33fi, et Zeiltchrifl, 1HB4, p. mil.
202 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
temple de lui-même à côté du sanctuaire des divinités typhoniennes, et il
s'y était intronisé dans celle de ses formes qu'il avait dû revêtir pour
triompher de ses ennemis. Métamorphosé en épervier au combat d'Hibonou, il
s'était abattu sur l'échiné de Sît, déguisé en hippopotame : on le figurait,
dans sa chapelle d'Hibonou, comme un épervier posé sur le dos (l'une gazelle,
emblème du nome où le choc avait eu lieu1. Il s'était incarné près de Zalou
dans un lion à tête humaine, couronné du triple diadème et dont les pattes
étaient armées de griffes tranchantes comme des couteaux : c'était en la
figure d'un lion qu'on l'adorait au temple de Zalou1. La solidarité de Sît et
de l'Horus céleste n'était donc pas un fait de religion primitive pour ces
Égyptiens des époques récentes; c'était la conséquence et, pour ainsi dire,
la sanction des hostilités anciennes entre les deux dieux. Horus avait agi
envers son ennemi à la façon dont un Pharaon victorieux traitait les barbares
soumis par ses armes : il s'était construit un château pour le tenir en échec,
et ses prêtres formaient comme une garnison qui prévenait les révoltes du
sacerdoce rival et de ses fidèles3. Les luttes des dieux se changèrent de la
sorte en luttes humaines dont les épisodes ensanglantèrent l'Egypte plus d'une
fois. Les haines se perpétuaient si fortes d'Osiriens à Typhoniens, que les
nomes où la religion de Sît avait persisté devinrent odieux au reste de la popu-
lation : on grattait l'image de leur maître sur les monuments4, on effaçait
leur nom des listes géographiques, on leur prodiguait les épithètes injurieuses,
on poursuivait et l'on tuait leurs animaux sacrés pour faire œuvre pie. De là des
rixes qui dégénéraient en véritables guerres civjles jusque sous les Romains*.
1. Naville, Textes relatifs au Mythe a" Horus recueillis dans le temple d'Edfou, pi. XIV, 1. 11-13:
cf. Brlgsch, Die Sage von der geflûgelten Sonnenscheibe, p. 17-18.
2. Naville, Textes relatifs au Mythe d'Horus recueillis dens le temple d'Edfou, pi. XVIII, I. 1-3;
Diugsch, Die Sage von der geflûgelten Sonnenscheibe, p. 3-1-30,
3. Ces établissements, ces Marches a" Horus sur territoire typhonien, sont ce que les textes d'Edfou
(Navillk, Textes relatifs au Mythe d'Horus, pi. XVU, I. 10 sqq.) appellent des Masnit. Les soldats-
prêtres d'Horus se nommaient, d'après une tradition ancienne, les masntliou, les forgerons (Maspeko,
Études de Religion et a" Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 313 sqq.); la masnit est au début l'endroit
où ces forgerons travaillaient, la forge, par suite le sanctuaire de leur raattre à Edfou, et par exten-
sion le sanctuaire de l'Horus Céleste dans toutes les villes d'Egypte où ce dieu possédait un culte
analogue à celui d'Edfou. Brugsch a montré que ces Masnit, ces forges divines, étaient au nombre
de quatre en Egypte (Dictionnaire Géographique, p. 298-306, 371-378, 1211-1212).
A. Séti Ier, dans sa tombe, remplaçait partout l'hiéroglyphe <J du dieu Stt qui forme son nom par
celui d'Osiris J : c'était, comme Champollion le remarquait déjà, pour ne pas blesser le dieu des
morts par la vue de son ennemi, surtout peut-être par la contradiction qu'il y avait à qualifier
d'Osiris un roi qui portait le nom de Slt, et à dire YOsiris Séti. Le martelage du nom de Stt sur les
monuments ne me parait pas être antérieur à l'époque persane : c'est le moment où, les maîtres du
pays étant étrangers et de religions différentes, les divinités féodales cessèrent d'aspirer à la supré-
matie politique, et l'Egypte n'eut plus de religion commune que celle du dieu des Morts, Osiris.
5. Cf. la bataille que Juvénal décrit dans sa XV» satire, entre les gens de Pendérah et ceux d'une
ville d'Ombi, qui n'est pas l'Ombos située entre Assouan et le Gcbel-Silsiléh, mais Pa-noubft. la
Pampanis des géographes romains, aujourd'hui Négadéh (Dl'michkn, Geschichle .Egyptcns, p. 125-126).
m L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
Les Typhoniens ne s'en confirmèrent que davantage dans leur vénération pour
le dieu maudit : le christianisme seul triompha de leur opiniâtre fidélité1.
L'histoire du monde était donc pour l'Egypte l'histoire de la lutte engagée
entre les féaux d'Osiris et les complices de Sît; lutte interminable où tantôt
l'un, tantôt l'autre des partis rivaux, obtenait quelques avantages momen-
tanés, sans jamais remporter la victoire définitive jusqu'à la consommation des
âges. Les rois-dieux de la seconde et de la troisième Ennéade y consacrèrent
la plupart des années de leur règne terrestre : on les modelait à l'image des
grands Pharaons batailleurs qui, du xvmp au xne siècle avant notre ère, éten-
dirent leur domination depuis les plaines de l'Euphrate jusqu'aux marais de
l'Ethiopie. Quelques souverains pacifiques se rencontraient ça et là dans cette
lignée de conquérants, des savants et des législateurs, dont le plus illustre
s'appelait Thot deux fois grand, le maître d'Hermopolis et de l'Ennéade her-
mopolitaine. Une légende d'origine récente faisait de lui le premier ministre
d'Horus, fils d'Isis* : une tradition, plus ancienne encore, voulait qu'il eût été
le second roi de la seconde dynastie, le successeur immédiat d'Horus-les-
Dieux, et lui attribuait 3226 ans de règne8. Il avait porté sur le trône cet
esprit ingénieux et cette puissance de création qui l'avaient signalé dès le
temps où il n'était que simple dieu féodal. L'astronomie, la divination, la
magie, la médecine, l'écriture, le dessin, toutes les sciences et tous les arts
émanaient de lui comme de leur premier maitre*. 11 avait enseigné aux hommes
la façon d'explorer le ciel avec méthode et d'observer ce qui s'y passait,
les lentes révolutions du Soleil, les phases rapides de la lune, les mouvements
entre-croisés des cinq planètes, la figure et les limites des constellations qui
s'allumaient chaque soir dans les hauteurs du monde. La plupart d'entre elles
1. L'épisode des guerres d'Horus et de Stt a été dessiné par Faucher-Gudin, d'après un bas-relief
du temple d'Edfou (Naville, Textes relatifs au Mythe d'Horus, pi. XV). A droite, Har-Uouditi, debout
sur la barque solaire, perce de sa lance la tète d'un crocodile, partisan de Slt, plongé dans le
fleuve; Harmàkhis, debout derrière lui, assiste à l'exécution. Kn face de ce couple divin, Horus le
ieune tue un homme, autre partisan de Sit, dont lsis et Harhoudtti tiennent les chaînes : derrière
lui, lsis et Thot amènent quatre autres captifs liés et prêts pour le sacrifice devant Harmàkhis.
2. C'est le rôle qu'il joue dans les textes d'Edfou publiés par Naville, et qui est confirmé par divers
passages où il est nommé le ZaUi, le comte d'Horus (cf. Bkrghann, Hieroglyphischc Insckrifieti,
pi. LXXX1, l. 73-7-4); dans une autre tradition, que les Grecs ont connue, il est le ministre, le comte
d'Osiris (cf. p. 174, et DCmichkn, Hislorische Inschriftcn, t. H, pi. XXV), ou, selon Platon, de Thamous
(Phèdre, édit. Didot, t. I, p. 733), selon Elien (Varia Historia, XII, 4; XIV, 34), de Sésostris.
3. Papyrus Royal de Turin dans Lkpsus, Auswahl der wichtigsten Urkunden, pi. III, col. u, 11, 1. 3.
Le roi Thot mentionné sur le coffret d'une reine de la XI* dynastie, aujourd'hui conservé au Musée de
Berlin (n° 1175), ne serait pas, d'après M. Erman (Historiscttc Nachlese dans la Zeitschrift, t. XXX.
p. 46-47), le dieu Thot, roi des dynasties divines, mais un prince des dynasties thébaines ou Héracléo-
politaines (cf. Piktschman.n, Hermès Trismegistos, p. 26, En. Meykr, Gesckichte des AlterthumsA. I, p. 65).
4. Les témoignages des auteurs grecs et romains à ce sujet se trouvent dans Jabloxski, Panthéon
&gyptiorum, t. III, p. 150 sqq., et dans Piktschmann, Hernies Triitnegistos naeh jEgyptischen, Grie-
chischen und Oriental ischen Ueberlieferungen, p. 28 sqq. Thot est l'Hermès Trismégiste des Grecs.
L'ASTRONOMIE, LES TABLES STELLAIRES.
205
ou demeuraient immobiles ou semblaient le demeurer et ne jamais sortir des
espaces accessibles au regard humain ; celles qui se tenaient rangées au bord
extrême du firmament y accomplissaient des évolutions analogues à celles des
. . planètes. Chaque année, à
. 7C
Jr
ZLf?3(^î*L0!*g&
'«Hf-r-Ui
F^é°s^
■Lfrsat&wasgi
■«ffïM
£*TSETL*né2î
lorf^Ayqnag
époques fixes, on les voyait
s'abaisser derrière l'horizon,
Tune à la suite de l'autre,
disparaître, remonter après
une éclipse plus ou moins
longue, et regagner insensi-
blement leur place primitive.
On en comptait trente-six,
les trente-six décans aux-
quels on attribuait des pou-
voirs mystérieux et dont So-
this était la reine, Sothis transformée en étoile d'Isis
lorsque Orion-Sâhou était devenu l'astre d'Osiris1,
Les nuits sont si claires et l'atmosphère est si limpide
au pays d'Egypte, que le regard s'y enfonce à des
profondeurs surprenantes et y perçoit nettement des
points de lumière qui lui échappent dans nos cli-
mats brumeux. Les Égyptiens n'ont donc pas eu
besoin d'instruments particuliers pour constater
l'existence d'un assez grand nombre d'astres qui
nous seraient invisibles sans le secours de nos télescopes ; ils ont pu voir à
l'œil nu les étoiles de la quatrième grandeur et les noter sur leurs catalo-
gues3. Il leur fallait, à vrai dire, une longue préparation et une pratique
ininterrompue pour affiner leur vue à toute l'acuité dont elle était capable;
les collèges sacerdotaux se chargèrent fort tôt d'élever et d'entretenir des
écoles d'astronomes. 11 semble que les sanctuaires du Soleil aient possédé
1. Sur Orion et Sothis, voir p. 96-98 de cette Histoire. Les Décans, signalés par Champollion, ont
été déterminés par Lkpsii s (Einleitung zur Chronologie der Alten ,-Egypler, p. 68-69) avec des erreurs
que Goodwin (Sur un horoscope grec contenant les noms de plusieurs Décans, dans Chabas, Mélanges
Egyptologiquts, 2* série, p. 29-4-306) et Brugsch (Tltesaurus Inscriptionum JEgyptiacarum, p. 131
sqq. ; cf. Die JEgyplologie ', p. 339 sqq.) ont redressées au moyen de documents nouveaux.
2. Dessin de Faucher-Gudin, d'ajn'ès la copie de LKPsnrs, Dcnkm., III, 4i7, 3.
3. Biot (Sur un calendrier astronomique et astrologique trouvé à Thèbes en Egypte, p. 15) affirme
du moins que les étoiles de 3M* grandeur « sont les plus petites que l'on puisse observer à la vue
simple ». Il me semble avoir constaté que plusieurs des fellahs et des Bédouins attachés au service
des Antiquités percevaient des étoiles qu'on classe ordinairement parmi celles de la 5e grandeur.
vue des tables astronomiqit.s
du tombeau dr ramsès iv *.
206 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
les premiers observatoires qu'on établit sur les rives du Nil; les grands pon-
tifes de Râ, seuls dignes, à en croire leur titre, de contempler l'astre face
à face, s'occupèrent activement, dès les temps les plus anciens, à étudier la
figure du ciel et à en dresser la carte1. Les prêtres des autres dieux suivirent
promptement leur exemple : à l'époque historique, il n'y avait pas, d'un bout
à l'autre de la vallée, temple qui ne possédât son personnel d'astronomes ou,
comme on disait, ses veilleurs de nuit*. Ils montaient le soir sur les terrasses
hautes qui recouvrent le naos ou sur la plate-forme étroite qui termine les
pylônes, et, sondant sans cesse du regard l'abîme suspendu au-dessus d'eux,
ils y suivaient la marche des constellations et enregistraient avec soin les
moindres phénomènes qui s'y produisaient. Une partie de la carte du ciel
est parvenue jusqu'à nous, telle que l'Egypte thébaine la connaissait entre le
xviuc et le xne siècle avant notre ère : les décorateurs en ont gravé des extraits
au plafond des temples et surtout dans les tombes royales3. Les Pharaons
morts s'identifiaient à Osiris d'une façon plus intime que leurs sujets. Ils pre-
naient le rôle du dieu jusque dans ses moindres détails, sur terre, où, après
avoir représenté l'Onnophris bienfaisant des âges primitifs, ils subissaient
l'embaumement le plus minutieux et le plus complet de l'Osiris infernal;
dans l'Hadès, où ils s'embarquaient aux côtés de l'Osiris-Soleil pour tra-
verser la nuit et pour renaître vers le matin; au ciel, où ils brillaient avec
Orion-Sâhou sous la garde de Sothis, et menaient, d'année en année, la pro-
cession des étoiles. Les cartes du firmament leur rappelaient cette partie
1. Je rappelle que les grands pontifes de Râ s'appelaient Oirou-maouou, « le Grand des vues », le
chef de ceux qui voient le Soleil, le seul qui l'aperçoive face à face. Un d'eux s'intitule sur sa
statue (Maspero, Rapport sur une mission en Italie, dans le Recueil de Travaux, t. III, p. 126, § xi ; cf.
Brugsch, Die JEgyptologie, p. 320) : « le lecteur qui commit la figure du ciel, le Grand des vues dans
le Château du Prince (cf. p. 136, 160 de cette Histoire) d'Hermonthis ». Hermonlhis, l'Aounou du
Sud, était la contrepartie exacte d'Héliopolis, l'Aounou du Nord : elle possédait donc son Château
du Prince où Montou, le Soleil méridional, avait résidé jadis pendant son séjour sur notre terre.
2. Ourshou ! le mot s'applique aussi bien aux soldats qui veillent le jour sur les murs d'une for-
teresse (Maspero, le Papyrus de Berlin n° 1, 1. 18-19, dans les Mélanges d'Archéologie Égyptienne et
Assyrienne, t. III, p. 72). M. Birch avait cru retrouver au British Muséum (Inscriptions in the Hieratic
and Démolie Characters, pi. XIX, n° 5635 et p. 8) un catalogue d'observations faites à Thèbes par
divers astronomes sur une constellation qui équivaudrait aux Hyades ou aux Pléiades (Birch, Varia,
dans la Zeitschrift, 1868, p. 11-12) : il s'agit simplement dans ce texte des quantités d'eau servies
régulièrement aux astronomes d'un temple thébain pour leurs usages domestiques.
3. Les principales représentations de la carte du ciel connues jusqu'à présent sont celles du
Ramesséum sur la rive gauche du Nil à Thèbes, qui ont été étudiées par Biot (Sur tannée vague des
Égyptiens, 1831. 118 sqq.), par G. Toralinson (On the Astronomical Ceiling of the Memnonium at
Thèbes, dans les Transactions of the /?. Soc. of Lilerature, t. III, pi. II, p. 484-499), par Lepsius
(Einleitung sur Chronologie, p. 20-2!) et en dernier lieu par Brugsch (Thésaurus Inscript ionum
Aïgypliacarum, p. 87 sqq.); celles de Dendérah, qui ont été reproduites dans la Description de
l'Egypte (Ant., t. IV, pi. 20-21) et éclaircies par Brugsch (Thésaurus Inscriplionum Aïgyptiacarum .
p. 1 sqq.): celles de la tombe de Séti l*r, qui ont été éditées par Belzoni (A Narrative of the Opéra-
tions, Suppl., III), par Rosellini (Monumenti del Culto, pi. 69), par Lepsius (Denkmâler, III, 137),
par Lefébure (le Tombeau de Séti I", IV» partie, pi. XXXVI. dans les Mémoires de la Mission Fran-
çaise du Caire, t. II), puis étudiées en dernier lieu par Brugsch dans son Thésaurus, p. 64 sqq.
L'ANNÉE ET SES DIVISIONS. 207
de leurs devoirs et la leur enseignaient au besoin : ils y voyaient les planètes
et les décans défiler sur leurs bateaux, les" constellations se succéder en
longues théories. Des listes annexées leur disaient la position que les princi-
paux astérismes occupent au ciel pour chaque mois, les levers, les culmina-
tions, les couchers1. Par malheur, les ouvriers chargés d'exécuter ces tableaux
ou ne comprenaient pas grand'chose à ce qu'ils faisaient, ou ne se sont pas
appliqués à reproduire exactement les originaux : ils ont omis plusieurs pas-
sages, transposé certains autres, et semé partout des erreurs qui nous empê-
chent de reporter sûrement les données anciennes sur les cartes modernes
du firmament.
En dirigeant les yeux des hommes vers le champ des étoiles, Thot leur avait
révélé du même coup l'art de mesurer le temps et la prescience de l'avenir.
Comme il était le dieu-Lune par excellence, il veillait avec un soin jaloux sur
l'Œil divin qu'Horus lui avait confié, et les trente jours qu'il employait à le
conduire1 par toutes les phases de sa vie nocturne comptaient pour un mois.
Douze de ces mois formaient l'année, une année de trois cent soixante jours
pendant laquelle la terre voyait s'ouvrir et se fermer progressivement le
cercle des saisons. Le Nil montait, se répandait sur les champs, rentrait dans
son lit; les travaux de la culture succédaient aux péripéties de l'inondation,
les temps de la récolte à ceux des semailles : c'étaient dans l'année trois
moments distincts, de durée presque égale. Thot en fit les trois saisons, celle
des eaux Shaît, celle de la végétation Pirouît, celle de la moisson Shômou,
dont chacune comprenait quatre mois numérotés de un à quatre, 1er, 2e, 3%
4e mois de Shaît, 1er, 2e, 3% 4e mois de Pirouît, 1er, 2e, 3e, 4e mois de Shômou.
Les douze mois épuisés, une année nouvelle commençait, dont le lever de
Sothis marquait la naissance, vers les premiers jours d'Août8. Le mois
initial de l'année égyptienne coïncidait donc avec le huitième de la nôtre.
1. Ces tables, conservées aux tombeaux de Ramsès IV et de Ha m ses IX, ont été signalées d'abord
par Champollion (Lettres écrites d'Egypte, t' édit., p. 239-241) et publiées par lui {Monuments de
l'Egypte et de la Nubie, pi. CCLXXI1 6Ù-CCLXXU, Texte, t. II, p. 547-568), puis par Lepsius (Denkm.,
III, 227-228 bis). Elles ont été étudiées par E. de Rouge et Biot (Recherches de quelques dates abso-
lues qui peuvent se conclure des dates vagues inscrites sur des monuments Égyptiens, p. 35-83, et
Sur un calendrier astronomique et astrologique trouvé à Thèbes en Egypte dans les tombeaux de
Rhainsès VI et de Rhamsès IX), par Lepsius (Einleitung zur Chronologie, p. 110 sqq.), par Gensler
(Die Thebanischen Tafeln stùndlichcr Sternaufgànge), par Lepage-Renouf (Calender of Astronomical
Observations in Royal Tombs of the XX Dynasty, dans les Transactions de la Société d'Archéologie
Biblique, t. III, p. iOO-i2l), par Brugsch (Thésaurus Inscriptionum JEgyptiacarum, p. 185-194), et
en dernier lieu parBilftngcr (Die Sterntafeln in den Aùgyptischen KÔnigsgrâbern von Ribân cl-Molûk).
2. L'un des titres le plus fréquents de Thot-Lunc est An-ouzait, « Celui qui apporte, qui amène
l'Œil fardé du Soleil • (E. de Bkrgxann, Ilistorische Inschriften, pi. LU).
3. L'ordre et la nature des saisons, mal déterminés par Champollion dans son Mémoire sur les signes
employés par les anciens Egyptiens à la notation du temps, ont été rétablis exactement par Brugsch
(Nouvelles Recherches sur la division de Vannée chez tes anciens Égyptiens, p. 1-15, 61-62).
208 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
Thot l'avait pris sous son patronage et lui avait imposé son nom, puis il
avait remis les autres aux mains d'autant de divinités qui les surveillaient :
le troisième mois de Shait appartenait de la sorte à la déesse Hâthor et
s'appelait comme elle; le quatrième mois de Pi rouit dépendait de Ranouît ou
Ramouît, dame des moissons, et dérivait d'elle son sobriquet de Pharmouti1.
Les actes officiels ne cessèrent jamais de désigner les mois par le numéro
d'ordre qui leur avait été attribué dans chaque saison, mais le peuple leur
donnait de préférence le nom de leur dieu protecteur, et ces noms transcrits
en grec, puis en arabe, servent encore aux habitants chrétiens de l'Egypte
à côté des noms musulmans. Ce n'était pas assez d'ailleurs d'un patron par
mois : chaque mois se subdivisa en trois décades auxquelles autant de décans
présidèrent, et les jours eux-mêmes furent assignés à des génies chargés de
les défendre. Nombre de fêtes étaient répandues à intervalles inégaux du
commencement à la fin de l'année : fêtes au premier de l'an, fêtes au
début des saisons, des mois, des décades; fêtes des morts, fêtes des grands
dieux, fêtes des dieux locaux. Tous les actes de la vie civile s'unissaient si
étroitement à ceux de la vie religieuse qu'ils ne pouvaient s'accomplir sans
sacrifices, ni fêtes : une fête célébrait la rupture des digues, une fête l'ou-
verture des canaux, une fête le moment de couper les javelles ou de ren-
trer le grain ; une récolte faite ou rentrée avant qu'une fête eût appelé sur
elle la bénédiction des dieux eût été funeste et sacrilège. La première
année de trois cent soixante jours, réglée sur les révolutions de la lune,
n'avait pas suffi longtemps aux besoins du peuple égyptien : il s'en fallait
de cinq jours un quart qu'elle correspondit à la durée de l'année solaire, et le
retard qu'elle subissait, accru régulièrement de douze en douze mois, jetait
un trouble si profond dans les relations des saisons calendriques avec les
naturelles, qu'on dut y obvier promptement. On intercala chaque année,
après le douzième mois et avant le premier jour de l'année suivante, cinq
jours épagomènes, qu'on appela les cinq jours en sw.s de Vannée1. La légende
d'Osiris affirmait que Thot les avait créés pour permettre à Nouit d'accoucher
1. Pour les noms populaires des mois et pour leurs transcriptions coptes et arabes, voir Britgsch,
Theaaurut Inscriptionum ASgyptiacarum, p. 472 sqq., et Die .Egyptologic, p. 359-361 ; les fêtes
égyptiennes sont énumérées et décrites dans ce dernier ouvrage p. 362 sqq.
2. La tendance parait être maintenant chez la plupart des Êgyptologues de révoquer en doute l'exis-
tence des cinq épagomènes sous l'Ancien Empire, et de fait on ne les y trouve mentionnés expressément
nulle part : mais on sait que les cinq dieux du cycle osirien étaient nés pendant les épagomènes (cf.
p. 172 de cette Histoire), et les allusions à la légende osirienne qu'on rencontre dans les Pyramides
prouvent que ces jours étaient employés depuis longtemps au moment où les textes furent gravés.
Comme la rédaction en remonte le plus souvent aux temps préhistoriques, il y a grand chance pour
que l'invention des épagomènes soit antérieure aux premières dynasties thinites et memphites.
LES IMPERFECTIONS DE L'ANNÉE. 209
de tous ses enfants. Ils formaient, à la suite de la grande année, un petit
mois1, qui rendait moins considérable l'écart entre le comput salaire et le
lunaire : il ne le supprima pas entièrement, et les six heures et quelques
minutes dont les Égyptiens n'avaient pas su tenir compte devinrent progressi-
vement l'origine de désordres nouveaux. C'était un jour complet qui venait
s'ajouter tous les quatre ans aux trois cent soixante jours réglementaires,
mais qu'on laissait perdre maladroitement. Le trouble qu'il jetait dans la vie
du peuple, d'abord insignifiant, s'accrut à la longue et finit par rompre
l'accord entre l'ordre du calendrier et celui des phénomènes naturels : au
bout de cent vingt ans, l'année légale avait empiété d'un mois plein sur
l'année réelle, et le 1er Thot précédait de trente jours le lever héliaque de
Sothis, au lieu de coïncider avec lui, comme il aurait dû. Les astronomes de
l'époque gréco-romaine, spéculant après coup sur l'histoire entière de leur
patrie, découvrirent un procédé fort ingénieux en théorie d'obvier à ce
désordre lamentable1. Si l'omission des six heures annuelles entraînait la
perte d'un jour tous les quatre ans, le moment devait arriver, après trois
cent soixante cinq fois quatre années, où le déficit atteindrait une année
totale, et où, par conséquent, quatorze cent soixante années complètes
équivaudraient exactement à quatorze cent soixante et une des années impar-
faites. La concordance, détruite par la force des choses, se rétablissait donc
d'elle-même après un peu plus de quatorze siècles et demi : le début de
l'année civile se confondait avec le début de l'année astronomique, celui-ci
avec le lever héliaque de Sirius et par suite avec la date officielle de l'inon-
dation. Les Égyptiens des temps pharaoniques ne connurent jamais ce moyen
si simple et surtout si pratique, grâce auquel des générations à la centaine
se seraient consolées des ennuis sans fin que le déplacement régulier d'une
année vague dans l'année fixe leur aurait causés, par la douceur de savoir
qu'un jour luirait où quelqu'un de leurs descendants verrait, une fois dans
sa vie, les deux années se superposer mathématiquement et les saisons repren-
dre leur place normale. Leur année était comme ces montres qui retardent
chaque jour d'une quantité de minutes déterminée. Le possesseur ne s'amuse
pas à calculer un cycle qui lui permette d'attendre l'instant où, de retard en
retard, l'heure juste sera revenue : il tolère l'irrégularité tant que ses affaires
1. C'est le nom que les Coptes donnaient encore aux cinq jours épagomènes (Ster*, Koptisctte
Grammatik, p. 137 ; Brugsch, Thésaurus Inscriptionum /Egyptiacarum, p. 479 sqq.).
2. Km II a montré que la période sothiaque a été imaginée et adaptée à l'histoire ancienne do
l'Egypte sous les Antonins (Krall, Studien zur Genchirhte des Allen /Egyptnis, I, p. 76 sqq.).
HIST. ANC. DE I.'oiRKYT. — T. I. 47
210 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
n'en souffrent pas, mais dès qu'elles en ressentent l'incommodité, il ramène
du doigt l'aiguille au point du cadran qui répond à l'heure exacte, et recom-
mence l'opération chaque fois qu'il la juge nécessaire, sans règle précise. *
L'année égyptienne s'en allait de même en débandade à travers les saisons,
retardant de plus en plus, jusqu'au jour où, le désaccord devenant trop con-
sidérable, le roi ou les prêtres donnaient à la machine un coup de pouce pour
la remettre au point1.
Les jours avaient d'ailleurs chacun leur vertu propre, que l'homme devait
connaître s'il voulait profiter des avantages ou échapper aux périls qu'ils lui
préparaient. On n'en comptait aucun parmi eux qui ne rappelât quelque inci-
dent des guerres divines et n'eût éclairé une bataille entre les partisans de
Sit et ceux d'Osiris ou de Râ : le triomphe ou le désastre qu'ils avaient enre-
gistré les avait comme imprégnés de bonheur ou de malheur, et ils en étaient
demeurés à tout jamais bienfaisants ou funestes. C'était le 47 Athyr que
Typhon avait attiré son frère auprès de lui et l'avait assassiné au milieu
d'un banquet1. Chaque année, à pareil jour, la tragédie qui s'était accomplie
autrefois dans le palais terrestre du dieu semblait se jouer de nouveau dans
les profondeurs du ciel. Comme au même instant de la mort d'Osiris, la
puissance du bien s'amoindrissait, la souveraineté du mal prévalait partout,
la nature entière, abandonnée aux divinités des ténèbres, se retournait contre
l'homme. Ce qu'il entreprenait ce jour-là échouait fatalement*. S'il sortait
se promener au bord du fleuve, un crocodile l'assaillait comme le crocodile
dépêché par Sît avait assailli Osiris*. S'il partait pour un voyage, c'était un
adieu éternel qu'il disait à sa famille et à ses amis : la mort le fauchait en
route8. Il devait s'enfermer chez soi pour échapper à la fatalité8, attendre
1. Les questions relatives à Tannée égyptienne, à ses divisions, à ses imperfections, ont suscité
quantité de travaux très considérables, où beaucoup de science et d'ingéniosité a été dépensé sou-
vent en pure perte : j'ai préféré ne dire sur ce sujet que ce qui me paraissait être le plus vraisem-
blable et le plus conforme à ce que nous savons du reste de la doctrine égyptienne. Le Papyrus
Anaituti IV (pi. X, I. 1-5) nous a conservé la plainte d'un Égyptien du temps de Minéphtah ou de
Séti II, sur le trouble que l'imperfection de l'année jetait dans la vie du peuple (Maspkro. Note* au
jour le jour, % 4, dans les Proceedtngs de la Société d'Archéologie Biblique, t. XIII, p. 303-410).
2. La date du 17 Athyr, donnée par les Grecs (De hitle et Osiride, § 13, édit. Parthey, p. 21-23), est
confirmée par plusieurs textes pharaoniques, tels que le Papyrus Sallier IV, pi. VIII, I. 4-6.
3. Le 12 Paophi, jour où l'un des serviteurs d'Osiris s'était rallié à Sît, « quoi que tu fasses en ce
jour-là, il en sortira malheur en ce jour-là » {Pap. Sallier IV, pi. V, 1. 1).
4. Le 22 Paophi, • ne te baigne en aucune eau ce jour-là : quiconque navigue sur le fleuve en ce
jour sera mis en pièces par la langue du crocodile divin « (Pap. Sallier IV, pi. VI, 1. 5-6).
5. Le 20 Méchlr, « ne songe pas à partir en bateau • (Pap. Sallier IV, pi. XVII, 1. 8). Le 24, • ne
pars pas en ce jour pour descendre le fleuve; quiconque s'approche du fleuve en ce jour perd la vie »
(id., pi. XVIII, 1. 1-2).
6. Le 4 de Paophi, « ne sors de ta maison d'aucun côté en ce jour » (Pap. Sallier IV, pi. IV, I. 3).
non plus que le 5 (id., pi. IV, I. 3-4); le 5 de Pakhons, • quiconque sort de sa maison en ce jour-là,
les fièvres le gagnent et le tuent » (id., pi. XXIII, I. 8-9).
L'INFLUENCE DES JOURS SUR LA DESTINÉE HUMAINE. 244
dans l'inaction que les heures du danger se fussent usées une à une, et que
le soleil du jour suivant eût mis le malin en déroute1. Il avait intérêt à con-
naître ces influences mauvaises, et qui les aurait connues toutes, si Thot
ne les avait signalées et recueillies dans ses calendriers? L'un d'eux, dont
de longs fragments nous sont parvenus, désignait de façon très brève la
*
qualité de chaque jour, les dieux qui y prédominaient, le péril qu'ils
apportaient ou la fortune qu'on pouvait espérer d'eux*. Le détail n'en est
pas toujours intelligible pour nous, qui ignorons encore tant de points dans la
vie d'Osiris : les Égyptiens savaient dès l'enfance ce dont il s'agissait et se
guidaient sur ces indications sans trop se tromper. Les heures de la nuit
étaient toutes néfastes3; celles du jour se divisaient en trois saisons de quatre
heures, dont les unes se montraient clémentes, tandis que les autres restaient
obstinément funestes4. « Le 4 Tybi : Bon, bon, bon. Quoi que tu voies en ce
jour, ce sera heureux. Quiconque naît en ce jour mourra le plus vieux
des siens; il arrivera à un âge plus avancé que son père. — Le 5 Tybi :
hostile, hostile, hostile. C'est le jour où la déesse Sokhit, maîtresse du double
Palais blanc, brûla les chefs, lorsqu'ils suscitèrent des troubles, se produisi-
rent et vinrent8. Offrandes de pain à Shou, Phtah, Thot; brûler de l'encens
pour Râ et les dieux de sa suite, pour Phtah, Thot, Hou-Saou, en ce jour.
Quoi que tu voies en ce jour, ce sera heureux. — Le 6 Tybi : bon, bon, bon.
Quoi que tu voies en ce jour, ce sera heureux. — Le 7 Tybi : hostile, hostile,
hostile. Ne t'unis pas à une femme en présence de l'Œil d'Horus. Le feu qui
est dans ta maison, garde-toi de l'y laisser tomber. — Le 8 Tybi : bon, bon,
1. Le 20 Thot, il fallait n'exécuter aucun travail, ne pas tuer un bœuf, ne pas recevoir un étran-
ger (Papyrus Sallier IV, pi. 1, 1. 2-3). Le 22, on ne devait pas manger de poissons, ni allumer une
lampe à huile (id., pi. 1, 1. 8-9). Le 23, « ne mets pas d'encens sur le feu, ne tue ni gros bétail, ni
chèvres, ni canards; ne mange ni oie ni rien de ce qui a vécu » (id., pi. I, I. 9, pi. II, l. 1). Le 26,
« ne fais absolument rien, ce jour-là » (id., pi. Il, 1. 6-7), et la même recommandation se retrouve
le 7 Paophi (id., pi. IV, 1. 6), le 18 (id., pi. V, 1. 8), le 26 (id., pi. VI, 1. 9), le 27 (id., pi. VI, 1. 10),
plus de trente fois dans ce qui reste du Calendrier Sallier. Le 30 Mcchlr, défense de parler haut à
personne (îrf., pi. XVIII, I. 7-8).
2. C'est le Papyrus Sallier IV du British Muséum, publié dans les Select Papyri, t. I, pi. CXLIV-
CLXVIII. La valeur en avait été reconnue par Champollion (Salvolini, Campagne de Ramsès le Grand,
p. 121, note 1), et l'analyse faite par E. de Rougé (Mémoire sur quelques phénomènes célestes, p. 35-
39; cf. Revue Archéologique, lr* série, t. IX); il a été traduit entièrement par Chabas (le Calendrier
des jours fastes et néfastes de Cannée égyptienne).
3. Quelques nuits étaient plus néfastes que d'autres, et fournissaient prétexte à des recommanda-
tions particulières. Le 9 Thot, « ne sors pas la nuit » (Pap. Sallier IV, pi. III, 1. 8), de même le
15 Khoiak (id., pi. XI, l. 5), le 27 (id., pi. XII, 1. 6); le 5 Phaménôth, la quatrième heure de la nuit
était seule dangereuse (id., pi. XIX, 1. 2).
4. Pour cette division du jour en trois saisons — tori, cf. Maspero, Études Égyptiennes, t. I,
p. 30, note 2. Le lever et le coucher du Soleil avaient surtout leurs influences mauvaises dont il
fallait se défier (Papyrus Sallier IV, pi. II, I. 4; pi. V, 1. 5; pi. VI, 1. 6; pi. XV, I. 2, 6; pi. XVII,
1. 2-3; pi. XV1U, I. 6-7; pl. XIX, 1. 4; pi. XXIII, 1. 2-3).
5. C'est une allusion à la révolte des hommes contre Rà, et à la vengeance que le dieu Pharaon
eu tira par le moyen de la déesse Sokhtt; cf. ce qui est dit à la page 165 de cette Histoire.
212 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
bon. Quoi que tu voies de ton œil en ce jour, l'Ennéade des Dieux te l'ac-
cordera : le malade se rétablira. — Le 9 Tybi : bon, bon, bon. Les dieux
crient de joie dans le midi, ce jour-là. Servir des offrandes de gâteaux de fête
et de pains frais, qui réjouissent le cœur des dieux et des mânes. — Le 10
Tybi : hostile, hostile, hostile. Ne mets pas le feu aux herbes en ce jour :
c'est le jour où le dieu Sap-hôou mit le feu au pays de Bouto1. — Le
11 Tybi : hostile, hostile, hostile. N'approche d'aucune flamme en ce jour,
car Rà s'est placé dans la flamme pour frapper tous les ennemis, et quiconque
s'approchera d'eux en ce jour ne se portera bien de toute sa vie. — Le
1 2 Tybi : hostile, hostile, hostile. Tâche de ne pas voir de rat en ce jour, ni de
t'approcher d'aucun rat dans ta maison : c'est le jour où Sokhit rend des
décrets en ce jour1. » Ici du moins un peu de vigilance ou de mémoire suffisait
à mettre l'homme en garde contre les pronostics funestes : toute l'attention
du monde ne lui servait point dans bien des cas, et la fatalité du jour l'attei-
gnait sans qu'il fût libre de rien faire pour la conjurer. Nul ne peut à volonté
reporter son heure de naître sur un moment favorable : il doit l'accepter
comme elle se présente, et pourtant elle exerce une influence décisive sur le
genre de sa mort. Selon qu'il entre dans ce monde le 4, le 5 ou le 6 Paophi,
il meurt par les fièvres paludéennes, par l'amour ou par l'ivresse3. L'enfant
du 23 périt sous la dent d'un crocodile4; celui du 27, un serpent le mord et le
tue5. En revanche, les heureux dont l'anniversaire tombait le 9 ou le 29 vivaient
jusqu'à l'extrême vieillesse et s'éteignaient doucement, respectés de tous6.
Thot, qui avait indiqué le mal aux hommes, leur avait en même temps signalé
le remède. Les arts magiques dont il était le dépositaire faisaient de lui le
maître réel des autres dieux7. Il connaissait leurs noms mystiques, leurs fai-
blesses secrètes, le genre de péril qu'ils redoutaient le plus, les cérémonies
qui les asservissaient à sa volonté, les prières auxquelles ils ne pouvaient
point désobéir sous peine de malheur ou de mort. Sa science, transmise à ses
serviteurs, leur assurait la même autorité qu'il exerçait sur eux au ciel, sur la
terre ou dans les enfers. Les magiciens instruits à son école disposaient
1. L'épisode des guerres divines auquel ce passage se rapporte nous est inconnu jusqu'à présent.
2. Papyrus Sallier IV, pi. XIII, 1. 3, pi. XIV, 1. 3; cf, Maspero, Éludes Egyptiennes, t. I. p. 30-35,
Chabas, le Calendrier des jours fastes et néfastes, p. 65-69. Les décrets de Sokhit sont ceux que la
déesse rend pour détruire les hommes, comme clic l'avait fait à la fin du règne de Rà.
3. Papyrus Sallier IV, pi. IV, 1. 3, p. 4-5, 6.
4. Id., pi. VI, 1. 6: c'était, dans le conte, un des sorts annoncés au Prince prédestiné.
5. Id., pi. VII, I. 1.
6. Id., pi. IV, I. 8; pi. VII, 1. 1-4.
7. Sur le pouvoir magique de Thot, sur la voix juste dont il dispose, sur ses livres d'incantation,
voir p. 145-146 de cette Histoire.
LES ARTS MAUIQUES, LES CONJURATIONS, L'ENVOCTEMENT. 213
comme lui des mots et des sons qui, émis au moment favorable avec la voix
juste, allaient évoquer les divinités les plus formidables jusque par delà les
confins de l'univers : ils enchaînaient Osiris, Sît, Anubis, Thot lui-même, et
les déchaînaient à leur gré, ils les lançaient, ils les rappelaient, ils les contrai-
gnaient à travailler et à combattre pour eux. L'étendue de leur puissance les
exposait à des tentations redoutables : ils étaient entraînés souvent à se
servir d'elle au détriment d'autrui, pour satisfaire leurs rancunes ou pour
assouvir leurs appétits les plus grossiers. Beaucoup d'ailleurs trafiquaient
de leur savoir et le louaient docilement à l'ignorant qui les payait. Lorsqu'on
leur demandait de tourmenter ou de supprimer un ennemi, ils avaient cent
façons de l'investir brusquement et sans qu'il s'en doutât : ils le tourmen-
taient de songes terrifiants ou trompeurs', ils le harcelaient d'apparitions et
de voix mystérieuses, ils le livraient en proie aux maladies, aux spectres
errants qui se logeaient en lui et qui le rongeaient lentement*. Ils brisaient à
distance la volonté des hommes; ils affolaient les femmes de désirs et les for-
çaient à fuir ce qu'elles avaient aimé, à aimer ce qu'elles détestaient aupara-
vant*. Un peu du sang d'une personne, quelques rognures de ses ongles et de
ses cheveux, un morceau du linge qu'elle avait porté et qui s'était comme
imbibé d'elle au contact de sa chair, leur suffisaient pour composer des char-
mes irrésistibles. Ils en mêlaient des parcelles à la cire d'une poupée qu'ils
modelaient et qu'ils habillaient à la ressemblance de leur victime, et dés lors
tous les traitements qu'on infligeait à l'image, le modèle les ressentait aussitôt :
il brûlait de fièvre quand on exposait son effigie au feu et souffrait comme
I. Destin de Fauiher-Gudin. d'après le calque de GoÙkiwrkf r. Die Metteinich-Stetc, pi. 111, u«.
i. La plupart des livres magiques renferment des formule» destinées ù envoyer de» songe» : tels
le l'apyrut 3S39 du Louvre (Haikro, Mémoire sur quelque! Papyrus du touire.pl. I-VIII, et p. 113-113),
le Papyrus gitoitigue de Leyde et les iiit'aiila liens en langue grecque qui l'accompagnent (Liuwts,
Monument* Egyptiens, t. I, pi. I-U, el Papyri Grrci, t. Il, p. itî st|q.).
3. Ainsi dans le leste hiéroglyphique (Sbabpe, Egyptien Inscriptions , 1™ sér., pi. XII, I. 15-tfi]
cité pour la première fois par Chabag {De quelques texte» hiéroglyphiques relatifs aux esprits posses-
seurs, dans le Bulletin Archéologique de l'Athénrum Français, 18iit>, p. 4-1) : ■ Que mort ni morte n'en-
trent en lui, que l'ombre de nul nianc ne le hanle. ■
.1. Papyrus gnottique de Leyde, p. XIV, I. I sqq. (dans Lteats*. Monument» Égyptien» du Musée de
Leyde, pi. VII); cf. RimLOi'T, les Art» Egyptien» dans la lievue Egyptalagique, 1. 1, p. 188-17*.
-214 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
d'une blessure quand on la perçait d'un couteau; les Pharaons eux-mêmes
n'échappaient pas à l'envoûtement1. On opposait à ces manœuvres d'autres
manœuvres du même genre, et la magie, invoquée à temps, détruisait souvent
le mal que la magie avait commencé. Elle n'était pas, à dire vrai, souveraine
contre le destin : l'homme né le 27 Paophi mourait d'une piqûre de serpent,
quelque enchantement qu'il pratiquât pour se défendre. Mais si le jour de sa
mort était fixé, du moins l'année qui renfermait ce jour ne l'était point, et le
sorcier avait beau jeu procurer qu'elle n'arrivât trop tôt. Une formule récitée à
propos, un bout de prière tracée sur un papyrus, une figurine qu'on gardait
sur soi, le moindre amulette béni et consacré, jetait en déroute les serpents,
instruments de la destinée. Ces stèles étranges où l'on voit un Horus à moitié
nu, debout sur deux crocodiles et brandissant à poignées des bêtes fascina-
tri ces, ou réputées telles, ce sont autant de talismans préservateurs : dressées
à l'entrée d'une chambre ou d'une maison, elles en écartaient tous les animaux
représentés et annulaient le mauvais sort. Sans doute la fatalité l'emportait à
longue échéance, et le jour finissait par se lever où le serpent prédestiné,
déjouant toute précaution, réussissait à exécuter la sentence. Au moins l'homme
avait-il duré, peut-être jusqu'à l'entrée de la vieillesse, peut-être jusqu'à
cet âge de cent dix ans que les plus sages parmi les Égyptiens souhaitaient
d'atteindre, et que nul mortel, né de mère mortelle, ne devait dépasser5.
Si les arts magiques suspendaient ainsi la loi du destin, combien n'étaient-ils
pas plus efficaces lorsqu'ils combattaient les influences des divinités secon-
daires, le mauvais œil et les maléfices des hommes. Thot, qui était le maître
des sortilèges, était aussi celui des exorcismes, et les crimes que les uns com-
mettaient en son nom, c'était en son nom que d'autres les réparaient. Ils oppo-
saient des génies plus forts aux génies malins, des amulettes protecteurs aux
pernicieux, des pratiques vivifiantes aux manipulations mortelles, et ce n'était
pas encore la partie la plus malaisée de leur tâche. Personne en effet, parmi
ceux que leur intervention délivrait, ne se tirait indemne des épreuves qui
l'avaient assailli. Les esprits possesseurs, en abandonnant leur victime, lais-
saient ordinairement derrière eux des traces de leur passage, dans le cerveau,
dans le cœur, dans le poumon, dans les entrailles, dans le corps entier.
Toutes les maladies qui désolent le genre humain n'étaient pas le fait d'en-
1. L'envoûtement fut pratiqué contre Kamsès III (Chabas, le Papyrus Magique Harrù, p. 170,1"-:
Dkvkria, le Papyrus judiciaire de Turin, p. 125-126, 131), et les pièces du procès criminel intenté au\
magiciens parlent formellement des figures de cire et îles philtres employés à cette occasion.
2. Sur l'âge de cent dix ans et sur sa mention dans les documents pharaoniques et coptes, voir le
curieux mémoire de Goodwin dans Chabas, Mélanges Égyptoiogiques, 2° série, p. 231-237.
TI10T ET LA MEDECINE. 213
chanteurs acharnés contre leurs ennemis, mais on les attribuait toutes à la
présence d'un être invisible, spectre ou démon, qui avait été introduit chez le
patient par quelque opération surnaturelle
ou s'y était glissé de lui-même
chancelé ou par besoin, sansqu
le lui ordonnât'. Il fallait,
après avoir chassé l'intrus,
rétablir la sauté par des
moyens nouveaux. L'étude
des simples et des autres
substances médicinales les
fournissait sans peine :
comme Thot s'était révélé
aux hommes le premier sor-
cier, il s'institua pour eux
le premier médecin et le
premier chirurgien*.
L'Egypte est de nature
un pays fort sain, et les
Égyptiens se vantaient d'être
s les mieux portants de tous
les mortels » ; ils ne s'en
montraient que plus atten-
tifs à soigner leur santé.
« Chaque mois, trois jours
de suite, ils provoquaient
des évacuations au moyen "'"" ,N'°' ""' '''" """"""~
de vomitifs et de clystères*. La médecine, chez eux, était partagée; les méde-
cins s'occupaient chacun d'une seule espèce de maladie et non de plusieurs. Ils
abondaient en tous lieux, les uns pour les yeux, les autres pour la tète.
I. Sur cette conception du mal et de la mort, voir ce qui est dit aux p. 111-111 de cette Uiitoirr.
t. Les témoignages des auteurs classiques et des monuments égyptiens sur Thot médecin et chi-
rurgien ont été recueillis en dernier lieu par Putsch* ski, Hermtt Trumegittot, p. ÏO sqq-, 43 sqq ., 57.
3. Dettin de Faucher-Gudin, d'âpre* une ilèlc d Alexandrie au mutée de Ghéh (S»ueTTE, Monu-
ment* dU'tn, pi. 15 et Telle, p. 3-4). La raison pour laquelle tant de botes variées sont réunies sur
celte stèle et sur les stèles de même nature s été indiquée par Naspmio, Elude* de Mythologie el
d' Archéologie Egyptienne*, t. Il, p. 417-418 : elles passaient toutes pour posséder le mauvais (ril
et pour fasciner leur victime avant de la frapper.
4. MianooTï, II, liivii ; le témoignage d'Hérodote sur les potions el les cljsièrcs est confirmé par
celui des Papyrus médicaux de l'Egypte (Chabas. Mélangea Egyplnlogique*. 1" série, p. OS sqq.).
246 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
d'autres pour les dents, d'autres pour le ventre, d'autres pour les maux
internes1. » La subdivision ne s'étendait pas aussi loin qu'Hérodote voulait
bien le dire. On ne distinguait d'ordinaire qu'entre le médecin, sorti des
écoles sacerdotales et complété par l'étude des livres comme par l'expérience
de chaque jour, le rebouteur, attaché au culte de Sokhit et qui guérissait les
fractures sous l'intercession de sa déesse, l'exorciste, qui prétendait agir par
la seule vertu des amulettes et des paroles magiques'. Le médecin de carrière
traitait les maladies en général ; mais, comme chez nous, il y avait pour cer-
taines affections des spécialistes que l'on consultait de préférence aux prati-
ciens vulgaires. Si le nombre en était assez considérable pour attirer l'attention
des étrangers, c'est que la constitution médicale du pays l'exigeait ainsi : où
les ophtalmies et les affections des intestins sévissent avec énergie, on ren-
contre nécessairement beaucoup d'oculistes3 et de docteurs es maladies du
ventre. Les plus instruits de ces gens connaissaient assez mal l'anatomie. Une
crainte religieuse ne leur permettait pas plus qu'aux médecins chrétiens du
Moyen Age, de tailler le cadavre identifié à la chair d'Osiris ou de le déchi-
queter dans un but de pure science. On ne leur confiait pas les opérations de
l'embaumement, qui auraient pu les instruire, et l'horreur pour quiconque
rompait l'intégrité de la larve humaine montait si haut, que le paraschite
chargé de pratiquer sur les morts les incisions nécessaires devenait l'objet
de l'exécration universelle : dès qu'il avait terminé sa tâche, les assistants
l'assaillaient à coups de pierres et l'auraient assommé sur place s'il ne
s'était enfui à toutes jambes1. Aussi n'entretenaient-ils que des idées assez
vagues sur ce qui se passe au dedans de notre corps. La vie était pour eux
un peu de vent, un souffle que les veines charrient de membre en membre.
« La tête comprend vingt-deux vaisseaux qui amènent les esprits en elle,
et les envoient de là à toutes les parties. Il y a deux vaisseaux pour les
seins, qui communiquent la chaleur jusqu'au fondement. II y a deux vais-
seaux pour les cuisses; il y a deux vaisseaux pour le cou5; il y a deux vais-
1. Hérodote, II, lxxxiv, et le commentaire de Wiedemann sur ces deux passages (Hérodote Zweites
Buchf p. 322 sqq., 344-345).
2. La division en trois catégories, indiquée par le Papyrus Ebers, pi. XCIX, I. 2-3, a été confirmée
par un curieux passage d'un traité d'alchimie gréco-égyptienne (Maspkro, Note» au jour le jour, § 13,
dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t. XIII, p. 501-503).
3. Les maladies des yeux occupent un quart du Papyrus Ebers (Ebers, Dos Kapitel iiber die Augen-
krankheiten, dans les Abh. der phil.-hist. Classe der Kônigl. Sâchs. Gesells. der Wissenscfiafteit*
t. XI, p. 199-336 ;cf.J. Hirschberg, jEgypten, Geschichtliche Studicn eincs Augenarztes, p. 31-71).
A. Diodore de Sicile, I, 91.
5. Ces deux vaisseaux, dont la mention manque aux Papyrus Ebers et de Berlin par suite d'une
inadvertance du copiste, ont été rétablis dans le texte de l'énumération générale par H. Sch«fkr,
Heitrâge iur Erklârung des Papyrus Ebers (dans la Zeitschrif/, t. XXX, p. 35-37).
LES ESPRITS VITAUX. 217
seau* pour les bras; il y a deux vaisseaux pour l'occiput; il y a deux vais-
seaux pour le front; il y en a deux pour les yeux, deux pour les paupières,
deux pour l'oreille droite, par lesquels entrent les souffles de la vie, deux
pour l'oreille gauche, par lesquels les souffles de mort entrent également'. »
Les souffles dont il est question à propos de l'oreille droite, sont « les bons
souffles, les souffles délicieux du Nord » ,
la brise de mer, qui tempère les ardeurs
de l'été, et qui recrée les forces de
l'homme, sans cesse amoindries par la
chaleur et menacées d'épuisement. Ces
esprits vitaux, s'insinuant par l'oreille
et par le nez dans les veines et dans les
artères, se mêlaient au sang qui les
entraînait par le corps entier; ils por-
taient l'animal et le mouvaient pour
ainsi dire. 1-e cœur, le marcheur per-
pétuel — hâili — , les attirait et les
répartissait à travers l'économie : on le _
réputait < le commencement de tous m »o*t reciuht les socffi.es m vit1.
les membres », et quelque endroit du
vivant que le médecin palpât, * la tète, la nuque, les mains, la poitrine,
les deux bras, les jambes, sa main tombait sur le cœur » et il le sentait battre
sous ses doigts"1. Les vaisseaux se gonflaient, et travaillaient régulièrement
par l'influence des bons souffles; ils s'échauffaient, s'obstruaient, se dur-
cissaient, éclataient sous celle des mauvais, et il fallait que le médecin les
débouchât, en calmât l'inflammation, leur rendit leur vigueur ou leur élas-
ticité. Au moment de la mort, les esprits vitaux « se retiraient avec l'âme,
le sang », privé d'air, « se coagulait, les veines et les artères se vidaient :
l'animal périssait « faute de souffles'.
La plupart des maladies dont les anciens Égyptiens souffraient sont celles
qui travaillent les Égyptiens modernes, les ophtalmies, les incommodités de
I. Papynu Ebtrt, pi. XCIX, I. 1-C, I. 14; l'apyruë M,
et. Chahs, Mélangea Ëgyplologiquei. r* sér., p. 63-64,
detêinét lur let tictur, I. Il, p, 114-115,
t. De fin de Faurher-liudin, d'aprei le croquù de iViviLLe, das ,€gypliirhe Todlenbueh, 1
l.o mort tient à la main la voile gonflée, symbole de l'air, el la porte vers ses narines
pénétrer le souffle qui doit remplir de nouveau ses artères et porter la vie dans ses mer
3. Papyna Ebert, pi. XCIX, I. 1-*.
I. Pœmander. 8, X, édit. Pautiif.ï, p. 75-76.
248 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
l'estomac1, du ventre et de la vessie*, les vers intestinaux3, les varices, les
ulcères aux jambes, le bouton du Nil*, et enfin la « maladie divine mortelle »,
le divinus morbus des Latins, l'épilepsie5. L'anémie, qui ronge un quart au
moins de la population actuelle8, n'était pas moins répandue qu'aujourd'hui,
s'il faut en juger le nombre des remèdes que les médecins employaient
contre l'hématurie qui en est la cause principale. La fécondité des femmes
entraînait un nombre d'incommodités ou d'affections locales qu'on s'efforçait
de pallier sans toujours y réussir7. La science était d'ailleurs entièrement exté-
rieure et ne s'attachait qu'aux accidents faciles à constater par la vue ou par
le toucher : elle ne soupçonnait pas que les troubles manifestés sur deux
points souvent très éloignés du corps peuvent n'être que les effets divers
d'un seul mal, et elle classait comme formant autant de maladies distinctes
les accidents que nous savons n'être que les symptômes d'une même mala-
die8. Elle s'entendait pourtant assez bien à saisir les caractères spécifiques
des affections les plus communes, et les décrivait parfois d'une façon précise
et pittoresque. « Le ventre est lourd, le creux de l'estomac douloureux; le
cœur brûle et bat à coups précipités. Le linge pèse sur le malade, et il n'en
supporte pas beaucoup. Soifs nocturnes. Le goût de son cœur est bouleversé
comme celui d'un homme qui a mangé de la gomme de sycomore. Chairs
insensibles comme celles d'un homme qui se trouve mal. S'il s'accroupit pour
satisfaire à ses besoins naturels, son fondement est lourd et il ne réussit
pas à s'exonérer. Dis à cela : « C'est un dépôt d'humeurs dans le ventre
qui rend malade le goût du cœur. J'agirai9. » C'est le début des fièvres
1. Désigné sous le nom de ro-abou. Ro-abou est d'ailleurs un terme général qui comprend, outre
l'estomac, toutes les parties internes du corps avoisinant la région du diaphragme; cf. Maspero dans
la Revue critique, 1875, t. I, p. 237, LCring, Die ûber die medicinischen Kenntnisse der ait en jEgypter
berichtenden Papyri, p. 23-24, 70 sqq., Joachim, Papyrus Ebers, p. XVIII. Les recettes relatives à
l'estomac sont conservées pour la plupart au Papyrus Ebers, pi. XXXVI-XLIV.
2. Papyrus Ebers, pi. II, XVI, XXIII, XXXVI, etc.
3. Papyrus Ebers, pi. XVI, 1. 15, pi. XXIII, 1. 1; cf. Luring, Die ûber die medicinischen Kenntnisse
der alten Mgyptcr berichtenden Papyri, p. 16, Joachim, Papyrus Ebers, p. XVII-XVIII.
4. Papyrus médical de Berlin, pi. III, 1. 5, I. 5, pi. VI, 1. 6, pi. X, I. 3 sqq.
5. Brugsch, Recueil de Monuments Égyptiens dessinés sur les lieux, t. II, p. 109.
6. Griesinger, Klinische und Anatomische Beobachlungen ûber die Krankheiten von jEgypten dans
VArchiv fur physiologischen Heilkunde, t. XIII, p. 556.
7. Sur les maladies des femmes, cf. Papyrus Ebers, pi. XCIII, XCVIII, etc. Une partie des recettes
sont consacrées à résoudre un problème qui paraît avoir inquiété beaucoup les peuples anciens, con-
naître avant terme le sexe de l'enfant qu'une femme porte dans son sein (Papyrus médical de Berlin,
verso, pi. I— II s cf. Chabas, Mélanges Égyptologiques, 1" sér., p. 68-70, Brugsch, Recueil de Monuments,
t. II, p. 116-117); des formules analogues chez les écrivains de l'antiquité classique ou des temps
modernes ont été citées par Lepage-Renouf, Note on the Médical Papyrus of Berlin (dans la Zeitschrift ,
1873, p. 123-125), par Erhan, AZgypten und AUgyptisches Leben im Aller tum, p. 486, et par LfRHiG,
Die ûber die medicinischen Kenntnisse der alten /Egypter berichtenden Papyri, p. 139-141.
8. Cela est sensible surtout dans les chapitres qui ont trait aux maladies des yeux ; cf. à ce sujet
les remarques de Maspero, dans la Revue critique, 1889, t. II, p. 365.
9. Papyrus médical de Berlin, pi. XIII, 1. 3-6; cf. Chabas, Mélanges Égyptologiques, 1" sér., p. 60;
LES DIAGNOSTICS ET LES REMÈDES. 249
gastriques si fréquentes en Egypte, et un médecin moderne ne dresserait
pas mieux son diagnostic : l'expression serait moins imagée, mais l'analyse
des symptômes ne différerait pas de celle que le vieux praticien nous donne.
Les médicaments préconisés comprennent à peu près tout ce qui, dans la
nature, est susceptible de s'avaler sous une forme quelconque, solide,
pâteuse ou liquide1. Les espèces végétales s'y comptent à la vingtaine,
depuis les herbes les plus humbles jusqu'aux arbres les plus élevés, le syco-
more, les palmiers, les acacias, le cèdre, dont la sciure et les copeaux pas-
saient pour posséder des propriétés à la fois antiseptiques et lénitives. On
remarque, parmi les substances minérales, le sel marin, l'alun*, le nitre, le
sulfate de cuivre, vingt sortes de pierres, entre lesquelles la pierre memphite
se distinguait par ses vertus : appliquée sur des parties du corps lacérées ou
malades, elle les rendait insensibles à la douleur et facilitait le succès des
opérations chirurgicales. La chair vive, le cœur, le foie, le fiel, le sang frais
ou desséché des animaux, le poil et la corne de cerf s'employaient couram-
ment dans bien des cas où nous ne comprenons plus le motif qui les avait
fait choisir de préférence à d'autres matières. Nombre de recettes déroutent
par l'originalité et par la barbarie des ingrédients préconisés : « le lait d'une
femme accouchée d'un garçon », la fiente d'un lion, la cervelle d'une tortue,
un vieux bouquin bouilli dans l'huile1. Les médicaments qu'on fabriquait
avec ces substances disparates étaient souvent fort compliqués. On croyait
multiplier la vertu curative en multipliant les éléments de guérison :
chaque matière agissait sur une région déterminée du corps, et, se séparant
des autres après absorption, allait porter son action au point qu'elle influait.
Pilules ou potions, cataplasmes ou onguents, tisanes ou clystères, le médecin
disposait de tous les moyens dont nous nous servons pour introduire les
Brugsch, Recueil de Monuments, t. II, p. 112-1 13- On trouvera toute une série de diagnostics exprimés
avec beaucoup de netteté dans le traité des maladies de l'estomac du Papyrus Ebers, pi. XXXVI, 1. 4,
XL1V, I. li; cf. Maspf.ro dans la Revue critique, 1876, t. I, p. 235-237, Joachim, Papyrus Ebers, p. 39-53.
1. L'énumération et l'identification partielle des ingrédients qui entrent dans la composition des
médicaments égyptiens ont été faites par Chabas (Mélanges Ègyptologiqucs, 1" sér., p. 71-77, et
VÊgyptologie, t. I, p. 186-187), par Brugsch (Recueil de Monuments, t. II, p. 105), par Stem dans le
Glossaire qu'il a fait pour le Papyrus Ebers, et plus récemment par Lûring (Die ûber die medecini-
sr.hen Kenntnisse der alten jEgypter berichtenden Papyri, p. 85-120, 143-170).
2. L'alun s'appelait abenou, ôben, en égyptien antique (Loret, le Nom égyptien de VAlun, dans le
Recueil de Travaux, t. XV, p. 199-200); pour les quantités considérables qu'on en recueillait, cf.
Hérodote, II, CLXXX, et le commentaire de Wirdkmann, Herodots Zweiles Bue h, p. 610-611.
3. Papyrus Ebers, pi. LXXVIII, 1. 22-LXIX, 1. 1 : « Pour faire aller un enfant constipé. — Un vieux
livre : bouillir dans l'huile, en appliquer la moitié sur le ventre, afin de provoquer l'évacuation. » Il
ne faut pas oublier que, les livres étant écrits sur papyrus, le bouquin en question, une fois bouilli
dans l'huile, devait avoir une vertu analogue à celle de nos cataplasmes de farine de lin. Si le mé-
decin recommande de le prendre vieux, c'est pure économie; les Égyptiens de la classe bourgeoise
avaient toujours chez eux des quantités de lettres, de cahiers ou d'autres paperasses sans valeur,
dont ils étaient bien aises de se débarrasser graduellement, de façon aussi profitable.
220 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
remèdes dans l'organisme. Comme il avait prescrit le traitement, il le pré*
parait et ne séparait pas son art de celui du pharmacien. Il dosait les ingré-
dients, les pilait ensemble ou séparément, les laissait macérer selon l'art, les
bouillait, les réduisait par la cuisson, les filtrait au linge1. La graisse lui
servait de véhicule ordinaire pour les onguents, et l'eau pure pour les potions,
mais il ne dédaignait pas les autres liquides, le vin, la bière douce ou fer-
mentée, le vinaigre, le lait, l'huile d'olive, l'huile de ben verte ou épurée1,
même l'urine de l'homme et des animaux : le tout, édulcoré de miel, se
prenait chaud matin et soir3. Plus d'un de ces remèdes a fait son chemin
dans le monde : les Grecs les empruntèrent aux Égyptiens, nous les avons
pris dévotement aux Grecs, et nos contemporains avalent encore avec rési-
gnation bon nombre des mélanges abominables qui furent imaginés aux bords
du Nil, longtemps avant la construction des Pyramides.
Thot avait enseigné l'arithmétique aux hommes; Thot leur avait dévoilé les
mystères de la géométrie et de l'arpentage; Thot avait construit les instru-
ments et promulgué les lois de la musique ; Thot avait institué les arts du
dessin et en avait codifié les règles immuables*. Tout ce que la vallée du
Nil possédait d'utile et de beau, il s'en était fait l'inventeur ou le maître,
et il avait mis le comble à ses bontés en établissant les principes de l'écri-
ture, sans laquelle l'humanité aurait risqué d'oublier ses doctrines et de per-
dre l'avantage de ses découvertes5. On se demandait parfois si l'écriture, au
lieu d'être un bienfait pour les Égyptiens, ne leur aurait pas nui plutôt.
Une vieille légende contait qu'au moment où le dieu exposa sa découverte
au roi Thamos, dont il était le ministre, celui-ci souleva aussitôt une objec-
tion. Les enfants et les jeunes gens, qui avaient été contraints jusqu'alors de
travailler opiniâtrement pour apprendre et pour retenir ce qu'on leur ensei-
gnait, cesseraient de s'appliquer, maintenant qu'ils possédaient un moyen de
tout emmagasiner sans peine, et ils n'exerceraient plus leur mémoire6. Que
1. Je ne connais encore aucune description des manipulations proprement pharmaceutiques; mais
on se fait une idée de la minutie et du soin que les Égyptiens portaient à ces opérations par les
receltes qui ont été conservées, à Edfou par exemple, pour la préparation des parfums consommés
dans les temples (DOmichen, Der Grabpalast des Patuamenemapt, 1. 11, p. 13-32; Loret, le Kyphi, par-
fum sacré des anciens Égyptiens, extrait du Journal Asiatique, 8# série, t. X, p. 76-132).
2. Le moringa, qui fournit l'huile de beny est le Bikou des textes égyptiens (Loret, Recherches sur
plusieurs plantes connues des Anciens Egyptiens, dans le Recueil de Travaux, t. Vil, p. 103-106).
3. Chabas, Mélanges Égyptologiques, in série, p. 66-67, 78-79; LCring, Ueber die medicinischen
Kentnissc der allen /Egypter berichtenden Papy ri, p. 165-170.
4. Pour ces différentes attributions de Thot voir les passages d'inscriptions égyptiennes et d'auteurs
classiques qui ont été recueillis par Pietschmann, Hermès Trismegistos, p. 13 sqq., 39 sqq.
5. Sur Thot l'inventeur de l'écriture, cf. les textes égyptiens d'époque pharaonique et ptolémaïque
cités par Brugsch, Religion und Mythologie der Alt en JZgypler, p. 446.
6. Platon, Phèdre, § LIX, édit. Didot, t. I, p. 733.
THOT, INVENTEUR DE L'ÉCRITURE. 321
Thamos eût raison ou non, la critique venait trop tard : « l'art ingénieu\ de
peindre la parole et de parler aux yeux » demeura acquis pour toujours aux
Egyptiens, et par eux à la meilleure partie de l'humanité. C'était un système
fort complexe, où se trouvent réunis la plupart des procédés propres à fixer
l'expression de ia pensée, ceux qui se contentent de prendre les idées comme
ceux quî essayent d'enregistrer les sons'.
Il ne comportait guère à l'origine que des
signes destinés à éveiller dans l'esprit du
lecteur la pensée d'un objet par l'image
plus ou moins fidèle de l'objet même,
et à peindre le soleil par un disque centré
0, la lune par un croissant <), le lion ou
l'homme par un lion marchant tto. ou par
un petit personnage accroupi ^. Comme
on n'arrivait à saisir de la sorte qu'un
nombre fort restreint de concepts tous ma-
tériels, il fallut recourir presque aussitôt
à des artifices variés qui suppléèrent à
l'insuffisance des idéogrammes proprement
dits. On donna la partie pour le tout, la
prunelle m au lieu de l'œil entier -»-, la
tète de bœuf m au lieu du bœuf complet *fm.
On substitua la cause à l'effet, l'effet à la
cause, l'instrument à l'œuvre accomplie, IH0T t,»ijS18T,t lésantes m vit de baisés h*.
et le disque du soleil S signifia le jour, un
brasier fumant \ le feu, le pinceau, l'encrier et la palette du scribe Kl l'écri-
ture ou les pièces écrites. On imagina de prendre tel ou tel objet qui offrait
une ressemblance matérielle ou supposée avec l'idée à consigner, et les par-
ties antérieures du lion _-# marquèrent ainsi l'antériorité, la primauté, le
commandement, la guêpe symbolisa la royauté \X, le têtard de grenouille ^
compta pour les centaines de mille. On se hasarda enfin à procéder par
énigmes, comme lorsqu'on dessinait la hache "I pour le dieu, ou la plume
I. La formation progressive du système hiéroglyphique et la nature des divers éléments dont il se
compose ont été analysées très linemcnl par Vu. LtminAM, Estai >ur ta propagation lit l'alphabet
phénicien parmi le» peupla île l'Ancien limée, t. I, p. l-.'iï.
i. Has-relief du teinpte de Séti 1" à Ahydo», destin de Iloudier d'après une photographie de
liéalo. Le dieu marque de son calame, sur un des crans d'une longue pousse de palmier, le nombre
de millions d'années que le règne du Pharaon sur celte terre doit durer selon le décret des dieu*.
"in L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
d'autruche \ pour la justice : le caractère n'avait alors que des liens fictifs
avec le concept qui lui était attribué. Deux ou trois de ces symboles
s'associaient souvent afin d'exprimer à plusieurs une idée qu'un seul d'entre
eux aurait mal rendue : on apercevait une étoile à cinq branches placée sous un
croissant de lune renversé 'T% un veau courant devant le signe de l'eau >j *■— * et
l'on comprenait le mois ou la soif. Tous ces artifices combinés ne fournis-
saient qu'un moyen fort incomplet d'arrêter et de transmettre la pensée.
Quand on avait aligné bout à bout vingt ou trente de ces figures et les idées
auxquelles elles prétendaient prêter un corps, on voyait devant soi le squelette
d'une phrase, mais tout ce qui en forme le nerf et la chair avait disparu :
l'accent manquait et la musique des mots, et les indices du genre ou du nom-
bre, des flexions et de la personne, qui distinguent les différentes parties du
discours et qui déterminent entre elles des rapports variables. D'ailleurs le
lecteur était obligé, pour se comprendre lui-même et pour deviner l'intention
des écrivains, de traduire les symboles qu'il déchiffrait par les mots attachés
dans la langue parlée à l'expression de chacun d'eux. Chaque fois qu'il les
rencontrait du regard, ils lui suggéraient en même temps que l'idée le mot
de l'idée, partant une prononciation : à force de retrouver sous chacun d'eux
trois ou quatre prononciations constantes, il oublia leur valeur purement
idéographique et s'habitua à ne plus considérer en eux que des notations de son.
Le premier essai de phonétisme se fit par rébus, quand les signes séparés
de leur sens primitif en vinrent à couvrir chacun plusieurs mots semblables
à l'ouïe, mais divers de sens dans la langue parlée. Le même assemblage
d'articulations Naoufir, Nofir, comportait en égyptien l'idée concrète du luth
et l'idée abstraite de la beauté : le signe J exprima du même coup le luth
et la beauté. Le scarabée s'appelait Khopirrou, et être se disait khopirou :
le scarabée •§[ signifia à la fois l'insecte et le verbe, puis en groupant plu-
sieurs signes on détailla chacune des articulations auxquelles il répondait. Le
crible 9 khaou, la natte ■ pou, pi, la bouche *=» ra, rou, donnaient la
formule khaou-pi-rou, qui équivalaient à l'expression khopirou du verbe
être : réunis ®^, ils pouvaient écrire le concept de Vêtre au moyen de trois
rébus. Dans ce système, chaque syllabe d'un mot a le choix entre plusieurs
signes sonnant exactement comme elle. Une moitié de ces syllabiques cache
des syllabes ouvertes, l'autre des syllabes fermées, et l'usage des syllabiques
de la première classe amena bientôt la création d'un véritable alphabet. La
voyelle finale qu'ils comprenaient se détacha d'eux et ne laissa plus subsister
L'ÉCRITURE IDÉOGRAPHIQUE, SYLLABIQUE, ALPHABÉTIQUE. 223
que l'autre partie, la consonne, c'est-à-dire r dans rou, A dans ha, n dans
ni, b dans bou, si bien que *=» rou, fj] ha, *-"* ni, J 6ow, devinrent r, A, n et
6, sans plus. Le travail, accompli à la longue sur un certain nombre de sylla-
biques, fournit un alphabet assez considérable, dans lequel plusieurs lettres
exprimaient chacune des vingt-deux principales articulations que les scribes
jugèrent utile d'écrire. Les signes qu'on attribue à une même lettre sont des
égaux de son, des homophones : ^, *=, ^ sont homophones, comme *«-*
et^, parce que chacun d'eux sert indifféremment, dans le groupe auquel il
appartient, à traduire aux yeux l'articulation m ou l'articulation n. Il semblait
que les Égyptiens, parvenus à ce point, dussent être amenés presque immé-
diatement par la simple routine à rejeter les diverses sortes de caractères dont
ils avaient usé tour à tour, pour ne plus conserver qu'un alphabet. Mais le
génie d'invention réel dont ils avaient fait preuve les abandonna en cela
comme en tout : s'ils eurent souvent le mérite de découvrir, ils surent
rarement perfectionner leurs découvertes. Ils gardèrent les signes syllabi-
ques et idéographiques du début, et se composèrent, avec le résidu de leurs
notations successives, un système fort compliqué dans lequel les syllabes et
les idéogrammes se mêlent aux lettres proprement dites. Il y a de tout dans
une phrase, ou même dans un mot égyptien comme fij 0 ^ 9 maszirou, l'oreille,
ou ^ J -AA^ jf) kherôou, la voix : des syllabiques fl mas, } zir, -** rou,
| kher, des lettres simples qui en complètent l'expression phonétique fl s,
^ ou, <=» r, enfin des idéogrammes, 9 qui montre l'image de l'oreille à
côté du mot qui l'écrit, jjjj c[u* prouve que les lettres couvrent un nom dési-
gnant une action de la bouche. Ce mélange avait ses avantages : il permettait
aux Égyptiens de préciser par la vue de l'objet le sens des termes que les
lettres seules risquaient parfois de ne pas expliquer suffisamment. Il exigeait
un effort sérieux de mémoire et de longues années d'études : encore, bien
des gens n'arrivaient-ils jamais à le posséder complètement. L'aspect pitto-
resque des phrases, où les figures d'hommes, d'animaux, de meubles,
d'armes, d'outils, se rencontrent et se groupent en petits tableaux qui se sui-
vent à la file, rendait l'écriture hiéroglyphique des plus propres à décorer
les temples des dieux ou les palais des rois. Mêlée aux scènes d'adoration,
de sacrifices, de batailles, de vie privée, elle encadre les groupes de person-
nages, les sépare, habille les espaces vides que le sculpteur et le peintre
n'auraient su comment remplir : elle est l'écriture monumentale par excel-
lence. Dans l'ordinaire de la vie, on la traçait aux encres noire ou rouge
224 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
sur des fragments de calcaire ou de poterie, sur des tablettes en bois revêtues
de stuc, surtout sur les fibres du papyrus. La nécessité d'aller vite, et l'inha-
bileté des scribes en dénaturèrent bientôt l'apparence et les éléments : les
caractères abrégés, superposés, liés l'un à l'autre par des traits parasites, ne
conservèrent plus qu'une ressemblance lointaine avec les personnes ou avec
les choses qu'ils avaient représentées à l'origine. On réservait cette écriture
cursive, qu'on appelle assez inexactement l'hiératique, aux actes publics ou
privés, à la correspondance administrative, à la propagation des œuvres litté-
raires, scientifiques et religieuses.
C'est ainsi que la tradition se plut à prêter aux dieux, et parmi eux, à
Thot deux fois grand, l'invention de toutes les sciences et de tous les arts
qui faisaient la gloire et la prospérité de l'Egypte. II semblait, non seulement
au vulgaire, mais aux plus sages du peuple, que les ancêtres, s'ils avaient été
abandonnés à leurs seules forces, n'auraient jamais réussi à s'élever beaucoup
au-dessus du niveau des bêtes. L'idée qu'une découverte utile au pays put
sortir d'un cerveau humain, puis, une fois produite au dehors, se répandre et se
développer par l'effort des générations successives, leur paraissait impossible à
admettre : ils pensaient que chaque art, que chaque métier avait été dès le
début ce qu'il était de leur temps, et si quelque nouveauté se présentait qui
fût de nature à leur montrer leur erreur, ils préféraient supposer une inter-
vention divine plutôt que de se laisser détromper. L'écrit mystique, inséré
au Livre des Morts comme chapitre soixante-quatrième, et auquel on attribua
plus tard une importance décisive sur la vie future de l'homme, était, ils le
savaient, assez postérieur au reste des formules dont se compose cet ouvrage :
ils ne s'en refusèrent pas moins à le considérer comme étant d'origine ter-
restre. On l'avait rencontré un jour, sans qu'on sût d'où il venait, dans le
sanctuaire d'Hermopolis, au pied de la statue de Thot, tracé en caractères
bleus sur une plaque d'albâtre. C'était, assuraient les uns, sous le roi Housa-
phaîti de la 1èr* dynastie, ou plutôt, disaient les autres, sous le pieux Myké-
rinos : un prince en voyage, Hardidouf, l'avait aperçu et apporté au souverain
comme un objet miraculeux1. De même, le livre de médecine où il est traité
1. Sur cette double origine du chapitre I.XIV, voir Guieysse, Fiituel Funéraire Égyptien* chapitre 64%
p. 10-12 et p. 58-59. J'ai indiqué ailleurs les raisons qui me font considérer cette mention comme la
preuve d'une rédaction relativement moderne, contrairement à l'opinion généralement reçue qui veut
y reconnaître un indice de la haute antiquité que les Égyptiens attribuaient à cet ouvrage (Eludes
de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 367-309). Une tablette de pierre dure, la plinthe
Péroffsky, qui porte le texte du chapitre et qui est aujourd'hui déposée au musée de l'Ermitage
(Golénischeff, Ermitage Impérial. Inventaire de la Collection Égyptienne, n° 1101, p. 169-170), est
probablement un fac-similé de l'original découvert dans le temple de Thot.
LES LISTES ROYALES D'ÉPOQUE PHARAONIQUE. 225
des maladies des femmes n'était pas l'œuvre d'un praticien : il s'était révélé
à Coptos, dans le temple d'isis, au prêtre qui veillait de nuit devant le Saint
des Saints. « Bien que la terre fût plongée dans les ténèbres, la lune brilla
sur lui et l'enveloppa de lumière. On l'envoya, comme grande merveille, à
la Sainteté du roi Khéops, le juste de voix1. » Les dieux avaient donc
exercé le pouvoir direct jusqu'à ce que les hommes fussent policés entière-
ment, et leurs trois dynasties s'étaient distribué le travail de civilisation,
chacune selon sa puissance. La première, qui se composait des divinités les
plus vigoureuses, avait accompli le plus difficile en organisant solidement
le monde; la seconde avait instruit les Égyptiens, et la troisième avait réglé
dans ses mille détails la constitution religieuse du pays. Quand il ne resta
plus rien à établir qui exigeât une force ou une intelligence surnaturelles,
les dieux remontèrent au ciel et de simples mortels leur succédèrent sur le
trône. Une tradition n'hésitait pas et plaçait le premier roi humain dont elle
eût gardé la mémoire immédiatement après le dernier des dieux : celui-ci,
en sortant du palais, avait remis la couronne à l'homme son héritier, et le
changement de nature n'avait amené aucune interruption dans la série des
souverains*. Une autre tradition ne voulait pas admettre que le contact eût
été aussi intime. Elle intercalait une ou plusieurs lignées de Thébains ou de
Thinites entre l'Ennéade et Menés, mais si pâles, si fluides, d'un contour si
indécis, qu'elle les appelait des Mânes et leur reconnaissait au plus une
existence passive, comme de gens qui se seraient trouvés toujours morts, sans
avoir eu la peine de traverser la vie8. Menés avait été le premier en date des
vivants véritables4. Après lui, les Égyptiens prétendaient posséder la liste
ininterrompue des Pharaons qui avaient dominé sur la vallée du Nil. Dès
la XVIIIe dynastie ils l'écrivaient sur papyrus, avec l'indication du nombre
d'années que chaque prince était demeuré sur le trône ou qu'il avait vécu6.
1. Bircb, Médical Papyrus with the name of Cheops, dans la Zeitschrift, 1871, p. 61-64.
2. Cette tradition est rapportée dans la Chronique de Scaliger (Lacth, Manetho und der Tiiriner
Kônigshuch, p. 8-11; cf. p. 74 sqq.) et dans la plupart des auteurs anciens qui ont employé les
extraits de Manéthon (MiUler-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. II, p. 539-540).
3. C'est la tradition indiquée dans la version arménienne d'Eusèbe, et qui provenait de Mané-
thon comme la précédente (MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grxcorum, t. II, p. 526, 528). Un
seul de ces rois nous est connu, Bytis, où l'on doit retrouver peut-être le Bitiou d'un conte égyptien.
4. Maxethon (dans Mûller-Didot, Fragm. Hist. Grxc, t. II, p. 539) : M et à véxvaç -roùç Y)u,tOÉou; irpcurrç
fta<ri),£ta xatapiQ (Agirai paai)io)v ôxxù>, J>v TCpaïTo; My)vv)ç ©eivittj; èâao-fteuasv ett) £(3'. La plupart
des témoignages classiques confirment la tradition que Manéthon avait recueillie dans les archives
des temples de Memphis (Hérodote, II, xcix; Diodore de Sicile. 1, 43, 45, 94; Joskphe, Ant. Jud., VIII,
6, 2; Eratosthénes, dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grxcorum, t. II, p. 540).
5. La seule de ces listes que nous possédions, le Papyrus Royal de Turin, Tut achetée à Thèbes
presque intacte par Drovctti vers 1818, et mutilée involontairement par lui pendant le transport. Les
restes en furent acquis avec la collection par le gouvernement piémontais, en 1820, et déposés au
Musée de Turin, où Champollion les vit et les signala dès 1824 (Papyrus Égyptiens historiques du
HIST. ANC. DE t'ORlEJIT. — T. I. 29
-226 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
Ils en gravaient des extraits dans les temples ou même dans les tombeaux
des particuliers, et trois de ces catalogues abrégés nous sont connus aujour-
d'hui, deux qui proviennent des temples de Séti Ier et de Ramsès II à Abydos1,
un qui a été découvert à Saqqarah dans l'hypogée d'un haut personnage
nommé Tounari*. Ils découpaient cette file interminable de personnages
parfois problématiques en dynasties, selon des règles qui nous échappent
et qui varièrent au cours des âges. Les Ramessides réunissaient dans une
seule dynastie des noms qu'on partagea plus tard en cinq groupes sous les
Lagides8. Manéthon de Sébennytos, qui écrivit du temps de Ptolémée II une
histoire d'Egypte à l'usage des Grecs d'Alexandrie, avait adopté, nous ne
savons d'après quelle autorité, une division en trente et une dynasties, de
Menés à la conquête macédonienne, et son système a prévalu, non certes qu'il
fût excellent, mais aucun autre n'est descendu complet jusqu'à nous*. Toutes
les familles qu'il inscrivit sur ses listes avaient gouverné à la suite5. Sans
Musée royal Égyptien, p. 7, Extrait du Bulletin Férussac, VIIe section, 18*24, n° 292). Se \ (Ta ri h
les assembla minutieusement et les remit dans l'état où ils sont aujourd'hui, puis Lepsius en donna
un fac-similé en 1840 dans son Auswahlder wichtigsten Urkunden, pi. 1-VI, mais sans en reproduire
le verso; Champollion-Figeac édita en 1847, dans la Revue Archéologique, 1™ série, t. VI, les calques
pris par Champollion le Jeune avant le classement de Seyffarth; enfin Wilkinson publia le tout avec
luxe en 1851 (The Fragments of the Hieratic Papyrus al Turin). Depuis lors le document a été
l'objet de travaux incessants : E. de Rougé en a reconstitué de façon presque définitive les pages qui
contiennent les six premières dynasties {Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six
premières dynastie» de Manéthon, pi. m) et Lauth moins certainement ce qui a trait aux huit
dynasties suivantes (Manetho und der Turiner Kônigspapyrus, pi. iv-x).
1. La première table d'Abydos, malheureusement incomplète, a été découverte dans le temple de
Ramsès 11 par Bankes en 1818; la copie publiée par Caillaud (Voyage à Méroé, t. III, p. 305-307 et
pi. lxxii, n° 2) et par Sait (Essay on D* Young's a\id M. Champollion* s Phonelic System of Hievogly-
phics, p. 1 sqq. et frontispice) servit de base aux premiers travaux de Champollion sur l'histoire
d'Egypte (Lettres à M. de B laças, 2° Lettre, p. 12 sqq. et pi. vi). L'original apporté en France par
Mimaut (Dubois, Description des antiquités Égyptiennes, etc., p. 19-28) fut acquis par l'Angleterre et
est conservé aujourd'hui au British Muséum. La seconde table, qui est complète à quelques signes près,
fut mise au jour par Mariette en 1864 dans ses fouilles d'Abydos, remarquée aussitôt et publiée par
D€michen, die Sethos Tafel von Abydos, dans la Zeilschrift, 1864, p. 81-83. Le texte s'en trouve dans
Mariette, la Nouvelle Table d'Abydos (Revue Archéologique, 2* s., t. XIII) et Abydos, t. I, pi. 43.
2. La table de Saqqarah, découverte en 1863, a été publiée par Mariette, la Table de Saqqarah
(Revue Archéologique, 2" s., t. X, p. 169 sqq.) et reproduite dans les Monuments Divers, pi. 58.
3. Le Canon royal de Turin, qui date de l'époque des Ramessides, donne en effet les noms de ces
premiers rois d'une seule venue, et n'arrête le compte qu'à Ounas : là, il récapitule la somme des
années de règne et le nombre des Pharaons, ce qui indique la fin d'une dynastie (E. de Rocgk,
Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties de Manéthon, p. 15-
16, 25). Des rubriques placées dans l'intervalle signalent les changements survenus à l'ordre de succes-
sion directe (id., p. 160-161). La division du même groupe de souverains en cinq dynasties nous a été
conservée par Manéthon (dans M^ller-Didot, Fragmenta Historicorum Grxcorum, t. Il, p. 539-554).
4. La restitution la meilleure du système de Manéthon est encore celle de Lepsics, der Kônigshuch
der Alten sEgypter, qu'il faut compléter et corriger d'après les mémoires de Lauth, de Lieblein, de
Krall, d'Unger. Le défaut commun de tous ces travaux, remarquables à tant d'égards, est d'avoir
considéré l'œuvre de Manéthon non pas comme représentant un système plus ou moins ingénieux
sur l'histoire d'Egypte, mais comme nous fournissant le schème exact et authentique de cette his-
toire, dans lequel il fallait faire entrer, coûte que coûte, tous les noms royaux, toutes les dates, tous
les événements que les monuments nous ont révélés et qu'ils nous révèlent chaque jour^
5. E. de Rougé a démontré victorieusement contre Bunsen, il y a près de cinquante ans, que toutes
les dynasties de Manéthon ont été successives (Examen de l'ouvrage de M. le Chevalier de Bunsen
dans les Annales de Philosophie chrétienne, 1846-1847, t. XIII-XVI), et les monuments qu'on découvre
en Egypte, d'année en année, n'ont fait que confirmer sa démonstration dans le détail.
2-28 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
doute, le pays se démembra souvent en une quinzaine au moins d'États indé-
pendants dont chacun posséda ses rois propres pendant plusieurs générations,
mais les annalistes avaient écarté dès le début ces lignées collatérales et ne
voulaient connaître pour une même époque qu'une seule dynastie authentique
dont les autres auraient été les vassales. Leur théorie de légitimité ne s'accor-
dait pas toujours avec la réalité de l'histoire, et telle série de princes qu'ils
avaient rejetée comme usurpatrice représentait en son temps l'unique famille
qui possédât des droits réels à la couronne1. En Egypte, comme partout, les
chroniqueurs officiels ont dû souvent accommoder le passé aux exigences du
présent et remanier les annales au gré du parti qui l'emportait : ils ont dupé
la postérité par ordre, et c'est grand hasard si nous réussissons à les prendre
parfois en flagrant délit de faux et à restituer la vérité.
Tel que les abréviateurs nous l'ont transmis, le système de Manéthon a
rendu et rend encore service à la science : s'il n'est pas l'histoire même de
l'Egypte, il la représente assez fidèlement pour qu'on ne puisse le négliger
quand on veut la comprendre et en rétablir la suite. Ses dynasties forment le
cadre nécessaire dans lequel rentrent la plupart des événements et des révo-
lutions dont les monuments nous ont conservé la trace. Au début, le centre
de gravité du pays tombait vers l'extrémité nord de la vallée : le canton qui
s'étend de l'entrée du Fayoum à la pointe du Delta, et plus tard la ville de
Memphis, imposèrent leurs souverains au reste des nomes, servirent d'en-
trepôt au commerce et aux industries nationales, reçurent l'hommage et le
tribut des peuples voisins. Vers la VIe dynastie, le centre de gravité se
déplaça et tendit à remonter vers l'intérieur : il s'arrêta un moment à Héra-
cléopolis (IXe et Xe dynasties), puis finit par se fixer à Thèbes (XIe dynastie).
Dès ce moment Thèbes fut la grande cité et fournit ses maîtres à l'Egypte :
sauf la XIVe dynastie Xoïte, toutes les familles qui s'assirent sur le trône
furent Thébaines, de la XIe à la XXe. Quand les Pasteurs barbares de l'Asie
envahirent l'Afrique, la Thébaïde devint le dernier refuge et le boulevard
de la nationalité égyptienne : ses chefs luttèrent plusieurs siècles contre les
conquérants, avant de délivrer le reste de la vallée. Ce fut une dynastie
1. Je n'en citerai que deux exemples frappants. Les listes royales du temps des Ra mess ides suppri-
ment, à la fin de la XVIII* dynastie, Amenôthès IV avec plusieurs de ses successeurs, et ils donnent la
série Amenôthès III, Harmhabi, Ramsès I", sans lacune apparente : Manéthon au contraire remet en
place les rois omis et conserve en partie au moins l'ordre réel entre Horos (Amenôthès 111) et
Armaïs (Harmhabi). D'autre part, la tradition officielle de la XX* dynastie établit, entre Ramsès II et '
Ramsès III, la série Mtnéphtah, Séti 11, Nakht-Séti; Manéthon au contraire connaît Amenémès, puis
Thouôris, qui semblent bien répondre à l'Amenmésès et au Siphtah des monuments contemporains,
mais il ignore, après Mtnéphtah, Séti II et Nakht-Séti, le père de Ramsès III.
LES GRANDES DIVISIONS DE L'HISTOIRE. 229
thébaine, la XVIIIe, qui ouvrit l'ère des conquêtes lointaines; mais, dès la
XIXe, un mouvement inverse à celui qui s'était produit vers la fin de la pre-
mière période reporta peu à peu le centre de gravité vers le Nord du pays.
A partir de la XXIe dynastie, Thèbes cessa de tenir le rang de capitale :
Tanis, Bubaste, Mendès, Sébennytos, surtout Sais, se disputèrent la supré-
matie, et la vie politique se concentra dans les régions maritimes. Ceux
de l'intérieur, ruinés par les invasions éthiopiennes et assyriennes, perdirent
leur influence et dépérirent progressivement ; Thèbes s'appauvrit, se dépeupla,
tomba en ruines et ne fut plus bientôt qu'un rendez-vous de dévots ou de
curieux. L'histoire de l'Egypte se divise donc en trois périodes, dont chacune
correspond à la suzeraineté d'une ville ou d'une principauté :
I. — Période Memphite, ce qu'on appelle ordinairement Y Ancien Empire,
de la Ire à la Xe dynastie : les rois d'origine memphite dominent pendant la
plus grande partie de cette époque sur l'Egypte entière.
II. — Période Thébaine, de la XIe à la XXe dynastie. Elle est séparée en
deux parties par l'invasion des Pasteurs (XVIe dynastie) :
a. Premier Empire Thébain (Moyen Empire), Xle-XVe dynasties;
b. Nouvel Empire Thébain, depuis la XVIIe jusqu'à la XXe dynastie.
III. — Période Saïte, de la XXIe à la XXXIe dynastie, coupée en deux
tronçons inégaux par la conquête persane :
a. ha première période Saïte, de la XXIe à la XXVIe dynastie ,
b. La seconde période Saïte, de la XXVIIIe à la XXXe dynastie.
Les Memphites avaient créé le royaume. Les Thébains jetèrent l'Egypte au
dehors et firent d'elle un État conquérant : pendant près de six siècles, elle
domina sur le haut du Nil et sur l'Asie Occidentale. Sous les Saïte s, elle rentra
peu à peu dans ses frontières naturelles, et, d'agressive devenue assaillie, se
laissa écraser tour à tour par tous les peuples qu'elle avait opprimés1.
Les monuments ne nous apprennent rien encore aes événements qui
la réunirent entre les mains d'un seul homme ; on devine seulement que les
principautés féodales s'assemblèrent peu à peu en deux groupes dont chacun
composait un royaume à part. Héliopolis fut au Nord le foyer principal d'où
la civilisation rayonna sur les plaines grasses et sur les marais du Delta. Ses
1. La division en Ancien, Moyen et Nouvel Empire, proposée par Lepsius, a le défaut de ne pas
tenir compte de l'influence que le déplacement des dynasties exerça sur l'histoire du pays. Celle que
j'adopte ici a été indiquée pour la première fois dans la Hevue critique, 1873, t. I, p. 82-83.
230 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
collèges de prêtres avaient recueilli, condensé, ordonné les mythes principaux
des religions locales : l'Ennéade qu'elle conçut n'aurait pas obtenu le suc-
cès qu'il faut bien lui reconnaître, si ses princes n'avaient exercé pendant
quelque temps au moins une suzeraineté réelle sur les plaines voisines1. C'est
autour d'elle que le royaume de la Basse-Egypte s'organisa : tout y porte la
trace évidente des théories héliopolitaines, le protocole des rois, leur descen-
dance supposée de Râ, le culte passionné qu'ils rendent au Soleil. Le Delta,
par sa forme courte et ramassée, était disposé merveilleusement pour subir
une influence unique : la vallée proprement dite, étroite, tortueuse, allongée
comme en lanière mince sur les deux rives du fleuve, ne se prêtait pas à une
aussi complète uniformité. Elle composait, elle aussi, un seul royaume qui
avait le jonc ^ et le lotus % pour emblèmes, mais d'une texture plus lâche,
d'une religion moins systématique, sans cité assez bien placée pour servir de
centre politique ou sacerdotal. Hermopolis possédait des écoles de théologiens
qui jouèrent certainement un grand rôle dans la mise en œuvre des mythes
ou des dogmes; mais la puissance de ses maîtres ne s'étendit jamais bien
loin. Siout leur disputait l'hégémonie dans le Sud, Héracléopolis leur bar-
rait le chemin du Nord : les trois cités se contrarièrent, se neutralisèrent
l'une l'autre, et ne parvinrent jamais à jouir d'une autorité durable sur la
Haute-Egypte. Chacun des deux royaumes avait ses avantages naturels et
son système de gouvernement, qui lui laissaient une physionomie particulière,
et qui firent de lui comme une personne distincte jusqu'aux derniers jours1.
Celui du Sud était plus puissant, plus riche, plus peuplé, commandé, ce
semble, par des chefs plus actifs et plus entreprenants. C'est à l'un d'eux,
Mini ou Menés de Thinis, que la tradition attribuait l'honneur d'avoir fondu
les deux Ëgyptes en un seul empire et d'-avoir inauguré le règne des dynasties
humaines. Thinis comptait à l'époque historique comme une des moindres
parmi les cités égyptiennes. Elle végétait péniblement sur la rive gauche
du Nil, sinon à la place même où Girgéh s'élève aujourd'hui, du moins
à fort petite distance de cette ville'. La principauté du Reliquaire Osi-
1. Cf. ce qui est dit d'Iléliopolis, de sa position et de ses ruines, aux p. 135-136 de cette Histoire.
2. Voir, sur ce point, les considérations que M. Erra an a développées avec beaucoup de force dans
son &gypten% p. 32 sqq.;je crois pourtant, contrairement à l'opinion qu'il exprime (p. 128), que le
royaume du Nord a reçu de très bonne heure une organisation politique aussi ferme et aussi complète
que celle du royaume méridional (Maspero, Etudes Égyptiennes, t. Il, p. "2-4-4 sqq.).
3. L'emplacement de Thinis n'est pas encore connu de façon certaine. Il n'est ni au Kom-es-Sultàn,
ainsi que Mariette l'imaginait (Kotice des principaux Monuments, 1864, p. 285), ni à El-Kherbéh, selon
l'hypothèse d'A. Schmidt {Die Griechischen Papyrus-Urkunden der Kôniglichen Bibliolhek zu Berlin,
p. 69-79). Brugsch a proposé de le fixer au village de Tinéh (Geogr. Inschriften, t. I, p. 207) près
Berdis, suivi en cela par Dûmichen (Geschichte AL<jyplen&, p. 154). La tendance actuelle est de le
INCERTITUDE DES COMMENCEMENTS : MENÉS DE THINIS.
234
rien, dont elle était la métropole, barrait la vallée d'une montagne à l'autre,
et se développait à travers le désert jusque dans la Grande Oasis thébaine1.
Elle adorait un dieu-ciel, Anhouri, ou plutôt un couple de dieux jumeaux,
Anhouri-Shou, qui s'amalgama promptement avec les divinités solaires et
devint une personnification belliqueuse de Râ. Anhouri-Shou s'associait,
Jve a r o n o !• e fe ^\p*
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PLAN DES RUINES D ABYDOS, LEVÉ PAR MARIETTE EX 18C5 ET EN 1873.
comme toutes les formes du Soleil, à une déesse lionne ou à tête de lionne,
à une Sokhît, qui prenait pour la circonstance l'épithète de Mihit, la septen-
trionale*. Une partie des morts de la cité reposait de l'autre côté du Nil,
auprès du village moderne de Méshéikh, au pied de la chaîne Arabique, dont
les falaises abruptes rangent ici le fleuve d'assez près3 : la nécropole prin-
reconnaitrc soit dans Girgéh même, soit dans un des bourgs voisins de Girgéh, Birbéh par exemple,
où il y a des ruines antiques (Mariettk-Maspf.ro, Monuments divers, texte, p. 26-27 ; Sayce, Gleanings
from the land of Egypt, dans le Recueil de Travaux, t. XIII, p. 63); c'était l'opinion de Champollion
et de Nestor Lhôte (Recueil de Travaux, t. XIII, p. 72, Lettres écrites d'Egypte, p. 88, 125). Je rap-
pelle que, dans un passage d'Ilellanicos souvent cite (fragm. 130, édit. MOller-Didot, Fragmenta
HUtoricorum Grxcorum, t. I, p. 66), Zoëga corrigeait la leçon Ttv&tov ovou,oc en @ïv 8è oi ovou.a, qui
nous rendrait une fois de plus te nom de Thinis : la mention de cette ville comme étant è7ri7roTauir(,
située sur le fleuve, serait une preuve nouvelle pour l'identification avec Girgéh.
1. Dès la XI* dynastie, les seigneurs d'Abydos et de Thinis portent officiellement, en tête de leurs
inscriptions, le titre de maîtres de l'Oasis (Brit.sch, Reise nach der Grossen Oase el-Khargeh, p. 62).
2. Sur Anhouri-Shou, cf. ce qui est dit aux p. 99, 101, 140-1 41, de cette Histoire.
3. Je l'ai explorée après Mariette. Le principal des tombeaux de la XIX* dynastie qu'elle renferme a
été publié en partie dans Mariette, Monuments divers, pi. 78 et p. 26-27; plusieurs autres, qui remon-
tent à la VIU dynastie, ont été signalés par Nestor Lhôte (Recueil de Travaux, t. XIII, p. 71-72) et par
Sayce (Gleanings from tlie land of Egypt, dans le Recueil de Travaux, t. XIII, p. 62-65).
232 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
cipale était assez loin vers l'Ouest, auprès de la ville sainte d'Àbydos. Il
semble qu'Abydos ait été au début la capitale du pays, car le nome entier
porte le même nom qu'elle et avait adopté pour ses armes l'image du Reli-
quaire où dormait le dieu : elle déchut très anciennement et céda son rang
politique à Thinis, mais sans que son importance religieuse diminuât. Elle
occupait une bande de terre étroite et longue entre les premières pentes de
la montagne Libyque et le canal. Une forteresse en briques la défendait contre
les incursions des Bédouins1, et le temple du dieu des morts dressait tout à
côté ses murailles nues. Anhouri, passé de vie à trépas, y recevait un culte
sous le nom de Khontamentit, le Chef de la région Occidentale où les âmes
pénètrent au sortir de notre terre*. Par quelle rencontre de doctrines ou par
quelle combinaison politique, ce Soleil de nuit en vint-il à s'allier avec l'Osiris
de Mendès, nul ne le sait, car la fusion remonte fort haut dans le passé; elle
était un fait accompli depuis longtemps au moment où l'on rédigea les plus
vieux livres sacrés. Osiris Khontamentit crût rapidement en popularité,
et son temple attira chaque année des pèlerins plus nombreux. La grande
Oasis avait passé au début pour une sorte de paradis mystérieux, où les
morts allaient chercher le bonheur et la paix. On l'appelait Ouït, le Sépulcre;
ce nom lui demeura après qu'elle fut devenue une province de l'Egypte
vivante3, le souvenir de son ancienne destination survécut dans l'esprit du
peuple, et la Fente, la gorge de la montagne par laquelle les doubles s'ache-
minaient vers elle, ne cessa jamais d'être une des portes de l'autre monde.
Les esprits y affluaient de tous les points de la vallée vers les fêtes du Nouvel
An; ils y attendaient l'arrivée du Soleil mourant pour s'embarquer avec lui
et pour pénétrer sans danger dans les domaines de Khontamentit1. Abydos
fut dès avant l'histoire la seule ville et son dieu le seul dieu dont le culte,
pratiqué de tous les Égyptiens, leur inspirait à tous une égale dévotion.
Cette sorte de conquête morale fit-elle croire plus tard à une conquête
matérielle par les princes de Thinis et d'Abydos, ou bien un fonds d'histoire
véritable se cache-t-il sous la tradition qui leur attribue l'établissement de la
monarchie unique? C'est le Thinite Menés que les annalistes thébains assi-
1. C'est le Kom-es-Sultàn d'aujourd'hui, où Mariette espérait trouver le tombeau d'Osiris.
2. Maspero, Etudes de Mythologie et d' Archéologie Egyptiennes, t. II, p. 23-24.
3. Encore à l'époque persane, la tradition antique a son écho dans le nom d'Iles des bienheureux
(Hérodote, 111, xxvi) qu'on donnait à la Grande Oasis. Un passage d'inscription nous montre les âmes
se rendant à l'Oasis de Zoszes (Brugsch, Iiei*e nach der Grossen Oase, p. 41, et Dict. Geogr.t p. 101)2),
qui est une partie de la Grande Oasis, et que l'on considérait ordinairement comme étant un
séjour des morts (Maspero, Études de Mythologie el d'Archéologie Égyptiennes, t. Il, p. 421-427).
4. Voir ce qui est dit à ce sujet aux p. 196-198 de cette Histoire.
MENÉS ET LA FONDATION DE MEMPHIS. 233
gDaient comme ancêtre aux Pharaons glorieux de la XVIII' dynastie1; c'est lui
encore que les chroniques Memphites où Manéthon puisait, inscrivirent en
tête de leurs listes humaines, et l'Egypte entière l'a proclamé pendant de
longs siècles son premier maître mortel. Certes, rien n'empêche qu'un chef de
Thinis se soit appelé de ce nom, ni même qu'il ait accompli les exploits dont
on lui fait honneur*; mais dès qu'on y regarde d'un peu près, ce qu'il parais-
sait présenter de réalité disparaît et sa personne se réduit à rien. « Ce Menés,
au dire des prêtres, entoura Memphis de digues. Jadis en effet le fleuve
s'écoulait tout entier le long des collines sablonneuses, du côté de la Libye.
Menés, à cent stades au-dessus de Memphis, combla le grand coude qu'il
décrivait vers le midi, mit l'ancien chenal à sec et obligea le fleuve à filer à
égale distance des deux montagnes. Lors donc que ce Menés, le premier qui
fut roi, eut enclos de digues un terrain solide, il y fonda cette ville qu'on
appelle Memphis maintenant encore, puis il creusa tout autour d'elle, au Nord
et au couchant, un lac alimenté par le fleuve, car vers l'Orient c'est le Nil
qui la délimite8. » L'histoire de Memphis telle qu'on peut la déduire des
monuments, diffère assez de la tradition courante en Egypte au temps d'Héro-
dote*. Il paraît bien qu'au début l'emplacement où elle s'éleva plus tard
était occupé par une petite forteresse, le Mur Blanc — Anbou-hazou, — qui
dépendait d'Héliopolis et dans laquelle Phtah possédait un sanctuaire. Après
que le Mur Blanc se fut séparé de la principauté héliopolitaine pour former un
nome à part, il assuma une certaine importance et fournit, dit-on, les dynas-
ties qui succédèrent aux Thinites. Sa prospérité ne date toutefois que du
moment où les souverains de la Ve et de la VIe dynastie y fixèrent leur
résidence : l'un d'eux, Papi Ier, y fonda pour lui, et pour son double après
lui, une ville nouvelle qu'il nomma Minnofîrou, d'après son tombeau. Minno-
firou, qui est la prononciation correcte et l'origine de Memphis, signifiait
probablement le bon asile, le port des Bons, le sépulcre où les morts heureux
1. Il figure sous Séti Ier et sous Ramsès II en tête de la Table tTAbydos. Sous Ramsès II, on porte
sa statue dans une procession, en avant des autres statues royales (Champollion, Monuments de V Egypte
et de ta Nubie, pi. CXLIX ; Lkpsius, Denkm., III, 163). Enfin le Papyrus royal de Turin, qui a été écrit
au temps de Ramsès II, ouvre avec son nom la série entière des Pharaons humains.
2. Il a été considéré comme personne historique par presque tous les égyptologues, depuis
Champollion : Binsex, Mgyplem Stellet t. H, p. 38; Lepsus, Kônigsbuch, p. 19-20; E. de Rouge,
Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties de Manéthon,
p. 12 sqq. ; Brlt.sch, Geschichte Mgyplens, p. 41 sqq. ; Wiedemann, ASgyptische Geschichtc, p. 163 sqq. ;
Ed. Meykr, Geschichtn /Egyptcn*, p. 49 sqq. Krall avait montré le caractère artificiel des listes où il
est cité {Composition der Manethonischen Geschichtswerkes, p. 16-18); Erman l'a traité le premier de
personnage à demi-mythique (Erman, Historische Nachlese dans la Zeitschrift, t. XXX, p. 46).
3. Hérodote, II, xcix. La digue dont on attribuait la fondation à Menés est évidemment celle de
Qoshéish, qui protège aujourd'hui la province de Gizéh et y règle l'inondation.
4. Elle a été démêlée avec beaucoup de sagacité par Erman, /Egypten, p. 240-244.
30
234 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
venaient reposer auprès d'Osiris1. Le peuple oublia promptement l'interpré-
tation authentique, ou bien elle ne convint pas à son goût pour les contes
romanesques. Il aime d'ordinaire à retrouver vers les commencements de
l'histoire des personnages qui ont imposé leur nom aux pays ou aux cités qu'il
connaît : si nulle tradition ne les lui fournit, il n'éprouve aucun scrupule à les
inventer. Les Egyptiens de l'époque des Ptolémées, qui se réglaient dans
leurs spéculations philologiques sur la prononciation usitée autour d'eux,
attribuèrent comme patronne à la cité une princesse Memphis, fille de son
fondateur le fabuleux Uchoreus'; ceux des âges antérieurs où le nom n'était
point déformé crurent discerner dans Minnofirou un Mîni Nofir, un Menés
le bon, qui aurait créé la capitale du Delta. Menés le bon, dépouillé de son
épithète, n'est autre que Menés le premier roi de l'Egypte entière, et celui-ci
doit son existence à un effort d'étymologie populaire5. La légende qui identifie
rétablissement du royaume avec la construction de la ville dut naître dans un
siècle où celle-ci était encore la résidence des rois et le siège du gouverne-
ment, au plus tard vers la fin de la période Memphite : il fallait qu'elle fût
déjà vieille sous les dynasties thébaines, pour qu'elles admissent sans hési-
tation l'authenticité des récits qui attribuaient à la cité du Nord une supé-
riorité aussi notable sur leur propre patrie. Le personnage une fois créé et
installé solidement à son poste, on n'eut point de peine à lui composer une
histoire qui le présenta comme le type accompli et l'idéal du souverain. On
le montra tour à tour architecte, guerrier, législateur : il avait fondé
Memphis, il avait commencé le temple de Phtah4, il avait écrit les lois et réglé
le culte des dieux8, plus particulièrement celui d'IIâpis*, il avait conduit des
expéditions contre les Libyens7. Quand il perdit son fils unique à la fleur de
l'âge, le peuple improvisa un hymne de deuil pour le consoler, le Manéros,
dont l'air et les paroles se transmettaient de génération en génération8. 11 ne
1. La traduction des Grecs ôpjio; dryaôwv répond exactement à l'ancienne orthographe Min-no/imu,
qui est devenue Min-nofîr, Minnoufi, le Port du bon, par chute de la terminaison plurielle, puis de r
finale (De hide et Osiride, § 20, édit. Parthey, p. 35). L'autre traduction, Ta?o; 'OatptSoç, donnée par
un auteur grec, suppose une décomposition de Memphis en Ma-Omphis, M-Omphis, où le nom Ounnofir
d'Osiris a pris la forme très usée ''Ou.çtç : to S'ërepov ovou,oc toû 8eoû tov "Ojaçiv e'JEpf éry,v 6 *Epu.«ïôc
?Y)<nv StjXoûv épu,7)vsu6u,evov (De hide et Osiride, § 42, édit. Parthey, p. 74-75).
2. Diouork dk Sicile, I, 50-51; la légende que cet historien a recueillie était d'origine thébaine,
Lchoreus, le père de la déesse éponyme de Memphis, étant le fondateur de Thèbes.
3. Un monument (Krnax, Historische Nachlese, dans la Zeitschrift, t. XXX, p. 43-46) associe Mfni.
nommé Minna ou Menna, Mrjvâ;, à Phtah et à Ramsès II : le héros éponyme devenait un dieu,
et Mini est traité ici comme Ousirtasen 111 l'était à Semnéh ou comme Amenôthès III Tétait à Soleb.
4. Hérodote II, xcix; cf. Wiedemann, Herodoh Zweites Buch, p. 396-398.
5. Diodorf de Sicile, 1, 94; il n'aurait fait que promulguer les lois rédigées anciennement par Thot.
6. Rlien, Hist. Animalium, XI, 10; dans Manéthon, Kakôou institue le culte d'Hâpis, cfr. p. 338.
7. Manéthon dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. II, p. 539-540.
8. Hérodote II, lxxix. Au De hide et Osiride, § 17 (édit. Parthey, p. 28), l'origine du Manéros
LA LÉGENDE DE MENÉS.
235
dédaignait pas d'ailleurs le luxe de la table, car il inventa l'art de servir un
dîner et la manière de le manger, couché sur un lit1. Un jour qu'il chassait,
ses chiens, affolés on ne sait pourquoi, se jetèrent sur lui pour le dévorer. Il
leur échappa à grand'peine et s'enfuit poursuivi par eux : arrivé au bord du
lac Mœriset acculé à la grève, il allait périr quand un crocodile le chargea sur
FRAGMENT D'U* COLLIER DONT LES MÉDAILLONS
PORTENT LK NOM DE MENES9.
iiiiilutsl;
W<0
son dos et le transporta vers l'autre (3§fl§û rive8. Dans sa
reconnaissance, il édifia une ville BEjfflSj nouvelle qu'il
nomma Grocodilopolis et à laquelle il y^jgy désigna pour
dieu le crocodile même qui l'avait sauvé, puis il érigea dans le voisinage le
fameux labyrinthe et une pyramide qui lui servit de tombeau4. D'autres tra-
ditions lui étaient moins favorables. Elles l'accusaient d'avoir excité la colère
des dieux contre lui par des crimes épouvantables : un hippopotame, sorti du
Nil, l'avait tué après un règne de soixante à soixante-deux ans*. Elles racon-
taient aussi que le Saïte Tafnakhti, après une expédition contre les Arabes,
pendant laquelle il avait dû renoncer à la pompe et aux mollesses de la vie
royale, l'avait maudit solennellement et avait inscrit les imprécations sur une
stèle dressée à Thèbes dans le temple d'Amon0. Le bien l'emporta pourtant
sur le mal dans le souvenir que l'Egypte conserva de son premier Pharaon.
est reportée jusqu'à tais pleurant la mort d'Osiris. Les questions que ce chant soulève ont été
débattues par deux égyptologues, Brlgsch, Die Adonisklage und dos Linoslied, 1853, et Laith, Ueber
den jEgyptischr.n Maneros (dans les Sitzungsberichle de l'Académie de Munich, 1869, p. 163-194).
1. Diodore de Sicile. I, 45; cf. de hide et Os i ride, § 8 (édit. Partiiey, p. 1*2-13).
2. Dessin de Faucher-Gudin d'après Prisse d'Avennes, Monuments Égyptiens, pi. XLVII, 2 et p. 8-9).
Les feuilles d'or gravées au nom de Menés sont anciennes et remontent peut-être à la XX* dynastie :
la monture est entièrement moderne, sauf les trois pendeloques oblongues en cornaline.
3. C'est un trait de la légende osirienne : on voit représenté à Philae, dans le petit édifice des
Antonins, un crocodile qui traverse le Nil portant sur son dos la momie du dieu. Le même trait se
retrouve dans le conte d'Onous el-Oudjoud et de Ouard f'il-lkmàm, où le crocodile mène le héros
vers sa belle emprisonnée dans l'Ile de Phila?. Ebers, V Egypte, trad. franc., t. Il, p. 415-416, a montré
comment cet épisode du conte arabe a dû être inspiré par le bas-relief de Phila? et par la scène qu'il
représente : le temple s'appelle encore Kasr, et l'Ile Gêzirèt Onous el-Oudjoud.
4. Diodore de Sicile, 1, 89; plusieurs commentateurs ont voulu très gratuitement transférer cette
légende au compte d'un roi de la XII* dynastie, Amcnemhâtt III. Il n'y a aucun motif de douter que
Diodore ou l'historien chez lequel il se renseignait n'ait transcrit exactement un roman dont Menés
était le héros (Uxger, Manetho, p. 82, 130-131) : s'il s'y est mêlé des traditions relatives à d'autres
rois, le fait n'a rien d'étonnant et répond à ce que nous savons de la composition des contes égyptiens.
5. Manétbos dans MAller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. II, p. 539-540. C'était, dans
les romans populaires, une fin ordinaire aux criminels de toute sorte (Maspero, les Contes populaires
de V Egypte ancienne, 2* édit.. p. 59-62); nous verrons un autre roi, le fondateur de la IX* dynastie,
Akhthoès, périr comme Menés sous la dent d'un hippopotame, après avoir commis des méfaits atroces.
6. De Iside et Osiride, § 8 (édit. Parthey, p. 12-13); Diodore, I, 45; Alexis dans Athénée, X, p. 418 e.
236 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
On l'adorait dans Memphis à côté de Phtah, et de Ramsès II; son nom figurait
en tête des listes royales, et son culte se perpétua jusque sous les Ptolémées.
Ses premiers successeurs n'ont comme lui que l'apparence de la réalité.
Les listes en fournissent, il est vrai, la série complète avec le chiffre des
années qu'ils ont régné à un jour près, parfois avec la durée de leur vie1,
mais on se demande où les chroniqueurs s'étaient procuré tant d'informations
précises. Ils étaient placés à l'égard de ces vieux rois dans la même posi-
tion que nous : ils les connaissaient par une tradition d'époque postérieure,
par un fragment de papyrus conservé accidentellement dans un temple, par
la rencontre fortuite de quelque monument portant leur nom, et ils en étaient
réduits comme nous à combiner les rares éléments qu'ils possédaient, ou
à suppléer ceux qui leur manquaient par des conjectures, selon des modes
souvent trop hardis. Rien n'empêche qu'ils aient recueilli vraiment dans les
souvenirs du passé les noms des personnages dont ils ont composé les deux
premières dynasties thinites. Ces noms présentent une forme âpre et brève,
une signification rude et sauvage qui conviennent à l'époque de demi-barbarie
dans laquelle on les relègue : Ati le lutteur, Teti le coureur, Qenqoni l'écra-
seur, semblent bien les maîtres qui convenaient à des peuples chez qui
le premier devoir du chef était encore de mener les siens au combat et de
frapper plus fort que personne au plus épais de la mêlée1. Les inscriptions
nous fournissent la preuve que certains d'entre eux ont vécu et régné : Sondi,
qu'on classe dans la IIe dynastie, recevait un culte suivi vers la fin de la IIIe3.
Mais tous ceux qui le précèdent et tous ceux qui le suivent ont-ils existé
comme lui? et s'ils ont existé, l'ordre et le lien qu'on établit entre eux sont-ils
conformes à la réalité? Les listes diverses ne portent pas les mêmes noms aux
1. C'est ce qui se passe dans le Canon Royal de Turin, où les règnes et la vie de chaque souverain
sont indiqués en années, en mois et en jours, dans la plupart des cas.
2. Les égyptiens avaient coutume d'expliquer aux étrangers le nom de leurs rois, et le Canon
d'Eratosthènes nous a conservé beaucoup de leurs traductions, dont un certain nombre, ainsi celle
de Menés par ocùovto;, le durable, sont assez exactes. M. Krall (Die Composition und die Schicksale
des Manethonischen GeschichUwerkes, p. 16-19) est, à ma connaissance, le seul égyptologue qui ait
essayé de tirer du sens de ces noms quelques indications sur les procédés que les historiens nationaux
de l'Egypte avaient employés pour rétablir les listes des premières dynasties.
3. Son prêtre Shiri nous est connu par une stèle en forme de porte du Musée de Gizéh (Mariette,
Notice des principaux monuments, 1876, p. 296, n° 996; Maspkro, Guide du visiteur, p. 31-32, 213,
n*993); le fils et le petit-fils de Shiri, Ankaf et Aasen, sont mentionnés sur un monument du Musée
d'Aix (Gibekt-Dkvkria, le Musée d'Aix, p. 7-8, n0- 1-2; cf. Wikdemanx, On a monument of the First
Dynasties, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t. IX, p. 180-181), avec le
même sacerdoce que Shiri exerçait déjà. Une partie du monument de celui-ci est à Oxford (Marmora
Oxoniensia, 2" partie, pi. 1; Lkpsus, Auswahl, pi. IX), une autre à Florence (Schiaparelli, Museo
Archeologico di Firenze, p. 230-232). La notice de son tombeau se trouve dans Mariette,/» Masta-
bas, p. 92 sqq. Un bronze saïte était censé représenter Sondi : il est passé de la collection Posno
(Catalogue, Paris, 1883, n° 53, p. 14) au Musée de Berlin. Le culte de ce prince durait encore
ou venait d'être rétabli sous les Ptolémées (E. de Rontf, Recherches sur les monuments, p. 31).
LES DEUX PREMIERES DYNASTIES THINITES. 237
mêmes places; elles ajoutent certains Pharaons ou les suppriment sans raison
appréciable pour nous. Où Manéthon inscrit Kenkénés et Ouénéphés, les tables
du temps de Séti I" préfè-
rent Ati et Ata ; il compte
neuf princes à la 11' dynas-
tie, quand elles n'en veu-
lent enregistrer que cinq1.
I<es monuments nous ap-
prennent en effet que
l'Egypte avait obéi jadis à
des maîtres que ses anna-
listes ne savaient plus com-
ment classer : par exem-
ple, ils associent à Sondi
un Pirsenou que les chro-
niques ont négligé de re-
cueillir. Il faut donc pren-
dre tout ce début de l'his-
toire pour ce qu'il est,
pour un système inventé
longtemps après coup, au
moyen de combinaisons et
d'artifices variés, qu'on doit
accepter en partie, faute de
rien avoir à lui substituer,
mais sans lui accorder cette
confiance excessive dont on
l'a honoré jusqu'à présent.
• 1 j «Il • ■ STELE EX rORIK DE MUTE lit: TOXHAi: DE SKI M*.
Les deux dynasties Thini-
tes, cette lignée directe du fabuleux Mènes, n'offraient comme lui pour histoire
qu'un tissu de contes romanesques et de légendes miraculeuses. Une grue
1. L'impossibilité de ramener les uns aux autres h>s iibbs lien listes grecques et pharaoniques u été
admise par la plupart des savants qui se sont occupes du ces matières, Mariette (la Noueetle Table
d'Abydoi, p. '.i sqq.j, R. de Rougé (Hecherehet «ur la monuments, p. 18 sqq .), Mehleiii [Hri-hrrrhn
sur la Chronologie Égyptienne, p. lî sqq.), Wlrdeminn (.-Egypliurlie Getehichle, p. Uîi-1i>:(, ifji;-
IB7, etc.); la plupart d'entre eu\ cipliquenl le- différences en supposant que, dans bien des eas, l'une
des lisle» > conservé le cartouche-nom, l'autre le cartouche-prénom d'un même roi.
t. Ùemin de Boudier daprn une photographie d'Emile Urugich-Bey, gui reproduit la ttèle fOS7
du Mutée de GiUh (JUspeec-, Guide du Vilileur au IHuiée de Bouiag, p. 31-34, 413).
238 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
à deux têtes, apparue dans la première année de Téti, fils de Menés, avait
présagé une longue prospérité à l'Egypte1, mais sous Ouénéphès une famine*,
sous Sémempsès une peste terrible, avaient dépeuplé le pays3 : les lois
s'étaient relâchées, de grands crimes avaient été commis, des révoltes
avaient éclaté. Un gouffre s'était ouvert près de Bubaste, pendant le règne
de Boêthos, et avait englouti beaucoup de gens4, puis le Nil avait roulé du miel
quinze jours durant au temps de Népherchérès5, et Sésôchris passait pour
avoir eu la taille d'un géant8. Quelques détails sur les constructions royales
se mêlaient à ces prodiges : Téti avait jeté les fondations du grand palais de
Memphis7, et Ouénéphès avait bâti les pyramides de Ko-komè, près de Saq-
qarah8. Plusieurs des vieux Pharaons avaient publié des livres de théologie
ou rédigé des traités d'anatomie et de médecine9; plusieurs avaient rendu des
lois qui duraient encore vers le commencement de l'ère chrétienne. L'un d'eux
s'appelait Kakôou, le mâle des mâles ou le taureau des taureaux. On expli-
quait son nom en racontant qu'il s'était fort occupé des animaux sacrés; il
avait proclamé dieux l'Hâpis de Memphis, le Mnévis d'Héliopolis et le bouc de
Mendès10. Après lui, Binôthris avait conféré le droit de succession à toutes les
femmes de sang royal11. L'avènement de la IIIe dynastie, Memphite à ce que
dit Manéthon, ne changea rien d'abord au cours miraculeux de cette histoire.
Les Libyens s'étaient révoltés contre Néchérophès, et les deux armées cam-
paient en présence : une nuit le disque de la lune s'élargit démesurément, au
grand effroi des rebelles, qui reconnurent dans ce phénomène un signe de la
colère céleste et se soumirent sans combat1'. Le successeur de Néchérophès,
Tosorthros, perfectionna les hiéroglyphes et la taille des blocs de pierre : il
composa comme Téti des livres de médecine, qui le firent identifier avec le
1. A pion, fragm. 11, dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorttm, t. III, p. 514. Élîen
{llist. Aiiim., XI, 40), qui nous a transrais ce fragment, nomme le fils de Menés, Oinis, xa-à tov
(HviSa, que Bunsen corrige en xax"ATcoôiSa [<€gyptens Sleile, t. II, p. 46, note 15), sans raison.
2. Manéthon, dans Mi'ller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. 11, p. 539-540.
3. Manéthon, dans Mî'ller-Diuot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. II, p. 539-540.
4. Manéthon, dans MCîller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. II, p. 542-543.
5. Manéthon, dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum , t. Il, p. 542-543. Jean d'An
tioche, on ne sait d'après qui, plaçait ce miracle sous Binôthris (MCller-Didot, op. /., t. IV, p. 539).
G. Manéthon, dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. II, p. 542-543.
7. Manéthon, dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. II, p. 539-540.
8. Manéthon, dans Mî'ller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. II, p. 539-540.
9. Téti avait écrit des livres d'anatomie (Manéthon, dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum
Grsecorum, t. II, p. 539-540), et une recette pour faire croître les cheveux était attribuée à sa mère,
la reine Shishit {Papyrus Ebers, pi. LXV1, 1. 5). Tosorthros, de la III" dynastie, passait également pour
avoir composé un traité de médecine (Manéthon, dans MCller-Didot, op. /., t. II, p. 544).
10. Manéthon, dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. II, p. 5i2-543; cf. Krali..
Die Composition und Schicksale des Manethonischen Geschichtswerkes, p. 4.
11. Manéthon, dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. II, p. 542-543.
12. Manéthon, dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorum Grsecorum, t. II, p. 544-545.
ORIGINE DES LEGENDES SUR LES TROIS PREMIÈRES DYNASTIES. 239
dieu guérisseur Imhotpou1. Les prêtres racontaient ces choses très gravement
et les écrivains grecs les ont recueillies de leur bouche, avec le respect qu'ils
accordaient à tout ce qui venait des sages hgyptiens.
Ce qu'on disait des rois humains n'est pas, comme on voit, beaucoup plus
varié que ce qu'on rappor-
tait des dieux. Légendes di-
vines ou légendes royales,
tout ce que nous connaissons
procédait, non pas de l'ima-
gination populaire , mais
de la dogmatique sacerdo-
tale : c'est au fond des sanc-
tuaires qu'on l'a fabriqué
après coup, dans une inten-
tion et avec des procédés
que les monuments nous
permettent parfois de pren-
dre sur le fait*. Vers le
milieu du m' siècle avant
notre ère, les troupes grec-
ques cantonnées à la frontière
méridionale, dans les forts
de la première cataracte,
conçurent une vénération
particulière pour l'isis de
Philae. Leur dévotion gagna
les officiers supérieurs qui
venaient les inspecter, puis
la population de la Thébaide entière, et se répandit jusqu'à la cour des rois
macédoniens : ceux-ci, entraînés par l'exemple, encouragèrent de leur mieux
le mouvement qui emportait vers un sanctuaire commun et réunissait dans
une même adoration les deux races sur lesquelles ils régnaient. Ils mirent
I. M*n£thok, dans MCutB-Dinm, Fragmenta Hmlariiomm Grmco
t. J'ai résumé, aux ]>. 1AB-1TI de cette Hittairc, ce que la
savait ou croyait savoir sur les bienfaits dont Kà, Shou, Sibou avaient comb
cité pendant la durée de leur règne terrestre.
3. Deuhi de Faucher-Gudiu, d'aprèt un dei ban-reliefi du temple de KAno
{Dricription de l'Egypte. Antiquité,. I. I. p). 3ti, t). Ce bas-relief est aujourd'hui
21U L'HISTO.IRE LÉGENDAIRE [>E L'EGYPTE.
bas l'édifice assez mesquin d'époque saïte dont Isis s'était contentée jus-
qu'alors, construisirent à grands frais le temple qui subsiste encore presque
intact, et lui assignèrent en Nubie des biens considérables qui, joints aux
dons des particuliers, tirent de la déesse le propriétaire le plus riche de
I Egypte méridionale. Khnoumou et ses deux femmes, Anoukît et Sattt, qui
avaient été avant elle les suzerains incontestés de la cataracte,
k. virent d'un œil jaloux la prospérité de leur voisine : les guerres
civiles et les invasions des derniers siècles avaient ruiné leurs
temples, et leur pauvreté contrastait péniblement avec la richesse
de la nouvelle venue. Les prêtres résolurent de remontrer au roi
Ptolémée leur triste situation, les services qu'ils avaient rendus
et qu'ils rendaient encore à la terre d'Egypte, surtout la générosité
des vieux Pharaons, dont la misère des temps avait seule obligé les
Pharaons récents à se départir. Sans doute les pièces authentiques
Tianquaicnt dans leurs archives à l'appui de leurs prétentions : ils
ravèrent sur un rocher, dans l'ile de Sehel, une longue inscription
pj'ils attribuèrent à Zosiri, de la IIP dynastie. Ce souverain avait
aissé l'impression assez vague de quelqu'un de grand. Dès la
VIP dynastie. Ousirtasen III le réclamait pour « son père », pour son
_ ancêtre, et lui érigeait une statue'; les prêtres savaient qu'en se
MioL'iiT. plaçant sous son invocation ils avaient chance d'être écoutés.
L'inscription qu'ils fabriquèrent témoignait qu'en l'an XVIII de son
règne, il avait expédié à Madir, sire d'Éléphantine, un message ainsi conçu: ■ Je
suis accablé de douleur pour le trône même et pour ceux qui résident dans
le palais, et mon cœur s'afflige et souffre grandement parce que le Nil n'est pas
venu en mon temps, l'espace de huit années. Le blé est rare, les herbages
manquent et il n'y a plus rien à manger; quand n'importe qui appelle ses voi-
sins au secours, ils se hâtent de n'y pas aller. L'enfant pleure, le jeune homme
s'agite, les vieillards leur cœur est désespéré, les jambes repliées, accroupis
à terre, les mains croisées, les courtisans n'ont plus de ressources; les maga-
sins qui jadis étaient bien garnis de richesses, l'air seul y entre aujour-
d'hui, et tout ce qui s'y trouvait a disparu. Aussi mon esprit, se reportant
aux débuts du monde, songe à s'adresser au Sauveur qui fut ici où je suis
pendant les siècles dos dieux, à Thot-lbis ce grand savant, à Imliotpou
I. La hase inulilée en est conservée aujourd'hui dan» le Musée fijcyptk-n de Berlin (Kmmn, In--
zeichniia ilrr /Egyptitclirii Allerlùmer uml Ciinabyûite, ji. 3J, n* !M*).
LA STÈLE DE LA FAMINE.
y Vn
vie
désastre souffert par l'Egypte. Zosiri se ren-
dit au temple de la cité, offrit les sacrifices réglementaires; le dieu se dressa,
ouvrit les yeux, palpita, s'écria à haute voix : « Je suis Khnoumou qui t'a
créé! <• lui promit le retour prochain des hautes eaux et la fin de la famine.
Pharaon s'émut de la bienveillance que son père divin lui témoignait; il rendit
aussitôt un décret par lequel il cédait au temple tous ses droits de suzeraineté
sur les cantons du voisinage jusqu'à la distance de vingt milles. Désormais
la population entière, cultivateurs ou vignerons, pécheurs et chasseurs,
payerait aux prêtres la dime de ses revenus; on n'exploiterait les carrières
qu'avec l'assentiment de Khnoumou et à la condition de verser une indem-
nité convenable dans ses caisses; enfin, les métaux et les bois précieux qui
prendraient la voie d'eau afin de pénétrer en hgypte seraient soumis à des
droits de péage pour le compte du temple*. Les conséquences que le clergé
local prétendait déduire de ce récit romanesque furent-elles admises par les
1. betiiii de liuudier, d'apréi la photographie de Dérèria [1864} \ au premier plan, le lombcnu de Ti.
ï. C'est l'inscription recouverte par M. Wilbour, à Sehel en iBW, et publiée par BariisCH, Die llibti-
sehen ticbcii Jakre der llungrrmolh, et par Plkyti, Schenkinijioorkonile van PckiHe uit kel 18*' Jaar
van Koniny Tasrrtaris (titrait îles Comptes rendus île ['Académie des Science- d'Amsterdam, :)■■ '.cric.
i. VIII): cf. «isptitodnn» b Revue Critique, ISLii, 1. II, p. I4!l sqq. U lecture nielle du nom royal a été
îndii|uéc presque aussitôt après ta trouvaille, par SleindorlT, dans la Zeittchrift, t. XXVIII, p. Hl-tli.
242 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
Ptolémées, et le dieu rentra-t-il en possession des domaines ou des redevances
qu'on affirmait lui avoir appartenus? La stèle nous montre avec quelle
aisance les scribes forgeaient les actes officiels dont les nécessités de la vie
journalière leur révélaient le besoin ; elle nous apprend du même coup com-
ment s'élabora cette chronique fabuleuse dont les écrivains classiques nous
ont conservé les débris. Chacun des prodiges, chacun des faits que Manéthon
rapporte, était extrait d'une pièce analogue à l'inscription supposée de Zosiri1.
L'histoire réelle des premiers siècles échappe donc à nos recherches, et
aucun document contemporain ne nous retrace les vicissitudes que l'Egypte
traversa avant de se constituer en un royaume unique entre les mains d'un
seul homme. Plusieurs noms avaient surnagé dans la mémoire du peuple
comme ceux de princes puissants et illustres : on les avait réunis, classés,
divisés en dynasties d'allure régulière, mais ce qu'ils recouvraient au juste,
on l'ignorait, et les historiens en étaient réduits à recueillir des traditions
apocryphes sur leur compte dans les archives sacrées. Pourtant les monu-
ments de ces âges reculés n'ont pas dû disparaître entièrement : ils existent
quelque part où nous ne songeons pas encore à porter la pioche, et le hasard
des fouilles nous les rendra certainement un jour ou l'autre. Ceux que nous
possédons en petit nombre ne remontent guère au delà de la IIIe dynastie :
c'est l'hypogée de Shiri, prêtre de Sondi et de Pirsenou', c'est peut-être le
tombeau de Khouîthotpou à Saqqarah3, c'est le grand Sphinx de Gizéh, c'est
une courte inscription des rochers de l'Ouadi-Maghârah, qui nous montre
Zosiri, celui-là même de qui les prêtres de Khnoumou se réclamaient à
l'époque grecque, exploitant les mines de turquoises ou de cuivre du Sinaï*;
c'est enfin la pyramide à degrés où ce Pharaon reposa5. Elle présente une
1. La légende du gouffre ouvert à Bubastis devait ko rattachera des donations que le roi Boêthos
aurait faites au temple de cette ville, pour réparer les pertes que la déesse avait subies. à cette occasion ;
celle de la peste et de la famine à quelque secours apporté par un dieu local, et dont Sémcmpsès et
Ouénéphés auraient témoigné leur reconnaissance à la façon de Zosiri. La tradition des restaurations
successives de Dendérah (Pi michkn, Bauurkunde der Tem pela nia g en von Dendera, pi. XVI, a-b, et
p. 15, 18-19) nous rend compte des constructions attribuées à Téti I#r et à Tosorthros; enfin, les
découvertes prétendues de livres sacrés, dont il a été question ailleurs (p. 224-245), montrent com-
ment Manéthon a pu prêter à ses Pharaons la rédaction d'ouvrages de médecine ou de théologie.
2. Mariette, les Mastaba» de l'Ancien Empire, p. 92-91, et les fragments indiqués plus haut, p. 236.
3. Mariette, les Mastabas de l'Ancien Empire, p. 68-70. Mariette reporte la construction du tombeau
de Khàbiousokari à la Ire dynastie (p. 73); je ne pense pas qu'on puisse la ramener au delà de la III*.
4. Ce texte, qui ne porte que le titre d'Horus du souverain, a été recueilli par Bénédite, il > a
quatre ans ; c'est la plus ancienne de toutes les inscriptions historiques de l'Egypte.
5. La stèle de Séhel a permis de constater que le protocole du roi enterré dans la pyramide à degrés
est identique à celui du roi Zosiri : c'est donc Zosiri qui construisit ou qui aménagea le monument
pour en faire son tombeau (Bfugsch, Der Kônig Ihter, dans la Zeitschrift, t. XXVIII, p. 110-111). La
pyramide à degrés de Saqqarah a été ouverte en 1819, pour le compte du général prussien de Minutoli,
qui a donné le premier une description sommaire de l'intérieur, avec les plans et les dessins à l'appui
{lieite zttm Tempel des Jupiter Ammon, p. 295-299, et Atlas, pi. XXVI-XXV1II).
LA PYRAMIDE * DEGRÉS DE SAQQARAH. W3
masse rectangulaire, orientée inexactement avec un écart de 4"35' sur le Nord
vrai, allongée de l'Est à l'Ouest par 120 m. 60 et 107 m. 30 de côté,
haute de 59 m. 68. Elle se compose de six cubes à pans inclinés, en retraite
l'un sur l'autre de 2 mètres environ : le plus rapproché du sol mesure 11 m. 48
d'élévation, le plus éloigné 8 m. 89. Elle a été construite entièrement avec le
calcaire de la montagne environnante. Les blocs sont petits, mal taillés, les
lits d'assise concaves, pour résister plus sûrement à la poussée des maté-
riaux et aux secousses des tremblements de terre. Quand on explore les
brèches de la maçonnerie, on reconnaît que la face extérieure des gradins est
comme habillée de deux enveloppes, dont chacune possède son parement ré-
gulier. Le corps en est plein, et les chambres s'enfoncent dans le roc au-des-
1 . Deuin de Faucher-Gudin, d'apre» le croquit coloré de Segalo. M. Slern (l)ic Handliemerhungen
;u dcn manetkonitchen Kônigiraiion, dans la Zeitichrift, 1883. p. 90, noie 1) attribue la dérornliim
ru faïence à la XXVI' dynastie, en quoi il est approuve par BùKCHtmiT, die Thùr au» lier Slttftnpy-
ramide bel Sakkara (dans la Zeilschrifl, l. XXX, p. 83-87). Les briques cmailiéea jaunes et vertes
i[iii portent le cartouche de Papi I" montrent que les Egyptiens des dynasties memphites employaient
déjà les revêtements d'cmnîl ; on peut donc penser que. si tes plaques du caveau de Zosiri sont vrai-
ment d'époque salle, elles ont remplace une décoration du même genre, qui remontait au temps
même de la construction, et dont une partie subsiste peut-être encore mêlée aux carreaui de date
plus récente. La chambre a été dessinée et reproduite en noir par Minutoli (Heine sura Tempei de»
Jupiter Ammoii, pi. XX VIII), en rouleur par Segalo dans V«lp.biaki, Nuova lltuttraiionc istorico-monv-
menlale del Battit rdrll' Alto Egitto, pi. C-, cf. Pciuhvt-Cmifiiei. HUloire de l'art, I. I, p. 8Ï3-8Ï1.
244 L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE.
sous de la pyramide. Elles ont été agrandies, restaurées, remaniées souvent
au cours des siècles, et les couloirs qui y conduisent forment un véritable
dédale au milieu duquel il est périlleux de s'aventurer sans guide : portique à
colonnes, galeries, salles, tout aboutit à une sorte de puits fort large, au fond
duquel l'architecte avait pratiqué une cachette, destinée sans doute à contenir
les objets les plus précieux du mobilier funéraire. Le caveau avait gardé jus-
qu'au commencement du siècle sa parure de faïence antique. Il était émail lé
aux trois quarts de plaques vertes, oblongues, légèrement convexes au
dehors, mais plates à la face interne : une saillie carrée, percée d'un trou,
servait à les assembler par derrière, sur une seule ligne horizontale, au moyen
de tiges flexibles en bois. I<es trois bandes qui encadraient l'une des portes
sont historiées aux titres du Pharaon : les hiéroglyphes s'enlèvent en bleu,
en rouge, en vert, en jaune, sur un ton chamoisé. Les villes, les palais, les
temples, tous les édifices que les princes et les rois avaient construits pour
rendre aux générations futures le témoignage de leur puissance ou de leur
piété, ont disparu au cours des âges sous les pieds et aux fanfares triom-
phales de vingt invasions : seule la pyramide a survécu et le plus ancien des
monuments historiques de l'Egypte est un tombeau.
dœh i^tmâfihi/ioth i*mùiatteJ aeJ l'&auirfeJ
.-Le' roi, la reine' et- lejtJ princenJ royaux. - >-4 adminùtratinn fntaraoniaite
^-in féodt dite et. les c lettré éy t/ptienjtJ, leaJ joldata.'.
cJ.ii bourtieoùieJ aett) tnllejtJ et. le> jreuple' destJ campaaneriJ.
riœJ cùnetièrertJ deJ Cfizéa. et. de,' C'âaaaraA : le' aranii ÔpAinx; ùrc'
majtaoarc.', leur~' cnapelle' et. au décoration, len.' statu esc ' dit dottéle', le'
caveau -funéraires. • <. Importance' denJ tableaux et. deitJ iexteitJ fracétiJ
daarc' ùaJ maitaotMJ fjour^ lÂÙ>toire> detiJ dynajtiea.} ' 3/temnnitenJ.
t-CeJ rot et. la familles roualeJ. - ^dJouile.' naturrJ et. titreaJ du aou-
<-erain ; atiz.' notnaJ dJÙorunJ et. la formation f/roare/tivcs du protocole)
pAaraoniaurJ. - .d, étiquette' rouale' eM. un. véritalile' ciutcJ divin; inayrnen,'
et. at.iiuesL' j>iïy/liétiaii/-st> deJ SGbaman, U aert. d intermédiaire* entre' letc>
dieux et. aestJ aufctrt,'. - ^•t/iaraon danrtJ aa famille.'; aejtJ diecttiocmentit.},
àe/tJ occupations. ! acte ' ennuùc '. - de,' harem ; le*c' fommetc', la reines, aon
origine-'. Don nfleS auerêaJ du roi. - c£enJ enfonirt.' ; leur-1 fdacc' danic'
l Otai. ; teuntS compétition ttJ pendant, la oieiUefoeJ du i_pèreS et, a aa
mort. ; la aucceèâioa au ironeSet. leaJ révolu tionnJ oui l accompagnent*.
*£a cité rouale.' ; les LAdteau ei- ôa ^population. - <U,a aomeôttcité eu
àercJ cAeJït,'; lert' oouflfonrtJ, 1ère' nainrcJ, 1ère' mapicienrcJ de? âtnaraon. - <Xe'
Jomain* > et lenJ etclavert ' royaux, le' treàor-'eJL 1ère ' Aote/reJ oui en afîureni- le >
ôennec' : leaJ topùc? eJ- 1ère? jnacereJ yvout^ ta rentrée c/c? lùnpà*.. - jCe'
acriie', àott éducation, acre' enancere? de> ^fortune' ; ta carrière. > d 'J'Umten, ocre*
cÀaracreJ àuccefîiverc,', àa jfortune> jverûonneueJ à la ^fîn de' àa vie\
JLa jfeoaalité égyptienne,' ; ta condition derc' àeiqneuntJ, leurra?
droitre,', leurre* inaiàirre,', teunrtJ oédûjation/rj enverre' lc> àouverain. - ^Jn/luence.'
dereJ dieux ; le/tJ donationre' aux templerc? cjl lereJ lienre' deJ mainmorte'; le.'
deraé, âa niérarenée7 ei~ àon recrutement. - cÂerc' àou/aùe' ; leaJ mervenaireaJ
e'tranaerrc? ; /a milice.' indùfène', àcreJ jrriinleyere ', àon éducation.
tÀe'peufdeJ' derc? villcreJ. - <J.erc> eàclavere ', lercJ hommereJ àanreJ maitreJ. -
oleaJ em/douére ' eu ureJ artiàonreJ; 1ère,' corporationrtJ ; UreJ miàèrerc' dereJ acnrc>
deJ métier-l - cLaàpecu clerc? tnllerc' ; lereJ maiàonre', le' mooiuer^; la ^-femme'
danrcJ la -famille \ - *J.e<zJ jfetereJ, 1ère.' marenére) périodiauere.', lereJ oazarre' ;
le> commerce.' jjot^ écnanae,', laveàée > dereJ métaux précieux.
<J*eJ oeufdeJ dere' campcujncrc?. - <J*eaJ tnUaaereJ; lereJ àeme', 1ère'
patiàanre.' liorerc'. - dere' domaineaJ ruraux; le,' cadaàtrcJ', linufâu; ut
loàtonnadcl 1ère' corvéereJ. - d oraaniàation de' la /uàtice.', 1ère' rcuwortrt7 au
pauàan avec àerc' àeianeurre'; ta miàère7, àa réàùjptation
et- àa aaieté native ' ton impréeouance.', àon
indifférence.' aux révolutionrc'
politiaue/el
CHAPITRE IV
LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE
4 PHAKAUMULK.
e r,i.znr.e éciptiess, les soldats.
ILLEÏ ET LE PEUPLE DES CAMPAGNES.
"■ - prolongement de la chaîne Libyque forme, entre le
'ayouiii et la pointe du Delta, un vaste plateau légère-
it ondulé, qui court parallèlement au Nil sur une lon-
ueur de près de trente lieues. Le grand Sphinx Har-
makhis en gardait l'extrémité septentrionale depuis le
temps des Suivants d'Horus. Taillé en plein rec, au bord
extrême de la montagne, on dirait qu'il hausse la tête
pour être le premier à découvrir par-dessus la vallée
le lever de son père le Soleil. Son corps effrité ne
retient plus du lion que la coupe générale. Le bas
de la coiffure est tombé et le cou semble trop faible
pour supporter le poids du crâne. Des mamelouks
fanatiques lui ont mutilé le nez et la barbe à coups de
canon; la teinte rouge qui avivait les traits s'est effacée
presque partout. Et pourtant, l'ensemble garde jusque dans sa détresse une
iription de l'Egypte. A.. I
«8 LA CONSTITUTION HMLITIUUE UK L'EGYPTE.
expression souveraine de force et de dignité. Les jeux regardent au loin
devant eux avec une intensité de pensée profonde, la bouche sourit encore, la
face entière respire le calme et la puissance. L'art qui a conçu et modelé
dans la montagne cette statue prodigieuse était un art complet, maître de lui-
même, sur de ses effets. Combien de siècles ne lui a-t-il pas fallu pour arriver
à ce degré de maturité et de perfection ! On construisit plus tard à côté du dieu
une chapelle d'albâtre et de granit rose; des temples s'élevèrent cà et là dans
les endroits les plus accessibles, et groupèrent autour d'eux les tombes de tout
le pays. Un enfouissait les gens du commun sous le sable, à un mètre à peine de
profondeur, nus à l'habitude et sans cercueils. D'autres, qui appartenaient
à une classe plus relevée, reposent dans de pauvres chambres rectangulaires,
bâties sommairement en briques jaunes et surmontées d'un plafond en voûte
ogivale. Aucun ornement, aucun objet précieux n'égayait le mort dans son
misérable gîte; mais des vases en poterie grossière contenaient les provisions
qu'on lui laissait pour le nourrir pendant la durée de sa deuxième existence*.
Uuelques-uns parmi les plus riches se creusaient leur sépulture dans une des
parois de la montagne; la plupart préféraient se préparer un tombeau isolé,
un mastaba*, comprenant une chapelle extérieure, un puits et des caveaux
cil pleure unes île profession prenaient | drml les funérailles; le poing droit fermé pose a lerre.
taudis <pie la iiiain «anche, répand sur les cheveu v. la poussière qu'elle vient de ramasser. Celle
«talue provient du musée de fiixéh (M.vmstte, Album photographique du muter de Raulaq, pi. M).
t . Destin de Faiicher-Gndiu, d'après le croquis de Lrpsius (Vtnkm., II. ïii). La pierre d'angle,
au commet du mastaba, à l'extrémité gauche de ta bande d'hiéroglyphes, avait été descellée et jetée
sur le sol par quelque Ibuillcur; le dessinateur l'a remise a sa place primitive.
t. MiaiiiTTt, Sur les lombes de l'Ancien Empire que l'on Ironie à Saqqarah, p. î-3 (lltv. Ane».,
i'sér., t. XIX, p. (Ml), et les Mastabas de l'Ancien Empire, p. 17-18.
;i. ■ On appelle en arabe mastabah, pi. masatib, la banquette ou l'estrade construite on pierre.
qu'on voit dans les rues îles villes égyptiennes en avant de chaque boutique. Ou étend un tapis sur le
mastaba et le client s'y assied pour traiter des alTaires. le plus souvent à cûté du marchand. Il existe,
dans la nécropole de Saqqarah, un temple qui a. dans ses proportions gigantesques, la forme d'un
mtutaba. Les habitants du voisinage le nomment Hattabat-cl-Furâoun, le Siège de l'haraon, croyant
qu 'autrefois un Pharaon s'y asseyait pour rendre la justice. Dr les tombes meinphites de l'Ancien
hinpiie qui couvrent en si grand nombre le plateau de Saqqarah sont toutes construites djins des
proportions plus ou moins réduite- sur le type du Hastabat-el-Fardoun. Do là le nom de Mastabas
LES CIMETIÈRES DE CIZÉH ET DE SAQQARAH. 249
souterrains. Les chapelles semblent de loin une pyramide tronquée, dont les
dimensions varient selon la fortune ou le caprice du maitre : on en connaît qui
mesurent dix ou douze mètres d'élévation, cinquante mètres de façade, vingt-
cinq mètres de profondeur, tandis que d'autres n'atteignent pas trois mètres
de haut sur cinq mètres de large1. Les murs s'inclinent symétriques et sont
lisses le plus souvent; quelquefois cependant leurs assises s'étagent en
retraite l'une sur l'autre et forment presque gradin. Les mastabas en briques
étaient cimentés soigneusement à l'extérieur et les lits reliés en dedans par du
sable fin coulé dans les interstices. Au contraire, les mastabas en pierre n'of-
frent de régulier que l'appareil de leurs parements ; neuf fois sur dix, le noyau
se compose de moellons équarris rudement, et de gravats noyés dans de
la boue desséchée ou même jetés au hasard sans mortier d'aucune sorte. La
masse en devait être orientée canon iquement, les quatre faces aux quatre
points cardinaux, le plus grand axe dirigé du Nord au Sud; mais les maçons
beaux. • (Mawettk, la Mattàbat de [Ancien Empire, p. Îi-Î3.)
t. Le mastaba du Sabou a cinquante-trois (53 m. 58) mètre» de long sur environ vingl-sii (i6 m. 75)
de large, encore deux de ses faces sont-elles dépourvues de revêtement (Mariette, te* Mattàbat.
p. 143); celui de Ranimait mesure cinquante-deux mètres (Sî m. ÏO) sur vingt-cinq (15 m. 5tl) à la
face Sud et trente (30 m. 50) a la face Word {id., p. îîî). En revanche le mastaba de Papou ne compte
que six mètres (3 m. 90) sur huit (8 m. 10) de longueur (irf., p. 301) et celui de Khabiouphtah (id.. p. Ï94)
douze mètres (11 m. 90) sur six (6 m. 60).
1. Dettin de Boudier, d'aprei une photographie d'Emile Bmgtr.h-Uey, priie au court dit fouilla
entreprîtes en fSflfi, avec le produit d'une touteriptian publique ouverte par te Journal det Oébalt.
Î50 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
ne se préoccupaient guère de pointer le Nord juste, et l'orientation est
défectueuse à l'ordinaire'. Les portes regardent le Levant, quelquefois le
Septentrion ou le Midi, jamais le Couchant. L'une d'elles n'est qu'un simu-
lacre, une niche étroite, haute, ménagée dans la face Est et décorée de rainures
qui encadrent une baie
murée soigneusement
elle appartenait au mort et
l'on croyait que l'ombre y
entrait et en sortait à son
gré. Celle des vivants,
qu'un portique précède
quelquefois, se distingue
presque toujours par une
simplicité extrême, l'n
tambour cylindrique ou
une dalle plate la couron-
nent, qui portent tantôt le
seul nom du défunt, tan-
tôt ses titres et sa filiation,
rtTimAiiiRou, «ssis beïmt ie repss Kraliint'.
tantôt une prière en sa
faveur et rémunération des jours auxquels il entend recevoir le culte dû aux
ancêtres. On y invoque pour lui, en termes presque invariables dans leur
précision, le Dieu Grand, l'Osiris de Mendès, ou bien « Anubis, résidant au
palais divin', pour qu'une sépulture soit donnée dans l'Amentît, la contrée
de l'Ouest, la très grande et la très bonne, au féal du Dieu Grand, pour qu'il
marche sur les voies où il est bon de marcher, le féal du Dieu Grand ; pour
qu'il ait des liturgies en pains, gâteaux et liqueurs, à la fête du commen-
cement de l'année, à la fête de Thot, au premier jour de l'an, à la fête
d'Ouagaît*. à la grande fête du feu, à la procession du dieu Mînou, à la
fête des offrandes, aux fêtes du mois et du demi-mois, et chaque jour* ».
I. Ainsi l'axe du tombeau de Pirsenou est de 17° à l'est du nord magnétique (Mariette, la M/ula-
bat, |). 399). Dans quelques cas l'écart n'est que de 1° ou *»;lc plus souvent, il est de 6°, 7°, 8° ou M0,
comme on s'en assurera aisément en parcourant l'ouvrage de Mariette.
ï, Deaêin de Itoudicr, d'aprii une photographie du monument original, gui rit comervê au muter
de Liirrpool, cf. Gattt, Catalogue ofthe Mayrr Collection; I. Eggptian Antiquitiei, n" 194, p. 15.
3. Le palaii divin est le palais d'Osiris. Anubis y servait d'huissier et l'on jugeait sa protection
i voulait être admis en présence du bien Grand (cf. p. 187 sqq. de celte Hittoire).
était la fêle des morts, célébrée dans les premiers jours de l'année, le 18 Thot.
Satire det prinripanr monument* eipotêt dont If galerie» proviioim ilu Mutée
LA CHAPELLE DES MASTABAS. 251
La chapelle est petite en général, et se perd presque dans la niasse de l'édi-
fice'. Elle ne comporte guère à l'ordinaire qu'une seule chambre oblongue,
où l'on accède par un corridor assez court*. Au fond et encastrée dans la paroi
ouest*, se dresse une stèle quadrangulaire de proportions colossales, au pied
de laquelle on rencontre une table d'offrandes en albâtre, en granit, en cal-
caire, posée à plat sur le sol, et quelquefois deux petits obélisques ou deux
d'Antiquité» Égyptienne», 180-1, p. iil-îi: Sur les lombetde CAncien Empire que l'an Iraure à Saq-
garah, p. 3-8(IIky. Ascii., f sér.. XIX. p. B-14J; tel Maitabai de l Ancien Empire, p. ÎI-3S. Pour une
deseriptimi plus complète fit plus technique des Mastabas de l'époque luemphite, voir Pekhoi-Oupeei,
Hilloire de CArt dans l'Antiquité, t. I, p. 160-118, et Maspkho, Arcliéologie Égyptienne, p. 10M-113.
I. Ainsi la chapelle du mastaba de Sabou n'a que 4 m. 35 de long sur environ I mètre de large
(M.utiKTTE, Ici Maitabai, p. 1-13), colle du tombeau de l'hlahshopsisou. S m. IS sur 1 m. I0(irf.. p. 131),
t. Le maslaha de Tint! a quatre chambres (Mimette. la Mmtabat, p. 149), comme aussi celui
d'Assi-onkhou [id.. p. t!"l), mais ce sont des exceptions, ainsi qu'on s'en »surera en feuilletant l'uu-
vrap! de Mariette. La plupart des mastabas à plusieurs r h a m tire:, sent d'iiiieie-ns maslihas à une seule
chambre qu'on a remaniés ou agrandis postérieurement : ainsi le mastaba de Shopsi (id., p. iOli), celui
d'Ankhaftouka (id., p. (MM). Quelques-uns pourtant ont élé construits du premier jet avec toutes leurs
pièces, celui de llàdiikhoumai avec ~i\ chambres et plusieurs niches (id., p. 98(1). celui de
kiiàhinuplilah mec truis chambres, des niches el un portail décore de deux piliers (id., p. ifl.ij. relui
de: Ti avec dciu chambres, une cour bordée de piliers, un portail, de longs couloirs sculptés (id.,
p. 333-333), eelui de Phtahhuipou avec sept chambres et des niches (il/., p. 351).
3. Deiiinde Faueher-Gndin, iTaprèi la photographie de DPmicukK, Hciultate. t. I. pi. i,
i. M.ibuttk, Sur tei tombei de l'Ancien Empire, p. 8; Ici Mattabai de l'Ancien Empire, p. 33-311,
où il faut lire Oueit, au lieu de Éit que porte le telle publié. La règle n'est pas aussi absolue que
"ariette le pensait, et j'ai roi fie quelques eveiiqilcs de stèles tournées >ers le Nord ou ver» le Sud.
2M LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
autels évidés au sommet pour recevoir les dons dont il est parlé dans l'in-
scription extérieure. L'aspect général est celui d'une porte un peu étroite, un
peu basse, dont la baie ne serait point praticable1. La niche qu'elle forme reste
presque toujours vide : quelquefois pourtant la piété des parents l'a remplie,
et la statue du mort s'y encadre. Debout, le buste bien effacé, tête haute, face
souriante, elle s'avance comme pour amener le double, du réduit ténébreux
où l'embaumement le confine, aux plaines lumineuses qu'il habita librement
pendant sa vie terrestre : encore un pas, et franchissant le seuil, il va
descendre le petit escalier qui aboutit à la salle publique. Aux jours de
fête et d'offrande, quand le prêtre et la famille présentaient le banquet rituel,
cette grande figure peinte et lancée en avant s'animait tout entière à la lueur
tremblante des torches ou des lampes fumeuses : c'était l'ancêtre lui-même
qui semblait saillir de la muraille et apparaître mystérieusement au milieu
des siens pour demander leur hommage. L'inscription du linteau répète une
fois de plus son nom et son rang. Les bas-reliefs taillés sur les montants
représentent son portrait fidèle et celui des personnes de sa famille. La petite
scène du fond nous le montre assis tranquillement devant sa table, et même
on a pris soin de graver à côté de lui le menu de son repas, depuis l'instant
où on lui apporte à laver jusqu'à celui où, toutes les ressources de l'art
culinaire étant épuisées, il ne lui reste plus qu'à regagner son logis, satisfait
et béat. La stèle symbolisait en effet pour les visiteurs la porte qui con-
duit aux appartements privés du défunt : si on la clôt à tout jamais, c'est
que nul vivant n'en doit franchir le seuil. L'inscription qui la couvre n'est
pas seulement une épitaphe destinée à enseigner aux générations futures que
tel ou telle reposaient là. Elle perpétue le nom et la généalogie de l'individu
et lui établit un état civil, faute duquel il n'aurait pas conservé de person-
nalité dans le monde au delà; un mort anonyme, de même qu'un vivant ano-
nyme, était comme s'il n'existait pas. Là toutefois ne s'arrêtaient point les
vertus de la stèle : la prière et les images qu'on retraçait sur elle assuraient
comme autant de talismans la subsistance de l'ancêtre dont elles rappelaient
le souvenir. Elles obligeaient le dieu qu'on y implore, Osiris ou le chacal
Anubis, à servir d'intermédiaire entre les survivants et celui qu'ils avaient
perdu : elles lui accordaient la jouissance du sacrifice à la condition qu'il
1. La stèle de Shiri, prêtre des Pharaons Sondi et Pirsenou, et l'un des plus anciens monuments
connus, fournit un bon exemple de ces stèles en forme de porte; cf. p. 237 de cette Histoire, et
Maspero, Guide du Visiteur au Musée de Boulaq, p. 31-32, où la stèle de Khàbiousokari est repro-
duite, et où la signification des stèles de ce type a été indiquée pour la première fois.
LA STELE ET SA SIGNIFICATION FUNÉRAIRE. *53
prélevât la part de l'homme sur les bonnes choses qu'on prodigue à la
divinité et dont elle vit. Grâce à lui, l'âme ou plutôt le double du pain, des
boissons, de la viande, émigrait dans l'autre monde et y réjouissait le
double humain. Et cette offrande n'avait pas besoin d'être réelle pour devenir
1. Dessin de Boudier, d'après la photographie de M. de Morgan prise au tombeau de tiirrouka.
1S4 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
effective : le premier venu, répétant à haute voix la formule et le nom
inscrits sur la pierre, procurait par cela seul à l'inconnu qu'il évoquait la
possession immédiate de tous les objets dont il récitait l'énumération1.
La stèle constitue la partie essentielle de la chapelle et du tombeau. Dans
bien des cas elle est gravée seule, car elle suffit seule à entretenir l'identité du
mort et à continuer sa survie; mais souvent les parois de la chambre et du
couloir ne restaient pas nues. Toutes les fois que le temps le permettait ou la
fortune du maître, on les recouvrait de tableaux où les idées exprimées
sommairement par l'inscription et par les figures de la stèle se développaient
en scènes et en discours. L'agrément de l'œil ou la fantaisie du moment
ne guidaient nullement les artistes dans le choix des motifs : dessins et
paroles, tout ce qu'ils composaient avait une intention magique. Chaque par-
ticulier qui se bâtissait une maison éternelle, ou bien y attachait un personnel
de prêtres du double, d'inspecteurs, de scribes, d'esclaves, ou bien passait
un contrat avec les prêtres d'un temple voisin, qui devaient (a desservir à
jamais : des terres, prises sur son patrimoine et qui devenaient les domaines
I. Hispiio, Éludes de Mythologie et il' Ai rhéologie Egyptiennes, i. I, (i. 1-31, Guide du vitïleur au
Muté* de boutai/, p. Hl huij., cl Archéologie Egypliriiue, p. 135 aqq.
t. Peniit de Faucher-dvdi» d'aprti un estampage pris au tombeau de Ti. Les domaines sonl
ligures sous la forme (in Iciumes. Leurs noms sonl écrits devant chacune des figure*, avec le nom
du propriétaire, le nabéca de. Ti, let deux tycomorct de Tî. le Vin de Ti; cf. p. 3Î9 de celle Histoire.
LA DECORATION DES CHAPELLES FUNERAIRES. 2SS
de la maison éternelle, les rétribuaient de leurs peines et leur fournissaient
les viandes, les légumes, les fruits, les liqueurs, le linge, les ustensiles du
sacrifice'. En principe, ces liturgies se perpétuaient d'année en année jusqu'à
la consommation des siècles; en réalité, on délaissait la plupart des morts
d'autrefois au profit des morts plus récents, après trois ou quatre générations.
Le donateur avait beau multiplier les imprécations et les menaces contre les
prêtres qui négligeraient leur office ou contre les usurpateurs du bien funé-
raire1, le moment arrivait tôt ou tard où le double, abandonné de tous, ris-
quait de s'éteindre faute d'aliments. Pour obtenir que l'offrande promise et
déposée matériellement le jour des funérailles persistât à travers les âges, on
1. Xaipeso, Élude» de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I. p. â3-75, où un contrit de
ce genre, passé entre un prince de Siout et les prêtres du dieu Ouipoualtou, eat expliqué tout au
long; cf. Mariette, 1rs Mastabas, p. 313; E. et J. de Rotoé, Intcriptiont hiéroglyphique», t. I, pi. I.
ï. Destin de Faucher-Gvdin, d'après la photographie de DChiceen, Hetultate, t. I, pi. 13.
3. Le texte mutilé du lombeau de Sononionkhou offre un exemple de ces menaces pour l'époque
qui nous occupe (Mariette, les Maitabns, p. 313; cf. E. et J, ne Roïcê, Inscriptions hiéroglyphique»,
t. 1, pi. I). On trouve aussi des formules plus courtes, aux tombeaux de Holpouhikhouit (Mariette,
Ici Mastabas, p. 34Î), de fctionou (irf., p. 185) et de Piinki (Piebl, intcriptiont provenant d'un Mastaba
de la VI' dynastie, dans le* Proceedings ofthr Society of Bihlrral Arehsenlngy, t. XIII, p. tïl-lîfi).
256 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
imagina non seulement de la retracer sur la chapelle, mais d'y joindre limage
des domaines qui la produisaient et des manœuvres qui concouraient à la pré-
parer. D'un côté, c'est le labourage, le semage, la récolte, la rentrée des
blés, l'emmagasinement des grains, l'empâtement des volailles, la menée des
troupeaux. Un peu plus loin, des ouvriers de toute sorte exécutent chacun les
travaux de son métier : des cordonniers jouent de l'alêne, des verriers souf-
flent dans leur canne, des fondeurs surveillent leur creuset; des charpentiers
abattent des arbres et construisent une barque; des femmes tissent ou filent
en bande sous l'œil d'un contremaître renfrogné, qui paraît peu enclin à
souffrir longtemps leur babil. Le double avait-il faim de viande? Il choisis-
sait sur la muraille la bête qui lui plaisait, chèvre, bœuf ou gazelle, la
suivait du moment de sa naissance au pâturage, à la boucherie, à la cuisine et
se rassasiait des morceaux. Il se voyait allant à la chasse en peinture, et il
allait à la chasse; mangeant et buvant avec sa femme, et il mangeait et buvait
avec sa femme; le labourage, la moisson, la grangée des parois, se faisaient
pour lui labourage, moisson et grangée réels. Après tout, ce monde d'hommes
et de choses plaquées sur le mur s'animait de la même existence que le double
dont il dépendait : la peinture d'un repas ou d'un esclave était bien ce qui
convenait à l'ombre d'un convive et d'un maître1.
Aujourd'hui encore, lorsqu'on pénètre dans une de ces chapelle? parées, on
n'éprouve presque pas l'impression de la mort : on se croirait plutôt dans
quelque maison de vieux style où le seigneur va revenir d'un instant à
l'autre. On l'aperçoit partout le long des murs, escorté de ses serviteurs et
entouré de ce qui faisait la joie de sa vie terrestre. Une ou deux de ses statues
se dressent au fond de la chambre, toujours prêtes à subir YOuverture de la
Bouche et à recevoir l'offrande*. Si elles disparaissaient par accident, d'autres
sont là qui les suppléeraient, dans une chambrette ménagée au cœur de la
maçonnerie3. Elle ne communique pas ordinairement avec l'extérieur; quel-
quefois pourtant elle se relie à la chapelle par une sorte de conduit si resserré
qu'on a peine à y glisser la main. Qui venait y murmurer des prières et brûler
des parfums à l'orifice, le mort les accueillait en personne. Les statues ne sont
pas en effet des simulacres privés de sentiment. Comme on enchaînait le double
d'un dieu à une idole pour la transformer en un être prophétique capable de
1. Masprro, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 1-34; cf. Études Égyp-
tiennes, t. I, p. 193-194, Guide du Visiteur, p. 205-207, Archéologie Égyptienne, p. 117-120.
2. Cf. ce qui est dit à la p. 180 de cette Histoire, à propos de YOuverture de la Bouche.
3. C'est le serdab, le couloir des fouilleurs arabes ; cf. Mariette, Notice des principaux monuments,
1864, p. 23-24; Sur les tombes de V Ancien Empire, p. 8-9; les Mastabas, p. 41-42.
LES STATUES DU DOUBLE, LE CAVEAU FUNÉRAIRE. 257
mouvement et de parole au fond des temples1, lorsqu'on attachait celui d'un
homme à l'effigie en pierre, en métal ou en bois du corps qui l'avait porté
pendant l'existence terrestre, c'était une véritable personne vivante que l'on
créait et que l'on introduisait dans le tombeau. On en était convaincu si fort
que la croyance n'en a pas disparu de nos jours, malgré deux changements
de religion. Le double hante encore les images auxquelles on l'associa dans
le passé. Comme jadis, il frappe de folie ou de mort quiconque ose troubler
son repos, et l'on ne se préserve de lui qu'en défigurant les statues intactes
que l'hypogée renferme au moment de la découverte : on l'affaiblit ou on
le tue en mutilant ses supports*. Les statues donnaient de leur modèle une
idée plus exacte que le cadavre déformé par le travail des embaumeurs:
d'ailleurs on les détruisait moins facilement et rien n'empêchait qu'on en
fabriquât la quantité qu'on voulait. De là le nombre vraiment étonnant qu'on
en cachait quelquefois dans une même tombe3 : on multipliait les soutiens, les
corps impérissables du double afin de lui assurer une presque immortalité,
et le soin qu'on prenait de les emprisonner dans une retraite bien close
augmentait leur sécurité4. On ne négligeait pourtant aucune des précautions
qui pouvaient soustraire la momie à l'anéantissement. Le puits par lequel
on arrive à elle s'arrête après 12 ou 15 mètres en moyenne, mais descend
quelquefois jusqu'à 30 mètres et plus de profondeur. Un couloir, si bas qu'on
doit y marcher courbé, le prolonge horizontalement et mène à la chambre
funéraire proprement dite, creusée dans le roc vif et dépourvue d'ornements :
le sarcophage, en calcaire fin, en granit rose ou en basalte noir, ne porte pas
toujours le nom et les titres du défunt. Les servants y déposaient le corps,
jetaient à côté, sur la poussière, les quartiers du bœuf qu'on venait d'égorger
dans la chapelle, les flacons à parfums, les grands vases en poterie rouge rem-
plis d'eau bourbeuse; puis ils muraient l'entrée du couloir et comblaient le
puits d'éclats de pierre entremêlés de terre et de gravats. Le tout, largement
1. Voir ce qui a été dit au sujet de ces statues prophétiques, aux pages 119-120 de cette Histoire.
2. Les légendes qui ont cours encore sur les pyramides de Gizéh fournissent quelques bons exem-
ples de ce genre de superstition. « Le garde de la pyramide orientale étoit une idole... qui avoit les
deux yeux ouverts et étoit assise sur un trône, ayant auprès d'elle comme une hallebarde, sur laquelle
quand quelqu'un jetoit sa vue, il entendoit de ce côté un bruit épouvantable, qui lui faisoit presque
faillir le cœur, et celui qui avoit entendu ce bruit en mouroit. II y avoit un esprit commis pour servir
ce garde, lequel esprit ne partoit point de devant lui. » La garde des deux autres pyramides étoit
également confiée à une statue aidée d'un esprit (VÊgypte de Mourtadi, fils du Gaphiphe, de la tra-
duction de M. Pierre Vattier, Paris, mdclxvi, p. 46-61). J'ai réuni un certain nombre de récits analo-
gues à celui de Mourtadi dans les Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 77 sqq.
3. On en a trouvé dix-huit ou dix-neuf dans le serdab du seul Râhotpou, à Saqqarah (Mariette, No-
tice des principaux Monuments, 1864, p. 62, 182, 202; les Mastabas de l'Ancien Empire, p. 157).
i. Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 7-9, 47-49, etc.
HIST. ASC. DE L'ORIENT. — T. I. 33
258 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
arrosé d'eau, se durcissait promptement en un ciment compact dont la masse
protégeait le caveau et son maître contre les profanations1.
Ces tombes, sans cesse accrues en nombre pendant des siècles, finirent par
former sur le plateau comme une chaîne ininterrompue de villes funéraires.
A Gizéh, elles suivent un plan symétrique et s'alignent en bon ordre le long
de véritables rues*; à Saqqarah, elles s'éparpillent à la surface du sol,
clairsemées dans certains endroits, entassées pêle-mêle dans certains autres3.
Partout elles étalent la même abondance d'inscriptions, de statues, de tableaux
peints ou sculptés, dont chacun nous apprend quelque trait des coutumes ou
quelque détail de la civilisation contemporaine. L'Egypte des dynasties raem-
phites renaît peu à peu du sein de ces nécropoles et reparaît au grand jour
de l'histoire Nobles et fellahs, soldats et prêtres, scribes et gens de métiers,
le peuple entier nous revient, chacun avec ses mœurs, son costume, son
train journalier d'occupations et de plaisirs; c'est un tableau complet dont le
dessin et la couleur, un peu frustes et un peu ternis par endroits, se laissent
restaurer presque a coup sûr sans trop de difficulté. Le roi se détache en
vigueur au premier plan et domine tout de sa haute taille. Il dépasse si fort
ce qui l'environne qu'on se demande, à le voir, si l'on doit le considérer
comme un homme ou comme un dieu. Et, de fait, il est dieu pour ses sujets :
ils l'appellent le dieu bon, le dieu grand, et ils l'unissent à Rà par l'inter-
médiaire des souverains qui ont succédé aux dieux sur le trône des deux
mondes. Son père était fils de Râ avant lui, et le père de son père et le
père de celui-là et tous ses ancêtres, jusqu'au moment où de fils de Râ en fils
de Râ on atteignait enfin Rà lui-même. Parfois un aventurier, sorti on ne
sait d'où, s'intercale subitement dans la série, et l'on pourrait croire qu'il
interrompt le développement de la lignée solaire, mais, en y regardant bien,
on arrive toujours à découvrir soit que l'intrus se rattachait au dieu par une
généalogie qu'on ne lui soupçonnait pas, soit même qu'il lui tenait de
plus près que ses prédécesseurs : Râ, descendu sur la terre en cachette, l'avait
engendré d'une mortelle pour rajeunir sa race4. A mettre les choses au pis, un
i. Mariette, Notice des principaux monuments Égyptiens, 1864, p. 31-32; Sur les tombes de l'Ancien
Empire que l'on trouvée Saqqarah, p. 9-11 ; les Mastabas de V Ancien Empire, p. 42-46.
2. Jomard, Description géntirale de Memphis et des Pyramides dans la Description de C Egypte,
t. V, p. 619-620; Mariette, Sur les lombes de l'Ancien Empire que l'on trouve à Saqqarah, p. 4.
3. Mariette, Sur les lombes de l'Ancien Empire, p. 6, et les Mastabas, p. 29. La nécropole de Saq-
qarah se compose en réalité d'une vingtaine de cimetières, groupés autour des pyramides royales ou
dans les intervalles qui les séparent, et dont chacun avait sa clientèle et son régime particulier.
4. Une légende, que le Papyrus Westcar (édit. Erman, pl.lX, 1. 5-li, pi. X, I. ÎJ sqq.)nous a conservée,
prétendait que les trois premiers rois de la V» dynastie, Ousirkaf, Sahourî et Kakiou, étaient nés de
Hà, seigneur de Sakhibou et de ltouditdidit, femme d'un prêtre attaché au temple de cette ville.
LA DOUBLE NATURE ET LES NOMS DES ROIS. 259
mariage avec quelque princesse ramenait bientôt au droit sinon l'usurpateur
lui-même, du moins ses descendants, et renouait solidement la chaîne'. Les
Pharaons sont donc la chair du Soleil,
les uns de par leur père, les autres du
chef de leur mère, et leur âme a une
origine surnaturelle, comme leur corps:
elle est un double détaché de l'Horus
qui succéda à Osiris et qui régna le
premier sur l'Egypte seule. Ce double
divin s'insinue dans l'enfant royal à la
naissance, de la façon dont le double
ordinaire s'incarne au commun des mor-
tels. Il s'ignore toujours et sommeille
pour ainsi dire chez les princes que
leur destinée n'appelle pas à régner : il
s'éveille lors de l'avènement et prend
pleine connaissance de soi-même chez
ceux qui montent sur le trône. Du jour
de leur élévation à celui de leur mort et
au delà, ce qu'ils avaient conservé d'hu-
manité native s'efface complètement;
ils ne sont plus que le fils de Rà, l'Horus
vivant sur terre et qui renouvelle les
bienfaitsd'Horus, fils d'Isis. pendant son
passage ici-bas*. Leur nature mixte se
révèle tout d'abord dans la forme et
dans l'agencement de leurs noms. Le u "" "
choix d'un nom n'était pas chose indifférente chez les Orientaux ; non seule-
ment il en fallait un ou plusieurs pour les hommes et pour les bêtes, mais les
objets inanimés eux-mêmes en exigeaient, et l'on peut dire que rien ni per-
I. D'après la loi qu'on attribuait à Biiiolhri» de In II' dynastie; ff. p. 338 Je cri le llilloire
i. Les expressions du pouvoir royal au temps île l'Ancien Empire ont été analysées pour la première
fois par E. ni Roncf, Rechercha sur let monuments qu'en peut attribuer aux tix première» dynailiet
de Manè.thon, p. 3Ï-33, puis par Emus. &gypten und Mguplitcha Lebcn, p. 89-81. L'eiplkttton
que j'en donne ici a été proposée déjà dnns le petit mémoire Sur let quatre nom» offirieli det roit
d'Egypte [Eluda Égyptienne*, t. Il, p. i"3-î88) et dans les Lecture» Historique», p. li-1".
3. Dessin de Faucher-Gudin, d'après une photographie de Gauet, Le roi est Arncnothès III, dont
la conception et la naissance sont représentées au temple de Louior, avec le même luxe de détails
que s'il n'agissait d'un fils du dieu Amon et de l.i déesse Mont; cf. Oummiuon, Monument» de l'Egypte
et de la Subie, pi. eccun, 1-cuili, R««li.isi, Monumrnti Storici, pi. 38-41 ; l.r.esirs, Drnkm., III, 7*-"5.
260 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
sonne au monde n'arrivait à l'existence complète avant d'avoir reçu le sien.
Les noms les plus anciens n'étaient souvent qu'un mot assez court et dési-
gnaient une qualité physique ou morale, ïiti le coureur, Mîni le durable,
Qonqeni l'écraseur, Sondi le redoutable, Ouznasit la langue fleurie. Ils con-
sistaient aussi en une courte sentence par laquelle l'enfant royal confessait
sa foi en la puissance des dieux et sa participation aux actes de la vie du
Soleil, Khâfrî son lever est Râ, Menkaouhorou les doubles d'Horus durent,
Ousirkerî le double de Râ est omnipotent ; parfois la phrase s'abrège et sous-
entend le dieu, Ou&irkaf son double est omnipotent, Snofroui il m'a rendu
bon, Khoufoui il m'a protégé, pour Ousirkerî, Ptah&nofrouV , Khnoumkhou-
foui avec suppression de Râ, de Phtah et de Khnoumou*. Le nom, dès qu'il
s'est emparé de son homme à l'entrée dans la vie, ne le quitte plus ici-bas,
ni par delà : le prince qu'on avait appelé Ounas ou Assi au sortir du sein de
sa mère reste Ounas et Assi même après sa mort, tant que sa momie subsiste
et que son double ne s'anéantit pas. Or l'usage des Égyptiens est tel. Veulent-
ils montrer qu'une personne ou qu'une chose se trouvent en un lieu déter-
miné, ils en écrivent le nom dans le caractère qui désigne ce lieu, Téti ^
par exemple dans l'hiéroglyphe Q du château qui appartient à Téti fcQ. Lors
donc qu'un fils de roi devient roi à son tour, ils impliquent son nom usuel
dans le long cadre à base plate cdi que nous nommons cartouche, et dont la
partie elliptique c^ est comme un plan du monde, l'image des régions que
Râ entoure dans sa course et sur lesquelles Pharaon exerce son empire en
tant que fils de Râ. Quand Téti ou Snofroui, précédés du groupe l£ qui
rappelle leur filiation solaire, ont pris place dans le cartouche, f^^U'
C^ P î Vj ' on aj°u^e en ^te 'es m°ts t ak qui expriment chacun la suze-
raineté sur une moitié de l'Egypte, le Sud et le Nord, et le tout désigne
exactement la personne visible du Pharaon pendant son séjour parmi les
mortels. Mais ce premier nom, choisi pour l'enfant, ne couvre pas l'homme
entier : il laisse sans qualification appropriée le double d'Horus qui se
révélait dans le prince au moment de l'avènement. On impose donc à ce
double un titre particulier que l'on construit toujours sur un modèle uniforme,
en tête l'image ^ de l'épervier-dieu qui voulut léguer à ses descendants une
1. Le nom Phtahsnofroui se rencontre plusieurs fois sur les stèles d'Àbydos (Liebleix, Dictionnaire
des nonu hiéroglyphiques, nM 132 et 726, p. 40 et 241, Mariette, Abydos, t. II, pi. XXVII a, et Catalo-
gue général des monuments d'Abydos, pi. CLXXVI, n° 660) : le nom Ràsnofroui, qu'on serait tenté de
rétablir en cet endroit, n'a pas encore été retrouvé sur les monuments des anciennes dynasties.
2. Cf., pour la restitution de ce nom et de quelques autres noms royaux de la même époque, Max
Mûller, Bemerkung ùber einige Kônigsnamen, dans le Recueil de Travaux, t. IX, p. 176-177.
LES NOMS D* HO RU S DANS LE PROTOCOLE ROYAL. 261
parcelle de son âme, puis une épithète simple ou composée, spécifiant celle des
qualités d'Horus que le Pharaon souhaitait le plus posséder, llorou nîb-mâil
l'Horus maître de Vérité,
llorou miri-tooui l'Horus
ami des deux terres, Ho-
rou nîb-khàouou l'Horus
maître des levers, llorou
mazîli l'Horus qui écrase
les ennemis. La partie va-
riable de ces termes s'in-
scrit d'ordinaire dans un
rectangle oblong, terminé
à la partie inférieure par
un ensemble de lignes qui
représentent en abrégé une
façade monumentale, au
milieu de laquelle on dis
tinguequelquefois une porte
fermée au verrou : c'est
l'image de la chapelle où le
double ira reposer un jour,
et la porte close est la
porte du tombeau'. La par-
tie commune, la figure du
dieu, se place en dehors,
quelquefois à côté du rec- u' "'" " "" s"':"'
t angle, quelquefois sur le rectangle même : l'épervier est en effet libre par
nature et ne saurait demeurer emprisonné nulle part contre sa volonté.
Ce protocole naïf ne suffit pas à contenter le besoin de précision qui fait
le fond du caractère égyptien. A montrer le double dans l'hypogée, on laissait
I. C'est ce qu'on appelle ordinairement le nom de bannière; on a cru longtemps en effet que le
signe représente une piere delof!e, garnie de broderies ou de franges par en ha», et portant »ur la nappe
nrënte un litre de roi. Wilkinaon avait eu l'idée que ce titre carré, eomme il l'appelait, figurait une
maison (Eitract front teeeral Hierogtyphical Subjcrti, p. 7, n. 14). Le véritable sens de l'expression
■ été établi par M. Flinden Pétrie (Tn-nw, I" part, p. 5, n.. et A Seaton in Egypt, 18B", p. it-tt, et
pi. XX) et par moi (Revue Critique, 1888, t. Il, p. M8-I20, Ètudei Egyptienne*, t. II. p. Îli-ÎTS).
ï, Deisin de Fauther-Gudin, d'aprèi ari'.'iiiil.i-Botoiii-Bïrck, Gallery o( Anliquitïcs from the Rritiih
Huteum, pi. 31. Le roi ainsi représenté est Thoutmosis II de la XVIII* dynastie; la hastc. surmontée
d'un masque d'homme, que le double tient k la main, rappelle probablement les victimes humaines
qu'on sacrifiait jadis au moment dea funérailles d'un chef (LtftWJlB, Rites Egyptien», p. 5-fl).
262 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
de côté le moment de son existence pendant lequel il présidait aux destinées
mondaines du souverain pour les rendre semblables à celles de l'Horus dont il
procédait. On le tira donc de son caveau anticipé, on substitua à l'épervier
ordinaire un des groupes qui symbolisaient la suzeraineté sur les deux terres
du Nil, l'urseus lovée du Nord et le vautour du Sud, Jfe,-
puis on ajouta en finale un second épervier, l'épervier doré
*W, l'épervier triomphant qui avait délivré l'Egypte de Typhon V
L'âme de Snofroui qui s'appelle j^,^ _ YHorut maître de
la Vérité comme double survivant, s'intitule comme double
vivant 3I*©.^T Ie Seigneur du Vautour et de l'Urseut
maitre de la Vérité et Ilorus triomphant*. D'autre part le prince
royal, lorsqu'il ceignait le diadème, recevait de son avancement
au rang suprême un surcroit de dignité tel que son seul nom
de naissance, même entouré du cartouche, même rehaussé
d'épithètes éclatantes, ne parvenait plus à le couvrir. On voulut
marquer d'un terme nouveau cette exaltation de sa personne.
Comme il est la chair vivante du soleil, son surnom fait toujours
allusion a quelque point de ses relations avec son père, et pro-
clame l'amour qu'il ressent pour celui-ci Miriri, ou que celui-ci
ressent pour lui Mirniri, la stabilité des doubles de Râ Tatkeri,
leur bonté Nnfirkerî, ou l'une de leurs vertus souveraines.
Plusieurs Pharaons de la IV* dynastie s'en parent déjà, mais
ceux de la VIe furent les premiers à l'incorporer régulièrement au protocole
royal. On hésita d'abord sur la place qu'on devait lui attribuer, et on le mit
tantôt derrière le nom de naissance (HU (0lUj ^"P1 Nofirkerî, tantôt
devant f° JUJ (aHj ^ofirkerî Papi*. On se décida enfin à l'établir en tète,
1 . Le sens de ce groupe qu'on a traduit longtemps par féprrvter d'or, Cêpenier élincelant, » été
ili'leniiiiic |>our la première fois avec certitude par Dru (lie h, d'après un passage d'une inscription démo-
tique île Philto (Bbucsi'.k, Uebereintlinimung einer hieroglyphitehen Imehrifl von Philm. mit dtm
griechitchen uni! demotisrhen Anfnngt-Tcste de* tiekretei t<on Roiettr, p. 13-14). Adoptée par E. de
Houga (Étude tur une tlrle égyptienne appartenant à la Bibliothèque Impériale, p. il-ii), l'interpré-
tation de Gru^sch a prévalu depuis daim toute l'école (Bmiisf.n, DU sKgyptologic, p. ÏUÏ), bien qu'on
emploie souvent encore par habilude la traduction littérale des signes, CHorus d'or. "^fct,
t. I.a lecture du groupe n'eut pas encore niée avec certitude (cf. Enis, lier Kônigitîte l ^5 ÎS
dans la Zcittchrift, t. XXIX, p. ST-:i8, et P.ehl, \otet de Philologie Égyptienne, g 4U, dans les Protee-
ding* of the Society of Biblicat Arc/irology, t. XIII, IH9IMBWI, p. Mil). La transcription littérale serait
Maitre du Vautour et de t'Vrxui; le sens est maitre det couronnée, par suite maître de» payi du
Xord el du Midi (BrBgKN, Uebereimtimmung einer hieroglyphitchrn Inachrift von l'hilr, p. IO-I I).
3. Le nom de double représenté dans la vignette est celui du Pharaon Khéphrèn, le constructeur d,-
la seconde des grandes Pyramides ; il se lit llorou outir-Miti, l'Horus puissant par le eœur.
i. On trouvera de bons exemples de cette indécision dans les textes de la pyramide de Papi II. où
le cartouche prénom est placé une fois eu léte du cartouche nom (flerueil de Traraur, I. XII, p. Sti)
et presque partout ailleurs après ce même carlniiche («/., p. T,t\, 38. Ûfl, S", etc.).
L'ETIQUETTE ROYALE EST UN VÉRITABLE CULTE DIVIN. 263
précédé du groupe t ak roi de la haute et de la Basse Egypte, qui rend
dans toute -feon étendue le pouvoir accordé par les dieux au seul Pharaon;
l'autre vint ensuite, accompagné des mots l£ fils du Soleil. On inscrivit,
en avant ou au-dessus de ces deux noms solaires qui s'appliquaient exclusive-
ment au corps visible et vivant du maître, les deux
noms d'épervier qui appartenaient surtout à l'âme,
d'abord celui du double au tombeau et ensuite celui
du double encore incarné. Quatre termes paraissaient
nécessaires aux Égyptiens pour définir exactement
chaque Pharaon dans le temps et dans l'éternité.
Il avait fallu de longs siècles avant que l'analyse
subtile de la personne royale et la gradation savante
de formules qui lui correspond transformât le chef de
nome, devenu par la conquête suzerain des autres
chefs et roi de l'Egypte entière, en un dieu vivant
ici-bas, fils tout-puissant et successeur des dieux;
mais le concept divin de la royauté, une fois implanté
dans les esprits, produisit rapidement toutes ses con-
séquences. Du moment que Pharaon est dieu sur
terre, les dieux du ciel sont ses pères ou ses frères',
Les déesses le reconnaissent pour fils, et, selon le
cérémonial imposé par la coutume en pareil cas, con-
sacrent l'adoption en lui présentant le sein afin de L, BEESSli ALL:llTe le roi
l'allaiter, comme elles auraient fait à leur propre
enfant9. Les simples mortels ne parlent de lui qu'à mots couverts, en le dési-
gnant par quelque périphrase : Pharaon, Pîroui âoui, le Double-Palais, Proititi,
la Sublime Porte*, Sa Majesté1, le Soleil des deux terres, l'Horus maître du
I. La formule leiptmlcë dieux ou ira frera le» dieux est appliquée couramment au Pharaon dans
les textes de toutes les époques.
t. Destin de Houdier, d'aprèt une photographie d' Iminger. L'original se trou te au grand spéos de
Silsilis. Lo roi représenté est ici Ilarmhahi de la XV1I1- dynastie; cf. Cmahpollum, Monument! de
f Egypte el de la Nubie, pi. eu, n* 3, KoSELLm, MonumrnU Storici, pi. iliï, 5. Lersiis, Iteiikm., III, 1ÏI b.
3. L'explication de la scène fréquente, dans laquelle on voit une déesse d.' laille surhumaine donner
le sein à un roi couronné ou casqué debout devant elle, a été fournie pour lu première fois par M.t*
peso, Notei au jour le jour, g t'S, dans les Proreedinge de la Société d'Archéologie Biblique, l. XIV,
(Sùl-I8i>i, p. 30R-3IÏ. On trouve chez d'autres peuples anciens cl modernes des exemples caractéris-
tiques de ce mode d'adoption par l'allaitement réel ou fictif de la [iei ,i>nnc adoptée.
i. Le sens du mot Pharaon et son étymologic ont été découverts par t. ut. Hoiiii:, Soir, fur le mol
Pharaon, dans le Bulletin Archéologique de fAlh'nrum Franeait, IKjli, p. 66-fiS; M. Lcpagc-Hcnouf
en a proposé une explication dérivée de l'hébreu {the Saine o/' Pharaoh dans les pruceatinr/s de la
Société d'Archéologie Biblique, I. XV, 1894-1 SUS, p. iïl-lîï). La valeurdu titre ttoulti, l'roulti, a ét-
délermincce, autant qu'il m'en souvient, par Chab.is, te Voyage d'un Egyptien, p. 30j,
j La locution Hoitoufmt traduite par lus mêmes auteurs tantôt Sa HajtiU, tantôt Sa Sainteté. La
264 LA CONSTITUTION l'OLITI«UE DE L'EGYPTE.
palais1, ou, moins cérén ion ieu sèment, par le pronom indéterminé On*. La
plupart de ces expressions ne vont jamais sans un souhait Vie. santé, force,
qu'on lui adresse et dont on écrit les signes initiaux derrière tous ses titres1.
Il l'accepte gracieusement et même jure volontiers par sa propre vie ou par
r de Rà\ mais il défend à ses sujets de l'imiter1; c'est
eux un péché punissable en ce monde et dans l'autre*
je d'en attester la personne du souverain, sauf les cas
où quelque magistrat leur défère le serment judiciaire1.
On l'aborde d'ailleurs comme on aborde un dieu, les yeux
bas, la tète ou l'échiné pliée, on flaire le sol devant
lui8, on se voile la face des deux mains pour la pro-
\ téger contre l'éclat de son regard, on psalmodie une
formule d'adoration dévote avant de lui soumettre une
Personne n'échappe à cette obligation; ses ministres eux-
t les grands du royaume ne peuvent délibérer avec lui
fTaires de l'État, qu'ils n'ouvrent la séance par une sorte de
ilennel en son honneur et ne lui récitent longuement l'éloge
sr.EPiBE » il.™ (je ga divinité'*. Ce n'est pas qu'on l'exalte ouvertement au-dessus
des autres dieux, mais enlin ceux-ci sont plusieurs à se partager
le ciel, tandis qu'à lui seul il domine sur toul le circuit du Soleil et tient la
terre entière, les montagnes et les plaines, renversée sous ses sandales. Sans
doute on rencontre par le monde des peuples qui ne lui obéissentpas, mais ce
; Li.liticiitioii Ju sens Sa Majesté, proposé tout d'abord par Champollion et adopté généralement après
lui, o Ordonnée en dernier lieu par E. de Rougé {f.hrestomathie Égyptienne, t. Il, g 189, p. 60).
I. Km il, Mgypten und .Vgyptischcs Leben, p. 'H, où l'on trouvera réunies un certain nombre de
ne» façon-, indirecte* de désigner le roi dans les actes oflicicls et dans le langage familier.
t. Celte manière indéterminée de parler du souverain, que nous avons rencontrée jusqu'à présent
dan» le- seuls texte» du Nouvel Empire Thébain, a été signalée pour la première fois par Mispebo.
le f,o«te des deux Frère; dans la Revue des Court Littéraire*. I. VII, p. 783, n. t.
il Coït le groupe 4 j Il onkhou, ouiai, lonbou, qu'on abrège ordinairement en français par ». «. f.
i Ainsi .tans l'inscription de Pirtnkhi Miamoun. 1. U, 65; cf. I. 11(1.
S CatiM. Hebrieo-Mgyptiaca, g III. Merdinion des Jurement; dans les Transactions ef the
Svrtely o{ ttibticat Arc.hrology, t. 1, p. I77-18Ï.
v. Iian. la Confession tfégntice, le mort déclare qu'il n'a point prononcé de malédiction contre le
roi [t.nrr de- Mort; eli. CXXV, édit. N.vu.l.K. t. Il, p. SlHi),
". Sur le serment judiciaire et sur ta forme qu'on lui donnait, cf. W. SpiEr-siaERc, Studien und
Materialiea ium Itechtswescn des Pharaonenrckhes der Dynastien XYHI-XXI, p. 71-81.
8. C'est la traduction littérale du groupe sonou-lo, qui est employé d'ordinaire pour exprimer la
prostration du fidèle devant le dieu ou le roi, le jjj-o«ri/;i^ntf des textes d'époque grecque.
!». Dessin de Fattclier-Guditt, /Tapies la gravure de Puis»: n'A vos us, Herherehes sur te» légende*
royales et l'époque du règne de Schai ou Sellerai, dans la lievur Archéologique, i" série, t. II, p, 16".
L'original est conservé aujourd'hui à la Bibliothèque nationale, a laquelle il avait élé donné par
Prisse d'Avennes, Il est en terre vernissée, d*im travail très tin et très soigné.
10. La mode eu fut de tout temps, mais les meilleurs exemples s'en trouvent sur I
du Nouvel Km pire thébain. ie renverrai surtout au début de la Strie det Minet d'or (Pi
Monument» Egyptiens, pi. XXI, et Cn.it> t s, let Inscriptions des Mines d'or, p. 13 sqq .).
LES INSIGNES ET LES STATUES PROPHETIQUES DES ROIS. 263
sont des rebelles, des partisans de SU, des Enfants de la liuine', que le
châtiment atteindra tôt ou tard. En attendant que son droit fictif d'empire
universel se change en réalité, il unît au costume fort simple des vieux
chefs le jupon court ou
long, la queue de chacal,
les sandales recourbées, les
insignes des dieux suprê-
mes, la croix de vie, le cro-
chet, le fouet, le sceptre à
lète de gerboise ou de
lévrier que nous nommons
mal à propos sceptre à tète
decoucoupha*. Il ceint leurs
diadèmes multicolores, les
bonnets chargés de plumes,
la couronne blanche et la
couronne rouge, isolées ou
emboîtées l'unedans l'autre
pour former le pschent. La
vipère, l'uraeus en métal
ou en bois doré qui se
- "0STCBKS l'HRBSf.S ÎHIIIB SE plKstNTKII Dtï.lM LE IIOI3.
redresse sur son tront, est
imprégnée d'une vie mystérieuse qui fait d'elle l'instrument des colères et
l'exécutrice des desseins secrets. On prétend qu'elle vomit des flammes et
détruit dans les batailles quiconque ose courir sus à son maître. Les vertus
surnaturelles qu'elle communique aux couronnes les changent en fées auxquelles
personne ne résiste*. Enfin Pharaon a des temples où sa statue, animée d'un
1. On trouvera, à la p. I!i!), noie t de ectle llitloirr, l'explication de pelle locution. hlotou Data-
llllt, qu'on traduit d'ordinaire par les Enfant» de la Hébellio».
t. Celte identification, indiquée par Chain poil ion (Dictionnaire, hiéroglyphique, n" 381, 3Hr.), est
admise encore par habitude duos presque tous les ouvrages d'figxptologic. Hais ou sait par les témoi-
gnage» ancien» que le coucoupha était un oiseau, peut-être une huppe jl,n;mi*, lloropotlinïi Nilni
Hierogiyphica, p. ï'U-iHI): au contraire, le sceptre des dieux est surmonté d'une tête de quadrupède
au fin museau et aui longue» oreilles couchée» en arrière, de l'espèce du lévrier, du chacal ou de
la gerboise (I'bissi: n'Avuiitï. Ilerherches sur les légendei royales et fur l'époque du rigne de Sr/tai
ou Srhrrai, dan» la Revue Archéologique, 1" »ér., t. II. I8t;j, p. lil« suq.).
3. Detiin dm Faurher-Gudin d'aprei une photographie d'intinger; cf. Lwsus, Denlim.. III, Le
tableau représente Khimhall qui amène les chefs des grenier» à Toulànkhamon, de la XVIII* dynastie.
i. La vie mystérieuse dont l'urjeus des couronnes rotule* est animée a été signalée pour la première
Toi» par E. dk Hotx.P, Étude sur dieer* monuments du règne de Tovtmtt III découverts à Thébet par
M. Mariette, p. I">. Sur les couronnes-fées, voir V.ispebo, Études de Mythologie et d' Archéologie Egyp-
te
266 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
de ses doubles, trône, reçoit un culte, prophétise, remplit toutes les fonctions
de la divinité, d'abord tandis qu'il vit, puis après sa mort, dès qu'il est allé
rejoindre au tombeau les dieux ses ancêtres, qui ont existé avant lui et
qui reposent immuables au plus profond de* leurs pyramides1.
Homme par le corps, dieu par l'àme et par les attributs, Pharaon doit à sa
double nature de servir d'intermédiaire constant entre le ciel et la terre. 11 a
seul qualité pour transmettre les prières de l'humanité à ses pères et à ses
frères les dieux. De même que le chef de famille est dans sa famille le
prêtre par excellence auprès des dieux de la famille, de même que le chef
de nome est dans son nome le prêtre par excellence auprès des dieux du
nome, Pharaon est le prêtre par excellence auprès des dieux de l'Egypte
entière qui sont ses dieux à lui. 11 escorte leur image dans les processions solen-
nelles, leur verse le vin et le lait mystique, récite les formules devant eux,
saisit au lasso le taureau victime et l'abat selon le rite consacré par la tra-
dition antique. Les particuliers recourent à son intercession quand ils implo-
rent une grâce d'en haut; cependant comme tous les sacrifices ne peuvent
passer réellement par ses mains, le célébrant proclame au début de chaque
cérémonie que c'est le roi qui donne l'offrande — Soutni rfî hotpou — lui et
nul autre, à Osiris, à Phtah, à Râ-Harmakhis pour qu'ils accordent au fidèle
qui les supplie l'objet de ses vœux, et, la déclaration tenant lieu du fait,
c'est bien le roi qui officie chaque fois pour son sujet. 11 entretient donc des
rapports journaliers avec les dieux, et ceux-ci de leur côté ne négligent
aucune occasion de correspondre avec lui. Ils lui apparaissent en songe pour
lui prédire sa destinée, pour lui commander la restauration d'un monument
qui menace ruine, pour lui conseiller de partir en guerre, pour lui défendre
de s'aventurer dans la mêlée*. Le rêve prophétique n'est pas pourtant le
1. Cette façon de désigner les rois morts se rencontre déjà dans le Chant du Harpiste, que les
Égyptiens de l'époque Ramesside attribuaient à un auteur de la XI* dynastie (Maspero, Étude* Egyp-
tiennes, t. I, p. 178 sqq.). Le premier exemple connu d'un temple élevé par un roi égyptien à son
double est d'Araenôthès III, à Solcb, en Nubie, mais je ne pense pas comme M. Ed. Meyer (Geschiehte
des Altherthums, t. I, p. 268-469, et Geschiehte des alten Àgyptens, p. 451-454) ou M. Erman (JZgyp-
Icn, p. 93) que ce soit là le commencement, et que cette pratique ait été essayée en Nubie avant
de s'acclimater sur le sol égyptien. On connaît pour l'Ancien Empire plus d'un fonctionnaire qui s'in-
titule, tantôt du vivant de son maître, tantôt peu après sa mort, Prophète de Vttoru* qui vit dans le
palais (Mariette, les Mastabas, p. 428, tombeau de Kaï) ou Prophète de Kliéops (ld., ibid., p. 88-89,
tombeau de Tinti), Prophète de Sondi (ld., ibid, p. 94-93, tombeau de Shiri), Prophète de Kheops,
de Mykérinoë, d'Uusirkaf (ld., ibid., p. 198-400, tombeau de Tapoumànkhi), ou d'autres souverains.
4. Les textes nous font connaître entre autres le rêve où Thoutmosis IV, encore prince royal, reçut
de Phrâ-Harmakhis l'ordre de déblayer le grand Sphinx (Vyse, Opérations carried on al the Pyra-
mids of Gizeh, t. III, pi. et p. Mi; Lepsiis, Denkm., III, 63), celui où Phtah défend à Mïnéphtah de
prendre part à la bataille contre les peuples de la mer (E. de Rouge, Extrait d'un mémoire sur 1rs
attaques, p. 9), celui par lequel Tonouatamon, roi de Napata, se décide à entreprendre la conquête
de l'Egypte (Mariette, Mon. divers, pi. VU; Masprro, Essai sur la stèle du Songe dans la Revue
PHARAON DANS SA FAMILLE. 267
procédé qu'ils préfèrent : ils emploient ordinairement comme interprètes de
leur pensée les prêtres et les statues des temples. Le roi pénètre dans la
chapelle où la statue est enfermée, accomplit autour d'elle les rites de l'évo-
cation et l'interroge sur le point qui le préoccupe. Le prêtre répond sous l'in-
spiration directe d'en haut et le dialogue engagé par sa bouche peut durer
longuement : les discours interminables qui couvrent les murs des temples
thébains nous apprennent ce que Pharaon disait en pareil cas et de quel ton
emphatique les dieux lui parlaient en retour1. Quelquefois les statues animées
élevaient la voix dans l'ombre du sanctuaire et dictaient elles-mêmes leur
volonté; plus souvent elles se contentaient de l'indiquer d'un geste. Quand on
les consultait sur un sujet déterminé, si rien ne bougeait en elles, c'était leur
façon de témoigner leur improbation ; si au contraire elles inclinaient forte-
ment la tête une fois, deux fois, l'affaire était bonne et elles l'approuvaient4.
Rien ne se faisait dans l'État qu'on ne leur eût demandé leur avis et qu'elles
ne l'eussent donné d'une manière ou d'une autre.
Les monuments, qui mettent en pleine lumière le caractère surhumain des
Pharaons en général, ne nous apprennent que peu de chose sur le tempéra-
ment de chacun d'eux en particulier et sur le tous les jours de leur vie.
Quand par hasard nous entrons un moment dans l'intimité du souverain, il s'y
révèle moins divin et moins majestueux que nous ne serions portés à le croire
si nous nous en laissions imposer par sa mine impassible et par l'appareil
qui l'entoure en public. Non que sa grandeur l'abandonne jamais tout entière;
même chez lui, dans sa chambre ou dans son jardin, pendant les heures
où il ne se sent pas en représentation, les plus haut placés de ceux qui l'ap-
prochent ne doivent jamais oublier qu'il est Dieu. Il se montre bon père, mari
débonnaire3, joue volontiers avec ses femmes et leur caresse la joue d'un
geste familier tandis qu'elles lui tendent une fleur et poussent le pion sur le
damier. 11 s'intéresse aux gens qui le servent, les autorise à prendre certaines
libertés avec l'étiquette, quand il est content d'eux4, et témoigne dé l'indul-
archéologique, 2* sér., t. XVII, p. 321-332, cf. Records of Ihe Paul, t. IV, p. 83). Nous connaissions
déjà par Hérodote les songes de Sabacon (II, cxxxix) et du grand prêtre Séthos (II, cxu).
1. A Déîr el-Baharf, la reine Hàtshopsftou perçoit la voix d'Amon lui-même au fond du sanctuaire,
c'est-à-dire la voix du prêtre qui recevait en présence de la statue l'inspiration directe et la parole
d'Amon (Mariette, Deir el-Bahari, pi. X, l. 2, DPnichk.n, Historische Inschriftcn, t. II, pi. XX, 1. 4-6).
2. Maspero, Éludes de Mythologie et d' Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 81 sqq.
3. Comme exemple littéraire de ce qu'était la conduite d'un roi dans sa famille, on peut citer le
personnage du roi Mtnibphtah, dans le conte de Satni-Khàmofs (Maspf.ro, les Contes populaires de
l'Egypte Ancienne, 2* éd., p. 465 sqq.). Les tableaux des tombes de Tell-Amarna nous montrent l'in-
timité dans laquelle le roi Khouniaton vivait avec sa femme et avec ses filles, grandes et petites (Lkp-
sics, Denkm., III, pi. 99 6, où la reine tient le roi embrassé par le milieu du corps, 104, 108, etc.).
4. Le Pharaon Shopsiskaf dispense son gendre Shopsisphtah de flairer la terre devant lui (E. de Hoigk,
268 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
gence pour leurs petits travers ; s'ils reviennent de l'étranger, un peu alourdis
par un long exil loin de la cour, il se répand en plaisanteries sur leur
embarras et sur leur costume démodé, plaisanteries de roi qui jettent l'assis-
tance en liesse par devoir hiérarchique, mais dont le sel s'évapore aisément et
qu'on ne comprend plus hors du palais1. 11 aime à rire, il aime à boire, et,
si l'on en croit les mauvaises langues, il s'enivre parfois à en oublier le soin
des affaires9. La chasse ne lui est pas toujours un plaisir, du moins la chasse
au désert où les lions marquent une tendance fâcheuse à ne pas respecter la
divinité du prince plus que l'humanité des sujets ; mais, comme les chefs
d'autrefois, il doit aux siens de détruire les bêtes sauvages et c'est à la cen-
taine qu'il finit par compter ses victimes, pour peu que son règne se prolonge3.
La guerre l'occupe une partie de son temps, guerre contre les Libyens à l'est
dans la région des Oasis, guerre contre les Nubiens dans la vallée au sud
d'Assouàn, guerre contre les Bédouins sur le front de l'isthme et dans la
péninsule sinaïtique, souvent aussi guerre civile contre un baron ambitieux
ou contre quelque membre turbulent de sa propre famille. 11 voyage fréquem-
ment du midi au nord et du nord au midi, laissant partout où il peut les
traces matérielles de son séjour, sur les rochers d'Éléphantine et de la
première cataracte4, sur ceux de Silsilis ou d'El-Kab, et il apparaît à ses
féaux comme Toumou lui-même, qui se lève au milieu d'eux afin de
réprimer l'injustice et le désordre5. 11 répare les monuments ou les agrandit,
règle équitablement la répartition de l'impôt et des charges, arrange ou
tranche les procès des villes entre elles pour la propriété des eaux et pour
la possession de certains territoires, distribue à ses fidèles les fiefs devenus
vacants, leur accorde des pensions à toucher sur les revenus du fisc royal6.
11 rentre enfin à Memphis ou dans l'une de ses résidences habituelles, et de
nouvelles corvées l'y attendent. 11 donne chaque jour audience à tous les gens,
Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties de Manêthon, p. 68;
Mariette, les Mastabas, p. 114-113), et Papi I'r accorde à Ouni le droit de garder ses sandales dans le
palais (K. i>r Hoi'gk, Recherches sur les monuments, p. 128; Mariette, Âbydos, t. II, pi. XLIV-XLV, 1. 23;
Erman, Commentar zur Inschrift dcsUna, dans la Zeitschrift, 1882, p. 20, laisse le passage inexpliqué).
1. Voir dans les Aventures de Sinouhit (Maspero, les Contes populaires de V Egypte ancienne, p. 12-i-
125) le récit de l'audience accordée par Amenemhàit II au héros qui revient d'un long exil en Asie.
2. Ainsi Araasis, dans un conte de l'époque grecque (Maspero, les Contes populaires, 2* éd., p. 290-308).
3. Amenôthès III avait tué jusqu'à cent deux lions dans les dix premières années de son règne
(Scarabée 580 du Louvre dans Pierret, liecueil d'inscriptions inédites du Louvre, t. 1, p. 87-88).
4. Traces du passage de Mirniri à Assouan dans Pétrie, .4 Season in Egypt, pi. XIII, n° 338, et
dans Sayce, Gkanings front the Land of Egypt (dans le liecueil de Travaux, t. XV, p. 147), de
Papiltrà El-Kab dans Steii.n, Die Cultusstàttc der Lucina, dans la Zeitschrift, 1873, p. 67-68.
5. Ce sont les expressions même qu'emploie la Grande inscription de Beni-Hassan. I. 30-16.
6. Ces détails, qu'on ne trouve pas réunis sur les monuments historiques, nous sont fournis par le
tableau que le Livre de savoir ce qu'il y a dans Vautre monde trace de la course du Soleil à travers
le domaine des heures de la nuit : le dieu y est décrit comme un Pharaon qui parcourt son royaume, et
LES OCCUPATIONS ET LES ENNUIS l>E PHARAON.
tice des serviteurs à la
justice du maître. La cause entendue, s'il sort du palais pour monter en barque
ou pour se rendre au temple, il n'est pas quitte, mais les placets et les sup-
pliques l'assaillent au passage1. Je ne parle ici ni de l'expédition des affaires
courantes, ni des sacrifices journaliers, ni des grandes cérémonies qui exi-
geaient sa présence, ni des réceptions de nobles ou d'envoyés étrangers. On
pense peut-être qu'au milieu de tant d'occupations il n'a pas le temps de
s'ennuyer. Il est pourtant en proie à cet ennui profond que la plupart des
monarques orientaux ressentent si cruellement et que les tracas ou les plaisirs
ordinaires de la vie ne peuvent plus dissiper. Comme les sultans des Mille
et une Muits, les Pharaons se font raconter des histoires merveilleuses ou
assemblent leurs conseillers pour leur demander un moyen de se distraire :
l'un d'eux y réussit quelquefois, comme celui qui réveilla l'intérêt de Snofroui
en lui conseillant pour ses promenades en barques un équipage de jeunes filles
à peine voilées d'un réseau à larges mailles. Tous ses divertissements ne
sont pas aussi badins. Les Egyptiens n'avaient pas le caractère cruel par
nature, et l'histoire ou la légende ne nous ont gardé le souvenir que d'un
très petit nombre de Pharaons sanguinaires; mais la vie d'un simple mortel
comptait si peu à leurs yeux, qu'ils n'hésitaient jamais à la sacrifier, fût-ce
pour un caprice. Dès qu'un sorcier se vante devant Khéops de savoir ressus-
citer un mort, Khéops lui propose de tenter l'expérience sur un prisonnier
tout ce qu'il (ail pour les morls, m leau*. est i<]f>ntii|tie n ce que le Pharaon faisait en favnur (tes
vivant*, ses sujets {M.iwt:«o, Etude* de Mythologie ri d'Archéologie Egyptienne*, t. Il, p. 41-13).
1. Destin de b'aiicher-Guilin (CR.tmmu.ia.i, Monument! de l'Egypte et de la tiubir. pi. CXCIX-C.i;,
CCI, i-3; IVwi.ii.im. Nonumcnti Storiri, ni. CXXItl. n- l-ï; Ltrsits. Denkm.. III. tma-d).
1. Voir, au Papyrwde. Ilertin n" i, les suppliques iltiut un |ih)k»ii accable legi-anil iiitcniinnl Xiroui-
teiuM el le roi Siukanirl Je lu IX" ou X' dynastie (Mjsi>l«o, ta Conta populaire; *• éd., (i. 13, sqq.)
470 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
auquel on coupera le cou1. La colère de Pharaon s'allumait vite, et une fois
embrasée c'était un feu qui dévorait tout ; les Égyptiens disaient, pour en
dépeindre l'intensité, que Sa Majesté devenait furieuse comme une panthère*.
La béte féroce perçait souvent en lui sous l'homme à demi civilisé.
La famille royale était fort nombreuse. Les femmes se recrutaient surtout
chez les hauts fonctionnaires de la cour et chez les grands seigneurs féodaux3;
mais on rencontrait aussi parmi elles beaucoup d'étrangères, filles ou sœurs
des petits roitelets libyques, nubiens ou asiatiques : elles venaient aux bras
de Pharaon comme otages et garantissaient la soumission de leur peuple.
Toutes ne jouissaient pas d'un traitement identique ni d'une considération
pareille, et leur condition première réglait leur état dans le harem, à moins
que le caprice amoureux du maître n'en décidât autrement. La plupart
demeuraient simples concubines leur vie durant, d'autres s'élevaient au rang
d'épouses royales, une au moins recevait le titre et les privilèges de grande
épouse ou de reine*. C'était rarement une étrangère, presque toujours une
princesse née dans la pourpre, une fille de Kâ, autant que possible une
sœur du Pharaon, qui, héritant au même degré et dans des proportions égales
la chair et le sang du Soleil, avait plus que personne au monde qualité pour
partager la couche et le trône de son frère5. Elle possédait sa maison parti-
culière, son train de serviteurs et d'employés aussi considérable que celui
du roi; tandis qu'on séquestrait à peu près les femmes secondaires dans
les parties du palais qui leur étaient assignées, elle entrait ou sortait
librement, se montrait en public avec ou sans son mari. Le protocole par
lequel on la qualifiait dans les actes officiels reconnaît solennellement en
elle la suivante de l'Horus vivant, l'associée au Seigneur du Vautour et de
l'Uneus, la très douce, la très louable, celle qui voit son Horus ou l'Horus
et le Sît face à face6. Son union avec le roi-dieu la fait déesse et lui impose
1. Ernax, Die Marche n des Papyrus Weslcar, pi. Vllï, 1. 12, et p. 10-11; Maspkro, le$ Contes
populaires de V Egypte Ancienne, 2* édit., p. 42-44 et 73. Cf. p. 282 de cette Histoire.
2. Ainsi dans l'inscription de Pidnkhi-Miamoun (1. 23 et 93, éd. E. de RorGrt, p. 20, 52); au Conte
des deux Frères, le héros, qui est une sorte de dieu déguisé en paysan, devient lui aussi furieux,
et l'auteur ajoute comme une panthère du midi (Maspero, les Contes populaires, 2" édit., p. 10).
3. La reine Miririônkhnas, femme de Papi Ier, avait pour père un personnage attaché à la cour et
nommé Khoui, pour mère une princesse Sfbit (E. de llorcti, Recherches sur les monuments, p. 130
sqq., cf. E. et J. de llon.i-, Inscriptions hiéroglyphiques copiées en Egypte, pi. CLIII).
4. La première Grande épouse du roi qui nous soit connue a été mentionnée par Ouni : c'est la
reine Amitsi, femme de Mirirî-Papi l*r de la VI« dynastie (E. de Hoigé, Recherches sur les monuments,
p. 121; cf. Erman, Commentar zur Inschrift des Vna, dans la Zeilschrift, 1881, p. 10-11).
5. 11 semble bien que la reine Mirisonkhou (Mariette, les Mastabas, p. 183; Lepsiis, Denkm., Il, 1 i,
26), femme de Khéphrèn, fût la fille de Khéops et, par conséquent, la sœur de son mari (E. de Rofgé,
Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six jrremières dynasties de Manélhon, p. 61-62).
6. Le protocole des reines de cette époque a été établi pour la première fois par E. de Rougè
Recherches sur les monuments, p. 44-13, 57-61, 130), au moyen des inscriptions de la reine Mirtittefci
LE HAREM ROYAL : LA REINE. 271
l'obligation d'accomplir pour lui toutes les fonctions dont les déesses doivent
s'acquitter à côté des dieux. Elles étaient importantes et variées. La femme
passait en effet pour réunir plus complètement que l'homme les qualités
nécessaires à l'exercice de la magie légitime ou non : ses yeux voyaient,
ses oreilles entendaient ou les yeux et les oreilles de l'homme ne voyaient
et n'entendaient rien, sa voix plus flexible et plus perçante portait à des
(E. «t J. de Rocr.K. Iutcriplioii' hiéroglyphiques copiée» en Egypte, pi. LXI1). de la reine MirisAnkhou
(Nariktte, lei Maitabat, p. IH3. Lkfsii's, Denkm., Il, 14), de In reine Khoutt (omette. te» Mailabat,
p. MT-SOS), d'une reine au nom incertain encore (Makirtte, le* Maiiabat, p. tiH), et de la reine Mlri-
rtûnthna» (E. et J. de Rodais, Inicripliom hiéroglyphiques copiée» en Egypte, pi. CLIN).
1. Deninde Faurher-Giirlin. d'aprt» I.KPHir*. Denkm.. III. "". Leri "
27-2 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
distances plus grandes, elle était par nature maîtresse en l'art d'appeler ou
d'éloigner les invisibles. Tandis que Pharaon sacrifie, la reine le protège par
ses incantations contre les dieux malins, intéressés à détourner des choses
saintes l'attention du célébrant : elle les met en fuite au bruit de la prière et
du sistre1, elle verse les libations, elle présente les parfums et les fleurs.
Elle marche derrière l'époux dans les processions, donne audience avec lui,
gouverne pour lui pendant qu'il guerroie au dehors ou qu'il parcourt son
royaume : telle Isis, au temps où son frère Osiris conquérait le monde*. Le
veuvage ne la disqualifiait pas toujours entièrement. Si elle appartenait à
la race solaire et que le souverain nouveau fût mineur, elle exerçait la
régence par droit héréditaire et retenait l'autorité quelques années encore3.
Il pouvait arriver d'ailleurs qu'elle n'eût point de postérité ou que l'enfant
d'une autre femme héritât la couronne. Rien alors dans les lois ni dans les
coutumes n'empêchait une veuve jeune et belle de reprendre au lit du fils la
place qu'elle avait obtenue au lit du père, et de recouvrer son rang de reine
par un mariage avec le successeur de son époux défunt : c'est ainsi qu'aux
premiers temps de la IVe dynastie la princesse Mirtîttefsi se perpétua suc-
cessivement dans les bonnes grâces de Snofroui et de Khéops4. Le cas ne se
présentait pas souvent et une reine descendue du trône conservait peu de
chances d'y remonter. Ses titres, ses emplois, sa suprématie sur le reste
de la famille, passaient à une rivale plus jeune : jadis compagne active du
roi, elle n'était plus que l'épouse nominale du dieu5, et son rôle se terminait
le jour où le dieu dont elle était la déesse, quittant son corps, s'envolait au
ciel pour rejoindre son père le Soleil dans les profondeurs de l'horizon*.
1. Les vertus magiques du sistre sont signalées par l'auteur du De hide et Osiride, § 63 (édit.
Parthey, p. 111-112); on les trouve indiquées fréquemment dans les inscriptions de Dendérah.
â. Le rôle de la reine à côté du roi a été parfaitement défini par les premiers Égyptologues. On
trouvera, dans l'Egypte ancienne de Champollion-Figeac (p. 56 sqq.), l'exposition des idées de Cham-
pollion le Jeune à ce sujet; sur le rôle d'Isis, régente de l'Egypte, cf. p. 173-173 de cette Histoire.
3. L'exemple le plus connu de ces règnes de femmes est celui que la minorité de Thoutmosis 111
nous fournit, vers le milieu de la XVIII* dynastie. La reine Touaou paraît avoir également exercé la
régence pour son fils llamsès II, durant les premières guerres de celui-ci en Syrie (Lepsips, Notice sur
deux statues égyptiennes représentant l'une la mère du roi liamsès-Sr'sostris, l'autre le roi Amasis,
Extr. du volume IX des Annales de l'Institut de Correspondance archéologique, p. 5 sqq.).
4. M. de Kougé a été le premier à mettre ce fait en lumière dans ses Hecherc/ies sur les monuments
qu'on peut attribuer aux six premières dynasties de Manéthon, p. 36-38. Mirtîttefsi vécut aussi dans
le harem de Khéphrén, mais le titre qui la rattache a ce roi — Amakhît, la féale — prouve qu'elle
n'y figurait plus en qualité d'épouse active : elle était probablement alors, comme M. de Rougé
l'a dit, trop avancée en âge pour demeurer la favorite d'un troisième Pharaon.
f». Le titre &épou*c divine n'est connu jusqu'à présent qu'à partir de la XVIIIe dynastie. Il s'appli-
quait à la femme du roi vivant et lui restait après la mort de celui-ci; le dieu auquel il faisait allu-
sion n'était autre que le roi lui-même. Cf. Krman, dans le mémoire de Schweinfirth, Alte Baureste
und Hieroglyphische Inschriften im Vadi Gasûs, p. 17 sqq. (Académie des sciences de Berlin, Phi'
lol.-Hist. Abhandlungcn nicht zur Akademic gehôr. Gclehrtcr, 1885, t. II).
6. Ce sont les expressions même dont se servent les textes égyptiens pour parler de la mort des
LES ENFANTS ROYAUX, LEUR RÔLE DANS L'ÉTAT. 273
Les enfants pullulaient dans le palais comme dans les maisons des
simples particuliers : quand même il en périssait beaucoup en bas âge, on les
comptait encore à la dizaine, parfois à la centaine, et plus d'un Pharaon dut
être embarrassé de s'en
rappeler clairement le nom-
bre et les noms1. L'origine
et la qualité de leurs mères
influaient grandement sur
leur condition. Sans doute
le sang divin qui leur ve-
nait d'un père commun les
élevait tous au-dessus du
vulgaire, mais ceux d'entre
eux qui se rattachaient à
la lignée solaire par le côté
maternel primaient les au-
tres de beaucoup : tant que
l'un de ceux-là subsistait,
aucun de ses frères moins
bien nés ne pouvait aspirer
à la royauté'. Les princesses
que le mariage ne faisait
pas reines, on les donnait L, MMË BAT LE smMi „MMï 0„E UE H0, ,rru LE ucitrin1.
fort jeunes à quelque parent
bien pourvu1, ou à quelque courtisan de haut parage que Pharaon voulait
honorer'; elles exerçaient des sacerdoces de déesses, Nît ou Hâthor*, et empor-
rois; cf. Haspero, la Première» Ligne» des Mémoire» de Sinouhit, p. 3, lit (Mémoire» de l'Institut
Égyptien, t. Il), pour la mort d'Amoncrnhilt I". el En.ns, Thaten uiid Zeit Tulmei III, dans la
Ztitêehrifî, 1873, p. 7, pour celle de Thouliitosis III.
I. C'était probablement le cas pour le Pharaon Hamsé* II, i <|ul nous coniiai»sons plus de cent cin-
quante curants, garçons et lilles, et qui en avait certainement d'autres encore que nous ignorons.
i. La preuve du fait nous est fournie, pour la mir dynastie, par l'histoire des successeurs immé-
diats de Thouluiosis I", les l'haraons Thoulmosis 11, TI.outri.osi» III. la reine llàlshopsllou, la reine
Noiitnofrlt, et la dame Isis, concubine de Thoulmosis II et mère de Thoulmosis 111.
3. Dessin de Faucher-Gudin, d'après un bas-relief du temple d'Ibiomboul : Nofrllari (cf. Ltpsits,
bentm., III. 1H9 b) agile derrière llamsèa II les deux sistres à lele dlldlhor.
i. Ainsi la princesse Sllmosou à son frère SafVhllnhouihotpou (l.twus, benkm.. Il, pi. XXIV; cf.
E. n Rocct, Uerherehe» tur Us monuiiienlt, p. 44), mais l'e\emplc n'esl pas entièrement certain.
5. La princesse Khamalt, fille aillée du Pli» ri Shopsiiksf, fut donnée do la sorte en mariage au
seigneur SbapsJiphtali (E, m KM ai, Hecncrche» tur Ici monument! qu'on peut attribut r au-t six pre-
mière» dynastie», p. el), cl la princesse khontkaous à Snoirnouhlt, surnommé Miliî (i/I-, p. 1U3-I04).
<i. Pour n'en citer qu'un exemple entre beaucoup, la princesse Ilotpouhirlsll était prophélcsse
d'llàll]orctdeMil(M.i«iMm(«.Mm(a&a<, p.UU;t. elJ. Dtltoiitf, Inscriptions hiéroglyphique», pi. I.XIV).
274 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
taient dans leur ménage des titres qu'elles transmettaient à leurs enfants avec
ce qu'elles possédaient de droits à la couronne1. Les plus favorisés parmi les
princes, épousant une riche héritière de fiefs, allaient s'installer sur son
domaine et y plantaient souche de seigneurs féodaux. La plupart demeuraient
à la cour au service de leur père d'abord, de leurs frères ensuite ou de leurs
neveux : on leur confiait les fonctions les plus délicates et les mieux rétri-
buées de l'administration, la surveillance des travaux publics, les sacerdoces
importants1, la direction des armées8. Ce ne devait pas toujours être chose
aisée que de mener en paix cette multitude de parents et d'alliés, reines
du présent et du passé, sœurs, concubines, oncles, frères, cousins, neveux,
fils et petits-fils de rois qui emplissaient le harem et le palais. Les
femmes se disputaient l'affection du maître pour elles et pour leur progé-
niture. Les enfants se jalousaient et n'avaient souvent de lien qu'une haine
commune contre celui d'entre eux que le hasard de la naissance appelait
à leur commander. Pharaon maintenait l'ordre parmi les siens, tant qu'il se
sentait dans la vigueur de l'âge et de la volonté ; quand les années commen-
çaient à s'accumuler et que l'affaiblissement de ses forces laissait présager un
changement prochain de règne, les compétitions se déclaraient plus ouvertes et
les intrigues se nouaient plus serrées autour de lui ou de ses héritiers directs.
Il essayait bien quelquefois d'en prévenir l'éclat et les conséquences funestes
en associant solennellement au pouvoir celui de ses fils qu'il avait choisi pour
lui succéder : l'Egypte obéissait alors à deux maîtres, dont le plus jeune
vaquait surtout aux affaires actives de la royauté, courses à travers le pays,
conduite des guerres, chasses aux bêtes sauvages, administration de la justice,
tandis que l'autre s'enfermait de préférence dans le rôle d'inspirateur ou de
conseiller bénévole*. Encore cette précaution ne suffisait-elle pas à empêcher
les malheurs. Les femmes du sérail, encouragées par leurs parents ou par
leurs amis du dehors, complotaient sourdement la mort du souverain gênant \
1. Ntbtt, mariée à Khoui, transmet ses droits à sa fille Mirirfônkhnas; celle-ci aurait été la véritable
héritière du trône au début de la Vh dynastie (E. de Hoige\ Recherches, p. 132, n. 1).
2. Mirabou, fils de Khéops, est c fief de tous les travaux du roi (Lepsus, Denkm., Il, 18 sqq.); Mtnou-
An est grand prêtre de Thot Hermopolitain (Lepshs, Denkm., 11, 21; cf. E. de Roit.k, Hecherchet sur les
monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties, p. 62); Khâfkhoufoui était prophète
d'Hâpi et de l'Horus qui lève le bras (E. et J. df. Korrà, Inscriptions hiéroglyphiques, pi. LX1).
3. Le prince Amoni (Amenemhàit 11), fils d'Ousirtascn Ier, commandait une armée qui faisait campagne
en Ethiopie (Champolmon, Monuments de VÉgypte, t. Il, p. 42, et pi. CCCXV; Lepsms, Denkm. % II, 132).
4. Le fait est connu, depuis Lepsius (Bunsen, JEgyptens Slelle in der Weltgeschichte, t. II, p. 288
sqq.; cf. E. de Rorr.tf, Examen de l'ouvrage de M. le chevalier de Bunsen, 2e art., p. 45 sqq.) pour
les quatre premiers Pharaons de la XII" dynastie. Un passage des Mémoires de Sinouhit (Maspero, les
Contes populaires, 2e édit, p. 101-10-1) peint fort exactement les rapports et le rôle des deux rois,
5. Le morceau de l'inscription d'Ouni où il est question d'un procès intenté à la reine Amttsi (Ermas,
LA CITÉ ROYALE. 275
Les princes, à qui la décision paternelle enlevait tout espoir légitime de
régner, avaient beau dissimuler leur mécontentement : on les arrêtait au
premier soupçon d'infidélité, et on les massacrait en masse ou en détail; ils
n'avaient de chances d'échapper aux exécutions sommaires qu'une révolte1 ou
la fuite chez quelque tribu indépendante de la Libye ou du désert Sinaïtique*.
Si nous connaissions par le menu l'histoire intérieure de l'Egypte, elle nous
apparaîtrait aussi tourmentée et aussi sanglante que celle des autres empires
orientaux : les intrigues de harem, les conspirations de palais, le meurtre
des infants, les déchirements et les rébellions de la famille royale y formaient
l'accompagnement presque inévitable de tout avènement.
La dynastie tirait son origine du Mur-Blanc, mais les Pharaons ne séjour-
naient guère dans cette ville, et il serait inexact de dire qu'ils la considéraient
comme une capitale; ils se choisissaient chacun dans le nome Memphite ou
dans le nome Létopolite, entre la bouche du Fayoum et la pointe du Delta,
une résidence à soi où ils vivaient avec leur cour et d'où ils gouvernaient
l'Egypte3. Ce n'était pas un simple palais qu'il fallait à tant de monde, mais
une cité entière. Un mur en briques, couronné de créneaux, l'enveloppait
d'une enceinte carrée ou rectangulaire, assez épaisse et assez élevée non seu-
lement pour braver une insurrection populaire ou les coups de main des
Bédouins en maraude, mais pour résister longtemps aux opérations d'un siège
régulier. A l'extrémité d'un des fronts, une seule baie étroite et haute, close
d'une porte en bois consolidée de pentures en bronze et surmontée d'un rang
d'ornements en métal pointu ; puis un long couloir, pris et comme étranglé
entre le mur extérieur et un mur de refend aussi fort que lui; puis au bout,
dans l'angle, une seconde porte qui annonce parfois un second couloir,
mais qui ouvre plus souvent sur une large cour où les bâtiments d'habitation
s'entassaient un peu pêle-mêle : l'assaillant courait le risque d'être écrasé en
chemin, avant de pénétrer au cœur de la place*. Le logis royal s'y reconnais-
Commentar zur Inschrift des Una, dans la Zeitschrift, 1882, p. 10-12) se rapporte probablement à
quelque conspiration de femmes. La cause célèbre, dont un papyrus de Turin nous a conservé plusieurs
pièces (Th. Déveria, le Papyrus judiciaire de Turin, extrait du Journal Asiatique, 1866-1868), fait
connaître avec quelques détails la conspiration ourdie dans le harem contre Ramsès III.
1. Un passage des Instructions d 'Amenemhâit {l*ap. Sallier II, pi. I, 1. 9 sqq.) dépeint en termes
obscurs l'attaque du palais par des conspirateurs et les guerres qui suivirent leur entreprise.
2. C'est le cas de Sinouhît, fuyant de Libye en ldumée, à la mort d'Ameneinhàit l*r (Maspero, les Pre-
mières Lignes des Mémoires de Sinouhtt, p. 17-18, et les Contes populaires, 2a édit., p. 97 sqq.).
3. M. Erra an a le premier mis en lumière ce point important de la plus ancienne histoire d'Egypte
(Ernan, JEgypten und ^Egyptisches Leben im Aller tum, p. 243-244; cf. Ed. Meyer, Geschichte des
Allen JEgyplens, p. 56-57, et les objections de Wibdkhamn, The Age of Memphis, dans les Procee-
dings of the Society of Biblical Archœology, t. IX, 1886-1887, p. 184-190).
4. 11 ne nous reste aucun plan ni aucun dessin exact des palais de l'Ancien Empire, mais M. Erman
a fait observer avec raison que les signes qu'on trouve dans les inscriptions contemporaines en- don-
276 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
sait tout d'abord à ses galeries en saillie sur la façade, d'où Pharaon assistait
comme d'une tribune aux évolutions de sa garde et au défilé solennel des
envoyés étrangers, des seigneurs égyptiens en audience, des fonctionnaires
qu'il voulait récompenser de leurs services. Ils arrivaient du fond de la cour,
s'arrêtaient au pied de l'édifice, et là, se prosternant, se redressant, courbant
la tête, agitant les bras, tordant et retordant les mains sur un rythme tour à
tour rapide et lent, ils adoraient le maître, lui chantaient son panégyrique,
puis recevaient les colliers ou les bijoux en or qu'il leur envoyait par ses
chambellans ou qu'il daignait leur jeter lui-même1. Nous entrevoyons à peine
quelques détails de l'agencement intérieur : on trouve pourtant la mention
de grandes salles, « semblables à la salle d'Atoumou dans le ciel », où le roi
venait pour traiter les affaires en conseil, pour rendre la justice et quelquefois
aussi pour présider à des banquets solennels. Des colonnes élancées, taillées
dans des bois précieux et peintes de couleurs vives, les supportaient en
longues rangées; on y accédait par des portes lamées d'or et d'argent, incrus-
tées de malachite ou de lapis-lazuli*. Les appartements privés, Vâkhonouiti,
en étaient séparés rigoureusement, mais ils communiquaient avec l'hôtel de
la reine et avec le harem des femmes secondaires3. Les Enfants royaux
habitaient un quartier particulier aux ordres de leurs gouverneurs; ils y
avaient leurs maisons et leur train de serviteurs, proportionné à leur rang, à
leur âge, à la fortune de leur famille maternelle*. Les nobles attachés à la cour
nent une figure d'ensemble (Ermaji, JSgypten, p. 106-10"). Les portes qui mènent de Tune des heures
de la nuit à l'autre, dans le Livre de l'autre monde, nous montrent le double couloir précédant la cour
(Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. Il, 166-168). Le signe fjj] fait con-
naître le nom oirâsKHtT, littér. la large, de la cour où débouchait le couloir, et au fond de laquelle se trou-
vaient le palais ctle tribunal royal, ou, dans l'autre monde, le tribunal d'Osiris, la cour de la double Vérité.
1. Le cérémonial de ces réceptions n'est pas représenté sur les monuments que l'on connaît actuel-
lement, avant la X VIII* dynastie; on le voit dans Lepsius, Denkm., 111, 76, sous Amenothès III, et 103-
105, sous Amenothès IV, dans DPmichen, Hist. Inst., t. Il, pi. LX, e, sous Harmhabi. Il est décrit pour la
XII* dynastie par les Mémoires de Sinouhtt (Maspero, les Contes populaires, 2* édit., p. 123-127); je
suis porté à croire que les Amis d'or mentionnés dans l'inscription d'Ouni (1. 17) sont ceux des Amis
du roi qui avaient reçu le collier et les bijoux d'or dans une de ces audiences solennelles.
2. C'est la description du palais bâti par Ramsès III à Amon (Papyrus Harris n* 4, pi. IV, 1. 11-12).
Ramsès 11 était dans une de ces salles, assis sur le trône d'or, quand il délibéra avec ses conseillers de
construire une citerne dans le désert, pour les mineurs qui se rendaient aux mines d'or d'Aktti
(Prisse, Monuments, pi. XXI, I. 8). La salle où le roi, sortant de ses appartements, s'arrêtait pour
prendre son costume de cérémonie et recevoir l'hommage de ses ministres, me parait s'être appelée
dans l'Ancien Empire Pi-datt, la Maison de l'adoration (Mariette, les Mastabas, p. 270-271, 307-308, etc.).
la maison où l'on adorait le roi, comme, dans les frmplcs de l'époque Ptolémaïque, celle où la statue
du dieu, quittant le sanctuaire, était habillée et adorée par ses fidèles. Sinouhît, à la XIIe dynastie,
est reçu en audience dans la Salle de Vermeil (Maspero, les Contes populaires, 2° édit., p. 123).
3. Les souhtt ou kiosques faisaient partie de ces appartements du harem. Le tombeau de Rakhmirf
nous montre un de ces kiosques des femmes à la XVIII* dynastie (Virey, le Tombeau de Rekhmarâ,
pi. XXXV, dans les Mémoires de la mission française , t. V); d'autres tableaux d'époques différente?*
représentent les morts y jouant aux dames (Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. 220 sqq.).
4. Shopsiskafànkhou (Lepsws, Denkm., II, 50) était Gouverneur des maisons des Enfants nryaux sous
Nofiririkerl de la V* dynastie (E. dk Roit.e, Recherches sur les monuments, p. 73). Sinouhît reçoit
LE CHATEAU DU ROI ET SA POPULATION. 277
et la domesticité logeaient au palais même, mais les bureaux des administra-
tions diverses, les magasins où elles entassaient leurs provisions, les demeures
de leurs employés, formaient au dehors des quartiers entiers, groupés autour
de cours étroites et communiquant entre eux par des réseaux de passages
couverts et de ruelles. Le tout était construit en bois, en briques, rarement
en moellons de petit appareil, mal établi, peu solide. Les vieux Pharaons
n'aimaient pas plus que les sultans d'autrefois à s'installer dans les lieux
où leur prédécesseur avait habité puis était mort. Chacun d'eux voulait
posséder un chez-soi à sa guise, qui ne fût pas hanté par le souvenir. et peut-
être par le double d'un autre souverain1. Les châteaux royaux, édifiés rapi-
dement, rapidement peuplés, se vidaient et s'écroulaient non moins rapide-
ment : ils vieillissaient avec le fondateur ou plus vite que lui, et sa disparition
presque toujours consommait leur ruine. On en voyait partout, dans le voisi-
nage de Memphis, que leurs maîtres de quelques années avaient bâtis pour
l'éternité, mais leur éternité n'avait pas duré plus que leurs maîtres*.
Rien de plus varié que la population de ces cités éphémères au moment de
leur splendeur. Ce sont d'abord les gens qui entourent immédiatement Pharaon3,
le service de son palais et de son harem dont les monuments nous révèlent la
hiérarchie très complexe4. Sa personne se subdivise comme en départements
fort petits dont chacun exige ses gens et ses chefs attitrés. Sa toilette à elle
seule met en branle vingt corps de métier différents. Il y a les barbiers royaux
qui lui rasent la tète et le menton par privilège ; les coiffeurs qui lui fabri-
une « Maison de Fils Royal, où il y avait des richesses, un pavillon pour prendre le frais, des ornements
dignes d'un dieu et des mandats sur le trésor, de l'argent, des vêtements en étoffes royales, des gommes
et des parfums royaux tels que les Infants aiment en avoir dans toute maison, enfin toute espère
d'artisans par troupes » (Maspero, les Conte* populaires, 2" édit., p. 127). Pour d'autres Gouverneurs
des maisons des Enfants Royaux voir Mariettk, les Mastabas de l Ancien Empire, p. 250, 259.
1. Erman, JEgypten und Mgyptisches Leben im Altertum, p. 242-244.
2. Le chant du harpiste de la tombe du roi Antouf fait allusion à ces palais ruinés : « Les dieux
[rois] qui ont été jadis et qui reposent dans leurs tombes, momies et mânes ensevelis de même dans
leurs pyramides, quand on construit des châteaux ils n'y ont plus leurs places; voilà ce qu'on fait
d'eux! J'ai entendu les éloges poétiques d'imhotpou et de Hardidif qu'on chante en des chants, et
vois pourtant où sont aujourd'hui leurs places; leurs murs sont détruits, leurs places ne sont plus,
comme s'ils n'avaient jamais existé! • (Maspkro, Études Égyptiennes, t. I, p. 179-180).
3. On les appelle d'un terme général les Shonttiou, les gens du cercle, et les Qonbitiou, les gens du
coin. Ces mots se retrouvent dans les inscriptions religieuses appliqués au personnel des temples et
marquent l'entourage, la cour de chaque dieu ; ils désignent les notables d'une ville ou d'un bourg,
les méshéikh, qui jouissent du droit de surveiller l'administration locale et de rendre la justice.
A. Les scribes égyptiens avaient essayé d'établir la liste hiérarchique de ces emplois. Nous possé-
dons aujourd'hui les restes de deux listes de ce genre. L'une, conservée au Papyrus Hood du British
Muséum, a été publiée et traduite dans Maspkro, Etudes Égyptiennes, t. II, p. 1-66 (cf. Brugsch, Die
.Egyptologie, p. 211-227); un second exemplaire plus complet a été découvert en 1890, et se trouve
entre les mains de M. Golénischeff. L'autre liste, déposée également au British Muséum, a été publiée
par M. Pétrie dans les Mémoires de YEgypt Exploration Fund (Two Hieroglyphic Papyri from
Tanis, p. 21 sqq.); dans celle-ci, les noms et titres sont mêlés à beaucoup de matières diverses. On
peutjoindre à ces deux ouvrages des énumérations de professions ou de métiers qui se trouvent acci-
dentellement sur les monuments et qui ont été commentées par Brugsch (Die JSgyplologie, p. 228 sqq.).
278 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
quent ses perruques noires ou bleues, les frisent, les posent, y adaptent les
diadèmes1; les valets de la main qui lui rognent et lui polissent les ongles*;
les parfumeurs qui préparent les huiles et les pâtes odorantes avec lesquelles
on lui frotte le corps, le kohol dont on lui noircit le tour des paupières, les
fards qu'on lui étale sur les lèvres et sur les joues8. Un bataillon complet campe
dans la garde-robe, cordonniers4, ceinturiers, tailleurs, les uns veillant aux
étoffes en pièce, les autres présidant au linge de corps, d'autres encore conser-
vant les habits, jupons longs ou courts, transparents ou opaques, serrés aux
cuisses ou évasés largement, manteaux drapés, pelisses flottantes5. Les lavan-
diers exercent à côté d'eux leur métier, si important chez un peuple qui a la
passion du blanc et aux yeux de qui la malpropreté du vêtement entraîne l'im-
pureté religieuse : ils vont rincer chaque jour à la rivière, comme les fellahs
d'aujourd'hui, empèsent, lissent, tuyautent sans relâche afin de suffire aux
besoins incessants de Pharaon et des siens6. La tâche des préposés aux bijoux
n'est pas mince si l'on songe à la variété prodigieuse de colliers, de bracelets,
de bagues, de pendants d'oreille, de sceptres historiés que le costume de
cérémonie comporte selon les moments ou les circonstances. Le service des
couronnes touche presque au sacerdoce : l'uraeus qui les orne toutes n'est-elle
pas une déesse vivante? La reine ne réclame pas moins de chambrières, et
la même profusion de charges se retrouve chez les autres dames du sérail
Des troupes de musiciennes, de chanteuses, de danseurs, d'aimées pourvoient
aux heures d'ennui, comme aussi des bouffons et des nains7. Les grands
1. Manofir était inspecteur des fabricants de cheveux du roi Tatkert de la Ve dynastie (Mariette, les
Mastabas, p. 446-447), et Phtahnimàtt remplissait le même office sous INofiririkeri (tW.f ibid., p. 250).
Khàfrfônkhou était directeur des fabricants de cheveux du roi sous un des Pharaons de la IV* dy-
nastie (E. et J. de Rougé, Inscriptions hiéroglyphiques recueillies en Egypte, p. LX).
2. Ràànkhouraâi était directeur de ceux qui font les ongles du roi sous un Pharaon de la Ve dynastie
(Mariette, les Mastabas, p. 283-284); Khâbiouphtah cumulait cette fonction avec celle de directeur des
fabricants de cheveux sous Sahourt et sous Nofiririkcrt de la V* dynastie (id., ibid., p. 295).
3. Mihtinofir était inspecteur pour Pharaon et directeur des huiles parfumées du roi et de la reine
(Mariette, Us Mastabas, p. 298), ainsi que Phtahnofirirîtou (id., ibid., p. 322); ces deux personnages
exerçaient aussi des fonctions importantes dans la lingerie du roi.
4. Les cordonniers royaux sont mentionnés au Papyrus Hood (Maspero, Études Égyptiennes, t. Il,
p. 11); les stèles d'Abydos en signalent encore plusieurs au temps des Ramessides.
5. Khonou était directeur des étoffes du roi (Mariette, tes Mastabas, p. 185), comme aussi Ankliaf-
touka (id., ibid., p. 307-308, cf. E. et J. de Rouge, Inscriptions hiéroglyphiques, pi. LXXXIII); Sakhemphtah
était directeur du linge blanc (Mariette, les Mastabas, p. 252), ainsi que Tapoumônkhou (id., ibid.,
p. 198) et les deux personnages Mihtinofir et Phtahnofirirîtou, mentionnés plus haut à la note 3. Au
début de la XII* dynastie, on trouve Hàpizaoufi de Siout installé primai de tous les habits du roi
(E. et J. de Rouge, Inscriptions hiéroglyphiques, pi. CCLXXX1U), c'est-à-dire grand maître de la
garde-robe, et ce titre revient assez fréquemment dans le protocole des princes d'Hermopolis.
6. Les blanchisseurs royaux et leurs chefs sont cités au Conte des deux frères, sous la XIX* dynastie,
ainsi que leurs lavoirs au bord du ISil (Maspero, les Contes populaires, 2* éd., p. 2).
7. La dame Ràhonem était directrice des joueuses de tambourin et des chanteuses (Mariette, les
Mastabas, p. 138 sqq.); Snofrouinofir (E. et J. de Rouge, Inscriptions recueillies en Egypte, pi. Hl-IV)et
Ràmiriphtah (Mariette, les Mastabas, p. 154-155) étaient chefs des musiciens et préposés aux divertis-
sements du roi.
LA DOMESTICITE 1(11 PALAIS, LES BOUFFONS ET LES NAINS. i79
seigneurs égyptiens manifestaient un goût singulier pour ces malheureuses
créature», et se plaisaient à en rassembler de toutes les laideurs et de toutes
les difformités. On les figurait souvent dans les tombeaux, à côté du maître,
avec le chien favori, avec une gazelle, avec une guenon qu'elles tiennent en
laisse ou qu'elles querellent'. Pharaon prenait quelquefois ses nains en amitié
vive et leur confiait des charges dans sa maison : l'un d'eux, Khnoumhotpou,
mourut chef de la lingerie. Le personnel de bouche dépassait les autres par le
nombre. H n'en pouvait être autrement si l'on songe que le maître devait le
vivre non seulement à ses serviteurs réguliers1, mais encore à tous ceux de ses
I. Drarin de Faucher-Ciidin, itapirt un tittttnpage prit m I8Î8 par Mariette, il Sagqarah.
ï. Une naine figure pnrmi dos chanteuses dans l.trsns. Denkm., Il, 3IÎ, d'autres aux toinheaux
[le khnoumhotpou el d'Amencmhall à Boni-Hassan (Cm» million. Monuments de l'Egypte, pi. CCCXCÏII,
.(, Newusmy, Uetii Ha*an, 1. 1, pi. Xll| avoe plu*ieurs nains de type dilTérenl («/., pi. CCCI.XXXI bit, 3).
3. Mémo après la mort, ils élaiont inscrits sur les rôles du palais el continuaient à toucher leurs
vivres de chauue jour, comme offrandes lunéraires (Déments. Itemltale, I. I, pi. VII, E. et J. ta BoticÊ,
liurriplùmM ht/roglyphiquct, pi. III, Kaki cm, tes Mastabat de l'Ancien Empire, p. ÏTl>, Ait).
■m LA CUNSTITLTIO.N POLITIQIE DE L'EGYPTE.
employés et de ses sujets qu'une affaire attirait à la résidence1 : même les
pauvres diables qui venaient se plaindre à lui de quelque avanie plus ou moins
imaginaire se nourrissaient à ses frais en attendant justice'. Maitres-queux,
•tiers, bouchers, pâtissiers, pourvoyeurs de
;r ou de fruits, on n'en finirait pas si l'on
iser tous l'un après l'autre. Les boulangers
le pain ordinaire ne se confondaient pas
ssaient les biscuits. Les cuiseurs des soufflés
lotes avaient la préséance sur les galetiers,
ts de confitures fines sur les simples confi-
es3. Si bas qu'on descendit sur l'échelle,
mneur à s'enorgueillir toute la vie et à se
es la mort au cours d'une épitaphe, qued'oc-
per un poste dans la domesticité royale.
Les chefs à qui cette armée de servi-
teurs obéissait sortaient quelquefois du
rang* : le maître les avait remarqués un
jour dans la foule et les avait tirés de leur
humilité pour les élever, les uns lente-
ment et par degrés, les autres sans tran-
sition et d'un seul coup, aux premiers
li mm Linot-mioTi-n-, grades dans l'État. Cependant, beaucoup parmi
eux appartenaient à de vieilles maisons, fils
d'anciens fonctionnaires attachés au palais par une longue tradition de famille,
membres de la noblesse provinciale, descendants éloignés des princes ou des
princesses royales de jadis, apparentés de plus ou moins près au souverain
régnant*. On les lui avait procurés pour compagnons de son éducation et de
ses jeux, quand il végétait encore dans la Maison des Enfants; grandi avec
I. Cf. à ce sujel le Coule de Khouft/ui (X.si'mo, le' V.onlet populaire», £• éd., p. 16) et celui de
Sinouliit (il/., |.. IÏN1- Le recuire d'une reine de la XI* djnastie (M* mut*. Papyrus du Muter de
lloutaq, I. Il, pi. XIV-l.V) tinuruère de* dépense» de ce («'rire (L. Boacmaiii, &ïii Itrrhnungibtifh de*
Kômgtkhru llofri, dam. la ?,cit,ehrift , I. XXVIII, p. ti8 squ,.). Sahou reçut le droit de se ravitailler
aux train du roi |>cndaril nés voyage* (K. de HoitÉ. Hecherchei *ur tet momimentt, p. 1 lî-l 13).
t. Aiiihi le |i;ijsan dont l'hintoin; iniib esl coiiti-e au Papgnu de Berlin n" 2 (JI.ispkiio, let Coule*
populaire*, i" éd.. p. iM) : le roi lui fait allouer un pain el deui pots de bière par jour.
3. Voir la lisle de ces perso un nues, par ordre hiérarchique, à la deusième page du l'apyrut lload
{«.tsrtito, Etude* Egyptienne». I. Il, p. i(Mi. tM-es ; cf. Dm'irai-. IHe .Egyplologie. p. 119-iil).
t. M. de Hotifiv u cru remarquer que tel étail le cas pour Ti, dont le lornûeau eut célèbre aujourd'hui
(llriherchet aur let mamimenlt, y. VU), et pour Sno/nmuliîl, su tiiiuiinu- Milii ijd., p. 11I3-IIII|.
îi. [letain de l'auihcr-liudi», tfaprë* la photographie d'Emile Druyich-ltey : l'orignal esl à Giiéh.
6. Celaient ceux-là qui formaient, je crois, la rlasMï des riikhtm ion/un, si souvent mentionnée sur
les luonuiuenU. Ou voit ordinairement dans ce titre la marque dune parenté avec la famille, rojale
LES CHEFS DE LA DOMESTICITÉ ROYALE. 281
eux, il les conservait autour de lui comme Amis uniques et comme conseil-
lers1. Il les comblait de titres et de charges à la douzaine selon la confiance
qu'il se sentait en leur capacité, ou selon le degré de fidélité qu'il leur sup-
posait. Quelques-uns parmi les plus favorisés se disaient Maîtres du secret de
la maison royale', ils connaissaient tous les recoins du château, tous les mots
d'ordre qu'on devait donner pour passer d'une partie dans l'autre, l'empla-
cement des trésors et les moyens de s'y introduire8. Plusieurs étaient Maîtres
du secret de toutes les paroles royales, et commandaient à la Grande Cour
du palais, ce qui leur conférait le pouvoir d'écarter qui bon leur semblait de
la personne du souverain5. Le soin incombait à d'autres de régler les divertis-
sements : ils réjouissaient le cœur de Sa Majesté par des chants délicieux4,
tandis que les Chefs des matelots et des soldats veillaient à sa sûreté8. Ils
joignaient souvent aux emplois effectifs des privilèges honorifiques auxquels
ils tenaient beaucoup, le droit de garder leurs sandales dans le palais6, quand
la foule des courtisans n'y entrait que déchaux, celui de baiser les genoux et
non les pieds du Dieu bon1, celui de revêtir la peau de panthère*. Tels étaient
médecins du roi9, tels autres chapelains ou hommes au rouleau, — khri-habi.
Ceux-ci ne se contentaient pas de guider Pharaon dans le dédale des rites, ni
de lui souffler les formules nécessaires à l'efficacité des sacrifices ; on les pro-
clamait les maîtres des secrets du ciel, ceux qui voient ce qu'il y a au firma-
ment, sur la terre et dans l'Hadès, ceux qui savent toutes les recettes des
devins, des prophètes ou des magiciens10. Le régime des saisons et des astres
(ërma*, JEgypten, p. 118). M. de Rougé a montré depuis longtemps qu'il n'en était rien (Recherches,
p. 90) et que des fonctionnaires pouvaient le porter sans être alliés par le sang aux Pharaons. 11 me
parait désigner la classe des courtisans que le roi daignait connaître (rokhou) directement, sans l'in-
termédiaire d'un chambellan, les Connus du roi; les autres n'étaient que ses Amis, Samirou.
1. C'était le cas de Shopsisouphtah (E. de Rorcti, Recherches sur les Monuments, p. 66) et de
Khontemsété (Erman, Mgypten, p. 118). Sous un roi de la X* dynastie, Klitti, prince de Siout, rappe-
lait avec orgueil qu'il avait été élevé au palais et avait appris à nager avec les enfants du roi (Mariette,
Monuments divers, pi. LX1X d, E. et J. de Roit.ê, Inscriptions hiéroglyphiques, pi. CCLXXX1X,
Griffith, the Inscription of Stût and Dér Rifeh, pi. XV, 1. 23). Cf. Lefbbire, Sur différents mots et
noms Egyptiens, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, 1890-1891, p. 466-468.
2. Api (Mariette, les Mastabas, p. 96), et beaucoup d'autres. Le titre est rendu trop littéralement et
de façon trop étroite par Secrétaire royal, depuis K. de Rougé (Recherches sur tes monuments, p. 69).
3. Ainsi Ousirnoutir (Mariette, les Mastabas de l'Ancien Empire, p. 173-174), Ankhoumaka (id.,
p. 217-218); Kai cumulait avec ce titre celui de directeur de l'Arsenal (id., p. 228-229).
4. Ràmiriphtah (Mariette, /e« Mastabas, p. 154-155), Rânikaou (id., p. 313), Snofrouinofir (id., p. 395-
398), que j'ai déjà eu l'occasion de citer avec la dame Râhonem, à la page 278, note 7.
5. Le prince Assiônkhou a un commandement dans l'infanterie et dans la flottille du Nil (Mariette,
le* Mastabas de l'Ancien Empire, p. 191); de même Ji (id., p. 162) et Kamtininit (id. p. 188).
6. C'est la faveur qu'Ouni obtint du Pharaon Miriri-Papi l*r, selon E. de Rougé (Recherches sur
les monuments, p. 128), dont l'interprétation me paraît être excellente.
7. Shopsisouphtah reçut cette faveur (E. de Rougé, Recherches sur les monuments, p. 68).
8. Tel est le sens que j'attribue au titre assez rare Oirou bousit, Grand de la peau de panthère, que
portent, entre autres, Zaoufiou (Mariette, les Mastabas, p. 252-254) et Ràkapou (id., p. 275, 278).
9. Api (Mariette, tes Mastabas, p. 96) et Sokhttniônkhou (id., p. 202-205) sont médecins de Pharaon.
10. La forme la plus complètede leur titre que j'ai trouvée jusqu'à présent dans l'Ancien Empire est au
36
282 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
n'avait plus de mystère pour eux, ni les mois, ni les jours et les heures
favorables aux entreprises de la vie courante ou au commencement d'une
expédition, ni les temps durant lesquels il fallait éviter de rien faire. Us
s'inspiraient des grimoires écrits par Thot, et qui leur enseignaient l'art d'in-
terpréter les songes ou de guérir les maladies, d'évoquer les dieux et de les
obliger à travailler pour eux, d'arrêter ou de précipiter la marche du Soleil
sur l'Océan céleste1. On en citait qui séparaient les eaux à volonté et les
ramenaient à leur place naturelle rien qu'avec une courte formule*. Une image
d'homme ou d'animal, fabriquée par eux avec une cire enchantée, s'animait
à leur voix et devenait l'instrument irrésistible de leurs vengeances8. Les
contes populaires nous les montrent à l'œuvre. « Est-il vrai, dit Khéops à l'un
d'eux, que tu saches rattacher une tête coupée? » Comme il en convient,
Pharaon veut sur-le-champ éprouver sa puissance : «r Qu'on m'amène un
prisonnier de ceux qui sont en prison, et qu'on l'abatte !» Il se récrie à cette
proposition : « Non, non, pas d'homme, Sire mon maître; n'ordonne pas
qu'on commette ce péché ; rien qu'un bel animal ! » On lui apporta une oie * à
qui l'on trancha la tête, et l'oie fut posée à main droite de la salle et la tête
de l'oie à main gauche de la salle : il récita ce qu'il récita de son grimoire,
l'oie se mit à sautiller, la tête fit de même, et quand l'une eut rejoint l'autre,
l'oie commença à glousser. On apporta un pélican : autant lui en advint. Sa
Majesté fit amener un taureau, dont on jeta la tête à terre : le sorcier récita ce
qu'il récita de son grimoire, le taureau se releva aussitôt et il lui rattacha
ce qui était tombé à terre*. » Les grands eux-mêmes daignaient s'initier aux
sciences surnaturelles et recevaient l'investiture de ces pouvoirs redoutables
Un prince magicien ne jouirait plus chez nous que d'une estime médiocre :
en Egypte, la sorcellerie ne paraissait pas incompatible avec la royauté, et
les magiciens de Pharaon prirent souvent Pharaon pour élève5.
tombeau de Tcnti (Mariette, les Mastabas, p. 149) : ce personnage est homme au rouleau en chef...,
supérieur des secrets du ciel qui voit le secret du ciel. Cf. p. 127 de cette Histoire.
1. Voir au Conte de Satni-Khûmoîs (Maspero, les Coûtes populaires de l'Egypte Ancienne, 2* éd.,
p. 175) la description des vertus attribuées à un des livres de Thot.
2. Vho?nme au rouleau Zazamônkh, dans le Conte de Khoufoui (Maspero, les Contes populaires de
l'Egypte Ancienne, 2" édit., p. 67), opère ce prodige, pour permettre à une femme montée sur la
barque royale de retrouver un bijou qu'elle avait laissé par mégarde tomber au fond d'un lac.
3. V homme au rouleau Oubaou-Anir, dans le Conte de Khoufoui (Maspero, les Contes populaires de
l'Èyypte Ancienne, 2" édit., p. 60-63), modèle et rend vivant un crocodile qui entraîne l'amant de sa
femme au fond des eaux. Dans le Conte de Salni Khâmois (id., p. 180-181), Satni fabrique de même
une barque et son équipage qu'il anime et qu'il envoie à la recherche du livre magique de Thot.
A. Ehman, Die Mârchen des Papyrus Westcar, pi. VIII, 1. 12-26; cf. Maspero, Contes populaires, p. 73.
5. On sait la réputation de magiciens dont les Pharaons Néchepso et Nectanébo jouirent jusque chez
les peuples classiques de l'antiquité. Les écrivains arabes ont recueilli encore nombre de traditions
sur les prestiges que les sorciers de l'Egypte savaient opérer : j'en citerai pour exemple la description
LE DOMAINE ET LES ESCLAVES ROYAUX. 283
Telle était la maison du roi, les gens attachés à son corps et à la personne
des siens. Sa cité abritait un nombre plus considérable encore d'officiers et de
fonctionnaires chargés de gérer sa fortune, c'est-à-dire d'administrer ce qu'il
possédait de l'Egypte1. On admettait toujours en principe que le sol entier
lui appartient, mais ses prédécesseurs et lui en avaient distrait tant de par-
celles au profit de leurs favoris ou des seigneurs héréditaires qu'une moitié du
territoire échappait à son autorité immédiate. Il gouvernait en propre la plu-
part des nomes du Delta1 : au delà du Fayoum, il ne détenait plus que des
enclaves perdues au milieu des principautés féodales et souvent éloignées l'une
de l'autre. L'étendue du domaine variait de dynastie à dynastie et même de
règne à règne : si elle décroissait quelquefois à la suite de concessions trop
souvent répétées3, d'ordinaire elle compensait largement ses pertes par la con-
fiscation de certains fiefs ou leur retour à la couronne. Elle demeurait assez
considérable pour que le souverain n'en exploitât que la moindre portion
au moyen des Esclaves royaux', et fût obligé de confier le reste à des fonc-
tionnaires d'ordres divers : dans le premier cas, il se réservait tous les béné-
fices mais aussi tous les tracas et toutes les charges, dans le second cas il tou-
chait sans risques une redevance annuelle dont on fixait la quotité sur place,
selon les ressources du canton. Qui veut comprendre la manière dont marchait
le gouvernement de l'Egypte, il doit n'oublier jamais que le monde ignorait
encore l'usage de la monnaie, et que l'or, l'argent, le cuivre, pour abondants
qu'on les suppose, constituaient de simples objets d'échange, comme les pro-
duits les plus vulgaires du sol égyptien. Pharaon n'était donc pas, ce que
l'État est chez nous, un argentier qui calcule l'ensemble de ses recettes et
de ses dépenses au cours du comptant, encaisse ses revenus en espèces
que Makrizî fait d'une de leurs réunions, probablemcut d'après quelque historien antérieur (Malan,
A Short Story of the Copts and of their Church, p. 13-14).
1. On les distinguait souvent de leurs collègues provinciaux ou seigneuriaux en joignant à leurs
titres le terme khonou, qui désigne de manière générale la résidence royale. Us formaient ce que nous
appellerions aujourd'hui le personnel des ministères et pouvaient être délégués dans les provinces ou
auprès des princes féodaux, au moins pour un temps, sans perdre pour cela leurs titres de fonction-
naires du khonou, de l'administration centrale.
4. Cela parait résulter du moins de l'absence presque complète de titres féodaux sur les plus
anciens monuments du Delta. M. Erman, que ce fait avait frappé, l'attribuait à une différence de civi-
lisation entre les deux moitiés de l'Egypte (sEgypten und JEgyptisches Leben im Altertum, p. 128,
cf. Ed. Meykr, Geschichte JEgyptens, p. 46); je l'attribue à la différence de régime. Les titres féodaux
prédominent naturellement dans le Sud, les titres de l'administration royale dans le Nord.
3. On trouve à différentes époques des personnages qui se disent maîtres de domaines ou de châ-
teaux nouveaux, Pahournofir sous la III" dynastie (Maspkro, Etudes Égyptiennes, t. Il, p. 459), plu-
sieurs princes d'Hermopolis sous la VI» et la VII* (Lepsiits, Denkm., II, lia h, c), Khnoumhotpou
aux débuts de la XII* (Grande Inscription de Béni-Hassan, 1. 69). Nous aurons occasion de constater,
à propos de ce dernier, comment un grand fief nouveau se formait et avec quelle rapidité.
4. Lepsius, Denkm., H, 107, où l'on rencontre les Esclaves royaux faisant la moisson, de concert
avec les serfs attachés au tombeau de Khouuas, prince de la Gazelle, sous un roi de la VI" dynastie.
284- LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
sonnantes de petit volume et règle de même tous ses débours. Son fisc
s'établissait en nature, et c'est en nature qu'il indemnisait ses serviteurs de
leurs peines : bestiaux, céréales, boissons fermentées, huiles, étoffes, métaux
vils ou métaux précieux, « tout ce que le ciel donne, tout ce que la terre crée,
tout ce que le Nil apporte de ses sources mystérieuses1 », était la monnaie
dont ses sujets lui payaient leurs contributions et qu'il repassait à ses féaux
en guise de traitements. Une chambre de quelques pieds carrés, et au besoin
un coffre-fort, contiendrait à l'aise le revenu total d'un de nos empires
modernes : la plus démesurée de nos halles n'aurait pas toujours suffi à
loger la masse d'objets disparates qui représentait les rentrées d'une seule
province de l'Egypte. La substance de l'impôt prenant toutes les formes, il
fallait pour la recevoir une variété inexprimable d'agents spéciaux et de
locaux appropriés, des bouviers et des étables pour les bœufs, des bois-
seleurs et des greniers pour le grain, des sommeliers et des celliers pfcur
le vin, pour la bière, pour les huiles. Et la taxe levée, en attendant qu'on
la dépensât, on ne lui conservait sa valeur qu'au prix de soins incessants où
vingt classes de commis et d'ouvriers collaboraient de leur métier au service
de la trésorerie. Selon qu'il s'agissait de bœufs, ou de blés, ou d'étoffes, on
menait l'impôt aux prés, parfois à la boucherie et chez le corroyeur quand
une épizootie menaçait de l'anéantir, on le blutait, on le réduisait en farine,
on en façonnait du pain et de la pâtisserie, on le blanchissait, on le repassait,
on le pliait, on le débitait à l'habit ou à la pièce. Le trésor royal tenait à la
fois de la ferme, de l'entrepôt et de l'usine.
Chacun des services qui l'alimentaient occupait dans l'enceinte de la cité
un édifice ou un ensemble d'édifices qu'on appelait sa maison, nous
dirions son hôtel1. 11 y avait Y Hôtel Blanc, où l'on serrait les étoffes, les
bijoux, parfois le vin8, Y Hôtel des Bœufs', Y Hôtel de VOr*, Y Hôtel des Fruits
conservés*, YHôleldes Grains1, Yllôlel des Liqueurs6, dix autres hôtels dont
1. C'est la formule la plus ordinaire de l'offrande sur les stèles funéraires, celle qui résume le plus
complètement la nature de l'impôt payé par les vivants aux dieux et par suite celle de l'impôt qu'ils
payaient aux rois : ici comme ailleurs, le domaine des dieux se modèle sur celui des Pharaons.
2. Piroiî, Pi : c'est le même emploi que celui de Dâr, usité chez les khalifes fatimites et chez
les sultans mamelouks de l'Egypte au Moyen Age. Les Dars succédèrent sans interruption aux Pi et
aux AIt que nous rencontrerons bientôt (Maspero, Études Egyptiennes, t. 11, p. 126 sqq.).
3. Pi-hazou, dans Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. £49-350. 11 tirait son nom de la couleur blan-
che dont on l'enduisait à l'extérieur, comme on fait la plupart des bâtiments publics de l'Egypte moderne.
4. C'est le Pi-eheou, qu'on rencontre surtout à partir de la XII* et de la XIIIe dynastie.
5. Pi-NOiBor, dans K. de Roiîgk, Recherches, p. 10 1; cf. Mariette, les Mastabas, p. 251, 355, 502, etc.
G. Pi-ashdou, connu par DCmichkn, Hesultate, t. I, pi. VU; cf. E. et J. de Ko<x.é, Inscriptions hiérogly-
phiques recueillies en Egypte, pi. III; Mariette, les Mastabas de V Ancien Empire, p. 279, 414.
7. Pa-habou, Brugsch, Dictionnaire Hiéroglyphique et Démotique, Supplément, p. 749-750, s. v. Ari.
8. Pi-akpol ? l'Hôtel du Vin, cité peut-être dans Mariette, les Mastabas de f Ancien Empire, p. 30«».
LES HÔTELS DE 1/ ADMINISTRATION ROYALE. 28S
nous ne comprenons pas toujours la destination'. On entassait par milliers
rlans ['Hôtel des Armes' les casse-tête, les massues, les piques, les poignards,
les arcs, les paquets de (lèches que Pharaon distribuait aux recrues chaque fois
qu'une guerre l'obligeait à convoquer son armée, et qu'il leur retirait après
la campagne1. Les
hôtels se subdivi-
saient à leur tour en
chambres ou logis1
réservés chacun à
une catégorie d'ob-
jets. On comptait je
ne sais combien de
logis dans la dé-
pendance de l'Hôtel
1 la ■■»: M caisse ou likbi et mki tuiufokt a l'hoteu umc*.
des Approvisionne-
ments, Logis des Viandes de boucherie, Logis des Fruits, Logis des Bières.
Logis du Pain, Logis du Vin, où l'on accumulait de chaque denrée ce qui était
nécessaire à la nourriture de la cour entière pendant quelques jours, au plus
pendant quelques semaines. Elles y arrivaient chacune de magasins plus grands,
les vins de leurs entrepôts", les bœufs de leurs étables7, les blés de leurs gre-
niers*. Ces derniers étaient de vastes réceptacles en briques, ronds, terminés en
coupoles, accotés par dix et plus, mais sans communication de l'un à l'autre. On
n'y voyait que deux ouvertures, une au sommet par laquelle on introduisait le
grain, une au niveau du sol par laquelle on le retirait : un écriteau affiché au
dehors, souvent sur le volet même qui fermait la chambre, annonçait l'espèce et
1. Ainsi lePi-iior? (M.wpep.0, Eluda Égyptienne», t. Il, p. *5H-Î39), peut-être l'entrepôt des graisses,
*. Pkhoioi', la Khainat ed-darak des khalifes égyptiens (E. m Ranci, lircherrhet tur te» monu-
ment», p. 91, 1U1, 10i; NiniETiE, le» Mastaba» de V Ancien Empire, p. ÏI7-Î18. ïi», *39, 196, etc.).
3. On voit à Médinot-Habou la distribution des armes, faite aux soldats de llarnsés III (Cha.poluo-.,
Monument», pi, CCXVIII, Rosellisi, Mon. Real}, pi. CXXV); la même opération parait être impliquée par
un passage de l'inscription d'Ouni qui raconte la levée d'une armée sous la VI" dynastie.
4. Alt, kl. M. Lcfébure a réuni beaucoup (le passages où ce» logis sont mentionnés, dans ses notes
Sur différent» mot» et nom» Egyptien» (Proceedingt of Ihe Society of Bibtical Archrology, 1890-
1891, p. 417 sqq.). Dans bien des cas qu'il cite, et où il reconnaît une fonction d'état, je croîs recon-
nattre un métier : beaucoup d'tai à1t-*foc, Gen» du loqit de» viande», seraient des bouchers, beau-
coup d'»«i ItT-mglTor, Gen» du Ingit de la bitre, seraient des eabarctîcrs, travaillant pour leur compte
dans la ville d'Abjdos. et non des employés attachés au fisc de Pharaon ou du Sire de Thinis.
5. Deuin de Fauchtr-Gudin, d'âpre» la chromolithographie de Li.psics, Denkm., Il, iW.
il. Awirt, mot qui s'applique à des entrepôts, ordinairement voûtés et accolés deux à deux, où
l'on emmagasinait des denrées très diverses (M.ibihtk, te* Maitaba», p. 145, «3, Ï3H, ti'A, etc.|.
1. I.e terme Aboii. qui s'appliqua plus tard aux clin vaux comme arn bieufs. ne s'est pas rencontré
X. Saoxoi-in, qui est passe dans le langage des Français d'Orient, sous la forme chounéh, par l'inter-
médiaire de l'arabe. Pour la représentation des greniers à grains et à fruits de l'époque memphite,
cf. JttiPERO, Quatre Année» de fouilla {dans les Mémoire» de la Million Fmncaiie, t. I, pi. lit).
im LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
la quantité des céréales. La garde et la gestion étaient confiées à des troupes
de portiers, de magasiniers, de comptables, de primats qui commandaient
les manœuvres1, d'archivistes, de directeurs1. Les plus nobles se disputaient
l'administration des Hôtels, et les fils de rois eux-mêmes n'estimaient pas
déroger à s'intituler Directeurs des Greniers ou Directeurs de l'Hôtel des Armes.
Aucune loi n'interdisait le cumul et plus d'un se vante encore dans son tombeau
royauté, les hôtels participaient de la dualité qui caractérisait la personne de
Pharaon : on disait, en parlant d'eux, l'Hôtel ou le double Hôtel Blanc,
l'Hôtel ou le double Hôtel de l'Or, le double Entrepôt, le double Grenier. Les
grosses villes possédaient, ainsi que la capitale, leurs doubles Hôtels et
leurs Logis où les produits du voisinage affluaient, mais où le service n'exi-
geait pas toujours une installation complète; on y rencontrait des places*
dans lesquelles fes recettes ne séjournaient qu'en passant. Une partie de
l'impôt provincial, la plus facile à conserver, était expédiée en barque à la
résidence' et grossissait le trésor central : le reste, on le dépensait sur les
lieux pour le traitement des employés et pour les besoins du gouvernement.
I. Khoepoioi', le mol primai est la traduction littérale du terme égyptien ; sur le genre »)»«i*l de
fonctions qu'il indique, cf. Mtspsno, Étude* Egyptienne*, 1. II, p. iNI-IBi.
t. «mai! se traduit assez exactement Directeur (Mtsrfciw. Elude* Egyptienne*, t. Il, p. ifll-JKj),
3. Pour n'en filer qu'un exemple, Kaî joint à 1» direction de la Grande Cour du Palais celle du
dnulile grenier, celle de la double maison blanche, relie des six grands magasins, et celle de trois
entrepôt» différents: (Mariette, te* iiastnba* de l'Ancien Empire, p. 113).
4. llettin de Faiichei-Gudin. d'apràt une teènc de la tombe d'Amonià Beni-llatian ; cf. ll<K[Li.ni,
ilonuiuenti Civiti, pi. xxxrv, t. Mt:w»;«*Y, tieni Hatnn. t. I, pt. Mil. A droite, près de ta porte, le tas
de grainsoù le boisseleur puise, pour remplir la couffe que l'un des porteurs tient ouverte. Au cen-
tre, une procession d'esclaves monte l'escalier qui mène au-dessus des greniers; l'un d'eux décharge
sa coulTe dans t'oritirc du liant, devant le surveillant. Les inscriptions tracées à l'encre sur la muraille
extérieure des réceptacles déjà pleins déclarent le nombre de mesures que chacun d'eux contient.
5. l-lroi, ptarc*. faute d'un mot meilleur (Xasteeii, Etude» Egyptiennes, t. Il, p. IÏ8 sqq.).
(!. Les barques employées à cet usage formaient une flottille, et leurs chefs crmuli tuaient un corps
régulii ■remeiil organisé de convoyeur* qu'on voit souvent représentés sur les monuments du Nouvel
Empire, apportant l'impôt à la résidence du roi ou du prince dont ils dépendent. Il y en » un bon
exemple au tombeau de Pihiri, à Kl-Kab (Cnt»*>LLH>N, Monument* de l'Egypte et de la Subit, pi. cxli ;
Hosf.li.ihi, Monument! Civiti, pi. ex, i-1; LtPSiiis, Denkm., 111, Il a).
LES PLACES POUR LA RENTKÉE DE L'IMPÔT. 287
La même hiérarchie présidait aux services de la province, et les inscriptions
nous y signalent le même personnel que dans la cité royale. Tous les fonc-
tionnaires se contrôlaient du haut en bas de l'échelle et répondaient solidai-
rement du dépôt. Une irrégularité dans les écritures entraînait la bastonnade;
on punissait les concussionnaires d'emprisonnement, de mutilation, ou de
mort, selon la gravité des cas. Ceux que la maladie ou la vieillesse mettaient
hors d'état de travailler touchaient une retraite jusqu'à la fin de leurs jours*. .
L'écrivain* ou, comme nous disons, le scribe est le ressort qui meut la
1. DetiindeFauckrr-t}udiit,d'aprèiLr.rfivt, Dcnkm., III, !>'i. Il est emprunté à l'un des tombeaux de
Tcll-Amarna. L'hûlel se compose de quatre corps de bâtiments, isolés par deux avenues plantées d'ar-
bres, se coupant en croix. Derrière la porte d'entrée s'élève, dans une petite cour, un kiosque où le
maître se tenait pour recevoir les approvisionnements ou pour en surveiller la distribution; les deux
bras de la croix sont hordes du portiques sous lesquels s'ouvrent les chambra (ait) aux provisions,
remplie» de jarres de vin, de coffrets a linge, de poissons sèches, et d'autres objets.
t. Voir un exemple d'un employé pensionné pour infirmités au Papyrm Allaitait «• IV sous In
XIX' dynastie (Maspeko, Xotei au jour te jour. § 8, dans les Procardirigi, 1890-1891, p. 413-4M).
3. StSH*r est le titre courant du scribe ordinaire, lim |>;imit être réservé au scribe de haut rang.du
moins sous l'empire Mcmphîte, selon la remarque de K. de Rui-ct {Court du Collège de France, I8S9) ;
plus lard la distinction s'affaiblit, et le mot ânou disparut devant aakhnu, takh, dérivé de tathai.
288 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
machine entière. On le rencontre à tous les degrés de la hiérarchie : un petit
employé aux bœufs, un commis au double Hôtel Blanc, déguenillés, vulgaires,
mal payés sont scribes comme le seigneur, le prêtre ou le fils de roi1. Aussi
le titre de scribe ne vaut rien par lui-même, et ne désigne point nécessai-
rement, comme on se plait l'imaginer, un docteur sorti d'une école de haute
culture ou un homme du monde instruit aux sciences et à la littérature de son
temps' : était scribe qui savait lire, écrire, chiffrer, manier tant bien que mal le
formulaire administratif, appliquer couramment les règles élémentaires de la
comptabilité. Il n'y avait aucune école publique où Ton préparât le scribe à son
métier futur ; mais, dès qu'un enfant avait acquis les premiers rudiments des
lettres auprès de quelque vieux pédagogue, son père l'emmenait avec lui au
bureau ou le confiait à un ami qui voulait bien se charger de son éducation.
L'apprenti observait ce qui se passait autour de lui, imitait la façon de pro-
céder des employés, copiait entre temps de vieilles paperasses, lettres, comptes,
suppliques en langage fleuri, rapports, compliments à l'adresse des supérieurs
ou de Pharaon, que son patron examinait et corrigeait, indiquant à la marge les
lettres ou les mots mal tracés, retouchant le style, redressant les formules
altérées ou les complétant*. Dès qu'il pouvait aligner sans broncher une cer-
taine quantité de phrases et de calculs, on lui laissait le soin de rédiger des
billets ou de surveiller seul des opérations de trésorerie dont on augmentait
graduellement le nombre et la difficulté : quand on jugeait qu'il possédait
suffisamment la routine des affaires courantes, on déclarait son éducation ter-
minée, et on lui ménageait une place soit dans l'endroit même où il avait com-
mencé son stage, soit dans un bureau voisin*. Le jeune homme ainsi dressé
1. Les trois fils de Khâfrtànkhou, petits-fils de roi, sont figures devant leur père, dans l'exercice de
leurs fonctions de scribe, la tablette à la main gauche, le calame derrière l'oreille (Lepsirs, Denkm.,
II, 11) : de même le fils aîné d'Ankhaftouka, <imi, commandant le palais sous les premiers rois de
la V* dynastie (Mariette, les Mastabas, p. 305-309); de même le frère de Tapoumônkhou («#., p. 193)
et plusieurs des fils de Sakhemphtah (id.y p. 2;>3), vers la même époque.
t. C'est le type qu'on trouve représenté le plus souvent dans les ouvrages modernes sur l'Egypte.
. dans les romans de G. Ebers, par exemple, ainsi le Pentaur et le Nefersekhet à'Uarda: c'est aussi
celui que l'on conçoit le plus aisément d'après les papyrus littéraires de la XIX" et de la XX* dynas-
tie, où la profession du scribe est exaltée au détriment des autres métiers (cf. l'éloge du scribe
dans le Papyrus Anastasi «• /, pi. 1-X1II; Chabas, le Voyage d'un Egyptien, p. 31-47).
3. Nous possédons encore pour la XIX# et la XX* dynastie des cahiers d'écoliers, ainsi le Papyrus
Anastasi «• IV et le Papyrus Anastasi n* P, où l'on rencontre pêle-mêle des pièces de tout style et
de toute nature, des lettres d'affaire, des demandes de congé, des compliments poétiques à l'adresse
d'un chef, probablement un recueil d'exercices compilé par quelque professeur et que ses élèves
copiaient pour achever leur éducation de scribe : les corrections du maître sont tracées rapidement
en haut et en bas des pages, d'une main habile et ferme, très différente de celle de l'écolier, bien que
celle-ci soit ordinairement plus facile à lire pour nous (Select Papyri, t. I, pi. LXXXUI-CXXI).
A. C'est ce qui paraît résulter de toutes les biographies de scribes que nous connaissons, de celle
d'Amten, par exemple; c'est du reste ce qui se passait par l'Egypte entière jusque dans ces derniers
temps, et ce qui s'y passe encore probablement, dans les parties où l'influence des mœurs européennes
ne se fait pas encore sentir trop vivement (Maspkro, Études Egyptiennes, t. U, p. 123-lifi).
LE SCRIBE, SON ÉDUCATION, SES CHANCES DE FORTUNE. 289
finissait généralement par succéder à son père ou à son protecteur : on
rencontrait dans la plupart des administrations de véritables dynasties
au petit pied, dont les membres héritaient pendant plusieurs siècles une même
place d'écrivain'. La situation était mince et le traitement médiocre, mais on
avait le nécessaire assuré, on était exempt des corvées et de la milice, on
exerçait une autorité telle quelle sur le monde étroit où l'on vivait : c'en était
assez pour qu'on s'estimât heureux et, somme toute, pour qu'on le fût. « Il
n'est que d'être scribe » , disait le sage ; « le scribe prime tout' » . Quelquefois
cependant l'un de ces satisfaits, plus intelligent ou plus ambitieux que les
autres, parvenait à se dégager de la médiocrité commune : sa belle écriture,
l'heureux choix de ses locutions, son activité, son obligeance, son honnêteté,
— peut-être aussi sa malhonnêteté discrète, — attiraient sur lui l'attention
de ses supérieurs et lui valaient de l'avancement. On vit souvent le fils d'un
I. On pourra le constater aisément en feuilletant l'ouvrage oc Mametie, Catalogue général det
Hunumenti d'Abydot. Le nombre des exemples serait plus grand encore si Mariette, craignant do
trop grossir «on livre, n'avait, dans bien des cas, supprimé les litres et la fonction de la plupart des
personnages qui sont mentionnés à la dizaine sur les stèln rotivei du Musée de Gizéh.
i. Deitin de Favcher-Gudin, d'aprei un tableau de la titube de Khounai (cf. Homilisi, Monument i
Chili, pi. iiiv, i; Lipsir.s, Denkm., II. 107). Deui scribes écrivent sur une planchette. Devant celui
du registre supérieur, on voit une palette a deux godels placée sur le vase qui sert d'encrier, el un
paquet de planchettes liées, le tout sur un ballot d'archives. Le scribe du second registre appuie sa
planchette contre l'encrier, et tient devant lui le coffre aux archives. Derrière eux un iiakht-khrûau
annonce la remise de la planchette chargée de chiffres que le troisième scribe présente au maître.
A. C'est comme le refrain qui revient inévitable dans tous les exercices de style imposés aux éco-
lier» du Nouvel Empire (M.spuiu, Du Genre Eputolaire, p. 28, 3ii, 38-il), 49-50, Gfi. 7Ï, etc.).
BIST, ixc. m L'oilisT. — r. i. »7
«90 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
paysan ou d'un pauvre hère, qui avait débuté par enregistrer du pain et des
légumes dans un bureau de province, couronner une carrière longue et bien
menée par une sorte de vice-royauté sur la moitié de l'Egypte. Ses greniers
regorgeaient de blé, ses magasins se remplissaient constamment d'or, d'étoffes
fines et de vases précieux, son étable « multipliait les dos » de ses bœufs' ; et
les fils de ses premiers protecteurs, devenus ses protégés à leur tour, ne se
hasardaient plus à l'aborder que la tête basse et le genou plié.
C'était sans doute un parvenu de ce genre que cet Amten dont le tombeau a
été transporté à Berlin par Lepsius,puis remonté pièce à pièce dans le Musée*.
11 était né vers la fin du cinquième millénaire avant notre ère, sous un des
derniers rois de la 111* dynastie, et il prolongea son existence jusque sous le
premier roi de la IV*, Snofroui. H tirait probablement son origine du nome du
Taureau, sinon de Xoïs même, au cœur du Delta. Son père, le scribe Ànoupou-
monkhou, possédait outre sa charge plusieurs domaines fonciers de bon rapport ;
mais sa mère Nibsonît, une simple concubine à ce qu'il semble, ne jouissait
d'aucune fortune personnelle et aurait été incapable de fournir seule à l'éduca-
tion de l'enfant. Anoupoumônkhou le prit entièrement à ses frais, « lui donnant
tout ce qui était nécessaire à la vie, alorsqu'il n'avait encore ni blé, ni orge, ni
traitement, ni maison, ni domestiques mâles ou femelles, ni troupeaux d'ânes,
de porcs et de bœufs* ». Dès qu'il le trouva en état de se subvenir à lui-même,
1. L'eipresBion csl cmprunlée ii l'une de« [étires du Papyrui Anastait n' IV, pi. IX, 1. 1.
t. Deuin de Faucher-Gudin, d'après un labltau du lambeau de Shopsisonrt (Ltpsus, Denkm., Il, 63}.
I.e nakhl-khrfiou , le crlour, est à la gauche du spectateur : quatre «refilera du temple funéraire
d'Uuiïrnirl s'avancent en rampant vers le maître, le cinquième vient de se lever cl se lient à demi
courbé, tandis qu'un huissier l'introduit et lui transmet l'ordre do rendre sea comptes.
H. Il est public dans Limu*, Denkm., Il, 1-7. Les texlcs en avaient été analysés plus ou moins
sommairement par E. de ltoirr.ï, Rechercktê sur tel monument*, p. 39-ill, par Entra dans Bcmoi, Eggpt'i
place, I. V, p. ItS-'tl, par Pisnati, Explication des Monument! de l'Egypte, p. 9-11, par F.n.i,
£gypten, p. 146-128 ; ils ont été traduits et commentés par M*si>mo, ta Carrière adminïitratire
de deux haute fonctionnaires égyptiens, dans les Etudes Egyptienne!, t. Il, p. 113-ï";*. C'est à ce
dernier mémoire que j'ai emprunte brièvement les principaux traits de la biographie d'Amlen.
i. Lïmics, Denkm., Il, 5, I. I ; cf. M«.*pe»o. Élude* Egyptienne», t. II. p. 1Ï0 sqq.
LA CARRIÈRE D'AMTEN. 291
il lui obtint dans le nome natal un premier poste de scribe attaché à l'une des
Place* qui dépendaient de l'administration des subsistances. Le jeune homme
recevait pour Pharaon, enregistrait, distribuait la viande, les gâteaux, les
st représenté debout dan» la baie et
292 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
fruits et les légumes frais de l'impôt, sous sa responsabilité personnelle, sauf
à en rendre compte au Directeur d'hôtel le plus voisin. 11 ne nous apprend pas
combien de temps il demeura occupé de la sorte ; nous voyons seulement qu'il
s'éleva successivement à des fonctions de nature analogue, mais de plus en
plus importantes. Les bureaux de province comprenaient un petit nombre
d'employés toujours les mêmes : un chef ayant ordinairement la qualité de
Directeur d'hôtel, quelques scribes chargés des écritures et dont un ou deux
joignaient à leur besogne ordinaire celle d'archivistes, des huissiers payés
afin d'introduire les administrés et au besoin de les bâtonner sommairement
sur l'ordre du Directeur, enfin des forts de voix, des crieurs, qui surveillaient
les opérations d'entrée ou de sortie et qui en proclamaient le résultat aux
scribes, pour qu'ils le notassent aussitôt1. Un crieur vigilant et honnête était un
homme précieux. Il obligeait le contribuable non seulement à servir exacte-
ment le nombre de mesures inscrit à sa cote, mais encore à livrer chaque
fois pleine mesure; au contraire, un crieur malhonnête pouvait aisément favo-
riser la fraude, sauf à en partager le bénéfice. Âmtem fut à la fois crieur et
taxateur des colons auprès de l'administrateur civil du nome de XoTs : il
annonçait le nom des paysans et les versements qu'ils faisaient, puis évaluait
la part qu'ils devaient acquitter de l'impôt local, chacun selon sa fortune. Il
se distingua si fort dans ces fonctions délicates que l'administrateur civil de
Xoïs le prit à sa suite : il passa Chef des huissiers, puis Maître-crieur, puis fut
nommé Directeur de tout le lin du roi pour le nome Xoïte, ce qui l'obligeait à
surveiller la culture, la récolte, la préparation générale du lin que Ton fabri-
quait sur les domaines propres du Pharaon. C'était l'une des charges les plus
hautes qu'il y eût dans l'administration provinciale et Amten put s'estimer
heureux le jour qu'il en fut investi.
A partir de ce moment, sa carrière s'agrandit et il y marcha vite. Il s'était
jusqu'alors enfermé dans les bureaux : il en sortit pour exercer des fonc-
tions plus actives. Les Pharaons, fort jaloux de leur autorité, évitaient
ordinairement de placer à la tête des nomes de leur domaine un seul chef qui
grande canne à la main : à droite, un serviteur lui sert le banquet funèbre; à gauche, une gerboise,
un lièvre, un hérisson, une belette, et un quadrupède indécis figurent les animaux qu'il poursuivait
dans le désert de Libye, en sa qualité de Grand Veneur. Dans le registre du haut, il est assis et reçoit
une fois de plus le repas funéraire. La longue inscription en colonnes courtes, qui occupe la partie
supérieure de la paroi, énumère ses titres principaux, ses domaines dans le Delta, et mentionne une
partie des récompenses que le souverain lui avait conférées au cours de sa longue carrière.
1. Sur ces crieurs — en égyptien nakht-khrôou, — voir Maspero, Etudes Égyptiennes, t. II, p. 135,
139. On trouvera des bureaux figurés dans le tombeau de Shopsisourt à Saqqarah (Lepsics, Denkm.,
II, 62, 63, 64), dans le tombeau de Phtahhotpou (irf., pi. 103 a) et dans plusieurs autres (id., pi. lin,
74, etc.); cf. un bureau d'administration de la Gazelle, sous la VIe dynastie, p. 289 de cette Histoire.
LES CHARGES SUCCESSIVES PÀMTEN. 293
eût trop ressemblé à un prince : ils préféraient avoir dans chaque endroit des
administrateurs civils, des Régents de ville ou de canton, des commandants
militaires qui se jalousaient, se surveillaient, s'équilibraient l'un l'autre, et ne
demeuraient pas assez longtemps en place pour devenir dangereux. Amten
fut successivement tout cela dans la plupart des nomes situés au centre
ou à l'occident du Delta : on l'appela poui
la régence du village de Pidosou, poste insigi
mais qui lui valut te droit à la canne et lui
conséquent une des jouissances de vanité le
qu'il y eut pour un Égyptien*. La canne et
l'insigne du commandement que les nobles s
employés assimilés aux nobles pouvaient po
contrevenir à l'usage : la prendre, comme ch
l'épée, c'était montrer à tous qu'on entra
une classe privilégiée. Une fois anobli, les •
s'adjoignirent rapidement aux villages ,
puis les villes aux villes, même les cités
importantes comme Bouto, enfin les nomes
du Harpon, du Taureau, du Silure, la
moitié occidentale du nome Saïte, le
nome de la Cuisse, une partie du Fayoum.
La moitié occidentale du nome Saïte, où il
séjourna longtemps, correspondait à ce
qu'on appela plus tard le nome de Libye. (rm.i B-AaTa IIKf(, BES0, „,,„,:*
Elle s'étendait presque de la pointe du
Delta à la mer et confinait d'un côté à la branche Canopîque du Nil, de l'autre
à la chaine Libyque; une partie du désert et des Oasis tombait sous sa dépen-
dance. Elle comptait parmi sa population des chasseurs nomades enrégimentés,
comme c'était le cas dans la plupart des cités de la Haute-Egypte, et assu-
jettis à payer leur tribut en gibier mort ou vivant. Amten se transforma en
Grand Veneur, battît la montagne avec ses hommes et devint du même coup
un personnage des plus importants pour la défense du pays. Les Pharaons
avaient installé des postes fortifiés et parfois construit des murailles sur les
points où les routes débouchent dans la vallée, à Syène, à Coptos, à l'entrée
I. JLiSMlO, Éluder égyptienne*, I. Il, p. 163-lflS.
S, lltitin de F*ueher-fiudin. d'ayre* Umis, Dr» km-. H, 1Î0 a : l'original est au Mui-ée de Berlin.
294 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
de rOuady-Toumilât. Amten, proclamé Primat de la porte Occidentale, c'est-
à-dire gouverneur de la marche Libyenne, se chargea de protéger la frontière
contre les Bédouins qui erraient au delà du lac Maréotis. Ses devoirs de Grand
Veneur l'avaient préparé on ne peut mieux à remplir cette tâche difficile. Ils
l'obligeaient à courir sans cesse la montagne, à en explorer les ravins et les
gorges, à connaître les routes jalonnées de puits que les pillards devaient
suivre pendant leurs incursions, les sentiers et les passes par lesquelles ils
pouvaient descendre dans laT plaine du Delta; à forcer le gibier, il apprit tout
ce qui lui était nécessaire pour repousser l'ennemi l. Tant de pouvoirs réunis
entre ses mains faisaient de lui le seigneur le plus considérable qu'il y eût dans
ce coin de l'Egypte. Quand la vieillesse ne lui permit plus de mener la vie
active, il accepta en guise de retraite le gouvernement du nome de la Cuisse :
autorité civile, commandement des troupes, sacerdoces locaux, distinctions
honorifiques, il ne lui manqua pour être l'égal des nobles d'ancienne race que
la faculté de transmettre librement à ses enfants ses villes et ses charges.
Sa fortune personnelle ne montait pas aussi haut qu'on serait ten'-S de le
croire. Il avait hérité de son père un seul domaine1, et en avait acquis douze
autres dans les cantons du Delta où le progrès de sa carrière l'avait entraîné,
dans le nome Saïte, dans le Xoïte, dans le Létopolite8. On lui conféra plus
tard en récompense de ses services deux cents parcelles de terre cultivée,
avec de nombreux paysans, hommes et femmes, et une rente de cent pains
par jour, prélevée sur le fisc funéraire de la reine Hâpounimâit*. Il profita
de cette aubaine pour doter convenablement sa famille. Son fils unique
était déjà pourvu, grâce à la munificence de Pharaon ; il avait débuté dans la
carrière administrative par le même poste de scribe adjoint à une Place
d' approvisionnements que son père avait tenu, et il avait reçu en apanage,
par lettres royaux, quatre parcelles de terre à blé avec leur population et
leur matériel8. Amten donna douze parcelles à ses autres enfants et cinquante
à sa mère Nibsonît, grâce auxquelles la bonne dame vécut largement ses années
de vieillesse en ce monde et se constitua son culte au tombeau6. Il bâtit sur
ce qui restait de terrain une villa superbe dont il nous a complaisamment
1. Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. 177-181, 188-191.
2. Lepsius, Denkm., II, 7 a, 1. 5; cf. Maspero, Études Égyptiennes, t. Il, p. 238-241.
3. Lepsius, Denkm., II, 6, l. 4; cf. Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. 217-219.
4. Lepsius, Denkm., Il, 6, 1. 5-6; cf. Maspero, Études Egyptiennes, t. 11, p. 220-226. La reine Hâpou-
niraâtt paraît avoir été la mère de Snofroui, le premier Pharaon de la IV* dynastie de Manéthon.
5. Lepsius, Denkm., II, 6, 1. 2; cf. Maspero, Études Égyptiennes, t. Il, p. 213-217.
6. Lepsius, Denkm., II, 3, 1. 13-18; cf. Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. 226-230. La superficie
de ces parcelles est donnée, mais l'interprétation des mesures prête encore à la discussion.
LA FORTUNE D'AMTEM À LA FIN DE SA VIE. 295
laissé ta description. L'enceinte formait un carré de cent cinq mètres de
côté et enfermait par conséquent une superficie de onze mille mètres carrés.
La maison d'habitation, bien bâtie, bien garnie des choses nécessaires à l'exis-
tence, était entourée d'arbres d'apparat et de rapport, palmiers ordinaires,
figuiers, nabécas, acacias; plusieurs bassins, proprement encadrés de verdure,
y offraient asile aux oiseaux d'eau, des treilles couraient en avant de la
maison, selon l'usage, et deux boisselées de terre, plantées en vignes de
rapport, lui fournissaient grand vin chaque année'. C'est là sans doute qu'il
termina ses jours dans la paix et le repos de son âme. Aucune pyramide ne
couronnait encore le plateau où le Sphinx veillait depuis des siècles, mais
1. Ce plan esl tiré d'une loin lie thébaine de la XVIIIe dynastie (Cbupollion, Monument t de l'Egypte
tl de la Nubie, pi. cclii, RmiLLUI, Monument! ttorici, pi. lïu, WlLIDHM, Mannert and Custonu,
■t" éd., t. I, p. 8"7), mais il répond eiacleincnt à la description qu'Amten nous a laissée de sa villa.
i. I.lpsils, Denkm., Il, î b; cf. Mameko. Eludei Egyptienne*, t. Il, p. 330-138.
296 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
des mastabas en belle pierre blanche s'élevaient ça et là au milieu des
sables : celui où sa momie alla s'enfermer était situé non loin du village
moderne d'Abousîr, à la limite du nome de la Cuisse et presque en vue du
château dans lequel sa vieillesse s'était écoulée1.
Le nombre en devait être considérable de ces personnages qui, sortis de
leur condition obscure, se haussaient en quelques années au faite des hon-
neurs et mouraient gouverneurs de province ou ministres de Pharaon. Leurs
descendants suivaient la carrière paternelle jusqu'au jour où la faveur royale
et un mariage avantageux leur assuraient la possession d'un fief héréditaire
et transformaient en baron féodal le fils ou le petit-fils du scribe enrichi.
C'est chez les gens de cette classe et parmi les enfants des souverains que
la noblesse se recrutait le plus souvent. Affaiblie et très réduite dans
le Delta, où l'autorité du Pharaon s'exerçait directe presque partout, elle rele-
vait la tète dans la Moyenne-Egypte et devenait de plus en plus forte à
mesure qu'on s'enfonçait vers le Sud. Elle détenait les principautés de la
Gazelle*, du Lièvre*, du Mont-Serpent4, d'Akhmîm5, de Thinis6, de Kasr-es-
Sayad7, d'El-Kab8, d'Assouân9, et sans doute d'autres encore dont nous retrou-
verons un jour les monuments. Elle reconnaissait sans difficulté la fiction d'après
laquelle Pharaon se proclamait le maître absolu du sol et ne concédait à ses
sujets que l'usufruit de leurs fiefs; mais, le principe admis, chacun des barons
se proclamait souverain sur son domaine et y exerçait en petit la plénitude
1. La situation du Château seigneurial d'Amten n'est indiquée nulle part dans les inscriptions.
L'habitude qu'avaient les Égyptiens de construire leur tombe aussi près que possible de l'endroit où
ils résidaient me porte à considérer comme presque certain que nous devons en chercher l'emplace-
ment dans la plaine Mcmphite, au voisinage du bourg d'Abousîr, mais vers le Nord, de manière à
demeurer sur le territoire du nome Létopolile, ou Amten gouvernait au nom du roi.
2. Tombeau de Khounas, prince de la Gazelle, à Zaouîét-el-Maiétfn (Champoluon. Monument* de
l'Egypte et de la Nubie, t. II, p. -441-454; Lepsils, Denhn., II, 105-106); on trouve dans la même loca-
lité et à Shéikh-Satd les tombeaux à moitié détruits d'autres princes de ce même nome, contempo-
rains pour la plupart des VI* et VIII* dynasties (Lepsus, Denhn., Il, 110-111).
3. Tombeaux des princes du Lièvre à Shéikh-Satd et à Bershéh (Lepsus, Denkm., II, 112-113).
X. Tombeau de Zàou 1", prince de Thinis et du Mont-Serpent, dans Sayce, Gleanings from the Land
of Egypl (Recueil de Travaux, t. XIII, p. 65-67); cf., pour l'interprétation du texte publié par Sayce,
Maspero, Sur l'inscription de Zâou, dans le Recueil de Travaux, t. XIII, p. 68-71.
5. Tombeaux des princes d'Akhmîm dans Mariette, Monuments divers, pi. XXI b, p. 6 du Texte, et
dans E. Sohiaparki.lj, Chemmis-Achmtm e la sua antica necropoli (dans les Eludes Archéologiques
dédiées à M. le /)' C. Leemans, p. 85-88).
6. Tombeaux des princes de Thinis à Méshéikh, en face de Girgéh (Sayce, Gleanings from the Land
ofEgypt, dans le Recueil de Travaux, t. XIII, p. 63-64; Nestor Lhôte, dans le Recueil, t. XIII, p. 71-72);
on en trouve d'autres beaucoup plus au Nord, vers Beni-Mohammed-el-koufour (Sayce, ibid., p. 67).
7. Tombeaux des princes de Kasr-cs-Sayad, copiés en partie par Nestor Lhôte, publiés incomplè-
tement dans Lepsus, Uenkm., Il, 113-114, et dans Villiers-Stiart, Nile Gleanings, p. 305-307,
pi. XXXVI-XXXVII1.
8. Plusieurs princes d'Kl-Kab sont mentionnés dans les graffiti recueillis et publiés par L. Stera,
die Cultussiâlte der Lucina, dans la Zeitschrift, 1875, p. 65 sqq.
0. Les tombeaux des princes d'Assouân, déblayés de 1886 à 1802, ont été publiés par U. Bouriant
{les Tombeaux d'A»souân, dans le Recueil de Travaux, t. X, p. 182 sqq.) et par Budge (Excavation a
made al Aswûn, dans les Transactions of the Society of Riblical Arclueology, 1887-1888, p. A sqq.).
LA CONDITION DES SEIGNEURS FEODAUX. 297
du pouvoir royal. Tout lui appartenait dans les limites de cet État minuscule,
les bois, les canaux, les champs, les sables même1 : comme Pharaon, il en
exploitait une partie et répart issait le reste à ferme, parfois à fief, entre ceux
de ses serviteurs qui lut inspiraient le plus de confiance ou d'amitié. H était
prêtre ainsi que Pharaon et revêtu comme lui du sacerdoce de tous les dieux,
non pas cependant de tous ceux de l'Egypte, mais de tous ceux du nome. Il
rendait la justice au civil et au criminel, recevait les plaintes de ses vassaux
et de ses serfs à la porte de son palais et en décidait sans appel. 11 entre-
tenait une flotte et levait sur ses domaines une armée en miniature dont il
était le général en chef par devoir héréditaire. Il habitait un château fortifié
quelquefois dans la capitale même de la principauté, quelquefois dans le
1, Grande Intcription de Iléni-Hnman, l. 46-53. L'étendue du pouvoir Féodal et l'organisation des
nomes ont été définies pour la première foi« par Masfeho, la Grande Intcription de Bêni-Hauaii
{Recueil, 1. 1, p. 179-181 ; cf. E»»ik, Mgypten, p. 135 sqq., En. Met», Gruhichte jEgyptent, p. 156 «qq.].
S. Detlin de Faucher-Gudin. ifaprri une photographie de Gauet ; cf. ftWino, le Tombeau de
Natkti, dans les Mémoire» publie* par la Membre» de la Million frauçaite du Caire, 1. V, p. l&O.
298 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
voisinage, et qui reproduisait en moins grand les dispositions de la cité
royale'. On y voyait, à côté des salles de réception, un harem où la femme
légitime, souvent une princesse du sang solaire, jouait à la reine, entourée
de concubines, de danseuses et d'esclaves. Les hôtels des différentes admi-
nistrations se pressaient dans l'enceinte avec leurs directeurs, leurs régents,
leurs scribes de toute classe, leurs gardiens, leurs manœuvres qui portaient
les mêmes titres que les employés correspondants des administrations d'Étal :
l'Hôtel Blanc, l'Hôtel de l'Or, le Grenier, étaient parfois chez eux comme
chez Pharaon le double Hôtel Blanc, le double Hôtel de l'Or, le double Gre-
nier. Les plaisirs ne différaient point à la cour du suzerain ou à celle de son
vassal : la chasse au désert, la chasse au marais, la pèche, l'inspection des
travaux agricoles, les exercices militaires, puis les jeux, les chants, la danse,
sans doute aussi les longues histoires et les séances de magie, jusqu'aux
1. Mtsptao, Sur le lens dct mali Kuutt et Bâti, dans \es Proeeediiigi de la Société d'Archéologie
Biblique, I. XII, 18S9-18S0, p. 35Ï sqq.
4. Denirt de Fauchtr-Gudin, d'apret une photographie d'Emile Brugtch-Bey. Le tombeau d'Api a
été découvert en 1881 à Snqqarah. II avait été démoli dans l'antiquité ot une tombe nouvelle rebâtie
vers la XII* dynnilic sur los décombres; ce qui en reste esl déposé aujourd'hui au Musée de Citéh.
LES DROITS ET LES PLAISIRS DES SEIGNEURS FÉODAUX. 299
contorsions des bouffons attitrés et aux grimaces des nains1. Le prince se
divertissait à voir l'un de ses chétifs favoris lui amener par la patte un
cynocéphale plus grand que lui, ou un pavian facétieux tirer sournoisement
la queue à un grave ibis apprivoisé. H procédait par intervalles à l'inspec-
tion de ses domaines, sur une sorte de fauteuil porté par deux ânes accouplés,
voire dans un palanquin manœuvré par une trentaine d'hommes, au vent des
grands chasse-mouches; ou bien il remontait le Nil et les canaux sur sa belle
barque peinte. La vie des barons égyptiens peut se définir en tout la réduc-
tion exacte de la vie des Pharaons*.
L'hérédité en ligne directe ou indirecte était de règle, mais à chaque chan-
gement qui survenait, il fallait que le seigneur nouveau reçût par lettre ou en
I. Dtitin de Fauchtr-Gudin, d'aprti la chromolithographie de Flixubm I'etrie, Medûm, pi. «itv.
t. Le tableau le plus complet de celte vie féodale nous est fourni par les loin h es de Beni-Haasan,
qui sont des derniers temps de la XI* et des premier» temps de la XII' dynastie {Chui-ollioi, Monu-
ment! de l'Egypte et de la Nubie, t, It, |>. 331-130; Lepsiis, Denkm., Il,' Ii3 sqq.). Tous le» Irait»
il isolement »lir les monuments de l'époque Memphite.
300 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
personne l'investiture du souverain*. Les devoirs que la féodalité comportait
ne semblent pas avoir pesé bien lourd. C'était en première ligne la nécessité
de payer régulièrement un tribut proportionné à l'étendue et à la richesse du
fief. C'était ensuite la milice : le vassal s'engageait à fournir sur première
réquisition un nombre déterminé d'hommes armés qu'il conduisait lui-même,
à moins qu'il n'eût une excuse sérieuse à présenter, la maladie ou l'incapacité
sénile*. Le service de cour n'était peut-être pas obligatoire : pourtant nous ren-
controns beaucoup de nobles autour de Pharaon, et, d'autre part, plusieurs des
princes dont nous connaissons la vie revêtaient des charges qui paraissent avoir
exigé leur présence au moins temporaire auprès du maître, par exemple la
direction de la garde-robe3. Le roi en voyage, ils étaient astreints à l'héberger
lui et sa suite, puis à l'escorter jusqu'aux frontières de leur domaine4. 11 profi-
tait souvent de sa visite pour emmener un de leurs fils qu'il élevait avec les
siens : ils appréciaient fort l'honneur qu'il leur faisait, et lui se procurait à
bon compte des otages qui garantissaient leur fidélité8. Ceux de ces jeunes
gens qui revenaient au foyer paternel leur éducation terminée se montraient
ordinairement tout dévoués à la dynastie. Us ramenaient assez souvent quelque
fille née dans la pourpre, qui avait consenti à partager leur petite souveraineté
cantonale6, tandis qu'une ou plusieurs de leurs sœurs émigraient en échange
au harem de Pharaon. Les mariages faisaient et défaisaient tour à tour la
fortune des grandes maisons féodales7. Princesse ou non, chaque femme
recevait en dot son morceau de territoire et accroissait d'autant le petit Etat
de son mari; mais ce qu'elle avait apporté, ses filles pouvaient le remporter
quelques années plus tard et en enrichir d'autres maisons. Le fief résistait
rarement à ces démembrements : il s'en allait pièce à pièce et disparaissait
1. C'est le cas par exemple pour les princes de la Gazelle, ainsi qu'il résulte de di\ers passages de
la Grande Inscription de Béni -Hassan, I. 13-24, 24-36, 54-62, 71-79.
2. Le prince Amoni, de la Gazelle, conduit de la sorte en Ethiopie un corps de 400 hommes et
un autre de 600, levés sur sa principauté; la première fois qu'il servit dans l'armée royale, ce fut en
remplacement de son père trop vieux (Maspero, la Grande Inscription de Beni-Hassan, dans le
Recueil, t. I, p. 171-173). De même, sous la XVIII- dynastie, Àhmosis d'El-kab commande la barque de
guerre le Veau à la place de son père (Lepsiis, Denkm., III, 12 a, 1. 5-6). L'inscription d'Ouni nous
fournit, dès la VI* dynastie, l'exemple d'une levée en masse des contingents féodaux (I. 14 sqq.).
3. Ainsi Thothotpou, prince du Lièvre, sous la XII* dynastie (Lkpsus, Denkm., Il, pi. 135), et Papi-
nakhti, seigneur d'Abydos, vers la fin de la VI* (Mariette, Catalogue général, p. 191, n° 531).
4. L'indication de ce fait nous est fournie par les textes relatifs à la course du Soleil mort dans
l'Hadès (Maspero, Etudes de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. II, p. 44-45).
5. Le prince de Siout, Khiti I*r, fut pris tout petit et élevé avec les enfants royaux, auprès d'un Pha-
raon Héraclcopolitain de la X* dynastie (Maspero, dans la Revue Critique, 1889, 1. 11, p. 41-1-415).
6. Le prince Zaouti de Kasr-es-Sayad avait épousé une princesse de la famille des Papi (Vilmers
Stiart, Nile Gleanings, pi. XXXVIII); aussi un prince de Girgéh (Nestor Lhôte dans le Recueil, t. XIII, p. 72).
7. L'histoire de la Gazelle nous donne un exemple frappant de l'agrandissement rapide d'une
principauté par les mariages (Maspero, la Grande Inscription de Béni- Hassan, dans le Recueil, t. I,
p. 170 sqq.); j'aurai occasion de la raconter en détail au chapitre VI de cette Histoire.
OBLIGATIONS DES SEIGNEURS ENVERS LE SUZERAIN. 301
au bout de trois ou quatre générations. Quelquefois pourtant il gagnait plus
qu'il ne perdait à ce jeu du mariage, et s'arrondissait jusqu'à déborder sur les
nomes voisins ou à les absorber complètement. 11 y avait toujours, au cours
de chaque règne, plusieurs grandes principautés formées ou en voie de forma-
tion, dont les chefs tenaient presque entre leurs mains les destinées du pays.
Pharaon lui-même était contraint de les ménager et achetait leur fidélité par
des concessions augmentées et renouvelées sans cesse. Rien ne contentait leur
ambition : quand ils étaient comblés de faveurs et n'osaient plus rien mendier
pour eux, ils réclamaient effrontément pour ceux de leurs enfants qu'ils esti-
maient mal pourvus. Leur fils aine « ne connaissait point les hautes faveurs
de par le roi ! D'autres princes étaient conseillers intimes, amis uniques, au
premier rang parmi les amis! » lui n'était rien de tout cela1. Pharaon se
gardait bien de rejeter une supplique si modestement présentée : il s'empres-
sait de prodiguer au fils des places, des titres, des terres, au besoin de lui
chercher une femme qui lui donnât avec sa main un fief égal à celui de son
père. La plupart de ces grands vassaux aspiraient secrètement à la couronne :
il était rare qu'ils ne s'y crussent pas quelque droit du fait de leur mère ou
d'une de leurs aïeules. Us auraient eu facilement raison de la royauté s'ils
s'étaient entendus contre elle, mais ils s'enviaient mutuellement et n'auraient
rien gagné pour la plupart à renverser une dynastie qui les comblait : dès que
l'un d'eux se révoltait, le reste s'armait afin de défendre Pharaon, conduisait
ses guerres, livrait ses batailles2. Si leur ambition et leur avidité tourmentaient
parfois le suzerain, du moins leur puissance était à son service et leur fidélité
intéressée parvenait souvent à retarder la chute de sa maison.
Deux choses avant tout leur étaient nécessaires, et à Pharaon, pour soutenir
leur autorité ou pour l'agrandir, la protection des dieux, puis une organisation
militaire qui leur permit de mobiliser au premier signal la totalité de leurs
forces. Le monde d'en haut était l'image fidèle du nôtre ; il avait ses empires
et sa féodalité dont la distribution répondait à celle des empires et de la
féodalité terrestres3. Les dieux qui l'habitaient vivaient de ce que les mor-
tels voulaient bien leur allouer, et les ressources de chacun d'eux, par
1. La Grande Inscription de Beni-Hassan, I. 148-160. Ce sont les propres paroles que Khnoum-
hotpou, sire de la Gazelle, emploie afin d'obtenir un emploi ou un domaine pour le compte de son
fils Nakhti; on voit, par la suite du récit, qu'Ousirtasen II exauça aussitôt sa requête.
2. Ainsi firent le prince de Siout, Tcfabi, et ses successeurs immédiats, pour les Pharaons de la
X* dynastie héracléopolitaine contre les premiers Pharaons thébains de la famille des Antouf (Mas-
pkro, dans la Bévue Critique, 1889, t. II, p. 415-419). Il semble au contraire que la famille voisine de
Rhnoumhotpou, dans le nome de la Gazelle, prit parti pour les Thébains et leur dut sa grandeur.
3. Cf., p. 98 de cette Histoire, ce qui est dit de cette féodalité divine, de sa nature et de son origine.
302 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
suite sa force, dépendaient de la richesse et du nombre de ses adorateurs;
rien n'arrivait chez les uns qui n'eût son contre-coup immédiat chez les autres.
Les dieux disposaient de la joie, de la santé, de la vigueur1 ; qui les payait
largement d'offrandes et de fondations pieuses, ils lui confiaient leurs propres
armes et lui inspiraient la force qu'il fallait pour battre l'ennemi*. Ils
descendaient eux-mêmes dans la mêlée, et tout choc d'armées se compliquait
d'une lutte invisible entre les immortels5. Le parti qui l'emportait, ses dieux
triomphaient avec lui et recevaient la dîme du butin pour prix de leur aide ;
les dieux des vaincus s'affaiblissaient d'autant, leurs prêtres et leurs statues
tombaient en esclavage et la destruction de leur peuple entraînait leur
propre destruction. Chacun dans l'Egypte, de Pharaon au dernier de ses
vassaux, avait donc un intérêt pressant à entretenir la bienveillance des dieux
et leur pouvoir, de sorte que leur protection pût s'exercer efficacement à
l'heure du danger. On s'ingéniait à embellir leurs temples d'obélisques, de
colosses, d'autels, de bas-reliefs, on y ajoutait des bâtiments nouveaux, on y
réparait ou l'on reconstruisait entièrement les portions qui menaçaient ruine,
on y apportait journellement des dons de toute espèce, des animaux que
l'on sacrifiait sur place, du pain, des fleurs, des fruits, des liqueurs, et aussi
des parfums, des étoffes, des vases, des bijoux, des briques ou des barres
d'or, d'argent, de lapis-lazuli qu'on entassait dans le trésor, au fond des
cryptes*. Un personnage de haut rang désirait-il perpétuer le souvenir de ses
dignités ou de ses services, et procurer en même temps à son double le
bénéfice de prières et de sacrifices sans fin, il déposait par privilège5 sa statue
ou une stèle votive dans l'endroit du temple réservé à cet usage, une cour, une
chambre, un couloir de ronde à Karnak6, l'escalier d'Osiris qui montait aux
1. Je rappelle ici pour mémoire les bas-reliefs et les stèles innombrables où l'on voit un roi faisant
offrande à un dieu qui lui répond par quelque formule : « Je te donne la santé et la force; — Je te
donne la joie et la vie pour des millions d'années. •
2. Voir par exemple à Médinet-Habou, Araon et d'autres dieux remettant à Kamsès III le grand sabre
recourbé, la k hop» hou (DUnichen, Hislorische Inschriften, t. I, pi. VU, XI-X1I, XIII, XVI-XVII).
3. Dans le Poème de Pentaouirit% Amon vient d'Hermonthis en Thébaïde à Qodshou au cœur de la
Syrie, pour secourir Ha ni ses II pendant la bataille, et pour le tirer du péril où l'abandon des siens l'a
plongé (E. et J. i»e Roige, le Poème de Pentaour, dans la Revue Égyptologique, t. V, p. 158-150).
4. Voir dans le Poème de Pentaoulrtt (E. et J. de Rouge, dans la Revue Êgyptologique, t. V, p. 15 sqq.)
les raisons pour lesquelles Kamsès II réclame impérieusement le secours d'Amon : • Ne t'ai-je pas fait
des offrandes nombreuses? J'ai rempli ton temple de mes prisonniers. Je t'ai bâti un temple étemel
et je t'ai prodigué tous mes biens pour le doter, je te présente le monde entier pour approvisionner
ton domaine.... J'ai construit pour toi des pylônes entiers en pierre, et j'ai dressé moi-même les mâts
qui les ornent; je t'ai apporté des obélisques d'Eléphantine. »
5. La plupart des statues votives étaient déposées dan» un temple par faveur spéciale d'un roi, —
em hosItol* nte khîr soiton, — pour récompenser des services rendus (Mariette, Catalogue des prin-
cipaux monuments du Musée de lioulaq, 1864, p. 65, et Karnak, texte, p. 44 sqq.). Quelques stèles
seulement portent cette mention (Mariette, Catalogue des principaux monuments, 1804, p. 65); il n'y
avait pas besoin d'une autorisation du roi pour consacrer une stèle dans un temple.
6. C'est dans le chemin de ronde du temple en calcaire bâti par les rois de la XII* dynastie, et
LES DONATIONS AUX TEMPLES ET LES BIENS DE MAINMORTE. 303
terrasses dans le sanctuaire d'Àbydos1, puis il scellait avec les prêtres un
contrat en forme par lequel ceux-ci s'engageaient à célébrer l'office en son
nom devant ce monument commémoratif, un nombre invariable de fois dans
Tannée, aux jours fixés par l'usage universel ou par la coutume locale*. 11
leur attribuait à cet effet des rentes en nature, hypothéquées sur ses domaines
patrimoniaux, ou parfois, s'il était grand seigneur, sur les revenus de son
fief3, une mesure déterminée de pains et de liqueurs pour chacun des offi-
ciants, un quartier de la victime, un vêtement, souvent aussi des terres avec
leurs bestiaux, leurs serfs, leurs édifices construits, leurs instruments d'exploi-
tation, leurs produits, les servitudes dont elles étaient grevées. Ces donations
au dieu — noutir hotpouou — étaient régies, ce semble, par des conventions
analogues à celles qui gouvernent les biens de mainmorte de l'Egypte moderne;
jointes au temporel primitif du temple, elles formaient dans chaque nome un
domaine considérable sans cesse élargi de dotations nouvelles. Les dieux
n'avaient point de filles qu'il fallût pourvoir ni de fils entre qui diviser leur
héritage; tout ce qui leur échéait leur restait à jamais, et des imprécations
insérées dans les contrats menaçaient de peines terribles en ce monde et ailleurs
quiconque leur en déroberait la moindre parcelle4. Elles n'empêchaient pas
toujours les barons ou le roi de porter la main sur les revenus des tem-
ples : sinon l'Egypte serait promptement devenue terre sacerdotale d'une
frontière à l'autre. Même réduit par des usurpations périodiques, le domaine
des dieux couvrait en tout temps un tiers environ du territoire8.
L'administration n'en appartenait pas à un corps de pontifes unique, le
entièrement détruit aujourd'hui, qu'ont été découvertes presque toutes les statues votives de Karnak
(Mariette, Karnak, texte, p. 42 sqq.). Quelques-unes reposent encore sur la banquette de pierre où
elles avaient été dressées par les prêtres du dieu au moment de la consécration.
1. La plupart des stèles recueillies dans le temple d'Osiris à Abydos étaient censées provenir de
l'escalier du dieu grand. Sur cet escalier, sur le tombeau d'Osiris auquel il conduisait, et sur les
recherches infructueuses que Mariette avait entreprises pour le retrouver, voir les observations
de Maspero, dans la Revue Critique, 1881, t. I, p. 83, et Études Égyptiennes, t. I, p. 128-129.
2. La grande inscription de Siout traduite par Maspero (Etudes de Mythologie et d'Archéologie Égyp-
tiennes, t. I, p. 53-75) et par Erman (Zehn Vertrâge aus déni mittleren Reich, dans la Zeitschrift, 1882,
p. 159-184) nous a conservé en entier un de ces contrats entre un prince et le sacerdoce d'Ouapouaitou.
3. Cela résulte des passages de l'inscription de Siout (1. 24, 28, 41, 43, 53) où Hàpizaoufi distingue
entre les revenus qu'il attribue aux prêtres sur la maison de son père, c'est-à-dire sur son bien
patrimonial, et ceux qu'il concède sur la maison du prince ou sur le domaine princier.
4. La stèle de fondation du temple de Détr-el-Médinéh est à moitié remplie d'imprécations de ce
genre (S. Birch, Sur une Stèle hiératique, dans les Mélanges Egyplologiques de Chabas, 2* sér., p. 324-
343, et Inscriptions in the Hier a tic and Demotic Character, pi. XXIX). Nous possédons pour l'Ancien
Empire deux fragments d'inscriptions analogues, trop mutilés pour qu'on puisse les traduire (Ma-
riette, les Mastabas de V Ancien Empire, p. 318; E. et J. de Rougé, Inscriptions hiéroglyphiques, pi. 1).
5. La tradition rapportée par Diodore (I, § 21) disait que la déesse Isis avait attribué aux prêtres
le tiers du pays : l'Egypte entière aurait été divisée en trois parts égales, dont la première appartenait
aux prêtres, la seconde aux rois et la troisième aux guerriers (ld., § 73). Quand on lit, au Grand
Papyrus Harris, l'énumération des biens que le seul temple d'Amon Thébain possédait par toute
l'Egypte sous Ramsès 111, on se persuade bien vite que la tradition d'époque grecque n'a rien exagéré.
\1
à
304 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
même pour l'Egypte entière et recruté ou commandé partout de la même
façon. Il y avait autant de clergés que de temples, et chaque temple conservait
sa constitution indépendante où le clergé des temples voisins n'avait rien à
voir : le seul maître qu'il avouât était le seigneur du territoire sur lequel on
l'avait bâti, Pharaon ou l'un de ses nobles. La tradition qui faisait de Pharaon
le chef des religions égyptiennes prévalait toujours, mais Pharaon planait trop
haut au-dessus de notre monde pour s'enfermer dans les fonctions d'une prê-
trise particulière1 : il officiait devant tous les dieux sans être spécialement le
ministre d'aucun, et n'usait de sa suprématie qu'afin de nommer aux sacerdoces
importants de son domaine*. 11 réservait la grand-maîtrise de Pthah Memphite
et celle de Râ Héliopolitain, richement dotées l'une et l'autre, parfois à des
princes de sa famille, plus souvent à ses serviteurs les plus fidèles' : ils
étaient les instruments dociles de ses volontés par lesquels il exerçait l'influence
des dieux et disposait de leur fortune sans avoir l'ennui de l'administrer. Les
seigneurs féodaux, moins éloignés de l'homme que Pharaon, ne dédaignaient
pas de joindre, au gouvernement général des cultes qu'on pratiquait sur leurs
terres, le sacerdoce des temples qui relevaient d'eux. Les princes de la Gazelle
s'intitulaient, par exemple, Directeur des prophètes de tous les dieux, mais
étaient sans faute prophètes d'Horus, prophètes de Khnoumou maître de
Haoîrit, prophètes de Pakhît régente de Speos-Artemidos*. Ils complétaient
leur pouvoir civil et militaire par la suzeraineté religieuse, et leur budget ordi-
naire par une portion au moins des revenus que les biens de mainmorte four-
nissaient annuellement. Les autres fonctions pontificales occupaient sous eux
1. Il n'y a d'exception à cette règle que les rois thébains de la XXI* dynastie; encore l'exception
est-elle plus apparente que réelle. Ces rois, en effet, Hrihor et Pinozmou, 'avaient commencé par être
grands prêtres d'Amon avant de monter sur le trône : ce sont des pontifes qui deviennent Pharaons et
non des Pharaons qui se font pontifes. Peut-être faut-il placer dans la même catégorie Smonkhkart de
la XIV* dynastie, si son nom de Mfr-màshaou est bien, comme Brugsch l'assure (Geichichte ,£gypten's,
p. 181 sqq; cf. Wiedmann, JEgyptische Geichichte, p. 267), identique au titre du grand prêtre d'Osiris
a Mondes, et prouve qu'il fut pontife d'Osiris dans cette ville, avant de devenir roi.
î. Entre autres exemples, nous avons celui du roi de la XXI* dynastie Tanite, qui nomma Nankho-
pirrf grand prêtre d'Amon Thébain (Brugsch, Recueil de monuments, t. I, pi. XXII, stèle aujourd'hui
conservée au Louvre), et celui du dernier roi de cette même dynastie, Psouscnnès II, qui conféra la
même charge au prince Aoupouti, fils de Sheshonqou (Maspf.ro, les Momiei royales de Déir-el-Baharl
dans les Mémoires de la mission du Caire, t. 1, p. 730 sqq.). Le droit de nomination du roi se conci-
liait fort bien avec l'hérédité des charges sacerdotales dans une même famille, comme nous aurons
occasion de le constater par la suite.
3. Une liste, encore très incomplète, des grands prêtres de Phtah à Memphis, a été dressée par
M. E. Schiaparelli, dans son Catalogue du Musée Égyptien de Florence (p. 201-203). L'un d'eux,
Shopsisouphtah Ier, avait épousé la fille atnée du Pharaon Shopsiskaf de la IV* dynastie (E. de RorcÉ,
Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties de Manéthon, p. 67-71) :
l'un des fils préférés de Ramsès II, Khamotslt, fut également grand prêtre de Phtah Memphite, pendant
la majeure partie du règne de son père.
4. Voir leurs titres réunis dans Maspero, la Grande Inscription de Beni-Hassan (Recueil de Travaux,
t. I, p. 179-180); on trouvera de même les titres sacerdotaux dont les princes et les princesses de
Thèbes étaient revêtus, sous la XX* dynastie, dans Maspero, les Momies royales de Déir-el-Bahart .
LE CLERGÉ ET SON RECRUTEMENT. 305
un clergé de carrière dont la hiérarchie variait selon les divinités et selon les
provinces1. Bien qu'il y eût entre le simple prêtre et le prophète en premier
quantité d'échelons que la plupart ne franchissaient jamais, les temples atti-
raient beaucoup de gens d'origine diverse qui, une fois établis dans la place,
non seulement n'en sortaient plus, mais n'avaient de cesse qu'ils n'y eussent
introduit leur famille. Les emplois qu'ils remplissaient n'étaient point néces-
sairement héréditaires, mais leurs enfants, nés et grandis à l'ombre du sanc-
tuaire, les recueillaient presque toujours après eux, et les familles, se perpé-
tuant dans une même place pendant des générations, finissaient par s'ériger
en une sorte de noblesse sacrée1. Les sacrifices leur garantissaient le manger et
le boire journalier; le temple les logeait dans ses dépendances et leur
allouait sur ses revenus un traitement proportionné à leur situation. Ils vivaient
exempts des impôts ordinaires, exempts du service militaire, exempts des
corvées : rien d'étonnant si ceux mêmes qui ne pouvaient s'inscrire parmi eux
tâchaient de participer à quelques-uns au moins de leurs avantages. Les ser-
viteurs, les artisans, les employés qui se pressaient autour d'eux et qui
formaient la corporation du temple8, les scribes attachés à l'administration des
domaines et à la perception des offrandes, partageaient les immunités du
sacerdoce, sinon en droit, du moins en fait : c'était toute une société reli-
gieuse juxtaposée, mais non mêlée à la société civile, et dispensée de la
plupart des charges qui pesaient sur elle si lourdement4.
Il s'en fallait que les soldats possédassent la richesse et l'influence du clergé.
La milice n'était pas en Egypte le devoir de tous, mais la profession et le
privilège d'une classe spéciale dont on connaît peu l'origine8. Peut-être ne
1. Nous ne connaissons en fait de hiérarchie que celle du temple d'Araon Thébain, à Karnak, grâce
à l'inscription où Bokounikhonsou nous a raconté les progrès de sa carrière sous Séti 1er et sous
Itamsès H, du rang de Prêtre à celui de Ptemier Prophète, c'est-à-dire de Grand-Prêtre d'Amon (Th.
Dévèria, le Monument biographique de Bakenkhonsou, p. 12-14; cf. A. Baillet, De l'Élection du
Grand Prêtre d'Ammon à Thèbes, dans la Revue Archéologique, 2# sér., 1862, t. III).
2. Nous possédons les cercueils des prêtres de Nontou Thébain pendant près de trente générations,
de la XXV0 dynastie au temps des Ptolémées. Les inscriptions nous révèlent leurs généalogies ainsi
que leurs alliances, et nous montrent qu'ils appartiennent presque tous à deux ou trois familles prin-
cipales qui se mariaient entre elles ou qui prenaient femme chez les prêtres d'Amon.
3. Ce sont les Qonbitiou nommés si souvent dans la grande inscription de Siout (Maspero, Egyptian
Documenté, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. VII, p. 14); nous avons vu
plus haut des Qonbitiou à côté des rois (p. 277, note 3).
4. On sait quelle était l'organisation des temples à l'époque Ptolémaïque, et on en trouvera les traits
principaux exposés sommairement dans Lcmbroso, Économie politique de l'Egypte sous les Lagideê,
p. 270-274. L'étude des renseignements isolés que les monuments d'époque antérieure nous fournis-
sent montre qu'elle était identique à peu près à l'organisation des temples pharaoniques : elle offrait
seulement plus de régularité et de fixité dans la disposition des classes de prêtres.
5. Cette classe s'appelait dans l'Egypte antique Monfitou (Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. 35-
36 ; cf. Brigsch, Die Mgyptologie, p. 232-233) : les historiens grecs la désignent ordinairement, depuis
Hérodote, par le terme de p.âxt{iot (Hérodote, H, clxiv, clxviu ; Diodore de Sicile, I, 28, 73-74 ; cf.
Papyrus m° LXIII du Louvre, dans Lktronne, les Papyrus Grecs du Louvre, p. 360 sqq.).
HIST. ANC. de l'orient. — T. I. 39
306 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
comprenait-elle au début que les descendants de la race conquérante : aux
temps historiques, on ne la tenait pas fermée, mais elle se recrutait un peu
partout chez les fellahs1, chez les Bédouins du voisinage, chez les Nègres1,
chez les Nubiens', même chez les prisonniers de guerre ou les aventuriers
venus d'au delà les nier s \ Ce ramassis de mamelouks étrangers composait
d'ordinaire la garde du roi ou de ses barons, le noyau permanent autour duquel
ils ralliaient en cas de guerre leurs levées de troupes indigènes. Les soldats
égyptiens recevaient chacun du chef auquel ils s'étaient attachés un fief destiné
à les nourrir eux et leur famille. On estimait au ve siècle avant notre ère que
douze aroures de terre labourable leur suffisaient amplement5, et la tradition
attribuait au fabuleux Sésostris la loi qui avait fixé leur dotation à ce taux*,
lis ne payaient aucune taxe, et on les dispensait de la corvée durant le temps
qu'ils passaient hors de chez eux en service actif; à cela près, ils encouraient
les mêmes charges que le reste de la population. Beaucoup d'entre eux
n'avaient rien en dehors de leur fonds et y menaient la vie précaire du
fellah, cultivant, moissonnant, tirant l'eau et paissant leurs bêtes dans
l'intervalle de deux appels7. D'autres jouissaient d'une fortune indépendante ;
ils affermaient le fief à prix modéré, et ce qu'ils en tiraient leur arrivait en
surcroit du revenu patrimonial8. Comme ils auraient pu oublier les conditions
auxquelles ils tenaient ce domaine militaire et s'en considérer les maîtres
1. Cela résulte, entre autres, des lettres réelles ou supposées dans lesquelles le mattre-écrivain
détourne son élève du métier militaire (Maspero, Du Genre Épistolaire, p. 40-44 ; cf. Erman, .'Egyp-
ten und JEgyptiisches Leben im Altertum, p. 721-722) pour lui recommander celui de scribe.
2. Ouni, sous Papi Ier, recrute son armée parmi les gens de l'Egypte entière depuis Éléphantine
jusqu'à Létopolis à l'entrée du Delta et jusqu'à la Méditerranée, parmi les Bédouins de la Libye et de
l'Isthme, enfin parmi six peuplades nègres de la Nubie (Inscription dOuni, 1. 14-19).
3. La tribu nubienne des Màzaiou, plus tard la libyenne des Nâshaouasha, fournirent des troupes
aux rois et aux princes égyptiens pendant des siècles : les Màzaiou étaient si bien inféodés aux ar-
mées égyptiennes, que leur nom est devenu en copte synonyme de soldat, sous la forme Matoï.
4. Nous rencontrerons plus tard sous Ramsès II des Shardanes de la garde royale (E. de RorcÉ,
Extrait d'un mémoire sur les attaques, p. 5); plus tard encore les Ioniens, les Cariens et les merce-
naires grecs joueront un rôle décisif dans l'histoire des dynasties saïtes
5. Hérodote, II, clxviu. L'aroure valant 27,82 ares, le fief militaire comprenait 27,82 x 12 = 333,84.
Les tchiflîks que Mohammed-Ali créa, afin de mettre en culture les cantons abandonnés, attribuaient à
chaque ouvrier qui se présenta pour en réclamer, une parcelle de terre variant de un à trois feddans,
de 4200,83 me. à 12602,49 me, suivant la nature du sol et les besoins de leur famille (Chélc, le Nil,
le Soudan, l'Egypte, p. 210). Les fiefs militaires de l'antiquité étaient presque triples, par l'étendue,
de ces abadièhs reconnues suffisantes, dans l'Egypte moderne, pour nourrir toute une famille de
paysans : ils devaient donc assurer non pas seulement la vie, mais l'aisance à leurs propriétaires.
6. Diodore de Sicile, I, 54, 73, 93; cf. Aristote, Polit., VII, 9. Aucun monument égyptien ne lui
attribue semblable institution : le passage du Poème de Pentaoutrit, qui a été invoqué à ce sujet (Revil-
lout, la Caste Militaire organisée par Hamsès II d'après Diodore de Sicile et le Poème de PnUaour%
dans la Revue Égyplologique, t. III, p. 101-104), ne dit rien de pareil. Il fait seulement une allusion
générale aux faveurs dont le roi a comblé ses généraux et ses soldats.
7. Cela résulte des termes mômes qui sont employés dans le Papyrus n* 63 du Louvre, et des recom-
mandations que les ministres des Ptolémées adressaient aux administrateurs royaux au sujet des
soldats tombés dans la misère.
8. Diodore de Sicile dit en effet (I, lxxiv) que • les agriculteurs passaient leur vie à cultiver les
terres qui leur sont affermées à prix modéré par le roi, par les prêtres et par les guerriers ».
LES MERCENAIRES ETRANGERS ET LA MILICE INDIGÈNE. 307
absolus, on s'inquiétait de ne pas les laisser toujours à la même place : Héro-
dote assure qu'on leur retirait leur lot chaque année pour leur en attribuer
un autre d'étendue égale1. Je ne sais si l'on appliqua de tout temps cette loi
de roulement perpétuel : de toute façon, elle n'empêcha pas les soldats de
constituer à la longue une sorte d'aristocratie avec laquelle les rois et les
barons de haut rang furent souvent obligés de compter. On les emmatriculait
sur des registres spéciaux avec l'indication du fief qui leur avait été assigné
Ul-f.l.UVEVL-Sli UtS E
temporairement, t'n tvribc des miliciens dirigeait cette comptabilité dans
chaque nome royal ou dans chaque principauté. Il présidait à la répartition
des terres, à l'enregistrement des privilèges, et cumulait parfois sur ses fonc-
tions administratives le commandement en campagne du contingent fourni
par le district dont il avait la charge : il s'associait alors un lieutenant qui,
selon l'occasion, le suppléait dans les bureaux ou aux champs de bataille3. La
milice n'était pas héréditaire, mais les avantages, si minces qu'ils nous parais-
sent, en semblaient si considérables aux yeux des fellahs, que la plupart de
ceux qui s'y étaient engagés y enrôlaient également leurs enfants. Emmenés
tout petits à la caserne, on leur enseignait non seulement le maniement de
l'arc, de la hache, de la masse, de la lance, du bouclier, mais encore les exer-
cices qui assouplissent le corps et le préparent aux évolutions du combat, la
marche en troupe, la course, le saut, la lutte au poing ou à main plate'. Ils se
préparaient au combat par une véritable danse de sauvages, pirouettant, bon-
1. Hiromtk. Il, clxviii; cf. Winuiii, Herodoh Za-eile* Rurh, p. S78-580.
t. Dritin de Fauchcr-Gudin, daprèt une teene rtu tombeau d Amani-Amenemhàit à heni-Hiaian
(cf. Newbemy, Beni-Hatian, t. I. pi. XVI).
3. Celte organisation a clé définie pour la première foi* par G. Masfumi, Ëludet Égyptienne», t. Il,
p. 31 sqq. Si le nom dos gens soumis à la milice était Hou filou, puis aouou, on appelait les soldats
réuni* en corps, les hommes en service actif, mâfhâou, les marcheur; les piétons.
i. Voir au sujet de l'éducation militaire le curieux passade des l'apyrut Anaitaii IU (pi. V, I. ',;,
|il. VI) et Anaitnti IV (pi. IX. I. i sqq), traduits dans Jl.iSPKitn. du Genre EpUtotairr, u. 4IMJ; cf.
Eiiii, ,£gypten und .-Egyptitcket Letien im Alterlum, p. "ïl-"îi. Les exercices sont représentés
dans plusieurs tombes de Béni-Hassan (CHtiPfln.mil. Monument/ de l'Egypte et de la Nubie,
ni. CCCLXIVsqq., cl Texte, I. Il, p. 31R sqq.; tloseu.ui. IHimumeuli avili, pi. CXI sqq.).
308 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE LÉGYPTB.
dissant, brandissant en l'air leur arc et leurs paquets de flèches. L'apprentis-
sage terminé, on les incorporait dans les bandes locales et on les investissait
de leurs droits. Quand on avait besoin d'eux, on appelait tout ou partie de
la classe, on leur distribuait les armes conservées à l'arsenal et on les expé-
diait en bateau sur le lieu de l'action. L'Égyptien n'était pas belliqueux de
tempérament : s'il se faisait soldat, c'était par intérêt plus que par vocation1.
Prêtres et guerriers, la puissance de Pharaon et de ses barons reposait tout
entière sur ces deux classes : le reste, bourgeois ou campagnards, n'était entre
leurs mains qu'une matière inerte, taillable et corvéable à merci. Les esclaves
•
n'y comptaient probablement que pour peu de chose : le gros consistait de
familles libres, dont chacune disposait d'elle-même et de ses biens. Il n'y avait
fellah ni citadin chez le roi ou chez les grands seigneurs qui ne pût à son gré
quitter son travail et son village, passer du domaine sur lequel il était né
dans un domaine différent, voyager d'un bout du pays à l'autre comme font
les Égyptiens d'aujourd'hui*. Son absence n'entraînait ni perte de ses biens,
ni poursuite, contre ceux des siens qu'il laissait derrière lui, et lui-même
n'avait de châtiment à redouter que s'il sortait sans autorisation de la
vallée du Nil pour séjourner quelque temps à l'étranger3. Mais cette indépen-
dance et cette mobilité, si elles étaient conformes aux lois et aux usages,
présentaient des inconvénients auxquels on se dérobait difficilement dans la
pratique de la vie. Chacun en Egypte, le roi excepté, avait besoin pour pros-
pérer de s'appuyer sur quelqu'un de plus puissant qu'il appelait son maître.
Le seigneur féodal se vantait de reconnaître Pharaon pour maître et lui-même
1. Sur le caractère peu belliqueux des Égyptiens, cf. ce que dit le géographe Strabon, I. XVII, §53,
p. 819; Diodore de Sicile, 1, lxxiii, affirme expressément qu'on donnait des fiefs aux guerriers • afin que
la possession de ces fonds de terre les rendit plus zélés à s'exposer pour leur pays ».
2. Dans les Instructions de Khtti, fils de Doua ouf, à son fils Papi (Maspero, du Style épistolaire,
p. 48 sqq. ; Lauth, Die altâgyptische Hoc hs chu le zu Chennu, dans les Sitzungsberichte de l'Académie
de lftûnich, 1872, 1, p. 37 sqq.), le scribe nous montre les gens de métier sans cesse en mouvement,
d'abord le batelier (§ VII), puis le laboureur (g Xll), le fabricant d'armes (§ XIV), le courrier (Js XV).
Je rappelle pour mémoire ces prêtres vagabonds d'Isis ou d'Osiris qui, au n" siècle de notre ère,
promenaient leurs naos portatifs et leurs oracles à bon marché à travers les provinces de l'empire
romain, et dont on retrouve les traces jusqu'au fond de l'Ile de Bretagne.
3. Le traité entre Rarasès et le prince de Khiti contient une clause formelle d'extradition au sujet
des Égyptiens ou des Hittites qui auraient quitte leur pays, bien entendu sans l'autorisation du sou\e-
rain (E. de Rolgé, Traité entre Ramsès 11 et le prince de Khet, dans W Rente Archéologique, 2' sér.,
t. IV , p. 268, et dans Egger, Études sur les traités publics, p. 2-13-252 ; Chabas, le Voyage d'un Égyp-
tien, p. 332 sqq.). Les deux parties contractantes stipulent expressément que les individus extradés de
part et d'autre ne pourront être punis pour le fait d'émigration, que leurs biens ne seront pas con-
fisqués ni leur famille rendue responsable de leur fuite (I. 22-36 dans l'édition de Bouriaxt, Recueil
de Travaux, t. XIII, p. 156-158, et t. XIV, p. 68-69); il résulte de cette clause qu'en temps ordinaire
l'émigration non autorisée entraînait un châtiment corporel et la confiscation des biens pour le cou-
pable, ainsi que des peines variées pour la famille. La façon dont Sinouhft s'excuse de sa fuite, le
pardon qu'il en demande avant de rentrer en Egypte (Maspkro, les Contes populaires, 2* édit., p. 109
sqq.), les termes même de la lettre par laquelle le roi le rappelle et l'assure de l'impunité, montrent
que les lois contre l'émigration étaient en pleine vigueur sous la XII* dynastie.
LE PEUPLE DES VILLES : ESCLAVES, HOMMES SANS MAITRE. 309
était le maître pour le soldat ou pour le prêtre de ses petits Ëtats'; du haut en
bas de l'échelle, tout homme libre avouait un maître qui lui garantissait
justice et protection en échange de son obéissance et de sa féauté. Le jour où
l'Égyptien prétendait se dérober à cette sujétion, c'en était fait du repos de
sa vie : il devenait l'homme sans maître, partant sans défenseur attitré1.
Le premier venu pouvait l'arrêter au passage, lui voler ses bètes, ses mar-
chandises, son bien, sous le prétexte le plus futile, et, presque certain de
l'impunité, le battait encore s'il s'avisait de protester. Le malheureux n'avait
de ressource que d'aller s'asseoir à la porte du palais, d'attendre que le
seigneur ou le roi parût et de lui crier justice. Souvent repoussé, quand
par hasard son humble supplique était accueillie, ce n'était pour lui que le
début d'ennuis nouveaux. Son droit fût-il évident, sa condition d'homme sans
domicile et sans maître inspirait une méfiance tenace à ses juges et retardait
l'heure de la réparation à son égard. Il avait beau les poursuivre de ses plaintes
et de ses éloges, célébrer leurs vertus sur tous les tons : * Tu es le père du
misérable, le mari de la veuve, le frère de l'orphelin, le vêtement de qui
n'a plus de mère : accorde que j'aie lieu de proclamer ton nom comme une
loi par tout le pays. Bon seigneur, guide sans caprice, grand sans petitesse,
toi qui anéantis la fausseté et fais être la vérité, viens à la parole de ma
bouche : je parle, écoute et fais justice. 0 généreux, le généreux des généreux,
. I. Les expressions qui témoignent de ce Tait sont très nombreuses, «mt utiorr, celui qui aime son
mattre, Aqoij KitTi xi slaour, celui qui entre au cœur de son maître, etc. Elles reviennent sï souvent dans
les textes pour des personnages de tout rang, qu'on n'avait pas cru devoir leur attacher quelque
importance. L'insistance avec laquelle le mol NtB, maître, y est répété, montre qu'il faut revenir sur
cette impression et donner 1 ces locutions leur valeur pleine.
i. Le terme d'homme san> mallre se trouve plusieurs fois dans le Papyrus de Berlin n* (/. I.e
paysan qui est le héros du conte dit, par enemple, du seigneur Mirouitensi qu'il esl ■ le gouvernail du
ripl, le guide de la terre, la balance qui porte les offrandes, l'étai des murailles chancelantes, le sou-
tien de ce qui tombe, le grand maître gui prend quiconque eil tant mailre, pour lui prodiguer les
biens de ta maison, une cruche de bière et trois pains >, chaque jour (1. 90-95).
3. Dettiu de Faucher-Gudîn, iToprH le tombeau de Khiti à Beni-Ilaetan (Chiupollios, Momimentt,
pl.CCCLXlV, ï, Hosellim, Monumeiili civili, pi. CXVli, 4). Ce sont les soldats du nome de la Gazelle.
310 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
détruis ce qui cause ma douleur; me voici, relève-moi; juge-moi, car me voici
devant toi suppliant1. » S'il était beau parleur et que le juge fût en humeur
d'écouter, on l'entendait avec plaisir, mais son affaire n'avançait pas et les
retards calculés de son adversaire consommaient sa ruine. Sans doute la loi
religieuse imposait l'équité aux dévots d'Osiris et réprouvait le moindre déni
de justice comme un péché des plus graves, même chez le grand seigneur,
même chez le roi1; mais le moyen de se montrer impartial du tout, quand
on était le protecteur en titre, le maître de l'inculpé, et que le plaignant était
un vagabond sans attaches à personne, un homme sans maître* '!
Le peuple des villes renfermait beaucoup de privilégiés, outre les soldats, les
prêtres ou les gens engagés au service des temples. Les employés des admi-
nistrations royales ou féodales, depuis les Directeurs d'hôtel jusqu'aux scribes
les plus humbles, s'ils n'échappaient pas entièrement aux corvées, du moins
n'en supportaient qu'une part assez petite*. Ils formaient une bourgeoisie à
plusieurs étages, jouissant de revenus assurés, occupée régulièrement, modéré-
ment instruite, très contente d'elle-même, et toujours prête à proclamer bien
haut sa supériorité sur quiconque était obligé pour vivre à travailler de ses
mains. Chaque sorte d'artisans reconnaissait un ou plusieurs chefs, les cordon-
niers des maîtres cordonniers, les maçons des maîtres maçons, les forgerons des
maîtres forgerons qui veillaient sur leurs intérêts et les représentaient auprès
des autorités locales5. On disait même, chez les Grecs, que les voleurs étaient
réunis en corporation, comme les autres, et entretenaient des supérieurs accré-
dités auprès de la police pour débattre les questions assez délicates que la pra-
tique du métier soulevait. Quand les associés avaient dérobé quelque objet
de prix, c'est à lui que le volé s'adressait afin de rentrer en possession :
1. Maspero, les Contes populaires de V Egypte Ancienne, 2« éd., p. 46.
2. Voir à ce sujet la Confession négative du chapitre cxxv du Livre des Morts, dont la tra-
duction complète est donnée aux p. 188-191 de cette Histoire.
3. Tout ce tableau est emprunté à l'Histoire du paysan que le Papyrus de Berlin n* // nous a
conservée (Chabas, les Papyrus hiératiques de Berlin, p. 5 sqq. ; Goodwin, dans Chabas, Mélanges
Êgyplologiques, 2e série, p. 249 sqq., Maspero, les Contes populaires, 2e éd., p. 33 sqq.). L'auteur
égyptien a placé son récit sous un roi dos dynasties héracléopolitaines, la IX" et la Xe; mais ce qui est
vrai de son époque est vrai de l'Ancien Empire, comme on s'en convainc aisément eu rapprochant ce
qu'il dit des renseignements épars sur les peintures des tombeaux raemphites.
4. C'est ce qu'on peut conclure du témoignage indirect des lettres : l'auteur en énumérant les
charges des professions diverses implique par contraste que le scribe, c'est-à-dire l'employé en général,
ne les porte pas ou les porte moins lourdement que les autres. Le début et la fin des Instructions de
Khtti suffiraient seuls à nous apprendre les avantages que la bourgeoisie sous la XII* dynastie croyait
pouvoir tirer de la carrière de scribe (Maspero, du Genre épistolaire, p. 49-50, 60 ?qq.).
5. Les stèles d'Abydos sont fort utiles à qui veut étudier la population d'une petite ville. Elles nous
font connaître les chefs de toute sorte de métiers: le chef-maçon Didiou (Mariette, Catalogue général,
p. 129, n" 593 et 339, n° 947), le maltre-maçon Aa (m/., p. 161, n» 640), le mattre-cordonnier Kahi-
khonti (Bocriant, Petits Monuments et petits textes, dans le Becueil, t. VII, p. 127, n° 19), les chefs-for-
gerons Ousirtasen Ouàti, Hotpou, llotpourckhsou (Mariette, Catalogue général, p. 287, n° 856), etc.
LES EMPLOYÉS ET LES ARTISANS : LES CORPORATIONS. 3H
il en fixait la rançon et le rendait sans faute contre versement de la valeur
convenue1. La plupart des ouvriers qui composaient un corps d'état logeaient
ou du moins avaient leurs échoppes dans un même quartier ou dans une même
rue, sous la haute direction de leur chef1. Us payaient, outre la capitation et
l'impôt sur les maisons', une taxe spéciale, un droit de patente qu'ils acquit-
taient en produits de leur commerce ou de leur industrie1. Leur condition était
assez dure, si nous devons en croire le tableau que les écrivains anciens nous
ont laissé : « Je n'ai jamais vu forgeron en ambassade — ni fondeur en
mission, — ■ mais ce que j'ai vu, c'est l'ouvrier en métal à ses travaux, — à
la gueule du four de sa forge, — les doigts rugueux comme crocodiles —
et puant plus que frai de poisson. — L'artisan de toute sorte qui manie le
I, Diodose de Sicile, I. I, Lim;cr. Air i.c-G elle, l. XI, eh. xmi, S 16, d'après 1c témoignage du juris-
consulte Ariston, haudqua i/vam indocti viri. D'après de Paiiw, hecherchei philoiaphiquet sur tri F.gyp-
( Uni et ittr le* Chinait (Berlin, l"3i), 1. Il, 4" part., p. 113 sqq., le règlement concernant le vol et les
voleur» ne serait qu'une convention passée avec les Bédouins pour obtenir d'eux, moyennant rançon,
la restitution des objets qu'ils avaient enlevé» au coars de leurs rallias.
i. A. BitLLsi, Difùiont et Adminittratiim dune VilU Kgyplirnnr. dan« le Recueil de Travaux,
t. XI, p. 31-3B.
3. Ces deux impôts sont mentionnés expressément sous Amenolhé. Itl {DarCKi, Die AZgijptologie,
p. i97-*!>u). Il y est Tait allusion dans plusieurs inscriptions du Moyen Empire.
i. Destin de Faucher-Gudin, d'aprit RwUU.il», Vonumenh riw'h, pi. i a: cf. Yisev, le Tombeau
de Rekkmarâ, dans les Mémoire* de la Mution /rançon* du Caire, l. V. pi. XIII, XIV.
S. Les registres, en grande partie inédits, que renlt-tniroi les routée» de l'Europe, nous montrent
en effet les pécheurs payant en poissons, les jardiniers en fleurs et en légumes, etc., les impôts ou les
redevances qu'ils devaient aui seigneurs. Pour l'époque grecque, voir ce que dit Li'aaaoso, Economie
politique de FÊgyple, p. 497 sqq. Dans la grande inscription d'Abydos (Mabiette, Abydo', t. 1, pi. VIII,
I. 88), les tisserands attachés au temple île Séti I" acquittent leurs impositions en étoffes.
342
LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
ciseau — ne se donne pas autant de mouvement que celui qui manie la houe1;
— mais ses champs à lui c'est le bois, son affaire c'est le métal, — et la nuit,
quand l'autre est libre, — lui, il fait œuvre de ses mains par-dessus ce qu'il a
déjà fait, — car, la nuit, il travaille chez lui à la lampe. — Le tailleur de
pierre qui cherche de la besogne en toute espèce de pierre durable, — quand
il a fini par gagner quelque chose — et que ses deux bras sont usés, il s'arrête;
TAILLEURS DE PIERRE ACHEVANT DE PARER DES BLOCS DE CALCAIRE*.
— mais, s'il demeure assis au lever du soleil, — on lui lie les jambes au dos*.
— Le barbier qui rase jusqu'au soir, — quand il se met à manger, c'est sur
le pouce*, — tout en courant de ruelle en ruelle pour chercher ses pratiques;
— s'il est brave [à l'œuvre], ses deux bras remplissent son ventre — de même
que l'abeille mange selon son labeur. — Te dirai-je le maçon — combien le
mal le goûte? — Exposé à tous les vents, — tandis qu'il bâtit sans vêtement
qu'une ceinture — et que le bouquet de lotus [qu'on attache] aux maisons
1. La traduction mot pour mot donnerait : « L'artisan de toute sorte qui manie le ciseau, il est plus
immobile que celui qui manie la houe. » Ici et dans plusieurs passages du môme petit poème sati-
rique, j'ai dû parfois paraphraser le texte pour le rendre intelligible au lecteur moderne.
4. Dessin de Faucher-Gudin, d'après Rosellixi, Monument i civili, pi. XLV1I1, 2.
3. C'est une allusion à la façon cruelle dont les Égyptiens liaient leurs prisonniers comme en
paquet, les jambes repliées le long du dos et attachées aux bras. La journée de travail commençait
alors comme aujourd'hui au lever du soleil, et se prolongeait jusqu'au coucher, avec une courte
interruption d'une heure ou deux vers le midi pour le repas et pour la sieste des ouvriers.
A. Litt. il se met $ur le coude. L'image me parait être tirée de la pratique même du métier : le
^arbier tient toujours le coude levé pour raser et ne le rabat qu'au moment où il mange.
LES MISÈRES DES GENS DE METIER. 313
[terminées) — est encore loin de sa portée1, — ses deux bras s'usent au
travail; ses provisions sont pèle-mèle avec toutes ses ordures, — il se mange
lui-même, car il n'a de pains que ses doigts, — etil se lasse tout à la fois. —
Il s'épuise beaucoup et fort, — car il v a [sans cesse] un bloc [à trainerj dans
cet édifice-ci ou dans celui-là, — un bloc de dix coudées sur six, — il y a
[sans cesse] un bloc [à traîner] dans ce mois-ci ou dans celui-là [jusqu'aux]
mâts [où l'on attache] les lotus des maisons [terminées]. — Quand le travail
est tout achevé, — s'il a du pain, il retourne à la maison, — et ses enfants ont
été roués de coupsjpendant son absence]1. — Le tisserand dans les maisons,
— il y est mal plus que femme; — accroupi les genoux à l'estomac, — il ne
respire pas. — Si, pendant le jour, il ralentit le tissage, — ïl est lié comme
les lotus de l'étang; — et c'est en donnant du pain aux gardiens des portes,
que celui-ci lui permet de voir la lumière*. — Le teinturier, ses doigts puent
— et leur odeur est celle du frai de poisson; — ses deux yeux sont battus de
fatigue, — sa main n'arrête pas, — et, comme il passe son temps à tailler des
loques — il a les vêtements en horreur5. — Le cordonnier est très malheureux ;
— il geint éternellement, — sa santé est la santé du poisson qui fraie, — et
I. Le passage est traduit par conjecture. Je suppose que les maçons égyptiens avaient un usage
analogue à celui des nôtres et attachaient un bouquet de lotus au plus haut de l'édifice qu'ils venaient
de terminer : c'est là toutefois une conjecture i[UC rien n'est venu confirmer encore.
1. Deain de Faucher-Gudin, d'nprei Gna>MLlIM>, MonumenU de l'Egypte et de la Nubie, pi. cliii, 3;
cf. Bosillini, Mo nu menti civili, pi. LX1V, 1 ; Vihet,/c Tombeau de Hekhmarti, dans les Mémoire* publie"!
par Ut Membre» delà Million du Caire, t. V, pi. XIII. XV. Ce tableau est de la XVII I» dynastie, mais les.
sandales qui y sont figurées ne diffèrent point de celles qu'on voit sur les monuments plus anciens.
3. Papyrui Sallier n- //, pi. IV, I. 6, pi. V, I. 5; cf. Mastmo, du Genre EpUtolaire ehei te! Ancien!
Hgyptitni de t'époque pharaonique, p. 50-51 ; Lauth, Die altâgyptitehc Hoehtchule :u Chennu, dan»
les Compte» rendu» de l'Académie des Sciences de Munich, 1 874, I. I, p. 37 sqq.
*. Papyrui Sallier n» //, pi. VI, I. 1-3; cf. Maspero. du Genre Épiitotaire, p. 53-55, et C«a»as
Recherche» pour irrvir à l'hiitoire de la XIX' dynastie égyptienne, p. 141-1 t!i.
5. Papyru» Sallier n» II, pi. VII, 1. î-3.
41}
SU LA COSSTITLTIOS POLITIQUE DE L'EGYPTE.
il ronge les cuirs'. — Le boulanger pétrit, — met les paîns au feu; — tandis
que sa tète est dans l'intérieur du four, — son fils le tient par les jambes; —
s'il échappe aux mains de son fils, — il tombe là dans les flammes1. • Ce sont
là misères inhérentes aux métiers mêmes : la levée de l'impôt ajoutait au cata-
logue une longue séquelle
d'avanies et de vexations
qui se renouvelaient plu-
sieurs fois par an à des in-
tervalles réguliers. Aujour-
d'hui encore le fellah ne
paye ses contributions que
contraint et forcé, mais son
obstination à ne s'acquitter
que sous le bâton était
célèbre dès l'antiquité : ce-
lui qui lâchait son dû avant
d'avoir été roué de coups
LE «OCLAMCCX MÇ01I1IE ET «ET «ES MISS ir FOI'b'. , ..,,,..
était accable d injures par
sa famille et raillé sans merci par ses voisins*. Chaque échéance tombait sur
les cités comme une crise violente qui secouait la population entière. Ce
n'était pendant plusieurs jours que protestations, menaces, bastonnades, cris
de douleur des contribuables, lamentations suraiguës de femmes et d'enfants.
L'opération terminée, le calme renaissait et le bon peuple, pansant ses bles-
sures, reprenait son train de vie familier jusqu'à l'échéance prochaine.
Les villes d'alors présentaient à peu près l'aspect étouffé et mystérieux de
celles d'aujourd'hui*. Elles se groupaient autour d'un ou de plusieurs temples,
environnés chacun de son enceinte rectangulaire en briques, percée de portes
monumentales : les dieux y habitaient de véritables châteaux, ou, si le mot
1. Popt/ru* Saltier n' II, pi. Vil, I. 9. pi. VIII, I. î.
1. l'upyrut Anaitati n" II, pi. VU, 1. 3-5, avec un duplicata du même passage dan» le Papyrus Sal-
lirr n* I, pi. VII, |. 7-9; cf. H.ispebo, du Genre Êputolairc chez let Ancien* Égyptien*, p. 35.
3. Denin de Faucher-Giidin, d'aprr* le tableau peint dan* l'une de* petite* antichambre* du tom-
beau de Ramtè* III, au Bab-et-Motouk (ttnsELLi.il, Mnnumrnli civili, pi. LXXXVI, «}.
4. A»mei ««hcellis, I. XXII, ch. xvi, S. i3 : . Eruhescit apud cos, si quis non iiiRlisndo trihiitn.
plurima» in corporc vîhiccs o*tcndal •; cf. Elles, t'ai'. Hit t., VII, 18. Pour les temps mode roc R, lire le
curieux récit de Wileusov, Manaer* and Cutlom*. l'éd., 1. I, p. 306-3417.
5. J'ai eu l'occasion d'opérer des sondages ou des rouilles sur divers emplacements de villes ou de
i illagea 1res antiques, a Thébes, à Abydos, à Matsniah, el je donne ici le résumé de mes observations.
M. Pétrie a rois au jour et exploré régulièrement plusieurs cités de la XII* dynastie, situées à l'entrée
du Fayoum. J'ai emprunté beaucoup des traits de mes descriptions aux différents ouvrages qu'il i
publiés sur la matière, Kahun, Gurob and Ilauara, 1890, et Illahun, Kahun andGurab, 1891.
L'ASPECT DES VILLES. 3i5
parait trop ambitieux, des réduits où ta population pouvait se réfugier en
cas d'attaque soudaine et se mettre à l'abri1. Celles qu'un roi ou un
prince construisaient d'un
seul coup offraient un plan
à peu prés régulier, des
rues assez larges, dallées,
se coupant à angle droit,
bordées d'édifices bien ali-
gnés. Les cités d'origine
antique, accrues au hasard
des siècles, ne leur ressemblaient guère. Va lacis de ruelles et d'impasses
étroites, sombres, humides, mal tracées, se déroulait à travers les maisons
l'aventure :
ç le canal presque jt
sec, un étang 3 bourbeux où les bes-
tiaux venaient boire et les femmes
puiser l'eau du ménage, puis une place irrégulière ombragée d'acacias ou
de sycomores où les paysans de la banlieue tenaient le marché deux ou
I. Pour la cl h se ri pi ion des châteaux où résidaient les princes cl les gouverneurs des nomes,
cf. M*spïbo, Sur le lent de* mots tiouit et Huit, p. 13 sqq. (extrait des Proceedingt de la Société
d'Archéologie Biblique, 1089-1890); pour celle des maisons, voir f Archéologie Égyptienne, p. 13-11.
*. Deiêiii de Faucher-Gudin, d'âpre* i aquarelle de Botnie, le Tombeau d'Anna, dans les Mémoire*
de la Muiion Françaite. La maison était située à Thèbes cl appartient à la XVIII* dynastie. Les
restes des maisons mises au jour par Mariette à Abydos, et qui lui servirent a rétablir une maison
égyptienne, lors do l'Exposition universelle en 1877, sont du même type, et remontent jusqu'à 1»
XII* dynastie. On peut donc admettre que le tableau du tombeau d'Anna reproduit, a quelques
détails près, l'image d'une habitation seigneuriale de toutes le* époques. À coté du corps de loijis
principal, on voit deuv greniers h blé arrondis par le haut, et un grand magasin de provision*.
3. D'aprii le plan relevé et publié par M. Khsiiebs Petbik. lllahun, Kakun and Gurob, pi. XIV,
316 LA CONSTITUTION POLITIQUE OE L'EGYPTE.
trois fois le mois, à jours fixes, puis des terrains vagues encombrés d'ordures
et de débris que les chiens du voisinage disputaient aux éperviers et aux
vautours. Le château du prince ou du gouverneur royal, les hôtels des riches
particuliers, couvraient une surface assez considérable, et opposaient d'ordi-
naire à la rue de longs murs nus, crénelés comme ceux d'une forteresse;
le seul ornement qu'on y tolérât consistait en rainures prismatiques, sur-
montées chacune de deux
fleurs de lotus épanouies
entre-croisant leurs tiges.
I.a vie domestique s'y tenait
cachée et comme repliée sur
elle-même; on sacrifiait le
plaisir de voir les passants
à l'avantage de n'être pas
aperçu du dehors. La porte
seule annonçait quelquefois
l'importance du personnage
qui se dissimulait derrière
l'enceinte. Elle était précé-
dée d'un perron de deux ou
trois marches ou d'un por-
tique à colonnes, orné de
statues, qui lui prêtait l'as-
pect monumental*. Les mai-
sons bourgeoises étaient construites en briques et assez petites; elles conte-
naient pourtant une demi-douzaine de chambres, les unes voûtées, les
autres recouvertes d'un toit plat, et communiquant entre elles par des
portes lo plus souvent cintrées. Quelques-unes atteignaient deux et trois
étages; toutes possédaient une terrasse où les Égyptiennes d'autrefois pas-
saient le meilleur de leur temps, comme celles de nos jours, vaquant aux soins
du ménage ou bavardant avec les voisines, par-dessus les murs d'appui et
les ruelles. Le foyer se creusait dans le sol, d'ordinaire contre une des parois,
et la fumée s'en échappait par un trou ménagé au plafond ; on l'alimentait
de branchages, de charbon de bois, de mottes pétries avec la fiente des
LES MAISONS ET LE MOBILIER.
ânes et des bœufs. On rencontrait, chez les riches, des salles d'apparat
éclairées au centre par une baie carrée, et soutenues par des rangées de
colonnes en bois ; le fut, taillé à huit pans , mesurait environ vingt-cinq centi-
mètres de diamètre et s'enracinait dans une base en pierre, plate et ronde.
La famille s'entassait dans une ou deux pièces en hiver, et dormait sur le
toit, au plein air, pendant l'été, en dépit des maux de ventre et d'yeux ; le reste
du logis servait d'étables et de magasins. Les greniers s'accouplaient souvent
I. Dttain de Faucher-Gvdin, d'aprèt une photographie d'Emile Brugnch-llry, prise en IIWA.
t. Dtttin de Fatichcr-Gudin, d'aprèt le croqttit rfrl't. I'ktme, Illahun, KahvnandGurob, pi. XVI, 3.
318 LA CONSTITUTION POLITIQUE UE L'EGYPTE.
par deux; on les bâtissait en briques, soigneusement crépis de limon à l'inté-
rieur,et ils affectaient la forme d'un cône allongé comme ceux des administra-
tions publiques1. Les objets précieux qui composaient la
petite fortune de chaque ménage, lingots d'or et
d'argent, pierres précieuses, bijoux de l'homme
et de la femme, avaient leurs cachettes où
l'on essayait de les dissimuler aux
voleurs et aux collecteurs d'im-
pôts. Mais ceux-ci, habitués i
ruses des contribuables, témoi-
gnaient d'un flair particulier pour dépister le magot : ils sondaient les murs,
soulevaient et perçaient les toitures, défonçaient le sol jusqu'en dessous des
,'»* fonHaiinna et ^menaient souvent au jour, avec le trésor
tout un appareil de tombeau et de pour-
e. L'usage en effet, au moins parmi le
a et chez les gens de la classe moyenne,
était d'enterrer au milieu de la maison
les enfants morts à la mamelle. On
enfermait le petit cadavre dans un vieux
coffre à outils ou à linge sans se donner
la peine de l'embaumer, et l'on y dépo-
sait avec lui ses jouets favoris et des amu-
lettes : souvent deux ou trois bébés se par-
tageaient une même caisse*. Les joujoux
étaient d'une facture naïve, maïs très va-
riés, poupées en calcaire, en terre émail
lée, en bois, arec les bras mobiles et une
perruque en faux cheveux, porcs, crocodiles,
canards et pigeons à roulettes, bateaux de terre
cuite, ménages en miniature, balles en peau rembourrées de foin, billes,
callots : si étrange que cela paraisse, il faut nous figurer les marmots
t. Flisdkbh Petrjf., Kahun, Gurob and Ilamara, p. Î3-44, et lllahun, Kahun and Gurob, p. 8-J. On
voit deux de res greniers jumeaux, à droite de la maison d'Anna, dans la vignette de la page 3IS.
4. Dmiu de Fanrhcr-Gudin, d'après un chevet en bail provenant de Gi'béléin, en ma pomeuiem
[XI' dynailie) : d'ordinaire le pied du elievet est massif el taille dans un seul morceau de bois.
3, Deiihi de I-'aur/icr-Giidin, d'aprei le croquU de Kl. Pktbik. Hairara, Biahmu and Artiaor,
pi. XIII, il. L'original, en bois grossier, est di-jinsi' uujourd'hui dans l'AsIimolctii Muséum, à (Kford.
-t. Kmi>r.iis Peirif., Kahun. Gurob and lllahun, p. Î4.
5. Deuin de Faucktr-Gudin, d'aprèi le croqitit publié dan< l'ouvrage de Flimiïus Pktiie, lllahun.
LA FEMME DANS SA FAMILLE.
égyptiens jetant le cochonnet comme les nôtres, ou fouettant hardiment Ioni-
sa bot le long des rues, sans respect pour les jambes des passants '.
On décorait les chambres plus que sommairement. Le crépi de boue conser-
vait d'ordinaire sa teinte grise; quelquefois pourtant on le blanchissait à la
chaux, on le barbouillait de rouge et de jaune, et l'on y représentait des jarres,
des provisions, des scènes d'intérieur, des façades de maison1. Pas de lits
montés, mais des. cadres bas, comme les angarebs des Nubiens actuels, ou
des nattes qu'on roulait pendant le jour, et sur lesquelles on s'étendait
tout habillé pendant la nuit, la tète appuyée au chevet de terre cuite, de
calcaire ou de bois; un ou deux sièges en pierre rudement taillés, des chaises
ou des tabourets à pieds de lion, des boîtes et des coffres de grandeur diverse
pour le linge et pour tes outils', des pots à kohol ou à parfums en albâtre
ou en faïence vernissée1, enfin les bâtons à feu, l'archet qui les mettait en
mouvement*, et quelque vaisselle en argile ou en bronze de façon gros-
Kahuii and Curai, pi. VII. Au centre l'archet, * gauche en haut la noix, et en bas te bâtonnet, qu'on
adaptait aux deux extrémités de la tige; enfin, en ban et à droite deux pièce» de bois, portant les
Irous rond» aux bords carbonisés que te roulement du bâtonnet produit bu moment où le feu prend.
1. Pi.mii» Pétrir, Kahun, Gurob and lllahun, p. 24, 311, 3t, Haaara. Biahimt and Aminoe.p. 11, 12.
ï. FinoMS I'itiii, Kahun, Gurob and lllahun, p, 11, et lllahun, Kahun and Gurab. p, 7 et
pi. XVI, 4-5*. La façade de la maison est représentée au registre du bas, l'intérieur a celui du haut,
3. Deiltnde Fauchcr-Gudin.d'aprèt te far-iimili! de¥L.PeTR\z, lllahun. Kahun anrffillroi.pl. XVI, fi.
4. Flnbms PktKIi, Kahun, Gurab and Hau-ara, p. 14, et Ulthun, Kahun and Gurob, p. 8-li, 12-13.
5. t'uïDERK Plthie, Kahun, Gurob and Haieara, p. 19-30.
6. Flikdciu Piiiii, Kahun, Gurob and Hawara, p. 29, pi. IX b. et lllahun, Kahun and Gurob, p. 12,
pi. VII, 24, 2r>, 28. J'ai trouvé plusieurs de ces appareil» a Thébes dans les ruines de la ville antique.
320 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
sière'. L'homme ne l'entrait guère à la maison que pour manger et pour
dormir; ses devoirs d'employé ou son métier d'artisan l'obligeait la plupart
du temps à travailler au dehors. Les familles de la bourgeoisie moyenne
possédaient presque toujours un ou deux esclaves achetés ou nés dans la maison,
qui exécutaient les ouvrages les plus pénibles; ils soignaient les bêtes,
ils surveillaient les enfants, ils cuisinaient, ils allaient chercher l'eau à l'étang
s proche. Chez les pauvres, le soin du
tout entier sur la femme. Elle die, elle
3 et raccommode les vêtements, court à
iguade et aux provisions, cuit le dîner,
abrique le pain de la journée. Elle répand
quelques poignées de grain sur une dalle
oblongue, creusée légèrement à la
face supérieure, puis les écrase avec
une pierre plus petite en forme de
molette, qu'elle mouille de temps en
temps. Une heure et plus, elle peine
des bras, des épaules, des reins, de
out le corps : l'effort est grand et le
résultat médiocre. La farine, ramenée à plu-
sieurs reprises sur le mortier rustique, est lourde, inégale, mélangée de son et
de grains entiers qui ont échappé au pilon, souillée de poussière et d'éclats de
pierre. Elle la pétrit avec un peu d'eau, y incorpore en guise de levain un
morceau de pâte rassise de la veille, et en façonne des galettes rondes,
épaisses comme le pouce, larges d'environ dix centimètres, qu'elle étale
sur un caillou plat et qu'elle recouvre de cendre chaude. Le pain, mal levé,
souvent mal cuit, emprunte, au combustible animal sous lequel il est resté
enterré, un fumet particulier et un goût sur auquel les étrangers ne s'accou-
tument pas sans peine. Les impuretés qu'il contient triomphent à la longue de
la denture la plus solide : on le broie plus qu'on ne le mâche, et il n'est pas
rare de rencontrer des vieillards dont les dents se sont usées graduellement
jusqu'au ras des gencives, comme celles d'un âne ou d'un bœuf hors d'àges.
I. Flinders Pltrie, Kahun. Gurob and flawara, p. il-iti. et [llahitn, Kahun and Gurob, p. 8-11,
li-13. La vaisselle de terri! est beaucoup plus fréquente que relie de brome.
t. Deitin de Beuditr, d'aprèi une photographie de lléchard (cf. Maiiieïtb, Album photographique
du Mutée de lloutaq, pi. W; M.spebo, Guide du Visiteur, p. ÎÏO, n- 101Î-10I3).
3. La description de la femme broyant et pétrissant est faite d'après les statues du Munéc de Gï*éh
M.IMETTI, Notice det principaux monuments, IBM. p. tivt, n" 30-35, et Album photographique du
LES FETES SOLENNELLES. 341
Le mouvement et l'animation ne manquaient pas à certaines heures du
jour, le matin surtout, dans les marchés ou au voisinage des temples et des
hôtels d'administration : partout ailleurs la circulation était rare, la rue silen-
cieuse, la cité morne et comme endormie. Elle ne s'éveillait complètement que
trois ou quatre fois l'année, au temps des panégyries solennelles « du ciel et
de la terre * : alors ses maisons s'ouvraient et versaient leur population
au dehors, le tumulte de la vie emplissait les places et les carrefours. C'était
d'abord le jour de l'an, et, bientôt après, la fête des morts, YOuagatl. La nuit
du 17 Thot, les prêtres allumaient devant les statues, dans les sanctuaires et
dans les chapelles funèbres, le feu dont les dieux et les doubles devaient se ser-
vir pendant les douze mois suivants. Presque au même instant, le pays entier
ituite de Boulai/, pi. M; XxHKBo, Guide du VUileur, p. 440, 11» 1014-1013). Tous le» musées d'Kurope
possèdent ries échantillons nombreux du pain dont je parle (Ch ahkilliom, Holke deicriptiie de»
monument! du Mutée Egyptien, 1847, p. 87), et l'eUH qu'il produit à la longue sur les dénis ries
personnes qui s'en nourrissent a été observé direetement sur le* momies dru plus hauls personnages
(11 Mttlu), tel Monnet royale! de Dtir el-Bahari. dans les Mémoire» de la Mitt-inn Française, -l. I, |i. .'iXI).
I. Dettin de Faiirher-Cudin. d'aprei un tableau de la tombe de K/uitmmholpou à lleiti-tlaitaii
(cf. CnmpniiioK, Monument* de l'Egypte et de la Xubir, pi. IXCI.XXXI bit, i; IWklimi, Monument!
eirili, pi. XI.I, fi; Lepsiis, Denktn., Il, iâli). C'est le métier <|ui avait été reconstruit eu ISSU pour
l'RipatitlOD universelle, et qui est déposé aujourd'hui dans les galeries du Trocadéro.
322 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
s'illuminait d'un bout à l'autre : il n'y avait famille si pauvre qui ne plaçât
devant sa porte la lampe neuve où brûlait une huile saturée de sel, et qui ne
veillât jusqu'à l'aube en repas et en conversations1. Les fêtes des dieux vivants
attiraient une foule considérable, et non seulement des nomes les plus pro-
ches : on y venait de fort loin, par caravanes ou sur des bateaux chargés de
marchandises, car le sentiment religieux n'en excluait pas l'intérêt commer-
cial, et le pèlerinage s'y terminait en foire. Ce n'étaient durant plusieurs
jours que prières, sacrifices, processions où les fidèles, vêtus de blanc et la
palme à la main, escortaient les prêtres en chantant des hymnes. « Les dieux
du ciel en poussent des Ah! ah! de contentement, les habitants de la terre
sont pleins d'allégresse, les Hâthors battent leur tambourin, les hautes dames
agitent leurs fouets mystiques, tous ceux qui se trouvent dans la ville sont
ivres de vin et couronnés de fleurs, les artisans de la cité se promènent en
joie, la tête parfumée d'huiles odorantes, tous les petits jubilent en l'honneur
de la déesse, du lever du soleil à son coucher*. » Les nuits étaient aussi
bruyantes que les jours : on rachetait vaillamment en quelques heures de
longs mois de torpeur et de vie rangée. Le dieu rentré au temple et les pèlerins
partis, la routine reprenait ses droits et se traînait sans diversion que le mar-
ché de chaque semaine. Ce jour-là, de grand matin, les paysans arrivaient
des campagnes environnantes en files interminables et s'installaient sur
quelque place réservée à leur usage de temps immémorial. Les moutons,
les oies, les chèvres, les bœufs aux larges cornes se groupaient au centre en
attendant l'acheteur. Les maraîchers, les pêcheurs, les chasseurs d'oiseaux et
de gazelles, les potiers, les petits artisans, s'accroupissaient sur les bas côtés
et le long des maisons, et présentaient à la curiosité des pratiques leurs mar-
chandises entassées dans des couffes en joncs ou empilées sur des guéridons
bas, légumes et fruits, pains ou gâteaux cuits de la nuit, viande crue ou
accommodée de façon diverse, des étoffes, des parfums, des bijoux, tout le
nécessaire et tout le superflu de la vie journalière. L'occasion s'offrait favorable
aux ouvriers comme aux bourgeois de s'approvisionner à meilleur compte que
dans les boutiques ouvertes à demeure, et ils en profitaient selon leurs moyens.
1. La nuit du 17 Thot — qui serait pour nous la nuit du 16 au 17 — était, comme on le voit d'après la
Grande Inscription de Siout (I. 36 sqq.), désignée pour la cérémonie d'Allumer le feu devant les statues
des morts ou des dieux. Comme à la Fête des Lampe 8 dont parle Hérodote (II, lxu), l'office reli-
gieux était accompagné d'une illumination générale qui durait toute la nuit; elle devait avoir pour
objet de faciliter aux âmes des morts la visite qu'elles étaient censées faire alors à la maison de famille.
2. DCmichen, Dernier a, pi. XXXVI11, 1. 15-19. C'est ce que l'on appelait assez crûment à Dendérak
la Fêle de tlvretse. Ce que nous savons des époques plus anciennes nous autorise à généraliser
cette description et à l'appliquera toutes les fêtes des villes autres que Dendérah, comme je l'ai fait ici.
LES MARCHÉS À RETOUR PÉRIODIQUE. 323
Le trafic se faisait surtout par échange1. Les acheteurs apportaient avec eux
quelque produit de leur travail, un outil neuf, des souliers, une natte, des
pots d'onguent ou de liqueur, souvent aussi des rangs de cauries et une petite
boîte pleine d'anneaux en cuivre, en argent, même en or, du poids d'un tabnou,
qu'ils se proposaient de troquer contre ce dont ils avaient besoin*. Quand il
s'agissait d'un animal de forte taille ou d'objets d'une valeur considérable,
les débats duraient âpres et tumultueux : il fallait tomber d'accord non
seulement sur la quotité, mais sur la composition du prix, et dresser, en guise
de facture, un véritable inventaire où des lits, des cannes, du miel, de l'huile,
des pioches, des pièces d'habillement, figurent comme équivalents d'un taureau
ou d'une ânesse8. Le petit commerce de détail n'exigeait pas autant de calculs,
ni aussi compliqués. Deux bourgeois se sont arrêtés au même instant devant
un fellah qui expose des oignons et du blé dans un panier. Le premier paraît
ne posséder d'autres fonds de roulement que deux colliers en perles de verre ou
de terre émaillée multicolore; le second brandit un éventail arrondi à manche
de bois et un de ces ventilateurs triangulaires dont les cuisiniers se servent
pour attiser le feu. « Voici un beau collier qui vous agréera, s'écrie l'un, c'est
juste ce qu'il vous faut » ; et l'autre : « Voici un éventail et un ventilateur ».
Cependant le fellah ne se laisse nullement déconcerter par ce double assaut,
et, procédant avec méthode, saisit un des colliers afin de l'examiner à loisir :
« Donne voir, que je fasse le prix ». L'un demande trop, l'autre offre trop
peu : de concession en concession, ils finiront par s'accorder et par trouver le
nombre d'oignons ou la mesure de grain qui répond exactement à la valeur du
collier ou de l'éventail. Plus loin, le client veut acquérir du parfum contre
une paire de sandales et vante son bien en conscience : « Voici, dit-il, une
paire de souliers solides ». Mais le marchand ne songe pas à se chausser
1. Les scène» de bazar ici décrites sont empruntées à une tombe de Saqqarah (Lkpsics, Denkm., II,
96). Signalées en 1876 à mon cours du Collège de France, et reproduites parmi les tableaux de mœurs
égyptiennes que Mariette rassembla à l'Exposition universelle de 1878 (Mariette, la Galerie de V Egypte
ancienne à l'Exposition rétrospective du Trocadéro, p. 41), je les publiai, vers le même temps, dans
la Gazette Archéologique , 1880, p. 97 sqq. M. Chabas y avait reconnu de son côté des scènes de
bazar (Recherches sur les Poids, Mesures et Monnaies des Anciens Egyptiens, p. 15-16), mais sans
en comprendre entièrement le mouvement et la composition.
2. Le nom lu outnou, ten, depuis les travaux de Chabas doit se lire tabnou (W. Spiegelberg, Die
Lesung des Gewichtes tabnou, dans le Recueil de Travaux, t. XV, p. 145-146). Les recherches de
M. Chabas (Note sur un Poids égyptien de la collection de M. Harris a" Alexandrie, dans la Revue
Archéologique, 1861, 2# sér., t. 111, p. 12 sqq.; Détermination métrique de deux Mesures égyp-
tiennes de capacité, 1857; Recherches sur les Poids, Mesures et Monnaies des Anciens Égyptiens,
dans les Mémoires de V Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Savants étrangers, t. XXVII) ont
établi que le tabnou avait un poids moyen variant entre 91 et 92 grammes; elles ont été confirmées
par les pesées de M. Flinders Pétrie, à quelques menues différences près.
3. On trouvera plusieurs factures de ce genre traduites dans Chabas, Recherches sur les Poids, Me-
sures et Monnaies des Anciens Égyptiens, p. 17 sqq. Elles sont toutes de la XX* dynastie et appar-
tiennent au British Muséum (S. Birch, Inscriptions in the Hieratic and Demotic Character, pi. XVI,
S24 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE,
en ce moment, et réclame un rang de cauries pour ses petits pots : « Voici
qui est délicieux quand on en répand quelques gouttes ». explique-t-il d'un
air persuasif. Une femme pousse sous le nez d'un personnage accroupi deux
jarres qui contiennent probablement quelque
onguent de sa façon : « Voici qui fleure
assez bon pour t'afFriander. » Derrière ce
groupe, deux hommes débattent les agré-
ments relatifs d'un bracelet et d'un paquet
d'hameçons; une femme, coffret en main,
discute avec un marchand de colliers; une
autre essaye d'obtenir un rabais sur le prix
d'un poisson qu'on pare devant elle.
L'échange contre métal nécessite deux ou
trois opérations de plus que le troc ordi-
naire. Les anneaux ou les lamelles pliées
qui représentent le tabnou et ses multiples1
ne contiennent pas toujours la quantité d'or
ou d'argent réglementaire et sont souvent
trop légers. 11 faut les peser à chaque
transaction nouvelle pour en estimer la
valeur réelle, et les parties intéressées ne
manquent guère si belle occasion de se dis-
puter chaudement : quand elles ont bien
un quart d'heure durant, que la balance marche mal, que la pesée a été
faite négligemment, qu'on devrait la recommencer, elles s'entendent de guerre
lasse, puis elles s'en vont à peu près satisfaites l'une de l'autre1. Il arrive
n" 5U33, 5fi3fi|. La facture du taureau (S. Birck, Intcription» in the HieratU and Démolie VJiararter,
pi. XV. n' 5649) a clé traduite et commentée par M. Chabas dans ses Mélimgri Égyptologiqun,
3* lit., t. I, p. 111 sqq. La facture de l'ànesse est conservée sur l'ostracon 6i41 de Berlin: elle
a été signalée par Emus, iF.gypttn und /Egyplûchet l.eben im Altertum, p. S">7-658.
1. Les anneaux d'or du Musée de Lcyde (Lfniis, Monument» ÈgyptUut, t. Il, pi. XLI, n- US), fui
sont des anneaux d'échange (Bbahms, fin» ^f lin;- Sfait- und Geœiehtiweten in Vordcr-Anien, p 84).
sont taillés sur le type chaldéo-habylonicn et appartiennent au système asiatique (Fa. Li.wmi.ii, la
Monnaie dam l'Antiquité, t. I, p. 103-104). Il faut peut-être eu conclure avec Fr. I.enormant {op. !..
p. ItM-IO.ï) que le seul type national du métal d'échange en figyple était le fil ou la lamelle de cuivre
repliée »=■■ ^=, qui >crt toujours à écrire le nom du taOnou dans les hiéroglyphe*.
ï. Dettin de Fauclter-Gudin, d'aprèi un croquii de Rosullisi, Monumenti eicili, pi, LU. 1. Sur la con-
struction de la balance égyptienne et sur l'agencement des diverses parties qui la composent, voir les
observations de Kl. Pkihic. A Se/won in Egypt, p. tî, cl le» dessins qu'il a réunis pi. XX du même ouvrage.
3. La pesée des anneaui est souvent représentée sur les monuments à partir de la XVIII' dviiastie
(I.epsius, Denkm., III, 10 fl, 30 a, d, etc.). Je n'en connais encore aucun exemple sur les bas^rclieff
de l'Ancien Empire. Les pesées fausses sont visées dans l'article de la Confection négative, où le
mort déclare qu'il n'a point faussé le fléau de la balance (cf. p. 18!) de cette Ilittoire).
n
326 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
parfois qu'un individu trop intelligent ou trop peu scrupuleux falsifie les
anneaux et mêle aux métaux précieux autant de métal vil qu'ils peuvent en
supporter sans trahir la fraude. L'honnête marchand qui pense recevoir en
payement d'un objet, disons huit tabnou d'or fin, et à qui l'on passe habile-
ment huit tabnou d'un alliage ayant les apparences de l'or mais contenant un
tiers d'argent, perd du même coup, sans s'en douter, presque un tiers de sa
marchandise. La crainte du faux contribua longtemps à restreindre l'emploi
des tabnou parmi le peuple, et maintint sur les marchés la vente et l'achat par
échange de produits naturels ou d'objets fabriqués à la main.
La population rurale de l'Egypte ne vit guère dans des fermes isolées
et clair-semées sur le sol : elle se concentre presque entière dans des
hameaux et dans des villages assez étendus, divisés en quartiers qu'un espace
considérable sépare quelquefois1. Il en était de même autrefois et qui veut
se figurer un bourg ancien n'a qu'à visiter l'un quelconque des bourgs moder-
nes qui s'échelonnent le long de la vallée : une demi-douzaine de maisons
assez bien construites, où logent les gens les plus considérés de l'endroit, un
amas de chaumières en briques ou en pisé, si basses qu'un homme debout
y touche presque le toit de sa tête, des cours encombrées de bâtisses en terre
rondes et hautes où l'on serre précieusement le blé et la dourah du ménage,
et partout des pigeons, des canards, des oies, des troupeaux pêle-mêle avec
la famille. La plus grande partie des paysans étaient de condition inférieure,
mais sans subir partout le même degré de servitude. Les esclaves proprement
dits venaient de l'étranger ; on les avait achetés aux marchands du dehors,
ou ils avaient été saisis dans une razzia et avaient perdu leur liberté par le
sort des armes*. Le maître les déplaçait, les vendait, usait d'eux à son gré, les
poursuivait s'ils réussissaient à s'enfuir, et exerçait le droit de les reprendre
partout où on lui signalait leur présence. Ils travaillaient pour lui aux ordres
de ses intendants, sans salaire régulier et sans espoir de recouvrer la liberté3.
1. Maspero, Études Égyptiennes, t. Il, p. 161, 172.
2. La première mention de ces prisonniers de guerre ramenés en Egypte se rencontre dans la biogra-
phie d'Ouni (I. 26-27). La manière dont on les répartissait entre les chefs et les soldats est
indiquée dans plusieurs inscriptions du Nouvel Empire, dans celle d'Ahmcs Pennekhabft (Lepsiits,
Auswuhl der wichtigsten Urkunden, pi. XIV a, I. 5, 7, 10; cf. Prisse d'Avennes, Monuments de
l'Egypte, pi. IX, et surtout Maspero, Notes sur quelques points de Grammaire et d'Histoire, dans la
Zeitschrifl, 1883, p. 77-78, où un texte plus complet est donné), dans celle d'Ahmosis si-Abina
(Lepsiits, Denkm., 111, 12, où l'une des inscriptions contient une liste d'esclaves, quelques-uns étran-
gers), dans celle d'Amcnemhabi (Ebers, Zeit und Thaten Tut mes III, dans la Zeitschrifl, 1873, p. 1-ïi
et 63 sqq.). On peut juger du nombre d'esclaves que l'Egypte renfermait par ce fait que Kamsès III
en donna 113 433 aux seuls temples, pendant une trentaine d'années (Brugscr, Die JZgyptologie .
p. 264-265, Erxan, Mgyplen, p. 406). Les Directeurs des esclaves royaux occupaient un rang élevé à
la cour des Pharaons de toutes les époques (Maspero, Etudes Égyptiennes, t. II, p. 8, 39.
3. Une scène reproduite par Lepsius (Denkm., Il, 107) nous montre, vers la VI* dynastie, la moisson
LES VILLAGES, LES SERFS ET LES PAYSANS LIBRES. 337
Beaucoup se choisissaient des concubines de leur classe ou se mariaient
dans le pays et faisaient souche : au bout de quelques générations, leurs des-
cendants, assimilés aux indigènes, n'étaient plus que de véritables serfs atta-
chés à la glèbe et qu'on cédait ou qu'on échangeait avec elle1. Les proprié-
taires, seigneurs, rois ou dieux, logeaient ce monde soit dans des dépôts
attenant à leur résidence1, soit dans des villages qu'ils fondaient exprès et
où tout leur appartenait, cabanes et peuple. La condition des cultivateurs
libres devait rappeler par bien des côtés celle du fellah moderne. Certains
ne possédaient d'autre bien qu'une cahute en boue juste assez large pour eux
faite pur les eiclaiet royaui. de concert avec les triunr iers du mort (Xashio, Eluda Égyptienne!,
t. Il, p. tin). Un des petits prioces h»:i.i- par l'Ethiopien Pionkhi Minitioun tic proclame • un dp»
etclaret royaux qui payent une redevance en nature au trésor royal ■ (E. ra Hoigê, la Stèle du rot
éthiopien Piûnkhi-Meriamen. p 81, I. S) Ainlen parle à plusieurs reprises d'esclaves de ce genre,
loutùiu (M.tspERO, Etude» Egyptienne*, t II. p 16H. I 13, p. 411, I. 4).
I. (l'est la condition des serfs, mirl'c". dans les telles de toutes les époques. Ils sont énumérés entre
les champs et les bestiaux dépendant d'un temple ou duo seigneur. Bnmsès II concède au temple d'Aby-
dos « un apanage en terres cultivées, en serfs ^urttiou), en bestiaux ■ (Mikieïtr, Abydoi, t. I.
pi. VU, I. lt). Le scribe Anna voit daos son tombeau . les étnbles des taureaux, des bœufs, des
veaux, des vaches nourrices, ainsi que les serfs de la mainmorte d'Aman • (But,sci, Recueil de
Monument», I. I, pi. XXXVI, t, I. l-i). Ptolcinée I" rend au temple de Boulo . tes domaines, les
bourgs, les serfs, les labours, les eaux, les bestiaux, les oïes, les troupeaux, foutes les choses ■ que
Xerxès avait enlevées a Khnbbisha (M.siirrK, Monumeutë direri, pi. XIII, I. 13-11). L'expression avait
passé dans la langue pour rendre l'état des peuples soumis : • Je Tais, disait Thoutmosis III, que l'Egypte
soit une suicraine, Atrff, à qui toute la terre est serve, mirltou • (Baitscn, Dict. Hier., p, IÎ7Î-U73).
t. Datin de Boudirr, d'aprét une photographie de Béalo, priée en 1886.
3. Les ârrttau, si souvent nommés dans les textes, et les pi-habau servaient à'ergtutules cl
renfermaient, entre autres personnes, les esclaves des' rois et des dieux (Brucsck, Dîct. Hier.,
p. 7*8-761»; cf. Maïpiho. Etudes Egyptienne; t. Il, p. Î3-3H, et les Hypogée* royaux de Thebei, p. !6).
328 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
et pour leur femme, et s'engageaient au jour ou à Tannée comme valets de
ferme1. D'autres s'enhardissaient à louer les terres du seigneur ou d'un soldat
voisin 4. Les plus heureux acquéraient des domaines dont ils étaient censés
n'avoir que l'usufruit, la propriété absolue restant toujours entre les mains de
Pharaon d'abord, puis des feudataires laïques ou religieux qui la tenaient
de Pharaon : ils pouvaient d'ailleurs les léguer, les donner, les vendre, en
acheter de nouveaux sans opposition3. Us payaient, outre la taxe personnelle,
un impôt foncier proportionné à l'étendue de leur fonds et à la qualité des
terres qui le composaient4. Ce n'est pas sans raison que l'antiquité entière
attribua l'invention de la géométrie aux Égyptiens5. Les empiétements perpé-
tuels du Nil et ses déplacements, la facilité avec laquelle il efface les marques
des champs et modifie en une saison d'été la physionomie d'un canton les
avaient obligés de bonne heure à mesurer d'une précision rigoureuse le sol qui
les nourrissait8. Ils soumettaient le territoire de chaque ville et de chaque
nome à des opérations répétées d'arpentage qui, recueillies et coordonnées par
l'administration royale, permettaient à Pharaon de connaître exactement la
superficie de ses Etats. L'unité dont ils se servaient était l'aroure, c'est-à-dire
un carré de cent coudées de côté comprenant en chiffres ronds vingt-huit ares.
Un personnel considérable de scribes et d'arpenteurs s'occupait sans cesse à
vérifier ou à renouveler les mesures anciennes et à noter les changements sur
les registres de l'Etat7. Chaque propriété était limitée par une ligne de stèles
1. Us sont mentionnés au Papyrus Sallier n° II, p. V, 1. 7-9; cf. Maspkro, le Genre Épistolaire, p. 'M.
2. Diodork, I, 74. Sur le bail des terres royales ou autres à l'époque ptolémaïquc, voir ce que dit
Li'xbroso, Recherchée sur C Economie politique de V Egypte, p. 94-95.
3. Amten avait hérité un domaine de son père (Maspero, Etudes Égyptiennes, t. II, p. 238-239). 11
donna cinquante aroures à sa mère (id., p. 228-230) et d'autres terres à ses enfants (cf. p. 294 de cette
Histoire). C'est de ces propriétaires qu'Amoni, prince de Mihit, parlait quand il disait que « les maître*
de champs devenaient maîtres de toute espèce de biens », devenaient riches grâce à sa bonne admi-
nistration (Maspero, la Grande Inscription de Beni-Hassan, dans le Recueil, t. I, p. 174).
4. La capitation, l'impôt foncier, l'impôt sur les maisons du temps des P toi é niées, existaient déjà
sous les Pharaons indigènes. Brugsch (Die Mgyptoloyie, p. 297-299) a montré que ces taxes sont
mentionnées dans une inscription du temps d'Amenôthès 111 (Mariette, Karnak, pi. XXXVII, 1. 3i).
5. Hérodote, II, cix ; d'après Platon (Phèdre, § MX, éd. Didot, t. I, p. 733), Thot aurait été l'inventeur de
la géométrie; Jambliqi k (Vie de Pythagore, § 29) fait remonter la découverte au temps des dieux.
6. Skrvits, Ad Virgilii Eclog. III, 41 : « inventa enim ha?c ars est te m porc quo Nilus. plus spquo
crescens, confudit terminos possessionum, ad quos imiovandos adhibiti sunt philosophi, qui lineis
diviserunt agros : inde geometria dicitur ».
7. Une série d'inscriptions d'Edfou, publiée et interprétée par Lepsius (Ueber eine hieroglyphische
Inschrift a m Tcmpel von Edfu, Apollinopolis Magna, in welcher der Besitz dièses Tempels an Lânder-
cien unter der Regicrung Ptolem&us VI Alcxander I verzeichnet ist, dans les Mémoires de l'Académie
des Sciences de Berlin, 18.'»;), p. 69 sqq.) et récemment par Brugsch (Thésaurus Inscriptionum &gyplia-
carum, III, p. ;>31-C07), nous montre ce que devaient être ces registres du cadastre. On trou\era quel-
ques renseignements sur l'organisation du service et sur le personnel dans le Thésaurus de Brugsch
p. 592 sqq.. On voit par les termes mêmes de la grande inscription de Bcni-Hassan (I. 13-58, 131-148)
que le cadastre existait dès la plus haute antiquité : on s'y réfère à des opérations antérieures. On
trouve une scène d'arpentage au tombeau de Zosirkcrlsonbou à Thèbes, sous la XVIIIe dynastie. Deux
personnages mesurent un champ de blé au mo\cn d'une corde; un troisième enregistre le résultat du
travail (Scheil, le Tombeau de Baserkasenb, dans les Mémoires de la Mission Française, t. V).
LES DOMAINES RURAUX. LE CADASTRE. 329
qui portaient souvent le nom du possesseur actuel et la date du dernier bor-
nage1. Sitôt constituée, elle recevait un nom qui faisait
d'elle comme une personne vivante et îndépci
liante'. Il marquait parfois la nature du sol,
sa situation ou quelqu'un des accidents qui le
rendaient remarquable, le Lac du Sud3, le
Pré Oriental1, Vile Verte1, la Mare aux Pê-
cheur»*, la Saussaie, le Vignoble1, la Treille*,
le Sycomore'; souvent aussi il rappelait le
premier maître ou le Pharaon sous lequel
il avait été créé, la Nourrice-Phtalthotpou" ',
la Verdure-Khéops'\ le Pré-Didifri", VAbon-
dance-Sahouri ", Khâfrî- Grand • parmi -les -
Doubles". Une fois donné, il persistait durant
des siècles, sans que ni les ventes, ni les
partages, ni les révolutions, ni les change-
ments de dynasties pussent le faire oublier'".
Le service du cadastre l'inscrivait sur ses livres w
en même temps que le nom du propriétaire, celui
des propriétaires limitrophes, la contenance et la nature du terroir. On
1. La gronde inscription de Béni-Hassan nous parle des slèlos qui bornaient la principauté de la
Gazelle au Nord et au Sud (I. Î1-Ï4, 31-3», 47-49) et de celles qui jalonnaient dans la plaine la limite sep-
tentrionale du nome du Chacal (I, 139); noua eu possédons trois encore au moyen desquelles Amend-
thès IV indiqua les points estremea Mu territoire de sa ville nouvelle Khoulniaton (Prisse d'Avesbbs,
Monument! de f Egypte, pi. XIII-XV; Lepsius, Detikm., III, 91 a, 119 b; Darebsv, Tombeaux et ttèlet-
timilei de Hagi-Kandil, dans le Recueil de Travaux, t. XV, p. 36-6!). Outre la stèle ri-dessus, on eu con-
naît deux de la XII' dynastie qui limitaient une propriété particulière, et qui sont reproduites l'une
à la planche 106, l'autre dans le 7>-rt«des Monuments divers, p. 30, puis celle de Bouhani sous Thout-
inosis IV (Csu». Sleits front Wadg Hatfa, dans les Proceedings, t. XVI, 1803-1894, p. 18-19).
1. Pour la constitution de ces domaines, voir Masmro, Sur le sens des mott Nouil et Huit, p. i nqq.
(extrait des Proceedingt de la Société d'Archéologie Biblique, 1889-1801), t. XII, p. Î3ti sqq).
3. Mariette, let Mastabas de l'Ancien Empire, p. 311, sous Ousirkaf, au tombeau de Sannouénkhou.
4. Mariette, la Mastabas de l'Ancien Empire, p. 300, sous Sahourl, au tombeau de Pirsenou.
5. Mariette, tes Mastabas de F Ancien Empire, p. 474, sous Ousirkaf, au tombeau de Sannouonkhou.
0. Mariette, les Mastabas de l'Ancien Empire, p. .117, au tombeau de Noflrm&It à Méldoum, bous
Snofroui, vers la lin de la III* et vers le commencement de la IV* dynastie Memphile.
7. Mariette, les Mattabat de f Ancien Empire, p. 181, 186, aux tombeaux de Kamrt el de Khonou.
8. Lapsus, Denkm., Il, 61, au lombeau de Shopsisourt.
9. I.epsil'h, Denkm., II, 46, 47 ; Mariette, les Mastabas de l'Ancien Empire, p. 186. Î76, 3Ï5.
10. Mariette, tes Mastabas de l'Ancien Empire, p. 353, sous Assi, au lombeau de Ptahholpou,
11. Lifsiis, Denkm-, II, 43, sous Khéphrén, au tombeau de Sait h lia boui bol pou.
lî. Mariette, les Mastabas de l'Ancien Empire, p. 300, sous Sahourl, dans le lombeau de Tirscnou.
13. I.e-sius, Denkm., II, 80; Mariette, les Mastabas de l'Ancien Empire, p. 306.
14. Lepsius, Denkm., Il, 11, au tombeau de Niboumkhoult sous Khéphrén.
15. *a"es<i, Sur le sens des mott Nouttet Hâtt, p. ll-lâ (dans les Proceedingt delà Société d'Archco-
loeie Biblique de Londres, 1. XII, 1889-1890, p. S46-Ï47), d'où cetle nomenclature est tirée.
16. Destin de Faucher-Gudin, d'après la photographie de Mariette, Monument! divert, pi. 47 a. La
stèle marquait la limite du domaine donné à un prêtre d'Amon-Thébain par le Pharaon ThoutmosislV
de la XVIII* dynastie : l'original est déposé aujourd'hui au Musée de Giich.
41
330 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
notait, à quelques coudées près, ce qu'il renfermait de sables, de marais ou
d'étangs, de canaux, de bouquets de palmiers, de jardins ou de vergers, de
vignobles, de terre à blé1. Celle-ci à son tour se partageait en plusieurs
classes, selon qu'elle était inondée régulièrement ou qu'elle était placée
au-dessus des plus hautes eaux, partant soumise à un régime plus ou moins
coûteux d'irrigation artificielle. C'étaient autant de données dont les scribes se
prévalaient pour asseoir solidement l'impôt foncier.
Tout porte à croire qu'il représentait la dîme du produit brut, mais celui-ci
ne restait pas constant1. Il dépendait de la crue annuelle et en suivait le mou-
vement avec une fidélité presque mathématique : trop d'eau ou pas assez,
il diminuait aussitôt et pouvait même se réduire à rien dans les cas extrêmes.
Le roi dans sa capitale, les seigneurs dans leurs fiefs avaient établi des nilo-
mètres où, pendant les semaines critiques, on relevait chaque jour la hauteur
du flot montant ou descendant. Des messagers en répandaient la nouvelle
par le pays : le peuple, instruit régulièrement de ce qui se passait, savait
bientôt à quoi s'en tenir sur les chances de l'année et pouvait calculer ce qu'il
aurait à payer, à peu de chose près8. En théorie, la perception de l'impôt s'éta-
blissait sur la quantité réelle de terres couvertes, et le rendement en variait sans
cesse. Dans la pratique, on prenait pour le régler la moyenne des années précé-
dentes et l'on en déduisait un chiffre fixe dont on ne s'écartait que dans des
circonstances extraordinaires*. Il fallait que l'année fût bien mauvaise pour
qu'on se décidât à baisser la cote : l'État ancien ne répugnait pas moins que
l'État moderne à retrancher quoi que ce fût de sa fortune5. Le payement était
exigible en blé, en dourah, en fèves, en productions des champs, qu'on entas-
1. Voir dans la grande inscription de Béni-Hassan le passage où sont cnumérées tout au long, comme
dans une pièce juridique, les parties constitutives de la principauté de la Gazelle, • ses eaui, ses
champs, ses arbres, ses sables, du fleuve à la montagne de l'Ouest » (1. 46-53).
2. L'impôt du dixième est indiqué sur l'inscription de Philae (Lepsius, Deiikm., IV, £7 b) pour
l'époque des Ptolémées (Brugscr, Die AZgyptologie, p. 266-267), et tout semble prouver qu'il existait
déjà sous les plus anciens Pharaons (Lumbroso, Recherches sur V Économie politique, p. 288 sqq.).
3. Diodork de Sicile, I, 36; Strabox, l. XVII, p. 817, qui cite les deux nilomètres de Memphis et
d'Éléphantinc ; Héliopore, Mthiopica, 1. IX, parle du nilomètre qui avait été décrit par Strabon, mais
qu'il place à Syène. Sur les nilomètres, cf. Girard, Mémoire sur le Nilomètre de tile (V Eléphant ine et
les Mesures égyptiennes (dans la Description de l'Egypte, t. II, p. 1-96), et Marcel, Mémoire sur le
Meqyas de Vile de lioudah (dans la Description de l'Egypte, t. XIV, p. 1-135, 387-582). Chaque
temple avait son puits qui lui tenait lieu de nilomètre ; le puits du temple d'Edfou servait à cet usage.
4. Le fait nous est connu pour l'époque romaine par un passage de l'édit de Tibère Alexandre
(1. 55-56). La pratique en était si naturelle que je n'hésite pas à la faire remonter jusqu'au temps de
l'Ancien Empire: sans cesse condamnée, comme étant de mauvaise administration, elle devait renaître
sans cesse. A Béni-Hassan, le noraarque Amoni se vante (1. 21), • lorsqu'il y avait eu des Nils abon-
dants et que les propriétaires de blé et d'orge s'enrichissaient, de ne pas avoir augmente les cotes de
contribution du sol », ce qui semble bien prouver que, pour son compte, il avait attribué à la taxe
sur les terres un chiffre fixe qui devait répondre à la moyenne des années bonnes ou mauvaises.
5. Les deux décrets de Rosette (I. 12-13, 28-29) et de Canope (1. 13-17) font pourtant mention de
remises accordées par les rois Ptolémées à la suite d'une crue insuffisante du Nil.
L'IMPOT SIR LA TERRE ET SUR LES CULTIVATEURS. 331
sait dans les entrepôts du canton'. H semble qu'un prélèvement du dixième
ne grevât pas trop lourdement l'ensemble de la récolte et que le plus misé-
rable fellah dut être en position de se libérer sans gêne. Il n'en était rien pour-
tant, et les mêmes écrivains qui nous ont tracé un tableau lamentable de l'ou-
vrier des villes et de sa condition, nous peignent de couleurs plus sombres
encore les maux qui accablaient le campagnard. « Ne te rappelles-tu pas le
portrait du fermier, quand on lève la dîme des grains? Les vers ont emporté
moitié du blé, et les hippopotames ont mangé le surplus, il y a force rats aux
champs, les sauterelles s'y abattent, les bestiaux dévorent, les oisillons pillent,
et, si le fermier perd un moment de vue le reste qui est sur le sol, les voleurs
l'achèvent8; cependant les attaches qui maintiennent le fer et la houe sont
usées, et l'attelage est mort à tirer la charrue. C'est alors que le scribe débar-
que au port pour lever la dîme, et voilà les gardiens des portes du grenier
avec des gourdins et les nègres avec des nervures de palmier qui vont criant :
« Ça, le blé! » II n'y en a point, et ils jettent le cultivateur à terre tout de son
long; lié, trainé au canal, ils l'y ruent la tète la première*, et sa femme est liée
1. I." inscription de Rosette nous montre l'impôt payé on blé, en toile ou en ïin (I. Il, U-J5, 28-31),
même au temps ries Ptolémées, quand l'usage de la monnaie s'était répandu en P.Kjple. Voir dalla
Wilcken [Die tlrittchitchtn Ostraka, dans les lahrbuch dei t'ereini von AlterlumifTeunde in Rheîn-
land, t. I.XXXVI, p. J40-445) ries quittances d'époque romaine, où l'impôt est payé en blé et en orge.
t. Dettin de Faucher-Gudin, itaprèi un tableau de Heni-Haitan (cf. Cmàhtolliob, Monumenlr,
pl.CCCXC,.l-CCCXCI,l;RosiaLm,jhVtn«mri[(iriei'ff, pi. CXXIV,*). Ce tableau et les suivants représentent
un recensement dans la principauté de la Gazelle, aaus la XII' dynastie, aussi bien qu'une levée d'impût.
3. Le trait de mœurs signalé ici s'est perpétue jusqu'à non jours. Pendant toute une partie de
l'année, les fellahs vont passer la nuit dans leurs champs; «'ils n'y veillaient point, les voisins n'hési-
teraient pas à venir couper leurs blés avant la récolle ou arracher leurs légumes encore verts,
4. Le même genre de torture est signalé dans le décret d'Ilarmhabi (Recueil de Travaux, I, VI.
p. 44, I. 46) où l'on représente les soldats indisciplinés, ■ courant do maison en maison, distribuant
les coups de bâton, plongeant les fellahs dans l'eau ta tète en bas, et ne leur laissant point la peau
intacte » (fisrflsci. Die Aïgyptatogie , p. 87). C'est un procédé qui était récemment encore employé en
Egypte pour arracher de l'argent aux contribuables que les coups de bâton laissaient insensibles.
332 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
avec lui, ses enfants sont enchaînés; cependant les voisins le laissent et
s'enfuient pour sauver leur grain1. » On serait tenté de déclarer que l'esquisse
est poussée trop au noir pour être juste, si l'on ne savait d'ailleurs les façons
très brutales de remplir les caisses que l'Egypte a conservées jusqu'à nos
jours'. Gomme à la ville, le bâton facilitait les opérations du fisc dans les
campagnes : il ouvrait tôt les greniers du riche, révélait aux pauvres des res-
s qu'ils ne se connaissaient pas, et ceux-là seuls ne lui cédaient point qui
vraiment n'avaient rien à donner. Les insolvables n'en étaient pas quittes pour
avoir été assommés plus qu'à moitié : la prison les réclamait eux et leur
famille, et ils soldaient en travaux forcés le compte qu'ils n'avaient point pavé
en denrées courantes*. La perception se terminait d'ordinaire par une revision
rapide du cadastre. Le scribe constatait une fois de plus les dimensions et les
qualités des domaines afin de déterminer à nouveau la quotité de l'impôt dont
ils seraient chargés. 11 arrivait souvent en effet qu'un caprice du ?iil ensevelissait
sous une couche de gravier ou transformait en marais un terrain fertile encore
l'année précédente. Les propriétaires maltraités de la sorte étaient régulièrement
dégrevés d'autant ; quant aux fermiers, on ne diminuait point leurs impositions,
mais on leur attribuait sur le domaine royal ou seigneurial une étendue égale
à ce qu'ils avaient perdu et l'on reconstituait leur bien dans son intégrité1.
I. Papyrui Saltiern' I, pi. VI, I. î-S, Papyrm Ana'tati Y. pi. XV. I. H, XVI], 1. t; tî. Cm»«is-
Chims, Sur le» Papyrut kifiatigua (f article}, p. HM!); Mist>kbo, Du Genre Kpi'Maire chez les
Anrieiii Egyptien; p. 3K-1H ; Kfum. ATgypten. p. r.UO-n») ; BurcscH, Die. Mgyploloyw. p. H«.
S. Voirie tableau fidèle, malgré*on apparence romanesque, que trace d'une perception d'impôts en
Crypte, il y a quarante ans. sous Abbas-Pachn, CKABLEs-Knaofin, Zéphyrin Cniavan en Egypte, p. 395 sqq.
3. Druin de Faucher-Gudin, iCaprèi un tableau du lambeau de Khitl à Beni-Uattan (cf. Caa»M-
Lire.. ifanument* de l'Egypte, pi. CtCXt, i; ItOMlLWI, .Monument' cieili, pi. CXX1V, »).
t. Cela résulte du passade du Papyrus Sallirr n* /, cité plus haut, où l'on voit le contribuable lié.
traîné au nettoyage de» canau*. et sa famille entière enchaînée avec lui, femmes et enfants.
S. Hêkopois, 11, tu, qui attribue l'organisation de ce régime à l'inévitable Sésoalris de la légende.
LA BASTONNADE. 333
Ce que la collecte de l'impôt avait commencé, les corvées l'achevaient
presque toujours. Pour nombreux que fussent les esclaves royaux et seigneu-
riaux, ils n'auraient pas suffi à mettre en rapport toutes les terres domaniales,
et une partie de l'Egypte serait restée en jachère perpétuelle, si on ne leur
avait adjoint des auxiliaires de condition libre. On la divisait en portions de
dimensions égales qu'on distribuait entre les habitants des bourgs voisins par
les soins d'un Régent nommé à cet effet'. On dispensait du service agricole les
indigents, les soldats au corps et leur famille, certains employés des administra-
tions publiques, les domestiques des temples'; les autres campagnards y
étaient assujettis sans exception, et on leur adjugeait une ou plusieurs par-
celles, chacun selon ses forces*. Des ordres lancés à époque fixe les convoquaient
eux, leurs gens, leurs bêtes de somme, pour labourer, pour semer, pour mon-
ter la garde dans les champs tant que la moisson était encore sur pied, pour
faire et pour rentrer la récolte, le tout à leurs frais et au détriment de leurs
propres intérêts5. On leur réservait en guise d'indemnité un petit nombre de
1. Ces lots sont le» twwlT mentionnés si souvent dans les textes, et les gens qui étaient réquisition-
nés pour les mettre en valeur surit les AHodrior, nom qui s'applique par extension aux fermiers non
propriétaires. Les régent* — rnoor ahoi'Itioc — sont fréquemment cités sur les monuments du l'An-
cien Empire, ut Amton, dont j'ai raconté l'histoire (cf. p. ÏK0-Î9& de cette HMoire), Tut régent ou,
pour parler le langage à peu près équivalent de 1'Kgypte arabe, tnoutteitm, de terres royales cul-
tivées par la corvée (Msspp.ro, Étude* Égyptienne», I. II. p. 173-177).
i. Denin de Faucher-Gudin, d'âpre» un tableau du tombeau de Khiti à Beni-llaman (cf. Chahkil-
Mo*, Monument» de [Egypte, pi. CIXXC, i; HosEmii, Monumcnli avili, pi. CXXIV, »-»).
3. Que les scribes, c'est-à-dire tes employés de l'administration royale nu princière, fussent exempts
de la eorvéo, c'est ce qui ressort de l'opposition que les épistolîcrs des Papyrut Saltîer et Anailaii
instituent entre eux et les paysans nu les gens des autres métiers qui y étaient soumis. La circulaire
de Horion nous Tait connaître les catégories de soldats exemptées temporaire ment ou à tout jamais
tout les rois grecs (Luxnnoso, Del Papiro Greco LXIII del Louert tulla Seminatyira délie terre régie
in Egittu, p. 10 sqq. Extrait des Atti de l'Académie des Sciences de Turin, t. V, 18B11),
i. Plusieurs fragments des papyrus de Turin renferment des mémorandum* de corvées exécutées
pour les temples, et des séries de gens soumis à ce* corvées, i'.ne liste très complète se trouve dans un
Papyrus de la XX* dynastie, traduit par Cn«»*s, Mélange» Égyptologique», 3* sér., t. Il, p, 131-137.
5, Tous ces détails sont réglés à l'époque ptolcmafque dam la lettre à Horion, laquelle se réfère à
334 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
lots qu'on laissait incultes à leur intention1 : ils y envoyaient leurs troupeaux
au retrait de l'inondation, car les pâturages y étaient si gras que les brebis y
rendaient double portée et double tonte*. C'était encore une apparence de
salaire : la corvée d'irrigation ne leur apportait aucune compensation. Les
digues qui séparent les bassins, les canaux de distribution et d'arrosage qui les
sillonnent exigent un entretien perpétuel : il faut chaque année consolider les
uns, creuser et nettoyer les autres. Les hommes qu'on y emploie passent par-
fois des journées entières les pieds dans l'eau, ramassant la boue à deux
mains pour en emplir des couffes de feuilles tressées que les garçons et les
fillettes enlèvent sur la tête et emportent au sommet de la berge : la matière
à demi liquide filtre à travers le tissu du panier, se répand sur leur visage et
couvre promptement leur corps d'un enduit noir et luisant, horrible à voir. Les
shéîkhs président, activent le curage à force injures et coups de bâton* : quand les
équipes ont peiné tout le jour, sans interruption qu'une sieste de deux heures
vers le midi pour manger une maigre pitance, les malheureux qui les compo-
sent couchent sur place, en plein air, serrés les uns contre les autres et mal
défendus par leurs haillons contre la froideur des nuits. La tâche était si rude
qu'on y condamnait les malfaiteurs, les insolvables, les prisonniers de guerre;
elle usait tant de bras que les paysans libres n'y échappaient presque jamais4.
Rentrés chez eux, ils étaient quittes jusqu'à l'année prochaine des corvées
périodiques et fondamentales, mais plus d'une corvée irrégulière venait les
surprendre au milieu de leurs travaux et les forçait à tout abandonner pour
courir aux affaires du seigneur ou du roi. Voulait-on bâtir une chambre nou-
velle au temple de la localité, manquait-on de matériaux afin de consolider ou
de refaire un pan de mur miné par les eaux, ordre aux ingénieurs d'aller
chercher une quantité déterminée de calcaire ou de grès, ordre aux paysans de
s'assembler dans la carrière la plus voisine, d'en extraire les blocs, au besoin
un édit royal. Ainsi que M. Lumbroso l'a fort bien dit (op. /., p. 4 sqq., et Recherches sur f Économie
politique, p. 75 sqq.), les Ptolémées ne faisaient que suivre exactement les errements de l'ancienne
administration indigène. On trouve en effet des allusions fréquentes à la corvée des hommes et des
bétes dans les inscriptions du Moyen Empire, à Béni-Hassan ou à Siout; beaucoup de tableaux des
tombes Memphites montrent la corvée en œuvre dans les champs des grands propriétaires ou du roi.
i. Papyrus B du Louvre, 1. 170-172, où je suis l'explication du passage proposée par M. Lumbroso
[llpapiro LXlll del Louvre, p. 18 a, et Recherches sur l'Économie politique, p. 93).
2. DionoRe de Sicile, I, 36.
3. Les corvées de l'époque ptolémaïque étaient dirigées par les vieillards, ol itpe<x6ÛTEpot (Papyrus
66 du Louvre, I. 21), c'est-à-dire par des shéîkhs, et par les roudouou, c'est-à-dire par les nazi»', ainsi
que par les àa asiliou ou réis des travaux (Maspero, Études Égyptiennes, t. H, p. 4i-45). Les chaauiche*
de nos jours sont les rabdophores ou rhabdistes de l'époque grecque [Papyrus 66 du Louvre, I. li»;
Schow, Charta papyracea, § 4, 1. 11-12), chargés de stimuler les ouvriers à coups de bâton.
4. Dans le papyrus publié par Schow, on remarque, à coté d'esclaves, des paysans (I. 7,1. 15. f 1,1. 18%
des bouviers et des bergers (3, I. 16, 5, 1. 1-2), des âniers (2, I. 16) et des ouvriers de divers métiers,
potiers (6, 1. 21-22), fabricants de nattes (11, I. 8), foulons (7, 1. 26), maçons (10, I. 4), barbiers (3. 1. 26).
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336 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
de les embarquer et de les convoyer à destination1. Ou bien le prince s'était
fait tailler une statue gigantesque et réquisitionnait quelques centaines
d'hommes qui la halaient jusqu'à l'endroit où il désirait la dresser*. L'opéra-
tion se terminait par une fête, sans doute aussi par une distribution de vivres
et de liqueurs : les pauvres diables qu'on avait ramassés afin de l'exécuter
ne devaient pas trouver toujours qu'une journée d'ivresse et de réjouissances
les payât suffisamment du temps précieux qu'ils avaient perdu.
Toutes ces corvées étaient-elles également légitimes? Certaines ne l'eus-
sent pas été que le paysan sur lequel elles tombaient n'aurait trouvé aucun
moyen de s'en défendre ou d'exiger une réparation judiciaire pour le dom-
mage qu'elles lui causaient. La justice, en Egypte et dans tout le monde
oriental, émane nécessairement de l'autorité politique, et n'est qu'une bran-
che de l'administration confondue avec les autres dans les mains du maître et
de ses délégués5. Il n'y avait nulle part des magistrats de carrière, des hom-
mes élevés à l'étude des lois et chargés d'en assurer l'observance en dehors
de tout autre métier, mais les mêmes qui commandaient les armées, qui
offraient les sacrifices, qui répartissaient et encaissaient l'impôt, examinaient
les procès des simples citoyens ou tranchaient les différends qui s'élevaient
entre ceux-ci et les représentants du seigneur ou de Pharaon. Dans chaque
ville et dans chaque village, tous ceux qui exerçaient par naissance ou par
faveur le droit de gouverner étaient investis par le fait du droit de juger. Ils
siégeaient un certain nombre de jours dans le mois, à la porte de la ville ou de
l'édifice qui leur servait de résidence, et quiconque dans le pays ou dans la
localité possédait un titre, un emploi, une fortune, le haut sacerdoce des
temples, les scribes gradés ou vieillis dans les affaires, les commandants de
la milice et de la gendarmerie, les chefs de quartiers ou de corporations, les
qonbîtiou, les gens de l'angle, pouvaient prendre place à côté d'eux, si bon leur
semblait, et expédier avec eux les affaires courantes*. La police était faite le
1. C'est ainsi que procède le roi Smcndcs de la XXI* dynastie pour faire reconstruire promptement
et à peu de frais une portion du temple de Karnak, minée par les eaux et menaçant ruine (G. Daressi.
les Carrières de Géhéléin et te roi Smendès, dans le Recueil de Travaux, t. X, p. 133-138, et Maspeio,
A Stèle ofKing Smendes, dans les Records of the Past, 2"a Séries, t. V, p. 17-24).
2. Ainsi dans le tombeau de Thothotpou à Bcrshéh (Wilkinson, A Popular Account of the Ancieul
Egyptians, 1854, frontispice du t. II, et dans G. Rawlinson, Herodotus, t. II, p. 151 ; Lepsigs, Denkm.,
II, pi. CXXXIV, cf. Chabas, Mélanges Égyplologiques, III* série, t. II, p. 103-119; Maspero, Etudes de
Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 55-61; Brugst.ii, Die JZgyplologie, p. 293-294).
3. Sur la valeur réelle de certaines fonctions comme celle de Sot mou âoushou ni isit mâit, et de
Sabou, où Ton voulait reconnaître des emplois judiciaires, cf. Maspero, Rapport à M. Jules Ferry,
Ministre de V Instruction publique, sur une Mission en Italie, dans le Recueil de Travaux, t. II.
p. 159-166, et Études Égyptiennes, t. II, p. 143-148; cf. B rit. se h, Die jEgyplologie, p. 301 sqq..
W. Spiegelberc, Studien uni Materialien zum Rechlswesen des Pharaonenreiches, p. 60-63.
4. Le nom de ces personnages, lu tait, taitou, au début, un peu à l'aventure, a été déchiffré
RAPPORTS DU PAYSAN AVEC SES SEIGNEURS. 337
plus souvent par des étrangers, par des nègres ou par des Bédouins appar-
tenant à la tribu nubienne des Mâzaiou. Les plaideurs comparaissaient à
l'audience et attendaient sous la surveillance de ces gens que leur tour fût
venu de parler : la plupart des questions se tranchaient en quelques instants,
par un arrêt sans appel, les causes les plus graves donnaient seules lieu à
une instruction et à des débats prolongés. Tout se passait d'ailleurs devant ce
jury patriarcal de la même façon que devant nos tribunaux, si ce n'est que
le bâton inévitable facilitait la recherche de la vérité et coupait court aux
discussions : les dépositions des témoins, les discours des deux parties,
l'examen des pièces, n'allaient jamais sans prestations de serments nombreux
sur la vie du roi et sur la faveur des dieux, où la vérité subissait les assauts
les plus rudes1. Les peines variaient beaucoup, la bastonnade, la prison,
l'amende, les jours de corvée supplémentaires, et, pour les délits graves, les
travaux forcés dans les mines d'Ethiopie*, la perte du nez et des oreilles8, la
mort enfin par la strangulation, par la décollation4, par le pal5, par le
bûcher0. Les criminels de haut rang obtenaient l'autorisation d'exécuter sur
eux-mêmes la sentence portée et de remplacer par le suicide la honte d'un
supplice public7. Devant des tribunaux ainsi constitués, le fellah qui venait
réclamer contre les exactions dont il était victime comptait fort peu de chances
d'être écouté : le scribe qui l'avait pressuré ou lui avait imposé des corvées
nouvelles ne figurait-il pas de droit parmi les juges auxquels il s'adressait?
Rien ne l'empêchait d'en appeler à son seigneur féodal, et de celui-ci à Pharaon,
mais cet appel n'était pour lui qu'un leurre. Lorsqu'il avait quitté son village
et remis sa requête8, les délais continuaient à courir avant qu'une solution
exactement par Griffith, The Qnbt (dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t. XIII,
1890-1891, p. 140), dont les conclusions ont été renforcées par Spiegelberg, Studien und Materialien,
p. 13 sqq. Leur nom de Gens de l'Angle implique une métaphore analogue à celle qui a fait donner
aux notables des bourgs égyptiens le titre d'Omdah, les colonnes de l'administration.
1. Sur le serment judiciaire, voir W. Spiegelberg, Studien und Materialien, p. 71 sqq.
2. Cf. les exemples recueillis par W. Spiegelberg, Studien und Materialien, p. 69-71, 75, 76, et qui
confirment les dires d'Agatharchide {de Mari Erythrxo, § 24-29, dans MCller-Didot, Fragm. Geogr.
Grmc, t. I, p. 124-129) et de Diodore de Sicile (III, 12-14) sur les mines d'or de l'Ethiopie.
3. Diodore de Sicile, I, 60, 78 (cf. Hérodote, II, ccxu); Dévèria, le Papyrus judiciaire de Turin,
p. 64-65, 116-121; Naspero, Une enquête judiciaire, p. 86; W. Spiegelberg, Studien, p. 67-68.
4. Le seul exemple connu d'une pendaison est celui du grand panelier de Pharaon, dans la Genèse,
XL, 19, 22, XLI, 13, mais on voit dans un tombeau de Thèbes deux victimes humaines exécutées par stran-
gulation (Maspero, le Tombeau de Montouhihhopshouf, dans les Mémoires de la Mission Française,
t. V, p. 452 sqq ). L'enfer égyptien contient des hommes décapités (Description de l'Egypte, Ant., t. H,
pi . LXXXVI), et la mention du billot sur lequel on coupait les tétesdes damnés est fréquente dans les textes.
5. D'après une conjecture d'Erman (Beitrâge zur Kenntniss des âgyptischen Gerichtsverfahren,
dans la Zeitschrift, 1879, p. 83, note 1 ; cf. les objections de W. Spiegelberg, Studien, p. 76-78, 125-126).
6. Pour la femme adultère (Maspero, les Contes populaires, 2* édit., p. 63; cf. Hérodote, II, cxi).
7. Le Papyrus de Turin parle de ces suicides (W. Spiegelberg, Studien, p. 67, 121, Erman, Beitrâge
zur Kenntniss des âgyptischen Gerichtsverfahrens, dans la Zeitschrift, 1879, p. 77, note 1).
8. Comme le paysan dont l'histoire nous est contée au Papyrus de Berlin n° II (Maspero, les Contes
t
H18T. AKC. DE L 0 RI EST. — T. I. 43
338 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
intervint, et pour peu que la partie adverse fût bien en cour ou fit agir des
influences, la décision souveraine confirmait, quand elle ne l'aggravait pas,
la sentence des premiers juges. Cependant le bien restait inculte, la femme
et les enfants criaient la misère, les dernières ressources de la famille
s'usaient en démarches et en délais : mieux valait en prendre son parti tout
d'abord, et se résigner à subir sans regimber le sort qu'on ne pouvait éviter.
Impôts, réquisitions, corvées, les fellahs se tiraient encore d'affaire lorsque
le supérieur dont ils dépendaient se montrait bon maître et n'ajoutait point
ses exigences et ses caprices personnels aux exigences et aux caprices de
l'État. Les inscriptions que les princes ont consacrées à leur propre gloire
sont autant de panégyriques enthousiastes, où il n'est question que de leur
honnêteté et de leur bonté envers les petits et les humbles. Chacun d'eux se
proclamait sans faute « le bâton d'appui des vieillards, la nourrice des
enfants, l'avocat des misérables, l'asile qui réchauffait ceux qui souffraient
du froid dans Thèbes, le pain des affligés qui jamais ne fit défaut à la ville
du midi1 ». Leur sollicitude s'étendait sur tous et sur tout : « Il n'y a pas
d'enfant mineur que j'aie endeuillé; il n'y a veuve que j'aie dépouillée; il
n'y a cultivateur que j'aie chassé; il n'y a chef d'ouvriers à qui j'aie pris
ses gens pour les travaux publics; il n'y a eu ni misérables en mon lieu, ni
affamés en mon temps. S'il survenait des années de disette, comme j'avais
labouré toutes les terres du nome de la Gazelle jusqu'à ses frontières Nord
et Sud, faisant vivre ses habitants, naître ses provisions, il ne s'y trouvait
point d'affamés, car je donnais à la veuve comme à la femme en pouvoir de
mari, et je n'établissais aucune distinction entre le grand et le petit en tout
ce que je donnais. Si au contraire les Nils étaient forts, les maîtres de terres
devenaient riches en toutes choses, car je n'élevais pas la cote de l'impôt sur
les champs1. » Les canaux attiraient toute son attention : il les curait, les
agrandissait, en creusait de nouveaux qui portaient la fécondité et l'aisance
jusque dans les recoins les plus éloignés de son domaine. Ses serfs avaient
toujours de l'eau propre à leur porte et ne se contentaient plus de la dourah
commune ; ils mangeaient du pain de froment chaque jour5. Sa vigilance et sa
sévérité étaient telles que les brigands n'osaient plus paraître* à portée de sa
populaires de l'Egypte ancienne, 2* éd., p. 43 sqq.); voir ce qui est dit des hommes sans maître,
p. 309-310 de cette Histoire.
1 Stèle C 1 du Louvre, publiée par Maspkro, Un Gouverneur de Thèbes sous la XII* dynastie, dans
les Mémoires du Congrès International des Orientalistes de Paris, t. II, p. 53-55.
4. Maspero, la Grande Inscription de Déni- Hassan, dans le Hecueil de Travaux, t. I, p. 173-17-4.
3. GnirriTH, The Inscriptions of Siût, pi. XV, I. 3-7 ; cf. Maspero, Revue Critique, 1889, t. II, p. 414-415.
LA MISÈRE DU FELLAH. 339
main et que ses soldats gardaient une stricte discipline : « Venue la nuit,
quiconque couchait sur le chemin me bénissait, et était [en sécurité] comme
un homme dans sa propre maison; l'effroi de ma police le protégeait, les
bestiaux restaient aux champs comme à l'étable; le voleur était comme
l'abomination du dieu et il ne se ruait plus sur le vassal, si bien que celui-ci
ne se plaignait plus, mais versait exactement la redevance de son domaine,
par amour » pour le maître qui lui créait ces loisirs1. On pourrait continuer
longtemps sur ce thème, et les rédacteurs d'épitaphes le variaient avec une
habileté et une souplesse d'imagination remarquables. L'ardeur même qu'ils
déploient à décrire les vertus du seigneur montre combien la condition des
sujets était précaire. Rien n'empêchait le mauvais prince ou l'officier préva-
ricateur de ruiner et de maltraiter à sa guise le peuple auquel il comman-
dait. Un ordre de lui, et les corvées s'abattaient sur les propriétaires d'un
bourg, leur enlevaient leurs esclaves, les obligeaient à laisser leur fonds
inculte; dès qu'ils se déclaraient impuissants à s'acquitter de leurs contribu-
tions, la prison s'ouvrait pour eux et pour leurs familles. Une digue coupée,
une rigole détournée privaient d'eau un canton1 : la ruine venait prompte et
inévitable pour les malheureux qui l'habitaient, et leurs biens, confisqués par
le fisc en règlement de l'impôt, passaient à vil prix aux mains du scribe ou de
l'administrateur malhonnête. Deux ou trois années de négligence suffisaient
presque à détruire un réseau d'irrigation : les canaux s'envasaient, les levées
s'écroulaient, la crue ou ne montait plus sur les terres, ou s'y répandait trop
tôt et y séjournait trop longtemps. La famine suivait bientôt avec son cortège
de maladies3 : hommes et bêtes mouraient à la centaine, et ce n'était pas trop
du labeur de toute une génération pour rendre au pays sa prospérité.
Le sort du fellah ancien était donc aussi dur que celui du fellah moderne. II
en sentait lui-même l'amertume et s'en plaignait à l'occasion, ou les scribes
s'en plaignaient pour lui lorsqu'ils opposaient d'une joie égoïste leur métier
au sien. 11 devait peiner l'année entière, labourer, semer, tirer la shadouf
du soir au matin pendant des semaines, courir à la corvée dès la première
réquisition, payer un impôt lourd et cruel, tout cela sans être assuré au moins
de jouir en paix de ce qu'on lui laissait ou d'en faire profiter sa femme et ses
1. Griffitu, The Inscriptions of Siût, pi. M, 1. 7-12; cf. Masplro, Revue Critique, 1889, t. Il, p. 417.
t. Couper ou détourner un bras d'eau était un dos péchés prévus dans la Confession négative du
chapitre cxxv du Livre des Morts (édit. INaville, t. I, pi. CXXXIII, l. 19); cf. p. 189 de cette Histoire.
3. Mentions de famines sur les monuments égyptiens : à Béni-Hassan (Maspero, la Grande Inscrip-
tion de Beni-Bassan, dans le Recueil, t. 1, p. 174), à El-Kab (Brtgsch, jEgyptische Geschichte, p. 246).
à Éléphantine (Brugsch, Die Biblischen sieben Jahre der Hungersnoth, p. 131 sqq.).
340 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
enfants. Telle était pourtant l'élasticité de son tempérament que sa n
réussissait pas à l'attrister : les monuments où sa vie est représentée en
tableaux minutieux nous le montrent animé d'une gaieté inépuisable. Les
mois d'été sont finis, la terre se découvre, le fleuve rentre dans son lit, voici
le temps de faire les semailles : le paysan a pris son attelage avec lui, ses
outils, et s'en est allé aux champs1. Dans plus d'un endroit, le sol amolli par
l'eau n'offre pas de résistance, et la pioche le retourne aisément; ailleurs
il est dur encore et ne cède qu'à la charrue. Tandis qu'un des valets,
presque plié en deux, pèse de toutes ses forces sur les oreilles pour bien
enfoncer le soc, son camarade dirige les bœufs et les excite par ses chants :
ce sont deux ou trois phrases fort brèves, soutenues d'une mélopée toujours
la même, et scandées à coups de bâton sur les reins de la bète la plus proche1.
De temps à autre, il se détourne vers son compagnon et l'encourage : « Appuie
bien ! s — « Tiens ferme ! » Le semeur arrive à la suite qui jette le grain à la
volée dans le sillon : un troupeau de moutons ou de chèvres clôt la marche et,
piétinant la glèbe, enterre la semence. Les bergers claquent leur fouet et
répètent à plein gosier quelque chanson rustique, une complainte à l'adresse
du fellah que la corvée a saisi et qui nettoie le canal. « Le piocheur est dans
l'eau avec les poissons, — il cause au silure, échange des saints avec l'oxyr-
rhynque : — Occident! votre piocheur est un piocheur d'Occident!' » Tout se
1. MifFE*o, Holei iur quetq uet points de Grammaire etd'ttiiloire.àtnt la ZeiUchrift, 1879. p. 58 sqq.
t. Ileêtin de Faucher-Gudin, d'opràt une photographie (cf. Sr.atiL, le Tombeau de Zoiirkrruonbou,
dans les Mémoire/de la Million franeaite, t. V).
3. MiiPiRO, Ètudei Égyptienne*, t. Il, p. 74-78; cf. la vignette à la p. 191 de cette Hittoire
t. Le texte de ce couplet est dans Bbit.scb, Die ACgyptiirhe Gràbertrelt, pi. I, 35-38 ; la traduc-
tion dan» Barcscn, Dicl. Hier., p. 59. dans Emu, .f.gypten, p. 515, et dans Misr-cao, Éluda Egyp
tiennes, t. II, p. 73-74. Lo silure est le poisson électrique du Nil (Detcription de FEgypIe. t. XXIV,
p. 199 sqq.). Le leite explique ironiquement que le piocheur, plongé à mi-corps dans l'eau pour curer
les canaux ou réparer la berge enlevée par l'inondation, est exposé chaque instant à saluer, c'est-à-dire
à rencontrer un silure ou un oxyrrhynque prêt à l'attaquer : il est voué à la mort, et c'est re que le
roupie! exprime par les mots • Occident! votre piocheur est un piocheur d'Occident '. • L'Occident est
la région des tombeaux vers laquelle le piocheur est acheminé déjà par son métier.
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■ I
I a
342 LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE.
passe sous l'œil vigilant du maître : dès que la surveillance se relâche, le
travail se ralentit, les querelles éclatent, l'instinct de paresse et de vol reprend
le dessus. Deux hommes ont dételé leur charrue. L'un d'eux trait rapidement
une des vaches, l'autre tient la bête et attend son tour impatiemment : « Fais
vite, tandis que le fermier n'y est pas. » Ils risquent la bastonnade pour une
potée de lait1. Les semaines s'écoulent, les blés ont mûri, la moisson com-
mence. Les fellahs, armés d'une faucille courte, coupent ou plutôt scient les
tiges, javelle à javelle. Cependant qu'ils avancent en ligne, un flûtiste leur joue
ses airs les plus entraînants, un chanteur donne de la voix et rythme les
mouvements en frappant dans ses mains, le contremaître leur jette par inter-
valles quelques mots d'exhortation : « Quel est le gars parmi vous qui, ayant
fini en saison, pourra dire : « C'est moi qui vous le dis, à toi et aux
« camarades, vous n'êtes tous que des fainéants! » — « Qui de vous pourra
dire : « Un gars ardent à la besogne, c'est moi!1 » Un domestique circule dans
les rangs avec une longue jarre à bière et la tend à qui veut. « N'est-ce
pas que c'est bon ! » dit-il, et le buveur lui répond poliment : « Vrai, la
bière du maître est meilleure qu'une galette de dourah!8 » Les gerbes liées,
quand on les rentrait, c'étaient chansons nouvelles à l'adresse des ânes qui les
emportaient : « On lie qui s'écarte du rang, on bat qui se roule à terre, —
« Hue donc! » Et le baudet trottait sous la menace*. Lors même que la scène
devient tragique et représente une bastonnade, le sculpteur, s'inspirant de
l'humeur railleuse des gens parmi lesquels il vit, trouve moyen d'y mêler un
peu de comédie. Un paysan condamné sommairement pour quelque méfait
gît à plat ventre, les reins au vent : deux amis lui tirent les bras, deux les
jambes pour l'ajuster en posture convenable. Sa femme ou son fils intercèdent
en sa faveur auprès du bourreau : « Frappe par terre, de grâce! » Et de fait, la
bastonnade était d'ordinaire un simulacre de châtiment plutôt qu'un châti-
ment réel : les coups, assenés avec un air de férocité, s'égaraient sur le sol5.
Le coupable hurlait fort, mais en était quitte pour des meurtrissures.
Un écrivain arabe du moyen âge remarquait, non sans ironie, que les
1. La scène est représentée au tombeau de Ti (Maspero, Études Égyptienne** t. H, p. 78-80).
2. Le texte dans Brigsch, Die jEgyptische Grâberwelt, pi. V, 165-168, et dans DCmiches, Itesuftalc.
t. I, pi. X, et p. 14-15; l'interprétation dans Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. 81-84.
3. Lf.psils, Denhm., Il, 9; Mariette, les Mastabas, p. 34? ; Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. 84-85.
4. Brit.sch, Die JEgypthchc Grâberwelt, pi. V, lfii : Dùnichen, Die Hesultate, t. I. pi. X; Maspero.
Etudes Égyptiennes, t. II, p. 87-90. La chanson se lit au-dessus du troupeau d'ânes.
5. La scène se trouve dans le tombeau de Baoukit à Béni-Hassan (Crampollion, Monuments.
pi. CCCLXXXI, 1, et Texte, t. Il, p. 371-373; Rosellini, Monumenli avili, pi. CXXII. B, et Texte, t. III.
p. 274-273; Wii.ki.nson, Manners and Cusloms, 2* éd., t. I, p. 305).
GAIETÉ ET IMPRÉVOYANCE OU BAS PEUPLE. 3«
égyptiens étaient peut-être le seul peuple au monde qui n'amassât pas
de provisions, mais où chacun allât au marché chaque matin acheter la
pitance de la famille1. La même imprévoyance qu'il déplore chez ceux de
son temps, ils l'avaient héritée de leurs ancêtres les plus lointains. Ouvriers,
fellahs, employés, petits bourgeois, on vivait sans cesse de la main à la
bouche dans l'Egypte des Pharaons. Les jours de prêt étaient un peu par-
tout jours de fête et de grosse mangeaille : on n'y ménageait ni le grain du
lise, ni l'huile, ni la bière, et les repas copieux continuaient sans économie
aussi longtemps qu'il restait quelque chose du traitement touché Comme il
s'épuisait presque de règle avant le retour de la date fixée pour une distri-
bution nouvelle, la pénurie succédait à l'ampleur exagérée des subsistances,
et une partie de ta population criait littéralement la faim pendant plusieurs
jours. L'alternance à peu près constante de l'abondance et delà disette exerçait
son contre-coup sur la marche du travail : il n'y avait guère d'ateliers ou d'ex-
ploitation seigneuriale où l'on ne chômât tous les mois pour cause d'inanition,
et il fallait venir en aide aux affamés si l'on voulait éviter des séditions popu-
laires*. Peut-être l'imprévoyance était-elle, comme la gaieté, un des traits innés
du caractère national : elle fut certainement entretenue et développée par le
régime que l'Egypte s'imposa dès avant l'histoire. Quelle raison l'homme du
commun avait-il de calculer ses ressources et de ménager l'avenir quand il
savait que ses femmes, ses enfants, ses bestiaux, ses biens, tout ce qui lui
appartenait et lui-même pouvait être enlevé d'un moment à l'autre, sans qu'il
eût le droit ou la force de s'y opposer? Il naissait, vivait, mourait dans la main
d'un maître. Les terres ou les maisons que son père lui avait léguées, le maître
1. Dans Huit», BUtal, t. I, p. 49-50, éd. de Boulaq.
t. Denin de Faucher-Gudiii , d'apret une plialogra/iltie if Emile Hrugtch-flcy . La arène est prise
au tombeau de Ti ; cf. Jfatpnn, Étudet Egyptiennei, t. I], p. 81-81.
3. Houe n'aions de documents sur ce sujet que pour l'époque des Hamessirles : j'aurai a raconter
plus lard l'histoire de ces chômages et des grètes qui en étaicnl l'accompagnement.
SU LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE,
souffrait qu'il en eût l'usage. Celles qu'il se procurait par son labeur, il les
ajoutait au domaine du maître. S'il se mariait et qu'il eût des fils, c'était les
hommes du maître qu'il mettait au monde. Tout cela, dont il jouissait
aujourd'hui, le maître le lui laisserait-il demain? La vie même de l'autre
monde ne lui offrait pas plus d'assurance et de liberté : il n'y entrait qu'à la
suite du maître et pour le servir, il y subsistait par tolérance comme il avait
fait sur notre terre, et il n'y trouvait un peu de liberté et de repos que s'il
se munissait abondamment de répondants et de statuettes ensorcelées, fl
concentrait donc son esprit et ses forces sur le moment présent pour en
profiter comme de la seule chose qui lui appartînt à peu près : le futur,
il s'en remettait au maître du soin de le prévoir et d'y fournir. A dire vrai,
le maître changeait souvent, tantôt le seigneur d'une ville, tantôt celui d'une
autre, un Pharaon des dynasties memphites ou thébaines, un étranger installé
par aventure sur le trône d'Horus. La condition du peuple ne changeait jamais;
le poids qui l'écrasait ne s'allégeait point, et, quelle que fût la main qui tint le
bâton, le bâton retombait toujours aussi lourd sur son dos
*>C 'Ô/ruwvJ Q'tbenuÀtti
J.e*t.> roûc' eonattueteurnJ de? duratnidea. '.■ i/taeo/atcJ, , /lÂâi&rën, JftuAérùto.
oLa littérature? et, la/%, memp/utest l
OxtenJÛ/n de? I ùgupte? ventS le? àud et. eonauéte? de? la JCuéie?
CMofioui. - =*Lc? deàert. fui aijmrc? l \Mfriaue? de? / ,_MjcfJ, àa constitu-
tion pAujiaue.', acte' liaiitant/t.', leurre? incursions? en Caupte? et, leumJ
nrpvofùtJ avec les? tyuurtienitJ. - du jJreaau tù? du CDtnat ; lenJ mineaJ die?
turauoùeaJ et. de? ctuvre?, te/tJ êtailiasementnJ miniemJ des? jffiaraonrtJ. -
e£éaj deux ànnoeatix de? Ônefrotii ; la pyramide? et. les? mastabas? de?
J/ùeidoum, les? statues? de? Judiotpou et, de? sa jféntme' Jtofrù.,
*/lAêoBrtJ, ^Jlnepnrèn et, JJ/luAérinos?. - &la. grande? duramidc? : sa
construction, ses? dispositions? intérieures?. - =Les? duramiaesJ de? ^/Inàmrèn
et. des C/ftuAerùu?aJ; leur' violation. - dsCnende? des? roisJ conatrueteunc? de?
è4uramideaJ ; l impiété de? ^/InéoprtJ et. deJ ,7lÀyArài, ut jtièté de? C//LuAe'-
rùios.'; la- fraramide? e/i ùriaaes? d •.Alsucnùi.'. - oLes> matériaux emplouésJ à
la SdtUse?, les? carrières? de? Vouran; les? \jdameJ, le?cuÙe?du douile? rouai,
Ùs> Ùaeades> araéts? sur-'1 les? géniesJjardiats? des? eAuratniaesJ.
cl&t) roùtJ de) /a dnauième) dynastie) ; C/usirAafi ÔaAouri, tMaÂiou
et. ie) roman, de.' /eur? avènement.. - =ienJ re/atùmaJ au *J)e/ta avec leaj
jTtup/enJ i/i' Juin/ t /a intitule.' et- /e) commerce) maritime) deaJ ù^^dietia.'. •
eia JCwteJ et- seitJ trioun.' : /en.) Citaottaiou et. un.? J/iàraiou, ie> douanû.,
ùtt.' nainaJ et. /e) z/Janqa. - *£a littérature.} egufitieanei : /c*t> StrovcréeaJ de'
SiàtaAAoùrou, - <4oi^ as&tJ : l architecture', ta statuaire' et. seaJ ceutrten.'
iirincùra/ctL.}, ùa.) ias-reue/a. ', la fteinturc), /art. Industrie/,
.Àe' deve/oppement. de) la -feoda/itê èauptieane) eu, /avènement. deJ la
sixième) aunastie) : t-dttt, •./mnoùmu, Ve'tt. - dtuil •_/" et. son ministre) Citai -
/iWaire> de) m reùle) ^/tnutsi, <£vt> tpuerrea. .' contre' /e*i) iSÙtroU'&nàitcit
et. contre) /e' jxiua) ae' Oloa. - J/létésoufinùcJ ■_/'" et. ZcJ second èkiiit : Util
4troarèa\> de) ùijpuùsance.?eauptie/ine)en JCueie). -^LejtJslrcit.' a ù/eahantlne):
%JÙtr/cAouA étiyxnaAAiti '; /eaeaJe3xdt>ratiûatt.>j>renarerit. /ca.'irolea)à /a conaacle ',
/occupation deaJ C/asûc ', - d.ea.> jruramideaJ de.' daaaaraA .■
le* second , '/letesoupAùt ', JCltoÂria) et. sa. /eaende. \
.•C/riio/tderance' dea.' selancunt) ■feoaaux et.
c/iute) dea> aunastieit-'memimilen'.
CHAPITRE V
L'EMPIRE MEMPHITE
5 CONSTRUCTEURS DE PYRAMIDES : K.HÈ
LA LITTERATURE ET I. ART UEMPHtTEî
[.'ÊUÏPTE ÏEP1S I.E SUD ET CONOUÊTE DE LA NI
~rr^x ce tempa-ià*, « la Majesté du roi Houni mourut,
1 A et la Majesté du roi Snofroui s'éleva pour èlre
un souverain bienfaisant sur cette Terre-Entière 3 ».
Tout ce qu'on sait de lui lient dans une phrase :
il guerroya contre les nomades du Sinai, édifia
des forteresses pour protéger la frontière orien-
tale du Delta, et se construisit un tombeau en
forme de pyramide.
Le pays presque inhabité qui rattache l'Afrique
à l'Asie s'appuie vers te midi sur deux chaînes
e montagnes raccordées à angle droit, et dont E'en-
0v,...^le forme ce qu'on appelle le Gebel et-Tïh. C'est
un plateau incliné doucement du sud au nord, nu, noir, semé de galets et de
I, Dessin de Boudier. d'après la chromolithographie de Lmiro, Denkm., I, pi. 43. La lettrine, qui
est également de Boudier, représenta Bâholpou, l'un de» personnages de Méldoum dont il sera question
taîent Al (cr. p. 383 de celte Histoire); elle a été dessinée d'après une photographie d'Emile BniRBCh-Bej .
t. Vers 4ltHt av. J -C., avec une erreur possible de plusieurs siècles en plus ou en moins.
a. Papyrus Prisse, pi. Il, I. 7-8 <éd. Viiuey, p. il). Les restes du Canon royal de Turin semblent
donner à Houni el à Snofroui des règne* égaux de vingl-qualre ans (E. dk Bois*. Uccherehes sur les
a peut attribuer aux six premières dynasties de Maiiêthun, p. Iji, note t).
348 L'EMPIRE MEMPH1TE.
roches siliceuses, hérissé de longues collines crayeuses, basses et rudes,
entrecoupé d'Ouadys dont le plus large, celui d'El-Arîsh, débouche dans la
Méditerranée à mi-chemin entre Péluse et Gaza, après avoir rallié tous les
autres1. Les averses n'y sont pas rares en hiver et au printemps, mais le peu
d'humidité qu'elles fournissent s'évapore promptement et nourrit à peine
quelque maigre végétation au fond des vallées. Parfois, après des mois de
sécheresse absolue, un orage éclate dans les parties hautes du désert*. Le vent
se lève soudain et souffle en bourrasque, des nuages épais venus on ne sait
d'où crèvent aux grondements incessants du tonnerre, il semble que le ciel
fonde et s'écroule sur les montagnes. Quelques minutes, et par tous les ravins,
par tous les goulets, par les moindres crevasses, des jets d'une eau trouble
s'échappent, qui dévalant aux bas-fonds s'y rassemblent en bouillonnant et
commencent à courir au (il de la pente : quelques minutes encore, et d'un
versant à l'autre ce n'est plus qu'un fleuve profond, animé d'une vélocité
formidable et d'une force irrésistible. Au bout de huit ou dix heures, l'air
s'éclaircit, le vent tombe, la pluie s'arrête, la rivière improvisée baisse
et s'épui$e faute d'aliment nouveau, l'inondation finit presque aussi vite
qu'elle avait commencé : il n'en reste bientôt plus que des flaques éparses
dans les creux, ou ça et là de minces ruisseaux desséchés rapidement. Cepen-
dant le flot emporté par la vitesse acquise continue de descendre vers la mer :
partout les flancs dévastés des collines, leurs pieds affouillés et rongés, les
masses de galets accumulés aux tournants, les longues traînées de roches et de
sable jalonnent sa route et témoignent de sa puissance. Les indigènes, rendus
prudents par l'expérience, évitent de séjourner dans les endroits où il a passé
une fois. Le ciel a beau être clair et le soleil briller sur leurs têtes, ils crai-
gnent toujours qu'au moment même où le danger paraît les menacer le moins,
le torrent, né à quelque vingt lieues de là, ne précipite déjà son élaç pour
les surprendre. Et de fait, il arrive si brusque et si rapace que rien ne lui
échappe de ce qui s'attarde sur son chemin : hommes et bêtes, avant qu'on
1. La connaissance du Sinaî et des pays voisins est due aux travaux de la commission anglaise,
Ordnance Survey of the Peniiuula of Siriai, 3 vol. in-fol. de photographies, 1 vol. de cartes et plans.
1 vol. de texte. Elle a été vulgarisée par E. II. Palmkr, The Désert of the Exodus, 2 vol. in-8. 1871,
et par II. Sp. Palmkr, Sinai, from the IV th Egyplian Dynasty to the présent day, in-18, 1878.
2. M. Holland décrit, dans le chapitre vm de V Account of the Survey, p. 226-228, la bourrasque ou
Sait du 3 décembre 1807, qui noya trente personnes, détruisit des troupeaux de chameaux, d'ànes,
de moutons et de chèvres, et balaya dans l'Ouady Féiràn mille palmiers ainsi qu'un bois de tama-
risques long de trois kilomètres. Quelques gouttes de pluie tombèrent vers 4 heures 30 de l'après-
midi, mais l'orage n'éclata qu'à .-> heures; il battait son plein à 5 heures 15, et il était terminé à
U heures 30. Le torrent, qui mesurait à 8 heures du soir une profondeur de 3 mètres et une largeur
de 300 mètres environ, n'était plus le lendemain matin à G heures qu'un filet d'eau insignifiant.
LE DESERT QUI SÉPARE L'AFRIQUE DE L'ASIE. 359
ait eu le temps de fuir, souvent même avant qu'on ait pressenti son approche,
il a tout balayé, il a tout broyé sans pitié. Les Égyptiens avaient appliqué à
la contrée entière l'épilhète caractéristique de To-Shouit, la terre du Vide, la
terre de l'Aridité1. Ils y distinguaient des cantons divers, le Tonou supérieur1 et
i. Dînions*, HUtaritche Inuhrifteii, t. Il, pi. IX 6; E. et J. ar. Boitt, Inscription* H Hotkei
recueillie* à Edfou, pi. CXV. 7; cf. Bmrcsf.H, Ein Geographitche» Vaicum, dans la Zeittcbrift, 1865.
p. Ïtt-i9, et Die Altâgyptiiche. Volkertafel, dans les Abhandluugen de* IVta Orientali*len-Coagre*ses,
Afrikanitthé Sektion. p. 7!i. Ce telle, qui avait été déjà interprété par J. de Hougé (Teste* géogra-
phique* du temple d'Edfou, p. 15-16), identifie les Barbare* du pay* de Shout avec les Shaotuou, lea
Bédouins du désert entre la Syrie et l'Egypte. La glose, f'« rivent de l'eau du Nil et de» ruisseaux,
montre qu'on le* étendait jusqu'aux frontière* mômes de l'Egypte, l.e To-Shoult du tombeau de
Khnoumhotpou {£*\*Ki\,\.\m, Monuments de l'Egypte et de ta Subie, pl.CCCLXIl; l.r.rsuis, Deukm., Il, I3B;
New>eh*y, Beni-llasan, t. I. pi. XXXVIII, 1) est identique au pays de ces Barbare*: c'est, comme l'a
traduit Max Mullcr (A*ien und Eurupa nach Altâgyptiiche» Denkmâlern, p. Ifi), le pay* *ec. le désert.
t. I.e Tonou supérieur est seul mentionne au Papyrus de Berlin n* /, I. 31, avec le Tonou en généra
(1. 11)0, 109. IS9, olc). Cbahas (les Papyrus hiératique* de ISerlin, p. 87) plaçait ce pays au delà de
l'Kilom, dans la Judée ou dans les contrées situées à l'est de la mer Morte : il crut plus lard qu'on
pouvait y arriver par mer, ce qui le portait à y reconnaître la partie maritime de la Palestine {Élude*
tur C Antiquité historique, f éd., p. lut), lux). M. Max Millier (Aiieii und Europa, p. 47) estime que
3S0 L'EMPIRE MEMPHITE.
inférieur, Aia\ Kadouma*: ils nommaient les habitants Hirou-Shàitou, les sei-
gneurs des Sables, Nomiou-Shâîtou, les Coureurs des Sables3, et ils les ratta-
chaient aux Àmou, c'est-à-dire à la race que nous qualifions de Sémitique4. Le
type de ces barbares rappelle, en effet, celui des Sémites, tête forte, nez aqui-
hn, front fuyant, barbe longue, chevelure épaisse et souvent frisée5. Ils mar-
chaient pieds nus, et les monuments les montrent ceints du jupon court, mais
ils s'enveloppaient aussi de l'abaye. Ils portaient les armes ordinaires des
Egyptiens, Tare, la lance, le casse-tête, le couteau, la hache de guerre, le bou-
clier6. Us possédaient de grands troupeaux de chèvres ou de moutons7, mais
ils ne connaissaient ni le cheval, ni le chameau, non plus que leurs voisins
d'Afrique. Us vivaient surtout du lait de leurs bestiaux et de la récolte de
leurs dattiers. Une partie d'entre eux cultivait la terre : groupés autour des
sources et des puits, ils entretenaient, à force de travail et d'industrie, des
champs d'étendue médiocre mais fertiles, des vergers assez riches, des bou-
quets de palmiers, des figuiers, des oliviers, des vignes8. Us en tiraient malgré
tout des ressources insuffisantes, et leur condition serait restée précaire s'ils
n'avaient pu compléter leur approvisionnement en Egypte ou dans la Syrie
méridionale. Us échangeaient sur les marchés de la frontière le miel, la
laine, les gommes, la manne, un peu de charbon de bois, contre les pro-
duits des manufactures locales, surtout contre le blé ou les céréales qui leur
Tonou est une faute de scribe pour Koteuou, et se déclare comme Chabas pour la Palestine. Le Tonou
me paraît être le territoire qui appartint par la suite à la tribu de Siméon, jusqu'à l'Arabah et au
cours moyen de i'Ouady AHsh (les Contes populaires de VÈgypte Ancienne, 2* éd., p. 94).
t. Papyrus de Berlin n° i, I. 81, où l'on trouve la description du pays; cf. p. 471 de celte Histoire.
2. Ce nom avait été lu AdimA, Adoumâ, et assimilé à celui d'Ëdom par Chabas (les Papyrus hir-
ratiques de Berlin, p. 40, 75), identification que tous les égyptologues avaient adoptée. MM. Ed. Meyer
(Geschichte dlgyptens, p. 184, note 3) et Erman (£gypten und jEgyptisches Leben im Allertum, p. 495),
suivis par M. Max Mùllcr (Asicn und Europa, p. 40-47), le lisent Kadoumâ, soit l'hébreu Kedem;
M. Max MQllcr place ce pays de Kadouma-Kedem au sud-est ou à Test de la mer Morte.
3. Les Hirou-Shâilou ont été signalés pour la première fois parBirch (On a new hislorical Table t
of the reign of Tholhmes lit, p. 9-10, extrait de VArctueologia, t. XXXVU1) comme étant probable-
ment les habitants du désert. Ce sens, adopté et élargi par E. de Rougé (Recherches sur les monument*.
p. 122-127) et par Chabas (Études sur V Antiquité historique, 2° édit., p. 114-119),* est admis aujour-
d'hui par tous les égyptologues. La variante Notniou-Shâitou ne se rencontre à ma connaissance que
dans le Papyrus de Berlin n° i, 1.73, et chez Mariette, Karnah, pi. XXXVH, 1. 33 (cf. E. et J. de Kocck,
Inscriptions recueillies en Egypte, pi. XXVI, I. 14), dans un texte du second Empire Thébain.
4. VInscription de Papinakhiti, dont il sera question plus loin, p. 434-435 de cette Histoire, à pro-
pos des voyages entrepris par les princes d'Éléphantine, dit que les Hirou-Shàitou étaient des Âmou.
5. Les portraits des <Monitou, dans Lepsus, Denhn., H, 39 a, 116 a, 152 a (cf. p. 351 de cette Hi*-
toire), donnent l'idée de ce qu'étaient les Hirou-Shàitou, avec lesquels on les confond souvent.
(i. On lit au Papyrus de Berlin n° i, 1. 127-129, 134-135 (Maspero, les Contes populaires, 4* édit.,
p. 108), la description d'un brave de Tonou armé en guerre (cf. p. 472 de cette Histoire).
7. Papyrus de Berlin n° i, 1. 112, 117-128, où le héros joint des chats à l'énumération de ses
bestiaux, probablement des chats apprivoisés qu'on apportait d'Egypte dans les pays d'Asie.
8. Cf. la description d'AIa au Papyrus de Berlin na 1, l. 79-92 (Maspero, les Contes populaires, 2e édit.,
p. 104-108; cf. p. 471 de cette Histoire). Le récit qu'Ouni fait de ses campagnes* contre les Hirou-
Shàitou, sous Papi 1er (1. 23 sqq.; cf. p. 419-421). confirme le tableau que Sinouhtt trace du pays, et
montre que les conditions n'en avaient point changé entre les dynasties memphites et la XII* dynastie.
LES HABITANTS DU DESERT D'ARABIE. 331
manquaient1. La vue des richesses accumulées dans la plaine orientale, de
Tanis à Bubaste, surexcitait leurs instincts pillards et soulevait en eux des
convoitises inextinguibles : les annales égyptiennes mentionnaient leurs incur-
sions dés avant l'histoire, et
prétendaient que les dieux eux-
mêmes avaient du se prémunir
contre elles. Le golfe de Suez
et le rempart montagneux du
Gebel GénefFé au sud, les ma-
rais de Péluse au nord, cou-
vraient le front du Delta pres-
que en entier; mais l'Ouady
Tournilàt menait tes envahis-
seurs droit au cœur du pays,
lies Pharaons des dynasties di-
vines', puis ceux des dynasties
humaines, avaient barré cette
brèche naturelle, les uns disent
d'une muraille continue, les
autres d'une rangée de postes
qui s'appuyaient sur le golfe1.
Snofroui restaura ou fonda . ,
plusieurs châteaux qui perpé-
tuaient son nom dans ces parages longtemps après sa mort". Ils avaient la
forme carrée ou rectangulaire des citadelles dont on voit les ruines aux bords
1. Ce sont, ii peu de chose près, les produits que le» Bédouins de ces parages apportaient encore
régulièrement sur les marchés d'Egypte au commencement de noire siècle (J. M. J. IIoiiiei.lk, Obirrra-
tinimur ta topographie de ta prenqu'ile du Sinai, dans la Drtniplivii de f Egypte, t. XVI, p. 18;i-lS7).
4. Voir p. 170 de celte Hittoirece qui est dit des Torts construits par le dieu Kà, à l'Orient du Delta.
g. L'existence du mur ou de la ligne de postes est Tort ancienne, car le nom de Klm-Olrll est déjà
suivi de l'hiéroglyphe de la muraille {Papi J", I. 47; Mlriiiii, I. 38; Teti, I. tli), ou de celui de
l'enceinte forliliëe (Miniiri, I. 114) dans les textes des Pyramides. Les pression Klm-Olrtt, fa trrt
Xoire, s'applique à la partie septentrionale de la mer Hougo, par parallélisme avec Ouaï-OIrit, Uuailt-
Mrll, la Irèë Verte, la Méditerranée (Kam*. Xur Erklm-ung der Pyramidrnteite. clans la ieitsrhrift,
I. XXIX, p. 11-15; ef. Mit HClles, Asien und Eurapa nach Alliïgyptiirhen DenkmnUrn, |> lUaqq.);
une ville, bâtie probablement à peu de distance du l.ourg actuel de Maghftr, avait pris te nom du
(folle sur lequel elle élait située, et s'appelait également klm-Oirll.
4. Denin de Fauthrr-Gudin , d'aprè* une photographie de Pétrie. L'original est de l'époque de
INeclanébo et se trouve à Karnak; je l'ai reproduit de préférence aux ligules du temps de l'Ancien
Empire, qui sont moins bien conservées, et dont il n'est que la reproduction traditionnelle.
5. Papyrut de Berlin n" /, I. 16-17 (ef. C.ii.ibh, te' Papyrus hiératique/ de Berlin, p. 38-3(1), et
P.tpyrut if I de SaiuUPftertbourg, cité cl analysé par Colénisclieiï dans la Zeit/chrift, 1878, p. Mil:
tn/rription d'Outil, I. 11. Dans ce dernier lente, Snofroui csl désigné seulement par son nom d'Horus,
Horou uib mdlt (cf. Su»:, Sin nruer lloru/name, dans la Zeit/chrift, t. XXX, p. Si).
354 L'EMPIRE MEMPHITE.
du Nil : les sentinelles, debout nuit et jour derrière tes créneaux, scrutaient
le désert du regard, prêtes à donner l'alarme au moindre mouvement suspect.
Les maraudeurs profitaient de tous les accidents de terrain pour s'approcher
inaperçus, et réussissaient souvent à forcer le cordon1 : ils se dispersaient
dans la campagne, surprenaient un ou deux villages, entraînaient quelques
femmes et quelques enfants, s'emparaient des troupeaux, et, sans pousser
plus loin l'aventure, se dépêchaient de regagner leurs solitudes avant que le
bruit de leurs exploits se fût trop répandu. Dès que leurs courses se multi-
pliaient, le commandant de ta Marche Orientale ou Pharaon lui-même se met-
tait à la tète d'une petite armée et entreprenait contre eux une campagne de
représailles. Ils n'attendaient pas le choc de pied ferme, mais ils se réfu-
giaient dans des abris préparés à l'avance sur certains points de leur terri-
toire. Ils érigeaient çà et là, sur la crête de quelque colline escarpée, ou
vers le confluent de plusieurs Ouadys, des tours en pierre sèche, groupées
en nombre inégal, par trois, par dix, par trente, arrondies au sommet comme
autant de ruches : ils s'y entassaient tant bien que mal et s'y défendaient
désespérément, dans l'espoir que le manque d'eau ou de vivres forcerait l'as-
saillant à se retirer bientôt9. Ailleurs, ils possédaient des douars fortifiés où
I. On lit dan» le l'apymi de Berlin n° 1, l. 1G aqq. (Mjspf.ro, let Conta populaire*. î" éd., p. 99).
la description d'un de ces forte, ut la façon dont Sinouhlt dérohe g* marche aux veilleurs : il reste tapi
dans les buissons du voisinage pendant tout le jour et ne reprend son chemin qu'à 11 nuit close.
S. Deuin de Favchrr-Gudin, d'aprft la vignette de F.. H. Pilhes. the Detert of the Exodut.p. 31;.
3. Les membres de la commission anglaise n'hésitent pas à faire remonter ces tours jusqu'à la plus
LA PRESQU'ILE DU SIHAI. 353
non seulement leurs familles, mais leurs troupeaux pouvaient trouver un abri :
une enceinte ovale ou ronde en grosses pierres brutes, basse, couronnée d'un
rempart épais d'arbustes épineux et de branches d'acacia entrelacées, puis
des rangées de tentes ou de huttes, puis, au milieu, un espace vide pour le
bétail1. Ces forteresses primitives suffisaient à tenir des nomades en respect :
elles n'occupaient pas longtemps les troupes régulières. Les Égyptiens 'es
enlevaient d'assaut, les bouleversaient, tranchaient les arbres fruitiers, brû-
laient les récoltes, se repliaient en paix après avoir tout détruit sur leur
passage, et chacune de leurs campagnes, qui durait quelques jours à peine,
assurait la tranquillité de la frontière pour quelques années3.
Au sud du Gebel et-Tih. et coupé presque entièrement de lui par un fossé
d'Ouadvs, un massif triangulaire de montagnes, le Sinai, s'enfonce dans la
mer Rouge comme la pointe d'une lance, et refoule les eaux à droite et à
gauche, en deux golfes étroits, celui d'Akabah et celui de Suez. Le Djebel
Katherîn se dresse au centre et domine la péninsule. Un chaînon sinueux s'en
détache, qui aboutit au Djebel Serbal à quelque distance au nord-ouest; un
autre se dirige vers le sud, et, après avoir presque atteint au Djebel Oumm-
Shomer la hauteur du Djebel Katherîn, s'abaisse par degrés el plonge en mer
haute antiquité (fi. 11. I'.ilxkii, The Deterl of tht E-rodui, p. 3I)H sqq.. 3[G nqq.; Account of Ihe Surney,
p. ««, 194.19:;, cl pi, IX, l) : lui Bédouins In» nomment namoût, plur. iiamiamli. maisons des
moustiques, el racontent que les Enfants d'Israël les construisirent afin de se meltre à l'abri des
moustique» pendant la nuit, du temps de l'Ksodc. La ressemblance de ces édilices avec le* talayôt
I. K. II. Pii.hkh, The Drtrrt of Ihr Ksodut, p. 3SO-324; Miwiao. ,Y»/c< au jour le jour, § SU, dans
les Prorrediugt de la Société d'Archéologie biblique, t. XIV. ISUI-IHyi. p. 3*6-347.
*. lleitin de. Boudirr, d'aprèi [aquarelle publiée par Lbkius. Denkni., I. 7, n" t.
3. L'inscription d'Ouni (I, ii-3i) nous fournit le type immuable des campagnes égyptiennes contre
tes II irou Shàltou : on pourrait l'illustrer au moyen des tableaux de Karnak qui représentent la
354 L'EMPIRE MEMPHITE.
au Ras-Mohammed. Un système compliqué de gorges et de vallées sillonne le
pays, et l'emprisonne comme d'un réseau de mailles inégales, Ouady Nasb,
Ouady Kidd, Ouady Hebrân, Ouady Baba : l'Ouady Féîràn contient l'Oasis
la plus fertile de la contrée. Un ruisseau qui ne tarit jamais l'arrose pendant
près de trois ou quatre kilomètres : un véritable bois de palmiers en égaie les
deux rives, un peu grêle, un peu clair, mais entremêlé à des acacias, à des
tamaris, à quelques napécas, à des caroubiers, à des saules. Des oiseaux chan-
tent dans les branches, des moutons vont paissant par les champs, des huttes
s'espacent entre les arbres. Les vallées et les plaines, même par endroits le
penchant des collines, sont semés parcimonieusement de ces herbes aroma-
tiques et fines qui recherchent les terrains pierreux. Leur vie est une lutte
perpétuelle contre le soleil : brûlées, séchéçs, mortes à ce qu'il semble, et si
friables qu'elles s'émiettent sous les doigts quand on essaie de les cueillir, les
pluies du printemps les raniment d'année en année et leur rendent presque à
vue d'œil quelques jours de jeunesse verte et parfumée. Les sommets restent
toujours nus, et nulle végétation n'adoucit la rigidité de leurs lignes ou la viva-
cité de leurs teintes. Le noyau de la péninsule est comme sculpté dans un
bloc de granit, où le blanc, le rose, le brun, le noir dominent selon les
quantités de feldspath, de quartz ou d'oxydes de fer que les roches recèlent.
Vers le nord, les masses de grès qui se relient au Gebel et-Tih se nuancent
de tous les rouges et de tous les gris possibles, depuis le gris lilas tendre
jusqu'au pourpre sombre. Les tons, posés crûment l'un à côté de l'autre,
n'ont pourtant rien de heurté, ni de blessant à l'œil : le soleil les enveloppe
et les fond dans sa lumière. Comme le désert à l'Est de l'Egypte, le Sinai
est battu par intervalles d'orages terribles qui dénudent ses montagnes et
changent ses Ouadys en autant de torrents éphémères. Les Monîtou qui le
fréquentaient à l'aube des temps historiques ne différaient pas des Maîtres
des Sables1 : même type, même costume, même armement, mêmes instincts
nomades, et, dans les endroits où le sol s'y prêtait, mêmes essais de culture
sommaire. Us adoraient un dieu et une déesse que les Égyptiens identifièrent
avec Horus et avec Hâthor ; l'un parait avoir représenté la lumière, peut-être
le soleil, l'autre le ciel*. Ils avaient découvert de bonne heure, au flanc des
grande razzia dirigée par Séti Ior sur le territoire des Shaousous et de leurs congénères, entre
la frontière d'Egypte et la ville d'IIébron (Champollion, Monuments de l'Egypte et de la Subie,
pi. CCLXXXIX-CCC1I; Kosellini, Monument i Reali, pi. XLVI-LXI; Lepsii's, Denkm., III, 126-127).
1. Sur les Monîtou, cf. Max Mï'llkr, Asien und Europa nacli Altâgyptischcn Denlimalern, p. 17-24.
2. Ce sont les divinités inxoquées de préférence dans les proscynèmes des officiers et des
mineurs égyptiens qui séjournaient au voisinage des mines de Mafkaît (Lepsiis, Denkm. % 11, 137).
LES MINES DE TURQUOISES ET DE CUIVRE. 355
collines, des veines abondantes de minerais métalliques et des gisements de
pierres précieuses : ils apprirent à en extraire du fer, des oxydes de cuivre
et de manganèse, des turquoises qu'ils exportèrent dans le Delta. La renom-
mée de leurs richesses répandue aux bords du Nil suscita la convoitise des
Pharaons : des expéditions partirent de différents points de la vallée, s'abat-
tirent sur la péninsule et s'établirent de vive force au milieu des cantons qui
possédaient des mines1. Ceux-ci étaient situés au nord-ouest, entre le rameau
occidental du Gebel et-Tîh et le golfe de Suez, dans la région des grès. L'en-
semble s'en appelait Mafkait, le pays des Turquoises, ce qui valut à l'Hâthor
locale l'épithète de dame du Mafkaît. Le district le plus anciennement exploré,
celui auquel les Égyptiens s'attaquèrent d'abord, était séparé de la côte par
une plaine étroite et par une seule rangée de hauteurs : le transport au rivage
des produits de l'exploitation s'exécutait sans peine en quelques heures. Les
ouvriers de Pharaon parlaient de ces parages comme de Bait, la Mine par
excellence, ou de Bibît, la contrée des Grottes, à cause des galeries nom-
breuses que leurs prédécesseurs y avaient creusées : le nom d'Ouady
Magharah, Vallée de la Caverne, par lequel on désigne le site aujourd'hui,
traduit simplement en arabe le vieux terme égyptien*.
Les Monîtou n'acceptèrent point sans lutte cette usurpation de leurs droits :
les Égyptiens qui vinrent travailler chez eux durent acheter leur tolérance
par un tribut, ou se tenir prêts à repousser leurs assauts par la force des
armes. Zosiri s'était déjà préoccupé d'assurer l'industrie des chercheurs de
turquoises3; Snofroui n'est donc pas le premier des Pharaons qui soit passé
par là, mais nul de ses prédécesseurs n'a laissé autant de traces que lui dans
ce coin perdu de l'empire. On voit encore, au versant nord-ouest de l'Ouady
Magharah, le bas-relief qu'un de ses lieutenants y grava en mémoire d'un
succès remporté sur les Monîtou. Un shéîkh Bédouin, renversé à genoux,
demande l'aman d'un geste suppliant; mais déjà Pharaon l'a empoigné par sa
longue chevelure et lui brandit sa massue de pierre blanche au-dessus de la
tête, pour l'assommer d'un seul coup4. Les ouvriers, partie recrutés dans le
1. L'histoire des établissements égyptiens au Sinai a été élucidée par G. Ebers, Durch Gosen zum
Sinai, et par Brixscb, Wanderung nach der Tûrkis-Minen; on trouvera la plupart des inscriptions
traduites sommairement par Birch dans le chapitre septième de V Account of the Survey, p. 168 sqq.
2. La forme même du nom égyptien parait être demeurée attachée à l'un des Ouadys secondaires
qui rejoignent les mines de l'Ouady Magharah à celles du Sarbout el-Khadfm, l'Ouady Babah (Ebers,
Durch Gosen zum Sinai, p. 130, 535; Brugsch, Wanderung nach der Tûrkis-Minen und der Sinai-
ffalbinsel, p. 81-82). Les Bédouins appliquent ordinairement à l'Ouady Magharah le nom de l'Ouady
Gennéh ou Ouady Ignéh (E. H. Palmer, The Désert of the Exodus, p. 195).
3. BÉJrôDtTK, Le nom oVépervier du roi Sosir, dans le Recueil, t. XVI, p. 104; cf. plus haut, p. 242.
4. Léo» db Laborde, Voyage de C Arabie Pétrée, pi. 5, n* 3; Lottin or Laval, Voyage dans la Pénin-
L'EMPIRE MEMPH1TE.
pays même, partie envoyés de» bords du Nil, vivaient retranchés sur un morne
isolé, taillé à pic, à la rencontre de l'Ouady Gennéh et de l'Ouady Magharah'.
Un sentier, pratiqué en lacet dans la pente la moins rude, aboutit, quinze
mètres environ en contre-bas du sommet, à l'extrémité d'un petit plateau
légèrement incliné qui porte les ruines d'un gros village : c'est le Haut-
Castel des inscriptions antiques —
Hait-Qaît *. Il compte encore deux
cents maisons, les unes rondes, les
autres rectangulaires, construites en
blocs de grès non cimentés, à peine
aussi grandes que les cabanes des
fellahs et recouvertes jadis d'un toit
plat en clayonnage et en argile bat-
tue. On y pénètre moins par une
porte que par une fente étroite où un
gros homme aurait peine à se glisser ;
elles n'ont qu'une seule chambre,
sauf celle d'un chef de travaux qui
en contient deux. Une banquette en
pierre brute, haute de soixante-dix à
quatre-vingts centimètres, entoure la
l« t»m*«nm .*»«* » l«„. ■««»«'. plate-forme : un fourré de branches
épineuses complétait probablement
l'appareil, comme aux douars du désert. La position était très forte et facile
à défendre. Des guetteurs, disséminés sur les cimes voisines, surveillaient
au loin la plaine et les défilés de la montagne. Sitôt qu'ils avaient signalé par
leurs cris l'approche d'une bande, les ouvriers désertaient la mine et se réfu-
giaient dans leur donjon ; une poignée d'hommes résolus y pouvait tenir avec
succès, aussi longtemps que la faim et la soif ne se mettaient point de la partie.
Comme les sources et les puits ordinaires n'auraient pas pourvu à la consom-
iii le Arabique ri ft.gypte moyenne, In», hier., pi. I, n* 1 ; Lrpsiïs, Detikm,, II, 5i Biplib, dans Y Account
of the Surveij, p. 171.
1. La description des ruines égyptiennes et des mines de turquoises qui les «voisinent est em-
pruntée à un article de i. Kmst Loue, The Penintula of Sinai (dans les Leiture Houn, 1870). donl
N. Chabas s'est servi déjà fort heureusement dans ses Recherche! lur l'Antiquité hittorique, ï- Mit..
p. 318-363; on en retrouve l'analogue dans Y Account of the Survey, p. i-ii-iti.
i. Biu.-r.scii, Religion und Mythologie der Allen Mgypter, p. 567-568 ; Hilt-Qstt est mentionnée encore
tu milieu de l'époque plolémalque. dans DCaicnt*, Geographiiche Intchriften, t. lit, pi. LI.
3. Plan dreafpar Thuillier, il'aprci le croquil de Bsrcscn, Wanderuno nach den TûrkU-Uinen, p. 70.
LES ÉTABLISSEMENTS MINIERS DES PHARAONS. 357
inatiOD de la colonie, on avait transformé le fond de la vallée en un lac artifi-
ciel. Un barrage jeté en travers empêchait les eaux de s'écouler; le réservoir
se remplissait plus ou moins abondamment selon la saison, mais il ne se vidait
jamais, et plusieurs espèces de coquillages y prospéraient, entre autres une
espèce de grosse moule dont les habitants se nourrissaient communément.
Des dattes, du lait, de l'huile, un pain grossier, quelques légumes et de temps
en temps une volaille ou un quartier de viande : la pitance était misérable
et il en allait du reste à l'avenant. On n'a retrouvé dans le village que des
outils en silex : couteaux, grattoirs, scies, marteaux, pointes de lance, tètes de
flèche. Un petit nombre de vases apportés d'Egypte se distinguaient par la
finesse de la matière et par la pureté du galbe; mais la poterie d'usage courant
était fabriquée sur place d'une terre grossière, sans soin ni souci de la beauté.
En fait de bijoux, des perles en verroterie ou en émail bleu, et des cauries
enfilées en colliers. Aux mines comme à la maison, les ouvriers n'employaient
que des instruments en pierre, emmanchés de bois ou d'osier tressé, ciseaux
ou marteaux, plus que suffisants pour entamer le grès jaunâtre, à gros grains
très friables, au milieu duquel ils travaillaient1. Les galeries cheminent droit
dans la montagne, basses, mais larges, et étayées de loin en loin par quelques
piliers réservés sur la masse. Elles conduisent à des salles de largeur
i. Jlrtn'n de Boudin-, ifaprèt la photographie publiée dam fOrdnance Survey of Ihe Peniniula ef
Sinai, Photographi, t. Il, pi. 59-fiO.
t. E. H. Palmcr croit pourtant avoir reconnu que le travail dans les galeries de minet s'eiéculaît
uniquement au moyen de ciseaux el d'oiilils en brome : le» instrument* en ailei taillé auraient servi
(out su plus a sculpter le» tableau* répandus sur les rochers {The Désert af tke Exoduë, p. 197).
358 L'EMPIRE MEMPHITE.
variable, d'où elles rassortent à la poursuite des minerais précieux. La tur-
quoise scintille partout, au plafond et sur les parois : les mineurs, profitant
des moindres fissures, cernaient, puis détachaient les blocs à grands coups, les
réduisaient en menus fragments qu'ils broyaient et tamisaient soigneusement,
de manière à ne perdre aucune parcelle de la gemme. Les oxydes de cuivre et
de manganèse, qu'ils rencontraient en quantité médiocre là et dans d'autres
localités, servaient à fabriquer ces beaux émaux bleus de nuances variées que
les Égyptiens aimaient si fort. Les quelques centaines d'hommes dont se com-
posait la population permanente pourvoyaient aux exigences journalières
de l'industrie et du commerce. Des inspecteurs royaux venaient de temps en
temps examiner leur condition, ranimer leur zèle et recueillir le produit de
leur labeur. Lorsque Pharaon avait besoin d'une quantité de minerais ou de
turquoises plus considérable qu'à l'ordinaire, il dépêchait un de ses officiers en
mission avec une troupe choisie de carriers, de maîtres mineurs, de dresseurs
de pierres. C'étaient parfois deux ou trois mille hommes qui fondaient sou-
dain sur la péninsule et qui y séjournaient un ou deux mois : l'exploitation
marchait bon train, et l'on profitait de l'occasion pour extraire et pour trans-
porter en Egypte de beaux blocs de diorite, de serpentine, de granit, d'où l'on
tirait ensuite des sarcophages ou des statues. Des stèles gravées en évidence
sur les flancs de la montagne énuméraient les noms des principaux chefs, les
différents corps de métiers qui avaient participé à la campagne, le nom du
souverain qui l'avait ordonnée, et souvent l'année de son règne.
Ce n'est pas un tombeau seulement, c'est deux tombeaux que Snofroui se
fit bâtir1. 11 les appela Khâ, le Lever y l'endroit où le Pharaon mort, identifié
au Soleil, se lève sur le monde à jamais. L'un d'eux est probablement situé
vers Dahshour; l'autre, le Khâ rhî, le Lever Méridional ', paraît être identique
avec le monument de Méîdoum. Comme le mastaba, la pyramide* représente
1. Il est question de ces tombeaux dans un certain nombre d'inscriptions (Maspero, Quatre Année*
de fouilles, dans les Mémoires de la Mission du Caire, t. I, p. 190) : le nom en est déterminé à plu-
sieurs reprises par deux pyramides, et dans un cas au moins, à Dahshour, la pyramide Khâ méridio-
nale est mentionnée. Il en aura été pour Snofroui ce qui en fut pour le Pharaon Ai, vers la fin de
la XVIII4 dynastie : après s'être préparé un tombeau dans le site de Dahshour, il aura renoncé à
l'occuper par suite d'un changement de résidence, et s'en sera construit un second à Méîdoum.
4. Aucune des étymologies proposées pour le mot pyramide n'est satisfaisante : la moins aventurée
est celle de Cantor-Eiscnlohr (Eisknlohr, Des Mesures égyptiennes, dans les Transactions of the Inter-
national Congress of Orientaliste, 1874, p. 288, et Ein Malhematisches Handbuch der Alten jEgypter,
p. 110), d'après laquelle pyramide serait la forme grecque, nvpapii';, du terme composé piri-m-ouisi,
qui, dans la langue mathématique égyptienne, sert à désigner la saillie en tranchant, l'arête de la
pyramide (L. Rodkt, Sur un Manuel du Calculateur découvert dans un papyrus égyptien, p. 8; extr.
du Bulletin de la Société mathématique de France, 1878, t. VI, p. 146), ou sa hauteur (E. RÉviLiorr.
Note sur Véquerre égyptienne et son emploi, d'après le Papyrus Mathématique, dans la Revue Egyp-
te logique, t. 11, p. 309 ; L. Borchardt, Die bôschungcn der Pyramiden, dans la Zeitschrift, t. XXXI, p. 14).
LA PYRAMIDE DE MÉlDOl.H. 359
un tuimilus à quatre faces, dont on a remplacé la terre par une structure
de pierre ou de brique'. Elle signale l'endroit où repose un prince, un chef,
un personnage de rang dans son clan ou dans sa cité ; on l'asseyait sur une base
plus ou moins large, on la montait plus ou moins haut, selon la fortune du mort
ou de sa famille1. La mode n'en vint qu'assez tard, aux environs de Memphis,
et les Pharaons des dynasties primitives furent enterrés dans des hypogées
ou dans des mastabas, comme leurs sujets. Zosiri seul ferait
une exception, si, comme il est probable, la pyramide à
degrés de Saqqarah lui servit de tombeau*,
pour quel motif Snofroui choisit le site de M
peut-être résidait-il dans cette ville d'Héracl
lis qui fut souvent par la suite le séjour fav
des souverains, peut-être s'était-il improvisé
une cité dans la plaine, entre el-Ouastab
et Kafr el-Ayat. Sa pyramide se compose ,
aujourd'hui de trois gros dés inégaux, à
pans légèrement inclinés, et qui s'étagent en retraite l'un sur l'autre. On en
comptait cinq il y a quelques siècles9, et sept au moins dans l'antiquité, avant
que la ruine eût commencé*. Chacun d'eux marquait un accroissement pro-
gressif de la masse totale et avait ses parements polis, qu'on retrouve encore
maintenant l'un derrière l'autre; un revêtement de gros blocs, dont plusieurs
assises subsistent encore vers la base, recouvrait l'ensemble sous un seul angle
de la tête aux pieds, et le ramenait au type de la pyramide classique. Le
couloir s'ouvre au milieu de la face nord, à dix-huit mètres au-dessus du sol7 :
I. Habhv de XMvm., Étude» *ur V Architecture égyptienne, p. lî* «|q.; Pemot-Chihq, Itiitoirc de
l'Art don* l'Antiquité, t. I, p. ÏIXI sqq. ; Msspsbo, Archéologie égyptienne, p. 125.
t. Les pyramides en briques d'Abydos ont élé loutes construites pour de simple» particuliers
(MmitiiB, Abydot, I. Il, p. 38-3!), It-H); le mol mini, qui sert à désigner la pyramide dans les
telles, s'applique d'ailleurs aux tombeaux de» nobles ou du peuple aussi bien qu'à ceux des rois.
3. On n'admel pas facilement qu'une pyramide de grandes dimensions ait disparu sans laisser
aucune trace, quand on a vu la masse énorme de matériaux qui marque encore le site de celles qui
sont le plus endommagées; d'ailleurs, les inscriptions ne mettent en rapport avec une pyramide aucun
des prédécesseurs de Snofroui, li ce n'esl Zosiri (cf. p. Î-IÎ-Î4-1 de eotlc llittoire). I.a pyramide à
degrés de Saqqarah, qui est attribuée à ce dernier, appartient au même type que celle de Jléldoum :
de même la pyramide de Rigah. dont le titulaire est inconnu. En admetlanl que celte dernière ait
servi de tombeau à un Pharaon intermédiaire entre Zosiri et Snofroui, Ici que llouni, l'usage des
pyramides ne serait encore qu'une exception pour les souverain» antérieurs à la IV' dynastie.
4. Deisin de Faucher-Giutin d'aprti le» relevé» de Kl. PnnlE, Mcdum, pi. II.
5. M.natit, Deicription de l'Egypte et du Caire, éd. de Boulaq, I. I, p. 11G : . Il y a une autre pyra-
mide nommée Pyramide de Méidonn, qui est comme une montagne ol qui a cinq élages ■ ; il cite
comme autorité à l'appui de son dire le shéthh Ahou-Xohamtned Abdallah, iîis d'Abderrahlin cl-Qatsi.
6. W. Kl. l'tiaiE, Medum, p. 5 sqq., où les témoignage! des écrivains sont indiqué* brièvement.
1. La pyraniidu de Jléldoum fut ouverte en I88Ï par Xaspero (Éluda de. Mythologie et d' Arekéologir ,
t. I, p. UMfiOJ cf. Archéologie égyptienne, p. 13*1). Elle a élé explorée de nouveau, neuf ans plus
tard, par M. Pétrie, qui en a mesuré les dimensions avec une exactitude scrupuleuse (Medum, p. 10-1 1).
360 L'EMPIRE MEMPH1TE.
il a un mètre et demi de section, et plonge en pleine maçonnerie par une
pente assez raide. A soixante mètres de profondeur, il se redresse sans s'élar-
gir, court de plain-pied l'espace de douze mètres, à travers deux chambres
étroites et basses, puis il se coude, remonte perpendiculairement et débouche
au ras du caveau. Celui-ci est creusé dans la montagne, petit, grossier, dénué
d'ornement : le plafond simule trois fortes assises horizontales, qui gagnent
en encorbellement l'une sur l'autre et qui donnent l'illusion d'une sorte d'ogive
très aiguë. Snofroui dormit là pendant des siècles, puis des voleurs se frayè-
rent un chemin jusqu'à lui, dépouillèrent et brisèrent sa momie, éparpillèrent
les débris de son cercueil sur le sol, enlevèrent son sarcophage en pierre;
l'appareil de poutres et de cordes dont ils usèrent pour le descendre pendait
en place au-dessus de l'orifice du puits, il y a dix ans. La violation date de
loin, car, dès la XXe dynastie, les curieux pénétraient dans le couloir : deux
scribes ont griffonné leurs noms à l'encre sur le revers du cadre où le bloc de
fermeture s'enchâssait à l'origine1. La chapelle funéraire s'élevait un peu en
avant de la face Est : elle comprend deux salles de petites dimensions, aux
parois nues, une cour dont les murs s'épaulent à la pyramide, et, dans la cour,
vis-à-vis la porte, une lourde table d'offrandes flanquée de deux grandes stèles
sans inscription, comme si la mort du souverain avait arrêté la décoration
avant le terme prévu par les architectes. On y accédait encore à volonté
pendant la XVIIIe dynastie, et l'on y venait rendre hommage à la mémoire de
Snofroui ou de sa femme Mirisônkhou. Les visiteurs y consignaient à l'encre,
sur la muraille, des impressions enthousiastes mais sans variété : ils compa-
raient le « Château de Snofroui » au firmament, « quand le soleil s'y lève;
le ciel y pleut l'encens et verse les parfums sur le toit* ». Ramsès H, qui ne
respectait guère les œuvres de ses prédécesseurs, démolit une partie de la
pyramide pour se procurer à bon marché les matériaux nécessaires aux édi-
fices qu'il restaurait dans Héracléopolis. Ses ouvriers rejetèrent les déchets
de pierre et de mortier au bas de l'endroit où ils travaillaient, sans se préoc-
cuper de ce qui s'y trouvait; la cour s'engrava, le sable apporté par le vent
envahit graduellement les chambres, la chapelle disparut et demeura ense-
velie pendant plus de trois mille ans3.
Les officiers de Snofroui, ses serviteurs, la plèbe de sa ville avaient voulu
1. M.ispfcno, Éludes de Mythologie et d Archéologie rgypt ionien, t. 1, p. 149.
2. Vf. Fl. Pétrie. Medunt, pi. XXXIII, I. 8-10. et p. 40.
3. Klle a été découverte par M. Pétrie, Medum> p. 8-10, pi. IV, et Tcn Years Digging in Egypt.
p. 140-141; M. Pétrie l'a remblayée en quittant les lieux pour la sauver des Arabes et des touristes.
LES MASTABAS DE MÉluOUM. 364
reposer auprès de lui, selon l'usage, et lui faire une cour dans l'autre monde
comme dans celui-ci. La domesticité occupe des fosses grossières, souvent
à même le sol, sans cercueils ni sarcophages. Le cadavre n'y est pas étendu
sur le dos tout de son long, dans l'attitude du repos; il gît le plus souvent
sur le flanc gauche, la tète au nord, la face à l'est, les jambes pliées, le bras
droit ramené contre la poitrine, le bras gauche appliqué au ras du buste et
des jambes1. Peut-être les gens qu'on enterrait dans une posture si différente
de celles que nous connaissons aux momies ordinaires appartenaient-ils à une
race étrangère, qui avait conservé jusqu'après la mort quelques-unes des
coutumes de son pays d'origine. Les Pharaons peuplaient souvent leurs cités
royales avec des prisonniers de guerre relevés sur les champs de bataille ou
ramassés dans une course à travers les contrées ennemies : Snofroui a pu
emplir la sienne de Libyens ou de Monitou captifs3. Le corps descendu, les
I. Deisin de FatKhcr-Gvdin d'aprii le eroquit de t'i. Pétrie, Itn Yeart' Digging in F.gypl, p. 141.
î. W. Kl. Petrle, Medum, p. tt-tt. Plusieurs de ces momies étaient, mutilées, une jambe man-
quant à l'une, un bras ou une main à l'autre; c'étaient peut-être des ouvriers tombés victimes d'un
accident pendant la construction <\<\ In (îyru riiickv Ibns la [ilujinrl (les cas, les partie dclsirhi-cs avaient
été déposées soigneusement avec le corps, bien rei'laiei'eient alin que le double les retrouvât dan»
l'autre monde et pûl s'; compléter à volonté pour les besoins de son existence nouvelle.
3. Pétrie pense que le* gens enterres dons la posture contractée appartiennent à la race aborigène
36*2 L'EMPIRE MEMPIHTE.
parents qui avaient conduit le deuil entassaient dans un trou voisin le mobilier
funéraire, des outils en silex, des aiguilles en cuivre, une vaisselle de poupée
en terre rude et mal cuite, du pain, des dattes et des provisions de bouche
dans des plats empaquetés de toile1. Les nobles ont rangé leurs mastabas sur
une seule ligne au nord de la pyramide; ce sont des masses de forte taille
et de belle apparence, mais vides pour la plupart et inachevées*. Snofroui
disparu, Khéops, qui lui succéda, abandonna la place, et les courtisans,
renonçant à leurs tombes, allèrent s'en construire d'autres autour de celle de
leur maître nouveau. On ne rencontre guère à Méîdoum d'hypogées finis et
habités que ceux des personnages morts avant Pharaon ou peu de temps après
lui3. La momie de Rânofir, l'un d'eux, nous montre combien les Égyptiens
avaient poussé loin l'art de l'embaumeur dès cette époque. Le corps en est
bien conservé, mais très réduit ; on l'avait habillé d'une étoffe mince, puis
enduit d'une couche de résine qu'un sculpteur habile avait façonnée en une
image ressemblante du défunt, puis roulé dans trois ou quatre tours d'une
sorte de gaze ténue et presque transparente4. La plus importante des tombes,
qui appartenait au prince Nofirmâît et à sa femme Atiti, est décorée de bas-
reliefs d'une facture particulière : les figures se découpent en silhouette dans
le calcaire, et le creux en est comblé d'une mosaïque de pâtes teintées qui
accusent le modelé et la couleur des parties8. Partout ailleurs on a employé
les procédés ordinaires delà sculpture, le bas-relief rehaussé de couleurs écla-
tantes, d'un style très naïf et très fin : les figures d'hommes et d'animaux y
prennent une vivacité d'allures qui étonne, et les objets, même les hiéro-
glyphes, sont rendus avec une minutie qui ne laisse échapper aucun détail8.
Les statues de Râhotpou et de la dame Nofrit, découvertes dans un mastaba
à demi ruiné, ont eu la bonne fortune d'arriver jusqu'à nous sans éprouver le
moindre dommage, presque sans rien perdre de leur fraîcheur primitive7 : on
de la vallée, réduite en vasselage par une race qui serait venue d'Asie et qui aurait établi le
royaume d'Egypte : celle-ci serait représentée par les momies de posture allongée (if edum, p. 21).
1. W. Fl. Pétrie, Medum, p. 18, 20-21, pi. X1X-XX1.
2. Maspkro, Études de Mythologie et d Archéologie égyptiennes, t. I, p. 173.
3. Ces mastabas ont été explorés pour la première fois et décrits par Mariette, les Mastabas de
V Ancien Empire, p. 468-482, et Monuments divers, pi. XVII-XIX; cf. Villiers-Stiart, y île Gleaningt,
et p. 27-39, Egypt afler the War, p. 469-472. ils ont été fouillés de nouveau par W. Fl. Pétrie, Medum,
1892, qui a reproduit soigneusement en couleurs les fragments de la décoration les plus intéressants
4. W. Fl. Pétrie, Medum, p. 17-18. M. Pétrie a donné cette momie, la plus ancienne peut-être de
celles qui existent encore, au musée anatomique du Royal Collège of Surgeons de Londres.
5. L'analyse chimique et l'étude technique de ces pâtes colorées ont été faites d'une manière aussi
complète que possible par M. Spurrell pour W. Fl. Pétrie, Medum, p. 28-29.
6. M. Pétrie a consacré une étude des plus curieuses aux hiéroglyphes de ces hypogées, et on a
reproduit bon nombre sur les planches en couleur qui accompagnent son mémoire (Medum, p. 29-33).
7. Voir la tète de itàhotpou à la p. 347 de cette Histoire, où elle sert de lettrine au présent chapitre.
KHÊOPS, KHEPHREN ET MYKÊRINOS. 3fi3
les voit dans les galeries de Gîzéh telles qu'elles sortirent des mains de l'ou-
vrier1. Ràhotpou était fils d'un roi, de Snofroui peut-être; malgré sa haute
origine, je lui trouve quelque chose d'humble et d'effacé dans la physiono-
mie. Nofrit, au contraire, a grande mine; je ne
sais quoi d'impérieux et de résolu est répandu sur
toute sa personne, que le sculpteur a exprimé fort
habilement. Elle est moulée dans une robe ouverte
en pointe sur la poitrine; les épaules, le sein, le
ventre, les cuisses se dessinent sous l'étoffe avec
une chasteté et une grâce délicate, qu'on ne sent
pas toujours dans des œuvres plus modernes. La
perruque, serrée au front par un bandeau riche-
ment brodé, encadre de ses masses un peu
lourdes la figure ferme et grassouillette; l'œil vit,
les narines respirent, la bouche sourit et va par-
ler. L'art de l'Egypte a été parfois inspiré aussi
bien, il ne l'a jamais été mieux que le jour ou il
produisit la statue de Nofrit.
Le culte de Snofroui se perpétua de siècle en
siècle. Il traversa, après la chute de l'empire
Memphite, ses périodes d'intermittence pendant les-
quelles il cessa d'être célébré ou ne le fut uu'irré-
^ ' «irniT, n.i»E ne Mftnoi»*
gulièrement : il reparut une dernière fois sous les
Ptolémées', avant de s'éteindre à tout jamais. Snofroui fut donc probablement
un des rois les plus populaires du bon vieux temps, mais son renom, si bril-
lant qu'il demeurât chez les Égyptiens, s'efface pour nous devant celui des Pha-
raons qui lui succédèrent immédiatement, Khéops. Khéphrèn et Mykérinos. Non
qu'au fond nous connaissions mieux leur histoire. Ce que nous savons d'eux se
compose de deux ou trois séries de faits, toujours les mêmes, que les monu-
ments nous enseignent sur les Pharaons contemporains. Khnoumou-khoufoui',
1. La découverte de ce» statues a été racontée par I)«mïOs-Paih!, Lettre à il/. G. ilaspero, dans le
Recueil de Travaux, t. VIII, p. fiU-73. Elles sont reproduites dans H.mtKirt. MiiiwiiienU divers, pi. «I.
*. Dessin de llnuditr, d'après une photographie d'Emile Bragsrli-Bey. La tête do la statue de
Nofrit est reproduite en couleur et de K'nndes dimension» »ur la planche î de cotte Histoire.
3. On a la preuve que son culle a été observé sous la V- dynastie (Mjiiiettp.. les Mastabas de CAu-
rien Empire, p. IDH; cf. peut-être Lr.psns, llenhm., 11. 13Ï), plus tard sous la XII' (Mirietie, Catalogve
général des monument! d'Alnjdoit, p, SUS), et en dernier lieu sous le» Ptolémées (Louvre, D 13, et
l.inMt, Lettre à ,M. François Satrolînî, p. 111, pi. XXVIII, n° ÎS1).
I. La présence des dcui cartouche» Khoufoui et Khnoumoii-KItOHfoui sur les mêmes monumenls a
364 L'EMPIRE MENPHITE.
qu'on appelait, par abréviation, Khoufouî, le Khéops des Grecs', était proba-
blement le fils de Snofroui*. Il régna vingt-trois ans* et défendit
es du Sinai contre les Bédouins : on le
railles rocheuses de l'Ouady Magharah,
iniers asiatiques, ici devant Ànubis le
ot, à la tête d'ibis*. Les dieux profi-
ité et de sa richesse : il restaura le
îor à Dendérah', embellit celui de
, construisit un sanctuaire en pierre
s du Sphinx et y consacra les statues
ir, en argent, en bronze, en bois d'Ho-
îs, de Nephtbys, de Selkit, de Phtah,
de Sokhit, d'Osiris, de Thot, d'Hàpis.
Cent autres Pharaons en firent autant
ou plus, à qui personne ne songeait
un siècle après leur mort, et Khéops
se serait perdu dans la même indif-
férence s'il n'avait forcé l'attention
constante de la postérité par l'im-
mensité de son tombeau". Les Égyp-
n-rms j-:\ ii.b.Itbe m. iifor*'. ,. > ■>■ ,, ,, . ., .
tiens de 1 époque thebame en étaient
réduits à juger leurs ancêtres des dynasties memphites comme nous le
embarrassé les ËgyptologuCB : I» plupart ont voulu y reconnaître deux mis différents, dont le second
■ eraît, selon M. Hniiinu, ri-lui-lii même qui aurait porté le prénom dp Dadoufri (le Smiphù II il/
ilanéthoii dans le tlec.tie.it de Travaux, t. I, p. 138-13!'). Khnoumou-Khoufoui signifie le dieu Khnon.
mou me protège (Mai JU'llkr, llemerkung iiber cinige Kiïnïgtnamen . dans le Recueil, 1. IX, p. ITfi).
I. Khéops osl la forme usuelle, empruntée au récit d'Hérodote {H. cxxiv); Diodore écrit Khembès
ou Khnmmès (I, G3), Kratosthéncs Saophis, et Monéthon Soupliis (édit. l'sf.Ea, p. 90, 93).
t. Le conte du Papyrus Westcar parle de Snofroui comme père de Khoufoui (Ebias, Die Mârchen
des papyru* Wrttcar, pi. IV, I. lit, pi. VI, I, 10), mais c'est un titre d'honneur qui ne prouve rien.
Les quelques documents qu'on a de cette époque donnent l'impression que Khéops était le lils de
Snofroui, et. malgré l'hésitation de llouué [Recherche* êiir le* mmiumrnt*, p. 37-38), cette filiation est
adoptée parla plupart îles historiens modernes (Ko. Mum, tietchiehtr dei Allen .Hgyptem, p. lui).
3. tl'est le chiffre fourni par le fragment du l'apynu de Turin, selon l'arrangement qui a élé pro-
posé par E. de llougé {Recherche* Dur le* monumrut*. p. 1.',i. note ï). et qui nie parait indiscutable.
1. L.idoiwk, Voyage île F. Arabie, pi. 5, n° i; l.ii'siis, Itenkin.. Il, i b, r; Loin* ne Lavai.. Voyage
dan* la piimntule Arabique, Ins. hier., pi. I, n" i, pi. i, n° 1 ; Orduanrr Surrry, Pholographt. t. III,
pi. 5, et Account oflhe Survry. p. 17Î. La scène qui accompagnait b est détruite entièrement.
j. DfMiciu.li, llauurkiinde drr Tempelanlagen ion bradera, p. 15 sqq., pi. XVI a-b; Cm us. Sur
F antiquité tic Ilcndérn. dans la Zriltchrift, 18.13, p. !)l sqq. j Mahiht*, Dendérah. t. III, pi. LXXVIIli,
et Texte, p. Sâ-rdl. Pétrie a trouvé, eu 1801, à (ioptos, des fragments d'édifices au nom de Khéops.
S. NiiiULi, Bubmtim, I, p. 3, 5-6, 10, pi. VIII, XXXII s.
7. Detiin de Roudicr. d'après une photographie d'Emile Ilrugtrh-Bry ; cf. Guidait, le Mutée
l-'.ijijplini, pi. XII. T.a statue ne porte aucun cartouche, et ce sont des considérations purement artis-
tique- qui me l'ont fait attribuer à Khéops {Reçue Critique. I8'JI>, t. II, p. -116-11 7); peut-être repré-
seute-1-elle aussi bien Dadoufrf, le successeur de Khéops, ou Shopsiskaf, celui de Nykérinos.
8. Tous les détails relatifs a l'Isis du Sphinx nous sont fournis par une stèle de la tille de Khéops,
LA GRANDE PYRAMIDE DE GIZÉH. 365
faisons nous-mêmes, moins sur le témoignage positif de leurs actes que sur
la taille et sur le nombre de leurs monuments : ils mesurèrent la grandeur
de Khéops aux dimensions de sa pyramide, et, tous les peuples suivant cet
exemple, le nom de Khéops est demeuré l'un des trois ou quatre noms d'au-
trefois qui sonnent familiers à nos oreilles. Les collines de Gizéli se terminaient
alors en un plateau nu, balayé par le vent. Quelques mastabas isolés s'y espa-
çaient, semblables à ceux qui couronnent encore de leurs ruines la montagne
de Dahshour'. Le Sphinx, déjà enseveli jusqu'aux épaules, dressait sa tète à
dfaouvertt* dans le petit temple de la XXI" dynastie, situé à l'ouest de I» (iraurfe l'vrainiiie (Niiutrrf,
te Straptum de MemphU, éd. Mispluo, t. I," |.. tfiMIHI), est conservée au musée de Cijsi-h (Miiitieits,
Htiniimeiitx dirrn, pi. 33). Elle n'a pas été fabriquée île toutes pièces soi» la XXI* dynastie,
comme l'a dit M. r'Iinders Pétrie il'yraniidii nf Gisrh, p, i!), (>!i sqq.), niais l'inscription à peine
lisible gravée sur le plat de la plinthe indique qu'elle a été refaite par un roi d'époque salle, peut-
être par Saharon, alin lie remplacer une stèle antique de même teneur, qui tombait en poussière
(K. oe KnicH, llecherche* sur 1rs momimeiitt, p. .t« sqq. ; JiASrBito, Guide du Visiteur, p. illi-ÎIIH),
1. Oemiii de Faueher-lludiu, d'après ta photographie publier dan* CUrdnanrr Surrcy, l'hniiiijriiph.t,
t. III. pi. 5. A (laurhe, le Pharaon, debout, assomme un Honjti, devant le dieu Tliot à lête J'ibis; sur
la droite, la scène est détruite et l'on n'aperçoit plus que les titres royaux, sans figures.
1. Personne n'n remarqué, je crois, que plusieurs des rm>slabas construits solcm Kbéops, autour de
la pyramide, contiennent dans la maçonnerie des pierres provenant d'édifices anlérirnrs. Celles que
j'ai vues portaient des sculptures île même style que les beaul mastabas de Dahshour (.1 nniu,
Quatre Années de fouilla, dans les Mémoires de la Mitsio» du Caire, t. I, p. 14'J sqq.).
:Wi L'EMPIRE MEMPHITE.
mi-côte du versant oriental, vers le Sud1; le temple d'Osiris, maître de la
nécropole, disparaissait presque entièrement sous le sable, à côte de lui ,
et, par derrière, de vieui
hypogées délaissés s'ou-
vraient dans le roc3. Khéops
choisit au rebord septen-
trional du plateau un site
d'où la vue s'étendait à la
fois sur la cité du Mur Blanc
et sur la ville sainte d'Hé-
liopolis*. On dégrossit ru-
dement et on engloba dans
la maçonnerie un petit ter-
tre qui le dominait : on
aplanit le reste pour v éta-
ler le premier lit de pierres.
La pyramide avait une hau-
teur de cent quarante-cinq
mètres et une base de deux
cent trente-trois, que l'in-
jure du temps a rabattues respectivement à cent trente-sept et à deux cent
vingt-sept mètres. Elle retint jusqu'à la conquête arabe son parement patiné,
coloré par l'âge, et si subtilement agencé qu'on aurait dit un seul bloc du
I. La stèle du Sphinx porte, à la ligne 13, le cartouche de Khéplirèn au milieu d'une lacune (Vm-
Pjumiim, Appaidix ta Oprratim,* rarrird an al the Pyraïuid* nf Ghth, I. III. pi. B. en fore la
liage US; I.epsiis, Ûenhin.. lit", G3; Yuiw;, Ilieroglyphics. pi. I.KXX). Il y avait là. je crois, l'indication
d'un déblaiement i!u Spliinv upéré sous ce prince, par suite, la preuve à peu près certaine que le
Sphinx était ensablé déjli nu temps de Khéops el de ses prédécesseurs.
3, Mariette identifie le temple qu'il découvrit au sud du Sphinx avec le temple d'Osiris maître de
la nécropole, qui est mentionné dans l'inscription de la fille de Khéops (lu Sérapéam de Nemphii,
édit. Maspero, t. I, p. 39-1(111). Ile temple est placé de telle façon qu'il s'ensable nécessairement en
mémo temps que le Sphinx : je crois donc que la restauration faite par Khéops, d'après l'inscription,
n'était qu'un simple déblaiement, analogue a celui par lequel Khéphrèn parvint à dégager le Sphinx.
3. Ces hypogées, dont plusieurs sont ligures dans Mariette ((ej Mastabas dr l'Anririi Empirr.
p. 5-13 sqq.). nu sont pas décorés pour la plupart. L'examen attentif auquel je les ai soumis en ItKLV
1MSU me porto à croire que beaucoup d'entre eux doivent être à peu près contemporains du Sphinx,
c'est-à-dire qu'ils ont été creusés et occupés assez longtemps avant l'époque de la IV* dynastie.
1. Les pyramides ont inspiré toute une littérature dont je n'ai pas à dresser ici la bibliographie
Klles ont été depuis le commencement du siècle étudiées par Groberl {lleseriplion dr* Pyrnmidn
dr t'.hhé, de ta ville du Caire et dr ses rneirans, iSIM). par Jomard {lletcriplion générale de Memphi'
et des Pyramide*, dans |« Drterïptiou de l'Egypte, t. V, p. ii!M-6S7), par Bcljoni (Sarralire nf thr
Opérations and lièrent Disnwrrie* trilhin thr P,,r<tt>iids, etc., I8in. p. 4:i5-*8i), par Vwc et l'errinn
[The Pgramidt af tliieh, lsiMJ-IHM, et Opérations rarrird on al thr Pyramide nf Giieh in 11131.
IRlO-IRii), par Piazzi Smyth {Life and HW* al th.- i'.rrat Pyramid, IStî"). el enfin par Pétrie (Thr
Pyrainids and Temples ofGhrh, 1HS3). qui n'a plus laissé grand chose à faire à ses successeurs.
CONSTRUCTION DE LA GRANDE PYRAMIDE. 367
pied au sommet1. Le travail de revêtement avait commencé par le haut : la
pointe fut établie en position la première, puis les assises se recouvrirent
de proche en proche jusqu'à ce qu'on eût gagné le bas'.
A l'intérieur tout avait été calculé de manière à cacher le gite exact du sar-
cophage, et à décourager les fouilleurs que le hasard ou leur persévérance
auraient mis sur la bonne voie. Le premier point était pour eux de découvrir
l'entrée sous l'épaisseur du calcaire. Elle se cachait à peu près au milieu de
la face Nord, mais au niveau de la dix-huitième assise, à quarante-cinq pieds
environ au-dessus du sol. Une dalle mobile, roulant sur un pivot de pierre, la
I. Les blocs encore subsistants sont en calcaire blanc (Vrst, Opération*, t. 1, |i. Ïlil-i6ï; Pktbie, The
Pyramidi, p. ÏN-30). Letronne, après avoir admit dans sa jeunesse (Recherehrt tur Dirait, p. 107),
sur l'autorité d'un fragment attribué à l'hilon de Dyzance, que le revêtement étail formé de zone»
polychromes en granit, en brèche verte et en diverses espèces, du pierre, renonça à celte opinion sur
le témoignage de Vvsc (Su*' le rcrêtement des Pyramide» de Gi-th, dans les Œuvre» ehaitiet, I" série,
t. 1, p. 136-139). Pcrrot et Chipiez [Hitloirt de l'Art, t. I, p. Ï30-Ï3i) l'ont reprise avec hésitation.
t. llemwoTi, 11, chv. Le mot pointe ne doit pas èlrc pris au pied de la lettre. La grande pyramide
te terminait comme sa voisine (Vvst. Opération*, t. 11. p. 117) par une plate-forme d'environ neuf
pieds anglais, moins do Irai* mètres île rrtlé (six coudées, d'après IHoikihk ii> Sicii.k, I, 113), qui s'est
élargie progressivement, surtout depuis la destruction du revêtement. Le sommet, vu d'en lias, devait
donner la sensation d'une pointe aiguë. • Eu égard à In grandeur du monument, une plate-forme de
trois mètres élait une extrémité plus pointue même que celle qui termine les obélisques . (I.ktiiimm.,
Sur te revêtement det l'yramidri, dans les Œurres choUtrt, I" série, t. I, p. iïï.)
3. Datai de Houdier, d'après une. photographie d'Emile Uriigtcli-Itcy. Le temple du Sphinx est au
premier plan, enveloppé de subie jusqu'à la Crète des murs. La seconde des petites pyramides au
pied de la grande est celle dont on attribue la construction à llomlsouou, la tille de Miéops, el sur
laquelle les drogmaiis de l'époque salle racontaient à Hérodote de si étranges histoires (II, Ctiiï-CUnJ.
36» L'EMPIRE MEMPH1TE.
dissimulait si bien aux yeux, qu'à part les prêtres et les gardiens, personne
lavait comment la deviner parmi ses voisines. Quand on
'avait basculée, un canal apparaissait béant1. Il est haut de
^ 1 m. 06, large de 1 m. 22, et fuit en plan incliné l'es-
pace de 97 mètres, partie dans la maçonnerie, partie
dans la roche vive ; il traverse une chambre ina-
chevée et se termine en cul-de-sac 18 mètres
plus loin. Les blocs s'ajustent avec tant de
\ l'isthée ut là tw» prn.tNii»:'. précision et présentent une surface si bien
polie qu'on en distingue malaisément les joints.
Le corridor qui mène à la chambre funéraire se raccorde au plafond du couloir
'''«"""'i«"* sous un angle de 120 degrés, à
de la porte. Il remonte pendant
3s, puis il débouche sur un large
r et s'y divise en deux branches,
'une s'enfonce droit vers le
centre et se perd dans une
chambre en granit recou-
" verte d'une voûte en dos
appelle sans raison Chambre
.'autre continue à s'élever, mais
vT de là cKABiiK KMiiRE*. eue enange oe forme et d'aspect. C'est main-
tenant une galerie longue de 45 mètres,
haute de 3 m. 50, bâtie en belle pierre du Mokattam. Les assises infé-
I. Strabon dit formellement que, du son temps, les partie; souterraine» île ta Grande Pyramide
riaient accessible» : ■ Elle n sur se* oMés, et à une élévation médiocre, une pierre qui peut s'ntcr,
Hbert èÇaiptaïuoï. Lorsqu'on l'a soulevée, on voit un conduit torlueuiqui mène au tombeau • (1. XVII,
p. R08). On ne s'est pas rendu compte de ce que Strabon voulait dire (Jokabd, Description générale
de Ucmphis et des Pyramides, dans la Description de. l'Egypte, t. IX, p. J-U). jusqu'au jour où M l'etrie
a montré que l'on voyait encore, il l'entrée de lune des pyramides de Dahshour. des dispositions qui
prouvaient l'eïistcnce d'une dalie mobile, montée sur pivot pour servir de porte [The Pyramids and
Temples nf Gisrk, p. Ub-UG) : c'est une fermeture de même genre que Strabon a décrite, soit après
l'avoir vue lui-même, soit d'après le témoignage de ses guide», et que M. Pétrie a rétablie avec beau-
coup de vraisemblance à l'entrée de la Grande Pyramide (Op. (., ]>. lii"-IU" et pi. XI).
t. Dessin de Fnuclier-Giulin, d'après PtiBif, The Pyramids und Temple* of Giïch, pi. XI.
3. Dessin de Faucher-Gudin, d'après Pétrie, The Pyramide and Temples nf Ci Je A, pi. IX. .V est
le couloir descendant, D ta chambre inachevée et C le couloir horizontal percé dans le roc. D est
le boyau irrégulicr iini fuit communiquer la chambre B avec le palier de séparation et avec le cou-
loir rT. qui conduit i. la cliambre de la Heine. E est le couloir ascendant, H la galerie haute, 1 etJ
la chambre des herses, K le caveau funéraire, L marque les pièces de décharge; enfin a. a sont les
évents qui servaient à l'aération des chambres pendant la construction, et par lesquels on fit couler
des libations il certains jours de fêle en l'honneur de Khéops. Le dessinateur a essayé de rendre par
l'irrégularité des lignes l'épaisseur inégale dos assises dont la maçonnerie se compose ; le purement
qui manque aujourd'hui a élé rétabli, et la ligne brisée qu'on remarque derrière lui indique l'extré-
mité visible des assîtes qui forment actuellement la face septentrionale de la pyramide.
tLES DISPOSITIONS INTÉRIEURES DE LA GRANDE PYRAMIDE. 3
Heures s'appuient d'aplomb l'une sur l'autre, les suivantes ressautent ■
encorbellement, et les deux dernières
De s'écartent plus au plafond qu'à
l'intervalle de 0 m. t>0. Le petit pas-
sage horizontal, qui sépare le palier
supérieur et la chambre même du
sarcophage, offre des dispositions
mal expliquées,. 11 est coupé presque
à moitié par une sorte de vestibule
surbaissé, dont les parois se rayent à
intervalles égaux de quatre coulisses
longitudinales. La première maintient
encore une belle dalle en granit qui
semble suspendue à 1 m. 11 au-dessus
du sol, et les trois autres furent des-
tinées probablement à recevoir des
plaques semblables : c'était en tout
quatre herses interposées entre le
monde extérieur et le caveau '. Celui-ci
est une sorte de boite rectangulaire,
toute en granit, à toit plat, haute de
5 m 81, longue de 0 m. 43, large de
5 m. 20; on n'y voit ni figures, ni
hiéroglyphes, rien qu'un sarcophage
en granit, mutilé et sans couvercle.
Telles étaient les précautions prises
contre les hommes : l'événement en
démontra l'efficacité, caria pyramide
garda son dépôt intact plus de quatre
I. Cela me paraît résulter des dispositions ana-
logues que j'ai rencontrées dans les pyramides de
Saqqarah. M. Pétrie se refuse à reconnaître en cet
endroit la chambre des herses (cf. les annulations
qu'il a jointe» à la traduction anglaise de mon
Archéologie égyptienne, \i. 3i7. note t~), mais il
dalle demeure une énigme pour lui. l'eul-étrc se
borna-t-on à mettre en place une seule des l» ulirie aurmïTi de la crash; tiUilH1.
-, du dénia publié dam la Description de t'F.gypIe, Anl., t. V, pi. XIII,
370 L'EMPIRE MEMPHIÏE.
mille ans1. Mais le poids même des matériaux était un danger des plus
sérieux pour elle. On empêcha le caveau de plier sous le faix des 100 mètres
de calcaire qui le surmontaient, en ménageant au-dessus de lui cinq pièces
de décharge basses et superposées exactement. La dernière s'abrite sous un
toit pointu, qui consiste en énormes blocs accotés l'un à l'autre par le som-
met : cet artifice rejeta la pression centrale presque entière sur les faces laté-
rales. Bien qu'un tremblement de terre ait disloqué partiellement la masse,
aucune des pierres qui habillent la chambre du roi ne s'est écrasée, aucune
n'a cédé d'une ligne, depuis le jour où les ouvriers l'ont scellée en sa place.
La Grande Pyramide s'appelait Khouît, l'horizon où Khoufoui devait aller
s'engloutir, comme le Soleil son père fait chaque soir à l'horizon d'Occident*.
Elle ne renferme que les appartements du mort, sans un mot d'inscription,
et l'on ne saurait pas à qui elle appartint, si, pendant la bâtisse, les maçons
n'avaient barbouillé ça et là, à la peinture rouge, le nom du souverain et les
dates de son règne au milieu de leurs marques personnelles5. On célébrait le
culte dans un temple jadis construit un peu en avant de la façade Est, mais
dont il ne subsiste plus qu'un amas de décombres4. Pharaon n'avait pas besoin
d'attendre qu'il fût momie pour devenir dieu : on inaugurait sa religion dès son
avènement, et beaucoup des personnages qui composaient sa cour s'attachaient
à son double longtemps avant que son double se désincarnât5. Us le servirent
fidèlement pendant leur vie, puis vinrent reposer à son ombre dans les petites
pyramides et dans les mastabas qui se pressaient autour de lui6. De Dadoufri,
son premier successeur, nous croyons pouvoir dire qu'il régna huit ans7;
I. M. Pétrie (The Pyramids and Temples of (lizeh, p. 158, 217) pense que les pyramides de Gizéh
furent violées et les momies qu'elles renfermaient détruites pendant les longues guerres civiles qui
séparent la VI" de la XIIe dynastie. Si le fait était vrai, il faudrait admettre que les rois d'une de*
dynasties suivantes firent remettre les choses en élat, car les ouvriers du calife Al-Mainoun tirèrent de
la chambre sépulcrale de l'Horizon « une pierre creusée, dans laquelle était une statue en pierre
• de forme humaine, renfermant un homme qui avait sur la poitrine un pectoral d'or enrichi de pif r-
« reries, et une épée d'un prix inestimable, et sur la tète une escarboucle de la grosseur d'un œuf,
« brillant comme le soleil, avec des caractères que nul homme ne peut lire ». Tous les auteurs arabes,
dont Jomard a réuni des passages, racontent en gros la même chose (Description générale de Memphes
et des Pyramides, dans la Description de l'Egypte, t. IX, p. 454 sqq.) : on reconnaît aisément dans
cette description la cuve encore en place, une gaine en pierre, de forme humaine, et la momie de
Khéops chargée de bijoux et d'armes, comme le corps de la reine Ahhotpou în.
i. E. de Hoit.ê, Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties, p. ii
3. Les ouvriers traçaient souvent sur les pierres les cartouches du Pharaon sous le règne duquel
on les avait extraites de la carrière, avec la date exacte de l'extraction : les blocs écrits de la
p\ramide de Khéops portent entre autres une date de l'an XVI (Lepsics, Denkm., Il, 1 g).
i. M. Pétrie pense que le dallage en blocs de basalte qu'on voit au pied de la façade orientale de
la pyramide appartenait au temple funéraire (The Pyramid s and Temples of Gizeh, p. 134-135).
;i. Ainsi Khomtini (Lkpsiis, Denkm., II, 2t>), le prince Mirabou (id., tic), khoufoui-ka-iriou (Upshs
Denkm., II, 17 e/; cf. K. de Hoigk, Hecherches sur les monuments qu'on peut rapporter aux six pre-
mières dynasties, p. 50), qui était surintendant de tout le district sur lequel s'élevait la pyramide.
6. K . de Holgé, Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties, p. 41
7. D'après l'arrangement proposé par E. de Ilougé (Recherches sur les monuments p. 156, note t)
LA PYRAMIDE DE KHÉPHRÈN. 374
mais Khéphrèn, celui de ses fils qui exerça ensuite la royauté1, érigea
comme lui des temples* et une pyramide gigantesque. Il t'établit à quelque
120 mètres au sud-ouest de celle de son père1 et la nomma Owfrau', la Grande.
Elle est pourtant plus petite que sa voisine et ne mesure que 13o mètres
de haut1; mais, à distance, la différence s'efface, si bien que beaucoup de
voyageurs anciens et modernes attribuent une égale élévation aux deux soeurs.
1* revêtement, dont un quart environ subsiste à partir du sommet, est un
calcaire numinulitique, compact, dur, plus homogène que celui des assises,
diapré et comme rouillé çà et là de larges plaques d'un lichen rougeàtre, mais
gris aux endroits restés libres, et glacé d'un poli mat qui, de loin, le fait
reluire au soleil7. Des murs épais en pierre brute encadrent le monument de
pour les fragmenta du canon de Turin. E. de Rouge lil le nom Ilil-tol-ef fil propose du l'identifier
avec le Hatolïès de* listes de Manélhon, que les copistes auraient déplace par erreur (Ihid . |>. .'ii-.'i-ij.
Cette co m binai son a été acceptée en général (WiEimms*, sEgyptitche Gttrkichte, p. 18B) : l'analogie
nous oblige a lire Dadoufrl comme Khàfri, Meukaouri, ce qui Tait tomber l'identification. Le culte de
[>adoufrl fut renouvelé vers l'époque salle, a crtté de celui de Khéops et de Khéphrèn (E. ut lloecii,
lleckerche», p. 53), d'après quelque tradition qui rattachait son règne à celui dp ces deux rois.
). Le Papyrus Woslcar (Ern»i>, Die Mt'irtlien de» Papyrut Wrstcar, p. 18) considère Khifrt comme
étant le fils de K hou foui, ce qui coïncide avec les renseignements que Diodorc de Sicile (I, 61) nous
a transmis à cet égard. La forme que cet historien attribue, je ne sais d'après quelle autorité, au
nom du souverain, Khabryiés, est plus rapprochée de l'original que le Miénlirèn d'Hérodote.
<i. Naville a trouvé à Bubastis des fragments, plusieurs fois réemployés au cours des siècles, d'un
vieu* temple construit nu réparé par Khéphrèn (BuIhikHi, I. pi. XXXII b, p. 3, ïl-ll).
a. Joiami, Detcriptioti générale de Memplti* et de» Pyramide*, dans la DrsrriplioR, t. V. p. G38.
4. E. ne Roucf, ISeehercbet tur le» monument» qu'on peut attribuer oui iti première* dynastie»,
p. 50.
5. Jwmu), Deirription générale de Memplti» et de» Pyramide», dans la Ileitriptio», t. V, p, 64Ï.
6. Fac-timilé par Faucher-tiudin de* calque* publié* dan» [.kiwi;*, Deiilna., Il, i e.
'. Jon.ui», Detcription générale de Memphi» et de» Pyramides, dans la DcicriptioH, t. V, p. 033-841),
644-646. Joinard avait pensé que la partie inférieure du revêtement était eu granit rouge (p. C4U),
place {Opération». I. I. p. ÏUI-ifii; cf. I:umjeks Petkje, The Pyramid* and Temples ofGi-éh. |). Ufi).
372 L'EMPIRE MEMPHITE.
trois côtés, et l'on aperçoit derrière la façade ouest, dans une enceinte oblon-
gue, une file de galeries bâties sommairement en calcaire et en boue du Nil1.
C'est là que les manoeuvres employés aux travaux venaient s'entasser chaque
soir, et les rebuts de leur ménage encombrent encore les
, tessons de poterie commune, éclats
ierres dures qu'ils taillaient, granit.
ients de statues brisées pendant
ranit tout lissés et prêts à servir.
t le front Est, et communiquait par
ivec le temple du Sphinx, auquel
■essembler singulièrement'. Le plan
ssine encore nettement sur le sol*,
on n'y peut remuer les décombres
ans ramener au jour des morceaux
de statues, de vases, de tables
d'offrandes, quelques-uns cou-
verts d'hiéroglyphes, comme la
tète de massue en pierre blan-
che qui appartint en son temps à
Khéphrèn lui-même*. Les dispo-
sitions intérieures de la pyra-
'mide sont des plus simples : un
««ira m albIt«r ok nHtPHRÉN*. couloir en granit réservé secrète-
ment dans la face Nord, incliné selon
un angle de 25 degrés, puis horizontal et clos d'une herse en granit au point
qui marque son changement de direction ; un second couloir, qui commence au
dehors, à quelques mètres en avant du parement, et qui va rejoindre le premier
1, Ces galeries avaient été examinées assez superficiellement par les explorateurs antérieurs;
elles ont été déblayées en partie par M. Pétrie, qui. le premier, en a reconnu l'usage et en a rouillé
les décombres avec un soin minutieux (The Pyramids and Temples of Gizeh, p. I0l-m3).
i. La liaison du temple du Sphinx ovec celui de la seconde pyramide a été découverte en
décembre [RHO, pendant les dernière? fouilles de Mariette. Je dois dire que toute la partie de l'édifice
dans laquelle la roule débouche porte les traces d'un travail natif, exécuté longtemps après la con-
strucliiiri du reste de l'édifice; peut-être l'état actuel des lieux ne rcmonte-t-il qu'à l'époque des
Antonins, au temps où le Sphinx fut déblayé pour la dernière foi» dans les lemps anciens.
3. l.e temple était en asseï bonne condition à la fin du xvii" siècle, comme il résulte de la des-
cription d'un contemporain (l.E Maschimi et ne Miillkt. Description de [Egypte, I73T,. I» partie, p. Î43).
.1. Ki.. Pétrie, Ten Years Digging in F.ggpt, p. tt, Î3. Je l'ai eompléléc et j'ai fait reproduire la
restitution de l'ensemble en ciil-do-lampe, ri la p. il* de cette Histoire.
!i. Destin de Bawlier, d'après la photographie d'Emile Urugtck-Dry (cf. GaiMDT, le Mutée Égyp-
tien, pi. VIII). Voir à la page 37» de celte Histoire le dessin fort exact de la mieux conservée des
statues en diorite que le Musée de Giïéh possède actuellement de ce Pharaon,
:
il
n
I
374 L'EMPIRE HEMPH1TE.
après avoir traversé une cellule inachevée; enfin une chambre creusée dans
le roc, mais surmontée d'un toit pointu en poutres de calcaire fin. Le sarco-
phage était de granit, et ne portait ni nom de roi, ni représentation de dieu,
non plus que celui de khéops. Le couvercle s'adaptait si solidement
ne parvinrent jamais à l'en détacher
11 beau en l'année 1200 de notre ère :
n des côtés à coups de marteau pour
our en retirer la momie du Pharaon1.
s fils de Khéphrèn qui lui succéda,
ouri (Mykérinoa), ne pouvait guère
?r à faire miens que son père et que
a aïeul'; sa pyramide, la Suprême
- Hirou1, — atteint à peine 66 mètres
d'élévation et le cède à plusieurs de
celles que l'on édifia plus tard*. On
l'habilla de syénïte au quart de sa
hauteur, puis de calcaire jusqu'au
sommet" : faute de temps sans
doute, on n'acheva pas de dresser
le granit, mais le calcaire reçut
tout le poli qu'il était susceptible
de prendre*. L'enceinte court re-
joindre au Nord celle de la seconde
pyramide et se confond avec elle". Le temple se reliait à la plaine par une
I. La «gronde pyramide fut ouverte aux Kiiropccns en IHIfi, par Belioni {Sarralhe of Oit Opera-
tiiiui and Htrrut Ditcovfrie* in Egypt and Suliia. p. iSâ sqq.). La date exacte de l'entrée des Arabe*
nous est fournie par une inscription tracée à l'encre sur un des murs de la chambre du Sarcophage :
. Maître Mohammed Ahmed, le carrier, a ouvert; Maître Otliman fut présent, ainsi que le roi Ali
Mohammed au début et à la fermeture >. Le roi Ali Mohammed eut le lits et successeur de Saladin.
t. La lradilioncls»-ii|ue fi.it de Myl.érinosletilsdeKhéo|is(llt*»DurE,ll,cnix;Diooo«i. I.CH). La tradition
égyptienne le donne pour liK a Miéplirèu, ai nui qu'il résulte d'un passage du papyrus Weslear (Km», Dît
Màrehen det Papurut Wetlcar, t. pi. IX. I. 11. p. 19), où un magicien prophétise qu'après khéops son
lils régner» encore (Khifrl), puis le lils de celui-ci (Menkaouri). puis un prince d'une autre famille.
:t. K. de ItorcK, Heehrrekei ttir 1er mmiutiiriit* qu'an peut attribuer aux t'tï première» ilgnaitin de
Manflhon, p. lii. lue inscription, malheureusemenl fort mutilée, du tombeau de Talihouni (I.Krsu».
lienktn., II. 3" li), racontait la construction de la pyramide et le transport du sarcophage.
t. M. l'etrie évalue la hauteur exacte de la pyramide a ÏSli-l.î: Ki ou 3;;N0,8±* pouces anglais, c'csl-à-
ilire, en chiffres ronds, à (Wimèlrcs ou à (M mètres el demi (Thf Pyramidt and Temple* offiitrÂ.p.tiî).
:.. D'après Hérodote (II. l'vtuv), le revêtement de granit montait jusqu'à moitié de la hauteur;
d'après Diodore (I. l!3j. il n'allait que jusqu'à la quinzième assise. M. Pétrie a reconnu qu'il \ avait
réellement seize assises basses de granit rouge {The Puramid* ami Temple» nf Giie/i, p. 1 13).
li. Petui, The Pyramide aiirt Temple» <>[ lii:eh. p. 79-80.
T. Deitin nV Itimdirr, d'après la photographie d'Emile Briigrch-llcu; cette statue, conservée dans
le- salles de f.izéh. s déjà été publiée en photographie par Gailul. le Mutée Eityptien, pi. IX.
8. Peibif-, The Pyramii» and Temples af C,i:eh, p. 101-114.
LÀ PYRAMIDE DE MYKÉRLNOS. 375
longue chaussée presque droite, qui cheminait en contre-haut du sol environ-
nant pendant la meilleure partie de son parcours1. Il était en assez bon état
durant les premières années du xvinc siècle*, et ce qui a survécu aux dévas-
tations des Mamelouks témoigne du scrupule minutieux et de l'art raffiné qui
avaient présidé à la construction. On rencontrait d'abord, en venant de la
plaine, une halte immense de 31 mètres sur 14, puis on entrait dans une
large cour qui avait deux issues sur les côtés : on ne distingue plus au delà
que les arrasements de cinq salles dont la centrale, placée sur le prolongement
du vestibule, s'arrête à 13 mètres environ de la pyramide et répond juste
au milieu de la face orientale. Le corps même de l'édifice constitue un rec-
tangle de 56 mètres de longueur sur 54 de largeur environ. Les murs com-
«
portaient tous, comme au temple du Sphinx, un noyau de calcaire de 2 m. 40
d'épaisseur, dont les blocs s'ajustaient avec tant d'artifice qu'on est tenté de
croire le tout entaillé d'une seule pièce dans le roc. Us se cachaient sous un
placage de granit et d'albâtre, dont les débris ne conservent la trace ni d'un
tableau ni d'une légende hiéroglyphique3 : le fondateur avait inscrit son nom
sur les statues qui recevaient pour lui l'offrande, et aussi sur le pan nord de
la pyramide, où on le montrait encore aux curieux vers le premier siècle
avant notre ère4. L'aménagement intérieur est assez compliqué et témoigne des
changements survenus au cours des travaux5. Le noyau primitif ne comptait
probablement que 55 mètres de largeur à la base et 47 mètres de hauteur
verticale. Il comprenait un passage en pente, percé dans la montagne
même, et une cellule oblongue, basse, sans ornement6. On avait déjà terminé
le gros œuvre, mais le revêtement manquait encore, lorsqu'on se décida à
i. Jovard, Description générale de Memphis et de» l*yramides, dans la Description de V Egypte, t. V,
p. 653-655. Cette chaussée ne doit pas être mise en rapport, comme on le fait trop souvent, avec la
chaussée qu'on aperçoit à quelque distance à l'est dans la plaine : cette dernière allait à des carrières
de calcaire situées dans la montagne, au sud du plateau qui porte les pyramides, et qui furent exploi-
tées dès une haute antiquité (Pétrie, The Pyramids and Temples of Gizeh, p. H 5-1 16).
2. Benoit de Maillet avait visité ce temple entre 1692 et 1708. • Il est à peu près de figure quarrée.
« On trouve dans son intérieur quatre piliers, qui sans doute soutenoient une voûte, dont l'autel de
• l'idole étoit couvert, et on tournoit autour de ces piliers comme par une espèce de collatéral. Ces
« pierres étoient revêtues de marbre granité. J'en ai trouvé encore quelques morceaux entiers, qui y
* étoient collés par des mastics. Je ne doute point que l'extérieur du temple ne fût également revêtu
« de ce marbre, comme le dedans » (Le Mascrier, Description de t Egypte, 1735, p. 223-22.4.) Four-
mont n'a pas hésité à copier ce passage presque mot pour mot, dans sa Description historique et
géographique des plaines d 'Héliopolis et de Memphis, 1755, p. 259-261.
3. Jomard, Description générale de Memphis et des Pyramides, dans la Description de V Egypte, t. V,
p. 652-653; Pétrie, The Pyramids and Temples of Gizeh, p. 115.
A. Diodore de Sicile, 1, 63. Le nom, ou l'inscription qui contenait le nom, devait être tracé, non
pas au-dessus de l'entrée même, qui n'a jamais été décorée, mais sur l'une des assises aujourd'hui
disparues du revêtement en calcaire (Pétrie, The Pyramids and Temples of Gizeh, p. 117).
5. La troisième pyramide a été ouverte par le colonel Howard Vyse en 1837 et décrite longuement
par lui (Opérations carried on al the Pyramids in 1887, t. II, p. 69-95).
6. Vyse, Opérations, t. II, p. 119-124; Bunsen, JEgyplens Stelle in der Wellgcschichte, t. II. p. 171-172.
376 L'EMPIRE HEHPHITE.
modifier les proportions de l'ensemble. Mykérinos n'était pas, ce semble, le
fils aîné et l'héritier désigné de Khéphrèn' : il se préparait une pyramide de
prince, semblable à celles qui accompagnent l'Horizon, quand la mort de
son frère et de son père l'appela au trône. Ce qui suffisait
à l'infant ne convenait plus au Pharaon : on agrandit la
masse à ses dimensions actuelles, et l'on y pratiqua un
second couloir incliné, au bas duquel un vestibule pannelé
de granit livre accès à une sorte d'antichambre'. Celle-ci
communique par un corridor horizontal avec le premier
caveau, qu'on approfondit pour la circonstance : on rem-
blaya tant bien que mal l'ancienne entrée désormais inutile9.
Mykérinos ne reposait pas à cet étage supérieur des sou-
terrains : un chenal étroit dissimulé sous le dallage de la
seconde pièce descendait dans un réduit mystérieux , dou-
blé de granit et recouvert d'un toit arrondi en voûte*.
Le sarcophage était un seul bloc de basalte bleu noir,
poli et sculpté en forme de maison, avec une façade per-
cée de trois portes et de trois fenêtres à claire-voie, enca-
drée d'un tore, surmontée de la corniche saillante à laquelle
les temples nous ont accoutumés1. Le cercueil en bois de
cèdre avait la tète humaine et le corps en gaine : il n'était
le ciBciiiL^ n[ peint, ni doré, mais une inscription en deux colonnes,
incisée sur le devant, contient le nom du Pharaon et une
prière à son intention : « Osîris, roi des deux Ëgyptes, Menkaouri, vivant
i. Cela parait résulter de l'ordre dans lequel les princes royaux prennent la parole au Papyrut
Wr.ttcar : Mykérinos est introduit après un certain Bioufrt, qui semble cire son frère aine (Emus. Dit
Marche» de» l'apt/rui Wetlear, p. 0, 18; Maskm>, Ici Conta populaire: f éd., p. 61).
1. Vyse (Opération!, 1. Il, p. SI. note H) y découvrit les fragments d'un sarcophage en granit, peut-
être celui de la reine : les légendes qu'Hérodote {11, ciuiv-cxtiv), et plusieurs auteurs grecs après lui,
racontent à cet égard montrent bien qu'une tradition ancienne admettsit l'existence d'une momie de
femme dans la troisième pyramide, à coté de la momie du fondateur Mykérinos.
3. Vyse a remarqué, à des détails de construction (Opération», t. Il, p. "9-80). que le couloir
aujourd'hui remblaye est le seul qu'on ait pratiqué du dehors au dedans : tous les autres ont été pra-
tiqués du dedans au dehors, par conséquent à une époque où ce couloir, étant la seule voie qu'oc
possédai pour pénétrer à l'intérieur du monument, n'avait pas encore reçu ses dimensions actuelles.
1. On y découvrit encore en place deux des crampons de métal qui attachaient les dalles de granit
l'une à l'autre (Vise, Opération! carried on at the Pyramide in IBS7. t. Il, p. Si).
5, Il a sombré sur la cote d'Espagne, avec le vaisseau qui l'amenait en Angleterre (Vtm, Opération',
t. Il, p. 8t, note S), Il n'en reste plus que le dessin exécuté au moment de la découverte et publié
pnr Vyse (tlprratioiu, t. Il, planches qui font face aux pages 83-81). M. Bore hardi a lente de démontrer
qu'il avait été retravaillé sous In XXVI' dynastie saïte (Zur Baugeichkhtr lier drittrn Pyramide bri
liitrk, dans la Zrîtfchrifl, I. XXX. p. lOfl), ninsi que le cercueil en bois du souverain.
G. Driiin de r'anchcr-Gudui. Le cercueil est au Brîtish Muséum (Biaca, A Guidr tu the First and
Srcond Hgyptian lioomi, 1871, p. :i;i, il" 6iU7). Il a été publié par Vyse {Opération», t. II. planche
qui lui fait face à la page !M), par birch-Lenormanl (ÉctaircitMcmenti »ur le cercueil du roi Hemphiii
VIOLATION DES GRANDES PYRAMIDES. 377
éternellement, enfanté par le ciel, conçu par Nouit, chair de Sibou, la mère
Nouit s'est étendue sur toi en son nom de Mystère dit Ciel et elle a accordé
que tu sois un dieu et que tu repousses tes ennemis, ô roi des deux
Egyptes Menkaourî, vivant éternellement. » Les Arabes éventrèrent la momie,
pour voir si elle ne renfermait pas quelque bijou précieux, et n'y décou-
vrirent que des feuilles d'or, probablement un masque ou un pectoral chargé
d'hiéroglyphes'. Lorsque Vyse rouvrit le caveau en 1837, les ossements
gisaient dispersés au hasard dans la poussière, pêle-mêle avec des amas de
chiffons salis et de bandelettes en laine jaunâtre1.
Le culte des trois grands rois constructeurs de pyramides durait encore à
Memphis au temps des Grecs et des Romains1. On conservait même, dans
les dépendances du temple de Phtah, leurs statues en granit, en calcaire, en
albâtre, où les visiteurs pouvaient les contempler comme vivants1. Celles de
Khéphrèn nous le montrent à différents âges, jeune ou mûr, ou déjà touché
Myctrinui, 1839) et parLep*iu* {Autwahl der icichligeten L'rkunden, pi. VU). Jl, Sethe ■ repris réce m-
ment une ancienne hypothèse, d'après laquelle on l'aurait refait à l'époque saïte, et il a joint aux
considération a archéologiques seules invoquées jusqu'alors des faits philologiques nouveaux (K. Siihe,
Dut Aller det Loiidoner SargdeeheU det KSnigi Mcnchcrei, dans la Zeitschrift, t. XXX, p. 9J-98).
]. Edmh, dans Vus, Opération» rarried on al the Pyramide in 183T, t. Il, p. 71, note 7.
î. Deititi de Fauchcr-Gudin, d'eprèi la chromolithographie de Prisse d'Aiessfj", Hftoire de l'Art
Égyptien. Cf. Hiihabd-Vife, Opération! carried on at the Pijramidi in 1SS7, t. II. planche qui fait
face à la page 84; Pebrot-Cbipiez. HUloire de l'Art dan) l'Antiquité, t. I, p. 509.
3. Vr*e, Opération! carried ou at the Pgramitl* in I8S7, t. II, p. "3-T4.
i. Le dernier monument égyptien qui en constate l'existence est une stèle du Sérapéum (n° Ï8S7)
au nom de P ih il ik- mon k h ou, prophète de hhéops, de Dadoufri et de Khéphrèn : elle a été signalée
en premier lieu par E. de Rougé ((trrherrhet tur tei monument» qu'on peut attribuer aux eix pre-
mière dynattiei de Manélhon, p. 53; cf. PmnïT, Catalogue de la Salle historique, p. 73, n* 314).
S. M. firébaut a enrichi le Musée de Gizéh, en 1888, des statues de Khéphrèn, de Nykérinos. de
37K L'EMPIRE MEMPHITE.
par la vieillesse1. Elles sont taillées pour la plupart dans une brèche de
diorite verte, traversée irrégulièrement de longues veines jaunâtres, et d'une
telle dureté qu'on se demande quel outil a bien pu l'entamer. Pharaon est assis
carrément sur son trône roval, les mains aux cuisses, le buste ferme et droit,
le chef haut, le regard assuré : un épervier, perché au dossier du siège,
enveloppe la tête de ses ailes, image du dieu Horus qui protège son fils. Le
modelé du torse et des jambes, la fierté de la pose, la vigueur de l'expression,
font de la plus grande de ces statues une œuvre unique, comparable à ce que
l'antiquité entière a produit de plus beau. Les cartouches qui nous appren-
nent le nom auraient été martelés et les insignes du rang détruits, que nous
devinerions encore le Pharaon à sa mine : tout en lui trahit l'homme habitué
dès le berceau à se sentir investi d'une autorité sans limite. Mykérinos se
révèle à nous moins impassible et moins hautain2 : il semble ne pas s'éloigner
de l'humanité autant que son prédécesseur, et l'aspect avenant de sa
physionomie s'accorde assez curieusement avec ce que la légende raconte
de sa bonhomie et de sa piété. Les Égyptiens des dynasties thébaines,
comparant les deux grandes pyramides à la troisième, imaginèrent que la
disproportion qu'ils remarquaient entre leur taille répondait à un contraste
de caractère entre les souverains qui les habitaient. Accoutumés qu'ils
étaient d'enfance aux constructions gigantesques, ils n'éprouvaient pas
devant V Horizon et devant la Grande l'impression d'écrasement et d'effroi que
les modernes ressentent. Ils n'en étaient que plus aptes à comprendre quelle
somme de labeur et d'efforts il fallut dépenser pour les finir de la base au
sommet. Elle leur parut dépasser l'extrême des corvées qu'un maitre juste avait
le droit d'imposer à ses sujets, et la réputation de Khéops ou de Rhéphrèn en
souffrit grandement. On les accusa de sacrilège, de cruauté, de débauches; on
prétendit qu'ils avaient suspendu la vie entière de leurs peuples pendant un
siècle et plus afin de s'ériger leurs tombeaux. « Khéops commença par fermer
Menkaouhorou, d'Ousirnirf, plus une statue sans nom que je crois être celle de Khéops (cf. p. 364 de
cette Histoire), découvertes par les fellahs dans le temple de Phtah (Maspeko, Revue critique, 18ÏM).
t. Il, p . -i 1 •>- 4 J 7 ) . Quelques ég>ptologucs, trompés J>ar l'épithète aimé d'FIâpi qui est accolée sur l'une
d'elles au nom du Pharaon Mykérinos, ont cru qu'elles provenaient d'une des nécropoles de Saq-
qarah, peut-être du Se râpé uni encore inconnu des dynasties memphites. Ces monuments ont été repro-
duits en photolithographie dans (iKkr.ut, le Musée égyptien , I, pi. VIII-XIV.
1. Klles ont été découvertes en 1800 par Mariette, dans le temple du Sphinx, au fond d'un puits où
elles avaient été précipitées à une époque inconnue (Marikttk, Lettre à M. le vicomtfde Rougê. p. 7-8);
plusieurs d'entre elles s'étaient hrisées dans la chute. Klles sont conservées aujourd'hui au Musée
de CSizéh : la première reproduction exacte qui en ait été publiée se trouve dans Roit.é-Ba* ville.
Album photographique de la Mission de M. de Rougé, n- 91-UÎ, et dans E. dk Hoigk. Recherches sur
les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties de Manélhon, pi. IV-V.
t. Grébai't, le Musée égyptien, I, pi. IX; voir la statue reproduite à la p. 374 de cette Histoire.
LA LÉGENDE DES .ROIS CONSTRUCTEURS DE PYRAMIDES. 379
les temples* et par prohiber qu'on offrit des sacrifices; puis il contraignit
tous les Égyptiens à travailler pour lui. Aux uns, il assigna la tâche de
tramer les blocs des carrières de (a chaîne Arabique jusqu'au Nil : les blocs
une fois passés en barque, il pres-
crivit aux autres de les amener
jusqu'à la chaîne Libyque. Ils tra-
vaillaient par cent mille hommes
qu'on relevait chaque trimestre*.
Le temps que le peuple pàtit se
répartit de la sorte : dix années
pour construire la chaussée sur
laquelle on tirait les blocs, œuvre,
à mon sembler, de fort peu infé-
rieure à la pyramide, car sa lon-
gueur est de cinq stades, sa lar-
geur de dix orgyies et sa plus
grande hauteur de huit, le tout en
pierres de taille et couvert de
figures3. On consuma donc dix an-
nées à construire cette chaussée et
les chambres souterraines creusées
dans la colline. — Quant à la
pyramide elle-même, on employa
vingt ans à la faire. — Des caractères égyptiens gravés sur elle marquent la
valeur des sommes payées en raves, oignons et aulx pour les ouvriers obligés
aux travaux; si j'ai bon souvenir, l'interprète qui me déchiffrait l'inscription
me dit que le total montait à seize cents talents d'argent. S'il en est ainsi,
1. Déjà dans le Conte du l'opjrus Westcar, il semble que Khéops donnai l'ordre de fermer un temple
au moins, celui du dieu lia à Sukhlbou {Mispoo, te* Coule* populaire*, f ('dit., p. SU}.
t. M. l'clric {The i'vramidt and Temple* of tiiieh, p. WJ-Sll) pense que ce détail renoue nul'
une tradition authentique. L'inondation, dit-il, dure trois mois, durant lesquels le gros de la popu-
lation n'n rien k faire : c'est pendant ces trois mois que Khéops levait le» cent mille hommes qu'il
employait à charrier la pierre. L'explication est 1res ingénieuse, mais elle n'est point supportée par
le texte : Hérodote ne raconte point qu'on appelai! à la corvée cent mille hommes par an pour trois
mois, maïs que de trois mois en trois moi», soit quatre fois par an, des corps de cent mille hommes
rharun se relayaient au travail. Les chiffres qu'il donne sont de % iVi- Ltjtlil es chiiïres de légende, dont
il faut laisser la responsabilité j l'imagination populaire {Wimikimm, llerodol* Zteciles Buch, p. iC,t<).
a. Diodore de Sicile (I, Iî3) déclarait déjà qu'on ne voyait plus les lovées de son temps. Les restes
de l'une d'elles paraissent avoir élé découverts et relevés par Vyse [Opération*, t. I, p. IrtT).
i. Destin de Iloudier, d'après une photographie il Emile Urugsch-lteu (cf. l'iimi, Album photo-
graphique du Mutile de Boutaq, p|. JO; Rougé-Bajulliî, Album photographique de la mission </<■ M. tle
Hougé, il- Ul, Ht). C'est la plus complète des statues trouvées par Mariette dans le temple du Sphinx.
380 L'EMPIRE MEMPH1TE.
combien doit-on avoir dépensé en fer pour les outils, en vivres et en vête-
ments pour les ouvriers1? » Les ressources entières du trésor royal n'avaient
pas suffi à tant de nécessités : une tradition représentait Khéops à bout de
ressources et vendant sa fille à tout venant, afin de se procurer de l'argent*.
Une autre légende, moins irrespectueuse de la dignité royale et de l'autorité
paternelle, assurait qu'il s'était repenti sur ses vieux jours et qu'il avait écrit
un livre sacré fort estimé des dévots3. Khéphrèn l'avait imité et partageait avec
lui la haine de la postérité4. On évitait de prononcer le nom de ces maudits,
on attribuait leur œuvre à un berger Philitis qui paissait jadis ses troupeaux
dans la montagne5, et ceux même qui ne leur refusaient point la gloire telle
quelle de s'être bâti les sépulcres les plus vastes du monde, racontaient qu'ils
n'avaient pas eu la satisfaction de s'y coucher après la mort. Le peuple, exas-
péré de la tyrannie qu'ils avaient exercée sur lui, avait juré d'arracher leurs
cadavres à ces monuments et de les mettre en pièces : on dut les enterrer
dans des cachettes si bien choisies que personne n'a réussi à les découvrir6.
Gomme ses deux aînées, la Suprême eut son histoire anecdotique où l'ima-
gination des Égyptiens s'accorda libre carrière. On savait que le plan en avait
été remanié au cours des travaux, qu'elle contenait deux chambres funéraires,
deux sarcophages, deux momies : on supposa que les modifications se rappor-
taient à deux règnes distincts, que Mykérinos avait laissé sa tombe inachevée,
et qu'une femme l'avait terminée par la suite des temps, selon les uns Nitokris
la dernière reine de la VIe dynastie7, selon les autres Rhodopis l'Ionienne qui
1. Hérodote, 11, cxxiv-cxxv. Les inscriptions qu'on lisait sur les pyramides étaient des graffiti de visi-
teurs, quelques-uns fort soignés (Letronne, Sur le revêtement des pyramides de Gizéh, sur les sculp-
ture* hiéroglyphiques qui les décoraient et sur les inscriptions grecques et latines que les voyageurs
y avaient gravées, dans les Œuvres choisies, 1" série, t. I, p. 441-452). Les chiffres qu'on montra à
Hérodote représentaient, d'après le drogman, la valeur des sommes dépensées en légumes pour les
ouvriers; on doit y reconnaître probablement les chiffres des milliers qui, dans beaucoup de pros-
cynèmes, servent à marquer les quantités de choses diverses présentées à un dieu pour qu'il le»
transmette à un mort (Maspero, Nouveau Fragment d'un Commentaire sur le livre II d'Hérodote, dans
Y Annuaire de la Société pour l'encouragement des éludes grecques en France, 1875, p. 16 sqq.).
2. Hérodote, II, cxxvi. Elle avait profité de son gain pour se construire une pyramide dans le voisi-
nage de la grande, celle des trois petites qui se trouve au milieu des deux autres : il parait bien, en
effet, que cette pyramide renfermait la momie d'une fille de Khéops, Honitsonou.
3. Manéthok, édit. Unger, p. 91. L'attribution d'un livre à Khéops, ou plutôt le récit de la découverte
d'un Livre sacré sous Khéops, n'a rien que de très naturel dans les idées égyptiennes. Le British
Muséum possède un traité de médecine qui fut ainsi découvert sous ce roi, dans un temple de Coptos
(Birch, Médical Papyrus with the name of Cheops, dans la Zeitschrifl, 1871, p. 61-64; cf. p. 224-225
de cette Histoire). Il y a, parmi les livres d'alchimie publiés par M. Berthelot (Collection des anciens
alchimistes grecs, t. 1, p. 211-214), deux petits traités attribués à Sophé, soit Souphis ou Khéops; ils
sont du même genre que le livre mentionné par Manéthon et que le S>ncellc dit avoir acheté en Egypte.
4. Hérodote, H, cxxvn.
5. Hérodote, II, cxxvm; cf. Wiedemann, Hérodote Zweites Buch, p. 477-478 : divers savants ont voulu
voir dans ce nom de Philitis le berger un souvenir des Hyksos, ce qui n'a rien de vraisemblable.
6. Diodore de Sicile, 1, 64.
7. Manéthon, édit. Unger, p. 102, affirme que ISitokris bâtit la troisième pyramide : l'explication de
sou dire a été donnée par Lcpxius dans l'ouvrage de Bunsen (ACgyptens Sicile, t. Il, p. 172, 230-238).
LA LÉGENDE DE MYKÉRINOS. 381
fut la maîtresse de Psammétique Ier ou d'Amasis1. La beauté et la richesse du
revêtement en granit éblouissaient tous les yeux, et engageaient beaucoup de
visiteurs à préférer la moindre des pyramides à ses deux grandes sœurs; on
excusait sa petitesse par un retour du premier fondateur à la modération et
à la piété qui doivent caractériser le bon roi. « Les actions de son père ne lui
furent pas agréables : il rouvrit les temples et renvoya aux cérémonies reli-
gieuses et aux affaires le peuple réduit à l'extrême misère; enfin il rendit
la justice plus équitablement que tous les autres rois. Là-dessus on le loue
par avant ceux qui ont jamais régné sur l'Egypte; car, non seulement il faisait
bonne justice, mais qui se plaignait de l'arrêt il le gratifiait de quelque
présent pour apaiser sa colère*. » Un point cependant inquiétait beaucoup
d'esprits dans ce pays où Ton croyait aux vertus mystiques des nombres :
pour que les lois de l'arithmétique céleste eussent été observées dans la con-
struction des pyramides, il en eût fallu trois de même taille. L'anomalie
d'une troisième inégale aux deux autres s'expliquait seulement si l'on sup-
posait que Mykérinos, rompant avec les habitudes paternelles, avait enfreint,
par ignorance, un arrêt du destin, ce dont il fut puni impitoyablement. 11
perdit d'abord sa fille unique, et peu de temps après connut par un oracle
qu'il n'avait plus que six ans à demeurer sur terre. Il enferma le cadavre de
son enfant dans une génisse de bois creux, qu'il envoya à Sais et à qui Ton
accorda les honneurs divins3. « Il manda ensuite ses reproches au dieu, se
plaignant que son père et son oncle, après avoir clos les temples, oublié les
dieux, opprimé les hommes, eussent vécu longuement, tandis que lui, si
1. Zoega {De Origine et Usu Obeliscorum, p. 390, note 22) avait déjà reconnu que la Rhodopis des
Grecs n'est autre que la Nitokris de Manéthon, et son opinion a été acceptée et développée par Bun-
sen {JEgyptcns Stelle, p. 237-238). La légende de Rhodopis a été complétée par l'addition du caractère
de courtisane au personnage de l'ancienne reine égyptienne; ce trait assez répugnant parait être
emprunté au même ordre de légendes qui s'était attaché à la tille de Khéops ou à sa pyramide. Le
récit ainsi développé s'est confondu également avec un autre conte populaire, où se retrouvait
l'épisode de la pantoufle si bien connu par notre histoire de Cendrillon (Lauth, Kônigin tiitokris-Rho-
dopis und Aschenbrôdel's Urbild, dans la Deutsche lie vue, juillet 1879). Hérodote allie Rhodopis à son
Amasis (II, cxxxiv), Elien {Varias hist., XIII, 32) au roi Psammétique de la XXVI" dynastie.
2. Hérodote, H, cxxix; cf. Wiedemann, Hérodote Zweites Bue h, p. 478 sqq.
3. Hérodote, II, cxxix-cxxxui. La façon dont Hérodote décrit la vache qu'on lui montra dans le
temple de Sais prouve qu'il s'agit ici de Nlt en forme animale, Mihît-ouirit, la grande génisse céleste
qui a enfanté le soleil. Comment le peuple avait-il rattaché à cette statue la légende d'une fille de
Mykérinos, c'est ce qu'on ne peut guère comprendre aujourd'hui. L'idée d'une momie ou d'un cadavre
confiné dans une statue en guise de cercueil était familière aux Égyptiens : deux des reines enterrées
à Déir el-Bahart, Nofrftari et Ahhotpou II, se trouvaient comme perdues au fond d'immenses colosses
osiriens en bois et en étoffe stuquée (Maspero, la Trouvaille de Déir el-Bahari, dans les Mémoires de
la Mission française, t. I, p. 535, 54-4 et pi. V). La tradition égyptienne admettait que le corps des
dieux reposait sur la terre {De Iside et Osiride, § 22, p. 36, édit. Parthey; cf. p. 111 de cette
Histoire). La vache Mîhit-ouirit pouvait donc être enfermée corporellement dans un sarcophage en
forme de génisse, comme la gazelle momifiée de Déir el-Bahari est enfermée dans un sarcophage
en forme de gazelle (Maspero, la Trouvaille de Deir el-Bahatï, pi. XXI, B); peut-être même la statue
qu'on montra à Hérodote contenait-elle réellement ce qu'on pensait être une momie de la déesse.
382 L'EMPIRE MEMPH1TE.
dévot, allait périr si vite. L'oracle lui répondit que pour cela mèine ses
jours étaient abrégés, car il n'avait pas fait ce qu'il fallait faire. L'Egypte
aurait dû souffrir cent cinquante ans, et les deux roi* ses prédécesseurs
l'avaient su, au contraire de lui. A cette réponse, Mykérinos, se sentant cou-
damné, fabriqua nombre de lampes, les alluma chaque soir, à la nuit, se
mit à boire et à se donner du bon temps, «ans jamais cesser, nuit et jour,
errant sur les étangs et dans les bois, partout où il pensait trouver occasion
de plaisir. II avait machiné cela afin de convaincre l'oracle de faux, et de vivre
douze ans, les nuits comptant comme les jours1. » La légende plaçait après
lui un dernier constructeur de pyramides, mais d'un genre un peu différent,
Asychis ou Sasychis. Celui-ci préféra la brique, sauf en un point, où il
enchâssa une pierre qui portait l'inscription suivante : « Ne me méprise pas
à cause des pyramides de pierre; je l'emporte sur elles autant que Jupiter sur
les autres dieux. Car, plongeant une pièce de bois dans un marais et réunis-
sant ce qui s'y attachait d'argile, on a moulé la brique dont j'ai été con-
struite4. » Asychis par ses vertus aidait Mykérinos à contre-balancer l'impres-
sion fâcheuse que Khéops et Khéphrèn laissaient derrière eux. Il s'était montré
l'un dea meilleurs parmi les cinq législateurs de l'Egypte. Il avait réglé minu-
tieusement les cérémonies du culte. Il avait inventé la géométrie et l'art d'ob-
server les astres3. II avait promulgué une loi sur le prêt, par laquelle il auto-
risait les particuliers à livrer en gage la momie de leur père, avec faculté au
créancier de traiter comme sienne la sépulture du débiteur : tant que la dette
n'était pas acquittée, celui-ci ne pouvait obtenir asile pour lui ou pour quel-
qu'un des siens, ni dans la tombe paternelle, ni dans une autre tombe4.
L'histoire ignore et ce judicieux souverain, et bien d'autres Pharaons du
même type, que les drogmans d'époque grecque signalaient résolument i
l'attention respectueuse des voyageurs. Elle constate seulement que l'exemple
donné par Khéops, Khéphrèn et Mykérinos ne se perdit point par la suite. Du
commencement de la IVe à la fin de la XIVe dynastie, pendant plus de quinze
cents ans, la construction des Pyramides fut une opération d'état courante,
prévue par l'administration, assurée par des services spéciaux\ Non seulement
I. Hérodote, H, cxxxiu.
2. HÉRODOTK, II, CXXWI.
3. Diodork, I, 01. 11 semble assez vraisemblable que Diodore eul connaissance, par quelque écri-
vain alexandrin aujourd'hui perdu, de traditions relatives aux travaux législatifs de Shashanqou I**.
de la XXIIe dynastie, mais où le nom du roi, transcrit ordinairement Sésonkhis, avait été transforme
en Sasykhis par un drogman (Wilkixsox, dans G. IUwlinson, Herodotus, t. 11, p. 182, note 7).
i. Hérodote, H, r.xxxvi.
5. Sur la construction des Pyramides en général, cf. Perrot-Chipikz, Histoire de VArt, t. I, p. 195.
LES CARRIÈRES DE TOURAH. 383
les Pharaons s'en bâtissaient pour eux-mêmes, mais les princes et les prin-
cesses de leur famille s'érigeaient les leurs, chacun selon ses moyens : trois de
ces mausolées secondaires sont rangés sur la face orientale de l'Horizon, trois
sur la face méridionale de la Suprême, et partout, près d'Abousîr, à Saqqarah,
à Dahshour, dans leFayoum, la plupart des pyramides royales rallient autour
d'elles un cortège plus ou moins nombreux de pyramides princières, sou-
vent ruinées hors de toute figure et de toute proportion1. On apportait les
matériaux de la montagne Arabique. L'éperon qui poussait droit vers le Nil
jusqu'au village de Troiou n'est qu'un bloc de calcaire d'une finesse et d'une
blancheur sans égales*. Les Égyptiens l'attaquèrent dès les temps les plus
anciens; à "force de le couper en tout sens, ils en ravalèrent la pointe au
ras du sol sur une épaisseur de plusieurs centaines de mètres. L'aspect de
ces carrières est aussi étonnant peut-être que celui des monuments qui
en sortirent. L'extraction s'y pratiquait avec une habileté et avec une régu-
larité qui dénotent une expérience séculaire. Les galeries épuisent les filons
les plus fins et les plus blancs sans en rien laisser perdre, et les chambres
sont d'une étendue presque effrayante ; on dressait les parois, on parachevait
les piliers et le toit, on calibrait régulièrement les couloirs et les portes
comme s'il se fût agi d'un temple souterrain et non d'une simple exploitation
de matériaux8. Des graffiti tracés rapidement aux encres noire et rouge conser-
vaient le nom des ouvriers, des contremaîtres ou des ingénieurs qui avaient
travaillé là à des époques déterminées, des calculs de paye ou de rations,
des épures de pièces intéressantes, chapiteaux ou fûts de colonne, qu'on
dégrossissait sur place pour en alléger le poids. Ça et là de vraies stèles
officielles, réservées en bonne place, rappelaient qu'après une longue inter-
ruption, tel ou tel souverain illustre avait recommencé l'excavation et ouvert
des chambres nouvelles4. L'albâtre se rencontrait non loin de là, dans l'Ouadv
2i0; Pétrie, The Pyramids and Temples of Gizeh, p. 162-172; Maspero, Archéologie Egyptienne,
p. 126-148.
1. On trouvera déjà la description de la plupart de ces pyramides dans l'ouvrage de Vysk-Perrin<;,
Opérations varried on al the Pyramids in 1837, t. II. Les petites pyramides du Fayoum ont été
déblayées tout récemment par Pétrie, Illahun, Kahnn and Gurob, p. i-5.
2. Troiou est la Troja des écrivains classiques (Bricsch, Das Aïgyptische Troja, dans la Zeitschrift,
1867, p. 89-93), que d'Anville (Mémoires sur l'Egypte Ancienne et Moderne, p. 175) avait identifiée
déjà au bourg moderne de Tourah; cf. la carte du Delta, à la page 75 de cette Histoire.
3. La description des carrières de Tourah, telles qu'on les voyait au commencement du siècle, a été
faîte trop brièvement par Joroard (Description générale de Memphis et des Pyramides, dans la Des-
cription de V Egypte, t. V, p. 672-671), puis plus complètement par Perring (Vyse, Opérations, t. III,
p. 90 sqq.). Depuis une trentaine d'années, les maçons du Caire ont détruit la plupart des restes
d'antiquités qui se trouvaient dans ces parages, et ont changé complètement l'aspect des lieux.
4. Stèles d'Amenemhalt 111 de la XII* dynastie (Vyse, Opérations carried on at the Pyramids in
1HS7, t. III, planche en face la page 94; Lepsics, Denkm., II, 143 i), d'Ahmosis Ier (Vyse, Opérations^
384 L'EMPIRE MEMPHITE.
Gerraouî, et de très vieux Pharaons avaient établi une véritable colonie en
plein désert pour le débiter en morceaux et pour l'emporter : un barrage
puissant, jeté en travers de la vallée, emmagasinait l'eau des pluies pendant
l'hiver ou le printemps, et formait un étang ou les ouvriers trouvaient con-
stamment de quoi s'abreuver1. Khéops et ses successeurs tirèrent leur albâtre
de Hàtnoubou*, au voisinage d'Hermopolis, leur granit de Syène, le diorite
et les autres roches dures dont ils aimaient à fabriquer leurs sarcophages des
vallées volcaniques qui séparent le Nil. et la mer Rouge, surtout de l'Ouadv
Hammamât. Comme c'étaient les seuls matériaux dont la quantité ne fût pas
réglée à l'avance et qu'il fallût aller chercher au loin, chaque roi dépêchait les
principaux personnages de sa cour en mission aux carrières de la Haute-
Egypte, et la célérité avec laquelle ils ramenaient la pierre constituait un titre
éminent à la faveur du maître. Si le gros œuvre était en briques, on moulait la
brique sur place, avec la terre ramassée dans la plaine au pied de la colline.
S'il était en calcaire, les parties du plateau les plus voisines fournissaient à
profusion le moellon. On consacrait d'ordinaire à la construction des cham-
bres et au revêtement le granit rose d'Éléphantine et le calcaire de Troiou,
qu'on n'avait même pas la peine de se procurer spécialement pour la circon-
stance. La cité du Mur-Blanc entretenait à portée ses entrepôts toujours pleins,
où l'on puisait sans relâche pour les édifices publics, et par conséquent pour
la tombe royale. Les blocs, choisis dans ces réserves et convoyés en barque
jusque sous la montagne, montaient à la force des bœufs vers l'emplacement
désigné par l'architecte, sur des chaussées inclinées doucement3.
La disposition intérieure, la longueur des couloirs, la hauteur, varient
grandement : la moindre des pyramides n'atteint pas dix mètres. Comme on
conçoit malaisément quels motifs déterminèrent les Pharaons à choisir des
dimensions différentes, on a pensé que la masse de chacune d'elles s'accrois-
sait en proportion directe du temps dépensé à la bâtir, c'est-à-dire de la
durée de chaque règne. Dès qu'un prince s'asseyait sur le trône, il aurait
t. III, p. 94; Lepsics, Denkm., III, 3 a-b), de Àkhopîrourt (Vyse, Opérations, t. 111, p. 95) et d'Ain e-
nôthés III (Vyse, Opération*, t. III, p. 96;Lepshjs, Denkm., III, 71 a-b) de la XVIIIe, enfin de Necta-
nébo II de la XXX* (Vysb, Opérations, t. III, p. 99; Brogsch, Reiseberichte, p. 46 sqq.).
1 . ScHWEiMFUHTH, Sur une ancienne digue de pierre aux environs dflélouan, dans le Bulletin de
r Institut Égyptien, 2* série, t. VI, p. 139-145. M. Schweinfurth pense que l'albâtre employé dans le tem-
ple du Sphinx provient très probablement de cqg carrières de l'Ouadv Gerraouf.
2. Les carrières de Hàtnoubou ont été découvertes en 1891 par M. Newberry (Egypt Exploration
Fund, Report of the Fifth Ordinary General Meeting, 1890-1891, p. 27-28; cf. G. Willocghbt-Fraie*.
Hat-nub, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie biblique, t. XVI, 1893-1894, p. 73-82).
3. Une des stèles de Tourah nous montre un bloc de calcaire posé sur un traîneau que tirent six
grands bœufs (Vyse, Opérations, t. III, planche en face de la page 99; Lepsuîs, Denkm., III, 3 a).
LES PLANS DIVERS DES PYRAMIDES.
385
commencé par s'ébaucher en hâte
une pyramide assez vaste pour con-
tenir les éléments essentiels du tom-
beau; puis, d'année en année, on
aurait ajouté des couches nouvelles
au noyau primitif, jusqu'au jour où
la mort du maître arrêtait à jamais
la poussée du monument1. Les faits
ne justifient pas cette hypothèse :
telle petite pyramide de Saqqarah
appartient à un Pharaon qui régna
trente ans1, quand l'Horizon de
Gizéh est l'œuvre de Khéops qui gou-
verna vingt-trois années seulement.
Le plan de chaque pyramide était
réglé d'ordinaire une fois pour
toutes par l'architecte, selon les
instructions qu'il avait reçues et
les ressources qu'on lui accordait.
Une fois mise en train, l'exécution
s'en poursuivait jusqu'à complet
achèvement des travaux, sans se
développer ni se restreindre, à
moins d'accidents imprévus. Les
1. C'est la théorie formulée par Lepsius
(Veber den Bau der Pyramiden, dans les Ber-
liner Monatsberichte, 1843, p. 177-203) d'après
ses recherches et les travaux d'Erbkam, adoptée
et défendue encore par la plupart des Égypto-
logues (Ebers, Cicérone durch dos Alte und
Neue Mgypien^ t. I, p. 133-134; Wiedemann,
Agyptische Geschichte, p. 181-182). Elle a été
fortement combattue par Perrot-Chipiez (His-
toire de Vart, t. I, p. 214-221) et par Pétrie
{The Pyramids and Temples ofGizeh, p. 163-
lC6)t puis elle a été reprise, avec des amen-
dements, par Borchardt (Lepsius s Théorie des
Pyramidenbaues, dans la Zeitschrift, t. XXX,
p. 102-106), dont les conclusions ont été adop-
tées par Ed. JHeyer (Geschichte des Alten
.Egypte ti s, p. 106 sqq.). Les sondages que
j'ai eu l'occasion d'exercer dans les pyra-
mides de Saqqarah, d'Abouslr, de Dahshour,
de Rigah et de Lisht, m'ont montré qu'elle ne pouvait s'appliquer à aucun de ces monuments.
2. Telle est la pyramide en calcaire blanc d'Ounas, dont les dimensions sont des plus exiguës.
LE NOME MEMPHITE ET L EMPLACEMENT DES PYRAMIDES
DE L'ANCIEN EMPIRE.
HIST. ASC. DE L ORIENT. — T. I.
49
386 L'EMPIRE MEMPH1TE.
pyramides devaient présenter les faces aux quatre points cardinaux, comme
les mastabas; mais, soit maladresse, soit négligence, la plupart ne sont pas
orientées fort exactement, et plusieurs s'écartent sensiblement du nord vrai.
La grande pyramide de Saqqarah ne décrit pas à la base un carré parfait,
mais un rectangle allongé de Test à l'ouest : elle est à degrés, c'est-à-dire
qu'elle se compose de six cubes à pans inclinés, d'inégale hauteur et en
retraite l'un sur l'autre de deux mètres environ1. La plus haute des pyra-
mides en pierre de Dahshour se penche de 54° 41' sur l'horizon à la partie
inférieure, mais à mi-hauteur l'angle se resserre brusquement et se réduit à
42° 59'; on dirait un mastaba surchargé d'une mansarde gigantesque1. Tous
ces monuments avaient leur mur d'enceinte, leur chapelle, leur collège sacer-
dotal qui y célébra longtemps les offices sacramentels en l'honneur du prince
défunt, leurs biens de mainmorte administrés par le chef des prêtres de doi/-
ble ; tous recevaient un nom, la Fraîche, la Belle, la Divine en ses places*, qui
leur conférait une personnalité et comme une âme vivante. Ils formaient à
l'ouest du Mur-Blanc une longue chaîne dentelée, dont les extrémités se per-
daient au sud comme au nord dans les lointains de l'horizon : Pharaon les
apercevait des terrasses de son palais, du jardin de ses villas, de tous les
points de la plaine où il promenait sa résidence, entre Héiiopolis et Méîdoum,
comme un mémento constant du sort qui l'attendait en dépit de sa divinité. Le
peuple étonné et inspiré par leur nombre, par la diversité de leur taille et de
leur apparence, racontait de la plupart d'entre elles des histoires où le surna-
turel jouait un rôle prépondérant. H savait évaluer à quelques onces près les
monceaux d'or et d'argent, les bijoux, les pierres précieuses qui décoraient
les momies royales ou qui encombraient les chambres funéraires; il n'ignorait
aucune des précautions que les architectes avaient prises pour mettre ces
richesses à l'abri des voleurs, et ne doutait pas que la magie n'y eût joint la
sauvegarde plus efficace des talismans et des génies. 11 n'admettait pyramide si
mesquine qu'elle n'abritât ses défenseurs mystérieux attachés à quelque amu-
lette, le plus souvent une statue animée par le double du fondateur*. Les
Arabes d'aujourd'hui les connaissent encore et les craignent par tradition. La
grande pyramide recelait une image noire et blanche, assise sur un trône
\. Voir p. 242-244 de cette Histoire la description plus complète et la figure de cette pyramide.
2. Vyse, Opérations carried on at the Pyramids in 1837* t. III, p. 65-70.
3. La fraîche* Qobhou, était la pyramide de ShopsiskaC, dernier roi de la IVe dynastie (E. de Rocgè.
Recherches sur les Monuments, p. 74), la Délie, Noria, celle de Dadkerf Assi (m/., p. 100), et la Divine
en ses places, INoutir IsouItou (id.f p. 99), celle de Menkaouhorou, qui appartiennent à la V* dynastie.
4. Maspkro, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes* t. 1, p. 77 sqq.
LES ROIS DE LA V DYNASTIE. 387
et munie du sceptre des rois : qui la regardait, « il entendoit de ce costé vn
bruit espouuan table, qui luy faisoit presque faillir le cœur, et celuy qui
auoit entendu ce bruit, en raouroit ». Une idole de granit rose veillait sur la
pyramide de Khéphrèn, debout, le sceptre à la main et Furseus au front,
« lequel serpent se iettoit sur ceux qui en approchoient, se rouloit autour
de leur col et les faisoit mourir1 ». Un sorcier avait armé ces protecteurs des
Pharaons passés, mais un autre aussi puissant pouvait endormir leur vigilance
ou annuler leur force, sinon pour toujours, au moins le temps nécessaire à
dépister le trésor et à détrousser la momie. La cupidité des fellahs, surexcitée
par les récits même qu'ils entendaient, l'emporta chez eux sur la terreur, et
les encouragea à se risquer dans ces tombeaux si bien gardés : combien de
pyramides étaient déjà vides au début du second empire thébain* !
La quatrième dynastie s'éteignit avec Shopsiskaf, successeur et probable-
ment fils de Mykérinos3. Les savants du siècle de Ramsès II considéraient la
famille qui la remplaça comme n'étant qu'une branche secondaire de la lignée
de Snofroui, amenée au pouvoir par le simple jeu des lois qui régissaient
l'hérédité*. Et de fait, rien dans les monuments contemporains n'annonce que
le changement se soit accompli violemment, au milieu des guerres civiles, ou
à la suite d'une révolution de palais : la construction et la décoration des
tombes continuent sans interruption et sans hâte, les gendres de Shopsiskaf
et de Mykérinos, leurs filles, leurs petits-enfants conservent sous les rois
nouveaux la même faveur, les mêmes biens, les mêmes dignités dont ils jouis-
saient auparavant8. On racontait pourtant autour' des Ptolémées que la cin-
1. Les Merveilles de V Egypte de Mourtadi, de la traduction de M. Pierre Vattier, p. 46-48.
2. Ainsi la pyramide de Méfdoum; cf. ce qui est dit sur ce sujet à la page 360 de celte Histoire.
3. La série des rois à partir de Mykérinos a été établie pour la première fois de manière certaine
par K. dk RoiGÉ, Recherches sur les Monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties,
p. 66-8 i. Les résultats auxquels M. de Rougé était arrivé ont été admis depuis par tous les égyptologues
(Brlgsch, Geschichle /Egypteus, p. 8<4sqq.; Lauth, Aus /Egyptens Vorzeit, p. 129 sqq.; Wiedehann.
.Egyptische Geschichle, p. 193-197; Et>. Meyer, Geschichtc des Alten .Egyptens, p. 129 sqq.) Voici
d'ailleurs le tableau de la IV* dynastie reconstitué autant que possible, avec les dates approximatives :
D'après Manéthon.
D'après le canon de Turin
et les monuments.
SNorROCi (4100-1076?) 24
Kmoitoli (4075-4052?) 23
DADOtrRl (4051-4043?) 8
KhAkrI (4042-?) ?
Menkaoirï ?
Shopsiskaf ?
Soris 29
Solphis l«r 63
Soiphîs II 66
Mf.nkhkrks 63
Katoisks 25
Bikhéres 22
Seberkherès 7
Tamphthis 9
4. Les fragments du Papyrus Royal de Turin ne présentent en effet aucune séparation entre les rois
que Manéthon attribue à la IV* dynastie et ceux qu'il classe dans la V% ce qui semble bien indiquer
que l'annaliste égyptien les considérait tous comme appartenant à une même famille Pharaonique.
5. L'exemple le plus frappant est celui de Sakhemkari, fils de Khéphrèn, mort au plus tôt sous
le Pharaon SahourJ (E. de Roit.k, Recherches sur les Monuments, p. 77-78; Lepsiis, Denkm., II, 42).
388 L'EMPIRE MEMPH1TE.
quième dynastie ne se reliait pas à la quatrième; on la tenait pour étrangère
à Memphis, et l'on affirmait qu'elle venait d'ÉIéphantine1. La tradition était
fort ancienne, et on en sent déjà l'influence dans un conte populaire, qui avait
cours à Thèbes dès les premiers temps du Nouvel Empire*. Khéops, cherchant
les livres mystérieux de Thot pour en transcrire le texte dans sa chambre
funéraire3, avait demandé au magicien Didi de vouloir bien les lui procurer,
mais celui-ci avait récusé la tâche périlleuse qu'on lui imposait : « Sire, mon
maître, ce n'est point moi qui te les apporterai ». Sa Majesté dit : « Qui donc
me les apportera? » Didi lui dit : « C'est l'aîné des trois enfants qui sont dans
le sein de Roudîtdidit qui te les apportera ». Sa Majesté dit : « Par l'amour
de Râ! qu'est-ce que tu me contes là, et qui est-elle la Roudîtdidit? » Didi
lui dit : « C'est la femme d'un prêtre de Râ, seigneur de Sakhîbou. Elle porte
en son sein trois enfants de Râ, seigneur de Sakhîbou, et le dieu lui a promis
qu'ils rempliraient cette fonction bienfaisante dans cette Terre Entière4, et
que l'aîné d'entre eux serait grand pontife à Héliopolis. » Sa Majesté, son
cœur en fut troublé, mais Didi lui dit : « Qu'est-ce que ces pensers, Sire,
mon maître? Est-ce à cause de ces trois enfants? Alors je te dis : Ton fils,
son fils, puis l'un de ceux-là8? » Le bon roi Khéops essaya sans doute de
mettre la main sur ce trio menaçant, au moment de la naissance ; mais Râ le
prévint et sauva sa progéniture. Quand le temps de l'accouchement approcha, la
Majesté de Râ, seigneur de Sakhîbou, adressa la parole à lsis, à Nephthys, à
Maskhonît8, à Hiqît7, à Khnoumou : « Allons, hâtez-vous de courir délivrer la
1. Telle est la tradition admise par Manéthon (édit. Unger, p. 96-97). Lepsius pense qu'il y a eu
chez les copistes de Manéthon une distraction qui a fait passer la mention d'origine de la VI* dynastie
à la V* : ce serait la VI* dynastie qui aurait été Èléphantite (Kônigslntch der Allen JEgypter, p. 20-21).
Je crois que le mieux est de respecter le texte de Manéthon jusqu'à nouvel ordre, et d'admettre qu'il
a connu une tradition d'après laquelle la V* dynastie passait pour être originaire d'filéphantine.
2. Erman, Die Mârchen des Papyrus Wcstcar, pi. IX sqq., p. 11-13; Maspero, les Contes populaires
de l'Egypte Ancienne, 2* édit., p. 73-86.
3. La grande pyramide est muette, mais on trouve dans d'autres pyramides des inscriptions qui
comptent des centaines de lignes. L'auteur du Conte, qui savait combien certains rois de la VI* dynastie
avaient travaillé pour graver dans leur tombe des extraits des Livres sacrés, imaginait sans doute
que son Khéops avait voulu en faire autant, mais n'avait pas réussi à se procurer les textes en
question, probablement à cause de son impiété légendaire. C'était une manière comme une autre d'ex-
pliquer pourquoi il n'y avait aucune inscription religieuse ou funéraire dans la Grande Pyramide.
A. Ce genre de circonlocution est employé à plusieurs reprises dans les vieux textes pour dési-
gner la royauté. Il était contraire à l'étiquette de désigner directement, dans le langage courant, Pha-
raon et ce qui touche à ses fonctions ou à sa famille. Cf. p. 263-264 de cette Histoire.
5. Cette phrase est rédigée en style d'oracle, comme il convient à une réponse de magicien. Elle
parait être destinée à rassurer le roi, en lui affirmant que l'avènement des trois fils de Rà ne sera pas
immédiat : son tils, puis un fils de son fils lui succéderont avant que les destinées s'accomplissent,
et qu'un des enfants divins monte sur le trône à son tour. L'auteur du roman ne tient compte ni de
Dadoufrf, ni de Shopsiskaf, dont les règnes étaient probablement fort peu connus de son temps.
6. Sur Maskhonît, et sur le rôle qu'elle joue auprès des nouveau-nés, voir p. 81-82 de cette Histoire.
7. Hiqît est la déesse grenouille ou à tête de grenouille (Lanzone, Dhionario di Mitologia Egi&ia,
p. 852-855), une des sages-femmes qui assistaient à la naissance du Soleil chaque matin. Sa présence
est donc naturelle auprès de l'épousée qui va mettre au monde les fils royaux du Soleil.
LE ROMAN D'OUSIRKAF, DE SAHOURl ET DE KAKIOU. 389
Rouditdidît de ces trois enfants qu'elle porte en son sein pour remplir cette
fonction bienfaisante dans cette Terre Entière, et ils vous bâtiront vos tem-
ples, ils fourniront vos autels d'offrandes, ils approvisionneront vos tables à
libations, ils augmenteront vos biens de mainmorte. » Les déesses se dégui-
sèrent en danseuses et en musiciennes ambulantes; Khnoumou s'institua le
domestique de cette bande d'aimées, chargea le sac aux provisions, et tous
ensemble allèrent frapper à la porte de la maison où Rouditdidît attendait
son heure. Le mari terrestre Râousir, inconscient de l'honneur que les dieux
lui réservaient, les introduisit auprès de sa femme, et aussitôt trois enfants mâles
naquirent l'un après l'autre. Isis les nomma, Maskhonit leur prédit fortune
et royauté, Khnoumou leur infusa la vigueur et la santé dans les membres :
l'aîné s'appela Ousirkaf, le second Sahourî, le troisième Kakiou. Raousîr
voulut s'acquitter envers ces inconnus et leur proposa du blé, comme s'ils
eussent été de simples mortels; ils l'avaient accepté sans vergogne et remon-
taient déjà au firmament, quand Isis les ramena au sentiment de leur
dignité et leur ordonna d'emmagasiner leurs honoraires dans une des chambres
de la maison, où les prodiges les plus étranges ne cessèrent désormais
de se mapifester. Chaque fois qu'on y pénétrait, on y entendait une rumeur de
chants, de musique, de danse, d'acclamations semblables à celles dont on
accueille un roi, présage certain de la destinée qui attendait les nouveau-nés.
Le manuscrit est mutilé et nous ne savons comment la prédiction s'accomplit.
Si Ton pouvait se fier au roman, les trois premiers princes de la Ve dynastie
étaient frères et d'origine sacerdotale, mais l'expérience des récits analogues
ne nous encourage guère à prendre celui-ci au sérieux : n'affirmaient-ils pas
que Khéops et Khéphrèn étaient frères aussi? La cinquième dynastie se montra
en toute chose la suite et le complément de la quatrième1. Elle compta neuf
Pharaons après les trois que la tradition faisait fils du Dieu Râ lui-même et
1. Voici la liste des Pharaons connus de la Ve dynastie, restituée autant que possible avec les
dates très approximatives de leur règne :
D'après le Canon de Turin
et les monuments.
Ousirkaf (3990-3964?) 28
Sahourî (3961-3957?) t
Kakiou (395&-39S4?) 2
NoriRiRiKERi (3953-3946) 7
Se». . . . (3945-3933?) 12
Shopsisker! (3932-3922?) ?
Akaochorou (3921-3914?) 7
9
Oi sirnirI Anou (3900-3875?) 25
Menkaolhorod (3874-3866?) 8
DadkerÎ Assi (3865-3837 ?) 28
Ousas (3834-3804?) 30
D'après Manéthon.
0(îSERKHERÈ£ 28
Sephrès 13
Nepherkhérè* 20
Sisirés 7
Khkrés 20
Rathourès 44
Menkhérès 9
Tankhérès 44
Obnos 33
390 L'EMPIRE MEMPHITE.
de Roudltdidit. Ils régnèrent un siècle et demi; la plupart d'entre eux nous
ont légué des monuments, et les
quatre derniers au moins, Ousir-
iiirîÀnou, Menkaouhorou , Dadkeri
Assi, Ounas, paraissent avoir
exercé glorieusement leur auto-
rité. Ils bâtirent tous des pyrami-
des', ils réparèrent les temples,
ils fondèrent des villes*. Les
Bédouins du Sinai leur donnèrent
fort à faire. Sahourî réduisit ces
nomades à la raison et consacra
la mémoire de ses victoires par
une stèle gravée sur une des parois
de l'Ouady Magharah ; Ànou rem-
porta sur eux quelques succès, el
Assi les repoussa en l'an IV de son
règne3. Somme toute, ils maintin-
rent l'Egypte au rangde prospérité
et de splendeur où leurs prédé-
stitii MKRASiT MHK ni pHAïuiw *>nu iu i> : >. . cesseurs l'avaient élevée.
Ils l'agrandirent même sur un point. Elle ne vivait pas tellement isolée du
I. On admol assez Kénéralcmoul. mais sans prouves décisives, que los pyramides d'AhousIr ont
servi do tombeau* à do» Pharaons do la V dynastie, l'une à Sahourl (Vvss, Opération* carried. I. III.
en fare la (>. U el p. 3J-3U; et. Lirais. Itenkm., Il, M g), l'autre à Ousirnirl Anou (Vvst, Opération*,
t. 111. planche cil face la p. 17 et ». 41 sqq. ; I ne .Wokgas. Découverte du Mantaba de Ptah-tlnepte*
daiië la nécropole d'Aboutir, dans la Itrnie Archéologique, III" Série, tSUl, t. XXIV, p. 33; cf. I.ekiis,
Aunirahl der uiehligtten Vrkuadea, pi. Vil), bk'ii que Wiedcmann attribue pour tombeau à ec roi la
pyramide à mansarde de Dahshour. J'ai cru reconnaître que l'une des pyramides do Saqqarah niait
rie l'oiialruitc par Assi ; la pyramide il'Ounas a clé ouverte en IKSI ol publiée par H.hpho. Étude*
de Mythologie et d'Ari-ln'nliii/ir Egyptiennes, I I. p. I.'ill sqq., cl Uecueil de Traeaur, I. IV et V.
I.c nom de la plupart Je- pyramide* nous osl connu par los monuments ; celle d'OusirLaf s'appebit
lluob-isilou (K. iik llwi.fi, Itrcherche* ë-tr le* Monument; p. Hll); colle do Sahourl Khabi (id., p. Mil:
celle de Noliririkerl, M {id., p. H.'i); celle d'Àuou, Min-imuitou [id., p. SU); colle de Mrnkaouhor,
Xoutir-Uouttau (id.. p. 9!t): celle d'Assi. Soutir(id , p. lllli); celle d'Ounas, Xofir-itouttou (id.. p. 1113).
4. Ainsi Pa-Sahourl (lli «n mks, iïenhichte det Atten .Egypleii*. p. 61), près d'Ksnch, fut construite
par Sahourl (K. m: Itoi'iiK, llrchrrchct sur le* Monument*, p. U3) : sans que les hahitanls s'en doittenl.
le nom moderne du village de Salioura conserve encore sur place le nom du vieux Pharaon.
3. Stèles de Sahourl (Laiomik, Voyage de l'Arabie, pi. 5. il" 3; I.F.fsiis, Denkm., II. 3M a: \jmn
ni: l.ivAL, Voyage dans la ptiiintulc Arabique, Ins. hier., pi. 4. n° t; Act-ount of the Surrey. p. 174),
d'OiiMiinri Ànou (1 .u'sirs. II. ISi n; Accotait of the Survey, p. 174), do Dadkeri Assi (I.EPSirs. Denkm .
Il, pi. XXXIX d: HiHtK. Varia, dans la Zeittchrift, 1BI1U, p. 4!i, et Account of the Surcey, p. 174:
i;nn:-. Dnrch lioteu mm Siiiai, p. s:it>), do Menkaouhorou, avec la date de l'an IV du rogne (Unir*.
Denkm., H, i'J r; Account of the Surcrg, p. 174): elles se trouvent toutes éparscs dans l'Ouady
Magharah. et comiuémoreiil de petites yicloircs remportées sur les Bédouins du voisinajic.
■I. Drmiidt Itoudier.daprrula photographie d'Emile lirugmh (et. flitrt.irr, le Miarr Egyptien, pi. \).
LES RELATIONS DE L'EGYPTE AVEC LES PEUPLES DU NORI>.
reste du monde que ses habitants ne connussent, par expérience propre ou
par ouï-dire, une partie au moins des peuples qui résidaient hors de l'Afrique,
vers le nord et vers l'est. Ils savaient qu'au delà de la Très- Verte, presque au pied
des montagnes derrière lesquelles le Soleil voyageait la nuit durant, des îles'
ou des contrées fertiles s'étendaient et des nations sans nombre, les unes bar-
bares ou demi-barbares, d'autres civilisées comme ils l'étaient eux-mêmes. Les
noms qu'elles se donnaient, ils ne s'en souciaient guère, mais ils les appelaient
toutes d'une épithète commune, les Gens d'au delà les mers, Haaui-nibou3 '.
1. Dessin de Hoiulier, d'après [aquarelle publiée dam Lipsus. Benkm., I, /il. tt, a' t.
1. Les iles de la Tris-Verte sont mentionnées sous la XII* dynastie, au Papyrus de Berlin a" I
(I. ill), dans une formule toute faite, qui a été rédigée ed'laincnient lunptemps a\mii relie époque, et
qui paraît remonter sou» sa forme première jusqu'aux temps rie l'Ancien Empire.
S. Ce nom a été signalé pour la première fois par Champoltion et par Roseltini (ttonmuenti Sta-
rici, I. III, p. 1, p. «1-iîfij, qui en firent l'application aux Grecs dans les textes d'époque Ptolémaï-
que. et qui lo lurent Jounan, Jouai, ce qui leur permit de l'identifier avec te Javan de la Bible et les
Ioniens d'Asie Mineure, même sur les monuments de Ihoutmosis IV et de Séti I". Birch {Galtery of
Antif/uilKt, p. 89) y reconnut le premier (ou* les peuples du Nord, et bientôt K. de Houkc (/.'««ni
mir l'Inscription du tombeau d 'Ahiui* , p M-iiJ en interpréta les iicm variantes par Ici Septentrionaux
tous, quand il s'applique aux peuples grec*, et par In Septentrionaiu Seigneurs, quand il s'applique
aux roi» grées. A l'instigation d'Ernest Curtius {Die Jonervor der Joiiisrlten Wanderung, p. HVli.JB),
Lepsius, reprenant l'hypothèse des premiers cgyptologucs, essaya de montrer qu'il désignait non
plus les Grecs en général, mais les Ioniens d'Asie Mineure, et qu'il était une transcription aventureuse
du mot 'laovîe {Veber den Sameii der louer auf den A~.gyptixchen Denkinâlern, dans Ici Muiiatsbe-
richte de l'Académie des Sciences de Berlin, 1855, p. W7 sqq.), mais Brugsch [Geogr, Insrhri flan,
t. TU, p. 47) le définit • une qualilicalion générale de tous les peuples et de toutes les tribus qui
habitent les grandes et petites tles de l'Ouas-ùur, c'est-à-dire de In Méditerranée orientale ■. I.a tra-
duction actuellement admise, les Gens de derrière, parait avoir été proposée par Châtias {les
l'apgrus hiératiques de Berlin, p. titi, note t). qui, le premier aussi, n'hésita pas à déclarer que • dé*
le temps de l'Ancien Empire, les Egyptien:; a va i etil poussé fort loin leurs expéditions, et connu lisaient
certainement une partie considérable ries eûtes de la Méditerranée. Ils avaient lié... avec les Hanebu.
dans lesquels étaient compris les Européens,... un commerce assez intime ■ (/rf.. p. 58). Les formules
des Pyramides montrent la justesse de celte observation : la façon dont ils parlent des llaoui-ntbou
prouve que l'existence de ces peuples était déjà connue de longue date au temps où les textes
furent rédigés (Teti, 1. i71-i75; Papi I, I. ÎT-ÎM, lit; Hirairi, I. 3R. -II. Ut). M. Max Millier (Asiett
und Europa, p. 30-31) parait incliner à penser qu'au début les Haoui-nlbou étaient les peuplades à
demi sauvages qui habitaient les marais du Delta d'Egypte sur les rives de la Méditerranée.
392 L'EMPIRE MEMIMIITE.
Partaient-ils en personne pour recueillir les richesses qu'elles leur propo-
saient en échange des produits du Nil, les Égyptiens n'étaient pas le peuple
immobile et casanier qu'on se figure1. Us sortaient volontiers de leurs villes,
à la poursuite de la fortune ou des aventures, et la mer ne leur inspirait ni
crainte, ni horreur religieuse. Les navires qu'ils y lançaient étaient construits
sur le modèle des bateaux du Nil, ou n'en différaient que par des détails inap-
préciables aujourd'hui. Une coque établie sur quille ronde, étroite, amincie
aux deux bouts, pontée d'une extrémité à l'autre, basse à l'avant, très relevée
à l'arrière et chargée d'une longue cabine couverte; un gouvernail consistant
en une ou deux grandes rames épaisses, supportées par un pieu fourchu
et confiées chacune à un timonier; un mât unique, parfois taillé d'une
seule pièce, parfois formé par l'assemblage de deux mâtereaux plantés à
quelque distance l'un de l'autre, mais réunis au sommet par de fortes liga-
tures et consolidés dans l'intervalle par des traverses simulant échelle ; une
voile unique, tendue tantôt sur une vergue, tantôt sur deux; un équipage d'une
cinquantaine d'hommes entre rameurs, gabiers, pilotes et passagers. Tels
étaient les vaisseaux de course ou de plaisance ; les navires de commerce leur
ressemblaient, mais avec des façons plus lourdes, plus de hauteur sur l'eau,
un tonnage plus considérable. Ils n'avaient point de cale; les marchandises
restaient entassées sur le pont et n'y laissaient que bien juste la place néces-
saire à la manœuvre1. Ils n'en réussissaient pas moins à fournir de longues
traversées ou à transporter des troupes en territoire ennemi, des bouches
du Nil aux côtes méridionales de la Syrie8. Rien, si ce n'est un vieux pré-
jugé, ne nous empêche d'admettre que les Égyptiens des temps memphites
allaient par mer aux villes d'Asie et chez les Haoui-nîbou. Une partie au
moins du bois* nécessaire aux constructions et à la menuiserie civile ou funé-
1. On peut consulter, sur ce côté remuant et aventureux du caractère égyptien, méconnu par le*
historiens modernes, Maspero, les Contes populaires de V Ancienne Egypte, 2* édit., p. LX XXIII sqq.
2. Voir les figures de navires reproduites dans DCmiciien, Die Flotte einer ALgyplischen Kônigiu,
pi. XXV-XXX, et Hittorische Inschriften, t. II, pi. XI-XI. La marine égyptienne a été étudiée en général
parB. G laser, Ueber das Seewesen der Allen .Egypter, p. i-27 (dans DOxichen, liesultate, 1. 1), et, sous la
XVIII- dynastie, par Maspero, De quelques navigations des Égyptiens sur la mer Erythrée (dans la Herur
historique, i879) : ce sont les résultats de ce dernier travail qui sont consignés ici, avec quelques
modifications qui m'ont été suggérées par une étude nouvelle des représentations de navires égyptiens.
3. Sous Papi Ier, Ouni transporte ainsi par mer le corps de troupes destiné à agir contre les Hirou-
Shàttou (Inscription d'Ouni, 1. 29-30; cf. p. 42i de cette Histoire).
4. Le bois de cèdre devait être importé couramment en Egypte. Il est nommé dans les Pyramides
(Ounas, 1. o(J9-;>8.fi; Papi /, 1. 669; Mirnirl. 1. 779); on voit au* tombeau de Ti, et sur d'autres tombes
de Saqqarnh ou de Gizéh, des ouvriers qui en fabriquent des meubles (Brpgsch, Die AZgyptische Grâ-
herwelt, t. III, n° 124; Loret, la Flore pharaonique d'après les documents hiéroglyphiques, n* 52.
p. 41-42). Des éclats de bois provenant de cercueils de la VIe dynastie, brisés dans l'antiquité et trouvés
dans plusieurs mastabas à Saqqarah, ont été attribués les uns au cèdre du Liban, les autres à une
espèce de sapin qui croit aujourd'hui encore en Cilicie et dans le nord de la Syrie.
LA MARINE ET LE COMMERCE MARITIME DES EGYPTIENS. 393
bre, sapin, cyprès, cèdres, ils le tiraient des forêts du Liban ou de l'Ama-
nos. On trouve encore des perles d'ambre près d'Abydos, dans les tombes
,1,. In ni,.^.».!» la rJ... violllo ot l'un
bronze lui-même, prenaient sans doute les mêmes voies que l'ambre*. Les
Iribus de race inconnue qui peuplaient alors les cotes de la mer Egée, les
recevaient en dernier lieu et les transmettaient soit directement aux Égyptiens,
soit à des intermédiaires asiatiques qui les transportaient en Egypte. L'Asie
Mineure avait d'ailleurs ses richesses en métaux comme en bois, son cuivre,
son plomb, son fer que certaines nations de mineurs et de forgerons exploi-
I. J'ai ramas».? dans les tombes de la VI* dynastie, au Kom-cs-Sullan. et dans la partie de la nécro-
pole d'Abydos où se trouvent les tombes des XI* et Xlt* dynasties, quantité de perles en ambre, fort
petit» pour la plupart. Mariette, qui en avait trouvé un certain nombre au même endroit, et qui les
avait déposées au Musée de Boulaq, le» avait prises pour des perles de verre jaune ou brun, tlérnin-
posées. Les propriétés électriques qu'elles conservaient encore ont prouvé l'identité de la matière.
3. Je rappelle que l'analyse de quelque» objet» découverts à Méldoum par M. Pétrie a prouvé qu'ils
étaient fabriqués en brome, renfermant 9,1 pour 100 d'étain (J.-ll. GLAMtOM, On tnelaitir Copper, Tin
mut Anlinionij fnttu Aiiririil Eaypt. dans les Proceedingt de la Société d'Archéologie Biblique, 189Î,
t. XIV. p. ÏÎ3-S4G) : on employait donc dès la IV* dynastie le brome a coté du cuivre pur.
3. Drnin de Fanrhe.r-Giidin, d'apr/1! une photographie d'Emile Brug>eh-Bey : le tableau est
emprunté à une des parois du tombeau d'Api, découvert & Saqqarah et aujourd'hui conservé au Musée
de r.izéli (VI' dynastie]. L'homme debout sur la proue est le pilote d'avant, chargé de sonder le
i. Suoao» Buxach, t'Étain eelliqur. dans V Anthropologie, 1894, p. 280, noie il (cf. Ihe Babyioninn
and Oriental Hfcord, l, VI. p. 139, note I). et le Mirage oriental (entrait de l'Anthropologie, 1891.
p. 39 <qq.). où sont evprimées des idées analogues i celle» que j'expose dans le texte de cette Hittoire.
304 L'EMPIRE MEVPHITE.
tèrent de toute antiquité. Les caravanes faisaient la navette entre l'Egypte et
les contrées de civilisation chaldéenne. à travers la Syrie et la Mésopotamie,
peut-être même par la voie plus courte du désert jusqu'à Ourou et jusqu'à Babv-
lone. Les relations de peuple à peuple étaient fréquentes dés lors et très fruc-
tueuses, mais on les sent et on en devine l'importance plus qu'on ne les saisit
sur le fait ou qu'on n'en constate les résultats positifs. Elles demeuraient encore
pacifiques, et, le Sinai excepté, Pharaon ne songeait pas à quitter sa vallée
pour s'en aller au loin piller ou subjuguer les pays d'où lui arrivaient tant de
richesses. Le désert et la mer qui protégeaient l'Egypte contre la convoitise
des Asiatiques au nord et à l'est, protégeaient aussi efficacement les Asiati-
ques contre les convoitises de l'Egypte.
Vers le midi au contraire, le Nil offrait une voie toute tracée à qui voulait
pénétrer au cœur de l'Afrique. Les Égyptiens n'avaient possédé au début que
l'extrémité septentrionale de la vallée, de la mer au défilé de Silsiléh, puis ils
s'étaient avancés à la première cataracte, et Syène avait marqué pendant
quelque temps la limite extrême de leur empire1. A quelle époque avaient-ils
franchi cette seconde frontière et repris leur marche vers le sud, comme pour
remonter au berceau de leur race ? Ils avaient gagné de proche en proche
jusqu'au grand coude que le fleuve décrit près du village actuel de Korosko*,
mais le territoire conquis de la sorte n'avait pas encore sous la Ve dynastie
de nom, ni d'organisation particulière : il se rattachait à ia baronnie d'Éléphan-
tine et mouvait directement de ses princes. Ceux des indigènes qui habitaient
la berge même paraissent n'avoir pas opposé une résistance opiniâtre aux
envahisseurs : les peuplades du désert se montrèrent plus difficiles à réduire.
Le Nil les séparait en deux masses distinctes. A droite, la confédération des
Ouaouaiou s'étendait dans la direction de la mer Rouge, des parages d'Ombos à
ceux de Korosko, dans les vallées que les Ababdéhs occupent aujourd'hui3; elle
confinait vers le sud aux tribus des Mâzaiou, de qui nos Mâazéh contemporains
descendent probablement4. Les Amamiou campaient sur la rive gauche en face
1. Voir p. 44-45, 74 de cette Histoire ce qui est dit des frontières primitives de l'Egypte au Sud.
2. Cela Hemblc résulter d'un passage de l'inscription d'Ouni. Ce ministre lève des troupes et
demande des bois de construction chez des tribus du désert dont les territoires se touchent vers ce
point de la vallée : la façon dont les réquisitions s'opèrent (I. 15-15, 18, 45-47) montre qu'il s'agissait
là non pas d'une exigence nouvelle, mais d'une opération familière, par suite que les peuples
énumérés étaient liés par des traités réguliers avec les Egyptiens, depuis quelque temps au moins.
3. La position des Ouaouaiou a été déterminée exactement par Brugsch {Die JSegerstnmme der
Una Inschrift, dans la Zeittchrift, 1884, p. 31). Leur nom a été assimilé par les Égyptiens à la racine
nuanua, crier, piailler, et a été compris les criailleurs, les piailleurs, plus tard les gens qui crient,
qui conspirent contre Horus le jeune, et qui soutiennent Sit, le meurtrier d'Osiris.
4. Les Mnzaiou, d'après les renseignements que fournissent les inscriptions d'Ouni et de Hirkhouf,
confinent au Nord avec les Ouaouaiou. Ils sont rais en rapport avec le Pouanft, et c'est leur pays
LA NUBIE ET SES TRIBUS: LES OUAOUAIOU ET LES MÀZAIOU. 395
des Màazéli, et la contrée d'Iritit faisait vis-à-vis au territoire des Ouaouaiou1 .
Aucun de ces peuples barbares n'était sujet de l'Egypte, mais ifs reconnais-
saient tous sa suzeraineté, une suzeraineté de nature assez douteuse, analogue
à celle que les khédives
exercent de nos jours sur 4
leurs descendants. Le dé-
sert ne leur fournit point
de quoi vivre : les pâtu-
rages amaigris de leurs
Ouadys nourrissent quel-
ques troupeaux de mou-
tons, des bœufs en petite
quantité, des ânes, mais
les cultures qu'ils essayent
au voisinage des sources
ne leur rendent que des
récoltes insignifiantes de
légumes ou de dourah'. Ils
mourraient littéralement
de faim s'ils ne pouvaient
venir se ravitailler aux
bords du Nil. D'autre part,
la tentation est forte pour
eux de tomber à l'impro- u sdmi m n*t de l'eipme ««imite.
viste sur les villages ou sur
les habitations isolées à la lisière des terres fertiles, et d'en enlever les bes-
tiaux, les grains, les esclaves hommes ou femmes; car ils auraient presque
toujours le temps de regagner la montagne avec leur butin et de s'y mettre a
l'abri des poursuites, avant que la nouvelle n'en parvînt au poste de gendar-
que le Soleil rencontre dana sa course à coté de cette région (Bavcscii, Die Scgertlâmme der Una
Ituehrift, dans la Zeitickrift, 188Ï, p. 35); ils touchaient au littoral de la mer Rouge comme les
Uuaouaiou (Bruckh, Die £ltàggptùche Vôlkertafel, dans les Ahhandlungeii de» 5'" Internationale»
Orientatitten-Congresies, t. H, p. 61). el peut-itre la ville de Massaouah conserve-l-elle leur nom.
1. Sur la position de ces peuples, voir IHaspsbo, Sur le payi de Silou, dans le Recueil de Travaux,
I. XV, p. loi. Les Ouaouaiou, les Nâzaiou, tes gens de l'Amamlt et de l'Iriltl avaient fini pur former
dans l'esprit des Égyptiens un ensemble indécomposable, qu'on appelait sous la XII' dynastie Ici
quatre peupla étrangers {liucription a" Amoni-Amenemhûit à Beiii-Haman, 1. S).
î. Le récit d'une razzia d'Ousirtasen III décrit ces contrées (Lersius, Dritkm., Il, 136 A. I. 14-113) :
a Je pris leurs femmes, j'emmenai leurs serfs, sortant vers leurs puits, chassant leurs bœufs, gâtant
leurs moissoni et y mettant le feu », Un des princes du peuple d'\mami donne des ânes a llirkhouf
pour sa caravane (Scbiipabeili, Una tomba Egiziana iaedita délia VI' dinaitia, p. 33).
396 L'EMPIRE MEMPHITE.
merie le plus proche. Des traités conclus avec les maîtres du pays les autori-
sent à descendre dans la plaine, pour y échanger pacifiquement contre du blé
et de la dourah le bois d'acacia de leurs forets, le charbon qu'ils en fabri-
9
quent, des gommes, du gibier, des peaux de bête, l'or et les pierres pré-
lieuses qu'ils extraient de leurs mines : ils s'engagent en revanche à ne com-
mettre aucun acte de brigandage et à faire la police du désert moyennant une
solde. Il en était déjà ainsi dans les temps anciens1. Les tribus se louaient
à Pharaon. Elles lui apportaient des poutres de sont à la première réquisi-
tion, quand il avait besoin de matériaux pour se construire une flotte au delà
de la première cataracte*. Elles lui prêtaient des bandes tout équipées, lors-
qu'une campagne contre les Libyens ou contre les Asiatiques le forçait à
recruter ses armées8 : les Mâzaiou entraient si nombreux au service de
l'Egypte que leur nom servit à désigner les soldats d'une manière générale,
comme on donne au Caire celui de Berbérins aux portiers et aux veilleurs de
nuit4. Parfois le naturel prévalait chez ces gens sur le respect de la foi jurée,
et ils se laissaient entraîner à piller les cantons qu'ils étaient convenus de
défendre : les colons de Nubie avaient souvent à se plaindre de leurs exac-
tions. Quand elles dépassaient par trop la mesure et qu'il devenait impossible
de fermer les yeux plus longtemps, on expédiait contre eux des troupes légè-
res qui les contraignaient promptement à la raison. C'étaient, comme au Sinai,
des victoires faciles. On recouvrait en une fois ce que les Ouaouaiou avaient
volé en dix de troupeaux et de fellahs, et le général heureux perpétuait le
souvenir de ses exploits, en gravant au retour le nom de Pharaon sur quelque
rocher de Syène ou d'Éléphantine : nous pouvons soupçonner ainsi qu'Ousir-
kaf, Nofiririkerî et Ounas soutinrent des guerres en Nubie8. Leurs armées ne
devaient jamais dépasser la seconde cataracte, si même elles l'atteignirent :
plus loin vers le sud, on ne connaissait le pays que par le témoignage des
indigènes ou des rares marchands qui y avaient pénétré. Au delà des Mâzaiou,
toujours entre le Nil et la mer Rouge, on rencontrait la contrée de Pouanit, riche
en ivoire et en ébène, en or et en métaux, en gommes et en résines odorantes6 :
i. Voir à ce sujet Du Boys-Aymé, Mémoire sur les Tribus arabes des déserts de VÉgyjtte, dans In
Description de ï Egypte, t. XII, p. 330-332, et Mémoire sur la ville de Qocéyr, dans la Descrip-
tion de UÊgypte, t. XI, p. 389-390.
2. Inscription d'Ouni, 1. 46-47. Sur l'acacia sont, voira la page 30, note 4, de cette Histoire.
3. Inscription d'Ouni, 1. 15-16, 18, où les opérations du recrutement sont indiquées; cf. p. 419-420.
4. Le mot Mali, Matoi, qui en copte signifie simplement soldat, est une forme dérivée régulièrement
du nom de la tribu Mazai, au pluriel MAiaiou (Brugsch, Dictionnaire Hiéroglyphique, p. 631).
5. Proscynèraes d'Ousirkaf (Mariette, Monuments divers, pi. LIV e), de Nofiririkerî (Id., pi. LIV/*)
et d'Ounas (Pétrie, A Season in Egypt, p. 7 et pi. XII, n° 212) dans l'île d'Éléphantine.
6. Le Pouanît était le pays situé entre le Nil et la mer Rouge (Krall, Dos Land Punt, dans les
LE POUANIT, LES NAINS ET LE OAMCA. 397
quand un Égyptien plus hardi que les autres se hasardait à l'aborder lui-même,
il avait le choix entre les routes de terre et celles de mer. La navigation de la
mer Rouge était en effet plus active qu'on ne le pense généralement, et le même
genre de navires sur lesquels les Egyptiens cabotaient le long de la Médi-
terranée les voiturait en sui-
vant la côte d'Afrique jusque
vers le détroit de Bab-el-Man-
deb'. Us préféraient cepen-
dant s'y rendre par terre, et
ils en revenaient avec des cara-
vanes de baudets et d'esclaves
chargés pesamment*. Tout ce
qui se trouvait derrière Pouanit
était réputé région fabuleuse,
une sorte de marche intermé-
diaire entre le monde des
hommes et celui des dieux,
Ile de Double, Terre des Mânes,
où les vivants coudoyaient les ÉK >M lomun M TOUlsils
âmes des morts. Les Dangasy
habitaient, des peuplades de nains à demi sauvages, dont la figure grotesque
et les gestes désordonnés rappelaient aux Egyptiens le dieu Bisou*. Les hasards
de la guerre ou du commerce en jetaient quelques-uns de temps en temps au
Pouanit ou chez les Amamiou : le marchand qui réussissait à les acquérir et à
les convoyer en Egypte, sa fortune était faite. Pharaon recherchait les Dangas,
et voulait en posséder à tout prix, parmi les nains dont il aimait s'entourer :
nul ne savait danser comme eux la danse du dieu, celle à laquelle Bisou se
Sitiungtberiehte de l'Académie des Sciences do Vienne, I, CXXI, p. 13), à la hauteur de Saouakln el
de Berber, jusqu'au pied des montagnes d'Abyssinie ; le nom s'en étendit plus lard à toute la cote
de la mer Rouge et du pays des Somalis, peut-être mémo à une partie de l'Arabie. A la XII* dynastie,
on comptait de l'Ile de Double, c'est-à-dire d'une contrée fabuleuse située derrière le l'ouanlt, jusqu'en
Egypte, deux mois seulement de navigation (Mispero, Contet populaires, S* édil., p. iii, 145).
I. Cf. la traversée exécutée par Papinakhlti sur la mer Rouge, aux pages 433-<l3i de cette Unitaire
t. Ainsi les expéditions do llirkhouf en Amami et en Irittt, sous la Vl'dynastio (ScKIAMitUI, Vna Tomba
Egiiiana inédit a, p. 18 sqq.), et celle de Bioordidi en l'ouanlt sous la V{frf., ibid.. p. il», tt). C'est «ans
doute du Pouanit que venait le Nahti — le iVoir — représenté dans un tombeau (Lirons, Iteilkm., Il, M).
3. Dessin de Faucher-Gudi», d'apret une photographie de Ftîndcri Pétrie. Ce type est emprunté
au ban-relief par lequel le Pharaon llnrmhabi de la XVIII* dynastie consacra à Karnaklc souvenir de
ses succès *ur les peuples du Midi do l'Egypte (Mariette, Monument* diueri, pi. 88, et p. Ï7).
t. Le rOle du Tlanga a été mis en lumière pour la première fois par Schiaukelli, Vna Tomba
Egiziana inedita délia VI' dinattia, p. 30 sqq. ; cf. Eau** dans la Zeittchrift d. D. Morgent. Gesell..
I. XI. VI. d. 579. el Na»no, Éludée de Mythologie el d'Archéologie Egyptienne», t. Il, p. 4x9 sqq.
398 L'EMPIRE MEMPUITE.
livrait avec passion dans ses moments de bonne humeur. Àssi en possédait un
vers la fin de son règne, qu'un certain Biourdidi avait acheté au Pouanit1.
Était-ce vraiment le premier qu'on eût vu à la cour, ou d'autres l'avaient-ils
précédé dans les bonnes grâces de Pharaon? Sa sauvagerie, son agilité, ses
postures bizarres frappèrent vivement l'imagination des contemporains, et son
souvenir se perpétuait dans l'esprit de tous près d'un siècle plus tard.
Un grand fonctionnaire né sous Shopsiskaf, et qui vécut très âgé jusqu'au
règne de Nofirirkerî, s'attribue dans son tombeau le titre de Scribe delà Maison
de* Livres1. Cette simple indication insérée incidemment entre la mention de
deux charges plus hautes suffirait, à défaut d'autres, pour nous montrer le
développement extraordinaire que la civilisation égyptienne avait pris dès
lors. Sans doute, la Maison des Livres était avant tout un dépôt de pièces
officielles, où l'on conservait les registres du cadastre et de l'impôt, la corres-
pondance échangée entre la cour et les gouverneurs de province ou les sei-
gneurs féodaux, les minutes des actes de donation passés en faveur des tem-
ples ou des particuliers, les paperasses de toute sorte qu'exige la conduite régu-
lière d'un État. Mais elle contenait aussi des œuvres littéraires, dont beau-
coup étaient déjà vieilles dans ces temps si vieux pour nous, des prières
écrites sous les premières dynasties, des poésies dévotes antérieures au
personnage nébuleux qu'on appelait Mîni, des hymnes aux dieux de lumière,
des formules de magie noire, des recueils artificiels d'opuscules mystiques
tels que le Livre des Morts* et le Rituel du tombeau*; des traités scientifiques
sur la médecine, sur la géométrie, sur les mathématiques, sur l'astronomie5;
des manuels de morale pratique, des romans enfin ou ces récits merveilleux
qui ont précédé le roman chez les Orientaux8. Tout cela, si nous l'avions, for-
merait « une bibliothèque qui serait bien plus précieuse pour nous que celle
d'Alexandrie » ; par malheur nous n'avons pu rassembler jusqu'à présent que
1. Scmaparklli, Una Tomba Egiziana inedita délia VI* dînas tia, p. 20, 22.
2. Lepsils, Denkm., 11, 50; cf. E. de Bougé, Recherches sur les Monument*, p. 73-74.
3. Le Livre des Morts devait exister dès les temps préhistoriques, sauf certains chapitres dont on
indiquait l'origine relativement moderne, en plaçant la rédaction sous les rois des premières dynasties
humaines (Maspero, Études sur la Mythologie et V Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 367-369).
4. C'est le nom bous lequel je désigne le recueil des textes qui sont gravés dans les chambres des
pyramides royales de la V« et de la VI* dynastie, en attendant qu'on en découvre le titre égyptien.
5. Cf., p. 238-239 de cette Histoire, les mentions d'ouvrages attribués parla légende aux rois des pre-
mières dynasties humaines, les livres anatomiques d'Athothis (Manéthon, édit. Unger, p. 78), le livre
de Housapatti, inséré au Livre des Morts sous le titre de Chapitre LX1V (Lepsius, Todtenbuch*
Préface, p. 11 ; Goodwin, On a teurt of the Book of t/ie De ad, belonging to the Old Kingdom, dans la
Zeitschrift, 1866, p. 55-56), puis le livre de Khéops (Manëthon, édit. Unt.er, p. 91; Berthelot, Collection
des Anciens Alchimistes grecs, t. I, p. 211-214; cf. p. 380, note 4 de cette Histoire).
6. Un fragment de conte, conservé par le Papyrus de Berlin n° Ht (Lepsius, Denkm., VI, 112, 1. 156-
194), remonte peut-être jusqu'à l'Ancien Empire (Maspero, Etudes Égyptiennes, t. I, p. 73-80).
LA LITTÉRATURE ÉGYPTIENNE. 399
des restes insignifiants de tant de richesses1. Nous avons recueilli ça et la dans
les hypogées quelques fragments de chansons populaires*. Les pyramides nous
ont rendu un rituel presque intact en l'honneur des morts : on y trouve beau-
coup de verbiage, beaucoup de platitudes pieuses, beaucoup d'allusions
obscures aux choses de l'autre monde, et, dans ce fatras, quelques morceaux
pleins de mouvement et d'énergie sauvage, où l'inspiration poétique et l'émo-
tion religieuse se devinent encore à travers les expressions mythologiques.
Nous lisons dans un papyrus de Berlin la fin d'un dialogue philosophique entre
un Égyptien et son âme, où celle-ci s'applique à démontrer que la mort n'a
rien d'effrayant pour l'homme. « Je me dis chaque jour : Tel le retour à la santé
du malade, qui sort pour aller à la Cour après son tourment, telle la mort. —
Je me dis chaque jour : Gomme respirer l'odeur d'un parfum, comme s'asseoir
à l'abri d'un rideau tendu, ce jour-là, telle la mort. — Je me dis chaque
jour : Comme respirer l'odeur d'un parterre de fleurs, comme s'asseoir sur
la berge du Pays d'Ivresse, telle la mort. — Je me dis chaque jour : Comme
la route que parcourt un flot d'inondation, comme un homme qui va en
soldat à qui nul ne résiste, telle la mort. — Je me dis chaque jour : Comme
un rassérénement du ciel, comme un homme parti pour chasser au filet et
qui se trouverait soudain dans un canton qu'il ignore, telle la mort3. » Un
autre papyrus, donné par Prisse d'Avennes à la Bibliothèque Nationale de
Paris, renferme le seul ouvrage complet qui nous soit parvenu de cette sagesse
primitive4. Il fut transcrit sans doute avant la XVIIIe dynastie et contenait
les œuvres de deux auteurs classiques, dont l'un passait pour avoir vécu sous
la III*" et l'autre sous la Ve : ce n'est donc pas sans raison qu'on l'a nommé le
plus ancien Livre du monde. Les premiers feuillets manquent et la partie con-
servée débute par la fin d'un traité de morale attribué à Qaqimni, contempo-
rain de Houni. Venait ensuite un ouvrage aujourd'hui perdu : un des posses-
1. E. de RoiGÉ, Recherchée sur les Monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties, p. 73.
2. Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. 73-74, 81-85, 89; cf. p. 339-341 de cette Histoire.
3. Lepsius, Denkm., VI, 112, 1. 130-140. La traduction insérée dans le texte n'est pas littérale : c'est
une paraphrase destinée à rendre intelligible le langage trop concis pour nous de l'auteur égyptien.
4. Il a été publié, à Paris, en 1847 par Prisse d'Avennes, Fac-similé d'un Papyrus égyptien en carac-
tères hiératiques trouvé à 'Thèbes, puis analysé par Chabas, Le plus ancien Livre du monde, Étude sur
le Papyrus Prisse (dans la Revue Archéologique, 1" série, t. XIV, p. 1-25). Il a été traduit en anglais
par IIeath. A Record of the Patriarchal Age or the Proverbs of Aphobis, en allemand par M. Laith, /.
Der Autor Kadjimna vor 5400 Jahren; II. Ueber Chu fus Bau und Buch; ///. Der Prinz Ptahhotep
ueber dos Aller, de Senectute (dans les Sitzungsberichte de l'Académie des Sciei ces de Munich, 1869,
t. II, p. 530-579; 1870, t. I, p. 245-274, et t. II, Beilage, p. 1-140), en français par Virey, Études sur
le Papyrus Prisse : le Livre de Kaqimna et les leçons de Ptah-hotep. Récemment M. Griffith a décou-
vert au British Muséum les fragments d'un second manuscrit, plus récent comme écriture, et qui con-
tient de nombreux débris des préceptes de Phtahhotpou (fioles on Egyptian Texts of the Middle
Kingdom, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t. XIII, p. 72-76, 145-147).
400 L'EMPIRE MEMPHITE.
seurs antiques du papyrus l'avait effacé afin de lui substituer un autre morceau
qui n'a jamais été recopié. Les quinze dernières pages sont remplies par une
sorte de pamphlet déjà célèbre dans la science sous le nom d'Instructions
de Phtahhotpou.
Ce Phtahhotpou, fils de roi, florissait sous Menkaouhorou et sous Assi : nous
avons encore son tombeau dans la nécropole de Saqqarah1. C'était un personnage
assez célèbre pour qu'on pût lui attribuer, sans choquer les vraisemblances,
la rédaction d'un recueil de Maximes politiques et morales qui témoignaient
d'une connaissance approfondie des hommes et des cours. On supposa qu'il
s'était présenté au Pharaon Assi, sur le déclin de ses ans, lui avait remontré
l'état piteux où la vieillesse l'avait réduit, et lui avait demandé l'autorisation de
faire profiter la postérité des trésors de sagesse qu'il avait amassés durant sa
longue carrière. « Le nomarque Phtahhotpou dit : « Sire, mon maître, quand
l'âge est là et que la vieillesse arrive, la débilité vient et la seconde enfance
sur laquelle une misère s'abat chaque jour; les yeux se rapetissent, les
oreilles s'étrécissent, la force s'use sans que le cœur cesse de battre, la bouche
se tait et ne parle plus, le cœur s'obscurcit et ne se rappelle plus hier, les os
s'endolorissent, tout ce qui était bon devient mauvais, le goût s'en va entiè-
rement; la vieillesse rend un homme misérable en toute chose, car sa narine
s'obstrue et ne respire plus qu'il se lève ou s'asseye. Si l'humble serviteur qui
est devant toi reçoit Tordre de tenir le discours qui convient à un vieillard,
alors je te dirai le langage de ceux qui connaissent l'histoire du passé, de ceux
qui ont entendu les dieux, car si tu agis comme eux, le mécontentement sera
détruit parmi les hommes, et les deux terres travailleront pour toi ! » — La
majesté de ce dieu' dit : « Instruis-moi au langage d'autrefois, car il fera
merveille pour les enfants des nobles; quiconque entre et l'entend, ce qu'il
dit pondère exactement le cœur et n'engendre pas la satiété8. » Il ne faut pas
s'attendre à trouver dans cette œuvre une grande profondeur de conception.
Les analyses savantes, les discussions raffinées, les abstractions métaphysiques
n'étaient pas de mode à l'époque de Phtahhotpou. On négligeait les idées
spéculatives pour les faits positifs : on observait l'homme, ses passions, ses
habitudes, ses tentations, ses défaillances, non pas afin de construire un
1. Il se dit lui-même fils de roi (pi. V, 1. 6-7); il adresse son ouvrage à Assi (pi. IV, î. 1), et le
nom de Menkaouhorou se rencontre dans son tombeau (K. de Rougi:, Recherches sur les Monuments,
p. 99; DfMicHEN, Rcsultate, t. I, pi. VIII-XV; E. Mariette, les Mastabas, p. 350-356).
2. C'est Assi que le texte désigne de la sorte, selon l'étiquette usuelle; cf. p. 258 de cette Histoire.
3. Papyrus Prisse, pi. IV, 1. 2, pi. V, 1. 6; cf. Virey, Études sur le Papyrus Prisse, p. 27-32.
LES PROVERBES DE PHTAHHOTPOU. 404
système à ses dépens, mais dans l'espoir de. réformer ce que sa nature a
d'imparfait, et de lui montrer le chemin de la fortune. Aussi Phtahhotpou
ne se met-il pas en frais d'invention et de déductions. 11 note les réflexions
qui lui viennent à l'esprit, telles qu'elles lui viennent, sans les grouper et sans
en tirer la moindre conclusion d'ensemble. La science est utile pour arriver
à une bonne place; il recommande la science1. La douceur envers les subal-
ternes est bien vue et de bonne éducation; il fait l'éloge de la douceur*. Il
entremêle le tout de conseils sur la conduite à tenir dans les diverses circon-
stances de la vie, quand on est introduit en présence d'un homme impérieux
et colère3, quand on va dans le monde, quand on dine chez un grand4, quand
on se marie. « Si tu es sage, tu monteras ta maison et tu aimeras ta femme
chez elle, tu empliras son ventre de nourriture, tu habilleras son dos; tout ce
qui enveloppe ses membres, ses parfums, est la joie de sa vie, tant que tu
seras là, elle est un champ qui profite à son maître5. » Analyser en détail un
tel ouvrage est impossible; le traduire entièrement, plus impossible encore.
La nature du sujet, l'étrangeté de certains préceptes, la tournure du style,
tout concourt à dérouter le lecteur et à l'égarer dans ses interprétations. Dès
les temps les plus reculés, la morale a été considérée comme une matière
saine et louable en elle-même, mais tellement rebattue qu'on ne peut la
rajeunir que par la forme. Phtahhotpou a subi les nécessités du genre qu'il
avait choisi. D'autres avaient exprimé déjà les vérités qu'il avait à dire : il dut
chercher des formules imprévues et piquantes pour réveiller l'attention du lec-
teur. Dans certains cas, il a donné tant de subtilité à sa pensée que le sens
de la phrase nous échappe sous le cliquetis des mots.
L'art des dynasties Memphites a souffert des siècles autant que la littéra-
ture, mais ici du moins les fragments sont nombreux et accessibles à tous.
Ces vieux rois bâtissaient dans leurs cités, et, sans parler de la chapelle
du Sphinx, les débris qui restent de leurs temples6 nous révèlent des
chambres de granit, d'albâtre et de calcaire, les unes nues, les autres
revêtues de tableaux religieux comme aux époques plus récentes. Battus
1. Papyrus Prisse, pi. XV, l. 8; pi. XVI, l. 1 ; cf. Virey, Études sur te Papyrus Prisie, p. 91-95.
4. Idem, pi. VI, 1. 3; p. 10; pi. VII, 1. 5-7; cf. Virey, op. /., p. 59-41, 45-47.
3. Idem, pi. V, 1. 10; pi. VI, 1. 3; pi. VIII, 1. 7-9, etc.; cf. Virey, op. t., p. 35-38, 47-49.
4. Idem, pi. VI, 1. II; pi. VU, 1. 3; pi. XIV, 1. 6; cf. Virey, op. t., p. 41-44, 85-87. Voir également
pi. I, 1. 3 sqq., et Virey, op. t., p. 16 sqq.
5. Idem, pi. X, 1. 8-10; cf. Virey, op. t., p. 67-68.
6. l'ai découvert dans la maçonnerie d'une des pyramides de Lisht les restes d'un temple bâti par
Khéphrèn (Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 148-149), et Naville
a signalé à Bubastis les fragments d'un autre temple décoré par le même roi et par Khéops, son prédé-
cesseur (Naville, Bubastis, pi. XXXII, a-b, p. 3, 5-6, 10).
H1ST. ANC. DE L'ORIENT. — T. I. 51
402 L'EMPIRE MEMPH1TE.
en brèche par les invasions ou par les guerres civiles, retouchés, agrandis,
restaurés vingt fois d'âge en âge, leurs monuments publics ont péri tous,
ou peu s'en faut; mais les tombeaux subsistent et font foi de l'habileté
constante avec laquelle les architectes devisaient un plan et l'exécutaient1.
Beaucoup des mastabas qui s'échelonnent de Gizéh à Méîdoum ont été édifiés
à la hâte, sans soin, par des gens pressés d'en finir ou qui visaient à l'éco-
nomie; on y rencontre toutes les négligences et toutes les imperfections,
toutes les ruses de métier qu'un entrepreneur hàtif et peu scrupuleux se
permettait alors comme aujourd'hui, afin d'abaisser le prix de revient et de
contenter l'esprit de parcimonie naturel à ses clients sans trop diminuer ses
gains1. Où le maître-maçon n'a pas été gêné par l'obligation de travailler
vite ou à bon marché, il a agi en conscience, et le choix des matériaux, la
régularité des lits, l'homogénéité de la construction ne laissent rien à Sou-
haiter; les blocs s'ajustent avec tant de précision que les joints en disparais-
sent, et le mortier a été répandu entre eux d'une main si exercée qu'il y forme
partout une couche égale d'épaisseur presque inappréciable3. La masse longue,
basse, plate, que le tombeau terminé présente à l'œil, manque de grâce, mais
on y perçoit le caractère de force et d'indestructibilité qui convient à une
maison éternelle. La façade n'était pas dépourvue d'ailleurs d'une certaine
élégance sévère : les jeux d'ombre que les stèles, les niches, la baie profonde
des portes y distribuent d'espace en espace, en varient l'aspect pendant le
jour sans diminuer l'impression qu'elles donnent de la grandeur et d'une
sérénité que rien ne trouble. Les pyramides elles-mêmes ne sont point,
comme on pourrait le croire, la réalisation brutale et irréfléchie d'une figure
mathématique grossie démesurément. L'architecte qui chiffra les devis pour
celle de Khéops dut peser longtemps la valeur relative des éléments que le
problème à résoudre comportait, la hauteur verticale du sommet, la longueur
des côtés au ras de terre, l'ouverture des angles montants, l'inclinaison des
arêtes et des faces latérales, avant de découvrir les proportions particulières
et l'agencement de lignes qui font de son monument une œuvre d'art véri-
1. Voir l'étude de MM. Perrot et Chipiez sur les mastabas (Histoire de l'Ait, t. I, p. 168-194).
i. La similitude des procédés techniques, des matériaux, de la décoration, me paraît prouver qu'à
Memphis, sous l'Ancien Empire, comme à Thèbes, pendant le nouveau, la plupart des tombeaux ont
été construits par un petit nombre d'entrepreneurs ou de corporations, prêtres ou laïques.
3. Parlant de la grande pyramide et de son revêtement, M. Pétrie dit : « Though the stones were
broughl as close as ~ inch, or, in Tact, into contact, and the mean opening of the joint vas but
-6'ô inch, yet the builders managed to fill the joint with cément, despite the great area of it, and the
weight of the stone to be moved — some 16 tons. To merely place such stones in exact contact at
the aides would be careful work; but to do so with cernent in the joint seems almost impossible. »
[The Pyramide and Temples of Gheh, p. 4-i.)
L'ARCHITECTURE. 403
t*ble, et non pas un simple entassement de pierres régularisé chèrement1. Les
sentiments qu'il a voulu éveiller, tous ceux qui sont venus après lui les ont
éprouvés en face des pyramides. On dirait de très loin des cimes de mon-
tagnes qui rompent la monotonie de l'horizon libyque ; puis elles décroissent
à mesure qu'on les approche, et paraissent n'être plus que des accidents de
terrain peu importants à la surface du plateau. On ne devine combien elles
sont énormes qu'en s'arrêtant à leurs pieds. Les assises de la base semblent
alors fuir sans fin à droite et à gauche, le sommet se dérober dans le ciel
hors la portée du regard humain. « L'effet est dans la grandeur et la* simpli-
cité des formes, dans le contraste et la disproportion entre la stature de
l'homme et l'immensité de l'ouvrage qui est sorti de sa main : l'œil ne peut
le saisir, la pensée même a de la peine à l'embrasser. On voit, on touche
des centaines d'assises de deux cents pieds cubes et du poids de trente mil-
lions, des milliers d'autres qui ne leur cèdent guère, et l'on cherche à com-
prendre quelle force a remué, charrié, élevé un si grand nombre de pierres
colossales, combien d'hommes y ont travaillé, quel temps il leur a fallu, quels
engins leur ont servi; et moins on peut s'expliquer toutes ces choses, plus
on admire la puissance qui se jouait avec de tels obstacles1. »
Nous ne connaissons aucun des artistes qui ont conçu ces œuvres prodi-
gieuses. Les inscriptions nous parlent en détail des princes, des barons et des
scribes qui présidaient à tous les travaux du souverain, mais elles ont dédaigné
d'enregistrer un seul nom d'architecte8. C'étaient des gens de petite extraction,
vivant sous le bâton, durement, et leurs aides ordinaires, les dessinateurs, les
peintres, les sculpteurs, n'étaient pas mieux partagés qu'eux; on les considé-
rait comme des manœuvres de même ordre que les cordonniers ou les charpen-
1. Cf. l'article de Borchardt, Wie wurden die Bôschungen der Pyratniden bestimmtf (dans la
Zeitschrift, t. XXXI, p. 9-17), dans lequel l'auteur, un architecte de profession en même temps qu'un
égyptologue, interprète les théories et les problèmes du Papyrus mathématique Hhind (Eisenlohr,
Ein Mathematisches H and bue h der Âlten Mgypten, pi. XVIII, p. 116-131) d'une façon nouvelle, rap-
proche le résultat de ses calculs des faits que fournissent les mesures de quelques pyramides encore
debout, et montre, par l'examen des épures découvertes à Méfdoum (Pétrie, Medum, p. 12-13 et pi. 8 ;
cf. Griffith, Medum, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t. XIV, 1891-1892,
p. 486), sur le mur d'angle d'un mastaba, que les entrepreneurs égyptiens d'époque memphite
appliquaient déjà les règles et les procédés dont nous trouvons l'exposé au Papyrus d'époque thébaine.
2. Jomard, Description générale de Memphis et des Pyramides, dans la Description de V Egypte, t. V,
p. 597-598.
3. Le titre mir kaoutou nibou ntti sou ton, très fréquent sous l'Ancien Empire, ne désigne pas les
architectes, comme plusieurs égyptologues l'ont cru : il signifie directeur de tous les travaux du roi,
et s'applique aux irrigations, aux digues et canaux, aux mines et carrières, à toutes les branches de
la profession d'ingénieur aussi bien qu'à celles du métier d'architecte. Les directeurs de tous les tra-
vaux du roi étaient les hauts personnages chargés par Pharaon de prendre les mesures nécessaires
pour faire bâtir les temples, pour curer les canaux, pour extraire la pierre et les minerais; ils
étaient des administrateurs et non pas des gens de métier ayant les connaissances techniques de
■architecte ou de l'ingénieur. Cf. Perrot-Chipiez, Histoire de l Art dans l'Antiquité, t. I, p. 627-630.
«* L'EMPIRE MEMPHITE.
tiers du voisinage. La plupart d'entre eux n'étaient en effet que des praticiens
plus ou moins habiles, habitués à camper une statue sur ses pieds ou à décou-
per un bas-relief, selon des régies immuables qu'ils se transmettaient de géné-
ration en génération sans y rien changer : on en
trouvait pourtant qui manifestaient un véritable
génie pour leur art, et qui, s'élevant au-dessus de
la médiocrité générale, produisaient des chefs-
d'œuvre. Leur outillage était fort simple, des
pointes en fer emmanchées de bois, des maillets
en bois, des martel i nés, un violon pour forer des
trous'. Le sycomore ou l'acacia leur fournissait
une matière d'un grain délicat et d'une texture
souple, dont ils tiraient le meilleur parti : fart
égyptien ne nous a légué rien qui surpasse, pour
la pureté de la ligne et pour la délicatesse du
modelé, les panneaux du tombeau de Hosi',
avec leurs portraits d'hommes assis ou debout
et leurs hiéroglyphes ciselés vigoureusement
dans le champ du tableau. Toutefois la flore
d'Egypte possède peu d'arbres dont la fibre
prête au travail de la sculpture, et ceux mêmes
m dis passeaui en bol* m »os[, qui s'y plieraient n'ont que des troncs trop
minces et trop courts pour qu'il soit possible
d'en extraire de grandes pièces. Le sculpteur s'adressait de préférence au cal-
caire blanc et tendre de Tourah. M dégageait rapidement de la masse la forme
générale de sa figure, en limitait les contours au moyen de tailles menées
parallèlement de haut en bas, puis abattait les angles saillants des tailles et
les fondait de manière à préciser le modelé. Cette façon de procéder régulière
et continue ne convenait pas aux roches dures : on les abordait à la pointe,
mais dès qu'à force de patience on avait poussé l'ébauche au point voulu, on
ne se fiait plus aux outils de métal pour l'achever. On écrasait avec des haches
de pierre les aspérités qui la hérissaient, et l'on polissait vigoureusement pour
I. Pebuot-Chipiki, Histoire de CArt, t. 1. ]). 753-"64; Misptao, VArchéoIogit Égyptienne, p. 188-131.
t. Mariette, Notice lies principaux Monument!, 18"6. p. 294-194, n" 989-994; Maspcro, Guide du
Viiiteurau Mutée de Boulaq, p. SI3-ÏU, n" 1037-10:19. Ils sont publics dans Mimette, Album pho-
tographique du Mutée de Iloulaq, pi. li, et dans PiMot-Ciipiez, Histoire de l'Art, t. 1, p. G10-645.
3. Dcisin de Boudier, d'aprtt une photographie d Emile llrugich-Bey (cf. Mariette, Album photo-
graphique du Mutée de Boulaq, pi. 11). L'original est conservé aujourd'hui au Musée de Giféb.
LA STATUAIRE. 40B
effacer les cicatrices que les divers instruments avaient pu laisser sur l'épi-
derme. Les statues n'offraient pas la diversité de gestes, d'expressions et d'atti-
tudes que nous recherchons aujourd'hui. Aussi bien étaient-elles avant tout
les accessoires d'un temple ou d'un tombeau, et leur apparence se ressentait
des idées particulières qu'on se faisait sur leur nature. On ne songeait pas à
réaliser en elles un type idéal de beauté masculine ou féminine : elles étaient
les supports qu'on fabriquait pour perpétuer l'existence du modèle. On
voulait que le double put s'adapter aisément à son image, et il fallait pour
cela que l'homme de pierre imitât, au moins sommairement, les propor-
tions ou les singularités de l'homme de chair auquel on le dédiait. La tète
devait être le portrait fidèle de l'individu : il suffisait que le corps fût
pour ainsi dire un corps moyen, qui le montrât au meilleur de son déve-
loppement et dans la plénitude de ses fonctions physiques. Les hommes s'im-
mobilisaient à la force de l'âge, les femmes gardaient toujours le sein ferme et
les hanches grêles de la jeune fille, mais un nain conservait sa laideur native,
et son salut dans l'autre monde exigeait qu'il en fût ainsi*. Si on lui avait resti-
tué la stature normale, le double, habitué ici-bas à la difformité de ses mem-
bres, n'aurait pu s'accommoder à cet appui régulier et ne se serait plus trouvé
dans les conditions nécessaires pour reprendre le courant de sa vie. La pose se
règle sur la condition sociale du personnage. Le roi, le noble, le maître sont
I. Dttlin de Faucher-Gudin, d'après ta chromolithographie de l'usât i'.Iïïims. Histoire de FArl
Égyptien. L'original kc trouve au tombeau de Rakhmirt, qui vivait à Thèbei sons la XVIII' dynastie
(cf. Vimt, te Tombeau de Rekhmarà, dans le* Mémoire* de ta Mission française du Caire, t. V,
pi. mr, im-iviir). Les procédés qu'on y pratique ne différent point do eem que les sculpteurs el
les peintres de l'époque Meiuphite employaient plus de deux mille ans auparavant.
ï. Cf. à la page 480 de celle Histoire la statue en calcaire peint du nain Khnoumhotpou.
406 L'EMPIRE MEMPHITE.
toujours debout ou assis : debout ou assis, ils reçoivent l'hommage de leurs vas-
saux ou de leur famille. La femme partage le siège de son mari, se tient droite
à côté de lui ou s'accroupit à ses pieds comme elle faisait ici-bas. Le fils revêt
~ ' ' ' : l'enfance, si la statue a été commandée tandis
ifant : on lui prête le geste et l'attribut de sa
ïst à l'âge d'homme. Les esclaves broient le
ellériers poissent l'amphore, les boulangers
t la pâte, les pleureurs se désolent et s'arra-
t les cheveux*. La hiérarchie suivait les Ëgyp-
i dans le temple ou dans la tombe, partout où
s statues allaient, et privait le sculpteur qui les
ésentait de presque toute sa liberté. On luî
idaitde varier le détail et de disposer les acces-
soires à son gré; il n'aurait pu rien changer à
l'attitude et à la ressemblance générale sans
compromettre la destination de son œuvre'.
C'est à la centaine que l'on compte
aujourd'hui les statues de l'époque Mem-
phite. Quelques-unes sont d'un style lourd
et barbare qui les a fait prendre pour des.
monuments primitifs : telles, au Louvre,
les statues de Sapi et de sa femme qu'on a
placées au début de la IIIe dynastie ou plus
haut encore1. On trouve assez souvent dans les tombeaux de la Ve et de la
VIe dynastie des groupes d'apparence identique, qui seraient à ce compte plus
vieux même que celui de Sapi : ils sortaient d'un mauvais atelier et leur
archaïsme prétendu n'est que la gaucherie d'un imagier ignorant. Le reste
ne se distingue pour la plupart ni par des défauts choquants ni par des qua-
1. Voir p. 3iO de relie Histoire la figure dp l'une des broveusos de grain du Musée de Gizéh, el
n. 3iS, en rul-de-lampe, la tête et le buste de la brojeuse de grain conservée au Musée de Florence
(cf. KcuMMUeLLI, Musro Archéologie, di Firent, Antiehità Eghie, p. IBO. n*U!M).
t. Cf. p. Ji" de celte Hiiloire, en lettrine au début du chapitre IV, le pleureur du Musée deCizéh.
3. I'eurot-Cmmei, Histoire de l'Art, 1. 1, p. 031-036; Mas«»o, Té te de acribe égyptien, ei Prliouriioirri ,
dans le premier volume de IIayit, Monument» de l'Art antique, et Archéologie Egyptienne, p. 303-
300; Eshaic, sEgypten, p. j-lj sqq. L'admirable Tête de arrib' égyptien que le Musée du Louvre pos-
fi-de t;«t reproduite à la p. 31:> de cette Histoire, comme en-téte du présent chapitre.
(. Dénia de Uoadier, ttaprèt une photographie d'Emile Brugach-llru (cf. Mahiitte, Album pho
tographigue du IHuaér de Boulai/, pi, itl). L'original est conservé aujourd'hui au Musée de Giich.
S. C. nt Routé, Notice sommaire dea Nouttmentt Égyptien», p. 50; PiM0T-C«iriii, Histoire de l'Art.
I. I, p. GÏH-G38. Celle opinion a été combattue par Misrr.n», Archéologie Éayptienn: p. 1011. Le juge-
ment de M. de lloiigc est accuutd Encore par la plupart des historiens et des critiques d'art.
LES OEUVRES PRINCIPALES DE LA STATUAIRE. 407
lités ém menti; s : c'est une cohue d'honnêtes^ bonshommes sans caractère
personnel et sans prétentions à l'originalité. Us se divisent aisément en
cinq ou six séries, dont chacune a sa facture uniforme, et paraît avoir été
exécutée d'après un petit nombre de poncifs toujo"™ '<»■
mêmes; les statuaires qui travaillaient pour les ent
tieurs de mastabas se répart issaient en très peu d'ati
qui observaient tout le long des dynasties une roui
traditionnelle. Us n'attendaient pas la commande, ma
comme nos marbriers de cimetière, ils tenaient
magasin un assortiment raisonnable de figures presq
achevées où le client venait se fournir à son gré. I
mains, les pieds, le buste n'avaient pas encore
couleur et le poli final, mais la tète était à peine
grossie et l'habit seulement réservé; quand le mait
futur du tombeau ou sa famille avaient fait leur choi
quelques heures de travail suffisaient pour transfor-
mer la maquette impersonnelle en un portrait tel
quel du défunt qu'on voulait honorer, et pour
lui arranger son jupon à la mode nouvelle1. Si
pourtant les parents ou le souverain1, mécontents
de ces icônes banales, réclamaient pour le double
de celui qu'ils avaient perdu un corps d'allure ,
moins conventionnelle, ils en trouvaient toujours
parmi les praticiens qui étaient capables de comprendre leurs intentions et
d'atteindre à la vérité vivante des membres ou du visage. On connaît aujour-
d'hui une vingtaine peut-être de statues de cette époque, éparses dans les
musées, et qui sont d'un art consommé, les Khéphrèn, le Khéops, l'Anou, la
Nofrit, le Ràhotpou dont j'ai parlé déjà*, le Skéîkk-el-Beled et sa femme, le
Scribe accroupi du Louvre et celui de Gizéh, le Scribe agenouillé. Kaàpîrou, le
Shéikh-el-Beletl, était probablement un des chefs de corvée qui bâtirent la grande
1. NtsPEio, Guide du yistlcur au Musée de Boulaç, p. 308-31)9, l'Archéologie Égyptienne, p. 104 ;
cf. Peuroi-Cwpiii, Histoire de l'Art dans l'Antiquité, t, I, p. 633,
i. Il ne faut pas oublier que les statues étaient souvent, comme le tombeau lui-même, donnée» par
Par la foreur de par le roi... dont j'ai parle plus haut; cf. p. 301, note 5, de cette Histoire.
3. Dessin de lloudier, d'après une photographie de lléchanl (cf. Manette, Album photographique
du Mutée de Boulag, pi. Ï0). L'original est conserve actuellement au Musée de Cizéh (cf. Haswïo,
Guide du Vititeur au Mutée de Itoulaq, p. ttO, n> 1013).
X. Cf. pour le Khéphrèn la p. 37'J de cette Hiitoire, pour le Khéops la p. 361, pour l'Anou la p. 300,
pour la Mofrll la p. 356 et la planche t; la tête de llàholpou sert de lettrine à ce chapitre, p. 3.
m I. EMPIRE MEHPHITE.
pyramide '. On dirait qu'il marche droit sur le spectateur, le bâton d'acacia
à la main. Lourd, trapu, déjà épaissi
et chargé de chair, il a l'encolure d'un
taureau et une physionomie commune,
qui ne manque pas d'énergie dans sa vul-
garité. L'oeil large, bien ouvert, prend
une vivacité presque inquiétante grâce à un
artifice du se"1"' — n"
a évidé l'orbi
châsse, et in<
le creux ur
blage d'émail
noir; une moi
bronze cerne
tour des pau
tandis qu'ui
clou d'argent,
fond de la pr
réfléchit la lu
et simule l't
d'un regard
animé. La statue est de petite taille, en bois,
et l'on incline peut-être à penser que la sou-
plesse relative de la matière compte pour
1 II • • LlaWIM ACEKOVILLÏ DCIl'Itt HCUÏK1.
quelque chose dans la hardiesse de I exécution :
le Scribe accroupi du Louvre est en calcaire et le sculpteur ne l'a pas composé
moins librement. On reconnaît en lui un de ces employés de rang moyen, un
I. Il a été découvert par Mariette à Saqqarah. • La tête, le torse, le» bras, le bâton même étaient
intacts; mais le socle et les jambes étaient irrémédiablement pourris, et la statue ne se tenait debout
que par le sable qui la pressait de toutes parts. • (Mambttf., lit Maitabai, p. 119.) Le bâton s'est
eassé depuis et a été remplacé par un bâton plus récent d'apparence semblable. Pour dresser son
personnage debout, Mariette dut lui rajouter des pieds, auxquels il laissa la couleur du bois nou-
veau. Par un hasard singulier. haaplrou était le portrait exact d'un des Skétkh-el-Beled ou maires du
villa^cde Saqqarah : les ouvriers arabes, toujours prompts à saisir les ressemblances, l'appelèrent
aussitôt le Shéikh-el-Beled, et le nom lui en est demeure (Miaimt, Notice det principaux Monu-
ment t, I8"6, p. IM, n" 4'Ji, cl Album photographique du Muirr de Boulaq, pi. 18-19; Roitï-
BasV[i.i.i!, Album de ta Mi'êian photographique de M. de Rougé, n- 93-96). Cf. pi. 3 — IV- dynastie.
ï. Dcëiin de Doudier, iCapreê uue photographie d'Emile Brugtch-Bcu (cf. IUiiette, Album pho-
tographique du Hustedc llvulaq,p\. IN}. La tête de cette admirable statue est reproduite en grandes
dimensions sur la planche I de cette Histoire, en guise de frontispice.
:i. Deitin de Faueher-Gudin, d'aprè» une photographie d'Emile Brugtch-Bey (cf. Mamette. .4 (bu ni
photographique du Hutte de Boulaq, p\. 20; Mâspho, dansO. Katit, tes Honumenti de [Art Antique, t. I).
LES DEUX SCRIBES ACCROUPIS DU LOUVRE DE GIZÊH. 409
peu flasques, un peu pesants, qui encombrent les cours orientales : les jambes
repliées et j
armée du ci
du feuillet d
mille ans d'i
daigne repre
confrère de I
vigueur et pai
il étale un bi
que l'autre e
et aggravé d
agenouillé g!
son visage le
gnée et de <
l'habitude d'
écoulée sous
bâton împrim
fonctionnaire
condition mo
ne'. Rànofir
contra ire, est
gneur qui
regarde ses
vassaux dé-
filer devant
lui; ila le poi
superbe, la
gneuse.raird'indifférencehau- M Ka,(ri îcciot-i «n ««h m c»*.-.*.
laine, qui convient au favori de
Pharaon, titulaire de sinécures généreusement rétribuées et maître de vingt
1. Découvert par Mariette, pendant les fouilles du Sântpomn, et publié dans le Choir de Monument*
et de Deeiîn* du Sérapêum de. Memphit, pi. \ (RoinÉ-llmuLLis. Album photographique de la Million.
n* 11)6-107: JU-PUO dans les Monument* de l'Art Antique d'0. Il.ir-T, t. 1). Il provient nu loml.cn..
rie Saklicmka et représente ce personnage (E- be Houcé, Notice lommaire, I8SB, p. 6S). — V* dynastie.
*. Découvert par Mariette a Saqqarah (Notice det principaux Monument*, 1876, p. 13K, n* Ï6»),
reproduit par Mariette lui-même, dans V Album photographique, pi. 10, puis par Pei rot-Chipie l//i»-
toire de l'Art dan* l'Antiquité", t. I, p. 6jï, n" 410) el par Naspero, dans 0. lu vit, 1rs Monument* de
(Art Antique. 1. I, cl dan» V Archéologie Egyptienne, p. 41 1-îlî et fi". 186). — V* dynastie.
.1. Béni» de Bandirr, tfaprt* une photographie d'Emile Rruomeh-Hry. I> serihc a été découvert à
410 L'EMPIRE NEMPHITE.
domaines'. La même fierté d'attitude signale le directeur des grains Nofir :
rarement statue inoindre donna aussi pleine la sensation de la force et de
l'"n"";°l On rencontre à l'occasion, parmi ces gens court vêtus,
mage caché et comme étouffé sous une immense abaye*,
rime nu, un paysan qui semble se rendre au marché, le
l'épaule gauche et hanchant légèrement sous le poids,
indales à la main droite, de peur de les user trop vile
îr chaussant*. Partout les traits distînctifs du rang et de
lividu sont observés et rendus avec une conscience scru-
ïuse : rien n'est omis, rien n'est atténué de ce qui
ctérise la personnalité du modèle. D'idéal, il n'en faut
exiger, mais une fidélité intelligente, brutale quel-
quefois. On a pu concevoir le portrait différemment à
d'autres époques et chez d'autres peuples, on ne l'a
jamais mieux traité \
La décoration des hypogées mettait en branle des
escouades de dessinateurs, de sculpteurs et de pein-
tres qui y multipliaient les scènes de la vie courante,
indispensables au bien-être ou à l'agrément du double.
Les murailles ne recevaient parfois que des tableaux
isolés dont chacun contient une opération indépendante;
on y retraçait le plus souvent une action unique dont
les épisodes, superposés du soubassement au plafond, représentent un pano-
rama égyptien du Nil au désert. Au registre du bas, les bateaux vont, vien-
nent, se choquent, et les matelots échangent des coups de gaffe à portée de
Saqqarah par M. de Morgan, an commencement de 1893, public par Maspexo, le Nouveau Scribe du
Hutte de Giich, dm» la Ga'.ette des Iteaui-Arts, 3* série, i, IX, p. 365-170, et, avec une planche en
couleur rouge, dans le recueil de la Fondation Piot, Monuments el Mémoires, t. I, pi. I et p. 1-6.
1. Découvert à Kaqqarah par Mariette (Lettre a M. le vicomte de Rongé, p. Il; les Mastabas de
l'Ancirn Empire, p. Iil-li3, Notice de» principaux Monument*. 1876, p. 116, n" 58Î) : le modèle
vivait dans la première moitié de la IV' dynastie. Il a été reproduit dans Pnaoï-Cairiii. Histoire de
l'Art daiii l'Antiquité, 1. 1. p. lu, lie;. 6. p. 655, n' 136, el, plu* haut, p. il de cette Hittoire.
t. Minium, Notice det principaux Monuments, iB7fi, p. 187, n-J58; M.speno, Guide du Visiteur au
Musée lie linuluq, p. tU, n' H3i. Il a été reproduit par l'Kanot-Caipisi, Hittoire de CArt dan*
I Antiquité, t. I. p. GiB, d'âpre* un dessin de Bourgoin. — V* dynastie.
3. Découvert i Saqqarah par Mariette {Notice des principaux Monuments, 1876, p. 435-Ï36. n- 7"ii).
reproduit par lui (Album photographique, pi. il») el par PeMdT-Chpiu, Hittoire de l'Art, t. I. p. 657.
n- *3u. Cf.. p. 55 de celle Histoire, un dessin de celle curieuse ligure. — IV- dynastie.
i. Découverte a Saqqarah par Mariette (Notice des prinripaur Monuments. I87C, p. Î36. n* 771).
reproduite dans PiBIiot-Cripiii, Histoire de l'Art dans l'Antiquité, t. I. p. 73, n*17, p. 660-6(11, n* 1*5.
où les sandales mil été méconnues el prises pour un bouquet de fleurs. — V* dynastie.
5. l'caBOT-Cmi'iii, Histoire de l'Art, t. 1. p. 655 sqq. : Misrtao, l'Archéologie Egyptienne, p. 206-1 U.
(i. Dessin de lloudier, d'après une photographie de Bernard (cf. Niriett*. Album photographique
du Jtfu«Jr de Uoitlaq, pi. Ï0). L'original est conservé actuellement au Musée de Ciiéh. — V dynastie.
( I
'/,-' ,%,/v . /,;■„;.
LES BAS-RELIEFS. M
l'hippopotame et des crocodiles. Dans ceux du dessus, une bande d'esclaves
chasse les oiseaux au milieu des fourrés qui avoisinent le fleuve : on fabrique
des canots, on tresse la corde, on pare et on sale de
Sous la corniche, enfin, des chasseurs et des chiens
gazelle à travers les plaines ondulées du désert. Chat;
répond à l'un des éléments du paysage : seulement l*
au lieu d'assembler les plans en perspective, les a sép
détaillés au-dessus l'un de l'autre1. Les groupes se
tent de tombeau en tombeau, toujours les mêmes
tantôt réduits à deux ou à trois personnages, tantôt agi
étalés, encombrés de figures et de légendes. Chaq
chef décorateur possédait ses cahiers de motifs et di
textes, qu'il combinait de façon différente, resser-
rait, dédoublait, espaçait largement, selon le cré-
dit qu'on lui ouvrait pour son travail ou suivant
la surface à couvrir. Les mêmes hommes, les
mêmes animaux, les mêmes accidents de terrain,
les mêmes accessoires reparaissent partout :
c'est de l'art industriel et mécanique au premier
chef. Pourtant l'ensemble est harmonieux, agréa-
ble à l'œil, instructif. Le dessin y a. comme la g»», le ontscutia dus euiu1.
composition, ses conventions fort distinctes des
nôtres. Homme ou bête, le sujet présente invariablement une silhouette décou-
pée sèchement au pinceau ou à la pointe sur le fond environnant ; mais les
animaux sont pris au vif, avec l'allure, le geste, la flexion des membres parti-
culière à l'espèce. La marche lente et mesurée du bœuf, le pas court, l'oreille
méditative, la bouche ironique de l'âne, la force calme du lion au repos, la
grimace des singes, la grâce un peu frêle de la gazelle et de l'antilope sont
saisies avec un bonheur constant de ligne et d'expression. L'homme est moins
parfait : qui ne connaît ces étranges personnages où la tète, munie d'un œil
de face, s'emmanche de profil sur un buste de face, qui surmonte un tronc
de trois quarts étajé sur des jambes de profil? Ce sont de véritables monstres
I. Mtspeno, les Peinture» des Tombeaux égyptien! et la Mosaigue de Falestriue (extrait des Mélange»
publiés par la Section historique et philologique de HEcale des Hautes Eludes pour le dixième
annirersaire de ta fondation, p. ij-4". el de la Gaiette Archéologique, I8ÏB, p. 1-3), l'Archéologie
Égyptienne, p. lSi-I8ô.
*. Destin de Boudier, d'après une photographie d'Emile Brugsch-Uey . I.e monument original e»f
conservé actuellement au Musée de Giiéh. — V dvnutie.
41-2 L'EMPIRE MEMPH1TE.
pour le chirurgien, et pourtant ils ne paraissent ni monstrueux, ni rîsibles.
Les membres défectueux s'allient aux corrects avec tant d'adresse qu'on les
dirait soudés comme naturellement ; les lignes exactes et les fictives se suivent
et s'agencent sî ingénieusement qu'elles semblent se déduire nécessaire-
ment les unes des autres. Les acteurs de ces scènes sont
bâtis de façon si paradoxale qu'ils ne pourraient pas vivre
dans notre monde; ils n'en vivent pas moins en dépit des
lois ordinaires de la physiologie, et qui veut se donner la
peine de les regarder sans préjugé, leur étrangeté leurajoute
un charme que n'ont pas des œuvres plus conformes à la
nature'. Une couche de couleur répandue sur le tout les
rehausse et les complète. Elle n'est jamais ni entièrement
vraie, ni entièrement fausse. Elle se rapproche de la réalité
autant que possible, mais sans prétendre à la copier servile-
ment; l'eau est toujours d'un bleu uni ou rayé de zigzags
noirs, tous les hommes ont le nu brun, toutes les femmes
l'ont jaune clair. On enseignait dans les ateliers la nuance
qui convenait à chaque être et à chaque objet, et la recette,
une fois composée, se perpétuait sans changement. L'effet
produit par ce coloris factice n'est pourtant ni discordant,
ni criard. Les tons les plus vifs s'y juxtaposent avec une hardiesse extrême,
mais avec la pleine connaissance des relations qui s'établissent entre eux et
des phénomènes qui résultent de ces relations. Ils ne se heurtent, ne s'exa-
gèrent, ni ne s'éteignent ; ils se font valoir mutuellement et donnent nais-
sance par le rapprochement à des demi-tons qui les accordent1. Les chapelles
funéraires, quand leur décoration a été terminée et nous est parvenue intacte,
semblent des chambres tendues de belles tapisseries lumineuses et divertis-
santes, où le repos devait être doux, pendant la chaleur du jour, à l'âme qui
les habitait et aux amis qui venaient s'entretenir avec leurs morts.
L'ornementation des palais et des maisons n'était pas moins riche que celle
des hypogées, mais elle a été si complètement détruite que nous aurions
peine à imaginer le mobilier des vivants si nous ne le voyions figuré fréquem-
ment chez les doubles. Les grands fauteuils, les pliants, les tabourets, les lils
I. PïiwoT-Caipju, llitloire de ÏArl data V Antiquité, I. I, p. "41 sqq.: Miwtno, r Archéologie
Égyptienne, p. 1(18-173; F.mm . .Eggpten und dut .€gy)>!iic/ie Lttien im Altertum, p. 530 sqq.
t. Destin de Boudier, d'aprèi une photographie de Souriant. L'original cul chez un particulier.
3. Puuyi-CaiTw, MtloirtdttArl, t. I, p. 7S1-7IH; msrino, f Archéologie Egyptienne, p. 197-199.
L'ART INDUSTRIEL 413
en bois sculpté, peint et incrusté, les jvases en pierre dure1, en métal ou
en terre émaillée, les colliers,
les bracelets, les bijoux éta-
lés sur les murs, même la
poterie commune dont on re-
trouve les débris au voisinage
des Pyramides, sont en général
d'une élégance et d'une légè-
reté qui font honneur à la
main et au goût des artisans.
Les carrés d'ivoire dont ils
plaquaient leurs coffres à
linge et leurs boites à bijoux
portaient souvent de véritables
bas-reliefs en miniature, d'une
facture aussi large et d'une
exécution aussi savante que
les plus beaux tableaux des
hypogées : c'étaient encore
des scènes de la vie privée,
des danses, des processions
de porteurs d'offrandes et
d'animaux*. On voudrait pos-
séder quelques-unes de ces wàu M u mu M ÏHÉOWj
statues en cuivre et en or
que le Pharaon Khéops consacrait à [sis en l'honneur de sa fille ; l'image seule
en subsiste sur une stèle, et les morceaux de sceptre ou d'ustensiles qui
sont arrivés trop rares jusqu'à nous n'ont malheureusement aucune valeur
1. L'étude des vases en albâtre et en diorile trouvé! auprès de* Pyramides de Gizéh i fourni dus
observations fort ingénieuses à Pétrie (The Pyramide and Templei of Gi:ek, p. 173 sqq.) sur la
façon dont les Egyptiens travaillaient la pierre dure. Les flacons de toilette ou de sacrifice en pierre
ton! assez fréquents dans nos musées : je signalerai au Louvre ceui qui portent les cartouches de
Dadkerl Aasi (n° 313), de Papi I" (n- 3S 1-351) et de Papi 11 (n- 3-16-3*8). fils de Papi I" (Pisumr, Cala-
logutde la Salle HUtorique, p. 81-86), non qu'ils comptent parmi les plus fins, mais parce que les ear-
touches qu'ils donnent assurent la date de la fabrication. Ils proviennent des pyramides de ces souve-
rains, ouvertes par les Arabes au commence ment de notre siècle : le vase de la VI* dynastie, '\<n I.-.1
au Musée de Florence, a élé rapporté d'Abydns (Itostuuwi, Monument* Storici, t. III, p" 1', p. 5).
ï. M. Grébaut acliela aux grandes pyramides, en 188", une série de ces ivoires sculptés de l'An-
cien Empire qui sont déposés au .Musée de Cizéh. D'autres, qui proviennent de la même trim vaille.
sont dispersés dans des collections particulières : l'un d'eux est reproduit p. llî de cctle Ilieloire.
3. Henni de Faucher-Gudiu , d'âpre» une photographie de Héckard Icf. Minime, Album photo-
graphique du Mutée de Boutai), pi. M, et ,l/oniiine»(j divers, pi. 33 cl p. 17).
414 L'EMPIRE MEMPH1TE.
artistique'. Le goût des jolies choses était général, au moins chez les hautes
classes, non seulement aux alentours du souverain, mais dans les cantons les
plus éloignés de l'Egypte. Gomme les courtisans qui fréquentaient le palais,
les seigneurs de province se piquaient de réunir auprès d'eux dans l'autre
monde tout ce que la science de l'architecte, du sculpteur et du peintre
pouvait concevoir et accomplir de plus délicat. Leurs châteaux n'existent plus
comme leurs temples, mais on rencontre encore ça et là, au flanc des col-
lines, les hypogées qu'ils se préparèrent pour rivaliser de piété et de magni-
ficence avec les gens de cour ou avec les membres de la maison régnante.
Us ont fait de la vallée une vaste galerie funéraire, où l'horizon, de quelque
côté qu'on se tourne, est toujours borné par une rangée de tombeaux histori-
ques. C'est grâce à leurs syringes que nous commençons à connaître les
princes de la Gazelle et du Lièvre1, ceux du Mont-Serpent3, d'Àkhmim*, de
Thinis8, de Kasr-es-Sayad*, d'Àssouân7, tous les rejetons de cette féodalité
qui avait précédé la royauté aux bords du Nil et dont la royauté ne se
débarrassa jamais entièrement. Les Pharaons de la IVe dynastie l'avaient tenue
de si court, qu'à peine signale-t-on sous leur règne quelques preuves de l'exis-
tence des grands barons : c'est dans la domesticité et dans la famille même
du souverain que les chefs de l'administration pharaonique se recrutaient, non
parmi les possesseurs de fiefs. 11 semble que ces derniers rentrèrent en faveur
sous les rois de la Ve dynastie, et qu'ils reprirent le dessus peu à peu : on les
trouve de plus en plus nombreux autour d'Ànou, de Menkaouhorou, d'Assi.
1. Ainsi les deux vase» en bronze au nom d'Ouni, qui vivait sous la VI» dynastie (Pierret, Cata-
logue de la Salle Historique, p. 85, n» 350), et les bouts de sceptre de Papi I-r qui sont conservés au
British Muséum (Leemans, Monuments Égyptiens portant des Légendes Royales, pi. XXX, n° 302; Aar*-
dale-Bonoiii-Birch, Gallery of Egyptian Anliquities, pi. 30, n° 144, et p. 72; Prisse d'Avennbs, Notice sur
les Antiquités Egyptiennes du Musée Britannique, p. 23; cf. Bévue Archéologique, 1" série, t. 111,
p. 713). L'un de ces derniers, analysé par Berthelot (Annales de Chimie et de Physique, série 6B, t. XII,
p. 129), ne lui a donné que du cuivre, sans traces d'étain; des outils, trouvés par M. Pétrie dans ses
fouilles de Méidouro, sont au contraire fabriqués avec du bronze véritable, composé de la même
manière que le nôtre (J. H. Gladstone, On melallic Copper, Tin and Antimony, from Ancient Egypt,
dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t. XIV, p. 225).
2. Dans les tombeaux de Kom-el-Ahmar, de Zaoutét-el-Maiéttn et de Shétkh-Satd {Description de
l'Egypte, t. IV, p. 355-360, et A. T. V., pi. LXVIIl; Champollion, Monuments de r Egypte et de la Nubie,
t. II, p. 441-455; Lbpsu's, Denkm., II, 105-113).
3. A Bené-Mohammed-el-Koufour, sur la rive droite du Nil (Sayce, Gleanings from the Land of
Egypt, dans le Recueil de Travaux, t. XIII, p. 65-67, et les observations de Maspero, ibid., p. 68-71).
4. Mariette, Monuments divers, pi. XXI b et Texte, p. 6; Schiaparelli, Chemmis-Achmim e la tua
anttca Necropoli, dans les Études archéologiques, historiques et linguistiques, dédiées à M. le
Dr C. Leemans, p. 85-88. Quelques fragments des sculptures provenant de ces tombeaux sont d'un
style très fin.
5. A Bené-Mohammed-el-Koufour (Sayce, Gleanings dans le Recueil, t. XIII, p. 67), et plus au Sud,
à Negadlych, en face de Girgéh [id., p. 63-64, et Nestor Lhôte dans le Becueil, t. XIII, p. 71-72).
6. Lepsiis, Denkm., II, 113 g, 114; Prisse dAvennes, Lettre à M. Champoltion-Fiqeac. dans la Revue
Archéologique, 1" série, t. I, p. 731-733; Nestor Lhote, Papiers inédits, t. III, à la Bibliothèque.
7. Bcdce, Excavations made al Asuân, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique,
t. X, p. 4-40; Boiria>t, les Tombeaux d'Assouân, dans le Becueil de Travaux, t. X, p. 181-198.
L'AVÈNEMENT DE LA VI' DYNASTIE. «S
Ounas, qui fut le dernier souverain de race Ëléphantite, mourut-il sans posté-
rité? ses enfants furent-ils écartés du trône
par la force? Les Annales Égyptiennes du
temps des Ramessides arrêtaient avec lui
la descendance directe de Menés : une lignée
nouvelle commençait au delà, Memphite
d'origine1. Il est à peu près certain que la
transmission du pouvoir ne s'opéra pas sans
trouble, et que plusieurs prétendants se dis-
putèrent la couronne*. L'un d'eux, Imhot-
pou, dont la légitimité fut toujours contestée,
a laissé quelques traces à peine de son pas-
sage au pouvoir9, mais Ati s'établit solide-
ment pendant une année au moins*; il poussa
activement la construction de sa pvramide
et envoya chercher dans la vallée de Ham-
mamât la pierre de son sarcophage. On ne
sait quelle révolution ou quelle mort sou-
daine l'empêcha de rien achever : le Mastabat
el-Faraoun de Saqqarah, où il espérait tï flllBJ11)S nmiu,™™,;»
reposer, ne dépassa jamais la hauteur que
nous lui connaissons encore*. Il fut inscrit pourtant sur certaines listes
1. Ed. Mkimi, Gctchirhle der Allen /F.gypten». p. 133-1.13.
S. Le Canon lloyal de Turin (Lepsids, Autwald der iviclitigttfH Vrkundcn, pi. IV, col. IV-VI,
fragro. 34, 59) intercale, après Ounas, un résume des règnes et des années écoulées depuis Menés.
3. Les monuments noua donnent la preuve que les contemporain» considérèrent ces souverains
éphémères comme autant de prétendants illégitimes. Phlahapopsisou II et son fils Sabou-Abibi, qui
eiercèrent de grandes charges à la cour, ne mentionnent qu'Ounas et Tcii 111 (E. De Hol'sk, llrehenliet
sur tel Monument* qu'on peut attribuer auj ti r première! dynattiei de Manétlton, p. 108-114): Ounî,
<|ui débuta sous Téti III, ne mentionne après ce roi que Papi I" et Slihlimsaouf I" (l'A., p. 117-118,
135 sqq.). La succession officielle était donc, a l'époque même, réglée de la façon que la table de
Saqqarah enregistra plus tard, i .>. IVti 111. Papi I", Mihtimsanufl", et qu'on retrouve au Canon
royal de Turin (JUsreiio, Elude* de Mythologie et d'Archéologie Egyptienne», t. Il, p. 140-44*), sans
intercalalîon d'autre roi (E. m Roter. Iterheirhe* tur le* Monument*, p. 148 sqq).
4. Bnigsch, dans son Hittoire d'Egypte, p. 4t. 43, avait identifié ce roi avec le premier Hétésouphis
de >U né thon", E. de Rougé préfère le rejeter après la VI- dynastie, dans l'une des deux dernières
éries Memphilcs (Herherehet tur le* Monument*, p. 149, 15i), cl son opinion a été adoptée par Wiede-
mann [AÙgyptitche Geêchiehle, p. SïO) l.a place que l'inscription occupe parmi celles de llammamàt
(Lwwus, Denkm., Il, 115 h; cf. Mtspiso, les Monument! Égyptien* de la Vallée de llammamàt, dans la
llerue Orientale et Américaine, 1877, p. 3Î8-3Ï9) m'a décidé à le ranger sur les conlins de la V* et de
la VI- dynastie : c'est ce qu'a fait aussi Ed. Mcyer (Getchichle de* Allen .Kyypten; p. 131-183).
5. Destin de Boudier, daprèt une photographie de Faucher-Gndin. L'original, qui provient des
fouilles de Mariette au Rérapeum, est déposé au Louvre (E. ne Roiick, Xotire tommaire det Monument*
Égyptien*. 1853, p. 51, D 48, et Album photographique de ta Million de M. de llougé, n" loi). C'est
une œuvre du temps de Séli I", et non pas un morceau contemporain de Menkaouhorou lui-même.
6. Ati n'est connu que par une inscription de llammamàt, datée de l'an 1" de son rèpie (Lusic*.
Denkm., Il, 115 f; cf. Mispho, let Monument* Egyplient de la Vallée de Haiiimamùl , dans la /feuue
416 L'EMPIRE MEMPHITE.
officielles1, et la tradition de lepoque grecque voulait qu'il eût péri assassiné
par ses gardes*. Téti III est le fondateur réel de la VIe dynastie*, celui que les
historiens présentaient comme ayant été le successeur immédiat d'Ounas*.
11 vécut assez longtemps pour bâtir à Saqqarah une pyramide dont les
chambres intérieures sont couvertes d'inscriptions8, et son fils lui succéda
sans opposition8. Papi 1er régna vingt années au moins7, il déploya son activité
dans tous les coins de l'empire, dans les nomes du Said ou dans ceux du Delta,
et son autorité franchit les frontières où celle de ses prédécesseurs immédiats
était restée enfermée. Il possédait assez de territoire au sud d'Éléphantine
pour considérer la Nubie comme un royaume nouveau à côté de ceux qui
constituaient l'Egypte primitive; aussi le voit-on s'intituler dans son protocole
le triple Horus d'or, le triple Horus vainqueur, Horus pour le Delta, Horus
pour le Said, Horus pour la Nubie8. Les tribus du désert lui fournissaient,
selon l'usage, des recrues dont il avait d'autant plus besoin que les Bédouins
du Sinai remuaient fort et même devenaient dangereux. Papi, secondé par
Ouni son premier ministre, engagea contre eux une série de campagnes offen-
Orientale et Américaine, 1877, p. 349-330). Il a été identifié par Brugsch {Histoire d'Egypte, p. 44-45)
avec l'Othoès de Manéthon, et cette identification a été adoptée généralement (E. dk Rorr.it, Recher-
ches sur les Monuments, p. 108-109, 148-149; Wirdemann, jEgyptische Geschichte, p. «07; Lxnn, Avs
JEgyptens Vorzeit, p. 149 sqq.; Ed. Meyer, Geschichte des Alten JEgyptens, p. 132-133). M. de Bougé
(Recherches, p. 146) est porté à lui attribuer pour prénom le cartouche Ousirkert qui est placé par la
Table d'Abydos entre ceux de Téti 111 et de Papi I"; Mariette (ta Table d'Abydos, p. 15) préfère
reconnaître dans Ousirkeri le nom d'un Pharaon indépendant, de règne éphémère. Plusieurs blocs
du Mastabat-el-Faraoun de Saqqarah portent le cartouche d'Ounas, et cette particularité avait décidé
Mariette à placer le tombeau du Pharaon dans ce Mastabah. Les fouilles de 1881 ont montré qu'Ounas
est enterré ailleurs, et il ne reste guère qu'à attribuer le Mastabat à Ati. Nous connaissons en effet
les pyramides de Téti III, des deux Papi, de Métésouphis I'r : Ati est le seul prince de cette époque
dont le tombeau ne soit pas encore reconnu. C'est, comme on voit, par élimination, et non par
preuve directe, que j'arrive à ce résultat : Ati aurait puisé dans les chantiers de son prédécesseur
Ounas, ce qui expliquerait la présence des cartouches de ce dernier sur les blocs.
1. Sur celle d'Abydos. si l'on admet avec E. de Rougé (Recherches sur les Monuments qu'on peut
attribuer aux six premières dynasties de Manéthon, p. 1 il)) que le cartouche Ousirkert renferme son
prénom; sur celle que Manéthon consultait, si Ton admet qu'il se confond avec Othoès.
i. Manéthon, éd. Unger, p. 101, où la forme du nom est Othoès.
3. Il est nommé Téti Minéphtah, avec le cartouche prénom de Séti 1er, sur un monument du Musée
de Marseille des premiers temps de la XIXe dynastie (En. Naville, le Roi Téti Merenphtah, dans la
Zeilschrift, 1876, p. 69, 72) : on le voit représenté debout dans sa pyramide, celle-là même qui fut
ouverte en 1881, et dont les chambres sont revêtues entièrement de longues inscriptions funéraires.
4. Maspf.ro, Éludes de Mythologie et d' Archéologie Egyptiennes, t. II, p. 441-442.
r». Maspero, Etudes de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 147, et Recueil de Tra-
vaux, t. V, p. 1-59. Son cartouche a été retrouvé récemment dans les carrières de Hàtnoubou (Black-
dkn-Frazrr, Collection of Hieratic Graffiti from the Alabaster Quarry of Hat-nub, pi. XV. 6).
6. La véritable prononciation de ce nom serait Pipi, et celle du nom précédent Titi : les deux autres
Téti sont Téti Ier de la \n dynastie, et Zosir-Téti ou Téti II de la I1I-.
7. D'après le fragment 59 du Canon Royal de Turin (Lepsirs, Auswahl, pi. IV, col. VI, 1. 3; cf. Mas-
pkro. Études de Mythologie et d'Archéologie Egyptiennes, t. II, p. 441). l'ne inscription des carrière*
de Hàtnoubou porte une date de l'an XXIV (Blackden-Frazer, Collection of Hieratic Graffiti from the
Alabaster Quarry of Hat-nub, pi. XV, 1) : si elle a été copiée exactement, le règne aurait duré quatre
années au moins de plus que ne le pensaient les chronologistes du temps des Ramessides.
8. Ce titre se rencontre à Hammamàt (Burton. Exverpta Hierogtyphica,p\. X;Lepsh'$, Dcnkm.,U,
115 c), à Tanis (Petiuf, Tanis I, pi. I, 1 et p. 4; II, p. 15), à Bubaste (IVaville, Rubastis, pi. XXXII c-d
et p. 5-6). L'explication en a été donnée par E. de Rougé (Recherches sur les Monuments, p. 116-117).
' ET SON MINISTRE OU NI.
sives qui les réduisirent à l'impuissance et qui étendirent momentanément la
suzeraineté de l'Egypte sur des régions jusqu'alors insoumises1.
Ouni avait débuté sous Téti*. D'abord simple page au palais9, il obtint
un poste dans l'administration du trésor, puis dans l'inspection des bois du
domaine royal1. Papi le prit en amitié dès les premiers temps de son règne,
et lui conféra, avec le titre d'ami', les fonctions de chef de cabinet, dont il
I, L'inscription du tombeau d'Ouni, qui OSt le monument principal du règne de Papi [•' et de ses
deux successeurs, fut découverte par Mariette dans la nécropole d'Àhydos (Mariette. Abydoi, t. Il,
pi. XLIV-XLV, et Catalogue Général, p. 81, n' 5Î4). Elle Tut transportée au Musée de Boulaq (Manette,
Soticu du principaux Monuments, 187U, p. ÏB0-Î8I, u° Sîi). Publiée et analysée par K. lie Hougé
(llecherches, pi. VII-VIII et p. 1 17-144), traduite partiellement par Maspero (Histoire Ancienne, 4- éd.,
p. 81-83} et par Brugach (Grschichte /Eggptem, p. 95-IOi), elle a été rendue complètement eu anglais
par Dirch (Inscription of (/un, dans les Records 0/ the Paît, 1" série, t. Il, p. 1-8] et par Maspero
(Inscription of Uni, dans les Records of the Pasl, V série, I. II, p. (-10), en allemand par Erman
{Commenter :«r Intckrift des Una, dans la ZeUschrifl, I88Ï. p. i-!9; cf. ALgupttn, p. G88-WHÏ).
5, Le commencement de la première ligne manque, et je l'ai restitué d'après d'autres inscriptions
du même type : .Je naquis sous Ounas ■ (Records of the Patl.t" Séries, t. Il, p. 4). Ouni ne pouvait
être né avant Ounas, la première fonction qu'il remplit sous Téti 111 étant d'un enfant ou d'un
adolescent, et le règne d'Ounas ayant duré trente ans (Lepsivs, Austcahl, pi. IV, col. lï, fragm. 34),
3. Litl. : porte-couronne. On désignait probablement de la sorte des enfants qui servaient le roi
dans ses appartements privés, et qui portaient une couronne de fleurs naturelles sur la tète; la cou-
ronne était sans doute de même forme que celle qu'on voit au front des femmes dans plusieurs tom-
beaux de l'époque Memphite [Lepsius, Denkm., II. 40, 47. 71 a, etc.).
I. Dessin de Faucker-tïutlin, d'après une photographie de Richard.
H. Le mot Khonlti marque probablement les terrains plantés eu bois, palmiers, acacia», les forêts
claires de l'Egypte, et aussi les vignobles qui appartenaient au domaine personnel du Pharaon (Maspero,
Sur l'inscription de Zâau, dans le Recueil de Trataux, t. XIII, p. 69-70).
6. Voir, sur le râle des amis, et sur la position qu'ils occupaient dans la hiérarchie égyptienne
auprès des Pharaons, ce qui est dit aux pages 376, note 1, et Ï81 de cette Histoire.
418 L'EMPIRE MEMPHITE.
s'acquitta fort bien : seul, sans autre aide que d'un scribe subalterne, il réglait
toutes les affaires et expédiait toutes les écritures du harem et du conseil
privé. Ses services lui méritèrent une récompense insigne. Pharaon lui octroya,
comme preuve de sa haute satisfaction, la garniture d'un tombeau en calcaire
blanc de choix : un des employés de la nécropole alla chercher les blocs aux
carrières de Troiou et les lui ramena, un sarcophage et son couvercle,
une stèle en forme de porte, son encadrement et sa table d'offrandes1. Il
affirme complaisamment que jamais chose pareille n'advint à personne avant
lui; aussi bien, ajoute-t-il, « ma sagesse charmait Sa Majesté, mon zèle
lui plaisait, et le cœur de sa Majesté était ravi de moi ». C'est pure
hyperbole, mais dont nul ne s'étonnait en Egypte : l'étiquette voulait qu'un
sujet fidèle déclarât nouvelles ou inouïes les faveurs du souverain, quand
même elles ne présentaient rien que d'ordinaire et de commun. Les dons de
mobilier funéraire étaient fréquents et nous en connaissons plus d'un exemple
avant la VIe dynastie, témoin ce médecin Sokhîtniônkhou dont le tombeau
existe encore à Saqqarah, et que Pharaon Sahourî avait gratifié, lui aussi, d'une
stèle monumentale en pierre de Tourah*. Ouni pouvait désormais envisager
sans crainte l'avenir qui l'attendait dans l'autre monde; il n'en continua que
plus rapidement à faire son chemin dans celui-ci, et passa bientôt après
ami unique, surintendant de toutes les terres irriguées du roi. Les amis
uniques touchaient de très près à la personne du maître3. Leur place était
marquée immédiatement derrière lui dans toutes les cérémonies, place d'hon-
neur et de confiance s'il en fut, car ceux qui l'occupaient tenaient littérale-
ment sa vie entre leurs mains. Us préparaient ses promenades et ses voyages,
veillaient à ce qu'on observât partout le cérémonial convenable, à ce que
nul accident n'entravât la marche du cortège. Ils prenaient garde enfin que
les nobles ne se départissent jamais du rang précis auquel la naissance ou
leur charge leur valait droit : la tâche exigeait beaucoup de tact, car les
questions de préséance n'étaient guère moins irritantes en Egypte que dans
i. Pour l'explication des pièces de calcaire données à Ouni, voir Maspero, De quelques termes étar-
chitecture égyptienne, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t. XI, p. 309 sqq.
2. Mariette, les Mastabas de V Ancien Empire, p. 202-203; cf. Maspero, De quelques termes d 'ar-
chitecture égyptienne, dans les Proceedings, t. XI, p. 30-4 sqq. Sous Papi II, Zàou. prince du Mont-
Serpent, reçoit du roi son cercueil et le linge nécessaire à sa momie (Sayce, Gleanings from tke
Land of Egypt, dans le Recueil de Travaux, t. XIII, p. 66, et Maspero, Sur l'inscription de Zàou,
ibid., p. 69-70).
3. Cette définition des fonctions de Y Ami unique me parait résulter du passage même de l'inscrip-
tion d'Ouni (I. 8-9). La traduction du titre Samirou ouâiti a été donnée par E. de Roi*g£, Recherches
sur les monuments, p. 57 ; sur les objections qu'a soulevées Lkpage-Renouf, On the priestly Character
of the Egyptian Civilisation, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t. XII,
p. 359, cf. Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 290, note 1.
LES GUERRES CONTRE LES HÏROU-SHÀlTOU. 419
les monarchies modernes. Ouni s'en tira avec tant de bonheur qu'il y gagna
un emploi plus délicat encore. La première des femmes du roi, la reine
Amîtsi, avait-elle trempé dans quelque conjuration de palais? commit-elle
une infidélité en acte ou en intention, ou se trouva-t-elle impliquée dans
l'un de ces drames fértiinins qui troublent souvent la paix des harems? Papi
jugea nécessaire de procéder contre elle et désigna Ouni pour entendre la
cause : celui-ci l'instruisit seul avec son secrétaire, et la vida si discrètement
que nous ne savons, ni de quelle faute on accusait Amitsi, ni quelle fut la
conclusion de l'affaire1. Il ressentit une fierté très vive d'avoir été choisi
entre tous, et ce ne fut pas sans raison, « car, disait-il, ma charge était de
* surintendant des bois royaux , et jamais homme de ma sorte n'avait été initié
aux secrets du Royal Harem, auparavant, jusqu'à moi ; mais Sa Majesté m'y
initia, parce que ma sagesse plaisait à Sa Majesté plus que celle d'aucun autre
de ses liges, plus que celle d'aucun autre de ses mamelouks, plus que celle
d'aucun autre de ses serviteurs1 ».
Ces antécédents ne semblaient pas le prédisposer à devenir ministre de
la guerre ; mais en Orient on estime volontiers qu'un homme qui a fait ses
preuves d'habileté dans une branche de l'administration est également propre
à tout dans les autres, et la volonté du prince transforme le scribe adroit en
général, du jour au lendemain. Personne ne s'en étonne, ni lui-même : il
accepte sans broncher ses fonctions inaccoutumées, et s'y distingue souvent
tout autant que s'il y avait été nourri dès l'enfance. Quand Papi eut résolu
d'infliger une leçon aux Bédouins du Sinai, il songea aussitôt à Ouni, son
unique ami, qui avait conduit si prestement le procès de la reine Amitsi3.
L'expédition n'était point de celles qu'on pouvait terminer avec les con-
tingents des nomes frontières; elle exigeait une armée considérable, et mit
en jeu toute l'organisation militaire du pays. « Sa Majesté leva des soldats
au nombre de plusieurs myriades, dans le sud entier d'Éléphantine au nome
de la Cuisse, dans le Delta, dans les deux moitiés de la vallée, dans chaque
fort des forts du désert, dans le pays d'Iritît, parmi les noirs du pays
de Mâza4, parmi les noirs du pays d'Amamît, parmi les noirs du pays
1. Cet épisode de la vie d'Ouni, dont E. de Rougé n'avait pas pu se rendre un compte exact au
moment de la découverte (Recherches sur les monuments, p. 121), a été débrouillé et exposé nettement
par Erman, Commenlar zur Inschrift des Una, dans la Zeitschrift, 1882, p. 10-12.
2. Inscription d'Ouni, 1. 11-13.
3. L'inscription d'Ouni dit expressément (1. 13) que Papi !" voulut repousser les Bédouins. L'expé-
dition égyptienne avait donc été provoquée par quelque attaque antérieure des Nomades.
4. Le texte porte Zama, mais c'est une inversion fautive des deux signes qui servent à écrire le nom
de Nâza : la série des peuples nubiens ne serait pas complète, si les Mâzainu n'y figuraient point.
420 L'EMPIRE MEMPHITE.
d'Ouaouaît, parmi les noirs du pays de Kaaou, parmi les noirs du To-Tàmou,
et Sa Majesté m'envoya à la tête de cette armée. Certes il y avait là des
chefs, il y avait là des mamelouks du roi, il y avait là des amis uniques du
Grand Château, il y avait là des princes et des régents de château du Midi et
du Nord, des Amis dorés, des directeurs des prophètes du Midi et du Nord,
des directeurs de districts à la tête des milices du Midi et du Nord, des châ-
teaux et des villes que chacun régissait, et aussi des noirs des régions que
j'ai mentionnées, mais c'était moi qui leur donnais la loi, — bien que mon
emploi fût seulement celui du surintendant des terres irriguées du Pharaon,
— si bien que chacun d'eux m'obéissait comme les autres. » Ce ne fut pas
sans difficulté qu'il encadra cette foule disparate, qu'il l'équipa, qu'il l'ap-
provisionna. 11 finit par ordonner tout pour le mieux : à force de patience et
d'industrie, « chacun prit le biscuit et les sandales pour la route, et chacun
d'eux prit du pain dans les bourgs, et chacun d'eux prit des chèvres chez les
paysans1 ». 11 rassembla ses forces à la frontière du Delta, dans Vile du Nord,
entre la Porte d'Imhotpou et le Tell de Horou iiib-màit, et se lança dans le
désert1. 11 poussa probablement par le Gebel Magharah et le Gebel Helal jus-
qu'à TOuady el-Arîsh, dans le pays riche et peuplé qui s'étendait alors entre
les versants septentrionaux du Gebel Tih et le sud de la mer Morte5 : arrivé
là, il se comporta avec toute la rigueur que les lois de la guerre autorisaient,
et rendit largement aux Bédouins les mauvais traitements qu'ils avaient infli-
gés à l'Egypte. « Cette armée vint en paix, elle hacha le pays des Maîtres des
Sables. Cette armée vint en paix, elle pulvérisa le pays des Maîtres des
Sables. Cette armée vint en paix, elle démolit leurs douars. Cette armée vint
en paix, elle coupa leurs figuiers et leurs vignes. Cette armée vint en paix,
elle incendia les maisons de tout leur peuple. Cette armée vint en paix, elle
1. Inscription d'Ouni, 1. 11-21.
2. Sur le nom de ces localités, voir la remarque d'Emux, Der Ausdruck TP-HS, dans la Zcitschrift,
t. XXIX, p. 120, note 1. Dans celui de la dernière, le titre de double Horou tiib-mâtt désigne
Snofroui, comme l'a fait observer K. Sf.thk, Ein neuer Horusnamc, dans la Zeitschrift, t. XXX, p. 62.
Vile du Nord et les deux forteresses devaient être situées entre Ismafliah et Tel-Défennéh, au point
de départ des voies de terre qui mènent à travers le désert de Tih; cf. p. 351 de cette Histoire.
3. L'habitat des tribus contre lesquelles Ouni Ht la guerre me parait pouvoir être fixé par certains
détails de la campagne, surtout par la mention des enceintes ovales ou rondes — ocaMt — dans les-
quelles elles se retranchaient. Os enceintes, ces douars, répondent aux naouamis qui sont mention-
nés par les voyageurs dans ces régions (E. II. Palmkr, the Désert of Exodut, p. 321-3*2), et qui sonl
fort caractéristiques (cf. p. 352-353 de cette Histoire). Les Maîtres des Sables d'Ouni occupaient les
pays k naouamis, soit les régions du Negeb situées sur la lisière du désert de Tih, autour d'Ain-
Cadis et au delà, jusqu'à l'Akabah et la mer Morte (Maspero, Soles au jour le jour, § 30, dans les
Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t. XIV, 1891-1892, p. 326-327). Dans cette hypothèse,
la route suivie par Ouni ne peut être que celle qui fut découverte et décrite, il y a une vingtaine
d'années, par Holland, A Journey on foot through Arahia Petrœa, dans les Quarterly Statcmcnts du
Palestine Exploration Fund, 1878, p. 70-72, et Noies to arcompany a Map, ibid., 1884, p. 4-15.
LA GUERRE CONTRE LE PAYS DE TIBA. 42*
y égorgea leurs milices par myriades nombreuses. Cette armée vint en paix,
elle ramena leur population en grand nombre, comme captifs vivants, de
quoi Sa Majesté me loua plus que de toute autre chose. » Ces malheureux,
en effet, partaient, aussitôt pris, pour les carrières ou pour les chantiers de
construction, dispensant le roi d'obliger ses sujets égyptiens à des corvées
trop fréquentes*. « Sa Majesté me manda cinq fois pour guider cette armée,
afin de pénétrer dans le pays des Maîtres des Sables, chaque fois qu'ils se
révoltaient contre cette armée, et je me conduisis si bien que Sa Majesté me
loua par-dessus tout1. » Les Bédouins se soumirent enfin, mais les tribus
qui les avoisinaient vers le nord, et qui sans doute leur avaient prêté
secours, menaçaient de disputer à l'Egypte la possession des territoires
qu'elle venait de conquérir. Comme elles touchaient à la Méditerranée, Ouni
s'avisa de les attaquer par la voie de mer et rassembla une flotte sur laquelle
il embarqua son monde3. Les troupes abordèrent à la côte du canton de
Tiba4, au nord du pays des Maîtres des Sables, puis « elles se mirent en
chemin. J'allai, je frappai tous les barbares et je tuai tous ceux d'entre eux
qui résistaient. » Au retour, Ouni obtint la faveur la plus éclatante qui pût
être concédée à un sujet, le privilège de porter une canne et de garder ses
sandales dans le palais, en présence de Pharaon8.
Ces guerres avaient rempli la fin du règne ; la dernière dut précéder de fort
peu la mort du souverain6. L'administration intérieure de Papi Ier paraît ne
pas avoir procuré des résultats moins heureux que son activité au dehors. 11
exploita les mines du Sinai avec suite, les soumit à des inspections régu-
lières, et en tira une abondance de minerais inusitée : la mission qu'il
i . E. de Rolgé, Recherche* sur les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties , p. 1 28.
2. Inscription a" Ouni, 1. 23-28. L'expression vint en paix, que notre texte répète avec insistance,
doit être comprise de la même manière que son correspondant arabe bïs-salamah, et signifie que
l'expédition réussit, non pas qu'elle ne rencontra aucune résistance de la part des ennemis.
3. Voir une description des navires égyptiens, p. 392 de cette Histoire, et la figure qui est donnée
de l'un d'eux à la p. 393 : comme il est dit en cet endroit, les vaisseaux de haute mer ne devaient
pas différer sensiblement des grandes barques en usage sur le Nil vers la même époque.
A. Le nom avait été lu d'abord Takhiba (K. de Roigk, Recherches sur les Monuments, p. 125). La
lecture Tiba (Maspkro, Notes sur quelques points de Grammaire et a" Histoire, dans la Zeilschrift, 1883,
p. 64) a été contestée (Piebl, Varia, dans la Zeilschrift, 1888, p. 111), sans raison, je crois (Maspero,
Inscription of Uni, dans les Records of the Pasl, 2"- Séries, t. II, p. 8, note 2). Krall (Studien zur
Geschichte des Allen Mgyptens, III, p. 22) l'identifie avec le nom de Tcboui, qui se rencontra dans un
texte d'Edfou (OTmichen, Tempel-lnschriften, t. I, pi. LXX1II, 2, et Oie Oasen der libyschen Wiiste,
pi. XVI e), mais que Brugsch (Reise nach der Grossen Oase, p. 92) ne sait où placer. Le passage de
l'inscription d'Ouni (I. 30-31), qui nous apprend que le pays de Tiba était au nord du pays des Mot-
ires des Sables, nous oblige à y reconnaître le canton qui s'étend entre le lac de Sirbon et Gaza,
probablement les parties septentrionales de l'Ouady el-Artsh, et le pays voisin en marchant vers l'Est.
5. E. de Rougé, Recherche* sur les Monuments, p. 128. Sur les guerres entreprises en ce temps-là
contre les Maîtres des Sables, cf. Krall, Die Vorlaufer der Hyksos, dans la Zeilschrift, 1879, p. 64-67.
6. Cela paraît résulter de ce fait qu'immédiatement après la mention des récompenses reçues pour
ses victoires, Ouni passe à l'énumération des faveurs que le Pharaon Mirnirt lui accorda (I. 32-33).
422 I/EMPIRE MEMPHITE.
y envoya Tan XVIII y laissa un bas-relief, où les victoires d'Ouni sur les
barbares et les concessions de territoire faites à la déesse Hâthor sont rap-
pelées1. Le travail ne chôma point aux carrières de Hatnoubou1 et de
Rohanou8; les constructions se multiplièrent, à Memphis où Ton préparait
la pyramide*, dans Abydos où l'oracle d'Osiris attirait déjà de nombreux
pèlerins5, à Tanis8, à Bubaste7, à Héliopolis8. Le temple de Dendérah tombait
en ruines : on le restaura sur les plans primitifs qu'on découvrit par hasard',
et cette piété envers Tune des divinités les plus vénérées fut récompensée
comme elle méritait de l'être, par l'insertion dans le cartouche royal du
titre de fils d'Hàthor10. Les vassaux rivalisaient d'activité avec le suzerain,
et édifiaient partout, pour leur servir de résidence, des villes nouvelles, dont
plusieurs reçurent son nom11. La mort de Papi Ier n'arrêta point cet élan :
Faîne des deux fils qu'il avait eus de sa seconde femme, Mirirî-ônkhnas, lui
succéda sans obstacle". Mirnirî Mihtimsaouf Ier (Métésouphis)13 était presque
un enfant lorsqu'il monta sur le trône. Il n'eut aucune révolte à réprimer
chez les Bédouins récemment vaincus : la mémoire des défaites était trop
1. Lepsius, Denkm., II, 116 a; Lottin de Laval, Voyage dans la péninsule Arabique, Ins. hier., pi. I.
n° 2; Account of the Survey, p. 173-174. Le roi est représenté courant, comme dans les scènes de
fondation d'un temple, ce qui paraît montrer qu'il prétendait avoir construit la chapelle de la déesse:
la légende nous apprend de plus qu'il avait donné un champ aux dieux locaux, à propos du jubilé
solennel qu'il célébra pour la première fois cette année-là, à la date anniversaire de son avènement.
2. Blackden-Krazer, Collection of Hieratic Graffiti from the Alabaster Quarry of Hat-nub, pi. XV,
i, 4, sans doute à propos de la mission d'Ouni dont il est parlé à la p. 433 de cette Histoire.
3. Lepsius, Denkm., II, 115 a-c, e, g, i-k\ Burton, Excerpla hieroglyphica, pi. X; Prisse d'Avexxes.
Monuments, pi. VI, 4; cf. Maspero, les Monuments Égyptiens de la Vallée de Hammamâl, dans la Bévue
Orientale et Américaine, 1877, p. 330 6qq.
4. Elle a été publiée par Maspero, la Pyramide de Papi /•', dans le Hecueilde Travaux, t. V, VU, VIII.
5. Voir dans Mariette, Catalogue Général des Monuments d' Abydos, p. 83-92, les monuments du
temps de Papi I*r qui montrent combien la vie publique était déjà active dans cette petite ville.
6. Pétrie, Tanis II, pi. I, 2; cf. p. 416, note 8 de cette Histoire, où l'inscription est déjà citée.
7. Ed. Naville, Bubastis, pi. XXXII c-d et p. 5-8.
8. Pline raconte qu'un obélisque fut élevé dans cette ville a Phio, par Phios, qui est Papi Ier (Plise,
//. Nat., XXXVI, 8, 67) : il avait emprunté ce renseignement à quelque écrivain alexandrin.
9. DOmichen, Bauurkunde der Tempelanlagen von Dendera, pi. XV, 1. 36-40 et p. 18-19; Mariette,
Dendérah, t. III, pi. 71-74, et Texte, p. 54 sqq.; cf. les observations présentées par Chaba$, Sur
l'antiquité de Dendérah, dans la Zeitschrift, 1865, p. 92-98.
10. On lit ce titre sur les blocs trouvés à Tanis et à Bubastis; cf. E. de Rolgé, Becherches sur les
Monuments, p. 115-116, Naville, Bubastis, pi. XXX, t. I, c-d, p. 5-8, aussi p. 416 de cette Histoire.
11. Ainsi Hâlt-Papi, — la Ferté-Papi% — dans le nome Hermopolitain (Lepsius, Denkm., Il, 112 rf-e).
12. La généalogie de toute cette famille a été établie par E. de Rougé (Becherches sur tes Monu-
ments, p. 129-184), d'après les monuments découverts par Mariette à Abydos. La reine Mirirt-ôokhnas
était fille de Khoui et de la dame Nibtt, qui parait avoir été de race royale et avoir apporté à son mari
les droits qu'elle possédait à la couronne (E. de Rougé, Becherches sur les Monuments, p. 132, note 1 :
cf. p. 274, note 1, de cette Histoire)', elle avait pour frère un certain Zàou (Mariette, Abydos. t. I.
pi. 2 a, et Catalogue Général, p. 84, n° 523), le même dont le fils fut prince du Mont-Serpent sous
Papi 11 (Maspero, Sur l'inscription de Zàou, dans le Becueil de Travaux, t. XIII, p. 68). Elle eut de
Papi I-r deux fils, qui tous les deux succédèrent à leur père, Métésouphis I"r et Papi H.
13. Le nom a été lu successivement Mentcmsaf (Mariette, la Nouvelle Table d' Abydos, p. 16; cf.
Bévue Archéologique, 2* série, t. XIII, p. 88), Hourcmsaf (Brugsch, Zwei Pyramiden mit Inschriften,
dans la Zeitschrift, 1881, p. 9), Sokarimsaf (Maspero, Guide du Visiteur, p. 347, n° 5150, et peu). La
véritable lecture Mihtimsaf, ou plutôt Mihtimsaouf, fut signalée presque en même temps par Lauth
{Pyramiden texte, p. 317-318; cf. Sitzungsbcric.hle de l'Académie de Munich, 1881, t. Il) et par Maspero.
MÊTÉS0UPH1S I". 423
fraîche encore chez eux, pour qu'ils songeassent à profiter de sa minorité
et à se remettre en campagne. Ouni d'ailleurs était là, prêt à recommencer
les razzias à la moindre alerte : Métésouphis l'avait confirmé dans toutes ses
charges et même lui en avait accordé de nouvelles. « Pharaon m'institua
gouverneur général de la Haute-Egypte, d'Êléphantine au sud jusqu'à Létopolis
au nord, parce que ma sagesse plaisait à Sa Majesté, parce que mon zèle
plaisait à Sa Majesté, parce que le cœur de Sa Majesté était content de
moi.... Quand je fus en ma place, j'étais au-dessus de tous ses liges, de tous
ses mamelouks et de tous ses servants, car jamais dignité pareille n'avait été
confiée auparavant à un simple sujet. Je remplis à la satisfaction du roi
mon rôle de surintendant du Sud, si bien qu'on m'accorda d'être le second en
rang à côté de lui, accomplissant tous les devoirs d'un chef de travaux, jugeant
toutes les causes que l'administration royale avait à juger dans le sud de
l'Egypte comme second juge, à toute heure fixée à l'administration royale
pour rendre jugement dans ce sud de l'Egypte comme second juge1; réglant
en tant que gouverneur tout ce qu'il y avait à faire dans ce sud de l'Egypte*. »
L'honneur de convoyer les blocs de pierre dure destinés à la pyramide lui
revenait de droit : il alla chercher le granit du sarcophage et de son couvercle
aux carrières d'Abhaît8 vis-à-vis de Séhel, et l'albâtre de la table d'offrandes
dans celles de Hâtnoubou. Le transport de la table présentait des difficultés
considérables, car le Nil était bas et la pierre gigantesque : Ouni fabriqua
sur place un ponton où la charger, et l'amena promptement à Saqqarah,
malgré les bancs de sable dont le fleuve s'obstrue à l'étiage4. 11 ne s'en tint
pas là : les Pharaons n'avaient pas encore d'escadre en Nubie, et s'ils en
eussent possédé une, l'état du chenal les aurait empêchés de la faire évoluer
d'un côté à l'autre de la cataracte. Il demanda du bois d'acacia aux tribus
du désert, aux gens d'Iritit, d'Ouaouaît, aux Màziou, mit ses navires en
1. Le premier juge était naturellement le Pharaon lui-même : Ouni dit donc à sa façon qu'il reçut,
pour les exercer dans la Haute-Egypte, les pouvoirs d'un vice-roi. Sur le droit dont jouissaient les
administrateurs politiques de rendre la justice dans leur circonscription, cf. p. 336 de cette Histoire.
2. Inscription d'Ouni, 1. 34-37.
3. Abhatt est peut-être Mahallah, en face de Sehel, où Ton trouve des filons de granit gris assez
puissants (Maspero, De quelques termes d'architecture égyptienne, p. 8, note 1, dans les Proceedings
de la Société d'Archéologie Biblique, t. XI, p. 311). M. Schiaparelli (la Catena Orientale delV Egitlo,
p. 31, note 2) identifie cette localité avec un pays d'Abhaît qui est placé au voisinage de l'Ouady
Hammamàt, en plein désert : l'inscription d'Ouni constate (I. 41-42) que l'Abhalt d'Ouni était
accessible aux bateaux, comme Éléphantine elle-même, ce qui permet d'écarter cette hypothèse.
4. Inscription d'Ouni, 1. 37-45. M. Pétrie (A Season in Egypt, 1887, p. 19-21) a essayé de prouver,
par le passage relatif au transport, que l'époque du règne de Papi lur devait être 3240 av. J.-C, à
soixante ans près : la date est, je crois, de quatre siècles au moins trop rapprochée de nous. C'est
peut-être à ce voyage d'Ouni que se rapporte l'inscription de l'an V de Métésouphis 1er recueillie par
BlackdeN'Frazbr, Collection of Hier a tic Graffiti front the Alabasler Quarry of Hatnub, pi. XV, 2.
4M L'EMPIRE MEMPH1TE.
chantier, construisit en un an trois galères et deux grands chalands ; pendant
ce temps, les riverains avaient dégagé cinq chenaux par où la flottille défila et
s'achemina vers Memphis avec son lest de granit'. Ce fut le dernier exploit
d'Ouni : il mourut peu après et fut enterré
au cimetière d'Abydoa, dans le sarcophage que
Papi 1" lui avait donné*.
Était-ce seulement dans l'intérêt de la pyra-
mide qu'il avait rétabli la voie d'eau entre
l'Egypte et la Nubie? Les Égyptiens gagnaient
chaque jour du terrain vers le sud, et la ville
d'Éléphantine devenait entre leurs mains l'en-
trepôt du commerce avec le Soudau'. Elle n'oc-
cupait pourtant que la moindre partie d'une île,
longue, mince, mignonne, assise sur plusieurs
blocs de granit, que des bancs de sable avaient
soudés progressivement l'un à l'autre, et par-
dessus lesquels le Nil avait jeté de temps immé-
morial une couche épaisse de son limon. Des
acacias, des mûriers, des dattiers, des palmiers-
doums l'ombragent, ici alignés en haies au bord
des sentiers, là semés par groupes au milieu
des champs. Une demi-douzaine de sakièhs,
rangées en batterie sur la rive, montent l'eau
nuit et jour, sans presque interrompre leur grincement monotone. Les habi-
tants ne perdent pas un pouce de leur étroit domaine ; ils ont aménagé partout
où ils ont pu de petites pièces de dourah et d'orge, des plants de bersim, des
carrés de légumes. Quelques buffles et quelques vaches paissent discrètement
dans des coins, des poulets et des pigeons innombrables s'en vont par bandes
à la maraude. C'est un monde en miniature, tranquille et doux, où la vie
1. Iiucriplioii d'Ouni, I. 4S-S0. Sur les traïaui de canalisation exécutés par Ouni dam la première
cataracte, cf. la note de Maspero dans le Recueil de Traçait*. t. XIII, p. 403-104.
ï. Papî 11 Piolirkert n'est nommé nulle part dans l'inscription, ce qui montre qu'Ount ne vit pis son
règne. Le tombeau d'Ouni était construit en forme de Mastaba : il se dressait au sommet de la rol-
linc qui domine ce que Mariette appelait la nécropole du Centre (Huietti, Catalogue Général, p. SI.
il" 5«). La stèle d'Ouni est au Musée de Gizch {Mariette, Catalogue (.entrai, p. 90, n> 519).
3. L'importance croissanlc d'f.lép nanti ne csl attestée et par les dimensions des tombes que se-
pririri's fe tirent construire, et par le nombre de uraftiti commémorant des visites de prince et de fonc-
tionnaires qui nous restent de celte époque (Petme, A Seal on jn Eggpt. pi. XII, n» 309, 311-31*).
4. Plan dretsé par Thuiilier. d'aprèi ta Carte de ta Comminion d'Egypte [Aat., t. I, pi. 31)
comparée aux relevât opérât par M. de Morgan pendant l'hiver de IS9S.
ÊLÊPHANTINE ET SES SEIGNEURS.
jours verts. La ville antique se serrait .. ,
contre la pointe sud, haut placée sur un
plateau de granit à l'abri des crues'. Les restes en ont huit cents mètres de
circuit et s'accumulent autour d'un temple ruiné de Khnoumou, dont les
parties les plus anciennes ne remontent pas au delà du xvi" siècle avant notre
ère'. Elle était ceinte de murs, et un château en briques sèches, perché au
sud-ouest sur un îlot voisin, lui permettait d'ouvrir ou de fermer à son gré
les débouchés de la cataracte. Un bras d'eau large de quatre-vingt-douze
mètres la séparait de Souaoît, dont les maisons pressées s'étageaient à l'Est
sur les escarpements de la berge comme un faubourg*. Des pâturages maré-
cageux envasaient l'emplacement de la Syène actuelle, puis des jardins, des
vignes qui produisaient un vin célèbre par l'Egypte entière", une forêt de
dattiers courant au nord le long du fleuve. Les princes du nome de Nubie,
campés pour ainsi dire aux avant-postes de la civilisation, entretenaient avec
les peuples du désert des rapports fréquents, mais variables. Ils ne se gênaient
guère pour lancer à l'occasion des colonnes de troupes sur la droite ou sur la
gauche de la vallée, vers la mer Bouge ou vers les Oasis : si peu que ces
I. Dettin de Boudier, d'apret une photographie tir lUato. Sur les premiers, plans, les ruines du mâle
romain en briques qui détendait l'entrée du port de Syène: au fond, la montagne Libjqne, couronnée
par le» ruine» de plusieurs mosquées el d'un couvent copte. Cf. la vignette p. A3! de celle Hùloirr,
ï. Joui»., Detcriplioa de Me d'Elfp/iautinr, dans la Description de l'Egypte, t. I, p. 175-181.
3. ("est une porte en granit rouge, du règne de Thoulmosi* III, mais restaurée et remaniée sous
Alexandre le Macédonien : les autres ruines remontent pour la plupart au temps d'AmëiidUiès III.
i. Sur l'einplaccmenlquc la Syène Pharaonique et r.réco-llomaine occupait par rapport à la moderne,
et. Jonian, Description de Sytue et det Cataracte», dans la Dctcription de l'Egypte, t. I, p. 1Ï8 sqq,
5. Brugscb (licite nach der Grotte* Oate cl-Khargeh, p. 91) pense que ce vin venait non pns d'AssouSn
près la cataracte, mai* d'une Syène inconnue, située au voisinage d'Alexandrie, dans le nome Maréolique.
«6 L'EMPIRE MEMPHITE.
razzias leur rapportassent, des bœufs, des esclaves, du bois, du charbon,
quelques onces d'or, des améthystes, de la cornaline, du feldspath vert dont
on fabriquait des bijoux, c'était toujours autant de gagné, et le trésor princier
en faisait son profit. Mais leurs
expéditions n'allaient jamais bien
loin : voulaient-ils frapper un coup
à distance, atteindre par exemple
ces régions du Pouanit dont les
barbares leur vantaient l'opulence,
l'aridité des cantons qui entourent
la deuxième cataracte arrêtait leurs
fantassins, et les rapides d'Ouadv
Halfah opposaient à leurs vaisseaux
un obstacle presque infranchissable,
ils ne recouraient plus aux armes
dès qu'il s'agissait d'opérer aux
pays lointains, et ils se déguisaient
en marchands pacifiques. Lne route
facile les menait presque droit de
leur capitale au Ras Banàt sur la
mer Rouge1, qu'on appelait la Tète
de Nekhabîl : débouchés à l'endroit
où s'éleva plus tard une des nom-
breuses Bérénice, ils construisaient rapidement une barque avec le bois des
forêts claires du voisinage, et s'aventuraient le long des côtes, au nord jus-
qu'au Sinai et chez les Hirou-Shàitou, au sud jusqu'au Pouànit même1.
La petitesse de ces bateaux improvisés leur rendait les croisières dange-
reuses et le bénéfice médiocre; aussi préféraient-ils le plus souvent la voie de
terre. Elle était fatigante, interminable : les baudets, les seules bêtes de
somme que l'on connût ou que l'on employât, ne fournissaient que des
étapes assez brèves, et l'on usait des mois et des mois à parcourir des con-
1. C'ait la roule parcourue en 1883 el décrite par Colési^.beff. Une Excurêion à Bérénice, dans le
Recueil île Travaux, l. XIII, p. 89-93, à son retour de Bérénice. Les graffiti arabes dont les ruchers
de certains Ouadys sont emiuirt» munirent qu'elle a été fréquentée presque jusqu'à nos jours.
t. Plan île Thuillier, iTaprèê la Deirriplion de l'F.gijnle, Ant., t. l.pl. ,10, ». J'ai ajouté ceux des
noms antiques qu'il est possible d'identifier aujourd'hui avec l'une ou l'autre des localité* modernes.
3. C'est ce que fit l'un des membres de la famille princière d f.lcphanlinc, Pnpiiukliltl, sous Papi II
(cf p. 434-435 de cette Hiltoire), el l'on peut conclure de la façon (ton! l'inscription de son tombeau
parle de celte cnlreprise, que son cas ne paraissait pas extraordinaire à ses contemporains
LES EXPLORATIONS DES SEIGNEURS D ÊLÉPHANTÏNE.
trées qu'une caravane de chameaux traverse maintenant en quelques
semaines'. Les routes où l'on se risquait étaient celles que les sources ou les
puits jalonnaient à intervalles très rapprochés, et la nécessité d'abreuver sou-
vent les ânes, l'impossibilité d'emporter avec eux des réserves d'eau consi-
dérables, obligeaient le voyageur à suivre des itinéraires sinueux et compli-
qués. On choisissait pour l'échange les objets qui valaient beaucoup sous un
petit volume et avec un poids très léger. C'étaient du côté des Égyptiens les
pacotilles de verroterie, de bijoux, de coutellerie grossière, les parfums vio-
lents, les rouleaux de toile blanche ou colorée, qui plaisent encore après
cinquante-cinq siècles aux peuplades africaines1. Les indigènes payaient ces
trésors inappréciables avec de l'or en poudre ou en barre, avec des plumes
d'autruche, des peaux de lions ou de léopards, des dents d'éléphant, des eau -
ries, des billots de bois d'ébène, de l'encens, de la gomme arabique'. On
I. L'ffisloire du Payan des Papyrus rie Berlin a" Il et IV nous oITrc un bon exemple de l'usage
des baudets ; le héros se rendait de l'Ouady Nalroun a llénassièh, à travers le désert, avec une paco-
tille (]ii il comptait vendre, quand un artisan peu scrupuleux lui vola, bous un prétexte futile, sa
bande de sommiers et leur charge (>I«speso, Contes populaire» de l'Egypte Ancienne, *■ éd. p. 41-13).
Ilirkhouf ramena de l'un de ses voyages une caravane de trois cents ânes, cf. p, 133 de cette Hittoirc.
ï. Destin de Faueher-Giidin, d'après une photographie de Gotfnitcheff.
3. Ce sont les objets représentes dans les has-reliefs du temple de Déir el-Bnharl comme servant à
l'échange entre les matelots Egyptiens et les gens du l'onanft, au xvii* siècle avant notre ère. sous la
reine llàtshopsllou de la XVII l* dynastie (MaRIOTi, Deir-el-Bahart, pi. V).
i. Voir l'énumération des denrées que Ilirkhouf rapporta avec lui lors de son dernier voyage, dans
Sem «pji ull i, Una Tomba Egitiana inedita, p. Ï3, I. 4-5 ; cf. les pages 433-433 de celte Hutoire.
42* L'EMPIRE MEMPHITE.
attachait assez de prix aux cynocéphales et aux singes verts, dont les rois ou
les seigneurs se divertissaient et qu'ils exposaient enchaînés au pied de leur
chaise les jours de réception solennelle ; mais le nain, le Danga, était la mar-
chandise rare, qu'on demandait toujours, sans presque jamais l'obtenir1.
Moitié commerce, moitié pillage, les barons d'Éléphantine s'enrichirent vite
et commencèrent à faire bonne figure parmi la noblesse du Said : il leur fallut
bientôt prendre des précautions sérieuses contre la convoitise que leur fortune
excitait parmi les tribus du Konousit*. Ils se retranchèrent derrière une
muraille en briques sèches longue de douze kilomètres, et dont les ruines
étonnent encore les voyageurs. Elle s'appuyait vers le nord aux remparts de
Syène et suivait assez régulièrement le fond de la vallée qui aboutit au port de
Mahatta, en face de Philae : des gardiens, échelonnés sur son parcours, guet-
taient la montagne et criaient aux armes dès qu'ils apercevaient l'ennemi*. La
population se sentait à l'aise derrière ce boulevard, et pouvait exploiter sans
crainte les carrières de granit pour le compte de Pharaon ou poursuivre en
sécurité le métier de pécheurs ou de matelots. Les habitants du village de
Satit et des ilôts voisins revendiquaient de toute antiquité le privilège de
piloter les navires qui remontent ou descendent le rapide, et de nettoyer les
passes qui servent à la navigation4. Us travaillaient sous la protection de leurs
déesses Anoukit et Satît ; les voyageurs de rang sacrifiaient dans le temple
qu'elles avaient à Séhel5 et gravaient sur les rochers un proscynème en leur
honneur, pour les remercier de leur avoir accordé une traversée heureuse.
On rencontre leurs griffonnages partout, à l'entrée, à la sortie, sur les îlots où
ils s'amarraient chaque soir, pendant les quatre ou cinq jours que la traversée
durait ; la berge du fleuve entre Éléphantine et Philae est comme un album immense
où toutes les générations de l'Egypte antique se sont inscrites tour à tour6.
1. DPnichen, Geographische Inschriften, t. I, XXXI, 1. 1, où il est question, à l'époque des Ptolémées,
des Nains, des Pygmées qui viennent à la cour du roi pour servir dans sa maison (Df miches, Geschickte
des Allen /Egyptens, p. 9, note 1). Diverses nations de petite taille, qui ont été refoulées depuis lors
dans le bassin supérieur du Congo, s'étendaient jadis plus haut vers le nord et habitaient entre le
Darfour et les marais du Bahr-el-Ghazàl. Pour le Danga, cf. ce qui est dit à la p. 397 de cette Histoire.
2. L'inscription attribuée au roi Zosiri dit expressément que le mur fut construit pour s'opposer
aux attaques des gens du Konousit (I. 11 ; cf. Brlgsch, Die sieben Jahrc der Hungersnoth, p. 55-56).
3. Lancret, Description de Vile de Phi las, dans la Description de C Egypte, t. I, p. 5-7. Lancret avait
reconnu la haute antiquité de cette muraille, dont Letronne prétendit ensuite rabaisser la construction
jusqu'au temps de Dioctétien (Recueil de» Inscriptions grecques et latines de l'Egypte, t. H, p. 211 sqq.).
J'ai déjà eu occasion de dire qu'elle était beaucoup plus vieille qu'on ne croyait (Recueil de Tra-
vaux, t. XIII, p. 204), mais je n'avais pas osé la faire remonter plus haut que la XII* dynastie.
4. Cf. l'inscription du temps d'Ousirtasen III et celle du règne de Thoutmosis III, qui ont été pu-
bliées par Wilboir, Canalizing the Cataract, dans le Recueil de Travaux, t. XIII, p. 20*2-203.
5. Les ruines ont été découvertes par M. de Morgan en 1893 (Bou riant, Notes de voyage, § 20, dans
le Recueil de Travaux, t. XV, p. 187-189; J. de Morgan, Notice sur les fouilles et déblaiements, p. 11).
0. Elles ont été recueillies en purtie par Champollion, par Lepsius (Denkm.t II, 116 6), par Mariette
S HOCBEHS DE 1,'lu DE SSUEI. El QGEIGCES US!
Dessin de Boudior, il"«i>ri» une phologmphic de Wierii, prise ei
430 L'EMPIRE MEMPH1TE.
Les marchés et les rues des deux cités jumelles devaient présenter dès lors
le même bariolage de types et de costumes que les bazars de la Syène
moderne offraient, il y a quelques années : les Nubiens, les nègres du Soudan,
peut-être les peuples de l'Arabie méridionale, y coudoyaient les Libyens et
les Égyptiens du Delta. Ce que les princes firent afin d'en rendre le séjour
agréable à ces étrangers, les temples qu'ils consacrèrent à leur dieu Khnou-
mou et à ses compagnes pour les remercier de leurs largesses, nous l'ignorons
jusqu'à ce jour. Êléphantine et Syène n'ont rien sauvé de leurs construc-
tions; mais leurs tombeaux existent encore et nous ont raconté leur histoire.
Us s'ouvrent en longues lignes dans les flancs de la colline abrupte qui domine
toute la rive gauche du Nil, en face le goulet du port d'Assouân. Un escalier
en grosses pierres brutes conduisait de la berge à la hauteur des hypogées.
La momie, après l'avoir monté lentement sur les épaules de ses porteurs,
stationnait un moment au bord de la plate-forme, à l'entrée de la chapelle. La
décoration était assez pauvre et ne se distinguait ni par la finesse de l'exécu-
tion, ni par la variété des sujets. Elle se manifestait de préférence au dehors,
sur les murs qui flanquaient la porte et qu'on apercevait du fleuve ou des
rues d'Éléphantine. Une inscription encadre la baie et vante les qualités du
maître à tout venant, puis le portrait du mort et parfois celui de son fils se
dressent à droite et à gauche ; les scènes d'offrandes se déroulaient à la suite,
quand on trouvait un artiste suffisamment adroit pour les graver*.
Ces entreprises, couronnées de succès le plus souvent, attirèrent bientôt
l'attention des Pharaons : Métésouphis daigna recevoir en personne à la cata-
racte l'hommage des chefs d'Ouaouait, d'iritît et des Mâziou, pendant les
premiers jours de sa cinquième année1. Le guide de caravanes le plus célèbre
était alors Hirkhouf, propre cousin de Mikhou, sire d'Ëléphantine. Il était
entré dans la carrière sous les auspices de son père Iri, l'ami unique. Un
(Monuments divers, pi. 70-73, p. 23-25), plus complètement par Pétrie et Griffith [A Season in Egypt,
pi. I-X1II), puis par les membres de la Mission Française pendant l'hiver de 1892-1893.
1. Les tombes d'Assouân, longtemps oubliées, ont été déblayées successivement à partir de 1885,
en partie par les soins du général Grenfell (Maspero, Études de Mythologie et d'Archéologie Egyp-
tiennes, i. I, p. 216-251; K. \V. Bidge, Excavations tnade at Assuân, dans les Proceedings de la
Société d'Archéologie Biblique, t. X, p. 4-40; Bou riant, le* Tombeaux oVAssouân, dans le Recueil de
Travaux, t. X, p. 181-198; Scheil, Mate additionnelle sur les tombeaux d'Assouân, dans le Recueil
de Travaux, t. XIV, p. 94-90; K. Sciiiaparelli, Una Tomba Egiziana inedita délia Vlm Dinastia, dans
les Memoric délia R. Ace. dei Lincei, Ser. 4", t. I, part. 1, p. 21-53).
2. Chavpollion, Monuments de l'Egypte cl de la Nubie, t. I, p. 214; Lepsips. Dcnkm., 116 b; Pétrie,
A Season in Egypt, pi. XIII, n° 338. Les termes de l'inscription : « Le roi lui-même alla et roint, se
levant sur la montagne pour voir ce qu'il y a sur la montagne », prouvent que Métésouphis inspecta les
carrières en personne. Une autre inscription, découverte en 1893, fournit la date de l'an V pour son
passage à Êléphantine, et ajoute qu'il y entretint des relations avec les chefs des quatre grands peuples
nubiens (Sayce, Gleanings from the Land of Egypt, dans le Recueil de Travaux, t. XV, p. 147-148).
HIRKHOUF, L'OCCUPATION DES OASIS. 431
roi dont on ne dit point le nom, peut-être Ounas, mais plus probablement
Papi Ie*, les dépêcha tous deux au pays d'Amamît. Le voyage dura sept mois
et réussit à merveille' : le souverain, encouragé par cette aubaine, résolut de
faire partir un convoi nouveau. Hirkhouf en eut seul le commandement; il
traversa l'irilît, explora les cantons de Satir et de Dar-ros, puis rebroussa
après huit mois entiers d'absence. Il rapportait avec lui des marchandises pré-
cieuses en quantité telle « que personne n'en avait rapporté autant aupara-
vant ». Il ne voulut pas rallier sa patrie par la route ordinaire; il s'enfonça
hardiment dans les Ouadys étroits qui sillonnent le territoire des gens d'iritit,
déboucha sur le district de Sitou, au voisinage de la cataracte, par des sen-
tiers où nul des voyageurs officiels qui avaient visité l'Amamît ne s'était
aventuré jusqu'alors'. Une troisième expédition, qui eut lieu probablement
quelques années plus tard, l'entraîna dans des régions moins fréquentées
encore*. Il quitta par la voie de l'Oasis, se dirigea vers l'Amamit, et trouva le
(. Pour le premier voyage de Uirkhour, qu'il entreprit de compte fl demi avec son père Iri. cf.
ScmAMRn.1,1, Vna Tomba Eghiana inédits délia Vf binattia. p. 18, I. 1-6 de l'inscription.
t. Deuil! de Boudier, d'aprèt une photographie iflminger. Les porte* des tombeaux s'ouvrent à
rai-cote : la longue tranchée qui coupe obliquement la pente de la montagne abrite l'escalier encore
subsistant qui menait aux hypogées des temps pharaoniques. Sur la hauteur, on aperçoit les ruines
de plusieurs mosquées et de plusieurs couvents coptes; cf. la vignette p. ii'i de cette Rùtoire.
3. Le second voyage de llirkhouf en Iritil, et son retour par Sîlou sont racontés sommairement
dans ScuupAïutiLi, Vna Tomba Egteiana inrdita delta f'ia Dinaitia, p. 18-10, I. 5-10 de l'inscription,
i. Le rescrit relatif su Banga est daté en effet de l'an II de Pnpi II. Métésouphis I" régna quatorze
ans, d'après le fragment 59 du Canon Royal de Turin (l.rpsns, Auëicaht, pi. IV, col. vi), où Rrman
(On. Briefde* Kfmigi Kefer-ke-re, dans la Zeittehrift. t XXXI. p. ',*) ne vcul lire que quatre ans.
432 I/EMPIRE MEMPHITE.
pays tout en émoi. Les shéikhs avaient convoqué leurs goums et se prépa-
raient à porter la guerre chez les Timihou, « vers l'angle occidental du ciel »,
dans les parages où se dresse celui des piliers qui étaie le firmament de fer
au couchant. Les Timihou étaient probablement de race et de langue berbère1.
Leurs tribus, venues d'au delà le Sahara, vaguaient à travers les solitudes
affreuses qui bornent à l'ouest la vallée du Nil. Les Égyptiens devaient veiller
sur elles sans cesse et se prémunir contre leurs incursions; après s'être bornés
longtemps à les repousser, ils avaient pris enfin l'offensive, et s'étaient décidés
à les pourchasser dans leurs retraites, non sans quelque horreur religieuse.
Comme les habitants de Mendès et de Busiris avaient caché le séjour de leurs
morts au fond des marais impraticables qui bordent la côte du Delta, ceux
de Siout et de Thinis avaient cru d'abord que les âmes émigraient au delà
des sables : le bon chacal Anubis les guidait, par la gorge de la Fente ou
par la porte du Four, à des îles de verdure éparses dans le désert, où les bien-
heureux séjournaient en paix, à distance médiocre de leurs cités natales et
de leurs tombeaux. C'était, nous le savons, un peuple bizarre, dont tous les
citoyens logeaient au cercueil et avaient endossé le maillot funèbre — ouîti :
les Égyptiens appelèrent terre des emmaillotés ou des momies, Ouït, les
Oasis qu'il avait colonisées, et le nom demeura, longtemps après que le pro-
grès des connaissances géographiques eut refoulé le paradis plus loin vers
l'ouest1. Les Oasis tombèrent l'une après l'autre sous la domination des princes
limitrophes, celle de Bahnésa entre les mains du seigneur d'Oxyrrhynkhos,
celle de Dakhel aux ordres des barons de Thinis". Les Nubiens de l'Amamit
avaient probablement affaire à ceux des Timihou qui possédaient l'Oasis de
Doush, prolongement de celle de Dakhel, sur le parallèle d'Éléphantine. Hir-
khouf les accompagna, réussit à rétablir la paix entre les rivaux, leur persuada
d' « adorer tous les dieux de Pharaon » : il réconcilia ensuite l'Iritît, l'Amamit,
l'Ouaouaît, qui vivaient en état d'hostilité perpétuelle, en fouilla les vallées,
1. Jusqu'à présent la plus ancienne mention connue des Timihou ne remontait qu'à la XIIe dynastie
(Chabas, les Papyrus hiératiques de Berlin, p. 41-44). Dévéria (la Race supposée proto-celtique est-elle
figurée sur les monuments égyptiens? dans la Revue Archéologique, 3* série, t. IX, p. 38-48) les rattachait
aux races blanches qui peuplèrent l'Afrique du Nord, notamment l'Algérie, et le général Faidherbe a
cru retrouver leur nom dans celui des Tamachek. La présence de mots berbères, constatée en égyptien
dès la XII0 dynastie (Maspkro, On the Name of an Egyptian dog, dans les Transactions de la Société
d'Archéologie Biblique, t. V, p. 1 27-1 28), jointe à ce fait que les habitants de l'oasis de Siouah parlent
encore de nos jours un dialecte berbère (Basset, le Dialecte de Syouah), semble prouver que les
Timihou appartenaient à la grande race qui domine aujourd'hui dans l'Afrique du Nord.
2. Maspero, Etudes de Mythologie et d'Archéologie Egyptiennes, t. II, p. 421-427; cf. p. 232 de
cette Histoire les renseignements déjà donnés sur le caractère mystérieux de la Grande Oasis.
3. Le premier prince de Thinis et de l'Oasis que nous connaissions est l'Antouf de la stèle C 26 du
Louvre, qui vivait au début de la XII* dynastie (Brugsch, Reise nach der Grossen Oase, p. 62-63).
LES EXPLORATIONS PREPARENT LA CONQUETE DE LA NUBIE. 433
y réunît assez d'encens, d'ébène, d'ivoire et de peaux pour en charger trois
cents ânes '. Il eut même la chance d'acquérir un Danga de la Terre des Mânes,
semblable à celui que Biourdidi avait amené du Pouanît quatre-vingts ans
plus tôt, sous le règne
d'Assi'. Cependant Mété-
souphis était mort et son
jeune frère Papi II lui avait
succédé, depuis un an déjà.
Le nouveau roi, heureux de
posséder un nain qui sût
danser le dieu, adressa un
resent à Hirkhouf pour lui
témoigner sa satisfaction; il
lui envoya en même temps
un messager spécial, Ouni,
parent éloigné du ministre
de Papi I", qui devait l'in-
viter à venir rendre compte
de sa mission . Le bateau où
l'explorateur s'embarqua
pour descendre à Memphis
portait aussi le Danga, et le
Danga devient désormais le
, .11 HEXKHOliP 1ECITAEVT l'bDMjUI ilP.S.URK DE »K ML*
personnage important de la À u Ë Bt cox I0„EAÏs
troupe. C'est pour lui que
tous les officiers royaux, tous les seigneurs, tous les collèges sacerdotaux
préparent ponctuellement des vivres et des équipages; sa santé est plus pré-
cieuse que celle de son guide, et l'on veille anxieusement ace qu'il ne s'échappe
point. * Quand il sera avec toi dans le bateau, fais qu'il y ait des gens avisés
à côté de lui, de peur qu'il ne tombe à l'eau; quand il reposera pendant la
nuit, fais que des gens avisés reposent à côté de lui, de peur qu'il ne se
sauve rapidement de nuit. Car Ma Majesté préfère voir ce nain plus que tous
I. I.e troisième voyage d'Hirkhouf est raconté plus longuement que les autre». La partie de
l'inscription qui en contenait le détail a malheureusement souffert beaucoup plus que le reste, et
plusieurs lignes renferment des lacunes difficile» a combler; cf. ScHUMMstM, I na Tomba Eattiamt
inrdila delta VI* Dinailia, p. 18, I. 10-i* du texte hiéroglyphique et \i. ii-ÏS.
t. Sur ce Danga ramené en Egypte bous Assi, voir ce qui est dit a la page 2:<1 dp cotte Ni'loue,
3. Tlrtiin de Faucher-Gudin. daprti une photographie d'Alejandre Gayet, pitnr ru t*9t
■IST. Lit. DE l'iilllM. — r. i. 55
434 L'EMPIRE MEMPH1TE.
les trésors qu'on importe du pays de Pouanit1. » Hirkhouf, de retour à
Éléphantine, grava sur la façade de son tombeau. la missive royale et le récit
détaillé de ses caravanes aux terres du Midi*.
Ces courses répétées produisirent à la longue des résultats plus sérieux et
plus durables que la capture d'un nain savant, ou la fortune d'un seigneur
aventureux. Les peuples que les marchands visitaient, à force d'entendre
parler de l'Egypte, de son industrie, de sa force militaire, finissaient par
concevoir pour elle une admiration et un respect mêlés de crainte : ils appre-
naient à la considérer comme une puissance supérieure à tout, et son roi
comme un dieu à qui personne ne devait résister. Ils lui empruntaient ses
cultes, ils lui prêtaient leur hommage, ils lui mandaient des présents : elle
les gagnait par sa civilisation avant de les subjuguer par ses armes. On ne sait
quel parti Nofirkeri Papi II tira de leurs dispositions pour étendre son empire
vers le sud. Les explorations ne tournaient pas toutes aussi heureusement que
celles du seigneur Hirkhouf, et l'un au moins des princes d'Éléphantine,
Papinakhîti, trouva la mort au cours de l'une d'elles. Papi H l'avait envoyé en
mission après tant d'autres, « pour profiter sur les Ouaouaiou et sur l'Iritit ».
11 tua beaucoup de monde dans cette razzia et y ramassa grand butin, qu'il
partagea avec Pharaon ; « car il était à la tête de nombreux guerriers choisis
parmi les plus braves », ce qui lui permettait de réussir dans les aventures
que Sa Sainteté daignait lui confier. Une fois pourtant le roi l'employa dans
des régions qu'il connaissait sans doute moins bien que la Nubie, et la chance
se déclara contre lui. Il avait reçu Tordre de se rendre chez les Àmou, chez les
Asiatiques qui habitaient la péninsule du Sinai, et de refaire en petit par le
Sud l'expédition qu'Ouni avait menée contre eux par le Nord : il y alla, et,
son séjour terminé, il choisit la route de mer pour revenir. Cingler vers le
Pouanît, puis remonter le long de la côte jusqu'à la Tête de Nekhabît, débar-
quer en cet endroit et piquer droit sur Éléphantine par le plus court, l'entre-
prise n'offrait en elle-même rien d'extraordinaire, et plus d'un l'avait sans
doute accomplie parmi les voyageurs ou les généraux de l'époque ; Papinakhîti
échoua misérablement. Comme il était occupé à construire son bateau,
les Hirou-Shâitou tombèrent sur lui et le massacrèrent avec le détache-
1. Le rcscrit de Papi II a été publié par Schiaparelli, Una Tomba Egiziana, p. 19-22; cf. sur le Danga
en Egypte Maspkro, Etudes de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. 11, p. 429-143.
2. Pour l'étude des inscriptions de Hirkhouf, outre le mémoire de Schiaparelli que j'ai cité fré-
quemment dans les notes des pages précédentes, voir les deux articles d'Erman, dans la Zeits. d. D.
Morg. Ges , t. XLVI, p. 574-579, et dans la Zeitschrift fur jEgyplische Sprache, t. XXXI, p. 63-73,
et celui de Maspero, dans la lie vue Critique, 1892, t. II, p. 357-366.
LES PYRAMIDES DE SAQQARAH. 435
ment de troupes qui t'accompagnait : le reste de ses soldats ramena son
cadavre qui fut enterré dans la montagne en face de Syène, à côté des
autres princes'. Le temps ne manqua pas à Papi H pour venger la mort de
son féal ni pour lancer de nouvelles exp '
vers l'Iritît, dans l'Amamît. et par delà, s
ment il régna plus de quatre-vingt-dix
comme le prétend l'auteur du Canon chr
nologique de Turin1, mais les monumen
sont presque muets sur son compte et r
nous apprennent rien de ce qu'il pi
faire en Nubie. Une inscription de
deuxième année prouve qu'il contîn
d'exploiter les mines du Sinai et
qu'il les défendit contre les Bé-
idouins*. D'autre part, le nombre et
a beauté des tombeaux où il est nommé
semblent attester que l'Egypte ne pei~..
rien de sa prospérité'. Les découvertes "" "F' L* ""*"' DK
récentes lui ont rendu, comme à ses prédécesseurs immédiats, une réalité
que n'ont plus beaucoup des Pharaons moins éloignés de nous. Ces pyra-
mides dont nous déchiffrons le sobriquet dans les textes, on les a déblayées à
I. Inicription du tombeau de Papinakhiti, découverte en\IH9î-W93 et communiquée -par M. Houriant.
t. LiKiD», Auswahl, pi. IV, col. vi, fragni. 59. Les fragments de Manélhon (ndil. L'«er, p. Itli, 10G)
et le Canon d'ftratosthènes (Fragm. chrouol., édit. C. Molles, p. 183) «'accordent à lui pn'ler un
règne de cent ans.ee qui pourrait faire croire que le chiffre des unités perdu dans le Canon de Turin
était un neuf : Papi II serait mort dans la centième année de «on règne. Le régne de cent ans est
impossible : Mihtimsaouf 1" ayant régné quatorze ans, il faudrait admettre que Papi 11, lllsde Papi I".
aurai! vécu eent quatorze ans nu moins, même en admettant qu'il fût enfant posthume. La solution la
plus simple consisterait à supposer : I" ou que Papi II vécut eent ans, comme plus tard llamsès II, et
que l'on a confondu ses années de vie avec ses années de règne; î'ou. qu'étant frère de Mihtimsaouf I",
il fut considéré comme associé au trône, et que les cent années de règne, renfermant les quatorze
années de ce dernier prince, s'identifient avec les cent années de vie. On peut croire encore que les
chronographes, manquant de renseignements sur la VIII" dynastie, ont comblé la lacune qu'ils trou-
vaient dans leurs annales, en allongeant le règne de Papi II, qui de toute façon devait être fort long.
3. Lottm de LtvAL, Voyage dont ta presqu'île du Sinai, Ins. hier., pi. i, n° I ; LEPsurs, Denkm., Il,
1)6 a; Account of ihe Surrey, p. 174. Il eiploita également les carrières de llatnoubou (Blacsdis-
FB.11M, Collection of Hieralic Graffiti from the Alabaster Quarry of Hat-nub, pi. XV, 3).
4. Destin de lloudicr, if après la photographie d'Emile ltrug*rh-Ury. La momie est déposée aujour-
d'hui lu Musée de Giiéh (cf. Hisruio, Guide du I tuteur au Mutée de lloulaq, p. 317-318, n* KÎS(I).
5. A Kasr-es-Sayad, n" l-i (Prisse r'Atimes. Lettre à M. Champollion-Figeac, dans la Heine
Archéologique, f "série, t. I. p. 73Î-733. et Monuments égyptien», pi. V; Lepsii's. Denkm., Il, 113 g.,
1 M c-l), à Assouàn (Bbdge, Excavations marte at Aswiln, dans les Prmeedingi do la Société d'Archéo-
logie Biblique, t. X, p. 17 sqq.; Boi'ittm, te* Tombeau* d' Allouait, dans le liccueil, t. X, p. 181 sqq.), J
Moliammed-beni-Xourour (StvcE, Gleaningi front the l.amtof tlgypt, dons le Itccueit, t. XIII. p. 65-(i7;
cf. M.i*«(io, Sur [inscription de Zaau, ibid., p. 67-70), à Abyd'os (Xaiiette, Catalogue Général, p. 8.
sqq.), a Saqqarah (Mispebo, Quatre Années de fouillée, dans les Mémoires pi fientes par les membi'ei de
la Million archéologique française au Caire, t. 1, p. IdAill").
436 L'EXPIRE MEMPBITE.
Saqqarah, et les inscriptions qu'elles renferment nous révèlent le nom do
souverain qui y reposait. Ounas, Tôt î II), Papi I", Hétésouphis I", Papi II sont
maintenant pour nous des personnages aussi nettement définis que Ramsès II
et que Séti 1" ; même la momie de Métésouptiis a été découverte près de son
sarcophage, et on la voit sous verre au Musée de Gizéh. Le corps est grêle.
mides du groupe sont conçues sur un type uniforme, dont celle d'Ounas avait
fourni le modèle. La porte s'ouvre dans le milieu de la face Nord, au-dessous
de la première assise, au niveau du sol. Un canal incliné, obstrué de pierres
énormes, conduit à une antichambre qui, tantôt reste entièrement nue, tantôt
se revêt de longues colonnes d'hiéroglyphes : un couloir horizontal, coupé
en son milieu par trois herses de granit, au bout, une salle presque carrée,
à gauche trois cellules basses et sans ornements, a droite la chambre oblongue
où s'élève le sarcophage. Le toît des deux pièces principales était pointu.
11 se composait de larges poutres en calcaire, accotées l'une à l'autre par
l'extrémité supérieure, appuyées sur une sorte de banquette continue qui déli-
mitait l'aire du caveau : la première rangée était surmontée d'une seconde,
celle-ci d'une troisième, et les trois réunies défendaient efficacement les
appartements du mort contre la poussée des matériaux accumulés ou contre
les attaques des voleurs. La partie des murs qui avoïsine le sarcophage est
décorée chez Ounas de ces ornements multicolores et de ces portes sculptées
et peintes qui imitent la façade d'une maison : c'est en effet la demeure
du double, dans laquelle il réside avec le cadavre. Les inscriptions sont des-
tinées, de même que les tableaux des hypogées, à fournir le souverain défunt
de provisions, à écarter loin de lui les serpents et les dieux malfaisants, à
1. D'«près li;s relevé» de Naspeuo, la Pyramide rTOunan, dans le Rtcuril dr Tracaui, t. IV, p. ITT.
METÊS0UPH1S 11, N1TÛKR1S ET SA LÉGENDE. «7
empêcher son âme de mourir, à l'introduire dans la barque du Soleil ou dans
le paradis d'Osiris. Elles forment comme un livre immense dont les chapitres
se retrouvent épars sur les monuments des époques postérieures. Et ce n'est
pas seulement la religion qu'elles nous restituent, c'est la langue la plus
ancienne de l'Egypte : la plupart des formules qu'on y lit ont été rédigées
sous les premiers rois humains, peut-être même avant Menés'.
La VIe dynastie se perd dans la légende et dans la fable. Elle compta
encore deux souverains après Papi Nofirkeri, Mirniri Mihtimsaouf (Métésou-
I. Deism de Houdier, d'apret «ne photographie d'F.nlitr lirug/rh-Bey , prite en 1881,
S. M«»ï»o, Archéologie Égyptienne, p. t3l!-136. Les textes gravés dans les chambres de ce*
curieuses pyramides onl <■(<.' publias in-exlenso dans le flccueil de Travmij-, du 1. IV nu I. XIV.
438 L'EMPIRE MEMPHITE.
phis) II et Nitaouqrît (Nitokris)'. Métésouphis II fut tué, dit-on, dans une
émeute, un an après son avènement*. Sa sœur Nitokris, la Belle aux joues de
rose, qu'il avait épousée selon la coutume, lui succéda et le vengea. « Elle
bâtit une immense salle souterraine ; puis, sous prétexte de l'inaugurer, mais
en réalité dans une tout autre intention, elle invita à un grand repas et reçut
dans cette salle bon nombre d'Égyptiens, de ceux qu'elle savait avoir été
surtout les instigateurs du crime. Pendant la fête, elle détourna les eaux du
Nil dans la salle par un canal qu'elle avait tenu caché. Voilà ce qu'on raconte
d'elle. On ajoute qu'après cela, la reine se jeta d'elle-même dans une grande
chambre remplie de cendres, afin d'éviter le châtiment8. » Elle avait terminé
la pyramide de Mykérinos; elle lui avait donné ce coûteux revêtement de
syénite qui excitait l'admiration des voyageurs; elle dormait dans un cer-
cueil de basalte bleu, au centre même du monument, au-dessus de la chambre
secrète où le dévot Pharaon avait caché sa momie*. Les Grecs, à qui leurs
drogmans débitaient l'histoire de la Belle aux joues de rose, métamorphosèrent
la princesse en courtisane et substituèrent au nom de Nitokris le nom plus
harmonieux de Rhodopis, qui traduisait exactement l'épithète caractéristique
de l'Égyptienne5. Un jour qu'elle se baignait dans le fleuve, un aigle lui vola
une de ses sandales dorées, l'emporta dans la direction de Memphis et la laissa
tomber sur les genoux du roi qui rendait la justice en plein air. Celui-ci,
émerveillé et par la singularité de l'aventure et par la beauté du soulier
mignon, fit chercher dans tout le pays la femme* à laquelle il appartenait :
Rhodopis devint ainsi reine d'Egypte et put se construire une pyramide*. Le
1. Métésouphis II est mentionné dans la table d'Abydos (Mariette, la tourelle Table d Abydo*,p. 16:
cf. lievue Archéologique, 2e série, t. XIII, p. 88), comme dans Manéthon (édit. Fisger, p. 106). Nitaou-
qrît est nommée dans Manéthon (édit. L'nger, p. 102, 106), dans ftratosthènes (Fragm. chronol., p. 183)
et dans le canon royal de Turin (Lepsus, Auswahl der wichtigsten Urkunden, pi. IV, coW v. fragm. 43)
où elle fut découverte par E. de liougé (Examen de l'Ouvrage de M. le Chevalier de Bunsen, II, p. »).
Lesueur (Chronologie des rois d'Egypte, p. 223, 268), puis Stern (Die Handbemerkungen in dem
manelhonischer Kœnigscanon, dans la Zeitschrift, 1885, p. 92) ont soutenu que Nltaouqrit n'était
pas un nom de femme, et que la reine Nitokris était un Pharaon •Nitaqerti. Mcyer (Geschichle des
Aller Ihxuns, t. I, p. 104-105, et Geschichle des Alten /Egyplens, p. 139) ne croit pas que la Nitaouqrit
du Papyrus suive immédiatement Métésouphis, mais il intercale plusieurs rois entre les deux.
2. Manéthon, édit. Unc.er, p. 102, 100-107, ne mentionne pas ce fait, mais la légende racontée par
Hérodote disait que Nitokris avait voulu venger le roi son frère et son prédécesseur, tué dans une
révolution, et de l'énoncé même des faits il résulte que ce frère anonyme était le Métésouphis de
Manéthon (Hérodote, II, c). Le papyrus de Turin (Lkpsus, Auswahl der wichtigsten Urkunden, pi. IV,
col. vi, fragm. 59) attribue à Mihtimsaouf-Métésouphis II un an et un jour de règne.
3. Hérodote, II, c; cf. Wiedemann, llerodot's Zweites Huch, p. 399-400.
4. La légende d'après laquelle la troisième pyramide avait été construite par une femme, a été
recueillie par Hérodote (II, cxxxiv) : E. de Bunsen, la rapprochant des observations de Vyse, eut
l'idée d'attribuer à Nitokris l'agrandissement du monument (Mgyplcns Stelle, t. II, p. 236-238), qui
me parait être l'œuvre de Mykérinos lui-même; cf. ce qui est dit p. 376, 380-381 du présent volume.
5. Lepsus, Chronologie der Allen Mgypter, p. 304 sqq.
6. Strabon, XVII, p. 808; c'est, ainsi qu'on l'a remarqué souvent, une forme du conte de Cendrillcu.
M. Piehl (Notes de Philologie Egyptienne^ § 2, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie
440 L'EMPIRE MEMPHITE.
christianisme et la conquête arabe n'effacèrent pas entièrement le souvenir de
la princesse courtisane. « On dit que l'esprit de la pyramide méridionale ne
paroist jamais dehors qu'en forme d'une femme nuë, belle au reste, et dont
les manières d'agir sont telles que, quand elle veut donner de l'amour à quel-
qu'un et luy faire perdre l'esprit, elle luy rit, et, incontinent, il s'approche
d'elle et elle l'attire à elle et l'affolle d'amour; de sorte qu'il perd l'esprit
sur l'heure et court vagabond par le pays. Plusieurs personnes l'ont veue
tournoyer autour de la pyramide sur le midy et environ soleil couchant1. »
C'est Nitokris qui hante encore le monument de sa honte et de sa grandeur1.
Après elle, la légende même s'évanouit et l'histoire d'Egypte n'est plus
qu'un blanc durant plusieurs siècles. Manéthon admet encore deux dynasties
memphites, dont la première compta soixante-dix rois pendant soixante-dix
jours. Akhthoès, le plus cruel des tyrans, vint ensuite et persécuta longtemps
ses sujets; il fut enfin saisi de folie furieuse et mourut sous la dent d'un cro-
codile. On raconte qu'il était originaire d'Héracléopolis, et les deux dynasties
qui lui succédèrent, la IXe et la Xe, furent Héracléopolitaines comme lui8. La
table d'Abydos est incomplète 4, le Papyrus de Turin trop mutilé pour nous
renseigner exactement en l'absence d'autres documents8; les contemporains
des Ptolémées ignoraient à peu près entièrement ce qui s'était passé de la fin
de la VIe au commencement de la XIIe dynastie, et les égyptologues, ne ren-
contrant aucun monument qu'ils pussent attribuer à cette époque, en avaient
conclu aussitôt que l'Egypte avait subi une crise redoutable, dont elle ne
s'était sauvée qu'à grand' peine6. Les prétendus Héracléopolitains de Mané-
Bibliquc, t. XI, p. 221-223) a émis Vidée que l'épithète de Rhodopis, Rouge-Visage, avait été d'abord
appliquée au grand Sphinx de Gizéh, dont la face est en effet peinte en rouge; un abus d'étymologie
populaire aurait donné à Nîtaouqrit la valeur de Rouge-Visage, et le génie mauvais au visage rouge
qui animait le Sphinx serait devenu la Rhodopis qui habitait la troisième pyramide.
1. L'Egypte de Mur lad i fils du Gaphiphe, de la traduction de M. Vattier. A Paris, MDCLXVI. p. 65.
2. Voici le tableau de la VI* dynastie avec les dates très approximatives des rois qui la composent :
d'après manéthon
Othoès 30
Phios 53
métésouphis 7
Phiops 100
Mentésouphis 1
Nitokris 12
d apres le canon de turin et les monuments
TétiHI 3808-3798? ?
MirirïPapi I" 3797-3777? 20
MirnirÎ Iw Mihtimsaodf I»r 3776-3762 ? 1-4
NofireerÎ Papi II 3761-3661?. . . . 90 -f ?
MirnirI II, Mihtimsaouf 11 3660-3659? 1 an 1 m.
NÎtaouqrIt 3658? ?
3. Manéthon, édit. Unger, p. 107-108.
4. Elle compte entre Métésouphis II et Monthotpou Nibkhrôouri de la XI* dynastie dix-huit rois
parmi lesquels on ne rencontre point un certain nombre des souverains dont nous aurons à parler.
5. Les fragments du Canon Royal de Turin qui se rapportent à cette époque ont été classés inexac-
tement par Lcpsius (Auswahl der wichtigsten Urkunden, pi. IV, col. V-VI, nl,43, 47, 48, 59, 61). plus
régulièrement par Lauth (Manetho und der Turiner Kônigspapyrus, col. IV-V) et surtout par Lieblein
(Recherches sur la Chronologie Égyptienne, pi. II, III).
6. Marsham {Canon Chronicus, édit. de Leipzig, 1676, p. 29) déclarait déjà au xvii* siècle qu'il
n'éprouvait guère d'hésitation à considérer les Héracléotes comme identiques aux successeurs (2e
LES DERNIÈRES DYNASTIES DE MEMPHIS. Hl
thon auraient été en réalité les chefs d'un peuple barbare d'origine asiatique,
ces Maîtres des Sables qu'Ouni avait châtiés si rudement, mais qui auraient
envahi le Delta peu après, s'y seraient installés dans Héracléopolis la petite
comme dans leur capitale, et auraient dominé de là sur toute la vallée. Ils
auraient détruit beaucoup, n'auraient rien édifié; l'état de sauvagerie dans
lequel ils auraient plongé les vaincus et se seraient enfoncés eux-mêmes,
expliquerait l'absence de monuments qui caractérise leur époque. Cette hypo-
thèse ne s'appuie sur aucune preuve directe; même ce vide monumental dont
on a tiré un argument à l'appui de la thèse commence à se combler1. La suite
des règnes manque et le détail des révolutions; mais on connaît plusieurs
rois, certains faits de leur histoire, et l'on entrevoit la marche générale des
événements. La VIIe et la VIIIe dynastie sont Memphites, et les noms seuls en
feraient foi, quand nous n'aurions pas à cet égard le témoignage précis de
Manéthon : celui qui y revient le plus fréquemment est Nofirkerî, le prénom
de Papi II, et un Papi III y figure qui s'intitule Papi-Sonbou pour se distinguer
de ses homonymes*. Le peu qu'on disait d'eux sous les Ptolémées, la
légende même des soixante-dix Pharaons gouvernant soixante-dix jours,
trahit une période de troubles où le pouvoir changea rapidement de main3. De
fait, les successeurs de Nitokris au Papyrus royal de Turin ne font guère
qu'apparaître sur le trône* : Nofirkerî, un an, un mois, un jour; — Nofirous,
Ménès-Misrafra qui régnèrent sur la Mestrsea, c'est-à-dire sur le Delta seul. L'idée d'une invasion asia-
tique, analogue à celle des Hyksos, émise par Mariette (Aperçu de l'Histoire d'Egypte, 3e édit., 1874,
p. 33-34) et acceptée par Fr. Lenormant (Manuel d'Histoire Ancienne ; 3° éd., t. I, p. 34G-347), a trouvé
ses principaux défenseurs en Allemagne. Bunsen (JEgyptens S telle, t. H, p. 264-270) fît des Iléra-
cléopolitains deux dynasties secondaires ayant régné ensemble dans la Basse-Egypte, et originaires
d'Héracléopolis dans le Delta : ils auraient été contemporains des derniers Memphites, ainsi que des
premiers Thébains. Lepsius (Kœmgsbuch,'p. 21-23) accepta et crut reconnaître chez les Iléracléopoli-
tains du Delta les prédécesseurs des Hyksos, idée qu'Ebers défendit (JEgyplen und die Bûcher Moses,
p. 153 sqq.) et que Krall développa en identifiant les envahisseurs inconnus avec les Ilirou-Shâttou
(Die Vorlnûfer der Hyksos, dans la Zeilschrift, 1879, p. 34-36, 64-67, Die Composition und die
ScUicksale des Mancthonischen Geschichtswerkes, p. 81 sqq., et Noch Einmal die Uerusâ, dans la
Zeitschrift, 1880, p. 121-123) : elle a été adoptée par Ed. Mcyer (Geschichte des Al ter l hum s, t. I,
p. 105 sqq., et Geschichte des Alten jEgyptens, p. 141 sqq.).
1. A vrai dire, il n'a jamais existé complètement, mais les monuments provenant de cette époque
avaient été mal classés. Cf. à ce sujet Maspkro, Quatre Années de fouilles, dans les Mémoires de la Mis-
sion du Caire, t. 1, p. 133-238 sqq.; Lieblein, Recherches sur la Chronologie Égyptienne, p. 46-49
A. Baillet, Monuments des Vlll*-X* dynasties, dans le Recueil de Travaux, t. XII, p. 48-53.
2. Us ont été reconnus Memphites par Mariette (la Nouvelle Table d'Abydos, p. 17; cf. Revue
Archéologique, 2* Série, t. XIII, p. 90), par Lieblein (Recherches sur la Chronologie, p. 43 sqq.) et
par Brugsch (Geschichte Mgyptens, p. 105-106); Lauth (Manetho, p. 213, et Aus AEgyptcns Vorzeit,
p. 178 sqq.) propose de les identifier avec les Héracléopolitains, bien qu'on ne retrouve sur cette
liste aucun des noms royaux que les monuments nous obligent d'attribuer aux IX* et X* dynasties.
3. L'explication de M. Lauth (Aus Mgyptens Vorzeit, p. 169-170), d'après laquelle Manéthon
aurait considéré comme formant une dynastie indépendante les cinq prêtres Memphites qui firent
l'interrègne pendant les soixante-dix jours de l'embaumement de Nitokris, est certainement fort
ingénieuse, mais elle n'est que cela. La donnée légendaire dont Manéthon s'est inspiré indiquait bien
soixante-dix rois successifs ayant régné soixnnte-dix jours à eux tous, un roi par jour.
4. Papyrus de Turin, fragm. 53 et 61, dans Lkpsiis, Auswahl der wichtigsten Urkunden, pi. IV.
56
m LE PREMIER EMPIRE THEBAIN.
quatre ans, deux mois, un jour ; — Abou, deux ans, un mois, un jour. Chacun
d'eux espéra sans doute jouir de son pouvoir souverain plus longtemps que
ses prédécesseurs, et, comme l'Ati de la VI" dynastie, ordonna dès son
avènement qu'on lui devisât sans tarder une pyramide : aucun n'eut le temps
d'achever la bâtisse, ni même de fa pousser assez loin pour que la trace en
demeurât. Comme ils n'avaient pas de tombeau qui les rappelât à la postérité,
leur souvenir mourut avec la génération qui les avait vu régner. L'autorité
royale s'amoindrit à tant changer de main, sa faiblesse favorisa l'accrois-
sement des familles féodales et encouragea leur ambition. Les descendants
de ces seigneurs qui se creusaient de si beaux hypogées sous Papi 1er et sous
Papi II ne supportèrent plus que nominalement la suprématie du suzerain
officiel ; plusieurs comptaient des princesses du sang parmi leurs grand'mères
et possédaient ou croyaient posséder des droits égaux à ceux de la branche
régnante. Memphis déchut, s'appauvrit, se dépeupla. On n'y construisit plus
ces immenses mastabas en pierre où la richesse de ses habitants s'étalait
avec orgueil, mais des mastabas en briques où la décoration se concentra
presque entière dans une niche étroite, autour du cercueil. Bientôt même, on
renonça aux mastabas, et la ville n'eut plus que des cimetières mesquins
semblables à ceux des moindres cités provinciales. Le centre de gravité de
l'Egypte, qui avait si longtemps pesé sur elle, se déplaça, descendit au sud
et s'arrêta vers la Grande Héracléopolis.
oUeJ <JÏremier^ G/n&treJ Ôneoai/v
t£iaJ deux aunaâ&ed.' it C/vélacuotroutt.' et. la douzièmes aunaâfie.
sAa conauèfe' de' l L>fniopie>
se l achèvement, deS la CyrandeS Oaupie.' *>«/■-* ledJ roùt.' ÙAeoain
J.a jmncùraufe' il ^/beradèotnilidJ : ^/zÂMnoèdJ-^/lniti et. lett.> dunaôii&O
ncrac/cop0ufaùu!sL.\ - Ôtu>rema/ic-> denJ ^uinddJ oatennJ : lea.' ^orteref*ed.>
feoaalettS, Ol-^Slalet. t-HoiiaoïtS; /a aurrre ' yeraè/iielle.' et. UdJarmeocJ. - Ci'/ll-
mencemenf/tS des la princùniu/è tne'&aiite' : lu ôaro/iaieJ de' C'iottt., et. ùitS
UtfteitJ dcJ Jesc ' àeianenrrt.' conireJ leaJ ùneoainrtJ. • ^ierc ' roi/cJ des la onzièmes
dunajties et. leumJ co/ufluc/ionitJ : lot. ' StùramiaeitJ en OriaueS <i \sZoudOdJ et.
deJ bneoetc> et. la oaréarieS au /premier-' art. C'AeOni/i.
*J.a douzième' tlu/ta.>fie ' : S/ZmeitemÂttit. , / ", Jtin avestemenj,, aedJ lulteitJ;
il afiocie' au. inl/ie'Jon /tùtS Clujiriaje/t • /', et. le' firinci^e > de ' la/6t>cia/io/i
frte'oatit. lyirèdJ lui e/iez jett* jucce/Setint-'. • G/a*. deitS relatt'oiidJ avec leirJ
ftcajHedJ d^4lôie' : le*.' J~amoit en L'atiffe' et- leaJ Ùgtffrfiend-' chez ledJ-
•Mèt/ouinjc' ',- lea.> J~U.veittitred? des ë'irtouliit-. - ^lectJ ètaùlif>eniesi/it
•la VÙtiti .- teS Airlvut. el-C'là''d<'" "- ■>" cAtyiel/eS li ' isZ\i/Aor-'.
e£n jw/ùifue ' â/ruptien/ie ' danttJ le' ôa/iui du JÙi. - <£a Jtuéie' nj>inu/ce.'
tut reàltJ ae.' t Oifffitc' : lea.' /nivaux flatJ MAaraonic', ùd' nune/c' a or-' et. la
ciltuteue' ae.' l'teuôàn. - CAyani>tx/ion ae' ut Jerense' attlour-' aeJ la ieconde'
calarxtcte' ; le/t-' lieux /orte/WseaJ et. loùjetvatoire' -flueial rite.» Oettuien. -
■ /Îoum t Attnulièe.' et. aejtJ freturleitJ ; le/tJ quem/t.' en/reprtJed.' con/re ' eue' et.
teuntJ re.il/ffalrt.' ,■ lanJ mùiejt.' tt or-'. • ^Ce^cJ expèdiliotutJ au .M'Utuiù., et. lettJ
/utv£aa/t'o/ui.>/eS tvnp detc.' Celte*!.? dcJ la mer- '^Jlouije-' .• IcJ Civile' dit Jtau/raaè.
**.ercJ travaux frttolict.' et. lea.' conôtructiont.' nouveuett^'. - via restauration
dettJ lenyieit.' au, *J)elta ; Vanitt ' et- lejt-' àpltinx au troiâiènteJ ^/tmenemfiàll.,
UGttùaJle.' t/beZuyx/lucJ et. te.' tetiyte' dCAuirlajen L/T - ^leit.' aaranaïj/Se-
men/ic' t/eJ Vftèbttr.' et. il \ fibudort.'. - ^/Ùèracle'tyjoliic.' et. leJ ^J'aaoum ; Uit_>
monumetitic ' aeJ iJOegiq et, de' ^/Sianmoti, lenJ enanuirt ' et- lerc> eaux ait
J/ityottm, frrtditectioti. dex.' ^Mutraonn.' frvar-' 'celle' province'. - ^ien.' iritra-
mùéexJ uy a/ed-' de' Wo/ij/uhu*) ae.'^ùsÂt.. a'.MfaAoun et. de w'sZ'aiimrtr.
*/,<* /eodalile 'et. Mm- rtUeJûOitjc' 'la deuxième 'du/iajtie'. - • /i'titloire'aeii'firûtcert.'
liait.. - ^ie/C'JÛYd 'ae.' hnèoeit '. et. /avènement, de' la treizième.'
aujiajlleJ ; teic' CjovK&atpifu et. le/tJ JLo/trAotpou. -
i_ Acnèvemeiu. des ta cimauèteJ nttoientie '; ùi
aualortième,'auiiaJtie. >.
CHAPITRE VI
LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN
( CnNtflÉTL ut l'i
BOIS IHËIAUtS.
V
\ principauté du Laurier-Rose — Nàrou — confinait vers
le Nord au nome Memphite : la frontière courait de
la rîvc gauche du Nil à la colline Libyenne, du voisinage de
Rikkah à celui de Méidoum. Elle enfermait le territoire
compris entre le Nil et le Bahr-Yousouf, de ces deux
villages au canal d'Harabshent, — l'île Héracléopoli faine
des géographes grecs, — et de plus le bassin entier du
Fayoum, au couchant de la vallée. Elle se divisa très
anciennement en trois circonscriptions, le Laurier-Rose
Supérieur — Nàrou Khoniti, — le Laurier-Rose Infé-
rieur — Nàrou l*ahoui — et la terre du Lac, — To-shit,
qui, réunies d'ordinaire sous la suprématie d'un seul chef, constituaient
comme un petit Etat dont Héracléopolis restait la capitale. Le sol était fertile,
bien arrosé, bien cultivé, mais le revenu que les cantons resserrés entre les
lettrine représente lo l.ustc
-r de la tlollnliim Sijypt itniic ,
446 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
deux bras du Fleuve portaient à ses maîtres, n'approchait pas aux ressources
que ceux-ci dérivaient des pays situés par-delà les monts1. On pénètre au
Fayoum par une gorge étroite, sinueuse, longue d'une dizaine de kilomètres
environ, dont le fond fut entaillé avant l'histoire et ravalé à main d'homme,
pour permettre aux eaux du Nil d'y circuler aisément*. Le canal qui les amène
se détache du Bahr-Yousouf à la hauteur d'Héracléopolis, franchit rapidement
la chaîne Libyque, puis débouche dans un amphithéâtre immense, adossé à
l'Egypte, dont les pentes descendent par ressauts jusqu'à plus de trente
mètres au-dessous du niveau de la Méditerranée. Il jette à droite et à gauche
deux grands bras, l'Ouady Tamiéh et l'Ouady Nazléh, qui filent d'abord au
pied des hauteurs et, se rabattant l'un vers l'autre, tombent dans un grand
lac déployé en croissant ou en corne, de l'Est à l'Ouest, le Mœris de Strabon,
le Birkét-Kéroun des Arabes3. Une troisième branche pousse droit dans
l'espace enclavé entre les premières, baigne au passage la ville de Shodou,
et se décompose en une quantité de canaux et de rigoles dont les rami-
fications dessinent sur la carte un lacis semblable au réseau de nervures qui
forme le squelette d'une feuille desséchée. Le lac se répandait alors plus loin
qu'il ne fait aujourd'hui et submergeait des terrains desquels il s'est retiré*.
p. 8i-85, n° 730), dessine par Faucher-Gudin, d'après une photographie de GolénischefT (cf. Golk-
mschkfk, Amenemha III et les sphinx de San, pi. III, dans le Recueil de Travaux, t. XV, p. 136).
1. Brugsch (Die /Egypiologie, p. 447) Iil Im, Amou, le nom du norne; les variantes du nom de
la capitale (Brugsch, Die t. Géogr., p. 315-316, 331) me paraissent prouver qu'il faut le lire Nâril
ou Nârou. Le nome avait été d'abord méconnu et sa capitale identitîéc par Brugsch avec Bubastis
(Mariette, Henseignement* sur les soixante-quatre Apis, dans le Bulletin Archéologique de FAlhé-
nseum Français, 1856, p. 98, note 103), puis avec l'Oasis d'Ain on (Geogr. Ins., t. I, p. 292-294;
cf. Chabas, les Papyrus hiératiques de Berlin, p. 17-36) : E. de Bougé démontra le premier qu'il
s'agissait d'Héracléopolis Magna (Inscription historique de Pianchi-Meriamen, p. 19-20; cf. Itevue
Archéologique, 1864, 2* série, t. VIII, p. 113-114). La lecture du nom de la ville est Hininsou
(Daréssy, Remarquée et Notes, g XX, dans le Recueil de Travaux, t. XI, p. 80; Brugsch, Der ait â-
gyptische Name der Stadt Gross-Hcrakleopolis, dans la Zeitschrift, 1886, p. 75-76). Le nom de
To-shit a été appliqué au Fayoum par Brigsch, Das alltegyptischc Seeland, dans la Zeitschrift,
1872, p. 89-91, qui, plus tard, en restreignit l'application au canton d'EI-Bats, le pays qui court
d'HIahoun vers Tamiéh, le long de la chaîne Libyque (der Môris-Sce, dans la Zeitschrift, t. XXX,
p. 73 sqq.). Les limites du nome Héracléopolite ont été parfaitement définies par Joraard à l'aide
de données empruntées aux géographes grecs (Description de Vllcptanomide, dans la Description
de l'Egypte, t. IV, p. 400 sqq.).
2. Pour la géographie du Fayoum, cf. Jomard, Description des Antiquités du nome Arsinoïte, dans
la Description de l'Egypte, t. IV, p. 486-440, et Mémoire sur le lac Mœris, dans la Description de
l'Egypte, t. VI, p. 157-162; Chklu, le Nil, le Soudan, VÉgyple, p. 381 sqq., et, tout récemment, le
mémoire du major 11. II. Brown, the Fayûm and Lake Mœris, 1892.
3. Strabon, XVII, p. 809-811 ; Jomard, Mémoire sur le lac de Mœris, dans la Description, t. VI, p. 164.
4. La plupart des savants qui se sont occupés du Fayoum en dernier lieu ont exagéré grande-
ment l'étendue du Birkét-Kéroun à la période historique. M. Pétrie (Hatrcra, Biakmu and Arsiuoc,
p. 1-2) déclare qu'il couvrait le Fayoum actuel en son entier, pendant la durée de l'empire Mcin-
phite, et qu'une toute petite partie en fut desséchée pour la première fois par Amenemhàlt I'%
et M. Brown, adoptant cette théorie, pense que ce fut sous Amenemhàlt III que le grand lac du
Fayoum fut transformé en une sorte de réservoir artificiel qui serait le Mœris d'Hérodote (The
Fayûm and Lake Mœris, p. 69 sqq.). La ville de Shodou, Shadou, Shadît, capitale du Fayoum.
et son dieu Sovkou sont mentionnés déjà dans les textes des Pyramides (Maspero, ta Pyramide de
Pépi 11, dans le Recueil de travaux, t. XIV, p. 151, lignes 1359-1360) : le district oriental du Fayoum
LA PRINCIPAUTÉ D'HËRACLËOPOLIS.
447
L'excédent des eaux s'y dégorgeait dans les années où la crue surabonde ;
quand elle était insuffisante, on reversait à la vallée par le même chemin ce
qui n'en avait pas été absorbé par les terres, et le Bahr-Yousouf le roulait
vers la partie occidentale du Delta, pour y renforcer l'inondation. Le Nil
avait tout créé dans ce pays et c'était à des dieux humides que les habitants
des trois nomes rendaient hommage. Héracléopolis adorait le bélier Harsha-
fitou, auquel elle associait l'Osiris de Naroudouf comme roi des morts1; les
habitants de l'autre partie du Laurier-Rose révéraient un second bélier,
Khnoumou de Hàsmonitou*, et le Fayoum entier pratiquait le culte de Sovkou,
le crocodile8. Les Pharaons des lignées anciennes, attirés par la richesse du
sol, avaient résidé parfois aux environs d'Héracléopolis ou dans Héracléopolis
est nommé dans l'inscription d'Aroten, sous la III* dynastie (Maspero, Éludée Égyptiennes, t. II,
p. 187-188; cf. p. 293 de cette Histoire).
1. On consultera sur le dieu Harshafftou, Lamzone, Dizionario di Mitologia, p. 552-557 (cf. p. 98-99
de cette Histoire), et sur l'Osiris de Naroudouf, Brigsch, Dictionnaire Géographique, p. 345.
2. Ilâ-Smonîtou ou Smonft est aujourd'hui Ismend (Brigsch, Geographische Inschriflen, t. 1, p. 232).
3. Brugsch, Iteligioii und Mythologie der aiten Mgypter, p. 156 sqq.; cf. p. 103-104 de cette Histoire.
448 LE PREMIER EMPIRE THÊRAIN.
même, et l'un d'eux, Snotroui, avait bâti sa pyramide à Méidoum, près la
frontière du nome'. A mesure que la puissance des Memphites s'amoindris-
sait, les princes du Laurier-Rose devenaient plus forts et plus entreprenants;
quand elle s'éclipsa, ils remplacèrent leurs maîtres de la veille et s'assirent
« sur le siège d'Horus o.
Le fondateur de la IX' dynastie fut peut-être Khîti 1" Miribri, l'Akhthoès
des Grecs". Son autorité s'exerça dans l'Egypte entière, et l'on a déchiffré son
nom sur les rochers de la première cataracte*. Un conte de l'époque des
Ramessides mentionne ses guerres contre les Bédouins, à l'Orient du Delta*,
et ce que Manéthon nous dit de sa mort n'est qu'un roman dont l'auteur le trai-
tait de tyran ou de sacrilège, comme Khéops et Khêphrèn : le crocodile, ven-
geur attitré des dieux qu'on offense, l'entraînait au fond des eaux et le dévo-
rait*. Ses successeurs paraissent avoir régné sans éclat pendant un peu
plus d'un siècle7. Nous ne connaissons rien de leurs actions, mais on plaçait
I. Cf, sur la pyramide de Métdoumel sur ia résideucedcSnoufroui, les [li.jiu^. :j-iH-3t".Ll de cette Histoire.
t. Destin de Faucher-Oudin, d'après l'original tomeivif au Mutée du Louvre. Cf. Mispena, fioles
au jour le jour, g 11], dans les Procecdings de la Société d'Archéologie Biblique. I. XIII, p. 119-1311.
3. Le nom de Khîti, prononcé rapidement Khti, a pris une voyelle initiale et est devenu Akhti.
comme Sni cal devenu Esnch, Thou Edfou. Khmounou Ashmounétn, etc. Le rapprochement de Khîti,
Khltou, et d'Akhthoès est dû à M. GMFM7H, F.gypt Exploration Fund, Report of General Meeting,
1888-1889, p. 18 note, et Notes on some Royal .Vamn and Famitîcs, dans les Proceedings de la
Sociélé d'Archéolonie Biblique, t. XIV, p. 10. Sur la coupe en brome de ce souverain acquise par le
Musée du Louvre, cl sur les scarabées qui porlent son prénom de Mirihrt, cf. les observations de
M*s«so, yoles au jour le jour, % 10, dans les Proceedings, t. Xïll, p. 129-131.
1, Il nété signalé dans ces parages par Sayce {The Atadcmy, IMS, I. Il, p. 33Î).
;;. GoLtWMWt, le Papyrus n- I de Saint-Petrrsbourg, dans la Zeiltclirifl, 1876, p. 1U9.
fi. M.speao, les Coules populaires de l'Egypte Ancienne. ï- éd., p. 59-lîi; cf. ce qui a élé dit du
crocodile vengeur des dieux à la page !3li, note 3, et d'Akhthoès à la page «Il de celle Histoire.
7. Le chiffre le plus vraisemblable pour la durée de celte première dynastie Ilénicléopolttainr cl
KHlTI 1" ET LES DYNASTIES HEKACLEOPOLITAINES. «9
sous l'un d'eux, Nibkaouri, l'aventure d'un fellah en voyage qui, dépouillé
de son pécule par un artisan, venait à Héracléopolis réclamer justice auprès
du maître ou le charmer par l'éloquence de ses plaintes et par la variété
de ses métaphores1. Sans doute il serait puéril de vouloir retrouver dans ce
fabliau le souvenir d'un événement véritable, mais le peuple ne se rappelle
• guère le nom des princes insignifiants, et la ténacité avec laquelle il con-
serva la mémoire de plusieurs des Héracléopolitains prouve suffisamment
qu'ils avaient su frapper son imagination en bien ou en mal. L'histoire de
cette époque, autant qu'on la devine à travers les brouillards du passé, semble
une mêlée confuse; du nord au midi, la guerre sévit sans trêve, guerre des
Pharaons contre leurs vassaux rebelles, guerres des nobles entre eux, ou
moins que des guerres, des maraudes poussées en tout sens par des bandes
pillardes, trop faibles pour menacer sérieusement les grandes cités, assez
nombreuses ou menées assez vigoureusement pour rendre les campagnes
«lui de ceni dix-neuf ans que Lcpsius [Kôiiigthuelt, p. :iti-li~,) avait adopté avec doute (cf. Maspbro,
(Juatre Année! de fouillei, dans les Mémoire, de la Mi-ion du Caire, t. I, p. S4lt). Le nombre le plus
vraisemblable des rois est de quatre.
1. On a cru d'abord que c'était le second roi de la III* dynastie (Masfepio, la Coules populaire! de
l'Egypte antienne, *• éd., p. il, noie 1), ou un pharaon inconnu de la X' (i:h*«is, les l'apyrui Hiérati-
que! de Berlin, p. 13). Comme le lieu do la scène est placé dans Héracléopolis Magna, ainsi que la
résidence du roi. M, CriOith a certainement raison de ranger Nibkaouri dans la IX' dynastie [Eggpt
Exploration Fané, Ucporlof thi Tliird gênerai Meeting, IBH8-1889, p. Ï8H; fragment! of old jSgyp-
liait Storiet, dans tes Procerdingi de la Société d'Archéologie Biblique, IH91-18'JS, t. XIV, p. 169,
noie t). Sur l'histoire de ce paysan, cf. ce qui est dit aux pages ÏO'J-310 du présent volume.
t. Dettin de Boudirr, d'aprdt une photographie de firéhaut. Au milieu, une brèche à l'endroit oii
s'élevait la porte ; à droite et à gauche, on distingue nettement la courbure des lits de briques.
450 LE PREMIER EMPIRE THÉBA1N.
inhabitables et pour ruiner la prospérité du pays1. Les bords du Nil étaient
hérissés déjà de citadelles où les princes des nomes résidaient et d'où ils
surveillaient les régions soumises à leur autorité* : d'autres s'installèrent par-
tout où l'on crut discerner une position favorable, sur les passes du fleuve»
vers l'entrée des gorges qui vont au désert. Le même plan leur servit à
toutes, et, si elles diffèrent entre elles, c'est uniquement par l'ampleur de l'aire
qu'elles enfermaient ou par l'épaisseur de leur enceinte. Elles dessinent sur le
sol un long parallélogramme, dont les murailles se partagent assez souvent en
panneaux verticaux, aisément reconnaissables à l'agencement des matériaux.
A EI-Kab et dans plus d'un endroit, les lits de briques sèches sont légèrement
concaves et simulent un arc renversé, très ouvert, dont l'extrados s'appuie
sur le sol3. Ailleurs les panneaux en assises courbes alternent régulièrement
avec d'autres où elles sont rigoureusement horizontales. La raison de cet
arrangement demeure encore obscure : on croit pourtant que les édifices où il
a été employé résistent mieux aux tremblements de terre. La plus vieille forte-
resse d'Abydos, celle dont les ruines se cachent sous la butte du Kom-es-
Sultan, était ainsi construite4. Envahie par les tombeaux dès la VIe dynastie,
on la remplaça bientôt, à quelque cent mètres au sud-est, par un fort de
même taille qui est l'un des modèles les mieux conservés de l'architecture
militaire, pour les temps immédiatement antérieurs à l'avènement du premier
empire thébain6. Le tracé n'en présente ni tours, ni saillants d'aucune sorte :
il se compose de quatre fronts parallèles deux à deux, qui mesurent
131 mètres de long à l'est et à l'ouest, 78 mètres au nord et au sud. Le gros
œuvre consiste en assises horizontales; il est plein, légèrement incliné en
arrière, décoré à l'extérieur de rainures verticales qui en diversifient la surface
par des jeux d'ombre et de lumière sans cesse renouvelés à toutes les heures
du jour. Complet, il ne devait guère s'élever à plus de 12 mètres; le chemin
de ronde se couronnait d'un parapet mince, assez bas, à nierions arrondis, et
1. Ces faits résultent des expressions employées dans les textes qui nous sont parvenus des pre-
miers temps de la XII0 dynastie, dans la Grande Inscription de Béni-Hassan (I. 36 sqq.), dans les
Instructions d'Amenemhâit (pi. 1, 1. 7-9; cf. p. -464 de cette Histoire), mais surtout dans les panégy-
riques des princes de Siout analysés ou traduits plus bas, aux pages 456-468 de cette Histoire.
2. Il a déjà été question de ces Châteaux, de ces résidences fortifiées dans lesquelles les grands
seigneurs égyptiens passaient leur vie, aux pages 297-298 de cette Histoire.
3. A EI-Kab, le front sud présentait la même disposition qu'on rencontre au Kom-es-Sultàn; c'est
seulement sur les fronts nord et est que les lits sont ondulés régulièrement d'un bout à l'autre.
4. Cf. ce qui a été dit de cette première forteresse d'Abydos à la page 232 de cette Histoire.
5. Maspero, Archéologie Egyptienne, p. 22-28; Dikilafoy, l'Acropole de Suse, p. 163-166. J'avais
d'abord pensé que la seconde forteresse avait été édifiée vers la XVIII* dynastie au plus tdt, peut-être
k la XXe (Archéologie Egyptienne, p. 23). Les détails de la construction et de l'ornementation me por-
tent maintenant à l'attribuer aux périodes intermédiaires entre la VI" et la Xll* dynastie.
LES FORTERESSES FEODALES : EL-KAÏt ET ABYDOS. 43i
l'on y montait par des escaliers discrètement ménagés dans la maçonnerie.
Une chemise crénelée, haute de 5 mètres ou environ, courait à 3 mètres en
avant et enveloppait le corps de la place. Deux portes livraient accès à l'inté-
rieur, et des poternes, réservées dans les intervalles, facilitaient les sorties de
la garnison. L'entrée principale se dissimulait dans un massif épais, à l'extré-
mité orientale du front est. Une coupure étroite, barrée de solides battants
en bois, lui correspondait dans lavant-mur; par derrière, une petite place
d'armes s'étendait, au fond de laquelle on avait pratiqué une seconde porte
aussi resserrée que la première, puis une cour oblongue étouffée entre les
remparts extérieurs et deux contreforts qui s'en détachaient à angle droit,
enfin une dernière porte reléguée à dessein dans le recoin le plus éloigné. C'en
était assez pour résister victorieusement aux moyens d'action dont les meil-
leures armées d'alors pouvaient disposer. Elles n'en connaissaient que trois
pour enlever une place de vive force : l'escalade, la sape, le bris des portes.
La hauteur des murailles empêchait l'escalade. La braie tenait les pionniers
;'i distance; quand ils l'avaient percée, des hourds charpentés en dehors des
crénelages permettaient aux assiégés d'accabler de pierres et de javelines
l'ennemi qui approchait le pied du mur et de rendre le travail de la sape
presque impossible. La première porte finissait-elle par céder, les assail-
lants s'engouffraient dans la cour comme dans une sorte de puits où ils ne
pénétraient qu'en très petit nombre : il leur fallait aussitôt courir, attaquer
I. Iteiëiii de Boudin; d'après ont photographie d'Emile Itiutjsch-Kcij. Les Arabes t'appellent anjour
d'hui la Shountl Fi-Ze'btti. le grenier ries raisins sors (cf.. pour une origine possible de ce nom,
nocHMiMMi, VEarrr* direrta, p. SU) ; le plan en es! donné dans Mahictti, AUydot, t. Il, pi. C».
432
LE PREMIER EMPIRE THÉBA1N.
la seconde porte, sous une pluie de projectiles, et s'ils la jetaient bas, c'était
Dieu sait au prix de quels sacrifices. Les peuples du Nil ignoraient le bélier
suspendu, et le bélier manœuvré à bras ne figure nulle part dans les
tableaux : c'est à coups de hache ou en mettant le feu aux vantaux que Ton
devait se frayer un chemin au cœur de la place. Pendant que les sapeurs
travaillaient de leur mieux, les archers essayaient de nettoyer la courtine et
d'en écarter les ennemis par la précision de leur tir; des soldats abrités
derrière des mantelets mouvants s'ingéniaient à écrêter les défenses ou k
l/ATTAQI'E d'IMK FORTERESSE ÉGYPTIENNE PAR DES TROl PES DR DIVERSES ARMES1.
désemparer les hourds avec des lances gigantesques pourvues d'une pointe
métallique. Aucun de ces procédés n'était efficace lorsqu'on avait affaire à
une garnison résolue : on ne venait à bout de sa résistance qu'en la bloquant
de près, en l'affamant, ou en provoquant la trahison parmi les habitants.
L'équipement manquait d'uniformité et l'on voyait côte à côte des miliciens
armés de la fronde ou de l'arc, de la pique, du sabre en bois, du casse-tête,
de la hache en pierre ou en métal. Des bonnets rembourrés protégeaient la
tête; des écus de petite taille pour l'infanterie légère, d'un module énorme
pour l'infanterie de ligne, abritaient le corps. Le succès des batailles se
décidait par une succession de combats singuliers entre adversaires de
mêmes armes : les piquiers seuls paraissent avoir chargé en ligne derrière
leurs grands pavois. Les blessures étaient en général assez légères : on se
couvrait du bouclier avec tant d'adresse qu'on ne risquait guère d'être atteint
dans les parties vives. Quelquefois pourtant une lance poussée à fond crevait
une poitrine; un sabre ou une massue vigoureusement maniés fendaient un
crâne, étourdissaient un homme, retendaient à terre évanoui. On ne faisait
guère d'autres prisonniers que ces blessés incapables de fuite, et le terme
1. Destin de Faucher-Gudin. d'apre* une peinture du tombeau d' Amoni-AmenemhAit à Réni-Hasêan
(cf. Newberry, Iteni-Hasan, t. I, pi. XIV).
LES COMMENCEMENTS DE LA PRINCIPAUTÉ THÊBAINE. 453
dont on les désignait, le* frappé* vivant* — sokirou ônkhou, — indique
assez la façon dont on se les était procurés. Les bandes se recrutaient en
partie chez les possesseurs de fiefs militaires, en partie chez les tribus du
désert ou de la Nubie. Les princes conservèrent, grâce à leur appui, l'indé-
pendance réelle qu'ils avaient conquise sous les derniers Memphites : partout,
à Hermopolis, à Siout, à Thèbes, ils fondèrent de véritables dynasties, liées
très intimement à la dynastie pharaonique et parfois ses égales, bien qu'elles
ne s'attribuassent ni la couronne ni le double cartouche. Thèbes surtout était
merveilleusement placée pour devenir la capitale d'un État important. Elle
s'élevait sur la rive droite, à l'extrémité septentrionale du coude que le fleuve
décrit vers Hermonthis, et au centre d'une des plaines les plus fertiles qu'il
y ait en Egypte. Juste en face d'elle, la chaîne Libyque lance un rameau
escarpé, entrecoupé de ravins et de cirques arides, et séparé de la berge par
une simple langue de terre cultivée, facile à défendre. Une troupe d'hommes
aguerris postée sur cet isthme commandait le bras navigable, interceptait
à volonté le commerce de la Nubie et barrait complètement la vallée aux
armées qui auraient tenté de passer outre sans en avoir acheté l'autorisation.
Les avantages du site ne semblent pas avoir été appréciés au temps des Mem-
phites : la Haute Egypte n'avait alors qu'une vie politique assez languissante,
et Thèbes demeura un village obscur, incorporé au nome d'Ouisit sous la
dépendance d'Hermonthis. Elle ne commença à prendre conscience de sa force
que vers la fin de la VIII" dynastie, quand la chute des Memphites eut con-
sommé le triomphe de l'esprit féodal sur la royauté*. Une famille originaire
I. /vit m de Faurher-G'idin, d'api** une peinture du tombeau d Amnni-Amenemhâit, à Béni-Hat-
ton {cf. >»i«,i, Beni-llataa, t. 1, pi. XVI),
t. lie fui de>ienl des plus probables si l'on compare le nombre officiel de ces princes avec le
plus irsisemMable de* chiffres qui marquent la durée des deux dynasties Héracléopoli laines (Masfsim,
Quatre Aantri de fouille*, dans les Mémoire» de la Million Fratieattr du Caire, l, I, p. 34U).
454 LE PREMIER EMPIRE THËBAIN.
d'Hermonthis, s'il faut en juger par le nom de Monthotpou que ses membres
affectionnèrent, s'y établit, en fit la capitale d'une petite principauté qui
s'arrondit rapidement aux dépens des nomes voisins1. Tous les bourg» et
toutes les villes de la plaine, Mâdout*, Hfouît8, Zorît4, Hermonthig, puis,
vers le sud, Àphroditopolis Parva au défilé des Deux Montagnes qui marquait
la frontière du fief d'El-Kab, Kousit vers le nord, Dendérah, Hou, tombèrent
entre les mains des Thébains, et enflèrent démesurément leur apanage. Les
baronnies voisines d'El-Kab, d'Éléphantine, de Coptos, de Kaar es-Sayad,
de Thinis, d'Àkhmîm acceptèrent plus ou moins volontairement leur supré-
matie. Le premier d'entre eux, Antouf, ne s'arrogeait d'autre qualité que celle
de Sire de Thèbes5 : il s'inclinait encore devant la suzeraineté des Héracléo-
politains. Ses successeurs se crurent assez robustes pour la rejeter et usur-
pèrent les insignes de la royauté, l'urseus et le cartouche : Monthotpou Ier,
Antouf 11, Antouf III, furent ce que les annalistes appelèrent plus tard des
Horus, des souverains de l'Egypte du midi, maîtres de la Nubie et des vallées
perdues entre le Nil et la mer Rouge6. Ils ne manquèrent pas d'invoquer à
l'appui de leurs ambitions le souvenir d'alliances contractées jadis avec des
filles de race solaire : ils se targuaient de descendre des Papi, d'Ousirniri
Ànou, de Sahourî, de Snofroui, et d'annuler par l'antiquité de leurs titres les
droits plus récents de leurs rivaux7.
Leur révolte mit fin à la IXe dynastie; la Xe usa ses forces contre eux
sans réussir à les ramener dans le devoir8. Elle fut pourtant soutenue par la
1. Le dieu d'Hermonthis s'appelle Montou : le nom de Monthotpou, le dieu Mont ou s'unit à lui,
marque donc probablement l'origine hermonthite des princes qui le portent. Sur l'étendue de la prin-
cipauté thébaine, telle qu'on peut la déduire des litres des prêtresses d'Amon sous la XXI* dynastie, voir
Maspero, les Momies Royales de Déir el-Bahart, dans les Mémoires de la Mission du Caire, t. I, p. 715-716.
2. Mâdout ou Màdit est aujourd'hui Médamôt, ou Kom-Madou, au IN.-E. de Thèbes (Brugsch, Geogra-
phische lnschn'ften, t. 1, p. 197; Dictionnaire Géographique, p. 312-313).
3. llfouît, Tuphion, aujourd'hui Taoud (Brugsch, Dictionnaire Géographique, p. 494-495).
4. Zorit, aujourd'hui le petit village d'ed-Dour (DCmichen, Geschichte des Allen Mgyptens, p. 65).
5. C'est à lui, je crois, qu'appartient la stèle de l'Ancien Musée de Boulaq (Mariette-Maspkro, Monu-
ments divers, \>\. 50 b et p. 1 6 ; Maspero, Guide du Visiteur, p. 34 et planche), reproduite à la page 115
de cette Histoire. Il est en tous cas l'Antouf qui, dans la Salle des Ancêtres de Karnak, n'a que le titre
de prince, râpât tou, sans les cartouches (Prisse d'Avkxnes, Notice sur la Salle des Ancêtres, dans la
Revue Archéologique, lr# série, t. I, pi. XXIII, et Lepsu's, Auswahl der wichtigsten Vrkunden, pi. 1).
6. Le titre d'Horus est attribué dans la Salle des Ancêtres à plusieurs Antouf et Monthotpou qui ont
le cartouche. C'est probablement une façon ingénieuse qu'a employée le rédacteur de marquer la
position subordonnée de ces personnages à côté des Pharaons Héracléopolilains, les seuls qui, même
au temps des grandes dynasties Thébaines, eussent le droit de figurer sur les listes officielles. La place
dans la XI* dynastie des princes intitulés Horusa été déterminée pour la première fois par E. de Bougé,
Lettre à M. Leemans, dans la Revue Archéologique, V* s., t. VI, p. 561 sqq.
7. Ousirlascn l*r consacrait une statue à son père Ouairnirî Anou, de la \* dynastie (Lepsiks,
Auswahl der wichtigsten Urhunden, pi. IXfl-r); ce pharaon, Sahouri et Snofroui figuraient, dans la
Salle des Ancêtres, parmi les ascendants de nos princes et des Pharaons Thébains de la XVI 11° dynastie.
8. L'histoire de la famille Thébaine a été reconstituée parallèlement à celle des dynasties Héracléo-
politaines par Maspero, dans la Revue Critique, 1889, t. II, p. 220. La difficulté que présentait le
nombre des rois qu'elle compte dans Manéthon, comparé aux quarante-trois ans qu'elle aurait duré,
LA PRINCIPAUTÉ IlE SÎOUT.
féodalité du centre et du nord, surtout par les sires du Térébinthe qui
voyaient de fort mauvais œil la fortune subite des Thébains1. La famille qui
détenait alors le fief de Siout y commandait depuis trois générations", lorsque
la guerre éclata. Ses débuts avaient coïncidé avec l'avènement d'Akhthocs,
et son élévation fut probablement la récompense des services rendus par
son chef au chef des Héracléopolitains3. Elle possédait depuis lors un titre
a été écartée par B.imvcin, Ditcorei rriliti raura la Cronologia Eghia, p. 131-134. Ce» u,uaranlc-troiB
années représentent le temps que la dynastie thébaine a régné seule et pour lequel elle avait éle
inscrite au Canon; le nombre des rois comprend, cil plus des personnages reconnus comme Pharaons,
les princes contemporain» des llcracléopolilain» qui constituaient officiellement la X* dynastie.
1. Les tombeaux de Sionl ont èlé classés longtemps dans la Mil- dynastie (ainsi encore par Wie-
■eii», ,Egypiiiclic Geëchirhle, p. fil-tli, et par En. Meykk, Oetchkkte dei Allen jEgt/plent, p. 199,
note t). L'attribution que j'eu avais faite au* dynasties Héradcopolitaincs (Quatre Annie* de fouillet,
dans les Mémoire» de la Million du Caire, t. I, p. 133) a été confirmée pour trois d'entre eux, Ici
n- III, IV et V, par les travaux de M. Gairnrn, The. Inirriptiom of Siûl and Dtr-llifeh, et ISabylo-
inan and Oriental Record, t. III, p. 111-139, 164-168. 174-184. L'histoire de la famille qui gouverna
le nome du Térébinthe, telle qu'elle est eiposée ici, a été déterminée pour la première fois dans la
Renie Critique, I88!>. 1. II. p. 410-431. ù propos de l'ouvrage de H. GrilSth.
1. C'est ce qu'on doit conclure d'un passage de la Grande Inscription de Khlti II (GatrriTH, The
Inscription! of Siûl, pi. XIII, 1. 8 = pi. XX, I. 3), très ingénieusement interprété par Griffith [Babylo-
n<an and Orientât Record, t. III, p. 161) : ce prince se vantait d'élra descendu de cinq princes, hiqou,
ce qui nous oblige à admettre une série de trois princes à Siout avant son grand-père Khlti I".
3. En accordant aui princes de Siout une moyenne de règne égale à celle des Pharaons, et en
admettant que la IX" dynastie se compose de quatre ou cinq rois, comme l.epsius l'admet (Ktinigëliuch,
p. 56-51), l'avènement du premier de ces princes coïncide très suftisamment avec le règne d'A ththoès.
l.e nom de Khlti, que porte»! deu\ des nu-mlire» de cotte petite dynastie locale, serait peut-être un
souvenir de celui du Pharaon Khlti Miribrl ; il v a d'ailleurs, dans la série des souverains Héracléopo-
litains, un second Khlti. dont l'un des Khlti de Siout a pu être le contemporain. La famille prétendait
avoir une origine 1res reculée et disait d'elle-même qu'elle était unr rentrée antique (CwrnTi, The
Inscription» of Siût. pi. XIII, I. 8 = pi. XX, I. 31 : ce qu'elle devait à Khlti I" ou aui autres rois
d'Iléracléopolis, c'était le titre plus relevé et le pouvoir de prince — hiqou.
LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
tw*r.HP
de régent — hiqou — que les Pharaons ne dédaignaient pas à l'occasion
et la faveur dont elle jouissait avait crû d'année en année. Khîti Ier, le qua-
trième en date de ses princes, avait été nourri dans le palais d'Héracléopolis
et il avait appris à nager avec les enfants royaux1. De retour chez lui, il
demeura l'ami personnel du souverain, et gouverna sagement ses États,
nettoyant les canaux, encourageant la culture, allégeant les impôts, sans
négliger les milices : c'était par milliers qu'il comptait les soldats de sa grosse
infanterie recrutée parmi l'élite des gens du nord, de son infanterie légère
recrutée parmi l'élite des
gens du sud'. Il s'opposa
de tout son pouvoir aux pré-
tentions thébainess, et son
fils Tefabi marcha sur ses
traces. « La première fois,
dit-il, que mes fantassins
combattirent les nomes du
sud qui étaient venus réunis
ensemble, depuis Éléphan-
tine au midi, jusqu'à Gaou
vers le nord*, je vainquis ces nomes, je les repoussai vers la frontière méri-
dionale, je parcourus en tout sens la rive gauche du Nil. Quand j'arrivais à
une ville, je renversais ses murs, je m'emparais de son chef, je l'emprisonnais
sur le port, jusqu'à ce qu'il me payât rançon. Dès que j'en avais fini avec
la rive gauche et que personne ne s'y trouvait plus qui eût le courage de
résister, je passais sur la rive droite, et je faisais force de voiles vers un autre
chef, ainsi qu'un lévrier à la course rapide.... Je naviguais par le vent du
nord comme par celui de Test, par celui du sud comme par celui de l'ouest,
et quiconque j'abordais, je triomphais de lui complètement; il était précipité
à l'eau, ses bateaux se jetaient à la rive, ses soldats semblaient des taureaux
sur qui le lion se rue; je cernais sa ville d'un bout à l'autre, je saisissais ses
1. C.Rim™, The Inscriptions of Siût and Dér-Rifeh, pi. XV, 1. 22; cf. Mariette, Monuments divers,
pi. LXV1II d\ E. et J. de Roitgk, Inscriptions recueillies en Egypte, pi. CCLXXXVIII; Brcgsch, The-
saurus lnscript ionum Jïgyptiacarum. p. 1501, 1. 6. Cf. p. 300 de cette Histoire.
2. Griffith, The Inscriptions of Siût, pi. XV, 1. l-î5; cf. Mariette, Monuments divers, pi. LXVIU d,
p. 11-22; E. et J. de Rolt.k, Inscriptions, [A. CCLXXXVIII; Brixsch, Thésaurus, p. 1499-1502.
3. C'est ce qui semble résulter de ce qu'on peut lire encore dans les débris d'une longue inscription
de son tombeau, publiée par Griffith (The Inscriptions of Siût and Dêr-Hifch, pi. XV, 1. 25-40).
4. Il n'est pas sûr que le groupe inusité inscrit en cet endroit (Griffith, The Inscriptions of Siût and
ftêr-liifeh, pi. XI, I. 16), soit le nom de Gaou-el-Kéblr ou du nome Antiropolitc dont Gaou était la capi-
tale : en tout cas, la localité ainsi désignée marquait la limite du royaume thébain vers le nord.
LES GUERRES DES PRINCES DE SIOUT CONTRE LES THÊFUINS. 457
biens, je les poussais dans le feu. » Grâce à son énergie et à sa bravoure, il
« détruisit la rébellion par le conseil et selon les plans du chacal Ouapouaî-
tou, le dieu de Siout ». Dès lors, il n'y eut « canton au désert qui fût à l'abri
de ses terreurs a, et il « promena la flamme à son gré parmi les nomes du
sud s. Dans le temps même qu'il portait la désolation chez ses ennemis, il
s'appliquait à guérir les maux que l'invasion avait déchaînés sur ses propres
sujets. Il rendit si exacte justice que les malfaiteurs disparurent comme par
enchantement. « Quand la nuit arrivait, quiconque couchait sur les routes me
bénissait parce qu'il y était en sûreté autant que dans sa propre maison, car
l'effroi que mes soldats répandaient le protégeait, et les bestiaux restaient
sans péril aux champs ainsi qu'à 1 etable : le voleur était devenu l'abomination
du dieu et ne pressurait plus le serf, si bien que celui-ci ne se plaignait
plus jamais, mais payait la redevance exacte de ses terres par amour pour
moi* ». Khiti 11, fils de Tefabi, vit les Héracléopolitains maîtres encore dans
l'Egypte du nord, mais déjà contestés et menacés par la turbulence de leurs
vassaux : Héracléopolis elle-même chassa le Pharaon Mirikarî, et celui-ci dut
se réfugier à Siout, auprès de Khiti qu'il appelait son père*. Khiti rassembla
une flotte si considérable qu'elle encombrait le Ni) de Shashotpou au Gebel-
Àboufédah, d'une extrémité à l'autre de la principauté du Térébinthe. Ce fut
1. Deisin de Houdier, d'aprèt une photographie dliuingrr, priie en tSSÎ; cf. la Detcriplion de
rtgypte, Ant.,t. IV, pl.XLVI.3-*. Celle représentation décorait une des parois de la tombe de Khiti III
(Griffitb, The Inscription» of Sîut, p. Il el pi. 14).
ï. Gmfprni, The Intcription» of Siùt and Dér-Ilifeh, pi. XI-XII ; cf. E. et ). M Roics, Inscription!
recueillit* en Egypte, pi. CCXOCCXC1I ; Drucsck, Theiaurue iiitcriptionum, p. 1507-1511. Cette
Inscription, demeurée inachevée, puis surchargée par Tefabi lui-même, a été traduite, ou plutôt inter-
prétée, pour la première fois par Maspero, dans la Revue Critique, 1889, t. Il, p. 415-418.
3. Dans l'une des inscriptions de son tombeau (GnirirtH, The Intcripliont ofSiàt, pi. XIII, I. IG =
pi. XX, I. H), le rédacteur, s'adressa lit à khiti, appelle le l'haraon Nirikarl, • ton Aïs >.
438 LE PREMIER EMPIRE THÊBAIN.
en vain que les rebelles se coalisèrent avec les Thébains : Khiti < sema
l'épouvante sur le monde et châtia les nomes du sud à lui seul » . Tandis qu'il
descendait le courant pour ramener le suzerain dans
sa capitale, > le ciel se rassérénait et le pays entier se
ralliait à lui ; les commandants du sud et les archontes
d'Héracléopolis, leurs jambes vacillent sous eux quand
l'uraeus royale, régente du monde, vient pour refou-
ler le crime, la terre tremble, le Midi s'enfuit en
barque, tous les hommes se sauvent éperdus, les villes
se soumettent, car la crainte envahit leurs membres ».
Le retour de Mirikarf fut une promenade triomphale :
i quand il atteignit Héracléopolis, la population
courut à sa rencontre, en joie de son maître, les
femmes pêle-mêle avec les hommes, les vieillards
comme les enfants1 j>. La fortune changea bientôt1.
Les Thébains, toujours vaincus, revenaient toujours
à la charge; ils triomphèrent, après environ deux
siècles d'efforts, et rangèrent sous leur sceptre les
deux moitiés rivales de l'Egypte *.
Le peu que nous entrevoyons de leurs origines
nous donne l'idée d'une race énergique et intelligente.
Confinés dans la région la moins peuplée et, somme
toute, la moins riche de la vallée, absorbés au nord
VM MLtm ,1U MO» Mi IIItlktRi'.
dans des guerres perpétuelles qui épuisaient leurs
ressources, ils trouvèrent encore le temps de bâtir, à Thèbes et sur les points
les plus divers de leur territoire. Vers le midi, si leur domination ne pro-
gressait guère, du moins elle ne reculait pas, et la portion de la Nubie
1. Garni™, The Inscriptions of Siùt, pi. XIII = jil. XX; cf. Deteription de FÉgypte. Atil.. t. IV.
|>l. XLIX, 3; J.epsius Dcnkm., Il, 1511 g; Humeitr. Monuments Divers, pi. l.XIX a: K. et J. ne HorsÉ,
liiiaipliviir, pi. CCXCIII; Baisse», Thésaurus Inscriplioniim, p. 1503-1.1(10. Ce teite important a été
analysé el traduit en partie |>ar Maipero, dans la Itevitc Critique, 1B80, t. Il, p. jl H-AI9.
*. On peut supposer i|tie la surcharge a été ciéculée dans un moment où les Pharaons Thébains
avaient reprit l'avantage, et peut-être étaient déjà maîtres île Siout : il n'eut |ias été politique d'ache-
ver une inscription où l'on rarontait comment le prince Tcïahi avait malmené les vainqueurs.
.H. J'ai adopté pour la durée de cette seconde dynastie lléracléopolitaine le chiffre de 183 ans indiqué
par l.cpsius comme étant le plus vraisemblable de ccui qu'on lit dans Hanéthon (KdiiigsBurh, p. S6-ST).
t. Destin lie Fauchcr-Gudin, d'après l'original conservé au Mutée du Louvre; cf. Misreao, Soin
au jour te jour, § 10. dans les Pruceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t, XIII, p. .130, l.a
[latcltc est en bois, au nom d'un personnage contemporain, les hiéroglyphes sont incrustés en lil
d'argent: elle vient probahlemenl de la nécropole de Mélr, un peu au nord de Sioul. La pyramide
funéraire du Pharaon Nirikarl est mentionnée sur un cercueil du Musée de Berlin (Hasi-mlo. Soirs
au jour U jour, g Ifi, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t. XIII, p. 5il-j33).
I.ES K01S l>E LA XI* DYNASTIE ET LEURS CuNSTI.lXTIOfJS. 459
située au delà d'Assouàn jusqu'aux environs de Korosko demeurait en leur
possession1. Les tribus du désert, Amamiou, Mazaiou, Ouaouaîou, gènaienl
souvent les colons par l'imprévu de leurs incursions, mais, un canton pillé
ils ne s'y installaient pas comme dans une conquête, et ils regagnaient rapi-
dement le chemin de leurs montagnes. Les Thébaîns les continrent par des
contre-razzias répétées, et renouvelèrent avec eux les anciennes conventions
leur suzeraineté fut reconnue, aux termes traditionnels, dans la Grande
Oasis à l'ouest*, et à l'est par les peuplades errantes de la Terre Divine.
Comme au temps d'Ouni, , ._
les barbares fournissaient
aux armées un appoint de
soldats plus résistants à la
fatigue et plus exercés au
maniement des armes que —
les fellahs ordinaires : c'est -- 2. _~" T~ ~*"V -V ,.Kuo<.„
à l'énergie de leurs merce- . , , ,
" LA PïHKIDL EN Bhtlil ES 11 HMFM, A rMf.ES1.
naires que plusieurs de ces
Pharaons obscurs, Monthotpou 1", Antouf III, durent les succès dont ils se
vantent sur les Libyens et sur les Asiatiques*. Ils se gardèrent pourtant de
s'écarter trop de la vallée : l'hgypte offrait à leur activité un champ assez
vaste, et ils s'efforcèrent de leur mieux à réparer les maux dont elle souffrait
depuis plusieurs siècles. Ils remirent les forts en état, ils restaurèrent les
I. .lion lliol pou ."iibholpotiri n'était fait représenter dans non temple de Gebéléln. frappant les
Nubiens (Dasessï, Noltt et Remarqua, % imi, dans le Recueil de Traraus, I. XIV, p. tr.j, mais
sans indiquer ceu\ des Nubiens qu'il prétendait avoir vaincus, lue inscription d'Ameiir-mhatl I" nous
montre ce souverain maître inconlcslé des parties de la Nubie que possédaient les Pharaons de
la VI* dynastie, et en faisant la baie de ses opérations contre les Ouaouaiou (BM'cki, f.etrhirble
.€guptenà, p. 1 1".| IH, et Die Hegentàmmc der Vna-lnichrift, dans la Zeitichn / 1, JK8Î, p 3»). on peut
en conclure qu'au moins les derniers rois de la XI' dynastie y avaient exercé déjà la même aulonle.
i. L'Oasis thobainc dépendait alors de la sircric d'Abvdos, comme le prouve le protocole du prince
Antour, sur la stèle C ni du Louvre (Guet, Stelet de la XII- dynailie, pi. XIX) : les Timibou, que
Monthotpou Nibliotpouri le vante d'avoir vaincus dans son temple de fiébélotn, sont probslilemc"
comme les Timibou de la VI- dynastie (cf. p. 13Î de cette Histoire), les tribus berbères des (ta,
thébaincs (Dasessi, Nota et Remarque*, g «»■■ dans le Recueil de Travaux, t. XIV. p. il.)
3, Iteiiin de Fauchtr-Gudiit, d'nprrt le croi/uit de Paisse "/Avenues, Itilloire de l'Art eggptie
CeHe pyramide est aujourd'hui détruite entièrement.
i. Les cartouches d'Anloufâi (l'uni;, A Seaton in Egypt, n" 31(1), graves sur les rocher* d flépha
line, marquent une visite de ce prince à Syènc, probablement a la suite de quelque raina, beaucoup
d'inscription! analogues des Pharaons de la XII" dynastie ont été tracées en pareille circonstance Noub
Lhopirrl Antour se vantait d'avoir battu les Amuu et les Soin (Bihch-Chim*, le Vapynu Ahbotl, dan<
la Revue Archéologique, t" s., t. XVII, p. 267-iuX). Jionthoipou Nibhotpourl avait sculpté, sur un .'
rochers de l'Ile, à l'Ile de Konosso, une sréne d'offrandes où les dieux lui accordent la vjrloire cou
tous les peuples (C ma porno™. Monument* de l'Egypte et de la Nubie, pi. CCCVI, 3; Ltr-.ii -. fient,:
11, I.1II fr). Les restes du leinplc qu'il avait construit à Gebéléln le montrent conduisant aui du
thébains des files de prisonniers qui appartiennent à ces contrées diverses (lltanssi. Noies et rem.
que; £ mu et Liunt, dan» le Recueil de Travaux, t. XIV. p. Ï6, et t. XVI, p. 11).
460 LE PREMIER EMPIRE THÊBAIN.
temples ou les agrandirent : Coptos', Gébéléin, El-Kab*, Abydos3 conservent le
souvenir de leurs constructions. La ville même de Thèbes a été trop souvent
bouleversée par la suite pour qu'on y distingue la trace des travaux qu'ils
entreprirent au temple d'Amon ; mais la nécropole est pleine encore de leurs
demeures éternelle». Ils les avaient échelonnées dans la plaine, en face de
Karnak, à Drah abou'l-Neggah et sur les versants septentrionaux du vallon de
Déir-el-Baharî. Les unes s'enfonçaient dans la montagne et présentaient au
dehors une façade carrée, bâtie en pierre de taille, surmontée d'un toit
pointu en forme de pyramide4. Les autres étaient de véritables pyramides
précédées parfois d'une paire d'obélisques ainsi qu'un temple8. Elles n'appro-
chaient jamais aux dimensions des tombes memphites, car le royaume du Sud
ne pouvait égaler avec ses seules ressources des monuments dont l'érection
avait exigé le concours de l'Egypte entière6 : il utilisait la brique où Ton avait
préféré la pierre plus coûteuse, une brique crue, noire, sans mélange de
paille ou de gravier. Ces pyramides à bon marché se dressaient sur un socle
rectangulaire, haut de deux mètres au plus; elles ne dépassaient jamais dix
mètres, du sol au sommet, et se contentaient d'un revêtement de pisé badi-
geonné à la chaux. Une sorte de chambre ou plutôt de four, voûté en encor-
bellement, occupait ordinairement le centre et abritait la momie; souvent
aussi on pratiquait le caveau partie dans le socle, partie dans les fondations,
et le vide supérieur ne servait qu'à alléger la maçonnerie. La chapelle exté-
rieure n'existait pas toujours, mais une stèle posée sur le soubassement ou
encastrée extérieurement dans une des faces marquait l'endroit où l'on devait
apporter l'offrande au mort : quelquefois pourtant on ajoutait en avancée
un vestibule carré, où les cérémonies commémoratives s'accomplissaient aux
1. M. Harris a signalé dans la maçonnerie du pont de Coptos des blocs portant les cartouches de
Noubkhopirri Antouf (Birch-Charas, le Papyrus Abbott, dans la Hevue Archéotogif/uc, in s., t. XVI, p. 267).
2. Monlhotpou Ier 3ibhotpouri y construisit, sur le rocher où s'élève aujourd'hui la Konbbnh du
Shëikh Mousa, un petit temple mis au jour par M. G rehaut (Daressy, Notes et Hemarques, § i.xxxyii,
dans le Hecueil de Travaux, t. XVI, p. 42; J. de Morgan, Sotice des fouilles et déblaiements exécute"*
pendant l'année fH93, p. 8; G. Wili.oit.hby Frazf.r, El-Kab and Geltclén, dans les Proceedings de la
Société d'Archéologie Biblique, t. XV, 1892-1893, p. 497 et pi. III, n» xv).
3. Mariette, Catalogue Général des monuments d' Aby dos, p. 96-97, nw 514-515; et Mariette-Maspero,
Monuments Divers, pi. XI.1X, p. 15.
4. C'est à cette catégorie qu'appartient le tombeau du premier A nt ouf, celui qui n'était pas encore
roi, et dont la stèle est conservée aujourd'hui au Musée de Gizéh; je l'ai reproduite plus haut, à la
page 115 de cette Histoire.
5. Des deux obélisques qui précédaient la tombe de Noubkhopirrî Antouf, l'un mesurait 3m,50,
l'autre 3m,70 de hauteur (M \riktte-M\spkro, Monuments Divers, pi. L a et p. 15-16; cf. Vii.uers-Stiart,
Mie Clearings, p. 273-27 4, pi. XXX111: : ils ont été détruits récemment l'un et l'autre.
6. Aucune des pyramides de Thèbes ne subsiste aujourd'hui; mais Mariette découvrit en 1860 les
substructions de deux d'entre elles, celles de Noubkhopirri Antouf et d'Anàa (Mariette, Lettre à M.fe
Vicomte de liougé, p. 16-17), qui étaient identiques pour la construction aux pyramides d'Abydos
(Mariette, Abydos, t. Il, p. 42-14, pi. LXVI-LXVII; Mispeho, Archéologie Egyptienne, p. 139-142).
LES PYRAMIDES EN BRIQUES ET LA BARBARIE DE L'ART THÊBAIN. 464
jours prescrits. Les statues de double sont gauches et rudes1, les cercueils
lourds, massifs, décorés de figures sans grâce et sans proportions1, les stèles
ciselées maladroitement3. Dès la VIe dynastie, les barons du Saïd en étaient
réduits à demander leurs artisans à Memphis pour orner convenablement
leurs monuments : la rivalité des Thébains et des Héracléopolitains, qui
opposa les deux moitiés de l'Egypte Tune à l'autre en hostilité réglée,
obligea les Àntouf à confier leurs commandes aux écoles de sculpteurs et de
peintres locaux. On imagine difficilement le degré de barbarie où étaient
descendus les manœuvres qui fabriquèrent certains sarcophages d'Akhmîm et
de Gébéléin4 : à Thèbes même ou dans Abydos, l'exécution des bas-reliefs et
la facture des hiéroglyphes dénotent plus de soin et de minutie que d'habileté
réelle ou de sens artistique. Faute de pouvoir atteindre au beau, on s'ingénia
à faire somptueux : les expéditions vers Hammamât se multiplièrent à la
recherche des blocs de granit propres à tailler des sarcophages5. 11 fallait
jalonner de citernes la route qui menait de Coptos aux montagnes : parfois
on profitait de l'occasion pour pousser une pointe au port de Saou, et pour
s'embarquer sur la mer Rouge. Un bateau construit à la hâte filait le long des
côtes, achetant aux Trogodytes la gomme, l'encens, l'or, les pierreries de la
région8: le convoi revenu avec son bloc et avec ses pacotilles variées, il ne
manquait pas de scribes pour raconter en termes emphatiques les dangers de
la campagne, ou pour féliciter le Pharaon d'avoir semé la renommée et la
terreur de son nom sur les Terres Divines et jusqu'au pays de Pouanit.
La chute des Héracléopolitains et l'union des deux royaumes sous l'autorité
1. Il en reste assez peu : on doit signaler pourtant celles d'un Pharaon, Monthotpou, au Vatican
(Wiedemank, JEgyptische Geschichte, p. 229), et d'Antouf-aouqir, au Musée de Gizéh (Mariette, Cata-
logue Général , p. 35-30).
2. Mariette, Notice des Principaux Monuments, p. 34-34; même les cercueils royaux de cette époque,
ceux des Antouf au Louvre (E. de Bougé, Notice sommaire, 1855, p. 61-62; Pierret, Recueil d'Inscrip-
tions inédites, t. I, p. 85-87; cf. Catalogue de la Salle Historique, p. 152, n° 614, pour un coffret funé-
raire au nom d'Antoufàa) et au British Muséum (Bircr, On thc Formulas of three royal Cof fins, dans
la Zeitschrift, 1869, p. 53) sont d'un travail assez grossier.
3. Les stèles d'iritisni (Maspero, The Stèle C 14 of thc Louvre, dans les Transactions de la Société
d'Archéologie Biblique, t. V, p. 555-562) et C 15 au Louvre (Gayet, Stèles de la XII* dynastie, pi. L1V),
celle de Mirou à Turin (Orc.irti, Discurso sulla Storia delV Ermeneulica Egizia, dans les Mémoires de
l'Académie de Turin, 2* série, t. XX, pi. I— II) sont très soignées de dessin, assez gauches de sculpture :
le sculpteur n'était point aussi sur de lui-même que le dessinateur.
4. Pour les cercueils peints de la XI4 dynastie, qui ont été découverts à Gébéléin et à Akhmim,
cf. Boi ria.nt. Petits Monuments et Petits Textes recueillis en Egypte, § 49-54, dans le Hecueil de
Travaux, t. IX, p. 82-84, et Notes de voyage, dans le même Recueil, t. XI, p. 140-143.
5. Lkpsrs, Denkm., Il, 149 d-h, 150 c: cf. Maspero, les Monuments Égyptiens de la Vallée de Uamrna-
mât, dans la Revue Orientale et Américaine, 2e série, 1877, p. 333-341, Schiaparelli, la Catena Orien-
tale dell' Egitto, p. 32-39.
6. Lepshs, Denkm., II, 150 a, Golk.msciieff, Résultats archéologiques d'une excursion dans la Vallée
de Hammamât, pi. XV-XV1I; cf. Charas, le Voyage d'un Egyptien, p. 56-63 ; Brcgsch, Geschichte JEgyp-
tens, p. 110-112; Maspero, \)e quelques Navigations des Egyptiens sur les côtes de la mer Erythrée,
p. 7-9 (extrait de la Revue Historique, 1879, t. IX); Schiaparelli, la Catena Orientale, p. 98-100.
464 LE PREMIER EMPIRE THËBAIN.
de la famille thébaine furent, croit-on, l'œuvre d'un Monthotpou, celui qui
porte le surnom de Nibkhrôourî : c'est lui du moins que les Égyptiens de
l'époque des Ramessides inscrivaient sur leurs tables royales, comme le chef et
le représentant le plus illustre de la XIe dynastie*. Les monuments rappellent
ses succès sur les Ouaouaiou et sur les barbares de Nubie*. 11 continua de rési-
der à Thèbes, même après la conquête du Delta3, s'y construisit sa pyramide4,
et reçut, dès le lendemain de sa mort, les honneurs divins5. Un tableau gravé
sur les rochers de Silsiléh le montre debout devant son fils Antouf : il est de
stature plus qu'humaine, et l'une de ses femmes se tient droite derrière lui*.
Trois ou quatre rois lui succédèrent rapidement, dont le moins insignifiant
paraît avoir été un Monthotpou Nibtoouirî; nous ne savons du dernier d'entre
eux, le seul qui figure sur les listes officielles, que son prénom de Sonkh-
keri7. La royauté demeura sous leur main ce qu'elle avait été presque sans
interruption depuis la fin de la VIe dynastie. Ils se proclamaient solennellement
les maîtres et l'on gravait leur nom en tête des documents publics, mais
leur pouvoir ne s'exerçait guère par delà les frontières de leur apanage fami-
lial : les barons ne se souciaient d'eux qu'autant qu'ils déployaient la force ou
la volonté de les contraindre, et ne leur accordaient qu'une suprématie
apparente sur la plus grande partie du territoire égyptien. Il fallut une révo-
lution pour réformer cet état de choses8. Amenemhâit Ier, qui fut le chef de la
1. Il est nomme dans les labiés d'Abydos et de Saqqarah, sur la table à libations de Clot-Bey (E. de
Saiîlcy, Étude sur la série des Rois, p. 54 sqq., pi. II, n° 6), dans la Salle des Ancêtres de Karnak
(Prisse d'Avennes, Monuments, pi. 1; Lepsus, Auswahl der wichligsten Vrkunden, pi. 1). Dans la pro-
cession du Bamesséum (Lf.psms, Denkm., 111, 163; Champollion, Monument*, pi. CXXIX bis), il figure
entre Menés et Ahmosis : Mènes est là comme fondateur du plus vieil empire Égyptien, Monthotpou
comme fondateur du plus vieil empire Thébain. Il est représenté enfin dans les tombes de Khàbokhni
(Lepsus, Denkm., III, 2 a) et d'Anhourkhâoui (Birton, Exccrpla Hieroglyphica, pi. XXXV; Champollion,
Monuments, t. I, p. 864; Prisse d'Avennes, Monuments, pi. III; Lepsics, Denkm., III, 2 d).
2. Kn l'an XL1 de son règne, deux officiers de passage à Assouàn mentionnent le transport par eau
de troupes dirigées contre les Ouaouaiou de Nubie (Pétrie, .4 Season in Egypt, pi. VIII, n° 213).
3. Entre autres preuves de son autorité sur le Delta, je citerai la présence à Êléphanline, en l'an 1
de son règne, d'un personnage qui était prince d'IIéliopolis, et auquel il confia un commandement
militaire (Pétrie, A Season in Egypt, pi. VIII, n* 243).
4. Elle s'appelait Khou-lsiout (Mariette, Catalogue Général, p. 135, n" 605). J'en ai retrouvé les
restes à Drah abou'I-Ncggah en 1881, ainsi qu'une architrave aux cartouches de Monthotpou et prove-
nant de la chapelle funéraire. Elle était encore intacte à la fin de la XX* dynastie {Papyrus Abbott,
pi. III, 1. 14), lors de la grande enquête instituée par Hamsès X dans la nécropole de Thèbes.
5. Schiaparelli, Museo Arvheologico di Fircnze, p. 192-194, n° 1501.
6. Eisexi.ohr, An Historical Monument, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique,
1881, p. 98-102; Pétrie, A Season in Egypt, p. 15, 17, et pi. XVI, n° 489.
7. La classification de ces Pharaons obscurs est encore mal assurée; la tentative la plus sérieuse
qu'on ait faite dans ces derniers temps pour l'établir, celle de Flinders Pétrie (.4 Season in Egypt,
p. 16-19), ne donne, malgré tout, que des résultats incertains.
8. Les rois qui composent la XII" dynastie avaient été placés dans la XVI* par Champollion et par
les premiers égyptologucs. Champollion avait reconnu son erreur dans les derniers mois de sa vie
et comparé Amenemhâit à l'Araenemès de Manéthou, mais sa découverte demeura ensevelie dans
ses papiers, et Lepsius eut l'honneur de rectifier en 1840 la faute de ses prédécesseurs {Auswahl
der wichtigsten Vrkunden, Uebersicht der Tafeln, et Ucber die M1* .Egyptische Kônigsdynastie,
dans les Mémoires de l'Académie de Berlin, 1853; cf. Blssen, .Egyplens Sicile, t. H, p. 275-283).
AMENEMHÀIT I- : L'AVENEMENT DE LA XII- DYNASTIE. 463
dynastie nouvelle, était îhébain de race, mais nous ignorons s'il possédait des
droits et comment il s'y prit pour asseoir solidement sa domination1. Qu'il eut
usurpé la couronne ou qu'il l'eût héritée légitimement, il se montra digne du
rang où la fortune l'avait haussé : la noblesse vit renaitre en lui un type de
souverain qu'elle ne connaissait plus guère que par tradition, le Pharaon con-
vaincu de sa divinité et résolu à la faire prévaloir envers et contre tous.
Il inspecta la vallée d'un bout à l'autre, principauté à principauté, nome à
nome, * écrasant le crime et se levant comme Toumou lui-même, restaurant ce
qu'il trouvait en ruines, délimitant les villes entre elles et fixant à chacune
ses propres frontières ». Les guerres civiles avaient tout désorganisé : on ne
savait plus quels impôts les cités devaient payer, quelles portions du sol leur
appartenaient, ni comment elles pouvaient trancher équitablement les ques-
tions relatives à l'irrigation. Amenemhàit redressa leurs stèles de délimitation
et restitua à chacune ce qui avait jadis dépendu d'elle : « Il leur répartit les
1. Brugsch (Grtehiehie Mqyptem, p. 117] en Fait un descendant du prince de Thèbes Àroencmhàll
qui vivait sous ïlonlliolpou Nibtoouirl, cl qui alla chercher le sarcophage de ce Pharaon à l'Ouadv
lia rn marnai. Il y reconnaissait précédemment {lliiloire d'Egypte, î* édil., p. 80. 81) ce prince lui-
même. L'une ou l'autre de ces hypothèses devient vraisemblable, selon que l'on classe Nibtoouirl
avant ou après Nibkhrouuri (ef. Mjjkfio, dans la Revue Critique, 1875, t. 11. p. 390-391).
•i. Dessin de lloudier, it après le croquis de Pitme, Te» Years Dïggintj in F.rjypt, p. H, n" S.
464 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
eaux, selon ce qu'il y avait dans les cadastres d'autrefois1 ». Les seigneurs
hostiles ou douteux perdirent tout ou partie de leurs fiefs : ceux qui avaient
bien accueilli le régime nouveau furent récompensés de leur zèle et de leur
fidélité par un accroissement de territoire. Le sire de Coptos fut estimé trop
tiède et remplacé promptement*. La baronnie de Siout dévolut à une branche
de la famille moins belliqueuse et surtout moins fidèle à la vieille dynastie que
celle deKhiti ne l'avait été*. Le prince du Lièvre, Nouhri, s'agrandit d'un mor-
ceau de la Gazelle, et son beau-père Khnoumhotpou Ier reçut la moitié orien-
tale du même nome avec Monâit-Khoufoui pour capitale*. Des expéditions
contre les Ouaouaiou, les Màzaiou, les Nomades de Libye et d'Arabie délivrè-
rent le fellah des incursions qui le ruinaient, et assurèrent la sécurité du
dehors5. Amenemhâit eut d'ailleurs le bon esprit de comprendre que Thèbes
n'était pas la résidence qui convenait au maître de l'Egypte entière : elle était
reléguée trop au Sud, mal peuplée, mal bâtie, sans monuments, sans prestige,
presque sans histoire. 11 la remit à l'un de ses parents qui la gouverna pour
lui*, et il alla s'établir au centre du pays, en mémoire des glorieux Pharaons
dont il prétendait descendre. Mais les anciennes cités royales de Khéops
et de ses enfants n'existaient plus, et Memphis était encore, ainsi que Thèbes,
une ville de province, à laquelle ne se rattachaient guère d'autres sou-
venirs que ceux de la VIe et de la VIIIe dynastie. Il s'installa, un peu au
sud, dans les environs de Dahshour, au château de Titooui7, qu'il élargit et
1. Inscription de Béni-Hassan, 1. 36-46; cf. Maspf.ro, la Grande Inscription de Beni-Hassan, dans le
Recueil de Travaux, t. 1, p. 162; Fr. Krebs, De Chnemothis Xomarchi Inscriptione ,€gyptiacâ, p. 42-S3.
t. D'après une stèle encore inédite de Monthotpou, qui a été découverte par Pétrie à Coptos en 1894.
3. L'inscription funéraire de Hâpi-Zaoufi, datant d'Ousirtasen Ier (Griffith, The Inscriptions of Siû
and Dêr-Bifeh, pi. IV, et Babylonian and Oriental Becord, t. III, p. 167-168). Hàpi-Zaouti lui-même a
dû commencer à gouverner sous Amenemhâit I*r. Les noms de ses parents diffèrent entièrement de
ceux qu'on rencontre dans les tombes de l'époque Iléracléopol Haine et indiquent une autre famille
ou Hâpi-Zaoufi, ou son père, étaient des princes nouveaux qui devaient leur élévation aux Thébains.
4. Maspero, la Grande Inscription de Béni-Hassan, dans le Becueil de Travaux, t. I, p. 177-178;
Newberry, Beni-Hasan, t. Il, p. 14, où l'on trouvera le tableau généalogique de cette famille.
5. Papyrus Sa Hier n° i, pi. II, 1. 10, — pi. III, 1.1. Montounsisou, prince de Thèbes, se vante,
en l'an XXIV, d'avoir battu les Maîtres des Sables, les Bédouins du Sinai et les Nomades qui habi-
taient le désert entre le XSil et la Mer Rouge; il avait ravagé leurs champs, pris leurs villes, pénétré
dans leurs ports (Maspero, Un Gouverneur de Thèbes au début de la XIIm dynastie, dans les Mémoires
du premier Congrès international de Paris, t. II, p. 60-61). Ces événements avaient dû s'accomplir
avant l'an XX d'Amenemhâtt, c'est-à-dire pendant le règne d'Amenemh&tt I*r seul.
6. Montounsisou, dont il vient d'être question, a tout à fait les allures d'un grand baron, faisant la
guerre et administrant le fief de Thèbes pour son souverain (Stèle C 1 du Louvre, dans Gayet, Stèles
de la XII* dynastie, pi. 1; cf. Maspero, Un Gouverneur de Thèbes, dans le Congrès International de
Paris, t. II, p. 48-61).
7. Ce château de Titooui lui est attribué comme résidence royale sur la stèle de l'an XXX, décou-
verte dans la nécropole d'Abydos (Mariette, Abydos, t. Il, pi. 22; cf. Banville-Kougk, Album photo-
graphique de la mission de M. de Bougé, n° 146); son établissement en cet endroit paraît avoir été
enregistré au Canou de Turin comme marquant un événement de l'histoire d'Egypte, probablement
le commencement de la XII* dynastie (Lepsiis, Auswahl, pi. IV, fragm. 64). Sur l'identification de
Titooui avec un site voisin de Dahshour, voir B fut, se h, Dictionnaire Géographique, p. 983-985; un
passage de la stèle de Piànkhi montre qu'en tout cas cette place était située entre Memphis et Méidoum.
L'ASSOCIATION D'OUSIUTASEN î" À LA COURONNE. m
dont il fit le siège de son administration. L'Egypte, se sentant dans une
main ferme, respira librement après des siècles d'angoisse, et son souverain
put se féliciter en toute sincérité de lui avoir ramené la paix. « J'ai fait que
l'endeuillé ne fût plus en deuil et sa plainte n'a plus été entendue, — les
batailles perpétuelles, on n'en a plus vu, — tandis qu'avant moi l'on s'était
battu comme un taureau oublieux de hier — et que le bien-être de personne,
ignorant ou savant, n'était stable. » — « J'ai labouré le pays jusqu'à Élé-
phantine, — j'y ai répandu la joie jusqu'aux marais du Delta. — Le Nil a
concédé l'inondation des champs à mes prières : — point d'affamé sous moi,
point d'altéré sous moi, — car on agissait partout selon mes ordres — et
tout ce que je disais était un nouveau sujet d'amour1. »
11 y avait sans doute auprès de lui, comme auprès de tous les souverains
orientaux, plus d'un homme de cour dont la résurrection du pouvoir royal
lésait la vanité ou les intérêts, gens qui trouvaient leur compte à s'entre-
mettre entre Pharaon et son peuple, et que la présence d'un prince déterminé à
tout mener par lui-même gênait dans leurs intrigues ou dans leurs exactions.
Us ourdirent contre Àmenemhâît des complots auxquels il échappa à grand'
peine. « Ce fut après le repas du soir, quand vint la nuit, — je me livrai une
heure à la joie, — puis je me couchai sur les couvertures moelleuses de mon
palais, je m'abandonnai au repos, — et mon cœur commença de se laisser
aller au sommeil; quand, voici, on assembla des armes pour se révolter
contre moi, — et je devins aussi faible que le serpent des champs. — Alors
je m'éveillai pour combattre moi-même, de mes propres membres, — et je
trouvai qu'il n'y avait qu'à frapper qui ne résistait pas. — Si je prenais un
assaillant les armes à la main, je faisais tourner dos à cet infâme; — il
n'avait plus de force même dans la nuit; nul ne lutta, — et rien de fâcheux
ne se produisit contre moi*. » La promptitude avec laquelle Amenemhâît se
jeta sur les conjurés les déconcerta, et la rébellion fut étouffée, ce semble, la
nuit même où elle éclata. Cependant il vieillissait, son fils Ousirtasen était
fort jeune, et les grands s'agitaient en prévision d'une succession qu'ils sup-
posaient être prochaine3. Le meilleur moyen de couper court à leurs mauvais
desseins et de garantir l'avenir de la dynastie consistait à désigner soi-même
1. Papyrus Sallier «° 2, pi. I, I. 7-9, pi. II, 1. 7-10.
t. Papyrus Sallier n° 2, pi. I, 1. 9, — pi. Il, 1. 3; cf. le petit mémoire de DCmichen, Bcricht ùber
eine Harem verse h wôrung un 1er A mené m ha /, dans la Zeitschrift, 1874, p. 30-35.
3. C'est ainsi que je comprends le passage du Papyrus Sallier n° 9, pi. 111, I. 5, où Amenemhàtt
dit qu'on abusa de la jeunesse d'Ousirtascn pour conspirer contre lui, et compare les malheurs
occasionnés par ces complots aux dégâts produits par les sauterelles ou par le Nil.
M1ST. ANC. DE L'ORIENT. — T. 1. 59
466 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
l'héritier présomptif et à l'associer par anticipation au pouvoir souverain.
L'an XX, Àmenemhàît conféra solennellement à son fils Ousirtasen les titres
et les privilèges de la royauté : « De sujet que tu étais je t'élevai, — je te
concédai le libre usage de tes bras, pour qu'on te craignît à cause de cela. —
Quant à moi, je me parai des fines étoffes de mon palais jusqu'à paraître aux
yeux comme les fleurs de mon jardin, — et je me parfumai d'essences aussi
libéralement que si je versais l'eau de mes citernes1. » Ousirtasen assuma
naturellement à son compte les devoirs actifs de l'emploi. « Ce fut un brave
qui agit par l'épée, un vaillant qui n'eut point d'égal : il voit les barbares,
s'élance, fond sur leurs hordes pillardes. C'est un lanceur de javelines, qui
rend débiles les mains de l'ennemi; ceux qu'il touche ne lèvent plus la lance.
C'est un redoutable, qui brise les fronts à coups de masse, et à qui Ton n'a
point résisté en son temps. C'est un coureur rapide qui fiert de l'épée le
fuyard, mais qu'on ne joint pas à courir après lui. C'est un cœur debout en
son heure. C'est un lion qui frappe de la griffe et ne lâche jamais son arme.
C'est un cœur cuirassé à la vue des multitudes et qui ne laisse rien subsister
derrière lui. C'est un brave qui se rue en avant quand il voit la lutte. C'est
un soldat joyeux de foncer sur les barbares : il saisit son bouclier, il bondit,
et sans redoubler son coup, il tue. Personne ne peut éviter sa flèche; aussi,
sans qu'il ait besoin de tendre son arc, les barbares fuient ses bras comme
des lévriers, car la Grande Déesse* lui a donné de combattre qui ignore son
nom, et, quand il atteint, il n'épargne rien, il ne laisse rien subsister*. » Le
vieux Pharaon « restait au palais » attendant que son fils vint lui annoncer
le succès de ses entreprises4, et contribuait par ses avis à la prospérité de
l'empire commun. La réputation de sagesse qu'il s'acquit de la sorte devint
telle qu'un écrivain, à peu près son contemporain, composa sous son nom
un pamphlet où il était censé adresser à son fils ses instructions posthumes
sur l'art de gouverner. Il lui apparaissait en rêve et, l'apostrophant : * Écoute
mes paroles. — Tu es roi sur les deux mondes, prince sur les trois régions.
1. Papyrus Sallicr u'i, pi. I, ). 5-7. On a discuté assez longtemps sur la date à laquelle il convient
de fixer l'association d'Ousirtascn I" à la couronne. Celle de l'an XX est prouvée par une stèle
d'Abydos (Mariette, Notice des Principaux Monuments, 18G4, p. 85-80, n° 72, Abydos, t. Il, pi. XXII,
Catalogue Général, p. 104-105, n° 558; Banville-Hoigk, Album photographique, nJ 14G, Inscriptions
recueillies en Egypte, pi. VIII) qui date des ans XXX d'Amenemhàit Ier et X d'Ousirtascn l*r.
2. Sokhît, la grande déesse à la tête de lionne, qui avait détruit les hommes sur Tordre de Rà et qui
s'était enivrée de leur sang (cf. p. 1G5-1GG du présent volume); elle était demeurée, à la suite de cet
exploit, la maîtresse des champs de bataille et du carnage.
3. Papyrus de Berlin nJ /, 1. 51-65; cf. Maspkro, le Papyrus de Berlin n° 1, dans les Mélanges
d' Archéologie Égyptienne et Assyrienne, t. III, p. 77-82, et les Contes populaires, 2* édit., p. 103-103.
4. Papyrus de Berlin ?«° /, I. 50-51; cf. Maspero, les Contes populaires, 2« éd., p. 101-102.
LE PRINCIPE DE L'ASSOCIATION AU TRONE PRÉVAUT DANS LA XII* DYNASTIE. 467
— Agis mieux encore que n'ont fait tes prédécesseurs. — Entretiens la bonne
harmonie entre tes sujets et toi, — de peur qu'ils s'abandonnent à la peur;
— ne t'isole pas au milieu d'eux ; — n'emplis pas ton cœur, ne fais pas ton
frère, uniquement du riche et du noble, — mais n'admets pas non plus
auprès de toi les premiers venus dont on ignore la place1. » Il appuyait ses
conseils d'exemples empruntés à sa propre vie et qui nous ont enseigné
quelques-uns des faits de son histoire. Ce petit ouvrage se répandit et devint
rapidement classique ; on le copiait encore dans les écoles de la XIXe dynastie
et les jeunes scribes l'étudiaient comme exercice de style*. L'association
d'Ousirtasen à la couronne avait tellement accoutumé les Égyptiens à consi-
dérer ce prince comme roi de fait, qu'ils en arrivèrent insensiblement à ne
plus écrire que son nom sur les monuments8. Il se trouvait engagé dans
une guerre contre les Libyens quand Amenemhâit mourut, après un règne de
trente ans. Les hauts fonctionnaires de la couronne, redoutant l'émotion popu-
laire ou peut-être une tentative d'usurpation de la part de l'un des princes du
sang, tinrent la nouvelle secrète, et expédièrent un courrier au camp pour
rappeler le jeune roi. Celui-ci quitta sa tente pendant la nuit, sans que les
troupes s'en aperçussent, rentra dans la capitale avant que le peuple eût rien
appris, et la transition du fondateur à son successeur immédiat, si délicate
pour une dynastie de fraîche origine, s'opéra comme naturellement1. La tra-
dition établie, la plupart des souverains qui vinrent ensuite l'observèrent
exactement. Après avoir régné seul pendant trente-deux ans, Ousirtasen 1er
1. Papyrus Salliev n° 2, pi. I, I. 2-4.
2. Le texte nous en est parvenu sur deux papyrus du British Muséum, Sallier n° 1 et n° 2, sur
le Papyrus Millingen (Recueil de Travaux, t. II, p. 70 et planches) et sur les Oslraca 5629-5638
du British Muséum. Il a été traduit par Maspero (The Instructions of Amenemhat I unto his son
liseriasen /, dans les Records of the Past, \n édit., t. II, p. 9-16), par Schack (Die Vnterweisungen
des Konigs Amenemhat I) et par Amélineau (Étude sur les préceptes d' Amenemhat lvr, dans le
Hecueil de Travaux, t. X, p. 98-121, et t. XI, p. 100-116) en entier, partiellement par Diïmichen
(Rericht ûber eine Haremverschwôrung unter Amenemha I, dans la Zcitschrift, 1874, p. 30-3») et par
Birch (Egyptian Textst p. 16-20). Le détail nous échappe parfois, mais le sens général est clair.
3. On a des stèles où les années d'Ousirtasen sont indiquées seules, de l'an VII (Maspero, Notes sur
quelques points de Grammaire et d'Histoire, dans la Zcitschrift, 1881, p. 116 sqq.), de l'an IX (C 2
du Louvre, dans Pierret, Recueil d'Inscriptions inédites, t. II, p. 107 sqq.; Gayet, Stèles de la
XII* dynastie, pi. II; Piehl, Inscriptions, t. I, pi. 11; C S du Louvre, dans Maspero, Sur une formule
funéraire des Stèles de la XII* dynastie. Mémoires du Congrès des Orientalistes à Lyon, t. I, planche;
Pierret, Recueil d'Inscriptions, t. II, p. 104 sqq. ; Gayet, Stèles de la XII* dynastietp\. IV), de l'an X
(Mariette, Abydos, t. II, pi. XXVI, et Catalogue Général, p. 128, n° 592; E. et J. de Roitgé, Inscriptions
recueillies en Egypte, pi. IX). La date de l'an III, qui nous est indiquée par le manuscrit de Berlin
pour la reconstruction du temple d'Héliopolis (cf. 504-508 de cette Histoire), appartient au début de
ce double règne, bien qu'Ousirtasen Ier y soit nommé seul.
4. Il mourut l'an XXX, le second mois de Shaft, le 7, et ce qui se passa au moment de sa mort
nous est conté tout au début des Aventures de Sinouhît (Maspero, les Premières Lignes des Mémoires
de Sinouhit, restituées d'après l'Ostracon 27 419 du Musée de Boulaq, dans les Mémoires de l'Institut
Égyptien, t. II, p. 3 sqq.; Gripfith, Fragments of Old Egyptian Stories, dans les Proceedings de la
Société d'Archéologie Biblique, 1891-1892, t. XIV, p. 452-458; cf. Maspero, les Contes populaires de
l'Egypte Ancienne, 2" éd., p. 96-97), où l'auteur paraît s'être borné à enregistrer une série de faits réels.
468 LE PREMIER EMPIRE THÊBAIN.
s'adjoignit son fi Is Amenemhàît II en l'an XLII\ et celui-ci, trente-deux ans plus
tard, appela Uusirtasen 11 au pouvoir1; Amenemhàît 111 et Amenemhàît IV
partagèrent le trône pendant longtemps3. Les seuls de ces princes pour les-
quels nous n'avons encore aucune preuve du fait sont Ousirtasen III et la
reine Sovknofriourî, avec laquelle la dynastie s'éteignit.
Elle dura deux cent treize ans, un mois et vingt-sept jours', et c'est de
toutes les familles qui dominèrent l'Egypte celle dont l'histoire offre le plus
de certitude et le plus d'unité. Sans doute, nous sommes loin de soupçonner
la plupart des grandes choses qu'elle accomplit : la biographie de ses huit
souverains et le détail de leurs guerres incessantes nous sont connus fort
incomplètement. Du moins peut-on suivre sans interruption le développement
de leur politique au dehors et au dedans. Pas plus que leurs prédécesseurs
de l'époque memphite, l'Asie ne les attira : ils semblent avoir éprouvé un
1. Strie de Lryde V t. datée de l'an XLIV d'Ousirtascn I" et de l'an 11 d'Amen cm hall II (Lmwa^s.
Lettre à Françoit Salvolini, p. 34-3tl cl pi. IV, 3". puis Description rationnée dei monumtuU égyp-
tiens du Mutée de l.eydc, p. ÎÇi; I.tpslus, Auticahl lirr wichtigtten Urkulidea, pi. X).
ï. l'roscyncmc d'Assouan, daté de l'an XXXV d' Amenemhàît II cl de l'An III d'Ousirtaseii II (Yoi'SG,
Hieroglyphics, pi. I.X1 ; I.wsirs, AuKWahl der wiekligtten Urkunden, pi. X. et Denkm., II, Ii3 e).
3. K. uk ItoriGÉ, Lettre à M. Leentaiit, dans la It/vue Archéologique. 1™ série, t. VI, p. S"3 : il nous
reste plusieurs roomiTQeots de leur double règne (I.fpsiis, Autwahl rier u-irlitigitra Urkunden, pi. X,
el Denkm., 11. 141) J"), mais sans dote qui permette do déterminer le moment de l'Association .
4, C'est le total que le papyrus de Turin donne pour elle (Lepsii-s, Aumvaht der irirhtigiten Vrkun-
den, pi. VII. fra^ui. "*, I- 3)- Plusieurs égyptolouues ont pensé que Jlanéthon y avait compris les
iiniii'es des ilimlilus récries et ont proposé de réduire la durée de la dynastie h 163 ans (BirtucK,
Gcschirhle JF.gyplent, p. 114-1 1.1), à IBII (Liear.fcis, Recherche! êiir ta Chronologie Égyptienne, p. "fi-83),
a 1 tfi (Eu. Mi:iu, Getchirhte des Alterthumi, t. I. p. 14i, et Cr'chkhte des altrn Mgypten; p. l't,
note I). Le plus simple est d'inl mettre que le rédacteur du Papyrus ne s'est pas trompé; nous ne
savons pas le temps qu'ont duré les règnes d'Ousirtascn 11, d'Ousirtascn III, d 'Amenemhàît III, el ce
sont les années encore inconnues de ces princes qui complètent les deux cent treize ans.
!i. Dettin de Faueher-dudîtt. d'aprin la chromolithographie de I.epsii:*. Jlenkm., SI, ISS.
LES ASIATIQUES ES EGYPTE. 4fi9
certain effroi pour les races belliqueuses qui l'habitaient et n'avoir eu d'autre
souci que de repousser leurs attaques. Amenemhâît P1' avait consolidé la ligne
de forteresses qui courait à travers l'isthme', et ses descendants l'entretinrent
avec soin. Ils n'ambitionnaient point la domination directe sur les tribus du
désert, mais tant que les Maîtres des Sables consentaient à respecter la fron-
tière, ils évitaient de s'immiscer dans leurs affaires intérieures1. Les rapports
de commerce n'en étaient que plus fréquents et plus surs. Les riverains du
Delta voyaient à chaque instant arriver dans leurs villes tantôt des individus
1. L'e\istence de ta ligne de forteresses à celle époque résullo du passage des Arruliirei de
SilioukU où le héros décrit la frontière orientale du Délia (Papyrtti de Berlin n" /, I. 16-19).
î. Flous ne possédons jusqu'à présent de mentions d'une guerre contre tes Mailret det Salilei que
«oui Ameneinhall 1" (dans la stèle C I du Louvre, cf. p. Mi, note 3, de celle HUtoire) et sous Ousir-
lasen I" (Slelc de MoMhntpou, I. Il), dans Mimi.n.:, Abydot, t. Il, pi. XX11I).
470 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
isolés ou des bandes entières qui, chassées de la terre natale par la misère
ou par les révolutions, imploraient un asile à l'ombre du trône de Pharaon,
tantôt des caravanes qui leur vendaient les denrées les plus rares de l'Orient
ou du Nord lointains. Un tableau célèbre d'une des tombes de Béni-Hassan
nous montre comment les choses se passaient à l'ordinaire. On ne sait quelle
aventure entraîna trente-sept Asiatiques, hommes, femmes et enfants, à fran-
chir la mer Rouge, puis le désert Arabique et les montagnes en l'an VI d'Ou-
sirtasen II ' : ils tombèrent à l'improviste dans le nome de la Gazelle, où le
surintendant des chasses Khîti les reçut et les conduisit, comme c'était son
devoir, au prince Khnoumhotpou. Ils lui présentèrent du fard vert, de la
poudre d'antimoine, deux bouquetins vivants, afin de se concilier sa bienveil-
lance, et lui, pour éterniser la mémoire de leur visite, les consigna en pein-
ture aux murailles de son tombeau. Ils ont, comme les Égyptiens, l'arc, la
javeline, la hache, la massue, de longues robes ou des pagnes étroits bridant
sur la hanche; tout en marchant, l'un d'eux joue d'un instrument qui rappelle
par l'aspect les lyres du vieux style grec. La forme de leurs armes, l'éclat et
le bon goût des étoffes frangées et bariolées dont ils sont vêtus, l'élégance
de la plupart des objets qu'ils traînent avec eux, témoignent d'une civilisa-
tion avancée, égale à celle de l'Egypte. C'était déjà d'Asie que Pharaon tirait
les esclaves, certains parfums, le bois et les essences du cèdre, les vases
émaillés, les pierreries, le lapis-lazuli, les lainages brodés ou teints dont la
Chaldée se réserva le monopole jusqu'au temps des Romains1. Les marchands
du Delta bravaient les bêtes féroces et les voleurs embusqués au coin de
chaque vallée pour exporter au delà de l'isthme les produits des manufac-
tures nationales3, les toiles fines, les bijoux ciselés et cloisonnés, les poteries
vernissées, les amulettes en pâte de verre ou en métal. Les gens à l'esprit
hasardeux qui jugeaient la vie monotone aux bords du Nil, ceux qui avaient
commis un crime ou qui se sentaient suspects au maître pour des raisons de
politique, les conspirateurs, les transfuges, les bannis rencontraient bon
accueil dans les tribus et gageaient parfois la faveur des shéîkhs : dès la
XIIe dynastie, la Syrie méridionale, le pays des Maîtres des Sables, le royaume
1. Ce bas-relief Tut signalé et décrit pour la première fois par Champollion (Monuments de l'Egypte,
pi. CCCLXÏ-CCCLXII), qui prit les immigrants pour des Grecs de l'époque archaïque (filtres écrites
d'Egypte, p. 76-77, et Monuments, t. II, p. 410-414). D'autres voulurent y reconnaître l'arrivée en
Egypte d'Abraham, des fils de Jacob, ou tout au moins d'une bande de Juifs, et cette hypothèse lui a
valu l'honneur d'être souvent reproduit : Rosellixi, Monument i Slorici, pi. XXVIH-XXIX ; Lkpshjs, Denkm.,
Il, 131, 132, 133: Brigsch, Histoire d'Egypte, p. 63; Newberry, Béni llasan, t. I. pi. XXX-XXXI.
2. Cf. à ce propos le livre cTKrf.rs, JEgypten und die Diïcher Moues, p. 288 sqq.
3. Papyrus Sallier «• 9, pi. VU, 1. 4-7.
LES AVENTURES DE SINOUHÎT. 471
de Kadouma étaient remplis d'Égyptiens, dont la carrière agitée fournissait
aux scribes et aux conteurs le thème de romans nombreux1.
Sinouhit, le héros de l'un d'eux', était un fils d'Amenemhâit l,r, qui avait
eu la malechance de surprendre malgré lui un secret d'État : il se trouvait
près de la tente royale au moment où l'on vint annoncer à Ousirtasen la
mort imprévue de son père. Craignant d'être exécuté sans façon, il s'enfuit,
traversa le Delta au nord de Memphis, évita les postes de la frontière et s'en-
fonça dans le désert. « Je me mis en route à la nuit, à l'aube, j'atteignis
Pouteni et me dirigeai vers le lac de Kimoiri s. Alors la soif s'abattit et fondit
sur moi; je râlai, mon gosier se serra, je me disais déjà : « C'est le goût de
« la mort! » quand soudain je relevai mon cœur et rassemblai mes forces :
j'entendais la voix des troupeaux. J'aperçus des Asiatiques; leur shéikh, qui
avait été en Egypte, me reconnut : il me donna de l'eau, me fit cuire du lait,
et j'allai avec lui dans sa tribu. » Sinouhit ne s'y crut pas encore en sûreté et
se réfugia en Kadouma, auprès d'un prince qui prêtait asile à plusieurs autres
exilés et chez lequel « il pouvait entendre le parler d'Egypte ». 11 y gagna
rapidement honneurs et fortune. « Le chef me mit avant ses enfants, me
mariant à sa fille ainée, et il accorda que je choisisse, pour moi, dans son
domaine, parmi le meilleur de ce qu'il possédait sur la frontière d'un pays
voisin. C'est une terre excellente, Aîa de son nom. H y a des figues en elle et
des raisins; le vin y est en plus grande quantité que l'eau; abondant est le
miel; nombreuses sont les olives et toutes les productions de ses arbres : on y
a du blé et de la farine sans limites, et toute espèce de bestiaux. Ce fut grand,
certes, ce qu'on me conféra, quand le prince vint pour m'investir, réinstallant
prince de tribu dans le meilleur de son pays. J'eus des rations quotidiennes
de pain et du vin pour chaque jour, de la viande cuite, de la volaille rôtie,
plus le gibier de la montagne que je prenais, ou qu'on posait devant moi en
plus de ce que rapportaient mes chiens de chasse. On me fabriquait beaucoup
1. Papyrus de Berlin n° I, 1. 31-34 ; cf. Maspkro, les Contes populaires, 2° édit., p. 99-100.
2. Le texte existe partie à Berlin (Lkpsujs, Dcnkm., VI, 104-107), partie en Angleterre (Griffith,
Fragments ofOld Egyplian Slories, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, 1891-
1892, t. XIV, p. 452-158); des fragments en ont été copiés sur des Ostraca du British Muséum (Birch,
Inscriptions in the Hieratic and Démolie Character, p. 8, pi. XXIII, n° 5629) et du Musée de Gizéh
(Maspero, les Premières Lignes des Mémoires de Sinouhit, dans les Mémoires de l'Institut Egyptien,
t. II, p. 1-23). Il a été analysé par Chabas {les Papyrus de Berlin, récils d'il y a quatre mille ans,
p. 37-51, et Panthéon Littéraire, 1. 1), traduit en anglais par Goodwin {The Story of Saneha, dans le
Frazers Magazine, 18G5, p. 185-202; cf. liecords of the Pasl, lr« édit., t. VI, p. 131-150), en français
par Maspero (le Papyrus de Berlin n° 1, dans les Mélanges d'Archéologie, t. 111, p. G 4-8-4, 132-160, et
les Contes populaires de l'Egypte Ancienne, 2* édit., p. 87-132).
3. Kimoiri était situé non loin du bourg moderne d'El-Maghfar (Navillk, The Store-City of Pithom
and the Boule of the Exodus, p. 21-22), et son lac est le lac d'Ismailiah, qui formait alors le fond de
la Mer Rouge, de la Très-Noire, comme les Égyptiens l'appelaient; cf. p. 351, note 3, de celte Histoire.
472 LE PREMIER EMPIRE THÊRAIN.
de beurre et du lait cuit de toute manière. Je passai de nombreuses années;
les enfants que j'eus devinrent des forts, chacun maîtrisant sa tribu. Lorsqu'un
messager allait et venait à l'intérieur, il se détournait de sa route pour venir
vers moi, car je rendais service à tout le monde, je donnais de l'eau à l'altéré,
je remettais en route le voyageur qu'on avait empêché de passer, je châtiais
le brigand. Les Pitaîtiou qui s'en allaient en campagne lointaine pour battre
et pour repousser les princes des pays étrangers, j'ordonnais et ils mar-
chaient, car ce prince de Tonou, il accorda que je fusse pendant de longues
années le général de ses soldats. Tout pays vers lequel je sortais, quand
je m'étais lancé en guerre, on tremblait dans les pâturages au bord de
ses puits, je volais ses bestiaux, j'emmenais ses vassaux et j'enlevais leurs
esclaves, je tuais sa population, il était à la merci de mon glaive, de mon
arc, de mes marches, de mes plans bien conçus et glorieux pour le cœur de
mon prince. Aussi m'aima-t-il quand il connut ma valeur, me mettant chef
de ses enfants, quand il vit la vigueur de mes bras.
« Un brave de Tonou vint me défier dans ma tente : c'était un héros qui
n'avait point de second, car il avait écrasé tous ses adversaires. Il disait :
« Que Sinouhit se batte avec moi, car il ne m'a pas encore vaincu », et il se
flattait de ravir mes bestiaux pour en enrichir sa tribu. Le prince en causa avec
moi. Je dis : « Je ne le connais point. Je ne suis certes pas son frère, je me
« tiens éloigné de son logis ; ai-je jamais ouvert sa porte ou franchi ses clô-
« tures? C'est sans doute quelque jaloux envieux de me voir et qui se croit
« prédestiné à me dépouiller de mes chats, de mes chèvres, de mes vaches,
« et à fondre sur mes taureaux, mes béliers et mes bœufs afin de se les appro-
« prier.... S'il a vraiment le cœur à combattre, qu'il déclare l'intention de son
« cœur! Est-ce que le Dieu oubliera celui qu'il a toujours favorisé jusqu'à
« présent? 11 en est du provocateur comme s'il se trouvait parmi ceux qui
« gisent sur le lit funéraire. » Je bandai mon arc, je dégageai mes flèches, je
donnai du jeu à mon poignard, je fourbis mes armes. A l'aube, le pays de
Tonou accourut ; il avait réuni ses tribus, convoqué tous les pays étrangers
qui dépendaient de lui, il brûlait de voir ce duel. Chaque cœur était sur des
charbons pour moi, hommes et femmes poussaient des Ah! car tout cœur était
anxieux à mon sujet, et ils disaient : « Est-ce vraiment un vaillant qui va se
« mesurer avec lui? Voici, l'ennemi a un bouclier, une hache d'armes, une
« brassée de javelines. » Quand il fut sorti et que je parus, je détournai ses
traits de moi. Comme pas un seul ne portait, il fondit sur moi et alors je
LES ÉTABLISSEMENTS MINIERS DU SINAL 473
déchargeai mon arc contre lui. Quand mon trait s'enfonça dans son cou, il
s'écria et s'abattit sur le nez : je lui arrachai sa lance, je poussai mon cri de
victoire sur son dos. Tandis que les campagnards se réjouissaient, j'obligeai
ses vassaux qu'il avait opprimés à rendre grâces à Montou. Ce prince, Am-
miânshi1, me donna tout ce que le vaincu possédait, et alors j'emportai ses
biens, je pris son bétail. Ce qu'il avait désiré me faire à moi, je le lui fis à
lui, je me saisis de ce qui était dans sa tente, je dépouillai son logis; par là
s'agrandirent la richesse de mes trésors et le nombre de mes bestiaux1. »
Descendez le cours des âges, feuilletez les romans arabes, celui d'Àntar ou
celui d'Abou-Zéît, vous y trouverez les incidents et les mœurs décrits dans
le conte égyptien, l'exilé qui arrive à la cour d'un shéîkh puissant dont il
finit par épouser la fille, la provocation, la lutte, les razzias de peuplade à
peuplade. De nos jours encore, les choses se passent à peu près de même. Ces
aventures, vues de très loin, ont un air de grandeur et de poésie qui captive
le lecteur et, l'imagination aidant, le transporte dans un monde d'apparence
plus héroïque et plus noble que le nôtre. Qui veut conserver cette impression,
il fera bien de ne pas y regarder de trop près aux hommes et aux coutumes
du désert. Le héros est brave assurément, mais il est encore plus féroce et
traître : il vit un peu pour la bataille, beaucoup pour le pillage. Que voulez-
vous, le sol est pauvre, la vie est dure et précaire, les conditions de l'exis-
tence n'ont pas changé depuis les temps les plus anciens : au fusil et à l'Islam
près, le Bédouin de nos jours est le même que celui du temps de Sinouhît8.
Aucun document ne nous apprend de manière certaine ce que les colonies
minières du Sinai devinrent après le règne de Papi II*. Elles végétèrent, si
on ne les abandonna pas entièrement : les derniers Memphites, les Héracléo-
politains, les premiers Thébains les négligèrent par force, et l'avènement de
la XIIe dynastie leur rendit seul quelque animation5. Les filons de l'Ouady
Magharah s'étaient fort appauvris : une série de perquisitions heureuses révéla
1. C'est le nom du prince de Tonou, qui avait pris Sinouhit en si grande faveur.
2. Papyrus de Berlin ji° /, 1. 19-28, 78-147 ; cf. Maspero, les Contes populaires, 2* édit., p. 99, 104-109.
3. Maspkro, la Syrie avant l'invasion des Hébreux, p. (5-7 (cf. la ÏKevue des Études Juives, t. XIV).
4. La dernière inscription du Sinai est, pour l'Ancien Empire, celle de Tan II de Papi II (Lottin de
Laval, Voyage dans la Péninsule Arabique, Ins. hier., pi. -i, n° 1; Lkpsius, Denkm., II, 116 a).
5. Monuments d'Ousirtasen Ier à Sarbout-el-Khàdtm (Brigsch, Geschichte /Egyptens, p. 132; Major
Félix, Note topra le Dinastie de* Faraoni, p. M), d'Amcnemhâit II (Account of the Survey, p. 183),
d'Amenemhàlt III à Sarbout-el-Khâdîm et à Ouady Magharah (Burton, Excerpta Hieroglyphica, pi. XLII ;
Champollion, Monuments de l'Egypte et de la ïïubie, t. II, p. 690-692; Lkpsius, Denkm., II, 137 a-A,
140 ft; Account of the Survey, p. 175-177, 183-184, et Photographs, t. III, pi. 3-4), d'Amenemhâit IV
dans les deux mêmes localités (Lepsii/s, Denkm., II, 140 o-p; Account of the Survey, p. 177, 184, et
Photographs, t. III, pi. 4). On ne connaît encore au Sinai aucun monument qui porte les cartouches
d'Amenemhâit I" ou qu'on puisse reporter au règne de ce prince.
60
«4 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIX.
l'existence de dépôts encore vierges dans le Sarhout-el-Khâdim, au nord des
gisements primitifs'. On les mit en œuvre dès le temps d'Amenemhàit 11*,
et l'effort entier se concentra sur eux pendant plusieurs générations : les
expéditions se répétaient tous les trois ou quatre ans, parfois même d'année
en année, sous le commandement de hauts fonctionnaires. Connus du lioi.
Lecteurs en Chef, Capitaines des Archers. Comme les minerais diminuaient
vite, chacun des délégués de Pharaon devait en découvrir de nouveaux pour
subvenir aux exigences de l'industrie : la tâche était souvent ardue, aussi la
plupart d'entre eux se plaisaient-ils à bien informer la postérité des anxiétés
qu'ils avaient ressentie», à lui dire la peine qu'ils s'étaient donnée, à lui ènu-
mérer les quantités d'oxyde de cuivre ou de turquoises qu'ils avaient empor-
tées en figypte. Le capitaine Haroéris nous apprend donc que, débarqué au
Sarbout pendant le mois de Phaménoth d'une année inconnue d'Amenem-
hàit III, il débuta mal dans ses recherches : les ouvriers, las de ne rien gagner,
l'auraient abandonné promptement, s'il n'avait toujours fait contre fortune bon
visage et s'il ne leur avait promis hautement l'appui de l'Hàthor locale La
chance tourna en effet, à l'instant où il commençait à désespérer : « Le désert
brûlait comme l'été, la montagne était en feu, et la veine épuisée; un matin,
I. Sur le Sarbout-el-Khâdtm et sur son histoire, voir le résume île Bimin. Egyptien Hemain», dans
I Aetimnl of Iht Survnj of Ihe Prninëula of Sinoi, oh. VII, p. 1S0-ISÎ.
3. Inscription sans date et inscription de l'an XXIV d' Amènera hall II, près du réservoir du Sarbont-
el-Khfldtm (Bwcii. Egyptian ittmaiiit, dan» IM.rouiri of Ihe Snrrcu, eh. VII, p. 183).
LE SARBOUT KL-KI1 A IlI.M ET SA CHAPELLE. il?,
le contremaître qui était là interrogea les artisans à ce sujet, les habiles qui
fréquentaient cette mine, et ils dirent : * 11 y a de la turquoise en la montagne
* pour l'éternité! » Le filon se présenta juste en ce moment. « Et de fait la
richesse des gîtes qu'il rencontra le dédommagea complètement de ses pre-
miers mécomptes : en Pachons, trois mois après l'ouverture des travaux, il
avait achevé sa besogne et se préparait à quitter le pays avec son butin*. Pha-
raon dépêchait de temps en temps à ses féaux mineurs des convois de bestiaux
et de provisions, du blé. seize bœufs, trente oies, des légumes frais, de la
volaille vivante'. La population ouvrière s'accrut si vite qu'on dut lui con-
struire deux chapelles, dédiées à HAthor et desservies par des prêtres de
bonne volonté*. L'une d'elles, la plus ancienne probablement, consiste en une
seule chambre taillée dans la roche même et soutenue par un gros pilier carré,
le tout recouvert jadis de figures très fines et d'inscriptions à peu près effa-
cées aujourd'hui. La seconde comprend une cour rectangulaire de belles
dimensions, bordée jadis d'un portique supporté par des piliers à chapiteaux
en forme de tête d'Hàthor, puis un édifice étroit qui se divise en beaucoup
de petites chambres irrégulières. La bâtisse a été remaniée, détruite à demi,
I. Bipich, Eggplian Bernai'". dans VArrnunt of the Survcg, p. 186.
4. Destin de familier, d'âpre* In photographie de l'Ordnaitce. Surrry, Phvtngrnpht, t. III, pi. X.
3. Fragments d'inscriptions chez IIihch, Kijypliun Ittmaïiii, dans V Account of the Survey, |i. t»fi.
*. WIUOK, Note on tlie Huitit al Sarabit el-Khadim, dans V Account of the Sun-ey, ch. VII ; les vues
des ruines sont reproduites sur les photographies de YOrdnance Survey, t. III, pi. VI-XVI11.
476 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
et n'est plus qu'un monceau de ruines confuses, sous lesquelles on ne démêle
pas l'économie du plan primitif. Des stèles votives de toute taille et de toute
matière, hautes ou basses, longues ou minces, en granit, en grès, en calcaire,
se dressaient au hasard dans les deux chambres et dans les cours, entre les
colonnes, au ras des murs : plusieurs sont encore en place, d'autres gisent
éparses au milieu des décombres. Vers la moitié du règne d'Àmenemhàit 111,
la demande des turquoises ou des minerais de cuivre nécessaires à l'industrie
devint si forte, que le Sarbout-el-Khâdîm n'y suffit plus et qu'on dut revenir
à l'Ouady Magharah1. La double exploitation ne se ralentit pas sous Àmen-
emhàit IV* : au moment où la XIIe dynastie céda le trône à la XI11*, elle
continuait activement. La tranquillité n'était pas moindre dans ces recoins
perdus de la montagne que dans la vallée d'Egypte, et une faible garnison y
surveillait les Bédouins du voisinage. Ceux-ci s'enhardissaient parfois à piller
les travailleurs, puis se sauvaient précipitamment, emportant leurs maigres
rapines : la poursuite, menée à fond par l'un des officiers présents sur les
lieux, les atteignait d'ordinaire avant qu'ils se fussent mis en sûreté dans
leurs douars, et les obligeait à rendre gorge. Les vieux rois memphites s'enor-
gueillissaient de ces courses armées comme de véritables victoires, et en
perpétuaient le souvenir par des bas-reliefs triomphaux : on les traitait
maintenant en incidents de frontières sans importance, que Pharaon daignait
à peine soupçonner, et dont il abandonnait la gloire telle quelle à ceux de
ses capitaines qui commandaient pour lui dans ces parages3.
Les pays situés vers le Nord, au delà de la Méditerranée, n'avaient pas cessé
d'entretenir avec l'Egypte des relations commerciales assez étendues*. Le
renom de richesse dont le Delta jouissait entraînait parfois des bandes de
Haiou-nibou à venir rôder le long des côtes, pour y exercer leur métier de
pirates : ces courses tournaient d'ordinaire assez mal, et ceux qui les entre-
1. Inscriptions de l'an 11 et des ans XXX, XLI, XLII, XL1II, XL1V d'Amenemhàit III dans Burtom,
Excerpla hieroglyphica, pi. XII; Champollion, Monuments de l'Egypte et de la Nubie, t. II, p. 689-691 ;
Lepsiis, Denkm., II, 137 c, f-i\ Birch, Egyptian Remains, dans \ Account of the Survey, ch. VII, p. 175-
177, et Photographe, t. III, pi. 3.
2. Inscriptions des ans V et VU d'Amenemhàit IV, dans Lepsiis, Denkm., 11, 137 d-e, 140 n\ Accourt l
of the Survey, p. 177, et Photographe, t. III, pi. 4.
3. Sônkhkari de la XI" dynastie se vantait d'avoir rompu le jarret des Haiouriitbou (Lepsiis, Denkm. ,
II, 150 a, I. 8; cf. Golémscheff, Résultais épigraphiques, pi. XVI, 1. 8).. Ce n'est pas, comme Chabas
l'a pensé [Eludes sur t Antiquité Historique, 2" éd., p. 174-175), d'une expédition maritime qu'il s'agit
ici, mais d'une incursion des pirates asiatiques repoussée par le Pharaon. Les Iles de la Très-Verte,
c'est-à-dire de la Méditerranée, sont mentionnées incidemment dans les Mémoires de Sinouhft (Papyrua
de Berlin nQ /, l. 210-211). Le séjour des prisonniers égéens dans la principauté d'Uéracléopolis a été
constaté par M. Pétrie (Kahun, Gurob and Jlowara, p. 44, et lllahun, Kahun and Gurob, p. 9-11).
4. C'est au cours d'une expédition contre les Timihou qu'Ousirtasen Ier apprit la mort de son père
Amenemhàft I"r (Maspero, les Contes populaires de V Ancienne Egypte, 2e édit., p. 96-97).
LA NUBIE ASSIMILÉE AU RESTE DE L'EGYPTE. 4TÎ
prenaient, s'ils échappaient à une exécution sommaire, allaient finir leurs jours
comme esclaves, au Fayoum ou dans quelque village du Said. Leurs descen-
dants y conservaient un certain temps encore les costumes, la religion, les
mœurs, les industries de
la patrie absente; ils con-
tinuaient à fabriquer pour
leur usage journalier des
poteries grossières, dont le
décor rappelait celui des
vases qu'on recueille dans
les tombes les plus ancien-
nes de l'archipel Egéen,
puis ils s'absorbaient peu
à peu dans le milieu
ambiant, et leurs petits-
enfants devenaient des fel-
lahs comme les autres,
nourris dès la mamelle aux
coutumes et au langage
de l'Egypte. Les rapports
avec les tribus du désert
Libyque, les Tihounou, les
Timihou, demeuraient pa-
cifiques presque toujours :
parfois seulement une raz-
zia, poussée par une de
leurs bandes sur territoire
égyptien, suscitait une con-
tre-razzia dans l'une des
vallées où ils abritaient leurs troupeaux et leurs tentes. Un contingent de
femmes et d'enfants berbères venaient rejoindre les Haiou-nibou prisonniers et
apportaient à la population de l'Egypte un nouvel élément hétérogène bientôt
noyé dans la masse. Des courses rapides, des fuîtes d'exilés, des répressions
de piraterie, des échanges commerciaux entrecoupés d'épisodes romanesques,
voilà en traits généraux l'histoire commune de l'Egypte et des contrées qui
l'avoîsinent au nord, pendant les deux siècles que la XII' dynastie dura : les
478 LE PREMIER EMPIRE THÈBAIN.
Pharaons s'y immobilisèrent sur la défensive. L'Ethiopie attirait toute leur
attention et réclamait toutes leurs forces. Le même instinct qui avait excité
leurs prédécesseurs à dépasser successivement le Gebel-Silsiléh, puis Eléphan-
tine, les entraîna au delà de la seconde cataracte et plus loin encore. La nature
de la vallée le voulait ainsi. Elle forme, du Tacazzé ou plutôt du confluent des
deux Nils à la mer, comme une grande Egypte, découpée par les cataractes
en compartiments superposés, mais soumise partout aux mêmes conditions
d'existence : les morceaux en ont été séparés violemment plus d'une fois au
cours des siècles, par les hasards de l'histoire, mais ils ont tendu sans cesse à
se rapprocher et se sont ressoudés dès qu'ils en ont trouvé l'occasion. L'Àmami,
Tlritît, les Sitiou, toutes les nations qui erraient à l'ouest du fleuve, ralliées
ou soumises par les Pharaons de la VIe, puis par ceux de la XIe dynastie,
ne paraissent pas avoir inquiété beaucoup les successeurs d'Àmenemhâit Ier.
Les Ouaouiou et les Mâzaiou étaient restés plus turbulents : il fallait les
réduire, si l'on voulait assurer la tranquillité des colons dispersés sur les
rives du fleuve, de Philae à Korosko. Amenemhâit Ier les battit à plusieurs
reprises1; Ousirtasen Ier dirigea contre eux des campagnes répétées, dont les
premières datent du temps où son père vivait encore*, puis il reprit la marche
en avant, et, du premier coup, « éleva ses frontières » jusqu'aux rapides
d'Ouady Halfah3. Le pays ne fut plus désormais disputé à ses successeurs. On
le distribua en nomes comme l'Egypte même, la langue de l'Egypte acheva de
se substituer aux idiomes indigènes, les dieux locaux et Didoun. le principal
d'entre eux, s'associèrent ou s'assimilèrent aux divinités de l'Egypte. Khnou-
mou obtint la préférence dans les nomes septentrionaux, sans doute parce que
les premiers colons étaient originaires d'Éléphantine et sujets de ses princes*;
dans les nomes méridionaux, qui avaient été annexés sous des rois de Thèbes
et peuplés d'immigrants thébains, il partagea la vénération des fidèles avec
le dieu de Thèbes, Amon, Amon-Râ8. Les autres divinités se taillèrent des
domaines moins vastes dans le territoire nouveau, selon des affinités de terroir
1. Papyrus Sait ier n° /, pi. Il, I. 10.
2. Stèle de l'an XXX d'Ame ne m liait Ier = l'an IX d'Ousirtascn 1er (Brigsch, die Negcrstâmme der
Una-Inschrift, dans la Zeilschrift, 1882, p. 30-31).
3. On a trouvé la stèle triomphale, aujourd'hui conservée à Florence, à Ouady Halfah, sur le site de
l'antique Bohani (Champollion, Lettrts écrites d'Egypte, 2" édit., p. 124).
t. khnoumou prenait on Nubie le titre de Gouverneur des liabilanls de. la Bassc-Subie, directeur de
la porte des régions montagneuses (BmGscn, Dictionnaire Géographique, p. 1288). A la XVIIIe dynastie
on l'y rencontre comme khnouinou-Hà dans les temples de Sebouah (Lkpsiis, Denkm., III, 170), de
Koumméh (id., ibid., 66) et de plusieurs autres localités.
ï>. Lcpsius a montré le premier comment le culte d'Amon marque le progrès de la colonisation thé-
bainc (Ucbcr die widderkôpfigen Gotier A tu mon und Chnumis, dans la Zeilschrift, 1877, p. 14 sqq.).
LES TRAVAUX DES PHARAONS EN NUBIE. 479
dont on ne peut plus se rendre compte aujourd'hui, Thot à Pselcis et à
Pnoubsît, où Ton adorait un nabéca gigantesque1, Râ vers Derr', Horus à
Miama et à Baouka8. Les Pharaons qui avaient civilisé le pays y reçurent en
leur vivant les honneurs de l'apothéose. Ousirtasen 111 se mit en triade avec
Didoun, avec A m on, avec Khnoumou, et eut ses temples à Semnéh4, à Sha-
taoui8, à Doshkéh6 : sous Thoutmosis III, plus de mille ans après lui, on
célébrait encore, le 21 Pachons, l'anniversaire d'une victoire décisive qu'il
avait remportée sur les barbares7. Le régime féodal se propagea partout, et
l'on vit des barons héréditaires tenir leur cour entre les deux cataractes,
exercer leurs armées, se construire des châteaux, se creuser dans la mon-
tagne des tombes décorées superbement. L'Egypte nubienne ne différa de la
réelle que par un excès de chaleur et par une diminution de richesse : lé sol,
moins large, moins fertile, moins bien inondé, y nourrissait une population
moins nombreuse et rendait à ses maîtres des revenus moins abondants.
Pharaon s'était réservé la garde des principaux points stratégiques. Des
châteaux-forts, embusqués aux tournants du fleuve et au débouché des gorges
qui menaient dans le désert, garantissaient la liberté de la navigation ou écar-
taient les nomades pillards. Celui deDerr, réédifié souvent, remonte, en partie
du moins, jusqu'aux premiers temps de la conquête : son enceinte rectangu-
laire en grosses briques sèches n'est percée que de brèches faciles à boucher,
et pourrait résister encore à une attaque d'Ababdéhs, si l'on y faisait quelques
réparations8. Les travaux les plus considérables furent exécutés aux trois
1. Pselcis est la Dakkéh actuelle. Pnoubsît (Pnoubs, Nupsi, Noupsia) des géographes grecs est
aujourd'hui probablement l'ensemble de décombres qu'on découvre sur la rive orientale du fleuve,
près du village de Hamké, un peu avant l'entrée de la seconde cataracte.
2. Derr s'appelait Pi-rà, la Maison de l\â, de son nom sacré (Brucsch, Geographische ïnschriflen,
t. I, p. 159).
3. Miama, la Marna des géographes classiques (Pline, VI, XII, 35, 2, d'après Jiba, fragm. 42, dans
Didot-MCllkr, Fragmenta Hisloricum Grsecorum, t. III, p. 477-478), sur la rive orientale du fleuve,
parait être le village moderne de Toshké, où Burckhardt signalait des tombes au commencement de
notre siècle (Travels in Nubia, p. 33); la ville égyptienne de Baouka, qui, malgré la ressemblance de
nom, n'a rien de commun avec l'Aboccis de Ptoléméc, semble avoir été située sur l'emplacement du
village actuel de Kouban (Brit.sch, Die Bib'ischen sieben Jahre der Hungersnoth, p. 41-43).
4. Le temple n'a pas été bâti par Thoutmosis 111, comme on l'affirme ordinairement (Lkpsils, Uebcr
die widderkopfigen Golter, dans la Zeilsvhrift, 1877, p. 21 ; Wiedemann, jEgyptische Geschichte, p. 253) :
Thoutmosis 111 ne fit que restaurer l'édifice construit par Ousirtasen III, ainsi que l'a dit E. de Rougé,
Mémoire sur quelques phénomènes célestes, p. 22 sqq. (cf. Bévue Archéologique , 1™ série, t. IX). Une
des inscriptions constate en effet que Thoutmosis 111 a rétabli les rites solennels et les sacrifices
institués par Ousirlasen dans le temple de son père Didoun (Cailliaud, Voyage à Méroé, Atlas, t. II,
pi. XXIX, 3; Lepsu;s, Denkm., III, 55, 1. 3-4).
5. Champollion, Monuments de l'Egypte et de la Nubie, pi. I, 3, et t. I, p. 609; Lepsius, Denkm., III.
114 A, sous le Pharaon AY, l'un des derniers souverains de la XVIII0 dynastie.
6. Lepsu's Denkm., 111, 59, sous Thoutmosis III.
7. Lrpsius, Denkm., III, 55, 1. 12; cf. E. de Roit.k, Mémoires sur quelques phénomènes célestes, p. 25-27.
8. Les briques les plus anciennes des fortifications de Derr, assez facilement reconnaissables au
milieu de celles qui proviennent des restaurations plus récentes, sont identiques pour la forme et les
dimensions à celles du mur de Syène ou d'El-Kab : or ce dernier est au plus tard de la XIIe dynastie.
480 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
endroits d'où Ton peut même aujourd'hui dominer la Nubie avec le plus d'ef-
ficacité, aux deux cataractes et dans le canton qui s'étend de Derr à Dakkèh.
Éléphantine avait déjà son camp retranché qui couvrait les rapides et le che-
min de terre entre Syène et Philae. Ousirtasen 111 restaura la grande muraille;
il cura et agrandit les passes de Sehel comme Papi Ier, si bien qu'on put les
franchir aisément et conserver en tout temps des communications rapides entre
Thèbes et les villes nouvelles. Il fonda, à peu de distance de Philae, une station
de bateaux et un entrepôt qu'il appela Hirou Khâkerî — les Voies de Khâkerî^
— d'après son prénom1. Le site exact en est inconnu, mais elle parait avoir
complété, du côté méridional, le système de murs et de redoutes qui proté-
geait les cantons de la cataracte contre une surprise ou contre une attaque
régulière des peuples barbares. Les fortifications de la Nubie moyenne, sans
utilité appréciable pour la sécurité générale, avaient cependant une importance
extrême aux yeux des Pharaons. Elles commandaient les routes du désert,
celles qui vont à la mer Rouge, ou au cours supérieur du Nil vers Berber et
le Gebel Barkal. Les plus importantes s'élevaient sur l'emplacement du village
actuel de Koubân, en face de Dakkéh*. L'Ouady Olaki, dont elles surveillent
l'accès, conduit droit aux gisements aurifères les plus riches que l'Egypte ait
connus. Chacune des vallées qui sillonnent le massif montagneux de l'Etbaye
possédait les siens, l'Ouady Shaouanîb, l'Ouady Oumm-Teyour, le Djebel
Iswoud, le Djebel Oumm-Kabrite. L'or s'y trouve en pépites, dans des poches
perdues au milieu du quartz blanc : il y est mêlé à des oxydes de fer et
de titane dont les anciens n'ont point tiré parti. L'exploitation, commencée
de temps immémorial par les Ouaouaiou qui habitaient la région, était des
plus simples : on en rencontre partout la trace au flanc des ravins. Les gale-
ries s'enfoncent à cinquante ou soixante mètres de profondeur en suivant
la direction naturelle des filons. Le quartz détaché, on en jetait les débris
dans des mortiers de granit, on les pilait, on pulvérisait ensuite les débris
sur des meules analogues à celles qu'on employait pour broyer le grain, on
triait les résidus sur des tables en pierre, puis on lavait le reste dans des
1. L'agrandissement des passes est de l'an VIII (Wn.Bom, Canalizing fhr Cataract, dans le Recueil de
Travaux, t. XIII, p. 402-204), l'année même où le Pharaon établit la limite de l'Egypte à Semnéh; les
autres travaux sont indiqués assez confusément dans une stèle de l'an VIII, qui provient d'Éléphantine
et qui se trouve au Uritish Muséum (Birch, Tablets of the XII* Dynatty, dans la Zeitschrift, 1875,
p. 50-51). C'est probablement à ce curage des passes en l'an VIII que se réfère le proscynème gravé à
Sehcl (Lkpsm's, Denkm., II, 136 A) en l'honneur d'Anotikît, et daus lequel le roi se vante d'avoir fait
pour cette déesse « le chenal excellent [nommé] les Voie» de Khâkeouri ».
2. Sur les ruines de cette forteresse importante, voir la notice de Prisse d'Avennes, qui a été
publiée par Chabas, les Inscriptions des Mines d'or, p. 13-14.
LES MINES D'OR DE NUBIE ET LA FORTERESSE DE KOllBAîï. 481
sébiles en bois de sycomore, jusqu'à ce que les paillettes se fussent déposées'.
C'était l'or de Nubie, que les nomades introduisaient en Egypte, et que tes
Égyptiens allèrent chercher eux-mêmes au pays de production à partir de
la XIIe dynastie. Ils ne se préoccupèrent pas d'y installer des colonies
permanentes, comme au Sinaï; mais, presque chaque année, un détachement
de troupes se rendait sur les lieux et ramassait les quantités de métal récol-
tées depuis le voyage précédent. Un jour, c'était le prince de la Gazelle
que le roi Ousirtasen I"' expédiait de la sorte, avec quatre cents hommes
de son contingent féodal* : un autre jour, c'était le fidèle Sihâthor qui par-
courait la contrée en triomphateur, obligeant jeunes et vieux à redoubler
d'activité pour son maître Amenemhàit II*. On se vantait au retour d'avoir
rapporté plus d'or que personne auparavant, et de n'avoir perdu ni un soldat,
ni une bête de somme, pas même un âne, en traversant le désert : un fils du
Pharaon régnant, voire l'héritier présomptif de la couronne, daignait quelque-
fois accompagner la caravane. Amenemhàit III répara ou construisit à nouveau
le château de Koubàn, d'où la petite armée partait et où elle revenait avec
t. Les mines d'or et la manière de les exploiter ont été décrites sous les Plolémées par Agatbar-
chide (MCLLïH-Dioot, Geographi Grmei Minaret, t. I. p. 1Ï3-IÎ0; cf. DiodObe de Siciie, III, IÎ-14); les
procédés étaient fort anciens el n'avaient guère changé depuis le temps des premiers Pharaons
comme le prouve la cornpa raison du matériel trouvé dans ces parages avec le matériel recueilli au
Sinai dans les mine» de turquoise du l'Ancien Lmpiro. Sur l'état ariucl de la contrée, cl\ une noie de
Pansu: n'Ainni, dam Caisis, tet Iiitcn pliant dei Minet d'or. p. 3T-i!>. Les Incaliti". où l'un iiti cuti Ire
des galeries d'exploitation ont été marquées par l.inanl de Bellefonds sur sa Carte de l'Etliaije, 1BS4.
t. Dettin de Bnudier, d'aprèx une photographie d'Iutinger. prise en iMIt.
3. Inscription biographique du prince de la Gazelle Àmoni-Ainenemhatl, à Deni-Ilassan. I. 3-8.
4. La stèle lie Sihàlhor est conservée au Brilish Muséum ; elle a été publiée par Ilm™. Tahtelt of
the AÏJ" iiynattg, dans la Zeittrlirifl, 1871. p. Itl-lll; cf.' BmtH, F.guptùtn Ttj-tt, p. *!-«.
IM LE PREMIER EMPIRE TIIÊBAIX.
sa charge. C'est une enceïnle carrée, de cent mètres de côté; les remparts
de briques sèches s'inclinent en talus et sont renforcés d'espace en espace par
des sortes de bastions saillants sur le front de la place. Le fleuve couvrait un
des côtés : les trois autres étaient défendus par des fossés qui communi-
quaient avec le Nil. Une porte s'ouvrait au milieu de chaque face : celle de
qui regardait le dé-
l'Est,
sert et qui se trouvait en
but aux attaques les plus
sérieuses, était flanquée
d'une tour1.
La cataracte d'Ouady-Hal-
fah opposait une barrière
naturelle aux invasions ve
nues du Sud . Même à défaut
de fortifications, la chaîne
de granit qui coupe la vallée
en cet endroit aurait interdit
suffisamment l'accès de la
Nubie septentrionale à une
flotte qui aurait essayé de
brusquer le passage. Le Nil
n'a pas ici l'aspect de gran-
deur sauvage qu'il prend
M «CM» CAT«»C™ B-TM IAKMI HT 0TAM-H.1.F.». }»,US ,JaS- G"iK AsSOUan et
Phîla?. Les montagnes bas-
ses et fuyantes l'encadrent mal. Les amas de roches noires dont il s'encombre,
nues ou voilées à peine de verdure maigre, se multiplient et s'enchevêtrent
en quelques places, au point qu'ils semblent l'avoir absorbé tout entier. Ses
eaux s'y divisent à l'infini sur trois kilomètres de largeur, pendant les vingt-
cinq kilomètres qu'elles parcourent, et plusieurs des lits qu'elles se creusent
invitent presque à la navigation, tant ils sont calmes et surs en apparence,
mais ils se heurtent soudain à des seuils de récifs cachés, ou ils se resserrent
brusquement en manières de couloirs obstrués par des monceaux de granit :
la barque la plus solide et la mieux pilotée s'y brise, sans que nul effort ou
nulle habileté de l'équipage puisse la sauver, si le patron se risque à y tenler
I. Prukk n'Aieuit*. <■■■■« Cniw, le liueripthti* dn Mina dor, p. 13.
484 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
la descente. Le seul chenal qui se prête quelque peu au transit part du
village d'Aèsha sur la rive orientale, serpente capricieusement d'une berge à
l'autre, et débouche en eau calme un peu au sud de Nakhiét Ouady-Halfah.
On se confie à lui pendant quelques jours en août et en septembre, mais avec
des bateaux peu chargés ; encore est-ce à la grâce de Dieu, et au danger de
sombrer d'heure en heure1. Dès que le flot décroît, la traversée devient plus
difficile : on l'interrompt dès le milieu d'octobre, et les communications
fluviales demeurent suspendues entre les pays d'en haut et l'Egypte, jusqu'au
retour de l'inondation. Des épaves engagées entre les écueils ou enlizées
dans les bancs de sable émergent à mesure que le niveau baisse, comme pour
avertir les matelots et les décourager d'entreprendre une aventure aussi
périlleuse. Ousirtasen Yv devina l'importance de la position et en arma les
abords. Il jeta les yeux sur la petite ville nubienne de Bohani, qui s'élevait en
face du bourg actuel de Ouady-Halfah*, et il en fit une place frontière de pre-
mier ordre. II y édifia, outre la citadelle traditionnelle, un temple consacré
au dieu Amon thébain et à l'Horus qu'on adorait dans la localité, puis il y
dédia une grande stèle qui célébrait ses victoires sur les peuples d'au delà.
Dix de leurs chefs principaux avaient défilé devant Amon, prisonniers, les
bras liés derrière le dos, et avaient été sacrifiés au pied des autels par le
souverain lui-même8 : il les représenta sous la figure de cartouches crénelés,
qui enfermaient leur nom, et d'où sortait un buste d'homme relié par une
longue corde à la main du vainqueur. Près d'un siècle plus tard, Ousirtasen III
agrandit la forteresse, puis, trouvant sans doute qu'elle ne suffisait plus a
garantir la sécurité du passage, il échelonna des postes de garde en différents
points, à Matouga4, à Fakous, à Kassa. C'étaient autant d'étapes où les na-
vires qui suivaient le fil du courant et le remontaient avec leurs marchandises
1. Voir dans E. dk Gottberg, les Cataractes du Ml, p. 28-35, la description des précautions prises
encore aujourd'hui par les matelots nubiens au passage des cataractes; pour ce qui concerne plus
spécialement la cataracte d'Ouady-llalfah, cf. Ch^.li-, le Ml, le Soudan, l'Egypte, p. 62-04.
2. Brugsch place Bohani sur la ri\e droite, dans le voisinage d'Ouad\-llalfah (Die Hiblischen Sichen
Jahre der Hungersnoth, p. 43-14); mais la stèle de Ramsès ltr, découverte par Champollion sur la
ive gauche, dans l'un des temples qui subsistent, rappelait les dons faits par ce prince au dieu Min-
Amon qui réside dans Bohani, en sa demeure divine (1. 0-7). Bohani s'élevait donc à l'endroit même
roù l'on voit aujourd'hui les ruines de trois temples ou chapelles (Ciiampollio.n, Monuments de l'Egypte,
t. I, p. 34). La Boôn de Ptolémée était également sur la rive gauche : si elle est identique à Bohani, le
géographe alexandrin ou ses auteurs l'ont placée plus haut sur le fleuve qu'elle n'était réellement.
3. La stèle est aujourd'hui à Florence (Schiaparklli, Museo Archeologico,t. I, p. 243-244); elle a été
publiée plusieurs fois par Champollion (Monuments de lEgy/tle et de fa Nubie, pi. I, 1 et t. I, p. 34-36,
t. Il, p. 692), puis par Ilosellini (Monument i Storici, pi. XXV, i), et enfin par Berend (Principaux
Monuments du Musée Egyptien de Florence, p. oi-;»2).
4. Lettre du lieutenant H. G. Lyons dans YAvademy, n° 1057, 0 août 18îl2, p. 117 : • I hâve dis-
covered old Kgyplian fortresses at llall'a and at Matuga, twelve miles south, the latter containing a car-
touche of L^ertasen III. » On n'a aucun renseignement détaillé sur ces deux citadelles.
LES DEUX FORTERESSES DE SEMKÊH. 485
vouaient alterrir vers le coucher du soleil : des bandes de Bédouins, embus-
quées dans le voisinage, auraient eu beau jeu les surprendre et arrêter par
leurs déprédations le commerce du Saîd avec le Haut-Nil, pendant les quel-
ques semaines qu'on y pouvait vaquer sans trop de péril. Une gorge étroite et
un banc de granit que le fleuve franchit ~ c "'*
en amont de la seconde cataracte, lui f
un site des plus heureux pour compléter
tème de défense. Il construisit de ctiaqu
sur des falaises qui plongent à pic da
courant, un château qui battait complétei
et la voie de terre et la voie d'eau. A Kou
méh, sur la rive droite, où l'assiette éla
naturellement très forte, ses ingénieurs
décrivirent un carré irrégulier de soixante
mètres environ de côté; deux contreforts
allongés commandent, l'un, au nord, les
sentiers qui montent à la porte, l'autre,
au sud, le cours de la rivière. Un che-
min avec fossé s'élève à quatre mètres
en avant et épouse fidèlement le con-
tour du mur principal, sauf aux angles
nord-ouest et sud-est, où il se hérisse
de deux saillies qui forment bastion. La
ville de l'autre bord, Samninou-Kharp-
Khàkeri, occupait une position moins favorable* : le flanc oriental en était
protégé par une ceinture de rochers et par le fleuve, mais les trois autres faces
étaient d'abord facile. On les garnit de remparts qui se haussaient à vingt-
cinq mètres au-dessus de la plaine, et on les appuya de longs épis, disposés
à intervalles inégaux. C'étaient comme des tours sans parapets qui surplom-
baient les alentours du chemin de ronde, et d'où la garnison prenait en
I . Detsïn de Fauchrr-Gadin, d'aprri une plvluqraphit de V original, amtcrvé il Ftorenrt.
i. Le nom égyptien de Scmnéli, Saïuamou-Kliarp-Kkâlieri , nous est fourni |iar une inscription de
l'an III de Soïhhotpou l"(E. or. Hui (.f, Inscription des rocker* de Semiiéh, dans la Il/vue Archéolo-
gique, \" série, t. V, p. 313; Lkpsii s, Denkm., Il, 1 ï> 1 c), où personne \K parail l'être allé clicn lu i
jusqu'à présent. On le rencontre sous la forme aliréf.ve Samiml, Sninift. dans un teste de 1'qminic
ptuléRiiiïuuc (DdïicHi.s, Geographitche Iiischriftcn.t. Il, pi. LXXI, c); une inscription en tirer, hut'hure
l'écrit Stimiuina et nous fait connaître le nom de Koi îth nwc l'orlluitiraphc Koumiami, dont la
forme égyptienne. n'cU pan ccitaiiit' 1 . i. F' > [ r !. . irl/rr riiirii tillrn .YiVninniri' tri Semnc in Xubti-ii, dans les
Notiattberichte de l'Académie des Sciences du llcrlin, 18441.
486
LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
écharpe les sapeurs lancés contre le corps de la place. On en avait calculé
Técarteraent de manière que les archers pussent balayer de leurs flèches tout
le terrain intermédiaire. Le gros œuvre est en briques crues, entremêlées de
poutres couchées horizontalement; le parement se compose d'un soubasse-
ment à peu près vertical, et d'une partie haute inclinée d'environ 160 degrés
LES RAPIDES DU ML A SEMNKH ET LES DEUX FORTERESSES CONSTRUITES PAR OUSIRTASEN III".
sur la première, ce qui rendait l'escalade sinon impraticable, du moins fort
malaisée. Chacune des deux enceintes renfermait une ville complète, des
temples voués aux fondateurs et aux dieux nubiens, ainsi que de nombreuses
habitations aujourd'hui ruinées8. L'élargissement soudain du fleuve, immédia-
tement au sud de la passe, ménage comme une rade naturelle où les escadres
égyptiennes se concentraient sans crainte, à la veille d'une campagne contre
l'Ethiopie; les galiotes des Nègres y attendaient l'autorisation de cingler
au delà des rapides et de pénétrer en Egypte avec leurs cargaisons. Port
1. Carte dressée par Thuillier. d'après le relevé déjà ancien de Cailliaud, Voyage à Mcroé el au
Fleuve lilanc. Allas, t. II. pi. XXIII.
2. Le site des deux villes anciennes a été décrit très en détail par Cailliaud, Voyage à Mcroé, t. I.
p. 349, t. III, p. 2of»-258, et Atlas, t. II, pi. XXIII-XXX, et, trente ans plus tard, par M. de Vogi'?, Forti-
fications de Seninéh en iïubic, dans le Bulletin Archéologique de VAthénarum Français, l8.->3, p. 81-84 ;
cf. Lepsiis, Denkm., I, 111-112; Pkrrot-Chumkz, Histoire de VA ri dans V Antiquité, t. I. p. 403-502;
Maspero, V Archéologie Egyptienne, p. 28-31; Marcel Dieilakoy, l'Acropole de Susc, p. 1G7-170.
L'OBSERVATOIRE FLUVIAL HE SEMNÊH. 487
de guerre el douane fluviale, Semnéh était le boulevard nécessaire à l'Egypte
nouvelle, et Ousirtasen 111 le proclamait hautement, dans deux décrets qu'il
y afficha pour l'édification de la postérité. « C'est ici, dit le premier d'entre
eux, la limite méridionale réglée en l'an VIII, sous la Sainteté de Khàkerî
Ousirtasen, qui donne la vie à toujours et à jamais, afin que nul des peuples
Noirs ne la franchisse en amont, si ce n'est pour le transport des bestiaux,
bœufs, chèvres, moutons, qui leur appartiennent*. » L'édit de l'an XVI réitère
la prohibition de l'an V11I, el ajoute que « Sa Majesté fit ériger sa propre statue
aux bornes qu'elle-même elle avait imposées1 ». Le seuil de la première et
celui de la seconde cataracte étaient moins usés alors qu'ils ne sont aujour-
d'hui : ils retenaient plus efficacement les eaux de l'inondation et les forçaient
I. ItcproduHton par Fauehcr-Gudin du rmquii lithographie publié par CuLi.ru d. Voyage à IHéroé,
Allât, t. II, pi. XXX.
t. l.iMir», Daikm., Il, I3fl i; cl. Chaias, Éluda «i<r V Antiquité Hiitmique. »• éd., |>. 133: Bnicsnt.
Gtnhichte JCgyptent, p. 133.
8. LEtsiiiS. Denkm., Il, I3H. h. L'inscription. Rravée sur une slélc en granit rose, avait ('té brisée
il j a cinquante ans cimron. pour êlr« transportée plus facilement en Europe. Elle se trouve, partie
au Musée de Berlin (Emis, Veneichnist der .f.gyptiir.hen Attrrlhiimer, \i. Ï3, n" R.l), partie au Musée
de Boulaq-f.iiéh, où la moitié supérieure a été déposée en 1HH.I, p;ir les soin? du nioridir d'Esuéli:
la traduction complète en a été donnée par Ciiadas, Sur l'Antiquité Itittorigiic, i- éd., p. 1 Sa sqq., et
ensuite par BwssfH, tlctthichte Mgyptcns, p. 773-780.
488 LE PREMIER EMPIRE TIIËBAIX.
à s'élever plus haut1. Ils agissaient sur elles à la façon de véritables régu-
lateurs, et pourvu qu'on en étudiât les mouvements journaliers, on pouvait
annoncer aux riverains d'aval les progrès et la qualité probables de la
crue. Tant que la domination des Pharaons s'était arrêtée à Philœ, on avait
observé le jeu de la première cataracte ; c'était d'Ëléphantine qu'on signalait à
l'Egypte l'arrivée, le passage, le renforcement du flot. Amenemhâit 111 installa
un nilomètre nouveau sur la frontière nouvelle, et ordonna à ses officiers d'y
noter la marche du phénomène*. Ils lui obéirent scrupuleusement, et chaque
fois que l'inondation leur sembla dépasser la moyenne des Nils ordinaires,
ils en enregistrèrent la hauteur sur les rochers de Semnéh et de Koumméh,
gravant à côté du chiffre le nom du roi et la date de l'année. L'usage se
perpétua d'abord sous la XIIIe dynastie, puis, la frontière reculant encore,
le nilomètre se déplaça comme elle et l'accompagna vers le Sud3.
Le pays d'au delà Semnéh était une terre vierge, que les guerres antérieures
avaient effleurée à peine sans jamais l'entamer, et dont le nom paraît alors
pour la première fois sur les monuments, celui de Kaoushou, — Koush
l'humiliée1. 11 comprenait les cantons situés au Midi, dans le coude immense
que le fleuve décrit entre Dongolah et Khartoum, les vastes plaines où le Nil
Blanc et le Nil Bleu promènent leur lit, les régions du Kordofan et du Darfour :
il confinait aux monts d'Abyssinie, aux marais du lac Nou, à toutes les contrées
demi fabuleuses, où l'on reléguait les Iles des Mânes et les Terres des Esprits*.
1. 11 résulte des marques inscrites sur les rochers par les fonctionnaires égyptiens, que le Nil
s'élevait à six ou huit mètres plus haut qu'il ne monte aujourd'hui dans les mêmes parages de Sem-
néh, pendant les derniers règnes de la XIIe dynastie et pendant les premiers de la X1I1" (Lepsus,
lirief an Ehrenberg, dans les Monalëberichte de l'Académie des Sciences de Berlin, 1845).
2. La plus ancienne de ces marques porte la date de Tan III d'Amenemhàit III (Lf.psus, Devkm., II,
139 a). On en possède des ans V, VII, IX, XIV, XV, XXII, XXIII, XXIV, XXX, XXXII, XXXVII, XL, XLI.
XLIII de ce prince (Lkpsius, Denkm., II, 139 a-p)\ on ne connaît en revanche pour le règne de son suc-
cesseur Amenemhâit IV qu'une seule marque, qui est de l'an V (Lkpshs, Denkin., II, 152/).
3. Les seules de ces marques de niveaux qu'on rencontre sous la XIII" dynastie appartiennent au
règne de Sakhemkhoutoouirt Sovkhotpou, le premier de la lignée (E. de Roigk, Inscription» tirs
rochers de Semnéh, dans la Revue Archéologique, 1M série, t. V, p. 311-314; Lepsii*s, Dcnkm., II.
lfil a-d)\ l'usage en cessa donc probablement lorsque les officiers d'Amenemhàit III eurent disparu.
A. Khaisft, l'humiliée, la prosternée, est l'épithète oflicielle de l'Ethiopie dans les inscriptions. Les
différentes orthographes que les monuments égyptiens donnent de ce mot lui assurent la pronon-
ciation Kaoushou, qui devint plus tard Koushou, Koush. Lepsius, qui rattachait les Koush i tes du Nil
aux peuples de l'Élam, pensait (Nubische Grammalik, FÀnleitung, p. xc sqq.) qu'ils étaient arrivés
d'Asie par le détroit de Bab el-Mandeb, durant le long intervalle qui sépare Papi II d'Amenemhàit I*r,
et qu'ils avaient refoulé sur le Haut-Nil des tribus nègres qui occupaient la Nubie sous la VI* dynastie.
La comparaison des noms consignés dans l'inscription d'Ouni avec ceux qu'on rencontre sur les monu-
ments d'époque postérieure montre que la population du désert nubien ne changea point pendant ce
laps de temps (Bmr.sc h, Die Negerstâmme der Una-lnschrift, dans la Zeitschrift, 1882, p. 30 sqq.). Je
crois que l'absence du nom de Kaoushou-Koush dans les textes antérieurs à la XII* dynastie vient
de ce que l'Egypte, arrêtée alors entre Korosko et Ouady-Halfah, était séparée des tribus qui habi-
taient l'Ethiopie par un triple rempart de nations nubiennes. Le pays de Kaoushou commence
au delà de Semnéh : il ne put donc entrer en contact continuel avec les Égyptiens, qu'après que
les Pharaons eurent soumis les territoires et les peuplades intermédiaires entre Assouàn et Semnéh.
5. Voir ce qui a été déjà dit de ces régions fabuleuses, aux p. 19-20 de cette Histoire.
KuUSH L'HUMILIÉE ET SES PEUPLES.
Le Pouanit le séparait de la Mer Rouge, les Timihou s'interposaient, à l'Ouest,
entre lui et les limites du monde. Cent tribus aux noms étranges, blanches,
cuivrées, noires, se disputaient cet espace mal défini, les unes encore bar-
bares ou policées à peine, les autres parvenues à un certain degré de civili-
sation matérielle presque comparable à celui de l'Egypte. Elles présentaient
dès lors la même diversité
de types qu'on rencontre
de nos jours parmi les
masses confuses qui hantent
la haute vallée du Nil, et
aussi la même instabilité,
la même stérilité d'intelli-
gence. Elles menaient la
même vie bestiale, instinc-
tive, troublée, sans raison
que le caprice de leurs
petits chefs, par des guer-
res sanglantes souvent sui-
vies d'esclavage ou d'émi-
gration lointaine. Les em-
pires grandissent diffici-
lement et ne durent guère
dans ce milieu inconstant prismmehs nierai™* Aient* m tvrm'.
et tumultueux. De temps
à autre un roitelet plus hardi que le reste, plus rusé, plus tenace, plus habile
à entraîner les hommes et à manier les choses, étend sa domination sur ce qui
l'environne, et, gagnant de proche en proche, réunit de vastes régions sous
une même tyrannie. A mesure que son royaume s'élargit, il ne travaille
pas à l'organiser de façon régulière, à y introduire une administration uni-
forme, à s'en attacher les éléments disparates par des lois équitables et
profitables à tous : cessés les massacres de la première conquête, quand il a
versé dans son armée ce qui subsistait des bandes vaincues, qu'il a emmené
leurs enfants en servitude, empli ses caisses de leurs trésors et son harem de
leurs femmes, il n'imagine rien au delà. Il essaierait d'agir autrement que
pt- xi r.
.1 dr Ftmrher-Gittlm
/*90 LE PREMIER EMPIRE THËBMN.
cela ne lui servirait probablement de rien. Ses sujets anciens et nouveaux sont
trop divers de langue et d'origine, trop opposés de mœurs, trop ennemis et
depuis trop longtemps, pour s'approcher et pour se fondre aisément en un
corps de nation unique. Dès que la main qui les assemblait momentanément
se relâche, la discorde se glisse partout, parmi les hommes comme sur le terri-
toire, et l'empire né d'hier se résout en ses éléments plus vite encore qu'il
ne s'était formé. Le bruit d'armes qui avait signalé sa courte vie s'éteint
et meurt promptement, le souvenir de sa grandeur éphémère s'efface au
bout de quelques générations sous les horreurs d'une conquête nouvelle :
son nom s'évanouit sans laisser aucune trace. L'occupation de la Nubie mit
l'Egypte en contact avec ce ramassis de peuples incohérents, et le contact
engendra soudain la lutte. Cest en vain que les États policés prétendent
demeurer en paix avec les nations barbares auxquelles elles touchent. Sitôt
qu'ils ont décidé d'enrayer leur progrès et de s'imposer des bornes qu'ils
ne dépasseront plus, leur modération prend couleur de faiblesse ou d'impuis-
sance; les vaincus reviennent à l'assaut et ramènent la civilisation en arrière
ou l'obligent à marcher outre. Les Pharaons n'échappèrent pas à cette fatalité de
la conquête : leur frontière méridionale monta toujours plus haut le long du
Nil, sans jamais se fixer dans une assiette tellement forte qu'elle défiât l'attaque
des Barbares. Ou sirtasen Ier avait assujetti le pays de Hahou1, celui de khontha-
nounofir*, celui de Shaad5, et battu les Shemîk, les Khasa, les Sous, les Àqîn,
les Anou, les Sabiri, les gens d'Akiti et de Makisa4. Àmenemhàit 11 5, Ousirtasen II6,
i. Le pays do Hahou, qui produit de l'or (DCmiciikn, Geographische Ittschnftt'H, t. II, pi. LXIII, 3,
pi. LXXIII, 2, LXXVI, 5, etc.), appartient par conséquent à la partie du désort nubien qui s'étend vers
la Mer Bouge. Il est mis en rapport avec Sa mi né par les textes géographiques de l'époque ptolé-
maïque (DPmichkn, Geog. Ins., t. Il, pl. LXXI, 2), ce qui nous permet d'en préciser le site entre le
Nil et l'Ouady Galgabba, au voisinage des mines d'or de l'Ktbaye. L'inscription de l'an VIII et celle
de l'an XVI, d'Ousirtasen III, où le nom est écrit de façon différente, indiquent également la même
situation (Bkh.sch, Geographische Inschriften, t. I, p. 46—17, t. III, p. 61, 65).
2. Le territoire du khonthanounotir, silué entre koush et l'Egypte (Bai t.st.h, Geographische Imchriften,
t. I, p. 52-53, 1. II, p. 5-6), parait s'être étendu sur la rive droite du MI, depuis la chaîne de mon-
tagnes qui borde le fleuve jusqu'au pays d'Akiti. Cf. Bri x*;h, Die Altàgyplische Vofkerfafel, dans les
Verhandlungen des V"n Oricnlalisten Congresses, t. Il, Afrikauische Se kl ion, p. 57-50.
3. Shaad avait des carrières de calcaire blanc, où Amenôthcs II de la XVIIh dynastie puisa pour
bâtir le temple de khnournou à Semnéh (Lkpsk s, Dcn/cm., III, 67). Le pays devait donc être près de
celle ville (Bnn;scH, Geographische Inschriften, t. I, p. 45, note 2, et p. 160), sur la rive gauche du Nil.
4. Le site de ces tribus nous est inconnu : le nom d'Akiti, le seul que nous sachions à peu près
placer sur la carte, nous montre que la campagne à propos de laquelle Ousirtasen 1" avait élevé le
monument triomphal d'Ouady-Halfah (cf. p. 484-485 de cette Histoire), avait été dirigée à l'est du Nil.
vers le pays des mines d'or, c'est-à-dire vers l'Elbaye. La date de l'an XLII, qu'on lui a attribuée
(Wikdeshsn, .Egyptische G"schichte, p. 242), repose sur une combinaison des données de cette stèle
avec un passage de l'inscription d'Amoni-Ainenemhàit à Béni-Hassan.
5. Expédition de Sihàthor au pays de Hall, plus tard Ahit entre korosko et les mines d'or de»
l'Ktbaye (Bwcit, Tablets of the A7/'A bynasty, dans la Zeilsehrift, 1874, p. 1 12; Bmcsui, Die Hibliachen
sieben Jahre der llunyersnot/t, p. 106-107).
6. Stèle de Monthotpou à Assouàn (Lei»siis, Denkm., II, 123 d), où il est question d'abattre des enne-
mis qui ne peuvent ici être que des peuples Nubiens.
LES GUERRES CONTRE L'ETHIOPIE ET LEURS RÉSULTATS. 491
Ousirtasen III ne se firent pas faute de « frapper Koush l'humiliée », chaque
fois que l'occasion s'en présenta. Le dernier surtout lui porta des coups
redoublés en l'an VIII1, en l'an XII8, en l'an XVI3, en Tan XIX*, et ses victoires
le rendirent si populaire que les Égyptiens de l'époque grecque, prétendant
voir en lui le Sésostris d'Hérodote, lui attribuaient la possession de l'univers5.
La base d'une statue colossale en granit rose qu'il s'érigea dans le temple
de Tanis nous a conservé une liste des peuplades qu'il vainquit : les noms
en ont une forme bizarre, Alaka, Matakaraou, Tourasou, Pamaîka, Ouarakî,
Paramaka, et l'on ne sait guère où les placer sur la carte6. On voit seulement
qu'ils vivaient dans le désert, des deux côtés du Nil, à la hauteur de Berber ou
à peu près. Les expéditions continuèrent du même train après Ousirtasen, et
Amenemhàit III considérait déjà les rives du Nil, entre Semnéh et Dongolah,
comme étant une partie du territoire proprement égyptien. La grande Egypte
se faisait peu à peu, par la force des choses; elle cheminait d'un mouvement
continu vers le terme que la nature lui avait prédestiné, vers le point où le Nil
rappelle à lui ses derniers affluents et où sa vallée unique commence à se
diviser en plusieurs vallées.
La conquête était d'ailleurs facile, et les guerres rapportaient tant de profits
que les troupes et les généraux s'y engageaient sans la moindre répugnance.
Un seul fragment nous est resté qui contenait le récit détaillé de l'une
d'entre elles, probablement celle qu'Ousirtasen III dirigea en l'an XVI de son
règne7. Le Pharaon avait appris que les tribus du canton de Houâ, sur le
1. A la campagne de l'an VIII se rattachent plusieurs stèles d'fîléphantine (Birch, Tablets of the
Xllfk Dynasty, dans la Zeitschrift, 1875, p. 50-51), de la cataracte (Wilboir, Canalizing the Cataract
dans le Recueil de Travaux, t. XIII, p. 202-204), et de Semnéh (Lkpsius, Denkm., II, 136 i).
2. La campagne de l'an XII parait avoir été assez longuement décrite dans un proscynème assez
mutilé, qui est gravé sur la route d'Assouan à Philo? (Pétrie, .4 Season in Egypt, pi. XIII, n° 340).
3. Lepsius, Denkm., 11, 186 h.
4. Stèles du Musée de Genève (Maspero, Notes sur différents points de Grammaire et d'Histoire,
dans les Mélanges d' Archéologie, t. II, p. 217-219) et du Musée de Berlin (Lepshs, Denkm., II, 135 h)-
5. Les fragments de Manéthon, dans leur état actuel (Mankthon, éd. List.er, p. 118), appliquent le nom
de Sésostris à Ousirtasen II. M. de Rougé (Deuxième Lettre à M. Alfred Alaury sur le Sésostris de la
XIIe dynastie de Manéthon, dans la Revue Archéologique, ln série, t. IV, p. 485 sqq.) a montré que la
notice de Manéthon convenait bien plutôt à Ousirtasen III. Il ne faut pas se dissimuler d'ailleurs que
la légende de Sésostris appartient réellement à Ha m ses II, et non pas un prince de la XIIe dynastie.
6. Louvre A 18. Cette statue a été usurpée par Aménôthès III de la XVIIIe dynastie, à qui l'on
a attribué et l'on attribue encore la défaite des peuples inscrits sur la base (E. de Rougé, fiotice des
Monuments, 1849, p. 4-5; Birch, Historical Monument of Amenophis III in the. Louvre at Paris, dans
YArchxologia, t. XXI V, p. 489-491; Brit.sch, Geographischc Inschriflen, t. II, p. 8-9, et Geschichle,
JRgyptens, p. 401-402). Dévcria (Lettre à M. Auguste Mariette sur quelques monuments relatifs aux
Hyksos ou antérieurs à leur domination, dans la Revue Archéologique, i* série, t. IV, p. 252) recon-
nut l'usurpation sans se prononcer sur le nom originel du roi représenté. Wiedkmank, /Kgyptische
Geschichle, p. 294-295, incline à y voir Apopi II. La ressemblance que la tète colossale A 19 du Louvre,
qui appartient à la même statue que la base A 18, présente avec les portraits d'Ousirtasen III me
fait croire qu'il faut attribuer à ce Pharaon ce monument, qui provient de Bubaste.
7. Navillb, Bubastis, pi. XXXIV 4, et p. 9-10. Naville pense que l'inscription racontait la campagne de
l'an VIII ou celle de l'an XVI, mentionnées dans les décrets de Semnéh; cf. p. 486-487 de cette Histohe.
49-2 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
Tacazzé', harcelaient ses vassaux et, peut-être aussi, les Égyptiens que le
commerce attirait au voisinage de leurs repaires. 11 se décida à les aller châtier
vertement, et s'embarqua sur sa flotte. Ce fut une promenade presque sans
danger : on mettait pied à terre aux endroits favorables, on enlevait les bes-
tiaux et les habitants qu'on rencontrait, une fois 123 bœufs et 11 ânes, d'autres
fois moins. De petits partis couraient les deux rives et, poussant des pointes à
droite et à gauche, rabattaient le butin devant eux. La tactique des invasions
n'a guère changé dans ces contrées : le récit que fait Cailliaud de la première
conquête du Fazogl par Ismail-Pacha, en 1822, pourrait servir à compléter les
débris de l'inscription d'Ousirtasen 111 et nous restituer, à quelques détails
près, le tableau fidèle des campagnes menées dans ces régions par les souve-
rains de la XI I1' dynastie*. Ce sont les mêmes chasses à l'homme et les mêmes
ravages, exercés par une poignée de gens bien armés et suffisamment disci-
plinés sur des peuplades nues et sans cohésion, les jeunes gens massacrés
après une courte résistance ou forcés de fuir dans les bois, les femmes em-
menées esclaves, les huttes pillées, les villages brûlés, des tribus entières
anéanties en quelques heures. Parfois un détachement, lancé imprudemment
dans des fourrés épineux à l'assaut d'un bourg perché sur une cime rocheuse,
éprouvait le dessous et ne ralliait le gros de l'armée qu'à grand'peine, après
avoir perdu les trois quarts de son effectif3. Le plus souvent la résistance ne
se prolongeait pas, et les assaillants emportaient la place avec une perte de
deux ou trois hommes blessés ou tués. Le butin n'était jamais très consi-
dérable dans chaque localité, mais il faisait masse à mesure que la razzia
pénétrait plus avant : il devenait bientôt si lourd qu'on devait s'arrêter et
rétrograder, afin de l'enfermer dans la forteresse la plus proche. 11 consistait,
pour la meilleure part, en troupeaux de bœufs et en monceaux de substances
encombrantes, grains ou bois de construction. Mais il comprenait aussi des
objets qui valaient beaucoup sous un petit volume, de l'ivoire, des pierres
précieuses, de l'or surtout. Les indigènes récoltaient l'or dans les terrains
d'alluvion que le Tacazzé, le Nil Bleu et ses affluents arrosent. Leurs femmes
1. Le pays de Houà est mentionné encore sous Itamsès III (Lki»shs, Denkm., 111, 209), à côté du
Pouanit : c'était un pays montagneux auquel on arrivait par eau. Peut-être faut-il le placer sur les
bords du Ml même : le voisinage du Pouanlt indique pourtant les contrées riveraines de la Mer
Kouge, ou celles que l'Atbara arrose, plutôt que les régions du Fleuve Bleu.
2. Je renvoie surtout aux chapitres où Cailliaud raconte les razzias exécutées par Ismail-Pacha ou
par ses lieutenants au Fazogl {Voyage à Méroé, t. II, ch. XXXVII-XXXIX, p, 354-398) et au Qamâmyl
{Voyage à MéroS, ch. XXX1X-XLII, t." Il, p. 398 sqq., et t. III, p. l-.*i<>).
H. Voir dans Cailliaud {Voyage à Sléroé, t. II, p. 37H-378) l'attaque du camp d'ismail par les Nègres
du mont Tàby et la punique qui en résulta. On sait qu'Ismaîl-Pacha lui-même fut surpris et brûlé dans
sa maison, h Chendy, en 1822 (/</., t. III, p. 336-337), par le melck N'imr et par une bande de révoltés.
LES EXPÉDITIONS COMMERCIALES AU POUANlT. 493
s'occupaient à recueillir les pépites, qui sont souvent assez grosses : elles les
serraient dans de petits sachets en cuir, les échangeaient aux marchands
contre les produits de l'industrie égyptienne, ou les livraient aux orfèvres
pour en façonner des boucles d'oreille, des anneaux de nez, des bagues, des
bracelets d'une facture assez fine. L'or se trouve associé à plusieurs autres
métaux, dont on ne savait pas le séparer : le plus pur avait une teinte jaune
clair qu'on estimait par-dessus tout, mais l'or allié à l'argent, dans la propor-
tion de 80 pour 100, l'électrum, était encore recherché, et les ors grisâtres
mêlés de platine servaient à fabriquer des bijoux communs1. Ces expéditions
ne produisaient point de résultats durables, et les Pharaons n'implantaient
point de colons dans ces contrées. Leurs Égyptiens n'y auraient pu vivre
longtemps sans s'abâtardir par le métissage et par l'effet du climat; ils y
auraient dégénéré en espèces indécises, ayant tous les vices des races origi-
nelles, mais aucune de leurs qualités. Aussi menaient-ils la guerre sans ména-
gement, et ne songeaient-ils qu'à tirer le plus possible de leurs succès. Il leur
importait peu que rien ne subsistât plus où ils avaient passé, et qu'on pût
noter aux ruines l'itinéraire de leurs armées. Us ramassaient ce qu'ils rencon-
traient sur leur route, pour l'emporter en Egypte, hommes, choses ou bêtes;
ils dévastaient à plaisir tout ce qui ne leur convenait point, et créaient le
désert où, la veille encore, des cantons fertiles s'étendaient, couverts de
champs, parsemés de bourgs populeux. Les voisins, se sentant incapables de
résister aux troupes régulières, essayaient de se racheter en livrant avant le
combat ce qu'ils possédaient d'esclaves, de troupeaux, de bois ou de métaux
précieux. Cependant les généraux calculaient à quel moment précis la baisse
des eaux leur imposait la retraite : ils faisaient halte quand elle commençait
à s'accuser, et ils s'en retournaient « en paix », sans autre souci que de
perdre au retour le moins d'hommes ou d'animaux prisonniers.
Où les soldats ne pénétraient point, les marchands s'aventuraient comme
autrefois, et préparaient le terrain pour la conquête. Les princes d'Eléphan-
tine n'avaient pas renoncé aux caravanes lointaines, et celui d'entre eux qui
vivait sous Ousirtasen Ier et sous Amenemhàît II, Siranpîtou, avait raconté ses
explorations dans son tombeau, à l'exemple de ses ancêtres1 : le roi l'avait
1. Cailliaud a décrit brièvement les sables aurifères du Qamàmvl et leur mode d'exploitation
(Voyage à Méroé, t. III, p. 16-19) : c'est à son récit que j'ai emprunté les détails donnés dans le texte.
Des analyses de bijoux égyptiens de la XVIIIe dynastie, brisés et sans valeur archéologique ou artis-
tique, que j'ai fait exécuter au Musée de Boulaq, ont constaté la présence du platine et de l'argent
que Cailliaud indique dans les pépites provenant du Nil Bleu.
2. D'après l'inscription du tombeau qu'il se creusa dans la montagne, en face d'Êléphantinc.
494 LE PREMIER EMPIRE THÊBAIX.
expédié au Soudan à plusieurs reprises, mais l'inscription où il consigna son
histoire est tellement mutilée que nous ne savons pas au juste quels peuples
il visita. Nous apprenons seulement qu'il y gagna des peaux, de l'ivoire, des
plumes d'autruche, tout ce que le centre de l'Afrique fournit au commerce
depuis les temps les plus reculés1. Et ce n'est point seulement par terre que
les marchands de l'Egypte tentaient d'aller chercher fortune à l'étranger : la
Mer Rouge les attirait et leur prêtait la voie la plus courte pour atteindre ce
pays de Pouanit, dont les traditions antiques et les récits des matelots leur
vantaient la richesse en parfums et en raretés de toute sorte*. Les relations
s'étaient ralenties ou avaient cessé entièrement pendant les guerres de la
période héracléopolitaine : quand on les renoua, il fallut découvrir de nouveau
les routes oubliées depuis des siècles. Le trafic se concentra presque entier
sur deux ou trois d'entre elles, l'une qui allait d'Éléphantine ou de Nekhabit
à la Tête de Nekhabit, la Bérénice des Grecs3, les autres qui partaient de
Thèbes ou de Coptos pour aboutir au même point de la côte ou bien à Saou,
le Qoçéîr actuel4. Cette dernière, la plus courte, traversait ce val de Ham-
mamât où les Pharaons s'approvisionnaient de blocs de granit pour leurs
sarcophages : aussi la suivait-on de préférence. Les officiers qu'on envoyait
tailler la pierre profitaient souvent de l'occasion pour descendre à la mer, et
pour pousser jusqu'aux régions des Aromates. Déjà en l'an VIII de Sônkhkeri;
prédécesseur d'Amenemhàit lPr, Y Ami unique Hounou avait été mandé par ce
chemin « afin de diriger une escadre au Pouanît, et de récolter l'encens frais
en tribut des princes du désert ». Il réunit trois mille hommes, leur distribua
à chacun une outre, un crochet pour la porter, dix pains, et quitta Coptos
avec cette petite armée. Le chemin manquait d'eau : il fora dans le roc plu-
sieurs citernes et plusieurs puits, l'un à la station du Baît, deux dans le
canton d'Àdahaît, un enfin dans les vallées d'Adabehait. Arrivé au bord de la
mer, il y construisit rapidement un gros chaland, le chargea d'une pacotille et
de provisions, de bœufs, de vaches, de chèvres, et fila en course le long des
1. L'ivoire y est appelé ouapirou, ouapourou, qui semble être la forme originelle d'où le mot latin
ebur dérive, par l'intermédiaire d'abourou.
t. Voir, sur ces voyages de la Mer Bouge, à la VI« dynastie, les p. 396-397, 43-1 de cette Histoire.
3. Tap-Nekhabit, la Tête, le Cap de Nekhabit, a été identifiée par Brugsch (Die jEgyptische Yôlker-
tafel, dans les Yerhandlungen des .5"» Orientalisten-Congresucs, t. II, Afrikanische Seklion, p. Ci)
avec un cap situé près de Bérénice : c'est le nom de la bourgade que les Grecs appelèrent Bérénice.
Les routes de Coptos à Bérénice et de Bérénice à Éléphantine ont été explorées en dernier lieu
par GoUnischeff, Une Excursion à Bérénice, dans le Recueil de Travaux, t. XIII, p. 75-96.
-i. Brugsch, le premier qui ait vu clair dans toute cette partie de la géographie égyptienne, place
Saou, Saouou,au voisinage de Myos-Hormos (Die Mgyplische Volkertafel, p. 35, 59, 64), vers l'Ouady
Gasoils : le site de cette localité me parait répondre à celui du vieux Ûoçcir.
I.A NAVIGATION LE LONG DES CÔTES DE LA MER IlOUGE. 495
côtes : on ne sait jusqu'où il alla, mais il revint avec une grosse cargaison
de tout ce que la Terre Divine possédait, surtout de l'encens. Au retour, il
se rabattit sur le val d'Ouagni, puis sur celui de Rohanou, et il v choisit de
beaux blocs de pierre pour un temple que le roi bâtissait : « Jamais Couxin
royal dépêché en mission n'en avait fait autant depuis le temps du dieu
RA1 ! » Nombre d'officiers royaux ou d'aventuriers marchèrent sur ses traces,
mais leur mémoire n'est point parvenue jusqu'à nous. Deux ou trois noms
seulement ont échappé à l'oubli, celui de Khnounihotpou qui, l'an I d'Ousir-
tasen I", dressa une stèle au Ouady Gasoùs en pleine Terre Divine; celui
de Khentkhitioirou, qui, en l'an XXYI1I d'Amenemhàit II, rallia le havre
de Saou, après une croisière heureuse au l'ouanit, sans avoir perdu ni un
homme ni un bateau'. La navigation est rude sur la Mer Rouge. La côte est
généralement escarpée, hérissée de récifs et d'ilôts, presque dépourvue de
perts et de plages. Nul fleuve, nulle rivière n'y débouche, nulle terre fertile
ou boisée ne la borde, mais de hautes falaises à demi décomposées par les
ardeurs du soleil ou des montagnes abruptes, d'un rouge terne ou d'un gris
sale selon que le granit ou les grès y dominent. Les rares tribus qui habitent
cette région déshéritée y supportent leur vie misérable du produit de leur
pèche et de leur chasse : à l'époque grecque, ils comptaient parmi les plus
I. I.tpsrt'5, Denkm., Il, 150 a, ftoLbiiscmirr, Hétulfal* l'pigraphiguet d'une exruriioa à VOuady
llammamal, pi. XV-XVII. l.e Icite a été Iraduïl en fiançais |iar Ciub.is, le Ytiyagr d'un Egyptien,
p. jG-fi3, en allemand par Bm:cscn, Getchiehle .Egyplem. p. 110-113, el par Lifbi.ei*. tiaudet und
Srhiffa/irt auf dem llolken Meere in alleu Xeilen, nach àgijptiirheii Quelten, p. îll-ii, en russe par
GoLisittacrr, Itémillali e^pigiaphiauei, p. !i-ll, en italien pnr StuiAr ih>:i.lj, la f.alewa Qrirntale
delV Kgillo, p. flS-100.
i. Stèles rapportées par Wilkinso» et conservées au eliâtcau il'Alnwkl (IVuiBsos, Hannrrt and
Cutlnm*. t" éd., I. I, p. ÏM; Binc.u. Gatatogtie of Ihe Oilleetian of Egyplian Antî>/u_itîet al Alnwi'k
Caille, p. 478 sqn.. pi. III-IV; Bmi;stH. Dit AHAggpiUehe Volketlafel, dans les Abliaiidlungen de» t<"
Inlerualionalrn Oiieulalitleu-Ciingiesset, l. Il, Afrikanitrhe Sektitm, p. ">-l-5;i. BS; Kb»ih, Sleten eus
Vâdi Gaiûi Itei Qoiér, dans la Zeitichrift, 1884, p. ÎOS-ïll.ï, et dans Smwkimiuth, Aile Batirette uud
llier.iglyphitche huchriftCH im Vadi Gasùs, p. Il, noie t).
496 LE PREMIER EMPIRE THÊBAIN.
déshérités des humains, et tels les matelots des Ptolémées les virent, tels
les marins des temps pharaoniques durent les connaître avant eux. On
signalait pourtant quelques villages de pêcheurs dispersés sur le littoral, des
aiguades espacées, fréquentées à cause de leurs puits d'eau saumâtre par la
population du désert, Nahasît1, Ïap-Nekhabit, Saou, Tàou : les navires égyp-
tiens venaient s'y ravitailler et y embarquer le fret de la contrée, la nacre,
l'améthyste, l'émeraude, un peu de lapis-lazuli, un peu d'or, des gommes, des
résines odorantes. Si le temps le permettait et que la récolte de marchandises
n'eût pas été abondante, on continuait à travers mille dangers de naufrages
jusqu'aux parages de Saouakîn et de Massaouah, où le Pouanît proprement dit
commençait. Les richesses y affluaient de l'intérieur, et l'on n'avait plus que
l'embarras du choix : que valait-il mieux charger, de l'ivoire ou de l'ébène, des
peaux de panthère ou de l'or en anneaux, de la myrrhe, de l'encens, des essences
de vingt espèces? Le culte consommait tant de ces substances parfumées, qu'on
avait toujours intérêt à s'en procurer le plus possible : l'encens frais ou sec
était la marchandise type, celle qui caractérisait le commerce de la mer Rouge,
et le bon peuple d'Egypte se figurait le Pouanît comme une terre embaumée que
ses émanations délicieuses dénonçaient de très loin à l'attention des matelots5.
Ces voyages étaient fatigants, hasardeux : l'imagination populaire s'en em-
para et y prit la matière de récits merveilleux. Elle choisissait comme héros
un aventurier hardi que son maître envoyait ramasser de l'or aux raines de
Nubie ; à force de remonter le fleuve, il atteignait la mer mystérieuse qui borne
le monde au midi3, « Je m'embarquai sur un navire long de cent cinquante
coudées, large de quarante, avec cent cinquante marins des meilleurs du pays
d'Egypte, qui avaient vu ciel et terre et dont le cœur était plus résolu que
celui des lions, lis avaient annoncé que le vent ne serait pas mauvais, ou même
qu'il n'y en aurait pas du tout; mais une bourrasque survint tandis que nous
1. Nahasit a été rapproché fort heureusement de la Nechesia de Ptolémée, par Biu:r.sf.H, AZgyptisrite
Vôlkertafel, p. <U : le site en est placé par les uns à la M ers a Zebara, par les autres à la Mersa
Moumbara, sans qu'il y ait des raisons bien sérieuses de préférer l'une à l'autre de ces localités.
2. Le commerce des Égyptiens avec le Pouanît et leurs navigations sur la Mer Hougc ont fourni la
matière de plusieurs mémoires : Maspero, De quelques navigations de» Égyptiens sur les côtes de la
Mer Erythrée (extrait de la lievue Historique, 187U, t. IX); Lieblkix, Handel und Schiffahrt auf dem
itolhen Mrere in aile a Zeilen, nach âgyptischen Quellen, 188(3; Krai.l, Das Land Puni, i890 (Extrait
des Sitzungsberichle de l'Académie des Sciences de Vienne, t. XXXI, p. 1-84); Schiaparelu, la Catcua
Orientale delV Egitto, 1890.
3. Le manuscrit de ce conte, qui remonte certainement aux derniers temps de la XII" dynastie ou
aux premiers de la XIII*, a été découvert et traduit par Golknischkh-', Sur un Ancien Conte Egyptien,
Notice lue au Congrès des Orientalistes à Berlin, 1881 (et dans les Yerhandlungcn des ïiem Intcrna-
tionalen Orienlalisten-Congresses, t. Il, Afrihanische Seklion, p. 100-122) : la traduction de Goléni-
scheff a été reproduite avec de très légères modifications par Maspkro, les Contes populaires de l'Egypte
ancienne, 2* éd., p. 131-1 10, et lxxxviu-xcviii. Le texte hiératique du roman est encore inédit.
LE CONTE DU NAUFRAGÉ. 497
étions au large, et, comme nous nous rapprochions de la terre, la brise fraîchit
et souleva les lames à la hauteur de huit coudées. Moi, je saisis une poutre,
mais ceux qui étaient sur le navire périrent sans qu'il en échappât un seul.
Une vague de la. mer me jeta dans une île, après que j'eus passé trois jours
seul sans autre compagnon que mon cœur. Je me couchai là, dans un fourré,
et l'ombre m'y enveloppa, puis je mis mes jambes en quête de quelque chose
pour ma bouche. » L'île produisait quantité de fruits délicieux : il s'en
rassasia, il alluma un feu pour offrir un sacrifice aux dieux, et sur-le-champ,
dévoilés par la force magique des cérémonies sacrées, les habitants, qui jus-
qu'alors étaient demeurés invisibles, se révélèrent à ses yeux. « J'entendis un
bruit comme celui du tonnerre, et je le pris d'abord pour le fracas du flot en
pleine mer ; mais les arbres frissonnèrent, la terre frémit, je découvris ma face,
et je m'aperçus que c'était un serpent qui s'approchait. Il était long de trente
coudées, et sa barbe avait plus de deux coudées ; son corps était incrusté d'or
et sa couleur semblait celle du lapis vrai. Il se dressa devant moi, ouvrit la
bouche; tandis que je me prosternais devant lui, il me dit : « Qui t'a amené, qui
« t'a amené, petit, qui t'a amené? Si tu tardes à me dire qui t'a amené dans
« cette île, je te ferai connaître le peu que tu es : ou tu t'évanouiras comme
« une femme, ou tu me diras quelque chose que je n'aie pas encore entendu et
« que j'ignorais avant toi. » Puis il me prit dans sa bouche, me transporta à
son gîte et m'y déposa sans me faire mal : j'étais sain et sauf et rien ne m'avait
été enlevé. » Notre héros lui raconte l'histoire du naufrage, qui l'émeut de pitié
et le décide à rendre confidence pour confidence. « Ne crains rien, ne crains
« rien, petit, et n'attriste pas ton visage! Si tu es venu jusqu'à moi, c'est le
« Dieu qui t'a laissé vivre; c'est lui qui t'a amené dans cette Ile de Double*, où
« rien ne manque, et qui est remplie de toutes les bonnes choses. Voici, tu
« passeras un mois après l'autre, jusqu'à ce que tu sois demeuré quatre mois
« dans cette île, puis un navire viendra de ton pays avec des matelots; tu pour-
« ras partir avec eux vers ton pays, et tu mourras dans ta cité. Causer réjouit,
« qui goûte de la causerie supporte mieux le malheur : je vais donc te conter
« l'histoire de cette île. » La population se compose de soixante-quinze serpents
entre frères, enfants et gens de la famille : elle comprenait jadis une jeune fille
qu'une suite d'aventures malheureuses y avait jetée et qui mourut frappée de
la foudre. Le héros, ravi de tant de bonhomie, se confond en remerciements et
1. Sur Y lie de Double et sur la façon singulière pour nous dont l'auteur du roman a conçu l'itiné-
raire suivi par son héros, cf. ce qui est dit plus haut aux p. 10-20 de cette Histoire.
HIST. ANC. DE i/ORIENT. T. I. 63
49* LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
promet au dragon hospitalier de lui expédier de d ombreux présents lorsqu'il
sera de retour : « J'égorgerai pour toi des ânes en sacrifice, je plumerai pour
« toi des oiseaux, et je ferai partir pour toi des navires comblés de toutes les
« richesses de l'Egypte, comme il convient à un dieu ami des hommes dans un
« pays éloigné que les hommes ne connaissent point. » Le monstre sourit et
lui répond qu'il est bien inutile de vouloir faire des cadeaux à quelqu'un qui
est le maître du Pouanît; d'ailleurs, « dès que tu partiras d'ici, tu ne reverras
« jamais plus cette île, car elle se transformera en flots ». — « Et voilà, quand
le navire s'approcha, conformément à ce qu'il avait prédit d'avance, je m'en
allai me jucher sur un arbre élevé pour tâcher de distinguer ceux qui le mon-
taient. Je courus ensuite lui communiquer la nouvelle, mais je trouvai qu'il en
était informé déjà, et il me dit : « Bon voyage vers ta demeure, petit ; revois
« tes enfants et que ton nom reste bon dans ta ville; ce sont là mes souhaits
« pour toi! » Il joignit des cadeaux à ces paroles obligeantes; « j'embarquai
le tout sur ce navire qui était venu, et me prosternant je l'adorai. Il me dit :
« Voici que tu rentreras dans ton pays après deux mois, tu presseras tes
« enfants sur ta poitrine et tu reposeras dans ton sépulcre ». Et après cela je
descendis au rivage vers le navire, et j'appelai les matelots qui s'y trouvaient.
Je rendis des actions de grâces sur le rivage au maître de cette île, ainsi qu'à
ceux qui y demeuraient. » C'est presque un épisode des voyages de Sindbad
le marin. Seulement, les monstres que Sindbad rencontre dans ses courses ne
sont pas d'humeur aussi débonnaire que le serpent égyptien : ils ne s'ingénient
plus à consoler les naufragés par les charmes d'un long bavardage, mais ils les
avalent de fort bel appétit. Aussi bien laissons de côté toute la partie mer-
veilleuse du récit : ce qui frappe, c'est la fréquence de rapports qu'il suppose
entre l'Egypte et le Pouanît. La présence d'un navire égyptien n'excite
aucun étonnement dans ces parages : les habitants en ont vu beaucoup déjà,
et de façon assez régulière pour en annoncer la venue à date fixe. La distance
n'est pas d'ailleurs considérable, et deux mois de mer suffisent à la franchir.
Tandis que l'Egypte nouvelle s'épandait au dehors dans toutes les direc-
tions, l'ancienne prospérait sur place et ne cessait de s'enrichir. Les deux
siècles que la XIIe dynastie régna furent pour elle une époque de paix profonde ;
les monuments nous la montrent gaie, heureuse, en pleine possession de toutes
ses ressources et de tous ses arts. Plus que jamais les barons et les officiers
royaux insistent dans leurs épitaphes sur la justice exacte qu'ils ont rendue à
leurs vassaux ou à leurs subordonnés, sur la douceur dont ils ont fait preuve
LA RESTAURATION DES TEMPLES DU DELTA. 499
à l'égard des fellahs, sur la sollicitude paternelle avec laquelle ils ont essayé
de leur venir en aide dans les années d'inondations insuffisantes ou de récoltes
mauvaises, sur le désintéressement inouï qui les empêcha d'augmenter l'impôt
pendant les périodes de crue normale ou de production surabondante1. Les
donations aux dieux se multiplièrent d'un bout à l'autre du pays, et les grandes
constructions, interrompues depuis la fin de la \T dynastie, recommencèrent
sur tous les points à la fois. H y avait beaucoup à faire pour réparer les ruines
accumulées au cours des siècles précédents. Non que les souverains les plus
batailleurs se fussent permis de toucher aux sanctuaires : ils vidaient les
trésors sacrés, et ils en confisquaient les revenus partiellement, mais, leur
cupidité satisfaite, ils respectaient les murailles, ils y restauraient au besoin
quelques inscriptions ou ils y replaçaient quelques pierres. Ces superbes édifices
exigeaient une surveillance minutieuse : on avait beau les bâtir des matériaux
les plus durables, grès, calcaire, granit, ou des dimensions les plus fortes, en
consolider les fondations par l'interposition d'une couche de sable et par trois
ou quatre lits de blocs bien ajustés formant patin', le Nil était toujours là qui
les menaçait et qui méditait sourdement leur perte. Ses eaux, s'infiltrant à
travers les terres, venaient baigner les assises basses et entretenaient une
humidité perpétuelle au pied des murailles ou à la base des colonnes : le
salpêtre que leur morsure développait sans cesse sur le calcaire rongeait tout,
minait tout, si l'on n'y prenait garde. La crue terminée, les mouvements que
les oscillations de la nappe souterraine déterminaient dans le sous-sol dislo-
quaient à la longue les fondations le plus compactes : les murailles, ébranlées
par des tassements inégaux, s'inclinaient, se lézardaient, leur jeu déplaçait les
architraves qui reliaient les colonnes et les poutres de pierre qui composaient
la toiture. Ces désordres, aggravés d'année en année, suffisaient, quand on
n'y remédiait point sur-le-champ, à déterminer la chute des parties atteintes;
d'ailleurs le Nil, après avoir préparé la ruine en dessous, se chargeait de la
consommer par des assauts directs, lorsque le dénouement traînait trop long-
temps. Une brèche dans les digues qui protégeaient la ville ou le temple, et
ses flots, précipités avec furie, pratiquaient de larges trouées par les murs
demi-pourris, achevaient de culbuter les piliers, écrasaient les salles de
réception et les chambres mystérieuses sous les débris des plafonds*. Il y avait
1. Inscription du prince de la Gazelle Amoni-Âmcnemhâit (I. 17-41), à Beni-IIassan ; cf. Maspf.ro,
la Grande Inscription de lie ni- Hassan, dans le liecueil de Travaux, t. I, p. 173-174.
2. Maspf.ro. Archéologie Egyptienne, p. \~.
3. Le roi Smcndès de la XX1° dynastie, racontant les travaux qu'il exécuta dans le temple deKarnak,
500 LE PREMIER EMPIRE THÊBAIN.
peu de cités qui ne renfermassent un sanctuaire ruiné ou en mauvais état,
quand la XIIe dynastie mit la main sur l'Egypte. Amenemhâît Ier, si occupé
qu'il fût de réduire la féodalité, les répara autant qu'il put : ses successeurs
poussèrent les travaux vigoureusement pendant près de deux siècles.
Le Delta profita grandement de leur activité. Les monuments y ont plus
souffert que partout ailleurs : ils ont subi le premier choc des invasions
étrangères, et, transformés en forteresses au cours des sièges que les
villes durent affronter, ils ont été pris et repris d'assaut, éventrés par les
machines, démantelés par tous les conquérants de l'Egypte, des Assyriens
aux Arabes et aux Turcs. Les fellahs d'alentour sont venus pendant des siècles
s'y pourvoir de calcaire pour leurs fours à chaux, de grès ou de granit pour
les portes de leurs maisons ou pour le seuil de leurs mosquées. Non seulement
ils ont été ruinés, mais les ruines de leurs ruines se sont comme fondues et
ont presque entièrement disparu d'âge en âge. Et pourtant, en quelque endroit
qu'on ait fouillé dans ces restes si déplorablement maltraités, on a ramené à la
lumière les colosses et les inscriptions commémorât ives des Pharaons de la
XIIe dynastie. Amenemhâît Ier fonda un grand temple à Tanis en l'honneur des
divinités de Memphis1 : les débris de colonnes épars encore de tous côtés
témoignent que le gros œuvre en était en granit rose, et une statue taillée dans
la même pierre nous a conservé le portrait du roi. Il est assis et porte sur la tête
le haut bonnet d'Osiris. La tête est large, souriante, avec une bouche épaisse,
un nez court, de grands yeux bien fendus : elle respire la bienveillance et la
douceur plutôt que l'énergie et la dureté qu'on attend d'un fondateur de dynas-
tie*. Les rois qui suivirent tinrent tous à honneur d'embellir le temple et d'y
déposer quelque souvenir de leur vénération pour le dieu. Ousirtasen Ier s'y fit
représenter en Osiris, comme son père : il siège sur son trône de granit gris, et sa
face placide rappelle à n'en pas douter celle d'Amenemhâît I01 s. Amenemhâît II*,
expose qu'un bras d'eau avait miné et détruit de la sorte une partie du sanctuaire (Daressy, les Car-
rières de Gébéléin et le roi Smendès, dans le Recueil de Travaux, t. X, p. 1 30- 137; Maspero, .4 Stèle
of King Smendes, dans les Records ofthe Pasl, 2q' ser., t. V, p. 20, 23).
1. E. de Rougé, Cours du Collège de France, 1869; Petrik, Tanis /, p. 5.
2. Mariette, Deuxième Lettre à M. le Vicomte de Rougé sur les fouilles de Tanis, p. 1, et Notice
des principaux Monuments, 1864, p. 260, n° 1 ; Pétrie, Tanis I, p. 4-5 et pi. XIII, 1 ; cf. A. B. Edwards,
dans le Harpers New Monthly, 1886, p. 716 sqq. La statue Tut usurpée par Minéphtah.
3. Mariette, Deuxième lettre à M. le Vicomte de Rougé, p. 2-3, et Notice des principaux monu-
ments; Lepsus, Enldeckung eines bilinguen Dekretcs, dans la Zeilschrift, 1866, p. 33; Pktrie, Tanis /,
p. 5 et pi. XIII, 2; A. B. Edwards, dans le Harpers New Monthly, 1886, p. 710. Le pendant de
cette statue, qui fut apporté en Europe par Drovetti au commencement du siècle, se trouve aujourd'hui
au Musée de Berlin (Verzeichniss der JEgyptischen Alterthûmer, p. 75, n° 371): le monument, après
avoir été usurpé une première fois par Amenemhâît II, le fut une seconde par Minéphtah (Lepsus,
Sur les deux Statues colossales de la Collection Drovetti gui se trouvent actuellement au Musée
Royal de Berlin, p. 4 sqq. Extrait du Bulletin de l'Institut Archéologique, 1838).
4. Pétrie, Tanis I, p. 5-6 et pi. XIII, 3, 4. M. G ri dit h (Tanis II, p. 16) pense, après Mariette (Notice
TANIS ET LES SPHINX IlAMENEMH AIT III. 501
Ousirtasen II1 et la femme de ce dernier, Nofrît, avaient consacré aussi leur
image dans le sanctuaire. Nofrît est en granit noir : sa tète s'écrase sous la
lourde perruque d'Hâthor, deux tresses énormes qui encadrent les joues et qui
s'étalent sur la poitrine en se tordant;
ses yeux jadis incrustés sont tombés avec
leurs paupières de bronze; ses bras sont
à moitié brisés. Ce qui reste d'elle n'en
donne pas moins l'impression d'un visage
jeune et gracieux, d'un corps souple et
bien proportionné, dont les formes se
modèlent délicatement sous le sarrau
collant des Égyptiennes; les deux seins
petits et ronds font saillie entre l'extré-
mité des boucles et l'ourlet brodé du vête-
ment, un pectoral au nom du mari couvre
la naissance du cou et le plat de la poi-
trine*. Ces œuvres diverses offrent un air
de parenté évident avec les belles figures
en granit de l'Ancien Empire. Les sculp-
teurs qui les ont exécutées appartenaient
à la même école que ceux qui ont façonné
Khéphrèn en plein diorite : c'est ta même
habileté de ciseau, la même insouciance
des difficultés que la matière attaquée oppose, le même fini du détail, la même
science de la structure humaine. On serait tenté de croire que l'art égyptien n'a
point changé pendant ces longs siècles, et pourtant, dès que l'on place une
statue des vieux temps à côté de celles de la XII" dynastie, on distingue aussitôt
quelque chose dans les unes qui ne se retrouve pas dans l'autre. Le sentiment
diffère, si la technique ne s'est point modifiée. C'est l'homme qu'on s'attachait
surtout à reproduire dans le Pharaon d'autrefois, et si Hère mine qu'on admire
îles principaux monument*, p. ïfit, n= 3). que celle statue
complète dans Biurnn, Encerpta llierogtgphica, pi. XI.. 5, r
1. Piraii, Tartis I, p. ti.
t. Maiiette, Satire des principaux iitonumeitls, p. ÎG1, n"
de ta Million de M. de Rougi, a- 113; Bair.s™, An der
p. ltt-135; Petiis, Taniil, p. G.
3, Denin de Faui-her-Gudin, d'après une photographie d'Intinger. Outre la statue compl
Musco de Gi/éh possède un torse de même jjrovo Mariée. J'ai cru reconnaître un portrait nouvcai
même reine dans une belle statue en granit noir que le Musée de Marseille possède depuis ](
roencemenl de notre siècle (Hispeko, Catalogue du Musée égyptien de Marseille, a' G, p. S-fi).
502 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
dans le Khéphrèn, c'est encore l'homme qui domine en lui. Âmenemhâît 1er et
ses successeurs semblent au contraire appartenir à une race plus haute : il y
avait plus longtemps que Pharaon était dieu au moment où on les fit, et la
nature divine avait presque éliminé chez lui la nature humaine. Volontaire-
ment ou non, les sculpteurs idéalisèrent son image et l'approchèrent à
celles des divinités. La tête offre toujours un portrait ressemblant, mais adouci
et parfois affadi. Non seulement les caractères de l'âge n'y prédominent point
et les traits portent l'empreinte d'une jeunesse éternelle, mais les accidents
de la physionomie, l'accentuation des sourcils, la saillie des pommettes, la
projection de la lèvre inférieure et du menton, s'atténuent comme à plaisir,
et disparaissent sous une expression uniforme de majesté tranquille. Un seul
souverain, Âmenemhâît III, ne se résigna pas à subir cet effacement perpétuel,
et se fit portraiturer tel qu'il était. Certes il a la figure ronde et pleine
d'Amenemhâît ou d'Ousiriasen Ier, et l'air de famille est indéniable entre ses
traits et ceux de ses ancêtres, mais on devine dès le premier coup d'oeil
que l'artiste n'a rien fait pour flatter son modèle. Le front est bas, un peu
fuyant, serré aux tempes, le nez vigoureux, arqué, large du bout, la bouche
épaisse et dédaigneuse presse les lèvres et s'abaisse aux coins comme pour
éviter le sourire familier au commun des statues égyptiennes, le menton lourd
et charnu pointe en avant malgré le poids de la barbe postiche dont il est
grevé; les yeux sont petits, étroits, clos de fortes paupières, les pommettes
sont osseuses, proéminentes, les joues se creusent, les muscles qui cernent
le nez et la bouche s'accusent puissamment. L'ensemble a quelque chose de si
étrange qu'on s'est obstiné longtemps à regarder les œuvres qui présentent
ce type comme les produits d'un art à demi égyptien seulement. Peut-être
en effet les sphinx de Tanis sortaient-ils d'ateliers où l'enseignement et la
pratique de la sculpture avaient déjà subi l'influence de quelque peuple
asiatique : la crinière touffue qui s'épanouit autour de la face et les oreilles
de lion qui s'en échappent ne se rencontrent que chez eux. Les statues pure-
ment humaines où l'on reconnaît la même physionomie n'ont aucune parti-
cularité de facture qu'on puisse attribuer à l'imitation d'un art étranger1. Si
les maîtres anonymes auxquels nous les devons ont voulu réagir contre la
I. Les premiers monuments de ce type furent découverts en 1800 à Tanis, par Mariette, qui y crut
reconnaître une influence étrangère, et les attribua aux rois Pasteurs, plus spécialement au dernier
Apopi, dont les cartouches sont gravés sur l'épaule de plusieurs statues et de plusieurs sphinx
(Mariette, Lettre à M. le Vicomte de Hougé sur les fouilles de Tanis, p. 8-15, et Notice des principaux
Monuments, 1804, p. 233, n° il, et p. 204, n- 11-13). L'hypothèse adoptée généralement, malgré quel-
ques cloutes soulevés par M. de Rougé dans une note qu'il ajouta à la lettre de Mariette, fut combat-
LES TRAVAUX llE BUBAST1S. S03
technique un peu banale de leurs contemporains, ils n'allèrent rien chercher
au dehors : les monuments de l'époque memphite leur fournirent tous les
modèles qu'ils pouvaient souhaiter.
Bubastis n'eut pas moins à se louer que Tanis de la générosité des Pha-
raons thébains. Le temple
de Bastît que Khéops et
Khéphrèn avaient décoré
existait encore' : Amenem-
hàit I"r, Ousirtasen l"r et
leurs successeurs immé-
diats se bornèrent à y res-
taurer plusieurs chambres
puis à ériger leurs statues1,
mais Ousirtasen IH ajouta
un édifice nouveau, qui
devait le disputer aux plus
beaux monuments de l'E-
gypte. II croyait sans doute
avoir des obligations par-
ticulières à la déesse lionne
de la cité et lui attribuait,
on ne sait pour quel motif,
quelques-uns de ses succès
en Nubie : c'est, semhle-t-il, avec le butin d'une campagne contre le pays de
Houà qu'il dota une partie du sanctuaire nouveau'. On n'en retrouve plus
guère que des fragments d'architraves et des colonnes on granit, remployés
par les Pharaons qui le réparèrent ou l'agrandirent pins tard. Quelques-unes
lue par Maspcro {Caille du ïititeur an Nuire île limitai/, p. i\i-tV'., ri" 10T), qui allrihua ces ligure» il
I mole locale de Ta ni» el déclara qu'elles appartenaient à l'uni- de» djnaslîes antérieures aux l'ns-
leura (Arrltfntogie Égyptienne, p. Ïlli-ÏIT). H. Golénischcfl" oui ré qu'elles représentent le Pharaon
Àinenenihalt III {Auieiiemha III el tel Sphhtf lie San, dans le limait de Travaux , I. XV, p. 131-13(1).
1. Sur le» restes des constructions de Khéops et de khepbrcn .1 Ituuasti». déroutcrla |«ir Hivillh,
Itubailie, p. 3, 5*, III. et pi. VIII, XXXII tt-b, et. les page- 861. 871 de r:-1te Histoire.
î. Inscription d'Amencinhiill I", érigeant une de ses nia lui s tj ni mère lla-iii ri réparant une porte
(NtviLLU, llubailii, p. 8 el pi. XXXIII a); reste* d'une proe.-ie.ri .!■■ Nil-, la première que l'on ren-
naise, et qui fut consacrée par Ousirtasen 1- (Nmili.e, ttubotti; f> K-1r cl pi XWIV, ft. r.)
3. Denin de Faucher -tiiidin. d'aprè* une photographe dt.milr U-»gtrh llrg , prit ru 18KI
(cf. D.timLLi>ltunrf, Album photographique de ta mimiou de M, de Itougè. n™ Hn-lîi) l.e «phirix
porte sur la poitrine le cartourhe d'un l'haraon lanite de la XXI* djnttlie, P.ioulhanoo
l- le fragment trouvé par «avilie (Itubaitit, p. 9-1 1 el pi. XXXIV, A) appartenait à une insr.iplion
gravie sur un mur : les i;iierrUB que l'on commémorait dan* ur> temple étaient choisies toujours
parmi celles dont le butin avait été consacré en loul ou en partie au bénéfice de la divinité locale.
504 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
des colonnes appartiennent au type lotiforme. Le fût en est composé de huit
tiges triangulaires, qui jaillissent d'un bouquet de feuilles disposées symé-
triquement, et qui sont liées au sommet par un ruban tourné trois fois autour du
faisceau ; le chapiteau résulte de la réunion des huit boutons que surmonte un
dé carré où l'architrave s'appuie. D'autres colonnes se terminent en têtes
d'Hàthor, opposées nuque à nuque et coiffées du bonnet bas, garni d'uraeus.
La face, un peu plate quand on la considère de près, se relève et s'anime dès
qu'on s'éloigne d'elle : la saillie en a été calculée pour produire son effet à
hauteur convenable, lorsqu'on la regarde d'en bas1. Le pays situé entre Tanis
et Bubaste était comme semé de monuments embellis ou édifiés par les
Àmenemhâît et par les Ousirtasen : partout où la pioche frappe, à Fakous*, à
Tell-Nebishéh3, les débris ressortent de terre, statues, stèles, tables d'offrandes,
lambeaux de dédicaces et d'inscriptions historiques. Ces Pharaons travaillèrent
dans le temple de Phtah, à Memphis4, et Héliopolis attira leur attention.
Le temple de Râ ou ne suffisait plus aux besoins du culte ou n était plus en
bon état. Ousirtasen III décida de le reprendre en sous-œuvre, l'an III de son
règne5. Ce fut, semble-t-il, une fête pour l'Egypte entière et le souvenir s'en
perpétua longtemps après l'événement : on recopiait encore à Thèbes, vers
la fin de la XVIIIe dynastie, le récit passablement emphatique des cérémonies
qui l'avaient signalée8. On y montrait le roi montant sur son trône, un jour de
conseil, puis recevant selon l'usage l'éloge des amis uniques et des courtisans
qui l'entouraient : « Voici, leur dit-il, que Ma Majesté prescrit des ouvrages
qui rappelleront mes actions dignes et nobles à la postérité. Je fais un monu-
ment, j'établis des décrets durables en faveur d'Harmakhis, car il m'a mis au
1. Tous ces monuments ont été mis au jour par Navillc, et publiés dans Bubastis,p. 9-14 et pi. V,
vi, vu, ix, xxhm, xxiv b, xxxiii b-f% xxxiv b-e.
2. A Tell Qirqafah, porte en granit bâtie par Atncnemhàtt Ier, restaurée par Ousirtasen III ; à Tell
Abou-Felous, une statuette en granit noir de la reine Sonit; à Dahdamoun, une table d'offrandes au
nom d'Amencmhàit II (Maspero, Notes sur différents points de Grammaire et d'Histoire, § LXXV. dans
la Zeitschrift, 1885, p. 11-13; Navillb, Goshen and the Shrine of Saft et-Henneh, p. 22 et pi. IX A-B).
Toutes ces localités sont groupées dans un rayon assez restreint autour de Fakous.
3. Table d'offrandes au nom d'Araenemhâit II (Pétrie, Nebeshch, pi. IX, 1) ; statue assise d'Ousirtascn III
(/</., pi. IX, 2 a-b, et p. 13).
4. Table d'offrandes au nom d'Amenemhàit III, découverte à Qorn el-Qalàah sur remplacement
antique de Memphis (Mariette, Monuments Divers, pl. XXXIV f); bloc d'Ousirtasen II (Id., pi. XXVII a).
5. Le manuscrit sur cuir qui nous a conservé le récit de ces événements est conservé au Musée de
Derlin. Il a été découvert et publié par L. Stern, Urkunde ûber den Bau des Sonnentcmpets zu On
(dans la Zeitschrift, 1874, p. 85-90), qui crut y constater la présence simultanée d'Amencmhàit I*p
et d'Ousirtascn Ier. En fait, Ousirtasen \vr est mentionné seul et préside seul aux cérémonies, ainsi
qu'il en avait l'habitude (cf. p. 465-467 de cette Histoire), bien que la date de Tan III fasse tomber
la reconstruction du temple pendant le temps où il partageait le pouvoir avec son père.
6. Le manuscrit porte un compte daté de l'an V d'Amenôthès IV (Stern, Urkunde, dans la Zeit-
schrift, 1874, p. 8ti). On lit dans un Papyrus de Berlin (Lepsiis, Den km., VI. 121 r, 1. 17-18) une for-
mule mystique, gravée, disait-on, sur le mur du temple d'Ousirtasen Ier, à Héliopolis (Maspbro,AW<*«
sur différents points de Grammaire et d'Histoire, § IX, dans la Zeitschrift, 1879, p. 83).
HÉLIOPOLIS ET LE TEMPLE D'OUSIRTASEN K 505
monde pour faire comme il a fait, pour réaliser ce qu'il a décrété qui se fit ; il
m'a donné de mener cette terre, il l'a connue, et il l'a réunie, et il m'a gratifié
de ses appuis; j'ai rasséréné l'Œil qui est en lui !, agissant en tout comme il lui
plaisait, et j'ai recherché ce qu'il avait résolu qu'on connût. Je suis un roi de
naissance, un suzerain qui ne s'est point fait, j'ai gouverné dès l'enfance, j'ai
été imploré dans l'œuf, j'ai dominé sur les voies d'Ànubis* et il m'a haussé
jusqu'à seigneur des deux moitiés du monde, dès le temps que j'étais nour-
risson ; je n'étais pas encore échappé des langes qu'il m'avait déjà intronisé
maître des hommes; me créant lui-même à la face des mortels, il m'a fait
trouver faveur devant l'Habitant du Palais8, quand j'étais adolescent4.... Je
suis donc venu comme Horus l'éloquent8, et j'ai institué les offrandes divines;
j'accomplis des travaux dans le château de mon père Àtoumou, j'approvi-
sionne son autel sur terre, je fonde mon château dans son voisinage, pour que
la mémoire de mes bontés dure en sa demeure ; car c'est mon nom ce châ-
teau, c'est mon monument le lac, c'est l'éternité ce que j'ai fait d'illustre et
d'utile pour le dieu*. » Les grands approuvent la piété du roi; celui-ci appelle
son chancelier, lui ordonne de libeller les actes de donation- et toutes les
pièces nécessaires à l'exécution de ses volontés. « Il se leva paré du ban-
deau royal et de la double plume, tous les nobles derrière lui; le lecteur
maître du livre divin tendit le cordeau et planta le pieu en terre7. » Le temple
n'existe plus; mais l'un des obélisques en granit qu'Ousirtasen Ier dressa des
deux côtés de la porte principale est encore debout. Héliopolis entière a
disparu : des mouvements de terrain presque insensibles, des pans de murs
croulants, çà et là des blocs épars de calcaire où l'on déchiffre péniblement
des lignes mutilées d'inscriptions, marquent à peine le site où elle s'élevait
1. Le dieu d'Héliopolis étant le Soleil (cf. p. 135 sqq. de cette Histoire), VŒU qui est en lui est le
disque solaire, considéré comme l'Œil de Râ : le roi, par sa docilité à obéir aux volontés de la
divinité, a éclairé l'Œil qui est en elle, en d'autres termes il a avivé la lumière de l'Œil, qu'une
désobéissance aurait menacé d'obscurcir et même d'éteindre, à l'égal de la rébellion d'Apopi ou de Sît.
i. Anubis, le chacal, est Ouapouaitou, le Guide des roules du Midi et du Nord, que le soleil suit
dans sa course autour du monde : en affirmant qu'il a dominé sur les voies d' Anubis, le roi pro-
clame qu'il est maître des régions que le soleil traverse, c'est-à-dire de la terre entière.
3. L'habitant du Palais est le Pharaon, ici Amenemhâtt 1er : c'est par la faveur de Toumou, le dieu
d'Héliopolis, qu'Amencmhàft I*r a choisi Ousirtasen, tout jeune encore, parmi ses autres enfants, pour
être roi et pour dominer sur l'Egypte entière de concert avec lui.
4. Stekn, Urkunde ùber den Bau des Sonnentempels zu On, pi. I, 1. 4-12.
5. Horou api nasit, lit. : « Horus qui juge de langue », l'Horus qui plaide et qui fait valoir les
mérites de son père auprès du tribunal des dieux. Ousirtasen 1", ayant plaidé la cause du dieu
par-devant Amenemhâtt I" (cf. p. 466 de cette Histoire), comme Horus avait fait pour Osiris, a obtenu
de son père ce qui était nécessaire pour reconstruire le temple d'Héliopolis et pour l'enrichir.
6. Stf.r.n, Urkunde ùber den Bau des Sonnentempels zu On, pi. 1, 1. 14-17.
7. Stern, Urkunde ùber den Bau des Sonnentempels zu On, pi. 1, 1. 13-15. Le prêtre accomplit ici
avec le roi les principales des cérémonies nécessaires pour mesurer l'aire du temple, en plantant
les pieux aux quatre angles, et en délimitant au cordeau les quatre côtés de l'édifice.
64
506 LE PREMIER EMPIRE THÊBAIN.
jadis; l'obélisque a survécu même à la destruction des ruines, et à qui veut
bien entendre son langage il parle encore du Pharaon qui Térigea1.
Tant de travaux entrepris et terminés heureusement avaient rendu néces-
saire une reprise de l'exploitation dans les carrières antiques et l'ouverture
de carrières nouvelles. Amenemhâit Ior envoya un très haut personnage,
Antouf, chef des prophètes de Minou et prince de Coptos, au Val de Rohanou,
à la recherche des fins granits qui servaient à fabriquer les sarcophages
royaux *. Amenemhâit 111 avait inauguré à Tourah, en l'an XLH1 de son règne,
de beaux filons de calcaire blanc, qu'on exploita probablement dans l'intérêt
d'Héliopolis et de Memphis8. Calcaire et granit, Thèbes en eut sa part
et Amon, dont le sanctuaire n'avait pas excédé jusqu'alors les proportions
modestes qui convenaient à un dieu de province, posséda enfin un temple
qui l'égala aux plus nobles divinités féodales. Il avait eu des débuts pénibles :
Montou, le maître d'Hermonthis l'Aounou du midi, l'avait compté au nombre
de ses dieux-liges et ne lui avait accordé d'abord que la propriété du bourg
de Karnak. La fortune imprévue des Antouf l'avait tiré de son obscurité :
il n'avait pas détrôné Montou, mais il avait partagé avec lui les hommages
de tous les villages voisins, Louxor, Médamout, Bayadiyéh, et, de l'autre
côté du Nil, Gournah et Médinét-Habou. L'avènement de la XIIe dynastie
assura son triomphe, et fit de lui le personnage le plus puissant de l'Egypte
méridionale. C'était un dieu-terre, une forme du Minou qui régnait à Coptos,
à Àkhmîm et dans le désert4, mais il s'était promptement allié au Soleil,
et il avait dès lors assumé le nom d'Amon-Râ. Le titre de souton noutîrou
qu'il y joignait aurait suffi seul à témoigner de l'âge relativement récent
où sa notoriété avait percé : le dernier venu des grands dieux, il employait
pour exprimer sa souveraineté ce mot de souton, roi, qui désignait les
maîtres de la vallée depuis la réunion des deux Égyptes sous le nébuleux
1. Sur l'obélisque de Matariéh, cf. S. dr Sacy, Relation de V Egypte par Ahd-Allatif, p. 180-181,
225-229, où sont cités plusieurs passages d'auteurs arabes, relatifs à l'histoire des ruines; l'autre obé-
lisque, dont on voit encore quelques débris, tomba ou fut renversé en 1160 de J.-C. Les inscriptions
sont reproduites dans Bu r ton, Excerpta Hieroglyphica, pi. XXVIII; Roskllini, Monumenti Storici,
pi. XXV, 1; Lepsius, Denkm., II, 118 h. Beaucoup de pierres provenant d'Héliopolis et de son temple
ont été encastrées, à diverses époques, dans les murs des principaux monuments du Caire, notam-
ment dans la mosquée du Khalife Hakem : l'une d'elles, qui sert de seuil à la mosquée de Shàaban,
porte le cartouche d'Ousirtasen ^(Wiedeman.n, jEgyptische Geschichle, p. 243).
2. Lepsils, Denkm., II, 118 d, et Golemscheff, Résultats épigraphiques d'une excursion à VOuady
Hammamât (Extrait des Comptes rendus de la Société Russe d* Archéologie), pi. VIII, qui a donné un
texte plus complet que celui de Lepsius; cf. Maspero, Sur quelques inscriptions du temps d' Amènent-
huit Ier au Ouady Hammamât, p. 1 sqq., où le texte assez difficile à lire et à interpréter de ce
document a été traduit et commenté dans le détail.
3. Perrisg-Vyse, Opérations carried on at the Pyramids in 1837, t. 111, planche, et p. 04 ; Lepshs,
Denkm., II, 143 t, où la date, inscrite au sommet de la stèle, manque complètement.
4. Cf. p. 90 de cette Histoire et p. 148 une figure de limon thébain, coiffé du mortier à plumes.
LES AGRANDISSEMENTS UE THÊBES. SOT
Mènes'. Seul d'abord, il s'était associé en mariage une déesse vague et ma)
définie, qui s'appelait Maout, Moût, la mère, et qui n'adopta jamais un nom
plus personnel : le dieu fils qui compléta cette triade fut, dans les premiers
temps, Montou, mais plus tard un être secondaire, qu'on alla chercher parmi
les génies chargés de veiller sur les jours du mois ou sur les étoiles, Khonsou.
Amenemliàit I" jeta les fondations du temple où le culte d'Anton s'abrita
jusqu'aux derniers jours du paganisme1. L'édifice était soutenu de colonnes
polygonales à seize pans, dont quelques fragments subsistent. Il avait encore
des dimensions médiocres, mais il était construit avec des matériaux de
choix, grès et calcaire, et décoré de bas-reliefs exquis. Ousirtasen 1" l'élar-
git1 et bâtît au grand prêtre une belle maison à l'ouest de l'étang sacré5.
1. lltspKWi, Étude» Egyptienne*, I. Il, p. 13-1", et Et iule* de Mythologie cl d'Archéologie Égyp-
tienne*, l. Il, p. 111-11.
t. Dettin de Boudier, d'apri* mir p/intm/mphir d'intiitgrr.
3. Wiwissoï, Modem Egypt and Ihetnt, l. 11, p. ïiH; ce» débris ont disparu aujourd'hui (Harikiik,
Karnak, p. .11). Si le morceau a de Mahikitk, Kamnli, pi. VIII, se rapportait au règne d'Ainencm-
hall I", l'an XX pourrait être considéré ivw vraisemblance? comme la date probable lie la fondation,
lue statue cil granit rose du souverain (JI.tiur.TTE, Karnak, pi. VIII, rf, et p. 41), ainsi qu'une table
d'offrandes dédiée par lui (/rf., pi. VIII, r, et p. 11-1*1, ont été di-ronvnrU-s dans le voisinage de ce
Fragment, cl contribuent à rendre vraisemblable l'attribution qu'on en fait au régne d'Amcncmhàit I".
4. Son nom est gravé sur plusieurs morceaux de colonnes (JUmktik, Karnak, pi. VIII h-c cl p. 41),
ainsi que sur une table d'offrandes conservée aujourd'hui au Musée de Giiéh (Viïkt, Notice de* prin-
cipaux monument* eipoiés au Mutée de tiiiéh, p. 41, a° 131).
5. HtRtr.iTi, Karnak, pi. XL et p. GÏ-G3; E. de lloiinr. Elude* de* Monument* du Ma»* if de Karnak,
dans les Mélange* d'Archéologie Egyptienne et Aagrienne, I. I, p. 38-30.
508 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
Louxor1, Zorit8, Edfou', Hiéracônpolis, El-Kab \ Êléphantine B, Dendérah0,
se partagèrent la faveur des Pharaons; la ville auguste d'Abydos devint
l'objet de leur prédilection spéciale. Sa réputation de sainteté s'était accrue
sans arrêt, depuis les Papi : son dieu Khontamentît, identifié avec Osiris,
avait conquis par l'Egypte du Sud un rang aussi haut que celui de l'Osiris
Mendésien dans l'Egypte du Nord. On adorait en lui le souverain des sou-
verains des morts, celui qui réunissait autour de lui et qui accueillait sur
ses domaines le plus de sujets appartenant à des cultes différents. Son sépul-
cre, ou plutôt la chapelle qui simulait son sépulcre, et où l'on conservait
une de ses reliques, était édifié sur le toit comme partout7. On y accédait par
un escalier ménagé au flanc gauche du sanctuaire : les théories solennelles
des prêtres et des dévots le montaient lentement au chant des hymnes funè-
bres, les jours de la passion ou de la résurrection d'Osiris, et là, sur la
terrasse, à l'écart du monde vivant, sans autres témoins que les astres du
ciel, les fidèles célébraient mystérieusement les rites de la mort et de l'em-
baumement divins. Les féaux (VOsiris accouraient en foule à ces fêtes, et se
plaisaient à visiter une fois au moins pendant leur vie la cité où leur âme
devait se rendre après la mort, afin de se présenter à la Bouche de la Fente
et de s'y embarquer sur la bari de leur maître divin ou sur celle du Soleil.
Us laissaient, sous V escalier du dieu grand, une sorte de tombeau fictif auprès
de la tombe fictive d'Osiris, une stèle qui éternisait le souvenir de leur piété
et qui servait comme d'hôtellerie à leur âme, quand celle-ci revenait par la
suite au lieu de ralliement de toutes les .âmes osiriennes8. L'affluence des
1. Virf.y, Police des principaux Monuments exposés au Musée de Gizéh, p. 44, n° 136. Table
d'offrandes au nom d'Ousirtasen III, trouvée en 1887 dans les fouilles de Louxor.
2. Table d'offrandes au nom d'Ousirtasen Ier, découverte à Zorlt-Taoud en 1881 (Maspkro, Soles sur
différents points de Grammaire et d'Histoire, dans la Zeitschrift, 1882, p. 123).
3. Une inscription du grand temple d'Horus mentionne les travaux d'un Amenemhàlt et d'un Ousir-
tasen à Edfou, sans ajouter aux cartouches-noms les cartouches-prénoms (Brigsch, Drei Feslkalcndev
von Apolline polis Magna, pi. IV, I. 23) : il s'agit probablement d'Amencmhàtt I" et d'Ousirtasen I".
\. MtiRRAY-WiLKiNsoN, Handbook of Eyypt, p. 508 : je n'ai pas retrouvé ces fragments. M. G ré haut
découvrit à El-Kab, en 1891, un sphinx semblable à celui qui est reproduit p. 503 de cette Histoire
(Virky, Notice des principaux Monuments exposés au Musée de Gizéh, p. 45, n° 139).
5. Birch, Tablets of the XlVh Dynasty, dans la Zeitschrift, 1875, p. 50-51.
ti. Dûmichen a signalé, dans la maçonnerie du grand escalier Est du temple actuel d'Hàthor, une
pierre qui provient du temple antérieur, et qui porte le nom d'Amencmhàtt (Dauurkunde der Tetn-
pelantagen von Dendera, p. 19; Mariette, Dendérah, Supplément, pi. II, e); un autre fragment,
découvert et publié par Mariette {Dendérah, Supplément, pi. H, f), montre qu'ici encore il s'agit
d'Amenemhâît l"r. Les constructions de ce prince à Dendérah devaient être assez considérables, s'il
faut en juger par les dimensions de ce dernier morceau, qui est un linteau de porte.
7. C'est ce tombeau qui est cité par Plntarque (De Iside et Osiriile, § 20, édit. Parthey, p. 31),
et que Mariette chercha si longtemps en vain, pensant qu'il était construit sur le sol même et non
sur la terrasse du temple (Maspkro, dans la lievue Critique, 1881, I. I, p. 83).
8. Les inscriptions constatent en effet pour beaucoup de ces stèles votives qu'elles étaient dépo-
sées sous Vesealier du dieu grand, et qu'elles étaient considérées comme représentant le tombeau
entier (Maspero, Etudes Égyptiennes, t. I, p. 127-129) : de là, la croyance, courante à l'époque grecque.
LES TEMPLES D'ABYllOS! 50»
pèlerins enrichit la population, le trésor sacerdotal se gonfla, et d'année en
année le temple d'autrefois
ne suffît plus aux besoins
de la religion. Ousirtasenl1'"
voulut remédier à cette
situation ' : il dépêcha un de
ses grands vassaux, Mont-
hotpou, pour surveiller les
travaux'. Un distingue les
arrasements du portique en
calcaire blanc qui bordait la
cour d'honneur, et, adossés
aux restes des piliers carrés
qui le soutenaient, des
colosses de granit rose de-
bout, le bonnet osirien au
front, les pieds posés sur
les XeufArcs, symbole des
ennemis vaincus ; le moins
endommagé représente le
fondateur', mais plusieurs
autres figurent ceux de
ses successeurs qui s'inté-
ressèrent au temple*. Mont- «hbmim i" t>'mi>M*.
hotpou creusa un puits
que les infiltrations du Ml alimentaient abondamment. Il élargit et cura
d'après laquelle les plu* riche» des f-K> ptïetis» se seraient fa il nu (errer à AI>yilos . parée qu'il* e~li-
menl n honneur de reposer aupré* ilu tombeau d'Osirïs • {De Ilide et Osiride. g îll. éd. Paatiiei,
p. 31). I.ei Grec* confondaient hit u» hipn^éc réel les stèles repri'-senLilives .le l'hypogée, que les
Égyptien déposaient dêiotement pré* île I i-waticr qui raenail au reposoir d'Osïrin.
I. La fondation e.i altnhui ■■■ a <i i.;ri..-. n I" par Amonisonbou qui restaura le temple sous le Pha-
raon Poiirrl de la XIII* dynastie [Slele C IS du Louvre, I. U-10; cf. 1'. HR lluimn:t. Sur deux ttèle» de
F Ancien Empire, dan. Caini'. .Wtaoyet Kgyplologiquet, 3- série, I. 11. p. *IS, ill7, 411).
t. La slêlc de Sonlhot|Hiu (Vi»n, fîulire tlrt principaux Monument' amierrr'i au Mutée de Gîirh,
p. 38, n- lin) a Clé publiée par Wan-llr [Abydot. 1. Il, pi. XXIII), par K. cl J. de llougé. {Inscription*
liiérogli/plnqnet. |il iXiJII-O.CH ). |.ar liarrssj {Remarque* et .Yofri, dan* le Heriieii de Travaux,
t. IX, v Ml-ll:i): la face anleri*ure dan. Brue.sch [Kmchickle .Vgypteiu. p. \M ! 33 j et dans Lu «hindou
{The Slete of Meatahotrp. nui Jramathoutof the Society <if Hiblicat Arrlirotngy. L\l\l. p 3ï3-:W!ij.
3. Il a elo transporté .-n IRM a Moula.) (W.biktte, Sotice det principaux Monument*. 1804, p. Ï8K,
ri" 3, Abydm. t II. |<l \XI»->. el Catalogne Géuérot, p. f.\, n° 31".; Ilwui.k liuii.i:, Album photogra-
phique de la .Vix-ion uV M J- It.moe. »■■ 1 1 l-l lï).
4. Colosse d'Oviirta*™ III (H.hinii. Abydat, t. Il, pi. XXI d, et Catalogne Général.'?. *'.i. n- 34<i).
5. Iletfi de ruo-hcrtladiu. d'api*» I" photographie de M. de Banville (er. B.ixviLLK-llorirt, Album
photographique de la ffioinn de .11 de llmigr, n" 111-112).
Mil LE PREMIER EMPIRE TUERAIS.
le lac sacré sur lequel les prêtres lançaient l'arche sainte, la nuit des grands
mystères1. Les alluvions de cinquante siècles ne l'ont pas comblé entièrement :
c'est aujourd'hui un étang aux contours irréguliers, qui se dessèche en hiver,
mais se remplit promptement dès que l'inondation gagne le village d'EI-
Kharbéh. Quelques pierres rongées de salpêtre tracent vaguement la ligne
des quais, un bois épais de palmiers encadre les berges au nord et au sud,
vers l'ouest la vue est libre et porte jusqu'à l'entrée de la gorge par la-
quelle les âmes partaient à la recherche du paradis ou de ta barque solaire.
Les buffles viennent boire et se baigner à midi où flottait la hari dorée
d'Usiris, et le bourdonnement des abeilles échappées aux vergers voisins
trouble seul le silence, dans ces lieux, où les lamentations rythmées des
pèlerins résonnaient jadis.
La ville où les premiers Pharaons théhains résidaient de préférence en
temps de paix, Héracléopolis la Grande, dut être une de celles qu'ils s'ap-
pliquèrent à décorer avec amour de monuments somptueux. Elle a malheu-
reusement souffert plus que toute autre, et elle n'offre plus à nos regards,
outre les débris misérables de quelques édifices d'époque romaine, qu'un
bout de colonnade barbare sur le site d'une basilique byzantine presque
contemporaine de la conquête arabe, l'eut-ètre les buttes énormes qui recou-
vrent son emplacement recèlent-elles encore les restes de ses temples
antiques. Nous ne possédons pour juger de ses splendeurs que des men-
tions éparses dans les inscriptions. Nous savons par exemple qu'Ousir-
1. lutcription de MonthotpOU, rcclo, I. ai, au Musée de fii/oli.
t. Demi» île Boudier, d'âpre* vue photographie d'Emile llrugtdl-liey, prise eu lëKi.
HÊBACLEOPOI.IS LA (IRA NUE, ni I
tasen 111 remania le sanctuaire de Ilarshàfitou, et qu'il envoya des expé-
ditions à l'Ouady Hammamàt pour extraire des blocs de granit dignes de
son dieu' : mais l'œuvre de ce roi et de ses successeurs a sombré dans la
ruine complète de la ville antique. Du moins quelque chose a-t-il subsisté
de ce qu'ils firent au Fayoum, cette dépendance traditionnelle d'Héracléo-
polis1 : le temple qu'ils rebâtirent au dieu Sobkou dans Shodit demeura
célèbre jusque sous les Césars romains, inoins peut-être par la beauté de
l'architecture que par la singularité des scènes religieuses qui s'y passaient
journellement. Le lac sacré contenait une famille de crocodiles apprivoisés,
image et incarnation de la divinité, que les dévots nourrissaient de leurs
offrandes, gâteaux, poissons grillés, liqueurs édulcoréos avec du miel.
On profitait du moment où l'une des bètes, vautrée sur ia rive, se chauffait
délicieusement au soleil : deux prêtres lui ouvraient la gueule, un troisième
y jetait les gâteaux, puis la friture, enfin la boisson. Le crocodile se laissait
faire sans sourciller, engloutissait sa provende, puis plongeait et gagnait
I. Expédition en Tan XIV d'Ousii-tascn III (Unucs, Denkm., Il, p. 130 a). Les fouille* de «avilie
ont fourni de» débris su nom d'Ousirtasen II (Ahnot-rl-Medweh, p. ï, IU-U, pi. I, é-e).
ï. Groupe deslatuos représentant Amcnembalt I", découvert à Shodit (I.eixiis, Deukm., Il, HRe-/-).
et mention de dons faits au temple de Sobkou par ce prince (I>n»ll, Itlahuu, Kahuu and Curât.,
[i l'j-iïu). K\|)ùiiition au Val de llainmamàt en l'an XIX d'Amenemliâll III : le roi lui-même va chercher
la pierre nécessaire aux monuments de Sobkou, ma lire de Shodit (Lmiis, Ilenkm., 11. 138 a; cf. 138 b).
(L'uni probablement k ce» travaux que ne rapporte le lambeau d'inscription conservé sur un fragment
de colonne (Lfpsui*. Deukm., II. 118 g), et d'après lequel un roi, non nommé, niais <|iii app:iriii-rit
certainement a la XII- dynastie, éleva une sa Mo llypostylc dans le temple do sou père Sobkou.
3. lirttiu de llouilier, itaprèt une photographie île lloliriiîtc/ir/f.
LE PREMIER EMPIRE TUERAIS.
paresseusement l'autre berge, dans l'espoir toujours trompé d'échapper un
moment à la libéralité de ses fidèles. Dès que l'un de ceux-ci survenait, on
allait le relancer à son poste nouveau et on l'empâtait de la même manière*.
Ces animaux étaient d'ailleurs fort élégants en leur genre : on leur pendait
aux oreilles des anneaux d'or ou de terre entaillée et on leur rivait des
bracelets aux pattes de devant'. Les monuments de Shodîl, s'il en existe
encore, sont ensevelis sous les
buttes de Médinét el-Fayoum, mais
on rencontre dans le voisinage plus
d'un souvenir authentique de la
XII" dynastie. Ousirtasen 1" érigea
ce curieux obélisque en granit,
plus long que large et arrondi au
sommet, dont les pièces gisent
oubliées à terre près du village de
Bégig : une sorte de cuvette s'est
creusée autour de lui, qui se remplit au temps de l'inondation, et il baigne
dans une mare d'eau trouble la meilleure partie de l'année. 11 a perdu la
plupart de ses inscriptions à ce régime; on y aperçoit pourtant cinq étages
de tableaux où le roi tend l'offrande à diverses divinités1. Il y avait près
I. Simn.ii, XVII, |). DU; cf. ItioiHm»: de Skue. I, Si.
i. Destin tir. Faiirhri-thidÎH, d'apret une photographie d'Emile llmgicli-Bry. priie rn /KK.i. I.'iiri-
fiiial en granit noir est aujourd'hui conservé au Musée rlu Berlin, il représente lin des crocodile*
sacré* doiil parle Slrabon ; on lil sur lu base une inscription grecque en l'honneur de Ptolémée Néos
Dionysos, dnns laqurlli; est iiiciilinmiK h- imrii Prli-xnuhhiix. le dieu ijratid, de l'animal divin (Wucsi.n.
lier Lalnjrinthrrbauer Petemkkn', dans la ZeiUekrift, IB8IÎ, p. 136).
a. lltiROMTE, II. Mit; ef. Witmiim, Hérodol'i Zneite* lluch, p. Î8S-304.
i. Orui'u île llcudier. /Taper» une photographie de Goléiiitcheff.
5. IliBiSTiK, Itenriplioii de l'Obélisqut de ISequy, auprès de l'ancienne Croeodilopoli», dans la
Description de l'Egypte, t. IV, p. SlT-iili. l.'Oliélisque est reproduit dans la Deirriplioii de l'Egypte.
Ant., IV, pi. L\\\, dans Bcmos, E.nrrpta llieroglyphica, pi. XXIX. et dans Ursirs, Dcntm , II. lia.
s débris de l'osélisqub
LES CHAMPS ET LES EAt'X DU FAYOUM. 513
de Biahmou un vieux temple tombé en ruines1 : Amenemhàit 111 le releva et
dressa en avant deux de ces statues colossales que les Egyptiens plaçaient
aux portes, comme des sentinelles qui écartaient les influences pernicieuses
et les esprits mauvais. Elles étaient en grés rouge, assises très haut sur un
piédestalde calcaire, à l'extrémité d'une cour rectangulaire; les murs cachaient
la partie inférieure du socle, et le tout semblait une plate-forme légèrement
inclinée, qu'elles dominaient de leur masse'. Hérodote, qui les aperçut de
loin, au temps de l'inondation, crut qu'elles se trouvaient au milieu d'un lac
et qu'elles couronnaient chacune une pyramide'. La reine Sovkounofriourî
elle-même a laissé près d'illahoun quelques traces de son règne écoiirté".
t. L'existence de ce (cm pie, dont !:■ fondation pouvait remonter nu* dynasties héracléopolilaines ou
au% djnastics mernphitcs, est prouvée par un fragment d'inscription (PeTiIK. Haicara, Biahmu and
Anittoe, pi. XXVII, I) dans lequel le roi Amenemhalt III déclare • qu'il trouva l'édifice marchant vers
• la ruine, cl qu'il ordonna • soit de le restaurer, soit d'en bâtir un nouveau.
3. Deitîn de Fauehcr-Gudiii , d'aprèt le major Broa-a (cf. The Fayùm and lake itierit, pi. XXII),
3. Les ruines de Uialimou étaient au ivn" siècle en m:>iiis mauvais étal qu'elles ne sont aujour-
d'hui : Vansleb [Nouvelle Relation en forme de journal d'un Voyage fait en Egypte en 1612 et en
/S7.), p. itk>) assure qu'on y voyait encore un colosse de granit sans tète, dehoul sur sa base, et cinq
piédestaux plus petits, ce que Paul Lucas répète avec son exagération naturelle. Les ruines ont été
décrites par Joinai-il iDeacriplioii deë ruines a" Arsinoe, dans la Deicription de l'Egypte, t. IV. p. 417)
et fouillées récemment par Pétrie, qui en a rétabli le plan cl l'histoire (llaicara, Biahmu and
Aninne, p. 53-3li, pi. XXVI-XXVII ; cf. Huons, The Fayùm and l.ake Mtrri*. p. "C-77. H5-87).
i. HtnouoTE, ni.it; cf. Wihhhi.is, llerodols Zwcitex llne/i, p. riHI-j.l.'i. nindure de Sicile ajoute que
l'une des pyramides passait pour appartenir au roi, et l'autre à sa femme (1, jî).
j. Fragments de colonnes portant son nom à cdlé du prénom de son père Aincneinhill III (Lcpsii ",
SU LE PKEMIErl EMPIRE TIIÉHAIN.
Le Favoum justifie, par sa douceur et par sa fertilité, la prédilection dont
les Pharaons de la XII'' dynastie l'honorèrent '. Il se déploie au sortir des
gorges d'illahoun, comme un vaste amphithéâtre d'agriculture, dont les gradins
vont descendant vers le nord et se perdent sous les eaux mornes du fiirkét-
Kéroun. Deux ravins profonds l'isolent à droite et à gauche des montagnes
auxquelles il s'adosse, tout encombrés de saules et de tamarisques, de
mimosas et d'acacias épineux. Sur la crête, des terres à blé, de la dourah,
du lin alternent avec des palmiers, des grenadiers, de la vigne, des oliviers
presque inconnus dans le reste de l'Egypte. Sur les versants, un mélange de
labourés et de bois étages irrégulièrement, des champs fermés de haies, des
futaies dont les tètes verdoyantes, ici plus pressées, là plus claires, fuient
en moutonnant l'une au-dessous de l'autre. Une sorte de réservoir naturel,
qui embrassait Shodît de trois côtés et qui en faisait une presqu'île à peine
reliée au continent par une digue mince, recevait la crue et l'emma-
[Iricfc nui .f'gyptcn, ». 74 squ,., Dciikm., 11. 140, e-f, A. Pktri£. Ilawara, Biahmu and Ariinnr,
pi. XXVII, li; cf. Pétrie, Entait, Gnrob and Haœara, pi. XI, 1). Pétrie pense que 1rs colonnes de
li XII* dynastie découvertes par Naville à lléracléopolis proviennent do Labyrinthe, ruais il n'est pas
nécessaire de le supposer : les rois de la XII' dynastie ont construit assez de monuments à llénassiéli
pour i|iic les restes dVdilir.cs où l'on trouve leur nom n'aient pas été apportés du dehors.
I. Sur le Fayoum. voir Jimiiin, lte«rrijili/in de* i-rfliijm rl'.iriinoé ™ t'.rocoditopoii* (dans la [leicrip-
timi de [Egypte, l. IV, p. 437-45(1) et Mémoire cur le lac Maris (dans la Description de l'Egypte, t. VI,
|i. l'.',m,-\r,-lj, imis.iliiii'icrsuieriiici-s temps, BcHwEim'nTli liriie i» dm DiprcësimiMgcbict un i'mtreite dei
r'ojum im Jmiuar WKG (dans la ZcUtchrifl der Gcxclltchaft fiir Erdclnmde :u Berlin. 1R8C, n' i),
ui'i bcoiistitnlioii (.'(''.ilo|:ii|uv tlij jiayii o:4 élu il ire un un soin minutieux, enfin l"oiiM-.-i):e du major Baowx.
The e'ayûm aud Lakc ilirrU, où les questions relatifs ii l'histoire de la province sont discutées.
t. Ueiiiu de Iloudicr, d'aprit une photographie de livlciiitihtff.
LES PHARAONS OE LA XII' DYNASTIE AU FAYOUM. 313
gasinait on automne. Mille filets d'eau s'en détachaient, non seulement des
canaux et des rigoles semblables à celles qu'on rencontre dans la vallée, mais
de véritables ruisseaux vivants, murmurants, dévalant à grand train entre
les arbres, étalés en nappes sur les pentes, et tombant par endroits en
petites chutes comme les ruisseaux de nos contrées, mais appauvris en che-
min par des saignées fréquentes et le plus souvent absorbés par le sol avant
d'arriver au lac : ils entraînent dans leur course une partie du terreau accu-
mulé par les inondations, et contribuent ainsi à l'exhaussement des fonds. Le
Itirkéh se gontle ou diminue selon les saisons'. M s'étendait autrefois plus
loin qu'il ne fait maintenant, et la moitié des cantons qui l'avoisinent furent
recouverts par ses flots. Ses rives septentrionales, solitaires et incultes
aujourd'hui, participaient alors aux bienfaits de l'inondation et nourrissaient
t. Dcm'n de Fanclirr-Gudin. d'opret un* photographie du major Biwrn (cf. The Fayùm and l,ake
Nœrii, pi. XV).
1. On trouvera la descriplion des bords du lac dans JomRD. Mémoire lur le lac Maru (dans la
Description de t'Êgijptr, l. VI. p. IC*-104). et StlWlUTliTE, Jteite in dat DejirCttioifgebict, p. 31 a^q.
516 LE PREMIER EMPIRE THEIÏAIN.
une population civilisée. On y rencontre encore sur bien des points les restes
de villages et de murs en pierres sèches; même un petit temple a échappé
à la ruine et persiste à peu près intact au milieu du désert, comme pour
indiquer la limite extrême du territoire Égyptien. On n'y lit aucune inscrip-
tion, mais la beauté des matériaux et la perfection du travail nous portent à
en attribuer la construction à quelque prince de la XII* dynastie. Une chaussée
antique mène de son parvis à l'endroit où le lac affleurait peut-être jadis1.
L'affaissement continu du niveau a laissé ce monument isolé sur la corniche
du plateau libyque, et toute la vie s'est retirée de la région qu'il commande
pour se concentrer sur les rives méridionales. Là, les rives sont basses et
s'immergent par une dépression presque insensible. Les eaux découvrent en
hiver de longues plages, durcies d'une croûte de sel très blanche, sous
laquelle des abîmes de boue et des sables mouvants se dissimulent de loin
en loin. Sitôt après l'inondation, elles regagnent en quelques jours tout
le champ qu'elles avaient perdu : elles envahissent les buissons de tamarisques
qui croissent sur les bords, et mettent autour de la province une ceinture de
1. Ce temple a été découvert ji.-ir Schv-einfurth on IHKt (cf. Ileise in dot Depretiionigebiel im
Vinkrritr de* Fajums im Januar iSKS. eslrait <lc In '/.eitichrift fiir (letelUrhaft fur F.rdkunde ;u
Berlin, 1XKI1, |>. 48 »qt|.) ; il a clé visité depuis lors par Kl. l'uni e, Trn Year* Digging in Egypl,
p. 104-tuu, et par le Major Bnow., The Fayùm and Lakc Mari*, p. 5Î-M et pi. XIV-XYI.
t. Ileitin de lloudier. tfaprè* une photographie de Gotr~ni*cheff.
MEMPHIS ET LES PYRAMIDES DE DAHSIIOUR. 517
marais herbeux où les canards, les pélicans, les oies sauvages, vingt espèces
d'oiseaux s'ébattent et nichent par milliers. Les Pharaons, las du séjour de
leurs villes, trouvaient là des paysages variés et frais, un climat toujours égal,
des jardins sans cesse égayés de fleurs, et, dans les fourrés du Kéroun, ces
chasses au boumérang ou ces pèches interminables qui faisaient leurs passe-
temps favoris'.
Ils voulurent reposer où ils avaient vécu. Leurs tombeaux vont d'IIéra-
cléopolis rejoindre les dernières pyramides Memphites : Dahshour en a con-
servé deux. Celui du nord est une immense bâtisse en briques, placée à
proximité de la pyramide à mansarde, mais plus approchée qu'elle à la lisière
du plateau, de manière à dominer la vallée3. On dirait qu'en venant s'in-
staller immédiatement au sud du site où l'api II trônait dans sa gloire, les
Thébains ont voulu renouer la tradition des dynasties anciennes par-dessus
les Héracléopoli tains et affirmer à tous les yeux leur descendance antique. Une
de leurs résidences s'élevait non loin de là, vers Miniét Dahshour, la cité de
1. Plusieurs personnages du premier empire théhnin parlent les divers titres appartenant aui
mattm de* chaîna royale» du Fayoum ; ainsi le Sovkholpou dont la statue est au Musée de Marseille
(E. Nsville, Un Fauclionnaire delà XII' dynastie, dans le Recueil de Travaux, t. I, p. I0M1Ï).
t. Detiin de lloudier, d'après une photographie d'Emile Brugtck-Bey. Les deui pyramides sont
3. Cette pyramide a été décrite sommairement par Perring, dans le troisième volume du grand
ouiragc de Vvse, Opérations carried on al Ihe Pyramid* in ISST, t. Il, p. 5T-63.
Rt8 LE PREMIER EMPIRE THEBAIN.
Tttooui, le séjour préféré d'Amenemhàît 1". C'est là que fleurirent à côté
d'Amenemhait III ces princesses souveraines, Nofirhonlt, Sonit-Sonbit, Sitlià-
thor, Monîl, ses sœurs, ses épouses, ses filles, dont les sépultures bordent le
front nord de la pyramide. Elles y dormaient côte à côte, comme jadis au
harem, et leurs momies ont gardé, en dépit des voleurs, les parures dont la
piété de leurs maîtres les avait revêtues la veille des funérailles. L'art des
vieux orfèvres, dont nous ne connaissions que des images dessinées sur les
murs des tombes ou sur les ais des
cercueils, s'y déploie dans toute sa
finesse. C'est une profusion de gor-
gerins en or, de colliers en perles
d'agate ou en fleurs de lotus émail-
Iées, de scarabées en cornaline, en
améthyste, en onyx. Des pectoraux
aux cloisons d'or, inscrustées de
lamelles en pâtes vitreuses ou en
( pierres découpées, portent les car-
touches d'Ousirtasen 111 et d'Amen-
emhait 11, et tout dans ce trésor trahit une sûreté de goût et une légèreté
d'outil prodigieuse. A les voir si délicats, et pourtant si neufs dans leur
antiquité, on perd la notion des cinquante siècles qui se sont écoulés depuis
lors. II semble que les femmes royales auxquelles ils appartinrent se tiennent
quelque part, à portée de la voix, prêtes à répondre dès qu'on daignera les
appeler; on imagine par avance la joie qu'elles ressentiront lorsqu'on leur ren-
dra ces parures somptueuses, et il faut l'aspect des cercueils vermoulus où leur
momie sommeille raide et défigurée, pour ramener le curieux au sentiment de
la réalité*. Deux autres pyramides, mais cette fois en pierre, subsistent plus
au sud, sur la gauche du village de Lisht' : le revêtement, arraché par les
fellahs, a disparu tout entier, et l'on dirait de loin deux tertres qui rompent la
ligne du désert, plutôt que deux édifices façonnés de main d'homme. Les
chambres funéraires ménagées fort bas dans le sable se sont remplies d'eau
1. Destin de Fauchcr-iSudin, d'âpre* une photographie d'Emile. llnigseh-Bey.
t. C.p sont les bijoix ilémuveris (.nr M. de Morgan en ISU4 dans ses fouille» autour de la pyramide
de Tlahsliour (cT. les Complet Itelidnt de l'Aeadtmir des Interiplioiu, I8t>4).
ï. l'.e* pyramides, signalées par Jonian, lieteription det Antiquité! de V Ileptannmide (dans la Drt-
rripliuu de l'Egypte, t. IV, p. 4Ï9-430), et par Pfmhm-Vïse, Opération* earried on. t. III, p. 77-78, ont
été ouvertes île 18Sîà mil. Les ehambres n'ont pu élre e\ploréei (Mamem, Ktudet de Mythologie et
d'Archéologie Égyptienne: t. I, p, 1 48-149}. Les objets qui y ont été recueillis sont conservés aujour-
d'hui au Musée de Gizéh (Masnsro, Guide du Vitileur, p. HitfA, n» 1034-1051).
LES PYRAMIDES IflLI.AHOUN ET DE HAWARA. 519
par infiltration, et l'on n'a pas réussi encore à les vider assez pour y pénétrer :
est-ce Amenemhàît I" qu'elles renferment, Ousirtasen 1" ', Àmenemhàit II? On
sait du moins qu'Ousirtasen 11 se bâtit la pyramide d'Illahoun, et Amenemhàît III
celle d'Hawarà. Holpoit, la tombe d'Ousirtasen II, s'étalait sur une colline
rocheuse à sept cents mètres environ des terres cultivées. Un temple la bor-
nait à l'est, et contre le temple une ville, Hàit-Ousirtasen-llotpou, « le Châ-
teau du Repos d'Ousirtasen » : les ouvriers employés aux travaux y habitaient
ainsi que leur famille. Il ne reste plus guère du temple qu'une enceinte en
briques, dont les parois étaient habillées de calcaire fin, écrit et sculpté. Le
mur de la ville s'y appuyait, et les quartiers avoisinants sont encore intacts,
ou peu s'en faut : les rues couraient droites, coupées à angle droit, flanquées
de maisons et si régulièrement distribuées, qu'un seul agent de police pouvait
surveiller chacune d'elles d'un bout à l'autre. La maçonnerie est grossière,
hâtive, et contient des débris de constructions antérieures, des stèles, des
morceaux de statues. La ville se dépeupla dès que le Pharaon eut pris pos-
session de son sépulcre : elle fut abandonnée à la XUI" dynastie, s'engrava
sous les décombres et sous"" le sable que le vent apporte'. Au contraire,
la cité qu'A mènent hait III annexa à son tombeau se prolongea à travers les
1. La construction de la pyramide d'Ousirtasen I" avait été confiée à Merrî, qui la décrit sur une
Blèlc conservée au Louvre {C 3, I. 1-7, PieRbkt, Htcueil d'inscriptions inédite), l. Il, |>. IOi-101; G«vet,
Stèles de ta XII' dynastie, pi. IV-V; cf. Misreno, Noirs sur différent» points de Grammaire et d'His-
toire, dans les Hélanges d'Archéologie, t. Il, p. Ml-Mi, Ëtudei de Mythologie, t. I, p. 3, note i).
ï. Dessin de r'anchrr-tiudin, d'après une photographie de Goténischeff.
S. La pyramide d'Illalioun a été ouverte et sou identité avec la pyramide d 'Ousirtasen II démontrée
par Pétrie, Kahun, f.urob and llaurnra, p. 1 1-14, *I-SS, et lllahun, Kahaii and llurob, p. 1-15.
520 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
âges. Le roi reposait dans un grand sarcophage de grès quartzeux, et à côté
de lui, dans un petit cercueil, son épouse favorite, Nofriouphtah1. La chapelle
funéraire était fort vaste et aménagée de façon assez compliquée. On y voyait
un nombre considérable de pièces, les unes assez larges, les autres médiocres,
toutes difficiles d'accès et plongées dans une obscurité perpétuelle : c'est le
Labyrinthe d'Egypte, auquel les Grecs ont fait par méprise une renommée
universelle'. Amenemhâit III ou ses architectes ne songeaient pas à construire
l'édifice assez puérilement combiné auquel la tradition classique a cru tout
entière. Il avait richement doté son clergé et assuré à son double des revenus
considérables : les chambres étaient autant de magasins où Ton conservait le
trésor du mort ou ses provisions, et dont la répartition n'offrait rien de plus
mystérieux que celle des entrepôts ordinaires. Comme le culte dura longtemps,
le temple fut longtemps entretenu en bon état : il n'était peut-être pas aban-
donné encore au moment où les Grecs le visitèrent pour la première fois3. Les
autres souverains de la XH° dynastie doivent être enterrés non loin d'Amenem-
hàit III et d'Ousirtasen II : ils possédaient, eux aussi, leurs pyramides, dont il
faudra bien un jour retrouver le site4. La silhouette de ces monuments est à
peu près celle des pyramides memphites, mais les dispositions intérieures ont
changé. A Hawarà comme à Illahoun, comme à Dahshour, le gros œuvre est en
briques sèches, de forte taille, entre lesquelles on a coulé du sable fin pour don-
ner de la consistance à la masse, et qui disparaissaient entièrement sous un revê-
tement de calcaire poli8. Les couloirs et les chambres ne s'agencent pas non plus
sur le plan assez simple qu'on rencontre dans les pyramides de l 'âge antérieur*.
1. Comme la pyramide d'IUahoun, celle de Hawarà a été ouverte, et le sarcophage du Pharaon décou-
vert, par Pétrie, Hawarà, Biahmu and Arsinoe, p. 3-8, Kahun, Gurob and Hawarà, p. 5-8, 1*2-17.
2. Le mot Labyrinthe, XaoupivOoç, est une adaptation grecque du nom égyptien rapou-rahounit, temple
de Hahounit >, prononcé selon le dialecte local lapou-rahounît (Mariette, les Papyrus Egyptiens du
Musée de Boulaq, t. I, p. 8, note 2 ; Br rr.se h, Das Mgyptische Sec l and, dans la Zcilschrift, 1872, p. 91,
Dictionnaire géographique, p. 501). Brugsch a contesté depuis cette étymologie, qu'il avait été
pourtant l'un des premiers à préconiser (l)er Môris-See, dans la Zeitschrift, t. XXX, p. 70).
3. Sur le Labyrinthe d'Egypte et sur les hypothèses auxquelles il a donné naissance, voir Jomard-
Caristir, Description des ruines situées près de la pyramide d'Haouârah, considérées comme les restes
du Labyrinthe, et comparaison de ces ruines avec les récits des anciens, dans la Description de
VÈgypte, t. IV, p. 478-521. L'identité des ruines d'IIawarà avec les restes du Labyrinthe, admise par
Jomard-Caristie et par Lepsius (Rriefe aus ,figypten, p. 74 sqq.), contestée par Vassalli (Rapport sur
les fouilles du Fayoum adressé à M. Auguste Mariette, dans le Recueil de Travaux, t. VI, p. 37-41),
a été démontrée définitivement par Pétrie (Hawarà, Biahmu and Arsinoe, p. 4 sqq.), qui a retrouvé les
restes des constructions d'Amencmhâit III sous les débris d'un village et de tombes gréco-romaines.
4. On possède les noms de la plupart de ces pyramides : ainsi, celle d'Amenemhàit Ier s'appelait
Ka-nofir (Louvre G i, 1. 1 ; cf. Gayet, Stèle de la XIP dynastie, pi. II).
5. La construction particulière de ces pyramides, indiquée par Jomard-Caristie, Pyramide (VHaouA-
rah et Description de la Pyramide d'IUahoun (dans la Description de VÈgypte, t. IV, p. 482-482, 514-
510), a été étudiée de plus près par Vyse-Perriniî, Opérations carriedon at the Pyramids in M\?7, t. III,
p. 80-83; cf. Perrot-Cuipikz, Histoire de l'Art dans l'Antiquité, t. 1, p. 210-211.
6. Voir les plans de la pyramide d'IIawarà dans Pétrie, Kahun, Gurob and Hawarà, pi. II— IV, et
ceux de la pyramide d'IUahoun dans Pétrie, Ulahun, Gurob and Arsinoe, pi. II.
L'AGENCEMENT INTERIEUR DES PYRAMIDES SOUS LA XII* DYNASTIE. 521
L'expérience avait appris aux Pharaons que ni les murs de granit, ni les
herses doublées, ne garantissaient leurs momies contre les profanations :
dès que les guerres civiles ou la faiblesse de l'administration relâchaient la
surveillance, les voleurs entraient en campagne et, perçant à travers la maçon-
nerie de vraies galeries de taupes, se glissaient à force de patience jusqu'au
caveau même pour dépouiller le mort de ses richesses. On multiplia les cou-
loirs en cul-de-sac, les chambres sans issue visible, mais dont le plafond
déplacé livrait accès à d'autres salles et à d'autres corridors également mysté-
rieux ; des puits forés dans les coins puis bouchés avec soin attiraient le sacri-
lège sur une piste fausse, et le menaient à la roche solide, après lui avoir fait
perdre beaucoup de temps et de travail. Aujourd'hui l'eau du ÏNil emplit la cel-
lule du centre et noie le sarcophage : je ne serais pas étonné que le cas eût été
prévu, et qu'on n'eût compté sur les infiltrations comme sur un obstacle de plus
qu'on opposait aux attaques du dehors1. La dureté du ciment qui soude la cuve
au couvercle protège le cadavre contre l'humidité, et Pharaon brave encore
sous plusieurs pieds d'eau la convoitise des voleurs ou des archéologues.
La toute-puissance des rois tenait la féodalité en bride : elle ne l'avait
intin dr Boudin-, d'apr*» une photographie dhmile Brug'rhhnj priie en I8HA.
I faut remarquer en effet qu'à l'époque gréco-roin-iiin- i>« connaissait la présence de l'eau dans
rlain nombre de pyramides, et qu'on l'y croyait n«se* n*«ulièrc pour la supposer dans une de
où elle n'avait jamais péiiétn-, la pynmids Ai- kii<.ir,« Hin Vote (11, cmrv) raconte, d'après
loignattc des drogmans qui le guidaient, qu'un canal souterrain apportait les e*nx du Nil jus-
caveau funéraire du Pharaon cl renfermait de lnuti> jurl. comme dans une Ile.
S22 LE PREMIER EMPIRE TllEBAlK.
point supprimée, et les familles seigneuriales continuaient non seulement à
vivre, mais à prospérer grandement. Partout, à Êléphantine1, à Coptos1,
à Thinîs*, dans Àphroditopolis', dans la plupart des cités du Said ou du
Delta, des princes sié-
geaient qui dérivaient leur
origine des anciens barons
ou même des Pharaons de
l'époque Memphite, et qui
le disputaient en noblesse
aux membres de la famille
régnante, s'ils ne l'empor-
taient pas sur eux. Les
princes de Siout ne jouis-
saient plus d'une autorité
égale à celle que leurs
ancêtres avaient exercée
sous les dynasties béra-
cléopolitaines.mais il s con-
servaient une influence con-
sidérable : l'un d'eux, Ha-
pizaoufi I", se creusa sous
Ousirtasen 1'', non loin des
hypogées de Khiti et de
Tefabi, cet admirable tombeau qui, à moitié détruit par les moines coptes ou
par les Arabes, attire encore les voyageurs et les remplit d'étonnement'. Les
sîres de Shashotpou au sud1, ceux d'Hermopolis au nord avaient hérité en
I. On connaît a f.lcphantiiic Si ran pilou I" (cf. p. 493-494 do cette Histoire), sous Ousirtascn I"
et sous AmcncmhAII II (Doi'HIakt, Us Tombeaux d'Assouâii, dans le Itecueii de Travail*, t. X,
î. C'est probablement n la principauté de Coptes qu'il convient de rattacher le Zaoutaqtr de deu»
inscriptions relevées par Goluoscheff, Résultat* épigraphiquei d'une excursion au Ouady Hammamat,
pi. Il, n" 4, pi. III, n" 3, cl traduites par Mjspf.so, Sur quelque/ iutrriplionê du temps d'Amen-
rmkiltt I" au Ouady Ilamnianial, p. 10 sqq.; cl\ p. 464 de celte Histoire.
3. l.c princi|ial des princes de Thinîs sont la XII' dynastie est l'Autour du la stèle C £6 du Louvre
[0»tet, Stèles de ta XII- dynastie, pi. XIV-XXI1).
4. La aircric d 'Aphroditopolis Parva, Zohoui, i
;nt du temps d'Aincnfnihàll III elle •■»' consacrée à la m
«IRTTI, Catalogue Centrât, p 19*. n" 687)
tait actuellement t|uc deux des membre» de la iljna-lii- ununlli- de-
Siout, Hapiiaouli 1", contemporain d'Oiisirla»cii I", cl Hapi'aunlî II. dont le- lomlies. ;
Gmffitb, The Inscriptions of Siût and Dêr-lufrh. pi IX. \X, renferment des leur* r
?c.r II
orit|u<
. La tombe de Khnouinnolir, fils de Mazi, a ctf signale
n. The
LES PRINCES DE MONÀlT-KHOUFOUl. 523
partie de la prépondérance que leurs voisins de Siout avaient perdue. Les
Hermopoli tains dataient au moins de la VIe dynastie, et ils avaient traversé
sans encombre les temps de guerres1 qui suivirent la mort de Papi II. Une
de leurs branches possédait le nome du Lièvre, tandis qu'une autre comman-
dait à celui de la Gazelle*. Les seigneurs du Lièvre se rallièrent à la cause
thébaine et comptèrent parmi les vassaux les plus fidèles aux souverains du
Midi : l'un d'eux, Thothotpou, se fit ériger dans sa bonne ville d'Hermo-
polis une statue digne d'un Pharaon3, et leurs hypogées de Bershéh témoi-
gnent de leur puissance autant que de leur goût pour les arts4. Pendant les
troubles qui mirent fin à la XIe dynastie, un certain Khnoumhotpou, qui se
rattachait on ne sait comment aux sires de la Gazelle, entra au service thé-
bain et accompagna Amenemhâît 1er dans ses campagnes de Nubie. Il obtint
en récompense de sa fidélité Monâit-Khoufoui et le canton de Khouît-Horou, —
V Horizon d'Horus, — à l'orient du Nil5. Lorsque la partie occidentale lui
accrut, il confia le gouvernement de celle qu'il quittait à son fils aîné, Nakhîti Ier,
puis, Nakhîti étant mort sans postérité, Ousirtasen Ier voulut bien accorder
à la sœur du défunt, Biqit, la qualité et les prérogatives d'une princesse
héritière. Biqît épousa Nouhri, qui était des princes d'Hermopolis, lui
apporta en dot le fief de la Gazelle, et doubla ainsi la fortune de la maison.
L'aîné des enfants qui naquirent de leur union, Khnoumhotpou H, fut nommé
tout jeune gouverneur de Monâît-Khoufoui, et ce titre paraît avoir été dans
l'espèce l'apanage du successeur désigné, comme celui de Prince de Kaou-
shou fut plus tard la propriété de l'héritier au trône, à partir de la XIXe dynastie.
Le mariage de Khnoumhotpou II avec la jeune Khîti, dame héréditaire du
Chacal, le rendit maître de l'une des provinces les plus fertiles de l'Egypte
moyenne. La puissance de la maison se confirma encore sous Nakhîti II, fils de
Khnoumhotpou II et de Khîti : Nakhîti, prince du Chacal des droits de sa mère,
sire de la Gazelle après la mort de son père, reçut d'Ousirtasen II l'adminis-
Dér-Htfeh, pi. XVI, 1 : elle appartient à la XII" dynastie, ainsi que plusieurs autres tombes inédites de
la même localité.
1. Du moins les princes hermopolitains de la XII° dynastie affirmaient que ceux de la VI* étaient leurs
ancêtres directs (Maspero, la Grande Inscription de Béni-Hassan, dans le Recueil de Travaux, t. I,
p. 178-179), et les traitaient en conséquence dans leurs inscriptions (Lepsius, Denkm., II, 112, a-e).
Thothotpou avait fait restaurer leurs tombes comme celles de ses pères.
2. Maspero, la Grande Inscription de Beni-Hassan, dans le Recueil de Travaux, t. I, p. 177-178.
3. Voir, p. 333 de cette Histoire, la vignette qui montre le transport de ce colosse.
4. Les tombes de Bershéh ont été décrites par Nestor Lhote, Lettres écrites d'Egypte, p. -46-52,
reproduites partiellement par Prisse d'Avennes, Monuments, pi. XV, p. 3, et par Lepsius, Denkm., H,
131-135. La principale d'entre elles, qui appartenait à Thothotpou, a été fort mutilée, il y a quelques
années, par les marchands d'antiquités et par les touristes
5. Newberry. Beni-Hasan, t. I, pi. XLIV, I. 4-7 et p. 84; cf. p. 40-4 de cette Histoire.
824 LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
t ration de quinze des nomes du Midi, depuis Aphroditopolis jusqu'à Thèbes1.
Ce que nous savons de son histoire s'arrête là, mais il est probable que ses
descendants se maintinrent au même point pendant plusieurs générations. La
carrière de ces personnages se réglait sur celle des Pharaons, leurs contem-
porains : ils allaient à la guerre avec leurs troupes, et du butin qu'ils ramas-
saient ils construisaient des temples ou se bâtissaient des tombeaux. Ceux
des princes de la Gazelle sont disséminés sur la rive droite du Nil, et les plus
anciens font vis-à-vis à Miniéh. C'est à Zaouiét el-Maiêtîn et à Rom el-Ahmar,
presque en face d'Hibonou, leur capitale, qu'on trouve les hypogées de ceux
d'entre eux qui vivaient sous la VIe dynastie. L'usage de conduire les morts
au delà du Nil existait depuis des sjècles, au moment où ils se creusèrent
leurs caveaux dans la montagne orientale; il persiste de nos jours, et une
partie du peuple de Miniéh se fait enterrer, d'année en année, aux lieux
même où ses ancêtres lointains choisirent le site de leurs maisons éternelles.
Le cimetière dort en plein sable, au pied des collines : un bois de palmiers le
cache à demi, comme un rideau tendu le long de la rivière, un couvent copte
et quelques santons rallient autour d'eux les tombes de leurs fidèles, musul-
mans ou chrétiens. Les syringes de la XIIe dynastie se succèdent -en une
seule ligne irrégulière dans les rochers de Béni-Hassan, et le voyageur qui
navigue sur le Nil voit longtemps leurs portes s'ouvrir et se refermer
devant lui, à mesure qu'il remonte ou descend le courant. On y pénètre
par une sorte de baie rectangulaire, plus ou moins haute, plus ou moins
étroite selon l'importance de la chapelle. Deux seulement, ceux d'Àmoni-
Amenemhâit et de Khoumhotpou II, ont un portique extérieur dont tous les
membres, piliers, bases, entablements, sont réservés dans la roche vive : les
colonnes polygonales dont il se compose prennent un faux air de dorique
primitif. Des rampes droites ou des escaliers semblables à ceux d'Eléphantine
menaient jadis de la plaine au palier*. 11 n'en subsiste plus aujourd'hui que les
traces, et le visiteur gravit de son mieux la pente sablonneuse : où qu'il entre,
les parois étalent à ses yeux de vastes panneaux d'inscriptions, des scènes
civiles ou funéraires, des tableaux militaires et historiques. Ce ne sont point
des sculptures comme aux mastabas memphites, mais des fresques peintes
1. L'histoire de la principauté du Lièvre et celle de la principauté de la Gazelle ont été rétablies
par Maspkro, la Grande Imcription de Béni-H autan (dans le Recueil de Travaux, t. I, p. 169-181),
dont il faut rectifier en partie les résultats au moyen des documents nouveaux publiés par Newrehry.
Béni- H a s an, t. 1 et II, et mis en œuvre par Griffith, dans Newbkrry. Ben i- H a sa n, t. Il, p. 5-16.
S. ItosELLiNi, Monumenti Civili. t. I, p. 63-64; cf., p. -430-431 de cette Histoire, la description de
ces tombes d'Kléphantinc et la vignette qui en montre l'aspect extérieur.
LES HYPOGÉES DE Bf.NI-HASSAN. 525
sur la pierre même. L'habileté technique ne s'y révèle pas moindre qu'autre-
fois, et la conception de l'ensemble n'a pas changé depuis le temps des rois
constructeurs de pyramides, tl s'agit toujours d'assurer au double la richesse
dans l'autre monde, et de lui conserver parmi les mânes le rang qu'il occupait
parmi les vivants : les semailles, la récolte; l'élevage des bestiaux, l'exercice
des métiers, la préparation et l'apport des offrandes sont donc représentés
aussi complètement que jadis. Mais un élément nouveau se joint aux motifs
anciens. Un sait, et l'expérience du passé est là pour l'enseigner, que les pré-
cautions prises avec le plus de soin et les conventions observées avec le plus
de conscience ne suffisent pas à perpétuer le culte des ancêtres. Le jour vien-
dra forcément où non seulement la postérité de Khnoumhotpou, mais la masse
des indifférents et des curieux visitera son tombeau : il veut qu'elle connaisse
sa généalogie, ses vertus d'administrateur et d'homme privé, ses actions
d'éclat, ses titre» et ses dignités de cour, l'immensité de ses richesses, et, afin
qu'elle ne puisse rien en ignorer, il raconte ce qu'il a fait ou il le figure
sur la muraille. Il résume l'histoire de sa famille en un long discours de deux
cent vingt-deux lignes, et il y introduit des extraits de ses archives, pour mon-
I. Deitin de Boudier, fapri* une plmtagrapliie d'tnnuigcv.
m LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN.
trer la faveur dont les siens jouissaient auprès de leurs rois1. Amoni et Khiti,
qui furent, à ce qu'il paraît, les belliqueux de la race, ont retracé partout les
épisodes de leur carrière militaire, les évolutions de leurs soldats, le combat
corps à corps, le siège des forteresses*. Ce n'étaient pas des bandes de princes
fainéants que ces lignées de la Gazelle ou du Lièvre dont les chefs partageaient
avec Pharaon la possession du sol de l'Egypte : elles avaient l'esprit tenace,
l'humeur batailleuse, le désir insatiable d'arrondir leurs domaines et l'habi-
leté d'y réussir par intrigues de cour ou par mariages avantageux. On se figure,
d'après leur histoire, ce qu'était la féodalité égyptienne, de quels éléments
elle était constituée, quelles ressources elle avait à sa disposition, et Ton est
saisi de stupeur quand on songe aux qualités de force et de finesse que les rois
durent déployer pour tenir tête à de tels vassaux pendant deux siècles.
Àmenemhâit 1er avait abandonné Thèbes pour fixer sa résidence à Héracléo-
polis et à Memphis; il l'avait remise à un personnage, qui appartenait pro-
bablement à la maison royale. Le nome d'Ouisît était retombé à la condi-
tion de fief simple, et, si nous ne réussissons pas encore à établir la série
des princes qui s'y succédèrent à côté des rois, nous voyons du moins que
tous ceux dont le souvenir est parvenu jusqu'à nous jouèrent un rôle consi-
dérable dans l'histoire de leur temps. Montounsîsou, dont la stèle fut gravée
en l'an XXIV d'Amenemhâît Ier, et qui mourut sous le règne commun de ce
Pharaon et de son fils Ousirtasen Ier, avait participé à la plupart des guerres
dirigées contre les voisins de l'Egypte, les Ànitiou de Nubie, les Monîtou du
Sinai, les Maîtres des Sables : il avait démantelé leurs cités et rasé leurs for-
teresses3. La principauté conserva sans doute les mêmes limites qu'elle avait
acquises sous les premiers Àntouf, mais la ville s'agrandit de jour en jour, et
elle gagna en importance, à mesure que les frontières fuyaient vers le sud.
Elle était devenue, après les conquêtes d'Ousirtasen 111, comme le nombril du
monde égyptien, le centre d'où les Pharaons pouvaient rayonner indifférem-
ment vers la péninsule du Sinai ou vers la Libye, vers les côtes méridionales
i. L'inscription de Khnoumhotpou a été copiée pour la première fois par Burton, Excerpta Iliero-
glyphica, pi. XXII1-XXIV. Le tombeau a été décrit par Champollion (Monuments de l'Egypte et delà
Nubie, t. Il, p. 385-425) et beaucoup de scènes publiées dans les planches de son grand ouvrage, très
fidèlement, ainsi que dans celui de Rosellini. On le trouve dessiné en entier dans Lkpsiis, Denkm.,
II, 123-130, et dans Newbkrry, Beni-Hasan, t. I, pi. XXII-XXXVI1I.
2. Le tombeau d'Amoni-Amenemhàit a été décrit très minutieusement par Champollion, Monu-
ments de l'Egypte et de la Nubie, t. Il, p. .125-434, et par Newhkrry, Beni-Hasan, t. I, pi. 111-XXI;
celui du prince Khîti est public également dans Champollion le Jeune (Monuments de l'Egypte et de
la Nubie, t. II, p. 334-358) et dans Newherry (Beni-Hasan, t. II, p. 51-62, pi. IX-XIX).
3. Stèle C I du Louvre (Gayet, Stèles de la XII' dynastie, pi. I ; Pikrret, Hecueil d'Inscriptions,
t. II, p. 27-28), interprétée par Maspkro, Un Gouverneur de Thèbes au début de la XII* dynastie (extrait
des Mémoires du premier Congrès International des Orientalistes tenu à Paris, t. II, p. 48-01).
LES SIRES t)E THÊItES SOUS 1.A XII* DYNASTIE. .127
de la mer Rouge on vers Koush l'humiliée. L'influence de ses seigneurs s'en
accrut d'autant : ils étaient, sous Amenemhàit III et sous Amenemhàit IV, les
plus puissants peut-être des grands vassaux, et, quand la XII' dynastie laissa
échapper la couronne, .l'un d'eus la releva. On ne sait comment la transition
s'acheva entre les Pharaons qui descendaient d'Amenemhàit Ier et la branche
cadette de leur famille. Lorsqu'Amenemhâit IV mourut, on ne lui trouva
d'autre héritier qu'une femme, sa sœur Sovkounofnourî : celle-ci garda
l'autorité suprême un peu moins de quatre ans1, puis elle céda ta place à un
Sovkhotpou 1. Y eut-il révolution de palais, émeute populaire, guerre civile?
La reine choisit-elle le nouveau souverain comme époux et le changement
s' accomplit-il sans lutte? Sovkhotpou était probablement sire d'Ouisît, et la
t. Dessin de Boudier, d'après la chromolithographie de LmiN, Denkm., I, pi. Ut. Le premier
tombeau a gauche, dont on • perçoit le portique, est celui de Khnoumhotpou It.
j. Elle régna exactement trois ans. dix mois, dix-huit jours, d'après les fragments du Canon royal
de Turin (Lefsics, Auttoaht dtr irirhtigiten Urkunden, pi. V. col. Vil, I. £).
3. Sovkhotpou Khoutoouirl d'après les éditions actuelles du Papyrus de Turin (Lepsiiï. Auttrahl.
pi. V, col. Vil, I. B). ce qui avait décidé Lïeblein (llecherclies sur ta Chronologie Égyptienne, p. lOi-
in:i) H Wicdemann [.Egyptische Getchichte. p. ■iBG-itST] à écarter l'identification de ce premier roi de
la XIII* dynastie avec Sovkhotpou Sakhem khoutoouirl. admise généralement (E. de Hocrct, Inscription des
rochers de Semnth, dans la Revue ArelUotogique, V scr., I. V, p. 313-314; I.aiitk, Manelho und der
Tttriner Kiinigtpapyna. p. Ï3C). Cependant la façon dont les monuments de Snvkliotpon Sakhcni-
khoutoouirl et ses papyrus (KiirriTi, dans I'etme, lllahun, Knkun and lluroti, p. 50) sont mêlés aux
monuments d'Amenemhàit III a Semnéh et au r'avouni, montre qu'on ne saurait beaucoup h' séparer
de ce roi. De plus, quand on examine le Papyrus de. Turin, on s'aperçoit qu'il y a, en avant du groupe
Khautooui du premier cartouche, une déchirure qui n'est point indiquée sur le fac-similé, mais qui s
endommagé légèrement le disque solaire initial et enlevé presque entièrement un signe. On est
donc porté à croire qu'il y avait là m Sni/iriiiklinuliiiniiri au lieu d'un Khoutoouiri, si bien qu'en fin
de compte tous les savants auraient raison chacun à leur manière, et que le fondateur de la XIII* dy-
nastie serait un Sakhemkhouloouiri I", tandis que le Sovkhotpou Sakhemkhoutoouirl qui occupe le
quinzième rang dans la dynastie sera il un Saklicinklioiilooiiirt 11.
528 LE PREMIER EMPIRE THËBAIN.
dynastie qu'il fonda est enregistrée comme originaire de Thèbes par les his-
toriens indigènes. Son avènement ne changea rien à la constitution de
l'Egypte : il consolida seulement la suprématie thébaine et la consacra défini-
tivement. Thèbes fut désormais la tète du pays entier : sans doute ses rois
n'abandonnèrent pas du premier coup Héracléopolis et le Fayoum, mais ils
ne visitèrent ces résidences qu'en passant, à de longs intervalles, et finirent par
ne plus s'y arrêter au bout de quelques générations1. La plupart séjournèrent
à Thèbes, y concentrèrent l'administration du royaume, y bâtirent leurs pyra-
mides*. La capitale effective d'un souverain, c'était moins encore l'endroit
où il siégeait vivant, que celui où il reposait mort : Thèbes fut la capitale
effective de l'Egypte, du jour où ses maîtres y eurent leurs tombeaux.
L'incertitude reparaît dans son histoire avec Sovkhotpou Ier : non que les
monuments nous manquent ou les noms de rois, mais au milieu de tant de
Sovkhotpou et de Nofirhotpou qui sortent de terre pêle-mêle sur vingt points
de la vallée, nous ne savons pas encore de manière certaine l'ordre qu'il
convient d'adopter pour les classer. La treizième dynastie compta, dit-on,
soixante rois qui durèrent quatre cent cinquante-trois ans8. La succession ne
s'opéra pas toujours en ligne directe de père en fils : plusieurs fois inter-
rompue par le défaut d'héritiers mâles, elle se renoua toujours sans secousse,
grâce aux droits que les princesses possédaient et qu'elles transmettaient à
leurs enfants, quand même leurs maris n'appartenaient pas à la famille royale.
Sovkhotpou III avait pour père un simple prêtre, Monthotpou, dont il cite
souvent le nom; mais le sang solaire coulait dans les veines de sa mère et lui
valut la couronne*. Le père de son successeur, Nofirhotpou II, ou ne tenait pas
ou ne tenait que de loin à la branche régnante, mais sa mère Kamâit était fille
1 . M. Pctrie a trouvé des Papyrus de Sovkhotpou Ier à Hawara (Pétrie, lllahun,Kahun and Gurob, p. 50).
2. On connaît à Thèbes la pyramide de Sovkoumsaouf et de sa femme la reine Noubkhâs, par le
témoignage du Papyrus Abbott (pi. 111, I. 1-7, pi. VI, 1. 2-3; Birch-Chabas, Élude sur le Papyrus
Abbott, dans la Revue Archéologique, 1M série, t. XVI, p. 269-271 ; Chabas, Mélanges Égyptologiques,
3* série, t. I, p. 63-64, 68, 104; Maspero, Une enquête judiciaire à Thèbes, p. 18-19, 41, 73) et du Papyrus
Sait (Chabas, Mélanges Égyptologiques, 3* série, t. II, p. 1 sqq.). Les fouilles de M. Morgan ont montré
qu'Aoutouabrl Ier Horou se fit enterrer sur le plateau de Dahshour près de Memphis.
3. C'est le chiffre de l'une des listes de Manéthon, dans MCller-Didot, Fragmenta Historicorunt
Grxcorum, t. II, p. 565. La théorie de Lepsius, d'après laquelle les Pasteurs auraient envahi l'Egypte
dès la fin de la XII* dynastie, et auraient laissé subsister deux dynasties vassales, la XIIIe et la XIVe
(Bunsen, /Egyptens Stelte in der Weltgeschichte, t. III, p. 3 sqq.), a été combattue et renversée dès
son apparition par £. de Rougk, Examen critique de V ouvrage de M. le Chevalier de Bunsen, 11,
p. 52 sqq. : on la retrouve chez quelques égyptologues contemporains, mais la plupart de ceux qui la
maintenaient encore y ont renoncé, ainsi Naville, Rubastis, p. 15 sqq.
4. La généalogie de Sovkhotpou III Sakhmouaztoouirî a été établie par Brdgsch, Geschichle AZgyp-
tens, p. 180, et complétée par Wiedemann, jEgyptische Gcschichte, suppl., p. 29-30, d'après plusieurs
scarabées réunis aujourd'hui dans Pétrie, Hislorical Scarabs, nM 290-292, et d'après plusieurs inscrip-
tions du Louvre, notamment l'inscription C 8, reproduite dans Prisse d'Avf.nsfs, Monuments Égyp-
tiens, pi. VIII, et dans Pierret, Recueil d'inscriptions inédites, t. II, p. 107.
530 LE PREMIER EMPIRE THËBAttï.
de Pharaon, et cela suffit pour qu'on lui donnât la royauté1. Peut-être découvri-
rait-on, en cherchant bien, la trace de plusieurs révolutions qui changèrent
l'ordre d'hérédité légitime, sans entraîner pourtant la substitution d'une
dynastie à une autre. Les Nofirhotpou et les Sovkhotpou continuèrent au
dedans comme au dehors l'œuvre que les Amenemhâit et les Ousirtasen
avaient si bien commencée. Ils mirent tous leurs soins à l'embellissement
des principales villes de l'Egypte, et firent exécuter des travaux considé-
rables dans la plupart d'entre elles, à Karnak* dans le grand temple d'Amon,
à Louqsor3, à Bubaste4, à Tanis5, à Tell-Mokhdam6, au sanctuaire d'Abydos.
Khâsoshoushrî Nofirhotpou y rendit au dieu Khontamentît les biens considéra-
bles qu'il avait perdus7; Nozirrî8 envoya l'un de ses officiers restaurer l'édifice
qu'Ousirtasen Ier avait bâti ; Sovkoumsaouf II y consacra sa statue9, et les
particuliers, suivant l'exemple que les souverains leur donnaient, y entas-
sèrent à l'envi leurs stèles votives"*. Les pyramides étaient de dimensions
médiocres, et tel d'entre eux renonçant à s'en construire se fit, comme
Aoutouabri Ier Horou, enterrer dans une tombe modeste, auprès des pyra-
mides gigantesques de ses ancêtres11. Le style des statues de cette époque
1. La généalogie de Nofirhotpou II s'établit comme celle de Sovkhotpou par des scarabées réunis
aujourd'hui dans Pétrie, Historié al Scarabs, nM 293-298, et par des inscriptions de Konosso (Lkpsiis,
Denkm., Il, 151 /*), de Sehel (Mariette, Monuments divers, pi. LXX, 3) et d'Assouàn (Lepsics,
Denkm., II, 151 e). Ses successeurs immédiats Sihâthorri et Sovkhotpou IV, puis Sovkhotpou V, sont
mentionnés comme princes royaux dans ces inscriptions (Brugsch, Geschichte Àlgyptens, p. 180).
2. Table d'offrandes de Sonkhabri Àmoni-Àntouf-Àmenèmhàît provenant de Karnak (Mariette, Kar-
nak, pi. 1X-X, et p. 45-46), aujourd'hui à Gizéh (Virry, Police des principaux Monuments, 1893, p. 39,
n° 123); statues de divers Sovkhotpou (Mariette, Karnak, pi. VIII, k-m, et p. 44-45); bloc aux cartou-
ches de Nofirhotpou II et de Sovkhotpou Khànofirri (Mariette, Karnak, pi. VIII n-of et p. 45).
3. Architrave au nom de Sovkhotpou II (Gr£bu:t, Fouilles de Louqsor, dans le Bulletin de /' Institut
Égyptien, 2" série, t. X, p. 335-336; cf. Virey, Notice des principaux Monuments, p. 44, n* 136).
4. Architrave au nom de Sakhemkhoutoouiri Sovkhotpou Ier (Naville, Bubastis, t. I, pi. XXXIII, G-l),
montrant que ce prince avait dû construire dans le temple de Bubastis une salle de grandes dimensions
(Naville, liubastis, t. I, p. 15). Naville pense qu'une statue de Bubastis, au Musée de Genève, appar-
tenait à un roi de la XIIIe dynastie avant d'avoir été usurpée par Ram ses II (Bubastis, t. I, pi. XIV).
5. Statues de Mirmàshàou (Biîrton, Excerpta Hieroglyphica, pi. XXX, 1, 7; Mariette, Lettre à M. le
Vicomte de Bougé sur les fouilles de Tanis, p. 5-7, et Deuxième Lettre, p. 4-5, Fragments et Docu-
ments relatifs aux fouilles de Tanis, dans le Recueil de Travaux, t. IX. p. 14; Bvnvili.e-Rocgé, Album
photographique de la Mission de M. de Bougé, n° 114, et Inscriptions recueillies en Egypte,
pi. LXXV1; Pétrie, Tanis /, pi. 111, 17 B, et p. 8-9); statues de Sov khôl pou Khànofirri au Louvre
{A 16, 17; cf. E. de Rouge, Notice sommaire des Monuments, 1880, p. 16; Pétrie, Tanis I, p. 8) et à Tanis
(E. et J. de Roi'cti, Inscriptions recueillies en Egypte, pi. LXXVI; Pétrie, Tanis 1, pi. III, 16 A-B); statues
de Sovkhotpou Khàkhopirri (Mariette, Deuxième Lettre, p. 4) et de Montholpou, fils de Sovkhotpou
Sakhmouaztoouirt (Brigsch, Geschichte jEgyptens, p. 182), obélisque de Nahsi (Pétrie, Tanis /,
pi. III, 19, A-D, et p. 8; Naville, le Boi Ne/iasit dans le Ile eue il de Travaux, t. XV, p. 99).
6. Statue du roi Nahsirl (Naville, le Boi Nehasi, dans le Recueil de Travaux, t. XV, p. 97-101).
7. Mariette, Abydos, t. Il, pi. XXVIII-XXX, et Catalogue Général des monuments, ri- 766, p. 233-334.
8. Louvre C 11-12, stèles publiées par J. de Horrack, Sur deux stèles de C Ancien Empire, Chabas,
Mélanges Égyptologiques, 3e sér., t. Il, p. 203-217 ; le prénom du roi est Rà-ni-màit-ànou (Maspf.ro, Notes
sur différents points de Grammaire et d'Histoire, § 12, dans les Mélanges d'Archéologie, t. I, p. 140).
9. Mariette, Abydos, t. II, pi. XXVI, et Catalogue Général, n° 347, p. 30.
10. Il y en a des milliers dans les musées : celles que Mariette avait découvertes remplissent cent
cinquante pages de son Catalogue Général des Monuments d'Abydos, n°* 766-1046, p. 231-373.
11. Tombeau d'Aoutouabrl lar Horou, découvert à Dahshour par M. de Morgan, en avril 1894.
LA Xlll- DYNASTIE : LES SOVKHOTl'OU ET LES NOFIBHOTPOL. 83*
est déjà inférieur à celui des belles œuvres de la XII" dynastie : les propor-
tions de la figure humaine s'y altèrent légèrement, le modelé des membres
perd de sa vigueur, le rendu du visage manque de caractère individuel, on
dirait que les sculpteurs tendaient, plus encore qu'au temps des Ousîrtasen, ù
ramener tous leurs modèles au même type banal et souriant. H y a pourtant
quelques morceaux d'assez noble allure, parmi ce qui nous est parvenu
des rois et des particuliers. Le colosse de Sovkhotpo" lv m"
se trouve au Louvre, à côté d'une figure de dimensions or
du même Pharaon, devait faire bonne figure à l'entrée di
de Tanis1 : il redresse rondement le buste, porte haut la
et l'on sent en lui quelque chose de la dignité suprême
les sculpteurs memphites ont su imprimer au corps et
traits du Khéphrèn en diorite qui trône à Gizéh. Le Min
shaou assis de Tanis n'est dénué ni d'énergie, ni de maje
et le Sovkoumsaouf d'Abydos, malgré la rudesse du fai
tient fièrement sa place parmi les autres Pharaons. )
statuettes provenant des tombeaux et les menus ohj
qu'on découvre dans les ruines ne sont ni moins soign
ni moins bien réussis. Le petit scribe en marche de Gi;
est un chef-d'œuvre de finesse et de grâce, qu'on ati
huerait au meilleur atelier de la XII" dynastie, si les il
criptions ne nous obligeaient à le restituer à l'art thé-
bain de la Xlll". Le personnage vulgaire et lourd que
représente la figurine du Musée de Vienne est traité
avec un réalisme un peu brutal, mais avec une grande ,Mne M utuiovi
souplesse de ciseau. Et ce n'est pas seulement à Thèbes, Al ""**' " v'*!™*
ou à Tanis, ou dans quelque autre des grandes cités de l'Egypte, que l'on
rencontre des œuvres habiles, ou que l'on constate l'existence à cette époque
d'écoles de sculpture florissantes : il n'est si petite ville qui ne fournisse
aujourd'hui quelque monument ou quelque objet digne de figurer dans un
musée, pourvu qu'on l'explore convenablement. La XIII° dynastie fut, pour
l'art égyptien comme pour tout en Egypte, un temps de prospérité moyenne :
rien ne s'y élève bien haut, mais rien n'y descend au-dessous d'un certain
I. B. m ROUÉ, Holiec de* Monument* Égyptiens, 1810, p. 3-i ; cf. la vignette p. 5Ï9 de Celte ttittuirc.
t. NauFeKO, Voyage ifintpertion en 4S84. dans le Bulletin de l'Institut Egyptien, i'sér., t. I, p. «4.
Ce joli morceau est malheureusement demeure presque inconnu, à cause de sa petitesse même.
3. Dettin de Doudîer, dapivt une photographie de M. Krneit de Itergmatw.
533 LE PREMIER EMPIRE THÊBAIN.
degré d'honnête médiocrité. Le riche finit cependant par l'y emporter sur le
beau, et c'est en ébéne lamé d'or qu'Aoutouabri l" Horou voulut avoir sa statut;
funéraire' : Khéops et Khépbrèn préféraient l'albâtre et le dioritc.
Rien à l'est, dans le Sinai, rien à l'ouest chez les Libyens: c'est au sud, en
Ethiopie, que les Pharaons dépensent le surplus de leur activité. Leur chef
Sovkhotpou 1''' avait encore enregistré la hau-
teur du Nil sur les rochers de Semnéti, mais
après lui on ne sait ni où le nilomètre fut
reporté, nî qui le déplaça. Le bassin moyen
du fleuve jusque vers le Gebel-Barkal s'an-
nexa rapidement à l'Egypte et s'assimila
d'une manière définitive. La colonisation
s'opéra plus prompte dans les grandes îles,
Say, Argo, que leur isolement mettait à l'abri
des irruptions soudaines : certains princes
de la XIIIe dynastie y édifièrent des temples
et y érigèrent leurs statues, comme ils au-
raient fait dans un des cantons les plus
tranquilles du Saîd ou du Delta. Argo est
encore aujourd'hui la plus vaste de ces îles
nubiennes* : on lui prête vingt kilomètres
de long sur quatre environ de large en son
milieu. Elle est boisée en partie, et la végé-
tation s'y développe avec une furie toute
mini de nrawTNu m a. tropicale : de grandes lianes s'enlacent aux
troncs des arbres et y font des fourrés
d'accès difficile, où le gibier pullule à l'abri du chasseur Une vingtaine de
villages semés dans les clairières s'entourent de champs cultivés soigneuse-
ment où la dourah domine. Un Pharaon inconnu de la XIIIe dynastie avait
bâti près du bourg principal un temple de dimensions assez considérables :
l'aire qu'il couvrait, et dont on distingue encore facilement les limites,
mesurait cinquante-trois mètres de largeur sur quatre-vingt-quatre de lon-
gueur, de l'est à l'ouest. Le gros œuvre était en grès, et provenait probable-
i, A Cixéli ; clic provient des fouille* faites par M. de Morgan à Pahthour, en avril 18HI.
i. I.a description d'Argo et de ses ruines est empruntée a Caiili.iij, Voyage à lléroé, t. II, p. 1-7,
8. Dénia de Boudier, d'après le croquis île Lepsiits [Ùtukm., II. 1211 h-i, cf. l 'inscription ibid..
loi, i) : la telc était . toute mutilée cl séparée du buste . (Caillim-d, Voyage il lUdroé. t. II. p. 5).
L'ART ET LES MONUMENTS DE LA XIII- DYNASTIE. 533
ment des carrières de Tombos : il a été dépecé sans pitié par les habitants, et
il n'en reste plus sur place que des débris insignifiants, où l'on déchiffre
encore quelques lignes d'hiéroglyphes. Une petite statue en granit noir d'assez
boD style se dressait au milieu des ruines. Elle représente Sovkhotpou 111
assis, les mains posées sur les genoux; la tète, mutilée, gisait à côté du
corps. Le même roi se taillait des colosses à Tanis, à Bubaste, à Thèbes :
il était maître incontesté de la vallée entière, presque depuis l'endroit où le
Nil ce reçoit plus d'affluent jusqu'à celui où il se jette dans la mer. La grande
Egypte était achevée de son temps, et si tous les membres n'en étaient pas
encore également prospères, le lien qui les rattachait les uns aux autres
tenait assez fort pour que rien ne put le rompre, ni les discordes civiles ni
les invasions du dehors. Les révolutions ne manquèrent pas, et sî l'on ne
peut affirmer avec certitude qu'elles amenèrent la chute de la XI11" dynastie,
les listes de Manéthon nous révèlent qu'après elle le centre de la puissance
égyptienne se déplaça de nouveau : la prépondérance échappa à Thèbes,
dévolut à des souverains originaires du Delta. Xoïs, située en plein marais,
entre la branche Phatmitique et la branche Sébennytique, était l'une de ces
cités très anciennes qui n'avaient pesé que d'un poids très léger sur les
:, Album photographique de la
534 LE PREMIER EMPIRE TU fi ISA IN.
destinées du pays. Par quel concours de circonstances ses seigneurs en arri-
vèrent-ils à se hausser jusqu'au trône du Pharaon, nous l'ignorons entièrement :
ils comptèrent, dit-on, soixante-quinze rois, qui régnèrent quatre cent quatre-
vingt-quatre ans, et dont les noms mutilés noircissent les pages du papyrus de
Turin. La plupart d'entre eux ne firent que passer sur le trône, les uns
trois ans, les autres deux, d'autres un an ou quelques mois à peine : on
dirait une procession de prétendants qui se chassent à l'envi, plutôt qu'une
suite de souverains régulièrement constituée. Les barons, si puissants sous les
Ousirlasen, n'avaient pas déchu, loin de là, sous les Sovkhotpou : des rivalités
d'usurpateurs s'arrachant le diadème sans réussir aie conserverexpliqueraient
cette litanie de règnes écourtés et de Pharaons éphémères qui composent la
XIVe dynastie. Ils ne reculèrent pas en Nubie, le fait est certain : mais que
firent-ils au nord et au nord-est de leur empire? Les Nomades s'agitaient sur
la frontière, les peuples du Tigre et de l'Euphratc poussaient déjà leurs
avant-gardes jusque dans le centre de la Syrie. Tandis que l'Egypte soumet-
tait la vallée du Nil et l'angle oriental de l'Afrique, la Chaldée avait conquis
à sa langue et à ses lois toute la partie de l'Asie antérieure qui la séparait de
l'Egypte : les temps semblaient proches où les deux puissances civilisées
du monde antique allaient s'aborder de pied ferme et se heurter front à
front.
<^Ca (Jna/aeeJ ortmtiiv&J.
&Ca i^réation, les déluae.', lliiàtoires de/tS ^JÀsu-v.
deJfraytt.', ieitJ ctùôtA acn.> naoitatii/iJ, âeitS irremicrett-? dunaatieit.'.
e£eJ récit, des la création ; lertS aïeux et leitJ mo/iJtre/c', ta rettdteS de'
ùuimat., - oLa lutte entres Giàmat. et- i./Jet- . 'llardouÂ, l organisation, deS la
terres et. deaJ vieux, - *J*eS monde' M guesle/tS LJtaldeena,' Je' le ' fiauraienu.
- crie' fHH^oft CsannèrtS et. Ita.' jJrrmiertzS Aomnten^'.
*X GcurArateS et. us oùjrcJ .■ leurre' affluent^', leuitt-' ûtondaiû/na: '. -
c/caS ÔumerienaJ et. leaJ CJehiite^' ; la conauéteS du fauaJ &ur~' /fer.-1 eaux.
• tJ.il flore} .- lests cerealea.' et. leS iralmier~'. • *ia- faunes ; lercJ 4>ot6$otut,!,
lett> oiseaux, les liott. leieiinant. et. luru/c', lereS animaux domeàfiauenS. •
^•ia CAalteeS du Jtord et. àcttS citére' : la CAatdee.) du CSutl.
aleit' dix roitL' avant, les zÛduae'. • iZtJOutlirort'-CnanutàAna^ùAtini
et. le> re'cit. clialdéen du zûe'luaes ; li destruction dea.' Aommea', larrêt. de?
larelteS au mont. JCàir-', leS aacrilice.' et. la réconciliation. deaJ dieux avec
lAumanité. - d.ea.>roùc' diyrèa' le' ~l)eiiiJieS ; iJCera, Cstana. ilLimrod
. -I <i leaetide > de ' Cjïlaamè/t ' et. .-est ' •i/fi/iit/ii ' ajtrorumtiaaea '- - .la
aeduc/toa doaoïitii. - ^La mort, de' i/iAoamoaùa, (amour? a.Jjatar-' pour-'
tji&famè/t.' et- la lutte.' contre.' I arusL.' et J'ittiou. - tXa mon. et Oaùàai et. le. '
PouaJfeJ à la recherche' du jpag/tJ Je fie' .■ ItaJ Aommeil-aeomotia >, la
aecfie' Vitlitoitm et. le> jtUoleu'"llrad-Oa. - ,-i accueil de.' cVmjitajAsr.wijAii/ii
a. li autrison dcS CyUaitjnèfC\ - .=£cJ re/oar-'à C/urouA, l évocation deJ liimc.'
d Oaoâni. - <_ Hatiauitë du poèmes ae' tyilaamè'e. >.
^•LettJ commettcemeid/tJ deJ InùttoîreJ réelleJ ; leJ 3<t.>ténie,' deaJ dunaitiejt '
établi par-' leaJ âcrioeaJ oaàuloaie/tiKJ. - deaJ roiaJ dt.Aiattae' ; Cnarqaai-
énar-ali et. aa leaendc', JCaramain et. le> premier-* empires e&aldé'en. - ,-J.eecJ
cite'ii' du C'udi c~iaaaJlt et. aeaJ roùc', CAuriinâ, ..Mùiqniranaaniii. - Uftt'
: ' ac'<J.aaajA .- L,oudea, leaJ Daî-rclie/à.' et, le/c' .<taiue/i '
jellon. - CÂtroa. et. àa première 'dunaatie.' ; CAiréaou
: Sèouajl.i. ■ Ma 'rvia xleUartam. ,le StUia,
J'Cluroii .- la seconJe'd'iuta.itieul Citron.
CHAPITRE VII
LA CHALDÉE PRIMITIVE
v temps où rien n'existait en haut qui s'appelât ciel, où
\_ en bas rien n'avait reçu le nom de terre", Apsou, l'Océan
qui le premier fut leur père, et le Chaos-Tiâmat qui les
enfanta tous, mêlaient leurs eaux en un, roseaux qui ne
s'unissaient point, joncières qui ne fructifiaient point3. »
La vie fut lente à germer dans cette masse inerte où les
éléments de notre monde gisaient confondus ; quand elle
y pointa, ce fut languissamment et à de rares intervalles,
par l'éclosion de couples divins sans personnalité et
presque sans forme. « Au temps où les dieux n'étaient pas
;réés, nul encore, où ils n'avaient été ni appelés de leur
nom, ni assignés fatalement à leur destinée, des dieux se manifestèrent.
1. Destin de Faucher-Gudin, d'apret J, HiEiinroï, la Perte, la Chald/'e et ta Simone, p. Gir>. La
lettrine, qui est de Faucher-Cudin, reproduit une iutaille du Cabinet dos Médailles (L»ji»d, Intro-
duction à l étude du culte public et des Mystère* de Hilhra en Orient et en Occident, pi. XVI, n> 7),
ï. En Coaldcp, comme en Egypte, une personne ou une rliose n'existait vraiment qu'après avoir reçu
son nom : la phrase citée dans le texte revient à dire qu'en ce temps-là il n'y avait ni terre, ni ciel
(Hun, Die Suiueritchen Familiengcsetie, p. 31-34; Suc*, Religion of tkc Aiuïeut Ùuhylonians, p. 385).
3. Apsoù a élé transcrit 'Airani^v en grec, par l'auteur dont Damascius nous a conservé un entrait
(Damascii Succestoris Solutionet, édit. Ruent, p. 34I-3ÎÎ). Il rapportait une tradition différente
d'après laquelle la déesse amorplic Moummou-Tîflmut se partageait en deui personne* : la pre-
mière, Taiithé, était la femme d'Apason; la seronde, Noymis, MuXjp.it, était le fils d'AuaMhi et de
538 LA CHALDËE PRIMITIVE.
Loukhmou et Lakhamou parurent les premiers et grandirent durant des âges,
puis Anshar et Kishar se produisirent après eux. Les jours s'accumulèrent,
les années s'entassèrent : Anou, Inlil, Éa naquirent à leur tour, car Anshar
et Kishar les avaient enfantés1. » A mesure que les générations émanaient
Tune de l'autre, leur vitalité augmentait et leur personne s'accusait plus
distincte; la dernière ne comprenait que des êtres d'un caractère original et
d'une individualité bien tranchée, Anou le ciel ensoleillé pendant le jour et
semé d'étoiles pendant la nuit, lnlil-Bel, le roi de la terre, Éa, le souverain
des eaux et le sage par excellence*. Chacun d'eux se dédoubla, Anou en
Anat, Bel en Bélit, Éa en Damkina, et s'unit à l'épouse qu'il avait déduite
de lui-même. D'autres divinités sortirent de ces couples féconds, et, le
branle une fois donné, le monde se peupla rapidement de leur descendance.
Sin qui préside à la lune, Shamash le soleil, Ramman l'atmosphère, se mon-
trèrent sur le même rang, puis les seigneurs des planètes, Ninib, Mardouk,
Nergal, la guerrière Ishtar, Nébo, puis une véritable armée de dieux moindres
qui se rangèrent autour d'Anou comme autour du maître suprême. Tiàmat,
dont leur activité restreignait de plus en plus le domaine, voulut susciter
bataillon contre bataillon et se mit à créer sans relâche; mais ses enfants
modelés à son image semblaient ces fantômes incohérents que les hommes
aperçoivent en rêve, et qui sont composés de membres empruntés à vingt
Tauthé. Le dernier membre de phrase est très obscur dans le texte assyrien et a été traduit de façon fort
diverse. Il paraît renfermer une comparaison entre Apsoù et Moummou-Tiàmat d'une part, les roseaux
et les fourrés de jonc si communs en Chaldée de l'autre : les deux divinités demeurent inertes et
infécondes, comme des plantes d'eau qui n'ont point produit encore leur végétation exubérante.
i. Tablette I, l. 7-/5. La fin de presque toutes ces lignes est mutilée; le texte en a été établi de
façon certaine dans ses parties principales par Fr. Lenormant (les Origines de C Histoire, t. I, p. 496)
d'après le passage connu de Damascius (édit. Ruelle, p. 322) : Elra a-j TptTT)v èx t<5v aurai v, Kiaaapr,
xaù 'Aauwpbv il wv yevédOat rpeî;, "Avbv xai "IXXivov xai 'Abv. L'identification de vlX),tvo; avec
Inlil, prononcé chez les Assyriens lllil, est due à Jensen {de Incantamentorum Sumerico-Assyriorum ,
seriei quie dicitur Shurbu Tabula VI, dans la Zeitschrift fur Keilforschuiig , t. I, p. 311, note l,et Die
Kosmologie der Babylonier, p. 271).
2. Les premiers fragments du récit chaldéen de la Création furent découverts par G. Smith, qui les
décrivit dans le Daily Telegraph (n° du 4 mars 1875), les publia dans les Transactions de la Société
d'Archéologie Biblique (On somr fragments of Ihe Chaldstan Account of the Création, t. IV, p. 363-361,
et six planches), et traduisit tous les morceaux qu'il connaissait dans son Chaldxan Account ofGcne&is
1" édit., p. 61-100); d'autres débris ont été recueillis depuis lors, qui n'ont point permis malheu-
reusement de reconstituer la légende entièrement. Elle couvrait six tablettes et plus peut-être. Des
parties en ont été traduites après Smith, par Talbot (The Revolt in Heaven, dans les Transactions
de la Société d'Archéologie Biblique, t. IV, p. 349-362, The Fight belween Bel and the Dragon, et The
Chaldiean Account of the Création, dans les Transactions, t. V, p. 1-21,426-440; cf. Records of the
Past, !•* Ser., t. VII, 123 sqq., t. IX, p. 135, sqq.), par Oppert (Fragments cosmogo triques, dans Ledraik,
Histoire d'Israël, t. I, p. 411-422), par Lenormant (Origines de l'Histoire, t. I, p. 494-505,507-517), par
Schrader (Die Keilinschriften und das Alte Testament, 2* éd., p. 1-17), par Sayce (Religion of the
Ancien t Babylonians, p. 377-390, et Records of the Past, 2"4 Ser., t. I, p. 122-146), par Jensen (Die
Kosmologie der Dabylonicr, p. 261-364) et enfin par Wincklcr (Keilinschriftliche Textbuch, p. 88-97). J*ai
suivi presque partout la traduction de Jensen. Vn fragment d'une version différente passe, depuis
G. Smith (The Chald.van Account of Gcnesis, p. 101-107), mais sans preuve bien certaine, pour
appartenir au dogme de la Création, tel qu'on le professait dans le sanctuaire de Kouta.
LES DIEUX ET LES MONSTRES, LA RÉVOLTE DE TIÀMAT. 339
animaux différents. On y voyait des taureaux à tète humaine, des chevaux au
museau de chien, des chiens au troue quadruple sortant d'une seule queue de
poisson. Les uns avaient un bec d'aigle ou d'épervier, les autres quatre ailes et
deux faces, d'autres les jambes et les
cornes d'une chèvre, d'autres enfin
l 'arrière-train d'un cheval et le corps
entier d'un homme'. Tiâmat leur dis-
tribua des armes terribles, les plaça
sous les ordres de Kingou, son mari,
et partit en guerre contre les dieux*.
Ils ne surent d'abord qui lui oppo-
ser. Anshar lui dépêcha son fils Anou,
mais Anou eut peur et n'osa rien contre
elle. Il lança Ëa, mais Éa blêmit
de terreur comme Anou et ne se risqua
pas à l'attaquer. Seul, Mardouk, fils
d'I'.a.secrut assez fort pour triompher:
tous les dieux, convoqués en ban-
quet solennel dans le palais d'Anshar,
le choisirent pour être leur champion
et le proclamèrent roi. « Toi, tu es
glorieux parmi les dieux grands, ta 3
volonté est sans seconde, ton com-
mandement est Anou : Mardouk, tu es glorieux parmi les dieux grands, ta
volonté est sans seconde', ton commandement est Anous. De ce jour, ce que
tu ordonnes ne peut être changé, le pouvoir d'élever ou d'abaisser sera dans
I. I.» description do ces monstres est empruntée à Bérose (r'R. I.kiomamt, Kuai de Commentaire
des Fragmente eotmogoniquei de tienne, p. 7-8, ll-ii, Ti-8.1); leur création était décrite dan» la
seconde tablette <lc l'édition assyrienne de la Création (Jk.vsei, Die Kotmalagie, p. i75-î7li; Piscms, A
tiabutimian Duplicate of Tableli I and II of the Création Série*, dans lo liahylonian and Oriental
Hecord, t. Il, p. 37-33) et dan» le Fragment qui nous reste de la version de kouta (S.ucr., Iteliijivn of
the Aneient Babyloniam, p. 37*-3"3). On trouvera un cerlain nombre d'entre eu* représentés sur des
broderies de l'habit royal dont lu détail eslrejiroduit dans l.iï.mu. Monument* of N inrirh , t. 1. pi. ■13-j'l.
t. l.cs préparatifs de Tiàmal étaient décrits dans la troisième tablette (Jt..isei«, Die Konnoliigie
der tiabyloniee, p. 173-27!!) : le texte est trop mutilé pour qu'on en donne une Iraduclion suivie.
3. Dei*in de Fauiher-tindin, d'après un bat-relief aftjrien de Khortabad (Iloir.i. le Monument de
Xiniee, pi. 71).
i. L'assyrien dit : ■ ton de
tin est sans second é. Il s
■■Il non de la
estiiiée
qui attend le dit
i lu
ème, mais de colle qu'il as»
substitué, ici
1 ailleu
s, au mot destii
do
sens spécial n'aurait pas et
compris, le mot entont?.
ui rend inexac
.lis qui évite des périphrase
s ou îles Formules peu in
-[lisibles pour
e lectei
r moderne.
5. En termes moins concis
: • Uuind tu commandes
nt l'obéir aveuglément con>
ne ou obéit à Anou.
ÎUO LA CHALDÉE PRIMITIVE.
ta main, la parole de ta bouche durera et ton commandement ne rencontrera
point d'opposition. Nul des dieux ne transgressera ta loi, mais où l'on déco-
rera un sanctuaire des dieux, la place où ils rendront leurs oracles sera ta
place1. Mardouk, c'est toi notre vengeur! Nous te décernons la royauté; l'en-
semble de tout ce qui existe, tu l'as, et partout sera exaltée ta parole. Tes
armes ne pourront être détournées, elles frapperont ton ennemi : ô maître,
qui se fie en toi épargne sa vie, mais le dieu qui fait le mal verse sa vie
comme une eau. » Ils revêtirent leur champion d'un habit, puis ils s'adres-
sèrent eux-mêmes à Mardouk : « Ta volonté, maître, sera celle des dieux. Un
mot et dis : « Que ce soit! » ce sera. Ainsi, ouvre la bouche, ce 'vêtement
disparaîtra ; dis-lui : « Reviens! » et le vêtement sera là. » 11 parla de sa bouche,
le vêtement disparut; « Reviens! » lui dit-il, et le vêtement se reconstitua*. »
Mardouk une fois convaincu par cet exemple qu'il avait le don de tout faire
et de tout défaire à son gré, les dieux lui remirent le sceptre, le trône, la cou-
ronne, les insignes de la domination suprême et le saluèrent de leurs accla-
mations : « Sois roi ! — Va, tranche la vie de Tiâmat et que le vent emporte
son sang aux extrémités cachées de l'univers3! » 11 s'équipa soigneusement
pour la lutte. « Il fabriqua un arc, y apposa sa marque*; il fit apporter une
haste, il y ajusta une pointe : le dieu souleva la lance, la brandit de la main
droite, puis l'arc et le carquois, il les pendit à son côté. 11 plaça un éclair
devant lui, se remplit le corps d'une flamme dévorante, puis il fabriqua un
filet pour prendre la tumultueuse Tiàmat; il posta les quatre vents de façon
qu'elle ne pût échapper, sud et nord, est et ouest, et de sa propre main leur
apporta le filet, don de son père Anou. 11 créa la bourrasque, le vent mau-
vais, l'orage, la tempête, les quatre vents, les sept vents, la trombe, le vent
sans second, puis il lança les vents qu'il avait créés, tous les sept, pour
étourdir la tumultueuse Tiâmat, en chargeant derrière lui. Et le maître de la
trombe leva haut sa grande arme, il monta sur son char, ouvrage sans pareil,
1. Le sens n'est pas certain. La phrase paraît vouloir dire que désormais Mardouk sera chez lui
dans tous les temples que l'on construira pour les autres dieux.
2. Tablette IV, l. /-V6' ; cf. Sayce, The Âssyrian Story of the Création, dans les Records of the
Past, 2°4 Ser., p. 136-137, et Jenskn, Die Kosmologie der Babylonier, p. 278-281.
3. Sayce a, le premier, je crois {The. Assyrian Story of the Création, dans les Hecords of the Past,
20- Sor., t. I, p. 141, note 2), rappelé à propos de cet ordre mystérieux le passage où Bérose raconte
(Fr. Le.norma.nt, Essai de Commentaire des fragments cosmogonigues de Bérose, p. 9, 12) que les dieux
créèrent les hommes d'un peu de limon pétri avec le sang du dieu Bèlos. Ici on semble craindre que le
sang de Tiàmat, se mêlant à la boue, ne produise une poussée de monstres analogues à ceux que la
déesse avait déjà façonnés; le sang, transporté au Nord, dans le domaine de la nuit, y perdra sa vertu
créatrice, ou les monstres qui en naîtront demeureront étrangers au monde des dieux et des hommes.
4. Litt. : • il fit connaître son arme » ; peut-être vaudrait-il mieux comprendre : * et il fit connaître
que Tare serait désormais son arme distinct! ve ».
LA LUTTE DE TIAMAT CONTRE BEL-MARDOUK. S41
formidable, il s'y installa, lia les quatre rênes au côté, et s'élança impitoyable,
torrentiel, rapide1, n II traversa les rangs pressés des monstres, pénétra
jusqu'à Tiàmat, la provoqua de ses cris. « Tu t'es révoltée contre la souve-
raineté des dieux, tu as comploté le mal contre eux, et tu as voulu que mes
pères goûtassent ta méchanceté; aussi ton host sera réduit en esclavage, tes
armes te seront arrachées. Viens donc, moi et toi nous allons nous livrer
bataille! » Tiàmat, quand elle l'entendit, elle entra en fureur, elle s'affola
de rage, puis Tiàmat hurla, elle se dressa sauvage, bien haut, et par en bas
se carra solidement sur le sol. Elle prononça une incantation, récita sa for-
mule, et les dieux du combat elle les appela à l'aide eux et leurs armes. Ils
s'approchèrent l'un de l'autre, Tiàmat et le plus sage des dieux, Mardouk, ils
se précipitèrent au combat, ils s'abordèrent en lutte. Alors le maître déploya
son filet, la saisit ; il fit passer devant lui la bourrasque qui se tenait derrière,
et, quand Tiàmat ouvrit la gueule pour l'engloutir, il poussa la bourrasque
au dedans pour que le monstre ne put refermer les lèvres. Le vent puissant
I. Tablette IV, l. Sl-ùi; cf. S.iï.x, The Âinyrian Slory of Ihe Citation, dans les Htrord* of tfie
Paît, f Kcr., 1. I, p. J37-I3H, et Jimskx, Die Kotinologie der Dabylonier, p. Î8U-S83.
i. llettin de Fauchev-Gudin , d'aprti le bat-relief de Himroud contera! au Britiih Muséum [cf.
LtTin, The Monument! of fiiiieech, !•' Scr., jil. 5).
542 LA ClULuÉE PRIMITIVE.
lui emplil la panse, sa poitrine se distendit, sa gueule se fendit. Mardouk
poussa droit la lance, creva la panse, perça l'intérieur, déchira la poitrine,
puis lia la bête et lui enleva la vie. Quand il eut vaincu Tiàinat, celle qui
allait en tête, son armée se débanda, son host se dissipa, et les dieux ses
alliés, qui avaient marché à côté d'elle, tremblèrent, s'effrayèrent, tournèrent
le dos'. » Il s'empara d'eux ainsi que de Kingou leur chef, et il les amena tous
enchaînés devant le trône de son aïeul.
11 avait sauvé les dieux de la ruine, mais ce n'était là que le moindre de sa
tâche : restait à déblayer l'espace du cadavre immense qui l'encombrait, à en
dégager les éléments disparates et à les ordonner de nouveau pour le mieux
des vainqueurs. « Il revint vers Tiàmat qu'il avait enchaînée. Il mit le pied
sur elle, de son couteau infaillible il l'entailla par en haut, puis il trancha les
vaisseaux qui contenaient le sang, et ii le lit porter par le vent du nord aux
lieux cachés. Et les dieux virent son visage, ils se réjouirent, se livrèrent à
l'allégresse et lui envoyèrent un présent, un tribut de paix; alors il se rassé-
réna, il contempla le cadavre, le souleva, opéra des merveilles. 11 le fendit
en deux, comme un poisson qu'on sèche'; » puis il suspendit en haut une
des moitiés qui devint le ciel, étendit l'autre sous ses pieds pour en faire la
I. Tabtellr IV, l. Oy-IOS; cf. Sutt, Tiie Ateyritm Slory ofthe t'.reation, dans le* Itecords of tlie
t'ait, i" ik-r., t. I, p. lïU-lill, <>l Jtv.n, Die Koimalogie ./ci- llabyloitirr, p. iKl-SS".
*. Detiin de Fauehei-Gviliii d'apri-t iiji bat-relief de Knyouiiitji/i (I.iimuu, llie Monuments of
îiineveh, t"' Ser., [il. lï, n° ï; cf. Pl»o;, Ninirc et l'Assyrie, |il. U"' a), H» voit, derrière la coulft,
nu ;ii!-<-hcur c;mii|h> à rhnviil sur uni' oulrv umiflri- d'air, cl lr paiiii>r :i gioissons passé au cou.
3. Tablette IV, L 1S6-I3K ; et. Simc. The Asiyriaa Story of the Création, dans les IleearUi of Ihe
l'ait, *"' Sot., 1. I, |). 141-1 M, cl Iismj, Die Koimaloyie der Uabyioiiier . p. i-6-SWt. La séparation de
Tii mal en tus moitiés rempli! la lin de la tablette IV (cf. Jïsses, Hic hoimologie . p. iSS-ï8'J|.
terre et constitua l'univers tel que les hommes l'ont connu depuis lors. De
même qu'en Egypte, le monde était une sorte de chambre close, en équilibre
au sein des eaux éternelles1. La terre, qui en forme la partie basse et comme
le plancher, a l'apparence d'une barque renversée et creuse par-dessous,
non pas un de ces canots effilés en usage chez les autres peuples, mais
une coufle, une espèce d'auge ronde dont les tribus du Bas-Euphrate se ser-
vent depuis l'antiquité jusqu'à nos jours*. Elle va s'exhaussant des extrémités
jusqu'au centre, ainsi qu'une grosse montagne dont les régions neigeuses où
l'Euphrate prend sa source marquaient à peu près le sommet'. On avait
imaginé d'abord qu'elle se divisait en sept zones, superposées le long de ses
flancs à la façon des étages d'un temple*; on la partagea plus tard en quatre
maisons, dont chacune répondait, comme les maisons de l'Egypte, à l'un
I. La description du monde égyptien se trouve p. 16 sqq. de cette Hîiloire l.a seule reconstruction
ruisumiri- i]u'oii oit tenter jusqu'à présenl du monde Chaliîécn a été faite, «prés t.cnormanl (la Magie
chez let Chaldtent, p. 141-144), par Jcnseii (Pie KotmologU der Uabylonier, 181111] : Jcim'ii, après
as-oir examiné l'un après l'autre tous les éléments de sa restitution (p. t-ï;i3), a réuni eu linéiques
panes (p. 4n3-3fi0), et reporté sur une planche (pi. 111). les résultats principaux de sou enquête. On verra
aisément ce que j'ai pria à son ouvrage, et en quoi le dessin ici reproduit diffère du sien.
t. Dlimont DE Sltln., 11, ta : Iltpl Si rf,; ^r,; iîiwTcits; inof i<rsi; iroioùvTdi U?ovte; ÛJtip/.Hv a-jir,v
onaçoE'.Sfi xa'i xofXi)v ('f- Fr- LÈiwiiur.iST, la Magie eJua tes Chatdt'ent, p. 141-144; Jesses, Die Kosmo-
togie der Uabylonier, p. Ï4Î.
3. C'est te KhanegkoUTkoura, la Montagne det Paya, des textes cunéiformes, que l'on place ordi-
nairement au Sord (Ka. Dïutisck, Wo lag dai Paradieir p. 117-liâ) ou à l'Est, plus exactement au
Sorti -Kst (Kb. I.esohsjst, ta Magie chez let Chaliteent, p. Ml 150 sqq., et les Origine* de l'Histoire,
t. Il, p. 143 eqt|.). Jensen (Die Koimotogie der Uabylonier, p. ïflfi sqq.) me parait avoir démonlre
que c'est un nom servant à désigner la terre elle-même : la barque renversée ressemble en cflet à
une montagne ronde dont les lianes s'élèvent doucement et vont aboutir à un même point.
4. F». Lxkomukt, tei Origine» de t'Iliitoire, t. M, p. 143-liti; Jesseb, Die Konno/oyie, p. 170 sqq.
SU LA CHALDÉE PRIMITIVE.
des quatre points cardinaux, et obéissait à des dieux particuliers1. Vers le
pied de la montagne, les bords de la barque se redressaient brusquement et
entouraient la terre d'une muraille continue, de grandeur uniforme et sans
ouverture'. Les eaux venaient s'accumuler dans ces bas- fonds comme dans
un fossé : c'était une mer étroite et mystérieuse, un fleuve Océan, que les
hommes ne franchissaient vivants qu'avec la permission d'en haut, et dont
les flots séparaient inexorablement leur domaine des régions réservées aux
dieux3. Le ciel s'enlevait au-dessus du Mont des Pays en coupole hardie,
et le pourtour posait exactement sur la tête du mur, de la même manière
que les structures hautes d'une maison s'appuient sur les fondements*. Mar-
douk le forgea d'un métal dur et résistant qui s'éclairait brillamment pendant
le jour aux rayons du soleil, et, la nuit, ne présentait plus qu'une surface
bleu sombre semée irrégulièrement d'étoiles lumineuses. Il le laissa plein et
solide dans les régions méridionales, mais il le creusa au nord, et il y ménagea
une caverne immense que deux portes, pratiquées à l'est et à l'ouest, met-
taient en communication avec le dehors5. Le soleil sortait chaque matin de
la première; il montait au zénith en suivant le pied de la voûte, de l'Orient
au Midi, puis il redescendait lentement vers le portail d'Occident et rentrait
dans l'intérieur du firmament, où il passait la nuit8. Mardouk régla sur ses
mouvements la marche de l'univers entier. Il institua l'année et la répartit
en douze mois ; il assigna à chacun des mois trois décans dont l'influence
1. Cf. p. 128 de cette Histoire. On consultera, sur les kibrât arbat ou irbiti, la dissertation de
Jensen {Die Kosmologie, p. 163-170), et l'on verra plus loin, p. 596, la valeur que ce terme prend dans
les titres royaux. Il me parait que les kibrât arbai représentent quatre maisons, et sont une exprès*
sion astronomique ou astrologique appliquée à des données de géographie ou d'histoire courante.
2. Fr. Lenorma.it, la Magie chez les Chaldéens, p. 143. Les textes appellent ce rebord s hou pou k ou
shoubouk s h ami, la levée du ciel, le rempart de terre sur lequel le ciel venait appuyer ses bords
(Jensen, Die Kosmologie der Babylonien', p. 37-42).
3. Les eaux qui entouraient la terre s'appelaient abzoû, apsoû, comme les eaux primordiales, avec
lesquelles on les confondait (Fr. Lenormant, la Magie chez les Chaldéens, p. 143; Jensen, Die Kosmo-
logie der Babylonier, p. 243-253; Sayce, The Religion of the. Ancient Babylonians, p. 116-117, 371-375).
4. Les textes nomment assez souvent ces ishid shami, fondements du ciel (Jensen, Die Kosmologie
der Babylonier, p. 9-10); seulement, au lieu de les distinguer de la levée du ciel, shoupouk shami,
comme le voudrait Jensen (Die Kosmologie der Babylonier, p. 40-41), je crois qu'ils ne font qu'un avec
elle (cf. Fr. Lenormant, la Magie chez les Chatdéens, p. 143).
5. Jensen (Die Kosmologie, p. 10) a rassemblé les textes qui parlent de l'intérieur du ciel (Kirib
shami) et de son aspect. Les expressions qui ont donné lieu à plusieurs assyriologucs de croire que le
ciel était divisé en différentes parties soumises à différents dieux (Sayce, The Religion of the Ancient
Babylonians, p. 189-191 ; A. Jkkemias, Die Babylonisch-Assyrischen Vorstellungen vom Leben nach
dem Tode, p. 59-60) peuvent s'expliquer sans qu'il soit besoin d'avoir recours à cette conception :
le ciel d'Anou, par exemple, constate seulement la souveraineté d'Anou sur le ciel et n'est qu'une
manière plus élégante de désigner celui-ci par le nom du dieu qui le régit (Jensen, Die Kosmologie,
p. 11-12). Les portes du ciel sont mentionnées dans le récit de la création (Tablette V, l. 9).
6. On admet généralement que les Chaldéens faisaient passer le soleil au-dessus de la terre pendant
le jour, au-dessous pendant la nuit. La ressemblance générale de leur système du monde avec le
système égyptien me porte à croire que chez eux, comme en Egypte (p. 18-19 de cette Histoire), on
pensa longtemps que le soleil et la lune tournent autour de la terre dans un plan horizontal.
L'ORGANISATION DE LA TERRE ET DES CIEUX. 545
s'exerçait successivement pendant dix jours, puis il mit le défilé des jours
sous l'autorité de Nibirou1, afin que nul d'entre eux ne déviât de sa piste
et ne s'égarât. « 11 alluma la lune pour qu'elle régit la nuit, et il fit d'elle un
astre de nuit pour qu'elle désignât les jours* : « De mois en mois, sans cesse,
modèle ton disque8, et au début du mois allume-toi le soir, éclairant tes
cornes afin de rendre le ciel reconnaissable ; le septième jour, montre à
moi-même ton disque ; et le quinzième, que tes deux moitiés soient pleines
de mois en mois. » 11 fraya leur route aux planètes, il en confia quatre à
autant de dieux, il se réserva la cinquième, notre Jupiter, et il s'institua le
berger de ce troupeau céleste; même, pour que tous les dieux eussent au
ciel leur image visible, il dessina sur la voûte des groupes d'étoiles qu'il
leur alloua, et qui semblèrent aux hommes des figures d'êtres monstrueux
ou réels, poissons à tète de bélier, lions, taureaux, boucs, scorpions \
Le ciel en ordre, il peupla la terre, et les dieux qui jusqu'alors avaient
assisté inactifs à son œuvre, peut-être impuissants, se décidèrent enfin à lui
prêter leur concours. Ils couvrirent le sol de verdure, et, tous ensemble,
« ils fabriquèrent des êtres vivants de mainte espèce. Le bétail des champs,
les bêtes sauvages des champs, les reptiles des champs, ils les modelèrent et
en firent des êtres de vie6. » Une légende contait que ces premiers animaux,
à peine échappés aux mains de leurs créateurs, n'avaient pu endurer l'éclat de
la lumière et qu'ils étaient morts l'un après l'autre. Alors Mardouk, voyant que
la terre redevenait déserte et que sa fertilité ne servait à personne, pria son père
Éa de lui trancher la tête, de gâcher de la glaise avec le sang qui jaillirait du
tronc, puis d'en pétrir des bêtes nouvelles et des hommes, à qui les vertus
de ce sang divin communiqueraient la force de résister à l'air et au jour8.
1. 3ibirou, le passeur, est notre planète Jupiter (J en s en, Der Kahkab Mischri der Antares, dans la
Zeitschrift fur Assyriologie, t. 1, p. 265, note 3, et Die Kosmologie der Babylonier, p. 128-129).
2. Cette phrase obscure semble s'expliquer si l'on se rappelle que le jour chaldéen, comme l'égyptien,
courait d'un lever de lune au lever de lune suivant, soit de six heures du soir environ à six heures du
soir. La lune, astre de nuit, marque donc l'apparition de chaque jour, et désigne les jours.
3. Le mot traduit ici par disque est littéralement le bonnet royal, orné de cornes, âgou, que Sin, le
dieu-lune, porte sur la tète. J'ai du rendre le texte assez librement pour en indiquer la signification au
lecteur moderne.
4. La mise en place du ciel par Mardouk était décrite sur la fin de la quatrième et sur le commence-
ment de la cinquième tablette (Jksskn, Die Kosmologie der Babylonier, p. 288-291 ; Sayce, the Assyrian
Story of the Création, dans les Records of the Past, 2°* Ser., t. I, p. 142-1 .14). Le texte, assez obscur
par lui-même, est tellement mutilé par places, qu'on ne peut pas toujours en tirer un sens certain.
5. La création des animaux puis de l'homme était racontée sur la septième tablette et sur une
tablette dont la place dans la série est encore indéterminée (G. Smith, The Chaldsean Account of
Genesis, p. 75-80; Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 389-390, et The Assyrian Story
of the Création, dans les Records of the Past, 2"4 Ser., t. I, p. 145: Jensen, Die Kosmologie, p. 290-292).
6. Bérose avait recueilli cette légende (Fr. Lenormant, Essai de Commentaire, p. 8-9, 12), qui parait
être une combinaison maladroite de deux traditions relatives à la création de l'homme (Sayce, The
Religion of the Ancient Babylonians, p. 370-371). Sur fia et sur la façon dont il avait tiré l'homme du
HIST. ASC. DE I.'ORIENT. — T. I. 69
546 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
Us menèrent d'abord une existence assez misérable, et « vécurent sans règle à
la manière des bétes. Mais, dans la première année, apparut, sortant de la
mer Erythrée à TendroiJ où elle confine à la Bahylonie, un monstre doué de
raison, nommé Oannès1. 11 avait tout le corps d'un poisson, mais, par-
dessus sa tête de poisson, une autre tète qui était celle d'un homme, ainsi que
des pieds d'homme qui se dégageaient de sa queue de poisson; il avait la voix
humaine, et l'on conserve aujourd'hui son image. 11 passait la journée au
milieu des hommes; sans prendre aucune nourriture; il leur enseignait la
pratique des lettres, des sciences et des arts de toute sorte, les règles de la
fondation des villes et de la construction des temples, les principes des lois et
la géométrie, il leur montrait les semailles et les moissons, en un mot, il leur
donnait tout ce qui contribue à la douceur de la vie. Depuis ce temps, rien
d'excellent n'a été inventé. Au coucher du soleil, ce monstrueux Oannès se
replongeait dans la mer, et demeurait la nuit entière sous les flots, car
il était amphibie. Il écrivit sur l'origine des choses et de la civilisation un
livre qu'il remit aux hommes*. » Ce sont là quelques-unes des fables qui cou-
raient chez les peuples du Bas-Euphrate sur les premiers temps de l'univers.
Us en possédaient certainement beaucoup d'autres que nous ne connaissons
plus, soit qu'elles aient péri sans retour, soit que les ouvrages où ils les
avaient consignées attendent encore la découverte, sous les ruines d'un palais
ou dans les armoires de quelque musée9. Us ne paraissent pas avoir conçu
la possibilité d'une création totale, par laquelle les dieux, ou l'un d'entre eux,
auraient tiré du néant ce qui existe : la création n'était pour eux qu'une mise
en train d'éléments préexistants, et le créateur un ordonnateur des maté-
riaux divers que le chaos renfermait \ La fantaisie populaire varia, selon les
limon, cf. Fr. Lenormant, les Origines de l'Histoire, t. I, p. 45-47, Jensen, Die Kosmologie der Baby-
lonie r, p. 293-295, Sayce, The Beligion of thc Ancient Babylonians, p. 141-142.
1. On a proposé différentes étymologies de ce nom : la plu» généralement admise est celle de Lenor-
mant, d'après laquelle Oannès serait la forme grécisée de Ea-khan, Éa-ghanna, Éa le poisson (Fr.
I.exormant, les Origines de CHistoire, t. I, p. 585). M. Jenscn a fait observer que le mot khan ou
ghanna n'a été retrouvé jusqu'à présent dans aucun texte (Jensk.n, Die Kosmologie der Babylonier,
p. 322-323) : le nom d'Oannès demeure donc inexpliqué jusqu'à nouvel ordre. M. Ilommel a montré
d'autre part (Die Scmitisrhen Yôlker und Sprachen, t. 1, p. 488, note) que l'allusion au mythe
d'Oannès signalée il y a quelques années par Sayce (Babylonian Literalure, p. 25; cf. Becords of the
Past, 1,! Ser., t. XI, p. 155) ne se rencontre pas réellement dans le texte original.
2. Bérose, fragment IX, dans Fr. Lenormant, Essai de Commentaire sur les fragments cosmogo-
niques de Bérose, p. 182 sqq.
3. Sur cette variété de traditions, voir les observations consignées par Smith dans The Chaldran
Account of Genesis, p. 101 sqq., et le chapitre très développé de Sayce, Cosmogonie s and Aslro-theo-
logy, dans son livre sur The Heligion of the Ancient Babylonians, p. 367 sqq.
4. Diodorc de Sicile l'avait déjà noté (II, 30), ou plutôt les auteurs de l'époque Alexandrinc auxquels
il avait emprunté ses informations : ttjv jiev toO x*W^ov çvmv àîôiôv qpa<rtv eîvai xal (iT)Te ï\ *px*U
Ytve«xiv i?XT}xévai, u.iq6' voTepov çOopàv êm6é^ea0ai. Le récit chaldéende la Création, tel qu'on l'a ren-
contré plus haut aux pages 537 sqq. de cette Histoire, confirme les paroles de l'historien grec.
OANHÊS ET LES PREMIERS HOMMES. M7
villes, le nom des démiurges et les procédés qu'ils employaient; elle entassa,
pendant des siècles, un amas de traditions vagues, confuses, contradictoires,
dont aucune ne la satisfaisait du tout, mais dont
chacune ralliait des partisans. De même qu'en
Egypte, les théologiens des sacerdoces locaux
essayèrent de les classer et de les réduire à une
sorte d'unité : ils en rejetèrent plusieurs, ils
en dénaturèrent d'autres pour les mieux marier,
ils les assemblèrent en systèmes où ils préten-
daient dérouler, sous l'inspiration d'en haut,
l'histoire authentique de l'univers. Celui que j'ai
tenté d'exposer est fort ancien, si, comme on
l'affirme, il existait déjà deux ou même trois
mille ans avant notre ère ; mais les versions que
nous en possédons ont été rédigées beaucoup
plus tard, peut-être vers le septième siècle seule-
ment1. Il avait prévalu chez les habitants de Ba-
bylone, parce qu'il flattait leur vanité religieuse,
en reportant le mérite d'avoir débrouillé le
chaos sur Mardouk, le protecteur de leur cité'.
C'est celui que les scribes assyriens avaient
mis en honneur à la cour des derniers rois de
Ninive*; c'est lui que Bérose choisit pour l'inscrire en tète de son livre,
quand il voulut raconter aux Grecs les origines du monde selon les Chaldéens
et les débuts de la civilisation babylonienne.
Elle était née, ainsi que l'hgyp tienne, entre mer et terre ferme, sur un sol
1. On a distillé la question de savoir si le texte avait été écrit primitivement en sumérien ou en
lingue sémitique (voir la bibliographie dans Buoun, Kursgefattter lleberblick ùber die Babyloniëeh-
Attyritchf. Literatur, p. l'.ï); la forme actuelle n'en est pas fort ancienne et ni1 remonte pas beau-
coup au delà du règne d'Assourhanaba! (Sayce, The Religion of the Anriei\l Itabyloniam, p. 38(i, 393),
si même elle n'est pas contemporaine de ce prince (Bkiolii, Kurzgefauter Ucbevblick, p. i7!>). Li
rédaction première remonterait, d'après Sayce (The Religion af the Anrirnt llahgloniant, p. 373-37*,
377-378), au delà du vingtième siècle, au règne de llammourabi, selon Jeu son {Die Konnologie der Ba-
bytonier, p. 319-340), au delà du trentième siècle avant notre ère.
t. Sayce [The Religion of the Ancienl Uahyloniant, p. 378-391-393) pense que le mythe s'est déve-
loppé à firidou, sur les bords du golfe Persîquc, puisqu'il a reçu sa forme actuelle à Babylonc, où les
écoles de théologie locale l'ont adapté au dieu Mardouk.
î. Deuin de Faurhcr-Ciiitiin, d'aprè» un bas-relief assyrien qui provient de Ximrond (Laïuih, the
ilonumeuli ofNineveh, i" Ser., pi. (I, n- I).
1. Los tablettes qui nous l'ont conservé proviennent en partie de la bibliothèque d'Assourbanabal à
ninive, en partie de celle du temple-dc Sébo à Borsippa : ces dernières sont plus récentes que les
autres el paraissent avoir été écrites h l'époque de la domination persane (Sayce, Ihr Attyrian Stery
of the Création, dans les Itecordi of the Patl, t" Scr., t. I. p. 111, noie 3).
548 LA CHALDEE PRIMITIVE.
d'alluvions bas et marécageux, inondé chaque année par les cours d'eau qui
le traversent, dévasté à de longs intervalles par des raz de marée d'une
violence extraordinaire1. L'Euphrate et le Tigre ne se donnent pas, comme le
Nil, pour des fleuves mystérieux dont la source se dérobe si bien aux explo-
rations, qu'on est tenté de la placer hors des régions habitées par les
hommes*. Ils naissent en Arménie, sur les flancs du Niphatès, l'une des
chaînes de montagnes qui se dressent entre la mer Noire et la Mésopotamie,
la seule qui atteigne par endroits la limite des neiges éternelles. Ils courent
d'abord parallèlement l'un à l'autre, l'Euphrate de l'est à l'ouest jusqu'à
Malatîyéh, le Tigre de l'ouest « vers l'est dans la direction de l'Assyrie *.
Au delà de Malatiyéh, l'Euphrate tourne brusquement au sud-ouest, et se
fraye une route à travers le Taurus, comme s'il voulait gagner la Méditerranée
au plus vite3, mais il se ravise bientôt et il incline vers le sud-est, à la
recherche du golfe Persique. Le Tigre oblique vers le sud au débouché des
montagnes et se rapproche graduellement de l'Euphrate : à la hauteur de
Bagdad, les deux fleuves ne sont plus séparés que par quelques lieues de
terrain. Toutefois ils ne se rejoignent pas encore : après avoir cheminé de
compagnie l'espace de vingt à trente milles, ils s'écartent de nouveau pour ne
se réunir enfin qu'à près de quatre-vingts lieues plus bas. Au commencement
de notre période géologique, leur cours n'était pas si long. La mer pénétrait
jusque vers le 33e degré, et ne s'arrêtait qu'aux dernières ondulations du grand
plateau de formation secondaire, qui descend du massif d'Arménie : ils s'y
jetaient, à vingt lieues environ l'un de l'autre, dans un golfe délimité à l'est
par les derniers contreforts des monts de l'Iran, à l'ouest par les hauteurs
sablonneuses qui bordent la lisière du désert Arabique*. Ils le comblèrent de
leurs alluvions, aidés de l'Adhéra, du Diyâléh, de la Kerkha, du Karoun et
d'autres rivières qui, après s'être maintenues longtemps indépendantes, sont
devenues les tributaires du Tigre. Leurs lits, reliés par de nombreux canaux,
t. Une légende locale rapportée par Ainsworth dans ses ï\csc arches in Assyria, Babylonia and
Ghaldœa, attribue la destruction du vieux Bassorah à une série d'inondations et de tempêtes.
2. Pour la description détaillée du cours du Tigre et de l'Euphrate, voir Elisée Reçus, Géographie
universelle, t. IX, p. 377 sqq. L'Euphrate s'appelait en Assyrien Pourattou, Bourattou, le fleuve
par excellence, le grand fleuve, par adaptation de Poura-nounou; le Tigre était Diglat ou Idiglat
(Fr. Delitzsch, Wo lag das Parodies? p. 169-173). L'étymologie classique qui attribuait à ce dernier
nom le sens de flèche, soi-disant à cause de la rapidité prodigieuse du courant (Strabon, XI, 14, 8;
Pline, H. Nat., VI, 127; Qiimte-Citrce, IV, 9, 6), est d'origine persane.
3. C'est l'expression même qu'emploie Pomponus Mêla, de Situ Qrbis, 1)1, 8 : « Occidentem petit, ni
Taurus obstet, in nostra maria venturus ».
4. La constatation de ce fait a été opérée par Ross et Lynch dans deux articles du Journal of the
Geographical Society, t. IX, p. 446, 472. Les Chaldéens et les Assyriens donnaient au golfe dans
lequel les deux rivières se jetaient le nom de Nârmarrâtoum, fleuve salé, qu'ils étendaient à la Merde
Chaldée, c'est-à-dire au Golfe Persique tout entier (Fr. Delitzsch, Wo lag das Parodies? p. 180-182).
L'EUPHRATE, LE TIGRE ET LEURS AFFLUENTS. 549
se rencontrent aujourd'hui vers le village de Kornah et se mêlent en un seul
fleuve, le Shatt-el-Arab, qui roule leurs flots à la mer. Les boues qu'ils
charrient, arrivées à leur embouchure, s'y déposent et progressent rapidement :
on dit que le rivage avance d'environ seize cents mètres par soixante-dix ans1.
L'Euphrate rallie dans sa partie supérieure un grand nombre de petits affluents,
dont le plus important, le Kara-Sou, a été confondu souvent avec lui*. Dans
sa partie moyenne, le Sadjour lui apporte sur la rive droite les eaux du
Taurus et de TAmanus8, le Balikh et le Khabour4 lui versent celles du
Karadja-Dagh sur la rive gauche; du Khabour à la mer il ne reçoit plus
rien. Le Tigre se grossit sur la gauche du Bitlis-Khaî5, des deux Zab8, de
l'Adhem7, du Diyâléh8. L'Euphrate est navigable depuis Souméisat, le Tigre
depuis Mossoul9, l'un et l'autre presque aussitôt en quittant la montagne.
Us sont sujets à des débordements annuels qui se produisent au moment
où les neiges de l'hiver fondent sur les sommets de l'Arménie. Le Tigre,
dont la source est au penchant méridional du Niphatès et dont le trajet
est plus direct, déborde le premier au commencement de mars et atteint
sa plus grande hauteur vers le 10 ou vers le 12 mai. L'Euphrate se gonfle
au milieu de Mars et ne bat son plein que dans les derniers jours de mai.
Sa baisse s'accentue à partir du mois de juin; en septembre, tout ce que
les terres n'ont pas absorbé est rentré entièrement dans le lit. La crue n'a
1. Loflus (TraveU and liesearches in Chaldsa and Susiana, p. 282) évaluait, vers le milieu de
notre siècle, le progrès de l'alluvion à un mille anglais (1609m,30) environ, pour une période de
soixante-dix ans écoulés; H. Hawlinson (Journal ofthe Geographical Society , vol. XXVII, p. 186) pense
que le progrès était plus considérable dans l'antiquité et l'évalue à un mille anglais tous les trente
ans. Kiepert (Lehrbnch der Allen Géographie, p. 138, note 2) pense, d'après cela, qu'au VI* siècle
avant notre ère, le rivage de la mer courait à dix ou douze milles allemands (75 ou 90 kil.) environ plus
haut que le rivage actuel. G. Rawlinson (The Five Great Monarchies, 2* édit., t. I, p. 4-5) estime
de son côté qu'entre le trentième et le vingtième siècle avant notre ère, au moment où il place
l'établissement du premier empire Chaldéen, le rivage était à plus de 120 milles anglais (102 kilomètres)
en arrière de l'embouchure du Shatt-el-Arab, au nord du village actuel de Kornah.
2. C'est l'Arzania des textes cunéiformes, dont le nom, grécisé sous la forme d'Arsanias, a été trans-
porté par les géographes et par les historiens classiques à l'autre bras de l'Euphrate, le Nourad-Sou
(Fr. Dklitzsch, \Yo lag das Parodies? p. 182-183).
3. En assyrien, Sagoura, Sagouri (Schrader, Keilinschriften und Geschichtsforschuug, p. 220).
4. Le Balikh est en assyrien Balikhi, BaXtya, Bt'Xo/o;, Bclios (Amxien Marcellin, XXIII, 3, 7). Le Kha-
bour n'a point modifié son nom depuis l'antiquité; il reçoit sur la droite le Kharmish (Fr. De lit r. se h,
Wo lag das Paradies? p. 183). La forme grecque du nom est Xstjilûpa;, 'Apàppaç.
5. Le Kentritès de Xénophon (Anabase, IV, 2, 1).
6. Le Zab supérieur, Lycos des Grecs, est en assyrien Zabou flou; l'inférieur, le Kapros, est le
Zabou Shoupalou. Le nom de Zabatos se trouve dans Hérodote (V, lu), appliqué aux deux rivières
(Kiepert, Lehrbuch der Alten Géographie, p. 136, note 3).
7. Radânou des Assyriens, Physcos de Xénophon (Anabase, II, 4, 25) : le nom subsiste encore dans
celui d'un des bourgs que cette rivière arrose, Ràdhân (Fa. Drlitzsch, Wo lag das Paradies? p. 185).
8. En assyrien, Tournât, le Tornadotus de Pline (//. Nat.t VI, 132), déjà nommé A ici), a; par les géo-
graphes grecs (Kiepert, Lehrbuch der Alten Géographie, p. 137, note 4).
9. Chesney, The Expédition ofthe Survey of the rirers Euphrates and Tigris, t. I, p. 44-45; c'est
à Samosate que l'empereur Julien avait fait construire une partie de la flotte qu'il emmena dans son
expédition malheureuse contre les Perses. Le Tigre est navigable depuis Diarbéklr, pendant toute la
saison des hautes eaux (Loftis, Traveh and liesearches in Chaldsea and Susiana, p. 3).
.1*0 LA GHALDËE PRIMITIVE.
point là, pour les régions qu'elle recouvre, la même importance que celle du
Nil pour l'Egypte. Elle leur nuit plus qu'elle ne leur sert, et les riverains ont
toujours travaillé à se défendre contre elle et à la détourner, plutôt qu'à lui
faciliter l'accès de leurs champs ; elle est pour eux le mal nécessaire auquel
ils se résignent, mais dont ils tâchent d'atténuer les effets1.
Les premiers peuples qui colonisèrent ce pays de rivières, les premiers
du moins dont on retrouve la trace, paraissent avoir appartenu à des types
très différents. Les principaux étaient des Sémites et parlaient un dialecte
voisin de l'Àraméen, de l'Hébreu et du Phénicien. On a cru longtemps qu'ils
descendaient du nord, et on nous les a montrés cantonnés d'abord en
Arménie, au voisinage de l'Ararat, ou sur le cours moyen du Tigre, au pied
des monts Gordiéens1. On a proposé récemment de chercher leur lieu
d'origine dans l'Arabie méridionale, et cette opinion gagne du terrain
parmi les' savants'. Les monuments nous font connaître à côté d'eux des
populations d'un caractère mal défini, qu'on a voulu apparenter sans trop de
succès à celles de l'Oural et de l'Altaï*, et auxquelles on prête aujourd'hui par
simple provision le nom de Sumériens5. Elles venaient, à ce qu'il semble,
de quelque contrée septentrionale ; même elles avaient apporté de leur patrie
première le système curieux d'écriture qui, modifié, transformé, adopté par
dix nations diverses, nous a conservé ce que nous savons sur la plupart des
1. Le voyageur Olivier l'a constaté et dit en propres termes : • Les terres y sont un peu moins fer-
tiles [qu'en Egypte], parce qu'elles ne reçoivent pas le limon des fleuves avec la même régularité
que celles du Delta. Il faut nécessairement les arroser pour qu'elles produisent, et les garantir avec
soin des inondations, qui sont ici dévastatrices, parce qu'elles sont trop subites et trop irrégulières »
( Voyage dans l'Empire Othoman, i Egypte et la Perse, An 12, t. II, p. 423).
4. C'est l'opinion exprimée par Renan (Histoire générale des langues sémitiques, t* édit., p. 29),
chez qui l'on trouvera l'indication des auteurs qui se sont prononcés en ce sens : depuis Renan,
J. Guidi (Délia Sede primitiva dei Popoli Semitici, dans les Memorie délia H. Accademia dei Lincei%
$• III, t. III), Fr. Lenormant (les Origines de V Histoire, t. Il, p. 196), Hommcl (la Patrie originaire
des Sémites, dans les Atti dei IV Congresso Intemazionale degli Orientalisti, p. 217-218, Die Namen
der Sàugethiere, p. 496 sqq., Die Semitischen Vôlker und Sprachen, p. 7, 11-12, 59-63, 95 sqq.,) ont
pris parti résolument pour l'origine septentrionale des Sémites.
3. Sayce, Assyrian Grammar for comparative purposes. Inédit., p. 13; Sprexaer, Leben und Lehre
des Muhammad, t. I, p. 241 sqq., et Al te Géographie Arabiens, p. 293-295, surtout la note de ta
p. 29»; E. Schraper, die Abstammung der Chaldseer und die Vrsitze der Semiten, dans la Zeits. der
D. M. Gesellschaft, t. XXVII, p. 397 sqq. ; Tiele, Baby Ionise h- Assyrische Geschichle, p. 106-107.
4. Fr. Lenormant a défendu cette hypothèse avec ardeur dans la plupart de ses ouvrages : elle est
longuement présentée dans son volume sur la Langue primitive de la Chaldée. Hommel maintient
encore et essaie de démontrer scientifiquement la parenté de la langue non sémitique avec le turc
{Geschichle Babyloniens und Assyriens, p. 125, 244 sqq.).
5. Le nom d'Accadien, proposé par H. Rawlinson et par Hincks, adopté par Sayce, paraît l'avoir
cédé à celui de Sumérien qu'Oppert a mis en avant. L'existence du Sumérien ou Suméro-Accadien
a été contestée par Halévy dans plusieurs mémoires considérables : Recherches critiques sur
l'Origine de la Civilisation Babylonienne, in-8, 1876 (Extrait du Journal Asiatique, 1874-1876); Étude
sur les documents philologiques assyriens, 1878, les Nouvelles Inscriptions chaldéennes et la question
de Sumer et d'Accad, 1882, Observations sur les noms de nombre sumériens, 1883 (articles réuni»
dans les Mélanges de Critique et d'Histoire relatifs aux peuples sémitiques, in-8, Paris, 1884); Docu-
ments religieux de V Assyrie et de la Babylonie (in-8, Paris, 1883); Aperçu Grammatical de VAllogra-
phie Assyro-Babylonienne (dans les Actes du 0"** Congrès International des Orientalistes, t. I, p. 535-
LES SUMÉRIENS ET LES SÉMITES. 554
empires nés et morts dans l'Asie Antérieure avant la conquête perse. Sémite
ou Sumérien, on doute encore lequel précéda l'autre aux embouchures de
l'Euphrate. Les Sumériens, qui furent un moment tout-puissants aux siècles
antérieurs à l'histoire, s'étaient déjà mêlés intimement aux Sémites, quand
l'histoire s'ouvre pour nous. Leur idiome le cédait au sémitique et tendait de
plus en plus à devenir une langue d'apparat et de rituel, qu'on finit par appren-
dre, moins pour l'usage journalier que pour la rédaction de certaines inscrip-
tions royales ou pour l'intelligence de très vieux textes juridiques et sacrés.
Leur religion s'était assimilée aux religions et leurs dieux s'étaient identifiés
aux dieux des Sémites. Le travail de fusion commença si anciennement qu'à
dire le vrai, il ne nous est rien parvenu du temps où les deux peuples vivaient
étrangers entièrement. Nous ne pouvons donc discerner de manière authentique
ce que chacun d'eux emprunta à l'autre, ce qu'il lui donna, ce qu'ils lais-
sèrent tomber de leurs instincts et de leurs mœurs individuelles. Il faut les
prendre et les juger tels qu'ils s'offrent à nous, comme ne constituant plus
qu'une même nation, imbue des mêmes idées, mue dans tous ses actes par
la même civilisation, et d'un caractère si fortement trempé qu'il ne se modifia
plus sensiblement jusqu'aux derniers jours de leur existence. Ils subirent au
cours des âges les invasions et la tyrannie de vingt races, dont les unes,
Assyriens et Ghaldéens, dérivaient de la souche sémitique, dont les autres,
Ëlamites, Cosséens, Perses, Macédoniens, Parthes, ou ne leur étaient alliés
par aucun lien du sang, ou se rattachaient d'assez loin peut-être au tronc
sumérien. Ils éliminèrent fort vite une partie de ces éléments superflus,
absorbèrent et digérèrent le reste : ils étaient, comme les Égyptiens, de ces
peuples qui, une fois constitués, semblent incapables de se modifier jamais
et se maintiennent irréductibles d'un bout à l'autre de leur vie.
Leur pays devait présenter au début le même aspect de désordre et d'aban-
don qu'il offre de nos jours. C'était une lande plate, interminable, qui se
continuait toute droite jusqu'à l'horizon et recommençait toujours plus pro-
568), et dans quantité d'articles parus entre temps. M. Halévy propose de reconnaître dans les docu-
ments soi-disant sumériens la langue sémitique des inscriptions ordinaires, mais écrite avec un
syllabaire hiératique soumis à des règles spéciales : ce serait une cryptographie, ou plutôt une alto-
graphie. M. Halévy a rallié successivement à son système MM. G u yard et Pognon en France, Delitzsch
et une partie des élèves de Delitzsch en Allemagne. La controverse, menée de part et d'autre avec
une ardeur parfois superflue, continue encore : on en verra l'état actuel dans le livre de Lehman*,
Sehama*ch$chuniukin> Kônig von Babylonien (p. 57-178). Sans entrer dans le détail des arguments, et
tout en rendant hautement justice à la science profonde dont M. Halévy a fait preuve, je suis obligé
de déclarer, avec Tiele, que sa critique « oblige les savants à revoir minutieusement tout ce qui
a été donné comme prouvé en ces matières, nullement à rejeter comme intenable l'hypothèse,
toujours très vraisemblable, d'après laquelle la différence des systèmes graphiques correspondrait
à une différence réelle d'idiome » (Babyloniêrh-Atsyrittche Geschichte, p. 67).
552 LA CHALUÊE PRIMITIVE.
fonde, sans que !e moindre accident de terrain en rompît la monotonie : des
groupes espacés de palmiers et de mimosas grêles, entrecoupés de lignes d'eau
scintillant à distance, puis de longs tapis d'absinthes et de mauves, des échap-
pées infinies de plaine brûlée, de nouveaux palmiers, des mimosas nouveaux,
un sol partout uniforme d'argile lourde, grasse, tenace, rayée par les ardeurs
du soleil d'un réseau de fissures minces et profondes, d'où les arbrisseaux et
les herbes sauvages jaillissent
chaque année au printemps.
Une pente presque insensible
l'abaisse lentement du nord
au sud vers le Golfe Persique,
du levant au couchant vers le
plateau d'Arabie. L'Euphrate
s'y promène, indécis et chan-
geant, entre des berges fon-
dantes qu'il manie et qu'il
remanie de saison en saison.
La moindre poussée de son
Ilot les entame, les crève, y
lu «MUii «ciaiEai™ « li «urini. Peree des "g°les> donl 'a
plupart s'empâtent et s'obli-
tèrent par le délayement de leurs bords, presque aussi rapidement qu'elles se
sont ouvertes. D'autres s'élargissent, se prolongent, se ramifient, se trans-
forment en canaux permanents ou en véritables rivières, navigables à leurs
heures. Elles se rencontrent sur la rive gauche avec des bras détachés du
Tigre, et, après avoir erré capricieusement dans l'entre-deux, rejoignent enfin
leur fleuve : tels le Shatt-el-Haî et le Shatt-en-Nil . Sur la rive droite, la
déclivité les emmène aux collines calcaires qui ferment le bassin de l'Euphrate
dans la direction du désert : ils s'arrêtent à leur pied, se déversent sur les
bas-fonds et s'y égarent dans les bourbiers, ou se creusent à la lisière une
série de lacs, dont le plus grand, le lîahr-ï-Nedjif, s'encadre sur trois côtés de
falaises abruptes et s'enfle ou s'abaisse périodiquement avec la crue. In large
canal, qui prend naissance vers Hît, à l'entrée de la plaine d'alluvions, balaye
leur trop-plein au passage, et, côtoyant les derniers ressauts de la montagne
1. Ilettin de FaucIiei-Gu/lin, tVaprtt un btu-relirf atiyrirn du palait de Simreud (L»ï.i»u, tke
Xonumenti of Xiiirech, f' Sur., pi. XXVII).
LA CONQUÊTE I)U PAYS SLR LES EAUX. 553
d'Arabie s'écoule presque parallèle à l'Euphrate'. A mesure qu'il s'en va vers
le sud, les terrains s'affaissent encore, s'imprègnent, se noient, les berges
s'effacent et sombrent dans les boues. L'Euphrate et ses dérivés ne parvenaient
pas toujours à la mer1: ils se perdaient la plupart du temps dans des lagunes
immenses, où la mer montait à leur rencontre et aspirait leurs eaux dans son
reflux. Les joncs y pullulent en fourrés gigantesques qui atteignent quatre ou
cinq mètres de taille; des bancs d'une vase noire et putride émergent dans
les clairières et dégagent des fièvres mortelles. L'hiver se fait sentir à peine :
la neige est inconnue, le givre rare et léger, mais parfois, le matin, une mince
pellicule de glace s'étend sur les marais, qui fond aux premiers rayons du
soleil *. Il pleut beaucoup pendant six semaines en novembre et en décembre,
puis les ondées diminuent, s'espacent, cessent en mai, l'été s'établit et traîne
1. Le bras dp l'Euphrate qui longe ainsi la montagne s'appela le Pallacopas ou, selon d'autres
Pallacottas (Appies, Guerre» civitee, I. II. 153, édil. Dinor) : celle forme, si elle est authentique, per-
mettrai! d'identifier le canal cité par les auteurs classiques avec le Nar-Palloukat des inscriptions
babyloniennes (fif.LATTBe, let Travail* hydraulique» in Babylonie, p. i").
t. Les écrivains classiques notent ce Tait à plusieurs reprises : ainsi, au temps d'Alexandre (Amilbi,
Anabate, VI], 7} et de ses successeurs (Pou**, IX, 40). Pline (//. Hat.. VI. Ï7) attribuait la perle du
fleuve a des travaux d'irrigation exécutés par les habitants d'Ouronk : p longo tempore Eu pli raiera
pra?clusere Orcheni, el accola! agros irrigantes. nec nisi per Tigrini defertur ad mare ».
3. Dttrin de Fnurher-Ciudin, d'aprè» le croqui» de J. I)If.iiafoï, à Suie, l88t-l8SS, Journal det
Fouillei. p. 93.
*. Loflus {Traeelt and Rr»eaixhes in Chaltlra and Suniana, p. "3-71, i4fi-l*"| attribue l'abaisse-
ment de la température pendant l'hiver au passage du vent sur un sol imprégné de salpêtre; • nous
étions, dit-il, comme dans un immense appareil réfrigérateur >.
5!H LA CIIALDEE PRIMITIVE.
jusqu'au novembre suivant. C'est presque six mois d'une chaleur lourde,
humide, sans rémission, qui accable les hommes aussi bien que les animaux
et les rend incapables de tout effort constant1. Parfois le vent du sud ou de
l'est se lève brusquement, et les tourbillons de sable qu'il chasse devant lui
courent par-dessus champs et canaux, brûlant en chemin ce qui avait échappé
de verdure au soleil. Des nuées de sauterelles voyagent à leur suite et com-
plètent leur œuvre. On entend d'abord comme un bruit de pluie lointaine qui
augmente à mesure qu'elles approchent. Bientôt leurs bataillons pressés
emplissent l'atmosphère de tous côtés, la traversent à grande hauteur d'un
vol lent et uniforme. Ils s'abattent enfin, couvrent tout, dévorent tout, s'ac-
couplent et meurent en quelques jours : rien ne subsiste où ils sont tombés*.
Même en cet état, le pays ne manquait pas de ressources. La terre était
presque aussi féconde que le limon de l'Egypte, et comme lui, elle payait au
centuple la peine des habitants3. Parmi les herbes folles qui s'y propagent au
printemps et qui l'habillent de fleurs pour une saison brève, il s'en trouvait
qu'un peu de culture rendit utiles à l'homme et aux animaux4. On y avait le
choix entre dix ou douze espèces de légumes, la fève, la lentille, le pois
chiche, la gesse, le haricot, l'oignon, le concombre, l'aubergine, le gombo, la
courge. On extrayait de l'huile à manger des graines du sésame, de l'huile à
brûler de celles du ricin. Le carthame et le henné fournissaient aux femmes
de quoi teindre les tissus qu'elles fabriquaient avec le lin et le chanvre. Les
plantes d'eau étaient plus nombreuses qu'aux bords du Nil, mais elles ne
jouaient pas dans l'alimentation un rôle aussi important : le pain de lis des
Pharaons aurait semblé un maigre régal à des peuples habitués de vieille date
au pain de froment. Le blé et l'orge passent pour être indigènes aux plaines
de l'Euphrate : c'est là qu'ils auraient été cultivés pour la première fois dans
l'Asie Occidentale, c'est de là qu'ils se seraient répandus en Syrie, en Egypte,
1. Loftus (Travels and Researches in Chahlva and Susiana, p. 9, note) dit avoir constate lui-
même aux environs de Bagdad que les oiseaux à bout de forces restent perchés sur les palmiers,
haletants et le bec ouvert, pendant les heures du jour. Les habitants de Bagdad passent, durant
l'été, les nuits sur leurs maisons, les jours sous leurs maisons, dans des couloirs construits exprès pour
les préserver de la chaleur (Olivier, Voyage dans l'Empire Othoman, t. II, p. 381-382, 392-393).
2. Voir sur les sauterelles Olivier, Voyage dans V Empire Othoman, t. II, p. 424-425, t. III, p. 441, qui
fut deux fois témoin de leur invasion. L'insecte n'est pas à proprement parler une sauterelle, mais un
criquet, VAcridium peregrinum, qu'on rencontre fréquemment en Egypte, en Syrie et en Arabie.
3. Olivier, qui était médecin et naturaliste, et qui avait visité l'Egypte comme la Mésopotamie,
estime que les terres de la Babylonie sont un peu moins fertiles que celles du Delta (Voyage dan*
l'Empire Othoman, t. II, p. 423). Loftus, qui n'était ni l'un ni l'autre et qui n'avait jamais voyagé en
Egypte, déclare au contraire que le sol des bords de l'Euphrate n'est pas moins productif qui»
celui des bords du Nil (Travels and Hesearches in Chaldœa and Susiana, p. 14).
4. La flore de la Mésopotamie est brièvement décrite dans Hcffkr, Chaldce, p. 180-182; cf. le
tableau qu'en a tracé Olivier, Voyage dans l'Empire Othoman, t. II, p. 41(> sqq., et p. 443 sqq.
LA FLORE : LES CÉRÉALES ET LE PALMIER. 555
sur l'Europe entière*. • Le sol y est si favorable ans céréales qu'elles y ren-
dent habituellement 200 pour 1, et 300 dans les terres d'une fertilité excep-
tionnelle. Les feuilles du blé et de l'orge y sont larges de quatre doigts.
Quant au millet et au sésame, qui, pour la grandeur, deviennent là de véri-
tables arbres, je ne dirai pas leur hauteur, bien que je la connaisse par expé-
rience, sachant bien qu'auprès de ceux qui n'ont pas vécu en terre babylo-
nienne, ce que j'en raconterais ne rencontrerait qu'incrédulité3. » Hérodote
exagérait dans son enthousiasme, ou peut-être prenait-il pour la règle géné-
rale des exemples de rendements exceptionnels qu'on lui avait cités
aujourd'hui l'orge et le blé restituent au paysan trente et quarante fois la
semence qu'il a confiée au sillon'. * Le palmier suffit à tous les autres besoins
de la population. Un en tire une sorte de pain, du vin, du vinaigre, du miel,
des gâteaux et cent espèces de tissus; les forgerons se servent de ses noyaux
en guise de charbon ; ces mêmes noyaux, concassés et macérés, sont employés
I. La tradition indigène, recueillie par Bérose, l'attestait (fragm. I dans Fa. I.emuïant, Etiaide Com-
mentaire iur tri fragment» rotmogoniguei de Béroie, p. 6) et l'on cite ordinairement le témoignage
d'Olivier, comme confirmant relui de l'auteur chaldéon. Olivier passe, en elTet, pour avoir décou-
vert de» céréales sauvage» en Mésopolaiiiio. 11 dit seulement [Voyage dan» l'Empire Qthoman,
t. 111, p. iilO) avoir rencontré sur les bord» uc l'Euphralc, en aval d'Anah, • dans une sorte de ravin,
le froment, l'orge et l'époautre •; du contexte de son récit, il résulte évidemment que ce n'étaient
là que des plants redevenus sauvages, ce qu'il avait déjà ohscrvé plusieurs fois en Mésopotamie,
L'origine mesopotamienne des diverses espèces de froment et d'orge est admise par A, de Cindolle
{Origine drt planta cultirèet. p. 33.1-361, cr. Uabyhniaii and Oriental llerord, t. Il, p. 2ljfi).
i. Destin de Fauchrr-iludiu, d'aprèt un cylindre du Mutée de la Haye (Mekam, Catalogue dru
Cylindre* orientaux du Cabinet drt Médaille*, pi. III. n° i-t; cf. I..u.tm, Introduction à l'étude du
Culte de Milhra eu Orient et en Orndcnt, pi. XXVII, '). L'original mesure ll-,l>îu de hauteur.
3. IlsaoBoit I, cicm, au témoignage duquel on peut joindre, parmi les écrivains anciens, celui du
naturaliste Théophrasle (Hittoria Plantarum, VIII, 7) et du géographe Strabon (XVI, p. 7il).
1. Oliiieb, Voyage daim r Empire Othoman, l'Egypte et la Perte, I. Il, p. Wu.
556 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
à la nourriture des bœufs et des moutons qu'on engraisse1. » On soignait avec
amour un arbre aussi utile, on observait ses mœurs, on favorisait sa repro-
duction en secouant les fleurs du mâle sur celles de la femelle; les dieux
eux-mêmes avaient enseigné cet artifice aux mortels, et on les représentait
souvent une grappe de fleurs à la main droite, avec le geste du fellah qui
féconde un palmier2. Les arbres à fruit se mêlaient partout aux arbres
d'ornement, le figuier, le pommier, l'amandier, le noyer, l'abricotier, le pis-
tachier, la vigne, aux platanes, aux cyprès, aux tamarisques, à l'acacia : la
plaine était aux époques prospères un grand verger qui s'étendait ininter-
rompu du plateau de Mésopotamie aux rivages du golfe Persique8.
La flore aurait été moins riche, que la faune eût subvenu aisément aux
nécessités d'un peuple nombreux*. Une bonne partie des tribus du Bas-
Euphrate n'ont subsisté longtemps que de poisson. Elles le mangeaient frais,
salé, fumé : elles le séchaient au soleil, le pilaient dans un mortier, tamisaient
la poudre au linge et en pétrissaient une manière de pain ou des gâteaux*. Le
barbeau et la carpe atteignent de fortes dimensions dans ces eaux lentes, et,
si les Chaldéens préféraient sans doute ces espèces aux autres, comme les
Arabes qui leur ont succédé en ces cantons, ils ne dédaignaient point les variétés
moins délicates, l'anguille, la murène, le silure, même ce grondin singulier
dont les habitudes étonnent nos naturalistes. Il séjourne dans l'eau à l'or-
dinaire, mais l'air libre ne l'effraie point : il saute sur les berges, grimpe aux
arbres sans trop de peine, s'oublie volontiers sur les bancs de boue que la
marée découvre, et s'y vautre au soleil, sauf à s'enlizer en un clin d'œil si
quelque oiseau l'avise de trop près6. Le pélican, le héron, la cigogne, la grue,
1. Strabon, XVI, I, 14; cf. TmtoPHRASTE, Uist. Plant., II, 2, Pline, Mis t. Sa t., XIII, 4. Aujourd'hui
encore, les indigènes emploient le palmier et ses diverses parties aux mêmes usages (A. Rich,
Voyage aux ruines de llabylonc, p. 154 de la traduction française où Raimond, ancien consul de
France à Bagdad, a complété fort heureusement les indications de l'auteur anglais).
2. L'idée que les Chaldéens avaient connu la fécondation artificielle du palmier, de toute antiquité,
a été émise la première fois par E. B. Tylor, The Fertilisation of Date-Palms, dans The Academy,
8 juin 1886, p. 396, et dans Sature, 1890, p. 283, ainsi que The winged figures of the Assyrian and
olher Ancieul Monuments, dans les Proceedings, t. XII, 1890, p. 383-393; cf. Bonavia, Did the Assyrian s
knoiv the Sejres of the Date-Palms, dans the Babylonian and Oriental Record, t. IV, p. 64-69, 89-95.
3. C'est ainsi que les légions romaines la virent encore, au IV0 siècle après notre ère, quand l'em-
pereur Julien l'envahit, pendant sa dernière campagne : « In his regionibus agri sunt pi tires consiti
vineis varioque pomorum génère : ubi oriri arbores adsuetae palmarum, per spatia ampla adusque
Mescnem et marc pertinent magnum, instar ingentium nemorum » (Ammikn Marcellin, l. XXIV, 3, là).
4. Hœfer a réuni les renseignements que nous possédons sur la faune actuelle des pays du Tigre et
de l'Euphrate (Chaldée, p. 182-186), et son travail est le seul que nous possédons sur la matière. Pour
les animaux nommés et représentés sur les monuments, on peut consulter Fr. Demtxsch, Assyriscfœ
Stndien : I, Assyrischc Thiernamen, et \V. Hoightos, On the Mammalia of the Assyrian Sculptures,
dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. V, p. 33-64, 319-388.
5. Hérodote, I, ce. La façon originale dont les Arabes du Bas-Euphrate pèchent le barbeau au
harpon a été décrite rapidement par Layard, Nineveh and Rabylon, p. 567.
6. Ainsworth, Hcsearches in Assyria, p. 135-136, Frazkr, Mesopotamia and Assyria, p. 373.
LA FAUNE : LES POISSONS ET LES OISEAUX. 557
le cormoran, cent races de mouettes, de canards, de cygnes et d'oies sauvages,
d'une pâture inépuisable, s'ébattent et prospèrent dans les joncs.
L'autruche et la grosse outarde, la perdrix, la caille, le francolin se canlon-
nent sur les confins du désert, mais la grive, le merle, l'ortolan, les pigeons,
les tourterelles, foisonnent de tout côté, malgré le massacre qu'en font jour-
nellement l'aigle, le faucon, l'épervieret les autres oiseaux de proie*. Les ser-
1. Bénin de Faucher-Guiliit, d'uprëx un bat-relief tir {iimrond emuercé nu Brititk Muséum.
t. Pour les oiaeaux reprenant!.1» ou iiommila sur los moinimeiils, voir la monographio dp W. Ilou.mos,
Thr. Hirds of Ihe Atsyrian Monuments and Hrcnrds, dans lo* Transncliont, t. VIII. p. il-Hi.
5H8 LA CHALDEE PRIMITIVE.
pents se cachent un peu partout, inoffensifs pour la plupart : on n'en connaît
que trois variétés qui soient dangereuses, encore leur venin ne produit-il pas
les effets foudroyants de celui des vipères à corne ou des urseus égyptiennes.
Les lions sont de deux genres, les uns sans crinière, les autres encapuchonnés
d'une lourde perruque noire et emmêlée : leur nom indigène signifie propre-
ment le gros chien, et, de fait, ils ressemblent plus à des chiens de belle taille
qu'à nos lions roux d'Afrique1. Ils fuient l'homme, se rencoignent pendant le
jour dans les marais ou dans les buissons qui bordent les rivières, et sortent
de nuit, comme le chacal, pour courir la campagne. Forcés, ils reviennent sur
le chasseur et se battent en désespérés : de même que les Pharaons, les rois
chaldéens ne craignaient pas de se mesurer avec eux corps à corps et se van-
taient d'en avoir détruit beaucoup comme d'un service rendu à leurs sujets.
L'éléphant parait avoir hanté assez longtemps tes steppes du moyen Euphra te':
on n'y signale plus sa présence à partir du xin1' siècle avant notre ère, et il
I, l.c nom sumérien du lion l'sl lik-makh, le (,'raml cliieii. I.;i meilleure description de la pre-
mière espèce est euro™ celle. d'Ulmvr (Voyage duiit l'Emuirr llllwman, 1. Il, p. 4iii~iiT), c|ui en vil
cil»] en captivité chez le pacha île l!ae;dad; cf. I.iy.iwi, Xinerch aiitt Baliylim, p. 187.
t. Détail! de Fauehrr-tiurlitt, il'ajirii mi bai-relief de \nnrnud. rontervë au Ilrilith Mutriim.
3. La présence [le l'éléphant dans la Mésopotamie et a Syrie du Nord est liien prouvée par l'inscrip-
liuii i''(,'y|>lU'iiiie (l'Ameiuriiilulii .iu iv siècle; ef. Vu. bAimiM, Sur l' rxiateure de [éléphant daim la
UétepotamU an XII' siècle avant 1ère rfirrrliemiti, dans les Comptes rendus de F Académie des Imcrip-
liiiH*, S' série, t. I, p. 1711-183. I.e père l>elallre » réuni ilans Encore un mot sur la Géographie At*g-
riemie. p. 3'1-ill. la plupart i1i-h piissu^es d'iiiui-riptimin eu né [Tonnes i|iii limitent de J'éléplianl.
LE LION ET L'UtUIS. 55»
ne fut dès lors qu'un objet de curiosité importé à grands frais des contrées
lointaines. Il n'est pas du
reste le seul animal qu'on
ait supprimé de la sorte au
cours des siècles : les sou-
verains de Ninive pourchas-
sèrent si hardiment l'unis
qu'ils finirent par l'anéantir*.
Plusieurs sortes de pan-
thères et de félins moyens
gîtaient dans les halliers de
la Mésopotamie. L'hémione
et l'onagre erraient par pe-
tites bandes entre le Balikli et le Tigre. Il semble qu'on ait essayé de les
apprivoiser à une époque très ancienne et de s'en servir pour tirer des cha-
I. C'est le rimait des textes et le taureau BJRantesque des tableaux de chasse (W. Ilorsinns, On (ht
Mnmmalia, dans les Tranaartiim* île la Korii'-lé «"Archr'-o1(i|fir Biblique, t. V, (>. 33fi-3.il]).
î. Pétrin lie Faiirhrr-Guilin d'aprtt un bat-relirf a**yrien tir Ximrmiil I.iyimi. Monummli of
Kitiereli, \" Ser., |il. II). L'anima) est masqua en jinrtip sur l'nrifiinul par les roues d'un char.
3. Peitinde Faurlier-Ciiiliu ifiipret un bat-relief du llritith Muteum (cf. I'i.ji:k. Ninirr.p\. :.\,\).
560 LA CHALItÊE PRIMITIVE.
riots, mais cette tentative ou ne réussit pas ou donna des résultats si incer-
tains qu'on y renonça dès que l'on connut des espèces moins réfractaïres à
la domestication'. Le sanglier et son cousin, le porc ordinaire, peuplaient
tous les bourbiers; les sculpteurs assyriens se sont amusés quelquefois à
représenter dans leurs tableaux de longues truies maigres, filant parmi les
roseaux avec leur innombrable progéniture". Comme en Egypte, le porc
demeurait à demi domestique, et l'homme ne comptait, sans parler du chien,
qu'un petit nombre de vrais serviteurs, l'àne et le bœuf, la chèvre et le mou-
ton; le cheval et le chameau étaient inconnus au commencement et ne furent
introduits qu'après coup*.
Nous ne savons rien des luttes que les premiers habitants, Sumériens ou
Sémites, eurent à soutenir pour vaincre les eaux et pour soumettre la terre :
les monuments les plus anciens nous les montrent déjà maîtres du sol et depuis
longtemps civilisés*. Les principales de leurs cités se répartissaient en deux
. I. Xk»umu>:i, Anal>a*t, I, :;; cf. I.ayabd, Sinernh and it* irmain: t. I, p. SU, note, G. R*»l.i:uos. Thr
Fivt Ancient Monarchirn, t. I, p. ÏM-iï5. L'onagre: représenté sur 1ns monuments parait Cire l'Eauua
llemîppui (W. Hotr.HTO*, On Ihe Mammaiia, dans les Traniaction*. t. V, p. 37it-380).
t. A propos du pore sauvage ou du sanglier et du nom que ces animaux ont porté dans Ifs
i ii'..- ri ji lions cunéiformes, cf. Jkxski, des Wildâr/iarin in den A'tyriith-Rahylonittrhen Intchrifleri ,
dans la Zcilirhrift fvr Aituriologie, t. I, p. 3IM3-31Î.
3. Detsin dr FawcÀer-Gndin, d'apres vu but- relief ns*yriru ilr Koytiimdjik (Liïabb, The Moiwmfiilt
af Sinereh, f Ser.. pi. SS).
4. Le clieval est désigné dans les textes assirii-ns par un ensemlile île signes qui signifient ■ lane de
l'Est », et le chameau par d'autres signes où le caractère ïtnr entre également, Des façons de rendre le
nom des deux espèces montre bien qu'elles étaient inconnues aux temps les plus anciens : l'époque de
leur importation est incertaine. On trouve un char attelé de chevaux sur la Stèir da Vautour*, vers
3000: quant aux chameaux, ils sont mentionnés comme butin fait sur les Bédouins du désert.
LES CITÉES DU NORD ET DU SUD. 561
groupes : ('un au midi dans le voisinage de la mer, l'autre plus au nord, à l'en-
droit où l'Euphrate et le Tigre ne sont séparés que par un isthme assez
étroit. Sept d'entre elles composaient celui du midi, parmi lesquelles Éridou
se rapprochait le plus de la côte'. Elle s'élevait sur la rive gauche de
l'Euphrate, au point qu'on appelle Abou-Shahréùi*. Un peu vers l'ouest, et sur
la rive opposée, mais à quelque distance du fleuve, le tertre de Moughéîr
marque le site d'Ourou, la plus importante sinon la plus vieille des villes
méridionales4. Lagash occupait l'emplacement de Telloh au nord d'Eridou,
aux embouchures Je l'Euphrate et du Tigre, La légende du poisson Oannès (Bt.Ross, fragm. I), qui
semble cacher quelque indication à ce sujet (cf. Fa. I.kmimakt, Estai sur un document mathématique,
[i. I J3-I3S, et Estai de Commentaire sur les fragments cotmogoniques, p. ÏÎU-ÎÏ3, où cette idée ■
été développée pour la première fois), n'est qu'une tradition mythologique de laquelle on a eu tort
de vouloir tirer des conclusions historiques (Tir.ii:, Uabylonitch-Assyritche Getchichle, p. 11)1).
1. La plupart des identifications courantes aujourd'hui entre les noms anciens et les sites modernes
sont dues au\ premiers maîtres de l'Assyriolugic, Bincki, Oppert, II. Ttaulinson. Comme elles sont
éparses dans des brochures d'accès difficile, je me borne le plus souvent à renvoyer le lecteur aux
ouvrages où les assyriologues de In seconde génération ont résumé et complété ces recherches, sur-
tout a celui de Fa. Dkliiiwh, Ho lag dai Paradiesï et à celui de IIoiiel, Gesehickte babyloniens
und AstyrUnt. p.l»5-î34, qui les présente réunies sous une forme commode.
î. Éridou, abrégé en Hitou (Sait», Early Ilislory of Dubyloma, dans les Transaction! de la Société
d'Archéologie Biblique, 1. I, p. SU), peut-être la Rata de Ptolémée (Oppebt, Expédition en Mésopo-
tamie. I. I, p. Î(Î9), dans la langue non sémitique tfoun et Eridougya (Vu. Delitesck, Ho lag das
Paradiet? p. Ïi1-Ï38). Les ruines en ont été décrites par Taylor (Hôtes on AbuSkakrein and Tel-
el-Lahm, dans le Journal of the II. Ai. Society, t. XIV, p. i\t sqq.).
3. Destin de Faucher-Gudin, daprrt le bas-relief de Koyaumtjib (l.inan, The Monuments of
Sinevth. V Ser., pi. lï. n* t).
i. Ouroum, Ourou, qui signifie • la ville • par excellence (Fa. Delitisch, IVo lag dat Paradietf
p. 416-*!-), est peut-être l'Our des Chaldéens qui est mentionnée dans la Bible {Gcnete, XI, 48;
Séhénùe, IX, 1), mais cette idenliticalion n'est rien moins que certaine, et beaucoup de savants
hésitent encore a l'adopter (IIilêvy, Mélange* d'Epigraphie et dArchéotogîe némitiquet, p. "4-86),
malgré l'autorité de Itawlinson. Oppert, qui avait d'abord lu le nom Kalounou, pour y reconnaître
la Calannéh de l'Écriture (Expédition en Mésopotamie, t. I, p. Ï58 sqq), se rallia plus lard à l'opi-
nion de llawlinson (Inscription* de Dour-Sarkayan, p. 3, 0, note) ainsi que Schrader (Die Keitin-
564 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
non loin du Shatt-el-Hai ! ; Nisin* et Mar\ Larsam* et Ourouk5 s'échelonnaient
sur les terrains fangeux qui s'étendent entre l'Euphrate et le Shatt-en-Nil .
Les inscriptions nomment ça et là d'autres localités moindres, dont on n'a pas
réussi à retrouver les ruines, Zirlab, Shourippak, aux bouches de l'Euphrate,
où l'on s'embarquait pour la traversée du golfe Persique6, l'ile de Dilmoun,
isolée à une quarantaine de lieues vers le sud, au milieu de la Mer Salée —
Nâr-MaiTatoum1 . Le groupe du nord comprenait Nipour8, V « incomparable *
Barsip, sur le canal parallèle à l'Euphrate et qui tombe dans le Bahr-î-Nedjîf*,
Babylone, la « porte du Dieu », la « demeure de vie », la seule des métro-
poles euphratéennes dont la postérité ne perdit jamais le souvenir, Kishou10,
Kouta11, Agadé11, enfin les deux Sippara13 de Shamash et d'Ânounit. La
êchriften und das Allé Testament, 1" éd., p. 383-384). Le nom de Moughélr (plus correctement
Mouqayér) qu'elle porte aujourd'hui signifie la bituminée, de qir, bitume, et s'explique par l'emploi
du bitume comme ciment dans une partie des constructions qui s'y trouvent.
1. Le nom a été lu tout d'abord Sirtclla, Sirpourla, Sirgoulla : la forme Lagash a été décou\crte
par Pinchcs (Guide to the Koyunjik Gallery, p. 7, et Lagash, not Zirgulla, Zirpourla, Sirpulla, dans
le liabylonian and Oriental Becord, t. III, p. 24).
2. Nisin, ISishin ou Ishin (Bezold, dans la Zeitschrifl fur Assyriologie, t. IV, p. 1430), car les
deux formes existent, a été identifiée par G. Smith (Early Hislory of Babylonia, dans les Transac-
tions de la Société d'Archéologie Biblique, t. I, p. 29-30) avec Karrak : le site en est inconnu.
3. Mar est aujourd'hui Tell-Ede (Fr. Delitzsch, Ho lag das Parodies? p. 223).
4. Larsam s'appelle en sumérien Babbar ounnu, la demeure du Soleil; c'est aujourd'hui Senkéréh.
5. Ourouk s'appelait Ounoug, Ounou dans l'ancienne langue : elle devint plus tard, dans la Bible
Erech (Genèse, X, 10; "Ope-/. LXX), Araka et Orchoé chez les Grecs (Strabon, XVI, 1 ; Ptolënée, V, 20).
C'est aujourd'hui Warka, dont les ruines ont été décrites par Loft us (Travels and Besearches in
Chaldxa and Sus i an a, p. 159 sqq.).
6. Zirlaba, Zarilab a pour nom Koulounou, « Demeure de la descendance », dans la langue non sémi-
tique : ce qui permet de l'identifier à la Kainéh, kalannéh, de la Genèse (X, 10), contre la tradition du
Talmud, d'après laquelle cette dernière ville serait identique à ISipour, Nifler (Nfxb.u f.r, Géographie
du Talmud, p. 346, note 6). Le rapprochement de Zirlab-Koulounou avec Zerghoul (Oppert, Expédition
en Mésopotamie, t. I, p. 269-270) n'est plus admis généralement (Tielk, Babylonisch-Assyrische Ges-
chichte, p. 86). Les textes relatifs à Shourippak, Shourouppak, ont été réunis par G. Smith (The
Elèvent h Tablet of the Izdubar Legends, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique,
t. III, p. 589); ils ne nous permettent point de déterminer le site de la ville.
7. Le site de Dilmoun est fixé par Oppert (le Siège primitif des Assyriens et des Phéniciens, dans
le Journal Asiatique, 1880, t. XV, p. 90-92 et 349-350) et Rawlinson (dans le J. of the B. Asiatic Soc.,
1880, t. XII, p. 201 sqq.) à Tylos, la plus grande des lies Bahréin, aujourd'hui Saraak Bahréîn, où
le capitaine Durand a trouvé des restes d'occupation babylonienne, dont une inscription (/. of t/te
B. Asiatic Soc, 1880, p. 192 sqq.). Fr. Delitzsch propose d'y reconnaître une Ile, placée vers l'em-
bouchure du Shatt-cl-Arab et qui serait perdue dans les allusions (Fr. Delitzsch, Ho lag das Parodies?
p. 229-230). Dilmoun s'appelait Sitouk en sumérien (Oppert-Menavt, Inscription de Khorsabad, p. 116).
8. Nipour, IN ip pour, Inlil en sumérien, est Niflerprès le Shatt-eii-Nîl, à la limite des marais d'Aflfedj.
9. Barsip, Borsippa, la seconde Babylonc (Fr. Delitzsch, Ho lag das Parodies? p. 216-217) est le
Birs-Nimroud (Oppert, Expédition en Mésopotamie, t. I, p. 200 sqq.).
10. Kishou est à présent El-Ohaimir (Hoxmel, die Semilischen Yolker, p. 233, 235 sqq.).
11. Koutou, Kouta, dans la langue non sémitique Goudoua, est aujourd'hui Tell-Ibrahim.
12. Agadé ou Agané a été identifiée avec une des deux villes dont Sippara se composait (Fr. Delitzsch,
Wo lag das Parodies? p. 209-212; Fr. Lkm>rna.nt, les Premières Civilisations, t. II, p. 195), plus spécia-
lement celle qu'on nommait Sippara d'Anounit (Uommki., Gcschichlc Babyloniens und Assyriens, p. 204) ;
la lecture Agadi, Agadé, a été mise en avant surtout pour amener une identification avec l'Accad de
la Genèse (X, 10; cf. G. Smith, Assyrian Discoveries, p. 225, note 1) et avec l'Akkad de la tradition indi-
gène. Cette opinion est abandonnée par la plupart des assyriologues(FR. Dei.itzsch-NCrdtkr, Gcschichte
Babyloniens und Assyriens, t" éd., p. 73: Lkiounn, Schamaschschumukin Kônig von Babylonien,
p. 73), et Agané n'a pas encore de site déterminé. Elle n'était pas fort éloignée de Babylone.
13. Sippara de Shamash et Sippara d'Anounit forment la Sépharvaîin de la Bible (// Bois, XVII, 24, 31);
les ruines en ont été retrouvées par Horinuzd Bassam dans les doux monticules d'Abou llabba et
LES TRI11US VOISINES TIE I.A CHALDEE. S63
première civilisation chaldéenne tenait donc presque entière sur les deux
rives du Bas-Euphrate : elle n'atteignait le Tigre qu'à la limite septentrionale
de son domaine et sans le franchir. Isolée du reste du monde, à l'est par les
marais qui bordent ce fleuve dans sa partie inférieure, au nord par le plateau
mal arrosé et mal peuplé de la Mésopotamie, à l'ouest par le désert d'Ara-
bie, elle avait pu, de même que la civilisation de l'Egypte, se développer
comme en vase clos, et suivre en paix ses destinées. Le seul danger sérieux
qu'elle eut à redouter lui venait de l'est, où les Kashshi et les Llamites, con-
stitués en monarchies militaires, ne cessaient de pousser leurs armées contre
elle d'année en année. Les Kashshi n'étaient guère que des montagnards
à demi policés, mais l'Ëlam possédait une culture très avancée, et Suse, sa
capitale, le disputait en antiquité et en éclat aux villes les plus riches de
l'Euphrate, à Ourou et à Dabvlone. Partout ailleurs on ne rencontrait que
des tribus pillardes, gênantes pour leurs voisins, mais dont les incursions, si
ruineuses qu'elles fussent, ne compromettaient pas l'existence du pays et ne
se terminaient jamais par une conquête, les Gouti au Nord-est, sur la rive du
f Aiicienl Babylonien Cttiet, dans les
564 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
Tigre, les Shouti au nord des Gouti. Il semble que les Chaldéens eussent
déjà commencé à les entamer, et à installer chez eux quelques colonies, El-
Ashshour aux bords du Tigre, Harran à l'extrémité opposée de la plaine
de Mésopotamie, vers les sources du Balikh. Au delà, c'était le vague et
l'inconnu, Tidanoum1, Martou*, la mer du soleil couchant, les régions immenses
de Miloukhkha et de Mâgan8 : l'Egypte, du jour où l'on apprit son existence,
fut une contrée à demi fabuleuse, perdue aux rebords de l'univers.
Le temps qui fut nécessaire pour tirer le peuple de la sauvagerie et pour
constituer tant de cités florissantes? Les lettrés ne se résignaient pas à
l'ignorer. De même qu'ils avaient dépeint le chaos primordial, et la naissance
des dieux, et leurs luttes pour la création, ils racontaient sans hésitation tout
ce qui s'était passé depuis l'éclosion de l'homme, et ils prétendaient calculer
le nombre de siècles qui divisaient les générations présentes de l'origine
des choses. La tradition la plus accréditée à Babylone vers l'époque grecque,
celle que Bérose avait consignée dans ses histoires, affirmait qu'un assez
long intervalle s'écoula entre la manifestation d'Oannès et l'avènement d'une
dynastie. « Le premier roi fut Alôros de Babylone, Chaldéen, duquel on ne
dit rien, si ce n'est qu'il fut choisi de la divinité même pour être pasteur du
peuple. Il régna dix sares, ce qui fait trente-six mille ans, car le sare est de
trois mille six cents ans, le nère de six cents ans, le sôsse de soixante ans.
Alôros étant mort, son fils Alaparos commanda trois sares durant ; après quoi,
1. Tidanoum est le pays du Liban (Hommel, Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 329).
2. Martou est le nom général des pays syro-phéniciens, dans la langue non sémitique (Fa. Drlitxsch,
Wo lag dos Parodies? p. 271), lu d'ordinaire Akharrou dans la langue sémitique, mais pour lequel
les tablettes d'EI-Amarna indiquent la lecture Amourou (Bezold-Bcdge, The Tell el-Amarna Tablets
in the Brilish Muséum, p. xlvii, note 2). Les noms des Kashshi, de l'Élam et de leurs voisins seront
expliqués ailleurs, au moment où les peuples qui les portent entreront activement dans l'histoire.
3. La question du Miloukhkha et du Mâgan est une de celles qui ont le plus agité les assyriologues
depuis vingt ans. L'opinion dominante aujourd'hui parait être celle qui fait de Màgan la péninsule du
Sinai, et de Miloukhkha le pays au nord du Màgan jusqu'à l'Ouady-Arish et à la Méditerranée (Fr. Lexor-
mant, les Noms de VAirain et du Cuivre dans les deux langues des Inscriptions cunéiformes de la
C ha Idée et de V Assyrie, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. VI, p. 347-353,
399-402; Tiele, h Sumér en Akkad het zelfde als Makan en Mèlûkha? dans les Comptes rendus de
l'Académie d'Amsterdam, 2* série, Del XII; Delattre, Esquisse de Géographie Assyrienne, p. 53-55,
V Asie Orientale dans les Inscriptions assyriennes, p. 149-167; Ami.u'd, Sirpour la d'après les inscriptions
de la collection de Sarzec, p. 11-12, 13); d'autres soutiennent, non plus la théorie de Delitzsch (Wo
lag das Paradiesf p. 129-131, 137-140), d'après laquelle Mâgan et Miloukhkha sont deux synonymes
de Shoumir et d'Akkad, par suite s'appliquent à deux grandes divisions de la Babylonie, mais une
hypothèse analogue qui les considère comme des cantons situés à l'ouest de l'Euphrate, soit dans les
pays chaldéens, soit sur la lisière du désert, soit dans le désert même dans la direction de la péninsule
sinaitique (Homrel, Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 234-235 ; Jrnse», Die Jnschriften der Kônige
und Statthalter von Lagasch.dans la Keilinschriftliche Bibliothek, t. III, in partie, p. 53). Ce que
nous savons des textes m'oblige, comme H. Rawlinson (The Islands of Bahrein, dans le Journal ofthe
Asiatic Society, t. XII, p. 212 sqq.), à mettre ces pays sur les bords du golfe Persique, entre l'embou-
chure de l'Euphrate et les lies Bahrétn; peut-être les Maknp et les Mélangita? des historiens et géogra-
phes classiques (cf. Sprexger, Die Aile Géographie Arabiens, p. 124-126, 261) sont-ils les descendants
des gens de Mâgan (Mâkan) et de Miloukhkha (Mélougga), émigrés vers l'entrée du golfe Persique, à la
suite de quelque événement tel que le développement en ces parages du peuple des Kashdi (Chaldéens).
LES DIX ROIS D'AVANT LE DÉLUGE. 565
Amillaros', de la ville de Pantibibla*, régna treize sares. C'est soug lui que
sortit de la mer Erythrée un second Annéddtos, très rapproché d'Oannès par
sa forme semi-divine, moitié homme, moitié poisson. Après lui, Amménon,
aussi de Pantibibla, Chaldéen, commanda l'espace de douze sares : sous lui
apparut, dit-on, l'Oannès mystique. Ensuite Amélagaros9, de Pantibibla, com-
manda dix-huit sares. Ensuite Davos*, pasteur, de Pantibibla, régna dix sares :
sous lui sortit encore de la
mer Erythrée un quatrième
Annédôtos, qui avait la
même figure que les autres,
mélangée d'homme et de
poisson. Après lui régna
Ëvédoranchos, de Pantibi-
bla, pendant dix-huit sares;
de son temps sortit encore
de la mer un autre monstre,
nommé Anôdaphos. Ces di-
vers monstres développèrent soigneusement et point par point ce qu'Oannès
avait exposé sommairement. Puis régnèrent Amempsinos, de Larancha',
Chaldéen, pendant dix sares, et Obartès7, aussi de Larancha, Chaldéen,
pendant huit sares. Enfin, Obartès étant mort, son fils Xisouthros* tint le
sceptre pendant dix-huit sares. C'est sous lui que le grand déluge arriva,
de sorte que l'on nombre en tout dix rois, et que la durée de leur pouvoir
monte ensemble à cent vingt sares'. » On comptait, des commencements du
1. Variante : AtmttOn.
ï. Pantibibla a été identifiée avec Sépharvatm cl Sippara, à cause du jeu de mots qu'on croyait
exister entre l'hébreu Sepher, livre, qu'on voulait retrouver dans Sippara, et le sens du nom grec, la
ville de tout let livret. Er. I.enormant {la Langue primitive île la Chaldén, p. 3*1-314) a proposé en
dernier lieu Ourouk, Delilisch (Ho lag tint Paradiet? p. ÎÏ4) préfère I.arak : on ne sait véritable ment
quel terme chaldéen répondait à celui de Pantibibla dans l'esprit de Bérose.
3. Variante : Hegalarot.
i. Variante ; Daonot. liant.
5. Dettiu de Fauchcr-Gudin, rtajirèt une intaitte du Britith Mutenm (Luud, Intraduction à iélude
du Culte public et des myttèret de Hilhra en Orient et en Occident, pi. li, n* i).
6. Lenormant (la Langue primitive de la Chaidêc, p. 3*î) a proposé de corriger Sourapcha, au lieu
de Larancha, et de reconnaître dans le nom grec la ville de Shourappak, Shourippak.
7. Correction de Lenormant, au lieu d'Otiarlès, pour retrouver le nom d'Oubaratoutou que le récit
du Déluge donne au père de Xisouthros; la variante Ardâtes s'expliquerait selon G. Smith (Tne Ele-
eenlh Tablet of tke Itdubar Legend, dans les Trantactiont de la Société d'Archéologie Biblique,
t. III. p. 53!) par une lecture Arda-Toutou. Arad-Toulou, des signes dont le nom se compose. Enfin,
on rencontre également a côté de celle prononciation non sémitique la prononciation sémitique
kidin-Hardouk (Sam, The Elevenlh Tablet of the Itdubar Legend, dans les Trantactiont, t. III.
p. 534-533) dont la tradition recueillie par Bérose n'a pas gardé trace.
8. Variante : Sitithèt.
9. Bêrospî, fragm. IX-XI, dans Fa, Lssorïant, Estai de Commentaire, p. Î1I-2SI,
566 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
monde au déluge, six cent quatre-vingt-onze mille deux cents ans, dont
deux cent cinquante-neuf mille deux cents s'étaient écoulés à l'avènement
d'Alôros et quatre cent trente-deux mille étaient répartis généreusement
entre ce prince et ses successeurs immédiats : les écrivains grecs et latins
avaient vraiment beau jeu se moquer du chiffre fabuleux d'années que les
Chaldéens assignaient à la vie et au règne de leurs premiers souverains1.
Cependant, les hommes devenaient méchants; ils perdaient l'habitude
d'offrir des sacrifices aux dieux, et les dieux, indignés justement de cette
négligence, résolurent de se venger*. Or Shamashnapishtim3 régnait en ce
temps-là dans Shourippak, la ville du vaisseau : il fut sauvé avec toute sa
famille, et il raconta plus tard à l'un de ses descendants par quel artifice
Ëa l'avait arraché au désastre de son peuple4. « Shourippak, la cité que
tu connais toi-même et qui est sise sur la rive de l'Euphrate, c'était déjà
une ville antique lorsque les dieux qui y résident, leur cœur les poussa à
soulever le déluge contre elle, les dieux grands autant qu'ils sont, leur père
Anou, leur conseiller Bel le batailleur, leur chèvetaine Ninib, leur prince
Innougi8. Le maître de la sagesse, Éa, siégeait avec eux6 », et, mû de pitié,
voulut prévenir Shamashnapishtim, son serviteur, du péril qui le menaçait;
1. Cicékon, De Divinatione, I, 19.
2. Le récit de Bérose impliquait déjà cette cause du Déluge, quand il mentionnait la recommanda-
tion faite aux. survivants par une voix mystérieuse d'être désormais respectueux envers tes dieux,
Geoasfat; (Bkrose, fragm. 15, édit. Le.norma.yt, Essai de commentaires, p. 259). Le récit chaldéen recon-
naît que le Déluge avait été envoyé aux hommes pour leurs péchés envers les dieux, quand il nous
montre, vers la fin (cf. p. 571 de cette Histoire), Éa reprochant à Bel d'avoir confondu dans une même
exécution les coupables et les non coupables (Cf. Delitzsch, Wo lag das Parodies? p. 145-140).
3. Le nom du personnage a été lu de manière très différente : Shamashnapishtim, Soleil de vie
(Haui't, dans So.hr aoer, Die Keilinschriften und das Allé Testament, 2* éd., p. 65), Sttnapishtim (Jknskn,
Die Kosmologie der Babylonier, p. 381-385; Delitzsch, Worterbuch, p. 334, rem. 4; A. Jeremias, hdubar-
Nimrod, p. 28, 52, note 72), « le sauvé », Pirnapishtim (Zimnern, Habylonische Busspsalmen, p. 68,
note 1 ; A. Jerenias, Die Baby Ionise h- Assyrischen Yorstellungen des Leben nach dem Tode, p. 82;.
Dans un passage au moins, on trouve, au lieu de Shamashnapishtim, le nom ou l'épithète d'Adra-
Khasis, par renversement Khasisadra, qui parait signifier le très avisé, et s'explique par l'habileté avec
laquelle le héros interprète l'oracle d'Êa (Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 385-386) : khasi-
sadra est très probablement la forme que les Grecs ont transcrite par Xisouthros, Sisouthros, Sisithès.
1. Le récit du Déluge couvre la onzième tablette du poème de Gilgamès. Le héros, menacé de
mort, allait rejoindre son ancêtre Shamashnapishtim pour lui demander le secret de l'immortalité, et
celui-ci lui racontait la façon dont il avait échappe aux eaux : la vie ne lui avait été acquise qu'au
prix de la destruction des hommes. Le texte en est publié par Smith (The Elcvenlh Tablet of the
hdubar t.cgend, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. 111, p. 534-567). par
Haupt, fragment à fragment [Das Babylonische Ximrodepos, p. 95-132), puis restitué d'une manière
suivie (p. 133-149). Les études dont il a été l'objet forment presque une bibliothèque à elles seules.
Les traductions principales sont celles de Smith (dans les Transactions, t. III, p. 534-567, puis dans
The Chnldœan Account ofGcnesis, 1876, p. 263-272), d'Oppert (Fragments de Cosmogonie Chaldéenne%
dans Ledrain, Histoire d'Israël, 1879, t. I, p. 422-433, et le Poème Chaldéen du Déluge, 1885), de
Lcnormant (les Origines de L'Histoire, 1880. t. I, p. 601-618), de Haupt (dans Schraper, Die Keilin-
schriften und das Aile Testament, 1883, p. 55-79), de Jensen (Die Kosmologie der Babylonier, 1890,
p. 365-416), d'A. Jeremias (Izdubar-Ximrod, 1891, p. 32-36), de Sauveplane (Une Épopée Babylo-
nienne, Islubar-Cilgamès, p. 128-151). J'ai suivi en général la traduction de Jensen.
5. Innougi paraît être un des dieux de la terre (Jensen, Die Cosmologie der Babylonier, p. 389).
6. Haupt, Das Babylonische Nimrodepos, p. 134, 1. 11-19.
XISOUTHROS-SHAMASHNAl'ISIITIM. 567
mais c'était chose sérieuse que de trahir à un mortel le secret d'en haut, et,
comme il n'osait s'y risquer directement, son esprit inventif lui suggéra un
artifice. 11 confia la résolution prise à une haie de roseaux' : « Haie, haie, mur,
mur! écoute, haie, et comprends bien, mur! Homme de Shourippak, fils
d'Oubaratoutou , charpente un»
navire, abandonne tes biens, chi
rejette ton avoir, sauve ta ■
embarque toute semence de '
dans le navire. Le navire que
toi lu auras bâti, que les
proportions en soient me-
surées exactement, que les
dimensions et la forme en
soient bien réglées, puis
lance-le à la mer*. » Shamash-
napishtim entendit le discourt
adressé au champ de roseau»
ou peut-être les roseaux le lu!
récitèrent. « Je le compris et j
dis à Éa mon maître : « L'ordre, m tablèt^s de l* «mi* bu isucm1
ô mon maître, que tu profères
ainsi, moi je le respecterai et je l'exécuterai ; mais que répond rai -je à la ville,
peuple et anciens? » Ëa ouvrit la bouche et parla; il dit à son serviteur :
* Réponds ainsi et dis-leur : = Parce que Bel me hait, je ne demeurerai plus
dans votre ville et sur la terre qui est à Bel je ne poserai plus ma tète,
mais j'irai sur la mer et j'habiterai avec Ëa mon maître. Or Bel fera tomber
la pluie sur vous, sur la foule des oiseaux et sur la multitude des poissons,
sur l'ensemble des animaux des champs et sur toutes les moissons, mais Éa
vous donnera un signe : le dieu qui règle la pluie, un soir, fera tomber sur
vous une pluie abondante. Lorsque l'aurore se lèvera le lendemain, le déluge
I. Le sens de ce passade est loin d'iHre ci>rliiin : j'ai suivi l'interprétation proposée, avec quelques
«arîaules, par l'iiichcs {Addition» and Correction*, dans la Zeitichrift fïtr Ktil/ori'hung, t. I. p. 318),
par lin u pt {t'.ollation der liHubar-Legcuden, dans I. - Itrilriii/r /iir Auyriolotjir, t. I, p. 1iH. iiolel cl
par Jcilscn (Oit tîoiinolagie drv llabgtfinier, p. :i!ll-:t!P;H. Le stratagème rappelle iinmédiulemeilt l'his-
toire du roi Midas, el de* roseaux parlants qui connaissaient le secret de ses oreilles d'âne. Dans lu
version de Bérose, c'est kronos qui remplit auprès de Xisoutliros le rôle attribué ici au dieu fia,
t. Mai-pt, liai ilabyUmiichr Mmrmltpot, p. 194-f :«3. 1. 19-31.
3. t'ac-timilr de Faurlirr-lîutliii, d'a/irrt la phol'ynij'lm- putilirr pur II Smin. t.hulda-an Aceount
of the Drtugt from terra-roi ta tabltU fourni at Mnevrh.
568 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
commencera qui recouvrira la terre et noiera tous les êtres1. » Shamash-
napishtim répéta l'avertissement au peuple, mais le peuple refusa d'y croire
et se moqua de lui. L'ouvrage marcha rondement : la coque avait cent qua-
rante coudées de long, le pont cent quarante de large, tous les joints étaient
calfatés de poix et de bitume. Une fête solennelle célébra l'achèvement,
et l'embarquement commença* : « Tout ce que je possédais, j'en emplis le
navire, tout ce que j'avais d'argent, je l'en emplis, tout ce que j'avais d'or,
je l'en emplis, tout ce que j'avais de semence de vie de toute sorte, je l'en
emplis: je fis monter dans le navire toute ma famille et mes servantes, bétail
des champs, bêtes sauvages des champs, je fis monter tout ensemble. Sha-
mash m'avait indiqué un signe : « Quand le dieu qui règle la pluie, le soir,
fera tomber une pluie abondante, entre dans le navire et clos ta porte. »
Le signe se manifesta : le dieu qui règle la pluie, une nuit, fit tomber une pluie
abondante. Le jour je craignais son aube, j'eus peur de voir le jour, j'entrai
dans le navire et je fermai la porte ; afin de diriger le navire, je remis à Bou-
zour-Bels, le pilote, la grande arche et sa fortune4. *
« Dès que le matin s'éclaira, une nue noire monta des fondements du ciels :
Ramman grondait dans son sein, Nébo et Mardouk couraient devant elle,
couraient comme deux chèvetaines par monts et pays. Néra le Grand arracha
le pieu où s'amarrait l'arche6; Ninib accourut, lança l'attaque, les Ànounnaki
levèrent leurs torches et firent trembler la terre de leur éclat, la tourmente de
Ramman escalada le ciel, mua toute clarté en ténèbres, inonda la terre comme
un lac7. Tout un jour l'ouragan fit rage et souffla impétueusement sur les
1. Haupt, Das Babylonische Ximrodepos, p. 135-136, I. 32-51. La fin du texte est mutilée : j'en ai
rétabli le sens général d'après la marche du récit.
2. Haupt, Das Babylonische Nimrodepos, p. 136-437, 1. 54-80. Le texte est encore mutile et ne per-
met pas de suivre dans tous ses détails la construction de l'arche. D'après ce que l'on peut com-
prendre, le bateau de Shamashnapishtim était une manière de kélek immense, ponté, sans mât, ni
gréement d'aucune sorte. Le texte identifie la fête que le héros célèbre, avant l'embarquement, à la
fête Akitou de Mardouk, à Babylone, pendant laquelle « Nébo, le fils puissant, se promène depuis
Borsippa jusqu'à Babylone, dans la barque du fleuve A s mou, de beauté » (Pognon, les Inscriptions
Babyloniennes du Wady-ftrissa, p. 73, 80, 94-95, 113-114). La mise en barque de Nébo, et son voyage
sur le fleuve avaient inspiré probablement la donnée d'après laquelle, la mise en barque de Shamash-
napishtim avait été l'occasion d'une fôte Akitou, célébrée à Shourippak : le temps de la fête babylo-
nienne était probablement censé coïncider avec l'anniversaire du Déluge.
3. On a lu et l'on peut lire encore Bouzour-Shadi-rabi ou Bouzour-Kourgal (Haupt, dans Scbrader.
Die Kcilinschriflen und das Aile Testament, £• édit., p. 58, 73; Lekornant, les Origines de t 'Histoire \
t. 1, p. 609), en remplaçant le nom de dieu Bel par une de ses épithètes les plus fréquentes : le sens
est Protégé de Bel, ou du dieu Grande montagne de la terre, cf. p. 543-544 de cette Histoire.
4. Haupt, Das Babylonische Nimrodepos, p. 137-138, 1. 52-96.
5. Sur ce qu'on entendait par les fondements du ciel, voir plus haut, p. 544 de cette Histoire.
6. Le sens n'est pas certain et les traductions diffèrent beaucoup en cet endroit.
7. Le progrès de la tempête est décrit comme l'attaque des dieux qui avaient résolu la perte des
hommes. Ramman est le tonnerre qui gronde dans la nue, Nébo, Mardouk. Néra le Grand (Nergal),
Ninib, marquent les différentes phases de la tourmente depuis le moment où le vent se lève jusqu'à
celui où il est au plein; les Anounnaki représentent les éclairs qui embrasent le ciel sans interruption.
LE RÉCIT DU DÉLUGE ET LA DESTRUCTION DES HOMMES. 569
monts et sur les pays : la bourrasque se ruait sur les hommes comme un
choc d'armée, le frère ne voyait plus son frère, les hommes ne se connais-
saient plus. Au ciel, les dieux eurent peur du déluge1, ils prirent la fuite, ils
grimpèrent au firmament d'Anou; les dieux, hurlant comme des chiens, s'ac-
croupirent sur la corniche*. Ishtar clama comme une femme en travail, elle
s'écria, la Dame de vie, la
déesse à la belle voix :
> Le passé retourne à l'ar-
gile, parce que j'ai dît le
mal devant les dieux ! En
disant le mal devant les
dieux, j'ai conseillé l'atta-
que pour anéantir mes,
hommes9, et ceux que j'ai , (
enfantés, moi, où sont-ils?
Comme les fils des poissons ils encombrent la mer! > Les dieux au sujet des
Anounnaki pleurèrent avec elle*; les dieux à l'endroit où ils siégeaient pleurant,
leurs lèvres étaient serrées9, a La pitié seule ne faisait point couler leurs
larmes : il s'y mêlait beaucoup de regrets et de crainte pour l'avenir. Les
hommes détruits, qui donc présenterait les offrandes accoutumées? La colère
irréfléchie de Bel les blessait eux-mêmes, en punissant l'impiété de leurs
créatures. « Six jours et six nuits le vent alla, le déluge et la tempête firent
rage. Le septième jour à son lever, l'orage faiblit, le déluge cessa qui avait
mené bataille comme une armée, la mer mollit et l'ouragan s'envola, le déluge
cessa. J'explorai la mer du regard en élevant la voix, mais toute l'humanité
était retournée à l'argile, et l'on ne distinguait plus ni champs ni bois1. J'ou-
1. Le; dieux énumérés plus haut prennent seuls pari il lu mise en srène du Déluge : ce sont les
émissaires de Bel et ses confédérés. Les autres se contentent d'assister au désastre, et ils ont peur.
ï. Il s'agit ici de In partie supérieure de la muraille montagneuse sur laquelle le ciel s'appuie
[cf. a la p. 54* de cette Histoire). Un espace étroit subsiste entre le bord escarpé et l'endroit où pose
la voûte du firmament : le poète babylonien se représentait les dieux entassés sur celte corniche, comme
une meute de chiens, el contemplant de là le déchaînement de l'orage et des eaux.
3. La traduction est incertaine : le texte fait ici allusion a une légende qui ne nouB est point
parvenue, et dans laquelle on racontait qu'lshtar avait conseillé la destruction des hommes.
i. [tarin de Fauchrr-Gudiii, d'après une iiUaillc rkaldi-enne (G. Sïitb, Chaldiran Account of tht
Déluge., p. 383).
5. Les Anounnaki représentent ici les mauvais génies t|ue les dieux auteurs du Déluge ont
déchaînés et que Ramman, Nébo, Nardouk, Nergal, Ninib. tous les suivants de Bel, ont menés au
combat contre les hommes : les autres divinités partagent les craintes et la désolation d'Ishtar au
sujet des ravages que ces Anounnaki ont causés. CF. plus loin, p. 634-636 de cette Histoire.
6. H*ipt, liai Babylonischr Nimrodepo», p. 138-139, 1. 97-117.
7. J'ai adopté pour ce passage difficile le sens proposé par Haupt (Naektrâge und Berichtigungen,
dans les Beitrâge iur Aagriologie, 1. 1, 3SI-3ÎJ), d'après qui l'on doit traduire : • Le champ ne faisait
570 LA CHALDÊE PRIMITIVE.
vris l'écoutille et la lumière me tomba sur la face; je m'affaissai sur moi-
même, je m'accroupis, je pleurai, et mes larmes coururent sur mon visage
quand j'aperçus le monde tout terreur et tout mer. Au bout de douze jours,
une pointe de terre sortit des eaux, le navire toucha au pays de Nisir1 : le
mont de Nisir arrêta le navire et ne lui permit plus de flotter. Un jour, deux
jours, le mont de Nisir arrêta le navire et ne lui permit plus de flotter. Trois
jours, quatre jours, le mont de Nisir arrêta le navire et ne lui permit plus
de flotter. Cinq jours, six jours, le mont de Nisir arrêta le navire et ne lui
permit plus de flotter. Le septième jour, à son lever, je sortis une colombe
et la lâchai : la colombe alla, vira et, comme il n'y avait place où se poser,
revint. Je'sortis une hirondelle et la lâchai : l'hirondelle alla, vira et, comme
il n'y avait place où se poser, revint. Je sortis un corbeau et le lâchai : le
corbeau alla et vit que l'eau avait baissé, et s'approcha du navire battant
de l'aile, croassant, et ne revint pas2. » Shamashnapishtim échappait au
déluge, mais il ne savait pas si la rage divine était apaisée, ni ce qu'on déci-
derait de lui en apprenant qu'il vivait encore. Il résolut de se rendre les dieux
favorables par quelques cérémonies d'expiation. « Je lâchai les habitants
de l'arche aux quatre vents, je fis une offrande, j'accomplis une libation
propitiatoire sur le sommet de la montagne. Je dressai sept et sept vases et
j'y plaçai du jonc odorant, du bois de cèdre, du styrax8. » 11 rentra ensuite
dans le navire pour y attendre l'effet du sacrifice.
Les dieux, qui n'espéraient plus pareille aubaine, l'agréèrent avec une
joie mêlée d'étonnement. « Les dieux reniflèrent l'odeur, les dieux reniflèrent
l'odeur excellente, les dieux s'assemblèrent comme des mouches au-dessus
de l'offrande. Lorsqu'lshtar, la maîtresse de vie, arriva à son tour, elle
leva le grand amulette qu'Ànou lui avait fabriqué*. » Elle était encore
furieuse contre ceux qui avaient décidé la perte de l'humanité, surtout contre
Bel : « Ces dieux-là, j'en jure le collier de mon cou! je ne les oublierai pas;
plus qu'un avec la montagne », c'est-à-dire • montagnes et champs ne se distinguaient plus l'un de
l'autre >. J'ai seulement substitué à la version montagne l'interprétation bois, pièce de terre
couverte d'arbres, que Jensen a indiquée (Die Kosmologie der Babylonier, p. 433-134).
1. Le mont de Nisir est remplacé dans la version de Bérose (Lenormant, Essai sur les fragments
cosmogoniques, p. 259) parles monts Gordyéens de la géographie classique; un passage d'Assourna-
zirabal nous apprend qu'il était situé entre le Tigre et le Grand Zab, d'après Delitzsch (Ho lag das
Paradiesf p. 105) entre le 35' et le 36e degré de latitude. Les gens de langue assyrienne interprétaient
son nom Salut, et ce jeu de mots les décida probablement à placer sur ses pentes l'endroit où
les hommes sauvés du Déluge prirent terre au retrait des eaux. Fr. Lenormant (les Origines de l'His-
toire, t. II, p. 64) propose de l'identifier au pic de Rowandîz.
2. Haupt, Das liabylonische Nimrodepos, p. 140-141, 1. 128-155. k
3. Haupt, Das Babylonische Nimrodepos, p. 141, l. 156-159. Le mot que j'ai rendu par styrax dési-
gne plutôt un bois ou une écorce parfumée, mais l'espèce précise reste encore à déterminer.
4. Haupt, Das Babylonitche Nimrodepos, p. 141, 1. 160-164. On ne sait quel est l'objet que la déesse
L'ARCHE S'A.RRÊTE AUX MONTS DE NISIR. 571
ces jours-là, je me les rappellerai, et De les oublierai de l'éternité. Que les
autres dieux accourent prendre part à l'offrande, Bel n'aura point part à
l'offrande, car il n'a pas été sage, mais il a fait le déluge, et il a voué mes
hommes à la destruction. » Bel lui-même n'avait pas recouvré son sang-froid ;
« quand il arriva à son tour et qu'il vit le navire, il en demeura immobile
et son cœur s'emplit de rage contre les dieux du ciel. « Uni est celui-là
qui en est sorti vivant? Aucun homme ne doit survivre à la destruction! » Les
dieux avaient tout à craindre de sa colère; Ninib s'empressa de les disculper
et de rejeter la faute sur qui de droit. Êa ne désavoua point ses actes; « il
ouvrit la bouche et parla, il dit à Bel le batailleur : « Toi le plus sage parmi
les dieux, ô batailleur, comment n'as-tu pas été sage et as-tu fait le déluge?
Le pécheur rends-le responsable de son péché, le criminel rends-le responsa-
ble de son crime, mais sois calme et ne retranche pas tout, sois patient et ne
noie pas tout. A quoi bon faire le déluge? un lion n'avait qu'à venir et à déci-
mer les hommes. A quoi bon faire le déluge? un léopard n'avait qu'à venir et
à décimer les hommes. A quoi bon faire le déluge? la famine n'avait qu'à se
produire et à désoler le pays. A quoi bon faire le déluge? Néra la Peste n'avait
qu'à venir et qu'à abattre les hommes. Quant à moi, je n'ai pas dévoilé l'arrêt
lève : peut-être est-ce le sceptre surmonte d'une étoile rayonnante, qu'on lui voit sur certains cylindres
(cf. plu» loin, p. 659 de cette Hitloirt). Plusieurs assjriolORues (Sayck, The Religion of Ifie Anrir.nl
Babyloniaiu, p, 380, note.!; Haïti. Collai inn der ttdubar-Legcnden, dans les Beilràge sur Ai'y-
riotoyie, t. I, p. 136 ; A. Jkbehus lidubar-Mmrod, p. 3.'i) traduisent flhchet ou érlairt : Ishtar es.1 en
effet une déesae armée, qui lance la (lèche ou l'éclair fabriqués par son père Anou, le ciel,
I. Deisiu lie Fauchcf-tiudiii, d'apréi le croquis de G. Sur». Assyriaa Diicocerict, p. 1118.
572 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
des dieux : j'ai montré un rêve à Khasisadra et il a su l'arrêt des dieux, et
alors il a pris sa résolution. » Bel s'apaisa aux paroles d'Éa, « il monta dans
l'intérieur du navire; il me saisit la main et il me fit monter, moi, il fit monter
ma femme et il la poussa à côté de moi, il tourna notre face vers lui, se mit
entre nous et nous bénit : « Auparavant Shamashnapishtim était homme;
désormais que Shamashnapishtim et sa femme soient vénérés comme nous les
dieux, et que Shamashnapishtim habite au loin, à l'embouchure des mers! *
On nous enleva et on nous installa au loin, à l'embouchure des mers1 ! » Une
autre forme de la légende racontait qu'avant de s'embarquer, Xisouthros avait
enterré dans la ville de Sippara, par l'ordre d'en haut, tous les livres où les
ancêtres avaient exposé les sciences sacrées, livres d'oracles et de présages
« où le commencement, le milieu et la fin étaient consignés. Lorsqu'il eut
disparu, ceux de ses compagnons qui étaient demeurés à bord, ne le voyant
pas rentrer, sortirent et partirent à sa recherche en l'appelant par son nom.
Il ne se montra pas à eux, mais une voix du ciel leur recommanda d'être
dévots envers les dieux, de retourner à Babylone et de déterrer les livres
pour les transmettre aux générations futures; elle leur apprit aussi que
le pays où ils se trouvaient était l'Arménie. Ils sacrifièrent à leur tour, ils
regagnèrent leurs pays à pied, ils déterrèrent les livres de Sippara et ils en
écrivirent beaucoup d'autres, puis ils fondèrent Babylone de nouveau*. *
On prétendait encore, à l'époque des Séleucides, qu'une partie de l'arche
subsistait sur un des sommets des monts Gordyéens8. On s'y rendait en
pèlerinage, et les fidèles raclaient le bitume qui la recouvrait, afin d'en
fabriquer des amulettes souverains contre les maléfices4.
Sitôt après le retrait des eaux, la chronique des temps fabuleux plaçait
i. Haupt, Das Babylonische Nimrodepos, p. 141 143, 1. 105-205.
2. Bkrose, fragin. XV, XVI (Fr. Lk.xormant, Essai de Commentaire sur les fragments cosmogoniques
de Bérose, p. 257-259, 337-338). Guyard a indique des survivances du personnage de Xisouthros dans
le Khidhr de la légende arabe d'Alexandre et de la vie coranique de Moïse {Bulletin de la Religion
Astyro-Baby Ionienne, dans la Bévue de V Histoire des Religions, t. I, p. 344-345); cf. A. Jerkxias, die
Babytonisch-Assyrischcn Vorstellungen vont Leben nach de m Torfe, p. 81, note 1, M. Lidrarski, Wer
ist Chadir? dans le Zeitschrift fïtr Assyriologie, t. IV, p. 104-116.
3. Bkrose, fragin. XV (Fr. Lenormant, Essai de commentaire sur les fragments cosmogoniques de
Bérose, p. 259, 335-33G). La légende relative aux débris de l'arche avait passé dans la tradition juive
du Déluge (Fr. Lknormant, les Origines de l'Histoire, t. II, p. 3-6). Nicolas de Damas contait, comme
Bérose, qu'on les voyait encore au sommet du mont Baris (Fragmenta Hisloricorum Grsecorum, édît.
MCller-Didot, t. III, p. 415, fragm. 76). Depuis lors on n'a cessé de les montrer tantôt sur un pic,
tantôt sur un autre. On les indiquait à Chardin au cours du siècle passé (Voyages en Perse, t. VI,
2, 3; 4, 1 ; 6, i), et le souvenir n'en est pas perdu dans notre siècle (Macdonald-Kinneir, Travels in
Asia Minor, Armenia and Kurdistan, p. 453). Des trouvailles de charbon et de bitume comme celles
qu'on a faites au Gebel Djoudi, sur l'une des montagnes identifiées avec le ÏSisir, expliquent proba-
blement plusieurs de ces traditions locales (G. Smith, Assyrian Discoveries, p. 108).
4. Fr. Lenormant a reconnu et signalé un de ces amulettes dans son Catalogue de la Collection de
M. le baron de Behr, Aut. n° 80.
LES ROIS D'APRÈS LE DÉLUGE, NÉRA, ÉTANA, NEMROD. 573
l'avènement d'une dynastie nouvelle, aussi extraordinaire ou peu s'en faut que
celle d'avant le déluge. Selon Bérose, elle était chaldéenne et comptait quatre-
vingt-six rois, qui avaient exercé le pouvoir pendant trente-quatre mille
quatre-vingts ans : les deux premiers, Évêchous et Khomasbèlos, régnèrent
deux mille quatre cents et deux mille sept cents ans, les derniers ne dépas-
sèrent pas les limites d'une vie d'homme ordinaire. On essaya plus tard de les
ramener tous à la vraisemblance, et l'on abaissa leur nombre à six, la durée
de leurs règnes réunis à deux cent vingt-cinq ans1. C'était méconnaître leur
caractère : noms et gestes, tout en eux n'est que mythe ou fiction irréductible
à l'histoire. Ils fournissaient aux prêtres et aux poètes la matière de cent
récits divers dont plusieurs sont parvenus jusqu'à nous par fragments. Les
uns sont courts et servent de préambule à des prières ou à des formules
magiques; les autres se développent longuement et peuvent passer pour de
véritables épopées. Les dieux s'y mêlent et y jouent un grand rôle à côté des
rois. C'est par exemple Néra, le maître de la peste, qui déclare la guerre aux
humains pour les punir d'avoir méconnu l'autorité d'Anou. Il accable d'abord
Babylone : « Les enfants de Babel ils furent des oiseaux et leur oiseleur ce
fut toi ! — Au filet tu les prends, tu les enserres, tu les décimes, — héros
Néra! » L'une après l'autre, il attaque les cités-mères de l'Euphrate et les
oblige à lui rendre hommage, même Ourouk, « la demeure d'Anou et d'Ishtar,
— la ville des hiérodules, des aimées et des courtisanes sacrées », puis
il se tourne contre les peuples étrangers et il porte ses ravages jusqu'en
Phénicie*. Ailleurs le héros Étana tente de s'élever au ciel, et l'aigle, son
compère, s'envole avec lui sans pouvoir le faire réussir dans son entreprise8.
Nemrod et ses exploits nous sont connus par la Bible*. * II fut un puissant
chasseur devant l'Éternel, et c'est pourquoi l'on dit jusqu'à ce jour : Comme
Nemrod, le puissant chasseur devant l'Éternel. Et le commencement de sa
domination fut Babel, Erech, Accad et Calnéh, au pays de Shinéar. » Presque
1. Bérose, fragm. XI, Fragmenta HUtoricorum Grspcorum, éd. MCller-Didot, t. II, p. 503.
2. Les nombreux fragments de cette sorte d'épopée mythologique ont été découverts et traduits
en partie par G. Smith (The Chaldxan Account of Genesis, p. 143-136; cf. W. B[oscawen], The Plague
Legends of Chaldsea, dans le Babylonian and Oriental Record, t. I, p. 11-14). Ils ont été publiés et
traduits en entier par Ed. J. Harpkh, die Babylonischen Legenden von Etana, Zu, Adapa, und Dib-
barra, dans les Beitrâge zur Assyriologie, t. Il, p. 425-437.
3. Pour la légende d'fttana, voir plus loin les pages 698-700 de cette Histoire.
4. Genèse, X, 8, 10. Tout un cycle de légendes s'est formé autour de Nemrod chez les Juifs et chez les
Musulmans. Il avait bâti la Tour de Babel (Joskphk, Ant. Jud., I, 4, § 2) ; il avait jeté Abraham dans une
fournaise ardente et il avait essayé de monter au ciel sur le dos d'un aigle (Coran, Sour. XXIX, 23 ;
Yaiout, Lex. Geogr., s. v. Ni/fer). Sayce {Simrod and the Assyrian Inscriptions, dans les Transactions
de la Société d'Archéologie Biblique, t. 11, p. 248-249) et Grivel (Revue de la Suisse catholique,
août 1871, et Transactions, t. 111, p. 136-144) voyaient dans Nemrod une forme héroïsee de Mardouk,
le dieu de Babylone : la plupart des assyriologues actuels préfèrent, à l'exemple de Smith (The Chai-
574 LA CIIALDËE PRIMITIVE.
tous les traits que la tradition hébraïque lui attribue, nous les retrouvons
dans Gilgamès, roi d'Ourouk et descendant du Shamashnapishtim qui avait vu
le déluge1. Plusieurs copies du poème où un scribe, aujourd'hui sans nom,
avait célébré ses exploits, existaient à Ninive, dans la bibliothèque royale, vers
le milieu du vu" siècle avant notre ère; on les avait exécutées par ordre
d'Assourbanabal, d'après quelque exemplaire plus ancien, et les fragments que
nous en possédons, criblés qu'ils sont de lacunes, nous permettent de rétablir
presque partout, sinon le texte même de l'original, mais la suite des événe-
ments*. On les partageait en douze épisodes, comme l'année en ses douze mois,
et ce n'est point simple hasard si le vieil auteur babylonien a choisi cette
coupe. Gilgamès, d'abord simple mortel patronné par les dieux, était devenu
dieu lui-même et fils de la déesse Arourou* : « il avait vu l'abîme, il avait
appris tout ce qu'on tient secret et qui est caché, même il avait apporté aux
hommes la nouvelle de ce qui eut lieu dès avant le déluge4. » Le Soleil, qui le
protégea pendant son temps d'humanité, l'avait assis à côté de lui sur le siège
du jugement, et lui avait délégué l'autorité pour rendre des arrêts dont personne
n'appelait : il étaitcomme un soleil au petit pied, devant qui les rois, les princes,
dxan Account of the Déluge, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. 1,
p. 205, et Assyrian Discoveries, p. 165-167), l'identifier avec le héros Gilgamès.
1. Le nom de ce héros se compose de trois signes que Smith rendit provisoirement par Isdubar,
lecture qui, modifiée en Gishdhubar, Gistubar, est encore conservée par plusieurs assyriologues. On
a proposé tour à tour Dhoubar, Namroûdou (Smith, The Eleventh Ta blet of the ïzdubar Legends, dans
les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. II, p. 588), Anamaroutou, Noumarad, Nam-
rasit, toutes formes qui tendent à montrer dans le nom du héros celui de Nerarod. Pinches a
découvert, en 1890, ce qui parait être l'expression réelle des trois signes, Gilgamèsh, Gilgamès
(Exit Gistubar, dans le Babylonian and Oriental Record, t. IV, p. 261); Sayce (The Hero of the
Chaldwan Epie, dans The Academy, 1890, n° 966, p. 421) et Oppert (le Persée Chaldéen, dans la
Revue a" Assyriologie, t. Il, p. 121-123) ont rapproché ce nom de celui de Gilgamos, héros babylonien,
dont Élicn (Hist. Anim., XII, 21) nous avait conservé le souvenir. A. Jcremias (Izdubar-Ximrod,
p. 2, note 1) se refuse encore à admettre et la lecture et l'identification.
2. Les fragments connus jusqu'à présent ont été réunis, coordonnés et publiés par Haipt, Dos
Rabylonische Nimrodepos, Leipzig, in— i, 1884-1892, et dans les Reilrâgc zur Assyriologie, t. I, p. 48-
79, 94-152. On trouvera la nomenclature des principaux travaux dont ils ont été l'objet dans Bf.zold,
Kurzgefassler Ueberblick, p. 171-173. Une analyse, accompagnée de traductions partielles, en a été
donnée par A. Jeremias, hdubar-Nimrod, eine altbabylonische Heldensage, 1891, et une traduction
complète en français par Sauvkplane, Une Épopée Babylonienne, Istubar-Gilgames, 1894 : je me suis
borné presque partout à suivre l'arrangement proposé par MM. Haupt et Jeremias. Un fragment du
catalogue des ouvrages mythologiques de la Bibliothèque de ISinive, découvert par Pinches et publié
par Sayce (dans Smith, The Chaldxan Account of Genesis, 2* édit., p. 10 sqq.), met à côté du titre
de notre poème le nom d'un certain Sinliqfounntni, que l'on a considéré comme en étant l'auteur
(Fr. Lenormant, les Origines de l'Histoire, t. 11, p. 9-10, note); c'est peut-être simplement celui d'un
des rapsodes qui la récitaient en public (A. Jeremias, Izdubar-Nimrod, p. 13; cf. Haupt, Collation
der Izdubar-Legenden, dans les Deilrâge zur Assyriologie, t. I, p. 102, note 2).
3. Haipt, Dos Rabylonische Simrodepos, p. 8, 1. 30. Le rôle de la déesse Arourou est inconnu par
ailleurs : peut-être doit-on la considérer comme étant une forme de Beltis, Btlit-ilâni, la dame des
dieux (Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 294, note 1). Il serait possible que Gilgamès eût
pour père Shamash, le dieu Soleil, qui le couvre de sa protection dans toutes les circonstances diffi-
ciles de son existence (G. Smith, The Chaldœan Account of Genesis, p. 174).
4. 1n Tablette, I. 1-6; cf., Haupt, Das Rabylonische Nimrodepos, p. 1, 6, 79. et dans les Beilrâge
zur Assyriologie, t. I, p. 102-103, 318. Le fragment cité appartenait sûrement au début du poème et
contenait un sommaire de tous les exploits que le héros passait pour avoir accomplis.
LA LÉGENDE DE C1LGAMËS. 575
les grands de ce monde courbaient humblement la tète1. Les scribes avaient
donc quelque droit à modeler sa vie sur celle de l'année et à le conduire à
travers douze chants, de la façon dont le soleil
promène sa course à travers les douze mois1.
L'histoire entière est au fond le récit de
ses luttes contre Ishtar, et les premières pages
nous le montrent déjà aux prises avec la
déesse. Son portrait, tel que les monuments
l'ont conservé, s'écarte singulièrement du type
ordinaire : on dirait un spécimen d'une race
différente, quelque survivant d'un peuple très
ancien qui avait dominé dans les plaines de
l'Euphrate, avant l'arrivée des tribus sumérien-
nes et des Sémites". Le corps est grand, large,
étonnamment musclé, à la fois vigoureux et
agile; la tète grosse, osseuse, presque carrée,
avec une face un peu plate, un nez massif et
des pommettes saillantes, qu'une abondante che-
velure encadre, et une barbe drue, bouclée
symétriquement. Tout ce qu'il y a de jeune dans
Ourouk la bien-gardée a été séduit par la
beauté et par la force prodigieuse du héros;
les anciens de la ville se sont rendus auprès d'Ishtar et se plaignent à elle
de l'abandon où la nouvelle génération les relègue. « H n'a plus de rival dans
1. L'identité Je Gilgamès avec le dieu accadien du feu. ou pluldt avec le Soleil, a été reconnue
de» lu début par 11. Rawlinsou (dans The Athenasum, 187*. 7 décembre ; cf. Vu. Lt*oa«»M, Ici Pre-
mière* Civilisation*, t. II. p. 64 sqq.; Saïce, Babylonian Literalnre, |). 27 sqq.), et admise depuis par
presque tous les assyriologues (cf., en dernier lieu, A. Jebekus, hdubar-Nimrod, p. 3-S). l'ne tablette
rapportée parC. Smith {Sa., 13111, 187"), signalée par Vr. Dclilzseh(dans le Tigialpitetcr de Lhol/ky,
p. 105) et publiée par Haupt (Dos Babyloniiche Nimrodepoi, p. 93-94), contient les restes d'un
hymne à Gilgnmes, - le roi puissant, le roi des Esprit! de la terre » (traduit par A. Je ru us, hdubar-
Nimrod, p. 3-4, par Sitrviir-uiiE, Vite Épopée Babylonienne, p. ÎOfi-ïli. el en dernier lieu par Bhkawk*.
Ilymtu to Gilgomet, dans le Babylonian and Oriental Record, t. VII, p. lîl sqq.).
2. L'identité des douze chants avec les douie signes du Zodiaque, découverte par H. Raulinson
(Athenrum, 1872, " décembre), a été admise successivement par tous les assyriologues (l'a. Lesob-
msT, le* Première* Civilisation*, t. II, p. 67-81, el le* Origine* de l'Histoire, p. 238 sqq., note 4;
S*ice. Babylonian Literature, p. Î7 sqq.; HinrT, Der Kcilintchriftlicht Suitfluthberichl, p. 10-11,
44, noies 10-11), par quelques-uns avec certaines réserves (A. Jereiias, hdubar-Nimrod, p. G6-68 ;
Siivmljke, Une Epopée Babylonienne, p. LXII-LXIX).
3. Smith (The Chaldœan Account af Geneii*. p. 194) avait remarqué la différence qu'il y a entre
les représentations rie Gilgamèa el 1c type des gens rie Habvlone : il en concluait que le béros étail
d'origine éthiopienne. Homme! (Geichichle Babylonien* u.id At*yrien*. p. ïfl!) déclare que ses traits
n'ont l'aspect ni sémitique, ni sumérien, et qu'ils soulèvent un problème ethnologique insoluble.
i. Dcitin de Faucher-Gudin d'après te bat-relief aiiyrïen de Khortabad au Mutée du Louvre
(A. Di LoNCPiaiES, Notice de* Antiquité* aiiyriennei, 3' éd.. p. 28-30, n» 4, S).
576 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
leur cœur, mais tes sujets sont conduits au combat et Gilgamès ne renvoie
pas un enfant à son père. Nuit et jour ils crient après lui : « C'est lui le pas-
teur d'Ourouk la bien-gardée\ il est son pasteur et son maître, lui le puis-
sant, le parfait, le sage*. » Les femmes elles-mêmes n'ont pas échappé à l'en-
traînement général : « il ne laisse pas une seule vierge à sa mère, une seule
fille à un guerrier, une seule épouse à son maître. » Ishtar entendit leur
plainte, les dieux l'entendirent et ils crièrent vers la déesse Arourou à haute
voix : « C'est toi, Arourou, qui l'as enfanté; crée-lui maintenant son homme
qu'il puisse rencontrer au jour qui lui plaira, afin qu'ils se battent l'un avec
l'autre et qu'Ourouk soit délivrée. » Quand Arourou les entendit, elle créa en
son cœur un homme d'Anou. Arourou lava ses mains, prit un morceau
d'argile, le jeta à terre, le pétrit et créaÉabani, le batailleur, le haut rejeton,
l'homme de Ninib8, dont le corps entier est couvert de poils, dont la cheve-
lure est longue comme celle d'une femme; les mèches de ses cheveux se
hérissent sur sa tête comme au dieu des blés, il est revêtu d'un habit sem-
blable à celui du dieu des champs, il paît avec les gazelles, il se désaltère
aux abreuvoirs avec les animaux des champs, il s'ébat avec les bêtes des
eaux*. » Ëabani est souvent représenté sur les monuments : il a les cornes
de la chèvre, les jambes et la queue d'un taureau5. Non seulement il possé-
dait la force d'une brute, mais son intelligence embrassait tout, le passé
comme l'avenir; il aurait peut-être triomphé de Gilgamès si Shamash n'avait
réussi à les attacher l'un à l'autre d'un lien d'amitié indissoluble. Le difficile
était de rapprocher les deux amis futurs et de les mettre l'un en face de
l'autre sans qu'ils en vinssent aux mains : le dieu dépêcha son courrier
1. Ourouk soupouri ne se rencontre guère que dans le poème de Gilgamès. Cette expression
paraît signifier Ourouk la bien-gardée (A. Jeremias, Izdubar-Nimrod, p. 9); c'est une formule analogue
Kahirah-el-Mahrouisah des écrivains arabes, pour désigner le Caire.
2. Haupt, Das Babylonische Nimrodepos, p. 8, I. 21-26, cf. p. 79, 1. 10-16. Le texte est mutilé et
ne peut être rendu que par à peu près. Smith (Astyrian DUcotvrica, p. 168-169) avait d'abord pensé
que le poème commençait par le récit d'un siège d'Ourouk, d'une délivrance de la ville par Gilgamès,
et de l'élévation subite de Gilgamès à la dignité de roi; il s'aperçut plus tard de son erreur (The
Clialdsran Account of Genesit, 183-185) et il adopta pour les fragments des premières tablettes l'ar-
rangement qui a été accepté jusqu'aujourd'hui parles assyriologues (cf. A. Jeremias, Izdubar-Nimrod,
p. 14 sqq., Sauvkplane, Une Épopée Babylonienne, p. 4 sqq.).
3. Ninib est entre autres choses le dieu des laboureurs : Y homme de Ninib est donc, à proprement
parler, un paysan, un homme des champs (A. Jeremias, Izdubar-Nimrod, p. 46, note 16).
4. Haupt, Dos Babylonitche Nimrodepos, p. 8-9, 1. 27-41.
o. Smith, le premier à ma connaissance, a comparé sa figure à celle des satyres ou des faunes (The
Chaldœan Account of Gencsis, p. 196); ce rapprochement présente d'autant plus de vraisemblance
qu'aujourd'hui encore les habitants de la Chaldée croient à l'existence de monstres semblables
(Rich, Voyage aux ruines de Babylonc, trad. Raymond, p. 75-76, 79, 210). A. Jeremias (Die Babylo-
nisch-Asêyriêchen Vorstellungen vom Leben nach de m Todey p. 83, note 4) place Êabani à côté de
Priape, qui est généralement un dieu des champs et un devin habile. Dans un ordre d'idées analo-
gues, on peut rapprocher notre Éabani du Protée gréco-romain, qu'il faut pourchasser et prendre par
la force ou par la ruse pour lui arracher des oracles, et qui paît les troupeaux de la mer.
LA SÉDUCTION D'ÉABAHI. 577
Satdou, le veneur, afin d'étudier les habitudes du monstre et de rechercher
les moyens qu'il conviendrait employer pour le décider à descendre paci-
fiquement dans Ourouk. « Saîdou, le veneur, marcha au devant d'Eabani
vers l'entrée de l'abreuvoir. Un jour, deux jours, trois jours, Êabani le ren-
contra vers l'entrée de l'abreuvoir, Saîdou, il l'aperçut et sa face s'assombrit;
il entra dans l'enceinte, il s'affligea, il gémit, il cria bien haut, son cœur se
serra, sa face se décomposa, les sanglots lui brisèrent la poitrine. Le veneur
vit de loin que sa face s'enflammait de colère1 •, et, jugeant plus prudent
de ne point pousser l'épreuve, revint faire part à son dieu de ce qu'il
avait observé. « J'ai eu peur, dit-il en terminant son discours, et je ne l'ai
pas abordé. Il a comblé ia fosse que j'avais creusée pour le prendre, il a
rompu les lacs que j'avais tendus, il a délivré de mes mains le bétail et les
animaux des champs, il ne m'a point laissé battre la plaine3. » Shamash pensa
qu'où l'homme le plus robuste échouerait par la force, une femme réussirait
peut-être par la volupté : il ordonna à Saîdou de courir vers Ourouk et d'y
choisir la plus belle parmi les prêtresses d'Ishtar*. Le veneur se présenta
devant Gilgamès, lui conta l'aventure et lui demanda l'autorisation d'em-
mener l'une des courtisanes sacrées. « Va, mon veneur, prends l'hiérodule,
1. Hun, Bat Babyloniirlie Kaurodepot, p. 9, l. 4Î-50. Le commencement de chaque ligne est
détruit, el la traduction de l'ensemble ne peut être donnée que par ù-peu-près,
î. Be»in de Faucher-Gudiu, d'aprei une inlaittr ehaldéenne du Mutée de la Haye (Menait, Cata-
logue de» cylindre» orientaux du Cabinet royal de» IHétlailles. pi. I, n* I, et fteeherehei mr ta Glyp-
tique orientale, t. I, pi. Il, n" 3; cl\ Lutin, Introduction A l'élude du rutte publie et de* ilutfi-rei
de Mit/ira en Orient el en Occident, pi. XXVII. 9). L'original mesure ftmran "-.»« de hauteur.
3. HaïIT, Bai Babylonischc Nimrode/ioi. p. 9, I. 8-lî.
4. Les prêtresses d'ishtar étaient rie jeunes et belles femmes qui ciumarrairnl leur rorps au service
de la déesse cl au plaisir des dévols qui visitaient son temple. Elles partaient, outre le titre général
de qadithtou, hiérodule, des noms divers, kiiirtti, euhâti, harint/lti (\ Jmmm. hdubar-Nimrod,
p. 59 sqq.); l'hiérodule qui accompagne Saîdou dans son entreprise e»! «ne ouftor
RISI. ANC. iib l'uiiexi. — T. i. "3
578 LA CHALDËE PRIMITIVE.
Quand les bêtes viendront à l'abreuvoir, qu'elle arrache son vêtement et
dévoile sa beauté : lui la verra, il s'approchera d'elle, et ses bêtes, qui font
troupe autour de lui, se disperseront1. » Le veneur alla, il emmena l'hiérodule
avec lui, il prit la droite route ; le troisième jour, ils arrivèrent à la plaine
fatale. Le veneur et l'hiérodule s'assirent pour reposer; un jour, deux jours,
ils s'assirent à l'entrée de l'abreuvoir dont Ëabani buvait l'eau avec les
animaux, où il s'ébattait avec les bêtes de l'eau*.
« Lorsqu'Éabani survint, lui qui habite dans les montagnes, et qu'il se
mit à paître les herbes avec les gazelles, qu'il but avec les animaux, qu'il
s'ébattit avec les bêtes de l'eau, l'hiérodule vit le satyre. » Elle s'effraya
et rougit, mais le veneur la rappela à son devoir. « C'est lui, hiérodule.
Dénoue ta ceinture, ouvre ton sein pour qu'il s'éprenne de ta beauté; n'aie
pas honte, mais dérobe-lui son âme. Il t'aperçoit, il s'élance vers toi, pose
ton vêtement; il se rue sur toi, accueille-le avec tout l'art des femmes; ses
bêtes se disperseront qui sont en troupe autour de lui, et il te pressera contre
sa poitrine. » L'hiérodule dénoua sa ceinture, ouvrit son sein, défit sa jupe;
elle n'eut pas honte et déroba l'âme d'Ëabani. Elle dépouilla son vêtement et
il se rua sur elle; elle l'accueillit avec tout l'art des femmes et il la pressa
contre sa poitrine. Six jours et sept nuits, Ëabani se tint près de l'hiérodule,
sa bien-aimée. Quand il se fut rassasié de plaisir, il tourna la face vers son
bétail, et il vit que les gazelles s'étaient détournées, et que les bêtes des
champs s'étaient enfuies loin de lui. Ëabani s'effraya, il tomba en pâmoison,
ses genoux se raidirent, parce que son bétail avait fui. Tandis qu'il était là
comme mort, il entendit la voix de l'hiérodule; il reprit ses sens, il revint à
lui plein d'amour, il s'assit aux pieds de l'hiérodule, il regarda l'hiérodule au
visage, et, tandis que l'hiérodule parlait, ses oreilles entendirent. Car c'est
à lui que l'hiérodule parlait, lui Ëabani : « Toi qui es superbe, Ëabani,
comme un dieu, pourquoi habites-tu parmi les bêtes des champs? Viens, je
t'amènerai vers Ourouk la bien gardée, vers la maison radieuse, la demeure
d'Ànou et d'ishtar, aux lieux où se tient Gilgamès dont la vigueur est
suprême, et qui, tel un unis, surpasse les héros en vigueur. » Tandis qu'elle
lui parle ainsi, il épie ses paroles, lui le sage en son cœur, il pressent un
1. Autant qu'on peut en juger à travers les lacunes qui interrompent le récit, le pouvoir qu'Kabani
exerce sur les animaux des champs est lié intimement à sa continence. Du jour qu'il cesse d'être
chaste, les bétes le fuient comme elles feraient un simple mortel; il n'a plus alors d'autre ressource
que de quitter la solitude et d'aller vivre dans les villes, auprès des hommes. C'est ce qui explique
le moyen que Shamash emploie contre lui : cf. dans les Mille et Une Nuits l'histoire de Shehabeddin.
2. Haupt, Das Rabylonitchc Nimrodepos, p. 10, 1. 40, p. 11, 1. 1.
LA MORT DE KHOUMBABA. 579
ami. Éabani dit à l'hiérodule : « Allons, hiérodule, emmène-moi vers la
demeure radieuse et sainte d'Anou et d'Ishtar, aux lieux où se tient Gilgamès
dont la vigueur est suprême, et qui, tel un urus, prévaut par sa vigueur sur
les héros. Je me battrai avec lui et je lui montrerai ma force; je lancerai une
panthère contre Ourouk, et il devra lutter avec elle1. » L'hiérodule conduit
son prisonnier vers Ourouk, mais la ville célèbre en ce moment la fête de
Tammouz, et Gilgamès ne se soucie pas d'interrompre les solennités pour
affronter les travaux auxquels Éabani le convie : à quoi bon ces épreuves,
quand les dieux eux-mêmes ont daigné lui dicter en songe la conduite qu'il
a tenue et se sont entremis entre leurs enfants? De fait, Shamash prend la
parole et trace un tableau séduisant de la vie qui attend le monstre, s'il con-
sent à ne pas regagner ses montagnes. Non seulement l'hiérodule lui appar-
tiendra à jamais, et n'aura que lui pour époux, mais Gilgamès le comblera de
richesses et d'honneurs. « Il te couchera sur un grand lit préparé artistement;
il t'assiéra sur le divan, il te donnera la place à sa gauche, et les princes de
la terre baiseront tes pieds, les gens d'Ourouk ramperont devant toi*. » C'est
par ces flatteries et par ces promesses d'avenir que Gilgamès gagna l'affection
de son serviteur Éabani, lequel il aima toujours.
Shamash avait ses raisons pour tant insister. Khoumbaba, roi d'Ëlam, avait
envahi le pays de l'Euphrate, détruisant les temples et substituant le culte
des divinités étrangères à celui des nationales3 ; les deux héros réunis étaient
seuls capables de lui tenir tète et de le tuer. Ils rassemblent leurs troupes, se
mettent en chemin, apprennent d'une magicienne que l'ennemi se cache dans
un bosquet sacré. Ils y pénètrent sous un déguisement, « et s'arrêtent un mo-
ment en extase devant le bois de cèdres, ils en contemplent la hauteur, ils en
contemplent l'épaisseur; le lieu où Khoumbaba avait accoutumé de se prome-
ner à grands pas, des allées y étaient percées, des sentiers entretenus avec
soin. Ils aperçurent enfin la butte aux cèdres, séjour des dieux, sanctuaire
d'irnini, et, devant la butte, un cèdre magnifique, d'ombre salutaire et déli-
1. H a cpt, Das Babylonische Ntmrodepos, p. 11, 1. 2-p. 13, 1. i. J'ai adouci beaucoup la scène de
séduction féminine, qui est décrite avec une sincérité et une précision toutes primitives.
2. Haiipt, Das Babylonische Kimrodepos, p. 15, 1. 36-39.
3. Khoumbaba renferme le nom du dieu élamite Khoumba, qui entre en composition dans les
noms de ville comme Til-Khoumbi, ou de princes comme Khoumbanigâsh, Khoumbasoundasa, Khoum-
basidir (G. Smith, The Chaldxan Account of Gcnesis, p. 185). Le rapprochement proposé entre Khoum-
baba et le Corababos (Fr. Lknormant, les Origines de l'Histoire, t. 1, p. 240), héros d'une légende
singulière encore courante au ir* siècle après notre ère (De Dca Syriâ, § 17-27), ne paraît pas être
admissible certainement pour le moment. Les noms assonent bien, mais, ainsi qu'Oppert Ta dit,
aucun trait de l'histoire de Combabos ne répond à ce que nous savons jusqu'à présent de celle de
Khoumbaba (Fragments cosmogonigues, dans Lkdrain, Histoire d'isravt, t. I, p. -423).
580 LA CHALDÊE PRIMITIVE.
cieuse1. » Ils surprennent Khoumbaba à l'heure où il venait goûter le frais,
lui coupent la tête et rentrent victorieux à Ourouk*. « Gilgamès fit reluire ses
armes, il fourbit ses armes. Il posa son attirail de guerre, il revêtit ses habits
blancs, s'orna de ses insignes royaux et ceignit le diadème; Gilgamès se coiffa
de sa tiare et ceignit le diadème*. » Ishtar le vit paré, et la même ardeur la
brûla qui avait enflammé les mortelles*. « Vers l'amour de Gilgamès elle leva
les yeux, la puissante Ishtar, et « Viens, Gilgamès, sois mon mari, toi! Ton
amour donne-le-moi en don à moi, et toi tu seras mon époux, et moi je serai
ta femme. Je te hausserai sur un char de lapis et d'or, aux roues d'or et aux
montants d'onyx ; tu l'attelleras de grands lions et tu entreras dans notre mai-
son aux fumées odorantes du cèdre. En notre maison quand tu seras entré,
tout le pays de la mer t'embrassera les pieds, les rois se courberont sous toi,
les seigneurs et les grands, les dons de la montagne et de la plaine ils te
les apporteront en tribut. Tes bœufs prospéreront, tes brebis auront double
portée, tes mules viendront d'elles-mêmes sous le fardeau; ton cheval au char
sera fort et galopera, ton taureau sous le joug n'admettra point de rival5. »
Gilgamès repousse cette déclaration inattendue avec un mélange de mépris et
d'effroi : il invective la déesse et lui demande insolemment ce qu'elle fait de
ses maris mortels pendant sa longue vie de déesse. « Tammouz, l'époux de ta
jeunesse, tu l'as condamné à pleurer d'année en année6. Allala, l'épervier
moucheté, tu l'aimas, puis tu le frappas et tu lui cassas l'aile : il se tient dans
les bois et crie : « 0 mes ailes!7 » Tu aimas ensuite un lion d'une force achevée,
puis sept à sept tu le fis déchirer de coups8. Tu aimas aussi un étalon
1. Hacpt, Das Dabylonische Nimrodepos, p. 24, 1. 1-8.
2. G. Smith (The Chaldsean Account of Gcnesis, p. 184-185) place à ce moment l'accession de Gil-
gamès au trône : le fait ne ressort pas du texte des fragments connus jusqu'à présent, et il n'est pas
même certain que le poème ait raconté quelque part l'élévation et le couronnement du héros. II
semble même que Gilgamès soit reconnu dès le début comme le roi d'Ourouk la bien-gardée.
3. Haupt, Das Dabylonische Nimrodepos, p. 12, 1. t-f».
4. La déclaration d'ishtar à Gilgamès et la Réponse du héros ont été souvent traduites ou analysées
depuis la découverte du poème. Smith avait cru pouvoir rattacher à cet épisode la Descente d'ishtar
aux Enfers (The Chaldtean Account of Gènes is, p. 228), que l'on rencontrera plus loin (cf. p. 693-696
de cette Histoire), mais son opinion n'est plus admise. La Descente d'ishtar est l'en-tète d'une for-
mule magique, dans l'état où nous la connaissons : clic n'appartient pas à la Geste de Gilgamès.
5. Hakpt, Das Dabylonische Nimrodepos, p. 12-43, 1. 7-21.
6. Tamraouz-Adonis est le seul personnage qui nous soit connu dans cette longue liste des amants
de la déesse. Les autres devaient être assez célèbres chez les Chaldéens, puisqu'il suffisait de quelques
mots consacrés à chacun d'eux pour rappeler leur histoire au lecteur, mais nous n'avons encore rien
retrouvé qui se rapporte à leurs aventures (cf. Sayck, The Heligion of the Ancient Babylonitms,
p. 245 sqq.); les titres de leurs poèmes manquent dans la table des œuvres classiques de l'antiquité
chaldéo-assyricnne, qu'un scribe ninivite du temps d'Assourbanabal avait copiée pour l'usage de ce
souverain (Sayce-Smith, The Chaldsean Account of the Déluge, p. X sqq.).
7. Le texte dit kappi (Haupt, Das Habylonische Nimrodepos, p. ii, 1. #0), et la légende se rapportait
évidemment à un oiseau, dont le cri ressemblait au son de ce mot qui signifie mes ailes. L'épervier
moucheté pousse un cri qu'on peut à la rigueur entendre et interpréter de la sorte.
* „ 8. C'est évidemment l'origine de notre fable du Lion amoureux (La Fontaink, Fables, liv. IV, fable i).
L'AMOUR D'ISHTAR ET LA LUTTE CONTRE LE TAUREAU D'ANOU. 584
superbe au combat, tu le vouas au mors, à l'aiguillon et au fouet, dix lieues
durant tu le forças au galop, tu le vouas à l'épuisement et à la soif, tu vouas
aux larmes sa mère Silili. Tu aimas aussi le berger Taboulou qui sans cesse te
prodiguait la fumée des sacrifices et journellement t'égorgeait des chevreaux :
tu le frappas et le tournas en léopard, ses propres valets le pourchassèrent
et ses chiens flairèrent ses restes*. Tu aimas Ishoullanou, le jardinier de ton
père, qui sans cesse t'apportait des présents de fruits et chaque jour embellis-
sait ta table. Tu levas les yeux vers lui, tu le saisis : « Mon Ishoullanou, nous
« mangerons des melons, puis tu allongeras ta main et tu écarteras ce qui nous
« sépare. » Ishoullanou te dit : « Moi, qu'exiges-tu de moi? 0 ma mère, ne fais
« point de cuisine pour moi, moi je ne mangerai point : ce que je mangerais me
« serait malheur et malédiction, et mon corps serait frappé d'une froideur mor-
« telle. » Toi tu l'entendis et tu te mis en colère, tu le frappas, tu le changeas
en nain, tu l'installas au milieu d'un divan : il ne peut plus se lever, il ne peut
plus descendre d'où il est. Tu m'aimes maintenant, puis comme ceux-là tu me
frapperas*. »
« Quand Ishtar l'entendit, elle entra en fureur, elle monta au ciel. La puis-
sante Ishtar se présenta devant Ànou son père, devant sa mère Anatou elle se
présenta et dit : « Mon père, Gilgamès m'a méprisée. Gilgamès a énuméré
« mes félonies, mes félonies et mes hontes. » Anou ouvrit la bouche et parla à la
puissante Ishtar : « Ne peux-tu demeurer tranquille maintenant que Gilgamès
« a énuméré tes félonies, tes félonies et tes hontes?8 » Mais elle se refuse à
laisser l'outrage impuni. Elle veut que son père fabrique un urus céleste
qui la venge du héros, et comme il hésite, elle menace de faire périr tout ce
qui vit dans l'univers entier en suspendant les atteintes du désir et les effets
de l'amour. Anou cède enfin à sa furie : il crée un urus effroyable, dont les
ravages ne tardent pas à rendre inhabitables les alentours d'Ourouk la bien-
gardée. Les deux héros, touchés par les misères et par la terreur du peuple,
partent en chasse et courent relancer la bête aux bords de l'Euphrate, dans
les marais où elle se remise après chacune de ses sorties meurtrières. Une
1. La donnée de l'amant changé en bête par la déesse ou par la sorcière qui l'aime se retrouve
assez souvent dans les contes orientaux (cf. dans les Mille et une Nuits l'aventure du roi Bedr avec
la reine Labé); pour l'homme qu'lshtar métamorphose en bête et qu'elle fait déchirer par ses propres
chiens, on peut renvoyer à l'histoire classique de Diane surprise au bain par Actéon.
2. Haupt, Das Babylonischc Nimrodepos, p. 44-45, I. 46-79; cf. Sayck, The Religion of the Ancient
Babylonians, p. 2 -46-24 8. Pour la mésaventure d'Ishoullanou, on peut comparer, dans les Mille et une
Nuits, le Conte du Pécheur et du Génie enfermé dans une bouteille de plomb. Le roi des lies Noires
a été transformé en statue de la ceinture aux pieds parla sorcière qu'il avait épousée, puis offensée;
il reste couché sur un lit d'où il ne peut descendre, et l'infidèle vient l'y fouailler chaque jour.
3. Haupt, Das Baby Ionise he Nimrodepos, p. 45, 1. 80-91.
582 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
bande de trois cents preux pénètre dans les fourrés sur trois lignes et la
rabat vers eux. Elle les charge, tète basse, mais Êabanî la saisît d'une main
par la corne droite, de l'autre par la queue, et la contraint à se cabrer.
Gilgamès au même moment l'empoigne par une jambe et lui plonge son
poignard dans le cœur. Dés qu'elle est abattue, ils célèbrent leur victoire par
un sacrifice d'actions de grâce, et ils versent une libation à Shamash dont la
protection ne leur a point manqué en ce dernier péril. Ishtar, déçue dans ses
projets de vengeance, « monta sur les remparts d'Ourouk la bien-gardée, elle
poussa un grand cri, elle
lança une malédiction :
« Maudît soit Gilgamès,
■ qui m'a insultée et qui
i a tué l'unis céleste! »
Ëabani les entendit ces
paroles d'ishtar, il arra-
cha le membre de l'urus
, céleste, il le jeta au visage
de la déesse : ■ Toi aussi,
u je te vaincrai, et comme lui je te traiterai : j'attacherai à tes flancs la
« malédiction. » Ishtar assembla ses prêtresses, ses hîérodules, ses folles
femmes, et toutes ensemble entonnèrent une nénie sur le membre de l'unis
céleste. Gilgamès assembla tous les tourneurs en ivoire, et les artisans furent
émerveillés de la grosseur des cornes : elles valaient trente mines de lapis,
leur diamètre était d'une demi-coudée, et elles pouvaient contenir six mesures
d'huile à elles deux*. » Il les consacra à Shamash et il les suspendit aux
coins de l'autel ; puis il se lava les mains dans l'Euphrate, rentra dans Ourouk
et en parcourut les rues triomphalement, lin banquet tumultueux termine
la journée, mais, la nuit même, Ëabani se sent hanté d'on ne sait quel songe
funeste, et la fortune abandonne les deux héros. Gilgamès avait crié aux
femmes d'Ourouk dans l'enivrement du succès : « Qui brille parmi les preux?
Qui resplendit par-dessus tous les hommes? Gilgamès brille parmi les preux,
Gilgamès resplendit par-dessus tous les hommes'. » Ishtar le toucha dans
cette beauté dont il était si fier : elle le couvrit de lèpre de la tête aux pieds
[. Dessin de Faurher-Cudin d'après lintaitle rltaidfrum
clies sur lu Glyptique orientale, 1. 1, |il. I, n" I). L'oritiinat
ï. Huit, bus Babylottîsche Mmrodepos, \i. 4N-4ÎI, I. 1 7 i-
3. Uai'pt, bas liabyloniirhc Mmreilcpos, \i. 4'J, I. ÏIMI-ÎO.
LA RECHERCHE DE L'ARBRE DE VIE, LES HOMMES SCORPIONS. 583
et le rendît un objet d'horreur pour ses admirateurs de la veille. Une exis-
tence de douleur, puis une mort affreuse, celui-là seul y échappait qui avait le
courage d'aller chercher aux limites du monde la source de Jouvence et l'arbre
de vie qu'on y disait cachés1; mais la route était âpre, inconnue, semée de
périls, et nul n'était jamais revenu de ceux qui avaient osé s'y engager.
Gilgamès, résolu à braver tout plutôt que de se résigner à son destin, propose
cette nouvelle aventure à son fidèle fia ban i, et celui-ci consent à l'accompa-
gner, malgré de funèbres pressentiments. En chemin ils tuent encore un tigre ;
mais Ëabani est frappé mor-
tellement dans un combat
qu'ils livrent aux environs de
Nipour, et rend l'âme après
une agonie de douze jours.
* Gilgamès pleura sur
Ëabani son ami, amèrement,
vautré sur la terre nue. n
La peur égoïste de la mort
le disputait en son âme au
regret d'avoir perdu un com-
pagnon ai cher, éprouvé dans LES mntMamnwa m aimK „ wlmm,
tant de rencontres. « Moi,
je ne veux pas mourir comme Ëabani : la douleur a pénétré mon cœur,
l'effroi du trépas m'a envahi et je me suis jeté à terre. Mais j'irai à pas
rapides vers le fort Shamashnapishtîm, fils d'Oubaratoutous, » pour apprendre
de lui comment on devient immortel. Il quitte les plaines de l'Euphrate, il
s'enfonce hardiment dans le désert, il s'égare tout un jour au milieu de soli-
tudes affreuses. « J'atteignis à la nuit un ravin de la montagne, j'aperçus
des lions et je tremblai, mais je levai ma tète vers le dieu Lune et je priai :
ma supplication monta jusqu'au père des dieux, et il étendit sur moi sa pro-
tection*. » Un songe descendu d'en haut lui révèle la route qu'il doit suivre.
La hache et le poignard aux mains, il gagne l'entrée d'un passage ténébreux
I. S.ircesdeui conceptions de l'Arbre de vie cl de la fontaine de Jouvence cliei les Babyloniens,
cf. A. J [sinus, Oie Habyloniich-AiiyrÎBchen Yontcltungen mm Leticu nach dem Tmle, ]>, N9-W3; la
Chaldéc est certainement an île pniiils d'm'i (.'Iles se snnt répandues sur le monde.
i. Dénia de Faucher-Gudin, d'après une inlaitle aiiyrienne |l.*usn, Introduction à t'élude du
Culte public et det Mytterei de Mitltra en Orient et en Onidrnt, pi. XXVIII, 11), Plusieurs autres
représentations du même sujet dans Menant, Hecherchei êur la lliyplii/ue orientait, t. 1, p. OT-UB.
3. H«itpt, Dos Babylonitche Ximrodepoi, p. 59, I. i-7.
*. Hiuit, Bai Babylonitche Nimrodepoi, p. S9, L. 8-iljof. p. 85, I. 8-11.
584 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
percé dans le mont Mâshou1, et « dont des êtres surnaturels gardent la porte
jour après jour. Eux, dont la taille monte autant que les appuis du ciel et
dont la poitrine descend aussi bas que l'Aralou, les hommes-scorpions, ils
gardent la porte. L'effroi qu'ils inspirent foudroie, leur regard tue, leur
éclat terrifie et détruit les montagnes ; au lever et au coucher, ils veillent sur
le soleil. Gilgamès les aperçut et son visage s'altéra de crainte et d'épouvante,
leur aspect sauvage lui troubla l'esprit. L'homme-scorpion parla à sa femme :
« Celui-là qui vient vers nous, son corps est marqué des dieux*. » La
femme-scorpion lui répondit : « Par l'esprit il est un dieu, par l'enveloppe
« mortelle il est un homme. » L'homme-scorpion parla et dit : « Ainsi que le
« père des dieux a ordonné, il a parcouru des routes lointaines avant de nous
« joindre toi et moi8. » Gilgamès comprend que les gardiens ne lui veulent
point de mal, se rassure, leur raconte ses malheurs, implore la grâce de
passer outre pour arriver jusqu'à « Shamashnapishtim, son père, qui fut
transporté parmi les dieux et qui peut donner à son gré la vie ou la mort* » .
L'homme-scorpion lui remontre en vain les dangers qui l'attendent, et dont le
moindre n'est pas l'horrible obscurité dans laquelle les monts de Mâshou
sont plongés : il chemine au sein des ténèbres pendant de longues heures,
puis il débouche sur le rivage de la mer qui enveloppe le monde, au voi-
sinage d'un bois merveilleux. Un arbre surtout excite son étonnement :
« dès qu'il le voit, il y court. Les fruits sont autant de pierres précieuses, les
branches sont splendides à regarder, car les rameaux sont chargés de lapis
et les fruits sont d'une apparence superbe. » Dès que son admiration s'est
calmée, Gilgamès se lamente et maudit l'Océan qui l'arrête. « Sabitou, la
vierge qui siège sur le trône des mers », l'aperçoit de loin et d'abord se
retire dans son château et s'y barricade. Il l'interpelle de la grève, l'implore
et la menace tour à tour, l'adjure de l'aider dans son voyage : « S'il se peut,
je franchirai la mer; s'il ne se peut point, je me coucherai par terre pour
mourir. » La déesse se laisse enfin toucher à ses larmes. « Gilgamès, il n'y
eut jamais ici de passée, et personne, depuis un temps immémorial, ne peut
franchir la mer. Shamash le preux franchit la mer : après Shamash, qui peut
1. Le pays de Mâshou est le désert à l'ouest de l'Euphrate, confinant d'une part aux régions
septentrionales de la mer Rouge, de l'autre au golfe Persique (G. Smith, The Chaldxan Account of
Genesis, p. 262); le nom parait s'en être préservé dans celui de la Mésène classique et peut-être du
pays de Masa des Hébreux (Fr. Delitzsch, Wo lag das Parodies? p. 442-243).
2. On ne doit pas oublier en effet que Gilgamès est couvert de lèpre; c'est la maladie dont les dieux
chaldéens marquent leurs ennemis, lorsqu'ils veulent les châtier de manière exemplaire.
3. Haupt, Das Babylonische Nimrodcpos, p. 60, 1. 1-21.
4. Haupt, Das Babylonische Nimrodepos, p. 61. 1. 3-5.
SHAMASHNAPISHTIM ACCUEILLE GILGAMES. 585
la franchir? La traversée est malaisée, difficile le chemin, périlleuse l'Eau de
Mort, qui est tirée, comme un verrou, » entre toî et ton but. « Si même,
Gilgamès, tu franchis la mer, quand tu seras parvenu à l'Eau de Mort, que
feras-tu? » Arad-Éa', le matelot de Shamashnapishtim, est seul capable de
mener à bien l'entreprise : « s'il est possible, lu franchiras la mer avec lui ;
s'il n'est pas possible, tu reviendras sur tes pas. » Arad-Éa s'embarque avec
le héros : quarante jours de croisière orageuse les mènent aux Eaux de la
Mort qu'ils dépassent d'un effort suprême. Au delà, ils se reposent sur leurs
rames et desserrent leur ceinture : l'île, bienheureuse se dresse devant eux,
et Shamashnapishtim se
tient sur la rive, prêt à
répondre aux questions de
son petit-fils*.
Il faut être dieu pour
pénétrer dans son paradis
mystérieux : la barque,
qui porte un simple mor- [|l01,È, „ lilD_tt N,»iCl|EX, om leu» ïawuu*.
tel, s'arrête à quelque dis-
tance du rivage, et la conversation s'engage par-dessus bord. Gilgamès fait un
récit nouveau de sa vie et expose le motif qui l'amène; Shamashnapishtim
lui répond stoïquement que la mort est une loi inexorable, à laquelle il vaut
mieux se soumettre de bonne grâce. « Si longtemps nous bâtirons des mai-
sons, si longtemps nous scellerons des contrats, si longtemps les frères se
querelleront, si longtemps il y- aura hostilité entre les rois, si longtemps
les fleuves pousseront leurs flots par-dessus leurs rives, on ne pourra tracer
aucune image de la mort. Quand les esprits saluent un homme à sa nais-
sance, alors les génies de la terre, les dieux grands, Mamitou la faiseuse de
sorts, tous ensemble lui attribuent un destin, ils lui fixent la mort et la
vie; mais les jours de sa mort lui restent inconnus'. » Gilgamès pense sans
I. Le nom a été lu successive mont Ourkhainsi (G. Siiith, The Ckaldœan Acrmtnt, dans les Trant-
actions, t. Il, p. 318), Ourbel [Fit. Lkhmumm, tri Premirrci Civiliialiem, t. II, p. 30-31), Ouriol
(OpptsT, Fragment! de Cosmogonie ihaldéenne, dans Liai* n», Hîitoirr d'hrael, t. I, p. 433); la der-
nière lecture, incertaine encore, est \rad-t.a, le serviteur d'fca, ou Amil-F,a, l'homme d'En.
S. Ce récit couvrait les tablette» IX et X qui sont lentes deux trop mutilée» pour qu'on puisse cil
donner une traduction suivie. On en trouvera de nombreux passages traduits dans G. Smith (The
t'.haldxan Account of Garni; p. ili-USt), dans A. Jeremias (hdubar-Nimrod, p. 28-31) et dans
Sauveplane {Une Epopée llabylonienne, Ittubar-liitgamii, p. 86-ftS).
3. Dettin de yaiir.lter-Gu.din, d'âpre» une ialailtt eJieldéeaue du ilritiili Muséum (Memm, Recher-
cha iur lu Glyptique orientale, pi. 11, n" 4, cl p. 90-1 OU; cf. L.u Mo, Introduction à l'étude du culte
public et de* Militera de itithra en Orient et ni Occident, pi. IV, n" 8). l/ori((iii«l a 0-.0Ï8 de hauteur.
-i. IIupt, lia» tlabylonm-he Simrodepot, p. B0, 1. iG-39.
! 586 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
doute à part soi que son aïeul a beau jeu prêcher la résignation quand il
a su échapper lui-même à la fatalité. « Je te regarde, Shamashnapishtim,
et ton apparence n'a point changé : tu es comme moi et n'es pas autrement,
tu es comme moi et je suis comme toi. Tu serais assez vigoureux en ton
cœur pour affronter la bataille, à en juger ton aspect : dis-moi donc com-
ment tu as obtenu cette existence parmi les dieux à laquelle tu aspirais?1 »
Shamashnapishtim y consent, ne fût-ce que pour lui montrer combien son
cas est extraordinaire, et à quel point il méritait un destin supérieur à
celui qui est réservé à la foule humaine. H lui raconte le déluge, com-
ment il put s'y soustraire par la faveur d'Éa, et comment, par celle de Bel,
il fut incorporé vivant à l'armée des dieux*. « Et maintenant, ajoute-t-il,
en ce qui te concerne, lequel des dieux te prêtera la force d'obtenir la vie
que tu réclames? Allons, endors-toi! » Six jours et sept nuits, il sembla
un homme dont la force paraît suspendue, car le sommeil avait fondu
sur lui comme un coup de vent. Shamashnapishtim parla à sa femme :
v Vois cet homme qui demande la vie et sur qui le sommeil a fondu comme
un coup de vent? » La femme répondit à Shamashnapishtim, l'homme des
terres lointaines : « Charme-le, cet homme, et il mangera le brouet magi-
que, et le chemin par lequel il est venu, il le refera sain de corps, et
la grande porte d'où il est sorti, il retournera par elle en son pays. »
Shamashnapishtim parla à sa femme : « Le malheur de cet homme te
chagrine; eh bien, cuis-le, le brouet, et mets-le-lui sur la tête. » Et dans
le temps que Gilgamès dormait à bord de son navire, le brouet fut cueilli,
le second jour il fut épluché, le troisième il fut trempé, le quatrième,
Shamashnapishtim para sa marmite, le cinquième il y mit la Sénilité,
le sixième le brouet fut cuit, le septième il charma soudain son homme,
et celui-ci mangea le brouet. Alors Gilgamès parla à Shamashnapishtim,
l'habitant des contrées lointaines : « Je vacillais, le sommeil m'avait saisi,
tu m'as charmé, tu m'as donné le brouet3. » L'effet n'en serait pas
durable, si d'autres cérémonies ne venaient se joindre à cette cuisine de
sorcier : Gilgamès ainsi préparé peut désormais descendre sur le rivage de
l'île bienheureuse et s'y purifier. Shamashnapishtim confie le soin de l'opé-
ration à son matelot Arad-Éa : « L'homme que tu as conduit, son corps est
1. Haupt, Dom Babylonischc Nimrodepos, p. 134, 1. 1-7.
i. Tout le récit du déluge, qui recouvrait la onzième tablette de l'exemplaire conservé dans la
bibliothèque d'Assourbanabal, est traduit plus haut, aux pages 566-572 de cette Histoire.
3. Haupt, Dos Babylonische Simrodepos, p. 143-144, 1. 206-232.
LE RETOUR DE GILGAMÈS À OUROUK LA BIEN GARDÉE! 587
couvert d'ulcères, les croûtes lépreuses ont perdu l'agrément de son corps.
Prends-le, Arad-Ëa, mène-le à la place de purification, qu'il lave ses ulcères
dans l'eau nets comme neige, qu'il se débarrasse de ses croûtes et que la
mer les emporte, tant qu'enfin son corps apparaisse sain. 11 changera alors la
bandelette qui ceint sa tête, et le pagne qui cache sa nudité; jusqu'à ce qu'il
retourne en son pays, jusqu'à ce qu'il soit au bout de son chemin, qu'il ne
dépouille point le pagne frippé, là seulement il en aura toujours un propre. »
Alors Arad-Éa le prit, le mena à la place de purification; il lava ses ulcères
dans l'eau nets comme neige, il se débarrassa de ses croûtes et la mer les
emporta, tant qu'enfin son corps apparut sain. 11 changea la bandelette qui
ceignait sa tête, le pagne qui cachait sa nudité : jusqu'à ce qu'il fût au bout
de son chemin, il ne devait pas dépouiller le pagne fripé, là seulement il
devait en avoir un propre1. » La guérison opérée, Gilgamès remonte sur la
barque et revient à l'endroit où Shamashnapishtim l'attendait.
Celui-ci ne voulut pas renvoyer son petit-fils au pays des vivants sans lui
octroyer un cadeau princier. « Sa femme lui parla, à lui Shamashnapishtim,
l'habitant des terres lointaines : « Gilgamès est venu, il est consolé, il est
« guéri; que lui donneras-tu maintenant qu'il va rentrer dans son pays? » 11 prit
les rames, Gilgamès, il amena la barque proche la rive, et Shamashnapishtim
lui parla, à Gilgamès : « Gilgamès, tu t'en vas d'ici consolé, que te donnerai-je
« maintenant que tu vas rentrer dans ton pays? Je vais, Gilgamès, te révéler
« un secret, et le décret des dieux je vais te le dire. 11 existe une plante sem-
« blable à l'aubépine par la fleur et dont les aiguilles piquent comme la vipère.
« Si ta main peut saisir cette plante sans être déchirée, brises-en un rameau et
« emporte-le avec toi : il t'assure une jeunesse éternelle*. » Gilgamès cueille le
rameau, et dans sa joie il combine avec Arad-Éa des projets d'avenir : « Arad-
Éa, cette plante est la plante du renouveau par laquelle un homme obtient la
vie; je l'emporterai dans Ourouk la bien-gardée, j'en cultiverai un buisson,
j'en couperai, et son nom sera le vieillard se rajeunit par elle ; j'en mangerai
et je reviendrai à la vigueur de ma jeunesse3. » Il comptait sans les dieux,
dont l'âme jalouse ne peut souffrir que les hommes participent à leurs privi-
lèges. Le premier endroit où il débarque, « il aperçoit un puits d'eau fraîche,
1. Haupt, Dos Babylonltche yimrodcpos, p. 145-146, 1. 249-271. Cf. dans le Lévitique (XIII, 6, XIV,
8, 10) la recommandation faite au malade guéri de changer ses vieux habits contre du linge frais :
la législation relative à la lèpre était probablement commune à tout le monde oriental.
2. Haupt, Das Babylonische Nimrodepos, p. 146-1 47, 1. 274-286. La fin du discours est trop mutilée
pour supporter la traduction : j'ai dû me borner à en résumer le sens probable en quelques mots.
3. Haupt, Das Baby Ionise he Mmrodepos, p. 147, 1. 295-2U9.
5<* LA CHALDËE PRIMITIVE.
descend, et tandis qu'il puise l'eau, un serpent en sort et lui ravit la plante,
oui, le serpent s'élança et emporta la plante, et s'en fuyant il jeta une malé-
diction. Ce jour-là Gilgamès s'assit, il pleura, et les larmes lui ruisselaient
sur les joues, il dit au matelot Arad-Éa : « A quoi bon, Arad-Éa, mes forces
c sont-elles rétablies? à quoi bon mon cœur se réjouissait-il de mon retour
c à la vie? Ce n'est pas moi-même que j'ai servi, c'est ce lion terrestre que j'ai
« servi. A peine vingt lieues de route, et pour lui seul il a déjà pris possession
« de la plante. Comme j'ouvris le réservoir, la plante m'échappa et le génie du
« puits s'en empara : qui suis je pour la lui arracher?1 » 11 se rembarque triste-
ment, il rentre dans Ourouk la bien-gardée, et il songe enfin à célébrer les
funérailles solennelles dont il n'a pu honorer Éabani au moment même de la
mort*. H les dirige, accomplit les rites, entonne la cantilène suprême : « Les
temples, tu n'y entres plus; les vêtements blancs, tu ne t'en pares plus; les
pommades odorantes, tu ne t'en oins plus pour qu'elles t'enveloppent de leur
parfum. Tu ne presses plus ton arc à terre pour le bander, mais ceux que
l'arc a blessés t'entourent; tu ne tiens plus ton sceptre en ta main, mais les
spectres te fascinent; tu n'ornes plus tes pieds d'anneaux, tu n'émets plus
aucun son sur terre. Ta femme que tu aimais, tu ne l'embrasses plus ; ta femme
que tu haïssais, tu ne la bats plus. Ta fille que tu aimais, tu ne l'embrasses
plus ; ta fille que tu haïssais, tu ne la bats plus. La terre rugissante t'op
presse, celle-là qui est obscure, celle-là qui est obscure, Ninazou la mère,
celle-là qui est obscure, dont le flanc n'est pas voilé de vêtements éclatants,
dont le sein comme un animal nouveau-né n'est point couvert8. — Éabani est
descendu de la terre à l'Hadès ; ce n'est pas le messager de Nergal l'impi-
toyable qui l'a ravi, ce n'est pas la peste qui l'a ravi, ce n'est pas la phtisie
qui l'a ravi, c'est la terre qui l'a ravi ; ce n'est pas le champ de bataille qui
l'a ravi, c'est la terre qui l'a ravi!4 » Gilgamès se traîne de temple en temple,
répétant sa complainte devant Bel. devant Sin. et se jette enfin aux pieds du
dieu des Morts, de Nergal : « Crève le caveau funéraire, ouvre le sol, que
l'esprit d'Éabani sorte du sol comme un coup de vent! » Dès que Nergal,
1. Haupt, Das Habylonische Ximrodcpos, p. 1 17-148, 1. 304-310.
4. Le texte de la douzième tablette a été publié par Boscawen (Soles on the Religion and Mytho-
logy of the Assyrians, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. IV, p. 470-286),
et plus complètement par Haupt {Die zwôlfte Tafel des Babijlonischcn Sintrodepos, dans les lieitrâge
sur Assyriologie, t. I, p. -18-70).
3. Haupt, Die zwôlfte Tafel des Babylonischen Nimrodepos, p. 57, 1. 11-30; cf. p. 49, 1. 34-45, et p. 59.
1. 16-44. Le texte est mutilé et ne peut encore être entièrement rétabli malgré la répétition des mêmes
phrases dans plusieurs endroits différents. Les lacunes qui subsistent ne l'empêchent pas d'être com-
préhensible, et la traduction en reproduit le sens et le mouvement, sinon l'expression littérale.
4. Haupt, Die zwôlfte Tafel, p. 59, 1. 43-46; cf. p. 55, I. 1-4, et p. 61, I. 17-19.
ANTIQUITÉ DU POÈME DE GILGAMÈS. 589
le preux, l'entendit, il creva le caveau funéraire, il ouvrit le sol, il fit sortir
du sol l'esprit d'Éabani comme un coup de vent1. » Gilgamès l'interroge et
lui demande avec anxiété quelle est la fortune des morts : « Dis, mon ami, dis,
mon ami, ouvre la terre, et ce que tu vois dis-le. — Je ne puis te le dire,
mon ami, je ne puis te le dire; si j'ouvrais la terre devant toi, si je te disais
ce que j'ai vu, l'effroi te terrasserait, tu t'affaisserais, tu pleurerais. —
L'effroi me terrassera, je m'affaisserai, je pleurerai*, mais dis-le-moi. » Et
le spectre lui dépeint les tristesses du séjour et les misères des ombres. Ceux
là seuls jouissent de quelque bonheur qui tombèrent les armes à la main et
qu'on ensevelit solennellement après le combat; les mânes oubliés des leurs
succombent à la faim et à la soif. « Sur un lit de repos il est étendu, buvant
de l'eau limpide, qui a été tué dans la bataille. — Tu l'as vu? — Je l'ai vu;
son père et sa mère lui supportent la tête, et sa femme se penche sur lui
gémissant. Mais celui dont le corps reste oublié dans les champs, — Tu
l'as vu? — Je l'ai vu; son âme n'a point de repos dans la terre. Celui dont
l'âme n'a personne qui s'occupe d'elle, — Tu Tas vu? — Je l'ai vu; le
fond de la coupe, les restes du repas, ce qu'on jette aux ordures dans la
rue, voilà ce qu'il a pour se nourrir!8 »
Ce long poème n'est pas né tout entier, ni d'un seul coup, dans l'imagi-
nation d'un seul homme. Chacun des épisodes en répond à quelque légende
isolée qui courait sur Gilgamès ou sur les origines d'Ourouk la bien-gardée :
la plupart gardent sous leur forme plus récente un air d'antiquité extrême,
et, s'ils ne se rattachent pas à des événements précis de la vie d'un roi, pei-
gnent vivement divers incidents de la vie du peuple*. Ce ne sont point, comme
on le dit, des animaux mythologiques, ces lions, ces léopards ou ces urus
gigantesques contre lesquels Gilgamès et son fidèle Éabani mènent si rude
guerre5. Leurs pareils paraissaient de temps en temps dans les marais de la
Chaldée et prouvaient leur existence aux habitants des villages voisins, par
autant de ravages que certains lions ou certains tigres en commettent aujour-
1. Haitt, Die zwolfte Tafcl, p. 61, 1. 23-28. Boscawen, Notes on the Religion and Mythology of
the Assyrians, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. IV, p. 282, compare
justement cette scène à l'évocation de Samuel par la pythonisse d'Kndor (/ Samuel, XXVIII, 7-25).
2. Hai'pt, Die zwolfte Tafel des Rabylonischen Simrodepos, p. 03, I. 1-6.
3. Haupt, Die zwolfte Tafel, p. 51, "l. 1-10, et p. 65, l. 2-12. Cf., p. 114-115 de cette Histoire, les
idées analogues qui avaient cours en Egypte sur la destinée du mort que les siens laissaient sans
ressources : le double égyptien avait pour se repaître les mêmes rebuts que l'àme chaldéenne.
4. G. Smith (The Clialdsean Account of Genesis, p. 173-190), identifiant Gilgamès avec ISemrod,
croit d'autre part que Nemrod fut un roi réel qui régnait en Mésopotamie vers 2250 av. J.-C; le
poème renfermerait donc, suivant lui, des épisodes plus ou moins embellis de la vie d'un souverain.
5. Sur les lions actuels de la Chaldée et sur l'effroi qu'ils inspirent aux indigènes, voir Loftus,
Travelsand Researchcs in Ckaldxa and Susiana, p. 212-241, 259-262); cf. p. 558 de cette Histoire.
:v^ LA CHALDÊE primitive.
d hui dans l'Inde ou dans le Sahara. Aux bords de l'Euphrate, comme sur les
mo$ du Nil. comme chez tous les peuples à demi plongés encore dans la
barbarie* c'était le devoir des chefs d'aller les combattre corps à corps et de
se dévouer tour à tour, jusqu'à ce que l'un d'eux plus heureux ou plus fort
triomphât de ces brutes endiablées. Les rois de Babylone et de Ninive firent
plus tard un plaisir de ce qui était une nécessité d'office pour leurs prédéces-
seurs lointains : Gilgamès n'en est pas encore là, et le sérieux, la crainte même
a\ec laquelle il livre bataille aux bêtes nous montre combien haut remontent
les parties de son histoire qui traitent de ses exploits en chasse. Ils sont repré-
sentés sur le cachet de princes qui régnaient par delà le troisième millénaire
avant notre ère1, et l'œuvre des graveurs archaïques coïncide si minutieuse-
ment avec celle du scribe presque moderne qu'elle en est comme l'illustration
préméditée ; elle reproduit si constamment et avec si peu de variété les images
des monstres, de Gilgamès et de son fidèle Éabani, que les épisodes corres-
pondants du poème devaient déjà exister tels que nous les connaissons, sinon
pour la forme, au moins par le fond. D'autres sont plus récents, et il semble
bien que l'expédition contre Khoumbaba renferme des allusions aux invasions
élamites* dont la Chaldée eut tant à souffrir vers le xxc siècle. Comme la
Geste de Gilgamès, les traditions que nous possédons sur les temps qui sui-
virent le déluge renfermaient des éléments fort anciens, que les scribes ou les
conteurs avaient combinés de façon plus ou moins adroite autour d'un nom
de roi ou de divinité. La chronique fabuleuse des cités de l'Euphrate existait
ainsi par morceaux, dans la mémoire du peuple ou dans les livres des prê-
tres, avant même que leur histoire primitive commençât; les savants qui la
recueillirent sur le tard n'eurent guère qu'à choisir parmi les matériaux
qu'elle leur fournissait, pour obtenir des annales suivies où les âges les
plus vieux différaient des plus récents par une ingérence plus fréquente
et plus directe des puissances du ciel aux choses de la terre. Chaque cité avait
naturellement sa version, où ses dieux protecteurs, ses héros et ses princes
remplissaient les premiers rôles. Celle de Babylone rejeta les autres dans
1. Ainsi le cachet du roi Shargaiii-shar-ali (Menant, Recherches sur la Glyptique orientale, t. I,
p. 73; Catalogue de la Collection de Clercq, t. I, pi. V, 40), celui d'un scribe attaché au roi Bingani-
shar-ali (Menant, Recherches sur la Glyptique orientale, t. 1, p. 75-76) et plusieurs autres que Menant
a décrits ou reproduits avec soin dans ses Recherches sur la Glyptique orientale, t. I, p. 77 sqq.
4. Smith avait cru pouvoir rétablir d'après ce fait une partie de l'histoire chaldéenne : lzdubar-
INcmrod aurait été vers 44i>0 le libérateur de Babylone opprimée par l'Klam, et la date de fondation
d'un grand empire babylonien coïnciderait avec celle de sa victoire sur les Elamites (The Chaldxan
Account of Genesis, p. 188-100, 407). Les annales d'Assourbanabal (G. Smith, The II is tory of
Assurhanipal, p. 434-430, 4,'»0-431) nous apprennent en effet qu'un roi élamite, koudournankhoundi,
a\ait pillé Ourouk, vers 4480 avant notre ère, et transporté à Suse une statue de la déesse Ishtar.
LES COMMENCEMENTS DE L'HISTOIRE RÉELLE. 581
l'ombre, non qu'elle fût la meilleure, mais Babylone devint promptement
assez forte pour étendre sa suprématie politique le long de l'Euphrate. Ses
scribes étaient habitués à voir son maître traiter en sujets ou en vassaux les
maîtres des autres villes. Ils imaginèrent qu'il en avait toujours été ainsi et
qu'elle s'était fait reconnaître dès le début la cité-reine à laquelle leurs con-
temporains rendaient hom-
mage. Us lui prirent son his-
toire particulière pour y en-
cadrer l'histoire du pays en-
tier, et les familles princières
d'origine diverse qui s'étaient
succédé sur son trône pour
en forger de toutes pièces un
canon des rois de Chaldée.
Mais la façon de grouper
les noms et de couper les
dynasties varia selon les
époques, et nous possédons
dès à présent deux au moins
des systèmes que les savants
babyloniens avaient cru pou- eujuta» itrmi ivkc ie lion ht le wxete1
voir établir. Bérose, qui en-
seigna l'un d'eux aux Grecs vers le commencement du n* siècle avant notre
ère, ne consentait à admettre que huit dynasties pour une durée totale de
trente-six mille ans, du déluge à la conquête perse. Les listes qu'il en avait
copiées sur des documents écrits en caractères cunéiformes ont été muti-
lées misérablement par les abréviateurs : ceux-ci en ont retranché la plu-
part des noms qui leur paraissaient par trop barbares, et les copistes ont défi-
guré le peu que les abréviateurs en avaient épargné de manière à les rendre
inintelligibles pour la plupart. Les modernes les ont restituées souvent
et de plus d'une manière; celle que voici, pour être l'une des plus plus
1. Destin de Faurher-Gudin, d'après une intaille clin Idécmie appartenant au Britiih Muteum (SUITE.
The Miablman Account of the Déluge, planche qui sert de frontispice il l'ouvrage; cf. Lajam, Intro-
duction A l'étude du culte public et des mgiterci de Mithra en Orient et rn Occident, |.1. XIX, 6).
L'original mesure a peine 0" ,1135 de hauteur.
i. C'est la restauration qui fut proposée en premier lieu par A. de Uutsrhmid (Zu den Fragmente!!
rfci lieroio* und Kleiiai, dans le Rhcîaùchei Muséum, t. VIII, 18S3, p. ï"ifi, cf. Kleine Schriften,
t. Il, p. lOI-ltli, reproduit avec quelques corrections dans les Ueitrâge tttr Qeukiehle de» Allen
Oriente, p. 18-ïl. et dana les jWtie Beitrâgc, p. Si sqq., 1IIMI6).
592
LA CHALDËE PRIMITIVE.
vraisemblables, n'offre pas un texte également certain dans toutes ses parties*
I" Dynastie: 86 Chaldéens, 34 091 ans
Uc Dynastie :
lir Dvnastie :
IVe Dynastie :
Ve Dvnastie :
VIe Dvnastie :
VIIe Dvnastie :
VIIIe Dynastie :
8 Mèdes,
11 Chaldéens,
49 Chaldéens,
9 Arabes,
45 Chaldéens* ,
8 Assyriens,
6 Chaldéens,
224
248
458
245
526
121
87
»
2450-2226
2225-1977
1977-1519
1518-1273
1273-747
746-625
625-638
Ce n'est pas sans raison que Bérose et ses auteurs avaient élevé à 36 000 ans
la somme des règnes accumulés : ce chiffre répondait à quelque grande
période astrologique, pendant laquelle les dieux avaient accordé aux Chal-
déens gloire, prospérité, indépendance, et dont la fin coïncidait avec la prise
de Babylone par Cyrus*. D'autres avaient usé avant eux du même artifice, mais
ils dénombraient dix dynasties où Bérose n'en voulait admettre que huit :
1*' Dynastie :
IIe Dynastie :
lir Dynastie :
IVe Dynastie :
Ve Dynastie :
VIe Dynastie :
VIIe Dynastie :
Vlir Dynastie :
IXe Dynastie :
Xe Dvnastie :
? rois de Babylone après le déluge, ?
1 1 rois de Babylone, 294 ans
11 rois d'Ourou-azagga3, 368 ans
36 rois, 576 ans, 9 mois.
11 rois de Pashé, 72 ans, 6 mois.
3 rois de la Mer, 21 ans, 5 mois.
3 rois de Bàzi, 20 ans, 3 mois.
1 roi Élamite, 6 ans
31 rois de Babvlone, ?
21 rois de Babylone 194 ans, 4 mois*.
I. A l'exemple de G. B. Niebuhr (Klcine Schriften, t. I, p. 194-196), Gutschraid admettait ici,
comme Oppert [H apport adressé à S. Ejc. M. le Ministre de l'Instruction publique et des Cultes t
p. 47-48), 45 Assyrien»*; il s'appuyait sur le passage d'Hérodote (I, cxv) où il est dit que les Assyriens
exercèrent leur domination en Asie pendant cinq cent vingt ans, jusqu'à la conquête mède. Sur le
peu de probabilité de l'hypothèse d'après laquelle les 15 rois de cette VI* dynastie seraient des Assy-
riens, voir la démonstration de Schrader (Keilinschriften und Geschichtsforschung, p. 460 sqq.).
4. L'existence du schème astronomique ou astrologique sur lequel Bérose établit sa chronologie
a été signalée par Brandis (lierum Assyriarum tempora emendala, p. 17), puis par Gutschmid (Zu
den Fragmentai des Herosos und K testas, dans le Hheinisches Muséum, t. VIII, 1853, p. 455; cf.
Klcine Schriften, t. II, p. 101); elle est demeurée généralement admise depuis lors.
3. Le mot assyrien avait été lu d'abord Siskou : c'est probablement un nom de Babylone.
4. Le premier document ayant droit au titre de Canon Royal qu'on ait trouvé parmi les tablettes du
British Muséum fut publié par G. Smith [On Fragments of an Inscription giving part of the Chro-
nology front which the Canon of Berosus was copied, dans les Transactions de la Société d'Ar-
chéologie Biblique, t. III, p. 361-379). Les autres ont été successivement découverts par Pinchcs [Sote
on a iiew List of early Iiabylonian Kings, dans les Proceedings de la même Société, 1880-1881,
p. 40-44, 37-49; The Babylonian Kings of the Second Period, dans les Proceedings, t. VI, p. 193-404.
et t. Vil, p. 65-71). La liste de Smith est un fragment de chronique, où les Vp, VII" et VIII* dynasties
seules sont à peu près complètes. Une des listes de Pinches ne contient que des noms royaux classés
sans ordre constant, sous leur forme sémitique d'un côté, non sémitique de l'autre. Les deux autres
listes sont de véritables canons qui donnent les noms des rois et leurs années de règne; par
malheur elles sont fort mutilées, et les lacunes qu'elles renferment ne peuvent pas être comblées
encore. On les trouvera les unes et les autres traduites par Sayce. The Dynastie Tablets and Chro-
nicles of the Dabylonians, dans les Records of the Past, ±n4 Ser., t. H, p. 1-41, 34-36.
LE SYSTÈME DES DYNASTIES BABYLONIENNES. 593
On a essayé de faire concorder les deux listes, et l'on y a réussi de plus d'une
manière1 : c'est, je crois, du temps et de l'ingéniosité perdus1. Comme les
Égyptiens, les Chaldéens n'avaient réuni pour certaines périodes même rap-
prochées de leur histoire, que des documents écourtés, incohérents, souvent
contradictoires, entre lesquels ils étaient embarrassés de choisir : ils ne s'en-
tendaient pas toujours lorsqu'ils voulaient déterminer combien de dynasties
s'étaient succédé pendant ces temps douteux, de quels rois chacune d'elles
se composait, combien d'années il convenait d'attribuer à chaque roi. Nous
ignorons les motifs qui déterminèrent Bérose à recevoir une tradition de préfé-
rence aux autres : peut-être n'avait-il plus le choix, et celle dont il se fit
l'interprète était-elle la seule que l'on possédât encore. En tout cas, elle
forme un ensemble auquel on ne peut toucher sans fausser l'intention de ceux
qui l'ont conçue ou qui nous l'ont transmise. On doit ou la rejeter ou l'accepter
telle qu'elle est, en bloc et sans changement : à vouloir l'adapter au témoi-
gnage des monuments, c'est un système nouveau que l'on crée, quand on
s'imagine corriger simplement l'ancien. Le mieux est après tout de l'aban-
donner pour le moment, et de nous en tenir aux listes originales dont les
débris sont parvenus jusqu'à nous : elles ne nous rendent certainement pas
l'histoire de la Chaldée telle qu'elle se déroula d'âge en âge, mais elles nous
enseignent ce que les Chaldéens des derniers siècles connaissaient de cette
histoire ou pensaient en connaître. Encore est-il prudent de les traiter avec
réserve et sans oublier que, si elles s'accordent assez bien dans le gros, elles
diffèrent souvent par le détail. Ainsi, les petites dynasties qui portent
les numéros VI et VII comprennent un même nombre de rois sur les deux
tablettes qui constatent leur existence3, mais les chiffres d'années qui sont
1. Les premiers essais en ce sens furent faits naturellement par Smith et Pinches, quand ils
découvrirent les tablettes [Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. III, p. 361 sqq.,
J*roceedings, t. III, p. 20 sqq.; cf. 37 sqq., t. VII, 193 sqq., t. VII, p. 65 sqq.); d'autres ont essaye
après eux de combiner tout ou partie des listes avec tout ou partie du canon de Bérose, Homme!
(Die SemUisrhen Yôlkcr, t. I, p. 346-3-41, -483-184, Zur Altbabylonischen Chronologie, dans la
Zeifschrift fur Kei/schriftforschung, t. I, p. 32- M, Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 168-
176), Delitzsch [Die Sprache der Kossxer, p. 19-41, 6-1 sqq.), Schrader [Die Keilinschriftliche Baby-
lonische Kônigsliste, dans les Sitzungsberichle der Berliner Akademie, 1887, t. XXXI, p. 579-608,
et t. XL VI, p. 917-951).
4. Voir ce que disent sur la dissemblance de ces deux canons Oppert (la Xon-ldcntité de Phul
et de Teglathphalazar, dans la Revue d'Assyriologie, t. I, p. 169-170, note), Tielc (Babylonisch-
Assyrische Geschichte, p. 109-114), Wincklcr (Vnlersuchungen zur Altorientalischen Geschichte,
p. 3-6).
3. Le texte et la traduction ont été donnés par Pinches (The Babylonian Kings of the second
Period, dans les Provecdings de la Société d'Archéologie Biblique, t. VI, p. 196-197, et colonne III de
la tablette) et par G. Smith (On fragments of an Inscription, dans les Transactions, t. III, p. 374-
376) ; la traduction seule se trouve chez Sajce (The Dynastie Tablets, dans les Bccords of the Pastt
4»- ser., t. I, p. 17, 41). Sur les différences que présentent les deux listes à cette place, on peut
consulter en dernier lieu Wiscklkr, Vnlersuchungen zur Altorientalischen Geschichte, p. 11.
H1ST. ANC. I)K l/OHIK.NT. — T. I. 75
594
LA CHALDÊE PRIMITIVE.
attachés aux noms des Fois et le total de chaque dynastie varient un peu de
Tune à l'autre :
VI* DYNASTIE
DU PAYS DE LA MER
il ans
■
6 ans
3 mois
•
SlMASflSHlGUl'.
ËAMOl'KIXZIR.
Kashshoisadisakhé
t8 ans
•
3 ans
m
o mois
SlMASHSHIGOU
£\MOlKJN
KASHSHOl'NADIXAKHÉ
23 ans
3 mois
3 rois
il ans
5 mois |
3 rois
VII- DYNASTIE
DE BAZ!
15[?J ans
2 ans
»
m
3 mois
ÉoiLHAHSHAKJNSHOlMOL'
[NlSlpjKOt'DOlROL'SOlR
[SfilLAMM )SH01KAM0LN A
M ans
3 ans
■
■
3 mois
éoilbarshakinshoimoi
Nisipkocdoi'r[oisour]
Shila.nimshoi'kamoina
17 ans
3 mois
3 rois
"20 ans
3 mois
3 rois
La diversité du comput est-elle le fait des scribes qui, copiant et recopiant
machinalement les listes, en venaient fatalement à les altérer? S'expliquait-
elle par quelque circonstance ignorée, une association au trône dont la
durée était rejetée tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre des deux corégents, une
question de légitimité qui allongeait ou qui écourtait un règne selon le sens
dans lequel on la tranchait? Les monuments contemporains nous permettront
peut-être un jour de résoudre ce problème, dont la solution échappait aux
Chaldéens d'époque postérieure. En attendant qu'ils nous aient rendu le
moyen de restituer une chronologie rigoureusement exacte, il faudra bien
nous contenter des évaluations par à peu près que les tablettes nous four-
nissent pour les successions des rois babyloniens.
L'histoire réelle y occupait une très petite place, vingt siècles à peine sur
trois cent soixante : la fantaisie s'était donné libre carrière au delà, et le peu
de faits certains que l'on connaissait disparaissait presque sous l'amas des
récits mythiques et des contes populaires. Ce n'est pas que les documents
fissent entièrement défaut; les Chaldéens avaient l'amour de leur passé et ils
en recherchaient curieusement les souvenirs. Chaque fois qu'ils déterraient
une inscription dans les ruines d'une ville, ils la copiaient à plusieurs exem-
plaires et la déposaient aux archives, où leurs archéologues la consultaient1.
1. Les exemples sont assez fréquents de vieux textes dont noua ne possédons plus que des copies
exécutées de la sorte. Ainsi la dédicace d'un temple d'Ourouk par le roi Singashid, copiée par le
scribe Naboubalatsouikbi, fils de Mizirai (l'Égyptien) pour le temple Kzida (Pinches, Singaxhitts Gift
to Ihe Temple E-ana, dans le Babylonian and Oriental Hecord, t. I, p. 8-11): l'histoire légendaire
LES ROIS DE BABYLONE ET D'AGADË. 595
Quand un prince rebâtissait un temple, il exécutait toujours des sondages sous
les premières assises de l'édifice pour retrouver les pièces qui en commé-
moraient la fondation; s'il les découvrait, il consignait sur les cylindres
nouveaux où il vantait son œuvre, le nom du premier constructeur et parfois
le nombre d'années qui s'était écoulé depuis la construction*. Nous en agissons
de même aujourd'hui, et nos fouilles aboutissent, comme celles des Chaldéens,
à des résultats singulièrement décousus : ce qui sort de terre n'est guère pour
les premiers siècles que lambeaux de dynasties locales, noms de souverains
isolés, dédicaces de temples qu'on ne sait où placer à des dieux dont la nature
nous échappe, allusions trop brèves à des conquêtes ou à des victoires sur
des nations désignées de façon trop vague*. La population était dense et la
vie active dans les plaines du Bas-Euphrate. Les cités y formaient à l'origine
autant d'États particuliers, très exigus le plus souvent, et dont le roi et les
dieux prétendaient demeurer indépendants de tous les rois et de tous les
dieux voisins : une ville, un dieu, un maître, de même qu'en Egypte dans les
vieilles circonscriptions féodales d'où les nomes sortirent3. Les plus fortes
de ces principautés imposèrent leur loi aux plus faibles : réunies par deux
ou par trois sous un seul sceptre, elles finirent par constituer une dizaine de
royaumes presque égaux, échelonnés le long de l'Euphrate*. Nous connaissons
au nord ceux d'Agadé et de Babylone, celui de Routa et de Kharsag-Kalama,
celui de Kishou qui comprenait une partie de la Mésopotamie, peut-être
du roi Sargon d'Agadé, copiée sur l'inscription qui ornait la base de sa statue, et dont il sera question
plus loin, p. 597-599 de cette Histoire; une dédicace du roi Hammourabi (Jensen, Inschriften aus
der Hegierungszeit llammurabïs, dans la Keilschriflliche Bibliothek, t. III, 1" partie, p. 120-123);
l'inscription d'Agoumkakrimi (Boscawen, On an Early Chaldxan Inscription, dans les Transactions de
la Société d'Archéologie Biblique, t. IV, p. 132) qui provient de la bibliothèque d'Assourbanabal.
1. C'est surtout Nabonaîd, le dernier roi de Babylone avant la conquête perse, qui nous a laissé
le souvenir de ses fouilles. Il trouva de la sorte les cylindres de Shagashaltibouriash à Sippara
(Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. V, pi. 64, col. III, I. 27-30), ceux de Hammourabi [Id., t. I, pi. 69,
col. II, 1. 4-8; Bezold, Two Inscriptions of Nabonidus, dans les Proceedings de la Société d'Archéo-
logie Biblique, t. XI, p. 84-103), de Nararasin (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. V, pi. 6-1, col. II, p. 57-60).
2. On aura une idée de ce que sont les documents connus, en parcourant la 1" partie du tome III
de la Keilschriftliche Bibliothek de Schrader, où MM. Jensen, Winckler et Peiser en ont publié une
transcription en caractères latins et ont traduit la plupart d'entre eux en allemand.
3. Voir ce qui est dit des principautés primitives de l'figypte, p. 70 sqq. de cette Histoire.
4. Les premiers assyriologues, H. Rawlinson (Soles on the Early History of Babylonia, dans le/, of
Ihe As. Soc, t. XV, et l'essai On the Early History of Babylonia, dans YHerodotus de G. Rawlinson,
t. I, p. 351 sqq.), Oppcrt (Expédition en Mésopotamie, t. I, p. 275-277, et Histoire des Empires de
Chaldée et d'Assyrie d'après les monuments, p. 13-38) considérèrent les rois locaux comme étant, pour
la plupart, des rois de la Chaldée entière, et les placèrent à la suite l'un de l'autre dans le cadre des
plus anciennes dynasties de Bérose. Le mérite d'avoir établi les séries des dynasties locales, et d'avoir
rendu à l'histoire de la Chaldée la forme que nous lui connaissons aujourd'hui, revient à G. Smith
(Early History of Babylonia, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. I,
p. 28 sqq., développé dans son History of Babylonia, p. 63-82, publiée après sa mort par Sayce).
L'idée de Smith fut adoptée par Menant (Babylone et la Chaldée, p. 57-117), par Delitzsch-MUrdter
(Geschichte Babyloniens und Assyriens, 2e édit., p. 73-84), par Tiele (Babylonisch-Assyrische Geschichte,
p. 100-127). par Winckler (Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 18 sqq.) et par tous les assy-
riologues, avec les modifications que les progrès du déchiffrement ont commandées.
596 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
même la forteresse lointaine de Harran1 : si minimes qu'ils fussent, leurs
possesseurs déguisaient leur faiblesse sous les titres de Rois des quatre maisons
du monde, rois de l'Univers, rois de Shoumir et d'Akkad*. Babylone exerçait
déjà sur eux une suprématie réelle. Peut-être est-il prudent de ne pas prêter
grande créance au fragment de tablette qui lui attribue une dynastie
de rois encore inconnus par ailleurs, Amilgoula, Shamashnazir, Amilsin,
et bien d'autres1; mais la même liste place au milieu de ces fantômes dou-
teux un personnage au moins, Shargina-Sharroukin4, qui nous a laissé les
preuves matérielles de son existence. Ce Sargon l'Ancien, dont le nom
complet est Shargani-shar-ali5, était le fils d'un certain lttibêl qui ne paraît
1. L'existence du royaume de Kish, Kishou, aux anciennes époques, indiquée par Jensen (Inschriflen
Schamaschschumukins, dans la Keilschriflliche Bibliothck, t. III1, p. 202, note), a été démontrée par
Hilprecht (The Babylonian Expédition ofttie UniversUy of Pennsylvania, t. 1, p. 23-24).
2. Les noms officiels de ces royaumes sont entrés dans le protocole des rois de Chaldée, puis des
rois d'Assyrie : ceux-ci s'intitulaient régulièrement shar Kibrat arbaî, roi des quatre maisons du
monde (cf. p. 543-544 de cette Histoire), shar Kishshati, roi de l'univers. M. Winckler a émis l'idée
que ces qualifications se rapportaient chacune à un petit État, jadis indépendant (Sumer und Akkad,
dans les Mitteilungen des Âk. Oriental ischer Vereins su Berlin, t. I, p. 9-11, 14). Apres avoir supposé
que le Royaume des Quatre maisons, par exemple, avait Babylone pour centre (Sumer und Akkad,
p. 9-11), il en transporta le siège à Kouta (Untersuchungen zur Altorientalischen Geschichte, p. 76-78, 83 ;
Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 31); il met celui des Kisshali avec doute à El-Àshshour (Sumer
und Akkad, p. 11), puis à Harran (Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 31, note 2). Cette opinion
a été combattue fortement par Lehmann, Schamaschschumukin, Kônig von Babylonien, p. 74 sqq.
3. Pioches, Notes on a new list of Early Babylonian Kings, dans les Proceedings de la Société
d'Archéologie Biblique, t. III, p. 37-38, où il est dit que ce sont là les rois qui vinrent après le
déluge, mais qu'on n'a pas observé l'ordre réel de succession en les énumérant. Les noms sont donnés
à la fois en langue sémitique et en idiome non sémitique : j'ai adopté ici la première forme.
4. Shargina a été rendu Sharrouktn à l'époque assyrienne. Sharrouktn, Sharouktn, paraît avoir
signifié « Dieu l'a établi roi » (Scbrader, Die Assyrisch-Babylonischen Keilinschriften, p. 159 sqq. ;
cf. Winckler, Die Keilschrifttexte Sargons, p. xiv), et avoir été interprété quelquefois « le roi
légitime » par les Assyriens eux-mêmes. L'identité de Shargani-shar-ali d'Agadé avec Shargina-
Sharrouktn, admise par Pinches (On Babylonian Art, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie
Biblique, t. VI, p. 11-14, 107-108, The Early Babylonian King-List, dans les Proceedings, t. VII,
p. 66-71), contestée par Menant (l'Inscription de Sargon d'Agadé, dans les Proceedings, t. VI, p. 88-92),
par Oppert (Quelques Remarques justificatives, dans la Zeitschrifl fur Assyriologie, t. III, p. 134, et
La plus ancienne inscription sémitique jusqu'ici connue, dans la Revue d' Assyriologie, t. III, p. 21
sqq.) et par d'autres après eux, paraissait être controuvée par la forme sous laquelle le nom se pré-
sentait dans les inscriptions : Shargani passait pour n'être qu'une mauvaise lecture d'un nom plus
complet, Shargani-shar-louh selon Menant (Op. /., p. 90-92), Shar (Bin)gani-shar-imsi (Oppert, dans
Menant, la Collection de Clercq, p. 50, n° 46), Shargani-shar-ali (Oppert, Quelques Remarques, dans
la Zeitschrift fur Assyriologie, t. III, p. 124), Shargani-shar-mahazi (Winckler, Untersuchungen,
p. 79, note 4), Bingani-shar-iris (Oppert, La plus ancienne inscription sémitique jusqu'ici connue,
dans la Revue d' Assyriologie, t. IV. p. 22). Hommel (Geschichte, p. 302) traduit Shargani-shar-ali par
Shargani, roi de la ville, et une variante découverte récemment incline le père Scheil (Inscription de
Naramsin, dans le Recueil, t. XV, p. 62-64) à croire qu'il avait raison, par suite, que le roi s'appelait
réellement Shargani et non Shargani-shar-ali. L'hypothèse d'Hommel (Geschichte, p. 307 sqq.), d'après
laquelle il y aurait eu dans le haut empire chaldécn deux Sargon, Sargon le père de Naramsin, vers
3800, et Sargon-Shargani d'Agadé, vers 2000 av. J.-C., a été rejetée par les autres assyriologuea.
5. Son premier titre est Shargani-shar-ali, roi d'Agadé, mais on a trouvé son nom dans les ruines
de Sippara (Pinches, On Babylonian Art, dans les Proceedings, t. VI, p. 11); Nabonatd l'intitule roi de
Babylone (Uawlinson, Cun. bis, W. As., t. I, pi. 69, col. II, 1. 30), et les listes chronologiques men-
tionnent son palais dans cette ville (Smith, On Fragments of an Inscription, dans les Transaction»,
t. III, p. 367-368, 374-376). L'expédition américaine du Dr Peters a découvert à Nipour des inscriptions
qui prouvent qu'il régnait sur cette ville (Hm.prkcht, The Babylonian Expédition ofthe UniversUy of
Pennsylvania, t. I, p. 15-16, pi. 1-3; cf. Scheil, Nouvelle Inscription de Naramsin, dans le Recueil,
t. XV, p. 62-64). La conquête de Kishou est mentionnée dans les textes astrologiques (R a wlinson, Cun.
Ins. W. As., t. IV, pi. 34, col. I, 1. 8-10; cf. Hilprecht, The Babylonian Expédition, t. 1, p. 25-26), ainsi
que celle des Quatre maisons du Monde (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. IV, pi. 34, col. 1, 1. 6, 14;
SHARGANI-SHAR-AL! ET SA LÉGENDE. 597
. pas avoir été roi1. Il ne détenait au début que la ville d'Agadé, quelque part
aux environs de Babylone, dans un site indéterminé, mais il posséda bientôt
Babylone même, Sippara, Kishou, Nipour, et s'acquit la réputation d'un
conquérant redoutable, sans que l'on devine, par des témoignages contem-
porains, vers quelles contrées il porta ses armes*. Son activité de constructeur
ne le cédait en rien à son ardeur guerrière. Il bâtit Ëkour, le sanctuaire de
Bel, dans Nipour, et le grand temple Ëoulbar, dans Agadé, en l'honneur
d'Anounit, la déesse qui préside à l'étoile du matin3. 11 édifia dans Babylone
un palais qui devint plus tard un lieu de sépulture royale*. Il fonda, pour
lui servir de capitale, une ville qu'il peupla de familles prises à Kishou et à
Babylone : elle garda longtemps après lui son nom qu'il lui avait imposé,
Dour-SharroukînB. C'est là ce que nous croyons savoir de positif à son sujet,
et les derniers Chaldéens n'étaient pas beaucoup mieux renseignés que nous.
Ils suppléèrent par la légende aux lacunes de l'histoire. Comme ils le
voyaient apparaître brusquement, sans qu'aucun lien semblât le rattachera ce
qui le précédait, ils imaginèrent qu'il était un usurpateur d'origine inconnue,
introduit irrégulièrement par la faveur des dieux dans la série des rois. Une
inscription tracée, disait-on, sur une de ses statues, puis copiée vers le vine siècle,
et déposée dans la bibliothèque de Ninive, racontait longuement sa naissance
mystérieuse6. « Sharroukîn, le roi puissant, le roi d'Agadé, c'est moi. Ma
mère était princesse, mon père, je ne l'ai point connu, le frère de mon père
habitait la montagne; ma ville était Azoupiràni, qui est située sur la rive de
l'Euphrate.Ma mère, la princesse, me conçut et m'enfanta en cachette; elle me
cf. Smith, Early History, dans les Transactions, t. I, p. 48-49), ce qui lui attribue, au moins dans
la pensée des scribes du temps d'Assourbannbal, la domination universelle (Lehmann, Schamaschschum-
ukln, p. 94). Comme Naramsin, fils et successeur de Shargani, s'attribue les mêmes titres sur ses
monuments originaux, on peut croire qu'il les avait hérités de son père et admettre provisoirement
le témoignage du texte astrologique (Rawlinson, Cun. Int. W. Asia, t. I, pi. 3, n° 7, 1. 2-4).
1. Hii.prf.cht. The Babylonian Expédition of the llniversily of Pennsylvania, t. I, pi. 2, p. 15-16.
2. HiLPRF.c.HT, The Babylonian Expédition of the University of Pennsyloania, t. 1, pi. 2, p. 15-16.
3. Le fait est mentionné dans une inscription de Nabonaîd, découverte à Moughéîr, conservée au
British Muséum (IUwlinson, Cun. Ins. W. As., t. I, pi. 69, col. II, l. 29), traduite par Peiser, dans la
Keilschriftliche Bibliothek, t. III, 2e partie, p. 85.
4. Smith, On fragments of an Inscription, dans les Transactions, t. III, p. 367-368, 374-376.
5. IUwlinson, Cun. Ins. W. As., t. IV, pi. 34, col. I, 1. 10. Je crois que c'est la Dour-Sharrouktn.
mentionnée dans le Caillou Michaux (col. I, l. 14; cf. IUwlinson, Cun, Ins. W. A., t. 1, pi. 70) et
dont le site est encore inconnu. Cf. Delitzsch, Wo lag das Paradiesf p. 208.
6. Le texte existe en deux exemplaires, tous deux mutilés; il est publié flans les Cun. Ins. of. W.
Asia, t. III, pi. 4, n° 7. Traduit par Smith (Early II is tory of Babylonia, dans les Transactions de la
Société d'Archéologie Biblique, t. I, p. 46-47; cf. The Chaldtean Account of Gencsis, p. 299-300), il
a été étudié et traduit de nouveau par la plupart des assyriologues, Talbot (A fragment of Ancient
Assyrian Mylhology, dans tes Transactions, t. I, p. 271-280, cf. Becords of the Pasl, 1" Ser.,
t. V, p. 1 sqq.), Lenormant (les Premières Civilisations, t. II, p. 104-110), Menant (Babylone et la
Chaldée, p. 99 sqq.), Delitzsch (Wo lag das Paradiesf p. 209-210), Hommel (Geschichte Babyloniens
und Assyriens, p. 302-303), Winckler (Légende Sargons von Agane, dans la Keilschriftliche Bibliothek.
t. III, \n p., p. 100-103, et Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 30).
598 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
mit dans une couffe de roseaux, elle en ferma la bouche avec du bitume, elle
m'abandonna au fleuve, qui ne me recouvrit point. Le fleuve me porta, il
m'emmena vers Akki, le puiseur d'eau. Akki, le puiseur d'eau, me recueillit
dans la bonté de son cœur; Akki, le puiseur d'eau, m'établit jardinier. Jardinier,
la déesse Ishtar m'aima, et, pendant quarante-quatre ans, j'exerçai la royauté,
je commandai aux Tètes-Noires1 et les gouvernai. » C'est une origine fré-
quente chez les fondateurs d'empires et de dynasties, celle de Cyrus et de
Romulus*. Comme Moïse et bien d'autres dans l'histoire ou dans la fable,
Sargon est exposé sur les eaux ; il doit son salut à un pauvre fellah qui tirait
la shadouf sur la rive de l'Euphrate pour arroser les champs, et il passe son
enfance dans l'obscurité sinon dans la misère. Arrivé à l'âge de l'homme,
Ishtar s'éprend de lui comme elle avait fait jadis de son pareil, le jardinier
Ishoullanou*, et le voilà roi, on ignore par quels moyens. La même inscription
qui révèle le roman de sa jeunesse, énumérait les succès de sa maturité et
vantait le bonheur constant qui avait accompagné ses armes. Les lacunes en
ont presque détruit la fin et nous empêchent de suivre le développement de
ses entreprises, mais d'autres pièces prétendent nous en énoncer les résultats
les plus importants. 11 avait réduit les cités du Bas-Euphrate, l'île de Dilmoun,
Dourîlou4, l'Élam, le pays de Kazalla5; il avait envahi la Syrie, soumis
la Phénicie, franchi le bras de mer qui sépare Chypre de la côte, et n'était
rentré dans son palais qu'au bout de trois ans, après avoir érigé ses statues
partout sur son passage. A peine au repos, une révolte éclate brusquement,
les chefs de la Chaldée se liguent contre lui et le bloquent dans Agadé :
Ishtar, fidèle jusqu'au bout par exception, lui procure la victoire, et sa
1. L'expression de Têlcs-Soircs, nishi salmat kakkndi, a été prise dans un sens ethnographique,
comme désignant l'une des races de la Chaldée, la sémitique (Hommel, Geschichte Babyloniens und
Assyriens, p. 241, note 2); d'autres assyriologues la considèrent comme une désignation de l'huma-
nité en général (Pognon, t Inscription de Bavian, p. 27-28, Schrader, dans la Zeitschrift fur Assyrio-
logie, t. 1, p. 320). Ce dernier sens paraît être le plus vraisemblable.
2. Smith (Early History of Babylonia, dans les Transactions, t. I, p. 47) avait déjà comparé
l'enfance de Sargon l'Ancien à celle de Moïse; les rapprochements avec celle de Cyrus, de Dionysos,
de Romulus, ont été faits par Talbot (A fragment of Assyrian Mythotogy, dans les Transaction*, t. 1,
p. 272-277). Les traditions du môme genre sont fréquentes dans l'histoire ou dans les contes populaires.
3. Voir plus haut, p. 581 de cette Histoire, le traitement qu'Ishtar infligea au jardinier Ishoullanou.
A. Dourilou, sur la frontière d'Élam (Delitzsch, Mo lag das Paradies? p. 230). siège d'une petite
principauté, dont un des princes, Moulabll, nous est connu (Fr. Lknormant, Choix de Textes cunéi-
formes, p. 7, n° 5) pour les temps antérieurs à Hammourabi (Hommel, Geschichte Babyloniens und
Assyriens, p. 22?i, note 1). Les parties encore à peu près compréhensibles de la tablette où était
racontée la vie de Sargon cessent en cet endroit.
5. Kazalla avait un roi de nom sémite, KashtoubNa; le site du pays est inconnu. S'il faut vraiment
lire Kazalla (Hommel, Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 300, 326) et non Sousalla (Amiaud, The
Inscriptions of Telloh, dans les Becords of the Past, 2"4 Soi\, t. II, p. 80; cf. Hki zey-Sarzkc, Décou-
vertes en Chaldée, p. X) ou Soubgalla, Mougalla, Mousalla (Jensen, Inschriftcn der Kônige und
Stalthalter von Lagasch, dans la Keilschriftliche Bibliothek,i. 111, in partie, p. 34), le nom cité sur
la Statue B de Goudéa (Col. VI, 1. 5-6), Kazalla serait un canton de la Syrie.
NARAMSIN ET LE PREMIER EMPIRE CHALDÉEN. 599
fortune sort plus assurée de la crise où elle avait failli sombrer. Tous ces
événements se seraient accomplis vers 38Q0 avant notre ère, au temps où la
VIe dynastie florissait en Egypte1. Ils n'ont rien d'invraisemblable en soi, et
nous pourrions les accepter sans crainte, si l'ouvrage où ils sont consignés
n'était pas un traité d'astrologie*. L'auteur voulait justifier par des exemples
empruntés aux chroniques les pronostics de victoire ou de défaite, de paix
domestique ou de rébellion qu'il déduisait de l'état du ciel aux divers jours
des mois; en remontant jusqu'à Sargon d'Agadé, il bénéficiait à la fois et
du respect qu'on éprouvait autour de lui pour la haute antiquité, et de la
difficulté qu'aurait éprouvée le vulgaire à contrôler ses assertions. Sa bonne
foi prête d'autant plus au soupçon qu'une partie au moins des exploits qu'il
attribuait au vieux Sargon avaient été récemment accomplis par un Sargon
nouveau : la vie glorieuse du Sargon d'Agadé semble n'être chez lui que la
vie plus glorieuse encore du Sargon de Ninive projetée dans le passé le plus
«
lointain3. Si vraiment l'enchaînement des faits qu'il expose est une invention
de visée après coup, la fraude prouve du moins quel prestige s'attachait
chez les lettrés de l'Assyrie à la mémoire «du conquérant chaldéen.
Naramsin, qui lui succéda vers 3750, hérita de sa puissance et en partie de
sa renommée4. Les tables astrologiques prétendent qu'il donna l'assaut à la
ville d'Apirak, tua le roi Rishramman et emmena la population en esclavage.
Une autre de ses guerres aurait eu pour théâtre une contrée de Mâgan qui,
dans la pensée de l'écrivain, représentait certainement la péninsule du Sinai
1. La date 3800 du règne de Sargon est déduite par à peu près de celle que l'inscription de Nabo-
natd (cf. plus bas à la note 4) nous permet d'adopter pour le règne de Naramsin.
2. Les passages de ce traité relatifs à Sargon et à Naramsin, réunis et traduits pour la première
fois par G. Smith (On the Early History, dans les Transactions, t. I, p. 47-51), ont été reproduits
depuis par Menant (Babylone et la Chaldée, p. 100-103), par Homrael (Geschichte Babyloniens umt
Assyriens, p. 304-306, 310) et par Winckler (dans la Keilschriftliche hibliothek, t. III *, p. 102-107).
3. Homme! (Geschichte, p. 307) croit que la vie de'notre Sargon a été modelée sur celle, non de
Sargon l'Assyrien, mais d'un second Sargon, qu'il place vers 4000 av. J.-C. (cf. p. 596, note 4 de cette
Histoire). Tiele (Babylonisch-Assyrische Geschichte, p. 115) refuse d'admettre l'hypothèse, mais les
objections qu'il soulève peuvent être écartées, je crois; Hilprccht (The liabylonian Expédition of
the University of Pennsylvania, t. I, p. 21 sqq.) admet l'authenticité des faits dans tous leurs détails.
On remarquera une ressemblance lointaine entre la vie du Sargon légendaire et les conquêtes de
Ramsès II, terminées par une conjuration au retour, telles qu'Hérodote (II, c) les raconte.
4. La date de Naramsin nous est donnée par le cylindre de Nabonaid qui est cité un peu plus bas.
Elle fut découverte par Pinches (Some récent Discoveries bearing on the Ancien t History and Chrono-
logy of Babylonia, dans les Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, t. V, p. 8-9, 12). L'au-
thenticité en est maintenue par Oppert (dans le Journal Asiatique, 1883, t. I, p. 89), par Latrillc (Der
Nabonidcylinder V B. 64, dans la Zeitschrift fur Keilforschung, t. II, p. 357-359), par Tiele (Ges-
chichte, p. 111), par llommel (Geschichte, p. 166-167, 309-310, qui avait d'abord éprouvé quelque
hésitation, dans Die Semilischen Yôlker, p. 347 sqq., 487-489), par Delitzsch-Miïrdter (Geschichte, 2' éd.*
p. 72-73); elle a été révoquée en doute, avec réserve par Ed. Meyer (Geschichte des Alterthums, t. 1,
p. 161-162) et plus résolument par Winckler (Unlersuchungen zur Altortentalischen Geschichte, p. 44-45;
et Geschichte, p. 37-38). Il n'y a pour le moment aucune raison sérieuse d'en contester l'exactitude,
au moins relative, si ce n'est la répugnance instinctive des critiques modernes à considérer comme
légitimes des dates qui les reportent plus loin dans le passé qu'ils n'ont l'habitude d'y pénétrer.
600 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
et peut-être l'Egypte1. L'expédition contre le Mâgan eut lieu véritablement,
et l'un des rares monuments qui nous restent de Naramsin y fait allusion.
C'était en effet de ce pays que les souverains tiraient les blocs de pierre dure
dont ils fabriquaient les vases précieux destinés au service des palais ou des
temples'; ils y expédiaient de temps en temps des troupes qui leur rappor-
taient les matériaux dont ils avaient besoin. Toutefois Mâgan était alors, non
pas l'Egypte, mais le canton d'Arabie confinant à la Chaldée méridionale et
au golfe Persique5. D'autres inscriptions nous disent au passage que Naramsin
régnait sur les quatre maisons du monde, sur Babylone, sur Si p para, sur
Nipour*. Comme son père, il avait travaillé à l'Ékour de Nipour et à l'Éoulbar
d'Agadé5; il avait de plus bâti pour son propre compte le temple du Soleil à
Sippara0. Les destinées en furent longues et variées. Remanié, agrandi, ruiné
à mainte reprise, la date de la construction et le nom du fondateur s'étaient
perdus par la suite des jours, et l'on ne savait plus à qui en attribuer
la fondation. Le dernier roi indépendant de Babylone, Nabonaîd, découvrît
enfin les cylindres par lesquels Naramsin, fils de Sargon, signifiait à la pos-
térité ce qu'il avait fait pour élever au dieu de Sippara un sanctuaire digne
de lui : « depuis trois mille deux cents ans, aucun des souverains n'avait
réussi à les trouver ». Nous ne pouvons plus juger ce qu'étaient ces édifices
si vénérés des Chaldéens eux-mêmes : ils ont disparu entièrement, ou, s'il
en subsiste quelque chose, les fouilles ne nous l'ont pas rendu encore. Mais
plusieurs menus objets échappés par hasard à la destruction nous donnent une
idée avantageuse des artistes qui vivaient en ce temps-là autour de Babylone,
1. Hawunson, Cun. Ins. W. Asia, t. IV, pi. 3-4, col. II, I. 10-18.
2. Vase en albâtre au nom de Naramsin, perdu dans le Tigre; la légende a été traduite par Oppcrt
(Expédition en Mésopotamie, t. I, p. 273, et t. II, p. 327; cf. Kawlikson, Cun. Ins. H". Asia, t. I, pi. 3,
n« 7) d'abord. On hésite pour le sens entre Vase, butin de Mâgan (Oppert, Die Franzôsischen Ausgra-
bungcn, dans les Verhandlungen du IV" Congrès des Orientalistes, t. Il, p. 243), ou même conquérant
du jxiys de Mâgan (Oppert, La plus ancienne inscription sémitique jusqu'ici connue, dans la Berne
d'Assyriologie, t. III, p. 20], et Vase en travail poli de Mâgan (Honmel, Ceschichte, p. 278-279, 308-3OÎ)
et note 1), après avoir lu conquérant d'Apirak et de Mâgan (Smith, Early Mis tory, dans les Trans-
actions, t. I, p. 52; Menant, Habylone et la Chaldée, p. 103; Tiele, Ccschichie, p. 115).
3. Voir sur le site primitif de Mâgan ce qui est dit p. 564, note 3, de celte Histoire.
4. Il est roi des quatre maisons sur le vase d'albâtre perdu, et roi de Babylone sur un cylindre de
Nabonaid; Sippara lui appartenait, puisqu'il y construisit un temple, et les fouilles du Dr Petcrs
ont mis au jour des inscriptions qui prouvent qu'il possédait la ville de Nipour (Hilprecht The Baby-
lonian Expédition of the Universily of Pennsylvania, t. I, p. 18-10, pi. 3, n° 4 ; The Academy, 1891,
3 septembre, p. 199, Zeitschrift fur Assyriologie, t. VII, p. 333 sqq.).
5. Hilprecht, The Babylonian Expédition of the Vniversity of Pennsylvania, t. I, pi. IV; Rawl v-
son, Cmw. Ins. \Y. Asia, t. I, pi. 09, col. H, 1. 29-31; cf. Peiser, Inschriflen NabonioTs, dans la
Keilschriflliche Bibtiothek, t. 111, 2' partie, p. 85.
6. IUwli.nson, Cuti. Ins. H*. Asia, t. V, pi. 04, col. II, 1. 57-00; cf. Pinches, Some Becent Discoverics
bearing on the Ancien! History and Chronology of Babylonia, dans les Proceedings de la Sociott»
d'Archéologie Biblique, t. V, p. 8-9, 12. Le texte qui nous fournit ce renseignement est celui dans
lequel ISabonaid affirme que Naramsin, fils de Sargon d'Agadé, avait fondé le temple du Soleil à
Sippara, 3200 ans avant lui, et qui nous donne la date de 3750 avant notre ère pour le règne de Naramsin.
L'ART DE LA CHALDEE SEPTENTRIONALE. 601
et de leur habileté à manier la pointe ou le ciseau. Un vase en albâtre au
nom de Naramsin1, une tète de massue en marbre veiné délicatement et dédiée
par Shargani-shar-ali au dieu Soleil de Sîppara1, n'ont de valeur que par la
beauté de la matière et par la rareté de l'inscription : mais un cylindre en
porphyre qui appartenait à lbnîshar, scribe du même Shargani, doit prendre
rang parmi les chefs-d'œuvre de la gravure orientale'. 11 représente le héros
Gilgamès, agenouillé et tendant à deux mains un vase arrondi d'où une source
s'échappe à gros bouillons pour courir à travers champs ; un bœuf, coiffé d'une
paire gigantesque de cornes en croissant, renverse violemment la tète en
arrière et semble aspirer un des filets d'eau à la volée. Tout est également
admirable dans ce petit monument, la pureté du trait, le modelé savant et
délicat des creux, la justesse du mouvement, la vérité des formes. Un frag-
ment de bas-relief du règne de Naramsin montre que les sculpteurs ne le
cédaient en rien aux (ailleurs de pierre fine. On n'y voit plus qu'un seul
personnage, un dieu, qui se tient debout à la droite du registre, vêtu d'une
étoffe à longs poils qui lui dégage le bras droit, la tête couverte du bonnet
conique garni de cornes. Les jambes manquent, le bras gauche et la cheve-
lure sont à demi brisés, les traits du visage ont souffert : ce qu'on distingue
est d'une finesse à laquelle les artistes d'âge plus récent ne nous ont pas
accoutumés. La silhouette s'enlève sur le fond avec une rare élégance, le
détail des muscles ne présente rien d'exagéré : n'étaient le costume et la
I. C"csl le ïnse en albâtre perdu dans le Tigre (Ot-rem, Expédition ta Mttapotamie, t. 1, p. Ï73).
i. PintOKS, On llal.ytonian Art. dan» le? Trattiactiont, I. VI, p. il-1i; cf. |.. 6*0 de celle tlittoire.
;t. Découvert el publié par Menant (Ha-herc/iet tur la lUypIiqur oriental/-, t. 1, p. "3 sqq.). alijour
d'hui conservé elieï M. de Uerr<| (Me** st. Catalogue dt la Collection de Cltrrq, t. I. pi. V, n' 461).
I, Celui» de Fauclirr-Ciulhi, d'aprU Mksint. Catalouue de la Collection de Clein/, I. I, pi. V, n-461.
tut* LA CltAI.DEE PRIMITIVE.
barbe en pointe, on croirait se trouver en présence d'une œuvre égyptienne
de la bonne époque memphite. On est presque tenté de croire que la tradition
t vrai, quand elle attribuait à Naramsin
e conquête de l'Egypte ou des pays voi-
ns : le vaincu aurait fourni des modèles à
on vainqueur1.
Sargon et Naramsin vivaient-ils réelle-
ment aussi tôt que Nabonaid se plai-
sait à le croire? Les scribes qui aidaient
les monarques du second empire babylo-
nien dans leurs études archéologiques
avaient peut-être des raisons fort mé-
diocres de les reculer si avant dans la
distance; des documents sérieux nous
contraindraient à les rajeunir, qu'il ne
faudrait pas nous en étonner. Le mieux
en attendant est de nous en remettre nu
ugement des Chaldéens et de laisser Sargon
ramsin au siècle qui leur fut assigné par
,,„„„„„.„, bien qu'ils y dominent de très haut tout
le reste de l'antiquité chaldéenne. Les fouilles ont
ressuscité autour d'eux, peut-être avant, peut-être après, plusieurs personna-
ges : Itingani-shar-ali3, Man-ish-tourba et surtout Alousharshid, qui résidait
à Kishou et à Nîponr*, et qui remporta des succès sur l'Elam1. Les ténèbres
se referment immédiatement sur ces ombres à peine entrevues, et nous
cachent la plupart des souverains qui régnèrent ensuite à Babylone. Les noms
et les faits qu'on rapporte avec certitude aux siècles postérieurs appar-
tiennent à l'histoire des Etats méridionaux, à Lagash, à Ourouk, à (luron, à
Nisliin, à Larsam1. Les écrivains nationaux avaient négligé ces principautés;
I, Publié par Selieil (Vue Sornette liitcription de Saramti», dans le lleeueil, I. XV, p. (ii-fii ;
(■(. Mastkiio. .Sur le but-relief de Naramtin, d.ins le llecueil, t. XV, p. 05-W1). Opperl (Die Fran-
;iisi.irhru Aiitt/i-riliiiHt/rii in f'.liatrlii'a, dans le- l'rrkiindllingeii du IV" limi^rés (k's U ri enta listes, l. Il,
p. 337) avait roiiiaft]U(> li-s rossi-mbliiTii-rs lies statues de Telloh avec les œuvres de l'art égyptien.
■i. lletiiti de limtdirr, d'âpre» In plnitiH/iiiphie publier par le Père Sliiml, I ii Pourrait It'ix-ielief
de JWiimm'.i (dans le lleeueil de Travaux, I. XV, p. Gi-tll).
8. Mkmsi. Ileeherehet «nr la Glyptique orientale, t. I, pi. I, n* 1 , et p. 75-77.
I. Wisiiii.hH, Snmer uud Akkad, dan- les Hitteiliimjeii det Ai. Uricitlalitehcn-Vereini, l. I, p, in.
[i. Hii.mkiiht, The Itabyloiiinn Kj-pediliwt nftbr Vuirrrxily of Penmylrania, t. I, pi. S- 111 et p. 11*-* ■ .
Ii. Les fùil-i relatifs à roi jielits roja unies nul iitii signalés par Winrkler (Vlitertuehungrn, p. G3-WI).
dont les conclusions, l'onloslérs on partie par l.ehmann (Sïhamaichichiiniuktu, Kôttig roii tlabultt-
nieii, p. «8-100), ont éle admises par Dclit/scli-Jliirdtor (Ceiehichte, ï> éd.. p. 7i> squ).
LES CITÉS DU SUD, LAGASH ET SES ROIS. 603
nous ne possédons ni résumé de leurs chroniques ni listes de leurs dynasties,
et les inscriptions sont encore peu commu""" ""'
parlent de leurs dieux et de leurs princ
Celle de Lagash est peut-être aujourd'hui
la plus illustre de toutes1. Elle occu-
pait le cœur du pays et s'étendait sur les
deux rives du Shatt el-Hai : le Tigre la
séparait à l'est de l'Anshan, le plus occi-
dental des cantons élamiles, avec lequel
elle entretenait une guerre de frontières pe
pétuelle*. Toutes les parties ne se valaie
pas dans ce territoire ; la campagne, fertile
et bien cultivée près du Shatt-el-Haî, s'ap-
pauvrissait et se noyait dans les boues
à mesure qu'on avançait vers l'est, et
ne nourrissait plus qu'à grand peine une
population de pêcheurs pauvre et clair-
semée. La capitale, bâtie sur la rive
gauche du canal, s'étirait du nord-est au
sud-ouest, sur une longueur d'environ sept
kilomètres'. C'était moins une ville qu'une série de gros villages très rap-
prochés, groupés chacun autour d'un temple ou d'un palais, Ourouazagga,
Ghishgalla, Ghirsou, Nina, Lagash' : ce dernier imposa son nom à l'ensemble.
Une branche dérivée du Shatt-el-Hai la protégeait vers le sud et apportait ses
I. Elle nous eut connue presque exclusivement parles recherche» du M. du Samcc ut par nus décou-
vertes sur le site de TeKoh. Le produit de ses fouilles, acquis par l'Etat français, est dénoué aujour-
d'hui au Musée du Louvre; la description des ruines, le texte des inscriptions, les statues, tous les
objets trouvés au cours des travaux ont été publiés par IIcczky-Suiki:, Déconcertes en i'.haldée. Le
nom ancien de la ville a été lu Sirpourla, /.ireulla (Siiti. ¥.arly llitlory of Babytonia, dans les
Transaction*, t. t. p. 30; Doscawiîii, On tome Early Babylonien or Akkadian Interiptiont, dans lus
Trantacliaia, I. VII, p. Ï7G-Î77), Sirtolla (Owebi, Die Franznsischen Ausgrabungeu in ChaUma,
dans les Verhandlungen du IV" Congrès des Orientalistes, t- II, p. Hi, el journal Asiatique, IBS*,
I. XIX, p. 73), Sirboulla (Homel, DU Semilisc/ien Yolker, p. 4!)*, note 103). l'inches (Vui-le lo the
Knityuiijit Gatttry, p. 7, noie t. el Babylotlian and Oriental Itccord. t. III, p. i3) a rcnconlrc dan»
un syllabaire !a lecture Lagash pour les signes qui composent ce nom; peut-être Lagash est-il le
nom plus récent de la ville el Shirpoiula lo nom primitif (Jïjswi. Ditchriflen der Kotiige und Stati-
hallcr ion Lagaseh, dans la KeiUelirifUiche. HMiolhck, t. III, 1™ partie, p. 5).
■i. Ainsi, au temps de f.oudéa (Iiucriptinn U, I. C.4-B9; cf. Aiiai/d, Interiptiont of Tclloli, dans le)
Itecordtof lot Paît, i'' Sur., t. II. p, 8i, et dans llMm-Smir.:, Découvertes ni t'.haldée, p. M; inxntx,
Inschriflen der Kànige and Statlhaller, dan» la hcil'chriftlirhe Bibliothe/,, t. III, I" partie, p. 39).
Voir la mention de la prise d'Anshan par ce prince, à la p. CIO de cette Histoire.
3. Destin de Fauehei-Gudin. d'apret le bas-relief de Lagash, contené au Hnsr'e du l-ourrc,
(Hmn-SiBin:, Découvertes en f.huldée, pi. 1. n" S).
i. La description du site su trouve dans lls.ixi:r-.Sini<n:, Découvertes en Clialdèe, p. * su,q.
S. &>uiip, Sirpourla, p. 1-8. Amiaud pense que les qualrc lells marqués N-l' sur le plan de M. do
60', LA CHALDCE PRIMITIVE.
eaux au bourg de Nina : on n'a retrouvé aucune trace d'enceinte générale, et
les temples et les palais servaient de refuge à son peuple en cas d'attaque.
Kl le avait pour totem, pour armes parlantes, un aigle à tète double posé
sur un lion passant ou sur deux demi-lions adossés1. Le chef des dieux qu'on
y adorait s'appelait Ninghirsou, le maître de Gliirsou, dont il habitait le sanc-
tuaire; sa compagne Baou, et ses associés Ninagal, Innanna, Ninsia, se par-
tageaient la propriété des quartiers dont la cité se composait3. Les princes
s'intitulèrent d'abord rois et prirent ensuite le titre de Vicaires, — patéski — ,
lorsqu'ils durent avouer la suzeraineté d'un souverain plus puissant, celui
d'Ourou même ou celui de Babylone*.
Ouroukaghina est, vers 3^00, le premier en date des rois de Lagash dont
la mémoire soit parvenue jusqu'à nous : il répara ou agrandit plusieurs
Sanec marquent LV m place me ni Je Nina : les autres telU re présente raient le site de Ctiirsou. Cbishgalla
et Ourouaiagga seraient en dehors de la région fouillée par l'explorateur. Hommcl a pensé (OrtcAifkle
babylonien! und Ain/rien*, p. 3iS, ;ii7:$ïK. 337) et pense |)out être encore que Siiiiî est Ninîve ol
Ghirsou peut-être Ourouk.
1. Sur ces armes de Lapsli, cf. Ilti *ky, les Origines orientale* de V Art , I . I, p. iO-it, Heiiht-Simm:,
Dà-ntivertesett ('.hiiltlà, p. N7-U1. el en dernier Heu l\wif.\. le* Armoiries C.liottlrrnnciidr Srrjimirlatt'aprèf
feu Déconcerta de. M. de Sar;ec, dans les ilnimmentt et Mémoire* de la Fondation Fiat, I. I, p. 7-ÏO.
î. tiemin de Faurker-Guditt, d'âpre* le bus-rrlie/'dr l.nijttsli. innsn-ir mi Huie'e du Loutre (Hkciey-
Kahec, Décourerlet en C.haldee. pi. I liis. a" i).
3. Pour le détail des divinités adorées à Lagasli, voir Am.uo. Sirpourla, p. 15-11'; cf., p. ii;tfi-G39 de
celte lliitoire, ce qui est dit sur l'identification des divinités sumériennes avec les sémitiques.
4. La lecture patit/ii, patênhi, du mot qui serl à désigne r les souverains des petits Klals chaldéeus.
longtemps cou te *t (':<;, est établie aujourd'hui par des vtirianles certaines ;\V. Naïfs W.ian, On an intrri-
bed llabytonian Weitjht. dans les Proceedingi de VAmrrieau Oriental Soeiely, octobre 1HSS, p. iii-im ;
cf. I. eh *.i mi, Au* einem Brîefe, dan» la Zeittrhrift fîir Aityriotogir, t. IV, p. i'ji, et Juiw, Iwtehri fini
lier Koiiige, dans la Kcilahriftliihe IlibUothek, t. lit. 1" partie, p. it-7). On a traduit le litre par
ricc-roi. prelre, employé, cl l'on a pensé qu'il marquait la dépendance du personnage qui le portail,
soit vis-à-vis d'un roi suzerain, soit vis-à-vis d'un dieu. Je comprends paléihi comme ropâit en
figypte (cf. p. 7H-7I de cette Hi/loirr). C'est un vieux lilre des princes féodaux de la C ha Idée, à la
Tois ciiil el relifieu\, puisque ces prinres even; aient l'autorité relijiieuse comme l'autorité civile :
ils lu prenaient au début, lorsqu'ils étaient indépendants l'un de l'autre, et ils le conservèrent
quand ils tombèrent sous la dépendance d'un souverain plus puissant, d'un roi. Les rois eux-mêmes
pouvaient s'en parer, avec ou sans épitbètes. de la même façon que les Pharaons faisaient pour le titre
je ropâit : c'était une affectation d'archaïsme aux bonis de l'Kuphrale comme aux bords du Nil.
0URMN.4 ET IDINIllllRANAGIIIN. 605
temples, et creusa la rigole qui abreuvait le bourg de Nina'. Quelques généra-
tions plus tard, nous trouvons le pouvoir aux mains d'un certain Ournirià,
dont le père Ninigaldoun et le grand-père Gourshar ne reçoivent aucun titre,
ce qui ne prouve pas qu'ils n'aient point régné'. Ourninà parait avoir été
d'humeur pacifique et dévote', car ses inscriptions parlent beaucoup des
édifices qu'il érigea en l'honneur des dieux, des ustensiles sacrés qu'il
dédia, des bois qu'il fit venir du Màgan pour satisfaire aux besoins de la
1. C'est le canal que Ouroukaghina et Goudéa firent nettoyer ; il est noramf .\iii<i-[fcij -fournir, fleuve
préféré de la déesse Nina, ou plutôt du bourg de Nina (Auuiid, Sirpourla, p. 5).
t, Dessin de t'nucher-Gudiii, d'après le bas-relief du Louvre f"1 (IIel'iit, Rteomlruetion partielle de
ta Stèle du roi Èannadau, dite Sléte des Vautours, pi. 11).
3. La série des premiers rois et des vicaires de Lagash a été établie en dernier lieu par Heuzoy
(Généalogies de Sirpourla d'aprèi let Découverte* de M. de Sarzee, dans la Demie d' Attyriologie,
t. II, p. 78-B4), qui place Ouroukaghina en télé de la liste (irf., ibilt., p. Si), opinion adopter par
M. Jensen {Keilschriftlicke Bibliothek, t. III, 1» partie, p. 1S. 10) : Homme! (Getcliichle, p. Ml] lui
donnait le troisième rang parmi les rois. L'époque de ces piinres a été estimée de façon diverse.
Ilommel (tieschichle. p. Ï'JI) fait vivre Ouroukaghina vers lilMl avant notre ère, trois cents ans environ
après son Ourglianna qu'il inscrit en télé de la liste, et Heure)', sans se hasarder à donner un chiffre
même approximatif, tend à mettre les rois de Lagasli avant Shargani et Naramsin. Ililprecht \Tlic
Dabylonion Expédition uf the Vnivrrtitu o{ l'ennsyleania, t. I, p. Itl) les croit de même antérieur;, à
Sliarpni-sh.ir-ali; il affirme que ce prince soumit leur royaume et les réduisit à ta condition de
vicaires. Ce* hypt.ith.eses ne reposent que sur des appréciations artistiques dont la ta)>-ur n'a pas clé
jugée décisive par tous les savants (cf. NilPIM, Sur le relief de Naramsin, dan» la (te, nul. t. XV,
p. 6j-G6). L'intervalle de deu\ mille ans qu'elles supposent entre les premiers cl 1rs derniers dei
souverains qui appartenaient à ce* dynastie* primitives de Lagash ne paraît pas être justifié par
les circonstances matérielles de la découverte. L'importance de la ville ne dura pi' si longtemps .
en plaçant les premiers rois trois ou quatre cents ans avant ceux d'Ourou, Ourbaim et tniu -i i_h i, on
agira prudemment (Wmcilm, Untersiicliungen, p. 13).
4. Les inscriptions d'Ourninâ sont publiée» dans lli.i ïrv-Shiïkc, Découverte* en (.haldée, pi. 1, n'î,
pi. S, n- 1-ï, pi, 31; er. Hkciet, let Originel Orientales de fart, t. I, p. 3fi-3o. Oppert (dans le»
Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions, 1RB3. p. "Il sqq.). Aniiaud (dans les Itecvrdt of
the Past, t" Ser., t. I, p. lit sqq.; cf. Itaitv-StHm, Découverte* en V.haldée, p. »nx), Jensen [Keil-
schriftliche Bibliothek, t. III. 1™ partie, p. 10-15) nous ont donné des trait net ions .les monuments
d'Ourninâ. Hommel prononce le nom Ourghanna [Dit Konige und Patiii ton Zirgulla, dans la Ze.it-
schrift fur Keitforschung, t. Il, p. t'9 sqq.), maïs la prononciation Ournina, sans être encore abso-
lument certaine, présente beaucoup de chances de demeurer la vraie.
606 LA CIIAI.1IÉE PRIMITIVE.
construction, mais elles ne mentionnent aucune guerre'. Son fils Akourgal fut.
t
apiesnHuurgai, eui i« goui ues armes ei uescomoais. il
semble avoir été l'allié ou peut-être le suzerain d'Ourou et d'Ourouk ; il poussa
les de l'Élam, vainquit les troupes
'Isban', et notre Musée du Louvre
e trophée qu'il consacra au retour de
npagne, dans le temple de Ninghir-
sou. C'est une large stèle en calcaire
blanc, compact et fin, cintrée par
J le haut, couverte de scènes et
d'inscriptions sur les deux faces.
L'une d'elles ne portait que des
ujets religieux. Deux déesses guer-
s, couronnées d'un diadème de plu-
ie cornes recourbées, se tenaient en
'un tas d'armes et d'objets variés,
il du butin ramassé pendant la cam-
pagne. On dirait qu'elles accompagnent une grande figure royale ou divine.
I. Akourjjal a été signale pour la première fois par Mcuiey. [!'■< (Iiigittr* orientales île l'Art, I. 1,
p. i\); on ne le connaît uuèrc jusqu'à présent que par le* monument!) de son père et de «on fils.
ï. Dessin de Fauelirr-Gnilîn, d'aprtt le bns-rclief du Liiuirc (tlcintiv, Iteconstruet ion partielle de ta
ttéle du roi Eannadou, dite Stèle des Vautours, pi. I, K<). l.'écuver delioul derrière le roi sur le char
est effacé; mais on voit encore distinctement le contour de l'épaule et celle îles mains qui tient les rênes.
3. Le nom de ce prince est lu fiannadou par ileutey, d'après Oppnrl et Ainiaud.
i. Isban-kî, lill. : • Pays de l'Arc ., est mentionné assez souvent dans les lentes de cette époque
(i»i>i-tHT, biieriptioiis arehaique* de trois brique» rhatdétmies, dans la llcrue d'Assyriologîe, l. II.
p. M"), sans qu'on sache trop où le placer.
;;. lletsin de Pauchrr-tludin. d'après te fragment de bat-relief du Musée du Louvre (MïiiEr-Smin:,
Dreourertct en Chaldée. |jI. 3, A).
LES VICAIRES DE I.AGASH. (SOT
peut-être celle du dieu Ninghirsou, patron de Lagash et de ses rois. L'en-
seigne que Ninghirsou lève d'une n
la hampe surmontée du totem prm<
l'aigle aux ailes éployées, dont 1
serres saisissent deux bustes de
lions adossés; de l'autre main, i;
abaisse lourdement la masse sur u
groupe de prisonniers qui se débai
tent à ses pieds dans les mailles
d'un large filet. C'est, comme en
Egypte, le sacrifice humain après
la victoire, la remise au dieu na-
tional d'une dîme de captifs qui
tentent en vain d'échapper à leur sort. La bataille fait rage à la seconde face.
T,i;„,.i,;,.n„nr,i,jni debout sui' un char que guide un
•ge l'ennemi avec ses gardes, et la
combre sous ses coups de cadavres
une bande de vautours l'escorte et
ite à coups de bec les bras, les jarn-
les têtes coupées des vaincus. Le
ccès assuré, i! revient sur ses pas
i rend à ses morts les honneurs fu-
nèbres. Les cadavres empilés régu-
lièrement forment comme une mon-
' tagne : des prêtres ou des soldats
vêtus d'un pagne frangé l'escala-
dent et vont répandre au sommet
les offrandes qu'ils apportent dans
leurs coufFes. Cependant le souverain a décrété en leur honneur l'exécution
d'une partie des prisonniers et daigne abattre lui-même un des principaux
chefs ennemis*. I^e dessin et l'exécution matérielle de ces tableaux sont d'une
I. Demi» de Faucher-Gitdin, d'âpre* le fragment de liat-rcticf du Musée du Lourre (IImu.v-Siriri:,
Découverte* tft Ckatdée. pi. 3, R).
■i, Dcisin de faurhrr-Gudin, d'après le fragment de bai-relief du Htuét du l.niirre [IlEiiiET-StHiEC,
Oérourerlet en CAaldée, pi. 3, C).
3. C'est le monument appelé Stèle de» Vautour*. H. Ilcuzey lui a consarré plusieurs arlirlc* fort
intéressants, qu'il a réunis pour la plupart dans ses Étude* d'Archéologie orientale, t. I, p. 43-8!;
le dernier paru {Reconstruction partielle de ta Slèle du roi Eannadou, dite Stèle des Vautours, Extrait
des Compte* rendit* de l'Académie de* Intctïptiont, 18;iâ, t. XX, p. S6Ï-3U) annonce la découverte
608 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
grossièreté remarquable', hommes et bêtes, toutes les figures ont des pro-
portions exagérées et des formes baroques, des gestes gauches, une démarche
incertaine et pesante'. Les sculpteurs d'idinghiranaghin ne sont que des ma-
nœuvres maladroits et barbares, au prix de ceux qui travaillaient pourNaram-
sin longtemps auparavant. Ils appartiennent à une école provinciale, d'origine
peut-être récente ; la fortune politique de Lagash avait été probablement trop
soudaine, pour que les ouvriers chargés d'en retracer le succès eussent eu le
1 lisir de s'instruire et d'épurer leur
style, à l'école des artistes qui vi-
vaient dans les villes puissantes de
toute antiquité. Ils ont donné aux
vaincus les mêmes traits qu'aux
vainqueurs et le même costume :
on pourrait donc chercher en
Chaldée l'emplacement du pays
d'Isban, et de fait, parmi les con-
quêtes qu'ldinghiranaghin s'attribue
dont il renvoit l'honneur à son dieu,
nui minivi i.r m nmi.i.h. on compte aumoînsunecitéchaldéenne,
Ourouk3. Si l'on songe, d'autre part, que la population des cantons de l'Êlam
les plus voisins ressemble à celle de la Chaldée par l'aspect et par l'habille-
ment, on sera tenté de reléguer l'Isban en territoire susien : Idinghiranaghin
aurait représenté les épisodes d'une de ces guerres qui se poursuivaient d'une
rive du Tigre à l'autre, avec dos avantages variés.
La prospérité de cette petite dynastie locale s'amoindrit promptement. Les
ressources dont elle disposait étaient-elles trop faibles pour qu'elle pût sou-
tenir longtemps l'effort et le poids de la guerre? des querelles intestines
n'amenèrent-elles pas plutôt son déclin? Ses rois épousaient plusieurs femmes
et s'entouraient d'une postérité nombreuse : Ourninà comptait au moins
de morceaux nouveaux qui permettent de mieux comprendre la disposition du moiiumenl. Les frafc-
menls sont reproduits en partie dans Hecht-Simxc, Décourertet eu Chaldée, pi. 3. 4.
1. Pour de* appréciations différentes en partie de ce monument, voir, outre les mémoires de
H. Ileuicy cités plus haut, F». Hères, Vebrr altchaldSisehe Kutvl. dans la '/.eitsrhrift fur Astyriologie,
t. II. p. îï-ïl. Une petite têle de in même époque sert de cul-de-lampe au présent chapitre, p. 530
de celle lliiloire (cf. Ilm irv-Simn:, Découvertes en Chaldée, pi. Î4, n- 1).
x. Dessin de Faurher-tiudin d'aprft le bat-relief du Louvre (Hjîi iey-Samec, Découvertes en Chaldée,
pi. 4 bis, n° t). Cf. un autre bas-relief du même souverain p. 707, ei l'explication probable de ces
plaques percées au milieu, p. 717. de celle Histoire.
3. Hei lEï-S.iaiEt. Découvertes en Chaldée, pi. 31, et Généalogies de Sirpourla, dans la Revue
il' A-'Ki/ri"hgie, l. II. p. Kl ; Uppmit, Inscriptions archaïques de trois brique* ehaldéennes, dans In llerue
of Assyrialogie. t. Il, p. R6-H7.
GOUDÉA. 609
quatre fils1. Ils confiaient souvent à leurs enfants ou à leurs gendres le gou-
vernement des bourgades diverses dont la réunion constituait la cité :
c'étaient autant de fiefs temporaires dont les détenteurs s'appelaient vicaires7.
Ce démembrement de l'autorité suprême, au profit de princes dont beaucoup
devaient incliner à se croire plus dignes du trône que celui qui l'occupait,
n'était pas sans danger pour la tranquillité ni même pour le maintien de la
dynastie. Il semble que des compétitions se produisirent entre les descen-
dants d'Idinghiranaghin, par lesquelles Lagash déchut rapidement. Tomba-t-elle
dès lors sous la dépendance de quelque État voisin, celui d'Ourou par exem-
ple? On ne le sait, bien que je le tienne pour vraisemblable8 : ses seigneurs
renoncèrent en tout cas, volontairement ou non, à la dignité royale et ne
s'attribuèrent plus que la qualité de vicaires*. Les textes nous attestent l'exis-
tence d'une demi-douzaine au moins de personnages issus d'Akourgal, Inanna-
touma 1er, son fils Intina5, son petit-fils lnannatouma II, d'autres dont l'ordre
demeure incertain, puis Ourbaou et son fils Goudéac. Ce furent tous gens
pieux à Ninghirsou en général, et en particulier au patron qu'ils s'étaient
choisi parmi les divinités du pays, àPapsoukal, à Dounziranna, à Ninâgal. Ils
réparèrent les temples et les enrichirent; ils y consacrèrent des statues ou
des vases d'offrandes pour leur salut et celui de leur famille. On dirait, à en
croire ce qu'ils nous racontent d'eux-mêmes, qu'ils coulèrent leurs jours dans
une paix profonde, sans autre souci que de remplir leurs devoirs envers le
1. Plusieurs bas-relief de Telloh nous le montrent entouré de ses enfants (Heuzey-Sarzkc, Découvertes
en Chaldée, pi. 2 bis, et Généalogies de Sirpourla dans la Revue d'Assyriologie, t. II, p. 82-84.
2. Akourgal paraît avoir été vicaire avant de devenir roi de Lagash, ainsi que son fils Idinghira-
naghin (Hkczey, les Généalogies de Sirpourla, dans la Revue d'Assyriologie, t. Il, p. 82-83).
3. « Je crois qu'il est difficile de ne pas voir » dans le changement de titre • un indice de la perte
de l'indépendance primitive de Sirpourla-ki et de sa sujétion à une autre ville, probablement la ville
d'Our.... Il est vrai que Goudéa nous apparaît comme un prince puissant.... » Mais « la dépendance
comporte bien des degrés, et elle peut être même purement nominale; la France a connu de grands
vassaux qui tenaient tète à la royauté » (Amiai'd, Sirpourla, p. 12-13). L'Egypte également, et ce qui
s'y passait sous la XIII* dynastie, vers le temps de Goudéa, nous explique la position des vicaires
en Chaldéc. Nous avons vu le rôle qu'y jouaient les princes de la Gazelle sous les premiers rois
de la XII" dynastie, et le prince d'IIermopolis Thothotpou érigeait des statues de lui-même au prix des-
quelles les statues les plus hautes de Goudéa sont de petite taille (cf. p. 341 de cette Histoire).
4. L'ordre de succession des rois et des Vicaires n'est pas entièrement cerlain. Heuzey (Études
d'Archéologie Orientale, t. I, p. 35-48) avait établi que les rois ont précédé les vicaires, et son
opinion a été adoptée jusqu'à présent par la plupart des assyriologues, Amiaud (Sirpourla, p. 8 sqq.),
Homrael (Gesckichte Babyloniens und Assyriens, p. 282 sqq., 295 sqq.), Winckler (Geschichte Baby-
loniens und Assyriens, p. 40-44).
5. Le nom de ce personnage a été lu également Entéména (Jensen, Nachlrag zu den Inschriften der
Kônige (Herren) und Stat thaï ter von Lagasch, dans la Keilsckriftliche Bibliothek, t. IIP, p. 72.
note 2). On a trouvé à Ni pour les fragments de vases qu'il offrait au dieu Bel de cette ville (Helphf.cht,
The Babylonian Expédition of the University of Pensylvania, t. I, p. i9).
6. Leurs inscriptions ont été traduites par Amiaud (The Inscriptions of Telloh, dans les Records
of the Past, 2ad Ser., t. I, p. 42-77, et t. II, p. 72-108, et dans Hemey-Sarzec, Découvertes en Cita Idée,
p. I sqq.), et par Jensen (Inschriften der Kônige und Statlhaller von Lagasch, dans la Keilschriftliche
Bibliothek, t. III, 1" partie, p. 16-77), après Amiaud.
HIST. ANC. DE L'ORIENT. — T. I. 77
Gin LA CIIALUÉE PRIMITIVE.
ciel et envers ses ministres. Leur existence réelle, si nous y pénétrions, nous
apparaîtrait sans doute moins douce et surtout moins uniforme; les révolu-
tions de palais n'y manquèrent pas, ni les luttes contre les autres peuples de
la Chaldée, contre la Susiane, même contre des pays plus lointains. Goudéa,
fils d'Ourbaou, sinon le plus puissant d'entre eux, celui dont nous possédons
'" plus de monuments, prit la ville d'Anshan
n Ëlam, et ce n'est peut-être pas la seule
campagne qu'on doive lui attribuer1; mais
il parle de ses succès par occasion, et
comme s'il était pressé de passer à des
sujets plus intéressants. Ce qu'il estime
important dans son règne, ce qui le
recommande surtout à l'attention de la
postérité, c'est la beauté, la grandeur,
la quantité des Fondations pieuses. Les
dieux eux-mêmes l'avaient inspiré dans
ses dévotes entreprises, et lui avaient
révélé les plans qu'il Fallait exécuter.
Un vieillard d'aspect vénérable lui était
apparu en songe et lui avait ordonné de
àtir un temple; comme il ne savait à qui il
it à faire, Nina sa mère lui apprît que
son frère, le dieu Ninghîrsou. Ce point éta-
le ucitricn*. bli, une jeune femme, armée du stylet et de la
tablette à écrire, s'était offerte à lui, Nisaba, la sœur
de Nina : elle avait dessiné sous ses yeux et elle lui avait montré le modèle
complet d'un édifice'. Il se mit à l'œuvre avec amour, et il envoya cher-
cher les matériaux aux contrées les plus lointaines, au Màgan, à l'Amanos,
au Liban, dans les monts qui séparent le bassin du haut Tigre de celui de
l'Kuphrate. Les sanctuaires qu'il orna et dont il se sentait si fier ne sont
plus guère aujourd'hui que des amas de briques retournées à l'argile; mais
beaucoup des objets qu'il y avait déposés, et surtout les statues, ont traversé
I. Wincltlnr (l'ntersiichmigen, p. 41-J.i, ut Gftehiehte, p. 41-1-1), Jenscn (Keihchri/lliihe liibliathek.
I. Ml, I™ partie, p. 7-8). Sur le lien 1res étroit qui rattache les vicaire* de t.agash au vieun roi
Ournina, (T. Ilcithv, les tiihifalogie* de Sirjmurln, dans In Revue d'Aityriologie. I. Il, p. Ri «qq.
S, Dei'i» de Faucher-Gudin, iFaprèi le bas-relief du Louvre (Heiiiky-Saiuic, Dêroucerles en Chal-
di'e. pi. 43).
3. Zihkiix, Bat Traumgctichl Gudca!, dans la Zeihchrifl flir Aesyrio/ogir, t. III. p. Î3Î-Ï35.
LES BAS-RELIEFS ET LES STATUES DE fiOUDÊA. (ill
les siècles sans trop de dommage, avant d'entrer au Louvre. Les sculpteurs
de I.agash s'étaient adressés à bonne école depuis Idinghiranaghin , et ils avaient
appris leur métier. Leurs bas-reliefs ne valent pas celui de Naramsin; le
faire en est beaucoup moins fin, le dessin moins pur, le modelé moins bien
étudié. On en jugera par le fragment de stèle ca1""»"
qui représentait les épisodes d'une scène d'of-
frande ou de sacrifice1. On distingue, au re-
gistre du bas, une chanteuse, qu'un musi-
cien accompagne sur une lyre ornée d'une
tète de bœuf et d'un taureau passant. Au
registre supérieur, un personnage s'avance,
vêtu du manteau frangé, et tenant à la main
droite une sorte de patène ronde, à la gauche t
bâton court. Son acolyte le suit, les bras
ramenés sur la poitrine; un homme marque,
en frappant dans ses mains, le rythme de la
mélopée que récite un chanteur pareil à celui
de l'autre registre. Le morceau a souffert et
l'on en devine le détail plutôt qu'on ne
l'aperçoit réellement; mais l'aspect fruste
qu'il a reçu du temps le sert plutôt, et dis-
simule un peu la rudesse de la facture. Les
statues au contraire témoignent d'une sûreti
ciseau et d'une science incontestables. Ce n'est pas
qu'on ne puisse y relever beaucoup de défauts'. lilles sont trapues, épsusses,
massives de formes, écrasées par le poids de la couverture de laine dont les
Chfildéens s'enveloppaient : elles étonnent et rebutent quand on les aborde,
l'oeil encore charmé de la grâce svelteet parfois même un peu grêle qui carac-
térise d'ordinaire les bonnes statues de l'ancien et du moyen empire égyp-
tiens. La première impression surmontée, on ne peut qu'admirer l'audace
avec laquelle les artistes ont attaqué la matière. C'est une dolérite compacte,
1. Iiurription B, I. fil-69; cl". Ailino, The hue
¥• Ser.. t. II, p. Si, et dans Ikncv-SmiKc, Mrouv
KOnige u,id Slaltliallcr iw l.agaicli, dons In Keihehrifltiche BiblioOiek, I
ï. Dmin île Faue/ier-Gudiii (IlEi iKï-SiHiKt. ruuiltr* eu Chaldée. |il. SU).
3. Hki'iey-Saium. Décourerte* en tlhalMe, pi. !>-4». l'orrol-Chipiez [Iliituirc île fArt, t. Il, |i. ïï!«-
»!■!•) e» ont fait ressortir les mérites et les défauts; cf. Urruir. Die framosutheu AutgyabHinjeii in
C.haldxa, dans le» Verhandtungcn du IV CoiiKrés des O rie iiln listes. I. II. p. Ï3<i-Ï3K. H h'n. llthiK,
Veber allchaldùuclie Kuusl. dans la Zeittrhrift far AtsyrMoqie, t. Il, p. ï^3.'i.
612
LA CHALDËE PRIMITIVE.
Petites tombas
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PLAN DES RUINES
DE
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K^nuJaJUfià courait le fcmtf do 1» pln.i» -forrtvo ,
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est copstruitçlaînaison . .
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■ Tertre forme '--. •• ; f' "? ., \ '
' ^parle^tomTïe» ' '< ■■, s '•■ '
> ; &A ; x>-.r l .;- v- s n ■•■;
_e
rebelle à la pointe, plus dure peut-être que le diorite dans lequel le Memphite
avait taillé son Khéphrèn : ils ont réussi à la dompter et à la manier aussi
librement que s'il se fût agi d'un calcaire ou d'un marbre. Les plans de la
poitrine et du dos, la musculature de l'épaule et du bras, le détail des mains
et des pieds, tous les nus y sont traités avec un mélange de largeur et
de minutie, qu'on n'est pas
accoutumé à rencontrer dans
les mêmes œuvres. La pose
manque de variété : le
personnage , homme ou
femme, est tantôt debout,
tantôt assis sur un esca-
beau, les jambes rappro-
chées, le buste assuré sur les
hanches, les mains croisées
contre la poitrine, dans le
geste de la soumission ou de
l'adoration respectueuse. Le
manteau passe sur l'épaule
gauche, laisse la droite à
découvert et vient se fermer
sur le sein droit, en ébau-
chant quelques plis gauches
et enfantins : il s'évase de
haut en bas, fait cloche autour du tronc et des cuisses, et dégage à peine
le bas de la jambe. Toutes les statues de grande taille qu'on voit au Louvre
ont été décapitées ; nous possédons par bonheur un certain nombre de têtes
séparées de leur corps1. Les unes sont entièrement rases, les autres portent
une manière de turban dont l'ombre s'abat sur le front et sur les yeux;
on remarque chez toutes le même ensemble de qualités et de défauts que
dans les corps, la dureté de l'expression, la lourdeur, l'absence de vie,
mais aussi la vigueur du rendu et la connaissance exacte de l'anatomie
humaine. Voilà ce qu'on savait faire dans une ville de second ordre; on
faisait mieux sans doute dans les grandes cités comme Ourou et Babylone.
I. Outre celle qui est reproduite p. 613 de cette Histoire, en voir une autre de même taille à peu
près, mais qui n'est point coiffée du turban, dans IIkizly-Sauzkc, Découvertes en Chaldèe, pi. 12, n° t.
t> * ^
Ta ■ jn- ° ,
L.77uxiI!i*r,eW.
CL.b.C.d.C.f _ FjwtjJvUhUdT
par Tcuflor .
OUROl) ET SA PREMIERE DYNASTIE. 613
L'art chaldéen, tel que nous l'entrevoyons à travers les monuments de
Lagash, n'avait ni la souplesse, ni l'animation, ni
l'élégance de l'art égyptien, mais il n'était dépourvu
ni de puissance, ni d'ampleur, ni d'originalité.
Ouminghirsou remplaça
son père Goudéa; puis
plusieurs vicaires se suc-
cédèrent rapidement l'u
à l'autre, dont le demie
parait avoir été Galalama'
Ces personnages étaient le:
humbles vassaux du roi
d'Ourou , Dounghi , (ils
d'Ourbaou1, ce qui per-
itTK n'nm nus smuts ue telloh1 met ('e croire qu'Our-
baou était le suzerain,
de qui Goudéa lui-même relevait1. C'est en effet avec
Ourbaou et Dounghi que la cité d'Ourou entre dans
l'histoire, non qu'elle n'ait eu avant eux une ou plu-
sieurs dynasties de souverains, mais ils sont les pre- ST,,rt de cmmu*.
miers que nous connaissions. Ourou, la seule parmi
les villes de Basse-Chaldée qui s'élevât sur la rive droite de l'Euphrate, était
petite mais forte, et bien placée pour devenir un des entrepôts principaux du
commerce et de l'industrie en ces temps reculés1. L'Ouady Roumméîn amenait
The Imrri/rfioHJi of Teltoh, dan* U-t Hrc.ord, of Ihe l'ail, 4"< Scr., !. Il, |i. Mli-IDK, ri |uir Jkssen. Die
liisrltriftcn der Kônige und Slntthatler von Lagtuch, dans la Keilichriftlkhe Uibtiolhek, t. III,
I™ partie, p. 86-71, "4-ï".
t. Va personnage nomme Ouniinjinirsoii dédie i'i la déesse Minlil, pour la vie il u roi l)oun|!hi. une
[ictilc perruque, mollit' en pierre, eouservée aujourd'hui au Musée de llcrlin; M. Minrkler reconnaît
en lui l'Ourniugliirsou qui fut lits de Coudéa et lui succéda {Viilenuehungcu, p. 14, 1,'i7, a° 7, cl
Ceiirhir/ilr, p. l:i ; cf. DtLirjsiiH-JliHUTkit, tieichichte, S* éd., p, 79), Ile mémo Caialama consac re une
stalue aujourd'hui brisée (IIeeikv-Saiiie.:, Déconcertes en ClmldSe, pi. il, n" 4| à llaou, la mi-re de
Lagash, pour la vie de Dounghi (Aïiiin, The Imcriplion» of Teltoh, dans les Ueeurds, t'' Scr., I. Il,
p. 1(18*. Jessen, Bit tn*r.hrifti:u /In- Kimi/jr. diins la Kcilichrifllichc Uibtiolhek, 1. 111, I" partie, p. 711-71).
'A. Dénia de Foiieher-Gudiii (Hmin-SiKiEr, Dèiourtrlei en Chaldee, pi, \î, n° I). Cf. la pulitr trie
qui sert de rul-de-lampe au sommaire de ce chapitre, p. 536 de celte Histoire (llr,i:j.F.r-S.tniEC, Dérou-
rerle' en Chaldee, pi. 6, n' 3).
t, WisciLEn, Unlerturliungen, p. 44, et tietchiehle, p. 411, 44-13; Rclil/srli-llurdler (Octefiii-htr.
»■ éd., p. 7M) iiduie.l liifitniiii'cit le Tait en faisant d'Ourninghirson le vassal de Dounghi.
5. Dessin de r'auehcr-Gudin, d'âpre* Hkivrï-Sikiih:. Iii'trmvi'rti:- n\ l.haldi'e, pi. 13.
6. Les ruines d'Ourou, à Houghélr, ont «le eiplorées et décrites par Taylor (.Vo/e* ou Ihe Haiii* of
Mugeyer, dans le Journal of Ihe Atiatic Society, 1835, I. XV. p. 460 sqq.) «t par l.oflus (Traveti and
Researches in Chatdiea and Suiiana, p. 147-13:1). Iloinmel a réuni avec soin la plupart îles dominent--
chaldéens relatifs à la ville antique, à ses édifices, au lemps et à la nature de leur construction [Die
LA CHALDÈE PRIMITIVE.
non loin d'elle les richesses de l'Arabie centrale et méridionale, l'or, les
pierres fines, les gommes et les résines odorantes nécessaires au culte.
Une autre route jalonnée de puits pénétrait à travers le désert au pays
demi-fabuleux de Màshou, et, de là peut-être, jusqu'à la Syrie méridionale et
à la péninsule Sinaitique, le Màgan et le Miloukhkha des bords de la mer
Itouge ' : ce n'était pas la
voie la plus facile, mais c'é-
tait la plus directe pour qui
voulait se rendre en Afrique,
et les produits de l'Egypte
la suivirent sans doute afin
de gagner plus vite les mar-
chés d'Ourou. L'Euphrate
coule maintenant à près de
huit kilomètres au nord de
la ville, mais il en était
moins éloigné jadis et pas-
sait presque aux portes. Les
cèdres, les cyprès, les sapins
de l'Amanus et du Liban, les
calcaires, les marbres, les
pierres dures de la Haute-Syrie le descendaient en bateau, et probablement
aussi les métaux des régions voisines du l'ont Eux in, le fer, le cuivre, le
plomb1. D'autre part le Shatt-el-Hai aboutissait dans l'Euphrate presque en
faee de la ville, ^et détournait vers elle le tralic qui s'opérait sur le Tigre supé-
rieur et sur le Tigre moyen7'. Et ce n'est pas tout : pendant qu'une partie de
ses matelots courait les canaux et tes Ile mes, l'autre battait les eaux du Golfe
ScmitLehe» lotkrr, p. itll-ill; CrieAichte, p. SIMI8). Les misoiffneuieiit» donnés ici sur le com-
merce d'Ourou sont emprunté* oui inscriptions de Coudéa : In sphère d'activité de l'État vassal devait
représenter à peu près exactement celle île l'État suzerain. On trouvera les passades réunis clans
Aminm! (Sirpourta, |i. I3-I.'i). Homme! (tinchichtt, p. ;tï3-3ÏU), Terrien de Lacouperie (An unknotrn
hiug of Laqaih, dans le Babglouian rmd Oriental tleeord, I. IV, p. llta-ÎOS).
I. Sur ces deux routes, cf. Dii.itthk, l'Atic Occidentale dan* lu Inscription! Aiiyriennei, p. 133-111.
t. Il résulte des invriplimis de llrntiica que les cèdres et les autres bois de construction néces-
saires aui temples provenaient de l'Amanus (Statue il. eol. V. I. ÎS sqq.; Anuup, Tlic Imcriptiom
of Tclloh, dans les Itérants of tke Paît, V* Sur., t. II. p. "y), et la longueur même des poutres
prouve qu'elles devaient venir par eau, comme liois llolté. Lei monts de l'hcnicie, le Liban ou l'Anti-
liiiiin, fou mi '.surent [es divr-v.es espère* de jiierre eiiipluyées pour le revêtement des parois, ou pour
l'encadrement des portes (lit., col. VI, I. S-ill; cf. Ilnizn-Svs*.e, Urrouvrrtet en Chaldér, ].. IX-XI).
It. Si les monts rie Tilla (Anne*, The. liiK--iiptio.it of Triton, dans les Ilrcnrdt of the Paît, *•' Scr.,
1. II. |>. SI), note i] peuvent être places près de la ville de Tel a. dans les montagnes qui séparent le
haut Tirire du moien Éiiphrale. c'est par la voie du Shatl-el-llal que devaient arriver les bois de
relte région mentionnés sur la Statue II de Coudé», col. V, I. 33 sqq.
LE COMMERCE MARITIME [l'OUROU. 615
Persique et en exploitait les côtes. Értdou qui, seule, aurait pu lui barrer
l'accès de la mer, était une ville religieuse et ne vivait que pour ses temples
et pour ses dieux ' ; elle tomba promptement sous l'influence de sa puissante
voisine et devint la première escale des navires qui remontaient l'Euphrate.
Les Chaldéens manoeuvraient sur le Tigre, au temps des Grecs et des Romains.
des esquifs ronds à fond plat, tirant fort peu d'eau, de véritables touffes, ou
des radeaux juchés sur des outres gonflées, identiques d'aspect et de con-
struction aux kelrks de nos jours5. Les keleks tiennent la mer aussi aisément
que la rivière et on en rencontre encore qui cabotent sur le Golfe Persique.
On en trouvait bien certainement un grand nombre parmi ces navires d'Ourou
que les textes nous signalent* : mais on y voyait aussi de ces longues
1. Voir le plan d'Ê ridou à la p. RU de cette Bùtoirc. Sayee (The Iteligion of the. Ancient iiabylo-
Nictnt, ['. I3i-I3;i) suppose qu'Kridou dut être un porl fréqucrilé dans II haute antiquité chaliliVrme ;
en ce cas, elle avait cessé de l'être a l'époque qui nous occupe, ainsi que cela semble résulter du
peu de place qu'elle lient dans les inscription» de Goudéa (Tebrieh de Lacoiipmiie, An vnknoien Km g
of Lagath, dans le Babylonian and Oriental lleeard, I. III. p. SUS).
i. iïtêsin de r'aucher-Cudin, d'tiprrx le croquit de Uhkssfv, Euphratet Expédition, I. I, p. 640.
3. La description des bateaux en usage 8ur 'e Tigre a été donnée très fidèlement par Hérodote
(I. «ciï). Le terme employé pour les désigner est koujfa [Chssmi. Euphiate* Expédition, 1. Il, p. C4(l)
ou panier, cf. p. 5*î de cette Ilittoire. Les kelcki étaient employés pour la piralerie (Pline, II. Sut..
VI, 34) ou pour le commerce (Feriplut mari* Erytbrri, g 47, dans MClleh-IIipot, Geographi (irseri
Minore; t. 1, p. 238-270) par les Arabes de la cote : ils servent encore au> mêmes usages chez les
riverains du Golfe Persique (Sprejwer, Die Allé Géographie Arabient, p. 1Î3).
4. Ainsi la liste publiée dans les Cun. Int. Weit. Ana, t. II. pi. 46, n» l, col. I, I, 3. et qui a été
traduite par r'R. Lemnumnt, Eluda Accadiennei, t. III, p. 190-134.
616 LA CHALDÉE PRIMITIVE.
barques aux extrémités très relevées et d'allures égyptiennes, marchant à la
rame, qui sont dessinées grossièrement sur un certain nombre de cylindres
antiques1. Ces flottes primitives n'affrontaient pas volontiers le large. Elles
se traînaient péniblement en vue du rivage, et ne s'en détachaient que par
occasion, quand il fallait rallier quelque groupe d'îles prochaines; des jours
et des jours de navigation leur suffisaient bien juste à fournir des traversées
que le moindre de nos voiliers achève directement en quelques heures, et
leurs voyages les plus longs pour la durée les conduisaient à fort peu de
distance de leur point de départ. C'est se tromper étrangement sur leur
compte que de les supposer capables de contourner l'Arabie entière et d'aller
charger des blocs de pierre au Sinai : pareille expédition, périlleuse même
aux galères grecques ou romaines, aurait été impossible pour elles*. Si elles
franchirent jamais le détroit d'Ormuzd, ce fut de peu et par exception : leur
activité s'enferma à l'ordinaire dans les limites du Golfe. Les marchands
d'Ourou visitaient régulièrement l'île de Dilmoun, le pays de Mâgan, celui de
Miloukhkha, celui de Goubîn;ils en rapportaient des cargaisons de diorite
pour leurs sculpteurs, des bois de charpentes pour leurs architectes, des par-
fums, des métaux qui arrivaient de l'Yémen par les voies de terre, peut-être
les perles des îles Bahréîn. Les marins de Dilmoun et de Mâgan leur faisaient
une concurrence sérieuse, les tribus du littoral devaient écumer les mers
alors comme aujourd'hui3 : le risque était grand pour ceux qui partaient, de
ne jamais revenir. Du moins le profit était-il considérable. Ourou, enrichie
par son commerce, soumit tous les petits États du voisinage, Ourouk, Larsam,
Lagash, Nipour. Son territoire forma un royaume assez étendu, dont les
maîtres s'intitulèrent souverains de Shoumir et d'Akkad et dominèrent pen-
dant plusieurs siècles toute la Chaldée méridionale4.
1. Mknant, Hccherches sur la Glyptique orientale, t. I, p. 99-100, pi. Il, 4.
2. C'est pourtant l'opinion de beaucoup d'assyriologues, Oppert (Die Franùhischen Ausgrabungen
in Chaldœa, dans les Abhandlungen des Y,en Oricntalisten-Congresses, Semitische. Section, p. 238).
Winckler (Geschichle, p. 43-44, 347-328), appuyée par Brindley et Boseawen {Journal of Transactions
of Ihe Victoria Institut?, t. XXVI, p. 283 sqq.). D'autres se sont élevés contre cette hypothèse à la
suite de Perrot (Comptes rendus de V Académie des Inscriptions, 1882, et Histoire de VArt, t. Il, p. 588,
note 2); ainsi Hommel (Die Setnitischen Vôlker, p. 217-218, 459-460, et Geschichle, p. 234-235).
3. Les vaisseaux de Dilmoun, de Mâgan et de Miloukhkha sont mentionnés à côté de ceux d'Ourou
(Rawlinson, Cun. Ins. W. Asia, t. II, pi. 46, col. 1, 1. 5-7 ; Fr. Lï.xokx kxi, Études Accadiennes, t. III, p. 190).
4. La définition de l'expression Shoumir et Accad n'est pas encore complètement établie. Ces
deux mots, qui entrent dans le titre de tant de princes Chaldéens et Assyriens, ont été l'objet de
nombreuses hypothèses dont il serait trop long de faire l'histoire : Pognon le premier montra qu'ils
marquaient deux parties du territoire soumis aux rois de Babylone, Accad un canton confinant à l'As-
syrie, Shoumir un canton de site incertain (VInscription de Bavian, p. 125-134), et depuis lors la
plupart des assyriologues ont admis qu'Akkad désignait de préférence la Haute, et Shoumir la Basse-
Chaldée. M. Winckler a voulu prouver récemment qu'avant de s'étendre à la Chaldée entière,
Shoumir et Akkad ou, en langue non sémitique, Kiengi-Ourdou, avait eu un sens plus restreint et
OURBAOU LT DOUNGHI. 617
Ourbaou, le plus ancien d'entre eux, régnait vers 2900'. Il construisit sans
relâche, et le pays garde encore partout les traces matérielles de son activité.
Temple du Soleil à Larsam, temple de Nina dans Ourouk, temple d'Inlilla et
de Mnlilla dans Nipour, il embellit ou restaura tout ce qu'il ne bâtit point : à
Ourou même, îl commença le sanctuaire du dieu Lune et releva les fortifica-
tions de la ville1. Dnunglii. son fils', fut comme lui un remueur de briques
s était appliqua a un royaume cl.- la ifcaidi •■ iilionulo. celui dont Ourou était la capitalu (Sumer
und AkÂad. dan» le« Hitttilungen des Akadtmiseh-Orientnlisehen Vcreins, I. I, p. 6-14, tluteran-
ehungtn. p. fis «qq . GeschUMe, p. 19-*". *S-1S, etr.). Lehinaim a combatlu celle opinion {Scha-
maithsrHOUm-'uttu, IWny i»" llabytonten, p lis sqq.), et la question demeure encore douteuse.
Il lla«lin*on Ip lut l rukh (Ou the Ea-ly Hi*t"'y of Ihiliytonia, dans G. Hawlinsuh, llerodolus, I, I,
p J'.W.t) et Mincis lluriyak [Jonmnt of Soered Litrralurt and Uibtical Retord, 18I1S) en souvenir
du roi Ariok mentionne incidemment dan» la Cenèse (XIV, i) ; Opperl [Expédition en Mésopotamie,
t. I. p ïilti. noie i. cl Histoire dtt Empérrs dt l.haldéc et d'Assyrie, p. III sqq.] prédira se rappeler
te pattr Orchtunm d'O.ide [Metam-irphosts. I- IV, ttt) et proposa sans illusion la lecture L'rkhani,
ilrlheiu. qui piVialut quelque temps, tin a ni depuis Ourbugns, Ourbagous, l.ikbagas, llabagas, Our-
balii, l.ikbabi. Tasbabi IUioBn.it, Trt monument' flaldei td Assiri drllr eoUeiioiti romane, p. 11-13),
Aroilapsi (Sib«imr-II«ci, ti-e heitiuschnfUn und dm Allé Testament, V édil., p. 'Jt, note lî'JI,
Unrêa ou Aradéa (Ko. ïtrt», t.ttchi.hte dtt AHerthums, t. I, p. ICI, note I, d'après Dmiiscs),
Durbau.iiurhan (IIouhfl, Dit Semitiichen ltdl.tr. I. I, p. 3811, V.esehUhtc Rabyloniens and .Umjriens,
p. 331 sqq.). Ourgour (DfLinuit-Mfitorui. l'.rtchnlile llnbtjluniens und Assyriens, ï" éd.. p. 77-78).
I.a lecture Ourbauu nc»l pas certaine : c'est, avec Ourgour, celle que la plupart des sssjrioJojiiies
emploient de préférence pour le moment
î llfi'in dt VautlierJ'.udiH. dnprc* un bai-rtl'tf de Koi/oandjUi (l.iv ibip, The Monument* of Sine-
wA. t" Ser , pi. 13. cf. !•■,.«, Simvt tt CAi'yir. pi. 43. n* 1).
3 Larsam, inscription sur une brique provenant d'une tombe (lUwLMSini, Cuh. Ins. H". Al., t. I,
pi. 5, 0" I, 7); Ourouk, inscription dune brique de Warka ((,'. 1. IF. As., t. I, pl. I, n> I, li|; pour
Nipour. inscriptions sur pierre noire cl -ur brique, découvertes a Niffcr (C. I. H', As., t. I. pl. I,
n* I, 8-9); Ourou, inscriptions sur briques et cernes provenant de Moughétr (C. 1. II". As., t. I, pl. ),
«• t. 1-5) el pa*sauc d'un cylindre de >aboua1d [C. I. II'. Al., t. I, pl. «6, n- I, eol. t. I. o-*7). Ces
iliK-umi-iilt ont élê réunis cl traduit» par lipperl [Histoire des Empira de VJtaldée el d'Assyrie,
p tG-iO). par Smith ir.nrtu lliitory nf liabytonta. dans les Transactions de la Société d'Archéologie
Biblique. I. I. p 34-3.-.), par Menant ( Uabyftmt tt la V.hatdée, p. 73-75), par Winckler [Insrhriften ion
hoii'gen ma Humer und Ahhad. ddns I., heitsthrtftlirht lliblialhek, t. III. 1" partie, p. 7(1-81).
t Le nom, lu d'abord llgi. Hlgi. se prononce aujourd'hui Dounghi eu général : la lecture Soulgi
(ScBBti.ta, heititàtiflm nnd t',tsrhrehtr.forichunq, p. 84) ne s'est pas maintenue. Le son et le sens en
Aine kler i Inscloiften von KOaiyn voit Sumer und Akkad, dans la Keil'ehrifttiehc
618 LA CHALUËE PRIMITIVE.
infatigable : il termina le sanctuaire du dieu Lune et travailla dans Ourouk.
dans Lagash, dans Routa1. Nous n'apercevons nulle part dans les inscriptions
qu'il nous a léguées la mention d'une guerre civile ou d'une lutte soutenue
contre l'étranger : on se tromperait grandement si l'on concluait de ce silence
que la paix ne fut jamais troublée. Le lien qui rattachait les petits États dont le
royaume d'Ourou se composait était des plus lâches. Le suzerain ne possédait
guère en propre que sa capitale et le territoire qui l'entourait : les autres
cités reconnaissaient son autorité, lui payaient un tribut, lui devaient l'hom-
mage religieux et sans doute aussi le service militaire, mais elles conservaient
chacune sa constitution spéciale et ses seigneurs héréditaires. Ceux-ci perdaient,
il est vrai, le titre de roi dont leur suzerain seul avait le droit de se parer,
et se déclaraient simplement vicaires de leur ville; mais, leurs obligations
féodales une fois remplies, ils exerçaient tout pouvoir sur leurs anciens
domaines, et ils transmettaient librement à leur postérité l'héritage qu'ils
avaient reçu de leurs pères. C'est ainsi que Goudéa probablement, ses petits-
lils à coup sûr, gouvernaient Lagash comme fief mouvant à la couronne
d'Ourou1. A l'exemple des barons égyptiens, les vassaux des rois de Chaldée
se laissaient mener sans trop regimber contre le joug, tant qu'ils se sentaient
tenus de court par une main énergique : ils se reprenaient à la moindre
défaillance du maître et s'efforçaient de recouvrer leur indépendance. Tout
règne qui durait était presque nécessairement agité par des révoltes qu'on
ne réussissait pas toujours à comprimer : si nous n'en connaissons aucune,
c'est que les inscriptions découvertes jusqu'à ce jour sont tracées sur des
Bibliothek, t. III, in partie, p. 80, note 3) pense qu'il répondrait dans la langue sémitique à quel-
que chose comme Baou-oukln.
1. Achèvement du temple d'Ourou indiqué par le passage déjà cité du cylindre de Nabonatd (Raw-
linson, Cun. /. \Y. As., t. I, pi. 68, n" 1, col. 1, 1. 5-27), confirmé par la découverte à Moughéir de
ruines au nom de Dounghi (C. I. \Y. As., t. I, pi. 2, n° II, 1-2); constructions dans le temple d'Ou-
rou k {C. I. \Y. As., t. I, pi. 2, nn3); construction d'un temple de Ninmar à Ghirsou, sur une pierre
noire trouvée à Tell-ld ((',. /. \Y. A*., t. I, pi. 2, n° 2, A); constructions au temple de >ergal à Routa,
d'après une copie faite sous le second empire babylonien du document original (Pinches, Guide (o the
yimroud Central Salon, p. 61»; Winckler, Sumer und Akkad, dans les Milt. des Ak. Orientalischcn
Ycreins, t. I, p. 11, 10, n° 1; Amiacd, l'Inscription assyrienne de Doungi, dans la Zeilschrift fur
Assyriologie, t. 111, p. 04-1)5). Ces documents ont été réunis et traduits par Smith (Early Bis tory of
Iiabylonia, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. I, p. 36-37) et par Winckler
(Inschriften von Kônigen von Sumer und Akkad, dans la Keilschriftlivhe Bibliothek, t. III, \— partie,
p. 80-83). Ilommel {Geschichte, p. 337) croit pouvoir étendre l'autorité de Dounghi jusque sur ISinive :
Amiaud a montré {l'Inscription assyrienne de Doungi, dans la Zeitschrift fur Assyriologie, t. III,
p. 1)1-05) que le document sur lequel Ilommel s'appuie s'applique au quartier de Lagash nommé Nina
et non pas à la ville de Ninivc en Assyrie.
2. Cf. p. 613 de cette Histoire. On peut citer à côté des princes de Lagash: Khashkhamir. prince de
la ville d'Ishkounsin sous Ourbaou (IUwlinson, Cun. I. \Y. Ah., t. I, pi. 1, n° 10), Killoula-Gouzalal, lils
d'Ourbabi, prince de Kouta (C. I. \Y. As., t. IV, pi. 35, nJ2; cf. Amiaud, l'Inscription H de Goudéa,
dans la Zeitschrift fur Assyriologie, t. II, p. 21U-203), et Ourananbad, lils de Lougalsharkhi, princes
de Nipour (Mknant, Catalogue de la Collection de Clercq, t. I, pi. X, n" 86; cf. Aiuin, l'Inscription //
de Goudéa, p. 2!>5-2l)0) sous Dounghi ; cf. le cylindre de ces derniers, p. 623 de cette Histoire.
LES ROIS DE LARSAM. DE NISHIN ET D'OUROl'K. 619
objets où un récit de bataille n'aurait pas été à sa place, sur des briques
provenant d'un temple, sur des cônes ou sur des barils en terre cuite
voués aux dieux, sur des amulettes ou sur des cachets privés. Nous ne savons
encore qui succéda à Dounghi, ni combien d'années traîna cette première
dynastie d'Ourou : nous devinons seulement que son empire finit par
s'émietter au bout d'assez peu de temps. La plupart des villes s'émanci-
pèrent, et leurs chefs se proclamèrent rois de nouveau1. On vit ainsi un
royaume d'Àmnanou se dresser sur la rive gauche de l'Euphrate avec Ourouk
pour capitale, et trois rois au moins y persister, dont le plus actif semble
avoir été Singashid*. Ourou gardait néanmoins assez de prestige et assez
de richesse pour demeurer la métropole réelle du pays entier. Il fallait s'y
faire introniser solennellement dans le temple avant d'être seigneur légitime
de Shoumir et d'Àccad3. Tout ce qu'il y eut pendant plusieurs siècles de
roitelets ambitieux se la disputa et y résida tour à tour. Ce furent d'abord,
vers 2500, les sires de Nishin, Libitannounit, Gamiladar, Ishmidâgan*; puis
Goungounoum de Nipour s'empara d'elle vers 2400*. Les descendants de
Goungounoum furent dépossédés à leur tour par une famille originaire de
Larsam, dont les deux principaux représentants sont pour nous Nourramman
et son fils Sinidinnam (vers 2300). Sinidinnam construisit des temples ou en
répara, cela va de soi ; mais de plus il nettoya le Shatt-el-Haî, il creusa un
canal nouveau qui établissait une communication plus directe entre le Shatt
et le Tigre, et, régularisant le régime des eaux, il mérita d'être considéré
comme un des bienfaiteurs de la Chaldée 6.
Poussière d'histoire, plus qu'histoire véritable : ici un personnage isolé qui
se nomme et s'évanouit quand on veut le saisir, là un tronçon de dynastie
qui se rompt brusquement, des protocoles emphatiques, des formules dévotes,
1. L'ordre et la durée de ces dynasties locales ne sont pas assurés : l'arrangement que j'ai adopté
diffère sur quelques points de ceux qu'ont préférés Tiele {Assyrisch-Babylonische Geschichle, p. 116
sqq.), Delitzsch-Miirdter (Geschichle, 1*é Ed., p. 79 sqq.), Winckler (Geschichte Babyloniens und Assy-
riens, p. AA sqq.), Hommel (Geschichle Babyloniens und Assyriens, p. 338 sqq.). La prédominance
d'Ourou est le seul fait certain qui résulte de toutes les recherches entreprises jusqu'à présent.
2. Les inscriptions de Singashid, de Singâmil et de Bilbaouakhi, les trois seuls de ces rois qui nous
soient connus, ont été réunies et traduites en dernier lieu par Winckler (ïnschriften von Kônigen von
Sumer und Akkad, dans la Keilschriftliche Bibliothek, t. III, lre partie, p. 82-85).
3. Ce fait, qui domine toute l'histoire de la Chaldée méridionale à cette époque, a été fort heureu-
sement mis en lumière par Winckler (Untcrsuchungen sur allorientalischen Geschichle, p. 15 sqq.).
A. Voir les principales inscriptions de ces rois de Nishin ou d'Ishin chez Winckler (ïnschriften von
Kônigen von Sutner und Akkad, dans la Keilschriftliche Bibliothek, t. III, 1rc partie, p. 8-1-87).
5. Goungounoum et ses successeurs forment ce qu'on appelle la seconde dynastie d'Ourou. Leurs
inscriptions ont été réunies et traduites en dernier lieu par Winckler (ïnschriften Kônigen von
Sumer und Akkad, dans la Keilschriftliche Bibliothek, t. IV, lr# partie, p. 86-93).
6. Fr. Delitzsch, Ein Thonkegel Sinidinnam' s, dans les Beitrâge zur Assyriologie, t. I, p. 301-311.
et dans la note Larsa-Ellasar insérée chez Franz Delitzsch, Commenlar ûber die Genesis, 1887, p. 542.
640 LA CHALDÊE PRIMITIVE.
des dédicaces d'objets ou d'édifices, çà et là quelques actions de guerre ou
l'indication d'un pays étranger avec lequel on entretenait des relations de
commerce ou d'amitié. L'Egypte n'a rien de plus à nous offrir pour beaucoup
de ses rois, mais chez elle du moins les dynasties forment un cadre assuré,
où chaque fait et chaque nom nouveau finit par trouver sa place exacte, après
quelques incertitudes. Les grandes lignes du tableau se dessinent assez
nettement pour qu'on n'ait plus à y toucher, la plupart des groupes sont au
plan convenable, les espaces blancs ou mal couverts se restreignent et se
remplissent de jour en jour : on pressent le moment où, l'ensemble étant fixé
du tout, il ne restera plus qu'à s'occuper du détail. Ici le cadre fait défaut, et
l'on en est réduit aux expédients pour classer les éléments de la composition.
Naramsin est à son poste, ou peu s'en faut; mats Goudéa, quel intervalle le
sépare de Naramsin, et les rois d'Ourou à quelle distance doit-on les arrêter
de Goudéa? Les commencements de la Chaldée n'ont qu'une histoire provi-
soire; le,s faits y sont certains, la succession des faits y est trop souvent
incertaine. L'arrangement qu'on en donne aujourd'hui n'a rien que de vrai-
semblable, et l'on en proposera difficilement un meilleur, tant que les fouilles
n'auront pas rendu de documents nouveaux : il faut l'accepter comme à
l'essai, sans parti pris de confiance ou de scepticisme.
ez&e/tJ Ôemo/etiJ et /est. ' <U/ieuœ de^? la Cna/aee i
<J.<i conâtructûm. et, ùtt ' revenait.' ile/tJ tettwlea.' ;
leaJ dieux froputaireaJ et fe*J frùu/e*rJ tÂéofopiaaett >.
*£eaJ mor&tJ et. IL/Uatlèit.l
i<*t' citéaJ cAafaeeanea.' ; fttàaaeJ irretaueJ excùi.'jr de> fa brique'
donne? iï leum.' ruinée.) lavoarenceJ deJ monticule/c' natureli.'. - cZeurn.'
ettceùtteaJ : feaJ temfifeaJ dejtJ aïeux focaux; reco/utitiitio/i deJ leur-' AiàtoireJ
au. moyen de.t ' ùriqiteitJ e. f/iimtéett ' dont. ilnJ ton*. eonàtruititJ. • e*6t' deux
fau/ea.' de.' xîgufowàL ; le' templeJ de> JCannar- 'à Clurou et. àeaJ attuntoùibfutj.
cCenJ dieux cfiaufée/i/tJ et. feurrr.' triàust.'. • .--Cea.' aâitea.' Aoûtifett.' à
InonuneJ, feuntJ -/ormea.' mo/tj/rueu JescJ; fe> Je/U- du G)ua- L/ueii- ; feaJ
géiiiett.) litnveilfanbtJ. - <J.ettJ (Sept, et. leurre' attaauea.' contreJ le> dieu ^luneJ;
(■/ilil l*-> dieu uSea, trionwneJ d eux et. deJ feum.' emoûcAea.'. - =4ea.' dieux
.uunérieua.', ^/(*nanu-joit .- (f0icuùé de.' leaJ de/i/tir-' et- d'en comprendre' la
naturel; ùCt' oo/il a&jorùé/c' par-' ' fea.> dieux M'initia tien. >.
Caractères et, jtafiiont.' oeaj dieux cnaldéenaJ : leaJ deefSeaJ ont.
auprèaJ deux UJ ràleJ effacé deaJ jimmeaJ deJ narem; CtlCulitta et. âoti
cutfeJ inwiir-'. - c-L arùitaeratieJ divine.' et- seaJ ftrineûfaux repréaentitnùt.' ;
feuntJ rapportaJ avec ut, terre.', feaJ oraclerz.>, feaJ atatueaJ fmrfanteitJ, feaJ
dieux -familiaux. - &LcaJ dieux deJ cfutaue.' cité n excfuetit. frtH/it. fat' dieux
iteii> ciiâtJ it/iaùteaJ .- leur*.' a/uance*.' et. le*J enyiriwAt.' yn iltJae' fini. le*J
un* i aux outre* .'. - tJ.e*.> dïeux-ciei et. ù*' dieux-terre'. le*J dieux Ji'deraux ;
lu lunes et- les aoleu.
c-Ce/t ' d'eux ■féodaux ; iduoieurnS detttreS eux ounÙse/it. itour-' aou-
verner-' US montte', le* ' deux WiflW d Ùridou. - *J.a triades Jiyrrnic' .■
^sZnou les ciel, uO(//i terres et. an jfiiMoa avec ,,'fùtntouA des i/jaéulone.':
Ùa, le> dieu de*> eaux. - ^Cit Accoude ' triudcS .- C'in la, luneS et. Ô/tamaàA leS
itoteil, iJjA/ar-' est. remplacées dm*? cette* triade' jmr-' ^Stamman; /en.' vent*'
et. laleyendesd'J%d<ya, ù*> atirtlut*' desSîamman. - $èe>V deefie*.' a'atta-
cAenl. aux deux IrïadeuS : leSnKeS efface au elle*,' u Jouent.
rJ^afiemMee ' de*S aïeux gouverne' ùt monde' : l oiseau *fou w/cJ le*S
taUette*' du destin. - de*.' destinée*,' sont, inscrite*,' au ciel et. déterminée* '
intr-' le*' mouvement*' de*' astre*' : le*.' comète*J et. le*.' dieux oui u
frre'jiite/it-, Jléoo et. iJsAtitr-'. - *4a valeur-'' numétiaue' de*,' dieux, - da
constitution de*J tem/dè*', le* > sacerdoce* > locaux. IttcjjÇte*'. le*' revenue
de*' dieux et. le*' donation*' au ou UurJ'-fitit.. - tJ.e*S sacrifice*', l'expiation
de*J jfiiute*S. • **.a mort. et. le*S destùiée*S de' lame'. • . te* ' tomleau x
et. la crémation de*s cadavre*,' .■ le*' sejndcre*J rouaux et. le*..'
culte*,' ■fune'rat're*S. - **. *./Oadè*> et. Je* ' souverain*,' .•
Jtergat, i^uat. . la descente ' d, /tntar- ' aux
Ùn/emJ, et. la indsibuité dun
(ion. - oL évocation de*J ntort*J.
CHAPITRE V11I
LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALOÉE
LA CONSTRUCTION ET l
"s de l'Euphrate ne se présentent pas comme celles du
au» l'aspect de ruines grandioses qui révèlent partout
■e, après des siècles d'abandon, l'activité d'un peuple
isant et laborieux : ce sont des tas de décombres où l'on
émèle plus aucune ligne architecturale, des mottes d'une
le lourde et grise, crevassées par le soleil, ravinées par
la pluie, sans traces apparentes du travail humain. La
pierre n'occupait qu'une place secondaire dans les con-
ceptions des architectes chaldéens : comme il fallait
l'amener d'assez loin et à grands frais, ils l'employaient
avec une parcimonie extrême, eu linteaux, en montants,
en seuils, en galets sur lesquels les battants des portes
pivotaient, en revêtements dans quelques salles d'apparat, en corniches ou
en frises sculptées sur les murs extérieurs des édifices, à la façon des bandes
de broderie dont on décore discrètement l'étoffe trop unie d'une robe. Brique
1. Dessin de Faueher-Gudia, ■
la Cotlalimi de .«. de Clerey, i
chiilccdoine saphirïne, mesure (
■r,tt,rè>
c.ii;i.-.
' le icean de deu.r viennes de Sipour (et. Menant, Catalm/ne <
1, X. n° M; cf. p. «18, noie ï de relie HUloire). L'inlallle, .
représente la fiRure de prêtre ou de
de 188!» {et. Hkcib», les Origine, orient
scribe restituée par M. lleuzev pour l'Imposition Universel
aies de tari, l. 1, frontispice cl pi. XI).
624
LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
PLAN
DES RUINE S DE WARKA
i/aprts Loftus. -v
jr
o _.
H
sèche, brique cuite, brique émaillée, la brique reste toujours et partout
l'élément principal de leurs constructions1. La terre du marais ou de la plaine,
débarrassée des cailloux et des corps étrangers qu'elle contenait, mélangée
d'herbes ou de paille hachée, additionnée d'eau, foulée aux pieds longuement,
leur fournissait des maté-
riaux d'une ténacité in-
croyable. On la moulait en
plaques carrées, larges de
vingt à trente centimètres,
épaisses de huit à dix, ra-
rement de dimensions plus
fortes : on imprimait sur le
plat, à l'aide d'une matrice
en bois découpé, le nom
du souverain régnant, et
l'on séchait au soleil*. Une
couche de mortier fin ou
de bitume assemble parfois
les lits, ou l'on avait jeté
dans la maçonnerie des
£.77naZ£*rJdf
jonchées de roseaux qui la traversaient d'espace en espace et qui en augmen-
taient la cohésion : le plus souvent, on entassait les briques à cru l'une sur
l'autre, et elles s'agglutinaient du premier coup par leur mollesse propre ou
par leur humidité naturelle8. Le poids des assises confirmait et redoublait
l'adhérence à mesure que la bâtisse montait : les murs en arrivaient promp-
1. Sur les différentes espèces de matériaux en usage chez les Chaldéens dès la plus haute anti-
quité, voir Perrot-Chipiez, Histoire de CArt dans l'Antiquité, t. II, p. 113-125.
2. La fabrication de la brique a été décrite minutieusement par Place, iïinive et l'Assyrie, t. I,
p. 211-214, pour les monuments de l'Assyrie au temps des Sargonides. Les procédés en étaient
ceux-là même que les Chaldéens avaient employés dès le règne de leurs plus anciens rois connus,
comme le prouve l'examen qu'on a fait de briques provenant des monuments d'Ourou et de Lagash.
3. Cette façon de construire est déjà indiquée par les anciens (Hérodote, I, clxxix). Le nom de
Bowariéh, que portent un certain nombre de tells antiques en Chaldée, signifie à proprement
parler une natte de roseaux (Loftus, Travels and Hesearches in Chaldxa and Susiana, p. 168) : il
s'applique uniquement aux édifices dont la maçonnerie présente l'alternance des briques et des lits
de roseaux séchés. La proportion des couches varie selon les lieux : dans les ruines de l'ancien
temple de Bélos à Babylone, qu'on appelle aujourd'hui le Moudjelibéh, la ligne de paille et de
roseaux court sans interruption le long de chaque lit de briques (Ker Porter, Travels, t. II, p. 341);
dans les ruines d'Akkerkouf, elle ne revient que d'espace en espace, tous les sept ou huit lits selon
rsiehuhr et Ives, tous les sept lits selon llaymond, ou enfin tous les cinq ou six lits, mais alors elle
prend une épaisseur de huit à neuf centimètres (Hich, Voyage aux ruines de babylone, trad. llay-
mond, p. 9G sqq. ; Kkr Porter, Travels, t. Il, p. 278). H. Rawlinson pense, d'autre part, que tous les
monuments où l'on constate la présence de la paille ou des roseaux au milieu des assises de briques,
appartiennent à l'époque parlhc (dans G. Hawlinsox, Herodotus, 2* éd., t. I, p. 253, n. 4).
LES CITÉS ET LEURS ENCEINTES. f>2B
tement à s'agglomérer en une masse, dans laquelle les strates horizontales ne
se distinguent plus qu'aux tons variés des argiles utilisées jadis à fabriquer les
pelais de briques'. Les monuments construits d'une matière aussi souple exi-
geaient, pour durer, un entretien assidu et des réparations fréquentes : ils se
défiguraient après quelques années d'abandon, les maisons fondaient un peu
à chaque orage, les rues
s'emplissaient d'un préci-
pité de terre délayée, le
plan des édifices et celui
des quartiers s'empâtait
et s'effaçait comme noyé
dans la boue. Tandis qu'en
Egypte le squelette des
villes est encore là, nette-
ment dessiné sur le sol,
et assez bien préservé par
endroits pour qu'en le dé-
gageant, on se sente trans-
porté, hors de l'année où
l'on est et du monde où : ,
l'on vit, dans un autre
monde et dans les années de longtemps écoulées, les cités chaldéennes se
sont délitées et semblent être retournées à la poussière d'où le fondateur
les avait tirées : la recherche la plus patiente et l'imagination le mieux infor-
mée ne réussissent qu'imparfaitement à en reconstituer la figure.
Elles ne s'enfermaient pas dans ces enceintes carrées ou rectangulaires dont
les ingénieurs de Pharaon cuirassaient leurs places fortes. Ourou s'étirait en
ovale1, Larsam décrivait presque une circonférence sur le terrain', Ourouk et
Eridou y traçaient une sorte de trapèze irrégulier1. La courtine dominait la
plaine de très haut et portait les défenseurs à peu près hors de l'atteinte des
flèches et des pierres frondales : ce qui reste des remparts à Ourouk s'élève
1. Pute, iViitiw et L'Assyrie, t. I, p. S6-Î7.
t. Destin de Fauchrr-Gudin , d'après aie brique conserr/e au nntste du Lourre. Les briques char-
«lie» d'inscriptions historiques qu'on rencontre parfois paraissent avoir été le plus souvent des
ex-voto qu'on exposait à part, et non des matériaux de construction perdus dans la maçonnerie.
3. Voir le plan des ruines d'Ourou à Moughélr. p. fifï de celte Histoire.
i. Cela paraît résulter de la description que I.oftus donne des ruines (Trarels and lieiearches in
Chaldtra and Sutiana, p. tu »qq.); il n'existe à ma connaissance aucun plan de celte ville,
S. Voir le plan des ruines d'Rridou à Abou-Shalircln, p. 614 de cette Histoire.
6*6 LES TEMPLES ET LES DIETX DE LA CHALDÊE.
aujourd'hui encore à douze ou quinze mètres et conserve au sommet six
mètres et plus d'épaisseur. Des tourelles oblongues faisaient saillie sur le
front, de quinze en quinze mètres : les fouilles n'ont pas été poussées assez
loin pour qu'on puisse se rendre compte du système appliqué à la défense des
portes1. L'aire inscrite était souvent assez vaste, mais la population s'y trou-
vait répartie en proportions inégales : elle se divisait par quartiers, groupés
chacun autour d'un ou de plusieurs temples, dense en certains endroits, clair-
semée en certains autres. Le dieu souverain habitait d'ordinaire le plus grand
et le plus riche de ces édifices, celui que les princes travaillaient sans cesse
à décorer et dont les ruines attirent par leur masse l'attention des voya-
geurs. Les murs, bâtis et rapiécés en briques estampées au nom des seigneurs
locaux, contiennent presque à eux seuls une histoire complète. Ourbaou
fonda-t-il vraiment la ziggourat de Nannar dans Ourou? On rencontre ses
briques à la base des portions les plus anciennes*, et des cylindres déterrés non
loin de là nous apprennent qu'en effet « à Nannar, le taureau puissant d'Ànou,
le fils de Bel, son roi Ourbaou, le héros vaillant, roi d'Ourou, avait bâti
Ë-Timila, son temple favori3». Les briques de son fils Dounghi se mêlent aux
siennes4, et ça et là d'autres briques appartenant à des monarques postérieurs,
des cylindres, des cônes, de menus objets semés dans les assises rappel-
lent les restaurations survenues à diverses époques5. Ce qui est vrai de l'une
des cités chaldéennes l'est également de toutes, et les dynasties d'Ourouk et
de Lagash ressortent comme celles d'Ourou de l'épaisseur des maçonneries6.
Les maîtres du ciel promettaient aux maîtres de la terre, pour récompenser
leur piété, la gloire et la richesse en cette vie, un renom éternel après la
mort : ils ont tenu leur parole. La plupart des héros de la haute antiquité
chaldéenne nous seraient inconnus sans le témoignage des chapelles en ruines,
1. Lofti's, Travels and Iiesearches in Chald&a and Susiana, p. 166.
2. Brique provenant de Moughétr, au British Muséum; publiée dans Rawlinson, Cuneiforni Inscrip-
tions of Western Asia, t. I, pi. 1, n* 1 ; cf. Oppert, Expédition en Mésopotamie, t. I, p. 260-261.
3. Cylindre en terre cuite provenant d'un monticule situé au sud des ruines du grand temple ;
publié dans Rawlinson, Cun. Ins. \V. As., t. I, pi. 1, n° I, 4. É-timila paraît signifier la maison
aux hautes assises; sous Dounghi, le temple prend le nom de É-Kharsag, la maison de la montagne
des dieux (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. I, pi. 2, n° H, 2) et plus tard celui de É-shir-gal, maison
de la grande radiance (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. IV, pi. 33, n° 6, I. 9).
4. Brique provenant de Moughéir, au British Muséum ; publiée dans Rawlinson, Cun. Ins. \Y. As.,
t. I, pi. 2, n° 11, 1; cf. Oppert, Expédition en Mésopotamie, t. 1, p. 260-261.
5. Briques de Boursin (Rawlinson, Cun. Ins. H*. As., t. I, pi. 5, n'XIX) et de Sinidinnam (/</., pi. 5.
n° XX), cylindre de Nourramman (ld., pi. 2, n° IV), le tout provenant de Moughéîr.
6. Voir les documents réunis on originaux dans Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. I, pi. 2, n* VIII, et dans
Fr. Lknornant, Éludes Accadiennes, t. II, p. 324-325, publiés en traduction allemande, dans la pre-
mière partie du troisième volume de la Keilschriftliche Bibliothek, pour les rois de Lagash par Jensen,
Insehriften der Kônige und Stat thaï ter von Lagasch, p. 10 sqq., pour les rois d'Ourouk par Winckler,
Inschriften von Kfinigen von Sumer und Akkad, p. 82-85.
LES TEMPLES DES DIEUX LOCAUX ET LEUR HISTOIRE. 6-27
et ce qu'ils ont fait pour le service de leurs patrons célestes sauve seul leur
mémoire de l'oubli. Leur dévotion la plus fastueuse leur coûtait d'ailleurs
moins d'argent et d'efforts que celle des Pharaons leurs contemporains. Tandis
que ceux-ci s'en allaient chercher à distance, et jusqu'au fond du désert, les
variétés de pierres qu'ils jugeaient dignes d'entrer dans l'appareil d'une mai-
son divine, les rois chaldéens ramassaient à leurs portes même l'étoffe
première de leurs bâtisses : tout au plus demandaient-ils quelques acces-
soires à l'étranger, les roches dures des statues et des seuils au Mâgan et au
Miloukhkha, le cèdre et le cyprès des poutres aux forêts de l'Àmanus et du
Haut-Tigre1. Un temple grandissait vite dans ces conditions, et l'achèvement
n'en exigeait pas des siècles de labeur continu, comme celui des grands sanc-
tuaires égyptiens de calcaire et de granit : le même personnage qui en avait
posé la première brique en posait presque toujours la dernière, et les géné-
rations postérieures n'avaient plus qu'à réparer d'ordinaire, sans rien changer
aux dispositions primitives. C'était presque toujours une œuvre d'un seul jet,
conçue et terminée sur les dessins d'un seul architecte, n'offrant que rare-
ment ces déviations de plan qui rendent parfois si compliquée l'intelligence
des temples thébains : si l'état de dégradation des parties et surtout si l'in-
suffisance des fouilles ne permettent pas toujours d'en deviner le détail, on
peut du moins en rétablir l'économie générale presque à coup sûr.
Le temple égyptien allongeait ses lignes parallèlement au sol, le chaldéen
poussait les siennes vers le ciel le plus haut qu'il pouvait*. Les ziggourât, dont
le profil anguleux caractérisait les paysages de TEuphrate, se composaient de
plusieurs prismes immenses, empilés en retraite l'un sur l'autre et couronnés
d'un édicule léger où le dieu logeait en personne. On en distingue deux types
principaux. Dans le premier, pour lequel les maçons de la Basse-Chaldée
témoignèrent une préférence marquée, l'axe vertical commun à tous les
massifs superposés ne passait point par le centre même du rectangle qui
1. Cf. p. 610, 614 de cette Histoire. Goudéa faisait venir le cèdre (irinna) de l'Amanus (Inscription
delà Statue B, col. V, 1. 28-32, dans Hkizky-Sarzkc, Découvertes en C ha Idée, pi. 17; cf. Anucd, The
Inscriptions vf Telloh, dans les Records of the Past, 2nd Ser., t. Il, p. 79, puis dans les Découvertes
en Chatdée, p. ix, et Jf.nsen, Inschriften der Kônige und Statthaller von Lagasch, p. 32-35), et le
dioritc du pays de Mâgan (Inscription de la Statue D du Louvre, col. V, 1. 13, V, 1. 1 ; cf. Amiaud, The
Inscriptions of Telloh, t. I, p. 91, puis Découvertes en Chaldée, p. xix, et Jensen, Inschriften der Kônige
und Statthaller von Lagasch, p. 52-55).
2. La comparaison du temple égyptien et du temple chaldéen a été faite de main de maître par
Pkrrot-Chipiez, Histoire de l'Art dans l'Antiquité, t. II, p. 412-414; les objections qui ont été soule-
vées contre leur manière de voir par Hommkl, Geschichte Babyloniens und Assyn'ens, p. 18, note, se
rattachent à une conception particulière que l'auteur s'est faite de l'histoire orientale, et ne me parais-
sent pas pouvoir être acceptées jusqu'à nouvel ordre. Des études, entreprises récemment en vue de
constater si les idées de M. Hommel répondaient aux faits, ont achevé de me convaincre que la
ziggourât chaldéennc diffère entièrement de la pyramide, telle qu'on la voyait en Egypte.
6-28 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
sert de base à l'ensemble : on le ramenait fort près de l'un des petits côtés,
si bien que Tune des faces étroites, celle de derrière, s'enlève par brusques
ressauts au-dessus de la plaine, quand la face opposée se développe en
larges esplanades1. Les étages sont autant de blocs pleins en argile crue; du
moins n'y a-t-on découvert jusqu'à présent nulle trace d'appartements inté-
rieurs*. La chapelle terminale ne pouvait guère contenir qu'une seule chambre :
un autel se dressait devant la porte, et l'on y accédait par un escalier à ciel
ouvert, droit, mais interrompu à chaque terrasse par un palier plus ou moins
vaste3. Le second type, fréquent dans la Chaldée septentrionale, comporte une
base carrée, sept degrés de hauteur uniforme, reliés par une ou deux ram-
pes latérales, puis au sommet le kiosque du dieu*; c'est la tour à étages que
les Grecs ont admirée à Bab^lone, et dont le temple de Bel offrait le modèle le
plus remarquable8. Les ruines en subsistent, mais il avait été remanié si
souvent et si profondément au cours des âges, qu'on ne sait plus aujourd'hui
ce qu'il conserve de la construction originale. On connaît au contraire plusieurs
ziggourât du premier type, l'une à Ourou6, l'autre à Éridou7, une troisième à
Ourouk8, sans parler de celles que personne n'a jamais explorées méthodi-
quement. Aucune d'elles ne s'implante directement dans le sol même, mais
elles posent toutes sur un soubassement qui met leurs fondations presque au
1. C'est le Temple Chaldéen sur plan rectangulaire qui a été décrit en détail et restitué par
Perrot-Chipiez, Histoire de VArt dans l'Antiquité, t. II, p. 385-389 et pi. II.
2. Perrot-Chipiez (Histoire de l'Art, t. II, p. 388 et n. 3) admettent entre le premier et le second
étage un socle de deux mètres et quelques centimètres de haut (7 pieds anglais), analogue au sou-
bassement qui soutient le premier. Il me semble, comme à Loft us (Travels and Hesearches in
Chaldœa and Susiana, p. 129), que la pente qui sépare aujourd'hui les deux massifs verticaux « est
accidentelle et provient de la destruction des parties supérieures de l'étage inférieur ». Taylor ne
signale que deux étages et considère évidemment la pente en question comme un talus de décombres
(Soles on the ruins of Muqeyer, dans le Journal of the Royal Asialic Society, t. XV, p. 261-263).
3. Perrot-Chipiez cachent dans l'intérieur de l'édifice l'escalier qui monte du rez-de-chaussée à la
terrasse, ■ combinaison qui présente l'avantage de ne pas couper les lignes de cet immense soubas-
sement et de lui laisser toute la fermeté, toute la solidité de son aspect » (Histoire de l'Art dans
l'Antiquité, t. II, p. 386-387); llcber (Ucbcr altchaldâische Kunst, dans la Zcitschrift fur Assyriolo-
gie, t. I, p. 175, 1*) propose une combinaison différente. A Ourou, l'escalier est tout entier en avant
de la maçonnerie, et ■ leads up to the edge of the basement of the second story » (Taylor, yoles
on the tu in 8 of Muqeyer, dans le Journal of the Royal Asiatic Society, t. XV, p. 261), puis se con-
tinue en plan incliné de l'extrémité du premier étage à la plate-forme du second (Id., p. 262), formant
un escalier unique, peut-être de même largeur que ce second étage, de la base au sommet de l'édifice
(Loftus, Travels and Researches in Chaldœa and Susiana, p. 129).
4. C'est le Temple chaldéen à rampe unique et sur plan carré tel qu'ont essayé de le définir et de
le restituer Perrot-Chipiez, Histoire de l'Art dans l'Antiquité, t. Il, p. 389-395, et pi. III.
5. Hérodote, I, clxxix-clxxxiii ; Diodore, II, 9; Strabon, XVI, 1,5, p. 737-739; Arrien, Anabasis, VII, 17.
fi. Les ruines de la ziggourât d'Ouron ont été décrites par Loftus, Travels and Researches in
Chaldœa and Susiana, p. 127-134, et par Taylor, Notes on the ruins of Muqeyer, dans le Journal
of the Royal Asiatic Society, t. XV, p. 260-270.
7. On ne possède jusqu'à présent d'autre description des ruines d'fcridou que celle de Taylor,
Soles on Abu-Shahrein and Tel-el-Lahm, dans le Journal of the Asiatic Society, t. XV, p. 402-412.
8. Loftus a exploré à deux reprises les ruines de Warka. La ziggourât Au temple que la déesse INanâ
possédait dans cette ville est représentée aujourd'hui par les ruines que les gens du pays appellent
Bowariéh (Travels and Researches in Chaldœa and Susiana, p. 167-170); cf. p. 624 de cette Histoire.
LE TEMPLE DE NANNAK À OUKOII ET SES DISPOSITIONS. 629
niveau du toit des maisons environnantes. 11 mesure encore six mèlres de hau-
teur au temple de Nannar dansUurou, et les quatre angles en sont orientés
exactement sur les quatre points cardinaux. On l'abordait de front par un
plan incliné ou par des marches en pente douce, et le sommet en était dallé
d'énormes briques cuites au four : une balustrade basse limitait ce parvis, où
les processions évoluaient à l'aise les jours de fêtes solennelles. Le pre-
mier étage représente un parallélogramme long de soixante mètres, large de
quarante, haut de dix environ*. Le gros œuvre en briques sèches a gardé
presque jusqu'au faite son parement de carreaux rouges, cimentés avec d.u
bitume; des contreforts saillants de trente centimètres à peine le maintien-
nent et en diversifient maigrement la surface un peu nue, neuf sur li»s cotés
longs, six sur les côtés courts'. Le second étage ne va plus qu'à six mètres
I. Dettin de Fma-lirr-tïudht. I.;i restau rutimi dilTère de nlli-. .|nimt |.n>|.ei.<-i * |'i*iioi-i:oii>i>i. Ut*-
toire de l'Art ilaiu l'Antiquité, t. Il, p. 3K[i ci pi. Il, et Ki IImki, Vrbcr aitckeldâùtrhe hu»n,
clan» la Zeiltrhrift fur Aftgriologie, I. I, |>. 115, I*. le l'ai faite eo m'inspira rit des FaiK ri m ululé*
sur le terrain par Tayi.or, Nolet on tkt mm* of Nii'/rurr. dan- le Journal ••( Ihe II. I". Sortrlg,
t. XV, p. ï(ill-ÎTl), el par [.unis, Travets ami Itesearches m l.hatdra a"d Suêinna. \> \f.\t\
ï. Les cl i iiio usions sonl empruntées à Lnfliis (Trttvett and Hrtrarehtt in t'.hnldrn and Svttana.
p. it'i), qui donne i!*8 pieds cin(;l;ii«. et 173 pour la longueur n-pi-rine de* cilles . l'cUg ■ mesure
plus d'après lui que 4" pieds de haut, sait un pou plus de K inèlres.
3. T»ïlo», Xulci on Ihe ruina of Mw/cytr, dans le Journal of ilir Anatn Sacirl». I, XV, p. (CI.
630 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CKALOÉE.
au-dessus du premier, et il ne dépassait guère huit ou neuf mètres du
temps qu'il était intact'. Les briques de Uounghi y abondent, parmi les maté-
riaux utilisés lors de la dernière restauration, au vt1' siècle avant notre ère;
les surfaces sont lisses, mais percées çà et là de trous d'êvent, et leur sim-
plicité même nous garantit presque sûrement que Nabonaîd s'est borné à
remettre les choses dans l'état où les premiers rois d'Ourou les avaient lais-
sées'. On distinguait, il y a une centaine d'années, les traces d'un troisième
étage, non plus massif comme les précédents, mais creux et renfermant une
chambre au moins :
c'était le Saint des
Saints, la chapelle de
Nannar'.L'ne parure du
plaques émaillées,d'uD
bleu clair et luisant, la
décorait à l'extérieur.
L'intérieur en était lam-
LE TIIPLK B'UUROU riAHS SUN *T1T KWIL, BÂFRÉS TAÏLOR*. uHssé de CCS l)OÏS pré-
cieux, cèdre ou cyprès,
que le commerce demandait aux peuples du Nord et de l'Ouest : des feuilles
d'or mince lamaient en partie les boiseries, et des panneaux en mosaïque
composés de petits morceaux de marbre blanc, d'albâtre, d'onyx, d'agate
découpés et polis, alternaient avec elles1. La statue de Nannar s'y dressait, un
de ces icônes raides et gauches, dont la pose transmise de génération en géné-
ration se perpétua jusque dans les statues de la Chaldée grécisée. L'esprit du
dieu y résidait ainsi que le double des idoles égyptiennes : il veillait de là sur le
peuple qui s'agitait à ses pieds, et dont la rumeur montait à peine jusqu'à lui.
Les dieux de l'Euphrate formaient, comme ceux du Nil, un peuple innom-
brable d'êtres visibles et invisibles, distribués en tribus et en empires par
toutes les régions de l'univers*. Ils se cantonnaient chacun dans une fonction,
I. Actuellement 11 pieds de haut, plus ;i pieds île décombres, MU pieds de long, 7a de large
(LoFTirs, TravcU and tltttarchrt in Chatdra and Sutiana, p. HBj.
t. Les cylindre» de Jiabonatd racontant la restauration du temple ont été découverts aux quatre
angles du second étage par Tavuw, fiotn ou the ruine of Muqeyrr, dans le J. Ai. Soi:, t. XV. p. ÎK3.
îti.I; ce «ont les cylindres publiés dans Hawi.ii.sok, Cuil. lut. W. .-la., t. I, pi. «M, n« I, 69.
3. T.ivlok, AVrfeu on Ihe rtiÎHt of Mw/eyrr, dans le J. Ai. Soc.. I. XV, p. it'.i-Siifi.
i, Far-siniilé par Faurher-Cudin du ifcxiiii publif ilnnt Tiïiiir,, .Yu(c.« oh the min* of Mnqryrr,
dans le Journal of the lioijitl Atinlir Society, t. XV, u. tut.
:',. Tajlor a trouvé de-, frapnienls de ce jji-nre de décoration ii firidnii (Soirs on AbuShahrrm and
Tcl-el-lahm. dans le J. Ai. Soc, t. XV, p. iHT) : elle devait exister à Ourou.
LES CÉNIES HOSTILES ET LEURS FORMES MONSTRUEUSES. 031
dans un métier, qu'ils exerçaient d'un zèle infatigable, aux ordres de leurs
princes ou de leurs rois1 ; mais, tandis qu'en Egypte ils se montraient pour la
plupart bienveillants à l'homme ou tout au plus indifférents, ils le poursui-
vaient en Chaldée d'une haine inexpiable et semblaient ne respirer que pour sa
perte. Ces monstres aux formes inquiétantes, armés de couteaux et de lances,
que les théologiens d'Héliopolis ou de Thèbes enfermaient dans les cavernes
de l'Hadès, au plus profond des ténèbres éternelles, les Chaldéens se les
figuraient lâchés en plein jour à travers le monde, les gallon et les maskim,
les âlon comme les outoukkott, et vingt autres peuplades démoniaques, aux
noms bizarres et mystérieux5. Certains flottaient dans l'air et présidaient aux
vents malsains. Le vent du Sud-Ouest, le plus cruel de tous, se tenait à l'affût
dans les solitudes de l'Arabie, mais il en sortait soudain aux mois les plus
lourds de l'année : il ralliait en passant les vapeurs malsaines que les marais
exhalent aux ardeurs du soleil, et, les répandant sur les campagnes, il frap-
pait à coups redoublés non seulement les hommes et les animaux, mais les
moissons, les herbages, les arbres*. Les génies des fièvres et de la folie
s'insinuaient partout sans bruit, insidieux et traîtres*. La Peste tantôt SOm-
mière fais pr Fa. Lf.nufhhm. la Magie chez le* Chaldêem et ht Originel Aecadiennei, dont les
Irailurtiuris on! été modi lices, surtout par Jïmsïn, De Inriintainenlûriiin tumerico-aimyriomm teriei f un
ilicitur schurbu Tabula VI, dans la Zeittehrift fur Keilforsrhung, t. I. y. SÏH-3ÏÏ, t. Il, p. 13-61,
mais dont le» rond usions mythologiques sont demeurées presque intactes sur bien des points.
I. Il csl question d'un roi {lougalj des l.amsissi et d'autres espèces de génies, voire d'Anou, roi
des Sept lils de la Terre (K, 187(1, reclo. I. Ï8, dans IUwlisson, f.un. lus. If. A*., t. IV, pi. 5}.
t. burin de Bou&ier, d'aprèi Loftus, Trave.li and tiaearehet in l'.hald.ra and Sviiana. |>. 148.
3, 1,'énuméralionen csl dans Fn. Lknounant, la Magie c kc- tel Chaldéens , p. 43-36, où l'auteur essaye
rie définir le caractère et la fonction de chacune îles classes de démons : cf. sur ces êtres les passais
recueillis par K». Dsutisck, Anyritchei Wôrierbuck, p. 417-419, v. «liât, ol p. 394-399, s. v. ekimmou.
4, Fa. Lknommiit, la Magie chei lei Ckaldéem et tei Originel Accadiennei, p. 36.
5, Le plus redoutable d'entre eux eat le démon Mal-de-téle, contre lequel noua possédons un
633 LES TEMPLES ET LES DIEUX [IE LA CllALDÉE.
meillait. et tantôt se lançait furieuse au plus épais des foules humaines1. Des
lutins hantaient les maisons, des follets erraient au bord des eaux, les ghoules
-"---laient les voyageurs dans les lieux inhabités1, et les morts
nt leurs tombeaux se glissaient la nuit auprès des vivants pour
ibreuver de leur sang9. La figure matérielle de ces êtres meur-
iers exprimait fidèlement aux yeux leur caractère pervers et
éroce. On leur prêtait des corps composites, où le torse de
'homme s'alliait de façon grotesque aux membres des bêtes les
jltis imprévues. Ils s'accommodaient comme ils pouvaient de
attes d'oiseau et d'une peau de poisson, d'une queue de taureau
de plusieurs paires d'ailes, d'un chef de lion, de vautour,
yène ou de loup; quand on leur laissait la tète humaine, on la
p faisait hideuse et grimaçante à plaisir. Le vent du Sud-Ouest se
tinguait entre tous par la multiplicité des éléments dont sa per-
nne se bigarrait. Il équilibrait son corps de chien sur deux Jam-
es terminées en serres d'aigle ; ses deux bras armés de griffes acé-
ées s'adaptent à quatre ailes éployées, dont deux retombent
derrière lui, deux se relèvent haut et encadrent sa tète; sa queue
est d'un scorpion, son masque d'un homme aux gros yeux
ronds, aux sourcils épais, aux joues décharnées, aux lèvres
otslB rétractées formidablement sur des dents menaçantes, au
" '"* Ll0" ' crâne plat, aux cornes de chèvre : le tout si laid que le dieu
s'effrayait lui-même et s'enfuyait, quand il rencontrait à ['improviste un de
certain nombre d'incantations et île charmes dans Rakli.isoi, f.ini. I. H". Al., t. IV, pi. 3-1. dont un
fragment fut traduit pour la première foi» par Foi Tai.boi, On Ihe tteligiout Hclïef of Ihe Assurions,
dans lus Transaction» de la Société d'Archéologie Biblique, t. Il, p. H4. Des traductions complète»
en ont été données par Fa, I.K-iomiiM, Etude» Arradiennc», t. II, p. ÎS3-3K3, t. III, p, 98-ttlI, puis
par IIalëtV, Document* religieux de FAstyrie et de la l'.haldie, \i. 13-*), ,>4-'J3 ; listai. De Incanta-
meiitorma, dans la Zeitschrifl f&r Keilforichung, t. I,p. 3(11; Sait... The Religion of Ihe Ancien! Babjf-
loniant, p. 4SB-4G3. Cf. Kn. Lfstmnnrir, la Magie chez le» Chaldéen», p. 19-it), 38-39.
1. Incantation contre le démon de la peste dans Vu. I.imibuaxi, Elude» Accadiennet, t. Il, p, Ï39-
Ï3i, t. III, p. 94-97; cf. la Magie fhet le» Chaldeens, p. 17-48.
t. C'est le Mal, le démon de la nuit qui suce le sang de ses victimes, cl dont il est souvent
question dans les incantations magiques (IUwlivsos, Cuneif. In». W. A»., t. Il, pi. 17, eol. n, I. 63.
t. IV, pi. Î9, n* t. verso. I. 49-311, etc.). Sur le rapprochement qu'on peut en Taire avec la Lililh des
traditions hébraïques, cf. Kit. I.exomm», la Magie cka le» Chaldeent, p. 36, et Sayce The Religion of
the Ancient Babyloniant, \i. 147-148; Sayce paraît confondre les ghoules, qui n'ont jamais été hommes
ou femmes, avec les vampires, qui sont des morts ou des mortes sortis du tombeau.
3. l,es vampires sont fréquemment cités dans les formules magiques, Haklissoh, Cun. lus. H'. A».,
t. II, pi. 17, eol. n, I. G-15, fiî, t. IV, pi. 1, col. î, I. 49-50, t. IV, pi. Î9, n" I verso. I. 17-iS, ele.; cf.
F». Lmomaht, la Magie chti Ut Chaldeent, p. 33, la Divination et la Science de.» présages chez te»
Chaldeent, p. 158-157. Dans sa Descente aux Enfer» (cf. p. fifl4 de celte Histoire), Ishtar raenare de
• ressusciter les morts pour qu'ils mangent les vivants > (L. lit),
4. Dessin de Faucher-Gudin, d'aprè» la figurine en terre cuite d'époque attyrienne qui etl au Musée
du Louvre (Losgpébieb, Hotiee de» antiquités assyriennes , 3" éd.. p. 57. nn tax). c'est Inné des figures
un terrée'* j Klinrs.nl.iad, sons le sou il d'une des portes de Li ville, |ioui' eu écarter les influences ma m aises.
LES BONS GENIES ET LEURS LUTTES CONTRE LES MAUVAIS. 633
ses portraits'. Les bons génies ne manquaient pas qu'on opposait à cette
gent hargneuse et malformée*. On les représentait comme des monstres,
mais des monstres à l'air noble et de grande allure, des griffons, des lions
ailés, des hommes à mufle de lion, et surtout ces beaux taureaux
à tête humaine, ces lamaxxi couronnes de la mitre, dont
l'image gigantesque veillait à la porte des temples et
des palais*. Les hostilités se continuaient sans cesse J
entre les deux races : étouffées sur un point, elles se "
rallumaient sur l'autre, et les mauvais toujours battus
refusaient toujours d'accepter leur défaite. L'homme
plus désarmé contre eux que les dieux les rencontrait pa
tout : ■ Là-haut ils hurlent, ici ils sont à l'affût, — i
sont les grands vers que le ciel a lâchés, — les puissant
dont la clameur va par la cité, — qui versent à torrents
l'eau du ciel, les fils sortis du sein de la terre. — Ils
s'enroulent autour des hautes poutres , des larges
poutres comme une couronne; — ils cheminent de
maison en maison, — car la porte ne les arrête pas, la I
les repousse pas, — mats ils se glissent comme un ser|
bous la porte, — ils s'insinuent comme l'air par les join
du battant. — Ils éloignent l'épouse des embrassement?
de l'époux, — ils arrachent l'enfant d'entre les genoux , ^ nu sud-ouesi*
de l'homme, — ils attirent l'ingénu hors de sa maison
féconde, — ils sont la voix menaçante qui le poursuit par derrière". » Leur
malice se tourne contre les bêtes : « Ils forcent le corbeau à s'envoler
sur ses ailes, — et ils obligent l'hirondelle à s'échapper de son nid; — ils
1. Fn. U»MUT, la Magie chez la Chaldfem, p. 48-4», ISS; Scnkil. Sole» d'Épigraphie et d'Ar-
riléotogic assyrienne», g m, dans le Recueil de Travaux, l. XVI, p. 33-36, oïl »ont indiquées les prin-
cipales figures connues jusqu'à prêtent qu'on peut attribuer au vont du Sud-Ouest.
1. Les mêmes textes apposent aux outoukkou, aui ékimmou, aux gallon, aux atou mauvais, les
bons outoukkou, les bons ékimmou, les bons gallou, les bons a/ou (Sayck, The Religion of the Ancien!
Babyloniam, p. 166, I. 44-16; cf. Ka. Lmommit, la Magie chez let Chaldériii, p. Î3, 138-139).
3. Sur le râle protecteur des taureaux ailés a face humaine, voir Fn. Lddiiht, final de Commen-
taire lur tei fragment» coimogoniguei de litroie, p. 79-81, et ta Magie chez let Chaidécm, p. Î3,
49-50. Il est décrit assez longuement dans la prière publiée par IIawlusox, Cuit. lui. W. A*., t. IV,
pi. 58-59, et traduite par Savce. The Religion of the Ancien! Ilabyloniani, p. 506. I. 31-35.
4. Denin de r'aucher-Gudin, d'aprfi l'original en bronze gui et! tonterv* nu Mutée du Louvre. Le
I.nuvrc et le Musée Britannique possèdent plusieurs autres figures du mi1 me démon.
5. RjkWLCUM, Cm». Int. W. Al., t. IV, pi. t, col. I, I. 14-43; cf. Tai.«ot, On the Religion, Betief o,
the Atsyriant, dans les Transaction» de la Société d'Archéologie Biblique, t. Il, p. 73-75; F». Lbsob-
■jtiT, la Magie chez lei ChalHêem, p. ÏR-49. et Élude» Accadiennei, t. III, p. "9-80; Opptm, Frag-
mente Mythologique», dam l.tumis, BUtoire etltracl, l. Il, p. 469: Satci, The Religion of the Ancien!
Hnbytonian», p. 451.
634 LES TEMPLES ET LES DIEUX IIE LA ClIALDfiE.
font fuir le taureau, ils font fuir l'agneau — les démons mauvais qui tendent
des embûches1. »
Les plus vigoureux d'entre eux ne craignaient pas de s'attaquer par occasion
aux dieux de lumière; un jour même, dans les premiers temps du monde, ils
avaient failli les déposséder et régner en leur place. Ils avaient escaladé le
ciel à l'improviste, ils s'étaient précipités sur Sin, le roi Lune, ils avaient
repoussé Shamash le Soleil et Ramman accourus au secours, chassé lshtar et
Anou de leurs trônes : le firmament entier serait tombé entre leurs mains, si
Bel et Nouskou, Éa et Mardouk n'étaient
intervenus au dernier moment, et n'a-
vaient réussi à les culbuter sur la
terre, après une bataille terrible*. Ils ne
s'étaient jamais relevés de cet échec, et
les dieux leur avaient suscité pour rivaux
une classe de génies bienfaisants, les
in déliïiiiï mi "«noni de l' ath quk Igiyi < (i "*' CIIKI Anounnas du ciel diri-
geaient' Les Anountias de la terre, les
Anounnaki, reconnaissaient pour chefs sept fils de Bel, aux corps de lion, de
tigre et de serpents : » le sixième était un vent d'orage qui n'obéit ni au dieu
ni au roi, — le septième, un tourbillon, une bourrasque mauvaise qui brise
tout1 ». — « Sept, sept, — au creux de l'abîme des eaux ils sont sept, -- et
destructeurs du ciel ils sont sept. — Ils ont grandi au creux de l'abîme, dans
le palais; — mâles ne sont, femelles ne sont, — ils sont des bourrasques qui
passent. — Ils ne prennent point femme, n'engendrent point d'enfant, — ils
ne connaissent ni la compassion, ni la bienveillance, — n'écoulent ni la
prière, ni la supplication. — Comme des chevaux sauvages, ils sont nés
dans tes montagnes, — ils sont les ennemis d'tëa, — ils sont les agents des
1. lUWLEWoa, Cuit. Int. 11'. Aê.,1. IV, pi. Ï7, n" V, 1. ili-iï; cf. Fi.. Lumiint, la Magie, p. Ï9,
Étudet Actadititne*, l. Il, p. tti-t*X I. III, p. 77-78; IIouhfl, Die Semilitchen rallier, t. 1, |>. 101.
i. Cet épisode de l'histoire des luttes des dieui contre les mauvais Renies élail raconte dans une
incantation magique en partie mutilée (IUwluso-i, Clin. Int. If'. A:, t. IV, pi. s). Signalée par C. Sariit.
dnns les Traniactioni de la Société d'Archéologie Biblique, t. III, p. 458-439 (cf. Attgrian Diacotvrict .
p. 3014-103, el Chaldiran Account of Gênait, p. 107-1 lî), elle fut traduite par r'a. LsKonmm. la Magie
chei Im Chaldéeut, p. 171 (cf. la Gazelle Archéologique, 1878. p. ÎS-35, el Étudet Aaxdiemm,
t. III, p. Ill-l.'il); OrPKKT, Fragment» mythologique*, clans Lmimix, Ilittoire d'itrael, t. Il, p. 176-
179; llimi. Die Semititchen Vbtker, a. 307-31Ï; Htufv». Donimentt religieux de lAttyrie el de lu
llabytottic, p. i.0-30. (00-1*6; Sxic.y., The lleligion of Ihe Aucient Babylaniant, p. 103-166.
3. Dmii'ii de Faucher-Gudin, d'âpre* une inlaille anyrienne publiéepar Laj.ibi., Intradurlion à I llit-
toii-edu Culte public et de» Mytère* de Nilhra. pi. XXV, n" I (cf. Gazette Archéologique. IS7S, p. iit).
I. Sur les Igigi ut sur les Anouima, cf. Itaettx, Ueber einige Kumero-akkadiKhen Samen, dans la
Zrilithrift fur Aityrioloyir, t. I. p. 7 sqq. ; Saïci:, The Religion of the Ancien! Babutoniaot, p. 18*183
s. RiKutns, Cuu. In*. 11'. A>... t. IV, pi. ;;, col. I, I. it-îo.
LES SEPT, LEURS ATTAQUES CONTRE LA LUNE : GIBIL, LE FEU. 633
dieux; — ils sont mauvais, ils sont mauvais, — et ils sont sept, ils sont sept,
ils sont deux fois sept'. » L'homme, réduit à ses seules ressources, ne pouvait
pas lutter avec avantage contre des êtres qui avaient jeté les dieux aux
abois. H invoquait pour se défendre le secours de l'univers entier, l'esprit du
ciel et celui de la terre, l'esprit de Bel et de Bélit, celui de Ninib et de ÏSébo,
ceux de Sin, d'ishtar et de Ramman', mais Gîbir ou Gibil1, le maître du
feu, était son auxiliaire le plus efficace dans cette guerre de tous les instants.
Issus de la nuit et de l'eau ténébreuse, les Anounnaki n'avaient pas de plus
grand ennemi que la flamme; qu'elle s'allumât au foyer des maisons ou sur les
autels, son apparition les mettait en fuite et dissipait leur puissance, a Gibil,
héros exalté dans le pays, — vaillant, fils de l'abîme, exalté dans le pays,
— Gibil, ton feu clair, éclatant, - quand il illumine les ténèbres, — assigne
sa destinée à tout ce qui a nom. — Le cuivre et l'étain, c'est toi qui les
mêles, — l'or et l'argent, c'est toi qui les fonds, — le compagnon de la
déesse Nmkasi, c'est toi, — celui qui oppose sa poitrine à l'ennemi nocturne,
I. Uawlissot, Cun. Int. IF. A'., t. IV, pi. S, col. i, I. 311-5!»; cf. T.iiwit, Oh the lleligiou» Relief of the
Aityriant, dans les Tr'iiuaclwm de la Société il 'Archéologie Biblique, 1 II, ]• 73-75; F*. Lesouihbt,
la Magie rkri les Chaldccni, p. IB, Eluda Accadicnnc*, I. Ml, |i, «1-83; J. Opkkt, Fragment* mytho-
liiijiqùe*. dans Lmmm», Hittoire dïnaet, l. Il, p. i"t; llomii-.L, Die SeniiHichen Voilier, p. 3«(i ; Sun.
The Religion of the Ancien! Itahuloniam, p. 151-458.
i. Ainsi dans les incantations bilingues, sumériennes et sémitiques, publiées par IUwihison, L'un.
In: II'. Al., I. IV, pi. I, col. III, I. «3-I1B, col. iv, i. t-3.
3. l.e caractère du ilicu du feu et son rôle dans la lutte contre les Anounnaki ont été dénnis pour
la première fois par On. Lbsomam, la Magic chez Ici Chnldeent, p. KID-I74.
1. Butin de Faucher-tiudtn, d'aprei l.iï.inn, Monumcidt of Sineeeh, l"Sei\, pi, i.'i, n° I.
636 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
c'est toi ! — Fais donc que l'homme, fils de son dieu, ses membres brillent,
— fais qu'il soit clair comme le ciel, — qu'il brille comme la terre, — qu'il
reluise comme l'intérieur du ciel, — que la parole mauvaise s'écarte de lui* »,
et avec elle les esprits malins. L'insistance même avec laquelle on réclamait
de l'appui contre les Anounnaki montre combien on redoutait leur pouvoir.
Le Chaldéen les sentait partout autour de lui et ne faisait pas un mouvement
qu'il ne risquât d'en heurter quelques-uns. 11 s'inquiétait moins d'eux pen-
dant le jour, rassuré qu'il était par la présence au ciel des dieux lumineux,
mais la nuit leur appartenait et le livrait à leurs assauts. S'il s'attardait dans
la campagne à la brune, ils étaient là sous les haies, derrière les murs ou le
tronc des arbres, prêts à se ruer sur lui au moindre écart. S'il se hasardait
après le coucher du soleil dans les rues de son village ou de sa cité, il les y
trouvait encore disputant les rebuts aux chiens sur les tas d'ordure, tapis au
renfoncement des portes, embusqués par les coins où l'ombre s'épaississait
le plus noire. Même barricadé dans sa maison et sous la protection directe de
ses idoles domestiques, ils le menaçaient encore et ne lui accordaient pas un
instant de tranquillité*. Aussi bien étaient-ils si nombreux qu'on ne pouvait se
garer efficacement de tous ; quand on en avait désarmé la plupart, il en restait
toujours beaucoup contre lesquels on avait oublié de prendre les précautions
nécessaires. Que de génies secondaires ne devait-il pas y avoir, quand le
recensement des invisibles constatait, vers le ixe siècle avant notre ère, l'exis-
tence de soixante-cinq mille grands dieux du ciel et de la terre5!
Nous sommes souvent bien embarrassés de dire ce que représentaient ceux
dont nous déchiffrons les titres sur les plus anciens monuments. Les souve-
rains de Lagash adressaient leurs vœux à Ninghirsou, le champion vigou-
reux d'inlil, à Ninoursag, la dame de la montagne terrestre, à Ninsia, le
maître des destinées, au roi Ninagal, à Inzou,dont personne ne soupçonne le
nom véritable, à Inanna, la reine des batailles, à Pasag, à Galalim, à Doun-
1. Rawlinson, Cun. Ins. XV. As., t. IV, pi. 14, n° 2 verso, 1. 6-28; cf. Fr. Lenorxant, la Magie chez les
Chaldéens, p. 109-170, Etudes Accadiennes, t. Il, p. 93-99, t. III, p. 33-35 ; Hommel, Die Semitischen
Vôlker, p. 277-278; Haupt, Die Sumerisch-Akkadische Sprache, dans les Verhandlungen des 5tem
lnlerttattonalen Orientalisten-Congresses, Semitischc Section, p. 269-271 ; Sayce, The Religion of
the Ancienl Babylonians, p. 487-188.
2. Fr. Lenormant, la Magie chez les Chaldéens, p. 37 sqq. La présence des mauvais esprits en
tout lieu est démontrée, entre autres formules magiques, par l'incantation de Rawlinson, Cun. 1ns,
\Y. As., t. Il, pi. 18, où l'on énumère longuement les endroits qu'on veut leur interdire. Le magicien
leur ferme la maison, la haie qui entoure une maison, le joug qu'on pose sur les bœufs, la tombe,
la prison, le puits, la fournaise, l'ombre, le vase à libations, les ravins, les vallées, les montagnes,
la porte (cf. Sayce, The Heligion of Ihe Ancienl Babylonians, p. 446-448).
3. Assournaziraba), roi d'Assyrie, parle dans une de ses inscriptions de ces soixante-cinq mille
grands dieux du ciel et de la terre (Sayce, The Heligion of the Ancienl Babylonians, p. 216).
LES DIEUX SUMÉRIENS : NINGHIRSOU. 037
shagana, àNinmar, à Ninghishzida'. Goudéa leur élevait des temples dans toutes
les villes sur lesquelles son autorité s'étendait, et il consacrait à ces fondations
pieuses le revenu de son territoire ou le butin de ses guerres. » Goudéa, le
Vicaire de Lagash, après avoir bâti le temple lnin
pour Ninghirsou, il a construit un trésor; une maïs
décorée de sculptures, telle que nul Vicaire n'en avi
construit à Ninghirsou, il la lui a construite, il y a éc
son nom, il y a fait tout ce qu'il fallait, et il a exé
cuté fidèlement toutes les paroles de la bouche
de Ninghirsou1. » La dédicace de ces édifices
était accompagnée de fêtes solennelles auxquelles
la population entière prenait une part active.
< Sept jours durant, on n'écrasa plus le grain, et
la servante fut l'égale de sa maîtresse, l'esclave
marcha à côté de son maître, et dans ma ville j
le faible reposa à côté du fort. » Dans la suite, I
Goudéa veilla soigneusement à ce que rien d'Impur
ne vînt souiller la sainteté du lieu. Ce sont les
vieilles divinités sumériennes, mais le caractère
de la plupart d'entre elles nous échapperait, si
nous ne savions, par d'autres documents, à quel
dieux moins inconnus et d'aspect moins rébarbatif les Sémites les avaient
assimilées. Ninghirsou, le maître du quartier de Lagash qu'on appelait Ghirsou,
s'identifiait à Ninib; Inlil est fiel, Ninoursag Beltis, lnzou Sin, Inanna lshtar,
et ainsi des autres'. Et leurs religions ne sont pas des religions locales,
confinées obscurément dans un coin du pays : elles dominaient par toute la
1. I.'é numération de ces divinités se trouve, par exemple, dans l'inscription de la statue Q de
Goudéa au Louvre (1Iei:iïy-Sa*uc, Di'i-oh entes en Chaldée, pi. 16-1!»; cf. Aii.ip, Inscriptions of
Telloh, dans les Records of the Vaut, f' Sw., I. Il, p. BS-8G, el DiwwrfM eu Chaldée, p. vu-xv ;
Jhmj, Insckriflc» der Kànigc unit Slatlhatler eon Lagasch. dan» la Keilschriftliche llililiothtk,
I. III, 1™ partie, p. .16-17). Les transe ri pi ions varient selon les auteurs : où Jensen donne NinoursaK,
Auiiaud lit Nint.har8.ifc, le llounshaa;aiia de ces deux ailleurs devient Shoulshagana pour Lkgac, Deux
ImcripiiouM de Goudéa, patahi de hngaïku (dans la Zeitschrift fur Assyriotogïe. t. VIII, p. tll-lt],
et l'on trouve ailleurs la déesse Galoumdoug qui devient sans conviction Gasig(î>-dou|[.
ï. Uiiîm-S-iiiu:. Déeourerlei en Chaldée. pi. VI, I. 7U, col. VIII, I. »-, cf. A»i*ro, Tlic Inscription»
of Telioh, dans les Record* of Ihe Pa»l, tmt Scr., t. Il, p. RÏ-83, el dans les Déconcerte» en Chaldée,
p. jli-xii ; Jr.vsb*, tnschriften dtr Kônige und Stattlialter ron Lagaicli, dans la KeiltrliriflUche Uibfio-
tliek, l. Ht, I" partie, p. UJI-3».
a. Destin de r'aurher-Gudin, d'après Hhhï-Shik, Découverte» ru Chaldée, pi. tt. n* .'i. I.ullribu-
tion de cette ligure à .Ninghirsou est 1res probable, mais non pis entièrement certaine.
i. Cf. à ce sujet le mémoire d'Aaura, Sirpourla, d'après les Inscription» de la Collection de Sar-
zec, p. Ij sqq., où les identifications possibles des noms de dieux sumériens adoréb à Telloh avec les
638 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
Chaldée, au Nord comme au Sud, à Ourouk, à Ourou, à Larsam, à Nipour, à
Babylone même. Inlil était le régent de la terre et de l'Hadès1, Babbar le
soleil, Inzou la lune, Inanna-Anounit l'étoile du soir et du matin, la déesse de
l'amour1, au temps où deux religions distinctes se trouvaient en présence aux
bords de l'Euphrate et deux troupes de dieux rivaux. La sumérienne n'est
encore aujourd'hui pour nous qu'un amas de noms étranges, dont nous ignorons
souvent et le sens et la prononciation. Quels êtres et quels dogmes recou-
vraient-ils au commencement ces blocs de syllabes barbares qui hérissent les
inscriptions des plus vieilles dynasties, Pasag, Dounshagana, Doumouzi-Zouaba
et vingt autres? Les théologiens des époques postérieures prétendaient
définir avec précision ce qui en était de chacun d'eux, et probablement ce
qu'ils affirment est-il exact pour la plupart des cas, au moins dans le gros.
Mais nous ne soupçonnons guère les motifs qui ont décidé le rapproche-
ment des divinités, la façon dont il s'opéra, les concessions mutuelles que
Sumériens et Sémites durent se faire pour arriver à s'entendre, et les traits
de leur physionomie primitive qu'ils ont dû atténuer ou effacer entièrement.
Plusieurs d'entre eux se sont si bien transformés qu'on se demande auquel des
deux peuples ils appartenaient à l'origine, Êa8, Mardouk*, Ishtar5. Les Sémites
l'emportèrent à la fin sur leurs émules, et ceux-ci ne conservèrent plus d'exis-
tence indépendante que dans la magie, dans la divination, dans la science
des présages, dans les formules des exorcistes et des médecins auxquelles
les dissonances de leurs noms prêtaient plus d'autorité. Partout ailleurs ce fut
Bel et Sin, Shamash et Bamman qu'on adora, mais un Bel, un Sin, un
Shamash, un Bamman qui n'avaient pas oublié leurs alliances avec lnlil
et avec Inzou, avec Babbar et avec Mermer6 les Sumériens; quelque langue
1. Fr. Lenormant, la Magie chez les Chaldée ns, p. 154-154 (où le nom est lu Moul-ge au lieu de
Moullil, variante d'/fi/iï); Savcb, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 146-149.
4. Sur Anounit-lnanna, l'Étoile du Matin, et sur les divinités qui se confondirent avec elle, voir
la curieuse étude de Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 184-181.
3. Éa, le dieu de l'ablmc et des eaux primordiales, est Sumérien ou Accadien pour Fr. Kenonuant
(la Magie chez les Chaldcens, p. 148), pour Hommel (Die Semitischen Yôlker, p. 373), pour Sayce
(The Religion of the Ancient Babylonians, p. 104-105, 134-134).
4. Sayce (The Religion of the Ancient Babylonians, p. 106) n'ose décider si le nom de Mardouk-
Mérodach est Sémite ou Sumérien; Hommel (Die Semitischen Vôlher, p. 376-377, et Geschichte Baby-
loniens und Assyriens, p. 255-456, 466) le tient pour Sumérien, ainsi que Jensen (Die Kosmologie der
Babylonicr, p. 444-443) et Lcnormant (la Mo g ie chez les Chaldéens, p. 141).
5. Ishtar est Sumérienne ou Accadien ne pour Fr. Delitzsch à ses débuts (Die Glialdseische Gencsis,
p. 473), pour Hommel (Die Semitischen Vôlker, p. 385, et Geschichte Babyloniens und Assyriens,
p. 457, 466) et pour Sayce (The Religion of the Ancient Babylonians, p. 454-461).
6. Sur l'identité du dieu sumérien dont le nom se lit communément Mermer, Merou, avec le Sémite
Hamman, cf. Fr. Lenormant, les Noms de l'airain et du cuivre dans les deux langues des inscrift-
lions cunéiformes de la Chaldée et de ï Assyrie, dans les Transactions de la Société d'Archéologie
Biblique, t. VII, p. 390, n° 1; Pognon, l'Inscription de Mérou-nérar 1er, roi d'Assyrie , p. 44-23; Sayce,
The Religion of the Ancient Babylonians, p. 404.
LES DÉESSES : MYLITTA ET SON CULTE IMPUR. 639
qu'on employât pour s'adresser à eux, sous quelque vocable qu'on les appelât,
ils ouvraient l'oreille et répondaient favorablement aux sommations des dévots.
Sumériens et Sémites, les dieux n'étaient pas plus qu'en Egypte des per-
sonnes abstraites, présidant métaphysiquement aux forces delà nature1. Cha-
cun d'eux enfermait en soi l'un des éléments principaux dont notre univers
se compose, la terre, les eaux, le ciel, la lune, le soleil, les astres qui tournent
autour de la montagne terrestre. La vie du monde ne résulte pas d'un ensemble
de phénomènes produits par des lois immuables : elle n'est qu'une série
d'actes volontaires, accomplis par des êtres d'une intelligence et d'une puis-
sance inégale. Chacune des parties du grand tout est un dieu, et ce dieu est un
homme, un Chaldéen, d'essence plus durable et plus fine que les autres Chal-
déens, mais pourvu de leurs instincts et agité de leurs passions. Il lui manque
d'ordinaire cette élégance de formes un peu grêle et cette bonté d'âme un peu
molle qu'on remarque au premier coup d'oeil chez les dieux de l'Egypte : il a
les larges épaules, le buste trapu, les muscles saillants des peuples sur lesquels
il règne, leur esprit emporté et violent, leur sensualité brutale, leur tempéra-
ment cruel et belliqueux, leur hardiesse dans la conception des projets et leur
ténacité impitoyable dans l'exécution. Les déesses se modèlent de même à
l'image des dames et surtout des reines chaldéennes. La plupart d'entre elles
ne sortent point du harem, et ne témoignent d'autre ambition que de devenir
mères le plus possible, et le plus vite. Celles qui rejettent ouvertement cette
contrainte sévère, et qui prétendent tenir leur rang à côté des dieux, semblent
perdre toute retenue en dépouillant le voile : elles roulent, comme Ishtar, de
l'extrême chasteté dans la débauche la plus vile, et elles imposent à leurs
fidèles la vie désordonnée qu'elles-mêmes avaient menée. « Toute femme née
au pays doit se rendre une fois en sa vie dans l'enceinte du temple d'Aphrodite,
s'y asseoir et s'y livrer à un étranger. Beaucoup parmi les plus riches sont
]. Le cadre général des religions chaldéo-assyriennes a été reconstitué d'un seul coup par les
assyriologues de la première heure : il se trouve déjà tout tracé dans les deux mémoires de Hincks,
On the Assyrian Mythology (dans les Memoirs of the Irish Academy, novembre 1854, t. XXII, p. 405-
422), et de II. Rawli.nson, On the Religion of the Babylonians and Assyrians (dans YHerodotus de
G. Kawlinson, 2* éd., t. I, p. 480-547). Il fut considérablement élargi par les recherches de Fr. Lenor-
mant, dans son Essai sur les fragments rosmogoniques de Bérose, et surtout dans ses deux ouvrages
sur la Magie chez les Chaldéen» et les Sources Accadicnnes, et sur la Divination et la science des
présages. Depuis lors, bien des erreurs ont été corrigées et bien des faits nouveaux ont été signalés
par les assyriologues contemporains, toutefois personne n'a essayé encore de donner une exposition
complète de ce qu'on sait jusqu'à présent sur la Mythologie chaldéenne et assyrienne : il faut se
contenter des résumés publiés par Fr. Lknorwant, Histoire Ancienne des peuples de l'Orient , 6- édit.,
t. VI, par MAhdter-Delitzsch, Geschichte Babyloniens und Assyriens, 4* éd., p. 43-53, par Ed. Meykh,
Geschichte des Aller! hurns, t. I, p. 174-183, en attendant que le grand ouvrage de Tielk, Histoire de
la Religion dans l'antiquité jusqu'à Alexandre le Grand, ait achevé de paraître dans une langue plus
accessible à la majorité des savants que le hollandais ne l'est aujourd'hui.
640 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÊE.
trop fières pour se mêler aux autres et y vont prendre place dans des cha-
riots fermés, suivies d'un grand train d'esclaves. Le plus grand nombre s'as-
soient sur le parvis sacré, la tête ceinte d'une tresse de cordes, — et il y
a toujours là grand foule, les unes venant, les autres s'en allant; des cordes
ménagent des avenues en tout sens parmi ces femmes, et les étrangers y défi-
lent pour faire leur choix. Une femme qui s'est installée ne peut plus retourner
chez elle, tant qu'un étranger ne lui a pas jeté une monnaie d'argent sur les
genoux et ne l'a pas emmenée avec lui hors les limites du sol sacré. En jetant
la monnaie, il prononce ces paroles : « Puisse la déesse Mylitta te rendre heu-
reuse! » — Or Aphrodite s'appelle Mylitta chez les Assyriens. La monnaie
d'argent est de n'importe quelle valeur, et nulle ne peut la refuser : c'est
interdit par la loi, car, une fois jetée, elle est sacrée. La femme va avec le pre-
mier homme qui lui donne de l'argent et ne repousse personne. Une fois qu'elle
s'en est allée avec lui, et qu'elle a ainsi contenté la déesse, elle rentre chez
elle, et dès lors on aurait beau lui offrir la plus forte somme, on n'obtiendrait
plus rien d'elle Celles des femmes qui sont grandes et belles en ont vite fini,
mais souvent les laides demeurent longtemps avant de pouvoir satisfaire à la
loi : quelques-unes ont dû attendre trois et quatre années dans l'enceinte1. »
Cette coutume subsistait encore au ve siècle avant notre ère, et les Grecs qui
visitèrent Babylone en ce temps-là l'y virent en pleine vigueur.
Quand les dieux, après avoir été la matière même de l'élément qu'on leur
attribuait, en devinrent successivement l'esprit, puis le roi', ils continuèrent
d'abord d'y résider : on les isola de lui par la suite, on leur permit de
s'aventurer chacun sur le domaine de l'autre, d'y séjourner, d'y commander
même, comme ils auraient fait chez eux, et l'on finit par réunir la plupart
d'entre eux au firmament. Bel le seigneur de la terre, Ëa le chef des eaux,
montèrent au ciel, qui ne leur appartenait point, et s'y installèrent à côté
d'Anou : on y montrait les voies qu'ils s'y étaient frayées le long de la voûte,
pour inspecter leur royaume des hauteurs lointaines où on les avait trans-
portés, celle de Bel au tropique du Cancer, celle d'Éa au tropique du Capri-
1. Hérodote, I, cxcii; cf. Strabon, XVI, p. 1058, qui probablement s'est borné à citer dans ce passage
Hérodote ou quelque historien inspiré d'Hérodote. On rencontre une allusion directe à la même cou-
tume dans la Bible, au Livre de Baruch : « Les femmes, ceintes de cordes, sont assises par les rues,
brûlant du son en guise de parfums; mais si quelqu'une d'entre elles, emmenée par un passant
de hasard, a commerce avec lui, elle reproche à sa compagne de ne pas avoir été jugée aussi bien
qu'elle et de ne pas avoir brisé sa corde » (ch. vi, 43).
2. Fr. Lksormant. la Magie chez les Chaldéens, p. 144 sqq., où l'auteur montre comment Ana-Anou,
après avoir été d'abord le Ciel même, la voûte étoilée étendue au-dessus de la terre, devient succes-
sivement l'esprit du Ciel (Zi-ana) et enfin le seigneur suprême du monde : d'après Lenormant, ce
seraient surtout les Sémites qui auraient transformé l'esprit primitif en un véritable dieu-Roi.
LES ORACLES ET LES STATUES PARLANTES. 641
corne1, lis y rassemblèrent autour d'eux toutes les divinités que l'on pouvait
abstraire sans trop de peine de la fonction ou de l'objet auquel elles étaient
liées, et ils constituèrent de la sorte une aristocratie divine, comprenant ce
qu'il y avait de plus puissant parmi les êtres qui menaient le monde. Le nombre
en était encore considérable, car Ton y comptait sept dieux magnifiques et
suprêmes, cinquante grands dieux du ciel et de la terre, trois cents esprits des
cieux, six cents esprits de la terre*. Chacun d'eux entretenait ici-bas des
représentants, qui recevaient pour lui les hommages des hommes et qui leur
signifiaient ses volontés. 11 se révélait en songe à ses voyants et leur ensei-
gnait la marche des événements prochains3, ou bien il les envahissait brus-
quement et parlait par leur bouche : leurs discours, recueillis et commentés
par les assistants, étaient autant d'oracles infaillibles. Mais le nombre en
demeurait limité des mortels assez vigoureux et doués de sens suffisamment
affinés pour affronter sans danger la présence directe d'un dieu; les rapports
s'établissaient le plus souvent par le moyen d'objets variés, dont la substance
épaisse et lourde atténuait ce qu'il y avait de redoutable pour la chair et
pour l'intelligence humaine dans le contact d'un immortel. Les statues cachées
au fond des temples ou dressées au sommet des ziggourât se transsubstan-
tiaient par la consécration au corps même de la divinité qu'elles figuraient, et
dont on écrivait le nom sur la base ou sur le vêtement4. Le souverain qui les
dédiait les sommait d'avoir à parler aux jours à venir, et dès lors elles par-
laient : lorsqu'on les interrogeait selon le rite institué pour chacune d'elles, la
portion de l'àme céleste que la vertu des prières y avait attirée et qu'elle y
gardait captive ne pouvait s'empêcher de répondre*. Y avait-il à cet usage des
1. Le transfert de fiel et d'Éa au ciel à côté d'Anou, déjà indique par Schrader (Studien und Kriti-
ken, 1871, p. 3 il), et l'identification des Voies de Hel et d'Ea avec les tropiques, ont été étudiés, et
les problèmes que ces faits soulèvent résolus par Jexse.n, Die Kosmologie der liabylonier, p. 19-37.
2. Ce nombre nous est fourni par la tablette du Musée Britannique à laquelle G. Smith renvoie,
dans son article de la Xorth and Brilish Review, janvier 1870, p. 309.
3. Un songe prophétique est déjà mentionné sur une des statues de Tciloh (Zimwkrn, Dus Traumge-
sicht Gudca's, dans la Zeilschrift fur Assyriologie, t. 111, p. 232-235, cf. p. 610 de cette Histoire).
Dans l'histoire du seul Assourbanabal nous trouvons plusieurs voyants — shahrou — dont l'un prédit
le triomphe général du roi sur ses ennemis {Cylindre de Rassam, col. m, I. 118-127), et dont l'autre
annonce au nom d'Ishtar la victoire sur les ftlamitcs et encourage l'armée assyrienne à franchir un
torrent gonflé par les pluies (id.y col. v, 1. 97-103), tandis qu'un troisième voit en songe la défaite
et la mort du roi d'Élara (Cylindre /i, col. v, 1. 49-76, dans G. Smith, flislory of Assurbanipal,
p. 123-126). Ces voyants sont mentionnés dans les textes de Goudéa avec des prophétesses « qui
disent le message » des dieux (Statue H du Louvre, dans IIeuzey-Sahzec, Fouilles en Chaldée, pi. 10,
col. iv, I. 1-3; cf. AwAim, The Inscriptions of Telloh dans les Records of the Past%tné ser., t. I, p. 78).
A. Dans une formule dirigée contre les esprits mauvais, et destinée à fabriquer les figures talis-
maniques protectrices des maisons, en dit de Mardouk qu'il « habite l'image • — as hibou salam —
qui a été fabriquée de lui par le magicien (Kawlinson, Cun. Ins. W. As., t. IV, pi. 21, n° 1, l. 40-41 ;
cf. Fr. Le.norm\nt, Études Accadiennes, t. Il, p. 272-273, t. III, p. 104, 106).
5. C'est ce que dit Goudéa lorsque, décrivant sa propre statue qu'il avait placée dans le temple de
Telloh, il ajoute qu' « à la statue il a donné ordre : A la statue de mon roi parle! • (Ami un, dans
HIST. ANC. DE L'ORIENT. — T. 1. 81
64i LES TEMPLES ET LES DIEUX l)E LA CHALDÉE.
images spéciales qu'on articulait savamment comme en Egypte, et dont un
prophète tirait mystérieusement les (ils? Des voix résonnaient la nuit au plus
profond des sanctuaires, surtout lorsqu'un roi s'y prosternait pour apprendre
l'avenir : son rang qui l'élevait à mi-chemin du ciel le préparait à recevoir la
parole d'en haut des propres lèvres de l'idole'. Le plus souvent, un prêtre,
instruit au métier dès l'en-
fance, jouissait du privi-
lège de poser les questions
voulues et d'interpréter aux
dévots les signes divers par
lesquels la pensée divine
s'exprimait. L'esprit souf-
flait d'ailleurs où bon lui
i/iooiution ne la ««Ht et ni' ront*. semblait, et se logeait sou-
vent dans des endroits où
l'on ne se serait pas attendu à le rencontrer. Il animait des pierres, celles
surtout qui tombaient du ciel', des arbres et par exemple l'arbre d'Ëridou qui
rendait des oracles*, la masse d'armes à tête de granit, à manche de bois', la
hache de Kamman', les lances fabriquées sur le modèle du javelot de Gilga-
mès, javelot-fée qui partait et revenait à l'ordre de son maître, sans qu'on eût
besoin d'y toucher7. Les objets pleins de la divinité, une fois qu'on les avait
Hkchi-Samec, Découvertes en Chaldêr, p. XII, I. 31-45}. I.» statue di
parlera désormais quand on la consultera selon lus formules. Cf. ce i
royales consacrées dans les temples de l'Egypte, p. titl-IÏO de celte
t. Ainsi le roi assyrien Assourbanabal entend, la nuit, dans le
In yoix de la déesse elle-même qui lui promet son appui contre le n
col. y, I. 36-48, dans fi. Siith, Hitlory of Anurbampal, p. 140-143}.
4. Destin de Fnuchci-Ctidiu, d'après Cintailtt chnlde'cttne reproduite dont Nu;
vertes en ilhaldée, pi, 30"-, n- 13'.
3. Saicf., The Itcligion of llie Ancien! ISaliytoniaiu. o. il"; sur la pnisonec possible dans un des
sanctuaire* d'Ourou d'un arbre sacré ou d'une pierre météorique consacrée au dieu-Lune, Sin,
cf. Iluiasi., Die Sentitiichen Vôlktr und Sprachen. p. 40fi-40".
4. L'arbre d'Êridou est décrit dana la tablette K, III (1U* limon. Cm. ht*. IV. À»., t. IV, pi. 15)
du Dritish Muséum; cl, S.iice, The Religion of the Ancien) Baligtoaiant, p. 438-144, 471, I. 46-35,
où il est identifié à l'arbre cosmique. Je crois avec Jmsf.k, Die Kimmalogie der Baln/lonicr, p. 14»,
n. I, que cet arbre rendait ses oracles par le moyen d'un prêtre attaché a son entretien. Il a élé
question des arbres sacrés de l'Egypte et du culte qu'on leur rendait au* p. 141-144 de celle Histoire.
5. La masse d'armes plantée droit sur l'autel et recevant l'hommage d'un homme debout devant
elle n'est pas rare parmi les représentations des cylindres assyriens; cf. au sujet de ce culte Htrin ,
tel Origine* orientales de t'Ait, t. I, p. i!i3-l!IR. Il se peut que l'énorme tête de massue eu pierre
du vicaire MiiKhirsiiuiiHiudou (llnin. Ileron'lruclion partielle de la stèle du roi Eannadou, dans
les Ciiinplm rendus de l'Académie des Iwtcripliims, IBiti, t. XX. p. 4711. et la Innée coloriait rf" Js-
itnttbnr, ibid., IS!I3, t. XXI, p. 3111) soit une île ces massues divines qu'on adorait dans les temples.
Le fouet, placé dans notre vignette il coté des deux mapser., ]>arï;if;t'ail le culte qu'elles recevaient.
11. La hache d'armes dressée sur un autel pour recevoir l'offrande d'un prêtre ou d'un dévot a élé
signalée pour la première fois par A. dk Loratallk, Œuvres. 1. 1, p. 1"0-I7t, 418-441.
7. Une de ces lances en cuivre ou en bronze, décorée de petits has-reliefs, a élé retrouvée par
N. de Saricc dan- les ruines d'une sorte de villa appartenant aux princes de Lagash ; elle est
n roi, inspirée
par celle du dieu.
qui est dit des
Histoire.
sanctuaire de
l'Ishtar d'Articles,
oi d'rLIam Tiou
:imian (Cylindre II,
lutte dans lin
Ilt-SAMEG, Decou-
LES FETICHES ET LES DIEUX FAMILIERS. 6*3
reconnus, on les plaçait sur l'autel et on les adorait avec autant de piété
qu'une statue même. Les animaux ne devinrent jamais l'objet d'un culte
régulier comme en Egypte : certains d'entre eux pourtant, le taureau, le lion,
tenaient de près aux dieux, et les oiseaux trahissaient inconsci
ment par le vol ou par le cri les secrets de l'avenir1. Ajoutez c
chaque maison possédait ses dieux familiers, auxquels elle ré
tait des prières ou versait des libations soir et matin, et do
les images, présentes au foyer domestique, le défendaient contre
les embûches du mauvais1. Les religions d'Etat, que tous les
habitants d'une même cité, depuis le roi jusqu'au dernier des
esclaves, devaient pratiquer solennellement, ne représentaie
en réalité pour les Chaldéens que la moindre partie de leur v
religieuse : elles contentaient une douzaine de dieux, les pli
grands sans doute, mais elles laissaient de côté, ou peu se
faut, tous les autres, dont la colère s'éveillait dangereuse quan
on les négligeait entièrement. Les religions particulières complé
taient les religions publiques, en assurant des fidèles à la plupai
de ces oubliés, et elles compensaient ainsi, par les œuvres de I
dévotion privée, l'impuissance de la communauté à leur rendre
ouvertement un hommage officiel.
L'idée de ramener tant d'êtres à un seul être qui réu-
nirait en lui toutes leurs substances et l'ensemble de M 11[im|
leurs facultés, si elle traversa jamais l'esprit de quelque nmunx* .
théologien, ne se répandit point chez le peuple : on n'a signalé nulle part
encore, entre les milliers de tablettes ou d'inscriptions sur pierre où sont
enregistrées les prières et les formules magiques, un document qui traite de
l'existence du dieu unique ou qui contienne une allusion lointaine à l'unité de
aujourd'hui au Xuscc du Louvre; cf. Heiieï, la Lance colottalc d'hdouhar et le» nouvelle* fouille/
de M. de Sariec, dans les Complet rendue de l'Académie de» Inicriptions et Ileltet-Lcttret, 189S.
1. XXI. p. 3lir, sqq.
I. Les formes animale* son! restreintes presque toutes soit au* génies, soit aut constellations, soit
aux formes secondaires des grandes divinités : Ëa pourtant est représenté sous la ligure d'un homme
a queue de poisson ou d'un homme vêtu d'un poisson, ne qui semblerait indiquer qu'à l'origine ou
le considérait comme un poisson véritable. Sur les facultés prophétiques que les prêtres attribuaient
aui oiseau», cf. Fa. I.e.iomum, la Divination chei let Chaldêen», p. Si sqq.
t. Les images de ces dieui étaient des amulettes dont la présence seule repoussait les mauvais
esprits. On en a trouvé à Khorsabad qui étaient enterrés sous le seuil des portes de la ville (Plac*,
jVtitîtie et t'A—yrie, t. I, p. 198 sqq.). Une tablette bilingue du British Muséum nous a conservé une
formule de consécration destinée à donner la puissance souveraine à ces statue Ile s protectrices
[Vu. Lwomjurt, Eluda aecadienne», I. H. p. 167-177, et t. III, p. 101-106).
3. Denin de Faueher-Gudin, d'après ta figurine m terre cuite d'époque attyrîcnnc du Mutée du
Louvre (cf. A. dï Lonr.piiBren. Notice de» Antiquité» attyrUnaei, 3* éd.. p. 57, u- 4B!).
644 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
Dieu1. On y rencontre, il est vrai, beaucoup de passages où telle et telle divinité
vante sa force, rabaisse éloquemment celle de ses rivaux et termine son dis-
cours par l'injonction de n'adorer que lui : « Homme qui viendras par la suite,
fie-toi en Nébo, en aucun autre dieu ne te fie'! » Les termes qu'elle emploie
pour ordonner aux races futures d'abandonner le reste des immortels en faveur
de Nébo, prouvent combien ceux-là même qui se targuaient d'être l'homme
d'un seul dieu se sentaient éloignés de croire à l'unité de dieu. Ils admettaient
volontiers que l'idole de leur choix l'emportait de beaucoup sur les autres,
mais ils ne songeaient pas à proclamer qu'elle les avait absorbées toutes en
soi, et qu'elle demeurait seule en sa gloire vis-à-vis du monde, sa créature.
A côté d'eux, un habitant de Babylone en disait autant et plus de Mardouk, le
patron de sa ville natale, sans pourtant cesser de croire à l'indépendance
réelle et à la royauté de Nébo. « Quand ta puissance se manifeste, qui s'y
soustrait? — Ta parole est un filet souverain que tu déploies au ciel et sur la
terre : — il s'abat sur la mer, et la mer se retire, — il s'abat sur la plaine, et
les champs mènent grand deuil, — il s'abat sur les hautes eaux de l'Euphrate,
et la parole de Mardouk y trouble la crue. — 0 Seigneur, tu es souverain, qui
te résiste? — Mardouk, parmi les dieux qui portent un nom, tu es souverain8. »
Mardouk est le roi des dieux pour son fidèle, il n'est pas le seul dieu. Les
divinités de marque recevaient de la même manière l'assurance de leur omni-
potence, mais leurs zélateurs les plus fervents ne les considéraient pas pour
cela comme la divinité unique et solitaire, dont l'existence et l'empire
excluaient l'existence et l'empire des autres. Leur élévation simultanée au
rang suprême ne fut pas cependant sans influer grandement sur l'idée qu'on se
faisait de leur nature. Anou, Bel, Ëa, pour ne parler que de ceux-là, étaient au
début des personnages incomplets, bornés, emprisonnés chacun dans un con-
cept unique, et réduits aux attributs qu'on jugeait indispensables à l'exercice
de leur pouvoir dans un champ limité, au ciel, sur la terre, dans les eaux ;
en prenant tour à tour le dessus sur leurs rivaux, ils durent revêtir les qua-
1. Le dieu suprême que les premiers assyriologues avaient cru retrouver et qu'ils appelaient II,
Hou, Rà (H. Rawlimson, On the Religion of the Babylonian* and Assyrians, dans YHerodotus de
G. Rawlinson, 2e éd., t. I, p. 482, cf. G. Rawlinson, The Five Great Monarchies, îm éd., t. I, p. 1 14-
115; Fr. Lemormant, Essai de Commentaire sur les fragments cosmogoniques de Bérose, p. 63-04,
les Dieux de Baby lotie et de l'Assyrie, p. 4-5), n'existe pas plus que le dieu souverain dont les
égyptologues avaient imaginé la présence au sommet du panthéon égyptien.
2. Inscription de la statue du dieu Nébo, du temps de Rammannirari III, roi d'Assyrie, aujourd'hui
conservée au British Muséum; Rawmnson, Cun. Ins. W. As., t. I, pi. 35, n° H, 1. 12.
3. Rawlinsom, Cun. Ins. W. As., t. IV, pi. 26, n° IV, I. 1-22; cf. les traductions de ce texte qui ont
été données en français par Fr. Lenormant, la Magie chez les Chaldéens, p. 175, et Études accadiennrs,
t. II, p. 119-123, t. III, p. 41-43, en allemand par Deutzsch-MCrdter, Geschichte Babyloniens und
Assyriens, 2« éd., p. 37, et en anglais par Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 497.
LES ALLIANCES DES DIEUX. 645
lités qui leur permettaient de les régenter chacun dans son domaine. Leur être
s'élargit, et de dieux du ciel ou de la terre ou des eaux qu'ils étaient, ils
devinrent les dieux du ciel et de la terre et des eaux tout à la fois : Anou
régna chez Bel et chez Ea comme chez lui, Bel joignit à la sienne propre
l'autorité d'Anou et d'Éa, Ëa traita Anou et Bel du même sans-gêne qu'ils
l'avaient traité, et cumula leur suprématie avec la sienne. Leur personne se
composa désormais de plusieurs couches stratifiées : elle conserva comme
noyau l'être qu'ils étaient au début, mais elle y superposa les caractères par-
ticuliers à tous les dieux au-dessus desquels on l'exaltait successivement.
Anou s'adjugea un peu du tempérament de Bel et de celui d'Ëa, et ceux-ci lui
empruntèrent en échange bien des traits de sa physionomie. Le même travail
de nivellement qui changea la face des divinités égyptiennes, et qui les trans-
figura peu à peu en variantes locales d'Osiris et du Soleil, s'opéra presque
aussi fortement sur les Chaldéennes : celles où s'incarnaient la terre, les eaux,
les astres, le ciel, parurent désormais se tenir de si près qu'on est presque
tenté de les considérer comme les doublets d'un seul dieu, adoré sous des
noms différents selon les lieux. Leur caractère primitif ne ressort pleinement
que si on les débarrasse du vernis uniforme qui les recouvre.
Les dieux-ciel et les dieux-terre avaient été plus nombreux au début qu'ils
ne furent par la suite. On reconnut toujours comme tels Anou, le firmament
inébranlable, et Bel l'Ancien, le seigneur des hommes, le sol sur lequel ils
vivent, au sein duquel ils s'engloutissent après la mort; mais d'autres, qui
avaient perdu en tout ou en partie leur caractère premier aux époques histo-
riques, Nergal1, Ninib1, Doumouzi3, ou parmi les déesses Damkina4, Ésharra5,
Ishtar elle-même6, avaient commencé par représenter la terre ou l'un de ses
1. Cette donnée, qui ressort des diverses fonctions attribuées à Nergal, est repoussée très énergi-
quement par Jf.nsen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 481-484; d'après lui, Nergal serait, dès
l'origine, ce qu'il fut certainement par la suite, le Soleil de l'été ou du raidi, brûlant et meurtrier.
2. Ninib et son double Ninghirsou sont des dieux de la culture et de la fertilité, partant des dieux
de la terre, comme leur mère fisharra, le sol fécond qui produit les moissons et qui engraisse
les bestiaux (Jenses, Die Kosmologie der Babylonier, p. 61, 199); cf. p. 576, note 3, de cette Histoire.
3. Doumouzi, Dououzi, le Tammouz des Sémites occidentaux, était à la fois un dieu de la terre
des vivants et de la terre des morts, de préférence celui qui fait pousser la végétation et qui verdit
la terre au printemps (Jenses, Die Kosmologie der Babylonier, p. t97, 225, 227, 480).
4. Damkina, Davkina, la AavxTj des transcriptions grecques, est une des rares déesses dont le
caractère de Terre soit reconnu presque unanimement par les assyriologues qui se sont occupés
d'études religieuses (Lenormant, la Magie chez les Chaldéens, 148, 183; Hommel, Die Semilischen Vol-
k*r, p. 375-376; Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 139, 264-265) : son nom
Dam-ki est composé de manière à signifier littéralement la maîtresse de la terre.
5. Sur la qualité de divinité du sol que possède à n'en pas douter la déesse Ésharra, cf. ce que
dit Jensen, Kosmologie der Babylonier, p. 195-201.
6. C'est la théorie fort ingénieuse de Tiele, établie sur la légende de la descente d'Ishtar aux
Enfers (Tiele, la Déesse Ishlar surtout dam le mylh* babylonien, dans les Actes du VI* Congrès
International des Orientalistes, t. II, p. 493-506). Elle a été adoptée par Sayce, Tlic Religion of
6>W LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHÀLDÉE.
aspects principaux, Nergal et Ninib, les agents de la culture et les protecteurs
de la glèbe, Doumouzi, le sol printanier, dont la parure se flétrit aux pre-
mières atteintes de Tété, Damkina, l'humus uni à l'eau fécondante, Ésharra, le
champ où germent les moissons, lshtar, la motte qui reverdit après les feux de
la canicule et les froids de l'hiver. Tous ces personnages avaient subi à des
degrés inégaux le sort qui attend chez la plupart des peuples ces vieilles
divinités chthoniennes, trop vastes et trop ondoyantes en leurs manifestations
pour qu'on pût en serrer l'idée de près ou en dessiner une image précise,
sans les limiter et sans les amoindrir. De nouveaux maîtres avaient surgi,
moins immenses et d'un contour moins flou, par suite plus faciles à embrasser
d'un seul regard et à définir dans leur action réelle ou supposée, le soleil, la
lune, les astres immobiles ou voyageurs. La lune note le temps, distingue les
mois, conduit les années, la vie entière des cités et des hommes dépend de
la régularité de ses mouvements : on fit d'elle ou de l'esprit qui l'animait le
père et le roi des dieux, mais elle obtint presque partout une suzeraineté de
convention plutôt qu'une supériorité réelle, et le Soleil, son vassal théorique,
compta plus de fidèles que cette pâle et froide majesté. Les uns l'adoraient
sous son titre courant de Shamash, comme Rà en Egypte, les autres l'ap-
pelaient Mardouk, Ninib, Nergal, Doumouzi, pour ne citer que les plus connus
de ses noms. Nergal n'avait à l'origine rien de commun avec Ninib, et Mar-
douk différait de Shamash comme de Ninib, de Nergal ou de Doumouzi, mais
le mouvement qui poussa tant de divinités égyptiennes étrangères l'une à
l'autre, entraîna les Chaldéennes à muer peu à peu de nature et à s'ensoleiller.
Chacune d'elles fut d'abord un soleil complet et réunit en soi toutes les
vertus innées au Soleil, l'éclat et l'empire sur le monde, la chaleur douce et
bienfaisante, l'ardeur féconde, la bonté, la justice, l'esprit de vérité et de
paix, puis les vices incontestables qui obscurcissent certains côtés de son être,
l'emportement de ses flammes à midi et pendant l'été, la dureté inexorable
de ses volontés, son humeur batailleuse, sa brutalité irrésistible, sa cruauté.
Elles perdirent ensuite ce caractère uniforme et s'en partagèrent les attributs :
si Shamash demeura le Soleil en général1, Ninib se restreignit à n'être plus, à
l'exemple d'Harmakhis l'Égyptien, que le Soleil à son lever et à son coucher*,
the Ancient Rabylonians, p. 251, et se présente avec une grande apparence de vraisemblance : le
caractère aiderai d'Ishtar lui viendrait de l'alliance qu'elle contracta avec Ànounit.
1. Shamash est, comme Râ en égyptien (cf. p. 88, note 1, de cette Histoire), le mot même qui
signifie Soleil dans la langue courante : il est transcrit Sato; (Heztchius, s. v. /.) par les Grecs.
2. Lenormant lui avait attribué le caractère du « Soleil ténébreux et nocturne, du Soleil [dans l'hé-
misphère inférieur • (Essai de Commentaire sur les Fragments Cosmogoniqves de Bérose, p. 113).
LA LUNE ET LE SOLEIL. 647
le Soleil dans les deux horizons. Nergal devint le Soleil fiévreux et destructeur
de Tété1. Mardouk se changea au jeune Soleil, le Soleil du matin et du prin-
temps1; Doumouzi fut, comme Mardouk, le Soleil avant Tété3. Leurs qualités
morales se ressentirent naturellement de ce rétrécissement de leur personne
matérielle, et la physionomie qu'on leur prêta d'après leurs fonctions s'écarta
sensiblement de celle qu'on attribuait jadis au type unique dont ils dérivaient.
Ninib se montre vaillant, hardi, querelleur : c'est un soldat qui ne rêve que
lutte et beaux faits d'armes*. Nergal joint à la bravoure une férocité sour-
noise : il ne se contente pas d'être le roi des batailles, il est aussi la peste
qui fond à l'improviste sur le pays, la mort qui survient comme un voleur et
qui emporte sa proie avant qu'elle ait eu le temps de se mettre en défense5.
Mardouk joint la sagesse au courage et à la force : il attaque les méchants,
protège les bons et use de sa puissance pour faire triompher l'ordre et la
justice8. Une légende fort ancienne, qui s'est développée plus tard très abon-
damment chez les Cananéens, racontait la passion malheureuse d'Ishtar pour
Doumouzi. La déesse s'égarait chaque année d'une fureur nouvelle, mais la
Delitzsch préfère reconnaître en lui le Soleil du sud, le Soleil du midi, qui dévore et détruit tout
(Delitzscr-MOrdter, Geschichle Babyloniens und Assyriens, 2* éd., p. 33). Amiaud, revenant en partie
à l'opinion de Lenormant, croyait que Ninib est le Soleil caché derrière les nuages et combattant
contre eux, un Soleil obscur, mais obscur pendant le jour (Amiaud, Sirpourla d'après les inscriptions
de la collection de Sarzec, p. 18-19). Enfin Jensen conclut la longue dissertation qu'il a consacrée à
l'étude de ce dieu (Die Kostnologie der Babylonier, p. 457-475) en déclarant que • le Soleil du Matin
à l'horizon, étant égal en apparence au Soleil du soir à l'horizon, fut identifié avec celui-ci », en
d'autres ternies que Ninib est le Soleil à son lever et à son coucher, l'analogue de l'Harmakhis
égyptien, Harmakhouiti, l'Horus dans les deux Horizons du ciel (cf. p. 138 de cette Histoire).
1. Le caractère solaire de Nergal, au moins aux époques postérieures, est admis par tous les Assyrio-
logues, mais avec des nuances. Les rapports évidents que l'on a constatés entre Ninib et lui (Fr. Lenor-
mant, Essai de Commentaire sur les fragments cosmogoniques de Bèrose, p. 123-123) ont inspiré à
Delitzsch l'idée qu'il est aussi le Soleil ardent et destructeur (Delitzsch-MCrdter, Geschichle Babylo-
niens und Assyriens, 2* éd., p. 34), et à Jensen la conception analogue d'un Soleil de midi ou d'un
Soleil de l'été (Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 484-485).
2. Fr. Lenormant paraît avoir été le premier à distinguer dans Mardouk, outre le dieu de la planète
Jupiter, une personne solaire (les Premières Civilisations, t. Il, p. 170-171, et la Magie chez les Chai-
déens, p. 120-121, 177). Cette donnée, admise d'une manière générale par la plupart des Assyriolo-
gues (voir ce que dit Sayce, The Beligion of the Ancien t Babylonians, p. 98-101), a été définie plus
exactement par Jensen (Die Kosmologie der Babylonier, p. 87-88, 249-250), qui tend à voir dans
Mardouk à la fois le Soleil du matin et le Soleil du printemps : c'est l'opinion qui prévaut pour le
moment (Delitzsch-MOrdter, Geschichle Babyloniens und Assyriens, 2* éd., p. 31).
3. Saycr, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 212, 232 sqq.
4. Cette appréciation résulte, entre autres, de l'examen des hymnes à Ninib publiés dans Rawlinson,
Cun. Ins. \Y. As., t. I, pi. 17, 1. 1-9, pi. 29, I. 1-25, et dans Jensen, Die Kosmologie der Babylonier,
p. 470-473 : les trois ont été traduits par Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 464-473, le pre-
mier par Lhotzky, Die Anna le n Asturnazirpals, p. 2-3, le second par le Père Schk.il, Inscription en
caractères archaïques de Samsi-Râmman IV, roi d'Assyrie, p. 2-5.
5. Le rôle de Nergal, « le grand Néra », comme dieu de la peste, a été étudié par Sayce, The Beligion
of the Ancient Babylonians, p. 310-313; cf. M. Jastrow, A fragment of the Babylonian Dibbarra
Epi,-, p. 21, 36 sqq.
6. Sur le caractère de Mardouk, cf. la prière de Naboukodorosor, dans Rawlinson, Cun. Ins. IV. As.,
t. I, pi. 53, col. i, 1. 41-60, et surtout l'hymne (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. IV, pi. 29, n°l)
traduit par Fr. Lenormant, les Premières Civilisations, t. Il, p. 178 sqq., la Magie chez 1rs Chaldéens,
p. 175-176, Éludes accadiennes, t. III, p. 116-121, par Fr. Delitzsch, Die Cluildâische Gcnctis,
p. 302 sqq., et par Sayck, The Beligion of the Ancient Babylonians, p. 501-502.
!
648 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
mort tragique du héros brisait bientôt sa tendresse. Elle le pleurait éperdu-
ment, Tallait disputer aux maîtres de l'Enfer, puis le ramenait triomphante
ici-bas : c'était chaque année la même rage amoureuse interrompue violem-
ment par le même deuil. La terre s'unit au jeune Soleil de printemps en
printemps, et se couvre de verdure sous l'influence de ses caresses; puis
l'automne vient et l'hiver, et le Soleil, vieilli, descend au tombeau, d'où il
faut que sa maîtresse l'évoque, pour se replonger avec lui d'un élan commun
dans les joies et dans les douleurs d'une année nouvelle1.
Les différences s'accentuèrent d'autant plus aisément que les êtres de même
origine se trouvèrent souvent séparés l'un de l'autre par des distances relati-
vement considérables. Us se partageaient la surface du monde, et ils y for
niaient comme en Egypte une féodalité véritable, dont les chefs résidaient
chacun dans une cité. Ourouk adorait Anou, Enlil-Bel régnait dans Nipour,
Éridou appartenait au maître des eaux Êa. Le dieu-Lune, Sin, gouvernait à
lui seul deux grands fiefs, Ourou vers l'extrême sud, Harran vers l'extrême
nord-ouest ; Shamash dominait dans Larsam et dans l'une des Sippara, et les
autres soleils faisaient aussi bonne figure que lui, Nergal à Kouta, Zamama à
Kish, Ninib à Nipour à côté de Bel, Mardouk à Babylone*. Us étaient maîtres
absolus chez eux, et c'est une exception si l'on voit dans la même localité
deux associés de valeur égale, comme Ninib et Bel à Nipour, Éa et lshtar dans
Ourouk; non qu'ils s'opposassent en principe à la présence sur leurs terres de
divinités étrangères, mais ils ne les accueillaient qu'à titre d'alliées ou de
sujettes3. C'était d'ailleurs à charge de revanche, et Nébo ou Shamash, après
avoir trôné souverains à Borsippa ou à Larsam, ne pensaient pas déchoir s'ils
passaient au second rang à Babylone ou dans Ourou. Tous les dieux féodaux
revêtaient donc un double personnage et comme un double état civil, suze-
rains dans une ou deux localités, vassaux partout ailleurs, et cette double
1. Pour les questions que soulève le degré de parenté philologique qui unit Doumouzi à Tam-
mouz, cf. Jknsen, Veber einige sumcro-akkadisvhc und babylonisch-assyrische Golternamen, dans la
Zeilsvhrift fur Assyriologic, t. I, p. 1 7-4-1. Sur le mythe de Tammouz-Adonis et d'Ishtar-Aphrodité
on peut consulter les deux mémoires spéciaux de Fr. Lenormant (// Mito di Adone-Tammuz net
documenti cuneiformi, dans les AUi del IV Congresso Internazionale degli Orientalisti, p. 143-173)
et de Tiele (la Déesse lshtar surtout dans le mythe babylonien, dans les Actes du VI* Congrès inter-
national des Orientalistes, t. II, p. 493-306), dont les conclusions ne s'accordent pas dans le détail.
On lira le récit de la descente d'ishtar aux Enfers aux p. 093-tiUti de cette Histoire.
2. Sans remonter aux textes originaux, on trouvera l'indication de la plupart des localités qui
appartiennent à chacune des grandes divinités dans Delit7st.ii, Wo lag das Parodies Y Nipour, p. 221.
Éridou, p. 228, Ourou, p. 227, I.arsani, p. 223, Sippara, p. 210, Kouta, p. 218, Kishou, p. 219. L'attri-
bution de Harran à Sin. qui manque dans Delitzsch, se rencontre dans Saycb, The Religion of the
Ancient Babylonians, p. 103-1 Ci.
3. On a dans Rawlinson, Cun. Ins. \\\ As., t. III, pi. fit» verso, col. 7, une liste des divinités dont les
images, placées dans les principaux temples d'Assyrie, formaient la cour plénière et comme la
domesticité du dieu-maitre (Sayce, The Religion of the Ancient Habylonians, p. 218-220).
LA HIÉRARCHIE DIVINE, LES DEUX TRIADES D'OUROUK. 649
condition leur était une garantie sérieuse de prospérité, même d'existence. Sin
aurait couru grand risque de s?étioler et de tomber dans l'oubli, s'il n'avait
possédé pour subvenir à ses besoins que ses temples domaniaux de Harran et
d'Ourou. Leur appauvrissement aurait consommé sa déchéance : après avoir
connu des jours de richesse et de splendeur au début de l'histoire, il aurait
achevé sa vie dans la misère et dans l'obscurité. Mais les sanctuaires qu'on
lui bâtissait dans la plupart des autres cités, les honneurs dont on l'y entou-
rait, les offrandes qu'il y récoltait, le dédommageaient de la pauvreté et de
l'abandon qu'il subissait dans les siennes : il y gagnait les ressources néces-
saires à maintenir sa divinité sur un pied convenable. Tous les Chaldéens ado-
raient donc tous les dieux de la Chaldée, seulement les uns mettaient celui-ci
au-dessus du reste, les autres un autre. Les dieux des principautés les plus
riches et les plus anciennes jouissaient assez justement de la popularité la
plus forte. La grandeur d'Ourou avait fait celle de Sin, et Mardouk dut sa for-
tune à la suprématie que Babylone acquit tôt sur les cantons du Nord. On le
tenait pour le fils d'Éa, pour l'astre issu de l'abîme afin d'illuminer le monde
et de porter aux hommes les décrets de la sagesse éternelle. On le proclamait
le maître — bîlou — par excellence, au prix duquel les autres maîtres ne
comptaient plus, et ce titre lui fit bientôt un second nom aussi répandu que
le premier : on le cita partout comme le Bel de Babylone, Bel-Mardouk, devant
qui Bel de Nipour s'effaça graduellement1. Les rapports entre ces divinités
féodales n'étaient pas toujours pacifiques : elles se jalousaient comme les villes
auxquels elles commandaient, elles conspiraient l'une contre l'autre, au besoin
elles se déclaraient la guerre. Au lieu de se coaliser contre les génies mauvais
qui menaçaient leur domination et par suite l'ordre entier des choses, elles
s'alliaient parfois avec eux et se trahissaient mutuellement : leur histoire,
si nous la possédions entière, serait pleine des mêmes violences que celle
des princes et des rois leurs adorateurs. On avait essayé pourtant, et dès
l'antiquité la plus haute, d'établir entre elles une hiérarchie analogue à celle
qui existait parmi les grands de notre terre. Les fidèles qui, au lieu de prier
l'une d'elles isolément, préféraient s'adresser à toutes, suivaient en les invo-
quant un ordre toujours le même : ils commençaient par Ànou, le ciel, puis
1. La confusion de Mardouk et de Bel fut notée par les premiers assyriologues : ils distinguaient
entre Bel de Nipour, Bel-Nerarod (H. Rawlinson, On the Religion of the Babylonians, p. 488-492, et
G. Rawlinson, The Five Great Monarchies, 2«éd., t. I, p. 117-119), et Bel de Babylone ou Bel-Mérodach
(H. Rawlinson, On (fie Religion of the Babylonians, p. 515-517; G. Rawlinson, op. /., p. 134-135). La façon
dont ces dieux se sont assimilés a été étudiée par Fa. Lrnormant, les Premières Civilisations, t. II,
p. 170 sqq., et par Sayck, The Religion of the Ancient Rabylonians, p. 85 sqq.
82
650 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÊE.
ils énuméraient Bel, Éa, Sin, Shamash, Ramman1. Ils divisaient ce sizain en
deux groupes de trois, en deux triades, dont Tune comprend Anou, Bel, Ëa, et
l'autre Sin, Shamash, Ramman. Toutes ces personnes appartiennent à laChaldée
méridionale, et le système qui les unit a dû naître dans cette partie du pays,
probablement dans Ourouk, dont le patron Anou détient le premier rang1. Les
théologiens qui les ont classés de la sorte ne paraissent pas avoir songé, comme
les auteurs de l'Ennéade héliopolitaine, à expliquer les moments successifs de
la création : aussi leurs triades ne sont-elles pas des copies de la famille hu-
maine, comprenant un père et une mère dont le mariage enfante une des par-
ties du monde nouveau. D'autres avaient exposé déjà les origines des choses
et raconté les luttes de Mardouk avec le chaos3 : ils prirent l'univers tout édi-
fié, et ne se soucièrent plus que d'en dénombrer les éléments par les dieux qui
les incarnent4. Ils placèrent au sommet les plus grands parmi les êtres que
l'homme perçoit forcément, Anou d'abord, puisque le ciel était le dieu de leur
cité, puis Bel de Nipour, la terre qui de tout temps s'est appareillée au ciel,
enfin Ëa d'Ëridou, les eaux terrestres et l'Océan primordial d'où Anou et Bel
étaient sortis avec le reste des créatures, le dieu dont ils auraient dû faire le
souverain maître, s'ils n'avaient été guidés dans leur choix par la vanité locale.
Anou doit sa suprématie plutôt à un accident historique qu'à une pensée reli-
gieuse : il tient le haut de tout, non pour ses propres mérites, mais parce que la
théologie qui prévalut à une époque très ancienne était l'œuvre de son sacerdoce8.
Le caractère des trois personnages qui siègent dans la triade suprême se
déduit très simplement de la nature de l'élément qu'ils représentent. Anou,
c'est le ciel lui-même — ana — , la voûte immense qui s'arrondit au-dessus
de nos têtes, claire pendant le jour et glorifiée par le soleil, sombre et semée
la nuit d'innombrables constellations6. C'est ensuite l'esprit qui anime le firma-
t. C'est l'ordre constant dans les inscriptions de Nabonatd par exemple, comme dans celles de
Salmanasar II, et l'analyse de la légende de G il gainés montre qu'on l'observait déjà aux anciens temps
(A. Jkremias, Izdubar-Nimrod, p. 9-10), avec l'échange usuel de Ramman et d'ishtar au sixième rang.
2. Henry Rawlinson inclinait à placer dans Éridou l'origine de la théologie chaldéenne; mais Sayce
fait remarquer avec raison (The Religion of the Ancient Babylonians, p. 192) que le choix d'Annu
comme chef de file indique plutôt la ville d'Ourouk que celle d'tfridou.
3. Cf. p. 1)37-545 de cette Histoire la cosmogonie d'origine babylonienne, dont Mardouk est le héros,
4. Je ne sais guère que Sayce (The Religion of the Ancient Babylonians, p. 110-111, 192-193) qui
ait essayé d'expliquer la formation historique des triades. Elles seraient d'origine accadienne, et
le système aurait commencé peut-être par la constitution d'une triade astronomique, composée du
dieu-Lune, du dieu-Soleil et de l'Etoile du soir (op. /., p. 110), Sin, Shamash et Ishtar; à côté de
cette trinité élémentaire, « la seule authentique qu'on puisse trouver dans la foi religieuse de la
Chaldée primitive », les Sémites auraient placé la trinité rosraogonique d'Anou, de Bel et d'fta, for-
mée par la réunion des dieux d'Ourouk, de M pour et d'Éridou (op. /., p. 192-193).
5. Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 192-194.
6. Anou avait été considéré d'abord comme un dieu des enfers et identifié à Dis ou à Pluton
(H. Rawlinson, On the Religion of the Babylonians and Assyrians, p. 485-487 ; cf. Hincks, On the
LA TRIADE SUPRÊME, ANOU LE CIEL. 654
ment1 ou le dieu qui le gouverne* : il réside au nord vers le pôle, et la route
qu'il choisit d'ordinaire pour inspecter son domaine suit le tracé de notre éclip-
tique3. 11 occupe les régions sublimes de l'univers, à l'abri des vents et des
orages, dans une atmosphère toujours pure et dans une lumière toujours sereine.
Les dieux des espaces moyens et de la terre se réfugient vers ce ciel d'Anou',
lorsqu'un grand danger les menace, mais ils n'osent pas en affronter les pro-
fondeurs et ils s'arrêtent, la limite à peine franchie, sur la corniche qui sup-
porte la voûte, vautrés, et hurlants comme des chiens5 : il ne s'ouvre entier
qu'à de rares privilégiés, aux rois que le destin consent à y admettre, aux
héros tombés vaillamment sur les champs de bataille. Placé si loin de tous,
sur les sommets inabordables, Anou semble participer de leur calme et
de leur immobilité. S'il est prompt à concevoir et à juger, il n'accomplit
presque jamais lui-même les projets qu'il mûrit ou les arrêts qu'il rend :
il se décharge du tracas d'agir sur Bel-Mardouk, sur Éa, sur Ramman6,
et il fait souvent des génies inférieurs les exécuteurs de ses volontés.
« Sept ils sont, les messagers d'Anou leur roi, — et c'est eux qui de ville en
ville soulèvent le vent d'orage; — ils sont le vent du Sud qui chasse puissam-
ment dans le ciel ; — ils sont la nuée destructrice qui bouleverse le ciel ; — ils
sont les tempêtes rapides qui amènent les ténèbres au milieu des jours sereins.
— ils rôdent çà et là avec le vent mauvais et la bourrasque néfaste7. » Anou
Assyrian Mytliology, p. 406-407; G. Rawlinso*, The Five Great Monarchies, 2* édit., t. I, p. 112, 115-
117). Son rôle a été déterminé pour la première fois par Fr. Lenormant (la Magie chez les Chaldéens,
p. 106, 121, 142, 144-145), qui, après avoir d'abord déclaré qu'il était le chaos primordial (Essai de
Commentaire sur les fragments cosmogoniques de Bérose, p. 64-66), « première émanation matérielle
de l'être divin », reconnut qu'Ânou était identique à Anna, an a, le ciel, et joignit à l'idée de firma-
ment celle de dieu-Temps, xp6vo;, et monde, xocru-é;, pour se conformer aux notions contenues
dans un passage de Damajscius (De Principiis, § 125, éd. Ruelle, p. 321-322). L'identité d'Anou avec
le Ciel, et, par suite, sa qualité de dieu-Ciel, sont aujourd'hui reconnues généralement (Hommel, Die
Semitischen Vôlkerund Sprachen, p. 370-373; Sayce, Religion ofthe Ancient Babylonians, p. 186-195;
Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 4, 11-12,274; MCriiter-Delitzsch, Geschichte Babyloniens und
Assyriens, 2* éd., p. 25-26; Tikle, Assyrisch-Babylonische Geschichte, p. 517, 521).
1. Il est alors le Zi-ana, YEspiit du Ciel des conjurations magiques, qu'elles associent et qu'elles
opposent à Y Esprit de la terre (Fr. Le.norma.nt, la Magie chez les Chaldécns, p. 139-140, 144; Hommel,
Die Semitischen Vôlker, p. 363, 370 ; Sayce, The Beligion of the Ancient Babylonians, p. 186-187).
2. Il porte en effet le titre d'Anou, le grand du Ciel, le grand dieu (Rawlinson, Cun. Ins. W. As.,
t. V, pi. 45, n° 2, 1. 22), qui règne sur la voûte du firmament.
3. Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 16 sqq.
4. Sur le sens de cette expression, voir J en ses, Die Kosmologie der Babylonier, p. 11-12, où il est
montré qu'elle ne désigne pas un seul de plusieurs ciels entre lesquels les dieux auraient été répartis
(A. Jeremias, Die Babylonisch-A*syrischen Vorstellungen vom Leben nach dem Tode, p. 59-60).
5. Cf la peinture des dieux dans la légende du Déluge, à la page 569 de cette Histoire.
6. Dans le récit de la guerre soulevée par Tiàmat contre les dieux de lumière, il envoie successi-
vement Éa puis Bel-Mardouk contre les puissances du Chaos (cf. p. 539 de cette Histoire). Dans la
légende du dieu Zou, c'est à Ramman qu'Anou confie le soin de reprendre les tablettes du destin
(J. Harper, Die Babylonischen Legenden von Etana, Zû, Adapa und Dibbara, dans les Beitràge zur
Assyriologie, t. II, p. 409-412); cf. aux pages 666-667 de cette Histoire.
7. IUwxinson, Cun. Ins. W. As., t. IV, pi. 5, col. i, 1. 27-39; cf. Fr. Lenormant, le Dieu Lune délivre
de l'attaque des mauvais esprits, dans la Gazette Archéologique, 1878, p. 24, Éludes Accadienne*,
65-2 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÊE.
lance tous les dieux à son gré, puis il les rappelle, puis, à force de se servir
d'eux comme d'instruments, il affaiblit leur personnalité, la réduit à néant,
l'absorbe dans la sienne. Ils se mêlent en lui et leurs noms ne semblent plus
que des doublets du sien : c'est Anou le Lakhmou qui paraît aux premiers
jours de la création, c'est Anou Ouràsh ou Ninib, le soleil guerrier de N'ipour,
c'est Anou l'aigle Alala qu'lshtar énerva par ses tendresses1. Anou ainsi conçu
cesse d'être le dieu par excellence : il devient le seul dieu maître, et l'idée
d'autorité s'attache si bien à lui que son nom sert dans le langage courant à
rendre la notion de dieu*. Bel se serait effacé presque entièrement devant
lui, eomme c'est assez le sort des dieux-Terre en présence des dieux-Ciel, s'il
ne s'était confondu avec son homonyme le Bel-Mardouk de Babylone : il dut
à cette alliance de conserver sa vie propre jusqu'à la fin, vis-à-vis d'Anou3.
Éa était le plus actif et le plus énergique des membres de la triade4. Comme
il figurait l'abîme sans fond, les eaux ténébreuses qui avaient empli l'univers
jusqu'au jour de la création, on lui avait attribué la connaissance de toutes
les choses passées, présentes et futures, dont les germes avaient reposé dans
son sein. On vénérait en lui la sagesse suprême, le maître des conjurations
et des charmes qui commandent aux hommes et aux dieux : nulle force ne
t. 111, p. 122-123; Hommrl, Die Semitischen Vôlker, p. 307; Sayce, The Religion of the Ancient Babylo-
nians, p. 463. Delitesch, Die Chaldâische Gène sis, p. 308, pense que le* sept mauvais génies sont en
rapport avec les sept jours funestes de l'année chaldéo-assyrienne.
1. Une tablette de la Bibliothèque d'Assourbanabal (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. III, pi. 69,
n° 1, verso) donne la liste de vingt et un dieux et déesses qui sont identiques à Anou et à sa forme
féminine Anat, dans le rôle de père et de mère des choses (Jensen, Die Kosmologie der Babylonier,
p. 272-275); d'autres textes montrent que ces identifications étaient admises par les théologiens, au
moins pour quelques-unes de ces divinités, pour Ourash-INinib (Je.nsen, Die Kosmologie der Babylonier \
p. 136-139) et pour Lakhmou (Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 191-192).
2. Le fait, remarqué par les premiers assyriologues, leur avait inspiré l'idée que An, Anou, Ana,
était le nom de la divinité en général, appliqué à un dieu spécial par abus de langage (Rawli.nson,
On the Religion of the babylonians and Assyrians, p. 486; cf. G. Rawlinson, T/ie Five Great Monar-
chies, 2" éd., t. I, p. 115); les assyriologues d'aujourd'hui ont renversé la proposition, à l'exemple de
Fr. Lenormant, la Magie chez les Chaldéens, p. 144-145.
3. Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 1 03-10 i.
4. Le nom de ce dieu a été lu ISisrok par Oppert {Expédition en Mésopotamie, t. Il, p. 339-340),
Nouah par Hincks, et par Lenormant(/c* Premières Civilisations, t. Il, p. 130-132). La lecture actuelle
la, Éa, se traduit ordinairement Maison (Lenormant, la Magie chez les Chaldéens, p. 145-146), Maison
de l'eau (Hommel, Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 251); c'est une interprétation populaire
qui paraît avoir été inspirée aux Chaldéens par les valeurs diverses des signes qui servent à écrire
le nom du dieu (Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 246, note). Dès le début, H. Rawlinson
(On the Religion of the Babylonians and Assyrians, p. 492-495) reconnut dans Éa. dont il lisait le nom
Héa, Hoa, la divinité qui préside à l'abîme des eaux; il le comparait au serpent de l'Écriture, mis en
rapport avec l'arbre de la science et de la vie, et il déduisait de ce rapprochement le rôle de maître
de la sagesse. Son caractère de seigneur des eaux primordiales d'où sont sorties toutes choses, net-
tement défini par Lenormant (la Magie chez les Chaldéens, p. 145-147), est bien connu aujourd'hui
(Hommel, Die Semitischen Yôtker, p. 373-375; Demtzsch-Mï'riiter, Geschichte Babyloniens und Assyriens,
2* éd., p. 2"; Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 131-145; Tiele, Iiaby Ionise h-
Assyrische Geschichte, p. 518-520). Son nom est transcrit 'Ab; par Daniascius (De Principiis,% 125.
éd. Ruelle, p. 322), sans qu'il soit aisé d'expliquer cette transcription (Je.nskn, Die Kosmologie der
Babylonier, p. 271); l'hypothèse la plus vraisemblable est encore celle d'Hommel (Geschichte Baby-
loniens und Assyriens, p. 254) qui considère 'Abç comme une forme apocopée de 'Iabç = la, Ea.
BEL LA TERRE, ÉA LE DIEU DES EAUX. 653
prévalait contre sa force, nulle voix contre sa voix, mais dès qu'il avait
entr'ouvert la bouche pour annoncer ses décisions, sa volonté devenait loi et
ne rencontrait plus de contradicteurs. Si un danger se présentait contre lequel
les autres dieux se sentaient impuissants, ils imploraient aussitôt son aide, et
il ne la leur refusait jamais1. Il avait sauvé du déluge Shamashnapishtim'; il
délivrait chaque jour ses adorateurs de la maladie et des mille démons qui
la produisaient8. 11 était le potier, et il avait modelé les hommes avec l'argile
des plaines*. Les forgerons et les orfèvres tenaient de lui l'art d'assouplir
et de travailler les métaux. Les tisserands et les tailleurs de pierre, les jar-
diniers, les laboureurs, les matelots le proclamaient leur instituteur et leur
patron Les scribes dérivaient leur science de sa science incomparable, et les
médecins ou les sorciers ne parlaient aux esprits qu'en son nom, par la
vertu des prières qu'il avait daigné leur enseigner8.
Au-dessous de ces êtres sans limites et presque sans figure, les théologiens
composèrent leur deuxième triade de dieux bornés et immuables en leurs
formes. Ils trouvaient, dans la régularité implacable avec laquelle la lune
agrandit et décroît son disque ou le soleil monte sur l'horizon et en descend
chaque jour, la preuve de leur asservissement aux décrets d'une volonté supé-
rieure, et ils marquaient cette dépendance en les faisant fils de l'un des trois
grands dieux ou fils l'un de l'autre : Sin l'était de Bel8, Shamash de Sin7, Ram-
man d'Anou8. Sin devait sans doute la primauté parmi ces divinités de la
seconde classe au pouvoir prépondérant qu'Ourou exerça sur la Chaldée méri-
1. Ainsi dans l'histoire du soulèvement des Anounnaki (cf. p. 634 de cette Histoire), Bel, apprenant
les progrès de l'ennemi, envoie son messager Nouskou pour implorer le secours d'Éa (Rawllnsok, Cun,
Ins. \Y. As., t. IV, pi. 3, col. il, 1. 36 sqq.) : Éa expédie aussitôt son fils Mardouk dont l'arrivée
décide de la victoire des dieux de lumière (cf. Sayce, The Religion of the Aneient Babylonians,
p. 454-465; Halévy, Documents religieux de l'Assyrie et de la Babylonie, p. 101-102).
2. Voir, p. 566-367 de cette Histoire, le récit du songe par lequel Éa prévient Shamashnapishtim du
danger qui le menace lui-même et l'humanité avec lui.
3. 11 procure aux hommes, par l'intermédiaire de son fils Mardouk, la guérison des maux de tétc
et des fièvres dont ils souffrent (Sayce, The Religion of the Aneient Babylonians, p. 460-461,
470, 472).
4. Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 293-295; cf., p. 693 de cette Histoire, le récit d'une
création d'homme, ou plutôt d'un messager divin à figure d'homme, par Éa.
5. La variété des fonctions d'Éa est prouvée par la liste de ses titres que renferme une tablette du
British Muséum (Kawlinsos, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 55, I. 17 sqq.; cf. un double, ibid., pi. 58, n° V),
elle n'est pas d'ailleurs complète et les monuments nous en font connaître plusieurs qui n'y figurent pas.
6. Sa filiation est indiquée nettement sur les plus anciens documents d'Ourou ; ainsi, sur un baril
en terre cuite provenant du temple de Moughéir, on l'appelle * IS'annar, le taureau puissant d'Anou,
le fils d'Inlil-Bel » (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. I, pi. I,n° IV, 1. 1-4; cf. n° V).
7. Shamash est appelé déjà le rejeton de Nannar, sur une inscription du roi d'Our, Goungounoum
(cf. p. 619 de cette Histoire) qui provient du temple de Moughéir (Rawlinsok, Cun. 1ns. W. As., t. I,
pi. 2, n/»VI, 1, I. 1-3).
8. Téglathphalazar Ier appelle Ramman : le vaillant fils d'Anou. Anou et Kamuian possédaient dans
la ville d'Assour un même temple très ancien, où ils étaient adorés en commun et qui fut restauré
par Téglathphalazar Ier (Prisme, col. vu, 1. 60-113); on y voyait également une chapelle dédiée à
Ramman seul (ibid., col. vin, I. 1-16).
654 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
dionale1. Mar, où Ramman dominait, ne sortit jamais de son obscurité, et
Larsam ne conquit la suprématie que bien des siècles après sa voisine, encore
ne s'y maintint-elle pas longtemps1 : le dieu de la cité suzeraine prit néces-
sairement le pas sur celui des cités vassales, et sa supériorité, une fois inculquée
dans l'esprit du peuple, y résista à toutes les révolutions de la politique. Sin*
portait dans Ourou les noms d'Ourouki* ou de Nannar le brillant8, et ses prê-
tres en arrivaient parfois à l'identifier avec Ànou. « Seigneur, prince des dieux,
qui au ciel et sur la terre es seul exalté, — père Nannar, seigneur des armées
du ciel, prince des dieux, — père Nannar, seigneur, grand Anou, prince des
dieux, — père Nannar, seigneur, dieu-Lune, prince des dieux, — père Nannar.
seigneur d'Ourou, prince des dieux, .... — Seigneur, ta divinité emplit le ciel
lointain comme la vaste mer de crainte respectueuse! — Maître de la terre,
qui y fixes les limites [des villes] et leur assignes leurs noms, — père, généra-
teur des dieux et des hommes, qui leur établis des demeures et fondes pour eux
ce qui est bon, — qui proclames la royauté et donnes le sceptre élevé à ceux
dont la destinée est fixée depuis les jours reculés, — chef, puissant, dont le
cœur est large, dieu que nul ne sait nommer, — dont les membres sont fer-
mes et dont les genoux ne fléchissent jamais, qui ouvres les voies de ses
frères les dieux.... — Au ciel, qui est suprême? Toi, c'est toi seul qui es
suprême! — Toi, ton arrêt est notifié dans le ciel, et les Igigi inclinent leur
visage! — Toi, ton arrêt est notifié sur la terre, et les esprits de l'abîme bai-
sent le sol! — Toi, ton arrêt souffle en haut comme le vent, et l'étableet le
pâturage deviennent féconds! — Toi, ton arrêt s'accomplit en bas sur la terre,
et l'herbe et la verdure poussent! — Toi, ton arrêt est vu dans les parcs des
1. Sayck, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 1G4-167.
2. Sur la domination de Larsam, cf. p. 619 de cette Histoire.
3. Le nom de Sin a été lu en suméro-accadien Enzouna, Zou-in-na, Zottin (Fr Lf.norma.nt, la Magie
citez les Chaldéens, p. 16, 127; Uommel, Die Semitischen Yôlker, p. 493-494), qui serait l'origine de la
forme courante Sin. Jensen s'est élevé contre cette étymologie (Die Kosmologie der Babylonier,
p. 101-102), et Winckler {Su mer und Akkad, dans les Mittheilungen des Akadcmista-OricntalUtchen
Vereins zu Berlin, 1887, 1, p. 10) ainsi que Tiele (Babylonisch-Assyrische Geschichte, p. 523) consi-
dère l'idéogramme au moyen duquel on écrit le nom du dieu comme étant sémitique d'origine.
■i. Lu d'abord Hourki (Kawlinson, On the Religion of the Babylonians and Assurions, p. 504). Le
nom du dieu se rattache à celui de la ville, et pourrait signifier le protecteur (ibid., note 8) ou le dieu
de la place de protection, sans qu'il soit bien facile de distinguer lequel des deux sens est le véri-
table (Hommel, Die Semitischen Yôlker, p. 205-206).
5. Le nom de N'annarou a été grécisé en Ndtvapo;, et a donné lieu à une légende que nous connais-
sons sous sa forme persane. Nicolas de Damas (Fragmenta Historicorum Gnecorum, éd. MCller-Didot,
t. III, p. 359-363), l'avait empruntée à Ctésias. Ce récit, dont Charles Lenormant avait reconnu le
caractère mythologique (Chabooillet, Catalogue Général des Camées et Pierres gravées de la Biblio-
thèque Impériale, p. 111), a été rattaché à Nannarou-Sin par Fr. Lenormant, Essai de Commentaire sur
les fragments cosmogoniques de Bérose, p. 96-97, dont l'opinion à ce sujet est admise aujourd'hui
par les assyriologues; cf. Sayck, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 157-159. Une forme
voisine du nom est Nannak, Nanak, qui a passé également en grec, Nacwaxdç, et autour duquel se
sont ralliées diverses légendes répandues en Asie Mineure à l'époque gréco-romaine.
LA SECONDE TRIADE, SIN LA LUNE. 65S
bestiaux et dans les repaires des bêtes, et il multiplie les êtres vivants ! —
Toi, ton arrêt a évoqué le droit et la justice, et les peuples ont promulgué
la loi ! — Toi, ton arrêt, ni au ciel lointain, ni dans les profondeurs cachées de
la terre, nul ne peut le connaître! — Toi, ton arrêt, qui peut l'apprendre,
qui se mesurer avec lui ? — 0 seigneur, au cîel en puissance, sur la terre en
souveraineté, parmi les dieux tes Frères, tu n'as point de rival'! » Ailleurs qu'à
Ourou et dans Harran, on ne prêtait pas à Sin ce rang de créateur et de
régent des choses : il était simplement le dieu-Lune, et on l'imaginait sous la
forme d'un homme, le plus souvent accompagné d'un croissant mince', parfois
debout sur le croissant ou en sortant à mi-taille, dans le costume et dans
l'attitude des rois*. Sa mitre s'identifiait si bien avec lui qu'elle le remplaçait
sur les tableaux astrologiques : le nom qu'elle portait — agou — désigne
souvent la lune considérée comme corps céleste indépendamment de toute
divinité1. Babbar-Shamash, « la lumière des dieux, ses pères e, « l'illustre
I. Rawlinson, Cun. In: W. Al., I. IV, pi. 9, 1. Ml), Ï8-39. 53-KÎ el verso I-]*; cf. F». Lksobnaiit,
(et Première» Civitimtiom, 1. It, p. I5R-IG4, Éluda Accadienues, 1. Il, p. 131-148, I. III, p. 46-1(3, el
le Dieu Lune délivré de l'attaque des mouvait Esprits, dans la Gazelle Archfolngiatœ, 18"8, p. 33-
3'i; Deiitik*, Dit Chaldàitche Gênait, p. ÎH1-Ï83; Omar, Fragment* cosmogoniquei, dans E.emuii,
Histoire du peuple d'Israël, t. Il, p. 48i-4fl4; IlomtL, Geschichle Babyloniens und Assyriens, p. 3"8-
37»; SaïM, The Religion of the Aneient Dabylontaus, p. IfiO-lfiî.
t. Dessin di ■ Faucher-Gudia, d'après V héliogravure de Venant, la Glyptique Orientale, l. I, pl.IV, n'1.
4. LlUilD, Hanuments relatifs au culte de Milhra, pi. XLIV, n° I, LIV B, n'1G; rf. plus haut, p. CM.
5, La m ilre ornée de» cornes, agou, représente plu» particulièrement la pleine lune. On disait alors
que Si» arait mis sa mitre (R.inainsos, Clin. Int. II'. A., t. III, pi. 5«. n- 3, I. I ; cf. Saycï, The
Aslronomy and Aslrotogy of the Babyloniant, dans les Trantaetimls de la Société d'Archéologie
Biblique, 1. III, p. Îi5-Ï2G. où l'eipression est comprise des halos qui se forment autour de la lune),
tandis qu'au premier quartier les cornes seules apparaissaient (cf., p. 545 de celte Histoire, la fin du
récit de la création). Elle désigne Sin au sommet des stèles (Stèle de Salmanaiar II dans les Tram-
OSe LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDËE.
rejeton de Sin1 », passait les nuits dans les profondeurs du Nord, derrière les
murs de métal poli qui bornaient la partie du firmament visible aux hommes1.
Dès que l'aube lui en ouvrait les portes, il se levait à l'Est tout en flammes, le
casse- tri te au poing, et il s'élançait impétueusement sur la chaîne de montagnes
qui entoure le monde': il atteignait six heures pins tard le terme de sa
course vers le Sud, puis il remontait à l'Ouest en diminuant progressivement
ses feux, et il rentrait dans son gîte accoutumé par la porte d'Occident, pour
ne plus ressortir qu'au matin du jour suivant. Il accomplissait son voyage
autour de la terre sur un char conduit par deux écuyers, et attelé d'onagres
vigoureux, « dont les jarrets ne se lassent jamais" » ; le disque flamboyant
que nous apercevons d'ici-bas était une des roues du char'. Dès qu'il se
montre, le chant des hymnes le salue : « Soleil, sur le fondement des
cieux tu pointes, — tu tires les verrous qui barrent les cieux étincelants,
action* de la Société d'Archéologie Biblique, (. VI, pi. VIII) ou des bornes qui «ervent de limites à
tin domaine [Caillou Michaux, à la Bibliothèque Nationale, cf. la vignette p. îfiï de celte Histoire).
t. Babbar est le nom suraérien, ShaniEisii lu nom sémitique, qui, prononcé Shaouaih selon une loi
connue de phonétique ha h> Ionienne, a été transcrit Saulç par les fîrers. Le nom de Shamash avait
été d'ahord lu San ou Snnti (RiwLMtti*, On the IMigion of the tlabyloiiians and Assurions, p. 500).
î. Cf. I» description du ciel et l'indicalion des deui portes aui p. SJ3-S45 de cette Histoire. Les
teites relatifs ï la course du Soleil sont dans Jkusek, Die Konnologie der Babylcmicr, p. 9-10.
3. Sa course sur la levée qui tourne autour de la voûte céleste lui faisait donner le titre de Irait
d'union entre la Terre et le Ciel (cf. p. 666 de cette Histoire) : il circulait en effet sur la ligne où le ciel
et la terre se louchent et paraissait les souder par le cercle de feu qu'il y décrivait. Une autre expres-
sion de l'idée se retrouve dans le protocole de tergal et de Ninih, qu'on appelle let séparateurs :
la course du Soleil peut en effet séparer aussi bien que réunir les deux parties de l'univers.
i. Dessin de Fauther-Cudin, d'après une intaitte chaldéennc en jaspe vert du Musée du Louvre
(Mh*kt, Ueeherclies sur la Glyptique orientale, t. I. p. 193, n* 71). L'original a 0-.033 de hauteur.
5. JmiF.x, Die Kosmologie der liabylonier, p. 98-111.
6. Le disque a tantôt quatre, tantôt huit rayons inscrits, ce qui réponds des roues de quatre ou
huit jantes. Ilawlinson suppose que ■ ces deux figures indiquent une distinction entre le pouvoir
mate el le pouvoir femelle de la divinité, le disque a quatre rais symbolisant Shamas, l'orbe à huit
SHAMASII-B.VBBAH, LE SOLEIL. 637
— tu ouvres la porte des cieux! — 0 Soleil, lu lèves ta tète au-dessus de la
terre, —Soleil, tu étends au-dessus de la terre la voûte éclatante des deux'! •>
Les esprits de ténèbres s'enfuient à son approche ou se rejettent dans leurs
cavernes mystérieuses, car « il détruit les mauvais, il fait s'écarter — les signes
et les présages funestes, les songes et les ghoules méchantes, — il tourne le
mal en bien, et il pousse à leur perte les pavs et les hommes — qui se vouent
à la magie noire1. » En même temps que la lumière matérielle, il verse la
vérité et la justice à pleins flots sur la terre; il est le n juge élevé* » devant
rais étant l'emblème (l'Ai, de Coula ou d'Anounil • (On Ihe Religion of Ihe Rabyloniamand Aatytiani.
dans G. RaWLIRM», Herodolut, f éd., t. I, p. 504}.
1. RtwLisnos, Citn. Int. IV, A» , t. IV, pi. îl). n> *, I. 1-10; cf. LtlOMWT, ta Magie che; le* Chai-
dieu; p. lG5-lfiB; IwKCr, Hymtien auf dut Wiederertcheinen der drei gxouen I.ichtg6lftr, dans la
Zeitichrifl fur Anyriologie, t. 11. p. 191 sqq.; S»rcE, The Religion of Ihe Ancien! Rabyloniane, p. 401.
i. firitiH de Faucher-Gudin . d'aprri la photographie de Hissa*, dans le* l'roreeding* de la Société
d'Archéologie Biblique, I. VIII, planche entre le» p. 164-lfiIÎ. Le» deux divinités qui sortent à mi-corps
du loi! du naos sont le» dcui écuyers du Soleil (Pisciiib, The Aniiquilie* found by M. H. Itatiam al
Abu-llabbuh. dans les Traniactiont de la Société d'Archéologie Biblique. I. VIII, p. 161-165; Ho«»el,
Geichichte Babylonien* und Attyricm. p. ÎÏ9, note 4) : ils maintiennent cl guident le disque radié
placé sur l'autel. Cf. à l'époque assyrienne le disque ailé conduit avec des cordes par deux (renies.
3. Riwuïsos, Can. /ni. II'. A*., t. IV, pi. 17, verso, I. 13-46; cf. Lixomiiit, la Magie rhes le* Chat-
dieni, p. 164-165; Oppkht. Fragmenté cotmagoniquei, dans Lkmuix, IUttoire du peuple d'Itraël, t. Il,
p. 48I-48Ï; Siyck, The Religion of the Ancien! Babytonian», p. IÎ3.
4. IUWI.1WI, Cuu. hu. II'. .!«.. t. I. pi. 54. col. iv, I. ÏS; et dans les différents hjmneg au Soleil;
Bawkotto. 6'nn. lai. II'. Ai., t. IV, pi. îs, «• 1, t. V, pi. 60, col. i. I. 10-15; cf. BuCasow, Awyrian
lli/mn; Jans la ï.eiliehrifl ftïr Anyriologie. t. IV, p. 7-13, 15-Î4, F». Liisomamt, Étude* Accadieima,
t. III, p. 139, I. 37-38, cl S.ILE, The Religion of Ihe Ancien! Babgloniam, p. 4'J!l-5UO, 51(1.
hist, ur.. nK l'ohibit. — t. i. BS
658 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDËE.
qui tout s'incline, son droit ne plie point, ses arrêts ne sont jamais repoussés.
« 0 Soleil, au milieu du ciel quand tu te couches, — puissent les verrous du
* ciel éclatant te saluer en paix, — et la porte des cieux te bénir! — Puisse
« Misharou, ton serviteur bien-aimé, guider droit ton chemin, — pour qu'en
« Ëbarra, le siège de ta domination, ta grandeur se lève, — - et que A, ton
« épouse chérie, t'accueille joyeusement! Puisse ton cœur allègre trouver en
« elle ton repos! — Que l'aliment de ta divinité te soit apporté1 par elle, —
« guerrier, héros, soleil, et qu'elle redouble ta vigueur; — sire d'Ébarra,
« quand tu t'avances, puisses-tu diriger droit ta course! — 0 Soleil, pousse
« droit ta route, le long de la voie stable qui t'est fixée, — ô Soleil, toi
« qui es le juge du pays et l'arbitre de ses lois1! »
Il semble que la triade ait commencé par avoir comme troisième personne
une déesse, Ishtar de Dilbat3. lshtar est l'étoile du soir qui précède l'appari-
tion de la lune, et l'étoile du matin qui présage la venue prochaine du soleil :
l'éclat de ses feux justifie le choix qu'on avait fait d'elle pour l'associer aux
plus grands des astres. « Aux jours passés,... Éa chargea Sin, Shamash et
Ishtar de régir le firmament des cieux ; — avec Anou, il partagea entre eux
le commandement de l'armée des cieux, — et entre ces trois dieux, ses
enfants, — il répartit le jour et la nuit, et les obligea à travailler «ans cesse4. »
Elle se sépara de ses deux compagnons, quand le groupe des planètes s'orga-
nisa définitivement et sollicita l'adoration des dévots, puis les théologiens
lui substituèrent un personnage d'une physionomie moins originale, Ramman*.
Ramman assemble en soi les éléments de plusieurs génies fort anciens, tous
préposés à l'atmosphère et aux phénomènes qui s'y développent journelle-
ment, le vent, la pluie, le tonnerre. Ils avaient tenu une place considérable
1. C'est une allusion directe au sacrifice ou à la libation que le Soleil recevait chaque soir à son
coucher dans le temple de Sippar, É barra, Ébabbara.
2. Pinchbs, The Aniiquities found by M. Rassam al Abu-llabbah (Sippara), dans les Transaction»
de la Société d'Archéologie Biblique, t. VIII, p. 1(>7-I68; F. Bertin, l'Incorporation verbale en Acca-
dien, dans la Revue dWssyriologie, t. I, p. 157-161; Hommel, Geschickte Babylonien» und Assyriens,
p. 228-229; Sayce, The Religion of the Ancienl lia by louions, p. 177, noie i, 513.
3. Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 110, 193; A. Jeremias, hdubar-Simrod,
p. 9-10. Dans l'inscription de la stèle de Salmanasar 11, la deuxième triade est composée de Sin, de
Shamash et d'Ishtar (Hawu.nson, Cuti. Ins. \Y. As., t. III, pi. 7, col. i, 1. 2-3).
4. Hawunson, Cuii. Ins. \Y. As., t. IV, pi. 5, col. i, 1. 52-79; cf., pour l'interprétation de la légende,
Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 257-258.
5. Le nom du dieu de l'atmosphère est de ceux qui ont suscité le plus de dissentiments parmi les
assyriologues : il a été lu Iv ou ha, puis Bin par Hincks (On the Assyrian Mythology, dans les
Memuirs de l'Académie de Dublin, t. XXIII, p. 412-413), Vul ou Put, par Rawlinson {On the Religion
of the Babylonians and Assyrians, p. 497-498), Ao, Hou, par Oppert (Rapport adressé à Son Exe. le
Ministre de l'Instruction publique, p. 45-45). La lecture Kammanou, Ramman, déduite de Ramamov,
mugir, tonner, domine actuellement, bien que M. Oppert ait proposé récemment d'adopter en
général celle de Iladad (Adad-Sirar, roi d Ellassar, dans les Comptes rendus de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, 1893, t. XXI, p. 177-179), qui est prouvée pour quelques cas particuliers.
1SHTAR REMPLACEE PAU K A MM AN DASS LA TRIADE. 659
dans les religions populaires qui avaient préparé les combinaisons savantes
des théologiens d'Ourouk, et il nous reste encore beaucoup de légendes où
leurs incarnations diverses sont mises en jeu. On se les figurait volontiers
comme des oiseaux gigantesques, accourus sur leurs ailes rapides du fond de
l'horizon, et soufflant une haleine de flamme ou des torrents d'eau contre les
paya qu'ils effleuraient de leur ombre. Le plus terrible d'entre eux, Zou,
présidait aux tempêtes :
il amassait les nuées,
il les crevait et les pré-
cipitait en averses ou
en grêle, il déchaînait
les vents et la foudre,
et rien ne restait de-
bout où il avait passé1.
Sa famille était nom-
breuse : on v remarquait
des croisements des- u rtBWK imtm ikmot iw rroit* u hm w »i'.
pèces bizarres, qui dé-
concerteraient un naturaliste moderne, mais qui paraissaient tout simples aux
sacerdoces anciens. Sa mère Siris, dame de la pluie et des nuages, était un
oiseau comme lui3, mais il avait pour fils un taureau robuste, qui, paissant
dans les prairies, y répandait l'abondance et la fertilité. Les caprices de ces
êtres ambigus, leur malice, leurs attaques sournoises leur attiraient souvent
des mésaventures fâcheuses*. Shoutou, le vent du Sud, aperçut un jour Adapa,
l'un des nombreux enfants d'Ka, qui péchait pour approvisionner sa famille.
Malgré sa haute origine, Adapa n'était pas un dieu; il ne possédait point le
1. Sur l'oiseau Zou. cf. fl. SiiTn, f.haldxan Account of Ûtneii; p.tlî-lii; K. 1. IIiuper, Die liabtj-
loniichen I.egenden von Etana, Zu, Adapa und Dibbara, dans les Bcitliiye :ur Auyriologie, l. Il,
p. il 3- 118. On trouvera plus loin, p. BtHi-Wi" de cette Histoire, le récit de nés démêlés avec le Soleil.
i. Dctiin de Faucker-Giidin, d'âpre* t'intaille ronierve'e à Home rt publiée par K». LtsomvïT, Tre
Monument i Caldeî rd Aaîri ilelle cotle:ioni romane, pi. VI, n" 3.
3. E. J. IlAiiPT.it, Die Babuloninheu Légende» ton Elttaa, Za, Adapa und Dtbbara, p. 413-417;
Jensen (Die Kosmnlogie drr Habylottier, p. SI, 93) identifie Zou avec la constellation de Pégase, cl le
taureau. Ills de £ou. avec notre constellation du Taureau.
4. La légende d" Adapa nous a été conservée en partie sur l'une des tablettes d'KI-Amarna (WlnciLiR,
Thonttafelfund ton El-Amarna, t. III, pi. CLXVI fl-6). Elle fut signalée successivement par Ennan,
par Lehmann (clans la Zeittehrift fur Anyriologie , t. III. p. 38u}, par Sayre [Addreu to the Aisyrian
Section of Ihc Sinth liilrriiiiliomil i'.ongret* nf Orieiilalitlt, p. i-l-ÏO), par Seheil (Légende rhafilfeiwe
trouvée à Tcll-ct-Amarna. dans la Reçue de* Iteligion». I. I. p. KM- MES); elle a été Induite entière-
ment et commentée par Ziiheiih, An Old Rabytouian l.egend from Egypt, dans le StHtdaySchooh
Time» (18 juin 18SÏ], p. 38f. sqq., puis par E. 1. Haupeu, Oie Habyloniichen Légende» ••'» l'Iinm.
Zu, Adapa und Dibbara. dans les Beitrâge sue A'nyrialngic, t. Il, p. HR-I'i'i, dont j'ai suivi, en
général, l'interprétation.
660 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
don de l'immortalité, et ne pouvait s'introduire librement au ciel en présence
d'Anou. 11 jouissait pourtant de certains privilèges, grâce à la familiarité dans
laquelle il vivait avec son père Ea, et il était né assez vigoureux pour
repousser les assauts de plus d'une divinité. Quand donc Shoutou, fondant
sur lui à I'improviste, l'eut culbuté, sa colère ne connut plus de bornes :
<r Shoutou, tu m'as accablé de tes inimitiés, quantes elles sont, — je bri-
« serai tes ailes! » Ainsi qu'il avait parlé de sa bouche, — Shoutou, Àdapa
lui brisa les ailes. Sept jours, — Shoutou ne souffla plus sur la terre. »
Anou s'inquiéta de cette tranquillité, qui lui paraissait mal convenir au
tempérament brouillon du vent, et il s'informa auprès de son messager
Ilabrât. « Son messager llabrât lui répondit : « Mon maître, — Adapa, le fils
« d'Éa, a brisé les ailes de Shoutou. » — Anou, quand il entendit cette parole,
s'écria : « Un aide! » et il expédia vers Êa Barkou, le génie de l'Eclair, avec
ordre de ramener le coupable. Celui-ci n'était rassuré qu'à moitié, bien
qu'il eût pour lui le bon droit, mais Éa, le plus avisé des immortels, lui traça
sa ligne de conduite. Il revêtirait promptement un habit de deuil et il mon-
terait au ciel avec le messager. Arrivé aux portes, il ne manquerait pas d'y
rencontrer deux des divinités qui les gardent, Doumouzi et Ghishzida : « En
« l'honneur de qui cet appareil, Adapa, en l'honneur de qui — cet habit de
« deuil? » « Sur notre terre deux dieux ont disparu, — moi c'est pour cela que
« je suis de la sorte! » Doumouzi et Gishzida se regarderont mutuellement1, —
« ils gémiront, ils diront un mot amical — au dieu Anou pour toi, ils éclairci-
« ront le visage d'Anou — en ta faveur. Quand tu entreras à la face d'Anou, —
« la nourriture de mort, on te l'offrira, — ne la mange pas. La boisson de
« mort, on te l'offrira, — ne la bois pas Un vêtement, on te l'offrira, —
« mets-le! De l'huile, on te l'offrira, oins-t'en. — L'ordre que je te prescris,
« observe-le bien! » Tout se passa comme Ëa l'avait prévu. Doumouzi et
Ghishzida firent bon accueil au pauvre diable, parlèrent en sa faveur, le pré-
sentèrent ; « comme il s'approchait, Anou l'aperçut et lui dit : — « Allons,
« Adapa, pourquoi as-tu brisé les ailes de Shoutou? » — Adapa répondit à
Anou : « Mon maître, — pour la maison de monseigneur Éa, au milieu de
« la mer, — je péchais des poissons, et la mer était tout unie. — Shoutou
« souffla, lui, il me culbuta, — et je plongeai dans la demeure des poissons.
1. Doumouzi et Ghishzida sont les deux dieux qu'Adapa désigne sans les nommer; en leur insinuant
qu'il a pris le deuil à cause d'eux, Adapa est assuré de K^ner lour sympathie et d'obtenir leur inter-
vention en sa faveur auprès du dieu Anou. Sur Doumouzi, cf. p. 645-648 de cette Histoire; le rôle
de Ghishzida est inconnu, ainsi que l'événement de la vie de ce dieu auquel notre texte fait allusion.
LES VENTS ET LA LÉCESDE D'ADAPA. «61
« En la colère de mon cœur, — pour qu'il ne recommençât plus ses inimitiés,
« — je lui brisai tes ailes. » — Tandis qu'il plaidait sa cause, ie cœur furieux
d'Anou redevenait calme. La présence d'un mortel dans les salles du fir-
mament était une sorte de sacrilège, qu'il fallait punir sévèrement, à moins
qu'on ne se décidât à l'expier en donnant le philtre d'immortalité à l'intrus.
Anou s'arrêta sans hésiter à ce dernier parti, et, prenant la parole : « Pour-
« quoi donc Ëa a-t-il permis qu'un homme impur vit — l'intérieur du ciel
• et de la terre? » — Il lui tendit une coupe, lui-même il le rassura. —
■ Nous, que lui donnerons-nous? La nourriture de vie — prenez-en pour
« lui, qu'il en mange! » La nourriture
de vie, — on en prit pour lui, mais il
n'en mangea pas. L'eau de vie — on en
prit pour lui, mais il ne la but pas. Un
vêtement — on le prit pour lui, et il
s'en habilla. De l'huile — on en prit
pour lui et il s'en oignit. » — Anou le
regarda, il gémit sur lui : — «Eh donc, lM OISMl., BE u TÏ„tIti
* Adapa, pourquoi n'as-tu pas mangé,
» n'as-tu pas bu? — Tu n'auras plus maintenant la vie éternelle, » « Êa, mon
e maître, — m'a ordonné : tu ne mangeras pas, tu ne boiras pas. » C'est ainsi
qu'Àdapa, pour avoir trop bien retenu les leçons de son père, perdit l'occa-
sion qui s'offrait de monter au rang des immortels : Anou le renvoya chez
lui comme il était venu, et Shoutou en fut pour ses ailes cassées. Ramman
absorba l'un après l'autre tous ces génies d'orage et de querelle, et de leurs
caractères réunis il se composa une personnalité unique aux cent faces
diverses. Il avait l'humeur capricieuse et changeante de l'élément qu'il incarne,
et il passait du rire aux pleurs, de la sérénitéà la colère avec une promptitude
qui faisait de lui le plus déconcertant des dieux. Il était de préférence l'orage,
et tantôt il envahissait brusquement les deux à la tète d'une troupe de
lieutenants féroces dont les chefs se nomment Matou la bourrasque, et Barkou
l'éclair, tantôt ils n'étaient que les manifestations variées de sa nature, et
c'est lui-même qu'on appelait Matou et Barkou1. Il assemblait les nuages,
1, ft-jaiii de Faurhcr-Gudin, iCa/irei te cylindre chaldi'en du Musée de tietr- York (Ckmoli, Cyprut,
pi. XXXI, n' j); Lenormanl, dans un lonjj article qu'il publia sous le pseudonyme de Hinsoll, croyait
reconnaître ici la rencontre de Sabiloum et de r-ilgamés {Vu épitode de ? épopée chaldétnne. dan»
la Gaulle archéologique, 187!), p. I U-l 19) au* bords de l'Oman; cf. p S84-SN3 de celle HiHoire.
t. Sur l'origine de Hamman el sur les diverses divinités sumériennes ou sémitiques qu'il absorba,
on pcul consulter l'élude de Sivck. The Religion of Ihe Ancien! Babylonian* , p. ïlri-ilï.
mt LES TEMPLES ET LES DIEL'X DE LA CHALDEE.
il dardait la foudre, il secouait les montagnes, et « à sa rage, à sa force,
— à son rugissement, à son tonnerre, — les dieux du ciel montent au
ciel, — les dieux de la terre s'enfoncent en terre, » effrayés'. Les monu-
ments nous le montrent armé en guerre, du casse-tête, de la hache, ou de
"ïpée à double lame flamboyante qui figure ordinaire
nent la foudre*. Comme il détruit tout dans sa fureur
veugle, les rois l'invoquent contre leurs ennemis et le
pplient de • ruer l'ouragan sur les races rebelles
sur les nations insoumises' ». Quand sa colère s'apaise,
qu'il revient à des sentiments plus doux, sa bienveil-
nce ne connaît pas de bornes. Il était la trombe qui
nverse les forêts, il devient la brise qui les caresse
les rafraîchit; il féconde les champs de ses ondées
'des, il décharge l'atmosphère et tempère les ardeurs
; l'été. Les fleuves gonflés par lui débordent : il les
panche sur les champs, il leur creuse des canaux, il les
lirige partout où le besoin d'eau se fait sentir. Mais son
tempérament fougueux se réveille à la moindre injure,
et alors « son glaive de tiamme répand la peste par
le pays; il dissipe la moisson, anéantit la récolte,
>»»" arrache les arbres, couche et déracine les blés* ».
Somme toute, la seconde triade formait un corps plus
homogène au temps qu'lshtar lui appartenait encore, et la présence de la
déesse nous permet seule d'en comprendre le plan et l'intention : elfe était
astrologique en principe, et l'on avait voulu n'y enrôler que les chefs
évidents des constellations. Itamman, au contraire, n'offrait rien de ce qu'il
faut pour figurer à côté de la lune et du soleil : il n'est pas un corps céleste,
il ne possède aucune forme nettement circonscrite, il semble un faisceau de
I. ».»... . . r«B lut H A*., I. IV, pi. J8, n- ï, 1. li-lii; cf. F». Luoiurn, tei Première! Ciri-
luatiout. t. II. |> 1D1, H Suce, The Religion of the Aneient Bahyloniant, p. 51111.
1 Tr|(1»tpbalazar I", vainqueur des Koumani, fabriqua une de ces épéoa qu'il appelle • un éclair
île cuivre • cl i|u"il ilolia. comme trophée de sa victoire, dans une chapelle liâtie sur les ruines de
l'une d.-. ciléK vaincue. [f>„,me de Ti'gtatphalaiar l", col. »l, I. 15-41).
3. CI" la malédiction prononcée par Téglatphalaiar I" à la fin de son l'riime (col. vm, I. B3-BS),
nu nom de Itamman. adore dans la cilé royale d*Ànhshour.
■I. Le caractère de llamman se trouve défini entièrement dans le* écrits des premiers ossjriologuos
(11. Rurmwj, On the Religion of the llabylnniam nnd Alignant, p. W7-3IHI: F». Le>om«.it, F.itai
de iiimnteiitaire tut lei fragment* rmmogoniguei de tiérate, p. 113-93).
5. Ileitin de Fiiiielirr-tivdin, d'après te croquis de Lofii s, TrareU and Ueiearehes in Chaldteit and
Sutiana, p. ¥.iX. L'original, une petite stèle en terre cuite, eal conservé au Crilish Muséum. L'âge de
celle rcprâtentiitioti est incertaine : Itamman eal debout »ur la montagne qui soutient le ciel.
LES DÉESSES RATTACHÉES AUX DEUX TRIADES. 663
dieux plutôt qu'un dieu unique. Son adjonction combla de façon assez mala-
droite le vide que la défection d'Ishtar avait creusé. Convenons d'ailleurs
que les théologiens auraient été embarrassés de trouver mieux que lui : du
moment qu'ils rattachaient Vénus au reste des planètes, il ne leur restait au
ciel rien d'assez lumineux
pour la remplacer digne-
ment. Ils prirent par force
ce qu'ils connaissaient de
plus puissant après les
cinq, le maître de l'atmo-
sphère et de la foudre1.
Les dieux des triades
étaient mariés, mais leurs
déesses n'avaient point
pour la plupart la liberté
d'allures des Égyptiennes
ou leurs fonctions impor-
tantes* : elles s'éclipsaient
modestement derrière leurs
époux et vivaient dans l'om-
bre, comme c'est l'usage des
femmes de l'Asie. On paraît ut».», le dm ms wuen et de u foi-dh*.
d'ailleurs ne s'être inquiété
d'elles qu'après coup, lorsqu'on voulut expliquer la filiation des immor-
tels. Anou et Bel étaient célibataires à l'origine. Quand on s'avisa de leur
I. Leur embarras se traliil par la façon dont ils ont classé ce dieu. Dans la triade primitive, Ishtar,
étant le plus pelit des trois astres, prenait naturel leinont la troisième place après la Lune et le Soleil ;
Ramman avait au contraire des affinités essentielles avec le groupe élémentaire et se rattachait a
Anou, Bel, Éa plutôt qu'a Si» et à Shainash. Aussi le Irouve-t-on tantôt a» troisième rang, tantôt au
premier de la seconde triade, et cette place en vedette lui est si habituelle, que les assyriologucs la
lui conservèrent au début, et qu'ils décrivirent la triade comme étant composée non pas de Sin, de
Shamash et de Ramman, mais de Itamman, de Sin et de Shamasb (BmLUtsos, On the Religion of Ihr
ttubylaniani and Anyriam, p. iH-t, 4W7) ou même de Sin, de Ramman et de Sharoanh (llucis, Un
the Attyrian Mylkoloyy, dans tes Mtmoirt of the Iriih Academy, t. XX lit, p. 410-113].
ï. Le caractère passif et presque impersonnel de la plupart des déesses habyloniennes et assyriennes
est notoire (l'a. Lemmuixt, Estai de commentaire mr le* fragmente r.oimogoniquet de lléio'e, p. OH).
La plupart d'entre elles auraient été indépendantes au début, vers l'époque sumérienne, ci ne se
seraient mariées que plus tard, sous l'inlluence des idées sémitiques (Stvr.n, The lleligion of the
AueUnt Dabytoai'int, p. 110-112, 176-17!), 315-316}.
3. Deiëin de Fawhcr-liadin, ifaprèi l.iriMi, The Monument» tif Mnerrh, I" Ser., pi. 63. C'est à
proprement parler une divinité siisîcnne que les soldats d'Assourbanabnl emportent en Assyrie, main
elle porte les insignes habituels de Ramman, et elle peut, à défaut d'autres renseignements, nous
"igurnit rc dieu dans le courant du premier millénaire avant notre ère : il n'a
ni la robe longue du Ramman figuré sur la page 6fii de celte Histoire.
664 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
prêter des compagnes, on recourut au procédé que les Égyptiens employaient
en pareil cas : on ajouta à leur nom la terminaison ordinaire des substantifs
féminins, et Ton construisit de la sorte deux déesses grammaticales, Anat et
Bélit, dont le tempérament se ressentait de cette naissance accidentelle1. Leur
rôle flotta toujours incertain, et elles ne présentaient guère que les semblants
de la réalité. Anat désignait parfois un ciel féminin et elle ne différait d'Anou
que par le sexe1; on la prenait plus souvent pour l'antithèse d'Anou. pour
la terre par opposition au ciel3. Bélit, en tant qu'on peut la distinguer des
autres personnes qui s'attribuent ce même rang de dame, partageait avec
Bel la domination de la terre et des régions ténébreuses où les morts demeu-
rent emprisonnés4. L'épouse d'Éa possédait son nom, qui ne dérivait point de
celui de son mari, mais elle n'était pas animée d'une vie beaucoup plus intense
qu'Anat ou que Bélit : on l'appelait Damkina, la maîtresse du sol, et elle
personnifiait de façon presque passive la terre unie à l'eau qui la féconde5. Les
déesses de la seconde triade présentaient peut-être quelque chose de moins
artificiel. Sans doute, Ningal, qui régnait avec Sin àOurou, parait n'être qu'une
épithète incarnée. Son nom signifie la (jrande dame, la reine6, sa personne
double celle de son mari : comme il est la lune homme, elle est la lune femme,
son amie7 et la mère de ses enfants Shamash et Ishtar*. Mais A ou Sirrida
jouissait d'une autorité incontestable aux côtés de Shamash : elle se souvenait
d'avoir été un soleil ainsi que Shamash, un dieu du disque avant de se trans-
former en déesse9. Shamash était d'ailleurs accompagné d'un vrai harem dont
1. Sur les déesses grammaticales de l'Egypte, voir ce qui est dit aux p. 105-106 de cette Histoire.
2. G. Rawmnsoh, The Five Great Monarchies, 2- édit., t. 1, p. 117; Delitzsch-MPrdtf.r, Geschichte
Babyloniens und Assyriens, 2a éd., p. 26.
3. Hommel, Die Semilischen Vôlker, p. 373 ; Tiele, Babylomsch-Assyrische Geschichte, p. 521 ; Sayce,
The Religion of the Ancient Babylonians, p. 194. Sur la diffusion d'Anat chez les peuples voisins de
la Chaldée, notamment en Syrie, voir les observations de Fr. Lrnormant, Essai de Commentaire sur les
fragments cosmogoniques de Bérose, p. 150-152, de Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians,
p. 187-189, et de Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 192-194, 272-274.
4. Sur la Béllt-Beltis de Nipour, la Ninlilla des vieux textes, voir Fr. Le.nornant, la Magie chez les
Chatdéens, p. 105-106, 153, et Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 149-150, 177;
cf. p. 691 de cette Histoire. J'aurai occasion de parler dans une autre partie de cet ouvrage du rôle
important que joua plus tard la Beltis de Babylone, différente de celle de Nipour.
5. Fr. Lenorxamt, la Magie chez les Chaldéens, p. 148, 153; Sayce, The Religion of the Ancient
Babylonians, p. 139, 264-265. Damkina, Davkina, a été transcrit Aavxy; par les Grecs (Damascics, De
Principiis, § 125, éd. Ruelle, p. 322).
6. Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 14, n. 3.
7. Cylindre de Nabonald, trouvé à Abou-Habba, publié dans Rawlinson, Cun. Ins. \Y. As., t. V,
pi. 64, col. il, I. 38-39.
8. Cf. Rawlinson, The Five Great Monarchies of the East, 2e éd., t. I, p. 125-126.
9. Sur la déesse A, Aa, Ai, nommée aussi Sirrida, Sirdou, et sur sa forme masculine, cf. Sayce, The
Religion of the Ancient Babylonians, p. 177-179. Pinches {Sole upon the Divine Name A, dans les
Proceedings de la Société d'Archéologie Biblique, 1885, p. 27-28) a voulu rattacher la forme mâle de
cette divinité à laô, lahvéh des Hébreux ; son hypothèse n'a point trouvé faveur auprès des assy-
riologues. La lecture Malik du nom, proposée par Oppert (la Chronologie biblique fixée par les éclipses
des inscriptions cunéiformes, p. 15, note), se rapporterait au doublet masculin de la divinité.
L'ASSEMBLÉE DES DIEUX GOUVERNE LE MONDE. 665
elle était la reine comme lui en était le roi1, et où l'on comptait, entre autres,
Goula, la grande', et Ànounit la fille de Sin, l'étoile du matin8; Shala, la
miséricordieuse, y avait figuré, puis on l'avait donnée à Ramman*. Elles
étaient toutes des déesses de race très vieille, jadis adorées pour elles-mêmes,
au temps où le peuple sumérien dominait en Chaldée, amoindries plus tard
et distribuées entre les dieux lorsque les Sémites prirent le dessus. Une seule
conserva sa liberté, Nanâ, le doublet d'Ishtar : quand ses compagnes se sont
effacées au second plan, elle reste encore reine et maîtresse dans sa ville
d'Éridou. Les autres, si fort assouplies qu'elles fussent d'ordinaire à l'exis-
tence du harem, éprouvaient quelquefois des velléités de révolte, et plus
d'une, rompant le lien qui l'attachait à son seigneur, proclamait à l'occasion
son indépendance : Anounit, s'arrachant aux bras de Shamash. redevenait sa
sœur, son égale, et revendiquait la moitié de son domaine. Sippara était une
cité double, ou plutôt il y avait deux Sippara voisines l'une de l'autre : la
première était la ville du Soleil, Sippara sha Shamash, mais la seconde rele-
vait d'Anounit et se qualifiait Sippara sha Anounitoum. A bien l'entendre,
ces ménages d'immortels avaient une seule excuse, le besoin d'expliquer sans
brutalité les liens de parenté que le classement théologique obligeait à nouer
entre les êtres qui composaient les deux triades. On n'imaginait pas volon-
tiers en Chaldée ou en Egypte que les familles divines pussent se propager
par des procédés autres que ceux des familles humaines : les déesses
légitimèrent la paternité des dieux auxquels on les unit.
Les triades ne sont donc des triades que par fiction sacerdotale. Elles
comprennent en réalité six membres chacune, et c'est un conseil de douze
divinités que les prêtres d'Ourouk avaient institué pour vaquer à l'administra-
tion de l'univers ; seulement la moitié féminine de l'assemblée fait rarement
parler d'elle et n'apporte qu'un appoint assez mince à l'œuvre commune. Les
1. Malik, d'où le nom de Malkatou par lequel un texte bilingue rend l'idéogramme de la déesse A
(Kr. Lenoruant, Essai de Commentaire sur tes fragments cosmogoniques de Bérose, p. 97-98). La forme
complète est Malkatou sha shami, la reine du ciel, et, en cette qualité, la déesse A s'identifie com-
munément avec ishtar (Schradkr, Die Gôttin Ishlar als malkatu und sharratu, dans la Zeitschrift
fur Assyriologie, t. III, p. 353-364, et t. IV, p. 74-76).
2. Sur Goula, voir Rawlinso.n, On the Religion of the Babylonians and Assyrians, p. 503-504;
Fr. Lenormant, Essai de Commentaire sur les fragments cosmogoniques de Bérose, p. 98-99, 103.
3. Anounit fut considérée d'abord comme étant un Soleil femelle (Rawmkson, On the Religion of
the Babylonians and Assyrians, p. 504, 503; G. Rawlinso.n, The Five Great Monarchies, 2" éd., t. I,
p. 128-129) ou la Lune (Fr. Lrnormant, la Magie chez les Chaldéens, p. 107, 121). On l'identifie d'or-
dinaire avec Ishtar, à laquelle elle prête sa qualité d'Étoile du Matin ; cf. p. 670 de cette Histoire.
i. Shala est l'épouse de Mardouk et de Douraouzi aussi bien que celle de Ramman (Sayce, The
fiel ig ion of the Ancient Babylonians, p. 209-211); son nom, joint à l'épithète oummou, la mère, a
donné le nom de £aXotu.6(o, £aXàu.oaç* appliqué par Hésychius et par VEtymologicon Magnum à
l'Aphrodite babylonienne (Rawlinson, On the Religion of the Ancient Babylonians, p. 499, n. 8 ;
Fr. Lenormaxt, Essai de Commentaire sur les fragments cosmogoniques de Bérose, p. 95).
84
66« LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
grandes divisions établies et les principaux chefs de service connus, il restait
à débrouiller le détail et à choisir des agents pour y maintenir Tordre. Rien
n'arrive au hasard dans notre monde, mais les événements les plus insigni-
fiants en apparence s'accopiplissent en vertu de combinaisons calculées et de
décisions prises longtemps à l'avance. Les dieux s'assemblent chaque matin
vers l'Est, dans une salle située au voisinage des portes du Soleil, et délibèrent
sur les événements de la journée1. Le sage Éa leur soumet les sorts qui vont
s'ache\er, puis il en fait transcrire la minute dans les chambres du destin,
sur des tablettes que Shamash ou Mardouk emporte avec lui et répand en che-
min : qui lui déroberait ces tablettes fatales, il se rendrait maître du monde ce
jour-là. Ce malheur était advenu une seule fois au commencement des âges*.
Zou, l'oiseau des tempêtes, qui habite avec sa femme et ses enfants au mont
Sabou sous la protection de Bel3, et qui fond de là sur les campagnes pour les
ravager, conçut l'ambition de s'égaler aux dieux suprêmes. Il pénétra de grand
matin dans la chambre des Destinées, avant que le Soleil fût levé : il y aperçut
les insignes royaux de Bel, « la mitre de sa domination, le vêtement de sa
divinité, — les tablettes fatales de sa divinité, Zou les aperçut. — Il aperçut
le père des dieux, le dieu qui sert de lien entre le ciel et la terre4, — et le
désir de la domination s'empara de son cœur; — oui, Zou aperçut le père
des dieux, le dieu qui sert de lien entre le ciel et la terre, — et le désir
de la domination s'empara de son cœur. — « Je prendrai les tablettes
« fatales des dieux, moi, — et les oracles de tous les dieux c'est moi qui les
« rendrai ; — je m'installerai sur le trône, je lancerai les décrets, — je régirai
« la totalité de tous les Igigi5. » — Et son cœur complota la bataille ; — épiant
au seuil de la salle, il attendit le point du jour. — Lorsque Bel eut versé
les eaux brillantes, — qu'il se fut placé sur le trône et qu'il eut posé la cou-
ronne, — il lui enleva la tablette fatale de sa main, — il saisit la domination
et le pouvoir de donner des décrets, — le dieu Zou, il s'envola et se cacha
dans sa montagne6. » Aussitôt Bel s'écrie, s'enflamme et ravage le monde des
1 . Sur la salle du destin et sur ce qui s'y passe, voir Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 23 1-2-13.
2. La légende de l'oiseau Zou a été découverte et les débris en ont été traduits pour la première
fois par G. Smith, The CliaULran account of Gène sis, p. 113-122; cf. Sayce, Bahylonian Literature,
p. M). Ce qu'on en connaît aujourd'hui a été publié par J. ED. Harpkr, Die babyfonischen Ijcgenden von
Etana, Zn, Adapa und Dibbara, dans les Beitrâge zur Assyriologicy t. II, p. iOH-i18.
3. l/importance du mont Sabou en mythologie a été signalée par Fn. Delitzsch, Ho lag das Paro-
dies? p. 105-106; le site en aurait été vers les villes de Kish et de Kharshagkalamma {id., ibid.%
p. 2111), ce qui me parait être peu vraisemblable. Je le chercherais plutôt aux extrémités du monde,
quelque part dans le Sud, mais sans pouvoir préciser remplacement qu'il occupait.
\. Sur le sens de cette épithète appliquée aux divinités solaires, voir p. 656, note 3, de cette Histoire.
5. Les Igigi sont les Esprits du ciel, par opposition aux Anounnaki; cf. p. 634 de cette Histoire.
6. J. K. Harper, Die Babylonischen Lcgenden von Etana, Zu, Adapa und Dibbara, p. 400, 1. 5-22.
L'OISEAU 7,0(1 VOLE LES TABLETTES DU DESTIN. &Ti
feux de sa colère. « Ànou ouvrit sa bouche, il parla, — il dit aux dieux ses
enfants : — « Qui vaincra le dieu Zou? — Il fera son nom grand par tout
t pays. « — On appela Ramman le suprême, le fils d'Anou, — et Anou lui dit
à lui-même ses ordres; — ouï, on appela Ramman le suprême, le fils d'Anou,
— et Anou lui dit à lui-même ses ordres. — « Va, fils Ramman, le vaillant,
« que rien n'arrête ton attaque; — vainc Zou de ton arme, et ton nom sera
« grand parmi les dieux grands, — parmi les dieux, tes frères, tu n'auras
« point ton égal; — on te construira des sanctuaires, — et si tu te bâtis tes
* villes dans les quatre
« maisons du monde, —
< tes villes s'étendront sur
« toute la montagne ter-
«restre1! — Sois donc
x vaillant à la face des
< dieux et soit ton nom
« fort! » — Ramman prit
la parole, il tint ce langage
àAnou,sonpcre: — «Père, S11ABASH um tmn^ tou „ C0„KK LES mwxm m mrtTB».
« vers les montagnes ina-
« bordables qui ira? — Qui est l'égal de Zou, parmi les dieux, tes enfants? —
« Il a enlevé les tablettes fatales de sa main, — il a saisi la domination et le
s pouvoir de donner des décrets — Zou, puis il s'est envolé et s'est caché dans
« sa montagne. — Maintenant, la parole de sa bouche est comme celle du
• dieu qui unit le ciel à la terre; — ma puissance n'est plus qu'argile, — et
x tous les dieux doivent se courber devant lui1. » Anou manda à son aide le
dieu Rara, fils d'Ishtar, et lui tint le même langage qu'il avait adressé à Ram-
man : Bara refusa de tenter l'aventure. Shamash, interpellé à son tour, con-
sentit enfin à partir pour le mont Sabou : il triompha de l'oiseau des tem-
pêtes, lui arracha les tablettes et l'amena prisonnier devant F,a\ Le Soleil du
jour entier, le Soleil en pleine possession de sa vigueur, pouvait seul recon-
I. Litt : ■ Construis tes villes ilaiis les quatre renions ilu inonde (cf. p. iviJJ-îiU de cette Hiltoire),
et U-s villes s'étendront à la montagne de I» terre. .. Anou parait promettre à Karoman un monopole ;
s'il veut bâtir des villes qui le reconnaissent pour patron, res villes rouvriront la terre entière.
I. Demiii de Faurher-liudin, d'a/irit LuaM, Introduction a l'hiitoire du Culte public el de*
mystère* de Mithra en Orient et en Occident, pi. LSI, n' "; cf. Kn. Loobïam, Sur la lignification de*
sujet* de quelque! cylindre* Hnbytonient et Aityriem, dans la Gaseltr. Archéologique, 1878, p. Î5-1.
3. i. E. Iliirtm, Die llabylnniichen Lrgenden von Etana, 'lu, Adapa und Dibbara, n. lofl-iw,
I. Î6-.",Ï. Les dernières lignes sont mutilées el le sens n'en est pas certain.
i. Cf. HtMKT, Rechercha tur la Glyptique orientale, 1. 1, p. 10T-I1U. l'indication des scène» gravées
sur les cylindres el qui montrent l'oiseau Zou amena prisonnier devant Éa.
668 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
quérir les attributs du pouvoir que le Soleil du matin s'était laissé dérober.
Le privilège de répartir les décrets immuables entre les hommes n'était
plus jamais depuis lors sorti de la main des dieux lumineux.
Les destinées une fois réglées là-bas forment une loi — mamit — une
fatalité bonne ou mauvaise*, à laquelle nul ne se soustrait, mais dont chacun
peut s'informer par avance s'il apprend à en déchiffrer les formules au livre du
ciel. Les étoiles, même les plus éloignées de notre terre, ne demeurent étran-
gères à rien de ce qui s'y passe. Elles sont autant d'êtres animés et doués
de qualités diverses, dont le rayonnement gagne de proche en proche à
travers les plaines célestes et vient agir d'en haut sur tout ce qu'il touche.
Leurs influences se modifient, se redoublent ou s'annulent réciproquement,
selon l'intensité avec laquelle elles les manifestent, selon la place qu'elles
occupent au firmament par rapport l'une à l'autre, selon l'heure de la nuit et
le mois de l'année dans lequel elles se lèvent ou se couchent derrière l'horizon.
Chaque portion du temps, chaque division de l'espace, chaque catégorie d'êtres,
et, dans chaque catégorie, chaque individu, est rangé sous leur domination et
subit leur tyrannie inévitable. L'enfant naît leur esclave et reste leur esclave
jusqu'à son dernier jour : l'étoile qui prévalait au moment de sa naissance
devient son étoile et commande sa destinée*. Gomme les Égyptiens, les Chal-
déens avaient cru discerner dans la position des feux qui s'allumaient au ciel
nocturne l'ébauche d'un grand nombre de figures diverses, des hommes, des
animaux, des monstres, des objets réels ou imaginaires, une lance, un arc, des
poissons, un scorpion, des épis de blé, un taureau, un lion3. La plupart d'entre
elles s'étendaient au-dessus de nos têtes sur les parois de la voûte céleste;
douze seulement, échelonnées au bord même de l'horizon et reconnaissables à
leur éclat, veillaient sur la route que le soleil suit journellement le long des
murs du monde. Elles se la partageaient en autant de domaines ou de mai-
sons, où elles exerçaient une autorité complète, et à travers lesquelles le dieu
ne voyageait qu'après avoir obtenu leur assentiment ou les avoir vaincues.
1. Sur la mamit, sur la destinée, et sur la déesse qui la personnifie dans le Panthéon chaldéen,
voir Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 305-309.
î. Les questions relatives à l'influence des astres sur la destinée humaine chez les Chaldéens ont
été examinées d'ensemble pour la première fois par Fa. Lenormant, la Divination et la Science des
présages chez les Chaldéens, p. 5-1 4, 37-47.
3. L'identification des constellations chaldéennes avec les gréco-romaines ou avec les modernes
n'a pas été encore faite d'une manière certaine : comme en Egypte, il semble que les astres aient
été groupés d'une manière différente de celle que nous admettons. Plusieurs des résultats auxquels
Oppert, Tablettes Assyriennes (dans le Journal Asiatique, série 1871, t. XVIII, p. 443-453), et Sayce,
The Astronomy and Astrology of the Babylonians (dans les Transactions de la Société d'Archéologie
Biblique, t. III, p. 145-339), étaient arrivés, ont été contestés par Jessen, Die Kosmologie der
Babylonier, p. 42-57, dont les propositions n'ont pas trouvé grâce devant d'autres assyriologues.
LES PLANÈTES ET LES DIEUX QUI Y PRÉSIDENT. 669
C'était un souvenir des guerres par lesquelles Bel-Mardouk, le taureau divin,
le dieu de Babylone, avait organisé le chaos : non seulement il avait tué Tiâmat,
mais il avait terrassé et asservi les monstres qui menaient l'armée des
ténèbres. 11 rencontre de nouveau, chaque année et chaque jour, aux confins
de la terre et du ciel, les hommes-scorpions de son antique ennemie, ses pois-
sons à tète de chèvre ou d'homme, d'autres encore. Ils sont associés en un
zodiaque dont les douze signes, transmis aux Grecs et modifiés par eux, se
lisent même aujourd'hui sur les cartes du ciel1. Les constellations, immobiles
ou animées d'un mouvement lent et sans amplitude, contiennent les problèmes
de l'avenir, mais elles n'en fournissent pas à elles seules la solution aux
hommes. Les astres capables de les expliquer, les véritables interprètes du
destin1, étaient d'abord les deux divinités qui régissaient l'empire de la nuit
et celui du jour, la lune et le soleil, puis les cinq planètes que nous nommons
Jupiter, Vénus, Saturne3, Mars et Mercure, ou plutôt les cinq dieux qui les
animent et qui en dirigent la course depuis l'heure de la création, Mardouk
et Ishtar, Ninib, Nergal et Nébo*. Les planètes battaient le ciel en tout sens,
se croisaient, se conjuguaient, s'occultaient, s'approchaient des astres fixes
ou s'écartaient d'eux, et l'espèce de danse rythmique qui les entraînait sans
relâche à travers l'espace, si on l'observait avec soin, révélait aux hommes la
marche irrésistible de leurs destinées, aussi sûrement que s'ils avaient pu
s'emparer des tablettes de Shamash et les épeler ligne à ligne.
1. L'origine chaldéenne du zodiaque a été restreinte au minimum par Letronne (Sur Vorigine du
Zodiaque grec et sur plusieurs points de V monographie et de la chronologie de la Chaldée, dans les
Œuvres Choisies, 2- série, t. 1, p. 458 sqq.)t puis par Ideler (Ueber der Ursprung des Thierkreises,
dans les Mémoires de l'Académie des Sciences de Berlin, 1838, p. 1-24), dont l'opinion fit loi pendant
longtemps. La question fut reprise par Fr. Lenormant (Essai de commentaire sur les fragments
cosmogonigues de Bérose, p. 229-233, les Premières Civilisations, t. II, p. 67-73, Origines de V Histoire,
t. 1, p. 234-238, note), qui retrouva la meilleure partie de nos signes du Zodiaque en Chaldée. Sa
démonstration a été complétée par Jensen (Die Kosmologie der Babylonier, p. 67-95, 310-320, et
Ursprung und Geschichte des Tierkreises, dans la Deutsche Revue, juin 1890), et les idéogrammes
pour les signes ont été découverts par Epping (Astronomisches aus Babylon, p. 170 sqq.).
2. Diodork, 11, 30 : ou; éxeîvoc xoivy) uiv ip|xr,v£Î; ôvou.âÇou<riv. D'après Jensen, Die Kosmologie der
Babylonier, p. 99-100, l'expression remonterait fort haut : l'un des noms suméro-accadiens des pla-
nètes, Our-kinmi, signifierait réellement le messager, l'interprète des dieux.
3. Sur l'orthographe du nom Kaimànou et sur son application à la planète Saturne, voir Jensen, Die
Kosmologie der Babylonier, p. 111-116; sur l'identité de Kaimànou et du Kévan hébreu, cf. Oppert,
Tablettet Assyriennes, dans le Journal Asiatique, 6" série, t. XVIII, 1871, p. 445.
4. Les noms des planètes ont fourni, comme ceux des étoiles, matière à de nombreuses discussions.
Ils ont été étudiés à plusieurs reprises par Fr. Lenormant (Essai de Commentaire sur les fragments
cosmogoniques de Bérose, p. 105 et p. 370-376 en note), Oppert (les Origines de C Histoire), Saycc
(The Astronomy and Astrology of the Babylonians, with translation of the tablets relating to those
subjects, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. III, p. 167-172), Jensen (Die
Kosmologie der Babylonier, p. 95-133). Les identifications les plus probables sont celles d'Epping
(Astronomisches aus Babylon oder das YVissen der Chaldâer ûber den gestirnten Himmel, p. 7 sqq.)
et d'Oppert (Un Annuaire astronomique babylonien, traduit en partie en grec par Ptolémée, extrait
du Journal Asiatique, 1891, reproduit avec variantes dans la Zeitschrift fur Assyriologie, t. VI,
p. 110-112), auxquels Jensen paraît s'être rangé avec répugnance (Zeitschrift fur Assyriologie, t. V,
p. 125-129).
fi"0 LES TEMPLES ET LES DIEUX HE LA CHALDEE.
Les Chaldéens comparaient volontiers les planètes à des moutons capricieux
qui s'étaient échappés du troupeau des étoiles, pour aller paitre au gré de leur
humeur vagabonde1. Elles étaient au début autant de divinités souveraines,
sans autre fonction que de courir au ciel et d'y rendre des oracles, puis deux
d'entre elles descendirent sur notre terre et y reçurent tes hommages d'une
cité, Ishtar ceux de Diluât1, Nébo ceux de Borsippa. Nébo* prit les allures
d'un devin et d'un prophète. Il savait tout, prévoyait tout, donnait son avis
sur tout; il avait inventé
l'art de fabriquer les
tablettes d'argile et d'y
écrire. Ishtar combinai t en
soi des aspects contradic-
toires*. On l'adorait au sud
de la Chaldée sous le nom
de Nanà, la maîtresse
suprême'. On avait com-
ishti* l» cEiRKiiiËiic0. mencé par ignorer que
cette dame des dieux
— liêtit-itânit, — l'étoile du soir, est identique à Anounit l'étoile du matin,
et l'on avait fait deux déesses distinctes de ces deux manifestations d'un seul
être : l'erreur dévoilée, elles se confondirent, et leurs noms ne furent plus que
deux termes différents pour désigner les mêmes astres. Le double caractère
qu'on leur avait prêté se perpétua dans la personne unique. L'étoile du soir
avait symbolisé la déesse de l'amour qui attire l'homme vers la femme et qui
les enchaîne l'un à l'autre par le désir, tandis qu'on imaginait celle du matin
I. Leur nom générique, lu d'abord toubal, toabbat en suméro-accadien, libbou en langue sémitique
(Fa. Lenohmakt, Euai de Commentaire sur tel fragment* cotmogoniquei de Bfroie, p. 370-3" 1), dési-
gnai! un quadrupède que Lenormant ne savait comment déterminer, maie que Jensen {Die Komoloeie,
[) •.)',-■)■) ) a identifie avec le mouton et le bélier. A la fin du récit de la création. M»rdouk-Ju| e-i
comparé à un berger qui pait 1rs dieuv dans le champ du ciel (cf. p. 5)5 de cette Hiltoire).
i Site de Dilbat inconnu : on le cherche au voisinage de Kisbou et de "abylone (Dïliiiscb. It'o
lag dut Paradiei? p. ÏIM) : peut-être faut-il le placer dans la banlieue de Sippnra. E.e nom appliqué
à la déesse a été transcrit AeXtpâr (Nmvcdi'S, ». v. I.) et signifie le héraut, la ménagère du jour.
3. Le rôle de Nébo a été défini par le« premiers atsyriologues (IUwlisso.i, On the Religion of tht
liabylonians and Aiiyriam, j>. 5*3-516, Oirmi, Expédition en Métojiotamie , t. 11. p. Î.Ï7 ; Lusoani.vr,
Eliot de Commentaire aur lei fragment* coimogonii/uei de Béroie, p. 114-116). H eu doit une partie
à mhi alliance avec d'autres dieu\ (Siïck, The Itetigion of tht Ancien! Babylaniant, p, 118-1 IV).
i. Etudier le chapitre que Savce a consacré à Ishtar dans sa Religion of tht Aneienl Babuloniam
[IV. Vammuî and Ithtar, p. ÎÏ1 sqq.). et les observations que A. Jcrcmias a insérées sur le même
sujet ;i la suite de son fcdulmr-Mmrod {hhtar-Atlarte im lidubar-Epoi), p. 36-60.
S, Sur >anà, consulter avec réserve K». Lkmimiaxi, £i«ii de Commentaire tur let fragment! cinmo-
gonii/uei de Dénué, p. 1(10-103. :i"H-37i>, où l'identité d'ishlar et de Nani est encore méconnue.
fi. Bénin de F/iurher-Cudin d'aprci l'héliogravure de Mr.sjsr, Recherche» tur la Glyptique orien-
tale, t. I, pi. ir, n' fl.
NÉ RO ET rsHTAK. 671
comme la guerrière froide et cruelle qui dédaigne la volupté pour la bataille :
Ishtar en resta tout ensemble chaste et lascive, bienveillante et féroce, paci-
fique et belliqueuse, sans que cette réunion de qualités irréconciliables décon-
certât la piété de ses fidèles. Les trois autres planètes '~~*
fait piètre figure à côté de Nébo et dlshtar, si on ne leu
uctroyé des patrons nouveaux. Les dieux-soleil du secon
Mardouk, Ninib, Nergal ne menaient, si l'on y réfléch
qu'une existence incomplète; ils étaient une portion de s<
une portion seulement, quand Shamash représentait l'at
entier. Que devenaient- ils hors le moment de l'année
du jour pendant lequel ils fournissaient leur carrière?
s'enfermaient-ils de nuit, durant les heures que Shai
rentré au firmament, s'y cachait derrière les montagne
Nord? De même qu'en Egypte les Horus identifiés d'à
à Rà devinrent les maîtres des planètes, en Chaldée, les
soleils de Ninib, de Mardouk et de Nergal s'assirnilère
Saturne, à Jupiter et à Mars', et leur pénétration s'a
d'autant plus facilement pour Saturne qu'on le considt
dès l'origine comme un taureau appartenant à Shama
On eut désormais un groupe de cinq dieux puissants,
cantonnés au ciel parmi les astres, sur la terre -*
dans les cités, et qui reçurent la charge d'annoncer les desti- mn»3.
nées de l'univers. D'aucuns, trompés par la grosseur et par
l'éclat de Jupiter, donnèrent le commandement à Mardouk, et cette opinion
prévalut naturellement à Dabylone dont il était le dieu féodal'. D'autres, ne
tenant compte que de l'influence exercée sur la fortune des hommes, accor-
dèrent la primauté à Ninib et rangèrent à la suite Mardouk d'abord, puis
Ishtar, Nergal et Nébo*. Comme les six des triades, les cinq ne tardèrent
1. Justi, bit Koamotogie der Ilabylonier, p. 1311-1 il ; Ishtar cl Nébo. Sin ut Shamash, étant des
antres a l'origine, et les autre* grands dieux Anou, Bel, Êa, Hnminaii, ayant leurs astres an ciel, les
Chaldéeiis Turent entraînés par l'analogie à attribuer aux dieux qui représentaient les phases du Soleil,
Mardouk, Ninib et Nergal, trois astres proportionnés a leur importance, trois planètes.
t. Map akanwhi, dans les tablettes astrologiques. Diodorc de Sicile (11. 30) nous apprenait déjà que
le Saturne des Crues était un Soleil pour les Babyloniens ; U:.i 6k \>,<, Lt.Ii :mj ' l'Xi r,-n«v Kplyo-
àïou-JÎ'Jnîvov eittfKviaTM'» 6É xai n).ef<rtn *al v-ifima ipiïor.u.it.ovTa xaloûoii "lli.iov.
2. UàtiH de Faueher-GadÎH, ttuprèa la ita/ar attyrienne en albâtre du Itritiëh Muienm.
1. L'o«t l'ordre adopté dans les listes transcrites par Jp.jises, Oie Kosmoloyic drr ISabyloiiiei;
p. 100-101. et Justine par un certain nombre de textes, avec quelques variantes pour la place qu'il
convient de donner à certaines des planètes qui suivent Jupiter.
5. Ce classement résulte îles puissances numériques attribuées aux dieux des planètes sur la
tablette K 170 du Musée Britannique, donl il sera question ans pages (JJS-ii"t de cette llitttiirc.
67-2 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
pas à se marier, s'ils ne l'avaient déjà fait avant qu'on songeât a les convo-
quer en une seule assemblée. Ninib choisit pour femme Baou, la fille d'Anou,
la suzeraine d'Ourou, très vénérée dès les temps les plus anciens1, puis Goula,
la reine des médecins, dont la science adoucit les maux de l'humanité, l'une
des déesses qu'on mettait parfois dans le harem de Shamash*. Mardouk s'as-
socia Zirbanit la féconde, qui assure de génération en génération la perpétuité
et la multiplication des êtres3. Nergal partagea les hommages de ses fidèles,
tantôt avec Laz\ tantôt avec Esharra, belliqueuse comme lui, et comme lui
toujours victorieuse dans les combats8. Nébo s'appareilla à Tashmit6, la grande
fiancée, ou même à Ishtar7. Ishtar ne voulut pas se contenter d'un seul mari :
après qu'elle eut perdu Doumouzi-Tammouz, l'époux de sa jeunesse, elle
s'abandonna sans contrainte à la violence de ses caprices, favorisant les
hommes aussi bien que les dieux, et quelquefois rebutée avec ignominie
par les héros qu'elle conviait libéralement à ses amours*. Les cinq étaient en
réalité les dix, et l'on profita de ces alliances pour nouer entre eux des
liens nouveaux de parenté : Nébo fut proclamé le fils de Mardouk et de
Zirbanit9, Mardouk le fils d'Éa10, Ninib celui de Bel et d'Ësharra11.
1. Baou, lue aussi Gour, qui tient une grande place dans les inscriptions de Tel lob (Aniacd, 6ïr-
pourla, p. 17-18) est à l'origine la mère d'Êa, une personnification des eaux ténébreuses et du Chaos
(Hommel, Die Semitischen Vôlker, p. 379-382) : ce n'est qu'assez lard qu'on s'avisa de la marier à Ninib.
2. Goula, la grande, peut n'avoir été à l'origine qu'une épithète générale attachée au nom de
Baou, puis incarnée en une déesse particulière (Hoxmkl, Die Senti lise hen Vôlker, p. 381, note); son
rôle et celui de Baou sont entièrement parallèles dans les textes babyloniens (cf. Jknsf.n, Die Kosmo-
logie der Babylonier, p. 245-246). Tiele (Babyloniseh-Assyrische Geschichte, p. 529-530) reconnaît en
elle le feu intérieur, la chaleur vitale et aussi la chaleur mauvaise, la fièvre qui tue.
3. Le nom de Zirbanit, Zarpanit, l'une des divinités chaldéennes dont l'importance a été constatée
le plus tôt par les assyriologues (Oppert, Expédition en Mésopotamie, t. II, p. 297 ; Rawlinson, On
the Religion of the Babylonians and Assyrians, p. 517-518), signifie Celle qui produit les germes,
qui produit la postérité. Elle parait se rattacher à une divinité très antique, Gasmou, la sage, qui
était la femme ou la tille d'fta, et qui semble avoir été considérée à l'origine comme dame et voix
de l'Océan (Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 110-112).
4. On ne connaît guère de Laz que le nom : Hommel (Geschichte Babyloniens und Assyriens,
p. 225) émet avec doute l'idée que cette déesse était Cosséenne d'origine.
5. Ésharra est d'un côté la terre (cf. p. 645-646 de cette Histoire), de l'autre la déesse de la guerre.
6. Tashmit, dont le nom fut lu d'abord Ourmit ou Varamit (Kawlisson, On the Religion of the
Babylonians and Assyrians, p. 525), est la déesse des lettres, toujours associée à Nébo dans la
formule qui termine chacun des ouvrages conservés dans la bibliothèque d'Assourbanabal à Ninive.
Elle ouvrait les yeux et les oreilles de ceux qui recevaient les instructions de son mari ou qui
lisaient ses livres (Sayce, The Religion of Hue Ancient Babylonians, p. 120).
7. C'est surtout sous le nom de Nanà qu'Ishtar est associée à Nébo, dans le temple de Borsippa
(Tiele, Benierkungen ùber E-sagila in Babel und E-zida in Borsippa zur Zeit bcbukadrcxzar's //,
dans la Zeitschrift fur Assyriologie, t. Il, p. 185-187).
8. Cf. aux pages 579-581 de cette Histoire l'aventure d'Ishtar avec Gilgamès, les reproches que le
héros adresse à la déesse et la longue «numération qu'il fait de ses amants.
9. Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 112 sqq., explique très ingénieusement les
relations que l'on constate très intimes entre Mardouk et Nébo, par l'absorption graduelle dans Baby-
lone de la ville de Borsippa dont Nébo était le dieu féodal.
10. Sur l'origine possible de cette filiation, cf. Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians,
p. 104-105, qui l'attribue à des rapports très anciens entre les habitants des deux cités, peut-être à
une fondation de Babylone par des colons venus d'Éridou, la ville d'fca dans la Chaldée méridionale.
11. Jknse.n, Die Kosmologie der Babylonicr, p. 196-197, 199.
LES VALEURS NUMÉRIQUES DES DIEUX. 673
Deux conseils, l'un de douze membres, l'autre de dix, celui-là composé des
dieux les plus populaires de la Chaldée du Sud et incarnant les parties essen-
tielles du monde, celui-ci comprenant les grands dieux de la Chaldée du nord
et chargé de régler les destinées ou de les prédire aux hommes : les inventeurs
de ce système, qui étaient des méridionaux, avaient donné le premier rang aux
patrons de leur pays et placé les douze au-dessus des dix. On sait le respect
que les Orientaux ressentent pour les nombres, et quelle puissance irrésistible
ils leur accordent : les Chaldéens les appliquèrent à définir leurs maîtres et à
calculer la valeur qu'ils reconnaissaient à chacun d'eux1. Les déesses ne comp-
tent pas dans cette arithmétique mystique, Ishtar excepté, qui n'était pas un
dédoublement plus ou moins ingénieux d'un dieu préexistant, mais qui possé-
dait dès l'origine sa vie indépendante et pouvait s'intituler déesse de droit
propre. Les membres des deux triades s'échelonnaient sur les degrés d'une
progression descendante, dont Anou marquait le terme supérieur : on l'esti-
mait un sosse plein ou soixante unités, et chacun de ceux qui le suivaient
valait une dizaine de moins que son prédécesseur, Bel 50, Êa 40, Sin 30,
Shamash 20, Ramman 10 ou 6*. Les dieux des planètes ne s'agençaient pas
en série régulière comme ceux des triades/ mais leurs nombres exprimaient
le degré d'influence qu'ils exerçaient sur les choses terrestres; Ninib était
coté 50 comme Bel, Mardouk 25 peut-être, Ishtar 15, Nirgal 12 et Nébo 10.
Les esprits s'évaluaient en fractions, mais par classes et non plus par indi-
vidus3; les prêtres n'auraient su comment s'en tirer, s'ils avaient dû chiffrer
l'infinité des êtres*. De même que les Héliopolitains avaient écarté de l'En-
néade beaucoup des divinités féodales, les Chaldéens avaient laissé dehors
plusieurs de leurs divinités souveraines, des déesses surtout, Baou d'Ourou,
Nanâ d'Ourouk, Allât, ou du moins ils ne les y avaient introduites que par un
subterfuge, en les identifiant à d'autres déesses qui y tenaient déjà, Baou avec
Goula, Nanâ avec Ishtar, Allât avec Ninlil-Beltis. S'ils leur avaient assigné des
1. La découverte de ce fait appartient à Mincies (On the Assyrian Mythology, dans les Proceetiingë of
the Irish Academy, t. XXIII, p. 405 sqq.) d'après la tablette K 170 du Musée Britannique (Fa. Lexormant,
Choix de Textes Cunéiformes, n° 28, p. 93-94; Fa. Delitzsch, Assyrische Lcsestûcke, l^éd., p. 39, BnM).
2. Le nombre donné par la tablette K 170 est 6, et appartient proprement à Ramman; le nombre 10
est en réalité celui du dieu du feu, Nouskou, qui s'est parfois fondu dans Ramman.
3. Fa. Lenorm.ot, la Magie chez les Chaldéens et les Origines Accadiennes, p. 24-25.
4. Autant qu'il est permis d'en juger pour le moment, la série la plus anciennement établie est
celle des dieux planétaires, dont les valeurs, se succédant irrégulièrement, sont calculées non point
d'après une progression mathématique, mais d'après l'importance empirique que l'étude des présages
attribuait à chacune des planètes pour la connaissance de l'avenir. La série régulière, celle des grands
dieux, porte dans sa régularité la preuve de son origine tardive : on l'aura instituée après coup, à
l'exemple de l'autre, mais en corrigeant ce que celle-ci présentait de capricieux dans sa disposition,
et en laissant subsister entre chacun des dieux dont elle se composait un écart toujours le même.
H1ST. ANC. DE i/OMENT. — T. I. 85
674 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
nombres proportionnés à l'importance de leur rôle et à la quantité de leurs
dévots, comment auraient-ils expliqué leur exclusion du cycle des grands
dieux? Us les placèrent à côté plutôt qu'au-dessous des deux conseils, sans
insister sur le rang qu'ils leur imposaient dans la hiérarchie. D'ailleurs la
confusion qui s'était produite de bonne heure entre les divinités de nature
identique ou simplement analogue leur permit de glisser toutes les personnes
oubliées dans le cadre qu'ils s'étaient tracé. Un dieu du ciel comme Dagan
se mêla naturellement avec Anou, et jouit des mêmes honneurs que lui1. Les
dieux primaires ou non du soleil ou du feu, Nouskou*, Gibil3, Doumouzi, qui
n'avaient pas été accueillis au début dans le groupe des privilégiés, s'y insi-
nuèrent par assimilation avec Shamash et avec ses formes secondaires, Bel-
Mardouk, Ninib, Nergal. Ishtar absorba toutes ses compagnes, et son nom mis
au pluriel — hhtarâti, les Ishtars — engloba les déesses d'une manière
générale comme ilnni embrassa les dieux1. Grâce à ces compromis, le système
prospéra et s'étendit : la vanité locale trouvait toujours le moyen d'y loger le
dieu féodal en bonne vue, et de concilier ses prétentions au rang suprême
avec l'ordre de préséance déterminé par les théologiens d'Ourouk. 11 était
toujours le roi des dieux, le père des dieux, celui qu'on adorait par-dessus
les autres dans la vie de chaque jour, et dont le culte solennel constituait
la religion de l'État ou de la cité.
Les temples reproduisaient en petit les dispositions de l'univers5. La
1. Ce dieu, dont le nom s'écrit avec deux idéogrammes qui peuvent se lire Dagan, sans que la
prononciation en soit bien certaine, avait été identifié par les premiers assyriologues avec le Dagon
des Philistins (Hincks, On the Assyrian Mylhology, dans les Proceedings of the Irish Academy,
t. XXIII, p. 409-410; Oppert, Expédition en Mésopotamie, t. II, p. 264; Fa. Lenormant, Essai de Com-
mentaire sur les fragments cosmogoniques de Bérose, p. 66-68), et désigné par eux comme étant Bel-
Dagan, en opposition à Bel-Mardouk. Cette opinion a prévalu longtemps (Menant, le Mythe de Dagon.
dans la Revue de l'Histoire des Religions, t. XI, p. 295-301, et Recherches sur la Glyptique orientale.
t. II, p. 49-54). Il aurait été alors le dieu-poisson, le dieu de la fécondité. Jensen (Die Kosmologie
der Babylonier, p. 449-456) a montré qu'il est à l'origine un dieu du ciel, une forme secondaire
d'Anou, et par suite du dieu Bel astrologique, considéré comme possédant une constellation au ciel.
2. Nouskou est identifié avec Gibil, le dieu du feu, par certains textes qui les mettent l'un et l'autre
en rapport avec INébo. Nouskou est pour Sayce (The Religion of the Ancient Babylonians, p. 118-
119), à l'origine, le dieu de l'aube et le point du jour, qui devient plus tard le Soleil du midi, le
Soleil au Zénith (Df.lit/sch-MOrdtkr, Getchichte Babyloniens und Assyriens, 2" éd., p. 33); il a dans les
conjurations magiques le rôle subordonné de Messager des dieux, et il s'attache alors de préférence
à Bel (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. IV, pi. 5, col. n, 1. 32-51).
3. Gibil, Gibir, est le dieu du feu et de la flamme (Kr. Lenormant, la Magie chez les Chaldéens,
p. 169 sqq., où le nom est lu bil-gi ; Hommel, Die Semilischen Vôlker, p. 390-393), absorbé plus tard
par le Soleil (Sayce, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 179-182).
4. Ainsi, dans les Fastes de Sargon (I. 176), le scribe mentionne ilâni ou ishlarAli ashibbouti Ash-
shour, • les dieux et les Ishtars qui habitent l'Assyrie ».
5. Cette conception, analogue à celle qui avait présidé à la distribution des temples égyptiens,
résulte de la forme même de montagne que les Chaldéens donnaient à leurs temples (Fa. Lenor-
mant, Essai de Commentaire des fragments cosmogoniques de Bérose, p. 358 sqq., les Origines de l'His-
toire, t. Il, p. 123 sqq.), et du nom A'Èkour, commun aux temples et à la terre (Jensen, Die Kosmo-
logie der Babylonier, p. 185-195) : l'apparence de montagne, que la zi g gourât prenait, leur rappelait
la montagne terrestre avec ses zones ou avec ses étages superposés (cf. p. 543 de cette Histoire).
LA CONSTITUTION DES TEMPLES, LES SACERDOCES LOCAUX. 675
ziggourat figurait par sa masse la montagne terrestre, et des salles, rangées à
ses pieds, simulaient de façon plus ou moins complète les parties accessoires :
le temple de Mardouk à Babylone renfermait jusqu'aux chambres fatales, où
le soleil recevait chaque matin les tablettes de la destinée1. Le nom indiquait
souvent la nature du maître ou l'un de ses attributs : le temple de Shamash à
Larsam s'intitulait É-babbara, la maison du Soleil, celui de Nébo à Borsippa,
É-zida, la maison éternelle. Et n'importe où un dieu possédait un sanctuaire,
ce sanctuaire s'appelait du même nom : Shamash à Sippara vivait dans un
E-Babbara comme à Larsam. Ainsi qu'en Egypte, le roi ou le chef de l'État
était le prêtre par excellence, et la qualité de vicaire, si fréquente dans la
Chaldée primitive, montre qu'on voyait en lui le délégué, le lieutenant de la
divinité auprès des siens1; mais un clergé, à moitié héréditaire, à moitié
recruté, remplissait pour lui les fonctions journalières du sacerdoce et assurait
la régularité des offices. Un grand prêtre — ishshakkou — marchait en tête,
dont le devoir principal était de répandre la libation : chaque temple avait
son ishshakkou, mais celui qui présidait au culte de la divinité féodale pri-
mait tous les autres dans sa ville, celui de Bel-Mardouk à Babylone, celui
de Sin à Ourou, celui de Shamash à Larsam ou à Sippara3. Il commandait à
différentes catégories de prêtres et de prêtresses, dont les titres et la hiérar-
chie ne nous sont pas connus suffisamment. Les shangou paraissent avoir
occupé après lui le poste le plus éminent, les chambellans attachés à la maison
du dieu et ses hommes liges, dont l'un gouvernait son harem, d'autres les
autres départements de son palais4. Les kîpou et les shatammou étaient sur-
tout des administrateurs chargés de veiller à ses intérêts financiers ; mais les
pashishou frottaient d'huile bénie et parfumée ses statues de pierre, de métal
ou de bois, les stèles votives déposées dans les chapelles, le matériel du
culte et les ustensiles du sacrifice, les grands bassins, les mers de cuivre où
l'on recueillait l'eau employée aux ablutions saintes8, les victimes qu'on
1. Cette salle est décrite par Naboukodorosor II (Rawlinson, Cuti. Ins. W. As., t. I, pi. 54, col. n,
I. 54-65) et par Nériglisor (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. I, pi. 67, I. 33-37), dans des passages dont
le sens véritable a été découvert par Jrnskn, Die Kosmologic der Babylonier, p. 85-86. 237-238.
2. Cf. sur le titre de vicaire ce qui est dit à la page 604 de cette Histoire.
3. Les titres uhshakou, nishakkou, qui répondent aux ternies patishi et nou-és des idiomes non
sémitiques de la Chaldée, paraissent provenir de la racine nashakou, verser une libation (Sayce, The
Religion of the Anvienl Babylonians, p. 60, n. 1).
4. Le shangou est celui qui est lié au dieu (Sayce, The Religion of the Ancien t Babylonians, p. 61);
les rois revêtent la dignité de shangou, ainsi AshshourisMshi (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. III, pi. 3,
n* 6, 1. 1, 8, 9) et Kourigalzou (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. I, pi. 4, n« XIV, I. 1, 2, 3). Tw\e(Baby-
limisch-Assyrisv.he Geschichle, p. 546-547) pense que le shangou appartenait à la même classe que
Yishakkou.
5. IIki'xky-Sarzkc, Découvertes en Chaldée, pi. 2, n° 3; cf. Y. Ir. Gvc, Ur-Bau, paient de Lagashu,
dans la Zeilsehrift fur Assyriologie, t. VII, p. 150. Comparu/, la mer d'airain du temple de Jéru-
676 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÊE.
menait à l'autel1. Puis, c'était un peuple de bouchers et d'aides, de devins,
d'augures, de prophètes, toute la domesticité que la complication des rites
exigeait aussi nombreuse en Chaldée qu'en Egypte1, sans parler des bandes
de femmes ou d'hommes qui honoraient le dieu de leur corps, et se livraient
à la brutalité de ses fidèles8. La besogne ne manquait jamais à ce personnel
disparate. Chaque jour et presque chaque heure, une cérémonie nouvelle le
mettait en mouvement, tantôt les uns, tantôt les autres, depuis le monar-
que lui-même ou son légat dans le temple, jusqu'au dernier des sacristains.
Le là du mois d'Éloul était réservé dans Babylone à Bel et à Beltis: le prince
leur présentait ce qu'il voulait, puis il célébrait devant eux les sacrifices
ordinaires, et s'il levait la main pour implorer quelque grâce, il l'obtenait
sans faute. Le 13 était dédié à la Lune, le dieu suprême, le 14 à Beltis et
à Nergal, le 15 à Shamash; le 16 on jeûnait en l'honneur de Mardouk et de
Zirbanit, on fêtait le 17 l'anniversaire de Nébo et de Tashmît, le 18 la pané-
gyrie de Sin et de Shamash, et le 19 était un jour blanc pour la grande déesse
Goula*. C'était, l'année entière, la même variété que pendant ces quelques
jours pointés au hasard dans le calendrier. Les rois, en fondant un temple,
ne lui léguaient pas seulement le mobilier et les fournitures nécessaires aux
besoins du moment, les brebis et les bœufs, les oiseaux, les poissons, les
pains, les liqueurs, l'encens et les essences odorantes; ils lui allouaient aussi
des revenus sur le trésor, des esclaves, des terres cultivées, et leurs succes-
seurs renouvelaient ces dons gracieux ou les augmentaient en toute occasion5.
Chaque guerre victorieuse lui apportait sa part des dépouilles et des captifs;
chaque événement heureux ou malheureux qui survenait dans l'État ou dans la
Balcm : le terme babylonien est apsou, le même qui sert à rendre l'abîme des eaux primordiales. Un
texte (Hawlinson. Cun. Ins. \Y. As., t. IV, pi. 23, n° 1), que Lenormant avait interprété comme se
rapportant à une descente d'ishtar aux Enfers (la Magie chez les Chaldéens, p. 157-160), a trait en
réalité à l'établissement d'une mer d'airain, soutenue par des taureaux en bronze (Sayce, The Reli-
gion of the Ancient Rabylonians, p. 63, n. 3).
1. Sayce, The Religion of Ihe Ancient Rabylonians, p. 61-63.
2. Cf. ce qui est dit de la domesticité des temples égyptiens, à la page 1*25 de cette Histoire.
3. Sur les hiérodules d'ishtar à Ourouk et sur les noms qu'on leur donne, cf. À. Jeremias, hdubar-
Nimrod, p. 59-60; on se rappelle que les séductions de l'une d'elles aidèrent Gilgamès à s'emparer
d'ftabani (voir aux pages 577-579 de cette Histoire). Outre les hiérodules d'ishtar on connaît encore
celles d'Ànou et leurs compagnons mâles (Rawlinso.n, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 17, col. i, I. 11-12).
4. La tablette d'où sont extraits ces renseignements renfermait un hémérologe d'un mois supplé-
mentaire de l'année chaldécnne, le second Éloul, qui appartenait à un calendrier complet (Rawli.nson,
Cun. Ins. \V. As., t. IV, pi. 32-33, cf. Sayce, The Religion of the Ancient Rabylonians, p. 69-77).
5. Les exemples les plus anciens de ces donations nous sont fournis par les inscriptions des souve-
rains de Lagash. Ourninà (Heizey-Sarzec, Découvertes en Chaldée, pi. 21, col. m, I. 7-10; cf. àjuaud,
The Inscriptions of Telloh, dans les Records of the Past, 2n* Ser., t. I, p. 65, et Découvertes en Chaldée,
p. XXIX), Goudéa (Inscription de la statue E\ cf. Amiaid, The Inscriptions of Telloh, dans les Records
of the Past, tni ser., t. II, p. 94-96, et Découvertes en Chaldée, p. XXI-XXII, et Inscription de la
Statue G., col. hi-vi, dans Hei zey-Sarzec, Découvertes en Chaldée, pi. 13, 3; cf. àmiaud, The Insrrtp-
tions of Telloh, p. 101-102, et Zeitschrift fur Assyriologie, t. 111, p. 30-31).
LES DONATIONS AUX TEMPLES. 677
famille royale lui valait un redoublement de cadeaux, pour remercier le dieu
de sa bonté ou pour apaiser son mécontentement. L'or, l'argent, le cuivre,
le lapis-lazuli, les pierres fines et les bois précieux s'entassaient dans les
entrepôts sacrés; les champs s'ajoutaient aux champs, les troupeaux aux
troupeaux, les serfs aux serfs : le tout, accumulé pendant des générations,
aurait fini par égaler l'apanage de la maison régnante, si les peuples voisins
n'en avaient enlevé des lambeaux de temps à autre dans quelque incursion,
ou si un souverain à court de ressources n'avait osé refaire ses finances aux
frais des prêtres. On avait essayé de prévenir ces usurpations en couvrant de
malédictions quiconque abaisserait une main sacrilège sur le moindre objet
appartenant au domaine divin : on lui prédisait « qu'il serait tué comme
un bœuf au milieu de sa prospérité, et abattu comme un urus sauvage dans
la plénitude de sa vigueur!... Puisse son nom être effacé de ses stèles dans
le temple de son dieu ! Puisse son dieu voir le désastre de son pays sans en
avoir pitié, le ravager avec les eaux du ciel, le ravager avec les eaux de la
terre! Puisse-t-il être chassé comme un homme sans nom, et sa race tomber
en sujétion! Puisse cet homme, comme tout homme qui agit mal envers son
maître, ne trouver nulle part un gîte, au loin, sous la voûte des cieux, dans
quelque cité que ce soit1 ! » Les menaces, si terribles qu'elles fussent, n'empê-
chaient rien, et les puissants du jour les bravaient volontiers lorsque leur
intérêt le leur conseillait. Goulkishar, sire des pays de la Mer, avait voué un
champ de blé à Nina, sa dame, près la ville de Déri, sur le Tigre. Sept cents
ans plus tard, sous le règne de Belnadinabal, Êkarrakaîs, gouverneur de Bît-
sinmagir, s'en empara et l'annexa au fisc provincial, contre toute équité. Le
prêtre de la déesse en appela, et, se prosternant devant le trône avec force
prières et formules mystiques, implora la restitution du bien volé. Belnadin-
abal fit droit à la requête et renouvela les imprécations qui avaient accom-
pagné la rédaction de la charte primitive : « Si jamais, par la suite des jours,
l'homme de loi ou l'intendant d'un suzerain qui gérera la ville de Bitsinmagir
redoute la rancune du dieu Haman ou de la déesse Nina, alors que Haman et
Nina, la dame des déesses, viennent à lui avec la bénédiction du prince des
dieux, qu'ils lui accordent une destinée de vie heureuse, et qu'ils lui concè-
dent des jours de vieillesse et des années de rectitude! Mais toi, qui songes
1. Inscription de la Statue li de Goudéa, au Louvre, dans Heuzey-Saiikec, Découvertes en Chaldéc,
pi. 16-17, 19, col. ix, I. 6-9, 15-26; la traduction par Aniaid, 'Ihe Inscription of Telloh, dans les
Records ofthe Past, 2°' Ser., t. II, p. 86-87, et Découvertes en Chaldée, p. XV; Jknsen, Inschriftender
Kônige und Statthalter von Lagasch, dans la KeilschrifUichc Bibliolkek, t. III, 1" p., p. 46-49.
678 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÊE.
à changer ceci, ne franchis point les bornes, ne désire pas le territoire : hais
le mal et chéris la justice1. » Si les princes ne se montraient pas toujours
d'humeur aussi accommodante que Belnadinabal, la piété des particuliers,
stimulée par la crainte, réparait promptement le dommage, et des legs fré-
quents comblaient bientôt les brèches que l'épée de l'étranger ou la rapacité
d'un maître peu scrupuleux avait ouvertes au budget des temples. Ce qui
échappait aux révolutions, accru, amoindri, accru encore, formait dans la cité
comme un fief indestructible, dont le grand prêtre dirigeait l'administration
sa vie durant, et dont la rente subvenait largement aux besoins personnels du
dieu ainsi qu'à l'entretien de ses ministres.
Ce n'était que justice. Une croyance respectée de tous faisait de la terre
entière non seulement la création, mais le domaine imprescriptible des dieux.
Elle leur appartenait d'origine, chacun dans les limites de l'État dont il était
le souverain seigneur, et tous ceux, nobles ou manants, vicaires ou rois, qui
prétendaient la posséder, n'étaient que les détenteurs passagers des parcelles
dont ils s'imaginaient être les maîtres. Les cadeaux aux Temples étaient donc
des restitutions volontaires que les dieux acceptaient gracieusement, et dont
ils daignaient savoir gré aux donateurs, quand après tout ils auraient pu les
considérer comme des actes de stricte honnêteté, qui ne méritaient d'eux aucun
retour de faveur ou de reconnaissance. Ils souffraient pourtant que le meil-
leur de leur patrimoine demeurât entre des mains étrangères, et ils se
contentaient de ce que la générosité prétendue des fidèles voulait bien
leur attribuer. Leurs terres étaient les unes mises en valeur directement par
le clergé, les autres affermées à des laiques de tout rang, qui déchargeaient
le sacerdoce des risques de l'exploitation pour ne lui en réserver que les
bénéfices; d'autres enfin ne leur acquittaient qu'une rente déterminée par
contrat authentique et qu'ils ne pouvaient jamais augmenter de leur seule
autorité. Les tributs de dattes, de blé, de fruits, qu'on leur assignait pour
célébrer des cérémonies commémoratives en l'honneur de telle ou telle per-
sonne, étaient gagés sur des champs qui en garantissaient le paiement, et qui
finissaient toujours par écheoir entièrement à la mainmorte du temple
C'était le revenu fixe du dieu, grâce auquel il vivait, lui et ses gens, sinon très
amplement, du moins ainsi qu'il convenait à sa dignité. Les offrandes et les
1. Hii.prkcht, The Uabylonian Expédition of theVniversity of Pcnnsylvania, t. I, pi. 30-31 ; Oppert,
le Champ sacré de la déesse Sinâ, une laïcisation au XIIe siècle avant l'ère chrétienne, dans le»
Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et lie Iles- Lettres, 1893, t. XXI, p. 326-344, et la
Fondation consacrée à la déesse Nina, dans la Zeitschrift fur Assyriologie. t. VIII, p. 3(ï0-37-I.
LES REVENUS DES TEMPLES. 679
sacrifices lui apportaient un gain flottant dont la quotité variait singulièrement
avec les saisons : il en recevait peu à de certaines dates, tandis qu'à de cer-
taines autres il s'en trouvait comme encombré. La plus grande portion en était
consommée immédiatement sur place par le personnel attaché au sanctuaire :
ce qui pouvait se conserver sans dommage allait rejoindre les produits des
domaines, et constituait soit une réserve pour les mauvais jours, soit un fonds
de roulement que les prêtres faisaient fructifier. Ils avançaient le blé ou le
métal à gros intérêts, et leur habileté dans le commerce de l'argent était si
notoire que nul particulier n'hésitait à leur confier le maniement de ses capi-
taux : ils servaient d'intermédiaires entre les prêteurs et l'emprunteur, et les
commissions qu'ils touchaient comme prix de ce service n'étaient pas la
moindre source de leurs bénéfices ni la moins sûre. Ils nourrissaient de véri-
tables troupeaux d'esclaves, laboureurs, jardiniers, artisans, même ces chan-
teuses et ces courtisanes sacrées dont j'ai parlé déjà1, qui travaillaient direc-
tement pour eux de leur métier, ou qu'ils louaient en dehors du temple à
quiconque réclamait leur aide. Le dieu n'était pas seulement le plus grand
cultivateur de l'État, après ou souvent même avant le roi : il était le manu-
facturier le plus actif, et beaucoup des objets nécessaires au luxe ou à l'usage
commun sortaient de ses ateliers. Sa fortune lui assurait une autorité prépon-
dérante sur la cité et jusque dans les conseils du prince : les prêtres qui le
représentaient sur terre étaient mêlés aux affaires de l'État, et son influence
s'y exerçait par eux, à côté de celle des officiers de la couronne*.
Aussi bien avait-il besoin de richesse et de renom autant que ses moindres
clients. Comme il participait à toutes les faiblesses de l'humanité et en
éprouvait tous les appétits, on devait le nourrir, l'habiller, le divertir, ce
qu'on ne pouvait faire qu'à grands frais. Les statues de métal, de pierre ou de
bois, érigées dans les sanctuaires, lui prêtaient leurs corps qu'il animait de
son souffle, et qu'il accréditait parmi nous pour recueillir ici-bas tout ce
dont il manquait dans son royaume mystérieux*. On revêtait ces images
d'étoffes, on les oignait d'huiles odorantes, on les couvrait de bijoux, on leur
servait à manger ou à boire, et là-haut sous le ciel, dans l'abîme, au sein de
1. Voir les noms des diverses classes d'hiérodules à la page 577, note 4, de cette Histoire.
2. Pour la constitution du domaine des temples et pour l'administration sacerdotale, on consultera
l'étude très consciencieuse de Pkiser, Bnbylonischc Vertrâge des Berliner Muséums, p. xvu-xxix; sur le
», « • i__ »a _* J__ ii _r u r>_'a_i: iliL.L..! • _r r» • a f.j _ a
chaldéenne des statues animées et prophétiques est, comme on devait s'y attendre, identique à la
théorie égyptienne dont j'ai exposé quelques traits au chapitre u de cette Histoire, p. 119-120.
680 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA f.HALDEE,
la terre, les dieux s'habillaient, parfumaient leur chair et la paraient, se ras-
sasiaient du même coup : il suffisait pour cela de leur expédier le sacrifice avec
les prières et selon les rites qu'ils avaient enseignés. Le prêtre commençait
par les inviter solennellement ; dès qu'ils flairaient de loin l'odeur de la bonne
chère, ils accouraient « comme un essaim de mouches » et se tenaient prêts à
la saisir'. L'appel entendu, on leur apportait l'eau et on leur proposait les
ablutions indispensables
au début d'un repas* :
■ Lave tes mains, nettoie
tes mains, — que les
dieux tes frères lavent
leurs mains, nettoient leurs
mains ! — Dans un plat
pur, mange un manger
pur, — dans une coupe
Lt Bf.ïOT ANUï UEVIST LE MET POlIt SKCtllll» LK MU* PII MtlUFl€K>. pillT, 1)01 S de l'eaU pUl'e ! »
La statue, raidie par la
matière dans laquelle on l'avait taillée, n'aurait su comment profiter des
choses exquises qu'on lui prodiguait : ou lui ouvrait la bouche, au moment de la
consécration, et on la rendait ainsi capable de s'assouvir à son gré*. Le repas
durait longtemps et comprenait tout ce que la cuisine du temps imaginait
de plus délicat : on servait tour à tour des dattes et de la farine de froment,
du miel, du beurre, des vins de plusieurs sortes, des fruits, de la viande rôtie
et bouillie. H parait bien qu'on exécutait des victimes humaines aux temps les
plus anciens; mais l'usage n'en avait persisté que dans des cas très rares, et
I, C'pst l'image même que l'auteur du poème de Cilgamès emploie pour exprimer l'empressement
des dieux au moment où Shamashnapishlim leur fait le sacrifice; cf. p. 511) de cette Hiiloire.
t. BiWLianOs, (.'un. Au. II'. A*., I. IV, pi. 13, n' II. I. 1-5; traduit par Lksomast, la Magic chez te»
Ctiatdient, p. 47; Hohel. Die Semitiichen Volker, p. 111 ; Sa in, The Religion ofthe Ancien! Haby-
Imians, p. 187; J. C. Ball. Glimpiei of Uabyloaian Religion, dans les Proceedingi de la Société
d'Archéologie Biblique, 1891-1891, t. XIV, p. 155-136.
3. Deitin de Fauchrr-I'wudin, d'aptet l'inlaillr rhaldéenne du Minée de Berlin, reproduite en
héliogravure par Me.mit, tiechert-het tur la Glyptique orientale, t. I, pi. IV, n- t.
1. Cette opération, qui s'accomplissait aussi en figypte sur les statues des dieux et des morts,
est indiquée fort nettement dans un leitc du second empire chaldëen, publié dans Kawlkm*. C.un.
Int. IV. Al,, I. IV, pi. 15. Le prêtre qui consacre une image constate d'abord (col. m, I. 15-16) que,
i an boue.he n'étant pa> oucerle, elle ne peut prendre aucun rafraîchissement ; nourriture elle ne
mange, eau elle ne boil .. Sur quoi, il accomplit divers rites qu'il déclare avoir été célébrés sinon
actuellement, du moins pour la première fois par £a lui-même : ■ El t'a apportée ■ la place glo-
rieuse, — à la place glorieuse il t'a apportée, — apportée avec sa main brillante. — apportée avec
le beurre et le miel ; — il fa verte de l'eau eontaerêe dam ta bouche, — et par magie, il t'a ouvert la
bouche • (col. iv, I. 10-511). l.a statue peut désormais manger et boire comme une personne vivante
les mets et les boissons qu'on lui présente pendant le sacrifice (J. C. Bail, Gtimpnee of Babylnnian
Religion, dans les Proceedingi de la Société d'Archéologie Biblique, 1891-189*. t. XIV, p. 16tM6t).
LES SACRIFICES EN L HONNEUR DES DIEUX. 681
la brebis, le bœuf, parfois ie porc, faisaient les frais de l'holocauste réglemen-
taire1. Les dieux empoignaient à la volée la fumée grasse des autels, et ils
s'en repaissaient amoureu-
sement. Lorsqu'ils avaient
terminé, on leur insinuait
une requête et ils l'exau-
çaient1. Les offices étaient
fréquents dans les temples :
on en célébrait matin et
soir en temps ordinaire,
sans tenir compte de ceux que la dévotion des particuliers réclamait à
toutes les heures de la journée. Les fêtes propres au dieu local et à ses parê-
dres, puis les panégyries communes à ta nation entière, comme celle du
Nouvel-An, exigeaient une quantité de sacrifices pompeux, où le sang des vie-
1 . If fail iii-* sacrifices humains a clé indique pour la première fois a ma connaissance par F».
LtuntHKT. ht Premièra Cicilitalioni, t. Il, p. I9<i-I9B (cf. Etudes Accadienne», t. Ut, p. lli-113).
pu il par S««(. lut humait Sarrificei among the liabylonians, efnns les Trantartiott» de la Société
d'Arcneotc-Nic Biblique, t. IV, p. i5-3t ; il y en a peut-être des représentations dans Hjuukt, Recher-
che» tur la Glyptique orientale, t. I, p. 154, fig. 95 (cf. Catalogue de ta Collection de Ctercq, t. I,
I. :... I .. i ..-. p. 11!, pl. VII, n™ 21), 30 bit. pi. XVIII, n* 107, pi. XIX, n« I7fi-I8î), La réalité de ces
sacrillces a été défondue par Suce, On the Ifetigion of Ihe Ancien! Babyloitiant, p. "S, 83-M, par
Tiile, Rabyloniich-Astyriicht Gctchichtc, p. 548, et par C. J. B*i,i. Glimptet of Babylonian Religion,
dans les Procecdingt de la Société d'Archéologie Biblique, I8UI-189Î, t. XIV, p. 149-153.
t. Ainsi dans l'évocation publiée par Kawlisso*, Cuti. Int. W. Ai., t. IV, pl. 17. et traduite par
Ltwm,M, la Magie chez le» Chaldéent. n. 4<i, et Etude» Accadienne», t. III, p. 143-144 : • Soleil, à
l'élévation de mes mains, viens a l'appel, — mange son offrande, absorbe sa victime, raffermis su maili,
— et que par ton ordre it loti délivré de mit affliction, que ton mal lui toit cnlcié • {I. 53-59).
3. Ùe'tin de Faucher-Gudin, d'aprït une intnille amyrirnae publiée par A. Hich, narrative of a
Jouruey to the lite nf Itabylon in mil, pl. X, n° tu (cf. M kih.it, llechrri.het »ur ta Glyptique orientale,
t. I, p. 183-164). Le sacrifice du chevreau, ou plutût sa présentation au dieu, est ligure assez souvent
sur les bas-reliefs assyriens, ainsi dans Boni, le Hotiittnent de Xinîve, t. I, pl. 43,
4. Destin de Fauihcr-Gudin. d'aprèt l'intatllc chahU'eiinc eignaUe par lli.i iti-Sismc, Recouverte»
682 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
times coulait à flots. Des jours de tristesse et de deuil alternaient avec ces
jours de joie, pendant lesquels le peuple et les, grands jeûnaient à l'envi et
faisaient pénitence1. Les Chaldéens avaient un sentiment très vif de la fragilité
humaine et des responsabilités auxquelles une faute commise contre les dieux
expose celui qui s'en rend coupable. La terreur du péché les poursuivait à
travers leur vie, ils scrutaient sans cesse les motifs de leurs actions, et dès
que cet examen de conscience leur avait révélé l'ombre d'une intention mau-
vaise, ils en imploraient humblement le pardon. « Seigneur, mes péchés sont
nombreux, grands mes méfaits! — 0 mon dieu, mes péchés sont nombreux,
grands mes méfaits ! — 0 ma déesse, mes péchés sont nombreux, grands mes
méfaits! — J'ai fait des fautes et je ne les connais pas; j'ai commis le péché
et je ne le connais pas ; — je me suis nourri de méfaits et je ne les connais
pas , — j'ai marché dans le manquement et je ne le connais pas ! — Le seigneur,
dans la colère de son cœur, il m'a frappé, — le dieu, dans le ressentiment
de son cœur, il m'a abandonné, — l'ishtar s'est enragée contre moi et m'a
traité rudement! — Je m'efforce, et personne ne me tend la main, — je
pleure, et personne ne vient à moi, — je crie haut, et personne ne m'écoute :
— je succombe au chagrin, je suis accablé, je ne puis plus lever la tête, —
vers mon dieu miséricordieux je me tourne pour l'appeler, et je gémis! —
.... Seigneur, ne rejette pas ton serviteur, — et s'il est précipité dans les eaux
impétueuses, tends-lui la main; — les péchés que j'ai faits, aies-en miséri-
corde, — les méfaits que j'ai commis, emporte-les aux vents, — et mes fautes
nombreuses, déchire-les comme un vêtement* ! » Le péché n'est pas comme chez
nous une infirmité de l'âme, il attaque le corps à la façon d'une contagion
réelle, et la crainte qu'il engendre de la souffrance physique ou de la mort
inspire à ces plaintes une sincérité d'accent qu'on ne saurait méconnaître8.
Chaque homme est placé, dès la naissance, sous la protection d'un dieu et
en Chaldée, pi. 30 bis, 17 b; cf. Hkizey, les Origines orientales de l'art, t. 1, p. 192-193; l'original
est au Musée du Louvre. La scène figurée derrière le dieu Shamash appartient à une légende encore
inconnue. Une déesse, poursuivie par un génie à double face, s'est réfugiée sous un arbre qui s'est
recourbé pour la protéger; tan'dis que le monstre essaie de briser l'obstacle branche à branche, un
dieu sort du tronc et tend à la déesse la masse à tête en pierre qui la défendra contre son ennemi.
1. Sur le péché, et sur le sentiment qu'il inspirait aux Chaldéens, cf. Zimmern, Babylonische
Busspsalmen, puis Délitzsch-MCrdter, Geschichte Babyloniens und Assyriens, 2* éd., p. 38-39, Fr. Le-
normant, Études Accadiennes, t. III, p. 146-163, et Hommel, Die Semitischen Volker, p. 315-322.
2. Rawlinsos, Cun. Ins. W. As., t. IV, pi. 10, col. i, 1. 36-61, col. u, I. 1-6, 3H-44. Un verset en avait
été interprété par Fox Talbot, On the Beligious Belief of the Assyrians (dans les Transactions de
la Société d'Archéologie Biblique, t. II, p. 71-72); le tout a été traduit en anglais par Sayce, dans les
Hecords of the Past, 1rt Ser., t. VII, p. 151 sqq., en français par Fr. Lenor séant, Études Accadiennes, t. III,
p. 148-152, en allemand par Delitzsch-MCrdter, Geschichte Babyloniens und Assyriens, 2* éd., p. 38-39,
par Hommel, Die Semitischen Vôlker, p. 31 7, et enfin parZi*MERN, Die Babylonischen Busspsalmen, p. 61 sqq.
3. Fr. Lenormant, la Magie chez les Chaldéens, p. 166-167.
LA MORT ET LES DESTINÉES DE L'ÀME. 683
d'une déesse dont il est le serviteur ou plutôt le fils, et qu'il n'appelle jamais
que son dieu et sa déesse, sans les désigner autrement. Us l'escortent nuit et
jour, moins pour le défendre contre les périls visibles, q\ie pour le garder
des êtres impalpables, qui vaguent sans relâche autour de lui et qui l'assiègent
de tout côté1. S'il est pieux, dévot envers eux et envers les divinités de son
pays, s'il observe les rites prescrits, récite les prières, accomplit les sacrifices,
en un mot s'il fait le bien, leur aide ne lui manque jamais : ils lui accordent
une nombreuse postérité, une vieillesse heureuse, de longues années, jusqu'au
terme fixé par la fatalité, où il devra se résigner à clore ses yeux à la
lumière. Si au contraire il est impie, violent, de mauvaise foi, « son dieu le
coupe comme un roseau », extirpe sa race, abrège ses jours, le livre aux
démons qui s'emparent de son corps et le tourmentent de maladie avant de le
frapper mortellement. La pénitence guérissait le mal du péché et rétablissait
le cours de la vie, mais elle n'agissait de manière efficace que pour un temps,
et le moment arrivait enfin où la mort, prenant le dessus, emportait son
homme*. Les Chaldéens n'avaient pas sur ce qui les attendait dans l'autre
monde des notions aussi claires que l'étaient celles des Égyptiens : tandis
qu'aux bords du Nil le tombeau, la momie, la perpétuité des revenus funé-
raires, le salut du double, paraissent être la grande affaire, en Chaldée les
textes se taisent presque sur la condition de l'âme, et les vivants semblent ne
s'être souciés de leurs morts que pour se débarrasser d'eux le plus vite et le
plus complètement possible. On ne croyait pas que tout finit au dernier sou-
pir, mais on ne pensait pas non plus que les destinées de ce qui persiste
dans la personne humaine soient liées indissolublement à celles de la part qui
périt, et que l'âme désincarnée s'anéantisse ou dure, selon que la chair qui la
supporta s'anéantit ou dure au tombeau. Sans doute, elle ne se désintéresse
pas de tout ce qui afflige la larve qu'elle a quittée : on augmente la douleur
qu'elle ressent d'avoir dépouillé son enveloppe terrestre, si l'on mutile
celle-ci, ou qu'on l'abandonne sans sépulture, en pâture aux oiseaux8. Néan-
moins ce sentiment n'est pas poussé 'si loin que les Chaldéens éprouvent le
besoin d'échapper entièrement à la corruption, et de se transformer en
1. Fr. Lenormant, la Magie chez les Chaldéens, p. 181-183, dont les idéc9 à ce sujet ont été adop-
tées par tous les assyriologues qui se sont occupés de la matière.
2. A. Jerexias, Die Babylonisch-Assyrischen Vorstellungen vom Leben nach dem Tode, p. 16-49,
où ont été réunies pour la première fois d'une manière assez complète les notions que l'on ren-
contre, dans les écrits des Babyloniens et des Assyriens, sur la mort et sur l'humanité posthume.
3. Halkvy, la Croyance à l'immortalité de l'âme citez les Chaldéens, dans ses Mélanges de Cri-
tique et d'Histoire, p. 308; A. Jeremia*. Die Babylonisch-Assyrischen Darstellungen vom Leben
nach dem Tode, p. 5-1-57.
CJW LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA GHALDÊE.
momies à l'exemple des Égyptiens. Ils ne soumettent point les membres à ces
injections, à ces bains répétés dans des liquides préservateurs, à cet emmatl-
lotement laborieux qui les rend indestructibles : tandis que la famille crie et
se désole, de vieilles femmes, qui
exercent le triste métier de pleureu-
ses, lavent le défunt, le parfument,
l'habillent dans une robe d'appa-
rat, lui fardent les joues et lui noir- chclul ctuntix v ™»f de jarhe1.
cissent le tour des yeux, lui passent un
collier au cou, des anneaux aux doigts, lui ramènent les bras sur la poitrine,
puis ('étendent sur le Ht et dressent à son chevet un petit autel où placer les
offrandes ordinaires d'eau,
d'encens et de gâteaux . Les
mauvais esprits rôdent sans
cesse autour des cadavres,
soit pour s'en repaître,
soit pour les employer à
leurs maléfices : un mort
dans lequel ils se glissent
à ce moment peut se mé-
tamorphoser eu vampire,
et revenir sucer le sang
des vivants. Aussi invite-
t-on par des prières les
génies bienfaisants et les
dieux à veiller sur lui.
dne io«t vntTfiK iWiM*. Deux d'entre eux s'instal-
lent invisibles à la tète et
au pied de sa couche, et agitent la main pour le bénîr : ce sont des vassaux
d'ha, et, de même que leur maitre, ils ont endossé la peau de poisson. D'autres
se postent dans la chambre mortuaire et se tiennent prêts à frapper quiconque
y voudrait pénétrer : ils ont la figure humaine, ou la tête de lion sur un corps
d'homme. D'autres encore planent au-dessus de la maison, afin de repousser
I. Déifia ilr Faufkfr-Gudin, tfeprH te rrnoui* lit T.iium, Sain on thr runis of Abu-Shahrein and
Tel el-Lahm, dans lo Journal of the Hoijal Asialie Society, t. XV, p. 414.
i, Deitin de Faucher-liudiii, d'a/irei te cnn/uii de Touja, Sotet on the ruint of Muqeycr, dans le
Journal of the Itoual Aiiatic Society, t. XV, |>. i73.
LES FUNÉRAILLES, LES TOMBEAUX. 68S
les spectres qui essayeraient de s'y introduire à travers le toit. Les dernières
heures que le cadavre doit séjourner parmi les siens, il les dort sous la garde
d'une légion de dieux1.
Il ne faut pas chercher
aux plaines de l'Euphrate
les syringes monumentales,
les mastabas ou les pyra-
mides de l'Egypte. Point
de montagnes courant à
droite et à gauche du fleuve,
d'une pierre assez tendre
pour qu'on puisse y creuser
tomb cnaldAuw wHWKTtB o'w dOne*. aisément des galeries ou
des salles funéraires, assez
ferme pour que les chambres une fois taillées ne s'écroulent point d'elles-
mêmes. La terre d'alluvions sur laquelle les villes sont bâties, loin de con-
server les corps, les décom-
pose rapidement sous l'in-
fluence de la chaleur et de
l'humidité1 : les caveaux
qu'on voudrait y ménager
seraient promptement en-
vahis par les eaux malgré
la maçonnerie, les peintures
et les sculptures seraient
rongées par le nitre, les
objets mobiliers et les cer- rouât ceàlieucie i Ton n««,
cueits détruits. La demeure
du mort chaldéen ne doit donc pas s'appeler comme celle de l'Egyptien une
maison d'éternité. On la construit en briques sèches ou cuites, et la forme
en varie beaucoup dès les temps les plus anciens. C'est un grand caveau voûté
I. C'est ce qu'on toit sur le bas-rnlief on b-TODEe découvert par Péretié publié par CLSBMXT-C"»-
»eaii, t'Enfer Auyrien (clans la Revue Archéologique, (S'il, t. XXXVIII. pi. 35), puis par Peihot-
Ciinei, Hhloire de l'Art dant l'Antiquité, 1. Il, p. 3G3-3<U; cf. |>. tiaO-0'JI do cette Hittoire.
ï. ftettin île FmahtT-Gvdi», d'âpre* le eroquit de T.mo», iVu'rj on tlie ruiiis of Mitqcyer, dans le
Journal of the lloijal Aêiatif Society, 1. XV, |i. tlll.
3. PuRiiT-CMiniiz, Uutoirede CArt dant l Antiquité, t. Il, p. 317 sqq.
4. Destin de Faueher-lludiii . d'aprét le rroquii de Tailob, Notée ou the ruim of Muqeyer, dans le
Journal of tht Hoyal Atiatic Society. I. XV, p. 370.
686 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
en encorbellement, où Ton emmurait un ou deux corps à la fois1. C'est aussi
un simple pot de terre, où Ton accroupissait le cadavre, ou un assemblage de
deux énormes jarres cylindriques, dans lesquelles on l'entonnait et qu'on
lutait avec du bitume1. Ce sont enfin de piètres bâtisses rondes ou ovales,
juchées sur un patin en briques et recouvertes d'un dôme ou d'un toit plat3.
La maison n'était pas large et parfois l'habitant n'y entrait qu'à peine, replié
et comme doublé sur lui-même. Il n'emportait avec lui dans les plus petites
que son linge, ses bijoux, des flèches de bronze, et quelques vases en
métal ou en argile. Les autres renfermaient un mobilier moins complet que
celui dont les Égyptiens encombraient leurs hypogées, mais suffisant pour
les besoins d'un esprit. Le corps était eouché tout vêtu sur une natte
imprégnée de bitume, la tête appuyée contre un coussin ou contre une brique
plate, les bras à la poitrine, le linceul ajusté par des sangles autour des
cuisses et de la cheville. Parfois on le tournait sur le côté gauche, les jambes
fléchies légèrement, la main droite jetée par-dessus l'épaule gauche et plon-
geant dans un vase, comme s'il voulait le prendre ou en porter le contenu à sa
bouche. Des jarres et des plats d'argile, rangés autour de lui, lui fournissaient
sa nourriture et ses boissons journalières, le vin qu'il aimait le mieux, des
dattes, du poisson, de la volaille, du gibier, jusqu'à la hure d'un sanglier, et
même, comme en Egypte, des simulacres en pierre qui remplaçaient les
provisions réelles et qui duraient davantage. L'homme voulait des armes pour
défendre ses vivres, une lance, des javelines, sa canne d'apparat, le cylindre à
son nom avec lequel il avait cacheté ses actes. On entassait à côté de la jeune
fille ou de la femme des parures et des bijoux de rechange, des fleurs, des
flacons à parfums, des peignes, des aiguilles pour le fard, et des pains de la
pâte noirâtre dont elle s'enduisait les sourcils et le bord des paupières4.
1. Les caveaux voûtés se sont rencontrés de préférence a Moughéir, dans les cimetières de l'antique
Ourou; ils ont une longueur moyenne de 1 mètres à 2 m. 20, une hauteur d'environ 1 m. 70 et une
largeur de 1 m. 15. Les murs n'en sont pas entièrement droits, mais ils s'écartent légèrement l'un de
l'autre en montant, jusqu'aux deux tiers de la hauteur, puis se rapprochent rapidement jusqu'à former
\oûte (Taylor, Notes on the ruins of Muqeyer, dans le Journal of the Royal Asiatic Society, t. XV,
p. 272-273). Cf. Perrot-Chipiei, Histoire de l'Art dans l'Antiquité, t. II, p. 371 sqq.
2. Ce genre de sépulture se rencontre également à Moughéir et à Tell-el-Lahm (Taylor, Notes on
Abu Shahrein and Tel el-Lahm, dans le Journal of the Royal Asialic Society, t. XV, p. 113-414);
cf. Perrot-Chipiez, Histoire de CArt dans l'Antiquité, t. II, p. 371-372. Les jarres sont généralement
percées d'un petit trou à l'une des extrémités, pour permettre aux gaz que la décomposition produit
de s'échapper plus librement.
3. Taylor, Notes on the Ruins of Muqeyer, dans le Journal of the Royal Asiatic Society, t. XV,
p. 2t»i>. Ce genre de tombeau est d'ordinaire enterré assez profondément; à Moughéir, la plupart de
ceux que l'on a découverts étaient à 2 mètres ou 2 m. ;*0 au-dessous de la surface. Cf. Perrot-Chipifi,
Histoire de l'Art dans P Antiquité, t. Il, p. 372-373.
A. Taylor, Notes on the ruins of Muqeyer, dans le Journal of the Royal Asiatic Society, t. XV,
p. 271-27-4, -ili-il.-i, et Notes on Abu-Shahrcin and Tel-el-Lahm, ibid., p. 413.
LA CREMATION DES CADAVRES.
llTliniH [ir TOMBEAU
Beaucoup préféraient le bûcher à la simple mise au caveau. (In les brûlait
à quelque distance de la ville, sur un terrain réservé au milieu des marais.
Un entortillait le corps dans une natte grossière, on le déposait sur un amas
de roseaux et de joncs arrosés largement de bitume, puis on élevait tout
autour un écran de briques qui circonscrivait l'action de la flamme, et on
l'enduisait d'argile humide; les prières récitées, on empilait sur lui, pêle-
mêle avec le viatique ordinaire et les pièces du mobilier funèbre, des relais
nouveaux de matières combustibles. Quand on jugeait que le feu avait à
peu près terminé son oeuvre, on éteignait le foyer et l'on constatait quel
était l'état des résidus. Le plus souvent, la combustion n'avait entamé que la
portion des chairs la plus facile à détruire : le reste était carbonisé à peine
et le cadavre semblait une masse noircie et défigurée. La couche terreuse
dont on avait pris soin de le charger au commencement lui formait alors une
gaine de poterie, qui masquait le résultat de l'opération et qu'on se gardait
de briser, pour ne point étaler aux veux de la famille et des assistants l'hor-
reur navrante du spectacle. Parfois cependant la fournaise avait dévoré tout,
et l'on n'apercevait plus qu'un peu de cendre grasse et des éclats d'osse-
ments calcinés. Souvent, on n'éloignait pas ces débris d'humanité de la place
où ils gisaient, et leur bûcher devenait leur tombeau. Souvent aussi on les
I. bénin de Fauclur-Guiin, dnptèi le cror/uit de Taylor {fiole* on Ihe ruint of Muqeyer. dans le
Journal of the Houal Atialic Society, 1. XV. p. Ï71). l/objcl placé sous la lêlc du morl est la brique
sèche dont il est question dans le telle ; le vase sur lequel In main porte. est en cuivre, les autres sonl
en terre euile et renfermaient de l'eau ou des dalles, dont
dro» épars le long des rdle* sonl en [lierre; les dem grands
et le» vases en terre, sonl des picees de bambou dont on n
688 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
recueillait soigneusement, et l'on disposait d'eux, selon le degré de destruc-
tion qu'ils manifestaient. On enfermait les corps consumés insuffisamment
dans des fosses ou dans des chapelles communes; on versait les cendres
dans des urnes oblongues avec les fragments d'os et ce qui avait échappé
des offrandes. Le feu avait tordu les armes, fondu à demi les ustensiles de
cuivre : le mort n'emportait guère au delà que les morceaux de ce qui lui
avait été attribué. Cela lui suffisait, et son bagage, une fois éprouvé par les
flammes, l'accompagnait où il allait : l'eau seule lui manquait, mais on lui
préparait sur le lieu même de sa sépulture des citernes où elle s'accumulait.
On enfonçait en terre à des profondeurs de trois ou quatre mètres plusieurs
manchons de poterie, larges de cinquante centimètres environ, qu'on super-
posait exactement, et dont le dernier se resserre de manière à venir affleurer
au niveau du sol en un goulot étroit : la pluie les remplissait, ou les lentes
infiltrations des rivières, et on les multipliait dans une même chambre1,
si bien que l'âme trouvait toujours de quoi s'abreuver à l'un quand l'autre se
desséchait8. Les tombes, serrées mur contre mur, puis envahies peu à peu par
le sable ou par les décombres et surchargées de tombes nouvelles, forment de
véritables tertres à Ourouk. Dans les villes où l'espace leur était moins par-
cimonieusement mesuré, elles disparaissaient vite sans laisser de vestiges au-
dessus du sol, et il faudra sans doute remuer beaucoup de décombres avant
de retrouver ce qui subsiste d'elles. La Chaldée presque entière nous offre
aujourd'hui le spectacle assez extraordinaire d'un pays où les cimetières sont
si rares, qu'on dirait que les habitants anciens ont pris à tâche de les dissi-
muler3. Les rois seuls avaient leurs monuments dont on connaissait le site.
À Babylone, on les enterrait dans des palais antiques où les vivants ne vou-
laient plus demeurer : celui de Shargina était comme une nécropole à leur
1. L'expédition allemande de 1886-1887 a trouvé quatre de ces ré se noirs dans une seule chambre,
et neuf qui étaient répandus dans les chambres d'une même maison affectée tout entière à la récep-
tion des corps (R. Koldewey, Die Altbabylonischen Grâben in Surghul und el-Hibba dans la Zeit-
ichrift fur Assyriologie, t. II, p. 413).
2. Les procédés de la crémation et les deux nécropoles de la Chaldée méridionale où on les
observe ont été découverts par l'expédition allemande de 1886-1887 et décrits assez longuement
par R. Koldewky, Die Altbabylonischen Grâber in Surghul und el-Hibba, dans la Zeilschrift fur
Assyriologie, t. Il, p. 403-430.
3. On a essa\é d'expliquer de manières fort diverses cette absence de tombeaux. Sans parler de
l'hypothèse désespérée d'après laquelle on aurait jeté les morts au fleuve (Place, Ninivc et t Assyrie,
t. II, p. 184), Loflus pensait que les Chaldécns et les Assyriens avaient coutume de les expédier dans
quelqu'un des sanctuaires de la Chaldée méridionale, à Ourou de préférence et à Ourouk, dont les
vastes cimetières auraient absorbé pendant des siècles la plus grande partie des populations euphra-
téennes (Travels and Besearches in Chaldsea and Susiana, p. 198 sqq.); son opinion a été adoptée
par un certain nombre d'historiens (Delitzsch-MPiidter, Geschichte Babyloniens und Assyriens, 2* éd.,
p. 59-60, Ed. Meyer, Geschichte des Alterthums, t. I, p. 181, et, seulement pour les basses époques,
par Hommel, Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 210).
LES SÉPULCRES ROYAUX ET LE CULTE DES MORTS. 689
usage, plus de deux mille ans encore après son fondateur. Les chroniques
notent pieusement le lieu où chacun d'eux alla reposer, son règne fini1 : ils y
recevaient un culte comme en Egypte, et ils échappaient ainsi à l'oubli qui
frappait les plus illustres de leurs sujets*.
Le mort ou plutôt ce qui survit de lui, son ékimmou*, habite le tombeau,
et c'est pour lui en rendre le séjour supportable qu'on y enfouit, à l'heure
de l'enterrement ou de la crémation, la nourriture, l'habillement, la parure,
les armes dont on pense qu'il a besoin. Ainsi équipé par ses enfants et par
ses héritiers, il leur conserve l'affection qu'il ressentait au temps qu'il habi-
tait sur cette terre, et il la leur témoigne par tous les moyens en son pouvoir:
il veille sur eux, il écarte d'eux les influences mauvaises. S'ils le délaissent
et l'oublient, il se venge en revenant les tourmenter dans leur demeure, il
déchaîne la maladie contre eux et il les écrase de sa malédiction : il ne vaut
pas mieux alors que le Lumineux égyptien, et si par hasard on le prive de
sépulture, il devient un danger non seulement pour les siens, mais pour la
cité entière4. Les morts, incapables de gagner eux-mêmes ce qui leur est
nécessaire à subsister honnêtement, sont impitoyables l'un envers l'autre :
qui leur arrive sans prières, sans libations, sans offrandes, ils ne l'accueillent
pas chez eux, et ils ne lui feraient pas l'aumône d'un pain sur leurs maigres
provisions. L'esprit du corps qu'on n'ensevelit pas, n'ayant ni gîte ni moyens
d'existence, erre par les villes et par les campagnes, et ne se soutient que
de rapines et de crimes qu'il commet contre les vivants5. C'est lui qui,
se glissant dans les maisons pendant la nuit, s'y révèle aux habitants sous
1. Cf. à ce sujet les renseignements contenus dans le fragment de liste royale découvert et publié pur
G. Smith, On fragments of an Inscription giving part of the Chronology front which thc Canon of
Berosus was copied, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. III, p. 361-379.
Sayce, T/ie Dynastie Tablets and Chronicles of the Uabylonians (Becords of the Paslt 2"' Ser., t. I,
p. 21), traduit les passages où d'autres reconnaissent la mention d'un ensevelissement, par brûlé dans
le palais de Sargon, brûlé dans le palais de Kar-Merodach.
2. Amiacd, Matériaux pour le Dictionnaire Assyrien, dans le Journal Asiatique, 1881, t. XVIII,
p. 236-237; dans le texte publié par Poches, Texts in the Babylonian Wcdge-W'riting, autographed
front the Original Documents, t. I, p. 17, Assourbanabal se représente vêtu d'un habit déchiré, versant
une libation aux Mânes des rois, ses prédécesseurs, et répandant à cette occasion ses bienfaits sur
les dieux et sur les hommes, sur les morts et sur les vivants.
3. Le sens du mot ékimmou, ikimmou, méconnu par les premiers assyriologues, a été découvert
par Asuacd, Matériaux pour le Dictionnaire Assyrien, publiés dans le Journal Asiatique, 7a série,
1881, t. XVIII, p. 237. Vckimmou équivaut au ka des Égyptiens, et représente probablement la même
conception, bien qu'on ne le voie jamais représenté comme le ka l'est sur les monuments des
diverses époques; cf. p. 108-lOil de cette Histoire.
4. Parmi les êtres mauvais dont on se défend au moyen de certaines conjurations, figure « l'homme
qui n'est pas enseveli dans la terre » (Sayce, The Religion of the Ancient Uabylonians, p. 441).
5. Il devient alors • Yrkimmou qui attaque et saisit les vivants » (Kawlinsos, Cun. Ins. W. As.,
t. IV, pi. 16, n° 2, 1. 7 sqq.; Haitpt, Akkadische und Sumerische'Keilschrift texte, p. 82, l. 7-8). Il ne
faut pas le confondre avec * Voutoukkou de la tombe » (Rawmnson, Cun. Ins. H\ As., t. II, pi. 17,
col. i, 1. 3), c'est-à-dire avec le mauvais génie qui « entre dans le creux de la tombe » (Rawlinson, Cun.
Ins. W. As., t. Il, pi. 18, col. m, 1. 25) ou « dans ses chambres voûtées » (/</., ibid., 1. 40).
H1ST. ANC. DE l/ORIKNT. — T. I. 87
filKI LES TEMPLES ET LES DIEUX »E LA C1IALDÉE,
des masques horribles et les affole de terreur. Toujours à l'affût, dès qu'il
a surpris une de ses victimes, il fond sur elle » la tête contre sa tète, la main
.__ __ ___■ |e pje(j contre 80n pi^' ,
estit de la sorte, homme ou
bête, succomberait à coup
sur, si la magie ne four-
nissait des armes toutes-
puissantes pour résister à
ses étreintes*. Cette survi-
vance humaine, qu'on se re-
présentait si forte pour le mal
comme pour le bien, n'était
pourtant qu'une sorte d'être
fluide et sans consistance,
un double analogue pour
l'apparence au double des
Egyptiens. Avec la faculté
qu'elle possédait de sortir
et de rentrer à son gré, de
se mouvoir librement et de
voyager à travers l'espace,
elle ne pouvait demeurer tou-
jours enchaînée au réduit de
terre cuite où son corps pour-
rissait : on la transporta, ou
elle se transporta elle-même, dans une contrée ténébreuse, l'Aralou, située
bien loin de nous, les uns disaient sous le sol, les autres aux extrémités
orientales ou septentrionales de l'univers*. Une rivière y aboutit et la sépare
de la terre ensoleillée, qui dérive des eaux primordiales au sein desquelles
i. IUwluisos, '.'un. lui. H". A*., 1. Il, pi. 17, col. ni, 1. 65-00; c
'. Vu. I.EMJimM, ta Magie ches In
Utnlileeas, n. S, Kludes Aceudiemiet, 1. Il, p. IHt-IHl,. t. III,
i. et; S*n:t, The lleligioa of Iht
Aitritnt Babulanintu, p. iill.
t. La plupart des conjurations dirigées contre les maladies en
limèrent parmi les esprits qu'elles
combattant • Yi'bimiiiou mauvais <|ui oppresse l'homme pendant la
nuit • (Rawi.issos, ('.un. Int. II'. Ai..
1. V, pi. 511, col. i, 1. il; cf. S.iv.:e, Oh Ihe Religion of Iht Aueit
I liobytoniiin*, p. ;ilU) ou simple-
ï. Driim de Futi-hrr-l'.tidiii. it'upi-e-* In pliiyur m bi-time publire par Ci iRnim-GveiEU ". l.'ori,
i|iii appartenait à M. l'é relie, est fiitiscnr jurjuiu-il'li ni <l:iiu la en I ici-lion do M. de ("lercq.
4. Sur celle contrée ténébreuse, cf. .V. JmmiAs, Die llabyluniteh-Aiiyriichen Vontcltungcn
l.iben tiarh dem Todc, |i. iiSMie, 75-Kd, et Ii-sks, Die Kofmnlogif der llabj/hmrr. p. *I5-*M.
L'HADES ET SES SOUVERAINS, NERliAL, ALLAT. 6(11
notre monde est plongé1. Elle est entourée de sept hautes murailles, et
fermée de sept portes que garde un geôlier impitoyable. Deux divinités y
régnent, * Nergal, le maitrede I
et Beltis-Allat, * la dame du gr
tout ce qui a respiré ici-
bas descend après la mort.
La nature même de Nergal
le prédisposait à ce rôle de
prince des trépassés : il était
le soleil destructeur de l'été,
le génie de la peste et des
combats. Toutefois ses fonc-
tions le retenaient au ciel ou
sur la terre et ne lui laissaient
guère le loisir de visiter son
royaume : il se contentait
d'en être le pourvoyeur le
plus actif, et d'y dépêcher par
milliers les sujets qu'il re-
crutait chaque jour ici-bas,
dans les villes ou sur les
champs de bataille. Allât
était la souveraine véritable.
On lui attribuait un corps de
femme, mais velu et mal
proportionné, un mufle grimaçant de lionne, les ailes et les pattes d'un
oiseau de proie. Elle brandit de chaque main un gros serpent, véritable jave-
lot animé qui mord et empoisonne l'ennemi. Elle a pour enfants deux lions
qu'elle allaite, et elle court sans cesse à travers son empire, non pas à
cheval, mais debout ou agenouillée sur le dos d'un cheval qu'elle écrase de
son poids. Parfois elle explore en personne la rivière qui communique avec
les contrées lumineuses, et va reconnaître les convois d'âmes novices qu'on lu!
expédie sans relâche; elle s'embarque alors avec sa monture sur un bateau-
1. Ce sont • les en ui de la morl • dont il
nul question ù la
tin du poème de C.ïïçz
et qui sonl Itfiurées sur une des rares de ta |
p. «911 de celte llittoi.
î. Denin de Faucher-Gudin. C'est le revei
i brome, dont le réel
p. 690 de cetlc Hilloire; la têtu animale du r
lieu apparat! en i
<dief au-dessus des ta
69-2 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
fée, qui navigue sans voile ou sans aviron, et dont la proue se termine en
bec d'oiseau, la poupe en tête de taureau. Rien ne lui résiste, rien ne lui
échappe; les dieux eux-mêmes ne pénètrent dans son empire qu'à la condition
de mourir comme les hommes, et de s'avouer humblement ses esclaves*.
Les gardiens des portes dépouillent les immigrants de tout ce qu'ils appor-
tent avec eux, et les conduisent nus devant Allât : celle-ci les juge et leur
assigne à chacun leur place au milieu de ses domaines. Le bien ou le mal
accompli sur terre pèsent peu dans sa balance : il faut surtout avoir fait
montre de piété envers les dieux et envers elle, avoir prodigué les sacrifices
et les offrandes, avoir enrichi les temples. Les âmes qui ne peuvent se justi-
fier sont soumises à des supplices épouvantables : la lèpre les ronge jusqu'à
la fin des temps, les maladies les plus douloureuses s'abattent sur elles et les
torturent sans jamais les tuer. Celles que sa fureur épargne traînent une
existence morne et sans joie. Elles crient la soif et la faim, et elles ne trou-
vent pour se rassasier ou pour se désaltérer que la poussière et l'argile. Elles
tremblent de froid, et on ne leur laisse en guise de vêtement qu'un manteau
de plumes, les grandes ailes sourdes des oiseaux de nuit sur lesquelles elles
volettent en poussant des cris aigus8. Cette conception farouche et sombre de
la vie en commun dans un royaume unique est pire encore que l'idée de
l'internement au tombeau à laquelle elle a succédé. Au cimetière, du moins,
l'âme était seule avec le cadavre : dans la maison d'Allat, elle est comme
perdue parmi des esprits qui souffrent autant qu'elle et les génies qui
naissent de la nuit. Aucun d'eux n'a une figure simple et voisine de la figure
humaine; mais ils présentent un mélange de l'homme avec les bêtes et des
bêtes entre elles, où les traits les plus repoussants de chaque espèce sont
combinés artistement. Les têtes de lion se hérissent sur des corps de chacal
à griffes d'aigle et à queue de scorpion, et les chefs des monstres s'ap-
pellent la Peste, la Fièvre, le Vent du sud-ouest. Une fois naturalisés de ce
peuple redoutable, les morts ne s'en libèrent plus que par exception, sur
l'ordre des dieux d'en haut. Ils ne conservent point le souvenir de ce qu'ils
ont fait sur terre. Affections domestiques, amitiés, mémoire des services
1. Les noms des divinités qui président à l'enfer, leurs attributs, les classes des génies secondaires
qui leur sont attachés, et les fonctions de chaque classe, sont énumérés dans l'excellent ouvrage
d'A. Jkremias, Die Habylonisch-Assyrischen Vorstellungen vont Leben nach Tode, p. 66-75. La figure et
les attributs d'Allat sont décrits d'après le portrait d'elle qu'on voit sur la plaque en bronze repro-
duite à la p. 690 de cette Histoire, au registre inférieur.
4. C'est la description que les premières lignes de la Descente d'hhlar aux Enfers (p. 693 de
cette Histoire) font de la condition des morts; elle est confirmée par les fragments du dernier chant
du poème de Gilgamès, tels qu'on les trouvera traduits aux p. 588-589 de cette Histoire.
LA DESCENTE D'ISHTAR AUX ENFERS. 693
rendus, tout s'efface de leurs têtes légères : rien ne surnage qu'un regret
immense d'avoir été exilés de notre monde, et le désir cuisant d'y remonter.
Le seuil du palais d'Àllat pose sur une source, dont les eaux ressuscitent
quiconque s'y baigne ou en boit : elles jaillissent, dès qu'on lève la pierre,
mais les esprits de la terre veillent sur elles avec un soin jaloux, et ils en
écartent tous les êtres qui voudraient en dérober quelques gouttes. Ils en
ouvrent l'accès sur l'ordre d'Éa ou de l'un des dieux suprêmes : encore ne
le font-ils qu'à contre-cœur, et en se désolant de la proie qu'on leur ravit.
De vieilles légendes racontaient comment le berger Doumouzi naquit d'Éa et
de Damkina, comment Ishtar l'amoureuse s'éprit de lui tandis qu'il paissait
ses troupeaux sous l'arbre mystérieux d'Ëridou qui couvre la terre de son
ombre, et comment elle l'élut entre tous pour être l'époux de sa jeu-
nesse : un sanglier le blessa mortellement, et le précipita au royaume d'Allat1.
Un moyen restait de le ramener à la lumière : il fallait laver ses plaies avec
l'eau de la source merveilleuse, et Ishtar résolut d'y aller puiser8. L'entre-
prise était effrayante, car nul ne voyage aux enfers s'il n'a traversé les
affres de la mort, et les dieux eux-mêmes ne peuvent se soustraire à cette
loi fatale. « Vers la terre sans retour, vers le pays que tu connais, — Ishtar
la fille de Sin a tourné sa pensée; — elle a, la fille de Sin, tourné sa
pensée — vers la maison d'obscurité, demeure d'Irkalla, — vers la maison
où qui entre il ne sort plus, — vers le chemin où qui va il ne revient plus,
— vers la maison où qui entre il renonce à la lumière, — le lieu où l'on
se nourrit de poussière, on mange l'argile, — on ne voit point la lumière,
on habite l'obscurité, — où l'on revêt, comme les oiseaux, un habit d'ailes,
— où la poussière s'entasse sur l'huis et sur le verrou. » Elle arrive au
porche, elle y heurte, elle adresse la parole au gardien d'une voix impé-
rieuse : « Gardien des eaux, ouvre ta porte, — ouvre ta porte, que j'entre,
1. Cf., aux pages 6-17-648 de cette Histoire, la légende de Doumouzi.
2. Le texte de la Descente d" Ishtar aux Enfers a été découvert par Fox Talbot (dans les Transactions
of the Boyal Society of Literature, 2* sér., t. VIII, p. 214-257; cf. J. As. Soc, New Séries, t. IV,
p. 25-26, 27), puis publié par Fn Lenornant, Tablette cunéiforme du Musée Britannique (K 162), dans
les Mélanges d'Archéologie Égyptienne et Assyrienne, t. I, p. 31-35, traduit par lui dans Y Essai de
Commentaire sur les fragments cosmogoniques de Bérose, p. 457-510 (cf. les Premières Civilisations,
t. H, p. 81-93, Choix de Textes Cunéiformes, n° 30, p. 100-105), puis par Fox Talbot lui-même (The
Legend of Ishtar descending to Hades, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique,
t. II, p. 179-212). Depuis lors la plupart des assyriologues se sont exercés à interpréter et à com-
menter ce poème : Schrader (Die Hôllenfahrl der Istar, Giessen, 1874), Oppert (t Immortalité de
lame chez les Chaldéens, dans les Annales de Philosophie Chrétienne, 1874, t. VIII, p. 210-233, et
Fragments mythologiques, dans Ledrain, Histoire du peuple d'Israël, t. II, p. 464-469), A. J ère mi as
(Die Hôllenfahrl der Istar, eine allbabylonischc Beschworungs légende, 1889, reproduit en tête des
Babylonisch-Assyrischen Vorstellungen rom Leben nach dem Tode, p. 4-45). J'ai suivi presque tou-
jours la traduction qu'A. Jeremias nous en a donnée.
694 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDÉE.
moi! — Si tu n'ouvres la porte et que je n'entre, moi, — je fendrai l'huis,
je briserai les barres, — je fendrai le seuil, j'enfoncerai les vantaux, — je
lèverai les morts, qu'ils mangent les vivants, — et plus que les vivants les
morts seront nombreux. » — Le gardien ouvrit sa bouche, parla, — manda
à la puissante Ishtar : « — Arrête-toi, ô dame, et ne renverse pas la porte.
— que j'aille et que j'annonce ton nom à la reine Allât. » Allât hésite, puis
lui permet d'accueillir la déesse : « Va, gardien, ouvre-lui ta porte, — mais
traite-la selon les lois antiques » .
Les mortels entrent nus dans le monde, nus ils doivent en sortir : puisque
Ishtar veut partager leur sort, il faut qu'elle se défasse comme eux de tous
ses vêtements. « Le gardien alla, il ouvrit sa porte : — « Entre, madame, et
que Kouta se réjouisse, — que le palais de la terre sans retour exulte de ta
présence !» — La première porte il lui fit passer, la déshabilla, enleva la
grande couronne de sa tête : — « Pourquoi, gardien, enlèves-tu la grande
couronne de ma tête? — Entre, madame, telle est la loi d'Allat. » — La
seconde porte il lui fit passer, la déshabilla, enleva les anneaux de ses
oreilles : — « Pourquoi, gardien, enlèves-tu les anneaux de mes oreilles? —
Entre, madame, telle est la loi d'Allat. » Et de porte en porte il détache
quelqu'un des bijoux de l'affligée, son collier garni d'amulettes, la tunique
qui lui drapait la poitrine, sa ceinture émaillée, ses bracelets, ses anneaux
de pied : à la septième, il lui retire son dernier voile. Quand elle fut enfin
en présence d'Allat, elle se précipita sur elle pour lui ravir de haute lutte
la vie de Doumouzi ; mais celle-ci appela Namtar, son messager de malheur,
et lui ordonna de punir la rebelle. « Du mal des yeux frappe-lui les yeux,
— du mal des flancs frappe-lui les flancs, — du mal des pieds frappe-lui les
pieds, — du mal de cœur frappe-lui le cœur, — du mal de tête frappe-lui
la tête, — sur elle, sur elle tout entière, frappe fortement! » Or, tandis
qu'elle souffrait les tourments de l'enfer, le monde des vivants menait le
deuil de sa mort. En l'absence de la déesse d'amour, l'amour n'accomplit
plus ses rites : « le taureau ne s'abat plus sur la génisse, l'âne ne se
rue plus sur l'ânesse, — le maître ne recherche plus la servante dans les
ruelles ». Si elle ne revient promptement à la lumière, les races des hommes
et des bêtes s'éteindront, la terre demeurera déserte, et les dieux n'auront
plus ni dévots, ni offrandes. « Papsoukal, le serviteur des dieux grands,
se déchira la figure devant Shamash, — vêtu de deuil, plein de douleur. —
Shamash alla, il pleura à la face de Sin, son père, — et ses larmes cou-
LA AÉSURRKC.TIUN D'ISHTAR. 693
rurent devant Ea, le roi : — « Ishtar est descendue en terre, elle n'est pas
remontée! — Et depuis qu'lshtar est descendue en la terre sans retour —
le taureau ne s'abat plus sur la génisse, l'âne ne se rue plus sur l'ânesse,
— le maître ne recherche plus la servante dans les ruelles, — le maître
s'endort sur son ordre, — la servante s'endort sur son devoir. » La résur-
rection de la déesse est le seul remède à tant de maux, mais elle est
subordonnée à celle de Doumouzi : Ishtar ne consentira à reparaître au jour
que si elle ramène son mari vivant avec elle. Ea, le seigneur suprême,
l'exécuteur infaillible des volontés d'en haut, qui seul peut modifier les lois
imposées à la création, se
décide à lui accorder ce
qu'elle exige. « Éa, dans
la sagesse de son cœur,
façonna un mâle, — fa-
çonna Ouddoushounâmir,
le serviteur des dieux :
— « Va donc, Ouddou-
shounâmir, tourne ta face . ,
vers la porte de la terre
sans retour; — les sept portes de la terre sans retour, qu'elles s'ouvrent
devant toi, — qu'Allât te voie et se réjouisse devant toi ! — Quand son cœur
sera calmé et son foie apaisé, — conjure-la au nom des dieux grands, tourne
ta pensée vers la source. — « Que la source, madame, me donne de son
eau, afin que j'en puisse boire! » Allât entra dans une colère épouvantable,
lorsqu'elle se vit obligée de céder à sa rivale; « elle se battit les flancs, elle
se mordît les doigts », elle éclata en malédictions contre le messager de
malheur. * Tu m'as exprimé une requête qu'on ne doit requérir! — Fuis,
Ouddoushounâmir, ou je t'enfermerai dans la grande prison, — la boue des
égouts de la ville y sera ton manger, — les ruisseaux de la ville seront ton
boire, — l'ombre des murs sera ton séjour, les seuils seront ton habitation,
— la réclusion et l'isolement énerveront ta force*! « Elle obéit pourtant,
I. Dessin de Fau.ilier-C,udin, d'après lintaille cltatdrenue du Mutée de la Haye (cl". Mesast,
Catalogue des Cylindres orientaux du Cabinet Royal de» Médailles île la liage, pi. V, n- ifi). Sur la
figure dlshtar nue, voir le mémoire de Nicoi.sk Y, la Meuse des Cylindres et des Statues lahyliiniennes,
dans la Rente Arehrotnyiquc, 18'JO. t. XXX, p. 3S-.tS.
ï. Il résulta de ce passage qu'lshtar ne pouvait être délivrée qu'au prix d'une autre vie : c'est pour
cela sans doute qu'Anou, au lieu d'envoyer le messager ordinaire îles dieux, crée un messager spé-
cial. Allât, furieuse du peu d'importance de la victime qu'on lui envoie, se contente de menacer
Ituddoushounâmir d'un traitement ignominie"* s'il ne se sauve au plus vite.
696 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDËE.
appelle son ministre Namtar et lui commande de tout préparer pour rani-
mer la déesse. 11 faut briser le seuil du palais afin de mettre la source à
découvert, et l'eau ne produit son plein effet qu'en présence des Ànounnas.
« Namtar alla, il fendit le palais éternel, — il tordit les montants, que les
pierres du seuil en tremblèrent; — il fit sortir les Anounnaki et les assit
sur des trônes d'or, — il versa sur Ishtar les eaux de la vie et l'emmena. »
Elle reprit à chaque porte les habits et les bijoux qu'elle avait abandonnés
en traversant les cercles de l'enfer : dès qu'elle revit le jour, il lui annonça
que le sort de son mari lui appartenait désormais. Elle devait chaque année
le baigner d'une onde pure et l'oindre des parfums les plus précieux, le
revêtir d'une robe de deuil, lui jouer des airs tristes sur une flûte de cristal,
tandis que les prêtresses entonneraient leurs chants de douleur et se déchi-
reraient la poitrine : son cœur se ranimerait et sa jeunesse refleurirait ainsi
de printemps en printemps, aussi longtemps qu'elle accomplirait pour lui les
cérémonies jadis prescrites par les divinités infernales.
Doumouzi était un dieu, l'amant d'une déesse, et la divinité réussissait où
les humains échouent. Si Mardouk1, Éa, Nébo, Goula, Ishtar et leurs pareils
possédaient vraiment la faculté de rappeler les trépassés à la vie, ils n'en
usaient guère dans l'intérêt de leurs créatures, et les plus dévots avaient
beau réclamer de temple en temple la résurrection de leurs morts, ils n'ob-
tenaient jamais pour eux la grâce qu'Allât avait accordée à Doumouzi. Le
cadavre, une fois couché dans la tombe, ne se relevait plus, il ne réintégrait
plus la place qu'il avait perdue dans sa maison, il ne recommençait plus
d'existence nouvelle. Les nécromants eux-mêmes n'arrachaient sa proie à
l'Hadès que pendant quelques instants. Le sol se crevassait au bruit de leurs
conjurations, l'âme en jaillissait comme un coup de vent et répondait mélan-
coliquement aux questions qu'on lui posait : le charme rompu, il lui fallait
rebrousser sur les voies de la contrée sans retour et se replonger dans les
ténèbres*. Cette perspective d'une éternité morne et sans joie n'effrayait
1. Mardouk est appelé « le miséricordieux qui se plaît à éveiller les morts », et * le maître de la
libation pure, qui éveille les morts », le « miséricordieux à qui il est permis de rendre la vie •
(A. Jerkxias, Die Babylonisch-Assyrischen Vorslellungen vom Leben tiach dem Iode, p. 101 ; Jensk\,
Die Kosmologie der Babylonier, p. 496-297). On trouvera dans Jeremias (op. /., p. 100-101) la liste des
dieux qui jusqu'à présent ont le droit de ressusciter les morts; il est probable que cette faculté appar-
tenait à tous les dieux et à toutes les déesses du premier rang.
4. Voir, p. 588-389 de cette Histoire, les offrandes et les sacrifices que Gilgamès est obligé de faire
de temple en temple, avant d'obtenir pour un moment la faveur de voir l'ombre d'Ëabani; cf. sur les
nécromants et sur les évocations, Boscawen, botes on the Religion and Nylhology of the Assy riant,
dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. IV, p. 471, 478-486; Fa. Lesormaxt, la
Divination et la Science des présages chez les Clialdéens, p. 151-167; A. Jeremias, Die Babylonisch-
Assyrisc/ien Vorslellungen vom Leben nach dem Tode, p. 101-103.
L'ÉVOCATION DES MORTS. 697
pas les Chaldéens autant qu'elle faisait les habitants de l'Egypte. Les courtes
années qu'ils avaient à vivre en notre monde de lumière les inquiétaient beau-
coup plus que les siècles sans fin, dont le défilé monotone commençait pour
eus au lendemain des funérailles. La somme de bonheur et de malheur allouée
par le destin à chacun d'eux, il devait la dépenser tout d'un trait en plein
soleil, aux beaux pays de l'Euphrate et du Tigre : ce qu'il en aurait écono-
misé, afin de se ménager un fonds de félicité posthume, n'avait plus cours au
delà du tombeau et ne lui comptait pour rien. I^es dieux qu'il servait fidèle-
ment lui remboursaient donc, dans sa cité natale, en prospérité présente, en
santé, en richesse, en puis
sance, en gloire, en pos-
térité nombreuse, l'équi-
valent largement mesuré
de ses offrandes et de sa
piété : s'il les irritait par
ses fautes, ils se vengeaient
en l'accablant d'infirmités
et de souffrances. Ils « le kifwmi mira h-r us euod. «'mu*.1,
coupaient comme un ro-
seau' », et « son nom était anéanti, sa semence détruite; — il finissait ses
jours dans la gène et dans la faim, — son cadavre était jeté au hasard, — et
il ne recevait point de sépulture'. » On se résignait donc à tomber en expirant
dans la torpeur et dans la misère éternelle, pourvu qu'on eût joui longuement
ici-bas de tous les dons que la terre accorde à ses enfants'. Quelques-uns
pourtant se révoltaient contre l'idée de confondre dans une même condition
les lâches et les héros tués sur les champs de bataille, les tyrans et les
roïs doux à leurs peuples, les méchants et les bons. Ils supposaient que les
dieux, les distinguant du vulgaire, les accueillent dans une île fertile, éclairée
par le soleil et isolée du séjour des hommes par les eaux de la mort, la rivière
infranchissable qui mène chez Allât. L'arbre de vie y fleurit, la source de vie
I. Dessin de Fauchrr-Gudiii, d'après fiiitaillc chatddrnne publiée par Mmut, Catalogue de ta
Collection de U. de Clerrq, t. I. pi. IX, n° 83; ri". IIhïkv. les Originel orientale, de fArt, t. I, p. 93.
S. Rawlisshi. Cun. In*. H". As., t. IV, pi. 3, col. I, I. 3.
3. f.'eat la lin d'une inscription de Nahouhalidin, roi de Baliylonc au n* siècle avant J.-C, publier
dans Hiwmso», Cun. Ini. 11*. A:, t. V. pi. 61, col. iv. I. 50-RS. CX K». V. Schkil, Inscription rie Nabû-
abit i.ldin, dans la Zeilichrîfl f&r Assyriotogie. I. IV. p. 331 ; J. I».»ni, Die CnUnsiafet l'on Hippar.
dans les Ueilrâge zur Attgriotogie, 1. I. p. Î77.
4. Sur ce qu'étaient les croyance* chs M éo-a syriennes relatives au bonheur que le» dieu* accor-
daient au* fidèles dans cette vie. foute de pouvoir le leur assurer dans l'outre, voir A. Jm.»ns. Die
llabylonitrh-.Usyrisrhen Votttellungen vom Leben naeh dem Tode, p. *G-«.
698 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDËE.
y coule, Ea y transporta Xisouthros après le déluge, Gilgamès en vit les rives
et en revint, sain et vigoureux comme aux jours de sa jeunesse. On chercha
d'abord cette région de délices au milieu des marais de l'Euphrate, vers
l'embouchure du fleuve, puis, quand on connut mieux le pays, on l'exila au
delà de la mer*. A mesure que les découvertes des marchands ou les guerres
élargissaient les limites de l'horizon où les premiers Chaldéens s'étaient tenus
enfermés, Pile mystérieuse recula de plus en plus vers l'est, puis vers le nord,
et finit presque par s'évanouir dans l'éloignement. Au dernier terme, les
dieux du ciel, devenus hospitaliers, ouvrirent leur propre royaume aux
âmes épurées des héros.
Ils n'y étaient pas si sûrement séparés de l'humanité, que les habitants de
la terre ne fussent tentés parfois d'aller les y rejoindre, avant que l'heure
suprême eût sonné pour eux. De même que Gilgamès avait affronté jadis les
dangers du désert et de l'Océan pour découvrir l'île de Khasisadra, Étana
s'était lancé dans les plaines de l'air afin de monter jusqu'au ciel d'Ànou et
de s'y unir vivant encore au chœur des bienheureux'. La légende racontait
son amitié avec l'aigle de Shamash, les services qu'il lui avait rendus, ceux
qu'il avait reçus d'elle. L'aigle avait envahi le nid du serpent, avait ravi
les serpenteaux et les avait livrés en pâture à ses propres petits. Le serpent
s'était hissé en rampant jusqu'à Shamash et lui avait crié vengeance: « Le mal
qu'elle m'a fait, Shamash, vois-le! — A mon aide, Shamash! ton filet est égal
à la large terre, — ton lacs est égal au ciel lointain, — qui peut échapper à
ton filet? — Le criminel Zou8, Zou qui le premier fit le mal, y échappa-t-il? »
Shamash refusa d'intervenir en personne, mais il indiqua au serpent une ruse
qui devait le venger aussi sûrement que s'il eût agi lui-même. « Mets-toi en
chemin, monte sur la montagne, — et cache-toi dans un taureau mort; —
ouvre son intérieur, déchire son ventre, — ta demeure, établis-la en son ventre.
— Tous les oiseaux du ciel s'abattront... — et l'aigle elle-même viendra avec
eux, — - sans savoir que tu es là dedans; — elle voudra s'emparer de la
chair, elle arrivera rapidement — elle ne songera qu'aux entrailles cachées.
LA. Jkremias, Die Babyloiusch-Assyrischeti VorsteUungen vont Leben nach dem Tode, p. 81-99, et
les critiques de Jensen, Die Kosmologie der Babylonier, p. 212-214.
2. La légende d'Étana fut découverte et quelques fragments en furent d'abord traduits par G. Smith.
The Chaldxan Account of Genesis. p. 138-144. Ce qui en est connu en a été rassemblé, publié,
traduit et commenté par Ed. J. Harpf.r, Die Dabylonischen Legenden vo i Etana, Zu, Adapa und Dib-
bara, dans les Beitrâge zur Ansyriohgie, t. Il, p. 391-408, où l'on trouvera indiquées sommairement
les analogies que l'histoire d'Étana présente avec les légendes de môme nature qui ont cours chez
différents peuples anciens ou modernes de notre vieux Monde.
3. C'est une allusion au vol des tablettes qui contiennent les destinées et à la défaite de l'oiseau
Zou par Shamash : il a été question de cette légende à la p. 667 de cette Histoire.
L'ASCENSION D'ÊTANA AU CIEL DMHOU. 699
— Dès qu'elle aura attaqué l'intérieur, saisis-la par ses ailes, — abats-lui ses
ailes, le fouet tle son aile et ses serres, — déchire-la et rue-la dans un ravin
de la montagne, ~- qu'elle y meure la mort de faim et de soif! « L'aigle ne
se laissa pas tromper à ce stratagème, et l'un de ses aiglons aperçut ie serpent
dans le cadavre du taureau. Cependant la femme d'Étana ne pouvait mettre
au monde le fds qu'elle portait en son sein; le héros, s' adressant à l'oiseau,
lui demanda la plante qui apaise les douleurs des femmes et qui facilite les
naissances. Mais on ne la rencontre qu'au ciel d'Anou, et comment se risquer
si haut, sans être anéanti en route par la colère des dieux? L'aigle prend en
pitié la peine de son com-
père et se résout à tenter
l'aventure avec lui. « Ami,
lui dit-il, rassérène ton vi-
sage ! — Viens et que je te
porte au ciel du dieu Anou.
— Contre ma poitrine, mets
ta poitrine, — sur le fouet ,
de mes ailes mets tes deux
mains, — contre mon flanc, mets ton flanc! » contre la poitrine de l'aigle
il mit sa poitrine, — sur le fouet des ailes il mît ses deux mains, contre le
flanc il mit son flanc; — il s'assujettit solidement, et son poids était grand, »
Les artistes clialdéens avaient représenté plus d'une fois le départ du héros.
Ils le montraient serré au corps de son alliée et la tenant embrassée forte-
ment, l'n premier élan les a déjà soulevés de terre, et les bergers épars dans
les champs assistent avec stupéfaction à ce spectacle inaccoutumé; l'un d'eux
indique le prodige à l'autre, et leurs chiens, assis à leurs pieds, tendent le
museau comme pour hurler d'épouvante. « L'espace d'une heure double,
l'aigle l'enleva, — puis l'aigle lui parla à lui Ktana : — « Contemple, ami,
la terre quelle elle est, regarde la mer qu'enserre l'Océan ! — Vois, la terre
n'est plus qu'une montagne, et la mer n'est plus qu'un étang. » — L'espace
d'une seconde heure double, il t'enleva, puis l'aigle lui parla à lui Étana : —
« Contemple, ami, la terre quelle elle est : la mer apparaît comme la cein-
ture de la terre. » — L'espace d'une troisième heure double, il l'enleva,
puis l'aigle lui parla à lui Ëlana : — « Vois, ami, la terre quelle elle est :
I. Destin de Faiiclict-Cu-liii, d'aprei I inttitlle chatdcenne reproduite dam lltLin-S.mu, llérou-
veitet en Chaldée. pi. ;i(i bis. n" 13.
700 LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDEE.
— La mer n'est plus que la rigole d'un jardinier. » Ils arrivent ainsi au ciel
d'Anou, et ils s'y reposent un moment. Êtana n'aperçoit plus autour de lui
que l'espace vide, et rien qui l'anime, pas même un oiseau; it a peur, mais
l'aigle le rassure et lui dit de reprendre sa course vers le ciel d'ishtar.
« Viens, ami, laisse-moi te porter à Istitar, — et près d'ishtar, la dame, je te
poserai, — et aux pieds d'ishtar, la dame, tu te jetteras. — Contre mon
flanc, mets ton flanc, — sur le fouet de mes ailes, mets tes mains! • L'espace
d'une double heure il l'enleva : — « Ami, vois la terre quelle elle est. — La
face de la terre s'étend toute plate — et la mer n'est pas plus grosse qu'une
mare. » L'espace d'une seconde double heure, il l'enleva : — * Ami, vois
la terre quelle elle est, — la terre n'est plus qu'un carré dans un jardin, —
et la large mer n'est pas plus grande qu'une flaque d'eau. » A la troisième
double heure, Étana perdit courage, il cria « Halte! » et l'aigle redescendit
aussitôt ; mais, à bout de forces, il lâcha prise et se brisa sur le sol.
Les dieux ne permettaient à nul vivant de pénétrer impunément dans leur
empire : qui voulait y monter, si brave fût-il, il devait s'acheminer vers eux
par la mort. Le commun des hommes n'y prétendait pas. La religion lui
donnait à choisir entre le séjour perpétuel au tombeau et la réclusion dans
les prisons d'Allat : s'il chercha parfois à sortir de cette alternative et à se
figurer différemment ce qu'il deviendrait par delà, ses idées sur l'autre monde
restèrent vagues et n'égalèrent point la précision minutieuse des conceptions
égyptiennes. Les soucis de la vie présente l'absorbaient trop complètement
pour lui laisser le temps de spéculer sur les conditions de la vie future.
~<ti n>ututie. - d, inyantjitàon itc' la -familles et. aes âa -fortune.'.
o& commerces et. i ùiaujlncs aeaJ (JaiuaeenrcS.
d~ea.} roia.' ne' Jont, ftvint. aeic.' tUeux, mizùtS lea.> incaîreaJ aertS dieux ;
leur-'' rtiuS aacen/tital. • J.ea.' reûiettS et- ietc'-fentmeaJ iie> la fiiinulcS royales ;
lea.' filaJet. t orr/re' de' jucce/ji'iin au trônes. - *J.ea.' c/uileaii-v roairux : dèjcryr-
tùtn au jntlaiit.' aeJ Cjoiia/n, à d.aaaaA, leaJ -fiipadat.', la zigaounit, lea.>
tyyxiriemen/icJrejerfekJ, le.' mobilier-] la décoration- cr-teme.', - <ÂeS costumes aetc>
Iwmme^.' et. celui deitS ^jfcmmatJ : leaJ emfiloueaJ au jtalaittS et. I adminia-
trallou rouateS, ÙtlS àoùtattc' et- le*LS seigneuries.
*J.e> acrioeJ et. lert.> lltrrea.' aaraile'. - &L écriture' cune'iforme.' ; âou
orlifine' Aierotr/upAioue ', la itoltipAunle..' dcjcJ caracterea.', lea> taoletteit.) aratn-
maticaùrtJ et. lexieoqrapniaue/tJ. - .-iescJ contm&t.' et. leur^ rédaction- à _plu-
MeurrcJ exe/iwlalrest-' ; le.' cotur d ony/e', les atcAet.
&ta coiijlliutùm dé-> ùt jfatnli/e.' et. /a frûices aucS la jf"emme.>u occupe.'.
.-•LeS mart'aae', le.' contrat, le/tJ cerr'monicrt.) reuaieuJe/tJ. • fie' divorce' ; leaJ
droites deicS femmeit' ric/ienJ, ÙstS femnicttS et. les marûtyeS daititJ lacs
ciafSea' fHiuu/acreiL.'. - .-&*.' en/asdaS adiwltôts, leur-'' ^f>o.iilùin duinS la
familles, ÙrCS motifstS ordi/iaireit-' ae> /adoption. - JLertJ ejcltifcrc '. leur^ ' coitdc-
tloa, lea.' affriuu-nl^emenla \
t/at ' vittat' eha£o£catnerc ' .- £ aspect, cl. £a distribution denJ maisonn.', ht
oteJ aomestiaue'. - aie' patrimoine.' ■fatruuai ; £a division denJ AeritaaeaJ. -
^ie'frret. à intérêt., £e> taux de.' £ aeaent., £e> commerce ' par*' terre' et- £a nairi-
aation. - d.eitJ corpa.' de' métier^ ; £a -fabriai/ion, de' £a oriaue', £ ouiu/aae.'
industrie/ en _pierreJ et. en- meta/, £ orfetrtéiieJ, £tttJ ifraeeum.1 de' cnu/idren.',
£enJ tijserattattJ; £etat. deitJ c£a/>eic.' o.
-•Le.' Yeimaae' et. ùi ctuttireJ aettJ ttrrcitJ ; £eS bornaae.' aen.' cnanufn.',
£e/r.> escùioetc' et. £ett.> oui>rie/it! aujrico£e<t.'. - CJcetiest.' deJ £a vie' jtastora/e' : M
péc/ieJ, £a cna/seJ. -./.a utte'ratare. ' arentt/aue' ci. £e/t. > science/c' positivât.' ■
£ ttriiAmetiifueJ ri. £a aeométriej £ astronomie' et. £ astrowaif,
£a science' ae*t> jirésaœtn.'. - ^le' médecin, ùi mayie'
et. son ùi/£uenceJ sur^£en. ' nationnJ tn
CHAPITRE IX
LA CIVILISATION CHALDÉENNE
la rot* y té. l'hhc.aiiisation nr. la famille et de sa f<
Les rois de Chaldée ne se proclamaient point dieux comme
les Pharaons, leurs contemporains. Ils se contentaient
d'occuper une place intermédiaire entre leurs sujets et la divi-
nité, et de s'attribuer pour traiter avec celle-ci des pouvoirs
que les hommes ordinaires ne possédaient point. S'ils s'intitu-
laient parfois les fils d'Ëa*, de Ningoul1, ou de quelques autres,
itait pure hyperbole dévole et non croyance en une parenté réelle;
ie sentaient point palpiter en eux la chair même du dieu ou
le ses doubles, mais ils voulaient qu'on les reconnut pour ses
:s ici-bas, ses prophètes, ses favoris, les pasteurs élus par lui
gouverner les troupeaux humains, les prêtres attachés fidèlement
srvice. Seulement, tandis que le prêtre du commun se choisissait
1 llrtttu de Houdier, da/nr* lr rroqunde I nuis. Trarrta and Rrxrurrke* in Chaldra and Sntinna,
[> ':,. I.a lettrine, qui e-t de l'anchcr-Cndin. représente une fiRiire royale agenouillée et porlanl i'i
deux mains on Kn.s clo» (cf. p TSJ de relie Iliiloire), qui sert à la tenir firhée droite en terre :
rW la ri- (.n h! i if ti on dp Is hpurinc en brome rfu Loutre, publiée: déjà par Hfi lEi-Sismr., [Meaurrrte*
m CMldêt. pi ÎN. «• t.
! C'eut le- titre que prend 1c roi Oiirbaon do l-a^asli dan» IIedikt-SaHiix, Décttttterteë en Chaldée,
pi. 7. col, I. I. 3-8. rf Or put. Ut Inscription' de Goudéa, don» le» Complet rendu* de l'Académie
de» Intrrtptinut et »ette*i.rttre>, IKS*. u. 39; lai ai:», The luieriuliont of Telloh, dans les Record»
af the Pa*l, i-' Ser , i I. p î.. )i<u\ Intchrtftcn der Kiinige und Slatlkaller von Lagasch, dans la
KeiUchrifltieht Hibliotheh.l. III*. p *>-ïl
3. Singaihid. roi H'Ourook, -■ proclame RU de cette déesse (Hawlissos, Cuit, lui. Il . Al., 1. 1, pi. 1,
7(U LA CIVILISATION CHALDÊENNE.
un seul maître auquel il se consacrait, le prêtre-roi exerçait le sacerdoce
universel et se posait en pontife de toutes les religions nationales. Ses pré-
férences allaient de droit aux patrons de la cité, à ceux qui avaient tiré ses
ancêtres de la poussière et qui l'avaient haussé lui-même au rang suprême,
mais les autres exigeaient leur part de ses hommages et ils attendaient de
lui un culte proportionné à leur importance1. S'il avait voulu le leur rendre
en personne jusque dans les détails, son existence entière se serait écoulée
au pied des autels ; quand il s'en était déchargé le plus possible sur le clergé
régulier, ce qu'il en conservait encore remplissait une grande partie de son
temps. Chaque mois, chaque jour lui apportait son contingent de sacrifices,
d'oraisons, de processions inévitables*. Le 1er du second Ëloul, le souverain
de Babylone présentait à Sin une gazelle sans tache, puis il faisait à Shamash
une offrande à son gré et lui égorgeait des victimes. Les cérémonies se répé-
taient le 2 sans changement, mais, du 3 au 12, elles s'accomplissaient pendant
la nuit, devant les statues tantôt de Mardouk et d'Ishtar, tantôt de Nébo et
de Tashmit, de Moullil et d'Inlil, de Ramman, de Zirbanit, parfois au lever
d'une constellation déterminée, celle du Chariot, par exemple, ou celle du
Fils d'Ishtar, parfois au moment où la lune « exaltait vers la terre sa couronne
lumineuse ». A telle date, il fallait réciter un psaume pénitentiel ou une
litanie3; à telle autre, défense de manger de la viande cuite ou fumée, de
changer de linge, d'endosser des habits blancs, de boire médecine, de
sacrifier, d'édicter un arrêt, de sortir en char*. Et partout l'asservissement
aux rites pesait aussi lourdement qu'à Babylone sur les épaules du prince,
à Ourou, à Lagash, à Nipour, dans les cités souveraines de la Haute et de la
n° VIII, 1, l. 1-2); cf. G. Smith, Early History of Babylonia, dans les Transactions de la Société d'Ar-
chéologie Biblique, t. I, p. 41 (où le nom de la déesse, lu Belatsounat, est pris pour celui d'une
reine), Winckler, Inschriften von Kônigen von Sumer und Akkad, dans la Keilschriftliche Bibliothek,
t. III, 1" partie, p. 82-85.
1. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, Hammourabi s'intitulait dans la seconde inscription du
Louvre : « prophète d'Anou, intendant de Bel, favori de Shamash, berger chéri de Mardouk • (Mknijvt,
Une Nouvelle Inscription de Hammourabi, roi de Babylone, dans le Recueil de Travaux, t. II, p. 79;
cf. Fr. Delitzsch, Die Sprache der Kossiïer, p. 74). Le protocole adopté par Goudéa dans l'Inscription
de la Statue D du Louvre est plus développé, mais trop obscur encore pour qu'on le traduise en
entier (Heuzey-Sarzec, Découvertes en Chaldée, pi. 9, col. i-ii; cf. Oppert, les Inscriptions de Goudéa,
dans les Comptes rendus de C Académie des Inscriptions, 1882, p. 28-40. 123-127; Aniaud, The
Inscriptions of Telloh, dans les Records of the Past, 2b4 Ser., t. II, p. 89-90, et dans Heuzey-Sarzec,
Découvertes en Chaldée, p. xvii-xvm ; Jensen, Inschriften der Kônige und Statihnlter von Lagasch,
dans la Keilschriftliche Bibliothek, t. III, r* partie, p. 50-51).
2. Tous les détails qui suivent sont empruntés à la tablette du British Muséum (IUwllnson, Cun.
Ins. W. As., t. IV, pi. 32-33), découverte et traduite par Sayce, A Babylonian Saints1 Calcndar, dans
les Records of the Past, lrt Ser., t. VII, p. 157-168, et The Religion of the Ancien t Babylonian s
p. 69-76. Cf. le fragment cité par Sayck, The Religion of the Ancient Babylonians, p. 69, note 3.
3. Ainsi, le 6, le 16, le 26 du second mois d'Êlou), dans le document indiqué à la note précédente,
et qui a été traduit entièrement par Sayce, à deux reprises.
4. Ainsi le 7 de ce même mois d'ftloul, puis le 14, le 21, le 28.
LE RÔLE SACERDOTAL DES ROIS. 705
Basse-Chaldée. Le roi, dès qu'il montait sur le trône, allait chercher au
temple une investiture solennelle, dont la forme variait selon les dieux qu'il
adorait : à Babylone, il s'adressait à la statue de Bel-Mardouk, dans les pre-
miers jours du mois de Nisan qui suivait son avènement, et il lui « prenait
les mains » afin de lui prêter hommage1. Dès lors, il suppléait Mardouk
ici-bas, et les dévotions minutieuses où ses heures se consumaient étaient
autant d'actes d'allégeance, auxquels sa féauté de vassal l'astreignait envers
le suzerain. Telles, les audiences que l'intendant d'un grand seigneur demande
journellement à son maître pour lui rendre ses comptes ou pour l'entretenir
des affaires courantes : toute interruption non justifiée par un cas de force
majeure risquait d'être interprétée comme un manque de respect ou comme
une velléité de révolte. À négliger le moindre détail de son service, il soulevait
promptement les soupçons des dieux ou leur colère, contre lui d'abord, puis
contre ses sujets : le peuple avait donc un intérêt direct à ce qu'il s'acquittât
exactement des fonctions sacerdotales, et la piété n'était pas celle de ses
vertus qu'on prisait le moins*. Toutes les autres découlaient de celle-là
et ne valaient que par l'appui divin qu'elle leur assurait, la bravoure,
l'équité, la justice. Les dieux et les héros des premiers âges s'étaient assigné
la tâche de protéger leurs fidèles contre tous les ennemis, hommes ou bêtes.
Qu'un lion décimât les troupeaux, ou qu'un urus de taille gigantesque dévastât
les récoltes, le roi devait l'aller vaincre, à l'exemple de ses prédécesseurs
fabuleux5. L'aventure exigeait d'autant plus de courage et d'appui surhumain
qu'à dire vrai les monstres passaient pour n'être pas des animaux ordinaires;
on les considérait comme les instruments d'une vengeance céleste, dont on
ignorait le plus souvent la cause, et qui les assaillait, il ne les affrontait pas
seulement, mais encore le dieu qui les poussait. La piété et la confiance au
patron de la cité soutenaient le roi, au moment de relancer la bête dans son
repaire; il l'abordait corps à corps, et dès qu'il l'avait percée de ses flèches
1. La découverte du sens qu'il convient d'attacher à cette cérémonie est due à Winckler, qui, après
l'avoir indiqué sommairement à la fin de sa dissertation inaugurale, de Inscriptione Sargonis régis
Assyrix quse vocatur Annalium, th. 4, fournit la preuve de son opinion dans ses Sludien und Bei-
trâge zur babylonisch-assyrischen Geschichte (dans la Zeitschrift fur Assyriologie, t. II, p. 302-304);
cf. les faits apportés depuis lors, à l'appui de l'hypothèse de Winckler, par Lehnann, Schamaschschum-
ukin, Kônig von Babylonien, p. 44 sqq.
t. Le cylindre de Cyrus (Hawlinson, Cun. Ins. W. As., t. V, pi. 35; cf. Rawlinson, Notes on a newly
discovered Clay-cylinder of Cyrus the Great, dans le Journal of B. As. Society, New Ser.t t. XII,
p. 70-97) montre de la manière la plus frappante l'influence que cette façon d'envisager le rôle reli-
gieux du roi peut exercer sur la politique : les prêtres et le peuple y considèrent le triomphe de
Cyrus comme une vengeance des dieux chaldécns que Nabonàld avait offensés.
3. Cf. les luttes de Gilgamès contre le taureau et contre les lions, aux pages 581-582, 583 de cette
Histoire : le poème reflète très fidèlement, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, l'idée qu'on
se faisait en Chaldée des devoirs d'un roi, pendant le troisième millénaire avant notre ère.
HIST. ANC. DE L ORIENT. — T. I. 89
706 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
et de sa lance ou abattue de sa hache et de son poignard, il répandait une
libation sur elle et il consacrait la dépouille dans un temple1. Sa grandeur
lui imposait à la guerre un rôle non moins périlleux; s'il ne dirigeait pas
lui-même la première colonne d'attaque, il se mettait à la tête de la petite
troupe d'élite dont le choc au moment opportun décidait du succès. Que lui
aurait profité sa vaillance, si la crainte des dieux n'avait marché devant lui,
et si l'éclat de leur face n'avait jeté le trouble dans les bataillons ennemis1?
Dès qu'il avait triomphé par leur ordre, il s'efforçait avant toute autre
chose de les payer largement de l'appui qu'ils lui avaient concédé. Il versait
la dîme du butin dans leur trésor, il annexait à leur domaine une partie des
terres conquises, il leur allouait des prisonniers pour cultiver leurs champs
ou pour travailler à leurs constructions, et les idoles des vaincus suivaient la
destinée du peuple : il les arrachait aux sanctuaires qui les avaient abritées
jusqu'alors, et il les entraînait captives avec lui pour faire à son dieu une
cour de dieux esclaves8. Shamash, le haut juge du ciel, inspirait sa justice, et
la prospérité dont sa bonne administration gratifiait son peuple était moins
son œuvre que celle des immortels*.
Nous savons trop peu comment les rois se conduisaient dans l'intimité de
la famille, pour nous figurer la manière dont ils conciliaient les obligations
rigoureuses de leur rôle pontifical avec les routines de la vie courante. Nous
voyons seulement qu'aux jours de fêtes et de sacrifices, lorsqu'ils officiaient
eux-mêmes, ils abdiquaient tous les insignes du rang suprême pendant la
cérémonie, et revêtaient le costume du prêtre. On les rencontrait alors, le
1. Gilgamès consacre de la sorte, dans le temple de Shamash, la dépouille de l'unis d'ishtar qu'il
a vaincu ; voir plus haut à la p. 582 de cette Histoire.
2. Indinghiranaghin, fils d'Akourgal et roi de Lagash comme son père, attribue ses victoires à la
protection de Ninghirsou (Heuzey-Sarzec, Découvertes en C ha Idée, pi. 31, 2; cf. Oppert, Inscriptions
archaïques de trois briques chaldéennes, dans la Revue d'Assyriologiet t. II, p. 86-87). Goudéa est conduit
à l'attaque par le dieu ISinghishzida (Statue B de Goudéa, dans Heuzey-Sarzec, Découvertes en Chaldée,
pi. XVI, col. m, I. 3-5; cf. Amiadd, The Inscriptions of Telloh, dans les Records of the Past, 2"4 Ser.,
t. II, p. 77). Les expressions employées dans le texte sont empruntées aux inscriptions assyriennes.
3. C'est ainsi que Mardouknâdinakhé, roi de Babylone, avait enlevé au roi d'Assyrie Téglathpha-
lasar I°r les statues de Ramman et de la déesse Shala (Inscription de Bavian, dans Rawlinson, Cun. Ins.
W. As., t. III, pi. 14, 1. 48-50). D'autre part, Assourbanabal ramena de Susc à Ourouk la statue de la
déesse Nanà que le roi d'Élam Koudournakhounti avait prise seize cent trente-cinq ans auparavant
(Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. III, pi. 38, nM, I. 12-18, et t. V, pi. 6, 1. 107-124); il conduisait dans
le même temps les dieux ftlamitcs et leurs prêtres prisonniers en Assyrie (Rawmnsox, Cun. Ins. W.
As.,i. V, pi. G, 1. 30-47).
4. Cf. ce qui est dit plus haut du rôle de Shamash comme dieu de la justice, p. 658 de cette
Histoire. Un fragment d'inscription bilingue du temps de Hammourabi, étudié à deux reprises par
Amiaud, Vue inscription bilingue de Hammourabi, roi de Babylone, dans le Recueil de Travaux, t. 1,
p. 181-190, et Inscription bilingue de Hammourabi, dans la Revue d'Assyriologie, t. II, p. 4-19 (cf.
Jensen, Inschriften aus der Regierungszeit Hammurabi's, dans la Keilschriftliche Bibliothek, t. III >,
p. 110-117), montre comment les rois s'en référaient aux dieux et prenaient modèle sur eux pour tout
ce qui touche leur conduite. Le caractère sacerdotal de la royauté assyro-babylonienne a été indiqué
très fortement par Tiklk, Babylonisch-Assyrische Geschichte. p. 491-492.
LES REINES ET LES FEMMES DE LA FAMILLE ROYALE. 707
crâne ras et le buste nu, les reins ceints du pagne, qui s'avançaient au premier
rang, droits sous le poids de la couffe pleine, comme de simples valets; et de
fait, ce n'est plus alors le souverain qui domine en eux, c'est l'hiérodule, c'est
l'esclave qui comparait devant son maître divin afin de le servir, et qui s'af-
fuble pour la circonstance d'un déguisement d'esclave'. Ses femmes ne sem-
blent pas avoir été investies
de ce caractère demi-sacré
qui associait les Égyp-
tiennes aux dévotions
de l'homme et faisait
d'elles les auxiliaires
indispensables de toute
pompe religieuse'; elles
ne tenaient pas d'ail-
leurs à côté de lui la
place prépondérante que
la loi assignait aux reines
dans l'entourage de Pha-
raon. Tandis qu'aux bords
du Nil les monuments nous montrent les princesses assises sur le siège
de leur mari et le serrant embrassé par un geste d'affectueux abandon, en
Chaldée, toutes les épouses du prince, sa mère, ses sœurs, ses filles, ses
esclaves même, demeurent invisibles à la postérité. Le harem où la cou-
tume les enfermait s'ouvrait rarement pour elles : le peuple les apercevait
peu, leurs parents parlaient d'elles le moins souvent qu'ils pouvaient, on
évitait de les impliquer aux actes publics du culte ou du gouvernement, et le
nombre se laisserait aisément supputer de celles que les inscriptions désignent
par leur nom*. On choisissait les unes parmi les familles nobles de la cité, les
I. Coït l'altitude d'Ourninâ sur les plaques publiées par Hiiïev-S.imi.i:, Découverte* en Chaldée,
pi. % bis. ou relie des statuettes en liromr de Dounghi (Hutet-SmikC, Découverte* en Chaldée, ni. ÎH,
i-î) et de Koudourmabouk (Phiuoi-Chinei, Histoire de l'Art dam F Antiquité., I. Il, p. 5311) que le
Musée du Louvre possède aux légendes de ces souverains (HcriEr, Nouveaux Monument! du roi Our-
ninâ, déeoucerlt par M. de Sai-.ec, dans la Revue d'Atsyriotogie, t. III, p. (4 sqq.).
!. Voir ce qui est dit plus haut des reines égyptiennes, aux pâtes îïft-574 de retle Histoire.
3. Destin de Faueher-tludin, d'après Hel-ièv-Samec, Découverte» en Chaldée, pi. î bit, n° t.
I. La plupart d'entre elles sont nommées à coté do leur mari ou de leur père sur des objets votifs
déposés dans les temples, ainsi la femme de Goudia, Cendounpaé (Oppert, l'Olive de Goudéa, dans la
ZeiUchrift fui- Asiyriologie, t. I, p. 439-110) ou Ginoumounpaouddou (Jïssb>, Imrhriflcn dur htinige
und Statlhatter von iagasch, dons la KeiUchriftliche Bibliotliek, t. III*, p. Bi-G5), sur le cylindre du
Musée de la Haye, signalé et publié par «mm. les Cylindres Orientaux du Mutée de la Haye,
pt. VII, u> 35, p. 50-BO) ou celle de !<iammaehani, vicaire de LaRash, Ganoul (HiiiiïT, Généalogies de Sir-
pourla d'après les découvertes de M. de Sancc, dans la iterue d'Auyrioloyic, t. Il, p. Vi; cf. Je.\s>„v,
708 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
autres venaient des royaumes chaldéens ou des cours étrangères; certaines
ne s'élevaient jamais au-dessus de la condition de simples concubines, plu-
sieurs se paraient du titre de reines, presque toutes étaient les gages
vivants d'alliances conclues avec des États rivaux, ou elles avaient été
livrées en otages à la suite d'une paix infligée par les armes*. Gomme les rois,
ne s'attribuant point une origine divine, n'étaient pas contraints d'épouser
leurs sœurs à l'exemple des Pharaons pour entretenir la pureté de leur race*,
il s'en trouvait rarement entre leurs femmes qui possédassent sur la couronne
des droits égaux aux leurs : le cas se présentait seulement pendant les temps
de troubles, lorsqu'un parvenu de basse extraction légitimait son usurpa-
tion par un mariage avec les sœurs ou avec les filles de son prédécesseur8. La
condition primitive des mères régissait presque toujours celle des enfants,
et les fils d'une princesse naissaient princes, quand même leur père était un
homme obscur ou demeurait inconnu4. Ils exerçaient à la cour des fonctions
importantes, ou ils recevaient des apanages qu'ils administraient sous la
suzeraineté du chef de la famille5; on distribuait les filles aux rois étrangers
ou aux personnages issus des maisons les plus altières. Rien n'obligeait le
souverain à transmettre la couronne à tel ou tel des siens; l'aîné lui succé-
dait d'ordinaire, mais il pouvait, si bon lui semblait, préférer celui d'entre
eux qui lui plaisait le mieux, quand c'eut été le plus jeune ou le seul qui fût
lnschriften der Kônigeund Statthalter von Lagasch, dans la Keilschriftliche Bibliothek, t. III1, p. 74-
75, où le nom de la dame est lu Ninkandou). Ailleurs pourtant on voit la femme de Himsin, roi de Lar-
sam, dont le nom est malheureusement mutilé, dédier elle-même un temple pour sa vie et pour celle
de son mari (Wi.nckler, Sumer und Akkad, dans les Mitteilungen des Ak. Orienta lischen Vereins, t. I,
p. 17, et lnschriften von Kônigcn von Sumer und Akkad, dans la Keilschriftliche Bibtiolhek, t. III1,
p. 96-97). Quelques reines paraissent pourtant avoir été inscrites sur quelque canon royal, ainsi Ellàt
Goula (Smith, Early History of liabylonia, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique,
t. I, p. 52-53) ou Baou-ellit, en sumérien Azag-Baou (Records of the Past, 2n4Ser., t. I, p. 32), mais
on ne sait au fond ni qui elle était, ni quand elle régna.
1. Les exemples de ces unions politiques abondent entre l'Egypte et la Chaldée d'après les tablettes
d'El-Amarna (Bezold-Bhdge, The Tell-el-Amama Tablets in the British Muséum, p. xxv-xxx, xxxu-xxxiu)
pour une époque postérieure, et entre la Chaldée et l'Assyrie (Peiser-Winckler, Die sogenannte synchro-
nistiche Geschichte, dans la Keilschriftliche Bibtiolhek, t. I, p. 194-195, 198-201); parmi les quelques
reines de l'époque archaïque, la femme de Nammaghani est fille d'Ourbaou, vicaire de Lagash, et par
suite la cousine ou la nièce de son mari (Jknsen, lnschriften der Kônigc und Statthalter von Lagasch,
dans la Keilschriftliche Bibliothek, t. III1, p. 74-75), tandis que celle de Rimsin paraît être la fille d'un
seigneur du nom de Rimnannar (Winckler, lnschriften von Konigen von Sumer und Akkad, dans la
Keilschriftliche Bibliothek, t. IIP, p. 96-97).
2. Sur les mariages des Pharaons avec leurs sœurs, cf. ce qui est dit aux p. 270 sqq. de cette Histoire.
3. Nammaghani, vicaire de Lagash, devait probablement son élévation à son mariage avec la fille du
vicaire Ourbaou (Heuzey, Généalogies de Sirpourla, d'ajtrès les découvertes de M. de Sanec, dans la
Bévue d'Assyriologie, t. II, p. 78-79).
i. Le fait ressort avec évidence du début de l'inscription où Sargon I*r était censé raconter sa vie
(cf. p. 597-598 de cette Histoire) : • Mon père était inconnu, ma mère était princesse », et c'est bien
de sa mère qu'il tenait ses droits à la couronne d'Agadé.
5. C'est ce qu'on doit conclure des bas-reliefs de Lagash, où l'on voit Akourgal, encore prince, tenir
la charge d'échanson à la suite de son frère Lidda (Hkizey-Sarzec, Découvertes en Chaldée, pi. 2 bis,
n° 1, et Nouveaux Monuments du roi Our-nina, découverts par M. de Sarzec, dans les Comptes
rendus de l'Académie des Inscriptions, 1892. p. 34 1, et dans la Bévue d'Assyriologie, t. III, p. 16).
LES FILS DU ROI ET L'OKDRE DE SUCCESSION. 709
issu d'une esclave1. Dès qu'il avait annoncé sa volonté, il n'y avait droit de
primogéniture qui tint devant elle : elle faisait loi. On conçoit quelles intrigues
subtiles les infants et leurs mères nouaient pour gagner la bienveillance du
père et pour fixer son choix, quelle vigilance jalouse ils déployaient à s'épier
mutuellement, quelles haines furieuses la faveur accordée à l'un d'eux allu-
mait au cœur de tous les autres. Souvent les frères trompés dans leur attente
se coalisaient sourdement contre l'héritier désigné ou présumé tel; un complot
éclatait, le peuple apprenait brusquement que son vieux chef était mort sous
le poignard d'un assassin et qu'il en avait un nouveau. Ou bien le mécon-
tentement se propageait hors du palais, l'armée se scindait en deux camps,
les villes prenaient parti pour l'un ou pour l'autre des prétendants, et la
guerre civile sévissait pendant de longues années avant qu'on en arrivât à
l'action décisive. Cependant les tribus vassales profitaient du désordre et
s'affranchissaient, les cités voisines ou les El ami tes intervenaient dans la que-
relle et se rangeaient du côté où il leur semblait qu'il y eût le plus à gagner :
le vainqueur payait toujours cher cet appui équivoque et se tirait affaibli de la
lutte. C'était souvent la ruine de la dynastie, parfois celle de l'État*.
Le palais des rois Chaldéens présentait, comme celui des Égyptiens, l'aspect
d'une citadelle véritable : les murailles devaient être assez solides pour braver
indéfiniment l'effort d'une armée et pour mettre la garnison à l'abri de tout,
sauf de la trahison et de la famine. Une des statues de Telloh a sur les genoux
le plan d'une de ces résidences : le contour extérieur en est seul indiqué, mais
on y devine sans difficulté une place forte avec ses tours, ses redans, ses
portes, ménagées entre deux saillants3. C'est l'ancien palais de Lagash, plus
tard retouché et agrandi par Goudéa ou par l'un des vicaires ses succes-
seurs, et dans lequel beaucoup des seigneurs de l'endroit ont habité jus-
qu'aux premiers temps de l'ère chrétienne*. Le site qu'il occupe au quartier
1. Akourgal parait avoir eu un frère plus âgé, Lidda, qui ne régna pas (Hkizky, Nouveaux Monu-
ments du roi Ournina découverts par M. de Sarzec, dans la Revue a' Assyriologie, t. III, p. 15-16).
2. Tout ceci est certain pour les derniers temps de l'Assyrie et de la Chaldée : il est à peine besoin
de rappeler les meurtres de Sargon II et de Sennachérib, la révolte d'Assourdanfnpal contre son père
Salmanasar III. Pour l'époque archaïque, nous n'avons guère que des indices; la succession du roi
Ourninà de Lagash parait avoir été troublée de la sorte (Heuzey, Généalogies de Sirpourla, d'après les
découvertes de M. de Sarzec, dans la Revue d' Assyriologie, t. II, p. 82-83), et il est certain que son
successeur Akourgal n'était pas l'aîné de ses fils (Hei/.ky, Nouveaux Monuments du roi Our-Nina, dans
les Comptes rendus de V Académie des Inscriptions, 1892, p. 34-4, et dans la Hernie d'Assyriologie,
t. III, p. 16, 18, 19), mais nous ne savons pas encore à quels événements Akourgal dut son élévation.
3. Heuzey-Sarzec, Découvertes en Chaldée, p. 138-139, qui préfère y reconnaître une forteresse plutôt
qu'un palais (cf. Un Palais chaldéen, p. 15); en Orient, un palais est toujours plus ou moins fortifié.
4. Ce palais a été découvert par M. de Sarzec, dans ses premières fouilles, et décrit par lui en grand
détail (IIeizky-Sarzec, Découvertes en Chaldée, p. 13-54); on trouvera un résumé de la description et
un essai de reconstitution de l'édifice dans Heuzey, Un Palais chaldéen, d'après les découvertes de
710 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
de Ghirsou' n'était déjà plus entièrement nu, au moment de la fondation.
" ' — "' -'-- : — mrat et tracé, quelques siècles
auparavant, des murs qui
tombaient en ruines. Goudéa
ne détruisit point l'œuvre de
son prédécesseur antique :
il se contenta de ia noyer
dans
>structi<
d édifici
u pl»n h'oh pai.a]s i». LUAji*. sans plus s'inquié-
ter d'elle que les
Pharaons ne se souciaient des monuments qui appar-
tenaient à une dynastie antérieure9. Les palais, ainsi
que les temples, ne posaient jamais directement sur
le sol; on les bâtissait sans faute au sommet d'une
butte factice en briques sèches. A Lagash, le soubas-
sement massif surplombe la plaine de douze mètres,
et ne communique avec elle que par un seul escalier
étroit, raide, aisé à couper et à défendre*. Le château
qui surmonte cette motte artificielle dessine une façon d
rectangle irrégulier, long de cinquante-trois mètres
large de vingt et un, orienté sur les quatre points car
naux par les angles, au contraire de ce qui se passe en WM mum.ii
Egypte. Les deux côtés principaux ne sont point parallèles; "' ™" €l"" '
ils se renflent un peu vers le milieu, et la flexion de leurs lignes esquisse une
M. de Sancc, Purin, 1888. Il fut restauré à l'époque part ho par un petit souverain local, vassal des
rais de Nésène. et qui s'appelait lladadundinakhés (IUi-iey-Sahuc, Découverte! en Chaldëe. p. 17-18, 3Ï).
t. Cette identification du nom de Ghirsou avec le site sur lequel le palais de Coudéa n'élève ■ été
proposée dès le début par Aïiaiid, Sirpourla, d'aprèt Ici interiptiam de la collection de Sarser, p. 8,
et adoptée par Heihet-SaiiiC, Découverte* en Chaldëe, p. 33.
t. Dri'în de r'aucher-Gudin, d'aprèt Hfiiiki-Sabiix, Découvertes en Chaldëe, pi. f.î, H' I. I.e plan est
tracé sur la tablette que la Statue E du Louvre porte sur ses genoux (iUi'iky-Saiiik. Découvertes eu
Chaldëe, pi. 1G sqq.). En avant du plan, on aperçoit la règle divisée dont l'architecte se servait pour
iiicltre ses dessins à l'échelle voulue; le stylet du scribe est posé a plat du crtté gauche.
3. Bmuet-SjMK, Découverte* en Chaldëe, p. 13-11, Ï9-30, 511-53 ; Neizky, Un Patait ehaldccit,
p. 30-34. I.e petit massif carré, marqué /"sur le plan reproduit à la page 711 de cette Hittoire, est
une du ces constructions antérieures que Goudca enterra sous les briques de sa plateforme.
4. Sur le soubassement, voir Hki/ey-Sabiei:, Découverte) en Chaldëe, p. 13-l.i; dans une partie du
tell, le socle construit pour l'édifice d'Ourbaoïi parait avoir atteint déjà dil mètres de haut (llmu-
Sahzei:, Découvertes eu Chaldëe, p. 53, note). Il n'est pas question de l'escalier dans le récit des
Touilles de M. de Sarîec; peut-être a-t-il été détruit dès l'antiquité.
b. Dessin de l'auihtr-ùudiu, d'après le fac-similé de Pl.uik, Maire et l'Atiyrie. pi. 7S, n" 2.
LE PALAIS DE GOUDÊA À I.AGASR, 711
silhouette assez semblable à celle de ces barillets d'argile sur lesquels les
rois consignaient leurs inscriptions dédicatoires ou leurs annales'. Il n'y a là
probablement aucun parti pris d'architecte, mais la difficulté était grande de
mener droit d'un bout à l'autre des murailles aussi étendues, et, Chaldéens ou
Égyptiens, les peuples orientaux tenaient d'autant moins à la justesse des
alignements que les défauts de ce genre s'effacent presque toujours dans la
réalité visible; ils ne se révèlent nettement que sur les plans dressés et cotés
avec la rigueur moderne*. La façade se déploie de l'est au sud, et se divise en
trois corps de dimensions inégales. Celui du centre projette en son milieu une
sorte d'avancée complètement lisse, saillante d'un mètre, longue de cinq et
demi, qui masque ingénument l'angle très ouvert sous lequel se raccordent
les deux parties du mur. Elle est flanquée à droite et à gauche de cannelures
1. C'est l'expression même que H. de Sarzce emploie (Hei;iki-S.uiec. Découvertes en Chaldée. p. I!i),
et ilonl l'exactitude relative frappe dès qu'on jette un eoup d'ici! sur le plan de l'édifice.
t. Datiii de Fauchcr-Gndin, d'apret Htuitï-Stmti:, liémMerte* en Cfiald/e, plan À.
3. M. Heuicy pense que le rendement dea lignes eut • tout simplement un procédé primitif pour
obtenir une solidité plus grande, pour donner plus d'assietle 1 ces longues façades, posées sur des
[errasses artificiel la* de briques crues, où des tassements et des rrevasses pouvaient facilement se
produire • (HuizIt, Un Palaix chatdeen, p. 35). Je crois que l'explication des faits, (elle que je la
donne dans le texte, est plus simple que celle que JH. Heuzey a proposée 1res ingénieusement : les
maçons, ajani commencé la construction des murs par les deux extrémités à la fois, n'ont pas su
dans un massif de briques, dont la saillie a dissimulé leur maladresse.
742 LA CIVILISATION CHALDÊENNE.
rectangulaires, analogues à celles qui sillonnent les forteresses et les mai-
sons privées de l'Ancien Empire Égyptien' : l'alternance méthodique des
reliefs et des creux détermine des jeux d'ombre qui rompent la monotonie
des parements. Au delà, tes rainures prismatiques cèdent la place à des demi-
colonnes de cinquante centimètres de diamètre, accolées sans base, sans cha-
piteau, sans corniche, comme autant de troncs d'arbres ou de pieux plantés
l'un contre l'autre pour former une palissade1. Les motifs se succèdent ici
selon une progression voulue, moins amples et moins espacés à mesure qu'on
s'éloigne du panneau centra! pour se rapprocher des extrémités. Ils s'arrêtent
à l'angle sud, et les deux fronts qui se développent du sud à l'ouest, puis
de l'ouest au nord, ne constituent que des surfaces plates et froides, sans
ressauts ni rentrants, sans aucun effet de lumière qui en dissimule la mai-
greur et la banalité. Ils reparaissent sur le côté nord-ouest, où l'on retrouve
en partie les dispositions de la façade. Les compartiments de rayures commen-
cent aux angles mêmes et les demi-colonnes manquent, ou plutôt elles se
reportent sur le saillant du milieu et simulent de loin un buffet d'orgues
gigantesque*. Cet ensemble lourd et trapu de bâtiments, qu'on apercevait for-
cément de tous les points de la ville, conservait-il les tons mornes et ternes
de la brique? On ne saurait guère en douter, mais ailleurs on avait essayé
d'atténuer par des crépis de couleurs la tristesse des masses architecturales.
A Ourouk, des cônes en terre cuite, engagés jusqu'à la tète dans un enduit
solide et teintés jaune, rouge ou noir, dessinaient sur les murailles du palais
des chevrons, des spirales, des losanges, des triangles entrelacés ou juxtaposés
tant bien que mal : cette mosaïque d'argile peinte habillait toutes les sur-
t. Cf. p. SIC, ISO de celte Histoire ce qui est dit des maisons et des forteresses égj plie n nos.
ï. L'origine de ce Heure de décoration a été signalée dès le début par Loms, TraveUt and Hetearche»
in C.haldira and Suiiana, p. 1"!i. puis par Plice, Native et CAmyrie, t. Il, p. WI-5Ï. L'en-léle du pré-
sent chapitre (cf. p. 703 de celte Histoire) donne, d'après l'ouvrage de Loftus, «n bon eiemple de
l'aspect qu'avaient a Ourouk les édiliecs décorée de la sorte.
3. Deiêiu de Faucher-Gttdin, d'après le croi/ui» de Louis, Travelt and Heicarcltet in C/taidra
and Suiiana. p. 18$.
i. La description des façades, d'après lin (SV-S.imf.c. Découverte» en Chaldée, p. li-P ; rf. Pehuoi-
CmnE(, lliitoire de l'Art dam [Antiquité, 1. tl, p. ÏSÏ-2(i3, et Hsr.iF.i, Un Palaii chatdéen. p. ii «,
LES FAÇADES, LA ZMCiOURAT DU PALAIS. 7*3
faces courbes ou plates et leur prêtait un air de gaieté que le monument de
Lagash était loin de posséder1.
Une auge, étroite et longue, en calcaire jaunâtre, se dressait devant le palais,
sur un socle de deu\ marches : des figures de femme d'un travail assez fin s'en-
lèvent en relief sur les faces extérieures, debout, les mains tendues, et se pas-
sent des vases d'où deux filets d'eau s'échappent à gros bouillons*. C'est un
réservoir qu'on remplissait chaque matin à l'usage des hommes et des ani-
maux; ceux qu'une affaire ou un ordre attirait là-haut s'y rafraîchissaient en
attendant d'être reçus par le maître*. Les portes par lesquelles on accède à
l'intérieur sont percées assez irrégulièrement : deux s'ouvrent sur le front
I. La décoration du palais d'Ourouk, découverte et décrite par Lorrvs, Traveti and tteicatxhes in
Clialdsea and Sutiauu, p. 188-189, se retrouvait dan» un certain nombre des palais chaldécns de
très ancienne date, s'il faut on juger par la quantité de cônes en terre colorés qu'on a trouvée dans
les ruines d'Anou-Shaliréln (Tiïum, Noie» oh Abu-Shehrcin end Tet-cl-Lakm, dans le Journal of the
Royal Atiatie Society, I. XV, p. 411) et de diverses autres cités; cf. PtFnuii-CmpiKi, Biliaire de l'Art
daiiti ': Antiquité, t. II. p. i'J3-«M. M. de Sarrec déclare n'avoir observé, dans les ruines de Telloh, sur
les parois extérieures du mur d'enceinte, aucune trace de revêtement de ce genre, de crépi ou de
peinture lllmiti, Un Valait ehaléétti, p. 17-îll).
t. Dénia de Faueher-liadia. itapri-s llfim:ï-Siuin:, l)t'rtiitccrtrs.rn C.haldéc. }>l. $0, ir 1.
3. four l'explication probable de ces figures de femme, du vase qu'elles se passent de main en
main et du double jet d'eau qui a' an édiappc, cf l'ingénieux mémoire de Itnutr, le Battin sculpté cl
le Symbole du vote jailtiutaut, dans les Origine» orientale* de l'Art, t. I, p. 119-171.
i. IlEUisï-SmiEc, Découverte! en Clialdér. p. 16; lUuiv, Un Palais chaldèen, p. 5'J sqn.
714 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
principal, les autres façades n'en ont qu'une seule. Elles sont cintrées, basses,
et semblent ne s'entre-bâiller qu'à regret; on les fermait de battants en bois
de cèdre ou de cyprès, garnis de pentures en bronze, et leurs pivots roulaient
sur deux galets, encastrés solidement à droite et à gauche, gravés d'ordinaire
au nom du fondateur ou du souverain régnant. Deux d'entre elles sont accom-
pagnées d'une sorte de réduit en boyau, où les soldats du guet extérieur
s'abritaient, le jour contre les ardeurs du soleil, la nuit contre le froid et contre
les rosées de l'aube1. Le seuil franchi, on filait à travers un couloir flanqué
de deux petites pièces, où se tenaient les portiers et les hommes de la garde
intérieure, puis on débouchait sur une cour entourée de bâtiments, dont l'en-
semble couvrait la moitié au moins de l'espace compris entre les murs. C'était
encore un endroit à demi public, et les fournisseurs, les marchands, les sup-
pliants, les fonctionnaires de tout grade y entraient sans trop de difficultés.
Une enfilade de trois chambres reléguées dans l'angle nord-ouest tenait lieu
d'entrepôt et d'arsenal. Le corps sud était occupé par des salles d'apparat dont
la plus vaste mesure au moins douze mètres : Goudéa et ses successeurs y
donnaient audience à leurs nobles et y rendaient la justice. Les services géné-
raux de l'administration et le personnel chargé d'y pourvoir logeaient pro-
bablement dans le reste des bâtiments. La toiture était plate et courait tout
autour du mur d'enceinte, comme une courtine où l'on montait par un escalier
ménagé entre la porte principale et les magasins*. Une ziggourat s'élevait à
l'angle nord. La coutume exigeait que le souverain possédât dans sa demeure
un temple, où il pût pratiquer ses devoirs religieux, sans descendre dans la
ville ni se mêler à la foule. A Lagash, la tour sacrée était antérieure au palais
et remontait peut-être jusqu'au vieil Ourbaou. Elle se composait à l'origine de
trois étages, mais le premier fut remanié par Goudéa et disparut tout entier
dans l'épaisseur du soubassement. Le second, devenu le premier de la sorte,
s'élargit, s'exhaussa légèrement au-dessus des toits voisins : une chapelle
dédiée probablement à Ninghirsou terminait l'édifice. C'était en vérité un
monument de proportions médiocres, et la plupart des temples réels le domi-
naient sans doute de leur tête ; mais, si modeste qu'il fût, on apercevait du
sommet la ville entière avec ses quartiers épars et sa ceinture de jardins, la
1. Helzey-Sarzec, Découvertes en Chaldée, p. 18-19; Hkizkv, Un Palais chaldéen, p. 26-27. Le plus
important de ces réduits est marqué d sur le plan reproduit à la p. 711 de cette Histoire.
2. Toute cette partie demi-publique du palais est décrite longuement dans Helzey-Sar/.kc, Décou-
vertes en Chaldée, p. 30 sqq. La suite des fouilles modifiera sans doute quelques-unes des attributions
de détail proposées; il est probable toutefois que nous connaissons dès à présent la disposition géné-
rale des grandes divisions de l'édifice et les emplois auxquels chacune d'elles était affectée.
LES APPARTEMENTS RESERVES DU PALAIS. 715
campagne entrecoupée de rigoles, semée de bourgs isolés et de bois légers, les
(laques et les marais herbeux que l'inondation laisse en se retirant, puis aux
derniers plans les rangées de buissons et d'arbres qui encadrent les berges
de l'Euphrate et des canaux. Qu'une troupe ennemie se hasardât à l'horizon,
ou qu'un tumulte suspect éclatât dans la cité, les veilleurs postés sur la der-
nière plate-forme donnaient aussitôt l'alarme; le souverain averti par eux
avait le temps de fermer ses portes, et de prendre
mesures pour résister à l'invasion étrangère ou pou
écraser les révoltes de ses sujets1,
Les régions septentrionales du palais apparte-
naient à Goudéa et à sa famille. Elles tournent le
dos à la cour d'honneur et se divisent en deux
corps ; le prince, ses enfants mâles et leurs ser-
viteurs habitent celui de l'ouest, tandis que les
femmes et leurs esclaves sont comme cloîtrées dans
celui du nord. Le logis royal communiquait avec
le dehors par un passage mené dans le front
nord-ouest de l'enceinte, avec la grande cour par
un corridor voûté qui côtoyait un des pieds de la
ziggourat : les portes qui en garnissaient les deux
extrémités s'entrouvraient juste assez large pour admettre gaut de l'obi »h nam
une seule personne à la fois, et des niches, creusées à
droite et à gauche dans la muraille, permettaient aux gardiens de dévisager
les arrivants sans qu'ils s'en doutassent, et de les empoigner à Pimproviste
si l'on observait quelque chose de suspect dans leurs allures. Huit salles pren-
nent jour sur la cour. On empilait dans l'une les provisions du jour, l'autre
servait de cuisine : le maître queux opérait sur une sorte de banquette rectan-
gulaire de dimensions moyennes, où de petits murs de briques cuites déli-
mitaient plusieurs foyers pour autant de marmites et de plats divers; un puits,
foré dans un coin à travers le soubassement et plus bas, fournissait l'eau
nécessaire à la préparation des mets. Le prince et les siens s'accommodaient
comme ils pouvaient des cinq ou six chambres qui restent3, l'n couloir aussi
bien défendu que le premier conduisait de ses appartements à ceux de ses
1. Heliirï-Saiiiec, Wcouvertei en Chaldée, p. Sfi-30; Heiuet, Un Patnit ckaldéen. p. 34-34.
ï. ifefniM lie Faucher-Gudin, daprei IIeuieï-Suiec, Mcauverte* en Chaldée, pi. 97. n- t.
3. Voir la description complète de In partie du palais réservée aux hommes et don chambres doiit
clic se compose, dans Nu'IKI-Sariec, DScourerltt en Chaldée, p. U-IG.
716 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
femmes : un préau, une demi-douzaine de cellules inégales, une cuisine, un
puits, une porte par laquelle la domesticité entrait ou sortait sans être obligée
de traverser le logis des hommes1. Cet ensemble ne répond guère à l'idée
merveilleuse qu'on se forge d'un palais oriental : les pièces sont mesquines,
sombres, éclairées à peine par la porte ou par quelque lucarne taillée chiche-
ment dans le plafond, aménagées de manière à protéger les habitants contre
la chaleur et la poussière, mais sans souci du luxe et de l'apparat. On n'y
voyait sur les murailles ni boiseries de cèdre lamées d'or, ni panneaux de
mosaïque comme dans les temples, ni même ces draperies d'étoffes brodées
ou teintes que les modernes imaginent volontiers et qu'ils prodiguent à l'envi,
lorsqu'ils essayent de restituer l'intérieur d'un palais ou d'une maison
antique*. Les parois devaient rester nues pour demeurer fraîches : tout au
plus se bornait-on à les enduire d'un crépi blanc, sur lequel on retraçait, aux
deux ou trois couleurs, des scènes de la vie religieuse ou civile, des bandes
de monstres fantastiques en lutte les uns contre les autres, des hommes avec
un oiseau sur le poing8. Le mobilier n'était pas moins sommaire que le
décor, des nattes par terre, des coffres pour serrer le linge et les habits,
des lits bas, incrustés d'ivoire et de métal, munis de leurs couvertures et de
leurs matelas minces, puis des selles en cuivre ou en bois pour soutenir des
lampes ou des vases, des tabourets carrés à quatre montants réunis par des
traverses, des fauteuils à pieds de lion dont le galbe ressemble à celui des
fauteuils égyptiens* : étaient-ils apportés en Chaldée par les caravanes, ou les
fabriquait-on sur des modèles venus de l'étranger? Quelques rares objets
présentaient un caractère artistique et témoignaient d'un certain goût d'élé-
1. Heuzey-Sarzec, Découvertes en Chaldée, p. 22-24.
2. M. de Sarzec déclare expressément qu'il n'a rencontré nulle part, dans le palais de Goudéa, • la
moindre trace soit d'un enduit, soit d'un revêtement coloré, soit d'une décoration de briques vernis-
sées. Les murs paraissent avoir présenté des surfaces nues, sans autre agrément que l'alternance
régulière de leurs assises et de leurs joints » (Heizey-Sarzec, Découvertes en Chaldée, p. 20). Les
boiseries étaient réservées d'ordinaire aux temples et aux édicules sacrés : c'est dans les débris d'une
chapelle de Ninghirsou que M. de Sarzec a trouve des restes de panneaux en bois de cèdre carbonisé
(Hkuzey-Sarzec, Découvertes en Chaldée, p. 65, note, et Un Palais chaldéen, p. 53). Les tapisseries
qui auraient recouvert les murs auraient été, d'après M. Heizey^w Palais chaldéen, p. 18-20), décorées
de dessins géométriques analogues à ceux que les cônes de .terre cuite dessinent sur les murs du
palais d'Ourouk; les inscriptions, qui sont pourtant remplies de détails minutieux sur la construction
et l'ornementation des temples et des palais, ne renferment, jusqu'à présent, aucune mention qui
permette d'établir l'emploi des tapisseries comme décoration murale en Chaldée ou en Assyrie.
3. C'était le cas dans le palais d'Éridou, fouillé par Taylor, Notes on Abu-Shahrein and Tel-el-Lahm%
dans le J. R. As. S., t. XV, p. 408, -410; cf. Perrot-Chipiez, Histoire de l'Art, t. Il, p. 449.
4. Quelques débris de coussins en tapisserie ont été retrouvés dans les tombes de Moughéîr (Taylor,
Notes on the Ruins of Muqeyer, dans le /. As. Soc, t. XV, p. 271). Les autres objets mobiliers, sièges,
tabourets, coffres à linge, sont figurés sur les cylindres. L'exemple le plus marqué d'un fauteuil de
style égyptien nous est fourni par le cylindre d'Ourbaou, roi d'Ourou (J. Menant, Recherches sur la
Glyptique orientale, t. I, pi. IV, 2), sur l'antiquité duquel quelques doutes se sont élevés (Mf.naist,
le Cylindre de Urkham au Musée Britannique, extrait de la Revue Archéologique, p. 14 sqq.).
LE MOBILIER, LA DÉCORATION DU PALAIS. 717
gance et de raffinement ; ainsi, une aorte d'augette circulaire on pierre noire
qu'on utilisait probablement à supporter un vase. Trois zones d écailles imbri-
quées en enveloppent la base, et sept figurines d'hommes accroupis s'ados-
sent au rebord avec un air de satisfaction assez spirituellement rendu. Dans
les salles les plus grandes, qui étaient destinées aux réceptions publiques et
aux cérémonies officielles, la décoration, sans jamais assumer le caractère
monumental qu'on observe en Egypte aux mêmes époques, admettait plus de
richesse et plus de variété que dans les parties réservées à l'habitation.
De petits tableaux en cal'*""™"
brunâtre, encadrés dans la i
raille ou fixés aux parois p
des chevilles en terre cuite
décorées d'inscriptions ' ,
représentaient de façon
plus ou moins naïve le
souverain officiant devant
une divinité', tandis que tumn a pidme mmi au fm.ui di t-luk*.
ses enfants et ses servi-
teurs l'accompagnaient de leurs chants. Des briques, recouvertes de légendes
qui célébraient ses exploits, s'étalaient ça et là en bonne vue. On ne les noyait
pas comme les autres entre deux lits de bitume ou de chaux, mais on les
exposait bien en évidence sur des statuettes en bronze de divinités ou de
prêtres, enfoncées dans le sol ou dans la maçonnerie : c'étaient des clous
magiques destinés à les garantir de la destruction, et, par suite, à conserver
saine et sauve la mémoire du dédicateur. Des stèles gravées aux deux faces
rappelaient les guerres du temps passé, le champ de bataille et les scènes
d'horreur qui s'y déroulaient, le retour du vainqueur et son triomphe*. Des
statues assises, debout, en diorite, en grès siliceux, en calcaire dur, la robe
et les épaules chargées d'écriture, perpétuaient les traits du fondateur ou
des membres de sa famille et commémoraient les donations pieuses qui lui
loHiirhru (iriiber in Surijliut und Ei-Hibba, dai
Une cheville de ce ("enre, provenant des fouilles
m Chaldée, pi. 38), est reproduite comme cul-i
t. Heliici-Sahiec, Découvertes en t'.haldée, p. Iti'
découvert' par M. de Snnec, dans le* Complet rendu» île V Académie des Inscriptions et Beltcj-Leltres.
I8M, p. 341-31*. 316. 347 : deux de ces lableaux sont reproduils p. 608. 71V7 de celle Histoire.
3. Destin de Faucher-Gudiu, d'après HrxiKi-SHuKr., Découvertes en fÛiildéf, ïil.-il, n-3, et p. 161-lfi*
4. Ainsi la stèle du roi Idingbiranaghin, dite Stèle des Vautours : et. p. 6II6-IH18 de cette llùtoire.
n chevilles.
croit y reconnaître. Ci
smin
e Tajlor, une
rs sont radiée
■e avec elles (II. Km ni;
WKÏ.
Die Atlbabu-
is la Zeitschrifl fur Assyriologic,
t. Il,
p. 416-41').
de M. de Sa
rzecà Telloh (Hkiikv-S
, Découvertes
le-lampe à 1
a p. "Ri de cette llisl
i-173; IlutiKi
. Somemu: Monument-
,du
roi Our-nina,
718 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
avaient valu la faveur des dieux : le palais de Lagash en contenait des dizaines,
dont plusieurs nous sont parvenues presque intactes, une du vieil Ourbaou,
et neuf de Goudéa1.
A en juger l'espace bâti et le nombre ou la distribution des chambres,
les vicaires de Lagash et les chefs des autres villes secondaires se contentaient
à l'ordinaire d'une domesticité assez restreinte; leur cour ressemblait pro-
bablement à celle des barons égyptiens qui vivaient à peu près vers le même
temps, Khnoumhotpou de la Gazelle ou Thothotpou d'Hermopolis*. Dans les
grandes cités telles que Babylone, les palais occupaient une aire beaucoup
plus vaste, et l'armée des courtisans ne devait le céder en rien à celle qui se
pressait autour des Pharaons. Nous n'en possédons plus le dénombrement
exact, mais les titres que nous en avons montrent avec quelle minutie
on définissait les offices qui touchaient à la personne du souverain'. Son
costume seul exigeait presque autant d'employés qu'il comptait de pièces. Les
hommes s'habillaient du pagne léger ou de la tunique à manches courtes
qui ne descendait guère au-dessous du genou; comme les Egyptiens, ils
jetaient, par-dessus le pagne ou la tunique, une vaste abaye dont la coupe
et la matière variaient au caprice de la mode. Ils choisissaient souvent pour
cet usage une sorte de châle uni, mais frangé ou garni d'un liséré plat,
souvent aussi ils le préféraient côtelé ou plissé artificiellement dans le sens
de la longueur4. Toutefois l'étoffe favorite aux temps anciens était une toile
ou un lainage poilu et floconneux, dont les mèches tantôt droites, tantôt
ondulées et tordues, mais serrées en rangs épais, s'étageaient par couches
régulières semblables à des volants superposés5. On pouvait l'adapter carré-
1. Heuzey-Sarzec, Découvertes en Chaldée, p. 77 sqq., où la description de ces monuments est donnée
tout au long : voir les statues de Goudéa aux p. 611, 613 de cette Histoire.
2. Cf. les p. 523-526 de cette Hittoire pour ces deux personnages en particulier, et les p. 295-301
pour ce qui est de la condition générale des barons égyptiens.
3. Le seul document qui pourrait nous fournir sur la hiérarchie des fonctions chaldéennes les
renseignements analogues a ceux que le Papyrus Hood nous fournit sur la hiérarchie égyptienne
(cf. p. 277, note 4 de cette Histoire) est la liste publiée dans Rawlinsox, Cuti. Ins. W. As., t. II,
p. 31, n° 5, interprétée par Fr. Delitzsch, Assyrische Studien, t. I, p. 128-135, et par Oppert-Mknaîst,
Documents juridiques de V Assyrie et de la Chaldée, p. 71-78, avec beaucoup de lacunes et d'incerti-
tudes. Elle a été écrite sous les Sargonides, mais l'orthographe des noms qu'elle contient indique une
origine chaldéenne : une partie des charges civiles et religieuses qu'on rencontrait à la cour des rois
d'Assyrie n'étaient que la reproduction des charges similaires qui existaient à celle de Babylone.
4. Le costume relativement moderne a été décrit par Hérodote, I, cuv; l'ancien lui était presque
identique, comme le prouvent les représentations des cylindres et les monuments de Telloh. La
tunique à manches courtes y est plus rarement représentée, et le pagne est caché d'ordinaire par l'abaye
chez les nobles et les rois. On voit les princes de Lagash revêtus du pagne simple, sur les monuments
d'Our-ninâ par exemple (Hei'zey-Sarzec, Découvertes en Chaldée, pi. 2, n* 1-2, et Heczey, Nouveaux
Monuments du roi Our-nina, dans les Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
1892, p. 342, 343, 34-4). Sur l'abaye égyptienne et la façon de la figurer, cf. p. 55-57 de cette Histoire.
5. C'est, comme M. Hcuzey l'a montré très ingénieusement (les Origines orienta/es de VArt, t. I.
p. 120-136). l'étoffe à laquelle les Grecs donnèrent plus tard le nom de kaunahês.
LE COSTUME DES HOMMES ET DES FEMMES. 719
ment au cou comme un manteau, mais le plus souvent on la drapait en
travers sur l'épaule gauche, puis on la ramenait sous l'aisselle droite, de
manière qu'elle laissait le haut de la poitrine et le bras nus de ce côté. Elle
faisait, somme toute, un vêtement commode et sain, excellent l'été contre le
soleil, l'hiver contre les bises glacées du nord1. Des sandales aux pieds, sur
la tête une calotte collante autour de laquelle on enroulait un linge, de façon
à simuler un turban rudimentaire, complétaient cet équipement1. Se gar-
nissait-on, comme en Egypte, de perruques et de barbes postiches? Certains
monuments nous montrent des faces glabres et des crânes rasés de près ; sur
d'autres, les hommes ont la chevelure flottante ou ramassée en chignon à
la nuque3. Autant les peuples du Nil aimaient la toile blanche et légère, plis-
sée ou gaufrée à peine, autant ceux de l'Euphrate paraissent avoir recherché
les tissus lourds et bariolés d'ornements multicolores. Les rois se costumaient
comme leurs sujets, mais d'étoffes plus riches et plus fines, teintes en rouge
ou en bleu, décorées de fleurs, d'animaux ou de dessins géométriques*; une
haute tiare en forme de tour leur couvrait le front5, ou le diadème de Sin
et des autres dieux, la mitre conique armée d'une double paire de cornes,
surmontée quelquefois d'une sorte de diadème de plumes et de figures mys-
tiques, brodées ou peintes sur la coiffe6. Ils paraient leurs bras d'anneaux
massifs et leurs doigts de bagues ; ils portaient un collier, des boucles
d'oreilles, un poignard passé à la ceinture7. Garde-robe, bijoux, armes, insi-
gnes royaux, c'étaient autant de provinces distinctes dont chacune se sub-
1. Une des manières de porter l'abaye se voit sur la vignette insérée, en guise de lettrine, au com-
mencement du chapitre VIII, à la p. 621 de cette Histoire.
2. Cf. la tête provenant d'une des statues de Tell oh, et qui est reproduite à la p. 613 de cette His-
toire. On remarque la même coiffure sur un certain nombre d'intailles ou de monuments, ainsi sur la
plaquette en terre cuite insérée à la p. 769 de cette Histoire, et qui représente un bouvier en
lutte avec un lion. 11 faut jusqu'à nouvel ordre éviter de dire, comme le faisait G. Rawlinson, The
Five Great Monarchies, 2* édit., t. 1, p. 105, que ce bandeau formant turban était en poil de cha-
meau : la date de l'introduction du chameau en Chaldéc reste encore inconnue.
3. Les personnages ont la tête nue et le menton ras, par exemple sur les deux bas-reliefs figurés
aux pages 608 et 707 de cette Histoire; cf. les têtes reproduites en cul-de-lampe aux p. 536, 622. Le
chignon est fort reconnaissable sur la nuque du personnage central, dans la vignette reproduite à la
p. 743 de cette Histoire. Sur les perruques égyptiennes, voir p. 54 de cette Histoire.
4. Les détails de couleur et d'ornementation que les monuments chaldéens nous refusent nous sont
fournis par le tableau de Beni-Hassan, qui représente l'arrivée en Egypte d'une bande d'Asiatiques
(cf. p. 468-469 de cette Histoire), et qui est antérieur d'assez peu au règne de Goudéa, à Lagash.
La ressemblance des étoffes dont ces gens sont revêtus avec le costume chaldéen, et l'identité des
dessins avec le décor géométrique en cônes peints du palais d'Ourouk (cf. p. 712 de cette Histoire) ont
été indiquées fort justement par H. G. Tomkins, Studies on the Times of Abratuxm, p. 1 11 sqq., et I1ei>
zey, les Origines orientales de l'Art, t. I, p. 27-28 (cf. Heuzey-Sarzec, Découvertes en C ha Idée, p. 82).
5. La haute tiare est représentée entre autres sur la tête de Mardouknàdinakhé, roi de Babylone; à
propos de la mitre conique, coiffure de Sin, cf. ce qui est dit p. 545, 655 de cette Histoire.
6. Ainsi la divinité protectrice d'idinghiranaghin sur l'un des fragments de la Stèle des Vautours
(Heczey-Sarzec, Fouilles en Chaldée, pi. 4, n^B-C; IIeuzey, les Origines orientales de l'Art, p. 71-72);
cf. p. 606 de cette Histoire.
7. G. Rawlinmx, The Five Great Monarchies, 2"' edit., I. I, p. 98-99, 106-107.
720 LA CIVILISATION CHALDÊENNE.
divisiiit en départements moindres pour la lingerie, pour la blanchisserie, pour
tel ou lel genre de coiffure ou de sceptre. La toilette des femmes n'exigeait
pas moins de personne! ; elle s'approchait d'ailleurs singulièrement à celle des
hommes. Comme les serviteurs mâles, les servantes allaient le buste à l'air, du
moins dans la maison. Au dehors, c'était la même tunique ou le même pagne,
maïs plus long et tournant au jupon ; c'était la même abave
serrée aux épaules ou enroulée autour du corps en guise de
i manteau, mais descendant presque à terre; on lui substituait
H souvent une robe véritable, ajustée à la taille par une cein-
ture et coupée dans la même étoffe velue qui fournissait les
abayes'. Les bottines étaient en cuir souple, lacées et sans talon,
les bijoux plus nombreux que ceux des hommes, colliers, bra-
elets, anneaux de pied, bagues, boucles d'oreille; les cheveux,
séparés en bandeaux et maintenus sur le front par un ruban,
tombaient en grosses nattes courtes ou se relevaient en catogan
derrière la nuque1. Beaucoup de charges étaient aux mains d'es-
claves étrangères ou indigènes, mais commandées le plus sou-
vent par des eunuques, et des eunuques vaquaient, auprès du
souverain et des princes royaux, à la plupart des devoirs de la
vie domestique; ils gardaient les chambres à coucher, ils les
rangeaient, ils éventaient ou émouchaient le maître, ils lui ser-
vaient à boire et à manger. L'Egypte ou ne les connaissait pas
ïu ne les estimait guère : elle évita d'en user, même au temps
iuv.uitr, où elle était en rapports journaliers avec l'Asie et où elle aurait
pu s'en approvisionner sur les marchés de Babylone.
Chefs de la garde-robe, chambellans, échansons, porteurs du poignard
royal ou du chasse-mouches, commandants des eunuques ou de la garde,
leurs fonctions, en les attachant de près à la personne du souverain, leur four-
nissaient l'occasion journalière de gagner de l'influence sur son esprit et sur
la direction de son gouvernement : il élisait souvent parmi eux ses géné-
raux d'armée et les administrateurs de ses domaines*. Ici encore, ce que
1. Il «rit
, tea Origine» orienlalen de l'Art, l.
p. 145 nqq.
3. Voir
vixncllo de U paire 'il, la tête qui sert de fron-
lispiee à r
chapitre, p. VU, elle* intailles re|>
oiluites au\ p. :.:,:,. «';:;, (ItW, olc, de relie Histoire
3. i>e*,i
de Fawlier-iiiidm, d'apiéi la figur
•te en bronze du bourre publiée par Heufa-Shiic
Itcrom-rrlr
en Chalilèr, pi. U.
i. Tous
es personnage» fou! représentés [s:i r
a suite sur les bas-reliefs assyriens, ainsi dans Bon»,
U Menante
al de ftiniee, pi. 14 ho/]., où l'on vo
des officiers défiler en portant des offrandes devanl
Sargom If
ra charge* existaient sans doute po
r la plupart dès la vieille époque rhaldéenne, et les
L'ADMINISTRATION ROYALE. TU
la rareté des monuments et l'obscurité des testes nous laisse entrevoir indique
une organisation civile et militaire analogue à celle des Egyptiens : les diver-
gences considérables que les contemporains pouvaient constater entre le régime
des deux peuples s'effacent dans l'éloignement, et les ressemblances s'accentuent
à nos yeux. Comme les transactions s'opéraient par échange de marchandises
contre d'autres marchandises ou contre des quantités p— '—
de métaux précieux, l'impôt se payait nécessairemen
nature : le blé et les céréales, les dattes et les fruits,
étoffes, les animaux vivants, les esclaves, en composait
matière ainsi que l'or et l'argent, le plomb et le cuivr
bruts, coulés en briques, façonnés en instruments ou ei
vases ciselés. On rencontrait donc partout pour les besoins
du fisc, dans les villes ou dans les campagnes, des entre-
pôts dont le service exigeait des bataillons de fonction-
naires et de manœuvres : les ministres du blé, des
bestiaux, des métaux nobles, du vin et de l'huile,
autant de ministres que le pays pratiquait de cultures
et d'industries, centralisaient les produits à la résidence
et en réglaient la répartition'. Ils en consacraient le
principal au traitement des employés et à la solde des
ouvriers requis pour exécuter les travaux : le reste costi-me de un culmmk*.
s'accumulait dans le trésor, et y préparait des ré-
serves auxquelles on ne touchait qu'en des cas de nécessité extrême. Chaque
palais recelait, outre ses chambres d'habitation, de véritables dépôts de
provisions et d'outils qui faisaient de lui une forteresse munie des ressources
indispensables pour prolonger un siège contre une troupe ennemie ou contre
des sujets révoltés1. Le prince entretenait toujours à ses côtés des bandes
noms de plusieurs d'outre elles figurent dans les liste» don! la rédaction première semble nous reporter
très haut (rUwLJKSON, V.un. In; IV. A»„ t. tl. pi. 31, n- 5, col. i. I. II. et col. v, I. ï!t, le porte-
poignard, col. i. 1. 8-10, les «chantions; cf. Dilitisck, Aayriiehe Studien, I. I, p. 13Ï; Om«T-MBMJiT,
Ut Documente juridique» de fAuyrie et de ta Ckaldée, p. 71, U). Sur le même personnel à la cour
de Pharaon et près des nohles égyptiens, cf. ce qui est dit aux pages STI-ÎBO de celte Ilutoire.
1. Toutes ces fonctions et tous les services qu'elles supposent nous sont connus par la liste de
■UwLiaxn, Cun. Int. IV. At., t. Il, pi. 31, n* B, dont il vient d'être question dans la noie précédente :
les miniâlrci du blé (col. il, I. ï} et det métaux précieux (col. il. I. 3). les chefs de» eignet (col. m.
I. ii] et de» troupeaux de bœuf» (col. vi, 1. *) ou d'oiteaux (col. vu, 1. S).
î. Dessin de Faurhrr-Giidin, d'aprtt ta statuette en albâtre du Limrre, publiée dam HeritY, les
Originel orientât™ de l'Art, t. I. pi. V. Elle tient à la main l'ampoule pleine d eau analogue au vase
jaillissant cité plus haut, p. Tlï (cf. UeuinY, les Originel orientait* de l'Art. I. I, p. 157 sqq.l.
3. Pour les charges militaires de l'époque assyrienne, voir le commentaire de l'a. Delitisck, Auy-
rucke Sludien, t. I, p. liB-139, sur la liste de" Rjwlimpoii, Cun. Int. IV. Ai., t. Il, pi. 31, n>5; la
plupart d'entre elles remontent ii l'époque chaldéenne, roromi; le prouve la forme même des noms.
722 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
de soldats, peut-être étrangers comme les Mâzaiou des armées pharaoniques,
et qui formaient sa garde permanente en temps de paix. Dès qu'une guerre
menaçait, il les appuyait d'une milice levée sur ses domaines, sans que nous
sachions si le recrutement atteignait la population entière indistinctement,
ou seulement une classe spéciale, du genre de celle des guerriers qu'on ren-
contrait en Egypte, et rétribuée de même par la concession d'un fief. L'équipe-
ment était rudimentaire : point de cuirasses, mais un bouclier rectangulaire,
et, au moins chez les personnages de condition, le timbre conique en métal,
probablement en cuivre battu, garni d un couvre-nuque; dans la grosse infan-
terie, la pique avec une pointe en bronze ou en cuivre, une hache ou une
herminette tranchante, une massue à tête de pierre, un poignard; dans les
troupes légères, l'arc et la fronde1. Le roi combattait déjà vers le xxx° siècle
sur un char attelé d'onagres, peut-être de chevaux; il avait son arme spéciale,
un bâton recourbé terminé probablement d'une pointe métallique, et comparable
au sceptre des Pharaons1. Les arsenaux renfermaient ce matériel en quantités
considérables, magasins des arcs, magasins des masses, magasins des piques :
il n'était pas jusqu'aux pierres de fronde qui n'eussent leur réduit particulier8.
On distribuait au commencement de chaque campagne ce qu'il fallait aux
levées nouvelles; la guerre terminée, les hommes rapportaient leurs harnois
jusqu'à l'occasion prochaine. La bravoure des soldats et des chefs recevait
alors sa récompense : pour les uns, un lot du butin, des bestiaux, de l'or,
du blé, une esclave, des ustensiles de prix; pour les autres, des terres et des
villes en pays conquis, selon le rang des bénéficiaires et la valeur des services
rendus. Les biens ainsi donnés l'étaient à titre héréditaire, et il s'y joignait
souvent des privilèges qui égalaient le titulaire à une manière de souverain
au petit pied : aucun officier royal n'avait le droit de les grever d'un impôt,
d'y prendre des bestiaux, d'y réquisitionner des vivres; aucune troupe ne
pouvait y pénétrer, même pour y arrêter un fugitif4. La plupart des familles
nobles possédaient des domaines de ce genre et constituaient, dans chacun des
1. Voir le cylindre reproduit p. 723, où est figuré un soldat conduisant une bande d'hommes et de
femmes prisonniers; cf. également les débris de la Stèle des Vautours, p. 606 de cette Histoire.
t. C'est à peu près le houqou des Égyptiens (cf. p. 60, note 3 de cette Histoire) que l'on connaît
surtout sous la forme qu'il avait prise aux derniers temps, mais dont plusieurs variantes sont identi-
ques à l'arme chaldéenne. M. Heuzey préfère y voir une arme de jet, peut-être analogue au boumérang.
3. La liste de Kawlinson, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 31, n° 5, donne ainsi le Préposé aux arcs
(col. vi, 1. 6), le Gardien des pierres de fronde (col. vi, 1. 7; cf. Oppert-Menant, les Documents juridi-
ques de V Assyrie et de la C ha Idée, p. 75), et d'autres chefs d'arsenaux analogues dont les titres sont
incertains. Place a trouvé à Khorsabad des magasins considérables d'outils en fer et en cuivre (Place.
Ninire et l'Assyrie, t. 1, p. 84-90) qui nous montrent ce que pouvaient être ces dépôts d'armes.
4. Tous ces renseignements sont empruntés à l'inscription de Rawlinson, Cun. Ins. \Y. As., t. V,
LES SOLDATS ET LES SEIGNEURS, LE SCRIBE. 723
royaumes, une féodalité riche et puissante, dont les rapports avec le prince
rappelaient sans doute ceux qui reliaient les sires des nomes avec Pha-
raon. Leur existence n'était pas moins instable que celle des dynasties sous
lesquelles elles vivaient : tandis que certaines d'entre elles s'agrandissaient
par des mariages ou par des acquisitions réitérées, certaines autres tombaient
dans la disgrâce et se ruinaient. Comme le sol appartenait aux dieux1, peut-
être étaient-elles censées ne dépendre que des dieux en théorie; maïs comme
les rois étaient les vicaires des dieux, îci-bas, c'étaient aux rois qu'elles obéis-
saient dans la réalité. Cha-
que État comprenait donc
deux portions soumises à
un régime distinct : le
domaine propre du suze-
rain qu'il gérait lui-même
et dont il touchait les re-
venus, puis des fiefs dont
les seigneurs lui devaient
un tribut et s'acquitatent envers lui d'obligations diverses encore mal définies.
Le scribe était, comme chez les Egyptiens, le rouage essentiel de cette
double administration royale et seigneuriale. 11 paraît ne pas avoir joui
d'autant de considération que ses confrères des bords du Nil : les princes,
les nobles, les prêtres, les soldats, les officiers des temples et de la cou-
ronne ne se targuaient pas volontiers de son titre, et ne l'énonçaient pas à
côté de leurs autres dignités, ainsi qu'ils faisaient dans l'Egypte contempo-
raine'. Le rôle du scribe n'en était pas moins fort considérable. On le rencon-
trait assidûment à tous les étages de la société, dans les palais, dans les
pi. 55-57, traduite par Hilpbkcht, Freibriéf Sebukadneiar's I. Kônigt von babylonien, 1883, cl par
Pncarc-HuDGB, On an Edicl of Hebuchadncsiar /., dan» le« Proceedings de la Société d'Archéologie
Biblique, 1883-1884, t. VI, p. 144-170; cf. Peise», Inteltriften Nrbtikadnewtr t t., dans la Keilsehriflliche
Bibliothek, l. III', p. 164-171. Une autre charte du même roi, traitant d'une donation analogue, a clé
publiée par Alden-Siith, Assyrian Letlert, IV, pi. VII1-IX, et traduite par Dmino Meiss»er, £ih Freibriéf
Nebukadneiafi IL, dans la Zeittchrift fur Attyriologie, L IV, p. Î5'J-Î67 (où elle cal attribuée par
erreur à Nabuchodorosor II), el par Prise», InscAriften Hebukadnciar's I., dans la Keitschrifttiche
Hibtioihek, 1. III, 1™ partie, p. 174-173. Dca donation» du même genre, mais un peu moins étendues
ce semble, sont consignées aur pierre, cl nous ramènent au lemps de Nardouknàdinakhé (Opi>nar-
Hekamt, Document! juridiques de CAssyrie et de la V.haldée, p. US sqq.).
I. Cf. ce qui csl dit 1res brièvement sur ce sujet p. H78-679 de cctlc Histoire.
t. bénin de Fancher-Gudin, d'après t'inlaitte chaldéenne du BritUh Muséum (McjUKT, fleekerehes
sur ta glyptique orientale, t. I, pi. III, a' 1 el p. 1114-103],
3. Le nom du scribe, doubthar, assyrianisé en tipthar, signifie à proprement parler écrivain des
tablettes, el il est passé en hébreu au moment des grands rapports de la Judée avec l'Assyrie, vers le
VIII" siècle avant notre ère. Sdiradcr en a donné le premier la signilicalion réelle; on l'avait inter-
prété d'abord chef militait», capitaine, satrape (Ofpebt. Expédition en Mésopotamie, t. II, p. 361).
724 LA CIVILISATION CHALDËENNE.
sanctuaires, dans les bureaux, dans la maison des particuliers, et partout, à
la cour, à la ville, à la campagne, aux armées, il était là qui s'ingérait aux
affaires petites ou grandes, et qui en rendait la marche régulière. Son éduca-
tion ne devait guère différer de celle qu'on donnait à l'Égyptien : il apprenait
par la routine les rubriques administratives ou juridiques, les formules pour
correspondre avec les nobles ou avec le peuple, Fart d'écrire, de calculer vite
et de dresser des comptes correctement. Employait-il parfois le papyrus ou
les peaux préparées? Il serait étrange en vérité que le commerce des cara-
vanes n'eût jamais apporté, pendant des siècles, l'une quelconque des sub-
stances réservées en Afrique aux usages littéraires1, et pourtant l'argile, qui
prodiguait aux architectes l'étoffe de leurs constructions, assurait encore aux
scribes les moyens d'enregistrer le langage. Ils étaient toujours pourvus de
pains d'une terre fine et ductile, corroyée avec soin, encore assez molle pour
contracter aisément l'empreinte d'un objet, déjà assez ferme pour ne pas la
déformer ni la perdre une fois qu'elle l'avait subie. Lorsqu'ils avaient un texte
à transcrire ou une pièce à rédiger, ils choisissaient une de leurs galettes,
qu'ils posaient à plat sur la paume de la main gauche, et, saisissant de la
main droite un stylet triangulaire en silex, en cuivre, en bronze, en os5, ils se
mettaient à la besogne. Au début, l'instrument se terminait en pointe effilée,
et les traits qu'il creusait quand on l'appuyait légèrement sur la pâte étaient
grêles et d'épaisseur uniforme; plus tard, on tailla l'extrémité en biseau et
les traces affectèrent l'aspect d'un clou métallique ou d'un coin. On commen-
çait à gauche, le long du bord supérieur, et l'on couvrait les deux faces de
lignes pressées qui parfois débordaient sur les tranches8. La gravure ter-
minée, l'écrivain envoyait son œuvre au potier, qui l'enfournait et la chauffait
à point, ou peut-être avait-il à sa disposition un four toujours prêt, comme
un employé a chez nous sa table ou son pupitre. La forme des documents
variait et nous semble parfois singulière : on trouve, à côté des tablettes et
1. Sur les monuments assyriens on voit fréquemment des scribes enregistrant le butin ou écrivant
des lettres sur des tablettes et sur une matière souple, papyrus ou peau préparée (cf. Layard, The
Monuments ofNineveh, iBi Ser., pi. 19, 26, 29, 35, 37, etc.). Sayce a indiqué de bonnes raisons de croire
que les Chaldéens des vieilles dynasties connurent le papyrus, soit qu'ils le fabriquassent eux-mêmes,
soit qu'ils le flsHcnt venir de l'Egypte (Sayck, The Use of Papyrus as a wriling mater ta l among the
Accadians, dans les Transactions of the Society of Biblical Archmology, t. I, p. 343-345).
2. Cf. le stylet triangulaire en cuivre ou en bronze qui est reproduit à côté de la règle graduée
et du plan sur la tablette de Goudéa, p. 710 de cette Histoire. Le Musée assyrien du Louvre possède
plusieurs poinçons en os, plats et larges, taillés en pointe à l'extrémité, et qui paraissent avoir
appartenu à des scribes assyriens (A. dk Longpérier, Notice des Antiquités Assyriennes, 3* éd., p. 82,
n°* 414-417; cf. Oppkrt, Expédition en Mésopotamie, t. I, p. 63). Taylor a découvert dans une tombe
d'ftridou un outil en silex, qui a pu servir au même usage que les stylets en métal ou en os (Notes
on Abu-Shahrein and Tel el-Lahm, dans le J. As. Soc., t. XV, p. 410, et m de la plancbc 11).
3. Muant, la Bibliothèque du Palais de Ninive, p. 25-27.
LE SCRIBE ET LES LIVRES D'ARGILE. 725
des briques, des barillets pleins ou des cylindres creux de grande dimension,
sur lesquels les rois racontaient leurs exploits ou consignaient l'histoire de leurs
guerres et la dédicace de leurs constructions. Ce procédé présente beaucoup
d'inconvénients et beaucoup d'avantages Les livres de terre sont incommodes
à tenir, lourds à manier, le caractère se détache mal sur le fond brun ou
jaune ou blanchâtre de la matière; mais d'autre part, un poème durci et
incorporé à la page court moins de danger que s'il était griffonné à l'encre
sur des feuillets de papyrus. Le feu ne peut rien contre lui, l'eau ne l'attaque
qu'à la longue, et, même quand on le casse, les morceaux en sont bons :
pourvu qu'on ne les réduise pas en poudre, on réussit toujours à en
reconstituer l'ensemble, moins quelques signes ou quelques membres de
phrase. Les inscriptions qu'on recueille dans les fondations des temples les
plus anciens, et dont plusieurs sont âgées de quarante ou de cinquante
siècles, restent pour la plupart nettes et lisibles, comme au moment où elles
sortirent des mains du lettré qui les grava, ou de l'artisan qui les cuisit.
C'est à la substance sur laquelle on les recopiait que les œuvres principales
de la littérature chaldéenne ont dû d'arriver jusqu'à nous, poèmes, annales,
hymnes, incantations magiques; combien en posséderions-nous de fragments,
si les auteurs ou les libraires les avaient confiées au parchemin ou au papier
comme faisaient les scribes égyptiens? Le danger le plus grand qu'elles cou-
russent était de demeurer oubliées dans le coin de la chambre où on les
avait serrées, ou ensevelies sous les éboulis d'un édifice, un jour d'incendie
ou de destruction violente; encore les débris les préservent-ils en tombant
sur elles et en les recouvrant. Protégées par les ruines, elles sommeillent
pour ainsi dire pendant des siècles, jusqu'au jour où la fortune des fouilles
les ramène à la lumière et les livre à la curiosité patiente des savants1.
L'écriture cunéiforme n'a rien de pittoresque ou de décoratif en soi. Elle
n'étale pas à la vue ce pêle-mêle réjouissant de poissons, d'oiseaux et de
serpents, d'hommes et de quadrupèdes entiers ou débités par morceaux,
d'outils, d'armes, d'étoiles, d'arbres, de bateaux, qui se poursuivent et se
heurtent sur les monuments égyptiens, pour célébrer la gloire de Pharaon et
pour chanter la splendeur de ses dieux. Elle consiste avant tout de lignes
grêles et courtes, juxtaposées, entre-croisées de façon maladroite : on dirait
des paquets de clous semés au hasard, et leur agencement anguleux, leur
1. Les Assyriens et les Babyloniens modernes recherchaient déjà les vieux documents pour les copier
de nouveau; cf. p. 5tM, note I. et p. 597 de cette Histoire quelques exemples de textes recopiés.
726 LA CIVILISATION CHALDÊENNE.
tournure gauche et hérissée, prête aux inscriptions une physionomie maussade
et rebutante, que nul artifice de gravure ne réussit à atténuer. Et pourtant
leurs amas de traits cachent de véritables hiéroglyphes1. Comme à l'origine
des écritures égyptiennes, le peuple qui les imagina avait commencé par imiter
sur la pierre ou sur l'argile la silhouette des objets dont il désirait rendre
l'idée. Mais, tandis qu'en Egypte le tempérament artistique de la race et
Thabileté croissante des sculpteurs avaient perfectionné progressivement le
dessin des signes, au point d'en faire le portrait en miniature de l'être
ou de la chose à reproduire, en Chaldée les figures se dénaturèrent l'une
après l'autre, par la difficulté qu'on éprouvait à les copier au stylet sur la
terre des tablettes; elles passèrent de la position verticale où on les avait
placées tout d'abord à l'horizontale*, et finirent par ne plus conserver que des
rapports presque insaisissables avec le modèle. On avait conçu le ciel comme
une voûte partagée en huit segments, par les diamètres des quatre points car-
dinaux et de leurs subdivisions principales ^; le cercle extérieur s'effaça,
les lignes transversales persistèrent seules »$fc et se simplifièrent en une
sorte de croix irrégulière *~f-3. La statue d'un homme debout, indiquée par
l'ensemble des lignes qui en cernaient le contour, se coucha ^fl^4, puis se
réduisit de proche en proche à n'être plus qu'une enfilade de traits mal équi-
librés B^^Ç^jfi ou *gE|ÊJrîr4' On reconnaît encore dans .JU, „E[ les cinq
doigts d'une main humaine alignés sur la paume 1 ■■ il ; mais qui devinerait au
premier moment que 7T~"T es* l'abrégé d'un pied humain 1 / ? On com-
pila par la suite des recueils, où l'on essaya de classer, à côté de chaque
caractère, l'hiéroglyphe spécial duquel il dérivait. Divers fragments en sub-
sistent, dont l'étude semble montrer que les scribes assyriens de l'époque
récente étaient parfois aussi embarrassés que nous, lorsqu'ils voulaient remon-
ter au principe de leur écriture8 : ils n'apercevaient plus en elle qu'un système
1. L'origine hiéroglyphique des caractères cunéiformes a été indiquée par les premiers assyriolo-
gues, surtout par Oppert, Expédition scientifique en Mésopotamie, t. II, p. 63-69.
2. Ce fait, soupçonné d'abord par Oppert, a été mis hors de doute par la découverte des inscriptions
de Lagash (Oppert, Die Framôsischen Ausgrabungen in Chaldxa, dans les Abhandlungen des 5"*
Intcmationalcn Orienlalisten-Congresses, z*er Theil, 1, p. 230-241; cf. Hoxmel, Die Semitischen
Vôtker und Sprachen, p. 270-273, et Gcschichle Babyloniens und Assyriens, p. 35-37).
3. On rattache d'ordinaire ce signe au signe de Vétoilc. Oppert, qui avait d'abord admis cette déri-
vation, a pensé depuis qu'il devait représenter une image conventionnelle du ciel chaldéen, et son
opinion a été confirmée par une observation de Jf.nsen, Die Kosmologie der Babylonicr, p. 4.
4. Hoxmkl, Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 35-36. Le signe est emprunté à la Statue B
de Goudéa (IIklzey-Sarzkc, Découvertes en Chaldée, pi. XVI, col. vu, 1. 50, 61).
5. Le fragment qui nous fournit ces renseignements a été signalé et interprété en partie par Oppert,
Expédition scientifique en Mésopotamie, t. II, p. 65. Il provient de kojoundjik et est conservé au
British Muséum. Il a été publié par Menant, Leçons d'épigraphic assyrienne, p. 51-52, puis par
ORIGINE HIÉROGLYPHIQUE DES CARACTERES CUNEIFORMES. 727
de combinaisons arbitraires, dont la raison leur échappait d'autant plus aisé-
ment qu'ils l'avaient empruntée à un peuple étranger, déjà mort pour eux ou
peu s'en fallait. Les Sumériens l'avaient inventée à l'aurore des temps, et
peut-être l'avaient-ils apportée tout ébauchée d'une patrie lointaine'. Les pre-
mières articulations qui, s'attachant aux hiéroglyphes, déterminèrent pour
chacun d'eux une prononciation constante, furent des mots de leur langue.
les amena à métamorphoser,
comme en Egypte, la plupart des signes d'idées en signes de sons, les valeurs
phonétiques qu'ils développèrent à côté des valeurs idéographiques furent
purement sumériennes. Le groupe — Jf^-, ■* ]-. sous toutes ses formes désigne
le ciel d'abord, puis le dieu du ciel, enfin le concept de la divinité eu général.
On le lisait ana dans les deux premiers sens, dîngir, dimir, dans le dernier,
et il ne perdit jamais sa double puissance; mais on le sépara bientôt des
pensées qu'il éveillait, et on usa de lui pour noter la syllabe an dans tous
les mots où elle entre, quand même ils n'avaient rien de commun avec
le ciel et avec les choses célestes. Il en fut des autres signes ce qui en avait
W, HoucHTOt , On the hirroglyphie or Picture Origia of the Chararters of the Assyrian Syllabary. clans
les Tramactioni of Ihe Society of BMiral Archnology, t. VI, planche qui rail face à la p. iM. Des
recueils dp caractères archaïques déjà défigurés entièrement, mais traduits néanmoins en cunéiformes
[ilu:i rivent!!, ont élé découverts et commentés par Pihcid, Archaic Forint of Babylonian C.harar.lert,
dans la '/.eittrhr'tft fur Keilfonchung, t. 11. u. USM56.
I. L'origine étrangère du syllabaire cunéiforme a été indiquée pour la première fois par Ofpert, Sur
l'Origine det Intcriptians cunéiformes, dans VAthénrum Françait, numéro du iO octobre l&M, Rap-
port adressé à S. Exe. le Ministre de l'Instruction publique et des Cultes, p. 71 sqq. (cf. Archiva det
Mitiiont scientifiques, I™ série, t. V, p. 18fi sqq.l, Expédition scientifique en Mésopotamie, t. 1,
p. 77-86. Apport attribuait l'honneur de l'invention aui Scythes des Anciens.
t. Dca»'» de Fauchrr-liudin, d'après la photographie publiée par BoemjiIOW, On Ihe kieroglyphie
or Picture Origin of the eharaclcrs of Ihe Assyrian syllabary, dans les Transaction', t. VI, p. iji.
728 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
été de celui-là : après avoir couvert uniquement des idées, ils en vinrent à
marquer les sons qui leur correspondaient, et ils passèrent à l'état de syl-
labes, syllabes complexes où Ton distinguait plusieurs consonnes, syllabes
simples où il y avait une voyelle et une consonne, une consonne et une
voyelle. Les Égyptiens avaient poussé à fond l'analyse de ces dernières, et ils
n'en avaient gardé dans bien des cas que l'élément initial, une consonne
non vocalisée; ils avaient détaché, par exemple, Vou final de pou et de bon*
et ils n'accordaient plus à la jambe humaine J et à la natte de joncs Q que les
puissances de b et de p. Les peuples de l'Euphrate s'arrêtèrent en chemin et
n'admirent de lettres réelles que pour les sons voyelles, a, i et ou. Leur sys-
tème demeura un syllabaire parsemé d'une quantité d'idéogrammes, sans
mélange d'alphabet.
11 manquait évidemment de simplicité, mais, somme toute, il n'aurait pas
présenté plus de difficultés que celui des Égyptiens, si on ne l'avait obligé,
dès une époque très ancienne à se plier aux exigences d'une langue pour
laquelle il n'avait pas été fait. Le jour où les Sémites se l'approprièrent, les
idéogrammes, qui jusqu'alors avaient été vocalises en sumérien, ne renoncèrent
point aux tonalités qu'ils avaient dans cet idiome, mais ils en empruntèrent
d'autres à l'idiome nouveau. Dieu s'appelait Hou et le ciel, shami : »^K
et •*]-, rencontrés par des Sémites dans les inscriptions, s'y lurent flou quand
le contexte réclamait le sens dieu, et shami quand il voulait celui de ciel. Ce
furent deux phonèmes à joindre aux précédents ana, an, dingir, dimir, et
l'on n'en resta pas là : on confondit l'image de l'étoile ->|<- avec celle du ciel,
puis l'on attribua quelquefois à »3fc , *-f-, la prononciation kakkabou et la
signification d'étoile. Le même travail s'opéra sur tous les signes, et, les
valeurs sémitiques s'ajoutant aux sumériennes, les scribes eurent bientôt
à leur disposition un double jeu de syllabes simples et composées. Cette
multiplicité de sons, cette polyphonie attachée à leurs caractères, les embar-
rassait eux-mêmes. ► — • indiquait dans le corps des mots les syllabes bi
ou bal, mid, mit, til, ziz; comme idéogramme, il couvrait vingt concepts
distincts : celui du seigneur ou du maître, inou, bîlou; le sang, dâmou; le
cadavre, pagrou, shalamtou; le faible ou l'opprimé, kabtou, nagpow, le creux
et la source, nakbou; le fait d'être vieux, labârou, de mourir matou, de tuer,
mîtou, d'ouvrir, pîtoû, et d'autres encore. On lui adjoignit divers compléments
phonétiques, on greffa en tête des idéogrammes qui en signalaient le sens
et la lecture, mais qui ne se prononçaient pas plus que les déterminatifs
LA POLYPHONIE DES CARACTÈRES CUNÉIFORMES.
729
égyptiens, et l'on parvint de la sorte à circonscrire le nombre des erreurs
possibles; avec ^^" final ce fut toujours »~ *Tïï~ kilou, le maître, mais avec
*-J- initial, »-f-»~ « le dieu Bel ou le dieu Éa, avec ^^m" °IU* es^ l'indice de
l'homme ^y^~ » — « le cadavre pagrou et shalamtouy avec *ï<!^ préfixe,
Hf<fJ<* moutanoa, la peste ou la mort, et ainsi de suite. Malgré ces restrictions
et ces éclaircissements, l'obscurité demeurait si grande encore que, dans bien
des cas, les scribes risquaient fort de ne pouvoir déchiffrer certains mots ni
comprendre certains passages ; beaucoup des valeurs étaient d'ailleurs d'oc-
currence assez rare, et restaient inconnues à ceux qui ne se souciaient point
d'aborder l'étude approfondie du syllabaire et de son histoire. 11 fallut dres-
ser à leur usage des tables dans lesquelles les signes furent enregistrés
et classés, avec leurs sens et leurs notations phonétiques. Ils occupaient
une colonne, et, dans trois ou quatre autres colonnes correspondantes, on
voyait rangés le nom qu'on leur donnait à l'école, l'orthographe par syllabes
des vocables qu'ils exprimaient, les mots sumériens et assyriens qu'ils ren-
daient, parfois des gloses qui en complétaient l'explication. Désirait-on
vérifier les équivalents possibles du signe *-f-, un syllabaire fournissait
TTf
M*
-M
= &,7 -m
-h
v —y
Mf
A
— NA
H-
SHA MOU
— OU
m
— IN — GHIR
-!-
1
LOUM
où *}- est interprété par ciel (ana = shamou) et par Dieu (dinghir = iloum) seu-
lement1, mais un autre donnait la série plus complète :
Hï
-TT
H-
It
^
MIt=
T^fc
J=TT
■4-
Tï
^
t=ïît
M*=
^êw-
~m
-ï-
T!
^~
tfTt
]^.
ÏT
■•+
Ir
*-
«=m=
A
—
NA
•+
A —
NOU
— ou
I
—
LOU
~f
A —
NOU
— ou
DI —
IS -
— GHIR
~f
A —
NOU
— ou
SHA
—
A
~f
A —
NOU
— ou
qui est loin d'épuiser la matière1. Plusieurs de ces lexiques remontaient fort
haut, et la tradition attribuait à Sargon d'Agadé le mérite de les avoir fait
1. Le.norma.nt, les Syllabaires, p. 76; Delitzsch, Assyrische Lcseslûcke, 2* éd., p. 16, col. i, 1. 1-2.
2. Lenormamt, les Syllabaires, p. 113-114; Delitzsch, Assyrische Lescslùckc,p. SI, col. n, 1. 11-16.
92
730 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
rédiger ou de les avoir réunis dans son palais. Us se multiplièrent naturel-
lement au cours des siècles : pendant les derniers temps de l'empire d'Assyrie,
ils étaient assez nombreux pour former le quart peut-être des ouvrages con-
servés à la bibliothèque de Ninive sous Assourbanabal. D'autres tablettes con-
tenaient des lexiques de termes archaïques ou inusités, des paradigmes gram-
maticaux, des extraits de lois ou d'hymnes antiques analysés phrase à
phrase et souvent mot à mot, des versions interlinéaires, des recueils de
formules sumériennes traduites en idiome sémitique, de véritables guide-âne,
que les savants d'alors consultaient avec autant de fruit que les nôtres aujour-
d'hui, et qui leur épargnaient plus d'une erreur1.
Une fois rompus aux finesses et aux difficultés du métier, les scribes ne
chômaient guère. La Chaldée a joué du stylet presque autant que l'Egypte du
calame, et l'argile indestructible dont elle se contentait à l'ordinaire l'a mieux
servie, à la longue, que l'usage d'une substance moins grossière n'a fait sa
rivale : l'argile cuite ou simplement séchée a bravé le temps par masses éton-
nantes, où la plupart des papyrus ont disparu sans laisser de traces. Si nous
rencontrons rarement, à Babylone, ce qu'on aperçoit partout dans les hypo-
géep de Saqqarah ou de Gizèh, les hommes eux-mêmes et leur famille, leurs
travaux, leurs plaisirs, leurs entretiens journaliers, nous possédons en revan-
che ce que les ruines de Memphis nous ont restitué fort peu jusqu'ici, les
pièces juridiques qui réglaient leurs rapports réciproques et qui conféraient
la consécration légale aux événements de leur vie. Qu'il s'agît d'un achat
de terres ou d'un mariage, d'un prêt à intérêt ou d'une vente d'esclaves, le
scribe arrivait avec ses briques molles et grossoyait la minute nécessaire. Il y
insérait autant que possible le quantième du mois, l'année du souverain
régnant, parfois même, pour plus de précision, une allusion au fait important
qui venait de s'accomplir et dont la mémoire devait se perpétuer aux annales
officielles, la prise d'une ville1, la défaite d'un roi voisin8, la dédicace
1. L'expression de guide-âne a été appliquée pour la première fois aux tablettes grammaticales et
lexicographiques des bibliothèques assyriennes par Fr. Lenormakt, Essai sur la propagation de l'Al-
phabet phénicien, t. 1, p. 48. Ces textes ont donné lieu à quantité de publications et d'études de
détail dont on trouvera la bibliographie presque complète, jusqu'en 188G, dans Bkzold, Kurzgefasster
Ueberblick ùberdie Babylonisch-Asnyrisclie Literalurf p. 197 sqq. ; depuis lors, le nombre en a augmenté
considérablement.
t. Contrat de « l'année de la prise d'Ishin » (Meissner, Beitrâge zum altbabylonischen Privatrecht,
p. 33); autre du « 6 Shebat de l'année où le mur de Maîr fut détruit » (id., ibid., p. 85).
3. Contrat daté « le 10 Kislev de l'année où le roi Rimsin frappa les méchants, les ennemis •
(Mf.issner, lieitrâge zum altbabylonischen Privatrecht, p. 17); autre qui fut scellé à la date • du
23 Shebat de l'année où le roi Hammourabi, dans la force d'Anou et de Bel, établit son droit et où sa
main jeta à terre le régent du pays d'Iamoutbal, le roi Rimsin » (Jensen, Inschriften au s den Begie-
rungsseil llammurabis, dans la Keilschriftliche Bibliothek, t. III, 1r" partie, p. 146-127).
LA RÉDACTION DES CONTRATS, LE CACHET. 731
d'un temple1, la construction d'un mur ou d'une forteresse8, l'ouverture d'un
canal', les ravages d'une inondation4 : les noms des témoins et des magistrats
devant qui l'acte était passé accompagnaient ceux des parties contractantes8.
La façon d'approuver était particulière. On donnait un coup d'ongle sur un des
côtés de la tablette, et cette marque, suivie ou précédée de la mention d'une
personne, Ongle de Zaboudamîky Ongle d'Abzii, tient lieu de nos paraphes plus
ou moins prétentieux*. Plus tard, l'acheteur et les témoins seuls approuvaient
de l'ongle, tandis que le vendeur apposait son cachet : une légende, incisée
au-dessus ou à côté de l'empreinte, indiquait la qualité du signataire7. Chaque
personnage d'importance avait un sceau8, qu'il portait attaché au poignet ou
pendu au cou par un cordon; il s'en séparait le moins possible pendant la vie,
et, après la mort, il l'emportait au tombeau pour éviter qu'on en fit un mau-
vais usage9. C'était d'ordinaire un cylindre, parfois un cône tronqué à base
«
convexe, en marbre, en jaspe rouge ou vert, en agate, en cornaline, en onyx,
en cristal de roche, rarement en métal. On y voyait gravé en creux un emblème
ou une scène choisie par le propriétaire, une figure isolée de dieu ou de déesse,
un acte d'adoration, un sacrifice, un épisode de la légende de Gilgamès, sans
légende ou complété d'un nom et d'un titre10. On roulait le cylindre ou
1. Contrat date du « mois d'Adar de Tannée où Hammourabi restaura pour Ishtar et pour Nanâ le
temple d'Éitourkalama • (Meissner, Beitrâge zum altbabylonischen Privatrccht, p. 88-89).
2. Contrat du « 10 Marcheswàn de Tannée où Ammiditana, le roi, éleva le Mur d'Amniiditana, près
du canal de Sin... * (Meissner, Beitrâge zum altbaby Ionise hen Privatrecht, p. 27, cf. p. 28); autre « du
2 Marcheswàn, Tannée de la restauration des fondements du mur de Sippara » (1d., ibid., p. 32).
3. Contrat de « Tannée du canal de Hammourabi • (Meissner, Beitrâge zum altbabylonischen Privat-
rccht, p. 23, cf. p. 48, 86); puis « de Tannée du canal Toutou-hégal » (io., ibid,, p. 24-25. 112,83-84);
autre de « Tannée où Ton creusa au Tigre, le flux des dieux, un lit vers l'Océan • (u>., ibid., p. 44).
4. Contrat daté du « mois de Tishri de Tannée où la crue ravagea le pays d'Oumliyash » (Meissner,
Beitrâge zum altbabylonischen Privatrecht, p. 30, cf. p. 48, 69).
5. Ces contrats, et en général tous les textes juridiques, sont restés longtemps inabordables à l'étude.
Oppert le premier en affronta résolument les difficultés et proposa des traductions de quelques-uns
d'entre eux (Un Traité babylonien sur brique conservé dans la collection de M. Louis de Clercq,
dans la Hevue Archéologique, 2" sér., t. XIV, p. 164-177; les Inscriptions commerciales en caractères
cunéiformes, dans la Bévue Orientale et Américaine, t. VI, p. 333 sqq., etc.); il en publia un grand
nombre en collaboration avec Menant (les Documents juridiques de l'Assyrie et de la Chaldée, 1877).
Depuis lors il a consacré quantité de notes et de petits mémoires à éclaircir et à corriger des points
qu'il avait laissés douteux dans ses premières traductions (Records of the Past, 1*' Ser., t. IX, p. 89-
108, Journal Asiatique, 1880, t. XV, p. 543 sqq., etc.). Les publications de contrats faites par le Père
Strassmayer ont permis de compléter l'intelligence de ces documents précieux; les résultats conquis
jusqu'à ce jour ont été mis en ordre, surtout par Peiser et par Meissner, en Allemagne.
6. Le sens de cet usage tout local, et la lecture du mot qui signifie ongle, ont été découverts par
Coxe du British Muséum (Oppert, Un Traité babylonien sur brique, p. 16).
7. Les questions techniques et archéologiques relatives à ces cachets ont été élucidées par Menant
dans divers mémoires, qui ont été résumés et complétés en dernier lieu par le grand ouvrage sur les
Pierres Gravées de la Haute-Asie : Recherches sur la Glyptique Orientale, 2 vol., 1883-1886.
8. Hérodote, I, excv : (jçprjyîôa 8è êxaerro; s-/ei. Sur tes expressions dont on se servait pour l'apposi-
tion du cachet, voir un passage d'OpPERT-MENANT, Documents juridiques de l'Assyrie, p. 67-70.
9. Taylor a trouvé à Moughéir un squelette qui avait encore son cachet attaché au poignet (Soles
on the ruins of Muqeyer, dans le /. As. Soc, t. XV, p. 270). Sur la manière de porterie cachet, cf.
Menant, Catalogue des Cylindres Orientaux du Cabinet royal des Médailles de La Haye, p. 3-4.
10. Les empreintes que les cylindres et les cachets ont laissées sur les tablettes cunéiformes ont été
734 LA CIVILISATION CHALDËENNE.
l'on appuyait le cône sur l'argile, à la place réservée. On recourait dans plu-
sieurs localités' à un procédé fort ingénieux, pour prévenir les modifications
ou les surcharges, que des gens peu délicats auraient pu introduire dans les
pièces. La tablette rédigée, on l'enveloppait d'une seconde couche d'argile, sur
laquelle on transcrivait une copie identique à l'original, et celui-ci devenait
du coup inaccessible aux faussaires : si par hasard une contestation s'élevait
par la suite des temps, et qu'on soupçonnât quelque altération au texte visi-
ble, on brisait la couverture devant témoins, et l'on vérifiait si la version de
l'intérieur correspondait exactement à celle de l'extérieur. Les familles avaient
ainsi leurs archives privées, qu'elles augmentaient rapidement de génération
en génération; elles y accumulaient, en même temps que les preuves de
leur propre histoire, partie de l'histoire des familles avec lesquelles elles
avaient conclu des alliances ou noué des relations d'affaires et d'amitié1.
Leur constitution était assez complexe. Il semble bien que le peuple de
chaque cité se divisât en véritables clans, dont les membres prétendaient
remonter jusqu'à un ancêtre unique, ayant fleuri en des âges plus ou moins
reculés*. On ne ne les trouvait point tous dans la même condition, mais les uns
recueillie* et étudiées par Menht, Empreinte* de cachet* aityro-chaldeen* retire* au .WuirV Britan-
nique *«r de* contrat* d'intWt prive', dans les Archive* de* Million* icieiilifii/uc*, 3' série, t. IX.
I. Ainsi dan» la localité île Tell-Sifr, Loft i1 s Trarclt and Rcscarche* in t'.haldra and Smiana
î. Ilctiinde t'attcltei-Giidin, d'après Loin s, Tmiclt mut llescnrrhet in Chaldxti ant Smiana. p. i69,
ï. Les tablettes de Tell-Sifr proviennent d'un do ce* dépôts, Klles reposaient toute* sur trois bri-
ques (tros- ières, au nombre d'une centaine, et elles avaient été enveloppées durci- Halle, dont on «oyait
encore les restes à ileuii pourri» : trois autres briques non cuites recouvraient lu tas (Loriis, Trareli
and lle*eiirche* in t'.haldra nnd Sutimia, p. ii.H si|i| .). Les actes qu'elles contiennent se rapportent
pour la plupart à In famille île Siniiiana et tl'Aïuililani, et forment une partie de ses archives.
4. La plus célèbre île res familles, pendant la durée du Nouvel Kmpire libaldéen et de la domi-
nation persane, parait noir été celle d'Efjibi, où M. Boscawen avait cru reconnaître une auenec
d'affaires Hnancières et une banque exerçant le commerce sous le nom d'rigibi et fils {Babyiouian
LA PLACE DE LA FEMME DANS LA FAMILLE. 133
avaient déchu, d'autres s'étaient élevés, et on en rencontrait des professions les
plus différentes, cultiva-
teurs ou scribes, mar-
chands ou industriels. 11
ne subsistait plus d'autre
lien entre la plupart de
ces gens que le souvenir
de l'origine unique, peut-
être une religion com-
mune, et des droits éven-
tuels de succession et de
revendication sur ce qui
appartenait en propre à
chacun d'eux1. Les bran-
ches qui s'étaient déta-
chées graduellement du
tronc primi tir, et dont l'en-
semble formait le clan,
possédaient au contraire
une organisation des plus
étroites. Peut-être la
femme y occupa-t-elle au
début une situation pré-
pondérante , mais de
bonne heure l'homme en
devint le chef, autour duquel les épouses, les enfants, les serviteurs, les
dated Tablett and thc Canon a[ Ptolemy , dans Ici* Transaction* de 1» Seriélé d'Archéologie Biblique,
t. VI, p. 01. H. Opperl, lu premier, montra qu'il s'agissait d'une Iribu, d'un clan véritable, el indiqua
la division en clans de lu population chaldéimne (tut Tabletlei juridique* de flabylone,, dans le
Journal Asiatique, 18811, t. XV, p. S43 sqq.,ct la Condition de» enclore» à Itabylone, don- le- Cumple»
rendu/ de f Académie de» Inscription», 1888, p. 1*0-141). Ce système parait remonter jusqu'au» plus
anciennes époques, bien qu'on n'en ait relrouvi' jusqu'à ptv^rnl que [n.'ii ik' truii ur Us inimu nu
du premier empire cbalrléen. Il se pourrait pourtantqu'il ) dît fait allusion dans des pasiiiigcï analo-
gues à celui par lequel Goudëa est proclamé le berger fidèle, dont T'Iiiighirsou a établi le pouvoir
parmi les tribus des hommes [Statue D du Louvre, col. m, I. 10-11, dans lln.ihi-S.mzKr., D.Toinvrtri
en Chatdée. pi. II.); mais la traduction de ce le*le n'est pas entièrement certaine.
1, OptMt, tri Tabtcllet juridique! de Babytime, dans le Journal A'ialiqur, 1880, l. XV, p. 549,
noie ", ot Un Aile dr renie conterrt' eu deux ejeuipluirei:, ihris h Zrilurhrifl fur Keitforte/tung, I. 111,
p. 61-fiï. On peut se demander si le dieu et la déesse, qui veillaient sur chaque homme ut donl il était le
fils (cf. p. G82-D83 de cette Histoire) n'étaient pas à l'origine le dieu cl la déesse du flan.
t. Dessin de r'auchcr-Cudin, d'après te croquis de li\*n\>, Xincreh and tiabylon, p. 609.
a. Le changement dans la condition de la femme serait dû à l'influence des idées et des coutumes
sémitiques en Chaldcc (IIoixcl, Die Scmitischen Volkcr und Spraclte, p. ilC-418, Piscmks, riotei upon
734 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
esclaves se groupaient avec des privilèges et des fonctions diverses, il rendait
le culte domestique aux dieux de sa race, selon les rites spéciaux qu'il avait
hérités de son père; il apportait au tombeau de ses aïeux, pendant les jours
consacrés par l'usage, les offrandes et les prières qui assuraient leur repos
dans l'autre monde, et sa puissance ne s'étendait pas moins loin en matière
civile qu'en matière religieuse1. Il tenait les siens dans sa main en toute pro-
priété, pour faire d'eux ce qu'il voulait, et rien de ce qu'ils entreprenaient sans
son consentement ne valait aux yeux de la loi ; ses fils ne pouvaient épouser
une femme qu'il ne les y eût dûment autorisés. Il comparaissait donc devant
le magistrat avec les époux futurs, et l'union projetée n'était réputée mariage
véritable qu'à partir du moment où il avait apposé son cachet ou son ongle
sur la terre du contrat*. C'était à vrai dire une vente en bonne forme,
et les parents ne se dessaisissaient de leur fille qu'en échange d'un présent
proportionné aux biens du prétendant*. Telle valait un shekel d'argent
pesé, et telle autre une mine, telle autre beaucoup moins4; la remise du
prix s'accomplissait avec une certaine solennité5. Lorsque le jeune homme ne
possédait rien encore, sa famille lui avançait la somme nécessaire à cet achat*.
De son côté, la vierge n'entrait pas les mains vides dans sa vie nouvelle ; son
père, ou à défaut du père celui des siens qui était alors le chef de la lignée,
lui constituait une dot en rapport avec son rang social, et à laquelle sa grand'-
mère, ses tantes, ses cousins, ajoutaient souvent à titre gracieux des cadeaux
considérables7. C'était un champ de blé délimité soigneusement, un bois de
some récent Discoveries, in the Realm of Assyriology, with spécial Référence to the private Life of
Ihe Babylonians, dans le Journal of the Transactions of the Victoria /if*fi7u/et t. XXVI, p. 138-139, 181).
1. L'autorité illimitée dont le père de famille était investi a été admise, au moins pour les pre-
miers temps de l'histoire chaldéenne, par tous les assyriologues ; cf. Oppert, dans les Gottingische
gelehrte Anzeigcn, 1879, p. 1604-1606; Hommel, Die Semitischen Vôlker und Sprachen, p. 416 ; Meissner,
Bei t rage zum altbabylonischen Privatrecht, p. 14-15.
2. Meissner, Beitràge zum altbabylonischen Privatrecht, p. 13. Ce droit demeura entier jusqu'aux
derniers temps, et l'on possède un acte de l'an VIII de Cynus (Strassmayer, Inschriften von Cyrus,
Kônig von Babylon, n° 312), où le juge casse un mariage célébré sans que le père du fiancé eût donné
son consentement (Kohler-Peiskr, Aus detn Habylonischen Rechlsleben, t. II, p. 6-10). La nécessité
du consentement paternel pour le lianec est indiquée aussi dans les fragments de textes juridiques
sumériens traduits en assyrien, qui ont été publiés par Rawli.nso.n, Cun. Ins. \Y. As., t. II, pi. il,
col. îv, I. 4 sqq. (cf. Oppkrt-Menant, Documents juridiques de l'Assyrie et de la Chaldéc, p. 41).
3. Meissner, Beitràge zum altbabylonischen Privatrecht, p. 13-14.
4. Shamashnazir reçoit, pour achat de sa tille, 10 shekels d'argent (Meissner, Beitràge zum altba-
bylonischen Privatrecht, p. 69-70), ce qui paraît être un prix moyen dans la classe à laquelle il appartient.
5. Un passage des vieux textes sumériens relatifs au mariage (Rawli.nson, Cun. Ins. H . As., t. V,
pi. 24, 1. 48-52) semble dire expressément que le fiancé « posait le prix de In femme sur un plat et
l'apportait au père » (Meissner, Beitràge zum altbabylonischen Privatrecht, p. 14, note 3).
6. Meissner, Beitràge zum altbabylonischen Privatrecht, p. 14.
7. La constitution de la dot est prouvée pour les époques anciennes par les tablettes suméro-assy-
riennes où sont expliqués de vieux textes juridiques (Hawlinson, Cun. 1ns. W. As., t. II, pi. 9, col. m,
1. 5-8), puis par les données des contrats de Tell-Sifr et des documents sur pierre tels que le caillou
Michaux (Oppert-Menant, Documents juridiques de l'Assyrie et de la Chaldêe, p. 85 sqq.), où l'on \oit
des femmes apporter leurs biens à la communauté par leur mariage et en conserver la libre dispo-
LE CONTRAT ET LES CÉRÉMONIES DU MARIAGE. 735
palmiers, une maison à la ville, un trousseau, du mobilier, des esclaves,
de l'argent comptant; le tout couché sur argile, en trois expéditions au
moins, dont le scribe remettait deux aux parties, tandis que la troisième
demeurait en dépôt chez le magistrat1. Lorsqu'il s'agissait de personnes
appartenant à la même classe ou jouissant d'une fortune égale, la promise ou
les siens pouvaient exiger que le futur jurât de ne point lui associer une
seconde femme, elle vivante; un article spécial des conventions matrimo-
niales la rendait libre au cas où il violerait sa foi, et lui assignait une indem-
nité en compensation de l'insulte reçue1. Cet engagement ne regardait pas, il
est vrai, les servantes. En Ghaldée, comme en Egypte, comme partout dans
le monde antique, celles-ci étaient toujours à la merci complète de leur
acquéreur3, et la faculté qu'il avait de leur imposer ses caprices était si bien
passée dans l'usage, qu'elles en arrivaient à les désirer et s'offensaient plutôt
de ne pas éveiller ses désirs : les plaintes de la servante dédaignée, dont le
maître n'a point dénoué la ceinture et dont la poitrine ne se gonflera jamais
de lait, formaient dès une époque très ancienne un des thèmes de la poésie
populaire4. La tablette scellée, l'un des assistants, avant tout un homme libre,
unissait les mains des jeunes gens5 : il ne restait plus dès lors qu'à les mettre
•
en règle avec les dieux et à terminer la journée par une fête qui réunissait
sition. Pour les questions relatives à la constitution de la dot chez les Chaldéensde l'époque récente,
cf. Oppert-Menant, Document* juridiques de l'Assyrie et de la C ha Idée, p. 85 sqq.; E. et V. Revilloit,
les Obligations en droit égyptien, p. 329 sqq., Kohler-Peiser, Aus dem Babylonischen Bcchtslcben,
t. II, 10-15, où l'on se rendra compte des difficultés que soulevaient le payement non intégral de la
dot et sa restitution en cas de divorce.
1. Aux époques plus modernes, des notices inscrites sur plusieurs tablettes prouvent que les deux
parties recevaient parfois chacune un exemplaire (Peiser, Babylonischen Vertrâge des Berlinen Mu-
séums, p. 156-157, 291). Nous possédons des contrats de vente à trois exemplaires conservés dans les
Musées d'Europe, au British Muséum ou au Louvre par exemple; d'autres ne nous sont parvenus
qu'à deux exemplaires (Bezold, Kurzgefasster Ueberblick ùber die Babylonisch-Assyrische Literatur, ,
p. 154-155; Strassmayer, Die Babylonischen Inschriften im Muséum zu Liverpool, dans les Actes du
V* Congrès International des Orientalistes à Leyde, 2* partie, sect. I, p. 580, n° 67, p. 583, n° 89).
2. Cette clause n'est connue jusqu'à présent que pour le temps du Nouvel Empire Chaldéen, et peut-
être pour le mariage avec une femme de condition inférieure à celle de l'homme (Peiser, Studien
zum Babylonischen Bechtswesen, dans la Zeitschrift fur Assyriologie, t. 111, p. 78-80, Kohler-Peiser.
Aus dem Babylonischen Bechtsleben, t. 1, p. 7; Oppert, les Documents juridiques cunéiformes, dans la
Zeitschrift fur Assyriologie, t. III, p. 182-183, et Jugement approbatif d'un contrat, dans le Journal
Asiatique, 1886, t. VIII, p. 555-556; Boissier, Becherches sur quelques contrats babyloniens, p. -40-42).
3. Le soin qu'on prenait, dans les contrats achéménides où l'on louait ou livrait en gage une esclave,
d'interdire au locataire ou au créancier d'user d'elle à sa guise (Oppert-Menant, Documents juridiques
de l'Assyrie et de la Chaldée, p. 269-272), montre que le droit du mattre sur la femme esclave
demeura complet jusqu'aux derniers temps.
4. Ce texte suméro-assyrien, publié dans Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. Il, pi. 35, n° 4, 1. 61-76,
et d'abord traduit par Oppert-Menant, Documents juridiques de l'Assyrie et de la Chaldée, p. 64-67, a
été expliqué complètement par Fr. Lenormant, Études Accadieimes, t. III, p. 168-169. L'esclave ainsi
dédaignée pouvait devenir à la longue un être malfaisant, contre lequel on se prémunissait par des
conjurations magiques (Fr. Lenormant, Etudes Accadiennes, t. 111, p. 77, 78).
5. Oppert, les Inscriptions juridiques de V Assyrie et de la Chaldée, dans les Actes du VU* Congrès
International des Orientalistes, tenu à Vienne, 2* section, p. 178-179, 181; la coutume à laquelle fait
allusion le document signalé par Oppert remonte jusqu'aux époques les plus anciennes.
736 LA CIVILISATION CHALDËENNE.
les deux familles et leurs invités. Cependant les esprits méchants, toujours
en quête de proies faciles, avaient pu se glisser dans la chambre nuptiale, à
la faveur du désordre inséparable de toute réjouissance : la prudence comman-
dait qu'on déjouât leurs embûches et qu'on plaçât le nouveau couple à l'abri de
leurs attaques. Les compagnons du fiancé s'emparaient de lui, et, les mains
sur les mains, les pieds contre ses pieds, comme pour lui faire un rempart
de leur corps, l'entraînaient en pompe ou la fiancée l'attendait. Il répétait une
fois encore les paroles qu'il lui avait dites le matin : « Je suis le fils d'un
prince, l'argent et l'or rempliront ton sein, toi tu seras ma femme, moi je
serai ton mari », et il continuait : « Autant de fruits porte un verger,
autant sera grande l'abondance que je répandrai sur cette femme* ». Puis
le prêtre appelait sur lui les bénédictions d'en haut : « Vous donc, tout ce
qu'il y a de mauvais et qui n'est pas bon dans cet homme, écartez-le de
lui et donnez-lui la force. Et toi, homme, donne ta virilité, et que cette
femme soit ton épouse; toi, femme, donne ce qui te fait femme, et cet
homme, qu'il soit ton époux. » Le lendemain matin, un sacrifice d'actions de
grâce célébrait l'union consommée, et, purifiant le ménage récent, chassait
loin de lui l'armée des divinités mauvaises*.
La femme, une fois livrée, n'échappait plus que par la mort ou par le
divorce à la puissance souveraine du mari; encore le divorce était-il
pour elle une sorte de peine qu'elle subissait et non pas un droit dont elle
usait librement. Son mari la répudiait à son gré, sans cérémonial gê-
nant. Une fois qu'il lui avait dit : « Tu n'es pas ma femme, toi! » il lui
restituait une somme d'argent à peu près égale à la valeur de la dot qu'il
avait touchée3, puis il la renvoyait à son père avec une lettre constatant la
1. Cette partie de la cérémonie était décrite sur une tablette en double rédaction suméro-assy-
rienne, découverte et traduite par Pinches, Ilotes upon some of the Récent Discoveries in the Realm of
Assyriology, with spécial référence to the private Life of the Babylonians, dans le Journal of Tran-
sactions of the Victoria Instituie, t. XX VI, p. 143-145, 159-160, 169-170. L'interprétation me paraît
résulter de la mention faite, au commencement de la colonne, d'êtres impies, sans dieux, qui pourraient
s'approcher de l'homme; d'ailleurs les conjurations magiques indiquent quelle peur on avait des
esprits qui « privent l'épouse des embrassements de l'homme • (Fr. Lknormant, Études Accadiennes,
t. III, p. 79, 80). Comme le remarque Pinches (op. /., p. 144-145), la formule se retrouve dans la partie
du poème de Gilgamès où Ishtar veut épouser le héros (cf. p. 580 de cette Histoire), ce qui montre
combien le rite et les paroles qui raccompagnaient remontaient loin dans le passé.
2. Le texte qui décrit ces cérémonies a été découvert et publié par Pinches, Glimpses of Babylonian
and Assyrian Life, III. A Babylonian Wedding Ceremony, dans The Babylonian and Oriental Record,
t. I, p. 145-147. Autant que j'en puis juger, il contenait une conjuration contre le novement de Vai-
guillelte, et e>st à ce propos que les rites du mariage sont rappelés. Le rite exigé le lendemain
était probablement une purification : encore au temps d'Hérodote, le rapprochement rendait l'homme
et la femme impurs et les obligeait à une ablution avant de reprendre leurs occupations (I, cxcvm).
3. La somme est fixée à 1/2 mine par le texte des lois sumériennes (Rawlixsom, Cun. 1ns. \Y. As.,
t. V, pi. 25, 1. 12); mais on la trouve parfois ou plus faible, ainsi de dix shekels, ou plus forte, ainsi
d'une mi«c entière (Meissner, Beitrâye zum altbabylonischen Vrivalrecht, p. 149).
i
LE DIVORCE, LES DROITS DES FEMMES RICHES. 737
dissolution du lien conjugal, et c'en était assez1. Mais que, dans un mouve-
ment de lassitude ou de colère, elle lui lançât à la face la formule sacramen-
telle « Tu n'es pas mon mari, toi! » le dénouement ne tardait guère : on la
jetait au fleuve et on l'y noyait*. L'adultère entraînait également la mort, mais
la mort par l'épée et, quand l'usage du fer se répandit, par l'épée de fer8.
Une autre coutume antique n'épargnait la coupable que pour' la vouer à l'in-
famie : l'outragé lui enlevait sa robe en étoffe floconneuse, lui donnait en
échange le pagne qui la laissait à demi nue, et la chassait de la maison dans
la rue, où qui voulait faisait d'elle son affaire*. Les femmes nobles et riches
trouvaient dans leur fortune même des garanties contre les excès de l'autorité
maritale. Les biens qu'elles apportaient par contrat au ménage ne sortaient
pas de leurs mains5. Elles les géraient à leur guise, elles les affermaient, elles
les vendaient, elles en dépensaient les revenus comme bon leur semblait,
sans que personne eût rien à y voir : l'homme jouissait du bien-être qui en
résultait, mais il n'en disposait pas, et ils étaient si peu sa propriété que
1. La répudiation et le cérémonial qui l'accompagnait sont indiqués sommairement, pour les
époques anciennes, par un passage de la tablette suméro-assyrienne publiée dans Rawlinson, Cun. Ins.
W. As., t. V, p|. 24-25, après Lenormant, Choix de textes cunéiformes, p. 35, l. 47-52, et traduite par
Oppert-Menant, Documents juridiques de l'Assyrie et de la Chaldée, p. 54. Bertin (Akkadian Precepts for
the Conduct of Man in his Private Life, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique,
t. VIII, p. 236-237, 252-253) voit au contraire dans le même texte une description des rites prin-
cipaux du mariage, et il en déduit la conclusion que le divorce n'était pas admis comme possible,
en Chaldée, entre personnes de condition noble. Meissner (Beilràge zum altbabylonischen Privatrecht,
p. 14) reprend à bon droit l'interprétation d'Oppert, dont il corrige quelques détails.
2. Le fait résultait déjà du texte des soi-disant Lois Sumériennes sur V organisation de la famille
(Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 10, col. I, 1. 1-7, cf. t. V, pi. 25, col. 1) d'après l'interprétation la
plus généralement admise : selon celle qui a été proposée par Oppert-Menant, Documents juridique*
de V Assyrie et de la Chaldée, p. 57-58, 60-62, ce serait la femme qui aurait eu le droit de faire jeter
au fleuve le mari qui l'avait injuriée (cf. Oppert, dans les Gôttingische Gelehrte Anzeigen, 1879. p. 1610).
La publication des contrats d'Iltani et de Bashtoum paraît avoir démontré complètement l'exactitude
de la traduction ordinaire (Meissner, Beilràge zum altbabylonischen Privatrecht, p. 70-72) : l'incertitude
qui règne toujours sur le sens d'un mot ne permet pas de décider si l'on étranglait la coupable
avant de la jeter à l'eau, ou bien si on l'abandonnait vivante encore au courant.
3. Oppert, Jugement approbatif d'un contrat, dans le Journal Asiatique, 1886, t. VII, p. 556, et les
Documents juridiques cunéiformes, dans la Zeitschrift fur Assyriologie, t. III, p. 183. Peut-être la
mention de l'épée de fer est-elle introduite pour montrer que la femme était décapitée et non égorgée.
4. Cela est indiqué par la tablette suméro-assyrienne, où sont enregistrées les expressions relatives
aux choses du mariage (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 10, col. n, 1. 1-21, et Lenormakt, Choix
de textes cunéiformes, p. 35-36) : le passage a été traduit par Oppert-Menant, Documents juridiques
de V Assyrie et de la Chaldée, p. 55-56, avec quelques corrections d'Oppert dans les Gôttingische
Gelehrte A nzeigen, 1879, p. 1613-1614. Ici encore Bertin (Akkadian Precepts, dans les Transactions
de la Société d'Archéologie Biblique, t. VIII, p. 237-240, 252-253) pense qu'il s'agit du mariage et de
l'éducation à donner au fils aîné issu du mariage, non point de la répudiation ou du divorce.
5. Meissner, Beilràge zum altbabylonischen Privatrecht, p. 14. Dans les actes du Nouvel Empire
Chaldéen, on voit les femmes en puissance de mari vendre elles-mêmes leurs biens-fonds, et assister
assises à la conclusion du marché (Oppert, Un Acte de vente conservé en deux exemplaires, dans la
Zeitschrift fur Keilforschung, t. 1, p. 52-53), ou céder de son vivant à sa tille mariée la nue propriété
de ce qu'elle possède, et renoncer ainsi à la libre disposition de ses biens pour n'en garder que l'usu-
fruit (Oppert, Liberté de la femme à Babylone, dans la Bévue d Assyriologie, t. II, p. 89-90); réclamer
la restitution d'objets en or que son mari avait cédés sans son autorisation, et obtenir une indemnité
pour le tort qu'elle avait subi (Peiser, Babylonische Vertrâge des Berliner Muséums, p. 12-15, 230-231);
prêter de l'argent à la belle-mère de son frère (Priser, Babylonische Vertrâge, p. 18-21,233-234);
bref, accomplir toutes les opérations qu'un propriétaire peut seul exercer sur son bien.
HIST. ANC. DE L'ORIENT. — T. I. 93
738 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
ses créanciers n'avaient point la faculté de les saisir1. Si le divorce intervenait
par son acte, non seulement il en perdait le fruit, mais il était obligé de servir
une pension ou de débourser une indemnité à titre de dommages et intérêts*;
à sa mort, la veuve les reprenait à la succession, sans préjudice du douaire
auquel son contrat ou les dernières volontés du défunt pouvaient lui donner
droit8. La femme dotée s'émancipait donc ou à peu près de par la vertu
de son argent. Comme son départ appauvrissait la maison d'autant, et par-
fois de plus, que son arrivée ne l'avait mise à l'aise, on se gardait bien de
rien faire qui la décidât à se retirer, ou qui fournît à son père et à sa mère
un prétexte pour la rappeler auprès d'eux : sa richesse lui assurait des égards
et un traitement d'égalité que la jurisprudence lui avait refusés à l'origine.
Lorsqu'elle était pauvre, elle devait supporter sans se plaindre toute l'infé-
riorité de son état. Les parents n'avaient alors d'autre ressource que de la
taxer au plus haut prix possible, selon le rang dans lequel ils vivaient, ou
selon les qualités personnelles qu'ils lui supposaient, et la somme, versée
entre leurs mains contre livraison, lui constituait sinon une dot réelle, du
moins une provision qui lui restait acquise en cas de répudiation ou de veu-
vage : elle n'en demeurait pas moins l'esclave de son mari, une esclave privi-
légiée il est vrai, et qu'il ne pouvait vendre comme les esclaves ordinaires*,
mais dont il se débarrassait avec facilité, dès qu'elle avait cessé d'être jeune
ou de lui plaire5. Dans bien des cas alors, la fiction de l'achat disparaissait,
et, le consentement mutuel tenant lieu de toute autre formalité, le mariage
n'était plus qu'une simple cohabitation qui durait ce qu'on souhaitait. L'auto-
risation du père n'était pas requise pour ces associations libres, et plus d'un
fils épousa ainsi par usage, à l'insu des siens, une jeune fille de sa classe ou
1. E. et V. Révillout, les Obligations en droit égyptien comparées aux autres droits de l'Antiquité,
p. 344 sqq.
2. La restitution de la dot après divorce résulte, pour les époques postérieures, d'actes comme
celui qui est publié dans Kohler-Peiser, Ans Babylonischer Bechlsleben, t. 11, p. 13-15, où Ton voit
le second mari d'une femme divorcée réclamer la dot au premier. L'indemnité était fixée par avance
à six mines d'argent, dans le contrat de mariage traduit par Oppert, Jugement ajtprobatif d'un contrat,
dans le Journal Asiatique, 1886, t. VII, p. 555-556.
3. Sur ce point, cf. Peiser, Jurisprudcniix Babylonicœ quse supersunt, p. 27 ; Kohler-Peiser, Aus
dem Babylonischen Rechlsleben, t. I, p. 45.
4. Il parait pourtant que, dans certains cas mal spécifiés, le mari pouvait vendre comme esclave
sa femme acariâtre (Mkissner, Beilrâge zum allbabylonischen Privatrecht, p. 6, 70-71).
5. Cette forme de mariage, fréquente aux époques anciennes, tomba en désuétude au moins dans
les classes aisées de la société babylonienne. On en trouve pourtant des exemples aux bas temps (Oppert.
Jugement approbatifd'un contrat, dans le Journal Asiatique, 1886, t. VII, p. 555-556, et les Docu-
ments juridiques cunéiformes, dans la Zeitschrift fur Assyriologie, t: III, p. 182-183; Peiser, Studien
zum Babylonischen Hechtswesen, dans la Zeitschrift fur Assyriologie, t. III, p. 77-80; Kohler-Peiser,
Aus dem Babylonischen liechtsleben, t. I, p. 7-9). Elle continuait d'être en usage dans laclas.se popu-
laire, et Hérodote affirme que, de son temps, on tenait régulièrement des foires aux mariées (I, exevi),
comme on a, chez nos contemporains, des foires pour les domestiques et pour les servantes.
LES FEMMES ET LE MARIAGE DANS LES CLASSES PAUVRES. 739
d'une classe inférieure : mais la loi se refusait à voir en elle autre chose
qu'une concubine, et lui imposait une marque distinctive, peut-être celle du
servage, une olive en pierre fine ou en terre cuite portant son nom, le nom de
l'homme, la date du mariage, et qu'elle gardait pendue à son cou par un
cordonnet1. Épouses légitimes ou non, les femmes du peuple et de la petite
bourgeoisie jouissaient d'autant d'indépendance que les Égyptiennes d'un degré
semblable. Gomme tous les soucis du ménage retombaient sur elles, il fallait
bien les laisser libres à toute heure et partout : on les rencontrait aux mar-
chés et dans les rues, les pieds nus, la tête et la face découvertes, avec leur
pagne en toile ou leur longue draperie d'étoffe velue*. Leur vie était un labeur
sans trêve entre le mari et les enfants : elles allaient chercher l'eau soir et
matin, au puits public ou à la rivière, broyaient le blé, fabriquaient le pain,
filaient, tissaient, habillaient la maisonnée entière, malgré les grossesses
fréquentes et les allaitements prolongés3. Les Chaldéennes riches ou de sang
noble, à qui leur état civil garantissait une situation plus relevée, n'avaient pas
une allure aussi franche. Les soucis de l'existence journalière les effleuraient
à peine, et si elles travaillaient dans leur intérieur, c'était instinct d'activité,
sentiment du devoir ou envie de se distraire, non contrainte ou nécessité; mais
leur rang les tenait prisonnières. Tout le luxe et tout le confort que l'argent
procure, on le leur prodiguait ou elles le prenaient d'elles-mêmes, mais il
leur fallait rester chez elles, dans le harem; quand elles sortaient, c'était
pour se rendre chez leurs amies, chez leurs parents, à quelque temple ou à
quelque fête, et elles s'entouraient de servantes, d'eunuques et de pages, dont
les rangs épais leur barraient la vue du monde extérieur*.
Les enfants ne manquaient pas dans ces maisons où plusieurs maîtresses se
1. Voir le cas cité dans Kohler-Peiser, Aus dem Babylonischen Hechtsleben, t. I, p. 7-9; on y parle
de la marque remise publiquement par le magistrat aux femmes qui acceptaient ce genre d'union
libre. Les olives en terre cuite, appartenant à des femmes babyloniennes et découvertes à Khorsabad
par Place (Oppert, les Inscriptions de Dour-Sarkayan, dans Place, Ninive et t Assyrie, t H, p. 307-
308), nous en donnent probablement la forme et, à quelques variantes près, la teneur.
2. Pour la robe longue des femmes, voir la statue figurée p. 721 de cette Histoire', pour le pagne qui
leur laissait la poitrine et le buste nus, cf. la figurine en bronze de la p. 720. C'était sans doute le
vêtement d'intérieur des femmes de bonne maison; on voit par le châtiment infligé aux épouses
adultères (cf. p. 737) que c'était un vêtement de dehors pour les courtisanes, sans doute aussi pour
les esclaves et pour les femmes du peuple.
3. Les occupations de la femme sont indiquées dans plusieurs textes ou sur plusieurs monu-
ments anciens. Sur le cachet dont l'empreinte est reproduite à la p. 699 de cette Histoire, on voit en
haut, à gauche, une femme agencfuillée broyant le grain, et, devant elle, une série de petits disques
figurant sans doute les pains préparés pour la cuisson. La longueur de l'allaitement est fixée à trois
ans par la tablette suméro-assyrienne qui raconte l'histoire de l'enfant trouvé (Rawlinson, Cun. Ins.
W. As., t. II, pi. 9, col. il, I. 45-50; cf. Oppert-Menaxt, Documents juridiques de V Assyrie et de la
Chaldée, p. 43); c'était le même délai qu'en Egypte (Chabas, VÊgyptologie, t. II, p. 44-45).
4. Au sujet du cortège qui entourait les femmes nobles, cf. ce que dit Hérodote des Chaldéennes de
son temps, orsqu'elles allaient acquitter leur dette au temple de Mylitta (I, cxcix; cf. p. 039-040).
740 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
partageaient le même homme ou se succédaient à ses bonnes grâces. La fécon-
dité était en effet le premier devoir de la femme : si elle tardait à devenir
mère ou si elle n'y réussissait pas, on la considérait comme une maudite ou
comme une possédée, et l'on se débarrassait d'elle afin d'écarter les dangers
que sa présence attirait sur la famille*. Beaucoup de ménages finissaient
néanmoins par demeurer sans postérité, soit qu'une clause insérée au contrat
empêchât l'expulsion de l'épouse stérile, soit que les enfants fussent morts
quand le père avait déjà passé l'âge de réparer ses pertes*. L'adoption sup-
pléait alors aux trahisons de la nature, et fournissait à la race les héritiers
qu'elle réclamait. On pouvait ramasser quelque orphelin de hasard, un de ces
petits malheureux que leur mère abandonnait sur les eaux, ainsi que celle de
Shargani avait fait, dit-on, en son temps8, ou qu'elle exposait au coin d'un
carrefour à la pitié des passants4, comme l'inconnu dont une vieille chanson
nous conte l'histoire. « Celui qui n'avait ni père, ni mère, — celui qui igno-
rait son père et sa mère, mais dont le souvenir est au puits — et dont l'entrée
au monde s'est produite dans la rue », son bienfaiteur « l'a arraché à la
gueule des chiens — et l'a soustrait au bec des corbeaux. — Il a saisi le sceau
devant témoins, — et il l'a marqué sous la plante des pieds avec le sceau
du témoin, — puis il l'a confié à une nourrice, — et pendant trois ans il a
garanti à la nourrice la farine, l'huile, le vêtement. » Le sevrage achevé, « il
l'a institué son enfant, — il l'a élevé pour être son enfant, — il l'a inscrit
comme son fils, — et il lui a donné l'éducation du scribe8 ». Les rites de
l'adoption ne différaient pas alors de ceux qui accompagnaient la naissance.
Dans les deux cas on exhibait le nouveau-né devant témoins, et on le mar-
quait à la plante des pieds pour bien constater son identité'; l'enregistrement
aux archives de la famille ne s'accomplissait qu'après ces précautions prises,
et les enfants recueillis de la sorte passaient désormais aux yeux du monde
1. Le divorce pour stérilité était en usage de très bonne heure. On considérait la stérilité complète
ou l'incapacité pour la femme de mener sa grossesse à terme comme étant produite par les mauvais
esprits; la femme possédée de la sorte par un démon devenait elle-même un être redoutable, qu'il
était nécessaire d'exorciser (Fr. Le.normant, Études Accadiennes, t. III, p. 57, 68).
2. Plusieurs actes de toutes les époques nous font connaître des femmes qui, ayant des enfants
d'un premier mari, n'en avaient pas d'un second, sans que pour cela le divorce fût intervenu.
3. Cf. p. 597-598 de cette Histoire la légende complète de Sargon l'Ancien, roi d'Agadé.
4. Beaucoup de ces enfants étaient des enfants de courtisanes ou de femmes répudiées, comme le
dit la tablette suméro-assyrienne de Kawu.nson, Cun. 1ns. W. As., t. V, pi. 24, 1. 11-15 (cf. Fa. Lenor-
mant, Choix de Textes Cunéiformes, p. 36) : • Elle exposera son enfant seul dans la rue, où les ser-
pents du chemin pourront le mordre, et son père et sa mère ne le connaîtront plus. »
5. Rawunson, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 9, col. u, 1. 28-66. Cette curieuse histoire fut traduite une
première fois en français par Oppert-Mknant, Documents juridiques de t Assyrie et de la Chaldée,
p. 42-44, et plus complètement par Fr. Lenormant, Études Accadiennes, t. III, p. 164-168.
6. Meissner, Beitrâge zum altbaby Ionise hen Privalrecht, p. 15.
LES MOTIFS ORDINAIRES DE L'ADOPTION. 744
pour les héritiers légitimes de la maison. Le plus souvent on s'adressait à des
gens de connaissance, amis ou cousins pauvres, qui consentaient à sacrifier
un de leurs fils, dans l'espoir de lui procurer un sort meilleur. Quand il
s'agissait d'un mineur, le père et la mère naturels, ou celui des deux qui
survivait, comparaissaient devant le scribe et se dessaisissaient de tous leurs
droits en faveur des parents adoptifs : ceux-ci, en acceptant ce désistement,
s'engageaient à traiter désormais l'enfant comme ils auraient fait leur propre
sang, et souvent lui constituaient par le même acte un capital prélevé sur
leur patrimoine personnel1. Lorsque l'adopté était majeur, on exigeait son
consentement aussi bien que celui des siens. C'était alors un motif d'intérêt
et non plus le désir de se préparer une descendance même factice qui décidait
ces braves gens. La main-d'œuvre coûtait cher, les esclaves étaient rares, et
les enfants remplaçaient autant d'ouvriers qui peinaient pour le père en se
contentant, comme la domesticité, de la nourriture et de l'entretien*. Aussi
l'adoption des adultes était-elle des plus fréquentes aux vieilles époques.
L'entrée d'un individu dans la maison nouvelle rompait les liens qui l'atta-
chaient à l'ancienne; il devenait un étranger pour ceux dont il était issu, il
ne conservait plus aucune obligation filiale envers eux, ni aucun droit sur la
fortune qu'ils pouvaient avoir, à moins qu'une procédure contraire ne vînt
détruire les effets de l'acte et ne le ramenât légalement au lieu de son
origine3. En revanche, il assumait toutes les charges et tous les privilèges de
son état nouveau : il devait à ses parents adoptifs autant de travail, d'obéis-
sance, de respect qu'il en aurait dû aux naturels, il suivait leur condition
bonne ou mauvaise, et il succédait à leurs biens*. Même on prévoyait le cas
où il serait renvoyé sans cause par ceux qui l'avaient appelé, et on lui assurait
une compensation à leurs dépens : il enlevait la part d'héritage qui lui serait
revenue à leur mort, et il s'en allait5. Les familles paraissent avoir été assez
unies, malgré l'élasticité des lois qui les régissaient et la diversité des élé-
ments qui pouvaient s'y introduire. Sans doute, les divorces fréquents et la
polygamie exerçaient là comme partout leurs influences délétères : les harems
de Babylone étaient parfois le théâtre d'intrigues et de luttes sans fin entre les
1. Cf., pour les époques plus récentes, un acte du règne de Cyrus, roi de Babylone, constatant
l'adoption d'un petit garçon de trois ans et la constitution de son patrimoine par le père adoptif
(Kuhler-Peiser, Aux dem Babylonischen Hechtslcben, t. I, p. 9-10).
3. Meissner, Be il rage zum allbabylonischcn Privatrecht, p. 16, loi sqq.
3. Meissner, lieitrâge zum a Ubaby Ionise hen Privatrecht, p. 15.
4. C'est ce qui résulte pour les époques anciennes des actes 97-98 publiés et commentés par
Meissner, Beitrâge zum altbabylonixchen Privalvecht, p. 77-78, 153.
5. Cf. pour les temps récents Kohler-Peiser, Ans dem Babylonischen iïechtsleben, t. II, p. 15-18.
742 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
femmes de condition variée qui les remplissaient et les enfants des différents
lits. Dans le peuple ou dans la classe bourgeoise, où la médiocrité des res-
sources restreignait nécessairement le nombre des épouses, la vie domestique
s'écoulait calme et affectueuse, ainsi qu'en Egypte, sous la suprématie incon-
testée du père; quand celui-ci partait avant le temps, la veuve, puis le fils
ou le gendre, prenaient la direction des affaires1. Si pourtant les querelles
éclataient et s'exaspéraient au point d'amener une rupture complète entre les
parents et les enfants, la loi intervenait, non point pour les rapprocher, mais
pour réprimer les excès auxquels ils avaient pu se porter les uns envers les
autres. C'était un délit chez le père ou chez la mère s'ils reniaient leur
enfant, et on les enfermait dans leur propre maison, aussi longtemps sans
doute qu'ils persistaient en leur résolution de ne plus l'avouer; mais c'était
un crime au fils, même au fils adoptif, d'avoir renoncé ses parents, et il
l'expiait durement. S'il avait dit à son père : « Tu n'es pas mon père, toi! »
celui-ci le marquait d'un signe bien apparent et le vendait au marché. S'il
avait dit à sa mère : <r Tu n'es pas ma mère, toi! » on le flétrissait de même,
puis on le promenait par les rues ou par les chemins, et on le chassait de la
ville et du pays au bruit des huées*.
Les esclaves étaient nombreux, mais distribués en proportions inégales
entre les diverses classes de la population : tandis que les palais en renfer-
maient de véritables troupeaux, on ne trouvait guère, dans la bourgeoisie, de
famille qui en possédât plus d'un ou de deux à la fois8. C'étaient en partie au
moins des étrangers de race, des blessés relevés sur les champs de bataille,
des soldats fugitifs tombés aux mains du vainqueur après la défaite, des Éla-
mites ou des Gouti surpris dans leurs villages au cours de quelque expédition,
sans parler des gens de toute catégorie dont les Bédouins s'emparaient pendant
leurs razzias en parages lointains, en Syrie, en Egypte, et qu'ils amenaient
1. Sur la prépondérance attribuée au fils aîné, cf. V. et E. Révillout, Sur (e droit de la Chaldcc,
dans E. Révilloi't, les Obligations en Droit Égyptien, p. «356 sqq.
2. IUwlinson, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 10, col. i, 1. 22-45, cf. t. V, pi. Î5, 1. 23 sqq. J'ai adopté
le .sens généralement admis pour l'ensemble de ce document, mais je dois déclarer qu'OppERT-MEiuxT,
Documents juridiques île l'Assyrie et de la C ha Idée, p. 56-57, 60-61, admettent une interprétation
toute différente. 11 s'agirait d'une véritable renonciation des parents par les enfants et des enfants
par les parents, à la suite d'une condamnation judiciaire. Oppert a défendu cette interprétation contre
Haupt, dans les Gôttingische gelehrte Anzeigcn, 1879, p. 1604 sqq., et la maintient encore. Les actes
publiés par Meissner, Bcitrâge zum altbabylonischen Privatrecht,p. 73-78, 152, montrent que le texte
des vieilles lois sumériennes s'appliquait également aux enfants adoptifs, mais sans plus faire de dis-
tinction entre l'injure du père et celle de la mère : la même peine s'appliquait aux deux cas.
3. Pour ce qui est de l'esclavage en Chaldée, voir surtout le mémoire d'OpPERT, la Condition des
Esclaves à Babylone, dans les Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles- Lettres, 1888,
p. 120 sqq., le traité spécial de Meissner, De Servitute Babyloniaca, et les notices éparaes dans Kobler
Peiser, Aus dem Baby Ionise lien Rechtsleben, t. I, p. 1-7, t. II. 6. 40-50, 52-56, etc.
LES ESCLAVES ET LEUR CONDITION LÉGALE. 7i3
journellement à Babylone, à Ourou, dans toutes les cités auxquelles ils avaient
accès. Les rois, les vicaires, les temples, les seigneurs féodaux les employaient
par masses à leurs constructions ou à l'exploitation de leurs domaines ; le
travail était rude et en tuait beaucoup, mais les vides se comblaient prompte-
tnent par l'afflux de bandes nouvelles. Ceux qui ne mouraient point s'accou-
plaient à leurs compagnes d'infortune, faisaient souche, et leurs enfants, nés
aux langues et aux mœurs de la Chaldée, se fondaient dans le corps de la
nation; c'était, au-dessous du peuple des ingénus, Sumériens et Sémites,
comme un second peuple servile, disséminé par les villes et par les cam-
pagnes, et auquel se ralliaient à chaque instant des recrues de sang indigène,
nouveau-nés exposés, femmes et enfants vendus par le mari et par le père,
débiteurs qui payaient leurs dettes de leur liberté, criminels condamnés par
autorité de justice*. La loi ne les qualifiait point de personnes, mais elle les
comptait par tètes, comme de simple bétail : ils appartenaient au maître de
la même façon que les bêtes de son troupeau ou les arbres de son jardin,
et il pouvait décider de leur vie ou de leur mort à sa volonté*, mais la
coutume et l'intérêt bien entendu restreignaient l'exercice de ses droits. 11
les livrait en gage ou en payement, les échangeait, se débarrassait d'eux sur
un marché. Les prix ne montaient jamais bien haut : on pouvait se procurer
une femme pour quatre sicles et demi d'argent pesé, et la valeur d'un adulte
flottait entre dix sicles et un tiers de mine. On écrivait l'acte de vente sur
argile, et on le remettait à l'acquéreur au moment du paiement : on brisait
alors les tablettes qui constataient le droit du premier propriétaire, et le
transfert était complet3. Le maître ne sévissait guère qu'en cas de désobéis-
sance réitérée, de révolte ou de fuite4; il arrêtait ses esclaves marrons partout
où on les lui signalait, leur attachait les entraves aux jambes et les chaînes
aux poignets, les déchirait à coups de fouet. En temps ordinaire, il les
t. Meissner, Be il rage zum al tbaby Ionise hen Privalrecht, p. 6-7. Ainsi les fils asservis par leur père,
d'après les lois dont il a été question plus haut, p. 742 de cette Histoire, ou la femme que le mari se
réserve par contrat le droit de vendre en cas de désobéissance (acte 8G de Meissner, Beitràge zum
ait baby Ionise hen Privatrechl, p. 70-71); une histoire d'esclave fugitif, conservée dans la tablette
publiée par IUwlinson, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 13, col. n, 1. 6, se rapporte peut-être à un fils
ainsi vendu (Fr. Lenormant, Études Accadiennes, t. III, p. 332-233).
2. Le meurtre d'un esclave par une personne autre que le maître était puni d'une amende payée à
celui-ci (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 10, col. u, 1. 13-22; cf. Oppert-Mknant, Documents juri-
diques de C Assyrie et de la Chaldée, p. 58-59, 61 ; V. et E. Révillout, Sur le Droit de la Chaldée,
dans E. Révillout, les Obligations en Droit Égyptien comparé aux autres droits de l'Antiquité,
p. 371-372 ; Kohi.er-Peiser, .4m* dem Babylonischen liechtsleben, t. I, p. 32-33.
3. Meissner, Beitràge zum altbabylonischen Privatrechl, p. 6-7.
4. 11 est question des esclaves fugitifs dans une des tablettes suméro-assyriennes publiées par
IUwlinson, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 13, col. n, I. 6-14, et traduite par Oppert-Mknant, Documents
juridiques de la Chaldée et de l'Assyrie, p. 14, et par Fr. Lenormant, Études Accadiennes, t. III,
744 LA CIVILISATION CHALDËENNE.
autorisait à se marier et à se fonder une famille1, il plaçait leurs enfants en
apprentissage, et dès que ceux-ci savaient un métier, il les établissait à son
nom en leur laissant une portion du profit *. On dressait les plus intelligents
au rôle de commis ou d'intendants, on leur enseignait la lecture, récriture, le
calcul, les notions essentielles au scribe habile; on leur assignait la surveil-
lance de leurs camarades ou l'administration des biens, et ils finissaient par
devenir les hommes de confiance de la maison. Le pécule qui s'accumulait
entre leurs mains pendant leurs années de jeunesse leur fournissait les moyens
d'apporter quelques soulagements à leur situation : ils pouvaient se louer au
dehors, moyennant une redevance, même acquérir des esclaves pour gagner à
leur compte, comrrçe eux-mêmes gagnaient au compte de leurs propriétaires8.
S'ils exerçaient une profession lucrative et qu'ils y réussissent, leurs éco-
nomies s'enflaient parfois assez pour qu'ils parvinssent à se racheter et même,
s'ils étaient mariés, à payer la rançon de leur femme et de leurs enfants4.
A l'occasion, le maître, désireux de récompenser une longue fidélité, libérait
quelques-uns d'entre eux de son plein gré, et sans attendre qu'ils eussent
les objets ou le métal nécessaires : ils restaient ses clients, et continuaient
comme affranchis les services qu'ils avaient commencé à rendre en tant
qu'esclaves5. Us jouissaient alors des mêmes avantages et des mêmes droits
que les gens de vieille race ingénue; ils léguaient, ils héritaient, ils estaient
en justice, ils acquéraient et ils possédaient des maisons et des terres. Leurs
fils trouvaient de bons partis parmi les filles de la bourgeoisie, selon leur
éducation et leur fortune; quand ils étaient intelligents, actifs et laborieux,
rien ne les empêchait de se hausser aux emplois les plus importants auprès
du prince. Si nous ignorions moins complètement l'histoire privée des cités
chaldéennes, nous y verrions sans doute que les éléments d'origine servile y
p. 232-233; cf., pour Tachât ou la vente des esclaves fugitifs à l'époque du Second Empire Chaldéen,
Kohler-Peiskr, Autt dem Babylonischen Recktsleben, t. I, p. 5-7.
1. Les actes cités par Oppkrt, la Condition des esclaves à Babylone, dans les Comptes rendus de
V Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1888, p. 125-127, nous montrent ces familles d'esclaves ;
il semble même en résulter qu'on prenait soin dans les ventes de les céder en bloc, et qu'on évitait,
autant que possible, de séparer les enfants du père et de la mère.
2. Sur les apprentissages d'esclaves aux temps du Second Empire Chaldéen, cf. Kohler-Peiser, Aus
dem Babylonischen Recktsleben, t. II, p. 52-56.
3. On trouve deux bons exemples d'un esclave se louant lui-même à une tierce personne, et d'un
autre recevant en gage un esclave comme lui, dans Oppkrt, la Condition des esclaves à Babylone
(Comptes rendus de V Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1888, p. 127-129).
4. Mkissner, Beilmge zum ait babylonischen Privatrecht, p. 7. L'existence du droit de rachat, au
temps de l'Ancien Empire Chaldéen, est prouvée par les expressions de la tablette juridique suméro-
assyrienne publiée dans Hawlimson, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 43, col. h, 1. 15-18; cf. Oppert-Menaxt,
Documents juridiques de V Assyrie et de la Chaldée, p. 14.
5. Sur ces esclaves susceptibles d'affranchissement, voir ce que dit Oppert, ta Condition des esclaves
à Babylone, dans les Comptes rendus de V Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1888, p. 122.
LES VILLES, L'ASPECT ET LA DISTRIBUTION DES MAISONS. 745
ont pesé d'un poids considérable : à remonter quelques générations en arrière,
combien renfermaient-elles de grandes familles qui ne comptassent pas un
affranchi ou un esclave parmi leurs ancêtres?
On voudrait suivre ce peuple mélangé de germes si complexes dans ses
corvées et dans ses plaisirs de chaque jour, aussi aisément qu'on fait les
Égyptiens du même temps; mais les monuments qui pourraient nous rensei-
gner à son sujet sont rares, et ce qu'on en tire de manière positive se réduit à
fort peu de chose. Pourtant on ne risque guère de se tromper si Ton se figure
les cités les plus riches comme étant, somme toute, assez semblables aux villes
qu'on rencontre aujourd'hui, dans ces régions à peine entamées encore par
l'invasion des mœurs européennes1. Des rues sinueuses, étroites, fangeuses,
empestées d'ordures ménagères et de détritus organiques, où des volées de
corbeaux et des bandes de chiens errants s'acquittent tant bien que mal des
fonctions de la voirie*; des quartiers entiers de cahutes en roseaux et en
pisé, de maisons basses en briques crues, surmontées déjà peut-être de ces
dômes coniques qu'on aperçoit plus tard sur les bas-reliefs assyriens; des
bazars populeux et bruyants, où chaque corps de métier se cantonne dans ses
impasses et dans ses ruelles réservées; des espaces silencieux et mornes, par-
semés de palais et de jardins où les riches cachent leur vie intime, et, domi-
nant la mêlée des constructions particulières, les palais ou les temples avec
leurs ziggourats coiffées de chapelles dorées ou peintes. On a mis au jour
parmi les ruines d'Ourou, d'Éridou et d'Ourouk les restes de quelques maisons
où logeaient sans doute des gens de bonne famille3. Elles sont construites
en belles briques, dont une couche mince de bitume cimente les lits, et elles
n'aventurent au dehors que des lucarnes percées irrégulièrement vers le haut
des parois : la porte basse, cintrée, défendue de lourds vantaux en bois,
ferme un corridor aveugle et sombre qui aboutit d'ordinaire à la cour, vers
le centre des bâtiments. On distingue encore à l'intérieur de petites salles
oblongues, tantôt voûtées, tantôt couvertes d'un plafond plat que des troncs
1. On peut lire à ce sujet les descriptions que le voyageur Olivier faisait de Mossoul (Voyage dmns
l'Empire Othoman, t. II, p. 356-357), de Bagdad (W., t. Il, p. 381-382), celles que Niebuhr a données
de Bassorah (Voyage en Arabie, t. II, p. 172) vers la fin du siècle passé, et qui sont confirmées, pour
le commencement et le milieu de notre siècle, par les récits de Kbppkl, Personal Narrative of a
Journey from India to England, by Bassorah, Ragdad, the ruins of Rabyton, etc., t. I, p. 69.
2. Cf. p. 740 de cette Histoire le tableau de l'enfant exposé à côté du puits où les femmes viennent
puiser, et que ses parents adoptifs ont arraché à la gueule des chiens et au bec des corbeaux.
3. Les fouilles ont été conduites à Ourou et à Ourouk par Loftfs, Travels and Researches in Chaldsea
and Susiana, et par Taylgr, Notes on the ruins of Muqeyer, dans le Journal of the Royal Asiatic
Society, t. XV, p. 260-276, à Êridou par Taylor, Notes on Tel-el-Lahm and Abou-Shahrein, dans le
J. As. S., t. XV, p. 404-415. Pour l'appréciation des ruines découvertes par ces deux explorateurs,
voir Perrot-Chipiez, Histoire de l'Art dans l Antiquité, t. Il, p. 448-449.
94
à
746 LA CIVILISATION CIIALDEENNË.
de palmier soutiennent'; les murs atteignent le plus souvent une épaisseur
considérable, dans laquelle on pratiquait ça et là des niches étroites. La
plupart des pièces n'étaient
que des magasins et conte-
naient les provisions et la
richesse de la famille;
d'autres servaient à l'habi-
tation et recevaient un mo-
nauwi cutniuiiu x oi:rih'*. bilier. Il était fort simple
chez les bourgeois riches non
moins que chez le peuple, et se composait surtout de chaises et de tabourets,
comme dans le palais des rois; les chambres à coucher avaient leurs coffres à
linge et leur lit avec ses matelas minces, ses couvertures, ses coussins, peut-
être ses chevets de bois analogues aux chevets africains', mais on dormait le
plus souvent sur des nattes déployées à terre. Un four à pains occupait un
coin de la cour, à côté des pierres à broyer le grain ; le foyer demeurait tou-
jours chaud, et s'il s'éteignait, on avait des hâtons à feu pour le rallumer ainsi
1. Tjtlo», Holet on Ihe ruini of Muaeyer, dans te J. A». Soc., t. XV, p. ÏCfi, trouva encore les
restes des (loutres en bail de palmier qui Ibrmaipnt la terrasse. Il pense (Notes on Tel-cl-Lahm mut
Aliu-Shahrein, dans le J. A: Soc., t. XV, p. 411), comme aussi l.oflus (TraccU and hesearthn in
Chalda-a and Sitiiana, p. 181-183), qu'une partie des chambres était voiïloe. Cf., sur ret usa^n des
voiltes dans les maisons rhaMéi-iines, Phikot Chimm, llixtoin: de ïArtdnn* CAiitiijiiitf. 1. Il, p. 1(>î «<|(|.
S. Rmitt de Faucher-liudin, d'aprèt te rroqui* de Tivi.oa, Hoir* on Ihe Ruina of Muqeyer, dans
le Journal of Ihe Hinjal Aaialk Society, I. XV, p. îtHÎ.
3. l'Iitnt dretati pur faucher-Guilin, d'âpre* Ici croi/nii de Tivi.ob, .Vo/r« nu Ihe ruina of Vuqran,
dans le Journal of Ihe Royal Asialic Society, t. XV, pi. III. Les maisons reprofluii.'S i la partie
gaurhe du plan ont été déblayées dans les ruines ri'tlumic; les maisons reproduites à 11 parlic dn.ite
a|i|i:irlii']ii]rrit au\ ruines d'F.ridoii. On remarquera, sur le plan des maisons de droite, le* niche»
ménagées dans les murs, et dont il est parlé dans le lexte.
1. Les chignons et les cheveux échafaiidés de diverses figures gravées sup des inlailles chal-
iléennes (cf. ce qui est dit des arrangements divers de la chevelure à la p. 7î!l de celte llitioire]
semblent indiquer l'usage de ces ustensiles : des coiffures aussi compliquées durent ur>1in»iri-ini-ni
plusieurs jours au moins, et ne se conservent ce temps qu'à la condition d'employer le chevet.
LA VIE DOMESTIQUE. 741
qu'en Egypte'. La batterie de cuisine et la vaisselle comprenaient quelques
larges marmites en cuivre et des pots en terre arrondis par le bas, des plats,
des jarres pour l'eau et pour le vin, des bols, des assiettes épaisses et de
pâte grossière* ; le métal n'avait pas encore aboli la pierre, et l'on ren-
contrait pêle-mêle dans le même ménage des haches ou des marteaux en
bronze à côté de haches ou de mnrinniix. rie
couteaux, de grattoirs ou de masse
De nos jours, les femmes des pa
séjournent beaucoup sur leurs V
installent le matin, jusqu'à ce qu
chaleur les chasse; elles y rem<
tenl dès que le soleil commence
baisser sur l'horizon, et elles y pa;
sent la nuit ou ne le quittent
plus que très avant dans la
soirée. Elles y vaquent libre-
ment aux soins domestiques, en
échangeant des propos d'une terrasse à l'autre; elles y boulangent, elles y
cuisinent, elles y lavent et tendent sécher le linge, ou, si elles ont des esclaves
pour les dispenser de ces soucis vulgaires, elles y cousent ou elles y brodent
en plein air. Elles descendent pendant les heures brûlantes et se réfugient
à l'intérieur. Dans la plupart des maisons riches, la plus fraîche des pièces
se trouve souvent en contre-bas du sol de la cour et ne reçoit que fort peu
de lumière. Elle est dallée de plaques en un gypse poli, qui ressemble à nos
1. L'usage 'lu bâton à feu chez lus Chaldécns a été indiqué presque simultanément par Bosc.iwev,
0» some early Babylonian or Akkadien Inscriptions, dans les Transactions de la Sodété d'Àichco-
lofiie Biblique, t. VI, p. S79-SKI, et par Houghtos, Oh Ihe Hieroglyphic or Picture Origin ofthe C.ka-
ractert of Ihe Assyrian Syltaliary, ibitl., p. 4H6-4G8; cf. pour l'Egypte p. 318 de celte Histoire.
t. Ces mai-miles sont représentées dans les scènes reproduites p. 474 sqq. de cotte Histoire. La
poterie (I [.-couverte par Loflus, au cours de ses fouilles, et par Taylor (Hôtes on Ihe ruins of Muqeyer,
dans le J. As. Soc., t. XV, p. i74 sqq.) dans les ruines et dans tes tombes de Mougheir et de Warka
(cC les tombeaux reproduits aux p. C84, CH!j, 087 de cette Histoire) est aujourd'hui au British Muséum
fr.f. Pshrot-Cbipio, Histoire de l'Art dans L'Antiquité, I. Il, p. 7QU-71I); des spécimens de celle qui
fui recueillie à Tclloh sont au Louvre (Hm:iït-S*i»h:, Déconcerte* en Chatdee, pi. XLII). La vaisselle
en cuivre est plus rare; on en a relrouvé pourtant les spécimens dans plusieurs des tombeaux d'Ourou
{ÎAtLO», Noie* on Abu-Shahre'tn and Ttl-el-l.ahm, p. .iiïi) et dans les restes des palais de Tcl-loli
(llM'iKV-StKEc, Découvertes en Outillée, p. 40, 35, 01, etc.).
3. Los outils en sitex et en autres espèces iln pierre ont été découverts par Taii.or. Notes on
AUu-Shahrcin and Tel-el- Lahm, dans le J. As. Soc., t. XV, p. 410-411 et pi. Il, cl sont aujourd'hui
au British Muséum. Les outils en bronze proviennent en partie des lombes de Moudiéfr. en partie
de* ruines explorées par Loflus à Tell-Sifr, c'est-à-dire des cilés anciennes d'Ourou el de Larsain : le
nom de Tell-Sifr, le tertre du cuivre, vicnl de la masse d'objets i: livre qu'on y découvre.
4. Oliviui, Voyage dans {Empire Othoman, t. Il, \>. :i!îf>-3.", 381-384, 3!>S-3fl3.
ti. Destin de. Fauchcr-Oudin, d'après les croquis de G. ll.wLtr.sos. The Fire Great Monarchies,
1" éd., t. I, p. 91, et lliéliograrure de Heciby-Saiuiei:, Di'cauvertcs en Chaldée, pi. 44.
7'#8 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
beaux marbres gris et blancs, et les murailles sont enduites d'une couche
de plâtre fin, moelleux au toucher, doux à l'œil. On les arrose plusieurs fois
le jour pendant l'été, et l'eau refroidit l'air en s'évaporant. Le peu d'habi-
tations ruinées que l'on a explorées jusqu'à présent dans les villes anciennes,
semble indiquer les mêmes besoins et les mêmes habitudes que de nos jours.
Comme nos contemporaines de Bagdad ou de Mossoul, les Chaldéennes d'au-
trefois paraissent avoir préféré l'existence à ciel ouvert et presque en public
à la réclusion sous des plafonds étouffés ou dans une cour étriquée. Les
ardeurs du soleil, le froid, la pluie, la maladie les obligeaient malgré elles à
chercher un asile entre quatre murs; sitôt qu'elles pouvaient sortir sans incon-
vénient, elles grimpaient sur leur toit pour y vivre.
Beaucoup de familles dans le peuple et dans la petite bourgeoisie possé-
daient la maison où elles logeaient1. C'était un patrimoine qu'elles s'effor-
çaient de conserver intact à travers toutes les vicissitudes5 : le chef la léguait
en mourant à sa veuve ou à l'aîné de ses enfants mâles3, ou du moins il la
laissait indivise entre ses héritiers, probablement jusqu'à ce que l'un d'eux
rachetât les droits des autres. Le reste des biens, fermes, jardins, terres à
blé, esclaves, mobilier, bijoux, était réparti entre les frères ou les descen-
dants naturels, « de la bouche jusqu'à l'or », c'est-à-dire du moment où l'on
annonçait l'ouverture des opérations jusqu'à celui où l'on délivrait à chacun ce
qui lui revenait*. Pour donner à cet acte plus de solennité, on l'accomplissait
d'ordinaire en présence d'un prêtre. Les intéressés se rendaient alors au
temple, « à la porte du dieu », ils y remettaient la totalité de la succession
aux mains de l'arbitre choisi, et ils le requerraient de la distribuer équitable-
ment; ou bien l'aîné des frères procédait au lotissement devant lui, et il
n'avait qu'à sanctionner les résultats ou à trancher les différends qui pouvaient
s'élever entre les ayants droit au cours de la séance. Lorsqu'il avait terminé,
les légataires devaient déclarer s'ils étaient satisfaits, et au cas où ils n'intro-
1. Le fait résulte du nombre relativement considérable d'actes où l'on rencontre des gens de classe
moyenne donnant hypothèque sur la maison, la vendant, la louant à bail, toutes opérations auxquelles
ils ne pourraient se livrer si elle ne leur appartenait pas.
2. La location d'une maison se faisait pour des périodes de temps très variables, pour trois mois
(Peiser, Babyloniache Vertrâge, p. 56-57, 25-1-255), pour un an (irf., p. 60-63, 256), pour cinq ans (m/.,
p. 191-197, 300-301), pour un terme indéterminé (irf., p. 196-199, 301), mais avec minimum de six
mois, puisqu'on fixe le payement du loyer au commencement et au milieu de chaque année. Sur les
charges et les droits du locataire et du propriétaire, voir, pour les bas temps, l'étude de kohler dans
Kohlkh-Peiser, Baby Ionise lie Vertrage, p. 41-45.
3. (/est sans doute cette « part du frère aîné » qui est mentionnée dans un passage assez obscur
du texte des lois dites sumériennes (Rawunson, Cutt. lus. M". As., t. II, pi. 9, col. m, I. 7-9;
Fr. Lenorhant, Choix de Tartes Cunéiformes, p. 13).
4. Telle est, du moins dans le gros, l'interprétation que Mkissner, Beilrâge zum altbabylonischrti
Privatrecht, p. 146, 15, a proposée de cette locution originale.
LE PRÊT À INTÉRÊT. 749
duisaient aucune réclamation, on leur dictait devant l'arbitre divin l'engage-
ment de ne plus se quereller à ce sujet et de ne jamais porter plainte les uns,
contre les autres*. À force de renouveler les partages de génération en géné-
ration, on finissait par user les fortunes les plus considérables : les lots de
plus en plus petits ne suffisaient qu'à peine à l'entretien des familles, et le
moindre accident contraignait le propriétaire à recourir aux usuriers. Les
Chaldéens ne connaissaient pas plus que les Égyptiens l'usage de la monnaie,
mais le maniement des métaux précieux comme matière de troc atteignit chez
eux de bonne heure un développement énorme*. L'or servait à cet office ainsi
que le cuivre, mais l'argent fournissait l'instrument usuel des transactions, et
commandait presque à lui seul la valeur vénale des personnes et des choses.
On ne le taillait jamais en anneaux plats ou en fils enroulés, comme les
Égyptiens faisaient pour leurs labnou*; on le coulait en petits lingots non
marqués, qu'on offrait ou qu'on acceptait au poids et qu'on vérifiait à la
balance au moment de chaque négociation*. Peser était dans la langue courante
l'expression du payement en métal, et mesurer celle du payement en grains8 :
on désignait donc les lingots d'échange par le nom même des poids qu'ils
accusaient. L'unité inférieure était un sicle de 8 gr. 415 en moyenne :
soixante sicles faisaient une mine, soixante mines un talent. Les Chaldéens
possédaient-ils déjà, comme plus tard les Assyriens, deux séries de sicles
et de mines, l'une plus forte, l'autre plus faible8? Que ce fût du métal qu'on
prêtât, ou du grain, ou toute autre substance, l'intérêt était considérable7.
1. Meissner, Beilrâge zum allbabylonischen Privatrecht, p. 16; cf. les actes nM 101-111, où toute la
procédure suivie en pareil cas est illustrée par les pièces mêmes qui sont parvenues jusqu'à nous.
2. Les questions relatives à cet emploi des métaux précieux ont été traitées sommairement par
Fr. Lenormant, la Monnaie dans l'Antiquité, t. I, p. 110-122. Voir dans Rawlinson, Cun. Ins. W. As.,
t. 111, pi. 41, I. 15-30, le prix d'un champ énuméré en objets divers, chariots, ânes, taureaux,
étoffes, etc., dont la valeur argent est inscrite en face de chaque article (Oppkrt-Menant, Documents
juridiques de l'Assyrie et de la Chaldée, p. 116-119, 122, 124-125; Belser, Babylonische Kudurru-
Inschriften, dans les Beilrâge zur Assyriologie, t. Il, p. 124-127, 151-152).
3. Voir ce qui est dit des tabnou égyptiens en métal, aux pages 323-326 de cette Histoire.
4. Si le sens primitif de l'idéogramme par lequel on désigne le sicle dans les inscriptions est
vraiment masse, globe, comme Lenormant l'a pensé, on pourrait en conclure que les lingots employés
par les Chaldéens avaient en général la forme ovoïde, légèrement aplatie, des premières monnaies
lydiennes (Fr. Lenormant, la Monnaie dans V Antiquité, t. I, p. 112-113).
5. « Il pèse l'argent, il mesure le grain » (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. II, pi. 13, col. II, I. 44-45;
cf. Oppert-Menant, Documents juridiques de l'Assyrie et de la Chaldée, p. 12, Fr. Lenormant, Etudes
Accadiennes, t. III, p. 2).
6. Cf. pour toutes les questions que soulèvent les deux séries de poids employées par les Assyriens,
et d'une manière générale tous les poids équivalents à notre monnaie, Oppert, l'Etalon des mesures
Assyriennes fijeé par les textes cunéiformes, p. 69 sqq., et les observations de Lehiuann dans Meissner,
Beitràge zum allbabylonischen Privatrecht, p. 95-101.
7. Ou trouve à plusieurs reprises, pendant le cours du Second Empire Chaldéen, des échanges de
blé contre des vivres et des liqueurs (Peiskr, Babylonische Vertrâge, p. 76-79) ou de poutres contre
des dattes (te/., p. 206-207, 305-306). En fait, le troc n'a jamais disparu complètement de ces régions,
et aujourd'hui encore, en Chaldée comme en Egypte, le blé est employé dans bien des cas soit pour
payer l'impôt gouvernemental, soit pour opérer des paiements commerciaux.
750 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
Une loi très ancienne le fixait en certains cas à 12 drachmes par raine et par
année, soit à 20 pour 1001, et des textes plus récents nous montrent qu'un
accroissement d'un quart, soit 25 pour 100, n'avait rien d'anormal*. Le com-
merce des capitaux se concentrait presque entier dans les temples. Les quan-
tités de métal ou de céréales que les dieux recevaient constamment, soit à
titre de revenu fixe, soit comme offrandes journalières, s'accumulaient rapi-
dement et auraient encombré les magasins, si l'on n'avait imaginé un moyen
de les utiliser à bref délai : les prêtres en trafiquaient et les faisaient fruc-
tifier3. Chaque placement nécessitait l'intervention d'un scribe public4. Le
billet, rédigé devant témoins sur tablette d'argile, énumérait les sommes
versées, les noms des parties, le taux de l'usure, la date des remboursements,
et parfois une clause pénale en cas de fraude ou d'insolvabilité : il demeu-
rait entre les mains du créancier jusqu'à la complète extinction de la dette.
L'emprunteur consignait assez souvent un gage, des esclaves, un champ, sa
maison5, ou bien tels ou tels de ses amis répondaient pour lui sur leur fortune
propre8; parfois même il amortissait par le travail de ses mains l'intérêt
qu'il aurait été incapable d'acquitter autrement, et l'on stipulait d'avance au
contrat le nombre de jours de corvée qu'il fournirait périodiquement à son
créancier7. Si, malgré tout, il n'arrivait pas à l'échéance avec les fonds néces-
saires à sa libération, le principal s'augmentait d'une quantité prévue, d'un
tiers par exemple, et ainsi de suite jusqu'à ce que la valeur totale des sommes
1. Le vieux texte suméro-assyrien publié dans Rawlinson, Cun. Ins. \Y. As., t. II, pi. 12, col. i,
I. 20-21; cf. Oppert-Menant, Documents juridiques de V Assyrie et de la Chaldée, p. 19, 23; Priser,
Baby Ionise he Vertrâge, p. 227. Sur les billets publiés par Meiss.ner, Beilràge zum altbabylonischen
Privatrecht, p. 21-29, on parle des intérêts à rendre avec le capital sans en spécilier la quotité.
2. Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. III, pi. 47, nB 9; cf. Oppert-Menant, Documents juridiques de
la Chaldée, p. 193-195. Les documents sont assyriens et datent du règne d'Assourbanabal.
3. Meissner, licitràge. zum altbabylonischen Privatrecht, p. 819. (l'est le dieu lui-même, Shamash
par exemple, qui était censé prêter son bien, et c'est à lui que les contrats stipulaient qu'on rendrait
le capital avec les intérêts. Il est assez curieux de retrouver, parmi les plus habiles des manieurs
d'argent, plusieurs princesses consacrées au dieu Soleil (Meissner, Beitrâge zum altbabylonischen
Privatrecht, p. 8); cf. p. «78-679 de cette Histoire.
4. Les documents relatifs à ces transactions ont été étudiés pour la première fois par Oppert,
les Inscriptions commerciales en caractères cunéiformes, dans la Revue Orientale et Américaine,
V série, t. VI, p. 33-4-337; les différentes espèces de billets qui s'y rapportent sont énumérées
sommairement dans Fr. Lenormant, la Monnaie dans C Antiquité, t. I, p. 113 sqq.
5. Kawunson, Cun. Ins. H\ As., t. II, pi. 13, col. i, I. 27-29; cf. Oppert-Menant, Documents juri-
diques de l'Assyrie et de la V.haldée, p. 15; Fr. Lenormant, Éludes Accadiennes, t. III, p. 42;
.Mkissnkr, Deitriige zum altbabylonischen Priuatrecht, p. 9. Ou trouvera une créance assurée sur des
esclaves (Peiser, Habylonische Vcrtràge, p. 11-1-117), sur des champs (Oppert-Menant, Documents
juridiques de l'Assyrie et de la Chaldée, p. 155-157, 181-185, 234-236; Peiser, Habylonische Yertrâge,
p. 110-113, 164-165), sur une maison (Peiser, Babylonische Vertràge, p. 4-7, 10-13,42-13,72-75);
ailleurs des bijoux d'or (n>., ibid., p. 130-131, 280-281), ou une rente sur les revenus d'un temple
(id., ibid., p. 158-161, 292-293) servent de gage à un créancier.
6. On voit, par exemple, un père garantir son lils (Oppert-Menant, Documents juridiques de rAs-
syrie et de la Chaldée, p. 260-202).
7. On trouve, dans une pièce d'époque récente, une clause imposant deux jours de travail au
débiteur, Oppert-Menant, Documents juridiques de l'Assyrie et de la Chaldée, p. 266-268.
LE COMMERCE PAR TERRE ET LA NAVIGATION. 751
égalât celle de la garantie1 : l'esclave, le champ, la maison étaient dès lors
perdus pour leur ancien maître, sauf un droit de rachat dont il n'avait que
rarement les moyens de profiter*. Le petit commerçant ou l'ouvrier libre
qu'un accident forçait à s'obérer n'évitaient cette spoliation progressive qu'au
prix d'efforts extrêmes et d'un labeur incessant. Le négoce extérieur pré-
sentait, il est vrai, des périls sérieux, mais les chances de gain étaient si
considérables que beaucoup de gens s'y adonnaient de préférence à des
entreprises plus certaines et moins lucratives. Ils partaient seuls ou par
troupes pour l'Elam ou les régions du Nord, pour la Syrie, peut-être pour
l'Egypte3, et ils rapportaient de leurs caravanes ce qu'on estimait le plus
précieux dans ces contrées. Les voies de terre n'offraient pas beaucoup de
sécurité : non seulement les nomades et les bandits de profession rôdaient
autour des voyageurs et les obligeaient à une vigilance de tous les instants,
mais les habitants des villages, mais les petits seigneurs locaux, mais les rois
des pays qu'ils parcouraient ne se faisaient aucun scrupule de les malmener,
ou de leur accorder très cher la libre pratique des marchés ou des territoires4.
On courait moins de risques sur les routes d'eau : l'Euphrate d'un côté, le
Tigre, l'Oulaî, l'Ouknou de l'autre traversaient des populations riches et
industrieuses, chez qui les marchandises chaldéennes se vendaient bien et
s'échangeaient aisément contre des denrées d'un débit avantageux à la ren-
trée5. Les navires qu'on employait communément étaient des kéleks ou des
couffes, mais des couffes de dimensions énormes. Plusieurs individus se réu-
nissaient d'ordinaire pour noliser un de ces bâtiments et pour lui préparer un
1. On prévoit de la sorte, dans les contrats du Nouvel Empire Assyrien ou Babylonien, un accrois-
sement au double (Oppert-Menant, Documents juridiques de V Assyrie et de la Chaldée, p. 186-187)
et au triple (id., ibid., p. 164 sqq., 187-188) de la somme prêtée; le plus souvent l'intérêt s'accumule
jusqu'au quadruple (m., ibid., p. 181-184, 226-228, 232-234, 239-240, 247-2 i8), après quoi sans doute
le gage appartenait au créancier. On calculait probablement qu'alors le capital augmente des intérêts
équivalait à la valeur de la personne ou de l'objet donné en gage.
2. On se garait contre ce droit de rachat par une formule de malédiction insérée à la fin des contrats
contre celui qui voudrait en user ; elle est inscrite d'ordinaire sur les pierres bornâtes du Premier
Kmpirc Chaldécn (Oppert-Menant, Documents juridiques de V Assyrie et de la Chaldée, p. 85 sqq. ;
Belser, liabylonische Kudurru-lnschriften, dans les Britràge zur Assyriologie, t. Il, p. 118-125,
cf. les observations de Kohler dans Kohler-Peiser, liabylonische Vertràgc, p. 40-41).
3. Cf. ce qui est dit du commerce d'Ourou, p. 613-616 de cette Histoire. Un nom propre, Shamisri,
qui se trouve sur un contrat du temps de la première dynastie babylonienne, montrerait des rap-
ports entre l'Egypte et la Chaldée, s'il faut le traduire réellement par l'Égyptien, comme le pense
Mkissnkr, Beilràge. zum allbabylonischen Privatrecht, p. 21, 107.
4. H n'y a aucun renseignement d'origine babylonienne sur l'état des routes et sur les dangers que
les marchands couraient à l'étranger : les documents égyptiens suppléent en partie à cette lacune de
nos connaissances. Les Instructions contenues au Papyrus Sa Hier nu II montrent les misères du
voyageur (pi. VII, I. 6-8), et les Aventures de Sinon hit (1. 96-98; cf. Maspf.ro, les Contes populaires de
l'Egypte ancienne, 2" éd., p. 105-106) font allusion à l'insécurité des chemins en Syrie, par le soin
même que le héros prend de raconter ce qu'il fit pour en assurer la sécurité. Ces deux documents
sont de la XII* ou de la XIIIe dynastie, c'est-à-dire contemporains des rois d'Ourou et de Goudéa.
5. Sur le commerce maritime des cités chaldéennes, cf. ce qui est dit p. 615-616 de cette Histoire
752 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
chargement convenable1. La carcasse était fort légère, en branches d'osier ou
de saule recouvertes de peaux cousues; on répandait une jonchée de paille
dans le fond, puis on empilait régulièrement les ballots ou les caisses, sur
lesquels on jetait comme un manteau de paille nouvelle. L'équipage compre-
nait deux rameurs au moins et parfois quelques baudets : les associés remon-
taient les fleuves jusqu'à ce qu'ils eussent disposé de leur cargaison et emma-
gasiné leur fret de retour*. Le danger, pour être moindre que sur les chemins
terrestres, n'en demeurait pas moins réel. Souvent le bateau sombrait ou
s'échouait à la berge, les riverains interceptaient et pillaient les convois, une
guerre éclatait entre deux royaumes voisins et suspendait tout commerce :
le marchand branlait sans cesse entre la servitude, la mort et la fortune.
Le négoce sédentaire, tel qu'on le pratiquait dans les villes, enrichissait
rarement son homme, et parfois il le nourrissait à peine. Les loyers étaient
ruineux pour ceux qui n'avaient point de logis héréditaire; à la rigueur on se
tirait d'affaire avec un demi-sicle d'argent par année, mais le prix moyen
était d'un sicle entier. On versait en entrant une sorte de denier à Dieu, qui
montait parfois au tiers de la somme totale : on acquittait le surplus à la
fin de l'année. Les baux duraient un an le plus souvent, mais on en con-
tractait aussi pour des termes plus éloignés, deux, trois, même huit années.
Les frais de réparation et d'entretien tombaient d'ordinaire à la charge du
locataire : il pouvait aussi construire sur le terrain qu'il avait loué, et alors on
le déclarait franc de charges pour un délai d'environ dix ans, mais la maison
et en général tout ce qu'il avait bâti revenait ensuite au propriétaire5. La plu-
part des boutiquiers fabriquaient en personne, avec l'aide d'esclaves ou d'ap-
prentis libres, les objets qu'ils débitaient au jour le jour. Chacun initiait ses
enfants à son métier, ceux-ci à leur tour y instruisaient les leurs ; les familles
qui suivaient une même profession par hérédité, et celles qui se ralliaient à
elles de génération en génération, formaient partout des guildes, ou, pour
employer le terme usuel, des tribus gouvernées par des chefs et régies par
des coutumes spéciales. On était de la tribu des tisserands, ou de celle des
forgerons, ou de celle des marchands de blé, et le signalement d'un individu
1. On trouve dans Strassnaier, Die Babylonischen Inschriften im Muséum su Lirerpool (dans les
Actes du VIe Congrès International des Orientalistes, 2° part., Sect. I, p. 575, n° 28, et pi. XXVU-XXVIII),
une liste de gens qui avaient nolisé un bateau. Le loyer coûtait parfois assez cher : le seul contrat
que je connaisse sur la matière, et qui est du temps de Darius 1er, exigeait un sicle d'argent par jour
pour le bateau et pour l'équipage (Peiser, babylonische Verlrâge, p. 108-111, 273).
2. Ce sont les bateaux qu'Hérodote a vus et décrits (I, cxciv), et dont on se sert encore sur le Tigre
sans changement notable (Layard, Nineveh and Us rcmains, 1, ch. xiii, et II, ch. v).
3. Mkissser, Beitrâge zum altbabylonischen Privatrecht, p. 71-72.
LES CORPORATIONS, LA FABRICATION DE LA BRIQUE. 753
n'aurait pas été réputé complet dans un acte public ou privé, si Ton n'avait
inséré la mention de sa tribu derrière son nom, à côté de sa filiation pater-
nelle1. C'était la même organisation qu'en Egypte, mais développée plus com-
plètement1 : d'ailleurs les métiers ne différaient guère chez les deux peuples,
à quelques exceptions près dont la nature du sol et sa constitution physique
rendent un compte suffisant. On ne rencontrait pas aux bords de l'Euphrate
ces corporations de tailleurs de pierre et de marbriers, si nombreuses dans
la vallée du Nil. L'immense plaine chaldéenne n'aurait pu les occuper, faute
de montagnes et de carrières prochaines : on allait chercher fort loin le peu de
calcaire, d'albâtre ou de diorite indispensable, et on le réservait à des détails
de décoration monumentale, pour lesquels un petit nombre d'artisans et de
sculpteurs suffisaient amplement. L'industrie des briquetiers s'en était accrue
d'autant : ils faisaient la brique sèche plus grande que celle des Égyptiens,
plus résistante, plus fine de terre, plus soignée d'exécution, et ils avaient
poussé la fabrication de la brique cuite à un degré de perfection qu'elle
n'atteignit jamais à Memphis ou à Thèbes. Une légende antique en rattachait
l'invention, et par suite la construction des premières villes, à Sin, le fils aîné
de Bel, ainsi qu'à son frère Ninib3; cet événement avait eu lieu en mai-juin,
et depuis lors le troisième mois de l'année, celui auquel les Gémeaux prési-
daient, s'appelait Mourga en sumérien, et dans l'idiome des Sémites, Simanou,
le mois de la brique*. C'était le temps qu'on choisissait pour se livrer aux
manipulations que le métier exige : la crue des fleuves, très forte pendant les
mois précédents, diminue alors, et l'argile qu'elle découvre, lavée, pénétrée,
retournée par les eaux depuis des semaines, se laisse travailler sans difficulté.
Le soleil, de son côté, chauffe hissez dur pour dessécher la pâte de façon égale
et douce; plus tard, en juillet et en août, elle craquellerait à l'intensité de ses
feux et se changerait en une masse trop friable à l'extérieur, trop humide au
centre, pour qu'il fût prudent d'en user dans des constructions soignées.
1. L'existence de ces corporations ou tribus est prouvée, à Babylone par exemple, par les actes du
Second Empire Chaldéen, qui donnent presque toujours le nom de la tribu, à côté de la filiation des
individus engagés dans une affaire à un titre quelconque. Elle a été signalée par Oppert, Babylone et
les Babyloniens (dans t Encyclopédie des Gens du monde, 2* éd., t. I, p. 658), où le sens de caste était
indiqué; cf. les Tablettes juridiques de Babylone, dans le Journal Asiatique, t. XV, 1880, p. 543-544.
î. Sur les corporations et sur les gens de métier en Egypte, cf. p. 310-311 de cette Histoire.
3. Les faits qui se rapportent à l'origine légendaire et à la fabrication de la brique ont été discutés
tout au long par Fr. Lenormant, les Origines de l'Histoire, t. I, p. 141 sqq.
4. Cette synonymie a été fournie par une tablette du British Muséum, qui a été publiée d'abord
par Kdwin Norris, Assyrian Dictionary, P' I, p. 50, puis par Fr. Delitzsch, Assyrische Lesestûcke, 2* éd..
p. 70, n* 3. La preuve que Simanou, le Siwàn des Juifs, était le mois consacré à la fabrication des
briques, s'est rencontrée tout d'abord dans l'inscription dite des Borils de Sargon, étudiée en premier
lieu par Oppert, Expédition scientifique en Mésopotamie, t. I, p. 355-356, et les Inscriptions de Dour-
Sarkayan, dans Place, Xiniveet l'Assyrie, t. H, p. 290.
HIST. ANC. i»f. l'orient. — T. I. 95
754 LA CIVILISATION CHALDÊENNE.
La mise en train était précédée de fêtes et de sacrifices à Sin, à Mardouk, à
Nébo, à toutes les divinités qui s'intéressaient aux arts de la bâtisse ; d'autres
cérémonies religieuses s'échelonnaient le long du mois et sanctifiaient l'œuvre
qui s'exécutait. Elle ne finissait pas au dernier jour, mais on la continuait
jusqu'au retour de l'inondation, avec plus ou moins d'activité selon la cha-
leur qu'il faisait ou selon l'importance des commandes : seule la brique
destinée aux édifices publics, temples ou palais, ne pouvait être moulée en
un autre temps1. Les teintes que la cuisson engendre naturellement dans les
terres, rouge ou jaune, grise ou noirâtre, n'ont rien d'agréable pour l'œil :
on les dissimula sous des couches d'émail coloré plaisantes à voir, indestruc-
tibles au soleil et à la pluie1. La glaçure, étendue sur les tranches ou sur les
plats de la brique encore crue, s'y vitrifiait au four et s'y incorporait tout
entière. L'Egypte avait connu le procédé de bonne heure, mais elle l'avait
rarement utilisé à la décoration des monuments5 : la Ghaldée fit des plaques
émaillées un usage considérable. Elle laissa nus le soubassement de ses palais
et les murailles extérieures de ses temples, mais elle habilla de ses carreaux
multicolores les édicules qui couronnaient les ziggourat, les salles de récep-
tion, le dessus des portes. On en recueille les débris dans les ruines de ses
villes, et l'analyse à laquelle on les a soumis montre l'habileté prodigieuse de
ses vieux émailleurs : les tons en sont doux et francs, l'étoffe homogène, la
couverte égale partout, et si solide que ni des siècles d'ensevelissement dans
un sol détrempé, ni le transport et l'exposition dans l'atmosphère humide de
nos musées n'en ont altéré la fraîcheur et l'éclat*.
Il faudrait, pour juger ce qu'était l'outillage industriel, pouvoir surprendre
les diverses corporations au travail, comme nous faisons les ouvriers égyp-
tiens dans les mastabas de Saqqarah ou dans les hypogées de Béni-Hassan.
La pierre en fournissait encore une bonne part, et l'équipement des morts se
réduirait à peu de chose parmi les tombes d'Ourou, si l'on en retranchait les
objets en silex, les couteaux, les couperets, les grattoirs, les herminettes, les
1. Tous ces faits résultent du passage de Y Inscription des Barils (1. 57-61) où Sargon, roi d'Assyrie,
raconte la fondation de la ville de Dour-Sharroukin.
2. Sur la brique émaillée, et sur le rôle de l'email en général dans la décoration chaldéenne,
voir Perrot-Chipiez, Histoire de l'Art dans V Antiquité, t. H, p. 295 sqq.
3. Le seul exemple qu'on en connaisse pour les époques anciennes serait la chambre funéraire de
la Pyramide à degrés de Saqqarah, si, comme je le crois, les briques émaillées qui la revêtaient remon-
tent, en partie au moins, aux temps de l'Empire Memphite; cf. p. 243 de cette Histoire, note t.
4. Taylor en trouva de nombreux fragments, d'un ton bleu pour la plupart, à Moughéir, dans les
ruines d'Ourou (Notes on the ruins of Muqeyer, dans le J. As. Soc., t. XV, p. 262); Loftus (Travels
and Hesearches in Chaldxa and Sus i an a, p. 185) en signale autant dans celles d'Ourouk. 11 est possible
qu'il faille attribuer ces restes de décoration émaillée, non pas aux constructions primitives, mais
aux travaux de restauration entrepris dans ces temples par les rois du Second Empire Chaldécn.
L'OUTILLAGE EN PIERRE ET EN MÉTAL. 753
haches, les marteaux'. La taille en est libre et la retouche intelligente, mais
on y remarque rarement la même pureté de galbe et la même intensité de
poli que sur les outils et
sur les armes des peuples
occidentaux. Quelques-uns
seulement sont d'une tour-
nure assez fine et portent
des textes gravés : l'un
d'eux, un marteau en silex
de forte taille, appartenait eui»*») es mmrk9
à un dieu, peut-être à
Ramman, et semble provenir d'un temple où l'un de ses propriétaires l'avait
consacré*. C'est une exception notable, mais c'est une exception. L'instrument
en pierre était d'ordinaire l'instrument du pauvre, l'instrument grossier et
peu coûteux : à trop en soigner l'exécution, on aurait du, ou le coter si cher
qu'il n'eût plus trouvé d'acheteur, ou le céder à si bon marché que le vendeur
n'en eût retiré aucun bénéfice. Au delà d'un certain prix, on se procurait
aisément des outils en métal, en cuivre d'abord, puis en bronze et plus tard
1. Le British Muséum en possède une collection fort intéressa nie recueillie par TirLOI, Sole» on Abu-
Shahrein and Tcl-et-Lahm, dans le Journal /(. An. Soc., t. XV, pi. Il, b, h, i, k, m, », et par Loft us,
Travcl» and llesearches in Chaldaa and Susiana. Quelques-uns de ces objets ont été reproduili
dans G. IUwlusw, The Fh'r Greal Monarchies, V cd., t. I, p. 9">-98.
i, Dettin de Fauchtr-Gudin, d'aprè» le» croqui» publiée par Ta*lor, el par G. IUwlissos, T/ic Fii'c
Créai Monarchie», f* éd., t. I, p. 9ii-ue. A gauche un grattoir et deux couteaux superposés, au
milieu une hache, à droite un marteau et une hache en pierre. Tous ces objel6 proviennent des fouilles
de Taylor (.Vote* on Ihe ruina of Muqeyer, dans le Journal of the Royal Asiatic Society, l. XV, pi. M,
b, h, i, k, m. n) et sont déposés aujourd'hui nu British Muséum.
3. Elle se trouvait dans l'ancienne collection du cardinal llor^ia el appartenait, il y a quelques
années, ou comte Ettore Borgia. Klle a été publiée par Srsvpws, Flinl Chips, p. 1 l.'i, et en far-HÎmilé
par Fa. Ltsoan.iNT, Tre Monumeali Caldei ed Assiri délie Colleiioni Romane, 1B"',', p. 4-9, et pi. VI, 1 :
CmAtli.ic, l'Age de ta pierre en Asie, dans le Troisième Congrès provincial des Orientaliste», tenu
à Lyon, t. 1, p. 3ÏI-3ÏÏ, a reproduit ce que Lenormant en avait dit.
». Destin de Faucher^iudin, d'après te monument publié par Kh. Looiuix., Trc Monumenli Caldei
ed Assiri délie Colle-.ioni Romane, pi. VI, n* t.
756
LA CIVILISATION CHALDÊENNE.
en fer1. On en rencontrait de toute sorte chez les fondeurs et chez les forge-
rons, des haches d'un modèle élégant et léger, des marteaux, des couteaux,
aussi de la vaisselle de ménage, des coupes, des chaudrons, des plats, des
garnitures de porte et de coffret, des figurines d'hommes ou de taureaux,
de monstres ou de dieux, qu'une for-
mule de prière écrite ou prononcée
sur elles pouvait transformer en amu-
lettes, des bijoux, des bagues, des boucles
d'oreille, des anneaux de jambe ou de bras,
enfin des armes offensives et défen-
sives, têtes de flèche et pointes de
lance, épées, poignards, casques
arrondis sans couvre-nuque et sans
visière8 : quelques-unes des pièces que les Chaldéens fabriquaient atteignaient
des dimensions considérables, ainsi les mers d'airain qu'on dressait devant
chaque sanctuaire, et dans lesquelles on recueillait les libations ou les
liquides destinés aux purifications des fidèles4. Comme il arrive souvent
chez les peuples à demi civilisés, les orfèvres maniaient les métaux pré-
cieux avec beaucoup d'adresse et de facilité. Nous ne possédons jusqu'à ce
jour aucune des images en or que les rois dédiaient dans les temples
OUTILS CHALDKE.NS K.N BRONZE
1. On a cru d'abord que tous les objets trouvés dans les tombes d'Ourou étaient en bronze; les
analyses de Berthelot, Introduction à l'Étude de la Chimie des Anciens et du Moyen Age, p. 225, ont
montre qu'une partie au moins d'entre eux étaient en cuivre pur.
2. Dessin de Faucher-Gudin, d'après G. Rawlinson, The Five Gréai Monarchies* 2# éd., t. I, p. 97.
A droite deux haches, au milieu un marteau, à gauche un couteau et une pointe de lance.
3. Les haches, les tranchants d'erminette, les marteaux, les couteaux, viennent des tombes d'Ourou,
ainsi qu'une partie des coupes et de la vaisselle (Taylor, Notes on the ruins of Muqeyer, p. 271.
273). Les garnitures et les figurines ont été trouvées un peu partout dans les ruines, à Lagash (Heuzey-
Sarzec, Fouilles en C ha Idée, p. 28-29) ou au bourg moderne d'Afadji près de Bagdad (A. de Longpérier,
le Musée Napoléon, t. 111, pi. 11) ou à Kalwadha (Inscription dans Hawlisson, Cun. Ins. W. As., t. I.
pi. 4, n° 15). Les bijoux et les armes proviennent soit d'Ourou et d'Ourouk (Taylor, Notes on the
ruins of Muqeyer, dans le /. .4*. Soc, t. XV, p. 272, 273, Notes on Abu-Shahrein and Tel-el-Lahm,
p. -115), soit de Lagash ou des environs (Hklzky, la Lance colossale d'hdoubar et les dernières fouilles
de M. de Sarzec, dans les Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1893, t. XXI,
p. 305-310). On voit des casques sur les restes de la Stèle des Vautours (cf. la vignette à la p. 606 de
cette Histoire); le Musée du Louvre en possède un de même forme (A. de Longpérimi, Notice des Anti-
quités Assyriennes, 3e éd., p. 53, n° 223), qui appartient à l'époque assyrienne et qui est originaire
de Khorsabad. La lance en bronze ou en cuivre que M. de Sarzec a découverte à Telloh montre que les
forgerons chaldéens ne reculaient pas devant l'exécution de pièces gigantesques : elle est décorée
de dessins tracés à la pointe sur le métal avec une netteté remarquable.
•i. Le roi Ourninâ de Lagash avait établi une Grande et une Petite Mer, et le mot qu'il emploie.
zouab, abzou, est celui qui sert a désigner l'Océan céleste (cf. p. 537 de cette Histoire), au sein duquel
le monde repose (Heuzky-Sarzec, Découvertes en Chaldëe, pi. 2, n° 2, col. m, 1. 5-6, col. iv, I. 6-7;
Oppert, Deux Textes très anciens de la Chaldée, dans les Comptes rendus de l'Académie des Inscrip-
tions et Belles-Lettres, t. XI, 1883, p. 75 sqq.; Ahiaud, The Inscriptions of Telloh, dans les Records of
the Past, 2,é Ser., t. Il, p. 66). Le rapprochement de ces abzou, fréquents dans les temples de la
Chaldée antique, avec la mer d'airain du temple de Salomon, a été fait par Sayce, dans une note à
la traduction d'Amiaud (Hecords of the Past,in4 Ser., t. I, p. 05, note 1).
L'ORFÈVRERIE, LES GRAVEURS DE CYLINDRES. 737
<lu revenu de leurs propres biens ou du butin pris sur l'ennemi, mais un
vase en argent, offert à Ninghirsou par Enténa, vicaire
de Lagash, nous donne l'idée de ce qu'était cette portion
du mobilier divin '. II pose d'aplomb sur un petit socle en
bronze, carré, à quatre pieds. Une Inscription pieuse s'en-
roule autour du goulot, et la panse se partage en deux
registres superposés, qu'un double filet cordé limite par
en haut et par en bas. Quatre aigles à deux tètes, les ailes
», la queue étalée en éventail, couvrent la zone inférieure :
;rres s'appuient sur la croupe de deux animaux adossés et
îts, alternativement deux lions et deux bouquetins ou deux
j-dessus et vers la naissance du col, sept génisses couchées
it la tète dans la même direction. Le tout se profile à la
ur le métal uni, sans reliefs ni incrustations. L'ensemble de
isition s'agence harmonieusement, l'allure
leur structure générale sont bien comprise
avec fermeté, mais le détail des crinière:
lages est d'une minutie et d'une exac-
»re enfantines. Ce monument suffirait
MB,1*"i à lui seul pour nous prouver que les orfèvres
les plus vieux de la Chaldée ne 1* cédaient en
rien à ceux de l'Egypte, quand les tombeaux ne nous
auraient pas rendu un certain nombre de bijoux en or
a'une facture excellente, boucles d'oreilles, bracelets ou
anneaux9. La composition et la gravure des cylindres occu-
paient à côté d'eux tout un monde d'intailleurs et de lapi
daires. Les manipulations étaient multiples et délicates qui
métamorphosaient l'éclat de roche brute, marbre ou granit
agate, onyx, jaspe vert et rouge, cristal, lapis-lazuli, eii
l'un de ces cachets merveilleux, que l'on compte presque
à la centaine dans la plupart de nos musées d'Europe. H fallait l'arrondir, le
calibrer, le polir, y buriner le sujet ou la légende. Le forage exigeait une
I. IIeiigv, le Vase du patém Enténa, daim les Comptrt rendus dr l'Académie des Intn-iptioiu, 1SW3,
t. XXI, p. 169-171, vile l'aléti Entiméua, d'après Ut découvertes de .«. de Sérier, ibid., p. 3IB-31!!.
i. Dessin de Fauclirr-tiudin, d'après Il fi iki-Sahiec, Découverte- eu l'Jialdée, pi. *8, n" <i. La let-
trine du présont rhipilrc (et. p. 71)3 de celle Histoire) donne un bon exemple de ce genre d'amulette,
3. Taïlob, Notes ou AbuShaltrein and Tet-et-Lahm, dan» le J. As. Soc., t. XV, p. 415.
4. Dessin de r'auchcr-Gudiit, d'après Mliisï-Sibili:, Découvertes en Chaldée, pi. 43.
758 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
grande légèreté de main, et plus d'un ouvrier ou ne perçait point ses cylindres
de peur de les briser, ou ne les évidait qu'aux deux extrémités, juste assez
pour que la monture métallique s'y adaptât et les laissât rouler librement.
On manœuvrait à les graver les mêmes outils que de nos jours, mais plus
grossiers. La pointe, qui n'était souvent qu'un silex, arrêtait les contours du
dessin et en esquissait le modelé, la scie y dégageait largement les creux
qui ne demandaient point de détails, enfin la bouterolle, poussée à la main ou
montée sur un touret, indiquait les articulations et la musculature des per-
sonnages par des séries de trous ronds. Le sujet ainsi traité sommairement,
on pouvait s'en tenir là et livrer la pièce au client; mais celui-ci, pourvu qu'il
ne reculât pas devant la dépense, trouvait sans peine un cylindre d'où les
traces de l'outil avaient disparu, et où la perfection du travail le disputait
à la richesse de la matière1. Le sceau de Shargani, roi d'Agadè, celui de
Bingani-shar-ali *, et tant d'autres qu'on a ramassés dans les ruines au hasard
des fouilles, sont de vrais bas-reliefs, resserrés et comme condensés sur une
surface de quelques centimètres, mais composés avec une entente ingénieuse
de la décoration et exécutés avec une hardiesse que les modernes ont égalée
rarement, jamais surpassée. On y pressent quelques-uns des défauts qui
déparèrent plus tard la sculpture assyrienne, l'épaisseur des formes, la saillie
exagérée des muscles, la dureté des contours, mais aussi toutes les qualités
qui ont fait d'elle un art original et puissant.
Les pays de l'Euphrate étaient renommés aux temps classiques pour la
beauté des étoffes brodées et peintes qu'ils apprêtaient3. Rien ne nous est
resté de ces tissus babyloniens dont les auteurs grecs et latins vantaient la
splendeur, mais on peut soupçonner par les statues et par les figures gravées
sur les cylindres ce que les filateurs osaient faire dès l'époque la plus reculée.
Le métier qu'ils employaient ne devait guère différer du métier horizontal en
faveur aux bords du Nil, et tout nous porte à penser que leurs toiles de lin
unies rappelaient les bandelettes et les lambeaux d'habits que nous retirons
encore des hypogées de Memphis ou de Thèbes. La fabrication des floquets
dont ils aimaient se parer, hommes et femmes, suppose une grande dexté-
1. Le» questions relatives aux opérations multiples que la fabrication des cylindres exigeait ont été
élucidées par Menant, Recherches sur la Glyptique orientale, t. 1, p. 45 sqq.
1. Le cylindre de Shargani est reproduit p. 601, celui de Bingani p. 582 de cette Histoire.
3. Punk, Hist. Nat., VIII, "i : « Colores diversos pictura* intexere Babylon maxime celebravit, et
nomen imposuit. » La plupart des auteurs modernes entendent de la tapisserie ce que les anciens
disaient de la broderie à l'aiguille ou de la peinture sur étoffes : rien de ce que j'ai pu obsener
sur les monuments ne m'autorise à croire que l'on ait fabriqué de la tapisserie réelle, aux époques
les plus anciennes de la Chaldéc ou de l'Egypte.
LES TISSERANDS, LA CONDITION DES OUVRIERS. TS9
rite. Les fils de la trame une fois tendus, on y nouait ceux de ta chaîne sur
autant de lignes parallèles, régulièrement espacées, qu'on désirait obtenir
de rangs dans la hauteur de la pièce, puis on laissait pendre les boucles qu'ils
Formaient sur l'endroit : tantôt on conservait celles-ci telles quelles, tantôt
on les coupait à l'extrémité et on les ondulait, de manière à leur communi-
quer l'aspect de la laine frisée'. La plupart des étoffes gardaient une teinte
blanche ou crémeuse, celles surtout que les femmes tissaient à la maison pour
leur toilette propre et
pour les besoins courants
de la famille. Mais le goût
des couleurs vives prédo-
minait, chez les Chaldéens
comme chez les autres
peuples asiatiques , et, «Mm*i cutnii» porta» les tr.ces tiaiiuc* a es^ divers-.* sortis
dans les classes riches au
moins, les vêtements de sortie et les manteaux de fêtes se signalaient par une
profusion de dessins bleus sur fond rouge ou rouges sur fond bleu, rayés, che-
vronnés, quadrillés, semés de pois ou de disques centrés1. La profession de
teinturier ne pouvait donc manquer d'être aussi répandue que celle de tisse-
rand : peut-être même les confondait-on l'une avec l'autre. Nous ne savons
rien ni des boulangers, ni des bouchers, ni des corroyeurs, ni des maçons,
ni des autres artisans qui assuraient l'entretien et la subsistance des villes :
sans doute ils gagnaient tout juste de quoi joindre les deux bouts, et si nous
parvenons à mieux les connaître un jour, nous constaterons probablement
qu'ils pâtissaient des mêmes misères que leurs contemporains d'Egypte*. Leur
existence s'écoulait d'un cours uniforme, interrompue, aux intervalles prescrits,
1. Sur celle étoffe que les Crées appelèrent kaunakè», el sur les procédés employés à la fabriquer,
voir ce que dit Usiner, les Originel Orientale» de CArl, t. I, p. 110 sqq; cf. p. 718-ïii.i de celle His-
toire, les modes divers dont on disposait le manteau pour s'en habiller.
i. Dessin île Fauchtr-Gudin, d'après l'héliogravure de Veuhi, Catalogue de la collection de M. de
Clereq.l- I.pl.l.nM.
3. Le» monuments égyptiens nous font connaître les couleurs des étoffes asiatiques, que les monu-
ments chaldéens ne nous ont pas montrées jusqu'à présent. L'exemple le plus ancien nous en est
fourni par la scène du tombeau de hhnoumhotpou, où l'on voit des gens d'une tribu asiatique apporter
le kohol en cadeau au prince de Béni-Hassan (Cbaipollios, Monuments de. l'Egypte et de la Piiibie,
pi. CCCLX1-CCCI.XII. el 1, II, p. 410-ili; RossluM, Monument i Storici, pi. XXVl-XXVIll ; LlPSIt*.
Denkm., X. 131, 133; N-wurnu, Btni-Haian, t. I, pi. XXX-XXXI; rf. p. 46IMC1I de celle Histoire) ; il
est de In XII* dynastie, c'est-à-dire quelque peu plus ancien que le régne de Goudéa a I.agash.
*. Cf. p. 31 1-315 de celle Histoire la description des misères inhérentes au* différents métiers,
dans un petit pamphlet qui date de la XII- dynastie ou peut-être de la XIII*. D'une manière générale.
on peul penser que, les deux civilisations égyptienne et chaldcennc étant à peu près au même niveau,
les monuments égyptiens doivent noua représenter, à quelques détails près, l'outillage industriel et les
principaux métiers des Chaldéens contemporains.
760 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
par les pompes accoutumées en l'honneur des dieux de la cité; il y avait aussi
les chômages imprévus, chaque fois que le souverain revenait vainqueur de la
guerre ou qu'il inaugurait un temple nouveau. La gaieté éclatait alors d'autant
plus exubérante que le train ordinaire des choses allait plus monotone et plus
attristé de soucis pénibles. Après que Goudéa eut achevé Ininnou, la maison
de son patron Nînghirsou, « il se dérida et se lava les mains. Sept jours
durant, on s'abstint de broyer le grain sous la meule, la servante fut l'égale
de sa maîtresse, le serviteur marcha au rang de son maître, le fort et le
faible reposèrent côte à côte dans la cité1. » Gomme pendant les Saturnales
romaines, le monde semblait se renverser, les classes se mêlaient, et les
inférieurs abusaient peut-être de la licence inusitée dont ils jouissaient
pour quelques instants : les distinctions sociales reparaissaient la fête finie,
et chacun retombait naturellement à sa place d'habitude. La vie se montrait
moins aimable en Chaldée qu'en Egypte. Ces actes innombrables de prêt,
ces quittances, ces contrats de vente et d'achat, ces instruments de chicane
savante qu'on y recueille partout à la centaine, donnent l'impression d'un
peuple âpre au gain, usurier, processif, préoccupé presque exclusivement
d'intérêts matériels. Le climat plus variable et plus dur dans le froid comme
dans le chaud lui imposait des besoins plus grands, et l'obligeait à déployer
une puissance de travail dont la plupart des Égyptiens ne se seraient pas
sentis capables. Le Chaldéen, peinant plus et plus longtemps, gagnait davan-
tage et n'en devenait pas plus heureux. Si lucratif que fût son métier, il ne
suffisait pas toujours aux nécessités de la maison, et les commerçants ou les
ouvriers devaient s'endetter pour suppléer à l'insuffisance des affaires. Une
fois aux mains des prêteurs, le taux énorme de l'intérêt les y retenait long-
temps. Ils arrivaient à l'échéance sans avoir amassé de quoi s'acquitter, ils
renouvelaient leurs billets à des conditions désastreuses ; comme le gage
remis au créancier était d'ordinaire ou la maison dans laquelle ils logeaient,
ou l'esclave qui les aidait à leur industrie, ou le jardin dont le produit nour-
rissait leur famille, c'était la misère s'ils ne réussissaient pas à se libérer5.
Et cette plaie de l'usure ne rongeait pas seulement les villes : elle sévissait
non moins violente sur les campagnes et s'attaquait aux fermiers.
1. Statue Dde Goudéa, col. vu, 1. 20-34; cf. Uri^ey-Saiuec, Découvertes en Chaldée, pi. 17-18; Amiaid,
Inscriptions of Telloh, dans les Records of the Past, 2"d Ser., t. Il, p. 83-84 (cf. Heitzey-Sarzec,
Découvertes en Chaldée, p. xn); Jknsen, Inschriflen der Kônige und S t ait ha lier von Lagattch, dans la
Keilschriftliche Dibliothek, 1. 111 *, p. 41-44. Cf., p. 342 de cette Histoire, ce qui est dit de la Fête de
l'ivresse en Egypte, telle qu'on la célébrait à Dendérah.
2. Sur l'accroissement de la dette non acquittée à l'échéance, cf. p. 750-751 de cette Histoire.
LE FERMAGE DES TERRES. 761
Si la terre appartenait théoriquement aux dieux, et sous eux aux rois,
les rois en avaient concédé et en concédaient chaque jour de telles quantités
à leurs fidèles, que la part la plus grande s'en trouvait toujours aux mains
des nobles ou des simples particuliers. Ceux-ci avaient la faculté d'en dis-
poser à leur gré, de la louer, de la vendre, de la diviser entre leurs héritiers
naturels ou leurs amis. Elle était grevée d'un impôt qui varia selon les épo-
ques, mais qui pesait assez lourdement sur eux : une fois qu'ils l'avaient
payé, et les taxes que les temples pouvaient leur réclamer an nom des
dieux, l'État ni personne n'avait plus le droit d'intervenir dans leur admi-
nistration ou de restreindre l'exercice de leur volonté. Certains proprié-
taires cultivaient directement leurs biens, les plus pauvres de leurs bras,
les riches par l'entremise d'un esclave de confiance qu'ils intéressaient
à la prospérité de l'entreprise, en lui attribuant un tant pour cent du
revenu. Souvent aussi ils les affermaient en totalité ou par morceaux à des
paysans libres, qui les déchargeaient de tous les ennuis et de tous les dangers
de l'exploitation. La surface de chaque État avait été mesurée très ancien-
nement, et les parcelles en lesquelles on la lotissait enregistrées sur des
tablettes d'argile, avec le nom du maître, celui des voisins, l'indication des
mouvements de terrain, des fossés, des canaux, des rivières, des maisons
qui pouvaient en définir les limites : des plans sommaires accompagnaient
la description et l'interprétaient aux yeux dans les cas les plus compliqués1.
Ce cadastre, répété fréquemment, permettait aux souverains d'établir l'impôt
sur une assiette solide et d'en calculer le rendement sans erreur trop consi-
dérable. On rencontrait, surtout au voisinage des villes, des jardins, des bois
de dattiers, des espaces consacrés à des essais encore grossiers de culture
maraîchère : ceux-là payaient les contributions de l'État et le loyer du
propriétaire, en fruits, en légumes, en dattes fraîches ou confites. Le meilleur
du sol était aménagé pour la production du froment ou des céréales :
c'était en blé qu'on en évaluait la contenance, en blé qu'on en chiffrait le
revenu dans les contrats privés ou dans les actes de la comptabilité publique*.
Tel champ demandait environ cinquante litres de semences par aroure,
tel autre soixante-deux ou soixante-quinze, selon la bonté du terroir et son
1. Cf. le plan cadastral d'une vaste propriété qui a été publié par le père Sciikil, Soles d'Épigrapkie
et d' Archéologie Assyriennes, dans le lie eue il de Travaux, t. XVI, p. 36-37.
2. Sur cette façon d'évaluer la valeur d'un champ, qui était également usitée en Egypte (Maspkro,
Études Égyptiennes, t. II, p. 235-238), cf. Opi»krt-Me.nant, Documents juridiques de V Assyrie et delà
Chaldée, p. 9-i; elle est contestée par Dclitzsch et par son école (cf. en dernier lieu Uklskb, bahylo-
nische Kudurru-lnschriften, dans les Beitrâge zur Assyriologie, t. II, p. 130-131).
UC
762 LA CIVILISATION CHALllÉEMNE.
exposition. La propriété en était placée sous la garantie des dieux, et la
transmission ou la cession s'accompagnait de formalités moitié religieuses,
moitié magiques : la partie livrante prononçait, contre quiconque oserait à
l'avenir contester l'authenticité de l'acte, des exécrations dont le texte
"iché dans un coin du champ, sur un galet ovale en
e ou en pierre dure'. Ces petits monuments étalent à
a lotte supérieure une multitude de figures, tantôt
ignées régulièrement sur deux registres, tantôt
emées à la surface, et qui représentent les divinités
chargées de veiller à la sainteté du contrat. C'est
comme la transcription en miniature du spectacle
que la voûte du ciel offrait aux Chaldéens. Les
disques du Soleil, de la Lune et de Vénus-lshtar
dominent la scène; les personnages du Zodiaque
ou les symboles qu'on leur attribue s'échelonnent
et semblent tourner au-dessous d'eux, le Scorpion,
l'Oiseau, te Chien, le Foudre de Ramman, la
massue, les monstres cornus à demi cachés par le
temple qu'ils défendent, et le Dragon immense
dont les nœuds enveloppent la moitié du firmament,
i Si jamais, par la suite des jours, quelqu'un parmi
frères, les enfants, la famille, hommes ou femmes,
le ctiLuiD inM.ii i . esclaves ou servantes, de la maison, un intendant, un
fonctionnaire, n'importe qui, surgit et s'avise de voler ce champ et d'enlever
cette borne, soit pour en faire don à un dieu, soit pour l'adjuger à un com-
pétiteur, soit pour se l'attribuer à soi-même; s'il en modifie l'aire, les limites
et la borne, s'il le morcelle et le dépèce et s'il dit : «Le champ est comme
vacant, car il n'y a pas eu donation » ; — si, par crainte des exécrations
redoutables qui défendent la stèle et ce champ, il envoie un fou, un sourd,
un aveugle, un méchant, un simple, un étranger, un ignorant et fasse enlever
I. I.u plu* ;i ne i en ne mont connue de cor bornes est lo Caillou Michaux, dont la nature el la
t uleur oui été reconnues pur Ori'mr, le) Mesure» de longueur clic; 1rs V.haltUew* el un dormnenl
d'urpeitlage babylonien, dans le Hulletin Archéologique de CAthétumm Fronçait, IBhfl, p. 33-30; le
idiii <{i'-iiérii|iie eu était koudourrou, koulourrou, i|"i pourrait se traduire pierre levée. Lo nombre en
est Lisse/ coOMilêi'.'ilile (1rs ma in tenant ; on trouve™ la traduction (le plusieurs (rentre elles dans Or-PEM-
Mi.vim. Document* juridique* de l'Assyrie el de la Uialdce, p. HI-I3K, et dans Belskh, liabylonitelie
Kiidui-ru-lHit lui fini (dans les Ucitrâge ;ur Anyriotogir , t. II, p. 111-103).
t. Dessin de r'auchtr-t'.udin; cf. Mii.i.u, Monument* inédits, 1. I, pi ïiu-u. L'original est au Cabi-
net dos médailles d« la Bibliothèque >"alionule (Ckxui -illkt, f'.alalogut général, p. 1(11», n* Ttli),
LA CULTURE DES TERRES. 7fi{)
cette stèle1, puis qu'il la jette à l'eau, la recouvre de poussu-re, la mutile à
traits de pierre, la brûle au feu et la détruise, y écrive autre chose, la trans-
porte dans un Heu où l'on ne la voie plus, — cet homme-là, puissent Anou,
Rel, Éa, la Haute-Dame, les dieux grands, jeter sur lui des regards de colère,
puissent-ils anéantir sa vigueur, puissent-ils exteri
race*. » Chacun des immortels s'associe à cette exi
munication et lui promet à son tour l'appui de sa for
Mardouk, dont les charmes rendent la santé au
malades, frappera le coupable d'une hydropisie que
nulle incantation ne guérira. Shamash, le juge
suprême, lancera contre lui ses arrêts inévitables.
Sin, l'habitant des cieux brillants, l'enveloppera
de lèpre, comme d'un manteau. Adar, l« guer-
rier, lui brisera ses armes, et Zamama, le roi
des combats, ne se tiendra pas auprès de lui
sur le champ de bataille; Ramman déchaînera
l'orage contre ses gué rets et les bouleversera. La
troupe entière des invisibles se mobilise pour
défendre les droits du maître contre toute atta-
que; nulle part dans le monde antique le caractère
sacré de la propriété n'a été affirmé avec plus de force
ni la possession du sol mieux assurée par la relig
L'agriculture ne connaissait d'autres instruments ni i'miîm mm
d'autres procédés que ceux de l'Egypte. La rapidité avec
laquelle la crue monte au printemps, et son débit variable à l'extrême d'année
en année, n'enhardissaient guère les Chaldéens à confier aux fleuves la corvée
d'arroser leur pays : ils étaient obligés de se fortifier contre eux, et de main-
tenir à distance les masses liquides qu'ils leur apportaient. Chaque domaine
qu'il fût carré, triangulaire ou de figure irrégulière, s'entourait d'un
épaulement continu en terre qui le délimitait sur toutes ses faces, en même
temps qu'il lui servait de rempart pendant les mois de l'inondation. Des
1. Tous les gens énumérés dans ce passage, ne sachant pas oo qu'ils f:iis.'tiant. auraient pu ne laisser
;.i r-.iu.1i-r d'aller arracher la pierre et de commettre inconsciemment un sacrilège, ili-vaiil lequel loul
rhaldWn dan* -.on hun sens aurait reculé. La formule prévoit ce cas, et elle veille à ce nue la malé-
diction divine ne «e contente pas de frapper ces instruments irresponsables', elle prétend atteindre
I instigateur ilu crime, quand même il n'aurait pris lui-meme aucune pari matérielle à l'exécution.
i. Caillou Mirhaux. col n, I. I. col. m, I. 1ï, dans Hawlissos, Cuv. lut. II'. A*., t. I, pi. m;
rf OrFHT-MuJiiT. Documente juridique! de VAisyrie et de la Chaldée, p. R8-30; A. BoimiiM, tlerhrr-
c*ct tur qurlquei rauttatt babyttaiirnK, p. Î6-Î1, 31-33.
m LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
batteries de shadoufs installées sur la berge des canaux ou des rigoles pour-
voyaient à l'irrigation'. Les champs étaient façonnés en échiquier, et les
cases, séparées par des bourrelets de mottes, formaient comme autant de
bassins; quand l'élévation du sol arrêtait le progrès des eaux, on les recueil-
lait dans des réservoirs, où d'autres shadoufs les venaient puiser et les
haussaient à un niveau supérieur*. La charrue n'était qu'une pioche couchée,
dont on avait allongé le manche pour y atteler des bœufs. Tandis que le
lahnnepnp neenif a.i* W „n,.;il,.u ,l„„, ,.,!,>(,
sième lançait la semence à la volée. M fallait un capital considérable afin de
réussir aux entreprises agricoles : les contrats étaient passés pour trois ans,
et stipulaient que les paiements auraient lieu partie en métal, partie en pro-
ductions du sol. Le fermier versait une petite somme au moment qu'il entrait
en possession, puis il acquittait le reste graduellement après chaque douze
mois, et cela de telle manière qu'il se libérait une fois en argent, les deux
autres fois en blé. Les redevances variaient selon la qualité du terrain et selon
les facilités qu'il présentait à la culture; tel champ de trois boisselées était
taxé à neuf cents mesures, tandis qu'un autre de dix boisselées n'en devait
que dix-huit cents*. Souvent le paysan préférait s'associer à son propriétaire :
celui-ci pourvoyait alors à tous les frais de l'exploitation, mais il s'adjugeait
I. Aujourd'hui encore, en Mésopotamie ol en Chaldée, « on voit partout quelques rentes d'anciens
ranaui : on rencontre de même, en beaucoup d'endroits, des amoncellement* de terre, qui se prolon-
gent à île très grandes distances en ligne droite, el qui entourent îles terrains parfaitement nivelés •
(Duiïieb. Voyage liant l'Empire Othoman, t'ÉgypIe cl la Perse, t. Il, p. 443).
t. Hmhhxitk, I, mini, désigne évidemment la nhadouf sous le nom de rniïwiriïov; clic est encore
employée à eoié de I* sakièh (Chkkib», Euphratcs Expédition, t. 1, p. fi">;j, L.v*sn, Ninrreh and Ilaby-
lon, p. 1119). Cf. p. :tltl de celte Histoire une représentation de la shadouf égyptienne ; en figyple
rumine en Chaldée. le seau employé pour tirer l'eau jfTrcte la forme triangulaire.
K. Dessin de FitHclier-Gudîti, d'après un bni-rclief asiyrien de Kogoimdjik (l.insn, Tlir Monuments
nfSinrreh. f Set., pi. tS).
I. «Ki-SM.K, lleilriiijr :nm attbabyUmitchen l'rivatreckl, p. tï-13.
LES ESCLAVES ET LES OUVRIERS AGRICOLES. 76S
ensuite les deux tiers de la récotte brute. Le locataire s'obligeait à admi-
nistrer le fonds comme un bon père de famille, pendant la durée de son bail :
il entretenait les bâtiments et le matériel, il refaisait les haies, il réparait
les machines à puiser, il curait les rigoles1. H possédait rarement assez
d'esclaves pour se tirer d'affaire rien que par leur aide : ceux qu'il avait
achetés lui suffisaient avec le concours de ses femmes et de ses enfants
pour venir à bout des travaux courants, mais dans les moments de presse
et surtout au temps des récoltes, il allait chercher au dehors les bras qui lui
manquaient. Les temples lui en procuraient autant qu'il en souhaitait ; le
plus grand nombre de ces auxiliaires étaient pourtant des hommes libres,
que leur famille engageait ou qui s'engageaient eux-mêmes pour un temps
déterminé. C'était une sorte de servitude à terme dont la loi fixait les
conditions. L'ouvrier abdiquait sa liberté pour quinze jours, pour un mois,
pour une année entière : il vendait un morceau de sa vie au maître provi-
soire qu'il s'était choisi, et, s'il n'entrait pas en fonction dès le jour convenu,
ou s'il ne déployait pas l'activité qu'on attendait de lui, il était passible do.
peines sévères. Il recevait en échange la nourriture, le logement, même l'habil-
lement, et si quelque accident le frappait pendant la durée de son service,
la loi lui accordait une indemnité proportionnée au dommage qu'il avait
1. tliwussiw. Cuil. Im. IV. A*., t. 11. pi. 11, 1. 29-31), col. Il, I. 9-19, et Y*. Lktosimnt, Èludr*
Acrndicnnei. t. Il, p. -Ii-i:i, t. III, p. 1" ; cf. Oprmï-SfKïi'.T, Document! juridique* de VAtxurir ri de
la ï.kaWe, p. ifi, Ï7-SH.
i. Dent in de Fauchcr-tiadin. d'âpre» une intuitif chatdtcnne reproduite dont L*itan, Inli-otlttHian
à l'Hiitoirx du culte public ri des Myitère* rie Mit/ira rit Orridetit et en Orient, pi. \\\\\, n° ;• L'ori-
ginal est auCabinel de» Médailles de la Bibliothèque Nationale (Ciuwiiii.i.et, Catalogue g f aérai, n'9»1);
Tfifi LA CIVILISATION CHALOËENNE.
souffert1. Sa solde moyenne oscillait entre le taux de quatre sicles d'argent
et celui de six par année. L'usage lui allouait un sicle en guise de denier à
Dieu, et il touchait le reste mois par mois quand la convention était à longue
date, jour par jour quand il s'agissait d'une location momentanée : on le
payait souvent en grain.
Le mercenaire ne s'abaissait jamais à l'état de chose, ainsi que le serf
ordinaire; il gardait sa qualité d'homme, et il avait pour défendre ses
intérêts un patron qu'on fui indiquait d'office ou qu'il élisait lui-même*. Son
temps achevé, il rentrait dans sa famille et reprenait ses occupations ordi-
naires jusqu'à l'occasion
prochaine : beaucoup de
très petits cultivateurs
gagnaient ainsi, en peu
de semaines, de quoi
suppléer à la modicité
de leur revenu person-
nel. D'autres recher-
chaient des emplois plus
stables et s'enrôlaient comme valets de ferme. Les terres que le flot n'attei-
gnait pas, ni l'irrigation artificielle, se tapissent en mars de graminées prin-
tanières où l'on envoyait les troupeaux se refaire. La présence des lionB et
des animaux féroces obligeait alors les fellahs à prendre des précautions
minutieuses. Ils construisaient des parcs mobiles où leurs bêtes s'abritaient
chaque soir, quand les pâturages étaient trop éloignés pour qu'elles pussent
réintégrer la bergerie. Us chassaient entre temps, et il ne se passait pas de
jours où ils ne rapportassent avec eux un faon de gazelle attrapé au piège,
ou quelque lièvre percé d'un coup de flèche. C'était du renfort pour le
garde-manger, car il ne semble pas que les Ghaldéens aient aimé comme
les égyptiens à s'entourer d'animaux apprivoises, grues ou hérons, gazelles
ou cerfs* : ils se contentaient des espèces utiles, les boeufs, les ânes, les
moutons, les chèvres. Quelques monument* de vieux style, cylindres ou
I. H.iWLUtox, Cuil. lu*. H. Al . 1. Il, pi. 10, roi. n. I. 18-H; cf. Opfkut-SIesaït, Document» juridi-
que» <lr ÏA*»yrie et de la Chaldée, p. SR-5B.
3. MtGiSMM, BrilrSor :m« atlbabutiminrheu Prigotrtrht, p. 10-11.
3. Demin de Vaucher-f.iidin. it'aprr» un cylindre en marbre vert du Mutée ilu I.ourrr (A. DE Loire-
rtnit.K, Xolire det antiquité» Afuririme», i'éi-, p. lui, n* l«l).
•t. Cf. |i. Ill-fl-l de celte Hiitnirere qui e»l dit des troupes il ï de cmelles des Cnypliem et de lii faenn
dont on les recrutait. W. Hoighto*. Oh the Marnmatiaof the Aiiyriatt Sculpture», dans les Trantaetintit
Of the Society of Uiblical Arrhrahgy, l. V, p. *S sqq.
SCÈNES IIK LA VIE PASTORALE. 761
tablettes en argile, reproduisent assez grossièrement les scènes de la vie
pastorale1. L'étable s'ouvre, et de ses portes les chèvres s'échappent en
bande aux claquements du
fouet : arrivées au pré,
elles s'éparpillent, et le
berger les surveille tout
en jouant de la flûte à son
chien. Cependant les gens
de la ferme préparent con-
sciencieusement le repas
du soir; deux personnages,
campés de chaque côté du
foyer, surveillent la mar-
mite qui bout entre eus, et une boulangère façonne sa pâte en galettes arron-
dies. Parfois une querelle mettait les camarades aux prises et se terminait par
un échange de coups de poing, ou bien un lion en quête d'un dîner survenait
à ('improviste et terrassait un taureau* : le berger accourait la hache au
I. NesjNT, Recherche» iui- la Glyptique orientale, t. I, p. SOr.-ÎIO,
î. Destin de r'aueker-tludin, d'après tune des plaques r.n terre cuite dècourcrtes par Loktis, Tra-
oels and Itciearrhcs in Chaldea and Susiana, p. i;>".
3. Itessin de r'aucher-tiudin, d'après fia taille chatdèenne reproduite dont I.iukii. Intiintucliou à
l'Histoire du culte public et des Mystères de Milhrn ni Orient et en Occident, pi. XLI, ii":i;rf. Mkvim,
iïtirheri-hrx sur lu. fili/pliijur nrinila/t. I- I, [>. Srij-imi. Un nuire cylindre do nièiiic nature a clii
reproduit à la p. liiti) de eolli: Histoire; il représente l'enlèvement ilu licrus Klana par l'aigle, hum
amie, ot à eu propos dos scènes de ta vie pastorale, identique!- :i celles qui- l'on voit ci-dossus.
1. J. Meiuiit, Rechercha sur ta iituptique orientale, t. I, p. tu;, où l'on trouvera reproduite,
d'après un cylindre du la collection de Luyn.es, l'attaque du taureau par un lion.
768 LA CIVILISATION «HALKÉEMtE.
poing, et disputait bravement sa bête au brigand. Il se donnait pour alliés
p énormes chiens qui ne crai-
gnaient pas d'assaillir les
fauves, comme ils auraient
fait le menu gibier. Son
courage naturel était stimulé
alors par l'intérêt. Il répon-
dait personnellement de son
troupeau; quand le lion s'in-
troduisait dans un parc à
bestiaux, celui des hommes
combat cottbk «!i nos1 'I"' ^a't de garde paraît
sur ses gages les fiais de sa
négligence ou de sa mésaventure1. La pèche servait moins de distraction que
de ressource, et les gens du
peuple accordaient au poisson
une part importante dans l'a-
limentation : ils le prenaient
à la ligne, au filet, à la nasse,
ils le séchaient au soleil, ils
le fumaient, ils le conservaient
dans le sel'. La chasse était
surtout plaisir de grand sei-
gneur, chasse au lion et à
l'ours dans les bouquets de
Irais ou dans les fourrés maré-
cageux qui bordaient les ri- * »
vières, chasse à la gazelle, à
l'autruche, à l'outarde dans les plaines hautes ou sur les plateaux rocheux
du désert'. L'onagre de Mésopotamie est une fort jolie bote, au poil gris et
I . Dntin de. h'ancher-Gadin. d'aprrs l'une dru labhllet en terre tuile déeourerte* par Loftm, ï'io-
vrli and Iteiearchei in Chulilira and Siniana, p. 458.
i. Mkissm:h, lleilrùge ium altbalijlonur/ien l'nvatiriht, p. 111. LS.
3. Cf. p. j">ii de celle Itininire ce. qui est dit des tribus idilhyophagea de la fhaluee.
1. Dentin dr Faiirher-Gudiii, d'aprrt une tablette ru terre cuite drrourerie par 11. Itnii.iison, dam
tes minet de Unbylone, et romertte aujourd'hui au Htuér. Uritaiinii/itr.
5, 1,'niitruerie est représentée as*™ souvent sur les monuments assyriens (IV. H"n;KTO*. The Ilinh
of tht Atiynan Monument* and Hecordt, dans les Transactions of Ihr Society o{ BibUeal Archsalogy ,
t. VIII. p. 100-101, 133, fl. XI); lu chasse à L'autruche et il l'outarde est décrite par Xénophon
{Anabase, I, ï, l-:i), pendant la marclii- de L'année de Cyrii» le j.-une à travers Is Mésopotamie
LA PÊCHE, LA CHASSE.
luisant, vive et rapide d'allure. Dès qu'on l'in-
quiète, il jette un cri, lance une ruade, file hors
portée, puis s'arrête, se retourne et voit venir :
sitôt que te chasseur approche, il repart, s'ar-
rête, puis repart de nouveau et recommence
le même manège sans se lasser, aussi long-
temps qu'on le poursuit. On le force difficile-
ment avec des chiens, mais on l'abat à coups
de flèches, ou bien on le prend vivant au
piège. On lui ajuste au cou un noeud cou-
lant, dont deux hommes tiennent les extré-
mités. L'anîmal se débat, rue, essaie de mor-
dre, mais ses efforts n'aboutissent d'ordinaire
qu'à serrer le lacet, et il s'affaisse à demi étran-
glé : après quelques" alternatives de révolte et
de suffocation, il finit par se calmer tant bie
que mal et par se laisser
I. Deuin de Fauclier-tiudin, d'aprèt vue de* labletlri m terre cuite dAmieertei par Lorti
ticli and lletearchet in CAaldma and Si'tiana. p. ïtftf.
t. Destin de r'auchtr-Gudin, d'aprèt te bat-relief attyrien de Kimroud [et. Pu»:, Itùtivr
tyrie. pi. 51. n" 3). Voir. p. 539 dp celle Hittnire. des onagret poursuivit et percés de flèchei
770 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
emmener1. On l'apprivoisait et il se pliait sinon aux travaux de l'agriculture,
du moins à ceux de la guerre : il traîna les chariots avant qu'on ne connût
le cheval1. Celui-ci tirait son origine des plateaux de l'Asie centrale : en
descendit-il brusquement à la suite d'une invasion barbare, ou gagna-t-il de
tribu en tribu les peuples du Tigre et de l'Euphrate5? 11 s'acclimata promp-
tement chez eux, et, s'alliant à l'âne, produisit des générations de mulets
superbes. Les rois de Lagash le connaissaient déjà et l'attelaient4. Les souve-
rains des cités voisines en faisaient autant, mais l'usage restait encore confiné
dans les hautes classes de la société, et l'on ne voit pas que les armées pos-
sédassent des escadrons de chariots à côté de leurs fantassins, encore moins
une cavalerie analogue à la nôtre.
Les Chaldéens poussèrent fort loin l'art d'aménager la terre et de lui
arracher tout ce qu'elle pouvait rendre : leurs enseignements, transmis aux
Grecs, puis aux Arabes, se perpétuèrent longtemps après que leur civilisation
eut disparu, et furent pratiqués encore par les populations de l'Irak sous les
Khalifes abbassides*. Les traités sur argile qui les avaient contenus étaient
déposés dans l'une ou dans l'autre de ces bibliothèques sacrées, où les prêtres
de chaque ville rassemblaient de tout temps les écrits de provenance diverse
qu'ils réussissaient à se procurer. On trouvait dans chacune d'elles un cer-
tain nombre d'oeuvres qu'elles étaient seules à posséder, soit que les auteurs
fussent originaires de la cité même, soit que les autres exemplaires en eussent
été détruits au cours des siècles, l'épopée de Gilgamès à Ourouk, une histoire
de la création et des luttes soutenues par les dieux contre les monstres à
Kouta : toutes avaient leurs recueils particuliers d'hymnes ou de psaumes,
de formules religieuses et magiques, leurs listes de mots et de tournures
grammaticales, leurs glossaires, leurs syllabaires qui leur permettaient de tra-
1. Xénophon, Anabase, I, v, 2, à qui j'emprunte cette description des allures de l'animal. L'onagre
est rare aujourd'hui dans ces régions, mais il n'en a pas disparu entièrement, comme on l'avait cru,
et plusieurs voyageurs modernes l'y ont rencontré (Layard, Nineveh and it s Remains, t. I, p. 323-324).
2. Cf., p. G5G de cette Histoire, la mention d'onagres attelés au char du Soleil.
3. On trouvera les principales opinions sur cette matière dans Piètrement, les Chevaux dans les
temps préhistoriques et historiques, p. 355-358 ; cf. W. Houghton, On the Mammalia of the Assyrian
sculptures, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. V, p. 50-52.
4. C'est du moir.s l'opinion de M. lleuzey (Reconstruction partielle de la Stèle du roi Éannadou,
dite Stèle des Vautours, dans les Comptes rendus de V Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
1893, t. XX, p. 265) : la partie de la stèle qui portait les animaux est détruite.
5. V Agriculture nabatéenne d'ibn Wahshlyah renferme l'écho de ces anciennes traditions. « Il se
peut que la technique qui y est enseignée remonte bien réellement, pour les procédés, aux plus
anciennes époques de l'Assyrie, de même que les Agrimensores la Uni, si récents sous le rapport de
la rédaction, nous ont conservé des usages et des rites qui ne s'expliquent que par les Brahmanas
de l'Inde, et qui se rattachent, par conséquent, aux âges les plus anciens de la race aryenne • (E. Renan,
Mémoire sur l'âge du livre intitulé Agriculture Nabatéenne, p. 38). Gutschmid admet à peine l'exis-
tence d'éléments babyloniens dans cet ouvrage (Kleine-Schriften, t. II, p. 568-753).
LA LITTÉRATURE ARCHAÏQUE. 771
duire et de comprendre les textes rédigés en sumérien ou ceux dont l'écriture
présentait des difficultés de déchiffrement plus qu'ordinaires1. C'était, comme
en Egypte, une littérature entière dont quelques épaves seulement ont sur-
nagé. Le peu qui en subsiste produit d'ailleurs sur nos modernes une impres-
sion équivoque, où l'étonnement plus que l'admiration le dispute à l'ennui1.
Ils reconnaissent çà et là, parmi ces longues suites de phrases et de noms
rocailleux qu'on leur présente comme l'équivalent d'une Genèse ou d'un
Véda chaldéen, un tour d'imagination hardi, une élévation soudaine de pen-
sée, une félicité d'expression qui arrêtent leur attention et la captivent pen-
dant, quelques instants. 11 y a de la noblesse dans le récit des aventures de
Gilgamès, et le développement s'en poursuit d'un mouvement libre et grave,
à travers les accidents naturels ou merveilleux de la vie héroïque : si plusieurs
épisodes y provoquent le sourire ou soulèvent notre répugnance, c'est la
rudesse des coutumes anciennes qu'il faut accuser, et les hommes ou les
dieux de l'épopée homérique, pour être venus plus tard, ne le cèdent pas en
brutalité naïve à ceux de la geste babylonienne. Le sentiment de la toute-
puissance divine et les angoisses d'une âme affligée arrachèrent parfois aux
psalmistes des cris d'adoration ou de douleur qui peuvent éveiller encore un
écho dans nos âmes, malgré la différence des religions, et le scribe inconnu
qui conta la Descente d'Ishtar aux Enfers a trouvé des accents d'une énergie
sombre pour décrire les misères du Pays sans retour9. Ce ne sont là pour-
tant que des exceptions, et la plupart des œuvres chaldéennes produisent sur
nous l'effet d'un fatras prétentieux : le lecteur le mieux disposé ou n'y com-
prend rien, ou ce qu'il y comprend lui parait ne pas mériter qu'on Tait dit. On
ne saurait le blâmer d'en juger ainsi, car le vieil Orient n'est pas, comme
l'Italie ou la Grèce, de ces morts d'hier dont l'âme flotte encore autour de
nous, et dont l'héritage compte pour plus de moitié dans notre patrimoine : il
est descendu au tombeau tout entier, dieux et villes, hommes et choses, et
1. Sur loe bibliothèques des temples, cf. les remarques de Sayce, Babyloninn Literalur, p. 9 sqq.
L'hypothèse de Sayce, d'après laquelle elles auraient été accessibles au gros de la population comme
nos bibliothèques publiques, n'a point été vérifiée jusqu'à présent et ne paratt pas vraisemblable
(Tiki.e, Babylonisch-Assyrische Geschichte, p. 582).
2. L'impression d'ennui prédomine dans le jugement sévère de Gutschmid au sujet « der nieder-
driickenden Ode der ninevitischen Biedermaierpocsie aus Sardanapal's Bibliothek • (Nette Beitrâge
sur Geschichte des Alten Orient*, p. 45, note). L'enthousiasme l'emporte au contraire chez Hommel,
Geschichte Babyloniens und Assyriens, p. 262 sqq. Bezold (Kurzgefasster Ueberblick iiber die Babylo-
nisch-Assyrische Literatur, p. 193) conseille sagement aux gens du métier de suspendre leur jugement
jusqu'au moment où les textes poétiques auront été entièrement expliqués et interprétés au point de
vue philologique.
3. Voir la légende de Gilgamès p. 575-587 de cette Histoire, la Descente d'Ishtar, p. 603-696, et
p. 633-636, 0-4-4, 65-4-638, 682-683, quelques spécimens de psaumes ou d'hymnes aux dieux.
772 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
depuis tant de siècles, que les peuples mêmes qui avaient recueilli sa succession
ont eu le temps de s'éteindre à leur tour. À mesure que nous le ramenons à
la lumière, nous nous apercevons qu'il n'y a presque plus rien en lui qui lui
reste commun avec nous. Ses lois et ses mœurs, ses moyens d'action et ses
modes de pensée sont si distants des nôtres qu'ils semblent appartenir à une
humanité distincte de l'humanité présente. Les noms de ses divinités ne par-
lent plus à notre imagination comme ceux des Olympiens, et nulle tradition
de respect ne nous empêche plus de sentir ce qu'il y a de baroque dans le
cliquetis de syllabes qui les compose. Ses artistes n'apercevaient pas le
monde sous le même angle que nous, et ses écrivains, puisant leurs inspi-
rations dans un milieu différent de celui où nous plongeons, en retiraient des
procédés aujourd'hui inusités de peindre leurs sensations ou de coordonner
leurs idées. Aussi, tandis que nous entendons souvent à demi-mot le langage
des classiques grecs ou latins et que nous lisons leurs œuvres presque sans
effort, les grandes littératures primitives, l'Égyptienne et la Chaldéenne,
s'offrent à nous le plus souvent comme une suite de problèmes à résoudre ou
d'énigmes à deviner patiemment. Combien des phrases, combien des mots
auxquels nous nous heurtons, exigent une lente analyse avant de se laisser
maîtriser par nous! et, quand nous en avons déterminé le sens littéral à notre
satisfaction, que d'excursions ne devons-nous pas pousser dans le domaine de
la religion, des mœurs ou de l'histoire politique, afin de les forcer à nous
livrer leur valeur entière et de rendre nos traductions intelligibles aux autres,
comme elles le sont à nous-mêmes! Où il faut tant de commentaires pour
découvrir la pensée d'un homme ou celle d'un peuple, on éprouve quelque
difficulté à discerner le mérite de l'expression qu'il a su lui donner. Le beau
a été là certainement et peut-être y est-il encore; mais à mesure qu'on le
dégage des décombres accumulés, l'amas des gloses nécessaires à l'interpréter
s'écroule sur lui et l'enterre jusqu'à l'étouffer de nouveau.
Si des obstacles sérieux s'opposent à ce que nous goûtions complètement
la littérature des Chaldéens, nous sommes plus à l'aise pour apprécier l'éten-
due et la profondeur de leur culture scientifique. Ils savaient d'arithmétique
et de géométrie ce dont ils avaient besoin pour la pratique journalière de la
vie, autant que les Égyptiens, mais pas plus : la différence entre l'usage des
deux peuples consistait surtout en ce que les Égyptiens employaient presque
exclusivement le système décimal qui a prévalu chez nous, tandis que les
Chaldéens combinaient les données du système duodécimal avec celles du
L'ARITHMÉTIQUE ET LA GÉOMÉTRIE. 773
décimal. Ils indiquaient les unités par autant de clous verticaux, juxtaposés
ou superposés J, |f, ||J, v> etc., les dizaines par des crochets <, «, <«, mais,
à partir de 60, ils avaient le choix entre deux notations : tantôt ils conti-
nuaient à tracer autant de crochets qu'ils ajoutaient de dizaines <<< tantôt ils
représentaient le nombre 50 par le clou vertical, puis ils lui adjoignaient un
crochet de plus par dizaine nouvelle J< 60, f« 70. Ils avaient adopté pour les
centaines le clou vertical frappé d'un trait horizontal f-, et précédé d'un clou
simple par chaque centaine JJ- 100, ]]]}- 200, JJJf-300; mille s'écrivait dix
fois cent <|-, et la série entière des mille par la combinaison des sigles
diverses, qui servaient à noter les unités, les dizaines et les centaines. D'autre
part, ils subdivisaient l'unité en soixante fractions égales et chacune d'elles en
soixante soixantièmes nouveaux, quelle que fût d'ailleurs la nature des quan-
tités auxquelles le calcul s'appliquait. Toises ou pieds carrés, talents ou bois-
seaux, le système complet des poids et mesures chaldéens reposait sur l'al-
liance intime et sur l'usage parallèle des éléments décimaux et duodécimaux.
La soixantaine y jouait un rôle plus considérable que la centaine dans l'ex-
pression des quantités fortes : on l'appelait le sosse, et dix sosses faisaient un
nère, et soixante nères donnaient un sare, et les sosses, les nères ou les sares
s'entendaient de toutes les valeurs. On comptait par sosses d'années et de
toises, ou par sares, comme on comptait par sosses et par sares de talents ou
de boisseaux ; la propriété que les nombres régis par ces coefficients divers
possédaient d'admettre tous les diviseurs de 10 et tous ceux de 12, rendait
les calculs singulièrement faciles aux marchands et aux ouvriers comme aux
mathématiciens de profession1. Le peu que nous entrevoyons jusqu'à présent
des méthodes trahit un niveau scientifique inférieur, mais une routine assez
intelligente des procédés techniques applicables aux circonstances communes
de la vie : des aide-mémoire de nature diverse, listes des chiffres avec leurs
noms détaillés phonétiquement en sumérien et en langue sémitique1, tables
1. Les questions relatives aux connaissances mathématiques des Chaldéens ou des Assyriens, et au
système de leurs poids et mesures, ont été élucidées principalement par Oppert dans une longue
série d'articles, dont le plus ancien traite des Mesures de longueur chez les Chaldéens (dans le Bulletin
Archéologique de V Athénxum Français, 1856, p. 33-36), et dont le principal est l'Étalon des Mesures
Assyriennes fixé par les textes cunéiformes (dans le journal Asiatique, 1872, t.* XX, p. 157-177, et
1874, t. IV, p. 417-486). Elles ont suscité un assez grand nombre d'ouvrages et de mémoires
(Fr. Lenormant, Essai sur un Document mathématique chaldéen, et à ce sujet sur le système des
poids et mesures de Babylone, 1868) et de polémiques entre Oppert, Lepsius (Die Babylonisch-Assy-
rischen Lan g entasse nach der Tafel von Senkereh, 1877) et Aurès (Essai sur le Système métrique
Assyrien, dans le Recueil de Travaux, t. III, p. 27, t. IV, p. 157-220, t. V, p. 139-156, t. VI, p. 81-96,
t. VII, p. 8-15, 49-82, t. VIII, p. 150-158, etc.).
2. Listes des nombres et de leurs noms en sumérien et en assvrien chez Fr. Lenormant, Études Acca-
diennes, t. III, p. 225-226, et chez Pinches, Tlie Akkadian N limerais, dans les Proceedings de la Société
d'Archéologie Biblique, t. IV, 1881-1882, p. 111-117.
774 LA CIVILISATION CHALDfiENNE.
des carrés, tables des cubes1, formules et figures d'arpentage rudimentaire,
permettaient au premier venu d'apprendre ce qui lui était nécessaire pour exé-
cuter promptement des opérations compliquées ou de chiffrer, avec des chances
d'erreur insignifiantes, la superficie des terrains le plus irrégulièrement déli-
mités. Les Chaldéens pouvaient dresser des plans assez exacts de propriétés
ou de villes*, et ils avaient même poussé leur ambition jusqu'à dessiner des
cartes du monde. C'était à dire vrai des croquis informes, où les croyances
mythologiques pervertissaient les renseignements exacts que les commerçants
ou les soldats avaient recueillis pendant leurs courses. On y apercevait la
terre, sous les espèces d'un disque entouré par le fleuve Océan : la Chaldée en
remplissait la meilleure part, et les pays étrangers ou n'y figuraient pas ou s'y
morfondaient aux extrémités. Les notions positives s'entremêlaient bizarrement
à des considérations mystiques sur la puissance des nombres, sur les liens qui
les attachaient aux dieux, sur l'application des diagrammes géométriques à la
prévision de l'avenir8. On n'ignore point quelle fortune brillante ces spécula-
tions firent par la suite, et comment elles s'imposèrent pendant des siècles aux
nations de l'Occident comme à celles de l'Orient. D'ailleurs il n'y avait pas que
l'arithmétique et la géométrie a se leurrer de pareilles chimères : toutes les
sciences y furent trompées tour à tour, et il n'en pouvait guère être autrement
de la façon que les Chaldéens concevaient l'univers. Les organes en étaient
mus non par des lois impersonnelles et immuables, mais par des êtres pourvus
de raison et de volonté, conduits par une fatalité suprême contre laquelle ils
n'osaient point s'insurger, assez libres pourtant et assez puissants pour con-
jurer les arrêts du destin ou du moins pour en retarder l'exécution. Chaque
science exigeait de ce chef deux ordres de recherches bien distincts : elle con-
statait d'abord les faits matériels qui relevaient de sa compétence, la position
des astres, par exemple, ou les symptômes d'une maladie; elle essayait
ensuite de deviner quels êtres révélaient leur présence par les manifestations
signalées, leur nom, leur essence. Une fois qu'elle les avait reconnus, si elle
réussissait à mettre la main sur eux, elle les forçait à travailler pour elle :
elle n'était qu'une magie appliquée à un ordre particulier de phénomènes.
1. Provenant de Senkerèh, dans Lf.normant, Choix de Textes Cunéiformes, p. 219-225, et dans
H.vwLiNSON, Cun. Ins. W. As., t. IV, pi. 40, nM 1-2.
2. Cf. le morceau de plan publié par Pinches, On a Cuneifiyrm Inscription relating to the Capture
of Babylon by Cyrus, dans les Transactions of the Society of Biblical Archseology, t. VII, p. 132,
et qu'on dit représenter une partie de Babylonc, nommée Tourna, près de la Grande Porte du Soleil.
Le père Scheil a trouvé un cadastre avec ligures géométriques; cf. p. 761, note 1, de cette Histoire.
3. Tel est le fragment de traité, avec ligures, publié par Sayce, Babylonian Augury by means of
(ieomctrical Figures, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. IV, p. 302-314.
L'ASTRONOMIE. 77".
Le nombre des faits précis que les astronomes chaldcens avaient coordonnés
était assez considérable. L'antiquité se demandait parfois quî, d'eux ou des
Égyptiens, avait osé premier s'aventurer du regard à travers les espaces
infinis du ciel : elle
n'hésitait plus quand il
s'agissait de décider qui
les avait pénétrés plus
avant, et elle accordait
la supériorité aux prê-
tres de fiabylone sur
ceux d'Héliopolis ou de
Memphis'. Leurs obser-
vations remontaient fort
loin dans le passé1. Gal-
Hsthènes en avait récolté
et envoyé à son oncle
Aristote, dont les plus
vieilles avaient été faites c*»te m mih cbalbém».
il y avait alors dix-neuf
cent trois ans, vers le milieu du vingt-troisième siècle avant notre ère* : il
aurait pu en transcrire de beaucoup plus antiques, si les archives des temples
lui eussent été ouvertes sans réserve. Les prêtres chaldéens avaient pris très
tôt l'habitude d'enregistrer sur leurs tablettes d'argile l'état du firmament et
les altérations quî y surviennent nuit après nuit, l'aspect des constellations et
la vivacité de leurs feux, le moment précis de leurs levers, de leurs culmina-
tions, de leurs couchers, le plus ou moins de vitesse dont elles s'approchent ou
s'éloignent, s'attirent ou se repoussent mutuellement. La vue seule, aiguisée
par la pratique et favorisée par la transparence de l'air, leur révélait, comme
I. Clément d'Alexandrie (Slromatri, I. I, 16, § 74), Lucien (De Atlrologiâ. S, 8-9), Dîogène Lacrce
{Prammium, aux Vie» des PhUotopke», g il), Macrobc (Sur le Sange de Scipioa, I, H, ,S 9) attribuent
l'invention rie l'astronomie aux Égyptiens, et Diodore de Sicile (1. 18-19) assure qu'ils renseignèrent
aux Dnbyloniens; Josèphe affirme au contraire (Ant. Jud., I, 8, 1) que les Egyptiens étaient les élevés
des l'.haldéena.
t. Ëpigène affirmait que leurs observations remontaient a 7Ï0 000 ans avant le temps d'Alexandre,
tandis que Bérnsc cl Critodèrae ne leur accordaient que IttOOOOans d'antiquité (Pline, Mit. Hat., Vil,
57). rérinits a 173 000 ans par Diodore (II, 31), à 170000 ans par Cicéron (De Dirii/aliont, I, 19). à
470 000 ans selon Hipparque.
3. Driiin de Fauc/ier-Gudin, d'aprt» le croqui' de Pus», Eine Bat/yloniicke I.nndkarte, dans la
Zeiltchrift fur Aityriologie, t. IV, p. 369.
*. Le nombre rie 1003 ne se trouve introduit que par correction dans le lexle de Simplicius (Cnm-
: lur te traité de Cœlo (TAriitote, p. 50Ï o),qui noua apprend, d'aprèa Porphyre, l'envoi fait
e par Caliislhènea.
776 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
aux Égyptiens, l'existence de beaucoup d'astres que nous n'apercevons qu'avec
nos instruments. Ces milliers d'êtres lumineux, jetés au ciel si irrégulière-
ment en apparence, se mouvaient pourtant avec une régularité parfaite, et
l'on apprit bientôt combien de temps s'écoulait entre deux retours pério-
diques de l'un d'eux au même point du ciel : on était certain de les rencon-
trer ici à telle heure, là-bas à telle autre, et leur route était tracée de façon
si immuable qu'on osait en prévoir les étapes et les indiquer. La lune devait
parachever deux cent vingt-trois révolutions de vingt-neuf jours et demi,
avant d'être revenue au ooint d'où elle était partie. Sa carrière terminée à
peine, elie en recommençait une seconde de valeur égale, puis une troisième,
et d'autres encore en somme incalculable, pendant lesquelles elle parcourait
les mêmes mansions et y répétait les mêmes actes de sa vie : toutes les
éclipses qu'elle avait subies pendant la première période l'affligeaient de
nouveau pendant les autres, et se manifestaient sur elle pour tous les lieux de
la terre dans le même ordre de temps et d'importance1. Les expliquait-on par
quelque cause mécanique ou continuait-on à se les figurer comme autant
d'assauts malheureux des sept contre Sin'? De toute manière, elles se repré-
sentaient périodiquement, et la connaissance du système des deux cent vingt-
trois lunaisons permettait d'en prédire exactement la date ou la durée. L'ob-
servation poussée plus loin encouragea les astronomes à essayer pour le
soleil ce qui leur avait réussi pour la lune. On n'a pas besoin d'une très
longue expérience afin de découvrir que la plupart des éclipses solaires sont
précédées ou suivies à environ quatorze jours et demi d'intervalle par une
éclipse lunaire : les Chaldéens ne surent pas tirer un parti suffisant de ce fait
pour déterminer avec exactitude le moment d'une défaillance future du soleil,
mais la liaison apparente des deux phénomènes les frappa assez pour qu'ils
se crussent en état de l'annoncer par à peu près3. Ils se trompaient souvent
dans leurs pronostics, et plus d'une éclipse qu'ils avaient promise ne se pro-
duisit pas au moment où ils l'attendaient* : les cas de succès étaient pourtant
1. Cette période de deux cent vingt-trois lunaisons est celle que Ptolémée décrit au commencement
du 1. IV de son Astronomie, où il traite du mouvement moyen de la Lune. Les Chaldéens ne paraissent
pas avoir su s'en servir d'une manière bien habile, car leurs livres signalent l'arrivée imprévue d'éclipsés
lunaires en dehors du temps pré\u (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. III, pi. 51, n# 7, et pi. 55, n° 1).
2. L'explication mythologique semble prévaloir encore dans le traité publié par Rawlinsos, Cun. Ins.
W. As., t. III, pi. 61, col. il, I. 15-16; cf. Fa. Lenormant, les Origines de l'Histoire, t. I, p. 523.
3. Tannery pense que les Chaldéens ont dû prédire les éclipses du Soleil par le moyen de la période
des deux cent vingt-trois lunaisons, et montre par quel moyen fort simple ils ont pu y arriver (Pour
V histoire de ta Science Hellène; de Thaïes à Ernpc'docle, p. 57-60).
4. Un astronome mentionne sous Assourbanabal que, le 28, le 29 et le 30 du mois, « il se tint prêt à
observer une éclipse, mais que le soleil demeura brillant, et l'éclipsé ne vint pas » (Rawlinsok, Cun.
Ins. W. As. y t. III, pi. 51, 9; cf. Fox Talbot, On an Ancient Eclipse, dans les Transactions de la Société
L'ASTROLOGIE. 777
assez fréquents pour les consoler de leurs mécomptes et pour maintenir leur
science en haute estime dans l'esprit du peuple et des nobles. Leurs années
étaient des années vagues de trois cent soixante jours. Les douze mois égaux
dont elles se composaient portaient des noms relatifs soit aux événements de
la vie civile qui s'y accomplissaient, la fabrication de la brique en Simanou,
ou les semailles en Addarou, soit à des faits mythologiques encore obscurs,
Nisanou à l'autel d'Éa, Éloul à un message d'Ishtar1. On les complétait tous
les six ans d'un mois supplémentaire, qui tantôt s'appelait un second Adar,
tantôt un second Éloul, ou un second Nisanou, selon l'endroit où on l'inter-
calait*. Les heures et les minutes négligées dans cette opération devenaient,
ainsi qu'en Egypte, une cause d'embarras sérieux, mais nous ignorons à quels
moyens on recourait pour y remédier. Les mois étaient en rapport avec les
signes du zodiaque ; les jours se partageaient en douze heures doubles cha-
cune. On avait inventé deux machines à mesurer le temps, l'une et l'autre
assez simples, une clepsydre et une horloge solaire, que les Grecs emprun-
tèrent plus tard aux Babyloniens et qu'ils appelèrent polos : le gnomon ser-
vait à déterminer un certain nombre de faits élémentaires indispensables aux
calculs astronomiques, la place des quatre points cardinaux, le midi vrai,
l'époque des solstices et des équinoxes, la hauteur du pôle pour l'endroit
où l'instrument est dressé. La construction du gnomon et de la clepsydre,
sinon du polos, est évidemment fort ancienne, mais aucun des textes publiés
jusqu'à présent ne mentionne l'usage de ces instruments3.
Toutes ces découvertes, qui représentent à nos yeux le véritable patrimoine
scientifique des Chaldéens, ils les regardaient eux-mêmes comme le résultat
d'Archéologie Biblique, t. 1, p. 15; Oppert, dans le Journal Asiatique, 1871, t. XV11I, p. 67; Sayce, The
Astronomy and Aslrology of tke Baby loti tans, dans les Transactions de la Société d'Archéologie
Biblique, t. 111, p. 233-234; Smith, Assyrian Discoveries, p. 409).
1. Cf. la liste bilingue publiée pour la première fois par ÏSorris, Assyrian Dictionary, t. 1, p. 50,
ainsi que les explications de Sayce, The Astronomy and Astrology of the Babylonians, dans les
Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. 111, p. 160 sqq., et de Fr. Lenorvant. les Origines
de l'Histoire, t. I, pi. CXL sqq., 598 sqq.
î. Sur les mois intercalaires, voir Sayce, The Astronomy and Astrology of the Babylonians, dans
les Transactions, t. III, p. 160 : nous avons eu l'occasion de citer, p. 676 de cette Histoire, les indica-
tions de fêtes ou de cérémonies à exécuter par le roi pendant le second mois d'Êloul. Un fragment
de calendrier indiquant une triple intercalation est publié dans Rawlinson, Cun. Ins. W. A., t. III,
pi. 56, n* 5. La dernière tentative faite pour fixer les époques d'intercalation, et la mieux réussie au
moins pour l'époque du Second Empire Chaldéen, est celle d'ED. Mahler, Der Schaltcyclus der Baby-
lonier, dans la Zeitschrifl fur Assyriologie, t. IX, p. 42-61.
3. Hérodote (II, cix) attribue formellement l'invention du gnomon et du polos aux Babyloniens : it6Xov
uiv yàp xa\ yvtofxova xa\ xà SajSexa uipsa rrj; Tjuipa; irapà Ba6vXci>vui>v Ëu,ot6ov ol "EXXtjveç. Le polos
était une horloge solaire. Il consistait en une demi-sphère concave au centre de laquelle un style se
dressait : l'ombre du style décrivait chaque jour un arc de cercle parallèle à l'équateur, et l'on
divisait les parallèles journaliers en douze ou vingt-quatre parties égales. Smith a découvert à
Koyoundjtk, dans le palais de Sennachérib, un fragment d'astrolabe, qui est conservé aujourd'hui au
British Muséum (Assyrian Discoveries, p. 407-408).
98
778 LA CIVILISATION CHALDËENNE.
le moins important de leurs études1. Ne savaient-ils pas grâce à elles que les
astres ne brillent pas seulement pour éclairer les nuits, mais qu'ils régissent
les destinées des hommes et des rois, et par celles des rois la fortune des
empires? Les plus anciens de leurs astronomes, à force de contempler chaque
nuit l'armée des étoiles, crurent discerner qu'à chacune de leurs évolutions
correspondait sur terre un ensemble de phénomènes et d'événements toujours
les mêmes. Si Mercure, par exemple, s'allumait à son lever d'un éclat sem-
blable à celui du jour, et que son disque simulât une lame d'épée à double
tranchant, grâce à la disposition du halo lumineux qui l'enveloppait, la
richesse et l'abondance se répandaient sur la Chaldée, les discordes se tai-
saient et la justice l'emportait sur l'iniquité8. Le premier qui releva pareille
coïncidence en fut étonné et la nota; ceux qui vinrent ensuite constatèrent
que son observation était exacte, et finirent par déduire une loi générale des
antécédents accumulés pendant des années. Désormais, chaque fois que
Mercure se montra sous le même aspect, ce fut un augure favorable, qui porta
bonheur aux souverains et à toute la terre qui dépend d'eux. Dans le temps
qu'il s'était produit de la sorte, aucun maître étranger ne pouvait s'installer
en Chaldée, mais la tyrannie était divisée contre elle-même, l'équité prévalait,
un monarque fort gouvernait; les propriétaires et le roi demeuraient ferme-
ment assis dans leurs droits; l'obéissance et la tranquillité régnaient au pays.
Le nombre de ces observations se multiplia tellement qu'on dut les classer
méthodiquement pour éviter de s'y tromper. On en rédigea des tables où l'on
lisait, à côté d'indications donnant l'état du ciel telle nuit à telle ou telle
heure, la mention des événements survenus au moment même ou peu après,
en Chaldée, en Syrie, en Phénicie, dans quelque autre région étrangère*. Si la
lune offre exactement la même apparence le 1er et le 27 du mois, l'Élam est
menacé; mais ce si le soleil, à son coucher, parait double de sa dimension
1. Le classement des œuvres astrologiques, dont l'ensemble est conservé au British Muséum, a été
Tait pour la première fois par Fr. Lenormant, Essai de Commentaire sur les fragments cosmogoniques
de Bérose, p. 25-30; les restes en ont été en partie analysés, en partie traduits par Sayce, The Astro-
nomy and Aslrology of the Babylonians, with Translations of the Tablets relating to thèse subjects,
dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. III, p. 145-339, et le tableau des résuiats
auxquels les astrologues chaldéens étaient parvenus a été tracé par Fr. Lesormant, la Divination et la
Science des Présages chez les Chaldéens, p. 1-15.
3. Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. III, pi. Si, n° 1, 1. 1-7; cf. Sayce, The Astronomy and Astrology
of the Babylonians, p. 193-194, où le nom de la planète, Gouttam, est rendu Jupiter, contre l'opinion
d'Oppert (Tablettes Assyriennes traduites, dans le Journal Asiatique, 1871, t. VIII, p. 445, et Un
Annuaire Astronomique Babylonien, dans le Journal Asiatique, 1890, t. XVI, p. 519-540). M. Jensen
(Die Kosmologic der Babylonier, p. 131-132) identifiait Gouttam à Mars.
3. Présages tirés de la conjonction de la Lune et du Soleil à différentes dates, favorables (Rawlinson,
Cun. Ins. W. As., t. III, pi. 58, n° 11, 1. 9-14) ou défavorables pour Akkad (Id., t. III, pi. 58, n° lî,
I. 3-11), mais favorables pour l'Élam et pour la Phénicie.
LA SCIENCE DES PRÉSAGES. 779
normale, avec trois faisceaux de rayons bleuâtres, le roi de la Chaldée est
perdu1 ». Aux présages tirés des astres, on joignit ceux qui se manifestaient dans
l'atmosphère * : s'il tonnait le 27 de Tammouz, la récolte du blé devait être
belle et le rendement des épis magnifique; si c'était le 2 Abou, six jours plus
tard, il fallait craindre des inondations ou des pluies à bref délai, la mort
prochaine du souverain et la division de son empire8. Ce n'était pas sans
raison que le soleil et la lune s'entouraient le soir de vapeurs sanglantes ou
se voilaient de nuées noires, qu'ils pâlissaient ou rougissaient soudain d'une
splendeur insupportable, que des feux imprévus s'enflammaient aux confins
de l'air et qu'à certaines nuits les étoiles semblaient se détacher de la voûte
et pleuvoir sur la terre. Ces prodiges étaient autant d'avertissements que les
dieux accordaient aux peuples et aux rois avant les grandes crises : l'astro-
nome les cherchait, les interprétait, et ses pronostics influaient plus qu'on
ne saurait croire sur la fortune des particuliers ou des Etats. Les princes
le consultaient, et se déchargeaient parfois sur lui du soin d'indiquer les
moments les plus favorables à l'exécution de leurs projets. Les temples pos-
sédaient d'ancienne date toute une bibliothèque d'écrits astrologiques, où
les gens du métier trouvaient rassemblés comme en un code les signes qui
annoncent les destinées4. L'un d'eux, qui ne comprenait pas moins de
soixante-dix tablettes d'argile, passait pour avoir été rédigé sous le règne
de Sargon d'Agadé5, mais on l'avait remanié à plusieurs reprises et enrichi
d'exemples nouveaux, sous lesquels le fond primitif avait disparu peu à peu.
C'était le livre classique sur la matière, vers le vnc siècle avant notre ère, et
les astronomes royaux auxquels on réclamait l'explication d'un phénomène
naturel ou merveilleux en extrayaient le plus souvent leurs réponses toutes
prêtes0. L'astronomie ainsi entendue n'était pas seulement la reine des
1. Rawlinson, Cvn. Ins. W. As., t. III, pi. 64, n° 7, I. 57 ; cf. Fr. Lenormant, la Divination et la Science
des Présages chez les Chaldéens, p. 8, u. 1 ; et pour le présage du soleil, Rawlinson, Cvn. Ins. W. As.,
t. III, pi. 69, 15 recto, I. i; cf. Sayce, The Astronomy and Astrotogy of Ihe liabylonians, p. 221,
Fr. Le.nokma.nt, la Divination et La Science des Présages citez les Chaldéens, p. 8, n. 1.
2. Fr. Lenormant, la Divination et la Science des Présages chez les Chaldéens, p. 63 sqq.
3. Fr. Lenormant, la Divination et la Science des Présages, p. 73-74.
4. Fr. Lenormant, la Divination et la Science des Présages chez les Chaldéens, p. 33 sqq. Aucun de
ces ouvrages n'est parvenu en entier jusqu'à nous, mais nous possédons la table des matières de l'un
d'eux, qui ne comprenait pas moins de vingt-cinq tablettes, et qui était déposé dans la bibliothèque
d'Assourbanabal à Ninive (Rawlinson, Cun. Ins. W. As., t. III, pi. 52, 3; cf. Sayce, The Astronomy and
Astrology of the Babylonians, dans les Transactions de la Société d'Archéologie Biblique, t. III,
p. 151-160). On peut juger, par le sommaire qu'elle nous a conservé, la somme de travail et d'observa-
tions que les astronomes de la Chaldée, puis de l'Assyrie, avaient dû accumuler pendant des siècles
pour réunir les matériaux de leur science.
5. Du moins il prenait ses exemples dans la vie de ce prince et dans celle de son fils et successeur
Naramsin; cf. p. 598-599 de cette Histoire.
6. Fr. Lenormant pense même que cet ouvrage, ainsi modifié, fut celui que Bérose traduisit en
780 LA CIVILISATION CHALDÊENNE.
sciences, elle était la maîtresse du monde : on renseignait mystérieusement
dans les sanctuaires, et ses adeptes formaient presque une classe à part de
la société, ceux du moins qui avaient suivi le cours régulier d'études qu'elle
exigeait. Leur métier était de ceux qui rapportent, et il suscitait aux savants
nourris dans les bonnes méthodes des quantités de concurrents douteux,
instruits on ne sait où, qui exploitaient à l'envi la crédulité populaire. Us
s'en allaient par les chemins, tirant des horoscopes et dressant des thèmes
généthliaques, dont la plupart n'offraient aucune garantie d'authenticité. La
loi s'avisait parfois qu'ils faisaient concurrence aux docteurs officiels, et les
troublait dans leur commerce; quand par hasard elle les avait exilés d'une
cité, ils trouvaient un asile assuré dans les voisines.
La Chaldée regorgeait d'astrologues non moins que de devins et de nécro-
mants; elle ne possédait point, comme l'Egypte, une véritable école de méde-
cine, où l'on enseignait les moyens rationnels de diagnostiquer les maladies,
et de les guérir par l'emploi des simples1. Elle se contentait pour soigner
les corps de sorciers ou d'exorcistes, habiles à dépister les démons ou les
esprits dont la présence dans un vivant détermine les désordres auxquels
l'humanité est sujette. Le faciès général du patient pendant les crises, les
paroles qui lui échappaient dans le délire, étaient pour ces rusés personnages
autant d'indices qui leur dévoilaient la nature et parfois même le nom de
l'ennemi à combattre, le dieu Fièvre, le dieu Peste, le dieu Mal-de-Tête*.
Les consultations et le traitement étaient donc des offices religieux, qui
impliquaient des purifications, des offrandes, tout un rituel de paroles et de
gestes mystérieux. Le magicien allumait devant son sujet un feu d'herbes
et de plantes odoriférantes, dont la flamme claire écartait les spectres et
dissipait les influences malignes, puis il récitait une oraison destinée à décrire
le mal ou l'enchantement. « L'imprécation malfaisante comme un démon
s'est abattue sur l'homme; — la voix du magicien comme un joug s'est
appesantie sur lui, — l'imprécation malfaisante, le sortilège, le mal de tète!
— Cet homme, l'imprécation malfaisante l'égorgé comme un agneau, —
car son dieu s'est retiré de son corps, sa déesse s'est mise à l'écart, mal
grec, et qui devint un des principaux textes classiques de l'astrologie gréco-romaine (la Divination
et la Science des Présage» chez les (Jtaldéens, p. 46-i").
1. Cf. p. 2U-220 de cette Histoire ce qui est dit de la médecine égyptienne. Encore à l'époque
perse, c'étaient des médecins égyptiens ou grecs que les rois achéménides entretenaient auprès d'eux,
non des médecins babyloniens; cf. dans Hérodote (III, 1) la légende de l'oculiste envoyé par Amasis
à Cyrus, et dont la rancune amena la ruine de l'Egypte.
2. Pour les mauvais génies, et pour les maladies qu'ils pouvaient causer en pénétrant dans le corps
des hommes, voir p. 683 de cette Histoire; la même doctrine était enseignée en Egypte, cf. p. 312 sqq.
LA MÉDECINE. 781
disposée pour lui, — la voix s'est étalée sur lui comme un vêtement et l'a
troublé! » Le mal que le magicien a fait est terrible, mais les dieux peuvent
le réparer encore, et déjà Mardouk s'émeut, Mardouk abaisse ses regards sur
le patient, Mardouk est entré dans la maison de son père Éa, disant : « Mon
père, l'imprécation mauvaise s'est abattue sur l'homme comme un démon ! »
Par deux fois il lui parle, puis il ajoute : « Ce que doit faire cet homme, je ne
le sais; comment se guérira-t-il? » Ëa répond à son fils Mardouk : « Mon fils,
que ne sais-tu et que t'ajouterai-je? — Mardouk, que ne sais-tu et que t'ajou-
terai-je? — Ce que moi je sais, toi tu le sais : — va donc, mon fils, Mardouk,
— mène-le à la maison de purification du dieu qui prépare les remèdes, — et
romps le charme qui est sur lui, rejette le charme qui est sur lui, — le mal
qui trouble son corps, — qu'il ait pour cause la malédiction de son père, —
ou la malédiction de sa mère, — ou la malédiction de son frère aîné, — ou la
malédiction pernicieuse d'un inconnu. — La malédiction, qu'elle soit enlevée
par le charme d'Éa, — comme une gousse d'ail qu'on défait peau à peau, —
comme un régime de dattes soit-elle tranchée, — comme une grappe de
fleurs soit-elle arrachée! Le sortilège, ô double du ciel, conjure-le, — double
de la terre, conjure-le! » Le dieu daignait lui-même prescrire le remède : le
malade devait prendre une gousse d'ail, des dattes, un rameau chargé de
fleurs, puis les jeter au feu morceau à morceau, en murmurant des oraisons
appropriées à chaque moment de l'opération. « De même que cet ail pelé et
jeté au feu, — la flamme ardente le consume, — il ne sera point planté au
jardin potager, il ne s'abreuvera pas à l'étang ou à la rigole, — sa racine ne
s'implantera pas en terre, — sa tige ne percera pas et ne verra pas le soleil, —
il ne servira pas à la nourriture des dieux ou du roi, — de même puisse-t-il
emporter l'incantation mauvaise, puisse-t-il dénouer le lien — de la maladie,
du péché, de la faute, de la perversité, du crime! — La maladie qui est en
mon corps, en ma chair, en mes muscles, — ainsi que cet ail soit-elle pelée, —
et qu'en ce jour la flamme ardente la consume; — sorte le sortilège, que je
voie la lumière! » La cérémonie se prolongeait autant qu'on le désirait : le
malade mettait en pièces et le feu dévorait tour à tour le régime de dattes,
le bouquet de fleurs, un flocon de laine, du poil de chèvre, un écheveau de
fil teint, une fève. A chaque fois il répétait la formule en y introduisant deux
ou trois des traits qui caractérisent le mieux la nature de l'offrande : les dattes
ne s'emmancheront plus sur leurs tiges, les feuilles du rameau ne seront
jamais réunies à l'arbre, la laine et le poil ne remonteront plus au dos de la
78-2 LA CIVILISATION CHALDÉENNE.
bêle qui les portait et ne serviront plus à tisser des vêtements1. Des remèdes
accompagnaient souvent remploi des paroles magiques, remèdes baroques et
de composition fâcheuse, pour la plupart : c'étaient des copeaux de bois
amers ou puants, de la viande crue, de la chair de serpent, du vin, de l'huile,
le tout réduit en pulpe ou façonné en boulette et qu'on avalait à l'aventure*.
La médecine égyptienne en admettait de pareils, auxquels elle attribuait des
effets considérables, mais ils ne paraissaient chez elle qu'à l'état d'exception.
La médecine chaldéenne les préconisait avant tous les autres, et leur étran-
geté même rassurait le patient sur leur efficacité : ils répugnaient aux esprits,
et délivraient le possédé rien que par l'horreur invincible dont ils remplissaient
les persécuteurs. Elle n'ignorait pas cependant les vertus naturelles des sim-
ples et elle les utilisait à l'occasion8; mais elle ne les tenait qu'en estime
médiocre et elle leur préférait les recettes qui flattaient le goût du peuple pour
le surnaturel. Des amulettes confirmaient ensuite l'effet obtenu et empêchaient
l'ennemi de rentrer dans un corps, une fois qu'il en était sorti, nœuds de
corde, coquillages percés, figurines en bronze ou en terre cuite, plaques atta-
chées au bras ou pendues au cou. On y dessinait tant bien que mal une image,
la plus terrible qu'on pût imaginer, on y griffonnait une incantation en abrégé,
ou l'on y gravait des caractères extraordinaires : les esprits se sauvaient dès
qu'ils les apercevaient, et la maladie épargnait le maître du talisman4.
Si risible à la fois et si déplorable que cet amalgame disproportionné de
notions exactes et de superstitions nous paraisse aujourd'hui, il aida la
fortune des cités chaldéennes autant et plus qu'un bagage considérable de
science vraie ne l'aurait pu faire. Les peuples encore barbares qui les serraient
de toute part étaient imbus des mêmes idées qu'elles, sur la constitution du
monde et sur le jeu des lois qui le gouvernent. Ils vivaient eux aussi dans
la terreur continuelle des invisibles, dont la volonté arbitraire et changeante
émet tous les phénomènes visibles; ils attribuaient à l'action directe d'êtres
1. Le texte de cette conjuration a été publié dans Rawljnson, Cun. Ins. W. As., t. IV, pi. 7, et
couvrait la VI" Tablette de la série intitulée Shourbou. Elle a été traduite entièrement par Fr. I.enor-
inant (Études Accadiennes, t. II, p. 225-238, t. III, p. 83-93), Halévy (Documents religieux de t Assyrie
et de la Rabylonie, p. 135-1-44, 30-34) et Jenaen [De Incantamentorum sumerico-assyriorum seriei
qux dicitur Shurbu tabula VI, dans la Zeitschrift f>ir Keilforschuny, t. 1, p. 479-322, t. II, p. 15-61,
306-311,416-125).
2. On trouvera des exemples de ces formules incohérentes chez Sayce, Ah ancien t Babylonian work
on Medicine, dans la Zeitschrift fur Keilforschung, t. Il, p. 1-14. Pour les recettes égyptiennes du
même genre, cf. ce qui est dit à la p. 219 de cette Histoire.
3. Voir par exemple les simples énumérés sur une tablette du British Muséum que vient de publier
A. Boissier, Liste de plantes médicinales, dans la Revue sémitique d'Épigraphie et d'Histoire Ancienne,
t. N,p. 135-145.
4. Talbot, On the Religious Relief of the Assyrians, n° 3, § 5-8, dans les Transactions de la Société
d'Archéologie Biblique, t. 11, p. 54-57, 65 73; Fr. Luiormamt, ta Magie chez les Chaldéens, p. 38-52.
LA MAGIE ET SON INFLUENCE SUR LES PEUPLES BARBARES. 783
mauvais les revers et les malheurs qui les frappaient, ils croyaient fermement
à l'influence des astres sur les événements terrestres, ils étaient à l'affût des
prodiges et s'en effrayaient, mais ils connaissaient imparfaitement le nombre
et le caractère de leurs adversaires, et ils n'avaient découvert que des moyens
insuffisants de leur tenir tète ou de les dompter. Les Chaldéens se donnaient
à eus comme investis des pouvoirs qui leur manquaient. Ils avaient forcé les
démons à se démasquer devant leurs yeux et à leur obéir, ils lisaient cou-
ramment au ciel le présent et l'avenir des hommes ou des nations, ils inter-
prétaient la pensée des immortels
dans ses moindres manifestations,
et ce n'était pas chez eux une
faculté éphémère ou bornée que
l'usage épuisait promptement : les
rites et les formules qu'ils con-
naissaient leur permettaient de
l'exercer sans jamais l'affaiblir, en
tout temps, en tout lieu, sur les ns mklrti ciuLpim1.
dieux les plus élevés comme sur les
plus redoutables des hommes. Une race aussi savante n'était-elle pas prédes-
tinée à l'emporter sur ses voisins, et quelle chance ceux-ci avaient-ils de lui
résister s'ils ne lui empruntaient pas ses mœurs, ses coutumes, son industrie,
son écriture, les arts et les sciences qui assuraient sa supériorité? La civili-
sation chaldéenne déborda sur l'Élam et apprivoisa les peuplades riveraines du
golfe Persique, puis, comme la mer au sud, le désert à l'occident, les mon-
tagnes à l'est, entravaient son essor, elle se détourna vers les larges plaines
septentrionales et remonta les deux fleuves dont le cours inférieur avait abrité
son berceau. C'était le temps même où les Pharaons de la XIIIe dynastie
achevaient la conquête de la Nubie. La grande Egypte, constituée enfin par
les efforts de vingt générations, était une puissance africaine. La mer au nord
la bornait, le désert et les montagnes la serraient rigoureusement sur les
côtés, le Nil se présentait à elle comme la seule voie tracée naturellement
vers un monde nouveau : elle le suivît sans se lasser de cataracte en cata-
racte, colonisant au passage toutes les terres qu'il féconde de ses eaux.
A chaque pas qu'elle faisait dans cette route, ses capitales s'éloignaient de
784 LA CIVILISATION CHAI.DÉESNE.
la Méditerranée, et ses foi-ces se déplaçaient vers le sud. L'Asie aurait presque
cessé d'exister pour elle, si les incursions répétées des Bédouins ne l'avaient
obligée d'y pousser quelques pointes de temps en temps, encore s'y aven-
turait-elle le moins possible, et elle en rappelait ses troupes dés qu'elle
avait mis ses pillards à la raison : l'Ethiopie l'attirait seule, et c'était en
Ethiopie qu'elle avait établi solidement son empire. Les deux grands peuples
civilisés de l'ancien monde avaient donc chacun leur champ d'action nette-
ment délimité, où l'autre n'intervenait jamais. Les relations n'avaient pas
manqué entre eux, mais la rencontre de leurs armées, si vraiment elle avait
eu lieu, avait été un accident sans lendemain; elle n'avait produit nul résultat
durable, et leurs guerres s'étaient terminées sans assurer à l'un d'eux aucun
avantage décisif.
T"
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ûce.
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LES PHARAONS DE L'ANCIEN ET DU MOYEN EMPIRE
(|"-XIV dynasties)
I
es listes des Pharaons de l'époque memphite paraissent avoir été établies,
A dès la XIIe dynastie, à peu près de la façon dont nous les connaissons
aujourd'hui : elles l'étaient certainement vers la XXe dynastie, sous laquelle le
Canon de Turin fut copié. Celles d'entre elles que nous possédons semblent
représenter deux traditions légèrement différentes, dont l'une nous a été
conservée par les abréviateurs de Manéthon, dont l'autre a inspiré les auteurs
des tables monumentales d'Abydos et de Saqqarah, ainsi que le rédacteur du
Canon de Turin.
Il parait y avoir eu, pour les cinq premières dynasties, un certain nombre
de souverains dont on savait ou dont on croyait savoir l'ordre exact et la
filiation, puis d'autres dont on lisait les noms sur les monuments, mais
dont aucun document romanesque ou authentique n* indiquait la place par rap-
port aux précédents. On retrouve donc, dans les deux traditions, des séries
de souverains fixes, autour desquels flottent des personnages indécis. Les
listes hiéroglyphiques et le Canon royal paraissent s'être occupés surtout des
premiers; les auteurs dont Manéthon s'est servi avaient recueilli soigneuse-
ment les seconds, et les avaient intercalés à des endroits variables, parfois au
milieu, le plus souvent à la fin de la dynastie, comme une sorte de caputmor-
tuum. L'exemple le plus frappant de cette disposition nous est fourni par la
IVe dynastie. Les monuments contemporains nous prouvent qu'elle forme un
bloc compact, auquel se rattachent sans transition les trois premiers membres
de la Ve dynastie : Menkaouri succéda à Khâfri, Shopsiskaf à Menkaouri,
Ousirkaf à Shopsiskaf, et ainsi de suite. Les listes de Manéthon suppriment
Shopsiskaf, et lui substituent quatre personnages, Ratôisès, Bikhéris, Séber-
khérès, Thamphthis, dont les règnes auraient couvert plus d'un demi-siècle ;
c'étaient sans doute des prétendants au trône ou des rois locaux se rapportant
aux temps de la IV'- Ve dynastie, et que les auteurs de Manéthon avaient logés
entre les groupes solides constitués par Khéops et ses fils d'un côté, par
UIST. AISC. DK L ORIK.VT. — T. I.
'H
♦9
786
APPENDICE.
Ousirkaf et ses deux frères supposés ou réels de l'autre, passant Shopsiskaf
et ne soupçonnant point qu'Ousirkaf lui avait succédé immédiatement, avec
ou sans compétiteurs.
J'ai examiné longuement, dans un de mes cours au Collège de France (1893-
1894), les questions que soulève l'examen des listes diverses, et peut-être
publierai-je quelque jour le résultat de mes recherches : pour le moment, je
me borne à en donner ce qui est nécessaire à l'intelligence de cet ouvrage, la
tradition manéthonienne d'une part, de l'autre la tradition monumentale. Le
texte que j'ai choisi pour cette dernière, pendant les cinq premières dynasties,
est celui de la seconde table d'Abvdos; les noms entre crochets [ ] sont
empruntés soit à la table de Saqqarah, soit au Canon royal de Turin. Les
chiffres d'ans, de mois et de jours sont ceux que le Canon nous a conservés.
LISTES DE MANÉTHON
MENES.
ATHOTHIS. .
KEN KEN ES. .
OUÉNÉPHKS. .
OIÎSAPHAIDOS
M1EBIDOS. .
SEMEMPSÈS.
BIÉNEKIIÈS.
BOETHOS . . -
KAIEKHÔS. . .
BINÔTHRIS. . .
TLAS
SÉTHENÈS. . .
KH AIRES. . .
NEPHERKHERÈS.
SÉSAKHRIS . .
KHÉNÉRKS.. .
NÉKHÉnrtPHKS.
TOSORTHROS. .
TYREIS. . . .
MÉSÔKHRIS. .
SÔYPHIS . . -
TOSERTASIS. .
AKIIÈS. . . .
SEPHOCRIS. .
KEItPHERES. .
An*
LISTES MONUMENTALES
I" DYNASTIE THINITE
62
57
31
23
*20
26
18
26
MlNl. . . .
TÉTI I. . .
ATI I. . . .
ATI II . . .
HOU SA PII A tTI
MARIBI. . .
SAMSOU. . .
QAI1HOU . .
11° DYNASTIE THINITE
BOl.ZAOU.
KAKÔOU..
BINOUTRI.
OUZNASlT.
SONDI . .
•
•
•
38
39
47
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17
25
48
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IIP DYNASTIE MEMPHITE
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29
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19
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[HOUZAOUFl] . . .
ZAZAI, [kABAI].. . .
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ZOSIR PA [ZOSIRl] . .
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LISTES DES PHARAONS DE L'ANCIEN EMPIRE.
787
LISTES DE MANÉTHON
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LISTES MONUMENTALES
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IV« DYNASTIE MEMPHITE
SÔRIS. . .
SOUPHIS I.
SOUPHIS II. .
MENKHÉRKS. -
RATOlSÈS. . .
BIKHÉRIS. . .
SÉBERKtlÉRKS.
THAMPHTHIS. .
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9
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9
22
SHOPSISKAF
0
9
»
7
9
V DYNASTIE ELEPHANTITE
OUSERKHERKS. .
SEPHRÈS. . . ■
NEFERKHÉRÈS II.
SISIRÈS
KHERKS. . . .
RATHOURÈ:-. .
MENKHÉRÈS I.
TANKHÉRÈS. .
ONNOS. . . .
28
13
23
7
20
44
.9
44
33
OUSIRKAF
SAHOURl
KAKIOU
nofir[irike]ri rr. . .
IM^ri * • * I * * * * *
[SHOPSI8KERt|. . •
[akaouhorou]. . . .
OUSIRNIRÎ 1er [ÀNOU].
MÊNKAOLHOROU. . .
DADKERÎ Ier [ASSi].
OUNAS
VI- DYNASTIE MEMPHITE
OTHOES . . .
PHIOS
MÉTÉSOUPHIS .
PHIOPS. . . . •
MENTHÉSOUPHIS.
NITÔKRIS. . . .
30
53
7
100
1
12
TETI III
MIRIRÎ [PAPI l,r]
MIHNIRÎ Ier [MIHTIMSAOUF I*r]
NOFIRKARl III [PAPI II]. . .
MIRNIRt II [MIHTIMSAOUF II].
NÎTAOUQRlT
28
»
»
4
»
0
2
»
»
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p
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20
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14
9
90 -i-
»
1
1
*
J>
»
9
9
9
,
De la VIe dynastie à la XIP, les listes de Manéthon nous font défaut : elles
enregistrent l'origine et la durée des dynasties, sans contenir les noms des
rois. Cette lacune est comblée en partie par la table d'Abydos, par les
fragments du Canon royal de Turin, et par les données monumentales. La
tradition ne paraît pas avoir été établie aussi fermement pour cette époque
qu'elle Tétait pour les temps précédents. Les dynasties héracléopolitaines
ne figuraient peut-être qu'au Canon de Turin ; quant aux dernières
dynasties memphites, tandis que la table d'Abydos admet une série de
Pharaons, le Canon semble en avoir préféré une autre. Il y eut sans doute,
après la fin de la \T dynastie et avant l'avènement de la IXe, une époque
où plusieurs des branches de la famille royale s'attribuèrent les titres
souverains et régnèrent sur diverses parties de l'Egypte : c'est ce qu'on
788
APPENDÏCE.
vit plus tard entre la XXIIe et la XXIVe dynastie. La tradition d'Abydos
avait adopté peut-être une de ces dynasties contemporaines, tandis que la
tradition du Canon de Turin avait fait choix d'une autre : Manéthon avait pris
pour représenter la série officielle celle d'entre elles qui avait succédé dans
Memphis aux souverains de la VIe dynastie. Voici les deux séries connues,
autant qu'il est permis de les rétablir pour le moment :
TABLE D'ABYDOS
CANON DE TURIN
Ans
Ans
Jours
Mois
[VII*-VIII« DYNASTIES MEMPHITES DE MANÉTHON]
NOUTIRKERf
MENKEPÎ
NOFIRKARÎ IV
NOFIRKARÎ V NIBI ,
DADKERÎ II SHAOUMA
NOFIRKARÎ VI KHONDOU . . .
MARMHOROU
SANOFIRKA I
KANIRl
NOFIRKARÎ VII TARAROU
NOFIRKAHOROU
NOFIRKARÎ VIII PAPI III SONBOU
SANOFIRKA II ÂNOU ......
OUSIRKÉOURÎ
NOFIRKÉOURÎ . . .
NOFIRKÉOUHOROU
NOFIRIRIKERÎ II
»
»
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ù
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P
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NOFIRKARÎ IV
NOFIROUS. .
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4
2
2
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IX--X* DYNASTIES H ERACLEOPOLITAIIf ES DE MANETHON
p
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KHÎTI l*r [MIRIBRl]
MIBIKERÎ
NOFIRKARÎ IX . ■
KHÎTI If
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9
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»
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1»
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»
»
»
p
La XIe dynastie thébaine ne figure sur les listes officielles que pour un petit
nombre de rois. Les tables monumentales n'en connaissent que deux, Nib-
khrôourî et Sônkhkarî, mais le Canon de Turin en admettait une demi-douzaine
au moins. Ces différences tenaient probablement à ce que, la seconde dynastie
héracléopolitaine ayant régné en même temps que les premiers princes thé-
bains, les tables monumentales, tout en écartant les Héracléopolitains, ne
reconnaissaient comme Pharaons authentiques que ceux des Thébains qui
avaient dominé sur l'Egypte entière, les extrêmes de la série; au contraire, le
Canon remplaçait les derniers Héracléopolitains par ceux des Thébains con-
LISTES DES PHARAONS DU MOYEN EMPIRE.
789
temporains qui s'étaient attribué les titres royaux. Quoi qu'il en soit de ces
combinaisons, l'accord reparaît entre les listes avec la XIIe dynastie thébaine.
TABLE D'ABYDOS
AMMÉNÉMÈS.
SÉSONKHÔSIS.
AMMÉNÉMÈS
SÉSOSTRIS. .
LAKHARÈS .
AMÉRKS. . .
AMÉNÉMÈS .
SKÉMIOPHRIS
Ans
CANON DE TURIN
XII* DYNASTIE THEBAINE
16
46
38
48
8
8
8
4
SHOTPABRÎ I AMENEMHÀÎT I.
KHOPIRKERl I OU8IRTASEN I.
NOUBKÉOURt AMENEMHAIT II.
KHÂKHOPIRRÎ OUSIRTASEN II.
KHAKÉOURl OUSIRTASEN III.
MÂlTNIRl AMENEMHÀÎT III..
MÀKHRÔOURt AMENEMHÀÎT IV
SOVKOUNOFRIOURÎ
Ans
Jours
Mois
20
»
42
»
32
9
19
9
30 +
»
40 H-
9
9
3
3
10
9
9
»
9
9
»
27
24
Pour les dynasties suivantes, nous ne possédons plus que les noms énu-
mérés sur les fragments du papyrus de Turin, et dont plusieurs se retrou-
vent soit dans la Chambre royale de Karnak, soit sur des monuments con-
temporains. L'ordre n'en est pas toujours certain : le mieux est d'en
transcrire la série, telle qu'elle semble résulter des débris du Papyrus
Royal, sans essayer de discerner dans le nombre ce qui appartient à la
XIIIe dynastie, et ce qui revient aux dynasties suivantes.
1. SAKHEMKHOUTOOUIRÎ I [SOVKHOTPOU i].
2. SAKHEMKARÎ
3. AMENEMHÀÎT V
4. SHOPTABRÎ II
5. AOUFNI
SONKHABRl[AMONI ANTOUF AMENEMHÀÎT]
SMANKHÀRÎ
SHOTPABRl III .... ^
SONKHKARÎ II
NOZMABRt
80vkhotpourî
13. rinousonbou
14. aoutouabr! i [horou]
15. sazaouf[ke]rÎ
16. sakhemkhoutoouirî ii sovkhotpou ii.
17. ousirnirî ii
18. smankhkerî mirmonfîtou
19 KARÎ
20. 80USIRÎSTRÎ .
21. SAKHMOUAZTOOUIRÎ SOVKHOTPOU III . .
22. SASHESHKHÀRf NOFIRHOTPOU I . . . .
23. SIHÀTHORRÎ
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
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9
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9
9
9
9
9
9
»
9
9
24. khànofirrt sovkhotpou iv.
25. (khàkerî|
26. [khâonkhr! SOVKHOTPOU v].
27. KHÎHOTPOURl SOVKHOTPOU VI
28. OUAHIBRt JAIBOU
29. MARNOFIRRÎ [aNI]
30. MARHOTPOURÎ
31. SONKHNISOUAZTOURl . . . .
32. MARSAKHMOURÎ ANDOU. . .
33. SAOUAZKÉOURl OUIRI. . . .
Rf.
34
35-43
44. MIRIKHOPIRRt
45. MIRIKÉOURt [SOVKHOTPOU Vil].
46-50
51 MASOURÎ . . . .
52 MÂÎTRÎ
53. NOFIROUBNOURÎ Iw
54 KERÎ
55. [saouazJnir!
56-57
58. NAHSIRÎ
59. KHÀKHRÔOURÎ
9
9
9
9
9
13
2
3
3
9
9
O
9
9
9
9
9
18
9
9
9
9
9
9
9
»
9
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9
9
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9
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*['*■ .•■■'■ K*B'
H HHI-HHM
B6. MUN BI
Il reste encore une cinquantaine de noms, mais si mutilés et répartis sur
des fragments si petits que l'ordre en est des plus incertains. Un cinquième
environ tle ces rois nous ont laissé des monuments, et la durée de leurs
règnes, quand elle nous est connue, donne des chiffres assez bas : on ne
saurait douter qu'ils aient régné réellement, et l'on peut espérer que le jour
viendra où le progrès des touilles nous les rendra l'un après l'autre. Ils nous
mènent jusqu'à l'invasion des Pasteurs, et peut-être s'en trouve-t-il dans le
nombre qu'on doit considérer comme contemporains des XV etXVl" dynasties.
uaoteJ a&cJ yraw</V(cJ
Le Nil [maladie de Trajanj
Un pliai Je loius (rul-de-
lampe;
Lesi ■:- ■! SA ■-.... =.i
de Béo.-Snuei
Lgypuen parant un poisson
(lettrine)
L'embouchure (lu .Ml avant la
formation ilu Delta (carie] .
lue lile irreguliere de cha-
ineaui chargés sort d'un pli
l'n village *e montre coquet
Le Ccbel Ahour'.-dah. redoute
Ine partie du Ci-bel SbelkO-
La :-■.,:. lie kl- es-Sayad
L'arriiee a la première eaïa-
ELlrea de la Sable
Ju Grand llap.de
Les moniagoes prolongent beue
■pre> lieue leur» ligne) basses
Es*-1 de i' - ■> •: i . i de l'I
arten rgjpticn
Les tourtca du XII -I de l'a-
fnque incndiocvile . par
lh|.: H 1.1 Ll.|H-i
La iillo de SkHIl cl le pay»
leiobre, pendant l'ioooda-
Les sycomores à l'entrée de la
Moudiriéh de Siout
La furet de dattiers de Bédié-
Acacias a l'entrée d'un jardin
dans la banlieue dAkluriliu.
I.'iirœus d'ÉgypIe lovée pour
L'ibis d'Egypte
Le mnrmyir oiïrrhynque. ...
Le fohnka
Deui péi-heurs purtanl un la-
dre
La déesse Mirlt coilloc du bou-
quet de papyrus
Le dieu Ml
J.si chasse du Nil a ùigêh
Les Flils du temple de Séli 1-,
A Àbydos, apportant la ri-
chesse £ chaque nome de
l'ÉKÏple
F-Kjpiien .1 ii iipe noble . .
Égyptien du lïpe eommnn.
Télé de me thébame
Télé d un reliait de la Haute-
ur» 1 4e . .. .
lue fellah. ne porte »... lei
Une»' mi Hylisn»,
Prisonniers nègres velus du
pagne en ju-an de panthère
Personnage rr«ttn du grand
manteau paix: •■■■ l'épaule
«•'"he
Piètre pui tant la peau île pan-
Ihere en tr»>t.- de la noi-
IViaonoage entvIopiHt dans le
Le hoinncrang de guem- et
lloi tenant le haton, la massue
lilani-lie el le casse-lele
l'eche au marais : deui pola-
treet le harponnage de l'hip-
popotame
Chasse :■ i.i désert :1e taureau,
Mente du tombeau de l'htah-
l""l">"
Chasse à ta bola
Les porcs et le porcher
Le loties d'Egypte,,
La rime égyptienne
Le lubnurageà U charrue
Iliie de bateliers sur un canal
dérivé du Ml
Un grand seigneur égyptien.
Les nomes de la Moyenne
Egypte (carie),...
Les nomes de In Haute Egypte
Nomes de la basse Egypte
Coupe en émail bleu, décorée
de Juins irul-ile-Jampe)
La téted'llalhnr encadrée dans
le disque sniaiiv posé sur la
montagne d'horiion (fron-
tispice)
Le dieu illsou, coifréde plumes
(cul-de-la ni pc]
Le taureau gras mené solcn-
Séli I" agenouillé devant un
dieu i lettrine)
I.i déesse Naprlt, Napil
IJuelques-uns des animani fii-
huleui qui habitaient II dé-
sert d'Egypte
(Jneli[iiL's tins des nniinaui la-
tiiileui qui habitaient le dé-
sert d'Egypte
\tmll l'Étuiiee
Le dieu nie en lole-a-lête avec
79-2
TABLE DES GR YVUKES.
La vache Hâthor, dame du
Ciel 88
Les douze moments de la vie
du Soleil et ses douze for-
mes pendant te jour 89
Les principales constellations
du Ciel septentrional, selon
les Égyptiens 98
La barque lunaire, marchant
sans équipage, sous la pro-
tection des deux yeux 95
La cuisse de bœuf enchaînée à
l'hippopotame femelle 91
Orion, Sothis et trois Ilorus-
Planètes debout sur leurs
barques 95
Sàhou-Orion 96
Orion et la vache Sothis sépa-
rés par I'épervier 97
Amon-Râ identifié à Mlnou de
Coptos et portant ses attri-
buts 98
Anhouri 99
Horus à tête d'épervier 100
L'horus d'Hibonou, sur le dos
de la gazelle 101
Bastlt à tète de chatte 10*
Le tenec h, prototype supposé
de l'animal typhonien 103
Deux cynocéphales en adora-
lion devant le disque du
soleil levant 105
Ml de Sais lOi
linhotpou 105
Nofirtoumou 106
Horus, fils d'Isis 107
L'ombre noire sortant au so-
leil 108
Les âmes augustes d'Osiris et
d 'Horus en adoration devant
le disque solaire 109
L'imposition du ua au roi
après le couronnement 111
Le chacal Anubis 113
Le sacrifice au mort dans la
chapelle funéraire 115
Phtah-momie 117
Taureau sacré, flapis ou Mné-
vis 119
L'ofTrande au serpent, en plein
champ 120
L'offrande du paysan au syco-
more 121
Le sacrifice du taureau. —
L'officiant lace la victime. . . 123
Shou, soulevant le Ciel 127
Shou sépare violemment Sibou
et «ouït 129
Le Didou d'Osiris 130
Le Didou habillé 130
Osiris-Onnophris, le fouet et le
crochet aux mains 131
Isis coiffée du diadème à cor-
nes de vache 132
Nephthys en pleureuse 133
Le dieu SU combattant 133
Plan des ruines d'Héliopolis. . . 134
Horus vengeur de son père et
Anubis Ouapoualtou 135
Le Soleil jaillissant du Lotus
épanoui sous la forme d' Ho-
rus enfant 136
La plaine et les monticules
d'Héliopolis il y a cinquante
ans 137
Uarmakhoulli-Uariiiakhis,Oieu
grand 138
Khopri, le dieu scarabée, dans
sa barque 139
Les deux lions jumeaux Shou
et Tafnouft 141
Les quatre génies funéraires,
Amslt, flapi, Tioumaoutf,
Kabhsonouf 1 13
Plan des ruines d'Hcrmopolis
Magna 144
Thot-ibis 145
Thot-cynocéphale 1 45
Amon de Thèbes 1 48
L'Ogdoade hermopolitaino 1 49
Une Ennéade thébaine irrégu-
lière, composée de quatorze
dieux et déesses 151
Singe jouant de la harpe,
groupe en schiste d'épo-
que gréco-romaine (cul-de-
lampe) 152
L'épervier d'Horus, fils d'Isis,
dans les roseaux (fron-
tispice) 155
Tète de chatte en bronze, pro-
venant de Bubastis (cul-de-
lampe) 154
Isis réfugiée dans les marais
allaite Horus sous la protec-
tion des dieux 155
Un ichneumon debout, sur un
chapiteau de colonne, adore
le soleil (lettrine) 155
Khnoumou modèle l'humanité
sur le tour à potier 157
Le Soleil s'embarque à la pre-
mière heure du jour, pour
parcourir l'Egypte 161
Sokhlt à tête de lionne 165
La vache Nouflt soutenue au-
dessus de la terre par Shou
et par les dieux-étais 169
Trois des amulettes divinscon-
servés, à l'époque romaine,
dans le temple d'Ail-Nobsou. 171
la triade osirienne, Horus,
Oriris, Isis 175
Isis-Uâthor à tête de vache ... 177
La momie osirienne préparée
et couchée sur le lit funé-
raire par le chacal Anubis. . 179
La momie reçue par Anubis à
la porte du tombeau et l'ou-
verture de la bouche 180
Osiris dans l'Hadès, accompa-
gné d'Isis, d'Amentit et de
Nephthys, reçoit l'hommage
delà Vérité 181
Le mort escalade la pente des
montagnes d'Occident 182
La momie de Soutimosou serre
son Ame entre ses bras 183
Les cynocéphales tirent le filet
où les âmes se prennent. . . 184
Le mort et sa femme reçoivent
le pain et l'eau d'outre-
tombe devant le sycomore
de N'ouit 185
I,e mort perce un serpent de
sa lance 1Ê6
La bonne vache Uâthor em-
porte le mort et son âme.. 187
Anubis et Thot pèsent le cœur
du mort dans la balance de
Vérité 188
Le mort est amené par Horus,
fils d'Isis, devant le naos du
juge Osiris 189
Le labourage et la moisson
des mânes dans les champs
d'Ialou 192
Ouashbiti 193
Le mort et sa femme jouent
aux dames dans le kiosque. 194
Le mort se promène en canot
sur les canaux des champs
d'Ialou 194
Un des bateaux de la flotte du
mort en route pour Abydos. 195
La barque solaire sur laquelle
le mort va monter 196
La barque solaire s'enfonce
dans la montagne d'Occi-
dent 197
L'âme descend le puits funé-
raire pour aller rejoindre la
momie 198
L'âme posée au bord du lit fu-
néraire, les mains sur le
coeur de la momie 199
L'âme sort dans son jardin pen-
dant le jour 301
Un épisode des guerres d'IIar-
inakhis et de Stt 203
Une des tables astronomiques
du tombeau de Ram ses IV. . 205
Les dieux combattant pour le
magicien qui les conjure. . . 213
Horus enfant sur les croco-
diles 215
Un mort recevant les souilles
de vie 217
Thot enregistre les années de
vie de Ramsès II 221
La table royale du temple de
Séti I", à" Abydos 227
Plan des ruines d'Abydos, levé
par Mariette en 1865 et en
1875 231
Fragment d'un collier dont les
médaillons portent le nom
de Menés ffio
Stèle en forme de porte du
tombeau de Shiri 257
Satlt présente à Khnoumou le
pharaon Amenôthès III 239
Anouklt 240
La pyramide à degrés de Saq-
qarah 241
Une des chambres de la pyra-
mide à degrés, avec son re-
vêtement en plaques de terre
émaillée 243
Scarabée funéraire en pâte
bleue simulant le lapis-Iazuli
(cul-de-lampe) 24 4
Statuette de l'Ancien Empire,
au British Muséum : les
vases et instruments néces-
saires au sacrifice sont ran-
gés sur le socle devant le
mort (frontispice) 24o
Boite en bois, forme de canard
(cul-de-lampe) <46
Le grand sphinx et les pyra-
mides de Gizéh, vus au soleil
couchant 247
Un pleureur accroupi (let-
trine) 247
Le mastaba de Khointini dans
la nécropole de Gizéh 248
Le grand sphinx de Gizéh à
TABLE DES GRAVURES.
793
moitié déblayé, et la pyra-
mide de Khéphrèn 249
Tétiniônkhou, assis devant le
re|«as funéraire 230
La façade et la stèle du tom-
beau de Phtahshopsisou à
Saqqarah 251
La stèle en forme de porte et
la statue du tombeau de
Mirrouka 253
Les domaines du seigneur Ti
lui apportent processionnel-
lement leur offrande 251
Le seigneur Ti assiste en image
aux préliminaires du sacri-
fice et de l'offrande 255
La naissance d'un roi et de son
double 259
Le roi adulte s'avance suivi de
son double 261
Un nom de double 262
La déesse allaite le roi pour
l'adopter 263
Sceptre à tête de coucoupha. . 264
Postures diverses pour se pré-
senter devant le roi 265
Pharaon dans son harem 269
Pharaon reçoit en audience
solennelle l'un de ses mi-
nistres 271
La reine bat le sistre, tandis
que le roi offre le sacrifice. 273
Chanteurs, joueurs de flûte et
de harpe, chanteuses et dan-
seuses, au tombeau de Ti.. 279
Le nain Khnoumhotpou, chef
de la lingerie 280
La mise en caisse du linge et
son transport a l'hôtel blanc. 285
Le jaugeage des blés et le dé-
pôt dans les greniers 286
Plan d'un hôtel d'approvision-
nements princiers 287
Le personnel d'un bureau d'ad-
ministration sous les dynas-
ties memphites 289
Le crieur annonce l'arrivée de
cinq greffiers du temple du
roi Ousimiri, de la V' dynas-
tie 290
La stèle funéraire du tombeau
d'Ain ton 291
Statue d'Âmten, tirée de son
tombeau 293
Plan cavalier d'une villa appar-
tenant à un grand seigneur
égyptien 295
La chasse au boumérang et la
pèche au double harpon dans
un marais ou sur un étang. . 297
Le prince Api inspecte son do-
inaine funéraire en palan-
quin 298
l'n nain jouant avec des cyno-
céphales et avec un ibis ap-
privoisé 299
En bateau sur le Nil 299
Quelques-uns des exercices
gymnastiques de la classe
militaire 307
La danse de guerre exécutée
par les soldats égyptiens
avant la bataille 309
Deux forgerons manœuvrant
les soufflets 311
Tailleurs de pierre achevant
de parer des blocs de cal-
caire 312
l'n atelier de cordonniers fa-
briquant des sandales 315
Le boulanger façonne et met
ses pains au four 314
Une maison de grand seigneur
égyptien 315
Plan d'une partie de la ville
antique de Ghorâb 315
Stèle de Sltou simulant une
façade de maison 316
Une rue prise au hasard dans
la partie haute de Siout mo-
derne 317
Une salle à colonnes, dans une
des maisons de la XU* dynas-
tie, à Ghorâb 317
Chevet en bois 318
Un pigeon à roulettes 318
Appareil à faire le feu 318
Peintures murales dans les
ruines d'une maison antique,
à Kahoun 519
Femme broyant le grain 320
Deux femmes fabriquent la
toile au métier horizontal . . 321
Une des formes de la balance
égyptienne 324
Scènes de bazar 325
Une partie du village moderne
de Karnak, à l'ouest du tem-
ple d'Api l 327
Une stèle-limite 529
La levée de l'impôt : le contri-
buable au bureau du scribe. 331
La levée de l'impôt : le contri-
buable entre les mains des
chaouiches 332
La levée de l'impôt : la baston-
nade 333
I^a corvée traînant la statue
colossale du prince Thothot-
pou 335
Deux fellahs tirent la shadouf
dans un jardin 340
Le labourage et la rentrée des
moissons 541
Le troupeau de chèvres et la
chanson du chevrier 343
Vase a kokol en terre émai liée,
forme de hérisson (cul-de-
lampe) 334
Tête de scribe au Musée du
Louvre (frontispice) 545
Tète de femme Memphite, la
broyeuse de grains du Musée
de Florence (cul-de-lampe). 346
La pyramide de Snofroui à Mél-
doum 347
Tète de la statue de Râholpou
(lettrine) 347
Le Sinai et les établissements
miniers des Égyptiens au
temps de l'Empire Memphite
(carte) 349
Un barbare Monlti du Sinai. . . 351
Deux tours de retraite des Hi-
rou Shàilou, dans l'Ouady
Biar 332
Vue sur l'oasis de l'Ouady Fél-
rân dans la Péninsule du
Sinai 355
Les établissements miniers de
l'Ouady Magharah (carte)... 356
Le Haut-Castel des Mineur*, —
Hâit-Qalt, — à la rencontre
de l'Ouady Gennéh et de
l'Ouady Magharah 357
La pyramide de Méidoum 359
La cour et les deux stèles de la
chapelle attenant à la pyra-
mide de Méidoum 561
Nofrit, dame de Méidoum 363
Statue en albâtre de Khéops. . 364
Les bas-reliefs triomphaux de
Khéops, sur les rochers de
l'Ouady Magharah 365
Plan des Pyramides de Gizéh . . 366
Khoult, la grande pyramide de
Gizéh, le sphinx et le temple
du sphinx 367
La dalle mobile a l'entrée de
la grande pyramide 368
L'intérieur de la grande pyra-
mide 368
La galerie ascendante de la
grande pyramide 369
Le nom de Khéops tracé en
couleur rouge sur plusieurs
blocs de la grande pyramide. 571
Statue en albâtre de Khéphrèn. 372
La pyramide de Khéphrèn, vue
du sud-est 373
StatueendioriledeMenkaourl. 371
Le cercueil de Mykérinos 376
Le sarcophage en granit rose
de Mykérinos 377
Statue en diorite de Khéphrèn,
à Gizéh 379
l^e nome Memphite et l'empla-
cement des pyramides de
l'ancien empire (carte) 385
Statue en granit rose du Pha-
raon Anou au Musée de Gizéh. 590
Le bas-relief triomphal du Pha-
raon Sahourl, sur les rochers
de l'Ouady Magharah 391
Un navire de course égyptien
marchant à la voile 393
La Nubie au temps de l'empire
memphite 395
Tête d'un habitant du Pouanit. 597
Un des panneaux en bois de
Hosi, au Musée de Gizéh 404
Un atelier de sculpteurs et de
peintres égyptiensau travail. 405
Cellérier poissant une jarre. . . 406
Boulanger brassant la pâte... 407
Le Shélkh-el-Beled du Musée
de Gizéh 408
Le scribe agenouillé du Musée
de Gizéh 4C8
Le scribe accroupi du Musée
de Gizéh 409
Paysan allant au marché 410
Nolir, le directeur des grain». 411
Bas-relief sur ivoire 412
Stèle de la fille de Khéops. ... 413
Le Pharaon Menkaouhorou 415
Le Mastabat-el-Faraoun, vu sur
la façade ouest 417
L'Ile d'Êléphanline (carte; .... 424
L'ile d'Éléphanline vue des
ruines de Syène 425
La première cataracte (carte). 426
Petit Ouady sur la route de la
mer Bouge, à cinq heures
au delà d'Ed-Douélg 427
Les rochers de l'Ile de Séhel et
quelques-uns des proscyné-
mes qu'ils portent 429
100
794
TABLE DES GRAVURES.
La montagne d'Assouan et les
tombeaux des princes d'Élé-
phantine 431
Elirkhouf recevant l'hommage
funéraire de son fils à la porte
de son tombeau 133
Tête de la momie de Métésou-
phis I- 433
Plan de la pyramide d'Ounas,
et coupe longitudinale des
chambres qui la composent. 436
La chambre funéraire de la
pyramide et le Sarcophage
d'Ounas 437
L'entrée de la pyramide d'Ounas
a Saqqarah 438
Tête de massue en pierre
blanche, portant le cartou-
che de Kliéphrèn (cul-de-
lampe) 442
Tête de jeune fille nubienne
(frontispice) 443
Tête de la statue du Pharaon
Noflrholpou de la XIII' dy-
nastie, au Musée de Bologne
(cul-de-lampe) 441
La montagne à l'occident de
Thèbes, vue de la pointe mé-
ridionale de Louxor 145
Buste d'une statue d'Ame-
nemhàit III (lettrine) 443
Le Fayoum et la principauté
d'Iléracléopolis (carte) 447
Coupe à fond plat, en brome
découpé, portant les cartou-
ches du Pharaon Khiti I" 448
Une partie de l'enceinte d'KI-
Kab sur le front Nord 449
La seconde forteresse d'Abydos,
— la Shounét ez-Zébib, —
vue de l'est 451
L'attaque d'une forteresse égyp-
tienne par des troupes de di-
verses armes 432
Bataille entre troupes égyp-
tiennes de différentes armes. 433
La plaine de Thébes (carte). . . 455
Le nome de Siout (carte) 456
La grosse infanterie des prin-
ces de Siout, avec la pique et
le pavois 457
Une palette au nom de Mi ri-
kart 458
La pyramide en briques d'An-
toufâa, à Thèbes 439
Le Pharaon Montholpou reçoit
l'hommage de son succes-
seur Antouf, au Gebel-Sil-
siléh 463
Le chef asiatique présenté à
Khnoumhotpou par Noflrhol-
pou et par le surintendant
des chasses Khlti 468
Le gros de la bande asiatique
est amené à Khnoumhotpou,
hommes et bêtes 469
Les femmes défilent sous la
surveillance d'un joueur de
lyre et d'un guerrier 469
Plan du temple de Sa r bout
el-Khadlm, d'après G. Bé né-
dite 474
Les ruines du temple d'Hâthor
au Sarboul-el-Kltâdiin 475
La Nubie vers la lin de la
XII* dynastie (carte) 477
Une des faces de la forteresse
deKoubân 481
La seconde cataracte entre
Hamkéh et Ouady-Halfah
(carte) 482
La seconde cataracte aux basses
eaux, vue d'Abousir 483
La stèle triomphale d'Ousirla-
sen I" 483
Les rapides du Nil à Scmnéh
et les deux forteresses con-
struites par Ousirtasen 111
(carte) 486
La passe du Nil entre les deux
forteresses de Semnéh et de
K ou miné h 487
Prisonniers koushites amenés
en Egypte 489
Les routes qui mènent du Nil
à la mer Rouge, entre Coptos
et Qoçélr (carte) 495
La statue de Nofrll 501
Un des sphinx de Tanis, au
Musée de Gizéh 503
L'obélisque encore debout d'Ou-
sirtasen 1", dans la plaine
d'Héliopolis 507
Ousirtasen 1" d'Abydos 509
Une partie de l'ancien lac sacré
d'Osiris près du temple d'A-
bydos 510
Le site de l'antique Héracléo-
polis 511
Le dieu Sobkou du Fayoum
sous la forme d'un crocodile
sacré 512
Les débris de l'obélisque de
Béglg 512
Le piédestal ruiné de l'un des
deux colosses de Biahmou. . 513
Une vue du Fayoum, dans le
voisinage du bourg de Fidé-
mln 514
La cour du petit Temple au
nord du Birkét-Kéroun 515
Les bords du Birkét-Kéroun
vers l'embouchure de l'Oua-
di-Na*léh 516
Les deux pyramides de la
XIP dynastie à Lisht 517
Pectoral d'Ousirtasen III 518
La pyramide d'illahoun, vers
l'entrée du Fayoum 519
La montagne de Siout avec les
tombeaux des princes 521
Principauté de la Gazelle
(carte) 522
Le cimetière moderne de
Zaouiét el-Maiétln 525
Les tombeaux des princes de la
Gazelle, à Béni-Hassan 527
Le colosse du roi Sovkhotpou
Khâonkhouri au Musée du
Louvre 529
Statue de Uarsaouf au Musée
de Vienne 531
Statue de Sovkhotpou III 532
L'une des statues renversées et
brisées de Mirmâshaou à Ta-
nis 533
Miroir égyptien en bronze
(cul-de-lampe) 534
Tête de lion provenant de
Telloh (frontispice,) 535
Petite tête chaldéenne (cul-de-
lampe) 536
Les bords de l'Eu pli rate à Ilil-
Iah 537
Un des dieux-poissons de la
Chaldée (lettrine) 537
Un des génies à tête d'aigle.. 539
Bcl-Mardouk, armé de la fou-
dre, lutte contre la tumul-
tueuse Tiamat 541
Une courte chargée de pierres
et manœuvrée par quatre
hommes 542
Le monde tel que les Ghaldéens
l'imaginaient 543
Un dieu poisson 517
Les roseaux gigantesques de la
Chaldée 552
Les marais vers le confluent
de la Kerkha et du Tigre. . . 553
La cueillette des spathes du
palmier mâle 555
Un génie ailé tenant à la main
le spathe du palmier mâle. . 557
Le lion à grande crinière blessé
par une flèche et vomissant
son sang 558
L'urus chargeant 559
Une bande d'onagres chassés
par des chiens et percés de
flèches 559
Les principaux animaux do-
mestiques des contrées eu-
phratéennes 560
La truie et sa litière filant à
tra vers les fourrés de roseaux. 561
La Chaldée (carte) 563
Deux divinités chaldéennes en
forme de poisson 565
Une des tablettes de la série
du déluge 567
Shamashnapishtim enfermé
dans l'arche 569
Les monts DjoudI, qu'on iden-
tifie quelquefois avec les
monts de Nisir 571
Gilgamès étouffe un lion 5*5
Gilgamès lutte, à gauche avec
un taureau, é droite avec Éa-
bani 577
Gilgamès et Éabani en lutte
avec les monstres 582
Les hommes-scorpions des
monts de Màshou 583
Gilgamès et Arad-Éa naviguent
dans leur vaisseau 585
Gilgamès lutte avec le lion et
le soulève 591
La massue de Shargani-shar-
ali 600
Le sceau de Shargani-shar-ali,
roi d'Agadé : Gilgamès abreu-
ve le bœuf céleste 601
Le bas-relief de N ara m si n 602
Les armes de la ville de Lagash. 603
Fragment d'un bas- relief d'Où r-
nina, roi de Lagash 604
Idinghiranaghin tenant le to-
tem de Lagash, l'aigle sur les
deux lions 605
Idinghiranaghin sur son char
en tête de ses troupes 606
Les vautours dépeçant les
morts 606
Le champ de bataille couvert
de morts 607
Le sacrifice après la bataille. 607
Le roi Ourninâ et sa famille. . . 608
TABLE DES GRAVURES.
U »ml» I
Statue de Goudéa assis <
Plan des ruines de Houghélr. . <
Tête d'une des su tues de Tcl-
loh I
Statue dp Coudé» I
Plan des ruines d'Abou-Sbah-
réln (
Arabe traversant le Tigre en
mufle I
Un lielek assyrien chargé de
pierre* Mtir (
Te le de massue do Sharçani-
shar-ali (cul-de-la ni pe) <
du croissant lunaire ;frtin-
tiapice) (
Têle chaldéenne fcul-de-lampet I
La libation sur l'autel en pré-
sence du dieu et le sacrifice, i
In scribe chaldéen (lettrine). I
Plan des ruines de Warka, d'a-
près Loltua t
Le temple de Nannar. a Ourou,
restauré approximativement. I
Le temple d'Ourou dans son
étal actuel, d'après Taylor. . i
Deuxième vue du temple d'Ou-
d 'a près Loftus. I
Génie a têle de lion t
Le vent du sud-ouest f
Sin délivre parMardouk de l'at-
taque d'un des sept mauvais
génies de la terre (
Lutte entre un bon et un mau-
vais génie t
Le dii'ii Ninghirsuu, patron de
Lagash I
L'adoration de la masse et du
rouet t
Un amulette protecteur t
Le dieu Sin reçoit l'hommage
de deui adorateurs (
ciel par la porte d'Orient. . . t
Shamash dans son naos, et son
emblème sur l'autel E
La déesse Ishtar tenant son
étoile a la main 6
Les oiseaux de la tempête E
Ramman armé de la hache. . . E
Rimman, ]c dieu des orages et
les oiseaux des tempêtes... (
Ishtar la guerrière. I
Hèbo t
Le dévot amené devant le dieu
pour recueillir le prii du
Le sacrifice : apport d'un che-
vreau i la déesse Ishtar i.
I* dieu Shamash saisit de la
main gaucho la fumée du
saerillce t
Cercueil en forme de jarre.. . f
Une lombe voûtée d'Ourou. ... (
Tombe clialdécnne surmontée
d'.m dénie I
L'Intérieur du tomlieau prési-
dent. I
La déesse Allai parcourt l'enfer
sur sa barque I
Nerval, le dieu de l'enfer I
Ishlar nue, telle qu'elle était
dans l'Itadès I
noua d'Isblar (
Kinna enlevé au ciel par un
aigle I
Tête d'homme (cul -de- lampe). '
Tète de femme chaldéenne
Un cylindre cbaldéen (cul-de.
l«inr*) •
éd i lices d'Ourouk :
Divinité agenouillée portant
(lettrine) :
Le roi Ourninà portant la
Le plan d'un palais de Coiidéa '
Un barillet de terre cuite. ... '
Le plan actuel des édifices de
Telloh.. î
La décoration en cènes teintés
delà façade i Ourou k ;
Les rayures de la façade au
palais de Goudéa "
Galet de l'une des portes au
palais de Goudéa "
Sup|iort en pierre noire au pa-
lais de Telloh î
Servante, le buste nu ',
Costume de dame chaldéenne, ;
Un soldat ramenant des prison-
Fragments d'une tablette où
quelques hiéroglyphes pri-
mitifs sont expliqués
Tablette de Warka brisée pour
montrer les deux textes
Tablette portant l'empreinte
d'un sceau..
liaisons chaldéennes i Ourou.
Plans de maisons déblayées à
Ériilun el aOurouk
Vaisselle chaldéenne en terre
Outils ehaldéens eu pierre
Marteau en pierre portant une
inscription chaldéenne
Oulils ehaldéens en brome...
Taureau on cuivre.
Cylindre chaldéen portant les
traces visibles des diverses
sortes d'oulils employés par
les graveurs
Le caillou Michaux
Laulrefacedu caillou Michaux
Les bœufs dans les champs. .
La cuisine el la querelle
Scènes de la vie jiastorale en
Chaldée
Combat contre un lion
Le chien mené en laisse
Chaldéen portant un poisson. .
L'onagre pris au lasso
Carte du monde chaldéen. . .
Un amulette chaldéen
Clou magique en terre cuite
(lettrine)
Corniche égyptienne, décorée
des cartouches de Hamsès I"
(frontispice)
Chevreau dressé sur les pattes
de derrière. Ivoire chaldéen
de Telloh (cul-dc-lampo). . . '
Vautour égyptien planant et
tenant deux chasse-mouches
dana ses serres '
Pectoral égyptien d'Ousirta-
seii 11 (cul-de-lampe) ',
Frise égyptienne formée de
fleurs de lotus (frontispice). :
Boite en bois, forme de lotus
| cul-de-lampe) (
uameJ (wc) J/ùaâêr&LJ
LE NIL ET L'EGYPTE
- LA PREMIÈRE ORGANISATION POLITIOLT.
Le Délia : ses formations successives, sa structure, ses canaux. — La vallée d'Egypte :
les deux bras du fleuve ; le Nil de l'Est, l'aspect de ses rives ; les montagnes, le
délilé du Ocbel Silsiléh. — Les cataractes : le saul d'AssouSn, la Nubie, les
rapides d'Ouady Halfali, le Takaaié, le Nil Bleu el le Nil Blanc
Les origines du Nil : quelle idée les Égyptiens se Taisaient de la constitution du monde,
les quatre piliers et les quatre montagnes d'étaî. Le Nil céleste, source du Nil ter-
restre ; la mer australe et les iles des Esprits ;' les pleurs d'Isis. — La crue : le Nil
Vert et le Nil Rouge, la rupture des digues, la décrue, le fleuve à l'éliage. . . .
Les alliivîons el l'influence de la crue sur le sol de l'Egypte : pauvreté de la flore ; les
plantes d'eau ; le papyrus et le lotus; le sycomore et le dattier, les acacias, le pal-
mier doum. — La faune : les animaux domestiques et les animaux sauvages; les
serpents, l'urecus, l'hippopotame et le crocodile ; les oiseaux; les poissons, le fallait a.
Le dieu Nil : sa figure, ses variétés; la déesse Mirit ; les sources d'Éléphaiilini', tes
fêtes du Gebel Silsiléh. — L'hymne au Nil des papyrus du Rrislish Muséum. . .
Les noms du Nil et de l'Egypte : Romllou el Qimit. — Antiquité de la population
égyptienne, son horizon le plus ancien; hypothèse d'une origine asiatique, proba-
bilité d'une origine africaine. — La langue et ses affinités sémitiques ; le peuple et
les principaux types qu'il comporte
La première civilisation de l'Egypte : ses survivances aux temps historiques, les
courtisanes d'Amon, le mariage, les droits des enfants et de la femme. — Les
maisons : le mobilier, le costume, les bijoux, les armes en bois, puis en métal.
— La vie primitive ; la pèche et la chasse; le laço et la bola; la domestication des
animaux. — Les plantes employées à l'alimentation : le lotus ; les céréales ; la houe
cl la charrue
La conquête de la vallée ; les digues, les bassins, l'irrigation. — Les princes, les
nomes, les premières principautés locales. — Organisation tardive du Delta; carac-
798 TABLE DES MATIÈRES.
tère des populations qui l'habitent. — Morcellement progressif des principautés et
variabilité de leur territoire : le dieu de la cité . 67
II
LES DIEUX DE L'EGYPTE
LEUR NOMBRE ET LEUR NATURE, LES DIEUX FÉODAUX VIVANTS ET MORTS : LES TRIADES. — LES
TEMPLES ET LES SACERDOCES : LES COSMOGONIES DU DELTA, LES ENNÉADES d'HÉLIOPOLIS ET
d'hernopolis 79
Multiplicité des dieux en Egypte : la plèbe divine et ses variétés humaines, animales,
intermédiaires entre la bête et l'homme ; les dieux d'origine étrangère, les dieux
indigènes et leurs formes contradictoires selon la conception qu'on se faisait de
leur nature » 81
Les astres-dieux. — Le Soleil Œil du Ciel, le soleil oiseau, le soleil veau, le soleil
homme, ses barques, ses navigations autour du monde et ses luttes avec le ser-
pent Apôpi. — Le dieu-Lune et ses ennemis. — Les dieux-étoiles : la Cuisse de
Bœuf, l'Hippopotame, le Lion, les cinq Horus des planètes; Sothis-Sirius et
Sâhou-Orion 85
La féodalité divine et ses classes : les dieux-Nils, les dieux-terre, les dieux-ciel et
les dieux-soleil, les Horus. — Les dieux et les déesses sont égaux devant le droit
féodal : leurs formes, leurs alliances et leurs mariages : leurs enfants. — Les
triades et leurs développements divers 98
La nature des dieux : le double, l'âme, le corps, la mort des hommes et des dieux,
leurs destinées après la mort; nécessité de conserver le corps, la momification.
— Les dieux morts dieux des morts. — Les dieux vivants, leurs temples, leurs
images. Les dieux populaires, arbres, serpents, fétiches familiaux. — La théorie de
la prière et du sacrifice : le personnel des temples, les biens des dieux et les
collèges sacerdotaux 106
Les cosmogonies du Delta : Sibou et Nouit, Osiris et Isis, SU et Nephthys. — Hélio-
polis et ses écoles théologiques : Râ, son identification avec Horus, son dédouble-
ment et la conception d'Atoumou. — Les Ennéades héliopolitaines : formation de
la grande Ennéade. — Thot et I'Ennéade hermopolitaine : la création par la parole
et par la voix. — Diffusion des Ennéades : leur alliance avec les triades locales, le
dieu Un et le dieu Huit. — Les dieux uniques et solitaires 127
III
L'HISTOIRE LÉGENDAIRE DE L'EGYPTE
LES DYNASTIES DIVINES : RÂ, SHOU, OSIRIS, SÎT, HORUS. — THOT ET L* INVENTION DES SCIENCES ET DE
L'ÉCRITURE. — MENÉS ET LES TROIS PREMIÈRES DYNASTIES HUMAINES 153
Les Égyptiens se proclament le plus ancien des peuples : traditions sur la création
de l'homme et des bêtes. — Les Ennéades héliopolitaines fournissent le cadre des
TABLE DES MATIÈRES. 799
dynasties divines. — Rà, premier roi d'Egypte, et son histoire fabuleuse : il se
laisse tromper et dépouiller par Isis, détruit les hommes révoltés, puis monte
au ciel 155
La légende de Shou et de Sibou. — Le règne d'Osiris Onnophris et d'Isis : ils civi-
lisent l'Egypte et le monde. — Osiris, tué par SU, est enseveli par Isis et vengé
par Horus. — Les guerres de Typhon et d'Horus : pacification et partage de
l'Egypte en deux moitiés pour chacun des deux dieux 169
L'embaumement osirien : le royaume d'Osiris est ouvert aux suivants d'Horus. — Le
Livre des Morts. — Les pérégrinations de l'âme en quête des champs d'ialou. —
Le jugement de l'âme,, la confession négative. — Les privilèges et les devoirs des
âmes osirien nés. — Confusion des idées osiriennes et des idées solaires sur la
condition des morts : les morts dans la barque du Soleil. — La sortie pendant le
jour. — Les campagnes d'Harmakhis contre Sit 478
Thot, son rôle d'inventeur : il révèle aux hommes toutes les sciences. — L'astro-
nomie, les tables stellaires; Tannée, ses divisions, ses imperfections : l'influence
des astres et des jours sur les destinées humaines. — Les arts magiques : les con-
jurations, les amulettes. — La médecine : les esprits vitaux, les diagnostics, les
remèdes. — L'écriture : idéographique, syllabique, alphabétique 204
Conception traditionnelle de l'Histoire d'Egypte : Manéthon, les listes royales, les
grandes divisions de l'histoire. — Incertitude des commencements : Menés et la
légende de Mcmphis. — Les trois premières dynasties humaines, deux Thinites et
la troisième Memphite. — Caractère et origine des légendes qu'on en raconte;
la stèle de la famine. — Les premiers monuments : la pyramide à degrés de
Saqqarah 224
IV
LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'EGYPTE
LE ROI, LA REINE ET LES PRINCES ROYAUX. L'ADMINISTRATION PHARAONIQUE. — LA FÉODALITÉ ET
LE CLERGÉ ÉGYPTIENS, LES SOLDATS. LA BOURGEOISIE DES VILLES ET LE PEUPLE DES CAMPAGNES. 245
Les cimetières de Gizéh et de Saqqarah : le grand Sphinx ; les mastabas, leur cha-
pelle et sa décoration, les statues du double, le caveau funéraire. — Importance
des tableaux et des textes tracés dans les mastabas pour l'histoire des dynasties
Memphites 247
Le roi et la famille royale. — Double nature et titres du souverain : ses noms
d'Horus et la formation progressive du protocole pharaonique. — L'étiquette
royale est un véritable culte divin ; insignes et statues prophétiques de Pharaon, il
sert d'intermédiaire entre les dieux et ses sujets. — Pharaon dans sa famille ; ses
divertissements, ses occupations, ses ennuis. — Le harem : les femmes, la reine,
son origine, soii rôle auprès du roi. — Les enfants : leur place dans l'État; leurs
compétitions pendant la vieillesse du père et à sa mort ; la succession au trône et
les révolutions qui l'accompagnent 258
La cité royale : le Château et sa population.* — La domesticité et ses chefs; les
bouffons, les nains, les magiciens de Pharaon. — Le domaine et les esclaves
800 TABLE DES MATIÈRES.
royaux, le trésor et les hôtels qui en assurent le service : les logis et les places
pour la rentrée de l'impôt. — Le scribe, son éducation, ses chances de fortune :
la carrière d'Amten, ses charges successives, sa fortune personnelle à la fin
de sa vie 275
Li féodalité égyptienne : la condition des seigneurs, leurs droits, leurs plaisirs,
leurs obligations envers le souverain. — Influence des dieux : les donations aux
temples et les biens de mainmorte; le clergé, sa hiérarchie et son recrutement.
— Les soldats : les mercenaires étrangers; la milice indigène, ses privilèges, son
éducation 296
L'EMPIRE MEMPHITE
LES ROIS CONSTRUCTEURS DE PYRAMIDES : KHÉOPS, KHÊPHRÈN, MYKÉRINOS. LA LITTÉRATURE ET
L'ART MEBIPHITES. EXTENSION DE L'EGYPTE VERS LE SUD ET CONQUÊTE DE LA NUBIE PAR LES
PHARAONS 345
Snofroui. — Le désert qui sépare l'Afrique de l'Asie, sa constitution physique, ses
habitants, leurs incursions en Egypte et leurs rapports avec les Égyptiens. — La
presqu'île du Sinai : les mines de turquoises et de cuivre, les établissements
miniers des Pharaons. — Les deux tombeaux de Snofroui : la pyramide et les
mastabas de Méidoum, les statues de Râhotpou et de sa femme Nofnt 347
Khéops, Khéphrèn et Mykérinos. — La grande Pyramide : sa construction, ses
dispositions intérieures. — Les Pyramides de Khéphrèn et de Mykérinos; leur
violation. — Légende des rois constructeurs de Pyramides : l'impiété de Khéops
et de Khéphrèn, la piété de Mykérinos; la pyramide en briques d'Asychis. — Les
matériaux employés à la bâtisse, les carrières de Tourah; les plans, le. culte du
double royal, les légendes arabes sur les génies gardiens des Pyramides 363
Les rois de la cinquième dynastie : Ousirkaf, Sahourl, Kakiou et le roman de leur
avènement. — Les relations du Delta avec les peuples du Nord : la marine et le
commerce maritime des Égyptiens. — La Nubie et ses tribus : les Ouaouaiou et
les Mâzaiou, le Pouanit, les nains et le Danga. — La littérature égyptienne : les
Proverbes de Phtahhotpou. — Les arts : l'architecture, la statuaire et ses œuvres
principales, les bas-reliefs, la peinture, l'art industriel 387
Le développement de la féodalité égyptienne et l'avènement de la sixième dynastie :
Ati, Imhotpou, Téti. — Papi I" et son ministre Ouni : l'affaire de la reine Amitsi,
i
Le peuple des villes. — Les esclaves, les hommes sans maître. Les employés et les '
artisans; les corporations : les misères des gens de métier. — L'aspect des villes :
les maisons, le mobilier; la femme dans la famille. — Les fêtes, les marchés
périodiques, les bazars : le commerce par échange, la pesée des métaux précieux. 308
Le peuple des campagnes. — Les villages; les serfs, les paysans libres. — Les
domaines ruraux; le cadastre, l'impôt; la bastonnade, les corvées. — L'organisa-
tion de la justice, les rapports du paysan avec ses seigneurs; sa misère, sa résigna-
tion et sa gaieté native, son imprévoyance, son indifférence aux révolutions
politiques 326
:
TABLE DES MATIÈRES. 804
les guerres contre les Hirou-Shaitou et contre le pays de Tiba. — Métésouphis I*r
et le second Papi : les progrès de la puissance égyptienne en Nubie. — Les sires
d'Éléphantine, Hirkhouf, Papinakhiti : leurs explorations préparent les voies à la
conquête, l'occupation des Oasis. — Les pyramides de Saqqarah : le second
Métésouphis, Nitokris et sa légende. Prépondérance des seigneurs féodaux et
} chute des dynasties memphites 414
VI
LE PREMIER EMPIRE THÉBAIN
LES DEUX DYNASTIES d'hÉRACLÉOPOLIS ET LA DOUZIÈME DYNASTIE. LA CONQUÊTE DE L'ETHIOPIE ET
L'ACHÈVEMENT DE LA GRANDE EGYPTE PAR LES ROIS THÉBAINS 445
La principauté d'Héracléopolis : Akhthoès-Khiti et les dynasties héracléopolitaincs. —
Suprématie des grands barons : les forteresses féodales, El-Kab et Abydos ; la guerre
perpétuelle et les armées. — Commencements de la principauté thébaine : la
baronnie de Siout, et les luttes de ses seigneurs contre les Thébains. — Les rois
de la onzième dynastie et leurs contructions : les Pyramides en brique d' Abydos et
de Thèbes et la barbarie du premier art Thébain 447
La douzième dynastie : Amenerahàlt Ier, son avènement, ses luttes ; il associe au
trône son fils Ousirtasen 1", et le principe de l'association prévaut après lui chez
ses successeurs. — État des relations avec les peuples d'Asie : les Amou en Egypte
et les Égyptiens chez les Bédouins ; les Aventures de Sinouhit. — Les établisse-
ments miniers du Sinai : le Sarbout el-Khâdim et sa chapelle d'Hâthor 462
La politique égyptienne dans le bassin du Nil. — La Nubie assimilée au reste de
l'Egypte : les travaux des Pharaons, les mines d'or et la citadelle de Koubân. —
Organisation de la défense autour de la seconde cataracte : les deux forteresses et
l'observatoire fluvial de Se mué h. — Koush l'humiliée et ses peuples : les guerres
entreprises contre elle et leurs résultats; les mines d'or. — Les expéditions au
Pouanit, et les navigations le long des côtes de la mer Rouge : le Conte du
Naufragé 476
Les travaux publics et les constructions nouvelles. — La restauration des temples du
Delta : Tanis et les sphinx du troisième Amencmhâit, Bubaste, Héliopolis et le
temple d'Ousirtasen Ier. — Les agrandissements de Thèbes et d'Abydos. — Héra-
cléopolis et le Fayoum : les monuments de Bégig et de Biahmou, les champs et les
eaux du Fayoum, prédilection des Pharaons pour cette province. — Les pyra-
mides royales de Dahshour, de Lisht, d'IUahoun et de Hawarâ 498
La féodalité et son rôle sous la douzième dynastie. — Histoire des princes de Monâit-
Khoufoui : Khnoumhotpou, Khiti, Amoni-Aracnemhâit. — Les sires de Thèbes, et
l'avènement de la treizième dynastie : les Sovkhotpou et les Nofirhotpou. — Achè-
vement de la conquête nubienne; la quatorzième dynastie 521
HIST. ANC. DE L OR I EXT. — T. I. 101
8()t> TAULE DES MATIÈRES.
Vil
LA CHALDEE PRIMITIVE
I.A CRÉATION, LE DELUGE, L'HISTOIRE DES DIEUX. — LE PAYS, SES CITÉS, SES HABITANTS, SES PRE-
MIÈRES DYNASTIES 535
Le récit de la création : les dieux et les monstres, la révolte de Tiâmat. — I,a lutte
entre Tiâmat et Bel-Mardouk, l'organisation de la terre et des cieux. — Ix> monde
tel que les Chaldéens se le figuraient. — Le poisson Oannès et les premiers
hommes. — Les Sumériens et les Sémites 537
L'Euphrate et le Tigre : leurs affluents, leurs inondations. — Les Sumériens et les
Sémites : la conquête du pays sur les eaux. — La flore : les céréales et le palmier.
— La faune : les poissons, les oiseaux, le lion, l'éléphant et Tunis, les animaux
domestiques. — La Chaldée du Nord et ses cités; la Chai dée du Sud 551
Les dix rois avant le Déluge. — Xisouthros-Shamashnapishtim et le récit chaldéeu
du Déluge : la destruction des hommes, l'arrêt de l'arche au mont Nisir, le sacri-
fice et la réconciliation des dieux avec l'humanité. — Les rois d'après le Déluge :
Néra, filana, Nimrod 5fH
La légende de Gilgamès et ses affinités astronomiques. — I^a séduction d'Ëabani. —
La mort de Khoumbaba, l'amour d'Ishtar pour Gilgamès et la lutte contre l'unis
d'Anou. — La mort d'Éabâni et le voyage à la recherche du pays de vie : les
hommes-scorpions, la déesse Sabitoum et le pilote Arad-Ëa. — L'accueil de Sha-
mashnapishtim et la guérison de Gilgamès. — Le. retour à Ourouk, l'évocation de
l'âme d'Éabâni. — Antiquité du poème de Gilgamès 57 i
Les commencements de l'histoire réelle : le système des dynasties établi par les
scribes babyloniens. — Ixîs rois d'Agadé : Shargani-shar-ali et sa légende, Naramsin
et le premier empire chaldéen. — Les cités du Sud : Lagash et ses rois, Ourninâ,
Idinghiranaghin. — Les vicaires de Lagash : Goudéa, les bas-reliefs et les statues
de Telloh. — Ourou et sa première dynastie : Ourbaou et Dounghi. — Les rois de
Larsam, de Nishiu, d'Ourouk : la seconde dynastie d'Ourou 593
VIII
LES TEMPLES ET LES DIEUX DE LA CHALDEE
LA CONSTRUCTION ET LES REVENUS DES TEMPLES : LES DIEUX POPULAIRES ET LES TRIADES THÉOLO-
GIOUES. LES MORTS ET l/uADES 631
Les cités chaldéennes : l'usage presque exclusif de la brique donne a leurs ruines
l'apparence de monticules naturels. — Leurs enceintes : les temples des dieux
locaux ; reconstitution de leur histoire au moyen des briques estampées dont ils
sont construits. — Les deux types de ziggourât : le temple de Nannar à Ourou et
ses dispositions (533
Les dieux chaldéens et leurs tribus. — Les génies hostiles à l'homme, leurs formes
TABLE DES MATIÈRES. 803
monstrueuses; le Vent du Sud-Ouest; les génies bienveillants. — Les Sept et
leurs attaques contre le dieu Lune : Gibil, le dieu Feu, triomphe d'eux et de leur»
embûches. — Les dieux sumériens, Ninghirsou : difficulté de les définir et d'en
comprendre la nature; ils sont absorbés par les dieux sémitiques 630
Caractère et passions des dieux chaldéens : les déesses ont auprès d'eux le rôle effacé
des femmes du harem : Mylitta et son culte impur. — L'aristocratie divine et ses
principaux représentants : leurs rapports avec la terre, les oracles, les statues
parlantes, les dieux familiaux. — Les dieux de chaque cité n'excluent point les
dieux des cités voisines : leurs alliances et les emprunts qu'ils se font les uns aux
autres. — I^es dieux-ciel et les dieux-terre, les dieux sidéraux : la lune et
le soleil 639
Les dieux féodaux : plusieurs d'entre eux s'unissent pour gouverner le monde, les
deux triades d'Ëridou. — La triade suprême : Anou le ciel, Bel la terre et sa
fusion avec Mardouk de Babylonc ; Éa, le dieu des eaux. — La seconde triade :
Sin la lune et Shamash le soleil, Ishtar est remplacée dans cette triade par
Ramman; les vents et la légende d'Adapa, les attributs de Ramman. — Des
déesses s'attachent aux deux triades : le rôle effacé qu'elles y jouenl 648
L'assemblée des dieux gouverne le monde : l'oiseau Zou vole les tablettes du destin.
— Les destinées sont inscrites au ciel et déterminées par les mouvements des
astres : les planètes et les dieux qui y président. Nébo et Ishtar. — La valeur
numérique des dieux. — La constitution des temples, les sacerdoces locaux, les
fêtes, les revenus des dieux et les donations qu'on leur fait. — Les sacrifices,
l'expiation des fautes 663
La mort et les destinées de l'àme. — Les tombeaux et la crémation des cadavres : les
sépulcres royaux et les cultes funéraires. — L'Hadès et ses souverains : Nergal,
Allât, la descente d'Ishtar aux Enfers, et la possibilité d'une résurrection. —
L'évocation des morts. L'ascension d'fitana 68*2
IX
LA CIVILISATION CHALDÉENNE
LA ROYAUTÉ. — L'ORGANISATION DE LA FAMILLE ET DE SA FORTUNE. — LE COMMERCE ET L'INDUSTRIE
DES CHALDKENS '. 701
Les rois ne sont point des dieux, mais les vicaires des dieux : leur rôle sacerdotal.
— Les reines et les femmes de la famille royale : les fils et l'ordre de succession
au trône. — Les châteaux royaux : description du palais de Goudéa, à Lagash, les
façades, la ziggourât, les appartements réservés, le mobilier, la décoration externe.
— Le costume des hommes et celui des femmes : les employés du palais et l'admi-
nistration royale, les soldats et les seigneurs 703
Le scribe et les livres d'argile. — L'écriture cunéiforme : son origine hiéroglyphique,
la polyphonie des caractères, les tablettes grammaticales etlexicographiques. — Les
contrats et leur rédaction à plusieurs exemplaires; le coup d'ongle, le cachet. . . 723
La constitution de la famille et la place que la femme y occupe. Le mariage, le
contrat, les cérémonies religieuses. — Le divorce : les droits des femmes riches,
804 TABLE DES MATIERES.
les femmes et le mariage dans les classes populaires. — Us enfants adoplifs, leur
position dans la famille, les motifs ordinaires de l'adoption. — Les esclaves, leur
condition, les affranchissements 732
Les villes chaldécnncs : l'aspect et la distribution des maisons, la vie domestique. —
Le patrimoine familial : la division des héritages. — Le prêt à intérêt, le taux de
l'argent, le commerce par terre et la navigation. — Les corps de métier : la fabri-
cation de la brique, l'outillage industriel eu pierre et en métal, l'orfèvrerie, les
graveurs de cylindres, les tisserands; la condition des classes ouvrières 745
Le fermage et la culture des terres : le bornage des champs, les esclaves et les
ouvriers agricoles. — Scènes de la vie pastorale ; la pêche, la chasse. — La littéra-
ture archaïque et les sciences positives : l'arithmétique et la géométrie, l'astro-
nomie et l'astrologie, la science des présages. — Le médecin, la magie et son
influence sur les nations voisines 761
Appendice 785
Table des Gravures 791
Table des Planches.
PI. L — Le Shélkh-el-Bcled Fimnanix.
PL II. — La princesse Nofrll 363
PI. III. — Le Scribe accroupi 409
Carte. — LeMondeorienl.il 785
I