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Full text of "Histoire ancienne des peuples de l'Orient classique"

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HISTOIRE    ANCIENNE 


DES    PEUPLES 

DE    L'ORIENT    CLASSIQUE 


PARIS 


IMPRIMERIE    GENERALE    LAHURE 


9,  RLE   DE   l'LEUKUS,  t) 


CK^IVIASPERO 

HISTOIRE    ANCIENNE 

DES    PEUPLES 

DE   L'ORIENT  CLASSIQUE 

LES  ORIGINES 
Egypte    &    C ha  Idée 

y     \ 


PARIS 
LIBRAIRIE    HACHETTE    ET    C": 

79.  130ULEVARO   SAINT-GERMAIN,   79 
189S 


3  rrCû  . 


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^4e J  JÙl  et.   l'èauvtc^ 


J.c>  tJMUfeJ  et.    Jû/t   influence.'  sur^  i ensenwleJ  deJ  ut  constitution,  du.  diiuic'. 

d.ett>   li/usL  '  futcitmt.)  Aaititaniic  '. 

d.a  jtremiêft' organisation   jrvlitiaueJ de* la.  oaUce'. 

^•ie.'  Ji/tua  ;  j&l.'  ■/armatio/iit'Jacce/jior/t',  ja  structurel,  se/eJ  canaux.  -  <*.a 
nd/ee>  d'Oyt/utti';  /em>  deux  Sran.'  dufleuoe.);  ù\>  Su! '  dej/GM-,  /'a^KcudeJoenJ 
riitn..';  tettJ  nuniiaaner/.',  le.'  defllê  du,    Cjéitl  àiùaâL   -  J-enJ  cataracteic> '.*   leJ 


oletcJ  oiiyinrirj  au.  Jùl  :  aueueJ  idée.'  UnJ  ùyMfttennJ  éejflzisa 
ta,  constitution-  au  monde',  lac'  ifuatrr.'  JttWentSM.  lai.' quatre-)  ntontayjien.)  (tétni. 
Ae)  JÙt adejfeJ,  source'  du  ^Ûi  terrestre,' ;  /a  nier?  tutstrtdeJ  et.  len_>  i/enJ doc' 

é^,,  Uvst*n>  J.'Zit ,.  -  Jil  m^,.-  à,  ,9Gl  <yu  «.  /,  ■  9a, %,,^, 

ht  rupture*  deitJ  dique/t  '.    la    décrue  >   le)   -fleuoeJ  à  leniujc'. 

^>a&MonKJet,im^nc^M>u\erutsu^/^^^i^^,\^nm- 

••retede'At  flore';  /e*t'  jdantea'  d'eau,  /e'  MHKM>il/r  'iotuit.*;  /e  ' .ycimiore  ' 
et.  /e'  dattier]  /e,C  acacia*  :  /e>  fm/mier-' douni.  ■  J.%  Jaune';  te*' anùnaux 
doMtJétauttC'et.  use  'animaux  jauvayea.';  un.' serpenta  '.  luramt  ',  f/tynrtywtantc' 
et.  leJ  crocodile);  UirJ oiseaux;  lcm>  poiflonre.',  te'Ja/iaÂa. 


427189 


^•LeJaieU  JCit ;  Oa ■   -figure  ',  aea't'arietejtJ;  la  dée£e' tJltirit.  ;  lea.'  Ji 
a  Oleimantine.',  lea'  fefea  'au  L/eoel  ÇjiùiÙA,  -  &£  JÙumneJ tut  Jtuaest  '  piipii- 
ruaJa'u  cBriiiôÂ.  CtfCuàeum. 

*J.eaJ  tumutJ  au  Jeu  eu  ae' l  ÙgupleJ  ;  \Jtoirulou  et,  J^timit.  -  ^/bi/l- 
guiie'  i/e.'  la  jfpfntlatÙHi  ram/tienne',  ai»i  ÂorixOU  leJ  Mua.'  ancien;  /uffiotneàe.' 
aune.' origine.' aaiatiane',  aroùaouÛé U uneJ orùiùte.'  africaine.'.  -  d,a  langue.' et. 
ie/t.' ajfuutéic.'  oemitiguea.' ;  le.'  fftuple'  et.  lea.  'principaux  fittiic'au.  il  comporte  '. 

*r£a  frremièreJ  ciWlijation  aeJ  l  tegupteJ  .■  aea.'  aurviimnceaJ  aux  tempo.} 
ntâlorigue/t-',  leaJ  cattrtùaneaJ  a \_/3jnon,  leJ  mariage.',  leaJ aroiia.J  aeaJ  etiptnta.' 
et.  aeJ  la  jfemme,'.  •  dea.?  ntaùona-'  ;  leJ  mobilier']  leJ  costume'.  leaJ  aù'oux 
leaJ  armeaJ  en  ooia.?,  mua.'  en  métal.  •  .lu  pie>  i?rimitiireJ  ;  la.  ftéctieJ  ex,  la 
chatte.';  leJ  ùtpo-  et.  ùz.  êola  ;  la  aomeàfication.  aea,'  animaux.  -  ^lea.'  planteaJ 
empù>ue'eic>  d  l alimentation  :  leJ  ùitua.' '; ùaJ  cértaùicJ ';  la  AoueJ  et.   la  cnarrue.'. 

.J.a  congucfe>  aeJ  la   paucc?  ;    leaJ  aigaeszJ,    lea.'  èafiùta.'.   lim'ijatio/i.  - 

aiea  princea  '.  leaJ  nomea.  ',   lea,'  frremièrea.}   pTrùicùmu/ea.;  localea.  '.   -    Cnyta  - 

nùatian   tartlivt>  au    Jûelta;     caractères  a&c>   ftotiulationa.  ' 

gui   lAa&iieni,.    -   J/lorceUement,  ^ptroare/Sy   aea> 

lirincipauleaJ     et,     i/arioùilité   aeJ    leur^ 

territoire^  -■    leJ   dieu    aeJ  la     cite'. 


CHAPITRE     PREMIER 

LE    NIL    ET    L'ÊGVPTE 

LE   FLEUVE    ET    SON    INFLUENCE    SUR    L'ENSEMBLE    DE   LA    CONSTITUTION    DU    rkff.    LES    PLUS  ANCIENS 

HABITANTS.    —    LA    PB Eï 1ERE   ORGANISATION   POLITIQUE    DE   LA    VALLÉE. 

tttne    longue   rive   basse,    plate,   à  peine   visible  au-dessus 
es  flots,  une  chaîne   de   lacs  et   de   marais  dont    les 
limites  incertaines  se  modifient  sans  cesse,  puis,  au 
delà,  une  plaine  triangulaire  dont  la  pointe  s'enfonce 
à  trente  lieues  dans  les  terres  :  toute  la  partie  de 
l'Egypte  qui  affleure  à  la  mer  est  une  lente  conquête 
et  comme  un  don  du  Nil*.  La  Méditerranée  s'avan- 
çait jadis  jusqu'au  pied  du  plateau  sablonneux  que 
les  Pyramides  dominent,  et  formait  un  golfe  spa- 
cieux où   nous   voyons   aujourd'hui  les    plaines  du 
Delta  s'étendre  à  l'infini.  Les  dernières  ondulations 
de  la  montagne  Arabique  l'arrêtaient  vers    l'est,  du 
Gebel  Mokattam  au   Gebel  Géneffé  :  un  détroit  sinueux  et  peu   profond  la 

I .  De  fia  de  Boudier,  d'aprèê  une  photographie  du  voyageur  holtandaù  lui'mger,  priie  en  I88A. 

i.  Hérodote,  II,  v  :  tari  Aiiuirriourt  M*tr,t6(  ti  pi  *<tl  Zûpav  toC  notau-où.  La  même  expression 
a  été  attribuée  à  llécaléc  de  Milet  {MClicr-Dii-oi,  Fragmenta  lliëloricorvm  Grteeonim,  t.  I,  p.  19. 
fragni.  ï"9;  cf.  Dm.s,  ttermet,  t.  XXII,  p-  4Ï3).  On  a  remarqué  souvent  que  l'expression  a  un  aspert 
égjplicn  ;  elle  rappelle,  en  effet,  des  tournures  telles  que  eelle-ci,  que  j'emprunte  à  une  formule  fré- 
quenle  sur  les  stèles  funéraires  :  .  Toutes  les  choses  que  le  ciel  crée,  que  la  terre  donne,  que  le 
Xit   apporte  de  tel  toureet  myttérievici  •.  Toutefois  les  textes   hiéroglyphiques  n'ont  rien  fourni 


4  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

prolongeait  entre  l'Afrique  et  l'Asie,  et  la  reliait  à  la  mer  Rouge1.  A  l'ouest, 
le  littoral  s'adaptait  exactement  au  relief  du  plateau  Libyque,  mais  une 
flèche  calcaire  s'en  détachait  vers  le  31°  et  allait  se  terminer  au  cap  d'Abou- 
kîr*. Les  alluvions  comblèrent  d'abord  le  fond  de  la  baie,  puis  elles  se  dépo- 
sèrent sous  l'influence  des  courants  qui  rasaient  la  côte  orientale,  et  s'enfer- 
mèrent derrière  un  rempart  de  dunes  dont  on  aperçoit  les  restes  vers  Benha. 
C'était  comme  un  Delta  en  miniature  où  s'ébauchait  assez  exactement  la 
structure  de  notre  grand  Delta  actuel.  Le  Nil  s'y  partageait  en  trois  bras  diver- 
gents, qui  coïncidaient  à  peu  près  avec  le  cours  méridional  des  branches  de 
Rosette  et  de  Damiette  et  avec  le  canal  moderne  d'Abou-Méneggéh.  Les  boues 
qu'il  ne  cessait  d'entraîner  franchirent  bientôt  cette  première  ligne,  et,  tou- 
jours empiétant  sur  les  eaux,  leur  marche  ne  s'arrêta  qu'au  moment  où  elles 
sortirent  de  l'abri  que  la  pointe  d'Aboukîr  leur  offrait  :  là,  le  grand  courant 
côtier  qui  va  d'Afrique  en  Asie  s'empara  d'elles  et  en  façonna  un  cordon 
recourbé,  dont  l'extrémité  aboutit  au  massif  du  Gasios,  sur  la  frontière  de 
Syrie.  Depuis  lors,  l'Egypte  ne  s'est  plus  accrue  vers  le  nord,  et  la  côte 
est  demeurée  sensiblement  ce  qu'elle  était  il  y  a  des  milliers  d'années3  : 
l'intérieur  seul  s'est  asséché,  affermi,  exhaussé  graduellement.  Les  habitants 
croyaient  pouvoir  mesurer  avec  certitude  le  temps  que  "l'œuvre  de  création 
avait  duré  à  s'accomplir.  Le  premier  de  leurs  rois  humains,  Menés,  trouva, 
disaient-ils,  la  vallée  plongée  sous  les  eaux.  La  mer  pénétrait  presque  au 
Fayoum,  et  le  reste  du  pays,  moins  le  canton  de  Thèbes,  était  un  bourbier 
malsain4;  l'Egypte  aurait  employé  à  se  constituer  les  quelques  siècles  qui 
suivirent  Menés.  On  ne  se  contente  plus  de  si  peu,  et  tel  géologue  de  nos  jours 
déclare  que  le  Nil  travailla  au  moins  soixante-quatorze  mille  ans  à  conquérir 
son  estuaire5.  Le  chiffre  est  certainement  exagéré,  car  le  progrès  des  boues 

jusqu'à  présent  qui  répondit  exactement  aux  termes  mêmes  des  historiens  grecs,  don  (&ôpov)  du 
Nil  ou  son  œuvre  (£pY<>v)  naturelle  (Aristote,  Meteorologica,  I,  14,11). 

1.  La  formation  du  Delta  a  été  étudiée  et  expliquée  tout  au  long,  il  y  a  quarante  ans  et  plus,  par 
Élir  de  Beacmoxt,  Leçons  de  Géologie,  t.  I,  p.  405-492.  C'est  de  ce  livre  qu'ont  été  tirées,  avec  quelques 
changements  pour  la  plupart  insignifiants,  les  théories  qu'on  trouve  exposées  jusque  dans  les 
ouvrages  les  plus  récents  sur  l'Egypte. 

2.  Sur  le  rôle  du  chatnon  calcaire  d'Aboukîr  dans  la  formation  du  cordon  littoral,  voir  Élif.  df. 
Beaumont,  Leçons  de  Géologie,  t.  I,  p.  483  sqq.  ;  la  composition  en  a  été  analysée  en  dernier  lieu  par 
Oscar  Fraas,  A  us  dem  Orient,  t.  I,  p.  175-176. 

3.  Élir  dr  Beaumont,  Leçons  de  Géologie,  t.  I,  p.  460  :  «  Ce  qui  distingue  le  Delta  du  Nil,  c'est  l'inva- 
riabilité presque  complète  de  son  contour  extérieur....  La  côte  de  l'Egypte  est  demeurée,  à  très  peu 
près,  ce  qu'elle  était  il  y  a  trois  mille  ans.  »  Les  dernières  observations  prouvent  qu'elle  s'abaisse  et 
diminue  du  côté  d'Alexandrie  pour  se  soulever  constamment  au  voisinage  de  Port-Saïd. 

4.  Hérodote,  II,  iv;  cf.  xcix. 

5.  D'autres,  par  exemple  Schweinfl*rth  (Bulletin  de  l'Institut  égyptien,  in  série,  t.  XII,  p.  206), 
sont  plus  modérés  et  pensent  qu'  «  il  a  fallu  environ  deux  cents  siècles  pour  que  le  dépôt  qui  forme 
le  sol  cultivable  de  l'Egypte  ait  acquis  la  puissance  que  nous  constatons  aujourd'hui  ». 


LE  DELTA  ET  SA  STRUCTURE.  S 

marchait  plus  rapide  autrefois  sur  les  bas-fonds  du  golfe  qu'il  ne  fait  aujour- 
d'hui dans  les  eaux  profondes  de  la  Méditerranée  :  même  en  le  réduisant, 
on  est  obligé  d'avouer  que  les  Égyptiens  ne  soupçonnaient  guère  l'âge  réel 
de  leur  patrie.  Non  seulement  le  Delta  existait  depuis  longtemps  déjà  à 
l'avènement  de  Menés;  son  dessin  était  entièrement  achevé  au  moment  où 
les  peuples  d'Egypte  y  entrèrent  pour  la  première  fois.  Les  Grecs,  l'esprit 
préoccupé   des    vertus   mystérieuses   qu'ils    prêtaient  aux  nombres,   recon- 


naissaient sept  branches  principales  du  Nil  et  sept  embouchures,  à  coté 
desquelles  les  autres  n'étaient  que  de  fausses  bouches1.  Il  n'y  avait  en 
réalité  que  trois  percées  maîtresses  :  la  Ganopique  inclinait  vers  l'ouest,  et 
se  perdait  dans  la  Méditerranée  aux  environs  du  cap  d'Aboukir,  à  l'extré- 
mité occidentale  de  l'arc  que  décrit  la  ligne  du  littoral';  la  Pélusiaque  des- 
cendait le  long  de  la  chaîne  Arabique,  et  aboutissait  à  l'autre  extrémité;  la 
Sébennytique  divisait  en  deux  segments  presque  égaux  le  triangle  compris 
entre  la  Pélusiaque  et  la  Ganopique.  Elles  se  séparaient,  il  y  a  deux  mille 


l.  TfjSoirritisitt 

i,  selon  l'expression  lien  géographes  alexandrins,  conservée  par  Slrabon  (liv.  XVI, 

p.  "88,  801);  cf.  Pi 

rue.  //.  nat.,  V,  10  :  •  duodecim  enim  repporiuntur,  superque  i|ualtuor,  quai  ipsi 

faim  ora  appctlanl 

1.  Lancrel  en  «va 

it  retrouvé  le  tracé,  mais  la  mort  ne  lui  a  pas  permis  d'exposer  sa  découverte  avec 

les  développements 

qu'elle  comportai!  (LtlWIH,  Notice  mr  ta  Branche  Canopii/ue,  suivi  d'une   A'Iili* 

'">"  de  '"»•"•.  <iai> 

s  la  Deicriptinn  de  l'Egypte,  î-  éd.,  1.  VIII,  p.  19-Î6). 

6  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

ans,  au  bourg  de  Kerkasore1,  à  six  kilomètres  au  nord  du  site  où  le  Caire 
s'élève;  mais,  depuis  que  la  Pélusiaque  a  cessé  d'exister,  la  fourche  du 
fleuve  s'est  usée  d'âge  en  âge  et  s'est  reportée  à  15  kilomètres  plus  bas1. 
Les  trois  grandes  voies  sont  réunies  par  un  lacis  de  rivières  artificielles, 
de  canaux,  de  fossés,  les  uns  naturels,  les  autres  creusés  à  main  d'homme, 
qui  s'envasent,  se  ferment,  se  rouvrent,  se  déplacent  sans  interruption,  se 
ramifient  en  veines  innombrables  à  la  surface  du  sol,  répandant  partout  la 
vie  et  la  fécondité.  Le  réseau  se  rétrécit  et  se  simplifie  à  mesure  qu'on 
s'élève  vers  le  sud,  la  terre  noire  et  les  cultures  s'amoindrissent,  la  ligne 
fauve  du  désert  apparaît,  les  montagnes  de  Libye  et  d'Arabie  se  relèvent,  se 
rapprochent,  resserrent  de  plus  en  plus  l'horizon  :  au  point  où  l'on  dirait 
qu'elles  vont  se  réunir,  le  Delta  finit  et  la  véritable  Egypte  commence. 

C'est  une  simple  bande  de  terre  végétale,  tendue  du  nord  au  sud  entre  deux 
régions  de  sécheresse  et  de  désolation,  une  oasis  allongée  aux  bords  du  Nil, 
créée  par  lui,  nourrie  par  lui.  Deux  rangées  de  hauteurs  presque  parallèles  la 
pressent  et  se  poursuivent  sur  tout  son  parcours,  à  la  distance  moyenne  de 
20  kilomètres8.  Aux  premiers  âges  du  monde,  le  fleuve  remplissait  l'espace 
qui  les  sépare,  et  leurs  parois,  polies,  usées,  noircies  jusqu'au  sommet, 
portent  encore  la  trace  non  équivoque  de  son  action.  Appauvri  et  descendu 
au  fond  de  son  ancien  lit,  il  s'y  fraye  son  chemin  à  travers  les  couches  épaisses 
de  limon  qu'il  a  déposées.  Le  gros  de  ses  eaux  appuie  vers  l'est  :  c'est  le  Nil 
proprement  dit,   la  Grande  Rivière  des   inscriptions   hiéroglyphiques4.    Un 

1.  Le  nom  de  Kerkasore  (Hérodote,  H,  xv,  xvu,  xcvii)  ou  Kerkésoura  (Strabon,  liv.  XVII,  p.  806) 
répondrait,  d'après  Brugsch  ifieogr.  Ins.,  t.  1,  p.  244,  296),  à  un  original  égyptien  Kerk-osiri;  mais 
Kerk-osiri  aurait  donné  en  transcription  grecque  une  forme  Kerkosiris,  dont  M.  Wilcken  a  retrouvé 
la  variante  Kerkeusiris  dans  la  nomenclature  du  Fayoum  (Wilcken,  JEgyptische  Eigennamen  in 
Griechischen  Texten,  dans  la  Zeitschrift  fur  Aigyptische  Sprache,  1883,  p.  162).  M.  Wilcken  propose 
de  corriger  le  texte  d'Hérodote  et  de  Strabon,  et  d'y  introduire  la  leçon  Kerkeusiris  au  lieu  de 
Kerkasoros  ou  de  Kerkésoura.  Kerkeusiris  signifierait,  d'après  l'observation  de  M.  Erman,  Habitation 
d'Osiris,  et  renfermerait  le  radical  korkou,  kkrkou,  qu'on  retrouve  dans  Kerkésoukhos,  Kcrkéramsfsou- 
Miamoun,  et  dans  le  nom  moderne  de  Girgéh.  L'emplacement  d'El-Akhsas,  que  d'Anville  avait  attribué 
à  Kerkasore  {Mémoires  géographiques  sur  rÈgyptc,  p.  73),  est  trop  septentrional  :  le  village  ancien 
devait  être  situé  dans  le  voisinage  du  bourg  actuel  d'Embabéh. 

2.  Elle  était,  dès  la  lin  de  l'époque  byzantine,  à  quelque  distance  au  sud  de  Shetnoufi,  aujourd'hui 
Shatanouf  (Champollion,  /' Egypte  sous  les  Pharaons,  t.  II,  p.  28,  147-151),  c'est-à-dire  à  son  empla- 
cement actuel.  Les  géographes  arabes  appellent  la  pointe  du  Delta  Uatn-el-Bakarah,  le  Ventre  de  la 
Vache,  a  Ce  nom,  donné  à  l'endroit  où  commence  la  partie  la  plus  fertile  de  l'Egypte,  n'cst-il  pas 
un  souvenir  de  la  vache  divine,  d'Isis,  symbole  de  fécondité  et  personnification  de  l'Egypte?  » 
(Ampkre,  Voyage  en  Egypte  et  en  Nubie,  p.  120.) 

3.  IIozikrk  évaluait  la  largeur  moyenne  à  15  kilomètres  seulement  (De  la  constitution  physique  de 
l'Egypte  et  de  ses  rapports  avec  les  anciennes  institutions  de  cette  contrée,  dans  la  Descrip- 
tion de  l'Egypte,  t.  XX,  p.  270). 

4.  latour-âou,  laour-âou,  qui  devient  en  copte  Iar-o,  lal-o  (Brugsch,  Geographische  Inschriften, 
t.  I,  p.  78-79,  et  Dictionnaire  Géographique,  p.  84-88).  Le  mot  Phiala,  par  lequel  Timée  le  mathéma- 
ticien désignait  les  sources  du  Nil  (Pline,  Hist.  N.%  V,  9;  cf.  Solin,  Polyhisl.,  ch.  xxxv),  n'est  que  ce 
nom  lalo  précédé  de  l'article  masculin  phi,  ph.  Le  géographe  Ptolémée  a  traduit  exactement  le 
terme  indigène  par  A  {léyaç  icotaji^;,  le  grand  fleuve  (Brugsch,  Geogr.  Ins.,  t.  I,  p.  78-79). 


L'ASPECT  DES  K1VES. 


second  bras  côtoie  fidèlement  le  désert  de  Libye,  canalisé  par  endroits,  par 
endroits  abandonné  à  lui-même.  De  la  pointe  du  Delta  au  village  de  Déroût, 
on  l'appelle  Bahr-Youssouf ;  au  delà  de  Déroût,  c'est  l'ibrahimiéh,  le 
Sohagiéh,  le  Ratennàn  jusqu'au  Gebel  Silsiléh  :  les  noms  anciens  ne  nous 
sont  pas  connus.  Ce  Nil  de  l'ouest  demeure  à  sec  pendant  l'hiver,  dans  la 
partie  supérieure  de  son  cours;  où  il  ne  tarit  pas,  il  est  alimenté  tant  bien 
que  mal  par  des  affluents  dérivés  de  l'autre  Nil.  H  se  divise  à  son  tour  au 
nord  de  Hénassiéh,  et  lance,  par  la  gorge  d'Illahoun,  un  rameau  qui  va  se 
perdre  au  delà  des  montagnes,  dans  le  bassin  du  Fayoum.  Le  vrai  Nil,  le  Nil 
de  f'est,  est  moins  un  fleuve  qu'un  lac  sinueux  encombré  d'ilôts  et  de  bancs 
de  sable,  entre  lesquels  le  chenal  navigable  serpente  capricieusement.  Il  file 
d'un  jet  puissant  et  régulier,  sous  des  berges  noires,  taillées  droites  dans  le 
terreau  d'alluvion.  Des  bois  légers  de  dattiers,  des  bouquets  d'acacia  et  de 
sycomores,  des  carrés  d'orge  ou  de  blé,  des  champs  de  fèves  ou  de  bersim*, 
çà  et  là  une  coulée  de  sable  que  le  moindre  vent  soulève  en  tourbillons,  et 
sur  le  tout,  un  grand  silence,  interrompu  à  peine  par  des  cris  d'oiseaux  ou 
par  un  chant  de  rameurs  dans  une  barque  qui  passe.  Un  peu  de  vie  humaine 
s'agite  sur  les  rives,  mais  adoucie  et  poétisée  par  la  distance  :  une  femme  à 
demi  voilée,  un  paquet  d'herbes  sur  la  tète,  chasse  ses  chèvres  devant  elle  ; 
une  file  irrégulière  de  baudets  ou  de  chameaux  chargés  sort  d'un  pli  de 
terrain  et  s'enfonce  presque  aussitôt  dans  un   chemin   creux;  un   groupe  de 

I.  Dessin  de  Boudier,  d'aprts  une  photographie  de  M.  Insinger,  prise  en  *88.S. 

t.  Le  bentm  est  une  espèce  do  trèfle,  TrifottHm  Aleiandrinum  Likn.,  très  répandue  en  Egypte, 
ta  seule  qu'on  cultive  d'une  manière  générale  pour  la  nourriture  des  bestiaux  (Ittïi'KNfcM-DRLiLi,  ait- 
luire  des  plantes  cultivées  en  Egypte,  dam  la  Description  de  l'Egypte,  t.  XIX.  p.  59  »qq). 


LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 


paysans,  accroupis  sur  une  plage  à  la  manière  antique,  genoux,  au  menton, 
attendent  avec  résignation  le  retour  du  bac;  un  village  se  montre  coquet  et 


de  bonne  mine  sous  ses  palmiers.  De  près,  c'est  la  laideur  et  la  saleté  toute 
nue  :  un  amas  de  huttes  basses  et  grises  en  boue  et  en  lattis,  deux  ou  trois 


maisons  plus  hautes,  enduites  d'un  crépi  blanc,  une  place  en  bordure,  om- 
bragée de  sycomores,  quelques  vieillards  assis  paisiblement  sur  le  devant  de 
leur  porte,  des  poulets,  des  enfants,  des  chèvres,  des  moutons  pêle-mêle, 
une  deini-douzaine  de  bateaux  a  mariés  contre,  terre.  A  mesure  qu'on  s'éloi- 
I.  La  deux  vignette»  tout  de  Uaadier,  d'aprt*  de»  photographie»  de  .M.  iiainger,  priait  en  W6. 


LES  MONTAGNES. 


gne,  la  misère  s'atténue  ut  s'efface,  le  détail  ignoble  se  noie  dans  ta  lumière; 
longtemps  avant  de  disparaître  au   détour  du  fleuve,   le  village  a  repris  ses 


semblants  de  gaieté  et  de  grâce  sereine.  Le  même  paysage  recommence  el 
recommence  pendant  des  journées.   Partout   les   mêmes  bois  alternent  avec 


les  mêmes  champs  qui  verdoient  ou  poudroient  au  soleil,  selon  la  saison  :  le 
Nil  déroule  du  même  mouvement  ses  méandres  semés  d'îles  et  ses  berges 
abruptes;  les  villages  succèdent  aux  villages,  à  la  fois  riants  et  sordides 
sous  leur  couronne  de  feuillage.  Les  terrasses  du  désert  Libvque,.  tenues  à 
distance  par  le  bras  de  l'ouest,  se  haussent  à  peine  au-dessus  de  l'horizon, 
liséré  blanchâtre  entre   le  vert  de  la  plaine  et  le  bleu  du  ciel. 

.  Le*  deux  tigncllet  tant  de  Bouttier,  d'aprèt  des  photographiée  de   M.    Iniinger.  prîiei  en    ISHt. 


10  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

Les  monts  Arabiques  ne  se  déploient  pas  en  ligne  continue  :  ils  forment  une 
série  de  massifs  et  de  contreforts  distincts,  qui  se  rapprochent  du  fleuve  et 
fuient  au  désert  à  intervalles  presque  réguliers.  Le  Mokattam  et  le  Gebel 
Ahmar  se  dressent  à  l'entrée  de  la  vallée;  le  Gebel  Hémour-Shimoul  et  le 
Gebel  Shéîkh-Embarek  s'échelonnent  du  nord  au  sud,  puis  le  Gebel  et-Téîr, 
où  une  vieille  légende  rassemble  chaque  année  les  oiseaux  du  monde  entier1, 
puis  le  Gebel  Abou-Fédah,  redouté  des  matelots  pour  ses  bourrasques  sou- 
daines5. Le  calcaire  domine  partout,  blanc  ou  jaunâtre,  entrecoupé  de  filons 
d'albâtre  ou  de  grès  rouge  et  gris.  Ses  lits  horizontaux  s'étendent  et  se 
superposent  à  pic  avec  tant  de  symétrie,  qu'on  dirait  souvent  un  mur  de 
ville  plutôt  qu'un  flanc  de  montagne  :  seulement  le  temps  a  démantelé  les 
crêtes  au  hasard  et  descellé  les  assises,  l'homme  a  troué  les  parements  pour 
y  creuser  ses  carrières  et  y  loger  ses  tombeaux,  le  courant  mine  sourdement 
la  base  et  a  pratiqué  la  brèche  en  mainte  place.  Sitôt  qu'une  bordure  de 
limon  s'est  déposée  entre  la  falaise  et  la  rivière,  l'halfah  et  les  herbes  folles 
s'en  emparent,  des  dattiers  venus  on  ne  sait  d'où  s'y  implantent,  un  hameau 
s'établit  à  la  gorge  des  ravins  avec  ses  touffes  d'arbres  et  ses  champs  en 
miniature.  Au  delà  de  Siout,  la  lumière  devient  plus  intense,  l'air  plus  sec 
et  plus  vibrant,  le  vert  des  cultures  se  ternit,  le  palmier  doum  mêle  de  plus 
en  plus  son  profil  anguleux  à  celui  des  lourds  sycomores  et  des  palmes  ordi- 
naires, les  ricins  se  multiplient;  mare  les  changements  se  produisent  par 
gradations  si  lentes  qu'ils  sont  accomplis  depuis  longtemps  déjà  au  moment 
qu'on  les  remarque.  Cependant  la  plaine  se  resserre.  A  Thèbes,  elle  a  encore 
15  ou  16  kilomètres  de  largeur,  elle  disparaît  presque  au  défilé  de  Gébéléîn, 
au  Gebel  Silsiléh  elle  a  disparu  complètement.  Une  digue  naturelle  de  grès 
la  barrait  en  cet  endroit  :  les  eaux  y  ont  creusé  juste  ce  qu'il  leur  fallait 
d'espace  pour  s'écouler  librement,  et  l'Egypte  n'est  plus  que  le  lit  même  de 
son  Nil  entre  deux  escarpements  de  pierre  nue3. 

1 .  «  Cette  montagne,  tous  les  ans,  à  jour  fixe,  est  le  rendez-vous  des  hérons  garde-bœuf  (Boukîr,  Ardea 
bubulcus,  Cuv.).  Chacun  d'eux  va  successivement  introduire  son  bec  dans  une  fente  de  la  montagne, 
et  ils  continuent  jusqu'à  ce  que  la  fente  se  referme  sur  l'un  d'eux  qui  est  pris.  Tous  les  autres  s'en- 
volent aussitôt,  mais  l'oiseau  qui  a  été  pris  se  débat  jusqu'à  ce  qu'il  meure  et  reste  là  jusqu'à  ce 
qu'il  tombe  en  poussière.  »  (Makrizi,  Description  de  l'Egypte,  édit.  de  Boulaq,  t.  1,  p.  31.)  Le  même 
récit  se  retrouve  chez  d'autres  écrivains  arabes  dont  on  verra  rémunération  dans  Étiknmk  Quatre- 
mrre,  Mémoires  historiques  et  géographiques  sur  l'Egypte  et  quelques  contrées  voisines,  t.  I,  p.  H 1-33. 
Il  rappelle  de  loin  la  tradition  antique  de  lu  Fente,  située  près  d'Abydos,  et  par  laquelle  les  âmes, 
oiseaux  à  tète  humaine,  devaient  passer  pour  gagner  l'autre  monde  (Lefébire,  Étude  sur  Abydos,  dans 
les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  biblique,  t.  XV,  p.  149-150). 

2.  Ebers,  Cicérone  durch  das  aile-  und  neu-jEgypten,  t.  II,  p.  157-158. 

3.  La  longueur  du  défilé  du  Gebel  Silsiléh  est  d'environ  douze  cents  mètres  (P. -S.  Girard,  Obser- 
vations sur  la  vallée  de  l'Egypte  et  sur  l'exhaussement  séculaire  du  sol  qui  la  recouvre,  dans  la 
Description,  t.  XX,  p.  35),  sa  largeur  de  cinq  cents  au  plus  étroit  (Isambert,  Egypte,  p.  590).  Sur  le 


LE  SAUT  D'ASSOUAN.  H 

Elle  reparait  au  delà,  mais  amoindrie  et  presque  méconnaissable.  Les 
collines,  taillées  en  plein  grès,  courent  à  3  ou  4  000  mètres  l'une  de  l'autre', 
basses,  écrasées,  ternes,  informes  ;  bientôt  une  forêt  de  palmiers,  la  dernière 
de  ce  côté,  annonce  Assouân  et  la  Nubie.  Cinq  bancs  de  granit,  alignés 
entre  le  24"  et  le  18'  degré  de  latitude,  la  traversent  de  l'est  à  l'ouest  et 
du  nord-est  au  sud-ouest,  comme  autant  de  remparts  jetés  entre  la  Médi- 
terranée et  le  cœur  de  l'Afrique.  Le  Nil  les  a  pris  à  revers  et  les  franchît 


l'un  après  l'autre,  en  rapides  qu'on  a  glorifiés  du  nom  de  cataractes.  Les 
écrivains  classiques  se  plaisaient  à  le  dépeindre  précipité  dans  les  gouffres 
de  Sjène,  avec  un  fracas  tel  que  les  peuples  d'alentour  en  demeuraient 
assourdis'  :  même  une  colonie  de  Perses,  envoyée  par  Cambyse,  n'avait  pu 
supporter  le  bruit  de  la  chute  et  était  allée  chercher  ailleurs  un  site  plus 
tranquille4.  La  première  cataracte  est  une  sorte  de  couloir  incliné,  sinueux, 
long  de  10  kilomètres,  qui  descend  de  l'île  de  Philae  au  port  d'Assouàn. 
Eléphantine  en  égaie  doucement  les  abords  de  ses  bosquets  toujours  verts; 

barrage  primitif  du  Nil  par  le  Gebcl  Sîlsiléh,  voir  limitât,  De  la  constitution  physique  de  l'Egypte, 
dans  la  Description,  t.  XXI,  p.  ÎG  «qq.,  el  le  récent  ouvrage  de  ChM.ii,  le  Nil,  le  Soudan,  l'Egypte, 
p.  77-78,  où  la  rupture  est  placée  avant  l'arrivée  de  l'homme  en  Egypte;  Wilkinson,  au  contraire 
(dans  VHerodotut  de  C.  R*»msos,  t.  II,  p.  Î5i),  suivi  par  A.  W'icdcmann  (Mgyptiiche  Geschichte 
P    ÎS5),  fait  durer  l'obstacle  jusque  vers  l'époque  des  Pasteurs. 

1.  P.-S.  Gin**».  Obiervationt  sur  la  ealte'e  de  l'Egypte,  dans  la  Description  de  l'Egypte,  t.  XX, 
p.  34-35.  Sur  tfi  nature  et  l'aspect  du  terrain  entre  le  Ccbel  Silsiiéh  et  Assouân,  voir  Hoiirhe,  De  la 
constitution  physique  de  l'Egypte,  dan»  la  Description  de  l'Egypte,  t.  XXI,  p.  4-118. 

t.   Vue  prite  det  hauteur*  qui  sont  situées  en  face  d'Éléphanlinc,  par  M.  Iiuinger,  eu  1884. 

3.  Le»  passages  des  auteurs  anciens  relatifs  aux  cataractes  ont  été  recueilli»  par  Jomard  [Deicrip- 
lion,  t.  I,  p.  154-174).  On  pourra  se  rendre  compte  de  la  confiance  que  leurs  récits  obtenaient 
encore  à  la  fin  du  ivii*  siècle  en  parcourant  le  curieux  opuscule  De  hominibus  ad  caladupat  Nili 
obiurdetcentibut,  Coiitenlîente  Amplisstmo  Philoiophorum  Online,  Publiée  disputabunt  Prrset 
H.  Jo.  Leoihasddf  Ltuirs,  et  rcspondeiu  Jt>.  BtsTinLOsccs  Lemius,  Harcobreitha-Franci,  d.  24  Deecmbr. 
■DCicii.  In  auditorio  Minori.  —  Wittebergr,  Typii  Chriitiani  Schnrdterî,  Acad.  Typii. 

4.  SfciËgux,  Raturai  QuKtt.,  liv.  11.  §  t. 


H  LE  MIL  KT  L'EGYPTE. 

derrière  elle,  ce  ne  sont  plus  que  falaises  rongées  et  plages  sablonneuses, 
traînées  de  roches  moutonnées  et  noircies  qui  jalonnent  le  lit  des  cou- 
rants, récifs  découpés  bizarrement,  les  uns  nus,  les  autres  voilés  de  longues 
herbes  et  de  plantes  grimpantes  où  nichent  des  milliers  d'oiseaux.  Des  îlots 
s'y  mêlent,  dont  plusieurs  sont  assez  vastes  pour  avoir  nourri  jadis  quelque 
population,  Amerade,  Saloug,  Sehel.  En  amont  de  Sehel,  le  seuil  granitique 
s'est  rompu,  et  ses  débris,  entassés  en  désordre  contre  la  rive  droite,  sem- 


blent encore  y  disputer  le  passage  aux  eaux  :  elles  se  choquent,  se  froissent, 
s'écoulent  en  grondant  par  des  canaux  tortueux  où  chaque  filet  se  brise  et 
se  décompose  en  petites  cascades.  Le  chenal  qui  range  la  rive  gauche  est 
navigable  en  tout  temps.  Pendant  la  crue,  les  écueils  de  la  rive  droite  se 
recouvrent  entièrement  et  ne  trahissent  leur  présence  que  par  des  remous  ; 
à  l'éliage,  une  chute  s'établit,  dont  la  hauteur  ne  dépasse  pas  deux  mètres, 
et  que  les  grosses  barques  remontent  à  la  cordelle  en  serrant  la  côte,  ou 
descendent  sans  trop  de  peine  en  s'abandonnant  au  courant*.  Toutes  les 
variétés  du  granit  se  rencontrent  et  se  mêlent  dans  ce  coin  de  l'Afrique  : 
syénite  rose  et  rouge,  granit  porphyrique,  granit  jaune,  granit  gris,  granit 
blanc  ou  noir,  granit  veiné  de  noir  et  de  blanc3;  dès  qu'on  l'a  quitté,  les 
grès  ressortent  de  terre,  alliés  au  calcaire  le  plus  grossier.  Les  montagnes 
hérissées  de  petits  blocs  crevassés,  de  pics  éboulés  à  demi,  de  mamelons 
âpres  et   pelés,   prolongent   lieue  après    lieue  leurs  lignes   basses   et   sans 

1     Vue  priie  de  la  pointe  méridionale  de  Phîlte,  d'aprit  tint  photographie  d'Emile  Brugtch-Bey. 

ï.  Tour  1b  description  exacte  de  la  première  ratararte,  cf.  Johahu,  Description  de  Sytne  et  de* 
cataracte»,  dans  la  Description  de  l'Egypte,  t.  I,  p.  UJ-1!>1. 

3.  Le  dénombrement  et  l'analyse  des  granit*  de  Syéne  ont  été  faits  par  Koiimt,  De  ta  constitu- 
tion physique  de  l'Egypte,  dan»  la  Description  île  l'Éuuple,  I.  XXI.  p.  :i!t-!l:i. 


14  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

noblesse.  Ça  et  là,  une  brusque  vallée  s'ouvre  sur  le  désert,  et  révèle 
des  perspectives  infinies  d'escarpements  et  de  cimes,  échelonnées  en  retraite 
jusqu'aux  derniers  plans  de  l'horizon,  comme  une  caravane  immobile.  Le 
fleuve,  moins  large,  s'échappe  avec  un  bourdonnement  profond,  que  le 
coassement  des  grenouilles  et  le  grincement  rythmique  des  sakiéhs1  accom- 


pagnent nuit  et  jour.  Des  épis  de  pierre  brute,  construits  on  ne  sait  quand 
par  un  peuple  inconnu,  s'avancent  et  font  digue  jusqu'au  milieu  de  son 
lit9.  Les  champs  de  dourah  et  d'orge,  tout  en  longueur,  plongent  et  se 
noient  à  chaque  instant  sous  un  flot  de  sable  ;  des  lambeaux  de  pâturage 
aromatique  et  dru,  des  acacias,  des  dattiers,  des  doums,  quelques  syco- 
mores brûlés,  s'éparpillent  sur  les  deux  rives.  Un  reste  de  pylône  croulant 
marque  la  place  d'une  cité  antique,  une  paroi  de  rochers  criblée  de  tombes 
monte  à  pic,  surplombant  les  eaux,  et  parmi  ces  reliques  d'un  autre  âge, 
de  misérables  huttes,  des  hameaux  clairsemés,  une  ou  deux  villes  entourées 
de  jardinets,    témoignent    seuls  que  toute  vie  ne  s'est   point  retirée  de   la 

J.  Li  lalitêh  est  composée  d'une  roue  à  tympan,  fnée  verticalement  sur  ""  arbre  horïïontal,  cl 
mue  |iar  d'autre*  roues  dentées,  auxquelles  un  attelage  de  bccitlï  ou  d'ânes  imprime  un  mouvement 
continu  :  un  long  chapelet  de  pots  en  terre  va  chercher  l'eau  au  fleuve  même,  ou  dans  un  petit  canal 

la  distribuer  sur  les  terres  voisines.  Plusieurs  espèces  de  ruucliines  élf'vjitoires  appartenant  à  ce 
type  sont  décrites  et  dessinées  dans  la  Deteriplion  de  l'Egypte,  t.  XII,  p.  1118- i  15,  et  Allai,  État 
moderne,  t.  Il,  Art»  et  Mftirri,  pi.  lll-V. 

1.  0min  île  Boudier,  d'aprèi  une  photographie  de  M.  Imittger,  priie  cw  1881. 

X.  •  Notre  marche  était  fréquemment  arrêtée  par  des  jetées  en  pierres  brutes  qui  s'avançaient  jus- 
qu'au milieu  du  fleuve.  Etaient-elles  destinées  à  élever  le  niveau  du  Nil  aui  époques  d'inondl- 
Lion  ?...  Kl  les  forment  des  courants  très  rapides;  il  arrive  que  la  barque,  tirée  i  «rand'peinc  jusqu'à 
la  pointe  saillante,  ne  peut  la  franchir;  on  exécute  alors  un  demi-tour  en  entraînant  les  cordes  et  l'on 
redescend  h  quelques  centaines  de  mètres.  •  (11.  Gainas  el  A.  Lefêvk,  la  Vallte  du  Aï/,  p.  104.)  Le  gise- 
ment de  ces  épis  csl  indiqué  avec  assci  de  soin  sur  la  carte  de  Prokesch  (Land  lœitchen  den  kteineix 
utid  grouen  Katarakten  dei  Nil.  Antronomisch  bestimmt  und  aufgenammem  im  Jaltre  <S?7  durfh... 
A.  ton  Prokeich,  Vienne,  C.  Gerold). 


LA  NUBIE.  13 

Nubie.  Au  sud  de  Ouady-Halfah ,  le  second  banc  de  granit  s'est  disloqué, 
et  la  deuxième  cataracte  étage  ses  rapides  sur  une  étendue  de  quatre  lieues  : 
l'archipel  compte  plus  de  350  îlots,  dont  une  soixantaine  environ  portent  mai- 
sons et  moissons1.  Les  mêmes  traits  qui  signalent  les  deux  premières  cata- 
ractes se  répètent  avec 
quelques  variations  aux 
trois  suivantes,  à  Hannek, 
à  Guerendid,  à  el-HoumarV 
C'est  l'Egypte  encore,  mais 
une  Egypte  sans  douceur 
et  sans  joie,  appauvrie, 
enlaidie,  presque  vide. 
C'est  toujours  la  double 
muraille  de  collines  qui 
tantôt  encaisse  étroite- 
ment la  vallée,  tantôt  se 
dérobe  et  semble  s'échap- 
per au  désert.  C'est  le 
sable  épandu  partout  en 
nappes  mouvantes,  la  berge 
noire  cultivée  en  bandes 
minces,  les  villages  pres- 
que invisibles,  tant  les 
huttes  en  sont  basses.  Le 
sycomore   s'arrête  au  Ge- 

bel  IWkaI,  les  dattiers  s'espacent  et  disparaissent.  Seul  le  Nil  n'a  point 
changé  :  tel  il  était  à  Phi  Le,  tel  on  le  retrouve  à  Berber.  Voici  pourtant,  sur 
la  rive  droite,  à  600  lieues  de  la  mer,  un  premier  affluent,  le  Takazzé,  qui 
lui  apporte  de  manière  intermittente  les  eaux  de  l'Ethiopie  septentrionale. 
A  Khartoum,  le  Ht  unique  dans  lequel  il  coulait  se  dédouble,  et  deux  autres 
lits  s'ouvrent  dans  la  direction  du  midi,  deux  fleuves  nouveaux  dont  chacun 

I.  La  nomenclature  en  Uiiik»c  nubienne  des  [lots  et  rocher»  a  été  dressée  assez  incorrectement 
|iar  J.-J,  RimoD,  Tableau  de  l'Egypte,  de  la  Kubic  et  da  lieux  circoneoitiiu,  p.  83-60  (vers  la  lin  du 
volume,  après  les  Vocabulaire*).  Itifaud  ne  complaît,  au  commencement  de  noire  nièclc,  que  quarante- 
quatre  lie»  qui  lussent  cultivées. 

î.  Le  régime  des  cataractes  a  été  étudié  oj  le  plan  publié  par  ¥..  ut  GoirnERc,  Des  miaiactra  du  Hit 
el  tp/cialemenl  de  cellet  de  Ilannek  et  de  Kaybar,  18G7,  Paris,  in-1,  et  plus  récemment  par  ChSli-, 
le  Nil.  le  Soudan,  l'Egypte,  p.  Î9-73. 

3.   Vue  priât  du  haut  dci  rocheri  d'Aboutir,  d'après  une  photographie  de  M.  Intinger,  en  JS8I. 


ltf  LE  ML  ET  l/ÊGYPTE. 

est  aussi  puissant  que  l'ancien.  Lequel  est  le  Nil  véritable,  le  Nil  Bleu  qui 
semble  descendre  des  montagnes  lointaines,  ou  le  Nil  Blanc  qui  parcourt 
les  plaines  immenses  de  l'Afrique  équatoriale?  Les  vieux  Égyptiens  ne  le 
surent  jamais  :  le  fleuve  leur  cacha  le  secret  de  ses  sources,  aussi  obstiné- 
ment qu'il  le  fit  pour  nous  jusque  dans  ces  dernières  années.  Vainement 
leurs  armées  victorieuses  l'avaient  suivi  pendant  des  mois  à  la  poursuite 
des  tribus  qui  habitent  ses  rives  :  toujours  elles  l'avaient  vu  aussi  large, 
aussi  plein,  aussi  irrésistible  d'allures.  C'était  une  mer  d'eau  douce,  et  nier 
—  iaoumcU   iômâ  — était  le  nom  qu'ils  lui  donnaient1. 

Aussi  ne  lui  cherchaient-ils  pas  ses  origines.  Ils  se  figuraient  l'univers 
entier  comme  une  caisse  entre  elliptique  et  rectangulaire,  dont  le  plus  grand 
diamètre  est  dirigé  du  sud  au  nord,  le  plus  petit  de  l'est  à  l'ouest*.  Notre 
terre  en  fermait  le  fond  avec  ses  continents  et  ses  océans  alternés  :  c'était 
une  sorte  de  table  mince,  oblongue,  légèrement  concave  dont  l'Egypte  occu- 
pait le  milieu1.  Le  ciel  s'étendait  au-dessus,  pareil  à  un  plafond  de  fer4,  plat 
selon  les  uns5,  voûté  selon  les  autres*.  La  face  qu'il  tourne  vers  nous  était 
semée  capricieusement  de  lampes  suspendues  à  des  câbles  puissants,  et 
qui,  éteintes  ou  inaperçues  pendant  le  jour,  s'allumaient  la  nuit  ou  deve- 
naient visibles  à  nos  yeux7.  Comme  il  ne  pouvait  demeurer  arrêté  au  milieu 
des  airs  sans  être  appuyé  de  quelque  support,  on  avait  inventé  de  l'assurer 
au  moyen  de  quatre  colonnes,  ou  plutôt  de  quatre  troncs  d'arbre  fourchus, 

1.  Maspero,  les  Contes  populaires  de  V Egypte  ancienne,  2°édit.,  p.  20,  177.  Sur  la  comparaison  du 
Nil  à  la  mer  chez  les  anciens,  voir  Letronne,  Jiecherches  géographiques  et  critiques  sur  le  livre  ■  De 
Mcnsura  Orbis  Terrae  »,  composé  en  Islande  au  commencement  du  ix*  siècle  par  Dicuil;  texte,  p.  25, 
§  8;  sur  le  môme  sujet  chez  les  Arabes,  voir  S.  de  Sacy,  Chrestomathie  arabe,  2*  éd.,  t.  F,  p.  13-15. 

2.  Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  égyptiennes,  t.  I,  p.  159-162,  330  sqq.,  et  t.  Il, 
p.  205-208  (cf.  Bulletin  de  l'Institut  égyptien,  2*  série,  t.  VI,  p.  10-20,  et  Revue  de  l  Histoire  des 
lieiigtons,  t.  XVIII,  p.  266-270).  Pour  les  idées  analogues  qu'on  trouve  encore  à  l'époque  byzantine, 
voir  le  mémoire  de  Lctronnc  sur  les  Opinions  cosmographiques  des  Pères  de  l'Église  (Œuvres 
choisies,  2*  série,  t.  I,  p.  382  sqq.). 

3.  Horapollon,  Hieroglyphica  (éd.  Leemans),  I,  xxi,  p.  31  :  yj  Atyjimwv  yr,,  èuei  (jls<tyj  tyjç  oixoupivr,; 
(>7rôpXet-  Cf.  un  fragment  d'Hermès  Trismégiste  dans  Stobée,  Eclog.  I,  52  :  '  EîteI  Se  èv  tw  ui<T<i>  tt,; 
Y"ïj;  ii  Ttôv  irpoY<5vcov  ^fjuov  UpoTdrnrj  xwpâ...  Un  groupe  hiéroglyphique  de  basse  époque  exprime  la 
même  idée  par  l'agencement  de  ses  parties  et  peut  s'interpréter  la  terre  du  milieu. 

\.  Dévèria  est  le  premier  à  ma  connaissance  qui  ait  démontré  que  «  les  Égyptiens  croyaient  à  un 
ciel  de  fer  ou  d'acier  »  (Th.  Dkvèria,  le  Fer  et  l'Aimant,  leur  nom  et  leur  usage  dans  V Ancienne 
Egypte,  dans  les  Mélanges  d'Archéologie,  t.  I,  p.  9-10).  La  croyance  au  ciel  plafond  de  fer  était  si 
bien  établie  que  le  fer  en  conserva  dans  la  langue  commune  le  nom  de  Bai-ni-pit  (en  copte  Benipi, 
benipv),  métal  du  ciel  (Charas,  V Antiquité  historique,  1ro  éd.,  p.  64-67). 

5.  C'est  ce  que  prouve  suffisamment  la  forme  même  du  caractère  ■— -^  employé  dans  l'écriture 
hiéroglyphique  pour  désigner  le  ciel  ou  les  dieux  et  déesses  du  ciel. 

6.  Certaines  stèles  cintrées  sont  surmontées  du  caractère  indiqué  à  la  note  précédente,  mais  courbe 
pour  représenter  le  ciel  voûté.  Brugsch  a  donné  quelques  bons  exemples  de  cette  façon  d'envisager 
le  firmament  dans  sa  lieligion  und  Mythologie  der  ait  en  JEgyptcr,  p.  203  sqq. 

7.  Les  variantes  du  signe  de  la  nuit  ^i     M    sont  des  plus  significatives  :  le  bout  du  câble  auquel 

l'étoile  est  accrochée  passe  au-dessus  du  ciel  ■— -^  et  retombe  librement,  comme  s'il  s'agissait  d'une 
lampe  qu'on  pouvait  descendre  ou  remonter  à  volonté  pour  l'allumer  ou  pour  l'éteindre.  Le  nom 
khabtsou  des  étoiles  est  d'ailleurs  le  même  mot  qui  désigne  la  lampe  d'usage  commun. 


LES  QUATRE  PILIERS  ET  LES  QUATRE  MONTAGNES.  17 

semblables  à  ceux  qui  soutenaient  la  maison  primitive';  mais  on  craignit 
sans  doute  qu'ils  ne  fussent  renversés  dans  quelque  tourmente',  car  on 
les  remplaça  par  quatre  pics  sourcilleux,  dressés  aux  quatre  points  cardinaux 


et  reliés  par  une  chaîne  de  montagnes  ininterrompue.  On  connaissait  peu 
celui  du  nord  :  la  Méditerranée,  la  Très  Verte,  s'interposait  entre  l'Egypte 
et  lui*,  et  empêchait  qu'on  l'approchât  d'assez  prés  pour  l'apercevoir.  Celui 

I.  Ces  piliers  isoles  ont  la  forme  Y,  mais  on  les  voîl  soumit  réunie  pour  soutenir  le  riel  ¥¥¥¥' 
Bruine  II  qui,  le  premier,  en  étudia  le  rôle,  crut  qu'ils  étaient  situés  tous  les  quatre  au  nord,  et 
qu'ils  représentaient  au»  Égyptien!  les  montagnes  Je  l'Arménie  [Geographiiche  tnsthriflen,  1. 1,  p.  3j- 
311);  il  reconnut  ensuite  qu'on  les  dressait  chacun  il  l'un  des  quatre  points  cardinaux,  mais  pensa 
que  celte  conception  de  leur  emploi  ne  remontait  pas  au  delà  du  temps  des  l'tolémces  ('!.  tut.,  t.  III. 
p.  5Î-5S).  Il  admet  aujourd'hui,  comme  ton*  Ifs  t!gyptol<.igii[.'s,  qu'ils  ont  toujours  été  placés  aux  quatre 
points  cardinaux  (Religion  und  Mythologie,  p.  illl-itlî). 

1.  Les  mots  qui  désignent  la  tourmente,  l'orage,  un  cataclysme  quelconque,  sont  suivis  du 
signe  «Hffr,  qui  montre  lu  ciel  détaché  de  ses  quatre  piliers  et  tombant;  les  magiciens  menaçaient 
parfois  de  renverser  les  quatre  pilier»,  si  les  dieux  n'ohéissaient  pas  à  leurs  ordres. 

3.  (.'nif/jc  prise  à  la  hauteur  d' llermopoli*  :  n  gauche,  la  barque  du  toleil  tur  le  fleuve  célcite. 

i.  Le  nom  de  Ouu:-olrit.  la  Tret  Verte,  a  été  reconnu  pour  la  première  fois  par  Birch  {The  Annal* 
afThotma  III.  dans  VArckrotogia,  1.  XXXV,  p.  loi  et  p.  4fi  ilu  tirage  à  part),  dont  E.  de  Bougé 
(Satire  de  quttquet  textes  hiéroglyphique*  rerrmmenl  publirtpar  M.  lireen  dont  l'AthénrUM  Fraueau, 
t«S5,  p.  li-li  du  tirage  a  part)  et  surtout  Brugsch  (Grographiiche  Intchrifteu,  t.  I,  p.  :i"-J<l)  complé- 
tèrent la  démonstratiou  de  façon  surabondante  :  la  mer  llouge  s'appelait  Qim-Oirit,  la  Tri»  Noire. 


d8  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

du  sud  s'appelait  Apit-to1,  la  Corne  de  la  Terre,  celui  de  Test  Bàkhou,  le 
Mont  de  la  Naissance,  et  celui  de  l'ouest,  Manou,  parfois  Onkhît,  la  Région 
de  Vie*.  Bàkhou  n'était  pas  une  montagne  fictive  :  c'était  le  plus  haut  des 
sommets  qu'on  apercevait  au  loin  des  bords  du  Nil  dans  la  direction  de  la  nier 
Rouge.  Manou  répondait  de  même  à  quelque  colline  du  désert  Libyque 
dont  la  tête  semblait  fermer  l'horizon3.  Quand  on  découvrit  que  ni  Bàkhou, 
ni  Manou  ne  bornaient  le  monde,  on  ne  renonça  pas  pour  cela  à  l'idée 
d'étayer  le  plafond  céleste  :  on  se  contenta  de  reculer  les  piliers  à  perte 
de  vue  et  d'imaginer  des  cimes  fabuleuses  auxquelles  on  appliqua  le  nom 
des  réelles.  On  ne  disait  pas  qu'elles  limitaient  exactement  l'univers  :  un 
grand  fleuve  les  séparait  de  ses  extrémités,  analogue  à  l'Océan  des  Grecs,  et 
circulait  sur  une  sorte  de  banquette  courant  comme  en  corniche  le  long  des 
parois  de  la  boîte,  un  peu  au-dessous  de  la  crête  continue  sur  laquelle 
le  ciel  étoile  s'appuyait.  11  se  bordait  dans  la  partie  nord  de  l'ellipse  d'une 
berge  abrupte  qui  naissait  à  l'ouest  au  pic  de  Manou,  et  qui  se  haussait 
assez  rapidement  pour  s'interposer  bientôt  comme  un  écran  entre  lui  et 
notre  terre.  La  vallée  étroite  qu'elle  masquait  s'appelait  Daît  depuis  les 
temps  les  plus  reculés4  :  la  nuit  l'enveloppait  éternellement  de  ses  ombres 
lourdes  et  l'emplissait  d'un  air  épais,  irrespirable  aux  vivants5.  Vers  l'est, 
la  berge  s'abaissait  rapidement  :  elle  expirait  un  peu  au  delà  de  Bàkhou, 
et  le  fleuve  s'écoulait  entre  des  rives  basses,  presque  plates,  de  l'est  au 
sud,  puis  du  sud  à  l'ouest6.  Le  soleil  était  un  disque  de  feu  posé  sur  un 
bateau7.  Le  courant  l'entraînait   d'un  mouvement  toujours  égal  le  long  des 

i.  Cf.  l'expression  des  géographes  grecs  Nôtou  xépoc;,  'Eauépou  ycipaiz.  Brugsch  a  le  premier 
signalé  la  position  de  l'Api t-to  à  l'extrémité  sud  du  monde  (Geographische  Inschriften,  t.  I,  p.  3.'»- 
36,  t.  III,  p.  32).  Il  a  identifié  dubitativement  la  Corne  de  la  Terre  a\ec  les  Monts  de  la  Lune  des 
géographes  arabes.  Je  crois  que  les  égyptiens  de  la  grande  époque  thebaine  (XVIII*-XX°  dynasties) 
désignaient  de  la  sorte  le  massif  montagneux  de  l'Ahyssinie;  ils  l'aperçurent  de  loin  dans  les  razzias 
qu'ils  menaient  le  long  du  Mil  Bleu  et  de  ses  affluents,  mais  ils  n'y  pénétrèrent  jamais. 

2.  Sur  lia  h  hou  et  Manou,  consulter  un  article  de  Brugscli  (Ueber  den  (ht-  und  Westpunhl  des  Son- 
nc  niait  f es  nach  den  altiigyptischen  Yorstellunyen,  dans  la  Zeitschrift,  1804,  p.  73-76),  rédigé  sur  des 
indications  de  Diimichen;  aussi  Brk.scu,  Die  altâyyptischc  Vôlkertafcl  (dans  les  Vcrhandlunqen  des 
bien  Orientalisten  Congresses,  t.  II,  Afrikanische  Sektion,  p.  62-63)  et  Maspkro,  Études  de  Mythologie 
et  d'Archéologie  égyptiennes,  t.  II,  p.  6-8  (cf.  Revue  de  C  Histoire  des  Religions,  t.  XV,  p.  270-272). 
Brugsch  place  le  mont  Bàkhou  un  peu  trop  au  sud,  au  Gebcl  Zmouroud. 

3.  Le  nom  de  Manou  est  localisé  dans  le  nome  Libyque  de  la  Basse-Egypte,  sur  les  listes  de  l'époque 
ptolémaïque  (Bric.sch,  Dictionnaire  géographique,  p.  259):  on  devait  le  rencontrer  quelque  part  sur 
le  chemin  qui  mène  à  travers  le  désert  jusqu'à  l'Ouady-Natroun. 

I  Le  nom  de  Dait  et  l'épithète  Daiti,  «  habitant  du  bail  »,  qui  en  dérive,  se  rencontrent  fré- 
quemment dans  les  textes  des  pyramides,  et  appartiennent  par  conséquent  au  vieux  fonds  de  la  langue. 

,*i.  Kakoui  samoui,  Maspkko,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  égyptiennes,  t.  II,  p.  31  (cf.  la 
Revue  de  l'Histoire  des  Religions,  t.  XVII,  p.  274). 

lï.  Maspkro,  Études  de  Mythologie  et  de  Religion  égyptiennes,  t.  II,  p.  16-18  (cf.  la  Revue-  des  Reli- 
gions, t.  XVIII,  p.  206-268),  où  toutes  ces  conceptions  ont  été  indiquées  pour  la  première  fois. 

7.  C'est  ainsi  que  les  peintres  l'ont  représenté,  par  exemple,  dans  plusieurs  vignettes  du  Livre  des 
Morts  (édit.  Navillk,  t.  I,  pi.  XXX,  CXLIV). 


LE  NIL  CÉLESTE.  19 

remparts  du  monde.  Du  soir  au  matin,  il  disparaissait  dans  les  gorges  du 
Daït,  sa  lumière  n'arrivait  pas  jusqu'à  nous  et  c'était  la  nuit;  du  matin  au 
soir,  ses  rayons,  n'étant  plus  arrêtés  par  aucun  obstacle,  se  répandaient 
librement  d'un  bout  de  la  boîte  à  l'autre,  et  c'était  le  jour.  Le  Nil  se  déta- 
chait du  fleuve  céleste  à  son  tournant  méridional1;  aussi  le  sud  représen- 
tait-il pour  les  Egyptiens  le  point  cardinal  par  excellence,  celui  sur  lequel 
ils  s'orientaient,  mettant  le  levant  à  leur  gauche,  le  couchant  à  leur  droite'. 
Au  temps  qu'ils  ne  dépassaient  guère  les  défilés  du  Gebel  Silsiléh,  ils  pen- 
saient que  l'endroit  où  les  eaux  d'en  haut  quittaient  le  ciel  était  situé  entre 
Éléphantine  et  Philae  :  elles  s'abattaient  en  une  chute  immense,  dont  Syènc 
marquait  les  derniers  ressauts,  et  peut-être  les  récits  des  écrivains  classiques 
sur  la  première  cataracte  ne  sont-ils  que  l'écho  lointain  de  cette  tradition 
barbare1.  Les  conquêtes  menées  au  cœur  de  l'Afrique  forcèrent  les  Égyptiens 
à  reconnaître  leur  erreur,  mais  sans  diminuer  leur  foi  en  l'origine  surnatu- 
relle du  fleuve  :  plus  ils  poussèrent  avant,  plus  ils  la  reculèrent  vers  le  midi4, 
plus  aussi  ils  l'entourèrent  de  fables  et  de  merveilles.  Us  contaient  qu'à  force 
de  remonter  le  courant,  les  matelots  finissaient  par  atteindre  une  contrée 
indécise,  placée  comme  une  sorte  de  marche  entre  ce  monde  et  l'autre,  une 
Terre  des  Mânes,  dont  les  habitants  n'étaient  déjà  plus  que  des  nains,  des 
monstres  ou  des  esprits5;  ils  débouchaient  ensuite  dans  une  mer  semée  d'îles 
mystérieuses,  semblables  à  ces  archipels  enchantés  que  les  marins  portugais 
et  bretons  apercevaient  parfois  dans  leurs  croisières  et  qui  s'évanouissaient 
dès  qu'ils  voulaient  en  approcher.  Elles  étaient  peuplées  de  serpents  à 
voix  humaine,  quelquefois  bienveillants,  quelquefois  cruels  aux  naufragés. 
Quiconque  en  sortait  ne  pouvait  plus  y  rentrer  :  elles  se  résolvaient  en 
flots  et  se    perdaient   au   sein  des  ondes*.  Un  géographe  d'aujourd'hui  ne 

1.  Les  écrivains  classiques  eux-mêmes  savaient  que,  d'après  les  Égyptiens,  le  Nil  descendait  du 
ciel  :  vO<xipÉ;  è<mv  6  NeîXo;,  6v  il  oùpavov  xaTaçépe<r8ai  oi'ovrat  (Porphyre,  dans  Eiskbk,  Prœp. 
Evang.,  III,  il,  54  sqq.).  La  légende  selon  laquelle  il  prenait  sa  source  dans  le  fleuve  Océan  (Héro- 
dote, 11,  21;  Diodore,  I,  37)  n'était  qu'une  transposition  grecque  du  dogme  égyptien  qui  reconnaissait 
en  lui  un  bras  du  fleuve  sur  lequel  le  soleil  circule  autour  de  la  terre. 

2.  Cette  façon  de  s'orienter  des  Égyptiens  a  été  découverte  par  Chabas,  les  Inscriptions  des  Mines 
d'or,  1862,  p.  32  sqq. 

3.  Maspf.ro,  Études  de  Mythologie  égyptienne,  t.  II,  p.  17-18  (cf.  Revue  de  l'Histoire  des  Religions. 
t.  XVIII,  p.  269-270);  cf.  p.  II  du  présent  volume. 

4.  C'est  peut-être  en  songeant  à  une  légende  de  ce  genre  que  des  Nubiens  décrivaient  à  Burckhardt 
la  seconde  cataracte  *  tombant  comme  du  ciel  »  (Burckhardt,  Travels  in  Nubia,  p.  78,  note  2)  :  les 
sources  du  Nil  ont  dû  s'arrêter  un  moment  aux  environs  de  Ouadv-IIalfah  ou  de  Semnéh,  avant  de 
continuer  leur  route  vers  le  centre  de  l'Afrique. 

5.  La  terre  des  Esprits  est  mentionnée  dès  la  VI°  dynastie,  dans  le  récit  des  voyages  d'Hirkhouf 
(Schiaparelli,  Una  Tomba  Egiziana  inédit  a  delta  VI*  Dinaslia  ron  iscrizioni  storiche  e  geogra  fiche, 
p.  21,  33,  34;  cf.  Maspero,  Hevue  critique,  1892,  t.  II,  p.  362,  366);  elle  était  située  vaguement  au 
voisinage  du  Pouanit,  c'est-à-dire  vers  la  région  des  Aromates  des  géographes  gréco-romains. 

6.  C'est  le   sujet  d'un    conte  découvert  et  publié  en  1881  par  M.  W.  Golknischeff,  Sur  un  ancien 


20  LE  m  ET  L'EGYPTE. 

comprend  guère  pareilles  fantaisies  :  il  suffit  pourtant  de  jeter  les  yeux  sur 
certaines  cartes  du  xvi*  et  du  xvne  siècle,  pour  y  voir  dessiné  nettement  ce 
que  les  Égyptiens  imaginaient,  le  centre  de  l'Afrique  occupé  par  un  grand 
lac  d'où  sortent  le  Congo,  le  Zambèze  et  le  Nil1.  Les  marchands  arabes  du 
moyen  âge  croyaient  qu'un  homme  déterminé  pouvait  s'élever  de  rivière  en 
rivière  depuis  Alexandrie  et  depuis  le  Caire  jusqu'au  pays  des  Zindjes  et  à 
l'océan  Indien'.  Beaucoup  des  légendes  qu'on  racontait  à  ce  sujet  ont  disparu  : 
d'autres  furent  recueillies  par  les  théologiens  juifs  et  chrétiens  et  embellies 
de  traits  nouveaux.  Le  Nil  jaillissait  du  Paradis,  et  parcourait  des  régions 
brûlantes  inaccessibles  à  l'homme,  puis  il  tombait  dans  une  mer  d'où  il 
s'échappait  vers  l'Egypte  :  il  entraînait  quelquefois  avec  lui  de  sa  patrie 
céleste  des  rameaux  et  des  fruits  dont  les  pareils  n'existent  point  sur  notre 
terre'.  La  mer  qu'on  retrouve  dans  toutes  ces  histoires  est  peut-être 
d'invention  moins  extravagante  qu'on  ne  serait  tenté  de  le  croire.  Un  lac 
presque  aussi  grand  que  le  Nyanza-Kérewé  recouvrait  jadis  la  plaine  maré- 
cageuse où  le  Bahr  el-Abiad  s'unit  au  Sobat  et  au  Bahr  el-Ghazâl.  Les  allu- 
vions  l'ont  comblé,  à  l'exception  d'un  creux  plus  profond  que  le  reste  et  qu'on 
appelle  Birket-Nou4,  mais  il  devait  être  encore  assez  vaste,  pendant  les 
siècles  qui  précédèrent  notre  ère,  pour  donner  aux  soldats  et  aux  bateliers 
égyptiens  l'idée  d'une  véritable  mer  ouverte  sur  l'océan  Indien.  Les  mon- 
tagnes dont  la  ligne  se  dessinait  vaguement  sur  l'autre  rive,  bien  loin  vers 
le  sud,  recelaient  sans  doute  la  source  mystérieuse4.  L'inondation  s'y  pré- 
parait et  y  commençait  à  jour  fixe.  Le  Nil  céleste  avait  ses  croissances  et 
ses  décroissances  régulières  d'où  celles  du  Nil  terrestre  dépendaient.  Chaque 

conte  égyptien,  1881,  Berlin,  et  dans  les  Abhandlungen  du  Congrès  des  Orientalistes  de  Berlin,  sec- 
tion africaine,  p.  100-122;  cf.  Maspero,  les  Contes  -populaires  de  l'Ancienne  Egypte,  2°  édit., 
p.  131-M6. 

1.  Etienne  Quatrcmère  a  réuni  divers  passages  d'auteurs  arabes  relatifs  à  ce  sujet  dans  les  Mémoires 
historiques  et  géographiques  sur  V Egypte,  t.  II,  p.  22-23,  181  sqq.  Figari-Bey  admettait  encore  en 
18o9  que  les  grands  lacs  équatoriaux  auraient  «  deux  courants,  dont  l'un  se  dirigerait  vers  l'ouest, 
descendrait  la  vallée  au  nord,  et  se  précipiterait  dans  la  grande  cataracte  de  Gehel  Regef  »  pour 
former  le  Nil  et  descendre  à  la  Méditerranée;  «  le  second  se  dirigerait  en  sens  contraire,  formerait 
la  rivière  de  Mélinde,  qui  est  à  soixante-quinze  lieues  environ  au  nord  de  l'Equateur»,  et  débouche- 
rait dans  l'océan  Indien  (Figari-Bey,  Aperçu  théorique  de  la  Géographie  géognostique  de  l'Afrique 
ventral'1,  dans  les  Mémoires  de  V Institut  Egyptien,  t.  I,  p.  108,  et  la  carte  de  la  page  114). 

2.  A.  Kirchkr,  QEdipus  .Egyptiacus,  t.  I,  p.  52;  Letronne,  Sur  la  situation  du  Paradis  terrestre, 
dans  les  Œuvres  choisies,  2*  série,  t.  I,  p.  415-122.  Joinville  a  décrit  dans  un  chapitre  spécial  les  ori- 
gines et  les  merveilles  du  Nil,  auxquelles  il  croyait  comme  à  un  article  de  foi  (Histoire  de  saint  Louis. 
ch.  xi.);  encore  au  commencement  du  xvn#  siècle,  Wendelinus  consacrait  une  partie  de  ses  Admi- 
randa  Nili  ($  III,  p.  27-31)  à  démontrer  que  le  fleuve  ne  prenait  point  sa  source  dans  le  Paradis  ter- 
restre. Le  voyageur  écossais  Rhind  recueillit  à  Gournah,  il  y  a  quarante  ans,  une  légende  musulmane 
qui  affirme  que  le  Nil  descend  des  cieux  (Thebes,  ils  Tomba  and  their  Tenants,  p.  301-304). 

3.  Elisée  Reclus,  Nouvelle  Géographie  universelle,  t.  X,  p.  67  sqq. 

4.  Cf.,  pour  la  conception  égyptienne  des  sources  du  Nil,  et  pour  les  conséquences  qui  en  décou- 
lent, les  observations  de  Maspero,  les  Contes  populaires,  2*  éd.,  p.  xem  sqq. 


LES  PLEURS  D'ISIS. 


année,  vers  le  milieu  de  juin,  Isis,  en  deuil  d'Osiris,  y  laissait  tomber  une 
des  larmes  qu'elle  versait  sur  son  frère  :  le  fleuve  s'enflait  aussitôt  et  des- 


cendait ici-bas1.  Isis  n'a  plus  de  fidèles  depuis  longtemps,  et  son  nom  même 
est  inconnu  aux  descendants  de  ses  adorateurs  :   la  tradition   de  ses  pleurs 

I.  Fac-similé  de  la  carte  piihliïr  jmr  K iin-.irKK.  dF.dipu.i  .■fciji/plitiru.i,  lonic  i  ilioiiitmus  II).  p.  59. 

1.  La  légende  des  larmes  ilïsis  est  certainement  for!  ancienne  Isis  et  Pipphlliys  avaient  rempli  le 
rûle  de  pleureuses  pendant  l'embaumement  puis  pendant  les  funérailles  d'Osiris,  et  leurs  larmes 
avaient  contribué  à  rappeler  le  dieu  à  la  vie  :  or  (Isiris  est  un  Nil.  Les  telles  des  Pyramide.-,  con- 
naissent déjà  la  nuit  du  grand  flot  de  larmes  iun  de  la  Grande  Déesse  ((lutin*,  I.  3!ij).  el  cette 
espression  se  rapporle  très  probablement  à  la  n«i(  de  ta  goutte  (I.epagk-IIkxoit,  JVi/e  btythnltigy,  dans 
les  l'roccedingt  de  la  Société  d'Archéologie  biblique.  I.  XIII,  p.  !)),  I.n  première  forme  authentique  de 
la  tradition  nous  .1  été  transmise  par  Paus;  nias  (X,  «m,  g  10)  :  'Eoixore  îè  avSpà;  rjxouaa  <I»o!-<txo; 
ïft'v  lij  "IfriSi  Aî^uitrio-jî  T7]v  lùpriiv,  St(  airilv  tôv  "Ooipiv  Ttév8tiï  \ifa\iai.  Tï)vix«iT«  Si  liai 
o  Ntïioî  ivapaiviiv  oyioiv  ap/îTOi,  xai  iwv  imjridpfa»  iroÀïoiç  itniv  Élpr,[itva.  i(  ta  auÇovta  tiv 
HiTi|ibv  xal  apîstv  tàj  àpoùpaç  mioûvra  Boxp-jà  ét;i  tt(;  "Ioiïo;.  La  date  du  phénomène  nous  est 
donnée  par  la  tradition  moderne  qui  met  la  nuit  de  la  goutte  en  juin  (Brugsch,  Matériaux  pour 
tenir  à  la  construction  du  calendrier  de*  anciens  Égyptiens,  p.  11  *qq.) 


22  LE  m  ET  L'EGYPTE. 

fécondants  a  survécu  à  sa  mémoire.  Aujourd'hui  encore,  chacun  en  Egypte, 
musulman  ou  chrétien,  sait  qu'une  goutte  divine  tombe  du  ciel  pendant  la 
nuit  du  17  au  18  juin,  et  produit  aussitôt  la  crue1. 

Grossi  par  les  pluies  qui  s'abattent  au  mois  de  février  sur  la  région  des 
Grands  Lacs,  le  Nil  Blanc  se  précipite  vers  le  nord,  balayant  devant  lui  les 
nappes  croupissantes  que  les  débordements  de  Tannée  précédente  avaient 
oubliées  sur  le  sol.  A  gauche,  le  Bahr  el-Ghazàl  lui  apporte  le  trop-plein  du 
bassin  mal  délimité  qui  s'étend  entre  le  Darfour  et  le  Congo  ;  le  Sobat  lui  verse 
sur  la  droite  le  tribut  des  rivières  qui  sillonnent  les  versants  méridionaux  du 
massif  abyssin.  Le  premier  flot  passe  à  Khartoum  dès  la  fin  d'avril,  et  y  relève 
le  niveau  de  30  centimètres  environ,  puis  il  chemine  lentement  à  travers  la 
Nubie,  et  vient  expirer  en  Egypte  au  commencement  de  juin.  Ses  eaux,  infectées 
dans  les  marais  équatoriaux  de  débris  organiques  à  moitié  putréfiés,  ne  se  puri- 
fient pas  entièrement  au  cours  de  leur  long  voyage,  mais  conservent  une  teinte 
verte  jusque  dans  le  Delta  :  on  dit  qu'elles  sont  empoisonnées  et  causent  à  qui 
les  boit  des  douleurs  de  vessie  insupportables.  Ce  Nil  vert  est  heureusement 
de  courte  durée  :  il  s'écoule  d'ordinaire  en  trois  ou  quatre  jours  et  sert  d'avant- 
coureur  à  la  crue  véritable*.  La  fonte  des  neiges  et  les  pluies  désordonnées  du 
printemps  avaient  enflé  subitement  tous  les  torrents  qui  naissent  dans  le  pla- 
teau central  de  l'Abyssinie;  le  Nil  Bleu,  qui  les  recueille,  se  rue  sur  la 
plaine  avec  une  telle  impétuosité  qu'en  tombant  à  Khartoum  au  milieu  de 
mai,  il  refuse  de  se  mêler  au  Nil  Blanc,  et  ne  perd  sa  couleur  propre  qu'à 
500  kilomètres  plus  loin,  aux  environs  d'Abou-Hamed.  Dès  lors,  la  hausse 
s'accélère  de  jour  en  jour  :  le  fleuve,  toujours  renforcé  par  les  masses  qui  lui 
arrivent  coup  sur  coup  des  Grands  Lacs  et  de  l'Abyssinie,  monte  par  saccades 
furieuses,  et  prendrait  les  allures  d'un  torrent  destructeur,  si  les  cataractes 
de  Nubie  n'étaient  là  pour  mettre  un  frein  à  ses  emportements.  Elles  divisent 
son  cours  en  six  bassins  étages  l'un  au-dessus  de  l'autre,  où  l'eau  s'emma- 
gasine et  d'où  elle  ne  sort  que  tamisée  en  partie  et  comme  apprivoisée3.  On 
la  signale  à  Syène  vers  le  8  juin,  au  Caire  du  17  au  20,  où  l'on  fête  officiel- 

I.  Lank,  Manners  and  Cusloms  of  Modem  Egyptians,  4°  éd.,  t.  II,  p.  24.4.  La  date  officielle  se 
déplace,  et  les  modernes  fixent  la  chute  de  la  goutte  tantôt  à  la  nuit  du  17-18,  tantôt  à  celles  du 
18-11)  etdu  19-40  juin,  selon  les  années. 

4.  Les  principaux  textes  arabes  et  occidentaux  relatifs  au  Nil  vert  ont  été  réunis  par  Silvestrk 
i>k  Sacv,  Helation  de  l 'Egypte  par  Abd-Aflatif,  p.  334-338,  344-340.  Je  dois  dire  que,  pendant  cinq 
ans,  au  mois  de  juin,  j'ai  bu  les  eaux  vertes  puisées  à  même  dans  le  Nil,  sans  autre  précaution  que 
de  les  filtrer  à  travers  une  jarre  poreuse,  comme  les  eaux  ordinaires  :  je  n'en  ai  jamais  éprouvé 
aucun  inconvénient,  non  plus  que  les  nombreuses  personnes  qui  vivaient  autour  de  moi. 

3.  Le  rôle  modérateur  des  Cataractes  a  été  défini  très  judicieusement  par  K.  w.  Gottbf.rg,  Des 
Cataracte*  du  AV/,  p.  10-11. 

t 


NIL  VERT  ET  NIL  KOUGE.  M 

lement  sa  naissance  pendant  la  nuit  de  la  goutte1,  dans  le  Delta  deux  jours 
plus  tard,  juste  à  temps  pour  sauver  le  pays  de  la  soif  et  de  la  stérilité. 
L'Egypte,  brûlée  par  le  khamsin,  ce  vent  de  l'ouest  qui  souffle  sans  inter- 
ruption cinquante  jours  durant,  semble  n'être  plus  qu'un  prolongement  du 
désert.  Une  couche  de  poussière  grise  enduit  les  arbres  et  les  étouffe;  de 
maigres  carrés  de  légumes  arrosés  à  grand'peine  végètent  péniblement  autour 
des  villages  ;  quelques  apparences  de  verdure  subsistent  le  long  des  canaux 
et  dans  les  creux  d'où  toute  humidité  ne  s'est  pas  encore  évaporée;  la 
plaine  halette  au  soleil,  nue,  poudreuse,  couleur  de  cendres,  rayée  à  perte  de 
vue  de  crevasses  entre-croisées;  le  Nil  ne  conserve  plus  que  la  moitié  de  sa 
largeur  habituelle  et  le  vingtième  environ  du  volume  qu'il  roulait  en  octobre. 
Il  a  d'abord  fort  à  faire  de  reconquérir  son  ancien  lit.  Il  s'y  élève  par  grada- 
tions si  subtiles  qu'à  peine  s'aperçoit-on  qu'il  monte;  pourtant  il  gagne  sans 
cesse,  et,  d'instant  en  instant,  c'est  un  banc  de  sable  qui  se  couvre,  un  chenal 
vide  qui  se  trouve  plein,  des  îlots  qui  se  découpent  où  l'on  avait  une  grève 
continue,  un  bras  nouveau  qui  se  détache  et  se  porte  à  la  rive.  Le  premier 
contact  est  ruineux  pour  les  berges  :  leurs  talus  droits,  désagrégés  et  fendus 
par  la  chaleur,  n'opposent  plus  de  résistance  au  courant  et  s'abattent  avec 
fracas  sur  un  front  de  100  mètres  et  plus.  A  mesure  que  les  ondes  successives 
se  propagent  plus  fortes  et  plus  limoneuses,  la  masse  entière  se  trouble  et 
change  de  couleur.  En  huit  ou  dix  jours  elle  a  varié  du  bleu  grisâtre  au  rouge 
sombre  :  à  certains  moments,  le  ton  est  si  intense,  qu'on  dirait  une  coulée  de 
sang  fraîchement  répandu.  Le  Nil  rouge  n'est  pas  malsain  comme  le  Nil  vert  : 
les  boues  qu'il  charrie,  et  auxquelles  il  doit  son  apparence  équivoque,  ne  lui 
enlèvent  rien  de  sa  douceur  et  de  sa  légèreté.  Il  bat  son  plein  vers  le 
lo  juillet,  mais  les  digues  qui  l'encaissent  et  les  barrages  construits  à  l'em- 
bouchure des  canaux  s'opposent  encore  à  ce  qu'il  déborde  :  on  attend  avant 
de  le  déchaîner  qu'on  l'ait  reconnu  assez  haut  pour  submerger  efficacement 
les  terres*.  Les  vieux    Egyptiens  mesuraient  son   altitude  par  coudées   de 

1.  Voir  la  description  des  fètes  et  des  pratiques  superstitieuses  qui  se  rattachent  à  la  goutie,  dans 
Lane,  Manners  and  Customs  of  Modem  Egyptiam,  4*  éd.,  t.  II,  p.  224. 

2.  On  possède  peu  de  documents  qui  indiquent  la  hauteur  jugée  nécessaire  par  les  Égyptiens  pour 
une  bonne  inondation.  Une  inscription  d'époque  ptoléinaïque  nous  apprend,  cependant,  qu'au 
moment  où  «  le  Nil  sort  de  ses  sources  en  son  temps,  s'il  atteint  à  Éléphantine  la  hauteur  de 
24  coudées  3  1/4  aunes,  il  n'y  a  point  insuffisance,  le  nombre  n'est  pas  défectueux  et  il  vient  pour 
inonder  les  champs  »  (BRrr.scn,  Angabc  ciner  Xilhôhe  nach  Ellen  in  cinem  Hieroylyphischen  Texte. 
dans  la  Zeitschrift,  18(15,  p.  43-11).  Un  autre  texte  (Brugsch,  Die  Biblischen  sieben  Jahre  der  Hun- 
gersiioth,  p.  153)  fixe  la  hauteur  à  28  coudées,  au  nilomètre  d'Éléphantine,  à  7  au  nilomèlrc  de 
Diospolis  dans  le  Delta.  La  mesure  de  24  coudées  prise  au  nilomètre  d'ftlcphantine  est  justifiée  par 
différents  passages  d'auteurs  anciens  et  modernes.  Les  indications  données  dans  mon  texte  se  rap- 
portent  au    nilomètre    de    Kodah,    comme    c'est  l'usage.    J'ai    adopté   pour  l'évaluation    des   crues 


24  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

54  centimètres.  A  14  coudées,  ils  proclamaient  la  crue  excellente;  au-dessous 
de  13  ou  au-dessus  de  15,  ils  la  jugeaient  insuffisante  ou  trop  forte,  et,  dans 
les  deux  cas,  c'était  la  famine  et  peut-être  la  peste  à  bref  délai.  Aussi 
est-ce  avec  une  curiosité  anxieuse  qu'aujourd'hui  encore  le  peuple  en 
observe  la  marche  :  à  partir  du  3  juillet,  des  crieurs  publics  parcourent  les 
rues  du  Caire,  et  annoncent  chaque  matin  les  progrès  accomplis  depuis  la 
veille1.  Des  traditions  plus  ou  moins  authentiques  prétendent  qu'on  préludait 
à  l'ouverture  des  canaux  en  jetant  solennellement  à  l'eau  une  jeune  fille  de 
famille  noble,  parée  comme  pour  des  épousailles,  la  Fiancée  du  Nil*.  Même 
après  la  conquête  arabe,  on  ne  cessa  de  considérer  l'irruption  du  fleuve 
au  sein  des  terres  comme  un  mariage  véritable  :  un  cadi  en  dressait  le  con- 
trat, et  des  témoins  en  constataient  la  consommation  avec  les  formalités  les 
plus  bizarres  du  cérémonial  oriental*.  C'est  d'ordinaire  entre  le  1er  et  le 
16  juillet  qu'on  se  décide  à  rompre  les  digues.  L'opération  accomplie  solen- 
nellement, le  flot  met  quelques  jours  à  remplir  les  canaux,  puis  se  déverse  sur 
les  terres  basses  et  s'avance  de  proche  en  proche  jusqu'aux  confins  du  désert. 
L'Egypte  est  alors  une  nappe  d'eau  trouble,  étalée  entre  deux  cordons  de 
rochers  et  de  sables,  mouchetée  où  sont  les  villes  et  les  reliefs  du  sol  de 
taches  vertes  et  noires,  divisée  en  compartiments  irréguliers  par  les  chaussées 
qui  relient  les  villages  entre  eux.  Le  fleuve  atteint  son  point  le  plus  haut 
vers  la  fin  d'août  en  Nubie,  trois  semaines  ou  un  mois  plus  tard  au  Caire 
et  dans  le  Delta.  Il  reste  stationnaire  huit  jours  environ,  puis  commence  à 
décroître  imperceptiblement.  Quelquefois  une  poussée  nouvelle  se  produit 
en  octobre,  et  il  se  reprend  à  monter,  mais  son  effort  ne  se  soutient  pas  : 
il  baisse  de  nouveau,  avec  autant  de  rapidité  qu'il  en  avait  mis  à  hausser; 
vienne  décembre,  et  il  est  rentré  complètement  dans  son  lit.  Les  sources 
qui  le  nourrissaient  se  ferment  ou  s'appauvrissent  l'une  après  l'autre  :  le 

anciennes  à  Memphis  le  résultat  des  calculs  auxquels  s'est  appliqué  Rozière,  De  la  constitution 
physique  de  C  Egypte,  dans  la  Description,  t.  XX,  p.  351-381.  Il  montre,  d'après  Lk  Père  [Mémoire 
sur  la  vallée  du  Nil  et  sur  le  nilomèlre  de  Vile  de  Iioudah,  dans  la  Description,  t.  XVIII,  p.  555 
sqq.),  que  l'augmentation  du  nombre  des  coudées  est  purement  apparente,  et  que  les  hauteurs 
effectives  demeurent  à  peu  près  invariables,  bien  que  les  indications  des  nilomètres  croissent  de 
siècle  en  siècle.  On  trouvera  le  tableau  de  la  plupart  des  crues  connues  anciennes  et  modernes 
dans  l'ouvrage  récent  de  Cmitr,  le  Nil,  le  Soudan,  l'Egypte,  p.  8I-U3. 

1.  Les  crieurs  du  Nil  ont  été  décrits  par  Laiw,  Manne  m  and  Customs,  -ic  éd.,  t.  Il,  p.  225-236. 
Leurs  proclamations  n'ont  guère  changé  depuis  le  temps  où  il  les  recueillait  :  l'usage  de  la  vapeur 
y  a  introduit  seulement  des  images  nouvelles  pour  marquer  la  rapidité  de  la  crue. 

2.  G.  Lumbroso  a  rassemblé  les  principaux  passages  des  auteurs  anciens  et  modernes  relatifs  à  la 
Fiancée  du  Nil,  dans  l'Egillo  al  tempo  dei  Greci  e  dei  Romani,  p.  6-10.  Cette  tradition  a  fourni  à 
G.  Ebers  la  matière  d'un  roman,  Die  Nilbraut,  où  les  mœurs  des  Coptes  pendant  les  premières 
années  de  la  domination  arabe  sont  peintes  avec  beaucoup  de  justesse  et  de  vivacité. 

3.  Silvestkk  uk  Sacy,  le  Livre  des  Etoiles  errantes,  par  le  Scheikh  Schemseddin  Mohammed  bin 
Abilsorour  al-Dakerihl-Sadiki,  dans  les  Notices  et  Extraits  des  Manuscrits,  t.  I,  p.  275. 


26  LE  ML  ET  L'EGYPTE. 

Tacazzé  s'égare  dans  les  sables  avant  de  le  rejoindre,  et  le  Nil  Bleu,  aban- 
donné lui-même  par  la  plupart  de  ses  affluents,  ne  trouve  plus  qu'à  s'ali- 
menter parcimonieusement  aux  neiges  de  l'Abyssinie.  Le  Nil  Blanc  doit 
aux  Grands  Lacs  de  garder  plus  de  tenue  :  il  nourrit  le  courant  jusqu'à  la 
Méditerranée  et  empêche  la  vallée  de  se  dessécher  tout  à  fait  pendant  l'hiver. 
Mais  il  a  beau  rallier  à  lui  le  plus  qu'il  peut  de  ses  eaux,  chaque  jour  abaisse 
son  niveau  et  diminue  sa  masse.  Les  bancs  de  sable,  longtemps  cachés, 
affleurent,  se  découvrent,  se  raccordent  en  ligne  continue,  les  îles  s'agran- 
dissent et  se  bordent  de  grèves  qui  se  rejoignent  et  les  rejoignent  insensible- 
ment à  la  rive,  les  bras  secondaires  se  bouchent  et  ne  dessinent  plus  que  des 
réseaux  de  flaques  et  d'étangs  vaseux  bientôt  secs,  le  grand  bras  lui-même 
cesse  d'être  navigable  par  endroits  :  passé  mars,  les  bateaux  s'y  engravent 
et  sont  forcés  d'attendre  sur  place  le  retour  de  l'inondation  pour  se  dégager. 
Du  milieu  d'avril  au  milieu  de  juin,  l'Egypte  ne  vit  plus  qu'à  moitié,  dans 
l'attente  du  Nil  nouveau1. 

Ces  eaux  rouges  et  lourdes,  qui  s'en  vont  et  reviennent  avec  une  régularité 
presque  mathématique,  lui  amènent  et  lui  laissent  la  dépouille  des  contrées 
qu'elles  ont  traversées,  les  sables  de  la  Nubie,  les  argiles  blanchâtres  de  la 
région  des  Lacs,  les  boues  ferrugineuses  de  l'Abyssinie  et  ses  roches  diverses*. 
Les  matières  n'y  sont  pas  disséminées  d'une  manière  uniforme  dans  toute  la 
masse  :  elles  s'y  répartissent  proportionnellement  à  leur  pesanteur  spécifique 
et  tombent  dès  que  la  vitesse  du  courant  tend  à  se  ralentir.  Les  galets  aplatis 
et  les  cailloux  roulés  s'arrêtent  au  sortir  de  la  cataracte,  entre  Syène  et 
Qénèh.  Les  particules  les  plus  grossières  du  sable  restent  suspendues  dans 
les  couches  profondes  et  servent  à  exhausser  le  lit,  ou  sont  charriées  jusqu'à 
la  mer  et  contribuent  à  l'accroissement  des  plages  qui  s'établissent  lente- 
ment aux  embouchures  de  Damiette  et  de  Rosette  ;  les  plus  fines  et  le 
limon  s'élèvent  jusque  dans  les  couches  superficielles  et  se  déposent  sur  les 
terres,  après  la  rupture  des  digues3.  Un  sol  qui  sort  tout  entier  du  fleuve,  et 

1.  Les  principales  phases  de  la  crue  sont  notées  principalement  d'après  le  rapport  très  détaillé 
qu'en  a  donné  Le  Pkrk,  Mémoire  sur  la  vallée  du  Nil  et  le  nilomèlrc  de  Vile  de  Iioudah,  dans  la 
Description  de  V Egypte,  t.   XVIII,  p.  555-645. 

2.  Les  anciens  racontaient  toutes  sortes  de  merveilles  sur  la  composition  des  eaux  du  Nil  et  sur 
leurs  propriétés  fécondantes.  L'analyse  en  a  été  faite  pour  la  première  fois  d'une  façon  scientifique 
par  Ukgnait,  Analyse  de  Ceau  du  Nil  et  de  quelques  eaux  salées,  dans  la  Décade  égyptienne,  t.  I, 
p.  261-271.  Le  résultat  des  recherches  les  plus  récentes  est  consigné,  à  grand  luxe  de  détails, 
dans  l'ouvrage  de  Chki.i  ,  te  Nil,  le  Soudan,  l'Egypte,  p.  177-17!». 

3.  Sur  la  nature  et  le  mécanisme  des  alluvions,  voir  P. -S.  Girard,  Observations  sur  la  vallée 
d'Egypte  et  sur  l'exhaussement  séculaire  du  sol  qui  la  recouvre,  dans  la  Description  de  V Egypte, 
t.  XIX,  p.  140  sqq.;et  aussi  Rozikrk,  De  la  constitution  physique  de  l'Egypte  et  de  ses  rapports  arec 
les  anciennes  institutions  de  cette  contrée,  daus  la  Description  de  l'Egypte,  t.  XX,  p.  328  sqq. 


PAUVRETÉ  DE  LA  FLORE.  27 

qui  en  est  envahi  périodiquement,  nourrit  nécessairement  une  flore  assez 
pauvre.  On  sait  qu'en  général  le  nombre  des  espèces  végétales  augmente  de 
degré  en  degré  à  mesure  qu'on  s'éloigne  des  pôles  pour  se  rapprocher  de 
l'équateur  :  on  reconnaît  aussi  que  l'Egypte  fait  exception  à  cette  règle. 
Elle  n'entretient  qu'un  millier  d'espèces  au  plus,  où  l'Angleterre,  par  exem- 
ple, en  possède  près  de  quinze  cents  à  surface  égale,  encore  la  plupart  n'y 
sont-elles  pas  indigènes1.  Le  fleuve  en  apporta  beaucoup  du  fond  de  l'Afrique; 
les  oiseaux  et  les  courants  de  l'atmosphère  ont  continué  l'œuvre  des  eaux, 
et  l'homme  lui-même  a  contribué  pour  sa  part  à  la  rendre  de  plus  en  plus 
complète*.  11  a  tiré  de  l'Asie,  à  diverses  époques,  le  froment,  l'orge,  l'olivier, 
le  pommier,  l'amandier  rose  ou  blanc,  et  vingt  autres  espèces  qui  sont 
acclimatées  aujourd'hui  aux  bords  du  Nil.  Les  plantes  de  marais  prédominent 
dans  le  Delta;  mais  le  papyrus  et  les  trois  variétés  de  lotus  bleu,  rose  et 
blanc,  qui  y  prospéraient  autrefois,  s'en  sont  retirés  presque  entièrement  et 
sont  revenus  à  leur  pays  d'origine,  dès  qu'on  a  cessé  de  les  cultiver8. 
Le  sycomore  et  le  dattier,  importés  l'un  et  l'autre  du  centre  de  l'Afrique 
même,  s'accommodent  mieux  de  leur  exil  et  se  sont  naturalisés  entièrement 
égyptiens.  Le  sycomore4  pousse  en  plein  sable,  à  la  lisière  du  désert,  aussi 
vigoureusement  qu'au  milieu  des  terres  arrosées  :  ses  racines  vont  chercher 
très  bas  les  eaux  qui  s'infiltrent  jusque  dans  les  gorges  de  la  montagne  et 
l'abreuvent  largement  même  aux  endroits  où  la  sécheresse  semble  régner 
sans  partage.  Son  tronc  lourd,  trapu,  tourmenté,  atteint  parfois  des  dimen- 

1.  Gay-Li:ssac,  Du  sol  égyptien,  dans  le  Bulletin  de  ï Institut  égyptien,  2*  sér.,  t.  II,  p.  221.  Raffe- 
neau-Delile  (Florae  JEgyptiacx  Illustrât  io,ânns  la  Description,  t.  XIX,  p.  69-114)  énuraère  1030  espèces. 
Wilkinson  (Manners  and  Cuttoms,  2*  éd.,  t.  II,  p.  403)  en  compte  environ  1  300,  dont  250  ne  se 
rencontrent  qu'au  désert,  ce  qui  nous  ramène  pour  l'Egypte  propre  au  chiffre  de  Delile  et  de  Gay- 
Lussac:  Ascherson  et  Schwcinfurth  (Illustration  de  la  Flore  d'Egypte,  dans  les  Mémoires  de  l'Institut 
égyptien,  t.  II,  p.  25-260)  en  ont  obtenu  récemment  1  260.  De  nouvelles  recherches  en  ont  porté 
le  nombre  à  I  313  (Schweinfirth,  Sur  la  Flore  des  anciens  jardins  arabes,  dans  le  Bulletin  de  l'In- 
stitut égyptien,  2*  sér.,  t.  VIII,  p.  331).  Coquebert  avait  déjà  été  frappé  de  la  pauvreté  de  la  flore 
égyptienne  comparée  à  celle  de  la  France  (Hé flexions  sur  quelques  points  de  comparaison  à  établir 
entre  les  plantes  d'Egypte  et  celles  de  France,  dans  la  Description  de  CEgypte,  t.  XIX,  p.  8-0). 

2.  A.  Raffeneau-Delile,  Mémoire  sur  les  plantes  qui  croissent  spontanément  en  Egypte,  dans  la 
Description  de  V Egypte,  t.  XIX,  p.  23  sqq.  :  Scrweinfurth,  Végétaux  cultivés  en  Egypte  et  qui  se  retrou- 
vent à  Vétat  spontané  dans  le  Soudan  et  dans  Vintérieur  de  Ï Afrique,  dans  le  Bulletin  de  l'Institut 
égyptien,  lr#  sér.,  t.  XII,  p.  200  sqq. 

3.  Sur  le  lotus  en  général,  voir  Raffenf.ai>Deui,fm  Flore  d'Egypte  (dans  la  D  scriplion,  t.  XIX,  p.  41 5- 
435)  et  F.  Wcesic,  Die  Pflanzen  im  AU  en  .Egyptcn,  p.  17-74.  Le  lotus  blanc,  Nymphœa  Lotus,  s'appe- 
lait soshini  en  égyptien  (Lorkt,  Sur  les  noms  égyptiens  du  lotus,  dans  le  Becueil  de  Travaux,  t.  I, 
p.  191-192,  et  la  Flore  pharaonique  d'après  les  documents  hiéroglyphiques  et  les  spécimens  découverts 
dans  les  tombes,  n°  129,  p.  53-55);  le  lotus  bleu,  Nymphsea  cserulea,  le  plus  fréquent  dans  les  tombeaux 
(ScftwEiNFURTH,  De  la  Flore  pharaonique,  dans  le  Bulletin  de  l'Institut  égyptien,  2*  sér.,  t.  III,  p.  60 
sqq.),  se  nommait  sarpedou  (Loret,  Sur  les  noms  égyptiens,  dans  le  Becueil  de  Travaux,  t.  I,  p.  194), 
et  le  lotus  rose,  nakhabou,  nahbou  (id.,  p.  192-193).  M.  Pleyte  (De  Egyptische.  Lotus,  p.  9)  pense 
que  cette  dernière  espèce  a  été  introduite  en  Egypte  assez  tard,  vers  l'époque  de  Darius  ctdeXerxès. 

4.  Les  matériaux  anciens  et  modernes  relatifs  au  sycomore  d'figypte  (nouhit,  nonhe)  ont  été  réunis 
assez  complètement  par  F.  Wuknh;,  Die  Pflamru  im  Allen  Mgyplen,  p.  280-292. 


48  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

fiions  colossales,  sans  jamais  monter  bien  haut;  son  feuillage,  compact  et 
divisé  en  masses  globuleuses,  s'étend  si  loin,  qu'un  seul  pied  peut  donner  à 
distance  l'impression  de  plusieurs  arbres  réunis;  son   ombre  est   dense  et 


impénétrable  au  soleil.  Le  dattier  présente  avec  le  sycomore  un  contraste 
frappant*.  Son  tronc,  svelte  et  rond,  s'élance  d'un  seul  jet  à  12  ou  15  mètres 
de  hauteur;  sa  tète  se  couronne  d'un  bouquet  de  feuilles  flexibles,  disposées 
sur  deux  ou  trois  rangs,  mais  si  maigres,  si  impitoyablement  découpées, 
qu'elles  n'interceptent  point  la  lumière  et  projettent  une  ombre  grêle  et  sans 
fraîcheur;  peu  d'arbres  ont  le  port  aussi  élégant,  mais  peu  l'ont  d'une 
élégance  aussi  monotone.  Où  qu'on  tourne  les  yeux,  les  palmiers  sont  partout 
en  Egypte,  isolés,  assemblés  par  deux  ou  par  trois  à  l'entrée  des  ravins, 
autour  des  villages,  le  long  des  berges,  alignés  en  files  régulières,  comme 
des  rangées  de  colonnes,  plantés  symétriquement  en  forets  claires  :  ils  for- 
ment le  fond  toujours  le  même  sur  lequel  les  autres  arbres  se  groupent 
en  proportions  diverses  pour    varier   le  paysage.  Le  lin    lamarisque*  et  le 

I .  Dessin  de  llvudiei ,  d'après  une  photographie  d'Iminger,  priât  en  1881. 

4.  A.  IUmissac-Delile,  Flore  d'Egypte,  clans  la  Description  de  VÈgypte,  t.  XX.  p.  U5-448.  Les 
ÊgypticuB  nommaient  le  dattier  bainmiril,  baouuit  {Lowit,  Étude  sur  quelques  arbres  égyptiens, 
dans   le  Recueil  de  Travaux,  t.  Il,  p.  Î1-Ï6). 

3.  Le  nom  égyptien  du  lamarisque,  a  tari,  atri,  est  identique  aux  noms  que  les  languei  sémitique» 
anciennes    ou  moderne*  donnaient  il  cet  orhro  (l.oKtr,  la  Flore  pharaouir/iie,  n*  88,  p.  88);  on   peut 


si 

S    s. 

5» 
il 

■1 
t* 

3  f 


30  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

nabéca1,  le  moringa*  et  le  caroubier5,  plusieurs  variétés  d'acacias  et  de 
mimosas,  le  sont*,  l'habbas5,  l'acacia  blanchâtre6,  l'acacia  farnesiana7,  le 
grenadier8,  se  multiplient  à  mesure  qu'on  s'éloigne  de  la  Méditerranée  : 
l'atmosphère  sèche  de  la  vallée  leur  convient  à  merveille,  mais  donne  à 
leur  feuillage  un  tissu  fibreux  et  coriace,  une  allure  aérienne  et  des  teintes 
pâlies  qu'on  ne  leur  connaissait  pas  sous  d'autres  climats9.  La  plupart  ne 
se  reproduisent  pas  spontanément,  et  tendent  à  disparaître  dès  qu'on  les 
néglige.  L'acacia  séyyâl*0,  jadis  abondant  aux  bords  du  fleuve,  s'est  réfugié 
presque  entièrement  dans  quelques  vallées  du  désert  thébain,  avec  une 
variété  de   doum   à  noyau !i  dont  les  anciens  Égyptiens  nous  ont  laissé  la 

donc  se  demander  s'il  n'est  pas  originaire  d'Asie.  En  ce  cas,  il  aurait  été  importé  en  Egypte  dès  une 
très  haute  antiquité,  car  il  ligure  dans  les  textes  des  Pyramides.  Les  briques  en  limon  du  Nil  et  les 
tombeaux  memphites  ou  thébains  nous  ont  rendu  des  feuilles,  des  brindilles  et  même  des  bran- 
ches entières  de  tamarisque  (Schwkinfi  rth,  les  Dernières  Découvertes  botaniques  dans  les  anciens  tom- 
beaux de  l'Egypte,  dans  le  Bulletin  de  V Institut  égyptien,  2*  sér.,  t.  VI,  p.  283). 

1.  Le  nabéca  ou  nabk,  Zizyphus  Spina  Ch ri sli  Desf.  est  le  noubsou  des  vieilles  listes  égyptiennes 
(Lorkt,  la  Flore  pharaonique,  na  112,  p.  41-45;  DCmiches,  dans  Moi.de.nkk,  Ueber  die  in  all-JEgyptischen 
Texten  erivâhnten  Baume,  p.-  108-109,  note;  Maspero,  Notes  au  jour  le  jour,  §  12,  dans  les  Pro- 
ceedings  of  the  Society  of  Biblical  Archœology,  1890-1891,  t.  XIII,  p.  496-501);  on  en  a  trouvé  des 
fruits  ou  du  bois  dans  les  tombes,  surtout  dans  celles  de  la  XX*  dynastie  (Schweinfi  rth,  tes  Dernières 
Découvertes,  dans  le  Bulletin  de  l'Institut  égyptien,  2'  sér.,  t.  VI,  p.  260). 

2.  Le  Moringa  aptera,  qui  produit  l'huile  de  ben,  le  myrobalan  des  anciens,  s'appelait  bdkou,  et  son 
huile  est  déjà  mentionnée  dans  des  textes  très  anciens  (Lorkt,  Heeherches  sur  plusieurs  plantes 
connues  des  anciens  Égyptiens,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  VII,  p.  103-106,  et  la  Flore  pha- 
raonique, n°  95,  p.  39-40).  Sur  sa  présence  dans  les  tombeaux  thébains,  voir  Schweinfurth,  les 
Dernières  Découvertes  botaniques,  dans  le  Bulletin  de  V Institut  égyptien,  2*  sér.,  t.  VI,  p.  270. 

3.  Le  caroubier,  Ceratonia  siliqua,  s'appelait  dounraga,  tenraka  (Loret,  la  Flore  pharaonique, 
n°  96,  p.  40,  et  Becueil  de  Travaux,  t.  XV,  p.  126-130).  Unger(0t>  Pflanzen  des  Alt  en  Algyplcns, 
p.  132)  pensait  en  avoir  retrouvé  des  restes  dans  les  tombeaux  égyptiens,  mais  Schweinfurth  (Sur 
la  Flore  des  anciens  jardins  arabes  tfÉgyptc,  dans  le  Bulletin  de  l  Institut  égyptien,  2e  sér.,  t.  VIII, 
p.  306,  334-335)  n'admet  pas  le  témoignage  d'Unger. 

4.  Le  sont,  en  ancien  égyptien,  sliondou,  shonti,  est  identifié  depuis  longtemps  avec  Y  Acacia  flï/«- 
tica  Del.  :  on  en  trouvera  l'histoire  dans  le  mémoire  de  Schwkinfi:rth,  Aufzahlung  und  Bcschrcibung 
der  Acacia-Arten  des  Nil-Gebietst  dans  la  Linnsea,  XXXV  (Neue  Folge  I),  p.  333-334. 

5.  Mimosa  habbas,  A.  Raffkneau-Dkmle,  Florse  Aïgyptiacse  Illustratio,  dans  la  Description  de 
l'Egypte,  t.  XIX,  p.  111. 

6.  V Acacia  albida  est  encore  assez  fréquent  sur  l'ancien  emplacement  de  Thèbes,  du  côté  de 
Médinet-Habou  (Wh.kinson,  Manners  and  Customs,  2"  éd.,  t.  II,  p.  405,  note  2). 

7.  C'est  l'acacia  à  grappes  de  fleurs  jaunes  odorantes  et  légères  qu'on  appelle  la  cassie  dans  le 
midi  de  la  France  :  il  est  commun  aujourd'hui  dans  toute  la  vallée.  Loret  pense  que  ses  graines  che- 
velues s'appelaient pirshonou  et  senuârou  (le  Kyphi,  parfum  sacré  des  anciens  Egyptiens,  p.  52-54, 
et  la  Flore  pharaonique,  n°  94,  p.  39);  mais  l'arbre  existait-il  dans  l'Egypte  pharaonique? 

8.  Le  grenadier  ne  parait  pas  sur  les  monuments  égyptiens  avant  la  XVIIIe  dynastie  :  peut-être 
a-t-il  été  introduit  en  Egypte  vers  cette  époque.  Il  est  représenté  quelquefois  (Champollion,  Monuments, 
pi.  CLXXIV;  Lkpsiis,  De n km.,  III,  48)  et  des  fleurs  en  ont  été  découvertes  dans  plusieurs  tombeaux 
thébains  (S<:hwkisfirth,  les  Dernières  Découvertes  botaniques,  dans  le  Bulletin  de  l'Institut  égyptien, 
2"  sér.,  t.  VI,  p.  268).  Le  nom  égyptien  anhrama,  anhramon,  a  été  retrouvé  à  la  fois  par  Loret 
(Heeherches  sur  plusieurs  plantes  connues  des  anciens  Egyptiens,  dans  le  Becueil,  t.  VU,  p.  108-111) 
et  par  Moldenke  (Anrhemcn,  Pomegranate-Tree,  dans  les  Éludes  archéologiques  dédiées  à  M.  Lee- 
mans,  p.  17-18,  et  Ueber  die  in  den  altâgyptischen  Texten  erivâhnten  Baume,  p.  114-115). 

9.  A.  Baffknkai-Dki.ilk,  Mémoire  sur  les  plantes  qui  croissent  spontanément  en  Egypte,  dans  la  Des- 
cription de  V Egypte,  t.  XIX,  p.  35-36. 

10.  L'acacia  séyyAl  est  probablement  Vas  hou  des  anciens  textes  (Lorkt,  1rs  Arbres  ash,  sib  et  shent, 
dans  le  Becueil  de  Travaux,  t.  II,  p.  60  sqq.,  et  la  Flore  pharaonique,  n°  93,  p.  39;  Moldenke,  Ueber 
die  in  altâgyptischen  Texten  erwâhnlcn  Baume,  p.  87-92). 

11.  C'est  Yllyphiene  Argûn  Mart.  ou  Medemia  Argun  Hook.,  nommé  par  les  anciens  Marna  ni  kha- 
nini  ou  doum  à  noyaux  (Loret,  Etude  sur  quelques  arbres  égyptiens,  dans  le  Becueil,  t.  Il,  p.  21-26, 
et  la  Flore  pharaonique,  n°  29,  p.  16:  Moi.dknkk.   Ueber  die   in  altâgyptischen    Texten   erwâhnten 


LES  ACACIAS,   LE  l'ALMIEK   DO  UN. 


description  poétique'.  Le  doum  ordinaire1  se  sépare,  à  8  ou  10  mètres  du 
sol,  en  deux  branches,  qui  en  produisent  elles-mêmes  deux  autres,  et  se 
terminent  par  des  faisceaux  de  vingt  à  trente  feuilles  palmées,  ligneuses, 
longues  de  2  mètres  ou  2  mètres  et  demi  :  commun  dans  la  Haute-Egypte 
au  commencement  du  siècle,  il  y  devient  rare,  et  l'on  prévoit  le  moment  où 
il  ne  se  rencontrera  plus  que  par  exception  au  nord  de  la  première  cataracte. 
Les  saules'  diminuent  en  nombre,  et  le  perséa*,  qui  était  un  des  arbres 
sacrés  de  l'antique  Egypte,  n'existe  plus  qu'isolé  dans  quelques  jardins. 
Aucune  des  essences  qui  restent  n'est  assez  commune  pour  former  des  bois 
de  grande  étendue,  et  l'Egypte,  réduite  à  ses  futaies  de  dattiers,  présente  cette 

Baume,  p.  71-73).  Quelques  fruits  en  ont  Été  retrouvai  dan»  le*  tombeau*  tbébains  [Uwui,  Bie 
Pflanien  de»  Altrn  Aigyptens,  p.  KIT;  StMwturtiitH,  Veber  l'flanzcni-nte  au*  altàgyptUchen  Gra- 
bern,   dan»  lei  lierichte  der  BeuHchcn  Botanilchen  Getellichafl,  IK8I,  p.  ÏI.U). 

1.  Daiin  de  Boudier,  daprè*  une  photographie  d'Intingcr,  prise  en  tHHA. 

1.  l'appui  Solfier  I,  pi.  VIII,  I.  1-j. 

3.  Le  nom  égyptien  dii  doum  {llyphmie  Thcbaiea  Minr.]  est  marna  et  son  fruit  s'appelle  le 
gougou  (Lnurr,  Etude  *ur  guelguei  arbre*  égyptien*,  dans  le  llerueil  de  Travait-r,  t.  II,  SI -M),  [.'arbre 
lui-même  a  été  décrit  Ira»  complètement  par  H  m  km;  il-Dklii.>;,  Drtcription  du  palmier-doum  de 
la  Haute  Egypte  ou  l'.urifcra  Thebaira,  dans  la  Description  île  l'Egypte.  I.  XX,  p.  Il  sqq. 

■t.  Tarit,  tore  en  anrïen  égyptien  (Lu*ht,  la  flore  pharaon ig ne,  u°  lî,  p.  -±\\),  aujourd'hui  Salix 
ta  frit  f  Fors».  :  ses  feuille*  servaient  à  fabriquer  les  guirlandes  funéraires  qu'on  retrouve  en  grand 
nombre  dan»  les  tombeau*  thebains  des  XVIII'XX'  dynasties  (Schummuuth,  Veber  l-flamenrcite  au* 
allâgyptitc.hen  Grâberii,  dans  les  Berirhte  der  D.  Ilot.  Ces.,  Itmi,  p.  :«fl). 

j.  Le  perséa,  thaouaba  en  ancien  égyptien,  avait  été  identifié  avec  la  liaianite*  .-Egy/itiara  Dix.,  le 
tebakhdp.s  auteur»  arabesdu  moyeu  âge,  par  Hinfini-l'Fi.ii.E,  Flore  d'Egypte,  dans  la  Description^.  XIX, 
p.  -..'ûLS-iKll  ;  Shltiiim-l&ith  i.iel/er  l'fîanïenrcntc,  p.  Si)  ila  montré  ipie  r'i'lait  le  Minimn/i*  Schimperi  IIothst. 


32  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

singularité  d'une    vaste  contrée   où   les  arbres   ne   manquent  point,   et  qui 
pourtant  est  presque  sans  ombrages1. 
Pays  de  transition  pour  la  flore,  l'hgypte  l'est  également  pour  la  faune  : 
toutes  ses  espèces  animales  lui  ont 
été  fournies  parles  contrées  envi- 
ronnantes.   Quelques-unes  d'entre 
elles,  le  cheval*  et  le  chameau*  par 
exemple,     ne     s'y     implantèrent 
qu'à  une  époque  relativement  ré- 
cente, le  cheval  vers  le  x\*ou  vers 
le  xviii*  siècle  avant  notre  ère,  le 
chameau  plus  tard  encore.  Le  plus 
grand  nombre  sont  d'origine  afri- 
l'Inine  rt  sos  isos*.  caine  comme  les  végétales,  bœufs 

à  longues  cornes  et  à  cornes  cour- 
tes, variétés  de  chèvres  ou  de  chiens*  :  l'âne  surtout  y  garde  une  pureté 
de  formes  et  une  vigueur  que  notre  baudet  d'Europe  ne  connaît  plus".  Le 
porc  et  le  sanglier7,  le  lièvre  à  longues  oreilles,  le  hérisson,  l'ichneumon*.  le 

I,  RoiikKK,  fie  la  constitution  physique  de  VKgyjite,  dans  la  Description  de  r  Egypte,  t.  \\,  p.  iSO-iRI. 

i.  Les  fait*  relatifs  à  l'histoire  ilu  cheval  en  Egypte  ont  été  exposés  pour  la  première  Ibis  à  rua 
connaissance  par  I'mssf.  u'Ayenniis,  fies  Chevaux  chez  le»  ancien»  Egyptien»,  dans  Pin  «01,  Alwu-ltekr 
ibn  Bedr  le  Kaçeri,  la  Perfection  det  deux  art»  ou  Traité  d'hippiatrique,  ISIii.  t.  I,  p.  H8  sqq.  Repro- 
duits par  Vu.  I.niiiui,  Kola  sur  un  voyage  en  Egypte,  IK"II,  p.  ï-t,  ils  ont  île  combattue  par 
CH.inii,  Elude»  *ur  r Antiquité  hittarique,  î*  édil..  p.  Kl  sqq.p  mais  sans  Buccès.  M,  Lf.f«>ike  [Sur 
l'Ancienneté'  du  cheval  en  Egypte,  dans  l'Annuaire  de  ta  Faculté,  de»  lettre»  de  Lyon,  î"  année. 
p.  l-li,  cl  te  Soui  du  chrral,  dans  les  l'roeeedings  de  la  Sociélé  d'Archéologie  biblique.  ISJTMSWI, 
t.  XII.  p.  .it!Mr><>)  si  essayé  depuis,  mai-  eaus  mieux  réussir,  de  montrer  que  le  cheval  était  connu  en 
figyplc  nous  la  XII*  dynastie  cl  même  aux  temps  antérieurs.  Los  renReiRnement»  le*  plus  complcls 
sur  l'histoire  du  cheval  en  fcgypto  sont  réunis  dans  l'ouvrage  de  C.-A.  Pi*tkb«o7,  le»  Chevaux 
dan»  le»  temps  préhiitoriques  et  historiques,  JHH3,  p.  15U  sqq. 

ï.  Le  chameau  n'est  pu*  m  présenté  sur  les  monuments  égyptiens  avant  l'époque  saite:  il  êlail  cer- 
tainement inroiiim  pendant  les  siècles  qui  ont  précédé.  Les  textes  où  M.  Chjbis  (Eludes  »ur  l'auti- 
guilf  hiiloriipic,  4"  éd.,  p.  397  sqq.;  cf.  W.  lluif.BMN,  Was  Ihe  Carnet  knoion  to  the  Ancieut  Egyp- 
tiaiuf  dans  les  Proeeeding*.  1HB!>-1H!M>,  t.  XII.  p.  Sl-Hl)  avait  cru  reconnaître  son  nom  sonl 
traduits  incorrecte  ment,  ou  s'appliquent  à  d'iulres  animaux,  peut-être  aux.  mulcls. 

1.  Destin  de  Fattchcr-Gudin,  d'après  une  photographie  de  Ditmor.x,  Hesuttale  der  l'hatographisch- 
Anhirologi'chen  Expédition,  t.   tl.  pi.  X.  Iji  scéneett  empruntée  au  tombeau  de  Ti. 

5.  V».  LiMiimir,  Sur  le»  animaux  employé*  pae  tes  ancien»  Égyptiens  à  la  chatte  et  à  la  guerre, 
IH7I1.   I™  cl  i'  notes,  reproduite"  dans  le  premier  volume  des  Première*  Civilisation». 

fi.  r>.  Lf.nmix.uit,  Sur  l'antiquité'  de  l'une  et  du  cheval,  dans  ses  Kote»  sur  un  voyage  en  Egypte, 
p.  î-i.  L'origine  alricainc  de  l'ànu  a  été  mise  en  lumière  pour  la  première  lois  par  11.  Hiloe  Rduards 
dans  le»  Compte»  rendu»  de  l'Académie  de»  science»,  IHliil,  l.  I.XIX,  p.  liSS. 

1,  Le  porc  est  assez,  rarement  représenté  sur  les  monuments  égyptiens.  Fa.  LtNOIWiNT  {Sur  l'intro- 
duction et  la  damextùité  du  porc  e/irs  tes  ancien»  Egyptiens,  p.  j)  ne  croyait  pas  qu'il  frtl  connu  sous 
les  premières  dynasties  :  on  en  trouve  pourtant  quelques  exemples  caractéristiques  dès  la  IV" 
(LtfS1l!«,  llenkm..  Il,   ïi.  Pitbif.,  Medum,  p.  3'}  et  pi,  \\i). 

H.  Sur  la  coin pa raison  des  espèces  animales  anciennes  avec  les  modernes  de  l'Egypte,  je  ne 
connais  que  deux  mémoires  d'ensemble,  l'un  de  Itosellini  (Monument!  civili.  t.  1,  p.  ÏUi-iïn), 
l'autre  de  II.  lia  rt  m  a  il  il  (l'eriuch  eince  tyslemalisrhen  Auf-.âhlung  der  von  der  allai  Agyptcrn 
tiildlich  dargestelllcn    Thiere.  mit  Riichticlit  auf  die   heulige  Fauna  des  Kilgebietes,  dans   11  Zeit- 


LES  SEKPENTS,   LliK/EUS.  33 

mouflon  à   manehettes,    une   quantité   innombrable  île    gazelles,    algazelles, 
défassas,  antilopes  à  cornes  en  formes  de  lyre,  appartiennent  aussi  bien  à 
l'Asie  occidentale  qu'à  l'Afrique,  c 
taille  auxquels  ils  servent  de  pà 
loup,  le  chacal,  l'hyène  striée  et 
l'once,  le  guépard,  le  lion  enfin 
des   serpents  grands  et  petits  s 
quelques-uns  innocents,  comme 
meux,   la  scytale,  le  céraste,    la 
vipère  hajé,  l'aspic.  C'est  ce  der- 
nier que    les   Égyptiens   appe- 
laient  uraeus*,   et   qu'ils   ado- 
raient. 11  atteint  parfois  jusqu'à 
2  mètres  de  longueur  :  dès  qu'on 
s'approche  de  lui,  il  dresse  la  têt" 
et  gonfle  le  cou,  prêt  à  s'élan- 
cer. Sa  morsure  tue,  comme 
celle  du  céraste  :  les  oiseaux 

tombent  littéralement  foudroyéspar  L>Miw  B.^pjf  Lnïfi(,  rmt  l-mwi* 

la  puissance  du  venin,    les  grands 

mammifères  et  l'homme  finissent  le  plus  souvent  par  succomber  après  une 
agonie  plus  ou  moins  longue*.  L'urœus  ne  se  rencontre  guère  qu'au  désert 
ou  dans  les  champs  :  le  scorpion  se  glisse  partout  du  désert  à  la  ville,  et  si  la 
piqûre  n'entraîne  pas  ordinairement  la  mort,  elle  cause  toujours  des  douleurs 
insupportables.  Il  est  probable  que  l'Egypte  nourrissait  autrefois  plusieurs 
genres  de  serpents  gigantesques,  analogues  aux  pythons  de  l'Afrique  équa- 
toriale.  On  les  voit  représentés  encore  dans  les  tableaux  funéraires,  mais 
on  ne  les  voit  que  là*  :  ils  avaient  disparu,  dès  l'époque  historique,  comme 

trhrift,  1861,  p.  7-14,  10-48),  plus  une  note  trop  brève  de  Mariette  dan»  le  llutleliii  <tr  ï Institut 
égyptien.  1"  série,  t.  XIV.  |j,  B7-66. 

I.  1,'ichne union  N'appelai!  khatournu,  klmtoul,  shntonl,  en  égyptien  (LrftfïiHE,  le  Soin  égyptien  de 
i'ichneumon,  dans  tes  Proeeediugi  de  In  Sociale  d'Archéologie  biblique,  18Bi-IH8'>,  t.  VII.  p.  1!I8-IÏU). 

t.  Aottrûit,  aurait,  transcrit  en  j-rec  Ûjpaîoî  (IIomwiluw,  Ilieroglgpkica,  liv.  1,  $  '■  éd. 
Lee  mis,  p.  t). 

».  Derfin  de  Fauc/ier-Ciudin.  d'après  la  Description  de  V Egypte,  HKrTii.ts-Si'PM.iiiiENT,  pi.  III. 

Â.  Les  serpents  venimeux  de  l'Egypte  ont  été  démis  par  Isiileiro  (irolTro) -Sa ml-lli luire  dans  la 
Jseteription,  t.  XXIV.  p.  77-9B.  Les  effets  de  leur  venin  ont  été  étudiés  par  le  W  P«ni:ikm,  Ksperiense 
mtorni)  agti  ejfrlti  del  retenu  delta  Saja  EgUiana  e  drlle  Ceraitr.  Waples,  1873,  aiu'i  i|iie  dans  le 
Bulletin  de  Vtnttitut  égyptien,  I™  série,  t.  XII,  p.  187-1113.  et  I.  XIII,  p.  8H-D2. 

5.  Ainsi  dans  le  Livre  des  Morl«  (\iyillk,  Todtenbuch,  1. 1,  pi.  LIV,  el  F.inleitung,  p.  IHk)  et  dans  les 
compositions  mythologiques  des  tombes  royales  théhairips  (l.tftum,  le  Tombeau  de  Séti  I",  dans  les 
Mémoire»  de  la  Million  du  Caire,  t.  Il,  f  part.,  pi.  X.  XL-XLI,  XI.III,  etc.).  L-exartitudc  avec  laquelle 


H4  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

l'éléphant,  comme  la  girafe1,  comme  d'autres  animaux  qui  ne  prospèrent 
plus  aujourd'hui  que  bien  loin  vers  le  sud.  L'hippopotame  a  résisté  longtemps 
avant  de  retourner  aux  régions  équatoriales  d'où  le  Nil  l'avait  apporté  :  il 
était  fréquent  sous  les  premières  dynasties,  mais  il  se  retira  dans  les  marais 
du  Delta  et  s'y  maintenait  en  nombre  au  xme  siècle  de  notre  ère  *.  Les  croco- 
diles,  qui  étaient  venus  avec  lui,  comme  lui  sont  obligés  de  battre  en  retraite. 
Maîtres  du  fleuve  pendant  toute  la  durée  des  temps  antiques,  adorés  et  pro- 
tégés dans  certains  cantons,  exécrés  et  proscrits  dans  d'autres,  on  les  aperce- 
vait rarement  au  voisinage  du  Caire  vers  le  commencement  de  notre  siècle3. 
En  1840,  ils  ne  dépassaient  déjà  plus  les  parages  du  Gebel  et-Téîr4,  en  1849, 
ceux  de  Manfalout5.  Trente  ans  plus  tard,  Mariette  constatait  qu'ils  émigrent 
de  plus  en  plus,  pour  fuir  les  coups  de  fusil  des  touristes  et  l'agitation  que  le 
passage  régulier  des  bateaux  à  vapeur0  produit  dans  les  eaux  profondes. 
Aujourd'hui,  on  n'en  connaît  plus  qui  soient  établis  en  deçà  d'Assouàn,  mais 
ils  continuent  d'infester  la  Nubie  et  les  rochers  de  la  première  cataracte7  : 
parfois  l'un  d'eux  se  laisse  emporter  au  courant  et  dérive  jusqu'en  Egypte,  où 
il  ne  tarde  pas  à  être  tué  par  les  fellahs  ou  par  quelque  voyageur  en  quête 
d'aventures.  La  fertilité  du  sol8,  l'immensité  des  lacs  et  des  marécages  attirent 

les  détails  caractéristiques  de  certaines  espèces  sont  figurés  montre  que  les  Égyptiens  avaient  vu 
eux-mêmes  les  serpents  monstrueux  qu'ils  reproduisaient  (Maspkro,  Etudes  de  Mythologie  égyptienne, 
t.  I,  p.  32,  n.  3;  cf.  la  Bévue  de  l'Histoire  des  religions,  t.  XV,  p.  296). 

i.  Le  signe  de  l'éléphant  sert  à  écrire  le  nom  Abou  de  la  ville  et  de  l'ilc  d'Élépbantine  dans  le» 
textes  de  la  Va  et  de  la  VI*  dynastie  (Inscription  d'Ouni,  1.  38,  dans  Mariette,  Abydos,  t.  II,  pi.  48; 
cf.  Schiaparflli,  Una  Tomba  Egisiana  inédit  a  delta  VI9  Dinastia,  p.  23,  1.  5);  dès  cette  époque,  il  est 
ussez  maladroitement  ligure  pour  qu'on  soit  autorisé  à  penser  que  les  gens  d'Assouàn  ne  voyaient 
plus  la  béte  que  rarement.  Le  signe  de  la  girafe  apparaît  comme  syllabique  ou  comme  déterminatit 
dans  plusieurs  mots  qui  ont  le   son  sarou,  sorou. 

2.  Silvkstrk  de  Sacy,  Relation  de  V Egypte  par  Abd-Allatif,  p.  143-145,  165-1 60.  Le  consul  de 
France,  Du  Maillet,  signale  encore  la  présence  d'un  de  ces  animaux  près  de  Damiette,  au  commence- 
ment du  x v  1 1 1°  siècle  (Le  Mascrier,  Description  de  CÉgypte,  p.  31*).  Burckhardt  (Travels  in  Nubia, 
p.  62)  raconte  qu'en  1812,  un  troupeau  d'hippopotames  franchit  la  seconde  cataracte  et  passa  à 
Ouady-Ilalfah  et  à  Dcrr;  l'un  d'eux,  entraîné  par  le  courant,  descendit  les  rapides  d'Assouàn  et  fut 
encore  vu  à  Deraou,  à  une  journée  de  marche  au  nord  de  la  première  cataracte. 

3.  Isidore  Geoffroy  Saint-IIilaire  affirmait  peu  après  qu'«  il  n'en  existe  plus  présentement  dans  les 
cent  lieues  de  longueur  du  Nil  inférieur;  il  faut  remonter  jusqu'à  Thcbes  pour  en  apercevoir  ». 
[Description  des  crocodiles  d'Egypte  dans  la  Description  de  l'Egypte,  t.  XXIV,  p.  408).  Il  se  trompait, 
comme  le  prouve  le  témoignage  d'une  demi-douzaine  de  voyageurs  plus  récents. 

4.  Marmont  les  y  signalait  encore,  à  cette  date,  dans  le  voisinage  immédiat  du  Courent  de  la  Pou- 
lie (Voyages  du  duc  de  Raguse,  t.  IV,  p.  il). 

5.  Baylk  Sunt-John,  Village  Life  in  Egypt  with  skelches  of  the  Said,  t.  I,  p.  268.  On  trouvera 
dans  Maxime  Di  Camp,  le  Nil,  p.  108,  une  légende  arabe  qui  prétend  expliquer  (vers  1849)  pourquoi  les 
crocodiles  ne  peuvent  descendre  au  delà  de  Shétkh-Abadéh  :  celle  que  cite  Baylc  Saint-John  a  pour 
objet  de  montrer  pourquoi  ils  se  maintiennent  entre  Manfalout  et  Siout. 

6.  Mariette,  Itinéraire  des  invités  aux  fêtes  de  l'inauguration  du  canal  de  Suez,  186Î),   p.  175. 

7.  J'en  ai  encore  vu  plusieurs  en  1883,  étendus  sur  un  banc  de  sable,  à  quelques  centaines  demi-très 
de  la  pointe  méridionale  de  l'Ile  d'Éléphantine.  La  même  année,  les  passeurs  de  la  cataracte  en 
avaient  pris  deux,  qu'ils  oiïraient  vivants  encore  en  vente  aux  voyageurs. 

8.  Les  oiseaux  de  l'Egypte  moderne  ont  été  décrits  par  J.-O.  Savicny,  Système  des  oiseaux  de  C Egypte 
et  de  la  Syrie,  dans  la  Description  de  l'Egypte,  t.  XXIII,  p.  221  sqq.  Rosellini  a  réuni,  sur  les  plan- 
ches VII-X1V  de  ses  Monument  1  civili,  un  assez  grand  nombre  de  figures  d'oiseaux,  copiées  dans 
les  tombeaux  de  Thèbes  et  de  Déni-Hassan  (cf.  le  texte  dans  le  t.  I  des  Monumenti  civili,  p.  146-190). 


LES  OISEAUX.  35 

quantité  d'oiseaux  erratiques,  de  passereaux,  de  palmipèdes  qui  s'y  donnent 
rendez-vous  de  tous  les  points  de  la  Méditerranée  :  nos  hirondelles  d'Europe, 
nos  cailles,  nos  oies  et  nos- canards   sauvages,  nos  hérons,  pour  ne  citer  que 
les  plus  connus,  y  viennent  passer  l'hiv 
l'abri  du  froid  et  des  intempéries.  Et  la 
plupart  des  espèces  sédentaires  ne 
sont,  à  vrai  dire,  que  des  étrangers 
acclimatés  par  un  long  séjour.  Les  unes 
fondent  avec  nos  races  européennes,  1; 
terelle,  la  pie,  le  martin-pécheur,  la  p 
le  moineau;  les  autres  trahissent  par 
cité  de  leurs  couleurs  leur  origine  équa 
ibis  blancs  et  noirs',   les  flamants  rose 
les  cormorans  égayent  les  eaux  du  fleuv 
fourrés  du  Delta  de  leurs  variétés  infir 
rangés  en   longues   files   sur   les   banc 
sable,   péchant  et  digérant  au   soleil  : 
dain,  une  panique  s'empare  de  la  band 

s'enlève  lourdement  et  va  se  poser  plus  loin.  L-lva  t'fcmii, 

L'aigle  et  le  faucon,  le  milan,   le  vautour  à 

tète  chauve,  l'émouchet,  l'épervier  doré  trouvent  dans  les  creux  de  la 
montagne  des  retraites  inaccessibles  d'où  ils  fondent  sur  la  plaine,  comme 
autant  de  barons  pillards  et  puissamment  armés.  Mille  petits  oiseaux  babil- 
lards viennent  le  soir  percher  en  bandes  sur  les  branches  grêles  des  acacias 
et  des  tamarisques.  Beaucoup  de  poissons  de  mer  montent  frayer  en  eau 
douce,  les  dupées,  les  mugils,  les  perches,  le  labre,  et  poussent  leurs 
excursions  très  haut  dans  le  Saïd1.  Les  espèces  qui  ne  sortent  pas  de  la 
Méditerranée  sont  arrivées  du  fond  de  l'Ethiopie,  et  en  arrivent  encore  chaque 
année  avec  la  crue,  le  raschal,  le  rai,  la  tortue  molle,    le  doemac,  les  mor- 

l.oret  a  proposé  quelques  identilications  fort  ingénieuses  cnlrc  les  nom»  graves  sur  les  monu- 
ments anciens,  et  diverses  espèces  modernes  {Piolet  tur  la  Faune  pharaonique,  dans  la  Zcitichrift, 
I.  XXX,  p.  M-30). 

1.  Les  faits  relatifs  à  l'ibis  ont  été  recueillis  par  CutIu,  Mémoire  lur  l'ibit  dei  ancien'  Egyptien*. 
dans  les  Annalei  du  Mutéum  d'hitlaire  naturelle,  180*.  t.  IV,  p.  lift  sqq.,  et  par  J.-C.  Saihhii,  Jlit- 
loire  naturelle  et  mythologique  de  l'ibit,  dont  un  extrait  est  reproduit  dans  la  Description  de  l'Egypte. 
t.  XXIII,  p.  435  sqq.  On  pense  qu'une  des  espèces  antiques  a  disparu  de  l'Egypte  et  ne  se  rencontre 
plus  que  vers  les  régions  du  Ilaut-MI;  il  se  pourrait  qu'il  en  subsistât  quelques  familles  dans  les 
grands  fourrés  d'eau  qui  encombrent  la  partie  occidentale  du  lac  Memaléh. 

t.  Bénin  de  Faueker-Gudin,  d'aprtt  la  Commiition  d'Egypte,  Oisbiui,  pi.  Vil,  1. 

3.  HitiovoTi,  11,  ICIU,  dont  Isidore  CeofTmv  Rilnt-lllliire  a  corrigé  les  erreurs  dans  la  Deirrîptioa 
de  l'Egypte.  I.  XXIV.  p.  ISS. 


3<i  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

myres'.   Plusieurs  atteignent   une  taille   gigantesque,   le  bayad  et  la  tortue' 
près  de  1  mètre,  le  latus  jusqu'à  3  mètres1;  d'autres  se  distinguent  par  leurs 


propriétés  électriques,  comme  le  silure  trembleur*.  La  nature  semble  avoir 

créé  le  fahaka  dans  un  moment  de  bonne  humeur.  C'est  un  poisson  allongé, 

"ui  naît  au  delà  des  cataractes. 

Le  Nil  l'entraîne  d'autant  plus 

fc      aisément  qu'il  a  la  faculté 

de  s'emplir  d'air  et   de  se 

gonfler  à  volonté  :  quand  il  est 

;ndu  outre  mesure,    il  bascule 

LB  tiBAtl  et  file  à  la  dérive,  le  ventre  au  vent 

et  tout  semé  d'épines  qui  lui  prêtent 

l'apparence   d'un   hérisson.    Pendant    l'inondation,    il     roule    de    canal   en 

canal  au  gré  du  courant;    les  eaux  en   se  retirant   l'abandonnent  dans  les 

champs  limoneux,  où  il  devient  la  proie  des  oiseaux  ou  des  chacals  et  sert 

de  jouet  aux  enfants1. 

Tout  se  règle  donc  sur  le  fleuve,  le  sol,  ses  productions,  l'espèce  des 
animaux  qu'il  porte  et  des  oiseaux  qu'il  nourrit  :  les  Egyptiens  l'avaient 
rangé  au  nombre  de  leurs  dieux'.  Us  lui  attribuaient  la  figure  d'un  homme 

1.  Isidork  Gfiorrcor  StiST-HiniiiE,  llittoire  naturelle  dei  paillons  du  NU,  dans  la  Dttcription 
rie  l'Egypte,  l.  XXIV,  p.  101,  335,  pic. 

t.    Trùmyx  /Egyptiacus;el,  Loret,  Note*  eur  la  Faaue  pharaonique,  dans  la  Zeitsrhrifl,  t.  XXX,  p.  Î5. 

3.  Isidiwl  Gkokeroi  Siifti-lliuiBi,  llittoire  naturelle  ilei  poissons  du  Nil,  dans  la  Description,  1.  XXIV, 
|j.  à'»,  346-347.  I.e  lalus  s'appelait  en  égyptien  ûliou,  le  guerrier  (Pktrie,  Medum,  pi.  XII  et  p.  38)  :on 
en  voit  un  exemplaire  de  grande  taille  dans  la  vignette  do  la  pape  87. 

4.  Le  nârou  dos  anciens  figyplieiiB  (Maspebo.  Éludée  égyptienne*.  I.  II.  p.  75,  il.  4),  décrit  par 
lniikirv  Geoffroy  Saint-Ililairc-  [Histoire  naturelle  de*  poiitoit*  du  Ml,  dans  la  Description,  l.  XXIV, 
p.  390-3117). 

5.  Ceofkhov  Saint-Hiiairr,  llittoire  naturelle  de*  poiison*  du  Nil.  dans  ta  Description,  t.  XXIV. 
p.  176-ÏI7.  La  liste  la  plus  complète  que  je  connaisse  des  poissons  du  Nil  est  celle  d'A.-B.  Clot-Bki. 
Aperçu  général  *ur  [Egypte,  I.    I,    |>.  431-Ï34,  mais  les  noms  arabes  y  sont  fort  délivrés. 

fi.  Jabloiiski  a  réuni,    dans  son  l'unlheon  tâgyptiorum,  t.  Il,  p.   138-1711,  il-t-iM,  i3l-ï5H,  les  ren- 


LE  DIEU  ML.  37 

aux  traits  réguliers,  au  corps  vigoureux  et  chargé  d'embonpoint,  ainsi  qu'il 
convient  un  homme  riche  et  de  haute  race.   Ses  seins,  développés  comme 
ceux  d'une  femme,  mais  moins  fermes,  pendent  lourdement  sur  une  poitrine 
large  et  plissée  de  graisse.  Une  ceinture  étroite,  dont  les  bouts  lui  flottent 
sur   les  cuisses,    soutient   la 
masse  de  son  ventre  :  des  san- 
dales aux  pieds,  sur  la  tête  un 
bonnet   collant,    surmonté  à 
l'ordinaire  d'une  couronne  de 
plantes    aquatiques,  complè- 
tent   son    ajustement.    Quel- 
quefois   l'eau    jaillit    de    sa 
mamelle  ;     il    présente    une 
grenouille    ou     des    vases    à 
libations',  il  tient  un  paquet 

de  croix  ansées*,  symboles  de  duii  ricmsrn  niuct  »  utci  qu'ils  mwiin  h  nuxp»3. 
vie,  il  porte  une  table  plate 

couverte  d'offrandes,  des  bottes  de  fleurs,  des  épis,  des  paquets  de  poissons 
et  d'oies  attachées  par  les  pattes.  Les  inscriptions  l'appellent  «  Hàpi,  le  père 
des  dieux,  te  maître  des  aliments,  qui  fait  naître  les  subsistances  et  inonde 
les  deux  Êgyptes  de  ses  produits,  qui  donne  la  vie,  chasse  la  misère,  et  remplit 
les  greniers  à  regorger'  ».  Il  se  dédouble  en  deux  personnes,  colorées 
parfois  l'une  en  rouge,  l'autre  en  bleu  :  la  première,  qui  a  sur  la  tête  un 
bouquet  de  lotus,  préside  à  l'Egypte  du  sud,  la  seconde  est  coiffée  d'une 
touffe  de  papyrus  et  veille  au  Delta".  A  ces  deux  Hàpi  correspondaient  deux 
déesses,  Mirit  Qimàit,  la  berge  méridionale,  Mirit  Mîhit,  la  berge  septentrionale, 
qui  personnifient  les  deux  rives  :  on  les  voit  souvent  debout,  les  bras  levés 

seignemeDta  que  les  écrivains  classiques  nous  avaient  légués  «ut  le  dieu  Nil.  On  trouvera  l»s  princi- 
paux textes  hiérogljphiquei  relatifs  à  cette  divinité  dans  AnusDALt-Bmioxi-Binui,  Gattery  af  Antiguitien 
nelerted  from  the  BrilUh  Muieum,  p.  ir.-tc,  pi.  XIII  :  YYiliumm,  Mannert  and  lluitomt,  V  éd.,  t.  III. 
pi.  XLIV.p.  îtlft-ilO;  Bxvesr.u.Gcogr.  Intchrifttn,  l.  I,  p.  77-7H,  el  Religion  und  Mythologie  lier  altr.ii 
.Egypter,  p.  B38-G*l  ;  LiMMi,  Diiionario  di  Mitologia  Eghia,  p.  Sl-t-SSS,  pi,  CXCVI1I-CXCIX. 

I.  CMkHPoLUim.Monnnuntt  de  l'Egypte, p\.f.\\XUl,  !  ;  IIoselli.m,  JUoiiuniend'dei  Culto,  pi.  XXV,  XXVII 

I.  WiLiraoN,  Materia  (Ser.  Il),  pi.  XLII,  n*  3.  et  Vannera  ami  Cuilnmt,  f  éd.,  I.  RI, pi.  XLIV,  n-  3 

II.  Dettin  de  Faucher-Gudin,  d'aprèt  une  peinture  de  Mëidoum.  —  Pire»,  Medûm.  pi.  XII. 

t  AmniHALE-Boxavi-BiRCN,  Gattery  of  Antiquitirt,  pi.  13  ;  [.mus.  Auswtiht  derieichligilen  iirkunden 
dit  A'.gyptitchen  AltAerthum»,  pi.  XV  e. 

S.  Cm»  pull  ion,  Monument»,  pi.  CGC:  Rosf.li.isi,  Moaumenti  storici.  pi.  XXXIX:  Lr.Kirs.  Denlim., 
III,  ï.  Wilkïnson  (Mannert  and  C.uttonu.  f  éd.,  t.  III,  p.  Ï09)  est  le  premier  qui  se  soit  avitc  do 
reconnaître  dans  le  dieu  peint  en  rouge  le  Nil  haut,  le  Nil  rouge,  et  dans  le  dieu  peint  en  bleu  le 
Nil  a  l'étiage.  Cette  opinion  a  été  généralement  Adoptée  Hcpiiii  (Rmellisi,  Mon.  ttiir.,  P"  1\  p.  ii!l, 
o.t;  AavKtuLE-Bunnifi-BiacH,  l'.atlery,  p.  ï!>);  elle  me  paraît  être  moins  certaine  qu'on  ne  l'a  cru.  I.a 
couleur  n'est  là,  comme  ailleurs,  qu'un  moyen  de  différencier  au\  veu\  ilem  perMiririnjji's. 


:w 


LE  !fIL  ET  L'EGYPTE. 


comme  pour  demander  l'eau  qui  doit  les  rendre  fécondes1.  Le  Nil  avait 
chaque  canton  sa  chapelle   et    ses  prêtres,   auxquels  le  droit 
revenait  d'ensevelir  tous  les  cadavres  d'hommes  ou  d'animaux 
que  le  courant  rejetait  sur  les  rives  :  le  dieu  les  avait  pris, 
ils  appartenaient  à  ses  serviteurs2.  Plusieurs  villes  lui  étaient 
*  i     consacrées,    Hàthâpi,    Nouît- 

W  Hâpi,   NilopolisV   En   Thé- 

baïde,  on  disait  qu'il  habitait 
dans  l'île  de  Bigèh  une  grotte, 
une  châsse  (tophit),  de  la- 
quelle il  sortait  à  l'inonda- 
tion :  c'était  une  tradition  du 
temps  où  l'on  croyait  que  la 
cataracte  coulait  aux  bornes 
du  monde  et  amenait  le  fleuve 


dans 


LA    DÉKSSK    HIRIT 
COirrftK   DU   BOI'QIET   DR   PAPYRUS. 


divin    du    ciel  sur  notre 
terre 4.    Deux    gouffres 
(qorîtï),  béants  au  pied 
des  deux  falaises  de  gra- 


muni  :  .,  \  1.ii'i 


TTn'M  ■  •  i , .  T^  rr*^Trri-»  i  <\  '  \  ,  .mi  ihi^ 


LE   DIEU   NIL5. 


nit  (monîtï)  entre  lesquelles  il  s'échappe,  donnaient 
accès  à  cette  retraite  mystérieuse*.  Un  bas-relief  de  Philae  nous  montre 
les  blocs  empilés,  le  vautour  du  midi  et  l'épervier  du  nord  perchés  chacun 
sur  un  sommet,  la  chambre  ronde  où  Hâpi  se  cache  :  H  est  accroupi  et  serre 
dans  chaque  main  un  vase  à  libations.  Un  serpent  enroulé  sur  lui-même 
dessine  le  contour  du  réduit  et  laisse,  entre  sa  tète  et  le  bout  de  sa  queue, 
une  étroite  ouverture  par  laquelle  la  crue  déborde  en  son  temps  et  va  porter  à 

1.  Cck  déesses  sont  représentées  dans  Wilkinsox,  Ma  ferla  Hierog/yphica  (Ser.  12),  pi.  XLV1I,  part,  1, 
et  Manners  and  Customs,  «•  éd.,  t.  III,  p.  230-232,  pi.  LUI,  2,  ainsi  que  dans  Lasiohe,  Dizionario 
di  Mitologia,  p.  317-318,  pi.  XV,  CXXX.  Le  rôle  qui  leur  est  attribué  ici  leur  a  été  reconnu  par 
Mahpero,  Fragment  d'un  commentaire  sur  le  Livre  II  d'Hérodote,  II,  xxvm,  p.  5  (cf.  Annales  de  la 
Faculté  des  lettres  de  Bordeaux,  t.  Il,  1880). 

2.  Héroiiote,  II,  xc;  cf.  Wjf.dkmann,  HerodoVs  Zweites  Iiuch,  p.  364-365. 

3.  Brlw.n,  Dictionnaire  géographique,  p.  483-488,  1338.  Nilopolis  est  mentionnée  par  Etienne  de 
n>znncc(«.t>.  NeiXoç)  d'après Hécatée  de  Milct(fragm.  277  dans  MCller-Didot,  Fragm.  Hisl.grKC.,t.\tp.  10). 

4.  Voir  plus  haut,  p.  19,  ce  qui  est  dit  de  cette  tradition. 

5.  Dessin  de  Faucher-Gudin,  d'après  une  statue  du  Brilish  Muséum,  dédiée,  vers  l'an  880  av. 
J.-C,  par  le  grand  prêtre  d'Amon  Thébain  Sheshonqou,  plus  tard  roi  d'Egypte  sous  le  nom  de  Se- 
shonqou  II  :  ce  personnage  est  représenté  derrière  la  jambe  du  dieu,  la  peau  de  panthère  sur  le  dos, 
et  les  deux  bras  levés  en  signe  d'adoration.  La  statue  est  mutilée  :  le  bout  du  nez,  la  barbe,  une 
partie  de  la  table  qu'elle  porte  ont  disparu,  mais  ont  été  rétablis  par  le  dessinateur.  Les  deux  petits 
oiseaux  qui  pendent,  avec  le  paquet  d'épis,  auprès  des  oies,  sont  des  cailles  grasses. 

6.  Le  passage  le  plus  significatif  à  cet  égard  se  trouve  dans  Maspero,  Mémoire  sur  quelques  papyrus 
du  Louvre,  p.  09-100,  reproduit  par  Brigstii,  Dictionnaire  géographique,  p.  860-861. 


LES  FÊTES  DU  liEBEL  SILSILÊH. 


39 


l'Egypte  «  toutes  les  choses  bonnes,  douces  et  pures  »,  dont  les  hommes  et 
les  dieux  se  nourrissent.  Vers  le  solstice  d'été,  au  moment  où  l'eau  sainte 
des  gouffres  de  Syène  arrivait  à  Silsiléh,  les  prêtres  de  cette  localité,  quelque- 
fois le  souverain  régnant  ou  un  de 
ses  fils,  sacrifiaient  un  taureau  et 
des  oies,  puis  lançaient  à  l'eau  un 
rouleau  de  papyrus  scellé  :  c'était 
Tordre  écrit  de  tout  faire  pour  assurer 
à  l'Egypte  les  bienfaits  d'une  inon- 
dation normale1.  Quand  Pharaon  avait 
daigné  officier  lui-même,  une  stèle, 
gravée  sur  les  rochers,  conservait 
le  souvenir  de  l'événement8  ;  même 
en  son  absence,  les  fêtes  du  Nil 
étaient  des  plus  solennelles  et  des 
plus  gaies  qu'il  y  eût*.  Une  tradition,* 
transmise  d'âge  en  âge,  faisait  dé- 
pendre la  prospérité  ou  le  malheur 
de  l'année  du  luxe  et  de  la  ferveur 
avec  lesquels  on  les  célébrait;  si 
les  fidèles  avaient  montré  la  moindre 
tiédeur,  le  Nil  aurait  pu  refuser 
d'obéir  à   l'édit   et    de   se  répandre 

abondamment  sur  les  campagnes.  Les  paysans  venus  de  loin,  chacun  avec 
ses  provisions,  mangeaient  en  commun  pendant  plusieurs  jours,  et  s'enivraient 
brutalement,  tout  le  temps  que  cette  façon  de  foire  durait.  Le  grand  jour 

1.  Les  questions  relatives  au  passage  du  Nil  à  Silsiléh  ont  été  traitées  par  Brit.sch,  Mater iaiu  pour 
servir  à  la  reconstruction  du  calendrier  des  anciens  Égyptiens,  p.  37  sqq.,  et  surtout  par  E.  de  Hocgk, 
Sur  le  nouveau  système  proposé  par  M.  Brugsch  pour  V interprétation  du  calendrier  égyptien,  dans 
la  Zeitschrift,  1866,  p.  3-7.  Le  souvenir  de  cet  usage  a  donné  probablement  naissance  à  la  légende 
d'après  laquelle  le  calife  Omar  aurait  ordonné  par  écrit  au  fleuve  de  procurer  à  l'Egypte  une 
inondation  favorable  (Mocrtam,  les  Merveilles  de  l'Egypte,  traduction  de  Pierre  Vatticr,  p.  165-167). 

2.  Les  stèles  officielles  connues  jusqu'à  présent  appartiennent  à  trois  Pharaons,  Ramsès  II  (Cham- 
pollio*,  Notices,  t.  I,  p.  641  sqq..  Lkpsius,  Denkm.,  III,  175  a),  Minéphtah  (Ghampollion,  Monuments, 
pi.  CXIV;  Rosf.llim.  Monum.  storici,  p.  302-301  et  pi.  CXX,  1;  Lkpsius,  Denkm.,  III,  200  d.\  Brigsch, 
Hecueil  de  monuments,  t.  II,  pi.  LXXIV,  5-6  et  p.  83-81)  et  Ramsès  III  (Champollion,  Monuments, 
pi.  CIV;  Lepsiis,  Denkm.,  111,  217  d);  elles  ont  été  traduites  par  L.  Stern,  Die  Nilstelc  von  Gebel- 
Silsileh,  dans  la  Zeitschrift,  1873,  p.  125-135. 

3.  Les  fétes  du  Nil  à  l'époque  classique  ont  été  décrites  par  le  romancier  Hkliouork,  AZthiopica, 
liv.  IX,  §  9,  probablement  d'après  quelque  auteur  aujourd'hui  perdu  du  temps  des  Ptoléinées. 

4.  La  châsse  du  SU  est  reproduite  d'après  un  bas-relief  du  petit  temple  construit  à  Philao  par 
Trajan  et  ses  successeurs  (Wilkinson,  Materia  llieroglyphica  (Ser.  11),  pi,  XL1I,  fig.  4;  Chahpollion, 
Monuments,  pi.  XCIII,  1;  Roskllini,  Monumenti  del  Culto,  pi.  XXVII,  3;  DCmichen,  Geogr.  Ins.,  t.  Il, 
pi.  LXXIX).  La  fenêtre  ou   la   porte  en  ouvrait  sur  Blgéh,  et,  si   l'on  compare  le  dessin  de  l'artiste 


LA    CHÂSSE    DU    NIL    A    BICKH4. 


40  LE  ML  ET  L'EGYPTE. 

arrivé,  les  prêtres  sortaient  en  procession  du  sanctuaire  et  promenaient  la  statue 
du  dieu  le  long  des  berges,  au  son  des  instruments  et  au  chant  des  hymnes1. 

«  I.  —  Salut  à  toi,  Hàpi,  —  qui  sors  en  cette  terre  et  arrives  —  pour 
donner  la  vie  à  l'Egypte;  —  toi  qui  caches  ta  venue  dans  les  ténèbres  —  en  ce 
jour  même  où  Ton  chante  ta  venue1,  —  flot  qui  s'étale  sur  les  vergers  que  Rà 
crée  —  pour  donner  la  vie  à  tous  ceux  qui  ont  soif,  —  et  qui  se  refuse  à 
abreuver  le  désert  —  du  débordement  des  eaux  du  ciel*;  dès  que  tu  descends, 

—  Sibou,  le  dieu  terre,  s'énamoure  des  pains,  —  Napri,  le  dieu  grain,  pré- 
sente son  offrande,  —  Phtah  fait  prospérer  tout  atelier*. 

«  II.  —  Maître  des  poissons,  dès  qu'il  passe  la  cataracte,  —  les  oiseaux 
ne  s'abattent  plus  sur  les  champs;  —  faiseur  de  blé,  producteur  d'orge,  — 
il  prolonge  la  durée  des  temples.  —  Ses  doigts   chôment-ils,  souffre-t-il  ? 

—  alors  tous  les  millions  d'êtres  sont  misérables;  —  diminue-t-il  au  ciel? 
alors  les  dieux  —  eux-mêmes  périssent  et  les  hommes; 

«  111.  —  Les  bestiaux  s'affolent  et  la  terre  entière,  —  grands  et  petits, 
sont  au  supplice  !  —  Si  au  contraire  les  hommes  sont  exaucés  lorsqu'il  monte 

—  et  qu'il  se  fait  Khnoumou8  [pour  eux],  —  dès  qu'il  se  lève,  alors  la  terre 
crie  d'allégresse,  —  alors  tout  ventre  est  en  joie,  —  tout  dos  est  secoué  par 
le  rire,  —  toute  dent  broie. 

«  IV.  —  Apportant  les  subsistances,  riche  en  provisions,  —  créateur  de 
toutes  les  choses  bonnes,  —  maître  de  tous  les  germes,   doux  à  ses  élus, 

—  si  l'on  se  fait  un  ami  de  lui,  —  il  produit  le  fourrage  des  bestiaux,  — 

égyptien  à  la  vue  qu'on  a  du  fond  de  la  chambre,  on  y  reconnaît  aisément  la  silhouette  des  rochers 
entassés  dans  l'Ile.  Le  dessinateur  moderne  a  renversé  la  scène  par  erreur. 

1.  Le  texte  de  cet  hymne  nous  a  été  conservé  par  deux  papyrus  du  British  Muséum,  le  Papyrus 
Sallier  II  [Select  Papyri,  t.  I,  pi.  XXI,  1.  «,  pi.  XXIII)  et  le  Papyrus  Anastasi  VU  (id.,  pi.  CXXXIV, 
I.  7,  pi.  CXXXIX).  Il  a  été  traduit  entièrement  par  Maspkro  (Hymne  au  Nil,  1868;  cf.  Histoire 
ancienne  des  peuples  de  l'Orient,  4*  éd.,  p.  11-13),  par  F*.  Cook  (Hccords  of  the  Past,  \r"  sér., 
t.  IV,  p.  105  sqq.),  par  Amklinkac  (Bibliothèque  de  l'Ecole  des  hautes  études.  Section  des  sciences 
religieuses,  t.  I,  p.  341-371)  et  par  Gcikysse  (Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  1-46);  quelques  strophes 
ont  été  rendues  en  allemand  par  Brigsch  (Religion  und  Mythologie,  p.  649-0 41). 

4.  Litt.  :  •  Cachant  la  traversée  des  ténèbres  —  au  jour  des  chants  de  traverser  ».  Le  texte  fait 
allusion  au  passage  du  fleuve  céleste  dont  le  Nil  est  issu  à  travers  les  régions  obscures  de  l'Occi- 
dent :  l'origine  du  dieu  demeure  cachée,  même  le  jour  où  il  arrive  en  Egypte  pour  inonder  le  sol,  et 
où  l'on  accueille  son  flot  au  chant  des  hymnes. 

3.  Litt.  :  *  Faire  boire  au  désert  le  débordement  du  ciel,  c'est  son  horreur!  »  Les  vergers,  créés 
par  Kà,  sont  naturellement  favorisés  du  dieu  Nil,  mais  le  désert,  lu  montagne,  appartenant  à  SIt, 
est  en  horreur  à  la  crue  qui  descend  du  ciel  et  n'est  que  l'écoulement  d'Osiris;  cf.  p.  il,  note  3. 

A.  Débarrassée  des  allusions  mythologiques,  la  fin  de  la  phrase  signifie  qu'à  l'arrivée  du  flot  la 
terre  se  reprend  à  la  vie  et  produit  le  pain  :  le  blé  pousse,  et  tous  les  métiers  prospèrent  sous  les 
auspices  de  Phtah,  le  dieu  ciseleur  et  maçon. 

5.  Litt.  :  «  Exaucés  les  hommes  lorsqu'il  pousse  [ses  eaux],  étant  la  forme  Khnoumou  ».  Khnou- 
mou, le  maître  d'Éléphantine  et  de  la  cataracte,  est  un  Nil,  et,  en  tant  que  dieu  suprême,  il  a  pétri  le 
monde  du  limon  mêlé  à  ses  eaux.  Le  poète  égyptien,  pour  montrer  d'une  seule  image  comprise  de 
tous  ce  que  peut  le  Nil,  lorsqu'il  écoute  les  prières  des  hommes  et  qu'il  consent  a  monter  sur  les 
terres,  déclare  qu'il  se  donne  la  forme  de  Khnoumou,  c'est-à-dire  qu'il  se  fait  le  dieu  créateur  pour 
ses  fidèles,  et  qu'il  travaille  à  leur  fabriquer  tous  les  biens  avec  son  limon. 


L'HYMNE  AU  NIL. 


et  il  pourvoit  aux  sacrifices  de  tous  les  dieux,  —  et  l'encens  qui  vient  de  lui 
est  le  plus  fin;  —  il  prend  les  deux  pays  —  et  les  greniers  sont  pleins, 
les  entrepôts  prospères,  —  et  les  biens  des  misérables  foisonnent. 

*  V.  —  Il  se  met  pour  les  exaucer  au  service  de  tous  les  vœux,  —  sans  en 
rien  rabattre.  Faire  qu'il  y  ait  des  bateaux  c'est  son  fort  à  lui*.  —  On  ne  lui 
sculpte  point  de  pierres  —  ni  de  statues  où  l'on  pose  la  double  couronne;  — 
on  ne  l'aperçoit  point;  on  ne  lui  paie  tribut  et  on  ne  lui  apporte  offrandes, 

—  on  ne  l'enchante  point  par  des  mots  mystérieux;  —  on  ne  connaît  le 
lieu  où  il  est,  —  on  ne  trouve  point  sa  châsse  par  vertu  d'écrits  magiques; 

«  VI.  —  Il  n'y  a  maison  qui  soit  assez  large  pour  toi,  —  ni  personne 
qui  pénètre  ton  cœur!  —  Pourtant  les  générations  de  tes  enfants  se  réjouis- 
sent de  toi,  —  car  tu  gouvernes  comme  un  roi  —  dont  les  décrets  sont 
établis  pour  la  terre  entière,  —  qui  se  manifeste  en  présence  des  gens  du 
Midi  et  de  ceux  du  Nord,  —  par  qui  sont  bues  les  larmes  de  tous  les  yeux,  — 
et  qui  est  prodigue  de  ses  bontés. 

»   Vil.  —  Où  était  la  douleur,  la  joie  éclate  —  et  tout  coeur  est  content, 

—  Sovkou  le  crocodile,  l'enfant  de  Nit,  saute  d'allégresse1;  —  car  ta  neuvaine 

I.  lifuin  de  FnuektT-Gudin,  d'aprei  une  photographie  de  Déalo. 

1.  Lilt.  :  t  11  Tail  prospérer  (tourovd)  au  bâton  (cr  klitï)  de  tous  désirs,  —  sans  retrancher  en  cu«  : 
faire  être  bateaux  (ammou)  c'est  sa  vaillance.  •  On  disait  d'un  homme  ou  d'une  chose  qui  dépendait 
d'un  haut  personnage,  le  Pharaon  ou  le  grand  prêtre  d'Ainon  par  exemple,  qu'elle  était  au  hûtrm  (ni 
kalrl  du  Pharaon  ou  du  grand  prêtre.  Notre  auteur  représente  le  Nil  se  mettant  au  bâtou  de  tout  1er 
détirt  pour  Taire  prospérer  l'Egypte;  eomme  le  trafic  du  pays  s'accomplit  presque  entièrement  par 
eau,  il  ajoute  immédiatement  que  le  fort  du  SU.  ce  à  quoi  il  réussit 
richesses  qu'il  en  oblige  les  riverains  à  construire  des  hateoux  en  no 
doivent  transporter, 

3.  La  déesse  SU.  la  génisse  née  au  milieu  des  eaui  primordiales, 
dilcs,  que  les  monuments  nous  montrent  parfois  pendus  a  son  scii 
raison   pour  laquelle  on   les   rnttarhail  à   la  déesse  sont  encore  mal 


LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

des  dieux   qui  t'accompagne   a   tout   disposé,   —   le  débordement  abreuve 
les  champs  —  et  rend   tous   les   hommes   vaillants;  —  l'un   s'abreuve   du' 
travail  de  l'autre,  —  sans  qu'on  lui  fasse  son  procès* 

«  IX.  —  Si  tu  entres  au  milieu  des  chants  pour  sortir  au  milieu  de  l'allé- 
gresse1, —  si  l'on  danse  de  joie  quand  tu  sors  de  l'inconnu,  —  c'est  que  ta 
lourdeur3  est  anéantissement  et  corruption.  —  Aussi  quand  l'on  t'implore 
pour  obtenir  l'eau  de  l'année,  —  on  voit  côte  à  côte  les  gens  de  la  Thébaïde  et 
ceux  du  Nord,  —  on  voit  chaque  individu  avec  les  instruments  de  son 
métier,  —  aucun  ne  demeure  en  arrière  de  son  voisin;  —  nul  ne  s'habille 
[en  fête]  de  ceux  qui  s'habillaient,  —  les  enfants  de  Thot,  le  dieu  de  richesse, 
ne  se  parent  plus  de  bijoux*,  —  ni  la  neuvaine  des  dieux,  mais  on  est  dans 
la  nuit!  —  Dès  que  tu  as  répondu  par  la  crue,  —  chacun  se  parfume. 

«  X.  —  Stabiliteur  des  vrais  biens,  désir  des  hommes,  —  voici  des 
paroles  séduisantes5  pour  que  tu  répondes;  —  si  tu  réponds  par  les  flots  de 
l'Océan  céleste  à  l'humanité,  —  Napri,  le  dieu  grain,  présente  son  offrande, 

—  les  dieux  [t'Jadorent  tous,  —  les  oiseaux  ne  s'abattent  plus  sur  la 
montagne;  —  quand  ce  que  ta  main  pétrit  serait  de  l'or  —  ou  la  forme  d'une 
.brique  d'argent,  —  ce  n'est  pas  le  lapis-lazuli  qu'on  mange,  —  mais  le  blé 
vaut  plus  que  les  pierres  précieuses. 

«  XI,  —  On  a  commencé  à  te  chanter  sur  la  harpe,  —  on  te  chante  au 
rythme  des  mains,  —  et  les  générations  de  tes  enfants  se  réjouissent  pour  toi, 

—  et  l'on  t'a  comblé  de  messages  louangeurs  ;  —  car  il  est  le  dieu  de  Richesse 
qui  pare  la   terre,  —  qui  fait  prospérer  les  barques  à  la  face  des  hommes 

—  qui  vivifie  le  cœur  des  femmes  enceintes  —  et  qui  aime  la  multipli- 
cation des  troupeaux. 

«  XII.  —  Quand  tu  t'es  levé  dans  la  cité  du  Prince,  —  alors  le  riche  est 
rassasié  —  le  petit  fait  fi  des  lotus,  —  toute  chose  est  solide  et  de  bonne 
qualité,  —  tous  les  herbages  sont  à  ses  enfants.  —  Oublie-t-il  de  donner  à 

1.  C'est  une  allusion  aux  querelles  et  aux  procès  que  la  répartition  des  eaux  occasionnait  dans  les 
années  de  crue  médiocre  ou  mauvaise  :  quand  l'inondation  est  abondante,  les  disputes  cessent. 

2.  Ici  encore  le  texte  est  corrompu  :  je  l'ai  corrigé  en  prenant  pour  modèle  les  phrases  où  l'on  dit 
d'un  personnage  haut  placé  qu'il  entre  devant  le  roi  au  milieu  des  paroles  élogieuses,  et  sort  au 
milieu  des  chants,  —  âqou  khir  moudÎtou  pirou  khir  hosîtou  (C.  26  du  Louvre,  dans  IMkrrkt,  Recueil 
des  inscriptions  inédites,  t.  H,  p.  25,  1.  5).  La  cour  d'Egypte  avait,  comme  celle  de  Byzance,  ses  for- 
mules de  chants  et  de  récitatifs  gradués  pour  marquer  l'entrée  et  la  sortie  des  grands  personnages  : 
le  Nil,  qui  amène  l'inondation  et  sort  de  ses  sources  inconnues,  est  comparé  à  l'un  de  ces  grands  per- 
sonnages et  acclamé  comme  tel,  selon  l'étiquette. 

3.  La  lourdeur  du  dieu  est  celle  de  ses  eaux,  la  peine  qu'il  éprouve  à  se  répandre  sur  les  terres. 

A.  Sur  l'identité  de  Shopsou,  le  dieu  de  la  richesse,  avec  Thot,  l'ibis  ou  le  cynocéphale,  seigneur 
des  lettres  et  des  chants,  voir  BRn.sr.H,  Religion  und  Mythologie,  p.  iil. 

;i.  Litl.  :  «  des  paroles  trompeuses  ».  On  enjôlait  les  dieux  par  des  promesses  qu'on  savait  ne  pas 
pouvoir  tenir  :  le  dieu  s'y  laissait  prendre  quand  même  et  y  répondait  par  l'inondation. 


LEURS  NOMS.  43 

manger?  —  le  bonheur  délaisse  les  demeures,  —  et  la  terre  tombe  dans  le 
marasme.  » 

Le  mot  Nil  est  d'origine  indécise1  :  il  nous  vient  des  Grecs,  et  ceux-ci 
l'avaient  emprunté  à  un  peuple  étranger,  Phéniciens  ou  Khîti,  tribus  de 
Libye  ou  d'Asie  Mineure.  Quand  les  indigènes  ne  voulaient  pas  traiter  leur 
fleuve  en  dieu,  en  Hâpi,  ils  l'appelaient  la  mer,  la  rivière  par  excellence1  : 
ils  employaient  vingt  termes  et  plus  pour  désigner  les  allures  variées  qu'il 
prend  selon  les  saisons5,  mais  ils  n'auraient  pas  su  ce  qu'on  leur  voulait  si  on 
leur  avait  parlé  du  Nil.  Le  nom  d'Egypte  appartient  de  même  à  la  tradition 
hellénique4;  peut-être  l'a-t-elle  dérivé  d'un  des  noms  religieux  de  Memphis, 
Hâikouphtah5,  que  les  barbares  riverains  de  la  Méditerranée  durent  longtemps 
entendre  résonner  à  leurs  oreilles,  comme  celui  de  la  ville  la  plus  importante 
et  la  plus  riche  que  l'on  connût  en  ces  parages.  Les  Égyptiens  s'intitulaient 
orgueilleusement  Romitou,  Rotou6,  les  hommes;  leur  patrie  était  Qimit, 
la  terre  noire7.  D'où  venaient-ils?  A  quelle  distance  dans  la  durée  devons- 

1.  L'étymologic  la  moins  invraisemblable  est  celle  qui  dérive  Neilos  de  l'hébreu  nakhal,  nahr, 
rivière,  cours  d'eau  (Lepsius,  Einleitung  zur  Chronologie  der  JEgypler,  p.  275);  M.  Groff  le  dérive 
de  Ne-ialou,  les  branches  du  Nil  dans  le  Delta  (  Huile  lin  de  l' Institut  égyptien,  3a  série,  t.  111,  p.  165-175). 

2.  Voir  plus  haut,  p.  15,  ce  qui  est  dit  à  ce  sujet;  cf.  également  p.  6,  note  -I. 

3.  On  les  trouvera  énumérés  en  partie  dans  le  Papyrus  Hood  du  British  Muséum  (Brugsch,  Diction- 
naire géographique,  p.  1282-1283;  Maspero,  Etudes  égyptiennes,  t.  Il,  p.  5-6). 

4.  Il  se  rencontre  pour  la  première  fois  dans  les  poèmes  homériques,  où  il  est  appliqué  au  fleuve 
(Odyssée,  IV,  355,  XIV,  258)  comme  au  pays  {Odyssée,  IV,  351,  XIV,  257). 

5.  Hâikouphtah,  Hâkouphtah,  signifie  le  Château  des  doubles  du  dieu  Phtah.  C'est  l'étymologic  pro- 
posée par  Brugsch  [Geogr.  Ins.,  t.  I,  p.  83).  Déjà,  au  siècle  passé,  Forstcr  avait  imaginé  une  dérivation 
analogue:  Ai-go-phtah,  qu'il  traduisait  Maison  mondaine  de  Phtah  (Jablonski,  Opuscula,  éd.  Te  Watkr, 
t.  I,  p.  426-427).  On  pourrait  trouver  une  confirmation  pour  cette  conjecture  dans  le  nom  de 
Héphaestia  que  l'on  a  appliqué  parfois  au  pays  :  Héphaestos  est  en  effet  le  dieu  que  les  Grecs  iden- 
tifiaient à  Phtah.  Une  autre  hypothèse,  proposée  d'abord  par  Reinisch  {Ueber  die  Samen  Mgyptens 
bei  den  Semiten  und  Griechen,  dans  les  Sitzungsberichte  de  l'Académie  des  Sciences  de  Vienne, 
1859),  adoptée  avec  de  légères  modifications  par  Ebers  (Mgyplcn  und  die  Bûcher  Moses,  p.  132  sqq.), 
dérive  .Ëgyptos  de  Ai-Kaphtor,  l'Ile  de  Kaphtor;  le  Kaphtordc  la  Bible  serait  alors  le  Delta  et  non  la 
Crète.  Gutschmid  (Kleine  Schriften,  t.  I,  p.  382-383),  suivi  par  Wiedcmann  (Herodols  Zueiles  Hue  h. 
p.  47,  n.  1),  y  reconnaît  une  forme  archaïque  mais  purement  grecque  tirée,  comme  aiY'jirié;,  de 
fv^*  vautour.  «  Le  fleuve  impétueux,  avec  ses  bras  nombreux,  donnait  aux  Hellènes  l'impression  d'un 
oiseau  de  proie  à  l'allure  puissante  :  le  terme  rare  d'Aigle,  ocet6;,  qu'on  applique  au  fleuve,  fournit 
un  appui  incontestable  à  cette  étymologic.  • 

6.  La  forme  romitou  est  la  plus  ancienne  et  se  trouve  couramment  dans  les  textes  des  Pyramides  : 
elle  a  produit,  par  chute  du  t  final,  le  rômi,  ramé  des  Coptes,  le  Pi-râmi-s  d'Hécatéc  de  Milet  et 
d'Hérodote  (II,  cxliii).  Rômi  est  un  des  mots  qui  ont  inspiré  à  M.  Licblcin  l'idée  de  chercher  dans  la 
langue  des  Tsiganes  des  traces  de  l'ancien  égyptien  (Om  Ziguenerne,  dans  ses  MgyplalogisUe  Sludier, 
p.  26-27;  cf.  Yidensk.  Selsk.  Forhandlinger  de  Christiania,  1870).  liôtou,  lotou,  est  le  même  mot  que 
romitou,  moins  la  nasale  médiate.  Le  sens  ethnique  en  fut  reconnu  par  Champollion  (Lettres  écrites 
d'Egypte,  2e  éd.,  p.  259);  E.  de  Bougé  l'a  rapproché  de  Loudim,  qui  désigne  dans  la  Genèse  (X,  13) 
le  fils  aîné  de  IMizraïm  (Recherches  sur  les  monuments  quon  peut  attribuer  aux  six  premières  dynas- 
ties de  Manéthon,  p.  6).  Rocheraonteix  (Sur  les  noms  des  fils  de  Mizraïm,  dans  le  Journal  asiatique, 
1888,  VIII"  S.,  t.  XII,  p.  199-201  ;  cf.  Œuvres  diverses,  p.  86-89)  y  voit  un  nom  des  fellahs  et  du  petit 
peuple  par  opposition  au  terme  d'Anamim  qui  marquerait  la  classe  riche,  les  zaouat  de  l'époque 
musulmane. 

7.  On  trouve  le  résumé  des  discussions  anciennes  sur  ce  nom  dans  Champollion  (l'Egypte  sous  les 
Pharaons,  t.  1,  p.  101-111),  et  celui  des  recherches  modernes  clans  Brugsch  (Geogr.  Ins.,  1. 1,  p.  73-74). 
Il  était  connu  des  Grecs  sous  la  forme  Khémia,  Khimia  (De  Isidc  et  Osiride,  §  33,  éd.  Parthey, 
p.  58,  7),  mais  rarement  employé,  au  moins  dans  l'usage  littéraire. 


44  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

nous  reporter  le  moment  de  leur  arrivée?  Les  plus  anciens  monuments  que 
nous  possédions  jusqu'à  ce  jour  ne  nous  mènent  pas  au  delà  de  six  mille 
ans;  mais  ils  sont  d'un  art  si  (in,  si  bien  arrêté  dans  ses  grandes  lignes,  ils 
nous  révèlent  un  système  d'administration,  de  gouvernement  et  de  religion 
si  ingénieusement  combiné,  qu'on  devine  derrière  eux  un  long  passé  de 
siècles  accumulés.  On  éprouvera  toujours  quelque  difficulté  à  évaluer  avec  cer- 
titude le  temps  qu'il  fallut  à  un  peuple  aussi  bien  doué  que  Tétaient  les 
Égyptiens  pour  monter  de  la  barbarie  à  la  culture  élevée  :  je  crois  pourtant 
qu'on  ne  se  trompera  guère  si  on  leur  accorde  quarante  ou  cinquante  siècles 
afin  de  conduire  à  bien  une  œuvre  aussi  compliquée,  et  si  Ton  place  leurs 
débuts  à  huit  ou  dix  mille  ans  avant  notre  ère1.  Leur  horizon  premier  s'en- 
fermait entre  des  bornes  étroites.  À  l'ouest,  leur  regard  s'égarait  sur  les  pla- 
teaux ravinés  du  désert  Libyque,  sans  pouvoir  atteindre  aux  sommets  fabu- 
leux de  Manou  où  le  soleil  se  couchait  chaque  soir1;  mais  à  l'est,  ils  aper- 
cevaient de  la  vallée  le  pic  de  Bâkhou,  qui  marquait  la  limite  des  régions 
accessibles  aux  humains3.  Le  To-noutri,  la  Terre  des  dieux,  commençait  au 
delà  ;  les  brises  qui  passaient  sur  elle  s'y  imprégnaient  de  ses  parfums  et  les 
apportaient  parfois  aux  mortels  égarés  dans  le  désert4.  Le  monde  s'arrêtait  au 
nord  vers  les  lagunes  du  Delta  :  les  ilôts  inaccessibles  qu'elles  contenaient 
offraient,  croyait-on,  un  séjour  aux  âmes  après  la  mort3.  Au  sud,  les  connais- 
sances précises  ne  dépassaient  guère  les  défilés  du  Gebel  Silsiléh,  où  les  der- 
niers débris  du  seuil  de  grès  n'avaient  peut-être  pas  entièrement  disparu  :  le 
canton  situé  par  delà,  le  Konousît,  demeurait  encore  une  contrée  étrangère, 
presque  mythique,  que  la  cataracte  rattachait  directement  au  ciel0.  Longtemps 

1.  C'est  le  chiffre  qu'admet  Chabas,  l'un  des  savants  les  moins  disposés  qu'il  y  ait  à  prêter  une  anti- 
quité exagérée  aux  races  humaines  (Etudes  sur  l'antiquité  historique,  2*  éd.,  p.  6-10). 

2.  Sur  les  monts  de  Manou,  voir  ce  qui  est  dit  plus  haut,  p.   10-20. 

3.  Brugsch  [Die  altâgyptische  Vôlkertafcl,  dans  les  Vcrhandlungen  des  bien  Orientalistcn- Con- 
gresses,  t.  Il,  p.  62-64)  identifie  le  mont  Bâkhou  avec  la  montagne  des  Ëmcraudcs  de  la  géographie 
classique,  aujourd'hui  Gebcl  Zabarah.  Le  nom  de  Bâkhou  ne  parait  pas  avoir  été  restreint  à  une 
chaîne  de  faible  étendue.  Les  textes  prouvent  qu'il  a  été  appliqué  à  plusieurs  des  montagnes  situées 
au  nord  du  Gebcl  Zabarah,  en  particulier  au  Gebel  Doukhàn.  L'un  des  pics  de  cette  région,  le  Gebel 
Ghârib,  atteint  1  885  mètres  de  hauteur  (Schweinfirth,  la  Terra  incognito,  dell'Egitto  propiamente 
delto,  dans  YEsploratore,  1878),  et  s'aperçoit  de  fort  loin. 

4.  Biugscii,  Dictionnaire  géographique,  p.  382-385,  396-398,  1231,  1234-1236.  Les  parfums  et  les 
bois  odorants  do  la  Terre  Divine  étaient  célèbres  en  Egypte  :  le  voyageur  ou  le  chasseur  qui  traver- 
sait le  désert  «  pouvait-il  ne  pas  être  vivement  impressionné  en  sentant  tout  à  coup,  au  milieu  du 
désert,  l'odeur  pénétrante  du  roboul  (Pulicharia  undulata  Schwkinf.),  dont  le  parfum  nous  a  pour- 
suivis une  fois  pondant  une  journée  et  deux  nuits,  sans  que  nous  pussions,  à  certains  endroits,  en 
définir  l'origine,  par  exemple  lorsque  nous  traversions  des  espaces  de  terraius  sans  traces  aucunes  de 
végétation!  •  (GoLKNisc.HKifi\  Une  excursion  à  Bérénice,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  93-94). 

5.  Maspkko,  Eludes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  égyptiennes,  t.  Il,  p.  12-14  (cf.  la  Revue  de  l'His- 
toire des  Religions,  t.  XVII,  t.  259-261).  M.  Lauth,  le  premier  (Aus  /Egyptens  Vorzeit,  p.  53  sqq.) 
montra  que  le  séjour  des  morts  égyptiens,  la  Sokhit  larou,  était  localisé  dans  un  canton  du  Delta. 

6.  Maspkko,  Etudes  de  Mythologie  et  d Archéologie  égyptiennes,  t.  Il,  p.  17-18  (cf.  la  Revue  de 
l'histoire  des  Religions,  t.  XVlIl/p.  269-270). 


PROBABILITÉ  D'UNE  ORIGINE  AFRICAINE.  45 

après  que  les  Égyptiens  eurent  rompu  ce  cercle  étroit,  le  nom  des  localités 
qui  avaient  comme  jalonné  leurs  frontières  resta  lié  dans  leur  esprit  à  l'idée 
des  quatre  points  cardinaux.  Bâkhou  et  Manou  leur  fournirent  l'expression  la 
plus  fréquente  de  l'est  et  de  l'ouest  lointains1  :  Nekhabît  et  Bouto,  les  plus 
peuplées  des  villes  qui  avoisinaient  le  Gebel  Silsiléh  et  les  étangs  du  Delta, 
s'opposèrent  l'une  à  l'autre  pour  désigner  le  midi  et  le  nord*.  C'est  dans 
cet  espace  restreint  que  la  civilisation  égyptienne  germa  et  mûrit,  comme  en 
vase  clos.  Ce  qu'étaient  les  peuples  qui  la  développèrent,  le  pays  d'où  ils 
sortaient,  les  races  auxquelles  ils  appartenaient,  nul  ne  le  sait  aujourd'hui. 
Le  plus  grand  nombre  leur  attribue  l'Asie  pour  berceau3,  mais  sans  pouvoir 
se  mettre  d'accord,  lorsqu'il  s'agit  de  déterminer  la  route  qu'ils  ont  suivie 
pour  émigrer  en  Afrique.  Les  uns  pensent  qu'ils  prirent  la  voie  la  plus 
courte  à  travers  l'isthme  de  Suez4,  d'autres  les  obligent  à  des  pérégrinations 
plus  longues  et  à  un  itinéraire  plus  compliqué.  Ils  auraient  franchi  le  détroit 
de  Bab-el-Mandeb,  puis  les  montagnes  abyssines;  à  force  de  remonter  vers 
le  nord  en  longeant  le  Nil,  ils  seraient  descendus  enfin  dans  ce  qui  est 
notre  Egypte  d'à  présent5.  A  examiner  les  choses  d'un  peu  près,  il  faut  bien 
reconnaître  que  l'hypothèse  d'une  origine  asiatique,  si  séduisante  qu'elle 
paraisse,  est  assez  malaisée  à  défendre.  Le  gros  de  la  population  égyptienne 
présente  les  caractères  des  races  blanches  qu'on  trouve  installées  de  toute 
antiquité  dans  les  parties  du  continent  libyen  qui  bordent  la  Méditerranée  : 
il  est  originaire  de  l'Afrique  même  et  se  transporta  en  Egypte  par  l'ouest 
ou  par  le  sud-ouest  *.  Peut-être  rencontra-t-il  dans  la  vallée  quelque  peuplade 

1.  Bri:gkr,  Ueber  den  Ost-und  Westpunkt  des  Sonnenlaufes  nachden  altâgyplischen  Vorstellungen , 
dans  la  Zeitschrift,  1864,  p.  73-76. 

2.  Brccsch,  Dictionnaire  géographique,  p.  213-215,  351-353. 

3.  La  plupart  des  égyptologues  contemporains,  Brugsch,  Ebcrs,  Lauth,  Lieblein,  se  sont  ralliés  à 
cette  opinion  à  la  suite  d'E.  de  Kougé  (Recherches  sur  les  monuments,- p.  1-11)  :  la  note  extrême  en  ce 
sens  a  été  donnée  par  l'assyriologuc  Ilommcl,  qui  penche  à  dériver  entièrement  la  civilisation  égyp- 
tienne de  la  babylonienne.  Après  avoir  énoncé  sommairement  cette  thèse  dans  sa  Geschichte  Babylo- 
niens und  Assyriens,  p.  12  sqq.,  il  l'a  exposée  tout  au  long  dans  un  traité  spécial,  Ver  li a by Ionise hc 
Urspntng  der  âgyplischen  Kultur,  '1892,  où  il  essaye  de  démontrer  que  les  mythes  héliopolitains,  et 
par  suite  la  religion  entière  de  l'Egypte,  sont  dérivés  des  cultes  d'Eridou  :  le  nom  On  ou,  Aounou,  de 
la  cité  égyptienne  serait  identique  à  celui  de  Noun-ki,  Noun,  que  porte  la  chaldécnnc. 

4.  E.  »E  Rougk,  Recherches  sur  les  monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties, 
p.  4;  Bri-gsch,  Geschichte  /Egyptens,  p.  8;  Wiedemans,  JEgyplische  Geschichte,  p.  21  sqq. 

5.  Ebkrs,  /Egyplen  und  die  Bûcher  Moses,  p.  41,  l'Egypte  (trad.  française),  t.  II,  p.  230:  DfMicHK.v, 
Geschichte  des  Allen  /Egyptens,  p.  118-119.  Brugsch  s'est  rallié  à  cette  opinion  dans  ses  JEgyplische 
lie  Ur âge  zur  Vôlkerkunde  der  al  test  en  XYelt  [Deutsche  Bévue,  1881,  p.  48). 

6.  C'est  la  théorie  que  les  naturalistes  et  les  ethnologues  admettent  de  préférence  (H.  Hartmann,  Die 
S ig rider,  t.  I,  p.  180  sqq.  ;  Mouton,  d'abord  hostile  à  cette  opinion,  s'y  est  rallié  dans  les  Transactions 
ofthe  American  Elhnological  Society,  t.  III,  p.  215;  cf.  Nott-Gliddos,  Types  of  Mankind,  p.  318;  Hamy, 
Aperçu  sur  les  races  humaines  de  la  basse  vallée  du  Nil,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  d'anlhro- 
jHtlogie,  1886,  p.  718-743).  Un  égyptologue  de  Vienne,  M.  Reinisch,  soutient  même,  non  seulement 
que  les  Égyptiens  sont  des  Africains  d'origine,  mais  que  «  les  races  humaines  de  l'Ancien  Monde, 
Europe,   Asie  et  Afrique,   descendent  d'une  seule   famille   dont  le  siège  originel  était  au  bord  des 


46  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

noire  qu'il  détruisit  ou  qu'il  refoula1;  peut-être  y  fut-il  accru  après  coup 
d'éléments  asiatiques  introduits  par  l'isthme  et  par  les  marais  du  Delta. 
D'où  qu'on  fasse  venir  ces  ancêtres  des  Égyptiens,  à  peine  établis  aux  bords 
du  Nil,  le  pays  les  conquit  et  se  les  assimila  comme  il  n'a  cessé  de  faire 
les  étrangers  qui  s'y  établissent  :  au  moment  où  l'histoire  commence  pour 
nous,  tout  ce  qui  habitait  l'Egypte  n'avait  plus  qu'une  seule  langue  et  ne 
formait  plus  qu'un  seul  peuple  depuis  longtemps. 

La  langue  parait  tenir  aux  idiomes  sémitiques  par  beaucoup  de  ses  racines1. 
Elle  construit  comme  eux  ses  pronoms  des  personnes,  suffixes  ou  absolus3; 
l'un  des  temps  de  la  conjugaison,  le  plus  simple  et  le  plus  archaïque,  est 
composé  avec  des  affixes  identiques  de  part  et  d'autre.  Sans  insister  sur  ces 
rapprochements  qui  laissent  prise  au  doute,  on  peut  presque  affirmer  que  la 
plupart  des  procédés  grammaticaux  en  usage  dans  les  langues  sémitiques  se 
retrouvent  dans  l'égyptien  à  l'état  rudiment  aire.  On  dirait  que  le  parler  des 
habitants  de  l'Egypte  et  ceux  des  peuples  sémites,  après  avoir  appartenu  à 
un  même  groupe,  se  sont  séparés  de  très  bonne  heure,  dans  un  temps  où 
leur  vocabulaire  et  leur  système  grammatical  flottaient  encore.  Soumises  à 
des  influences  différentes,  les  deux  familles  auraient  traité  de  façon  diverse 
les  éléments  qu'elles  possédaient  en  commun.  Tandis  que  l'égyptien,  cultivé 
plus  tôt,  s'arrêtait  dans  sa  croissance,  les  dialectes  sémitiques  continuaient  à 
se  développer  pendant  des  siècles  :  «  S'il  y  a  un  rapport  de  souche  évident 

grands  lacs  de  l'Afrique  équatoriale  »  (Der  einheitliche  Ursprung  der  Sprachender  Alten  Welt,  mch- 
gewiesen  durch  Vergleichuug  der  Afrikanischen,  Erytrœischen  und  Indogermanischcn  Spraehen, 
mit  Zugrundlegung  des  Teda,  Vienne,  1873,  p.  X). 

1.  Lkpsks,  (Jeber  die  Annahme  eines  sogenannten  prâhistorischen  Steinaltera  in  JEgyptcn,  dans  la 
Zeitschrift,  1870,  p.  92  sqq.  ;  Lef£bi;rf.,  le  Cham  et  l'Adam  égyptiens,  dans  les  Transactions,  de  la 
Société  d'Archéologie  biblique,  t.  X,  p.  172-173. 

2.  C'est  l'opinion  la  plus  accréditée  parmi  les  égyptologues,  depuis  les  recherches  de  Benkky,  Ueber 
dos  Yerhâltniss  der  JEqyptischcn  Sprache  zum  Semitischen  Sprachslamm,  1844;  cf.  Schwartzf.,  Dos 
Aile  Mgyptcn,  t.  1,  21**  Th.,  p.  2003  sqq.;  E.  dk  Koigê,  Recherches  sur  les  monuments,  p.  2-4;  Lkpsiis, 
Veber  die  Annahme,  dans  la  ZeiUchrifl,  1870,  p.  91-92;  Brigsch,  Geschichte  JSgyptens,  p.  8-9; 
Ed.  Meykr,  Geschichte  des  alten  JEgyptens,  p.  23.  Erman  (JEgyptcn,  p.  oi-55)  est  tenté  d'expliquer  la 
parenté  qu'on  découvre  entre  l'égyptien  et  les  idiomes  du  nord  de  l'Afrique  par  l'action  d'une  série 
d'immigrations  qui  auraient  eu  lieu  à  des  époques  différentes,  probablement  assez  éloignées  l'une  de 
l'autre  :  un  premier  Ilot  de  peuples  blancs  aurait  recouvert  l'Egypte  très  anciennement,  un  autre 
la  Syrie  et  l'Arabie,  un  troisième  enfin  l'Afrique  orientale.  M.  Erman  a  publié  d'ailleurs  un  mémoire 
fort  substantiel,  où  il  expose  avec  beaucoup  de  réserve  les  points  de  contact  qu'on  peut  observer 
entre  les  langues  sémitiques  et  l'égyptien  (A.  Erman,  bas  Verhaltniss  des  JEgyptischen  zu  den  semi- 
tischen Spraehen,  dans  la  Zeitschrift  der  Morgenlândischen  Gesellscha/ft,  t.  XLVI,  p.  85-129).  Il  faut 
éviter  d'employer  comme  termes  de  comparaison  les  mots  sémitiques  fort  nombreux  qui  ont  été 
introduits  dans  l'égyptien  classique  à  partir  de  la  XVIII*  dynastie  :  on  en  trouvera  une  liste  à 
peu  près  complète  dans  Roniii,  Dem  Hehràisch-  Phônizischen  Sjrrachiweigc  angehbrige  Lehnwôrter  in 
hicroglyphischen  und  hieratischen  Texten,  Leipzig,  1880. 

3.  Maspkro,  Des  Pronoms  personnels  en  égyptien  et  dans  les  langues  sémitiques,  dans  les  Mémoires 
de  la  Société  de  linguistique,  t.  11,  p.  1  sqq.  On  trouvera  des  conclusions  différentes  exposées  très 
fortement  dans  le  mémoire  de  Lkfakk-Rkxocf,  Pronominal  Forma  in  Egyplian  (Vroceedinga  de  la 
Société  d'Archéologie  biblique,  1888-1889,  p.  247-264). 


Ï.ES  TYPES  EGYPTIENS.  tf 

entre  la  langue  de  l'Egypte  et  celle  de  l'Asie,  ce  rapport  est  cependant  assez 
éloigné  pour  laisser  au  peuple  égyptien  une  physionomie  distincte1  b.  Nous 
la  connaissons  et  par  les  portraits  sculptés  ou  peints,  et  par  les  milliers  de 
cadavres  momifiés  qui  sont  sortis  des  hypogées*.  L'Égyptien 
du  type  le  plus  noble  était  grand,  élancé,  avec  quelque  < 
de  fier  et  d'impérieux  dans  le  port  de  la  tête  et  dans 
le  maintien.  11  avait  les  épaules  larges  et  pleines,  les 
pectoraux    saillants  et  vigoureux,   les   bras  nerveux, 
la  main  fine  et  longue,  les  hanches  peu  développées, 
les  jambes  sèches  :  le  détail  du  genou  et  les  muscles 
du  mollet  s'accusent  assez  fortement  sous  la  peau,  les 
pieds  allongés,   minces,  cambrés   faiblement,  s'apla- 
tissent à  l'extrémité  par  l'habitude  d'aller  sans  chaus- 
sure. La  tête  est  plutôt  courte,  le  visage  ovale,  le  front 
fuit  modérément  en  arrière;  les  yeux  s'ouvrent  bien 
et  grandement,  les  pommettes  ne  présentent  pas  un 
relief  trop  accentué,  le  nez  est  assez  fort,  droit  ou  de 
courbe  aquiline;  la  bouche  est  longue,  la  lèvre  char- 
nue et  légèrement  bordée,  les  dentssont petites,  égales, 
bien  plantées  et  remarquablement  saines;  les  oreilles 
s'attachent  haut  à  la   tempe.  La  peau,   blanche  à  la 
naissance,   brunit  plus  ou  moins  vite,   selon  qu'elle 
est  plus   ou  moins  attaquée  du  soleil'.    Les  hommes 
sont  généralement  enluminés  de  rouge  dans  les  tableaux  : 
en  fait,  on  aurait  observé  parmi  eux  toutes  les  nuances 

qu'on  remarque  chez  la  population  actuelle,  depuis  le  rose  le  plus  délicat 
jusqu'au  ton  du  bronze  enfumé.  Les  femmes,  qui  s'exposaient  moins  au  grand 
jour,  sont  d'ordinaire  peintes  en  jaune  :  leur  teint  se  maintenait  d'autant  plus 
doux  qu'elles  appartenaient  à  une  classe  plus  élevée.  Les  cheveux  tendaient  à 
onduler,  même  à  friser  en  petits  anneaux,  mais  sans  jamais  tourner  à  la  laine 
des  nègres;    la   barbe  était  clairsemée   et   ne  poussait   dru  qu'au    menton. 

t.  E.  KRoceï,  Reeherchet  lur  lei  monument t  qu'on  peut  attribuer  aux  tîx première»  dynattiei,  p.  3. 

1.  Tous  lus  trails  des  deux  portraits  qui  suivent  oui  été  empruntas  unit  aui  statues,  suit  au*  lias- 
reliefs,  soit  mil  trie  nombreuses  iniimins  <\nr  j'ai  eu  l'occasion  do  voir  et  d'étudier  pondant  mon 
séjour  en  Egypte.  Ils  concordent  presque  avec  r.cui  qu'a  tracés  ll.iar.  Aperçu  ttir  let  rare»  humaine* 
de  la  haut  ealUe  du  Nil,  p.  i  sqq.  (cf.  Bulletin  de  la  Société  d'Anthropologie,  1886,  p.  7*1  iqq.). 

3.  Statue  de  Hânofir{V'  dynaitiej  au  mutée  de  Ghêh.d'apret  une -photographie  d'Emile  Itrugicfi-lleg. 

1.  Sur  celle  question,  cf.  en  dernier  lieu  II.  Vincanw,  Anthropologie  .fcqyptent.  dans  ta  Corretpon- 
deiotltatt  der  Dfuttrhm  Anthropatajitrhen  Oesrthchaft,  IRAS,  il*  II),  p.  10"  sqq. 


«  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

Voilà  le  type  le  plus  haut;  le  plus  commun  était  trapu,  courtaud  et  lourd. 
La  poitrine  et  les  épaules  semblent  s'y  élargir,  au  détriment  du   bassin  et 
L  -'les,  si  bien  que  la  disproportion  entre  le  haut  et 
j  corps  devient  choquant" 
ieuse.  Le  crâne  est  allon- 
n  peu  refoulé,  un  peu 
laissé  du  sommet;  les     I 
ils     sont    grossiers   et 
rime  taillés  dans  la  chair 
grands     coups    d'éhauc 
tits  yeux  bridés,  nez  bi-el 
é  de  narines  étalées  large 
îesrondes,  menton  carré, 
Tes  épaisses  mais  non 

q versées;  cette  physionomie  ingrate  et  risible  par- 
is s'anime  d'une  expression 
sée  qui  rappelle  la  mine 
a  toi  se     de     nos    vieux 
paysans,     souvent    s'é- 
claire   d'un     reflet    de 
douceur  et  de  bonté  triste 
Les  caractères  extérieur 
ÉGïptie»  du  iv«  coMusi'.  de  ces  deux  types  prin- 

cipaux, dont  les  varié- 
tés  infinies  se  rencontrent  sur  les  monuments   an- 
ciens,   se    perçoivent    encore   de  nos  jours    sur  le        ™&  »'««  m.u*  or.  n 
vivant'.  Le  profil  d'une  momie  thébaine,  ramassée 

au  hasard  dans  la  nécropole  de  la  xvm"  dynastie,  et  placée  en  regard  du  por- 
trait d'un  paysan  de  Louxor,  pourrait  presque  passer  pour  un  portrait  de 
famille",  des  aventuriers  bisharis  ont  hérité  la  face  d'un  grand  seigneur  con- 

1.  Slnlur  tt'Quiiri  mu  m  tuer  Je  Gi:fh  [V  l' dyntiitir),  d'nprfi  une  photographie  il' Emile  Brugich-llry . 

t.  Selon  Vircliow  {Anthropologie  jEgyptent.  I.  I),  cette  impression  ne  «trait  pas  justifiée  par  le? 
rail*,  Diver*  oricntnlinU-*,  surtout  Bircli  {Egypl  front  Ihr  eartiett  Titan  lo  U.C..  3119-310)  cl  Sayre 
(TAr  Aiirinil  Empira  of  the  Etui,  p.  -llW-.'iW].  avaient  relevé  des  différences  consul  érables  dans  le 
ly|ie  do»  iKTaonnagos  représentes  sur  les  monuments  des  différentes  époques.  Virrhow  (Die  Mumieii 
lier  Ktmige  in  Muttum  van  tttilaq.  p.  1".  cf.  SU mngiberichle  de  l'Académie  de  Berlin,  I88S. 
p.  181-783,  et  Anthropologie  Algypleiis.  I.  I)  s'est  efforcé  de  montrer  que  la  différence  élail  plu» 
grande  encore  qu'on  ne  l'avait  dit  avant  lui  :  l'égyptien  ancien  aurait  été  brachycéphalo,  tandis  que  le 
moderne  esl  décidément  dolichocéphale 

S    lirteription  de  l'Egypte.  Anl..  t.  Il,  pi,  XI.IX,  tig.  I,  el  le  texte  de  Jomard  (t.  Il,  p.  78-Tn).  .  J'»i 


LA  PREMlÊltE  HEPKESENTATION.  49 

temporain  de  Khéops,  une  fellahine  prise  au  hasard  dans  un  coin  du  Delta 
porte  sur  les  épaules  la  tète  d'un  roi  antérieur  aux  Hyksos,  et  tel  bourgeois 
du  Caire  contemple  avec  étonnement,  au  musée  de  Roulaq,  la  statue  do 
Kliéphrên  ou  de  Séti  V  qui  reproduit  trait  pour  trait,  à  cinquante  siècles  de 
distance,  la  ressemblance  de  ces  vieux  Pharaons. 

Rien  ou  presque  rien  ne  nous  reste  des  générations  primitives  :  la  plu- 


part des  armes  et  des  outils  en  silex  taillés  qu'on  a  découverts  en  différents 
lieux  ne  sauraient  jusqu'à  présent  leur  être  attribués  de  façon  authentique'. 
Les  habitants  de  l'Egypte  ont  continué  d'employer  la  pierre,  où  d'autres  peu- 
ples usaient  déjà  des  métaux.  Ils  fabriquaient  des  pointes  de  flèches,  des  mar- 
teaux, des  couteaux,  des  grattoirs  en    pierre   sous   les  Pharaons,  sous   les 

essayé  une  fois,  ajoute  ret  auteur,  de  deviner  une  rainure  à  la  turque  sur  une  tète  copier  d'aprè» 
une  momie.  Ayant  demandé  à  quelqu'un  qui  connaissait  parfaitement  tous  les  grands  personnages  du 
Caire,  auquel  de*  rhevfclis  ressemblai!  celte  ligure,  il  inr  nomma  sans  hésiter  un  rheykh  tlu  divan, 
auquel  on  elTet  plie  ressemblait  beaucoup.  •  llamy  a  institué  une  comparaison  analogue  rt  des  plus 
frappantes  entre  la  télé  signalée  |>ar  Jo  marri  et  lu  portrait  d'un  fellah  de  la  Haiilc-figypte  peint  par 
Lefcburc  pour  les  collection*  du  Muséum  d'Histoire  naturelle  (Aprrçu  des  rarri  humaine»  de  la 
ûatte  vallée  du  Xil.  p.  IfMi:  cf.  Bulletin  de  la  Soriété  d Anthropologie,  IR86,  p.  7S7-7Ï9)  :  ce  sont 
les  Jeux  types  reproduits  par  Fauclicr-Gudm  à  la  page  tH.  l'un  au-dessus  de  l'autre. 

1 .  Le  portrait,  prit  originairement  à  part,  a  été  reparte  tutr  une  photographie  de  Nanitte,  repré- 
tenlanl  une  fellahine  accroupie  au  prêt  d'une  ttlc  colmiale;  le  nez  de  cette  dernière  a  été  restauré. 

i.  La  question,  soulevée  pour  la  première  fois  par  Hnmv  el  Fr.  I.euonnant  (Dérourertetdc  rate*  de 
l'âge  de  pierre  eu  Egypte,  dans  les  Complet  rendus  de  t' Académie  dci  Srienccs.  iinov.  Idlilt),  a  donné 
lieu  à  une  longue  polémique  à  laquelle  la  jilupnrl  des  saianls  de  l'Kumpc  ont  pris  part.  I.a  biblio- 
graphie en  est  donnée  presque  complète  par  Siuiii"  Hkimch,  Description  raisonner  du  mutée  de 
Saint-Germain,  1.  I,  p.  87-811.  L'examen  des  lieux  me  porte  à  croire,  comme  Mariette,  que  nul  des 
atelier»  signalé»  jusqu'à  présent  n'est  antérieur  à  l'époque  historique. 


50  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

Romains,  pendant  toute  la  durée  du  moyen  âge,  et  la  mode  n'en  a  pas  cessé 
entièrement1  :  ces  objets  et  les  ateliers  où  on  les  façonnait  peuvent  donc  être 
moins  anciens  que  la  plupart  des  monuments  hiéroglyphiques.  Mais,  à  défaut 
d'oeuvres  qui  remontent  aux  premiers  âges,  on  rencontre  à  l'époque  historique 
nombre  de  pratiques  et  d'usages  qui  contrastent  avec  l'état  général  des  mœurs  : 
si  on  les  rapproche  des  coutumes  analogues  des  nations  barbares,  la  compa- 
raison les  éclaire,  les  complète,  et  nous  y  montre  les  survivances  des  moments 
successifs  par  lesquels  le  peuple  égyptien  a  dû  passer  avant  de  parvenir  à  sa 
constitution  définitive.  Nous  savons  par  exemple  que,  même  sous  les  Césars, 
on  choisissait  la  plus  jolie  fille  qu'il  y  eût  parmi  les  familles  nobles  de  Thèbes, 
pour  la  consacrer  dans  le  temple  d'Amon  :  une  fois  vouée  au  dieu,  non  seu- 
lement elle  avait  le  droit  de  se  livrer  selon  son  caprice  à  qui  bon  lui  sem- 
blait, mais  elle  gagnait  honneur  et  profit  en  son  métier,  et  trouvait  toujours  à 
se  marier  richement,  quand  l'âge  l'obligeait  à  prendre  sa  retraite*.  Les  Thé- 
baines  ne  sont  pas  les  seules  au  monde  à  qui  pareille  licence  fut  accordée 
ou  imposée  par  les  lois;  mais  partout  où  l'on  voit  une  pratique  de  ce  genre  en 
pays  civilisé,  on  ne  tarde  pas  à  j  *econnaître  une  coutume  d'autrefois  dégénérée 
par  la  suite  des  siècles  en  fonction  religieuse8.  L'institution  des  courtisanes 
d'Amon  est  le  legs  d'un  temps  où  le  mariage  n'existait  pas  encore,  et  où 
toutes  les  femmes  d'une  même  tribu  ou  d'un  même  groupe  se  devaient  indif- 
féremment à  tous  les  hommes*.  L'âge  et  la  maternité  les  dispensaient  de 
cette  obligation,  et  leur  évitaient  ces  incestes  entre  mère  et  fils  dont  on 
a  la  preuve  chez  d'autres  peuples5,  mais  l'union  du  père  et  de  la  fille  n'était 
peut-être  pas  entièrement  prohibée6,  et  l'on  réputait  celle  du  frère  et  de  la 

1.  Toute  une  collection  d'outils  en  pierre,  la  plupart  emmanchés  de  bois,  haches,  hcrmineUcs, 
couteaux,  faucilles,  a  été  retrouvée  par  M.  Pétrie  dans  les  ruines  de  kahoun  à  l'entrée  du  Fayoum 
(Illahun,  Kahun  and  Gurob,  p.  12,  51-55)  :  elle  remonte  au  temps  de  la  XIIe  dynastie,  à  plus  de  trois 
mille  ans  avant  notre  ère.  Mariette  avait  signalé  à  la  curiosité  du  monde  savant  (Bulletin  de  l'Institut 
égyptien,  1869-1871,  lr"  série,  L  XI,  p.  58;  cf.  De  l'âge  de  la  pierre  en  Egypte,  dans  le  Itecueil  de 
Tramux,  t.  VII,  p.  129)  un  des  réis  de  l'administration  des  fouilles,  le  copte  Salin  d'Abulos,  qui  se 
rasait  la  tête  avec  un  couteau  en  silex,  comme  c'était,  disait-il,  la  coutume  générale  dans  sa  jeunesse, 
entre  1820  et  1835.  J'ai  connu  ce  personnage,  qui  est  mort  en  1887,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans  passés: 
il  était  encore  fidèle  à  son  outil  de  pierre,  mais  ses  fils  et  toute  la  population  d'EI-kharbéh  ne  se 
servaient  plus  que  de  rasoirs  en  métal.  Comme,  après  l'opération,  son  crâne  était  raclé  presque  à 
vif,  il  se  couvrait  la  tête  de  feuilles  dont  la  fraîcheur  calmait  l'inflammation  de  la  peau. 

2.  Strabo*,  liv.  XVII,  §46,  p.  817:  Diodorc  (I,  47)  ne  parle  que  des  tombeaux  de  ces  Pal/acides 
d'Amon,  dout  son  garant,  Ilécalée  d'Abdère,  ne  parait  pas  avoir  connu  le  genre  de  vie. 

3.  Lippkrt,  Kulturgeschichte  der  Menschheit  in  ihrem  organischen  Aufbau,  t.  Il,  p.  15. 

4.  Voir  le  développement  complet  et  les  preuves  de  la  théorie  sur  laquelle  repose  cette  apprécia- 
tion du  fait  dans  Lippkrt,  Kulturgeschichte  der  Menschheit,  t.  II,  p.  6  sqq. 

5.  Ainsi,  chez  les  Mèdcs,  la  classe  des  Mages  au  témoignage  de  Xanthos  de  Lydie  (fragm.  28,  dans 
MPu.kr-Didot,  Frag.  hist.  grsec,  t.  1,  p.  43)    et  de  Clésias  (fragm.  30,  éd.  MCller-Didot,  p.  60). 

6.  K.  de  Ilougé  pensait  que  Ramsès  II  avait  épousé  deux  au  moins  de  ses  filles,  Bint-Anati  et 
Honîttooui;  Wiedeiuann  (.Ëgyptisc/ic  Geschichte,  p.  622)  admet  que  Psamitik  Ier  avait  pris  de  même 
pour  femme  Nitocris,  qu'il  avait  eue  de  la  princesse  thébaine  Shapenouapit.  Les  rois  achéménides  en 
agissaient  de  même:  Artaxerxès  épousa  deux  de  ses  propres  tilles  (Putarqik,  Artajrerxex,  g  27). 


LE  MARIAGE.  oi 

sœur  la  plus  juste  et  la  plus  naturelle1  :  les  mots  frère  et  sœur  prennent 
dans  les  chants  d'amour  égyptiens  la  même  signification  que  chez  nous  ceux 
d'aman/  ou  de  maîtresse1,  La  paternité  demeurait  nécessairement  douteuse 
dans  une  communauté  de  ce  genre,  et,  par  suite,  le  lien  entre  pères  et  enfants 
assez  léger  :  il  n'y  avait  famille,  au  sens  où  nous  entendons  ce  terme,  qu'autour 
de  la  femme  devenue  mère.  La  parenté  par  les  femmes  était  donc  la  seule 
qu'on  admît  ouvertement,  et  les  enfants  indiquaient  leur  filiation  par  le  nom 
de  la  mère  seule5.  Quand  la  femme  cessa  d'appartenir  à  tous  et  se  réserva 
pour  un  seul  mari,  l'homme  conserva  le  privilège  de  s'attacher  autant 
d'épouses  qu'il  voulait  ou  pouvait  en  nourrir,  à  commencer  par  ses  propres 
sœurs;  mais  toutes  ne  jouirent  point  de  droits  identiques.  Les  unes,  nées  des 
mêmes  parents  que  lui  ou  issues  d'un  sang  égal  au  sien,  conservaient  leur 
indépendance  :  si  la  loi  le  proclamait  le  maître,  nîbou,  auquel  elles  devaient 
obéissance  et  fidélité*,  elles  étaient  maîtresses  de  maison,  nîbît  pirou  ^  en 
même  temps  qu'épouses,  hîmîtou,  et  ce  titre  exprime  en  deux  mots  leur 
condition5.  Chacune  d'elles  occupait  en  effet  sa  maison,  pirou,  qu'elle  tenait 
de  ses  parents  ou  de  son  mari,  et  dont  elle  était  maîtresse,  nîbît,  absolue. 
Elle  y  vivait  et  s'y  livrait  sans  contrainte  à  tous  les  devoirs  des  femmes, 
alimentant  le  feu,  broyant  le  grain,  vaquant  à  la  cuisine  et  au  tissage,  prépa- 
rant les  vêtements  et  les  parfums,  allaitant  et  instruisant  ses  enfants8  : 
quand  le  mari  lui  rendait  visite,  c'était  un  hôte  qu'elle  accueillait  sur  pied 
d'égalité.  Il  semble  qu'au  début  on  plaçât  ces  épouses  multiples  sous  l'auto- 
rité   d'une    femme   plus  âgée  qu'elles,   qu'elles   considéraient   comme    leur 

1.  Le  fait  avait  été  relevé  dès  les  tcmju  anciens,  entre  autres  par  Diodore  ,  I,  27,  qui  le  justifie  en 
citant  le  mariage  d'Os  iris  avec  sa  sœur  Isis  :  le  témoignage  des  historiens  de  l'époque  classique  est 
confirmé  chaque  jour  par  celui  des  monuments  originaux. 

2.  Maspkro,  Etude»  égyptiennes,  t.  I,  p.  221,  228,  232-233,  237,  239-240,  etc. 

3.  Le  même  usage  existait  chez  les  Lyciens  (Hérodote,  I,  clxxii;  Nicolas  de  Damas,  fragra.  129,  .dans 
M(llkr-Didot,  Fragm.  hist.  gr.,  t.  111,  p.  461,  etc.)  et  chez  beaucoup  de  peuples  à  demi  civilisés  des 
temps  anciens  ou  modernes  (J.  Llbbock,  lus  Origine*  de  la  civilisation,  p.  139  sqq.).  Le  premier  qui 
l'ait  signalé  en  Egypte  est,  à  ma  connaissance,  Schow,  Charta  Papyracca  grsece  scripta  Musci  Bor- 
(jiani  Velitris,  p.  XXXIV-XXXV. 

4.  Sur  les  plus  anciens  monuments  que  nous  possédions,  la  femme  dit  d'elle-même  qu'elle  est 
•  la  dévouée  à  son  maître  —  qui  fait  ce  que  son  ma  lire  aimey  chaque  jour,  et  que  son  maître  aime  à 
cause  de  cela  »  (Lepsics,  De n km..  II.  10  h)  :  c'est  de  même  qu'un  serviteur  ou  le  favori  d'un  roi  dit 
«  qu'il  aime  son  maître  et  que  son  maître  l'aime  »  (Lkpsiis,  Denkm..  II,  20). 

5.  Le  titre  nîbît  pirou  est  interprété  d'ordinaire  comme  si  la  femme  qui  le  porte  était  maîtresse  de 
la  maison  de  son  mari.  M.  Pétrie  (A  Se  a  sou  in  Egypt,  p.  8-9)  a  reconnu  que  cette  traduction  n'est 
pas  exacte  et  a  proposé  de  voir  des  veuves  dans  les  femmes  qu'on  dit  nîbît  pirou.  Cette  explication 
ne  tient  pas  devant  les  passages  où  une  femme,  mariée  ou  non,  dit  à  son  amant  :  «  Mon  bel  ami,  mon 
désir  est  de  partager  tes  biens  comme  ta  maîtresse  de  maison  »  (Maspkro,  Etudes  égyptiennes,  t.  I, 
p.  247);  évidemment  elle  ne  demande  pas  encore  à  devenir  la  veuve  de  son  bien-aimé.  L'interpréta- 
tion proposée  ici  m'a  été  suggérée  par  un  genre  de  mariage  que  pratiquent  encore  plusieurs 
tribus  de  l'Afrique  et  de  l'Amérique  (Lippert,  Kulturgeschichte  der  Menschheit,  t.  II,  p.  27  sqq.). 

6.  Voir  le  tahleau  touchant  que  l'auteur  du  Papy  ru*  moral  de  Uoulaq  trace  de  la  bonne  mère,  à  la 
fin  de  l'époque  thebaine  (Chabas,  VÈgyptologic,  t.  Il,  p.  42-o4). 


52  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

mère  et  qui  défendait  leurs  droits  et  leurs  intérêts  contre  le  maître,  mais 
l'usage  en  disparut  des  familles  humaines  et  ne  subsistait  plus  à  Fépoque 
historique  que  chez  les  divines  :  les  chanteuses  consacrées  à  Amon  et  à 
d'autres  dieux  obéissaient  à  plusieurs  supérieures,  dont  la  principale,  ordi- 
nairement veuve  d'un  roi  ou  d'un  grand  prêtre,  s'intitulait  supérieure  en  chef 
des  dames  du  harem  d'Amon*.  A  côté  des  épouses  il  y  avait  les  concubines, 
esclaves  achetées  ou  nées  dans  la  maison,  prisonnières  de  guerre,  égyp- 
tiennes de  classe  inférieure,  qui  étaient  la  chose  de  l'homme  et  dont  il  pouvait 
faire  ce  que  bon  lui  semblait1.  Tous  les  enfants  d'un  même  père  comptaient 
légitimes,  que  la  mère  fût  épouse  ou  comme  concubine,  mais  sans  obtenir 
entièrement  les  mêmes  avantages  :  ceux  d'entre  eux  qui  naissaient  d'un  frère 
ou  d'une  sœur  unis  en  légitime  mariage  prenaient  le  pas  sur  ceux  dont  la  mère 
était  une  épouse  de  sang  différent  ou  une  esclave5.  Dans  un  système  de  famille 
constitué  de  la  sorte,  la  femme  a  tout  l'air  de  jouer  le  premier  rôle.  Les 
enfants  se  réclamaient  de  leur  mère.  Le  mari  semblait  entrer  dans  la  maison 
de  ses  épouses  plutôt  que  ses  épouses  entrer  dans  la  sienne,  et  il  en  retirait 
une  apparence  d'infériorité  si  sensible  que  les  Grecs  s'y  laissèrent  tromper. 
Ils  affirmèrent  que  la  femme  était  reine  en  Egypte;  au  moment  du  mariage, 
l'homme  lui  promettait  obéissance  et  s'engageait  par  contrat  à  n'élever  aucune 
objection  contre  ce  qu'elle  pourrait  lui  commander*. 

Il  faut  donc  avouer  que  les  premiers  Égyptiens  étaient  de  demi-sauvages, 
analogues  à  ceux  qui  vivent  encore  en  Afrique  ou  en  Amérique,  organisés 
comme  eux,  outillés  comme  eux8.  Un  petit  nombre  demeurèrent  au  désert, 
dans  les  oasis  de  la  Libye  à  l'est,  ou  dans  les  vallées  profondes  de  la  Terre 

1.  La  plupart  des  princesses  de  la  famille  des  grands  prêtres  d'Amon  Thébain  avaient  ce  titre 
(Masprro,  les  Momies  royales  de  Déîr-el-Bahari ,  dans  les  Mémoires  de  la  Mission  française  du  Caire, 
I.  I,  p.  575-580).  Dans  le  genre  de  mariage  africain  moderne,  auquel  je  compare  le  plus  ancien  mariage 
égyptien,  les  épouses  d'un  même  homme  sont  réunies  sous  l'autorité  d'une  vieille  femme  à  laquelle 
elles  donnent  le  titre  de  mère  :  le  harem  du  dieu  formerait  dans  cette  hypothèse  une  communauté 
de  ce  genre  où  les  plus  vieilles  sont  les  supérieures  des  plus  jeunes.  Ici  encore  la  famille  divine 
aurait  conservé  une  institution  qui  n'existait  plus  de  longue  date  dans  la  famille  humaine. 

2.  Une  des  concubines  de  Khnoumhotpou  à  Beni-Hassan,  après  avoir  donné  un  (ils  à  son  maître, 
avait  été  mariée  par  lui  à  un  officier  inférieur,  dont  elle  avait  d'autres  enfants  (Ghampoi.uon,  Monu- 
ments de  l'Egypte,  t.  II,  p.  390,  392,  415;  Lepsiis,  Denkm.,  t.  II,  128,  130,  132). 

3.  Cela  ressort,  comme  nous  aurons  occasion  de  le  voir  dans  le  second  volume,  de  l'histoire  des 
enfants  de  Thoutmosis  Ior  et  des  autres  princes  de  la  famille  des  Ahmessides. 

4.  Diodokk  de  Sicile,  I,  80.  Ici,  comme  dans  tout  ce  qu'il  dit  de  l'Egypte,  Diodore  de  Sicile  a  puisé 
largement  au  roman  historique  et  philosophique  d'Hécatée  d'Abdère. 

5.  Il  n'y  a  eu  jusqu'à  présent  que  peu  d'efTorts  tentés  pour  reconstituer  ces  premiers  temps  de 
l'Egypte:  M.  Erman  (JCgypten,  p.  59-60)  et  M.  Ed.  Meyer  (Geschichtc  .Egyptens,  p.  24-30)  leur  onl 
consacré  quelques  pages  à  peine.  L'examen  des  signes  de  l'écriture  m'a  fourni  plusieurs  rensei- 
gnements heureux  :  ils  nous  ont  conservé  parfois  l'image  d'objets  et,  par  suite,  le  sou\enir  d'usages 
en  vigueur  au  temps  où  on  les  traça  pour  la  première  fois  (Masperq,  Notes  au  jour  le  jour,  g  5,  dans 
les  Proceedingsde\a.  Société  d'Archéologie  biblique,  1890-1891,  t.  XIII,  p.  310-311  ;  Pétrie,  Epigrophy 
in  Egypï.Mt  Research,  dans  YAsiatic  and  Quarlcrly  lieview,  1891,  p.  315-320,  Medum,  p.  29-34). 


LES  MAISONS,  LE  MOBILIER.  53 

Rouge  —  Doshirit,  To  Doshirou,  —  entre  le  Nil  et  la  Mer  :  la  pauvreté  du 
pays  les  maintint  toujours  dans  leur  grossièreté  native1.  Les  autres,  descendus 
sur  la  Terre  Noire,  s'y  po- 
licèrent  progressivement. 
Leurs  maisons  étaient,  de 
môme  que  celles  des  fellahs 
d'aujourd'hui,  des  cahutes 
basses,  en  clayonnages  en- 
duits de  terre  battue  ou  en 
briques  séchées  au  soleil. 
Elles     renfermaient     une 

chambre  unique,  oblongue  ««omum  niches  vtius  ■»  ru»  es  p**u  m  hxtkUi* 

ou  carrée,  sans  ouverture 

que  la  porte*  :  celles  des  plus  riches  étaient  seules  assez  larges  pour  qu'on 
jugeât  prudent  d'en  étayer  le  toit  au  moyen  d'un  ou  plusieurs  troncs  d'arbre 
qui  remplissaient  l'office  de  colonnes'.  Des  vases  en  terre  cuite  tournés  à  la 
main",  des  nattes  de  jonc  ou  de  paille  tressée,  deux  pierres  plates  à  broyer 
le  grain*,  quelques  meubles  en  bois,  escabeaux,  chevets  où  appuyer  la  tête 
pendant  la  nuit7,  en  composaient  tout  le  mobilier.  Les  hommes  allaient  à  peu 
près  nus,  sauf  les  nobles,  qui  se  paraient  d'une  peau  de  panthère,  tantôt 
jetée  sur  les  épaules*,  tantôt  serrée  autour  des  reins  et  couvrant  le  bas-ventre, 
ainsi  que  plusieurs  tableaux  nous  montrent  plus  tard  les  nègres  du  Haut-Nil , 

1.  Le»  Égyptiens,  même  des  basses  époques,  n'avaient  pas  cependant  oublié  les  lien»  de  commune 
origine  >|ui  le*  rattachaient  à  ces  trihus  demeurée»  à  l'état  barbare  (Bair.si'H.  Die  t.  geogr.,  \i.  il"",), 

t.  XIX'  dynastie;  dettin  de  faurher-Gudin,  d'aprtt  Hosellim,  Moimnienti  itorici,  pi.  I.XXXV.  Ce 
-ont  des  Nègres  du  Haut-Nil,  prisonnier»  de  ftamscs  II,  à  Ibsamhoul. 

3.  C'est  ainsi  que  la  représentent  te»  signes  C"D,  [  ]  et  leurs  variantes,  qui  ont  servi  do  toute  anti- 
quité à  rendre,  dan»  l'écriture  courante,  l'idée  de  maison  et  d'habitation  en  général. 

1.  Les  signes  |YV   |T|  et  leurs  variantes  montrent  un  kiosque  étayé  d'un  tronc  d'arbre  fourchu. 

"..  On  en  a  trouvé  des  fragments  plus  ou  moins  authentiques  dans  divers  endroits  de  l'Egypte 
(Aiir.Ki.is,  ludutlrie  primitive  en  Egypte  et  en  Syrie,  p.  **). 

fi.  Identiques  à  ('elles  devant  lesquelles  les  W\.  u-.it.  de  j>rniri  du  musée  de  Ci?éh  sont  agenouillées 
(Mariette,  Album  photographique,  pi.  XX;  X.isi>i:ttr),  Guide  du  cititeur,  p.  iin.  n"  IIHi-1013). 

"i.  Uni,  Sole  tur  les  chetetë  det  aiirienx  Èyyptirni  et  turlet  affinité»  ethnique*  que  mniiifetle  leur 
emploi,  dans  les  Etude»  dédiée»  à  Leemaia,  p.  3Ï-3I.  Le  rflle  que  le  chevet  Y  joue  comme  délcr- 
ininatir  des  verbes  exprimant  l'idée  de  porter  dans  les  textes  de  l'ancien  empire,  montre  surabon 
dam  ment  la  haute  antiquité  de  son  emploi  (Xaspeio,  Nota  au  jour  le  jour,  §  ifl,  dans  les  Proceeding» 
de  la  Société  d'Archéologie  biblique,  1B«I-IS:'4.  t.  XIV,  p.  3il-3*i|. 

B.  C'est  la  peau  de  panthère  qu'on  voit,  entre  autres,  sur  les  épaules  des  prisonniers  nègres  à  la 
XVIIf  dynastie  (Wilxissos,  Maimert  and  Custoiut,  f  éd.,  t.  1,  p.  *59,  n-  (3  c,  d);  elle  est  de  rigueur 
pour  certains  ordres  de  prêtres  ou  de  personnages  accomplissant  des  fonctions  sacerdotales  d'un 
ordre  déterminé  (Statues  A  GO,  6G.  lt.  7fi  du  Louvre,  E.  ni  KoircÉ,  Kolice  tomntnire  de*  Monument»  de 
la  Galerie  égyptienne,  187*.  p.  44,  36,  38,  311;  Lepsus.  Deuhn.,  Il,  18,  1D,  Si,  il,  30,  31  b,  3i.  etc.; 
cf.  WiLiiiisw,  Manner»  and  Cuitomt,  t'  éd.,  t.  I,  p.  181-184 ;  Enii,  Mgypten,  p.  i8fi]  Le  enstume 
sacerdotal  est  ici,  comme  dans  beaucoup  d'autres  cas,  le  costume  passé  de  mode  du  chef  de  famille 
ou  du  noble  en   cérémonie.    \.r«   indhiilu*    i[ui  piisséilaieul  nérrilil.iii-L'iiicnl.  nu  qui  iraient  obtenu  le 


U  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

la  queue  de  l'animal  leur  trainait  sur  les  talons*.  Je  pense  bien  qu'au  début 
ils  s'enduisaient  tous  les  membres  de  graisse  ou  d'huile1  et  qu'ils  se  tatouaient, 
au  moins  en  partie,  la  face  et  le  corps,  mais  la  pratique  ne  s'en  conserva  que 
dans  les  classes  inférieures3.  En  revanche,  on  ne  cessa  jamais  de  se  farder. 
Pour  que  la  toilette  du  visage  fût  complète,  il  fallait  qu'un  trait  de  poudre 
d'antimoine  accentuât  l'arc  des  sourcils,  cernât  en  noir  le  tour  des  veux  et  se 
prolongeât  en  s'évasant  légèrement  jusqu'au  milieu  de  la  tempe;  une  couche 
de  couleur  verte  empâtait  le  dessous  de  la  paupière  inférieure*,  de  l'ocre 
et  du  carmin  avivaient  le  ton  des  joues  et  des  lèvres5.  La  chevelure  nattée, 
bouclée,  huilée,  feutrée  de  graisse,  formait  un  édifice  aussi  compliqué  chez 
l'homme  que  chez  la  femme.  Était-elle  trop  courte?  on  lui  substituait  une 
perruque  noire  ou  bleue  dressée  avec  beaucoup  d'habileté*  :  des  plumes  d'au- 
truche se  balançaient  sur  la  tête  des  guerriers7,  et  une  grosse  tresse,  plaquée 
derrière  l'oreille  droite,  distinguait  les  chefs  militaires  ou  religieux  de  leurs 
subordonnés*.  Quand  l'art  de  tisser  se  fut  répandu,  la  ceinture  et  le  pagne  en 

droit  de  revêtir  à  l'occasion  la  peau  de  panthère,  recevaient  sous  l'ancien  empire  le  titre  de  Olrou 
bousil,  «  grande  de  la  fourrure  »  (Mariette,  les  Mastabas,  p.  252,  253,  254,  275,  etc.). 

1.  Wilki.nson,  Manners  and  Customs,  2*  éd.,  t.  I,  p.  259,  n°  84,  9-13,  et  p.  272,  n°  88. 

2.  Les  fellahs  de  la  Haute-Egypte  et  les  Nubiens  se  Trottent  encore  aujourd'hui  le  corps  de  l'huile 
qu'ils  extraient  du  ricin  commun  :  elle  les  préserve  contre  les  moustiques  et  empêche  leur  peau  de 
se  gercer  au  soleil.  L'huile  de  ricin  est  l'huile  de  kiki,  dont  parle  Hérodote  (II,  xciv).  Elle  s'appelait 
saqnounou,  en  transcription  grecque  psagdas  avec  l'article  masculin  p  de  l'égyptien  ;  la  forme  sim- 
ple, sans  article,  Xotyfia;  se  rencontre  chez  Hésychius. 

3.  Champoi.lio.n,  Monuments,  t.  I,  pi.  CCCLXXX1  bis,  A;  Rosellini,  Monumenti  ciuili,  pi.  XLI,  texte, 
t.  II,  p.  21-22,  où  l'on  voit  des  femmes  tatouées  au  sein.  Encore  sur  la  plupart  des  bas-reliefs  des 
temples  de  Philae  et  d'Ombos,  les  déesses  et  les  reines  ont  le  sein  tailladé  de  longues  incisions  qui, 
partant  de  la  circonférence,  se  rejoignent  à  la  base  du  mamelon  comme  en  un  centre.  Les  cartonnages 
d'Akhmim  montrent  qu'à  l'époque  des  Sévères,  le  tatouage  était  aussi  commun  qu'il  l'est  aujourd'hui 
chez  la  petite  bourgeoisie  de  province  et  chez  les  fellahs  (Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Ar- 
chéologie égyptiennes,  t.  I,  p.  218;  cf.  Bulletin  de  l'Institut  égyptien,  2*  sér.,  t.  VI,  p.  89). 

4.  Le  vert  (ouùztt)  et  la  poudre  noire  de  charbon  végétal  ou  d'antimoine  (maszimil)  comptent 
parmi  les  offrandes  indispensables  au  mort;  mais,  dès  le  temps  des  Pyramides,  le  vert  semble  avoir 
été  chez  les  vivants  une  affectation  d'archaïsme,  et  on  ne  le  rencontre  que  sur  un  petit  nombre  de 
monuments,  tels  que  les  statues  de  Sapi  au  Louvre  (E.  de  Rougé,  Notice  sommaire,  p.  50,  A,  36,  37,  28) 
et  la  stèle  de  Hathdrnofirhotpou  à  Gizéh  (Maspero,  Guide  du  visiteur,  p.  212-213,  noa  991  et  1000). 
L'usage  du  kohol  noir  passait  dès  lors,  comme  aujourd'hui,  pour  guérir  ou  même  pour  prévenir 
les  ophtalmies,  et  l'œil  fardé  ^^  s'appelait  ouzaît,  le  bien  portant,  nom  qui  s'applique  couramment 
aux  yeux  du  ciel,  le  soleil  et  la  lune  (Maspero,  Notes  au  jour  le  jour,  §  25,  dans  les  Proceedings  de  la 
Société  d'Archéologie  biblique,  1891-1892,  t.  XIV,  p.  313-316). 

5.  Les  deux  momies  de  Honittooui  et  de  Nsitanibashrou  (Maspero,  les  Momies  royales  de  Détr  el- 
Hahari,  dans  les  Mémoires  de  la  Mission  française,  t.  I,  p.  577,  579)  avaient  été  peignées  et  leur 
visage  fardé  au  moment  de  l'ensevelissement  :  les  fards  de  couleur  diverse  qu'elles  portent  encore 
en  couche  épaisse  se  composent  d 'ocre,  de  brique  pilée  ou  de  carmin  incorporés  à  une  graisse  animale 

6.  Les  perruques  figurent,  dès  la  haute  antiquité,  dans  les  listes  d'offrandes;  l'usage  en  est  com- 
mun chez  beaucoup  des  peuples  sauvages  de  l'Afrique  contemporaine.  La  perruque  bleue  a  été  décou- 
verte chez  quelques-unes  des  tribus  qui  dépendent  de  l'Abyssinie,  et  des  spécimens  en  ont  été  rap- 
portés à  Paris  par  Jules  Borelli;  on  peut  les  étudier  au  Musée  d'Ethnographie  du  Trocadéro. 

7.  On  les  voit  sur  la  tête  du  petit  signe  |L££i  f^*  jsA&,  qui  représente  les  fantassins  dans  récri- 
ture courante;  plus  tard,  elles  ne  furent  plus  conservées  que  parles  mercenaires  d'origine  libyenne. 

8.  A  l'époque  historique,  les  enfants  seuls  portent  communément  la  tresse  :  chez  les  hommes  faits 
elle  demeure  la  marque  des  princes  de  famille  royale  ou  l'indice  de  certaines  hautes  fonctions  sacer- 
dotales (WiLkiNsoN,  Manners  and  Customs,  2e  éd.,  t.  I,  p.  162,  163,  182). 


LE  COSTUME.  S3 

toile  blanche  remplacèrent  le  vêtement  en  cuir'.    Attaché    à  la  taille,  mais 
assez  bas  pour  laisser  le  nombril  à  découvert,  le  pagne  tombait  souvent  jus- 
"  ou  :  souvent  aussi  la  partie  postérieure, 
e   entre   les  jambes,   venait   s 
ivsint  sur  la  ceinture,   de    ma: 
limuler    un    caleçon  *.    La    qu 
animal  et    la  peau  de  fauve 
furent     plus    désormais    qu' 
insigne  d'autorité  dont  les  pi 
très  et   les  princes  se  décor 
rent  aux  jours   de  fête  et  < 
cérémonies  religieuses".  Cet 
sorte    de   pelisse    quelquefc 
se    posait    négligemment    s 
l'épaule  gauche  et  flottait  ai 
mouvements  du   corps,    qut 
quefois  s'ajustait  minutieuser 
épaule  sous  l'autre,  de  mani 
tement  accuser  la  saillie  ilt 
poitrine.    La    tête    de    la 
n>nnui mim  w  hiud  iuiue    bête,    préparée    avec  soin       ntn%  mctait  la  mv  » 

mi.ke  ej  animée  de  grands  yeux  "  ™AV"S  ni  "  mit»»*  . 

en  émail,  reposait  sur  l'épaule  ou  descendait  sur  le  ventre  du  personnage; 
les  pattes,  garnies  de  leurs  griffes,  lui  battaient  la  cuisse  et  les  reins;  les 
mouchetures  étaient  taillées  de  manière  à  simuler  des  étoiles  à  cinq  brandies. 
On  endossait  sur  le  tout,  au  moment  de  sortir,  une  grande  couverture  unie 

chez  l'artisan  au  travail  (I.h^ii-,  Driikm.,  II,  1.  S,  14,  4:(.  41,  i.:i,  48,  3S.  10.  etc.). 

t.  La  première  forme  est  figurée  souvent  dans  Lersiis,  Dcnkm.,  Il,  p.  1,  B.  44,  4,'l,  Si,  43,  etc.; 
b  seconde  dans  Winnsoi,  Marinera  and  Cuifomt,  t'  cil.,  t.  Il,  p.  3*4.  Cf.  1rs  deux  statues  p.  47  et  4*. 

3.  L'usage  de  s'attacher  une  queue  en  paille,  en  filasse  ou  en  crin  cuistc  encore  aujourd'hui  chex 
beaucoup  de  tribus  du  llaut-Sil  (fii.istt  lUo.r*.  Géographie  nuire  ml  le,  t.  IX,  p.  1411,  18S,  16,'i.  17;;, 
II»,  etc.).  Lus  queues  d'apparat  eu  Éeyple  simulaient  la  queue  de  chacal,  et  non,  comme  on  dit,  une 
i|  ne  ne  de  lion.  Kl  le»  se  r<  imposaient  d'une  partie  souple,  en  cuir  ou  en  crin  tressé  à  Innliriiiire.  avec 
une  partie  ridule  en  bois  :  le  musée  de  Marseille  possède  un  de  ces  appendices  de  dois  (Misphiii, 
Catalogue  du  ttutie.  Egyptien,  p.  Il*,  n-  470).  Klles  faisaient  partie  du  costume  du  mort,  et  l'on  en 
trouve  de  deux  cs|>éces  dans  sa  earile-rolie  |Vrscoyii,  Moamuriili  Egiiiani  delta  raeeolla  del  Siipior 
llemetrio  l'apandriopulo,  ni.  VI:  Lf.Kit.s.  .Klteite.  Texte,  pi.  T.  37;  M utrKito, Tro»  Années  de  fouille», 
dans  le*  Mémoire»  de.  la  mi»»ion  du  Caire,  t.  I.  p.  417,  4*3,  i33). 

4.  Maine  eu  (wii  du  mutée  de  Giiéh  {IV'  dunnttir),  drtrin  de  h'aurher-Gudhi,  d'après  une  phnln- 
graphie  de.  Héchard.  —  Cf.  Mimuti:.  Album  du  Mutée  de  Boulag,  pi.  411,  et  Natter,  tirs  prùtripuu* 
moaumeal».  4'  cdil.,  p.  43Ï,  n*  1711;  Htsrtiio.  Guide  du  r'iiileur.  p.  4111,  n-  UHIB. 

",.   Statue  du  i'  prophète  d'Aman  Aa-nen.  à  Turin  (XVIII'  dyiiaxtié  .  ileitîn  de  r'aucher-Hiulin. 


3(1  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

ou  velue,  analogue  à  celle  dont  les  Nubiens  et  dont  les  Abyssins  s'envelop- 

"""*'  "--"-"  aujourd'hui,   et   qui  pouvait  se  draper  de 

nières,  transversalement  sur  l'épaule  gau- 

ie   le   châle  à   franges  des  Ohaldéens,   ou 

>  sur  les  deux  épaules  en  guise  de  man- 

" était  un  manteau  en  effet,  dont  on  s'abri- 

u  soleil  ou  de  la  pluie,  du  chaud  ou  du 

1;    jamais    on    ne    songea,    comme    plus 

l  la  toge  romaine,  à  le  transformer  en  un 

tement  de  luxe  et  d'apparat,   dont   l'aro- 

deur  assurait   la  gravité  du  maintien,   et 

dont  les  plis  soigneusement  arrangés  à 

l'avance    se     répart issaient    autour     du 

corps  avec  une  grâce  étudiée.    On  le 

dépouillait  dès  qu'on  cessait  d'en  avoir 

besoin,  et  on  le  pliait.  L'étoffe,  fine  et 

souple,  se  serrait  aisément  et  se  rédui- 

roanuMAGE  muant  dm»  le  onsii  lAxtEK  '.  sait  à  ne  former  plus  qu'un  rouleau  long, 

mince,   qu'on    attachait   par  les  deux 

bouts  et  qu'on  passait  en  bandoulière  en  travers  du  buste,  comme  chez  nous 

un  manteau   de    cavalier'.  Les   voyageurs,  les  bergers,    tous  les  gens   que 

représenté  sur  le»  monuments,  (luire  les  deux  slalnes  reproduites  plus  haut,  je  pourrais  citer 
celles  d'Ouahihrl  cl  Je  Tholnolir  :■  il  Louvre  (K.  nt  ItornE,  Kotia  des  Monuments  de  la  Galerie  égyp- 
tienne, IKlt,  n-  Sa  el  31.  |i.  3i,  *i).  puis  la  dame  Hofrlt  nu  musée  de  Gitvh  (Maspero,  Guide  du 
visiteur,  n'  IUSII,  p.  «Il-  Thnlhotpim  porte  ce  manteau  dans  son  tombeau  (Li;»sii>,  tienkm..  II.  131c), 
plusieurs  Finplnvé*  de  K  h  non  m  ho  t  pou  et  Khnoumholpou  lui-même  l'ont  à  Béni-Hassan  (I.Ersiis, 
Itriikm..  II.  Itli.  I ~i7>,  ainsi  qu'un  des  primes  d'rllépliiiiitiiie  dans  tes  lombes  récemment  découvertes, 
et  liiNjiu-nup  «"Égyptiens  de  toute  Musse  dinis  les  hipogéc*  llicliains  (cf.  un  bon  exemple  au  tombes» 
de  llaruihahi,  C*aiii-um.i<is,  Uonumrult de.  VKgyfilr,  pi.  U.VI.Ï-,  H.i-ki.i.im.  Monument!  C.irili,  pl.CVVl,  I  : 
UcjimiM,  le  Tombeau  de  thtrmhiibi,  dans  les  Mémoires  de  la  Million  du  Caire,  I.  V,  pi.  III).  S'il  n'est 
pas  plus  souvent  ligure,  c'est,  en  premier  lieu,  que  tes  artistes  éi;v]Uiei!s  éprouvèrent  des  difficultés 
réelles  à  en  rendre  les  plis  et  la  dra|ierie,  si  rudimentaire  fùl-elle  à  cote  de  l'appareil  compliqué 
des  loues  romaines;  e'esl  ensuite  que  les  talileauv  représentent  ordinairement  soit  des  scènes  d'inté- 
rieur, soil  les  travail*  des  champs  ou  îles  mi-tiers  divers,  soit  îles  épisodes  de  guerre  ou  des  cérémo- 
nies du  culte,  où  le  uiniiteau  n'avait  que  faire.  Chaque  homme  du  peuple  égyptien  possédai!  pourtant 
le  sien  qui  lui  servait  dans  l'usage  île  la  vie  journalière. 

t.  Statue  de  Khili  au  mutée  de  tli-.éh  (Xll'rt  Xlll'dynastiei),  destin  de  Fmtelier-Cudin-,  cf.  Jf.Mtm. 
Xntire  tira  priiirifiauj:  monument'.  ■(■  cd  ,  p  IKK.  w  ICI.  Cntiilngue  général  ilri  Monmnenlt  il' Abydiis, 
p.  (îli.  ii'.ltil,  et  Album  photographique  du  musée  de  Moulai/,  pi.  XXV.  Klle  provient  d'Abydos. 

3.  Les  exemples  du  manteau  ainsi  porté  sont  nombreux,  bien  qu'on  ne  les  ail  guère  relevés;  la 
plupart  des  dessinaleiirs,  ignorant  eu  qu'ils  avaient  à  représenter,  l'ont  interprété  d'une  façon  peu 
exacte.  Voici  quelques  rus  pris  au  hasard  :  l'api  I",  en  guerre  moire  les  nomades  du  Sinal,  a  le 
niiiiile.nl.  mais  avec  les  deux  bouts  passés  dans  la  ceinture  du  pagne  (I.f.psius.  Denkm..  Il,  II»;  a): 
à  Zaoniél  el-Maiétln.  klinnnas  rliassant  les  oiseaux  au  l.oumérang  en  l>ari|ue.  l'a  également,  mais  sim- 
pleuieul  posé  sur  l'épaule  gauche,  les  deux  exlréniilés  li lires  el  ll'il Imites  (.>/.,  M.  UNI  a),  klmoumliolpou 
de   Heni-llassaii  (id..  11.   13(1),  des  Khrihabi  {id..   Illl  b).  des  surveillants  {id.,  HKi  b.  1 111  o,  etc.)  ou 


LE  COSTUME.  57 

leurs  occupations  appelaient  aux  champs,  l'emportaient  en  paquet  au  bout 
de  leur  bâton;  arrivés  au  lieu  de  leurs  travaux 
dans  un  coin  avec  leurs  provisions  jusqu'au  m 
servir'.  Les  femmes  se  contentaient  d'abord 
identique  à  celui  des  hommes*  :  il  s'élargit,  s 
descendit  jusqu'à  la  cheville,  remonta  jusqu' 
sous  des  seins,  et  se  métamorphosa  en  un  fo 
presque  collant  au  corps,  qu'une  paire  de  band 
vauchant  les  épaules  en  guise  de  bretelles  ei 
de  glisser1.  La  chaussure  n'était  pas  d'usagi 
nalier;  à  l'occasion  pourtant  on  paraît  de  s: 
en  gros  cuir,  en  paille  tressée,  en  joncs  déc 
ou  même  en  bois  peint,  ces  beaux  pieds  ég; 
que  nous  voudrions  peut-être  un  peu  moins 
Hommes  et  femmes  aimaient  les  bijoux  et  si 
geaient  le  cou,  la  poitrine,  le  haut  des  br 
poignets,  la  cheville,  de  colliers  et  de  brac 
plusieurs  rangs.  C'étaient  des  files  decoquilla^ 
forés1  mêlés  à  des  graines,  à  de  petits  cail- 
loux brillants  ou  de  forme  bizarre.  On 
substitua  par  la  suite  des  imitations  en  terre 

cuite  aux  coquilles   naturelles  et  des  pierres  amen  m  imt  fc'""^"-  : 

précieuses   aux  cailloux   ainsi    que   des  perles 
d'émail,  les  unes  rondes,   les  autres  allongées  en  poires  ou  en  cylindres7  : 

ldi-l  plisse  sur  les  deu»  épaules  («/.,  i:ll  li.J).  Si  l'un  ohjei'Liit  les  ilimciisi.inH  e\inuos  auxquelles  la 
pièce  d'étoffe  où  ji!  reconnais  le  manteau  l'^yfilivn  es!  réduite  (Lins  l.i  plupart  de  ces  représentations, 
je  rappellerais  le  petit  volume  qu'occupe  l'énorme  manteau  de  nus  cavaliers  lorsqu'il  est  liien 
|>:iqiieté  et    passé  en  sautoir. 

t.  WiLXimON,  Hannert  and  Cutlomt,  ï*  éd.,  t.  11.  p.  11)11,  n°  360,  et  p.  3!>1,  n-  lliii.  où  l'on  mil  doux 
manteaux  roulés  et  déposés  dans  un  champ,  tandis  que  les  ouvriers  piorhent  .<  cil  té.  l'n  porclter,  qui 
porte  s/m  manteau  on  paquet  au  bout  de  son  hiton.  est  reproduit  à   la  pa«o  fil  du  présent  ouvrage. 

ï.  On  rencontre  encore,  dans  les  scènes  de  récolle  de  l'Ancicn-Empiic.  des  finîmes  velues  du 
partie  troussé  en  caleçon,  afin  de  pouvoir  travailler  plus  à  l'aise  (I.Krsurs.  Dcnkm..  H). 

3.  Lepsius,  Deakm.,  Il,  5.  R  e,  11,   1.1,  19,  40,  il,  lu.  il,  57,  3H,  etc. 

i.  Les  sandales  figurent  aussi  do  tout  temps  parmi  les  objets  qui  complètent  la  garde-robe  du  morl 
[VistosTi,  Monumenli  Egiziani,  pi.  VII;  I.ekics.  Ailleile  Texte,  pi.  XI,  p.  XLII1  ;  Xmpuui,  Trait  Année» 
de  fouilla,  dans  les  Mémoire*  de  ta  Million  franeaife,  t.  I,  p.  21N,  «K,  «7). 

5.  Le*  nécropoles  d'Abvdos,  surtout  celles  des  époque*  les  plus  .lucicuncs.  nous  ont  rendu  par 
millier»  des  coquillages  percés  et  enfilés  eu  colliers:  ils  appartiennent  tous  ii  l'espèce  des  canrics 
employées  comme  monnaie  dans  l'Afrique  de  nos  jours  (MmiKiit,  ta  Galerie  de  l'Egypte  ancienne  ù 
Vexpotilion  rétraipeelice  du  Trnrailéru,  p.  Mï:  .YIisrfcHo,  Guide  du  risiteiir.  p.  Ï7I,  n-  il, lu). 

fi.  Detëin  de  Fmicher~Gudiu,  d'âpre!  une  det  fîleutet  de  CEipotititm  viiirerxellc  de  1XN9.  Kilo  avait 
oie  restituée  d'après  les  peintures  du  tombes u  de  Khnoumhotpoii,  à  Béni-Hassan. 

ï.  Les  colliers  de  graines  ont  élé  trouvés  dans  les  nécropoles  d'Abvdos,  de  Thèbes  et  du  Génélélu. 
Schweinfurth  y  a  reconnu,  entre  autres  espèces,  la  Cania  abtui  L  ,  •   une  mauvaise  herbe  du  Soudan, 


38  LE  NIL  ET  L 'EGYPTE. 

plusieurs  plaquettes  en  bois,  en  os,  en  ivoire,  en  faïence,  en  terre  colorée, 
"™*ô°"  de  trous  où  passer  les  fils,  mainte- 
l'écart  entre  les  rangs  et  fixaient  les 
tés   du   collier1.   Les  armes   étaient, 
ns  chez  les  nobles,   le  complément 
;nsable  de  la  parure.  La  plupart  sér- 
ia lutte  corps  à  corps,  bâtons,  mas- 
sues, lances  garnies  d'un  os  aiguisé 
ou  d'une  pointe  de  pierre",  haches 
en  silex*,  sabres  et  casse-tête   en 
os  et   en   bois    de  façons  variées, 
pointus  ou  arrondis  du  bout,  à  lame 
mousse  ou  tranchante,  assez  inof- 
fensifs   en    apparence,    mais    qui, 
brandis  par  une  main  vigoureuse, 
brisaient  un  bras,  défonçaient  une  poitrine,  fracassaient  un  crâne  avec  toute 
la  précision  désirable5.  L'arc  simple  ou  à  triple  courbure  était  l'arme  favorite 
pour  l'attaque  à  distance',  mais  on  y  joignait  la  fronde,  la  javeline  et  un 

dont  In*  graines  se  vendent  sous  lu  nom  de  chichm  au  bazar  des  droguistes.  au  Caire  H  à  Alexandrie, 
comme  remède  <i  pli  ta  Unique  très  apprécié,  des  indigènes  •  {le*  Dernière*  Dért.ut-e'i't  botanique*  dans 
les  anciens  tombeaui  de  l'Egypte,  dada  le  Bulletin  de  VlnUitul  égyptien.  S-  sir  ,  t.  VI,  p  1S1)  l'ourles 
colliers  de  cailloux,  cf.  Maspubo,  Guide  du  t'itileur,  p.  «0-Î71,  o*  iti'J.  ti  iun  grand  nombre  de 
ce;-  caillou*,  ceux  surtout  qui  présentent  dus  formes  bizarres  ou  un  méhuge  de  cou'cjm  extraor- 
dinaires, ont  dû  être  considérés  comme  des  amulettes  ou  des  Tétiches  par  leurs  propriétaire!  égyp- 
tien*! (les  ces  analogues,  fhfli  d'antres  peuples,  ont  été  signâtes  par  En.  Tui*.  la  l'.irilitation  pri- 
uiiliec,  t.  If,  p.  1RS  sqq.,  41)3  sqq,).  l'our  les  imitations  en  terre  émailléc  hleuc.  des  cauries  cl  des 
coquillages,  cT  Maspkbi),  Guide  du  visiteur,  p.  171,  n*  4130,  p-  176.  n°  4160;  elles  sont  nombreuses  à 
Abjdos,  a  coté  des  caurics  naturelles. 

I.  La  naturu  lie  ces  petites  plaques  a  été  méconnue  par  la  plupart  des  savants  :  on  les  a  laissées 
do  cité,  rumine  objets  d'image  douteux,  ou  on  les  a  mal  décrites  dans  les  catalogue*  de  nos  musées. 

1.  Le  nom  N.ialT  île  la  lance  ou  de  la  javeline  est  déjà  mentionné  dans  les  plus  anciennes 
Formules  des  pyramides  (Pipi  l",  1.  4ii,  dans  le  Recueil  lie  Travaux,  t.  V  I,  p.  105).  La  mablt,  lance 
nu  javeline,  élail  armée  de  pointes  en  silex,  en  os,  en  métal,  analogues  à  celles  des  flèches  (Cinis, 
Etude*  sur  l'antiquité  historique,  1°  éd.,  p.  3RÎ  sqq.,  SOS). 

3.  On  trouve  dans  divers  musées,  notamment  à  Leyde,  des  haches  égyptiennes  en  pierre,  notam- 
ment en  serpentine,  brûles  et  polies  (Cuisis,  Etude*  iBf  l'antiquité  historique,  f  éd.,  p.  3H1-3K2). 

4.  Deitin  de  Fitncher-Gudiii  d'après  un  portrait  du  Pharaon  Seli  I"  de  la  XIX'  dynastie  (IIosellim. 
Monument!  sloriri,  pi.   ¥,  IX)  :  le  bas  du  collier  a  été  complété. 

ï.  Le  cassc-téle  primitif  pamtt  avoir  été  un  os  d'animal,  comme  le  prouve  la  figure  de  l'objet 
que  le  signe  V— >  tient  à  la  main  (M.ispebo,  Note*  au  jour  le  jour.  Jj  j,  dans  les  l'roccedings  de  la 
Société  d'Archéologie  biblique,  1KM-IS9I,  t.  XIII,  p.  310-311):  l'hiéroglyphe  ML  t—»  qui  sert  à 
déterminer  dans  l'écriture  toutes    les    idées    de   violence  et  de  force  brutale,  remonte  au   temps  où 

li.  Sur  les  deux  formes  principales  de  l'arc,  cf.  l.trsu  s,  Uer  ItiM/en  in  der  Ilîeroglyphik  {ZeîUchri/1. 
I»7i,  |).  70-8R).  fiés  les  temps  les  plus  anciens,  le  signe  fjft  montre  le  soldat  arme  de  l'arc  et  du 
paquet  de  flèches  ;  le  cari]  unis,  d'origine  asiatique,  ne  fut  ail  opte  qu'a.seï  la  ni  i  M  is|.  khi.,  Piolet  au  jour 
le  jour,  g  IS,  dans  les  Proeeetling*  de  la  Société  d'Archéologie  biblique,  l8.M-]«!ri,  t.  XIV.  p.  184- 
1R7).  rians  les  textes  contemporains  des  première»  dynasties.,  l'idée  n'arme*  est  rendue  pac  l'arc, 
la  flèche,  le  cassc-tétc  eu  la  luelie  (i:    m.  IIiht.é.   Itnhncliet  tur  les  inonumenU,  p.  101). 


LES  ARMES  EN  BOIS  ET  EN  MÉTAL.  59 

engin  presque  oublié  aujourd'hui,  le  boumérang1;  seulement  rien  ne  prouve 
que  les  Égyptiens  aient  manié  le  boumérang  avec  l'adresse  dont  les  Austra- 
liens y  font  preuve,  ni  qu'ils  aient 
su  le  lancer  de  manière  à  le  rame- 
ner à  son  point  de  départ'.  Tel 
était  à  peu  près  l'équipement  le 
plus  ancien  qu'il  nous  soit  permis 
de  deviner:  mais  l'Egypte  connut 
fort  tôt  le  cuivre  et  le  fera.  Elle 
remplaça  la  plupart  des  armes  en 
bois,  longtemps  avant  l'histoire,  par 
des  armes  en  métal,  poignards, 
sabres,  haches,  qui  gardèrent  la 
forme  des  vieux  instruments  aux- 
quels elles  succédaient.  Elle  réserva 
pour  la  chasse  celles  qui  persistè- 
rent, ou  ne  les  étala  plus  que  dans  u  kmiIbak  br  gi;imk  h  l'arc' 
les    circonstances   solennelles,    par 

respect  de  la  tradition.  Le  bâton  de  guerre  se  changea  en  bâton  de  com- 
mandement, puis  en  simple  canne,  dans  la  main  des  nobles  ou  des  riches. 
Le  casse-tète  ne  fut  plus  pour  les  seigneurs  qu'une  marque  distînctive  de 

1.  Le  boumérang  esl  employé  aujourd'hui  encore  par  certains  peuples  qui  habitant  la  vallée  du 
>it  (Kusiii:  Rscurs,  Géographie  uniuerselte,  l.  IX.  p.  3Si).  It  csl  représenté  dans  les  tombes  les  plus 
anciennes  {Lekws.  Denkm.,  Il,  tï,  60,  106.  etc.),  et  tous  les  musées  en  |.os«èdont  de  différente* 
tailles  (E.  iiï  Rougk,  Notice  sommaire.  Salle  Civile,  Armoire  II,  p.  73;  Haspkho,  Guide  du  visiteur, 
p.  303,  n*  4713).  Outre  le  boomerang  ordinaire,  les  Egyptiens  employaient  un  boomerang  terminé  en 
boule  (Maspsbo,  Guide  du  visiteur,  p.  303,  n*  ilti)  et  un  boumérang  en  forme  rt«  ilomi-scrjx'nl  (Châtia*. 
Etude*  tvr  l'antiquité  historique,  ï"  éd.,  p.  SU;  Maspkru,  Soles  au  jour  te  jour,  $  17,  dans  lus  Pro- 
ceediugs  de  la  Société  d'Archéologie  biblique,  t.  XIV,  1801-1BM,  p.  3ÏO-31I).  qui,  reproduit  de  petites 
dimensions  en  cornaline  ou  en  jaspe  rouge,  servit  d'amulette  et  fut  déposé  sur  les  momies,  pour 
fournir  au  mort  une  arme  de  guerre  ou  de  ebasse  dans  l'autre  monde. 

ï.  Le  boumérang  australien  est  beaucoup  plus  grand  que  l'égyptien  ;  il  est  long  d'un  peu  moins 
d'un  mètre  et  large  de  5  centimètres  sur  S  millimètres  d'épaisseur.  Pour  la  façon  de  le  maueeuvrei 
el  pour  les  effets  qu'on  en  peut  obtenir,  voir  Liibbocs.  t Homme  préhistorique,  \>.  iili-iun. 

3.  L'introduction  des  métaux  en  Egypte  était  fort  ancienne,  puisque  la  classe  des  forgerons  est 
liée  au  culte  de  l'Horus  d'Edfou  et  figure  déjà  dans  le  récit  des  guerres  mythiques  de  ce  dieu  i^Usikini. 
les  Forgerons  if  florin,  dans  les  Études  de  Mythologie,  t.  Il,  p.  313  sqq.).  Les  plus  anciens  outils  en 
cuivre  ou  en  brome  que  l'on  possède  remontent  jusqu'à  la  IV  dynastie  {Cunsnist,  On  mclallir 
Copper,  Tin  and  Antimony  front  Anricnl  Egypt,  dans  les  Procecdings  de  la  Société  d'Archéologie 
biblique,  tS91-tR9S,  p.  Î23-Ïili|  :  des  morceaux  de  fer  ont  été  trouvés  a  plusieurs  reprises  dans  la 
maçonnerie  des  pyramides  (Vïm>,  Pyramide  of  Gheh,  t.  I,  n.  ï 75-17 11  ;  Saut-Jus»  Vu.cr.MT  Daï.  Eia- 
mination  of  the  fragment  of  iron  fram  Ihe  greal  Pyramidoftiiieh,  dans  les  Transactions  of  tlie  intei  - 
national  Congres*  of  Orientalists,  IB74,  p.  3!»fi-39S;  Maskro,  Guide  du  visiteur,  p.  f»iî,  et  Bulle- 
tin de  la  Société  d'anthropologie,  1883,  p.  813  sqq.).  M.  Nontélius  a  contesté  à  plusieurs  reprises 
l'authenticité  de  ces  découvertes  el  pense  que  le  fer  n'a  été  connu  en  Egypte  i|iin  beaucoup  plus 
lard  (l'Age  du  brome  en   Egypte,  dans  l' Anthropologie,  t.  I,  p.  30  sqq,). 

A.  Dessin  de  Faueher-Gudin,  d'après  une  peinture  du  tombeau  de  Kltnoumhotpou.  à  Béni-Hassan. 
(r.tiiMuioif,  Monuments  de  l'Egypte,  pi  CGC;  Hoscllisi,  Monument!  eirili,  pi.  r.XVtt,  S). 


m  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

leur  rang1.  Enfin  le  croc  et  la   masse  à   manche  en   bois  à  tête  en  pierre 

___ blanche,  après  avoir  été  les 

|j^*«-ta-É"— ■^"— ^^^^"^^N^;         armes   préférées  des   prin- 
HtcHE  ïoiiïe  ^  t»o     oui*  in  ,  ce^  demeurèrent  jusqu'aux 

derniers  jours  les  insignes  les  plus  respectés  de  la  royauté1. 
La  vie  s'écoulait  relativement  facile  et  douce.  Des  étangs  que 
le  fleuve  à  son  déclin  abandonne  en  pleine  campagne,  les  uns  se  dessèchent 
plus  ou  moins  promptement  pendant  l'hiver  et  laissent  sur  le  sol  des  quan- 
tités prodigieuses  de  poissons  que  les  oiseaux  et 
les  bêtes   sauvages   disputent  à  l'homme*,  mais 
les  autres  se  peqiétuent  jusqu'à  l'inondation  sui- 
vante, comme  autant  de  viviers  qui  conservent  le 
poisson   frais  aux  riverains.  Pèche  à  la  fourche, 
pèche  à  la  ligne,  pêche  au  filet,  pèche  à  ta  nasse, 
tous  les  genres  de  pèche  furent  connus  des  Égyp- 
tiens et  usités  de  bonne  heure.  Où  les  étangs  fai- 
saient défaut,  le  Nil  voisin  leur  fournissait  des 
ressources   inépuisables.  Montés  sur  des  canots 
légers  ou  plutôt  sur  des  paquets  de  joncs  liés  en 
fuseau  et  surmontés  d'un  plancher',   ils  s'aven- 
roi  idui  le  mon,  turaient  en  plein  courant,  malgré  le  danger  tou- 

jours présent  que  l'hippopotame  leur  faisait 
courir,  ou  pénétraient  dans  les  canaux  et  dans  les  fourrés  de  plantes  aqua- 
tiques, pour  y  abattre  à  coups  de  boumérang  les  oiseaux  qui  y  nichaient  : 


I.  Le  cassc-télr-  en  bois,   le  plus  commun  I,  est  l'insigne  ordinaire  des  nobles.  Plusieurs  espèces 

différents,  faisaient  partie  du  mobilier  funéraire  (Ltr-sus,  .atteste  Texte,  ni.  X,  if-iK.  3H;  Misrimo. 
Trois  Années  de  fouilla,  dans  les  Mémoires de  la  Mission  française,  I.  1.  p.  il,  «I,  i3±,  etc.). 

i,  A  manche  lie  boit,  à  lame  de  brome,  rattachée  au  manche  par  un  Ireillit  de  courroie*  en  cuir 
\Musce  de  Ghth).  Destin  de  Fnucher-Oudin,  d'après  une  photographie  d'f.mile  Drugsch-hcy. 

3.  Le  croc  f  es!  le  sceptre  du  prince,  d»  Pharaon  ou  du  dieu;  la  massue  blanche  f  a  encore  la 
valeur  d'un  semblant  d'arme  entre  les  mains  du  roi  qui  la  brandit  au-dessus  du  groupe  de  prisonniers 
nu  du  bœuf  qu'il  sacrifie  à  une  divinité  (Lepsics,  Deakm..  II,  t  a,c,  W,  f,  116,  etc.).  La  plupart  des 
musées  renferment  la  tête  en  pierre  de  cette  masse,  dont  on  méconnaît  l'usage  :  j'en  ai  fait  entrer 
plusieurs  au  musée  de  Boulaq  (Extrait  de  l'inventaire,  p.  10,  n<*  2058(1-46587,  dans  le  Bulletin  de 
t  Institut  égyptien.  S-  sér..  t.  VI).  Il  en  renfermait  déjà  un  simulacre  loul  en  bois  (M.iaisni,  la 
Calcrie  de  l'Egypte  ancienne,  p.  101;  SIaspeho,  Guide,  p.  303,  n"  iltt). 

1.  Cf.  la  description  que  Geoffroy-Saint-H Maire  donne  de  ces  étangs  à  propos  du  fahaqa  {llùloire 
naturelle  des  poissons  du  fiit,  dans  la  Description  de  l'EgypIe,  l.  XXII,  p.  1BÎ-I83).  Aujourd'hui 
encore,  les  chacals  descendent  de  la  montagne  pendant  la  nuit,  et  viennent  se  repaître  du  poisson 
laissé  sur  les  terres  par  le  dessèchement  progressif  de  ces  pièces  d'eau. 

1.  La  fabrication  de  cette  espèce  de  canot  est  représentée  su  tombeau  de  Ptahhotpou  (DtiKin, 
llrsultate  der  archâologitch-phntogrophisrhen  Expédition,  t.  I,  pi.  VIII). 

f:   llat-relief  du  temple  de  Louxar,  d'après  une  photographie  de  M.  Insinger  priée  en  1S8S. 


LA   PECHE  ET  LA  CHASSE.  61 

oiseaux  et  poissons,  ils  séchaient  ce  qui  ne  pouvait  être  mangé  frais,  ils  le 
salaient  ou  le  fumaient  en  réserve  pour  les  mauvais  jours1.  Comme  la  rivière, 
le  désert  présentait  ses  périls  et  ses  ressources.  On  n'y  rencontrait  que  trop 


fréquemment  le  Mon,  le  léopard,  la  panthère  et  d'autres  félins  de  grande  taille. 
Les  nobles  revendiquaient  le  privilège  ou  le  devoir  d'aller  les  relancer  et  les 
détruire  jusque  dans  leurs  repaires,  comme  plus  tard  les  Pharaons.  Les  gens  du 


commun  s'attaquaient  de  préférence  aux  gazelles,  aux  oryx,  aux  moulions,  à 
l'ibex,  au  bœuf  sauvage,  à  l'autruche,  mais  sans  dédaigner  les  gibiers  plus  hum- 
bles, le  hérisson  et  le  lièvre  à  longues  oreilles  :  des  meutes  incohérentes,  où  le 
chacal  et  le  chien  hyénoïde  figuraient  à  côté  du  chien  loup  et  du  slougtu  efflan- 


i.  Sur  le  revenu  de»  pêcherie»  anciennes,  voir  Mébodoti,  II,  cilii  (cl".  III,  ne),  Diodouk,  I,  5Ï; 
pour  le  mode  de  fermage  usilé  bu  co  m  me  née  m  en  I  du  siècle,  cf.  Kicbjvb.  Correipondance  <f  Orient, 
t.  vi.  lettre  156.  et  Wiuumon,  Manner»  and  Ctatom»,  !-  éd.,  I.  Il,  p.  lii-UC. 

i.  Figure  ùolée  d'une  grande  scène  de  pêche  au  tombeau  de  Khnoumhatpou  à  Béni-Haiian  ;  dettln 
de  Faucher-Gudin  d'aprel  Hosellini,  Monumenti  cicili,  pi.  XXV,  1. 

3.  Denin  de  Faucher-Gudin .  d'apret  d't  cttampaget  du  tombeau  de  Ti. 


6-2  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

que,   dépistaient  et  rabattaient   pour  le  maître  la  proie  qu'il  perçait  de  ses 
flèches1.  Parfois  un  petit  suivait  le  chasseur  qui  venait  de  tuer  sa  mère,  et  qui 


emportait  le  cadavre,  parfois  une  gazelle  blessée  légèrement  était  traînée  au 
village  et  guérissait.  Au  contact  journalier  de  l'homme,  ces  animaux  s'apprivoi- 


saient et  formaient  autour  de  son  logis  des  sortes  de  hardes  disparates,  que 
l'on  gardait  un  peu  par  amusement,  beaucoup  pour  le  profit  qu'on  en  retirait  : 
c'était,  en  cas  de  besoin,  une  provision  de  viande  sur  pied*.  Aussi  cherchait-on 

I.  Sur  le*  chien*  égyptien*,  voir  Hoskilim,  Monumenlt  eirili,  I.  I,  ».  I9T-301;  r>.  I.ktommvi,  Irt 
Animanr  employé»  par  let  ancien»  Egyptien»  à  la  chatte  et  à  la  guerre,  itoiis  les  Première*  Cirilita- 
lioni.  I.  I,  |).  313  si|4.  ;  Dibch,  the  Tab'let  of  Aatefna  II,  dans  les  Trantactioitt  of  Ihe  Society  of  Ilibti- 
cal  Archsrology,  1.  IV,  p.  I7Î-19B. 

ï     Tombeau  de  Ti;  detiiii  de  r'aucher-Gudin,  d'après  ni'mcRM,  lletullate.  I.  Il,  pi.  X. 

3.  Deuinde  Faacher-Gudin,  d'aprtt  une  peinture  de  ll'ni-Haitaii .  I.epsiis,  Denkm.,  Il,  ISS. 


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LE  LAÇO  ET  LA  BOLA.  63 

à  l'augmenter,  et  le  désir  de  s'en  procurer  les  bêles  sans  les  endommager 
sérieusement  porta  les  Égyptiens  à  employer  des  engins  moins  brutaux  que 
la  tlèche  et  la  javeline:  le  filet 
pour  les  oiseaux,  le  laço  et  la 
bola   pour  les   quadrupèdes'. 
I^a  bola  se  composait  chez  eux 
d'une   seule    pierre    arrondie, 
attachée  à  une  courroie  d'envi- 
ron 5  mètres  de  long.  La  pierre 
lancée,  la  corde  allait  s'entor- 
tiller autour  des   jambes,   du 
museau  ou  du  cou  de  la  béte 
poursuivie,  et  y  formait  un  nœud  sur  lequel  on  pesait  à  grand  effort  de  bras 
et  d'épaules,  jusqu'à  ce  qu'elle  s'affaissât  à  demi  étranglée.  Il  n'y  a  point  de 
pierre  au  laço,  maïs  un  nœud  préparé  à  l'avance,  et  l'adresse  consiste,  pour 
le  chasseur,  à  le  passer  en  coi 
Un  prenait  indifféremment  te 
nait  à  portée,  sans  distinc- 
tion de   taille  ni  de  race. 
Les     chasses     renouvelées 
journellement  entretenaient 
ces  troupeaux  apprivoisés 
d'algazelles,  de  bouquetins, 
de  défassas,  de  grues,  d'au- 
truches,    que    les    monu- 
ments de  l'Ancien  Empire  comptent  encore  par  centaines*.    Le  temps  seul 
enseigna  à  distinguer  entre  les  espèces  dont  on  pouvait  tirer  bon  parti  et 
celtes   que    leur  naturel  farouche    rendait   rebelles  à   la  domestication  :   la 

I.  La  chasse  à  I»  bola  est  représentée  fort  souvent  dans  les  tableau*  du  l'époque  memphitc  comme 
dans  ceux  de  la  thébame.  Wilkinson  (Mannert  and  Cattomt.  f  éd.,  t.  Il,  p.  87,  f  3SÏ-3r>3)  l'a  confon- 
due avec  la  chasse  au  laço  et  son  erreur  a  été  reproduite  par  d'autres  ceyplolOKucs  (Ks».is,  £gypleu, 
p.  334).  On  voit  la  chasse  au  laço  dans  Lursus,  Dtakm..  Il,  Mli,  clans  lU'mcHKx,  Reiullale.  t.  I, 
pi.  VIII,  et  surtout  dans  les  nombreuses  scènes  Je  sacrifice  où  le  roi  est  censé  prendre  lui-même  le 
taureau  du  midi  ou  du  nord  qu'il  va  offrir  au  dieu  f.V.mumi;,  Abytlo».  t.  I,  pi.  53].  Sur  les  noms  de  la 
chasse  U  la  l.ola  et  au  laço,  cf.  .H.ispsno,  Hôte*  au  jour  le  jour,  j$j  4  el  !»,  dans  les  l'ioreedingt  de  la 
Société  d'Archéologie  biblique,  iR!in-IS91,  t.  XII,  p.  310  et  iïT-lifl. 

î.  n««in  de  Faucher-Gudin.  d'aprèt  un  bat-relief  de  l'htahhotpou  (Ddhichkh,  llemltale.  1. 1,  pi.  IX). 
(.es  chiens  du  premier  reeistro   ionl  des  Huons  hjénoldes,   ceux  du  second  des  sloughis. 

i.  De— in  de  r'auchrr-Cudin,  d'aprâ  ua  bai-relief  de.  fhlahholpou  (uOimchks.  Heiuttate,  t.  l.pl.  VIII): 
au  petit  registre,  deux  hérissons,  dont  Pu»,  à  demi  sorti  de  sou  trou,  saisit  une  sauterelle. 

4.  Les  tombeaux  de  l'Ancien  K  ru  j  lire  nous  tri  mi  Iran  l  de  nombreux  troupeaux  de  Raidies,  d'antilopes, 
de  grues,  qui  paissent  sous  la   surveillance  de   bergers,  Fr.  Leiionnant  eu  avait  conclu  que  les  Egyp- 


M  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

conquête  des  plus  utiles  n'était  pas  terminée  au  début  de  l'époque  historique. 
L'âne,  le  mouton,  la  chèvre  vivaient  déjà  en  pleine  domesticité,  mais  le  porc 
gîtait  dans  les  marais  à  l'état  demi-sauvage,  sous  la  garde  de  bergers  spé- 
ciaux', et  les  rites  religieux  conservaient  le  souvenir  du  temps  où  le  bœuf 
était  assez  peu  maté  pour  qu'on  fût  obligé  de  capturer  au  pâturage  avec  ie  laço 
les  bêtes  qu'on  destinait  au  sacrifice  ou  à  la  boucherie*, 

Les  Européens  s'étonnent  de  rencontrer  encore  aujourd'hui  des  populations 
entières  qui  se  régalent  d'herbes  et 
de  plantes,  dont  la  sa,veur  et  les  pro- 
priétés  rebutent  nos  estomacs  :  ce 
sont  pour  la  plupart  autant  de  legs 
d'une  antiquité  reculée,  et  l'huile  de 
ricin,  par  exemple,  dont  les  Berbérins 
se  frottent  les  membres,  ou  dont  les 
fellahs  du  Saïd  assaisonnent  leur  pain 
et  leurs  légumes,  était  celle  que  les 
Égyptiens  de  l'âge  pharaonique  préféraient  pour  les  soins  du  corps  et  pour 
le  service  de  la  cuisine*.  Ils  avaient  commencé  par  manger  sans  discernement 
tous  les  fruits  que  le   pays  produit.   Quand  l'expérience  leur  eut  appris  à 
en  connaître  les  vertus,  ils  en  éliminèrent  beaucoup  de  l'alimentation  et  les 
reléguèrent  peu  à  peu  dans  la  pratique  de  la  médecine;  d'autres  tombèrent 

tiena   des    premières    époques  avaient  roussi    à    s'attacher    des    espèces    rebelles    aujourd'hui    à    la 

[loi ilicalion    (ici  Première.?   C.iviliiationt,  t.  I,  p.  343-33S}.    "e  crois  que   les   animaux   représenté* 

ainsi  sont  apprivoisés,  non  domestiqués,  cl  proviennent  des  grandes  citasses  au  désert.  Les  faits 
mêmes  que  Lcnonnant  avait  produits  à  l'appui  de  son  opinion  peuvent  être  retournés  contre  lui. 
Ainsi  le  faon  de  gazelle  allaité  par  sa  mère  (Lfcpsirs,  Dtnkm.,  11.  iï)  ne  prouve  pas  la  reproduction  de 
l'espèce  en  captivité;  la  gazelle  a  pu  être  capturée  pleine,  ou  |icu  après  la  naissance  de  son  polit.  La 
mode  passa  d'avoir  eu  troupeaux  les  animaux  pria  au  désert,  entre  la  XII*  et  la  XVIII-  dynastie  :  au 
temps  du  Nouvel  Empire  on  n'en  possédait  plus  qu'un  ou  deux  individus  familiers,  qui  servaient  de 
jouets  a  ut  enfants  on  aux  femmes,  et  dont  on  enterrait  parfois  la  momie  à  coté  de  celle  de  leur 
maîtresse  (JtAsruto,  Guide  du  l'ititcur  au  mutée  de  floulaq,  p.  3*7,  n-  3MII). 

t.  La  haine  des  Egyptiens  pour  le  pore  (IlÉaowiTK,  11,  ilïii)  est  attribuée  à  lies  motifs  mythologiques 
(Sjïillb,  te  Chapitre  (l\lt  du  livre  de*  Mort*,  dans  les  Eludes  archéologique*  dédiée»  a  .M.  le 
If-  C.  Leemam.  p.  73-77).  Lippert  (Kullurgeiehuhle,  t.  I,  p.  343  sqq.)  pense  qu'elle  n'est  pas  en 
Egypte  un  fait  primitif.  Au  début,  le  porc  aurait  été  la  nourriture  principale  du  peuple;  puis,  comme 
le  chien  dans  d'autres  régions,  il  aurait  été  peu  à  peu  chassé  de  la  consommation  par  des  animaux 
d'ordre  plus  relevé,  gazelles,  moutons,  chèvres,  boeuns,  et  serait  tombé  dans  le  mépris.  Aux  raisons 
que  Lippert  donne  et  qui  sont  fortes,  ou  ]K>utrait  en  ajouter  d'autres  tirées  de  l'étude  de*  m; Oies 
égyptiens,  pour  montrer  que  le  porc  a  été  considéré  souvent  comme  un  animal  des  plus  estimables. 
Ainsi  [sis  est  représentée,  jusqu'aux  basses  époques,  sous  la  forme  d'une  truie,  cl  la  truie,  suivie 
ou  non  de  ses  gorets,  est  une  des  amulettes  qu'on  déposai!  dans  le  tombeau  avec  le  mort  afin  de 
lui  assurer  la  protection  de  la  déesse  (Mi>imn,  Guide  du   Vixitcur,  p.  ÏT3,  n*  iISîj). 

t.  Mahihtk,  Âhydo*{l.  I,  pi.  lu  A.  «3).  Pour  empêcher  la  héte  d'éviter  le  laco  et  de  s'échapper  pen- 
dant le  sacrifice,  on  lui  «Hachait  la  patte  droite  de  derrière  à  la  corne  gauche. 

3.  /'(Mutin  de  ratir.her-r.udiii.  daprt*  une  peinturr  d'un  lambeau  Ikfbain  de  la  AT///'  dynaitie. 

4.  J'ai  été  obligé  plusieurs  fois,  par  politesse,  de  manger,  chez  les  ngents  indigènes  que  les 
puissances  européennes  nomment  au  Sald,  des  salades  et  même  des  sauces  mayonnaises  assaisonnées 
à   l'huile  de   ricio  :   le  goût  n'était  pas  aussi  fâcheux  qu'on  pourrait  l'imaginer  de  prime  abord. 


LES  PLANTES  EMPLOYÉES  A  L'ALIMENTATION.  «5 

en  désuétude  et  ne  parurent  plus  que  dans  les  sacrifices  et  dans  les  repas 
funèbres;  les  autres  enfin  se  sont  maintenus  jusqu'à  nos  jours,  les  baies  aigre- 
lettes du  nabéca  et  du  caroubier,  les  figues  stvptiques  du  sycomore,  la  chair 
insipide  du  doum,  à  côté  de  ceux  qui  plaisent  à  nos  palais  occidentaux,  comme 


on  connut  l'art  d'en  ""'  presser  le  vin  de  temps  immémorial,  et  les  monu- 
ments les  plus  anciens  énumèrent  déjà  une  demi-douzaine  de  crus  fameux, 
blancs  ou  rouges*.  La  vesce,  le  lupin,  les  fèves,  les  pois  chiches,  les  len- 
tilles, les  oignons,  le  fenugrec',  la  bamiah*.  la  méloukhiah*.  la  colocase", 
poussaient  naturellement  dans  les  champs,  et  le  fleuve  lui-même  apportait  son 
contingent  de  plantes  nourricières.    Deux  des  espèces  de  lotus  qui  y  crois- 

I.  Itcuîn  de  Fauckrr-I'iudiit.  ttnprè*  la  Dmrrip/iitii  tir.  ÏEijyjilr,  llisraiitr.  Nitibu.le,  pi.  61. 

î.  Sur  les  vin*  (le  l'Egypte  pharaonique!,  rf.  BiunstH,  lleiie  iiaih  der  lirouen  Oaie  el-Khargell,  p.  911- 
!I3.  Les  quatre  espèces  de  vin  canoniques  tirées  de  chacune  îles  régions  Nord,  Sud,  Est  et  Ouest 
du  pays  l'ont  partit;  du  repas  officiel  et  de  la  rave  des  morts  depuis  la   plus  haute  antiquité. 

K.  Toutes  ces  ospci-cs  tint  elé  retminées  dans  les  tonihefiui  et  déterminées  par  les  savants  qui  se 
sont  occupés  d'archéologie  botanique,  Kunth,  L'iiger,  Schncinfurth  (Loiiit.  la  Flore  Pharaonique,  p.  17, 
■H»,  iî,  «.  il"  3»,  HT,  1(1*.  nu,  M»,  1H6). 

i.  La  bamiah,  Uibmciu  etruleiitui  I,  ,  est  une  plante  de  la  famille  des  Malvacécs  dont  les  fruits  à 
rinq  luges,  couverts  d'un  poil  piquant,  rerirernu'iit  des  griiiiies  rondes,  blanches,  molles,  d'un  «oilt 
il  il  peu  sucré,  mais  île  saveur  sljptii|ue,  et  très  inurilagiiieuses  (S.  m.  Sut,  llclaiion  de  l'Egypte  par 
Abd-Allatif,  p.  16,  87-40).  Elle  est  figurée  sur  les  monuments  d'époque  pharannique  (HostLiuu,  Jfonii- 
menti  cirili,p\.X\\n.-A,  et  leste,  1. 1,  [..SB0-3M  ;  cf.  Wœme,  [)ie  Pflaiizeu  im  Allen  £gyplen,  p.  ÏIB-iîd). 

5.  I.a  mcloukhiah,  t'.orcltorut  Oltloriui  I...  est  une  plante  de  la  famille  des  Tilliacécs,  qu'on  hache 
et  qu'on  fait  cuire  à  peu  près  comme  chci  nous  les  endives,  mail  que  peu  d'Européens  peuvent 
supporter,  a  cause  du  mucilage  dans  lequel  elle  baigne  (S.  i>s  S.icï,  Relation  lit  l'Egypte  par  Abd- 
Allalif.  p.  16-17,  in-it).  Thcophrastc  dit  qu'elle  était  célèbre  par  son  amertume  {Uistoria  Plant., 
Vil.  7);  on  s'en  nourrissait  pourtant  dans  la  ville  grecque  d'Alexandrie  (Plisc,  11.  (V.,  XXI,  13,  Si). 

6.  La  colocase.  Arum  «i/o™™  I...  est  mentionnée  dans  Pline  (//.  J¥.,  XIX.  S,  XXIV,  16)  parmi  les 
plantes  potagères  de  l'Egypte  :  aujourd'hui  encore,  on  en  mange  la  racine  cuite  à  l'eau. 


66  LE  ML  ET  L'EGYPTE. 

sent,  la  blanche  et  la  bleue,  produisent  des  têtes  assez   semblables  à  celles 
du  pavot  :  leurs  capsules  contiennent  de  petites  graines  de  la  taille  d'un  grain 
de  mil.  Le  lotus  rose  «  porte  son  fruit  sur  une  tige  différente  de  celle  où  naît 
la  fleur  et  qui  sort  de  la  racine  même;  il  approche  pour  la  forme  aux  gâteaux 
de  cire  des  abeilles  »,  ou,  plus  prosaïquement,  à  une  pomme  d'arrosoir.  11 
est  percé,  à  la  partie  supérieure,  de  vingt  à  trente  cavités,  «  dont  chacune 
contient  une  semence  de  la  grosseur  d'un  noyau  d'olive,  bonne  à  manger, 
fraîche  ou  desséchée1  ».  C'est  lace  que  les  anciens  appelaient  la  fève  d'Egypte*. 
«  On  cueille  également  les  pousses  annuelles  du  papyrus.  Après  les  avoir 
arrachées  dans  les  marais,  on  en  coupe  la  pointe,  qu'on  rejette,  et  ce  qui  reste 
est  à  peu  près  de  la  longueur  d'une  coudée.  On   s'en   régale  et  on  le  vend 
publiquement,    mais    les  délicats  ne    le  mangent  qu'après  l'avoir  passé  au 
four3.   »  Vingt  sortes  de  graines  et    de  fruits,  écrasées  entre  deux  pierres, 
puis  pétries  et  cuites,  fournissaient  des  galettes  ou  des  pains,  qui  sont  men- 
tionnés souvent  dans  les  textes,  pains  de  nabéca,  pains  de  dattes,  pains  de 
figues.  Les  pains  de  lis,  fabriqués  avec  les  racines  et  les  semences  du  lotus, 
affriandaient  les  plus  gourmands  et  figuraient  encore  sur  la  table  des  rois 
de  la  XIXe  dynastie*;  le  pain  et  les  galettes  de  céréales  formaient  la  nour- 
riture habituelle  du  peuple5.  La  dourah  est  originaire  d'Afrique  :  c'est  le  grain 
du  midi  des  inscriptions6.  On  suppose  au  contraire  que  le  froment  et  l'orge  à 
six  rangs  proviennent  des  régions  de  l'Euphrate.  On  les  y  trouverait  encore 
à  Tétat  sauvage,  et  ils  les  auraient  quittées  pour  se  répandre  sur  le  monde7  : 
TÉgypte    les    aurait  reçus    et   cultivés    des  premières8.    La   terre  y    est  si 

1.  Hérodote,  II,  xcii.  Les  habitants  à  demi  sauvages  du  lac  Monzaléh  estiment  encore  la  racine  de 
deux  espèces  de  lotus,  mais  ils  préfèrent  de  beaucoup  celle  du  Nymph&a  Cserulea  (Savary,  Lettres 
sur  i Egypte,  t.  I,  p.  8,  note  8;  11affe.nkau-Dki.ilr,  Flore  d'Egypte,  dans  la  Description,  t.  XIX,  p.  425). 

2.  Diodork  dk  Sicile,  I,  10,  34;  Thkophraste,  Hittt.  PL,  IV,  10:  Strabon,  XVII,  7<K). 

3.  Hérodote,  II,  xcn.  Sur  le  papyrus  d'Egypte  en  général,  et  sur  ses  usages  alimentaires  ou  autres, 
voir  Kr.  Wgenig,  Die  Pflanzen  im  Allen  Aïgypten,  p.  74-129. 

4.  Le  mot  tiou,  qui  est  le  plus  ancien  pour  désigner  le  pain,  paraît  avoir  signifié  au  début  toute 
espèce  de  pâte,  fabriquée  avec  toute  espèce  de  fruits  ou  de  graines;  tlqou,  plus  moderne,  s'applique 
surtout  au  pain  de  céréales.  Les  pains  de  lit  sont  mentionnés  au  Papyrus  Anastasi,  n°  IV,  p.  14,  I.  1. 

5.  Les  rations  des  ouvriers  sont  payées  en  blé  ou  en  pains,  à  partir  de  l'Ancien  Empire*.  Le  pain 
allongé  et  plat  «sa*  est  d'ailleurs  l'offrande  principale  qu'on  apporte  aux  morts;  un  autre  pain  ovoïde 

sert  de  déterminatif  ê  avec  le  vase  d'eau  à  l'idée  de  repas   funéraire  Çl     '    rp  qu»  fait  remonter 

son  usage  bien  loin  dans  le  passé  préhistorique  de  l'Egypte. 

0.  L'origine  africaine  de  la  dourah  commune,  Uolcus  Sorghum  L.,  est  admise  par  E.  dk  Candollk, 
Origine  des  plantes  cultivées,  p.  30.V307.  On  en  a  trouvé  des  graines  dans  les  tombeaux  (Lorkt, 
la  Flore  Pharaonique,  p.  12,  n°  20)  et  la  représentation  dans  les  peintures  thébaines  (Koskllini, 
Monumenti  eivili,  pi.  XXXVI,  2,  et  texte,  t.  I,  p.  34*  1  sqq.).  Je  l'ai  rencontrée  mentionnée  sous  le 
nom  de  dirati  dans  le  Papyrus  Anastasi,  n°  IV,  p.  13,  I.  12,  p.  17,  I.  4. 

7.  Le  froment,  souo,  est  le  blé  du  nord  des  inscriptions.  L'orge  est  iali,  ioti.  Sur  l'origine  asiatique 
du  froment,  voir  E.  de  Ca.ndollk,  Origine  des  plantes  cultivées,  p.  283-288,  dont  les  conclusions  me 
paraissent  insuffisamment  supportées  par  les  faits.  Le  nom  sémitique  du  froment  se  retrouve  sous  la 
forme  kamhou  dans  les  Pyramides  (Maspero,  la  Pyramide  du  roi  Teti,  dans  le  Recueil,  t.  V,  p.  10). 

H.  La  place  que  le  froment  et  l'orge  occupent  dans  les  listes  d'offrandes  prouve  l'antiquité  de  leur 


LA  HOUE  ET  LA  CHARRUE.  h-7 

maternelle  à  l'homme  qu'en  beaucoup  d'endroits  elle  n'exige  aucun  travail. 
Dés  le  moment  que  les  eaux  se  retirent, 
on  l'ensemence  sans  avoir  besoin  de  la  | 
façonner,  et  le  grain,  tombant  en  pleine 
boue,  y  prospère  autant  que  dans  les 
sillons  les  mieux  tracés1.  Où  elle  a  quel- 
que fermeté,  il  faut  bien  l'ouvrir,  mais 
la  simplicité  même  des  instruments  dont 
on  l'attaque  prouve  quelle  faible  résistance 
elle   oppose.     La    houe   suffit   longtemps, 

une  houe  composée  de  deux    pièces    de  . 

bois  de   longueur    inégale,    assemblées  à 

une  de  leurs  extrémités,  assurées  au  milieu  par  une  corde  un  peu  lâche  : 
la  charrue,  quand  on  l'inventa,  ne  fut  qu'une  lioue  agrandie  à  peine  et  tirée 
par  des  bœufs3.  La  culture 
des  céréales,  implantée  aux 
bords  du  Nil,  s'y  développa 
dès  les  temps  les  plus  an- 
ciens au  point  de  tout  enva-    ' 
hir  :  la  chasse,  la  pèche,  la 
pâture  des  bestiaux  n'y  fu- 
rent plus  que  des  soucis  se- 
condaires au  prix  du  labour, 
et  l'Egypte  devint,  cequ'elle 

est  demeurée  jusqu'à   nos  .  4 

jours,  un  vaste  grenier  à  blé. 

La  vallée  fut  conquise  la  première  du  Gebel  Silsiléli  à  la  pointe  du  Delta5. 
Kl  le  développe  de  montagne  à  montagne  une  surface  légèrement  convexe, 
sillonnée  dans  le  sens  de  la  longueur  par  une  échancrure,  au  fond  de  laquelle 

jirùsoTu'i;  iti  i^jjili.'  :  Un  ri  cite  avilit  Irouvr  ilo  l'cItaiuMlnnu  li'iwKP  il  ans  In»  tomlips  <fi>  LA  1 1 1  ■  ï  h.  ■  t .  Kni|iiri> 
ii  Saqijariih  (Schwkikfi'*th,  Xotirr  *ur  le*  rette*  de  régélaux  de  l'Ancienne  Egypte  contenu*  dent  une 
armoire  du  mutée  de  Boulag,  dans  le  Bulletin  de  t'tnititnl  Égyptien,  J"  «crie.  I.  V,  p.  .1). 

I.  I>  -S.  GiflAHU.  Mémoire  mr  f  Agriculture,  t  Industrie  et  le  Commerce  de  t'Égupte,  dans  In  Des- 
cription  de  f  Egypte.  I.  XVIII,  p.  lit. 

t.  Bat-relief  du  tombeau  de  Ti;  de*»in  de  Faurlter-tïutliit.  d'âpre»  "ne  phatogr.  d'É.  Ih ugstli-lley . 

,1.  Ccwtiï,  Grotte»  d' Eléthyia,  dan»  la  Ihteription  de  l'Egypte,  1.  VI.  |i  105;  Misrmo,  Études  Egyp- 
tiennes, t.  Il,  p.  AH-71. 

I.   Bat-relief  du  Inmtieau  de  Ti  :  dcitin  de  Faurlier-t'.udin.  d'nprit  une  phntogr.  d'E.  Urngselt-ltey 

'.,.  C'a  été  In  Imilitiiin  rie  I ' : i ti ( L « i u 1 1 iv  i-nlu-n>.  Hérodote  rsu-oiitait,  i['a[iri's  lis  F;i,'\|. liens,  ip'inniit 
Hént"*  rËgjplu,  ii  IV\ii!|ilion  du  iinmc  lliéhuin.  fonniiil  un  marais  iinriiiïtiKiï  UlUiui-ui.  11.  iv|.  Ari-iloli: 
(  Keteorotog  ,  I.  ut)  ajoute  nue  la  mer  UouKe,  la  )lédil..rranûf  «M  IVspncc  owtipê  aujourd'hui  par  Ik 


68  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

le  Nil  se  ramasse  et  s'enferme,  passé  l'inondation.  Pendant  l'été,  dès  qu'il 
avait  franchi  la  crête  des  berges,  les  eaux  se  précipitaient  par  leur  propre 
poids  vers  les  bas-côtés,  creusant  sur  leur  passage  de  longues  ravines  dont 
quelques-unes  ne  se  desséchaient  jamais  complètement  à  l'étiage1.  La  culture 
était  aisée  dans  le  voisinage  de  ces  réservoirs  naturels  ;  mais,  partout  ailleurs, 
les  mouvements  du  fleuve  nuisaient  plus  à  l'homme  qu'ils  ne  le  servaient. 
Le  flot  ne  recouvrait  presque  jamais  les  parties  hautes  de  la  vallée,  qui  res- 
taient improductives;  il  courait  trop  rapidement  sur  les  terrains  d'altitude 
moyenne,  et  séjournait  avec  tant  de  persistance  sur  les  bas-fonds,  qu'il  les 
changeait  en  étangs  herbeux  et  croupissants*.  Les  sables  envahissaient  tout  ce 
qu'il  n'arrosait  pas  chaque  année  :  on  passait  de  la  végétation  désordonnée 
des  pays  chauds  à  l'aridité  absolue.  Aujourd'hui,  un  système  d'irrigation 
ingénieusement  établi  permet  aux  agriculteurs  d'asservir  et  de  distribuer  la 
crue  presque  à  leur  gré.  De  Gébéléîn  à  la  mer,  le  Nil  et  ses  bras  principaux 
sont  bordés  de  longues  digues,  qui  en  épousent  tous  les  contours  et  donnent 
à  leurs  berges  une  stabilité  suffisante.  Nombre  de  canaux  s'en  détachent  à 
droite  et  à  gauche;  ils  se  dirigent  plus  ou  moins  obliquement  vers  les  extré- 
mités de  la  vallée,  coupés  d'espace  en  espace  par  des  digues  uouvelles 
qui  s'appuient  d'un  côté  sur  le  Nil,  de  l'autre  sur  le  Bahr-Yousouf  ou  sur  les 
derniers  gradins  du  désert.  Les  unes  ne  protègent  qu'un  canton  et  consistent 
en  une  simple  levée  de  terre;  les  autres  commandent  de  vastes  espaces,  et  la 
rupture  entraînerait  la  ruine  d'une  province  entière.  Celles-là  ressemblent 
parfois  à  de  véritables  remparts,  construits  en  briques  crues  cimentées  soi- 
gneusement; rarement,  comme  à  Qoshéîsh,  elles  offrent  un  noyau  en  grosses 
pierres  de  taille,  que  les  générations  postérieures  ont  recouvert  de  massifs  de 
briques  et  fortifié  d'épaulements  en  terre  sans  cesse  renouvelés.  Elles  serpen- 
tent à  travers  la  plaine,  en  tours  et  retours  imprévus,  dont  on  ne  comprend 
pas  l'utilité  au  premier  coup  d'œil  :  en  y  regardant  de  plus  près,  on  voit  qu'on 
aurait  tort  d'en  attribuer  l'irrégularité  à  l'ignorance  ou  au  caprice.  L'expé- 
rience avait  appris  aux  Égyptiens  l'art  de  démêler  sur  le  relief  presque 
insensible  du  sol  les  lignes  les  plus  faciles  à  défendre  contre  la  crue;  ils  en 
ont  suivi  les  moindres  flexions,  et  c'est  à  la  nature  qu'on  doit  s'en  prendre, 

si   leurs  tracés  se  dessinent  sur  le  terrain  de  façon  singulière.   Des  digues 

1,  Toute  l«i  description  dos  ravages  que  le  Nil  peut  exercer,  dans  les  localités  où  il  n'est  pas  sui- 
\eillé,  est  empruntée  à  Lisant  dk  Bkllkfonds,  Mémoire  sur  les  principaux  travaux  d'utilité  publique,  p.  3. 

4.  Otte  constitution  physique  du  pays  explique  la  présence  aux  très  anciennes  époques  de  ces 
serpents  gigantesques  dont  j'ai  déjà  signalé  plus  haut  l'existence;  cf.  p.  33,  note  *i,  de  cette  Histoire. 


LES   DIGUES,  LES  BASSINS,   L'IRRIGATION.  69 

complémentaires,  jetées  entre  les  digues  maîtresses,  parallèlement  au  Nil,  dis- 
tinguent les  terres  hautes,  contiguës  au  fleuve,  des  terres  basses  qui  se  ran- 
gent sur  les  flancs  de  la  vallée,  et  découpent  les  grands  bassins  en  bassins 
secondaires  d'étendue  variable,  dont  l'irrigation  se  règle  au  moyen  de  rigoles 
spéciales1.  Tant  que  le  Nil  descend,  les  riverains  laissent  leurs  canaux  en 
libre  communication  avec  lui;  ils  les  barrent  vers  la  fin  de  l'hiver,  quelque 
temps  avant  le  retour  du  flot,  et  n'en  rouvrent  plus  l'entrée  que  dans  les 
premiers  jours  d'août,  quand  l'inondation  nouvelle  atteint  son  plus  haut.  Les 
eaux,  pénétrant  par  la  tranchée,  viennent  alors  se  heurter  contre  la  pre- 
mière digue  transversale  et  refluent  sur  les  champs.  Quand  elles  y  ont 
séjourné  assez  longtemps  pour  en  saturer  les  terres,  on  perce  la  digue  et  on 
les  reverse  sur  le  bassin  suivant,  jusqu'à  ce  que  la  digue  prochaine  les 
arrête  à  son  tour  et  les  force  à  s'étaler.  L'opération  se  renouvelle  de  digue 
en  digue  :  la  vallée  n'est  bientôt  plus  qu'une  suite  d'étangs  artificiels,  étages 
les  uns  au-dessus  des  autres  et  se  dégorgeant  les  uns  dans  les  autres,  du 
Gebel  Silsiléh  à  la  fourche  du  Delta.  En  automne,  on  barre  de  nouveau  l'accès 
de  chaque  fosse,  mais  pour  empêcher  la  masse  liquide  de  rentrer  dans  son 
lit.  On  ferme  de  même  les  coupures  pratiquées  à  différents  points  des  digues 
transversales,  et  les  bassins  ne  sont  bientôt  plus  que  des  lacs  clos,  séparés 
par  des  chaussées  étroites.  Dans  certains  endroits,  la  couche  d'eau  empri- 
sonnée est  si  mince  que  le  sol  la  boit  tout  entière  ;  ailleurs,  elle  est  assez 
épaisse  pour  qu'après  l'avoir  gardée  plusieurs  semaines,  on  soit  obligé  de  la 
rejeter  dans  le  bassin  du  bas  ou  directement  dans  le  fleuve*. 

L'histoire  ne  nous  fait  point  connaître  les  péripéties  de  la  lutte  que  les 
Égyptiens  engagèrent  contre  le  Nil,  ni  le  temps  qu'il  leur  en  coûta  pour  la 
terminer.  La  légende  attribuait  l'idée  du  système  et  en  partie  l'exécution  au 
dieu  Osiris*;  puis  Menés,  le  premier  roi  humain,  aurait  bâti  la  digue  de 
Qoshéish,  d'où  dépend  la  prospérité  de  la  Moyenne-Egypte  et  du  Delta*,  et 
le  fabuleux  Mœris  aurait  étendu  au  Fayoum  les  bienfaits  de  l'irrigation5.  En 

1.  Les  premiers  renseignements  précis  sur  l'organisation  d'un  bassin  ou  d'une  série  de  bassins  ont 
été  réunis  au  commencement  de  notre  siècle  par  .Martin,  Description  géographique  des  provinces  de 
BeniSoueyf  et  du  Fayoum,  dans  la  Description  de  l'Egypte,  t.  XVI,  p.  6  sqq.  Le  régime  auquel  les 
bassins  de  la  Haute-Égyptc  et  ceux  du  Delta  sont  soumis  actuellement  a  été  fort  bien  décrit  par 
Chklc,  le  Nil  y  le  Soudan,  l'Egypte,  p.  323  sqq. 

2.  P.-S.  Girard,  Mémoire  sur  l'Agriculture,  V Industrie  et  le  Commerce  de  l'Egypte,  dans  la  Des- 
cription  de  l'Egypte,  t.  XV11,  p.  10-13.  Pour  le  détail  technique  de  remplissage  et  du  vidage  progressif 
des  bassins,  voir  de  nouveau  Chei.it,  le  Nil,  le  Soudan,  l'Egypte,  p.  325-333. 

3.  Diodohf.  i>k  Sien.*:,  I,  1U,  qui  a  emprunté  cette  donnée  aux  hymnes  d'époque  alexandrine. 

i.  Bi'!tsK!«,  Egypt's  place  in  the  World's  Story,  t.  II,  p.  il,  interprétant  un  passage  d'Hérodote  (II, 
xci),  pense  que  la  digue  de  Qoshéish  était  celle  dont  les  Égyptiens  attribuaient  la  construction  à  Menés. 
».   H£roi»otk,  II,  ci,  cxlix,  où  il  est  inutile  de  chercher  sous  le  nom  de  M<eris  un  Pharaon  réel. 


7(1  LE  ML  ET  L  EGYPTE. 

réalité,  l'aménagemenl  des  eaux  et  la  conquête  des  terres  cultivables  sont 
l'oeuvre  des  générations  sans  histoire  qui  peuplèrent  la  vallée  :  les  rois  histo- 
riques n'eurent  qu'à  entretenir  et  à  développer  sur  quelques  points  ce  qu'ailes 
avaient  Fait,  et  la  Hauie-Égypte  est  encore  enlacée  aujourd'hui  dans  le  réseau 
dont  ses  premiers  habitants  la  couvrirent.  Le  travail  (lut  commencer  simulta- 
nément sur  plusieurs  points  à  la  fois,  sans  entente  préalable  et  comme  d'in- 
stinct. Une  digue  protégeant  un  village,  un  canal  qui  drainait  ou  qui  arrosait 
un  canton  de  peu  d'étendue,  n'exigeaient  que  l'effort  d'un  petit  nombre  d'in- 
dividus; puis  les  digues  se  rencontrèrent,  les  canaux  se  rejoignirent  à  force  de 
se  prolonger,  l'œuvre  entreprise  au  hasard  se  rectifia  et  gagna  de  proche  en 


proche,  avec  le  concours  de  populations  toujours  plus  nombreuses.  Ce  qui 
se  passait  encore  à  la  (in  du  siècle  dernier  nous  montre  au  prix  de  quelles 
querelles  et  de  combien  de  sang  versé  elle  s'agrandit  et  se  régla.  Chaque 
canton  en  exécutait  sa  pari  dans  son  propre  intérêt,  captait  les  eaux,  les  con- 
servait, s'en  délivrait  à  sa  guise,  sans  se  demander  s'il  en  privait  ou  s'il  en 
surchargeait  les  cantons  voisins  :  de  là  des  rixes  et  des  batailles  perpétuelles. 
Il  fallut,  pour  faire  respecter  les  droits  du  plus  faible  et  pour  coordonner  le 
système  de  distribution,  que  le  pays  reçût  un  commencement  au  moins 
d'organisation  sociale  analogue  à  celle  qu'il  posséda  plus  tard  :  le  Nil  com- 
manda la  constitution  politique  comme  la  constitution  physique  de  l'Egypte*. 
Kilo  était  répartie  entre  des  communautés,  dont  tous  les  membres  étaient 
censés  provenir   du   même  germe    (pâîl)   et   appartenir  à    la  même  famille 

I.   Itut-relief  du  lambeau  de  Ti ;  drain  de  Vaurhcr-t',udiu.  d'aprèt  mir  photagr.  (fil.  Ilriigsrlt-ltcg. 

i.  Sur  l'état  du  servire  îles  irrigations  .iu  rouiiii(>ii<-i-mi'iil  île  noire  siècle,  sur  les  différends  <]ui 
sï-li'vaieiil  l'iiLio  les  lillnfes  à  |mi|>ns  île  h  rfis.li -ihiilion  lies  i'uiix  et  sur  la  façon  donl  on  les  (ran- 
cirait, voir  l'.-S.  Oihihii,  Némiùic  «ne  l'Agriculture.  l'Industrie  et  Ir  Commerce  de  l'Egypte,  ilaiis 
la  Ihieriptiun  de  l'Egypte,  t.  XVII,  |i.  [3  sc]i|.  ;  la  législation  actuelle  dans  Chéli,  le  Nil.  te  Soudan, 
V Egypte,  |>.  3H8-3il,«*  sqq. 


LES  PRINCES  DES  NOMES.  71 

(pâîlou*)  :  les  chefs  s'en  appelaient  ropâîtou,  le  gardien,  le  pasteur  de  la  famille, 
et  leur  nom  devint  plus  tard  un  titre  qu'on  attribua  à  tous  les  nobles  en  général. 
Les  familles  se  combinaient 
en  groupes  de  valeur  inégale 
sous  l'autorité  d'un  chef  en 
premier  —  ropâîtou  kâ  '. 
C'étaient  de  véritables  sei- 
gneurs héréditaires  :  ils  ren- 
daient Injustice,  prélevaient 
la  taxe  en  nature  sur  leurs 
subordonnés,  se  réservaient 
la  répartition  des  terres, 
menaient  les  hommes  au  com- 
bat, célébraient  le  sacrifice 
aux  dieux".  Les  territoires 
sur  lesquels  leur  autorité 
s'exerçait  formaient  un  petit 
État  dont  nous  pouvons 
encore,  en  certains  cas, 
indiquer  nettement  les  limi- 
tes. La  principauté  du  Téré- 
binthe'  occupait  le  cœur 
même  de  l'Egypte,   à  l'en-  . 

™  r  ('S    CP.1SB    SEICSEI»    ÉCVPIIf,    Tl,     ET    SI    Ftlll'. 

droit  où  la  vallée  est  le  plus 

large,  le  Nil  le  plus  sagement  réglé  par  la  nature,  le  pays  le  mieux 
préparé  pour  servir  de  berceau  à  une  civilisation  naissante.  Siaout  (Siout), 
sa  capitale,  est  bâtie  presque  au  pied  de  la  chaîne  Libyque,  sur  l'isthme  large 
de  1500  mètres  à  peine  qui  sépare  le  fleuve  et  la  montagne,  lin  canal  l'envc- 

I.  Le  mot  pâitou  :i  élé  interprété  par  M.  Lepage-Henouf  {Proeeetliiig*  de  la  Soeiélé  d' Archéologie 
biblique.  1RK--1SS8.  t.  X,  p.  77)  romnic  signifiant  ■  les  morts,  les  générations  passées  ..  Le  sens 
indiqué  dan»  le  train  a  été  pro]M>aé  par  Maspern  {Elude»  Égyptienne!,  t.  II.  |>.  15  sqq.)  irl  adopte 
ensuite  par  Rrugsrli  {Die  .Egyptologie,  p.  t'.lij. 

t.  Ces  titres  ont  élé  expliqués  pnr  Maspcro  (Étitilei  Egyptienntt.  t.  II.  p.  15-19.  et  Nolei  au  jour  te 
jour,§i5,  dans  les  Proceedingi  de  la  Société  d'Are  néologie  biblique,  IKtlI-IRili.  I.  XIV,  p.  314; 
cf.  Piehl,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  I.  p.  133,  n.  I,  et  Zeiltehrifl,  I8H3,  p.  liK|, 

8.  Ce  sont  les  prérogatives  que  les  princes  des  nomes  exerçaient  encore  sous  le  Moyen  et  sous  le 
Nouvel  Empire  (Maspeuo,  la  Grande  Inscription  de  lleni-llaman,  dans  le  Recueil,  1.  I.  p.  I"!I-1HI);  ils 
n'en  jouissaient  plus  alors  que  sous  le  bon  plaisir  du  souverain  régnant. 

4.  Le  nom  égyptien  de  l'arbre  qui  désigne  celle  principauté  est  atf,  ialf,  ittf:  c'est  par  élimination 
que  je  suis  arrivé  a  l'identifier  avec  le  Pittacia  Tcrebinthui  }..,  qui  fournissait  aux  Égyptiens  la 
résine  parfumée,  tnoutir  (Loret,  ta  Flore  pharaonique,  p.  44,  n°  110'. 

5.  Dénia  de  Faucher-liiuliii,  d'aprèt  une  photographie  de  DMichl.ï,  tlctullatc,  t.   Il,  pi.   VII. 


72 


LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 


loppe  de  trois  côtés  et  servait  comme  de  fossé  naturel  à  ses  murs;  pendant 

l'inondation,  elle  ne  se  rat- 
tache à  la  terre  ferme  que  par 
d'étroites  chaussées  ombra- 
gées de  mimosas,  et  semble 
un  radeau  de  verdure  échoué 
au  fil  du  courant1.  Le  site  en 
est  aussi  heureux  qu'il  est 
pittoresque;  non  seulement 
elle  commande  les  deux  bras 
du  fleuve  et  en  ouvre  ou  en 
ferme  le  passage  à  son  gré, 
mais  la  plus  fréquentée  des 
routes  qui  mènent  au  centre 
de  l'Afrique  aboutit  à  ses  por- 
tes de  temps  immémorial,  et 
lui  amène  le  commerce  du 
Soudan.  Elle  régnait  au  début 
sur  les  deux  rives,  de  mon- 
tagne à  montagne,  au  nord, 
jusque  vers  Dérout,  à  l'endroit 
où  le  Bahr-Yousouf  actuel  se 
détache  du  Nil,  au  sud,  jus- 
que dans  les  parages  du  Gebel 
Shêikh-Harîdi.  L'étendue  et 
le  nombre  primitif  des  autres 
principautés  ne  se  laissent  pas 
déterminer  facilement .  Les 
principales,  au  nord  deSiout, 
étaient  celles  du  Lièvre  et 
du  Laurier-Rose.  La  principauté  du  Lièvre  n'atteignait  pas  les  dimensions  de 
sa  voisine  du  Térébinthe,  mais  elle  avait  pour  chef-lieu  Khmounou,  dont  l'exis- 
tence remontait  si  haut  qu'une  tradition  acceptée  de  tous  y  plaçait  quelques- 
uns  des  actes  les  plus  importants  de  la  création*.  Celle  du  Laurier-Rose,  au 

1.  Le  dessin  de  Boudier  reproduit  à  la   page  i.%,  d'après  une  photographie  de  Béato,  rend  très 
fidèlement  l'aspect  que  la  plaine  et  la  ville  moderne  de  Siout  présentent  pendant  l'inondation. 

2.  Khmounou,  aujourd'hui  Ashmoiinéin,  est  l'Hermopolis  des  Grecs,  la  ville  du  dieu  Thot.  Sur  la 


In/T 


LES  NOM  ES 
de  la 
MOYENNE    EGYPTE 


Echdle 

-ar— 


U,lfiL  Apotcft 

nr  Muhù(Fù>Umâii,< 


LES  PREMIÈRES  PRINCIPAUTES. 


contraire,  l'emportait  sur  celle  du  Térébinthe  même,  et  son  chef  dominait  de 
Hininsou  les  marécages  du  Fayoum,  comme  les  plaines  de  Beni-SoueP.  Au 
sud  ,  Apou  gouvernait, 
sur  la  rive  droite,  un 
canton  enfermé  si  exac- 
tement entre  un  coude  du 
NÎ1  et  deux  ressauts  de  la 
montagne,  que  ses  limites 
n'ont  jamais  pu  varier 
beaucoup  depuis  les  temps 
anciens.  Ses  habitants  s'a- 
donnaient également  à  la 
culture  des  céréales  et  au 
tissage  des  étoffes  :  ils 
détenaient  dès  l'antiquité 
le  priviièged'habillerune 
bonne  partie  de  l'Egypte, 
et  leurs  métiers  fabri- 
quent encore  aujourd'hui 
pour  les  fellahines  ces 
mélavahs  quadrillées  ou 
rayées  qu'elles  jettent 
par-dessus  leurs  longues 
chemises  bleues*.  Au  delà 
d'Apou  et  sur  les  deux 
rives,  Thinis,    la  Girgéh 

des  Arabes,  le  disputait  à  Khmounou  en  antiquité  et  à  Siout  en  richesse  : 
ses  plaines  produisent  aujourd'hui  encore  les  moissons  les  plus  abondantes 
et  nourrissent  les  troupeaux  de  moutons,  d'ânes  et  de  bœufs  les  plus  nombreux 
du  Saïd.  A  mesure  qu'on  remonte  vers  la  cataracte,  les  renseignements  devien- 

géographie  du  nome  du  Lièvre,  dont  elle  est  la  capitale,  voir  Mtspmo,  Note*  au  jour  le  jour,  g  19, 
dans  le»  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  biblique.  lH9M8!tt,  t.  XIV,  p.  lR1-ïO-t. 
VHeraeleopoti*   Magna  des  Grecs,    actuellement    llénassiéh. 


AhnaH-el-.VJédinch.  Le  nom  égyptien  de  l'arbre  qui  donne  Bon  nom 
chu,  lirtchifhle  .f.gyptent,  \i.  ïllIt-ilO),  Loret  a  montré  que  cet  arb 
l'arbre  ft'drou  de*  ancien*  Égyptien*,  dan*  le  Recueil  de  Travaux,  t.  X 
i.  Apou  était  la  Panopolis  ou  C  h  cuirai  s  des  Grecs,  la  ville  du  di< 
(Biici.sch,  Dictionnaire  géographique,  p.  jïj,  ISSU).  Ses  manufacture 
Strabon  (XVII,  p.  HI3);  la  plus  grande  partie  des  belles  tapisserie 
ont  été  importées  en  Europe  dans  ces  derniers  temps  proviennent  d< 


ta  principauté  est  ». 


74  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

nent  plus  rares.  Qobti  et  Aounou  du  Midi,  la  Coptos  et  l'Hermonthis  des  Grecs, 
se  partageaient  sans  grand  éclat  la  plaine  que  Thèbes  couvrit  plus  tard  de  ses 
temples,  et  Nekhabît  veillait  avec  Zobou  à  la  sécurité  de  l'Egypte*.  Nekhabit 
perdit  de  bonne  heure  sa  position  de  ville  frontière,  et  la  portion  de  la  Nubie 
comprise  entre  le  Gebel  Silsiléh  et  les  rapides  de  Syène  forma  une  sorte 
de  marche  avancée,  dont  Noubît-Ombos  fut  le  sanctuaire  principal  et  Abou- 
Éléphantine  la  forteresse8  :  la  barbarie  commençait  au  delà,  et  les  régions 
inabordables  d'où  le  Nil  descend  sur  notre  terre. 

Il  semble  que  le  Delta  s'organisa  moins  promptement.  Il  devait  ressem- 
bler sensiblement  aux  terres  basses  de  l'Afrique  équatoriale,  vers  le  confluent 
du  Bahr  el-Abiad  et  du  Bahr  el-Ghazàl  :  de  grands  espaces  fangeux  dont  on  ne 
saurait  dire  avec  certitude  s'ils  sont  solides  ou  liquides,  des  marécages  semés 
parcimonieusement  d'iles  sablonneuses,  hérissés  de  papyrus,  de  nymphéas,  de 
plantes  énormes,  à  travers  lesquels  les  bras  du  Nil  se  frayent  paresseusement 
un  cours  sans  cesse  déplacé,  des  landes  basses  entrecoupées  de  rigoles  et  de 
flaques,  impropres  à  la  culture,  bonnes  à  peine  à  la  pâture  des  bestiaux8.  La 
population,  sans  cesse  en  lutte  contre  la  nature,  y  conserva  toujours  des  mœurs 
plus  rudes,  un  caractère  plus  âpre,  plus  sauvage,  plus  impatient  de  toute 
autorité.  La  conquête  commença  par  les  bords.  Quelques  principautés  s'éta- 
blirent vers  la  pointe,  aux  endroits  où  le  sol  parait  avoir  été  le  plus  ancien- 
nement racheté  des  eaux.  L'une  d'elles  possédait,  ce  semble,  tout  le  pays  qui 
précède  et  qui  enveloppe  la  fourche  du  Nil  sur  les  deux  rives  :  Aounou  du 
Nord,  l'Héliopolis  des  Grecs,  en  était  la  capitale.  Elle  se  scinda  dans  des 
temps  très  anciens,  et  forma  trois  États  nouveaux,  indépendants  l'un  de 
l'autre.  Celui  d' Aounou  et  celui  de  la  Cuisse  de  Bœuf  se  faisaient  vis-à-vis, 
le  premier  sur  la  rive  arabique  du  Nil,  le  second  sur  la  libyque;  la  cité  du 
Mur-Blanc  confinait  au  nord  à  celle  de  la  Cuisse  de  Bœuf  et  s'en  allait 
rejoindre  au  sud  le  territoire  du  Laurier-Rose.  Plus  bas,  entre  les  grandes 
branches,  les  chefs  de  Sais  et  de  Bubastis,  ceux  d'Athribis  et  de  Busiris 
se  partageaient  le  Delta  primitif*.  Deux  marches  de  grandeur  inégale,  l'Ara- 

1.  Noukhabit,  Nekhabit  dont  le  nom  hiéroglyphique  a  été  lu  correctement  pour  la  première  fois 
par  M.  de  Hougé  (Cours  professé  au  Collège  de  France,  18G9),  est  el-Kab,  l'Eilithyia  des  Grecs 
(Brugsch,  Dictionnaire  Géographique,  p.  351-353)  et  Zobou,  Edfou,  Apollino'polis  Magna  (Brit.sch,  Dic- 
tionnaire Géographique,  p.  921-924). 

2.  Le  nome  d'Éléphantinc  s'appelait  Khontit,  l'avancée,  la  pointe  de  l'Egypte  (Lepsiis,  Der  liogen  in 
der  Hieroglyphik,  dans  la  Zeitschrift,  1872,  p.  86-88;  cf.  Brit.sch,  Die  Biblischcn  sieben  Jahre  der 
llungersnoth,  p.  2<î  sqq.)- 

3.  Tous  les  traits  de  cette  description  sont  empruntés  à  mes  notes  de  voyage  :  c'est  l'aspect  que 
le  pays  présente  dans  les  cantons  du  Delta  où  le  régime  artificiel  des  eaux  a  complètement  disparu, 
par  l'incurie  séculaire  du  gouvernement  centra1. 

A.  Voir  page  -i  du  présent  volume  ce  qu'était  ce  delta  primitif. 


ORGANISATION  TARDIVE  DU   DELTA.  75 

bique  à  l'est  dans  l'Ouady  Toumilàt,  la  Libyque  à  l'ouest  au  sud  du  lac 
Maréotis,  défendaient  l'accès  du  pays  contre  les  attaques  des  Bédouins  asia- 
tiques et  des  nomades  africains.  Les  marais  de  l'intérieur  et  les  dunes  du 
littoral  ne  prêtaient  guère  à  un  grand  développement  d'industrie  ou  de 
civilisation.  On  n'y  rencontrait  que  des  territoires  mal  peuplés,  ceux  du 
Harpon,  celui  de   la  Vache,   et  d'autres  dont  les  limites  flottaient  encore  et 


variaient  de  siècle  en  siècle  au  gré  du  Nil.  L'œuvre  d'assainissement  et  de 
canalisation,  qui  avait  si  bien  réussi  dans  la  vallée,  fut  ici  moins  efficace 
et  marcha  plus  lentement.  Les  digues  n'avaient  plus  la  montagne  où  s'ap- 
puyer :  elles  se  prolongeaient  au  hasard  à  travers  le  marais,  coupées  à  chaque 
instant  pour  livrer  passage  à  un  canal  ou  à  une  ramification  du  fleuve.  Les 
eaux  sortaient  de  leurs  anciens  lits  au  moindre  prétexte  et  s'en  frayaient 
de  nouveaux  à  travers  champs.  Le  sol  meuble  et  mai  asséché  retournait 
au  bourbier  dès  que  la  crue  s'y  attardait  :  quelques  semaines  d'inondation 


76  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

en  plus  qu'à  l'ordinaire  défaisaient  pour  longtemps  l'œuvre  de  plusieurs 
générations.  Le  Delta  d'une  époque  présenta  rarement  le  même  aspect  que 
celui  des  époques  précédentes,  et  l'Egypte  du  nord  ne  se  rendit  jamais  aussi 
pleinement  maîtresse  de  son  sol  que  l'Egypte  méridionale  avait  fait  du  sien1. 
Ces  premières  principautés,  si  petites  qu'elles  nous  paraissent,  étaient 
trop  grandes  encore  pour  rester  toujours  indivises.  En  ce  temps  de  com- 
munications lentes,  la  puissance  d'attraction  qu'une  capitale  exerce  sur  les 
cantons  soumis  à  son  autorité  ne  s'étendait  jamais  bien  loin.  La  partie  de  la 
population  du  Térébinthe  qui  vivait  assez  près  de  Siout  pour  y  venir  le  matin 
en  quelques  heures,  et  pour  rentrer  dans  ses  villages  le  soir  après  affaires 
faites,  n'éprouvait  nullement  le  besoin  de  se  soustraire  à  la  domination  du 
prince  qui  trônait  dans  cette  ville.  Au  contraire,  celle  qui  séjournait  en 
dehors  de  ce  cercle  restreint  était  obligée  de  chercher  ailleurs  quelques  points 
où  se  réunir  pour  vaquer  à  l'administration  de  la  justice,  pour  sacrifier  en 
commun  aux  dieux  nationaux,  pour  échanger  les  produits  des  champs  et  des 
manufactures  locales.  Les  villes  qui  eurent  la  bonne  fortune  de  la  rallier  se 
posèrent  naturellement  en  rivales  de  la  résidence,  et  leurs  chefs  tendirent  à 
se  rendre  indépendants  du  prince,  avec  le  district  dont  les  habitants  gravi- 
taient pour  ainsi  dire  autour  d'eux.  Lorsqu'ils  y  réussirent,  ils  conservèrent 
assez  souvent  pour  l'État  qu'ils  avaient  créé  le  vieux  nom  modifié  à  peine  par 
l'adjonction  d'une  épithète.  Le  territoire  primitif  de  Siout  se  divisa  de  la  sorte 
en  trois  communautés  distinctes,  deux  qui  restèrent  fidèles  au  vieil  emblème 
de  l'arbre,  le  Térébinthe-Supérieur  avec  Siout  même,  au  centre,  le  Térébinthe- 
Inférieur  avec  Qousit  au  nord;  la  troisième,  au  sud  et  à  l'est,  prit  pour  totem 
le  serpent  éternel  qui  vivait  dans  ses  montagnes,  et  s'appela  le  Mont-Serpent 
avec  la  ville  de  l'Ëpervier.  Le  territoire  du  Laurier-Rose  produisit  en  se 
démembrant  la  principauté  du  Laurier-Rose  Supérieur,  celle  du  Laurier- 
Rose  Inférieur  et  celle  du  Couteau.  Le  territoire  du  Harpon  dans  le  Delta 
se  décomposa  en  Harpon  Occidental  et  Harpon  Oriental1.  La  scission  ne  dut 
pas  s'accomplir  sans  luttes  dans  la  plupart  des  cas,  mais  elle  s'accomplit,  et 
toutes  les  principautés  dont  le  domaine  présentait  quelque  étendue  la  subi- 
rent, quoi  qu'elles  fissent  pour  s'y  soustraire.  Le  morcellement  se  poursuivit 
au  hasard  des  circonstances,  jusqu'au  moment  où  l'Egypte  entière,  à  l'ex- 

1.  Pour  la  géographie  du  Delta,  consulter  l'ouvrage  de  J.  de  Roigè,  Géographie  ancienne  de  la  Basse- 
Egypte,  1891,  où  sont  réunies,  discutées  et  coordonnées  avec  soin  toutes  les  données  éparses  au 
hasard  de  Tordre  alphabétique  dans  l'admirable  Dictionnaire  Géographique  de  Brugsch. 

•2.  J.  dr  Rorr.rt,  Géographie  ancienne  de  la  Batse-Ëgypte,  p.  30-5fi. 


LE  DIEU  DE  LA  CITÉ.  77 

ception  des  districts  à  demi  déserts  qui  avoisinent  la  cataracte,  ne  fut  plus 
qu'une  agglomération  de  petites  cités  à  peu  près  égales  en  force  et  en 
population1. 

Les  Grecs  les  appelaient  nomes,  et  nous  leur  avons  emprunté  ce  terme*  :  les 
indigènes  les  désignaient  de  plusieurs  manières,  dont  la  plus  ancienne  était 
nouît,  qu'on  peut  traduire  domaine3,  et  dont  la  plus  commune  aux  époques 
récentes  était  hospou,  qui  signifie  district1.  Le  nombre  en  varia  sensiblement 
au  cours  des  siècles  :  les  monuments  hiéroglyphiques  et  les  auteurs  clas- 
siques le  fixent  tantôt  à  trente-six,  tantôt  à  quarante,  tantôt  à  quarante- 
quatre  ou  même  à  cinquante.  Le  peu  que  nous  savons  jusqu'à  présent  de  leur 
histoire  nous  donne  la  raison  de  cette  instabilité  :  sans  cesse  disputés  entre 
les  familles  princières  qui  les  possédaient,  les  guerres  civiles,  les  mariages, 
la  conquête  abaissaient  les  nomes  ou  les  élevaient  tour  à  tour,  et  les  faisaient 
passer  continuellement  en  des  mains  nouvelles,  entiers  o»  par  parcelles.  Ces 
Égyptiens,  qu'on  est  accoutumé  à  considérer  comme  si  respectueux  de  l'ordre 
établi  et  si  conservateurs  des  traditions  antiques,  se  montraient  aussi  remuants 
et  aussi  portés  à  modifier  ou  à  détruire  l'œuvre  du  passé  que  le  sont  les  plus 
inconstants  de  nos  peuples  modernes.  L'éloignement  où  nous  vivons  d'eux 
et  l'absence  presque  complète  de  documents  leur  prêtent  une  apparence  d'im- 
mobilité à  laquelle  on  se  laisse  tromper  sans  le  vouloir;  le  jour  où  les  monu- 
ments qui  subsistent  encore  seront  sortis  de  terre,  leur  histoire  présentera  la 
même  complexité  d'incidents,  les  mêmes  agitations,  la  même  instabilité  qu'on 
devine  ou  que  l'on  constate  chez  la  plupart  des  autres  peuples  orientaux.  Une 
seule  chose  subsistait  chez  eux  parmi  tant  de  révolutions,  qui  les  empêchait 
de  perdre  la  conscience  d'eux-mêmes  et  de  se  fondre  dans  une  commune 
unité  :  un  dogme  et  un  culte  qui  les  attachaient  à  un  dieu  particulier.  Si  les 
petites  capitales  des  petits  États  dont  l'origine  se  perd  dans  la  nuit  des 
temps,  Edfou  et  Dendérah,  Nekhabît  et  Bouto,  Siout,  Thinis,  Khmounou,  Sais, 
Bubaste,  Athribis,  n'avaient  eu  d'importance  que  celle  qu'elles  dérivaient  de 

1.  Les  exemples  de  subdivision  des  nomes  anciens  et  de  création  des  nomes  nouveaux  se  rencon- 
trent fort  longtemps  encore  après  l'époque  primitive.  On  trouve  par  exemple  le  nome  du  Harpon  Occi- 
dental scindé  sous  les  Grecs  et  les  Romains  en  deux  districts,  celui  du  Harpon  proprement  dit,  dont  le 
chef-lieu  est  Sonti-nofir,  et  celui  de  Ranoufir  avec  l'Onouphis  des  géographes  classiques  pour  capitale 
(Britgscr,  Dictionnaire  Géographique,  p.  1012-1020). 

2.  On  trouvera  la  définition  du  mot  nome  et  les  passages  des  auteurs  anciens  qui  nous  l'ont 
conservée  dans  Jablonski,  Opuscula,  éd.  T.  Water,  t.  I,  p.  189-176. 

3.  Pour  les  sens  divers  de  ce  mot,  voir  Maspf.ro,  Sur  le  sens  des  mots  Nouit  et  Hait,  dans  les  Pro- 
reedings  de  la  Société  d'Archéologie  biblique,  1889-1890,  t.  XII,  p.  236  sqq. 

4.  Brugsch,  Geogr.  Ins.,  t.  I,  p.  18-21  ;  cf.  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  183-186.  Le  mot  tôsh, 
qui  dans  les  textes  coptes  a  remplacé  hospou  et  nouit,  signifiait  à  l'origine  limite,  frontière;  c'est 
à  proprement  parler  le  terrain  délimité  et  borné  par  des  stèles  qui  dépend  d'une  ville  ou  d'un  village. 


78  LE  NIL  ET  L'EGYPTE. 

la  présence  d'un  principicule  ambitieux  ou  de  la  richesse  de  leurs  habitants, 
elles  n'auraient  point  traversé  saines  et  sauves  les  longs  siècles  de  vie  qu'elfes 
fournirent,  du  début  à  la  (in  de  l'histoire  d'Egypte.  La  fortune  haussa  leurs 
seigneurs,  quelques-uns  jusqu'au  rang  de  maîtres  du  monde,  et  les  trahit 
tour  à  tour  :  à  côté  du  maître  terrestre,  dont  la  gloire  s'éclipsait  trop 
souvent,  un  maître  céleste,  un  dieu,  trônait  dans  chacune  d'elles,  le  dieu 
de  la  cité,  noutir  nouîti,  dont  la  grandeur  ne  périssait  jamais.  Les  familles 
princières  pouvaient  s'éteindre  ou  s'exiler,  le  territoire  diminuer  ou  s'agran- 
dir, la  ville  doubler  son  étendue  et  sa  population  ou  tomber  en  ruines  :  le 
dieu  subsistait  parmi  tant  de  vicissitudes,  et  sa  seule  présence  supportait 
intacts  les  droits  de  la  cité  sur  laquelle  il  régnait  souverain.  Si  quelque 
désastre  frappait  ses  adorateurs,  son  temple  ralliait  autour  de  lui  tous  ceux 
qui  avaient  échappé  à  la  catastrophe,  la  foi  les  empêchait  de  se  mêler  aux 
habitants  des  cités  voisines  et  de  se  perdre  parmi  eux  :  les  survivants  se 
multipliaient  avec  cette  fécondité  incroyable  qui  est  la  caractéristique  du 
fellah  égyptien,  et  quelques  années  de  paix  suffisaient  à  réparer  les  pertes 
les  plus  irréparables  en  apparence.  La  religion  locale  était  le  lien  qui  tenait 
ensemble  les  éléments  divers  dont  chaque  principauté  se  composait,  et  tant 
qu'elle  dura,  les  nomes  durèrent  :  ils  disparurent  le  jour  où  elle  disparut. 


ï^pïpsgii 


*JJe<tJ>     vl/ietwe  a^  l'Gauvt 


,/eJ 


d.eur~^ 'nombre.'  ei.  leur-' nature.',  /et.'  dieux   -féodaux  vitraïUic'  a.  mort/cl; 

le*.'  trùule*.'.  *J.e*J  temple*'  ei.  le*'aacerdoce*->; 

*.' '  cosmogonie*^  du  Jûelia,  le*J  OnneailenJ  d '  ^/ùe'uofoliitJ  ei.  dJ&emytol* 


de*'  dieux  en.  Oaujde.':  la  plè&e.'  divine.'  eu  *e*J  variété*' 
humaine*',  animale*.',  intermédiaire*.'  entres  la  léie'  ei.  lAommc';  le*J  dieux 
d origine'  étrangère.?,  le*?  dieux  ùidiaene*'  ei.  leur*'  jformc*?  contradictoire*? 
àelonli  conception  gu.  on  ae'jfaitaù-  de?  leur*' nature.'. 

.-le*?  aâtre*?-dieux.  -  ..-te'  CJvlet/  C'eil  i/tt  Ciel,  le?  aoleil  oioeau,  le'àoletl 
veau,  le' aolcil nomme',  te*.' laraue*',  te* ' navigation*.'  lUitour-' du  monde.'  a. 
je*.'  lutte*'  avec  le? terpeni.  ^jL?éi?i.  -  .-le'  dieu.-~J.une>  ei.  te*' ennemi*.'.  -  die*.* 
dieux-étoile*.'  .■  Hz.  Ctufie?  de.'  tMiruA  / \/vypxp>tdamc->,  le?  .-Lion,  le*J  cùta 
^/Ùoru*J  de*'  frlanètea ;   Ôotnù-Ôiriu*' ei.   &aliou-Clrion. 

*J.a  féodalité  divine*  ei.  te*.?  cla/Së*?  .-  le*.?  dieux-  idl.ù/c>,  le*.'  dieux- 
terre',  le*?  dieux-ciel  ei.  le*)  dieux-ôoleil.  le*?  iJVoru*'.  -  &Le*J  dieux  ei.  le*' 
deefie*?  aom.  égaux  deva/n  le'  droit.  ^JeoaiU  :  leur*' ^  forme*?,  leur*)  alliance*' 
ei.  leunc?  mariaget.'  :  leur*'  enfant*'.  -  de*.? triade*'  ei.  leurre?  développemerd*' 

da  nature'  deic?  dieux  .-  le?  douole  ',  lame  ',  le  '  corp*  '.  la  mort,  de*.' 
AommenJei.  de*.'  dieux,  leur*?  destinée*.'  t_vre*J  la  mort.  ;  necefitlé deJconaenrcr^ 


leJ  emKi  /i  tnimiyutilÙHi.  -  &les<J  aïeux  /jW/c'  dieux  dexJ  ntorùtJ.  -  *4e*J 
aieux  iriva/UitJ,  teum.'  tenwlest  ',  leuntJ  ùnaaenJ.  .Ue.t  '  aïeux  iHym/aisr/i  ', 
arùrta.*,  âerpen&C->,  -fëticnea.'  familiaux.  -  &La.  £nâ)rie.>  OeJ  ta  itrierrJ  et.  au 
oaeryîc*.';  le'  fieraotuiet  aeaJ  tenudeaJ,  ùaJ  ùietiaJ  aeaJ  aïeux  et.  Un.'  coltèaea.' 
aaceraotaax. 

tXerc'  dhfnuraoftieic.'  au   mûeÙn.  :  Ôioou   et.    .vùmil,     C'aura.'  et.  lJmo.; 

Cjù.   et.   iSCapAmurCi    -    •Jve/utpo&ùtJ  et.   âeaJ  écoleaJ  taeotoaiaueaJ  ;  iSlâ,   aon 

ùtent^catùm  avec  iSvoruttJ,  oon  aeaiiuà/emetit.  et.  ta  concarfion,  a^AUoamou,  • 

de^ÙiineiiaeitjAe'uovoùtaùie^'/^-forrna/ùm-deJÙig  Tt/utt  et, 

l  <j>it/ie'aae.Jhermaiioliltii/ie.':  ta  création.  ffat-,lavaroteJet.jtar^ 

lamHX.-  ^i)0uûion  ae^eJ  ùtute'aaerc' .-  leur-'atua/iceJavtc 

UaJtriaaea.'localea.'.  teJaieu   lin  et.  ù'ttieti  .Jvuù-, 

&LcaJ  dieux  tutiiftieaJ  et,   aoataûta,'. 


CHAPITRE    DEUXIÈME 

LES    DIEUX    DE    L'EGYPTE 


;     FÉODW.X,    VIVANTS    t 


jj    oïisqu'os  parcourt  les  ouvrages  où  nos  savants  ont  repro- 
j  duit  par  le  menu  les  restes  des  monuments  égyptiens, 
ce  qui  frappe  au  premier  coup  d'œil,  c'est  l'abondance 
presque  incroyable  de  tableaux  religieux  qui  sont  arrivés 
jusqu'à  nous.   Il  y  a  peu  de  planches  où  l'on  ne  ren- 
contre une  figure  au  moins  de  divinité  qui  reçoit  d'un 
air  impassible   les   prières   de  quelque  fidèle  et  ses 
offrandes  :  on  dirait  que  le  pays  était  habité  surtout 
par  des  dieux,  et  contenait,   d'hommes  ou  de  bêtes, 
juste  ce  qu'il  en  fallait  pour  les  besoins  du  culte. 

Ce  qu'on  distingue  d'abord  quand  on  pénètre  dans 
ce  monde  mystérieux,  c'est  une  véritable  plèbe  divine 
dont  les  membres  n'ont  jamais  mené  qu'une  existence 
étroite   et  presque  inconsciente  d'elle-même.   Ils  repré- 
sentaient une  fonction,  un  moment,  dans  la  vie  de  l'homme  ou  de  l'univers  : 
Naprit  s'identifiait  à  l'épi  mûr  ou  au  grain  de  blé",  Maskhonït  apparaissait 

i.  Bat-relief  du  Irmple  de  Louior.  —  Ucn'in  de  Bnuilier,  d'aprè4  une  photographie  de  Déalo, 
pritr  en  }#9I).  Les  iiea\  oersoniiaKcs  qui  marchent  l'n  Wte,  portant  de  praiidn  bouquets  et  levant  la 
main.  Pont  les  derniers  d'une  longue  pniression  dos  [ils  de  Ionisés  II.  I.ii  lettrine,  qui  est  paiement 
du  Uoudicr.  re présente  le  roi  Sêli  I"  agenouillé,  d'après  un  has-relief  du  temple  d'Abjdos. 

t.  Le   mot  naprit  signifie  tjrain.    le   tfrain   de   hic  (Um-i:sca,  Dict.  Hiéroglyphique,   p.   "Si-7S3).  Le 

dieu  du  grain   est  représente;  dans  le   tombeau  de  Séli  I"  (I.HKBcaK,  le  Tombeau  de  Se.ti  I",  dans  les 

H1ST.  m.  i>f.  i/miihkt.  —  t.  i.  Il 


8i  LES  DIEUX  1IE  L'EGYPTE. 

auprès  du  berceau  de  l'enfant  à  l'heure  précise  où  il  naissait',  Raninit  prési- 
dait au  choix  d'un  nom  et  à  la  nourriture  des  nou- 
veau-nés1. Ni  Raninit  la  fée  marraine  ni  Maskhonit 
n'exerçaient  sur  l'ensemble  de  la  nature  cette  auto- 
rité souveraine  que  nous  sommes  habitués  à  consi- 
dérer comme  l'apanage  originel  des  dieux.  Elles 
passaient  tous  les  jours  de  toutes  les  années,  l'une  à 
soulager  les  douleurs  des  mères  en  couches,  l'autre 
à  choisir  pour  le  petit  être  un  nom  qui  sonnât  favo- 
rablement et  qui  conjurât  plus  tard  les  influences 
du  destin  mauvais.  Leur  tâche  achevée  dans  un 
endroit,  elles  couraient  aussitôt  vers  un  autre  où 
quelque  naissance  imminente  réclamait  leur  pré- 
sence et  leurs  soins  :  elles  allaient  de  lit  d'accou- 
chée en  lit  d'accouchée,  et  pourvu  qu'elles  se  fus- 
sent acquittées  du  seul  emploi  auquel  on  les  recon- 
naissait propices,  les  dévots  n'exigeaient  plus  rien 
d'elles.  Les  cynocéphales  mystérieux  qui  fréquen- 
taient en  bandes  les  montagnes  de  l'Est  et  de  l'Ouest 
•'irT-  concentraient   de  même   leur  activité   entière  sur 

un   instant  fugitif  de   la  journée  :   ils  dansaient  et  caquetaient  pendant  une 

Mémoire*  de  la  Mission  Fi-anraiie.  t.  Il,  *"  partie,  pi.  XXIX.  V  rentre,  pi.  XXXI,  3-  registre);  e'ral 
un  homme  qui  a  sur  la  tête  deux  gros  épis  de  froment  ou  d'orge.  Il  est  mentionné  vers  le  même 
temps  dans  Yllymnc  au  Kit  (cf.  [i.  40)  et  dans  deux  ou  trois  autres  testes  d'époque  différente.  Il 
est  doublé  dans  son  relie  par  la  déesse  Knprtl  ou  Kaptt,  dont  il  est  question  ici  (llrsTOK.  Exterpta 
Hierogtijphiea,  pi.  XIX;  Upsius,  Iknkm.,  IV,  5i;  DI'hickes.  Itesultale,  l.  Il,  pi.  lu);  elle  eut  coiffée 
d'une  botte  d'épis  (Uiijii,  Diiionario  di  Milologia,  p.  380-381),  comme  daim  notre  vignette. 

I.  Cette  déesse,  dont  le  nom  exprime  et  dont  la  figure  personnilie  la  couche  en  brique  ou  eu 
pierre,  le  lit  ou  la  chaise  lie  travail,  sur  laquelle  les  femme*  s'accroupissaient  au  moment  de  la  déli- 
vrance, se  subdivise  quelquefois  en  deux  ou  quatre  divinités  secondaires  (JIabiette,  Dendtrah,  t.  IV, 
pi.  LXX1V  a,  et  texte,  p.  *88).  On  In  mentionne  avec  ShaU,  le  destin,  et  avec  Hanintl,  la  nourriture 
(Maspemi,  Ktadet  Egyptienne;  t.  I,  p.  i~).  Son  rôle  de  fée  marraine  auprès  du  berceau  de  l'enfant 
nouveau-né  est  mis  en  lumière  par  le  passage  du  Papyrus  Westrar,  où  la  naissance  de  trois  rois 
de  la  V-  dynastie  est  racontée  en  détail  (ëhuas.  Die  Mârchen  des  Papyrus  W'eilrar,  pi.  IX,  liv.  *i  sqq.  ; 
cf.  H  isi'i.Kn,  /et  Contes  populaire»  de  F  Egypte  Ancienne,  *■  éd.,  p.  "(i-M).  On  la  représente  sous  la 
l'orme  humaine,  et  elle  porte  souvent  sur  la  têle  deui  longues  pousses  de  palmier  recourbées  à 
l'extrémité  (I..v\zose,  Diiionario  di  Milologia,  p.  3*9-330,  el  pi.  CXXXIV,  1-î). 

S,  llaninlt  préside  à  l'allaitement  de  l'enfant,  mais  elle  lui  donne  aussi  son  nom  (M.isptao,  let 
Contée  populaires,  i"  éd.,  p.  "K,  n.  1)  el  par  suite  sa  fortune  (Mispeko,  Etudes  Egyptiennes,  I.  I. 
p.  *");  elle  est  d'une  manière  générale  la  déesse  nourricière  [I..i™bk,  lliiioiiario  di  Hitoiogia, 
p.  *-*-i-J,  et  pi.  GLXXXVtll-CI  XXXIX).  On  la  représente  quelquefois  comme  une  femme  à  léte 
humaine  (I.kcsiis,  Denkm.,  III,  188  a  ;  Wii.ki.vsok,  Mannere  antl  Customt,  i"  edit..  t.  III,  pi.  XLV,  5-0 
el  p.  *i3-ilt)  ou  à  tétc  de  lionne  (Lkfsii-s,  Denkm.,  IV,  S"),  le  plus  souvent  a  tète  de  serpent 
(l.irsirs.  Denkm.,  III,  pi.  Cl. XX:  Puisse  ii\He«es.  Monuments,  pi.  I:  M  miette,  Dendtrah,  t.  III, 
pi.  LXXV  b-e)\  c'est  aussi  une  ur.-cus  habillée  et  coiffée  de  deux  longues  plumes  (Pius-k  d'Atemes, 
Monuments,  Frontispice),  dont  nous  retrouverons  la  ligure  sur  la  vignette  de  la  page  1*0. 

3.  La  deeue  Kaprll.  Kaptt,  bas-relief  de  la  première  des  ehambret  dOsiris,  sur  le  cAM  Est  de 
la  terrasse  du  grand  temple  de  Dendtrah.  —  Dessin  de  Fauchcr-tiudin. 


LA  PLÈBE  DIVINE  ET  SES  VARIETES.  83 

demi-heure  les  uns  à  l'Orient,  pour  saluer  le  Soleil  à  son  lever,  les  autres  à 
l'Occident,  pour  l'acclamer  à  son  entrée  dans  la  nuit1.  Certains  génies  rece- 
vaient pour  consigne  d'ouvrir  une  des  portes  de  l'Hadès  ou  de  garder  un  des 
chemins  sur  lesquels  le  Soleil  circulait  journellement';  ils  restaient  éternelle- 
ment à  leur  poste,  sans  liberté  de  s'en  éloigner  jamais,  et  sans  autre  faculté 
que  de  remplir  à  heure  fixe  l'office  auquel  ils  étaient  préposés.  Leur  exis- 
tence, inaperçue  à  l'ordinaire,  se  révélait  brusquement  à  la  minute  où  l'acte 
unique  de  leur  vie  allait  s'accomplir  :  accompli,  ils  retombaient  dans  leur 
inertie,  et  leur  fonction  les  résorbait  pour  ainsi  dire  jusqu'à  l'occasion  pro- 


QL'ELQVES-UNS    BES    ANISIALX    FABULEUX    QUI    HABITAIENT    LE    DÉSERT    d'éGYPTE-'. 

chaîne'.  Ces  êtres  à  peine  entrevus,  il  n'était  pas  facile  de  les  dépeindre,  et 
l'on  ignorait  souvent  leur  figure  réelle  :  on  s'ingéniait  alors  à  ia  conjecturer 
d'après  le  métier  qu'ils  exerçaient.  Ceux  d'entre  eux  qui  cheminaient  à  travers 
l'Hadès  pour  percer  les  morts  d'une  flèche  ou  d'un  javelot,  on  leur  prêtait 
les  traits  et  le  costume  d'un  archer  ou  d'un  piquier;  ceux  qui  rodaient  autour 
des  âmes  pour  les  égorger  et  les  dépecer,  on  en  faisait  des  femmes  armées 
d'un  couteau,  des  trancheuses,  donît  —  ou  des  déehireuses  —  nokit*.  Plu- 
sieurs mouvaient  un  corps  d'homme;  d'autres  étaient  des  animaux,  taureaux 
ou  lions,  béliers  ou  singes,  serpents,  poissons,  ibis,  êperviers;  d'autres  se 

1.  C'est  le  sujet  d'une  vigne  tic  du  Livre  de»  Mort»,  eh.  XV[  (édit.  "Saulle,  pt.  XXI,  Ai  et  la, 
pi.  XXII,  Da).  où  l'on  voit  ies  cynocéphales  échelonne»  en  file»,  sur  les  pcnlca  de  la  montagne 
d'horizon,  i  la  droite  et  a  la  gauche  du  disque  solaire  rayonnant  qu'ils  adorent  en  gesticulant. 

1.  M.spKiio,  Étude*  de  Mythologie  et  d' Archéologie  Égyptienne»,  I.  Il,  p.  34-35. 

3.  Detiiii  de  Faucher-Gudin,  U'aprea  let  copies  de  Champoition.  Ce  «ont  dea  tableaux  des  tombes 
de  Boni-Hassan  :  on  voit  ii  droite  le  i/ia,  l'un  des  animaux  de  SU  et  qui  a  la  figure  exacte  du  dieu, 
;  compris  laqueueraideen  forme  de  hois  de  flèche,  puis  le  eafir,  le  griffon, enfin  ]aia;o  à  léte  de  serpent. 

4.  I.cs  Égyptiens  employaient  pour  rendre  colle  idée  une  expression  plus  énergique  encore  que 
notre  mot  résorber;  ils  disaient  des  objets  où  ces  génies  se  tenaient  cachés,  et  d'où  ils  sortaient  pour 
y  rentrer  aussitôt,  que  leur  forme  le*  mangeait  ou  qu'ils  mangeaient  leur  propre  forme  (Mmhm, 
F.tudet  de  Mythologie  et  d'Arcliéologie  Égyptienne*,  I.  Il,  p.  «04-105.  I0G,  1Î4,  etc.). 

5.  Maspebo,  Etude*  de  Mythologie  et  d'Archéologie  F.gyptiem.e$,  t.  Il,  p.  34-36.  Les  dont!  et  les 
nokit  sont  figurées,  entre  autres,  sur  les  murs  du  tombeau  de  Séli  1"  {Leffiihe,  le  Tombeau  de 
Siiti  I-,  dans  les  Mémoire!  tir  In  H ii.it ou  Frauçaite,  t.  Il,  4'  partie,  pi.  XLIV,  *•  registre). 


84  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

logeaient  dans  des  objets  inanimés,  un  arbre1,  un  sistre*,  un  pieu  fiché  en 
terre8;  beaucoup  enfin  trahissent  une  origine  mêlée  par  l'alliance  des  formes 
de  l'homme  à  celles  de  la  bête.  Ceux-ci,  qui  seraient  des  monstres  pour  nous, 
étaient  pour  les  anciens  des  êtres  plus  rares  peut-être  que  les  autres,  mais 
non  moins  réels  et  dont  on  rencontrait  les  pareils  au  voisinage  de  l'Egypte*. 
Comment  douter  qu'il  y  eût  des  divinités  à  buste  d'homme  et  à  tête  de 
taureau  ou  d'épervier,  quand  on  connaissait  autour  de  soi  des  sphinx  et  des 
griffons  en  chair  et  en  os?  Nombre  d'observations  authentiques  constataient 
l'existence  de  ces  créatures  paradoxales  :  plus  d'un  chasseur  les  avait  vues 
courir  distinctement  sur  les  plans  lointains  de  l'horizon,  par  delà  les  bandes 
de  gazelles  qu'il  poursuivait,  et  les  bergers  ne  les  redoutaient  pas  moins 
pour  leurs  troupeaux  que  les  lions  ou  les  grands  félins  du  désert5. 

Comme  les  peuples  des  hommes,  ce  peuple  des  dieux  renfermait  des  éléments 
étrangers  dont  les  Égyptiens  eux-mêmes  connaissaient  l'origine.  Ils  savaient 
qu'Hâthor,  la  vache  nourricière,  s'était  établie  chez  eux  en  des  temps  très 
anciens,  et  ils  l'appelaient  la  dame  de  Pouanît,  selon  le  nom  de  sa  patrie  pre- 
mière6. Bîsou  l'avait  rejointe  par  la  suite  des  siècles  et  leur  avait  réclamé  sa 
part  d'honneurs  et  de  culte  à  côté  d'elle.  Il  s'était  manifesté  d'abord  comme 
un  léopard,   puis  comme  un   homme  vêtu  d'une  peau  de  léopard,  mais  un 

1.  Ainsi  les  sycomore»  plantés  isolément  à  la  lisière  du  désert  et  qu'on  croyait  habités  par  Hàthor, 
Noutt,  Sclkit,  Nît  ou  quelque  autre  déesse  (Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d Archéologie  Égyp- 
tiennes, t.  II,  p.  28-29).  Dans  les  vignettes  qui  représentent  le  mort  arrêté  de\ant  l'un  de  ces  arbres 
et  y  recevant  de  l'eau  et  des  pains,  on  voit  d'ordinaire  la  déesse  sortant  en  buste  du  feuillage  qui 
l'abrite  (Lanzone,  Dizionario  di  Mitologia,  pi.  CLI,  2).  Quelquefois  pourtant,  comme  sur  le  sarcophage 
de  Pétosiris  (Maspkro,  Catalogue  du  Musée  Égyptien  de  Marseille,  p.  52),  la  transformation  est  com- 
plète, et  le  corps  même  du  dieu  ou  de  la  déesse  figure  le  tronc  d'où  les  branches  du  sycomore 
s'échappent  (cf.  Rochemonteix,  Edfou,  pi.  XXIX  a,  Isis  et  Nephthys  dans  le  Sycomore).  Souvent  enfin,  le 
corps  est  caché  tout  entier,  et  l'on  n'aperçoit  qu'un  bras  ou  même  une  main  de  la  déesse  émergeant 
du  milieu  de  l'arbre,  l'hydrie  débordante  à  la  main  (INaville,  Todtenbuch,  pi.  LXXUI,  CUI). 

2.  On  trouvera,  dessinée  dans  Mariette,  Dendérah,  t.  II,  pi.  55  c,  l'image  du  grand  sistre  consacré 
par  Thoulmosis  III  et  qui  était  le  fétiche  de  la  déesse  Hàthor  pour  le  temple  de  Dendérah. 

3.  Le  tronc  d'un  arbre,  ébranché,  puis  planté  en  terre,  me  parait  être  l'origine  de  l'emblème  osirien 
qu'on  appelle  tat  ou  didou  (Maspkro,  Catalogue  du  Musée  Egyptien  de  Marseille,  p.  164,  uQ  878).  Le 
symbole  fut  régularisé  plus  tard  de  manière  à  figurer  quatre  colonnes  vues  en  perspective,  chacun  des 
chapiteaux  dépassant  l'autre;  il  devint  ainsi  l'image  des  quatre  piliers  qui  soutiennent  le  monde 
(Pktrie,  Medum,  p.  31  ;  Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  Il,  p.  359,  note  3). 

4.  La  croyance  à  l'existence  réelle  des  animaux  fantastiques  a  été  signalée  pour  la  première  fois 
par  Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  117-H8,  132,  et  t.  II,  p.  213. 
Jusqu'alors  les  savants  ne  voulaient  reconnaître  dans  le  sphinx  et  dans  les  monstres  égyptiens  que 
des  combinaisons  allégoriques,  par  lesquelles  les  prêtres  avaient  prétendu  exprimer  visiblement  Ja 
réunion  chez  un  même  être  composite  de  qualités  physiques  ou  morales  appartenant  à  plusieurs  êtres 
différents.  L'idée  a  été  adoptée  depuis  lors  par  M.  Wiedemann  (le  Culte  des  animaux  en  Egypte, 
p.  14-15),  et  par  la  plupart  des  égyptologues  contemporains. 

b.  Plusieurs  des  quadrupèdes  fantastiques  dont  il  est  parlé  dans  le  texte,  griffons,  hiéracosphinx, 
lions  à  tête  de  serpent,  sont  mêlés  à  Boni-Hassan  et  à  Thèbes  parmi  les  animaux  que  les  princes 
de  la  localité  étaient  exposés  à  rencontrer  pendant  leurs  chasses  au  désert  (Champollion,  Monuments 
de  l'Egypte  et  de  la  Nubie,  pi.  CfXLXXXIl,  3,  4,  CCIXXVIII  bit,  et  t.  II,  p.  330,  360;  Bosellini,  Monu- 
menti  civili,  pi.  XXXIII  ;  Wilkinson,  Mann  ers  and  Customs,  cf.  the  Ancient  Egyptians,  2«  édit.,  t.  II,  p.  93). 

fi.  Sur  Hàthor,  dame  de  Pouanît,  sur  son  importation  en  figypte  et  sur  les  liens  de  parenté  qui 
l'unissent  à  Bisou,  voir  Plkytk,  Chapitres  supplémentaires  du  Livre  des  Morts,  p.  134  sqq. 


LES  DIEUX  D'ORIGINE  ÉTRANGÈRE.  83 

homme  de  figure  étrange  et  de  caractère  inquiétant,  un  nain  à  la  grosse  tète 
et  aux  pommettes  saillantes,  à  la  bouche  largement  ouverte  d'où  pendait  une 
langue  énorme,  à  la  fois  belliqueux  et  jovial,  ami  de  la  danse  et  des  combats'. 
Tous  les  peuples  que  les  Pharaons  soumirent  à  l'époque  historique  cédèrent 
quelques-unes  de  leurs  principales  divinités  à  leurs  vainqueurs,  et  l'on  vit 
trôner  dans  la  vallée  le  Libyen  Shehahidi  aussi  bien  que  le  Sémite  Baàlou, 
avec  son  cortège  d'Astartés  et  d'Aniti,  de  Resheph  et  de  Kadshou1.  Il  en  fut 
de  ces  colons  divins  comme  de  tous  les  étrangers  qui  ont  essayé  de  s'implanter 
aux  bords  du  Nil  :  le  pays  se  les  assimila  promptement,  les  travailla,  les 


repétrit,  et  tira  d'eux  des  Égyptiens  à  peine  distincts  des  dieux  de  vieille  race. 
Ce  panthéon  mêlé  graduait  ses  nobles,  ses  princes,  ses  rois,  et  représentait  en 
chacun  d'eux  l'un  des  éléments  qui  constituaient  le  monde  ou  l'une  des  forces 
qui  en  règlent  l'ordonnance.  Le  ciel,  la  terre,  les  astres,  le  soleil,  le  Nil, 
comptaient  pour  autant  de  personnes  respirantes  et  pensantes  dont  la  vie  se 
révélait  chaque  jour  dans  la  vie  de  l'univers.  On  les  adorait  d'un  bout  de  la 
vallée  à  l'autre,  et  le  peuple  entier  s'accordait  à  proclamer  leur  puissance  sou- 
veraine :  mais  le  consentement  cessait  dès  qu'il  essayait  de  les  nommer,  de 
définir  leur  pouvoir  et  leurs  attributs,  de  préciser  le  corps  qu'ils  revêtaient  ou 
les  rapports  qu'ils  entretenaient  entre  eux.  Chaque  principauté,  chaque  nome, 
chaque  ville,   presque    chaque   bourgade  les   concevait  et  les  figurait  à  sa 

.  !.  Bisou  x  été  étudié  de  très  près  par  l'Ieyto  {Chapitre*  tupplèmentaire*  du  Livre  de*  Mort*,  Tra- 
duction et  Commentaire,  p,  lll-INi)  ei  par  Krall  [Veticr  de»  iKgypti*chea  tiotl  Bei,  dans  BKvmoiir- 
Xie»*»fi,  dat  lleroon  non  GjBlbatchi-Tryni,  p.  'it-VCij.  Il  est  ligure  en  cul-do  lampe  sous  le;  sommaire 
du  présent  chapitre,  d'après  une  amulette  en  terre  cuilo  émaillée  hloue  :  le  dessin  est  de  Fauclicr-nudiu 

t.  Shchadidi  se  rencontre  dans  te  nom  d'un  certain  l'étésheuadidi,  dont  la  statue  est  passée  de  la 
collection  Posno  (Antiquité1*  Egyptienne*,  1R83,  p.  I:i,  n"  57  et  pi.  ï]  au  Musée  de  Berlin;  cf.  le  dieu 
Saharouaou.  cité  par  NtSfKRO,  Sur  deux  ilèle*  récemment  découverte*,  dans  le  Ileriieit.  (.  XV,  p.  8;i. 
I.ch  dieux  sémitique»  introduits  en  f:j;jplc  ont  été  étudiés  longuement  par  M.  de  Vogue  [Hél/nti/nt 
d'Archéologie  Orientale,  p.  41  sqq.,  "H  sqq.)  et  par  Ktl.  Noyer  (tleber  einige  Semîliiehe  Oolter,  g  II, 
Semitiichc  GSIIerm  Xgypten,  dans  la  ZeiUchrift  d.  Deut.  Norg.  C.ctetUchoft,  t.  XXXI,  p.  7*1-74»}. 

H.  Le  monstre  a  tète  d'éporvicr  et  à  queue  fleurie  ligure  dans  cette  vignette  s'appelait  la  toga. 


86  LES  DIEUX  DE    L'EGYPTE. 

façon.  Les  unes  disaient  que  le  ciel  est  Horus  le  Grand,  Haroêris,   l'épervier 
ts  bariolées,  qui  plane  au  plus  haut  des  airs  et  qui  em- 
i  de  son    regard  fixe   le  champ  entier  de   ia  création', 
ne  son  nom  assonait  en  calembour  au   terme  horou  qui 
igné  le  visage  humain,  on  mêla  les  deux  sens,  et  on  joi- 
nt à  l'idée  de  l'épervier  celle  d'une  face  divine  dont  les 
deux  yeux  s'ouvrent  tour  à  tour,  l'œil  droit,  le  soleil, 
pour  éclairer  les  jours,  l'œil  gauche,  la  lune,  pour  illu- 
miner les  nuits'.  Elle  possédait  d'ailleurs  sa  lumière 
propre,  la  lumière  zodiacale,  qui  éclatait  à  des  inter- 
valles imprévus,  le  matin  ou   le  soir,  un   peu   avant 
le  lever,  un  peu  après  le  coucher  du  soleil  :  les  rayons 
brillants,  partis  d'un  point  commun  perdu  dans  les 
hauteurs  du   firmament,  se    répandent  en  une  large 
nappe  d'un  bleu  humide  et  dessinent  le  profil  d'une 
pyramide  dont  la  base  s'appuie  sur  le  sol,  mais  dont  la 
pointe  s'incline  légèrement  vers  le  zénith*.  Quatre  gros- 
ses  nattes   de   cheveux   encadraient  symétriquement  le 
isage  divin  et   le  rattachaient  à   la  terre;    c'étaient    les 
liera   qui  étayent   le  firmament   et  qui  l'empêchent  de 
crouler  sur  nos  têtes*.  Une  tradition  non  moins  antique 
irtait  comme  une  fable  ce  qu'on    racontait   de  l'épervier 
de  la  face,  et  enseignait  que  le  ciel  et  la  terre  forment  un 
le  de  dieux,  Sibou  et  Nouît,  dont  le  mariage  produit  tout 
i  a  été,  tout  ce  qui  est,  tout  ce  qui  sera.  La  plupart  leur 
uaient  une  figure  humaine  et  représentaient  volontiers  le 
soin  l'éiol*  '        dieu-terre  Sibou  étendu  sous  Nouît  l'étoilée;   la  déesse  étirait 
ses  bras,  étirait  ses  jambes  grêles,  étirait  son  corps  au-dessus 
des  nuages  et    penchait  vers  l'Occident  sa   tête   échevelée.   Mais   beaucoup 

1.  On  adiuel  gé  né  raie  m  en  I  que  Hnroëris  est  HA,  le  soleil  (Rkit,sch,  Religion  und  Mythologie  der 
alleu  .£gyptcr,  p.  52 U  sqq.).  Ilaroeris,  adoré  dans  ta  Haule-Êgypie,  y  foi-mail,  avec  Slt  d'Ombos,  un 
roupie  représentant  le  ciel  et  la  terre  (Masi-eto,  Eluda  de  Mythologie  et  d'Archéologie,  l.  El, 
|>.  3Ï!I  sqq.)',  on  le»  dépeignait  souvent  comme  un  personnage  à  dcui  Wles(LtPSius,  llenkm.,  I[|,  i3ib). 

t.  ¥..  I.i.uLhue,  les  Vi-uj-  d'Iloita,  p.  !>fi-!IR.  I.e  rôle  des  deux  veut  de  l'HoruB  céleste,  mlir,  oi  nln, 
a  clé  reconnu  en   premier  lieu   par  Brugsrh  (GeogrophUche  htichriften,  t.  I.  p.  T5). 

3.  Drk.sch,  £  ou  la  lumière  zodiacale,  dans  les  Proceedingi  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique, 
18!i*-IS93,  I.  XV,  p.  *33  sqq.;  llfMiiw  Gitisn*.  Im  Ileiche  Aet  Lichtei.  Soanen,  Zodiakallichter, 
Komrleii,  DSmmerungiticht-Pyramiden  naeh  deu  iilteiten  ngyptiiehen  Quellea,  1893. 

4.  Le»  Iraiet  cl  les  dieu*  qui  y  président  sont  mentionnés  dans  les  Pyramides  (Papi  I",  I.  436-411), 
Miriuri,   l.   613-656;  et.  Misrnio,  Eludes  de  Mythologie  et  d' Archéologie,  I.  Il,  p.  306-36"). 

5.  Dettin  de  Faucher-Gudin,  d'aprei  une  peinture  d'un  cercueil  de  la  XXP  dyiiattie  à  fayde. 


LEURS  FORMES  CuNTKADICTlHKËS.  87 

croyaient  aussi  que  Sibou  se  cache  dans  un  jars  colossal  dont  la  femelle  avait 
pondu  jadis  l'œuf  du  Soleil,  et  peut-être  le  pondait  encore  chaque  matin  :  les 
cris  perçants  par  lesquels  il  félicitait  sa  compagne  et  annonçait  la  bonne 
nouvelle  à  qui  voulait  l'entendre,  comme  c'est  la  mode  en  pareil  cas  chez  ses 


teur!.  D'autres  versions  répudiaient  l'oie,  et  lui  substituaient  un  taureau 
vigoureux,  le  père  des  dieux  et  des  hommes3.  Sa  compagne  devenait  alors 
une  vache,  une  Hàthor  aux  larges  yeux  et  à  la  belle  face.  Le  chef  de  la  bonne 
bête  monte  dans  les  profondeurs  d'en  haut,  les  eaux  mystérieuses  où  le  monde 
est  noyé  roulent  sur  son  échine,  les  habitants  de  notre  terre  aperçoivent  d'elle 
le  ventre  abondamment  semé  d'étoiles  que  nous  nommons  le  firmament  :  ses 
jambes  sont  les  quatre  piliers,  dressés  aux  quatre  points  cardinaux  du  monde*. 
Selon  qu'on  se  figurait  le  ciel,  les  astres  et  surtout  le  soleil  changeaient  de 
forme  et  de  nature.  Le  disque  de  feu  —  Atonou  — ,  par  lequel  le  soif  il  se 

I.  Destin  de  Fauclicr-Gudin.  d'aprtéunc  ttele  du  Minée  de  tlntlt  [fiittfmiT,  le  Mutée  Égyptien,  pi.  NI). 
Ce  n'est  pas  ici  l'oie  île  Sihou,  mais  l'oie  d'Atnon,  colle  qu'on  nourrissait  Huns  te  temple  île  karnak 
et  qui  s'appelait  Srnonou  :  devant  l'oie,  la  châtie  de  Moût,  femme  d'Amon.  Amou.  étant  à  J'ori^ini- 
un  dieu-terre,  mranwtliius  le  verrons,  se  cou  Tondait  avec  Si  liou  et  lui  prenait  naturellement  sa  forme  d'oie. 

■J.  Livre  des  Mort;  ch.  liv,  éd.  N.ivh.lk,  t.  I,  pi.  LXVI  ;  cf.  Umge-IImoi'f,  Seb  the  great  Caekler, 
dans  les  l'roceedingt  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  VII,  p.  liii-ir.i.  Sur  l'ieuf  de  Sibou,  et 
en  général  sur  les  idées  que  les  fie;,  pi  uns  nttai-haient  il  l'œuf,  voir  Unturae,  l'Œuf  dam  la  Iteli- 
gjou  Egyptienne  (dans  la  lictue  de  l'Hittnire  des  Retigioiu,  t.  XVI,  p.  16-45).  Divers  égyptologue*, 
Orugsrh  (Religion  nnd  Mythologie,  p.  ITM73),  l.ieMeiu  [l'rmci-diagt,  tRHi-IMM'i.  p.  tty-tnnj.  consi- 
dèrent a  l'inverse  que  le  siejie  de  l'oie,  employé  dans  l'écriture,  rouranle  pour  rendre  le  nom  il u  dieu, 
a  donné  naissance  au  mythe  d'après  lequel  le  dieu  aurait  eu  la  forme  d'une  oie. 

II.  C'est  pour  ce  motif  qu'il  est  appelé  taureau  de  Souil  dans  la  pyramide  d'Uunan  il    i'.ii). 

4.  En  voir  l'image  chez  UnSmint,  le  Tombeau  de  irtf  I",  dan»    les  Mrmoirei  de  la  Million,  I.  Il, 


HH  LES  DIEUX   fit  I,  ÊCYI'TK. 

révèle  aux  hommes,  était  un  dieu  vivant  appelé  Rà  ainsi  que  l'astre  lui-même1. 
Où  l'on  concevait  le  ciel  comme  un 
Horus,  Rà^  servait  d'œiï  droit  à  ta 
face  divine*:  quand  il  entrouvrait  ses 
paupières  lematin.il  produisait  l'aube 
et  le  jour;  quand  il  les  refermait  vers 
le  soir,  les  ténèbres  et  la  nuit  ne  tar- 
daient pas  à  paraître.  Où  le  ciel  s'in- 
carnait en  une  déesse,  on  donnait  Râ 
pour  fils  à  cette  déesse  et  au  dieu 
Terre1  :  il  naissait  et  renaissait  à  cha- 
que aurore  nouvelle,  la  tresse  sur 
l'oreille  et  le  doigt  aux  lèvres,  dans 
la  pose  conventionnelle  des  enfants 
humains.  C'était  lui  encore  l'œuf  lumi- 
neux que  l'oie  céleste  pond  et  couve 
à  l'Orient,  et  d'où  l'astre  éclôt  pour 
inonder  l'univers  de  ses  ravons'. 
Toutefois,  par  une  anomalie  fréquente 
s  dans  les  religions,  l'œuf  ne  contenait 

pas    toujours    un   oiseau    de   même 

espèce  :  un  vanneau,  un  héron  en  sortaient',  ou  bien,  en  mémoire  d'Horus,  un 

I.  Le  nom  dp  lia  a  été  expliqué  dp  diverses   manierea.  L'élymolofjio   la  plus  répandue  y  reeonnalt 

par  exrellouoe  (IIib.h  di.us  Wit.vrssin,  Mannera  and  Cuttomt,  ±-  éd.,  t.  III,  p.  *14),  l'aulour  de  tout 
(liait,*. n,  Religion  tinil  Mythologie,  p.  8fi-8T);  l.aiilh  (Aut  /Egyptem  Voneit,  p.  tfi,  B8)  va  jusqu'à 
déclarer  que  •  US,  malgré  sa  brièveté,  esl  un  composé  (a-t.  faiseur  —  i*lre)  ■.  l.o  mot  n'csl  m  réalité 
que  le  nom  inouïe  dp  l'ji^lrc  n [■  p-l ■■] ■]'-  au  dieu.   Il  sijfnitir-  toleit,  rien  de  plu*. 

t.  Los  loxlcs  d'Edmii  inonlionnenl  la  faee  d'Ilorus,  munie  de  ici  deux  yeux  (Naïille,  Tertrt  rela- 
lift  ou  mythe  d'Ilonië,  pi.  XXII,  I.  I):  pour  l'identinealion  do  l'teil  droit  du  cliou  aver  lo  soleil.  cl\ 
les  preuves  irrécusables  qu'uni  recueillies  Oiabas  {Lettre  à  M.  te  f>'  U.  J.cptim  »«r  (et  umlt  fgyp- 
lirnt  tiguifiant  la  droite  el  ta  gaurhe,  dans  la  Zeittchrift,  IRt",.  p.  10)  ot  l.epsius  {An  Herrn 
F.  Chabot,  ùber  redit*  and  links  in  Hieroglyphitehen,  dans  la  Zeittchrifl,  I8fir>,  p.  13). 

S.  Plusieurs  passages  tics  r>iartiiilrs  prouvent  qui1,  très  anciennement,  on  se  représentait  les  deux 
yeux  roimiio  appartenant  à  la  facp  dp  Nouft  (Papi  I",  1.  KHI),  et  coite  conception  persista  jusqu'aux 
derniers  joins  ilu  paganisme  emplie».  Nous  ne  devons  doue  pas  nous  étonner  si  les  inscription*  nous 
montrent  lo  plus  souvent  le  dieu  11.1  sortant  du  sein  de  Tioult  sous  la  forme  d'un  disque  ou  d'un  scara- 
bée, ot  naissant  d'elle  à  la  façon  dont  naissent  les  enfants  des  hommes  (Papi  1",  I.   tu.  llï,  fi»,  etc.). 

i.  Ce  sont  les  expressions  mêmes  qui  sont  employées  au  chapitre  vvu  du  livre  dei  Mort!  (éd.  Ti.i- 
(illk.  t.  I.  pi.  XXV,  I.  :;«-«|;  Lui-sus,  Totllenbueh,  pi."  IX,  1.  uO-SIL 

S.  Dettin  de  llovditr.  d'âpre*  la  statue  en  batallr  vert  du  Mimée  de  Giifh.  A'A'.V*  dynattie  IMvs- 
pr.nn.  Guide  du  Visiteur,  p.  SIS,  n'frilS).  Kilt-  a  été  publiée  deux  fois  par  Mahiktte,  Monument»  direr*, 
p[.  OH  A-H.  ol  Album  photographique  du  Maure  île  Hoalaq,  pi.  X. 

ronstaiilo  dont  il  est  mis  eu  rapport  avec  lloliopoli-  el  aver  ses  dieux  nous  montre  aussi  on  lui  une 
l'omit!  serouiliiire  tle  IIS.  Cf.  la  ligure  t|ue  le  soleil  prend  pondant  la  Iroisienio  heure  tin  jour,  dans  lo 
texte  p.rlilié  ot  expliqué  par  Bai  i.min,  Die  Kapitel  der  \  ei  teand lange  n  (Zeittchrifl.  ISO",  p.  ■ÎH). 


LE  SOLEIL  HOMME. 


de  ces  beaux  éperviers  dorés  communs  dans  l'Egypte  méridionale1.  Un  soleil- 
épervier  planant  au  ciel  à  pleine  envergure  offrait  du  moins  à  l'esprit  une 
image  poétique  et  hardie,  mais  que  dire  d'un  soleil-veau?  C'était  pourtant  sous 
l'aspect  innocent  et  naïf  d'un  veau  tacheté,  d'un  «  veau  de  lait  à  la  bouche 


pure J  » ,  que  les  Égyptiens  se  plaisaient  à  le  décrire,  quand  ils  faisaient  de 
Sibou,  son  père,  un  taureau,  et  d'Hàthor  une  génisse.  La  conception  la  plus 
fréquente  était  encore  celle  qui  comparait  la  vie  du  soleil  à  celle  de  l'homme. 
Les  deux  divinités  qui  président  à  l'est  recevaient  Tastre  sur  leurs  mains,  au 
sortir  du  sein  maternel,  comme  les  accoucheuses  reçoivent  le  nouveau-né,  et 
l'entouraient  de  soins  pendant  la  première  heure  du  jour  et  de  sa  vie4.  11  les 

1.  Livre  det  Morte,  cil.  m-ri  (Ut.,  édit.  INaville,  pi.  I.XXXVIH.  1.  S  sqq.]  et  ch.  LXXflII  (pi.  LXXXIX); 
ef.  les  formes  du  soleil  pendant  la  troisième  cl  la  huitième  heure  du  jour  dans  le  texte  public  el 
explique  par  Bmjckk,  Die  Kapi'el  der  Vericandlungen  (ZeiUchrift,  1867,  p.  23-24). 

2.  te»  doute  forma  du  loleit  vivant  pendant  tri  douze  heures  du  jour,  d'après  te  plafond  de  la 
salie  du  Nouvel  An  à  Edfou  (RocHïKOsrEix,  Edfou,  pi.  XXXIII  c).  —  Dessin  de  Fauclur-Gudin. 

3.  Le  veau  est  représenté  au  chapitre  eu  du  Livre  det  Horti  (édit.  Naville,  pi.  CXX).  où  le  texte 
dit  (I.  10-11)  :  •  Je  sais  que  c'est  HarmaUiU  le  Soleil  ce  veau,  qui  n'eat  autre  que  l'Étoile  du  malin 
•  saluant  Hi.  chaque  jour  ■.  L'expression  veau  de  lait  à  la  bouche  pure  est  empruntée  mot  pour  mol 
à  une  formule  que  les  textes  des  Pyramides  nous  ont  conservée  (Ounoa,  I.  !0). 

4.  L'accouchement  de  la  déesse  et  la  naissance  du  soleil  étaient  représentés  en  détail  à  Ermcnt 
(ClUFOLLHffl,  Monument»,  pi.  CXLV;  Rojbllipu,  Monument i  det  C.ullo,  pi.  Ll  1-1.1  II  et  Texte,  p.  233  sqq.  ; 


90  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

quittait  bientôt  et  s'avançait  <r  sous  le  ventre  de  Nouit  »,  grandi  et  affermi  de 
minute  en  minute  :  à  midi,  c'est  un  héros  triomphant  dont  la  splendeur  s'é- 
panche sur  toutes  les  créatures.  Mais  à  mesure  que  la  nuit  approche,  ses  forces 
l'abandonnent  et  sa  gloire  s'obscurcit  :  il  se  courbe,  il  se  casse,  il  se  traîne 
péniblement  comme  un  vieillard  appuyé  sur  son  bâton1.  Il  s'évanouit  enfin  der- 
rière l'horizon,  il  plonge  à  l'Occident  dans  la  bouche  de  Nouît,  et  lui  traverse 
le  corps  pendant  la  nuit,  pour  renaître  d'elle  au  matin  prochain  et  pour  voya- 
ger de  nouveau  sur  les  chemins  qu'il  avait  parcourus  la  veille*. 

Une  première  barque,  la  Saktîtr\  l'attendait  à  son  apparition  et  l'emmenait 
à  travers  l'Orient  aux  extrémités  méridionales  du  monde.  Une  seconde  barque, 
la  Mâzît\  le  prenait  au  midi  et  le  transportait  dans  le  pays  de  Manou,  à  l'en- 
trée de  l'Hadès;  d'autres  barques  moins  connues  le  conduisaient  par  la  nuit, 
de  son  coucher  à  son  lever  matinal6.  Tantôt  on  supposait  qu'il  y  montait 
seul  :  alors  elles  étaient  fées  et  se  dirigeaient  d'elles-mêmes,  sans  rames,  sans 
voiles,  sans  gouvernail*.  Tantôt  on  les  armait  d'un  équipage  complet,  composé 
comme  celui  des  barques  égyptiennes,  pilote  à  l'avant  pour  sonder  le  chenal 
et  pour  sentir  le  vent,  pilote  à  l'arrière  pour  gouverner,  quartier-maître  au 
milieu  pour  transmettre  au  pilote  d'arrière  les  commandements  de  celui  d'avant: 
une  demi-douzaine  de  matelots  maniaient  la  perche  ou  l'aviron7.  La  barque 
glissait  pacifiquement  sur  le  fleuve  céleste,  aux  acclamations  des  divinités  qui 
en  habitaient  les  deux  rives.  Parfois  cependant  Apôpi,  un  serpent  gigantesque, 
analogue  à  celui  qui  se  cache  encore  dans  le  Nil  d'ici-bas  et  qui  en  dévore  les 
berges,  sortait  du  fond  des  eaux  et  se  dressait   sur  le  chemin   du  dieu8  : 

Lepsius,  Denkm.,  IV,  pi.  60,  a,  c,  d),  et  plus  brièvement  sur  le  sarcophage  d'un  des  béliers  de  Mondes, 
qui  est  conservé  au  Musée  de  Gizéh  (Mariette,  Monuments  divers,  pi.  LXVI  et  Texte,  p.  13-14). 

1.  Le  progrès  et  la  décroissance  des  formes  du  soleil  sont  marqués  nettement  dans  le  tableau  que 
Brugsch  a  publié  le  premier  (die  Kapitel  der  Verwandlungen,  dans  la  Zeitschrift,  1867,  p.  21-26  et 
planche;  Thésaurus  Inscriptionum  sEgyptiacarum,  p.  55-59),  d'après  le  cercueil  de  Khâf  au  musée 
de  Gizéh,  et  d'après  deux  tableaux  de  Dendérah  (Description de  l  Egypte,  Ant.,  t.  IV,  pi.  16-19)  et  de 
la  Chambre  du  Nouvel-An  à  Edfou  (Chanpollioh,  Monuments  de  VÈgypte  et  de  la  Nubie,  pi.  CXXII1 
sqq.  ;  Rocheuonteix,  Edfou,  dans  les  Mémoires  de  la  Mission  du  Caire,  t.  IX,  pi.  XXXIII  c). 

2.  Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d' Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  218,  note  2. 

3.  La  forme  la  plus  ancienne  du  nom  e*tSamktit  (Teti,  1.  222:  Papi  Pr,  1.  570,  670,  etc.).  Brugsch 
(Dictionnaire  Hiéroglyphique,  p.  1327-1328)  a  fixé  le  premier  le  rôle  de  la  Sakttt  et  de  la  Màzft. 

4.  Mânzit,  avec  la  nasale  intercalaire,  dans  les  textes  les  plus  anciens  (Teti,  1.  222,  223,  344,  etc.). 

5.  Dans  les  formules  du  Livre  de  savoir  ce  qu'il  y  a  dans  tlladès,  le  soleil  mort  continue  à  monter 
la  barque  Saktft  pendant  une  partie  de  la  nuit.  Il  ne  change  de  barque  que  pour  traverser  les  quatrième 
et  cinquième  heures  (Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d' Archéologie  Égyptiennes,  t.  Il,  p.  69  sqq.). 

6.  La  barque  que  le  soleil  navigue  dans  l'autre  monde  est  de  ce  genre  :  bien  qu'elle  porte  un  équi- 
page complet  de  dieux,  elle  avance  la  plupart  du  temps  sans  leur  secours,  par  sa  propre  volonté.  On 
rencontre  la  barque  où  le  soleil  est  figuré  seul,  dans  beaucoup  de  vignettes  du  Livre  des  Morts  (édit. 
Navillk,  pi.  XXX,  La,  Ag,  pi.  CXIII,  Pe,  CXXX1II,  Pa,  CXLV)et  au  sommet  d'un  grand  nombre  de  stèles. 

7.  Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d* Archéologie  Égyptienne**,  t.  Il,  p.  38-39. 

8.  La  croyance  au  serpent  monstrueux  qui  habite  au  fond  du  IN  il  et  qui  incarne  le  génie  du  fleuve 
est  fort  répandue  dans  la  liait te-Égypte.  Au  retrait  de  l'inondation,  il  produit  les  éboulements  (bala- 
bit)  qui  détruisent  souvent  les  berges  et  mangent  des  champs  entiers  :  on  lui  fait  alors  des  offrandes  de 


LES  NAVIGATIONS  DU  SOLEIL  91 

l'équipage  courait  aux  armes  et  engageait  la  lutte  contre  lui,  à  force  prières  et 
coups  de  piques.  Tant  qu'elle  se  prolongeait,  les  hommes  voyaient  le  soleil 
défaillir  et  cherchaient  à  le  secourir  malgré  l'éloignement  :  ils  criaient,  s'agi- 
taient, se  battaient  la  poitrine,  sonnaient  leurs  instruments  de  musique,  frap- 
paient à  tour  de  bras  sur  tout  ce  qu'ils  possédaient  de  vases  ou  d'ustensiles  en 
métal,  pour  que  la  rumeur,  montant  vers  le  ciel,  effrayât  le  monstre.  Après 
quelques  minutes  d'angoisse,  Râ  surgissait  de  l'ombre  et  reprenait  sa  course, 
tandis  qu'Apôpi  se  recouchait  dans  l'abîme1,  paralysé  par  la  magie  des  dieux 
et  percé  de  vingt  blessures.  À  part  ces  éclipses  momentanées  dont  nul  ne 
savait  prédire  le  retour,  le  roi  Soleil  poursuivait  régulièrement  son  voyage 
autour  du  monde,  selon  des  lois  auxquelles  sa  volonté  même  ne  pouvait  rien 
changer.  Jour  après  jour,  il  montait  obliquement  de  l'orient  vers  le  sud  pour 
redescendre  obliquement  du  sud  vers  l'occident.  L'obliquité  de  sa  course 
diminuait  pendant  les  mois  d'été  et  il  semblait  venir  vers  l'Egypte,  elle  aug- 
mentait pendant  les  mois  d'hiver  et  il  s'éloignait  :  il  exécutait  son  double 
mouvement  avec  tant  de  régularité,  d'équinoxe  en  solstice  et  de  solstice  en 
équinoxe,  qu'on  pouvait  prédire  à  jour  fixe  et  son  départ  et  son  retour.  Les 
Égyptiens  expliquaient  ce  phénomène  au  gré  des  idées  qu'ils  se  forgeaient 
sur  la  constitution  du  monde.  La  barque  solaire  côtoyait  toujours  celle  des 
berges  qui  est  le  plus  voisine  des  hommes.  Au  moment  où  le  fleuve,  gonflé  par 
la  crue  annuelle,  débordait  sur  ses  rives,  elle  sortait  avec  lui  du  lit  accoutumé 
et  se  rapprochait  de  l'Egypte.  A  mesure  qu'il  décroissait,  la  barque  descen- 
dait et  se  retirait  :  son  plus  grand  éloignement  correspondait  au  niveau  le 
plus  bas  des  eaux.  A  l'inondation  suivante,  la  force  ascendante  du  flot  la 
ramenait  vers  nous,  et,  comme  le  phénomène  se  répétait  chaque  année,  les 
fluctuations  périodiques  du  Nil  d'en  haut  entraînaient  pour  conséquence 
nécessaire  la  périodicité  des  mouvements  obliques  du  Soleil5. 

dourah,  de  poulets,  de  dattes,  qu'on  lui  jette  pour  apaiser  sa  faim.  Ce  ne  sont  pas  les  indigènes  seu- 
lement qui  se  livrent  à  ces  pratiques  superstitieuses  :  pendant  l'automne  de  1881,  une  partie  des  ter- 
rains de  l'hôtel  de  Karnak,  à  Louqsor,  étant  tombés  à  l'eau,  le  gérant,  un  Grec,  offrit  au  serpent  du  Ml 
les  sacrifices  accoutumés  (Maspbro,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptie  fines,  t.  II,  p.  412-113). 

1.  Le  caractère  d'Apôpi  et  sa  lutte  contre  le  soleil  ont  été  fort  bien  définis  dès  le  début,  par 
Champollion  (Lettres  écrites  d'Egypte,  2*  édit.,  1833,  p.  231  sqq.),  comme  étant  la  lutte  de  la  lumière 
contre  l'obscurité  en  général.  Dans  certains  cas  fort  rares,  Apôpi  parait  l'emporter,  et  son  triomphe 
sur  Rà  fournil  une  explication  de  l'éclipsé  solaire  (Lf.pkbirk,  les  Yeux  d'Horus,  p.  49  sqq.;  Lkpace- 
Kr.nouf,  The  Eclipse  in  Egyptien  Texts,  dans  les  Proccedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique, 
1884-1885,  t.  VIII,  p.  163  sqq.)  analogue  à  celle  qu'on  rencontre  chez  beaucoup  de  peuples  ;  cf.  E.  Talor, 
la  Civilisation  primitive,  t.  1,  p.  376  sqq.  Dans  une  vieille  forme  de  la  légende,  le  serpent,  nommé 
llaîou,  attaquait  le  soleil  figuré  par  un  âne  sauvage,  et  courant  autour  du  monde,  sur  le  flanc  des 
montagnes  qui  étayent  le  ciel  (Ounas,  544-545;  Livre  des  Morts,  ch.  XL,  édit.  Naville,  t.  I,  pi.  LIV). 

2.  Cette  interprétation  des  croyances  égyptiennes  sur  la  marche  oblique  du  soleil  a  été  proposée 
par  Maspkro,  Éludes  de  Mythologie  et  d' Archéologie  Egyptiennes,  t.  II,  p.  208-210  :  elle  n'est  ni 
plus  étrange  ni  plus  puérile  que  la  plupart  de  celles  que   les  anciens  cosmographes  grecs  avaient 


92  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

Le  même  courant  qui  l'emportait  charriait  aussi  tout  un  peuple  de  dieux, 
dont  la  nuit  seule  trahissait  l'existence  aux  habitants  de  notre  terre.  Le  disque 
pâle  de  la  Lune  —  Jâouhou.  Aouhou  ~-  suivait  celui  du  Soleil  en  barque,  à 
douze  heures  de  distance,  le  long  des  remparts  du  monde'.  11  était,  lui  aussi, 
vingt  êtres  divers,  ici  un  homme  né  de  Nouît1,  là  un  cynocéphale  ou  un 
ibis3,  ailleurs  l'Œil  gauche  d'Horus*,  gardé  à  vue  par  l'ibis  ou  par  le  cyno- 
céphale. Comme  Rà,  il  avait  ses  ennemis  qui  le  guettaient   sans  relâche,  le 


crocodile,  l'hippopotame,  la  truie.  C'était  surtout  dans  son  plein,  vers  le 
15  de  chaque  mois,  qu'il  courait  les  plus  grands  périls.  La  truie  fondait  sur 
lui,  l'arrachait  de  la  face  céleste  et  le  jetait  au  Nil  d'en  haut,  ruisselant  de  sang 
et  de  larmes'.  Il  s'y  éteignait  graduellement  et  s'y  perdait  pendant  quelques 

énoncées  du  même  phénomène  (Lbtmwsf.,  Opinions  populaire»  et  sric/ili/lques  des  Grecs  sur  la 
roule  oblique  du  soleil,  dan»  ses  OEuvret  choisies,  ï"  sér.,  I.  I,  p.  336-353). 

1.  Le  dieu  Tholh-l.uno  esl  représenté,  au  sommet  de»  stèles,  seul,  assis  dans  sa  barque,  sous  forme 
d'homme  a  tôle  d'ibis  ou  de  disque  lunaire  (Ljbio.se,  Dizionario  di  Milotugia  Egizia.  pi.  XXXVII- 
S.XXVII1);  on  Ml  d'ailleurs  dans  le  De  Istde  (chnp.  nxtv,  éd.  PtimtEV,  p.  58)  :  "IUiov  !i  *«l  ïlilW  où/ 
âpu,aaiv  iXJi  itïofoi;  àyjfuuun  xpiupivou;  jtEpmltEy  «il.  Les  exemple»  le*  plus  frappants  s'en  trouvent 
sur  les  plafonds  astronomiques  d'Esnéh  et  de  Dendcrab,  souvent  reproduits  depuis  qu'ils  ont  été 
publiés,  au  commencement  du  siècle,  dans  la  Description  de  [Egypte,  An!.,  1.1,  pi.  LXXIX  ;  t.  IV,  pi.  XVIII. 

1.  Un  le  voit  sous  forme  d'enfant  ou  d'homme  portant  lu  disque  lunaire  sur  la  tête  et  pressant  l'eeil 
lunaire  etndiv  «;i  poitrine  (I.amijm:,  Diiitmarw,  pi  XXXV],  4,  i,  WlLKUrwa,  Manners  and  Customs .  4*  éd., 
I.  III,  pi.  XXXVI,  3  et  p.  no,  n°  51).  Le  degré  de  parente  entre  Thot,  Sibou  et  Noull  est  indiqué 
par  les  passades  de  la  pyramide  d'Uunas  (I.  Ï3tl,  140-151)  qui  montrent  en  Thot  le  frère  dïsis,  de  Slt 
et  de  Ncphthjs;  plus  tard  on  lit  de  lui  un  fils  de  M  (BRiicscn,  Hetigion  und  Mythologie,  p.  US). 

3.  Le  temple  de  Thot  à  Khmnunou  renfcrniaït  encore  à  l'époque  gréco-romaine  un  ibis  sacré,  incar- 
na lion  du  dieu,  et  que  le  sacerdoce  local  disait  être  éternel:  les  sacristains  du  temple  l'avaient 
montré  au  grammairien  Apion,  qui  rapporte  le  fait,  tout  en  n") croyant  pas  (Anos  Oisin,  fragm,  1 1. 
dans  Mf'i.LKk-DlMT,  Fragmenta  historirontm  girrorum,  t.  III,  p.  Siï).  Voir  l'image  du  dieu  Thot 
cynocéphale   dans  Wilïissos,  Mamiers  and  Customs,  t'  éd.,  t.  Il,  pi.  XXXVI,  l. 

1.  Les  textes  allégués  par  Chalias  et  par  Lepsius  (p.  R8,  note  t)  pour  montrer  que  le  disque  du 
soleil  est  l'œil  droit  d'Ilorus  prouvent  aussi  que  celui  de  la  lune  est  l'reil  gauche  du  même  dieu. 

5,  Dessin  de  r'aitchcr-t'.udiii.  d'après  le  plafond  du  llamesiéiim.  A  droite,  l'hippopotame  femelle 
portant  le  crorodite,  et  appuyée  sur  la  MonfiV;  au  rentre,  la  Cuisse,  représentée  ici  par  le  taureau 
entier;  à  gauche,  SelAlt,  VEperrier,  puis  le  Lion  et  te  d'uni  luttant  contre  le  Crocodile. 

G.  Les    faits   sont    racontés  d'une    façon    brève   mais  suffisamment    intelligible    aux  chapitres  cm 


LES  DIEt'X-ÉTOILES.  93 

jours,  mais  son  jumeau  le  Soleil  ou  le  cynocéphale  son  champion  partaient 
aussitôt  à  sa  recherche  et  le  rapportaient  à  Horus.  A  peine  remis  en  place,  il 
guérissait  lentement  et  recouvrait  son  éclat  :  quand  il  était  sain  —  ouzaît', — 
la  truie  l'attaquait  et  le  mutilait,  puis  les  dieux  le  recueillaient  et  le  ravivaient 
de  nouveau.  Il  fournissait  chaque  mois  quinze  jours  de  jeunesse  et  de  splendeur 
croissantes  que  suivaient  quinze  jours  d'agonie  et  de  pâleur  progressives  : 


il  naissait  pour  mourir  et  mourait  pour  renaître  douze  fois  dans  l'année,  et 
chacune  de  ses  crises  mesurait  un  mois  aux  habitants  du  monde.  Entre  temps, 
un  accident  toujours  le  même  troublait  la  routine  de  son  existence  :  la  truie, 
profitant  d'une  distraction  des  gardiens,  l'avalait  gloutonnement,  et  sa  lumière 
s'effaçait  brusquement,  d'un  seul  coup,  au  lieu  de  s'affaiblir  par  degrés.  Ces 
éclipses,  qui  effrayaient  les  hommes  au  moins  autant  que  celles  du  Soleil, 
ne  duraient  jamais  bien  longtemps;  les  dieux  obligeaient  le  monstre  à  vomir 
l'œil  avant  qu'il  l'eût  digéré1.  La  barque  lunaire  débouchait  chaque  soir  de 
l'Hadès  par  la  porte  que  Rà  avait  franchie  le  matin,  et,  à  mesure  qu'elle 
montait  à  l'horizon,  les  lampes-étoiles  éparses  au  firmament  apparaissaient 
l'une  après  l'autre,  comme  on  voit  s'allumer  à  l'aventure  les  feux  d'une  armée 

et  chu  du  Litre  des  Morts  (éd.  N.mius,  t.  I,  pi.  CXXIV-CXXV:  éd.  I.kpsius.  pi,  Xl.lll),  donl  l' importance 
a  pli- signalée  par  Gooilwin  (On  thf  It^C/tapier  of  the  Diluai,  dans  la  ZcitscArift,  IS7I,  p.   141-147), 

la  première  partie  de  son  ouvrage  sur  lo  Mythe  Osirirn  :  I.  les  Ymx  rf'Wcin». 

I.  J'ai  indiqué  le  sens  exact  de  celte  expression,  p.  lit,  note  1,  el  p.  RS.  note  4,  de  cette  Histoire, 
t.  Pour  Ici  pli  cal  ion  de  ce  petit  drame,  cf.  l'ouvrage  de  LefMuhk,  les  Yeux  d  Horus,  p.  43  sqq. 


94  LES  DIEUX   DE  L'EGYPTE. 

lointaine.  Autant  on  en  pouvait  compter,  autant  il  y  avait  d'Indestructibles  — - 
Akhîmau  Sokou  —  ou  d'Immuables  —  Akhtmou  ourdou  —  chargée  de  les  ser- 
vir et  de  veiller  à  leur  entretien'. 

La  main  qui  les  avait  suspendues  ne  les  avait  pas  disséminées  au  hasard  : 

une  méthode  certaine 
avait  présidé  à  leur 
répartition,  et  elles 
s'agençaient  en  groupes 
invariables  qui  for- 
maient comme  autant 
de  républiques  d'étoi- 
les, indépendantes  de 
l*  cuisse  de  BŒ«r  cici.Usd  *  l'mwpopotahe  fbhllr*.  leurs     voisines.     Elles 

dessinaient  des  corps 
d'hommes  ou  d'animaux  dont  les  contours,  esquissés  vaguement  sur  le 
fond  de  la  nuit,  se  rehaussaient  de  flammes  plus  brillantes  aux  endroits  les 
plus  importants.  Sept  d'entre  elles,  où  nous  sommes  accoutumés  à  deviner 
un  chariot,  simulaient  pour  les  Egyptiens  l'image  d'une  cuisse  de  bœuf  posée 
sur  le  bord  septentrional  de  l'horizon1.  Deux  moindres  rattachaient  la  Cuisse 
—  Maslchait  —  à  treize  autres  dont  l'ensemble  rappelait  la  silhouette  d'un 
hippopotame  femelle  —  Rirît  —  dressé  sur  les  pattes  de  derrière*  :  celui-ci 

1.  Les  Akhtmou-Sohou  et  les  Akhtmou-Ourdou  ont  été  définis  do  façon  fort  différente  par  les  divers 
nryploluftucs  qui  se  sont  occupés  d'eux.  Chabas  {Hymne  à  Osirii,  dans  la  ton  archéologique,  I"sér., 
t.  XIV,  p.  71,  n.  t,  et  le  Papyrus  magique  Marris,  p.  RÏ-84)  y  reconnaissait  les  génies  ou  les  dieux, 
clos  constellations  de  l'écliplique,  qui  marquent  dans  le  ciel  la  route  apparente  du  soleil.  Il  y  voyait 
aussi,  sur  les  indications  de  Dévéria,  les  matelots  de  la  barque  solaire  et  peut-être  les  dieux  des 
douze  heures,  divisés  en  doux  fiasses  :  ceux  qui  rament,  les  Akhtmou  Sokou,  ceux  qui  reposent,  les 
AkMmou-Ounlou.  Il  résulte  au  contraire  des  passages  découverts  et  cités  par  Hrugscli  {Thésaurus 
Inscriptionuni  .Egyptiacarum,  p.  40-44;  die  Mgyptologie,  p.  3il  sqq.),  que  les  Akhtmau-Sokou  sont 
les  astres  qui  accompagnent  Hà  dans  le  ciel  du  nord,  les  Akfttmou-Ourdou ,  ceux  qui  l'escortent  dans 
le  ciel  du  midi.  La  nomenclature  de*  étoile!  qui  appartiennent  »  ces  deux  classes  nous  est  fournie 
par  des  monuments  d'é|ioqucs  très  diverses  (Bnrcsm,  Thésaurus  lusrriptionum  .Ëgyptiacarum. 
p.  1!>  sqq).  Les  deux  noms  doivent  se  traduire,  chacun  selnn  le  sens  des  mois  qui  le  composent, 
Akhtmon  Sokou,  ceux  qui  uc  connaissent  point  la  destruction,  les  Indestructibles,  Akhtmou  Our.ou 
{Ourdou),  ceux  qui  ne  connaissent   pas  l'immobilité  produite  par  la  mort,  les  Impérissables. 

i.  Dessin  de  Faucher-liudin,  d'après  vue  des  scènes  du  zodiaque  rectangulaire  sculpte"  au  plafond 
du  grand  temple  de  Dendérah{uC»K«r.i,He-uttate,  1.  Il,  pi.  XXXIX). 

3.  La  Tonne  et  le  nombre  des  étoiles  qui  composaient  les  constellations  nous  sont  révélés,  pour  les 
ilitlV  rente.  i'|ifii|in's.  par  les  tableaux  astronomiques  des  lombes  et  dos  temples.  L'idenlilé  de  la  Cuisse 
avec  le  Chariot,  la  Grande  Ourse  de  l'astronomie  moderne,  a  été  découverte  par  Lepsius  (Einleïtung 
swr  Chronologie  der  Mgypter,  p.  184]  et  confirmée  par  Bint  {Sur  les  restes  de  l'ancienne  Vranographie 
égyptienne  que  l'en  pourrait  retrouver  aujourd'hui chet  le*  Arabes  gui  habitent  f  intérieur  île  [Egypte, 
p.  al  sqq..  extrait  du  Journal  des  Savant*:.  1854).  Mariette  a  signalé  chez  les  Dt'douins  des  l'viamide* 
le  nom  de  f.'tf'W  [cr-liigl)  appliqué  au  mémo  groupe  d'étoiles  qui  le  portait  cher  les  anciens  Kgyp 
tiens  {rt.  Bkicm  k,  die  .F.gyplnluijie,  p.  343),  Cliampollion  avait  noté  exactement  ta  place  que  la 
Cuissr  occupait  dans  le  riel  du  nord  {Dictionnaire  hiéroglyphique,  p.  A'-V.>\.  mais  n'avait  préposé  aucune 
identification  pour  elle.  Elle  appartenait  à  Sll-Typlion  {De  Iside  et  Otiride,  S  il,  édit.  Pabtmiï,  p.  3K). 

4.  L'hippopotame  femelle,  Itiril,  se  relie    à    la  Cuisse   de  manière  évidente   dans  les   tableaux    de 


LES  HORUS  DES  PLANÈTES. 


9o 


portait  gaillardement  sur  ses  épaules  un  crocodile  monstrueux  dont  la  gueule 
s'ouvrait  menaçante  au-dessus  de  sa  tête.  Dix-huit  points  lumineux  de  taille  et 
d'éclat  différents  jalonnaient  les  lignes  d'un  Lion  gigantesque  couché  la  queue 
raide,  la  tête  droite  et  tournée  vers  la  Cuisse,  dans  l'attitude  de  la  bête  au 
repos1.  La  plupart  des  constellations  ne  quittaient  jamais  notre  ciel  :  nuit  après 


ORION,    SOTRIS   ET   TROIS   HORUS-PLANÈTES   DEBOUT   SUR    LEURS   BARQUES*. 

nuit,  on  les  retrouvait  à  la  même  place,  ou  peu  s'en  faut,  et  scintillant  d'une 
intensité  toujours  égale.  D'autres  s'animaient  d'un  mouvement  lent  qui  les 
faisait  dériver  chaque  année  au  delà  des  limites  de  notre  vue  et  les  tenait 
cachées  pendant  des  mois  entiers.  Cinq  au  moins  de  nos  planètes  étaient  con- 
nues de  toute  antiquité,  chacune  avec  sa  couleur  et  ses  allures  propres  qu'on 
s'efforçait  de  noter  :  on  y  croyait  voir  souvent  autant  d'Horus  à  tête  d'éper- 
vier.  Ouapshetatooui,  notre  Jupiter,  Kahiri-Saturne,  Sobkou-Mercure  condui- 

Philse  et  d'Edfou  (Brugsch,  Thésaurus,  p.  126-127)  :  c'était  Isis  tenant  Typhon  enchatné  pour  l'em- 
pêcher de  nuire  à  Sàhou-Osiris  (Id.,  p.  144).  Jollois  et  Devilliers  (Recheî'ches  sur  les  bas-reliefs 
astronomiques  des  Égyptiens,  dans  la  Description,  t.  VIII,  p.  451)  avaient  cru  reconnaître  l'hippo- 
potame dans  notre  Grande  Ourse.  Biot  (Recherches  sur  plusieurs  points  de  l'astronomie  égyptienne* 
p.  87-91)  combattit  leurs  conclusions,  et,  tout  en  déclarant  que  l'hippopotame  pouvait  répondre  pour 
une  partie  au  moins  à  notre  constellation  du  Dragon,  pensa  qu'il  n'était  probablement  placé  dans  le 
tableau  qu'à  titre  d'ornement  ou  d'emblème  (cf.  Sur  les  restes  de  C ancienne  uranographie  égyp- 
tienne, p.  56).  Aujourd'hui  on  penche  à  l'identifier  avec  le  Dragon  et  avec  un  certain  nombre 
d'étoiles  détachées  des  constellations  qui  environnent  le  Dragon  (Brugsch,  Die  AZgyptologie,  p.  343). 

1.  Le  Lion  est  représenté  avec  ses  dix-huit  étoiles  au  tombeau  de  Séti  {"'(Lkfébure,  le  Tombeau  de 
Séti  l*r,  4*  part.,  pi.  XXXVI,  dans  les  Mémoires  de  la  Mission  française,  t.  II),  au  plafond  du  Rames- 
séum  (BitRTOtt,  Ejcerpta  Hicroglyphica,  pi.  LVIII,  Kosellim,  Monument i  del  Culto,  pi.  LXXII,  Lepsius, 
Denkmâler,  III,  170)  et  sur  le  sarcophage  de  Htari  (Brugsch,  Recueil  de  monuments,  t.  I,  pi.  XVII);  il 
a  parfois  une  queue  de  crocodile.  D'après  Biot  (Sur  un  calendrier  astronomique  et  astrologique 
trouvé  à  Thèbes  en  Egypte,  p.  102-111),  le  Lion  égyptien  n'a  rien  de  commun  avec  le  Lion  grec  et 
avec  le  nôtre;  il  serait  composé  de  petites  étoiles  appartenant  à  la  constellation  grecque  de  la  Coupe 
ou  à  la  continuation  de  l'Hydre,  de  sorte  que  sa  tête,  son  corps  et  sa  queue  feraient  suite  à  a  de 
l'Hydre  entre  ç'  et  Ç  de  cette  constellation  ou  y  de  la  Vierge. 

4.  D*  après  le  plafond  astronomique  du  tombeau  de  Séti  Imr  (Lefébure,  4e  partie,  pi.  XXXVI). 


96  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

Baient  leur  barque  droit  devant  eux  à  la  façon  d'Iàouhou  et  de  Râ,  mais  Mart- 
Doshiri,  le  rouge,  dirigeait  la  sienne  à  reculons,  et  Bonou  l'oiseau  (Vénus)  se 
manifestait  comme  un  astre  en  deux  personnes1.  Le  soir,  on  l'appelait  Ouàiti, 
l'étoile  solitaire  qui  pointe  la  première  et  souvent  sans  atten- 
dre que  la  nuit  soit  tombée  ;  ie  matin  il  devenait  Tiou-noutiri, 
le  dieu  qui  salue  le  soleil  avant  son  lever  et  qui  annonce  aux 
vivants  la  venue  prochaîne  du  jour*. 

Sàhou  et  Sopdft,  Orion  et  Sirius,  étaient  les  souverains  de  ce 
monde  mystérieux.  Sàhou  se  composait  de  quinze  étoiles,  sept 
grandes  et  huit  petites,  rangées  de  façon  à  représenter  un  cou- 
reur lancé  à  travers  l'espace;  la  plus  belle  brillait  au-dessus  de 
sa  tète  et  le  signalait  de  très  loin  à  l'admiration  des  mortels. 
Il  brandissait  une  croix  ansée  de  la  main  droite;  la  tète  inclinée 
vers  Sothis,  il  l'appelait  de  la  main  gauche,  et  semblait  l'invi- 
ter à  le  suivre.  La  déesse  debout,  le  sceptre  au  poing  et  cou- 
ronnée d'un  diadème  de  hautes  plumes  que  surmonte  le  plus 
puissant  de  ses  feux,  répondait  du  geste  à  son  appel,  et  mon- 
tait derrière  lui  sans  se  hâter,  comme  si  elle  ne  se  souciait 
pas  de  le  rejoindre3.  Ou  bien  elle  était  une  vache  couchée  dans 
la  barque,  avec  trois  étoiles  le  long  de  l'échiné  et  Sirius 
flamboyant  entre  les  deux  cornes*.  Elle  ne  se  contentait 
itwMMmiœi  .  p0int  de  scintiller  la  nuit,  mais  ses  rayons  bleuâtres  projetés 
brusquement  en  plein  jour,  sans  que  rien  permît  de  prévoir  leur  appa- 
rition, dessinaient  souvent   au   ciel   les   lignes   mystiques   du   triangle   dont 

1.  Les  personnages  qui  représentent  les  cinq  planètes  connues  des  anciens  Égyptiens  ont  été 
distingués  pour  la  première  fois  par  Lopsiua  (Einleitung  zur  Chronologie  der  £gypter,  p.  81  sqq.), 
puis  leurs  noms  établis  en  partie  par  BrugBCh  (Nouvelle!  Recherche»  tur  la  diviiion»  de  l'année 
chez  le»  ancien!  Égyptien*,  luiniet  d'un  mémoire  »ur  det  observation»  planétaire!,  p.  110  sqq.)  et 
liiés  définitivement  par  E,  do  Hougé  (Sole  tur  In  nom»  égyptien*  de*  planète»,  dans  le  Bulletin 
archéologique  de  VAthinmum  françai»,  t.  Il,  p.  IB-it,  15-Î8). 

t.  Le  lien  entre  Ouàiti  et  Tiou-noutiri,  entre  l'étoile  du  Soir  cl  celle  du  Matin,  a  été  signalé  pour 
la  première  fois  par  Brugsch  (Thetauru*  interiptionum,  p.  Ti  sqq,,  et  die  .Egyplologic ,  p.  331-337). 

3.  C'est  la  façon  dont  Sàhou  et  Sopdil  sont  représentés  au  llamesséum  (BCKTOH,  Excetpta,  pi.  LVI1I; 
Rosellim,  Monument!  det  C.ulto,  pi.  LXXI;  Lewis,  Denkm..  III.  170).  au  tombeau  de  Séli  ]-(LErÈsm:, 
le  Tombeau  de  Séti  l-,  4*  part.,  pi.  XXXVI.  dans  les  Mémoire» de  ta  MUlion  française,  I,  II),  et,  avec 
quelques  variantes,  sur  d'autres  monuments  (Baucscn,  Thésaurus  Inicriplionum,  p.  80).  Champollion, 
qui  avait  reconnu  le  personnage  d 'Orion  dans  le  tableau  astronomique  de  Dendéral),  lisait  le  nom 
Ketke»  ou  Ko»,  je  ne  sais  d'après  quelle  autorité  (Grammaire  Egyptienne,  p.  OS).  Lepsius  (Einleitung 
zur  Chronologie,  p.  71)  proposa  Sek,  et  E.  de  Hougé  trouva  la  véritable  lecture  Sàhou  (Mémoire  sur 
l'inscription  rTAhmct,  p.  88  sqq.).  Champollion  transcrivait  de  même  Thot.  Tel,  le  nom  de  Sothis,  sans 
se  tromper  d'ailleurs  sur  l'identité  de  la  déesse  (Grammaire  Égyptienne,  p.  96,  Mémoire  tur  le* 
ligne»  employé»  par  le*  ancien*  Égyptien»  à  ta  notation  de»  divisions  du  temps,  p,  38);  Lepsius  a  le 
premier  déchiffré  exactement  le  groupe  (Einleilung  zur  Chronologie,  p.  I35-I3G). 

1.  Détail)  de  Faucher-Gudin,  d'après  la  itatuetle  en  bronze  du  Mutée  de  Gizéh,  publiée  dan»  Mimetti, 
Album  photographique  du  Musée  de  Floulaq,  pi.  il.  Les  jambes  sont  une  restauration  moderne. 

5.  L'identité  de  la  vache  avec  Sothis  a  été  découverte  par  Jollnis  cl  de  Villiers  (Sur  les  bas-relief» 


ORION  ET  SOTHIS.  97 

on  écrit  son  nom  :  elle  produisait  alors  ces  curieux  phénomènes  de  lumière 
zodiacale  que  d'autres  légendes  attribuaient  à  Horus  lui-même1.  Une  des  mille 
histoires  qu'on  racontait  sur  ce  couple  de  dieux,  une  des  plus  anciennes  peut- 
être,  faisait  de  Sâhou  un  chasseur  sauvage1.  Le  fer  du  firmament  supportait 
un  monde  aussi  vaste  que  le  nôtre,  divisé  comme  lui  en  mers  et  en  continents, 
entrecoupé  de  rivières  et  de  canaux,  peuplé  de  races  inconnues  aux  hommes. 
Sàhou  le  traversait  pendant  le  jour,  entouré  des  génies  qui  présidaient  aux 


lampes  dont  sa  constellation  se  compose.  Dès  qu'il  se  montrait,  «  les  astres 
se  préparaient  au  combat,  les  archers  célestes  se  précipitaient,  tes  os  des 
dieux  qui  sont  à  l'horizon  tremblaient  à  sa  vue  »,  car  ce  n'était  pas  gibier 
ordinaire  qu'il  courait,  mais  les  dieux  eux-mêmes.  Tandis  que  l'un  des  pi- 
queurs  arrêtait  la  proie  au  lasso  comme  on  saisit  les  taureaux  dans  les  pâtu- 
rages, un  second  examinait  chaque  prise  pour  décider  si  elle  était  pure  et 
bonne  à  manger.  La  vérification  terminée,  d'autres  liaient  la  victime  divine, 
lui  ouvraient  la  gorge,  lui  extradaient  les  entrailles,  la  dépeçaient,  en  jetaient 
les  morceaux  dans  la  marmite  et  en  surveillaient  la  cuisson.  Sàhou  ne  dévorait 
pas  indifféremment  tout  ce  que  (e  hasard  de  ses  battues  lui  livrait,  mais  il 

•utronomiipiti.  dans  la  Description  de  l'Egypte,  1.  VIII,  p.  Ifii-iilH).  Sothis  e*!  rppréM-iiti'f  *<-•"* 
relie  forme  animale  dann  la  plupart  clos  temples  d'époque  lircco-romaine,  il  DrnaVrah,  k  fidfou,  il 
Ksntih,  à  Dcir  rl-Xrdinch  (ilKii.srin,  Thrtavrti»  In-riptionum  .■Egyptiacarum,  p.  Kif-82). 

I,  Biu-r.sc>,  &  ou  la  lumière  iodiacaU  dan»  les  Proceedingi  de  In  Société  d'ArcliéolORic  Biblique, 
IK91-1B83,  t.  XV,  p.  «3,  cl  liant.  Ilm»,^  r.nw.  Im  lleirhe  det  Lichtet,  p.  itn-lf,. 

î.  Pour  celle  légende,  voir  Ounat,  I.  -t!«i-rrfS.  et  Teli,  I.  318-331.  I.c  koiis  en  a  Ole  indiqué  par 
Hi^mro,  Etudet  de  Mythologie  et  <C  Archéologie  Egyptienne*.  I.  I.  p,8G»qq.:  I.  Il,  p.   18  sqq.,  t3l-i3ï. 

3.  Tableau  emprunté  au  zodiaque  rectangulaire  de  Douterait.  Deiittt  de.  Faurhcr-C.udin,  d'aprèt 
In  photographie  priée  à  la  lumière  du  magniiiiim  par  Dlinicmui,  lleiullate.  pi.  XXXVI. 


98  LES  DIEUX   DE  L'EGYPTE. 

séparai!  son  gibier  en  catégories  pour  en  user  selon  ses  besoins.  Il  absorbait 
les  grands  dieux  le  matin  à  son  déjeuner,  les  moyens  à  son  diner  vers  midi, 

les  petits  à  son  souper:  les 
vieux  et  les  vieilles  pas- 
saient au  four.  Chacun 
d'eux,  en  s'assimilant  à 
lui,  lui  infusait  ses  vertus 
les  plus  précieuses  :  la  sa- 
gesse des  vieux  renforçait 
sa  sagesse,  la  jeunesse  des 
jeunes  réparait  ce  qu'il 
usait  journellement  de  sa 
propre  jeunesse,  et  leur 
flamme,  pénétrant  en  lui, 
entretenait  toujours  clair 
l'éclat  de  ses  flammes. 

C'est  à  l'une  ou  à  l'autre 
de  ces  catégories  naturelles 

no.v«I  iKXTinU  a  Binon  de  wpkk  ei  pobt.ist  ses  attbiblts'.  " 

que  lesdivinités  des  nomes 
se  rattachaient  toutes,  celles  qui  présidaient  aux  destinées  des  cités  de 
l'Egypte  et  constituaient  au-dessus  de  la  féodalité  des  hommes  une  véritable 
féodalité  de  dieux*.  En  vain  s 'offrent -elles  à  nous  avec  les  faces  les  plus 
mobiles  et  les  attributs  les  plus  décevants  :  quelque  soin  qu'elles  mettent  à  se 
déguiser,  quand  nous  les  dévisageons  de  prés,  nous  finissons  le  plus  souvent 
par  démêler  les  traits  principaux  de  leur  physionomie  originelle.  Osiris  du 
Delta1,  Khnoumou  de  la  cataracte*,    Llarshàfitou  d'Héracléopolis5  incarnaient 

I.  Tableau  du  mur  Nord  de  la  Sa/le  hyp  style  de  Knriiak:  dessin  de  Doudicr,  d'après  une  photi  - 
graphie  d'Imiinjei,  priie  en  IHKi.  Le  roi  Séti  I"  présente  le  bouquet  de  feuilles  h  A  ni  on  -M  lu  ou. 
derrière  lequel  la  ennuie   Isis  (de  Coptusj  ne  lient  debout,  le  sceptre  et  l,i  croi*  ansée  en  main. 

i.  libnmpollinn  avait  déjà  reconnu  fort  nettement  ce  caractère  primordial  do  ta  religion  égyptienne. 
.  Ces  dieus,  disait-il,  s'étaient,  en  quelque  sorte,  partagé  rkgv|>tc  et  la  Nubie,  constituant  ainsi  une 
itspècc  de  répartition  féodale.  •  (Cihïpillios.  Lettres  rentes  d'Egypte,  f  éd..  1839,  p.  157.) 

i.  L'identité  il'Osiris  el  du  !\il  était  Lien  connue  des  écrivains  île  l'époque  cla>sique  :  ai  &  oo?uJïepùi 
;r.jv  ir^ÉMv  rj-j  U.0VOV  :<jv  ytii'i.ifi  "Oaipiv  ïiV'.'jitiï,...  i'/'i.i  "Oiipiv  uiv  iiûiû;  inomaï  rr,v  ifvj-oiijv 
î-./r.v  y.  ai  5Jvnu.lv,  aïriav  yiviaiMt  ï*l  nîrÉpjinTo;  w'jaiai  iay.i"ni-iz...  tôy  Bà  "Ompiv  au  irà/.iv  jAtlâv- 
/P'.'jv  -■;Yt,'JFV';  P'J'««ï™"  (We  '*'rf'  e>  O'iride,  $  ïïmii,  éd.  l'mrHEr,  p.  !iT  ;  cf.,  ^  mltl,  |i.  jl). 
|]'élait  là  en  effet  son  caractère  originel,  relui  auquel  sont  venus  s'adjoindre  et  qu'ont  recouïerl 
Ou  partie  les  attributs  différents  qu'on  lui  attribua   en  le  confondant  a  ver  (Vautre*  diouv 

1  l'our  l'analyse  du  rôle  que  l'on  prêtait  au  dieu  Klinoiiriiuu  de  la  cataracte,  et  pour  son  identité 
avec  le  Ml,  voirMisrKiut,  Études  de  Mythologie  et  ilAretiMogie  Egt/ptûruiiri,  i.  Il,  p.  *"3  sqq. 

:i.  I.e  rote  du  dieu  llarsinifllou.  'ApTisr,;.  il  1ler:irleu|ioli-  ll;iun:i  n'a  pas  encore  été  étudié  ranime 
il  mériterait  de  l'être.  Brunch  (Ileligimi  uiid  Mythologie,  p.  3U3-:H1N)  admet  encore  que  c'est  un 
doublet  de  Khnouiiiou  et  telle  est  l'opinion  le  plus  généralement  reçue,  Mes  recherches  personnelles 
m'ont  amené  à  le  considérer  co le  étant  un  dieu   Ml.  ainsi  que  tous  les  dieu*  à  tète  de  bélier. 


chacun  en  son  particulier  le  Nil  fécondant  et  nourricier.  On  les  trouve  établis 

et  adorés  de  préférence  dans  les  localités  où  un  changement : 

tant  s'opère  au  régime  des  eaux  :  Khnoumou  à  l'endroit  i 

entrent  en  Egypte,  puis  au  bourg  de  Hàourit,  vers  le  poir 

grand  bras  se  détache  du  fleuve  de  l'Est  pour  se  porter 

montagne  Libyque  et  pour  former  le  Bahr-Yousouf;  Har- 

shàfitou  aux  gorges  du  Fayoum,  quand  le  Bahr-Yousouf 

se  jette  hors  de  la  vallée,   Osiris  enfin  à  Mendès  et  à 

Busiris,  vers  l'embouchure  de  sa  branche  médiane,  celle 

que  les  habitants  considéraient  comme  étant  le  Nil  par 

excellence'.  Isis  de  Bouto  exprimait  à  leurs  yeux  l'humus 

noir  de  la  vallée,  la  terre  même  de  l'Egypte  sur  laquelle 

dation  s'étend  et  qu'elle  rend  mère  d'année  en   année'.  A 

traire  la  terre  en  général,  la  terre   appareillée  au  ciel,   !: 

avec  ses  continents,  ses  mers,  ses  alternances  de  déserts 

et  de  contrées  fertiles,  était  un  homme,  Plitah  à  Memphis', 

à  Thébes,  Mfnou  à  Coptos  et  à  Panopolis1.    Atnon  repré 

plutôt  le  sol  qui  produit,  tandis  que  Minou  régnait  au  d< 

mais  ce  n'étaient  là  que  des  nuances  où  l'on  ne  s'arrêtait 

manière  invariable,  et  les  fidèles  revêtaient   souvent  Ame 

même  des  attributs  de  Minou  les  plus  significatifs.  Comme  I 

dieux-Terre,  les  dieux-Ciel  se  partageaient  en  deux  groupe 

l'un  de  femmes,  Hàthor  de  Dendérah  ou  Nit  de  Sais;  l'autre  ni 

d'hommes  identiques  à  Horus  ou  dérivés  de  lui,  Anhouri- 

Shou"  de  Sébennytos  et  de  Thinis,  Harmerati,  Horus  les  deux  yeux,  à  Pharbœ- 

thos7,  Har-Sapdi,  Horus  source  de  la  lumière  zodiacale,  dans  l'Ouady  Toumilât", 

1.   Htm&O,  Eludei  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  II.  p.  333. 

i.  Encore  à  l'époque  grecque,  la  lerre  est  tantôt  Isis  même  (De  laide  tt  (friride,%  xiiïiii,  éd.  Païtiih. 
p.  S4.  §  l'H.  p.  !!>*),  tantôt  lo  corps  d'Isis  :  "Idiîo;  a<uu.«  fT,v  ïyvjti  xsl  vop.i;Vjsiï,  o'j  nàiEv, 
oUâ' îj;  6  NtîXo;  hrulatat  OTitpu,»ivwv  *«i  u,ivvCu,evo;-  £*  5e  tf,;  a-jio'jiia;  totjtij;  vS„M3,  T;JV 
'Ûpov  (M..  S  kxtviii ,  p.  ï,B-6G).  Il  s'a(,'it  pour  elle,  comme  puni-  Osiris,  de  marquer  ce  qu'était  son 
caractère  orLKinel.  celui  qu'elle  avait  en  tant  que  déesse  ilu  Itella  ;  elle  devint  plus  tard  une  personne 
multiple  et  contraria  !    ■••    ;  ;■■   '  ■  <*      ".simi  qu'on  fit  d'elle  avec  un  certain  nombre  d'autres  divinités 

3.  La  nature  de  phlah  se  manifeste  dans  les  procédés  de  création  et  dans  les  surnoms  divers 
Tout»,  To-tBui.iir.il  (Bmtriùi,  Hrligien  und  Mythologie,  p.  509-511  ;  Win».»*,  Die  lleligioii  der  allai 
.ïlgypter,  p.  7l-"5).  que  plusieurs  ili    -es  formes  les  plus  anciennes  avaient  pris  à  Sleinpliis. 

i.  A  mon  el  son  \oi«in  Minou.  de  Oiptos,  sont  en  eiïet  ily  phalliques  l'un  et  l'autre  et  momies  à  l'nc- 
casionï  ils  se  coiffent  également  ii jrlier  surmonté  des  deux  longues  plumes. 

rr.  Drttiil  de  r'aurhtr-tinJtn.  d'npret  une.  statuette  en  bronze  d'épognr  suite,  eu  mil  poileltwn. 

à  l'autre,  voir  Mispkiw,  E'udei  de  Mythologie  et  d Archéologie  Égyptiennes,  t.    Il,  p.  3.'.j.  S.ïii-*iT. 

T.   IIiui.sh,  nrlii/uiit  mu!  ilt/t/iultit/ir  iler  allrn  .Ij/yplrr,  p.  fli',7  ;  I.o/iim.,    Ihzinnario  di  Miloloijia 

£gizi„,  p.  eie-eio. 

8.  BartsCM.  A  ou  la  lumière  ïmliaralr  dans  tes  l'rmeetling*  île   la   Société  d'Airlii'oloeie  Biblique, 


400  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

enfin  Harhouditi  à  Edfou'.  Rà,  le  disque  solaire,  trônait  à  Héliopolis,  et  les 
ils  étaient  nombreux  parmi  les  dieux  des 
imes,  mais  des  Soleils  alliés  de  fort  près 
;  représentants  du  ciel  et  qui  tenaient  d'Ho- 
îoins  autant  que  de  Rà.  Le  ciel,  qu'on  le 
florus  ou  Anhouri,  s'était  en  effet  identifié 
avec  son  astre  le  plus  éclatant,  arec  son  œil 
inité  s'était  comme  fondue  dans  la  divinité 
-soleil  et  Rà,  le  dieu-soleil  d'Héliopolis,  se 
en  à  leur  tour  qu'on  ne  sut  plus  dire  oit 
ni  où  l'autre  finissait  :  Horus  usurpa  suc- 
;  les  rôles  de  Rà  et  Rà  s'empara  de  toutes 
'Horus.  Le  soleil  s'intitula  :  Harmakhouitî, 
ux  montagnes,  l'Horus  qui  sort  de  la  mon- 
au  matin,  et  qui,  le  soir,  rentre  dans  la 
l'Ouest3;  Hartimâ,  l'Horus  piquier,  l'Horus 
sa  lance  l'hippopotame  ou  le  serpent  des 
';  Harnoubî,  l'Horus  d'or,  le  grand  épervier 
imes  bariolées  qui  met  tous  les  oiseaux  en 
fuite1,  et  ces  dénominations  s'appliquf-rerit 
indistinctement  à  chacun  des  dieux  féo- 
daux qui  représentaient  le  soleil.  Ils 
étaient  nombreux.  Les  uns  joignaient  au 

"  '    "h  "  '"""'"■"  terme  générique  d'Horus  une  qualification 

géographique,  Harkhobi,  l'Horus  de  Khobiou7;  les  autres  assumaient  un  nom 

1B9i-tn33.  t.  XV,  p.  J38;  cf.  sur  te  rôle  féodal  d'Horus  Sapdi,  ou  Sajxtlti,  à  l'orient  du  Delta, 
Barcsca,    ttclitjion  vnit  Mythologie  der  Alten  .f.gypter.  p.  566-B7I. 

I.  Lu  lecture  llar-Belioudlli  a  été  pro|M>séc  par  M.  Lepage-llenouf  (Procredings  de  la  Société  d'Ar- 
chéolo|<ic,  UWj-IRRti,  p.  143-IJI)  et  adoptée  |kip  la  plupart  des  é|i> ptoloeues  :  elle  ne  me  parait  pas 
être  établie  asse*  fermement  pour  qu'il  soit  nécessaire  de  rhaiiffer  In  lecture  ancienne  llaudit,  du  nom 
de  la  ville  d'Kdfou  (M.ispkro,  Elude»  de  Mythologie  et  a" Archéologie  Egyptienne*,  t.  11.  p.  313,  note  S). 

i.  La  confusion  d'Horus,  le  ciel,  avec  lia,  le  soleil,  a  fourni  ,i  V.  Lefébure  la  matière  d'un  des 
clin  pi  Ires  le  plus  inléivssanls  de  ses  lVnr  d'Horus,  p.  !ll  sqq.,  auquel  je  renvoie  pour  le  détail. 

3.   Ilaruiakhoulti  est  identifié,  depuis  Champollion,  avec  l'Harmakhis  des  Grecs,  le  jirand  Bphin\. 

.(.  Ilar-timâ  a  été  considéré  pendant  longtemps  comme  un  Iturus  faisant  la  vérité  par  la  destruc- 
tion de  ses  adversaires  (PcEHi.LT,  le  Panthéon  égyptien,  p.  ttt-ît).  J'ai  donné  le  sens  véritable  de  ce 
nom  dès  1R7U,  dans  mes  cours  du  Collège  de  Fiance  (MisfEBO,  Etude»  de  Mythologie,  t.  1,  ».  411). 

<;.  Ilarnoubi  est  le  dieu  du  nome  ÀnUcopolile  (J.  i.t  IIwok,  Textes  géographiques  du  temple  d'Edfou. 
dans  la  Itevue  archéologique,  f  série,  t.  XXII,  p.  6-î  :  cf.  Bai^sca,  Dictionnaire  géographique,  p.  Km). 

G.  Statuette  de  brome  de  la  collection  Posno.  aujourd'hui  au  Louvre  (époque  faite):  detsin  de 
Faiicher-Gudin.  Le  dieu  était  représenté  levant  à  deu*  mains  le  vase  à  libations  et  versant  l'eau  vivi- 
fiante sur  le  roi  debout  ou  prosterné  devant  lui  :  le  vase,  qui  était  rapporté,  a  disparu.  Horus  est  tou- 
jours aidé  dans  celte  cérémonie  par  un  autre  dieu,  le  plus  souvent  Sit,  quelquefois  Thot  ou  Ànubis. 
.  .  7.  liar/thobi.  Haroumkhobiau  est  l'Horus  des  marais  {khobiou)  du  Itclta,  le  petit  Horus  fils  d'isi* 
■  *  tBm-nsr.a,  Dictionnaire  géographique,  p.  SC8  sqq.).  dont  on  fit  également  le  fil»  ilOsiris. 


L'ËfîALITË  DES  DIEUX  ET  DES  DÉESSES.  101 

spécial  dérivé  presque  toujours  du  rôle  qu'on  leur  prêtait.  Le  dieu-ciel  adoré  à 
Thinis  dans  la  Haute-Egypte,  à  Zorîli  et  à  Sébennytos  dans  la  Basse,  s'appelait 
Anhouri  :  lorsqu'il  se  con- 
fondit avec  Rà  et  lui  em- 
prunta sa  nature  solaire,  on 
interpréta  son  nom  comme 
s'il  signifiait  le  conquérant 
du  ciel.  C'était  en  effet  un 
batailleur  :  la  tête  cou- 
ronnée d'un  rang  de  plumes 
droites,  la  lance  levéeet  tou- 
jours prête  à  frapper  l'en- 
nemi, il  s'avançait  le  long 
du  firmament  et  le  côtoyait 
triomphant  chaque  jour1. 
Le  soleil  qui  dominait  avant 
Amnn  sur  la  plaine  thé- 
baine,  à  Médâmôt.àTaoud, 
à  Erment,  était  de  même 

un  guerrier  et  son  nom  de  Montou  rappelait  sa  façon  de  combattre  :  on  le 
peignait  brandissant  le  sabre  recourbé  et  tranchant  la  tête  de  ses  adversaires'. 
Chacun  des  dieux  féodaux  nourrissait  naturellement  ses  prétentions  à  la 
domination  universelle  et  se  proclamait  le  suzerain,  le  père  de  tous  les  dieux. 
Il  l'était  comme  le  prince  était  le  suzerain,  le  père  de  tous  les  hommes  : 
sa  suzeraineté  effective  s'arrêtait  où  commençait  celle  de  ses  pairs  qui 
régnaient  sur  les  nomes  voisins.  Les  déesses  participaient  à  l'exercice  du 
pouvoir  suprême  :  de  même  que  les  femmes  dans  le  droit  humain,  elles  étaient 
aptes  à  hériter  et  à  détenir  la  souveraineté'.  Isis  s'intitulait  dame  et  maîtresse 

I.  La  lecture  réelle  <tii  nom  remonte  a  Lepsius  (Ucber  den  erttrn  .Egyplitehen  CMIerkreii,  p.  17". 
n  3).  Le  rôle  du  di.'u  et  Ik  nature  ilu  lien  qui  le  rattache  a  Shou  ont  été  expliqué*  par  Maspen, 
(Etude*  de  Mythologie  et  d'ArrheotogU  égyptienne*,  t.  Il,  p.  33i.  SSMin).  Le-  Crées,  qui  tn.nscri- 
vaienl  m  nom  Onouris,  l'Identifiaient  avee  Are»  (l.im-is,  l'apyri  Grœci,  t.  I.  u,  iïi,  I.  13.  et  p.  IÏN) 

i  Nonlou  était,  avant  Amon,  le  dieu  de  tout  le  pais  situé  entre  ko  us  et  fiébéléin  :  il  reprit  -ou 
rang  a  l'époque  gréro-romainc,  après  la  destruction  de  "Niches.  La  plupart  des  Êgyplologuos.  et  en 
dernier  lieu  Drugsch  (Religion  und  Mythologie,  p.  TOI),  font  de  lui  une  forme  secondaire  d'Amoii,  ee 
qui  est  contraire  à  ee  que  nous  Bavons  de  l'histoire  de  la  province  :  de  même  qu'Onou  du  midi 
(Erment)  était  avant  Théhes  la  ville  la  plu»  importante  de  eetle  région.  Monlou  en  était  le  dieu  le 
plus  vénéré.  M.  VViedemann  (Die  lletigion  der  alten  .Egypte»,  p.  7t)  pense  que  son  nom  est  apparenté 
à  celui  d'Amon,  et  tiré  de  la  même  racine  mon.  Bien,  par  l'adjonction  de  la  finale  tou. 

3.  L'égalité  des  déesses  et  des  dieux,  dont  on  n'a  pas  assez  tenu  compte  lorsqu'on  a  essayé  de 
reconstituer  le  plan  des  religions  égyptiennes,  a  été  mise  en  lumière  pour  la  première  fois  par 
Maspero  (Etndf*  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptienne;  I.  II.  p.  153  «qq.J. 


1(H  LES  DIEUX   DE  L'EGYPTE. 

à  Bouto,  comme  Hâthor  à  Dendérah,   comme  Nit  à  Sais,  «  la  première  qui 
naauit  au  temps  où  il  n'y  avait  pas  encore  eu 
issance'  ».  Elles  y  jouissaient  des  mêmes 
urs  que  les  dieux  mâles  dans  leurs  villes  : 
îe    ceux-ci    étaient    rois,    elles   étaient 
et  tout  s'inclinait  devant  elles.  Les  bètes 
jeaient  la  toute-puissance  avec  les  dieux 
re  humaine,  les  bètes  totales  ou  les  dieux 
■  de  bete  et  à  corps  d'homme.  L'Horus 
mou   s'abattait  sur  le  dos  d'une  gazelle 
ju'un  épervier  chasseur",  l'Hàthor  de  Dén- 
otait une  vache,  la  Bastit  de  Bubaate  une 
chatte  ou  une  tigresse,  la  Nekhabît  d'el- 
Kab  un  gros  vautour  chauve1.  Hermo- 
polis  vénérait  l'ibis  et  le  cynocéphale 
de  Thot,  Oxyrrhynchus  le  poisson  mor- 
myre',  Ombos  et  le  Fayown  un  croco- 
dile, sous  le   nom  de  Sobkou",  parfois 
avec  le  sobriquet  d'Azaï,   le   brigand6. 
,  On   ne   comprend    pas   toujours   quels 

motifs  avaient  décidé  les  habitants  de 
chaque  canton  à  se  passionner  pour  un  animal  plutôt  que  pour  un  autre  : 
pourquoi  adorait-on  le  chacal  et  le  chien  même,  vers  l'époque  gréco-romaine, 

I.  Cuis  mu.  uns.  Monument*  de  l'Egypte  et  de  la  Xubic,  t.  I,  p.  6S3  A;  rf.  le  paajage  de  la  statuette 
Naophorodu  Vatican  (Datcscu,  Iheiautw  bucriptùmum  .Hiji/plianirum,  p.  G37,  I.  S)  :  .  Nlt,  la  grande, 
mère  de  lia.  i| «ai  la  première  naquit  au  temps  qu'il  n'y  avait  encore  eu  aucune  naissance  ■. 

4.  J.  CE  Honot,  Teitei  Géographique!  du  Temple  d'Edfou,  dans  la  Revue  Archéologique,  f  série, 
I.  XXIII,  p.  74-73;  BaiiiiîOH,  Religion  und  Mythologie  der  allen  .€yypler.  p.  fifii-665. 

3.  Mokhabll,  la  déesse  du  Sud.  cal  le  vautour  représenté  ni  souvent  dans  les  tableaux  de  guerre  ou 
d'offrandes,  et  qui  plane  au-dessus  do  la  tète  des  Pharaons.  C'est  aussi  une  femme  à  télé  de  «autour 
chauve  (LtjuwiE,  Diiionario  di  Milologia  F.gi-Ja.  p.  1040  et  pi.  CIXXLVIII,  t,  i). 

I.  D'après  le  témoignage  des  écrivains  classiques,  Stxmmh,  I-  XVII.  p.  814  ;  De  Itidr  et  Otiride. 
S  vu,  odit.   P.tBTHtv,   p.   il,  311,  14B;  ÊUE.X,  Hitl.  anim.,  I.  X,  $  40. 

•j.  Sobkau,  Sovbou  est  le  nom  même  de  l'animal,  et  la  traduction  exarte  de  Sovkou  sérail  le  dieu 
crocodile  :  la  transcription  grecque  en  est  Soi^o;  (Stmmj,  I.  XVII,  p.  «Il  ;  cf.  Wncitii.  der  Labij- 
rintherbauer  l'eteiuehat,  dans  la  Zeittehrifl,  ISS-t,  p.  136-1311).  L'assonance  l'a  fait  confondre  parfois 
avec  .SlVeu.  Sibov  par  les  Égyptiens  eux-mêmes,  et  lui  a  valu  les  titres  île  re  dieu  (IIoïkllini,  Monit- 
meuti  del  Culto,  pi.  XX,  3;  cf.  Biu-cscn,  Religion  und  Mythologie,  p.  !S!Ml-.">!il  ).  surtout  à  l'époque  où, 
Sit  étant  proscrit.  Sovkou,  le  crocodile  allié  de  Sil,  partageait  le  mauvais  renom  de  celui-ri.  et  cher- 
chait à  dissimuler  aillant  que  [nisnililc  non  nom  ou  son  carartere  véritable. 

li.  Axai  est  considéré  ordinairement  comme  étant  l'Osiris  du  Kayoum  (Bucsck, Oie tionnaire  géogra- 
phique, p.  "711;  LiNiffiiE,  Diiionario  di  Milologia,  p.  1113).  mois  il  n'est  devenu  Osiris  qu'après  coup, 
par  une  assimilation  des  plus  hardies.  L'expression  complète  de  son  nom,  Otiri  A:aî  hi-kâit  Ta-ihit 
(Mmir.TTi:,  Monument»  dirert,  pi.  39  b)  le  déduit  comme  Filtirit  brigand  qui  est  liant  le  Fayoum  ou 
dans  le  canton  du  Kayoum  appelé  To-shil.  c'est-à-dire  comme  Sovkou  identifié  à  Osiris. 

ï.   Ocssiii  de  Fawlfi-tiitttiii.  ila/irêt  une  figurine  /l'émail  vert  en  ma  posicuion  [l'poque  latte). 


LES  TRIADES.  103 

à  Siout'?  Comment  Sit  s'incarnait-il  dans  une  gerboise  ou  dans  un  quadru- 
pède fantastique'?  Plus  d'une  fois  pourtant  on  saisit  encore  le  mouvement 

des  idées  qui  déterminèrent  le    ' 

laines  espèces  de  singes  de  s'a 
sorte  de  cour  plénière  et  de  jase 
ensemble  un  peu  avant  le  lever 
cher  du  soleil,  justifie  presque 
Égyptiens  encore  barbares  d'a- 
voir confié  aux  cynocéphales 
la  charge  de  saluer  l'astre, cha- 
que matin  et  chaque  soir,  lors-  f  (  liMBU](h   „„„,„„  slPP(B11   E   ■ 
qu'il  parait  à  l'Orient  ou  qu'il 

s'efface  à  l'Occident*.  Si,  aux  vieilles  époques,  Râ  passe  pour  être  un  criquet, 
c'est  qu'il  vole  haut  dans  les  cieux  comme  ces  nuées  de  sauterelles  chassées 

di    *     '    ■-   '"'-  -■- ,;„ 

su  tl. 


La  plupart  des  dieux-Nil,  Khnoumou,  Osirîs,  Harshafitou,  s'incarnent  dans  un 
bélier  ou  dans  un  bouc  :  la  vigueur  de  ces  mâles  et  leur  furie  génératrice  ne  les 
désignent-ils  pas  naturellement  pour  figurer  le  Nil,  donneur  de  vie,  et  le  débor- 
dement de  ses  eaux?  On  conçoit  aisément  que  le  voisinage  d'un  marais  ou  d'un 
rapide  encombré  de  rochers  ait  suggéré  aux  habitants  du  Fayoum  ou  d'Ombos 

1.  Oua|H>uallou,  le  guide  de»  mia  eitletlet,  iju'il  no  faut  pas  roi i fondre  avee  l'An  u  lus  du  nome 
Cynopolite  dp  la  lUute-fifrypte,  était  à  l'origine  le  dieu  féodal  de  Siout.  Il  «uidiiil  indifféremment  le* 
irues  humaines  an  paradis  des  Oasis  et  le  soleil  sur  les  routes  du  midi  et  du  nord,  du  jour  et  de  la  nuil, 

t.  Ilhampollion,  Itosellini,  Lepsius  ont  considéré  ranimai  Ijphonien  connue  iiVvistant  pas.  et  Wil- 
KiiiMin  »  dit  que  les  Égyptiens  oui  avoué  sa  nature  imaginaire  en  le  représentant  parmi  les  liétci- 
rantasliques  (Maiiiirr»  ami  Cuitomt.  t'  édit.,  I.  III,  p.  13IÎ-13Ï)  :  ce  sérail  plutûl  la  jireuve  qu'il* 
croyaient  à  la  réalité  de  son  existence  Irf.  p.  Kl  de  relie  IIkIihit).  Pkyle  (la  llrligion  des  Pré- 
Itraélilet,  p,  IST)  pense  i[u'il  [n.'iit  être  une  dégénérescence  de  l'àne  ou  de  l'oi'ï*. 

3.  MtMtmo,  Eluda  de  Mythologie  ri  d'Archéologie  Eggptieuuet,  I.  Il,  p.  3i-3.".;  cf.  Umsi:-H»:soi  t. 
The  Ilonk  «f  thr  ùrad  dans  les  l'rneralingi  île  la  Sorielé  d'Archéologie  liililinuc,  I.  XIV.  p.  tlt-HX 

I.  Cf.  la  utulcrrtle  île  Ha  chez  l'api  II,  I.  fif.ll.  dans  le  Recueil  de  Travans,  t.  XII,  ji.   IT«. 

S.  Tableau  giaeé  et  priai  dant  le  cintre  dune  ttcle,  au  année  de  lihi'h.  tie'tin  de  Faurhrr- 
l',udiu.  tTaprt»  uae  photographie  d'Emile  ttrugteh-Uey. 


104  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

la  pensée  que  le  crocodile  était  le  dieu  suprême.  Les  crocodiles  se  multipliaient 
si  fort  en  ces  parages  qu'ils  y  constituaient  un  danger  sérieux  :  ils  s'y  mon- 
traient   les  maîtres,   qu'on   apaisait   seulement  à  force    de  sacrifices   et   de 
prières.  Quand  la  réflexion  succéda  à  la  terreur  instinctive  et  qu'on  prétendit 
indiquer  l'origine  des  cultes,  la  nature  même  de  l'ani- 
mal sembla  expliquer  la  vénération  dont  on  l'entourait. 
I<e  crocodile  est  amphibie.  Si  Sobkou  est  un  crocodile, 
c'est  qu'avant  la  création  le  dieu  souverain  plongeait 
inconscient  dans  l'eau  ténébreuse;  il   en   sortit  pour 
ordonner  le  monde,  comme  le  crocodile  sort  du  fleuve 
afin  de  déposer  ses  œufs  sur  la  rive1. 

La  plupart  des  divinités  féodales  avaient  débuté  par 
vivre   isolées  dans  leur  grandeur,  étrangères  à  leurs 
voisines,  souvent  hostiles  :  on  leur  assigna  une  famille 
après  coup'.  Chacune  d'elles  s'annexa  deux  compagnes 
et  se  mît  en  trinité,  ou,  comme  on  dit  plus  souvent, 
en  triade,  mais  il  y  eut  plusieurs  espèces  de  triades. 
Dans  les  nomes  où  le  maître  était  un  dieu,  il  se  con- 
tenta souvent  d'une  seule  femme   et  d'un  seul  fils; 
souvent  aussi  deux  déesses  se  joignirent  à  lui,  qui  lui  servirent  à  la  fois  de 
sœurs  et  d'épouses,  selon  l'usage  national.  Ainsi  Thot  d'Hermopolis  s'attribua 
un  harem  composé  de  Seshait-Safkhîtâboui  et  de  Nahmàouit'.  Toumou  partagea 
l'hommage  des  habitants  d'Iléliopolis  avec  Nebthôtpit  et  avec  lousàsit'.  Khnou- 

!  d'Umbos,  dieu  Sibou  pure 
c  do  Mcshfl  {Plolémai»),  crocodile  qui  se  lève  lumineux  de  l'eau  du  Sou 
tient,  et.  une  rois  qu'il  fut,  tout  re  uni  a  été  depuis  le  temps  de  Hà  fut.    ■ 

i.  I. 'existence  des  triades  de  l'Egypte  a  été  découverte  et  définie  par  Chain  poil  ion  {Lettrct  écrite! 
d'Egypte,  V  édit..  1833,  |).  l:i:i-1Sît).  Klles  ont  longtemps  servi  de  fondement  à  tous  les  sjstèmeï  de 
religion  égyptienne  que  les  écrivains  modernes  oui  essayé  d'élablir.  Brugsrh  le  premier  a  voulu  avec 
raison  substituer  l'Eunéade  aux  triades,  dans  son  livre  Ucliyion  n"d  Mythologie  det  alten  ,€gypter. 
le  procédé  de  formation  îles  triades  locales,  lel  qu'il  esl  evposé  ici.  El  été  indiqué  par  Masporo 
{Ehidei  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptienne»,  t.  Il,  p.  ïli'J  sou.). 

3.  On  trouve  Thot  suivi  de  ses  deux  femmes  à  Denuerali  par  exemple  (nfuicmu,  Bauurkunde  det 
Trnipelaiilagcii  rmt  Dendera,  p.  1(1-37).  Nahmaoull,  Ntu.ttvoC;,  est  une  variété  d'Hàthor  el  porte  le 
sistre  sur  la  léle.  Son  nom  est  eu  eiïel  une  é|iilhèle  dllàllior,  celle  qui  arrache  le  mal-,  il  fuit  allu.ion 
à  la  propriété  qu'avait  le  son  du  sistre  d'écarter  le»  mauvais  esprits  (llm tsi;n,  Ileligion  uud  Mytho- 
logie, p.  -I71-4:i).  Le  nom  de  Safthit-âhoiii  ou  Scshait  (Lepack-IIemiif,  tlie  Baok  ofthe  Dead,  dans  les 
p'rvcrrdiiigi  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  I89Ï-I893,  t.  XV,  p.  378)  n'a  pas  été  encore  inter- 
prété de  façon  satisfaisante  :  la  déesse  elle-même  esl  un  doublet  de  Thot  dans  non  rôle  d'inventeur 
des  lettres  et  de  fondateur  des   lemples  (Hrhisi n,  Heligivn  vnd  Mythologie,  p.  j"3-i7j). 

i.  Ici  cneore  les  noms  ne  sont  que  des  épillièlos  qui  montrent  le  earurterc  impersonnel  des  déesses. 
I.e  premier  peut  signifier  la  dame  de  la  carrière  ou  de  la  mine  et  marquer  ITlâlhor  de  Helljcis  ou 
du  SinaV.  unie  à  Toumou  :  on  te  rencontre  sur  les  monuments  des  diverses  époque»  (fiaiiLSiia,  [)>.- 
lù/niiaire  géographique,  p.  332-333,  Iï7i-li73).  Le  second,  transcrit  ïiwo-t;  par  les  Crées  [De  Itide 
et  Otiride,  $'  »»'.  édit.  I'ahthcï,  p.  *«).  semble  s'interpréter  :  .  Elle  vient,  elle  grandit  .,'  et  n'est 
aussi  qu'une  qualification  ilumiéc  à  llàthor,  par  allusion  à  quelque  fait  que  non;  Ile  connaissons  pas 


LES  TRIADES.  103 

mou  séduisit  et  épousa  les  deux  fées  de  la  cataracte  voisine  :  Anoukit,  l'étrei- 
gneuse,  qui  serre  le  Nil  entre  ses  rochers  de  Philae  à  Syène,  Satît,  l'archère, 
qui  décoche  le  courant  avec  la  raideur  et  la  rapidité  d'une  flèche'.  Où  c'était  la 
déesse  qui  régnait  sur  la  cité,  la  triade  se  compléta  de  deux  mâles,  un  dieu- 
consort  et  un  dieu-fils  :  Nit  de  Sais  épousa  Osiris  de  Mendè 
enfanta  de  ses  œuvres  un  lionceau,  Ari-hos-nonV;  Hâthor 
Dendérah  recruta  sa  maison   d'Haroèris  et  d'un  Horus  plus 
jeune  qui  reçut  le  sobriquet  d'Ahi,  le  batteur  de  sistre*.  Les 
unions  du  premier  genre   ne   portaient  pas   de  fruits  légi- 
times, et  par  conséquent  mécontentaient  un  peuple  chez  qui 
le  manque  de  postérité  était  considéré  comme  une  malédic- 
tion d'en  haut;  celles  où  la  présence  d'un  fils  semblait  assu- 
rer la  perpétuité  de  la  race  répondaient  mieux  à  l'idée  d'une 
famille  prospère  et  bénie,  telle  que  celle  des  dieux  devait 
l'être.  Les  triades  à  deux  déesses  se  rompirent  presque  par- 
tout en  deux  triades  nouvelles,  dont  chacune  renfermait  un 
dieu-père,  une  déesse-mère  et  un  dieu-fils.  Deux  ménages 
féconds  sortirent  du  ménage  stérile  de  Thot  avec  Safkhîtâ- 
boui  et  Nahmâouit,  l'un  composé  de  Thot,  de  Safkhitâboui  et 
d'Harnoubi  l'épervier  doré',  l'autre  dont  Nahmâouît  faisait 
partie  avec  son  nourrisson  Nofirhorou'.  Les  personnes  com- 
plémentaires des  vieilles  divinités  féodales  n'appartenaient  pas  toutes  à  la  même 
catégorie.  Il  y  en  a,  surtout  parmi  les  déesses,  qui  ont  été  fabriquées  sur  com- 
mande, et  qu'on  pourrait  qualifier  de  grammaticales,  tant  l'artifice  de  langage 
qui  leur  a  donné  naissance  se  reconnaît  aisément  :  on  a  tiré  de  Râ,  d'Amon, 
d'Horus,  de  Sobkou,  des  Rà,  des  Amon,  des  Horus,  des  Sobkou  femelles,  en 

encore  (Ledrus,  le  Popyrui  de  huynet,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  I,  p.  91  .  cT  Mi»rt«  >.  Etudes 
de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptienne!,  I.  11).  Elles  son!  représentées  deb.n;t  ilrmêri-  leur  mari, 
au  Papyrus  de  Luynes  par  exemple  {Recueil,  I.  I,  planche  annexe  au  mémoire  de  M.  I.edrain). 
I.  Mmpsm,  Élude»  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  II.  p.  Ï73  sqq 
î.  Arihosnofir  signifie  le  lion  don!  le  regard  fascine  de  façon  bienfaisante  iliiioi,  Religion  uni! 
Mythologie,  p.  349-351).  On  lui  applique  aussi  le  nom  de  Toutou,  qui  paraît  devoir  se  traduire  le 
bondUtanl,  et  n'être  qu'une  épithète  caractérisant  l'une  des  allures  du  dieu-lion. 

3.  Brugsch  (Religion  und  Mythologie  der  alten  AZgyptcr,  p.  3"fi)  explique  le  nom  d'Alii  par  celui  qui 
fait  manier  ses  eaux,  et  reconnaît  dans  le  personnage,  entre  autres  choses,  une  Tonne  du  \i\.  L'impli- 
cation que  je  propose  est  justifiée  par  les  nombreux  tableaux  où  l'on  voit  l'enfant  d'Hathor  qui  joue 
du  sistre  et  de  la  monûil  (I.iMost.  Dhionario  di  Mitologia,  pi.  XL,  î-3)  ;  ahi,  ahtt  est  d'ailleurs  te 
titre  constant  des  prêtres  et  prêtresses  qui  batlent,  dans  les  cérémonies,  le  sistre  et  l'autre  instrument 
mystique,  le  fouet  bruyant  appelé  monâtt  (cf.  Maspero,  dans  la  Revue  Critique,  1893,  t.  1,  p.  Î89). 

4.  Celte  triade  assez  rare  a  été  signalée  par  Wilkinson  (Manners  and  Cuslomt,  i'  edit.,  t.  III. 
p.  330);  on  la  rencontre  sculptée  sur  la  paroi  d'une  chambre  des  carrières  de  Tourah. 

h.  Drcssch,  Religion  und  Mythologie  der  alten  AZgyptcr,  p.  493-484. 

fi.  Destin  de  Faucher-Gudin,  d'après  une  statuette  eu  brome  incrustée  d'or,  du  Musée  de  Gi^h 
(Mil  Uni,  Album   du   Musée  de    Roulaq,  pi.  fi)  ;  le  siège  est  en  albâtre  et  de  fabrication  moderne. 


100  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

ajoutant  la  finale  régulière  du  féminin  au  nom  masculin  primitif,  Ràit,  Amom't, 
Horit,  Sobkit1.  De  même,  plusieurs  dieux-fils  sont  dos  surnoms 
détachés  du  dieu-père  et  pourvus  d'un  corps  pour  la  circon- 
stance :  Imhotpou  était  une  épithète  de  Phtah  et  signifiait  celui 
qui  vient  en  paix  avant  de  s'incarner  au  troisième  membre  de  la 
triade  memphite*.  Ailleurs  on  a  conclu  l'alliance  entre  divinités 
de  souche  antique,  mais  originaires  de  nomes  différents  :  c'est 
le  cas  pour  Isis  de  Bouto  et  Osiris  le  Mendésien,  pour  Haroèris 
d'Edfou  et  Hâthor  de  Dendérah,  pourSokhit  deLétopolis  et  pour 
fiastit  de  Bubaste,  quand  on  s'empara  d'elles  afin  de  les  unir  à 
Phtah  de  Memphis,  dont  le  fils  est  Nofirtoumou1.  Dans  la  plupart 
des  cas,  les  convenances  de  voisinage  déterminèrent  ces  unions 
imprévues  :  on  maria  les  divinités  des  principautés  limitrophes 
comme  les  rois  de  deux  États  voisins  marient  leurs  enfants,  afin 
de  nouer  ou  de  consolider  les  relations  et  d'établir  des  liens  de 
parenté  entre  des  pouvoirs  rivaux,  dont  l'hostilité  continuée  sans 
relâche  aurait  ruiné  promptement  des  peuples  entiers. 

La  mise  en  triades,  commencée  aux  temps  primitifs,  continuée 
sans  interruption  jusqu'aux  derniers  jours  du  polythéisme  égyp- 
tien, loin  d'enlever  quelque  chose  au  prestige  des  dieux  féo- 
daux, le  rehaussa  plutôt  aux  yeux  de  la  foute.  Si  puissants 
seigneurs  que  les  nouveaux  venus  étaient  chez  eux,  ils  n'en- 
traient dans  une  cité  étrangère  qu'à  titre  auxiliaire  et  sous  la 

condition    d'en    subir   la    loi    religieuse.    Hâthor,    souveraine    à    Dendérah. 

se  faisait  petite  à  Edfou  devant  Haroèris  et  n'y  conservait  que  le  rôle  assez 

effacé  d'une  femme  dans  la  maison  de   son  mari\  En  revanche,  Haroèris  à 

I .  Mispf.FKi.  Élude*  de  Mythologie  rt  d'Archéologie  Egyptienne!.  I.  Il,  p.  "-R,  456. 

t.  imholpou,  l'Imouthès  des  Grecs  et  identifié  par  eux  avec  Asklépios,  a  été  découvert  par  Sait 
(ËiMi  «ar  lei  Hiéroglyphe*.  Ir.  franc.,  p.  l'-aH,  pi.  III,  I)  et  le  nom  traduit  d'abord  par  celui  gui  vient 
avec  l'offrande  (Arlidule-Binoiii-Rifigii,  tlallery  of  Antiguitiei  telected  front  Ihe  Ilritiih  Muteuni,  p.  iB). 
La  traduction  celui  gui  vient  ai  paix,  proposée  par  F.  ai:  limité,  i«l  Aujourd'hui  udiiptéu  de  tous 
(il iirr.se H,  Uetigion  und  Mythologie,  p.  Kï6  ;  Pinmi.r,  le  Panthéon  Egyptien,  p.  17  ;  Wiehebaks,  die  Reli- 
gion der  alten  /Egyptcr,  p.  7").  imhotpou  ne  prit  corps  qu'au  temps  du  Nouvel  Empire;  sa  grande 
popularité  à  Memphis  et  dans  le  reste  de  l'Egypte  date  de  l'époque  salte  et  grecque. 

3.  Nofirtoumou  parait  avoir  été  à  l'origine  le  fils  des  déesses  à  télé  de  chatte  ou  de  lionne.  Basttl 
cl  Sokhlt,  et  peul  avoir  reçu  d'elles  la  télé  de  lion  qu'il  possède  dans  bien  des  cas  (cf.  Loiois, 
Dhionario  di  Milolagia,  p.  385,  pi.  CXLVII,  t.  CXLVIII,  1-2).  Son  nom  montre  qu'il  Tut  d'abord  une 
incarnation  d'Atoumou,  mais  il  passa  au  dieu  Phtah  de  Memphis  quand  celui-ci  devint  le  mari  de  se? 
mires,  et  il  forma  avant  Imhotpou  le  troisième  personnage  de  la  plus  ancienne  Iriadc  memphitc. 

i.  Deuin  de  Fauchcr-Gudin,  daprèt  une  itatuetle  en  brome  incruitée  d'or  du  Musée  de  Ghéh 
(NtMETTE,  Album  photographigue.  du  Mutée  de  Boulaq,  pi.  5). 

5.  Chaque  année,  i  date  fixe,  la  déesse  venait  en  grande  pompe  passer  quelques  jours  dans  le  grand 
temple  d'Edfou,  auprès  de  son  mari  Haroèris  (J.  ne  ttot'ct,  Terle*  géographique!  du  temple  d  Edfou, 
p.  !ii-53:  H.«mKTTii,  Dendérah,  i.  III.  pi.  VII,   73,   et   Teste,  p.  tlfl.  1117). 


LEUR  NATURE  SEMBLABLE  A  CELLE  DES  HOMMES.  107 

Dendérah  descendait  du  rang  suprême  et  n'était  plus   que  l'époux  presque 
inutile  de  la  dame  Hâthor.  On  proclamait  son  nom  le  premier  dans  l'appel  de 
la  triade,  parce  qu'il  y   remplissait  les  fonctions  de  mari  et  de  père,  mais 
c'était  simple  convenance  d'étiquette  :  Hâthor,  même  quand  on  la 
nommait  en  second  lieu,  n'en  restait  pas  moins  le  chef  réel  de 
Dendérah  et  de  sa  famille  divine1.  Le  personnage  principal  de 
chaque   triade   demeurait  donc  celui  qui  avait  été  le  patron  du 
nome  avant  l'introduction  de  la  triade,  un  dieu-père  dans  certains 
endroits,   une  déesse-mère  dans  certains  autres.  Le  dieu-fils  ne 
possédait  par  lui-même  qu'une  autorité  restreinte.  Dans  la  triade 
où  Osiris  est  associé  à  Isis,  c'était  d'ordinaire  un  Horus  en  has 
âge,  nu  ou  paré  uniquement  de  colliers  et  de  bracelets  :  une  grosse 
natte  de  cheveux  lui  retombe  sur  la  tempe,  sa  mère  accroupie  ou 
assise  le  berce  sur  ses  genoux  et  lui  tend  une  mamelle  gonflée 
de  lait'.  Même  dans  les  triades  où  on  te  concevait  arrivé  à  l'état 
d'homme,  on   le  rejetait  au   dernier  rang  et  on  lui   imposait   à 
l'égard   de  ses  parents  l'attitude  respectueuse   que  les   enfants 
de  la  race  humaine  sont  tenus  d'observer  dans  la  société  des  leurs.  Il  leur 
cédait  le  pas  dans  toutes  les  réceptions  solennelles,  ne  parlait  qu'avec  leur 
permission,  n'agissait  que   sur  leur  ordre  et  en  exécuteur  de  leur  volonté 
nettement  exprimée.  Quelquefois  on  lui  accordait  son  caractère  propre  et  il 
remplissait  une  fonction  particulière,  comme  à  Memphis,  où  Imhotpou  proté- 
geait les  sciences'.  Le  plus  souvent  on  ne  lui  connaissait  ni  un  office  ni  même 
une  individualité  arrêtée;  son  être  ne  présentait  qu'un  reflet  affaibli  de  l'être 
de  son  père,  et  ne  possédait  de  vie  et  d'autorité  que  celles  qu'il  lui  emprun- 

lendérah.  qu'on  ne  voit  jamais  le  dieu  en  triade 
ï  foin  dans  nos  quatre  volumes  de  planches,  cl 
à  Thèbcs,  à  Memphis,  à  l'hilaj,  aux  Cataractes, 
ppi]sci([»emi>iils  que  l'on  est  dans  l'iiabitudc  de 
leur  avec  plus  de  facilité.  Il  ne  rancirait  pas, 
podant,  conclure  de  ce  silence  que  la  triade  n'a  pas  existé.  I.a  triade  se  compose  à  Kdfou 
d'Hor-Hul.  d'IIathor  et  d'Ilor-Kain-U-ui.  Elle  se  compose  à  Dériderai)  d'Halhor,  d'itor-llut  et  d'Ilor- 
Sain-ta-ui.  On  voit  la  différence.  Tandis  qu'à  Edfou,  le  principe  mile,  représenté  par  Ilor-llul.  prend 
la  première  place,  la  première  personne  ù  Hcndàrah  est  llalhor,  qui  représente  le  principe  femelle.  ■ 
(H-mniTTri,  Dendérah,  Terlc.  p.  8(1-81.) 

j.  Voir  pour  les  représentations  d'Iiarpocriite,  lloruii-Eiifanl,  I.axiose,  Uiiïoiiarïo  dï  Milolaijin 
Egi-.ia,  pi.  CCXXVil-CCXXVlll;  on  trouvera  notamment  à  la  planche  CCCX,  t,  un  tableau  oii  le  jeune 
dieu,  figure  comme  un  epervier,  prend  néanmoins  avec  son  bec  le  sein  de  sa  mère  Isis. 

3.  Daiîn  de  Faucher-Gudin,  d'âpre*  une  itatuette  en  brame  d'époque  aaite,  au  Mutée  de  Gisïh 
(MtMKm,  Album  du  Mutée  de  Jlaulaq,  pi.  4). 

4.  K.  iie  llnir.t,  Xotice  tomtnnire  des  Monument!  Egyptien*,  IfTiii,  p.  MO;  Rrui-iii,  Itelî/jimi  un/1 
Mythologie  der  alleu  Sgypter,  p.  rrfti  sqq.;  WiuiiiW.  die  Religion  drr  atlrn  /Egupler,  p.  77.  C'est 
pour  cela  qu'on  le  représente  d'ordinaire  assis  ou  accroupi  et  lisant  avec  attention  un  rouleau  du 
papyrus  déployé  sur  «es  genoux,  comme  c'est  le  cas  dans  la  vignette  de  la  page  103. 


1.   Le 

rôle  d'IIiroêrii 

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1.  de  tôt 

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:   temples. 

celui 

qui  s 

e  livre 

10R  LES  DIEUX  DE  l.'ÉGYPTE. 

tait.  Deux  personnes  aussi  voisines  l'une  de  l'autre  devaient  se  confondre  : 
elles  se  confondirent  en  effet,  au  point  de  n'être  plus  que  deux  aspects  d'un 
même  dieu  qui  réunissait  en  lui  des  degrés  de  parenté  contradictoires  dans 
une  famille  humaine.  Père  en  tant  que 
premier  membre  de  la  triade,  fils  en 
tant  que  troisième  membre,  identique 
à  lui-même  dans  ses  deux  rôles,  il 
était  à  la  fois  son  propre  père,  son 
propre  fils  et  le  mari  de  sa  mère1. 

Les     dieux     consistaient    comme 
l'homme  de  deux  parties  au  moins, 
l'âme  et  le  corps*,  mais  l'idée  de  l 'âme 
.   hi  mM  mAlli!lt  ÀT         ,  varia  en  Egypte  selon  les  temps  et 

les  écoles  :  c'était  un  insecte,  papil- 
lon, abeille  ou  mante  religieuse';  c'était  un  oiseau,  l'épervier  ordinaire, 
l'épervier  à  tête  humaine,  un  héron  ou  une  grue  —  Ai,  Aaï  —  à  qui  ses  ailes 
permettaient  de  se  transporter  rapidement  à  travers  l'espace';  c'était  l'ombre 
noire  —  khaîbîl  —  qui  s'attache  à  tous  les  corps',  mais  que  la  mort  en  peut 
détacher  et  qui  s'anime  alors  d'une  existence  indépendante,  jusqu'à  se  mou- 
voir et  à  circuler  librement,  jusqu'à  sortir  en  plein  soleil;  c'était  enfin  une 
sorte  d'ombre  claire,  analogue  au  reflet  qu'on  aperçoit  à  la  surface  d'une  eau 
calme  ou  d'un  miroir  poli,  une  projection  vivante  et  colorée  de  la  figure 
humaine,  un  double  —  ha  —  qui   reproduisait  dans  ses  moindres  détails 

I.  l.c  rûlc  et  la  genèse  desdiouj-filsoul  été  définis  nettement  pour  ta  première  fois  par  E.  de  Rougé 
|  Explication  d'une  imcriplion  égyptienne  prouvant  que  la  ancient  Ègypliem  ont  connu  la  généra- 
tion éternelle  du  Fîtt  de  Dieu,  p.  ïl  sqq.,  cf.  Annaleë  de  pkitatophie  chrétienne,  mai  18SI  ;  Étude 
sur  vue  ttète  égyptienne  appartenant  à  ta  Bibliothèque  impériale,  p,  6-7). 

i.  Pan»  un  texte  des  Pyramide»,  Sàhou-Orion,  le  chasseur  sauvage,  prend  les  dieux,  les  égorge, 
arrache  leurs  entrailles,  fait  cuire  leurs  pïères,  leur»  fuisses,  leurs  jambes  dans  nés  chaudron* 
brùlants,  et  se  repaît  de  leurs  aines  comme  de  leurs  corps  (Ûunat,  I.  50!M>11).  I.cs  dieux  n'avaient 
pas  qu'un  seul  corps  et  une  seule  âme:  nous  savons  par  plusieurs  textes  que  Ri  possédait  *r;)l 
omet  et  quatorze  doublet  (Df «Km*.  Tempel-Intchriften,  I,  Edfou,  pi.  XXIX  ;  E.  vos  BtKUKn, 
Hieroglyphiiche  Intckriften,  |il.  XXX1M,  I.  3,  et  Texte,  p.  iS,  n.  t  :  Batr.scu,  Dictionnaire  hïérogly- 
/ihii/uf..  Supplément,  p.  mi,  1*311  ;  LKriGt-llfcjmir,  On  the  truc  Sente  of  an  important  Egyptian  Word, 
dans  les  Trantaitiant  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  I.  VI,  p.  504-501!). 

a.  Dettin  de  Fauchei-Gudin,  d'après  PUvii,lk.  da*  Thrbanitehe  Todtcnbuch,  t.  I,  pi.  C1V,  te. 

.1.  M.  Lcpago-Renouf  conjecture  que  l'àme  a  pu  elre  à  de  certains  moments  considérée  comme  un 
papillon,  ainsi  qu'en  Grèce  (.!  Second  fiole  dans  les  l'rocre.dingt  (in  la  Sociélé  d'Archéologie  Biblique, 
t.  XIV,  p.  400);  M.  Lcfébure  pense  qu'on  a  dû  parfois  l'incarner  dans  une  guêpe,  je  dirais  plutôt  dans 
une  abeille  ou  dans  une  mante  religieuse  (Etude  tur  Abydot  dans  les  Vroceedingt,  t.  XV,  p.  14Î-U3). 

II.  L'épervier  simple  exprime  surtout  lame  divine   _^,,  l'épervier  à  tète  humaine  J^,,  le  héron  ou 

la  grue    ^f  le*   ames   tant  divines  qu'humaines.   I,e  symbolisme    de  l'épervier   et   la  prononciation 
bai  du  nom  de  l'aine  nous  sont  connus  par  Ilorapollon  (liv.  I.  S  7,  éd.  I.f.khans,  p.  ».  15I-I3Î). 

fi.  Consulter  sur  l'Ombre  noire  le  mémoire  de  Rihci,  On  the  Shade  or  Shadoui  of  the  Dead(Trant- 
actiont  of  the  Society  of  tUblicat  Archxology,  I,  VIII,  \i.  3Kii-3[l"),  et  les  ligures  qu'il  renferme. 


aine. 


l'image  entière  de   l'objet  ou   de  l'individu   auquel  il  appartenait1.    L 
l'ombre,  le  double   des  dieux  ne  différaient  point  en  nature  de   l'âme,  de 


l'ombre,  du  double  des  hommes  :  leur  corps  était,  il  est  vrai,  pétri  d'une  sub- 
stance plus  ténue  et  invisible  à  l'ordinaire,  mais  douée  des  mêmes  qualités 
et  atteinte  des  mêmes  imperfections  que  les  nôtres.  Qui  disait  les  dieux  disait 
donc,  à  tout  prendre,  des  hommes  plus  affinés,  plus  forts,  plus  puissants, 

I.  La  nature  du  douille  a  longtemps  été  méconnue  par  le*  Ëgyptologues,  qui  avaient  été  jusqu'à 
faire  de  non  nom  une  sorte  <le  Tonne  pronominale  (E.  ut  HuiiiÉ,  Chrettoinatltic  Égyptienne,  t'  partie, 
p.  Iil-*i3).  Elle  a  été  proclamée  presque  simullanémeril,  pour  l:i  première  fois  eu  1HÏ8,  par  Naspero 
(Étude»  lit  Mythologie  el  d' Archéologie  Égyptienne",  t.  I,  p.  I-3J;cf.  ibid.,  p.  3S-3Ï),  puis  hiunlol après 
par  Lepage-llcnouf  (On  the  trve  Srme  of  an  important  Kgtjptian  Word,  dan»  les  Tratuarlîani  of 
the  Society  of  Biblieal  Archirotogy,  t.  VI,  p.  4!M-;iiHI).  L'idée  que  les  Egyptiens  se  faisaient  du  dou- 
ble et  l'influence  que  l'idée  du  double  a  e*ercéc  sur  leur  conception  de  l'autre  vie  ont  été  étudiées 
surtout  par  Maspcro  (Étndei  de  Mythologie  el  d Arekiologit  Egyptienne!,  t.  I,  p.  77-91,  3H8-J0I!). 

ï.  Corniche  de  la  chambre  antérieure  d'Qliril  lui-  la  terrante  du  grand  temple  de  Dendrrah, 
daiin  de  Faucher-Gudiii,  iCapret  une  photographie  de  Dl'mcuo,  Retultale,  t.  1],  pi.  LIX.  I.'ame  de 
gauche  appartient  à  llonis,  celle  de  droite  appartient  à  Osiris,  chef  de  l'Ainenllt  ;  elles  portent  l'une 
cl  l'autre  sur  la  télé  l'assemblage  de  haute!  plumes  qui  caractérise  les  figures  d'Anhouri  (cf.   p.  un). 


110  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

mieux  préparés  pour  commander,  pour  jouir  et  pour  souffrir  que  les  hommes 
ordinaires,  mais  des  hommes.  Ils  avaient  des  os,  des  muscles,  de  la  chair,  du 
sang1;  ils  avaient  faim  et  ils  mangeaient,  ils  avaient  soif  et  ils  buvaient;  nos 
passions,  nos  chagrins,  nos  joies,  nos  infirmités  étaient  les  leurs.  Un  fluide 
mystérieux,  le  sa,  qui  circulait  à  travers  leurs  membres,  y  portait  la  santé,  la 
vigueur  et  la  vie*.  Tous  ne  pouvaient  pas  également  s'en  charger,  mais  il  y  en 
avait  plus  chez  les  uns,  moins  chez  les  autres,  et  leur  puissance  d'action  se 
proportionnait  à  la  quantité  qu'ils  en  contenaient.  Les  mieux  pourvus  en 
déversaient  volontiers  le  trop-plein  sur  ceux  qui  en  manquaient,  et  tous  le 
transmettaient  à  l'homme  sans  difficulté.  La  transfusion  t'en  opérait  couram- 
ment dans  les  temples.  Le  roi  ou  le  mortel  ordinaire  qu'os  voulait  imprégner 
se  présentait  devant  la  statue  du  dieu  et  s'accroupissait  à  ses  pieds  en  lui  tour- 
nant le  dos  :  elle  lui  imposait  alors  la  main  droite  sur  la  nuque,  et  le  fluide  qui 
s'écoulait  d'elle  pendant  les  passes  s'amassait  en  lui  comme  en  un  récipient. 
La  cérémonie  n'avait  qu'une  efficacité  temporaire,  et  l'on  devait  la  renouveler 
souvent,  sous  peine  d'en  perdre  le  bénéfice.  Les  dieux  eux-mêmes  épuisaient 
leur  sa  de  vie  par  l'usage  qu'ils  en  faisaient  :  les  moins  vigoureux  s'en  appro- 
visionnaient auprès  des  plus  forts,  et  ceux-ci  allaient  en  puiser  une  plénitude, 
nouvelle  dans  un  étang  mystérieux  du  ciel  septentrional  qu'on  appelait  YÊlang 
du  Sa3.  Les  corps  divins,  alimentés  sans  cesse  par  l'influx  de  cette  onde  ma- 
gique, conservaient  leur  vigueur  bien  au  delà  du  terme  alloué  aux  corps  de 
l'homme  et  de  la  bête.  La  vieillesse,  au  lieu  de  les  détruire  rapidement,  les 
durcissait  et  les  transformait  en  métaux  précieux.  Leurs  os  se  changeaient  en 
argent,  leurs  chairs  en  or;  leur  chevelure,  échafaudée  et  teinte  en  bleu,  selon 
l'usage  des  grands  chefs,  se  pétrifiait  en  lapis-lazuli*.  Cette  transformation, 
qui  faisait  d'eux  autant  de  statues  animées,  ne  suspendait  pas  complètement 

1.  Le  texte  de  la  Destruction  des  homme*  (1.  2)  et  d'autres  documents  nous  apprennent,  par 
exemple,  que  les  chairs  du  solqil  vieilli  étaient  devenues  d'or  et  ses  os  d'argent  (Lkfkbirk,  le  Tombeau 
de  St'ti  /«%  i°  partie,  pi.  XV,  1.  2,  dans  le  tome  H  des  Mémoires  de  la  Mission  du  Caire).  Le  sang 
de  Rà  est  mentionné  dans  le  Livre  des  Morts  (ch.  xvn,  1.  29,  éd.  Naville,  pi.  XXIV),  ainsi  que  le 
sang  d'isis  (ch.  clvi;  cf.  Mirinrt,  I.  774)  et  d'autres  divinités. 

2.  Sur  le  sa  de  vie,  dont  l'action  avait  été  étudiée  partiellement  déjà  par  E.  de  Rour.it,  Etude  sut- 
une  stèle  égyptienne  appartenant  à  la  Bibliothèque  impériale,  p.  110  sqq.,  voir  Maspero,  Études  de 
Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptiennes,  t.  I,  p.  307-309. 

3.  C'est  ainsi  qu'on  voit,  dans  le  Conte  de  la  fille  du  prince  de  Hahkian,  une  des  statues  de  Khonsou 
théhain  s'approvisionner  de  sa  auprès  d'une  autre  statue  représentant  une  des  formes  les  plus  puis- 
santes du  dieu  (E.  de  Roigé,  Étude  sur  une  stèle,  p.  110-111;  Maspero,  les  Contes  populaires,  2e  éd., 
p.  221).  Le  bassin  de  Sa  où  vont  puiser  les  dieux  est  mentionné  dans  les  textes  des  Pyramides. 

i.  Cf.  le  texte  déjà  cité  de  la  Destruction  des  hommes  (l.  1-2)  où  la  vieillesse  produit  sur  le  corps 
du  soleil  les  transformations  indiquées.  Si  l'on  songe  à  ce  changement  du  corps  des  dieux  en 
or,  en  argent  et  en  pierres  précieuses,  on  comprendra  pourquoi  les  alchimistes,  disciples  des  Égyp- 
tiens, ont  souvent  comparé  la  transmutation  des  métaux  à  la  métamorphose  d'un  génie  ou  d'une 
divinité  :  ils  croyaient  précipiter  à  volonté  par  leur  art  ce  qui  était  une  opération  lente  de  la  nature. 


LA  MORT  DES  HOMMES  ET  DES  DIEUX.  111 

les  ravages  des  ans.  La  décrépitude,  pour  arriver  plus  lentement  que  chez 
l'homme,  n'en  arrivait  pas 
moins   irrémédiable   :   le 
Soleil  étant  devenu  vieux, 

■  la  bouche  lui  grelotta, 
la  bave  lui  ruissela  vers 
la  terre,  la  salive  lui  dé- 
goutta sur  le  sol1  ». 

Aucun  des  dieux  féo- 
daux n'avait  échappé  à 
cette  destinée,  mais  le  jour 
s'était  levé  pour  eux 
comme  pour  les  hommes 
où  ils  avaient  dû  quitter 
la  citéet  s'en  aller  au  tom- 
beau1. Les  peuples  anciens 
ont  longtemps  refusé  de 
croire  que  la  mort  fût 
chose  naturelle  et  inévi- 
table. Ils  pensaient  que 
lavie.unefoiscommencée,  , 

L  IIFUSITUM    DU    SA    AO    KOI    AMfcS    LE    COU «OSSÏMITIT  ' 

pouvait  se  poursuivre  in- 
définiment :  si  aucun  accident  ne  l'enrayait  net,  quel  motif  avait-elle  d'ar- 
rêter elle-même  son  développement?  L'homme  ne  mourait  donc  pas  en  Egypte, 
mais  on  l'assassinait*.  Le  meurtrier  appartenait  souvent  à  notre  monde  et  se 
laissait  désigner  facilement,  un  autre  homme,  une  bête,  un  objet  inanimé,  une 
pierre  détachée  de  la  montagne,  un  arbre  qui  s'abattait  sur  le  passant  et 
l'écrasait.  Souvent  aussi,  il  se  dissimulait  parmi  les  invisibles  et  ne  se  trahissait 
que  par  la  malignité  de   ses  attaques  :  c'était  un  dieu,  un  mauvais  esprit, 

t.  Pletts-IIossi,  let  Papyrut  Hiératique!  de  Turin,  pi.  CXXXII,  1,  1-2;  cf.  Ufedïre,  Un  Chapitre  de 
la  chronique  talaire,  dans  la  Zcitichrift,  1883.  p.  88. 

t.  L'idée  de  11  mort  inévitable  des  dieux  cet  «primée,  entre  autres  endroits,  dans  un  passage  du 
chapitre  nu  du  titre  det  mort*  (éd.  «aville,  pi.  X,  I.  6-1)  qui  n'a  pas  été  encore  signalé  que  je  sache  : 

■  Je  suis  cet  Osiris  dans  l'Occident,  et  Osiris  connaît  son  jour  où  il  ne  sera  plus  ■,  c'est-à-dire  le 
jour  de  sa  mort  ou  il  cessera  d'ciister.  Tous  les  dieux,  Atoumou.  Horus,  RI,  Thot,  Phlah.  khnoumou, 
sont  représentés  sous  forme  de  momie,  ce  qui  les  suppose  morts.  On  montrait  d'ailleurs  leurs  tom- 
beaux dans  plusieurs  localités  de  l'Egypte  (de  Itide  et  Otiride,  §  il.  édit.  Leeiam,  p.  36). 

3.  Tableau  dam  la  lalle  hypottyle  de  Louior  :  destin  de  Boudier,  d'aprrt  une  photographie  de 
M.  Gayet,  priie  en  1889.  Celle  vignette  montre  la  position  relative  du  prince  et  du  dieu.  Aman,  après 
avoir  posé  le  pschent  sur  la  tête  du  Phnraon  Àmenfltliès  111  agenouillé  devant  lui,  fui  impute  le  ta. 

i.  M.spkro,  F.tudci  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptienne»,  t.  Il,  p.  KO. 


113  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

une  âme  désincarnée,  qui  se  glissait  sournoisement  dans  un  vivant,  ou  se 
précipitait  sur  lui  avec  une  violence  irrésistible.  La  maladie  était  la  lutte  du 
possédé  contre  le  possesseur  :  dès  que  le  premier  avait  succombé,  on  l'em- 
portait loin  des  siens,  et  sa  place  ne  le  connaissait  plus,  mais  est-ce  que  tout 
finissait  pour  lui  du  moment  qu'il  avait  cessé  de  respirer?  Le  corps,  personne 
n'ignorait  son  avenir.  11  tombait  rapidement  en  pourriture,  et  peu  d'années 
suffisaient  à  le  réduire  en  squelette;  puis  le  squelette,  des  siècles  s'écoulaient 
avant  qu'il  se  désagrégeât  à  son  tour  et  se  réduisît  en  une  traînée  de  poussière 
prête  à  s'envoler  au  premier  souffle.  L'âme  pouvait  fournir  une  carrière  plus 
longue  et  des  destinées  plus  complètes,  mais  on  croyait  qu'elles  dépendaient 
de  celles  du  corps  et  se  mesuraient  sur  elles.  Chaque  progrès  de  la  décom- 
position lui  enlevait  quelque  chose  d'elle-même  :  sa  conscience  s'atténuait 
graduellement   jusqu'à  ne   lui  laisser  qu'une    forme   inconsistante  et  vide, 
enfin  effacée  quand  plus  rien  ne  restait  du  cadavre.  Enfoui  dans  la  terre  que 
le  Nil  inonde,  celui-ci  se  hâtait  de  retourner  au  néant,  et  sa  fin  condamnait 
l'âme  à  une  seconde  mort  où  rien  ne  survivait  plus  d'elle.  Si,  au  contraire,  on 
l'ensevelissait  au  désert,  la  peau,  promptement  desséchée  et  durcie,  se  chan- 
geait en  une  gaine  de  parchemin  noirâtre  sous  laquelle  les  chairs  se  consu- 
maient lentement1  :  il  demeurait  intact,  au  moins  en  apparence,  et  son  intégrité 
assurait  celle  de  l'âme.  L'usage  s'établit  donc  de  mener  les  morts  à  la  mon- 
tagne et  de  les  confier  à  l'action  préservatrice  des  sables;  puis  on  chercha 
des  procédés  artificiels  pour  obtenir  à  volonté   cette  incorruptibilité  de  la 
larve  humaine  sans  laquelle  la  persistance  de  l'âme  n'est  qu'une  agonie  pro- 
longée inutilement.  Un  dieu  passait  pour  les  avoir  découverts,   Anubis   le 
chacal,  le  maître  de  l'ensevelissement  :  il  avait  purgé  le  cadavre  des  viscères, 
dont   la  corruption  est  la  plus  rapide,  l'avait  saturé  de  sels  et  d'aromates, 
protégé  d'abord  par  une  peau  de  bête*,  puis  par  une  couche  épaisse  d'étoffes, 
et  son  art,  transmis  aux  embaumeurs,  changea  en  momies  tout  ce  qui  avait  eu 
vie  et  qu'on  désirait  conserver.  Où  la  montagne  s'élevait  voisine,  on  continua 
d'y  transporter  les  morts  momifiés,  un  peu  par  habitude,  un  peu  parce  que  la 
sécheresse  de  l'air  et  du  sol  leur  promettait  une  chance  de  plus.  Dans  les  can- 
tons du  Delta,  où  les  collines  étaient  trop  éloignées  pour  qu'on  pût  s'v  rendre 
sans  grands  frais,  on  profita  du  moindre  îlot  sablonneux  qui  pointait  au-dessus 

1.  Les  cadavres  des  moines  coptes  des  vi%  vin0,  xi"  siècles  que  j'ai  retrouvés  dans  les  cimetières  des 
couvents  de  Contra-Syène,  de  Taoud  et  d'Akhmfm,  situés  en  plein  désert,  présentaient  cet  aspect. 

4.  Sur  l'ensevelissement  primitif  dans  une  peau  de  bête  et  sur  les  rites  qui  en  dérivent,  cf.  Lkfé- 
blre,  Élude  sur  Abydos,  II,  dans  les  Proceeding»,  i 892- 1 893,  t.  XV,  p.  433-135. 


I 


LES  DESTINÉES  APRÈS  LA  MORT. 


des  marais  et  on  y  établit  un  cimetière1  :  où  cette  ressource  manquait,  on 
confia  bravement  la  momie  à  la  terre  même,  mais  après  l'avoir  enfermée 
dans  un  sarcophage  en  pierre  dure,  dont  le  couvercle,  luté  hermétiquement 
à  la  cuve  avec  du  ciment,  ne  laissait  point  pénétrer  l'humidité.  L'âme,  sans 
crainte  sur  ce  point,  suivait  le  corps  au  tombeau,  et  y  vivait  à  côté  de  lui, 
comme  dans  une  maison  éternelle  qu'elle  possédait  sur  les  confins  du  monde 
invisible  et  du  monde  réel. 

Elle  y   conservait   son   caractère  et  sa  figure  «  de  dessus  terre  »  :  double 
en  deçà  des  funérailles,  elle  demeurait  double  i 
avec  la  faculté  d'accomplir  à  sa  façon  toutes  les 
de  la  vie  animale.  Elle  se  mouvait,  allait,  venait 
respirait,  parlait,  accueillait  l'hommage  des  dé 
vots,  mais  sans  joie  et  comme  par  machine,  pi 
une  horreur  instinctive  de  l'anéantissement  qui 
désir  raisonné  de  ne  point  périr.    Le  regret 
du    monde   lumineux    qu'elle    avait   quitté    é 
troublait  sans  trêve  son  existence,  inerte  et 
morne.  *  0  mon  frère,  ne  t'arrête  point  de 

boire,  de  manger,  de  l'enivrer,  d'aimer,  de  te  donner  du  bon  temps,  de 
suivre  ton  désir  nuit  et  jour;  ne  mets  pas  le  chagrin  en  ton  cœur,  qu'est-ce 
en  effet  des  années  que  l'on  passe  sur  terre?  L'Occident  est  une  terre  de 
sommeil  et  de  ténèbres  lourdes,  une  place  où  les  habitants,  une  fois  établis, 
dorment  en  leurs  formes  de  momies,  sans  plus  s'éveiller  pour  voir  leurs 
frères,  sans  jamais  plus  apercevoir  leur  père  et  leur  mère,  le  cœur  oublieux 
de  leurs  femmes  et  de  leurs  enfants.  L'eau  vive,  que  la  terre  donne  à  quiconque 
vit  sur  elle,  n'est  plus  ici  pour  moi  qu'une  eau  croupie  et  morte:  elle  vient 
vers  quiconque  est  sur  terre,  mais  elle  n'est  plus  pour  moi  que  pourriture 
liquide,  l'eau  qui  est  avec  moi.  Je  ne  sais  plus  où  j'en  suis  depuis  que  je 
suis  arrivé  dans  cette  Vallée  funèbre.  Qu'on  me  donne  à  boire  de  l'eau  qui 
court!  ..  qu'on  me  mette  la  face  au  vent  du  Nord,  sur  le  bord  de  l'eau,  afin 
que  la  brise  me  caresse  et  que  mon  cœur  en  soit  rafraîchi  de  son  chagrin*!  » 

1.  Ainsi  les  tlols  qui  formaient  le  cimetière  de  la  grande  ville  de  Tennis,  au  milieu  du  lac  Ncnzaléh 
(f.Tit.KiK  Qïitiimëbk,  Mémoires  géographique!  et  historiques  sur  l'Egypte,  t.  I,  p.  331-331). 

t.  Dessin  de  Faucher-Gudin ,  d'après  un  chacal  de  boit  stuquê  et  peint  en  noir,  provenant  de 
Thebet,  en  ma  possession  {XKVi'  dynastie).  C'est  un  de  ces  chacals  qu"on  posait  sur  le  couvercle  dci 
boites  funéraires  en  forme  de  naos  où  l'un  enfermait  les  quatre  vases,  dits  Canapés,  entre  lesquels 
on  répartissait  les  viscères  du  mort,  le  cœur,  le  foie,  les  poumons,  la  rate. 

3.  Le  tente  est  publié  dans  Prisse  iT  Aï  expies,  Monuments,  pi.  XXVI  bis,  1.  15-31,  et  dans  Lirai'*. 
Atuaahl  der  wichtigsten  Urkunden,  pi.   XVI.   Il  a  été  traduit  en  anglais  par  Bcacn,  On  tteo  Egyptian 


114  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

Le  double  demeurait  caché  dans  le  tombeau  pendant  le  jour.  S'il  sortait  la 
nuit,  ce  n'était  pas  caprice  ou  désir  sentimental  de  revoir  une  fois  encore  les 
lieux  où  il  avait  mené  une  vie  plus  heureuse.  Ses  organes  voulaient  être  nour- 
ris comme  ceux  de  son  corps  l'avaient  été  jadis,  et  de  lui-même  il  ne  possé- 
dait rien  «  que  la  faim  pour  nourriture,  la  soif  pour  boisson1  *  :  le  besoin  et  la 
misère  le  chassaient  donc  de  sa  retraite  et  le  rabattaient  sur  la  vallée.  Il  s'en 
allait  à  la  maraude  par  les  champs  et  par  les  villages,  ramassant  au  hasard  ce 
qu'il  trouvait  sur  le  sol  et  s'en  repaissant  avec  avidité,  les  débris  de  pain  ou  de 
viande  oubliés  ou  perdus,  le  rebut  des  ménages  et  des  étables,  et  quand  cette 
triste  ressource  lui  manquait,  l'ordure  la  plus  repoussante  et  les  excré- 
ments*. Ce  spectre  affamé  n'avait  pas  la  forme  indécise  et  vaporeuse,  le  long 
suaire  ou  les  draperies  flottantes  de  nos  fantômes  modernes;  il  s'enfermait 
dans  des  contours  nets  et  précis,  il  se  montrait  nu  ou  revêtu  des  mêmes 
habits  qu'il  avait  portés  au  temps  qu'il  était  encore  sur  terre,  et  tout  son 
être  dégageait  une  lueur  pâle  qui  lui  valut  son  nom  de  Lumineux,  —  Khouy 
Khouou*.  11  n'admettait  pas  que  les  siens  l'oubliassent  et  il  employait  tous  les 
moyens  dont  il  disposait  pour  les  forcer  à  se  souvenir  de  lui  :  il  pénétrait 
dans  leurs  maisons  et  dans  leurs  corps,  les  terrifiait  de  ses  apparitions  sou- 
daines pendant  la  veille  ou  pendant  le  semmeil,  les  frappait  de  maladies  ou 
de  folie*,  quelquefois  même  suçait  leur  sang  comme  le  vampire  des  peuples 

Tablets  of  the  Ptolemaic  Period  (extrait  de  YArchxologia,  t.  XXXIX),  en  allemand  par  Brcgsch,  Die 
Aïgyptische  Grâberwelt,  p.  39-40,  et  en  français  par  Maspero,  Éludes  Egyptienne»,  1. 1,  p.  187-190.  Sur 
la  perpétuité  de  cette  conception  ténébreuse  que  les  Égyptiens  se  faisaient  de  l'autre  monde,  voir 
Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  179-181. 

1.  Téti,  1.  74-75:  «  C'est  l'horreur  de  Téti  que  la  faim  et  il  ne  la  mange  pas;  c'est  l'horreur  de 
Téti  que  la  soif  et  il  ne  l'a  point  bue.  >  On  voit  que  les  Égyptiens  faisaient  de  la  faim  ou  delà  soif  deux 
substances  ou  deux  êtres  qu'on  avalait  comme  on  avale  les  aliments,  mais  qui  agissaient  à  la  manière 
des  poisons,  si  l'on  n'en  contre-balançait  pas  les  effets  par  l'absorption  immédiate  d'une  nourriture 
plus  réconfortante  (Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  154-156). 

2.  Le  roi  Téti,  séparant  son  sort  de  celui  des  morts  du  commun,  constatait  qu'il  avait  de  quoi  se 
nourrir  abondamment  et  par  suite  qu'il  n'en  était  pas  réduit  à  si  triste  extrémité  :  «  C'est  l'horreur  de 

.Téti  que  les  excréments,  Téti  rejette  les  urines  et  Téti  déteste  ce  qui  est  détestable  en  lui;  Téti  a 
horreur  des  matières  fécales  et  ne  les  mange  pas,  Téti  a  horreur  des  matières  liquides  >  (Teti, 
I.  68-69).  On  retrouve  la  même  doctrine  dans  plusieurs  endroits  du  Livre  des  Morts. 

3.  Le  nom  de  lumineux  a  été  d'abord  expliqué  de  telle  sorte  qu'on  reconnaissait  dans  la  lumière 
dont  les  âmes  étaient  revêtues  une  parcelle  de  la  lumière  divine  (Maspero,  Éludes  détnotiques,  dans 
le  Recueil,  t.  I,  p.  21,  n.  6,  et  Revue  critique,  1872,  t.  II,  p.  338;  Dèvéria,  Lettre  à  M.  Paul  Pierret 
sur  le  chapitre  Inr  du  Todlenbuch,  dans  la  Zeitschrift,  1870,  p.  62—64).  Je  pense  qu'il  répond  à  une 
idée  moins  abstraite  et  nous  montre  l'àme  égyptienne  se  présentant,  comme  celle  de  beaucoup  de 
peuples,  sous  les  espèces  d'une  flamme  pâle,  ou  émettant  une  lueur  analogue  au  halo  phosphorescent 
qui  entoure  pendant  la  nuit  un  morceau  de  bois  pourri  ou  de  poisson  décomposé.  Par  la  suite,  cette 
conception  première  a  dû  s'affaiblir,  et  khou  devenir  un  de  ces  noms  flatteurs  qu'on  se  croit  obligé 
à  donner  aux  morts  pour  ne  pas  les  offenser,  le  glorieux,  un  des  mânes  (Maspero,  Études  Égyptiennes, 
t.  II,  p.  12,  note  1);  il  a  pris  alors  le  sens  éclatant  de  lumière  qu'on  lui  attribue  ordinairement. 

4.  Les  incantations  dont  est  rempli  le  Papyrus  de  Leyde  publié  par  Pleyte  {Études  Eg  y pto  logiques, 
t.  I)  sont  dirigées  contre  les  morts  ou  les  mortes  qui  s'introduisaient  dans  un  vivant  pour  lui  infliger 
la  migraine  et  de  violents  maux  de  tête.  Un  autre  papyrus  de  Leyde  (Leemans,  Monuments  Egyptiens  du 
musée  d'antiquités  des  Pays-Bas  à  Leyde,  2"  partie,  pi.  CLXXXIII-CLXXXIV),  analysé  sommairement 
par  Chabas  (Notices  sommaires  des  Papyrus  égyptiens,  p.  49).  traduit  par  Maspero  (Études  Égyptiennes, 


LEUR  MOMIFICATION.  115 

modernes'.  On  avait  un  moyen  efficace,  un  seul,  d'échapper  à  sa  visite  ou 
même  de  la  prévenir  :  c'était  d'aller  lui  porter  au  tombeau  ce  qu'il  venait 
chercher  dans  les   maisons 
de  ce  monde,  les  provisions 
de  tout  genre  qui  lui  étaient 
nécessaires.     Les    sacrifices 
funéraires  et  le  culte  régu- 
lier des  morts  prirent  nais- 
sance au  besoin  qu'on  éprou- 
vait de  pourvoir  à  la  nourri- 
turedes  mânes  par  l'offrande, 
après  avoir  assuré  la  perpé- 
tuité de  leur  existence  par  la 
momification  des  cadavres*. 
Un  leur  amenait  des  gazel- 
les et  des  bœufs,  et  on  les 
sacrifiait  à  la  porte  de  leur 
chapelle  :  on  leur  présentait 
les  cuisses  de  la  victime,  son 
cœur,  sa  poitrine  et  on  les 
entassait  sur  le  sol ,  afin  qu'ils 
les  y  trouvassent  lorsque  l'en- 
vie leur  naîtrait  de  manger.  Lï  mbmum  *u  «ort  dais  u  cupule  rcataAiM*. 
On  leur  apportait  des  cru- 
ches de  bière  ou  de  vin,  de  grandes  jarres  d'eau  fraîche  clarifiée  au  natron  ou 
parfumée  à  l'encens  pour  qu'ils  en  bussent  au  gré  de  leurs  désirs,  et  l'on  pen- 
sait acheter  leur  bienveillance  par  ces  tributs  volontaires,  comme  on  faisait  en  - 
l'ordinaire  de  la  vie  celle  d'un  voisin  trop  puissant  pour  qu'on  osât  lui  résister. 

1.  I,  p.  M3-I59),  renferme  la  jilainle,  ou  plutôt  le  réquisitoire  en  bonne  forme,  d'un  mari  que  lu 
lumineux  de  sa  femme  revenait  tourmenter  dans  sa  maison,  sans  motif  suffisant. 

1.  Mispebo,  Hottt  tur  quelques  point»  de  grammaire  et  dhïitoire,  g  S,  [tans  la  Zcittehrifl,  I87'J, 
p.  ;>3,  d'après  un  te  île  du  Litre  des  Mort*. 

•i.  Plusieurs  chapitres  du  Livre  des  fiortt  avaient  pour  objet  de  donner  à  manger  à  la  survivance 
humaine,  ainsi  le  chapitre  ov.  Chapitre  d'approruionner  le  double  (éd.  Haïilui,  pi.  CXVII),  el  le  cha- 
pitre en.  Chapitre  de  donner  l'abondance  chaque  jour  au  défunt,  dans  MemphU  (éd.  Itinus,  pi.  CXVII1). 

3.  Stèle  d  Antouf I- '.  prince  de  Thtbes.  Dessin  de  Faucher-Cudin,  d'après  une  photographie  d'Emile 
Rrugtch-ifry  (cf.  IHirietif,  Monument!  divers,  pi.  30  b).  Au  bas,  les  serviteur»  et  les  parents  amènent 
les  victimes  et  dépècent  le  bœuf  à  la  porte  du  tombeau.  Au  milieu,  le  mort  assis  sous  son  kiosque 
reçoit  l'offrande  :  un  serviteur  lui  tend  à  boire,  un  autre  lui  apporte  une  cuisse  de  omut,  un  troi- 
sième une  roiiiïi'  et  deux  jarre*;  les  provisions  remplissent  toule  la  i-hambre.  Derrière  AnluiiT,  denv 
domestiques  dont  un  l'éveiile  et  l'antre  Ini  lient  son  bâton  el  ses  sandales,  la  position  de  la  porte  au 
registre  du  bait  montre  que  les  action*  représentées  au-dessus  s'accomplissent  à  l'intérieur  du  tombeau. 


116  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

La  mort  n'épargnait  aux  dieux  aucune  des  angoisses,  aucun  des  dangers 
dont  elle  se  montre  si  tristement  prodigue  pour  les  hommes.  Leur  corps 
s'altérait  et  se  détruisait  pièce  à  pièce  jusqu'à  tomber  du  tout  au  néant  ; 
leur  âme  demeurait  solidaire  du  corps  comme  l'âme  humaine  et  s'éteignait 
par  dépérissements  successifs,  si  l'on  ne  remédiait  en  bon  temps  à  son  infir- 
mité naturelle.  La  même  nécessité  qui  commandait  aux  hommes  s'imposait 
donc  aux  dieux  de  rechercher  le  genre  de  sépulture  qui  prolongeait  le  plus  la 
durée  de  leur  âme.  On  les  enterra  d'abord  à  la  montagne,  et  un  de  leurs  titres 
les  plus  anciens  nous  montre  en  eux  les  êtres  qui  sont  sur  leurs  sables1 ,  à 
l'abri  de  la  putréfaction  ;  puis,  quand  on  eut  découvert  les  arts  de  l'em- 
baumement, on  leur  accorda  le  bénéfice  de  l'invention  nouvelle  et  on  les 
momifia.  Tous  les  nomes  avaient  la  momie  et  le  tombeau  de  leur  dieu  mort, 
momie  et  tombeau  d'Anhouri  à  Thinis,  momie  d'Osiris  à  Mendès,  momie  de 
Toumou  à  Héliopolis2.  Plusieurs  n'admettaient  pas  qu'il  modifiât  son  nom  à 
changer  son  mode  d'existence  :  Osiris  défunt  restait  Osiris,  Nit  ou  Hàthor 
mortes  demeuraient  Nît  ou  Hâthor  à  Sais  ou  à  Dendérah.  Mais  Phtah  de  Mem- 
phis  devenait  Sokaris  en  mourant5  ;  mais  Ouapouaitou,  le  chacal  de  Siout,  se 
transformait  en  Ànubis*,  et  le  ciel  ensoleillé  de  Thinis,  Ânhouri,  lorsque  son 
disque  avait  disparu  chaque  soir,  demeurait  jusqu'au  matin  suivant  Khonta- 
mentît,  le  Maître  de  l'Occident3.  Pas  plus  que  les  hommes,  les  dieux  morts  ne 
connaissaient  dans  l'autre  vie  les  jouissances  que  nous  rêvons  d'y  goûter.  Leur 
corps  n'était  plus  qu'une  larve  inerte,  «  au  cœur  immobile0  »,  aux  membres 
débiles  et  flétris,  incapable  de  se  tenir  droit  sur  ses  pieds,  si  le  maillot  qui 

1.  Le  Livre  de  Savoir  ce  qu'il  y  a  dans  VU  ad  es  donne,  aux  quatrième  et  cinquième  heures  de 
la  nuit,  la  description  du  royaume  sablonneux  de  Sokaris  et  des  dieux  Hiriou  Shditou-senou,  qui 
sont  sur  leurs  sables  (Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  Il,  p.  64-37). 
Un  cynocéphale  sur  ses  sables  est  figuré  ailleurs  dans  le  même  ouvrage  (Lef£bure,  Tombeau  de  Se  fi  /", 
A"  partie,  pi.  XXXII)  et  les  dieux  de  la  huitième  heure  sont  également  des  dieux  mystérieux  qui 
sont  sur  leurs  sables  (id.,  pi.  XLV1I,  sqq.)  Partout,  dans  les  vignettes  où  ces  personnages  sont  repré- 
sentés, l'artiste  égyptien  a  dessiné  soigneusement  l'ellipse  peinte  en  jaune  et  semée  de  points  rouges 
qui  rend  le  sable  et  les  régions  sablonneuses  d'une  manière  conventionnelle. 

2.  Les  sépultures  de  Toumou,  de  Khopri,  de  Rà,  d'Osiris,  et  dans  chacune  d'elles,  l'amas  de  sable  qui 
cache  les  corps,  sont  représentées  au  tombeau  de  Séti  l*r  (Lefkdire,  le  Tombeau  de  Séti  I",  -i"  partie, 
pi.  XLIV-XLV)  ainsi  que  les  quatre  béliers  où  les  âmes  des  dieux  s'incarnent  (cf.  Maspero,  Études  de 
Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  11,  p.  112).  Encore  à  l'époque  romaine  on  connaissait 
en  Egypte  les  tombeaux  des  dieux  :  Où  jjlûvov  Se  toutou  ('Oaipifioç)  oi  Upeî;  Xé*fou<nv  àXkà  xat 
T<ôv  aXXwv  Oewv,  ôsoi  u-tj  â"jevvr,TOi  {jltqÔ'  âçQapToi,  Ta  u,èv  <r<ôu.aTa  rcap'  ocÙtoÏ;  xeurOat  xapiovra  xai 
Oepaiteûcffdat,  xàç  fie  ^u^àc  êv  oùpav<î>  Xdtu.iteiv  aorpa  (De  hideet  Osiride,  chap.  xxi,  éd.  Parthey,  p.  36). 

3.  Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptiennes,  t.  Il,  p.  Si-22. 

A.  C'est  du  moins  ce  qui  me  paraît  résulter  des  monuments  de  Siout  où  le  dieu  chacal  est  appelé 
Ouapouattou  en  tant  que  Dieu  vivant,  seigneur  de  la  ville,  et  Anoupou,  maître  de  l'embaumement  ou 
de  l'Oasis,  seigneur  de  Ha-qrirît,  en  tant  que  dieu  des  morts.  Ha-qririt,  la  porte  du  four,  était  le  nom 
que  les  habitants  de  Siout  donnaient  à  la  nécropole  de  leur  ville  et  au  domaine  infernal  de  leur  dieu. 

3.  Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptiennes,  t.  II,  p.  23-2-i. 

6.  C'est  l'épithèle  caractéristique  d'Osiris  mort,  Ourdou-hit,  celui  dont  le  cœur  est  immobile,  celui 
dont  le  cœur  ne  bat  plus,  et  qui,  par  conséquent,  a  cessé  de  vivre. 


LES  DIEUX  MORTS  DIEUX  DES  MORTS.  H1 

l'enserrait  ne  l'avait  raidie  tout  d'une  pièce.  Leurs  mains  seules  et  leur  tète 
sortaient  des  bandelettes  :  encore  étalaient-elles  les  teintes  vertes  ou  noires 
de  la  chair  pourrie.  Leur  double  à  la  fois  craignait  et  regrettait  la  lumière 
comme  le  double  de  l'homme  :  la  faim  dont  il 
souffrait  étouffait  en  lui  tout  sentiment,  et  les 
dieux  qui,  vivants,  se  signalaient  par  leur 
bonté  miséricordieuse,  se  changeaient  au  tom- 
beau en  tyrans  féroces  et  sans  pitié.  Sokans, 
Khontamentit,  Osiris  lui-même',  dès  qu'ils  ont 
mandé  quelqu'un  auprès  d'eux,  «  les  mortels 
viennent  effarant  leur  cœur  par  la  crainte  du 
dieu,  et  nul  n'ose  le  regarder  en  face  parmi  les 
dieux  et  les  hommes,  et  les  grands  sont  pour 
lui  comme  les  petits.  H  n'épargne  pas  qui 
l'aîme,  il  enlève  l'enfant  à  sa  mère  et  aussi  le 
vieillard  qui  traverse  son  chemin;  tous  les 
êtres,  remplis  de  peur,  implorent  devant  lui, 
mais  lui  ne  tourne  point  sa  face  vers  eux1,  s 
Les  vivants  et  les  morts  n'échappaient  aux 
effets  de  son  humeur  farouche  qu'à  la  condi- 
tion de  lui  payer  constamment  leur  tribut  et 

de  le  nourrir  comme  un  simple  double  humain.  Les  vivants  s'acquittaient 
de  leurs  redevances  envers  lui  par  des  pompes  et  par  des  sacrifices  solennels 
qui  se  répétaient  d'année  en  année  à  intervalles  réguliers';  les  morts  ache- 
taient plus  chèrement  la  protection  qu'il  daignait  étendre  sur  eux.  Prières, 
repas  funéraires,  offrandes  des  parents  aux  jours  de  fêtes,  il  ne  leur  permet- 
tait de  rien  recevoir  directement;  mais  tout  ce  qui  leur  était  adressé  devait 
passer  par  ses  mains  avant  de  leur  parvenir.  Lors  donc  qu'on  désirait  leur 
expédier  le  vin  et  l'eau,  le  pain  et  la  viande,  les  légumes  et  les  fruits 
dont  on  les  approvisionnait,  il  voulait  qu'on  les  lui  présentât  d'abord  et  qu'on 
les  lui  donnât  par  acte  formel  :  ensuite,  on  le  priait  humblement  de  les  trans- 
mettre à  tel  ou  tel  double,  dont  on  lui  indiquait  le  nom  et  la  filiation.  Il  les 

I .  Sur  le  rfllc  funoslc  d'Osiris,  voir  Mjspeiio.  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie,  1.  Il,  p.  1 1-li. 

i.  C'est  la  suilo  du  leste  cité  plus  haut.  |>.  113  de  relie  lliiloire. 

3.  Dell in  et  Faurhrr-tlmtin,  tfaprii  une  ttatuette.  en  brome  découverte  dont  le  département  de 
r Hérault,  au  fond  d'une  aatrrir  ilr  mines  antique  (époque  Saite). 

i.  Les  plu»  snk'iirids  ili-  chs  sacrifiers  riaient  cùli'liri';»  dans  1rs  luiTiiiiTs  jours  ilr  l'année,  au  moino.nl 
de  la  fêle  Quagait,  ainsi  qu'il  résulte,  entre  autres,  des  lentes  du  tomhcati  do  Nolirholpou  (BfiMtiiiTK, 
te  Tombeau  de  fioferholpou,  dans  los  Mémoire!  de  la  Million  franeaiie,  t.  V,  p.  417  sqi).). 


448  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

prenait,  en  retenait  partie  pour  son  usage,  et  de  ce  qui  restait  faisait  largesse 
au  destinataire1.  La  mort  ne  changeait  point,  comme  on  voit,  la  position 
relative  du  dieu  féodal  et  de  ses  adorateurs.  L'adorateur  qui  se  disait  féal 
—  amakhou  —  du  dieu  le  temps  de  sa  vie,  était  encore  au  tombeau  sujet  et 
féal  du  dieu  momifié*.  Le  dieu  qui,  vivant,  régnait  sur  les  vivants,  mort, 
continuait  à  régner  sur  les  morts  de  la  cité. 

Son  logis  s'élevait  à  la  ville,  auprès  du  prince  et  au  milieu  de  ses  sujets  :  Rà 
habitait  Héliopolis  avec  le  prince  d'Héliopolis,  Haroêris  Edfou  avec  le  prince 
d'Edfou,  Nit  Sais  avec  le  prince  de  Sais.  Ce  que  les  temples  étaient  à  l'origine, 
le  nom  qu'on  leur  donne  dans  le  langage  courant  nous  l'apprend,  quand  même 
aucun  d'entre  eux  n'a  duré  jusqu'à  nous.  On  les  tenait  pour  le  château  du 
dieu8  —  hâîty  —  pour  sa  maison  —  pirou,  pi,  —  plus  soignée  et  plus  res- 
pectée que  celle  de  l'homme,  mais  non  différente.  On  les  bâtissait  dans  des 
endroits  élevés  légèrement  au-dessus  du  niveau  de  la  plaine,  de  façon  qu'ils 
fussent  à  l'abri  de  l'inondation,  et  quand  il  n'y  avait  pas  de  butte  naturelle 
on  y  suppléait  par  l'érection  d'un  terre-plein  rectangulaire  :  une  couche 
de  sable  répandue  uniformément  dans  le  sous-sol  le  consolidait  contre  les 
tassements  ou  contre  les  infiltrations  et  servait  de  premier  lit  aux  fondations 
de  l'édifice*.  Celui-ci  consistait  d'abord  en  une  seule  pièce  étroite,  sombre, 
couverte  d'un  toit  légèrement  bombé  et  sans  ouverture  que  la  porte  :  deux 
grands  mâts  encadraient  la  baie,  auxquels  on  attachait  des  banderoles  pour 
attirer  de  loin  l'attention  des  fidèles,  et  un  parvis  bordé  de  palissades  s'éten- 
dait devant  la  façade \  On  voyait  à  l'intérieur  des  nattes,  des  tables  basses  en 
pierre,  en  bois  ou  en  métal,  quelques  ustensiles  pour  la  cuisson  des  offrandes, 
quelques  vases  à  recevoir  le  sang,  l'huile,  le  vin,  l'eau,  les  liquides  dont  on 

1.  Ce  rôle  du  dieu  des  morts  a  été  défini  nettement  pour  la  première  fois  par  Maspero  en  1878 
[Éludes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  3-6). 

2.  Le  mot  amakhou  est  appliqué  à  l'individu  qui  s'est  attaché  librement  au  service  d'un  roi  ou  d'un 
baron  et  qui  l'a  reconnu  pour  son  seigneur  :  amakhou  khir  nabouf  est  le  féal  auprès  de  son  sei- 
gneur. Tout  vivant  se  choisissait  de  la  sorte  un  dieu,  qui  devenait  comme  son  patron  et  dont  il  était 
V amakhou,  le  féal.  Il  devait  au  dieu  le  service  du  bon  vassal,  tribut,  sacri lices,  offrandes,  et  le  dieu  lui 
rendait  en  échange  l'office  du  suzerain,  protection,  nourriture,  accueil  sur  ses  domaines  auprès  do 
sa  personne.  On  était  absolument  nib  amakhit,  maître  de  féauté,  ou  relativement  à  un  dieu  amakhou 
khir  Osiri,  le  féal  auprès  d'Osiris,  amakhou  khir  Phtah-Sokari,  le  féal  auprès  de  Phtah-Sokaris. 

3.  Maspero,  Sur  le  sens  des  mots  Nouit  et  Hait,  p.  22-23;  cf.  Proceedings  of  the  Society  of 
Biblical  Archxology,  1889-1890,  t.  XII,  p.  256-257.  On  trouvera  le  développement  de  cette  idée  chez 
Hocukmontkix,  sur  la  Grande  Salle  hypostyle  de  Karnak,  dans  ses  OEuwcs  diverses,  p.  49  sqq. 

4.  Cet  usage  subsistait  encore  à  l'époque  gréco-romaine,  dans  le  rituel  de  fondation  des  temples  ; 
le  roi,  après  avoir  creusé  le  sol  que  l'édifice  devait  occuper,  y  répandait  le  sable  mêlé  de  cailloux  et  de 
pierres  précieuses  sur  lequel  il  allait  placer  le  premier  lit  de  pierre (ÏKmichen,  liaugeschichte  des  Den- 
dcratempels,  pi.  M,  et  Bhit.st.h,  Thésaurus  Inscript ionu m  <Egyptiacarum,  p.  1272-1273). 

5.  Aucun  temple  égyptien  de  la  première  époque  n'est  parvenu  jusqu'à  nous,  mais  M.  Erinan 
(.Kgypten,  p.  379)  a  fait  remarquer  très  justement  que  la  silhouette  nous  en  a  été  conservée  par  plu- 
sieurs des  signes  qui  servent  à  écrire  le  mot  temple  dans  les  textes  de  l'Empire  Memphite. 


LEURS  TEMPLES  ET  LEURS  IMAGES.  119 

gratifiait  le  dieu   chaque  jour.  Quand  le  matériel  du   sacrifice   s'accrut,    le 
nombre  des  chambres  s'accrut  avec  lui,  et  des  salles  destinées  aux   fleurs, 
aux  parfums,  aux  étoffes,  aux  vases  précieux,  aux  provisions  de  houche  se 
groupèrent  autour  du  réduit  primitif  :  ce  qui  composait  d'abord  le  temple 
entier  se  restreignit  à  n'être  plus  que  le  sanctuaire  du  temple1.  Le  dieu  y  habi- 
tait non  pas  seulement  en 
esprit,   mais  en   corpB*,  et 
l'obligation  de  résider  dans 
plusieurs  cités  nel'empèchait 
pas  d'être  présent  dans  toutes 
à  la  fois.  Il  pouvait  en  effet 
diviser  son  double  et  le  ré- 
pandre sur  autant  de  corps 
distincts    qu'il    le    voulait, 
corps  d'hommes  ou  de  bêtes, 

objets  naturels  ou  fabriqués,  »nuin  >..««,  mm»  ou  «je vis3. 

statues  en  pierre,  en  métal 

ou  en  bois*.  Plusieurs  dieux  s'incarnèrent  béliers,  Osiris  à  Mendès,  Harshafitou 
à  Héracléopolis,  Khnoumou  à  Eléphantîne  :  on  nourrissait  des  béliers  vivants 
dans  leurs  temples,  et  quelque  fantaisie  qui  passât  par  leur  tête  de  bête  on 
leur  permettait  de  la  satisfaire.  Plusieurs  autres  se  faisaient  taureaux,  Râ  à 
Héliopolis,  plus  lard  Phtah  à  Memphis,  Minou  à  Thèbes,  et  Montou  à  Her- 
monthis.  lis  marquaient  par  avance  de  certains  stigmates  les  bêtes  qu'ils 
comptaient  animer  d'un  de  leurs  doubles  :  qui  avait  appris  à  connaître  les 
signes  n'était  pas  en  peine  de  trouver  un  dieu  vivant,  quand  le  temps  venait 
d'en  chercher  un  et  de  l'offrir  dans  le  temple  à  la  vénération  des  fidèles*.  Les 

I.  Maspbbo,  Archéologie  Égyptienne,  p.  «5-6R,  105-106;  H.  de  Ror.KEiioriTEU,  Œuvres  diverses, 
p.  III  sqq. 

ï.  Ainsi  à  Dcndcrah  (Mimerre,  Dendciah,  t.  I,  pi.  LIT),  il 
le  ciel  •  soub  la  forme  d'un  épei-vicr  de  lapis  .i  l»";tc  humai 

venir  n'unir  à  la  statue  ».  —  ■  P'autresexemples,  ajoute  Mariette  (Terte.  p.  156),  si 
riserà  penser  que  les  Egyptiens  accordaient  une  certaine  vie  a  in  statues  et  aux  images  qu'ils  entaient 
et  que  dans  leur  croyance  (ce  qui  s'applique  particulièrement  aux  tombeaux)  l'esprit  hantait  les  repré- 
sentations faites  à  son  image.  • 

3.  Modèle  de  sculpteur  provenant  de  Tanit  et  conservé  au  mutée  de  Chéh  (Maiuette,  Notice  det 
principaux  monument!,  187B,  p.  îïî,  n-  CI16).  Destin  de  Faucher-Gudin,  d'après  une  photographie 
d'Emile  Brugsch-Bey.  Les  marques  sacrées  ont  été  ajoutées  après  coup,  d'après  les  figures  ana- 
logues de*  stèles  du  SÉrapéum,  conservées  aujourd'hui  dans  notre  musée  du  Louvre. 

i.  SlispEito,  Ëludet  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptienne!,  t.  1.  p.  77  sqq.  ;  I"  Archéologie  Égyp- 
tienne, p.  106-10".  Cette  idée  des  statues  machinées  paraissait  si  étrange  et  si  indigne  de  la  sagesse 
Égyptienne  que  des  Êgyptologues  de  la  valeur  de  M.  de  Rougé  (Élude  tur  une  ttèle  égyptienne 
de  la  Bibliothèque  Impériale,  p.  109)  ont  pris  au  sens  abstrait  et  métaphorique  les  expressions 
qui  marquent  dans  les  textes  le  mouvement  automatique  des  images  divines. 

5.  Les  taureaux  de  Ri  et  de  Phtah,  le  Mnévis  et  l 'Ha pis,  sont  connus  par  le  témoignage  des  classiques 


«0  LES  tUEUX  DE  L'EGYPTE. 

statues,  si  elles  n'avaient  point  comme  les  animaux  la  réalité  extérieure  de 
l'existence,  n'en  cachaient  pas  moins  sous  leurs  dehors  rigides  une  puissance 
de  vie  intense  qui  se  trahissait  à  l'occasion  par  des  gestes  ou  par  des  paroles. 
Elles  indiquaient  ainsi,  en  un  langage  compris  de  leurs  serviteurs,  la  volonté 
des  dieux  ou  leur  opinion  sur  les  événements  du  jour,  elles  répondaient  aux 

questions  qu'on  leur  posait 
selon  des  formesprescri tes, 
quelquefois  même  elles 
prédisaient  l'avenir.  Cha- 
que temple  en  contenait  un 
assez  grand  nombre  qui 
représentaient  autant  d'in- 
corporations de  la  divinité 
locale  et  des  membres  de 
sa  triade.  Ceux-ci  parta- 
CHjMpl  gealent,  mais  à  un  degré 

moindre,  tous  les  honneurs 
et  toutes  les  prérogatives  du  maître.  Ils  recevaient  le  sacrifice,  ils  exauçaient  les 
prières,  ils  prophétisaient  quand  il  le  fallait.  Ils  séjournaient  soit  dans  le 
sanctuaire  même,  soit  dans  des  salles  bâties  autour  du  sanctuaire  principal, 
soit  enfin  dans  des  chapelles  isolées  qui  leur  appartenaient  sous  la  suzeraineté 
du  dieu  féodal*.  Celui-ci  avait  sa  cour  divine  qui  l'assistait  en  l'administration 
de  ses  domaines,  comme  les  ministres  d'un  prince  l'aident  à  régir  les  siens. 

Cette  religion  d'État,  si  complexe  dans  ses  manifestations  et  dans  son 
principe,  ne  suffisait  pas  cependant  à  la  piété  exubérante  de  la  population.  On 
rencontrait  dans  tous  les  nomes  des  divinités  dépourvues  de  caractère  officiel, 
et  qui  n'en  étaient  pas  moins  aimées  pour  cela.  C'était,  en  plein  désert,  un 

anciens  (Dr  Uide  et  Oiiride,  S.  4.  33,  de  .  .'■  I  Punit,  p  T-8.  *:*  etc  .  ■!■  ■im.oïk.  Il,  cuu,  [II,  MWH 
Diooons,  I,  84.  AS;  Elus,  XI,  Il  :  Ami'  «.mmn,  XXII,  1 1.  ï)  Le  taureau  de  M  mou  a  Ttièbi*»  %»"' 
dans  la  procession  du  dieu,  telle  qu'on  la  »■•■!  représentée  »ur  lc«  monuments  de  Hamsès  II  el  de 
Ramsès  III  (Winissm,  Maimenand  t.-Maiat,  f  ed  .  t  II),  pi  I.X)  Le  lourcau  dïlermonthis,  Dàkhou 
(Bakis,  chef  les  Grées],  esl  Auuré  a*«e»  rarement,  «urtoul  >ur  quelque-  stèles  d'assez  basse  époque 
du  muser  de  Gi/éh  (Gn£ii.tt'r,  le  Miintr  l'.qypt'rH.  pi.  VI.  où.  maigre  la  différence  de  nom,  c'e-l  hieu  le 
taureau  dïlermonthis  dont  il  s'agit)  il  e-t  surtout  connu  par  les  le»le«  (cf.  Bm-cscH,  Dictionnaire 
(Uugrapkigtu,  p.  Î00  cf.  Macmib,  Sottnttalrt,  I.  il:  On  a  pu  établir  la  nature  des  signes  par- 
lirnik'i's  qui  di-.tint;«  nient  chacun  de  ces  animou\  sacre-  et  par  le  témoignage  des  écrivain»  anciens 
et  par  l'examen  des  monuments  ligure-  ;  la  disposition  et  la  forme  d'une  partie  des  taches  noires  de 
!  Ilapis  enf  très  reconnaissnblc  sur  la  vielle  de  la  pane   MO. 

1.  Btuin  de  Faurher-Gudin,  d'aprfê  une  photographie  du  tombeau  dr  Khopirkerltonbou  (Sciiil, 
Mémoire»  de  la  Million  Fraitcaiir,  \.  V,  pi  IV,  paroi  I,  du  tombeau,  i*  rcgislre).  La  légende  tj-acée 
derrière  l'urseus  nous  apprend  quelle  représente  Uannuii  longntlr.  dame  du  double,  grenier. 

t.  Ce  sont  les  8iol  oiwaoi  des  auteurs  grées.  Pour  la  façon  dont  nu  In  logeait  dans  les  temples, 
cf.  M.  nr,  RucBEïo-irtii,  CEni-ret  diveries,  p.  Il  sqq. 


CULTE  DES  SERPENTS  ET  1>ES  ARBRES.  \H 

palmier  très  haut1,  un  rocher  de  silhouette  extraordinaire,  une  source  qui 
filtrait  de  la  montagne  goutte  à  goutte  et  où  les  chasseurs  venaient  se  désal- 
térer aux  heures  les  plus  chaudes  du  jour*.  C'était  un  gros  serpent  qu'on 
réputait  immortel  et  qui  hantait  un  champ,  un  bouquet  d'arbres,  une  grotte 
ou  un  ravin  dans  la  montagne3.  Les  paysans  du  voisinage  lui  apportaient  du 
pain,  des  gâteaux,  des  fruits,  et 
croyaient,  en  le  gorgeaut  d'of- 
frandes,appeler  surleurs  terres 
les  bénédictions  d'en  haut.  On 
rencontre   partout  à  la  lisière 
des  terres  cultivées  et  même  à 
quelque  distance  de  la  vallée 
de  beaux  sycomores  isolés  qui 
prospèrent  comme  par  miracle 
sur  leur  lit  de  sable  :  leur  ver- 
dure tranche  violemment  sur  le 
ton  fauve  du  paysage  environ- 
nant, et  leur  ramure  impéné-  LiniMI  „,  nrta  10  trama„*. 
trable   défie  même   eu   éié   le 

soleil  de  midi.  Si  l'on  étudie  le  site,  on  s'aperçoit  bientôt  qu'ils  s'abreuvent 
à  des  nappes  d'infiltration  dérivées  du  Nil,  et  dont  rien  ne  révèle  la  présence 
à  la  surface  du  sol  :  leurs  pieds  plongent  en  quelque  sorte  dans  le  fleuve  sans 
que  personne  s'en  doute  autour  d'eux.  Les  Égyptiens  de  tout  rang  les  esti- 
maient divins  et  leur  rendaient  un  culte  suivi1,  lis  leur  donnaient  des  figues, 
du  raisin,  des  concombres,  des  légumes,  de  l'eau  enfermée  dans  des  jarres 
poreuses  et  renouvelée  chaque  jour  par  de  braves  gens  charitables;  les  passants 

I.  Tel  «si  le  palmier  haut  de  ccnl  coudées  cl  appartenant  à  l'espèce,  si  rare  aujourd'hui,  de 
VHyphane  Argun,  Nabt.  ;  l'auteur  de  la  prière  conservée  au  Papyrui  Sallier  I,  pi.  VIII,  I.  4-S,  l'idcn- 
tilic  à  Tliot,  le  dieu  des  lettres  et  de  l'éloquence. 

i.  Ainsi  la  source  de  l'Ouady  Saboun  près  d'Akhnilm,  le  Bir-el-AIn,  où  la  retraite  d'un  ouèlî  musul- 
man a  succédé  à  la  chapelle  d'un  saint  chrétien  et  au  sanctuaire  rustique  d'une  forme  du  dieu  Htnou 
(M.isMKO.  Eluda  de  Mythologie  el  d'Archéologie  Égyptienne»,  t.  I,  p.  ÎIO  sqq.). 

3.  C'est  un  serpent  de  celte  espèce  qui  avait  valu  son  nom  à  la  montagne  du  Shéikh-Harldt  et 
au  nome  voisin  du  Monl-Serpenl  (DI'mchkk,  Géographie  de»  Allen-. -Egyplen,  p.  ns-lTJ;  HUspero, 
Etude»  de  Mythologie  et  d' Arrhiologir  Égyptiennes,  t.  Il,  ji.  il*):  aujourd'hui  encore  t|u'il  est  devenu 
musulman,  il  hante  la  montagne  el  a  conservé  sa  faculté  de  ressuscilcr  chaque  fois  qu'on  lu  tue. 

4.  tiatin  de  r'aueher-Oud'm,  d'âpre»  une  représentation  du  tombeau  île  Khopirkerltonbou  (cf: 
Scbiil,  Mémoire»  de  la  Mission  française,  t.  V,  pi.  IV,  paroi  C,  registre  du  haut).  Le  sycomore  sacré 
csl  placé  ici  à  l'extrémité  d'un  champ  de  blé  el  scmlile  éleridi-e  *a  prolpefion  sur  la  récolte. 

5.  Xtsnno,  Élude»  de  Mythologie  et  d' Archéologie.  Egyptienne»,  t.  Il,  p.  ïii-ïî".  On  les  représen- 
tait comme  animés  par  un  esprit  qui  se  cachait  en  eux,  mais  qui  pouvait  se  manifester  en  certaines 

ions  :  ïl  sortait  alors  du  tronc  sa  télé  ou  son  corps  entier,  puis  quand  il  rentrait,  le  tronc  le  résor- 
■e  mangeait  de  nouveau,  pour  employer  l'expression  égyptienne  (M*spibo.  Etude»  de  Mythologie, 
■■   lo*-10S,  IUB.  etc.)  que  j'ai  déjà  eu  l'occasion  de  citer,  p.  83,  note  i,  de  cotte  Histoire. 


ifi  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

s'y  désaltéraient  et  payaient  leur  aubaine  d'une  courte  prière.  Le  nome  Mem- 
phtte  et  le  nome  Létopolite,  de  Dahshour  à  Gizéh,  en  nourrissaient  plusieurs 
où  des  doubles  détachés  de  Nouît  et  d'Hâthor  habitaient  au  su  de  tous,  et 
dont  les  successeurs  sont  vénérés  aujourd'hui  encore  par  les  fellahs  musul- 
mans et  chrétiens1  :  aussi  appelait-on  ces  cantons  Pays  du  Sycomore,  et  le 
nom  s'en  étendit  plus  tard  à  la  ville  de  Memphis.  Le  plus  célèbre  d'entre 
eux,  le  Sycomore  du  Sud,  —  nouhU  rîsît,  —  était  comme  le  corps  vivant 
d'Hâthor  sur  notre  terre*.  Chaque  nome  montrait  avec  fierté,  à  côté  de  se»  dieux 
humains  et  de  ses  statues  prophétiques,  un  ou  plusieurs  animaux  sacrés,  un 
ou  plusieurs  arbres-fées.  Chaque  famille  et  presque  chaque  individu  possé- 
dait de  même  ses  dieux  et  ses  fétiches,  qui  lui  avaient  été  indiqués  par  la 
rencontre  fortuite  d'une  bête  ou  d'un  objet,  par  un  songe,  par  une  intuition 
soudaine.  On  leur  réservait  une  place  dans  un  des  coins  de  la  maison,  une 
niche  dans  la  paroi  :  une  lampe  brûlait  sans  cesse  devant  eux,  et  on  leur 
accordait  quelque  menue  offrande  chaque  jour,  en  plus  de  ce  qui  leur  revenait 
aux  fêtes  solennelles.  Ils  se  constituaient  en  échange  les  protecteurs  de  la 
maison,  ses  gardiens,  ses  conseillers  :  on  s'adressait  à  eux  dans  toutes  les 
occasions  de  la  vie,  et  leurs  arrêts  n'étaient  pas  moins  scrupuleusement  exé*- 
cutés  par  leur  petit  cercle  de  fidèles,  que  les  volontés  du  dieu  féodal  par  les 
habitants  de  la  principauté. 

Le  prince  était  le  prêtre  par  excellence3.  La  religion  du  nome  reposait  sur 
lui  tout  entière  et  au  début  il  en  accomplissait  lui-même  les  cérémonies.  La 
principale  était  le  sacrifice,  c'est-à-dire  un  banquet  qu'il  devait  préparer  et 
servir  au  dieu  de  ses  propres  mains.  11  allait  aux  champs  lacer  le  taureau  à 
demi  sauvage,  le  liait,  l'égorgeait,  l'écorchait,  en  brûlait  une  partie  à  la  face  de 
l'idole,  en  distribuait  le  reste  aux  assistants  avec  une  profusion  de  gâteaux,  de 
fruits,  de  légumes  et  de  vin4  :  le  dieu  assistait  à  l'œuvre,  corps  et  double,  se 
laissait  vêtir  et  parfumer,  m&igeait  et  buvait  le  meilleur  de  ce  qu'on  plaçait 

1.  L'arbre  appelé  communément  arbre  de  la  Vierge,  h  Matariéh,  me  parait  avoir  succédé  à  un  arbre 
sacré  d'IIéliopolis,  dans  lequel  une  déesse,  peut-être  Ilàthor,  se  faisait  adorer. 

2.  Brk;sch,  Dictionnaire  Géographique,  p.  330-332,  1244,  etc.;  cf.  I.anzoxk,  Diziojwrio  di  Milologia. 
p.  878.  L'Ilàthor  Memphite  s'appelait  la  dame  du  Sycomore  méridional. 

3.  Voir,  à  la  XII*  dynastie,  l'exemple  des  princes  de  Bcni-llassan  et  d'Ashmounéin  (Maspkro.  la 
Grande  Inscription  de  Béni- Hassan,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  I,  p.  179-180),  à  la  VI*  et  à  la  VII-, 
celui  des  princes  d'Êléphantinc  (Bor riant,  les  Tombeaux  d' Assouan,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  X, 
p.  182-193).  M.  Lepage-ltcnouf  a  résumé  très  clairement  les  notions  courantes  sur  la  matière  dans  son 
article  On  the  Priestly  Character  of  the  Earliest  Egyptian  Civilisation  (Proceedings  de  la  Société 
d'Archéologie  Biblique,  1889- 1800,  t.  XII,  p.  3:i.i  sqq.). 

4.  C'est  ce  qui  résulte  du  rituel  du  sacrilice  tel  qu'il  était  pratiqué  dans  tous  les  temples  jusqu'aux 
derniers  temps  du  paganisme;  cf.  par  exemple  la  vignette  de  la  page  123  (Mariette,  Abydos,  t.  I. 
pi.  LUI),  où  l'on  voit  le  roi  laçant  le  taureau.  Ce  qui  n'était  plus  qu'un  simulacre  et  qu'une  survi- 
vance à  l'époque  historique  avait  été  une  réalité  au  début  (Maspero,  Lectures  historiques,  p.  71-73). 


LA  THÉORIE  DE  LA  PRIERE  ET  DU  SACRIFICE.  123 

devant  lui  sur  la  table,  mettait  une  part  des  provisions  en  réserve  pour 
l'avenir.  C'était  le  moment  de  lui  demander  ce  qu'on  désirait,  tandis  que  la 
bonne  chère  l'égayait  et  l'ouvrait  à  la  bienveillance.  Il  n'était  pas  sans  soup- 
çonner à  quelle  intention  on  lui  menait  si  grand  fête,  mais  il  avait  posé 
ses  conditions  à  l'avance,  et,  pourvu  qu'on  les  exécutât  fidèlement,  il  cédait 
volontiers   aux   moyens  de   séduction   qu'on   déployait  contre    lui.    Il    avait 


d'ailleurs  réglé  lui-même  le  cérémonial  selon  une  sorte  de  contrat  passé  avec 
ses  adorateurs,  et  perfectionné  d'âge  en  âge  par  la  piété  des  générations  nou- 
velles*. Il  exigeait  avant  tout  la  propreté  matérielle.  L'officiant  devait  se 
laver  —  ouâbou  —  soigneusement  le  visage,  la  bouche,  les  mains,  le  corps 
et  l'on  jugeait  si  nécessaire  cette  purification  préparatoire,  que  le  prêtre 
de  profession  en  dérivait  son  nom  d'ouibou,  le  lavé,  le  propre".  Le  costume 
était  le  costume  archaïque,  modifié  selon  le  cas.  Tel  culte  ou  tel  moment  d'un 

I .  Ilnt-relirf  du  temple  île  SMi  I"  à  Ahijiloi  :  dénia  de  Itoutlier,  d'apret  mie  photographie  de 
.V.  Ihiaiel  Héron.  Séli  1".  deuxième  roi  de  I»  XIX-  dynastie,  lance  le  lasso  :  son  fils  K  a  m  ses  II,  encore 
prince  royal,  maintient  le  taureau  par  la  queue,  pour  l'empêcher  de  se  dérober  au  nœud  coulanl. 

t.  L'exemple  le  plus  frappant  de  cette  institution  divine  des  cultes  nous  est  fourni  par  l'inscription 
i|ui  raconte  la  destruction  dus  hommes  sous  le  régne  de  Ri  (Ltituint,  le  Tombeau  de  Séli  I",  iv*  par- 
tie, pi.  XVI.  I,  31  sqq.,  dans  le  I.  Il  des  Mémoire!  de  la  Million  t'rançaiie  du  Caire)  :  le  dieu,  avanl 
île  monter  au  ciel  aans  retour,  remplace  le  sacrifice  des  victimes  humaines  par  celui  des  bestiaux, 

3.  L'idée  de  propreté  matérielle  ressort  de  variantes  comme  oulbou  tolovi,  •  propre  des  deux 
mains  »,  qu'on  rencontre  sur  les  stèles  pour  le  litre  simple  ouibou.  On  sait  de  reste,  par  le  témoi- 
gnage des  auteurs  anciens,  quel  soin  scrupuleux  les  prêtres  égyptiens  prenaient  journellement  de  leur 
corps  (IIésoooie  II,  mvii;  cf.  WuOiBiASï,  Herodali  Zweilei  Buch,  p.  tGfi  sqq).  L'idée  de  pureté 
morale  ne  vint  jamais  qu'en  seconde  ligne  dans  la  conception  qu'on  se  faisait  du  prêtre.  Le  rituel  de  la 
purification  du  célébrant  est  contenu  dans  un  papyrus  du  Mutée  de  Berlin  ;  l'analyse  et  la  table  des 
chapitres  on  ont  été  publiées  par  M.  Osc.ia  ae  Lui,  Dat  Ritualbuch  de»  Ammonsdientlet,  p.  i  sqq. 


«■ 


424  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

sacrifice  comportait  les  sandales,  la  peau  de  panthère  à  l'épaule  et  la  grosse 
tresse  tombante  sur  l'oreille  droite1;  tel  autre  voulait  que  l'officiant  se  ceignît 
du  pagne  à  queue  de  chacal  et  se  déchaussât  avant  d'entrer  en  action,  ou 
s'attachât  au  menton  une  barbe  postiche1.  L'espèce,  le  poil,  l'âge  de  la 
victime,  la  façon  de  l'amener,  puis  de  lui  lier  les  membres,  le  mode  et  le 
détail  de  l'abatage,  l'ordre  qu'on  suivait  en  ouvrant  le  corps  et  en  détachant 
les  morceaux,  étaient  réglés  minutieusement  et  de  manière  immuable3.  Encore 
n'étaient-ce  là  que  les  moindres  exigences  du  dieu  et  les  plus  faciles  à  con- 
tenter. Les  formules  qui  accompagnaient  chacun  des  actes  du  sacrificateur 
comprenaient  un  nombre  déterminé  de  mots,  dont  les  séquences  et  les  harmo- 
nies ne  pouvaient  être  modifiées  en  quoi  que  ce  soit,  ni  par  le  dieu  lui-même, 
sous  peine  de  perdre  leur  efficacité.  On  les  récitait  d'un  rythme  constant,  sur 
une  mélopée  dont  chaque  ton  avait  sa  vertu,  avec  des  mouvements  qui  en 
confirmaient  le  sens  et  qui  exerçaient  une  action  irrésistible  :  une  note  fausse, 
un  désaccord  entre  la  succession  des  gestes  et  l'émission  des  paroles  sacra- 
mentelles, une  hésitation,  une  gaucherie  dans  l'accomplissement  d'un  seul 
rite,  et  le  sacrifice  était  nul*. 

Le  culte  ainsi  conçu  devenait  une  véritable  action  juridique,  au  cours  de 
laquelle  le  dieu  aliénait  sa  liberté,  en  échange  de  certaines  compensations  dont 
la  loi  fixait  la  valeur  et  le  mode.  L'homme  transférait  par  instrument  solennel, 
aux  ayants  droit  de  la  divinité  contractante,  les  objets  meubles  ou  immeubles 
qui  lui  paraissaient  être  de  nature  à  payer  une  faveur  demandée  ou  à  racheter 
une  faute  commise.  S'il  observait  scrupuleusement  les  conditions  innom- 
brables dont  on  avait  entouré  le  transfert,  le  dieu  ne  pouvait  se  soustraire  à 
l'obligation  d'exaucer  la  requête5;  s'il  omettait  la  plus  petite  d'entre  elles, 
l'offrande  restait  acquise  au  temple,  et  allait  grossir  les  biens  de  main- 
morte, mais  le  dieu  n'était  tenu  à  rien  en  échange.  L'officiant  assumait  donc 

1.  Ainsi  le  prêtre  faisant  fonction  de  Samou  et  $  Anmaoutif,  quelles  que  soient  d'ailleurs  la  nature 
et  la  signification  de  ces  deux  titres  sacerdotaux  (Lepsics,  Denktn.,  II,  18,  19,  21,  23,  etc.;  Mariette, 
Abydos,  t.  1,  pi.  XXXI,  XXXII,  XXXIII,  XXXIV,  etc.). 

3.  Mariette,  Abydos,  t.  I,  pi.  XVII,  XXXV,  XLIII,  XLIV,  etc.,  où  les  fonctions  sacerdotales  sont  exer- 
cées constamment  par  le  roi  Séti  1er  en  personne,  aidé  de  ses  fils. 

3.  Voir  la  représentation  détaillée  du  sacrifice  dans  Mariette,  Abydos,  t.  I,  pi.  XLVIII.  Sur  l'examen 
des  victimes  et  sur  les  signes  auxquels  les  prêtres  reconnaissaient  qu'elles  étaient  bonnes  à  être 
tuées  devant  les  dieux,  cf.  Hérodote,  II,  xxxvm  (Wiedemann,  Herodots  Zweites  Buch,  p.  180  sqq.). 

4.  La  valeur  réelle  des  formules  et  de  la  mélopée  dans  les  rites  égyptiens  a  été  reconnue  par  Mas- 
pero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  304-303,  373  sqq. 

5.  Cette  obligation  ressort  clairement  des  textes  où,  comme  dans  le  poème  de  Pentaoutrit,  un  roi 
en  danger  réclame  à  son  dieu  favori  l'équivalent  en  protection  des  sacrifices  qu'il  lui  a  offerts  et  des 
biens  dont  il  l'a  enrichi.  «  Ne  t'ai-je  pas  fait  des  offrandes  très  nombreuses?  dit  Ramsès  II  à  Amon.  J'ai 
rempli  ton  temple  de  mes  prisonniers,  je  t'ai  bâti  un  château  pour  des  millions  d'années....  Ah!  s'il  y 
a  un  sort  malheureux  pour  qui  t'insulte,  tes  desseins  sont  heureux  pour  qui  t'estime,  Amon»  (E.  et 
J.  de  Rouge,  le  Poème  de  Pentaour,  dans  la  Revue  Egyptologique,  t.  V,  p.  15  sqq.). 


LE  PERSONNEL  ET  LES  BIENS  DES  TEMPLES.  425 

vis-à-vis  des  siens  une  responsabilité  redoutable  :  un  défaut  de  mémoire  ou 
une  tache  d'impureté  involontaire  faisait  de  lui  un  mauvais  prêtre,  nuisible  à 
lui-même,  nuisible  aux  dévots  qui  le  chargeaient  de  leurs  intérêts  auprès  des 
dieux.  Comme  on  ne  pouvait  attendre  la  perfection  ritualistique  d'un  prince 
distrait  sans  cesse  par  les  affaires  de  la  cité,  l'usage  s'établit  de  placer  à  côté 
de  lui  des  prêtres  de  métier,  des  personnages  qui  vouaient  leur  vie  entière  à 
l'étude  et  à  la  pratique  des  mille  formalités  dont  l'ensemble  constituait  les 
religions  locales.  Chaque  temple  fut  desservi  par  un  sacerdoce,  indépendant 
des  sacerdoces  des  temples  voisins,  et  dont  les  membres,  obligés  à  conserver 
sans  cesse  les  mains  nettes  et  la  voix  juste,  s'échelonnaient  selon  les  degrés 
d'une  hiérarchie  savante1.  Au  sommet  de  l'échelle,  un  souverain  pontife  les 
dirigeait  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions.  Il  s'appelait  en  plusieurs  endroits 
premier  prophète,  ou  plutôt  premier  hiérodule  —  hon-noutir  topi  —  premier 
prophète  d'Amon  à  Thèbes,  premier  prophète  d'Anhouri  à  Thinis*.  Le  plus 
souvent  il  revêtait  un  titre  approprié  à  la  nature  du  dieu  dont  il  se  proclamait 
le  serviteur3.  Celui  de  Râ,  à  Héliopolis  et  dans  toutes  les  villes  qui  adop- 
tèrent Je  culte  héliopoli  tain,  se  nommait  Oîrou  maou,  le  maître  des  visions  : 
seul  en  effet  avec  le  souverain  du  nome  ou  de  l'Egypte,  il  jouissait  du  privi- 
lège de  pénétrer  dans  le  sanctuaire,  d'  «  entrer  au  ciel  et  d'y  contempler  le 
dieu  »  face  à  face4.  De  même  le  grand  prêtre  d'Anhouri  à  Sébennytos 
s'intitulait  le  Combattant  sage  et  pur  —  ahouîti  saou  ouîbou  —  parce  que 
son  dieu  marchait  armé  de  la  pique  et  qu'un  dieu  soldat  exigeait  pour  le 
servir  un  pontife  soldat  comme  lui5. 

Ces  hauts  personnages  ne  s'enfermèrent  pas  toujours  strictement  dans  les 
limites  du  domaine  religieux.  Les  dieux  acceptaient  de  leurs  fidèles,  et  sollici- 

1.  Le  premier  travail  où  l'on  ait  essayé  d'établir,  d'après  les  monuments,  la  hiérarchie  du  sacerdoce 
égyptien  est  dû  à  M.  A.  Baillet,  De  ^Election  et  de  la  durée  des  fonctions  du  grand  prêtre  d' A  mm  on  à 
T/tèbes  (extrait  de  la  Revue  Archéologique ,  2*  sér.,  t.  VI,  1862).  Longtemps  après,  M.  Reinisch  tenta  de 
démontrer  que  l'organisation  savante  du  sacerdoce  égyptien  n'est  pas  antérieure  à  la  XII*  dynastie  et 
date  surtout  du  second  empire  thébain  [Ursprung  und  Entwickelungsgeschichte  des  jEgyptischeu 
Priestertuins  und  Ausbildung  der  Lehre  von  der  Einheit  Gottes,  Vienne,  1878).  L'exposition  la  plus 
complète  qu'il  y  ait  de  nos  connaissances  à  ce  sujet,  le  catalogue  des  principaux  sacerdoces,  les 
titres  des  grands  prêtres  et  des  prétresses  qui  étaient  attachés  au  culte  du  dieu  ou  de  la  déesse 
féodale  dans  chaque  nome,  se  trouvent  dans  Brit.sc.h,  die  Mgyptologie,  p.  275-291. 

2.  Ce  titre  de  premier  prophète  est  propre  aux  sacerdoces  des  villes  peu  importantes  et  des  divinités 
secondaires.  Si  on  le  trouve  appliqué  a  la  divinité  thébaine,  c'est  qu'Àmon  débuta  par  être  un  dieu 
provincial  et  ne  monta  au  premier  rang  qu'après  la  fortune  de  Thèbes,  surtout  après  les  grandes 
conquêtes  de  la  XV11I«et  de  la  XIX"  dynastie  (Maspero,  Etudes  Egyptiennes,  t.  II,  p.  53-55). 

3.  Voir  la  liste  très  développée  de  ces  titres  dans  Brugsch,  die  /Egyptologic,  p.  280-282. 

4.  Le  chapitre  cxv  du  Livre  des  Morts  (éd.  Lepsiis,  pi.  XLIV)  raconte  l'origine  mystique  de  ce  nom 
de  VOtrou  maou  (Ed.  Naville,  Un  Ustracon  Egyptien,  extrait  des  Annales  du  Musée  Gvimel,  t.  1. 
p.  51  sqq.).  La  haute  fonction  de  VOtrou  maou  est  décrite  dans  la  stèle  de  Piânkhi  (éd.  E.  de  Roicé, 
Chrestomathie,  t.  IV,  p.  59-61),  où  l'on  voit  le  roi  éthiopien  l'exerçant  à   son  entrée  dans  Héliopolis. 

5.  Brit.sch,  Dictionnaire  Géographique,  p.  1368. 


426  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

taient,  à  l'occasion,  des  maisons,  des  champs,  des  vignes,  des  vergers,  des 
esclaves,  des  étangs  de  pêche,  dont  le  produit  assurait  leur  subsistance  et 
l'entretien  de  leur  temple.  Il  n'y  avait  pas  d'Égyptien  qui  ne  nourrît  l'ambi- 
tion de  faire  au  patron  de  sa  ville  un  legs  de  ce  genre,  «  en  monument  de  lui- 
même  »,  à  charge  pour  les  prêtres  d'instituer  à  son  intention  des  prières  ou 
des  sacrifices  perpétuels1.  Ces  donations  accumulées  pendant  des  siècles  fini- 
rent par  former  de  véritables  fiefs  sacrés  —  hotpou-noutir  —  analogues  aux 
biens  ouakfde  l'Egypte  musulmane*.  Le  grand  prêtre  les  gérait  et  au  besoin 
les  défendait  par  la  force  contre  l'avidité  des  princes  ou  des  rois.  Deux,  trois 
ou  même  quatre  classes  de  prophètes  ou  de  hiérodules  placés  sous  ses 
ordres  l'aidaient  aux  fonctions  du  culte,  de  l'enseignement  religieux  ou  de 
l'administration.  Les  femmes  ne  prenaient  pas  un  rang  égal  à  celui  des 
hommes  dans  le  temple  des  dieux  mâles  :  elles  y  formaient  une  sorte  de  harem 
où  le  dieu  choisissait  ses  épouses  mystiques,  ses  concubines,  ses  servantes, 
les  musiciennes  et  les  danseuses  chargées  du  soin  de  le  distraire  et  d'égayer 
ses  fêtes3.  Elles  occupaient  les  premiers  postes  dans  les  temples  des  déesses 
et  s'intitulaient  hiérodules  ou  prêtresses,  hiérodules  de  NU,  hiérodules 
d'Hâthor,  hiérodules  de  Pakhit*.  De  même  que  dans  les  maisons  princières, 
les  menus  emplois  des  maisons  divines  étaient  aux  mains  d'un  troupeau  de 
serviteurs  et  d'artisans,  bouchers  pour  couper  la  gorge  aux  victimes,  cuisi- 
niers, pâtissiers,  confiseurs,  tisserands,  cordonniers,  fleuristes,  cellériers,  por- 
teurs d'eau  et  de  lait5.  C'était  un  véritable  État  dans  l'État  :  aussi  le  prince 

1.  On  commence  à  posséder  pour  l'époque  saïte  beaucoup  de  stèles  enregistrant  la  donation  d'une 
terre  ou  d'une  maison  faite  à  un  dieu,  par  un  dieu  ou  par  un  particulier  (Révillout,  Acte  de  fonda- 
tion d'une  chapelle  à  Hor-mrrti  dans  la  ville  de  Pharbxtus,  et  Acte  de  fondation  d'une  chapelle  à 
Hast  dans  la  ville  de  Bubastis,  dans  la  Revue  Égyptologique,  t.  Il,  p.  32-44;  Maspero,  Notes  sur 
plusieurs  points  de  grammaire  et  d'histoire,  dans  la  Zeitschrift,  188!,  p.  117,  et  1885,  p.  10,  et  Sur 
deux  stèles  récemment  découvertes,  dans  le  Becueit  de  Travaux,  t.  XV,  p.  84-86). 

2.  Le  Grand  Papyrus  Harris  nous  montre  quelle  était  la  fortune  d'Amon  à  la  tin  du  règne  de  Ram- 
sès  III  :  on  en  trouvera  le  détail  dans  Brigsch,  die  jEgyplologie,  p.  271-274.  Cf.  dans  ÎSavillk,  Bubastis. 
p.  Ht,  le  calcul  des  quantités  de  métaux  précieux  que  l'un  des  moindres  temples  de  Bubastis  possédait 
sous  la  XXII*  dynastie  :  l'or  et  l'argent  s'y  comptent  par  milliers  de  livres. 

3.  Les  noms  des  prêtresses  principales  de  l'Egypte  sont  réunis  dans  Brigsch,  die  Aïgyptologie, 
p.  282-283;  sur  leurs  rôles  et  leurs  fonctions,  cf.  Erman,  JEqypten,  p.  399-401,  qui  me  parait  donner 
une  origine  trop  moderne  à  la  conception  d'après  laquelle  les  prêtresses  d'un  dieu  étaient  considé- 
rées comme  formant  son  harem  sur  terre.  On  trouve,  dès  l'Ancien  Empire,  des  prophétesses  de  Thol 

Mariette,  les  Mastabas  de  C  Ancien  Empire,  p.  183)  et  d'Ouapoualtou  (id.,  p.  162). 

4.  Sur  la  prêtresse  d'Hâthor  à  Dendérah,  voir  Mariette,  Dendérah,  texte,  p.  86-87.  Mariette  remarque 
(ibid.,  p.  83-86)  que  les  prêtres  ne  jouent  qu'un  rôle  effacé  dans  le  temple  d'Hâthor  :  ce  fait,  qu 
l'étonné,  s'explique  fort  bien  si  l'on  se  rappelle  qu'Hàthor  étant  une  déesse,  les  femmes  ont  le  pas  sur 
les  hommes  dans  le  temple  qui  lui  est  consacré.  A  Saïs,  le  chef  du  sacerdoce  était  un  homme,  le 
kharp-kûitou  (Brigsch,  Dictionnaire  Géographique,  p.  1368);  la  persistance  avec  laquelle  les  femmes 
du  plus  haut  rang  et  même  les  reines  prenaient,  dès  l'Ancien  Empire,  le  titre  de  prophétesse  de  Nft 
(Mariette,  les  Mastabas,  p.  90,  162,  201,  262,  302-303,  326,  377,  etc.),  montre  que  la  prétresse  de  la 
déesse  avait  dans  cette  ville  un  rang  au  moins  égal,  sinon  supérieur,  à  celui  du  prêtre. 

5.  On  en  trouvera  l'énumération  partielle  au  Papyrus  Hood  (Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  Il, 
p.  56-64),  où  ils  remplissent  de  leurs  titres  la  moitié  de  la  seconde  page. 


LES  COSMOGOMES  UU   DELTA.  Hl 

avait-il  soin  de   s'en  réserver  le  gouvernement,  soit  qu'il  revêtit  un  de  ses 
enfants  des  titres  et  des  fonctions  de  grand  pontife,  soit  qu'il  se  les  attribuât 
à  lui-même'.  Il  paraît  alors  aux  erreurs  qui  auraient  annulé  le  sacrifice,  eu 
s  adjoignant   plusieurs  maîtres  des   cérémonies,    qui    lui   commandaient   les 
évolutions  réglementaires  autour  du  dieu  et  de  la  vic- 
time, lui  indiquaient  la  succession   des  gestes   ou  les 
changements  de  costume  et  lui  soufflaient  les  paroles 
de  chaque  invocation  d'après  un  livre  ou  d'après  une 
tablette  qu'ils  tenaient  à  la  main'. 

Chacun  des  collèges  sacerdotaux  ainsi  constitués  pos- 
sédait, avec  ses  rites  et  sa  hiérarchie  particulière,  une 
théologie  adaptée  à  la  nature  et  aux  attributs  du  dieu 
qu'il  adorait.  Le  dogme  fondamental  en  professait 
l'unité  du  dieu  de  la  cité,  sa  grandeur,  sa  suprématie 
sur  les  dieux  de  l'Egypte  et  de  l'étranger3.  Ceux-ci 
existaient  eux  aussi,  et  personne  ne  songeait  à  nier 

leur  réalité  ou  à  contester  leur  puissance;  eux  aussi  ils  „„„,.   «dusyajt  lk  oml*. 

se  vantaient  de  leur  unité,  de  leur  grandeur,  de  leur 

suprématie,  mais,  quoi  qu'ils  en  eussent,  le  dieu  de  la  cité  demeurait  leur 
maître  à  tous,  leur  prince,  leur  régent,  leur  roi  :  lui  seul  gouvernait  le  monde, 
lui  seul  le  conservait  en  bon  état,  lui  seul  l'avait  créé.  Non  qu'il  l'eût  évoqué 
du  néant  :  on  n'avait  pas  imaginé  encore  le  concept  du  rien,  et  la  création 
n'était  pour  les  plus  raffinés  des  théologiens  primitifs  que  la  mise  en  œuvre 
d'éléments  préexistants.  Les  germes  latents  des  choses  avaient  dormi  pendant 
des  âges  et  des  âges  dans  le  sein  du  Nou,  de  l'eau  ténébreuse1;  quand  les 
temps  furent  venus,  le  dieu  de  chaque  cité  les  tira  de  leur  sommeil,  les 
anima,  les  assortit,  les  ordonna  selon  son  génie  particulier,  et  en  composa 
son  univers,  avec  les  façons  d'opérer  qui  lui  appartenaient  en  propre.  Nît  de 

I.  Ainsi  les  princes  do  Boni -Hassan  et  de  Bcrshcli  sous  la  XII'  d) nantie  (Maspero,  ta  Grande  Imcrip- 
lion  de  lieiii-llanaii,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  I.  p.  1 19-180). 

i.  Le  litre  de  ce»  perso  mm  (jeu  est  kkri-habi,  l'homme  au  rouleau  ou  il  ta  tablette, à  cause  du  rouleau 
de  pap>rus  ou  de  la  tablette  eu  bois  qu'ils  tenaient  à  In  main,  et  i| n L  renfermait  leur  rituel. 

S.  Tous  les  dieu»  locau\  ont  dans  les  inscriptions  les  titres  nV  fiviitir  ouâ,  dieu  unique,  de  SiiiiIoii 
noulirou.  Sounllrou,  Sovlrqp,  lloi  det  dieux,  de  Nnutir  au  nib  pit,  dieu  Crand  maître  du  ciel,  qui 
trahissent  leurs  prétentions  h  la  souveraineté  et  au  rdlo  de  créateur  universel. 

i.  Dettin  de  Faurher-Gndin,  d'a/irri  une  figurine.  île.  lerre  émail  têt  icrle,  ru  tua  pvUFsxiou.  Celte 
image  a  fourni  auiGrers  les  n-pri'i-enluliiiu*  lifiiréi's  et  peut-être  le  invthe  d'Alias. 

S.  Le  nom  est  lu  d'ordinaire  Noua  (et.  IIhi-cmii,  Religion  und  Mythologie,  p.  HIT)  ;  j'ai  donné  ailleurs 
les  raisons  de  la  lecture  Abu  {liei-ue  critique,  i»'t,  t.  I,  p.  t*S),  qui  d'ailleurs  appartient  à  M.  .le  liiuijjé 
[Eludet  sur  le  rituel  funéraire  det  aiiriinia  l-'.r/yptieti*,  \>.  .11).  Nou  paraît  n'être  qu'un  personnage  île 
raison,  dérivé  par  les  théologiens  de  Jouit,  la  déesse  du  ciel  (Maspero,  Élude»  de  Mythologie  et 
d  Archéologie  Egyptieunct,  t.  Il,  p.  ojS-339); ''  n'a  jamais  eu  d'adorateurs,  ni  de  sanctuaire  particuliers. 


4*28  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

Sais,  qui  était  tissandière,  avait  tramé  et  chaîné  le  monde  comme  la  mère 
de  famille  trame  et  chaîne  le  linge  de  ses  enfants1.  Khnoumou,  le  Nil  de  la 
cataracte,  avait  amassé  le  limon  de  ses  eaux  et  en  avait  modelé  les  êtres 
sur  le  tour  à  potier*.  Dans  les  cités  orientales  du  Delta,  les  opérations 
s'étaient  accomplies  moins  simplement3.  On  y  admit  que  la  terre  et  le  ciel 
étaient  au  début  un  couple  d'amants  perdus  dans  le  Nou  et  qui  se  tenaient 
étroitement  embrassés,  le  dieu  sous  la  déesse.  Le  jour  de  la  création,  un 
dieu  nouveau,  Shou,  sortit  des  eaux  éternelles,  se  glissa  entre  les  deux,  et, 
saisissant  Nouit  à  pleines  mains,  la  haussa  par-dessus  sa  tête  à  toute  la  volée 
de  ses  bras4.  Tandis  que  le  buste  étoile  de  la  déesse  s'allongeait  dans  l'espace, 
la  tête  à  l'ouest,  les  reins  à  l'est,  et  devenait  le  ciel,  ses  pieds  et  ses  mains 
retombaient  deçà  et  delà  sur  notre  sol.  C'étaient  les  quatre  piliers  du 
firmament  sous  une  autre  forme,  et  l'on  attacha  à  leur  conservation  les 
dieux  d'autant  de  principautés  voisines.  Osiris  ou  Horus  l'épervier  présida  au 
pilier  méridional  et  Sît  au  septentrional,  Thot  à  celui  de  l'ouest  et  Sapdi, 
l'auteur  de  la  lumière  zodiacale,  à  celui  de  Test8.  Ils  se  partagèrent  le  monde 
en  quatre  régions,  ou  plutôt  en  quatre  maisons,  délimitées  par  les  monta- 
gnes qui  le  bordent  et  par  les  diamètres  qui  se  croisent  entre  les  piliers; 
chacune  des  maisons  appartenait  à  un  seul  d'entre  eux,  et  les  trois  autres, 
ni  même  le  Soleil,  ne  pouvaient  y  entrer,  y  séjourner,  ou  la  traverser  sans 
avoir  obtenu  l'autorisation  du  maître0.  Sibou  cependant  ne  s'était  pas  contenté 
d'opposer  une  force  d'inertie  à  l'irruption  de  Shou.  Il  avait  essayé  de  lutter, 
et  les  peintures  nous  le  montrent  dans  la  posture  de  l'homme  qui  vient  de 
s'éveiller  et  qui  se  retourne  à  demi  sur  sa  couche  afin  de  se  mettre  debout7. 

i.  D.  Mallkt,  le  Culte  de  Neith  à  Sais,  p.  185-186. 

2.  Il  est  appelé  à  Philœ  «  Khnoumou,...  le  père  des  dieux,  qui  est  lui-même,  qui  pétrit  (khnoumou) 
les  humains  et  modèle  (masou)  les  dieux  •  (Brugsch,  Thésaurus  Inscriptionum  Algyptiacarum,  p.  752, 
n°1i). 

3.  Sibou  et  Nouit,  appartenant  au  vieux  fonds  commun  des  religions  égyptiennes,  surtout  dans  le 
Delta,  devaient  être  connus  à  Sébennytos  comme  dans  les  cités  voisines.  Il  est  difficile  de  décider  en 
l'état  de  nos  connaissances  si  leur  séparation  par  Shou  est  une  conception  des  théologiens  locaux  ou 
une  invention  des  prêtres  d'Héliopolis,  lors  de  la  constitution  de  la  Grande  Ennéade  (Maspkro,  Etudes 
de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  356-357,  370). 

.4.  C'était  ce  que  les  Égyptiens  appelaient  les  soulèvements  de  S/wu  (Livre  des  Morts,  éd.  Navillk, 
pi.  XXIII,  ch.  xvii,  liv.  26-27;  cf.  Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d1  Archéologie  Égyptiennes,  t.  I. 
'S  p.  357-3 tO).  Cet  événement  s'était  accompli  pour  la  première  fois  à  Ilermopolis  Magna,  dans  la 
Moyenne  Egypte;  certaines  légendes  ajoutaient  que  le  dieu  avait  dû  se  servir,  pour  arriver  à  la  hau- 
teur voulue,  d'un  escalier  ou  d'un  tertre  situé  dans  cette  ville  et  qui  était  demeuré  célèbre  par  toute 
l'Egypte  (Livre  des  Morts,  éd.  M  a  vu.  le,  pi.  XXIII,  chap.  xvn,  I.  4-5). 

5.  Osiris  et  Horus  sont  ici  les  dieux  féodaux  de  Mendès  et  des  cités  osiriennes  situées  à  l'orient  du 
Delta,  SU  est  le  maître  des  districts  voisins  de  Tanis,  Thot  est  à  Bakhliéh,  Sapdi  dans  le  nome  d'Arabie, 
à  l'Ouady-Toumilàt  (cf.  Maspkro,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  364  sqq.). 

6.  Sur  les  maisons  du  monde  et  sur  le  sens  qu'il  convient  d'attacher  à  cette  expression,  voir  Mas- 
pero, la  Pyramide  du  roi  Papi  II,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XII,  p.  78-79. 

7.  On  trouvera  dans  Lanzonl,  Dhionario  di  Mitologia,  pi.  CLV-CLVIII,  un  nombre  assez  considérable 


OSIRIS  ET  ISIS.  12f) 

Une  de  ses  jambes  est  étendue,  l'autre  se  replie  et  s'arc-boute  pour  servir 
de  point  d'appui  à  l'élan  du  corps.  Les  reins  ne  sont  pas  encore  déplacés, 
mais  le  buste  se  soulève  péniblement  sur  le  coude  gauche  ou  sur  l'avant- 
bras  et  la  tête  s'incline,  tandis  que  le  bras  droit  se  porte  vers  le  ciel.  L'effort 
s'arrêta  brusquement  avant  d'aboutir.  Sibou,  frappé  d'immobilité  par  le 
créateur,  demeura  comme  pétrifié  dans  la  pose  où  il  se  trouvait  :  les 
mouvements  de  terrain  qu'on  remarque  à  la  surface  de  notre  monde  sont 
dus  à  l'attitude  tourmentée  dans  laquelle  il  fut  saisi'.  Depuis  lors,  ses  flancs 


se  sont  habillés  de  verdure,  les  générations  des  bêtes  et  des  hommes  se 
sont  succédé  sur  son  dos3,  sans  apporter  aucun  soulagement  à  sa  peine  :  il 
souffre  toujours  du  grand  déchirement  dont  il  fut  victime  quand  Nouit  lui  fut 
ravie,  et  sa  plainte  ne  cesse  nuit  et  jour  de  monter  vers  le  ciel'. 

L'aspect  des  plaines  inondées  du  Delta,  du  fleuve  qui  les  sillonne  et  les 
féconde,  des  sables  et  du  désert  qui  les  menacent,  avait  inspiré  aux  théologiens 
de  Mendès  et  de  Bouto  une  explication  du  mystère  de  la  création  où  les  divinités 

dp  lableaul  où  Si  hou  cl  Noull  sont  représentes,  souvent  avec  Slmu  qui  I»  sépare  ri  soutient  Nouil. 
(Juelques-uns  prêtent  au  dieu  des  attitudes  particulières,  sur  lesquelles  il  n'est  pas  besoin  d'insister  ; 
la  plupart  lui  attribuent  une  pose  analogue  il  celle  qne  je  décris,  et  qui  est  celle  de  la  vignelte. 

I .  BantscB,  Religion  und  Mythologie  lier  alleu  .Egyptcr,  p.  tii. 

•'.  Dtniti  de  Faucher-Oudin.  d'apret  une. peinture  du  cercueil  de  Boutehamon  au  mutée  de  Turin 
(LtaiMI,  Bi:iv»ario  di  Milologia,  plCLXl,  i).  •  Nhou.  dieu  grand,  maître  du  ciel  ■,  reçoit  l'adoration 
ries  deui  âme*  à  téle  de  bélier,  placées  i  sa  droite  et  a  sa  gauche,  entre  ciel  et  terre. 

di  Milologia,  pi.  CLV,  1).  L'oiprcssion  tur  le  dot  de  Sibou  est  fréquente  dans  les  textes,  surtout 
dans  ceui  qui  appartiennent  a  l'époque  ptolémaïque:  la  valeuren  s  été  mise  en  relief  par  DI'miche*, 
tlauurkunde  det  Tempelanlagen  von  Edfu,  dans  la  Zeittehrift,  1811.  p.  llt-SS. 

(.  Les  Grecs  savaient  que  Kronos  se  plaignait  et  qu'il  pleurait  ;  la  mer  était  formée  de  ses  larmes 


130  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

féodales  de  ces  cités  et  de  plusieurs  cités  voisines,  Osiris,  Sit,  Isis,  remplis- 
saient le  rôle  principal'.  Osiris  représenta  d'abord  le  Nil  incot 
«tant  et  sauvage  des  époques  primitives;  puis  le  côté  heureux 
de  sa  nature  avait  prévalu  à  mesure  que  les 
riverains  avaient  appris  à  régler  son  cours,  et 
il  n'avait  pas  tardé  à  se  transformer  en  un  bien 
faiteur  de    l'humanité,  l'être   bon   par   exce 
i     lence,  Ounnofriou,  Onnophris*.  Maître  de  la 
irincîpauté  de  Didou,  le  long  de  la   branche     . 
lébenny tique,  entre  les  marais  côtiers  et  l'ou-    fl 
erture  de  l'ouady  Toumilàt,  son  domaine  s'éita 
oindé,  mais  les  deux  nomes  qui  en  sortirent,  i 
neuvième  et  le  seizième  du  Delta  sur  les  listes 
pharaoniques,  lui  avaient  gardé  leur  allégeance  : 
il  y   trônait  sans  rival,  à    lïusiris  comme  à 

1   Mendès'.  La  plus  célèbre  de  ses  idoles  était  le 

u;  ninni-  i.'osibis*.  „ .  ,  i     ■  ■■■  •      ■       »...  ■        -  ,     ,  lk  biooii  hahi.lè' 

Didou,   nu  ou  habille,  le    tetiche  forme  des 

quatre  colonnes  superposées  qui  avait  donné  son  nom  à  la  principauté*  :  on 

animait  ce  Didou,  on  lui  dessinait  une  face  un    peu  grotesque,  aux  grosses 

joues,  aux  lèvres  épanouies,  on  lui  jetait  un  collier  au  cou,  autour  du  corps 

une  longue  robe  flottante  qui  dissimulait  la  base  sous  ses  plis,  et  deux  bras 

(De  Ilide  et  Oliride,  %  3Î,  éd.  PuitteT,  p.  SB)  :  Autii  Si  xai  tô  Cuti  twv  IIuB*Toeiïrûv  Xrfdiunav, <i;  t, 

6âïiiTra  Kpdvou  îoiipvov  iniv  aivlvreoflai  tb  pr,  *afl»pbv  puSl  a-ù(ifu).o>  ilvai.  La  croyance  pythago- 
ricienne était  probablement  un  emprunt  à  l'Egypte,  el  il  y  a  dans  1rs  livres  égyptiens  des  allusion' 
au  chagrin  de  Sibou  (B_ram,  Religion  und  Mythologie  der  A^gypler,  p.  îîl). 

1.  MtwKKa.  Etude!  de  Mythologie  et  iF Archéologie  Kgypliennet,  t.  II,  p.  35!>-36i.  a  indiqué  le  pre- 
mier que  relte.  cosmogonie  s'était  formée  ilanK  le  Delta,  autour  des  villes  osiriennes. 

î.  [.'origine  ahydéuiennc  d'Osiris  a  été  Ion kIciii|ih  un  dogme  pour  les  f.gyptologues.  Maspero  a  mon- 
Iré  par  les  titres  mêmes  du  dieu  qu'il  était  originaire  du  Delta  {Éttidet  de  Mythologie  et  d'Archéo- 
logie Egyptienne!,  t.  II,  p.  iMO),  el  plus  spécialement  de  Busiris  el  de  Mondes. 

».  Pour  ces  deui  nomes,  voir  J.  nE  Hoix.it,  Géographie  ancienne  de  lu  Banc-Egypte,  p.  57-fill 
(nome  Busirito),  IOfi-11".  (nome  Mernlésien).  oii  sont  réunies  et  coordonnée»  les  nolions  disséminées 
par  Ilrugsch  dans  son  Dictwnnaiic   Géographique,  p.    Il,  IBB,   171,    IBS.  953,  977,    1141,  1149,   etc. 

i.  Destin  de  Fancher-Gudin,  d'apre»  un  exemplaire  en  terre  émnillêe  bleue  en  ma  pnneuion. 

S.  Omiih  ife  Faurhrr-tiudin ,  daprts  un  modèle  frégurnt  au  fané  det  cercueil»  tkébain*  dt  la 
XXI'  et  de  la  XXII-  dynastie   (Wnnsma.  Manneri  and  Cuttomt.  f  éd.,  t.  III,  pi.  XXV.  n°  t.). 

B.  I.e  IHduu  a  élé  interprété  de  manières  fort  différentes.  On  l'a  pris  pour  une  sorte  de  nilomètre 
(C.Hut'ni.i.gnj).  [.our  une  selle  de  sculpteur  ou  de  modeleur  (Salvolisi,  Analyie  grammaticale  rationnée 
de  différent'  texte'  ancien*  égyptien*,  p.  il.  ri*  171)  ou  pour  un  chevalet  de  peintre  (An[ suLX-Boxoiit- 
Risra,  Galtery  af  Anliguitiei  in  the  llrili'h  Muteum,  p.  31;  Brsso,  .Fgyptrnt  Stelle.  I.  I.  p.  68H, 
n*  î").  pour  un  autel  avec  quatre  tables  superposées,  ou  pour  une  sorte  de  pied  soutenant  quatre 
linteau*  île  porte  (K.  m.  llmui:.  t'.hreslomathie  égyptienne,  t.  I,  p.  US,  n.  I),  pour  une  série  de  quatre 
colonnes  disposées  en  enfilade  el  dont  ou  ne  distingue  que  les  chapiteaux  étages  l'un  au-dessus  de 
l'iiutie  (Kli.<ui).hs  i'h.TMK,  Vedtmt,  p.  31).  L'explication  admise  dans  le  texte  a  élé  donnée  par  Houvens 
{Lettici  à  M.  I^lronne.  I.  p.  CM),  qui  y  reconnais  il  une  rcpré,i.ii talion  sjmbolique  des  quatre  régions 
du  monde,  puis  par  Wnri.no,  Etudes  de  Mythologie  el  d'Archéologie  Egyptienne',  t.  Il,  p.  359.  noie  3. 
Selon  les  théologiens  de  l'Egypte,  le  Didou  représentait  encore  l'épine  dorsale  d'Osiris,  conservée 
comme  relique  du  dieu  dans  h  ville  qui  portail  le  nom  de  Didou,  Didtt. 


0S1RIS  ET.  ISIS.  131 

repliés  sur  la  poitrine,  qui  tenaient  un  fouet  et  un  crochet,  symbole  de  l'auto- 
rité souveraine.  C'était  là  peut- 
être  le  plus  vieil  Osïris,  mais 
on  l'imaginait  aussi  comme  un 
homme,  et  on  lui  prêtait  la 
ligure  d'un  bélier1  et  d'un  tau- 
reau, même  celle  d'un  des  oi- 
seaux aquatiques,  vanneaux, 
hérons  et  grues,  qui  s'ébat- 
taient sur  les  lacs  du  voisinage*. 
La  déesse  que  nous  sommes 
habitués  à  ne  point  séparer  de 
lui,  Isis,  la  vache  ou  la  femme 
aux  cornes  de  vache,  ne  lui 
avait  pas  appartenu  de  tout 
temps.  C'était  d'origine  une 
divinité  indépendante  qui  rési- 
dait à  Bouto,  au  milieu  des 
étangs  d'Adhou.  Sans  mari, 
sans  amant,  elle  avait  conçu 
de  sa  propre  activité,  puis  elle 
avait  mis  au  monde  et  allaité 
dans  les  roseaux  un  petit  Ho 
rus,  qu'on  appelait  Harsiisit, 
Bonis,  fils  d'Isis,  pour  le  dis- 
tinguer d'Haroêris".  Elle  s'unit  ,-.«  Hms  i>:  rotrw  et  ik  cmkm  a  juins* 
de  bonne  heure  à  son  voisin 
Gsiris,  et  nulle  alliance  ne  convenait  mieux  à  ses  affinités.  Elle  personnifiait, 

et  nous  ont  conservé  le  récit  de  ses  exploits  (IttRODori:,  II,  ilvi  ;  cf.  Wimmuuvi.  UerodaU  Zweitet  Itueh. 
p.  îtt!  aqq.j.  Le  culte  du  bélier  sacré  ne  remonterai!,  d'après  Vanéthon,  qu'au  roi  Kaiékbos  de  la 
11*  djn»ntic  (éd.  tt.ir.t«,  |)  81)  ;  uue  nécropole  de  béliers  sacrés  d'époque  ptolémaïquo  a  été  découverte 
par  Mariette  à  Tmai  cl-Aradld,  dans  les  ruines  de  Thmouis,  et  les  urrophages  sont  conservés  aujour- 
d'hui au  musée  de  Gitéh  (Mariettk,  Munumealt  dil-ere,  pi.  XI.H,  XI.VI,  texte,  p.  12.  13-11). 

i.  Le  principal  de  ces  oiseaux  est  le  iloiuiu,  qui  n'i-sl  pas.  comme  on  l'a  dit  souvent,  le  l'héuix 
(BFutsc»,  Nmatlle*  Iterherehet  tur  la  diritiou  de  Cannée,  p.  M-VM,  Wi»eiju,  Aie  PhônU  Saae  ira 
atten  AKgypten.  1878,  p.  8U-II16,  cl  Hérodote  Ziceitei  Buch.  p.  3U-3IB),  mais  un  vanneau  ou  une 
espèce  de   héron,  soit  VArdea  cinerea,  lïéqtieul  en  Kpjjjtc,  soit  une  variété  voisine. 

a.  L'orij[i"c  d'Isis  et  le  caractère  particulier  éc  sa  inatcrnilé  spontanée  ont  été  signalés  par  «...s- 
pr.so,  Elude»  de  Mythologie  et  a" Archéologie  Kijypticimet,  t.  II.  p.  isl-ï;iï.  ;ij<J-36i. 

t.  Dettiu  de  Boudicr,  il'upret  la  itatue  en  Oatalte  vert  profilant  lie  Siti/aaiah  et  ewirerive  au 
Mutée  de  liiléh  (Montai),  fluide  du.  Visiteur,  p.  :iij,  u-  Sîi.'i).  Klle  a  été  publiée  par  Mimmi,  Mono- 
menti  diver:  pi.  'Jfi,  »,  et  Album  photographique  du  musée  de  Boulait,  |il.  10. 


m  LES  DIEUX   UE  L'ËdYl'TE. 

en  effet,  la  terre,  non  pas.  comme  Sibou,  la  terre  en  général,  avec  ses  alter- 
nances inégales  de  mers  et 
de  montagnes,  de  déserts 
et  de  champs  cultivés, 
mais  la  plaine  noire  et 
grasse  du  Delta,  où  les 
races  d'hommes,  de  plan- 
tes et  d'animaux  croissent 
et  se  multiplient  en  géné- 
rations toujours  renais- 
santes1. Or,  cette  énergie 
de  reproduction  inépuisa- 
ble, à  qui  la  devait-elle, 
sinon  à  son  voisin  Osiris, 
sinon  au  Nil?LeNil  monte, 
déborde,  séjourne  lente- 
ment sur  le  sol;  chaque 
année,  il  épouse  la  terre, 
et  la  terre  sort  verte  et 
féconde  de  ses  embrasse- 
ments.  Le  mariage  des 
deux  éléments  suggéra 
celui  des  deux  divinités  : 
Osiris  épousa  Isis  et  adopta 
le  jeune  Horus. 
■m.  cowb  i*  «à»*™  *  conm  ».  ««*«.  M»'»  ce   couple   proli- 

fique et  doux  n'exprimait 
pas  à  lui  seul  tout  ce  qu'il  y  a  dans  la  nature.  La  région  orientale  du  Delta 
confine  aux  solitudes  de  l'Arabie;  on  y  rencontre  quelques  cantons  riches  et 
faciles  à  cultiver,  mais  la  plupart  ne  doivent  leur  existence  qu'au  labeur 
acharné  de  leurs  habitants.  L'homme  n'en  obtient  l'usufruit  qu'à  la  condition 
de  les  conquérir  journellement  par  ses  soins  et  par  sa  régularité  dans  la  distri- 
bution des  eaux  :  dès  qu'il  suspend  la  lutte  ou  relâche  la  surveillance,  le  désert 

I.  Cf..  |i.  US,  noie  i  île  culte  Hinlnirr.  le  témoignage  <lu  traita  de  Itidc  sur  ta  Dalurc  de  la  dr'fsse. 

i.  Destin  de  Uimdier,  d'aprri  la  itatue  en  batalie  vert  du  Mutée  de  Oiiék  (Mispero,  Guide  du  Visi- 
teur, |J.  ttili.  il'  rrtifi).  Kll(<  a  été  |iiililioc  par  Mmii.TTK,  Miiaumrut*  direri,  pi.  !)<ï,  c,  ot  Album  photo- 
graphique, |il.  10.  Kilo  c*t  roprouiiilr  ici  il' si  près  une  photographie  d'Emile:  BruR-ch-lk'). 


SIT  ET  NEPHTHYS.  133 

les  reprend  et  les  frappe  de  stérilité.  Sit  était  l'esprit  de  la  montagne,  la  pierre 
et  le  sable,  la  terre   rouge    et   sèche,  par  opposition  à   I 
humide  et  noire  de  la  vallée*.  11  levait  sur  un  corps  de  I 
de  chien  une  tète  fantastique  au  museau  grêle  et  recour 
oreilles  droites    et   coupées    carrémei 
leue,  fendue  à  l'extrémité,  se  hérissai 
■rrière  lui,  comme  une  fourche  plantée 
es  reins1.  Il  revêtait  aussi  la  figure  hi 
ou   ne  gardait  qu'une  tête  bestiale  si 
une  poitrine  d'homme.  On  le  sentait 
traître  et  cruel,  toujours  prêt     tigt 
à  brûler  les  moissons   de  son 
souffle  enflammé  et  à  étouffer  l'Ëgj 
sous  un  linceul  de  sable  mouvant.  Le 
traste  était  frappant  entre  ce  mauvais 
le  couple  bienfaisant  d'Osiris  et  d'Isis 
pourtant  Nil   et   désert,   terre   rouge 
terre  noire,    les  théologiens  du  Del 
attribuèrent  bientôt   une  origine  coin 
mune  à  ces  divinités  rivales.  Si  bat; 
les    avait    engendrées,   Nouît 
s'était   délivrée    d'elles   coup 
sur  coup,  lorsque  le  démiurge        M 
la  sépara  de  son  mari,  et  les 
jours  de  la  création  avaient  été  ceux  de  leur  naissance5.  Chacune  d'elles  s  était 
confinée  d'abord  dans  sa  moitié  de  l'univers.  Même  Sit,  qui  avait  commence 

I.  Sur  Sit  on  peut  consulter  la  monographie  d'En.  Xeitmi,  Set-Typhon,  oii  pourtant  l'interprétation 
mystique  est  poussée  trop  loin.  L'explication  do  Sit  par  le  désert  et  la  sécheresse  est  coursinlc  dès 
l'antiquité  (cf.  de  hide  et  Otiride,  S  33,  éd.  Psbthm,  p.  3"  :...Tuf<Sv«  ôijtïv  to  aiixnnpoi  *«'  «->P<"6eç 
K*i  f>,pcmtxi»  élan  lal  noXiu.iov  vf,  ùff-iTtitO-  C'eut  par  un  artifice  de  langage  qu'on  a  transformé  en 
un  dieu  représentant  le  soleil  meurtrier  cl  dévorant  (Bbicsch,  Religion  uud  Mythologie,  p.  ~Ht  sqq.J. 

t.  Voir  p.  83.  dan»  la  \  «nette,  l'animal  typhonien  représenté  marchant,  bous  lo  nom  de  Slia. 

8.  Deuil»  de  Fattchcr-Gudin,  d'après  une  figurine  en  haie  priai,  provenant  d'un  lit  funéraire 
<r,\khmtm,  et  qui  te  trouée  en  ma  pottession.  La  déesse  porte  sur  la  tête  l'hiéroglyphe  de  non  nom  ; 
elle  est  agenouillée  au  pied  du  lit  funèbre  d'Osiris  et  pleure  le  dieu  mort. 

i.  Statuette  en  bronie  incrustée  d'or  de  ta  collection  iiofmamt  [XX'  dynattie]  :  dettin  de  Fau- 
rhrr-Gudin,  d'apret  une  photographie  de  Legrain  prise  en  18$I.  L'un  des  propriétaires  égyptiens 
de  ce  petit  monument  a  essayé  de  le  dénaturer,  vers  le  temps  où  le  eullc  de  Sit  fut  proscrit,  et 
de  le  transformer  en  une  statuette  du  dieu  Khnoumou  :  il  arracha  les  oreilles  droites  et  les  remplaça 
par  des  cornes  de  hélier.  sans  du  rosit'  loucher  au  reste.  J'ai  fail  disparaître  les  cornes  courbes 
d'insertion  récente  cl  rétablir,  dans  le  dessin  de  fauchcr-Cnilin,  les  oreilles  droites  donl  la  marque 
est  encore  i isihle  le  long  des  deux  faces  latérales  de  la  coiiïure. 

:i.  D'apret  une  légende  d'origine  assez  antique,   les  quatre  enfants  du  Noull  et  son  petit-fils  llorus 


134  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

par  vivre  seul,  s'était  marié  pour  De  le  céder  en  rien  à  Osîris.  Sa  compagne, 
Nephthjs,  ne  manifestait  pas,  à  dire  vrai,  une  vie  des  plus  actives.  Elle 
n'était  guère  qu'un  dédoublement  factice  de  la  femme  d'Osiris,  une  seconde 
Isis,  que  son  mari  ne  réussissait  pas  à  rendre  mère1  :  le  désert,  stérile  par 
lui-inéme,  la  stérilisait  comme  tout  ce  qu'il  touche.  Cependant  elle  n'avait 
perdu   ni   le   désir,  ni  le  pouvoir  de  la  fécondité,  et  la  postérité  que  Sit  ne 

lui    procurait  point,   elle   ta 
demanda  à  un  autre.  La  tra- 
dition racontait  qu'elle  eni- 
vra Osiris,  l'attira  dans  ses 
bras  sans  qu'il  en  eût  con- 
science, conçut  de  lui  :   un 
enfant  naquit  de  cette  union 
furtive,    le    chacal   Anubis*. 
Ainsi  le  Nil,  quand  une  crue 
plus  haute   le  jette   sur  des 
terres    qu'il     n'est   pas    ac- 
coutumé à   recouvrir  et  qui 
restent   improductives   faute 
d'eau,  elles  s'imprègnent  avi- 
dement   et    font    éclore    les 
germes  endormis  qu'elles  recelaient  dans  leur  sein.  L'envahissement  progressif 
du  domaine  de  Sit  par  Osiris  marque  le  commencement  des  hostilités*.  Sit  se 
révolte  contre  le  crime,  même  involontaire,  dont  il  est  victime;  il  surprend 
son  frère,  le  tue  en  trahison,  relègue  un  moment  Isis  dans  ses  marais,  puis 
règne  sur  l'empire  d'Osiris  comme  sur  le  sien.  Toutefois  son  triomphe  est  de 
courte  durée  :  llortis,  devenu  grand,  prend  les  armes  contre  lui,  le  défait  en 
vingt  rencontres,  le  bannit  à  son  tour.  La  création  du  monde  avait  mis  en 

seraient  nev  l'un  après  l'autre,  chacun  dans  l'un  des  jours  épagomènes  de  l'année  (CliMs,  le  Calendrier 
detj'iun  faite»  et  néfatlrt  de  Cannée  égyptienne,  p.  IIIS-Klfi);  elle  était  encore  courante  à  lepou,ue 
grecque  {de  Ilide  et  Otiride,  §  nu.  éd.  l>.miHKi,  p.  18-it). 

I.  Le  caractère  iiiipi-rsuunr-l  de  Xcphthjs,  son  origine  artificielle  et  i-a  dérivation  dïsis  ont  été 
signalés  par  Mjsptao,  Etude»  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptienne*,  t.  Il,  p.  3fi*-3iit.  Le  nom 
même  de  la  déesse,  qui  signilic  la  dame  (nibit)  du  château  (liait),  confirma  celte  opinion. 

t.  De  Itide  et  Otîride,  $  1.1,  3H,  édit.  pAHiKtï,  p.  ïi-iï,  fil.  tue  autre  légende  prétendait  uu'Nis, 
et  non  pas  Scphlhys,  était  la  mère  du  chacal  Anilbis  (de  IiUlc  et  Otiride,  g  14,  éd.  I'ibtiiki,  p.  77  ; 
cf.  WiLKiftNM,  Mannert  and  Cvttom»,  t-  éd.,  t.  III,  p.  157). 

ï.  Plan  de  Thuiltier,  d'nprè*  la  Ikirription  de  l 'Egypte  (Alias,  Ant.,  I.  V,  pi.  ïfi.  I). 

I.  Ile  hide  et  Otiride,  g  3H.  éd.  I'ibtbrt,  p.  lit!  :  "  CHav  Eé  ùitip  fia  >.«>-.  xai  nïfovàaa;  à  XiO.o; 
iirixEivi  n>.r,(TiàTr,  toi;  irr/.aïev(.'„at.  toùto  [tiïiv  'Odpiêo;  npô;  NiçU-jv  xaï.o-jaiu.  ànô  t<ûv  àvapiao- 
mvdvTUi  puTûv  Éic|yopivT|'j.  J>*  «ai  ;i.  juli'iuiâ*  io-riv,  oô  yr,ii  [iSSa(  inapp'jivTo;  xat  aml^'ifWvTOC 
atiUiïTiv  yï,Mai  lufùvi  Tr,(  «ipi  tàv  lap-ûv  àîimd;. 


HEL10P0LIS  ET  SES  ECOLES  DE  THÉOLOGIE.  133 

présence  les  dieux  destructeurs  et  les  dieux  nourriciers;  la  vie  du  monde  est 
l'histoire  de  leurs  rivalités  et  de  leurs  guerres. 

Aucune  de  ces  conceptions  n'expliquait  à  elle  seule  le  mécanisme  entier  de 
la  création,  ni  la  part  que  les  différents  dieux  y  avaient  prise.  Le  sacerdoce 
d'Héliopolis  s'empara  d'elles,  en  modifia  et  en  élimina  quelques  détails,  y 
ajouta  des  personnages  nouveaux,  et  du  tout  édifia  une  cosmogonie  complète 


dont  les  éléments  savamment  combinés  répondaient  chacun  à  l'une  des  opéra- 
tions qui  avaient  tiré  le  monde  du  chaos  et  l'avaient  conduit  progressivement 
à  son  état  actuel'.  Héliopolis  ne  s'est  jamais  mêlée  de  façon  directe  aux 
grandes  révolutions  de  l'histoire  politique  :  mais  nulle  cité  n'a  remué  autant 
d'idées  mystiques,  et,  par  suite,  n'a  exercé  autant  d'influence  qu'elle  sur  le 
développement  de  la  civilisation \  C'était  une  petite  ville,  bâtie  en  plaine  à 
faible  distance  du  Nil,  k  la  hauteur  de  la  pointe  du  Delta.  Elle  s'enveloppait 

i.  Rat-relief  dit  temple  de  Séli  I",  à  Aliydns;  destin  de  Faurher-Gitdin.  d'aprèê  une  p/iotographie 
de  lléaln.  Les  deux  divinités  conduisent  vtr»  la  déesse  Htilhor  le  roi  Kamsès  II  identifié  à  Osiris. 

4.  Le  Pille  du  sacerdoce  héliopoliiain  clans  lu  constitution  île  la  cosmogonie  adoptée  par  l'Egypte  his- 
torique a  été  mis  en  lumière   par  M .isi-emi,  Etude*  île  Mythologie,  t.  Il,  p.  Ï36  sqq.,  'Mit  sqq. 

3.  Ses  habitants  la  disaient  plus  ancienne  que  toutes  les  aulres  rites  île  rfi^ypte  (Diihkibe.  I,  V,  56). 


136  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE, 

d'une  haute  muraille  en  briques  crues,  dont  les  restes,  encore  visibles  au  com- 
mencement de  notre  siècle,  ont  pres- 
que entièrement  disparu  aujourd'hui. 
Un  obélisque  debout  en  plein  champ, 
quelques  monticules  de  décombres, 
des  pierres  éparses,  deux  ou  trois 
pans  de  murs  croulants  marquent 
seuls  la  place  où  elle  fut1.  Elle  ado- 
rait RA,  et  son  nom  grec  d'Héliopolis 
n'est  que  la  traduction  du  nom  Pi-râ, 
Ville  du  Soleil,  que  les  prêtres  lui 
donnaient*.  Son  temple  principal,  le 
Château  du  Prince*,  s'élevait  à  peu 
près  au  milieu  de  l'enceinte  et  abri- 
tait, avec  le  dieu  lui-même,  les  ani- 
maux dans  lesquels  il  s'incarnait,  le 
taureau  Mnévis,  et  parfois  le  Phénix. 
Une  légende  ancienne  voulait  que  cet 
oiseau  merveilleux  ne  parût  en  Egypte 
qu'une  fois  en  cinq  siècles  :  il  naît  et 
vit  au  fond  de  l'Arabie  lointaine, 
mais  quand  son  père  meurt,  il  en- 
duit le  cadavre  d'une  couche  de  myr- 
rhe, l'apporte  à  tire-d'aile  au  temple 
"°"BI  ■»«"*■  d'Héliopolis  et  l'y   ensevelit  pieuse- 

ment1. Rà  était  à  l'origine  et  demeura  toujours  pour  le  peuple  le  soleil  maté- 
riel, dont  les  feux  semblent  s'allumer  à  l'Orient  chaque  matin  et  s'éteindre  le 

1.  Lw.nr.i  et  Dr  IIoys-Aiïë,  Description  d'Hrlùipotii,  dans  la  Detrripthti  de  Vf.gyple,  t.  V,  p.  lïlWÏÏ. 
La  plus  grande  partie  île»  murs  et  des  débris  d'édifices  lisibles  à  celle  époque  oui  disparu  aujour- 
d'hui, depuis  que  In  famille  dlbrahim-l'adia,  à  i|iii  le  terrain  appartient,  l'a  livré  a  la  culture. 

*.  Bu-cwa,  Geographitche  huchriflen,  t.  I,  p.  Ï34. 

3.  lIAit  Sarou  (BinGsr.it,  Dictionnaire  Géographique,  p.  153,  où  l'auteur  lit  Hàl  urâ  cl  trtuluil 
i'alau  de  l'Ancien,  Pataix  du  licuj-,  en  quoi  il  eut  approuvé  par  LiFÊtDm,  Sur  le  Chant  et  l'Adam 
Égyptien,  dans  les  Tramartiam  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  IX,  p.  175-1711).  Ce  nom 
avilit  été  donné  au  temple  du  Soleil  parce  qu'il  passait  peur  avoir  servi  de  résidence  à  Rà  pendant 
le  séjour  prolongé  que  le  dieu  avait  fait  sur  la  terre  comme  roi  d'Egypte  :  cl.  chapitre  III,  p.  160  sqq. 

4.  Destin  de  Faucher-Gudïn.  Le  lotus  épanoui,  flanqué  de  deux  boulons  l'un  à  droite,  l'autre  à 
gauche,  est  posé  sur  le  signe  ordinaire  du  bassin;  celui-ci  représente  le  Bon,  l'abime  des  eau*  téné- 

5.  l.e  Phénix  n'est  pas  le  hmtou  (cf.  p.  131,  note  t),  mais  un  oiseau  fabuleux  dérive  de  l'épervicr 
rloré  où  s'incarnaient  Maroéris  et,  après  lui,  les  dieu*  soleils.  Hérodote  raconte,  d'après  se-  cuinVs 
héliopolitains  (liv.  Il,  LtXIIIl),  qu'il  ressemblait  à  l'aigle  pour  la  forme  et  pour  la  grandeur,  ce  qui 
aurait  du  suffire  pour  écarter  tout  rapprochement  avec  le  Douent,  qui  est  un  héron  ou  un  vanneau. 


RA,   SON  IDENTIFICATION  AVEC  HORUS.  137 

soir  à  l'Occident*.  Les  théologiens  professaient  à  son  égard  des  doctrines  assez 
différentes.  Les  uns  prétendaient  que  le  disque  était  le  corps  du  dieu  qu'il 
revêt  pour  s'offrir  à  la  vénération  des  fidèles.  D'autres  affirmaient  qu'il  en 
représentait  plutôt  l'âme  active  et  radieuse.  Beaucoup  enfin  le  définissaient  un 
des  êtres  —  khopriou  —  une  des  manifestations  du  dieu,  sans  oser  décider  si 


c'était  son  corps  ou  son  âme  qu'il  daignait  révéler  à  nos  yeux.  Ame  ou  corps, 
on  convenait  qu'il  avait  existé  dans  le  Nou  avant  la  création3;  comment  expli- 
quer alors  qu'il  eût  séjourné  au  fond  de  l'Océan  primordial  sans  le  dessécher 
ou  sans  être  étouffé  par  lui?  Ici  l'identification  de  Rà  avec  Horus  et  avec  son 
œil  droit  intervenait  fort  à  propos  :  le  dieu  n'avait  eu  qu'à  fermer  la  paupière 
pour  soustraire  ses  flammes  au  contact  de  l'eau*.  On  disait  aussi  qu'il  tenait 
son  disque  emprisonné  dans  un  bouton  de  lotus  dont  les  pétales  repliés 
l'avaient  garanti";   la  fleur  s'était  ouverte  le  matin  du    premier  jour  et  le 

1.  E.  in.  Hoir.*,  Élude*  tur  le  Rituel  funéraire  lien  ancien*  Égyptien*,  p.  "t>. 

t.  Dénia  de  Faucker-Oudiu,  d'après  faquarettt  publiée  par  l.F.rsn  s.  Dation.,  1,  Mi.  la  vue  est  prise 
du  centre  il*'?,  ruines,  au  pii.il  de  l'obélisque  d'Uusirtnseii.  Un  ruisseau  court  au  premier  plan  et  tra- 
verse une  mari?  bourbeuse:  à  droite  el  ;■  usuelle,  des  monceaux  de  décombres,  «lors  assez  hauts,  mais 
qui  ont  été  rasés  en  partie;  au  fond,  la  silhouette  lointaine,  du  Caire  se  dessine  vers  le  sud-ouest. 

H.  Livre  det  Morlt,  ehap.  im.  éd.  H  a  ville,  t.  I,  pi.  XX11I,  1.  a  sc|q. 

1.  C'est  ee  qu'indique  suffisamment  l'expression  employée  si  souvent  par  les  écrivains  sacrés  de 
l'Egypte  ancienne  pour  marquer  l'apparition  du  Soleil  et  son  action  première  au  moment  de  la  créa- 
tion :  .   Tu  ouerei  le.i  deux  yeux  et  la  terre  est  inondée  de  rayons  de  lumière.  . 

j.  SUmitte,  Dendérah,  t,  I,  nl.LVo;  Bni_ï:sch,  Tliciaurui  liucriptionum  .Eayptiacarvm.  p.  7li4,  n'fflî. 


138  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

dieu  en  avait  jailli  brusquement  comme   un  enfant  coiffé  du  disque  solaire. 
De    toute    façon,    la   réflexion  amenait    les    théologiens   à    distinguer   deux 

époques  et  comme  deux 
êtres  dans  la  divinité  suprê- 
me :  un  soleil  pré-mondain, 
inerte  au  sein  des  eaux  té- 
nébreuses, puis  notre  soleil 
journalier,  qui  vit  et  qui  ré- 
pand la  vie  autour  de  lui  '. 

Une  partie  de  l'école  con- 
serva les  termes  et  les  ima- 
ges traditionnelles  pour  dé- 
signer ces  Soleils.  Elle  laissa 
au  premier  la  forme  hu- 
maine et  le  titre  de  Rà, 
h  Ha»  m  s  •  auquel  on  prêta  le  sens  ab- 

strait de  créateur  en  le  déri- 
vant du  verbe  râ,  qui  signifie  donner*.  Elle  réserva  au  second  le  corps  d'un 
épervier  et  le  nom  d'Harmakhouîtî,  Horus  dans  les  deux  horizons,  qui  mar- 
quait nettement  son  rôle*.  Elle  résuma  l'idée  totale  du  soleil  en  un  seul  nom 
de  Rà-Harmakhouïti,  et  en  une  seule  image  où  la  tête  d'épervier  d'Horus  se 
greffait  sur  le  torse  humain  de  Râ.  Le  reste  de  l'école  inventa  des  noms  nou- 
veaux pour  les  conceptions  nouvelles.  Elle  appela  créateur  —  Toumov,  Alov- 
mou  —  le  soleil  antérieur  au  monde1,  et  Khopri  —  celui  qui  est  —  notre 
soleil  terrestre.  Toumou  était  un  homme  couronné  et  revêtu  des  insignes  du 

I.  M.speho,  Études  de  Mythologie  et  iT  Arrhtologte  Égyptienne*,  t.  11.  p.  ÏS1  sqq.,  356  «qq. 

■t.  Mur  extérieur  yard  de  la  talle  hyportyle  de  Hantait;  detein  de  Boudier.  iTaprèt  une  photogra- 
phie d'Intinger.  Harmakhis  donne  les  années  et  les  fêles  au  Pharaon  Sétî  1"  agenouille  devant  lui 
et  que  lui  présente  la  déesse  à  télé  de  lionne,  Sokhlt,  qualifiée  ici  de  magicienne,  Otrlt  hikaou. 

A.  Cette  étymologie  après  coup  a  élu  acceptée  par  une  partie  au  moins  des  théologiens  égyptiens, 
comme  le  prouvent  les  jeux  de  mots  perpétuels  entre  le  nom  RA  du  Soleil  et  le  verbe  râ,  donner, 
faire;  cf.,  pour  la  valeur  qu'il  convient  de  lui  allribuer,  p.  SU,  noie  1,  de  eelto  Hitlaire. 

k.  Ilarmakhoulti  est  llorus,  le  eiel  dans  les  dem  horiions,  c'est-à-dire  le  ciel  diurne  et  le  ciel  noc- 
turne;  quand  l'Horus  céleste  se  fut  confondu  avec  Ha  et  devint  le  Soleil  (cT  p,  KHI),  il  passa  tout 
naturellement  à  l'état  de  Soleil  dans  les  deux  bornons,  Soleil  diurne  et  Soleil  nocturne. 

S.  E.  oc  Koi'Gt,  Etudti  tur  le  Rituel  funéraire,  p.  16  ;  •  Son  nom  peut  se  rapprocher  de  deui  radi- 
caux :  tem  est  une  négation  ;  on  peul  y  voir  Cinaceeiiible,  l'inconnu  (comme  à  Thèhes.  Amoun  signi- 
fiant mystère).  Aloum  est  en  effet  désigné  comme  <  existant  seul  dans  l'abîme  ■.  avant  l'apparition 
de  la  lumière.  C'est  dans  celle  période  obscure  qu  Aloum  fait  le  premier  acte  de  la  création,  ce  qui 
permet  de  rapprocher  également  son  nom  du  copte  tahio,  creare.  Atoum  est  aussi  le  prototype  de 
l'homme  (en  copte  me,  hnmo),  qui  devient  .  un  loum  .  parfait  après  sa  résurrection.  >  Brugsch  (Reli- 
gion und  Mythologie,  p.  Î31-i3i)  préfère  interpréter  Towmou  par  te  Parfait,  le  Complet.  Les  rappro- 
chements philologiques  de  M.  de  Hougé  ne  sont  plus  admissibles;  mais  'l'explication  qu'il  donne 
du  nom  repond  ni  bien  au  râle  du  personnage  que  je  ne  vois  pas  le  moyen  de  la  récuser. 


LA  CONCEPTION  II' ATOUMOU.  139 

pouvoir  suprême,  un  véritable  roi  des  dieux,  majestueux  et  impassible  comme 
les  Pharaons  qui  se  succédaient  sur  le  trône  d'Egypte;  une  allitération  fortuite 
avec  le  nom  —  kkopirrou  — ■  du  scarabée  valut  à  Khopri  la  figure  d'un  scara- 
bée inclus  au  disque,  d'un 
homme  portant  le  scarabée 
sur  la  tète  ou  d'une  momie 
ayant  pour  tête  un  scara- 
bée. L'écart  était  si  faible 
qu'il  s'effaça  entre  les  for- 
mes possibles  du  dieu  :  les 
noms  s'unirent  par  deux, 
par  trois,  de  toutes  les 
façons  imaginables,  le  sca- 
rabée de  Khopri  vint  se 
poser  sur  la  tète  de  Ità,  le 
masque  d'épervîer  passa 
des  épaulesd'Harmakhouiti 
à  celles  de  Toumou.    Les 

êtres  complexes  qui  naquirent  de  ces  combinaisons,  Rà-Toumou,  Atoumou-Râ, 
Râ -Toumou- Khopri,  Rà-Harmakhouiti-Toumou,  Ïoum-Harmakhouiti -Khopri, 
ne  réalisèrent  jamais  une  individualité  nettement  accusée.  Ils  furent  le  plus 
souvent  de  simples  doublets  du  dieu  féodal,  des  noms  plutôt  que  des  per- 
sonnes; et,  si  on  ne  les  prit  pas  toujours  indifféremment  l'un  pour  l'autre,  du 
moins  les  distinctions  qu'on  établit  entre  eux  portèrent  sur  des  détails  de 
fonctions  et  d'attributs.  C'est  ainsi  qu'on  s'avisa  de  matérialiser  en  chacun  d'eux 
l'une  des  phases  principales  de  la  vie  du  soleil  pendant  le  jour  et  pendant 
l'année.  Râ  symbolisa  le  soleil  au  printemps  et  avant  son  lever,  Harmakhouiti 
le  soleil  qui  préside  à  l'été  et  aux  matinées,  Atoumou  le  soleil  d'automne  et 
celui  de  l'après-midi,  Khopri  le  soleil  d'hiver  et  de  la  nuit'.  Le  peuple  adopta 
le  nom  et  les  images  nouvelles  qu'on  proposait  à  sa  dévotion,  mais  en  leR 
subordonnant  à  son  iïâ  bien-aimé.  Râ  ne  cessa  point  d'être  pour  lui  le  dieu  de 
la  cité;  Atoumou  resta  le  dieu  des  théologiens  qu'ils  invoquèrent  où  le  peuple 
préférait  Rà.  Anhouri  encourut  à  Thinis  et   à  Sébennytos  la  même  destinée 


le  arande  ugioité  par  Bnifcrch  [Religion  und  Mythologie,  p.  iiJl-ïllO),  surtout  d'après  le*  inscrip- 
des  temple*  construits  a  l'époutie  ptolniiiituur  ri  romaine.  Malheureusement  [irup-rii  a  prèli 
spéculations  de  sanctuaire  une  importance  ijuulles  n'obtinrent  jamais  ihu*  la  religion  populaire 


140  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

que  Rà  dans  Héliopolis.  Identifié  avec  le  Soleil,  il  entraîna  Shou  à  sa  suite  : 
on  avait  jadis  deux  dieux  jumeaux,  Anhouri  et  Shou,  incarnant  le  ciel  et  la 
terre,  on  n'eut  bientôt  plus  qu'un  seul  dieu  en  deux  personnes,  Anhouri- 
Shou,  dont  une  moitié,  gardant  le  titre  d'Anhouri,  représenta,  comme  Atou- 
mou,  l'être  primordial,  et  dont  l'autre  moitié,  Shou,  devint,  ainsi  que  son  nom 
l'indique,  le  soleil  créateur,  le  dieu  qui  soulève  (shou)  le  ciel1. 

C'est  donc  Toumou  et  non  Rà  que  les  prêtres  héliopolitains  placèrent  au 
sommet  de  leur  cosmogonie  pour  en  être  le  moteur  et  l'ordonnateur  suprême. 
Plusieurs  versions  circulaient  parmi  eux  de  la  manière  dont  il  passa  de  l'iner- 
tie à  l'action,  du  personnage  de  Toumou  à  celui  de  Rà.  La  plus  répandue  ensei- 
gnait qu'il  cria  soudain  sur  les  eaux  :  «  Viens  à  moi!1  »,  le  lotus  mystérieux 
déploya  ausssitôt  ses  pétales  et  Rà  parut  au  bord  du  calice  épanoui  sous  les 
espèces  d'un  disque,  d'un  enfant  nouveau-né,  ou  d'un  épervier  couronné  du 
disque3.  Ce  n'était  là  probablement  qu'un  adoucissement  d'une  tradition  plus 
sauvage  :  on  affirmait  au  début  que  Rà  lui-même  avait  dû  séparer  Sibou  de 
Nouît,  afin  d'organiser  le  ciel  et  la  terre.  Mais  on  trouva  sans  doute  qu'à  le 
faire  intervenir  aussi  brutalement  on  prêtait  un  rôle  trop  bas  à  la  forme  même 
inférieure  de  la  divinité  suzeraine  :  on  emprunta  Shou  à  la  religion  voisine 
d'Anhouri  et  on  le  chargea,  comme  à  Sébennytos,  de  saisir  le  ciel,  puis  de 
l'élever  à  la  hauteur  de  ses  bras.  La  violence  que  Shou  exerçait  sur  Nouit 
donna  lieu  de  rattacher  le  dogme  osirien  de  Mendès  au  dogme  solaire  de  Sében- 
nytos,  et  de  compléter  la  tradition  qui  racontait  la  création  de  la  terre  par  celle 
qui  en  expliquait  la  répartition  en  déserts  et  en  contrées  fertiles.  Sibou,  caché 
jusqu'alors  sous  le  corps  de  sa  compagne,  apparut  au  soleil  :  Osiris  et  Sît,  Isis 
et  Nephthys  naquirent  aussitôt,  et,  tombant  du  sein  maternel  sur  les  membres 
de  leur  père,  s'en  partagèrent  l'étendue.  La  doctrine  héliopolitaine  reconnaissait 
donc  trois  moments  principaux  dans  la  création  de  l'univers,  le  dédoublement 
du  seigneur  dieu  et  l'éclosion  de  la  lumière,  le  soulèvement  du  ciel  et  la  mise 
à  nu  de  la  terre,  la  naissance  du  Nil  et  l'aménagement  du  sol  de  l'Egypte,  le 
tout  exprimé  par  des  manifestations  de  divinités  successives4.  Les  dernières 
d'entre  elles  s'étaient  constitué  déjà  une  famille  de  père,  de  mère  et  d'enfants, 

i.  Maspero,  Éludes  de  Mythologie  et  a' Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  282,  356-357. 

2.  C'est  à  cause  de  cela  que  les  Egyptiens  donnaient  au  premier  jour  du  monde  le  nom  de  Jour  de 
Yiens-à-moi!  (E.  de  11oit.k,  Etudes  sur  le  Hit uel  funéraire  des  anciens  Égyptiens,  p.  54-55)  ;  dans  le 
texte  du  chapitre  wn  du  Livre  des  Morts,  Toumou  est  remplacé  par  Osiris  en  ce  rôle  de  créateur. 

3.  Voir  p.   13H  de  cette  Histoire  la  vignette  qui  montre  le  Soleil  enfant  jaillissant  du  lotus  épanoui. 

4.  Sur  la  formation  de  l'Knnéade  héliopolitaine,  voir  Misi'kro,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie 
Egyptiennes,  t.  Il,  p.  244  »qq.,  352  sqq.  Brugsch  a  établi  de  façon  toute  différente  la  composition,  la 
dérivation  et  l'histoire  de  cette  Knnéade  (Heligion  und  Mythologie  der  alten  .Egyptcr,  p.  183  sqq.). 


LA  CRÉATION  SELON   LES  HÉUOPOLITAINS.  141 

selon  les  règles  de  l'humanité  :  on  profita  de  leur  exemple  pour  nouer  des  rela- 
tions analogues  entre  les  autres  et  pour  les  réunir  savamment  en  une  lignée 
unique.   Comme  Atoumou-Rà  ne  devait  pas  rencontrer  d'égaux,  on  le  laissa 
seul  au  premier  rang  et  l'on  décida  que  Shou  serait  son  fils  :  il  l'avait  tiré 
de  lui-même  au  premier  jour,  sans  coopération  féminine,  par  la  simple  intensité 
de    sa    force    virile.    Shou, 
rabaissé   à  la  condition    de 
dieu  (ils,  engendra  à  son  tour 
les  deux  divinités  qu'il  sépa- 
rait, Sibou  et  Nouit.  On  ne 
lui    avait    point   connu    de 
compagne  jusqu'alors,  et  il 
aurait  pu,  lui  aussi,  se  pro- 
curer à    lui  seul  sa  propre 
postérité  :  on  le  maria,  pour 
éviter  de   lui    accorder  une 

puissance  de  spontanéité  génératrice  égale  à  celle  du  démiurge,  et  l'on 
supposa  que  sa  femme  Tafnouit  était  sa  sœur  jumelle,  née  du  même  acte  que 
lui.  Cette  déesse  d'occasion  ne  s'anima  jamais  d'une  vie  pleine  et  demeura,  à 
l'exemple  de  Nephthys,  une  entité  théotogique  plutôt  qu'une  personne  réelle. 
I^es  textes  la  dépeignent  comme  une  pâle  copie  de  son  mari.  Elle  porte  le 
ciel  avec  lui  et  avec  lui  reçoit  chaque  matin  le  soleil  naissant,  lorsqu'il  se 
dégage  de  la  montagne  d'Orient;  elle  est  lionne  s'il  est  lion,  femme  s'il  est 
homme,  femme  à  tête  de  lionne  s'il  est  homme  à  tète  de  lion;  elle  s'irrite 
quand  il  s'irrite,  elle  s'apaise  quand  il  s'apaise,  elle  n'a  point  de  sanctuaire  où 
il  ne  soit  adoré;  bref,  elle  forme  avec  lui  un  être  unique  en  deux  corps,  ou, 
pour  employer  l'expression  égyptienne,  a  une  seule  âme  en  ses  deux  jumeaux*  ». 
On  le  voit,  les  Héliopolitains  proclamaient  que  la  création  est  l'œuvre  du 
Soleil,  Atoumou-Rà,  et  des  quatre  couples  divins  qu'il  avait  produits.  C'était, 
au  fond,  une  variante  érudite  de  la  vieille  doctrine3,  où  l'univers  se  composait 

1.  Dcisiii  de  Fauchet-Gudin,  daprct  une  vignette  du  papyrun  d'Aui,  au  Briiiih  .Wujctim,  publiée 
par  l.EP.ict-ltETOiT  clans  le»  Proeecding*  de  In  Société  d'Archéologie  Itililiqor,  t.  XI,  1889-18110,  |>.  46-Ï8. 
L'un  des  deux  lions,  celui  île  droite,  a  pour  légende  itifoit,  ■  hier  »,  l'autre  douaott,  •  ce  malin  ■. 

■i.  Lh-re  dcë  Mort*,  chap.  ml.  I.  i:ii  sqq.  (éd.  Kaïille,  t.  I.  pi.  XXIV].  Sur  le  rôle  de  Tafnli  ou 
Talnoull  à  coté  de  Shou,  voir  Mispkhu,  Etude*  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptiennes,  t.  It, 
(i.  StT-îiK.  3;i 7,  cl  Bni'GSf»,  lleligion  uad  Mythologie,  |>.  "i7l-:;7.!;.  l'our  il.  I,em<;k-Hk.sui  i  (Egyptian 
Hylliology,  piirtiiulmly  trith  rrfrrenrr  to  Mut  and  l'.lutid,  dans  les  'Iraniaciion*  de  la  Société 
d'Archéologie  Elililiijiie,  t.  VII],  p.  im;  sqq.),  Shou  et  Tafnouit  sont  l'Aurore,  plus  exactement  les 
deux  Aurore»,  une  Aurore  ni  ait-  cl  une  Aurore  femelle. 

3.  Voir  p.  86-87,  1*8-13»  de  cette  Histoire  quelques-une*  des  variantes  antiques  de  cette  doctrine. 


U-2  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

d'un  dieu  du  ciel,  Horus,  étayé  de  ses  quatre  enfants  et  de  leurs  quatre  piliers  : 
défait,  les  quatre  fils  de  la  conception  héliopoiitaine,  Shou  et  Sibou,  Osiris 
et  Sit,  se  substituèrent  parfois  aux  quatre  dieux  antiques  des  maisons  du 
monde.  Cela  dit,  il  faut  remarquer  des  différences  considérables  entre  les 
deux  systèmes.  Tout  d'abord,  les  quatre  dieux  héliopolitains,  au  lieu  d'être 
rangés  sur  la  même  ligne  de  temps  et  d'apparition  comme  les  quatre  enfants 
d'Horus,  se  déduisent  l'un  de  l'autre  et  se  succèdent  par  ordre  de  naissance. 
Ils  n'ont  pas  cette  nature  uniforme  de  soutien  qui  les  attache  pour  toujours  à 
une  fonction  déterminée,  mais  chacun  d'eux  se  sent  doué  des  facultés  et 
armé  des  pouvoirs  spéciaux  qui  sont  nécessaires  à  sa  condition.  Us  s'associent 
enfin  à  des  déesses,  dont  l'adjonction  porte  à  neuf  le  nombre  total  des  êtres 
qui  travaillèrent  par  des  opérations  diverses  à  l'organisation  du  grand  tout. 
Aussi  les  appelait-on  d'un  nom  commun,  l'Ennéade,  la  Neuvaine  des  dieux 
—  paouît  noulîrou1,  —  et  le  dieu  qui  marchait  à  leur  tête,  le  dieu  de 
l'Ennéade,  —  Paouîti.  Mais,  la  création  achevée,  mille  organes  en  assuraient 
la  continuation  et  la  durée,  au  jeu  desquels  les  personnes  de  l'Ennéade 
n'avaient  point  le  loisir  de  veiller  elles-mêmes  :  elles  réclamaient  des  auxi- 
liaires pour  présider  à  chacun  des  actes  dont  l'accomplissement  semblait  indis- 
pensable à  la  marche  régulière  des  choses.  Les  théologiens  d'Héliopolis 
choisirent  dix-huit  des  innombrables  divinités  que  les  cultes  féodaux  de 
l'Egypte  laissaient  à  leur  disposition,  et  les  distribuèrent  en  deux  Ennéades 
secondaires,  issues  de  l'Ennéade  créatrice.  La  première  des  deux,  qu'on 
appelait  ordinairement  la  petite,  reconnaissait  pour  chef  Harsiésis,  le  propre 
fils  d'Osiris  Harsiésis  était  à  l'origine  un  dieu  de  la  terre,  qui  avait  vengé  son 
père  assassiné  et  sa  mère  proscrite  par  Sit,  c'est-à-dire  rendu  au  Nil  la  plé- 
nitude et  au  Delta  la  fécondité.  Incorporé  aux  religions  solaires  d'Héliopolis, 
on  ne  toucha  pas  à  sa  filiation  qui  établissait  un  lien  naturel  entre  les  deux 

1.  Le  signe  qui  sert  à  écrire  paouit  fut  confondu  par  les  premiers  égyptologucs  avec  le  signe  À* A  cl 
le  mot  lu  khet,  autre  (Champollion,  Grammaire  Égyptienne,  p.  292,  320,  331,  404,  etc.).  M.  de  Bougé, 
le  premier,  en  détermina  la  prononciation  phonétique  :  il  «  doit  se  lire  Paou  et  désigne  un  ensemble 
de  dieux  »  (Lettre  de  M.  de  Rouge,  juin  1832,  publiée  dans  F.  Lajard,  Hecherches  sur  le  Cyprès 
Pyramidal  aux  Mémoires  de  V Académie  des  Inscription*  et  Belles-Lettres,  t.  XX,  2*  partie,  p.  176). 
Brugsch  démontra  bientôt  après  (Ueber  die  Hiéroglyphe  des  Neumondes  und  ihre  rerschiedenen  Bedeu- 
tungen,  dans  la  Zeitschrift  der  Morg.  G.,  t.  X,  p.  868  sqq.)  que  «  l'ensemble  de  Dieux  invoqué  par 
M.  K.  de  Bougé  devait  se  composer  de  neuf  dieux  »,  d'une  Ennéade.  Cette  explication  ne  fut  d'abord 
admise  ni  par  Lepsius  (Uebcr  die  Gôltcr  der  Vier  Eletnente  bei  den  .Egypter),  ni  par  Mariette,  qui 
avait  avancé  une  interprétation  mystique  du  mot  dans  son  Mémoire  sur  la  mère  d'Apis  (p.  25-36),  ni 
par  E.  de  Bougé  (Études  sur  le  Bituel  funéraire,  p.  43),  ni  par  Chabas  (Une  Inscription  historique  du 
règne  de  Séti  Pr,  p.  37,  et  Un  Hymne  à  Osiris,  dans  la  Bévue  Archéologique,  i'9  série,  t.  XIV,  p.  1*18- 
200).  Le  sens  Neuvaine,  Ennéade,  ne  fut  adopté  franchement  que  plus  tard  (Maspkro,  Mémoire  sur 
quelques  Papyrus  du  Louvre,  p.  U4-U5),  surtout  après  la  découverte  des  textes  des  Pyramides  (BRrcscH, 
Thésaurus  Inscriptionum  sEgypliacarum,  p.  707  sqq.);  c'est  le  seul  qu'on  reconnaisse  aujourd'hui. 
Naturellement  l'Ennéade  égyptienne  n'a  de  commun  que  le  nom  avec  les  Ennéades  néo-platoniciennes. 


LES  ENNÉADES  HERM0P0L1TAINES.  143 

Ennéades,  mais   on   adapta  sa   personne  à  celle   du    milieu    nouveau    dans 
lequel  on  le  transportait  :   on  l'identifia  avec  Itâ  par  l'entremise  de  l'ancien 
Honis,  Haroéris-Harmakhis,  et  la  petite  Ennéade  débuta,  comme  ta  grande, 
par  un  dieu-Soleil.  On  ne  poussa  pas  cependant  l'assimilation  jusqu'à  investir 
le  jeune  Honis  des  mêmes  pouvoirs  que  son  ancêtre  fictif  :  il  fut  le  soleil  de 
notre  monde  terrestre,  le  soleil  journalier,  tandis  qu'A  ton  mou-Kà  demeurait 
le  soleil  antérieur  au  monde,  le  soleil  éternel.  Nous  connaissons  mal  les  huit 
personnages   qui    lui    succé- 
daient et   la   liste  en  varie. 
On    voit    seulement    qu'elle 
comprenait  surtout  les  dieux 
qui  gardent  l'astre  contre  ses 
ennemis   et    qui    l'aident    à 
parcourir  sa    route  accoutu- 
mée. Ainsi  Harhouditi,  l'Ho- 

LE«  QI'tTRE  GÉflISS  TÏNÉMUI',  *K$tT,  HilPI,  TIOl'«tOlTF,  XtlKtONOCF  ' 

rus  d'Edfou,  poursuit,  lapique 

à  la  main,  les  hippopotames  ou  les  serpents  qui  hantent  les  eaux  célestes  et 
menacent  le  dieu.  Thot  règle  la  marche  de  la  barque  lumineuse  par  ses  incan- 
tations. Ouapouaîtou,  le  double  chacal  de  Siout,  la  guide  et  au  besoin  la 
tire  à  la  cordelle  le  long  du  ciel  du  Midi  et  du  Nord.  H  semble  que  la  dernière 
F.nnéade  comptât  parmi  ses  membres  Anubis  le  chacal  et  les  quatre  génies 
funéraires,  enfants  d'Horus,  Hàpi,  Ainsi!,  Tioumaoutf,  Kabhsonouf;  il  semble 
aussi  qu'elle  eût  pour  métier  de  soigner  et  de  défendre  le  soleil  mort,  le 
soleil  de  nuit,  comme  la  seconde  faisait  le  soleil  vivant.  Ses  fonctions  étaient 
tellement  obscures  et  semblaient  si  insignifiantes  au  prix  de  celles  que  rem- 
plissaient les  autres  Ennéades  que  les  théologiens  ne  se  donnèrent  point  la 
peine  de  la  représenter  ni  d'en  énumérer  les  personnes  :  ils  la  nommaient  en 
bloc  après  les  deux  autres,  dans  les  formules  où  ils  croyaient  nécessaire  de 
mettre  en  jeu  toutes  les  forces  créatrices  et  préservatrices  de  l'univers,  mais 
c'était  acquit  de  conscience  et  amour  de  l'exactitude  plutôt  que  respect  réel. 
Les  trois  Ennéades  réunies  mouvaient  et  perpétuaient  le  monde  sous  l'impul- 
sion du  maître  d'Héliopolis  :  les  dieux  qu'elles  n'avaient  point  recueillis  dans 
leur  sein  étaient  ou  bien  des  ennemis  qu'elles  devaient  combattre  ou  bien  des 
serviteurs  aux  ordres  de  l'une  d'elles*. 

1.  Deuinâe  Faacher-Gudin.daprèi'Wit.vvfti^.ManneTtandCiulemt.t- èA.,  I.  III,  p. Ht,  pl.XLVIII. 
î.  Le  peu  qu'on  «ait  sur  les  dcui  Ennéades  secondaires  d'Héliopolis  a  été  rassemblé  par  HmfMo, 
f.tuda  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptienne;  1.  II.  p.  Î99  iq<|.,  353-351,  371-372. 


4U  LES   DIEUX   DE  LÉÉCYPTE. 

Le  dogme  de  l'Ennêade  héliopolîtaine  conquit  une  fortune  prompte  et  dura- 
ble. Il  présentait  un  tableau  de  la  création  si  clair  et  ordonné  de  façon  si  con- 
forme à  l'esprit  des  traditions  que  les  collèges  sacerdotaux  l'adoptèrent  l'un 

après  l'autre,  en  le  pliant 
aux  exigences  du   patrio- 
tisme local.   Ils  placèrent 
chacun  le  dieu  de  leur  cité 
en  tète  de  l'Ennêade  comme 
k  dieu  neuvainier  » ,  «  dieu 
de  la  première  fois  »,  créa- 
teur du  ciel  et  de  la  terre, 
souverain  des  hommes  et 
maître  de  tout  faire  :  de 
même  qu'on   voyait  l'En- 
nêade d'Atoumou  à  Hélio-  , 
polis,  on   vit  celle   d' Att- 
irai ri  à  Thinis  et  à  Sêben- 
njtos,   celle   de  Mfnou   à 
Coptos  et  à  Panopolis,  celle 
d'Haroêris  à  Edfou,  celle 
de  Sobkou  à  Ombos,  plus 
tard  celle  de  Phtah  àMera- 
phïs   et    celle   d'Anton    à 
Thèbes1.  Les  nomes  qui  adoraient  une  déesse  n'éprouvèrent  aucun  scrupule  à 
lui  prêter  le  rôle  d'Atoumou  et  à  lui  attribuer  la  maternité  spontanée  de  Shou 
et  de  Tafnouit  :  Nit   émit  et  dirigea  l'Ennêade  de  Sais,  Isis  celte  de  Bouto, 
Hâthor  celle  de  Dentlérah1.  La  plupart  des  collèges  sacerdotaux  n'allèrent  pas 
plus  loin  que  cette  substitution.  Pourvu  que  leur  dieu  prit  rang  de  maître 
suprême,   le   reste    leur  importait  peu   et  ils  ne  changeaient  rien  à  la  suc- 
cession des  autres  agents  créateurs  :  même  les  emplois  inférieurs  où  la  tra- 
dition héliopolttaine  reléguait  des  puissances  comme  Osiris,  Sibou,  SU,  recon- 

I.  Plan  de  Thuitlirr,  /Taprr$  la  Description  de  rÊayple.  An!.,  t.  IV,  pi.  511. 

±.  Les  lieux  Ennéndes  de  Phtah  cl  d'Amoii,  ce  dernier  remplacé  par  Nontou  aux  liasses  époques, 
non!  relie»  dont  on  possède  jusqu'il  puisent  le  plus  grand  nombre  d'exemples  (Lursins.  Uehtr  de» 
Entett  .•EgyiilUehen  V.nUerkreii.  pi.  I-III  ;  Bblssch,  Thctaunu  Inuriplinnvm,  p.  7i"-"3(l). 

3.  Sur  l'Ennêade  d'Hàthor  à  Dendérah,  voir  ««mette,  Deiidrrah.  texte,  p.  «Il  «u,q  Le  fait  que  Nlt. 
Isis  el  en  «.énéral  toutes  les  déesses  féodales  étaient  les  maîtresse*  de  l'Ennêade  locale  est  prouvé  par 
les  épil hèles  qu'on  leur  donne,  et  qui  les  rc.  présente  ni  routine  ayant  le  pouvoir  créateur,  seules,  par 
leur  propre  puissance,  au  même  Litre  que  le  dieu-màle,  rlief  de  l'Krinéade  liéliopolitaine. 


THOT  ET  I/ENNÊADE  HERMOPOLITAINE.  145 

.  dans  le  pays  entier,    n'étaient    pas   pour  déplaire  à    leur 

vanité.  Seuls  les  théologiens  d'Hermopolis  se  refusèrent  à  emprunter  le 
système  nouveau  machinalement  et  de  toutes  pièces.  Her- 
mopolis  avait  été  dès  le  début  l'une  des  cités  maî- 
tresses de  l'Egypte  Moyenne.  Isolée  dans  les  terres  à 
mi-chemin  entre  le  Nil  de  l'Est  et  celui  de  l'Ouest, 
elle  avait  établi  sur  chacun  des  deux  grands  bras 
du  fleuve  un  port  et  une  douane,  où  tous  les  bateaux 
qui  voulaient  monter  ou  descendre  le  courant  devaient 
,  acquitter  un  droit  de  péage  avant  de  continuer  leur 

route.   Non  seulement   les  blés  et  les  produits  naturels 

de  la  vallée  et   du  Delta,   mais  les  denrées  que  les   caravanes  soudanaises 

apportaient  à  Siout  de  l'Afrique  lointaine  contribuaient  à  remplir  son  trésor*. 

Son   dieu  Thot,   ibis  ou  babouin,  était   de   natui 

dieu-lune  qui  mesurait  le  temps,  comptait  lesjoi 

dénombrait  les  mois,  enregistrait  les   années3.  ( 

les  divinités  lunaires  jouissent  partout  des  pouv< 

les  plus  étendus  :  elles  commandent  aux  forces  i 

térieuses  de  l'univers,  elles  connaissent  les  sons, 

mots,  les  gestes  qui  les  mettent  en  mouvement, 

non    contentes    d'en    user  pour    elles-mêmes,   . 

enseignent  à  leurs  adorateurs  l'art  de  s'en  servir. 

ne  faisait  pas  exception  à  cette  loi.   Il  était  le 

seigneur  de  la  voix,  le  maître  des  paroles  et 

des    livres,    le    possesseur    ou   l'inventeur    des  . 

écrits  magiques  auxquels  rien  ne  résiste  au  ciel, 

sur  la  terre  et  dans  l'Hadès1.  Il  avait  découvert  les  incantations  qui  produisent 

et  régissent   les  dieux,  îl  en   avait  transcrit   le  texte  et    noté   la  mélopée, 

1.  Drain  de  Fauchtr-Gudin,  d'aprèt  une  figure  de  lerre  émaitUe  en  ma  postemion.  provenant  de 
Coptot.  Le  cou.  les  pattes,  la  queue  sont  en  émail  bleu,  le  reste  est  en  émail  vert.  I.a  petite  figu- 
rine de  femme  accroupie  sous  le  bec  est  relie  de  la  déesse  Malt,  la  Vérité,  l'alliée  de  Thot.  I.'ibîs 
était  muni  d'une  bélière.  aujourd'hui  cassée,  mais  dont  l'amorce  se  voit  encore  derrière  su  tèle. 

ï.  Sur  ces  douanes  d'Hermopolis,  et  sur  la  raison  de  leur  établissement,  voir  Mispek»,  fiole»  nu 
jour  le  jour,  g  19.  dans  les  Proeeedingt  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  l8!M-IB9i,  t.  XIV,  p .  HHS-iO*. 

3.  Le  nom  de  Thot.  Zehouli,  Tehouti,  parait  signifier  celui  qui  appartient  a  l'oiseau  Zehou,  Tehou, 
celui  qui  est  l'ibis  ou  qui  appartient  à  l'ibis  divin  (Bai'ncn,  Religion  und  Mythologie,  p.  4411). 

4.  bénin  de  r'auelicr-Gudin,  d'aprèt  une  figurine  de  terre  entaillée  rerle  en  ma  po'tetiion.  prove- 
nant rie  Coptot  (époque  faite). 

5.  t'J.  dans  le  conte  de  Satnî  (Maspeiio,  Contre  populaire»  de  CAnrienne  Egypte,  4*  éd.,  p,  175)  In 
description  du  ■  livre  que  Thot  a  écrit  de  sr  propre  main   lui-même  >.  et  qui  fait  de  son   possc-irur 

ciel,  b  terre,  l'Hadès,  les  montagnes,  le*  eaux  ;  lu  connaîtras  les  oiseau*  du  ciel  et  les   reptiles,  tous 


446  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

il  les  récitait  avec  la  justesse  d'intonation  —  ma  khrôou  —  qui  les  fait  souve- 
raines; tous  les  êtres,  hommes  ou  dieux,  à  qui  il  les  communiquait  et  dont  il 
rendait  la  voix  juste  —  smâ  khrôou  —  devenaient  comme  lui  les  maîtres  de 
l'univers1.  La  création  n'avait  pas  été  pour  lui  un  effort  musculaire  auquel 
les  autres  dieux  avaient  dû  de  naître  :  il  l'avait  accomplie  par  la  formule  ou 
même  par  la  voix  seule,  «  la  première  fois  »  qu'il  s'était  éveillé  dans  le  Nou. 
La  parole  articulée  et  la  voix  exerçaient  en  effet  une  puissance  créatrice 
que  rien  ne  dépassait  :  elles  ne  demeuraient  pas  immatérielles  en  sortant  des 
lèvres  vivantes,  mais  elles  se  prenaient  pour  ainsi  dire  en  substances  tangi- 
bles, en  corps  animés  eux-mêmes  de  vie  et  de  vertu  créatrices,  en  dieux  et 
en  déesses  qui  vivaient  ou  qui  créaient  à  leur  tour.  Déjà  Toumou  avait  mis  en 
branle  les  dieux  ordonnateurs  par  une  phrase  très  courte,  le  Viens  à  moi 
qu'il  avait  lancé  à  plein  gosier  le  jour  de  la  création  et  qui  avait  évoqué  le 
Soleil  hors  du  Lotus*.  Thot  avait  ouvert  les  lèvres,  et  sa  voix  poussée  au 
dehors  s'était  fait  être,  le  son  s'était  figé  en  matière,  les  quatre  dieux  qui 
président  aux  quatre  maisons  du  monde  étaient  tombés  tout  vifs  de  sa 
bouche  sans  tension  corporelle  et  sans  évocation  parlée.  La  création  par  la  voix 
simple  dénote  un  raffinement  de  pensée  presque  aussi  subtile  que  celui  qui  a 
substitué  la  création  par  la  parole  à  la  création  par  le  geste.  Le  son  est  en 
effet  à  la  parole  ce  que  le  coup  de  sifflet  d'un  officier  de  quart  est  au  com- 
mandement par  le  porte-voix  dans  la  manœuvre  d'un  navire  :  il  simplifie 
la  parole  et  la  réduit  comme  à  l'abstraction  pure.  Au  début  le  créateur  avait 
parlé  le  monde,  plus  tard  il  le  sonna  :  il  lui  restait  encore  à  le  penser,  mais 
c'est  là  une  conception  à  laquelle  les  théologiens  ne  paraissent  pas  avoir 
songé8.  On  racontait  à  Hermopolis,  et  cette  légende  fut  plus  tard  acceptée  de 
tous,  même  des  Héliopolitains,  que  la  séparation  de  Nouît  et  de  Sibou  avait 
été  opérée  sur  l'emplacement  de  la  cité  :  Shou  avait  escaladé  le  tertre  où 
l'on  bâtit  ensuite  le  temple  féodal,  pour  mieux  porter  la  déesse  et  pour  sou- 
lever le  ciel  à  la  hauteur  convenable*.  La  conception  d'un  conseil  créateur 

quant  ils  sont;  tu  verras  les  poissons  de  l'abîme,  car  une  force  divine  les  fera  montera  la  surface  de 
l'eau.  Si  tu  lis  la  seconde  formule,  encore  que  tu  sois  dans  la  tombe,  tu  reprendras  la  forme  que  tu 
avais  sur  terre;  même  tu  verras  le  soleil  se  levant  au  ciel  et  son  cycle  de  dieux,  la  lune  en  la  forme 
qu'elle  a  lorsqu'elle  parait.  » 

1.  Pour  le  sens  de  ces  expressions,  voir  Maspero,  Études  de  Mythologie,  t.  I,  p.  93-114. 

2.  Voir  le  récit  de  cet  épisode  mythologique  à  la  page  140,  et  la  vignette  qui  montre  le  Soleil 
enfant  sortant  du  lotus  épanoui,  à  la  page  137  de  cette  Histoire. 

3.  La  théorie  de  la  création  par  la  voix  et  par  le  son,  ainsi  que  son  influence  sur  le  développement 
de  l'Ennéade  Hermopolitaine,  ont  été  exposées  pour  la  première  fois  par  Maspero,  Création  by  the 
Voice  and  the  Ennead  of  Hermopolis  (dans  V Oriental  Quarterly  Review,  2*  sér.,  t.  111,  p.  365  sqq.), 
et  bientôt  après  dans  les  Études  de  Mythologie  et  d Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  372  sqq. 

i.  Livre  des  Morts  (éd.  Naville,  pi.  XXIII),  ch.  xvn,  I.  3  sqq.  Aussi  d'autres  textes  affirment-ils  que 


LA  CRÉATION  PAR   LA  PAROLE  ET  PAR  LA  VOIX.  147 

de  cinq  dieux  prévalut  si  bien  à  Hermopolis  que  la  ville  en  reçut  de  toute 
antiquité  le  nom  de  Maison  des  Cinq  :  son  temple  s'appela  la  Demeure 
des  Cinq  jusqu'aux  derniers  jours  de  l'Egypte,  et  son  prince,  qui  était  par 
hérédité  chef  du  sacerdoce  de  Thot,  inscrivit  au  premier  rang  parmi  ses  titres 
officiels  celui  de  Grand  de  la  maison  des  Cinq*. 

Les  quatre  couples  qui  avaient  assisté  Atoumou  s'identifièrent  aux  quatre 
dieux  auxiliaires  de  Thot  et  modifièrent  le  conseil  des  Cinq  en  une  Grande 
Ennéade  Hermopolitaine,  mais  au  prix  d'étranges  métamorphoses*.  Si  arti- 
ficiellement qu'on  les  eût  groupés  autour  d'Atoumou,  ils  avaient  conservé 
tous  une  physionomie  assez  particulière  pour  qu'on  ne  fût  pas  tenté  de  les 
confondre  l'un  avec  l'autre  ;  du  moment  que  l'univers  à  l'organisation  duquel 
ils  avaient  collaboré  résultait  en  dernière  analyse  d'opérations  très  diverses, 
qui  exigeaient  un  déploiement  considérable  de  force  matérielle,  il  fallait  bien 
que  chacun  d'eux  gardât  l'individualité  nécessaire  à  produire  les  effets  qu'on 
attendait  de  lui.  Ils  n'auraient  pu  exister  et  développer  leur  action  s'ils  ne 
s'étaient  conformés  aux  conditions  ordinaires  de  l'humanité  :  comme  ils  nais- 
saient l'un  de  l'autre,  ils  devaient  se  doubler  de  déesses  vivantes,  aussi  capa- 
bles d'enfanter  qu'eux-mêmes  l'étaient  d'engendrer.  Au  contraire,  les  quatre 
d'Hermopolis  pratiquaient  un  seul  moyen  d'action,  la  voix  :  sortis  de  la  bou- 
che du  maître,  c'est  par  la  bouche  qu'ils  avaient  créé,  c'est  par  la  bouche 
qu'ils  perpétuaient  le  monde.  Us  auraient  pu  se  passer  de  déesses,  si  le 
mariage  ne  leur  avait  été  imposé  par  leur  identification  avec  les  dieux  cor- 
respondants de  l'Ennéade  Héliopolitaine  ;  du  moins  leurs  femmes  n'eurent- 
elles  qu'une  apparence  de  vie  presque  sans  réalité.  Puisqu'ils  possédaient  le 
procédé  de  Thot,  ils  prenaient  sa  figure  et  trônaient  à  ses  côtés  comme  autant 
de  singes.  Les  huit  dieux  d'Héliopolis,  associés  au  maître  d'Hermopolis,  assu- 
mèrent le  caractère  et  la  forme  des  quatre  dieux  auxquels  ils  s'unissaient. 
On  les  représenta  souvent  comme  huit  babouins  assemblés  autour  du  babouin 
suprême8,  comme  quatre  paires  de  dieux  et  de  déesses  sans  attributs  et  sans 

le  norae  hermopolitain  est  celui  «  où  la  lumière  commença  quand  ton  père  lia  se  leva  du  lotus  »;  Dûmi- 
chen,  Geographische  Inschriften,  t.  I  (111  du  Recueil  de  Monuments),  pi.  L\\  I.  2-3;  cf.  pi.  XCVI,  1.  21. 
i.  E.  dk  Roigk,  Recherches  sur  les  monuments  quon  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties 
de  Manéthon,  p.  62;  Brugsch,  Dictionnaire  Géographique,  p.  962;  au  Papyrus  Magique  Harris  (pi.  III, 
1.  5-6,  éd.  Chabas,  p.  53),  on  les  appelle  «  ces  cinq  dieux...  qui  ne  sont  ni  au  ciel  ni  sur  terre,  et 
que  le  soleil  n'éclaire  pas  ».  Sur  la  conception  cosmogonique  que  ces  titres  hermopolitains  sup- 
posent, voir  Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  259-261,  381. 

2.  Les  rapports  des  Huit  avec  l'Knnéadc  et  avec  le  dieu  Un  ont  été  indiqués  par  iMaspero  (Mémoire 
sur  quelques  Papyrus  du  Louvre,  p.  91-95)  ainsi  que  la  formation  et  le  caractère  de  l'Ennéade 
Hermopolitaine  (Études  de  Mythologie  et  d Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  257-261,  381-383). 

3.  W.  Golk.niciif.kf,  Die  Metternichstele,  pi.  1,  où  les  singes  adorent  le  disque  solaire  dans  sa  barque  : 
cette  scène  est  fréquente  sur  les  hypocéphales  qu'on  trouve  sous  la  tête  des  momies  gréco-romaines. 


148  LES  DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

visage  caractéristiques1,  enlin  comme  quatre  couples  de  personnages  à  corps 
d'homme  et  à  tête  de  grenouille  pour  les  dieux,  à  corps  de  femme  et  à  tète 
serpent  pour  les  déesses1.  Ils  chantent  matin  et  soir,  et 
hymnes  mystérieux  dont  ils  saluent  le  lever  et  le  coucher 
soleil  assurent  la  continuité  de  son  cours.  Leurs  noms 
nés  ne  survécurent  pas  à  leur  métamorphose  :  on  ne 
r  en  donna  plus  qu'un  par  couple,  dont  la  terminaison 
rîe  selon  qu'on  veut  désigner  le  dieu  ou  la  déesse,  Nou 
Nouît,  Hehou  et  Hehît,  Kakou  et  Kakjl,  Ninou  et  Ninit. 
a  paire  Nou-Nouit  répond,  autant  qu'il  est  permis  d'en 
uger,  à  Shou-Tafnouit,  Hehou-Hehît  à  Sibou  et  à  Nouît, 
hvakou-Kakit  à  Ostrïs  et  à  Isis,  NinouNinit  à  Sît  et  à 
ephthys.  Aussi  bien  ne  trouvait-on  pas  souvent  l'occasion 
les  invoquer  séparément  :  on  les  appelait  les  Huit,  — 
mounou3  —  sans  entrer  dans  le  détail,  et  Hermopolis 
;ut  à  cause  d'eux  le  nom  de'Khmounou,  la  Ville  des  Huit*, 
i  leur  retira  par  la  suite  le  peu  de  vie  individuelle  que 
tte  condition  leur  laissait  encore,  et  on  les  fondit  en  un 
ml  être  dont  les  textes  parlent  comme  de  Khomniuou, 
le  dieu  Huit.  L'Ennéade  de  Thot  en  arriva  donc  d'étape 
en  étape  à  ne  plus  contenir  que  deux  termes,  le  dieu 
)  Un  et  le  dieu  Huit,  la  Monade  et  l'Ogdoade,  encore  le 
«whi  ue  thèses3.  dernier  n'existait-il  guère  qu'en  théorie  et  s'absorbait- il 

le  plus  souvent  dans  la  personne  du  premier.  Les  théolo- 
giens d'Hermopolis  dégagèrent  graduellement  l'unité  du  dieu  féodal  de  la 
multiplicité  des  dieux  cosmogoniques". 

Comme  ils  avaient  fait  la  doctrine  héliopolitaine,  les  collèges  sacerdotaux 

I.  Luron,  Disionario  di  Mil'ilogia  Eghia,  pi.  XII. 

*.  LtpsiiTs,  Denkm.,  IV,  m  c;  Markttk,  flenaVraA,  t.  IV,  pi.  70:  Chahpollio*,  Monument*  deCÉgypte. 
|>l.  CXXX.  On  a  discuté  et  l'an  discute  encore  sur  la  valeur  qu'il  convient  d'attacher  à  chacun  d'eux. 
I.cpsius,  le  premier,  a  essayé  de  montrer  dans  un  mémoire  npécînl  (Veber  die  Gôtter  drr  fier  Ele- 
mtttle  bei  den  .Egyptern,  ISjH)  qu'ils  étaient  les  dieux  de»  quatre  éléments;  Diimichen  voit  dans  cha- 
cun de*  quatre  couples  la  Matière  primitive,  l'Espace  primitif,  le  Temps  primitif1,  la  Force  primitive 
[tienrh'n-hte  .Egypleim,  p,  ÏW  sqq.);  Brunch  {Iteligion  und  Mythologie,  p.  tï3  sqq.)  préfère  >  recon- 
naître l'Eau  primordiale,  l'filcruilc.  l'Obscurité,  l'Inertie  primordiale. 

3.  I.c  nom  a  été  lu  pendant  longtemps  Senuunav,  il'après  Cliampollion  :  Bruptcli  en  a  découvert  la 
véritable  prononciation  khmounou  (licite  nark  ttrr  lironrii  (Mit  el-Khargch,  p.  3»;  cf.  Veber  die 
Auttprache  eiuiger  ZaMwârler  im  Atlâgyptiicheii,  dans  la  Zcittchrift,  1874,  p.  145-117). 

1.  I>'où  sou  nom  moderne  El-Ashmounéln  ;  cf.    Bhussck,  Dictionnaire  Géographique,  p,  719-751. 

5.   Itenii!  de  Fauclier-Gudia,  (Câpres  une  italuetle  de  bronze  en  ma  pottctiion,  trouvée  à  Thèhrt. 

i\.  M.isrEB.i,  fltude*  de  Hythalogie  et  d' Archéologie  Égyptienne:  t.  Il,  p.  383  sqq.,  oii  cette  façon 
d'envisager  l'Eimëade  hermopolilKlne  a  été  exposée  pour  la  première  fois. 


DIFFUSION  DES  ENNÊADES. 


adoptèrent  pour  la  plupart  celle  d'Hermopolis  :  Amon,  par  exemple,  présida 
indifféremment  les  huit  babouins  et  les  quatre  couples  indépendants  de  l'Ën- 


néade  primitive1.  Le  procédé  d'adaptation  ne  différait  aucunement  dans  les  deux 
vas  et  n'aurait  point  souffert  de  difficulté  si  les  divinités  auxquelles  on  l'appli- 

I.  Orttin  de  t'iiHcher-tiuditi,  il'aprit  mie  jiAofciflm/i/nV  de  Ilé/iin;  ci.  1.i:psh  s,  lleiikm.,  IV.  |il.  Gii.  r. 
J'ai  réuni  ilans  celle  vignette  les  ilem  extrémités  d'un  «ranH  lalileaii  de  rhilic,  où  les  Huit,  j>:iHjij;i's 
un  deux  (;rou|jFU  de  quatre,  assistent  à  l'adoration  du  rai.  Selon  un  usa^c  fréoncut  \ers  ré|>oi|ii!' 
Kréco-roinainu,  If  sculpteur  a  donné  aux  pieds  de  ses  dieux  la  forme  d'une  tête  de  chacal  :  c'est 
façon  de  rendre  la  métaphore  où  l'on  compare  un  coureur  ;iu  chacal  qui  rode  autour  de  ]'fieypte 

t.  Amon    préside  à   l'Ennéade  llermoiiolitaine   doua  un    lias-relief  île    Pliil»'    (I.lisii s,  Dcnkin.,   IV, 


150  LES  DIEUX   DE  L'EGYPTE. 

quait  n'avaient  jamais  eu  de  famille  :  il  aurait  suffi  de  changer  dans  chaque 
ville  un  nom,  un  seul,  à  la  liste  héliopolitaine,  et  le  nombre  de  la  Neuvaine 
serait  demeuré  neuf  après  comme  avant  l'opération.  Mais  depuis  qu'elles 
étaient  devenues  triades,  on  ne  pouvait  plus  les  considérer  de  prime  abord 
comme  de  simples  unités  capables  de  se  combiner  sans  arrangement  préalable 
avec  les  éléments  de  l'une  ou  l'autre  des  Ennéades  :  il  fallait  bon  gré  mal  gré 
prendre  avec  elles  les  deux  compagnons  qu'elles  s'étaient  choisis,  et,  rempla- 
çant le  seul  Thot  ou  le  seul  Atoumou  par  les  trois  patrons  de  chaque  nome, 
changer  en  onzain  la  neuvaine  traditionnelle.  Heureusement  la  constitution  de 
la  triade  se  prêtait  à  tous  les  accommodements.  Nous  savons  déjà  que  le  père 
et  le  fils  étaient,  si  l'on  voulait,  un  seul  et  même  personnage.  Nous  savons 
encore  que  l'un  des  deux  parents  dominait  toujours  l'autre  de  si  haut  qu'il 
l'annulait  presque  entièrement  :  tantôt  la  déesse  disparaissait  derrière  son 
époux,  tantôt  le  dieu  n'existait  que  pour  justifier  la  fécondité  de  la  déesse  et 
ne  s'attribuait  d'autre  raison  d'être  que  son  emploi  de  mari1.  On  en  vint 
assez  vite  à  mêler  deux  personnages  si  étroitement  unis  et  à  les  définir  comme 
étant  les  deux  faces,  les  deux  aspects  masculin  et  féminin  d'un  seul  être. 
D'une  part,  le  père  était  un  avec  le  fils  et  de  l'autre  il  était  un  avec  la  mère  ; 
la  mère  était  donc  une  avec  le  fils  comme  avec  le  père,  et  les  trois  dieux  de 
la  triade  se  ramenaient  à  un  dieu  unique  en  trois  personnes.  Grâce  à  ce  sub- 
terfuge, mettre  une  triade  au  sommet  de  l'Ennéade  n'était  plus  qu'une  façon 
détournée  d'y  mettre  un  seul  dieu  :  les  trois  personnes  n'y  comptaient  que 
pour  un,  et  les  onze  noms  additionnés  n'accusaient  au  total  que  les  neuf 
divinités  canoniques.  Telle  Ennéade  thébaine  d'Amon-Mout-Khonsou,  Shou, 
ïafnouit,  Sibou,  Nouît,  Osiris,  Isis,  Sit,  Nephthys,  est,  malgré  son  irrégularité 
apparente,  aussi  correcte  que  l'Ennéade-type.  Isis  se  double  des  déesses  de 
même  nature  qu'elle  Hâthor,  Selkit,  Taninit  et  ne  vaut  qu'un  encore.  Enfin 
Osiris  appelle  son  fils  Horus,  et  celui-ci  s'entoure  de  tous  les  dieux  qui  jouent 
comme  lui  dans  une  des  triades  le  rôle  de  dieux-fils.  Les  théologiens  avaient 
des  procédés  variés  pour  ramener  les  personnes  de  l'Ennéade  au  chiffre  de 
neuf,  quel  que  fût  le  nombre  dont  il  leur  plût  la  composer1.  Les  surnuméraires 

00  r);  c'est  à  lui  que  les  huit  babouins  adressent  leurs  hymnes  au  Papyrus  Magique  Harri* 
(pi.  III,  1.  6  sqq.,  éd.  Chabas,  p.  00,  09),  pour  le  prier  de  venir  en  aide  aux  magiciens. 

1.  Voir  plus  haut,  p.  104-1(17  de  cette  Histoire,  l'explication  de  ce  fait. 

î.  De  nombreux  exemples  de  ces  Ennéades  irrégulières  ont  été  réunis  par  Lepsius  d'abord  (Ueber 
den  Krsten  Aïgyptischcn  Gôtterkreis,  pi.  I-IV),  puis  par  Brugsch  (Thésaurus  Inscr iptionum  AZgyptiaca- 
rum%  p.  724-730).  L'explication  qu'on  en  donne  ici  en  a  été  proposée  par  Maspcro  (Études  de 
Mythologie  et  a" Archéologie  Égyptiennes,  t.  Il,  p.  245-240)  :  la  traduction  la  meilleure  qu'on  puisse 
donner  alors  de  paouit,  est   le  mot  cycle,  cycle  de  dieux,  qui  ne  suppose  aucun  nombre  fixe. 


LES  DIEUX  UNIQUES  ET  SOLITAIRES.  151 

allaient  par-dessus  le  marché,  comme  ces  ombres  des  soupers  romains  qu'on 
amenait  avec  soi  sans  prévenir  l'hôte,  et  dont  la  présence  ne  changeait  rien  à 
la  quantité  ou  à  l'ordonnance  des  convives  officiels. 

L'Ennéade  d'Héliopolis,  ainsi  remaniée  par  tous  les  bouts,  prit  aisément 
son  parti  de  ces  caprices  sacerdotaux,  et  profita  des  facultés  que  la  triade 
lui  offrait  de  s'élargir  sans  se  déformer.  Aussi  bien  la  version  qu'elle  avait 
adoptée  des  origines  de  Shou-Tafnouît  dut-elle  paraître  à  la  longue  d'une 
barbarie  par  trop  primitive.  Si  hardis  que  les  Égyptiens  de  l'époque  pharao- 
nique fussent  restés  à  l'habitude,  il  y  avait  dans  l'acte  d'émission  spontanée 
par  lequel  Atoumou  avait  produit  ses  deux  enfants  jumeaux  un  excès  de  bru- 


OIIPOjSE    DE  QBtTOME    D 


talité  au  moins  inutile  à  conserver,  quand  la  mise  du  dieu  en  triade  les 
autorisait  à  expliquer  cette  double  naissance  d'une  façon  conforme  aux  lois 
ordinaires  de  la  vie.  I.' Atoumou  solitaire  du  dogme  plus  ancien  s'effaça 
devant  l'Atoumou  mari  et  père  de  famille.  Il  avait,  à  dire  vrai,  deux  femmes, 
lousàsit  et  Nebthotpît,  mais  d'une  individualité  si  faible  qu'on  ne  se  donna 
pas  la  peine  de  choisir  entre  elles  :  elles  passèrent  l'une  et  l'autre  pour 
être  la  mère  de  Shou  et  de  Tafnouît.  Cette  combinaison,  d'une  ingéniosité 
puérile,  eut  les  conséquences  les  plus  graves  pour  l'histoire  des  religions 
égyptiennes.  Dès  l'instant  qu'on  transformait  Shou  en  un  dieu-fds  de  la 
triade  héliopolitaine,  on  pouvait  bien  l'assimiler  avec  le  dieu-fils  de  toutes 
les  triades  qui  remplaçaient  Toumou  au  sommet  des  Ennéades  provinciales. 
On  vit  donc  Horus  fds  d'Isis  à  Bouto,  Arihosnofir  fils  de  Nil  à  Sais,  Khnoumou 
fils  d'Hâthor  à  Esnéh,  s'identifier  tour  à  tour  avec  Shou  fils  d'Atoumou  et 
perdre  leur  individualité  dans  la  sienne.  C'était  amener  à  délai  plus  ou 
moins  long  le  rapprochement  de  toutes  les  triades  et  leur  absorption  l'une 
dans  l'autre.  A  force  de  répéter  que  les  dieux-fils  de  la  triade  étaient  iden- 
tiques à  Shou  au  second  rang  de  l'Ennéade,  on  en  vint  à  penser  qu'ils  l'étaient 


1S3  LES   DIEUX  DE  L'EGYPTE. 

encore,  même  dans  la  triade  indépendante  de  l'Ennéade,  en  d'autres  termes, 
que  la  troisième  personne  des  familles  divines  était  partout  et  toujours  SI1011 
sous  un  nom  différent.  Or,  on  avait  fini  par  admettre  dans  les  collèges  sacer- 
dotaux que  Shou  et  Toumou,  le  père  et  le  fds,  sont  un  :  tous  les  dieux-fils 
étaient  donc  identiques  à  Toumou,  le  père  de  Shou,  et,  comme  ils  se  confon- 
daient chacun  avec  leurs  parents,  od  devait  en  conclure  que  ces  parents  eux- 
mêmes  étaient  identiques  à  Toumou.  En  raisonnant  de  la  sorte,  les  Égyptiens 
s'acheminaient  naturellement  vers  le  concept  de  l'unité  divine  où  les  menait 
déjà  la  théorie  de  l'Ogdoade  hermopolitaine.  Ils  y  touchèrent  en  effet,  et  les 
monuments  nous  montrent  d'assez  bonne  heure  les  théologiens  occupés  à 
réunir  en  un  seul  être  les  attributions  que  leurs  ancêtres  avaient  dispersées 
sur  mille  êtres  divers.  Mais  ce  dieu  vers  lequel  ils  tendent  n'a  rien  de  com- 
mun avec  le  dieu  de  nos  religions  et  de  nos  philosophies  modernes.  Il  n'était 
pas,  comme  le  nôtre  est  pour  nous,  Dieu  tout  court  :  il  était  Toumou,  le  dieu 
unique  et  solitaire  —  non  tir  onâou  ottâîti  —  à  Héliopolis,  Anhouri-Shou 
le  dieu  unique  et  solitaire  à  Sébennytos  et  à  Thinis.  L'unité  d'Atoumou 
n'excluait  pas  celle  d'Anhouri-Shou,  mais  chacun  de  ces  dieux,  unique  dans 
son  domaine,  cessait  de  l'être  dans  le  domaine  de  l'autre.  L'esprit  féodal,  tou- 
jours vivace  et  jaloux,  s'opposa  à  ce  que  le  dogme  entrevu  dans  les  temples 
v  triomphât  des  religions  locales  et  s'étendit  au  pays  entier.  L'Egypte  connut 
autant  de  dieux  uniques  qu'elle  avait  de  grandes  cités  et  même  de  temples 
importants  :  elle  n'accepta  jamais  le  dieu  unique,  Dieu. 


J^'e/yna^ea.'Jioine^'.-  ffla,  é&>u,  0»rU>,  <&.  3&ru«S. 

Vaot.   et.   I  invention   aeic>  Jci'esicea  '  et.  de '/ écriture.  '.   -  .  '/lehèii.'  et.  len.'  trv 

^prentierea  >  dunaJtie/t.  '  Auntaûiea.'. 


d.cti>  Oijyptie/ut.'  ae.'  ^proc/amcnt.  te.  p/urc>  ancien  elnt'  ^peup/ett'  I 
fraattio/ia.'  aur-'  la  cte'afionde'lnamnteJ'et-  dea.  '  oete/e.'.  -  J.evt^ùanéadea.'  nttio- 
poutaùie*.'  -pountipent.  le.'  caale.'  dca-'  dipiaj/ien  >  dit>ùiea-'.  -  *./tà,  premier-' 
roi  d  Ot/ypfe  '  et.  mmi  At'jtotre  '  fao'u/euàe}  :  il  ,ie'  /at/i'e  '  tromper^  et  depoau/er 
■par-' ^/îln. '.  détruit-  ù/i  '  nommea.  '  te'vo/te'ic',  jtuia.'  mende.'  au  de/. 

.-/a  /ctjendc'  de'  CWO»  et.  de.'  Ôiùoa.  -  =/.e' reyne'  a1 C/MriitJ  CÀinopArùiJ 
et.  dtdéiaJ  :  i/o.'  tifi/ijeJit.  lùai/pte.'  et.  le>  monde.'.  -  C/jiriit',  tue  par-  C'ù., 
eM.  etije.veli  par-' tdaùt.  '  et.  venae'  par-*  iduortut '.  -  d-e/t  '  quicrrta.J  de  >  vi/pnon  et. 
a  tJvorurcJ  :  pacification  et.  parfaite.'  ae'  l  Oat/pte'  en  ileit.v.  moiiie'rc'  pour*^ 
chacun  dea.'  deux  dieu*: 

.J.  cntoaumement.  otirien  .-  le' rouatime'  a  C/>irûc' eâl.  ouvert,  aux  C'ui- 
nantrc'  d*/Vorua.'.  -  -~le'  .-livre'  dea  '  J/iorta.'.  -  <J.e/i'  pe're'au'itiitiona  '  ae' 
/ àtne' en  ottête*  deit'  cÂantpa'  a,  /a/ou.  •  ^ie  ' /'uaement.  ae  ' /âme ',  /a  co/t- 
/epion  neaatio*.'.  -  cJ.ejtJ  privi/rae/t.  >  et.  /est  '  aevoinz  '  dea.'  itmelit  '  oiirieaiiea  '. 
*    toii/uMon  de/e.'  ideeic'  ojirieiuiea.'  et.  dacJ  ideeic'  aoutireu.'  Jur-'la  condition 


aac' mortrL> : ùiL> morttc' ttaji/tJ   la    ùaraueJ au    Ôoleil.    -  ^La  sortie' jten-dant. 
le'jour-\  -  cdUtcJ  caawajvt&c?  et \JOeumaJcnùt'  conlrcJ  cVî. 

ù/ioi,  mut  rMeJ  aùttwu'eui*'  :  il  ret>élc'  aux  nommttt'  toutea.'  leu.' 
âciaicest-K  -  .~C  astronomie  ;  letc'  iaeù/L.'  stellaireit';  laanèe.',  aeaJ  aifiàiorut.', 
û&t>  inuKtféctioniL' '.-  I ùyluenee'  etea.'  astreicJ  et.  item'  ioum.'  sur-' '  lea.'  de.<iûite/<.  ? 
Aiimaùieic?.  -  *LejtJ  astre.}  maaiauea.^  ;  lest  '  cotijuratiotuc  -',  l&tJ  aniuletteji.'.  -  .Ua 
nte'eleciiic' :  ici.' eMiritaJ  Ptàutx;  lea.>  diagutoûtictt-',  ItttJ remèj/ea.'.  -  *L  écriture'  ; 
iaeoaraitniaue.',   ,<ti//a/>i<ijie ',   a//wi<ibeù'aue '. 

Cuncefttion    Iraixi/ianne/le  '  ite  >  I. \JVÙtaire  '  a  Ogrutrte  '  :  ■  >/Can/tfu>ti.  tetc  ' 

lesteu-J  rvaalesc',    tea  '  qranaeic  '  aiinsionn.  >  iteJ  l/tistoire  '.     -    i/ncrrtituae.'  aeu.  ' 

commencement  '.' .  r/Cé/iè^JeJ-fa  le'aeuite'ae.'  ^'/Certwhuz.'.  -tXeic  'troùt.  '  frremierett.' 

i/i//nr.'/ie/r  '  ftiimaineu  ',   lieux    mùtitea'   et.      la     troisième  '  mempnite  \     • 

C^ataclère.'  et.   orùfiiir'  eteic'  lèae/utejt.'  au  on  en  raconte': 

Ai     stèle'    de '     la      fltmine  '.     •    ^iem '    fvtntieta^' 

/nona nient,  i  '  :  la   fn/ramtete  '  à  aearr/C  ' 


CHAPITRE   III 

L'HISTOIRE    LÉGENDAIRE   DE    L'EGYPTE 


if,s  ;   ni,  shou,  osmis.  sIt,  hurls. 

L'INVENTION    DES    SCIENCES   ET    DE    l/ÊCRITUHE.    MÉNf.S    ET    LES    TROIS   PREMIÈRES 


c 


Iomme  la  constitution  du  sol,  la  formation  et  la 
I  diffusion  de  l'Ennéade  exigèrent  des  siècles  d'ef- 
forts soutenus,  dont  les  Égyptiens  eux-mêmes  ne 
savaient  ni  le  nombre,  ni  l'histoire  authentique.  Qui 
les  interrogeait  sur  le  passé  de  leur  race,  ils  se  pro- 
clamaient les  plus  anciens  des  hommes,  auprès  de 
qui  le  reste  ne  paraissait  qu'un  ramassis  d'enfants 
en  bas  âge,  et  ils  éprouvaient  pour  les  peuples  qui 
repoussaient  leurs  prétentions  l'indulgence  mêlée  de 
pitié  des  gens  devant  lesquels  on  révoque  en  doute 
une  vérité  connue  de  tout  temps  :  ils  s'étaient 
manifestés  sur  les  bords  du  Ml  avant  même  que 
le  créateur  eût  achevé  son  œuvre,  tant  les  dieux 
ivaient  hâte  de  les  voir  naître.  Personne  entre  eux  ne  contestait   la  réalité 

arci  une  photographie  de  titato  (RoMllisi. 
i  de  derrière  et  les  pattes  levées  en   ligne 


\m  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

de  ce  droit  d'aînesse  qui  ennoblissait  la  race  entière,  mais  quand  on 
leur  demandait  le  nom  de  leur  père  divin,  l'accord  se  rompait,  et  chacun 
faisait  valoir  les  droits  d'un  personnage  différent1.  Phtah  avait  modelé 
l'humanité  de  ses  propres  mains*.  Khnoumou  l'avait  façonnée  sur  le  tour 
a  potier*.  Râ,  apercevant  la  terre  déserte  et  nue  à  son  premier  lever, 
l'avait  inondée  de  ses  rayons  comme  d'un  flot  de  larmes  :  tout  ce  qui 
a  vie,  plantes,  animaux,  l'homme  lui-même,  avait  jailli  de  ses  prunelles 
pêle-mêle  et  s'était  répandu  à  la  surface  du  monde  avec  la  lumière1.  On 
présentait  parfois  les  faits  sous  un  aspect  moins  poétique.  La  boue  du 
Nil,  chauffée  à  outrance  par  les  ardeurs  du  soleil,  avait  fermenté  et  enfante 
sans  germes  les  races  des  hommes  et  des  animaux5;  elle  s'était  comme 
pétrie  elle-même  en  mille  formes  vivantes,  puis  sa  puissance  génératrice 
s'était  affaiblie,  presque  épuisée.  On  rencontrait  pourtant  encore,  sur  les 
bords  du  fleuve,  au  plus  fort  de  l'été,  des  bêtes  de  petite  taille,  dont  l'état 
témoignait  de  ce  qui  s'était  passé  autrefois  pour  les  espèces  les  plus  grandes. 
Les  unes  semblaient  déjà  complètes  et  s'agitaient  pour  se  dégager  de  la 
boue  qui  les  oppressait;  les  autres,  encore  inachevées,  remuaient  faible- 
ment la  tête  et  les  pattes  de  devant,  tandis  que  le  train  de  derrière  finissait 
de  s'articuler  et  de  prendre  forme  dans  sa  matrice  de  terre*.   Râ  n'était  pas 

1.  Hippys  de  Rhégum,  fragm.  1,  dans  MCller-Didot,  Fragm.  Hist.  Gr.,  t.  H,  p.  13;  Aristote,  Politique. 
VU,  9,  et  Météorol.,  I,  14;  Diodore  de  Sicile,!,  10,  22,  50,  etc.  On  connaît  les  paroles  que  Platon  met 
dans  la  bouche  d'un  prêtre  égyptien  :  «  0  Solon,  Solon,  voua  autres  Grecs,  vous  n'êtes  toujours  que 
des  enfants,  et  il  n'y  a  point  de  Grec  qui  soit  vieux.  Vous  êtes  tous  jeunes  par  l'âme,  car  vous  n'y 
avez  pas  la  tradition  antique,  ni  doctrine  ancienne,  ni  enseignement  blanchi  par  le  temps  (Timée, 
p.  22  H)  ».  D'autres  peuples  leur  disputaient  la  primauté,  les  Phrygiens  (Hérodote  II,  n),  les  Mèdes 
ou,  chez  les  Mèdes,  la  tribu  des  Mages  (Aristote  dans  Diog.  Laerce,  pr.  G),  les  Éthiopiens  (Diodore, 
III,  2),  les  Scythes  (Ji'stin,  II,  1  ;  A*  ai  en  Marcellin,  XXXI,  15,  2);  un  cycle  de  légendes  s'était  formé 
à  ce  sujet,  où  l'on  racontait  les  expériences  instituées  par  Psainitik  ou  par  d'autres  souverains  pour 
savoir  qui  avait  raison  des  Égyptiens  ou  des  étrangers  (Wikdemann,  Herodots  Zweites  Bue  h,  p.  -43-40). 

2.  Phtah  est  représenté  à  Philae  (Rosellini,  Monumenli  del  Culto,  pi.  XXI,  1)  et  à  Dendérah,  entas- 
sant sur  le  tour  à  potier  la  quantité  d'argile  plastique  d'où  il  va  tirer  un  corps  humain  (Lanzone, 
Dizionario  di  Mitologia,  pi.  CCCVIII),  ce  qu'on  appelle  assez  improprement  l'œuf  du  monde,  et  qui 
est  en  réalité  la  masse  de  terre  d'où  l'homme  sortit  au  moment  de  la  création. 

3.  A  Philaj,  Khnoumou  s'intitule  «  le  potier  façon  n  eu  r  des  hommes,  le  modeleur  des  dieux  »  (Chah- 
pollion,  Monuments  de  l'Egypte  et  de  la  Nubie,  pi.  LXXIII,  1  ;  Rosellini,  Monument i  del  Culto,  pi.  XX,  1  ; 
Brugsch,  Thésaurus  Inscriplionum  JZgypliacarum,  p.  752,  n°  11).  Il  y  pétrit  les  membres  d'Osiris,  le 
mari  de  l'isis  locale  (Rosellini,  Monument!  del  Culto,  pi.  XXII,  1),  comme  il  fait  à  Ermcnt  le  corps 
d'Harsamtaoui  (Rosellini,  Monumenti  del  Culto,  pi.  XLVIII,  3),  ou  plutôt  la  figure  de  Ptoléroée  Césa- 
rion,  fils  de  Jules  César  et  de  la  célèbre  Cléopâtrc,  identifié  à  Harsamtaoui. 

4.  A  propos  des  substances  qui  sortent  de  l'œil  de  Râ,  voir  les  observations  de  Birch,  Sur  un 
Papyrus  magique  du  Musée  Britannique,  p.  3  (cf.  Revue  Archéologique,  2"  série,  1863,  t.  Vil), 
et  de  Maspero,  Mémoire  sur  quelques  papyrus  du  Louvre,  p.  91-92.  Horus,  ou  son  œil  identifié  avec 
le  soleil,  avait  donné  naissance  par  ses  pleurs  (romit)  à  tous  les  hommes,  aux  Égyptiens  (romftou. 
rotou),  aux  Libyens,  et  aux  Asiatiques,  sauf  aux  Nègres;  ceux-ci  étaient  sortis  d'une  autre  partie  de 
son  corps  par  le  même  procédé  qu'Atoumou  employa  pour  créer  Shou  et  Tafnouît  (Lefébure,  les 
Quatre  Races  humaines  au  jugement  dernier,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie 
Biblique,  t.  111,  p.  44  sqq.,  et  Le  Cham  et  V Adam  égyptien,  dans  le  même  recueil,  t.  IV,  1887,  p.  167  sqq.) 

5.  Diodore  de  Sicile,  1.  1,  i,  10. 

6.  Pomponius  Mêla,  de  Situ  or  bis,  I,  9.  «  IN  il  u  a  glebis  etiam  infundit  animas,  ipsaque  humo  vitalia 
effingit  :  hoc  eo  manifestum  est,  quod,  ubi  sedavit  diluvia,  ac  se  sibi  reddidit,  per  humentes  campos 


TRADITIONS  SUR   LA  CRÉATION  DE  L'HOMME  ET   DES  BETES.         157 

le  seul  dont  les  larmes  fussent  douées  de  vertu  vivifiante.  Toutes  les 
divinités  bienfaisantes  ou  funestes  pouvaient  donner  l'être  en  pleurant', 
Sit  comme  Ostris  ou  comme  Isis;  l'œuvre  de  leurs  veux  une  fois  tombée  sur 
la  terre  y  prospérait  et  s'y  per- 
pétuait aussi  vigoureuse  que  celle 
des  yeux  de  Rà.  Le  tempérament 
personnel  du  créateur  n'était  pas 
indifférent  à  la  nature  de  la  chose 
créée  :  le  bien  sortait  nécessaire- 
ment des  dieux  du  bien,  le  mal 
des  dieux  du  mal,  et  l'on  expli- 
quait par  là  ce  mélange  de  choses 
excellentes  et  détestables  qu'on 
signale  partout  dans  l'univers.  SU 
et  ses  partisans  étaient,  volontai- 
rement ou  non,  la  cause  et  l'ori- 
gine de  tout  ce  qui  nuit  :  leurs 
yeux  versaient  chaque  jour  sur 
le  monde  les  sucs  qui  empoison- 
nent   les   plantes,    les    influences 

malignes,  le  crime,  la  folie.  Leur  .  , 

salive,   l'écume  qui  découlait  de 

leur  bouche  dans  leurs  accès  de  fureur,  leur  sueur,  leur  sang  même,  n'étaient 
pas  moins  à  craindre  :  dès  qu'une  goutte  en  touchait  le  sol,  elle  germait  et 

qu«dam  nondum  perfectn  animolia,  sed  lum  primant  flccipicnlia  spiritum,  et  ex  parle  jain  formais,  ex 
parte  adhuc  terra  visuntur.  ■  La  mime  histoire  est  racontée,  mais  seulement  à  propos  des  rats,  par 
Pline  (II.  X„  X,  r.8),  par  Diodore  (I,  i.  15),  par  Rlien  {H  Anim..  Il,  V,6,  VI,  M),  par  Macrobc  {Salurn., 
VII,  17,  etc.).  et  par  d'autres  auteurs  grecs  ou  latins.  Ce  prétendu  phénomène  rencontrait  récemment 
encore  en  Europe  un  certain  degré  de  créance,  comme  on  peut  s'en  convaincre  en  lisant  le  curieux 
ouvrage  de  Margi  Kïeukbici  Wesielisi  archi-palaliiii.  Admïranda  Niti,  Krancofurti,  xccttui,  cap.  XXI, 
p.  157-183.  Rn  Egypte,  tous  les  fellahs  tiennent  la  génération  spontanée  des  rats  pour  article  de 
foi  :  ils  m'en  ont  parlé  a  Thèbes,  à  Ilendérah,  dans  la  plaine  d'Ahvdos,  et  le  major  Brown  l'a 
signalée  récemment  au  Fajoum  (B.  II.  Brous,  The  Fayum  and  Lakê  Nwrit,  p.  *6>.  La  variante 
qu'il  a  recueillie  de  la  bouche  des  notahles  est  curieuse,  car  elle  prétend  expliquer  pourquoi  les 
rats,  qui  infestent  les  champs  en  bandes  innombrables  durant  la  saison  sèche,  en  dispuraissciil 
subitement  dés  que  l'inondation  revient  :  nés  de  la  houe  et  des  eaux  putrides  de  l'année  précédente,  ils 
retournent  à  la  boue,  et  se  fondent,  pour  ainsi  dire,  dès  que  l'eau  nouvelle  les  touche. 

I.  Les  larmes  de  Shou  el  de  Tafnoult  se  changent  en  plantes  qui  portent  l'encens  (Bmca,  Sur  un 
papyrui  magique  du  Mutée  britannique,  p.  3);  c'était  surtout  le  jour  de  la  mort  d'Osiris  que  les 
dieux  avaient  versé  leurs  larmes  fécondantes.  Sur  les  effets  produits  par  la  sueur  des  dieux  el  par 
leur  sang,  voir  Bircu,   ibid.,  p.  3,  fi.,  et  Naspeuo,  Mémoire  fur  quelque!  papyrus  du  Louvre  p.    93. 

ï.  Destin  de  Boudter,  daprit  une  photographie  de  Gayet.  La  scène  est  empruntée  aux  tableaux 
du  temple  de  Louxor,  où  l'on  voit  le  dieu  Êhnoumou  achevant  de  modeler  le  roi  futur  Àmenothés  III 
et  son  double,  figurés  par  deux  enfants,  coiffés  de  la  Irease  et  parés  du  collier  large  :  le  premier 
porte  le  doigt  a  ses  lèvres,  tandis  que  le  second  a  les  deux  bras  ballants. 


158  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

produisait  je  ne  sais  quoi  de  malfaisant,  un  serpent,  un  scorpion,  un  plant 
de  belladone  ou  de  jusquiame.  Le  soleil  au  contraire  était  tout  bon,  et  les 
personnes  ou  les  choses  qu'il  lançait  dans  la  vie  participaient  infailliblement 
de  sa  bénignité.  Le  vin  qui  égayé  l'homme,  l'abeille  qui  travaille  pour 
lui  dans  les  fleurs  et  qui  sécrète  la  cire  et  le  miel1,  la  chair  et  les  herbes 
qui  le  nourrissent,  les  étoffes  qui  l'habillent,  tout  ce  qu'il  se  fabrique  d'utile 
à  lui-même,  non  seulement  émanait  du  soleil  Œil  d'Horus,  mais  encore 
n'était  que  l'Œil  d'Horus  sous  des  apparences  diverses  et  se  présentait  sous 
son  nom  dans  les  sacrifices*.  Les  dévots  en  concluaient  pour  la  plupart  que 
les  premiers  Égyptiens,  fils  et  troupeau  de  Râ,  vinrent  au  monde  heureux  et 
parfaits3;  leurs  descendants  déchurent  par  degrés  de  la  félicité  native  à  la 
condition  actuelle.  D'aucuns  affirmaient  au  contraire  que  leurs  ancêtres  étaient 
nés  autant  de  brutes  dépourvues  des  arts  les  plus  nécessaires  à  la  douceur  de 
l'existence  :  ils  ignoraient  jusqu'aux  procédés  du  langage  articulé  et  ne  ces- 
sèrent de  s'exprimer  par  des  cris,  comme  les  autres  animaux,  jusqu'au  jour 
où  Thot  leur  enseigna  la  parole  et  l'écriture. 

Ces  récits  suffisaient  à  l'édification  du  peuple;  ils  offraient  un  maigre 
aliment  à  l'intelligence  des  lettrés.  Ceux-ci  ne  bornaient  pas  leur  ambition  à 
posséder  quelques  renseignements  incomplets  et  contradictoires  sur  les  débuts 
de  l'humanité  :  ils  voulaient  en  connaître  le  développement  suivi  depuis  la 
première  heure,  quel  genre  de  vie  leurs  pères  avaient  mené,  à  quels  chefs 
ils  avaient  obéi  et  les  noms  ou  les  aventures  de  ces  chefs,  pour  quelle  raison 
une  partie  des  nations  avait  quitté  les  rives  bénies  du  Nil  et  était  allée 
s'établir  sur  la  terre  étrangère,  par  quelles  étapes  et  en  combien  de  temps 
ceux  qui  n'avaient  pas  émigré  s'étaient  élevés  de  la  barbarie  native  au  degré 
de  civilisation  dont  témoignaient  les  monuments  les  plus  anciens.  Ils  n'avaient 
aucun  effort  d'imagination  à  faire  pour  contenter  leur  curiosité  :  le  vieux  fond 
des  traditions  indigènes  était  assez  riche,  pourvu  qu'ils  prissent  la  peine  de 

1.  Birch,  Sur  un  papyrus  magique  du  Musée  Britannique,  p.  3  :  «  Quand  le  Soleil  pleure  une 
seconde  fois  et  laisse  tomber  de  l'eau  de  ses  yeux,  elle  se  change  en  abeilles  qui  travaillent;  elles 
travaillent  dans  les  fleurs  de  toutes  espèces,  et  il  se  produit  du  miel  et  de  la  cire  au  lieu  de  l'eau.  » 
Ailleurs  on  supprime  les  abeilles,  et  le  miel  ou  la  cire  coulent  directement  de  l'Œil  de  Rà  (Maspkro. 
Mémoire  sur  quelques  papyrus  du  Louvre,  p.  21,  22,  41,  97). 

2.  Brugsch  est  le  premier,  je  crois,  qui  ait  reconnu  des  espèces  différentes  de  vins  et  d'étoffes 
dans  les  expressions  où  entre  l'Œil  d'Horus  (Dictionnaire  Hiéroglyphique,  p.  103;  cf.  Supplément, 
p.  106-114);  depuis  lors,  les  textes  des  Pyramides  ont  conârmé  amplement  et  généralisé  sa  découverte. 

3.  l/expression  troupeau  du  Soleil,  troupeau  de  Râ,  est  celle  que  le  dieu  Ho  ru  s  emploie  au  tom- 
beau de  Séti  I"r  pour  désigner  les  hommes  (Sharpe-Bonomi,  The  A  la  bas  ter  Sarcophagus  ofOimenephtah  1. 
King  of  Egypt,  pi.  VU,  D,  1.  1-2,  4).  L'état  de  bonheur  et  de  perfection  dans  lequel  les  premières 
générations  de  l'humanité  vivaient  résulte  des  expressions  mêmes  employées  parles  auteurs  égyptiens  : 
ceux-ci  considéraient  le  temps  de  Râ,  le  temps  du  dieu,  c'est-à-dire  les  siècles  qui  suivirent  immé- 
diatement la  création,  comme  l'époque  idéale  depuis  laquelle  rien  d'excellent  n'avait  paru  sur  la  terre. 


LES  ENNÉADES  CADRE  DES  DYNASTIES  DIVINES.  159 

l'exploiter  méthodiquement  et  d'en  éliminer  les  éléments  les  plus  disparates. 
Héliopolis  se  chargea  de  la  mise  en  œuvre,  comme  elle  avait  déjà  fait  à 
propos  des  mythes  qui  touchent  à  la  création,  et  les  Ennéades  lui  prêtèrent 
un  cadre  tracé  d'avance  :  elle  changea  les  dieux  qui  les  composaient  en  autant 
de  rois,  évalua  à  quelques  jours  près  la  longueur  de  leur  règne,  et  leur  com- 
pila une  biographie  de  récits  puisés  aux  sources  populaires1.  La  division  du 
dieu  féodal  en  deux  personnes  fournissait  une  occasion  admirable  de  rattacher 
l'histoire  du  monde  à  celle  du  chaos.  On  identifia  Toumou  avec  Nou  et  on 
le  relégua  dans  l'Océan  primordial  :  on  réserva  Râ  et  on  le  proclama  le 
premier  des  rois  de  la  terre.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine  qu'il  établit  sa  domi- 
nation :  les  êtres  hostiles  à  l'ordre  et  à  la  lumière,  les  Enfants  de  la  Défaite, 
lui  livrèrent  de  rudes  batailles,  et  il  ne  réussit  à  organiser  son  royaume 
qu'après  les  avoir  vaincus  à  Hermopolis  et  à  Héliopolis  même,  dans  un  com- 
bat de  nuit*.  Le  serpent  Apôpi,  percé  de  coups,  tomba  au  fond  de  l'Océan, 
à  l'heure  précise  où  la  nouvelle  année  commençait3.  Les  membres  secondaires 
de  la  Grande  Ennéade  formèrent  avec  le  Soleil  une  première  dynastie,  qui 
débutait  à  l'aube  du  premier  jour  et  qui  se  terminait  à  l'avènement  d'Horus, 
fils  d'Isis.  Les  écoles  de  théologie  locales  accueillirent  cette  façon  d'écrire 
l'histoire  d'aussi  bonne  grâce  qu'elles  avaient  fait  le  principe  même  de 
l'Ennéade.  Les  unes  conservèrent  le  démiurge  héliopolitain  et  s'empressèrent 
de  l'associer  au  leur;  les  autres  l'éliminèrent  et  lui  substituèrent  entièrement 
leur  divinité  féodale,  Amon  à  Thèbes,  Thot  à  Hermopolis,  Phtah  à  Memphis, 
sans  rien  changer  au  reste  de  la  dynastie4.  Les  dieux  ne  compromirent  point 

1.  L'identité  des  premières  dynasties  divines  avec  les  Ennéades  héliopolitaines  a  été  démontrée 
tout  au  long  par  Maspero,  Étude*  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  279-296. 

2.  Les  Enfants  de  la  Défaite,  en  égyptien  Mosou  batashou  ou  Mo  sou  batashit,  sont  confondus 
souvent  avec  les  partisans  de  SU,  ennemis  d'Osiris.  Us  en  différaient  au  début  et  représentaient  les 
êtres  et  les  forces  hostiles  au  Soleil,  le  dragon  Apôpi  à  leur  tête.  Leur  défaite  à  Hermopolis  correspond 
au  moment  où  Shou,  soulevant  le  ciel  sur  le  tertre  sacré  de  cette  ville  (cf.  p.  146),  substitue  l'ordre 
et  la  lumière  au  chaos  et  à  l'obscurité  :  elle  est  mentionnée  entre  autres  au  chapitre  XVII  du  Livre 
des  Morts  (édit.  Naville,  t.  I,  pi.  XXIII,  1.  3  sqq.),  où  E.  de  Rougé  en  a  expliqué  le  sens  pour  la 
première  fois  (Études  sur  le  Rituel  funéraire  des  Anciens  Égyptiens,  p.  41-42).  La  bataille  de 
nuit  d'Héliopolis,  à  la  fin  de  laquelle  Râ  se  manifesta  sous  la  forme  d'un  chat  ou  d'un  lion  et  tran- 
cha la  tête  au  grand  serpent,  est  également  rappelée  au  même  chapitre  du  Livre  des  Morts  (édit. 
Naville,  t.  I,  pi.  XXIV-XXV,  1.  54-58;  cf.  E.  dp.  RorcÊ,  Études  sur  le  Rituel  funéraire,  p.  56-37). 

3.  Birch,  Inscriptions  in  the  Hieratic  and  Démolie  Charactcr,  pi.  XXIX,  1.  8-9,  et  Sur  une  Stèle 
hiératique,  dans  Chabas,  Mélanges  Égyptologiques,  2°  série,  p.  334. 

4.  Sur  Àmon-Râ,  et  sur  Montou,  premier  roi  d'Egypte  dans  la  tradition  thébaine,  voir  Lepsutk,  Ueber 
den  ersten  <£gyptischen  Gôttcrkreis,  p.  173-174,  180-183, 186.  Thot  est  le  chef  de  l'Ennéade  hcrmopoli- 
taine  (voir  ch.  h,  p.  145  sqq.  de  cette  Histoire),  et  les  titres  que  lui  attribuent  les  inscriptions  où 
l'on  constate  sa  suprématie  (Brigsch,  Religion  und  Mythologie,  p.  445  sqq.)  montrent  bien  qu'on  le 
considérait  aussi  comme  ayant  été  le  premier  roi.  Un  des  Ptolémées  disait  de  lui-même  qu'il  venait 
•  comme  la  Majesté  de  Thot,  parce  qu'il  était  l'égal  d'Atoumou,  par  conséquent  l'égal  de  khopri,  par 
conséquent  l'égal  de  Rà  »  ;  Atoumou-Khopri-Râ  étant  le  premier  roi  terrestre,  la  Majesté  de  Thot,  à 
laquelle  le  Ptoléméc  s'identifie  en  se  comparant  à  ces  trois  formes  du  dieu  Rà,  est  aussi  le  premier 
roi  terrestre.  Enfin,  sur  l'inscription  de  Phtah  en  tête  des  dynasties  meinphites,  voir  les  observations 


160  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

leur  prestige  à  prendre  corps  et  à  descendre  ici-bas.  Comme  ils  étaient  des 
hommes  d'une  nature  plus  fine,  et  que  leurs  qualités,  même  celle  d'opérer 
des  miracles,  étaient  les  qualités  humaines  élevées  au  plus  haut  degré  d'in- 
tensité, on  n'estimait  pas  qu'ils  eussent  dérogé  à  veiller  en  personne  sur 
l'enfance  et  sur  la  jeunesse  des  hommes  primitifs.  Les  railleries  qu'on  se  per- 
mit quelquefois  à  leur  égard,  le  rôle  débonnaire  et  même  ridicule  qu'on  leur 
attribua  dans  certaines  légendes  ne  prouvent  ni  que  le  zèle  eût  tiédi  pour 
eux,  ni  qu'on  les  méprisât  :  ce  sont  là  de  ces  licences  que  les  croyants 
tolèrent  d'autant  plus  facilement  qu'ils  respectent  davantage  les  objets  de 
leur  foi.  La  condescendance  des  membres  de  l'Ennéade,  loin  de  les  rabaisser 
aux  yeux  des  générations  venues  trop  tard  pour  vivre  familièrement  avec  eux, 
ajoutait  à  l'amour  et  à  la  vénération  dont  on  les  entourait. 

Rien  ne  le  montre  mieux  que  l'histoire  de  Râ.  Son  univers  était  l'ébauche 
du  nôtre,  car,  Shou  n'existant  pas  encore,  Nouît  continuait  de  reposer  entre 
les  bras  de  Sibou  et  le  ciel  ne  faisait  qu'un  avec  la  terre1.  11  y  avait  pourtant 
des  plantes,  des  animaux,  des  hommes  dans  ce  premier  essai  de  monde,  et 
l'Egypte  s'y  trouvait  toute  formée  avec  ses  deux  chaînes  de  montagnes,  son 
Nil,  ses  cités,  le  peuple  de  ses  nomes,  ses  nomes  eux-mêmes.  Le  sol  s'y 
montrait  plus  généreux  que  notre  sol,  les  moissons  y  poussaient  plus  hautes 
et  plus  abondantes  que  nos  moissons,  et  l'ouvrier  ne  peinait  pas  à  les  pro- 
duire* :  quand  les  Égyptiens  de  l'époque  pharaonique  voulaient  marquer  leur 
admiration  pour  une  personne  ou  pour  une  chose,  ils  disaient  qu'on  n'avait 
jamais  rien  vu  de  pareil  depuis  le  temps  de  Râ.  C'est  l'illusion  commune 
à  tous  les  peuples;  comme  le  présent  n'apaise  jamais  la  soif  de  bonheur  qui 
les  dévore,  ils  se  rejettent  vers  le  passé  le  plus  lointain,  pour  y  chercher  un 
siècle  où  leurs  ancêtres  possédaient  en  réalité  cette  félicité  souveraine  dont 
ils  ne  connaissent  que  la  conception  idéale.   Râ   résidait  à  Héliopolis,  et  la 

de  Lepsii's,  Ueber  den  ersten  ASgyptischea  Gôtterkreis,  p.  1  «8-1 73,  184,  186,  188-190,  et  de  Maspero, 
Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptienne*,  t.  H,  p.  i83  sqq. 

1.  Cette  conception  du  monde  égyptien  primitif  résulte  clairement  des  termes  même  que  l'auteur 
de  la  Destruction  des  hommes  a  employés.  Nouît  ne  se  lève  pour  former  le  ciel  qu'au  moment  où  Rà 
songe  à  terminer  son  règne,  c'est-à-dire  quand  l'Egypte  existait  déjà  depuis  des  siècles  nombreux. 
(Lkfémrk,  le  Tombeau  de  Séti  hr,  IV- partie,  pi.  XVI,  I.  28  sqq.).  Le  chapitre  XVII  du  Livre  des  Morts 
(édit.  Navillk,  t.  I,  pi.  XXIII,  1.  3-5)  affirme  de  la  royauté  de  M  qu'elle  commença  au  temps  oit 
les  soulèvements  n'avaient  pas  eu  lieu,  c'est-à-dire  au  temps  où  Shou  n'avait  pas  encore  séparé  Noutt 
de  Sibou  et  ne  l'avait  pas  soulevée  \iolemmcnt  au-dessus  du  corps  de  son  mari  (Naville,  Deux  lignes 
du  Livre  des  Morts,  dans  la  Zeitschrift,  1874,  p.  59,  et  la  Destruction  des  hommes  par  les  Dieux,  dans 
les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  IV,  p.  3). 

2.  Cet  idéal  est  conforme  à  la  peinture  qu'on  traçait  dos  champs  d'Ialou  au  chapitre  CX  du  Livre 
des  Morts  (édit.  Naville,  t.  I,  pi.  CXXI-CXXHI)  ;  le  séjour  des  morts  osiriens  conservait,  comme  c'est 
le  cas  pour  le  paradis  chez  la  plupart  des  peuples,  les  privilèges  dont  la  terre  avait  joui  pendant  les 
premières  années  qui  suivirent  la  création,  c'est-à-dire  sous  le  règne  direct  de  Râ. 


RÀ,  PREMIER  ROI  D'EGYPTE.  loi 

partie  la  plus  ancienne  du  temple  de  cette  ville,  celle  qu'on  appelait  le 
Château  du  Prince  —  Hait  Sarou,  —  passait  pour  avoir  été  son  palais'.  Sa 
cour  se  composait  surtout  de  dieux  et  de  déesses,  visibles  comme  lui.  Quel- 
ques hommes  s'y  mêlaient  qui  remplissaient  de  menus  emplois  auprès  de  sa 
personne,  préparaient  ses  aliments,  recevaient  les  offrandes  de  ses  sujets, 
veillaient  à  l'entretien  de  son  linge  ou  de  sa  maison  :  on  disait  que  Voîrou- 


maou,  le  grand  prêtre  de  Rà,  Vhankistit,  sa  grande  prêtresse,  et  en  général 
tous  les  servants  du  temple  d'Héliopolis  descendaient  de  cette  première 
domesticité  du  dieu  ou  lui  avaient  succédé  en  ligne  directe1.  Il  sortait  le  matin 
avec  sa  troupe  divine,  s'embarquait  aux  acclamations  de  la  foule  pour  fournir 
sa  course  habituelle  autour  du  monde  et  ne  rentrait  chez  lui  que  douze  heures 
plus  tard,  après  journée  faite*.  Les  provinces  le  voyaient. arriver  tour  à  tour, 

I.  Sur  le  Château  du  Prince,  voir  à  ta  page  136  de  celte  Histoire.  On  l'appelle  aussi  couramment 
Hait  (il/,  le  Grand  Château  (Bunr.sf.B,  Dictionnaire  Géographiaue,  p.  475-i"li),  qui  est  le  nom  qu'on 
donnait  aux  résidences  des  rois  ou  des  princes  (IH.ispero,  Sur  le  ttm  des  mots  Xouit  et  Huit,  dans 
les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  1889-1890,  t.  XII.  p.  Îj3  eqq). 

■î.  Dessin  de  Faucher-Gudin .  d'après  un  det  tableaux  figuré/  sur  le*  architrave*  du  pronaos, 
A   F.dfou  (RomllIsI,  Monument!  del  Culte,  pi.  XXX VIII,  n*  t). 

3.  Le  récit  de  la  Destruction  det  hommes  cite,  parmi  les  serviteurs  bu  mains  du  Pharaon  (ta.  un  meu- 
nier et  des  bmycuses  de  grain  pour  préparer  la  bière  (LnFÉunr.,  le  Tombeau  de  Séti  I",  IV'  partie, 
pi.  XV,  I.  17-18J.  L'origine  de  Vhankistit,  la  prêtresse  aux  cheveux  tressés,  était  reportée  rn  y  l  h  illogi- 
quement jusqu'au  règne  de  Ita,  dans  un  passage  du  chapitre  CXV  du  Livre  det  Morts  (édil.  Ltrsirs, 
1.  5-fi),  assez  obscur  pour  avoir  échappé  aux  premiers  interprètes  (Goflanis,  Ou  chapter  115  of  thr. 
Buok  of  the  Dead,  dans  la  Zeittchrift,  1873,  p.  106;  Lefi-iuhe,  le  Chapitre  CXV  du  Livre  de*  Morts, 
dans  les  Mélange*  d"  Archéologie  Égyptienne  et  Assyrienne,  l,  I,  p.  tlîl,  tfl3,  t65). 

i.  Cf.  Plette-Bossi,  le*  Papyrus  de  Turin,  pi.  CXXXII,  l.  S,  S,  où  Ion  raconte  la  sortie  du  dieu,  selon 
sa  coutume  de  chaque  jour.  L'auteur  a  simplement  appliqué  au  Soleil  Pharaon  le  protocole  qui  appar- 
tenait an  Soleil  astre,  lorsqu'il  se  lève  le  matin  pour  faire  le  tour  du  monde  et  pour  éclairer  la  journée. 


162  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

et  il  séjournait  une  heure  dans  chacune  d'elles,  afin  de  régler  en  dernier 
ressort  les  affaires  pendantes1.  Il  donnait  audience  aux  petits  comme  aux 
grands,  il  apaisait  leurs  querelles  et  jugeait  leurs  procès,  il  accordait  à 
qui  l'avait  mérité  l'investiture  de  fiefs  détachés  du  domaine  royal  et  assignait 
ou  confirmait  à  chaque  famille  le  revenu  dont  elle  avait  besoin  pour  vivre, 
il  compatissait  aux  souffrances  de  son  peuple  et  s'ingéniait  à  les  alléger  de 
son  mieux  :  il  enseignait  à  tout  venant  les  formules  efficaces  contre  les  reptiles 
et  contre  les  animaux  féroces,  les  charmes  dont  on  chasse  les  esprits  posses- 
seurs et  les  recettes  les  meilleures  pour  prévenir  les  maladies.  À  force  de  lar- 
gesses, il  en  vint  à  ne  plus  conserver  qu'un  seul  de  ses  talismans,  le  nom 
que  son  père  et  sa  mère  lui  avaient  imposé  au  moment  de  sa  naissance,  qu'ils 
lui  avaient  révélé  à  lui  seul  et  qu'il  tenait  caché  au  fond  de  sa  poitrine, 
de  peur  qu'un  sorcier  s'en  emparât  et  l'employât  au  succès  de  ses  maléfices*. 
Cependant  la  vieillesse  arrivait  et  les  infirmités  après  elle  :  le  corps  de  Rà 
se  courbait,  «  la  bouche  lui  grelottait,  la  bave  lui  ruisselait  vers  la  terre,  et 
la  salive  lui  dégouttait  sur  le  soi8».  Isis,  jusqu'alors  simple  femme  au  ser- 
vice du  Pharaon,  conçut  le  projet  de  lui  dérober  son  secret  «  afin  de  pos- 
séder le  monde  et  de  se  faire  déesse  par  le  nom  du  dieu  auguste4  ».  La 
violence  n'aurait  pas  réussi  :  tout  affaibli  qu'il  était  par  les  ans,  personne  ne 
possédait  assez  de  vigueur  pour  lutter  contre  lui  avec  succès.  Mais  Isis 
«  était  une  femme  savante  en  sa  malice  plus  que  des  millions  d'hommes, 
habile  entre  des  millions  de  dieux,  égale  à  des  millions  d'esprits  et  qui 
n'ignorait  rien  au  ciel  et  sur  la  terre,  non  plus  que  Râ8  ».  Elle  imagina  un 
stratagème  des  plus  ingénieux.  Un  homme  ou  un  dieu  frappé  de  maladie, 
on  n'avait  chance  de  le  guérir  que  de  connaître  son  nom  véritable  et  d'en 
adjurer  l'être  méchant  qui  le  tourmentait6.  Isis  résolut  de  lancer  contre  Râ 
un  mal  terrible  dont  elle  lui  cacherait  la  cause,  puis  de  s'offrir  à  le  soigner 
et  de  lui  arracher   par  la  souffrance  le  mot  mystérieux   indispensable  au 

1.  Le  Soleil  mort  continuait  à  agir  de  même  dans  le  monde  de  la  nuit,  et  l'emploi  de  son  temps 
était  calqué  sur  celui  du  temps  des  Pharaons  (Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyp- 
tienne*, t.  II,  p.  44-45).  De  même  pour  le  Soleil,  roi  d'Egypte,  quand  «  il  sort  afin  de  voir  ce  qu'il  a  créé, 
et  de  parcourir  les  deux  royaumes  qu'il  a  faits  *  (Pleyte-Rossi,  les  Papyrus  de  Turin,  pi.  CXXXII,  1.  12). 

2.  La  légende  du  Soleil  dépouillé  de  son  cœur  par  Isis  a  été  publiée  en  trois  fragments  par 
MM.  Pleyte  et  Rossi  (les  Papyrus  hiératiques  de  Turin,  pi.  XXXI,  LXXVII,  CXXXI-CXXXVUI),  mais  ils 
n'en  soupçonnèrent  pas  la  valeur.  Le  sens  en  fut  reconnu  pour  la  première  fois  par  Lefébure  {Un  cha- 
pitre de  la  Chronique  solaire,  dans  la  Zeitschrift,  1883,  p.  27-33),  qui  a  traduit  complètement  le  texte. 

3.  Pleyte-Rossi,  les  Papyrus  hiératiques  de  Turin,  pi.  CXXXII,  1.  2-3. 

4.  Pleyte-Rossi,  les  Papyrus  hiératiques  de  Turin,  pi.  CXXXII,  I.  i-2.  J'ai  déjà  indiqué  plus  haut 
cette  façon  de  vieillir  des  dieux,  aux  pages  110-111  de  celte  Histoire. 

5.  Pleyte-Rossi,  les  Papyrus  hiératiques  de  Turin,  pi.  CXXXI,  1.  14- pi.  CXXXII,  1.  1. 

6.  Sur  la  puissance  des  noms  divins  et  sur  l'intérêt  que  les  magiciens  avaient  à  les  connaître 
exactement,  cf.  Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  298  sqq. 


HÀ  SE  LAISSE  TROMPER  ET  DÉPOUILLER  PAR  ISIS.  463 

succès  de  l'exorcisme.  Elle  ramassa  la  boue  imprégnée  de  la  bave  divine,  et 
en  pétrit  un  serpent  sacré  qu'elle  enfouit  dans  la  poussière  du  chemin.  Le 
dieu,  mordu  à  l'improviste  tandis  qu'il  partait  pour  sa  ronde  journalière, 
poussa  un  hurlement  ;  «  sa  voix  monta  jusqu'au  ciel  et  sa  Neuvaine,  «  Qu'est-ce, 
qu'est-ce?  »  et  ses  dieux,  «  Quoi  donc,  quoi  donc?  »  mais  il  ne  trouva  que 
leur  répondre,  tant  ses  lèvres  claquaient,  tant  ses  membres  tremblaient,  tant 
le  venin  prenait  sur  ses  chairs,  comme  le  Nil  prend  sur  le  terrain  qu'il 
envahit1  ».  Il  revint  à  lui  pourtant  et  réussit  à  exprimer  ce  qu'il  ressentait. 
«  Quelque  chose  de  douloureux  m'a  poinct  :  mon  cœur  le  perçoit  et  pourtant 
mes  deux  yeux  ne  le  voient;  ma  main  ne  l'a  point  ouvré,  rien  de  ce  que  j'ai 
fabriqué  ne  sait  ce  que  c'est,  et  pourtant  je  n'ai  jamais  goûté  peine  pareille 
et  il  n'y  a  douleur  au-dessus....  Ce  n'est  point  du  feu,  ce  n'est  point  de  l'eau, 
et  pourtant  mon  cœur  est  en  flammes,  mes  chairs  tremblent,  tous  mes  mem- 
bres sont  pleins  de  frissons  nés  de  souffles  magiques.  Çà,  qu'on  m'amène  les 
enfants  des  dieux  aux  paroles  bienfaisantes,  qui  connaissent  le  pouvoir  de  leur 
bouche  et  dont  la  science  atteint  le  ciel  !  »  Ils  vinrent,  les  enfants  des  dieux, 
un  chacun  d'eux  avec  ses  grimoires.  Elle  vint  Isis  avec  sa  sorcellerie,  la  bou- 
che pleine  de  souffles  vivifiants,  sa  recette  pour  détruire  la  douleur,  ses 
paroles  qui  versent  la  vie  aux  gosiers  sans  haleine,  et  elle  dit  :  «  Qu'est-ce, 
qu'est-ce,  ô  père-dieux?  Serait-ce  pas  qu'un  serpent  produit  la  souffrance  en 
toi,  qu'un  de  tes  enfants  lève  la  tête  contre  toi?  Certes  il  sera  renversé  par  des 
incantations  bienfaisantes  et  je  le  forcerai  de  battre  en  retraite  à  la  vue  de  tes 
rayons'.  »  Le  Soleil,  apprenant  la  cause  de  ses  tourments,  s'épouvante  et 
recommence  à  se  lamenter  de  plus  belle,  c  Moi  donc,  tandis  que  j'allais  par 
les  routes,  voyageant  à  travers  mon  double  pays  d'Egypte  et  sur  mes  mon- 
tagnes, afin  de  contempler  ce  que  j'ai  créé,  j'ai  été  mordu  d'un  serpent  que 
je  ne  voyais  pas.  Ce  n'est  point  du  feu,  ce  n'est  point  de  l'eau,  et  pourtant 
j'ai  froid  plus  que  l'eau,  je  brûle  plus  que  le  feu,  tous  mes  membres  ruis- 
sellent de  sueur,  je  tremble,  mon  œil  n'est  point  ferme  et  je  ne  distingue 
plus  le  ciel,  l'eau  coule  sur  ma  face  comme  en  la  saison  d'été\  »  lsis  lui 
propose  son  remède  et  lui  demande  discrètement  le  nom  ineffable,  mais 
il  devine  la  ruse  et  tente  de  se  tirer  d'affaire  par  l'énumération  de  ses  titres. 
11  prend  l'univers  à  témoin  qu'il  s'appelle  «  Khopri  le  matin,  Râ  au  midi, 
Toumou  le  soir  ».  Le  venin  ne  refluait  pas,  mais  il  marchait  toujours  et  le 

1.  Plkyte-Rossi,  les  Papyrus  hiératiques  de  Turin,  pi.  CXXXII,  I.  G-8. 

2.  lu.  ibid.f  pi.  CXXXII,  I.  9-pl.  CXXXIII,  I.  3. 

3.  1d.  ibid.,  pi.  CXXXIII,  1.  3-5. 


164  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

dieu  grand  n'était  pas  soulagé.  Alors  Isis  dit  à  Râ  :  «  Ton  nom  n'est  pas 
énoncé  dans  ce  que  tu  m'as  récité!  Dis-le-moi  et  le  venin  sortira,  car  l'indi- 
vidu vit  qu'on  charme  en  son  propre  nom.  »  Le  venin  ardait  comme  le  feu,  il 
était  fort  comme  la  brûlure  de  la  flamme,  aussi  la  Majesté  de  Râ  dit  :  «  J'ac- 
corde que  tu  fouilles  en  moi,  ô  mère  Isis,  et  que  mon  nom  passe  de  mon  sein 
dans  ton  sein1.  »  Le  nom  tout-puissant  se  cachait  véritablement  dans  le  corps 
du  dieu,  et  l'on  ne  pouvait  l'en  extraire  que  par  une  opération  chirurgicale, 
analogue  à  celle  que  les  cadavres  subissent  au  début  de  la  momification.  Isis 
l'entreprit,  la  réussit,  chassa  le  poison,  se  fit  déesse  par  la  vertu  du  nom. 
l'habileté  d'une  simple  femme  avait  dépouillé  Râ  de  son  dernier  talisman. 

Le  temps  vint  enfin  où  les  hommes  s'aperçurent  de  sa  décrépitude*,  lis 
échangèrent  des  propos  contre  lui  :  «  Voici,  Sa  Majesté  vieillit,  ses  os  sont 
d'argent,  ses  chairs  sont  d'or,  ses  cheveux  sont  de  lapis-lazuli3.  »  Dès  que 
Sa  Majesté  perçut  les  discours  que  les  hommes  tenaient,  Sa  Majesté  dit  à  ceux 
qui  étaient  à  sa  suite  :  «  Convoquez  de  ma  part  mon  Œil  divin,  Shou,  Taf- 
nouit,  Sibou,  Nouît,  les  pères  et  les  mères-dieu  qui  étaient  avec  moi  quand 
j'étais  dans  le  Nou,  auprès  du  dieu  Nou.  Que  chacun  d'eux  amène  son  cycle 
avec  lui,  puis,  quand  tu  les  auras  amenés  en  cachette,  tu  viendras  avec  eux  au 
grand  château,  afin  qu'ils  me  prêtent  leur  avis  et  leur  assentiment,  arrivant 
du  Nou  en  cet  endroit  où  je  me  suis  produit*.  »  Le  conseil  de  famille  se 
réunit  donc,  les  ancêtres  de  Râ  et  sa  postérité  qui  attendait  encore  dans  le 
sein  des  eaux  primordiales  l'instant  de  se  manifester,  ses  enfants  Shou  et 
Tafnouît,  ses  petits-enfants  Sibou  et  Nouît.  Us  se  rangent  sur  les  côtés  du 
trône,  et,  prosternés,  le  front  contre  terre,  selon  l'étiquette,  la  délibération 
commence  :  «  0  Nou,  dieu  aîné  en  qui  j'ai  pris  l'être,  et  vous,  dieux-ancêtres, 
voici  que  les  hommes  émanés  de  mon  œil  ont  tenu  des  propos  contre  moi. 

1.  Pleyte-Rossi,  les  Papy  rut  hiératiques  de  Turin,  pi.  CXXXII,  1.  KM  2. 

2.  L'histoire  des  événements  légendaires  qui  terminèrent  le  règne  de  Rà  avait  été  gravée  dans  deux 
des  tombes  royales  de  Thèbes,  dans  celles  de  Séti  Ier  et  de  Rarasès  III  :  on  peut  la  rétablir  encore 
aujourd'hui  presque  complète,  malgré  les  nombreuses  mutilations  que  les  deux  exemplaires  ont 
subies.  Kl  le  fut  découverte,  traduite  et  commentée  par  Naville  (la  Destruction  des  hommes  par  les 
Dieux,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  IV,  p.  1-19,  où  sont  reproduites 
les  copies  de  Hay,  exécutées  au  commencement  de  ce  siècle,  et  l  Inscription  de  la  Destruction  des 
hommes  dans  le  tombeau  de  Hamsès  III,  dans  les  Transactions,  t.  VIII,  p.  412-420),  puis  publiée  de 
nouveau  par  M.  de  Bergmann  (Hieroglyphische  Inschriften,  pi.  LXXV-LXXXII  et  p.  55-56),  traduite 
entièrement  par  Brugsch  (die  nette  Weltordnung  nach  Vcrnichtung  des  sûndigcn  Menschengesehiechts 
nach  einer  Altâgyptischen  Uebcrlieferung,  1881),  en  partie  par  Lauth  (Aus  Mgypiens  Vorzeit,  p.  70-81) 
et    par  Lefébure  (Un  chapitre  de  la  chronique  solaire,  dans  la  Zcitschrift,  1883,  p.  32-33). 

3.  Naville,  la  Destruction  des  hommes  par  les  Dieux,  t.  IV,  pi.  I,  1.  2,  et  t.  VIII,  pi.  1,  1.  2.  Cette 
façon  de  décrire  la  vieillesse  du  Soleil  se  rencontre  mot  pour  mot  dans  d'autres  textes,  ainsi  au 
papyrus  géographique  du  Fayoum  (Mariette,  les  Papyrus  hiératiques  de  Boulaq,  t.  I,  pi.  II,  n*  vu 
1.  2-3;  cf.  Lauth,  Aus  Mgypiens  Vorzeit,  p.  72);  voir  p.  110-111  de  cette  Histoire. 

4.  Naville,  la  Destruction  des  hommes  par  les  Dieux,  t.  IV,  pi.  1,  1.  1-G,  et  t.  VIII,  pi.  I,  I.  1-ti. 


HA  ItÉTKlJIT  LES  HOMMES  11  Ê  VOLT  ES.  165 

Dîtes-moi  ce  que  vous  feriez  à  cela,  car  je  vous  ai  mandés  avant  de  les  mas- 
sacrer, afin  d'entendre  ce  que  vous  diriez  à  cela'.  »  Nou,  qui  a   le  droit  de 
parler  le  premier,  comme  doyen  d'âge,  réclame  la  mise  en  jugement  des  cou- 
pables et  leur  condamnation  selon  les  formes  régulières.  «  Mon  fils  Rà,  dieu 
plus  grand'  que  le  dieu  qui  l'a  fait,  plus  ancien  que  les  dieux  qui  l'ont  créé, 
siège  en  ta  place,  et  la  terreur  sera  grande  quand  ton  Œil  pèsera  sur  ceux  qui 
complotent  contre  toi.  »  Mais  Rà  craint,  non  sans 
raison,  qu'en  voyant  l'appareil  solennel  de  la  jus- 
tice royale,  les  hommes  se  doutent  du  sort  qui 
les  attend  et  ne  «  se  sauvent  au  désert,  le  cœur 
terrifié  de   ce  que  j'ai  à   leur  dire  ».  Le  désert 
était  dès  lors  hostile  aux  divinités  protectrices  de 
l'Egypte  et  offrait  un  asile  presque  inviolable  à 
leurs  ennemis.   Le  conseil  avoue  que  les  appré- 
hensions de  Rà  sont  justifiées  et  se  prononce  pour 
une  exécution  sommaire;   l'Œil  divin  servira  de 
bourreau,    o  Fais-le   marcher  afin  qu'il    frappe 
ceux  qui  ont  médité  contre  toi  des  projets  funes- 
tes, car  aucun  Œil  n'est  plus  redoutable  que  le 
tien  alors  qu'il  charge  en  forme  d'Hâthor.  »  L'Œil 
prend  donc  la  figure  d'Hâthor,  fond  sur  les  hommes 
à  ['improviste,  les  massacre  à  grands  coups  de  cou- 
teau par  monts  et  par  vaux.  Au  bout  de  quelques  heures, ,Rà,  qui  veut  châtier 
ses  enfants,  non  les  détruire,   lui  commande  de  cesser  le  carnage,  mais   la 
déesse  a  goûté  le   sang  et  refuse  de  lui   obéir.    «  Par  ta  vie,    répond-elle, 
quand  je   meurtris   les  hommes,   mon  cœur  est  en  liesse;  •>  c'est  pour  cela 
qu'on  l'appela  plus  tard  Sokhit,   la  meurtrière1,  et  qu'on  la  représenta  sous 
la  forme  d'une  lionne  sauvage.   La  tombée  de  la  nuit  arrêta  sa  course  aux 
environs  d'Héracléopolis  :   entre    Héliopolis  et  cette  ville  elle  n'avait  cessé 
de  piétiner  dans  le  sang*.  Tandis  qu'elle  sommeillait,  Râ  prit  en  hâte   les 
mesures    les    plus    propres  à   l'empêcher  de    recommencer    le    lendemain. 

I.   ISiYiLLt,  ta  Deitruction  dei  hommct  par  tes  Dieux,  t.  IV,  pi.  |,  I.  S- III,  et  t.  VIII,  pi.  I,  I:  !i-ll . 

t.  Deiuàa  de  Fauciier-Gudin,  d'aprèi  une  figurine  en  brome  d'époque  lafle  eanrerréc  au  Mutée 
de  (liïih  (Mjwette,  Album  photographique  du  Mutée  de  Boulai/,  pi.  8). 

3.  Sokhit  peut  venir  en  effet  du  verbe  tokhou,  frapper,  assommer  d'un  coup  de  bâton. 

i.  Le  passage  ou  papyrus  du  Kayoura  que  j'ai  déjà  cité  contient  une  allusion  à  ce  massacre, 
mais  d'après  une  tradition  différente  de  la  noire  :  les  hommes  auraient  résisté  ouvertement  au  dieu 
et  lui  auraient  livre  uuc  bataille  rangée  rians  une  localité  voisine  il'llérarléopolis  Magna  (Mametic, 
tel  Papyrut  Egyptien»  du  ntittét  de  Boutai],  t.  I,  pi.  II.  n"  vi,  I.  1-0). 


466  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

«  II  dit  :  «  Uu'on  appelle  de  par  moi  des  messagers  agiles,  rapides,  qui 
filent  comme  le  vent!  »  Quand  on  lui  eut  amené  ces  messagers  sur  le 
champ,  la  Majesté  de  ce  dieu  dit  :  «  Qu'on  coure  à  Ëléphantine  et  qu'on 
m'apporte  des  mandragores  en  quantité1.  »  Dès  qu'on  lui  eut  apporté  ces 
mandragores,  la  Majesté  de  ce  dieu  grand  manda  le  meunier  qui  est  dans 
Héliopolis,  afin  de  les  piler;  les  servantes  ayant  écrasé  le  grain  pour  la  bière, 
on  mit  les  mandragores  avec  le  brassin  et  avec  le  sang  des  hommes,  et  Ton 
fabriqua  du  tout  sept  mille  cruches  de  bière.  »  Rà  examina  lui-même  ce  breu- 
vage alléchant  et  lui  ayant  reconnu  les  vertus  qu'il  en  attendait  :  «  C'est 
bien,  dit-il,  avec  cela  je  sauverai  les  hommes  de  la  déesse  »,  puis,  s'adressant 
aux  gens  de  sa  suite  :  «  Chargez  vos  bras  de  ces  cruches  et  les  portez 
au  lieu  où  elle  a  sabré  les  hommes  ».  Le  roi  Rà  fit  pointer  l'aube  au  milieu 
de  la  nuit  pour  qu'on  pût  verser  ce  philtre  à  terre,  et  les  champs  en  furent 
inondés  à  la  hauteur  de  quatre  palmes,  selon  qu'il  plut  aux  âmes  de 
Sa  Majesté.  La  déesse  vint  donc  au  matin  »,  afin  de  se  remettre  au  carnage, 
«  mais  elle  trouva  tout  inondé  et  son  visage  s'adoucit  :  quand  elle  eut  bu, 
ce  fut  son  cœur  qui  s'adoucit,  elle  s'en  alla  ivre,  sans  plus  songer  aux 
hommes  » .  On  pouvait  craindre  que  sa  fureur  lui  revînt  dès  que  les  fumées 
de  l'ivresse  seraient  dissipées;  pour  écarter  ce  danger,  Râ  institua  un  rite 
destiné,  en  partie  à  instruire  les  générations  futures  du  châtiment  qu'il  avait 
infligé  aux  impies,  en  partie  à  consoler  Sokhit  de  sa  déconvenue.  Il  décréta 
qu'on  «  lui  brasserait  au  jour  de  l'an  autant  de  cruches  de  philtre  qu'il  y  avait 
de  prêtresses  du  soleil.  Ce  fut  là  l'origine  de  ces  cruches  de  philtre  que  tous 
les  hommes  fabriquent  en  nombre  égal  à  celui  des  prêtresses  lors  de  la  fête 
d'Hâthor,  depuis  ce  premier  jour*.  » 

La  paix  était  rétablie,  mais  devait-elle  durer  longtemps,  et  les  hommes, 
revenus  de  leur  terreur,  ne  se  reprendraient-ils  pas  bientôt  à  comploter  contre 
le  dieu?  Râ  d'ailleurs  n'éprouvait  plus  que  dégoût  pour  notre  race.  L'ingrati- 
tude de  ses  enfants  l'avait  blessé  profondément;  il  prévoyait  des  révoltes 
nouvelles  à  mesure  que  sa  faiblesse  irait  s'accusant  davantage,  et  il  lui 
répugnait  d'avoir  à  ordonner  de  nouveaux  massacres  où  l'humanité  périrait 
entière.    «    Par   ma   vie,  dit-il  aux   dieux  qui    l'escortaient,   mon  cœur  est 

I.  Les  mandragores  d'Élcphautine  servaient  à  fabriquer  une  boisson  enivrante  et  soporifique  qu'on 
employait  en  médecine  (Kbkrs,  Papyrus  Ebcrs,  pi.  XXXIX,  1.  10)  ou  en  magie.  Brugsch  a  réuni 
dans  un  article  spécial  les  renseignements  que  les  textes  nous  ont  conservés  sur  les  usages  de  celte 
plante  (die  Air  aune  als  altâgyptische  Zauberpflanse,  dans  la  Zeitschrift,  t.  XXIX,  p.  31-33)  :  on  ne 
lui  prêtait  pag encore  la  forme  humaine  et  l'espèce  de  vie  que  les  sorciers  occidentaux  lui  ont  attribuée. 

4.  Naville,  la  Destruction  des  hommes  par  les  Dieu*,  t.  IV,  pi.  I-II,  1.  1-i";  t.  VIII,  pi.  I-Il,  1.  1-34. 


RÀ  MONTE  AU  CIEL.  167 

trop  las  pour  que  je  reste  avec  les  hommes  et  que  je  les  sabre  jusqu'au 
néant  :  annihiler  n'est  pas  des  dons  que  j'aime  à  faire.  »  Les  dieux  de 
se  récrier  dans  leur  surprise  :  «  Ne  souffle  mot  de  tes  lassitudes  au  moment  où 
tu  remportes  la  victoire  à  ton  gré*.  »  Mais  Râ  ne  se  rend  pas  à  leurs  représen- 
tations; il  veut  quitter  un  royaume  où  l'on  murmure  contre  lui,  et,  se  tour- 
nant vers  Nou  :  «  Mes  membres  sont  décrépits  pour  la  première  fois,  je  ne 
veux  pas  aller  à  un  endroit  où  l'on  puisse  m'atteindre  !  »  Lui  procurer  une 
retraite  inaccessible  n'était  pas  chose  facile  dans  l'état  d'imperfection  où  le 
premier  effort  du  démiurge  avait  laissé  l'univers;  Nou  n'avisa  d'autre  moyen  de 
sortir  d'embarras  que  de  se  remettre  à  l'œuvre  et  d'achever  la  création.  La  tra- 
dition antique  avait  imaginé  la  séparation  du  ciel  et  de  la  terre  comme  un  acte 
de  violence  exercé  par  Shou  sur  Sibou  et  sur  Nouit*  :  l'histoire  présenta  les 
faits  d'une  manière  moins  brutale.  Shou  y  devint  un  fils  vertueux  qui  consa- 
crait son  temps  et  ses  forces  à  porter  Nouit,  pour  rendre  service  à  son  père. 
Nouit  se  montrait  de  son  côté  la  fille  dévouée  qu'il  n'était  point  nécessaire  de 
rudoyer  afin  de  lui  enseigner  ses  devoirs;  elle  consentait  d'elle-même  à  quitter 
son  mari  et  k  mettre  hors  d'atteinte  son  aïeul  bien-aimé.  <c  La  Majesté  de 
Nou  dit  :  «  Fils  Shou,  agis  pour  ton  père  Râ  selon  ses  commandements,  et  toi, 
«  fille  Nouît,  place-le  sur  ton  dos  et  tiens-le  suspendu  au-dessus  de  la  terre!  » 
Nouît  dit  :  «  Et  comment  cela,  mon  père  Nou?  j>  Ainsi  parla  Nouit,  et  elle  fit 
ce  que  Nou  lui  ordonnait  :  elle  se  transforma  en  vache  et  plaça  la  majesté  de 
Râ  sur  son  dos.  Quand  ceux  des  hommes  qui  n'avaient  pas  été  tués  vinrent 
rendre  grâce  à  Râ,  voici  qu'ils  ne  le  trouvèrent  plus  dans  son  palais,  mais  une 
vache  était  debout,  et  ils  l'aperçurent  sur  le  dos  de  la  vache.  »  Ils  n'essavèrent 
pas  de  le  détourner  de  sa  résolution,  tant  ils  le  virent  décidé  au  départ;  du 
moins  voulurent-ils  lui  donner  une  preuve  de  repentir  qui  leur  assurât  le  par- 
don complet  de  leur  crime.  «  Ils  lui  dirent  :  <r  Attends  jusqu'à  demain,  ô  Râ, 
a  notre  maître,  et  nous  abattrons  tes  ennemis  qui  ont  tenu  des  propos  contre 
«  toi.  »  Sa  Majesté  revint  donc  à  son  château,  descendit  de  la  vache,  entra  avec 
eux,  et  la  terre  fut  plongée  dans  les  ténèbres.  Mais  quand  la  terre  s'éclaira  au 
matin  nouveau,  les  hommes  sortirent  avec  leurs  arcs  et  leurs  flèches,  et  ils 
commencèrent  à  tirer  contre  les  ennemis.  Sur  quoi,  la  Majesté  de  ce  dieu  leur 
dit  :  «  Vos  péchés  vous  sont  remis,  car  le  sacrifice  exclut  l'exécution  du  cou- 
or  pable.  »  Et  ce  fut  l'origine  des  sacrifices  sanglants  sur  terre*.  » 

1.  Naville,  la  Destruction  des  hommes  par  les  Dieux,  t.  IV,  pi.  II,  1.  27-29;  1.  VIII,  pi.  H,  ].  34-37. 

2.  Voir  au  chapitre  u,  p.  128-129,  de  cette  Histoire,  ce  qui  est  dit  de  Nouît  arrachée  aux  bras  de  Sibou. 

3.  Navillr,  la  Destruction  des  hommes  par  les  Dieux,  t.  IV,  pi.  H,  1.  27-36.  De  nombreuses  lacunes 


168  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

C'est  ainsi  qu'au  moment  de  se  séparer  à  jamais,  le  dieu  et  les  hommes  s'en- 
tendirent pour  régler  les  rapports  qu'ils  entretiendraient  à  l'avenir.  Les  hommes 
offraient  au  dieu  la  vie  de  ceux  qui  l'avaient  offensé.  Le  sacrifice  humain 
apparaissait  à  leurs  yeux  comme  le  sacrifice  obligatoire,  l'unique  qui  pût 
racheter  complètement  les  fautes  commises  contre  la  divinité;  seul  un  homme 
était  digne  de  laver  dans  son  sang  les  péchés  des  hommes1.  Le  dieu  accepta 
une  première  fois  l'expiation  telle  qu'on  la  lui  présentait,  puis  la  répugnance 
qu'il  éprouvait  à  tuer  ses  enfants  l'emporta  :  il  substitua  la  bête  à  l'homme 
et  décida  que  le  bœuf,  la  gazelle,  les  oiseaux  feraient  désormais  la  matière 
du  sacrifice*.  Ce  point  réglé,  il  remonta  sur  la  vache.  Celle-ci  se  leva, 
s'arc-bouta  de  ses  quatre  jambes  comme  d'autant  de  piliers  :  son  ventre,  allongé 
en  plafond  au-dessus  de  la  terre,  forma  le  ciel.  Lui,  cependant,  s'occupait 
d'organiser  le  monde  nouveau  qu'il  découvrait  sur  le  dos  ;  il  le  peuplait  d'êtres 
nombreux,  y  choisissait  deux  cantons  pour  y  établir  sa  résidence,  le  Champ 
des  Souchets,  —  Sokhit  Jalou  —  et  le  Champ  du  Repos  —  Sokhît  Hotpit, 
—  y  suspendait  les  étoiles  qui  devaient  éclairer  les  nuits.  Le  tout  avec 
force  jeux  de  mots  destinés,  selon  l'usage  oriental,  à  expliquer  les  noms 
que  la  légende  assignait  aux  diverses  régions  du  ciel.  Il  s'écriait,  à  la  vue 
d'une  plaine  dont  le  site  lui  plaisait  :  <r  Le  Champ  repose  au  loin  !  »  et  c'était 
l'origine  des  Champs  du  Repos;  il  ajoutait  :  «  J'y  cueillerai  des  herbes  *,  et 
le  Champ  des  Souchets  en  prenait  son  nom.  Tandis  qu'il  se  livrait  à  ce 
passe-temps  philologique,  Nouît,  transportée  soudain  à  des  hauteurs  inac- 
coutumées, s'effarait  et  criait  au  secours  :  <*  Donne-moi,  par  grâce,  des  étais 
pour  me  soutenir!  »  Ce  fut  le  commencement  des  dieux-étais.  Ils  vinrent  s'in- 

interrompent  cette  partie  du  texte  et  en  rendent  la  lecture  difficile  dans  les  deux  exemplaires  que 
nous  possédons  :  le  sens  général  en  est  certain,  à  quelques  nuances  près  qu'il  est  permis  de  négliger. 

1.  La  légende,  en  voulant  nous  expliquer  pourquoi  il  n'y  avait  plus  de  sacrifices  humains  chez  les 
Égyptiens,  nous  fournit  la  preuve  directe  de  leur  existence  aux  temps  primitifs  (Naville,  la  Destruction 
des  hommes  par  les  Dieux,  dans  les  Transactions,  t.  IV,  p.  17-18).  Beaucoup  de  faits  confirment  ce 
témoignage.  Nous  verrons  qu'en  déposant  les  ouashhiii  dans  les  tombeaux  on  suppléait  les  esclaves 
mâles  ou  femelles  qu'on  égorgeait  au  début  sur  la  tombe  des  riches  et  des  princes,  pour  les  aller 
servir  dans  l'autre  monde  (cf.  p.  193  de  cette  Histoire)  :  encore  à  Thèbes,  sous  la  XIX-  dynastie,  on 
trouve  dans  certains  hypogées  des  tableaux  qui  peuvent  faire  croire  qu'accidentellement  au  moins 
on  envoyait  des  victimes  humaines  aux  doubles  de  distinction  (Maspero,  le  Tombeau  de  Montou- 
hikhopshouf,  dans  les  Mémoires  de  la  Mission  du  Caire,  t.  V,  p.  452  sqq.).  On  continuait  du  reste 
à  la  môme  époque  de  mettre  a  mort  devant  les  dieux  l'élite  des  chefs  ennemis  pris  à  la  guerre: 
dans  plusieurs  villes,  ainsi  à  Eilithyia  {de.  Iside  et  Osiride,  §  73,  édit.  Parthey,  p.  12ÎM30)  et  à 
Héliopolis  (Porphyre,  de  Abstinentiâ,  11,  55,  cf.  Kïskbe,  Prœpar.  Etang.,  IV,  16),  ou  devant  certains 
dieux  comme  Osiris  (Diodork,  I,  88)  ou  Kronos-Sibou  (Sextts  Empiricis,  Ilf,  24,  221),  le  sacrifice  de 
l'homme  se  prolongea  jusque  vers  l'époque  romaine.  On  peut  dire  pourtant  d'une  manière  générale 
qu'il  était  fort  rare.  Presque  partout  on  avait  remplacé  les  hommes  par  des  gâteaux  de  forme  parti- 
culière qu'on  appelait  mu.u,aTa  (Seleuci;s  d'Alexandrie,  dans  Athénée,  IV,  p.  172),  ou  par  des  animaux. 

2.  On  prétendait  que  les  ennemis  de  Hà,  d'Osiris  et  des  autres  dieux,  les  partisans  d'Apdpi  et  de  Sft, 
s'étaient  réfugiés  dans  le  corps  de  certains  animaux  :  c'étaient  donc  en  réalité  des  victimes  humaines 
ou  divines  qu'on  offrait,  quand  on  égorgeait  devant  les  autels  les  bétes  destinées  au  sacrifice. 


LA  LÉGENDE  DE  SHOl   ET  DE  SIBOU.  469 

staller  chacun  à  côté  de  l'une  des  quatre  jambes,  qu'ils  consolidèrent  de  leurs 
mains  et  près  de  laquelle  ils  ne  cessèrent  plus  de  monter  la  garde.  Comme  Us 
ne  suffisaient  pas  encore  à  rassurer  la  bonne  bète,  «  Rà  dit  :  «  Mon  fils  Shou, 
place-toi  sous  ma  fille  Nouït,  et,  veillant  pour  moi  sur  ces  étais-ci  et  sur  ces 
étais-la,    qui    vivent   dans  le  crépuscule,   maintiens-la  au-dessus  de  ta  tête 


et  sois  son  pasteur!  »  Shou  obéit;  Nouit  se  rasséréna,  et  le  monde,  muni  du 
ciel  qui  lui  avait  manqué  jusqu'alors,  reçut  enfin  la  forme  harmonieuse  que 
nous  lui  connaissons1. 

Les  deux  premiers  successeurs  de  Rà,  Shou  et  Sibou,  n'acquirent  pas  une 
popularité  aussi  durable  que  celle  de  leur  grand  ancêtre  :  ils  avaient  pourtant 
leurs  annales,  dont  tes  fragments  sont  parvenus  jusqu'à  nous1.  Leur  pouvoir 
s'étendait  encore  sur  l'univers  entier  :  «  La  Majesté  de  Shou  était  le  roi  excellent 

I.  Dettin  de  Fauclier-Gudin ;  cf.  Chuhlluhi,  Monuments  de  l'Egypte  et  de  la  Subie,  pi.  ccmi,  3; 
LerÉ»im,  le  Tombeau  de  Séti  I"  (ilans  le»  Mémoire*  de  Ut  Million  du  Caire,  I.  Il),  IV*  partie,  pi.  ivii. 

S.  NiïiiLK,  ta  Destruction  de»  hommes  par  tes  Dieux,  dans  los  Transaction*.  I.  IV,  pi.  Il,  1.  37  sqq. 

3.  lin  nous  ont  clé  conservés  sur  les  parois  d'un  naos,  qui  fui  élevé  d'abord  dans  une  ville  du 
Délia  Oriental,  Att-Sobsou,  puis  transporté  plus  tard,  vers  l'époque  romaine,  dans  la  bourgade  de 
Rhinocoloura,  aujourd'hui  el-Arlsh.  Ce  naos,  découvert  cl  signalé  par  Guérin  (Judée,  t.  Il,  p.  441)  il 
V  a  plus  de  vingt  ans,  a  éle  copié,  publié  el  traduit  par  CRirm-K,  tke  Antiquities  of  Tell  et- 
Yahadtaen,  pi.  XXI1I-XXV  et  p.    TIMi;  cf.   Masplbo  dans   la   Ile  ave  Critique,  18S)|,  t.  I,  p.  14-46, 


170  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

du  ciel,  de  la  terre,  de  l'Hadès,  de  l'eau,  des  vents,  de  l'inondation,  des 
deux  chaînes  de  montagnes,  de  la  mer,  gouvernant  d'une  voix  juste,  selon 
tous  les  préceptes  de  son  père  Râ-Harmakhis1.  »  Seuls  «  les  enfants  du  ser- 
pent Apôpi,  les  impies  qui  hantent  les  solitudes  et  le  désert  »,  méconnais- 
saient son  autorité.  Comme  plus  tard  les  Bédouins,  ils  débouchaient  à  l'impro- 
viste  par  les  routes  de  l'isthme,  montaient  en  Egypte  sous  le  couvert  de  la 
nuit,  tuaient  et  pillaient,  puis  regagnaient  leurs  repaires  à  la  hâte  avec  le 
butin  qu'ils  avaient  enlevé1.  Râ  avait  fortifié  contre  eux  la  frontière  orientale, 
entre  les  deux  mers.  Il  avait  entouré  de  murs  les  cités  principales,  les  avait 
embellies  de  temples,  y  avait  enfermé  des  talismans  mystérieux  qui  valaient 
plus  pour  la  défense  qu'une  garnison  humaine  :  c'est  ainsi  qu'Aît-nobsou,  vers 
la  sortie  de  l'Ouady-Toumilât,  possédait  une  des  cannes  du  Soleil,  l'urseus 
vivante  de  sa  couronne  dont  l'haleine  dévore  tout  ce  qu'elle  touche,  enfin, 
une  boucle  de  ses  cheveux  qui,  lancée  dans  les  eaux  d'un  lac,  s'y  transformait 
en  crocodile  à  tête  d'épervier,  pour  mettre  l'envahisseur  en  pièces3.  L'usage 
en  était  dangereux  pour  qui  n'avait  pas  encore  l'habitude  de  les  manier,  et 
pour  les  divinités  elles-mêmes.  Quand  Shou,  las  de  régner,  remonta  au  ciel 
dans  une  tempête  de  neuf  jours,  Sibou,  à  peine  intronisé,  commença  l'inspec- 
tion des  marches  orientales,  et  se  fit  ouvrir  la  boite  où  l'on  gardait  l'uraeus 
de  Râ.  «  Dès  que  la  vipère  vivante  eut  soufflé  son  haleine  contre  La  Majesté 
de  Sibou,  ce  fut  un  grand  désastre,  un  grand,  car  ils  succombèrent  ceux 
qui  étaient  à  la  suite  du  dieu,  et  Sa  Majesté  elle-même  fut  brûlée  en  ce 
jour.  Quand  Sa  Majesté  eut  couru  au  nord  d'Aît-nobsou,  poursuivie  par  le 
feu  de  cette  uraeus  magique,  voici  qu'en  arrivant  aux  prés  du  hennèh, 
comme  sa  brûlure  n'était'  pas  encore  calmée,  les  dieux  qui  étaient  der- 
rière lui  dirent  :  «  0  sire,  qu'on  prenne  cette  mèche  de  Râ  qui  est  là, 
«  quand  Ta  Majesté  ira  la  voir  elle  et  son  mystère,  et  Sa  Majesté  sera  guérie 
«  dès  qu'on  l'aura  posée  sur  toi.  »  La  Majesté  de  Sibou  se  fit  donc  apporter 
la  mèche  talismanique  à  Piarit  —  cette  mèche  pour  laquelle  on  a  fabri- 
qué ce  grand  reliquaire  en  pierre  véritable  qui  est  caché  au  lieu  secret  de 

I.  Grutith,  the  Antiquities  of  Tell~el-Ya/tûdtych,  pi.  XXIV,  1.  1-*. 

S.   Id.  ibid.,  pi.  XXIV,  1.  24  sqq. 

3.  Les  Égyptiens  de  toutes  les  époques  n'étaient  pas  pour  s'effrayer  de  ces  merveilles  :  un  des 
contes  que  nous  possédons  du  second  empire  thébain  nous  parle  d'un  morceau  de  cire  transformé 
en  crocodile  vivant  quand  on  le  jetait  à  l'eau,  et  capable  de  dévorer  un  homme  (Krxax,  die  Màrchrn 
des  Papyrus  Westcar,  pi.  1I1-1V,  p.  8;  cf.  Maspero,  les  Contes  populaires,  t*  édit.,  p.  60-63).  Les  talis- 
mans protecteurs  de  l'Egypte  contre  les  invasions  barbares  sont  mentionnés  par  le  Pseudo-Callisthènes 
($  1,  édit.  Miîllkr,  dans  l'Arrien  de  la  collection  Didot)  qui  attribue  l'invention  de  plusieurs  d'entre 
eux  au  Pharaon  Nectanébo;  les  historiens  arabes  en  parlent  souvent  (V Egypte  de  Murtadi,  trad.  Vat- 
tier,  p.  26,  57,  etc.;  Maçoudi,  tes  Prairies  d'Or,  trad.  Barbier  de  Meymard,  t.  II,  p.  41 -1-4 17). 


LE  RÈGNE  D'OSIRIS  ONNOPHRIS  ET  D'ISIS.  171 

Piarit,  dans  le  canton  de  la  mèche  divine  du  Seigneur  Rà,  —  et,  voici, 
ce  feu  s'en  alla  des  membres  de  La  Majesté  de  Sibou.  El,  beaucoup  d'an- 
nées après  cela,  quand  on  reporta  cette  mèche,  qui  avait  appartenu  de  la 
sorte  au  dieu  Sibou,  à  Piarît  dans  Aît-nobsou,  et  qu'on  la  jeta  dans  le 
grand  lac  de  Piarit,  dont  le  nom  est  Ait-loslesou,  la  demeure  des  vagues, 
afin  de  la  purifier,  voici  que  cette  mèche  devint  un  crocodile  :  elle 
s'envola  à  l'eau  et  devint  Sobkou,  le  crocodile  divin  d'Aît-nobsou'.  »  C'est 
ainsi  que,  de  génération  en  génération,  les  dieux  de  la  dynastie  solaire  multi- 
pliaient les  talismans  et  enrichissaient  de  reliques  les  sanctuaires  de  l'Egypte. 


Vit-on  jamais  légendes  plus  plates  et  de  fantaisie  plus  vieillotte?  Elles  ne 
sont  pas  écloses  spontanément  sur  les  lèvres  d'un  peuple;  elles  ont  été  com- 
posées à  loisir  par  des  prêtres  désireux  de  rehausser  l'antiquité  de  leur  culte, 
et  d'accroître  à  son  profit  la  vénération  des  fidèles.  On  voulait,  dans  chaque 
cité,  que  le  sanctuaire  féodal  eût  été  fondé  le  jour  même  de  la  création,  que 
ses  privilèges  eussent  été  étendus  ou  confirmés  au  cours  de  la  première 
dynastie  divine,  que  son  trésor  renfermât,  à  l'appui  de  ces  prétentions,  des 
objets  ayant  appartenu  aux  plus  anciens  des  rois-dieux1.  De  là  ces  contes  où 
l'on  dépeint  de  façon  souvent  ridicule  le  personnage  du  Pharaon  bienfaiteur  : 
si  nous  possédions  l'ensemble  des  archives  sacrées,  nous  y  verrions  mentionné, 
comme  pièce  authentique,  plus  d'un  document  aussi  artificiel  que  la  chronique 
d'Aît-nobsou.  Le  caractère  et  la  forme  des  récits  changent  dès  qu'on  arrive 

I.  Gnirrini.  Ihe  Anliquitin  of  Telltl-Yahûdtyeh,  pi.  XXV,  I.  |Mi. 

t.  Deuin  de  Fauchtr-Gudtn,  a"aprtt  U  croquis  tic  Gnimm,  the  AntiquiHe»  of  Tetl-el-Yahûdlyth, 
pi.  XXIII,  3.  L«  trois  talismans  représentés  ici  sont  deux  couronnes  dans  un  naos  et  l'ursus  brûlante. 

3.  Dendérah,  par  eiemple.  avait  été  fondée  bous  les  dynasties  divines,  su  temps  des  Srrvitturi 
d'IIorui  iDfmor.s,  Itauurkumfe  der  Trmprtaiilagcn  van  Deadera,  p.  18-10  et  pi.  XV,  I.  37-38). 


m  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

aux  derniers  membres  de  l'Ennéade.  Sans  doute  Osiris  et  Sit  n'échappèrent 
pas  sans  blessures  aux  mains  des  théologiens,  mais  l'intervention  sacerdotale, 
si  elle  gâta  leur  légende,  ne  la  défigura  pas  complètement.  On  y  remarque 
encore  par  endroits  une  sincérité  de  sentiments  et  une  vivacité  d'imagination, 
qu'on  ne  rencontre  jamais  dans  les  annales  de  Shou  et  de  Sibou.  C'est  qu'en 
effet  l'emploi  de  ces  dieux  les  laisse  étrangers,  ou  peu  s'en  faut,  aux  affaires 
courantes  de  l'univers.  Shou  est  l'étai,  Sibou  l'assise  brute  du  monde  :  tant 
que  l'un  continue  à  porter  sans  plier  le  poids  du  firmament,  et  que  l'autre 
tolère  sur  son  dos  le  piétinement  des  générations  humaines,  les  dévots  ne 
s'inquiètent  pas  plus  d'eux  qu'ils  ne  s'inquiètent  eux-mêmes  des  dévots.  Mais 
Osiris,  sa  vie  se  mêlait  intimement  à  celle  des  Égyptiens  et  son  acte  le  moin- 
dre influait  sur  leurs  destinées  d'un  contre-coup  immédiat.  On  suivait  le  mou- 
vement de  ses  eaux,  on  notait  les  péripéties  de  ses  luttes  contre  la  séche- 
resse, on  enregistrait  ses  défaillances  de  chaque  année  compensées  chaque 
année  par  des  retours  offensifs  et  par  la  victoire  passagère  qu'il  remportait 
sur  Typhon,  on  étudiait  minutieusement  son  tempérament  et  ses  allures. 
S'il  se  gonfle  presque  à  jour  fixe  et  se  répand  sur  la  terre  noire  de  la  vallée, 
ce  n'est  point  fonction  machinale  d'un  être  indifférent  aux  conséquences  de 
ce  qu'il  fait  :  il  agit  après  réflexion  et  dans  la  pleine  conscience  du  service 
qu'il  rend.  Il  sait  qu'en  répandant  l'inondation,  il  empêche  le  triomphe  du 
désert  :  il  est  la  vie,  il  est  le  bon  —  Onnofriou  —  et  Isis,  associée  à  ses 
efforts,  devient,  comme  lui,  le  type  de  la  bonté  parfaite.  Dans  le  temps  qu'il 
se  développe  pour  le  mieux,  Sît  se  transforme  pour  le  pis  et  gagne  en 
méchanceté  tout  ce  que  son  frère  acquiert  en  pureté  et  en  élévation  morale. 
A  mesure  que  sa  personne  se  précise  et  se  détache  en  traits  plus  nets,  ce 
qu'elle  recelait  de  mauvais  s'accentue  par  contraste  à  ce  qu'Osiris  renferme 
de  bon.  Ce  qui  était  d'abord  lutte  instinctive  de  deux  êtres  assez  vaguement 
définis,  du  désert  contre  le  Nil,  de  l'eau  contre  la  sécheresse,  se  change  en 
inimitié  raisonnée  et  en  volonté  de  détruire.  Il  n'y  a  plus  conflit  de  deux 
éléments,  mais  guerre  entre  deux  dieux,  dont  l'un  travaille  à  donner  la 
richesse  quand  l'autre  s'efforce  de  l'anéantir,  dont  l'un  est  le  bien  et  la  vie 
quand  l'autre  incarne  le  mal  et  la  mort. 

Une  légende  fort  ancienne  plaçait  la  naissance  d'Osiris  et  de  ses  frères  dans 
les  cinq  jours  additionnels  qui  terminent  l'année1.  On  l'expliqua  plus  tard  en 

1.  Ces  cinq  jours  picnaient  aux  yeux  des  Égyptiens  une  importance  particulière;  ils  étaient  autant  de 
fêtes  consacrées  aux  cultes  des  morts.  Nous  possédons  encore,  dans  un  papyrus  hiératique  de  l'époque 


OSIRIS  ET  ISIS  CIVILISENT  L'EGYPTE.  173 

contant  que  Nouît  et  Sibou  avaient  contracté  mariage  contre  la  volonté  expresse 
de  Râ  et  à  son  insu  :  lorsqu'il  s'en  aperçut,  il  entra  dans  une  colère  violente 
et  jeta  sur  la  déesse  un  charme  qui  devait  empêcher  sa  délivrance  en  tel  mois 
et  en  tel  an  que  ce  fût.  Mais  Thot  eut  pitié  d'elle,  et,  jouant  aux  dames  avec  la 
lune,  il  lui  gagna,  en  plusieurs  parties,  un  soixante-douzième  de  ses  feux,  dont 
il  composa  cinq  jours  entiers  :  comme  ils  n'appartenaient  pas  au  comput  régu- 
lier, Nouît  put  y  mettre  au  monde  cinq  enfants  coup  sur  coup,  Osiris,  Haroêris, 
Sit,  Isis  et  Nephthys1.  Osiris  était  beau  de  visage,  mais  avec  un  teint  mat  et 
noir  :  sa  taille  dépassait  cinq  mètres*.  Il  naquit  à  Thèbes5,  le  premier  des 
jours  additionnels,  et  une  voix  mystérieuse  annonça  aussitôt  que  le  maître  de 
tout  —  nibou-r-zorou  —  venait  de  paraître  :  des  cris  de  joie  accueillirent  la 
bonne  nouvelle,  suivis  de  pleurs  et  de  lamentations  quand  on  sut  les  malheurs 
qui  le  menaçaient4.  L'écho  en  arriva  jusqu'à  Râ  dans  sa  résidence  lointaine, 
et  son  cœur  se  réjouit,  malgré  la  malédiction  dont  il  avait  chargé  Nouît  : 
il  manda  son  arrière-petit-fils  dans  Xoïs,  et  il  le  reconnut  sans  hésiter  comme 
héritier  de  son  trône8  Osiris  épousa  sa  sœur  Isis,  et  même,  disait-on, 
au  temps  qu'ils  reposaient  encore,  l'un  et  l'autre,  dans  le  sein  de  leur  mère*  : 
lorsqu'il  fut  roi,  il  fit  d'elle  une  reine  active  et  l'associa  à  ses  entreprises. 
Les   Égyptiens  restaient  à   demi   sauvages    :    ils  se   dévoraient  entre   eux, 

des  Ramessides  (I  346  de  Leyde),  un  Livre  des  cinq  jours  en  sus  de  l'année,  qui  a  été  traduit  et  com- 
menté sommairement  par  Chabas  (le  Calendrier  des  jours  fastes  et  néfastes  de  Cannée  égyptienne, 
p.  101-107)  :  Osiris  était  né  le  premier  jour,  Haroêris  le  second,  Sft  le  troisième,  Isis  le  quatrième, 
Nephthys  le  cinquième.  Les  mentions  éparses  sur  les  monuments  confirment  Tordre  indiqué  par  le 
papyrus.  Ainsi  une  inscription  du  grand  prêtre  Mankhopirrt  de  la  XXIe  dynastie  rappelle  qu'lsis  était 
née  le  quatrième  de  ces  jours,  qui  coïncidait  avec  la  fête  d'Amon  au  commencement  de  Tannée 
(Brugsch,  Recueil  de  Monuments,  t.  I,  pi.  XXII,  1.  9,  et  E.  de  Rouge,  Étude  sur  les  monuments  du 
massif  de  Karnak  dans  les  Mélanges  d'Archéologie,  t.  I,  p.  133).  Une  inscription  du  petit  temple 
d'Aptt  à  Thèbes  (Lepsius,  Denkm.,  IV,  29)  indique  la  naissance  d'Osiris  au  premier  jour  épagomène. 

1.  Nous  ne  possédons  de  cette  légende  que  l'interprétation  hellénisée  qui  en  a  été  donnée  dans  le 
de  Iside  et  Osiride  (édit.  Leemans,  §  12,  p.  18-21),  mais  on  ne  saurait  douter  qu'elle  ait  été  puisée  à 
bonne  source,  comme  la  plupart  des  récits  qui  sont  consignés  dans  ce  curieux  traité. 

2.  De  Iside  et  Osiride  (édit.  Leemans,  §  33,  p.  57)  :  rbv  fié  "Ocnpiv  au  irotXiv  u.eXd(YXP0UV  YtYOvéva*. 
u.v6o).OYoC<nv.  Osiris  est  en  effet  représenté  souvent  avec  la  face  et  les  mains  noires  ou  vertes, 
comme  c'est  l'usage  pour  les  dieux  des  morts;  c'est  probablement  cette  particularité  qui  a  donné  au 
peuple  l'idée  de  son  teint  noir  (Wilkinson,  Manners  and  Customs,  2*  édit.,  t.  III,  p.  81).  La  taille  du 
dieu  est  fixée  à  sept  coudées  par  le  passage  d'un  papyrus  magique  du  temps  des  Ramessides 
(Chabas,  le  Papyrus  magique  Harris,  p.  116-117),  et  à  huit  coudées  six  palmes  trois  doigts  par 
une  phrase  d'une  inscription  ptolémaïque  (DOmichen,  Hislorische  Inschriften,  t.  Il,  pi.  XXXV). 

3.  Lepsius,  Denkm.,  IV,  296,  53  a;  Brugsch,  Dictionnaire  Géographique,  p.  865.  Il  est  Mendésien  à 
l'origine  (voir  p.  130  de  cette  Histoire)  :  son  changement  de  patrie  date  de  la  grandeur  thébaine. 

4.  Une  variante  de  la  légende  racontait  qu'un  certain  Pamylis,  à  Thèbes,  étant  allé  puiser  de  l'eau, 
avait  entendu  une  voix  qui  sortait  du  temple  de  Zeus,  et  qui  lui  ordonnait  d'annoncer  hautement  à 
l'univers  la  naissance  du  grand  roi,  le  bienfaisant  Osiris.  Il  avait  reçu  l'enfant  des  mains  de  Kronos, 
l'avait  élevé  jusqu'à  l'adolescence,  et  les  Égyptiens  lui  avaient  consacré  la  fête  des  Pamylies  qui  res- 
semble à  celle  des  Phalléphories  grecques  (de  Iside  et  Osiride,  édit.  Leemans,  §  12,  p.  19-20). 

5.  Papyrus  S079  du  Louvre,  p.  11, 1.  18-20,  dans  Pierrbt,  Études  Égyplologiques,  p.  33-34  ;  cf.  Brugsch, 
Religion  und  Mythologie  der  alten  jEgypter,  p.  627-628. 

6.  De  Iside  et  Osiride,  édit.  Leemans,  §  12,  p.  20-21.  Haroêris,  l'Apollon  des  Grecs,  serait  issu  du  ma- 
riage consommé  avant  la  naissance  des  deux  époux,  tandis  qu'ils  étaient  encore  enfermés  dans  le  sein 


174  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

et  s'ils  vivaient,  à  l'occasion,  des  fruits  de  la  terre,  c'était  au  hasard  et  sans 
savoir  les  produire  régulièrement.  Osiris  leur  enseigna  l'art  de  fabriquer  les 
instruments  de  labour,  la  charrue  et  la  houe,  de  façonner  les  champs  et  de 
les  assoler,  de  récolter  le  blé  et  l'orge1,  de  cultiver  la  vigne5.  Isis  les  désha- 
bitua de  l'anthropophagie3,  les  guérit  par  la  médecine  ou  par  la  magie,  unit 
les  femmes  aux  hommes  en  unions  légitimes4,  et  leur  montra  la  façon  de  mou- 
dre le  grain  entre  deux  pierres  plates  pour  préparer  le  pain  de  la  maison 5  ;  elle 
inventa  le  métier  à  tisser,  de  concert  avec  sa  sœur  Nephthys,  et,  la  première, 
ourdit  et  blanchit  la  toile6.  Le  culte  des  dieux  n'existait  pas  :  Osiris  l'institua, 
désigna  les  offrandes,  régla  l'ordre  des  cérémonies,  composa  le  texte  et  la 
mélopée  des  liturgies7.  Il  bâtit  des  villes,  les  uns  disaient  Thèbes  même8,  où 
les  autres  assuraient  qu'il  était  né.  Comme  il  avait  été  le  modèle  des  rois 
justes  et  pacifiques,  il  voulut  l'être  également  des  conquérants  dompteurs 
de  peuples  :  il  remit  la  régence  à  Isis  et  partit  en  guerre  contre  l'Asie 
avec  Thot  l'ibis  et  le  chacal  Anubis.  C'est  à  peine  s'il  employa  la  violence 
et  les  armes.  Il  attaquait  les  hommes  par  la  douceur  et  par  la  persuasion, 
les  amollissait  par  des  chants  où  les  voix  se  mariaient  aux  instruments,  et 
leur  enseignait  les  mêmes  arts  qu'il  avait  révélés  aux  Égyptiens.  Nul  pays 
n'échappa  à  son  action  bienfaisante;  il  ne  revint  aux  bords  du  Nil  qu'après 
avoir  parcouru  et  civilisé  la  terre  d'un  horizon  à  l'autre9. 

Sît-Typhon  était  roux  de  chevelure  et  blanc  de  peau,  d'un  caractère  violent, 
sombre  et  jaloux10.  Il  aspirait  secrètement  à  la  couronne  et  la  vigilance  d'isis 

de  leur  mère  Rhéa-Noutt  (de  laide  et  Osiride,  édit.  Leemans,  §  12,  p.  20-21  et  §  54,  p.  7)  :  c'était  une 
manière  de  rattacher  aux  mythes  osiriaques  le  personnage  d'Haroéris,  en  le  confondant  avec  son 
homonyme  Harsiésis.  le  (ils  d'isis  qui  devint  fils  d'Osiris  par  le  mariage  de  sa  mère  avec  ce  dieu. 

1.  Diodore  (liv.  1,  g  14)  lui  attribue  même  la  découverte  de  l'orge  et  du  blé  :  c'est  la  conséquence 
de  l'identification  établie  par  les  Grecs  entre  Isis  et  Déméter.  D'après  l'historien  Léon  de  Pella  (fragm. 
3-4  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grxcnrum,  t.  II,  p.  331)  la  déesse  se  tressa  une  cou- 
ronne d'épis  mûrs  et  la  posa  sur  sa  tête,  un  jour  qu'elle  offrait  un  sacrifice  à  ses  parents. 

2.  De  Iside  et  Osiride  (édit.  Leemans),  §  13,  p.  21;  Diodore  de  Sicile,  liv.  1,  §  14-15;  èyw  icopoù; 
otv6pwitot;  otvéSeiÇa  (Hymne  trouvé  dans  l'tle  d'Ios,  Kaibel,  Epigrammata  Grxca,  p.  xxi).  Osiris  est 
l'inventeur  de  la  charrue  dans  Avien,  Desc.  Orbis,  354,  et  dans  Servics,  ad  Georgicorum,  1, 19). 

3.  'Eyiù  liera  xoO  dtSeXçoG  'Oac'peu>ç  toc;  àvOpcoicoçaytaç  Ëicauov  (Kaibel,  Epigrammata  Grxca,  p.  xn). 

4.  'Eyà>  yuvaîxa  xai  avÔpa  ffvvrçyaya  (Hymne  d'Ios,  dans  Kaibel,  Epigrammata  Grttca,  p.  xxi). 

5.  Diodore  de  Sicile,  liv.  I,§  25;  cf.  les  recettes  médicales  ou  magiques  qu'on  lui  attribue  au  Papyrus 
Ebers,  pl.XLVII,  I.  5-10,  et  sur  la  Stèle  de  Metternich,  édit.  Golenischeff,  pi.  IV,  I.  4,  V,  1.  100,  et  p.  10-12 

6.  Cela  résulte  entre  autres  des  passages  du  Rituel  de  l'Embaumement  où  l'on  voit  Isis  et  Nephthys, 
l'une  filer  le  lin,  l'autre  tramer  la  toile  (Maspero,  Mémoire  sur  quelques  papyrus  du  Louvre,  p.  35,  81). 

7.  Les  premiers  temples  furent  élevés  par  Osiris  et  Isis  (Diodore  de  Sicile,  I,  §15)  ainsi  que  les  pre- 
mières images  des  dieux  :  iyïû  àyâù\LotxaL  îorâv  èÔt5a£a,  èyà>  teuiv/)  Oeûv  etôpwrdtfiTiv  (Hymne  d'Ios. 
dans  Kaibel,  Epigrammata  Grœca,  p.  xxi-xxii).  Osiris  inventa  deux  des  espèces  de  flûte  dont  les  Égyp- 
tiens se  servaient  dans  les  fêtes  (Ji-ba,  fragm.  73,  dans  Mûller-Didot,  Fragm.  H.Grvc,  t.  III,  p.  481). 

8.  Bâton,  fragm.  des  Persica  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grvcorum,  t.  IV,  p.  318. 

9.  Diodore  de  Sicile,  I,  g  17-20;  de  Iside  et  Osiride,  édit.  Leemans,  g  13,  p.  21. 

10.  On  comparait  la  couleur  de  son  poil  à  celle  d'un  âne  roux,  et  l'âne  lui  était  consacré  pour 
cette  raison  (de  Iside  et  Osiride,  g  22,  30,  31,  édit.  Leemans,  p.  37,  51,  52).  Sur  son  caractère  vio- 
lent et  jaloux,  voir  l'appréciation  de  Diodore  de  Sicile,  I,  21,  et  la  peinture  de  Synésios  dans  le  pain- 


OSIRIS,  TUÉ  PAR  SIT,   EST  ENSEVELI  PAR  ISIS.  175 

l'avait  seule  empêché  de  se  révolter  pendant  l'absence   de  son  frère';  les 
réjouissances  qui  signalèrent  le  retour  à  Memphis  lui  fournirent  l'occasion  de 
s'emparer  du  trône.  11  invita  Osiris  à  un  banquet  avec  soixante-douze  de  ses 
officiers  dont  il  s'était  assuré  l'appui,  fabriqua  une  caisse  en  bois  d'un  travail 
curieux    et   donna    l'ordre  qu'on   la    lui 
apportât  au  milieu  de  la  fête.  Comme  cha- 
cun en  admirait  la  beauté,  il  dit  d'un  air 
enjoué   qu'il    la  donnerait  en    cadeau    à 
celui  des  convives  qui  la  remplirait  exac- 
tement.  Tous  l'essayèrent   les  uns  après 
les  autres,  mais  sans  succès;  dès  qu'Osins 
s'y  fut  couché,  les  conjurés  en  rabattirent 
le  couvercle  qu'ils  clouèrent  solidement, 
ils  en  bouchèrent  les  joints  avec  du  plomb 
fondu,  puis  ils  la  jetèrent  dans  la  branche 
Tan  i  tique  du  Nil  qui  la  charria  à  la  mer'. 
La  nouvelle  du  crime  répandit  partout  la 

terreur.   Les  dieux  amis  d'Osiris  redou-  la  ihuoe  miriime,  «ours,  ramu,  isu». 

tèrent  le  sort  de  leur  maître  et  se  cachè- 
rent dans  des  corps  d'animaux  pour  échapper  à  la  méchanceté  du  nouveau 
roi*;  Isis  se  coupa  la  chevelure,  déchira  ses  vêtements  et  partit  à  la  recherche 
du  coffre.  Elle  le  retrouva  échoué  près  de  l'embouchure  du  fleuve',  à  l'ombre 
d'un  acacia  gigantesque',  le  déposa  dans  un  lieu  détourné  où  personne  ne 

phlet  intitulé  l'Égyptien  :  on  contait  qu'il  avait  déchire  en  naissant  les  entrailles  de  ilhéa-Noult  et 
qu'il  s'était  frayé  un  chemin  à  travers  le  flanc  maternel  (de  laide  et  Otiride,  édit.  Lieius,  §  12,  p.  40). 

1.  De  Itide  et  Otiride,  édit.  Liras»,  §  13,  p.  il. 

ï.  L'épisode  du  coffre  où  Sit  enferma  Osiris  est  mentionné  d'uni'  façon  sommaire,  mais  parfaite- 
ment intelligible,  dans  une   formule  du  Grand  Papyrus  magique  Harrit  (édit.  C.hieis,  p.  HG-ll"). 

3.  Dénia  de  Haudicr,  repraduitant  le  groupe  en  or  du  Mutée  du  Louvre  (PlHICT,  Catalogue  de  la 
Salle  Uîi  torique  de  la  Galerie  Égyptienne  du  Mutée  du  Louvre,  n'  îi,  p.  13-16).  Le  dose  in  eat  fait 
J'aprAa  nno  photographie  ayant  appartenu  à  M.  de  Witte,  et  antérieure  à  l'acquisition  du  monument 
par  E.  de  Bougé,  en  1871  :  le  petit  pilier  carré  de  lapis-lazuli  sur  lequel  Osiris  se  lient  accroupi 
est  mal  ajusté,  et  la   légende  du  roi  Osorkon,  qui  dédia  cette  triade,  est  placée  sens  dessus  dessous. 

i.  De  Itide  et  Otiride,  édit.  Uemahj,  §  "i,  p.  lifi. 

!i,  La  légende  de  l'époque  Sattc  et  Grecque  ajoutait  en  cet  endroit  tout  un  chapitre,  où  elle  racon- 
tait comment  le  coffre,  entraîné  a  la  mer.  avait  été  jeté  sur  la  côte  de  Phénicic,  près  de  Byhlos  : 
l'acacia,  devenu  pour  la  circonstance  une  bruyère  ou  un  genêt  monstrueux,  avait  poussé  autour 
de  lui  cl  l'avait  enfermé  dans  son  tronc  {de  Itide  et  Otiride,  édit.  Lkibmw,  g  13-17,  p.  Î5-ÏU).  C'est 
une  addition  à  la  légende  primitive  qui  a  dû  naître  entre  la  XVIII-  et  la  XX*  dynastie,  au  moment 
îles  grands  rapport»  de  l'Egypte  avec  les  peuples  d'Asie  :  on  n'en  a  trouvé  jusqu'à  présent  aucune 
trace  sur  les  monuments  égyptiens  proprement  dits,  mémo  sur  les  plus  modernes. 

6.  I!n  bas-relief  du  petit  temple  de  Taharkou,  à  Thèbcs  (Puisse  b'Athtciu,  "foiiHRifNf*  de  t Egypte, 
pi.  XXX),  montre  un  arbre  croissant  sur  un  tertre,  dans  l'intérieur  duquel  le  nom  d'Osiris  eut  insrril  : 
la  légende  nous  apprend  que  c'est  V  Acacia  Niiotica  du  eo/fre,  sous  lequel  le  cercueil  divin  avait  été 
déposé  par  les  caui  (Divi.su,  Sur  un  biu-rrlirf  égyptien  relatif  à  det  texte»  de  Ptutarguc,  dans  le 
llulietin  de  la  Société  de»  Antiquaires  de  France,  1SS8,  S*  série,  t.  V,  p.  133-130), 


176  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

pénétrait  jamais  ;  elle  se  réfugia  ensuite  à  Bouto,  son  domaine  et  sa  ville  d'ori- 
gine, dont  les  marais  la  mirent  à  l'abri  des  entreprises  de  Typhon,  comme  aux 
siècles  historiques  ils  protégèrent  plus  d'un  Pharaon  contre  les  attaques  de  ses 
ennemis.  Elle  y  accoucha  du  jeune  Horus,  elle  l'allaita  et  réleva  en  secret  au 
milieu  des  roseaux,  loin  des  embûches  du  malin1.  Celui-ci  cependant,  chas- 
sant par  un  clair  de  lune,  aperçut  le  coffre,  l'ouvrit  et,  reconnaissant  le  cadavre, 
le  découpa  en  quatorze  morceaux  qu'il  dispersa  au  hasard.  Isis  reprit  son  dou- 
loureux pèlerinage  :  elle  recouvra  tous  les  lambeaux  de  chair  à  l'exception 
d'un  seul  que  l'oxyrrhynque  avait  dévoré  gloutonnement2,  les  rajusta  avec 
l'aide  de  sa  sœur  Nephthys,  de  son  fils  Horus,  d'Anubis  et  de  Thot,  les 
embauma  et  changea  cet  amas  de  débris  en  une  momie  impérissable,  capable 
de  supporter  éternellement  l'âme  d'un  dieu.  Dès  qu'Horus  parvint  à  sa  majo- 
rité, il  réunit  les  Égyptiens  demeurés  fidèles  et  en  composa  une  armée*.  Ses 
Suivants  —  Shosouou  Horou  —  battirent  les  Conjurés  de  Sît  —  Samiou  SU.  — 
ceux-ci  durent  se  métamorphoser  à  leur  tour  en  gazelles,  en  crocodiles,  en 
serpents,  qui  restèrent  impurs  et  typhoniens.  Les  deux  chefs  bataillaient 
depuis  trois  jours,  sous  forme  d'hommes  et  d'hippopotames,  quand  Isis, 
inquiète  sur  l'issue  du  duel,  résolut  d'en  finir.  «  Voici  qu'elle  fit  descendre  des 
fers  sur  eux  et  les  laissa  tomber  sur  Horus.  Horus  aussitôt  prononça  une  prière 
à  haute  voix,  disant  :  «  Je  suis  ton  fils  Horus!  »  Alors  Isis  s'adressa  aux  fers, 
disant  :  «  Brisez-vous,  détachez- vous  de  mon  fils  Horus  !  »  Elle  fit  descendre 
d'autres  fers  et  les  laissa  tomber  sur  son  frère  Sit.  Aussitôt  il  poussa  un  fort 
hurlement  et  des  cris  de  douleur,  et  elle  s'adressa  aux  fers  et  leur  dit  : 
«  Brisez-vous!  »  Oui,  comme  Sit  la  priait  un  grand  nombre  de  fois  disant  : 
«  Ne  prendras-tu  pas  en  pitié  le  frère  de  la  mère  de  ton  fils?  »  alors  son  cœur 
s'apitoya  beaucoup  et  elle  cria  aux  fers  :  <r  Brisez-vous,  car  il  est  mon  frère 

1.  C'est  l'Isis  au  milieu  des  roseaux  qui  est  reproduite  en  tête  de  ce  chapitre  (p.  155),  d'après 
un  monument  de  Phila?.  L'image  de  la  déesse  accroupie  sur  une  natte  a  donné  probablement  nais- 
sance à  la  légende  de  l'île  flottante  de  Khemmis,  qu'Hécatée  de  Milet  (fragm.  284,  dans  MCller-Didot, 
Fragmenta  Historieorum  Grsecorum,  t.  I,  p.  20)  avait  vue  sur  le  lac  de  Bouto,  et  dont  Hérodote  (II,  cm) 
niait  l'existence  en  dépit  du  témoignage  d'Hécatée. 

2.  La  légende  était  si  bien  établie  sur  ce  point,  que,  dès  la  XIX*  dynastie,  elle  fournissait  des 
éléments  à  la  littérature  populaire  :  quand  Bitiou,  le  héros  du  Conte  de»  deux  Frères,  se  mutila 
lui-même,  pour  échapper  au  soupçon  d'adultère,  il  jeta  à  l'eau  son  membre  sanglant,  que  VOxyr- 
rhynque  dévora  (Maspero,  les  Contes  populaires  de  l'antique  Egypte,  2*  édit.,  p.  15). 

3.  On  intercalait  vers  cet  endroit,  à  l'époque  grecque,  un  récit  d'après  lequel  Osiris  serait  revenu 
du  monde  des  morts  pour  armer  son  fils  et  pour  l'exercer  aux  combats.  Il  lui  aurait  demandé  lequel 
des  animaux  lui  paraissait  être  le  plus  utile  en  temps  de  guerre,  et  Horus  lui  aurait  désigné  le  cheval 
au  lieu  du  lion  :  le  lion  n'a  de  valeur  que  pour  l'être  faible  ou  lâche  en  quête  de  secours,  le  cheval 
au  contraire  sert  à  la  poursuite  des  ennemis  et  à  leur  anéantissement.  Osiris  jugea  d'après  cette 
réponse  qu'Horus  était  préparé  à  tout  affronter  et  lui  permit  d'entrer  en  campagne  (de  Iside  et  Osi- 
ride,  édit.  Lkkmans,  g  19,  p.  30-31).  La  mention  du  cheval  prouve  suffisamment  l'origine  relativement 
récente  de  cet  épisode  (cf.  p.  32,  note  2  de  cette  Histoire,  la  date  de  l'acclimatation  du  cheval). 


PARTAGE  DE  L'EGYPTE  ENTRE  HORUS  ET  S1T.  477 

aîné!  >  et  les  fers  se  détachèrent  de  lui,  et  les  deux  ennemis  se  retrouvèrent 
en  présence,  comme  deux  hommes  qui  ne  veulent  point  s'entendre.  »  Horus, 
furieux  de  voir  que  sa  mère  lui  enlevait  sa  proie,  se  retourcu 
contre  elle  comme  une  panthère  du  Midi.  Elle  se  sauva  devant 
lui  en  ce  jour  où  bataille  fut  livrée  à  Sit  le  violent,  et  il  lu: 
trancha  la  tête  ;  mais  Thot  la  transforma  par  ses  enchantements 
et  lui   lit  une   tête  de  vache   »,  qui  l'identifia  à  sa  compagne 
Hàthor'.  La   guerre  se  poursuivait  avec  des  chances   diverses 
lorsque  les  dieux  prirent  le  parti  d'évoquer  tes  deux  rivaux 
devant  leur  tribunal.    D'après    une   tradition   fort  ancienne, 
ceux-ci   choisirent  pour  arbitre  de  leur  querelle   le  maître 
d'une  cité  voisine,  Thot  seigneur  d'HermopolÎB   la   petite*. 
Sit  plaida  le  premier  et  soutint  qu'Horus  n'était  pas  le  fils 
d'Osiris,  mais  un  bâtard  qu'lsis  avait  conçu  après  la  mort  de 
son  mari   :  Horus  prouva  victorieusement  la  légitimité  de  sa 
naissance  et  Thot  condamna  Sit  à  restituer  les  uns  disaient 
totalité  de  l'héritage  qu'il  détenait  indûment,  les  autres,  une  p< 
tion   seulement.   Les  dieux  ratifièrent  le  jugement  et  décer- 
nèrent à  l'arbitre  le  titre  à'Ottapi-rahouhoui,  celui  qui  décide 
entre  les  deux  compagnons.  Une  légende,  d'origine  plus  récente, 
et  qui  se  propagea  quand  le  culte  d'Osiris  se  fut  répandu  par        ,si*.hatiio« 
l'Egypte  entière,  affirmait  que  la  cause  avait  été  retenue  par    * TL,t  Dt  1AC"  ' 
Sibou,  le  père  et  l'aïeul  des  parties.  Sibou  s'était  prononcé  d'ailleurs  dans 
le  même  sens  que  Thot  et   avait  divisé   le  royaume    en   deux    moitiés  — 
poxhoui   :   Si't  conserva  la  vallée,  des  environs   de   Memphis  à  la  première 
cataracte,  tandis  qu'Horus  entrait  en  possession  du  Delta*.  L'Egypte  forma 
désormais  deux  royaumes  distincts,  dont  l'un,  celui  du  Nord,  reconnut  comme 


1.  Papyrus  Sallier  IV,  pi.  Il,  I.  fi  sqq.;  Cmiis,  U  Calendrier  dtt  jour»  faites  et  néfastes  de  l'année, 
|>.  38-3(1.  1*8.  U  même  histoire  au  de  Itide  et  Otiride  (édit.  Leeva.is).  g  19,  p.  U,  cf.  g  ÎO. 

■i.  La  forme  grecque  de  la  Iradilion  représente  Thot  comme  ayant  été  l'avocat,  non  t'arbitre  (de 
Itide,  éilil.  Lemmm,  S  19,  p.  3i}.  II  résulte  du  titre  même  de  Ûuapi-rahnuhoui,  que  Thot  fut  réellement 
le  juge  du  différend.  Hahouhou  signifie  au  propre  camarade,  compagnon,  aitocié  (K.  de  Br.sGmwi, 
Imchrïftlïche  Dtitkmâlcr  der  Sammlung  ngyptitchen  Allrrthiimer,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  IX, 
p.  51.  note  i,  et  Mispebo,  Eluda  Egyptiennes,  t.  Il,  p.  83-83). 

3.  beitin  de  Fauchrr-Gudin,  d'aprtt  une  statuette  en  brome  d'époque  toile,  conservée  au  mutée  de 
Gizéh  (II«kiit7i,  Album  photographique  du  mutée  de  Boulaq,  pi.  5,  n"  161). 

4.  Cette  légende  a  été  découverte  par  Goodwin  (Upon  an  Inscription  of  the  reign  o(  Shaba/ta,  dans 
Ciiiu,  Mélangée  égyptologiquet,  3*  Série,  t.  1,  p.  216-îflr.) dan»  un  lente  du  Britinh  Muséum  que  Sharpe 
a  publié  (Egyptian  Intcriptiont,  I"  série,  pi.  XXXVI-XXXVIII).  L'eicm plaire  que  nous  en  possédons 
date  seulement  du  temps  de  Sabacon,  mais  un  avertissement  du  scribe  égyptien  nous  apprend  que 
c'élail  une  copie  d'un  monument  très  ancien.  La  réconciliation  des  deux  ennemis  est  indiquée  égale- 
ment dans  le  de  Itide  et  Otiride  (édit.  Lehahs),  §  SS.  p.  98. 


178  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

patron  Horus,  fils  d'Isis,  et  dont  l'autre,  celui  du  Sud,  se  plaça  sous  la  pro- 
tection de  Sît  Noubîti,  le  dieu  d'Ombos1  :  la  moitié  d'Horus  et  celle  de  Sît 
constituaient  le  domaine,  l'héritage  de  Sibou,  que  les  enfants  du  dieu 
n'avaient  pas  su  garder  intact,  et  que  les  Pharaons  de  race  humaine  réunirent 
plus  tard  entre  leurs  mains*. 

Les  trois  dieux  qui  avaient  précédé  Osiris  sur  le  trône  avaient  cessé  de 
régner,  mais  non  de  vivre  :  Râ  s'était  réfugié  au  ciel  par  dégoût  de  ses  pro- 
pres créatures,  Shou  avait  disparu  au  milieu  d'une  tempête3  et  Sibou  rentra 
pacifiquement  dans  son  palais,  son  temps  de  terre  accompli.  Non  que  la  mort 
n'existât  point  :  elle  était  née  au  commencement  avec  le  reste  des  êtres  et  des 
choses,  mais  sévissant  sur  les  hommes  et  sur  les  bêtes,  elle  avait  respecté  les 
dieux.  Osiris  fut  le  premier  d'entre  eux  qu'elle  frappa  et  dont  il  fallut  célé- 
brer les  funérailles  :  ce  fut  aussi  le  premier  à  qui  la  piété  des  siens  se  préoc- 
cupa de  préparer  une  existence  heureuse  au  delà  du  tombeau.  Bien  qu'il 
exerçât  à  Mendès  la  royauté  des  morts  et  des  vivants,  selon  le  droit  de  toutes 
les  divinités  féodales,  sa  souveraineté  d'outre-vie  ne  lui  épargnait  pas  plus 
qu'au  vulgaire  cette  torpeur  douloureuse  où  tout  ce  qui  est  mortel  tombait 
après  avoir  rendu  le  dernier  souffle.  L'imagination  populaire  ne  se  résigna 
pas  à  le  laisser  éternellement  dans  cette  condition  misérable  :  à  quoi  lui 
aurait-il  servi  d'avoir  pour  femme  Isis  la  grande  Sorcière,  le  sage  Horus 
pour  enfant,  deux  maîtres  en  magie  pour  serviteurs,  Thot  l'ibis  et  le  chacal 
Ânubis,  si  leur  habileté  n'avait  pas  réussi  à  lui  procurer  une  survie  moins 
sombre  et  moins  lamentable  que  celle  de  l'humanité?  Anubis  avait  inventé  la 
momification  depuis  longtemps  déjà4,  et  sa  science  mystérieuse  assurait  la 
persistance  infinie  de  la  chair,  mais  à  quel  prix  !  Elle  substituait  au  corps 
palpitant,  chaud,  coloré,  libre  de  ses  mouvements  et  de  ses  fonctions,  une 
masse  immobile,  glacée,  noirâtre,  sur  laquelle  le  double  s'appuyait  encore 
pour  durer  machinalement,  mais  qu'il  ne  pouvait  ni  soulever  ni  conduire, 
dont  le  poids  le  paralysait  et  dont  l'inertie  le  condamnait  à  végéter  dans  les 

1.  Une  autre  forme  de  la  légende  plaçait  le  jugement  vers  le  27  Athyr,  et  attribuait  à  Horus  l'Egypte, 
à  SU  la  Nubie  ou  le  Doshirit,  le  pays  rouge  (Papyrus  Sa  Hier  IV,  pi.  IX,  1.  4  sqq.).  Elle  doit  dater 
du  moment,  vers  la  XVI II*  dynastie,  où  la  piété  ne  permit  plus  aux  dévots  d'admettre  que  le  meur- 
trier d'Osiris  pût  être  le  patron  légitime  d'une  moitié  du  pays;  on  plaçait  alors  la  moitié  de  Sft 
soit  en  Nubie,  soit  dans  le  désert  à  l'Ouest  de  l'Egypte  qui  était  en  effet  son  domaine  de  tout  temps. 

2.  Sit  et  Horus,  considérés  comme  dieux  du  Midi  et  du  Nord,  s'appellent  parfois  les  deux  Horus, 
et  leurs  royaumes  les  deux  moitiés  des  deux  Horus.  Les  exemples  de  ces  locutions  ont  été  réunis  par 
Ed.  Meyer,  Set-Typhon,  p.  31-40,  où  le  sens  n'en  est  pas  indiqué  assez  clairement. 

3.  Griffith,  the  Antiquities  of  Tell-el-Yahûdtyeh,  pi.  XXV,  1.  6-8.  On  remarquera  ici  la  première 
mention  connue  de  la  tempête  dont  les  éclats  cachent  aux  hommes  la  disparition  et  l'apothéose  des 
souverains  montés  vivants  au  ciel  :  cf.,  entre  autres  exemples,  l'histoire  de  Homulus. 

4.  Voir  ce  qui  est  dit  de  l'embaumement  d'Anubis  au  chapitre  II,  p.  112  sqq.  de  cette  Histoire. 


L'EMBAUMEMENT  OSIHIEN.  179 

ténèbres,  sans  joie  et  presque  sans  conscience  de  lui-même.  Thot,  Isis  et 
Horus  s'appliquèrent  à  corriger  pour  Osiris  ce  que  la  pratique  première  de 
l'embaumenient  présentait  de  nuisible  au  bien-être  et  à  la  mobilité  de  ceux 
qui  la  subissaient.  Ils  ne  supprimèrent  pas  les  manipulations  qu'Anubis  avait 


M  hûiiie  0smiEs.11:  PHÉptitKc  et  cocciUe  sgr   li 

instituées,  mais  ils  leur  infusèrent  une  force  nouvelle  par  leurs  opérations 
magiques  :  ils  inscrivirent  sur  les  bandelettes  principales  des  figures  et  des 
formules  préservatrices,  ils  garnirent  les  membres  d'amulettes  aux  vertus 
assorties,  ils  tracèrent  les  scènes  multiples  de  l'existence  terrestre  et  de  la 
vie  d'outre-tombe  sur  les  ais  du  cercueil  et  sur  les   parois  de  la  chambre 

1.  Bewin  dr.  Faucher-Gudin,  d'âpre»  Rosellim,  Monumeriti  civiti,  jil.  CXXXIV,  t.  Tandis  qu'Anubis 
éterid  les  deux  main»  pour  allonger  la  momie  sur  son  lit,  l'âme  plane  au-dessus  de  la  poitrine,  el 
porte  aux  narines  le  sceptre  et  la  voile  gonflée,  emblème  de  la  respiration  el  de  la  vie  nouvelle. 


180  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

funéraire'.  La  chair  une  fois  rendue  indestructible,  ils  s'ingénièrent  à  lui 
restituer  l'une  après  l'autre  toutes  les  facultés  dont  leurs  manœuvres  venaient 
de  la  priver.  Ils  dressèrent  la  momie  à  l'entrée  du  caveau,  placèrent  à  coté 
d'elle  une  statue  qui  représentait  le  vivant,  et  tirent  le  simulacre  de  leur 
ouvrir. la  bouche,  les  yeux,  les  oreilles,  de  leur  délier  bras  et  jambes,  de 
rendre  le  souffle  à  leurs  gosiers  et  le  battement  à  leur  cœur  :  les  incantations 
dont  ils  accompagnèrent  chacun  de  ces  actes  furent  si  puissantes  que  le  dieu 
parla  et  mangea,  vit  et  entendit,  se  servit  de  ses  membres  aussi  librement 
que  s'il  ne  s'était  jamais  macéré  dans  les  cuves  de  l'embaumeur*.  II  aurait  pu 


reprendre  sa  place  parmi  les  hommes,  et  diverses  légendes  prouvent  qu'il  se 
montra  quelquefois  à  ses  fidèles.  Il  préféra  quitter  leurs  villes,  comme  ses 
ancêtres  avaient  fait  avant  lui,  et  se  retirer  dans  un  domaine  qui  lui  appartint 
en  propre.  Les  cimetières  des  habitants  de  Busiris  et  de  Mendès  s'appelaient 
Sokhil  ïalou,  la  prairie  des  Souchets,  Sokhit  Holpou,  la  prairie  du  Repos';  ils 
se  cachaient  au  milieu  des  marais,  dans  de  petits  archipels  d'ilôts  sablon- 
neux où  les  cadavres  entassés  reposaient  à  l'abri  des  inondations1.  Ce  fut  le 

I.  Les  incantations  qui  accompagnaient  le*  opérations  et  lient  décrites  dans  le  Hituel  de  l'Embau- 
mement, ilont  la  lin  seule  nous  est  parvenue  (Makiet™,  Papym*  égyptiene  du  mutée  de  Boulaq,  t.  I, 
pi.  Vl-XIVj  DfitÉRU,  Catalogue  de*  Manuscrit*  égyptien*  gui  tout  eontervét  au  Mutée  Égyptien  du 
Louvre,  p.  t  fiR- 169;  Humo,  Mémoire  *ur  quelqvri  jxipyrut  du  Louvre,  p.  t  i-1114). 

■î.  Le  Livre  de  l'ouverture  de  la  bouche,  qui  nous  a  conservé  la  description  de  ces  cérémonies,  a 
été  publié,  traduit  et  commenté  par  E.  Schuparelli,  Il  Libro  dei  Fuurrali  dei  Anlichi  Egiziani.  On 
[■n  lit  îles  extrait!  fort  longs  dans  les  pyramides  de  la  V-  et  de  la  VI'  dynastie,  puis  dans  beaucoup  de 
tombeaux  memphites  ou  thébains,  et  surtout  dans  celui  de  Pétéménophis,  qui  date  de  la  XXVI-  dy- 
nastie (lirmcKEi,  àer  Grabpalait  det  Paluamenap  in  der  Thebanitcheii  Hekropolit,  l-ll).  l'ne  grande 
partie  en  a  été  étudiée  par  Mastmo,  Etude*  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptienne!,  t.  I.  p.  4R3  sqq. 

S.  Dettin  de  Faurher-Cudin,  rfajirèt  une  peinture  du  tombeau  dé  Roi  dam  la  nécropole  thébainr 
(llti-n.ii m,  Moimmenli  eh-ili,  pi.  CXXIX,  n°  I  ;  Cm«w)u.ios,  Monument*  de  FEgypte  et  de  la  tiubîr, 
pi.  CLXXVIII;  Wii.ïissos,  Manuer*  and  Cuitomt,  f  éd.,  t,  III.  pi.  LXVIII). 

4.,  Liera,  Au*  £gypten*  Voneil,  p.  53  sqq..  qui  le  premier  signala  ce  fait  important  pour  l'his- 
loire  des  doctrines  égyptiennes;  cf.  Uni  iach,  Dirtinnnairt  i/éoip-iip/iique,  p.  fil-tiï,  et  Religion  und 
Mythologie  der  allé»  AJgypter,  p.  1T3-ITG  :  Misptko,  Etudet  de  Mythologie,  t.  Il,  p.  ii-lfi. 

5,  Sur  la  découverte  de  quelques-unes  de  ces  nécropoles  insulaires  par  les  Arabes,  voir  un  passage 
d'K.  Q.i'AT*EiiÊae,  Mémoire*  hiitorique*  et  géographique*  lur  l'Egypte,  t.  I,  p.  331-3ÏÎ. 


I.E  ROYAUME  U'OSIRIS  S'OUVRE  AUX  SUIVANTS  D'HORUS.  181 

premier  royaume  d'Osiris,  mais  qui  se  déplaça  bientôt,  quand  l'on  connut 
mieux  ta  nature  du  pays  où  il  se  trouvait  et  la  géographie  des  contrées  envi- 
ronnantes. Il  franchit  les  mers,  s'arrêta  peut-être  sur  la  côte  phénicienne, 
puis  s'éleva  au  ciel,  dans  la  voie  Lactée,  entre  le  Nord  et  l'Est,  mais  plus  prés 
du  Nord  que  de  l'Est'.  Il  n'était  pas  sombre  et  morne  comme  celui  des  autres 


dieux  morts,  Sokaris  ou  Khontamentit.  Le  soleil  et  la  lune  l'éc!  a  iraient',  le 
vent  du  Nord  y  tempérait  de  son  souffle  régulier  les  ardeurs  du  jour,  les  mois- 
sons y  poussaient  vigoureuses  et  abondantes*.  Des  murs  épais  le  fortifiaient 
contre  les  entreprises  de  Sit  et  des  esprits  malfaisants';  un  palais  construit  à 

I.  XniM,  Éludée  de  Mythologie  et  d' 'Archéologie  Égyptienne!,  t.  I,  p.  336  sqq.,  et  t.  II,  p.  15-16. 
C'est  alors  qu'on  on  attribua  la  possession  à  Ha.  ainsi  que  nous  l'avons  vu  à  la  p.  188 de  relie  Hittoire. 

t.  Denin  de  Boudirr,  d~aprei  une  photographie  de  Daniel  Héron,  priée  en  iR8t,  dont  le  temple  de 
Séti  I"  à  Abydot. 

a.  Les  vignettes  reproduites  aux  pages  l!li,  Iflt  de  cette  llîttoirc,  et  qui  sont  empruntées  au 
papyrus  funéraire  de  Ncbhopll  à  Turin,  nous  montrent  les  prés  il'lalou  éclairés  par  le  disque  rayon- 
nai]! du  Soleil  et  par  celui  de  la  lune  (LikWMt.  Dilionario  di  Mitologia  Egiiia,  pi.  V). 

4.  La  description  cil  est  donnée  au  chapitre  ci  du  Litre  det  Marti  (édit.  Niyillk,  t.  I,  pi.  CXXI- 
CXXlll:  cf.  Lkmii-s  Todtenbuck,  pi.  XLI),  ainsi  qu'une  sorte  de  carte  pittoresque  où  les  dispositions 
principales  de  l'archipel  céleste  sont  ligurées  avec  les  noms  des  Iles  et  îles  bras  d'eau  qui  les  séparent. 

îi.  Litre  det  Mort;  ch.  en  (édit.  FUtlLLI,  t.  I,  pi.  l'.XX,  I.  7;  cf.  Litu™,  Todteubuch,  pi.  XXXIX, 
th.  tllO,  I.  -I).  Laulh  (Aui  Mgypteiu  Vorieit,  p.  ,'iti,  III)  rapproche  le  nom  des  forteresses  égyptiennes 
Aiiliuu,  Tsi/n;,  qui  est  appliqué  au  mur  d'Ijdon,  de  celui  de  l'Ile  d'Klbo,  dans  les  marais  de  Oouto, 
où  la  légende  courante  à  l'époque  salte  plaçait  la  retraite  de  l'aveugle  Anysis,  pendant  toute  la 
durée  de  la  domination  éthiopienne,  et  dont  nul  après  lui  no  connut  la  position  jusqu'au  jour  où  le 
Pharaon  Amyrtéo  s'y  réfugia  pour  échapper  aux  généraux  perses  (HImmmtiî,  11,  cil). 


182  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  UE  L'EGYPTE. 

limage  des  palais  de  Pharaon  s'y  élevait  au  milieu  de  jardins  délicieux1. 
Osiris,  entouré  des  siens,  y  menait  une  existence  tranquille  où  tous  les  plaisirs 
de  la  vie  terrestre  s'offraient  à  lui  tour  à  tour  sans  aucune  de  ses  douleurs. 

La  même  bonté  qui  lui  avait  valu  son  titre  d'Onnophris*  pendant  qu'il 
séjournait  ici-bas  lui  inspira  le  désir  et  le  moyen  d'ouvrir  les  portes  de  son 
paradis  aux  âmes  de  ses  anciens  sujets.  Elles  n'y  entraient  pas  sans  examen 
ni  sans  épreuves.  Chacune  d'elles  devait  justifier  d'abord  qu'elle  avait  appar- 

^^___ tenu  en  son  vivant  à  un  ami  ou.  comme 

disent   les  textes  égyptiens,  à  un   féal 
d'Osiris  —  amakhou  khir  Osiri  —  l'un 
de  ceux  qui  avaient  servi  Horus  dans 
son  exil  ou  qui  s'étaient  ralliés  sous  sa 
bannière  dès  le  premier  jour  des  guerres 
typhoniennes.  C'étaient  lessuivantsd'Ho- 
rus  —  Shosouou  Horou  —  dont  il  est  si 
souvent  question  dans  la  littérature  de 
l'époque  historique'  :   le  maitre,  après 
les  avoir  comblés  de  ses  faveurs  pen- 
dant leurs  années  de  vie,  avait  décidé  de 
leur  étendre  après  la  mort  les  privilèges  qu'il  avait  conférés  à  son  père.  II 
convoqua  autour  de  leur  cadavre  les  dieux  qui  avaient  travaillé  avec  lui  à 
l'embaumement  d'Osiris,  Anubis  et  Thot,  lsis  et  Nephthys,  ses  quatre  enfants 
Hàpi,  Qabhsonouf,  Amsit   et  Tioumaoutf,  auxquels  il   avait  confié  la  garde 
du  cœur  et  des  viscères,  lis  reprirent  tous  leur  rôle  de  point  en  point,  répé- 
tèrent les  mêmes  cérémonies,  récitèrent  les  mêmes  formules  au  même  moment 
de  l'opération,  si  bien   que   le   mort  devint  sous  leurs   doigts  un  véritable 
Osiris  à  la  voix  juste  et  joignit   désormais  le  nom  du   dieu  à  son    propre 
nom  :  il  avait  été  Sakhomka  ou  Menkaourî,  il  fut  l'OsirisSakhomka  ou  l'Osiris 
Menkaourî,  juste    de  voix'.  Horus  et  ses  compagnons  célébrèrent  ensuite  les 
rites  consacrés  à  l'Ouverture  de  la  Bouche  el  des  Yeux,  animèrent  la  statue 

I.  La  description  des  pylônes  d'ialou  fait  l'objet  d'un  chapitre  spécial  du  Litre  de*  Uorlt,  le  cha- 
pitre c-.ilv  (edit.  Navii.le,  t.   I,  [il.  CLVI-CI.1X;  <■(.  Ufsiis,  Tadtenbuch,  pi.  LX1-LXV). 

t.  Cf.  p.  171  do  coite  Histoiie  l'explication  du  surnom  d'Onnophris  qu'on  donnait  à  Osiris. 

3.  Cf.  p.  176  de  cette  Hittoirt.  Les  Suivant!  d'Ilorui,  c'est-à-dire  ceux  qui  avaient  suivi  Horu*  pen- 
dant les  Riierres  typhoniennes,  étaient  mentionnés  dans  le  fra(jmcnl  du  Canon  Royal  de  Turin  oii  l'au- 
teur résumait  la  chronologie  des  temps  divins  (I.kpsus,  Aimoahl  der  vichligilrn  Urkuiidrn,  pi.  III. 
fragin.  t,  I.  0-1(1).  Comme  le  renne  de  Ma,  le  temps  où  ils  étaient  rensé*  avoir  vécu  formait  pour  les 
Égyptiens  de  l'époque  classique  le  terme  extrême  au  delà- duquel  l'histoire  n'atteignait  pas. 

I.  Deminde  Faucher-Cudia  d'après  Nmillk,  dat  jEgypIiirhc  Todtenburh,  t.  I.  pi.  CXXVII1,  it". 

S.  Sur  la  poi>  jiate  et  sur  l'importance  qu'on  lui  attribuait  en  Egypte,  cf.  p.  145-UCdc  cetlo  Bitloirr. 


LE  LIVRE  DES  MORTS.  183 

du  mort,   déposèrent  la  momie   au   tombeau  où   Anubîs  la   reçut  dans  ses 
bras.  Le  double,  rappelé  à    la  vie  et  au  mouvement,  reprenait  l'une  après 
l'autre  toutes  les  fonctions  de  l'être.  Il  allait,  venait,  assistait  aux  cérémonies 
du  culte  qu'on  lui  rendait  dans  son  tombeau.  On   l'y  voyait  agréer  les  hom- 
mages de  ses  proches,  serrant  contre  sa  poitrine  son  âme,   un  gros  oiseau 
à  tète   humaine  dont  les  traits 
reproduisaient  ceux  de  son  visa- 
ge; puis,  une  fois  qu'on  l'avait 
équipé     des    formules   et    des 
amulettes   dont  on    avait  muni 
son  modèle  Usina',  il  partait  à 
la  recherche  du  Champ  des  Sou- 
chets.    La   route    était    longue, 
ardue,  semée  de  périls  auxquels 
il  aurait  succombé  dès  les  pre- 
mières étapes,  si  l'on  ne  s'était 
inquiété  de  les  lui  signaler  par 
avance  et  de  l'armer  contre  eux  V 
Un  papyrus  déposé  avec  la  mo- 
mie dans  le   cercueil  contenait 
les    indications   topographiques 

et  les  mots  de  passe  nécessaires  pour  qu'il  ne  s'égarât  pas  ou  ne  périt  pas  en 
chemin.  Les  plus  sages  en  copiaient  eux-mêmes  ou  en  apprenaient  par  cœur 
les  chapitres  principaux,  pendant  la  vie,  afin  de  n'être  pas  pris  au  dépourvu 
par  delà;  ceux  qui  ne  s'étaient  pas  avisés  de  cette  précaution  consultaient  ou 
étudiaient  après  la  mort  l'exemplaire  qu'on  leur  avait  confié.  Comme  la  plu- 
part des  Égyptiens  ne  savaient  pas  lire,  un  prêtre  ou  un  parent  du  défunt, 
son  fils  de  préférence,  récitait  les  oraisons  à  l'oreille  de  la  momie  et  les  lui 
enseignait  avant  qu'on  l'emportât  au  cimetière.  Si  le  double  observait  à  la  lettre 
les  prescriptions  contenues  dans  ce  Livre  des  Morts,  il  arrivait  au  but  sans 
mécompte*.  Il  tournait  le  dos  à  la  vallée  en  quittant  sa  tombe,  escaladait,  le 

1.  Ce  soin  qu'a»  prenait  de  l'équiper  des  amulettes  et  Je  l'inxlruire  des  formules  lui  valait  les 
noms  de  Khou  âpirou,  •  Mine  équipé  ■.  et  de  Khou  ai/trou,  .  Mine  instruit  ■,  qu'on  rencontre  assit'* 
souvent  dans  les  inscriptions  des  stèle»  funéraires  (Misrttio,  Étude»  de  Mythologie  et  <l '  Arcktotogit 
Egyptienne»,  1. 1.  p.  HIT,  et  Rapport  tur  une  Million  en  Italie  dans  le  Recueil,  t.  III.  p.  10">-U>6). 

i.  M*spmo,  Elude»  de  Mythologie  et  rf" Arch/o/ogie  Egyptiennes,  1.  1,  p.  3Gi  sqq. 

3.  Bénin  de  Faucher-Gudin,  d'âpre»  Gïiei«i>Lefi B( an,  le.  Papyrut  de  Soulimet.  pi.  VIII.  Le  trait 
de  l'original  a  été  malheureusement  rertitié  et  affaibli  par  le  dessinateur. 

-i.  Les  manuscrits  de  cet  uuirap1  reiiré-senteiil  environ  les  neuf  dixièmes  des   papyrus  découverts 


ISi  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

bâton  à  la  main,  la  montagne  qui  la  borne  à  l'Occident,  et  s'enfonçait  hardiment 
dans  le  désert1,  où  quelque  oiseau,  même  un  insecte  bienveillant,  une  mante 
religieuse,  une  sauterelle,  un  papillon,  lui  servait  de  guide*.  Il  y  rencontrait 

qui  poussent  loin  du  Nil  en 
llahs  tiennent  pour  arbres- 
fées1.  Une  déesse,  Nouît, 
Hàthor  ou  Nit,  sortait  du 
feuillage  à  rai-corps,  lui 
tendait  un  plat  couvert  de 
fruits  et  de  pains,  un  vase 
rempli  d'eau  :  dès  qu'il 
avait  accepté  ces  dons,  il 
devenait  l'hôte  de  la  déesse 
et  ne  pouvait  plus  revenir 
sur  ses  pas',  à  moins  de 
t»  tTwctauut  mm  «  m»  ri  le.  t>u  »  Nn»r*.  permission  spéciale.    Des 

pays  d'épouvante  s'éten- 
daient au  delà  du  sycomore,  infestés  de  serpents  et  d'animaux  féroces', 
sillonnés  de  torrents  d'eau  bouillante7,  entrecoupés  d'étangs  et  de  marais  où 

jusqu'à  présent.  Tous  ne  sonl  pas  Bêlement  développés  :  les  exemplaires  complets  demeurent  relati- 
vement assez  rares,  et  la  plupart  de  coin  qu'on  trouve  sur  les  momies  ne  contiennent  que  des  extraits 
de  longueur  variable.  Le  livre  lui-même  avait  été  étudié  par  Champollion.  qui  l'appela  le  Hituel 
funéraire;  Lepsius  lui  donna  plus  tard  le  nom  plus  vague  de  Livre  dei  MorU  qui  tend  à  prévaloir. 
Ou  l'a  connu  surtout  par  l'exemplaire  hiéroglyphique  de  Turin,  que  Lepsius  calqua  et  fit  lilhographicr 
en  1841,  sous  le  titre  liai  Todlenbuch  der  .Eyypter.  E.  de  Rougé  avait  commencé  en  1863  la  publica- 
tion il  ou  exemplaire  hiératique  du  Louvre,  mais  depuis  1886  on  possède  une  édition  critique  des  manu- 
scrits de  l'époque  Ihébaine,  établie  avec  le  plu»  grand  soin  par  E.  N*  ville,  Dm  jEgyptiicke  Todtenburh 
der  XVIII  bit  XX  Dynaitie,  Berlin,  1886,  S  vol.  in-folio  do  planches  et  un  volume  in-4- d'Introduction, 
cf.  surcetlc  édition  HtspBao,  F.tudei  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptienne!,  t.  I,  p.  3i'5-3B7. 
i.   Haspkho,  Èludeê  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptienne!,    .  I,  p.  345. 

t.  Lepsics,  Aeltette  Texte,  pi.  ii,"l.  41-44,  Maspero,  Quatre  Annéei  de  fouille*,  dans  les  Mrmoirci 
de  la  Million  du  Caire,  t.  I,  p.  165,  I.  468-46»  et  p.  178,  I.  744.  •  Non  guide  est  la  sirène,  rac,  mes 
guides  sonl  les  sirènes.  •  La  sirène  est  ce  petit  oiseau  vert,  fréquent  dans  la  plaine  de  Thcbes  et  bien 
connu  des  touristes,  qui  trotte  devant  les  baudels  en  semblant  indiquer  le  chemin  aux  voyageurs.  Sur 
cette  question  de  l'oiseau  ou  de  l'insecte  qui  sort  de  guide  aux  Ames  dans  l'autre  monde,  voir  Lf.ph.i- 
IIksolt,  A  Second  Sale  (dans  les  Proceedingi  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  189I-I81W,  l.  XIV. 
p.   39S  sqq.),  et  LKrf.ncar.,  Étude  lur  Abydoi  [Proceedingt,  ISuS-lgilH,  t.  \V,  p.  135  sqq.). 

3.  Voir  ce  qui  esl  dil  de  ces  arbres-fées  au  chapitre  11,  p.  lil-tïî  de  cette  Hutoire. 

4.  M.ispeuu,  Eludet  de  Mythologie  el  d'Archéologie  Égyptienne',  t.  Il,  p.  tU-it'.  Ce  nVsl  pas  dans 
l'Kjsjjite  seule  que  le  fait  d'accepter  les  aliments  présentés  par  le  dieu  des  morts  constitue  une 
rororinaistauce  de  suzeraineté  el  empêche  lame  humaine  de  revenir  au  monde  des  vivants  :  la  même 
croyance  se  retrouve  un  peu  partout,  chez  les  modernes  comme  chez  les  anciens,  cl  E.  Tylor  en  « 
réuni  de  nombreux  exemples  dans  la  Civilitation  primitive  (édil.  franc.),  t.  11,  p.  tiî,  68,  note  t. 

5.  Denin  de  Faucher-Gudin,  d'après  te  fac-similé  de  Déveria  (E.  df.  Roir.F.,  Etudet  lur  le  Hiluel 
Funéraire,  pi,  IV,  n"  4).  Les  âme»  ignorantes  que  les  cynocéphales  pèchent  onl  ici  la  forme  de  pois- 
sons, tondis  que  l'âme  de  Nofiroubnou,  instruite  de  la  formule  prolectrice,  conserve  la  figure  humaine. 

6.  Les  chapitres  XXXI  et  XXXII  du  Livre  det  Morti  (édit.  Saville,  t.  I,  pi.  XLIV-XLY)  prolègcnl  le 
mort  contre  les  crocodiles;  les  chapitres  XXXVI-XL  (édit.  Nayille,  I.  I,  pi.  XLVI-LIV)  lui  servent  à 
repousser  toutes  les  espèces  de  reptiles,  grondes  et  petites. 

7.  La  vignette  du  chapitre  l.MII  B  (édil.  .YiviLLt,  t.  I,  pi.  LXy.IV)   nous   montre   le  mort  traversant 


LES  PEREGRINATIONS  DE  L'AME.  ISS 

des  singes  gigantesques  jetaient  leurs  filets1.  Les  âmes  ignorantes  ou  mal 
préparées  à  la  lutte  n'avaient  pas  beau  jeu  à  s'y  engager  imprudemment. 
Celles  que  la  soif  ou  la  faim  ne  terrassaient  pas  dès  les  premiers  jours,  une 


LE    «DUT    ET    SA    FFJHU    R  F.(,0 IV  [S T    LE    FAIM    ET    L'i 

uraeus  les  mordait  ou  une  vipère  à  cornes  dissimulée  méchamment  sous  le 
sable,  et  elles  périssaient  dans  les  convulsions  du  poison;  les  crocodiles  en 
saisissaient  autant  qu'ils  pouvaient  au  gué  des  rivières;  les  cynocéphales  les 
emmaillaient  et  les  dévoraient  pêle-mêle  avec  les  poissons  où  se  cachent  les 
partisans  de  Typhon.  Elles  ne  se  tiraient  saines  et  sauves  d'une  épreuve  que 
pour  tomber  dans  une  autre,  et  elles  succombaient  infailliblement  avant  d'avoir 
fourni  la  moitié  du  voyage.  Au  contraire,  le  double  équipé,  instruit,  armé 
de  la  voix  juste,  opposait  à  chacun  de  ses  ennemis  le  phylactère  et  l'incan- 
tation qui  le  tenaient  en  échec.  Dès  qu'il  voyait  paraître  l'un  d'eux,  il  récitait 

tranquillement  une  rivière  d'eau  bouillante  qui  lui  monte  au-dessus  de  la  cheville.  Au  chapitre  [.XIII  A 
(m!  il.  Naïille,  t.  I,  pi.  LXXIII),  il  boit  do  l'eau  chaude,  sans  se  brûler  ni  la  main  ni  In  bouche. 

1.  Chapitre  CLXIII  (édit.  Havilu.  I.  I,  pi.  CI.XXVI-CLXXVI1I  ;  cf.  E.  de  Route,  Ètudtt  lur  le  Rituel 
Funéraire  da  Ancien»  Ëgyplirm,  p.  3:>,  pi.  IV-V).  Les  cynocéphales  employés  à  cet  office  sont  pro- 
bablement ce ux  qui  saluent  le  soleil  a  son  coucher,  quand  il  arrive,  près  d'Abydos.  à  l'entrée  de  la 
première  heure  de  la  nuit;  cf.  ce  qui  est  dil  de  ces  animaux  aus  p.  82-83,  103  de  cette  Ilitloire. 

i    Detiinde  h'auchcr-fltidin.d'aprei  la  planche  rnlnrite  dr  Roselliki,  Monumenti  eivili.  pi.  CXXXIV.  3. 

** 


186  L'HISTOIRE  LEGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

le  chapitre  de  son  livre  que  la  circonstance  exigeait,  il  se  proclamait  haute- 
ment lia,  Toumou,  Horus,  Khopri,  celui  des  dieux  dont  te  nom  et  les  qualités 
convenaient  le  mieux  à  repousser  le  danger  présent,  et  les  flammes  s'écartaient 
à  sa  voix,  les  monstres  fuyaient  ou  s'affaissaient  paralysés,  les  génies  les  plus 
cruels  rentraient  leurs  griffes  ou  baissaient  leurs  armes  devant  lui.  Il  obligeait 
les  crocodiles  à  détourner  la  tête,  il  perçait  les  serpents  de  sa  lance,  il  s'ap- 
provisionnait à  volonté  des  vivres  dont  il  avait  besoin,  et  s'élevait  progres- 
nramani  1*.  [ong  des  montagnes  qui  bordent  le 
quefois  seul  et  luttant  pied  à  pied, 
escorté  de  divinités  bienfaisantes.  La 
:   Hàthor,    ta  dame  d'Occident,    se 
ôte  daus  les  prés  remplis  de  grandes 
herbes  où  elle  reçoit  le  soleil  à 
son  coucher,   chaque    soir1.    S'il 
savait    l'en    prier  selon    le    rite 
voulu,  elle  le   chargeait  sur  ses 
épaules'  et  l'emportait  au  galop  à 
le  no»!  riHCE  in  ww  ws  m  "s«  .  travers    les  contrées   maudites   : 

parvenu  au  nord,  il  s'arrêtait  sur  les  bords  d'un  lac  immense,  le  lac  de  Kha, 
et  apercevait  de  loin  la  silhouette  des  lies  bienheureuses.  Une  tradition,  si 
vieille  qu'on  se  la  rappelait  à  peine  vers  le  temps  des  Ramessides,  contait  que 
Thot  l'Ibis  l'attendait  là  et  l'enlevait  sur  son  aile4;  une  autre  non  moins 
antique,  mais  demeurée  plus  populaire,  affirmait  qu'un  bac  dessert  régulière- 
ment la  terre  ferme  et  les  côtes  du  paradis1.  Le  dieu  qui  le  manœuvre  pose 
des  questions  aux  morts,  puis  la  barque  elle-même  continue  de  les  examiner, 
avant  de  les  admettre  à  son  bord,  car  elle  est  fée.  «  Dis-moi  mon  nom  », 
s'écriait  le  mat,  et  les   voyageurs  :   «  Celui  qui  conduit  la  Grande  déesse 

1.  Voir  Ici  différente»  vignettes  du  chapitre  CLXXXVI  du  Livre  de»  Mort»  que  Nivilie  >  réunies 
k  11  fin  de  son  édition  (dot  XgypIUche  Todtenbuch,  t.  1,  pi.  CCX1I).  La  vache,  tantôt  est  figurée 
entière,  tantôt  sort  à  mi-corps  seulement  des  flancs  arides  de  la  montagne  libyque. 

i.  Les  cercueils  à  fond  jaune  des  XX'  et  XXI"  dynasties  présentent  assez  fréquemment  cette  scène, 
dont  Lanione  nous  fournit  un  bon  exemple  (Dïïionario  di  Mitotogia,  pi.  CŒXXI1,  1)  d'après  un  cer- 
cueil de  Lcydcii  (cf.  p.  187  de  cette  Histoire).  Le  plus  souvent  elle  est  sous  les  pieds  du  mort,  ,  l'ei- 
trémité  inférieure  du  cartonnage  :  la  vache  lancée  au  galop  emporte  la  momie  couchée  sur  son  dos. 

3.  Deuin  de  Faueher-Gudin,  iTaprèt  le  croqua  rfaHàriUI,  da$  /EgyptitckeTodtenbuch.i.  I.  pi-  LUI, 
P  h.  Les  serpents  de  diverses  sortes  étaient  les  plus  nombreux  des  ennemis  qui  s'opposaient  aux  morts. 

A.  Kl  le  est  souvent  mentionnée  dan»  les  textes  des  Pyramides;  elle  y  a  inspiré  un  des  chapitres  les 
moins  clairs  du  recueil  qui  était  gravé  sur  ces  monuments  (Teli,  l.  IRj-IOO;  cf.  Recueil  de  Travaux, 
t.  V,  p.  Ï1-Î3).  Il  semble  que  l'Ibis  n'obtenait  le  passage  qu'au  prix  d'une  lutte  contre  Slt. 

!>.  On  la  trouve,  comme  la  précédente,  employée  fréquemment  dans  les  Pyramides,  ainsi  dans  trois 
formules  où  l'on  invoque  le  dieu  qui  pilote  le  bac,  en  lui  apprenant  les  raisons  qu'il  s  de  bien 
accueillir  le  mort  [Pitpi  I",  I.  396--H1  ;  cf.  liccutil  de  Travaux,  t.  VII,  p.  IG1-163). 


LE  JCGEMEMT  !>E  L'AME  OSJRIENNE.  181 

sur  son  chemin  est  ton  nom.   »  —   n  Dis-moi  mon  nom,  répétaient  les  bras. 
—  V Échine  du  Chacal  Ouapouaîtou  est  ton  nom.  »  —  «  Dis-moi  mon  nom, 
continue  le  caicet.  —  Le  Cou  d'Amsil  est  ton  nom.  u  —  ■  Dis-moi  mon  nom. 
demande  la  voile.  —  Notttt  est  ton  nom.  •  Toutes  les  parties  de  la  coque  et  du 
gréement  prenaient  la  parole  à  leur  tour  et  interrogeaient  le  postulant  :  leur 
nom  est  d'ordinaire  une  phrase  mystique  par  laquelle  on  les  identifie  avec  une 
divinité  complète  ou  avec  les  membres  d'une  divinité.  Quand  le  double  avait 
prouvé  par  la  justesse  de 
ses  réponses  qu'il  avait  le 
droit  de  passer,  la  barque 
consentait  à  le  recevoir  et  à 
l'emmener  vers  l'autre  rive  '. 
11  y  était  accueilli  par  les 
dieux  et  parles  déesses  qui 
composaient  la  cour  d'Osi- 
ris,  par  Anubis,  parHàthor 
la  dame  du  cimetière,  par 
Nit,  par  les  deux  Mâît  qui 

présidaient  à  la  justice  et  à  t 

la  vérité,  par  les  quatre  en- 
fants d'Horus  tout  raides  dans  leurs  gaines  de  momie'.  C'était  comme  une 
escorte  d'honneur  qui  l'introduisait,  lui  et  son  guide  ailé1,  dans  une  pièce 
immense  soutenue  de  colonnes  en  bois  peint,  élégantes  et  légères.  Osiris 
était  assis  au  fond,  sous  un  naos  dont  les  portes  ouvertes  laissaient  entrevoir, 
dans  un  demi-jour  mystérieux,  son  étroit  maillot  de  bandelettes  blanches 
cravaté  de  rouge,  sa  face  verte  surmontée  du  haut  diadème  blanc  flanqué  de 
plumes,  ses  poings  grêles,  armés  des   emblèmes  de  sa  puissance,  le  fléau  et 

1.  Le  chapitre  XCIX  du  Livre  des  Mort*  (édit.  Nnn.Lt,  t.  I,  pi.  CX-CXII)  esl  consacre  tout  entier  à 
l'amenée  du  bac  et  aux  longs  interrogatoires  qu'elle  comporte;  cf.  Haspsro,  Eludes  de  Mythologie  et 
a? Archéologie  Egyptiennes,  I.  I,  p.  374-37(1. 

t.  Dessin  de  Faucher-Gudin  d'après  le  fac-similé  en  couleurs  publié  par  I.KF-ï.ns.  Monuments 
Egyptietu  du  Mutée  d'Antiquité»  det  Pays-Bas  à  I.eydea,  III*  partie,  pi.  XII. 

3.  Toutes  tes  «cènes  qui  précèdent  et  qui  accompagnent  le  jugement  des  morts  sont  représentées 
fréquemment  sur  la  paroi  extérieure  de»  cercueils  de  momie  à  vernis  jaune,  de  la  XX- à  la  XXVI"  dynas- 
tie. Ces  monuments  abondent  dana  les  musées,  mais  ils  n'ont  été  jusqu'à  présent  ni  publiés,  ni  étu- 
diés comme  ils  le  méritent.  Celui  auquel  j'ai  emprunté  la  description  des  tableaux  cl  les  légende* 
traduites  en  partie  dans  le  texte  vient  de  la  collection  Clot-Bev  et  appartient  au  Musée  de  Marseille;  il 
a  été  signalé  par  .Maspeso,  Catalogue  du  Mutée  Égyptien  de  Marseille,  p.  36-39. 

t.  Liorc  det  Morts,  ch.  I.XXVI  (édit.  Natilli,  t.  1,  pi.  LXXXVM,  I.  1-2;  cf.  Lfpsiis,  Todtcibuch, 
eh.  76,  I.  1)  :  •  J'entre  au  Palais  du  Prince,  car  l'Oiseau  me  conduit  .;  de  mémo  au  chapitre  CIV 
(édit.  Navilu,  1. 1,  pi.  CXVI,  1.  4-3).  Cf.  Lr.p«f.E-Rfcsoi;r,  A  Second  Soie  (dans  les  Proreedings  do  la  Société 
d'Archéologie  Biblique,  I.  XIV,  p.  399-40(1),  et  LEriirM,  Étude  sur  Abydos  (iil.,  I.  XV,  p.  143-144). 


1KH  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

le  crochet  :  Isis  et  Nephthys  debout  derrière  son  siège  continuaient  à  veiller 
sur  lui,  la  main  levée,  le  sein  nu,  le  corps  droit  dans  leur  fourreau  de  toile. 
Quarante-deux  jurés,  morts  et  ressuscites  comme  le  maître,  et  choisis  chacun 
dans  une  des  villes  de  l'Egypte  qui  reconnaissaient  son  autorité,  se  tenaient 
accroupis  à  la  gauche  et  à  la  droite,  et  attendaient  silencieusement  qu'on 
leur  adressât  la  parole,  immobiles  sous  leur  linceul  collant.  Lame  s'avançait 
d'abord  jusqu'au  pied  du  trône,  portant  sur  ses  mains  étendues  l'image  de  son 


cœur  ou  de  ses  yeux,  agents  ou  complices  de  ses  fautes  et  de  ses  vertus  :  il 
flairait  la  terre  humblement,  puis  se  redressait,  et,  les  mains  placées  en 
avant  du  visage,  il  récitait  sa  profession  de  foi1.  «  Salut  à  vous,  maîtres 
de  Vérité,  salut  à  toi,  dieu  grand,  maître  de  Vérité  et  de  Justice!  Je  suis 
venu  sous  toi,  mon  maître,  je  suis  amené  pour  voir  tes  beautés!  Car  je  te 
connais,  je  connais  ton  nom,  je  connais  le  nom  de  tes  quarante-deux  divi- 
nité», qui  sont  avec  toi  dans  la  Salle  des  deux  Vérités,  vivant  des  débris  des 
pêcheurs,  se  gorgeant  de  leur  sang,  en  ce  jour  où  l'on  rend  ses  comptes  devant 
Onnophris,  le  juste  de  voix.  Ton  nom  à  toi,  c'est  le  dieu  dont  les  deux  jumelles 

I.   Dr»in  de  Fauclier-Gudin,  iTapret  NiviiLK,  dut   Thebanuehe  Todtenbuch,  I.  I.  pi.  CXXXVI   Ar. 

i.  Ccsl  le  chapitre  CXXV  du  Livre  des  Mort*  (Mil.  Natille,  t.  I.  pt.  CXXXI1I-CXXXIX),  si  fameux 
depuis  quu  Dliampollion  le  signala  à  l'attention  des  savant*  et  l'interpréta  (Explication  de  la  principale 
teène  peinte  det  l'apyru»  Funéraires  Egyptien/,  dan»  te  Bulletin  Vnîrerttl  de*  Sciences  et  de  flndur- 
trie.  VIII"  section,  l,  IV,  p.  3U-.1.'Wi).  Une  édition  spéciale,  avec  traduction  cl  commentaire  philolo- 
gique, en  a  été  publiée  pur  YV.  l'itviK,  Etude  iur  le  chapitre  itS  du  Rituel  Funéraire,  Lejdo,  IBïii;. 


LA  CONFESSION  NÉGATIVE. 


sont  les  dames  des  deux  Vérités  :  or,  moi,  je  vous  connais,  seigneurs  des  deux 
Vérités,  et  je  vous  apporte  la  Vérité,  j'ai  détruit  pour  vous  les  péchés.  — 
Je  n'ai  point  commis  d'iniquités  contre  les  hommes!  Je  n'ai  point  opprimé  les 
petites  gens!  Je  n'ai  pas  opéré  de  détournements  dans  la  nécropole!  Je  n'ai 
jamais  imposé  du  travail  à  homme  libre  quelconque,  en  plus  de  celui  qu'il 
faisait  pour  lui-même!  Je  n'ai  point  transgressé,  je  n'ai  point  faibli,  je  n'ai 
point  défailli,  je  n'ai  point  accompli  ce  qui  est  abominable  aux  dieux!  Je 


n'ai  pas  fait  maltraiter  un  esclave  par  son  maître!  Je  n'ai  affamé  personne. 
je  n'ai  point  fait  pleurer,  je  n'ai  pas  assassiné,  je  n'ai  point  fait  assassiner 
traîtreusement,  et  je  n'ai  commis  de  trahison  envers  personne!  Je  n'ai  rien 
retranché  aux  provisions  des  temples!  Je  n'ai  point  gâté  les  pains  de  propo- 
sition des  dieux!  Je  n'ai  pas  enlevé  les  gâteaux  et  le  maillot  des  morts!  Je 
n'ai  point  fait  œuvre  de  chair  dans  l'enceinte  sacrée  des  temples!  Je  n'ai 
pas  juré!  Je  n'ai  rien  retranché  aux  redevances  sacrées!  Je  n'ai  pas  tiré 
sur  le  peson  de  la  balance!  Je  n'ai  pas  faussé  le  fléau  de  la  balance!  Je  n'ai 
pas  enlevé  le  lait  de  la  bouche  des  nourrissons!  Je  n'ai  point  lacé  les  bes- 
tiaux sur  leurs  herbages!  Je  n'ai  pas  pris  au  fdet  les  oiseaux  des  dieux!  Je 
n'ai  pas  péché  les  poissons  de  leurs  étangs!  Je  n'ai  pas  repoussé  l'eau  en  sa 
saison!  Je  n'ai  pas  coupé  une  rigole  sur  son  passage!  Je  n'ai  pas  éteint  le 
feu  en  son  heure!  Je  n'ai  pas  fraudé  la  Neuvaine  des  dieux  des  morceaux 


490  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

choisis  des  victimes  !  Je  n'ai  pas  repoussé  les  bœufs  des  liens  des  dieux  !  Je 
n'ai  point  repoussé  le  dieu  en  sa  sortie!  —  Je  suis  pur!  Je  suis  pur!  Je  suis 
pur!  Je  suis  pur!  Pur  comme  est  pur  ce  Grand  Bonou  d'Héracléopolis!...  11 
n'y  a  aucun  crime  contre  moi  en  cette  terre  de  la  Double  Vérité!  Comme  je 
connais  le  nom  des  dieux  qui  sont  avec  toi  dans  la  Salle  de  la  Double  Vérité, 
sauve-moi  d'eux  !»  Il  se  tournait  ensuite  vers  les  jurés  et  plaidait  sa  cause 
auprès  d'eux.  Us  étaient  appelés  chacun  à  connaître  d'un  péché  particulier, 
et  le  mort  les  prenait  à  témoin  par  leur  nom  qu'il  était  innocent  du  péché 
qu'ils  enregistraient.  Sa  requête  terminée,  il  revenait  au  juge  suprême  et 
répétait,  sous  une  forme  parfois  très  mystique,  les  idées  qu'il  lui  avait 
exposées  dans  la  première  partie  de  son  discours.  «  Salut  à  vous,  dieux  qui 
êtes  dans  la  Grande  Salle  de  la  Double  Vérité,  qui  n'avez  point  le  mensonge 
en  votre  sein,  mais  qui  vivez  de  Vérité  dans  Àounou  et  en  nourrissez  votre 
cœur  par-devant  le  Seigneur  dieu  qui  habite  en  son  disque  solaire.  Délivrez- 
moi  du  Typhon  qui  se  nourrit  d'entrailles,  à  chefs,  en  ce  jour  du  jugement 
suprême  ;  —  donnez  au  défunt  de  venir  à  vous,  lui  qui  n'a  point  péché,  qui  n'a 
ni  menti,  ni  fait  le  mal,  qui  n'a  commis  nul  crime,  qui  n'a  point  rendu  de  faux 
témoignage,  qui  n'a  rien  fait  contre  lui-même,  mais  qui  vit  de  vérité,  se  nourrit 
de  vérité.  Il  a  répandu  partout  la  joie;  ce  qu'il  a  fait,  les  hommes  en  parlent 
et  les  dieux  s'en  réjouissent.  Il  s'est  concilié  le  dieu  par  son  amour;  il  a  donné 
du  pain  à  l'affamé,  de  l'eau  à  l'altéré,  des  vêtements  au  nu;  il  a  donné  une 
barque  au  naufragé,  il  a  offert  des  sacrifices  aux  dieux,  des  repas  funéraires 
aux  mânes.  Délivrez-le  de  lui-même,  ne  parlez  point  contre  lui  par-devant  le 
Seigneur  des  Morts,  car  sa  bouche  est  pure,  et  ses  deux  mains  sont  pures  !  » 
Cependant  au  centre  de  la  Salle,  les  assesseurs  s'occupaient  de  peser  ses 
actions.  La  balance  est  fée,  comme  tous  les  objets  qui  appartiennent  aux 
divinités,  et  le  génie  qui  l'anime  montre  parfois  sa  tête,  une  tête  humaine, 
mignonne  et  fine,  au-dessus  du  pied  droit  qui  forme  son  corps1.  Tout  en 
elle  rappelle  une  origine  surhumaine  :  un  cynocéphale,  emblème  de  Thot, 
perche  sur  le  montant  et  veille  au  fléau  ;  les  cordes  qui  soutiennent  les  pla- 
teaux se  composent  de  croix  ansées  et  de  tats  alternés*.  La  Vérité  s'accroupit 
sur  l'un  des  plateaux; Thot,  à  tête  d'Ibis,  place  le  cœur  sur  l'autre,  et  toujours 

1.  L'âme  des  objets  animes  de  la  sorte  est  mentionnée  et  représentée  assez  souvent  dans  le  Livre  de 
savoir  ce  qu'il  y  a  dans  l'Hadès;  elle  sort  sa  tête  du  corps  matériel  auquel  elle  est  attachée,  quand  le 
Soleil  passe  devant  elle,  puis  elle  la  rentre  quand  il  a  disparu,  et  son  corps  la  résorbe,  la  mange, 
(cf.  p.  83,  note  4,  de  cette  Histoire),  comme  dit  énergiquement  le  texte  égyptien  (Maspf.ro,  Eludes  de 
Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptiennes,  t.  II,  p.  104,  105,  106,  144,  etc.). 

2.  Voir  la  figure  de  l'amulette  appelée  Tatou  Didou,  à  la  page  130  de  cette  Histoire  (cf.  p.  84,  note  3). 


LA  CONFESSION  NÉGATIVE.  191 

miséricordieux  appuie  du  côté  de  la  Vérité  pour  faire  pencher  le  jugement. 
11  constate  que  le  cœur  est  léger  de  fautes,  inscrit  le  résultat  de  l'opération 
sur  une  tablette  en  bois  et  prononce  le  verdict  à  haute  voix.  «  Ce  que  dit 
Thot,  seigneur  des  discours  divins,  greffier  de  la  Grande  Ennéade,  à  son  père 
Osiris,  maître  de  durée  :  «  Voici  le  défunt  dans  cette  Salle  de  la  Double  Vérité, 
et  son  cœur  a  été  estimé  à  la  balance  en  présence  des  grands  génies,  maîtres 
de  l'Hadès,  et  il  a  été  trouvé  vrai,  on  n'a  point  découvert  trace  d'impureté 
terrestre  dans  son  cœur;  maintenant  qu'il  sort  du  tribunal  juste  de  voix, 
son  cœur  lui  est  rendu,  ainsi  que  ses  yeux  et  l'enveloppe  matérielle  de  son 
cœur,  pour  être  remis  en  leur  place  chacun  en  son  temps,  son  âme  au  ciel, 
son  cœur  à  l'autre  monde,  comme  c'est  l'usage  des  Suivants  d'Horus.  Que 
désormais  son  corps  soit  aux  mains  d'Ànubis  qui  préside  aux  tombeaux; 
qu'il  ait  des  offrandes  au  cimetière  en  présence  d'Onnophris  ;  qu'il  soit  comme 
un  de  ces  favoris  qui  marchent  derrière  toi  ;  que  son  âme  puisse  s'établir  en 
tout  lieu  qui  lui  plait  dans  la  nécropole  de  sa  ville,  à  lui,  dont  la  voix  est 
juste  par-devant  la  Grande  Ennéade1.  j> 

Tout  n'est  pas  également  beau  dans  cette  Confession  négative  que  les  fidèles 
d'Osiris  enseignaient  à  leurs  morts.  Les  intérêts  matériels  du  temple  y  tien- 
nent trop  de  place,  et  c'y  est  un  crime  aussi  abominable  de  tuer  une  oie 
sacrée  ou  de  dérober  un  gâteau  d'offrande  que  de  calomnier  un  homme  ou  de 
l'assassiner.  Mais  pour  quelques  traces  de  mesquinerie  sacerdotale  qu'on  y 
découvre,  que  de  préceptes  s'y  rencontrent  dont  nulle  préoccupation  égoïste 
ne  ternit  la  pureté.  Toute  notre  morale  s'y  montre  en  germe,  avec  des  raffi- 
nements de  délicatesse  que  n'ont  pas  eus  des  peuples  de  civilisation  plus 
complète  et  moins  éloignés  de  nous.  Le  dieu  n'y  réserve  pas  sa  tendresse 
aux  heureux  et  aux  puissants  de  ce  monde,  mais  les  faibles  en  obtiennent 
leur  part  :  il  veut  qu'on  les  nourrisse,  qu'on  les  habille,  qu'on  les  exempte 
des  tâches  trop  lourdes,  qu'on  ne  les  pressure  point,  qu'on  leur  épargne  les 
larmes  inutiles.  Si  ce  n'est  pas  encore  l'amour  du  prochain  tel  que  nos 
religions  le  prêchent,  c'est  du  moins  la  sollicitude  ingénieuse  qu'un  bon 
seigneur  doit  à  ses  vassaux,  et  sa  pitié  s'étend  jusqu'aux  esclaves  :  non  seu- 
lement il  entend  qu'on  ne  les  maltraite  pas  soi-même,  mais  il  défend  qu'on 
les  fasse  maltraiter  par  leurs  maîtres.  Cette  profession  de  foi,  l'une  des  plus 
nobles  que  le  vieux  monde  nous  ait  léguées,  est  d'origine  fort  ancienne.  On 
en  lit  les  morceaux  épars  sur  les  monuments  des  premières  dynasties,  et  la 

I.  Maspkro,  Catalogue  du  Musée  Égyptien  de  Marseille \  p.  38. 


(92  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

façon  dont  les  rédacteurs  d'inscriptions  en  manient  les  idées  nous  prouve 
qu'on  ne  la  considérait  plus  comme  nouvelle  :  c'était  dès  lors  un  texte  si 
bien  connu  et  de  si  longue  date,  que  les  formules  en  circulaient  naturelle- 
ment dans  toutes  les  bouches  et  avaient  leur  place  marquée  dans  les 
épitaphes'.  Fut-ce  à  Mondes  qu'on  le  composa,  dans  la  patrie  du  dieu,  fut-ce 
à  Héliopolis  quand  les  théologiens  de  cette  ville  s'approprièrent  le  dieu  de 
Mendès  pour  l'incorporer  à  leur  Ennéade  ?  La  conception  en  appartient  certai- 
nement au  sacerdoce  d'Osiris,  mais  il  ne  dut  se  répandre  en  Egypte  et  y  pénétrer 
partout  qu'au  moment  où  l'Ennéade  héliopolitaine  fut  adoptée  communément 

dans  les  cités.  Sitôt 
jugé,  le  mort  entrait  en 
possession  de  ses  droits 
d'àme  pure.  Il  recevait 
là-haut  du  Maître  Uni- 
versel ce  que  les  rois 
et  les  princes  d'ici-bas 

LE    LA  AGI   ET    H   MOrSSOK    DES      A1EJ   IIAHS    LES   CB.mPS    D  U  .  distribuaient        à         IcilFS 

fidèles,  des  rations  de  vivres1,  une  maison,  des  jardins,  des  champs,  qu'il 
détenait  aux  conditions  ordinaires  de  la  loi  égyptienne,  l'impôt,  le  service 
militaire,  la  corvée*.  Si  les  partisans  de  Sit  attaquaient  l'île,  les  doubles 
Osiriens  accouraient  en  masse  pour  les  repousser  et  se  battaient  bravement. 
Chacun  d'eux  versait  aux  magasins  célestes  la  dîme  des  revenus  que  ses 
parents  lui  expédiaient  à  jour  fixe  par  la  voie  des  sacrifices,  mais  ce  n'était  là 
que  la  moindre  partie  des  charges  auxquelles  les  lois  du  pays  l'assujettis- 
saient. Elles  ne  souffraient  pas  qu'il  s'amollît  dans  l'oisiveté,  mais  elles  l'obli- 
geaient à  travailler  comme  au  temps  qu'il  demeurait  encore  en  Egypte"  :  il 


1.  l'ne  des  formules  que  l'on  rencontre  dans  le»  tombeaui  nicm|ihite>>  dit,  par  exemple,  que  le  mort 
a  été  l'ami  de  non  père,  le  chéri  de  sa  mère,  qu'il  a  été  duui  pour  tuua  ceux  qui  vivaient  avec  lui, 
gracieux  a  se»  frères,  aimé  de  ses  serviteurs,  el  qu'il  il  a  jamais  cherché  mauvaise  querelle  à  per- 
sonne, bref  qu'il  a  dit  et  fait  le  bien  ici-bas  (Lepsiis,  Dtnkni  .  11.  lî  r,  d;  cf.  Pleïie,  Élude  rar  le 
chapitre  iîa  du  Rituel  funéraire,  p.  It-IÏ;  Maskro,  Note*  tur  différent*  point»  de  Grammaire  et 
d'Hiitoire,  §S1,  dans  tes  Mélangei  d'Archéologie  Égyptienne  et  Attynenne.  I.  Il,  p.  Ïl5-ilfi). 

ï.  Drttin  de  Fauclier-Cudin,  d'après  la  vignette  du  Fapym*  funéraire  de  Xebhaptt  à  Turin  [Lis- 
io*e,  Dhionario  di  Mitologia  Egisia,  pi.  V). 

3.  C'est  la  formule  du  tempu  des  Pyramides  :  .  Ton  millier  de  bœufs,  Ion  millier  d'oies,  du  rflli  et 
des  viandes  bouillies  de  la  boucherie  du  dieu,  du  pain,  une  quantité  des  biens  présentés  dans  la  salle 
d'Osiris  .  (Papi  11.  1.  1348,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIV,  p.  1!i0), 

t.  Sur  cette  assimilation  des  morts  enrôlés  sous  un  dieu  aux  vassaux  de  Pharaon,  cf.  MiSKfto, 
Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptienne*,  t.  Il,  p.  44-*6. 

5.  Livre  de*  Mort*,  ch.  C.\  (édit.  faviLLE,  t.  I.  pi.  CXXI-CXXHI).  La  vignette  de  ce  chapitre  nou« 
montre  le  mort  vaquant  à  ses  diverses  occupations,  dans  l'archipel  d'ialou  ;  on  en  connaît  des 
variantes  nombreuses,  dont  les  plus  curieuses  sont  peut-être  celles  du  papyrus  funéraire  de  Nebhopil 
■  Turin,  qui  ont  clé  publiées  |mr  Lamiom,  Dhionarin  di  Mitologia,  pi.  V,  cl  qui  sont  reproduites  en 
partie  sur  la  vignette  de  cette  page  19Ï,  en  parlie  à  la  page  19*  de  cette  llittoire. 


LES  PRIVILÈGES  DES  AMES  USIKIENNES.  1SJ3 

veillait  à  l'entretien  des  canaux  et  des  digues,  il  façonnait  la  terre,  il  semait, 
il  moissonnait,  il  rentrait  le  blé  pour  son  seigneur  et   pour  lui-même.  Ces 
obligations  posthumes,  suite  et  continuation  du  devoir  féodal,  finirent  cepen- 
dant par  sembler  trop  lourdes  à  ceux  qui  les  subissaient,  et  tes  théologiens 
s'ingénièrent  à  en  alléger  le  poids  :  ils  autorisèrent  les  mânes  à  s'en 
remettre  sur  leurs  serviteurs  du  soin  de  vaquer  à  tous  les  travaux 
manuels  qu'ils  auraient  dû   exécuter  eux-mêmes.   L'n   mort,   si 
pauvre  qu'il  fût,  arrivait  rarement   seul  aux  villes  éternelles; 
il  y  amenait  une  suite  proportionnée  à  sa  condition  et   à  sa  for- 
tune de  dessus  terre.  C'étaient  d'abord  des  doubles    véritables, 
ceux   des  esclaves  ou    des   vassaux   qu'on    égorgeait    sur   la 
tombe  et  qui  partaient  avec  le  double  du  maître  pour  le    servir 
au  delà  comme  ils  avaient  fait  en  deçà  de  la  tombe1.   On  rem- 
plaça plus   tard  ce  cortège   de  victimes   par   des    escouades   do 
statues  et  d'images  auxquelles  la  magie  prêtait  une  âme    intelli- 
gente et  active.  Elles  commencèrent   par  être  de   grande     taille 
si  bien  que  les  riches  seuls  ou  les  nobles  pouvaient  s'en  procurer' 
On  les  diminua  peu  à  peu  et  on  les  réduisit  à  ne  plus  avoir  qu 
quelques  centimètres  de  haut.  Les  unes  étaient    découpées  dar 
l'albâtre,   le  granit,   le    diorite,  le   calcaire  fin,  ou  pétries    d'une      ocumIti*. 
argile  de  choix  délicatement  modelée;  les  autres  ne  présentaient 
presque  plus  l'aspect  humain1.   On   les  animait  au  moyen   d'une  formule, 
qu'on   récitait   sur   elles  au  moment    de  la   fabrication,  puis  qu'on  traçait 
sur  leurs  jambes,  et  elles  jouissaient  toutes  des  mêmes  facultés  :  quand  le 
dieu  chargé  d'appeler  les  Osiriens  à  la  corvée  prononçait  le  nom  du  mort  à 
qui  elles  appartenaient,   elles  se  levaient  et  répondaient   à  sa    place,   d'où 
le    terme   de   Répondants   —    Ouashbili    —    par  lequel   on   les    désignait5. 
Équipées    pour    les   travaux   des    champs,    la    houe    au    poing,    le    sac    à 

I.  Sur  la  persistance  du  sacrifice  humain,  réel  ou  simulé,  jusque  nous  In  second  empire  tliébain, 
dans  des  cas  exceptionnels,  consulter  M.ispr.BO,  le  Tombeau  île  Montouhikhopshouf,  dans  lr.  Mé- 
moire* de  la  Mûtion  française  du  Caire,  t.  V,  p.  Y.it  sqq.  Cf.  p.  168,  note  t,  de  celte  Histoire. 

t.  Ce  sont  les  broycuses  de  grain,  les  pétrisseurs,  les  cellériers  qu'on  trouve  parfois  dans  les 
tombes  soignées  de  l' Ancien-Empire  (M*srmo,  Guide  du  Visiteur  au  mutée  de  /(ou/no,  p.  ïi.'i,  Ï18, 
319,  ïiO);  peut-être  même  les  statues  de  double  doiveol-ellei  fiira  rangées  dans  cette  catégorie. 

a.  Dessin  de  Fauc/ier-liudiu,  d'aprtH  une  statuette  en  calcaire  peint  prorenant  du  tombeau  de 
Soniioimou  à  Tbèbei;  fin  de  la  XXe  dynastie. 

i.  L'origine  et  la  signification  des  fiuashbtti  ou  Répandants  ont  été  indiquées  déjà  à  plusieurs 
rcpi'ii.i'!.  piir  M isvr.no.  Guide  du  Visiteur  au  musée  de  boulaq,  p.  131-133,  et  Etudes  de  ilythol"gie 
cl  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  3Sj-3;iti. 

S.  La  formule  magique  destinée  à  donner  la  vie  aux  Répondants  et  à  leur  commander  leur  tache 
dans  l'autre  monde  forme  le  chapitre  VI  du  Lii-re  des  Morts  (cuit.   iS.iïiLLt,   I.   I,  |>1.  VIII).  Kllc  a  été 


(94  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE, 

grain   sur  l'épaule,  elles   s'en   allaient  travailler  dans    l'endroit   qu'on  leur 
indiquait  et  fournissaient  autant  de  jours  de  prestation  qu'on   en  exigeait 

d'elles.  Elles  rachetaient  par 
là  jusqu'à  un  certain  point 
les  inégalités  de  condition 
que  la  mort  même  n'effaçait 
pas  chez  les  féaux  d'Osiris. 
On  les  vendait  si  bon  marché 
que  les  plus  pauvres  se  trou- 
vaient toujours  assez  riches 
pour  s'en  acheter  ou  pour 
en  donner  quelques-unes  à 
leurs  parents  :  le  fellah,  l'ar- 
tisan, l'esclave  leur  devaient 
de  ne  pas  continuer  aux  îles 
bienheureuses  leur  routine 
de  labeuret  defatigues  inces- 

LB    KOHI    ET    SA    rtïHÏ    JOUENT    llil    BAIES    BA.1S    LE    HllSyUl1.  ,  . 

santés.  Tandis  que  les  petits 
bonshommes  de  pierre  ou  d'émail  peinaient,  piochaient  et  semaient  conscien- 
cieusement, leurs  maîtres  jouissaient  en  pleine  paresse  de  toutes  les  félicités 


du  paradis  égyptien.  Ils  s'asseyaient  mollement  au  bord  de  l'eau,  à  l'ombre 
toujours  verte  des  grands  arbres,  et  respiraient  la  brise  fraîche  du  Nord.  Us 

oiuiitO<!  par  Cii.ibas,  Obtereationt  iur  le  Chapitre  VI  du  Rituel  funéraire  égyptien,  à  propoi  d'une 
ttatuette  funéraire  du  mutée  île  Langrrs  (Extrait  ite>s  Mémoire!  de  ta  Société  historique  et  archéo- 
logique de  Langret,  I8il3)  et  nul-tout  par  V.  Louer,  les  Slatiietlet  funéraire!  du  musée  de  Boutai/, 
dan-'  le  liecueiliie  Traraur,  1.  IV.  |i.  80-1IT,  t.  V,  p.  70-70. 

1.  Destin  de  Faucher-Gudin,  d'âpre»  une  vignette  du  i'apyrut  u'  i  de  Dublin  [Savii.le,  Dat  Algup- 
tùche  Todteiibuch,  I.  I.  pi.  XXVII.  Du).  Le  nom  de  dame»  n'ont  u»s  tout  a  fait  evact;  on  trouvera  lu 
définition  uVecjeii  dans  t'.ii.ktM.ii,  Oamet  Ancieui  and  Oriental  and  hou-  toptay  them.  |>.  s-IOI. 

*.  ÙeuÎH  de  Fancher-Giidin,  à"  âpre*  le  Papy  rut  deSebhopit,  à  Turin  (I.imii.m;,  Di-.ionarîn  di  ilito- 
lorjia  Egi-.ia,  [il.  V).  Ce  dessin  fait  jiiirtiir  du  même  laliteau  uuu  la  vignot  le  do  ta  jiage  1i»â. 


CONFUSION  DES  IDÉES  OS1R1ENNES  ET  DES  IDEES  SOLAIRES.        195 

péchaient  à  la  ligne  au  milieu  des  lotus,  ils  montaient  en  barque  et  se  faisaient 
tirer  à  la  cordelle  par  leurs  serviteurs,  ou  parfois  ils  daignaient  prendre  eux- 
mêmes  la  pagaie  et  se  promener  lentement  sur  les  canaux;  ils  chassaient 
l'oiseau  dans  les  fourrés,  ou  se  retiraient  sous   leurs  kiosques  peints  pour  y 


tence.  Leur  forme  morte,  momifiée  puis  ranimée  selon  le  mythe  Osirien,  se  fit 
Osiris  comme  celle  des  gens  du  commun.  Quelques-uns  poussèrent  l'assimila- 
tion si  loin  qu'ils  absorbèrent  le  dieu  de  Mendès  ou  s'absorbèrent  en  lui  : 
Phtah-Sokaris  devint  à  MemphisPhtah-Sokar-Osiris,  et  Khontamentit  à  Thinis 
Osiris  Khontamentit3.  Le  Soleil  s'y  prêta  d'autant  mieux  que  sa  vie  ressemble 
plus  à  celle  de  l'homme,  et  par  suite  à  la  vie  d'Osiris  qui   se  modèle  sur 

1.  Le»  eierctcesdu  corps,  la  chasse,  la  pèche,  les  promenade»  en  barque,  sonl  représenta»  don*  les 
lombeaui  thébains  ;  1b  jeu  dp  dames  e-.t  nienlionne  dans  le  titre  du  chapitre  XVII  du  Livre  dei  Mortt 
(édil.  PUville,  t.  I,  pi.  XXIII,  I.  t),  et  lo  kiosque  de»  femmes  est  ligure  au  tombeau  do  Itakhmirl  (Virei, 
le  Tombeau  de  Hekhmara,  dans  lus  Mrmoirei  de  la  million  du  Caire,  t.  V,  pi.  XXV).  La  lecture  des 
ron tes  est  prouvée  pur  la  présence  dans  les  tombeau*  A'oslrai-a  brisés,  |iortant  de  long»  fragment* 
d'ii'iivre»  littéraires  :  on  le»  mellail  en  pièces  pour  les  tuer  et  pour  envoyer  leur  double  diin»  l'antre 
monde  au  double  du  mort  (MAsrr.Ro,  le*  Première»  Ligne»  de»   Vémoircê  de  Sitiouhit,  p.  i-S). 

t.  Dettin  de  Boudier,  d'aprèi  une  photographie  d'Emile  Hmgirh-lleg.  L'original  provient  des  fouilles 
de  M.  de  Morgan  a  Melr  et  se  trouve  à  Giiéh  :  le  mortes!  assis  dans  la  cabine,  enveloppé  du  manteau.  Ce 
bateau  est  le  seul  à  ma  connaissance  qui  ail  conservé  sa  voilure  antique  (XI" ou  Xl!°  dynastie), 

.1.  H.MFMO,  Kludtt  dr  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptienne»,  t.  II,  p.  îl-îl. 


L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 


celle  de   l'homme.  Il  naît  le  matin,  il  vieillit  à  mesure  que  le  jour  décline, 
il  s'éteint  doucement   le   soir.    Du  moment  qu'il  entre  au  ciel  jusqu'à  celui 
qu'il  en  sort,  il  règne  là-haut  comme  il  régna  ici-bas  au  début  des  temps; 
dès  qu'il  a  quitté  le  ciel   pour  s'enfoncer  dans  l'Hadès,   il   n'est  plus  qu'un 
mort  semblable  aux  autres,  et  qui  subit  comme  eu*  l'embaumement  d'Osiris. 
Les    mêmes  dangers  qui  menacent  leur  âme  humaine  menacent  son  àme; 
quand  elle  lésa  vaincus,  non  point 
par  sa  vertu  propre,  mais  par  la 
puissance   des   amulettes    et    des 
formules  magiques,   elle   pénètre 
aux   champs  d'ialou  et  devrait  y 
séjourner  éternellement  sous  l'au- 
torité d'Onnophris.  Elle  n'en  fai- 
sait rien  pourtant,  et  l'on  voyait 
le  soleil  reparaître  à  l'Orient,  douze 

LA    B.IBOCC    SOLAIRE    SU    Uftl'UU    LE    nom     VA    SOUTE* '. 

heures  après  qu'il  s'était  plongé 
dans  les  ténèbres  de  l'Occident.  Est-ce  chaque  fois  un  astre  nouveau,  ou  bien 
le  même  soleil  éclaire-t-il  tous  les  jours?  Dans  les  deux  cas  le  résultat  ne 
différait  point  :  le  dieu  sortait  de  la  mort  et  rentrait  dans  la  vie.  Après 
avoir  identifié  la  carrière  du  Soleil  à  celle  de  l'homme  et  Ità  à  Osiris  pour 
une  première  journée  et  pour  une  première  nuit,  il  était  difficile  de  ne  pas 
pousser  les  choses  plus  loin  et  de  ne  pas  l'identifier  pour  tous  les  jours  et  pour 
toutes  les  nuits  qui  suivraient,  c'est-à-dire  de  ne  pas  déclarer  que  l'homme 
et  Osiris  pouvaient,  s'ils  le  voulaient,  renaître  le  matin  comme  Rà  et  avec 
lui*.  Si  les  Égyptiens  avaient  éprouvé  une  douceur  réelle  à  quitter  l'ombre 
du  tombeau  pour  aller  s'enfermer  aux  prés  lumineux  d'ialou,  de  quelle  joie 
ne  devait-elle  pas  les  remplir  cette  conception  qui  leur  permettait  de 
substituer  le  domaine  entier  du  soleil  à  un  petit  archipel  perdu  dans  un  coin 
de  l'univers?  Ije  premier  point  pour  eux  était  d'obtenir  l'accès  de  la  barque 
divine,  et  c'est  à  quoi  pourvurent  des  pratiques  et  des  prières  de  toute  sorte, 
dont  le  texte,  joint  à  celui  qui  renfermait  déjà  les  formules  osiriennes,  assu- 
rait à  qui  les  possédait  la  protection  infatigable  de  Râ'.  L'âme  qui  désirait 
s'en  servir  se  rendait,  au  sortir  de  l'hypogée,  à  l'endroit  préeis  où  le  dieu 

I.  Dritin  de  Fatieher~C,udiu,  tVaprï*  nue  vignette  du  Pnpynit  de  Xebijadov.  il  Paria, 
t.  M.sriso,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptienne»,  t.  II,  p.  ïl-37. 

■1.  Le»  formule»  destinées  a  faire  monter  l'ame  sur  la   barque  solaire  sont  principalement  le*  cha- 
pitre» C-CIl  (edit.  Niïillb,  1. 1,  pi.  CXIII-CXIV),  CXXXIV-CXXXVI  (édit.  Nuvilui,  1. 1,  pi.  CXI.V-CXI.IX)  du 


I.ES  MORTS  DANS  LA  BARQUE  DU  SOLEIL.  107 

quittant  notre  terre  s'enfonçait  dans  l'Hadès.  C'était  quelque  part  au  voisinage 
immédiat  d'Abydos,  et  l'on  y  parvenait  par  une  gorge  étroite  percée  dans 
la  chaîne  Libyque,  par  une 
Fente  dont  la  Bouche  s'ou- 
vrait en  vue  du  temple 
il'Osiris  K  h  on  ta  mentit,  un 
peu  au  Nord-Ouest  de  la 
ville'.  Une  petite  flottille 
de  bateaux,  chargée  de  pro- 
visions, de  mobilier  et  de 
statues,  montée  par  des 
bandes  d'amis  ou  de  prê- 
tres, et  qu'on  déposait  dans 
le  caveau  le  jour  des  funé- 
railles, était  censée  trans- 
porterl'âme jusque-là*.  Les 

"  J         1  LA    BtRQUÏ    SOLAIRE    IKWMKI    DAMS    l»    HOMACSE    0  OCCImMT '. 

incantations  qu'on   récitait 

sur  elle  pendant  l'une  des  premières  nuits  de  l'année,  aux  fêtes  anniversaires 
des  morts,  la  mettaient  en  branle*.  L'insecte  ou  l'oiseau  qui  jadis  servait  de 
guide  à  l'âme  voyageuse,  se  plaçait  au  gouvernail  pour  lui  montrer  la  voie 
droite";  elle  partait  pour  Abydos  sous  ses  ordres,  pénétrait  mystérieusement 
par  la  Fente  dans  la  mer  Occidentale  inaccessible  aux  vivants*,  et  attendait 

Litre  de*  Horlt.  Toutefois  le!  mélange  des  conceptions  solaires  avec  les  osîrienncfi  est  déjà  complet 
dans  cet  ouvrage,  et  beaucoup  des  chapitres  destinés  à  d'autres  usages  contiennent  des  allu'um-; 
nombreuses  il  t'embarquera»!  des  âmes  à  bord  du  bateau  de  Hà. 

1.  Pour  la  Bouehe  de  la  Feule  et  la  façon  dont  les  morts  y  arrivaient,  on  peut  consulter  JHaspero, 
Éluda  de  Mythologie  et  d'Archéologie,  t.  I.  p.  t 1,  etc..  et  Etude*  Egyptiennes,  t.  I.  p.  lîl  sq<|. 

t.  Beaucoup  de  ces  bateaux  sont  conservés  dans  les  musées,  et  nous  en  possédons  plusieurs  au 
Louvre  (Salle  Civile,  armoire  K).  I.e*  seules  flottilles  dont  on  connaisse  l'origine  sont  celle  du  musée 
de  Berlin,  qui  vient  de  Thèbes  (Passalacoia,  Catalogne,  p.  lïfi-iifl,  reproduite  dans  Prisse  n'Aiu«i. 
Histoire  de  l'Art  Égyptien)  et  celles  du  musée  de  Giïéh,  qui  ont  été  trouvées,  l'une  à  Saqqarah 
{Haspero.  Quatre  Annie*  de  fouille*,  dans  les  Mémoire*  de  la  Mi'tion  du  Caire,  t.  I,  p.  ÎOT  et  plan- 
che), l'autre  a  Mélr,  au  nord  de  Siout  :  elles  appartiennent  à  ta  XI'  et  à   la  XII*  dynastie. 

3.  Drain  de  Faiicher-Cudin,  d'apte*  une  photographie  tre*  petite,  publiée  dan*  le  Catalogue  de  In 
Vente  Minulali  {V.atalng  der  Saminluiigen  voit  Miieterirerken  lier  Industrie  nnd  Knn*t  xusanimenge- 
brachl  durrh  lin.  Freiherrn,  Dr  Marauder  van  Hinutoli,  kêln,  IR7r,). 

i.  Ces  formules  sont  tracées  sur  les  murs  d'un  tombeau  de  la  XVIII-  dvnastie,  celui  de  JloHrhol- 
pou.  a  Thèbes;  elles  ont  été  publiées  par  nrmr.HEs,  Kalandarisrhe Inschriften.  pi.  XXXV.  I.  81-60  (cf. 
Die  Flotte  ainer  .■Fgyptiichen  Kiinigin,  pi.  XXXI,  p.  31-fiit)  et  par  Besèmti,  le  Tooibeau  de  Néfcrhot- 
pou,  dans  les  Mémoire*  de  la  Mi**ion  du  Caire,  I.  V,  p.  nifi  sqq.  et  planche. 

5.  ■  Tu  remontes  comme  la  sauterelle  d'Abydns,  à  qui  il  est  fait  place  dans  la  oarqne  d'Osiris  et 
qui  accompagne  le  dieu  jusqu'au  territoire  de  la  Fente  •  (Sbaupe,  F.gyplian  Inscription*.  1-  série, 
pi.  iO.Ï,  t.  43-44:  K.  A.  W.  Bihof:,  Kote*  on  Egyplian  Ste/x,  prittripally  oftke  XVIIIth  Dynatly,  dans 
les  Trauta ction*  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  VIII,  p.  347  ;  I.eféh«e,  Etude  sur  Abydos, 
dans  les  Proceeding*  de  in  même  Société,  1.  XV,  p.  I3G-I37).  Le  pilote  dea  barques  divines  est  d'or- 
dinaire un  homme  a  tète  d'épervier,  un  Ilorus,  probablement  eu  souvenir  de  cet  oiseau  pilote. 

6.  HsWI.O,  fondre  Egyptiennes,  t.  I,  p.  IÎ3-1.1D. 


198  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

la  venue  quotidienne  du  Soleil  mourant.  Dés  que  la  barque  du  dieu  paraissait 
au  dernier  coude  du  Nil  céleste,  lès  cynocéphales  qui  gardaient  les  approches 
de  la  nuit  se  mettaient  à  danser  et  à  gesticuler  sur  les  berges,  en  entonnant 
'         '  '        'eux  d'Abydos  mêlaient  leurs 

babouins  sacrés  :  la  barque 
ttières  du   jour   et   les   âmes 
se  faire  reconnaître  et  rece- 
ls, elles  prenaient  part  à   la 
ntre  les  dieux  ennemis,  mais 
urage  ou  l'équipement  néces- 
!  et  aux  terreurs  du  voyage, 
dans  quelqu'une  des  régions 
e  de  Khontamentit,  celui  de 
.iris  les  accueillait  comme  si 
bac  ou  sur  l'aile  de  Thot  : 
es,   sous   la   suzeraineté   des 
îant  de  rien,  mais  condamnées 
s  brève  exceptée  où  la  barque 
solaire    passait   au  milieu 
d'eux   et   les  éclairait  de 
rayons1.   Le  moins  grand 
nombre    persévéraient  et 
se  sentaient  l'audace  d'ac- 
compagner    l'astre     jus- 
qu'au bout  :  elles  étaient 
dédommagées  de  leurs  pei- 
nes   par   le   sort   le   plus 
brillant  qu'âme  égyptienne 
pût  rêver.  Renaissant  avec  le  Soleil  et  se  manifestant  avec  lui  aux  portes  de 
l'Orient,  elles  s'assimilaient  à  lui  et  partageaient  ses  privilèges  de  ne  vieillir 
et  de  ne  s'éteindre  que  pour  rajeunir  sans  cesse  et  pour  se  raviver  d'un  éclat 

1.  I.c  tableau  de  l'embarquement  i't  du  vova^e  rie  l'Ame  est  e.  uni  posé  avec  les  indications  fournie* 
par  l'une  des  vignettes  du  chapitre  XVI  duLirre  det  Mort»  (édit.  \iï]lle,  t.  1,  [il.  XXII)  et  avec  le 
teite  d'une  formule  fréquente  à  partir  de  la  XI"  et  de  la  XII-  dynastie  (Masckbo,  Études  de  Mythologie 
et  «"Archéologie  Égyptienne:  I.  I,  p    14-18,  et  Études  Égyptienne»,  t.  I,  p.  t«-lî3). 

*,  M.isrïM,  Études  de  Mythologie  et  </' ArckMugie  Égyptienne*,  t.  II.  p.  4-1-15. 

a.  [festin  de  Faurher-tiu'lin,  d'après  D1.vr.Ri\,  /e Papyrus  de  Ïieti-Qed,  pi.  1  (cf.  Chaius,  fiotire  sui- 
te Pire-cnthroit,  dans  les  Mémoires  du  Congres  des  Orientalistes  de  Paris,  t.  Il,  p.  Ii-50,  pi.  LVIII, 
et  Yiviu.k,  Da>  Mgyptinhe  Tadteuburk,  t.  I.  pi.  IV,  Pej.  I.n  scène  où   l'ante  contemple  le  masque 


LA  SORTIE  DES  AMES  PENDANT  LE  JOUR.  193 

toujours  nouveau.  Elles  débarquaient  où  il  leur  plaisait  et  revenaient  à  leur 
gré  dans  notre  monde1.  Si  parfois  l'envie  les  possédait  de  revoir  ce  qui  subsis- 
tait de  leur  corps  terrestre,  l'épervier  à  tète  humaine  descendait  à  plein  vol 
le  long  du  puits,  s'abattait  sur  le  lit,  et,  les  mains  posées  doucement  à  l'en- 
droit où  le  cœur  avait  battu  jadis,  levait  les  yeux  vers  le  masque  immobile 
de  sa  momie.   Ce  n'était  que  pour  un  instant,  car  rien  n'obligeait  ces  âmes 


parfaites  à  s'enfermer  dans  la  tombe  comme  les  doubles  d'autrefois,  par 
crainte  de  la  lumière.  Elles  sortaient  pendant  le  jour*  et  habitaient  les  lieux  où 
elles  avaient  vécu,  elles  se  promenaient  dans  leur  jardin  au  bord  de  leur  bassin 
d'eau  courante,  elles  se  perchaient  comme  autant  d'oiseaux  sur  les  branches 
des  arbres  qu'elles  avaient  plantés,  ou  prenaient  le  frais  à  l'ombre  de  leurs  syco- 
mores, elles  mangeaient  et  buvaient  à  leur  plaisir,  elles  voyageaient  par  monts 
et  par  vaux,  elles  remontaient  sur  la  barque  de  Rà  et  en  redescendaient,  sans 
fatigue  et  sans  dégoût  de  ce  recommencer  perpétuel*.  Cette  conception,  qui  se 

de  la  momie  est  reprend  niée  souvent  sur  les  exemplaires  théhnins  du  Litre  de*  Morts  (édit.  Niville, 
I.  1,  pi.  Cl,  eh.  imu);  elle  est  le  mieux  rendue  dans  le  pelit  monument  du  serine  llil  (.Uispefw,  Guide 
du  Visiteur  au  Mutée  de  Boulai/,  p.  130-131,  n*  liiil)  i|ui  est  reproduit  sur  celle  page. 

I.  MisfEBO,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptiennes,  t.  Il,  p.  il-ïî. 

i.  Dessin  de  Faucker-Gudin,  d'après  une  photographie  d'Emile  Hrugsch-ISey,  reproduisant  le  cer- 
cueil en  miniature  du  teribe  ISâ  (Mast-mio,  Guide  du  Visiteur,  p.  130-131,  n1  1(121). 

3.  C'est  le  titre  Pirou-m-krou,  de  la  première  section  du  Lirre  des  Morts  et  de  plusieurs  chapitres 
dans  les  autres  sections  (SIispeuo,  Éludes  de  Mythologie  et  iC Archéologie  Égyptienne*,  t.  I,  p.  332- 
333|.  (In  l'a  traduit,  sortir  du  jour,  se  manifester  nu  jour,  sortir  comme  le  jour;  l;i  traduction  réelle 
lortir  pendant  le  jour  a  été  indiquée  par  Keinisch  {Die  .Egyptischen  Dcnkmiilcr  in  Miramar,  n,  11] 
et  démontrée  par  Lcfébure  (le  l'er-m-hrau.  Etude  sur  la  vie  future  che:  les  Egyptien*,  dans  Cninis, 
Mélanges  Egyptologiguet,  if  série,  t.  II.  p.  ÎIB-ÏH;  cf.  K.  vos  Uew:*a*\  bat  tlucli  ram  Durchwandeln 
iler  Eaigkeit,  p.  8,  31). 

1.  Celte  peinture  de  la  vie  de  l'àme  qui  tort  pendant  le  jour  est  empruntée  à  la  formule  fréquente 
sur  les  stèles  des  XVIII  -\\-  dynasties,  dont  l'exemplaire  le  plus  connu  est  notre  slcle  t:  Sii  du  Louvre 


200  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

développa  assez  tard,  ramenait  les  Égyptiens  au  point  d'où  ils  étaient  partis 
quand  ils  s'étaient  engagés  dans  leurs  spéculations  sur  l'autre  vie  :  l'àme,  après 
avoir  quitté  le  lieu  de  son  incarnation  auquel  elle  s'était  attachée  tout  d'abord, 
après  s'être  élevée  au  ciel  et  y  avoir  cherché  vainement  un  abri  qui  lui  convint, 
abandonnait  les  refuges  qu'elle  avait  rencontrés  là-haut  et  se  rabattait  réso- 
lument sur  notre  terre.  Du  moins  n'y  retombait-elle  que  pour  y  mener  au 
grand  jour  une  vie  paisible,  heureuse,  libre,  avec  la  vallée  entière  pour  paradis. 
L'alliance  toujours  plus  intime  d'Osiris  et  de  Rà  mêla  graduellement 
des  mythes  et  des  dogmes  qui  avaient  été  entièrement  séparés  au  début. 
Les  amis  et  les  ennemis  de  chacun  d'eux  devinrent  les  amis  et  les  ennemis  de 
l'autre,  et  perdirent  leur  originalité  native  pour  former  des  personnes  mixtes 
où  les  éléments  les  plus  contradictoires  se  combinaient,  souvent  sans  réussir 
à  se  fondre.  Les  Horus  célestes  rejoignirent  à  tour  de  rôle  Horus,  fils  d'Isis, 
et  lui  apportèrent  leurs  attributs  comme  ils  lui  empruntèrent  les  siens.  Apôpi 
et  les  monstres  qui  guettaient  Rà  dans  ses  croisières  sur  l'Océan  d'en  haut, 
l'hippopotame,  le  crocodile,  le  porc  sauvage,  ne  firent  plus  qu'un  avec  Sit  et 
avec  ses  complices.  Sit  possédait  encore  sa  moitié  de  l'Egypte,  et  son  anti- 
que fraternité  avec  l'Horus  du  ciel  ne  s'était  pas  rompue,  soit  qu'ils  n'eussent 
tous  les  deux  qu'un  même  temple  comme  à  Noubit,  soit  qu'ils  fussent  adorés 
solidairement  dans  deux  nomes  contigus,  à  Oxyrrhynchos,  par  exemple,  et 
dans  Héracléopolis-la-Grande.  La  répulsion  qui  s'attacha  au  meurtrier  d'Osiris 
ne  dissocia  point  partout  les  deux  cultes  :  certaines  cités  s'obstinèrent  à  les 
pratiquer  côte  à  côte  jusqu'aux  derniers  temps  du  paganisme.  C'était,  après 
tout,  se  montrer  fidèles  aux  plus  vieilles  traditions  de  la  race,  mais  le  gros 
des  Égyptiens,  qui  ne  les  connaissait  plus,  imagina  des  raisons  tirées  de 
l'histoire  des  dynasties  divines  pour  expliquer  le  fait.  La  sentence  de  Thot 
ou  de  Sibou  n'avait  pas  mis  fin  aux  entreprises  de  Sit  :  elles  avaient  recom- 
mencé dès  qu'Horus  avait  quitté  la  terre  et  s'étaient  poursuivies,  avec  des  for- 
tunes diverses,  sous  les  rois-dieux  de  la  seconde  Ennéade1.  Or,  en  l'an  ccclxiii 

(Pierrkt,  Recueil  d'inscriptions  inédites,  t.  Il,  p.  90-93;  cf.  E.  A.  W.  Bcuge,  Noies  on  Egyptian  Stclie. 
principally  of  thc  XVIIlth  Dynasly,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique, 
t.  VIII,  p.  306-312). 

1.  La  guerre  d'Ilarmakhis  et  de  Sit  est  racontée  et  illustrée  tout  au  long  sur  les  parois  du  sanc- 
tuaire dans  le  temple  d'Edfou.  Les  inscriptions  et  les  tableaux  qui  s'y  rapportent  ont  été  copiés, 
publiés  et  interprétés  pour  la  première  fois  par  E.  Navillk,  Textes  relatifs  au  Mythe  d' Horus  recueil- 
lis dans  le  temple  d'Edfou, y\.  XII-XXXI,  et  p.  1(3-25;  Brugsch  en  donna  peu  après,  dans  son  mémoire 
sur  Die  Sage  von  der  geflûgellen  Son  ne  use  ha  bc  nach  altagyplwchen  Quellen  {Aus  den  XIV  Bande  der 
Abhandlungcn  der  K.  Ges.  der  Wissetischaflen  zu  Gotlingen,  1870),  une  traduction  allemande  et  un 
commentaire  dont  il  a  rectifié  beaucoup  de  points  dans  divers  articles  de  son  Dictionnaire  Géogra- 
phique. L'interprétation  du  texte  adoptée  ici  a  été  proposée  par  Masi-kro,  Études  de  Mythologie  et 
d Archéologie  Egyptiennes,  t.  Il,  p.  321  sqq. 


LES  CAMPAGNES  U'HARMAKHIS  CONTRE  SlT.  201 

d'Harmakhis,  les  Typhoniens  reprirent  la  campagne.  Vaincus  une   première 
fois  auprès  d'Edfou,  ils  se  retirèrent  précipitamment  vers  le  Nord,  s'arrètant 
pour  offrir  bataille  dans  toutes  les  localités  où  leurs  partisans  prédominaient, 
à  Zatmit  dans  le  nome  Thébain1,  à  Khaît-noutrit  au  Nord-Kst  deDendérah',  à 
liibonou,   dans    la    princi- 
pauté de  la  Gazelle3.  Plu- 
sieurs   combats    sanglants 
livrés  entre  Oxyrrhynchos 
et  la  Grande-Héracléopolis 
les  rejetèrent  définitivement 
hors  delà  vallée  :  ils  se  ral- 
lièrent   une    dernière  fois 
dans  les  cantons  orientaux 
du  Delta,  furent  battus   à 
Zalou',  et,  renonçant  à  ten- 
ter la  chance  des  armes  sur 
terre,    s'embarquèrent    au 
fond  du  golfe  de  Suez  pour 
revenir  aux  déserts  de  Nu- 
bie,   leur   refuge   habituel 

dans  les  mauvais  jours.  La  mer  était  l'élément  typhonien  par  excellence, 
et  ils  pouvaient  s'y  croire  en  sûreté  :  Horus  les  y  suivit  pourtant,  les  rejoi- 
gnit près  de  Shas-hirtV,  les  dispersa,  et,  de  retour  à  Edfou,  célébra  sa 
victoire  par  des  fêtes  solennelles.  A  mesure  qu'il  s'était  emparé  des  loca- 
lités où  Sît  régnait  en  maître,  il  avait  pris  des  mesures  énergiques  pour 
y  établir  l'autorité  d'Osiris  et  du  cycle  solaire.   Il  y  avait   bâti   partout  un 

i.  Zalnitt  (Barr.scn,  Okl.  Géographique,  p.  1011(1)  parait  «voir  été  située  à  quelque  distance  lie 
Itavadtych,  à  l'endroit  où  la  carte  de  la  Commission  d'Egypte  marque  les  ruines  d'un  village  moderne. 
Il  y  avait  là  une  nécropole  assez  considérable  ;  les  marchands  de  Lou*or  s'y  approvisionnent  d'objets 
intiques,  dont  beaucoup  remontent  au  premier  empire  thébain. 

î.  Khalt  ou  Khalti-noutrlt  {Bmt.sch,  Dicl.  Géographique,  p.  tm-f-i)  me  parait  être  représentée 
aujourd'hui  par  l'un  des  bonrga  <]ui  forment  !a  commune  de  llendérah,  celui  de  Soutah  :  Kbalt  ou  sérail 
tombé  ou  se  serait  con  fondu  avec  le  terme  ad  m  inistralif  nnkhiét,  qui  s'applique  encore  à  l'une  des  parties 
du  village,  Hakhirt-finutah  (Masfeko,  Étude-  de  Mylhnlngie  et  d'Arrliéo/ogie  Egyptienne-,  t.  Il,  p.  3*G], 

3.  liibonou  (B»i«sai,  Dicl.  Géographique,  p.  490-491,  Ità-i)  est  aujourd'hui  'linii-h  (XtsPKRO,  Sota 
au  joarte  jour,  jjj  14,  ibns  les  Viorteilingt  île  Li  Société  d'AirhéiilucJc  Biblique,  t.  XIII,  |i.   5uG-!>U"). 

4.  Zalou,  Zarou  (Dwr.scH,  Dictionnaire  Géographique,  p.  H!'Ï-!IU")  est  la  Selle  des  géographes  clas- 
sique»; cf.  la  Carie  des  nomes  du  Delta  a  la  page  75  de  celte  Hutoirr, 

5.  Dettiii  de  Faucher-Gudin  d'apré*  te  releré  du  tombeau  d'Anni  par  touinr,  membre  de  la  mit- 

espèces   d'arbres  qui  composaient  le  jardin  d'.Vimi  pendant  sa  vie. 

li.  Shas-hirlt  est  le  nom  égyptien  dune  des  villes  de  Bérénice  que  les  l'tolémees  construisirent  sur 
In  merllouge  (UmtscH,  Dictionnaii-e  Géographique,  p.  'iiï-TSM,  1 33S-J  33fi,  et  Zeiltchrifl,  1HB4,  p.  mil. 


202  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

temple  de  lui-même  à  côté  du  sanctuaire  des  divinités  typhoniennes,  et  il 
s'y  était  intronisé  dans  celle  de  ses  formes  qu'il  avait  dû  revêtir  pour 
triompher  de  ses  ennemis.  Métamorphosé  en  épervier  au  combat  d'Hibonou,  il 
s'était  abattu  sur  l'échiné  de  Sît,  déguisé  en  hippopotame  :  on  le  figurait, 
dans  sa  chapelle  d'Hibonou,  comme  un  épervier  posé  sur  le  dos  (l'une  gazelle, 
emblème  du  nome  où  le  choc  avait  eu  lieu1.  Il  s'était  incarné  près  de  Zalou 
dans  un  lion  à  tête  humaine,  couronné  du  triple  diadème  et  dont  les  pattes 
étaient  armées  de  griffes  tranchantes  comme  des  couteaux  :  c'était  en  la 
figure  d'un  lion  qu'on  l'adorait  au  temple  de  Zalou1.  La  solidarité  de  Sît  et 
de  l'Horus  céleste  n'était  donc  pas  un  fait  de  religion  primitive  pour  ces 
Égyptiens  des  époques  récentes;  c'était  la  conséquence  et,  pour  ainsi  dire, 
la  sanction  des  hostilités  anciennes  entre  les  deux  dieux.  Horus  avait  agi 
envers  son  ennemi  à  la  façon  dont  un  Pharaon  victorieux  traitait  les  barbares 
soumis  par  ses  armes  :  il  s'était  construit  un  château  pour  le  tenir  en  échec, 
et  ses  prêtres  formaient  comme  une  garnison  qui  prévenait  les  révoltes  du 
sacerdoce  rival  et  de  ses  fidèles3.  Les  luttes  des  dieux  se  changèrent  de  la 
sorte  en  luttes  humaines  dont  les  épisodes  ensanglantèrent  l'Egypte  plus  d'une 
fois.  Les  haines  se  perpétuaient  si  fortes  d'Osiriens  à  Typhoniens,  que  les 
nomes  où  la  religion  de  Sît  avait  persisté  devinrent  odieux  au  reste  de  la  popu- 
lation :  on  grattait  l'image  de  leur  maître  sur  les  monuments4,  on  effaçait 
leur  nom  des  listes  géographiques,  on  leur  prodiguait  les  épithètes  injurieuses, 
on  poursuivait  et  l'on  tuait  leurs  animaux  sacrés  pour  faire  œuvre  pie.  De  là  des 
rixes  qui  dégénéraient  en  véritables  guerres  civjles  jusque  sous  les  Romains*. 

1.  Naville,  Textes  relatifs  au  Mythe  a" Horus  recueillis  dans  le  temple  d'Edfou,  pi.  XIV,  1.  11-13: 
cf.   Brlgsch,  Die  Sage  von  der  geflûgelten  Sonnenscheibe,  p.  17-18. 

2.  Naville,  Textes  relatifs  au  Mythe  d'Horus  recueillis  dens  le  temple  d'Edfou,  pi.  XVIII,  I.  1-3; 
Diugsch,  Die  Sage  von  der  geflûgelten  Sonnenscheibe,  p.  3-1-30, 

3.  Ces  établissements,  ces  Marches  a" Horus  sur  territoire  typhonien,  sont  ce  que  les  textes  d'Edfou 
(Navillk,  Textes  relatifs  au  Mythe  d'Horus,  pi.  XVU,  I.  10  sqq.)  appellent  des  Masnit.  Les  soldats- 
prêtres  d'Horus  se  nommaient,  d'après  une  tradition  ancienne,  les  masntliou,  les  forgerons  (Maspeko, 
Études  de  Religion  et  a" Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  313  sqq.);  la  masnit  est  au  début  l'endroit 
où  ces  forgerons  travaillaient,  la  forge,  par  suite  le  sanctuaire  de  leur  raattre  à  Edfou,  et  par  exten- 
sion le  sanctuaire  de  l'Horus  Céleste  dans  toutes  les  villes  d'Egypte  où  ce  dieu  possédait  un  culte 
analogue  à  celui  d'Edfou.  Brugsch  a  montré  que  ces  Masnit,  ces  forges  divines,  étaient  au  nombre 
de  quatre  en  Egypte  (Dictionnaire  Géographique,  p.  298-306,  371-378,   1211-1212). 

A.  Séti  Ier,  dans  sa  tombe,  remplaçait  partout  l'hiéroglyphe  <J  du  dieu  Stt  qui  forme  son  nom  par 

celui  d'Osiris  J  :  c'était,  comme  Champollion  le  remarquait  déjà,  pour  ne  pas  blesser  le  dieu  des 
morts  par  la  vue  de  son  ennemi,  surtout  peut-être  par  la  contradiction  qu'il  y  avait  à  qualifier 
d'Osiris  un  roi  qui  portait  le  nom  de  Slt,  et  à  dire  YOsiris  Séti.  Le  martelage  du  nom  de  Stt  sur  les 
monuments  ne  me  parait  pas  être  antérieur  à  l'époque  persane  :  c'est  le  moment  où,  les  maîtres  du 
pays  étant  étrangers  et  de  religions  différentes,  les  divinités  féodales  cessèrent  d'aspirer  à  la  supré- 
matie politique,  et  l'Egypte  n'eut  plus  de  religion  commune  que  celle  du  dieu  des  Morts,  Osiris. 
5.  Cf.  la  bataille  que  Juvénal  décrit  dans  sa  XV»  satire,  entre  les  gens  de  Pendérah  et  ceux  d'une 
ville  d'Ombi,  qui  n'est  pas  l'Ombos  située  entre  Assouan  et  le  Gcbel-Silsiléh,  mais  Pa-noubft.  la 
Pampanis  des  géographes  romains,  aujourd'hui  Négadéh  (Dl'michkn,  Geschichle  .Egyptcns,  p.  125-126). 


m  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

Les  Typhoniens  ne  s'en  confirmèrent  que  davantage  dans  leur  vénération  pour 
le  dieu  maudit  :  le  christianisme  seul  triompha  de  leur  opiniâtre  fidélité1. 

L'histoire  du  monde  était  donc  pour  l'Egypte  l'histoire  de  la  lutte  engagée 
entre  les  féaux  d'Osiris  et  les  complices  de  Sît;  lutte  interminable  où  tantôt 
l'un,  tantôt  l'autre  des  partis  rivaux,  obtenait  quelques  avantages  momen- 
tanés, sans  jamais  remporter  la  victoire  définitive  jusqu'à  la  consommation  des 
âges.  Les  rois-dieux  de  la  seconde  et  de  la  troisième  Ennéade  y  consacrèrent 
la  plupart  des  années  de  leur  règne  terrestre  :  on  les  modelait  à  l'image  des 
grands  Pharaons  batailleurs  qui,  du  xvmp  au  xne  siècle  avant  notre  ère,  éten- 
dirent leur  domination  depuis  les  plaines  de  l'Euphrate  jusqu'aux  marais  de 
l'Ethiopie.  Quelques  souverains  pacifiques  se  rencontraient  ça  et  là  dans  cette 
lignée  de  conquérants,  des  savants  et  des  législateurs,  dont  le  plus  illustre 
s'appelait  Thot  deux  fois  grand,  le  maître  d'Hermopolis  et  de  l'Ennéade  her- 
mopolitaine.  Une  légende  d'origine  récente  faisait  de  lui  le  premier  ministre 
d'Horus,  fils  d'Isis*  :  une  tradition,  plus  ancienne  encore,  voulait  qu'il  eût  été 
le  second  roi  de  la  seconde  dynastie,  le  successeur  immédiat  d'Horus-les- 
Dieux,  et  lui  attribuait  3226  ans  de  règne8.  Il  avait  porté  sur  le  trône  cet 
esprit  ingénieux  et  cette  puissance  de  création  qui  l'avaient  signalé  dès  le 
temps  où  il  n'était  que  simple  dieu  féodal.  L'astronomie,  la  divination,  la 
magie,  la  médecine,  l'écriture,  le  dessin,  toutes  les  sciences  et  tous  les  arts 
émanaient  de  lui  comme  de  leur  premier  maitre*.  11  avait  enseigné  aux  hommes 
la  façon  d'explorer  le  ciel  avec  méthode  et  d'observer  ce  qui  s'y  passait, 
les  lentes  révolutions  du  Soleil,  les  phases  rapides  de  la  lune,  les  mouvements 
entre-croisés  des  cinq  planètes,  la  figure  et  les  limites  des  constellations  qui 
s'allumaient  chaque  soir  dans  les  hauteurs  du  monde.  La  plupart  d'entre  elles 

1.  L'épisode  des  guerres  d'Horus  et  de  Stt  a  été  dessiné  par  Faucher-Gudin,  d'après  un  bas-relief 
du  temple  d'Edfou  (Naville,  Textes  relatifs  au  Mythe  d'Horus,  pi.  XV).  A  droite,  Har-Uouditi,  debout 
sur  la  barque  solaire,  perce  de  sa  lance  la  tète  d'un  crocodile,  partisan  de  Slt,  plongé  dans  le 
fleuve;  Harmàkhis,  debout  derrière  lui,  assiste  à  l'exécution.  Kn  face  de  ce  couple  divin,  Horus  le 
ieune  tue  un  homme,  autre  partisan  de  Sit,  dont  lsis  et  Harhoudtti  tiennent  les  chaînes  :  derrière 
lui,  lsis  et  Thot  amènent  quatre  autres  captifs  liés  et  prêts  pour  le  sacrifice  devant  Harmàkhis. 

2.  C'est  le  rôle  qu'il  joue  dans  les  textes  d'Edfou  publiés  par  Naville,  et  qui  est  confirmé  par  divers 
passages  où  il  est  nommé  le  ZaUi,  le  comte  d'Horus  (cf.  Bkrghann,  Hieroglyphischc  Insckrifieti, 
pi.  LXXX1,  l.  73-7-4);  dans  une  autre  tradition,  que  les  Grecs  ont  connue,  il  est  le  ministre,  le  comte 
d'Osiris  (cf.  p.  174,  et  DCmichkn,  Hislorische  Inschriftcn,  t.  H,  pi.  XXV),  ou,  selon  Platon,  de  Thamous 
(Phèdre,  édit.  Didot,  t.  I,  p.  733),  selon  Elien  (Varia  Historia,  XII,  4;  XIV,  34),  de  Sésostris. 

3.  Papyrus  Royal  de  Turin  dans  Lkpsus,  Auswahl  der  wichtigsten  Urkunden,  pi.  III,  col.  u,  11, 1.  3. 
Le  roi  Thot  mentionné  sur  le  coffret  d'une  reine  de  la  XI*  dynastie,  aujourd'hui  conservé  au  Musée  de 
Berlin  (n°  1175),  ne  serait  pas,  d'après  M.  Erman  (Historiscttc  Nachlese  dans  la  Zeitschrift,  t.  XXX. 
p.  46-47),  le  dieu  Thot,  roi  des  dynasties  divines,  mais  un  prince  des  dynasties  thébaines  ou  Héracléo- 
politaines  (cf.  Piktschman.n,  Hermès  Trismegistos,  p.  26,  En.  Meykr,  Gesckichte  des  AlterthumsA.  I,  p.  65). 

4.  Les  témoignages  des  auteurs  grecs  et  romains  à  ce  sujet  se  trouvent  dans  Jabloxski,  Panthéon 
&gyptiorum,  t.  III,  p.  150  sqq.,  et  dans  Piktschmann,  Hernies  Triitnegistos  naeh  jEgyptischen,  Grie- 
chischen  und  Oriental ischen  Ueberlieferungen,  p.  28  sqq.  Thot  est  l'Hermès  Trismégiste  des  Grecs. 


L'ASTRONOMIE,   LES  TABLES  STELLAIRES. 


205 


ou  demeuraient  immobiles  ou  semblaient  le  demeurer  et  ne  jamais  sortir  des 
espaces  accessibles  au  regard  humain  ;  celles  qui  se  tenaient  rangées  au  bord 
extrême  du  firmament  y  accomplissaient  des  évolutions  analogues  à  celles  des 

. .  planètes.   Chaque   année,   à 


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époques  fixes,  on  les  voyait 
s'abaisser  derrière  l'horizon, 
Tune  à  la  suite  de  l'autre, 
disparaître,  remonter  après 
une  éclipse  plus  ou  moins 
longue,  et  regagner  insensi- 
blement leur  place  primitive. 
On  en  comptait  trente-six, 
les  trente-six  décans  aux- 
quels on  attribuait  des  pou- 
voirs mystérieux  et  dont  So- 
this  était  la  reine,  Sothis  transformée  en  étoile  d'Isis 
lorsque  Orion-Sâhou  était  devenu  l'astre  d'Osiris1, 
Les  nuits  sont  si  claires  et  l'atmosphère  est  si  limpide 
au  pays  d'Egypte,  que  le  regard  s'y  enfonce  à  des 
profondeurs  surprenantes  et  y  perçoit  nettement  des 
points  de  lumière  qui  lui  échappent  dans  nos  cli- 
mats brumeux.  Les  Égyptiens  n'ont  donc  pas  eu 
besoin  d'instruments  particuliers  pour  constater 
l'existence  d'un  assez  grand  nombre  d'astres  qui 
nous  seraient  invisibles  sans  le  secours  de  nos  télescopes  ;  ils  ont  pu  voir  à 
l'œil  nu  les  étoiles  de  la  quatrième  grandeur  et  les  noter  sur  leurs  catalo- 
gues3. Il  leur  fallait,  à  vrai  dire,  une  longue  préparation  et  une  pratique 
ininterrompue  pour  affiner  leur  vue  à  toute  l'acuité  dont  elle  était  capable; 
les  collèges  sacerdotaux  se  chargèrent  fort  tôt  d'élever  et  d'entretenir  des 
écoles  d'astronomes.  11  semble  que   les  sanctuaires  du  Soleil  aient  possédé 

1.  Sur  Orion  et  Sothis,  voir  p.  96-98  de  cette  Histoire.  Les  Décans,  signalés  par  Champollion,  ont 
été  déterminés  par  Lkpsii  s  (Einleitung  zur  Chronologie  der  Alten  ,-Egypler,  p.  68-69)  avec  des  erreurs 
que  Goodwin  (Sur  un  horoscope  grec  contenant  les  noms  de  plusieurs  Décans,  dans  Chabas,  Mélanges 
Egyptologiquts,  2*  série,  p.  29-4-306)  et  Brugsch  (Tltesaurus  Inscriptionum  JEgyptiacarum,  p.  131 
sqq.  ;  cf.  Die  JEgyplologie ',  p.  339  sqq.)  ont  redressées  au  moyen  de  documents  nouveaux. 

2.  Dessin  de  Faucher-Gudin,  d'ajn'ès  la  copie  de  LKPsnrs,  Dcnkm.,  III,  4i7,  3. 

3.  Biot  (Sur  un  calendrier  astronomique  et  astrologique  trouvé  à  Thèbes  en  Egypte,  p.  15)  affirme 
du  moins  que  les  étoiles  de  3M*  grandeur  «  sont  les  plus  petites  que  l'on  puisse  observer  à  la  vue 
simple  ».  Il  me  semble  avoir  constaté  que  plusieurs  des  fellahs  et  des  Bédouins  attachés  au  service 
des  Antiquités  percevaient  des  étoiles  qu'on  classe  ordinairement  parmi  celles  de  la  5e  grandeur. 


vue  des  tables  astronomiqit.s 
du  tombeau  dr  ramsès  iv  *. 


206  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

les  premiers  observatoires  qu'on  établit  sur  les  rives  du  Nil;  les  grands  pon- 
tifes de  Râ,  seuls  dignes,  à  en  croire  leur  titre,  de  contempler  l'astre  face 
à  face,  s'occupèrent  activement,  dès  les  temps  les  plus  anciens,  à  étudier  la 
figure  du  ciel  et  à  en  dresser  la  carte1.  Les  prêtres  des  autres  dieux  suivirent 
promptement  leur  exemple  :  à  l'époque  historique,  il  n'y  avait  pas,  d'un  bout 
à  l'autre  de  la  vallée,  temple  qui  ne  possédât  son  personnel  d'astronomes  ou, 
comme  on  disait,  ses  veilleurs  de  nuit*.  Ils  montaient  le  soir  sur  les  terrasses 
hautes  qui  recouvrent  le  naos  ou  sur  la  plate-forme  étroite  qui  termine  les 
pylônes,  et,  sondant  sans  cesse  du  regard  l'abîme  suspendu  au-dessus  d'eux, 
ils  y  suivaient  la  marche  des  constellations  et  enregistraient  avec  soin  les 
moindres  phénomènes  qui  s'y  produisaient.  Une  partie  de  la  carte  du  ciel 
est  parvenue  jusqu'à  nous,  telle  que  l'Egypte  thébaine  la  connaissait  entre  le 
xviuc  et  le  xne  siècle  avant  notre  ère  :  les  décorateurs  en  ont  gravé  des  extraits 
au  plafond  des  temples  et  surtout  dans  les  tombes  royales3.  Les  Pharaons 
morts  s'identifiaient  à  Osiris  d'une  façon  plus  intime  que  leurs  sujets.  Ils  pre- 
naient le  rôle  du  dieu  jusque  dans  ses  moindres  détails,  sur  terre,  où,  après 
avoir  représenté  l'Onnophris  bienfaisant  des  âges  primitifs,  ils  subissaient 
l'embaumement  le  plus  minutieux  et  le  plus  complet  de  l'Osiris  infernal; 
dans  l'Hadès,  où  ils  s'embarquaient  aux  côtés  de  l'Osiris-Soleil  pour  tra- 
verser la  nuit  et  pour  renaître  vers  le  matin;  au  ciel,  où  ils  brillaient  avec 
Orion-Sâhou  sous  la  garde  de  Sothis,  et  menaient,  d'année  en  année,  la  pro- 
cession des  étoiles.   Les  cartes  du  firmament  leur  rappelaient  cette  partie 

1.  Je  rappelle  que  les  grands  pontifes  de  Râ  s'appelaient  Oirou-maouou,  «  le  Grand  des  vues  »,  le 
chef  de  ceux  qui  voient  le  Soleil,  le  seul  qui  l'aperçoive  face  à  face.  Un  d'eux  s'intitule  sur  sa 
statue  (Maspero,  Rapport  sur  une  mission  en  Italie,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  III,  p.  126,  §  xi  ;  cf. 
Brugsch,  Die  JEgyptologie,  p.  320)  :  «  le  lecteur  qui  commit  la  figure  du  ciel,  le  Grand  des  vues  dans 
le  Château  du  Prince  (cf.  p.  136,  160  de  cette  Histoire)  d'Hermonthis  ».  Hermonlhis,  l'Aounou  du 
Sud,  était  la  contrepartie  exacte  d'Héliopolis,  l'Aounou  du  Nord  :  elle  possédait  donc  son  Château 
du  Prince  où  Montou,  le  Soleil  méridional,  avait  résidé  jadis  pendant  son  séjour  sur  notre  terre. 

2.  Ourshou  !  le  mot  s'applique  aussi  bien  aux  soldats  qui  veillent  le  jour  sur  les  murs  d'une  for- 
teresse (Maspero,  le  Papyrus  de  Berlin  n°  1,  1.  18-19,  dans  les  Mélanges  d'Archéologie  Égyptienne  et 
Assyrienne,  t.  III,  p.  72).  M.  Birch  avait  cru  retrouver  au  British  Muséum  (Inscriptions  in  the  Hieratic 
and  Démolie  Characters,  pi.  XIX,  n°  5635  et  p.  8)  un  catalogue  d'observations  faites  à  Thèbes  par 
divers  astronomes  sur  une  constellation  qui  équivaudrait  aux  Hyades  ou  aux  Pléiades  (Birch,  Varia, 
dans  la  Zeitschrift,  1868,  p.  11-12)  :  il  s'agit  simplement  dans  ce  texte  des  quantités  d'eau  servies 
régulièrement  aux  astronomes  d'un  temple  thébain  pour  leurs  usages  domestiques. 

3.  Les  principales  représentations  de  la  carte  du  ciel  connues  jusqu'à  présent  sont  celles  du 
Ramesséum  sur  la  rive  gauche  du  Nil  à  Thèbes,  qui  ont  été  étudiées  par  Biot  (Sur  tannée  vague  des 
Égyptiens,  1831.  118  sqq.),  par  G.  Toralinson  (On  the  Astronomical  Ceiling  of  the  Memnonium  at 
Thèbes,  dans  les  Transactions  of  the  /?.  Soc.  of  Lilerature,  t.  III,  pi.  II,  p.  484-499),  par  Lepsius 
(Einleitung  sur  Chronologie,  p.  20-2!)  et  en  dernier  lieu  par  Brugsch  (Thésaurus  Inscript  ionum 
Aïgypliacarum,  p.  87  sqq.);  celles  de  Dendérah,  qui  ont  été  reproduites  dans  la  Description  de 
l'Egypte  (Ant.,  t.  IV,  pi.  20-21)  et  éclaircies  par  Brugsch  (Thésaurus  Inscriplionum  Aïgyptiacarum . 
p.  1  sqq.):  celles  de  la  tombe  de  Séti  l*r,  qui  ont  été  éditées  par  Belzoni  (A  Narrative  of  the  Opéra- 
tions, Suppl.,  III),  par  Rosellini  (Monumenti  del  Culto,  pi.  69),  par  Lepsius  (Denkmâler,  III,  137), 
par  Lefébure  (le  Tombeau  de  Séti  I",  IV»  partie,  pi.  XXXVI.  dans  les  Mémoires  de  la  Mission  Fran- 
çaise du  Caire,  t.  II),  puis  étudiées  en  dernier  lieu  par  Brugsch  dans  son  Thésaurus,  p.  64  sqq. 


L'ANNÉE  ET  SES  DIVISIONS.  207 

de  leurs  devoirs  et  la  leur  enseignaient  au  besoin  :  ils  y  voyaient  les  planètes 
et  les  décans  défiler  sur  leurs  bateaux,  les"  constellations  se  succéder  en 
longues  théories.  Des  listes  annexées  leur  disaient  la  position  que  les  princi- 
paux astérismes  occupent  au  ciel  pour  chaque  mois,  les  levers,  les  culmina- 
tions,  les  couchers1.  Par  malheur,  les  ouvriers  chargés  d'exécuter  ces  tableaux 
ou  ne  comprenaient  pas  grand'chose  à  ce  qu'ils  faisaient,  ou  ne  se  sont  pas 
appliqués  à  reproduire  exactement  les  originaux  :  ils  ont  omis  plusieurs  pas- 
sages, transposé  certains  autres,  et  semé  partout  des  erreurs  qui  nous  empê- 
chent de  reporter  sûrement  les  données  anciennes  sur  les  cartes  modernes 
du  firmament. 

En  dirigeant  les  yeux  des  hommes  vers  le  champ  des  étoiles,  Thot  leur  avait 
révélé  du  même  coup  l'art  de  mesurer  le  temps  et  la  prescience  de  l'avenir. 
Comme  il  était  le  dieu-Lune  par  excellence,  il  veillait  avec  un  soin  jaloux  sur 
l'Œil  divin  qu'Horus  lui  avait  confié,  et  les  trente  jours  qu'il  employait  à  le 
conduire1  par  toutes  les  phases  de  sa  vie  nocturne  comptaient  pour  un  mois. 
Douze  de  ces  mois  formaient  l'année,  une  année  de  trois  cent  soixante  jours 
pendant  laquelle  la  terre  voyait  s'ouvrir  et  se  fermer  progressivement  le 
cercle  des  saisons.  Le  Nil  montait,  se  répandait  sur  les  champs,  rentrait  dans 
son  lit;  les  travaux  de  la  culture  succédaient  aux  péripéties  de  l'inondation, 
les  temps  de  la  récolte  à  ceux  des  semailles  :  c'étaient  dans  l'année  trois 
moments  distincts,  de  durée  presque  égale.  Thot  en  fit  les  trois  saisons,  celle 
des  eaux  Shaît,  celle  de  la  végétation  Pirouît,  celle  de  la  moisson  Shômou, 
dont  chacune  comprenait  quatre  mois  numérotés  de  un  à  quatre,  1er,  2e,  3% 
4e  mois  de  Shaît,  1er,  2e,  3%  4e  mois  de  Pirouît,  1er,  2e,  3e,  4e  mois  de  Shômou. 
Les  douze  mois  épuisés,  une  année  nouvelle  commençait,  dont  le  lever  de 
Sothis  marquait  la  naissance,  vers  les  premiers  jours  d'Août8.  Le  mois 
initial  de  l'année  égyptienne  coïncidait  donc  avec  le  huitième  de  la  nôtre. 

1.  Ces  tables,  conservées  aux  tombeaux  de  Ramsès  IV  et  de  Ha  m  ses  IX,  ont  été  signalées  d'abord 
par  Champollion  (Lettres  écrites  d'Egypte,  t'  édit.,  p.  239-241)  et  publiées  par  lui  {Monuments  de 
l'Egypte  et  de  la  Nubie,  pi.  CCLXXI1  6Ù-CCLXXU,  Texte,  t.  II,  p.  547-568),  puis  par  Lepsius  (Denkm., 
III,  227-228  bis).  Elles  ont  été  étudiées  par  E.  de  Rouge  et  Biot  (Recherches  de  quelques  dates  abso- 
lues qui  peuvent  se  conclure  des  dates  vagues  inscrites  sur  des  monuments  Égyptiens,  p.  35-83,  et 
Sur  un  calendrier  astronomique  et  astrologique  trouvé  à  Thèbes  en  Egypte  dans  les  tombeaux  de 
Rhainsès  VI  et  de  Rhamsès  IX),  par  Lepsius  (Einleitung  zur  Chronologie,  p.  110  sqq.),  par  Gensler 
(Die  Thebanischen  Tafeln  stùndlichcr  Sternaufgànge),  par  Lepage-Renouf  (Calender  of  Astronomical 
Observations  in  Royal  Tombs  of  the  XX  Dynasty,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie 
Biblique,  t.  III,  p.  iOO-i2l),  par  Brugsch  (Thésaurus  Inscriptionum  JEgyptiacarum,  p.  185-194),  et 
en  dernier  lieu  parBilftngcr  (Die  Sterntafeln  in  den  Aùgyptischen  KÔnigsgrâbern  von  Ribân  cl-Molûk). 

2.  L'un  des  titres  le  plus  fréquents  de  Thot-Lunc  est  An-ouzait,  «  Celui  qui  apporte,  qui  amène 
l'Œil  fardé  du  Soleil   •  (E.  de  Bkrgxann,  Ilistorische  Inschriften,  pi.  LU). 

3.  L'ordre  et  la  nature  des  saisons,  mal  déterminés  par  Champollion  dans  son  Mémoire  sur  les  signes 
employés  par  les  anciens  Egyptiens  à  la  notation  du  temps,  ont  été  rétablis  exactement  par  Brugsch 
(Nouvelles  Recherches  sur  la  division  de  Vannée  chez  tes  anciens  Égyptiens,  p.  1-15,  61-62). 


208  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

Thot  l'avait  pris  sous  son  patronage  et  lui  avait  imposé  son  nom,  puis  il 
avait  remis  les  autres  aux  mains  d'autant  de  divinités  qui  les  surveillaient  : 
le  troisième  mois  de  Shait  appartenait  de  la  sorte  à   la  déesse  Hâthor  et 
s'appelait  comme  elle;  le  quatrième  mois  de  Pi  rouit  dépendait  de  Ranouît  ou 
Ramouît,  dame  des  moissons,  et  dérivait  d'elle  son  sobriquet  de  Pharmouti1. 
Les  actes  officiels  ne  cessèrent  jamais  de  désigner  les  mois  par  le  numéro 
d'ordre  qui  leur  avait  été  attribué  dans  chaque  saison,  mais  le  peuple  leur 
donnait  de  préférence  le  nom  de  leur  dieu  protecteur,  et  ces  noms  transcrits 
en  grec,  puis  en  arabe,  servent  encore  aux  habitants  chrétiens  de  l'Egypte 
à  côté  des  noms  musulmans.  Ce  n'était  pas  assez  d'ailleurs  d'un  patron  par 
mois  :  chaque  mois  se  subdivisa  en  trois  décades  auxquelles  autant  de  décans 
présidèrent,  et  les  jours  eux-mêmes  furent  assignés  à  des  génies  chargés  de 
les  défendre.  Nombre  de   fêtes  étaient    répandues  à  intervalles  inégaux  du 
commencement  à  la  fin  de  l'année   :    fêtes    au  premier  de    l'an,    fêtes    au 
début  des  saisons,  des  mois,  des  décades;  fêtes  des  morts,  fêtes  des  grands 
dieux,  fêtes  des  dieux  locaux.  Tous  les  actes  de  la  vie  civile  s'unissaient  si 
étroitement  à  ceux  de  la  vie  religieuse  qu'ils  ne  pouvaient  s'accomplir  sans 
sacrifices,  ni  fêtes  :  une  fête  célébrait  la  rupture  des  digues,  une  fête  l'ou- 
verture des  canaux,   une  fête  le  moment  de  couper  les  javelles  ou  de  ren- 
trer le  grain  ;  une   récolte  faite  ou  rentrée  avant  qu'une  fête  eût  appelé  sur 
elle    la   bénédiction    des  dieux  eût   été  funeste   et   sacrilège.    La   première 
année  de  trois  cent  soixante  jours,   réglée  sur  les  révolutions  de  la  lune, 
n'avait  pas  suffi  longtemps  aux  besoins  du  peuple  égyptien  :  il  s'en  fallait 
de  cinq  jours  un  quart  qu'elle  correspondit  à  la  durée  de  l'année  solaire,  et  le 
retard  qu'elle  subissait,  accru  régulièrement  de  douze  en  douze  mois,  jetait 
un  trouble  si  profond  dans  les  relations  des  saisons  calendriques  avec  les 
naturelles,  qu'on    dut  y   obvier  promptement.  On  intercala  chaque   année, 
après  le  douzième  mois  et  avant  le  premier  jour  de  l'année  suivante,  cinq 
jours  épagomènes,  qu'on  appela  les  cinq  jours  en  sw.s  de  Vannée1.  La  légende 
d'Osiris  affirmait  que  Thot  les  avait  créés  pour  permettre  à  Nouit  d'accoucher 

1.  Pour  les  noms  populaires  des  mois  et  pour  leurs  transcriptions  coptes  et  arabes,  voir  Britgsch, 
Theaaurut  Inscriptionum  ASgyptiacarum,  p.  472  sqq.,  et  Die  .Egyptologic,  p.  359-361  ;  les  fêtes 
égyptiennes  sont  énumérées  et  décrites  dans  ce  dernier  ouvrage  p.  362  sqq. 

2.  La  tendance  parait  être  maintenant  chez  la  plupart  des  Êgyptologues  de  révoquer  en  doute  l'exis- 
tence des  cinq  épagomènes  sous  l'Ancien  Empire,  et  de  fait  on  ne  les  y  trouve  mentionnés  expressément 
nulle  part  :  mais  on  sait  que  les  cinq  dieux  du  cycle  osirien  étaient  nés  pendant  les  épagomènes  (cf. 
p.  172  de  cette  Histoire),  et  les  allusions  à  la  légende  osirienne  qu'on  rencontre  dans  les  Pyramides 
prouvent  que  ces  jours  étaient  employés  depuis  longtemps  au  moment  où  les  textes  furent  gravés. 
Comme  la  rédaction  en  remonte  le  plus  souvent  aux  temps  préhistoriques,  il  y  a  grand  chance  pour 
que  l'invention  des  épagomènes  soit  antérieure  aux  premières  dynasties  thinites  et  memphites. 


LES  IMPERFECTIONS  DE  L'ANNÉE.  209 

de  tous  ses  enfants.  Ils  formaient,  à  la  suite  de  la  grande  année,  un  petit 
mois1,  qui  rendait  moins  considérable  l'écart  entre  le  comput  salaire  et  le 
lunaire  :  il  ne  le  supprima  pas  entièrement,  et  les  six  heures  et  quelques 
minutes  dont  les  Égyptiens  n'avaient  pas  su  tenir  compte  devinrent  progressi- 
vement l'origine  de  désordres  nouveaux.  C'était  un  jour  complet  qui  venait 
s'ajouter  tous  les  quatre  ans  aux  trois  cent  soixante  jours  réglementaires, 
mais  qu'on  laissait  perdre  maladroitement.  Le  trouble  qu'il  jetait  dans  la  vie 
du  peuple,  d'abord  insignifiant,  s'accrut  à  la  longue  et  finit  par  rompre 
l'accord  entre  l'ordre  du  calendrier  et  celui  des  phénomènes  naturels  :  au 
bout  de  cent  vingt  ans,  l'année  légale  avait  empiété  d'un  mois  plein  sur 
l'année  réelle,  et  le  1er  Thot  précédait  de  trente  jours  le  lever  héliaque  de 
Sothis,  au  lieu  de  coïncider  avec  lui,  comme  il  aurait  dû.  Les  astronomes  de 
l'époque  gréco-romaine,  spéculant  après  coup  sur  l'histoire  entière  de  leur 
patrie,  découvrirent  un  procédé  fort  ingénieux  en  théorie  d'obvier  à  ce 
désordre  lamentable1.  Si  l'omission  des  six  heures  annuelles  entraînait  la 
perte  d'un  jour  tous  les  quatre  ans,  le  moment  devait  arriver,  après  trois 
cent  soixante  cinq  fois  quatre  années,  où  le  déficit  atteindrait  une  année 
totale,  et  où,  par  conséquent,  quatorze  cent  soixante  années  complètes 
équivaudraient  exactement  à  quatorze  cent  soixante  et  une  des  années  impar- 
faites. La  concordance,  détruite  par  la  force  des  choses,  se  rétablissait  donc 
d'elle-même  après  un  peu  plus  de  quatorze  siècles  et  demi  :  le  début  de 
l'année  civile  se  confondait  avec  le  début  de  l'année  astronomique,  celui-ci 
avec  le  lever  héliaque  de  Sirius  et  par  suite  avec  la  date  officielle  de  l'inon- 
dation. Les  Égyptiens  des  temps  pharaoniques  ne  connurent  jamais  ce  moyen 
si  simple  et  surtout  si  pratique,  grâce  auquel  des  générations  à  la  centaine 
se  seraient  consolées  des  ennuis  sans  fin  que  le  déplacement  régulier  d'une 
année  vague  dans  l'année  fixe  leur  aurait  causés,  par  la  douceur  de  savoir 
qu'un  jour  luirait  où  quelqu'un  de  leurs  descendants  verrait,  une  fois  dans 
sa  vie,  les  deux  années  se  superposer  mathématiquement  et  les  saisons  repren- 
dre leur  place  normale.  Leur  année  était  comme  ces  montres  qui  retardent 
chaque  jour  d'une  quantité  de  minutes  déterminée.  Le  possesseur  ne  s'amuse 
pas  à  calculer  un  cycle  qui  lui  permette  d'attendre  l'instant  où,  de  retard  en 
retard,  l'heure  juste  sera  revenue  :  il  tolère  l'irrégularité  tant  que  ses  affaires 

1.  C'est  le  nom  que  les  Coptes  donnaient  encore  aux   cinq  jours  épagomènes   (Ster*,  Koptisctte 
Grammatik,  p.  137  ;  Brugsch,  Thésaurus  Inscriptionum  /Egyptiacarum,  p.  479  sqq.). 

2.  Km  II  a  montré  que   la   période  sothiaque  a  été  imaginée  et  adaptée  à  l'histoire  ancienne  do 
l'Egypte  sous  les  Antonins  (Krall,  Studien  zur   Genchirhte  des   Allen  /Egyptnis,  I,  p.  76  sqq.). 

HIST.    ANC.    DE    I.'oiRKYT.    —   T.    I.  47 


210  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

n'en  souffrent  pas,  mais  dès  qu'elles  en  ressentent  l'incommodité,  il  ramène 
du  doigt  l'aiguille  au  point  du  cadran  qui  répond  à  l'heure  exacte,  et  recom- 
mence l'opération  chaque  fois  qu'il  la  juge  nécessaire,  sans  règle  précise.  * 
L'année  égyptienne  s'en  allait  de  même  en  débandade  à  travers  les  saisons, 
retardant  de  plus  en  plus,  jusqu'au  jour  où,  le  désaccord  devenant  trop  con- 
sidérable, le  roi  ou  les  prêtres  donnaient  à  la  machine  un  coup  de  pouce  pour 
la  remettre  au  point1. 

Les  jours  avaient  d'ailleurs  chacun  leur  vertu  propre,  que  l'homme  devait 
connaître  s'il  voulait  profiter  des  avantages  ou  échapper  aux  périls  qu'ils  lui 
préparaient.  On  n'en  comptait  aucun  parmi  eux  qui  ne  rappelât  quelque  inci- 
dent des  guerres  divines  et  n'eût  éclairé  une  bataille  entre  les  partisans  de 
Sit  et  ceux  d'Osiris  ou  de  Râ  :  le  triomphe  ou  le  désastre  qu'ils  avaient  enre- 
gistré les  avait  comme  imprégnés  de  bonheur  ou  de  malheur,  et  ils  en  étaient 
demeurés  à  tout  jamais  bienfaisants  ou  funestes.  C'était  le  47  Athyr  que 
Typhon  avait  attiré  son  frère  auprès  de  lui  et  l'avait  assassiné  au  milieu 
d'un  banquet1.  Chaque  année,  à  pareil  jour,  la  tragédie  qui  s'était  accomplie 
autrefois  dans  le  palais  terrestre  du  dieu  semblait  se  jouer  de  nouveau  dans 
les  profondeurs  du  ciel.  Comme  au  même  instant  de  la  mort  d'Osiris,  la 
puissance  du  bien  s'amoindrissait,  la  souveraineté  du  mal  prévalait  partout, 
la  nature  entière,  abandonnée  aux  divinités  des  ténèbres,  se  retournait  contre 
l'homme.  Ce  qu'il  entreprenait  ce  jour-là  échouait  fatalement*.  S'il  sortait 
se  promener  au  bord  du  fleuve,  un  crocodile  l'assaillait  comme  le  crocodile 
dépêché  par  Sît  avait  assailli  Osiris*.  S'il  partait  pour  un  voyage,  c'était  un 
adieu  éternel  qu'il  disait  à  sa  famille  et  à  ses  amis  :  la  mort  le  fauchait  en 
route8.  Il  devait  s'enfermer  chez  soi  pour  échapper  à  la  fatalité8,  attendre 

1.  Les  questions  relatives  à  Tannée  égyptienne,  à  ses  divisions,  à  ses  imperfections,  ont  suscité 
quantité  de  travaux  très  considérables,  où  beaucoup  de  science  et  d'ingéniosité  a  été  dépensé  sou- 
vent en  pure  perte  :  j'ai  préféré  ne  dire  sur  ce  sujet  que  ce  qui  me  paraissait  être  le  plus  vraisem- 
blable et  le  plus  conforme  à  ce  que  nous  savons  du  reste  de  la  doctrine  égyptienne.  Le  Papyrus 
Anaituti  IV  (pi.  X,  I.  1-5)  nous  a  conservé  la  plainte  d'un  Égyptien  du  temps  de  Minéphtah  ou  de 
Séti  II,  sur  le  trouble  que  l'imperfection  de  l'année  jetait  dans  la  vie  du  peuple  (Maspkro.  Note*  au 
jour  le  jour,  %  4,  dans  les  Proceedtngs  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XIII,  p.  303-410). 

2.  La  date  du  17  Athyr,  donnée  par  les  Grecs  (De  hitle  et  Osiride,  §  13,  édit.  Parthey,  p.  21-23),  est 
confirmée  par  plusieurs  textes  pharaoniques,  tels  que  le  Papyrus  Sallier  IV,  pi.  VIII,  I.  4-6. 

3.  Le  12  Paophi,  jour  où  l'un  des  serviteurs  d'Osiris  s'était  rallié  à  Sît,  «  quoi  que  tu  fasses  en  ce 
jour-là,  il  en  sortira  malheur  en  ce  jour-là  »  {Pap.  Sallier  IV,  pi.  V,  1.  1). 

4.  Le  22  Paophi,  •  ne  te  baigne  en  aucune  eau  ce  jour-là  :  quiconque  navigue  sur  le  fleuve  en  ce 
jour  sera  mis  en  pièces  par  la  langue  du  crocodile  divin  «  (Pap.  Sallier  IV,  pi.  VI,  1.  5-6). 

5.  Le  20  Méchlr,  «  ne  songe  pas  à  partir  en  bateau  •  (Pap.  Sallier  IV,  pi.  XVII,  1.  8).  Le  24,  •  ne 
pars  pas  en  ce  jour  pour  descendre  le  fleuve;  quiconque  s'approche  du  fleuve  en  ce  jour  perd  la  vie  » 
(id.,  pi.  XVIII,  1.  1-2). 

6.  Le  4  de  Paophi,  «  ne  sors  de  ta  maison  d'aucun  côté  en  ce  jour  »  (Pap.  Sallier  IV,  pi.  IV,  I.  3). 
non  plus  que  le  5  (id.,  pi.  IV,  I.  3-4);  le  5  de  Pakhons,  •  quiconque  sort  de  sa  maison  en  ce  jour-là, 
les  fièvres  le  gagnent  et  le  tuent  »  (id.,  pi.  XXIII,  I.  8-9). 


L'INFLUENCE  DES  JOURS  SUR  LA  DESTINÉE  HUMAINE.  244 

dans  l'inaction  que  les  heures  du  danger  se  fussent  usées  une  à  une,  et  que 
le  soleil  du  jour  suivant  eût  mis  le  malin  en  déroute1.  Il  avait  intérêt  à  con- 
naître ces  influences  mauvaises,  et  qui  les  aurait  connues  toutes,  si  Thot 
ne  les  avait  signalées  et  recueillies  dans  ses  calendriers?  L'un  d'eux,  dont 
de    longs  fragments  nous    sont  parvenus,   désignait  de  façon  très  brève  la 

* 

qualité  de  chaque  jour,  les  dieux  qui  y  prédominaient,  le  péril  qu'ils 
apportaient  ou  la  fortune  qu'on  pouvait  espérer  d'eux*.  Le  détail  n'en  est 
pas  toujours  intelligible  pour  nous,  qui  ignorons  encore  tant  de  points  dans  la 
vie  d'Osiris  :  les  Égyptiens  savaient  dès  l'enfance  ce  dont  il  s'agissait  et  se 
guidaient  sur  ces  indications  sans  trop  se  tromper.  Les  heures  de  la  nuit 
étaient  toutes  néfastes3;  celles  du  jour  se  divisaient  en  trois  saisons  de  quatre 
heures,  dont  les  unes  se  montraient  clémentes,  tandis  que  les  autres  restaient 
obstinément  funestes4.  «  Le  4  Tybi  :  Bon,  bon,  bon.  Quoi  que  tu  voies  en  ce 
jour,  ce  sera  heureux.  Quiconque  naît  en  ce  jour  mourra  le  plus  vieux 
des  siens;  il  arrivera  à  un  âge  plus  avancé  que  son  père.  —  Le  5  Tybi  : 
hostile,  hostile,  hostile.  C'est  le  jour  où  la  déesse  Sokhit,  maîtresse  du  double 
Palais  blanc,  brûla  les  chefs,  lorsqu'ils  suscitèrent  des  troubles,  se  produisi- 
rent et  vinrent8.  Offrandes  de  pain  à  Shou,  Phtah,  Thot;  brûler  de  l'encens 
pour  Râ  et  les  dieux  de  sa  suite,  pour  Phtah,  Thot,  Hou-Saou,  en  ce  jour. 
Quoi  que  tu  voies  en  ce  jour,  ce  sera  heureux.  —  Le  6  Tybi  :  bon,  bon,  bon. 
Quoi  que  tu  voies  en  ce  jour,  ce  sera  heureux.  —  Le  7  Tybi  :  hostile,  hostile, 
hostile.  Ne  t'unis  pas  à  une  femme  en  présence  de  l'Œil  d'Horus.  Le  feu  qui 
est  dans  ta  maison,  garde-toi  de  l'y  laisser  tomber.  —  Le  8  Tybi  :  bon,  bon, 

1.  Le  20  Thot,  il  fallait  n'exécuter  aucun  travail,  ne  pas  tuer  un  bœuf,  ne  pas  recevoir  un  étran- 
ger (Papyrus  Sallier  IV,  pi.  1,  1.  2-3).  Le  22,  on  ne  devait  pas  manger  de  poissons,  ni  allumer  une 
lampe  à  huile  (id.,  pi.  1,  1.  8-9).  Le  23,  «  ne  mets  pas  d'encens  sur  le  feu,  ne  tue  ni  gros  bétail,  ni 
chèvres,  ni  canards;  ne  mange  ni  oie  ni  rien  de  ce  qui  a  vécu  »  (id.,  pi.  I,  I.  9,  pi.  II,  l.  1).  Le  26, 
«  ne  fais  absolument  rien,  ce  jour-là  »  (id.,  pi.  Il,  1.  6-7),  et  la  même  recommandation  se  retrouve 
le  7  Paophi  (id.,  pi.  IV,  1.  6),  le  18  (id.,  pi.  V,  1.  8),  le  26  (id.,  pi.  VI,  1.  9),  le  27  (id.,  pi.  VI,  1.  10), 
plus  de  trente  fois  dans  ce  qui  reste  du  Calendrier  Sallier.  Le  30  Mcchlr,  défense  de  parler  haut  à 
personne  (îrf.,  pi.  XVIII,  I.  7-8). 

2.  C'est  le  Papyrus  Sallier  IV  du  British  Muséum,  publié  dans  les  Select  Papyri,  t.  I,  pi.  CXLIV- 
CLXVIII.  La  valeur  en  avait  été  reconnue  par  Champollion  (Salvolini,  Campagne  de  Ramsès  le  Grand, 
p.  121,  note  1),  et  l'analyse  faite  par  E.  de  Rougé  (Mémoire  sur  quelques  phénomènes  célestes,  p.  35- 
39;  cf.  Revue  Archéologique,  lr*  série,  t.  IX);  il  a  été  traduit  entièrement  par  Chabas  (le  Calendrier 
des  jours  fastes  et  néfastes  de  Cannée  égyptienne). 

3.  Quelques  nuits  étaient  plus  néfastes  que  d'autres,  et  fournissaient  prétexte  à  des  recommanda- 
tions particulières.  Le  9  Thot,  «  ne  sors  pas  la  nuit  »  (Pap.  Sallier  IV,  pi.  III,  1.  8),  de  même  le 
15  Khoiak  (id.,  pi.  XI,  l.  5),  le  27  (id.,  pi.  XII,  1.  6);  le  5  Phaménôth,  la  quatrième  heure  de  la  nuit 
était  seule  dangereuse  (id.,  pi.  XIX,  1.  2). 

4.  Pour  cette  division  du  jour  en  trois  saisons  —  tori,  cf.  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  I, 
p.  30,  note  2.  Le  lever  et  le  coucher  du  Soleil  avaient  surtout  leurs  influences  mauvaises  dont  il 
fallait  se  défier  (Papyrus  Sallier  IV,  pi.  II,  I.  4;  pi.  V,  1.  5;  pi.  VI,  1.  6;  pi.  XV,  I.  2,  6;  pi.  XVII, 
1.  2-3;  pi.  XV1U,  I.  6-7;  pl.  XIX,  1.   4;  pi.  XXIII,  1.  2-3). 

5.  C'est  une  allusion  à  la  révolte  des  hommes  contre  Rà,  et  à  la  vengeance  que  le  dieu  Pharaon 
eu  tira  par  le  moyen  de  la  déesse  Sokhtt;  cf.  ce  qui  est  dit  à  la  page  165  de  cette  Histoire. 


212  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

bon.  Quoi  que  tu  voies  de  ton  œil  en  ce  jour,  l'Ennéade  des  Dieux  te  l'ac- 
cordera :  le  malade  se  rétablira.  —  Le  9  Tybi  :  bon,  bon,  bon.  Les  dieux 
crient  de  joie  dans  le  midi,  ce  jour-là.  Servir  des  offrandes  de  gâteaux  de  fête 
et  de  pains  frais,  qui  réjouissent  le  cœur  des  dieux  et  des  mânes.  —  Le  10 
Tybi  :  hostile,  hostile,  hostile.  Ne  mets  pas  le  feu  aux  herbes  en  ce  jour  : 
c'est  le  jour   où  le  dieu  Sap-hôou  mit   le  feu  au  pays  de  Bouto1.   —  Le 

11  Tybi  :  hostile,  hostile,  hostile.  N'approche  d'aucune  flamme  en  ce  jour, 
car  Rà  s'est  placé  dans  la  flamme  pour  frapper  tous  les  ennemis,  et  quiconque 
s'approchera  d'eux  en  ce  jour  ne  se  portera  bien  de  toute  sa  vie.  —  Le 

1 2  Tybi  :  hostile,  hostile,  hostile.  Tâche  de  ne  pas  voir  de  rat  en  ce  jour,  ni  de 
t'approcher  d'aucun  rat  dans  ta  maison  :  c'est  le  jour  où  Sokhit  rend  des 
décrets  en  ce  jour1.  »  Ici  du  moins  un  peu  de  vigilance  ou  de  mémoire  suffisait 
à  mettre  l'homme  en  garde  contre  les  pronostics  funestes  :  toute  l'attention 
du  monde  ne  lui  servait  point  dans  bien  des  cas,  et  la  fatalité  du  jour  l'attei- 
gnait sans  qu'il  fût  libre  de  rien  faire  pour  la  conjurer.  Nul  ne  peut  à  volonté 
reporter  son  heure  de  naître  sur  un  moment  favorable  :  il  doit  l'accepter 
comme  elle  se  présente,  et  pourtant  elle  exerce  une  influence  décisive  sur  le 
genre  de  sa  mort.  Selon  qu'il  entre  dans  ce  monde  le  4,  le  5  ou  le  6  Paophi, 
il  meurt  par  les  fièvres  paludéennes,  par  l'amour  ou  par  l'ivresse3.  L'enfant 
du  23  périt  sous  la  dent  d'un  crocodile4;  celui  du  27,  un  serpent  le  mord  et  le 
tue5.  En  revanche,  les  heureux  dont  l'anniversaire  tombait  le  9  ou  le  29  vivaient 
jusqu'à  l'extrême  vieillesse  et  s'éteignaient  doucement,  respectés  de  tous6. 

Thot,  qui  avait  indiqué  le  mal  aux  hommes,  leur  avait  en  même  temps  signalé 
le  remède.  Les  arts  magiques  dont  il  était  le  dépositaire  faisaient  de  lui  le 
maître  réel  des  autres  dieux7.  Il  connaissait  leurs  noms  mystiques,  leurs  fai- 
blesses secrètes,  le  genre  de  péril  qu'ils  redoutaient  le  plus,  les  cérémonies 
qui  les  asservissaient  à  sa  volonté,  les  prières  auxquelles  ils  ne  pouvaient 
point  désobéir  sous  peine  de  malheur  ou  de  mort.  Sa  science,  transmise  à  ses 
serviteurs,  leur  assurait  la  même  autorité  qu'il  exerçait  sur  eux  au  ciel,  sur  la 
terre   ou   dans  les  enfers.   Les  magiciens  instruits  à  son  école  disposaient 

1.  L'épisode  des  guerres  divines  auquel  ce  passage  se  rapporte  nous  est  inconnu  jusqu'à  présent. 

2.  Papyrus  Sallier  IV,  pi.  XIII,  1.  3,  pi.  XIV,  1.  3;  cf,  Maspero,  Éludes  Egyptiennes,  t.  I.  p.  30-35, 
Chabas,  le  Calendrier  des  jours  fastes  et  néfastes,  p.  65-69.  Les  décrets  de  Sokhit  sont  ceux  que  la 
déesse  rend  pour  détruire  les  hommes,  comme  clic  l'avait  fait  à  la  fin  du  règne  de  Rà. 

3.  Papyrus  Sallier  IV,  pi.  IV,  1.  3,  p.  4-5,  6. 

4.  Id.,  pi.  VI,  1.  6:  c'était,  dans  le  conte,  un  des  sorts  annoncés  au  Prince  prédestiné. 

5.  Id.,  pi.  VII,  I.  1. 

6.  Id.,  pi.  IV,  I.  8;  pi.  VII,  1.  1-4. 

7.  Sur  le  pouvoir  magique  de  Thot,  sur  la  voix  juste  dont  il  dispose,  sur  ses  livres  d'incantation, 
voir  p.  145-146  de  cette  Histoire. 


LES  ARTS  MAUIQUES,  LES  CONJURATIONS,  L'ENVOCTEMENT.         213 

comme  lui  des  mots  et  des  sons  qui,  émis  au  moment  favorable  avec  la  voix 
juste,  allaient  évoquer  les  divinités  les  plus  formidables  jusque  par  delà  les 
confins  de  l'univers  :  ils  enchaînaient  Osiris,  Sît,  Anubis,  Thot  lui-même,  et 
les  déchaînaient  à  leur  gré,  ils  les  lançaient,  ils  les  rappelaient,  ils  les  contrai- 
gnaient à  travailler  et  à  combattre  pour  eux.  L'étendue  de  leur  puissance  les 
exposait  à  des  tentations  redoutables  :  ils  étaient  entraînés  souvent  à  se 
servir  d'elle  au  détriment  d'autrui,  pour  satisfaire  leurs  rancunes  ou  pour 
assouvir  leurs  appétits  les  plus  grossiers.  Beaucoup  d'ailleurs  trafiquaient 
de  leur  savoir  et  le  louaient  docilement  à  l'ignorant  qui  les  payait.  Lorsqu'on 


leur  demandait  de  tourmenter  ou  de  supprimer  un  ennemi,  ils  avaient  cent 
façons  de  l'investir  brusquement  et  sans  qu'il  s'en  doutât  :  ils  le  tourmen- 
taient de  songes  terrifiants  ou  trompeurs',  ils  le  harcelaient  d'apparitions  et 
de  voix  mystérieuses,  ils  le  livraient  en  proie  aux  maladies,  aux  spectres 
errants  qui  se  logeaient  en  lui  et  qui  le  rongeaient  lentement*.  Ils  brisaient  à 
distance  la  volonté  des  hommes;  ils  affolaient  les  femmes  de  désirs  et  les  for- 
çaient à  fuir  ce  qu'elles  avaient  aimé,  à  aimer  ce  qu'elles  détestaient  aupara- 
vant*. Un  peu  du  sang  d'une  personne,  quelques  rognures  de  ses  ongles  et  de 
ses  cheveux,  un  morceau  du  linge  qu'elle  avait  porté  et  qui  s'était  comme 
imbibé  d'elle  au  contact  de  sa  chair,  leur  suffisaient  pour  composer  des  char- 
mes irrésistibles.  Ils  en  mêlaient  des  parcelles  à  la  cire  d'une  poupée  qu'ils 
modelaient  et  qu'ils  habillaient  à  la  ressemblance  de  leur  victime,  et  dés  lors 
tous  les  traitements  qu'on  infligeait  à  l'image,  le  modèle  les  ressentait  aussitôt  : 
il  brûlait  de  fièvre  quand  on  exposait  son  effigie  au  feu  et  souffrait  comme 

I.  Destin  de  Fauiher-Gudin.  d'après  le  calque  de  GoÙkiwrkf r.  Die  Metteinich-Stetc,  pi.  111,  u«. 

i.  La  plupart  des  livres  magiques  renferment  des  formule»  destinées  ù  envoyer  de»  songe»  :  tels 
le  l'apyrut  3S39  du  Louvre  (Haikro,  Mémoire  sur  quelque!  Papyrus  du  touire.pl.  I-VIII,  et  p.  113-113), 
le  Papyrus  gitoitigue  de  Leyde  et  les  iiit'aiila liens  en  langue  grecque  qui  l'accompagnent  (Liuwts, 
Monument*  Egyptiens,  t.  I,  pi.  I-U,  el  Papyri  Grrci,  t.  Il,  p.  itî  st|q.). 

3.  Ainsi  dans  le  leste  hiéroglyphique  (Sbabpe,  Egyptien  Inscriptions ,  1™  sér.,  pi.  XII,  I.  15-tfi] 
cité  pour  la  première  fois  par  Chabag  {De  quelques  texte»  hiéroglyphiques  relatifs  aux  esprits  posses- 
seurs, dans  le  Bulletin  Archéologique  de  l'Athénrum  Français,  18iit>,  p.  4-1)  :  ■  Que  mort  ni  morte  n'en- 
trent en  lui,  que  l'ombre  de  nul  nianc  ne  le  hanle.  ■ 

.1.  Papyrus  gnottique  de  Leyde,  p.  XIV,  I.  I  sqq.  (dans  Lteats*.  Monument»  Égyptien»  du  Musée  de 
Leyde,  pi.  VII);  cf.  RimLOi'T,  les  Art»  Egyptien»  dans  la  lievue  Egyptalagique,  1. 1,  p.  188-17*. 


-214  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

d'une  blessure  quand  on  la  perçait  d'un  couteau;  les  Pharaons  eux-mêmes 
n'échappaient  pas  à  l'envoûtement1.  On  opposait  à  ces  manœuvres  d'autres 
manœuvres  du  même  genre,  et  la  magie,  invoquée  à  temps,  détruisait  souvent 
le  mal  que  la  magie  avait  commencé.  Elle  n'était  pas,  à  dire  vrai,  souveraine 
contre  le  destin  :  l'homme  né  le  27  Paophi  mourait  d'une  piqûre  de  serpent, 
quelque  enchantement  qu'il  pratiquât  pour  se  défendre.  Mais  si  le  jour  de  sa 
mort  était  fixé,  du  moins  l'année  qui  renfermait  ce  jour  ne  l'était  point,  et  le 
sorcier  avait  beau  jeu  procurer  qu'elle  n'arrivât  trop  tôt.  Une  formule  récitée  à 
propos,  un  bout  de  prière  tracée  sur  un  papyrus,  une  figurine  qu'on  gardait 
sur  soi,  le  moindre  amulette  béni  et  consacré,  jetait  en  déroute  les  serpents, 
instruments  de  la  destinée.  Ces  stèles  étranges  où  l'on  voit  un  Horus  à  moitié 
nu,  debout  sur  deux  crocodiles  et  brandissant  à  poignées  des  bêtes  fascina- 
tri  ces,  ou  réputées  telles,  ce  sont  autant  de  talismans  préservateurs  :  dressées 
à  l'entrée  d'une  chambre  ou  d'une  maison,  elles  en  écartaient  tous  les  animaux 
représentés  et  annulaient  le  mauvais  sort.  Sans  doute  la  fatalité  l'emportait  à 
longue  échéance,  et  le  jour  finissait  par  se  lever  où  le  serpent  prédestiné, 
déjouant  toute  précaution,  réussissait  à  exécuter  la  sentence.  Au  moins  l'homme 
avait-il  duré,  peut-être  jusqu'à  l'entrée    de  la  vieillesse,   peut-être  jusqu'à 
cet  âge  de  cent  dix  ans  que  les  plus  sages  parmi  les  Égyptiens  souhaitaient 
d'atteindre,  et  que  nul   mortel,  né  de  mère  mortelle,  ne  devait  dépasser5. 
Si  les  arts  magiques  suspendaient  ainsi  la  loi  du  destin,  combien  n'étaient-ils 
pas  plus   efficaces  lorsqu'ils  combattaient  les  influences  des  divinités  secon- 
daires, le  mauvais  œil  et  les  maléfices  des  hommes.  Thot,  qui  était  le  maître 
des  sortilèges,  était  aussi  celui  des  exorcismes,  et  les  crimes  que  les  uns  com- 
mettaient en  son  nom,  c'était  en  son  nom  que  d'autres  les  réparaient.  Ils  oppo- 
saient des  génies  plus  forts  aux  génies  malins,  des  amulettes  protecteurs  aux 
pernicieux,  des  pratiques  vivifiantes  aux  manipulations  mortelles,  et  ce  n'était 
pas  encore  la  partie  la  plus  malaisée  de  leur  tâche.  Personne  en  effet,  parmi 
ceux  que  leur  intervention  délivrait,  ne  se  tirait  indemne  des  épreuves  qui 
l'avaient  assailli.  Les  esprits  possesseurs,  en  abandonnant  leur  victime,  lais- 
saient ordinairement  derrière  eux  des  traces  de  leur  passage,  dans  le  cerveau, 
dans  le  cœur,   dans  le  poumon,  dans  les  entrailles,   dans  le  corps  entier. 
Toutes  les  maladies  qui  désolent  le  genre  humain  n'étaient  pas  le  fait  d'en- 

1.  L'envoûtement  fut  pratiqué  contre  Kamsès  III  (Chabas,  le  Papyrus  Magique  Harrù,  p.  170,1"-: 
Dkvkria,  le  Papyrus  judiciaire  de  Turin,  p.  125-126,  131),  et  les  pièces  du  procès  criminel  intenté  au\ 
magiciens  parlent  formellement  des  figures  de  cire  et  îles  philtres  employés  à  cette  occasion. 

2.  Sur  l'âge  de  cent  dix  ans  et  sur  sa  mention  dans  les  documents  pharaoniques  et  coptes,  voir  le 
curieux  mémoire  de  Goodwin  dans  Chabas,  Mélanges  Égyptoiogiques,  2°  série,  p.  231-237. 


TI10T  ET  LA  MEDECINE.  213 

chanteurs  acharnés  contre  leurs  ennemis,  mais  on  les  attribuait  toutes  à  la 
présence  d'un  être  invisible,  spectre  ou  démon,  qui  avait  été  introduit  chez  le 
patient  par  quelque  opération  surnaturelle 
ou  s'y  était  glissé  de  lui-même 
chancelé  ou  par  besoin,  sansqu 
le  lui  ordonnât'.  Il   fallait, 
après  avoir  chassé  l'intrus, 
rétablir  la   sauté    par  des 
moyens  nouveaux.  L'étude 
des  simples  et  des  autres 
substances  médicinales  les 
fournissait     sans     peine    : 
comme  Thot  s'était  révélé 
aux  hommes  le  premier  sor- 
cier, il  s'institua  pour  eux 
le  premier   médecin  et   le 
premier  chirurgien*. 

L'Egypte  est  de  nature 
un  pays  fort  sain,  et  les 
Égyptiens  se  vantaient  d'être 
s  les  mieux  portants  de  tous 
les  mortels  »  ;  ils  ne  s'en 
montraient  que  plus  atten- 
tifs à  soigner  leur  santé. 
«  Chaque  mois,  trois  jours 
de  suite,   ils  provoquaient 

des  évacuations  au  moyen  "'""  ,N'°'  ""'  '''"    """"""~ 

de  vomitifs  et  de  clystères*.  La  médecine,  chez  eux,  était  partagée;  les  méde- 
cins s'occupaient  chacun  d'une  seule  espèce  de  maladie  et  non  de  plusieurs.  Ils 
abondaient  en   tous  lieux,   les  uns  pour  les  yeux,  les  autres  pour  la  tète. 

I.  Sur  cette  conception  du  mal  et  de  la  mort,  voir  ce  qui  est  dit  aux  p.    111-111  de  cette  Uiitoirr. 
t.  Les  témoignages  des  auteurs  classiques  et  des  monuments  égyptiens  sur  Thot  médecin  et  chi- 
rurgien ont  été  recueillis  en  dernier  lieu  par  Putsch* ski,  Hermtt  Trumegittot,  p.  ÏO  sqq-,  43  sqq .,  57. 

3.  Dettin  de  Faucher-Gudin,  d'âpre*  une  ilèlc  d Alexandrie  au  mutée  de  Ghéh  (S»ueTTE,  Monu- 
ment* dU'tn,  pi.  15  et  Telle,  p.  3-4).  La  raison  pour  laquelle  tant  de  botes  variées  sont  réunies  sur 
celte  stèle  et  sur  les  stèles  de  même  nature  s  été  indiquée  par  Naspmio,  Elude*  de  Mythologie  el 
d' Archéologie  Egyptienne*,  t.  Il,  p.  417-418  :  elles  passaient  toutes  pour  posséder  le  mauvais  (ril 
et  pour  fasciner  leur  victime  avant  de  la  frapper. 

4.  MianooTï,  II,  liivii  ;  le  témoignage  d'Hérodote  sur  les  potions  el  les  cljsièrcs  est  confirmé  par 
celui  des  Papyrus  médicaux  de  l'Egypte  (Chabas.  Mélangea  Egyplnlogique*.  1"  série,  p.  OS  sqq.). 


246  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

d'autres  pour  les  dents,  d'autres  pour  le  ventre,  d'autres  pour  les   maux 
internes1.  »  La  subdivision  ne  s'étendait  pas  aussi  loin  qu'Hérodote  voulait 
bien  le  dire.  On   ne  distinguait  d'ordinaire  qu'entre   le  médecin,   sorti  des 
écoles  sacerdotales  et  complété  par  l'étude  des  livres  comme  par  l'expérience 
de  chaque  jour,  le  rebouteur,  attaché  au  culte  de  Sokhit  et  qui  guérissait  les 
fractures  sous  l'intercession  de  sa  déesse,  l'exorciste,  qui  prétendait  agir  par 
la  seule  vertu  des  amulettes  et  des  paroles  magiques'.  Le  médecin  de  carrière 
traitait  les  maladies  en  général  ;  mais,  comme  chez  nous,  il  y  avait  pour  cer- 
taines affections  des  spécialistes  que  l'on  consultait  de  préférence  aux  prati- 
ciens vulgaires.  Si  le  nombre  en  était  assez  considérable  pour  attirer  l'attention 
des  étrangers,  c'est  que  la  constitution  médicale  du  pays  l'exigeait  ainsi  :  où 
les  ophtalmies  et  les  affections  des  intestins  sévissent  avec  énergie,  on  ren- 
contre nécessairement  beaucoup  d'oculistes3  et  de  docteurs  es  maladies  du 
ventre.  Les  plus  instruits  de  ces  gens  connaissaient  assez  mal  l'anatomie.  Une 
crainte  religieuse  ne  leur  permettait  pas  plus  qu'aux  médecins  chrétiens   du 
Moyen  Age,  de  tailler  le  cadavre  identifié  à  la  chair  d'Osiris  ou  de  le  déchi- 
queter dans  un  but  de  pure  science.  On  ne  leur  confiait  pas  les  opérations  de 
l'embaumement,   qui  auraient  pu  les  instruire,  et  l'horreur  pour  quiconque 
rompait  l'intégrité  de  la  larve  humaine  montait  si  haut,  que  le  paraschite 
chargé  de  pratiquer  sur  les  morts  les  incisions  nécessaires  devenait  l'objet 
de  l'exécration  universelle  :  dès  qu'il  avait  terminé  sa  tâche,  les  assistants 
l'assaillaient  à  coups  de  pierres  et    l'auraient  assommé   sur  place   s'il    ne 
s'était  enfui  à  toutes  jambes1.  Aussi  n'entretenaient-ils  que  des  idées  assez 
vagues  sur  ce  qui  se  passe  au  dedans  de  notre  corps.  La  vie  était  pour  eux 
un  peu  de  vent,  un  souffle  que  les  veines  charrient  de  membre  en  membre. 
«  La  tête  comprend  vingt-deux  vaisseaux   qui  amènent  les  esprits  en  elle, 
et   les  envoient  de  là  à  toutes  les  parties.  Il  y  a  deux  vaisseaux  pour  les 
seins,  qui  communiquent  la  chaleur  jusqu'au  fondement.  II  y  a  deux  vais- 
seaux pour  les  cuisses;  il  y  a  deux  vaisseaux  pour  le  cou5;  il  y  a  deux  vais- 

1.  Hérodote,  II,  lxxxiv,  et  le  commentaire  de  Wiedemann  sur  ces  deux  passages  (Hérodote  Zweites 
Buchf  p.  322  sqq.,  344-345). 

2.  La  division  en  trois  catégories,  indiquée  par  le  Papyrus  Ebers,  pi.  XCIX,  I.  2-3,  a  été  confirmée 
par  un  curieux  passage  d'un  traité  d'alchimie  gréco-égyptienne  (Maspkro,  Note»  au  jour  le  jour,  §  13, 
dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XIII,  p.  501-503). 

3.  Les  maladies  des  yeux  occupent  un  quart  du  Papyrus  Ebers  (Ebers,  Dos  Kapitel  iiber  die  Augen- 
krankheiten,  dans  les  Abh.  der  phil.-hist.  Classe  der  Kônigl.  Sâchs.  Gesells.  der  Wissenscfiafteit* 
t.  XI,  p.  199-336 ;cf.J.  Hirschberg,  jEgypten,  Geschichtliche  Studicn  eincs  Augenarztes,  p.  31-71). 

A.  Diodore  de  Sicile,  I,  91. 

5.  Ces  deux  vaisseaux,  dont  la  mention  manque  aux  Papyrus  Ebers  et  de  Berlin  par  suite  d'une 
inadvertance  du  copiste,  ont  été  rétablis  dans  le  texte  de  l'énumération  générale  par  H.  Sch«fkr, 
Heitrâge  iur  Erklârung  des  Papyrus  Ebers  (dans  la  Zeitschrif/,  t.  XXX,  p.  35-37). 


LES  ESPRITS  VITAUX.  217 

seau*  pour  les  bras;  il  y  a  deux  vaisseaux  pour  l'occiput;  il  y  a  deux  vais- 
seaux pour  le  front;  il  y  en  a  deux  pour  les  yeux,  deux  pour  les  paupières, 
deux  pour  l'oreille  droite,  par  lesquels  entrent  les  souffles  de  la  vie,  deux 
pour  l'oreille  gauche,  par  lesquels  les  souffles  de  mort  entrent  également'.  » 
Les  souffles  dont  il  est  question  à  propos  de  l'oreille  droite,  sont  «  les  bons 
souffles,  les  souffles  délicieux  du  Nord  » , 
la  brise  de  mer,  qui  tempère  les  ardeurs 
de   l'été,    et    qui   recrée  les  forces  de 
l'homme,  sans  cesse  amoindries  par  la 
chaleur  et  menacées  d'épuisement.  Ces 
esprits  vitaux,  s'insinuant  par  l'oreille 
et  par  le  nez  dans  les  veines  et  dans  les 
artères,    se  mêlaient  au   sang  qui    les 
entraînait  par  le  corps  entier;  ils  por- 
taient l'animal   et   le   mouvaient  pour 
ainsi  dire.  1-e  cœur,  le  marcheur  per- 
pétuel —  hâili  — ,  les  attirait  et  les 

répartissait  à  travers  l'économie  :  on  le  _ 

réputait   <   le  commencement  de   tous  m  »o*t  reciuht  les  socffi.es  m  vit1. 

les  membres  »,  et  quelque  endroit  du 

vivant  que  le  médecin  palpât,  *  la  tète,  la  nuque,  les  mains,  la  poitrine, 
les  deux  bras,  les  jambes,  sa  main  tombait  sur  le  cœur  »  et  il  le  sentait  battre 
sous  ses  doigts"1.  Les  vaisseaux  se  gonflaient,  et  travaillaient  régulièrement 
par  l'influence  des  bons  souffles;  ils  s'échauffaient,  s'obstruaient,  se  dur- 
cissaient, éclataient  sous  celle  des  mauvais,  et  il  fallait  que  le  médecin  les 
débouchât,  en  calmât  l'inflammation,  leur  rendit  leur  vigueur  ou  leur  élas- 
ticité. Au  moment  de  la  mort,  les  esprits  vitaux  «  se  retiraient  avec  l'âme, 
le  sang  »,  privé  d'air,  «  se  coagulait,  les  veines  et  les  artères  se  vidaient  : 
l'animal  périssait  «  faute  de  souffles'. 

La  plupart  des  maladies  dont  les  anciens  Égyptiens  souffraient  sont  celles 
qui  travaillent  les  Égyptiens  modernes,  les  ophtalmies,  les  incommodités  de 

I.  Papynu  Ebtrt,  pi.  XCIX,  I.  1-C,  I.  14;  l'apyruë  M, 
et.  Chahs,  Mélangea  Ëgyplologiquei.  r*  sér.,  p.  63-64, 
detêinét  lur  let  tictur,  I.  Il,  p,  114-115, 

t.  De  fin  de  Faurher-liudin,  d'aprei  le  croquù  de  iViviLLe,  das  ,€gypliirhe  Todlenbueh,  1 
l.o  mort  tient  à  la  main  la  voile  gonflée,  symbole  de  l'air,  el  la  porte  vers  ses  narines 
pénétrer  le  souffle  qui  doit  remplir  de  nouveau  ses  artères  et  porter  la  vie  dans  ses  mer 

3.  Papyna  Ebert,  pi.  XCIX,  I.  1-*. 

I.   Pœmander.  8,  X,  édit.  Pautiif.ï,  p.  75-76. 


248  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

l'estomac1,  du  ventre  et  de  la  vessie*,  les  vers  intestinaux3,  les  varices,  les 
ulcères  aux  jambes,  le  bouton  du  Nil*,  et  enfin  la  «  maladie  divine  mortelle  », 
le  divinus  morbus  des  Latins,  l'épilepsie5.  L'anémie,  qui  ronge  un  quart  au 
moins  de  la  population  actuelle8,  n'était  pas  moins  répandue  qu'aujourd'hui, 
s'il  faut  en  juger  le  nombre  des  remèdes  que  les  médecins  employaient 
contre  l'hématurie  qui  en  est  la  cause  principale.  La  fécondité  des  femmes 
entraînait  un  nombre  d'incommodités  ou  d'affections  locales  qu'on  s'efforçait 
de  pallier  sans  toujours  y  réussir7.  La  science  était  d'ailleurs  entièrement  exté- 
rieure et  ne  s'attachait  qu'aux  accidents  faciles  à  constater  par  la  vue  ou  par 
le  toucher  :  elle  ne  soupçonnait  pas  que  les  troubles  manifestés  sur  deux 
points  souvent  très  éloignés  du  corps  peuvent  n'être  que  les  effets  divers 
d'un  seul  mal,  et  elle  classait  comme  formant  autant  de  maladies  distinctes 
les  accidents  que  nous  savons  n'être  que  les  symptômes  d'une  même  mala- 
die8. Elle  s'entendait  pourtant  assez  bien  à  saisir  les  caractères  spécifiques 
des  affections  les  plus  communes,  et  les  décrivait  parfois  d'une  façon  précise 
et  pittoresque.  «  Le  ventre  est  lourd,  le  creux  de  l'estomac  douloureux;  le 
cœur  brûle  et  bat  à  coups  précipités.  Le  linge  pèse  sur  le  malade,  et  il  n'en 
supporte  pas  beaucoup.  Soifs  nocturnes.  Le  goût  de  son  cœur  est  bouleversé 
comme  celui  d'un  homme  qui  a  mangé  de  la  gomme  de  sycomore.  Chairs 
insensibles  comme  celles  d'un  homme  qui  se  trouve  mal.  S'il  s'accroupit  pour 
satisfaire  à  ses  besoins  naturels,  son  fondement  est  lourd  et  il  ne  réussit 
pas  à  s'exonérer.  Dis  à  cela  :  «  C'est  un  dépôt  d'humeurs  dans  le  ventre 
qui  rend  malade  le  goût   du  cœur.  J'agirai9.  »    C'est    le   début   des  fièvres 

1.  Désigné  sous  le  nom  de  ro-abou.  Ro-abou  est  d'ailleurs  un  terme  général  qui  comprend,  outre 
l'estomac,  toutes  les  parties  internes  du  corps  avoisinant  la  région  du  diaphragme;  cf.  Maspero  dans 
la  Revue  critique,  1875,  t.  I,  p.  237,  LCring,  Die  ûber  die  medicinischen  Kenntnisse  der  ait  en  jEgypter 
berichtenden  Papyri,  p.  23-24,  70  sqq.,  Joachim,  Papyrus  Ebers,  p.  XVIII.  Les  recettes  relatives  à 
l'estomac  sont  conservées  pour  la  plupart  au  Papyrus  Ebers,  pi.  XXXVI-XLIV. 

2.  Papyrus  Ebers,  pi.  II,  XVI,  XXIII,  XXXVI,  etc. 

3.  Papyrus  Ebers,  pi.  XVI,  1.  15,  pi.  XXIII,  1.  1;  cf.  Luring,  Die  ûber  die  medicinischen  Kenntnisse 
der  alten  Mgyptcr  berichtenden  Papyri,  p.  16,  Joachim,  Papyrus  Ebers,  p.  XVII-XVIII. 

4.  Papyrus  médical  de  Berlin,  pi.  III,  1.  5,  I.  5,  pi.  VI,  1.  6,  pi.  X,  I.  3  sqq. 

5.  Brugsch,  Recueil  de  Monuments  Égyptiens  dessinés  sur  les  lieux,  t.  II,  p.  109. 

6.  Griesinger,  Klinische  und  Anatomische  Beobachlungen  ûber  die  Krankheiten  von  jEgypten  dans 
VArchiv  fur  physiologischen  Heilkunde,  t.  XIII,  p.  556. 

7.  Sur  les  maladies  des  femmes,  cf.  Papyrus  Ebers,  pi.  XCIII,  XCVIII,  etc.  Une  partie  des  recettes 
sont  consacrées  à  résoudre  un  problème  qui  paraît  avoir  inquiété  beaucoup  les  peuples  anciens,  con- 
naître avant  terme  le  sexe  de  l'enfant  qu'une  femme  porte  dans  son  sein  (Papyrus  médical  de  Berlin, 
verso,  pi.  I— II  s  cf.  Chabas,  Mélanges  Égyptologiques,  1"  sér.,  p.  68-70,  Brugsch,  Recueil  de  Monuments, 
t.  II,  p.  116-117);  des  formules  analogues  chez  les  écrivains  de  l'antiquité  classique  ou  des  temps 
modernes  ont  été  citées  par  Lepage-Renouf,  Note  on  the  Médical  Papyrus  of  Berlin  (dans  la  Zeitschrift , 
1873,  p.  123-125),  par  Erhan,  AZgypten  und  AUgyptisches  Leben  im  Aller  tum,  p.  486,  et  par  LfRHiG, 
Die  ûber  die  medicinischen  Kenntnisse  der  alten  /Egypter  berichtenden  Papyri,  p.  139-141. 

8.  Cela  est  sensible  surtout  dans  les  chapitres  qui  ont  trait  aux  maladies  des  yeux  ;  cf.  à  ce  sujet 
les  remarques  de  Maspero,  dans  la  Revue  critique,  1889,  t.  II,  p.  365. 

9.  Papyrus  médical  de  Berlin,  pi.  XIII,  1.  3-6;  cf.  Chabas,  Mélanges  Égyptologiques,  1"  sér.,  p.  60; 


LES  DIAGNOSTICS  ET  LES  REMÈDES.  249 

gastriques  si  fréquentes  en  Egypte,  et  un  médecin  moderne  ne  dresserait 
pas  mieux  son  diagnostic  :  l'expression  serait  moins  imagée,  mais  l'analyse 
des  symptômes  ne  différerait  pas  de  celle  que  le  vieux  praticien  nous  donne. 
Les  médicaments  préconisés  comprennent  à  peu  près  tout  ce  qui,  dans  la 
nature,  est  susceptible  de  s'avaler  sous  une  forme  quelconque,  solide, 
pâteuse  ou  liquide1.  Les  espèces  végétales  s'y  comptent  à  la  vingtaine, 
depuis  les  herbes  les  plus  humbles  jusqu'aux  arbres  les  plus  élevés,  le  syco- 
more, les  palmiers,  les  acacias,  le  cèdre,  dont  la  sciure  et  les  copeaux  pas- 
saient pour  posséder  des  propriétés  à  la  fois  antiseptiques  et  lénitives.  On 
remarque,  parmi  les  substances  minérales,  le  sel  marin,  l'alun*,  le  nitre,  le 
sulfate  de  cuivre,  vingt  sortes  de  pierres,  entre  lesquelles  la  pierre  memphite 
se  distinguait  par  ses  vertus  :  appliquée  sur  des  parties  du  corps  lacérées  ou 
malades,  elle  les  rendait  insensibles  à  la  douleur  et  facilitait  le  succès  des 
opérations  chirurgicales.  La  chair  vive,  le  cœur,  le  foie,  le  fiel,  le  sang  frais 
ou  desséché  des  animaux,  le  poil  et  la  corne  de  cerf  s'employaient  couram- 
ment dans  bien  des  cas  où  nous  ne  comprenons  plus  le  motif  qui  les  avait 
fait  choisir  de  préférence  à  d'autres  matières.  Nombre  de  recettes  déroutent 
par  l'originalité  et  par  la  barbarie  des  ingrédients  préconisés  :  «  le  lait  d'une 
femme  accouchée  d'un  garçon  »,  la  fiente  d'un  lion,  la  cervelle  d'une  tortue, 
un  vieux  bouquin  bouilli  dans  l'huile1.  Les  médicaments  qu'on  fabriquait 
avec  ces  substances  disparates  étaient  souvent  fort  compliqués.  On  croyait 
multiplier  la  vertu  curative  en  multipliant  les  éléments  de  guérison  : 
chaque  matière  agissait  sur  une  région  déterminée  du  corps,  et,  se  séparant 
des  autres  après  absorption,  allait  porter  son  action  au  point  qu'elle  influait. 
Pilules  ou  potions,  cataplasmes  ou  onguents,  tisanes  ou  clystères,  le  médecin 
disposait   de  tous  les  moyens  dont  nous  nous  servons  pour  introduire  les 

Brugsch,  Recueil  de  Monuments,  t.  II,  p.  112-1 13-  On  trouvera  toute  une  série  de  diagnostics  exprimés 
avec  beaucoup  de  netteté  dans  le  traité  des  maladies  de  l'estomac  du  Papyrus  Ebers,  pi.  XXXVI,  1.  4, 
XL1V,  I.  li;  cf.  Maspf.ro  dans  la  Revue  critique,  1876,  t.  I,  p.  235-237,  Joachim,  Papyrus  Ebers,  p.  39-53. 

1.  L'énumération  et  l'identification  partielle  des  ingrédients  qui  entrent  dans  la  composition  des 
médicaments  égyptiens  ont  été  faites  par  Chabas  (Mélanges  Ègyptologiqucs,  1"  sér.,  p.  71-77,  et 
VÊgyptologie,  t.  I,  p.  186-187),  par  Brugsch  (Recueil  de  Monuments,  t.  II,  p.  105),  par  Stem  dans  le 
Glossaire  qu'il  a  fait  pour  le  Papyrus  Ebers,  et  plus  récemment  par  Lûring  (Die  ûber  die  medecini- 
sr.hen  Kenntnisse  der  alten  jEgypter  berichtenden  Papyri,  p.  85-120,  143-170). 

2.  L'alun  s'appelait  abenou,  ôben,  en  égyptien  antique  (Loret,  le  Nom  égyptien  de  VAlun,  dans  le 
Recueil  de  Travaux,  t.  XV,  p.  199-200);  pour  les  quantités  considérables  qu'on  en  recueillait,  cf. 
Hérodote,  II,  CLXXX,  et  le  commentaire  de  Wirdkmann,  Herodots  Zweiles  Bue  h,  p.  610-611. 

3.  Papyrus  Ebers,  pi.  LXXVIII,  1. 22-LXIX,  1.  1  :  «  Pour  faire  aller  un  enfant  constipé.  —  Un  vieux 
livre  :  bouillir  dans  l'huile,  en  appliquer  la  moitié  sur  le  ventre,  afin  de  provoquer  l'évacuation.  »  Il 
ne  faut  pas  oublier  que,  les  livres  étant  écrits  sur  papyrus,  le  bouquin  en  question,  une  fois  bouilli 
dans  l'huile,  devait  avoir  une  vertu  analogue  à  celle  de  nos  cataplasmes  de  farine  de  lin.  Si  le  mé- 
decin recommande  de  le  prendre  vieux,  c'est  pure  économie;  les  Égyptiens  de  la  classe  bourgeoise 
avaient  toujours  chez  eux  des  quantités  de  lettres,  de  cahiers  ou  d'autres  paperasses  sans  valeur, 
dont  ils  étaient  bien  aises  de  se  débarrasser  graduellement,  de  façon  aussi  profitable. 


220  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

remèdes  dans  l'organisme.  Comme  il  avait  prescrit  le  traitement,  il  le  pré* 
parait  et  ne  séparait  pas  son  art  de  celui  du  pharmacien.  Il  dosait  les  ingré- 
dients, les  pilait  ensemble  ou  séparément,  les  laissait  macérer  selon  l'art,  les 
bouillait,  les  réduisait  par  la  cuisson,  les  filtrait  au  linge1.  La  graisse  lui 
servait  de  véhicule  ordinaire  pour  les  onguents,  et  l'eau  pure  pour  les  potions, 
mais  il  ne  dédaignait  pas  les  autres  liquides,  le  vin,  la  bière  douce  ou  fer- 
mentée,  le  vinaigre,  le  lait,  l'huile  d'olive,  l'huile  de  ben  verte  ou  épurée1, 
même  l'urine  de  l'homme  et  des  animaux  :  le  tout,  édulcoré  de  miel,  se 
prenait  chaud  matin  et  soir3.  Plus  d'un  de  ces  remèdes  a  fait  son  chemin 
dans  le  monde  :  les  Grecs  les  empruntèrent  aux  Égyptiens,  nous  les  avons 
pris  dévotement  aux  Grecs,  et  nos  contemporains  avalent  encore  avec  rési- 
gnation bon  nombre  des  mélanges  abominables  qui  furent  imaginés  aux  bords 
du  Nil,  longtemps  avant  la  construction  des  Pyramides. 

Thot  avait  enseigné  l'arithmétique  aux  hommes;  Thot  leur  avait  dévoilé  les 
mystères  de  la  géométrie  et  de  l'arpentage;  Thot  avait  construit  les  instru- 
ments et  promulgué  les  lois  de  la  musique  ;  Thot  avait   institué   les  arts  du 
dessin  et  en  avait  codifié  les  règles  immuables*.  Tout  ce  que  la  vallée  du 
Nil  possédait  d'utile  et  de  beau,   il   s'en  était  fait  l'inventeur  ou  le  maître, 
et  il  avait  mis  le  comble  à  ses  bontés  en  établissant  les  principes  de  l'écri- 
ture, sans  laquelle  l'humanité  aurait  risqué  d'oublier  ses  doctrines  et  de  per- 
dre l'avantage  de  ses  découvertes5.  On  se  demandait  parfois  si  l'écriture,  au 
lieu   d'être   un  bienfait  pour  les  Égyptiens,  ne  leur  aurait  pas  nui  plutôt. 
Une  vieille  légende  contait  qu'au  moment  où  le  dieu  exposa  sa  découverte 
au  roi  Thamos,  dont  il  était  le  ministre,  celui-ci  souleva  aussitôt  une  objec- 
tion. Les  enfants  et  les  jeunes  gens,  qui  avaient  été  contraints  jusqu'alors  de 
travailler  opiniâtrement  pour  apprendre  et  pour  retenir  ce  qu'on  leur  ensei- 
gnait, cesseraient  de  s'appliquer,  maintenant  qu'ils  possédaient  un  moyen  de 
tout  emmagasiner  sans  peine,  et  ils  n'exerceraient  plus  leur  mémoire6.  Que 

1.  Je  ne  connais  encore  aucune  description  des  manipulations  proprement  pharmaceutiques;  mais 
on  se  fait  une  idée  de  la  minutie  et  du  soin  que  les  Égyptiens  portaient  à  ces  opérations  par  les 
receltes  qui  ont  été  conservées,  à  Edfou  par  exemple,  pour  la  préparation  des  parfums  consommés 
dans  les  temples  (DOmichen,  Der  Grabpalast  des  Patuamenemapt,  1. 11,  p.  13-32;  Loret,  le  Kyphi,  par- 
fum sacré  des  anciens  Égyptiens,  extrait  du  Journal  Asiatique,  8#  série,  t.  X,  p.  76-132). 

2.  Le  moringa,  qui  fournit  l'huile  de  beny  est  le  Bikou  des  textes  égyptiens  (Loret,  Recherches  sur 
plusieurs  plantes  connues  des  Anciens  Egyptiens,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  Vil,  p.  103-106). 

3.  Chabas,  Mélanges  Égyptologiques,  in  série,  p.  66-67,  78-79;  LCring,  Ueber  die  medicinischen 
Kentnissc  der  allen  /Egypter  berichtenden  Papy  ri,  p.  165-170. 

4.  Pour  ces  différentes  attributions  de  Thot  voir  les  passages  d'inscriptions  égyptiennes  et  d'auteurs 
classiques  qui  ont  été  recueillis  par  Pietschmann,  Hermès  Trismegistos,  p.  13  sqq.,  39  sqq. 

5.  Sur  Thot  l'inventeur  de  l'écriture,  cf.  les  textes  égyptiens  d'époque  pharaonique  et  ptolémaïque 
cités  par  Brugsch,  Religion  und  Mythologie  der  Alt  en  JZgypler,  p.  446. 

6.  Platon,  Phèdre,  §  LIX,  édit.  Didot,  t.  I,  p.  733. 


THOT,   INVENTEUR  DE  L'ÉCRITURE.  321 

Thamos  eût  raison  ou  non,  la  critique  venait  trop  tard  :  «  l'art  ingénieu\  de 
peindre  la  parole  et  de  parler  aux  yeux  »  demeura  acquis  pour  toujours  aux 
Egyptiens,  et  par  eux  à  la  meilleure  partie  de  l'humanité.  C'était  un  système 
fort  complexe,  où  se  trouvent  réunis  la  plupart  des  procédés  propres  à  fixer 
l'expression  de  ia  pensée,  ceux  qui  se  contentent  de  prendre  les  idées  comme 
ceux  quî  essayent  d'enregistrer  les  sons'. 
Il  ne  comportait  guère  à  l'origine  que  des 
signes  destinés  à  éveiller  dans  l'esprit  du 
lecteur  la  pensée  d'un  objet  par   l'image 
plus  ou    moins   fidèle   de   l'objet   même, 
et  à  peindre  le  soleil  par  un  disque  centré 
0,  la  lune  par  un  croissant  <),  le  lion  ou 
l'homme  par  un  lion  marchant  tto.  ou  par 
un  petit  personnage  accroupi  ^.  Comme 
on  n'arrivait   à   saisir  de  la   sorte   qu'un 
nombre  fort  restreint  de  concepts  tous  ma- 
tériels, il  fallut  recourir  presque   aussitôt 
à  des   artifices  variés   qui    suppléèrent  à 
l'insuffisance  des  idéogrammes  proprement 
dits.  On  donna  la  partie  pour  le  tout,  la 
prunelle  m  au  lieu  de  l'œil  entier  -»-,  la 
tète  de  bœuf  m  au  lieu  du  bœuf  complet  *fm. 
On  substitua  la  cause  à  l'effet,  l'effet  à  la 

cause,  l'instrument  à  l'œuvre  accomplie,  IH0T  t,»ijS18T,t  lésantes  m  vit  de  baisés  h*. 
et  le  disque  du  soleil  S  signifia  le  jour,  un 

brasier  fumant  \  le  feu,  le  pinceau,  l'encrier  et  la  palette  du  scribe  Kl  l'écri- 
ture ou  les  pièces  écrites.  On  imagina  de  prendre  tel  ou  tel  objet  qui  offrait 
une  ressemblance  matérielle  ou  supposée  avec  l'idée  à  consigner,  et  les  par- 
ties antérieures  du  lion  _-#  marquèrent  ainsi  l'antériorité,  la  primauté,  le 
commandement,  la  guêpe  symbolisa  la  royauté  \X,  le  têtard  de  grenouille  ^ 
compta  pour  les  centaines  de  mille.  On  se  hasarda  enfin  à  procéder  par 
énigmes,  comme  lorsqu'on  dessinait  la  hache  "I   pour  le   dieu,   ou  la   plume 

I.  La  formation  progressive  du  système  hiéroglyphique  et  la  nature  des  divers  éléments  dont  il  se 
compose  ont  été  analysées  très  linemcnl  par  Vu.  LtminAM,  Estai  >ur  ta  propagation  lit  l'alphabet 
phénicien  parmi  le»  peupla  île  l'Ancien  limée,  t.  I,  p.  l-.'iï. 

i.  Has-relief  du  teinpte  de  Séti  1"  à  Ahydo»,  destin  de  Iloudier  d'après  une  photographie  de 
liéalo.  Le  dieu  marque  de  son  calame,  sur  un  des  crans  d'une  longue  pousse  de  palmier,  le  nombre 
de  millions  d'années  que  le  règne  du  Pharaon  sur  celte  terre  doit  durer  selon  le  décret  des  dieu*. 


"in  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE   L'EGYPTE. 

d'autruche  \  pour  la  justice  :  le  caractère  n'avait  alors  que  des  liens  fictifs 
avec  le  concept  qui  lui  était  attribué.  Deux  ou  trois  de  ces  symboles 
s'associaient  souvent  afin  d'exprimer  à  plusieurs  une  idée  qu'un  seul  d'entre 
eux  aurait  mal  rendue  :  on  apercevait  une  étoile  à  cinq  branches  placée  sous  un 
croissant  de  lune  renversé  'T%  un  veau  courant  devant  le  signe  de  l'eau  >j  *■— *  et 
l'on  comprenait  le  mois  ou  la  soif.  Tous  ces  artifices  combinés  ne  fournis- 
saient qu'un  moyen  fort  incomplet  d'arrêter  et  de  transmettre  la  pensée. 
Quand  on  avait  aligné  bout  à  bout  vingt  ou  trente  de  ces  figures  et  les  idées 
auxquelles  elles  prétendaient  prêter  un  corps,  on  voyait  devant  soi  le  squelette 
d'une  phrase,  mais  tout  ce  qui  en  forme  le  nerf  et  la  chair  avait  disparu  : 
l'accent  manquait  et  la  musique  des  mots,  et  les  indices  du  genre  ou  du  nom- 
bre, des  flexions  et  de  la  personne,  qui  distinguent  les  différentes  parties  du 
discours  et  qui  déterminent  entre  elles  des  rapports  variables.  D'ailleurs  le 
lecteur  était  obligé,  pour  se  comprendre  lui-même  et  pour  deviner  l'intention 
des  écrivains,  de  traduire  les  symboles  qu'il  déchiffrait  par  les  mots  attachés 
dans  la  langue  parlée  à  l'expression  de  chacun  d'eux.  Chaque  fois  qu'il  les 
rencontrait  du  regard,  ils  lui  suggéraient  en  même  temps  que  l'idée  le  mot 
de  l'idée,  partant  une  prononciation  :  à  force  de  retrouver  sous  chacun  d'eux 
trois  ou  quatre  prononciations  constantes,  il  oublia  leur  valeur  purement 
idéographique  et  s'habitua  à  ne  plus  considérer  en  eux  que  des  notations  de  son. 
Le  premier  essai  de  phonétisme  se  fit  par  rébus,  quand  les  signes  séparés 
de  leur  sens  primitif  en  vinrent  à  couvrir  chacun  plusieurs  mots  semblables 
à  l'ouïe,  mais  divers  de  sens  dans  la  langue  parlée.  Le  même  assemblage 
d'articulations  Naoufir,  Nofir,  comportait  en  égyptien  l'idée  concrète  du  luth 
et  l'idée  abstraite  de  la  beauté  :  le  signe  J  exprima  du  même  coup  le  luth 
et  la  beauté.  Le  scarabée  s'appelait  Khopirrou,  et  être  se  disait  khopirou  : 
le  scarabée  •§[  signifia  à  la  fois  l'insecte  et  le  verbe,  puis  en  groupant  plu- 
sieurs signes  on  détailla  chacune  des  articulations  auxquelles  il  répondait.  Le 
crible  9  khaou,  la  natte  ■  pou,  pi,  la  bouche  *=»  ra,  rou,  donnaient  la 
formule  khaou-pi-rou,  qui  équivalaient  à  l'expression  khopirou  du  verbe 
être  :  réunis  ®^,  ils  pouvaient  écrire  le  concept  de  Vêtre  au  moyen  de  trois 
rébus.  Dans  ce  système,  chaque  syllabe  d'un  mot  a  le  choix  entre  plusieurs 
signes  sonnant  exactement  comme  elle.  Une  moitié  de  ces  syllabiques  cache 
des  syllabes  ouvertes,  l'autre  des  syllabes  fermées,  et  l'usage  des  syllabiques 
de  la  première  classe  amena  bientôt  la  création  d'un  véritable  alphabet.  La 
voyelle  finale  qu'ils  comprenaient  se  détacha  d'eux  et  ne  laissa  plus  subsister 


L'ÉCRITURE  IDÉOGRAPHIQUE,  SYLLABIQUE,  ALPHABÉTIQUE.        223 

que  l'autre  partie,  la  consonne,  c'est-à-dire  r  dans  rou,  A  dans  ha,  n  dans 
ni,  b  dans  bou,  si  bien  que  *=»  rou,  fj]  ha,  *-"*  ni,  J  6ow,  devinrent  r,  A,  n  et 
6,  sans  plus.  Le  travail,  accompli  à  la  longue  sur  un  certain  nombre  de  sylla- 
biques,  fournit  un  alphabet  assez  considérable,  dans  lequel  plusieurs  lettres 
exprimaient  chacune  des  vingt-deux  principales  articulations  que  les  scribes 
jugèrent  utile  d'écrire.  Les  signes  qu'on  attribue  à  une  même  lettre  sont  des 
égaux  de  son,  des  homophones  :  ^,  *=,  ^  sont  homophones,  comme  *«-* 
et^,  parce  que  chacun  d'eux  sert  indifféremment,  dans  le  groupe  auquel  il 
appartient,  à  traduire  aux  yeux  l'articulation  m  ou  l'articulation  n.  Il  semblait 
que  les  Égyptiens,  parvenus  à  ce  point,  dussent  être  amenés  presque  immé- 
diatement par  la  simple  routine  à  rejeter  les  diverses  sortes  de  caractères  dont 
ils  avaient  usé  tour  à  tour,  pour  ne  plus  conserver  qu'un  alphabet.  Mais  le 
génie  d'invention  réel  dont  ils  avaient  fait  preuve  les  abandonna  en  cela 
comme  en  tout  :  s'ils  eurent  souvent  le  mérite  de  découvrir,  ils  surent 
rarement  perfectionner  leurs  découvertes.  Ils  gardèrent  les  signes  syllabi- 
ques  et  idéographiques  du  début,  et  se  composèrent,  avec  le  résidu  de  leurs 
notations  successives,  un  système  fort  compliqué  dans  lequel  les  syllabes  et 
les  idéogrammes  se  mêlent  aux  lettres  proprement  dites.  Il  y  a  de  tout  dans 
une  phrase,  ou  même  dans  un  mot  égyptien  comme  fij  0  ^  9  maszirou,  l'oreille, 
ou  ^  J  -AA^  jf)  kherôou,  la  voix  :  des  syllabiques  fl  mas,  }  zir,  -**  rou, 
|  kher,  des  lettres  simples  qui  en  complètent  l'expression  phonétique  fl  s, 
^  ou,  <=»  r,  enfin  des  idéogrammes,  9  qui  montre  l'image  de  l'oreille  à 
côté  du  mot  qui  l'écrit,  jjjj  c[u*  prouve  que  les  lettres  couvrent  un  nom  dési- 
gnant une  action  de  la  bouche.  Ce  mélange  avait  ses  avantages  :  il  permettait 
aux  Égyptiens  de  préciser  par  la  vue  de  l'objet  le  sens  des  termes  que  les 
lettres  seules  risquaient  parfois  de  ne  pas  expliquer  suffisamment.  Il  exigeait 
un  effort  sérieux  de  mémoire  et  de  longues  années  d'études  :  encore,  bien 
des  gens  n'arrivaient-ils  jamais  à  le  posséder  complètement.  L'aspect  pitto- 
resque des  phrases,  où  les  figures  d'hommes,  d'animaux,  de  meubles, 
d'armes,  d'outils,  se  rencontrent  et  se  groupent  en  petits  tableaux  qui  se  sui- 
vent à  la  file,  rendait  l'écriture  hiéroglyphique  des  plus  propres  à  décorer 
les  temples  des  dieux  ou  les  palais  des  rois.  Mêlée  aux  scènes  d'adoration, 
de  sacrifices,  de  batailles,  de  vie  privée,  elle  encadre  les  groupes  de  person- 
nages, les  sépare,  habille  les  espaces  vides  que  le  sculpteur  et  le  peintre 
n'auraient  su  comment  remplir  :  elle  est  l'écriture  monumentale  par  excel- 
lence. Dans  l'ordinaire  de  la  vie,  on  la  traçait  aux  encres  noire  ou  rouge 


224  L'HISTOIRE   LÉGENDAIRE   DE   L'EGYPTE. 

sur  des  fragments  de  calcaire  ou  de  poterie,  sur  des  tablettes  en  bois  revêtues 
de  stuc,  surtout  sur  les  fibres  du  papyrus.  La  nécessité  d'aller  vite,  et  l'inha- 
bileté des  scribes  en  dénaturèrent  bientôt  l'apparence  et  les  éléments  :  les 
caractères  abrégés,  superposés,  liés  l'un  à  l'autre  par  des  traits  parasites,  ne 
conservèrent  plus  qu'une  ressemblance  lointaine  avec  les  personnes  ou  avec 
les  choses  qu'ils  avaient  représentées  à  l'origine.  On  réservait  cette  écriture 
cursive,  qu'on  appelle  assez  inexactement  l'hiératique,  aux  actes  publics  ou 
privés,  à  la  correspondance  administrative,  à  la  propagation  des  œuvres  litté- 
raires, scientifiques  et  religieuses. 

C'est  ainsi  que  la  tradition  se  plut  à  prêter  aux  dieux,  et  parmi  eux,  à 
Thot  deux  fois  grand,  l'invention  de  toutes  les  sciences  et  de  tous  les  arts 
qui  faisaient  la  gloire  et  la  prospérité  de  l'Egypte.  II  semblait,  non  seulement 
au  vulgaire,  mais  aux  plus  sages  du  peuple,  que  les  ancêtres,  s'ils  avaient  été 
abandonnés  à  leurs  seules  forces,  n'auraient  jamais  réussi  à  s'élever  beaucoup 
au-dessus  du  niveau  des  bêtes.  L'idée  qu'une  découverte  utile  au  pays  put 
sortir  d'un  cerveau  humain,  puis,  une  fois  produite  au  dehors,  se  répandre  et  se 
développer  par  l'effort  des  générations  successives,  leur  paraissait  impossible  à 
admettre  :  ils  pensaient  que  chaque  art,  que  chaque  métier  avait  été  dès  le 
début  ce  qu'il  était  de  leur  temps,  et  si  quelque  nouveauté  se  présentait  qui 
fût  de  nature  à  leur  montrer  leur  erreur,  ils  préféraient  supposer  une  inter- 
vention divine  plutôt  que  de  se  laisser  détromper.   L'écrit  mystique,  inséré 
au  Livre  des  Morts  comme  chapitre  soixante-quatrième,  et  auquel  on  attribua 
plus  tard  une  importance  décisive  sur  la  vie  future  de  l'homme,  était,  ils  le 
savaient,  assez  postérieur  au  reste  des  formules  dont  se  compose  cet  ouvrage  : 
ils  ne  s'en  refusèrent  pas  moins  à  le  considérer  comme  étant  d'origine  ter- 
restre. On  l'avait  rencontré  un  jour,   sans  qu'on  sût  d'où  il  venait,  dans  le 
sanctuaire  d'Hermopolis,  au  pied  de  la  statue  de  Thot,  tracé  en  caractères 
bleus  sur  une  plaque  d'albâtre.  C'était,  assuraient  les  uns,  sous  le  roi  Housa- 
phaîti  de  la  1èr*  dynastie,  ou  plutôt,  disaient  les  autres,  sous  le  pieux  Myké- 
rinos  :  un  prince  en  voyage,  Hardidouf,  l'avait  aperçu  et  apporté  au  souverain 
comme  un  objet  miraculeux1.  De  même,  le  livre  de  médecine  où  il  est  traité 

1.  Sur  cette  double  origine  du  chapitre  I.XIV,  voir  Guieysse,  Fiituel  Funéraire  Égyptien*  chapitre  64% 
p.  10-12  et  p.  58-59.  J'ai  indiqué  ailleurs  les  raisons  qui  me  font  considérer  cette  mention  comme  la 
preuve  d'une  rédaction  relativement  moderne,  contrairement  à  l'opinion  généralement  reçue  qui  veut 
y  reconnaître  un  indice  de  la  haute  antiquité  que  les  Égyptiens  attribuaient  à  cet  ouvrage  (Eludes 
de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  367-309).  Une  tablette  de  pierre  dure,  la  plinthe 
Péroffsky,  qui  porte  le  texte  du  chapitre  et  qui  est  aujourd'hui  déposée  au  musée  de  l'Ermitage 
(Golénischeff,  Ermitage  Impérial.  Inventaire  de  la  Collection  Égyptienne,  n°  1101,  p.  169-170),  est 
probablement  un  fac-similé  de  l'original  découvert  dans  le  temple  de  Thot. 


LES  LISTES  ROYALES   D'ÉPOQUE  PHARAONIQUE.  225 

des  maladies  des  femmes  n'était  pas  l'œuvre  d'un  praticien  :  il  s'était  révélé 
à  Coptos,  dans  le  temple  d'isis,  au  prêtre  qui  veillait  de  nuit  devant  le  Saint 
des  Saints.  «  Bien  que  la  terre  fût  plongée  dans  les  ténèbres,  la  lune  brilla 
sur  lui  et  l'enveloppa  de  lumière.  On  l'envoya,  comme  grande  merveille,  à 
la  Sainteté  du  roi  Khéops,  le  juste  de  voix1.  »  Les  dieux  avaient  donc 
exercé  le  pouvoir  direct  jusqu'à  ce  que  les  hommes  fussent  policés  entière- 
ment, et  leurs  trois  dynasties  s'étaient  distribué  le  travail  de  civilisation, 
chacune  selon  sa  puissance.  La  première,  qui  se  composait  des  divinités  les 
plus  vigoureuses,  avait  accompli  le  plus  difficile  en  organisant  solidement 
le  monde;  la  seconde  avait  instruit  les  Égyptiens,  et  la  troisième  avait  réglé 
dans  ses  mille  détails  la  constitution  religieuse  du  pays.  Quand  il  ne  resta 
plus  rien  à  établir  qui  exigeât  une  force  ou  une  intelligence  surnaturelles, 
les  dieux  remontèrent  au  ciel  et  de  simples  mortels  leur  succédèrent  sur  le 
trône.  Une  tradition  n'hésitait  pas  et  plaçait  le  premier  roi  humain  dont  elle 
eût  gardé  la  mémoire  immédiatement  après  le  dernier  des  dieux  :  celui-ci, 
en  sortant  du  palais,  avait  remis  la  couronne  à  l'homme  son  héritier,  et  le 
changement  de  nature  n'avait  amené  aucune  interruption  dans  la  série  des 
souverains*.  Une  autre  tradition  ne  voulait  pas  admettre  que  le  contact  eût 
été  aussi  intime.  Elle  intercalait  une  ou  plusieurs  lignées  de  Thébains  ou  de 
Thinites  entre  l'Ennéade  et  Menés,  mais  si  pâles,  si  fluides,  d'un  contour  si 
indécis,  qu'elle  les  appelait  des  Mânes  et  leur  reconnaissait  au  plus  une 
existence  passive,  comme  de  gens  qui  se  seraient  trouvés  toujours  morts,  sans 
avoir  eu  la  peine  de  traverser  la  vie8.  Menés  avait  été  le  premier  en  date  des 
vivants  véritables4.  Après  lui,  les  Égyptiens  prétendaient  posséder  la  liste 
ininterrompue  des  Pharaons  qui  avaient  dominé  sur  la  vallée  du  Nil.  Dès 
la  XVIIIe  dynastie  ils  l'écrivaient  sur  papyrus,  avec  l'indication  du  nombre 
d'années  que  chaque  prince  était  demeuré  sur  le  trône  ou  qu'il  avait  vécu6. 

1.  Bircb,  Médical  Papyrus  with  the  name  of  Cheops,  dans  la  Zeitschrift,  1871,  p.  61-64. 

2.  Cette  tradition  est  rapportée  dans  la  Chronique  de  Scaliger  (Lacth,  Manetho  und  der  Tiiriner 
Kônigshuch,  p.  8-11;  cf.  p.  74  sqq.)  et  dans  la  plupart  des  auteurs  anciens  qui  ont  employé  les 
extraits  de  Manéthon  (MiUler-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  II,  p.  539-540). 

3.  C'est  la  tradition  indiquée  dans  la  version  arménienne  d'Eusèbe,  et  qui  provenait  de  Mané- 
thon comme  la  précédente  (MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grxcorum,  t.  II,  p.  526,  528).  Un 
seul  de  ces  rois  nous  est  connu,  Bytis,  où  l'on  doit  retrouver  peut-être  le  Bitiou  d'un  conte  égyptien. 

4.  Maxethon  (dans  Mûller-Didot,  Fragm.  Hist.  Grxc,  t.  II,  p.  539)  :  M  et  à  véxvaç  -roùç  Y)u,tOÉou;  irpcurrç 
fta<ri),£ta  xatapiQ (Agirai  paai)io)v  ôxxù>,  J>v  TCpaïTo;  My)vv)ç  ©eivittj;  èâao-fteuasv  ett)  £(3'.  La  plupart 
des  témoignages  classiques  confirment  la  tradition  que  Manéthon  avait  recueillie  dans  les  archives 
des  temples  de  Memphis  (Hérodote,  II,  xcix;  Diodore  de  Sicile.  1,  43,  45,  94;  Joskphe,  Ant.  Jud.,  VIII, 
6,  2;  Eratosthénes,  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grxcorum,  t.  II,  p.  540). 

5.  La  seule  de  ces  listes  que  nous  possédions,  le  Papyrus  Royal  de  Turin,  Tut  achetée  à  Thèbes 
presque  intacte  par  Drovctti  vers  1818,  et  mutilée  involontairement  par  lui  pendant  le  transport.  Les 
restes  en  furent  acquis  avec  la  collection  par  le  gouvernement  piémontais,  en  1820,  et  déposés  au 
Musée  de  Turin,  où  Champollion  les  vit  et  les  signala  dès  1824  (Papyrus  Égyptiens  historiques  du 

HIST.    ANC.    DE   t'ORlEJIT.    —   T.    I.  29 


-226  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

Ils  en  gravaient  des  extraits  dans  les  temples  ou  même  dans  les  tombeaux 
des  particuliers,  et  trois  de  ces  catalogues  abrégés  nous  sont  connus  aujour- 
d'hui, deux  qui  proviennent  des  temples  de  Séti  Ier  et  de  Ramsès  II  à  Abydos1, 
un  qui  a  été  découvert  à  Saqqarah  dans  l'hypogée  d'un  haut  personnage 
nommé  Tounari*.  Ils  découpaient  cette  file  interminable  de  personnages 
parfois  problématiques  en  dynasties,  selon  des  règles  qui  nous  échappent 
et  qui  varièrent  au  cours  des  âges.  Les  Ramessides  réunissaient  dans  une 
seule  dynastie  des  noms  qu'on  partagea  plus  tard  en  cinq  groupes  sous  les 
Lagides8.  Manéthon  de  Sébennytos,  qui  écrivit  du  temps  de  Ptolémée  II  une 
histoire  d'Egypte  à  l'usage  des  Grecs  d'Alexandrie,  avait  adopté,  nous  ne 
savons  d'après  quelle  autorité,  une  division  en  trente  et  une  dynasties,  de 
Menés  à  la  conquête  macédonienne,  et  son  système  a  prévalu,  non  certes  qu'il 
fût  excellent,  mais  aucun  autre  n'est  descendu  complet  jusqu'à  nous*.  Toutes 
les  familles  qu'il  inscrivit  sur  ses  listes  avaient  gouverné  à  la  suite5.  Sans 

Musée  royal  Égyptien,  p.  7,  Extrait  du  Bulletin  Férussac,  VIIe  section,  18*24,  n°  292).  Se  \  (Ta  ri  h 
les  assembla  minutieusement  et  les  remit  dans  l'état  où  ils  sont  aujourd'hui,  puis  Lepsius  en  donna 
un  fac-similé  en  1840  dans  son  Auswahlder  wichtigsten  Urkunden,  pi.  1-VI,  mais  sans  en  reproduire 
le  verso;  Champollion-Figeac  édita  en  1847,  dans  la  Revue  Archéologique,  1™  série,  t.  VI,  les  calques 
pris  par  Champollion  le  Jeune  avant  le  classement  de  Seyffarth;  enfin  Wilkinson  publia  le  tout  avec 
luxe  en  1851  (The  Fragments  of  the  Hieratic  Papyrus  al  Turin).  Depuis  lors  le  document  a  été 
l'objet  de  travaux  incessants  :  E.  de  Rougé  en  a  reconstitué  de  façon  presque  définitive  les  pages  qui 
contiennent  les  six  premières  dynasties  {Recherches  sur  les  monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six 
premières  dynastie»  de  Manéthon,  pi.  m)  et  Lauth  moins  certainement  ce  qui  a  trait  aux  huit 
dynasties  suivantes  (Manetho  und  der  Turiner  Kônigspapyrus,  pi.  iv-x). 

1.  La  première  table  d'Abydos,  malheureusement  incomplète,  a  été  découverte  dans  le  temple  de 
Ramsès  11  par  Bankes  en  1818;  la  copie  publiée  par  Caillaud  (Voyage  à  Méroé,  t.  III,  p.  305-307  et 
pi.  lxxii,  n°  2)  et  par  Sait  (Essay  on  D*  Young's  a\id  M.  Champollion* s  Phonelic  System  of  Hievogly- 
phics,  p.  1  sqq.  et  frontispice)  servit  de  base  aux  premiers  travaux  de  Champollion  sur  l'histoire 
d'Egypte  (Lettres  à  M.  de  B  laças,  2°  Lettre,  p.  12  sqq.  et  pi.  vi).  L'original  apporté  en  France  par 
Mimaut  (Dubois,  Description  des  antiquités  Égyptiennes,  etc.,  p.  19-28)  fut  acquis  par  l'Angleterre  et 
est  conservé  aujourd'hui  au  British  Muséum.  La  seconde  table,  qui  est  complète  à  quelques  signes  près, 
fut  mise  au  jour  par  Mariette  en  1864  dans  ses  fouilles  d'Abydos,  remarquée  aussitôt  et  publiée  par 
D€michen,  die  Sethos  Tafel  von  Abydos,  dans  la  Zeilschrift,  1864,  p.  81-83.  Le  texte  s'en  trouve  dans 
Mariette,  la  Nouvelle  Table  d'Abydos  (Revue  Archéologique,  2*  s.,  t.  XIII)  et  Abydos,  t.  I,  pi.  43. 

2.  La  table  de  Saqqarah,  découverte  en  1863,  a  été  publiée  par  Mariette,  la  Table  de  Saqqarah 
(Revue  Archéologique,  2"  s.,  t.  X,  p.  169  sqq.)  et  reproduite  dans  les  Monuments  Divers,  pi.  58. 

3.  Le  Canon  royal  de  Turin,  qui  date  de  l'époque  des  Ramessides,  donne  en  effet  les  noms  de  ces 
premiers  rois  d'une  seule  venue,  et  n'arrête  le  compte  qu'à  Ounas  :  là,  il  récapitule  la  somme  des 
années  de  règne  et  le  nombre  des  Pharaons,  ce  qui  indique  la  fin  d'une  dynastie  (E.  de  Rocgk, 
Recherches  sur  les  monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties  de  Manéthon,  p.  15- 
16,  25).  Des  rubriques  placées  dans  l'intervalle  signalent  les  changements  survenus  à  l'ordre  de  succes- 
sion directe  (id.,  p.  160-161).  La  division  du  même  groupe  de  souverains  en  cinq  dynasties  nous  a  été 
conservée  par  Manéthon  (dans  M^ller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grxcorum,  t.  Il,  p.  539-554). 

4.  La  restitution  la  meilleure  du  système  de  Manéthon  est  encore  celle  de  Lepsics,  der  Kônigshuch 
der  Alten  sEgypter,  qu'il  faut  compléter  et  corriger  d'après  les  mémoires  de  Lauth,  de  Lieblein,  de 
Krall,  d'Unger.  Le  défaut  commun  de  tous  ces  travaux,  remarquables  à  tant  d'égards,  est  d'avoir 
considéré  l'œuvre  de  Manéthon  non  pas  comme  représentant  un  système  plus  ou  moins  ingénieux 
sur  l'histoire  d'Egypte,  mais  comme  nous  fournissant  le  schème  exact  et  authentique  de  cette  his- 
toire, dans  lequel  il  fallait  faire  entrer,  coûte  que  coûte,  tous  les  noms  royaux,  toutes  les  dates,  tous 
les  événements  que  les  monuments  nous  ont  révélés  et  qu'ils  nous  révèlent  chaque  jour^ 

5.  E.  de  Rougé  a  démontré  victorieusement  contre  Bunsen,  il  y  a  près  de  cinquante  ans,  que  toutes 
les  dynasties  de  Manéthon  ont  été  successives  (Examen  de  l'ouvrage  de  M.  le  Chevalier  de  Bunsen 
dans  les  Annales  de  Philosophie  chrétienne,  1846-1847,  t.  XIII-XVI),  et  les  monuments  qu'on  découvre 
en  Egypte,  d'année  en  année,  n'ont  fait  que  confirmer  sa  démonstration  dans  le  détail. 


2-28  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

doute,  le  pays  se  démembra  souvent  en  une  quinzaine  au  moins  d'États  indé- 
pendants dont  chacun  posséda  ses  rois  propres  pendant  plusieurs  générations, 
mais  les  annalistes  avaient  écarté  dès  le  début  ces  lignées  collatérales  et  ne 
voulaient  connaître  pour  une  même  époque  qu'une  seule  dynastie  authentique 
dont  les  autres  auraient  été  les  vassales.  Leur  théorie  de  légitimité  ne  s'accor- 
dait pas  toujours  avec  la  réalité  de  l'histoire,  et  telle  série  de  princes  qu'ils 
avaient  rejetée  comme  usurpatrice  représentait  en  son  temps  l'unique  famille 
qui  possédât  des  droits  réels  à  la  couronne1.  En  Egypte,  comme  partout,  les 
chroniqueurs  officiels  ont  dû  souvent  accommoder  le  passé  aux  exigences  du 
présent  et  remanier  les  annales  au  gré  du  parti  qui  l'emportait  :  ils  ont  dupé 
la  postérité  par  ordre,  et  c'est  grand  hasard  si  nous  réussissons  à  les  prendre 
parfois  en  flagrant  délit  de  faux  et  à  restituer  la  vérité. 

Tel  que  les  abréviateurs  nous  l'ont  transmis,  le  système  de  Manéthon  a 
rendu  et  rend  encore  service  à  la  science  :  s'il  n'est  pas  l'histoire  même  de 
l'Egypte,  il  la  représente  assez  fidèlement  pour  qu'on  ne  puisse  le  négliger 
quand  on  veut  la  comprendre  et  en  rétablir  la  suite.  Ses  dynasties  forment  le 
cadre  nécessaire  dans  lequel  rentrent  la  plupart  des  événements  et  des  révo- 
lutions dont  les  monuments  nous  ont  conservé  la  trace.  Au  début,  le  centre 
de  gravité  du  pays  tombait  vers  l'extrémité  nord  de  la  vallée  :  le  canton  qui 
s'étend  de  l'entrée  du  Fayoum  à  la  pointe  du  Delta,  et  plus  tard  la  ville  de 
Memphis,  imposèrent  leurs  souverains  au  reste  des  nomes,  servirent  d'en- 
trepôt au  commerce  et  aux  industries  nationales,  reçurent  l'hommage  et  le 
tribut  des  peuples  voisins.  Vers  la  VIe  dynastie,  le  centre  de  gravité  se 
déplaça  et  tendit  à  remonter  vers  l'intérieur  :  il  s'arrêta  un  moment  à  Héra- 
cléopolis  (IXe  et  Xe  dynasties),  puis  finit  par  se  fixer  à  Thèbes  (XIe  dynastie). 
Dès  ce  moment  Thèbes  fut  la  grande  cité  et  fournit  ses  maîtres  à  l'Egypte  : 
sauf  la  XIVe  dynastie  Xoïte,  toutes  les  familles  qui  s'assirent  sur  le  trône 
furent  Thébaines,  de  la  XIe  à  la  XXe.  Quand  les  Pasteurs  barbares  de  l'Asie 
envahirent  l'Afrique,  la  Thébaïde  devint  le  dernier  refuge  et  le  boulevard 
de  la  nationalité  égyptienne  :  ses  chefs  luttèrent  plusieurs  siècles  contre  les 
conquérants,  avant  de  délivrer  le  reste  de  la  vallée.  Ce  fut  une   dynastie 

1.  Je  n'en  citerai  que  deux  exemples  frappants.  Les  listes  royales  du  temps  des  Ra  mess  ides  suppri- 
ment, à  la  fin  de  la  XVIII*  dynastie,  Amenôthès  IV  avec  plusieurs  de  ses  successeurs,  et  ils  donnent  la 
série  Amenôthès  III,  Harmhabi,  Ramsès  I",  sans  lacune  apparente  :  Manéthon  au  contraire  remet  en 
place  les  rois  omis  et  conserve  en  partie  au  moins  l'ordre  réel  entre  Horos  (Amenôthès  111)  et 
Armaïs  (Harmhabi).  D'autre  part,  la  tradition  officielle  de  la  XX*  dynastie  établit,  entre  Ramsès  II  et  ' 
Ramsès  III,  la  série  Mtnéphtah,  Séti  11,  Nakht-Séti;  Manéthon  au  contraire  connaît  Amenémès,  puis 
Thouôris,  qui  semblent  bien  répondre  à  l'Amenmésès  et  au  Siphtah  des  monuments  contemporains, 
mais  il  ignore,  après  Mtnéphtah,  Séti  II  et  Nakht-Séti,  le  père  de  Ramsès  III. 


LES   GRANDES  DIVISIONS  DE  L'HISTOIRE.  229 

thébaine,  la  XVIIIe,  qui  ouvrit  l'ère  des  conquêtes  lointaines;  mais,  dès  la 
XIXe,  un  mouvement  inverse  à  celui  qui  s'était  produit  vers  la  fin  de  la  pre- 
mière période  reporta  peu  à  peu  le  centre  de  gravité  vers  le  Nord  du  pays. 
A  partir  de  la  XXIe  dynastie,  Thèbes  cessa  de  tenir  le  rang  de  capitale  : 
Tanis,  Bubaste,  Mendès,  Sébennytos,  surtout  Sais,  se  disputèrent  la  supré- 
matie, et  la  vie  politique  se  concentra  dans  les  régions  maritimes.  Ceux 
de  l'intérieur,  ruinés  par  les  invasions  éthiopiennes  et  assyriennes,  perdirent 
leur  influence  et  dépérirent  progressivement  ;  Thèbes  s'appauvrit,  se  dépeupla, 
tomba  en  ruines  et  ne  fut  plus  bientôt  qu'un  rendez-vous  de  dévots  ou  de 
curieux.  L'histoire  de  l'Egypte  se  divise  donc  en  trois  périodes,  dont  chacune 
correspond  à  la  suzeraineté  d'une  ville  ou  d'une  principauté  : 

I.  —  Période  Memphite,  ce  qu'on  appelle  ordinairement  Y  Ancien  Empire, 
de  la  Ire  à  la  Xe  dynastie  :  les  rois  d'origine  memphite  dominent  pendant  la 
plus  grande  partie  de  cette  époque  sur  l'Egypte  entière. 

II.  —  Période  Thébaine,  de  la  XIe  à  la  XXe  dynastie.  Elle  est  séparée  en 
deux  parties  par  l'invasion  des  Pasteurs  (XVIe  dynastie)  : 

a.  Premier  Empire  Thébain  (Moyen  Empire),  Xle-XVe  dynasties; 

b.  Nouvel  Empire  Thébain,  depuis  la  XVIIe  jusqu'à  la  XXe  dynastie. 

III.  —  Période  Saïte,  de  la  XXIe  à  la  XXXIe  dynastie,  coupée  en  deux 
tronçons  inégaux  par  la  conquête  persane  : 

a.  ha  première  période  Saïte,  de  la  XXIe  à  la  XXVIe  dynastie  , 

b.  La  seconde  période  Saïte,  de  la  XXVIIIe  à  la  XXXe  dynastie. 

Les  Memphites  avaient  créé  le  royaume.  Les  Thébains  jetèrent  l'Egypte  au 
dehors  et  firent  d'elle  un  État  conquérant  :  pendant  près  de  six  siècles,  elle 
domina  sur  le  haut  du  Nil  et  sur  l'Asie  Occidentale.  Sous  les  Saïte  s,  elle  rentra 
peu  à  peu  dans  ses  frontières  naturelles,  et,  d'agressive  devenue  assaillie,  se 
laissa  écraser  tour  à  tour  par  tous  les  peuples  qu'elle  avait  opprimés1. 

Les  monuments  ne  nous  apprennent  rien  encore  aes  événements  qui 
la  réunirent  entre  les  mains  d'un  seul  homme  ;  on  devine  seulement  que  les 
principautés  féodales  s'assemblèrent  peu  à  peu  en  deux  groupes  dont  chacun 
composait  un  royaume  à  part.  Héliopolis  fut  au  Nord  le  foyer  principal  d'où 
la  civilisation  rayonna  sur  les  plaines  grasses  et  sur  les  marais  du  Delta.  Ses 

1.  La  division  en  Ancien,  Moyen  et  Nouvel  Empire,  proposée  par  Lepsius,  a  le  défaut  de  ne  pas 
tenir  compte  de  l'influence  que  le  déplacement  des  dynasties  exerça  sur  l'histoire  du  pays.  Celle  que 
j'adopte  ici  a  été  indiquée  pour  la  première  fois  dans  la  Hevue  critique,  1873,  t.  I,  p.  82-83. 


230  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE   DE  L'EGYPTE. 

collèges  de  prêtres  avaient  recueilli,  condensé,  ordonné  les  mythes  principaux 
des  religions  locales  :  l'Ennéade  qu'elle  conçut  n'aurait  pas  obtenu  le  suc- 
cès qu'il  faut  bien  lui  reconnaître,  si  ses  princes  n'avaient  exercé  pendant 
quelque  temps  au  moins  une  suzeraineté  réelle  sur  les  plaines  voisines1.  C'est 
autour  d'elle  que  le  royaume  de  la  Basse-Egypte  s'organisa  :  tout  y  porte  la 
trace  évidente  des  théories  héliopolitaines,  le  protocole  des  rois,  leur  descen- 
dance supposée  de  Râ,  le  culte  passionné  qu'ils  rendent  au  Soleil.  Le  Delta, 
par  sa  forme  courte  et  ramassée,  était  disposé  merveilleusement  pour  subir 
une  influence  unique  :  la  vallée  proprement  dite,  étroite,  tortueuse,  allongée 
comme  en  lanière  mince  sur  les  deux  rives  du  fleuve,  ne  se  prêtait  pas  à  une 
aussi  complète  uniformité.  Elle  composait,  elle  aussi,  un  seul  royaume  qui 
avait  le  jonc  ^  et  le  lotus  %  pour  emblèmes,  mais  d'une  texture  plus  lâche, 
d'une  religion  moins  systématique,  sans  cité  assez  bien  placée  pour  servir  de 
centre  politique  ou  sacerdotal.  Hermopolis  possédait  des  écoles  de  théologiens 
qui  jouèrent  certainement  un  grand  rôle  dans  la  mise  en  œuvre  des  mythes 
ou  des  dogmes;  mais  la  puissance  de  ses  maîtres  ne  s'étendit  jamais  bien 
loin.  Siout  leur  disputait  l'hégémonie  dans  le  Sud,  Héracléopolis  leur  bar- 
rait le  chemin  du  Nord  :  les  trois  cités  se  contrarièrent,  se  neutralisèrent 
l'une  l'autre,  et  ne  parvinrent  jamais  à  jouir  d'une  autorité  durable  sur  la 
Haute-Egypte.  Chacun  des  deux  royaumes  avait  ses  avantages  naturels  et 
son  système  de  gouvernement,  qui  lui  laissaient  une  physionomie  particulière, 
et  qui  firent  de  lui  comme  une  personne  distincte  jusqu'aux  derniers  jours1. 
Celui  du  Sud  était  plus  puissant,  plus  riche,  plus  peuplé,  commandé,  ce 
semble,  par  des  chefs  plus  actifs  et  plus  entreprenants.  C'est  à  l'un  d'eux, 
Mini  ou  Menés  de  Thinis,  que  la  tradition  attribuait  l'honneur  d'avoir  fondu 
les  deux  Ëgyptes  en  un  seul  empire  et  d'-avoir  inauguré  le  règne  des  dynasties 
humaines.  Thinis  comptait  à  l'époque  historique  comme  une  des  moindres 
parmi  les  cités  égyptiennes.  Elle  végétait  péniblement  sur  la  rive  gauche 
du  Nil,  sinon  à  la  place  même  où  Girgéh  s'élève  aujourd'hui,  du  moins 
à  fort  petite   distance   de   cette    ville'.   La   principauté   du   Reliquaire  Osi- 

1.  Cf.  ce  qui  est  dit  d'Iléliopolis,  de  sa  position  et  de  ses  ruines,  aux  p.  135-136  de  cette  Histoire. 

2.  Voir,  sur  ce  point,  les  considérations  que  M.  Erra  an  a  développées  avec  beaucoup  de  force  dans 
son  &gypten%  p.  32  sqq.;je  crois  pourtant,  contrairement  à  l'opinion  qu'il  exprime  (p.  128),  que  le 
royaume  du  Nord  a  reçu  de  très  bonne  heure  une  organisation  politique  aussi  ferme  et  aussi  complète 
que  celle  du  royaume  méridional  (Maspero,  Etudes  Égyptiennes,  t.  Il,  p.  "2-4-4  sqq.). 

3.  L'emplacement  de  Thinis  n'est  pas  encore  connu  de  façon  certaine.  Il  n'est  ni  au  Kom-es-Sultàn, 
ainsi  que  Mariette  l'imaginait  (Kotice  des  principaux  Monuments,  1864,  p.  285),  ni  à  El-Kherbéh,  selon 
l'hypothèse  d'A.  Schmidt  {Die  Griechischen  Papyrus-Urkunden  der  Kôniglichen  Bibliolhek  zu  Berlin, 
p.  69-79).  Brugsch  a  proposé  de  le  fixer  au  village  de  Tinéh  (Geogr.  Inschriften,  t.  I,  p.  207)  près 
Berdis,  suivi  en  cela  par  Dûmichen  (Geschichte  AL<jyplen&,  p.  154).  La  tendance  actuelle  est  de  le 


INCERTITUDE  DES  COMMENCEMENTS  :   MENÉS  DE  THINIS. 


234 


rien,  dont  elle  était  la  métropole,  barrait  la  vallée  d'une  montagne  à  l'autre, 
et  se  développait  à  travers  le  désert  jusque  dans  la  Grande  Oasis  thébaine1. 
Elle  adorait  un  dieu-ciel,  Anhouri,  ou  plutôt  un  couple  de  dieux  jumeaux, 
Anhouri-Shou,  qui  s'amalgama  promptement  avec  les  divinités  solaires  et 
devint    une   personnification    belliqueuse   de  Râ.    Anhouri-Shou   s'associait, 


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PLAN    DES   RUINES   D  ABYDOS,  LEVÉ   PAR   MARIETTE   EX    18C5   ET    EN  1873. 


comme  toutes  les  formes  du  Soleil,  à  une  déesse  lionne  ou  à  tête  de  lionne, 
à  une  Sokhît,  qui  prenait  pour  la  circonstance  l'épithète  de  Mihit,  la  septen- 
trionale*. Une  partie  des  morts  de  la  cité  reposait  de  l'autre  côté  du  Nil, 
auprès  du  village  moderne  de  Méshéikh,  au  pied  de  la  chaîne  Arabique,  dont 
les  falaises  abruptes  rangent  ici  le  fleuve  d'assez  près3  :  la  nécropole  prin- 

reconnaitrc  soit  dans  Girgéh  même,  soit  dans  un  des  bourgs  voisins  de  Girgéh,  Birbéh  par  exemple, 
où  il  y  a  des  ruines  antiques  (Mariettk-Maspf.ro,  Monuments  divers,  texte,  p.  26-27  ;  Sayce,  Gleanings 
from  the  land  of  Egypt,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  63);  c'était  l'opinion  de  Champollion 
et  de  Nestor  Lhôte  (Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  72,  Lettres  écrites  d'Egypte,  p.  88,  125).  Je  rap- 
pelle que,  dans  un  passage  d'Ilellanicos  souvent  cite  (fragm.  130,  édit.  MOller-Didot,  Fragmenta 
HUtoricorum  Grxcorum,  t.  I,  p.  66),  Zoëga  corrigeait  la  leçon  Ttv&tov  ovou,oc  en  @ïv  8è  oi  ovou.a,  qui 
nous  rendrait  une  fois  de  plus  te  nom  de  Thinis  :  la  mention  de  cette  ville  comme  étant  è7ri7roTauir(, 
située  sur  le  fleuve,  serait  une  preuve  nouvelle  pour  l'identification  avec  Girgéh. 

1.  Dès  la  XI*  dynastie,  les  seigneurs  d'Abydos  et  de  Thinis  portent  officiellement,  en  tête  de  leurs 
inscriptions,  le  titre  de  maîtres  de  l'Oasis  (Brit.sch,  Reise  nach  der  Grossen  Oase  el-Khargeh,  p.  62). 

2.  Sur  Anhouri-Shou,  cf.  ce  qui  est  dit  aux  p.  99, 101,  140-1  41,  de  cette  Histoire. 

3.  Je  l'ai  explorée  après  Mariette.  Le  principal  des  tombeaux  de  la  XIX*  dynastie  qu'elle  renferme  a 
été  publié  en  partie  dans  Mariette,  Monuments  divers,  pi.  78  et  p.  26-27;  plusieurs  autres,  qui  remon- 
tent à  la  VIU  dynastie,  ont  été  signalés  par  Nestor  Lhôte  (Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  71-72)  et  par 
Sayce  (Gleanings  from  tlie  land  of  Egypt,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  62-65). 


232  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE   L'EGYPTE. 

cipale  était  assez  loin  vers  l'Ouest,  auprès  de  la  ville  sainte  d'Àbydos.  Il 
semble  qu'Abydos  ait  été  au  début  la  capitale  du  pays,  car  le  nome  entier 
porte  le  même  nom  qu'elle  et  avait  adopté  pour  ses  armes  l'image  du  Reli- 
quaire où  dormait  le  dieu  :  elle  déchut  très  anciennement  et  céda  son  rang 
politique  à  Thinis,  mais  sans  que  son  importance  religieuse  diminuât.  Elle 
occupait  une  bande  de  terre  étroite  et  longue  entre  les  premières  pentes  de 
la  montagne  Libyque  et  le  canal.  Une  forteresse  en  briques  la  défendait  contre 
les  incursions  des  Bédouins1,  et  le  temple  du  dieu  des  morts  dressait  tout  à 
côté  ses  murailles  nues.  Anhouri,  passé  de  vie  à  trépas,  y  recevait  un  culte 
sous  le  nom  de  Khontamentit,  le  Chef  de  la  région  Occidentale  où  les  âmes 
pénètrent  au  sortir  de  notre  terre*.  Par  quelle  rencontre  de  doctrines  ou  par 
quelle  combinaison  politique,  ce  Soleil  de  nuit  en  vint-il  à  s'allier  avec  l'Osiris 
de  Mendès,  nul  ne  le  sait,  car  la  fusion  remonte  fort  haut  dans  le  passé;  elle 
était  un  fait  accompli  depuis  longtemps  au  moment  où  l'on  rédigea  les  plus 
vieux  livres  sacrés.  Osiris  Khontamentit  crût  rapidement  en  popularité, 
et  son  temple  attira  chaque  année  des  pèlerins  plus  nombreux.  La  grande 
Oasis  avait  passé  au  début  pour  une  sorte  de  paradis  mystérieux,  où  les 
morts  allaient  chercher  le  bonheur  et  la  paix.  On  l'appelait  Ouït,  le  Sépulcre; 
ce  nom  lui  demeura  après  qu'elle  fut  devenue  une  province  de  l'Egypte 
vivante3,  le  souvenir  de  son  ancienne  destination  survécut  dans  l'esprit  du 
peuple,  et  la  Fente,  la  gorge  de  la  montagne  par  laquelle  les  doubles  s'ache- 
minaient vers  elle,  ne  cessa  jamais  d'être  une  des  portes  de  l'autre  monde. 
Les  esprits  y  affluaient  de  tous  les  points  de  la  vallée  vers  les  fêtes  du  Nouvel 
An;  ils  y  attendaient  l'arrivée  du  Soleil  mourant  pour  s'embarquer  avec  lui 
et  pour  pénétrer  sans  danger  dans  les  domaines  de  Khontamentit1.  Abydos 
fut  dès  avant  l'histoire  la  seule  ville  et  son  dieu  le  seul  dieu  dont  le  culte, 
pratiqué  de  tous  les  Égyptiens,  leur  inspirait  à  tous  une  égale  dévotion. 

Cette  sorte  de  conquête  morale  fit-elle  croire  plus  tard  à  une  conquête 
matérielle  par  les  princes  de  Thinis  et  d'Abydos,  ou  bien  un  fonds  d'histoire 
véritable  se  cache-t-il  sous  la  tradition  qui  leur  attribue  l'établissement  de  la 
monarchie  unique?  C'est  le  Thinite  Menés  que  les  annalistes  thébains  assi- 

1.  C'est  le  Kom-es-Sultàn  d'aujourd'hui,  où  Mariette  espérait  trouver  le  tombeau  d'Osiris. 

2.  Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d' Archéologie  Egyptiennes,  t.  II,  p.  23-24. 

3.  Encore  à  l'époque  persane,  la  tradition  antique  a  son  écho  dans  le  nom  d'Iles  des  bienheureux 
(Hérodote,  111,  xxvi)  qu'on  donnait  à  la  Grande  Oasis.  Un  passage  d'inscription  nous  montre  les  âmes 
se  rendant  à  l'Oasis  de  Zoszes  (Brugsch,  Iiei*e  nach  der  Grossen  Oase,  p.  41,  et  Dict.  Geogr.t  p.  101)2), 
qui  est  une  partie  de  la  Grande  Oasis,  et  que  l'on  considérait  ordinairement  comme  étant  un 
séjour  des  morts  (Maspero,  Études  de  Mythologie  el  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  Il,  p.  421-427). 

4.  Voir  ce  qui  est  dit  à  ce  sujet  aux  p.  196-198  de  cette  Histoire. 


MENÉS  ET  LA  FONDATION  DE  MEMPHIS.  233 

gDaient  comme  ancêtre  aux  Pharaons  glorieux  de  la  XVIII'  dynastie1;  c'est  lui 
encore  que  les  chroniques  Memphites  où  Manéthon  puisait,  inscrivirent  en 
tête  de  leurs  listes  humaines,  et  l'Egypte  entière  l'a  proclamé  pendant  de 
longs  siècles  son  premier  maître  mortel.  Certes,  rien  n'empêche  qu'un  chef  de 
Thinis  se  soit  appelé  de  ce  nom,  ni  même  qu'il  ait  accompli  les  exploits  dont 
on  lui  fait  honneur*;  mais  dès  qu'on  y  regarde  d'un  peu  près,  ce  qu'il  parais- 
sait présenter  de  réalité  disparaît  et  sa  personne  se  réduit  à  rien.  «  Ce  Menés, 
au  dire  des  prêtres,  entoura  Memphis  de  digues.  Jadis  en  effet  le  fleuve 
s'écoulait  tout  entier  le  long  des  collines  sablonneuses,  du  côté  de  la  Libye. 
Menés,  à  cent  stades  au-dessus  de  Memphis,  combla  le  grand  coude  qu'il 
décrivait  vers  le  midi,  mit  l'ancien  chenal  à  sec  et  obligea  le  fleuve  à  filer  à 
égale  distance  des  deux  montagnes.  Lors  donc  que  ce  Menés,  le  premier  qui 
fut  roi,  eut  enclos  de  digues  un  terrain  solide,  il  y  fonda  cette  ville  qu'on 
appelle  Memphis  maintenant  encore,  puis  il  creusa  tout  autour  d'elle,  au  Nord 
et  au  couchant,  un  lac  alimenté  par  le  fleuve,  car  vers  l'Orient  c'est  le  Nil 
qui  la  délimite8.  »  L'histoire  de  Memphis  telle  qu'on  peut  la  déduire  des 
monuments,  diffère  assez  de  la  tradition  courante  en  Egypte  au  temps  d'Héro- 
dote*. Il  paraît  bien  qu'au  début  l'emplacement  où  elle  s'éleva  plus  tard 
était  occupé  par  une  petite  forteresse,  le  Mur  Blanc  —  Anbou-hazou,  —  qui 
dépendait  d'Héliopolis  et  dans  laquelle  Phtah  possédait  un  sanctuaire.  Après 
que  le  Mur  Blanc  se  fut  séparé  de  la  principauté  héliopolitaine  pour  former  un 
nome  à  part,  il  assuma  une  certaine  importance  et  fournit,  dit-on,  les  dynas- 
ties qui  succédèrent  aux  Thinites.  Sa  prospérité  ne  date  toutefois  que  du 
moment  où  les  souverains  de  la  Ve  et  de  la  VIe  dynastie  y  fixèrent  leur 
résidence  :  l'un  d'eux,  Papi  Ier,  y  fonda  pour  lui,  et  pour  son  double  après 
lui,  une  ville  nouvelle  qu'il  nomma  Minnofîrou,  d'après  son  tombeau.  Minno- 
firou,  qui  est  la  prononciation  correcte  et  l'origine  de  Memphis,  signifiait 
probablement  le  bon  asile,  le  port  des  Bons,  le  sépulcre  où  les  morts  heureux 

1.  Il  figure  sous  Séti  Ier  et  sous  Ramsès  II  en  tête  de  la  Table  tTAbydos.  Sous  Ramsès  II,  on  porte 
sa  statue  dans  une  procession,  en  avant  des  autres  statues  royales  (Champollion,  Monuments  de  V  Egypte 
et  de  ta  Nubie,  pi.  CXLIX  ;  Lkpsius,  Denkm.,  III,  163).  Enfin  le  Papyrus  royal  de  Turin,  qui  a  été  écrit 
au  temps  de  Ramsès  II,  ouvre  avec  son  nom  la  série  entière  des  Pharaons  humains. 

2.  Il  a  été  considéré  comme  personne  historique  par  presque  tous  les  égyptologues,  depuis 
Champollion  :  Binsex,  Mgyplem  Stellet  t.  H,  p.  38;  Lepsus,  Kônigsbuch,  p.  19-20;  E.  de  Rouge, 
Recherches  sur  les  monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties  de  Manéthon, 
p.  12  sqq.  ;  Brlt.sch,  Geschichte  Mgyplens,  p.  41  sqq.  ;  Wiedemann,  ASgyptische  Geschichtc,  p.  163  sqq.  ; 
Ed.  Meykr,  Geschichtn  /Egyptcn*,  p.  49  sqq.  Krall  avait  montré  le  caractère  artificiel  des  listes  où  il 
est  cité  {Composition  der  Manethonischen  Geschichtswerkes,  p.  16-18);  Erman  l'a  traité  le  premier  de 
personnage  à  demi-mythique  (Erman,  Historische  Nachlese  dans  la  Zeitschrift,  t.  XXX,  p.  46). 

3.  Hérodote,  II,  xcix.  La  digue  dont  on  attribuait  la  fondation  à  Menés  est  évidemment  celle  de 
Qoshéish,  qui  protège  aujourd'hui  la  province  de  Gizéh  et  y  règle  l'inondation. 

4.  Elle  a  été  démêlée  avec  beaucoup  de  sagacité  par  Erman,  /Egypten,  p.  240-244. 

30 


234  L'HISTOIRE   LÉGENDAIRE  DE   L'EGYPTE. 

venaient  reposer  auprès  d'Osiris1.  Le  peuple  oublia  promptement  l'interpré- 
tation authentique,  ou  bien  elle  ne  convint  pas  à  son  goût  pour  les   contes 
romanesques.  Il   aime  d'ordinaire   à  retrouver  vers  les  commencements  de 
l'histoire  des  personnages  qui  ont  imposé  leur  nom  aux  pays  ou  aux  cités  qu'il 
connaît  :  si  nulle  tradition  ne  les  lui  fournit,  il  n'éprouve  aucun  scrupule  à  les 
inventer.  Les  Egyptiens  de    l'époque  des   Ptolémées,   qui  se  réglaient  dans 
leurs  spéculations  philologiques  sur  la   prononciation    usitée  autour  d'eux, 
attribuèrent  comme  patronne  à  la  cité  une  princesse  Memphis,  fille  de  son 
fondateur  le  fabuleux  Uchoreus';  ceux  des  âges  antérieurs  où  le  nom  n'était 
point  déformé  crurent  discerner  dans  Minnofirou  un  Mîni  Nofir,  un  Menés 
le  bon,  qui  aurait  créé  la  capitale  du  Delta.  Menés  le  bon,  dépouillé  de  son 
épithète,  n'est  autre  que  Menés  le  premier  roi  de  l'Egypte  entière,  et  celui-ci 
doit  son  existence  à  un  effort  d'étymologie  populaire5.  La  légende  qui  identifie 
rétablissement  du  royaume  avec  la  construction  de  la  ville  dut  naître  dans  un 
siècle  où  celle-ci  était  encore  la  résidence  des  rois  et  le  siège  du  gouverne- 
ment, au  plus  tard  vers  la  fin  de  la  période  Memphite  :  il  fallait  qu'elle  fût 
déjà  vieille  sous  les  dynasties  thébaines,  pour  qu'elles  admissent  sans  hési- 
tation l'authenticité  des  récits  qui  attribuaient  à  la  cité  du  Nord  une  supé- 
riorité aussi  notable  sur  leur  propre  patrie.  Le  personnage  une  fois  créé  et 
installé  solidement  à  son  poste,  on  n'eut  point  de  peine  à  lui  composer  une 
histoire  qui  le  présenta  comme  le  type  accompli  et  l'idéal  du  souverain.  On 
le   montra   tour   à   tour    architecte,    guerrier,    législateur    :    il   avait   fondé 
Memphis,  il  avait  commencé  le  temple  de  Phtah4,  il  avait  écrit  les  lois  et  réglé 
le  culte  des  dieux8,  plus  particulièrement  celui  d'IIâpis*,  il  avait  conduit  des 
expéditions  contre  les  Libyens7.  Quand  il  perdit  son  fils  unique  à  la  fleur  de 
l'âge,  le  peuple  improvisa  un  hymne  de  deuil  pour  le  consoler,  le  Manéros, 
dont  l'air  et  les  paroles  se  transmettaient  de  génération  en  génération8.  11  ne 

1.  La  traduction  des  Grecs  ôpjio;  dryaôwv  répond  exactement  à  l'ancienne  orthographe  Min-no/imu, 
qui  est  devenue  Min-nofîr,  Minnoufi,  le  Port  du  bon,  par  chute  de  la  terminaison  plurielle,  puis  de  r 
finale  (De  hide  et  Osiride,  §  20,  édit.  Parthey,  p.  35).  L'autre  traduction,  Ta?o;  'OatptSoç,  donnée  par 
un  auteur  grec,  suppose  une  décomposition  de  Memphis  en  Ma-Omphis,  M-Omphis,  où  le  nom  Ounnofir 
d'Osiris  a  pris  la  forme  très  usée  ''Ou.çtç  :  to  S'ërepov  ovou,oc  toû  8eoû  tov  "Ojaçiv  e'JEpf  éry,v  6  *Epu.«ïôc 
?Y)<nv  StjXoûv  épu,7)vsu6u,evov  (De  hide  et  Osiride,  §  42,  édit.  Parthey,  p.  74-75). 

2.  Diouork  dk  Sicile,  I,  50-51;  la  légende  que  cet  historien  a  recueillie  était  d'origine  thébaine, 
Lchoreus,  le  père  de  la  déesse  éponyme  de  Memphis,  étant  le  fondateur  de  Thèbes. 

3.  Un  monument  (Krnax,  Historische  Nachlese,  dans  la  Zeitschrift,  t.  XXX,  p.  43-46)  associe  Mfni. 
nommé  Minna  ou  Menna,  Mrjvâ;,  à  Phtah  et  à  Ramsès  II  :  le  héros  éponyme  devenait  un  dieu, 
et  Mini  est  traité  ici  comme  Ousirtasen  111  l'était  à  Semnéh  ou  comme  Amenôthès  III  Tétait  à  Soleb. 

4.  Hérodote  II,  xcix;  cf.  Wiedemann,  Herodoh  Zweites  Buch,  p.  396-398. 

5.  Diodorf  de  Sicile,  1,  94;  il  n'aurait  fait  que  promulguer  les  lois  rédigées  anciennement  par  Thot. 

6.  Rlien,  Hist.  Animalium,  XI,  10;  dans  Manéthon,  Kakôou  institue  le  culte  d'Hâpis,  cfr.  p.  338. 

7.  Manéthon  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  II,  p.  539-540. 

8.  Hérodote  II,  lxxix.   Au  De  hide  et  Osiride,  §   17  (édit.   Parthey,  p.  28),  l'origine  du  Manéros 


LA   LÉGENDE  DE  MENÉS. 


235 


dédaignait  pas  d'ailleurs  le  luxe  de  la  table,  car  il  inventa  l'art  de  servir  un 
dîner  et  la  manière  de  le  manger,  couché  sur  un  lit1.  Un  jour  qu'il  chassait, 
ses  chiens,  affolés  on  ne  sait  pourquoi,  se  jetèrent  sur  lui  pour  le  dévorer.  Il 
leur  échappa  à  grand'peine  et  s'enfuit  poursuivi  par  eux  :  arrivé  au  bord  du 
lac  Mœriset  acculé  à  la  grève,  il  allait  périr  quand  un  crocodile  le  chargea  sur 


FRAGMENT   D'U*   COLLIER   DONT   LES   MÉDAILLONS 
PORTENT    LK   NOM    DE   MENES9. 


iiiiilutsl; 


W<0 


son  dos  et  le  transporta  vers  l'autre  (3§fl§û  rive8.  Dans  sa 
reconnaissance,  il  édifia  une  ville  BEjfflSj  nouvelle  qu'il 
nomma  Grocodilopolis  et  à  laquelle  il       y^jgy       désigna  pour 

dieu  le  crocodile  même  qui  l'avait  sauvé,  puis  il  érigea  dans  le  voisinage  le 
fameux  labyrinthe  et  une  pyramide  qui  lui  servit  de  tombeau4.  D'autres  tra- 
ditions lui  étaient  moins  favorables.  Elles  l'accusaient  d'avoir  excité  la  colère 
des  dieux  contre  lui  par  des  crimes  épouvantables  :  un  hippopotame,  sorti  du 
Nil,  l'avait  tué  après  un  règne  de  soixante  à  soixante-deux  ans*.  Elles  racon- 
taient aussi  que  le  Saïte  Tafnakhti,  après  une  expédition  contre  les  Arabes, 
pendant  laquelle  il  avait  dû  renoncer  à  la  pompe  et  aux  mollesses  de  la  vie 
royale,  l'avait  maudit  solennellement  et  avait  inscrit  les  imprécations  sur  une 
stèle  dressée  à  Thèbes  dans  le  temple  d'Amon0.  Le  bien  l'emporta  pourtant 
sur  le  mal  dans  le  souvenir  que  l'Egypte  conserva  de  son  premier  Pharaon. 


est  reportée  jusqu'à  tais  pleurant  la  mort  d'Osiris.  Les  questions  que  ce  chant  soulève  ont  été 
débattues  par  deux  égyptologues,  Brlgsch,  Die  Adonisklage  und  dos  Linoslied,  1853,  et  Laith,  Ueber 
den  jEgyptischr.n  Maneros  (dans  les  Sitzungsberichle  de  l'Académie  de  Munich,  1869,  p.  163-194). 

1.  Diodore  de  Sicile.  I,  45;  cf.  de  hide  et  Os  i  ride,  §  8  (édit.  Partiiey,  p.  1*2-13). 

2.  Dessin  de  Faucher-Gudin  d'après  Prisse  d'Avennes,  Monuments  Égyptiens,  pi.  XLVII,  2  et  p.  8-9). 
Les  feuilles  d'or  gravées  au  nom  de  Menés  sont  anciennes  et  remontent  peut-être  à  la  XX*  dynastie  : 
la  monture  est  entièrement  moderne,  sauf  les  trois  pendeloques  oblongues  en  cornaline. 

3.  C'est  un  trait  de  la  légende  osirienne  :  on  voit  représenté  à  Philae,  dans  le  petit  édifice  des 
Antonins,  un  crocodile  qui  traverse  le  Nil  portant  sur  son  dos  la  momie  du  dieu.  Le  même  trait  se 
retrouve  dans  le  conte  d'Onous  el-Oudjoud  et  de  Ouard  f'il-lkmàm,  où  le  crocodile  mène  le  héros 
vers  sa  belle  emprisonnée  dans  l'Ile  de  Phila?.  Ebers,  V Egypte,  trad.  franc.,  t.  Il,  p.  415-416,  a  montré 
comment  cet  épisode  du  conte  arabe  a  dû  être  inspiré  par  le  bas-relief  de  Phila?  et  par  la  scène  qu'il 
représente  :  le  temple  s'appelle  encore  Kasr,  et  l'Ile  Gêzirèt  Onous  el-Oudjoud. 

4.  Diodore  de  Sicile,  1,  89;  plusieurs  commentateurs  ont  voulu  très  gratuitement  transférer  cette 
légende  au  compte  d'un  roi  de  la  XII*  dynastie,  Amcnemhâtt  III.  Il  n'y  a  aucun  motif  de  douter  que 
Diodore  ou  l'historien  chez  lequel  il  se  renseignait  n'ait  transcrit  exactement  un  roman  dont  Menés 
était  le  héros  (Uxger,  Manetho,  p.  82,  130-131)  :  s'il  s'y  est  mêlé  des  traditions  relatives  à  d'autres 
rois,  le  fait  n'a  rien  d'étonnant  et  répond  à  ce  que  nous  savons  de  la  composition  des  contes  égyptiens. 

5.  Manétbos  dans  MAller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  II,  p.  539-540.  C'était,  dans 
les  romans  populaires,  une  fin  ordinaire  aux  criminels  de  toute  sorte  (Maspero,  les  Contes  populaires 
de  V Egypte  ancienne,  2*  édit..  p.  59-62);  nous  verrons  un  autre  roi,  le  fondateur  de  la  IX*  dynastie, 
Akhthoès,  périr  comme  Menés  sous  la  dent  d'un  hippopotame,  après  avoir  commis  des  méfaits  atroces. 

6.  De  Iside  et  Osiride,  §  8  (édit.  Parthey,  p.  12-13);  Diodore,  I,  45;  Alexis  dans  Athénée,  X,  p.  418  e. 


236  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE   DE   L'EGYPTE. 

On  l'adorait  dans  Memphis  à  côté  de  Phtah,  et  de  Ramsès  II;  son  nom  figurait 
en  tête  des  listes  royales,  et  son  culte  se  perpétua  jusque  sous  les  Ptolémées. 
Ses  premiers  successeurs  n'ont  comme  lui  que  l'apparence  de  la  réalité. 
Les  listes  en  fournissent,  il  est  vrai,  la  série  complète  avec  le  chiffre  des 
années  qu'ils  ont  régné  à  un  jour  près,  parfois  avec  la  durée  de  leur  vie1, 
mais  on  se  demande  où  les  chroniqueurs  s'étaient  procuré  tant  d'informations 
précises.  Ils  étaient  placés  à  l'égard  de  ces  vieux  rois  dans  la  même  posi- 
tion que  nous  :  ils  les  connaissaient  par  une  tradition  d'époque  postérieure, 
par  un  fragment  de  papyrus  conservé  accidentellement  dans  un  temple,  par 
la  rencontre  fortuite  de  quelque  monument  portant  leur  nom,  et  ils  en  étaient 
réduits  comme  nous  à  combiner  les  rares  éléments  qu'ils  possédaient,  ou 
à  suppléer  ceux  qui  leur  manquaient  par  des  conjectures,  selon  des  modes 
souvent  trop  hardis.  Rien  n'empêche  qu'ils  aient  recueilli  vraiment  dans  les 
souvenirs  du  passé  les  noms  des  personnages  dont  ils  ont  composé  les  deux 
premières  dynasties  thinites.  Ces  noms  présentent  une  forme  âpre  et  brève, 
une  signification  rude  et  sauvage  qui  conviennent  à  l'époque  de  demi-barbarie 
dans  laquelle  on  les  relègue  :  Ati  le  lutteur,  Teti  le  coureur,  Qenqoni  l'écra- 
seur,  semblent  bien  les  maîtres  qui  convenaient  à  des  peuples  chez  qui 
le  premier  devoir  du  chef  était  encore  de  mener  les  siens  au  combat  et  de 
frapper  plus  fort  que  personne  au  plus  épais  de  la  mêlée1.  Les  inscriptions 
nous  fournissent  la  preuve  que  certains  d'entre  eux  ont  vécu  et  régné  :  Sondi, 
qu'on  classe  dans  la  IIe  dynastie,  recevait  un  culte  suivi  vers  la  fin  de  la  IIIe3. 
Mais  tous  ceux  qui  le  précèdent  et  tous  ceux  qui  le  suivent  ont-ils  existé 
comme  lui?  et  s'ils  ont  existé,  l'ordre  et  le  lien  qu'on  établit  entre  eux  sont-ils 
conformes  à  la  réalité?  Les  listes  diverses  ne  portent  pas  les  mêmes  noms  aux 

1.  C'est  ce  qui  se  passe  dans  le  Canon  Royal  de  Turin,  où  les  règnes  et  la  vie  de  chaque  souverain 
sont  indiqués  en  années,  en  mois  et  en  jours,  dans  la  plupart  des  cas. 

2.  Les  égyptiens  avaient  coutume  d'expliquer  aux  étrangers  le  nom  de  leurs  rois,  et  le  Canon 
d'Eratosthènes  nous  a  conservé  beaucoup  de  leurs  traductions,  dont  un  certain  nombre,  ainsi  celle 
de  Menés  par  ocùovto;,  le  durable,  sont  assez  exactes.  M.  Krall  (Die  Composition  und  die  Schicksale 
des  Manethonischen  GeschichUwerkes,  p.  16-19)  est,  à  ma  connaissance,  le  seul  égyptologue  qui  ait 
essayé  de  tirer  du  sens  de  ces  noms  quelques  indications  sur  les  procédés  que  les  historiens  nationaux 
de  l'Egypte  avaient  employés  pour  rétablir  les  listes  des  premières  dynasties. 

3.  Son  prêtre  Shiri  nous  est  connu  par  une  stèle  en  forme  de  porte  du  Musée  de  Gizéh  (Mariette, 
Notice  des  principaux  monuments,  1876,  p.  296,  n°  996;  Maspkro,  Guide  du  visiteur,  p.  31-32,  213, 
n*993);  le  fils  et  le  petit-fils  de  Shiri,  Ankaf  et  Aasen,  sont  mentionnés  sur  un  monument  du  Musée 
d'Aix  (Gibekt-Dkvkria,  le  Musée  d'Aix,  p.  7-8,  n0-  1-2;  cf.  Wikdemanx,  On  a  monument  of  the  First 
Dynasties,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  IX,  p.  180-181),  avec  le 
même  sacerdoce  que  Shiri  exerçait  déjà.  Une  partie  du  monument  de  celui-ci  est  à  Oxford  (Marmora 
Oxoniensia,  2"  partie,  pi.  1;  Lkpsus,  Auswahl,  pi.  IX),  une  autre  à  Florence  (Schiaparelli,  Museo 
Archeologico  di  Firenze,  p.  230-232).  La  notice  de  son  tombeau  se  trouve  dans  Mariette,/»  Masta- 
bas, p.  92  sqq.  Un  bronze  saïte  était  censé  représenter  Sondi  :  il  est  passé  de  la  collection  Posno 
(Catalogue,  Paris,  1883,  n°  53,  p.  14)  au  Musée  de  Berlin.  Le  culte  de  ce  prince  durait  encore 
ou  venait  d'être  rétabli  sous  les  Ptolémées  (E.  de  Rontf,  Recherches  sur  les  monuments,  p.  31). 


LES  DEUX  PREMIERES  DYNASTIES  THINITES.  237 

mêmes  places;  elles  ajoutent  certains  Pharaons  ou  les  suppriment  sans  raison 
appréciable  pour  nous.  Où  Manéthon  inscrit  Kenkénés  et  Ouénéphés,  les  tables 
du  temps  de  Séti  I"  préfè- 
rent Ati  et  Ata  ;  il  compte 
neuf  princes  à  la  11'  dynas- 
tie, quand  elles  n'en  veu- 
lent enregistrer  que  cinq1. 
I<es  monuments  nous  ap- 
prennent en  effet  que 
l'Egypte  avait  obéi  jadis  à 
des  maîtres  que  ses  anna- 
listes ne  savaient  plus  com- 
ment classer  :  par  exem- 
ple, ils  associent  à  Sondi 
un  Pirsenou  que  les  chro- 
niques ont  négligé  de  re- 
cueillir. Il  faut  donc  pren- 
dre tout  ce  début  de  l'his- 
toire pour  ce  qu'il  est, 
pour  un  système  inventé 
longtemps  après  coup,  au 
moyen  de  combinaisons  et 
d'artifices  variés,  qu'on  doit 
accepter  en  partie,  faute  de 
rien  avoir  à  lui  substituer, 
mais  sans  lui  accorder  cette 
confiance  excessive  dont  on 
l'a  honoré  jusqu'à  présent. 

•  1  j  «Il    •      ■  STELE    EX    rORIK    DE    MUTE    lit:    TOXHAi:    DE    SKI  M*. 

Les  deux  dynasties  Thini- 

tes,  cette  lignée  directe  du  fabuleux  Mènes,  n'offraient  comme  lui  pour  histoire 

qu'un  tissu  de  contes   romanesques  et  de  légendes  miraculeuses.  Une   grue 

1.  L'impossibilité  de  ramener  les  uns  aux  autres  h>s  iibbs  lien  listes  grecques  et  pharaoniques  u  été 
admise  par  la  plupart  des  savants  qui  se  sont  occupes  du  ces  matières,  Mariette  (la  Noueetle  Table 
d'Abydoi,  p.  '.i  sqq.j,  R.  de  Rougé  (Hecherehet  «ur  la  monuments,  p.  18  sqq  .),  Mehleiii  [Hri-hrrrhn 
sur  la  Chronologie  Égyptienne,  p.  lî  sqq.),  Wlrdeminn  (.-Egypliurlie  Getehichle,  p.  Uîi-1i>:(,  ifji;- 
IB7,  etc.);  la  plupart  d'entre  eu\  cipliquenl  le-  différences  en  supposant  que,  dans  bien  des  eas,  l'une 
des  lisle»  >  conservé  le  cartouche-nom,  l'autre  le  cartouche-prénom  d'un  même  roi. 

t.  Ùemin  de  Boudier  daprn  une  photographie  d'Emile  Urugich-Bey,  gui  reproduit  la  ttèle  fOS7 
du  Mutée  de  GiUh  (JUspeec-,  Guide  du  Vilileur  au  IHuiée  de  Bouiag,  p.  31-34,  413). 


238  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE   DE  L'EGYPTE. 

à  deux  têtes,  apparue  dans  la  première  année  de  Téti,  fils  de  Menés,  avait 
présagé  une  longue  prospérité  à  l'Egypte1,  mais  sous  Ouénéphès  une  famine*, 
sous  Sémempsès  une  peste  terrible,  avaient  dépeuplé  le  pays3  :  les  lois 
s'étaient  relâchées,  de  grands  crimes  avaient  été  commis,  des  révoltes 
avaient  éclaté.  Un  gouffre  s'était  ouvert  près  de  Bubaste,  pendant  le  règne 
de  Boêthos,  et  avait  englouti  beaucoup  de  gens4,  puis  le  Nil  avait  roulé  du  miel 
quinze  jours  durant  au  temps  de  Népherchérès5,  et  Sésôchris  passait  pour 
avoir  eu  la  taille  d'un  géant8.  Quelques  détails  sur  les  constructions  royales 
se  mêlaient  à  ces  prodiges  :  Téti  avait  jeté  les  fondations  du  grand  palais  de 
Memphis7,  et  Ouénéphès  avait  bâti  les  pyramides  de  Ko-komè,  près  de  Saq- 
qarah8.  Plusieurs  des  vieux  Pharaons  avaient  publié  des  livres  de  théologie 
ou  rédigé  des  traités  d'anatomie  et  de  médecine9;  plusieurs  avaient  rendu  des 
lois  qui  duraient  encore  vers  le  commencement  de  l'ère  chrétienne.  L'un  d'eux 
s'appelait  Kakôou,  le  mâle  des  mâles  ou  le  taureau  des  taureaux.  On  expli- 
quait son  nom  en  racontant  qu'il  s'était  fort  occupé  des  animaux  sacrés;  il 
avait  proclamé  dieux  l'Hâpis  de  Memphis,  le  Mnévis  d'Héliopolis  et  le  bouc  de 
Mendès10.  Après  lui,  Binôthris  avait  conféré  le  droit  de  succession  à  toutes  les 
femmes  de  sang  royal11.  L'avènement  de  la  IIIe  dynastie,  Memphite  à  ce  que 
dit  Manéthon,  ne  changea  rien  d'abord  au  cours  miraculeux  de  cette  histoire. 
Les  Libyens  s'étaient  révoltés  contre  Néchérophès,  et  les  deux  armées  cam- 
paient en  présence  :  une  nuit  le  disque  de  la  lune  s'élargit  démesurément,  au 
grand  effroi  des  rebelles,  qui  reconnurent  dans  ce  phénomène  un  signe  de  la 
colère  céleste  et  se  soumirent  sans  combat1'.  Le  successeur  de  Néchérophès, 
Tosorthros,  perfectionna  les  hiéroglyphes  et  la  taille  des  blocs  de  pierre  :  il 
composa  comme  Téti  des  livres  de  médecine,  qui  le  firent  identifier  avec  le 

1.  A  pion,  fragm.  11,  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorttm,  t.  III,  p.  514.  Élîen 
{llist.  Aiiim.,  XI,  40),  qui  nous  a  transrais  ce  fragment,  nomme  le  fils  de  Menés,  Oinis,  xa-à  tov 
(HviSa,  que  Bunsen  corrige  en  xax"ATcoôiSa  [<€gyptens  Sleile,  t.  II,  p.  46,  note  15),  sans  raison. 

2.  Manéthon,  dans  Mi'ller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  11,  p.  539-540. 

3.  Manéthon,  dans  Mî'ller-Diuot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  II,  p.  539-540. 

4.  Manéthon,  dans  MCîller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  II,  p.  542-543. 

5.  Manéthon,  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum ,  t.  Il,  p.  542-543.  Jean  d'An 
tioche,  on  ne  sait  d'après  qui,  plaçait  ce  miracle  sous  Binôthris  (MCller-Didot,  op.  /.,  t.  IV,  p.  539). 

G.  Manéthon,  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  II,  p.  542-543. 

7.  Manéthon,  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  II,  p.  539-540. 

8.  Manéthon,  dans  Mî'ller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  II,  p.  539-540. 

9.  Téti  avait  écrit  des  livres  d'anatomie  (Manéthon,  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum 
Grsecorum,  t.  II,  p.  539-540),  et  une  recette  pour  faire  croître  les  cheveux  était  attribuée  à  sa  mère, 
la  reine  Shishit  {Papyrus  Ebers,  pi.  LXV1,  1.  5).  Tosorthros,  de  la  III"  dynastie,  passait  également  pour 
avoir  composé  un  traité  de  médecine  (Manéthon,  dans  MCller-Didot,  op.  /.,  t.  II,  p.  544). 

10.  Manéthon,  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  II,  p.  5i2-543;   cf.  Krali.. 
Die  Composition  und  Schicksale  des  Manethonischen  Geschichtswerkes,  p.  4. 

11.  Manéthon,  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  II,  p.  542-543. 

12.  Manéthon,  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorum  Grsecorum,  t.  II,  p.  544-545. 


ORIGINE    DES   LEGENDES    SUR    LES   TROIS   PREMIÈRES   DYNASTIES.  239 

dieu  guérisseur  Imhotpou1.  Les  prêtres  racontaient  ces  choses  très  gravement 
et  les  écrivains  grecs  les  ont  recueillies  de  leur  bouche,  avec  le  respect  qu'ils 
accordaient  à  tout  ce  qui  venait  des  sages  hgyptiens. 

Ce  qu'on  disait  des  rois  humains  n'est  pas,  comme  on  voit,  beaucoup  plus 
varié  que  ce  qu'on  rappor- 
tait des  dieux.  Légendes  di- 
vines ou  légendes  royales, 
tout  ce  que  nous  connaissons 
procédait,  non  pas  de  l'ima- 
gination populaire ,  mais 
de  la  dogmatique  sacerdo- 
tale :  c'est  au  fond  des  sanc- 
tuaires qu'on  l'a  fabriqué 
après  coup,  dans  une  inten- 
tion et  avec  des  procédés 
que  les  monuments  nous 
permettent  parfois  de  pren- 
dre sur  le  fait*.  Vers  le 
milieu  du  m'  siècle  avant 
notre  ère,  les  troupes  grec- 
ques cantonnées  à  la  frontière 
méridionale,  dans  les  forts 
de  la  première  cataracte, 
conçurent  une  vénération 
particulière  pour  l'isis  de 
Philae.  Leur  dévotion  gagna 
les  officiers  supérieurs  qui 
venaient  les  inspecter,  puis 

la  population  de  la  Thébaide  entière,  et  se  répandit  jusqu'à  la  cour  des  rois 
macédoniens  :  ceux-ci,  entraînés  par  l'exemple,  encouragèrent  de  leur  mieux 
le  mouvement  qui  emportait  vers  un  sanctuaire  commun  et  réunissait  dans 
une   même  adoration  les  deux  races   sur  lesquelles  ils  régnaient.  Ils  mirent 

I.  M*n£thok,  dans  MCutB-Dinm,  Fragmenta  Hmlariiomm  Grmco 

t.  J'ai    résumé,  aux    ]>.    1AB-1TI    de  cette  Hittairc,  ce   que    la 
savait    ou  croyait    savoir  sur  les  bienfaits  dont  Kà,  Shou,  Sibou  avaient  comb 
cité  pendant  la  durée  de  leur  règne  terrestre. 

3.  Deuhi   de   Faucher-Gudiu,  d'aprèt  un  dei    ban-reliefi  du  temple  de  KAno 
{Dricription  de  l'Egypte.  Antiquité,.  I.  I.  p).  3ti,  t).  Ce  bas-relief  est  aujourd'hui 


21U  L'HISTO.IRE  LÉGENDAIRE  [>E  L'EGYPTE. 

bas  l'édifice  assez   mesquin  d'époque  saïte   dont    Isis  s'était  contentée  jus- 
qu'alors, construisirent  à  grands  frais  le  temple  qui  subsiste  encore  presque 
intact,  et  lui  assignèrent  en  Nubie   des  biens  considérables  qui,  joints  aux 
dons  des  particuliers,   tirent  de    la  déesse  le  propriétaire   le  plus   riche  de 
I  Egypte  méridionale.  Khnoumou  et  ses  deux  femmes,  Anoukît  et  Sattt,  qui 
avaient    été   avant   elle   les   suzerains   incontestés  de  la  cataracte, 
k.     virent  d'un   œil  jaloux  la  prospérité  de  leur  voisine  :  les  guerres 
civiles   et  les   invasions  des  derniers   siècles  avaient  ruiné  leurs 
temples,  et  leur  pauvreté  contrastait  péniblement  avec  la  richesse 
de  la   nouvelle  venue.  Les  prêtres  résolurent  de  remontrer  au   roi 
Ptolémée   leur  triste  situation,  les   services  qu'ils  avaient   rendus 
et  qu'ils  rendaient  encore  à  la  terre  d'Egypte,   surtout  la  générosité 
des  vieux  Pharaons,  dont  la  misère  des  temps  avait  seule  obligé  les 
Pharaons  récents  à  se  départir.  Sans  doute  les  pièces  authentiques 
Tianquaicnt  dans  leurs  archives  à  l'appui  de  leurs  prétentions  :  ils 
ravèrent  sur  un  rocher,  dans  l'ile  de  Sehel,  une  longue  inscription 
pj'ils   attribuèrent  à  Zosiri,  de  la  IIP  dynastie.  Ce   souverain  avait 
aissé    l'impression    assez    vague   de    quelqu'un    de    grand.    Dès    la 
VIP  dynastie.  Ousirtasen  III  le  réclamait  pour  «  son  père  »,  pour  son 
_   ancêtre,  et  lui  érigeait  une  statue';  les  prêtres  savaient  qu'en   se 
MioL'iiT.  plaçant   sous  son  invocation    ils   avaient  chance   d'être   écoutés. 

L'inscription  qu'ils  fabriquèrent  témoignait  qu'en  l'an  XVIII  de  son 
règne,  il  avait  expédié  à  Madir,  sire  d'Éléphantine,  un  message  ainsi  conçu:  ■  Je 
suis  accablé  de  douleur  pour  le  trône  même  et  pour  ceux  qui  résident  dans 
le  palais,  et  mon  cœur  s'afflige  et  souffre  grandement  parce  que  le  Nil  n'est  pas 
venu  en  mon  temps,  l'espace  de  huit  années.  Le  blé  est  rare,  les  herbages 
manquent  et  il  n'y  a  plus  rien  à  manger;  quand  n'importe  qui  appelle  ses  voi- 
sins au  secours,  ils  se  hâtent  de  n'y  pas  aller.  L'enfant  pleure,  le  jeune  homme 
s'agite,  les  vieillards  leur  cœur  est  désespéré,  les  jambes  repliées,  accroupis 
à  terre,  les  mains  croisées,  les  courtisans  n'ont  plus  de  ressources;  les  maga- 
sins qui  jadis  étaient  bien  garnis  de  richesses,  l'air  seul  y  entre  aujour- 
d'hui, et  tout  ce  qui  s'y  trouvait  a  disparu.  Aussi  mon  esprit,  se  reportant 
aux  débuts  du  monde,  songe  à  s'adresser  au  Sauveur  qui  fut  ici  où  je  suis 
pendant   les  siècles  dos   dieux,    à  Thot-lbis   ce  grand   savant,   à  Imliotpou 

I.  La  hase  inulilée  en  est  conservée  aujourd'hui  dan»    le  Musée  fijcyptk-n  de  Berlin    (Kmmn,    In-- 
zeichniia  ilrr  /Egyptitclirii  Allerlùmer  uml  Ciinabyûite,  ji.  3J,  n*  !M*). 


LA  STÈLE  DE  LA  FAMINE. 


y    Vn 


vie 


désastre  souffert  par  l'Egypte.  Zosiri  se  ren- 
dit au  temple  de  la  cité,  offrit  les  sacrifices  réglementaires;  le  dieu  se  dressa, 
ouvrit  les  yeux,  palpita,  s'écria  à  haute  voix  :  «  Je  suis  Khnoumou  qui  t'a 
créé!  <•  lui  promit  le  retour  prochain  des  hautes  eaux  et  la  fin  de  la  famine. 
Pharaon  s'émut  de  la  bienveillance  que  son  père  divin  lui  témoignait;  il  rendit 
aussitôt  un  décret  par  lequel  il  cédait  au  temple  tous  ses  droits  de  suzeraineté 
sur  les  cantons  du  voisinage  jusqu'à  la  distance  de  vingt  milles.  Désormais 
la  population  entière,  cultivateurs  ou  vignerons,  pécheurs  et  chasseurs, 
payerait  aux  prêtres  la  dime  de  ses  revenus;  on  n'exploiterait  les  carrières 
qu'avec  l'assentiment  de  Khnoumou  et  à  la  condition  de  verser  une  indem- 
nité convenable  dans  ses  caisses;  enfin,  les  métaux  et  les  bois  précieux  qui 
prendraient  la  voie  d'eau  afin  de  pénétrer  en  hgypte  seraient  soumis  à  des 
droits  de  péage  pour  le  compte  du  temple*.  Les  conséquences  que  le  clergé 
local  prétendait  déduire  de  ce  récit  romanesque  furent-elles  admises  par  les 

1.  betiiii  de  liuudier,  d'apréi  la  photographie  de  Dérèria  [1864}  \  au  premier  plan,  le  lombcnu  de  Ti. 

ï.  C'est  l'inscription  recouverte  par  M.  Wilbour,  à  Sehel  en  iBW,  et  publiée  par  BariisCH,  Die  llibti- 
sehen  ticbcii  Jakre  der  llungrrmolh,  et  par  Plkyti,  Schenkinijioorkonile  van  PckiHe  uit  kel  18*'  Jaar 
van  Koniny  Tasrrtaris  (titrait  îles  Comptes  rendus  île  ['Académie  des  Science-  d'Amsterdam,  :)■■  '.cric. 
i.  VIII):  cf.  «isptitodnn»  b  Revue  Critique,  ISLii,  1.  II,  p.  I4!l  sqq.  U  lecture  nielle  du  nom  royal  a  été 
îndii|uéc  presque  aussitôt  après  ta  trouvaille,  par  SleindorlT,  dans  la  Zeittchrift,  t.  XXVIII,  p.  Hl-tli. 


242  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

Ptolémées,  et  le  dieu  rentra-t-il  en  possession  des  domaines  ou  des  redevances 
qu'on   affirmait  lui    avoir  appartenus?    La    stèle  nous  montre    avec  quelle 
aisance  les  scribes  forgeaient  les  actes  officiels  dont  les  nécessités  de  la  vie 
journalière  leur  révélaient  le  besoin  ;  elle  nous  apprend  du  même  coup  com- 
ment s'élabora  cette  chronique  fabuleuse  dont  les  écrivains  classiques  nous 
ont  conservé  les  débris.  Chacun  des  prodiges,  chacun  des  faits  que  Manéthon 
rapporte,  était  extrait  d'une  pièce  analogue  à  l'inscription  supposée  de  Zosiri1. 
L'histoire  réelle  des  premiers  siècles  échappe  donc  à  nos  recherches,  et 
aucun  document  contemporain  ne  nous  retrace  les  vicissitudes  que  l'Egypte 
traversa  avant  de  se  constituer  en  un  royaume  unique  entre  les  mains  d'un 
seul   homme.  Plusieurs  noms  avaient  surnagé  dans  la  mémoire  du  peuple 
comme  ceux  de  princes  puissants  et  illustres  :  on  les  avait  réunis,  classés, 
divisés  en  dynasties  d'allure  régulière,  mais  ce  qu'ils  recouvraient  au  juste, 
on  l'ignorait,  et  les  historiens  en  étaient  réduits  à  recueillir  des  traditions 
apocryphes  sur  leur  compte  dans  les  archives  sacrées.  Pourtant  les  monu- 
ments de  ces  âges  reculés  n'ont  pas  dû  disparaître  entièrement  :  ils  existent 
quelque  part  où  nous  ne  songeons  pas  encore  à  porter  la  pioche,  et  le  hasard 
des  fouilles  nous  les  rendra  certainement  un  jour  ou  l'autre.  Ceux  que  nous 
possédons  en  petit  nombre  ne  remontent  guère   au  delà  de  la  IIIe  dynastie  : 
c'est  l'hypogée  de  Shiri,  prêtre  de  Sondi  et  de  Pirsenou',  c'est  peut-être  le 
tombeau  de  Khouîthotpou  à  Saqqarah3,  c'est  le  grand  Sphinx  de  Gizéh,  c'est 
une  courte  inscription  des   rochers  de  l'Ouadi-Maghârah,  qui  nous  montre 
Zosiri,  celui-là  même  de  qui  les   prêtres  de    Khnoumou    se    réclamaient   à 
l'époque  grecque,  exploitant  les  mines  de  turquoises  ou  de  cuivre  du  Sinaï*; 
c'est  enfin  la  pyramide  à  degrés  où   ce  Pharaon   reposa5.  Elle  présente  une 

1.  La  légende  du  gouffre  ouvert  à  Bubastis  devait  ko  rattachera  des  donations  que  le  roi  Boêthos 
aurait  faites  au  temple  de  cette  ville,  pour  réparer  les  pertes  que  la  déesse  avait  subies. à  cette  occasion  ; 
celle  de  la  peste  et  de  la  famine  à  quelque  secours  apporté  par  un  dieu  local,  et  dont  Sémcmpsès  et 
Ouénéphés  auraient  témoigné  leur  reconnaissance  à  la  façon  de  Zosiri.  La  tradition  des  restaurations 
successives  de  Dendérah  (Pi  michkn,  Bauurkunde  der  Tem  pela  nia  g  en  von  Dendera,  pi.  XVI,  a-b,  et 
p.  15,  18-19)  nous  rend  compte  des  constructions  attribuées  à  Téti  I#r  et  à  Tosorthros;  enfin,  les 
découvertes  prétendues  de  livres  sacrés,  dont  il  a  été  question  ailleurs  (p.  224-245),  montrent  com- 
ment Manéthon  a  pu  prêter  à  ses  Pharaons  la  rédaction  d'ouvrages  de  médecine  ou  de  théologie. 

2.  Mariette,  les  Mastaba»  de  l'Ancien  Empire,  p.  92-91,  et  les  fragments  indiqués  plus  haut,  p.  236. 

3.  Mariette,  les  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  68-70.  Mariette  reporte  la  construction  du  tombeau 
de  Khàbiousokari  à  la  Ire  dynastie  (p.  73);  je  ne  pense  pas  qu'on  puisse  la  ramener  au  delà  de  la  III*. 

4.  Ce  texte,  qui  ne  porte  que  le  titre  d'Horus  du  souverain,  a  été  recueilli  par  Bénédite,  il  >  a 
quatre  ans  ;  c'est  la  plus  ancienne  de  toutes  les  inscriptions  historiques  de  l'Egypte. 

5.  La  stèle  de  Séhel  a  permis  de  constater  que  le  protocole  du  roi  enterré  dans  la  pyramide  à  degrés 
est  identique  à  celui  du  roi  Zosiri  :  c'est  donc  Zosiri  qui  construisit  ou  qui  aménagea  le  monument 
pour  en  faire  son  tombeau  (Bfugsch,  Der  Kônig  Ihter,  dans  la  Zeitschrift,  t.  XXVIII,  p.  110-111).  La 
pyramide  à  degrés  de  Saqqarah  a  été  ouverte  en  1819,  pour  le  compte  du  général  prussien  de  Minutoli, 
qui  a  donné  le  premier  une  description  sommaire  de  l'intérieur,  avec  les  plans  et  les  dessins  à  l'appui 
{lieite  zttm  Tempel  des  Jupiter  Ammon,  p.  295-299,  et  Atlas,  pi.  XXVI-XXV1II). 


LA  PYRAMIDE  *  DEGRÉS  DE  SAQQARAH.  W3 

masse  rectangulaire,  orientée  inexactement  avec  un  écart  de  4"35'  sur  le  Nord 
vrai,  allongée  de  l'Est  à  l'Ouest  par  120  m.  60  et  107  m.  30  de  côté, 
haute  de  59  m.  68.  Elle  se  compose  de  six  cubes  à  pans  inclinés,  en  retraite 
l'un  sur  l'autre  de  2  mètres  environ  :  le  plus  rapproché  du  sol  mesure  11  m.  48 
d'élévation,  le  plus  éloigné  8  m.  89.  Elle  a  été  construite  entièrement  avec  le 


calcaire  de  la  montagne  environnante.  Les  blocs  sont  petits,  mal  taillés,  les 
lits  d'assise  concaves,  pour  résister  plus  sûrement  à  la  poussée  des  maté- 
riaux et  aux  secousses  des  tremblements  de  terre.  Quand  on  explore  les 
brèches  de  la  maçonnerie,  on  reconnaît  que  la  face  extérieure  des  gradins  est 
comme  habillée  de  deux  enveloppes,  dont  chacune  possède  son  parement  ré- 
gulier. Le  corps  en  est  plein,  et  les  chambres  s'enfoncent  dans  le  roc  au-des- 

1 .  Deuin  de  Faucher-Gudin,  d'apre»  le  croquit  coloré  de  Segalo.  M.  Slern  (l)ic  Handliemerhungen 
;u  dcn  manetkonitchen  Kônigiraiion,  dans  la  Zeitichrift,  1883.  p.  90,  noie  1)  attribue  la  dérornliim 
ru  faïence  à  la  XXVI'  dynastie,  en  quoi  il  est  approuve  par  BùKCHtmiT,  die  Thùr  au»  lier  Slttftnpy- 
ramide  bel  Sakkara  (dans  la  Zeilschrifl,  l.  XXX,  p.  83-87).  Les  briques  cmailiéea  jaunes  et  vertes 
i[iii  portent  le  cartouche  de  Papi  I"  montrent  que  les  Egyptiens  des  dynasties  memphites  employaient 
déjà  les  revêtements  d'cmnîl  ;  on  peut  donc  penser  que.  si  tes  plaques  du  caveau  de  Zosiri  sont  vrai- 
ment d'époque  salle,  elles  ont  remplace  une  décoration  du  même  genre,  qui  remontait  au  temps 
même  de  la  construction,  et  dont  une  partie  subsiste  peut-être  encore  mêlée  aux  carreaui  de  date 
plus  récente.  La  chambre  a  été  dessinée  et  reproduite  en  noir  par  Minutoli  (Heine  sura  Tempei  de» 
Jupiter  Ammoii,  pi.  XX VIII),  en  rouleur  par  Segalo  dans  V«lp.biaki,  Nuova  lltuttraiionc  istorico-monv- 
menlale  del  Battit  rdrll'  Alto  Egitto,  pi.  C-,  cf.  Pciuhvt-Cmifiiei.  HUloire  de  l'art,  I.  I,  p.  8Ï3-8Ï1. 


244  L'HISTOIRE  LÉGENDAIRE  DE  L'EGYPTE. 

sous  de  la  pyramide.  Elles  ont  été  agrandies,  restaurées,  remaniées  souvent 
au  cours  des  siècles,  et  les  couloirs  qui  y  conduisent  forment  un  véritable 
dédale  au  milieu  duquel  il  est  périlleux  de  s'aventurer  sans  guide  :  portique  à 
colonnes,  galeries,  salles,  tout  aboutit  à  une  sorte  de  puits  fort  large,  au  fond 
duquel  l'architecte  avait  pratiqué  une  cachette,  destinée  sans  doute  à  contenir 
les  objets  les  plus  précieux  du  mobilier  funéraire.  Le  caveau  avait  gardé  jus- 
qu'au commencement  du  siècle  sa  parure  de  faïence  antique.  Il  était  émail  lé 
aux  trois  quarts  de  plaques  vertes,  oblongues,  légèrement  convexes  au 
dehors,  mais  plates  à  la  face  interne  :  une  saillie  carrée,  percée  d'un  trou, 
servait  à  les  assembler  par  derrière,  sur  une  seule  ligne  horizontale,  au  moyen 
de  tiges  flexibles  en  bois.  I<es  trois  bandes  qui  encadraient  l'une  des  portes 
sont  historiées  aux  titres  du  Pharaon  :  les  hiéroglyphes  s'enlèvent  en  bleu, 
en  rouge,  en  vert,  en  jaune,  sur  un  ton  chamoisé.  Les  villes,  les  palais,  les 
temples,  tous  les  édifices  que  les  princes  et  les  rois  avaient  construits  pour 
rendre  aux  générations  futures  le  témoignage  de  leur  puissance  ou  de  leur 
piété,  ont  disparu  au  cours  des  âges  sous  les  pieds  et  aux  fanfares  triom- 
phales de  vingt  invasions  :  seule  la  pyramide  a  survécu  et  le  plus  ancien  des 
monuments  historiques  de  l'Egypte  est  un  tombeau. 


dœh   i^tmâfihi/ioth  i*mùiatteJ  aeJ  l'&auirfeJ 

.-Le' roi,    la  reine'  et-    lejtJ  princenJ  royaux.    -  >-4  adminùtratinn    fntaraoniaite 

^-in   féodt dite  et.  les  c lettré  éy t/ptienjtJ,  leaJ  joldata.'. 

cJ.ii   bourtieoùieJ   aett)    tnllejtJ   et.    le>  jreuple'   destJ   campaaneriJ. 


riœJ  cùnetièrertJ  deJ  Cfizéa.  et.  de,'  C'âaaaraA  :  le'  aranii  ÔpAinx;  ùrc' 
majtaoarc.',  leur~'  cnapelle'  et.  au  décoration,  len.'  statu  esc  '  dit  dottéle',  le' 
caveau  -funéraires.  •  <. Importance'  denJ  tableaux  et.  deitJ  iexteitJ  fracétiJ 
daarc'  ùaJ  maitaotMJ  fjour^  lÂÙ>toire>  detiJ dynajtiea.} '  3/temnnitenJ. 

t-CeJ  rot  et.  la  familles  roualeJ.  -  ^dJouile.'  naturrJ  et.  titreaJ  du  aou- 
<-erain  ;  atiz.'  notnaJ  dJÙorunJ  et.  la  formation  f/roare/tivcs  du  protocole) 
pAaraoniaurJ.  -  .d,  étiquette'  rouale'  eM.  un.  véritalile'  ciutcJ  divin;  inayrnen,' 
et.  at.iiuesL'  j>iïy/liétiaii/-st>  deJ  SGbaman,  U  aert.  d intermédiaire*  entre'  letc> 
dieux  et.  aestJ  aufctrt,'.  -  ^•t/iaraon  danrtJ  aa  famille.';  aejtJ  diecttiocmentit.}, 
àe/tJ  occupations.  !  acte  '  ennuùc  '.  -  de,'  harem  ;  le*c'  fommetc',  la  reines,  aon 
origine-'.  Don  nfleS  auerêaJ  du  roi.  -  c£enJ  enfonirt.'  ;  leur-1  fdacc'  danic' 
l  Otai.  ;  teuntS  compétition  ttJ  pendant,  la  oieiUefoeJ  du  i_pèreS  et,  a  aa 
mort.  ;  la  aucceèâioa  au  ironeSet.  leaJ  révolu  tionnJ oui l  accompagnent*. 


*£a  cité  rouale.'  ;  les  LAdteau  ei-  ôa  ^population.  -  <U,a  aomeôttcité  eu 
àercJ  cAeJït,';  lert'  oouflfonrtJ,  1ère'  nainrcJ,  1ère'  mapicienrcJ  de?  âtnaraon.  -  <Xe' 
Jomain*  >  et  lenJ  etclavert  '  royaux,  le'  treàor-'eJL  1ère '  Aote/reJ  oui  en  afîureni-  le  > 
ôennec'  :  leaJ  topùc?  eJ-  1ère?  jnacereJ  yvout^  ta  rentrée  c/c?  lùnpà*..  -  jCe' 
acriie',  àott  éducation,  acre'  enancere?  de> ^fortune'  ;  ta  carrière. >  d 'J'Umten,  ocre* 
cÀaracreJ  àuccefîiverc,',  àa  jfortune> jverûonneueJ  à  la  ^fîn  de'  àa    vie\ 

JLa  jfeoaalité  égyptienne,'  ;  ta  condition  derc'  àeiqneuntJ,  leurra? 
droitre,',  leurre*  inaiàirre,',  teunrtJ  oédûjation/rj  enverre'  lc>  àouverain.  -  ^Jn/luence.' 
dereJ  dieux  ;  le/tJ  donationre'  aux  templerc?  cjl  lereJ  lienre'  deJ  mainmorte';  le.' 
deraé,  âa  niérarenée7  ei~  àon  recrutement.  -  cÂerc'  àou/aùe'  ;  leaJ  mervenaireaJ 
e'tranaerrc?  ;   /a  milice.'  indùfène',    àcreJ  jrriinleyere ',    àon   éducation. 

tÀe'peufdeJ'  derc?  villcreJ.  -  <J.erc>  eàclavere  ',  lercJ  hommereJ  àanreJ  maitreJ.  - 
oleaJ  em/douére  '  eu  ureJ  artiàonreJ;  1ère,'  corporationrtJ  ;  UreJ  miàèrerc'  dereJ  acnrc> 
deJ  métier-l  -  cLaàpecu  clerc?  tnllerc'  ;  lereJ  maiàonre',  le'  mooiuer^;  la  ^-femme' 
danrcJ  la  -famille  \  -  *J.e<zJ jfetereJ,  1ère.'  marenére)  périodiauere.',  lereJ  oazarre'  ; 
le> commerce.'  jjot^  écnanae,',  laveàée > dereJ métaux  précieux. 

<J*eJ  oeufdeJ   dere'   campcujncrc?.     -    <J*eaJ    tnUaaereJ;    lereJ  àeme',    1ère' 

patiàanre.'   liorerc'.     -    dere'   domaineaJ  ruraux;    le,'    cadaàtrcJ',     linufâu;    ut 

loàtonnadcl    1ère'  corvéereJ.     -  d  oraaniàation  de'  la /uàtice.',  1ère'  rcuwortrt7   au 

pauàan  avec  àerc'  àeianeurre';  ta  miàère7,    àa  réàùjptation 

et-  àa  aaieté  native  '    ton  impréeouance.',  àon 

indifférence.'   aux    révolutionrc' 

politiaue/el 


CHAPITRE   IV 

LA  CONSTITUTION    POLITIQUE   DE   L'EGYPTE 


4    PHAKAUMULK. 

e  r,i.znr.e  éciptiess,  les  soldats. 

ILLEÏ    ET    LE    PEUPLE    DES    CAMPAGNES. 

"■    -    prolongement   de    la   chaîne   Libyque    forme,    entre    le 

'ayouiii  et  la  pointe  du  Delta,   un  vaste  plateau  légère- 

it  ondulé,  qui  court  parallèlement  au   Nil   sur  une  lon- 

ueur  de  près  de   trente  lieues.   Le  grand    Sphinx   Har- 

makhis  en  gardait   l'extrémité  septentrionale  depuis    le 

temps  des  Suivants  d'Horus.  Taillé  en  plein  rec,  au  bord 

extrême  de  la  montagne,  on  dirait  qu'il  hausse  la  tête 

pour  être  le  premier  à  découvrir  par-dessus  la  vallée 

le  lever  de  son  père  le  Soleil.  Son  corps  effrité  ne 

retient  plus  du  lion  que  la  coupe  générale.  Le  bas 

de  la  coiffure  est  tombé  et  le  cou  semble  trop  faible 

pour  supporter  le   poids   du  crâne.   Des  mamelouks 

fanatiques  lui  ont  mutilé  le  nez  et  la  barbe  à  coups  de 

canon;  la  teinte  rouge  qui  avivait  les  traits  s'est  effacée 

presque  partout.  Et  pourtant,  l'ensemble  garde  jusque  dans  sa  détresse  une 

iription  de  l'Egypte.  A..  I 


«8  LA  CONSTITUTION  HMLITIUUE  UK  L'EGYPTE. 

expression  souveraine  de  force  et  de  dignité.  Les  jeux  regardent  au  loin 
devant  eux  avec  une  intensité  de  pensée  profonde,  la  bouche  sourit  encore,  la 
face  entière  respire  le  calme  et  la  puissance.  L'art  qui  a  conçu  et  modelé 
dans  la  montagne  cette  statue  prodigieuse  était  un  art  complet,  maître  de  lui- 
même,  sur  de  ses  effets.  Combien  de  siècles  ne  lui  a-t-il  pas  fallu  pour  arriver 
à  ce  degré  de  maturité  et  de  perfection  !  On  construisit  plus  tard  à  côté  du  dieu 
une  chapelle  d'albâtre  et  de  granit  rose;  des  temples  s'élevèrent  cà  et  là  dans 
les  endroits  les  plus  accessibles,  et  groupèrent  autour  d'eux  les  tombes  de  tout 


le  pays.  Un  enfouissait  les  gens  du  commun  sous  le  sable,  à  un  mètre  à  peine  de 
profondeur,  nus  à  l'habitude  et  sans  cercueils.  D'autres,  qui  appartenaient 
à  une  classe  plus  relevée,  reposent  dans  de  pauvres  chambres  rectangulaires, 
bâties  sommairement  en  briques  jaunes  et  surmontées  d'un  plafond  en  voûte 
ogivale.  Aucun  ornement,  aucun  objet  précieux  n'égayait  le  mort  dans  son 
misérable  gîte;  mais  des  vases  en  poterie  grossière  contenaient  les  provisions 
qu'on  lui  laissait  pour  le  nourrir  pendant  la  durée  de  sa  deuxième  existence*. 
Uuelques-uns  parmi  les  plus  riches  se  creusaient  leur  sépulture  dans  une  des 
parois  de  la  montagne;  la  plupart  préféraient  se  préparer  un  tombeau  isolé, 
un  mastaba*,  comprenant  une  chapelle  extérieure,  un  puits  et   des  caveaux 

cil  pleure  unes  île    profession    prenaient  | drml    les    funérailles;  le  poing  droit    fermé   pose  a  lerre. 

taudis  <pie  la  iiiain  «anche,  répand  sur  les  cheveu  v.  la  poussière  qu'elle  vient  de  ramasser.  Celle 
«talue  provient  du  musée  de  fiixéh  (M.vmstte,  Album  photographique  du  muter  de  Raulaq,    pi.  M). 

t .  Destin  de  Faiicher-Gndiu,  d'après  le  croquis  de  Lrpsius  (Vtnkm.,  II.  ïii).  La  pierre  d'angle, 
au  commet  du  mastaba,  à  l'extrémité  gauche  de  ta  bande  d'hiéroglyphes,  avait  été  descellée  et  jetée 
sur  le  sol  par  quelque  Ibuillcur;  le  dessinateur  l'a  remise  a  sa  place  primitive. 

t.  MiaiiiTTt,  Sur  les  lombes  de  l'Ancien  Empire  que  l'on  Ironie  à  Saqqarah,  p.  î-3  (lltv.  Ane»., 
i'sér.,  t.  XIX,  p.  (Ml),  et  les  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  17-18. 

;i.  ■  On  appelle  en  arabe  mastabah,  pi.  masatib,  la  banquette  ou  l'estrade  construite  on  pierre. 
qu'on  voit  dans  les  rues  îles  villes  égyptiennes  en  avant  de  chaque  boutique.  Ou  étend  un  tapis  sur  le 
mastaba  et  le  client  s'y  assied  pour  traiter  des  alTaires.  le  plus  souvent  à  cûté  du  marchand.  Il  existe, 
dans  la  nécropole  de  Saqqarah,  un  temple  qui  a.  dans  ses  proportions  gigantesques,  la  forme  d'un 
mtutaba.  Les  habitants  du  voisinage  le  nomment  Hattabat-cl-Furâoun,  le  Siège  de  l'haraon,  croyant 
qu 'autrefois  un  Pharaon  s'y  asseyait  pour  rendre  la  justice.  Dr  les  tombes  meinphites  de  l'Ancien 
hinpiie  qui  couvrent  en  si  grand  nombre  le  plateau  de  Saqqarah  sont  toutes  construites  djins  des 
proportions  plus  ou  moins  réduite-  sur  le  type  du  Hastabat-el-Fardoun.   Do  là  le  nom  de  Mastabas 


LES  CIMETIÈRES  DE  CIZÉH   ET  DE  SAQQARAH.  249 

souterrains.  Les  chapelles  semblent  de  loin  une  pyramide  tronquée,  dont  les 
dimensions  varient  selon  la  fortune  ou  le  caprice  du  maitre  :  on  en  connaît  qui 
mesurent  dix  ou  douze  mètres  d'élévation,  cinquante  mètres  de  façade,  vingt- 
cinq  mètres  de  profondeur,  tandis  que  d'autres  n'atteignent  pas  trois  mètres 
de  haut  sur  cinq  mètres  de  large1.  Les  murs  s'inclinent  symétriques  et  sont 
lisses    le    plus   souvent;    quelquefois   cependant  leurs  assises   s'étagent  en 


retraite  l'une  sur  l'autre  et  forment  presque  gradin.  Les  mastabas  en  briques 
étaient  cimentés  soigneusement  à  l'extérieur  et  les  lits  reliés  en  dedans  par  du 
sable  fin  coulé  dans  les  interstices.  Au  contraire,  les  mastabas  en  pierre  n'of- 
frent de  régulier  que  l'appareil  de  leurs  parements  ;  neuf  fois  sur  dix,  le  noyau 
se  compose  de  moellons  équarris  rudement,  et  de  gravats  noyés  dans  de 
la  boue  desséchée  ou  même  jetés  au  hasard  sans  mortier  d'aucune  sorte.  La 
masse  en  devait  être  orientée  canon iquement,  les  quatre  faces  aux  quatre 
points  cardinaux,  le  plus  grand  axe  dirigé  du  Nord  au  Sud;  mais  les  maçons 

beaux.  •  (Mawettk,  la  Mattàbat  de  [Ancien  Empire,  p.  Îi-Î3.) 

t.  Le  mastaba  du  Sabou  a  cinquante-trois  (53  m.  58)  mètre»  de  long  sur  environ  vingl-sii  (i6  m.  75) 
de  large,  encore  deux  de  ses  faces  sont-elles  dépourvues  de  revêtement  (Mariette,  te*  Mattàbat. 
p.  143);  celui  de  Ranimait  mesure  cinquante-deux  mètres  (Sî  m.  ÏO)  sur  vingt-cinq  (15  m.  5tl)  à  la 
face  Sud  et  trente  (30  m.  50)  a  la  face  Word  {id.,  p.  îîî).  En  revanche  le  mastaba  de  Papou  ne  compte 
que  six  mètres (3  m.  90)  sur  huit  (8  m.  10)  de  longueur  (irf.,  p.  301)  et  celui  de  Khabiouphtah  (id..  p.  Ï94) 
douze  mètres  (11  m.  90)  sur  six  (6  m.  60). 

1.  Dettin  de  Boudier,  d'aprei  une  photographie  d'Emile  Bmgtr.h-Uey,  priie  au  court  dit  fouilla 
entreprîtes  en  fSflfi,  avec  le  produit  d'une  touteriptian  publique  ouverte  par  te  Journal  det  Oébalt. 


Î50  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

ne  se  préoccupaient  guère  de  pointer  le  Nord  juste,  et  l'orientation  est 
défectueuse  à  l'ordinaire'.  Les  portes  regardent  le  Levant,  quelquefois  le 
Septentrion  ou  le  Midi,  jamais  le  Couchant.  L'une  d'elles  n'est  qu'un  simu- 
lacre, une  niche  étroite,  haute,  ménagée  dans  la  face  Est  et  décorée  de  rainures 

qui  encadrent  une  baie 
murée  soigneusement 
elle  appartenait  au  mort  et 
l'on  croyait  que  l'ombre  y 
entrait  et  en  sortait  à  son 
gré.  Celle  des  vivants, 
qu'un  portique  précède 
quelquefois,  se  distingue 
presque  toujours  par  une 
simplicité  extrême,  l'n 
tambour  cylindrique  ou 
une  dalle  plate  la  couron- 
nent, qui  portent  tantôt  le 
seul  nom  du  défunt,  tan- 
tôt ses  titres  et  sa  filiation, 
rtTimAiiiRou,  «ssis  beïmt  ie  repss  Kraliint'. 

tantôt  une    prière   en   sa 

faveur  et  rémunération  des  jours  auxquels  il  entend  recevoir  le  culte  dû  aux 
ancêtres.  On  y  invoque  pour  lui,  en  termes  presque  invariables  dans  leur 
précision,  le  Dieu  Grand,  l'Osiris  de  Mendès,  ou  bien  «  Anubis,  résidant  au 
palais  divin',  pour  qu'une  sépulture  soit  donnée  dans  l'Amentît,  la  contrée 
de  l'Ouest,  la  très  grande  et  la  très  bonne,  au  féal  du  Dieu  Grand,  pour  qu'il 
marche  sur  les  voies  où  il  est  bon  de  marcher,  le  féal  du  Dieu  Grand  ;  pour 
qu'il  ait  des  liturgies  en  pains,  gâteaux  et  liqueurs,  à  la  fête  du  commen- 
cement de  l'année,  à  la  fête  de  Thot,  au  premier  jour  de  l'an,  à  la  fête 
d'Ouagaît*.  à  la  grande  fête  du  feu,  à  la  procession  du  dieu  Mînou,  à  la 
fête  des  offrandes,  aux  fêtes  du  mois  et  du  demi-mois,  et  chaque  jour*  ». 

I.  Ainsi  l'axe  du  tombeau  de  Pirsenou  est  de  17°  à  l'est  du  nord  magnétique  (Mariette,  la  M/ula- 
bat,  |).  399).  Dans  quelques  cas  l'écart  n'est  que  de  1°  ou  *»;lc  plus  souvent,  il  est  de  6°,  7°,  8°  ou  M0, 
comme  on  s'en  assurera  aisément  en  parcourant  l'ouvrage  de  Mariette. 

ï,   Deaêin  de  Itoudicr,  d'aprii  une  photographie  du  monument  original,  gui  rit  comervê  au  muter 
de  Liirrpool,  cf.  Gattt,  Catalogue  ofthe  Mayrr  Collection;  I.  Eggptian  Antiquitiei,  n"  194,  p.  15. 
3.  Le  palaii  divin  est  le  palais  d'Osiris.  Anubis  y  servait  d'huissier  et  l'on  jugeait  sa  protection 
i  voulait  être  admis  en  présence  du   bien  Grand  (cf.  p.  187  sqq.  de  celte  Hittoire). 
était  la  fêle  des  morts,  célébrée  dans  les  premiers  jours  de  l'année,  le  18  Thot. 
Satire  det  prinripanr  monument*    eipotêt  dont   If  galerie»  proviioim    ilu    Mutée 


LA  CHAPELLE  DES  MASTABAS.  251 

La  chapelle  est  petite  en  général,  et  se  perd  presque  dans  la  niasse  de  l'édi- 
fice'. Elle  ne  comporte  guère  à  l'ordinaire  qu'une  seule  chambre  oblongue, 
où  l'on  accède  par  un  corridor  assez  court*.  Au  fond  et  encastrée  dans  la  paroi 


ouest*,  se  dresse  une  stèle  quadrangulaire  de  proportions  colossales,  au  pied 
de  laquelle  on  rencontre  une  table  d'offrandes  en  albâtre,  en  granit,  en  cal- 
caire, posée  à  plat  sur  le  sol,  et  quelquefois  deux  petits  obélisques  ou  deux 

d'Antiquité»  Égyptienne»,  180-1,  p.  iil-îi:  Sur  les  lombetde  CAncien  Empire  que  l'an  Iraure  à  Saq- 
garah,  p.  3-8(IIky.  Ascii.,  f  sér..  XIX.  p.  B-14J;  tel  Maitabai  de  l  Ancien  Empire,  p.  ÎI-3S.  Pour  une 
deseriptimi  plus  complète  fit  plus  technique  des  Mastabas  de  l'époque  luemphite,  voir  Pekhoi-Oupeei, 
Hilloire  de  CArt  dans  l'Antiquité,  t.  I,  p.  160-118,  et  Maspkho,  Arcliéologie  Égyptienne,  p.  10M-113. 

I.  Ainsi  la  chapelle  du  mastaba  de  Sabou  n'a  que  4  m.  35  de  long  sur  environ  I  mètre  de  large 
(M.utiKTTE,  Ici  Maitabai,  p.   1-13),  colle  du  tombeau  de  l'hlahshopsisou.  S  m.  IS  sur  1  m.  I0(irf..  p.  131), 

t.  Le  maslaha  de  Tint!  a  quatre  chambres  (Mimette.  la  Mmtabat,  p.  149),  comme  aussi  celui 
d'Assi-onkhou  [id..  p.  t!"l),  mais  ce  sont  des  exceptions,  ainsi  qu'on  s'en  »surera  en  feuilletant  l'uu- 
vrap!  de  Mariette.  La  plupart  des  mastabas  à  plusieurs  r  h  a  m  tire:,  sent  d'iiiieie-ns  maslihas  à  une  seule 
chambre  qu'on  a  remaniés  ou  agrandis  postérieurement  :  ainsi  le  mastaba  de  Shopsi  (id.,  p.  iOli),  celui 
d'Ankhaftouka  (id.,  p.  (MM).  Quelques-uns  pourtant  ont  élé  construits  du  premier  jet  avec  toutes  leurs 
pièces,  celui  de  llàdiikhoumai  avec  ~i\  chambres  et  plusieurs  niches  (id.,  p.  98(1).  celui  de 
kiiàhinuplilah  mec  truis  chambres,  des  niches  el  un  portail  décore  de  deux  piliers  (id.,  p.  ifl.ij.  relui 
de:  Ti  avec  dciu  chambres,  une  cour  bordée  de  piliers,  un  portail,  de  longs  couloirs  sculptés  (id., 
p.  333-333),  eelui  de  Phtahhuipou  avec  sept  chambres  et  des  niches  (il/.,  p.  351). 

3.  Deiiinde  Faueher-Gndin,  iTaprèi  la  photographie  de  DPmicukK,  Hciultate.  t.  I.  pi.  i, 

i.  M.ibuttk,  Sur  tei  tombei  de  l'Ancien  Empire,  p.  8;  Ici  Mattabai  de  l'Ancien  Empire,  p.  33-311, 
où  il  faut  lire  Oueit,  au  lieu  de  Éit  que  porte  le  telle  publié.  La  règle  n'est  pas  aussi  absolue  que 
"ariette  le    pensait,  et  j'ai  roi  fie  quelques  eveiiqilcs  de  stèles  tournées  >ers  le  Nord  ou  ver»  le  Sud. 


2M  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

autels  évidés  au  sommet  pour  recevoir  les  dons  dont  il  est  parlé  dans  l'in- 
scription extérieure.  L'aspect  général  est  celui  d'une  porte  un  peu  étroite,  un 
peu  basse,  dont  la  baie  ne  serait  point  praticable1.  La  niche  qu'elle  forme  reste 
presque  toujours  vide  :  quelquefois  pourtant  la  piété  des  parents  l'a  remplie, 
et  la  statue  du  mort  s'y  encadre.  Debout,  le  buste  bien  effacé,  tête  haute,  face 
souriante,  elle  s'avance  comme  pour  amener  le  double,  du  réduit  ténébreux 
où  l'embaumement  le  confine,  aux  plaines  lumineuses  qu'il  habita  librement 
pendant  sa  vie  terrestre  :  encore  un  pas,  et  franchissant  le  seuil,  il  va 
descendre  le  petit  escalier  qui  aboutit  à  la  salle  publique.  Aux  jours  de 
fête  et  d'offrande,  quand  le  prêtre  et  la  famille  présentaient  le  banquet  rituel, 
cette  grande  figure  peinte  et  lancée  en  avant  s'animait  tout  entière  à  la  lueur 
tremblante  des  torches  ou  des  lampes  fumeuses  :  c'était  l'ancêtre  lui-même 
qui  semblait  saillir  de  la  muraille  et  apparaître  mystérieusement  au  milieu 
des  siens  pour  demander  leur  hommage.  L'inscription  du  linteau  répète  une 
fois  de  plus  son  nom  et  son  rang.  Les  bas-reliefs  taillés  sur  les  montants 
représentent  son  portrait  fidèle  et  celui  des  personnes  de  sa  famille.  La  petite 
scène  du  fond  nous  le  montre  assis  tranquillement  devant  sa  table,  et  même 
on  a  pris  soin  de  graver  à  côté  de  lui  le  menu  de  son  repas,  depuis  l'instant 
où  on  lui  apporte  à  laver  jusqu'à  celui  où,  toutes  les  ressources  de  l'art 
culinaire  étant  épuisées,  il  ne  lui  reste  plus  qu'à  regagner  son  logis,  satisfait 
et  béat.  La  stèle  symbolisait  en  effet  pour  les  visiteurs  la  porte  qui  con- 
duit aux  appartements  privés  du  défunt  :  si  on  la  clôt  à  tout  jamais,  c'est 
que  nul  vivant  n'en  doit  franchir  le  seuil.  L'inscription  qui  la  couvre  n'est 
pas  seulement  une  épitaphe  destinée  à  enseigner  aux  générations  futures  que 
tel  ou  telle  reposaient  là.  Elle  perpétue  le  nom  et  la  généalogie  de  l'individu 
et  lui  établit  un  état  civil,  faute  duquel  il  n'aurait  pas  conservé  de  person- 
nalité dans  le  monde  au  delà;  un  mort  anonyme,  de  même  qu'un  vivant  ano- 
nyme, était  comme  s'il  n'existait  pas.  Là  toutefois  ne  s'arrêtaient  point  les 
vertus  de  la  stèle  :  la  prière  et  les  images  qu'on  retraçait  sur  elle  assuraient 
comme  autant  de  talismans  la  subsistance  de  l'ancêtre  dont  elles  rappelaient 
le  souvenir.  Elles  obligeaient  le  dieu  qu'on  y  implore,  Osiris  ou  le  chacal 
Anubis,  à  servir  d'intermédiaire  entre  les  survivants  et  celui  qu'ils  avaient 
perdu  :  elles  lui  accordaient  la  jouissance  du  sacrifice  à  la  condition  qu'il 

1.  La  stèle  de  Shiri,  prêtre  des  Pharaons  Sondi  et  Pirsenou,  et  l'un  des  plus  anciens  monuments 
connus,  fournit  un  bon  exemple  de  ces  stèles  en  forme  de  porte;  cf.  p.  237  de  cette  Histoire,  et 
Maspero,  Guide  du  Visiteur  au  Musée  de  Boulaq,  p.  31-32,  où  la  stèle  de  Khàbiousokari  est  repro- 
duite, et  où  la  signification  des  stèles  de  ce  type  a  été  indiquée  pour  la  première  fois. 


LA  STELE  ET  SA  SIGNIFICATION  FUNÉRAIRE.  *53 

prélevât  la   part   de   l'homme   sur   les  bonnes  choses    qu'on  prodigue  à   la 
divinité  et  dont  elle  vit.  Grâce  à  lui,  l'âme  ou  plutôt  le  double  du  pain,  des 


boissons,  de  la   viande,  émigrait   dans    l'autre    monde   et  y    réjouissait    le 
double  humain.  Et  cette  offrande  n'avait  pas  besoin  d'être  réelle  pour  devenir 

1.  Dessin  de  Boudier,  d'après  la  photographie  de  M.  de  Morgan   prise  au  tombeau  de  tiirrouka. 


1S4  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

effective  :  le  premier  venu,  répétant  à  haute  voix  la  formule  et  le  nom 
inscrits  sur  la  pierre,  procurait  par  cela  seul  à  l'inconnu  qu'il  évoquait  la 
possession  immédiate  de  tous  les  objets  dont  il  récitait  l'énumération1. 

La  stèle  constitue  la  partie  essentielle  de  la  chapelle  et  du  tombeau.  Dans 
bien  des  cas  elle  est  gravée  seule,  car  elle  suffit  seule  à  entretenir  l'identité  du 
mort  et  à  continuer  sa  survie;  mais  souvent  les  parois  de  la  chambre  et  du 


couloir  ne  restaient  pas  nues.  Toutes  les  fois  que  le  temps  le  permettait  ou  la 
fortune  du  maître,  on  les  recouvrait  de  tableaux  où  les  idées  exprimées 
sommairement  par  l'inscription  et  par  les  figures  de  la  stèle  se  développaient 
en  scènes  et  en  discours.  L'agrément  de  l'œil  ou  la  fantaisie  du  moment 
ne  guidaient  nullement  les  artistes  dans  le  choix  des  motifs  :  dessins  et 
paroles,  tout  ce  qu'ils  composaient  avait  une  intention  magique.  Chaque  par- 
ticulier qui  se  bâtissait  une  maison  éternelle,  ou  bien  y  attachait  un  personnel 
de  prêtres  du  double,  d'inspecteurs,  de  scribes,  d'esclaves,  ou  bien  passait 
un  contrat  avec  les  prêtres  d'un  temple  voisin,  qui  devaient  (a  desservir  à 
jamais  :  des  terres,  prises  sur  son  patrimoine  et  qui  devenaient  les  domaines 

I.  Hispiio,  Éludes  de  Mythologie  et  il' Ai  rhéologie  Egyptiennes,  i.  I,  (i.  1-31,  Guide  du  vitïleur  au 
Muté*  de  boutai/,  p.  Hl  huij.,  cl  Archéologie  Egypliriiue,  p.    135  aqq. 

t.  Peniit  de  Faucher-dvdi»  d'aprti  un  estampage  pris  au  tombeau  de  Ti.  Les  domaines  sonl 
ligures  sous  la  forme  (in  Iciumes.  Leurs  noms  sonl  écrits  devant  chacune  des  figure*,  avec  le  nom 
du  propriétaire,  le  nabéca  de.  Ti,  let  deux  tycomorct  de  Tî.  le  Vin  de  Ti;  cf.  p.  3Î9  de  celle  Histoire. 


LA  DECORATION  DES  CHAPELLES  FUNERAIRES.         2SS 

de  la  maison  éternelle,  les  rétribuaient  de  leurs  peines  et  leur  fournissaient 
les  viandes,  les  légumes,  les  fruits,  les  liqueurs,  le  linge,  les  ustensiles  du 
sacrifice'.  En  principe,  ces  liturgies  se  perpétuaient  d'année  en  année  jusqu'à 
la  consommation  des  siècles;  en  réalité,  on  délaissait   la  plupart  des  morts 


d'autrefois  au  profit  des  morts  plus  récents,  après  trois  ou  quatre  générations. 
Le  donateur  avait  beau  multiplier  les  imprécations  et  les  menaces  contre  les 
prêtres  qui  négligeraient  leur  office  ou  contre  les  usurpateurs  du  bien  funé- 
raire1, le  moment  arrivait  tôt  ou  tard  où  le  double,  abandonné  de  tous,  ris- 
quait de  s'éteindre  faute  d'aliments.  Pour  obtenir  que  l'offrande  promise  et 
déposée  matériellement  le  jour  des  funérailles  persistât  à  travers  les  âges,  on 

1.  Xaipeso,  Élude»  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I.  p.  â3-75,  où  un  contrit  de 
ce  genre,  passé  entre  un  prince  de  Siout  et  les  prêtres  du  dieu  Ouipoualtou,  eat  expliqué  tout  au 
long;  cf.  Mariette,  1rs  Mastabas,  p.  313;  E.  et  J.  de  Rotoé,  Intcriptiont  hiéroglyphique»,  t.  I,  pi.  I. 

ï.  Destin  de  Faucher-Gvdin,  d'après  la  photographie  de  DChiceen,  Hetultate,  t.  I,  pi.  13. 

3.  Le  texte  mutilé  du  lombeau  de  Sononionkhou  offre  un  exemple  de  ces  menaces  pour  l'époque 
qui  nous  occupe  (Mariette,  les  Maitabns,  p.  313;  cf.  E.  et  J,  ne  Roïcê,  Inscriptions  hiéroglyphique», 
t.  1,  pi.  I).  On  trouve  aussi  des  formules  plus  courtes,  aux  tombeaux  de  Holpouhikhouit  (Mariette, 
Ici  Mastabas,  p.  34Î),  de  fctionou  (irf.,  p.  185)  et  de  Piinki  (Piebl,  intcriptiont  provenant  d'un  Mastaba 
de  la  VI'  dynastie,  dans  le*  Proceedings  ofthr  Society  of  Bihlrral  Arehsenlngy,  t.  XIII,  p.  tïl-lîfi). 


256  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

imagina  non  seulement  de  la  retracer  sur  la  chapelle,  mais  d'y  joindre  limage 
des  domaines  qui  la  produisaient  et  des  manœuvres  qui  concouraient  à  la  pré- 
parer. D'un  côté,  c'est  le  labourage,  le  semage,  la  récolte,  la  rentrée  des 
blés,  l'emmagasinement  des  grains,  l'empâtement  des  volailles,  la  menée  des 
troupeaux.  Un  peu  plus  loin,  des  ouvriers  de  toute  sorte  exécutent  chacun  les 
travaux  de  son  métier  :  des  cordonniers  jouent  de  l'alêne,  des  verriers  souf- 
flent dans  leur  canne,  des  fondeurs  surveillent  leur  creuset;  des  charpentiers 
abattent  des  arbres  et  construisent  une  barque;  des  femmes  tissent  ou  filent 
en  bande  sous  l'œil  d'un  contremaître  renfrogné,  qui  paraît  peu  enclin  à 
souffrir  longtemps  leur  babil.  Le  double  avait-il  faim  de  viande?  Il  choisis- 
sait sur  la  muraille  la  bête  qui  lui  plaisait,  chèvre,  bœuf  ou  gazelle,  la 
suivait  du  moment  de  sa  naissance  au  pâturage,  à  la  boucherie,  à  la  cuisine  et 
se  rassasiait  des  morceaux.  Il  se  voyait  allant  à  la  chasse  en  peinture,  et  il 
allait  à  la  chasse;  mangeant  et  buvant  avec  sa  femme,  et  il  mangeait  et  buvait 
avec  sa  femme;  le  labourage,  la  moisson,  la  grangée  des  parois,  se  faisaient 
pour  lui  labourage,  moisson  et  grangée  réels.  Après  tout,  ce  monde  d'hommes 
et  de  choses  plaquées  sur  le  mur  s'animait  de  la  même  existence  que  le  double 
dont  il  dépendait  :  la  peinture  d'un  repas  ou  d'un  esclave  était  bien  ce  qui 
convenait  à  l'ombre  d'un  convive  et  d'un  maître1. 

Aujourd'hui  encore,  lorsqu'on  pénètre  dans  une  de  ces  chapelle?  parées,  on 
n'éprouve  presque  pas  l'impression  de  la  mort  :  on  se  croirait  plutôt  dans 
quelque  maison  de  vieux  style  où  le  seigneur  va  revenir  d'un  instant  à 
l'autre.  On  l'aperçoit  partout  le  long  des  murs,  escorté  de  ses  serviteurs  et 
entouré  de  ce  qui  faisait  la  joie  de  sa  vie  terrestre.  Une  ou  deux  de  ses  statues 
se  dressent  au  fond  de  la  chambre,  toujours  prêtes  à  subir  YOuverture  de  la 
Bouche  et  à  recevoir  l'offrande*.  Si  elles  disparaissaient  par  accident,  d'autres 
sont  là  qui  les  suppléeraient,  dans  une  chambrette  ménagée  au  cœur  de  la 
maçonnerie3.  Elle  ne  communique  pas  ordinairement  avec  l'extérieur;  quel- 
quefois pourtant  elle  se  relie  à  la  chapelle  par  une  sorte  de  conduit  si  resserré 
qu'on  a  peine  à  y  glisser  la  main.  Qui  venait  y  murmurer  des  prières  et  brûler 
des  parfums  à  l'orifice,  le  mort  les  accueillait  en  personne.  Les  statues  ne  sont 
pas  en  effet  des  simulacres  privés  de  sentiment.  Comme  on  enchaînait  le  double 
d'un  dieu  à  une  idole  pour  la  transformer  en  un  être  prophétique  capable  de 

1.  Masprro,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  1-34;  cf.  Études  Égyp- 
tiennes, t.  I,  p.  193-194,  Guide  du  Visiteur,  p.  205-207,  Archéologie  Égyptienne,  p.  117-120. 

2.  Cf.  ce  qui  est  dit  à  la  p.  180  de  cette  Histoire,  à  propos  de  YOuverture  de  la  Bouche. 

3.  C'est  le  serdab,  le  couloir  des  fouilleurs  arabes  ;  cf.  Mariette,  Notice  des  principaux  monuments, 
1864,  p.  23-24;  Sur  les  tombes  de  V Ancien  Empire,  p.  8-9;  les  Mastabas,  p.  41-42. 


LES  STATUES  DU  DOUBLE,  LE  CAVEAU  FUNÉRAIRE.       257 

mouvement  et  de  parole  au  fond  des  temples1,  lorsqu'on  attachait  celui  d'un 
homme  à  l'effigie  en  pierre,  en  métal  ou  en  bois  du  corps  qui  l'avait  porté 
pendant  l'existence  terrestre,  c'était  une  véritable  personne  vivante  que  l'on 
créait  et  que  l'on  introduisait  dans  le  tombeau.  On  en  était  convaincu  si  fort 
que  la  croyance  n'en  a  pas  disparu  de  nos  jours,  malgré  deux  changements 
de  religion.  Le  double  hante  encore  les  images  auxquelles  on  l'associa  dans 
le  passé.  Comme  jadis,  il  frappe  de  folie  ou  de  mort  quiconque  ose  troubler 
son  repos,  et  l'on  ne  se  préserve  de  lui  qu'en  défigurant  les  statues  intactes 
que  l'hypogée  renferme  au  moment  de  la  découverte  :  on  l'affaiblit  ou  on 
le  tue  en  mutilant  ses  supports*.  Les  statues  donnaient  de  leur  modèle  une 
idée  plus  exacte  que  le  cadavre  déformé  par  le  travail  des  embaumeurs: 
d'ailleurs  on  les  détruisait  moins  facilement  et  rien  n'empêchait  qu'on  en 
fabriquât  la  quantité  qu'on  voulait.  De  là  le  nombre  vraiment  étonnant  qu'on 
en  cachait  quelquefois  dans  une  même  tombe3  :  on  multipliait  les  soutiens,  les 
corps  impérissables  du  double  afin  de  lui  assurer  une  presque  immortalité, 
et  le  soin  qu'on  prenait  de  les  emprisonner  dans  une  retraite  bien  close 
augmentait  leur  sécurité4.  On  ne  négligeait  pourtant  aucune  des  précautions 
qui  pouvaient  soustraire  la  momie  à  l'anéantissement.  Le  puits  par  lequel 
on  arrive  à  elle  s'arrête  après  12  ou  15  mètres  en  moyenne,  mais  descend 
quelquefois  jusqu'à  30  mètres  et  plus  de  profondeur.  Un  couloir,  si  bas  qu'on 
doit  y  marcher  courbé,  le  prolonge  horizontalement  et  mène  à  la  chambre 
funéraire  proprement  dite,  creusée  dans  le  roc  vif  et  dépourvue  d'ornements  : 
le  sarcophage,  en  calcaire  fin,  en  granit  rose  ou  en  basalte  noir,  ne  porte  pas 
toujours  le  nom  et  les  titres  du  défunt.  Les  servants  y  déposaient  le  corps, 
jetaient  à  côté,  sur  la  poussière,  les  quartiers  du  bœuf  qu'on  venait  d'égorger 
dans  la  chapelle,  les  flacons  à  parfums,  les  grands  vases  en  poterie  rouge  rem- 
plis d'eau  bourbeuse;  puis  ils  muraient  l'entrée  du  couloir  et  comblaient  le 
puits  d'éclats  de  pierre  entremêlés  de  terre  et  de  gravats.  Le  tout,  largement 

1.  Voir  ce  qui  a  été  dit  au  sujet  de  ces  statues  prophétiques,  aux  pages  119-120  de  cette  Histoire. 

2.  Les  légendes  qui  ont  cours  encore  sur  les  pyramides  de  Gizéh  fournissent  quelques  bons  exem- 
ples de  ce  genre  de  superstition.  «  Le  garde  de  la  pyramide  orientale  étoit  une  idole...  qui  avoit  les 
deux  yeux  ouverts  et  étoit  assise  sur  un  trône,  ayant  auprès  d'elle  comme  une  hallebarde,  sur  laquelle 
quand  quelqu'un  jetoit  sa  vue,  il  entendoit  de  ce  côté  un  bruit  épouvantable,  qui  lui  faisoit  presque 
faillir  le  cœur,  et  celui  qui  avoit  entendu  ce  bruit  en  mouroit.  II  y  avoit  un  esprit  commis  pour  servir 
ce  garde,  lequel  esprit  ne  partoit  point  de  devant  lui.  »  La  garde  des  deux  autres  pyramides  étoit 
également  confiée  à  une  statue  aidée  d'un  esprit  (VÊgypte  de  Mourtadi,  fils  du  Gaphiphe,  de  la  tra- 
duction de  M.  Pierre  Vattier,  Paris,  mdclxvi,  p.  46-61).  J'ai  réuni  un  certain  nombre  de  récits  analo- 
gues à  celui  de  Mourtadi  dans  les  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  77  sqq. 

3.  On  en  a  trouvé  dix-huit  ou  dix-neuf  dans  le  serdab  du  seul  Râhotpou,  à  Saqqarah  (Mariette,  No- 
tice des  principaux  Monuments,  1864,  p.  62,  182,  202;  les  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  157). 

i.  Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  7-9,  47-49,  etc. 

HIST.    ASC.    DE   L'ORIENT.    —   T.    I.  33 


258  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

arrosé  d'eau,  se  durcissait  promptement  en  un  ciment  compact  dont  la  masse 
protégeait  le  caveau  et  son  maître  contre  les  profanations1. 

Ces  tombes,  sans  cesse  accrues  en  nombre  pendant  des  siècles,  finirent  par 
former  sur  le  plateau  comme  une  chaîne  ininterrompue  de  villes  funéraires. 
A  Gizéh,  elles  suivent  un  plan  symétrique  et  s'alignent  en  bon  ordre  le  long 
de  véritables  rues*;  à  Saqqarah,  elles  s'éparpillent  à  la  surface  du  sol, 
clairsemées  dans  certains  endroits,  entassées  pêle-mêle  dans  certains  autres3. 
Partout  elles  étalent  la  même  abondance  d'inscriptions,  de  statues,  de  tableaux 
peints  ou  sculptés,  dont  chacun  nous  apprend  quelque  trait  des  coutumes  ou 
quelque  détail  de  la  civilisation  contemporaine.  L'Egypte  des  dynasties  raem- 
phites  renaît  peu  à  peu  du  sein  de  ces  nécropoles  et  reparaît  au  grand  jour 
de  l'histoire  Nobles  et  fellahs,  soldats  et  prêtres,  scribes  et  gens  de  métiers, 
le  peuple  entier  nous  revient,  chacun  avec  ses  mœurs,  son  costume,  son 
train  journalier  d'occupations  et  de  plaisirs;  c'est  un  tableau  complet  dont  le 
dessin  et  la  couleur,  un  peu  frustes  et  un  peu  ternis  par  endroits,  se  laissent 
restaurer  presque  a  coup  sûr  sans  trop  de  difficulté.  Le  roi  se  détache  en 
vigueur  au  premier  plan  et  domine  tout  de  sa  haute  taille.  Il  dépasse  si  fort 
ce  qui  l'environne  qu'on  se  demande,  à  le  voir,  si  l'on  doit  le  considérer 
comme  un  homme  ou  comme  un  dieu.  Et,  de  fait,  il  est  dieu  pour  ses  sujets  : 
ils  l'appellent  le  dieu  bon,  le  dieu  grand,  et  ils  l'unissent  à  Rà  par  l'inter- 
médiaire des  souverains  qui  ont  succédé  aux  dieux  sur  le  trône  des  deux 
mondes.  Son  père  était  fils  de  Râ  avant  lui,  et  le  père  de  son  père  et  le 
père  de  celui-là  et  tous  ses  ancêtres,  jusqu'au  moment  où  de  fils  de  Râ  en  fils 
de  Râ  on  atteignait  enfin  Rà  lui-même.  Parfois  un  aventurier,  sorti  on  ne 
sait  d'où,  s'intercale  subitement  dans  la  série,  et  l'on  pourrait  croire  qu'il 
interrompt  le  développement  de  la  lignée  solaire,  mais,  en  y  regardant  bien, 
on  arrive  toujours  à  découvrir  soit  que  l'intrus  se  rattachait  au  dieu  par  une 
généalogie  qu'on  ne  lui  soupçonnait  pas,  soit  même  qu'il  lui  tenait  de 
plus  près  que  ses  prédécesseurs  :  Râ,  descendu  sur  la  terre  en  cachette,  l'avait 
engendré  d'une  mortelle  pour  rajeunir  sa  race4.  A  mettre  les  choses  au  pis,  un 

i.  Mariette,  Notice  des  principaux  monuments  Égyptiens,  1864,  p.  31-32;  Sur  les  tombes  de  l'Ancien 
Empire   que  l'on  trouvée  Saqqarah,  p.  9-11  ;  les  Mastabas  de  V  Ancien  Empire,  p.  42-46. 

2.  Jomard,  Description  géntirale  de  Memphis  et  des  Pyramides  dans  la  Description  de  C Egypte, 
t.  V,  p.  619-620;  Mariette,  Sur  les  lombes  de  l'Ancien  Empire  que  l'on  trouve  à  Saqqarah,  p.  4. 

3.  Mariette,  Sur  les  lombes  de  l'Ancien  Empire,  p.  6,  et  les  Mastabas,  p.  29.  La  nécropole  de  Saq- 
qarah se  compose  en  réalité  d'une  vingtaine  de  cimetières,  groupés  autour  des  pyramides  royales  ou 
dans  les  intervalles  qui  les  séparent,  et  dont  chacun  avait  sa  clientèle  et  son  régime  particulier. 

4.  Une  légende, que  le  Papyrus  Westcar  (édit.  Erman,  pl.lX,  1.  5-li,  pi.  X,  I.  ÎJ  sqq.)nous  a  conservée, 
prétendait  que  les  trois  premiers  rois  de  la  V»  dynastie,  Ousirkaf,  Sahourî  et  Kakiou,  étaient  nés  de 
Hà,  seigneur  de  Sakhibou  et  de  ltouditdidit,  femme  d'un  prêtre  attaché  au  temple  de  cette  ville. 


LA  DOUBLE  NATURE  ET  LES  NOMS  DES  ROIS.  259 

mariage  avec  quelque  princesse  ramenait  bientôt  au  droit  sinon  l'usurpateur 
lui-même,  du  moins  ses  descendants,  et  renouait  solidement  la  chaîne'.  Les 
Pharaons  sont  donc  la  chair  du  Soleil, 
les  uns  de  par  leur  père,  les  autres  du 
chef  de  leur  mère,  et  leur  âme  a  une 
origine  surnaturelle,  comme  leur  corps: 
elle  est  un  double  détaché  de  l'Horus 
qui  succéda  à  Osiris  et  qui  régna  le 
premier  sur  l'Egypte  seule.  Ce  double 
divin  s'insinue  dans  l'enfant  royal  à  la 
naissance,  de  la  façon  dont  le  double 
ordinaire  s'incarne  au  commun  des  mor- 
tels. Il  s'ignore  toujours  et  sommeille 
pour  ainsi  dire  chez  les  princes  que 
leur  destinée  n'appelle  pas  à  régner  :  il 
s'éveille  lors  de  l'avènement  et  prend 
pleine  connaissance  de  soi-même  chez 
ceux  qui  montent  sur  le  trône.  Du  jour 
de  leur  élévation  à  celui  de  leur  mort  et 
au  delà,  ce  qu'ils  avaient  conservé  d'hu- 
manité native  s'efface  complètement; 
ils  ne  sont  plus  que  le  fils  de  Rà,  l'Horus 
vivant  sur  terre  et  qui  renouvelle  les 
bienfaitsd'Horus,  fils d'Isis.  pendant  son 
passage  ici-bas*.  Leur  nature  mixte  se 
révèle  tout  d'abord  dans  la  forme  et 
dans  l'agencement  de  leurs  noms.   Le  u  ""  " 

choix  d'un  nom  n'était  pas  chose  indifférente  chez  les  Orientaux  ;  non  seule- 
ment il  en  fallait  un  ou  plusieurs  pour  les  hommes  et  pour  les  bêtes,  mais  les 
objets  inanimés  eux-mêmes  en  exigeaient,  et  l'on  peut  dire  que  rien  ni  per- 

I.  D'après  la  loi  qu'on  attribuait  à  Biiiolhri»  de  In  II'  dynastie;  ff.  p.  338  Je  cri  le  llilloire 
i.  Les  expressions  du  pouvoir  royal  au  temps  île  l'Ancien  Empire  ont  été  analysées  pour  la  première 
fois  par  E.  ni  Roncf,  Rechercha  sur  let  monuments  qu'en  peut  attribuer  aux  tix  première»  dynailiet 
de  Manè.thon,  p.  3Ï-33,  puis  par  Emus.  &gypten  und  Mguplitcha  Lebcn,  p.  89-81.  L'eiplkttton 
que  j'en  donne  ici  a  été  proposée  déjà  dnns  le  petit  mémoire  Sur  let  quatre  nom»  offirieli  det  roit 
d'Egypte  [Eluda  Égyptienne*,  t.  Il,  p.  i"3-î88)  et  dans  les  Lecture»  Historique»,  p.  li-1". 

3.  Dessin  de  Faucher-Gudin,  d'après  une  photographie  de  Gauet,  Le  roi  est  Arncnothès  III,  dont 
la  conception  et  la  naissance  sont  représentées  au  temple  de  Louior,  avec  le  même  luxe  de  détails 
que  s'il  n'agissait  d'un  fils  du  dieu  Amon  et  de  l.i  déesse  Mont;  cf.  Oummiuon,  Monument»  de  l'Egypte 
et  de  la  Subie,  pi.  eccun,  1-cuili,  R««li.isi,  Monumrnti  Storici,  pi.  38-41  ;  l.r.esirs,  Drnkm.,  III,  7*-"5. 


260  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

sonne  au  monde  n'arrivait  à  l'existence  complète  avant  d'avoir  reçu  le  sien. 
Les  noms  les  plus  anciens  n'étaient  souvent  qu'un  mot  assez  court  et  dési- 
gnaient une  qualité  physique  ou  morale,  ïiti  le  coureur,  Mîni  le  durable, 
Qonqeni  l'écraseur,  Sondi  le  redoutable,  Ouznasit  la  langue  fleurie.  Ils  con- 
sistaient aussi  en  une  courte  sentence  par  laquelle  l'enfant  royal  confessait 
sa  foi  en  la  puissance  des  dieux  et  sa  participation  aux  actes  de  la  vie  du 
Soleil,  Khâfrî  son  lever  est  Râ,  Menkaouhorou  les  doubles  d'Horus  durent, 
Ousirkerî  le  double  de  Râ  est  omnipotent  ;  parfois  la  phrase  s'abrège  et  sous- 
entend  le  dieu,  Ou&irkaf  son  double  est  omnipotent,  Snofroui  il  m'a  rendu 
bon,  Khoufoui  il  m'a  protégé,  pour  Ousirkerî,  Ptah&nofrouV ,  Khnoumkhou- 
foui  avec  suppression  de  Râ,  de  Phtah  et  de  Khnoumou*.  Le  nom,  dès  qu'il 
s'est  emparé  de  son  homme  à  l'entrée  dans  la  vie,  ne  le  quitte  plus  ici-bas, 
ni  par  delà  :  le  prince  qu'on  avait  appelé  Ounas  ou  Assi  au  sortir  du  sein  de 
sa  mère  reste  Ounas  et  Assi  même  après  sa  mort,  tant  que  sa  momie  subsiste 
et  que  son  double  ne  s'anéantit  pas.  Or  l'usage  des  Égyptiens  est  tel.  Veulent- 
ils  montrer  qu'une  personne  ou  qu'une  chose  se  trouvent  en  un  lieu  déter- 
miné, ils  en  écrivent  le  nom  dans  le  caractère  qui  désigne  ce  lieu,  Téti  ^ 
par  exemple  dans  l'hiéroglyphe  Q  du  château  qui  appartient  à  Téti  fcQ.  Lors 
donc  qu'un  fils  de  roi  devient  roi  à  son  tour,  ils  impliquent  son  nom  usuel 
dans  le  long  cadre  à  base  plate  cdi  que  nous  nommons  cartouche,  et  dont  la 
partie  elliptique  c^  est  comme  un  plan  du  monde,  l'image  des  régions  que 
Râ  entoure  dans  sa  course  et  sur  lesquelles  Pharaon  exerce  son  empire  en 
tant  que  fils  de  Râ.  Quand  Téti  ou  Snofroui,  précédés  du  groupe  l£  qui 
rappelle  leur  filiation  solaire,  ont  pris  place  dans  le  cartouche,  f^^U' 
C^  P  î  Vj  '  on  aj°u^e  en  ^te  'es  m°ts  t  ak  qui  expriment  chacun  la  suze- 
raineté sur  une  moitié  de  l'Egypte,  le  Sud  et  le  Nord,  et  le  tout  désigne 
exactement  la  personne  visible  du  Pharaon  pendant  son  séjour  parmi  les 
mortels.  Mais  ce  premier  nom,  choisi  pour  l'enfant,  ne  couvre  pas  l'homme 
entier  :  il  laisse  sans  qualification  appropriée  le  double  d'Horus  qui  se 
révélait  dans  le  prince  au  moment  de  l'avènement.  On  impose  donc  à  ce 
double  un  titre  particulier  que  l'on  construit  toujours  sur  un  modèle  uniforme, 
en  tête  l'image  ^  de  l'épervier-dieu  qui  voulut  léguer  à  ses  descendants  une 

1.  Le  nom  Phtahsnofroui  se  rencontre  plusieurs  fois  sur  les  stèles  d'Àbydos  (Liebleix,  Dictionnaire 
des  nonu  hiéroglyphiques,  nM  132  et  726,  p.  40  et  241,  Mariette,  Abydos,  t.  II,  pi.  XXVII  a,  et  Catalo- 
gue général  des  monuments  d'Abydos,  pi.  CLXXVI,  n°  660)  :  le  nom  Ràsnofroui,  qu'on  serait  tenté  de 
rétablir  en  cet  endroit,  n'a  pas  encore  été  retrouvé  sur  les  monuments  des  anciennes  dynasties. 

2.  Cf.,  pour  la  restitution  de  ce  nom  et  de  quelques  autres  noms  royaux  de  la  même  époque,  Max 
Mûller,  Bemerkung  ùber  einige  Kônigsnamen,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  IX,  p.  176-177. 


LES  NOMS  D*  HO  RU  S  DANS  LE  PROTOCOLE  ROYAL.        261 

parcelle  de  son  âme,  puis  une  épithète  simple  ou  composée,  spécifiant  celle  des 
qualités  d'Horus  que  le  Pharaon  souhaitait  le  plus  posséder,  llorou  nîb-mâil 
l'Horus  maître  de  Vérité, 
llorou  miri-tooui  l'Horus 
ami  des  deux  terres,  Ho- 
rou  nîb-khàouou  l'Horus 
maître  des  levers,  llorou 
mazîli  l'Horus  qui  écrase 
les  ennemis.  La  partie  va- 
riable de  ces  termes  s'in- 
scrit d'ordinaire  dans  un 
rectangle  oblong,  terminé 
à  la  partie  inférieure  par 
un  ensemble  de  lignes  qui 
représentent  en  abrégé  une 
façade  monumentale,  au 
milieu  de  laquelle  on  dis 
tinguequelquefois  une  porte 
fermée  au  verrou  :  c'est 
l'image  de  la  chapelle  où  le 
double  ira  reposer  un  jour, 
et  la  porte  close  est  la 
porte  du  tombeau'.  La  par- 
tie commune,  la  figure  du 
dieu,    se   place  en  dehors, 

quelquefois  à  côté  du  rec-  u'  "'"    "  ""  s"':"' 

t  angle,  quelquefois  sur  le  rectangle  même  :  l'épervier  est  en  effet  libre  par 
nature  et  ne  saurait  demeurer  emprisonné  nulle  part  contre  sa  volonté. 

Ce  protocole  naïf  ne  suffit  pas  à  contenter  le  besoin  de  précision  qui  fait 
le  fond  du  caractère  égyptien.  A  montrer  le  double  dans  l'hypogée,  on  laissait 

I.  C'est  ce  qu'on  appelle  ordinairement  le  nom  de  bannière;  on  a  cru  longtemps  en  effet  que  le 
signe  représente  une  piere  delof!e,  garnie  de  broderies  ou  de  franges  par  en  ha»,  et  portant  »ur  la  nappe 
nrënte  un  litre  de  roi.  Wilkinaon  avait  eu  l'idée  que  ce  titre  carré,  eomme  il  l'appelait,  figurait  une 
maison  (Eitract  front  teeeral  Hierogtyphical  Subjcrti,  p.  7,  n.  14).  Le  véritable  sens  de  l'expression 
■  été  établi  par  M.  Flinden  Pétrie  (Tn-nw,  I"  part,  p.  5,  n..  et  A  Seaton  in  Egypt,  18B",  p.  it-tt,  et 
pi.  XX) et  par  moi  (Revue  Critique,  1888,  t.  Il,  p.  M8-I20,  Ètudei  Egyptienne*,  t.  II.  p.  Îli-ÎTS). 

ï,  Deisin  de  Fauther-Gudin,  d'aprèi  ari'.'iiiil.i-Botoiii-Bïrck,  Gallery  o(  Anliquitïcs  from  the  Rritiih 
Huteum,  pi.  31.  Le  roi  ainsi  représenté  est  Thoutmosis  II  de  la  XVIII*  dynastie;  la  hastc.  surmontée 
d'un  masque  d'homme,  que  le  double  tient  k  la  main,  rappelle  probablement  les  victimes  humaines 
qu'on  sacrifiait  jadis  au  moment  dea  funérailles  d'un  chef  (LtftWJlB,  Rites  Egyptien»,  p.  5-fl). 


262  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

de  côté  le  moment  de  son  existence  pendant  lequel  il  présidait  aux  destinées 
mondaines  du  souverain  pour  les  rendre  semblables  à  celles  de  l'Horus  dont  il 
procédait.  On  le  tira  donc  de  son  caveau  anticipé,  on  substitua  à  l'épervier 
ordinaire  un  des  groupes  qui  symbolisaient  la  suzeraineté  sur  les  deux  terres 
du  Nil,  l'urseus  lovée  du  Nord  et  le  vautour  du  Sud,    Jfe,- 
puis  on   ajouta  en  finale  un  second  épervier,  l'épervier  doré 
*W,  l'épervier  triomphant  qui  avait  délivré  l'Egypte  de  Typhon  V 
L'âme  de  Snofroui  qui  s'appelle  j^,^  _    YHorut  maître  de 
la  Vérité  comme   double  survivant,  s'intitule  comme  double 
vivant    3I*©.^T        Ie   Seigneur  du   Vautour  et  de  l'Urseut 
maitre  de  la  Vérité  et  Ilorus  triomphant*.  D'autre  part  le  prince 
royal,  lorsqu'il  ceignait  le  diadème,  recevait  de  son  avancement 
au  rang  suprême  un  surcroit  de  dignité  tel  que  son  seul  nom 
de   naissance,  même  entouré  du   cartouche,   même   rehaussé 
d'épithètes  éclatantes,  ne  parvenait  plus  à  le  couvrir.  On  voulut 
marquer  d'un  terme  nouveau  cette  exaltation  de  sa  personne. 
Comme  il  est  la  chair  vivante  du  soleil,  son  surnom  fait  toujours 
allusion  a  quelque  point  de  ses  relations  avec  son  père,  et  pro- 
clame l'amour  qu'il  ressent  pour  celui-ci  Miriri,  ou  que  celui-ci 
ressent  pour  lui  Mirniri,  la  stabilité  des  doubles  de  Râ  Tatkeri, 
leur  bonté  Nnfirkerî,  ou  l'une  de   leurs  vertus  souveraines. 
Plusieurs  Pharaons  de  la  IV*  dynastie  s'en  parent  déjà,  mais 
ceux  de  la  VIe  furent  les  premiers  à  l'incorporer  régulièrement  au  protocole 
royal.  On  hésita  d'abord  sur  la  place  qu'on  devait  lui  attribuer,  et  on  le  mit 
tantôt  derrière   le   nom  de  naissance  (HU  (0lUj    ^"P1  Nofirkerî,  tantôt 
devant  f°  JUJ  (aHj  ^ofirkerî  Papi*.  On  se  décida  enfin  à  l'établir  en  tète, 

1 .  Le  sens  de  ce  groupe  qu'on  a  traduit  longtemps  par  féprrvter  d'or,  Cêpenier  élincelant,  »  été 
ili'leniiiiic  |>our  la  première  fois  avec  certitude  par  Dru  (lie  h,  d'après  un  passage  d'une  inscription  démo- 
tique  île  Philto  (Bbucsi'.k,  Uebereintlinimung  einer  hieroglyphitehen  Imehrifl  von  Philm.  mit  dtm 
griechitchen  uni!  demotisrhen  Anfnngt-Tcste  de*  tiekretei  t<on  Roiettr,  p.  13-14).  Adoptée  par  E.  de 
Houga  (Étude  tur  une  tlrle  égyptienne  appartenant  à  la  Bibliothèque  Impériale,  p.  il-ii),  l'interpré- 
tation de  Gru^sch  a  prévalu  depuis  daim  toute  l'école  (Bmiisf.n,  DU  sKgyptologic,  p.  ÏUÏ),  bien  qu'on 
emploie  souvent  encore  par  habilude  la  traduction  littérale  des  signes,  CHorus  d'or.  "^fct, 

t.  I.a  lecture  du  groupe  n'eut  pas  encore  niée  avec  certitude  (cf.  Enis,  lier  Kônigitîte l ^5 ÎS 
dans  la  Zcittchrift,  t.  XXIX,  p.  ST-:i8,  et  P.ehl,  \otet  de  Philologie  Égyptienne,  g  4U,  dans  les  Protee- 
ding*  of  the  Society  of  Biblicat  Arc/irology,  t.  XIII,  IH9IMBWI,  p.  Mil).  La  transcription  littérale  serait 
Maitre  du  Vautour  et  de  t'Vrxui;  le  sens  est  maitre  det  couronnée,  par  suite  maître  de»  payi  du 
Xord  el  du  Midi  (BrBgKN,    Uebereimtimmung  einer  hieroglyphitchrn  Inachrift  von  l'hilr,  p.  IO-I I). 

3.  Le  nom  de  double  représenté  dans  la  vignette  est  celui  du  Pharaon  Khéphrèn,  le  constructeur  d,- 
la  seconde  des  grandes  Pyramides  ;  il  se  lit  llorou  outir-Miti,  l'Horus  puissant  par  le  eœur. 

i.  On  trouvera  de  bons  exemples  de  cette  indécision  dans  les  textes  de  la  pyramide  de  Papi  II.  où 
le  cartouche  prénom  est  placé  une  fois  eu  léte  du  cartouche  nom  (flerueil  de  Traraur,  I.  XII,  p.  Sti) 
et  presque  partout  ailleurs  après  ce  même  carlniiche  («/.,  p.  T,t\,  38.  Ûfl,  S",  etc.). 


L'ETIQUETTE  ROYALE  EST  UN  VÉRITABLE  CULTE  DIVIN.  263 

précédé  du  groupe  t  ak  roi  de  la  haute  et  de  la  Basse  Egypte,  qui  rend 
dans  toute  -feon  étendue  le   pouvoir  accordé  par  les  dieux  au  seul  Pharaon; 
l'autre  vint  ensuite,  accompagné  des  mots  l£  fils  du  Soleil.   On  inscrivit, 
en  avant  ou  au-dessus  de  ces  deux  noms  solaires  qui  s'appliquaient  exclusive- 
ment au  corps  visible  et  vivant  du  maître,  les  deux 
noms  d'épervier  qui  appartenaient  surtout  à  l'âme, 
d'abord  celui  du  double  au  tombeau  et  ensuite  celui 
du  double  encore  incarné.  Quatre  termes  paraissaient 
nécessaires  aux  Égyptiens   pour  définir  exactement 
chaque  Pharaon  dans  le  temps  et  dans  l'éternité. 

Il  avait  fallu  de  longs  siècles  avant  que  l'analyse 
subtile  de  la  personne  royale  et  la  gradation  savante 
de  formules  qui  lui  correspond  transformât  le  chef  de 
nome,  devenu  par  la  conquête  suzerain  des  autres 
chefs  et  roi  de  l'Egypte  entière,  en  un  dieu  vivant 
ici-bas,  fils  tout-puissant  et  successeur  des  dieux; 
mais  le  concept  divin  de  la  royauté,  une  fois  implanté 
dans  les  esprits,  produisit  rapidement  toutes  ses  con- 
séquences. Du  moment  que  Pharaon  est  dieu  sur 
terre,  les  dieux  du  ciel  sont  ses  pères  ou  ses  frères', 
Les  déesses  le  reconnaissent  pour  fils,  et,  selon  le 
cérémonial  imposé  par  la  coutume  en  pareil  cas,  con- 
sacrent l'adoption  en  lui  présentant  le  sein  afin  de  L,  BEESSli  ALL:llTe  le  roi 
l'allaiter,  comme  elles  auraient   fait  à   leur   propre 

enfant9.  Les  simples  mortels  ne  parlent  de  lui  qu'à  mots  couverts,  en  le  dési- 
gnant par  quelque  périphrase  :  Pharaon,  Pîroui  âoui,  le  Double-Palais,  Proititi, 
la  Sublime  Porte*,  Sa  Majesté1,  le  Soleil  des  deux  terres,  l'Horus  maître  du 

I.  La  formule  leiptmlcë  dieux  ou  ira  frera  le»  dieux  est  appliquée  couramment  au  Pharaon  dans 
les  textes  de  toutes  les  époques. 

t.  Destin  de  Houdier,  d'aprèt  une  photographie  d' Iminger.  L'original  se  trou  te  au  grand  spéos  de 
Silsilis.  Lo  roi  représenté  est  ici  Ilarmhahi  de  la  XV1I1-  dynastie;  cf.  Cmahpollum,  Monument!  de 
f  Egypte  el  de  la  Nubie,  pi.  eu,  n*  3,  KoSELLm,  MonumrnU  Storici,  pi.  iliï,  5.  Lersiis,  Iteiikm.,  III,  1ÏI  b. 

3.  L'explication  de  la  scène  fréquente,  dans  laquelle  on  voit  une  déesse  d.'  laille  surhumaine  donner 
le  sein  à  un  roi  couronné  ou  casqué  debout  devant  elle,  a  été  fournie  pour  lu  première  fois  par  M.t* 
peso,  Notei  au  jour  le  jour,  g  t'S,  dans  les  Proreedinge  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  l.  XIV, 
(Sùl-I8i>i,  p.  30R-3IÏ.  On  trouve  chez  d'autres  peuples  anciens  cl  modernes  des  exemples  caractéris- 
tiques de  ce  mode  d'adoption  par  l'allaitement  réel  ou  fictif  de  la  [iei  ,i>nnc  adoptée. 

i.  Le  sens  du  mot  Pharaon  et  son  étymologic  ont  été  découverts  par  t.  ut.  Hoiiii:,  Soir,  fur  le  mol 
Pharaon,  dans  le  Bulletin  Archéologique  de  fAlh'nrum  Franeait,  IKjli,  p.  66-fiS;  M.  Lcpagc-Hcnouf 
en  a  proposé  une  explication  dérivée  de  l'hébreu  {the  Saine  o/'  Pharaoh  dans  les  pruceatinr/s  de  la 
Société  d'Archéologie  Biblique,  I.  XV,  1894-1  SUS,  p.  iïl-lîï).  La  valeurdu  titre  ttoulti,  l'roulti,  a  ét- 
délermincce,   autant   qu'il   m'en  souvient,  par  Chab.is,  te  Voyage  d'un  Egyptien,  p.  30j, 

j    La  locution  Hoitoufmt  traduite  par  lus  mêmes  auteurs  tantôt  Sa  HajtiU,  tantôt  Sa  Sainteté.  La 


264  LA  CONSTITUTION  l'OLITI«UE  DE  L'EGYPTE. 

palais1,  ou,  moins  cérén ion ieu sèment,    par  le  pronom  indéterminé  On*.   La 

plupart  de  ces  expressions  ne  vont  jamais  sans  un  souhait  Vie.  santé,  force, 

qu'on  lui  adresse  et  dont  on  écrit  les  signes  initiaux  derrière  tous  ses  titres1. 

Il  l'accepte  gracieusement  et  même  jure  volontiers  par  sa  propre  vie  ou  par 

r  de  Rà\  mais  il  défend  à  ses  sujets  de   l'imiter1;   c'est 

eux   un   péché   punissable   en  ce  monde  et  dans  l'autre* 

je   d'en    attester   la  personne  du  souverain,  sauf  les  cas 

où  quelque  magistrat  leur  défère  le  serment  judiciaire1. 

On  l'aborde  d'ailleurs  comme  on  aborde  un  dieu,  les  yeux 

bas,  la  tète  ou  l'échiné  pliée,   on  flaire  le  sol  devant 

lui8,  on  se  voile  la  face  des  deux  mains  pour  la  pro- 

\     téger  contre  l'éclat  de  son  regard,   on  psalmodie  une 

formule  d'adoration  dévote  avant  de  lui  soumettre  une 

Personne  n'échappe  à  cette  obligation;  ses  ministres  eux- 

t   les  grands  du  royaume  ne  peuvent  délibérer  avec  lui 

fTaires  de  l'État,  qu'ils  n'ouvrent  la  séance  par  une  sorte  de 

ilennel  en  son  honneur  et  ne  lui  récitent  longuement  l'éloge 

sr.EPiBE  »  il.™  (je  ga  divinité'*.  Ce  n'est  pas  qu'on  l'exalte  ouvertement  au-dessus 

des  autres  dieux,  mais  enlin  ceux-ci  sont  plusieurs  à  se  partager 

le  ciel,  tandis  qu'à  lui  seul  il  domine  sur  toul  le  circuit  du  Soleil  et  tient  la 

terre  entière,  les  montagnes  et  les  plaines,  renversée  sous  ses  sandales.  Sans 

doute  on  rencontre  par  le  monde  des  peuples  qui  ne  lui  obéissentpas,  mais  ce 

;  Li.liticiitioii  Ju  sens  Sa  Majesté,  proposé  tout  d'abord  par  Champollion  et  adopté  généralement  après 
lui,  o  Ordonnée  en  dernier  lieu  par  E.  de  Rougé  {f.hrestomathie  Égyptienne,  t.  Il,  g  189,  p.  60). 

I.  Km  il,  Mgypten  und  .Vgyptischcs  Leben,  p.  'H,  où  l'on  trouvera  réunies  un  certain  nombre  de 
ne»  façon-,  indirecte*  de  désigner  le  roi  dans  les  actes  oflicicls  et  dans  le  langage  familier. 

t.  Celte  manière  indéterminée  de  parler  du  souverain,  que  nous  avons  rencontrée  jusqu'à  présent 
dan»  le-  seuls  texte»  du  Nouvel  Empire  Thébain,  a  été  signalée  pour  la  première  fois  par  Mispebo. 
le   f,o«te  des  deux  Frère;  dans  la  Revue  des  Court  Littéraire*.  I.  VII,  p.  783,  n.  t. 

il    Coït  le  groupe  4  j  Il  onkhou,  ouiai,  lonbou,  qu'on  abrège  ordinairement  en  français  par  ».  «.  f. 

i    Ainsi  .tans  l'inscription  de  Pirtnkhi  Miamoun.  1.  U,  65;  cf.  I.  11(1. 

S  CatiM.  Hebrieo-Mgyptiaca,  g  III.  Merdinion  des  Jurement;  dans  les  Transactions  ef  the 
Svrtely  o{  ttibticat   Arc.hrology,   t.  1,  p.  I77-18Ï. 

v.  Iian.  la  Confession  tfégntice,  le  mort  déclare  qu'il  n'a  point  prononcé  de  malédiction  contre  le 
roi  [t.nrr  de-  Mort;  eli.  CXXV,  édit.  N.vu.l.K.  t.  Il,  p.  SlHi), 

".  Sur  le  serment  judiciaire  et  sur  ta  forme  qu'on  lui  donnait,  cf.  W.  SpiEr-siaERc,  Studien  und 
Materialiea  ium   Itechtswescn  des  Pharaonenrckhes  der  Dynastien  XYHI-XXI,  p.  71-81. 

8.  C'est  la  traduction  littérale  du  groupe  sonou-lo,  qui  est  employé  d'ordinaire  pour  exprimer  la 
prostration  du  fidèle  devant  le  dieu  ou  le  roi,  le  jjj-o«ri/;i^ntf  des  textes  d'époque  grecque. 

!».  Dessin  de  Fattclier-Guditt,  /Tapies  la  gravure  de  Puis»:  n'A  vos  us,  Herherehes  sur  te»  légende* 
royales  et  l'époque  du  règne  de  Schai  ou  Sellerai,  dans  la  lievur  Archéologique,  i"  série,  t.  II,  p,  16". 
L'original  est  conservé  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  nationale,  a  laquelle  il  avait  élé  donné  par 
Prisse  d'Avennes,   Il  est  en  terre  vernissée,  d*im  travail  très  tin  et  très  soigné. 

10.  La  mode  eu  fut  de  tout  temps,  mais  les  meilleurs  exemples  s'en  trouvent  sur  I 
du  Nouvel  Km  pire  thébain.  ie  renverrai  surtout  au  début  de  la  Strie  det  Minet  d'or  (Pi 
Monument»  Egyptiens,  pi.  XXI,  et  Cn.it>  t  s,  let  Inscriptions  des  Mines  d'or,  p.  13  sqq .). 


LES    INSIGNES   ET    LES   STATUES   PROPHETIQUES    DES    ROIS.        263 

sont  des  rebelles,  des  partisans  de  SU,  des  Enfants  de  la  liuine',  que  le 
châtiment  atteindra  tôt  ou  tard.  En  attendant  que  son  droit  fictif  d'empire 
universel  se  change  en  réalité,  il  unît  au  costume  fort  simple  des  vieux 
chefs  le  jupon  court  ou 
long,  la  queue  de  chacal, 
les  sandales  recourbées,  les 
insignes  des  dieux  suprê- 
mes, la  croix  de  vie,  le  cro- 
chet, le  fouet,  le  sceptre  à 
lète  de  gerboise  ou  de 
lévrier  que  nous  nommons 
mal  à  propos  sceptre  à  tète 
decoucoupha*.  Il  ceint  leurs 
diadèmes  multicolores,  les 
bonnets  chargés  de  plumes, 
la  couronne  blanche  et  la 
couronne  rouge,  isolées  ou 
emboîtées  l'unedans  l'autre 
pour  former  le  pschent.  La 
vipère,  l'uraeus  en  métal 
ou    en    bois   doré   qui     se 

-  "0STCBKS    l'HRBSf.S    ÎHIIIB    SE    plKstNTKII    Dtï.lM    LE    IIOI3. 

redresse  sur  son  tront,  est 

imprégnée  d'une  vie  mystérieuse  qui  fait  d'elle  l'instrument  des  colères  et 
l'exécutrice  des  desseins  secrets.  On  prétend  qu'elle  vomit  des  flammes  et 
détruit  dans  les  batailles  quiconque  ose  courir  sus  à  son  maître.  Les  vertus 
surnaturelles  qu'elle  communique  aux  couronnes  les  changent  en  fées  auxquelles 
personne  ne  résiste*.  Enfin  Pharaon  a  des  temples  où  sa  statue,  animée  d'un 

1.  On  trouvera,  à  la  p.  I!i!),  noie  t  de  ectle  llitloirr,  l'explication  de  pelle  locution.  hlotou  Data- 
llllt,  qu'on  traduit  d'ordinaire  par  les  Enfant»  de  la  Hébellio». 

t.  Celte  identification,  indiquée  par  Chain  poil  ion  (Dictionnaire,  hiéroglyphique,  n"  381,  3Hr.),  est 
admise  encore  par  habitude  duos  presque  tous  les  ouvrages  d'figxptologic.  Hais  ou  sait  par  les  témoi- 
gnage» ancien»  que  le  coucoupha  était  un  oiseau,  peut-être  une  huppe  jl,n;mi*,  lloropotlinïi  Nilni 
Hierogiyphica,  p.  ï'U-iHI):  au  contraire,  le  sceptre  des  dieux  est  surmonté  d'une  tête  de  quadrupède 
au  fin  museau  et  aui  longue»  oreilles  couchée»  en  arrière,  de  l'espèce  du  lévrier,  du  chacal  ou  de 
la  gerboise  (I'bissi:  n'Avuiitï.  Ilerherches  sur  les  légendei  royales  et  fur  l'époque  du  rigne  de  Sr/tai 
ou  Srhrrai,  dan»  la  Revue  Archéologique,  1"  »ér.,  t.  II.  I8t;j,  p.  lil«  suq.). 

3.  Detiin  dm  Faurher-Gudin  d'aprei  une  photographie  d'intinger;  cf.  Lwsus,  Denlim..  III,  Le 
tableau  représente  Khimhall  qui  amène  les  chefs  des  grenier»  à  Toulànkhamon,  de  la  XVIII*  dynastie. 

i.  La  vie  mystérieuse  dont  l'urjeus  des  couronnes  rotule*  est  animée  a  été  signalée  pour  la  première 
Toi»  par  E.  dk  Hotx.P,  Étude  sur  dieer*  monuments  du  règne  de  Tovtmtt  III  découverts  à  Thébet  par 
M.  Mariette,  p.  I">.  Sur  les  couronnes-fées,  voir  V.ispebo,  Études  de  Mythologie  et  d' Archéologie  Egyp- 
te 


266  LA    CONSTITUTION   POLITIQUE  DE   L'EGYPTE. 

de  ses  doubles,  trône,  reçoit  un  culte,  prophétise,  remplit  toutes  les  fonctions 
de  la  divinité,  d'abord  tandis  qu'il  vit,  puis  après  sa  mort,  dès  qu'il  est  allé 
rejoindre  au  tombeau  les  dieux  ses  ancêtres,  qui  ont  existé  avant  lui  et 
qui  reposent  immuables  au  plus  profond  de*  leurs  pyramides1. 

Homme  par  le  corps,  dieu  par  l'àme  et  par  les  attributs,  Pharaon  doit  à  sa 
double  nature  de  servir  d'intermédiaire  constant  entre  le  ciel  et  la  terre.  11  a 
seul  qualité  pour  transmettre  les  prières  de  l'humanité  à  ses  pères  et  à  ses 
frères  les  dieux.  De  même  que  le  chef  de  famille  est  dans  sa  famille  le 
prêtre  par  excellence  auprès  des  dieux  de  la  famille,  de  même  que  le  chef 
de  nome  est  dans  son  nome  le  prêtre  par  excellence  auprès  des  dieux  du 
nome,  Pharaon  est  le  prêtre  par  excellence  auprès  des  dieux  de  l'Egypte 
entière  qui  sont  ses  dieux  à  lui.  11  escorte  leur  image  dans  les  processions  solen- 
nelles, leur  verse  le  vin  et  le  lait  mystique,  récite  les  formules  devant  eux, 
saisit  au  lasso  le  taureau  victime  et  l'abat  selon  le  rite  consacré  par  la  tra- 
dition antique.  Les  particuliers  recourent  à  son  intercession  quand  ils  implo- 
rent une  grâce  d'en  haut;  cependant  comme  tous  les  sacrifices  ne  peuvent 
passer  réellement  par  ses  mains,  le  célébrant  proclame  au  début  de  chaque 
cérémonie  que  c'est  le  roi  qui  donne  l'offrande  —  Soutni  rfî  hotpou  —  lui  et 
nul  autre,  à  Osiris,  à  Phtah,  à  Râ-Harmakhis  pour  qu'ils  accordent  au  fidèle 
qui  les  supplie  l'objet  de  ses  vœux,  et,  la  déclaration  tenant  lieu  du  fait, 
c'est  bien  le  roi  qui  officie  chaque  fois  pour  son  sujet.  11  entretient  donc  des 
rapports  journaliers  avec  les  dieux,  et  ceux-ci  de  leur  côté  ne  négligent 
aucune  occasion  de  correspondre  avec  lui.  Ils  lui  apparaissent  en  songe  pour 
lui  prédire  sa  destinée,  pour  lui  commander  la  restauration  d'un  monument 
qui  menace  ruine,  pour  lui  conseiller  de  partir  en  guerre,  pour  lui  défendre 
de   s'aventurer  dans  la  mêlée*.   Le  rêve  prophétique  n'est  pas  pourtant  le 

1.  Cette  façon  de  désigner  les  rois  morts  se  rencontre  déjà  dans  le  Chant  du  Harpiste,  que  les 
Égyptiens  de  l'époque  Ramesside  attribuaient  à  un  auteur  de  la  XI*  dynastie  (Maspero,  Étude*  Egyp- 
tiennes, t.  I,  p.  178  sqq.).  Le  premier  exemple  connu  d'un  temple  élevé  par  un  roi  égyptien  à  son 
double  est  d'Araenôthès  III,  à  Solcb,  en  Nubie,  mais  je  ne  pense  pas  comme  M.  Ed.  Meyer  (Geschiehte 
des  Altherthums,  t.  I,  p.  268-469,  et  Geschiehte  des  alten  Àgyptens,  p.  451-454)  ou  M.  Erman  (JZgyp- 
Icn,  p.  93)  que  ce  soit  là  le  commencement,  et  que  cette  pratique  ait  été  essayée  en  Nubie  avant 
de  s'acclimater  sur  le  sol  égyptien.  On  connaît  pour  l'Ancien  Empire  plus  d'un  fonctionnaire  qui  s'in- 
titule, tantôt  du  vivant  de  son  maître,  tantôt  peu  après  sa  mort,  Prophète  de  Vttoru*  qui  vit  dans  le 
palais  (Mariette,  les  Mastabas,  p.  428,  tombeau  de  Kaï)  ou  Prophète  de  Kliéops  (ld.,  ibid.,  p.  88-89, 
tombeau  de  Tinti),  Prophète  de  Sondi  (ld.,  ibid,  p.  94-93,  tombeau  de  Shiri),  Prophète  de  Kheops, 
de  Mykérinoë,  d'Uusirkaf  (ld.,  ibid.,  p.  198-400,  tombeau  de  Tapoumànkhi),  ou  d'autres  souverains. 

4.  Les  textes  nous  font  connaître  entre  autres  le  rêve  où  Thoutmosis  IV,  encore  prince  royal,  reçut 
de  Phrâ-Harmakhis  l'ordre  de  déblayer  le  grand  Sphinx  (Vyse,  Opérations  carried  on  al  the  Pyra- 
mids  of  Gizeh,  t.  III,  pi.  et  p.  Mi;  Lepsiis,  Denkm.,  III,  63),  celui  où  Phtah  défend  à  Mïnéphtah  de 
prendre  part  à  la  bataille  contre  les  peuples  de  la  mer  (E.  de  Rouge,  Extrait  d'un  mémoire  sur  1rs 
attaques,  p.  9),  celui  par  lequel  Tonouatamon,  roi  de  Napata,  se  décide  à  entreprendre  la  conquête 
de  l'Egypte  (Mariette,   Mon.  divers,    pi.    VU;  Masprro,  Essai  sur  la  stèle  du    Songe  dans   la  Revue 


PHARAON    DANS   SA    FAMILLE.  267 

procédé  qu'ils  préfèrent  :  ils  emploient  ordinairement  comme  interprètes  de 
leur  pensée  les  prêtres  et  les  statues  des  temples.  Le  roi  pénètre  dans  la 
chapelle  où  la  statue  est  enfermée,  accomplit  autour  d'elle  les  rites  de  l'évo- 
cation et  l'interroge  sur  le  point  qui  le  préoccupe.  Le  prêtre  répond  sous  l'in- 
spiration directe  d'en  haut  et  le  dialogue  engagé  par  sa  bouche  peut  durer 
longuement  :  les  discours  interminables  qui  couvrent  les  murs  des  temples 
thébains  nous  apprennent  ce  que  Pharaon  disait  en  pareil  cas  et  de  quel  ton 
emphatique  les  dieux  lui  parlaient  en  retour1.  Quelquefois  les  statues  animées 
élevaient  la  voix  dans  l'ombre  du  sanctuaire  et  dictaient  elles-mêmes  leur 
volonté;  plus  souvent  elles  se  contentaient  de  l'indiquer  d'un  geste.  Quand  on 
les  consultait  sur  un  sujet  déterminé,  si  rien  ne  bougeait  en  elles,  c'était  leur 
façon  de  témoigner  leur  improbation  ;  si  au  contraire  elles  inclinaient  forte- 
ment la  tête  une  fois,  deux  fois,  l'affaire  était  bonne  et  elles  l'approuvaient4. 
Rien  ne  se  faisait  dans  l'État  qu'on  ne  leur  eût  demandé  leur  avis  et  qu'elles 
ne  l'eussent  donné  d'une  manière  ou  d'une  autre. 

Les  monuments,  qui  mettent  en  pleine  lumière  le  caractère  surhumain  des 
Pharaons  en  général,  ne  nous  apprennent  que  peu  de  chose  sur  le  tempéra- 
ment de  chacun  d'eux  en  particulier  et  sur  le  tous  les  jours  de  leur  vie. 
Quand  par  hasard  nous  entrons  un  moment  dans  l'intimité  du  souverain,  il  s'y 
révèle  moins  divin  et  moins  majestueux  que  nous  ne  serions  portés  à  le  croire 
si  nous  nous  en  laissions  imposer  par  sa  mine  impassible  et  par  l'appareil 
qui  l'entoure  en  public.  Non  que  sa  grandeur  l'abandonne  jamais  tout  entière; 
même  chez  lui,  dans  sa  chambre  ou  dans  son  jardin,  pendant  les  heures 
où  il  ne  se  sent  pas  en  représentation,  les  plus  haut  placés  de  ceux  qui  l'ap- 
prochent ne  doivent  jamais  oublier  qu'il  est  Dieu.  Il  se  montre  bon  père,  mari 
débonnaire3,  joue  volontiers  avec  ses  femmes  et  leur  caresse  la  joue  d'un 
geste  familier  tandis  qu'elles  lui  tendent  une  fleur  et  poussent  le  pion  sur  le 
damier.  11  s'intéresse  aux  gens  qui  le  servent,  les  autorise  à  prendre  certaines 
libertés  avec  l'étiquette,  quand  il  est  content  d'eux4,  et  témoigne  dé  l'indul- 

archéologique,  2*  sér.,  t.  XVII,  p.  321-332,  cf.  Records  of  Ihe   Paul,  t.  IV,  p.   83).  Nous  connaissions 
déjà  par  Hérodote  les  songes  de  Sabacon  (II,  cxxxix)  et  du  grand  prêtre  Séthos  (II,  cxu). 

1.  A  Déîr  el-Baharf,  la  reine  Hàtshopsftou  perçoit  la  voix  d'Amon  lui-même  au  fond  du  sanctuaire, 
c'est-à-dire  la  voix  du  prêtre  qui  recevait  en  présence  de  la  statue  l'inspiration  directe  et  la  parole 
d'Amon  (Mariette,  Deir  el-Bahari,  pi.  X,  l.  2,  DPnichk.n,  Historische  Inschriftcn,  t.  II,  pi.  XX,  1.  4-6). 

2.  Maspero,  Éludes  de  Mythologie  et  d' Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  81  sqq. 

3.  Comme  exemple  littéraire  de  ce  qu'était  la  conduite  d'un  roi  dans  sa  famille,  on  peut  citer  le 
personnage  du  roi  Mtnibphtah,  dans  le  conte  de  Satni-Khàmofs  (Maspf.ro,  les  Contes  populaires  de 
l'Egypte  Ancienne,  2*  éd.,  p.  465  sqq.).  Les  tableaux  des  tombes  de  Tell-Amarna  nous  montrent  l'in- 
timité dans  laquelle  le  roi  Khouniaton  vivait  avec  sa  femme  et  avec  ses  filles,  grandes  et  petites  (Lkp- 
sics,  Denkm.,  III,  pi.  99  6,  où  la  reine  tient  le  roi  embrassé  par  le  milieu  du  corps,  104,  108,  etc.). 

4.  Le  Pharaon  Shopsiskaf  dispense  son  gendre  Shopsisphtah  de  flairer  la  terre  devant  lui  (E.  de  Hoigk, 


268  LA   CONSTITUTION    POLITIQUE   DE   L'EGYPTE. 

gence  pour  leurs  petits  travers  ;  s'ils  reviennent  de  l'étranger,  un  peu  alourdis 
par  un  long  exil   loin  de  la    cour,    il   se  répand   en    plaisanteries   sur  leur 
embarras  et  sur  leur  costume  démodé,  plaisanteries  de  roi  qui  jettent  l'assis- 
tance en  liesse  par  devoir  hiérarchique,  mais  dont  le  sel  s'évapore  aisément  et 
qu'on  ne  comprend  plus  hors  du  palais1.  11  aime  à  rire,  il  aime  à  boire,  et, 
si  l'on  en  croit  les  mauvaises  langues,  il  s'enivre  parfois  à  en  oublier  le  soin 
des  affaires9.  La  chasse  ne  lui  est  pas  toujours  un  plaisir,  du  moins  la  chasse 
au  désert  où  les  lions  marquent  une  tendance  fâcheuse  à  ne  pas  respecter  la 
divinité  du  prince  plus  que   l'humanité  des  sujets  ;  mais,  comme  les  chefs 
d'autrefois,  il  doit  aux  siens  de  détruire  les  bêtes  sauvages  et  c'est  à  la  cen- 
taine qu'il  finit  par  compter  ses  victimes,  pour  peu  que  son  règne  se  prolonge3. 
La  guerre  l'occupe  une  partie  de  son  temps,  guerre  contre  les  Libyens  à  l'est 
dans  la  région  des   Oasis,  guerre  contre  les  Nubiens  dans  la  vallée  au  sud 
d'Assouàn,  guerre  contre  les  Bédouins  sur  le   front  de  l'isthme  et   dans  la 
péninsule  sinaïtique,  souvent  aussi  guerre  civile  contre  un  baron  ambitieux 
ou  contre  quelque  membre  turbulent  de  sa  propre  famille.  11  voyage  fréquem- 
ment du  midi  au  nord  et  du  nord  au  midi,  laissant  partout  où  il  peut  les 
traces  matérielles   de   son  séjour,   sur   les   rochers  d'Éléphantine   et   de  la 
première  cataracte4,  sur  ceux  de  Silsilis  ou  d'El-Kab,  et  il  apparaît  à  ses 
féaux   comme    Toumou    lui-même,    qui    se    lève   au   milieu    d'eux    afin    de 
réprimer  l'injustice  et  le  désordre5.  11  répare  les  monuments  ou  les  agrandit, 
règle   équitablement   la   répartition  de  l'impôt  et  des  charges,  arrange   ou 
tranche  les  procès  des  villes  entre  elles  pour  la  propriété  des  eaux  et  pour 
la  possession  de  certains  territoires,  distribue  à  ses  fidèles  les  fiefs  devenus 
vacants,  leur  accorde  des  pensions  à  toucher  sur  les  revenus  du  fisc  royal6. 
11  rentre  enfin  à  Memphis  ou  dans  l'une  de  ses  résidences  habituelles,  et  de 
nouvelles  corvées  l'y  attendent.  11  donne  chaque  jour  audience  à  tous  les  gens, 

Recherches  sur  les  monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties  de  Manêthon,  p.  68; 
Mariette,  les  Mastabas,  p.  114-113),  et  Papi  I'r  accorde  à  Ouni  le  droit  de  garder  ses  sandales  dans  le 
palais  (K.  i>r  Hoi'gk,  Recherches  sur  les  monuments,  p.  128;  Mariette,  Âbydos,  t.  II,  pi.  XLIV-XLV,  1.  23; 
Erman,  Commentar  zur  Inschrift  dcsUna,  dans  la  Zeitschrift,  1882,  p.  20,  laisse  le  passage  inexpliqué). 

1.  Voir  dans  les  Aventures  de  Sinouhit  (Maspero,  les  Contes  populaires  de  V Egypte  ancienne,  p.  12-i- 
125)  le  récit  de  l'audience  accordée  par  Amenemhàit  II  au  héros  qui  revient  d'un  long  exil  en  Asie. 

2.  Ainsi  Araasis,  dans  un  conte  de  l'époque  grecque  (Maspero,  les  Contes  populaires,  2*  éd.,  p.  290-308). 

3.  Amenôthès  III  avait  tué  jusqu'à  cent  deux  lions  dans  les  dix  premières  années  de  son  règne 
(Scarabée  580  du  Louvre  dans  Pierret,  liecueil  d'inscriptions  inédites  du  Louvre,  t.  1,  p.  87-88). 

4.  Traces  du  passage  de  Mirniri  à  Assouan  dans  Pétrie,  .4  Season  in  Egypt,  pi.  XIII,  n°  338,  et 
dans  Sayce,  Gkanings  front  the  Land  of  Egypt  (dans  le  liecueil  de  Travaux,  t.  XV,  p.  147),  de 
Papiltrà  El-Kab  dans  Steii.n,  Die  Cultusstàttc  der  Lucina,  dans  la  Zeitschrift,  1873,  p.  67-68. 

5.  Ce  sont  les  expressions  même  qu'emploie  la  Grande  inscription  de  Beni-Hassan.  I.  30-16. 

6.  Ces  détails,  qu'on  ne  trouve  pas  réunis  sur  les  monuments  historiques,  nous  sont  fournis  par  le 
tableau  que  le  Livre  de  savoir  ce  qu'il  y  a  dans  Vautre  monde  trace  de  la  course  du  Soleil  à  travers 
le  domaine  des  heures  de  la  nuit  :  le  dieu  y  est  décrit  comme  un  Pharaon  qui  parcourt  son  royaume,  et 


LES  OCCUPATIONS  ET   LES   ENNUIS   l>E  PHARAON. 


tice  des  serviteurs  à  la 
justice  du  maître.  La  cause  entendue,  s'il  sort  du  palais  pour  monter  en  barque 
ou  pour  se  rendre  au  temple,  il  n'est  pas  quitte,  mais  les  placets  et  les  sup- 
pliques l'assaillent  au  passage1.  Je  ne  parle  ici  ni  de  l'expédition  des  affaires 
courantes,  ni  des  sacrifices  journaliers,  ni  des  grandes  cérémonies  qui  exi- 
geaient sa  présence,  ni  des  réceptions  de  nobles  ou  d'envoyés  étrangers.  On 
pense  peut-être  qu'au  milieu  de  tant  d'occupations  il  n'a  pas  le  temps  de 
s'ennuyer.  Il  est  pourtant  en  proie  à  cet  ennui  profond  que  la  plupart  des 
monarques  orientaux  ressentent  si  cruellement  et  que  les  tracas  ou  les  plaisirs 
ordinaires  de  la  vie  ne  peuvent  plus  dissiper.  Comme  les  sultans  des  Mille 
et  une  Muits,  les  Pharaons  se  font  raconter  des  histoires  merveilleuses  ou 
assemblent  leurs  conseillers  pour  leur  demander  un  moyen  de  se  distraire  : 
l'un  d'eux  y  réussit  quelquefois,  comme  celui  qui  réveilla  l'intérêt  de  Snofroui 
en  lui  conseillant  pour  ses  promenades  en  barques  un  équipage  de  jeunes  filles 
à  peine  voilées  d'un  réseau  à  larges  mailles.  Tous  ses  divertissements  ne 
sont  pas  aussi  badins.  Les  Egyptiens  n'avaient  pas  le  caractère  cruel  par 
nature,  et  l'histoire  ou  la  légende  ne  nous  ont  gardé  le  souvenir  que  d'un 
très  petit  nombre  de  Pharaons  sanguinaires;  mais  la  vie  d'un  simple  mortel 
comptait  si  peu  à  leurs  yeux,  qu'ils  n'hésitaient  jamais  à  la  sacrifier,  fût-ce 
pour  un  caprice.  Dès  qu'un  sorcier  se  vante  devant  Khéops  de  savoir  ressus- 
citer un  mort,  Khéops  lui  propose  de  tenter  l'expérience  sur  un  prisonnier 

tout  ce  qu'il  (ail  pour  les  morls,  m  leau*.  est  i<]f>ntii|tie  n  ce  que  le  Pharaon  faisait  en  favnur  (tes 
vivant*,  ses  sujets  {M.iwt:«o,  Etude*  de  Mythologie  ri  d'Archéologie  Egyptienne*,  t.  Il,  p.  41-13). 

1.  Destin  de  b'aiicher-Guilin  (CR.tmmu.ia.i,  Monument!  de  l'Egypte  et  de  la  tiubir.  pi.  CXCIX-C.i;, 
CCI,  i-3;  IVwi.ii.im.  Nonumcnti  Storiri,  ni.   CXXItl.  n-  l-ï;  Ltrsits.  Denkm..  III.  tma-d). 

1.  Voir,  au  Papyrwde.  Ilertin  n"  i,  les  suppliques  iltiut  un  |ih)k»ii  accable  legi-anil  iiitcniinnl  Xiroui- 
teiuM  el  le  roi  Siukanirl  Je  lu  IX"  ou  X'  dynastie  (Mjsi>l«o,  ta  Conta  populaire;  *•  éd.,  (i.  13,  sqq.) 


470  LA   CONSTITUTION   POLITIQUE  DE   L'EGYPTE. 

auquel  on  coupera  le  cou1.  La  colère  de  Pharaon  s'allumait  vite,  et  une  fois 
embrasée  c'était  un  feu  qui  dévorait  tout  ;  les  Égyptiens  disaient,  pour  en 
dépeindre  l'intensité,  que  Sa  Majesté  devenait  furieuse  comme  une  panthère*. 
La  béte  féroce  perçait  souvent  en  lui  sous  l'homme  à  demi  civilisé. 

La  famille  royale  était  fort  nombreuse.  Les  femmes  se  recrutaient  surtout 
chez  les  hauts  fonctionnaires  de  la  cour  et  chez  les  grands  seigneurs  féodaux3; 
mais  on  rencontrait  aussi  parmi  elles  beaucoup  d'étrangères,  filles  ou  sœurs 
des  petits  roitelets  libyques,  nubiens  ou  asiatiques  :  elles  venaient  aux  bras 
de  Pharaon  comme  otages  et  garantissaient  la  soumission  de  leur  peuple. 
Toutes  ne  jouissaient  pas  d'un  traitement  identique  ni  d'une  considération 
pareille,  et  leur  condition  première  réglait  leur  état  dans  le  harem,  à  moins 
que  le  caprice  amoureux  du  maître  n'en  décidât  autrement.  La  plupart 
demeuraient  simples  concubines  leur  vie  durant,  d'autres  s'élevaient  au  rang 
d'épouses  royales,  une  au  moins  recevait  le  titre  et  les  privilèges  de  grande 
épouse  ou  de  reine*.  C'était  rarement  une  étrangère,  presque  toujours  une 
princesse  née  dans  la  pourpre,  une  fille  de  Kâ,  autant  que  possible  une 
sœur  du  Pharaon,  qui,  héritant  au  même  degré  et  dans  des  proportions  égales 
la  chair  et  le  sang  du  Soleil,  avait  plus  que  personne  au  monde  qualité  pour 
partager  la  couche  et  le  trône  de  son  frère5.  Elle  possédait  sa  maison  parti- 
culière, son  train  de  serviteurs  et  d'employés  aussi  considérable  que  celui 
du  roi;  tandis  qu'on  séquestrait  à  peu  près  les  femmes  secondaires  dans 
les  parties  du  palais  qui  leur  étaient  assignées,  elle  entrait  ou  sortait 
librement,  se  montrait  en  public  avec  ou  sans  son  mari.  Le  protocole  par 
lequel  on  la  qualifiait  dans  les  actes  officiels  reconnaît  solennellement  en 
elle  la  suivante  de  l'Horus  vivant,  l'associée  au  Seigneur  du  Vautour  et  de 
l'Uneus,  la  très  douce,  la  très  louable,  celle  qui  voit  son  Horus  ou  l'Horus 
et  le  Sît  face  à  face6.  Son  union  avec  le  roi-dieu  la  fait  déesse  et  lui  impose 

1.  Ernax,  Die  Marche n  des  Papyrus  Weslcar,  pi.  Vllï,  1.  12,  et  p.  10-11;  Maspkro,  le$  Contes 
populaires  de  V Egypte  Ancienne,  2*  édit.,  p.  42-44  et  73.  Cf.  p.  282  de  cette  Histoire. 

2.  Ainsi  dans  l'inscription  de  Pidnkhi-Miamoun  (1.  23  et  93,  éd.  E.  de  RorGrt,  p.  20,  52);  au  Conte 
des  deux  Frères,  le  héros,  qui  est  une  sorte  de  dieu  déguisé  en  paysan,  devient  lui  aussi  furieux, 
et  l'auteur  ajoute  comme  une  panthère  du  midi  (Maspero,  les  Contes  populaires,  2"  édit.,  p.  10). 

3.  La  reine  Miririônkhnas,  femme  de  Papi  Ier,  avait  pour  père  un  personnage  attaché  à  la  cour  et 
nommé  Khoui,  pour  mère  une  princesse  Sfbit  (E.  de  llorcti,  Recherches  sur  les  monuments,  p.  130 
sqq.,  cf.  E.  et  J.  de  llon.i-,  Inscriptions  hiéroglyphiques  copiées  en  Egypte,  pi.  CLIII). 

4.  La  première  Grande  épouse  du  roi  qui  nous  soit  connue  a  été  mentionnée  par  Ouni  :  c'est  la 
reine  Amitsi,  femme  de  Mirirî-Papi  l*r  de  la  VI«  dynastie  (E.  de  Hoigé,  Recherches  sur  les  monuments, 
p.  121;  cf.  Erman,  Commentar  zur  Inschrift  des  Vna,  dans  la  Zeilschrift,  1881,  p.   10-11). 

5.  11  semble  bien  que  la  reine  Mirisonkhou  (Mariette,  les  Mastabas,  p.  183;  Lepsiis,  Denkm.,  Il,  1  i, 
26),  femme  de  Khéphrèn,  fût  la  fille  de  Khéops  et,  par  conséquent,  la  sœur  de  son  mari  (E.  de  Rofgé, 
Recherches  sur  les  monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  jrremières  dynasties  de  Manélhon,  p.  61-62). 

6.  Le  protocole  des   reines  de  cette  époque  a  été  établi  pour  la  première  fois  par  E.  de  Rougè 
Recherches  sur  les  monuments,  p.  44-13,  57-61, 130),  au  moyen  des  inscriptions  de  la  reine  Mirtittefci 


LE    HAREM    ROYAL  :    LA   REINE.  271 

l'obligation  d'accomplir  pour  lui  toutes  les  fonctions  dont  les  déesses  doivent 
s'acquitter  à  côté  des  dieux.  Elles  étaient  importantes  et  variées.  La  femme 
passait  en    effet   pour  réunir  plus  complètement  que  l'homme  les  qualités 


nécessaires  à  l'exercice  de  la  magie  légitime  ou  non  :  ses  yeux  voyaient, 
ses  oreilles  entendaient  ou  les  yeux  et  les  oreilles  de  l'homme  ne  voyaient 
et  n'entendaient  rien,  sa  voix  plus  flexible  et   plus   perçante  portait   à  des 

(E.  «t  J.  de  Rocr.K.  Iutcriplioii'  hiéroglyphiques  copiée»  en  Egypte,  pi.  LXI1).  de  la  reine  MirisAnkhou 
(Nariktte,  lei  Maitabat,  p.  IH3.  Lkfsii's,  Denkm.,  Il,  14),  de  In  reine  Khoutt  (omette.  te»  Mailabat, 
p.  MT-SOS),  d'une  reine  au  nom  incertain  encore  (Makirtte,  le*  Maiiabat,  p.  tiH),  et  de  la  reine  Mlri- 
rtûnthna»  (E.  et  J.  de  Rodais,  Inicripliom  hiéroglyphiques  copiée»  en  Egypte,  pi.  CLIN). 
1.  Deninde  Faurher-Giirlin.  d'aprt»  I.KPHir*.  Denkm..  III.  "".  Leri  " 


27-2  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

distances  plus  grandes,  elle  était  par  nature  maîtresse  en  l'art  d'appeler  ou 
d'éloigner  les  invisibles.  Tandis  que  Pharaon  sacrifie,  la  reine  le  protège  par 
ses  incantations  contre  les  dieux  malins,  intéressés  à  détourner  des  choses 
saintes  l'attention  du  célébrant  :  elle  les  met  en  fuite  au  bruit  de  la  prière  et 
du  sistre1,  elle  verse  les  libations,  elle  présente  les  parfums  et  les  fleurs. 
Elle  marche  derrière  l'époux  dans  les  processions,  donne  audience  avec  lui, 
gouverne  pour  lui  pendant  qu'il  guerroie  au  dehors  ou  qu'il  parcourt  son 
royaume  :  telle  Isis,  au  temps  où  son  frère  Osiris  conquérait  le  monde*.  Le 
veuvage  ne  la  disqualifiait  pas  toujours  entièrement.  Si  elle  appartenait  à 
la  race  solaire  et  que  le  souverain  nouveau  fût  mineur,  elle  exerçait  la 
régence  par  droit  héréditaire  et  retenait  l'autorité  quelques  années  encore3. 
Il  pouvait  arriver  d'ailleurs  qu'elle  n'eût  point  de  postérité  ou  que  l'enfant 
d'une  autre  femme  héritât  la  couronne.  Rien  alors  dans  les  lois  ni  dans  les 
coutumes  n'empêchait  une  veuve  jeune  et  belle  de  reprendre  au  lit  du  fils  la 
place  qu'elle  avait  obtenue  au  lit  du  père,  et  de  recouvrer  son  rang  de  reine 
par  un  mariage  avec  le  successeur  de  son  époux  défunt  :  c'est  ainsi  qu'aux 
premiers  temps  de  la  IVe  dynastie  la  princesse  Mirtîttefsi  se  perpétua  suc- 
cessivement dans  les  bonnes  grâces  de  Snofroui  et  de  Khéops4.  Le  cas  ne  se 
présentait  pas  souvent  et  une  reine  descendue  du  trône  conservait  peu  de 
chances  d'y  remonter.  Ses  titres,  ses  emplois,  sa  suprématie  sur  le  reste 
de  la  famille,  passaient  à  une  rivale  plus  jeune  :  jadis  compagne  active  du 
roi,  elle  n'était  plus  que  l'épouse  nominale  du  dieu5,  et  son  rôle  se  terminait 
le  jour  où  le  dieu  dont  elle  était  la  déesse,  quittant  son  corps,  s'envolait  au 
ciel  pour  rejoindre  son  père  le  Soleil  dans  les  profondeurs  de  l'horizon*. 

1.  Les  vertus  magiques  du  sistre  sont  signalées  par  l'auteur  du  De  hide  et  Osiride,  §  63  (édit. 
Parthey,  p.  111-112);  on  les  trouve  indiquées  fréquemment  dans  les  inscriptions  de  Dendérah. 

â.  Le  rôle  de  la  reine  à  côté  du  roi  a  été  parfaitement  défini  par  les  premiers  Égyptologues.  On 
trouvera,  dans  l'Egypte  ancienne  de  Champollion-Figeac  (p.  56  sqq.),  l'exposition  des  idées  de  Cham- 
pollion  le  Jeune  à  ce  sujet;  sur  le  rôle  d'Isis,  régente  de  l'Egypte,  cf.    p.  173-173  de  cette  Histoire. 

3.  L'exemple  le  plus  connu  de  ces  règnes  de  femmes  est  celui  que  la  minorité  de  Thoutmosis  111 
nous  fournit,  vers  le  milieu  de  la  XVIII*  dynastie.  La  reine  Touaou  paraît  avoir  également  exercé  la 
régence  pour  son  fils  llamsès  II,  durant  les  premières  guerres  de  celui-ci  en  Syrie  (Lepsips,  Notice  sur 
deux  statues  égyptiennes  représentant  l'une  la  mère  du  roi  liamsès-Sr'sostris,  l'autre  le  roi  Amasis, 
Extr.  du  volume  IX  des  Annales  de  l'Institut  de  Correspondance  archéologique,  p.  5  sqq.). 

4.  M.  de  Kougé  a  été  le  premier  à  mettre  ce  fait  en  lumière  dans  ses  Hecherc/ies  sur  les  monuments 
qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties  de  Manéthon,  p.  36-38.  Mirtîttefsi  vécut  aussi  dans 
le  harem  de  Khéphrén,  mais  le  titre  qui  la  rattache  a  ce  roi  —  Amakhît,  la  féale  —  prouve  qu'elle 
n'y  figurait  plus  en  qualité  d'épouse  active  :  elle  était  probablement  alors,  comme  M.  de  Rougé 
l'a  dit,  trop  avancée  en  âge  pour  demeurer  la  favorite  d'un  troisième  Pharaon. 

f».  Le  titre  &épou*c  divine  n'est  connu  jusqu'à  présent  qu'à  partir  de  la  XVIIIe  dynastie.  Il  s'appli- 
quait à  la  femme  du  roi  vivant  et  lui  restait  après  la  mort  de  celui-ci;  le  dieu  auquel  il  faisait  allu- 
sion n'était  autre  que  le  roi  lui-même.  Cf.  Krman,  dans  le  mémoire  de  Schweinfirth,  Alte  Baureste 
und  Hieroglyphische  Inschriften  im  Vadi  Gasûs,  p.  17  sqq.  (Académie  des  sciences  de  Berlin,  Phi' 
lol.-Hist.  Abhandlungcn  nicht  zur  Akademic  gehôr.  Gclehrtcr,  1885,  t.  II). 

6.  Ce  sont  les  expressions  même  dont  se  servent  les  textes  égyptiens  pour  parler  de  la  mort  des 


LES   ENFANTS  ROYAUX,   LEUR   RÔLE  DANS  L'ÉTAT.  273 

Les  enfants  pullulaient  dans  le  palais  comme  dans  les  maisons  des 
simples  particuliers  :  quand  même  il  en  périssait  beaucoup  en  bas  âge,  on  les 
comptait  encore  à  la  dizaine,  parfois  à  la  centaine,  et  plus  d'un  Pharaon  dut 
être  embarrassé  de  s'en 
rappeler  clairement  le  nom- 
bre et  les  noms1.  L'origine 
et  la  qualité  de  leurs  mères 
influaient  grandement  sur 
leur  condition.  Sans  doute 
le  sang  divin  qui  leur  ve- 
nait d'un  père  commun  les 
élevait  tous  au-dessus  du 
vulgaire,  mais  ceux  d'entre 
eux  qui  se  rattachaient  à 
la  lignée  solaire  par  le  côté 
maternel  primaient  les  au- 
tres de  beaucoup  :  tant  que 
l'un  de  ceux-là  subsistait, 
aucun  de  ses  frères  moins 
bien  nés  ne  pouvait  aspirer 
à  la  royauté'.  Les  princesses 
que   le    mariage  ne  faisait 

pas   reines,  on  les  donnait         L,  MMË  BAT  LE  smMi  „MMï  0„E  UE  H0,  ,rru  LE  ucitrin1. 
fort  jeunes  à  quelque  parent 

bien  pourvu1,  ou  à  quelque  courtisan  de  haut  parage  que  Pharaon  voulait 
honorer';  elles  exerçaient  des  sacerdoces  de  déesses,  Nît  ou  Hâthor*,  et  empor- 

rois;  cf.  Haspero,  la  Première»  Ligne»  des  Mémoire»  de  Sinouhit,  p.  3,  lit  (Mémoire»  de  l'Institut 
Égyptien,  t.  Il),  pour  la  mort  d'Amoncrnhilt  I".  el  En.ns,  Thaten  uiid  Zeit  Tulmei  III,  dans  la 
Ztitêehrifî,  1873,  p.  7,  pour  celle  de  Thouliitosis  III. 

I.  C'était  probablement  le  cas  pour  le  Pharaon  Hamsé*  II,  i  <|ul  nous  coniiai»sons  plus  de  cent  cin- 
quante curants,  garçons  et  lilles,  et  qui  en  avait  certainement  d'autres  encore  que  nous  ignorons. 

i.  La  preuve  du  fait  nous  est  fournie,  pour  la  mir  dynastie,  par  l'histoire  des  successeurs  immé- 
diats de  Thouluiosis  I",  les  l'haraons  Thoulmosis  11,  TI.outri.osi»  III.  la  reine  llàlshopsllou,  la  reine 
Noiitnofrlt,  et  la  dame  Isis,  concubine  de  Thoulmosis  II  et  mère  de  Thoulmosis  111. 

3.  Dessin  de  Faucher-Gudin,  d'après  un  bas-relief  du  temple  d'Ibiomboul  :  Nofrllari  (cf.  Ltpsits, 
bentm.,  III.  1H9  b)  agile  derrière  llamsèa  II  les  deux  sistres  à  lele  dlldlhor. 

i.  Ainsi  la  princesse  Sllmosou  à  son  frère  SafVhllnhouihotpou  (l.twus,  benkm..  Il,  pi.  XXIV;  cf. 
E.  n  Rocct,  Uerherehe»  tur  Us  monuiiienlt,  p.  44),  mais  l'e\emplc  n'esl  pas  entièrement  certain. 

5.  La  princesse  Khamalt,  fille  aillée  du  Pli» ri Shopsiiksf,  fut  donnée  do  la  sorte  en   mariage  au 

seigneur  SbapsJiphtali  (E,  m  KM  ai,  Hecncrche»  tur  Ici  monument!  qu'on  peut  attribut r  au-t  six  pre- 
mière» dynastie»,  p.  el),  cl  la  princesse  khontkaous  à  Snoirnouhlt,  surnommé  Miliî  (i/I-,  p.  1U3-I04). 

<i.  Pour  n'en  citer  qu'un  exemple  entre  beaucoup,  la  princesse  Ilotpouhirlsll  était  prophélcsse 
d'llàll]orctdeMil(M.i«iMm(«.Mm(a&a<,  p.UU;t.  elJ.  Dtltoiitf,  Inscriptions  hiéroglyphique»,  pi.  I.XIV). 


274  LA   CONSTITUTION   POLITIQUE  DE   L'EGYPTE. 

taient  dans  leur  ménage  des  titres  qu'elles  transmettaient  à  leurs  enfants  avec 
ce  qu'elles  possédaient  de  droits  à  la  couronne1.  Les  plus  favorisés  parmi  les 
princes,  épousant  une  riche  héritière  de  fiefs,  allaient  s'installer  sur  son 
domaine  et  y  plantaient  souche  de  seigneurs  féodaux.  La  plupart  demeuraient 
à  la  cour  au  service  de  leur  père  d'abord,  de  leurs  frères  ensuite  ou  de  leurs 
neveux  :  on  leur  confiait  les  fonctions  les  plus  délicates  et  les  mieux  rétri- 
buées de  l'administration,  la  surveillance  des  travaux  publics,  les  sacerdoces 
importants1,  la  direction  des  armées8.  Ce  ne  devait  pas  toujours  être  chose 
aisée  que  de  mener  en  paix  cette  multitude  de  parents  et  d'alliés,  reines 
du  présent  et  du  passé,  sœurs,  concubines,  oncles,  frères,  cousins,  neveux, 
fils  et  petits-fils  de  rois  qui  emplissaient  le  harem  et  le  palais.  Les 
femmes  se  disputaient  l'affection  du  maître  pour  elles  et  pour  leur  progé- 
niture. Les  enfants  se  jalousaient  et  n'avaient  souvent  de  lien  qu'une  haine 
commune  contre  celui  d'entre  eux  que  le  hasard  de  la  naissance  appelait 
à  leur  commander.  Pharaon  maintenait  l'ordre  parmi  les  siens,  tant  qu'il  se 
sentait  dans  la  vigueur  de  l'âge  et  de  la  volonté  ;  quand  les  années  commen- 
çaient à  s'accumuler  et  que  l'affaiblissement  de  ses  forces  laissait  présager  un 
changement  prochain  de  règne,  les  compétitions  se  déclaraient  plus  ouvertes  et 
les  intrigues  se  nouaient  plus  serrées  autour  de  lui  ou  de  ses  héritiers  directs. 
Il  essayait  bien  quelquefois  d'en  prévenir  l'éclat  et  les  conséquences  funestes 
en  associant  solennellement  au  pouvoir  celui  de  ses  fils  qu'il  avait  choisi  pour 
lui  succéder  :  l'Egypte  obéissait  alors  à  deux  maîtres,  dont  le  plus  jeune 
vaquait  surtout  aux  affaires  actives  de  la  royauté,  courses  à  travers  le  pays, 
conduite  des  guerres,  chasses  aux  bêtes  sauvages,  administration  de  la  justice, 
tandis  que  l'autre  s'enfermait  de  préférence  dans  le  rôle  d'inspirateur  ou  de 
conseiller  bénévole*.  Encore  cette  précaution  ne  suffisait-elle  pas  à  empêcher 
les  malheurs.  Les  femmes  du  sérail,  encouragées  par  leurs  parents  ou  par 
leurs  amis  du  dehors,  complotaient  sourdement  la  mort  du  souverain  gênant \ 

1.  Ntbtt,  mariée  à  Khoui,  transmet  ses  droits  à  sa  fille  Mirirfônkhnas;  celle-ci  aurait  été  la  véritable 
héritière  du  trône  au  début  de  la  Vh  dynastie  (E.  de  Hoige\  Recherches,  p.  132,  n.  1). 

2.  Mirabou,  fils  de  Khéops,  est  c  fief  de  tous  les  travaux  du  roi  (Lepsus,  Denkm.,  Il,  18  sqq.);  Mtnou- 
An  est  grand  prêtre  de  Thot  Hermopolitain  (Lepshs,  Denkm.,  11,  21;  cf.  E.  de  Roit.k,  Hecherchet  sur  les 
monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties,  p.  62);  Khâfkhoufoui  était  prophète 
d'Hâpi  et  de  l'Horus  qui  lève  le  bras  (E.  et  J.  df.  Korrà,  Inscriptions  hiéroglyphiques,  pi.  LX1). 

3.  Le  prince  Amoni  (Amenemhàit  11),  fils  d'Ousirtascn  Ier,  commandait  une  armée  qui  faisait  campagne 
en  Ethiopie  (Champolmon,  Monuments  de  VÉgypte,  t.  Il,  p.  42,  et  pi.  CCCXV;  Lepsms,  Denkm. %  II,  132). 

4.  Le  fait  est  connu,  depuis  Lepsius  (Bunsen,  JEgyptens  Slelle  in  der  Weltgeschichte,  t.  II,  p.  288 
sqq.;  cf.  E.  de  Rorr.tf,  Examen  de  l'ouvrage  de  M.  le  chevalier  de  Bunsen,  2e  art.,  p.  45  sqq.)  pour 
les  quatre  premiers  Pharaons  de  la  XII"  dynastie.  Un  passage  des  Mémoires  de  Sinouhit  (Maspero,  les 
Contes  populaires,  2e  édit,  p.  101-10-1)  peint  fort  exactement  les  rapports  et  le  rôle  des  deux  rois, 

5.  Le  morceau  de  l'inscription  d'Ouni  où  il  est  question  d'un  procès  intenté  à  la  reine  Amttsi  (Ermas, 


LA  CITÉ  ROYALE.  275 

Les  princes,  à  qui  la  décision  paternelle  enlevait  tout  espoir  légitime  de 
régner,  avaient  beau  dissimuler  leur  mécontentement  :  on  les  arrêtait  au 
premier  soupçon  d'infidélité,  et  on  les  massacrait  en  masse  ou  en  détail;  ils 
n'avaient  de  chances  d'échapper  aux  exécutions  sommaires  qu'une  révolte1  ou 
la  fuite  chez  quelque  tribu  indépendante  de  la  Libye  ou  du  désert  Sinaïtique*. 
Si  nous  connaissions  par  le  menu  l'histoire  intérieure  de  l'Egypte,  elle  nous 
apparaîtrait  aussi  tourmentée  et  aussi  sanglante  que  celle  des  autres  empires 
orientaux  :  les  intrigues  de  harem,  les  conspirations  de  palais,  le  meurtre 
des  infants,  les  déchirements  et  les  rébellions  de  la  famille  royale  y  formaient 
l'accompagnement  presque  inévitable  de  tout  avènement. 

La  dynastie  tirait  son  origine  du  Mur-Blanc,  mais  les  Pharaons  ne  séjour- 
naient guère  dans  cette  ville,  et  il  serait  inexact  de  dire  qu'ils  la  considéraient 
comme  une  capitale;  ils  se  choisissaient  chacun  dans  le  nome  Memphite  ou 
dans  le  nome  Létopolite,  entre  la  bouche  du  Fayoum  et  la  pointe  du  Delta, 
une  résidence  à  soi  où  ils  vivaient  avec  leur  cour  et  d'où  ils  gouvernaient 
l'Egypte3.  Ce  n'était  pas  un  simple  palais  qu'il  fallait  à  tant  de  monde,  mais 
une  cité  entière.  Un  mur  en  briques,  couronné  de  créneaux,  l'enveloppait 
d'une  enceinte  carrée  ou  rectangulaire,  assez  épaisse  et  assez  élevée  non  seu- 
lement pour  braver  une  insurrection  populaire  ou  les  coups  de  main  des 
Bédouins  en  maraude,  mais  pour  résister  longtemps  aux  opérations  d'un  siège 
régulier.  A  l'extrémité  d'un  des  fronts,  une  seule  baie  étroite  et  haute,  close 
d'une  porte  en  bois  consolidée  de  pentures  en  bronze  et  surmontée  d'un  rang 
d'ornements  en  métal  pointu  ;  puis  un  long  couloir,  pris  et  comme  étranglé 
entre  le  mur  extérieur  et  un  mur  de  refend  aussi  fort  que  lui;  puis  au  bout, 
dans  l'angle,  une  seconde  porte  qui  annonce  parfois  un  second  couloir, 
mais  qui  ouvre  plus  souvent  sur  une  large  cour  où  les  bâtiments  d'habitation 
s'entassaient  un  peu  pêle-mêle  :  l'assaillant  courait  le  risque  d'être  écrasé  en 
chemin,  avant  de  pénétrer  au  cœur  de  la  place*.  Le  logis  royal  s'y  reconnais- 

Commentar  zur  Inschrift  des  Una,  dans  la  Zeitschrift,  1882,  p.  10-12)  se  rapporte  probablement  à 
quelque  conspiration  de  femmes.  La  cause  célèbre,  dont  un  papyrus  de  Turin  nous  a  conservé  plusieurs 
pièces  (Th.  Déveria,  le  Papyrus  judiciaire  de  Turin,  extrait  du  Journal  Asiatique,  1866-1868),  fait 
connaître  avec  quelques  détails  la  conspiration  ourdie  dans  le  harem  contre  Ramsès  III. 

1.  Un  passage  des  Instructions  d 'Amenemhâit  {l*ap.  Sallier  II,  pi.  I,  1.  9  sqq.)  dépeint  en  termes 
obscurs  l'attaque  du  palais  par  des  conspirateurs  et  les  guerres  qui  suivirent  leur  entreprise. 

2.  C'est  le  cas  de  Sinouhît,  fuyant  de  Libye  en  ldumée,  à  la  mort  d'Ameneinhàit  l*r  (Maspero,  les  Pre- 
mières Lignes  des  Mémoires  de  Sinouhtt,  p.  17-18,  et  les  Contes  populaires,  2a  édit.,  p.  97  sqq.). 

3.  M.  Erra  an  a  le  premier  mis  en  lumière  ce  point  important  de  la  plus  ancienne  histoire  d'Egypte 
(Ernan,  JEgypten  und  ^Egyptisches  Leben  im  Aller  tum,  p.  243-244;  cf.  Ed.  Meyer,  Geschichte  des 
Allen  JEgyplens,  p.  56-57,  et  les  objections  de  Wibdkhamn,  The  Age  of  Memphis,  dans  les  Procee- 
dings  of  the  Society  of  Biblical  Archœology,  t.  IX,  1886-1887,  p.  184-190). 

4.  11  ne  nous  reste  aucun  plan  ni  aucun  dessin  exact  des  palais  de  l'Ancien  Empire,  mais  M.  Erman 
a  fait  observer  avec  raison  que  les  signes  qu'on  trouve  dans  les  inscriptions  contemporaines  en- don- 


276  LA   CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

sait  tout  d'abord  à  ses  galeries  en  saillie  sur  la  façade,  d'où  Pharaon  assistait 
comme  d'une  tribune  aux  évolutions  de  sa  garde  et  au  défilé  solennel  des 
envoyés  étrangers,  des  seigneurs  égyptiens  en  audience,  des  fonctionnaires 
qu'il  voulait  récompenser  de  leurs  services.  Ils  arrivaient  du  fond  de  la  cour, 
s'arrêtaient  au  pied  de  l'édifice,  et  là,  se  prosternant,  se  redressant,  courbant 
la  tête,  agitant  les  bras,  tordant  et  retordant  les  mains  sur  un  rythme  tour  à 
tour  rapide  et  lent,  ils  adoraient  le  maître,  lui  chantaient  son  panégyrique, 
puis  recevaient  les  colliers  ou  les  bijoux  en  or  qu'il  leur  envoyait  par  ses 
chambellans  ou  qu'il  daignait  leur  jeter  lui-même1.  Nous  entrevoyons  à  peine 
quelques  détails  de  l'agencement  intérieur  :  on  trouve  pourtant  la  mention 
de  grandes  salles,  «  semblables  à  la  salle  d'Atoumou  dans  le  ciel  »,  où  le  roi 
venait  pour  traiter  les  affaires  en  conseil,  pour  rendre  la  justice  et  quelquefois 
aussi  pour  présider  à  des  banquets  solennels.  Des  colonnes  élancées,  taillées 
dans  des  bois  précieux  et  peintes  de  couleurs  vives,  les  supportaient  en 
longues  rangées;  on  y  accédait  par  des  portes  lamées  d'or  et  d'argent,  incrus- 
tées de  malachite  ou  de  lapis-lazuli*.  Les  appartements  privés,  Vâkhonouiti, 
en  étaient  séparés  rigoureusement,  mais  ils  communiquaient  avec  l'hôtel  de 
la  reine  et  avec  le  harem  des  femmes  secondaires3.  Les  Enfants  royaux 
habitaient  un  quartier  particulier  aux  ordres  de  leurs  gouverneurs;  ils  y 
avaient  leurs  maisons  et  leur  train  de  serviteurs,  proportionné  à  leur  rang,  à 
leur  âge,  à  la  fortune  de  leur  famille  maternelle*.  Les  nobles  attachés  à  la  cour 

nent  une  figure  d'ensemble  (Ermaji,  JSgypten,  p.  106-10").  Les  portes  qui  mènent  de  Tune  des  heures 
de  la  nuit  à  l'autre,  dans  le  Livre  de  l'autre  monde,  nous  montrent  le  double  couloir  précédant  la  cour 

(Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  Il,  166-168).  Le  signe  fjj]  fait  con- 
naître le  nom  oirâsKHtT,  littér.  la  large,  de  la  cour  où  débouchait  le  couloir,  et  au  fond  de  laquelle  se  trou- 
vaient le  palais  ctle  tribunal  royal,  ou,  dans  l'autre  monde,  le  tribunal  d'Osiris,  la  cour  de  la  double  Vérité. 

1.  Le  cérémonial  de  ces  réceptions  n'est  pas  représenté  sur  les  monuments  que  l'on  connaît  actuel- 
lement, avant  la  X VIII*  dynastie;  on  le  voit  dans  Lepsius,  Denkm.,  111,  76,  sous  Amenothès  III,  et  103- 
105,  sous  Amenothès  IV,  dans  DPmichen,  Hist.  Inst.,  t.  Il,  pi.  LX,  e,  sous  Harmhabi.  Il  est  décrit  pour  la 
XII*  dynastie  par  les  Mémoires  de  Sinouhtt  (Maspero,  les  Contes  populaires,  2*  édit.,  p.  123-127);  je 
suis  porté  à  croire  que  les  Amis  d'or  mentionnés  dans  l'inscription  d'Ouni  (1.  17)  sont  ceux  des  Amis 
du  roi  qui  avaient  reçu  le  collier  et  les  bijoux  d'or  dans  une  de  ces  audiences  solennelles. 

2.  C'est  la  description  du  palais  bâti  par  Ramsès  III  à  Amon  (Papyrus  Harris  n*  4,  pi.  IV,  1.  11-12). 
Ramsès  11  était  dans  une  de  ces  salles,  assis  sur  le  trône  d'or,  quand  il  délibéra  avec  ses  conseillers  de 
construire  une  citerne  dans  le  désert,  pour  les  mineurs  qui  se  rendaient  aux  mines  d'or  d'Aktti 
(Prisse,  Monuments,  pi.  XXI,  I.  8).  La  salle  où  le  roi,  sortant  de  ses  appartements,  s'arrêtait  pour 
prendre  son  costume  de  cérémonie  et  recevoir  l'hommage  de  ses  ministres,  me  parait  s'être  appelée 
dans  l'Ancien  Empire  Pi-datt,  la  Maison  de  l'adoration  (Mariette,  les  Mastabas,  p.  270-271, 307-308,  etc.). 
la  maison  où  l'on  adorait  le  roi,  comme,  dans  les  frmplcs  de  l'époque  Ptolémaïque,  celle  où  la  statue 
du  dieu,  quittant  le  sanctuaire,  était  habillée  et  adorée  par  ses  fidèles.  Sinouhît,  à  la  XIIe  dynastie, 
est  reçu  en  audience  dans  la  Salle  de  Vermeil  (Maspero,  les  Contes  populaires,  2°  édit.,  p.  123). 

3.  Les  souhtt  ou  kiosques  faisaient  partie  de  ces  appartements  du  harem.  Le  tombeau  de  Rakhmirf 
nous  montre  un  de  ces  kiosques  des  femmes  à  la  XVIII*  dynastie  (Virey,  le  Tombeau  de  Rekhmarâ, 
pi.  XXXV,  dans  les  Mémoires  de  la  mission  française ,  t.  V);  d'autres  tableaux  d'époques  différente?* 
représentent  les  morts  y  jouant  aux  dames  (Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  220  sqq.). 

4.  Shopsiskafànkhou  (Lepsws,  Denkm.,  II,  50)  était  Gouverneur  des  maisons  des  Enfants  nryaux  sous 
Nofiririkerl  de  la  V*  dynastie  (E.  dk  Roit.e,  Recherches  sur  les  monuments,  p.   73).  Sinouhît   reçoit 


LE  CHATEAU  DU  ROI  ET  SA  POPULATION.  277 

et  la  domesticité  logeaient  au  palais  même,  mais  les  bureaux  des  administra- 
tions diverses,  les  magasins  où  elles  entassaient  leurs  provisions,  les  demeures 
de  leurs  employés,  formaient  au  dehors  des  quartiers  entiers,  groupés  autour 
de  cours  étroites  et  communiquant  entre  eux  par  des  réseaux  de  passages 
couverts  et  de  ruelles.  Le  tout  était  construit  en  bois,  en  briques,  rarement 
en  moellons  de  petit  appareil,  mal  établi,  peu  solide.  Les  vieux  Pharaons 
n'aimaient  pas  plus  que  les  sultans  d'autrefois  à  s'installer  dans  les  lieux 
où  leur  prédécesseur  avait  habité  puis  était  mort.  Chacun  d'eux  voulait 
posséder  un  chez-soi  à  sa  guise,  qui  ne  fût  pas  hanté  par  le  souvenir. et  peut- 
être  par  le  double  d'un  autre  souverain1.  Les  châteaux  royaux,  édifiés  rapi- 
dement, rapidement  peuplés,  se  vidaient  et  s'écroulaient  non  moins  rapide- 
ment :  ils  vieillissaient  avec  le  fondateur  ou  plus  vite  que  lui,  et  sa  disparition 
presque  toujours  consommait  leur  ruine.  On  en  voyait  partout,  dans  le  voisi- 
nage de  Memphis,  que  leurs  maîtres  de  quelques  années  avaient  bâtis  pour 
l'éternité,  mais  leur  éternité  n'avait  pas  duré  plus  que  leurs  maîtres*. 

Rien  de  plus  varié  que  la  population  de  ces  cités  éphémères  au  moment  de 
leur  splendeur.  Ce  sont  d'abord  les  gens  qui  entourent  immédiatement  Pharaon3, 
le  service  de  son  palais  et  de  son  harem  dont  les  monuments  nous  révèlent  la 
hiérarchie  très  complexe4.  Sa  personne  se  subdivise  comme  en  départements 
fort  petits  dont  chacun  exige  ses  gens  et  ses  chefs  attitrés.  Sa  toilette  à  elle 
seule  met  en  branle  vingt  corps  de  métier  différents.  Il  y  a  les  barbiers  royaux 
qui  lui  rasent  la  tète  et  le  menton  par  privilège  ;  les  coiffeurs  qui  lui  fabri- 

une  «  Maison  de  Fils  Royal,  où  il  y  avait  des  richesses,  un  pavillon  pour  prendre  le  frais,  des  ornements 
dignes  d'un  dieu  et  des  mandats  sur  le  trésor,  de  l'argent,  des  vêtements  en  étoffes  royales,  des  gommes 
et  des  parfums  royaux  tels  que  les  Infants  aiment  en  avoir  dans  toute  maison,  enfin  toute  espère 
d'artisans  par  troupes  »  (Maspero,  les  Conte*  populaires,  2"  édit.,  p.  127).  Pour  d'autres  Gouverneurs 
des  maisons  des  Enfants  Royaux  voir  Mariettk,  les  Mastabas  de  l  Ancien  Empire,  p.  250,  259. 

1.  Erman,  JEgypten  und  Mgyptisches  Leben  im  Altertum,  p.  242-244. 

2.  Le  chant  du  harpiste  de  la  tombe  du  roi  Antouf  fait  allusion  à  ces  palais  ruinés  :  «  Les  dieux 
[rois]  qui  ont  été  jadis  et  qui  reposent  dans  leurs  tombes,  momies  et  mânes  ensevelis  de  même  dans 
leurs  pyramides,  quand  on  construit  des  châteaux  ils  n'y  ont  plus  leurs  places;  voilà  ce  qu'on  fait 
d'eux!  J'ai  entendu  les  éloges  poétiques  d'imhotpou  et  de  Hardidif  qu'on  chante  en  des  chants,  et 
vois  pourtant  où  sont  aujourd'hui  leurs  places;  leurs  murs  sont  détruits,  leurs  places  ne  sont  plus, 
comme  s'ils  n'avaient  jamais  existé!  •  (Maspkro,  Études  Égyptiennes,  t.  I,  p.  179-180). 

3.  On  les  appelle  d'un  terme  général  les  Shonttiou,  les  gens  du  cercle,  et  les  Qonbitiou,  les  gens  du 
coin.  Ces  mots  se  retrouvent  dans  les  inscriptions  religieuses  appliqués  au  personnel  des  temples  et 
marquent  l'entourage,  la  cour  de  chaque  dieu  ;  ils  désignent  les  notables  d'une  ville  ou  d'un  bourg, 
les  méshéikh,  qui  jouissent  du  droit  de  surveiller  l'administration  locale  et  de  rendre  la  justice. 

A.  Les  scribes  égyptiens  avaient  essayé  d'établir  la  liste  hiérarchique  de  ces  emplois.  Nous  possé- 
dons aujourd'hui  les  restes  de  deux  listes  de  ce  genre.  L'une,  conservée  au  Papyrus  Hood  du  British 
Muséum,  a  été  publiée  et  traduite  dans  Maspkro,  Etudes  Égyptiennes,  t.  II,  p.  1-66  (cf.  Brugsch,  Die 
.Egyptologie,  p.  211-227);  un  second  exemplaire  plus  complet  a  été  découvert  en  1890,  et  se  trouve 
entre  les  mains  de  M.  Golénischeff.  L'autre  liste,  déposée  également  au  British  Muséum,  a  été  publiée 
par  M.  Pétrie  dans  les  Mémoires  de  YEgypt  Exploration  Fund  (Two  Hieroglyphic  Papyri  from 
Tanis,  p.  21  sqq.);  dans  celle-ci,  les  noms  et  titres  sont  mêlés  à  beaucoup  de  matières  diverses.  On 
peutjoindre  à  ces  deux  ouvrages  des  énumérations  de  professions  ou  de  métiers  qui  se  trouvent  acci- 
dentellement sur  les  monuments  et  qui  ont  été  commentées  par  Brugsch  (Die  JSgyplologie,  p.  228  sqq.). 


278  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

quent  ses  perruques  noires  ou  bleues,  les  frisent,  les  posent,  y  adaptent  les 
diadèmes1;  les  valets  de  la  main  qui  lui  rognent  et  lui  polissent  les  ongles*; 
les  parfumeurs  qui  préparent  les  huiles  et  les  pâtes  odorantes  avec  lesquelles 
on  lui  frotte  le  corps,  le  kohol  dont  on  lui  noircit  le  tour  des  paupières,  les 
fards  qu'on  lui  étale  sur  les  lèvres  et  sur  les  joues8.  Un  bataillon  complet  campe 
dans  la  garde-robe,  cordonniers4,  ceinturiers,  tailleurs,  les  uns  veillant  aux 
étoffes  en  pièce,  les  autres  présidant  au  linge  de  corps,  d'autres  encore  conser- 
vant les  habits,  jupons  longs  ou  courts,  transparents  ou  opaques,  serrés  aux 
cuisses  ou  évasés  largement,  manteaux  drapés,  pelisses  flottantes5.  Les  lavan- 
diers  exercent  à  côté  d'eux  leur  métier,  si  important  chez  un  peuple  qui  a  la 
passion  du  blanc  et  aux  yeux  de  qui  la  malpropreté  du  vêtement  entraîne  l'im- 
pureté religieuse  :  ils  vont  rincer  chaque  jour  à  la  rivière,  comme  les  fellahs 
d'aujourd'hui,  empèsent,  lissent,  tuyautent  sans  relâche  afin  de  suffire  aux 
besoins  incessants  de  Pharaon  et  des  siens6.  La  tâche  des  préposés  aux  bijoux 
n'est  pas  mince  si  l'on  songe  à  la  variété  prodigieuse  de  colliers,  de  bracelets, 
de  bagues,  de  pendants  d'oreille,  de  sceptres  historiés  que  le  costume  de 
cérémonie  comporte  selon  les  moments  ou  les  circonstances.  Le  service  des 
couronnes  touche  presque  au  sacerdoce  :  l'uraeus  qui  les  orne  toutes  n'est-elle 
pas  une  déesse  vivante?  La  reine  ne  réclame  pas  moins  de  chambrières,  et 
la  même  profusion  de  charges  se  retrouve  chez  les  autres  dames  du  sérail 
Des  troupes  de  musiciennes,  de  chanteuses,  de  danseurs,  d'aimées  pourvoient 
aux  heures  d'ennui,  comme  aussi  des  bouffons  et   des  nains7.  Les  grands 

1.  Manofir  était  inspecteur  des  fabricants  de  cheveux  du  roi  Tatkert  de  la  Ve  dynastie  (Mariette,  les 
Mastabas,  p.  446-447),  et  Phtahnimàtt  remplissait  le  même  office  sous  INofiririkeri  (tW.f  ibid.,  p.  250). 
Khàfrfônkhou  était  directeur  des  fabricants  de  cheveux  du  roi  sous  un  des  Pharaons  de  la  IV*  dy- 
nastie (E.  et  J.  de  Rougé,  Inscriptions  hiéroglyphiques  recueillies  en  Egypte,  p.  LX). 

2.  Ràànkhouraâi  était  directeur  de  ceux  qui  font  les  ongles  du  roi  sous  un  Pharaon  de  la  Ve  dynastie 
(Mariette,  les  Mastabas,  p.  283-284);  Khâbiouphtah  cumulait  cette  fonction  avec  celle  de  directeur  des 
fabricants  de  cheveux  sous  Sahourt  et  sous  Nofiririkcrt  de  la  V*  dynastie  (id.,  ibid.,  p.  295). 

3.  Mihtinofir  était  inspecteur  pour  Pharaon  et  directeur  des  huiles  parfumées  du  roi  et  de  la  reine 
(Mariette,  Us  Mastabas,  p.  298),  ainsi  que  Phtahnofirirîtou  (id.,  ibid.,  p.  322);  ces  deux  personnages 
exerçaient  aussi  des  fonctions  importantes  dans  la  lingerie  du  roi. 

4.  Les  cordonniers  royaux  sont  mentionnés  au  Papyrus  Hood  (Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  Il, 
p.  11);  les  stèles  d'Abydos  en  signalent  encore  plusieurs  au  temps  des  Ramessides. 

5.  Khonou  était  directeur  des  étoffes  du  roi  (Mariette,  tes  Mastabas,  p.  185),  comme  aussi  Ankliaf- 
touka  (id.,  ibid.,  p.  307-308,  cf.  E.  et  J.  de  Rouge,  Inscriptions  hiéroglyphiques,  pi.  LXXXIII);  Sakhemphtah 
était  directeur  du  linge  blanc  (Mariette,  les  Mastabas,  p.  252),  ainsi  que  Tapoumônkhou  (id.,  ibid., 
p.  198)  et  les  deux  personnages  Mihtinofir  et  Phtahnofirirîtou,  mentionnés  plus  haut  à  la  note  3.  Au 
début  de  la  XII*  dynastie,  on  trouve  Hàpizaoufi  de  Siout  installé  primai  de  tous  les  habits  du  roi 
(E.  et  J.  de  Rouge,  Inscriptions  hiéroglyphiques,  pi.  CCLXXX1U),  c'est-à-dire  grand  maître  de  la 
garde-robe,  et  ce  titre  revient  assez  fréquemment  dans  le  protocole  des  princes  d'Hermopolis. 

6.  Les  blanchisseurs  royaux  et  leurs  chefs  sont  cités  au  Conte  des  deux  frères,  sous  la  XIX*  dynastie, 
ainsi  que  leurs  lavoirs  au  bord  du  ISil  (Maspero,  les  Contes  populaires,  2*  éd.,  p.  2). 

7.  La  dame  Ràhonem  était  directrice  des  joueuses  de  tambourin  et  des  chanteuses  (Mariette,  les 
Mastabas,  p.  138  sqq.);  Snofrouinofir  (E.  et  J.  de  Rouge,  Inscriptions  recueillies  en  Egypte,  pi.  Hl-IV)et 
Ràmiriphtah  (Mariette,  les  Mastabas,  p.  154-155)  étaient  chefs  des  musiciens  et  préposés  aux  divertis- 
sements du  roi. 


LA   DOMESTICITE  1(11  PALAIS,   LES   BOUFFONS   ET  LES  NAINS.       i79 

seigneurs  égyptiens  manifestaient  un  goût  singulier  pour  ces  malheureuses 
créature»,  et  se  plaisaient  à  en  rassembler  de  toutes  les  laideurs  et  de  toutes 
les  difformités.  On  les  figurait  souvent  dans  les  tombeaux,  à  côté  du  maître, 
avec  le  chien  favori,  avec  une  gazelle,  avec  une  guenon  qu'elles  tiennent  en 


laisse  ou  qu'elles  querellent'.  Pharaon  prenait  quelquefois  ses  nains  en  amitié 
vive  et  leur  confiait  des  charges  dans  sa  maison  :  l'un  d'eux,  Khnoumhotpou, 
mourut  chef  de  la  lingerie.  Le  personnel  de  bouche  dépassait  les  autres  par  le 
nombre.  H  n'en  pouvait  être  autrement  si  l'on  songe  que  le  maître  devait  le 
vivre  non  seulement  à  ses  serviteurs  réguliers1,  mais  encore  à  tous  ceux  de  ses 

I.  Drarin  de  Faucher-Ciidin,  itapirt  un  tittttnpage  prit  m  I8Î8  par  Mariette,  il  Sagqarah. 

ï.  Une  naine  figure  pnrmi  dos  chanteuses  dans  l.trsns.  Denkm.,  Il,  3IÎ,  d'autres  aux  toinheaux 
[le  khnoumhotpou  el  d'Amencmhall  à  Boni-Hassan  (Cm» million.  Monuments  de  l'Egypte,  pi.  CCCXCÏII, 
.(,  Newusmy,  Uetii  Ha*an,  1. 1,  pi.  Xll|  avoe  plu*ieurs  nains  de  type  dilTérenl  («/.,  pi.  CCCI.XXXI  bit,  3). 

3.  Mémo  après  la  mort,  ils  élaiont  inscrits  sur  les  rôles  du  palais  el  continuaient  à  toucher  leurs 
vivres  de  chauue  jour,  comme  offrandes  lunéraires  (Déments.  Itemltale,  I.  I,  pi.  VII,  E.  et  J.  ta  BoticÊ, 
liurriplùmM  ht/roglyphiquct,   pi.  III,  Kaki  cm,  tes  Mastabat  de  l'Ancien  Empire,  p.  ÏTl>,  Ait). 


■m  LA   CUNSTITLTIO.N   POLITIQIE  DE  L'EGYPTE. 

employés  et  de  ses  sujets  qu'une  affaire  attirait  à  la  résidence1  :  même  les 
pauvres  diables  qui  venaient  se  plaindre  à  lui  de  quelque  avanie  plus  ou  moins 
imaginaire  se  nourrissaient  à  ses  frais  en  attendant  justice'.   Maitres-queux, 
•tiers,  bouchers,  pâtissiers,  pourvoyeurs  de 
;r  ou  de  fruits,  on  n'en  finirait  pas  si  l'on 
iser  tous  l'un  après  l'autre.  Les  boulangers 
le  pain  ordinaire  ne  se  confondaient  pas 
ssaient  les  biscuits.  Les  cuiseurs  des  soufflés 
lotes  avaient  la  préséance  sur  les  galetiers, 
ts  de  confitures  fines  sur  les  simples  confi- 
es3.   Si   bas  qu'on   descendit   sur  l'échelle, 
mneur  à  s'enorgueillir  toute  la  vie  et  à  se 
es  la  mort  au  cours  d'une  épitaphe,  qued'oc- 
per  un  poste  dans  la  domesticité  royale. 
Les  chefs  à  qui  cette  armée  de    servi- 
teurs  obéissait  sortaient  quelquefois  du 
rang*  :  le  maître  les  avait  remarqués  un 
jour  dans  la  foule  et  les  avait  tirés  de  leur 
humilité  pour  les  élever,   les  uns  lente- 
ment et  par  degrés,  les  autres  sans  tran- 
sition   et    d'un  seul   coup,  aux   premiers 
li  mm  Linot-mioTi-n-,  grades  dans  l'État.  Cependant,  beaucoup  parmi 

eux  appartenaient  à  de  vieilles  maisons,  fils 
d'anciens  fonctionnaires  attachés  au  palais  par  une  longue  tradition  de  famille, 
membres  de  la  noblesse  provinciale,  descendants  éloignés  des  princes  ou  des 
princesses  royales  de  jadis,  apparentés  de  plus  ou  moins  près  au  souverain 
régnant*.  On  les  lui  avait  procurés  pour  compagnons  de  son  éducation  et  de 
ses  jeux,  quand  il  végétait  encore  dans  la  Maison  des  Enfants;  grandi  avec 

I.  Cf.  à  ce  sujel  le  Coule  de  Khouft/ui  (X.si'mo,  le'  V.onlet  populaire»,  £•  éd.,  p.  16)  et  celui  de 
Sinouliit  (il/.,  |..  IÏN1-  Le  recuire  d'une  reine  de  la  XI*  djnastie  (M*  mut*.  Papyrus  du  Muter  de 
lloutaq,  I.  Il,  pi.  XIV-l.V)  tinuruère  de*  dépense»  de  ce  («'rire  (L.  Boacmaiii,  &ïii  Itrrhnungibtifh  de* 
Kômgtkhru  llofri,  dam.  la  ?,cit,ehrift ,  I.  XXVIII,  p.  ti8  squ,.).  Sahou  reçut  le  droit  de  se  ravitailler 
aux  train  du  roi  |>cndaril  nés  voyage*  (K.  de  HoitÉ.  Hecherchei  *ur  tet  momimentt,  p.  1  lî-l  13). 

t.  Aiiihi  le  |i;ijsan  dont  l'hintoin;  iniib  esl  coiiti-e  au  Papgnu  de  Berlin  n"  2  (JI.ispkiio,  let  Coule* 
populaire*,  i"  éd..  p.  iM)  :  le  roi  lui  fait  allouer  un  pain  el  deui  pots  de  bière  par  jour. 

3.  Voir  la  lisle  de  ces  perso  un  nues,  par  ordre  hiérarchique,  à  la  deusième  page  du  l'apyrut  lload 
{«.tsrtito,  Etude*  Egyptienne».  I.  Il,  p.  i(Mi.  tM-es  ;  cf.  Dm'irai-.  IHe  .Egyplologie.  p.  119-iil). 

t.  M.  de  Hotifiv  u  cru  remarquer  que  tel  étail  le  cas  pour  Ti,  dont  le  lornûeau  eut  célèbre  aujourd'hui 
(llriherchet  aur  let  mamimenlt,  y.  VU),  et  pour  Sno/nmuliîl,  su tiiiuiinu-  Milii  ijd.,  p.  11I3-IIII|. 

îi.  [letain  de  l'auihcr-liudi»,  tfaprë*  la  photographie  d'Emile  Druyich-ltey  :  l'orignal  esl  à  Giiéh. 

6.  Celaient  ceux-là  qui  formaient,  je  crois,  la  rlasMï  des  riikhtm  ion/un,  si  souvent  mentionnée  sur 
les  luonuiuenU.  Ou  voit  ordinairement  dans  ce  titre  la   marque  dune  parenté  avec  la  famille,  rojale 


LES  CHEFS  DE  LA  DOMESTICITÉ  ROYALE.  281 

eux,  il  les  conservait  autour  de  lui  comme  Amis  uniques  et  comme  conseil- 
lers1. Il  les  comblait  de  titres  et  de  charges  à  la  douzaine  selon  la  confiance 
qu'il  se  sentait  en  leur  capacité,  ou  selon  le  degré  de  fidélité  qu'il  leur  sup- 
posait. Quelques-uns  parmi  les  plus  favorisés  se  disaient  Maîtres  du  secret  de 
la  maison  royale',  ils  connaissaient  tous  les  recoins  du  château,  tous  les  mots 
d'ordre  qu'on  devait  donner  pour  passer  d'une  partie  dans  l'autre,  l'empla- 
cement des  trésors  et  les  moyens  de  s'y  introduire8.  Plusieurs  étaient  Maîtres 
du  secret  de  toutes  les  paroles  royales,  et  commandaient  à  la  Grande  Cour 
du  palais,  ce  qui  leur  conférait  le  pouvoir  d'écarter  qui  bon  leur  semblait  de 
la  personne  du  souverain5.  Le  soin  incombait  à  d'autres  de  régler  les  divertis- 
sements :  ils  réjouissaient  le  cœur  de  Sa  Majesté  par  des  chants  délicieux4, 
tandis  que  les  Chefs  des  matelots  et  des  soldats  veillaient  à  sa  sûreté8.  Ils 
joignaient  souvent  aux  emplois  effectifs  des  privilèges  honorifiques  auxquels 
ils  tenaient  beaucoup,  le  droit  de  garder  leurs  sandales  dans  le  palais6,  quand 
la  foule  des  courtisans  n'y  entrait  que  déchaux,  celui  de  baiser  les  genoux  et 
non  les  pieds  du  Dieu  bon1,  celui  de  revêtir  la  peau  de  panthère*.  Tels  étaient 
médecins  du  roi9,  tels  autres  chapelains  ou  hommes  au  rouleau,  —  khri-habi. 
Ceux-ci  ne  se  contentaient  pas  de  guider  Pharaon  dans  le  dédale  des  rites,  ni 
de  lui  souffler  les  formules  nécessaires  à  l'efficacité  des  sacrifices  ;  on  les  pro- 
clamait les  maîtres  des  secrets  du  ciel,  ceux  qui  voient  ce  qu'il  y  a  au  firma- 
ment, sur  la  terre  et  dans  l'Hadès,  ceux  qui  savent  toutes  les  recettes  des 
devins,  des  prophètes  ou  des  magiciens10.  Le  régime  des  saisons  et  des  astres 

(ërma*,  JEgypten,  p.  118).  M.  de  Rougé  a  montré  depuis  longtemps  qu'il  n'en  était  rien  (Recherches, 
p.  90)  et  que  des  fonctionnaires  pouvaient  le  porter  sans  être  alliés  par  le  sang  aux  Pharaons.  11  me 
parait  désigner  la  classe  des  courtisans  que  le  roi  daignait  connaître  (rokhou)  directement,  sans  l'in- 
termédiaire d'un  chambellan,  les  Connus  du  roi;  les  autres  n'étaient  que  ses  Amis,  Samirou. 

1.  C'était  le  cas  de  Shopsisouphtah  (E.  de  Rorcti,  Recherches  sur  les  Monuments,  p.  66)  et  de 
Khontemsété  (Erman,  Mgypten,  p.  118).  Sous  un  roi  de  la  X*  dynastie,  Klitti,  prince  de  Siout,  rappe- 
lait avec  orgueil  qu'il  avait  été  élevé  au  palais  et  avait  appris  à  nager  avec  les  enfants  du  roi  (Mariette, 
Monuments  divers,  pi.  LX1X  d,  E.  et  J.  de  Roit.ê,  Inscriptions  hiéroglyphiques,  pi.  CCLXXX1X, 
Griffith,  the  Inscription  of  Stût  and  Dér  Rifeh,  pi.  XV,  1.  23).  Cf.  Lefbbire,  Sur  différents  mots  et 
noms  Egyptiens,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  1890-1891,  p.  466-468. 

2.  Api  (Mariette,  les  Mastabas,  p.  96),  et  beaucoup  d'autres.  Le  titre  est  rendu  trop  littéralement  et 
de  façon  trop  étroite  par  Secrétaire  royal,  depuis  K.  de  Rougé  (Recherches  sur  tes  monuments,  p.  69). 

3.  Ainsi  Ousirnoutir  (Mariette,  les  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  173-174),  Ankhoumaka  (id., 
p.  217-218);  Kai  cumulait  avec  ce  titre  celui  de  directeur  de  l'Arsenal  (id.,  p.  228-229). 

4.  Ràmiriphtah  (Mariette, /e«  Mastabas,  p.  154-155),  Rânikaou  (id.,  p.  313),  Snofrouinofir  (id.,  p.  395- 
398),  que  j'ai  déjà  eu  l'occasion  de  citer  avec  la  dame  Râhonem,  à  la  page  278,  note  7. 

5.  Le  prince  Assiônkhou  a  un  commandement  dans  l'infanterie  et  dans  la  flottille  du  Nil  (Mariette, 
le*  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  191);  de  même  Ji  (id.,  p.  162)  et  Kamtininit  (id.  p.  188). 

6.  C'est  la  faveur  qu'Ouni  obtint  du  Pharaon  Miriri-Papi  l*r,  selon  E.  de  Rougé  (Recherches  sur 
les  monuments,  p.  128),  dont  l'interprétation  me  paraît  être  excellente. 

7.  Shopsisouphtah  reçut  cette  faveur  (E.  de  Rougé,  Recherches  sur  les  monuments,  p.  68). 

8.  Tel  est  le  sens  que  j'attribue  au  titre  assez  rare  Oirou  bousit,  Grand  de  la  peau  de  panthère,  que 
portent,  entre  autres,  Zaoufiou  (Mariette,  les  Mastabas,  p.  252-254)  et  Ràkapou  (id.,  p.  275,  278). 

9.  Api  (Mariette,  tes  Mastabas,  p.  96)  et  Sokhttniônkhou  (id.,  p.  202-205)  sont  médecins  de  Pharaon. 
10.  La  forme  la  plus  complètede  leur  titre  que  j'ai  trouvée  jusqu'à  présent  dans  l'Ancien  Empire  est  au 

36 


282  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

n'avait  plus  de  mystère  pour  eux,  ni  les  mois,  ni  les  jours  et  les  heures 
favorables  aux  entreprises  de  la  vie  courante  ou  au  commencement  d'une 
expédition,  ni  les  temps  durant  lesquels  il  fallait  éviter  de  rien  faire.  Us 
s'inspiraient  des  grimoires  écrits  par  Thot,  et  qui  leur  enseignaient  l'art  d'in- 
terpréter les  songes  ou  de  guérir  les  maladies,  d'évoquer  les  dieux  et  de  les 
obliger  à  travailler  pour  eux,  d'arrêter  ou  de  précipiter  la  marche  du  Soleil 
sur  l'Océan  céleste1.  On  en  citait  qui  séparaient  les  eaux  à  volonté  et  les 
ramenaient  à  leur  place  naturelle  rien  qu'avec  une  courte  formule*.  Une  image 
d'homme  ou  d'animal,  fabriquée  par  eux  avec  une  cire  enchantée,  s'animait 
à  leur  voix  et  devenait  l'instrument  irrésistible  de  leurs  vengeances8.  Les 
contes  populaires  nous  les  montrent  à  l'œuvre.  «  Est-il  vrai,  dit  Khéops  à  l'un 
d'eux,  que  tu  saches  rattacher  une  tête  coupée?  »  Comme  il  en  convient, 
Pharaon  veut  sur-le-champ  éprouver  sa  puissance  :  «r  Qu'on  m'amène  un 
prisonnier  de  ceux  qui  sont  en  prison,  et  qu'on  l'abatte  !»  Il  se  récrie  à  cette 
proposition  :  «  Non,  non,  pas  d'homme,  Sire  mon  maître;  n'ordonne  pas 
qu'on  commette  ce  péché  ;  rien  qu'un  bel  animal  !  »  On  lui  apporta  une  oie  *  à 
qui  l'on  trancha  la  tête,  et  l'oie  fut  posée  à  main  droite  de  la  salle  et  la  tête 
de  l'oie  à  main  gauche  de  la  salle  :  il  récita  ce  qu'il  récita  de  son  grimoire, 
l'oie  se  mit  à  sautiller,  la  tête  fit  de  même,  et  quand  l'une  eut  rejoint  l'autre, 
l'oie  commença  à  glousser.  On  apporta  un  pélican  :  autant  lui  en  advint.  Sa 
Majesté  fit  amener  un  taureau,  dont  on  jeta  la  tête  à  terre  :  le  sorcier  récita  ce 
qu'il  récita  de  son  grimoire,  le  taureau  se  releva  aussitôt  et  il  lui  rattacha 
ce  qui  était  tombé  à  terre*.  »  Les  grands  eux-mêmes  daignaient  s'initier  aux 
sciences  surnaturelles  et  recevaient  l'investiture  de  ces  pouvoirs  redoutables 
Un  prince  magicien  ne  jouirait  plus  chez  nous  que  d'une  estime  médiocre  : 
en  Egypte,  la  sorcellerie  ne  paraissait  pas  incompatible  avec  la  royauté,  et 
les  magiciens  de  Pharaon  prirent  souvent  Pharaon  pour  élève5. 

tombeau  de  Tcnti  (Mariette,  les  Mastabas,  p.  149)  :  ce  personnage  est  homme  au  rouleau  en  chef..., 
supérieur  des  secrets  du  ciel  qui  voit  le  secret  du  ciel.  Cf.  p.  127  de  cette  Histoire. 

1.  Voir  au  Conte  de  Satni-Khûmoîs  (Maspero,  les  Coûtes  populaires  de  l'Egypte  Ancienne,  2*  éd., 
p.  175)  la  description  des  vertus  attribuées  à  un  des  livres  de  Thot. 

2.  Vho?nme  au  rouleau  Zazamônkh,  dans  le  Conte  de  Khoufoui  (Maspero,  les  Contes  populaires  de 
l'Egypte  Ancienne,  2"  édit.,  p.  67),  opère  ce  prodige,  pour  permettre  à  une  femme  montée  sur  la 
barque  royale  de  retrouver  un  bijou  qu'elle  avait  laissé  par  mégarde  tomber  au  fond  d'un  lac. 

3.  V  homme  au  rouleau  Oubaou-Anir,  dans  le  Conte  de  Khoufoui  (Maspero,  les  Contes  populaires  de 
l'Èyypte  Ancienne,  2"  édit.,  p.  60-63),  modèle  et  rend  vivant  un  crocodile  qui  entraîne  l'amant  de  sa 
femme  au  fond  des  eaux.  Dans  le  Conte  de  Salni  Khâmois  (id.,  p.  180-181),  Satni  fabrique  de  même 
une  barque  et  son  équipage  qu'il  anime  et  qu'il  envoie  à  la  recherche  du  livre  magique  de  Thot. 

A.  Ehman,  Die  Mârchen  des  Papyrus  Westcar,  pi.  VIII,  1.  12-26;  cf.  Maspero,  Contes  populaires,  p.  73. 

5.  On  sait  la  réputation  de  magiciens  dont  les  Pharaons  Néchepso  et  Nectanébo  jouirent  jusque  chez 
les  peuples  classiques  de  l'antiquité.  Les  écrivains  arabes  ont  recueilli  encore  nombre  de  traditions 
sur  les  prestiges  que  les  sorciers  de  l'Egypte  savaient  opérer  :  j'en  citerai  pour  exemple  la  description 


LE  DOMAINE  ET  LES  ESCLAVES  ROYAUX.  283 

Telle  était  la  maison  du  roi,  les  gens  attachés  à  son  corps  et  à  la  personne 
des  siens.  Sa  cité  abritait  un  nombre  plus  considérable  encore  d'officiers  et  de 
fonctionnaires  chargés  de  gérer  sa  fortune,  c'est-à-dire  d'administrer  ce  qu'il 
possédait  de  l'Egypte1.  On  admettait  toujours  en  principe  que  le  sol  entier 
lui  appartient,  mais  ses  prédécesseurs  et  lui  en  avaient  distrait  tant  de  par- 
celles au  profit  de  leurs  favoris  ou  des  seigneurs  héréditaires  qu'une  moitié  du 
territoire  échappait  à  son  autorité  immédiate.  Il  gouvernait  en  propre  la  plu- 
part des  nomes  du  Delta1  :  au  delà  du  Fayoum,  il  ne  détenait  plus  que  des 
enclaves  perdues  au  milieu  des  principautés  féodales  et  souvent  éloignées  l'une 
de  l'autre.  L'étendue  du  domaine  variait  de  dynastie  à  dynastie  et  même  de 
règne  à  règne  :  si  elle  décroissait  quelquefois  à  la  suite  de  concessions  trop 
souvent  répétées3,  d'ordinaire  elle  compensait  largement  ses  pertes  par  la  con- 
fiscation de  certains  fiefs  ou  leur  retour  à  la  couronne.  Elle  demeurait  assez 
considérable  pour  que  le  souverain  n'en  exploitât  que  la  moindre  portion 
au  moyen  des  Esclaves  royaux',  et  fût  obligé  de  confier  le  reste  à  des  fonc- 
tionnaires d'ordres  divers  :  dans  le  premier  cas,  il  se  réservait  tous  les  béné- 
fices mais  aussi  tous  les  tracas  et  toutes  les  charges,  dans  le  second  cas  il  tou- 
chait sans  risques  une  redevance  annuelle  dont  on  fixait  la  quotité  sur  place, 
selon  les  ressources  du  canton.  Qui  veut  comprendre  la  manière  dont  marchait 
le  gouvernement  de  l'Egypte,  il  doit  n'oublier  jamais  que  le  monde  ignorait 
encore  l'usage  de  la  monnaie,  et  que  l'or,  l'argent,  le  cuivre,  pour  abondants 
qu'on  les  suppose,  constituaient  de  simples  objets  d'échange,  comme  les  pro- 
duits les  plus  vulgaires  du  sol  égyptien.  Pharaon  n'était  donc  pas,  ce  que 
l'État  est  chez  nous,  un  argentier  qui  calcule  l'ensemble  de  ses  recettes  et 
de  ses  dépenses   au   cours  du   comptant,   encaisse  ses  revenus  en  espèces 

que  Makrizî  fait  d'une  de  leurs  réunions,  probablemcut  d'après  quelque  historien  antérieur  (Malan, 
A  Short  Story  of  the  Copts  and  of  their  Church,  p.  13-14). 

1.  On  les  distinguait  souvent  de  leurs  collègues  provinciaux  ou  seigneuriaux  en  joignant  à  leurs 
titres  le  terme  khonou,  qui  désigne  de  manière  générale  la  résidence  royale.  Us  formaient  ce  que  nous 
appellerions  aujourd'hui  le  personnel  des  ministères  et  pouvaient  être  délégués  dans  les  provinces  ou 
auprès  des  princes  féodaux,  au  moins  pour  un  temps,  sans  perdre  pour  cela  leurs  titres  de  fonction- 
naires du  khonou,  de  l'administration  centrale. 

4.  Cela  parait  résulter  du  moins  de  l'absence  presque  complète  de  titres  féodaux  sur  les  plus 
anciens  monuments  du  Delta.  M.  Erman,  que  ce  fait  avait  frappé,  l'attribuait  à  une  différence  de  civi- 
lisation entre  les  deux  moitiés  de  l'Egypte  (sEgypten  und  JEgyptisches  Leben  im  Altertum,  p.  128, 
cf.  Ed.  Meykr,  Geschichte  JEgyptens,  p.  46);  je  l'attribue  à  la  différence  de  régime.  Les  titres  féodaux 
prédominent  naturellement  dans  le  Sud,  les  titres  de  l'administration  royale  dans  le  Nord. 

3.  On  trouve  à  différentes  époques  des  personnages  qui  se  disent  maîtres  de  domaines  ou  de  châ- 
teaux nouveaux,  Pahournofir  sous  la  III"  dynastie  (Maspkro,  Etudes  Égyptiennes,  t.  Il,  p.  459),  plu- 
sieurs princes  d'Hermopolis  sous  la  VI»  et  la  VII*  (Lepsiits,  Denkm.,  II,  lia  h,  c),  Khnoumhotpou 
aux  débuts  de  la  XII*  (Grande  Inscription  de  Béni-Hassan,  1.  69).  Nous  aurons  occasion  de  constater, 
à  propos  de  ce  dernier,  comment  un  grand  fief  nouveau  se  formait  et  avec  quelle  rapidité. 

4.  Lepsius,  Denkm.,  H,  107,  où  l'on  rencontre  les  Esclaves  royaux  faisant  la  moisson,  de  concert 
avec  les  serfs  attachés  au  tombeau  de  Khouuas,  prince  de  la  Gazelle,  sous  un  roi  de  la  VI"  dynastie. 


284-  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

sonnantes  de  petit  volume  et  règle  de  même  tous  ses  débours.  Son  fisc 
s'établissait  en  nature,  et  c'est  en  nature  qu'il  indemnisait  ses  serviteurs  de 
leurs  peines  :  bestiaux,  céréales,  boissons  fermentées,  huiles,  étoffes,  métaux 
vils  ou  métaux  précieux,  «  tout  ce  que  le  ciel  donne,  tout  ce  que  la  terre  crée, 
tout  ce  que  le  Nil  apporte  de  ses  sources  mystérieuses1  »,  était  la  monnaie 
dont  ses  sujets  lui  payaient  leurs  contributions  et  qu'il  repassait  à  ses  féaux 
en  guise  de  traitements.  Une  chambre  de  quelques  pieds  carrés,  et  au  besoin 
un  coffre-fort,  contiendrait  à  l'aise  le  revenu  total  d'un  de  nos  empires 
modernes  :  la  plus  démesurée  de  nos  halles  n'aurait  pas  toujours  suffi  à 
loger  la  masse  d'objets  disparates  qui  représentait  les  rentrées  d'une  seule 
province  de  l'Egypte.  La  substance  de  l'impôt  prenant  toutes  les  formes,  il 
fallait  pour  la  recevoir  une  variété  inexprimable  d'agents  spéciaux  et  de 
locaux  appropriés,  des  bouviers  et  des  étables  pour  les  bœufs,  des  bois- 
seleurs  et  des  greniers  pour  le  grain,  des  sommeliers  et  des  celliers  pfcur 
le  vin,  pour  la  bière,  pour  les  huiles.  Et  la  taxe  levée,  en  attendant  qu'on 
la  dépensât,  on  ne  lui  conservait  sa  valeur  qu'au  prix  de  soins  incessants  où 
vingt  classes  de  commis  et  d'ouvriers  collaboraient  de  leur  métier  au  service 
de  la  trésorerie.  Selon  qu'il  s'agissait  de  bœufs,  ou  de  blés,  ou  d'étoffes,  on 
menait  l'impôt  aux  prés,  parfois  à  la  boucherie  et  chez  le  corroyeur  quand 
une  épizootie  menaçait  de  l'anéantir,  on  le  blutait,  on  le  réduisait  en  farine, 
on  en  façonnait  du  pain  et  de  la  pâtisserie,  on  le  blanchissait,  on  le  repassait, 
on  le  pliait,  on  le  débitait  à  l'habit  ou  à  la  pièce.  Le  trésor  royal  tenait  à  la 
fois  de  la  ferme,  de  l'entrepôt  et  de  l'usine. 

Chacun  des  services  qui  l'alimentaient  occupait  dans  l'enceinte  de  la  cité 
un  édifice  ou  un  ensemble  d'édifices  qu'on  appelait  sa  maison,  nous 
dirions  son  hôtel1.  11  y  avait  Y  Hôtel  Blanc,  où  l'on  serrait  les  étoffes,  les 
bijoux,  parfois  le  vin8,  Y  Hôtel  des  Bœufs',  Y  Hôtel  de  VOr*,  Y  Hôtel  des  Fruits 
conservés*,  YHôleldes  Grains1,  Yllôlel  des  Liqueurs6,  dix  autres  hôtels  dont 

1.  C'est  la  formule  la  plus  ordinaire  de  l'offrande  sur  les  stèles  funéraires,  celle  qui  résume  le  plus 
complètement  la  nature  de  l'impôt  payé  par  les  vivants  aux  dieux  et  par  suite  celle  de  l'impôt  qu'ils 
payaient  aux  rois  :  ici  comme  ailleurs,  le  domaine  des  dieux  se  modèle  sur  celui  des  Pharaons. 

2.  Piroiî,  Pi  :  c'est  le  même  emploi  que  celui  de  Dâr,  usité  chez  les  khalifes  fatimites  et  chez 
les  sultans  mamelouks  de  l'Egypte  au  Moyen  Age.  Les  Dars  succédèrent  sans  interruption  aux  Pi  et 
aux  AIt  que  nous  rencontrerons  bientôt  (Maspero,  Études  Egyptiennes,  t.  11,  p.  126  sqq.). 

3.  Pi-hazou,  dans  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  £49-350.  11  tirait  son  nom  de  la  couleur  blan- 
che dont  on  l'enduisait  à  l'extérieur,  comme  on  fait  la  plupart  des  bâtiments  publics  de  l'Egypte  moderne. 

4.  C'est  le  Pi-eheou,  qu'on  rencontre  surtout  à  partir  de  la  XII*  et  de  la  XIIIe  dynastie. 

5.  Pi-NOiBor,  dans  K.  de  Roiîgk,  Recherches,  p.  10 1;  cf.  Mariette,  les  Mastabas,  p.  251,  355,  502,  etc. 
G.  Pi-ashdou,  connu  par  DCmichkn,  Hesultate,  t.  I,  pi.  VU;  cf.  E.  et  J.  de  Ko<x.é,  Inscriptions  hiérogly- 
phiques recueillies  en  Egypte,  pi.  III;  Mariette,  les  Mastabas  de  V Ancien  Empire,  p.  279,  414. 

7.  Pa-habou,  Brugsch,  Dictionnaire  Hiéroglyphique  et  Démotique,  Supplément,  p.  749-750,  s.  v.  Ari. 

8.  Pi-akpol  ?  l'Hôtel  du  Vin,  cité  peut-être  dans  Mariette,  les  Mastabas  de  f  Ancien  Empire,  p.  30«». 


LES  HÔTELS   DE  1/ ADMINISTRATION   ROYALE.  28S 

nous  ne  comprenons  pas  toujours  la  destination'.  On  entassait  par  milliers 
rlans  ['Hôtel  des  Armes'  les  casse-tête,  les  massues,  les  piques,  les  poignards, 
les  arcs,  les  paquets  de  (lèches  que  Pharaon  distribuait  aux  recrues  chaque  fois 
qu'une  guerre  l'obligeait  à  convoquer  son  armée,  et  qu'il  leur  retirait  après 
la  campagne1.    Les 
hôtels   se    subdivi- 
saient à  leur  tour  en 
chambres  ou  logis1 
réservés    chacun    à 
une  catégorie  d'ob- 
jets. On  comptait  je 
ne  sais  combien  de 
logis    dans    la   dé- 
pendance de  l'Hôtel 
1  la  ■■»:  M  caisse  ou  likbi  et  mki  tuiufokt  a  l'hoteu  umc*. 

des  Approvisionne- 
ments, Logis  des  Viandes  de  boucherie,  Logis  des  Fruits,  Logis  des  Bières. 
Logis  du  Pain,  Logis  du  Vin,  où  l'on  accumulait  de  chaque  denrée  ce  qui  était 
nécessaire  à  la  nourriture  de  la  cour  entière  pendant  quelques  jours,  au  plus 
pendant  quelques  semaines.  Elles  y  arrivaient  chacune  de  magasins  plus  grands, 
les  vins  de  leurs  entrepôts",  les  bœufs  de  leurs  étables7,  les  blés  de  leurs  gre- 
niers*. Ces  derniers  étaient  de  vastes  réceptacles  en  briques,  ronds,  terminés  en 
coupoles,  accotés  par  dix  et  plus,  mais  sans  communication  de  l'un  à  l'autre.  On 
n'y  voyait  que  deux  ouvertures,  une  au  sommet  par  laquelle  on  introduisait  le 
grain,  une  au  niveau  du  sol  par  laquelle  on  le  retirait  :  un  écriteau  affiché  au 
dehors,  souvent  sur  le  volet  même  qui  fermait  la  chambre,  annonçait  l'espèce  et 

1.  Ainsi  lePi-iior?  (M.wpep.0,  Eluda  Égyptienne»,  t.  Il,  p.  *5H-Î39),  peut-être  l'entrepôt  des  graisses, 
*.  Pkhoioi',  la    Khainat  ed-darak  des  khalifes  égyptiens  (E.    m  Ranci,   lircherrhet  tur  te»   monu- 
ment», p.  91,  1U1,  10i;  NiniETiE,  le»  Mastaba»  de  V Ancien  Empire,  p.  ÏI7-Î18.  ïi»,  *39, 196,  etc.). 

3.  On  voit  à  Médinot-Habou  la  distribution  des  armes,  faite  aux  soldats  de  llarnsés  III  (Cha.poluo-., 
Monument»,  pi,  CCXVIII,  Rosellisi,  Mon.  Real},  pi.  CXXV);  la  même  opération  parait  être  impliquée  par 
un  passage  de  l'inscription  d'Ouni  qui  raconte  la  levée  d'une  armée  sous  la  VI"  dynastie. 

4.  Alt,  kl.  M.  Lcfébure  a  réuni  beaucoup  (le  passages  où  ce»  logis  sont  mentionnés,  dans  ses  notes 
Sur  différent»  mot»  et   nom»  Egyptien»  (Proceedingt  of  Ihe  Society  of  Bibtical  Archrology,   1890- 

1891,  p.  417  sqq.).  Dans  bien  des  cas  qu'il  cite,  et  où  il  reconnaît  une  fonction  d'état,  je  croîs  recon- 
nattre  un  métier  :  beaucoup  d'tai  à1t-*foc,  Gen»  du  loqit  de»  viande»,  seraient  des  bouchers,  beau- 
coup d'»«i  ItT-mglTor,  Gen»  du  Ingit  de  la  bitre,  seraient  des  eabarctîcrs,  travaillant  pour  leur  compte 
dans  la  ville  d'Abjdos.  et  non  des  employés  attachés  au  fisc  de  Pharaon  ou  du  Sire  de  Thinis. 

5.  Deuin  de  Fauchtr-Gudin,  d'âpre»  la  chromolithographie  de  Li.psics,  Denkm.,  Il,  iW. 

il.  Awirt,  mot   qui  s'applique  à  des  entrepôts,  ordinairement  voûtés  et  accolés  deux  à  deux,   où 
l'on   emmagasinait  des  denrées  très  diverses  (M.ibihtk,  te*  Maitaba»,  p.  145,  «3,  Ï3H,  ti'A,  etc.|. 
1.   I.e  terme  Aboii.  qui  s'appliqua  plus  tard  aux  clin  vaux  comme  arn  bieufs.  ne  s'est  pas   rencontré 

X.  Saoxoi-in,  qui  est  passe  dans  le  langage  des  Français  d'Orient,  sous  la  forme  chounéh,  par  l'inter- 
médiaire de  l'arabe.  Pour  la  représentation  des  greniers  à  grains  et  à  fruits  de  l'époque  memphite, 
cf.   JttiPERO,  Quatre  Année»  de  fouilla  {dans  les  Mémoire»  de  la  Million  Fmncaiie,  t.  I,  pi.  lit). 


im  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

la  quantité  des  céréales.  La  garde  et  la  gestion  étaient  confiées  à  des  troupes 
de  portiers,  de  magasiniers,  de  comptables,  de  primats  qui  commandaient 
les  manœuvres1,  d'archivistes,  de  directeurs1.  Les  plus  nobles  se  disputaient 
l'administration  des  Hôtels,  et  les  fils  de  rois  eux-mêmes  n'estimaient  pas 
déroger  à  s'intituler  Directeurs  des  Greniers  ou  Directeurs  de  l'Hôtel  des  Armes. 
Aucune  loi  n'interdisait  le  cumul  et  plus  d'un  se  vante  encore  dans  son  tombeau 


royauté,  les  hôtels  participaient  de  la  dualité  qui  caractérisait  la  personne  de 
Pharaon  :  on  disait,  en  parlant  d'eux,  l'Hôtel  ou  le  double  Hôtel  Blanc, 
l'Hôtel  ou  le  double  Hôtel  de  l'Or,  le  double  Entrepôt,  le  double  Grenier.  Les 
grosses  villes  possédaient,  ainsi  que  la  capitale,  leurs  doubles  Hôtels  et 
leurs  Logis  où  les  produits  du  voisinage  affluaient,  mais  où  le  service  n'exi- 
geait pas  toujours  une  installation  complète;  on  y  rencontrait  des  places* 
dans  lesquelles  fes  recettes  ne  séjournaient  qu'en  passant.  Une  partie  de 
l'impôt  provincial,  la  plus  facile  à  conserver,  était  expédiée  en  barque  à  la 
résidence'  et  grossissait  le  trésor  central  :  le  reste,  on  le  dépensait  sur  les 
lieux  pour  le  traitement  des  employés  et  pour  les  besoins  du  gouvernement. 

I.  Khoepoioi',  le  mol  primai  est  la  traduction  littérale  du  terme  égyptien  ;  sur  le  genre  »)»«i*l  de 
fonctions  qu'il  indique,  cf.  Mtspsno,  Étude*  Egyptienne*,  1.  II,  p.  iNI-IBi. 

t.  «mai!  se  traduit  assez  exactement  Directeur  (Mtsrfciw.  Elude*  Egyptienne*,  t.  Il,  p.  ifll-JKj), 

3.  Pour  n'en  filer  qu'un  exemple,  Kaî  joint  à  1»  direction  de  la  Grande  Cour  du  Palais  celle  du 
dnulile  grenier,  celle  de  la  double  maison  blanche,  relie  des  six  grands  magasins,  et  celle  de  trois 
entrepôt»  différents:  (Mariette,  te*  iiastnba*  de  l'Ancien  Empire,  p.  113). 

4.  llettin  de  Faiichei-Gudin.  d'apràt  une  teènc  de  la  tombe  d'Amonià  Beni-llatian  ;  cf.  ll<K[Li.ni, 
ilonuiuenti  Civiti,  pi.  xxxrv,  t.  Mt:w»;«*Y,  tieni  Hatnn.  t.  I,  pt.  Mil.  A  droite,  près  de  ta  porte,  le  tas 
de  grainsoù  le  boisseleur  puise,  pour  remplir  la  couffe  que  l'un  des  porteurs  tient  ouverte.  Au  cen- 
tre, une  procession  d'esclaves  monte  l'escalier  qui  mène  au-dessus  des  greniers;  l'un  d'eux  décharge 
sa  coulTe  dans  t'oritirc  du  liant,  devant  le  surveillant.  Les  inscriptions  tracées  à  l'encre  sur  la  muraille 
extérieure  des  réceptacles  déjà  pleins  déclarent  le  nombre  de  mesures  que  chacun  d'eux  contient. 

5.  l-lroi,  ptarc*.  faute  d'un  mot  meilleur  (Xasteeii,  Etude»  Egyptiennes,  t.  Il,  p.  IÏ8  sqq.). 

(!.  Les  barques  employées  à  cet  usage  formaient  une  flottille,  et  leurs  chefs  crmuli  tuaient  un  corps 
régulii ■remeiil  organisé  de  convoyeur*  qu'on  voit  souvent  représentés  sur  les  monuments  du  Nouvel 
Empire,  apportant  l'impôt  à  la  résidence  du  roi  ou  du  prince  dont  ils  dépendent.  Il  y  en  »  un  bon 
exemple  au  tombeau  de  Pihiri,  à  Kl-Kab  (Cnt»*>LLH>N,  Monument*  de  l'Egypte  et  de  la  Subit,  pi.  cxli  ; 
Hosf.li.ihi,  Monument!  Civiti,  pi.  ex,  i-1;  LtPSiiis,  Denkm.,  111,  Il   a). 


LES  PLACES  POUR  LA  RENTKÉE  DE  L'IMPÔT.  287 

La  même  hiérarchie  présidait  aux  services  de  la  province,  et  les  inscriptions 
nous  y  signalent  le  même  personnel  que  dans  la  cité  royale.  Tous  les  fonc- 
tionnaires se  contrôlaient  du  haut  en  bas  de  l'échelle  et  répondaient  solidai- 
rement du  dépôt.  Une  irrégularité  dans  les  écritures  entraînait  la  bastonnade; 


on  punissait   les   concussionnaires  d'emprisonnement,   de  mutilation,  ou  de 

mort,  selon  la  gravité  des  cas.  Ceux  que  la  maladie  ou  la  vieillesse  mettaient 

hors  d'état  de  travailler  touchaient  une  retraite  jusqu'à  la  fin  de  leurs  jours*.  . 

L'écrivain*  ou,  comme  nous  disons,  le  scribe  est  le  ressort  qui  meut  la 

1.  DetiindeFauckrr-t}udiit,d'aprèiLr.rfivt,  Dcnkm.,  III,  !>'i.  Il  est  emprunté  à  l'un  des  tombeaux  de 

Tcll-Amarna.  L'hûlel  se  compose  de  quatre  corps  de  bâtiments,  isolés  par  deux  avenues  plantées  d'ar- 
bres, se  coupant  en  croix.  Derrière  la  porte  d'entrée  s'élève,  dans  une  petite  cour,  un  kiosque  où  le 
maître  se  tenait  pour  recevoir  les  approvisionnements  ou  pour  en  surveiller  la  distribution;  les  deux 
bras  de  la  croix  sont  hordes  du  portiques  sous  lesquels  s'ouvrent  les  chambra  (ait)  aux  provisions, 
remplie»  de  jarres  de  vin,  de  coffrets  a  linge,  de  poissons  sèches,  et  d'autres  objets. 

t.  Voir  un  exemple  d'un  employé  pensionné  pour  infirmités  au  Papyrm  Allaitait  «•  IV  sous  In 
XIX'  dynastie  (Maspeko,  Xotei  au  jour  te  jour.  §  8,  dans  les  Procardirigi,  1890-1891,  p.  413-4M). 

3.  StSH*r  est  le  titre  courant  du  scribe  ordinaire,  lim  |>;imit  être  réservé  au  scribe  de  haut  rang.du 
moins  sous  l'empire  Mcmphîte,  selon  la  remarque  de  K.  de  Rui-ct  {Court  du  Collège  de  France,  I8S9)  ; 
plus  lard  la  distinction  s'affaiblit,  et  le  mot  ânou  disparut  devant  aakhnu,  takh,  dérivé  de  tathai. 


288  LA  CONSTITUTION   POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

machine  entière.  On  le  rencontre  à  tous  les  degrés  de  la  hiérarchie  :  un  petit 
employé  aux  bœufs,  un  commis  au  double  Hôtel  Blanc,  déguenillés,  vulgaires, 
mal  payés  sont  scribes  comme  le  seigneur,  le  prêtre  ou   le  fils  de  roi1.  Aussi 
le  titre  de  scribe  ne  vaut   rien  par   lui-même,  et  ne  désigne  point  nécessai- 
rement, comme  on  se  plait  l'imaginer,  un  docteur  sorti  d'une  école  de  haute 
culture  ou  un  homme  du  monde  instruit  aux  sciences  et  à  la  littérature  de  son 
temps'  :  était  scribe  qui  savait  lire,  écrire,  chiffrer,  manier  tant  bien  que  mal  le 
formulaire  administratif,  appliquer  couramment  les  règles  élémentaires  de  la 
comptabilité.  Il  n'y  avait  aucune  école  publique  où  Ton  préparât  le  scribe  à  son 
métier  futur  ;  mais,  dès  qu'un  enfant  avait  acquis  les  premiers  rudiments  des 
lettres  auprès  de  quelque  vieux  pédagogue,  son  père  l'emmenait  avec  lui  au 
bureau  ou  le  confiait  à  un  ami  qui  voulait  bien  se  charger  de  son  éducation. 
L'apprenti  observait  ce  qui  se  passait  autour  de  lui,  imitait  la  façon  de  pro- 
céder des  employés,  copiait  entre  temps  de  vieilles  paperasses,  lettres,  comptes, 
suppliques  en  langage  fleuri,  rapports,  compliments  à  l'adresse  des  supérieurs 
ou  de  Pharaon,  que  son  patron  examinait  et  corrigeait,  indiquant  à  la  marge  les 
lettres  ou  les  mots  mal  tracés,  retouchant  le  style,  redressant  les  formules 
altérées  ou  les  complétant*.  Dès  qu'il  pouvait  aligner  sans  broncher  une  cer- 
taine quantité  de  phrases  et  de  calculs,  on  lui  laissait  le  soin  de  rédiger  des 
billets  ou  de  surveiller  seul  des  opérations  de  trésorerie  dont  on  augmentait 
graduellement  le  nombre  et  la  difficulté  :  quand  on  jugeait  qu'il  possédait 
suffisamment  la  routine  des  affaires  courantes,  on  déclarait  son  éducation  ter- 
minée, et  on  lui  ménageait  une  place  soit  dans  l'endroit  même  où  il  avait  com- 
mencé son  stage,  soit  dans  un  bureau  voisin*.  Le  jeune  homme  ainsi  dressé 

1.  Les  trois  fils  de  Khâfrtànkhou,  petits-fils  de  roi,  sont  figures  devant  leur  père,  dans  l'exercice  de 
leurs  fonctions  de  scribe,  la  tablette  à  la  main  gauche,  le  calame  derrière  l'oreille  (Lepsirs,  Denkm., 
II,  11)  :  de  même  le  fils  aîné  d'Ankhaftouka,  <imi,  commandant  le  palais  sous  les  premiers  rois  de 
la  V*  dynastie  (Mariette,  les  Mastabas,  p.  305-309);  de  même  le  frère  de  Tapoumônkhou  («#.,  p.  193) 
et  plusieurs  des  fils  de  Sakhemphtah  (id.y  p.  2;>3),  vers  la  même  époque. 

t.  C'est  le  type  qu'on  trouve  représenté  le  plus  souvent  dans  les  ouvrages  modernes  sur  l'Egypte. 
.  dans  les  romans  de  G.  Ebers,  par  exemple,  ainsi  le  Pentaur  et  le  Nefersekhet  à'Uarda:  c'est  aussi 
celui  que  l'on  conçoit  le  plus  aisément  d'après  les  papyrus  littéraires  de  la  XIX"  et  de  la  XX*  dynas- 
tie, où  la  profession  du  scribe  est  exaltée  au  détriment  des  autres  métiers  (cf.  l'éloge  du  scribe 
dans  le  Papyrus  Anastasi  «•  /,  pi.  1-X1II;  Chabas,  le  Voyage  d'un  Egyptien,  p.  31-47). 

3.  Nous  possédons  encore  pour  la  XIX#  et  la  XX*  dynastie  des  cahiers  d'écoliers,  ainsi  le  Papyrus 
Anastasi  «•  IV  et  le  Papyrus  Anastasi  n*  P,  où  l'on  rencontre  pêle-mêle  des  pièces  de  tout  style  et 
de  toute  nature,  des  lettres  d'affaire,  des  demandes  de  congé,  des  compliments  poétiques  à  l'adresse 
d'un  chef,  probablement  un  recueil  d'exercices  compilé  par  quelque  professeur  et  que  ses  élèves 
copiaient  pour  achever  leur  éducation  de  scribe  :  les  corrections  du  maître  sont  tracées  rapidement 
en  haut  et  en  bas  des  pages,  d'une  main  habile  et  ferme,  très  différente  de  celle  de  l'écolier,  bien  que 
celle-ci  soit  ordinairement  plus  facile  à  lire  pour  nous  (Select  Papyri,  t.  I,  pi.  LXXXUI-CXXI). 

A.  C'est  ce  qui  paraît  résulter  de  toutes  les  biographies  de  scribes  que  nous  connaissons,  de  celle 
d'Amten,  par  exemple;  c'est  du  reste  ce  qui  se  passait  par  l'Egypte  entière  jusque  dans  ces  derniers 
temps,  et  ce  qui  s'y  passe  encore  probablement,  dans  les  parties  où  l'influence  des  mœurs  européennes 
ne  se  fait  pas  encore  sentir  trop  vivement  (Maspkro,  Études  Egyptiennes,  t.  U,  p.  123-lifi). 


LE  SCRIBE,   SON    ÉDUCATION,   SES    CHANCES   DE    FORTUNE.  289 

finissait  généralement  par  succéder  à  son  père  ou  à  son  protecteur  :  on 
rencontrait  dans  la  plupart  des  administrations  de  véritables  dynasties 
au  petit  pied,  dont  les  membres  héritaient  pendant  plusieurs  siècles  une  même 
place  d'écrivain'.  La  situation  était  mince  et  le  traitement  médiocre,  mais  on 
avait  le  nécessaire  assuré,  on  était  exempt  des  corvées  et  de  la  milice,  on 
exerçait  une  autorité  telle  quelle  sur  le  monde  étroit  où  l'on  vivait  :  c'en  était 


assez  pour  qu'on  s'estimât  heureux  et,  somme  toute,  pour  qu'on  le  fût.  «  Il 
n'est  que  d'être  scribe  » ,  disait  le  sage  ;  «  le  scribe  prime  tout'  » .  Quelquefois 
cependant  l'un  de  ces  satisfaits,  plus  intelligent  ou  plus  ambitieux  que  les 
autres,  parvenait  à  se  dégager  de  la  médiocrité  commune  :  sa  belle  écriture, 
l'heureux  choix  de  ses  locutions,  son  activité,  son  obligeance,  son  honnêteté, 
—  peut-être  aussi  sa  malhonnêteté  discrète,  —  attiraient  sur  lui  l'attention 
de  ses  supérieurs  et  lui  valaient  de  l'avancement.  On  vit  souvent  le  fils  d'un 

I.  On  pourra  le  constater  aisément  en  feuilletant  l'ouvrage  oc  Mametie,  Catalogue  général  det 
Hunumenti  d'Abydot.  Le  nombre  des  exemples  serait  plus  grand  encore  si  Mariette,  craignant  do 
trop  grossir  «on  livre,  n'avait,  dans  bien  des  cas,  supprimé  les  litres  et  la  fonction  de  la  plupart  des 
personnages  qui  sont  mentionnés  à  la  dizaine  sur  les  stèln  rotivei  du  Musée  de  Gizéh. 

i.  Deitin  de  Favcher-Gudin,  d'aprei  un  tableau  de  la  titube  de  Khounai  (cf.  Homilisi,  Monument i 
Chili,  pi.  iiiv,  i;  Lipsir.s,  Denkm.,  II.  107).  Deui  scribes  écrivent  sur  une  planchette.  Devant  celui 
du  registre  supérieur,  on  voit  une  palette  a  deux  godels  placée  sur  le  vase  qui  sert  d'encrier,  el  un 
paquet  de  planchettes  liées,  le  tout  sur  un  ballot  d'archives.  Le  scribe  du  second  registre  appuie  sa 
planchette  contre  l'encrier,  et  tient  devant  lui  le  coffre  aux  archives.  Derrière  eux  un  iiakht-khrûau 
annonce  la  remise  de  la  planchette  chargée  de  chiffres  que  le  troisième  scribe  présente  au  maître. 

A.  C'est  comme  le  refrain  qui  revient  inévitable  dans  tous  les  exercices  de  style  imposés  aux  éco- 
lier» du  Nouvel  Empire  (M.spuiu,  Du  Genre  Eputolaire,  p.  28,  3ii,  38-il),  49-50,  Gfi.  7Ï,  etc.). 

BIST,  ixc.  m  L'oilisT.  —  r.  i.  »7 


«90  LA   CONSTITUTION   POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

paysan  ou  d'un  pauvre  hère,  qui  avait  débuté  par  enregistrer  du  pain  et  des 
légumes  dans  un  bureau  de  province,  couronner  une  carrière  longue  et  bien 
menée  par  une  sorte  de  vice-royauté  sur  la  moitié  de  l'Egypte.  Ses  greniers 
regorgeaient  de  blé,  ses  magasins  se  remplissaient  constamment  d'or,  d'étoffes 
fines  et  de  vases  précieux,  son  étable  «  multipliait  les  dos  »  de  ses  bœufs'  ;  et 
les  fils  de  ses  premiers  protecteurs,  devenus  ses  protégés  à  leur  tour,  ne  se 
hasardaient  plus  à  l'aborder  que  la  tête  basse  et  le  genou  plié. 

C'était  sans  doute  un  parvenu  de  ce  genre  que  cet  Amten  dont  le  tombeau  a 


été  transporté  à  Berlin  par  Lepsius,puis  remonté  pièce  à  pièce  dans  le  Musée*. 
11  était  né  vers  la  fin  du  cinquième  millénaire  avant  notre  ère,  sous  un  des 
derniers  rois  de  la  111*  dynastie,  et  il  prolongea  son  existence  jusque  sous  le 
premier  roi  de  la  IV*,  Snofroui.  H  tirait  probablement  son  origine  du  nome  du 
Taureau,  sinon  de  Xoïs  même,  au  cœur  du  Delta.  Son  père,  le  scribe  Ànoupou- 
monkhou,  possédait  outre  sa  charge  plusieurs  domaines  fonciers  de  bon  rapport  ; 
mais  sa  mère  Nibsonît,  une  simple  concubine  à  ce  qu'il  semble,  ne  jouissait 
d'aucune  fortune  personnelle  et  aurait  été  incapable  de  fournir  seule  à  l'éduca- 
tion de  l'enfant.  Anoupoumônkhou  le  prit  entièrement  à  ses  frais,  «  lui  donnant 
tout  ce  qui  était  nécessaire  à  la  vie,  alorsqu'il  n'avait  encore  ni  blé,  ni  orge,  ni 
traitement,  ni  maison,  ni  domestiques  mâles  ou  femelles,  ni  troupeaux  d'ânes, 
de  porcs  et  de  bœufs*  ».  Dès  qu'il  le  trouva  en  état  de  se  subvenir  à  lui-même, 

1.  L'eipresBion  csl  cmprunlée  ii  l'une  de«  [étires  du  Papyrui  Anastait  n'  IV,  pi.  IX,  1. 1. 

t.  Deuin  de  Faucher-Gudin,  d'après  un  labltau  du  lambeau  de  Shopsisonrt  (Ltpsus,  Denkm.,  Il,  63}. 
I.e  nakhl-khrfiou ,  le  crlour,  est  à  la  gauche  du  spectateur  :  quatre  «refilera  du  temple  funéraire 
d'Uuiïrnirl  s'avancent  en  rampant  vers  le  maître,  le  cinquième  vient  de  se  lever  cl  se  lient  à  demi 
courbé,  tandis  qu'un  huissier  l'introduit  et  lui  transmet  l'ordre  do  rendre  sea  comptes. 

H.  Il  est  public  dans  Limu*,  Denkm.,  Il,  1-7.  Les  texlcs  en  avaient  été  analysés  plus  ou  moins 
sommairement  par  E.  de  ltoirr.ï,  Rechercktê  sur  tel  monument*,  p.  39-ill,  par  Entra  dans  Bcmoi,  Eggpt'i 
place,  I.  V,  p.  ItS-'tl,  par  Pisnati,  Explication  des  Monument!  de  l'Egypte,  p.  9-11,  par  F.n.i, 
£gypten,  p.  146-128 ;  ils  ont  été  traduits  et  commentés  par  M*si>mo,  ta  Carrière  adminïitratire 
de  deux  haute  fonctionnaires  égyptiens,  dans  les  Etudes  Egyptienne!,  t.  Il,  p.  113-ï";*.  C'est  à  ce 
dernier  mémoire  que  j'ai  emprunte  brièvement  les  principaux  traits  de  la  biographie  d'Amlen. 

i.  Lïmics,  Denkm.,  Il,  5,  I.  I  ;  cf.  M«.*pe»o.  Élude*  Egyptienne»,  t.  II.  p.  1Ï0  sqq. 


LA  CARRIÈRE  D'AMTEN.  291 

il  lui  obtint  dans  le  nome  natal  un  premier  poste  de  scribe  attaché  à  l'une  des 


Place*  qui  dépendaient  de  l'administration  des  subsistances.  Le  jeune  homme 
recevait  pour  Pharaon,  enregistrait,  distribuait  la  viande,  les  gâteaux,  les 

st  représenté  debout  dan»  la  baie  et 


292  LA   CONSTITUTION   POLITIQUE   DE   L'EGYPTE. 

fruits  et  les  légumes  frais  de  l'impôt,  sous  sa  responsabilité  personnelle,  sauf 
à  en  rendre  compte  au  Directeur  d'hôtel  le  plus  voisin.  11  ne  nous  apprend  pas 
combien  de  temps  il  demeura  occupé  de  la  sorte  ;  nous  voyons  seulement  qu'il 
s'éleva  successivement  à  des  fonctions  de  nature  analogue,  mais  de  plus  en 
plus  importantes.  Les  bureaux  de  province  comprenaient  un  petit  nombre 
d'employés  toujours  les  mêmes  :  un  chef  ayant  ordinairement  la  qualité  de 
Directeur  d'hôtel,  quelques  scribes  chargés  des  écritures  et  dont  un  ou  deux 
joignaient  à  leur  besogne  ordinaire  celle  d'archivistes,  des  huissiers  payés 
afin  d'introduire  les  administrés  et  au  besoin  de  les  bâtonner  sommairement 
sur  l'ordre  du  Directeur,  enfin  des  forts  de  voix,  des  crieurs,  qui  surveillaient 
les  opérations  d'entrée  ou  de  sortie  et  qui  en  proclamaient  le  résultat  aux 
scribes,  pour  qu'ils  le  notassent  aussitôt1.  Un  crieur  vigilant  et  honnête  était  un 
homme  précieux.  Il  obligeait  le  contribuable  non  seulement  à  servir  exacte- 
ment le  nombre  de  mesures  inscrit  à  sa  cote,  mais  encore  à  livrer  chaque 
fois  pleine  mesure;  au  contraire,  un  crieur  malhonnête  pouvait  aisément  favo- 
riser la  fraude,  sauf  à  en  partager  le  bénéfice.  Âmtem  fut  à  la  fois  crieur  et 
taxateur  des  colons  auprès  de  l'administrateur  civil  du  nome  de  XoTs  :  il 
annonçait  le  nom  des  paysans  et  les  versements  qu'ils  faisaient,  puis  évaluait 
la  part  qu'ils  devaient  acquitter  de  l'impôt  local,  chacun  selon  sa  fortune.  Il 
se  distingua  si  fort  dans  ces  fonctions  délicates  que  l'administrateur  civil  de 
Xoïs  le  prit  à  sa  suite  :  il  passa  Chef  des  huissiers,  puis  Maître-crieur,  puis  fut 
nommé  Directeur  de  tout  le  lin  du  roi  pour  le  nome  Xoïte,  ce  qui  l'obligeait  à 
surveiller  la  culture,  la  récolte,  la  préparation  générale  du  lin  que  Ton  fabri- 
quait sur  les  domaines  propres  du  Pharaon.  C'était  l'une  des  charges  les  plus 
hautes  qu'il  y  eût  dans  l'administration  provinciale  et  Amten  put  s'estimer 
heureux  le  jour  qu'il  en  fut  investi. 

A  partir  de  ce  moment,  sa  carrière  s'agrandit  et  il  y  marcha  vite.  Il  s'était 
jusqu'alors  enfermé  dans  les  bureaux  :  il  en  sortit  pour  exercer  des  fonc- 
tions plus  actives.  Les  Pharaons,  fort  jaloux  de  leur  autorité,  évitaient 
ordinairement  de  placer  à  la  tête  des  nomes  de  leur  domaine  un  seul  chef  qui 

grande  canne  à  la  main  :  à  droite,  un  serviteur  lui  sert  le  banquet  funèbre;  à  gauche,  une  gerboise, 
un  lièvre,  un  hérisson,  une  belette,  et  un  quadrupède  indécis  figurent  les  animaux  qu'il  poursuivait 
dans  le  désert  de  Libye,  en  sa  qualité  de  Grand  Veneur.  Dans  le  registre  du  haut,  il  est  assis  et  reçoit 
une  fois  de  plus  le  repas  funéraire.  La  longue  inscription  en  colonnes  courtes,  qui  occupe  la  partie 
supérieure  de  la  paroi,  énumère  ses  titres  principaux,  ses  domaines  dans  le  Delta,  et  mentionne  une 
partie  des  récompenses  que  le  souverain  lui  avait  conférées  au  cours  de  sa  longue  carrière. 

1.  Sur  ces  crieurs —  en  égyptien  nakht-khrôou,  —  voir  Maspero,  Etudes  Égyptiennes,  t.  II,  p.  135, 
139.  On  trouvera  des  bureaux  figurés  dans  le  tombeau  de  Shopsisourt  à  Saqqarah  (Lepsics,  Denkm., 
II,  62,  63,  64),  dans  le  tombeau  de  Phtahhotpou  (irf.,  pi.  103  a)  et  dans  plusieurs  autres  (id.,  pi.  lin, 
74,  etc.);  cf.  un  bureau  d'administration  de  la  Gazelle,  sous  la  VIe  dynastie,  p.  289  de  cette  Histoire. 


LES   CHARGES    SUCCESSIVES    PÀMTEN.  293 

eût  trop  ressemblé  à  un  prince  :  ils  préféraient  avoir  dans  chaque  endroit  des 
administrateurs  civils,  des  Régents  de  ville  ou  de  canton,  des  commandants 
militaires  qui  se  jalousaient,  se  surveillaient,  s'équilibraient  l'un  l'autre,  et  ne 
demeuraient  pas  assez  longtemps  en   place  pour  devenir  dangereux.  Amten 
fut  successivement   tout  cela  dans  la  plupart  des    nomes  situés   au  centre 
ou  à  l'occident  du  Delta  :  on  l'appela  poui 
la  régence  du  village  de  Pidosou,  poste  insigi 
mais  qui  lui  valut  te  droit  à  la  canne  et  lui 
conséquent  une  des  jouissances  de  vanité  le 
qu'il  y  eut  pour  un  Égyptien*.  La  canne  et 
l'insigne  du  commandement  que  les  nobles  s 
employés  assimilés  aux  nobles  pouvaient  po 
contrevenir  à  l'usage  :  la  prendre,  comme  ch 
l'épée,  c'était   montrer  à  tous  qu'on   entra 
une  classe  privilégiée.  Une  fois  anobli,  les  • 
s'adjoignirent     rapidement     aux    villages , 
puis  les  villes  aux  villes,  même   les  cités 
importantes  comme  Bouto,  enfin  les  nomes 
du    Harpon,   du   Taureau,   du    Silure,   la 
moitié    occidentale    du    nome    Saïte,    le 
nome  de  la  Cuisse,  une  partie  du  Fayoum. 
La  moitié  occidentale  du  nome  Saïte,  où  il 
séjourna    longtemps,   correspondait    à    ce 

qu'on  appela  plus  tard  le  nome  de  Libye.        (rm.i B-AaTa  IIKf(,  BES0,  „,,„,:* 
Elle   s'étendait    presque  de   la  pointe  du 

Delta  à  la  mer  et  confinait  d'un  côté  à  la  branche  Canopîque  du  Nil,  de  l'autre 
à  la  chaine  Libyque;  une  partie  du  désert  et  des  Oasis  tombait  sous  sa  dépen- 
dance. Elle  comptait  parmi  sa  population  des  chasseurs  nomades  enrégimentés, 
comme  c'était  le  cas  dans  la  plupart  des  cités  de  la  Haute-Egypte,  et  assu- 
jettis à  payer  leur  tribut  en  gibier  mort  ou  vivant.  Amten  se  transforma  en 
Grand  Veneur,  battît  la  montagne  avec  ses  hommes  et  devint  du  même  coup 
un  personnage  des  plus  importants  pour  la  défense  du  pays.  Les  Pharaons 
avaient  installé  des  postes  fortifiés  et  parfois  construit  des  murailles  sur  les 
points  où  les  routes  débouchent  dans  la  vallée,  à  Syène,  à  Coptos,  à  l'entrée 

I.  JLiSMlO,  Éluder  égyptienne*,  I.  Il,  p.  163-lflS. 

S,   lltitin  de  F*ueher-fiudin.  d'ayre*  Umis,  Dr» km-.  H,  1Î0  a  :  l'original  est  au  Mui-ée  de  Berlin. 


294  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

de  rOuady-Toumilât.  Amten,  proclamé  Primat  de  la  porte  Occidentale,  c'est- 
à-dire  gouverneur  de  la  marche  Libyenne,  se  chargea  de  protéger  la  frontière 
contre  les  Bédouins  qui  erraient  au  delà  du  lac  Maréotis.  Ses  devoirs  de  Grand 
Veneur  l'avaient  préparé  on  ne  peut  mieux  à  remplir  cette  tâche  difficile.  Ils 
l'obligeaient  à  courir  sans  cesse  la  montagne,  à  en  explorer  les  ravins  et  les 
gorges,  à  connaître  les  routes  jalonnées  de  puits  que  les  pillards  devaient 
suivre  pendant  leurs  incursions,  les  sentiers  et  les  passes  par  lesquelles  ils 
pouvaient  descendre  dans  laT  plaine  du  Delta;  à  forcer  le  gibier,  il  apprit  tout 
ce  qui  lui  était  nécessaire  pour  repousser  l'ennemi l.  Tant  de  pouvoirs  réunis 
entre  ses  mains  faisaient  de  lui  le  seigneur  le  plus  considérable  qu'il  y  eût  dans 
ce  coin  de  l'Egypte.  Quand  la  vieillesse  ne  lui  permit  plus  de  mener  la  vie 
active,  il  accepta  en  guise  de  retraite  le  gouvernement  du  nome  de  la  Cuisse  : 
autorité  civile,  commandement  des  troupes,  sacerdoces  locaux,  distinctions 
honorifiques,  il  ne  lui  manqua  pour  être  l'égal  des  nobles  d'ancienne  race  que 
la  faculté  de  transmettre  librement  à  ses  enfants  ses  villes  et  ses  charges. 

Sa  fortune  personnelle  ne  montait  pas  aussi  haut  qu'on  serait  ten'-S  de  le 
croire.  Il  avait  hérité  de  son  père  un  seul  domaine1,  et  en  avait  acquis  douze 
autres  dans  les  cantons  du  Delta  où  le  progrès  de  sa  carrière  l'avait  entraîné, 
dans  le  nome  Saïte,  dans  le  Xoïte,  dans  le  Létopolite8.  On  lui  conféra  plus 
tard  en  récompense  de  ses  services  deux  cents  parcelles  de  terre  cultivée, 
avec  de  nombreux  paysans,  hommes  et  femmes,  et  une  rente  de  cent  pains 
par  jour,  prélevée  sur  le  fisc  funéraire  de  la  reine  Hâpounimâit*.  Il  profita 
de  cette  aubaine  pour  doter  convenablement  sa  famille.  Son  fils  unique 
était  déjà  pourvu,  grâce  à  la  munificence  de  Pharaon  ;  il  avait  débuté  dans  la 
carrière  administrative  par  le  même  poste  de  scribe  adjoint  à  une  Place 
d' approvisionnements  que  son  père  avait  tenu,  et  il  avait  reçu  en  apanage, 
par  lettres  royaux,  quatre  parcelles  de  terre  à  blé  avec  leur  population  et 
leur  matériel8.  Amten  donna  douze  parcelles  à  ses  autres  enfants  et  cinquante 
à  sa  mère  Nibsonît,  grâce  auxquelles  la  bonne  dame  vécut  largement  ses  années 
de  vieillesse  en  ce  monde  et  se  constitua  son  culte  au  tombeau6.  Il  bâtit  sur 
ce  qui  restait  de  terrain  une  villa  superbe  dont  il  nous  a  complaisamment 

1.  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  177-181,  188-191. 

2.  Lepsius,  Denkm.,  II,  7  a,  1.  5;  cf.  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  Il,  p.  238-241. 

3.  Lepsius,  Denkm.,  II,  6,  l.  4;  cf.  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  217-219. 

4.  Lepsius,  Denkm.,  Il,  6,  1.  5-6;  cf.  Maspero,  Études  Egyptiennes,  t.  11,  p.  220-226.  La  reine  Hâpou- 
niraâtt  paraît  avoir  été  la  mère  de  Snofroui,  le  premier  Pharaon  de  la  IV*  dynastie  de  Manéthon. 

5.  Lepsius,  Denkm.,  II,  6,  1.  2;  cf.  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  Il,  p.  213-217. 

6.  Lepsius,  Denkm.,  II,  3,  1.  13-18;  cf.  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  226-230.  La  superficie 
de  ces  parcelles  est  donnée,  mais  l'interprétation  des  mesures  prête  encore  à  la  discussion. 


LA   FORTUNE    D'AMTEM   À    LA  FIN  DE  SA   VIE.  295 

laissé  ta  description.  L'enceinte  formait  un  carré  de  cent  cinq  mètres  de 
côté  et  enfermait  par  conséquent  une  superficie  de  onze  mille  mètres  carrés. 
La  maison  d'habitation,  bien  bâtie,  bien  garnie  des  choses  nécessaires  à  l'exis- 
tence,   était  entourée  d'arbres  d'apparat  et  de  rapport,  palmiers  ordinaires, 


figuiers,  nabécas,  acacias;  plusieurs  bassins,  proprement  encadrés  de  verdure, 
y  offraient  asile  aux  oiseaux  d'eau,  des  treilles  couraient  en  avant  de  la 
maison,  selon  l'usage,  et  deux  boisselées  de  terre,  plantées  en  vignes  de 
rapport,  lui  fournissaient  grand  vin  chaque  année'.  C'est  là  sans  doute  qu'il 
termina  ses  jours  dans  la  paix  et  le  repos  de  son  âme.  Aucune  pyramide  ne 
couronnait  encore  le  plateau  où  le  Sphinx  veillait  depuis  des  siècles,  mais 

1.  Ce  plan  esl  tiré  d'une  loin  lie  thébaine  de  la  XVIIIe  dynastie  (Cbupollion,  Monument  t  de  l'Egypte 
tl  de  la  Nubie,  pi.  cclii,  RmiLLUI,  Monument!  ttorici,  pi.  lïu,  WlLIDHM,  Mannert  and  Custonu, 
■t"  éd.,  t.  I,  p.  8"7),  mais  il  répond  eiacleincnt  à  la  description  qu'Amten  nous  a  laissée  de  sa  villa. 

i.  I.lpsils,  Denkm., Il,  î  b;  cf.  Mameko.  Eludei  Egyptienne*,  t.  Il,  p.  330-138. 


296  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE   DE   L'EGYPTE. 

des  mastabas  en  belle  pierre  blanche  s'élevaient  ça  et  là  au  milieu  des 
sables  :  celui  où  sa  momie  alla  s'enfermer  était  situé  non  loin  du  village 
moderne  d'Abousîr,  à  la  limite  du  nome  de  la  Cuisse  et  presque  en  vue  du 
château  dans  lequel  sa  vieillesse  s'était  écoulée1. 

Le  nombre  en  devait  être  considérable  de  ces  personnages  qui,  sortis  de 
leur  condition  obscure,  se  haussaient  en  quelques  années  au  faite  des  hon- 
neurs et  mouraient  gouverneurs  de  province  ou  ministres  de  Pharaon.  Leurs 
descendants  suivaient  la  carrière  paternelle  jusqu'au  jour  où  la  faveur  royale 
et  un  mariage  avantageux  leur  assuraient  la  possession  d'un  fief  héréditaire 
et  transformaient  en  baron  féodal  le  fils  ou  le  petit-fils  du  scribe  enrichi. 
C'est  chez  les  gens  de  cette  classe  et  parmi  les  enfants  des  souverains  que 
la  noblesse  se  recrutait  le  plus  souvent.  Affaiblie  et  très  réduite  dans 
le  Delta,  où  l'autorité  du  Pharaon  s'exerçait  directe  presque  partout,  elle  rele- 
vait la  tète  dans  la  Moyenne-Egypte  et  devenait  de  plus  en  plus  forte  à 
mesure  qu'on  s'enfonçait  vers  le  Sud.  Elle  détenait  les  principautés  de  la 
Gazelle*,  du  Lièvre*,  du  Mont-Serpent4,  d'Akhmîm5,  de  Thinis6,  de  Kasr-es- 
Sayad7,  d'El-Kab8,  d'Assouân9,  et  sans  doute  d'autres  encore  dont  nous  retrou- 
verons un  jour  les  monuments.  Elle  reconnaissait  sans  difficulté  la  fiction  d'après 
laquelle  Pharaon  se  proclamait  le  maître  absolu  du  sol  et  ne  concédait  à  ses 
sujets  que  l'usufruit  de  leurs  fiefs;  mais,  le  principe  admis,  chacun  des  barons 
se  proclamait  souverain  sur  son  domaine  et  y  exerçait  en  petit  la  plénitude 

1.  La  situation  du  Château  seigneurial  d'Amten  n'est  indiquée  nulle  part  dans  les  inscriptions. 
L'habitude  qu'avaient  les  Égyptiens  de  construire  leur  tombe  aussi  près  que  possible  de  l'endroit  où 
ils  résidaient  me  porte  à  considérer  comme  presque  certain  que  nous  devons  en  chercher  l'emplace- 
ment dans  la  plaine  Mcmphite,  au  voisinage  du  bourg  d'Abousîr,  mais  vers  le  Nord,  de  manière  à 
demeurer  sur  le  territoire  du  nome  Létopolile,  ou  Amten  gouvernait  au  nom  du  roi. 

2.  Tombeau  de  Khounas,  prince  de  la  Gazelle,  à  Zaouîét-el-Maiétfn  (Champoluon.  Monument*  de 
l'Egypte  et  de  la  Nubie,  t.  II,  p.  -441-454;  Lepsils,  Denhn.,  II,  105-106);  on  trouve  dans  la  même  loca- 
lité et  à  Shéikh-Satd  les  tombeaux  à  moitié  détruits  d'autres  princes  de  ce  même  nome,  contempo- 
rains pour  la  plupart  des  VI*  et  VIII*  dynasties  (Lepsus,  Denhn.,  Il,  110-111). 

3.  Tombeaux  des  princes  du  Lièvre  à  Shéikh-Satd  et  à  Bershéh  (Lepsus,  Denkm.,  II,  112-113). 

X.  Tombeau  de  Zàou  1",  prince  de  Thinis  et  du  Mont-Serpent,  dans  Sayce,  Gleanings  from  the  Land 
of  Egypl  (Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  65-67);  cf.,  pour  l'interprétation  du  texte  publié  par  Sayce, 
Maspero,  Sur  l'inscription  de  Zâou,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  68-71. 

5.  Tombeaux  des  princes  d'Akhmîm  dans  Mariette,  Monuments  divers,  pi.  XXI  b,  p.  6  du  Texte,  et 
dans  E.  Sohiaparki.lj,  Chemmis-Achmtm  e  la  sua  antica  necropoli  (dans  les  Eludes  Archéologiques 
dédiées  à  M.  le  /)'  C.  Leemans,  p.  85-88). 

6.  Tombeaux  des  princes  de  Thinis  à  Méshéikh,  en  face  de  Girgéh  (Sayce,  Gleanings  from  the  Land 
ofEgypt,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  63-64;  Nestor  Lhôte,  dans  le  Recueil,  t.  XIII,  p.  71-72); 
on  en  trouve  d'autres  beaucoup  plus  au  Nord,  vers  Beni-Mohammed-el-koufour  (Sayce,  ibid.,  p.  67). 

7.  Tombeaux  des  princes  de  Kasr-cs-Sayad,  copiés  en  partie  par  Nestor  Lhôte,  publiés  incomplè- 
tement dans  Lepsus,  Uenkm.,  Il,  113-114,  et  dans  Villiers-Stiart,  Nile  Gleanings,  p.  305-307, 
pi.  XXXVI-XXXVII1. 

8.  Plusieurs  princes  d'Kl-Kab  sont  mentionnés  dans  les  graffiti  recueillis  et  publiés  par  L.  Stera, 
die  Cultussiâlte  der  Lucina,  dans  la  Zeitschrift,  1875,  p.  65  sqq. 

0.  Les  tombeaux  des  princes  d'Assouân,  déblayés  de  1886  à  1802,  ont  été  publiés  par  U.  Bouriant 
{les  Tombeaux  d'A»souân,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  X,  p.  182  sqq.)  et  par  Budge  (Excavation  a 
made  al  Aswûn,  dans  les  Transactions  of  the  Society  of  Riblical  Arclueology,  1887-1888,  p.  A  sqq.). 


LA    CONDITION    DES   SEIGNEURS    FEODAUX.  297 

du  pouvoir  royal.  Tout  lui  appartenait  dans  les  limites  de  cet  État  minuscule, 
les  bois,  les  canaux,  les  champs,  les  sables  même1  :  comme  Pharaon,  il  en 
exploitait  une  partie  et  répart  issait  le  reste  à  ferme,  parfois  à  fief,  entre  ceux 
de  ses  serviteurs  qui  lut  inspiraient  le  plus  de  confiance  ou  d'amitié.  H  était 
prêtre  ainsi  que  Pharaon  et  revêtu  comme  lui  du  sacerdoce  de  tous  les  dieux, 


non  pas  cependant  de  tous  ceux  de  l'Egypte,  mais  de  tous  ceux  du  nome.  Il 
rendait  la  justice  au  civil  et  au  criminel,  recevait  les  plaintes  de  ses  vassaux 
et  de  ses  serfs  à  la  porte  de  son  palais  et  en  décidait  sans  appel.  11  entre- 
tenait une  flotte  et  levait  sur  ses  domaines  une  armée  en  miniature  dont  il 
était  le  général  en  chef  par  devoir  héréditaire.  Il  habitait  un  château  fortifié 
quelquefois  dans  la  capitale  même  de   la  principauté,  quelquefois  dans  le 

1,  Grande  Intcription  de  Iléni-Hnman,  l.  46-53.  L'étendue  du  pouvoir  Féodal  et  l'organisation  des 
nomes  ont  été  définies  pour  la  première  foi«  par  Masfeho,  la  Grande  Intcription  de  Bêni-Hauaii 
{Recueil,  1. 1,  p.  179-181  ;  cf.  E»»ik,  Mgypten,  p.  135  sqq.,  En.  Met»,  Gruhichte  jEgyptent,  p.  156  «qq.]. 

S.  Detlin  de  Faucher-Gudin.  ifaprri  une  photographie  de  Gauet  ;  cf.  ftWino,  le  Tombeau  de 
Natkti,  dans  les  Mémoire»  publie*  par  la  Membre»  de  la  Million  frauçaite  du  Caire,  1.  V,  p.  l&O. 


298  LA  CONSTITUTION   POLITIQUE   DE  L'EGYPTE. 

voisinage,  et  qui  reproduisait  en  moins  grand  les  dispositions  de  la  cité 
royale'.  On  y  voyait,  à  côté  des  salles  de  réception,  un  harem  où  la  femme 
légitime,  souvent  une  princesse  du  sang  solaire,  jouait  à  la  reine,  entourée 
de  concubines,  de  danseuses  et  d'esclaves.  Les  hôtels  des  différentes  admi- 
nistrations se  pressaient  dans  l'enceinte  avec  leurs  directeurs,  leurs  régents, 
leurs  scribes  de  toute  classe,  leurs  gardiens,  leurs  manœuvres  qui  portaient 


les  mêmes  titres  que  les  employés  correspondants  des  administrations  d'Étal  : 
l'Hôtel  Blanc,  l'Hôtel  de  l'Or,  le  Grenier,  étaient  parfois  chez  eux  comme 
chez  Pharaon  le  double  Hôtel  Blanc,  le  double  Hôtel  de  l'Or,  le  double  Gre- 
nier. Les  plaisirs  ne  différaient  point  à  la  cour  du  suzerain  ou  à  celle  de  son 
vassal  :  la  chasse  au  désert,  la  chasse  au  marais,  la  pèche,  l'inspection  des 
travaux  agricoles,  les  exercices  militaires,  puis  les  jeux,  les  chants,  la  danse, 
sans  doute  aussi  les  longues  histoires  et   les  séances  de  magie,  jusqu'aux 

1.  Mtsptao,  Sur  le  lens  dct  mali  Kuutt  et  Bâti,  dans  \es  Proeeediiigi  de  la  Société  d'Archéologie 
Biblique,  I.  XII,  18S9-18S0,  p.  35Ï  sqq. 

4.  Denirt  de  Fauchtr-Gudin,  d'apret  une  photographie  d'Emile  Brugtch-Bey.  Le  tombeau  d'Api  a 
été  découvert  en  1881  à  Snqqarah.  II  avait  été  démoli  dans  l'antiquité  ot  une  tombe  nouvelle  rebâtie 
vers  la  XII*  dynnilic  sur  los  décombres;  ce  qui  en  reste  esl  déposé  aujourd'hui    au  Musée  de  Citéh. 


LES  DROITS   ET  LES  PLAISIRS    DES  SEIGNEURS    FÉODAUX.  299 

contorsions  des  bouffons  attitrés  et  aux  grimaces  des  nains1.  Le  prince  se 
divertissait  à  voir  l'un  de  ses  chétifs  favoris  lui  amener  par  la  patte  un 
cynocéphale  plus  grand  que  lui,  ou  un  pavian  facétieux  tirer  sournoisement 


la  queue  à  un  grave  ibis  apprivoisé.  H  procédait  par  intervalles  à  l'inspec- 
tion de  ses  domaines,  sur  une  sorte  de  fauteuil  porté  par  deux  ânes  accouplés, 
voire  dans  un  palanquin  manœuvré  par  une  trentaine  d'hommes,  au  vent  des 


grands  chasse-mouches;  ou  bien  il  remontait  le  Nil  et  les  canaux  sur  sa  belle 
barque  peinte.  La  vie  des  barons  égyptiens  peut  se  définir  en  tout  la  réduc- 
tion exacte  de  la  vie  des  Pharaons*. 

L'hérédité  en  ligne  directe  ou   indirecte  était  de  règle,  mais  à  chaque  chan- 
gement qui  survenait,  il  fallait  que  le  seigneur  nouveau  reçût  par  lettre  ou  en 

I.   Dtitin  de  Fauchtr-Gudin,  d'aprti  la  chromolithographie  de  Flixubm  I'etrie,  Medûm,  pi.  «itv. 

t.  Le  tableau  le  plus  complet  de  celte  vie  féodale  nous  est  fourni  par  les  loin  h  es  de  Beni-Haasan, 
qui  sont  des  derniers  temps  de  la  XI*  et  des  premier»  temps  de  la  XII'  dynastie  {Chui-ollioi,  Monu- 
ment! de  l'Egypte  et  de  la  Nubie,  t,  It,  |>.  331-130;  Lepsiis,  Denkm.,  Il,'  Ii3  sqq.).  Tous  le»  Irait» 
il  isolement  »lir  les  monuments  de  l'époque  Memphite. 


300  LA   CONSTITUTION   POLITIQUE   DE   L'EGYPTE. 

personne  l'investiture  du  souverain*.  Les  devoirs  que  la  féodalité  comportait 
ne  semblent  pas  avoir  pesé  bien  lourd.  C'était  en  première  ligne  la  nécessité 
de  payer  régulièrement  un  tribut  proportionné  à  l'étendue  et  à  la  richesse  du 
fief.  C'était  ensuite  la  milice  :  le  vassal  s'engageait  à  fournir  sur  première 
réquisition  un  nombre  déterminé  d'hommes  armés  qu'il  conduisait  lui-même, 
à  moins  qu'il  n'eût  une  excuse  sérieuse  à  présenter,  la  maladie  ou  l'incapacité 
sénile*.  Le  service  de  cour  n'était  peut-être  pas  obligatoire  :  pourtant  nous  ren- 
controns beaucoup  de  nobles  autour  de  Pharaon,  et,  d'autre  part,  plusieurs  des 
princes  dont  nous  connaissons  la  vie  revêtaient  des  charges  qui  paraissent  avoir 
exigé  leur  présence  au  moins  temporaire  auprès  du  maître,  par  exemple  la 
direction  de  la  garde-robe3.  Le  roi  en  voyage,  ils  étaient  astreints  à  l'héberger 
lui  et  sa  suite,  puis  à  l'escorter  jusqu'aux  frontières  de  leur  domaine4.  11  profi- 
tait souvent  de  sa  visite  pour  emmener  un  de  leurs  fils  qu'il  élevait  avec  les 
siens  :  ils  appréciaient  fort  l'honneur  qu'il  leur  faisait,  et  lui  se  procurait  à 
bon  compte  des  otages  qui  garantissaient  leur  fidélité8.  Ceux  de  ces  jeunes 
gens  qui  revenaient  au  foyer  paternel  leur  éducation  terminée  se  montraient 
ordinairement  tout  dévoués  à  la  dynastie.  Us  ramenaient  assez  souvent  quelque 
fille  née  dans  la  pourpre,  qui  avait  consenti  à  partager  leur  petite  souveraineté 
cantonale6,  tandis  qu'une  ou  plusieurs  de  leurs  sœurs  émigraient  en  échange 
au  harem  de  Pharaon.  Les  mariages  faisaient  et  défaisaient  tour  à  tour  la 
fortune  des  grandes  maisons  féodales7.  Princesse  ou  non,  chaque  femme 
recevait  en  dot  son  morceau  de  territoire  et  accroissait  d'autant  le  petit  Etat 
de  son  mari;  mais  ce  qu'elle  avait  apporté,  ses  filles  pouvaient  le  remporter 
quelques  années  plus  tard  et  en  enrichir  d'autres  maisons.  Le  fief  résistait 
rarement  à  ces  démembrements  :  il  s'en  allait  pièce  à  pièce  et  disparaissait 

1.  C'est  le  cas  par  exemple  pour  les  princes  de  la  Gazelle,  ainsi  qu'il  résulte  de  di\ers  passages  de 
la  Grande  Inscription  de  Béni -Hassan,  I.  13-24,  24-36,  54-62,  71-79. 

2.  Le  prince  Amoni,  de  la  Gazelle,  conduit  de  la  sorte  en  Ethiopie  un  corps  de  400  hommes  et 
un  autre  de  600,  levés  sur  sa  principauté;  la  première  fois  qu'il  servit  dans  l'armée  royale,  ce  fut  en 
remplacement  de  son  père  trop  vieux  (Maspero,  la  Grande  Inscription  de  Beni-Hassan,  dans  le 
Recueil,  t.  I,  p.  171-173).  De  même,  sous  la  XVIII-  dynastie,  Àhmosis  d'El-kab  commande  la  barque  de 
guerre  le  Veau  à  la  place  de  son  père  (Lepsiis,  Denkm.,  III,  12  a,  1.  5-6).  L'inscription  d'Ouni  nous 
fournit,  dès  la  VI*  dynastie,  l'exemple  d'une  levée  en  masse  des  contingents  féodaux  (I.  14  sqq.). 

3.  Ainsi  Thothotpou,  prince  du  Lièvre,  sous  la  XII*  dynastie  (Lkpsus,  Denkm.,  Il,  pi.  135),  et  Papi- 
nakhti,  seigneur  d'Abydos,  vers  la  fin  de  la  VI*  (Mariette,  Catalogue  général,  p.  191,  n°  531). 

4.  L'indication  de  ce  fait  nous  est  fournie  par  les  textes  relatifs  à  la  course  du  Soleil  mort  dans 
l'Hadès  (Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  II,  p.  44-45). 

5.  Le  prince  de  Siout,  Khiti  I*r,  fut  pris  tout  petit  et  élevé  avec  les  enfants  royaux,  auprès  d'un  Pha- 
raon Héraclcopolitain  de  la  X*  dynastie  (Maspero,  dans  la  Revue  Critique,  1889,  1. 11,  p.  41-1-415). 

6.  Le  prince  Zaouti  de  Kasr-es-Sayad  avait  épousé  une  princesse  de  la  famille  des  Papi  (Vilmers 
Stiart,  Nile  Gleanings,  pi.  XXXVIII);  aussi  un  prince  de  Girgéh  (Nestor  Lhôte  dans  le  Recueil,  t.  XIII,  p.  72). 

7.  L'histoire  de  la  Gazelle  nous  donne  un  exemple  frappant  de  l'agrandissement  rapide  d'une 
principauté  par  les  mariages  (Maspero,  la  Grande  Inscription  de  Béni- Hassan,  dans  le  Recueil,  t.  I, 
p.  170  sqq.);  j'aurai  occasion  de  la  raconter  en  détail  au  chapitre  VI  de  cette  Histoire. 


OBLIGATIONS   DES   SEIGNEURS    ENVERS   LE    SUZERAIN.  301 

au  bout  de  trois  ou  quatre  générations.  Quelquefois  pourtant  il  gagnait  plus 
qu'il  ne  perdait  à  ce  jeu  du  mariage,  et  s'arrondissait  jusqu'à  déborder  sur  les 
nomes  voisins  ou  à  les  absorber  complètement.  11  y  avait  toujours,  au  cours 
de  chaque  règne,  plusieurs  grandes  principautés  formées  ou  en  voie  de  forma- 
tion, dont  les  chefs  tenaient  presque  entre  leurs  mains  les  destinées  du  pays. 
Pharaon  lui-même  était  contraint  de  les  ménager  et  achetait  leur  fidélité  par 
des  concessions  augmentées  et  renouvelées  sans  cesse.  Rien  ne  contentait  leur 
ambition  :  quand  ils  étaient  comblés  de  faveurs  et  n'osaient  plus  rien  mendier 
pour  eux,  ils  réclamaient  effrontément  pour  ceux  de  leurs  enfants  qu'ils  esti- 
maient mal  pourvus.  Leur  fils  aine  «  ne  connaissait  point  les  hautes  faveurs 
de  par  le  roi  !  D'autres  princes  étaient  conseillers  intimes,  amis  uniques,  au 
premier  rang  parmi  les  amis!   »  lui  n'était  rien  de  tout  cela1.  Pharaon  se 
gardait  bien  de  rejeter  une  supplique  si  modestement  présentée  :  il  s'empres- 
sait de  prodiguer  au  fils  des  places,  des  titres,  des  terres,  au  besoin  de  lui 
chercher  une  femme  qui  lui  donnât  avec  sa  main  un  fief  égal  à  celui  de  son 
père.  La  plupart  de  ces  grands  vassaux  aspiraient  secrètement  à  la  couronne  : 
il  était  rare  qu'ils  ne  s'y  crussent  pas  quelque  droit  du  fait  de  leur  mère  ou 
d'une  de  leurs  aïeules.  Us  auraient  eu  facilement  raison  de  la  royauté  s'ils 
s'étaient  entendus  contre  elle,  mais  ils  s'enviaient  mutuellement  et  n'auraient 
rien  gagné  pour  la  plupart  à  renverser  une  dynastie  qui  les  comblait  :  dès  que 
l'un  d'eux  se  révoltait,  le  reste  s'armait  afin  de  défendre  Pharaon,  conduisait 
ses  guerres,  livrait  ses  batailles2.  Si  leur  ambition  et  leur  avidité  tourmentaient 
parfois  le  suzerain,  du  moins  leur  puissance  était  à  son  service  et  leur  fidélité 
intéressée  parvenait  souvent  à  retarder  la  chute  de  sa  maison. 

Deux  choses  avant  tout  leur  étaient  nécessaires,  et  à  Pharaon,  pour  soutenir 
leur  autorité  ou  pour  l'agrandir,  la  protection  des  dieux,  puis  une  organisation 
militaire  qui  leur  permit  de  mobiliser  au  premier  signal  la  totalité  de  leurs 
forces.  Le  monde  d'en  haut  était  l'image  fidèle  du  nôtre  ;  il  avait  ses  empires 
et  sa  féodalité  dont  la  distribution  répondait  à  celle  des  empires  et  de  la 
féodalité  terrestres3.  Les  dieux  qui  l'habitaient  vivaient  de  ce  que  les  mor- 
tels voulaient   bien   leur  allouer,  et  les  ressources   de   chacun    d'eux,   par 

1.  La  Grande  Inscription  de  Beni-Hassan,  I.  148-160.  Ce  sont  les  propres  paroles  que  Khnoum- 
hotpou,  sire  de  la  Gazelle,  emploie  afin  d'obtenir  un  emploi  ou  un  domaine  pour  le  compte  de  son 
fils  Nakhti;  on  voit,  par  la  suite  du  récit,  qu'Ousirtasen  II  exauça  aussitôt  sa  requête. 

2.  Ainsi  firent  le  prince  de  Siout,  Tcfabi,  et  ses  successeurs  immédiats,  pour  les  Pharaons  de  la 
X*  dynastie  héracléopolitaine  contre  les  premiers  Pharaons  thébains  de  la  famille  des  Antouf  (Mas- 
pkro,  dans  la  Bévue  Critique,  1889,  t.  II,  p.  415-419).  Il  semble  au  contraire  que  la  famille  voisine  de 
Rhnoumhotpou,  dans  le  nome  de  la  Gazelle,  prit  parti  pour  les  Thébains  et  leur  dut  sa  grandeur. 

3.  Cf.,  p.  98  de  cette  Histoire,  ce  qui  est  dit  de  cette  féodalité  divine,  de  sa  nature  et  de  son  origine. 


302  LA  CONSTITUTION   POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

suite  sa  force,  dépendaient  de  la  richesse  et  du  nombre  de  ses  adorateurs; 
rien  n'arrivait  chez  les  uns  qui  n'eût  son  contre-coup  immédiat  chez  les  autres. 
Les  dieux  disposaient  de  la  joie,  de  la  santé,  de  la  vigueur1  ;  qui  les  payait 
largement  d'offrandes  et  de  fondations  pieuses,  ils  lui  confiaient  leurs  propres 
armes  et  lui  inspiraient  la  force  qu'il  fallait  pour  battre  l'ennemi*.  Ils 
descendaient  eux-mêmes  dans  la  mêlée,  et  tout  choc  d'armées  se  compliquait 
d'une  lutte  invisible  entre  les  immortels5.  Le  parti  qui  l'emportait,  ses  dieux 
triomphaient  avec  lui  et  recevaient  la  dîme  du  butin  pour  prix  de  leur  aide  ; 
les  dieux  des  vaincus  s'affaiblissaient  d'autant,  leurs  prêtres  et  leurs  statues 
tombaient  en  esclavage  et  la  destruction  de  leur  peuple  entraînait  leur 
propre  destruction.  Chacun  dans  l'Egypte,  de  Pharaon  au  dernier  de  ses 
vassaux,  avait  donc  un  intérêt  pressant  à  entretenir  la  bienveillance  des  dieux 
et  leur  pouvoir,  de  sorte  que  leur  protection  pût  s'exercer  efficacement  à 
l'heure  du  danger.  On  s'ingéniait  à  embellir  leurs  temples  d'obélisques,  de 
colosses,  d'autels,  de  bas-reliefs,  on  y  ajoutait  des  bâtiments  nouveaux,  on  y 
réparait  ou  l'on  reconstruisait  entièrement  les  portions  qui  menaçaient  ruine, 
on  y  apportait  journellement  des  dons  de  toute  espèce,  des  animaux  que 
l'on  sacrifiait  sur  place,  du  pain,  des  fleurs,  des  fruits,  des  liqueurs,  et  aussi 
des  parfums,  des  étoffes,  des  vases,  des  bijoux,  des  briques  ou  des  barres 
d'or,  d'argent,  de  lapis-lazuli  qu'on  entassait  dans  le  trésor,  au  fond  des 
cryptes*.  Un  personnage  de  haut  rang  désirait-il  perpétuer  le  souvenir  de  ses 
dignités  ou  de  ses  services,  et  procurer  en  même  temps  à  son  double  le 
bénéfice  de  prières  et  de  sacrifices  sans  fin,  il  déposait  par  privilège5  sa  statue 
ou  une  stèle  votive  dans  l'endroit  du  temple  réservé  à  cet  usage,  une  cour,  une 
chambre,  un  couloir  de  ronde  à  Karnak6,  l'escalier  d'Osiris  qui  montait  aux 

1.  Je  rappelle  ici  pour  mémoire  les  bas-reliefs  et  les  stèles  innombrables  où  l'on  voit  un  roi  faisant 
offrande  à  un  dieu  qui  lui  répond  par  quelque  formule  :  «  Je  te  donne  la  santé  et  la  force;  —  Je  te 
donne  la  joie  et  la  vie  pour  des  millions  d'années.  • 

2.  Voir  par  exemple  à  Médinet-Habou,  Araon  et  d'autres  dieux  remettant  à  Kamsès  III  le  grand  sabre 
recourbé,  la  k hop» hou  (DUnichen,  Hislorische  Inschriften,  t.  I,  pi.  VU,  XI-X1I,  XIII,  XVI-XVII). 

3.  Dans  le  Poème  de  Pentaouirit%  Amon  vient  d'Hermonthis  en  Thébaïde  à  Qodshou  au  cœur  de  la 
Syrie,  pour  secourir  Ha  ni  ses  II  pendant  la  bataille,  et  pour  le  tirer  du  péril  où  l'abandon  des  siens  l'a 
plongé  (E.  et  J.  i»e  Roige,  le  Poème  de  Pentaour,  dans  la  Revue  Égyptologique,  t.  V,  p.  158-150). 

4.  Voir  dans  le  Poème  de  Pentaoulrtt  (E.  et  J.  de  Rouge,  dans  la  Revue  Êgyptologique,  t.  V,  p.  15  sqq.) 
les  raisons  pour  lesquelles  Kamsès  II  réclame  impérieusement  le  secours  d'Amon  :  •  Ne  t'ai-je  pas  fait 
des  offrandes  nombreuses?  J'ai  rempli  ton  temple  de  mes  prisonniers.  Je  t'ai  bâti  un  temple  étemel 
et  je  t'ai  prodigué  tous  mes  biens  pour  le  doter,  je  te  présente  le  monde  entier  pour  approvisionner 
ton  domaine....  J'ai  construit  pour  toi  des  pylônes  entiers  en  pierre,  et  j'ai  dressé  moi-même  les  mâts 
qui  les  ornent;  je  t'ai  apporté  des  obélisques  d'Eléphantine.  » 

5.  La  plupart  des  statues  votives  étaient  déposées  dan»  un  temple  par  faveur  spéciale  d'un  roi,  — 
em  hosItol*  nte  khîr  soiton,  —  pour  récompenser  des  services  rendus  (Mariette,  Catalogue  des  prin- 
cipaux monuments  du  Musée  de  lioulaq,  1864,  p.  65,  et  Karnak,  texte,  p.  44  sqq.).  Quelques  stèles 
seulement  portent  cette  mention  (Mariette,  Catalogue  des  principaux  monuments,  1804,  p.  65);  il  n'y 
avait  pas  besoin  d'une  autorisation  du  roi  pour  consacrer  une  stèle  dans  un  temple. 

6.  C'est  dans  le  chemin  de  ronde  du  temple  en  calcaire  bâti  par  les  rois  de  la  XII*  dynastie,  et 


LES  DONATIONS  AUX  TEMPLES  ET  LES  BIENS  DE  MAINMORTE.      303 

terrasses  dans  le  sanctuaire  d'Àbydos1,  puis  il  scellait  avec  les  prêtres  un 
contrat  en  forme  par  lequel  ceux-ci  s'engageaient  à  célébrer  l'office  en  son 
nom  devant  ce  monument  commémoratif,  un  nombre  invariable  de  fois  dans 
Tannée,  aux  jours  fixés  par  l'usage  universel  ou  par  la  coutume  locale*.  11 
leur  attribuait  à  cet  effet  des  rentes  en  nature,  hypothéquées  sur  ses  domaines 
patrimoniaux,  ou  parfois,  s'il  était  grand  seigneur,  sur  les  revenus  de  son 
fief3,  une  mesure  déterminée  de  pains  et  de  liqueurs  pour  chacun  des  offi- 
ciants, un  quartier  de  la  victime,  un  vêtement,  souvent  aussi  des  terres  avec 
leurs  bestiaux,  leurs  serfs,  leurs  édifices  construits,  leurs  instruments  d'exploi- 
tation, leurs  produits,  les  servitudes  dont  elles  étaient  grevées.  Ces  donations 
au  dieu  —  noutir  hotpouou  —  étaient  régies,  ce  semble,  par  des  conventions 
analogues  à  celles  qui  gouvernent  les  biens  de  mainmorte  de  l'Egypte  moderne; 
jointes  au  temporel  primitif  du  temple,  elles  formaient  dans  chaque  nome  un 
domaine  considérable  sans  cesse  élargi  de  dotations  nouvelles.  Les  dieux 
n'avaient  point  de  filles  qu'il  fallût  pourvoir  ni  de  fils  entre  qui  diviser  leur 
héritage;  tout  ce  qui  leur  échéait  leur  restait  à  jamais,  et  des  imprécations 
insérées  dans  les  contrats  menaçaient  de  peines  terribles  en  ce  monde  et  ailleurs 
quiconque  leur  en  déroberait  la  moindre  parcelle4.  Elles  n'empêchaient  pas 
toujours  les  barons  ou  le  roi  de  porter  la  main  sur  les  revenus  des  tem- 
ples :  sinon  l'Egypte  serait  promptement  devenue  terre  sacerdotale  d'une 
frontière  à  l'autre.  Même  réduit  par  des  usurpations  périodiques,  le  domaine 
des  dieux  couvrait  en  tout  temps  un  tiers  environ  du  territoire8. 

L'administration  n'en  appartenait  pas  à   un  corps  de  pontifes  unique,  le 

entièrement  détruit  aujourd'hui,  qu'ont  été  découvertes  presque  toutes  les  statues  votives  de  Karnak 
(Mariette,  Karnak,  texte,  p.  42  sqq.).  Quelques-unes  reposent  encore  sur  la  banquette  de  pierre  où 
elles  avaient  été  dressées  par  les  prêtres  du  dieu  au  moment  de  la  consécration. 

1.  La  plupart  des  stèles  recueillies  dans  le  temple  d'Osiris  à  Abydos  étaient  censées  provenir  de 
l'escalier  du  dieu  grand.  Sur  cet  escalier,  sur  le  tombeau  d'Osiris  auquel  il  conduisait,  et  sur  les 
recherches  infructueuses  que  Mariette  avait  entreprises  pour  le  retrouver,  voir  les  observations 
de  Maspero,  dans  la  Revue  Critique,  1881,  t.  I,  p.  83,  et  Études  Égyptiennes,  t.  I,  p.  128-129. 

2.  La  grande  inscription  de  Siout  traduite  par  Maspero  (Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyp- 
tiennes, t.  I,  p.  53-75)  et  par  Erman  (Zehn  Vertrâge  aus  déni  mittleren  Reich,  dans  la  Zeitschrift,  1882, 
p.  159-184)  nous  a  conservé  en  entier  un  de  ces  contrats  entre  un  prince  et  le  sacerdoce  d'Ouapouaitou. 

3.  Cela  résulte  des  passages  de  l'inscription  de  Siout  (1.  24,  28,  41,  43,  53)  où  Hàpizaoufi  distingue 
entre  les  revenus  qu'il  attribue  aux  prêtres  sur  la  maison  de  son  père,  c'est-à-dire  sur  son  bien 
patrimonial,  et  ceux  qu'il  concède  sur  la  maison  du  prince  ou  sur  le  domaine  princier. 

4.  La  stèle  de  fondation  du  temple  de  Détr-el-Médinéh  est  à  moitié  remplie  d'imprécations  de  ce 
genre  (S.  Birch,  Sur  une  Stèle  hiératique,  dans  les  Mélanges  Egyplologiques  de  Chabas,  2*  sér.,  p.  324- 
343,  et  Inscriptions  in  the  Hier  a  tic  and  Demotic  Character,  pi.  XXIX).  Nous  possédons  pour  l'Ancien 
Empire  deux  fragments  d'inscriptions  analogues,  trop  mutilés  pour  qu'on  puisse  les  traduire  (Ma- 
riette, les  Mastabas  de  V Ancien  Empire,  p.  318;  E.  et  J.  de  Rougé,  Inscriptions  hiéroglyphiques,  pi.  1). 

5.  La  tradition  rapportée  par  Diodore  (I,  §  21)  disait  que  la  déesse  Isis  avait  attribué  aux  prêtres 
le  tiers  du  pays  :  l'Egypte  entière  aurait  été  divisée  en  trois  parts  égales,  dont  la  première  appartenait 
aux  prêtres,  la  seconde  aux  rois  et  la  troisième  aux  guerriers  (ld.,  §  73).  Quand  on  lit,  au  Grand 
Papyrus  Harris,  l'énumération  des  biens  que  le  seul  temple  d'Amon  Thébain  possédait  par  toute 
l'Egypte  sous  Ramsès  111,  on  se  persuade  bien  vite  que  la  tradition  d'époque  grecque  n'a  rien  exagéré. 


\1 

à 


304  LA   CONSTITUTION   POLITIQUE   DE   L'EGYPTE. 

même  pour  l'Egypte  entière  et  recruté  ou  commandé  partout  de  la  même 
façon.  Il  y  avait  autant  de  clergés  que  de  temples,  et  chaque  temple  conservait 
sa  constitution  indépendante  où  le  clergé  des  temples  voisins  n'avait  rien  à 
voir  :  le  seul  maître  qu'il  avouât  était  le  seigneur  du  territoire  sur  lequel  on 
l'avait  bâti,  Pharaon  ou  l'un  de  ses  nobles.  La  tradition  qui  faisait  de  Pharaon 
le  chef  des  religions  égyptiennes  prévalait  toujours,  mais  Pharaon  planait  trop 
haut  au-dessus  de  notre  monde  pour  s'enfermer  dans  les  fonctions  d'une  prê- 
trise particulière1  :  il  officiait  devant  tous  les  dieux  sans  être  spécialement  le 
ministre  d'aucun,  et  n'usait  de  sa  suprématie  qu'afin  de  nommer  aux  sacerdoces 
importants  de  son  domaine*.  11  réservait  la  grand-maîtrise  de  Pthah  Memphite 
et  celle  de  Râ  Héliopolitain,  richement  dotées  l'une  et  l'autre,  parfois  à  des 
princes  de  sa  famille,  plus  souvent  à  ses  serviteurs  les  plus  fidèles'  :   ils 
étaient  les  instruments  dociles  de  ses  volontés  par  lesquels  il  exerçait  l'influence 
des  dieux  et  disposait  de  leur  fortune  sans  avoir  l'ennui  de  l'administrer.  Les 
seigneurs  féodaux,  moins  éloignés  de  l'homme  que  Pharaon,  ne  dédaignaient 
pas  de  joindre,  au  gouvernement  général  des  cultes  qu'on  pratiquait  sur  leurs 
terres,  le  sacerdoce  des  temples  qui  relevaient  d'eux.  Les  princes  de  la  Gazelle 
s'intitulaient,  par  exemple,  Directeur  des  prophètes  de  tous  les  dieux,  mais 
étaient  sans  faute  prophètes  d'Horus,  prophètes  de  Khnoumou   maître  de 
Haoîrit,  prophètes  de  Pakhît  régente  de  Speos-Artemidos*.  Ils  complétaient 
leur  pouvoir  civil  et  militaire  par  la  suzeraineté  religieuse,  et  leur  budget  ordi- 
naire par  une  portion  au  moins  des  revenus  que  les  biens  de  mainmorte  four- 
nissaient annuellement.  Les  autres  fonctions  pontificales  occupaient  sous  eux 

1.  Il  n'y  a  d'exception  à  cette  règle  que  les  rois  thébains  de  la  XXI*  dynastie;  encore  l'exception 
est-elle  plus  apparente  que  réelle.  Ces  rois,  en  effet,  Hrihor  et  Pinozmou, 'avaient  commencé  par  être 
grands  prêtres  d'Amon  avant  de  monter  sur  le  trône  :  ce  sont  des  pontifes  qui  deviennent  Pharaons  et 
non  des  Pharaons  qui  se  font  pontifes.  Peut-être  faut-il  placer  dans  la  même  catégorie  Smonkhkart  de 
la  XIV*  dynastie,  si  son  nom  de  Mfr-màshaou  est  bien,  comme  Brugsch  l'assure  (Geichichte  ,£gypten's, 
p.  181  sqq;  cf.  Wiedmann,  JEgyptische  Geichichte,  p.  267),  identique  au  titre  du  grand  prêtre  d'Osiris 
a  Mondes,  et  prouve  qu'il  fut  pontife  d'Osiris  dans  cette  ville,  avant  de  devenir  roi. 

î.  Entre  autres  exemples,  nous  avons  celui  du  roi  de  la  XXI*  dynastie  Tanite,  qui  nomma  Nankho- 
pirrf  grand  prêtre  d'Amon  Thébain  (Brugsch,  Recueil  de  monuments,  t.  I,  pi.  XXII,  stèle  aujourd'hui 
conservée  au  Louvre),  et  celui  du  dernier  roi  de  cette  même  dynastie,  Psouscnnès  II,  qui  conféra  la 
même  charge  au  prince  Aoupouti,  fils  de  Sheshonqou  (Maspf.ro,  les  Momiei  royales  de  Déir-el-Baharl 
dans  les  Mémoires  de  la  mission  du  Caire,  t.  1,  p.  730  sqq.).  Le  droit  de  nomination  du  roi  se  conci- 
liait fort  bien  avec  l'hérédité  des  charges  sacerdotales  dans  une  même  famille,  comme  nous  aurons 
occasion  de  le  constater  par  la  suite. 

3.  Une  liste,  encore  très  incomplète,  des  grands  prêtres  de  Phtah  à  Memphis,  a  été  dressée  par 
M.  E.  Schiaparelli,  dans  son  Catalogue  du  Musée  Égyptien  de  Florence  (p.  201-203).  L'un  d'eux, 
Shopsisouphtah  Ier,  avait  épousé  la  fille  atnée  du  Pharaon  Shopsiskaf  de  la  IV*  dynastie  (E.  de  RorcÉ, 
Recherches  sur  les  monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties  de  Manéthon,  p.  67-71)  : 
l'un  des  fils  préférés  de  Ramsès  II,  Khamotslt,  fut  également  grand  prêtre  de  Phtah  Memphite,  pendant 
la  majeure  partie  du  règne  de  son  père. 

4.  Voir  leurs  titres  réunis  dans  Maspero,  la  Grande  Inscription  de  Beni-Hassan  (Recueil  de  Travaux, 
t.  I,  p.  179-180);  on  trouvera  de  même  les  titres  sacerdotaux  dont  les  princes  et  les  princesses  de 
Thèbes  étaient  revêtus,  sous  la  XX*  dynastie,  dans  Maspero,  les  Momies  royales  de  Déir-el-Bahart . 


LE  CLERGÉ  ET  SON  RECRUTEMENT.  305 

un  clergé  de  carrière  dont  la  hiérarchie  variait  selon  les  divinités  et  selon  les 
provinces1.  Bien  qu'il  y  eût  entre  le  simple  prêtre  et  le  prophète  en  premier 
quantité  d'échelons  que  la  plupart  ne  franchissaient  jamais,  les  temples  atti- 
raient beaucoup  de  gens  d'origine  diverse  qui,  une  fois  établis  dans  la  place, 
non  seulement  n'en  sortaient  plus,  mais  n'avaient  de  cesse  qu'ils  n'y  eussent 
introduit  leur  famille.  Les  emplois  qu'ils  remplissaient  n'étaient  point  néces- 
sairement héréditaires,  mais  leurs  enfants,  nés  et  grandis  à  l'ombre  du  sanc- 
tuaire, les  recueillaient  presque  toujours  après  eux,  et  les  familles,  se  perpé- 
tuant dans  une  même  place  pendant  des  générations,  finissaient  par  s'ériger 
en  une  sorte  de  noblesse  sacrée1.  Les  sacrifices  leur  garantissaient  le  manger  et 
le  boire  journalier;  le  temple  les  logeait  dans  ses  dépendances  et  leur 
allouait  sur  ses  revenus  un  traitement  proportionné  à  leur  situation.  Ils  vivaient 
exempts  des  impôts  ordinaires,  exempts  du  service  militaire,  exempts  des 
corvées  :  rien  d'étonnant  si  ceux  mêmes  qui  ne  pouvaient  s'inscrire  parmi  eux 
tâchaient  de  participer  à  quelques-uns  au  moins  de  leurs  avantages.  Les  ser- 
viteurs, les  artisans,  les  employés  qui  se  pressaient  autour  d'eux  et  qui 
formaient  la  corporation  du  temple8,  les  scribes  attachés  à  l'administration  des 
domaines  et  à  la  perception  des  offrandes,  partageaient  les  immunités  du 
sacerdoce,  sinon  en  droit,  du  moins  en  fait  :  c'était  toute  une  société  reli- 
gieuse juxtaposée,  mais  non  mêlée  à  la  société  civile,  et  dispensée  de  la 
plupart  des  charges  qui  pesaient  sur  elle  si  lourdement4. 

Il  s'en  fallait  que  les  soldats  possédassent  la  richesse  et  l'influence  du  clergé. 
La  milice  n'était  pas  en  Egypte  le  devoir  de  tous,  mais  la  profession  et  le 
privilège  d'une  classe  spéciale  dont  on  connaît  peu  l'origine8.  Peut-être  ne 

1.  Nous  ne  connaissons  en  fait  de  hiérarchie  que  celle  du  temple  d'Araon  Thébain,  à  Karnak,  grâce 
à  l'inscription  où  Bokounikhonsou  nous  a  raconté  les  progrès  de  sa  carrière  sous  Séti  1er  et  sous 
Itamsès  H,  du  rang  de  Prêtre  à  celui  de  Ptemier  Prophète,  c'est-à-dire  de  Grand-Prêtre  d'Amon  (Th. 
Dévèria,  le  Monument  biographique  de  Bakenkhonsou,  p.  12-14;  cf.  A.  Baillet,  De  l'Élection  du 
Grand  Prêtre  d'Ammon  à  Thèbes,  dans  la  Revue  Archéologique,  2#  sér.,  1862,  t.  III). 

2.  Nous  possédons  les  cercueils  des  prêtres  de  Nontou  Thébain  pendant  près  de  trente  générations, 
de  la  XXV0  dynastie  au  temps  des  Ptolémées.  Les  inscriptions  nous  révèlent  leurs  généalogies  ainsi 
que  leurs  alliances,  et  nous  montrent  qu'ils  appartiennent  presque  tous  à  deux  ou  trois  familles  prin- 
cipales qui  se  mariaient  entre  elles  ou  qui  prenaient  femme  chez  les  prêtres  d'Amon. 

3.  Ce  sont  les  Qonbitiou  nommés  si  souvent  dans  la  grande  inscription  de  Siout  (Maspero,  Egyptian 
Documenté,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  VII,  p.  14);  nous  avons  vu 
plus  haut  des  Qonbitiou  à  côté  des  rois  (p.  277,  note  3). 

4.  On  sait  quelle  était  l'organisation  des  temples  à  l'époque  Ptolémaïque,  et  on  en  trouvera  les  traits 
principaux  exposés  sommairement  dans  Lcmbroso,  Économie  politique  de  l'Egypte  sous  les  Lagideê, 
p.  270-274.  L'étude  des  renseignements  isolés  que  les  monuments  d'époque  antérieure  nous  fournis- 
sent montre  qu'elle  était  identique  à  peu  près  à  l'organisation  des  temples  pharaoniques  :  elle  offrait 
seulement  plus  de  régularité  et  de  fixité  dans  la  disposition  des  classes  de  prêtres. 

5.  Cette  classe  s'appelait  dans  l'Egypte  antique  Monfitou  (Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  35- 
36  ;  cf.  Brigsch,  Die  Mgyptologie,  p.  232-233)  :  les  historiens  grecs  la  désignent  ordinairement,  depuis 
Hérodote,  par  le  terme  de  p.âxt{iot  (Hérodote,  H,  clxiv,  clxviu  ;  Diodore  de  Sicile,  I,  28,  73-74  ;  cf. 
Papyrus  m°  LXIII  du  Louvre,  dans  Lktronne,  les  Papyrus  Grecs  du  Louvre,  p.  360  sqq.). 

HIST.   ANC.   de  l'orient.  —  T.   I.  39 


306  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

comprenait-elle  au  début  que  les  descendants  de  la  race  conquérante  :  aux 
temps  historiques,  on  ne  la  tenait  pas  fermée,  mais  elle  se  recrutait  un  peu 
partout  chez  les  fellahs1,  chez  les  Bédouins  du  voisinage,  chez  les  Nègres1, 
chez  les  Nubiens',  même  chez  les  prisonniers  de  guerre  ou  les  aventuriers 
venus  d'au  delà  les  nier  s  \  Ce  ramassis  de  mamelouks  étrangers  composait 
d'ordinaire  la  garde  du  roi  ou  de  ses  barons,  le  noyau  permanent  autour  duquel 
ils  ralliaient  en  cas  de  guerre  leurs  levées  de  troupes  indigènes.  Les  soldats 
égyptiens  recevaient  chacun  du  chef  auquel  ils  s'étaient  attachés  un  fief  destiné 
à  les  nourrir  eux  et  leur  famille.  On  estimait  au  ve  siècle  avant  notre  ère  que 
douze  aroures  de  terre  labourable  leur  suffisaient  amplement5,  et  la  tradition 
attribuait  au  fabuleux  Sésostris  la  loi  qui  avait  fixé  leur  dotation  à  ce  taux*, 
lis  ne  payaient  aucune  taxe,  et  on  les  dispensait  de  la  corvée  durant  le  temps 
qu'ils  passaient  hors  de  chez  eux  en  service  actif;  à  cela  près,  ils  encouraient 
les  mêmes  charges  que  le  reste  de  la  population.  Beaucoup  d'entre  eux 
n'avaient  rien  en  dehors  de  leur  fonds  et  y  menaient  la  vie  précaire  du 
fellah,  cultivant,  moissonnant,  tirant  l'eau  et  paissant  leurs  bêtes  dans 
l'intervalle  de  deux  appels7.  D'autres  jouissaient  d'une  fortune  indépendante  ; 
ils  affermaient  le  fief  à  prix  modéré,  et  ce  qu'ils  en  tiraient  leur  arrivait  en 
surcroit  du  revenu  patrimonial8.  Comme  ils  auraient  pu  oublier  les  conditions 
auxquelles  ils  tenaient  ce  domaine  militaire  et  s'en  considérer  les  maîtres 

1.  Cela  résulte,  entre  autres,  des  lettres  réelles  ou  supposées  dans  lesquelles  le  mattre-écrivain 
détourne  son  élève  du  métier  militaire  (Maspero,  Du  Genre  Épistolaire,  p.  40-44  ;  cf.  Erman,  .'Egyp- 
ten  und  JEgyptiisches  Leben  im  Altertum,  p.  721-722)  pour  lui  recommander  celui  de  scribe. 

2.  Ouni,  sous  Papi  Ier,  recrute  son  armée  parmi  les  gens  de  l'Egypte  entière  depuis  Éléphantine 
jusqu'à  Létopolis  à  l'entrée  du  Delta  et  jusqu'à  la  Méditerranée,  parmi  les  Bédouins  de  la  Libye  et  de 
l'Isthme,  enfin  parmi  six  peuplades  nègres  de  la  Nubie  (Inscription  dOuni,  1.  14-19). 

3.  La  tribu  nubienne  des  Màzaiou,  plus  tard  la  libyenne  des  Nâshaouasha,  fournirent  des  troupes 
aux  rois  et  aux  princes  égyptiens  pendant  des  siècles  :  les  Màzaiou  étaient  si  bien  inféodés  aux  ar- 
mées égyptiennes,  que  leur  nom  est  devenu  en  copte  synonyme  de  soldat,  sous  la  forme  Matoï. 

4.  Nous  rencontrerons  plus  tard  sous  Ramsès  II  des  Shardanes  de  la  garde  royale  (E.  de  RorcÉ, 
Extrait  d'un  mémoire  sur  les  attaques,  p.  5);  plus  tard  encore  les  Ioniens,  les  Cariens  et  les  merce- 
naires grecs  joueront  un  rôle  décisif  dans  l'histoire  des  dynasties  saïtes 

5.  Hérodote,  II,  clxviu.  L'aroure  valant  27,82  ares,  le  fief  militaire  comprenait  27,82  x  12  =  333,84. 
Les  tchiflîks  que  Mohammed-Ali  créa,  afin  de  mettre  en  culture  les  cantons  abandonnés,  attribuaient  à 
chaque  ouvrier  qui  se  présenta  pour  en  réclamer,  une  parcelle  de  terre  variant  de  un  à  trois  feddans, 
de  4200,83  me.  à  12602,49  me,  suivant  la  nature  du  sol  et  les  besoins  de  leur  famille  (Chélc,  le  Nil, 
le  Soudan,  l'Egypte,  p.  210).  Les  fiefs  militaires  de  l'antiquité  étaient  presque  triples,  par  l'étendue, 
de  ces  abadièhs  reconnues  suffisantes,  dans  l'Egypte  moderne,  pour  nourrir  toute  une  famille  de 
paysans  :  ils  devaient  donc  assurer  non  pas  seulement  la  vie,  mais  l'aisance  à  leurs  propriétaires. 

6.  Diodore  de  Sicile,  I,  54,  73,  93;  cf.  Aristote,  Polit.,  VII,  9.  Aucun  monument  égyptien  ne  lui 
attribue  semblable  institution  :  le  passage  du  Poème  de  Pentaoutrit,  qui  a  été  invoqué  à  ce  sujet  (Revil- 
lout,  la  Caste  Militaire  organisée  par  Hamsès  II  d'après  Diodore  de  Sicile  et  le  Poème  de  PnUaour% 
dans  la  Revue  Égyplologique,  t.  III,  p.  101-104),  ne  dit  rien  de  pareil.  Il  fait  seulement  une  allusion 
générale  aux  faveurs  dont  le  roi  a  comblé  ses  généraux  et  ses  soldats. 

7.  Cela  résulte  des  termes  mômes  qui  sont  employés  dans  le  Papyrus  n*  63  du  Louvre,  et  des  recom- 
mandations que  les  ministres  des  Ptolémées  adressaient  aux  administrateurs  royaux  au  sujet  des 
soldats  tombés  dans  la  misère. 

8.  Diodore  de  Sicile  dit  en  effet  (I,  lxxiv)  que  •  les  agriculteurs  passaient  leur  vie  à  cultiver  les 
terres  qui  leur  sont  affermées  à  prix  modéré  par  le  roi,  par  les  prêtres  et  par  les  guerriers  ». 


LES  MERCENAIRES  ETRANGERS   ET   LA  MILICE  INDIGÈNE.  307 

absolus,  on  s'inquiétait  de  ne  pas  les  laisser  toujours  à  la  même  place  :  Héro- 
dote assure  qu'on  leur  retirait  leur  lot  chaque  année  pour  leur  en  attribuer 
un  autre  d'étendue  égale1.  Je  ne  sais  si  l'on  appliqua  de  tout  temps  cette  loi 
de  roulement  perpétuel  :  de  toute  façon,  elle  n'empêcha  pas  les  soldats  de 
constituer  à  la  longue  une  sorte  d'aristocratie  avec  laquelle  les  rois  et  les 
barons  de  haut  rang  furent  souvent  obligés  de  compter.  On  les  emmatriculait 
sur  des  registres  spéciaux  avec  l'indication  du  fief  qui  leur  avait  été  assigné 


Ul-f.l.UVEVL-Sli   UtS    E 


temporairement,  t'n  tvribc  des  miliciens  dirigeait  cette  comptabilité  dans 
chaque  nome  royal  ou  dans  chaque  principauté.  Il  présidait  à  la  répartition 
des  terres,  à  l'enregistrement  des  privilèges,  et  cumulait  parfois  sur  ses  fonc- 
tions administratives  le  commandement  en  campagne  du  contingent  fourni 
par  le  district  dont  il  avait  la  charge  :  il  s'associait  alors  un  lieutenant  qui, 
selon  l'occasion,  le  suppléait  dans  les  bureaux  ou  aux  champs  de  bataille3.  La 
milice  n'était  pas  héréditaire,  mais  les  avantages,  si  minces  qu'ils  nous  parais- 
sent, en  semblaient  si  considérables  aux  yeux  des  fellahs,  que  la  plupart  de 
ceux  qui  s'y  étaient  engagés  y  enrôlaient  également  leurs  enfants.  Emmenés 
tout  petits  à  la  caserne,  on  leur  enseignait  non  seulement  le  maniement  de 
l'arc,  de  la  hache,  de  la  masse,  de  la  lance,  du  bouclier,  mais  encore  les  exer- 
cices qui  assouplissent  le  corps  et  le  préparent  aux  évolutions  du  combat,  la 
marche  en  troupe,  la  course,  le  saut,  la  lutte  au  poing  ou  à  main  plate'.  Ils  se 
préparaient  au  combat  par  une  véritable  danse  de  sauvages,  pirouettant,  bon- 

1.  Hiromtk.  Il,  clxviii;  cf.  Winuiii,  Herodoh  Za-eile*  Rurh,  p.  S78-580. 

t.  Dritin  de  Fauchcr-Gudin,  daprèt  une  teene  rtu  tombeau  d Amani-Amenemhàit  à  heni-Hiaian 
(cf.  Newbemy,  Beni-Hatian,  t.  I.  pi.  XVI). 

3.  Celte  organisation  a  clé  définie  pour  la  première  foi*  par  G.  Masfumi,  Ëludet  Égyptienne»,  t.  Il, 
p.  31  sqq.  Si  le  nom  dos  gens  soumis  à  la  milice  était  Hou  filou,  puis  aouou,  on  appelait  les  soldats 
réuni*  en  corps,  les  hommes  en  service  actif,  mâfhâou,  les  marcheur;  les  piétons. 

i.  Voir  au  sujet  de  l'éducation  militaire  le  curieux  passade  des  l'apyrut  Anaitaii  IU  (pi.  V,  I.  ',;, 
|il.  VI)  et  Anaitnti  IV  (pi.  IX.  I.  i  sqq),  traduits  dans  Jl.iSPKitn.  du  Genre  EpUtotairr,  u.  4IMJ;  cf. 
Eiiii,  ,£gypten  und  .-Egyptitcket  Letien  im  Alterlum,  p.  "ïl-"îi.  Les  exercices  sont  représentés 
dans  plusieurs  tombes  de  Béni-Hassan  (CHtiPfln.mil.  Monument/  de  l'Egypte  et  de  la  Nubie, 
ni.  CCCLXIVsqq.,  cl  Texte,  I.   Il,  p.  31R  sqq.;  tloseu.ui.  IHimumeuli  avili,  pi.  CXI  sqq.). 


308  LA   CONSTITUTION   POLITIQUE   DE   LÉGYPTB. 

dissant,  brandissant  en  l'air  leur  arc  et  leurs  paquets  de  flèches.  L'apprentis- 
sage terminé,  on  les  incorporait  dans  les  bandes  locales  et  on  les  investissait 
de  leurs  droits.  Quand  on  avait  besoin  d'eux,  on  appelait  tout  ou  partie  de 
la  classe,  on  leur  distribuait  les  armes  conservées  à  l'arsenal  et  on  les  expé- 
diait en  bateau  sur  le  lieu  de  l'action.  L'Égyptien  n'était  pas  belliqueux  de 
tempérament  :  s'il  se  faisait  soldat,  c'était  par  intérêt  plus  que  par  vocation1. 
Prêtres  et  guerriers,  la  puissance  de  Pharaon  et  de  ses  barons  reposait  tout 
entière  sur  ces  deux  classes  :  le  reste,  bourgeois  ou  campagnards,  n'était  entre 

leurs  mains  qu'une  matière  inerte,  taillable  et  corvéable  à  merci.  Les  esclaves 

• 

n'y  comptaient  probablement  que  pour  peu  de  chose  :  le  gros  consistait  de 
familles  libres,  dont  chacune  disposait  d'elle-même  et  de  ses  biens.  Il  n'y  avait 
fellah  ni  citadin  chez  le  roi  ou  chez  les  grands  seigneurs  qui  ne  pût  à  son  gré 
quitter  son  travail  et  son  village,  passer  du  domaine  sur  lequel  il  était  né 
dans  un  domaine  différent,  voyager  d'un  bout  du  pays  à  l'autre  comme  font 
les  Égyptiens  d'aujourd'hui*.  Son  absence  n'entraînait  ni  perte  de  ses  biens, 
ni  poursuite,  contre  ceux  des  siens  qu'il  laissait  derrière  lui,  et  lui-même 
n'avait  de  châtiment  à  redouter  que  s'il  sortait  sans  autorisation  de  la 
vallée  du  Nil  pour  séjourner  quelque  temps  à  l'étranger3.  Mais  cette  indépen- 
dance et  cette  mobilité,  si  elles  étaient  conformes  aux  lois  et  aux  usages, 
présentaient  des  inconvénients  auxquels  on  se  dérobait  difficilement  dans  la 
pratique  de  la  vie.  Chacun  en  Egypte,  le  roi  excepté,  avait  besoin  pour  pros- 
pérer de  s'appuyer  sur  quelqu'un  de  plus  puissant  qu'il  appelait  son  maître. 
Le  seigneur  féodal  se  vantait  de  reconnaître  Pharaon  pour  maître  et  lui-même 

1.  Sur  le  caractère  peu  belliqueux  des  Égyptiens,  cf.  ce  que  dit  le  géographe  Strabon,  I.  XVII,  §53, 
p.  819;  Diodore  de  Sicile,  1,  lxxiii,  affirme  expressément  qu'on  donnait  des  fiefs  aux  guerriers  •  afin  que 
la  possession  de  ces  fonds  de  terre  les  rendit  plus  zélés  à  s'exposer  pour  leur  pays  ». 

2.  Dans  les  Instructions  de  Khtti,  fils  de  Doua  ouf,  à  son  fils  Papi  (Maspero,  du  Style  épistolaire, 
p.  48  sqq.  ;  Lauth,  Die  altâgyptische  Hoc  hs  chu  le  zu  Chennu,  dans  les  Sitzungsberichte  de  l'Académie 
de  lftûnich,  1872,  1,  p.  37  sqq.),  le  scribe  nous  montre  les  gens  de  métier  sans  cesse  en  mouvement, 
d'abord  le  batelier  (§  VII),  puis  le  laboureur  (g  Xll),  le  fabricant  d'armes  (§  XIV),  le  courrier  (Js  XV). 
Je  rappelle  pour  mémoire  ces  prêtres  vagabonds  d'Isis  ou  d'Osiris  qui,  au  n"  siècle  de  notre  ère, 
promenaient  leurs  naos  portatifs  et  leurs  oracles  à  bon  marché  à  travers  les  provinces  de  l'empire 
romain,  et  dont  on  retrouve  les  traces  jusqu'au  fond  de  l'Ile  de  Bretagne. 

3.  Le  traité  entre  Rarasès  et  le  prince  de  Khiti  contient  une  clause  formelle  d'extradition  au  sujet 
des  Égyptiens  ou  des  Hittites  qui  auraient  quitte  leur  pays,  bien  entendu  sans  l'autorisation  du  sou\e- 
rain  (E.  de  Rolgé,  Traité  entre  Ramsès  11  et  le  prince  de  Khet,  dans  W  Rente  Archéologique,  2'  sér., 
t.  IV  ,  p.  268,  et  dans  Egger,  Études  sur  les  traités  publics,  p.  2-13-252  ;  Chabas,  le  Voyage  d'un  Égyp- 
tien, p.  332  sqq.).  Les  deux  parties  contractantes  stipulent  expressément  que  les  individus  extradés  de 
part  et  d'autre  ne  pourront  être  punis  pour  le  fait  d'émigration,  que  leurs  biens  ne  seront  pas  con- 
fisqués ni  leur  famille  rendue  responsable  de  leur  fuite  (I.  22-36  dans  l'édition  de  Bouriaxt,  Recueil 
de  Travaux,  t.  XIII,  p.  156-158,  et  t.  XIV,  p.  68-69);  il  résulte  de  cette  clause  qu'en  temps  ordinaire 
l'émigration  non  autorisée  entraînait  un  châtiment  corporel  et  la  confiscation  des  biens  pour  le  cou- 
pable, ainsi  que  des  peines  variées  pour  la  famille.  La  façon  dont  Sinouhft  s'excuse  de  sa  fuite,  le 
pardon  qu'il  en  demande  avant  de  rentrer  en  Egypte  (Maspkro,  les  Contes  populaires,  2*  édit.,  p.  109 
sqq.),  les  termes  même  de  la  lettre  par  laquelle  le  roi  le  rappelle  et  l'assure  de  l'impunité,  montrent 
que  les  lois  contre  l'émigration  étaient  en  pleine  vigueur  sous  la  XII*  dynastie. 


LE   PEUPLE   DES  VILLES  :   ESCLAVES,   HOMMES   SANS   MAITRE.       309 

était  le  maître  pour  le  soldat  ou  pour  le  prêtre  de  ses  petits  Ëtats';  du  haut  en 
bas  de  l'échelle,  tout  homme  libre  avouait  un  maître  qui  lui  garantissait 
justice  et  protection  en  échange  de  son  obéissance  et  de  sa  féauté.  Le  jour  où 
l'Égyptien  prétendait  se  dérober  à  cette  sujétion,  c'en  était  fait  du  repos  de 
sa  vie  :  il  devenait  l'homme  sans  maître,  partant  sans  défenseur  attitré1. 
Le  premier  venu  pouvait  l'arrêter  au  passage,  lui  voler  ses  bètes,  ses  mar- 
chandises, son  bien,  sous  le  prétexte  le  plus  futile,  et,  presque  certain   de 


l'impunité,  le  battait  encore  s'il  s'avisait  de  protester.  Le  malheureux  n'avait 
de  ressource  que  d'aller  s'asseoir  à  la  porte  du  palais,  d'attendre  que  le 
seigneur  ou  le  roi  parût  et  de  lui  crier  justice.  Souvent  repoussé,  quand 
par  hasard  son  humble  supplique  était  accueillie,  ce  n'était  pour  lui  que  le 
début  d'ennuis  nouveaux.  Son  droit  fût-il  évident,  sa  condition  d'homme  sans 
domicile  et  sans  maître  inspirait  une  méfiance  tenace  à  ses  juges  et  retardait 
l'heure  de  la  réparation  à  son  égard.  Il  avait  beau  les  poursuivre  de  ses  plaintes 
et  de  ses  éloges,  célébrer  leurs  vertus  sur  tous  les  tons  :  *  Tu  es  le  père  du 
misérable,  le  mari  de  la  veuve,  le  frère  de  l'orphelin,  le  vêtement  de  qui 
n'a  plus  de  mère  :  accorde  que  j'aie  lieu  de  proclamer  ton  nom  comme  une 
loi  par  tout  le  pays.  Bon  seigneur,  guide  sans  caprice,  grand  sans  petitesse, 
toi  qui  anéantis  la  fausseté  et  fais  être  la  vérité,  viens  à  la  parole  de  ma 
bouche  :  je  parle,  écoute  et  fais  justice.  0  généreux,  le  généreux  des  généreux, 

.  I.  Les  expressions  qui  témoignent  de  ce  Tait  sont  très  nombreuses,  «mt  utiorr,  celui  qui  aime  son 
mattre,  Aqoij  KitTi  xi  slaour,  celui  qui  entre  au  cœur  de  son  maître,  etc.  Elles  reviennent  sï  souvent  dans 
les  textes  pour  des  personnages  de  tout  rang,  qu'on  n'avait  pas  cru  devoir  leur  attacher  quelque 
importance.  L'insistance  avec  laquelle  le  mol  NtB,  maître,  y  est  répété,  montre  qu'il  faut  revenir  sur 
cette  impression  et  donner  1  ces  locutions  leur  valeur  pleine. 

i.  Le  terme  d'homme  san>  mallre  se  trouve  plusieurs  fois  dans  le  Papyrus  de  Berlin  n*  (/.  I.e 
paysan  qui  est  le  héros  du  conte  dit,  par  enemple,  du  seigneur  Mirouitensi  qu'il  esl  ■  le  gouvernail  du 
ripl,  le  guide  de  la  terre,  la  balance  qui  porte  les  offrandes,  l'étai  des  murailles  chancelantes,  le  sou- 
tien de  ce  qui  tombe,  le  grand  maître  gui  prend  quiconque  eil  tant  mailre,  pour  lui  prodiguer  les 
biens  de  ta  maison,  une  cruche  de  bière  et  trois  pains  >,  chaque  jour  (1.  90-95). 

3.  Dettiu  de  Faucher-Gudîn,  iToprH  le  tombeau  de  Khiti  à  Beni-Ilaetan  (Chiupollios,  Momimentt, 
pl.CCCLXlV,  ï,  Hosellim,  Monumeiili  civili,  pi.  CXVli,  4).  Ce  sont  les  soldats  du  nome  de  la  Gazelle. 


310  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE   L'EGYPTE. 

détruis  ce  qui  cause  ma  douleur;  me  voici,  relève-moi;  juge-moi,  car  me  voici 
devant  toi  suppliant1.  »  S'il  était  beau  parleur  et  que  le  juge  fût  en  humeur 
d'écouter,  on  l'entendait  avec  plaisir,  mais  son  affaire  n'avançait  pas  et  les 
retards  calculés  de  son  adversaire  consommaient  sa  ruine.  Sans  doute  la  loi 
religieuse  imposait  l'équité  aux  dévots  d'Osiris  et  réprouvait  le  moindre  déni 
de  justice  comme  un  péché  des  plus  graves,  même  chez  le  grand  seigneur, 
même  chez  le  roi1;  mais  le  moyen  de  se  montrer  impartial  du  tout,  quand 
on  était  le  protecteur  en  titre,  le  maître  de  l'inculpé,  et  que  le  plaignant  était 
un  vagabond  sans  attaches  à  personne,  un  homme  sans  maître* '! 

Le  peuple  des  villes  renfermait  beaucoup  de  privilégiés,  outre  les  soldats,  les 
prêtres  ou  les  gens  engagés  au  service  des  temples.  Les  employés  des  admi- 
nistrations royales  ou  féodales,  depuis  les  Directeurs  d'hôtel  jusqu'aux  scribes 
les  plus  humbles,  s'ils  n'échappaient  pas  entièrement  aux  corvées,  du  moins 
n'en  supportaient  qu'une  part  assez  petite*.  Ils  formaient  une  bourgeoisie  à 
plusieurs  étages,  jouissant  de  revenus  assurés,  occupée  régulièrement,  modéré- 
ment instruite,  très  contente  d'elle-même,  et  toujours  prête  à  proclamer  bien 
haut  sa  supériorité  sur  quiconque  était  obligé  pour  vivre  à  travailler  de  ses 
mains.  Chaque  sorte  d'artisans  reconnaissait  un  ou  plusieurs  chefs,  les  cordon- 
niers des  maîtres  cordonniers,  les  maçons  des  maîtres  maçons,  les  forgerons  des 
maîtres  forgerons  qui  veillaient  sur  leurs  intérêts  et  les  représentaient  auprès 
des  autorités  locales5.  On  disait  même,  chez  les  Grecs,  que  les  voleurs  étaient 
réunis  en  corporation,  comme  les  autres,  et  entretenaient  des  supérieurs  accré- 
dités auprès  de  la  police  pour  débattre  les  questions  assez  délicates  que  la  pra- 
tique du  métier  soulevait.  Quand  les  associés  avaient  dérobé  quelque  objet 
de  prix,  c'est  à   lui  que   le  volé  s'adressait  afin  de  rentrer  en  possession  : 

1.  Maspero,  les  Contes  populaires  de  V Egypte  Ancienne,  2«  éd.,  p.  46. 

2.  Voir  à  ce  sujet  la  Confession  négative  du  chapitre  cxxv  du  Livre  des  Morts,  dont  la  tra- 
duction complète  est  donnée  aux  p.  188-191  de  cette  Histoire. 

3.  Tout  ce  tableau  est  emprunté  à  l'Histoire  du  paysan  que  le  Papyrus  de  Berlin  n*  //  nous  a 
conservée  (Chabas,  les  Papyrus  hiératiques  de  Berlin,  p.  5  sqq.  ;  Goodwin,  dans  Chabas,  Mélanges 
Êgyplologiques,  2e  série,  p.  249  sqq.,  Maspero,  les  Contes  populaires,  2e  éd.,  p.  33  sqq.).  L'auteur 
égyptien  a  placé  son  récit  sous  un  roi  dos  dynasties  héracléopolitaines,  la  IX"  et  la  Xe;  mais  ce  qui  est 
vrai  de  son  époque  est  vrai  de  l'Ancien  Empire,  comme  on  s'en  convainc  aisément  eu  rapprochant  ce 
qu'il  dit  des  renseignements  épars  sur  les  peintures  des  tombeaux  raemphites. 

4.  C'est  ce  qu'on  peut  conclure  du  témoignage  indirect  des  lettres  :  l'auteur  en  énumérant  les 
charges  des  professions  diverses  implique  par  contraste  que  le  scribe,  c'est-à-dire  l'employé  en  général, 
ne  les  porte  pas  ou  les  porte  moins  lourdement  que  les  autres.  Le  début  et  la  fin  des  Instructions  de 
Khtti  suffiraient  seuls  à  nous  apprendre  les  avantages  que  la  bourgeoisie  sous  la  XII*  dynastie  croyait 
pouvoir  tirer  de  la  carrière  de  scribe  (Maspero,  du  Genre  épistolaire,  p.  49-50,  60  ?qq.). 

5.  Les  stèles  d'Abydos  sont  fort  utiles  à  qui  veut  étudier  la  population  d'une  petite  ville.  Elles  nous 
font  connaître  les  chefs  de  toute  sorte  de  métiers:  le  chef-maçon  Didiou  (Mariette,  Catalogue  général, 
p.  129,  n"  593  et  339,  n°  947),  le  maltre-maçon  Aa  (m/.,  p.  161,  n»  640),  le  mattre-cordonnier  Kahi- 
khonti  (Bocriant,  Petits  Monuments  et  petits  textes,  dans  le  Becueil,  t.  VII,  p.  127,  n°  19),  les  chefs-for- 
gerons Ousirtasen  Ouàti,  Hotpou,  llotpourckhsou  (Mariette,  Catalogue  général,  p.  287,  n°  856),  etc. 


LES   EMPLOYÉS   ET   LES  ARTISANS  :   LES  CORPORATIONS.  3H 

il  en  fixait  la  rançon  et  le  rendait  sans  faute  contre  versement  de  la  valeur 
convenue1.  La  plupart  des  ouvriers  qui  composaient  un  corps  d'état  logeaient 
ou  du  moins  avaient  leurs  échoppes  dans  un  même  quartier  ou  dans  une  même 
rue,  sous  la  haute  direction  de  leur  chef1.  Us  payaient,  outre  la  capitation  et 
l'impôt  sur  les  maisons',  une  taxe  spéciale,  un  droit  de  patente  qu'ils  acquit- 


taient en  produits  de  leur  commerce  ou  de  leur  industrie1.  Leur  condition  était 
assez  dure,  si  nous  devons  en  croire  le  tableau  que  les  écrivains  anciens  nous 
ont  laissé  :  «  Je  n'ai  jamais  vu  forgeron  en  ambassade  —  ni  fondeur  en 
mission,  — ■  mais  ce  que  j'ai  vu,  c'est  l'ouvrier  en  métal  à  ses  travaux,  —  à 
la  gueule  du  four  de  sa  forge,  —  les  doigts  rugueux  comme  crocodiles  — 
et  puant  plus  que  frai  de  poisson.  —  L'artisan  de  toute  sorte  qui  manie  le 

I,  Diodose  de  Sicile,  I.  I,  Lim;cr.  Air  i.c-G  elle,  l.  XI,  eh.  xmi,  S  16,  d'après  1c  témoignage  du  juris- 
consulte Ariston,  haudqua i/vam  indocti  viri.  D'après  de  Paiiw,  hecherchei  philoiaphiquet  sur  tri  F.gyp- 
( Uni  et  ittr  le*  Chinait  (Berlin,  l"3i),  1.  Il,  4"  part.,  p.  113  sqq.,  le  règlement  concernant  le  vol  et  les 
voleur»  ne  serait  qu'une  convention  passée  avec  les  Bédouins  pour  obtenir  d'eux,  moyennant  rançon, 
la  restitution  des  objets  qu'ils  avaient  enlevé»  au  coars  de  leurs  rallias. 

i.  A.  BitLLsi,  Difùiont  et  Adminittratiim  dune  VilU  Kgyplirnnr.  dan«  le  Recueil  de  Travaux, 
t.  XI,  p.  31-3B. 

3.  Ces  deux  impôts  sont  mentionnés  expressément  sous  Amenolhé.  Itl  {DarCKi,  Die  AZgijptologie, 
p.  i97-*!>u).  Il  y  est  Tait  allusion  dans  plusieurs  inscriptions  du  Moyen  Empire. 

i.  Destin  de  Faucher-Gudin,  d'aprit  RwUU.il»,  Vonumenh  riw'h,  pi.  i  a:  cf.  Yisev,  le  Tombeau 
de  Rekkmarâ,  dans  les  Mémoire*  de  la  Mution  /rançon*  du  Caire,  l.  V.  pi.  XIII,  XIV. 

S.  Les  registres,  en  grande  partie  inédits,  que  renlt-tniroi  les  routée»  de  l'Europe,  nous  montrent 
en  effet  les  pécheurs  payant  en  poissons,  les  jardiniers  en  fleurs  et  en  légumes,  etc.,  les  impôts  ou  les 
redevances  qu'ils  devaient  aui  seigneurs.  Pour  l'époque  grecque,  voir  ce  que  dit  Li'aaaoso,  Economie 
politique  de  FÊgyple,  p.  497  sqq.  Dans  la  grande  inscription  d'Abydos  (Mabiette,  Abydo',  t.  1,  pi.  VIII, 
I.  88),  les  tisserands  attachés  au  temple  île  Séti  I"  acquittent  leurs  impositions  en  étoffes. 


342 


LA   CONSTITUTION   POLITIQUE   DE   L'EGYPTE. 


ciseau  —  ne  se  donne  pas  autant  de  mouvement  que  celui  qui  manie  la  houe1; 
—  mais  ses  champs  à  lui  c'est  le  bois,  son  affaire  c'est  le  métal,  —  et  la  nuit, 
quand  l'autre  est  libre,  —  lui,  il  fait  œuvre  de  ses  mains  par-dessus  ce  qu'il  a 
déjà  fait,  —  car,  la  nuit,  il  travaille  chez  lui  à  la  lampe.  —  Le  tailleur  de 
pierre  qui  cherche  de  la  besogne  en  toute  espèce  de  pierre  durable,  —  quand 
il  a  fini  par  gagner  quelque  chose  —  et  que  ses  deux  bras  sont  usés,  il  s'arrête; 


TAILLEURS   DE   PIERRE   ACHEVANT   DE   PARER   DES   BLOCS   DE   CALCAIRE*. 


—  mais,  s'il  demeure  assis  au  lever  du  soleil,  —  on  lui  lie  les  jambes  au  dos*. 

—  Le  barbier  qui  rase  jusqu'au  soir,  —  quand  il  se  met  à  manger,  c'est  sur 
le  pouce*,  —  tout  en  courant  de  ruelle  en  ruelle  pour  chercher  ses  pratiques; 

—  s'il  est  brave  [à  l'œuvre],  ses  deux  bras  remplissent  son  ventre —  de  même 
que  l'abeille  mange  selon  son  labeur.  —  Te  dirai-je  le  maçon  —  combien  le 
mal  le  goûte?  —  Exposé  à  tous  les  vents,  —  tandis  qu'il  bâtit  sans  vêtement 
qu'une  ceinture  —  et  que  le  bouquet  de  lotus  [qu'on  attache]  aux  maisons 

1.  La  traduction  mot  pour  mot  donnerait  :  «  L'artisan  de  toute  sorte  qui  manie  le  ciseau,  il  est  plus 
immobile  que  celui  qui  manie  la  houe.  »  Ici  et  dans  plusieurs  passages  du  môme  petit  poème  sati- 
rique, j'ai  dû  parfois  paraphraser  le  texte  pour  le  rendre  intelligible  au  lecteur  moderne. 

4.  Dessin  de  Faucher-Gudin,  d'après  Rosellixi,  Monument i  civili,  pi.  XLV1I1,  2. 

3.  C'est  une  allusion  à  la  façon  cruelle  dont  les  Égyptiens  liaient  leurs  prisonniers  comme  en 
paquet,  les  jambes  repliées  le  long  du  dos  et  attachées  aux  bras.  La  journée  de  travail  commençait 
alors  comme  aujourd'hui  au  lever  du  soleil,  et  se  prolongeait  jusqu'au  coucher,  avec  une  courte 
interruption  d'une  heure  ou  deux  vers  le  midi  pour  le  repas  et  pour  la  sieste  des  ouvriers. 

A.  Litt.  il  se  met  $ur  le  coude.  L'image  me  parait  être  tirée  de  la  pratique  même  du  métier  :  le 
^arbier  tient  toujours  le  coude  levé  pour  raser  et  ne  le  rabat  qu'au  moment  où  il  mange. 


LES  MISÈRES  DES  GENS  DE  METIER.  313 

[terminées)  —  est  encore  loin  de  sa  portée1,  —  ses  deux  bras  s'usent  au 
travail;  ses  provisions  sont  pèle-mèle  avec  toutes  ses  ordures,  —  il  se  mange 
lui-même,  car  il  n'a  de  pains  que  ses  doigts,  —  etil  se  lasse  tout  à  la  fois.  — 
Il  s'épuise  beaucoup  et  fort,  —  car  il  v  a  [sans  cesse]  un  bloc  [à  trainerj  dans 
cet  édifice-ci  ou  dans  celui-là,  —  un  bloc  de  dix  coudées  sur  six,  —  il  y  a 
[sans  cesse]  un  bloc  [à  traîner]  dans  ce  mois-ci  ou  dans  celui-là  [jusqu'aux] 
mâts  [où  l'on  attache]  les  lotus  des  maisons  [terminées].  —  Quand  le  travail 


est  tout  achevé,  —  s'il  a  du  pain,  il  retourne  à  la  maison,  —  et  ses  enfants  ont 
été  roués  de  coupsjpendant  son  absence]1.  —  Le  tisserand  dans  les  maisons, 

—  il  y  est  mal  plus  que  femme;  —  accroupi  les  genoux  à  l'estomac,  — il  ne 
respire  pas.  —  Si,  pendant  le  jour,  il  ralentit  le  tissage,  —  ïl  est  lié  comme 
les  lotus  de  l'étang;  —  et  c'est  en  donnant  du  pain  aux  gardiens  des  portes, 
que  celui-ci  lui  permet  de  voir  la  lumière*.  —  Le  teinturier,  ses  doigts  puent 

—  et  leur  odeur  est  celle  du  frai  de  poisson;  —  ses  deux  yeux  sont  battus  de 
fatigue,  —  sa  main  n'arrête  pas,  —  et,  comme  il  passe  son  temps  à  tailler  des 
loques  —  il  a  les  vêtements  en  horreur5.  —  Le  cordonnier  est  très  malheureux  ; 

—  il  geint  éternellement,  —  sa  santé  est  la  santé  du  poisson  qui  fraie,  —  et 

I.  Le  passage  est  traduit  par  conjecture.  Je  suppose  que  les  maçons  égyptiens  avaient  un  usage 
analogue  à  celui  des  nôtres  et  attachaient  un  bouquet  de  lotus  au  plus  haut  de  l'édifice  qu'ils  venaient 
de  terminer  :  c'est  là  toutefois  une  conjecture  i[UC  rien  n'est  venu  confirmer  encore. 

1.  Deain  de  Faucher-Gudin,  d'nprei  Gna>MLlIM>,  MonumenU  de  l'Egypte  et  de  la  Nubie,  pi.  cliii,  3; 
cf.  Bosillini,  Mo  nu  menti  civili,  pi.  LX1V,  1  ;  Vihet,/c  Tombeau  de  Hekhmarti,  dans  les  Mémoire*  publie"! 
par  Ut  Membre»  delà  Million  du  Caire,  t.  V,  pi.  XIII.  XV.  Ce  tableau  est  de  la  XVII I»  dynastie,  mais  les. 
sandales  qui  y  sont  figurées  ne  diffèrent  point  de  celles  qu'on  voit  sur  les  monuments  plus  anciens. 

3.  Papyrui  Sallier  n-  //,  pi.  IV,  I.  6,  pi.  V,  I.  5;  cf.  Mastmo,  du  Genre  EpUtolaire  ehei  te!  Ancien! 
Hgyptitni  de  t'époque  pharaonique,  p.  50-51  ;  Lauth,  Die  altâgyptitehc  Hoehtchule  :u  Chennu,  dan» 
les  Compte»  rendu»  de   l'Académie  des  Sciences  de  Munich,  1 874,  I.  I,  p.  37  sqq. 

*.  Papyrui  Sallier  n»  //,  pi.  VI,  I.  1-3;  cf.  Maspero.  du  Genre  Épiitotaire,  p.  53-55,  et  C«a»as 
Recherche»  pour  irrvir  à  l'hiitoire  de  la  XIX'  dynastie  égyptienne,  p.  141-1  t!i. 

5.    Papyru»  Sallier  n»  II,  pi.  VII,  1.  î-3. 

41} 


SU  LA  COSSTITLTIOS  POLITIQUE   DE  L'EGYPTE. 

il  ronge  les  cuirs'.  —  Le  boulanger  pétrit,  —  met  les  paîns  au  feu;  —  tandis 
que  sa  tète  est  dans  l'intérieur  du  four,  —  son  fils  le  tient  par  les  jambes;  — 
s'il  échappe  aux  mains  de  son  fils,  —  il  tombe  là  dans  les  flammes1.  •  Ce  sont 
là  misères  inhérentes  aux  métiers  mêmes  :  la  levée  de  l'impôt  ajoutait  au  cata- 
logue une  longue  séquelle 
d'avanies  et  de  vexations 
qui  se  renouvelaient  plu- 
sieurs fois  par  an  à  des  in- 
tervalles réguliers.  Aujour- 
d'hui encore  le  fellah  ne 
paye  ses  contributions  que 
contraint  et  forcé,  mais  son 
obstination  à  ne  s'acquitter 
que  sous  le  bâton  était 
célèbre  dès  l'antiquité  :  ce- 
lui qui  lâchait  son  dû  avant 
d'avoir  été  roué  de  coups 

LE    «OCLAMCCX    MÇ01I1IE    ET    «ET    «ES    MISS    ir    FOI'b'.  ,  ..,,,.. 

était  accable  d  injures  par 
sa  famille  et  raillé  sans  merci  par  ses  voisins*.  Chaque  échéance  tombait  sur 
les  cités  comme  une  crise  violente  qui  secouait  la  population  entière.  Ce 
n'était  pendant  plusieurs  jours  que  protestations,  menaces,  bastonnades,  cris 
de  douleur  des  contribuables,  lamentations  suraiguës  de  femmes  et  d'enfants. 
L'opération  terminée,  le  calme  renaissait  et  le  bon  peuple,  pansant  ses  bles- 
sures, reprenait  son  train  de  vie  familier  jusqu'à  l'échéance  prochaine. 

Les  villes  d'alors  présentaient  à  peu  près  l'aspect  étouffé  et  mystérieux  de 
celles  d'aujourd'hui*.  Elles  se  groupaient  autour  d'un  ou  de  plusieurs  temples, 
environnés  chacun  de  son  enceinte  rectangulaire  en  briques,  percée  de  portes 
monumentales  :  les  dieux  y  habitaient  de  véritables  châteaux,  ou,  si  le  mot 

1.  Popt/ru*  Saltier  n' II,  pi.  Vil,  I.  9.  pi.  VIII,  I.  î. 

1.  l'upyrut  Anaitati  n"  II,  pi.  VU,  1.  3-5,  avec  un  duplicata  du  même  passage  dan»  le  Papyrus  Sal- 
lirr  n*  I,  pi.  VII,  |.  7-9;  cf.  H.ispebo,  du  Genre  Êputolairc  chez  let  Ancien*  Égyptien*,  p.  35. 

3.  Denin  de  Faucher-Giidin,  d'aprr*  le  tableau  peint  dan*  l'une  de*  petite*  antichambre*  du  tom- 
beau de  Ramtè*  III,  au  Bab-et-Motouk  (ttnsELLi.il,  Mnnumrnli  civili,  pi.  LXXXVI,  «}. 

4.  A»mei  ««hcellis,  I.  XXII,  ch.  xvi,  S.  i3  :  .  Eruhescit  apud  cos,  si  quis  non  iiiRlisndo  trihiitn. 
plurima»  in  corporc  vîhiccs  o*tcndal  •;  cf.  Elles,  t'ai'.  Hit  t.,  VII,  18.  Pour  les  temps  mode  roc  R,  lire  le 
curieux  récit  de  Wileusov,  Manaer*  and  Cutlom*.  l'éd.,  1.  I,  p.  306-3417. 

5.  J'ai  eu  l'occasion  d'opérer  des  sondages  ou  des  rouilles  sur  divers  emplacements  de  villes  ou  de 
i  illagea  1res  antiques,  a  Thébes,  à  Abydos,  à  Matsniah,  el  je  donne  ici  le  résumé  de  mes  observations. 
M.  Pétrie  a  rois  au  jour  et  exploré  régulièrement  plusieurs  cités  de  la  XII*  dynastie,  situées  à  l'entrée 
du  Fayoum.  J'ai  emprunté  beaucoup  des  traits  de  mes  descriptions  aux  différents  ouvrages  qu'il  i 
publiés  sur  la  matière,  Kahun,  Gurob  and  Ilauara,  1890,  et  Illahun,  Kahun  andGurab,  1891. 


L'ASPECT  DES  VILLES.  3i5 

parait  trop  ambitieux,  des  réduits  où  ta  population  pouvait  se  réfugier  en 
cas  d'attaque  soudaine  et  se  mettre  à  l'abri1.  Celles  qu'un  roi  ou  un 
prince  construisaient  d'un 
seul  coup  offraient  un  plan 
à  peu  prés  régulier,  des 
rues  assez  larges,  dallées, 
se  coupant  à  angle  droit, 
bordées  d'édifices  bien  ali- 
gnés. Les  cités  d'origine 
antique,  accrues  au  hasard 

des  siècles,  ne  leur  ressemblaient  guère.   Va  lacis  de  ruelles  et  d'impasses 
étroites,  sombres,  humides,  mal  tracées,  se  déroulait  à  travers  les  maisons 


l'aventure  : 
ç  le    canal    presque  jt 

sec,   un    étang  3       bourbeux  où  les  bes- 

tiaux venaient  boire   et   les  femmes 

puiser  l'eau  du   ménage,  puis  une  place  irrégulière   ombragée   d'acacias  ou 
de  sycomores   où  les  paysans  de   la   banlieue  tenaient  le  marché  deux  ou 

I.  Pour  la  cl  h  se  ri  pi  ion  des  châteaux  où  résidaient  les  princes  cl  les  gouverneurs  des  nomes, 
cf.  M*spïbo,  Sur  le  lent  de*  mots  tiouit  et  Huit,  p.  13  sqq.  (extrait  des  Proceedingt  de  la  Société 
d'Archéologie  Biblique,  1089-1890);  pour  celle  des  maisons,  voir  f  Archéologie  Égyptienne,  p.  13-11. 

*.  Deiêiii  de  Faucher-Gudin,  d'âpre*  i  aquarelle  de  Botnie,  le  Tombeau  d'Anna,  dans  les  Mémoire* 
de  la  Muiion  Françaite.  La  maison  était  située  à  Thèbes  cl  appartient  à  la  XVIII*  dynastie.  Les 
restes  des  maisons  mises  au  jour  par  Mariette  à  Abydos,  et  qui  lui  servirent  a  rétablir  une  maison 
égyptienne,  lors  do  l'Exposition  universelle  en  1877,  sont  du  même  type,  et  remontent  jusqu'à  1» 
XII*  dynastie.  On  peut  donc  admettre  que  le  tableau  du  tombeau  d'Anna  reproduit,  a  quelques 
détails  près,  l'image  d'une  habitation  seigneuriale  de  toutes  le*  époques.  À  coté  du  corps  de  loijis 
principal,  on  voit  deuv  greniers  h  blé  arrondis  par  le  haut,  et  un  grand  magasin  de  provision*. 

3.  D'aprii  le  plan  relevé  et  publié  par  M.  Khsiiebs  Petbik.  lllahun,  Kakun  and  Gurob,  pi.  XIV, 


316  LA   CONSTITUTION   POLITIQUE  OE  L'EGYPTE. 

trois  fois  le  mois,  à  jours  fixes,  puis  des  terrains  vagues  encombrés  d'ordures 
et  de  débris  que   les  chiens  du  voisinage  disputaient  aux  éperviers  et  aux 
vautours.  Le  château  du  prince  ou  du  gouverneur  royal,  les  hôtels  des  riches 
particuliers,  couvraient  une  surface  assez  considérable,  et  opposaient  d'ordi- 
naire à  la  rue  de  longs  murs  nus,  crénelés  comme  ceux  d'une  forteresse; 
le  seul  ornement  qu'on  y  tolérât  consistait  en   rainures  prismatiques,  sur- 
montées  chacune  de  deux 
fleurs  de    lotus    épanouies 
entre-croisant    leurs  tiges. 
I.a  vie  domestique  s'y  tenait 
cachée  et  comme  repliée  sur 
elle-même;  on  sacrifiait  le 
plaisir  de  voir  les  passants 
à  l'avantage  de   n'être  pas 
aperçu  du  dehors.  La  porte 
seule  annonçait  quelquefois 
l'importance  du  personnage 
qui  se  dissimulait  derrière 
l'enceinte.  Elle  était  précé- 
dée d'un  perron  de  deux  ou 
trois  marches  ou  d'un  por- 
tique à  colonnes,  orné  de 
statues,  qui  lui  prêtait  l'as- 
pect monumental*.  Les  mai- 
sons bourgeoises  étaient  construites  en  briques  et  assez  petites;  elles  conte- 
naient  pourtant    une   demi-douzaine  de  chambres,   les    unes   voûtées,    les 
autres   recouvertes   d'un    toit    plat,  et  communiquant    entre   elles  par   des 
portes   lo  plus   souvent  cintrées.    Quelques-unes   atteignaient  deux   et  trois 
étages;  toutes  possédaient  une  terrasse  où  les  Égyptiennes  d'autrefois  pas- 
saient le  meilleur  de  leur  temps,  comme  celles  de  nos  jours,  vaquant  aux  soins 
du  ménage  ou  bavardant  avec  les  voisines,  par-dessus  les  murs  d'appui  et 
les  ruelles.  Le  foyer  se  creusait  dans  le  sol,  d'ordinaire  contre  une  des  parois, 
et  la  fumée  s'en  échappait  par  un  trou  ménagé  au  plafond  ;  on  l'alimentait 
de   branchages,   de  charbon  de  bois,  de   mottes   pétries  avec  la  fiente  des 


LES  MAISONS  ET  LE  MOBILIER. 


ânes  et  des    bœufs.   On   rencontrait,  chez    les   riches,   des   salles   d'apparat 
éclairées  au  centre  par  une  baie  carrée,  et   soutenues  par   des  rangées  de 


colonnes  en  bois  ;  le  fut,  taillé  à  huit  pans ,  mesurait  environ  vingt-cinq  centi- 
mètres de  diamètre  et  s'enracinait  dans  une  base  en  pierre,  plate  et  ronde. 


La  famille  s'entassait  dans  une  ou  deux  pièces  en  hiver,  et  dormait  sur  le 
toit,  au  plein  air,  pendant  l'été,  en  dépit  des  maux  de  ventre  et  d'yeux  ;  le  reste 
du  logis  servait  d'étables  et  de  magasins.  Les  greniers  s'accouplaient  souvent 

I.  Dttain  de  Faucher-Gvdin,  d'aprèt  une  photographie  d'Emile  Brugnch-llry,  prise  en  IIWA. 

t.  Dtttin  de  Fatichcr-Gudin,  d'aprèt  le  croqttit  rfrl't.  I'ktme,  Illahun,  KahvnandGurob,  pi.  XVI,  3. 


318  LA  CONSTITUTION   POLITIQUE  UE  L'EGYPTE. 

par  deux;  on  les  bâtissait  en  briques,  soigneusement  crépis  de  limon  à  l'inté- 
rieur,et  ils  affectaient  la  forme  d'un  cône  allongé  comme  ceux  des  administra- 
tions publiques1.  Les  objets  précieux  qui  composaient  la 
petite  fortune  de  chaque  ménage,  lingots  d'or  et 
d'argent,  pierres  précieuses,  bijoux  de  l'homme 
et  de  la  femme,  avaient  leurs  cachettes  où 
l'on  essayait  de  les  dissimuler  aux 
voleurs  et  aux  collecteurs  d'im- 
pôts. Mais  ceux-ci,  habitués  i 
ruses   des   contribuables,  témoi- 
gnaient d'un  flair  particulier  pour  dépister  le  magot  :  ils  sondaient  les  murs, 
soulevaient  et  perçaient  les  toitures,  défonçaient  le  sol  jusqu'en  dessous  des 
,'»*  fonHaiinna  et  ^menaient  souvent  au  jour,  avec  le  trésor 

tout  un  appareil  de  tombeau  et  de  pour- 
e.    L'usage  en   effet,   au  moins  parmi  le 
a  et  chez  les  gens  de  la  classe  moyenne, 
était  d'enterrer  au  milieu  de  la  maison 
les  enfants   morts   à    la   mamelle.   On 
enfermait  le  petit  cadavre  dans  un  vieux 
coffre  à  outils  ou  à  linge  sans  se  donner 
la  peine  de  l'embaumer,  et  l'on  y  dépo- 
sait avec  lui  ses  jouets  favoris  et  des  amu- 
lettes :  souvent  deux  ou  trois  bébés  se  par- 
tageaient une  même  caisse*.  Les  joujoux 
étaient  d'une  facture  naïve,  maïs  très  va- 
riés, poupées  en  calcaire,  en  terre  émail 
lée,  en  bois,  arec  les  bras  mobiles  et  une 
perruque  en  faux  cheveux,  porcs,  crocodiles, 
canards  et  pigeons  à  roulettes,  bateaux  de  terre 
cuite,  ménages  en  miniature,   balles  en   peau   rembourrées   de  foin,    billes, 
callots  :  si  étrange   que    cela    paraisse,    il   faut    nous    figurer   les   marmots 

t.  Flisdkbh  Petrjf.,  Kahun,  Gurob  and  Ilamara,  p.  Î3-44,  et  lllahun,  Kahun  and  Gurob,  p.  8-J.  On 
voit  deux  de  res  greniers  jumeaux,  à  droite  de  la  maison  d'Anna,  dans  la  vignette  de  la  page  3IS. 

4.  Dmiu  de  Fanrhcr-Gudin,  d'après  un   chevet  en  bail  provenant  de  Gi'béléin,  en  ma  pomeuiem 
[XI'  dynailie)  :  d'ordinaire  le  pied  du  elievet  est  massif  el  taille  dans  un  seul  morceau  de  bois. 

3,   Deiihi  de  I-'aur/icr-Giidin,  d'aprei    le   croquU    de    Kl.  Pktbik.  Hairara,   Biahmu   and   Artiaor, 
pi.  XIII,  il.  L'original,  en  bois  grossier,  est  di-jinsi'  uujourd'hui  dans  l'AsIimolctii  Muséum,  à  (Kford. 
-t.   Kmi>r.iis  Peirif.,  Kahun.  Gurob  and  lllahun,  p.  Î4. 

5.  Deuin  de  Faucktr-Gudin,  d'aprèi  le  croqitit  publié  dan<  l'ouvrage  de  Flimiïus  Pktiie,  lllahun. 


LA   FEMME   DANS   SA   FAMILLE. 


égyptiens  jetant  le  cochonnet  comme  les  nôtres,  ou  fouettant  hardiment  Ioni- 
sa bot  le  long  des  rues,  sans  respect  pour  les  jambes  des  passants  '. 

On  décorait  les  chambres  plus  que  sommairement.  Le  crépi  de  boue  conser- 
vait d'ordinaire  sa  teinte  grise;  quelquefois  pourtant  on  le  blanchissait  à  la 
chaux,  on  le  barbouillait  de  rouge  et  de  jaune,  et  l'on  y  représentait  des  jarres, 
des  provisions,  des  scènes  d'intérieur,  des  façades  de  maison1.  Pas  de  lits 


montés,  mais  des.  cadres  bas,  comme  les  angarebs  des  Nubiens  actuels,  ou 
des  nattes  qu'on  roulait  pendant  le  jour,  et  sur  lesquelles  on  s'étendait 
tout  habillé  pendant  la  nuit,  la  tète  appuyée  au  chevet  de  terre  cuite,  de 
calcaire  ou  de  bois;  un  ou  deux  sièges  en  pierre  rudement  taillés,  des  chaises 
ou  des  tabourets  à  pieds  de  lion,  des  boîtes  et  des  coffres  de  grandeur  diverse 
pour  le  linge  et  pour  tes  outils',  des  pots  à  kohol  ou  à  parfums  en  albâtre 
ou  en  faïence  vernissée1,  enfin  les  bâtons  à  feu,  l'archet  qui  les  mettait  en 
mouvement*,  et  quelque   vaisselle  en  argile   ou  en    bronze  de  façon   gros- 

Kahuii  and  Curai,  pi.  VII.  Au  centre  l'archet,  *  gauche  en  haut  la  noix,  et  en  bas  te  bâtonnet,  qu'on 
adaptait  aux  deux  extrémités  de  la  tige;  enfin,  en  ban  et  à  droite  deux  pièce»  de  bois,  portant  les 
Irous  rond»  aux   bords  carbonisés  que  te  roulement  du  bâtonnet  produit  bu  moment  où  le  feu  prend. 

1.  Pi.mii»  Pétrir,  Kahun,  Gurob  and  lllahun,  p.  24,  311,  3t,  Haaara.  Biahimt  and  Aminoe.p.  11, 12. 

ï.  FinoMS  I'itiii,  Kahun,  Gurob  and  lllahun,  p,  11,  et  lllahun,  Kahun  and  Gurab.  p,  7  et 
pi.  XVI,  4-5*.  La  façade  de  la  maison  est  représentée  au  registre  du  bas,  l'intérieur  a  celui  du  haut, 

3.  Deiltnde  Fauchcr-Gudin.d'aprèt  te  far-iimili!  de¥L.PeTR\z, lllahun. Kahun  anrffillroi.pl.  XVI,  fi. 

4.  Flnbms  PktKIi,  Kahun,  Gurab  and  Hau-ara,  p.  14,  et  Ulthun,  Kahun  and  Gurob,  p.  8-li,  12-13. 

5.  t'uïDERK  Plthie,  Kahun,  Gurob  and  Haieara,  p.  19-30. 

6.  Flikdciu  Piiiii,  Kahun,  Gurob  and  Hawara,  p.  29,  pi.  IX  b.  et  lllahun,  Kahun  and  Gurob,  p.  12, 
pi.  VII,  24,  2r>,  28.  J'ai  trouvé  plusieurs  de  ces  appareil»  a  Thébes  dans  les  ruines  de  la  ville  antique. 


320  LA   CONSTITUTION  POLITIQUE   DE   L'EGYPTE. 

sière'.   L'homme  ne  l'entrait  guère  à  la  maison  que   pour  manger   et  pour 
dormir;  ses  devoirs  d'employé  ou  son  métier  d'artisan  l'obligeait  la  plupart 
du  temps  à  travailler  au  dehors.    Les  familles  de  la  bourgeoisie   moyenne 
possédaient  presque  toujours  un  ou  deux  esclaves  achetés  ou  nés  dans  la  maison, 
qui  exécutaient  les  ouvrages    les    plus   pénibles;    ils   soignaient    les  bêtes, 
ils  surveillaient  les  enfants,  ils  cuisinaient,  ils  allaient  chercher  l'eau  à  l'étang 
s  proche.  Chez  les  pauvres,   le  soin  du 
tout  entier  sur  la  femme.  Elle  die,  elle 
3  et  raccommode  les  vêtements,  court  à 
iguade  et  aux  provisions,  cuit  le  dîner, 
abrique  le  pain  de  la  journée.  Elle  répand 
quelques  poignées  de  grain  sur  une  dalle 
oblongue,   creusée    légèrement    à    la 
face  supérieure,  puis  les  écrase  avec 
une  pierre  plus  petite  en   forme  de 
molette,  qu'elle  mouille  de  temps  en 
temps.  Une  heure  et  plus,  elle  peine 
des  bras,  des  épaules,   des  reins,  de 
out  le  corps  :   l'effort  est   grand   et  le 
résultat  médiocre.  La  farine,  ramenée  à  plu- 
sieurs reprises  sur  le  mortier  rustique,  est  lourde,  inégale,  mélangée  de  son  et 
de  grains  entiers  qui  ont  échappé  au  pilon,  souillée  de  poussière  et  d'éclats  de 
pierre.  Elle  la  pétrit  avec  un  peu  d'eau,  y  incorpore  en  guise  de  levain  un 
morceau  de  pâte  rassise  de  la  veille,   et  en  façonne  des    galettes    rondes, 
épaisses  comme   le   pouce,    larges   d'environ  dix   centimètres,   qu'elle  étale 
sur  un  caillou  plat  et  qu'elle  recouvre  de  cendre  chaude.  Le  pain,  mal  levé, 
souvent  mal  cuit,  emprunte,  au  combustible  animal  sous  lequel  il  est  resté 
enterré,  un  fumet  particulier  et  un  goût  sur  auquel  les  étrangers  ne  s'accou- 
tument pas  sans  peine.  Les  impuretés  qu'il  contient  triomphent  à  la  longue  de 
la  denture  la  plus  solide  :  on  le  broie  plus  qu'on  ne  le  mâche,  et  il  n'est  pas 
rare  de  rencontrer  des  vieillards  dont  les  dents  se  sont  usées  graduellement 
jusqu'au  ras  des  gencives,  comme  celles  d'un  âne  ou  d'un  bœuf  hors  d'àges. 

I.  Flinders  Pltrie,  Kahun.  Gurob  and  flawara,  p.  il-iti.  et  [llahitn,  Kahun  and  Gurob,  p.  8-11, 
li-13.  La  vaisselle  de  terri!  est  beaucoup  plus  fréquente  que  relie  de  brome. 

t.  Deitin  de  Beuditr,  d'aprèi  une  photographie  de  lléchard  (cf.  Maiiieïtb,  Album  photographique 
du  Mutée  de  lloutaq,  pi.  W;  M.spebo,  Guide  du  Visiteur,  p.  ÎÏO,  n-  101Î-10I3). 

3.  La  description  de  la  femme  broyant  et  pétrissant  est  faite  d'après  les  statues  du  Munéc  de  Gï*éh 
M.IMETTI,  Notice  det  principaux  monuments,  IBM.  p.  tivt,  n"  30-35,  et  Album  photographique  du 


LES  FETES  SOLENNELLES.  341 

Le  mouvement  et  l'animation  ne  manquaient  pas  à  certaines  heures  du 
jour,  le  matin  surtout,  dans  les  marchés  ou  au  voisinage  des  temples  et  des 
hôtels  d'administration  :  partout  ailleurs  la  circulation  était  rare,  la  rue  silen- 
cieuse, la  cité  morne  et  comme  endormie.  Elle  ne  s'éveillait  complètement  que 
trois  ou  quatre  fois  l'année,  au  temps  des  panégyries  solennelles  «  du  ciel  et 


de  la  terre  *  :  alors  ses  maisons  s'ouvraient  et  versaient  leur  population 
au  dehors,  le  tumulte  de  la  vie  emplissait  les  places  et  les  carrefours.  C'était 
d'abord  le  jour  de  l'an,  et,  bientôt  après,  la  fête  des  morts,  YOuagatl.  La  nuit 
du  17  Thot,  les  prêtres  allumaient  devant  les  statues,  dans  les  sanctuaires  et 
dans  les  chapelles  funèbres,  le  feu  dont  les  dieux  et  les  doubles  devaient  se  ser- 
vir pendant  les  douze  mois  suivants.  Presque  au  même  instant,  le  pays  entier 

ituite  de  Boulai/,  pi.  M;  XxHKBo,  Guide  du  VUileur,  p.  440,  11»  1014-1013).  Tous  le»  musées  d'Kurope 
possèdent  ries  échantillons  nombreux  du  pain  dont  je  parle  (Ch ahkilliom,  Holke  deicriptiie  de» 
monument!  du  Mutée  Egyptien,  1847,  p.  87),  et  l'eUH  qu'il  produit  à  la  longue  sur  les  dénis  ries 
personnes  qui  s'en  nourrissent  a  été  observé  direetement  sur  le*  momies  dru  plus  hauls  personnages 
(11  Mttlu),  tel  Monnet  royale!  de  Dtir  el-Bahari.  dans  les  Mémoire»  de  la  Mitt-inn  Française, -l.  I,  |i.  .'iXI). 
I.  Dettin  de  Faiirher-Cudin.  d'aprei  un  tableau  de  la  tombe  de  K/uitmmholpou  à  lleiti-tlaitaii 
(cf.  CnmpniiioK,  Monument*  de  l'Egypte  et  de  la  Xubir,  pi.  IXCI.XXXI  bit,  i;  IWklimi,  Monument! 
eirili,  pi.  XI.I,  fi;  Lepsiis,  Denktn.,  Il,  iâli).  C'est  le  métier  <|ui  avait  été  reconstruit  eu  ISSU  pour 
l'RipatitlOD  universelle,  et  qui  est  déposé  aujourd'hui  dans  les  galeries  du  Trocadéro. 


322  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

s'illuminait  d'un  bout  à  l'autre  :  il  n'y  avait  famille  si  pauvre  qui  ne  plaçât 
devant  sa  porte  la  lampe  neuve  où  brûlait  une  huile  saturée  de  sel,  et  qui  ne 
veillât  jusqu'à  l'aube  en  repas  et  en  conversations1.  Les  fêtes  des  dieux  vivants 
attiraient  une  foule  considérable,  et  non  seulement  des  nomes  les  plus  pro- 
ches :  on  y  venait  de  fort  loin,  par  caravanes  ou  sur  des  bateaux  chargés  de 
marchandises,  car  le  sentiment  religieux  n'en  excluait  pas  l'intérêt  commer- 
cial, et  le  pèlerinage  s'y  terminait  en  foire.  Ce  n'étaient  durant  plusieurs 
jours  que  prières,  sacrifices,  processions  où  les  fidèles,  vêtus  de  blanc  et  la 
palme  à  la  main,  escortaient  les  prêtres  en  chantant  des  hymnes.  «  Les  dieux 
du  ciel  en  poussent  des  Ah!  ah!  de  contentement,  les  habitants  de  la  terre 
sont  pleins  d'allégresse,  les  Hâthors  battent  leur  tambourin,  les  hautes  dames 
agitent  leurs  fouets  mystiques,  tous  ceux  qui  se  trouvent  dans  la  ville  sont 
ivres  de  vin  et  couronnés  de  fleurs,  les  artisans  de  la  cité  se  promènent  en 
joie,  la  tête  parfumée  d'huiles  odorantes,  tous  les  petits  jubilent  en  l'honneur 
de  la  déesse,  du  lever  du  soleil  à  son  coucher*.  »  Les  nuits  étaient  aussi 
bruyantes  que  les  jours  :  on  rachetait  vaillamment  en  quelques  heures  de 
longs  mois  de  torpeur  et  de  vie  rangée.  Le  dieu  rentré  au  temple  et  les  pèlerins 
partis,  la  routine  reprenait  ses  droits  et  se  traînait  sans  diversion  que  le  mar- 
ché de  chaque  semaine.  Ce  jour-là,  de  grand  matin,  les  paysans  arrivaient 
des  campagnes  environnantes  en  files  interminables  et  s'installaient  sur 
quelque  place  réservée  à  leur  usage  de  temps  immémorial.  Les  moutons, 
les  oies,  les  chèvres,  les  bœufs  aux  larges  cornes  se  groupaient  au  centre  en 
attendant  l'acheteur.  Les  maraîchers,  les  pêcheurs,  les  chasseurs  d'oiseaux  et 
de  gazelles,  les  potiers,  les  petits  artisans,  s'accroupissaient  sur  les  bas  côtés 
et  le  long  des  maisons,  et  présentaient  à  la  curiosité  des  pratiques  leurs  mar- 
chandises entassées  dans  des  couffes  en  joncs  ou  empilées  sur  des  guéridons 
bas,  légumes  et  fruits,  pains  ou  gâteaux  cuits  de  la  nuit,  viande  crue  ou 
accommodée  de  façon  diverse,  des  étoffes,  des  parfums,  des  bijoux,  tout  le 
nécessaire  et  tout  le  superflu  de  la  vie  journalière.  L'occasion  s'offrait  favorable 
aux  ouvriers  comme  aux  bourgeois  de  s'approvisionner  à  meilleur  compte  que 
dans  les  boutiques  ouvertes  à  demeure,  et  ils  en  profitaient  selon  leurs  moyens. 

1.  La  nuit  du  17  Thot  —  qui  serait  pour  nous  la  nuit  du  16  au  17  —  était,  comme  on  le  voit  d'après  la 
Grande  Inscription  de  Siout  (I.  36  sqq.),  désignée  pour  la  cérémonie  d'Allumer  le  feu  devant  les  statues 
des  morts  ou  des  dieux.  Comme  à  la  Fête  des  Lampe 8  dont  parle  Hérodote  (II,  lxu),  l'office  reli- 
gieux était  accompagné  d'une  illumination  générale  qui  durait  toute  la  nuit;  elle  devait  avoir  pour 
objet  de  faciliter  aux  âmes  des  morts  la  visite  qu'elles  étaient  censées  faire  alors  à  la  maison  de  famille. 

2.  DCmichen,  Dernier  a,  pi.  XXXVI11,  1.  15-19.  C'est  ce  que  l'on  appelait  assez  crûment  à  Dendérak 
la  Fêle  de  tlvretse.  Ce  que  nous  savons  des  époques  plus  anciennes  nous  autorise  à  généraliser 
cette  description  et  à  l'appliquera  toutes  les  fêtes  des  villes  autres  que  Dendérah,  comme  je  l'ai  fait  ici. 


LES  MARCHÉS  À  RETOUR  PÉRIODIQUE.  323 

Le  trafic  se  faisait  surtout  par  échange1.  Les  acheteurs  apportaient  avec  eux 
quelque  produit  de  leur  travail,  un   outil  neuf,  des  souliers,  une  natte,  des 
pots  d'onguent  ou  de  liqueur,  souvent  aussi  des  rangs  de  cauries  et  une  petite 
boîte  pleine  d'anneaux  en  cuivre,  en  argent,  même  en  or,  du  poids  d'un  tabnou, 
qu'ils  se  proposaient  de  troquer  contre  ce  dont  ils  avaient  besoin*.  Quand  il 
s'agissait  d'un   animal  de  forte  taille  ou  d'objets  d'une  valeur  considérable, 
les    débats   duraient  âpres    et  tumultueux  :  il  fallait  tomber  d'accord  non 
seulement  sur  la  quotité,  mais  sur  la  composition  du  prix,  et  dresser,  en  guise 
de  facture,  un  véritable  inventaire  où  des  lits,  des  cannes,  du  miel,  de  l'huile, 
des  pioches,  des  pièces  d'habillement,  figurent  comme  équivalents  d'un  taureau 
ou  d'une  ânesse8.  Le  petit  commerce  de  détail  n'exigeait  pas  autant  de  calculs, 
ni  aussi  compliqués.  Deux  bourgeois  se  sont  arrêtés  au  même  instant  devant 
un  fellah  qui  expose  des  oignons  et  du  blé  dans  un  panier.  Le  premier  paraît 
ne  posséder  d'autres  fonds  de  roulement  que  deux  colliers  en  perles  de  verre  ou 
de  terre  émaillée  multicolore;  le  second  brandit  un  éventail  arrondi  à  manche 
de  bois  et  un  de  ces  ventilateurs  triangulaires  dont  les  cuisiniers  se  servent 
pour  attiser  le  feu.  «  Voici  un  beau  collier  qui  vous  agréera,  s'écrie  l'un,  c'est 
juste  ce  qu'il  vous  faut  »  ;  et  l'autre  :  «  Voici  un  éventail  et  un  ventilateur  ». 
Cependant  le  fellah  ne  se  laisse  nullement  déconcerter  par  ce  double  assaut, 
et,  procédant  avec  méthode,  saisit  un  des  colliers  afin  de  l'examiner  à  loisir  : 
«  Donne  voir,  que  je  fasse   le  prix  ».  L'un  demande  trop,  l'autre  offre  trop 
peu  :  de  concession  en  concession,  ils  finiront  par  s'accorder  et  par  trouver  le 
nombre  d'oignons  ou  la  mesure  de  grain  qui  répond  exactement  à  la  valeur  du 
collier  ou  de  l'éventail.  Plus  loin,  le  client  veut  acquérir  du  parfum  contre 
une  paire  de  sandales  et  vante  son  bien  en  conscience  :  «  Voici,  dit-il,  une 
paire  de  souliers  solides  ».  Mais  le  marchand  ne  songe  pas  à  se  chausser 

1.  Les  scène»  de  bazar  ici  décrites  sont  empruntées  à  une  tombe  de  Saqqarah  (Lkpsics,  Denkm.,  II, 
96).  Signalées  en  1876  à  mon  cours  du  Collège  de  France,  et  reproduites  parmi  les  tableaux  de  mœurs 
égyptiennes  que  Mariette  rassembla  à  l'Exposition  universelle  de  1878  (Mariette,  la  Galerie  de  V Egypte 
ancienne  à  l'Exposition  rétrospective  du  Trocadéro,  p.  41),  je  les  publiai,  vers  le  même  temps,  dans 
la  Gazette  Archéologique ,  1880,  p.  97  sqq.  M.  Chabas  y  avait  reconnu  de  son  côté  des  scènes  de 
bazar  (Recherches  sur  les  Poids,  Mesures  et  Monnaies  des  Anciens  Egyptiens,  p.  15-16),  mais  sans 
en  comprendre  entièrement  le  mouvement  et  la  composition. 

2.  Le  nom  lu  outnou,  ten,  depuis  les  travaux  de  Chabas  doit  se  lire  tabnou  (W.  Spiegelberg,  Die 
Lesung  des  Gewichtes  tabnou,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XV,  p.  145-146).  Les  recherches  de 
M.  Chabas  (Note  sur  un  Poids  égyptien  de  la  collection  de  M.  Harris  a" Alexandrie,  dans  la  Revue 
Archéologique,  1861,  2#  sér.,  t.  111,  p.  12  sqq.;  Détermination  métrique  de  deux  Mesures  égyp- 
tiennes de  capacité,  1857;  Recherches  sur  les  Poids,  Mesures  et  Monnaies  des  Anciens  Égyptiens, 
dans  les  Mémoires  de  V Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  Savants  étrangers,  t.  XXVII)  ont 
établi  que  le  tabnou  avait  un  poids  moyen  variant  entre  91  et  92  grammes;  elles  ont  été  confirmées 
par  les  pesées  de  M.  Flinders  Pétrie,  à  quelques  menues  différences  près. 

3.  On  trouvera  plusieurs  factures  de  ce  genre  traduites  dans  Chabas,  Recherches  sur  les  Poids,  Me- 
sures et  Monnaies  des  Anciens  Égyptiens,  p.  17  sqq.  Elles  sont  toutes  de  la  XX*  dynastie  et  appar- 
tiennent au  British  Muséum  (S.  Birch,  Inscriptions  in  the  Hieratic  and  Demotic  Character,  pi.  XVI, 


S24  LA   CONSTITUTION   POLITIQUE   DE   L'EGYPTE, 

en  ce  moment,  et  réclame  un  rang  de  cauries  pour  ses  petits  pots  :  «  Voici 
qui  est  délicieux  quand  on  en  répand  quelques  gouttes  ».  explique-t-il  d'un 
air  persuasif.  Une  femme  pousse  sous  le  nez  d'un  personnage  accroupi  deux 
jarres  qui  contiennent  probablement  quelque 
onguent  de  sa  façon  :  «  Voici  qui  fleure 
assez  bon  pour  t'afFriander.  »  Derrière  ce 
groupe,  deux  hommes  débattent  les  agré- 
ments relatifs  d'un  bracelet  et  d'un  paquet 
d'hameçons;  une  femme,  coffret  en  main, 
discute  avec  un  marchand  de  colliers;  une 
autre  essaye  d'obtenir  un  rabais  sur  le  prix 
d'un  poisson  qu'on  pare  devant  elle. 
L'échange  contre  métal  nécessite  deux  ou 
trois  opérations  de  plus  que  le  troc  ordi- 
naire. Les  anneaux  ou  les  lamelles  pliées 
qui  représentent  le  tabnou  et  ses  multiples1 
ne  contiennent  pas  toujours  la  quantité  d'or 
ou  d'argent  réglementaire  et  sont  souvent 
trop  légers.  11  faut  les  peser  à  chaque 
transaction  nouvelle  pour  en  estimer  la 
valeur  réelle,  et  les  parties  intéressées  ne 
manquent  guère  si  belle  occasion  de  se  dis- 
puter chaudement  :  quand  elles  ont  bien 
un  quart  d'heure  durant,  que  la  balance  marche  mal,  que  la  pesée  a  été 
faite  négligemment,  qu'on  devrait  la  recommencer,  elles  s'entendent  de  guerre 
lasse,  puis  elles  s'en  vont  à   peu  près  satisfaites  l'une  de  l'autre1.   Il  arrive 

n"  5U33,  5fi3fi|.  La  facture  du  taureau  (S.  Birck,  Intcription»  in  the  HieratU  and  Démolie  VJiararter, 
pi.  XV.  n'  5649)  a  clé  traduite  et  commentée  par  M.  Chabas  dans  ses  Mélimgri  Égyptologiqun, 
3*  lit.,  t.  I,  p.  111  sqq.  La  facture  de  l'ànesse  est  conservée  sur  l'ostracon  6i41  de  Berlin:  elle 
a  été    signalée  par  Emus,  iF.gypttn  und  /Egyplûchet  l.eben  im  Altertum,  p.  S">7-658. 

1.  Les  anneaux  d'or  du  Musée  de  Lcyde  (Lfniis,  Monument»  ÈgyptUut,  t.  Il,  pi.  XLI,  n-  US),  fui 
sont  des  anneaux  d'échange  (Bbahms,  fin»  ^f lin;-  Sfait-  und  Geœiehtiweten  in  Vordcr-Anien,  p  84). 
sont  taillés  sur  le  type  chaldéo-habylonicn  et  appartiennent  au  système  asiatique  (Fa.  Li.wmi.ii,  la 
Monnaie  dam  l'Antiquité,  t.  I,  p.  103-104).  Il  faut  peut-être  eu  conclure  avec  Fr.  I.enormant  {op.  !.. 
p.  ItM-IO.ï)  que  le  seul  type  national  du  métal  d'échange  en  figyple  était  le  fil  ou  la  lamelle  de  cuivre 
repliée  »=■■  ^=,  qui  >crt  toujours  à  écrire  le  nom  du  taOnou  dans  les  hiéroglyphe*. 

ï.  Dettin  de  Fauclter-Gudin,  d'aprèi  un  croquii  de  Rosullisi,  Monumenti  eicili,  pi,  LU.  1.  Sur  la  con- 
struction de  la  balance  égyptienne  et  sur  l'agencement  des  diverses  parties  qui  la  composent,  voir  les 
observations  de  Kl.  Pkihic.  A  Se/won  in  Egypt,  p.  tî,  cl  le»  dessins  qu'il  a  réunis  pi.  XX  du  même  ouvrage. 

3.  La  pesée  des  anneaui  est  souvent  représentée  sur  les  monuments  à  partir  de  la  XVIII'  dviiastie 
(I.epsius,  Denkm.,  III,  10  fl,  30  a,  d,  etc.).  Je  n'en  connais  encore  aucun  exemple  sur  les  bas^rclieff 
de  l'Ancien  Empire.  Les  pesées  fausses  sont  visées  dans  l'article  de  la  Confection  négative,  où  le 
mort  déclare  qu'il  n'a  point  faussé  le  fléau  de  la  balance  (cf.  p.  18!)  de  cette  Ilittoire). 


n 


326  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

parfois  qu'un  individu  trop  intelligent  ou  trop  peu  scrupuleux  falsifie  les 
anneaux  et  mêle  aux  métaux  précieux  autant  de  métal  vil  qu'ils  peuvent  en 
supporter  sans  trahir  la  fraude.  L'honnête  marchand  qui  pense  recevoir  en 
payement  d'un  objet,  disons  huit  tabnou  d'or  fin,  et  à  qui  l'on  passe  habile- 
ment huit  tabnou  d'un  alliage  ayant  les  apparences  de  l'or  mais  contenant  un 
tiers  d'argent,  perd  du  même  coup,  sans  s'en  douter,  presque  un  tiers  de  sa 
marchandise.  La  crainte  du  faux  contribua  longtemps  à  restreindre  l'emploi 
des  tabnou  parmi  le  peuple,  et  maintint  sur  les  marchés  la  vente  et  l'achat  par 
échange  de  produits  naturels  ou  d'objets  fabriqués  à  la  main. 

La  population  rurale  de  l'Egypte  ne  vit  guère  dans  des  fermes  isolées 
et  clair-semées  sur  le  sol  :  elle  se  concentre  presque  entière  dans  des 
hameaux  et  dans  des  villages  assez  étendus,  divisés  en  quartiers  qu'un  espace 
considérable  sépare  quelquefois1.  Il  en  était  de  même  autrefois  et  qui  veut 
se  figurer  un  bourg  ancien  n'a  qu'à  visiter  l'un  quelconque  des  bourgs  moder- 
nes qui  s'échelonnent  le  long  de  la  vallée  :  une  demi-douzaine  de  maisons 
assez  bien  construites,  où  logent  les  gens  les  plus  considérés  de  l'endroit,  un 
amas  de  chaumières  en  briques  ou  en  pisé,  si  basses  qu'un  homme  debout 
y  touche  presque  le  toit  de  sa  tête,  des  cours  encombrées  de  bâtisses  en  terre 
rondes  et  hautes  où  l'on  serre  précieusement  le  blé  et  la  dourah  du  ménage, 
et  partout  des  pigeons,  des  canards,  des  oies,  des  troupeaux  pêle-mêle  avec 
la  famille.  La  plus  grande  partie  des  paysans  étaient  de  condition  inférieure, 
mais  sans  subir  partout  le  même  degré  de  servitude.  Les  esclaves  proprement 
dits  venaient  de  l'étranger  ;  on  les  avait  achetés  aux  marchands  du  dehors, 
ou  ils  avaient  été  saisis  dans  une  razzia  et  avaient  perdu  leur  liberté  par  le 
sort  des  armes*.  Le  maître  les  déplaçait,  les  vendait,  usait  d'eux  à  son  gré,  les 
poursuivait  s'ils  réussissaient  à  s'enfuir,  et  exerçait  le  droit  de  les  reprendre 
partout  où  on  lui  signalait  leur  présence.  Ils  travaillaient  pour  lui  aux  ordres 
de  ses  intendants,  sans  salaire  régulier  et  sans  espoir  de  recouvrer  la  liberté3. 

1.  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  Il,  p.  161,  172. 

2.  La  première  mention  de  ces  prisonniers  de  guerre  ramenés  en  Egypte  se  rencontre  dans  la  biogra- 
phie d'Ouni  (I.  26-27).  La  manière  dont  on  les  répartissait  entre  les  chefs  et  les  soldats  est 
indiquée  dans  plusieurs  inscriptions  du  Nouvel  Empire,  dans  celle  d'Ahmcs  Pennekhabft  (Lepsiits, 
Auswuhl  der  wichtigsten  Urkunden,  pi.  XIV  a,  I.  5,  7,  10;  cf.  Prisse  d'Avennes,  Monuments  de 
l'Egypte,  pi.  IX,  et  surtout  Maspero,  Notes  sur  quelques  points  de  Grammaire  et  d'Histoire,  dans  la 
Zeitschrifl,  1883,  p.  77-78,  où  un  texte  plus  complet  est  donné),  dans  celle  d'Ahmosis  si-Abina 
(Lepsiits,  Denkm.,  111,  12,  où  l'une  des  inscriptions  contient  une  liste  d'esclaves,  quelques-uns  étran- 
gers), dans  celle  d'Amcnemhabi  (Ebers,  Zeit  und  Thaten  Tut  mes  III,  dans  la  Zeitschrifl,  1873,  p.  1-ïi 
et  63  sqq.).  On  peut  juger  du  nombre  d'esclaves  que  l'Egypte  renfermait  par  ce  fait  que  Kamsès  III 
en  donna  113  433  aux  seuls  temples,  pendant  une  trentaine  d'années  (Brugscr,  Die  JZgyptologie . 
p.  264-265,  Erxan,  Mgyplen,  p.  406).  Les  Directeurs  des  esclaves  royaux  occupaient  un  rang  élevé  à 
la  cour  des  Pharaons  de  toutes  les  époques  (Maspero,  Etudes  Égyptiennes,  t.  II,  p.  8,  39. 

3.  Une  scène  reproduite  par  Lepsius  (Denkm.,  Il,  107)  nous  montre,  vers  la  VI*  dynastie,  la  moisson 


LES   VILLAGES,   LES  SERFS   ET   LES  PAYSANS    LIBRES.  337 

Beaucoup  se  choisissaient  des  concubines  de  leur  classe  ou  se  mariaient 
dans  le  pays  et  faisaient  souche  :  au  bout  de  quelques  générations,  leurs  des- 
cendants, assimilés  aux  indigènes,  n'étaient  plus  que  de  véritables  serfs  atta- 
chés à  la  glèbe  et  qu'on  cédait  ou  qu'on  échangeait  avec  elle1.  Les  proprié- 


taires, seigneurs,  rois  ou  dieux,  logeaient  ce  monde  soit  dans  des  dépôts 
attenant  à  leur  résidence1,  soit  dans  des  villages  qu'ils  fondaient  exprès  et 
où  tout  leur  appartenait,  cabanes  et  peuple.  La  condition  des  cultivateurs 
libres  devait  rappeler  par  bien  des  côtés  celle  du  fellah  moderne.  Certains 
ne  possédaient  d'autre  bien  qu'une  cahute  en  boue  juste  assez  large  pour  eux 

faite  pur  les  eiclaiet  royaui.  de  concert  avec  les  triunr iers  du  mort  (Xashio,  Eluda  Égyptienne!, 
t.  Il,  p.  tin).  Un  des  petits  prioces  h»:i.i-  par  l'Ethiopien  Pionkhi  Minitioun  tic  proclame  •  un  dp» 
etclaret  royaux  qui  payent  une  redevance  en  nature  au  trésor  royal  ■  (E.  ra  Hoigê,  la  Stèle  du  rot 
éthiopien  Piûnkhi-Meriamen.  p  81,  I.  S)  Ainlen  parle  à  plusieurs  reprises  d'esclaves  de  ce  genre, 
loutùiu  (M.tspERO,  Etude»  Egyptienne*,  t    II.  p    16H.  I    13,  p.  411,  I.  4). 

I.  (l'est  la  condition  des  serfs,  mirl'c".  dans  les  telles  de  toutes  les  époques.  Ils  sont  énumérés  entre 
les  champs  et  les  bestiaux  dépendant  d'un  temple  ou  duo  seigneur.  Bnmsès  II  concède  au  temple  d'Aby- 
dos  «  un  apanage  en  terres  cultivées,  en  serfs  ^urttiou),  en  bestiaux  ■  (Mikieïtr,  Abydoi,  t.  I. 
pi.  VU,  I.  lt).  Le  scribe  Anna  voit  daos  son  tombeau  .  les  étnbles  des  taureaux,  des  bœufs,  des 
veaux,  des  vaches  nourrices,  ainsi  que  les  serfs  de  la  mainmorte  d'Aman  •  (But,sci,  Recueil  de 
Monument»,  I.  I,  pi.  XXXVI,  t,  I.  l-i).  Ptolcinée  I"  rend  au  temple  de  Boulo  .  tes  domaines,  les 
bourgs,  les  serfs,  les  labours,  les  eaux,  les  bestiaux,  les  oïes,  les  troupeaux,  foutes  les  choses  ■  que 
Xerxès  avait  enlevées  a  Khnbbisha  (M.siirrK,  Monumeutë  direri,  pi.  XIII,  I.  13-11).  L'expression  avait 
passé  dans  la  langue  pour  rendre  l'état  des  peuples  soumis  :  •  Je  Tais,  disait  Thoutmosis  III,  que  l'Egypte 
soit  une  suicraine,  Atrff,  à  qui  toute  la  terre  est  serve,  mirltou  •  (Baitscn,  Dict.  Hier.,  p,  IÎ7Î-U73). 

t.  Datin  de  Boudirr,  d'aprét  une  photographie  de  Béalo,  priée  en  1886. 

3.  Les  ârrttau,  si  souvent  nommés  dans  les  textes,  et  les  pi-habau  servaient  à'ergtutules  cl 
renfermaient,  entre  autres  personnes,  les  esclaves  des' rois  et  des  dieux  (Brucsck,  Dîct.  Hier., 
p.  7*8-761»;  cf.  Maïpiho.  Etudes  Egyptienne;  t.  Il,  p.  Î3-3H,  et  les  Hypogée*  royaux  de  Thebei,  p.  !6). 


328  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE   L'EGYPTE. 

et  pour  leur  femme,  et  s'engageaient  au  jour  ou  à  Tannée  comme  valets  de 
ferme1.  D'autres  s'enhardissaient  à  louer  les  terres  du  seigneur  ou  d'un  soldat 
voisin 4.  Les  plus  heureux  acquéraient  des  domaines  dont  ils  étaient  censés 
n'avoir  que  l'usufruit,  la  propriété  absolue  restant  toujours  entre  les  mains  de 
Pharaon  d'abord,  puis  des  feudataires  laïques  ou  religieux  qui  la  tenaient 
de  Pharaon  :  ils  pouvaient  d'ailleurs  les  léguer,  les  donner,  les  vendre,  en 
acheter  de  nouveaux  sans  opposition3.  Us  payaient,  outre  la  taxe  personnelle, 
un  impôt  foncier  proportionné  à  l'étendue  de  leur  fonds  et  à  la  qualité  des 
terres  qui  le  composaient4.  Ce  n'est  pas  sans  raison  que  l'antiquité  entière 
attribua  l'invention  de  la  géométrie  aux  Égyptiens5.  Les  empiétements  perpé- 
tuels du  Nil  et  ses  déplacements,  la  facilité  avec  laquelle  il  efface  les  marques 
des  champs  et  modifie  en  une  saison  d'été  la  physionomie  d'un  canton  les 
avaient  obligés  de  bonne  heure  à  mesurer  d'une  précision  rigoureuse  le  sol  qui 
les  nourrissait8.  Ils  soumettaient  le  territoire  de  chaque  ville  et  de  chaque 
nome  à  des  opérations  répétées  d'arpentage  qui,  recueillies  et  coordonnées  par 
l'administration  royale,  permettaient  à  Pharaon  de  connaître  exactement  la 
superficie  de  ses  Etats.  L'unité  dont  ils  se  servaient  était  l'aroure,  c'est-à-dire 
un  carré  de  cent  coudées  de  côté  comprenant  en  chiffres  ronds  vingt-huit  ares. 
Un  personnel  considérable  de  scribes  et  d'arpenteurs  s'occupait  sans  cesse  à 
vérifier  ou  à  renouveler  les  mesures  anciennes  et  à  noter  les  changements  sur 
les  registres  de  l'Etat7.  Chaque  propriété  était  limitée  par  une  ligne  de  stèles 

1.  Us  sont  mentionnés  au  Papyrus  Sallier  n°  II,  p.  V,  1.  7-9;  cf.  Maspkro,  le  Genre  Épistolaire,  p.  'M. 

2.  Diodork,  I,  74.  Sur  le  bail  des  terres  royales  ou  autres  à  l'époque  ptolémaïquc,  voir  ce  que  dit 
Li'xbroso,  Recherchée  sur  C Economie  politique  de  V Egypte,  p.  94-95. 

3.  Amten  avait  hérité  un  domaine  de  son  père  (Maspero,  Etudes  Égyptiennes,  t.  II,  p.  238-239).  11 
donna  cinquante  aroures  à  sa  mère  (id.,  p.  228-230)  et  d'autres  terres  à  ses  enfants  (cf.  p.  294  de  cette 
Histoire).  C'est  de  ces  propriétaires  qu'Amoni,  prince  de  Mihit,  parlait  quand  il  disait  que  «  les  maître* 
de  champs  devenaient  maîtres  de  toute  espèce  de  biens  »,  devenaient  riches  grâce  à  sa  bonne  admi- 
nistration (Maspero,  la  Grande  Inscription  de  Beni-Hassan,  dans  le  Recueil,  t.  I,  p.  174). 

4.  La  capitation,  l'impôt  foncier,  l'impôt  sur  les  maisons  du  temps  des  P toi é niées,  existaient  déjà 
sous  les  Pharaons  indigènes.  Brugsch  (Die  Mgyptoloyie,  p.  297-299)  a  montré  que  ces  taxes  sont 
mentionnées  dans  une  inscription  du  temps  d'Amenôthès  111  (Mariette,  Karnak,  pi.  XXXVII,  1.  3i). 

5.  Hérodote,  II,  cix  ;  d'après  Platon  (Phèdre,  §  MX,  éd.  Didot,  t.  I,  p.  733),  Thot  aurait  été  l'inventeur  de 
la  géométrie;  Jambliqi  k  (Vie  de  Pythagore,  §  29)  fait  remonter  la  découverte  au  temps  des  dieux. 

6.  Skrvits,  Ad  Virgilii  Eclog.  III,  41  :  «  inventa  enim  ha?c  ars  est  te  m  porc  quo  Nilus.  plus  spquo 
crescens,  confudit  terminos  possessionum,  ad  quos  imiovandos  adhibiti  sunt  philosophi,  qui  lineis 
diviserunt  agros  :  inde  geometria  dicitur  ». 

7.  Une  série  d'inscriptions  d'Edfou,  publiée  et  interprétée  par  Lepsius  (Ueber  eine  hieroglyphische 
Inschrift  a  m  Tcmpel  von  Edfu,  Apollinopolis  Magna,  in  welcher  der  Besitz  dièses  Tempels  an  Lânder- 
cien  unter  der  Regicrung  Ptolem&us  VI  Alcxander  I  verzeichnet  ist,  dans  les  Mémoires  de  l'Académie 
des  Sciences  de  Berlin,  18.'»;),  p.  69  sqq.)  et  récemment  par  Brugsch  (Thésaurus  Inscriptionum  &gyplia- 
carum,  III,  p.  ;>31-C07),  nous  montre  ce  que  devaient  être  ces  registres  du  cadastre.  On  trou\era  quel- 
ques renseignements  sur  l'organisation  du  service  et  sur  le  personnel  dans  le  Thésaurus  de  Brugsch 
p.  592  sqq..  On  voit  par  les  termes  mêmes  de  la  grande  inscription  de  Bcni-Hassan  (I.  13-58,  131-148) 
que  le  cadastre  existait  dès  la  plus  haute  antiquité  :  on  s'y  réfère  à  des  opérations  antérieures.  On 
trouve  une  scène  d'arpentage  au  tombeau  de  Zosirkcrlsonbou  à  Thèbes,  sous  la  XVIIIe  dynastie.  Deux 
personnages  mesurent  un  champ  de  blé  au  mo\cn  d'une  corde;  un  troisième  enregistre  le  résultat  du 
travail  (Scheil,  le  Tombeau  de  Baserkasenb,  dans  les  Mémoires  de  la  Mission  Française,  t.  V). 


LES  DOMAINES  RURAUX.    LE  CADASTRE.  329 

qui  portaient  souvent  le  nom  du  possesseur  actuel  et  la  date  du  dernier  bor- 
nage1. Sitôt  constituée,  elle  recevait  un  nom  qui  faisait 
d'elle  comme  une  personne  vivante  et  îndépci 
liante'.  Il  marquait  parfois  la  nature  du  sol, 
sa  situation  ou  quelqu'un  des  accidents  qui  le 
rendaient  remarquable,  le  Lac  du  Sud3,  le 
Pré  Oriental1,  Vile  Verte1,  la  Mare  aux  Pê- 
cheur»*, la  Saussaie,  le  Vignoble1,  la  Treille*, 
le  Sycomore';  souvent  aussi  il  rappelait  le 
premier  maître  ou  le  Pharaon  sous  lequel 
il  avait  été  créé,  la  Nourrice-Phtalthotpou" ', 
la  Verdure-Khéops'\  le  Pré-Didifri",  VAbon- 
dance-Sahouri  ",  Khâfrî-  Grand  •  parmi  -les  - 
Doubles".  Une  fois  donné,  il  persistait  durant 
des  siècles,  sans  que  ni  les  ventes,  ni  les 
partages,  ni  les  révolutions,  ni  les  change- 
ments de  dynasties  pussent  le  faire  oublier'". 

Le  service  du  cadastre  l'inscrivait  sur  ses  livres  w 

en  même  temps  que  le  nom  du  propriétaire,  celui 
des    propriétaires  limitrophes,    la   contenance   et  la  nature  du  terroir.   On 

1.  La  gronde  inscription  de  Béni-Hassan  nous  parle  des  slèlos  qui  bornaient  la  principauté  de  la 
Gazelle  au  Nord  et  au  Sud  (I.  Î1-Ï4,  31-3»,  47-49)  et  de  celles  qui  jalonnaient  dans  la  plaine  la  limite  sep- 
tentrionale du  nome  du  Chacal  (I,  139);  noua  eu  possédons  trois  encore  au  moyen  desquelles  Amend- 
thès  IV  indiqua  les  points  estremea  Mu  territoire  de  sa  ville  nouvelle  Khoulniaton  (Prisse  d'Avesbbs, 
Monument!  de  f  Egypte,  pi.  XIII-XV;  Lepsius,  Detikm.,  III,  91  a,  119  b;  Darebsv,  Tombeaux  et  ttèlet- 
timilei  de  Hagi-Kandil,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XV,  p.  36-6!).  Outre  la  stèle  ri-dessus,  on  eu  con- 
naît deux  de  la  XII'  dynastie  qui  limitaient  une  propriété  particulière,  et  qui  sont  reproduites  l'une 
à  la  planche  106,  l'autre  dans  le  7>-rt«des  Monuments  divers,  p.  30,  puis  celle  de  Bouhani  sous  Thout- 
inosis  IV  (Csu».  Sleits  front   Wadg  Hatfa,  dans  les  Proceedings,  t.  XVI,  1803-1894,  p.  18-19). 

1.  Pour  la  constitution  de  ces  domaines,  voir  Masmro,  Sur  le  sens  des  mott  Nouil  et  Huit,  p.  i  nqq. 
(extrait  des  Proceedingt  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  1889-1801),  t.  XII,  p.  Î3ti  sqq). 

3.  Mariette,  let  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  311,  sous  Ousirkaf,  au  tombeau  de  Sannouénkhou. 

4.  Mariette,  la  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  300,  sous  Sahourl,  au  tombeau  de  Pirsenou. 

5.  Mariette,  tes  Mastabas  de  F  Ancien  Empire,  p.  474,  sous  Ousirkaf,  au  tombeau  de  Sannouonkhou. 
0.  Mariette,  les  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  .117,  au    tombeau  de  Noflrm&It  à  Méldoum,   bous 

Snofroui,  vers  la  lin  de  la  III*  et  vers  le  commencement  de  la  IV*  dynastie  Memphile. 

7.  Mariette,  les  Mattabat  de  f  Ancien  Empire,  p.  181,  186,  aux  tombeaux  de  Kamrt  el  de  Khonou. 

8.  Lapsus,  Denkm.,  Il,  61,  au  lombeau  de  Shopsisourt. 

9.  I.epsil'h,  Denkm.,  II,  46,  47  ;  Mariette,  les  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  186.  Î76,  3Ï5. 

10.  Mariette,  tes  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  353,  sous  Assi,  au  lombeau  de  Ptahholpou, 

11.  Lifsiis,  Denkm-,  II,  43,  sous  Khéphrén,  au  tombeau  de  Sait  h  lia  boui  bol  pou. 

lî.   Mariette,  les  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  300,  sous  Sahourl,  dans  le  lombeau  de  Tirscnou. 

13.  I.e-sius,  Denkm.,  II,  80;  Mariette,  les  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  306. 

14.  Lepsius,  Denkm.,  Il,  11,  au  tombeau  de  Niboumkhoult  sous  Khéphrén. 

15.  *a"es<i,  Sur  le  sens  des  mott  Nouttet  Hâtt,  p.  ll-lâ  (dans  les  Proceedingt  delà  Société  d'Archco- 
loeie  Biblique  de  Londres,  1.  XII,  1889-1890,  p.  S46-Ï47),  d'où  cetle  nomenclature  est  tirée. 

16.  Destin  de  Faucher-Gudin,  d'après  la  photographie  de  Mariette,  Monument!  divert,  pi.  47  a.  La 
stèle  marquait  la  limite  du  domaine  donné  à  un  prêtre  d'Amon-Thébain  par  le  Pharaon  ThoutmosislV 
de  la  XVIII*  dynastie  :  l'original  est  déposé  aujourd'hui  au  Musée  de  Giich. 

41 


330  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

notait,  à  quelques  coudées  près,  ce  qu'il  renfermait  de  sables,  de  marais  ou 
d'étangs,  de  canaux,  de  bouquets  de  palmiers,  de  jardins  ou  de  vergers,  de 
vignobles,  de  terre  à  blé1.  Celle-ci  à  son  tour  se  partageait  en  plusieurs 
classes,  selon  qu'elle  était  inondée  régulièrement  ou  qu'elle  était  placée 
au-dessus  des  plus  hautes  eaux,  partant  soumise  à  un  régime  plus  ou  moins 
coûteux  d'irrigation  artificielle.  C'étaient  autant  de  données  dont  les  scribes  se 
prévalaient  pour  asseoir  solidement  l'impôt  foncier. 

Tout  porte  à  croire  qu'il  représentait  la  dîme  du  produit  brut,  mais  celui-ci 
ne  restait  pas  constant1.  Il  dépendait  de  la  crue  annuelle  et  en  suivait  le  mou- 
vement avec  une  fidélité  presque  mathématique  :  trop  d'eau  ou  pas  assez, 
il  diminuait  aussitôt  et  pouvait  même  se  réduire  à  rien  dans  les  cas  extrêmes. 
Le  roi  dans  sa  capitale,  les  seigneurs  dans  leurs  fiefs  avaient  établi  des  nilo- 
mètres  où,  pendant  les  semaines  critiques,  on  relevait  chaque  jour  la  hauteur 
du  flot  montant  ou  descendant.  Des  messagers  en  répandaient  la  nouvelle 
par  le  pays  :  le  peuple,  instruit  régulièrement  de  ce  qui  se  passait,  savait 
bientôt  à  quoi  s'en  tenir  sur  les  chances  de  l'année  et  pouvait  calculer  ce  qu'il 
aurait  à  payer,  à  peu  de  chose  près8.  En  théorie,  la  perception  de  l'impôt  s'éta- 
blissait sur  la  quantité  réelle  de  terres  couvertes,  et  le  rendement  en  variait  sans 
cesse.  Dans  la  pratique,  on  prenait  pour  le  régler  la  moyenne  des  années  précé- 
dentes et  l'on  en  déduisait  un  chiffre  fixe  dont  on  ne  s'écartait  que  dans  des 
circonstances  extraordinaires*.  Il  fallait  que  l'année  fût  bien  mauvaise  pour 
qu'on  se  décidât  à  baisser  la  cote  :  l'État  ancien  ne  répugnait  pas  moins  que 
l'État  moderne  à  retrancher  quoi  que  ce  fût  de  sa  fortune5.  Le  payement  était 
exigible  en  blé,  en  dourah,  en  fèves,  en  productions  des  champs,  qu'on  entas- 

1.  Voir  dans  la  grande  inscription  de  Béni-Hassan  le  passage  où  sont  cnumérées  tout  au  long,  comme 
dans  une  pièce  juridique,  les  parties  constitutives  de  la  principauté  de  la  Gazelle,  •  ses  eaui,  ses 
champs,  ses  arbres,  ses  sables,  du  fleuve  à  la  montagne  de  l'Ouest  »  (1.  46-53). 

2.  L'impôt  du  dixième  est  indiqué  sur  l'inscription  de  Philae  (Lepsius,  Deiikm.,  IV,  £7  b)  pour 
l'époque  des  Ptolémées  (Brugscr,  Die  AZgyptologie,  p.  266-267),  et  tout  semble  prouver  qu'il  existait 
déjà  sous  les  plus  anciens  Pharaons  (Lumbroso,  Recherches  sur  V Économie  politique,  p.  288  sqq.). 

3.  Diodork  de  Sicile,  I,  36;  Strabox,  l.  XVII,  p.  817,  qui  cite  les  deux  nilomètres  de  Memphis  et 
d'Éléphantinc  ;  Héliopore,  Mthiopica,  1.  IX,  parle  du  nilomètre  qui  avait  été  décrit  par  Strabon,  mais 
qu'il  place  à  Syène.  Sur  les  nilomètres,  cf.  Girard,  Mémoire  sur  le  Nilomètre  de  tile  (V  Eléphant  ine  et 
les  Mesures  égyptiennes  (dans  la  Description  de  l'Egypte,  t.  II,  p.  1-96),  et  Marcel,  Mémoire  sur  le 
Meqyas  de  Vile  de  lioudah  (dans  la  Description  de  l'Egypte,  t.  XIV,  p.  1-135,  387-582).  Chaque 
temple  avait  son  puits  qui  lui  tenait  lieu  de  nilomètre  ;  le  puits  du  temple  d'Edfou  servait  à  cet  usage. 

4.  Le  fait  nous  est  connu  pour  l'époque  romaine  par  un  passage  de  l'édit  de  Tibère  Alexandre 
(1.  55-56).  La  pratique  en  était  si  naturelle  que  je  n'hésite  pas  à  la  faire  remonter  jusqu'au  temps  de 
l'Ancien  Empire:  sans  cesse  condamnée,  comme  étant  de  mauvaise  administration,  elle  devait  renaître 
sans  cesse.  A  Béni-Hassan,  le  noraarque  Amoni  se  vante  (1.  21),  •  lorsqu'il  y  avait  eu  des  Nils  abon- 
dants et  que  les  propriétaires  de  blé  et  d'orge  s'enrichissaient,  de  ne  pas  avoir  augmente  les  cotes  de 
contribution  du  sol  »,  ce  qui  semble  bien  prouver  que,  pour  son  compte,  il  avait  attribué  à  la  taxe 
sur  les  terres  un  chiffre  fixe  qui  devait  répondre  à  la  moyenne  des  années  bonnes  ou  mauvaises. 

5.  Les  deux  décrets  de  Rosette  (I.  12-13,  28-29)  et  de  Canope  (1.  13-17)  font  pourtant  mention  de 
remises  accordées  par  les  rois  Ptolémées  à  la  suite  d'une  crue  insuffisante  du  Nil. 


L'IMPOT  SIR  LA  TERRE  ET  SUR  LES  CULTIVATEURS.  331 

sait  dans  les  entrepôts  du  canton'.  H  semble  qu'un  prélèvement  du  dixième 
ne  grevât  pas  trop  lourdement  l'ensemble  de  la  récolte  et  que  le  plus  misé- 
rable fellah  dut  être  en  position  de  se  libérer  sans  gêne.  Il  n'en  était  rien  pour- 
tant, et  les  mêmes  écrivains  qui  nous  ont  tracé  un  tableau  lamentable  de  l'ou- 
vrier des  villes  et  de  sa  condition,  nous  peignent  de  couleurs  plus  sombres 
encore  les  maux  qui  accablaient  le  campagnard.  «  Ne  te  rappelles-tu  pas  le 
portrait  du  fermier,  quand  on  lève  la  dîme  des  grains?  Les  vers  ont  emporté 


moitié  du  blé,  et  les  hippopotames  ont  mangé  le  surplus,  il  y  a  force  rats  aux 
champs,  les  sauterelles  s'y  abattent,  les  bestiaux  dévorent,  les  oisillons  pillent, 
et,  si  le  fermier  perd  un  moment  de  vue  le  reste  qui  est  sur  le  sol,  les  voleurs 
l'achèvent8;  cependant  les  attaches  qui  maintiennent  le  fer  et  la  houe  sont 
usées,  et  l'attelage  est  mort  à  tirer  la  charrue.  C'est  alors  que  le  scribe  débar- 
que au  port  pour  lever  la  dîme,  et  voilà  les  gardiens  des  portes  du  grenier 
avec  des  gourdins  et  les  nègres  avec  des  nervures  de  palmier  qui  vont  criant  : 
«  Ça,  le  blé!  »  II  n'y  en  a  point,  et  ils  jettent  le  cultivateur  à  terre  tout  de  son 
long;  lié,  trainé  au  canal,  ils  l'y  ruent  la  tète  la  première*,  et  sa  femme  est  liée 

1.  I." inscription  de  Rosette  nous  montre  l'impôt  payé  on  blé,  en  toile  ou  en  ïin  (I.  Il,  U-J5,  28-31), 
même  au  temps  ries  Ptolémées,  quand  l'usage  de  la  monnaie  s'était  répandu  en  P.Kjple.  Voir  dalla 
Wilcken  [Die  tlrittchitchtn  Ostraka,  dans  les  lahrbuch  dei  t'ereini  von  AlterlumifTeunde  in  Rheîn- 
land,  t.  I.XXXVI,  p.  J40-445)  ries  quittances  d'époque  romaine,  où  l'impôt  est  payé  en  blé  et  en  orge. 

t.  Dettin  de  Faucher-Gudin,  itaprèi  un  tableau  de  Heni-Haitan  (cf.  Cmàhtolliob,  Monumenlr, 
pl.CCCXC,.l-CCCXCI,l;RosiaLm,jhVtn«mri[(iriei'ff,  pi.  CXXIV,*).  Ce  tableau  et  les  suivants  représentent 
un  recensement  dans  la  principauté  de  la  Gazelle,  aaus  la  XII'  dynastie,  aussi  bien  qu'une  levée  d'impût. 

3.  Le  trait  de  mœurs  signalé  ici  s'est  perpétue  jusqu'à  non  jours.  Pendant  toute  une  partie  de 
l'année,  les  fellahs  vont  passer  la  nuit  dans  leurs  champs;  «'ils  n'y  veillaient  point,  les  voisins  n'hési- 
teraient pas  à  venir  couper  leurs  blés  avant  la  récolle  ou  arracher  leurs  légumes  encore  verts, 

4.  Le  même  genre  de  torture  est  signalé  dans  le  décret  d'Ilarmhabi  (Recueil  de  Travaux,  I,  VI. 
p.  44,  I.  46)  où  l'on  représente  les  soldats  indisciplinés,  ■  courant  do  maison  en  maison,  distribuant 
les  coups  de  bâton,  plongeant  les  fellahs  dans  l'eau  ta  tète  en  bas,  et  ne  leur  laissant  point  la  peau 
intacte  »  (fisrflsci.  Die  Aïgyptatogie ,  p.  87).  C'est  un  procédé  qui  était  récemment  encore  employé  en 
Egypte  pour  arracher  de  l'argent  aux  contribuables  que  les  coups  de  bâton  laissaient  insensibles. 


332  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

avec  lui,  ses  enfants  sont  enchaînés;  cependant  les  voisins  le  laissent  et 
s'enfuient  pour  sauver  leur  grain1.  »  On  serait  tenté  de  déclarer  que  l'esquisse 
est  poussée  trop  au  noir  pour  être  juste,  si  l'on  ne  savait  d'ailleurs  les  façons 
très  brutales  de  remplir  les  caisses  que  l'Egypte  a  conservées  jusqu'à  nos 
jours'.  Gomme  à  la  ville,  le  bâton  facilitait  les  opérations  du  fisc  dans  les 
campagnes  :  il  ouvrait  tôt  les  greniers  du  riche,  révélait  aux  pauvres  des  res- 
s  qu'ils  ne  se  connaissaient  pas,  et  ceux-là  seuls  ne  lui  cédaient  point  qui 


vraiment  n'avaient  rien  à  donner.  Les  insolvables  n'en  étaient  pas  quittes  pour 
avoir  été  assommés  plus  qu'à  moitié  :  la  prison  les  réclamait  eux  et  leur 
famille,  et  ils  soldaient  en  travaux  forcés  le  compte  qu'ils  n'avaient  point  pavé 
en  denrées  courantes*.  La  perception  se  terminait  d'ordinaire  par  une  revision 
rapide  du  cadastre.  Le  scribe  constatait  une  fois  de  plus  les  dimensions  et  les 
qualités  des  domaines  afin  de  déterminer  à  nouveau  la  quotité  de  l'impôt  dont 
ils  seraient  chargés.  11  arrivait  souvent  en  effet  qu'un  caprice  du  ?iil  ensevelissait 
sous  une  couche  de  gravier  ou  transformait  en  marais  un  terrain  fertile  encore 
l'année  précédente.  Les  propriétaires  maltraités  de  la  sorte  étaient  régulièrement 
dégrevés  d'autant  ;  quant  aux  fermiers,  on  ne  diminuait  point  leurs  impositions, 
mais  on  leur  attribuait  sur  le  domaine  royal  ou  seigneurial  une  étendue  égale 
à  ce  qu'ils  avaient  perdu  et  l'on  reconstituait  leur  bien  dans  son  intégrité1. 

I.  Papyrui  Saltiern'  I,  pi.  VI,  I.  î-S,  Papyrm  Ana'tati  Y.  pi.  XV.  I.  H,  XVI],  1.  t;  tî.  Cm»«is- 
Chims,  Sur  le»  Papyrut  kifiatigua  (f  article},  p.  HM!);  Mist>kbo,  Du  Genre  Kpi'Maire  chez  les 
Anrieiii  Egyptien;  p.  3K-1H  ;  Kfum.  ATgypten.  p.  r.UO-n»)  ;  BurcscH,  Die.  Mgyploloyw.  p.  H«. 

S.  Voirie  tableau  fidèle,  malgré*on  apparence  romanesque,  que  trace  d'une  perception  d'impôts  en 
Crypte,  il  y  a  quarante  ans.  sous  Abbas-Pachn,  CKABLEs-Knaofin,  Zéphyrin  Cniavan  en  Egypte,  p.  395  sqq. 

3.  Druin  de  Faucher-Gudin,  iCaprèi  un  tableau  du  lambeau  de  Khitl  à  Beni-Uattan  (cf.  Caa»M- 
Lire..  ifanument*  de  l'Egypte,  pi.  CtCXt,  i;  ItOMlLWI,  .Monument'  cieili,  pi.  CXX1V,  »). 

t.  Cela  résulte  du  passade  du  Papyrus  Sallirr  n*  /,  cité  plus  haut,  où  l'on  voit  le  contribuable  lié. 
traîné  au  nettoyage  de»  canau*.  et  sa  famille  entière  enchaînée  avec  lui,  femmes  et  enfants. 

S.  Hêkopois,  11,  tu,  qui  attribue  l'organisation  de  ce  régime  à  l'inévitable  Sésoalris  de  la  légende. 


LA  BASTONNADE.  333 

Ce  que  la  collecte  de  l'impôt  avait  commencé,  les  corvées  l'achevaient 
presque  toujours.  Pour  nombreux  que  fussent  les  esclaves  royaux  et  seigneu- 
riaux, ils  n'auraient  pas  suffi  à  mettre  en  rapport  toutes  les  terres  domaniales, 
et  une  partie  de  l'Egypte  serait  restée  en  jachère  perpétuelle,  si  on  ne  leur 
avait  adjoint  des  auxiliaires  de  condition  libre.  On  la  divisait  en  portions  de 
dimensions  égales  qu'on  distribuait  entre  les  habitants  des  bourgs  voisins  par 
les  soins  d'un  Régent  nommé  à  cet  effet'.  On  dispensait  du  service  agricole  les 


indigents,  les  soldats  au  corps  et  leur  famille,  certains  employés  des  administra- 
tions publiques,  les  domestiques  des  temples';  les  autres  campagnards  y 
étaient  assujettis  sans  exception,  et  on  leur  adjugeait  une  ou  plusieurs  par- 
celles, chacun  selon  ses  forces*.  Des  ordres  lancés  à  époque  fixe  les  convoquaient 
eux,  leurs  gens,  leurs  bêtes  de  somme,  pour  labourer,  pour  semer,  pour  mon- 
ter la  garde  dans  les  champs  tant  que  la  moisson  était  encore  sur  pied,  pour 
faire  et  pour  rentrer  la  récolte,  le  tout  à  leurs  frais  et  au  détriment  de  leurs 
propres  intérêts5.  On  leur  réservait  en  guise  d'indemnité  un  petit  nombre  de 

1.  Ces  lots  sont  le»  twwlT  mentionnés  si  souvent  dans  les  textes,  et  les  gens  qui  étaient  réquisition- 
nés pour  les  mettre  en  valeur  surit  les  AHodrior,  nom  qui  s'applique  par  extension  aux  fermiers  non 
propriétaires.  Les  régent*  —  rnoor  ahoi'Itioc  —  sont  fréquemment  cités  sur  les  monuments  du  l'An- 
cien Empire,  ut  Amton,  dont  j'ai  raconté  l'histoire  (cf.  p.  ÏK0-Î9&  de  cette  HMoire),  Tut  régent  ou, 
pour  parler  le  langage  à  peu  près  équivalent  de  1'Kgypte  arabe,  tnoutteitm,  de  terres  royales  cul- 
tivées par  la  corvée  (Msspp.ro,  Étude*  Égyptienne»,  I.  II.  p.  173-177). 

i.  Denin  de  Faucher-Gudin,  d'âpre»  un  tableau  du  tombeau  de  Khiti  à  Beni-llaman  (cf.  Chahkil- 
Mo*,  Monument»  de  [Egypte,  pi.  CIXXC,  i;  HosEmii,  Monumcnli  avili,  pi.  CXXIV,  »-»). 

3.  Que  les  scribes,  c'est-à-dire  tes  employés  de  l'administration  royale  nu  princière,  fussent  exempts 
de  la  eorvéo,  c'est  ce  qui  ressort  de  l'opposition  que  les  épistolîcrs  des  Papyrut  Saltîer  et  Anailaii 
instituent  entre  eux  et  les  paysans  nu  les  gens  des  autres  métiers  qui  y  étaient  soumis.  La  circulaire 
de  Horion  nous  Tait  connaître  les  catégories  de  soldats  exemptées  temporaire  ment  ou  à  tout  jamais 
tout  les  rois  grecs  (Luxnnoso,  Del  Papiro  Greco  LXIII  del  Louert  tulla  Seminatyira  délie  terre  régie 
in   Egittu,  p.  10  sqq.  Extrait  des  Atti  de  l'Académie  des  Sciences  de  Turin,  t.  V,  18B11), 

i.  Plusieurs  fragments  des  papyrus  de  Turin  renferment  des  mémorandum*  de  corvées  exécutées 
pour  les  temples,  et  des  séries  de  gens  soumis  à  ce*  corvées,  i'.ne  liste  très  complète  se  trouve  dans  un 
Papyrus  de  la  XX*  dynastie,  traduit  par  Cn«»*s,  Mélange»  Égyptologique»,  3*  sér.,  t.  Il,  p,  131-137. 

5,  Tous  ces  détails  sont  réglés  à  l'époque  ptolcmafque  dam  la  lettre  à  Horion,   laquelle  se  réfère  à 


334  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

lots  qu'on  laissait  incultes  à  leur  intention1  :  ils  y  envoyaient  leurs  troupeaux 
au  retrait  de  l'inondation,  car  les  pâturages  y  étaient  si  gras  que  les  brebis  y 
rendaient  double  portée  et  double  tonte*.  C'était  encore  une  apparence  de 
salaire  :  la  corvée  d'irrigation  ne  leur  apportait  aucune  compensation.  Les 
digues  qui  séparent  les  bassins,  les  canaux  de  distribution  et  d'arrosage  qui  les 
sillonnent  exigent  un  entretien  perpétuel  :  il  faut  chaque  année  consolider  les 
uns,  creuser  et  nettoyer  les  autres.  Les  hommes  qu'on  y  emploie  passent  par- 
fois des  journées  entières  les  pieds  dans  l'eau,  ramassant  la  boue  à  deux 
mains  pour  en  emplir  des  couffes  de  feuilles  tressées  que  les  garçons  et  les 
fillettes  enlèvent  sur  la  tête  et  emportent  au  sommet  de  la  berge  :  la  matière 
à  demi  liquide  filtre  à  travers  le  tissu  du  panier,  se  répand  sur  leur  visage  et 
couvre  promptement  leur  corps  d'un  enduit  noir  et  luisant,  horrible  à  voir.  Les 
shéîkhs  président,  activent  le  curage  à  force  injures  et  coups  de  bâton*  :  quand  les 
équipes  ont  peiné  tout  le  jour,  sans  interruption  qu'une  sieste  de  deux  heures 
vers  le  midi  pour  manger  une  maigre  pitance,  les  malheureux  qui  les  compo- 
sent couchent  sur  place,  en  plein  air,  serrés  les  uns  contre  les  autres  et  mal 
défendus  par  leurs  haillons  contre  la  froideur  des  nuits.  La  tâche  était  si  rude 
qu'on  y  condamnait  les  malfaiteurs,  les  insolvables,  les  prisonniers  de  guerre; 
elle  usait  tant  de  bras  que  les  paysans  libres  n'y  échappaient  presque  jamais4. 
Rentrés  chez  eux,  ils  étaient  quittes  jusqu'à  l'année  prochaine  des  corvées 
périodiques  et  fondamentales,  mais  plus  d'une  corvée  irrégulière  venait  les 
surprendre  au  milieu  de  leurs  travaux  et  les  forçait  à  tout  abandonner  pour 
courir  aux  affaires  du  seigneur  ou  du  roi.  Voulait-on  bâtir  une  chambre  nou- 
velle au  temple  de  la  localité,  manquait-on  de  matériaux  afin  de  consolider  ou 
de  refaire  un  pan  de  mur  miné  par  les  eaux,  ordre  aux  ingénieurs  d'aller 
chercher  une  quantité  déterminée  de  calcaire  ou  de  grès,  ordre  aux  paysans  de 
s'assembler  dans  la  carrière  la  plus  voisine,  d'en  extraire  les  blocs,  au  besoin 

un  édit  royal.  Ainsi  que  M.  Lumbroso  l'a  fort  bien  dit  (op.  /.,  p.  4  sqq.,  et  Recherches  sur  f  Économie 
politique,  p.  75  sqq.),  les  Ptolémées  ne  faisaient  que  suivre  exactement  les  errements  de  l'ancienne 
administration  indigène.  On  trouve  en  effet  des  allusions  fréquentes  à  la  corvée  des  hommes  et  des 
bétes  dans  les  inscriptions  du  Moyen  Empire,  à  Béni-Hassan  ou  à  Siout;  beaucoup  de  tableaux  des 
tombes  Memphites  montrent  la  corvée  en  œuvre  dans  les  champs  des  grands  propriétaires  ou  du  roi. 
i.  Papyrus  B  du  Louvre,  1.  170-172,  où  je  suis  l'explication  du  passage  proposée  par  M.  Lumbroso 
[llpapiro  LXlll  del  Louvre,  p.  18  a,  et  Recherches  sur  l'Économie  politique,  p.  93). 

2.  DionoRe  de  Sicile,  I,  36. 

3.  Les  corvées  de  l'époque  ptolémaïque  étaient  dirigées  par  les  vieillards,  ol  itpe<x6ÛTEpot  (Papyrus 
66  du  Louvre,  I.  21),  c'est-à-dire  par  des  shéîkhs,  et  par  les  roudouou,  c'est-à-dire  par  les  nazi»',  ainsi 
que  par  les  àa  asiliou  ou  réis  des  travaux  (Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  H,  p.  4i-45).  Les  chaauiche* 
de  nos  jours  sont  les  rabdophores  ou  rhabdistes  de  l'époque  grecque  [Papyrus  66  du  Louvre,  I.  li»; 
Schow,  Charta  papyracea,  §  4,  1.  11-12),  chargés  de  stimuler  les  ouvriers  à  coups  de  bâton. 

4.  Dans  le  papyrus  publié  par  Schow,  on  remarque,  à  coté  d'esclaves,  des  paysans (I.  7,1. 15.  f  1,1. 18% 
des  bouviers  et  des  bergers  (3,  I.  16,  5,  1.  1-2),  des  âniers  (2,  I.  16)  et  des  ouvriers  de  divers  métiers, 
potiers  (6, 1.  21-22),  fabricants  de  nattes  (11,  I.  8),  foulons  (7, 1.  26),  maçons  (10,  I.  4),  barbiers  (3. 1.  26). 


M 


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I 


336  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

de  les  embarquer  et  de  les  convoyer  à  destination1.  Ou  bien  le  prince  s'était 
fait  tailler  une  statue  gigantesque  et  réquisitionnait  quelques  centaines 
d'hommes  qui  la  halaient  jusqu'à  l'endroit  où  il  désirait  la  dresser*.  L'opéra- 
tion se  terminait  par  une  fête,  sans  doute  aussi  par  une  distribution  de  vivres 
et  de  liqueurs  :  les  pauvres  diables  qu'on  avait  ramassés  afin  de  l'exécuter 
ne  devaient  pas  trouver  toujours  qu'une  journée  d'ivresse  et  de  réjouissances 
les  payât  suffisamment  du  temps  précieux  qu'ils  avaient  perdu. 

Toutes  ces  corvées  étaient-elles  également  légitimes?  Certaines  ne  l'eus- 
sent pas  été  que  le  paysan  sur  lequel  elles  tombaient  n'aurait  trouvé  aucun 
moyen  de  s'en  défendre  ou  d'exiger  une  réparation  judiciaire  pour  le  dom- 
mage qu'elles  lui  causaient.  La  justice,  en  Egypte  et  dans  tout  le  monde 
oriental,  émane  nécessairement  de  l'autorité  politique,  et  n'est  qu'une  bran- 
che de  l'administration  confondue  avec  les  autres  dans  les  mains  du  maître  et 
de  ses  délégués5.  Il  n'y  avait  nulle  part  des  magistrats  de  carrière,  des  hom- 
mes élevés  à  l'étude  des  lois  et  chargés  d'en  assurer  l'observance  en  dehors 
de  tout  autre  métier,  mais  les  mêmes  qui  commandaient  les  armées,  qui 
offraient  les  sacrifices,  qui  répartissaient  et  encaissaient  l'impôt,  examinaient 
les  procès  des  simples  citoyens  ou  tranchaient  les  différends  qui  s'élevaient 
entre  ceux-ci  et  les  représentants  du  seigneur  ou  de  Pharaon.  Dans  chaque 
ville  et  dans  chaque  village,  tous  ceux  qui  exerçaient  par  naissance  ou  par 
faveur  le  droit  de  gouverner  étaient  investis  par  le  fait  du  droit  de  juger.  Ils 
siégeaient  un  certain  nombre  de  jours  dans  le  mois,  à  la  porte  de  la  ville  ou  de 
l'édifice  qui  leur  servait  de  résidence,  et  quiconque  dans  le  pays  ou  dans  la 
localité  possédait  un  titre,  un  emploi,  une  fortune,  le  haut  sacerdoce  des 
temples,  les  scribes  gradés  ou  vieillis  dans  les  affaires,  les  commandants  de 
la  milice  et  de  la  gendarmerie,  les  chefs  de  quartiers  ou  de  corporations,  les 
qonbîtiou,  les  gens  de  l'angle,  pouvaient  prendre  place  à  côté  d'eux,  si  bon  leur 
semblait,  et  expédier  avec  eux  les  affaires  courantes*.  La  police  était  faite  le 

1.  C'est  ainsi  que  procède  le  roi  Smcndcs  de  la  XXI*  dynastie  pour  faire  reconstruire  promptement 
et  à  peu  de  frais  une  portion  du  temple  de  Karnak,  minée  par  les  eaux  et  menaçant  ruine  (G.  Daressi. 
les  Carrières  de  Géhéléin  et  te  roi  Smendès,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  X,  p.  133-138,  et  Maspeio, 
A  Stèle  ofKing  Smendes,  dans  les  Records  of  the  Past,  2"a  Séries,  t.  V,  p.  17-24). 

2.  Ainsi  dans  le  tombeau  de  Thothotpou  à  Bcrshéh  (Wilkinson,  A  Popular  Account  of  the  Ancieul 
Egyptians,  1854,  frontispice  du  t.  II,  et  dans  G.  Rawlinson,  Herodotus,  t.  II,  p.  151  ;  Lepsigs,  Denkm., 
II,  pi.  CXXXIV,  cf.  Chabas,  Mélanges  Égyplologiques,  III* série,  t.  II,  p.  103-119;  Maspero,  Etudes  de 
Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  55-61;  Brugst.ii,  Die  JZgyplologie,  p.  293-294). 

3.  Sur  la  valeur  réelle  de  certaines  fonctions  comme  celle  de  Sot  mou  âoushou  ni  isit  mâit,  et  de 
Sabou,  où  Ton  voulait  reconnaître  des  emplois  judiciaires,  cf.  Maspero,  Rapport  à  M.  Jules  Ferry, 
Ministre  de  V Instruction  publique,  sur  une  Mission  en  Italie,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  II. 
p.  159-166,  et  Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  143-148;  cf.  B  rit.  se  h,  Die  jEgyplologie,  p.  301  sqq.. 
W.  Spiegelberc,  Studien  uni  Materialien  zum  Rechlswesen  des  Pharaonenreiches,  p.  60-63. 

4.  Le  nom  de  ces  personnages,  lu  tait,  taitou,   au   début,  un   peu  à  l'aventure,  a   été  déchiffré 


RAPPORTS   DU  PAYSAN  AVEC  SES  SEIGNEURS.  337 

plus  souvent  par  des  étrangers,  par  des  nègres  ou  par  des  Bédouins  appar- 
tenant à  la  tribu  nubienne  des  Mâzaiou.  Les  plaideurs  comparaissaient  à 
l'audience  et  attendaient  sous  la  surveillance  de  ces  gens  que  leur  tour  fût 
venu  de  parler  :  la  plupart  des  questions  se  tranchaient  en  quelques  instants, 
par  un  arrêt  sans  appel,  les  causes  les  plus  graves  donnaient  seules  lieu  à 
une  instruction  et  à  des  débats  prolongés.  Tout  se  passait  d'ailleurs  devant  ce 
jury  patriarcal  de  la  même  façon  que  devant  nos  tribunaux,  si  ce  n'est  que 
le  bâton  inévitable  facilitait  la  recherche  de  la  vérité  et  coupait  court  aux 
discussions  :  les  dépositions  des  témoins,  les  discours  des  deux  parties, 
l'examen  des  pièces,  n'allaient  jamais  sans  prestations  de  serments  nombreux 
sur  la  vie  du  roi  et  sur  la  faveur  des  dieux,  où  la  vérité  subissait  les  assauts 
les  plus  rudes1.  Les  peines  variaient  beaucoup,  la  bastonnade,  la  prison, 
l'amende,  les  jours  de  corvée  supplémentaires,  et,  pour  les  délits  graves,  les 
travaux  forcés  dans  les  mines  d'Ethiopie*,  la  perte  du  nez  et  des  oreilles8,  la 
mort  enfin  par  la  strangulation,  par  la  décollation4,  par  le  pal5,  par  le 
bûcher0.  Les  criminels  de  haut  rang  obtenaient  l'autorisation  d'exécuter  sur 
eux-mêmes  la  sentence  portée  et  de  remplacer  par  le  suicide  la  honte  d'un 
supplice  public7.  Devant  des  tribunaux  ainsi  constitués,  le  fellah  qui  venait 
réclamer  contre  les  exactions  dont  il  était  victime  comptait  fort  peu  de  chances 
d'être  écouté  :  le  scribe  qui  l'avait  pressuré  ou  lui  avait  imposé  des  corvées 
nouvelles  ne  figurait-il  pas  de  droit  parmi  les  juges  auxquels  il  s'adressait? 
Rien  ne  l'empêchait  d'en  appeler  à  son  seigneur  féodal,  et  de  celui-ci  à  Pharaon, 
mais  cet  appel  n'était  pour  lui  qu'un  leurre.  Lorsqu'il  avait  quitté  son  village 
et  remis  sa  requête8,  les  délais  continuaient  à  courir  avant  qu'une  solution 

exactement  par  Griffith,  The  Qnbt  (dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XIII, 
1890-1891,  p.  140),  dont  les  conclusions  ont  été  renforcées  par  Spiegelberg,  Studien  und  Materialien, 
p.  13  sqq.  Leur  nom  de  Gens  de  l'Angle  implique  une  métaphore  analogue  à  celle  qui  a  fait  donner 
aux  notables  des  bourgs  égyptiens  le  titre  d'Omdah,  les  colonnes  de  l'administration. 

1.  Sur  le  serment  judiciaire,  voir  W.  Spiegelberg,  Studien  und  Materialien,  p.  71  sqq. 

2.  Cf.  les  exemples  recueillis  par  W.  Spiegelberg,  Studien  und  Materialien,  p.  69-71,  75,  76,  et  qui 
confirment  les  dires  d'Agatharchide  {de  Mari  Erythrxo,  §  24-29,  dans  MCller-Didot,  Fragm.  Geogr. 
Grmc,  t.  I,  p.  124-129)  et  de  Diodore  de  Sicile  (III,  12-14)  sur  les  mines  d'or  de  l'Ethiopie. 

3.  Diodore  de  Sicile,  I,  60,  78  (cf.  Hérodote,  II,  ccxu);  Dévèria,  le  Papyrus  judiciaire  de  Turin, 
p.  64-65,  116-121;  Naspero,  Une  enquête  judiciaire,  p.  86;  W.  Spiegelberg,  Studien,  p.  67-68. 

4.  Le  seul  exemple  connu  d'une  pendaison  est  celui  du  grand  panelier  de  Pharaon,  dans  la  Genèse, 
XL,  19, 22,  XLI,  13,  mais  on  voit  dans  un  tombeau  de  Thèbes  deux  victimes  humaines  exécutées  par  stran- 
gulation (Maspero,  le  Tombeau  de  Montouhihhopshouf,  dans  les  Mémoires  de  la  Mission  Française, 
t.  V,  p.  452  sqq  ).  L'enfer  égyptien  contient  des  hommes  décapités  (Description  de  l'Egypte,  Ant.,  t.  H, 
pi .  LXXXVI),  et  la  mention  du  billot  sur  lequel  on  coupait  les  tétesdes  damnés  est  fréquente  dans  les  textes. 

5.  D'après  une  conjecture  d'Erman  (Beitrâge  zur  Kenntniss  des  âgyptischen  Gerichtsverfahren, 
dans  la  Zeitschrift,  1879,  p.  83,  note  1  ;  cf.  les  objections  de  W.  Spiegelberg,  Studien,  p.  76-78,  125-126). 

6.  Pour  la  femme  adultère  (Maspero,  les  Contes  populaires,  2*  édit.,  p.  63;  cf.  Hérodote,  II,  cxi). 

7.  Le  Papyrus  de  Turin  parle  de  ces  suicides  (W.  Spiegelberg,  Studien,  p.  67,  121,  Erman,  Beitrâge 
zur  Kenntniss  des  âgyptischen  Gerichtsverfahrens,  dans  la  Zeitschrift,  1879,  p.  77,  note  1). 

8.  Comme  le  paysan  dont  l'histoire  nous  est  contée  au  Papyrus  de  Berlin  n°  II  (Maspero,  les  Contes 


t 


H18T.    AKC.    DE  L  0  RI  EST.    —  T.  I.  43 


338  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

intervint,  et  pour  peu  que  la  partie  adverse  fût  bien  en  cour  ou  fit  agir  des 
influences,  la  décision  souveraine  confirmait,  quand  elle  ne  l'aggravait  pas, 
la  sentence  des  premiers  juges.  Cependant  le  bien  restait  inculte,  la  femme 
et  les  enfants  criaient  la  misère,  les  dernières  ressources  de  la  famille 
s'usaient  en  démarches  et  en  délais  :  mieux  valait  en  prendre  son  parti  tout 
d'abord,  et  se  résigner  à  subir  sans  regimber  le  sort  qu'on  ne  pouvait  éviter. 
Impôts,  réquisitions,  corvées,  les  fellahs  se  tiraient  encore  d'affaire  lorsque 
le  supérieur  dont  ils  dépendaient  se  montrait  bon  maître  et  n'ajoutait  point 
ses  exigences  et  ses  caprices  personnels  aux  exigences  et  aux  caprices  de 
l'État.  Les  inscriptions  que  les  princes  ont  consacrées  à  leur  propre  gloire 
sont  autant  de  panégyriques  enthousiastes,  où  il  n'est  question  que  de  leur 
honnêteté  et  de  leur  bonté  envers  les  petits  et  les  humbles.  Chacun  d'eux  se 
proclamait  sans  faute  «  le  bâton  d'appui  des  vieillards,  la  nourrice  des 
enfants,  l'avocat  des  misérables,  l'asile  qui  réchauffait  ceux  qui  souffraient 
du  froid  dans  Thèbes,  le  pain  des  affligés  qui  jamais  ne  fit  défaut  à  la  ville 
du  midi1  ».  Leur  sollicitude  s'étendait  sur  tous  et  sur  tout  :  «  Il  n'y  a  pas 
d'enfant  mineur  que  j'aie  endeuillé;  il  n'y  a  veuve  que  j'aie  dépouillée;  il 
n'y  a  cultivateur  que  j'aie  chassé;  il  n'y  a  chef  d'ouvriers  à  qui  j'aie  pris 
ses  gens  pour  les  travaux  publics;  il  n'y  a  eu  ni  misérables  en  mon  lieu,  ni 
affamés  en  mon  temps.  S'il  survenait  des  années  de  disette,  comme  j'avais 
labouré  toutes  les  terres  du  nome  de  la  Gazelle  jusqu'à  ses  frontières  Nord 
et  Sud,  faisant  vivre  ses  habitants,  naître  ses  provisions,  il  ne  s'y  trouvait 
point  d'affamés,  car  je  donnais  à  la  veuve  comme  à  la  femme  en  pouvoir  de 
mari,  et  je  n'établissais  aucune  distinction  entre  le  grand  et  le  petit  en  tout 
ce  que  je  donnais.  Si  au  contraire  les  Nils  étaient  forts,  les  maîtres  de  terres 
devenaient  riches  en  toutes  choses,  car  je  n'élevais  pas  la  cote  de  l'impôt  sur 
les  champs1.  »  Les  canaux  attiraient  toute  son  attention  :  il  les  curait,  les 
agrandissait,  en  creusait  de  nouveaux  qui  portaient  la  fécondité  et  l'aisance 
jusque  dans  les  recoins  les  plus  éloignés  de  son  domaine.  Ses  serfs  avaient 
toujours  de  l'eau  propre  à  leur  porte  et  ne  se  contentaient  plus  de  la  dourah 
commune  ;  ils  mangeaient  du  pain  de  froment  chaque  jour5.  Sa  vigilance  et  sa 
sévérité  étaient  telles  que  les  brigands  n'osaient  plus  paraître*  à  portée  de  sa 

populaires  de  l'Egypte  ancienne,  2*  éd.,  p.  43  sqq.);  voir  ce  qui  est  dit  des  hommes  sans  maître, 
p.   309-310  de  cette  Histoire. 

1  Stèle  C  1  du  Louvre,  publiée  par  Maspkro,  Un  Gouverneur  de  Thèbes  sous  la  XII*  dynastie,  dans 
les  Mémoires  du  Congrès  International  des  Orientalistes  de  Paris,  t.  II,  p.  53-55. 

4.  Maspero,  la  Grande  Inscription  de  Déni- Hassan,  dans  le  Hecueil  de  Travaux,  t.  I,  p.  173-17-4. 

3.  GnirriTH,  The  Inscriptions  of  Siût,  pi.  XV,  I.  3-7  ;  cf.  Maspero,  Revue  Critique,  1889,  t.  II,  p.  414-415. 


LA  MISÈRE  DU  FELLAH.  339 

main  et  que  ses  soldats  gardaient  une  stricte  discipline  :  «  Venue  la  nuit, 
quiconque  couchait  sur  le  chemin  me  bénissait,  et  était  [en  sécurité]  comme 
un  homme  dans  sa  propre  maison;  l'effroi  de  ma  police  le  protégeait,  les 
bestiaux  restaient  aux  champs  comme  à  l'étable;  le  voleur  était  comme 
l'abomination  du  dieu  et  il  ne  se  ruait  plus  sur  le  vassal,  si  bien  que  celui-ci 
ne  se  plaignait  plus,  mais  versait  exactement  la  redevance  de  son  domaine, 
par  amour  »  pour  le  maître  qui  lui  créait  ces  loisirs1.  On  pourrait  continuer 
longtemps  sur  ce  thème,  et  les  rédacteurs  d'épitaphes  le  variaient  avec  une 
habileté  et  une  souplesse  d'imagination  remarquables.  L'ardeur  même  qu'ils 
déploient  à  décrire  les  vertus  du  seigneur  montre  combien  la  condition  des 
sujets  était  précaire.  Rien  n'empêchait  le  mauvais  prince  ou  l'officier  préva- 
ricateur de  ruiner  et  de  maltraiter  à  sa  guise  le  peuple  auquel  il  comman- 
dait. Un  ordre  de  lui,  et  les  corvées  s'abattaient  sur  les  propriétaires  d'un 
bourg,  leur  enlevaient  leurs  esclaves,  les  obligeaient  à  laisser  leur  fonds 
inculte;  dès  qu'ils  se  déclaraient  impuissants  à  s'acquitter  de  leurs  contribu- 
tions, la  prison  s'ouvrait  pour  eux  et  pour  leurs  familles.  Une  digue  coupée, 
une  rigole  détournée  privaient  d'eau  un  canton1  :  la  ruine  venait  prompte  et 
inévitable  pour  les  malheureux  qui  l'habitaient,  et  leurs  biens,  confisqués  par 
le  fisc  en  règlement  de  l'impôt,  passaient  à  vil  prix  aux  mains  du  scribe  ou  de 
l'administrateur  malhonnête.  Deux  ou  trois  années  de  négligence  suffisaient 
presque  à  détruire  un  réseau  d'irrigation  :  les  canaux  s'envasaient,  les  levées 
s'écroulaient,  la  crue  ou  ne  montait  plus  sur  les  terres,  ou  s'y  répandait  trop 
tôt  et  y  séjournait  trop  longtemps.  La  famine  suivait  bientôt  avec  son  cortège 
de  maladies3  :  hommes  et  bêtes  mouraient  à  la  centaine,  et  ce  n'était  pas  trop 
du  labeur  de  toute  une  génération  pour  rendre  au  pays  sa  prospérité. 

Le  sort  du  fellah  ancien  était  donc  aussi  dur  que  celui  du  fellah  moderne.  II 
en  sentait  lui-même  l'amertume  et  s'en  plaignait  à  l'occasion,  ou  les  scribes 
s'en  plaignaient  pour  lui  lorsqu'ils  opposaient  d'une  joie  égoïste  leur  métier 
au  sien.  11  devait  peiner  l'année  entière,  labourer,  semer,  tirer  la  shadouf 
du  soir  au  matin  pendant  des  semaines,  courir  à  la  corvée  dès  la  première 
réquisition,  payer  un  impôt  lourd  et  cruel,  tout  cela  sans  être  assuré  au  moins 
de  jouir  en  paix  de  ce  qu'on  lui  laissait  ou  d'en  faire  profiter  sa  femme  et  ses 

1.  Griffitu,  The  Inscriptions  of  Siût,  pi.  M,  1.  7-12;  cf.  Masplro,  Revue  Critique,  1889,  t.  Il,  p.  417. 

t.  Couper  ou  détourner  un  bras  d'eau  était  un  dos  péchés  prévus  dans  la  Confession  négative  du 
chapitre  cxxv  du  Livre  des  Morts  (édit.  INaville,  t.  I,  pi.  CXXXIII,  l.  19);  cf.  p.  189  de  cette  Histoire. 

3.  Mentions  de  famines  sur  les  monuments  égyptiens  :  à  Béni-Hassan  (Maspero,  la  Grande  Inscrip- 
tion de  Beni-Bassan,  dans  le  Recueil,  t.  1,  p.  174),  à  El-Kab  (Brtgsch,  jEgyptische  Geschichte,  p.  246). 
à  Éléphantine  (Brugsch,  Die  Biblischen  sieben  Jahre  der  Hungersnoth,  p.  131  sqq.). 


340  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

enfants.  Telle  était  pourtant  l'élasticité  de  son  tempérament  que  sa  n 
réussissait  pas  à  l'attrister  :  les  monuments  où  sa  vie  est  représentée  en 
tableaux  minutieux  nous  le  montrent  animé  d'une  gaieté  inépuisable.  Les 
mois  d'été  sont  finis,  la  terre  se  découvre,  le  fleuve  rentre  dans  son  lit,  voici 
le  temps  de  faire  les  semailles  :  le  paysan  a  pris  son  attelage  avec  lui,  ses 
outils,  et  s'en  est  allé  aux  champs1.  Dans  plus  d'un  endroit,  le  sol  amolli  par 
l'eau  n'offre  pas  de  résistance,  et  la  pioche  le  retourne  aisément;  ailleurs 
il  est  dur  encore  et  ne  cède  qu'à  la  charrue.  Tandis  qu'un  des  valets, 
presque  plié  en  deux,  pèse  de  toutes  ses  forces  sur  les  oreilles  pour  bien 


enfoncer  le  soc,  son  camarade  dirige  les  bœufs  et  les  excite  par  ses  chants  : 
ce  sont  deux  ou  trois  phrases  fort  brèves,  soutenues  d'une  mélopée  toujours 
la  même,  et  scandées  à  coups  de  bâton  sur  les  reins  de  la  bète  la  plus  proche1. 
De  temps  à  autre,  il  se  détourne  vers  son  compagnon  et  l'encourage  :  «  Appuie 
bien  !  s  —  «  Tiens  ferme  !  »  Le  semeur  arrive  à  la  suite  qui  jette  le  grain  à  la 
volée  dans  le  sillon  :  un  troupeau  de  moutons  ou  de  chèvres  clôt  la  marche  et, 
piétinant  la  glèbe,  enterre  la  semence.  Les  bergers  claquent  leur  fouet  et 
répètent  à  plein  gosier  quelque  chanson  rustique,  une  complainte  à  l'adresse 
du  fellah  que  la  corvée  a  saisi  et  qui  nettoie  le  canal.  «  Le  piocheur  est  dans 
l'eau  avec  les  poissons,  —  il  cause  au  silure,  échange  des  saints  avec  l'oxyr- 
rhynque  :  —  Occident!  votre  piocheur  est  un  piocheur  d'Occident!'  »  Tout  se 

1.  MifFE*o,  Holei  iur  quetq uet  points  de  Grammaire etd'ttiiloire.àtnt  la  ZeiUchrift,  1879.  p.  58  sqq. 

t.  Ileêtin  de  Faucher-Gudin,  d'opràt  une  photographie  (cf.  Sr.atiL,  le  Tombeau  de  Zoiirkrruonbou, 
dans  les  Mémoire/de  la  Million  franeaite,  t.  V). 

3.  MiiPiRO,  Ètudei  Égyptienne*,  t.  Il,  p.  74-78;  cf.  la  vignette  à  la  p.  191  de  cette  Hittoire 

t.  Le  texte  de  ce  couplet  est  dans  Bbit.scb,  Die  ACgyptiirhe  Gràbertrelt,  pi.  I,  35-38  ;  la  traduc- 
tion dan»  Barcscn,  Dicl.  Hier.,  p.  59.  dans  Emu,  .f.gypten,  p.  515,  et  dans  Misr-cao,  Éluda  Egyp 
tiennes,  t.  II,  p.  73-74.  Lo  silure  est  le  poisson  électrique  du  Nil  (Detcription  de  FEgypIe.  t.  XXIV, 
p.  199  sqq.).  Le  leite  explique  ironiquement  que  le  piocheur,  plongé  à  mi-corps  dans  l'eau  pour  curer 
les  canaux  ou  réparer  la  berge  enlevée  par  l'inondation,  est  exposé  chaque  instant  à  saluer,  c'est-à-dire 
à  rencontrer  un  silure  ou  un  oxyrrhynque  prêt  à  l'attaquer  :  il  est  voué  à  la  mort,  et  c'est  re  que  le 
roupie!  exprime  par  les  mots  •  Occident!  votre  piocheur  est  un  piocheur  d'Occident  '.  •  L'Occident  est 
la  région  des  tombeaux  vers  laquelle  le  piocheur  est  acheminé  déjà  par  son  métier. 


iï 
■  I 

I  a 


342  LA  CONSTITUTION  POLITIQUE  DE  L'EGYPTE. 

passe  sous  l'œil  vigilant  du  maître  :  dès  que  la  surveillance  se  relâche,  le 
travail  se  ralentit,  les  querelles  éclatent,  l'instinct  de  paresse  et  de  vol  reprend 
le  dessus.  Deux  hommes  ont  dételé  leur  charrue.  L'un  d'eux  trait  rapidement 
une  des  vaches,  l'autre  tient  la  bête  et  attend  son  tour  impatiemment  :  «  Fais 
vite,  tandis  que  le  fermier  n'y  est  pas.  »  Ils  risquent  la  bastonnade  pour  une 
potée  de  lait1.  Les  semaines  s'écoulent,  les  blés  ont  mûri,  la  moisson  com- 
mence. Les  fellahs,  armés  d'une  faucille  courte,  coupent  ou  plutôt  scient  les 
tiges,  javelle  à  javelle.  Cependant  qu'ils  avancent  en  ligne,  un  flûtiste  leur  joue 
ses  airs  les  plus  entraînants,  un  chanteur  donne  de  la  voix  et  rythme  les 
mouvements  en  frappant  dans  ses  mains,  le  contremaître  leur  jette  par  inter- 
valles quelques  mots  d'exhortation  :  «  Quel  est  le  gars  parmi  vous  qui,  ayant 
fini  en  saison,  pourra  dire  :  «  C'est  moi  qui  vous  le  dis,  à  toi  et  aux 
«  camarades,  vous  n'êtes  tous  que  des  fainéants!  »  —  «  Qui  de  vous  pourra 
dire  :  «  Un  gars  ardent  à  la  besogne,  c'est  moi!1  »  Un  domestique  circule  dans 
les  rangs  avec  une  longue  jarre  à  bière  et  la  tend  à  qui  veut.  «  N'est-ce 
pas  que  c'est  bon  !  »  dit-il,  et  le  buveur  lui  répond  poliment  :  «  Vrai,  la 
bière  du  maître  est  meilleure  qu'une  galette  de  dourah!8  »  Les  gerbes  liées, 
quand  on  les  rentrait,  c'étaient  chansons  nouvelles  à  l'adresse  des  ânes  qui  les 
emportaient  :  «  On  lie  qui  s'écarte  du  rang,  on  bat  qui  se  roule  à  terre,  — 
«  Hue  donc!  »  Et  le  baudet  trottait  sous  la  menace*.  Lors  même  que  la  scène 
devient  tragique  et  représente  une  bastonnade,  le  sculpteur,  s'inspirant  de 
l'humeur  railleuse  des  gens  parmi  lesquels  il  vit,  trouve  moyen  d'y  mêler  un 
peu  de  comédie.  Un  paysan  condamné  sommairement  pour  quelque  méfait 
gît  à  plat  ventre,  les  reins  au  vent  :  deux  amis  lui  tirent  les  bras,  deux  les 
jambes  pour  l'ajuster  en  posture  convenable.  Sa  femme  ou  son  fils  intercèdent 
en  sa  faveur  auprès  du  bourreau  :  «  Frappe  par  terre,  de  grâce!  »  Et  de  fait, la 
bastonnade  était  d'ordinaire  un  simulacre  de  châtiment  plutôt  qu'un  châti- 
ment réel  :  les  coups,  assenés  avec  un  air  de  férocité,  s'égaraient  sur  le  sol5. 
Le  coupable  hurlait  fort,  mais  en  était  quitte  pour  des  meurtrissures. 

Un   écrivain   arabe  du  moyen   âge  remarquait,  non   sans  ironie,  que  les 


1.  La  scène  est  représentée  au  tombeau  de  Ti  (Maspero,  Études  Égyptienne**  t.  H,  p.  78-80). 

2.  Le  texte  dans  Brigsch,  Die  jEgyptische  Grâberwelt,  pi.  V,  165-168,  et  dans  DCmiches,  Itesuftalc. 
t.  I,  pi.  X,  et  p.  14-15;  l'interprétation  dans  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  81-84. 

3.  Lf.psils,  Denhm.,  Il,  9;  Mariette,  les  Mastabas,  p.  34?  ;  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  84-85. 

4.  Brit.sch,  Die  JEgypthchc  Grâberwelt,  pi.  V,  lfii  :  Dùnichen,  Die  Hesultate,  t.  I.  pi.  X;  Maspero. 
Etudes  Égyptiennes,  t.  II,  p.  87-90.  La  chanson  se  lit  au-dessus  du  troupeau  d'ânes. 

5.  La  scène  se  trouve  dans  le  tombeau  de  Baoukit  à  Béni-Hassan  (Crampollion,  Monuments. 
pi.  CCCLXXXI,  1,  et  Texte,  t.  Il,  p.  371-373;  Rosellini,  Monumenli  avili,  pi.  CXXII.  B,  et  Texte,  t.  III. 
p.  274-273;  Wii.ki.nson,  Manners  and  Cusloms,  2*  éd.,  t.  I,  p.  305). 


GAIETÉ  ET  IMPRÉVOYANCE  OU  BAS  PEUPLE.  3« 

égyptiens  étaient  peut-être  le  seul  peuple  au  monde  qui  n'amassât  pas 
de  provisions,  mais  où  chacun  allât  au  marché  chaque  matin  acheter  la 
pitance  de  la  famille1.  La  même  imprévoyance  qu'il  déplore  chez  ceux  de 
son  temps,  ils  l'avaient  héritée  de  leurs  ancêtres  les  plus  lointains.  Ouvriers, 
fellahs,  employés,  petits  bourgeois,  on  vivait  sans  cesse  de  la  main  à  la 
bouche  dans  l'Egypte  des  Pharaons.  Les  jours  de  prêt  étaient  un  peu  par- 
tout jours  de  fête  et  de  grosse  mangeaille  :  on  n'y  ménageait  ni  le  grain  du 
lise,  ni  l'huile,  ni  la  bière,  et  les  repas  copieux  continuaient  sans  économie 
aussi  longtemps  qu'il  restait  quelque  chose  du  traitement  touché   Comme  il 


s'épuisait  presque  de  règle  avant  le  retour  de  la  date  fixée  pour  une  distri- 
bution nouvelle,  la  pénurie  succédait  à  l'ampleur  exagérée  des  subsistances, 
et  une  partie  de  ta  population  criait  littéralement  la  faim  pendant  plusieurs 
jours.  L'alternance  à  peu  près  constante  de  l'abondance  et  delà  disette  exerçait 
son  contre-coup  sur  la  marche  du  travail  :  il  n'y  avait  guère  d'ateliers  ou  d'ex- 
ploitation seigneuriale  où  l'on  ne  chômât  tous  les  mois  pour  cause  d'inanition, 
et  il  fallait  venir  en  aide  aux  affamés  si  l'on  voulait  éviter  des  séditions  popu- 
laires*. Peut-être  l'imprévoyance  était-elle,  comme  la  gaieté,  un  des  traits  innés 
du  caractère  national  :  elle  fut  certainement  entretenue  et  développée  par  le 
régime  que  l'Egypte  s'imposa  dès  avant  l'histoire.  Quelle  raison  l'homme  du 
commun  avait-il  de  calculer  ses  ressources  et  de  ménager  l'avenir  quand  il 
savait  que  ses  femmes,  ses  enfants,  ses  bestiaux,  ses  biens,  tout  ce  qui  lui 
appartenait  et  lui-même  pouvait  être  enlevé  d'un  moment  à  l'autre,  sans  qu'il 
eût  le  droit  ou  la  force  de  s'y  opposer?  Il  naissait,  vivait,  mourait  dans  la  main 
d'un  maître.  Les  terres  ou  les  maisons  que  son  père  lui  avait  léguées,  le  maître 

1.  Dans  Huit»,  BUtal,  t.  I,  p.  49-50,  éd.  de  Boulaq. 

t.  Denin  de  Faucher-Gudiii ,  d'apret  une  plialogra/iltie  if  Emile  Hrugtch-flcy .  La  arène  est  prise 
au  tombeau  de  Ti  ;  cf.  Jfatpnn,  Étudet  Egyptiennei,  t.  I],  p.  81-81. 

3.  Houe  n'aions  de  documents  sur  ce  sujet  que  pour  l'époque  des  Hamessirles  :  j'aurai  a  raconter 
plus  lard  l'histoire  de  ces  chômages  et  des  grètes  qui  en  étaicnl  l'accompagnement. 


SU  LA   CONSTITUTION   POLITIQUE  DE  L'EGYPTE, 

souffrait  qu'il  en  eût  l'usage.  Celles  qu'il  se  procurait  par  son  labeur,  il  les 
ajoutait  au  domaine  du  maître.  S'il  se  mariait  et  qu'il  eût  des  fils,  c'était  les 
hommes  du  maître  qu'il  mettait  au  monde.  Tout  cela,  dont  il  jouissait 
aujourd'hui,  le  maître  le  lui  laisserait-il  demain?  La  vie  même  de  l'autre 
monde  ne  lui  offrait  pas  plus  d'assurance  et  de  liberté  :  il  n'y  entrait  qu'à  la 
suite  du  maître  et  pour  le  servir,  il  y  subsistait  par  tolérance  comme  il  avait 
fait  sur  notre  terre,  et  il  n'y  trouvait  un  peu  de  liberté  et  de  repos  que  s'il 
se  munissait  abondamment  de  répondants  et  de  statuettes  ensorcelées,  fl 
concentrait  donc  son  esprit  et  ses  forces  sur  le  moment  présent  pour  en 
profiter  comme  de  la  seule  chose  qui  lui  appartînt  à  peu  près  :  le  futur, 
il  s'en  remettait  au  maître  du  soin  de  le  prévoir  et  d'y  fournir.  A  dire  vrai, 
le  maître  changeait  souvent,  tantôt  le  seigneur  d'une  ville,  tantôt  celui  d'une 
autre,  un  Pharaon  des  dynasties  memphites  ou  thébaines,  un  étranger  installé 
par  aventure  sur  le  trône  d'Horus.  La  condition  du  peuple  ne  changeait  jamais; 
le  poids  qui  l'écrasait  ne  s'allégeait  point,  et,  quelle  que  fût  la  main  qui  tint  le 
bâton,  le  bâton  retombait  toujours  aussi  lourd  sur  son  dos 


*>C  'Ô/ruwvJ      Q'tbenuÀtti 


J.e*t.>  roûc'  eonattueteurnJ  de?  duratnidea.  '.■  i/taeo/atcJ,  ,  /lÂâi&rën,  JftuAérùto. 
oLa   littérature?  et,    la/%,    memp/utest  l 
OxtenJÛ/n  de?  I  ùgupte?  ventS  le?  àud et.  eonauéte?  de?  la  JCuéie? 


CMofioui.  -  =*Lc?  deàert.  fui  aijmrc?  l \Mfriaue?  de?  /  ,_MjcfJ,  àa  constitu- 
tion pAujiaue.',  acte'  liaiitant/t.',  leurre?  incursions?  en  Caupte?  et,  leumJ 
nrpvofùtJ  avec  les?  tyuurtienitJ.  -  du  jJreaau  tù?  du  CDtnat  ;  lenJ  mineaJ  die? 
turauoùeaJ  et.  de?  ctuvre?,  te/tJ  êtailiasementnJ  miniemJ  des?  jffiaraonrtJ.  - 
e£éaj  deux  ànnoeatix  de?  Ônefrotii  ;  la  pyramide?  et.  les?  mastabas?  de? 
J/ùeidoum,  les?  statues?  de?  Judiotpou  et,  de?  sa  jféntme'  Jtofrù., 

*/lAêoBrtJ,  ^Jlnepnrèn  et,  JJ/luAérinos?.  -  &la.  grande?  duramidc? :  sa 
construction,  ses?  dispositions?  intérieures?.  -  =Les?  duramiaesJ  de?  ^/Inàmrèn 
et.  des  C/ftuAerùu?aJ;  leur'  violation.  -  dsCnende?  des?  roisJ  conatrueteunc?  de? 
è4uramideaJ  ;  l impiété de?  ^/InéoprtJ  et.  deJ  ,7lÀyArài,  ut  jtièté  de?  C//LuAe'- 
rùios.';  la-  fraramide?  e/i  ùriaaes?  d  •.Alsucnùi.'.  -  oLes>  matériaux  emplouésJ  à 
la  SdtUse?,  les?  carrières?  de?  Vouran;  les? \jdameJ,  le?cuÙe?du  douile?  rouai, 
Ùs>  Ùaeades>  araéts?  sur-'1  les? géniesJjardiats?  des?  eAuratniaesJ. 


cl&t)  roùtJ  de)  /a  dnauième)  dynastie)  ;  C/usirAafi  ÔaAouri,  tMaÂiou 
et.  ie)  roman,  de.'  /eur?  avènement..  -  =ienJ  re/atùmaJ  au  *J)e/ta  avec  leaj 
jTtup/enJ  i/i'  Juin/ t  /a  intitule.'  et-  /e)  commerce)  maritime)  deaJ  ù^^dietia.'.  • 
eia  JCwteJ  et-  seitJ  trioun.'  :  /en.)  Citaottaiou  et.  un.?  J/iàraiou,  ie>  douanû., 
ùtt.'  nainaJ  et.  /e)  z/Janqa.  -  *£a  littérature.}  egufitieanei  :  /c*t>  StrovcréeaJ  de' 
SiàtaAAoùrou,  -  <4oi^  as&tJ  :  l architecture',  ta  statuaire'  et.  seaJ  ceutrten.' 
iirincùra/ctL.},  ùa.)  ias-reue/a.  ',  la  fteinturc),  /art.  Industrie/, 


.Àe' deve/oppement.    de)  la    -feoda/itê  èauptieane)  eu,    /avènement.    deJ  la 

sixième)  aunastie)  :  t-dttt,  •./mnoùmu,     Ve'tt.  -  dtuil  •_/"  et.  son  ministre)  Citai  - 

/iWaire>    de)  m   reùle)  ^/tnutsi,     <£vt>  tpuerrea. .'    contre'    /e*i)    iSÙtroU'&nàitcit 

et.    contre) /e'  jxiua)  ae'    Oloa.   -  J/létésoufinùcJ  ■_/'"  et.  ZcJ  second  èkiiit  :  Util 

4troarèa\>  de) ùijpuùsance.?eauptie/ine)en  JCueie).  -^LejtJslrcit.' a  ù/eahantlne): 

%JÙtr/cAouA étiyxnaAAiti ';  /eaeaJe3xdt>ratiûatt.>j>renarerit.  /ca.'irolea)à  /a  conaacle  ', 

/occupation   deaJ  C/asûc  ',   -  d.ea.> jruramideaJ  de.'  daaaaraA  .■ 

le*  second  ,  '/letesoupAùt  ',    JCltoÂria)  et.  sa.  /eaende.  \ 

.•C/riio/tderance'  dea.' selancunt) ■feoaaux  et. 

c/iute)  dea>  aunastieit-'memimilen'. 


CHAPITRE   V 

L'EMPIRE     MEMPHITE 

5    CONSTRUCTEURS    DE    PYRAMIDES    :     K.HÈ 

LA    LITTERATURE    ET    I.  ART     UEMPHtTEî 
[.'ÊUÏPTE    ÏEP1S    I.E    SUD    ET    CONOUÊTE    DE    LA    NI 

~rr^x  ce  tempa-ià*,  «  la  Majesté  du  roi  Houni  mourut, 
1 A  et  la  Majesté  du  roi  Snofroui  s'éleva  pour  èlre 
un  souverain  bienfaisant  sur  cette  Terre-Entière 3  ». 
Tout  ce  qu'on  sait  de  lui  lient  dans  une  phrase  : 
il  guerroya  contre   les  nomades   du  Sinai,  édifia 
des  forteresses  pour  protéger  la  frontière  orien- 
tale  du  Delta,  et   se  construisit  un  tombeau  en 
forme  de  pyramide. 
Le  pays  presque  inhabité  qui  rattache  l'Afrique 
à  l'Asie  s'appuie  vers  te  midi   sur  deux  chaînes 
e  montagnes  raccordées  à  angle  droit,  et  dont  E'en- 
0v,...^le   forme  ce  qu'on  appelle  le  Gebel  et-Tïh.   C'est 
un  plateau  incliné  doucement  du  sud  au  nord,  nu,  noir,  semé  de  galets  et  de 

I,  Dessin  de  Boudier.  d'après  la  chromolithographie  de  Lmiro,  Denkm.,  I,  pi.  43.  La  lettrine,  qui 
est  également  de  Boudier,  représenta  Bâholpou,  l'un  de»  personnages  de  Méldoum  dont  il  sera  question 
taîent Al  (cr.  p.  383  de  celte  Histoire);  elle  a  été  dessinée  d'après  une  photographie  d'Emile  BniRBCh-Bej . 

t.  Vers  4ltHt  av.  J  -C.,  avec  une  erreur  possible  de  plusieurs  siècles  en  plus  ou  en  moins. 

a.  Papyrus  Prisse,  pi.  Il,  I.  7-8  <éd.  Viiuey,  p.  il).  Les  restes  du  Canon  royal  de  Turin  semblent 
donner  à  Houni  el  à  Snofroui  des  règne*  égaux  de  vingl-qualre  ans  (E.  dk  Bois*.  Uccherehes  sur  les 
a  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties  de  Maiiêthun,  p.   Iji,  note  t). 


348  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

roches  siliceuses,  hérissé  de    longues   collines  crayeuses,  basses  et   rudes, 
entrecoupé  d'Ouadys  dont  le  plus  large,  celui  d'El-Arîsh,  débouche  dans  la 
Méditerranée  à  mi-chemin  entre  Péluse  et  Gaza,  après  avoir  rallié  tous  les 
autres1.  Les  averses  n'y  sont  pas  rares  en  hiver  et  au  printemps,  mais  le  peu 
d'humidité  qu'elles  fournissent  s'évapore  promptement  et  nourrit  à  peine 
quelque  maigre  végétation  au  fond  des  vallées.  Parfois,  après  des  mois  de 
sécheresse  absolue,  un  orage  éclate  dans  les  parties  hautes  du  désert*.  Le  vent 
se  lève  soudain  et  souffle  en  bourrasque,  des  nuages  épais  venus  on  ne  sait 
d'où  crèvent  aux  grondements  incessants  du  tonnerre,  il  semble  que  le  ciel 
fonde  et  s'écroule  sur  les  montagnes.  Quelques  minutes,  et  par  tous  les  ravins, 
par  tous  les  goulets,  par  les  moindres  crevasses,  des  jets  d'une  eau  trouble 
s'échappent,  qui  dévalant  aux  bas-fonds  s'y  rassemblent  en  bouillonnant  et 
commencent  à  courir  au  (il  de  la  pente  :  quelques  minutes  encore,  et  d'un 
versant  à  l'autre  ce  n'est  plus  qu'un  fleuve  profond,  animé  d'une  vélocité 
formidable  et  d'une  force  irrésistible.  Au  bout  de  huit  ou  dix  heures,  l'air 
s'éclaircit,  le  vent  tombe,  la    pluie  s'arrête,  la  rivière  improvisée    baisse 
et   s'épui$e    faute  d'aliment  nouveau,   l'inondation    finit  presque  aussi  vite 
qu'elle  avait  commencé  :  il  n'en  reste  bientôt  plus  que  des  flaques  éparses 
dans  les  creux,  ou  ça  et  là  de  minces  ruisseaux  desséchés  rapidement.  Cepen- 
dant le  flot  emporté  par  la  vitesse  acquise  continue  de  descendre  vers  la  mer  : 
partout  les  flancs  dévastés  des  collines,  leurs  pieds  affouillés  et  rongés,  les 
masses  de  galets  accumulés  aux  tournants,  les  longues  traînées  de  roches  et  de 
sable  jalonnent  sa  route  et  témoignent  de  sa  puissance.  Les  indigènes,  rendus 
prudents  par  l'expérience,  évitent  de  séjourner  dans  les  endroits  où  il  a  passé 
une  fois.  Le  ciel  a  beau  être  clair  et  le  soleil  briller  sur  leurs  têtes,  ils  crai- 
gnent toujours  qu'au  moment  même  où  le  danger  paraît  les  menacer  le  moins, 
le  torrent,  né  à  quelque  vingt  lieues  de  là,  ne  précipite  déjà  son  élaç  pour 
les  surprendre.  Et  de  fait,  il  arrive  si  brusque  et  si  rapace  que  rien  ne  lui 
échappe  de  ce  qui  s'attarde  sur  son  chemin  :  hommes  et  bêtes,  avant  qu'on 

1.  La  connaissance  du  Sinaî  et  des  pays  voisins  est  due  aux  travaux  de  la  commission  anglaise, 
Ordnance  Survey  of  the  Peniiuula  of  Siriai,  3  vol.  in-fol.  de  photographies,  1  vol.  de  cartes  et  plans. 
1  vol.  de  texte.  Elle  a  été  vulgarisée  par  E.  II.  Palmkr,  The  Désert  of  the  Exodus,  2  vol.  in-8.  1871, 
et  par  II.  Sp.  Palmkr,  Sinai,  from  the  IV th  Egyplian  Dynasty  to  the  présent  day,  in-18,  1878. 

2.  M.  Holland  décrit,  dans  le  chapitre  vm  de  V Account  of  the  Survey,  p.  226-228,  la  bourrasque  ou 
Sait  du  3  décembre  1807,  qui  noya  trente  personnes,  détruisit  des  troupeaux  de  chameaux,  d'ànes, 
de  moutons  et  de  chèvres,  et  balaya  dans  l'Ouady  Féiràn  mille  palmiers  ainsi  qu'un  bois  de  tama- 
risques  long  de  trois  kilomètres.  Quelques  gouttes  de  pluie  tombèrent  vers  4  heures  30  de  l'après- 
midi,  mais  l'orage  n'éclata  qu'à  .->  heures;  il  battait  son  plein  à  5  heures  15,  et  il  était  terminé  à 
U  heures  30.  Le  torrent,  qui  mesurait  à  8  heures  du  soir  une  profondeur  de  3  mètres  et  une  largeur 
de  300  mètres  environ,  n'était  plus  le  lendemain  matin  à  G  heures  qu'un  filet  d'eau  insignifiant. 


LE  DESERT   QUI   SÉPARE  L'AFRIQUE   DE  L'ASIE.  359 

ait  eu  le  temps  de  fuir,  souvent  même  avant  qu'on  ait  pressenti  son  approche, 
il  a  tout  balayé,  il  a  tout  broyé  sans  pitié.  Les  Égyptiens  avaient  appliqué  à 


la  contrée  entière  l'épilhète  caractéristique  de  To-Shouit,  la  terre  du  Vide,  la 
terre  de  l'Aridité1.  Ils  y  distinguaient  des  cantons  divers,  le  Tonou  supérieur1  et 

i.  Dînions*,  HUtaritche  Inuhrifteii,  t.  Il,  pi.  IX  6;  E.  et  J.  ar.  Boitt,  Inscription*  H  Hotkei 
recueillie*  à  Edfou,  pi.  CXV.  7;  cf.  Bmrcsf.H,  Ein  Geographitche»  Vaicum,  dans  la  Zeittcbrift,  1865. 
p.  Ïtt-i9,  et  Die  Altâgyptiiche.  Volkertafel,  dans  les  Abhandluugen  de*  IVta  Orientali*len-Coagre*ses, 
Afrikanitthé  Sektion.  p.  7!i.  Ce  telle,  qui  avait  été  déjà  interprété  par  J.  de  Hougé  (Teste*  géogra- 
phique* du  temple  d'Edfou,  p.  15-16),  identifie  les  Barbare*  du  pay*  de  Shout  avec  les  Shaotuou,  lea 
Bédouins  du  désert  entre  la  Syrie  et  l'Egypte.  La  glose,  f'«  rivent  de  l'eau  du  Nil  et  de»  ruisseaux, 
montre  qu'on  le*  étendait  jusqu'aux  frontière*  mômes  de  l'Egypte,  l.e  To-Shoult  du  tombeau  de 
Khnoumhotpou  {£*\*Ki\,\.\m,  Monuments  de  l'Egypte  et  de  ta  Subie,  pl.CCCLXIl;  l.r.rsuis,  Deukm.,  Il,  I3B; 
New>eh*y,  Beni-llasan,  t.  I.  pi.  XXXVIII,  1)  est  identique  au  pays  de  ces  Barbare*:  c'est,  comme  l'a 
traduit  Max  Mullcr  (A*ien  und  Eurupa  nach  Altâgyptiiche»  Denkmâlern,  p.  Ifi),  le  pay*  *ec.  le  désert. 

t.  I.e  Tonou  supérieur  est  seul  mentionne  au  Papyrus  de  Berlin  n*  /,  I.  31,  avec  le  Tonou  en  généra 
(1.  11)0,  109.  IS9,  olc).  Cbahas  (les  Papyrus  hiératique*  de  ISerlin,  p.  87)  plaçait  ce  pays  au  delà  de 
l'Kilom,  dans  la  Judée  ou  dans  les  contrées  situées  à  l'est  de  la  mer  Morte  :  il  crut  plus  lard  qu'on 
pouvait  y  arriver  par  mer,  ce  qui  le  portait  à  y  reconnaître  la  partie  maritime  de  la  Palestine  {Élude* 
tur  C Antiquité  historique,  f  éd.,  p.  lut),   lux).  M.  Max  Millier  (Aiieii  und  Europa,  p.  47)  estime  que 


3S0  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

inférieur,  Aia\  Kadouma*:  ils  nommaient  les  habitants  Hirou-Shàitou,  les  sei- 
gneurs des  Sables,  Nomiou-Shâîtou,  les  Coureurs  des  Sables3,  et  ils  les  ratta- 
chaient aux  Àmou,  c'est-à-dire  à  la  race  que  nous  qualifions  de  Sémitique4.  Le 
type  de  ces  barbares  rappelle,  en  effet,  celui  des  Sémites,  tête  forte,  nez  aqui- 
hn,  front  fuyant,  barbe  longue,  chevelure  épaisse  et  souvent  frisée5.  Ils  mar- 
chaient pieds  nus,  et  les  monuments  les  montrent  ceints  du  jupon  court,  mais 
ils  s'enveloppaient  aussi  de  l'abaye.  Ils  portaient  les  armes  ordinaires  des 
Egyptiens,  Tare,  la  lance,  le  casse-tête,  le  couteau,  la  hache  de  guerre,  le  bou- 
clier6. Us  possédaient  de  grands  troupeaux  de  chèvres  ou  de  moutons7,  mais 
ils  ne  connaissaient  ni  le  cheval,  ni  le  chameau,  non  plus  que  leurs  voisins 
d'Afrique.  Us  vivaient  surtout  du  lait  de  leurs  bestiaux  et  de  la  récolte  de 
leurs  dattiers.  Une  partie  d'entre  eux  cultivait  la  terre  :  groupés  autour  des 
sources  et  des  puits,  ils  entretenaient,  à  force  de  travail  et  d'industrie,  des 
champs  d'étendue  médiocre  mais  fertiles,  des  vergers  assez  riches,  des  bou- 
quets de  palmiers,  des  figuiers,  des  oliviers,  des  vignes8.  Us  en  tiraient  malgré 
tout  des  ressources  insuffisantes,  et  leur  condition  serait  restée  précaire  s'ils 
n'avaient  pu  compléter  leur  approvisionnement  en  Egypte  ou  dans  la  Syrie 
méridionale.  Us  échangeaient  sur  les  marchés  de  la  frontière  le  miel,  la 
laine,  les  gommes,  la  manne,  un  peu  de  charbon  de  bois,  contre  les  pro- 
duits des  manufactures  locales,  surtout  contre  le  blé  ou  les  céréales  qui  leur 

Tonou  est  une  faute  de  scribe  pour  Koteuou,  et  se  déclare  comme  Chabas  pour  la  Palestine.  Le  Tonou 
me  paraît  être  le  territoire  qui  appartint  par  la  suite  à  la  tribu  de  Siméon,  jusqu'à  l'Arabah  et  au 
cours  moyen  de  i'Ouady  AHsh  (les  Contes  populaires  de  VÈgypte  Ancienne,  2*  éd.,  p.  94). 

t.  Papyrus  de  Berlin  n°  i,  I.  81,  où  l'on  trouve  la  description  du  pays;  cf.  p.  471  de  celte  Histoire. 

2.  Ce  nom  avait  été  lu  AdimA,  Adoumâ,  et  assimilé  à  celui  d'Ëdom  par  Chabas  (les  Papyrus  hir- 
ratiques  de  Berlin,  p.  40,  75),  identification  que  tous  les  égyptologues  avaient  adoptée.  MM.  Ed.  Meyer 
(Geschichte  dlgyptens,  p.  184,  note  3)  et  Erman  (£gypten  und  jEgyptisches  Leben  im  Allertum,  p.  495), 
suivis  par  M.  Max  Mùllcr  (Asicn  und  Europa,  p.  40-47),  le  lisent  Kadoumâ,  soit  l'hébreu  Kedem; 
M.  Max  MQllcr  place  ce  pays  de  Kadouma-Kedem  au  sud-est  ou  à  Test  de  la  mer  Morte. 

3.  Les  Hirou-Shâilou  ont  été  signalés  pour  la  première  fois  parBirch  (On  a  new  hislorical  Table  t 
of  the  reign  of  Tholhmes  lit,  p.  9-10,  extrait  de  VArctueologia,  t.  XXXVU1)  comme  étant  probable- 
ment les  habitants  du  désert.  Ce  sens,  adopté  et  élargi  par  E.  de  Rougé  (Recherches  sur  les  monument*. 
p.  122-127)  et  par  Chabas  (Études  sur  V Antiquité  historique,  2°  édit.,  p.  114-119),*  est  admis  aujour- 
d'hui par  tous  les  égyptologues.  La  variante  Notniou-Shâitou  ne  se  rencontre  à  ma  connaissance  que 
dans  le  Papyrus  de  Berlin  n°  i,  1.73,  et  chez  Mariette,  Karnah,  pi.  XXXVH,  1.  33  (cf.  E.  et  J.  de  Kocck, 
Inscriptions  recueillies  en  Egypte,  pi.  XXVI,  I.  14),  dans  un  texte  du  second  Empire  Thébain. 

4.  VInscription  de  Papinakhiti,  dont  il  sera  question  plus  loin,  p.  434-435  de  cette  Histoire,  à  pro- 
pos des  voyages  entrepris  par  les  princes  d'Éléphantine,  dit  que  les  Hirou-Shàitou  étaient  des  Âmou. 

5.  Les  portraits  des  <Monitou,  dans  Lepsus,  Denhn.,  H,  39  a,  116  a,  152  a  (cf.  p.  351  de  cette  Hi*- 
toire),  donnent  l'idée  de  ce  qu'étaient  les  Hirou-Shàitou,  avec  lesquels  on  les  confond  souvent. 

(i.  On  lit  au  Papyrus  de  Berlin  n°  i,  1.  127-129,  134-135  (Maspero,  les  Contes  populaires,  4*  édit., 
p.  108),  la  description  d'un  brave  de  Tonou  armé  en  guerre  (cf.  p.  472  de  cette  Histoire). 

7.  Papyrus  de  Berlin  n°  i,  1.  112,  117-128,  où  le  héros  joint  des  chats  à  l'énumération  de  ses 
bestiaux,  probablement  des  chats  apprivoisés  qu'on  apportait  d'Egypte  dans  les  pays  d'Asie. 

8.  Cf.  la  description  d'AIa  au  Papyrus  de  Berlin  na  1,  l.  79-92  (Maspero,  les  Contes  populaires,  2e  édit., 
p.  104-108;  cf.  p.  471  de  cette  Histoire).  Le  récit  qu'Ouni  fait  de  ses  campagnes*  contre  les  Hirou- 
Shàitou,  sous  Papi  1er  (1.  23  sqq.;  cf.  p.  419-421).  confirme  le  tableau  que  Sinouhtt  trace  du  pays,  et 
montre  que  les  conditions  n'en  avaient  point  changé  entre  les  dynasties  memphites  et  la  XII*  dynastie. 


LES  HABITANTS  DU  DESERT  D'ARABIE.  331 

manquaient1.  La  vue  des  richesses  accumulées  dans  la  plaine  orientale,  de 
Tanis  à  Bubaste,  surexcitait  leurs  instincts  pillards  et  soulevait  en  eux  des 
convoitises  inextinguibles  :  les  annales  égyptiennes  mentionnaient  leurs  incur- 
sions dés  avant  l'histoire,  et 
prétendaient  que  les  dieux  eux- 
mêmes  avaient  du  se  prémunir 
contre  elles.  Le  golfe  de  Suez 
et  le  rempart  montagneux  du 
Gebel  GénefFé  au  sud,  les  ma- 
rais de  Péluse  au  nord,  cou- 
vraient le  front  du  Delta  pres- 
que en  entier;  mais  l'Ouady 
Tournilàt  menait  tes  envahis- 
seurs droit  au  cœur  du  pays, 
lies  Pharaons  des  dynasties  di- 
vines', puis  ceux  des  dynasties 
humaines,  avaient  barré  cette 
brèche  naturelle,  les  uns  disent 
d'une  muraille  continue,  les 
autres  d'une  rangée  de  postes 
qui  s'appuyaient  sur  le  golfe1. 

Snofroui    restaura    ou    fonda  .  , 

plusieurs  châteaux  qui  perpé- 
tuaient son  nom  dans  ces  parages  longtemps  après  sa  mort".  Ils  avaient  la 
forme  carrée  ou  rectangulaire  des  citadelles  dont  on  voit  les  ruines  aux  bords 

1.  Ce  sont,  ii  peu  de  chose  près,  les  produits  que  le»  Bédouins  de  ces  parages  apportaient  encore 
régulièrement  sur  les  marchés  d'Egypte  au  commencement  de  noire  siècle  (J.  M.  J.  IIoiiiei.lk,  Obirrra- 
tinimur  ta  topographie  de  ta  prenqu'ile  du  Sinai,  dans  la  Drtniplivii  de  f Egypte,  t.  XVI,  p.  18;i-lS7). 

4.  Voir  p.  170  de  celte  Hittoirece  qui  est  dit  des  Torts  construits  par  le  dieu  Kà,  à  l'Orient  du  Delta. 

g.  L'existence  du  mur  ou  de  la  ligne  de  postes  est  Tort  ancienne,  car  le  nom  de  Klm-Olrll  est  déjà 
suivi  de  l'hiéroglyphe  de  la  muraille  {Papi  J",  I.  47;  Mlriiiii,  I.  38;  Teti,  I.  tli),  ou  de  celui  de 
l'enceinte  forliliëe  (Miniiri,  I.  114)  dans  les  textes  des  Pyramides.  Les  pression  Klm-Olrtt,  fa  trrt 
Xoire,  s'applique  à  la  partie  septentrionale  de  la  mer  Hougo,  par  parallélisme  avec  Ouaï-OIrit,  Uuailt- 
Mrll,  la  Irèë  Verte,  la  Méditerranée  (Kam*.  Xur  Erklm-ung  der  Pyramidrnteite.  clans  la  ieitsrhrift, 
I.  XXIX,  p.  11-15;  ef.  Mit  HClles,  Asien  und  Eurapa  nach  Alliïgyptiirhen  DenkmnUrn,  |>  lUaqq.); 
une  ville,  bâtie  probablement  à  peu  de  distance  du  l.ourg  actuel  de  Maghftr,  avait  pris  te  nom  du 
(folle  sur  lequel  elle  élait  située,  et  s'appelait  également  klm-Oirll. 

4.  Denin  de  Fauthrr-Gudin ,  d'aprè*  une  photographie  de  Pétrie.  L'original  est  de  l'époque  de 
INeclanébo  et  se  trouve  à  Karnak;  je  l'ai  reproduit  de  préférence  aux  ligules  du  temps  de  l'Ancien 
Empire,  qui  sont  moins  bien  conservées,  et  dont  il  n'est  que  la  reproduction  traditionnelle. 

5.  Papyrut  de  Berlin  n"  /,  I.  16-17  (ef.  C.ii.ibh,  te'  Papyrus  hiératique/  de  Berlin,  p.  38-3(1),  et 
P.tpyrut  if  I  de  SaiuUPftertbourg,  cité  cl  analysé  par  Colénisclieiï  dans  la  Zeit/chrift,  1878,  p.  Mil: 
tn/rription  d'Outil,  I.  11.  Dans  ce  dernier  lente,  Snofroui  csl  désigné  seulement  par  son  nom  d'Horus, 
Horou  uib  mdlt  (cf.  Su»:,  Sin  nruer  lloru/name,  dans  la   Zeit/chrift,  t.  XXX,  p.  Si). 


354  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

du  Nil  :  les  sentinelles,  debout  nuit  et  jour  derrière  tes  créneaux,  scrutaient 
le  désert  du  regard,  prêtes  à  donner  l'alarme  au  moindre  mouvement  suspect. 
Les  maraudeurs  profitaient  de  tous  les  accidents  de  terrain  pour  s'approcher 
inaperçus,  et  réussissaient  souvent  à  forcer  le  cordon1  :  ils  se  dispersaient 
dans  la  campagne,  surprenaient  un  ou  deux  villages,  entraînaient  quelques 
femmes  et  quelques  enfants,  s'emparaient  des  troupeaux,  et,  sans  pousser 
plus  loin  l'aventure,  se  dépêchaient  de  regagner  leurs  solitudes  avant  que  le 


bruit  de  leurs  exploits  se  fût  trop  répandu.  Dès  que  leurs  courses  se  multi- 
pliaient, le  commandant  de  ta  Marche  Orientale  ou  Pharaon  lui-même  se  met- 
tait à  la  tète  d'une  petite  armée  et  entreprenait  contre  eux  une  campagne  de 
représailles.  Ils  n'attendaient  pas  le  choc  de  pied  ferme,  mais  ils  se  réfu- 
giaient dans  des  abris  préparés  à  l'avance  sur  certains  points  de  leur  terri- 
toire. Ils  érigeaient  çà  et  là,  sur  la  crête  de  quelque  colline  escarpée,  ou 
vers  le  confluent  de  plusieurs  Ouadys,  des  tours  en  pierre  sèche,  groupées 
en  nombre  inégal,  par  trois,  par  dix,  par  trente,  arrondies  au  sommet  comme 
autant  de  ruches  :  ils  s'y  entassaient  tant  bien  que  mal  et  s'y  défendaient 
désespérément,  dans  l'espoir  que  le  manque  d'eau  ou  de  vivres  forcerait  l'as- 
saillant à  se  retirer  bientôt9.  Ailleurs,  ils  possédaient  des  douars  fortifiés  où 

I.  On  lit  dan»  le  l'apymi  de  Berlin  n°  1,  l.  1G  aqq.  (Mjspf.ro,  let  Conta  populaire*.  î"  éd.,  p.  99). 
la  description  d'un  de  ces  forte,  ut  la  façon  dont  Sinouhlt  dérohe  g*  marche  aux  veilleurs  :  il  reste  tapi 
dans  les  buissons  du  voisinage  pendant  tout  le  jour  et  ne  reprend  son  chemin  qu'à  11  nuit  close. 

S.  Deuin  de  Favchrr-Gudin,  d'aprft  la  vignette  de  F..  H.  Pilhes.  the  Detert  of  the  Exodut.p.  31;. 

3.  Les  membres  de  la  commission  anglaise  n'hésitent  pas  à  faire  remonter  ces  tours  jusqu'à  la  plus 


LA  PRESQU'ILE  DU  SIHAI.  353 

non  seulement  leurs  familles,  mais  leurs  troupeaux  pouvaient  trouver  un  abri  : 
une  enceinte  ovale  ou  ronde  en  grosses  pierres  brutes,  basse,  couronnée  d'un 
rempart  épais  d'arbustes  épineux  et  de  branches  d'acacia  entrelacées,  puis 
des  rangées  de  tentes  ou  de  huttes,  puis,  au  milieu,  un  espace  vide  pour  le 
bétail1.  Ces  forteresses  primitives  suffisaient  à  tenir  des  nomades  en  respect  : 
elles  n'occupaient  pas  longtemps  les  troupes  régulières.  Les  Égyptiens  'es 
enlevaient  d'assaut,  les  bouleversaient,  tranchaient  les  arbres  fruitiers,  brû- 
laient les  récoltes,   se  repliaient  en  paix  après  avoir  tout  détruit  sur  leur 


passage,  et  chacune  de  leurs  campagnes,  qui  durait  quelques  jours  à  peine, 
assurait  la  tranquillité  de  la  frontière  pour  quelques  années3. 

Au  sud  du  Gebel  et-Tih.  et  coupé  presque  entièrement  de  lui  par  un  fossé 
d'Ouadvs,  un  massif  triangulaire  de  montagnes,  le  Sinai,  s'enfonce  dans  la 
mer  Rouge  comme  la  pointe  d'une  lance,  et  refoule  les  eaux  à  droite  et  à 
gauche,  en  deux  golfes  étroits,  celui  d'Akabah  et  celui  de  Suez.  Le  Djebel 
Katherîn  se  dresse  au  centre  et  domine  la  péninsule.  Un  chaînon  sinueux  s'en 
détache,  qui  aboutit  au  Djebel  Serbal  à  quelque  distance  au  nord-ouest;  un 
autre  se  dirige  vers  le  sud,  et,  après  avoir  presque  atteint  au  Djebel  Oumm- 
Shomer  la  hauteur  du  Djebel  Katherîn,  s'abaisse  par  degrés  el  plonge  en  mer 

haute  antiquité  (fi.  11.  I'.ilxkii,  The  Deterl  of  tht  E-rodui,  p.  3I)H  sqq..  3[G  nqq.;  Account  of Ihe  Surney, 
p.  ««,  194.19:;,  cl  pi,  IX,  l)  :  lui  Bédouins  In»  nomment  namoût,  plur.  iiamiamli.  maisons  des 
moustiques,  el  racontent  que  les  Enfants  d'Israël  les  construisirent  afin  de  se  meltre  à  l'abri  des 
moustique»  pendant  la  nuit,  du  temps  de  l'Ksodc.  La  ressemblance  de  ces  édilices  avec  le*  talayôt 

I.  K.  II.  Pii.hkh,  The  Drtrrt  of  Ihr  Ksodut,  p.  3SO-324;  Miwiao.  ,Y»/c<  au  jour  le  jour,  §  SU,  dans 
les  Prorrediugt  de  la  Société  d'Archéologie  biblique,  t.  XIV.  ISUI-IHyi.  p.  3*6-347. 

*.   lleitin  de.  Boudirr,  d'aprèi  [aquarelle  publiée  par  Lbkius.  Denkni.,  I.  7,  n"  t. 

3.  L'inscription  d'Ouni  (I,  ii-3i)  nous  fournit  le  type  immuable  des  campagnes  égyptiennes  contre 
tes  II irou  Shàltou  :  on   pourrait  l'illustrer  au  moyen  des   tableaux  de    Karnak  qui    représentent    la 


354  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

au  Ras-Mohammed.  Un  système  compliqué  de  gorges  et  de  vallées  sillonne  le 
pays,  et  l'emprisonne  comme  d'un  réseau  de  mailles  inégales,  Ouady  Nasb, 
Ouady  Kidd,  Ouady  Hebrân,  Ouady  Baba  :  l'Ouady  Féîràn  contient  l'Oasis 
la  plus  fertile  de  la  contrée.  Un  ruisseau  qui  ne  tarit  jamais  l'arrose  pendant 
près  de  trois  ou  quatre  kilomètres  :  un  véritable  bois  de  palmiers  en  égaie  les 
deux  rives,  un  peu  grêle,  un  peu  clair,  mais  entremêlé  à  des  acacias,  à  des 
tamaris,  à  quelques  napécas,  à  des  caroubiers,  à  des  saules.  Des  oiseaux  chan- 
tent dans  les  branches,  des  moutons  vont  paissant  par  les  champs,  des  huttes 
s'espacent  entre  les  arbres.  Les  vallées  et  les  plaines,  même  par  endroits  le 
penchant  des  collines,  sont  semés  parcimonieusement  de  ces  herbes  aroma- 
tiques et  fines  qui  recherchent  les  terrains  pierreux.  Leur  vie  est  une  lutte 
perpétuelle  contre  le  soleil  :  brûlées,  séchéçs,  mortes  à  ce  qu'il  semble,  et  si 
friables  qu'elles  s'émiettent  sous  les  doigts  quand  on  essaie  de  les  cueillir,  les 
pluies  du  printemps  les  raniment  d'année  en  année  et  leur  rendent  presque  à 
vue  d'œil  quelques  jours  de  jeunesse  verte  et  parfumée.  Les  sommets  restent 
toujours  nus,  et  nulle  végétation  n'adoucit  la  rigidité  de  leurs  lignes  ou  la  viva- 
cité de  leurs  teintes.  Le  noyau  de  la  péninsule  est  comme  sculpté  dans  un 
bloc  de  granit,  où  le  blanc,  le  rose,  le  brun,  le  noir  dominent  selon  les 
quantités  de  feldspath,  de  quartz  ou  d'oxydes  de  fer  que  les  roches  recèlent. 
Vers  le  nord,  les  masses  de  grès  qui  se  relient  au  Gebel  et-Tih  se  nuancent 
de  tous  les  rouges  et  de  tous  les  gris  possibles,  depuis  le  gris  lilas  tendre 
jusqu'au  pourpre  sombre.  Les  tons,  posés  crûment  l'un  à  côté  de  l'autre, 
n'ont  pourtant  rien  de  heurté,  ni  de  blessant  à  l'œil  :  le  soleil  les  enveloppe 
et  les  fond  dans  sa  lumière.  Comme  le  désert  à  l'Est  de  l'Egypte,  le  Sinai 
est  battu  par  intervalles  d'orages  terribles  qui  dénudent  ses  montagnes  et 
changent  ses  Ouadys  en  autant  de  torrents  éphémères.  Les  Monîtou  qui  le 
fréquentaient  à  l'aube  des  temps  historiques  ne  différaient  pas  des  Maîtres 
des  Sables1  :  même  type,  même  costume,  même  armement,  mêmes  instincts 
nomades,  et,  dans  les  endroits  où  le  sol  s'y  prêtait,  mêmes  essais  de  culture 
sommaire.  Us  adoraient  un  dieu  et  une  déesse  que  les  Égyptiens  identifièrent 
avec  Horus  et  avec  Hâthor  ;  l'un  parait  avoir  représenté  la  lumière,  peut-être 
le  soleil,  l'autre  le  ciel*.  Ils  avaient  découvert  de  bonne  heure,  au  flanc  des 

grande  razzia  dirigée  par  Séti  Ior  sur  le  territoire  des  Shaousous  et  de  leurs  congénères,  entre 
la  frontière  d'Egypte  et  la  ville  d'IIébron  (Champollion,  Monuments  de  l'Egypte  et  de  la  Subie, 
pi.  CCLXXXIX-CCC1I;  Kosellini,  Monument  i  Reali,  pi.  XLVI-LXI;  Lepsii's,  Denkm.,  III,  126-127). 

1.  Sur  les  Monîtou,  cf.  Max  Mï'llkr,  Asien  und  Europa  nacli  Altâgyptischcn  Denlimalern,  p.  17-24. 

2.  Ce   sont    les   divinités    inxoquées  de  préférence   dans   les    proscynèmes  des  officiers    et    des 
mineurs  égyptiens  qui  séjournaient  au  voisinage  des  mines  de  Mafkaît  (Lepsiis,  Denkm. %  11,  137). 


LES  MINES  DE  TURQUOISES  ET  DE  CUIVRE.  355 

collines,  des  veines  abondantes  de  minerais  métalliques  et  des  gisements  de 
pierres  précieuses  :  ils  apprirent  à  en  extraire  du  fer,  des  oxydes  de  cuivre 
et  de  manganèse,  des  turquoises  qu'ils  exportèrent  dans  le  Delta.  La  renom- 
mée de  leurs  richesses  répandue  aux  bords  du  Nil  suscita  la  convoitise  des 
Pharaons  :  des  expéditions  partirent  de  différents  points  de  la  vallée,  s'abat- 
tirent sur  la  péninsule  et  s'établirent  de  vive  force  au  milieu  des  cantons  qui 
possédaient  des  mines1.  Ceux-ci  étaient  situés  au  nord-ouest,  entre  le  rameau 
occidental  du  Gebel  et-Tîh  et  le  golfe  de  Suez,  dans  la  région  des  grès.  L'en- 
semble s'en  appelait  Mafkait,  le  pays  des  Turquoises,  ce  qui  valut  à  l'Hâthor 
locale  l'épithète  de  dame  du  Mafkaît.  Le  district  le  plus  anciennement  exploré, 
celui  auquel  les  Égyptiens  s'attaquèrent  d'abord,  était  séparé  de  la  côte  par 
une  plaine  étroite  et  par  une  seule  rangée  de  hauteurs  :  le  transport  au  rivage 
des  produits  de  l'exploitation  s'exécutait  sans  peine  en  quelques  heures.  Les 
ouvriers  de  Pharaon  parlaient  de  ces  parages  comme  de  Bait,  la  Mine  par 
excellence,  ou  de  Bibît,  la  contrée  des  Grottes,  à  cause  des  galeries  nom- 
breuses que  leurs  prédécesseurs  y  avaient  creusées  :  le  nom  d'Ouady 
Magharah,  Vallée  de  la  Caverne,  par  lequel  on  désigne  le  site  aujourd'hui, 
traduit  simplement  en  arabe  le  vieux  terme  égyptien*. 

Les  Monîtou  n'acceptèrent  point  sans  lutte  cette  usurpation  de  leurs  droits  : 
les  Égyptiens  qui  vinrent  travailler  chez  eux  durent  acheter  leur  tolérance 
par  un  tribut,  ou  se  tenir  prêts  à  repousser  leurs  assauts  par  la  force  des 
armes.  Zosiri  s'était  déjà  préoccupé  d'assurer  l'industrie  des  chercheurs  de 
turquoises3;  Snofroui  n'est  donc  pas  le  premier  des  Pharaons  qui  soit  passé 
par  là,  mais  nul  de  ses  prédécesseurs  n'a  laissé  autant  de  traces  que  lui  dans 
ce  coin  perdu  de  l'empire.  On  voit  encore,  au  versant  nord-ouest  de  l'Ouady 
Magharah,  le  bas-relief  qu'un  de  ses  lieutenants  y  grava  en  mémoire  d'un 
succès  remporté  sur  les  Monîtou.  Un  shéîkh  Bédouin,  renversé  à  genoux, 
demande  l'aman  d'un  geste  suppliant;  mais  déjà  Pharaon  l'a  empoigné  par  sa 
longue  chevelure  et  lui  brandit  sa  massue  de  pierre  blanche  au-dessus  de  la 
tête,  pour  l'assommer  d'un  seul  coup4.  Les  ouvriers,  partie  recrutés  dans  le 

1.  L'histoire  des  établissements  égyptiens  au  Sinai  a  été  élucidée  par  G.  Ebers,  Durch  Gosen  zum 
Sinai,  et  par  Brixscb,  Wanderung  nach  der  Tûrkis-Minen;  on  trouvera  la  plupart  des  inscriptions 
traduites  sommairement  par  Birch  dans  le  chapitre  septième  de  V Account  of  the  Survey,  p.  168  sqq. 

2.  La  forme  même  du  nom  égyptien  parait  être  demeurée  attachée  à  l'un  des  Ouadys  secondaires 
qui  rejoignent  les  mines  de  l'Ouady  Magharah  à  celles  du  Sarbout  el-Khadfm,  l'Ouady  Babah  (Ebers, 
Durch  Gosen  zum  Sinai,  p.  130,  535;  Brugsch,  Wanderung  nach  der  Tûrkis-Minen  und  der  Sinai- 
ffalbinsel,  p.  81-82).  Les  Bédouins  appliquent  ordinairement  à  l'Ouady  Magharah  le  nom  de  l'Ouady 
Gennéh  ou  Ouady  Ignéh  (E.  H.  Palmer,  The  Désert  of  the  Exodus,  p.  195). 

3.  BÉJrôDtTK,  Le  nom  oVépervier  du  roi  Sosir,  dans  le  Recueil,  t.  XVI,  p.  104;  cf.  plus  haut,  p.  242. 

4.  Léo»  db  Laborde,  Voyage  de  C Arabie  Pétrée,  pi.  5,  n*  3;  Lottin  or  Laval,  Voyage  dans  la  Pénin- 


L'EMPIRE   MEMPH1TE. 


pays  même,  partie  envoyés  de»  bords  du  Nil,  vivaient  retranchés  sur  un  morne 
isolé,  taillé  à  pic,  à  la  rencontre  de  l'Ouady  Gennéh  et  de  l'Ouady  Magharah'. 
Un  sentier,  pratiqué  en  lacet  dans  la  pente  la  moins  rude,  aboutit,  quinze 
mètres   environ  en  contre-bas  du   sommet,  à  l'extrémité  d'un  petit  plateau 
légèrement  incliné  qui  porte    les  ruines   d'un    gros  village  :  c'est  le  Haut- 
Castel   des  inscriptions    antiques  — 
Hait-Qaît  *.   Il    compte   encore  deux 
cents  maisons,  les  unes  rondes,  les 
autres  rectangulaires,  construites  en 
blocs  de  grès  non  cimentés,  à  peine 
aussi   grandes  que  les  cabanes  des 
fellahs  et  recouvertes  jadis  d'un  toit 
plat  en  clayonnage  et  en  argile  bat- 
tue.  On   y   pénètre   moins  par  une 
porte  que  par  une  fente  étroite  où  un 
gros  homme  aurait  peine  à  se  glisser  ; 
elles  n'ont  qu'une    seule    chambre, 
sauf   celle  d'un  chef  de  travaux  qui 
en  contient  deux.  Une  banquette  en 
pierre  brute,  haute  de  soixante-dix  à 
quatre-vingts  centimètres,  entoure  la 
l«  t»m*«nm  .*»«*  »  l«„.  ■««»«'.        plate-forme  :  un  fourré  de  branches 
épineuses   complétait   probablement 
l'appareil,  comme  aux  douars  du  désert.  La  position  était  très  forte  et  facile 
à  défendre.  Des  guetteurs,  disséminés  sur   les  cimes  voisines,  surveillaient 
au  loin  la  plaine  et  les  défilés  de  la  montagne.  Sitôt  qu'ils  avaient  signalé  par 
leurs  cris  l'approche  d'une  bande,  les  ouvriers  désertaient  la  mine  et  se  réfu- 
giaient dans  leur  donjon  ;  une  poignée  d'hommes  résolus  y  pouvait  tenir  avec 
succès,  aussi  longtemps  que  la  faim  et  la  soif  ne  se  mettaient  point  de  la  partie. 
Comme  les  sources  et  les  puits  ordinaires  n'auraient  pas  pourvu  à  la  consom- 


iii le  Arabique  ri  ft.gypte  moyenne,  In»,  hier.,  pi.  I,  n*  1  ;  Lrpsiïs,  Detikm,,  II,  5i  Biplib,  dans  Y  Account 
of  the  Surveij,  p.  171. 

1.  La  description  des  ruines  égyptiennes  et  des  mines  de  turquoises  qui  les  «voisinent  est  em- 
pruntée à  un  article  de  i.  Kmst  Loue,  The  Penintula  of  Sinai  (dans  les  Leiture  Houn,  1870).  donl 
N.  Chabas  s'est  servi  déjà  fort  heureusement  dans  ses  Recherche!  lur  l'Antiquité  hittorique,  ï-  Mit.. 
p.  318-363;  on  en  retrouve  l'analogue  dans  Y  Account  of  the  Survey,  p.  i-ii-iti. 

i.  Biu.-r.scii,  Religion  und  Mythologie  der  Allen  Mgypter,  p.  567-568  ;  Hilt-Qstt  est  mentionnée  encore 
tu  milieu  de  l'époque  plolémalque.  dans  DCaicnt*,  Geographiiche  Intchriften,  t.  lit,  pi.  LI. 

3.  Plan  dreafpar  Thuillier,  il'aprci  le  croquil  de  Bsrcscn,  Wanderuno  nach  den  TûrkU-Uinen,  p.  70. 


LES  ÉTABLISSEMENTS  MINIERS  DES  PHARAONS.  357 

inatiOD  de  la  colonie,  on  avait  transformé  le  fond  de  la  vallée  en  un  lac  artifi- 
ciel. Un  barrage  jeté  en  travers  empêchait  les  eaux  de  s'écouler;  le  réservoir 
se  remplissait  plus  ou  moins  abondamment  selon  la  saison,  mais  il  ne  se  vidait 
jamais,  et  plusieurs  espèces  de  coquillages  y  prospéraient,  entre  autres  une 
espèce  de  grosse  moule  dont  les  habitants  se  nourrissaient  communément. 
Des  dattes,  du  lait,  de  l'huile,  un  pain  grossier,  quelques  légumes  et  de  temps 
en  temps  une  volaille  ou  un  quartier  de  viande  :  la  pitance  était  misérable 


et  il  en  allait  du  reste  à  l'avenant.  On  n'a  retrouvé  dans  le  village  que  des 
outils  en  silex  :  couteaux,  grattoirs,  scies,  marteaux,  pointes  de  lance,  tètes  de 
flèche.  Un  petit  nombre  de  vases  apportés  d'Egypte  se  distinguaient  par  la 
finesse  de  la  matière  et  par  la  pureté  du  galbe;  mais  la  poterie  d'usage  courant 
était  fabriquée  sur  place  d'une  terre  grossière,  sans  soin  ni  souci  de  la  beauté. 
En  fait  de  bijoux,  des  perles  en  verroterie  ou  en  émail  bleu,  et  des  cauries 
enfilées  en  colliers.  Aux  mines  comme  à  la  maison,  les  ouvriers  n'employaient 
que  des  instruments  en  pierre,  emmanchés  de  bois  ou  d'osier  tressé,  ciseaux 
ou  marteaux,  plus  que  suffisants  pour  entamer  le  grès  jaunâtre,  à  gros  grains 
très  friables,  au  milieu  duquel  ils  travaillaient1.  Les  galeries  cheminent  droit 
dans  la  montagne,  basses,  mais  larges,  et  étayées  de  loin  en  loin  par  quelques 
piliers  réservés   sur   la  masse.    Elles    conduisent   à  des   salles  de    largeur 

i.  Jlrtn'n  de  Boudin-,  ifaprèt  la  photographie  publiée  dam  fOrdnance  Survey  of  Ihe  Peniniula  ef 
Sinai,  Photographi,  t.  Il,  pi.  59-fiO. 

t.  E.  H.  Palmcr  croit  pourtant  avoir  reconnu  que  le  travail  dans  les  galeries  de  minet  s'eiéculaît 
uniquement  au  moyen  de  ciseaux  el  d'oiilils  en  brome  :  le»  instrument*  en  ailei  taillé  auraient  servi 
(out  su  plus  a  sculpter  le»  tableau*  répandus  sur  les  rochers  {The  Désert  af  tke  Exoduë,  p.  197). 


358  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

variable,  d'où  elles  rassortent  à  la  poursuite  des  minerais  précieux.  La  tur- 
quoise scintille  partout,  au  plafond  et  sur  les  parois  :  les  mineurs,  profitant 
des  moindres  fissures,  cernaient,  puis  détachaient  les  blocs  à  grands  coups,  les 
réduisaient  en  menus  fragments  qu'ils  broyaient  et  tamisaient  soigneusement, 
de  manière  à  ne  perdre  aucune  parcelle  de  la  gemme.  Les  oxydes  de  cuivre  et 
de  manganèse,  qu'ils  rencontraient  en  quantité  médiocre  là  et  dans  d'autres 
localités,  servaient  à  fabriquer  ces  beaux  émaux  bleus  de  nuances  variées  que 
les  Égyptiens  aimaient  si  fort.  Les  quelques  centaines  d'hommes  dont  se  com- 
posait la  population  permanente  pourvoyaient  aux  exigences  journalières 
de  l'industrie  et  du  commerce.  Des  inspecteurs  royaux  venaient  de  temps  en 
temps  examiner  leur  condition,  ranimer  leur  zèle  et  recueillir  le  produit  de 
leur  labeur.  Lorsque  Pharaon  avait  besoin  d'une  quantité  de  minerais  ou  de 
turquoises  plus  considérable  qu'à  l'ordinaire,  il  dépêchait  un  de  ses  officiers  en 
mission  avec  une  troupe  choisie  de  carriers,  de  maîtres  mineurs,  de  dresseurs 
de  pierres.  C'étaient  parfois  deux  ou  trois  mille  hommes  qui  fondaient  sou- 
dain sur  la  péninsule  et  qui  y  séjournaient  un  ou  deux  mois  :  l'exploitation 
marchait  bon  train,  et  l'on  profitait  de  l'occasion  pour  extraire  et  pour  trans- 
porter en  Egypte  de  beaux  blocs  de  diorite,  de  serpentine,  de  granit,  d'où  l'on 
tirait  ensuite  des  sarcophages  ou  des  statues.  Des  stèles  gravées  en  évidence 
sur  les  flancs  de  la  montagne  énuméraient  les  noms  des  principaux  chefs,  les 
différents  corps  de  métiers  qui  avaient  participé  à  la  campagne,  le  nom  du 
souverain  qui  l'avait  ordonnée,  et  souvent  l'année  de  son  règne. 

Ce  n'est  pas  un  tombeau  seulement,  c'est  deux  tombeaux  que  Snofroui  se 
fit  bâtir1.  11  les  appela  Khâ,  le  Lever y  l'endroit  où  le  Pharaon  mort,  identifié 
au  Soleil,  se  lève  sur  le  monde  à  jamais.  L'un  d'eux  est  probablement  situé 
vers  Dahshour;  l'autre,  le  Khâ  rhî,  le  Lever  Méridional ',  paraît  être  identique 
avec  le  monument  de  Méîdoum.  Comme  le  mastaba,  la  pyramide*  représente 

1.  Il  est  question  de  ces  tombeaux  dans  un  certain  nombre  d'inscriptions  (Maspero,  Quatre  Année* 
de  fouilles,  dans  les  Mémoires  de  la  Mission  du  Caire,  t.  I,  p.  190)  :  le  nom  en  est  déterminé  à  plu- 
sieurs reprises  par  deux  pyramides,  et  dans  un  cas  au  moins,  à  Dahshour,  la  pyramide  Khâ  méridio- 
nale est  mentionnée.  Il  en  aura  été  pour  Snofroui  ce  qui  en  fut  pour  le  Pharaon  Ai,  vers  la  fin  de 
la  XVIII4  dynastie  :  après  s'être  préparé  un  tombeau  dans  le  site  de  Dahshour,  il  aura  renoncé  à 
l'occuper  par  suite  d'un  changement  de  résidence,  et  s'en  sera  construit  un  second  à  Méîdoum. 

4.  Aucune  des  étymologies  proposées  pour  le  mot  pyramide  n'est  satisfaisante  :  la  moins  aventurée 
est  celle  de  Cantor-Eiscnlohr  (Eisknlohr,  Des  Mesures  égyptiennes,  dans  les  Transactions  of  the  Inter- 
national Congress  of  Orientaliste,  1874,  p.  288,  et  Ein  Malhematisches  Handbuch  der  Alten  jEgypter, 
p.  110),  d'après  laquelle  pyramide  serait  la  forme  grecque,  nvpapii';,  du  terme  composé  piri-m-ouisi, 
qui,  dans  la  langue  mathématique  égyptienne,  sert  à  désigner  la  saillie  en  tranchant,  l'arête  de  la 
pyramide  (L.  Rodkt,  Sur  un  Manuel  du  Calculateur  découvert  dans  un  papyrus  égyptien,  p.  8;  extr. 
du  Bulletin  de  la  Société  mathématique  de  France,  1878,  t.  VI,  p.  146),  ou  sa  hauteur  (E.  RÉviLiorr. 
Note  sur  Véquerre  égyptienne  et  son  emploi,  d'après  le  Papyrus  Mathématique,  dans  la  Revue  Egyp- 
te logique,  t.  11,  p.  309  ;  L.  Borchardt,  Die  bôschungcn  der  Pyramiden,  dans  la  Zeitschrift,  t.  XXXI,  p.  14). 


LA   PYRAMIDE  DE  MÉlDOl.H.  359 

un  tuimilus  à  quatre  faces,  dont  on  a  remplacé  la   terre   par  une  structure 
de  pierre  ou  de  brique'.  Elle  signale  l'endroit  où  repose  un  prince,  un  chef, 
un  personnage  de  rang  dans  son  clan  ou  dans  sa  cité  ;  on  l'asseyait  sur  une  base 
plus  ou  moins  large,  on  la  montait  plus  ou  moins  haut,  selon  la  fortune  du  mort 
ou  de  sa  famille1.  La  mode  n'en  vint  qu'assez  tard,  aux  environs  de  Memphis, 
et  les  Pharaons  des  dynasties  primitives  furent  enterrés  dans  des  hypogées 
ou  dans  des  mastabas,  comme  leurs  sujets.  Zosiri  seul  ferait 
une  exception,  si,  comme  il  est  probable,  la  pyramide  à 
degrés  de  Saqqarah  lui  servit  de  tombeau*, 
pour  quel  motif  Snofroui  choisit  le  site  de  M 
peut-être  résidait-il  dans  cette  ville  d'Héracl 
lis  qui  fut  souvent  par  la  suite  le  séjour  fav 
des  souverains,  peut-être  s'était-il  improvisé 
une  cité  dans  la  plaine,  entre  el-Ouastab 

et  Kafr  el-Ayat.  Sa  pyramide  se  compose  , 

aujourd'hui  de  trois  gros  dés  inégaux,  à 

pans  légèrement  inclinés,  et  qui  s'étagent  en  retraite  l'un  sur  l'autre.  On  en 
comptait  cinq  il  y  a  quelques  siècles9,  et  sept  au  moins  dans  l'antiquité,  avant 
que  la  ruine  eût  commencé*.  Chacun  d'eux  marquait  un  accroissement  pro- 
gressif de  la  masse  totale  et  avait  ses  parements  polis,  qu'on  retrouve  encore 
maintenant  l'un  derrière  l'autre;  un  revêtement  de  gros  blocs,  dont  plusieurs 
assises  subsistent  encore  vers  la  base,  recouvrait  l'ensemble  sous  un  seul  angle 
de  la  tête  aux  pieds,  et  le  ramenait  au  type  de  la  pyramide  classique.  Le 
couloir  s'ouvre  au  milieu  de  la  face  nord,  à  dix-huit  mètres  au-dessus  du  sol7  : 

I.  Habhv  de  XMvm.,  Étude»  *ur  V Architecture  égyptienne,  p.  lî*  «|q.;  Pemot-Chihq,  Itiitoirc  de 
l'Art  don*  l'Antiquité,  t.  I,  p.  ÏIXI  sqq.  ;  Msspsbo,  Archéologie  égyptienne,  p.  125. 

t.  Les  pyramides  en  briques  d'Abydos  ont  élé  loutes  construites  pour  de  simple»  particuliers 
(MmitiiB,  Abydot,  I.  Il,  p.  38-3!),  It-H);  le  mol  mini,  qui  sert  à  désigner  la  pyramide  dans  les 
telles,  s'applique  d'ailleurs  aux  tombeaux  de»  nobles  ou  du  peuple  aussi  bien  qu'à  ceux  des  rois. 

3.  On  n'admel  pas  facilement  qu'une  pyramide  de  grandes  dimensions  ait  disparu  sans  laisser 
aucune  trace,  quand  on  a  vu  la  masse  énorme  de  matériaux  qui  marque  encore  le  site  de  celles  qui 
sont  le  plus  endommagées;  d'ailleurs,  les  inscriptions  ne  mettent  en  rapport  avec  une  pyramide  aucun 
des  prédécesseurs  de  Snofroui,  li  ce  n'esl  Zosiri  (cf.  p.  Î-IÎ-Î4-1  de  eotlc  llittoire).  I.a  pyramide  à 
degrés  de  Saqqarah,  qui  est  attribuée  à  ce  dernier,  appartient  au  même  type  que  celle  de  Jléldoum  : 
de  même  la  pyramide  de  Rigah.  dont  le  titulaire  est  inconnu.  En  admetlanl  que  celte  dernière  ait 
servi  de  tombeau  à  un  Pharaon  intermédiaire  entre  Zosiri  et  Snofroui,  Ici  que  llouni,  l'usage  des 
pyramides  ne  serait  encore  qu'une  exception  pour   les  souverain»  antérieurs  à  la  IV'  dynastie. 

4.  Deisin  de  Faucher-Giutin  d'aprti  le»  relevé»  de  Kl.  PnnlE,  Mcdum,  pi.  II. 

5.  M.natit,  Deicription  de  l'Egypte  et  du  Caire,  éd.  de  Boulaq,  I.  I,  p.  11G  :  .  Il  y  a  une  autre  pyra- 
mide nommée  Pyramide  de  Méidonn,  qui  est  comme  une  montagne  ol  qui  a  cinq  élages  ■  ;  il  cite 
comme  autorité  à  l'appui  de  son  dire  le  shéthh  Ahou-Xohamtned  Abdallah,  iîis  d'Abderrahlin  cl-Qatsi. 

6.  W.  Kl.  l'tiaiE,  Medum,  p.  5  sqq.,  où  les  témoignage!  des  écrivains  sont  indiqué*  brièvement. 
1.  La  pyraniidu  de  Jléldoum  fut  ouverte  en  I88Ï  par  Xaspero  (Éluda  de.  Mythologie  et  d' Arekéologir , 

t.  I,  p.  UMfiOJ  cf.  Archéologie  égyptienne,  p.  13*1).  Elle  a  élé  explorée  de  nouveau,  neuf  ans  plus 
tard,  par  M.  Pétrie,  qui  en  a  mesuré  les  dimensions  avec  une  exactitude  scrupuleuse  (Medum,  p.  10-1 1). 


360  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

il  a  un  mètre  et  demi  de  section,  et  plonge  en  pleine  maçonnerie  par  une 
pente  assez  raide.  A  soixante  mètres  de  profondeur,  il  se  redresse  sans  s'élar- 
gir, court  de  plain-pied  l'espace  de  douze  mètres,  à  travers  deux  chambres 
étroites  et  basses,  puis  il  se  coude,  remonte  perpendiculairement  et  débouche 
au  ras  du  caveau.  Celui-ci  est  creusé  dans  la  montagne,  petit,  grossier,  dénué 
d'ornement  :  le  plafond  simule  trois  fortes  assises  horizontales,  qui  gagnent 
en  encorbellement  l'une  sur  l'autre  et  qui  donnent  l'illusion  d'une  sorte  d'ogive 
très  aiguë.  Snofroui  dormit  là  pendant  des  siècles,  puis  des  voleurs  se  frayè- 
rent un  chemin  jusqu'à  lui,  dépouillèrent  et  brisèrent  sa  momie,  éparpillèrent 
les  débris  de  son  cercueil  sur  le  sol,  enlevèrent  son  sarcophage  en  pierre; 
l'appareil  de  poutres  et  de  cordes  dont  ils  usèrent  pour  le  descendre  pendait 
en  place  au-dessus  de  l'orifice  du  puits,  il  y  a  dix  ans.  La  violation  date  de 
loin,  car,  dès  la  XXe  dynastie,  les  curieux  pénétraient  dans  le  couloir  :  deux 
scribes  ont  griffonné  leurs  noms  à  l'encre  sur  le  revers  du  cadre  où  le  bloc  de 
fermeture  s'enchâssait  à  l'origine1.  La  chapelle  funéraire  s'élevait  un  peu  en 
avant  de  la  face  Est  :  elle  comprend  deux  salles  de  petites  dimensions,  aux 
parois  nues,  une  cour  dont  les  murs  s'épaulent  à  la  pyramide,  et,  dans  la  cour, 
vis-à-vis  la  porte,  une  lourde  table  d'offrandes  flanquée  de  deux  grandes  stèles 
sans  inscription,  comme  si  la  mort  du  souverain  avait  arrêté  la  décoration 
avant  le  terme  prévu  par  les  architectes.  On  y  accédait  encore  à  volonté 
pendant  la  XVIIIe  dynastie,  et  l'on  y  venait  rendre  hommage  à  la  mémoire  de 
Snofroui  ou  de  sa  femme  Mirisônkhou.  Les  visiteurs  y  consignaient  à  l'encre, 
sur  la  muraille,  des  impressions  enthousiastes  mais  sans  variété  :  ils  compa- 
raient le  «  Château  de  Snofroui  »  au  firmament,  «  quand  le  soleil  s'y  lève; 
le  ciel  y  pleut  l'encens  et  verse  les  parfums  sur  le  toit*  ».  Ramsès  H,  qui  ne 
respectait  guère  les  œuvres  de  ses  prédécesseurs,  démolit  une  partie  de  la 
pyramide  pour  se  procurer  à  bon  marché  les  matériaux  nécessaires  aux  édi- 
fices qu'il  restaurait  dans  Héracléopolis.  Ses  ouvriers  rejetèrent  les  déchets 
de  pierre  et  de  mortier  au  bas  de  l'endroit  où  ils  travaillaient,  sans  se  préoc- 
cuper de  ce  qui  s'y  trouvait;  la  cour  s'engrava,  le  sable  apporté  par  le  vent 
envahit  graduellement  les  chambres,  la  chapelle  disparut  et  demeura  ense- 
velie pendant  plus  de  trois  mille  ans3. 

Les  officiers  de  Snofroui,  ses  serviteurs,  la  plèbe  de  sa  ville  avaient  voulu 

1.  M.ispfcno,  Éludes  de  Mythologie  et  d Archéologie  rgypt  ionien,  t.  1,  p.  149. 

2.  Vf.  Fl.  Pétrie.  Medunt,  pi.  XXXIII,  I.  8-10.  et  p.  40. 

3.  Klle  a  été  découverte  par  M.  Pétrie,  Medum>  p.  8-10,  pi.  IV,  et  Tcn  Years  Digging  in  Egypt. 
p.  140-141;  M.  Pétrie  l'a  remblayée  en  quittant  les  lieux  pour  la  sauver  des  Arabes  et  des  touristes. 


LES  MASTABAS  DE  MÉluOUM.  364 

reposer  auprès  de  lui,  selon  l'usage,  et  lui  faire  une  cour  dans  l'autre  monde 
comme  dans  celui-ci.  La  domesticité  occupe  des  fosses  grossières,  souvent 
à  même  le  sol,  sans  cercueils  ni  sarcophages.  Le  cadavre  n'y  est  pas  étendu 
sur  le  dos  tout  de  son  long,  dans  l'attitude  du  repos;  il  gît  le  plus  souvent 
sur  le  flanc  gauche,  la  tète  au  nord,  la  face  à  l'est,  les  jambes  pliées,  le  bras 


droit  ramené  contre  la  poitrine,  le  bras  gauche  appliqué  au  ras  du  buste  et 
des  jambes1.  Peut-être  les  gens  qu'on  enterrait  dans  une  posture  si  différente 
de  celles  que  nous  connaissons  aux  momies  ordinaires  appartenaient-ils  à  une 
race  étrangère,  qui  avait  conservé  jusqu'après  la  mort  quelques-unes  des 
coutumes  de  son  pays  d'origine.  Les  Pharaons  peuplaient  souvent  leurs  cités 
royales  avec  des  prisonniers  de  guerre  relevés  sur  les  champs  de  bataille  ou 
ramassés  dans  une  course  à  travers  les  contrées  ennemies  :  Snofroui  a  pu 
emplir  la  sienne  de  Libyens  ou  de  Monitou  captifs3.  Le  corps  descendu,  les 

I.  Deisin  de  FatKhcr-Gvdin  d'aprii  le  eroquit  de  t'i.  Pétrie,  Itn  Yeart'  Digging  in  F.gypl,  p.  141. 

î.  W.  Kl.  Petrle,  Medum,  p.  tt-tt.  Plusieurs  de  ces  momies  étaient,  mutilées,  une  jambe  man- 
quant à  l'une,  un  bras  ou  une  main  à  l'autre;  c'étaient  peut-être  des  ouvriers  tombés  victimes  d'un 
accident  pendant  la  construction  <\<\  In  (îyru riiickv  Ibns  la  [ilujinrl  (les  cas,  les  partie  dclsirhi-cs  avaient 
été  déposées  soigneusement  avec  le  corps,  bien  rei'laiei'eient  alin  que  le  double  les  retrouvât  dan» 
l'autre  monde  et  pûl  s';  compléter  à  volonté  pour  les  besoins  de  son  existence  nouvelle. 

3.  Pétrie  pense  que  le*  gens  enterres  dons  la  posture  contractée  appartiennent  à  la  race  aborigène 


36*2  L'EMPIRE  MEMPIHTE. 

parents  qui  avaient  conduit  le  deuil  entassaient  dans  un  trou  voisin  le  mobilier 
funéraire,  des  outils  en  silex,  des  aiguilles  en  cuivre,  une  vaisselle  de  poupée 
en  terre  rude  et  mal  cuite,  du  pain,  des  dattes  et  des  provisions  de  bouche 
dans  des  plats  empaquetés  de  toile1.  Les  nobles  ont  rangé  leurs  mastabas  sur 
une  seule  ligne  au  nord  de  la  pyramide;  ce  sont  des  masses  de  forte  taille 
et  de  belle  apparence,  mais  vides  pour  la  plupart  et  inachevées*.  Snofroui 
disparu,  Khéops,  qui  lui  succéda,  abandonna  la  place,  et  les  courtisans, 
renonçant  à  leurs  tombes,  allèrent  s'en  construire  d'autres  autour  de  celle  de 
leur  maître  nouveau.  On  ne  rencontre  guère  à  Méîdoum  d'hypogées  finis  et 
habités  que  ceux  des  personnages  morts  avant  Pharaon  ou  peu  de  temps  après 
lui3.  La  momie  de  Rânofir,  l'un  d'eux,  nous  montre  combien  les  Égyptiens 
avaient  poussé  loin  l'art  de  l'embaumeur  dès  cette  époque.  Le  corps  en  est 
bien  conservé,  mais  très  réduit  ;  on  l'avait  habillé  d'une  étoffe  mince,  puis 
enduit  d'une  couche  de  résine  qu'un  sculpteur  habile  avait  façonnée  en  une 
image  ressemblante  du  défunt,  puis  roulé  dans  trois  ou  quatre  tours  d'une 
sorte  de  gaze  ténue  et  presque  transparente4.  La  plus  importante  des  tombes, 
qui  appartenait  au  prince  Nofirmâît  et  à  sa  femme  Atiti,  est  décorée  de  bas- 
reliefs  d'une  facture  particulière  :  les  figures  se  découpent  en  silhouette  dans 
le  calcaire,  et  le  creux  en  est  comblé  d'une  mosaïque  de  pâtes  teintées  qui 
accusent  le  modelé  et  la  couleur  des  parties8.  Partout  ailleurs  on  a  employé 
les  procédés  ordinaires  delà  sculpture,  le  bas-relief  rehaussé  de  couleurs  écla- 
tantes, d'un  style  très  naïf  et  très  fin  :  les  figures  d'hommes  et  d'animaux  y 
prennent  une  vivacité  d'allures  qui  étonne,  et  les  objets,  même  les  hiéro- 
glyphes, sont  rendus  avec  une  minutie  qui  ne  laisse  échapper  aucun  détail8. 
Les  statues  de  Râhotpou  et  de  la  dame  Nofrit,  découvertes  dans  un  mastaba 
à  demi  ruiné,  ont  eu  la  bonne  fortune  d'arriver  jusqu'à  nous  sans  éprouver  le 
moindre  dommage,  presque  sans  rien  perdre  de  leur  fraîcheur  primitive7  :  on 

de  la  vallée,  réduite  en  vasselage  par  une  race  qui  serait  venue  d'Asie  et  qui  aurait  établi  le 
royaume  d'Egypte  :  celle-ci  serait  représentée  par  les  momies  de  posture  allongée  (if edum,  p.  21). 

1.  W.  Fl.  Pétrie,  Medum,  p.  18,  20-21,  pi.  X1X-XX1. 

2.  Maspkro,  Études  de  Mythologie  et  d Archéologie  égyptiennes,  t.  I,  p.  173. 

3.  Ces  mastabas  ont  été  explorés  pour  la  première  fois  et  décrits  par  Mariette,  les  Mastabas  de 
V  Ancien  Empire,  p.  468-482,  et  Monuments  divers,  pi.  XVII-XIX;  cf.  Villiers-Stiart,  y  île  Gleaningt, 
et  p.  27-39,  Egypt  afler  the  War,  p.  469-472.  ils  ont  été  fouillés  de  nouveau  par  W.  Fl.  Pétrie,  Medum, 
1892,  qui  a  reproduit  soigneusement  en  couleurs  les  fragments  de  la  décoration  les  plus  intéressants 

4.  W.  Fl.  Pétrie,  Medum,  p.  17-18.  M.  Pétrie  a  donné  cette  momie,  la  plus  ancienne  peut-être  de 
celles  qui  existent  encore,  au  musée  anatomique  du  Royal  Collège  of  Surgeons  de  Londres. 

5.  L'analyse  chimique  et  l'étude  technique  de  ces  pâtes  colorées  ont  été  faites  d'une  manière  aussi 
complète  que  possible  par  M.  Spurrell  pour  W.  Fl.  Pétrie,  Medum,  p.  28-29. 

6.  M.  Pétrie  a  consacré  une  étude  des  plus  curieuses  aux  hiéroglyphes  de  ces  hypogées,  et  on  a 
reproduit  bon  nombre  sur  les  planches  en  couleur  qui  accompagnent  son  mémoire  (Medum,  p.  29-33). 

7.  Voir  la  tète  de  itàhotpou  à  la  p.  347  de  cette  Histoire,  où  elle  sert  de  lettrine  au  présent  chapitre. 


KHÊOPS,  KHEPHREN  ET  MYKÊRINOS.  3fi3 

les  voit  dans  les  galeries  de  Gîzéh  telles  qu'elles  sortirent  des  mains  de  l'ou- 
vrier1. Ràhotpou  était  fils  d'un  roi,  de  Snofroui  peut-être;  malgré  sa  haute 
origine,  je  lui  trouve  quelque  chose  d'humble  et  d'effacé  dans  la  physiono- 
mie. Nofrit,  au  contraire,  a  grande  mine;  je  ne 
sais  quoi  d'impérieux  et  de  résolu  est  répandu  sur 
toute  sa  personne,  que  le  sculpteur  a  exprimé  fort 
habilement.  Elle  est  moulée  dans  une  robe  ouverte 
en  pointe  sur  la  poitrine;  les  épaules,  le  sein,  le 
ventre,  les  cuisses  se  dessinent  sous  l'étoffe  avec 
une  chasteté  et  une  grâce  délicate,  qu'on  ne  sent 
pas  toujours  dans  des  œuvres  plus  modernes.  La 
perruque,  serrée  au  front  par  un  bandeau  riche- 
ment brodé,  encadre  de  ses  masses  un  peu 
lourdes  la  figure  ferme  et  grassouillette;  l'œil  vit, 
les  narines  respirent,  la  bouche  sourit  et  va  par- 
ler. L'art  de  l'Egypte  a  été  parfois  inspiré  aussi 
bien,  il  ne  l'a  jamais  été  mieux  que  le  jour  ou  il 
produisit  la  statue  de  Nofrit. 

Le  culte  de  Snofroui  se  perpétua  de  siècle  en 
siècle.  Il  traversa,  après  la  chute  de  l'empire 
Memphite,  ses  périodes  d'intermittence  pendant  les- 
quelles il  cessa  d'être  célébré  ou  ne  le  fut  uu'irré- 

^  '  «irniT,  n.i»E  ne  Mftnoi»* 

gulièrement  :  il  reparut  une  dernière  fois  sous  les 

Ptolémées',  avant  de  s'éteindre  à  tout  jamais.  Snofroui  fut  donc  probablement 
un  des  rois  les  plus  populaires  du  bon  vieux  temps,  mais  son  renom,  si  bril- 
lant qu'il  demeurât  chez  les  Égyptiens,  s'efface  pour  nous  devant  celui  des  Pha- 
raons qui  lui  succédèrent  immédiatement,  Khéops.  Khéphrèn  et  Mykérinos.  Non 
qu'au  fond  nous  connaissions  mieux  leur  histoire.  Ce  que  nous  savons  d'eux  se 
compose  de  deux  ou  trois  séries  de  faits,  toujours  les  mêmes,  que  les  monu- 
ments nous  enseignent  sur  les  Pharaons  contemporains.  Khnoumou-khoufoui', 

1.  La  découverte  de  ce»  statues  a  été  racontée  par  I)«mïOs-Paih!,  Lettre  à  il/.  G.  ilaspero,  dans  le 
Recueil  de  Travaux,  t.  VIII,  p.  fiU-73.  Elles  sont  reproduites  dans  H.mtKirt.  MiiiwiiienU  divers,  pi.  «I. 

*.  Dessin  de  llnuditr,  d'après  une  photographie  d'Emile  Bragsrli-Bey.  La  tête  do  la  statue  de 
Nofrit  est  reproduite  en  couleur  et  de  K'nndes  dimension»  »ur  la  planche  î  de  cotte  Histoire. 

3.  On  a  la  preuve  que  son  culle  a  été  observé  sous  la  V-  dynastie  (Mjiiiettp..  les  Mastabas  de  CAu- 
rien  Empire,  p.  IDH;  cf.  peut-être  Lr.psns,  llenhm.,  11.  13Ï),  plus  tard  sous  la  XII'  (Mirietie,  Catalogve 
général  des  monument!  d'Alnjdoit,  p,  SUS),  et  en  dernier  lieu  sous  le»  Ptolémées  (Louvre,  D  13,  et 
l.inMt,  Lettre  à  ,M.  François  Satrolînî,  p.  111,  pi.  XXVIII,  n°  ÎS1). 

I.  La  présence  des  dcui  cartouche»  Khoufoui  et  Khnoumoii-KItOHfoui  sur  les  mêmes  monumenls  a 


364  L'EMPIRE  MENPHITE. 

qu'on  appelait,  par  abréviation,  Khoufouî,  le  Khéops  des  Grecs',  était  proba- 
blement le  fils  de  Snofroui*.  Il  régna  vingt-trois  ans*  et  défendit 
es  du  Sinai  contre  les  Bédouins  :  on  le 
railles  rocheuses  de  l'Ouady  Magharah, 
iniers  asiatiques,  ici  devant  Ànubis  le 
ot,  à  la  tête  d'ibis*.  Les  dieux  profi- 
ité  et  de  sa    richesse  :    il   restaura  le 
îor   à    Dendérah',    embellit   celui    de 
,    construisit   un  sanctuaire   en  pierre 
s  du  Sphinx  et  y  consacra  les  statues 
ir,  en  argent,  en  bronze,  en  bois  d'Ho- 
îs,  de  Nephtbys,  de  Selkit,  de  Phtah, 
de   Sokhit,  d'Osiris,  de  Thot,  d'Hàpis. 
Cent  autres  Pharaons  en  firent  autant 
ou  plus,  à  qui  personne  ne  songeait 
un  siècle  après  leur  mort,  et  Khéops 
se  serait  perdu  dans  la  même  indif- 
férence s'il   n'avait  forcé  l'attention 
constante  de  la  postérité  par  l'im- 
mensité de  son  tombeau".  Les  Égyp- 

n-rms  j-:\   ii.b.Itbe  m.  iifor*'.  ,.  >      ■>■  ,,    ,,      .  .,    . 

tiens  de  1  époque  thebame  en  étaient 
réduits   à   juger  leurs    ancêtres   des   dynasties    memphites   comme  nous  le 

embarrassé  les  ËgyptologuCB  :  I»  plupart  ont  voulu  y  reconnaître  deux  mis  différents,  dont  le  second 
■  eraît,  selon  M.  Hniiinu,  ri-lui-lii  même  qui  aurait  porté  le  prénom  dp  Dadoufri  (le  Smiphù  II  il/ 
ilanéthoii  dans  le  tlec.tie.it  de  Travaux,  t.  I,  p.  138-13!').  Khnoumou-Khoufoui  signifie  le  dieu  Khnon. 
mou  me  protège  (Mai  JU'llkr,  llemerkung  iiber  cinige  Kiïnïgtnamen .  dans  le  Recueil,  1.  IX,  p.  ITfi). 

I.  Khéops  osl  la  forme  usuelle,  empruntée  au  récit  d'Hérodote  {H.  cxxiv);  Diodore  écrit  Khembès 
ou  Khnmmès  (I,  G3),  Kratosthéncs  Saophis,  et  Monéthon  Soupliis  (édit.  l'sf.Ea,  p.  90,  93). 

t.  Le  conte  du  Papyrus  Westcar  parle  de  Snofroui  comme  père  de  Khoufoui  (Ebias,  Die  Mârchen 
des  papyru*  Wrttcar,  pi.  IV,  I.  lit,  pi.  VI,  I,  10),  mais  c'est  un  titre  d'honneur  qui  ne  prouve  rien. 
Les  quelques  documents  qu'on  a  de  cette  époque  donnent  l'impression  que  Khéops  était  le  lils  de 
Snofroui,  et.  malgré  l'hésitation  de  llouué  [Recherche*  êiir  le*  mmiumrnt*,  p.  37-38),  cette  filiation  est 
adoptée  parla  plupart  îles  historiens  modernes  (Ko.  Mum,  tietchiehtr   dei  Allen  .Hgyptem,  p.  lui). 

3.  tl'est  le  chiffre  fourni  par  le  fragment  du  l'apynu  de  Turin,  selon  l'arrangement  qui  a  élé  pro- 
posé par  E.  de  llougé  {Recherche*  Dur  le*  monumrut*.  p.  1.',i.  note  ï).  et  qui  nie  parait  indiscutable. 

1.  L.idoiwk,  Voyage  île  F. Arabie,  pi.  5,  n°  i;  l.ii'siis,  Itenkin..  Il,  i  b,  r;  Loin*  ne  Lavai..  Voyage 
dan*  la  piimntule  Arabique,  Ins.  hier.,  pi.  I,  n"  i,  pi.  i,  n°  1  ;  Orduanrr  Surrry,  Pholographt.  t.  III, 
pi.  5,  et  Account  oflhe  Survry.  p.  17Î.  La  scène  qui  accompagnait  b  est  détruite  entièrement. 

j.  DfMiciu.li,  llauurkiinde  drr  Tempelanlagen  ion  bradera,  p.  15  sqq.,  pi.  XVI  a-b;  Cm  us.  Sur 
F  antiquité  tic  Ilcndérn.  dans  la  Zriltchrift,  18.13,  p.  !)l  sqq.  j  Mahiht*,  Dendérah.  t.  III,  pi.  LXXVIIli, 
et  Texte,  p.  Sâ-rdl.  Pétrie  a  trouvé,  eu  1801,  à  (ioptos,  des  fragments  d'édifices  au  nom  de  Khéops. 

S.   NiiiULi,  Bubmtim,  I,  p.  3,  5-6,  10,  pi.  VIII,  XXXII  s. 

7.  Detiin  de  Roudicr.  d'après  une  photographie  d'Emile  Ilrugtrh-Bry  ;  cf.  Guidait,  le  Mutée 
l-'.ijijplini,  pi.  XII.  T.a  statue  ne  porte  aucun  cartouche,  et  ce  sont  des  considérations  purement  artis- 
tique- qui  me  l'ont  fait  attribuer  à  Khéops  {Reçue  Critique.  I8'JI>,  t.  II,  p.  -116-11 7);  peut-être  repré- 
seute-1-elle  aussi  bien  Dadoufrf,  le  successeur  de  Khéops,  ou  Shopsiskaf,  celui  de  Nykérinos. 

8.  Tous  les  détails  relatifs  a  l'Isis  du  Sphinx  nous  sont  fournis  par  une  stèle  de  la  tille  de  Khéops, 


LA  GRANDE  PYRAMIDE  DE  GIZÉH.  365 

faisons  nous-mêmes,  moins  sur  le  témoignage  positif  de  leurs  actes  que  sur 
la  taille  et  sur  le  nombre  de  leurs  monuments  :  ils  mesurèrent  la  grandeur 
de  Khéops  aux  dimensions  de  sa  pyramide,  et,  tous  les  peuples  suivant  cet 
exemple,  le  nom  de  Khéops  est  demeuré  l'un  des  trois  ou  quatre  noms  d'au- 


trefois qui  sonnent  familiers  à  nos  oreilles.  Les  collines  de  Gizéli  se  terminaient 
alors  en  un  plateau  nu,  balayé  par  le  vent.  Quelques  mastabas  isolés  s'y  espa- 
çaient, semblables  à  ceux  qui  couronnent  encore  de  leurs  ruines  la  montagne 
de  Dahshour'.  Le  Sphinx,  déjà  enseveli  jusqu'aux  épaules,  dressait  sa  tète  à 

dfaouvertt*  dans  le  petit  temple  de  la  XXI"  dynastie,  situé  à  l'ouest  de  I»  (iraurfe  l'vrainiiie  (Niiutrrf, 
te  Straptum  de  MemphU,  éd.  Mispluo,  t.  I,"  |..  tfiMIHI),  est  conservée  au  musée  de  Cijsi-h  (Miiitieits, 
Htiniimeiitx  dirrn,  pi.  33).  Elle  n'a  pas  été  fabriquée  île  toutes  pièces  soi»  la  XXI*  dynastie, 
comme  l'a  dit  M.  r'Iinders  Pétrie  il'yraniidii  nf  Gisrh,  p,  i!),  (>!i  sqq.),  niais  l'inscription  à  peine 
lisible  gravée  sur  le  plat  de  la  plinthe  indique  qu'elle  a  été  refaite  par  un  roi  d'époque  salle,  peut- 
être  par  Saharon,  alin  lie  remplacer  une  stèle  antique  de  même  teneur,  qui  tombait  en  poussière 
(K.  oe  KnicH,  llecherche*  sur  1rs  momimeiitt,  p.  .t«  sqq.  ;  JiASrBito,  Guide  du  Visiteur,  p.  illi-ÎIIH), 

1.  Oemiii  de  Faueher-lludiu,  d'après  ta  photographie  publier  dan*  CUrdnanrr  Surrcy,  l'hniiiijriiph.t, 
t.  III.  pi.  5.  A  (laurhe,  le  Pharaon,  debout,  assomme  un  Honjti,  devant  le  dieu  Tliot  à  lête  J'ibis;  sur 
la  droite,  la  scène  est  détruite  et  l'on  n'aperçoit  plus  que  les  titres  royaux,  sans  figures. 

1.  Personne  n'n  remarqué,  je  crois,  que  plusieurs  des  rm>slabas  construits  solcm  Kbéops,  autour  de 
la  pyramide,  contiennent  dans  la  maçonnerie  des  pierres  provenant  d'édifices  anlérirnrs.  Celles  que 
j'ai  vues  portaient  des  sculptures  île  même  style  que  les  beaul  mastabas  de  Dahshour  (.1  nniu, 
Quatre  Années  de  fouilla,  dans  les  Mémoires  de  la  Mitsio»  du  Caire,  t.  I,  p.  14'J  sqq.). 


:Wi  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

mi-côte  du  versant  oriental,  vers  le  Sud1;  le  temple  d'Osiris,  maître  de  la 
nécropole,  disparaissait  presque  entièrement  sous  le  sable,   à  côte  de  lui  , 

et,  par  derrière,  de  vieui 
hypogées  délaissés  s'ou- 
vraient dans  le  roc3.  Khéops 
choisit  au  rebord  septen- 
trional du  plateau  un  site 
d'où  la  vue  s'étendait  à  la 
fois  sur  la  cité  du  Mur  Blanc 
et  sur  la  ville  sainte  d'Hé- 
liopolis*.  On  dégrossit  ru- 
dement et  on  engloba  dans 
la  maçonnerie  un  petit  ter- 
tre qui  le  dominait  :  on 
aplanit  le  reste  pour  v  éta- 
ler le  premier  lit  de  pierres. 
La  pyramide  avait  une  hau- 
teur de  cent  quarante-cinq 
mètres  et  une  base  de  deux 
cent  trente-trois,  que  l'in- 
jure du  temps  a  rabattues  respectivement  à  cent  trente-sept  et  à  deux  cent 
vingt-sept  mètres.  Elle  retint  jusqu'à  la  conquête  arabe  son  parement  patiné, 
coloré  par  l'âge,  et  si  subtilement  agencé  qu'on  aurait  dit  un  seul  bloc  du 


I.  La  stèle  du  Sphinx  porte,  à  la  ligne  13,  le  cartouche  de  Khéplirèn  au  milieu  d'une  lacune  (Vm- 
Pjumiim,  Appaidix  ta  Oprratim,*  rarrird  an  al  the  Pyraïuid*  nf  Ghth,  I.  III.  pi.  B.  en  fore  la 
liage  US;  I.epsiis,  Ûenhin..  lit",  G3;  Yuiw;,  Ilieroglyphics.  pi.  I.KXX).  Il  y  avait  là.  je  crois,  l'indication 
d'un  déblaiement  i!u  Spliinv  upéré  sous  ce  prince,  par  suite,  la  preuve  à  peu  près  certaine  que  le 
Sphinx  était  ensablé  déjli  nu  temps  de  Khéops  el  de  ses  prédécesseurs. 

3,  Mariette  identifie  le  temple  qu'il  découvrit  au  sud  du  Sphinx  avec  le  temple  d'Osiris  maître  de 
la  nécropole,  qui  est  mentionné  dans  l'inscription  de  la  fille  de  Khéops  (lu  Sérapéam  de  Nemphii, 
édit.  Maspero,  t.  I,  p.  39-1(111).  Ile  temple  est  placé  de  telle  façon  qu'il  s'ensable  nécessairement  en 
mémo  temps  que  le  Sphinx  :  je  crois  donc  que  la  restauration  faite  par  Khéops,  d'après  l'inscription, 
n'était  qu'un  simple  déblaiement,  analogue  a  celui  par  lequel  Khéphrèn  parvint  à  dégager  le  Sphinx. 

3.  Ces  hypogées,  dont  plusieurs  sont  ligures  dans  Mariette  ((ej  Mastabas  dr  l'Anririi  Empirr. 
p.  5-13  sqq.).  nu  sont  pas  décorés  pour  la  plupart.  L'examen  attentif  auquel  je  les  ai  soumis  en  ItKLV 
1MSU  me  porto  à  croire  que  beaucoup  d'entre  eux  doivent  être  à  peu  près  contemporains  du  Sphinx, 
c'est-à-dire  qu'ils  ont  été  creusés  et  occupés  assez  longtemps  avant  l'époque  de  la  IV*  dynastie. 

1.  Les  pyramides  ont  inspiré  toute  une  littérature  dont  je  n'ai  pas  à  dresser  ici  la  bibliographie 
Klles  ont  été  depuis  le  commencement  du  siècle  étudiées  par  Groberl  {lleseriplion  dr*  Pyrnmidn 
dr  t'.hhé,  de  ta  ville  du  Caire  et  dr  ses  rneirans,  iSIM).  par  Jomard  {lletcriplion  générale  de  Memphi' 
et  des  Pyramide*,  dans  |«  Drterïptiou  de  l'Egypte,  t.  V,  p.  ii!M-6S7),  par  Bcljoni  (Sarralire  nf  thr 
Opérations  and  lièrent  Disnwrrie*  trilhin  thr  P,,r<tt>iids,  etc.,  I8in.  p.  4:i5-*8i),  par  Vwc  et  l'errinn 
[The  Pgramidt  af  tliieh,  lsiMJ-IHM,  et  Opérations  rarrird  on  al  thr  Pyramide  nf  Giieh  in  11131. 
IRlO-IRii),  par  Piazzi  Smyth  {Life  and  HW*  al  th.-  i'.rrat  Pyramid,  IStî").  el  enfin  par  Pétrie  (Thr 
Pyrainids  and  Temples  ofGhrh,  1HS3).  qui  n'a  plus  laissé  grand  chose  à  faire  à  ses  successeurs. 


CONSTRUCTION  DE  LA  GRANDE  PYRAMIDE.  367 

pied  au  sommet1.  Le  travail  de  revêtement  avait  commencé  par  le  haut  :  la 
pointe  fut  établie  en  position  la  première,  puis  les  assises  se  recouvrirent 
de  proche  en  proche  jusqu'à  ce  qu'on  eût  gagné  le  bas'. 

A  l'intérieur  tout  avait  été  calculé  de  manière  à  cacher  le  gite  exact  du  sar- 


cophage, et  à  décourager  les  fouilleurs  que  le  hasard  ou  leur  persévérance 
auraient  mis  sur  la  bonne  voie.  Le  premier  point  était  pour  eux  de  découvrir 
l'entrée  sous  l'épaisseur  du  calcaire.  Elle  se  cachait  à  peu  près  au  milieu  de 
la  face  Nord,  mais  au  niveau  de  la  dix-huitième  assise,  à  quarante-cinq  pieds 
environ  au-dessus  du  sol.  Une  dalle  mobile,  roulant  sur  un  pivot  de  pierre,  la 

I.  Les  blocs encore  subsistants  sont  en  calcaire  blanc  (Vrst,  Opération*,  t.  1,  |i.  Ïlil-i6ï;  Pktbie,  The 
Pyramidi,  p.  ÏN-30).  Letronne,  après  avoir  admit  dans  sa  jeunesse  (Recherehrt  tur  Dirait,  p.  107), 
sur  l'autorité  d'un  fragment  attribué  à  l'hilon  de  Dyzance,  que  le  revêtement  étail  formé  de  zone» 
polychromes  en  granit,  en  brèche  verte  et  en  diverses  espèces,  du  pierre,  renonça  à  celte  opinion  sur 
le  témoignage  de  Vvsc  (Su*'  le  rcrêtement  des  Pyramide»  de  Gi-th,  dans  les  Œuvre»  ehaitiet,  I"  série, 
t.  1,  p.  136-139).  Pcrrot  et  Chipiez  [Hitloirt  de  l'Art,  t.  I,  p.  Ï30-Ï3i)  l'ont  reprise  avec  hésitation. 

t.  llemwoTi,  11,  chv.  Le  mot  pointe  ne  doit  pas  èlrc  pris  au  pied  de  la  lettre.  La  grande  pyramide 
te  terminait  comme  sa  voisine  (Vvst.  Opération*,  t.  11.  p.  117)  par  une  plate-forme  d'environ  neuf 
pieds  anglais,  moins  do  Irai*  mètres  île  rrtlé  (six  coudées,  d'après  IHoikihk  ii>  Sicii.k,  I,  113),  qui  s'est 
élargie  progressivement,  surtout  depuis  la  destruction  du  revêtement.  Le  sommet,  vu  d'en  lias,  devait 
donner  la  sensation  d'une  pointe  aiguë.  •  Eu  égard  à  In  grandeur  du  monument,  une  plate-forme  de 
trois  mètres  élait  une  extrémité  plus  pointue  même  que  celle  qui  termine  les  obélisques  .  (I.ktiiimm., 
Sur  te  revêtement  det  l'yramidri,  dans  les  Œurres  choUtrt,  I"  série,  t.  I,  p.  iïï.) 

3.  Datai  de  Houdier,  d'après  une.  photographie  d'Emile  Uriigtcli-Itcy.  Le  temple  du  Sphinx  est  au 
premier  plan,  enveloppé  de  subie  jusqu'à  la  Crète  des  murs.  La  seconde  des  petites  pyramides  au 
pied  de  la  grande  est  celle  dont  on  attribue  la  construction  à  llomlsouou,  la  tille  de  Miéops,  el  sur 
laquelle  les  drogmaiis  de  l'époque  salle  racontaient  à  Hérodote  de  si  étranges  histoires  (II,  Ctiiï-CUnJ. 


36»  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

dissimulait  si  bien  aux  yeux,  qu'à  part  les  prêtres  et  les  gardiens,  personne 
lavait  comment  la  deviner  parmi   ses   voisines.  Quand  on 
'avait  basculée,  un  canal  apparaissait  béant1.  Il  est  haut  de 
^   1  m.  06,  large  de  1  m.  22,  et  fuit  en  plan  incliné  l'es- 
pace de  97  mètres,  partie  dans  la  maçonnerie,  partie 
dans  la  roche  vive  ;  il  traverse  une  chambre   ina- 
chevée et  se  termine  en  cul-de-sac  18  mètres 
plus  loin.    Les   blocs  s'ajustent  avec  tant  de 
\  l'isthée  ut  là  tw»  prn.tNii»:'.         précision  et  présentent  une   surface   si   bien 
polie  qu'on  en  distingue  malaisément  les  joints. 
Le  corridor  qui  mène  à  la  chambre  funéraire  se  raccorde  au  plafond  du  couloir 
'''«"""'i«"*    sous  un  angle  de  120  degrés,  à 
de  la  porte.  Il  remonte  pendant 
3s,  puis  il  débouche  sur  un  large 
r  et  s'y  divise  en  deux  branches, 
'une    s'enfonce    droit     vers    le 
centre    et    se   perd   dans    une 
chambre   en  granit    recou- 
"        verte  d'une  voûte  en  dos 
appelle  sans  raison    Chambre 
.'autre  continue  à  s'élever,  mais 
vT       de  là  cKABiiK  KMiiRE*.        eue  enange  oe  forme  et  d'aspect.  C'est  main- 
tenant   une    galerie    longue   de    45    mètres, 
haute  de  3  m.  50,   bâtie  en  belle  pierre  du   Mokattam.   Les  assises   infé- 

I.  Strabon  dit  formellement  que,  du  son  temps,  les  partie;  souterraine»  île  ta  Grande  Pyramide 
riaient  accessible»  :  ■  Elle  n  sur  se*  oMés,  et  à  une  élévation  médiocre,  une  pierre  qui  peut  s'ntcr, 
Hbert  èÇaiptaïuoï.  Lorsqu'on  l'a  soulevée,  on  voit  un  conduit  torlueuiqui  mène  au  tombeau  •  (1.  XVII, 
p.  R08).  On  ne  s'est  pas  rendu  compte  de  ce  que  Strabon  voulait  dire  (Jokabd,  Description  générale 
de  Ucmphis  et  des  Pyramides,  dans  la  Description  de.  l'Egypte,  t.  IX,  p.  J-U).  jusqu'au  jour  où  M  l'etrie 
a  montré  que  l'on  voyait  encore,  il  l'entrée  de  lune  des  pyramides  de  Dahshour.  des  dispositions  qui 
prouvaient  l'eïistcnce  d'une  dalie  mobile,  montée  sur  pivot  pour  servir  de  porte  [The Pyramids  and 
Temples  nf  Gisrk,  p.  Ub-UG)  :  c'est  une  fermeture  de  même  genre  que  Strabon  a  décrite,  soit  après 
l'avoir  vue  lui-même,  soit  d'après  le  témoignage  de  ses  guide»,  et  que  M.  Pétrie  a  rétablie  avec  beau- 
coup de  vraisemblance  à  l'entrée  de  la  Grande  Pyramide  (Op.  (.,  ]>.  lii"-IU"  et  pi.  XI). 

t.   Dessin  de  Fnuclier-Giulin,  d'après   PtiBif,   The  Pyramids   und  Temple*   of  Giïch,    pi.    XI. 

3.  Dessin  de  Faucher-Gudin,  d'après  Pétrie,  The  Pyramide  and  Temples  nf  Ci  Je  A,  pi.  IX.  .V  est 
le  couloir  descendant,  D  ta  chambre  inachevée  et  C  le  couloir  horizontal  percé  dans  le  roc.  D  est 
le  boyau  irrégulicr  iini  fuit  communiquer  la  chambre  B  avec  le  palier  de  séparation  et  avec  le  cou- 
loir rT.  qui  conduit  i.  la  cliambre  de  la  Heine.  E  est  le  couloir  ascendant,  H  la  galerie  haute,  1  etJ 
la  chambre  des  herses,  K  le  caveau  funéraire,  L  marque  les  pièces  de  décharge;  enfin  a.  a  sont  les 
évents  qui  servaient  à  l'aération  des  chambres  pendant  la  construction,  et  par  lesquels  on  fit  couler 
des  libations  il  certains  jours  de  fêle  en  l'honneur  de  Khéops.  Le  dessinateur  a  essayé  de  rendre  par 
l'irrégularité  des  lignes  l'épaisseur  inégale  dos  assises  dont  la  maçonnerie  se  compose  ;  le  purement 
qui  manque  aujourd'hui  a  élé  rétabli,  et  la  ligne  brisée  qu'on  remarque  derrière  lui  indique  l'extré- 
mité visible  des  assîtes  qui  forment  actuellement  la  face  septentrionale  de  la  pyramide. 


tLES  DISPOSITIONS  INTÉRIEURES  DE  LA   GRANDE  PYRAMIDE.  3 

Heures  s'appuient  d'aplomb  l'une  sur  l'autre,  les  suivantes  ressautent  ■ 
encorbellement,  et  les  deux  dernières 
De  s'écartent  plus  au  plafond  qu'à 
l'intervalle  de  0  m.  t>0.  Le  petit  pas- 
sage horizontal,  qui  sépare  le  palier 
supérieur  et  la  chambre  même  du 
sarcophage,  offre  des  dispositions 
mal  expliquées,.  11  est  coupé  presque 
à  moitié  par  une  sorte  de  vestibule 
surbaissé,  dont  les  parois  se  rayent  à 
intervalles  égaux  de  quatre  coulisses 
longitudinales.  La  première  maintient 
encore  une  belle  dalle  en  granit  qui 
semble  suspendue  à  1  m.  11  au-dessus 
du  sol,  et  les  trois  autres  furent  des- 
tinées probablement  à  recevoir  des 
plaques  semblables  :  c'était  en  tout 
quatre  herses  interposées  entre  le 
monde  extérieur  et  le  caveau  '.  Celui-ci 
est  une  sorte  de  boite  rectangulaire, 
toute  en  granit,  à  toit  plat,  haute  de 
5  m  81,  longue  de  0  m.  43,  large  de 
5  m.  20;  on  n'y  voit  ni  figures,  ni 
hiéroglyphes,  rien  qu'un  sarcophage 
en  granit,  mutilé  et  sans  couvercle. 
Telles  étaient  les  précautions  prises 
contre  les  hommes  :  l'événement  en 
démontra  l'efficacité,  caria  pyramide 
garda  son  dépôt  intact  plus  de  quatre 

I.  Cela  me  paraît  résulter  des  dispositions  ana- 
logues que  j'ai  rencontrées  dans  les  pyramides  de 
Saqqarah.  M.  Pétrie  se  refuse  à  reconnaître  en  cet 
endroit  la  chambre  des  herses  (cf.  les  annulations 
qu'il  a  jointe»  à  la  traduction  anglaise  de  mon 
Archéologie  égyptienne,  \i.  3i7.  note  t~),  mais  il 

dalle  demeure  une  énigme  pour  lui.  l'eul-étrc  se 

borna-t-on   à    mettre   en   place    une    seule  des  l»  ulirie  aurmïTi  de  la  crash;  tiUilH1. 

-,  du  dénia  publié  dam  la  Description  de  t'F.gypIe,  Anl.,  t.  V,  pi.  XIII, 


370  L'EMPIRE  MEMPHIÏE. 

mille  ans1.  Mais  le  poids  même  des  matériaux  était  un  danger  des  plus 
sérieux  pour  elle.  On  empêcha  le  caveau  de  plier  sous  le  faix  des  100  mètres 
de  calcaire  qui  le  surmontaient,  en  ménageant  au-dessus  de  lui  cinq  pièces 
de  décharge  basses  et  superposées  exactement.  La  dernière  s'abrite  sous  un 
toit  pointu,  qui  consiste  en  énormes  blocs  accotés  l'un  à  l'autre  par  le  som- 
met :  cet  artifice  rejeta  la  pression  centrale  presque  entière  sur  les  faces  laté- 
rales. Bien  qu'un  tremblement  de  terre  ait  disloqué  partiellement  la  masse, 
aucune  des  pierres  qui  habillent  la  chambre  du  roi  ne  s'est  écrasée,  aucune 
n'a  cédé  d'une  ligne,  depuis  le  jour  où  les  ouvriers  l'ont  scellée  en  sa  place. 

La  Grande  Pyramide  s'appelait  Khouît,  l'horizon  où  Khoufoui  devait  aller 
s'engloutir,  comme  le  Soleil  son  père  fait  chaque  soir  à  l'horizon  d'Occident*. 
Elle  ne  renferme  que  les  appartements  du  mort,  sans  un  mot  d'inscription, 
et  l'on  ne  saurait  pas  à  qui  elle  appartint,  si,  pendant  la  bâtisse,  les  maçons 
n'avaient  barbouillé  ça  et  là,  à  la  peinture  rouge,  le  nom  du  souverain  et  les 
dates  de  son  règne  au  milieu  de  leurs  marques  personnelles5.  On  célébrait  le 
culte  dans  un  temple  jadis  construit  un  peu  en  avant  de  la  façade  Est,  mais 
dont  il  ne  subsiste  plus  qu'un  amas  de  décombres4.  Pharaon  n'avait  pas  besoin 
d'attendre  qu'il  fût  momie  pour  devenir  dieu  :  on  inaugurait  sa  religion  dès  son 
avènement,  et  beaucoup  des  personnages  qui  composaient  sa  cour  s'attachaient 
à  son  double  longtemps  avant  que  son  double  se  désincarnât5.  Us  le  servirent 
fidèlement  pendant  leur  vie,  puis  vinrent  reposer  à  son  ombre  dans  les  petites 
pyramides  et  dans  les  mastabas  qui  se  pressaient  autour  de  lui6.  De  Dadoufri, 
son  premier  successeur,   nous  croyons  pouvoir  dire  qu'il  régna  huit  ans7; 

I.  M.  Pétrie  (The  Pyramids  and  Temples  of  (lizeh,  p.  158,  217)  pense  que  les  pyramides  de  Gizéh 
furent  violées  et  les  momies  qu'elles  renfermaient  détruites  pendant  les  longues  guerres  civiles  qui 
séparent  la  VI"  de  la  XIIe  dynastie.  Si  le  fait  était  vrai,  il  faudrait  admettre  que  les  rois  d'une  de* 
dynasties  suivantes  firent  remettre  les  choses  en  élat,  car  les  ouvriers  du  calife  Al-Mainoun  tirèrent  de 
la  chambre  sépulcrale  de  l'Horizon  «  une  pierre  creusée,  dans  laquelle  était  une  statue  en  pierre 
•  de  forme  humaine,  renfermant  un  homme  qui  avait  sur  la  poitrine  un  pectoral  d'or  enrichi  de  pif r- 
«  reries,  et  une  épée  d'un  prix  inestimable,  et  sur  la  tète  une  escarboucle  de  la  grosseur  d'un  œuf, 
«  brillant  comme  le  soleil,  avec  des  caractères  que  nul  homme  ne  peut  lire  ».  Tous  les  auteurs  arabes, 
dont  Jomard  a  réuni  des  passages,  racontent  en  gros  la  même  chose  (Description  générale  de  Memphes 
et  des  Pyramides,  dans  la  Description  de  l'Egypte,  t.  IX,  p.  454  sqq.)  :  on  reconnaît  aisément  dans 
cette  description  la  cuve  encore  en  place,  une  gaine  en  pierre,  de  forme  humaine,  et  la  momie  de 
Khéops  chargée  de  bijoux  et  d'armes,  comme  le  corps  de  la  reine  Ahhotpou  în. 

i.  E.  de  Hoit.ê,  Recherches  sur  les  monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties,  p.  ii 

3.  Les  ouvriers  traçaient  souvent  sur  les  pierres  les  cartouches  du  Pharaon  sous  le  règne  duquel 
on  les  avait  extraites  de  la  carrière,  avec  la  date  exacte  de  l'extraction  :  les  blocs  écrits  de  la 
p\ramide  de  Khéops  portent  entre  autres  une  date  de  l'an  XVI  (Lepsics,  Denkm.,  Il,  1  g). 

i.  M.  Pétrie  pense  que  le  dallage  en  blocs  de  basalte  qu'on  voit  au  pied  de  la  façade  orientale  de 
la  pyramide  appartenait  au  temple  funéraire  (The  Pyramid  s  and  Temples  of  Gizeh,  p.  134-135). 

;i.  Ainsi  Khomtini  (Lkpsiis,  Denkm.,  II,  2t>),  le  prince  Mirabou  (id.,  tic),  khoufoui-ka-iriou  (Upshs 
Denkm.,  II,  17  e/;  cf.  K.  de  Hoigk,  Hecherches  sur  les  monuments  qu'on  peut  rapporter  aux  six  pre- 
mières dynasties,  p.  50),  qui  était  surintendant  de  tout  le  district  sur  lequel  s'élevait  la  pyramide. 

6.  K .  de  Holgé,  Recherches  sur  les  monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties,  p.  41 

7.  D'après  l'arrangement  proposé  par  E.  de  Ilougé  (Recherches  sur  les  monuments  p.  156,  note  t) 


LA  PYRAMIDE  DE  KHÉPHRÈN.  374 

mais  Khéphrèn,  celui  de  ses  fils  qui  exerça  ensuite  la  royauté1,  érigea 
comme  lui  des  temples*  et  une  pyramide  gigantesque.  Il  t'établit  à  quelque 
120  mètres  au  sud-ouest  de  celle  de  son  père1  et  la  nomma  Owfrau',  la  Grande. 
Elle  est  pourtant  plus  petite  que  sa  voisine  et  ne  mesure  que  13o  mètres 
de  haut1;  mais,  à  distance,  la  différence  s'efface,  si  bien  que  beaucoup  de 
voyageurs  anciens  et  modernes  attribuent  une  égale  élévation  aux  deux  soeurs. 


1*  revêtement,  dont  un  quart  environ  subsiste  à  partir  du  sommet,  est  un 
calcaire  numinulitique,  compact,  dur,  plus  homogène  que  celui  des  assises, 
diapré  et  comme  rouillé  çà  et  là  de  larges  plaques  d'un  lichen  rougeàtre,  mais 
gris  aux  endroits  restés  libres,  et  glacé  d'un  poli  mat  qui,  de  loin,  le  fait 
reluire  au  soleil7.  Des  murs  épais  en  pierre  brute  encadrent  le  monument  de 

pour  les  fragmenta  du  canon  de  Turin.  E.  de  Rouge  lil  le  nom  Ilil-tol-ef  fil  propose  du  l'identifier 
avec  le  Hatolïès  de*  listes  de  Manélhon,  que  les  copistes  auraient  déplace  par  erreur  (Ihid  .  |>.  .'ii-.'i-ij. 
Cette  co  m  binai  son  a  été  acceptée  en  général  (WiEimms*,  sEgyptitche  Gttrkichte,  p.  18B)  :  l'analogie 
nous  oblige  a  lire  Dadoufrl  comme  Khàfri,  Meukaouri,  ce  qui  Tait  tomber  l'identification.  Le  culte  de 
[>adoufrl  fut  renouvelé  vers  l'époque  salle,  a  crtté  de  celui  de  Khéops  et  de  Khéphrèn  (E.  ut  lloecii, 
lleckerche»,  p.  53),  d'après  quelque  tradition  qui  rattachait  son  règne  à  celui  dp  ces  deux  rois. 

).  Le  Papyrus  Woslcar  (Ern»i>,  Die  Mt'irtlien  de»  Papyrut  Wrstcar,  p.  18)  considère  Khifrt  comme 
étant  le  fils  de  K  hou  foui,  ce  qui  coïncide  avec  les  renseignements  que  Diodorc  de  Sicile  (I,  61)  nous 
a  transmis  à  cet  égard.  La  forme  que  cet  historien  attribue,  je  ne  sais  d'après  quelle  autorité,  au 
nom  du  souverain,  Khabryiés,  est  plus  rapprochée  de  l'original  que  le  Miénlirèn  d'Hérodote. 

<i.  Naville  a  trouvé  à  Bubastis  des  fragments,  plusieurs  fois  réemployés  au  cours  des  siècles,  d'un 
vieu*  temple  construit  nu  réparé  par  Khéphrèn  (BuIhikHi,  I.  pi.  XXXII  b,  p.  3,  ïl-ll). 

a.  Joiami,  Detcriptioti  générale  de  Memplti*  et  de»  Pyramide*,  dans  la  DrsrriplioR,  t.  V.  p.  G38. 

4.  E.  ne  Roucf,  ISeehercbet  tur  le»  monument»  qu'on  peut  attribuer  oui  iti  première*  dynastie», 
p.  50. 

5.  Jwmu),  Deirription  générale  de  Memplti»  et  de»  Pyramide»,  dans  la  Ileitriptio»,  t.  V,  p,  64Ï. 

6.  Fac-timilé  par  Faucher-tiudin  de*  calque*  publié*  dan»  [.kiwi;*,  Deiilna.,  Il,  i  e. 

'.  Jon.ui»,  Detcription  générale  de  Memphi»  et  de»  Pyramides,  dans  la  DcicriptioH,  t.  V,  p.  033-841), 
644-646.  Joinard  avait  pensé  que  la  partie  inférieure   du   revêtement   était  eu  granit  rouge  (p.  C4U), 

place  {Opération».  I.  I.  p.  ÏUI-ifii;  cf.  I:umjeks  Petkje,  The  Pyramid*  and  Temples  ofGi-éh.  |).  Ufi). 


372  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

trois  côtés,  et  l'on  aperçoit  derrière  la  façade  ouest,  dans  une  enceinte  oblon- 
gue,  une  file  de  galeries  bâties  sommairement  en  calcaire  et  en  boue  du  Nil1. 
C'est  là  que  les  manoeuvres  employés  aux  travaux  venaient  s'entasser  chaque 
soir,  et  les  rebuts  de  leur  ménage  encombrent  encore  les 
,  tessons  de  poterie  commune,  éclats 
ierres  dures  qu'ils  taillaient,  granit. 
ients    de    statues   brisées    pendant 
ranit  tout  lissés  et  prêts  à  servir. 
t  le  front  Est,  et  communiquait  par 
ivec  le  temple  du   Sphinx,  auquel 
■essembler  singulièrement'.  Le  plan 
ssine  encore  nettement  sur  le  sol*, 
on  n'y  peut  remuer  les  décombres 
ans  ramener  au  jour  des  morceaux 
de  statues,    de   vases,   de   tables 
d'offrandes,   quelques-uns   cou- 
verts d'hiéroglyphes,  comme  la 
tète  de  massue  en  pierre  blan- 
che qui  appartint  en  son  temps  à 
Khéphrèn  lui-même*.  Les  dispo- 
sitions   intérieures   de  la  pyra- 
'mide  sont  des  plus  simples  :  un 
««ira  m  albIt«r  ok  nHtPHRÉN*.  couloir  en  granit  réservé  secrète- 

ment dans  la  face  Nord,  incliné  selon 
un  angle  de  25  degrés,  puis  horizontal  et  clos  d'une  herse  en  granit  au  point 
qui  marque  son  changement  de  direction  ;  un  second  couloir,  qui  commence  au 
dehors,  à  quelques  mètres  en  avant  du  parement,  et  qui  va  rejoindre  le  premier 

1,  Ces  galeries  avaient  été  examinées  assez  superficiellement  par  les  explorateurs  antérieurs; 
elles  ont  été  déblayées  en  partie  par  M.  Pétrie,  qui.  le  premier,  en  a  reconnu  l'usage  et  en  a  rouillé 
les  décombres  avec  un  soin  minutieux  (The  Pyramids  and  Temples  of  Gizeh,  p.  I0l-m3). 

i.  La  liaison  du  temple  du  Sphinx  ovec  celui  de  la  seconde  pyramide  a  été  découverte  en 
décembre  [RHO,  pendant  les  dernière?  fouilles  de  Mariette.  Je  dois  dire  que  toute  la  partie  de  l'édifice 
dans  laquelle  la  roule  débouche  porte  les  traces  d'un  travail  natif,  exécuté  longtemps  après  la  con- 
strucliiiri  du  reste  de  l'édifice;  peut-être  l'état  actuel  des  lieux  ne  rcmonte-t-il  qu'à  l'époque  des 
Antonins,  au  temps  où  le  Sphinx  fut  déblayé  pour  la  dernière  foi»  dans  les  lemps  anciens. 

3.  l.e  temple  était  en  asseï  bonne  condition  à  la  fin  du  xvii"  siècle,  comme  il  résulte  de  la  des- 
cription d'un  contemporain  (l.E  Maschimi  et  ne  Miillkt.  Description  de  [Egypte,  I73T,.  I»  partie,  p.  Î43). 

.1.  Ki..  Pétrie,  Ten  Years  Digging  in  F.ggpt,  p.  tt,  Î3.  Je  l'ai  eompléléc  et  j'ai  fait  reproduire  la 
restitution  de  l'ensemble  en  ciil-do-lampe,  ri  la  p.  il*  de  cette  Histoire. 

!i.  Destin  de  Bawlier,  d'après  la  photographie  d'Emile  Urugtck-Dry  (cf.  GaiMDT,  le  Mutée  Égyp- 
tien, pi.  VIII).  Voir  à  la  page  37»  de  celte  Histoire  le  dessin  fort  exact  de  la  mieux  conservée  des 
statues  en  diorite  que  le  Musée  de  Giïéh  possède  actuellement  de  ce  Pharaon, 


: 

il 


n 

I 


374  L'EMPIRE  HEMPH1TE. 

après  avoir  traversé  une  cellule  inachevée;  enfin  une  chambre  creusée  dans 
le  roc,  mais  surmontée  d'un  toit  pointu  en  poutres  de  calcaire  fin.  Le  sarco- 
phage était  de  granit,  et  ne  portait  ni  nom  de  roi,  ni  représentation  de  dieu, 
non  plus  que  celui  de  khéops.  Le  couvercle  s'adaptait  si  solidement 
ne  parvinrent  jamais  à  l'en  détacher 
11  beau  en  l'année  1200  de  notre  ère  : 
n  des  côtés  à  coups  de  marteau  pour 
our  en  retirer  la  momie  du  Pharaon1. 
s  fils  de  Khéphrèn  qui    lui   succéda, 
ouri  (Mykérinoa),    ne   pouvait    guère 
?r  à  faire  miens  que  son  père  et  que 
a  aïeul';    sa   pyramide,    la   Suprême 
-  Hirou1,  —  atteint  à  peine  66  mètres 
d'élévation  et  le  cède  à  plusieurs  de 
celles  que  l'on  édifia  plus  tard*.  On 
l'habilla  de  syénïte  au  quart  de  sa 
hauteur,  puis  de  calcaire  jusqu'au 
sommet"  :   faute   de    temps  sans 
doute,  on  n'acheva  pas  de  dresser 
le  granit,    mais  le  calcaire   reçut 
tout  le  poli  qu'il  était  susceptible 
de  prendre*.  L'enceinte  court  re- 
joindre au  Nord  celle  de  la  seconde 
pyramide  et  se  confond  avec  elle".   Le  temple  se  reliait  à  la  plaine  par  une 

I.  La  «gronde  pyramide  fut  ouverte  aux  Kiiropccns  en  IHIfi,  par  Belioni  {Sarralhe  of  Oit  Opera- 
tiiiui  and  Htrrut  Ditcovfrie*  in  Egypt  and  Suliia.  p.  iSâ  sqq.).  La  date  exacte  de  l'entrée  des  Arabe* 
nous  est  fournie  par  une  inscription  tracée  à  l'encre  sur  un  des  murs  de  la  chambre  du  Sarcophage  : 
.  Maître  Mohammed  Ahmed,  le  carrier,  a  ouvert;  Maître  Otliman  fut  présent,  ainsi  que  le  roi  Ali 
Mohammed  au  début  et  à  la  fermeture  >.  Le  roi  Ali  Mohammed  eut  le  lits  et  successeur  de  Saladin. 

t.  La  lradilioncls»-ii|ue  fi.it  de  Myl.érinosletilsdeKhéo|is(llt*»DurE,ll,cnix;Diooo«i.  I.CH).  La  tradition 
égyptienne  le  donne  pour  liK  a  Miéplirèu,  ai  nui  qu'il  résulte  d'un  passage  du  papyrus  Weslear  (Km»,  Dît 
Màrehen  det  Papurut  Wetlcar,  t.  pi.  IX.  I.  11.  p.  19),  où  un  magicien  prophétise  qu'après  khéops  son 
lils  régner»  encore  (Khifrl),  puis  le  lils  de  celui-ci  (Menkaouri).  puis  un  prince  d'une  autre  famille. 

:t.  K.  de  ItorcK,  Heehrrekei  ttir  1er  mmiutiiriit*  qu'an  peut  attribuer  aux  t'tï  première»  ilgnaitin  de 
Manflhon,  p.  lii.  lue  inscription,  malheureusemenl  fort  mutilée,  du  tombeau  de  Talihouni  (I.Krsu». 
lienktn.,  II.  3"  li),  racontait  la  construction  de  la  pyramide  et  le  transport  du  sarcophage. 

t.  M.  l'etrie  évalue  la  hauteur  exacte  de  la  pyramide  a  ÏSli-l.î:  Ki  ou  3;;N0,8±*  pouces  anglais,  c'csl-à- 
ilire,  en  chiffres  ronds,  à  (Wimèlrcs ou  à  (M  mètres  el  demi  (Thf  Pyramidt  and  Temple*  offiitrÂ.p.tiî). 

:..  D'après  Hérodote  (II.  l'vtuv),  le  revêtement  de  granit  montait  jusqu'à  moitié  de  la  hauteur; 
d'après  Diodore  (I.  l!3j.  il  n'allait  que  jusqu'à  la  quinzième  assise.  M.  Pétrie  a  reconnu  qu'il  \  avait 
réellement  seize  assises  basses  de  granit  rouge  {The  Puramid*  ami  Temple»  nf  Giie/i,  p.  1 13). 

li.  Petui,  The  Pyramide  aiirt  Temple»  <>[  lii:eh.  p.  79-80. 

T.  Deitin  nV  Itimdirr,  d'après  la  photographie  d'Emile  Briigrch-llcu;  cette  statue,  conservée  dans 
le-  salles  de  f.izéh.  s  déjà  été  publiée  en  photographie  par  Gailul.  le  Mutée  Eityptien,  pi.  IX. 

8.  Peibif-,    The  Pyramii»  and  Temples  af  C,i:eh,  p.  101-114. 


LÀ  PYRAMIDE  DE  MYKÉRLNOS.  375 

longue  chaussée  presque  droite,  qui  cheminait  en  contre-haut  du  sol  environ- 
nant pendant  la  meilleure  partie  de  son  parcours1.  Il  était  en  assez  bon  état 
durant  les  premières  années  du  xvinc  siècle*,  et  ce  qui  a  survécu  aux  dévas- 
tations des  Mamelouks  témoigne  du  scrupule  minutieux  et  de  l'art  raffiné  qui 
avaient  présidé  à  la  construction.  On  rencontrait  d'abord,  en  venant  de  la 
plaine,  une  halte  immense  de  31  mètres  sur  14,  puis  on  entrait  dans  une 
large  cour  qui  avait  deux  issues  sur  les  côtés  :  on  ne  distingue  plus  au  delà 
que  les  arrasements  de  cinq  salles  dont  la  centrale,  placée  sur  le  prolongement 
du  vestibule,  s'arrête  à  13  mètres  environ  de  la  pyramide  et  répond  juste 
au  milieu  de  la  face  orientale.  Le  corps  même  de  l'édifice  constitue  un  rec- 
tangle de  56  mètres  de  longueur  sur  54  de  largeur  environ.  Les  murs  com- 

« 

portaient  tous,  comme  au  temple  du  Sphinx,  un  noyau  de  calcaire  de  2  m.  40 
d'épaisseur,  dont  les  blocs  s'ajustaient  avec  tant  d'artifice  qu'on  est  tenté  de 
croire  le  tout  entaillé  d'une  seule  pièce  dans  le  roc.  Us  se  cachaient  sous  un 
placage  de  granit  et  d'albâtre,  dont  les  débris  ne  conservent  la  trace  ni  d'un 
tableau  ni  d'une  légende  hiéroglyphique3  :  le  fondateur  avait  inscrit  son  nom 
sur  les  statues  qui  recevaient  pour  lui  l'offrande,  et  aussi  sur  le  pan  nord  de 
la  pyramide,  où  on  le  montrait  encore  aux  curieux  vers  le  premier  siècle 
avant  notre  ère4.  L'aménagement  intérieur  est  assez  compliqué  et  témoigne  des 
changements  survenus  au  cours  des  travaux5.  Le  noyau  primitif  ne  comptait 
probablement  que  55  mètres  de  largeur  à  la  base  et  47  mètres  de  hauteur 
verticale.  Il  comprenait  un  passage  en  pente,  percé  dans  la  montagne 
même,  et  une  cellule  oblongue,  basse,  sans  ornement6.  On  avait  déjà  terminé 
le  gros  œuvre,  mais   le  revêtement  manquait  encore,  lorsqu'on  se  décida  à 

i.  Jovard,  Description  générale  de  Memphis  et  de»  l*yramides,  dans  la  Description  de  V Egypte,  t.  V, 
p.  653-655.  Cette  chaussée  ne  doit  pas  être  mise  en  rapport,  comme  on  le  fait  trop  souvent,  avec  la 
chaussée  qu'on  aperçoit  à  quelque  distance  à  l'est  dans  la  plaine  :  cette  dernière  allait  à  des  carrières 
de  calcaire  situées  dans  la  montagne,  au  sud  du  plateau  qui  porte  les  pyramides,  et  qui  furent  exploi- 
tées dès  une  haute  antiquité  (Pétrie,  The  Pyramids  and  Temples  of  Gizeh,  p.  H  5-1 16). 

2.  Benoit  de  Maillet  avait  visité  ce  temple  entre  1692  et  1708.  •  Il  est  à  peu  près  de  figure  quarrée. 
«  On  trouve  dans  son  intérieur  quatre  piliers,  qui  sans  doute  soutenoient  une  voûte,  dont  l'autel  de 

•  l'idole  étoit  couvert,  et  on  tournoit  autour  de  ces  piliers  comme  par  une  espèce  de  collatéral.  Ces 
«  pierres  étoient  revêtues  de  marbre  granité.  J'en  ai  trouvé  encore  quelques  morceaux  entiers,  qui  y 

*  étoient  collés  par  des  mastics.  Je  ne  doute  point  que  l'extérieur  du  temple  ne  fût  également  revêtu 
«  de  ce  marbre,  comme  le  dedans  »  (Le  Mascrier,  Description  de  t  Egypte,  1735,  p.  223-22.4.)  Four- 
mont  n'a  pas  hésité  à  copier  ce  passage  presque  mot  pour  mot,  dans  sa  Description  historique  et 
géographique  des  plaines  d 'Héliopolis  et  de  Memphis,  1755,  p.  259-261. 

3.  Jomard,  Description  générale  de  Memphis  et  des  Pyramides,  dans  la  Description  de  V Egypte,  t.  V, 
p.  652-653;  Pétrie,  The  Pyramids  and  Temples  of  Gizeh,  p.  115. 

A.  Diodore  de  Sicile,  1,  63.  Le  nom,  ou  l'inscription  qui  contenait  le  nom,  devait  être  tracé,  non 
pas  au-dessus  de  l'entrée  même,  qui  n'a  jamais  été  décorée,  mais  sur  l'une  des  assises  aujourd'hui 
disparues  du  revêtement  en  calcaire  (Pétrie,  The  Pyramids  and  Temples  of  Gizeh,  p.  117). 

5.  La  troisième  pyramide  a  été  ouverte  par  le  colonel  Howard  Vyse  en  1837  et  décrite  longuement 
par  lui  (Opérations  carried  on  al  the  Pyramids  in  1887,  t.  II,  p.  69-95). 

6.  Vyse,  Opérations,  t.  II,  p.  119-124;  Bunsen,  JEgyplens  Stelle  in  der  Wellgcschichte,  t.  II.  p.  171-172. 


376  L'EMPIRE  HEHPHITE. 

modifier  les  proportions  de  l'ensemble.  Mykérinos  n'était  pas,  ce  semble,  le 
fils  aîné  et  l'héritier  désigné  de  Khéphrèn'  :  il  se  préparait  une  pyramide  de 
prince,  semblable  à  celles  qui  accompagnent  l'Horizon,  quand  la  mort  de 
son  frère  et  de  son  père  l'appela  au  trône.  Ce  qui  suffisait 
à  l'infant  ne  convenait  plus  au  Pharaon  :  on  agrandit  la 
masse  à  ses  dimensions  actuelles,  et  l'on  y  pratiqua  un 
second  couloir  incliné,  au  bas  duquel  un  vestibule  pannelé 
de  granit  livre  accès  à  une  sorte  d'antichambre'.  Celle-ci 
communique  par  un  corridor  horizontal  avec  le  premier 
caveau,  qu'on  approfondit  pour  la  circonstance  :  on  rem- 
blaya tant  bien  que  mal  l'ancienne  entrée  désormais  inutile9. 
Mykérinos  ne  reposait  pas  à  cet  étage  supérieur  des  sou- 
terrains :  un  chenal  étroit  dissimulé  sous  le  dallage  de  la 
seconde  pièce  descendait  dans  un  réduit  mystérieux ,  dou- 
blé de  granit  et  recouvert  d'un  toit  arrondi  en  voûte*. 
Le  sarcophage  était  un  seul  bloc  de  basalte  bleu  noir, 
poli  et  sculpté  en  forme  de  maison,  avec  une  façade  per- 
cée de  trois  portes  et  de  trois  fenêtres  à  claire-voie,  enca- 
drée d'un  tore,  surmontée  de  la  corniche  saillante  à  laquelle 
les  temples  nous  ont  accoutumés1.  Le  cercueil  en  bois  de 
cèdre  avait  la  tète  humaine  et  le  corps  en  gaine  :  il  n'était 
le  ciBciiiL^  n[  peint,  ni  doré,  mais  une  inscription  en  deux  colonnes, 

incisée  sur  le  devant,  contient  le  nom  du  Pharaon  et  une 
prière  à  son  intention  :  «  Osîris,  roi  des  deux  Ëgyptes,  Menkaouri,  vivant 

i.  Cela  parait  résulter  de  l'ordre  dans  lequel  les  princes  royaux  prennent  la  parole  au  Papyrut 
Wr.ttcar  :  Mykérinos  est  introduit  après  un  certain  Bioufrt,  qui  semble  cire  son  frère  aine  (Emus.  Dit 
Marche»  de»  l'apt/rui   Wetlear,  p.  0,  18;  Maskm>,  Ici  Conta  populaire:  f  éd.,  p.  61). 

1.  Vyse  (Opération!,  1.  Il,  p.  SI.  note  H)  y  découvrit  les  fragments  d'un  sarcophage  en  granit,  peut- 
être  celui  de  la  reine  :  les  légendes  qu'Hérodote  {11,  ciuiv-cxtiv),  et  plusieurs  auteurs  grecs  après  lui, 
racontent  à  cet  égard  montrent  bien  qu'une  tradition  ancienne  admettsit  l'existence  d'une  momie  de 
femme  dans  la  troisième  pyramide,  à  coté  de  la  momie  du  fondateur  Mykérinos. 

3.  Vyse  a  remarqué,  à  des  détails  de  construction  (Opération»,  t.  Il,  p.  "9-80).  que  le  couloir 
aujourd'hui  remblaye  est  le  seul  qu'on  ait  pratiqué  du  dehors  au  dedans  :  tous  les  autres  ont  été  pra- 
tiqués du  dedans  au  dehors,  par  conséquent  à  une  époque  où  ce  couloir,  étant  la  seule  voie  qu'oc 
possédai  pour  pénétrer  à  l'intérieur  du  monument,  n'avait  pas  encore  reçu  ses  dimensions  actuelles. 

1.  On  y  découvrit  encore  en  place  deux  des  crampons  de  métal  qui  attachaient  les  dalles  de  granit 
l'une  à  l'autre  (Vise,  Opération!  carried  on  at  the  Pyramide  in  IBS7.  t.  Il,  p.  Si). 

5,  Il  a  sombré  sur  la  cote  d'Espagne,  avec  le  vaisseau  qui  l'amenait  en  Angleterre  (Vtm,  Opération', 
t.  Il,  p.  8t,  note  S),  Il  n'en  reste  plus  que  le  dessin  exécuté  au  moment  de  la  découverte  et  publié 
pnr  Vyse  (tlprratioiu,  t.  Il,  planches  qui  font  face  aux  pages  83-81).  M.  Bore  hardi  a  lente  de  démontrer 
qu'il  avait  été  retravaillé  sous  In  XXVI'  dynastie  saïte  (Zur  Baugeichkhtr  lier  drittrn  Pyramide  bri 
liitrk,  dans  la  Zrîtfchrifl,  I.  XXX.  p.  lOfl),  ninsi  que  le  cercueil  en  bois  du  souverain. 

G.  Driiin  de  r'anchcr-Gudui.  Le  cercueil  est  au  Brîtish  Muséum  (Biaca,  A  Guidr  tu  the  First  and 
Srcond  Hgyptian  lioomi,  1871,  p.  :i;i,  il"  6iU7).  Il  a  été  publié  par  Vyse  {Opération»,  t.  II.  planche 
qui  lui  fait  face  à  la  page  !M),  par  birch-Lenormanl  (ÉctaircitMcmenti  »ur  le  cercueil  du  roi  Hemphiii 


VIOLATION  DES  GRANDES  PYRAMIDES.  377 

éternellement,  enfanté  par  le  ciel,  conçu  par  Nouit,  chair  de  Sibou,  la  mère 
Nouit  s'est  étendue  sur  toi  en  son  nom  de  Mystère  dit  Ciel  et  elle  a  accordé 
que  tu  sois  un  dieu  et  que  tu  repousses  tes  ennemis,  ô  roi  des  deux 
Egyptes  Menkaourî,  vivant  éternellement.  »  Les  Arabes  éventrèrent  la  momie, 
pour  voir  si  elle  ne  renfermait  pas  quelque  bijou  précieux,  et  n'y  décou- 
vrirent que  des  feuilles  d'or,  probablement  un  masque  ou  un  pectoral  chargé 
d'hiéroglyphes'.   Lorsque   Vyse  rouvrit   le  caveau   en    1837,   les   ossements 


gisaient  dispersés  au  hasard  dans  la  poussière,  pêle-mêle  avec  des  amas  de 
chiffons  salis  et  de  bandelettes  en  laine  jaunâtre1. 

Le  culte  des  trois  grands  rois  constructeurs  de  pyramides  durait  encore  à 
Memphis  au  temps  des  Grecs  et  des  Romains1.  On  conservait  même,  dans 
les  dépendances  du  temple  de  Phtah,  leurs  statues  en  granit,  en  calcaire,  en 
albâtre,  où  les  visiteurs  pouvaient  les  contempler  comme  vivants1.  Celles  de 
Khéphrèn  nous  le  montrent  à  différents  âges,  jeune  ou  mûr,  ou  déjà  touché 

Myctrinui,  1839) et  parLep*iu*  {Autwahl  der  icichligeten  L'rkunden,  pi.  VU).  Jl,  Sethe  ■  repris  réce m- 
ment  une  ancienne  hypothèse,  d'après  laquelle  on  l'aurait  refait  à  l'époque  saïte,  et  il  a  joint  aux 
considération  a  archéologiques  seules  invoquées  jusqu'alors  des  faits  philologiques  nouveaux  (K.  Siihe, 
Dut  Aller  det  Loiidoner  SargdeeheU  det  KSnigi  Mcnchcrei,  dans  la  Zeitschrift,  t.   XXX,   p.  9J-98). 

].  Edmh,  dans  Vus,  Opération»  rarried  on  al  the  Pyramide  in  183T,  t.  Il,  p.  71,  note  7. 

î.  Deititi  de  Fauchcr-Gudin,  d'eprèi  la  chromolithographie  de  Prisse  d'Aiessfj",  Hftoire  de  l'Art 
Égyptien.  Cf.  Hiihabd-Vife,  Opération!  carried  on  at  the  Pijramidi  in  1SS7,  t.  II.  planche  qui  fait 
face  à  la  page  84;  Pebrot-Cbipiez.  HUloire  de  l'Art  dan)  l'Antiquité,  t.  I,  p.  509. 

3.  Vr*e,  Opération!  carried  ou  at  the  Pgramitl*  in  I8S7,  t.  II,  p.  "3-T4. 

i.  Le  dernier  monument  égyptien  qui  en  constate  l'existence  est  une  stèle  du  Sérapéum  (n°  Ï8S7) 
au  nom  de  P  ih  il  ik-  mon  k  h  ou,  prophète  de  hhéops,  de  Dadoufri  et  de  Khéphrèn  :  elle  a  été  signalée 
en  premier  lieu  par  E.  de  Rougé  ((trrherrhet  tur  tei  monument»  qu'on  peut  attribuer  aux  eix  pre- 
mière dynattiei  de  Manélhon,  p.   53;  cf.  PmnïT,  Catalogue  de  la  Salle  historique,  p.  73,  n*  314). 

S.  M.  firébaut  a  enrichi   le  Musée  de  Gizéh,  en  1888,  des  statues  de  Khéphrèn,  de  Nykérinos.  de 


37K  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

par  la  vieillesse1.  Elles  sont  taillées  pour  la  plupart  dans  une  brèche  de 
diorite  verte,  traversée  irrégulièrement  de  longues  veines  jaunâtres,  et  d'une 
telle  dureté  qu'on  se  demande  quel  outil  a  bien  pu  l'entamer.  Pharaon  est  assis 
carrément  sur  son  trône  roval,  les  mains  aux  cuisses,  le  buste  ferme  et  droit, 
le  chef  haut,  le  regard  assuré  :  un  épervier,  perché  au  dossier  du  siège, 
enveloppe  la  tête  de  ses  ailes,  image  du  dieu  Horus  qui  protège  son  fils.  Le 
modelé  du  torse  et  des  jambes,  la  fierté  de  la  pose,  la  vigueur  de  l'expression, 
font  de  la  plus  grande  de  ces  statues  une  œuvre  unique,  comparable  à  ce  que 
l'antiquité  entière  a  produit  de  plus  beau.  Les  cartouches  qui  nous  appren- 
nent le  nom  auraient  été  martelés  et  les  insignes  du  rang  détruits,  que  nous 
devinerions  encore  le  Pharaon  à  sa  mine  :  tout  en  lui  trahit  l'homme  habitué 
dès  le  berceau  à  se  sentir  investi  d'une  autorité  sans  limite.  Mykérinos  se 
révèle  à  nous  moins  impassible  et  moins  hautain2  :  il  semble  ne  pas  s'éloigner 
de  l'humanité  autant  que  son  prédécesseur,  et  l'aspect  avenant  de  sa 
physionomie  s'accorde  assez  curieusement  avec  ce  que  la  légende  raconte 
de  sa  bonhomie  et  de  sa  piété.  Les  Égyptiens  des  dynasties  thébaines, 
comparant  les  deux  grandes  pyramides  à  la  troisième,  imaginèrent  que  la 
disproportion  qu'ils  remarquaient  entre  leur  taille  répondait  à  un  contraste 
de  caractère  entre  les  souverains  qui  les  habitaient.  Accoutumés  qu'ils 
étaient  d'enfance  aux  constructions  gigantesques,  ils  n'éprouvaient  pas 
devant  V Horizon  et  devant  la  Grande  l'impression  d'écrasement  et  d'effroi  que 
les  modernes  ressentent.  Ils  n'en  étaient  que  plus  aptes  à  comprendre  quelle 
somme  de  labeur  et  d'efforts  il  fallut  dépenser  pour  les  finir  de  la  base  au 
sommet.  Elle  leur  parut  dépasser  l'extrême  des  corvées  qu'un  maitre  juste  avait 
le  droit  d'imposer  à  ses  sujets,  et  la  réputation  de  Khéops  ou  de  Rhéphrèn  en 
souffrit  grandement.  On  les  accusa  de  sacrilège,  de  cruauté,  de  débauches;  on 
prétendit  qu'ils  avaient  suspendu  la  vie  entière  de  leurs  peuples  pendant  un 
siècle  et  plus  afin  de  s'ériger  leurs  tombeaux.  «  Khéops  commença  par  fermer 

Menkaouhorou,  d'Ousirnirf,  plus  une  statue  sans  nom  que  je  crois  être  celle  de  Khéops  (cf.  p.  364  de 
cette  Histoire),  découvertes  par  les  fellahs  dans  le  temple  de  Phtah  (Maspeko,  Revue  critique,  18ÏM). 
t.  Il,  p .  -i  1  •>- 4 J 7 ) .  Quelques  ég>ptologucs,  trompés  J>ar  l'épithète  aimé  d'FIâpi  qui  est  accolée  sur  l'une 
d'elles  au  nom  du  Pharaon  Mykérinos,  ont  cru  qu'elles  provenaient  d'une  des  nécropoles  de  Saq- 
qarah,  peut-être  du  Se  râpé  uni  encore  inconnu  des  dynasties  memphites.  Ces  monuments  ont  été  repro- 
duits en  photolithographie  dans  (iKkr.ut,  le  Musée  égyptien ,  I,  pi.  VIII-XIV. 

1.  Klles  ont  été  découvertes  en  1800  par  Mariette,  dans  le  temple  du  Sphinx,  au  fond  d'un  puits  où 
elles  avaient  été  précipitées  à  une  époque  inconnue  (Marikttk,  Lettre  à  M.  le  vicomtfde  Rougê.  p.  7-8); 
plusieurs  d'entre  elles  s'étaient  hrisées  dans  la  chute.  Klles  sont  conservées  aujourd'hui  au  Musée 
de  CSizéh  :  la  première  reproduction  exacte  qui  en  ait  été  publiée  se  trouve  dans  Roit.é-Ba* ville. 
Album  photographique  de  la  Mission  de  M.  de  Rougé,  n-  91-UÎ,  et  dans  E.  dk  Hoigk.  Recherches  sur 
les  monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties  de  Manélhon,  pi.  IV-V. 

t.  Grébai't,  le  Musée  égyptien,  I,  pi.  IX;  voir  la  statue  reproduite  à  la  p.  374  de  cette  Histoire. 


LA  LÉGENDE  DES  .ROIS  CONSTRUCTEURS  DE  PYRAMIDES.  379 

les  temples*  et  par  prohiber  qu'on  offrit  des  sacrifices;  puis  il  contraignit 
tous  les  Égyptiens  à  travailler  pour  lui.  Aux  uns,  il  assigna  la  tâche  de 
tramer  les  blocs  des  carrières  de  (a  chaîne  Arabique  jusqu'au  Nil  :  les  blocs 
une  fois  passés  en  barque,  il  pres- 
crivit aux  autres  de  les  amener 
jusqu'à  la  chaîne  Libyque.  Ils  tra- 
vaillaient par  cent  mille  hommes 
qu'on  relevait  chaque  trimestre*. 
Le  temps  que  le  peuple  pàtit  se 
répartit  de  la  sorte  :  dix  années 
pour  construire  la  chaussée  sur 
laquelle  on  tirait  les  blocs,  œuvre, 
à  mon  sembler,  de  fort  peu  infé- 
rieure à  la  pyramide,  car  sa  lon- 
gueur est  de  cinq  stades,  sa  lar- 
geur de  dix  orgyies  et  sa  plus 
grande  hauteur  de  huit,  le  tout  en 
pierres  de  taille  et  couvert  de 
figures3.  On  consuma  donc  dix  an- 
nées à  construire  cette  chaussée  et 
les  chambres  souterraines  creusées 
dans  la  colline.  —  Quant  à  la 
pyramide  elle-même,  on  employa 

vingt  ans  à  la  faire.  —  Des  caractères  égyptiens  gravés  sur  elle  marquent  la 
valeur  des  sommes  payées  en  raves,  oignons  et  aulx  pour  les  ouvriers  obligés 
aux  travaux;  si  j'ai  bon  souvenir,  l'interprète  qui  me  déchiffrait  l'inscription 
me  dit  que  le  total  montait  à  seize  cents  talents  d'argent.  S'il  en  est  ainsi, 

1.  Déjà  dans  le  Conte  du  l'opjrus  Westcar,  il  semble  que  Khéops  donnai  l'ordre  de  fermer  un  temple 
au  moins,  celui  du  dieu  lia  à  Sukhlbou  {Mispoo,  te*  Coule*  populaire*,  f  ('dit.,  p.  SU}. 

t.  M.  l'clric  {The  i'vramidt  and  Temple*  of  tiiieh,  p.  WJ-Sll)  pense  que  ce  détail  renoue  nul' 
une  tradition  authentique.  L'inondation,  dit-il,  dure  trois  mois,  durant  lesquels  le  gros  de  la  popu- 
lation n'n  rien  k  faire  :  c'est  pendant  ces  trois  mois  que  Khéops  levait  le»  cent  mille  hommes  qu'il 
employait  à  charrier  la  pierre.  L'explication  est  1res  ingénieuse,  mais  elle  n'est  point  supportée  par 
le  texte  :  Hérodote  ne  raconte  point  qu'on  appelai!  à  la  corvée  cent  mille  hommes  par  an  pour  trois 
mois,  maïs  que  de  trois  mois  en  trois  moi»,  soit  quatre  fois  par  an,  des  corps  de  cent  mille  hommes 
rharun  se  relayaient  au  travail.  Les  chiffres  qu'il  donne  sont  de  % iVi- Ltjtlil es  chiiïres  de  légende,  dont 
il  faut  laisser  la  responsabilité  j  l'imagination  populaire  {Wimikimm,  llerodol*  Zteciles  Buch,  p.  iC,t<). 

a.  Diodore  de  Sicile  (I,  Iî3)  déclarait  déjà  qu'on  ne  voyait  plus  les  lovées  de  son  temps.  Les  restes 
de  l'une  d'elles  paraissent  avoir  élé  découverts  et  relevés  par  Vyse  [Opération*,  t.  I,  p.  IrtT). 

i.  Destin  de  Iloudier,  d'après  une  photographie  il  Emile  Urugsch-lteu  (cf.  l'iimi,  Album  photo- 
graphique du  Mutile  de  Boutaq,  p|.  JO;  Rougé-Bajulliî,  Album  photographique  de  la  mission  </<■  M.  tle 
Hougé,  il-  Ul,  Ht).  C'est  la  plus  complète  des  statues  trouvées  par  Mariette  dans  le  temple  du  Sphinx. 


380  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

combien  doit-on  avoir  dépensé  en  fer  pour  les  outils,  en  vivres  et  en  vête- 
ments pour  les  ouvriers1?  »  Les  ressources  entières  du  trésor  royal  n'avaient 
pas  suffi  à  tant  de  nécessités  :  une  tradition  représentait  Khéops  à  bout  de 
ressources  et  vendant  sa  fille  à  tout  venant,  afin  de  se  procurer  de  l'argent*. 
Une  autre  légende,  moins  irrespectueuse  de  la  dignité  royale  et  de  l'autorité 
paternelle,  assurait  qu'il  s'était  repenti  sur  ses  vieux  jours  et  qu'il  avait  écrit 
un  livre  sacré  fort  estimé  des  dévots3.  Khéphrèn  l'avait  imité  et  partageait  avec 
lui  la  haine  de  la  postérité4.  On  évitait  de  prononcer  le  nom  de  ces  maudits, 
on  attribuait  leur  œuvre  à  un  berger  Philitis  qui  paissait  jadis  ses  troupeaux 
dans  la  montagne5,  et  ceux  même  qui  ne  leur  refusaient  point  la  gloire  telle 
quelle  de  s'être  bâti  les  sépulcres  les  plus  vastes  du  monde,  racontaient  qu'ils 
n'avaient  pas  eu  la  satisfaction  de  s'y  coucher  après  la  mort.  Le  peuple,  exas- 
péré de  la  tyrannie  qu'ils  avaient  exercée  sur  lui,  avait  juré  d'arracher  leurs 
cadavres  à  ces  monuments  et  de  les  mettre  en  pièces  :  on  dut  les  enterrer 
dans  des  cachettes  si  bien  choisies  que  personne  n'a  réussi  à  les  découvrir6. 
Gomme  ses  deux  aînées,  la  Suprême  eut  son  histoire  anecdotique  où  l'ima- 
gination des  Égyptiens  s'accorda  libre  carrière.  On  savait  que  le  plan  en  avait 
été  remanié  au  cours  des  travaux,  qu'elle  contenait  deux  chambres  funéraires, 
deux  sarcophages,  deux  momies  :  on  supposa  que  les  modifications  se  rappor- 
taient à  deux  règnes  distincts,  que  Mykérinos  avait  laissé  sa  tombe  inachevée, 
et  qu'une  femme  l'avait  terminée  par  la  suite  des  temps,  selon  les  uns  Nitokris 
la  dernière  reine  de  la  VIe  dynastie7,  selon  les  autres  Rhodopis  l'Ionienne  qui 

1.  Hérodote,  11,  cxxiv-cxxv.  Les  inscriptions  qu'on  lisait  sur  les  pyramides  étaient  des  graffiti  de  visi- 
teurs, quelques-uns  fort  soignés  (Letronne,  Sur  le  revêtement  des  pyramides  de  Gizéh,  sur  les  sculp- 
ture* hiéroglyphiques  qui  les  décoraient  et  sur  les  inscriptions  grecques  et  latines  que  les  voyageurs 
y  avaient  gravées,  dans  les  Œuvres  choisies,  1"  série,  t.  I,  p.  441-452).  Les  chiffres  qu'on  montra  à 
Hérodote  représentaient,  d'après  le  drogman,  la  valeur  des  sommes  dépensées  en  légumes  pour  les 
ouvriers;  on  doit  y  reconnaître  probablement  les  chiffres  des  milliers  qui,  dans  beaucoup  de  pros- 
cynèmes,  servent  à  marquer  les  quantités  de  choses  diverses  présentées  à  un  dieu  pour  qu'il  le» 
transmette  à  un  mort  (Maspero,  Nouveau  Fragment  d'un  Commentaire  sur  le  livre  II  d'Hérodote,  dans 
Y  Annuaire  de  la  Société  pour  l'encouragement  des  éludes  grecques  en  France,  1875,  p.  16  sqq.). 

2.  Hérodote,  II,  cxxvi.  Elle  avait  profité  de  son  gain  pour  se  construire  une  pyramide  dans  le  voisi- 
nage de  la  grande,  celle  des  trois  petites  qui  se  trouve  au  milieu  des  deux  autres  :  il  parait  bien,  en 
effet,  que  cette  pyramide  renfermait  la  momie  d'une  fille  de  Khéops,  Honitsonou. 

3.  Manéthok,  édit.  Unger,  p.  91.  L'attribution  d'un  livre  à  Khéops,  ou  plutôt  le  récit  de  la  découverte 
d'un  Livre  sacré  sous  Khéops,  n'a  rien  que  de  très  naturel  dans  les  idées  égyptiennes.  Le  British 
Muséum  possède  un  traité  de  médecine  qui  fut  ainsi  découvert  sous  ce  roi,  dans  un  temple  de  Coptos 
(Birch,  Médical  Papyrus  with  the  name  of  Cheops,  dans  la  Zeitschrifl,  1871,  p.  61-64;  cf.  p.  224-225 
de  cette  Histoire).  Il  y  a,  parmi  les  livres  d'alchimie  publiés  par  M.  Berthelot  (Collection  des  anciens 
alchimistes  grecs,  t.  1,  p.  211-214),  deux  petits  traités  attribués  à  Sophé,  soit  Souphis  ou  Khéops;  ils 
sont  du  même  genre  que  le  livre  mentionné  par  Manéthon  et  que  le  S>ncellc  dit  avoir  acheté  en  Egypte. 

4.  Hérodote,  H,  cxxvn. 

5.  Hérodote,  II,  cxxvm;  cf.  Wiedemann,  Hérodote  Zweites  Buch,  p.  477-478  :  divers  savants  ont  voulu 
voir  dans  ce  nom  de  Philitis  le  berger  un  souvenir  des  Hyksos,  ce  qui  n'a  rien  de  vraisemblable. 

6.  Diodore  de  Sicile,  1,  64. 

7.  Manéthon,  édit.  Unger,  p.  102,  affirme  que  ISitokris  bâtit  la  troisième  pyramide  :  l'explication  de 
sou  dire  a  été  donnée  par  Lcpxius  dans  l'ouvrage  de  Bunsen  (ACgyptens  Sicile,  t.  Il,  p.  172,  230-238). 


LA  LÉGENDE  DE  MYKÉRINOS.  381 

fut  la  maîtresse  de  Psammétique  Ier  ou  d'Amasis1.  La  beauté  et  la  richesse  du 
revêtement  en  granit  éblouissaient  tous  les  yeux,  et  engageaient  beaucoup  de 
visiteurs  à  préférer  la  moindre  des  pyramides  à  ses  deux  grandes  sœurs;  on 
excusait  sa  petitesse  par  un  retour  du  premier  fondateur  à  la  modération  et 
à  la  piété  qui  doivent  caractériser  le  bon  roi.  «  Les  actions  de  son  père  ne  lui 
furent  pas  agréables  :  il  rouvrit  les  temples  et  renvoya  aux  cérémonies  reli- 
gieuses et  aux  affaires  le  peuple  réduit  à  l'extrême  misère;  enfin  il  rendit 
la  justice  plus  équitablement  que  tous  les  autres  rois.  Là-dessus  on  le  loue 
par  avant  ceux  qui  ont  jamais  régné  sur  l'Egypte;  car,  non  seulement  il  faisait 
bonne  justice,  mais  qui  se  plaignait  de  l'arrêt  il  le  gratifiait  de  quelque 
présent  pour  apaiser  sa  colère*.  »  Un  point  cependant  inquiétait  beaucoup 
d'esprits  dans  ce  pays  où  Ton  croyait  aux  vertus  mystiques  des  nombres  : 
pour  que  les  lois  de  l'arithmétique  céleste  eussent  été  observées  dans  la  con- 
struction des  pyramides,  il  en  eût  fallu  trois  de  même  taille.  L'anomalie 
d'une  troisième  inégale  aux  deux  autres  s'expliquait  seulement  si  l'on  sup- 
posait que  Mykérinos,  rompant  avec  les  habitudes  paternelles,  avait  enfreint, 
par  ignorance,  un  arrêt  du  destin,  ce  dont  il  fut  puni  impitoyablement.  11 
perdit  d'abord  sa  fille  unique,  et  peu  de  temps  après  connut  par  un  oracle 
qu'il  n'avait  plus  que  six  ans  à  demeurer  sur  terre.  Il  enferma  le  cadavre  de 
son  enfant  dans  une  génisse  de  bois  creux,  qu'il  envoya  à  Sais  et  à  qui  Ton 
accorda  les  honneurs  divins3.  «  Il  manda  ensuite  ses  reproches  au  dieu,  se 
plaignant  que  son  père  et  son  oncle,  après  avoir  clos  les  temples,  oublié  les 
dieux,  opprimé  les  hommes,  eussent  vécu   longuement,  tandis   que  lui,  si 

1.  Zoega  {De  Origine  et  Usu  Obeliscorum,  p.  390,  note  22)  avait  déjà  reconnu  que  la  Rhodopis  des 
Grecs  n'est  autre  que  la  Nitokris  de  Manéthon,  et  son  opinion  a  été  acceptée  et  développée  par  Bun- 
sen {JEgyptcns  Stelle,  p.  237-238).  La  légende  de  Rhodopis  a  été  complétée  par  l'addition  du  caractère 
de  courtisane  au  personnage  de  l'ancienne  reine  égyptienne;  ce  trait  assez  répugnant  parait  être 
emprunté  au  même  ordre  de  légendes  qui  s'était  attaché  à  la  tille  de  Khéops  ou  à  sa  pyramide.  Le 
récit  ainsi  développé  s'est  confondu  également  avec  un  autre  conte  populaire,  où  se  retrouvait 
l'épisode  de  la  pantoufle  si  bien  connu  par  notre  histoire  de  Cendrillon  (Lauth,  Kônigin  tiitokris-Rho- 
dopis  und  Aschenbrôdel's  Urbild,  dans  la  Deutsche  lie  vue,  juillet  1879).  Hérodote  allie  Rhodopis  à  son 
Amasis  (II,  cxxxiv),  Elien  {Varias  hist.,  XIII,  32)  au  roi  Psammétique  de  la  XXVI"  dynastie. 

2.  Hérodote,  H,  cxxix;  cf.  Wiedemann,  Hérodote  Zweites  Bue  h,  p.  478  sqq. 

3.  Hérodote,  II,  cxxix-cxxxui.  La  façon  dont  Hérodote  décrit  la  vache  qu'on  lui  montra  dans  le 
temple  de  Sais  prouve  qu'il  s'agit  ici  de  Nlt  en  forme  animale,  Mihît-ouirit,  la  grande  génisse  céleste 
qui  a  enfanté  le  soleil.  Comment  le  peuple  avait-il  rattaché  à  cette  statue  la  légende  d'une  fille  de 
Mykérinos,  c'est  ce  qu'on  ne  peut  guère  comprendre  aujourd'hui.  L'idée  d'une  momie  ou  d'un  cadavre 
confiné  dans  une  statue  en  guise  de  cercueil  était  familière  aux  Égyptiens  :  deux  des  reines  enterrées 
à  Déir  el-Bahart,  Nofrftari  et  Ahhotpou  II,  se  trouvaient  comme  perdues  au  fond  d'immenses  colosses 
osiriens  en  bois  et  en  étoffe  stuquée  (Maspero,  la  Trouvaille  de  Déir  el-Bahari,  dans  les  Mémoires  de 
la  Mission  française,  t.  I,  p.  535,  54-4  et  pi.  V).  La  tradition  égyptienne  admettait  que  le  corps  des 
dieux  reposait  sur  la  terre  {De  Iside  et  Osiride,  §  22,  p.  36,  édit.  Parthey;  cf.  p.  111  de  cette 
Histoire).  La  vache  Mîhit-ouirit  pouvait  donc  être  enfermée  corporellement  dans  un  sarcophage  en 
forme  de  génisse,  comme  la  gazelle  momifiée  de  Déir  el-Bahari  est  enfermée  dans  un  sarcophage 
en  forme  de  gazelle  (Maspero,  la  Trouvaille  de  Deir  el-Bahatï,  pi.  XXI,  B);  peut-être  même  la  statue 
qu'on  montra  à  Hérodote  contenait-elle  réellement  ce  qu'on  pensait  être  une  momie  de  la  déesse. 


382  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

dévot,  allait  périr  si  vite.  L'oracle  lui  répondit  que  pour  cela  mèine  ses 
jours  étaient  abrégés,  car  il  n'avait  pas  fait  ce  qu'il  fallait  faire.  L'Egypte 
aurait  dû  souffrir  cent  cinquante  ans,  et  les  deux  roi*  ses  prédécesseurs 
l'avaient  su,  au  contraire  de  lui.  A  cette  réponse,  Mykérinos,  se  sentant  cou- 
damné,  fabriqua  nombre  de  lampes,  les  alluma  chaque  soir,  à  la  nuit,  se 
mit  à  boire  et  à  se  donner  du  bon  temps,  «ans  jamais  cesser,  nuit  et  jour, 
errant  sur  les  étangs  et  dans  les  bois,  partout  où  il  pensait  trouver  occasion 
de  plaisir.  II  avait  machiné  cela  afin  de  convaincre  l'oracle  de  faux,  et  de  vivre 
douze  ans,  les  nuits  comptant  comme  les  jours1.  »  La  légende  plaçait  après 
lui  un  dernier  constructeur  de  pyramides,  mais  d'un  genre  un  peu  différent, 
Asychis  ou  Sasychis.  Celui-ci  préféra  la  brique,  sauf  en  un  point,  où  il 
enchâssa  une  pierre  qui  portait  l'inscription  suivante  :  «  Ne  me  méprise  pas 
à  cause  des  pyramides  de  pierre;  je  l'emporte  sur  elles  autant  que  Jupiter  sur 
les  autres  dieux.  Car,  plongeant  une  pièce  de  bois  dans  un  marais  et  réunis- 
sant ce  qui  s'y  attachait  d'argile,  on  a  moulé  la  brique  dont  j'ai  été  con- 
struite4. »  Asychis  par  ses  vertus  aidait  Mykérinos  à  contre-balancer  l'impres- 
sion fâcheuse  que  Khéops  et  Khéphrèn  laissaient  derrière  eux.  Il  s'était  montré 
l'un  dea  meilleurs  parmi  les  cinq  législateurs  de  l'Egypte.  Il  avait  réglé  minu- 
tieusement les  cérémonies  du  culte.  Il  avait  inventé  la  géométrie  et  l'art  d'ob- 
server les  astres3.  II  avait  promulgué  une  loi  sur  le  prêt,  par  laquelle  il  auto- 
risait les  particuliers  à  livrer  en  gage  la  momie  de  leur  père,  avec  faculté  au 
créancier  de  traiter  comme  sienne  la  sépulture  du  débiteur  :  tant  que  la  dette 
n'était  pas  acquittée,  celui-ci  ne  pouvait  obtenir  asile  pour  lui  ou  pour  quel- 
qu'un des  siens,  ni  dans  la  tombe  paternelle,  ni  dans  une  autre  tombe4. 

L'histoire  ignore  et  ce  judicieux  souverain,  et  bien  d'autres  Pharaons  du 
même  type,  que  les  drogmans  d'époque  grecque  signalaient  résolument  i 
l'attention  respectueuse  des  voyageurs.  Elle  constate  seulement  que  l'exemple 
donné  par  Khéops,  Khéphrèn  et  Mykérinos  ne  se  perdit  point  par  la  suite.  Du 
commencement  de  la  IVe  à  la  fin  de  la  XIVe  dynastie,  pendant  plus  de  quinze 
cents  ans,  la  construction  des  Pyramides  fut  une  opération  d'état  courante, 
prévue  par  l'administration,  assurée  par  des  services  spéciaux\  Non  seulement 

I.  Hérodote,  H,  cxxxiu. 

2.    HÉRODOTK,  II,   CXXWI. 

3.  Diodork,  I,  01.  11  semble  assez  vraisemblable  que  Diodore  eul  connaissance,  par  quelque  écri- 
vain alexandrin  aujourd'hui  perdu,  de  traditions  relatives  aux  travaux  législatifs  de  Shashanqou  I**. 
de  la  XXIIe  dynastie,  mais  où  le  nom  du  roi,  transcrit  ordinairement  Sésonkhis,  avait  été  transforme 
en  Sasykhis  par  un  drogman  (Wilkixsox,  dans  G.  IUwlinson,  Herodotus,  t.  11,  p.  182,  note  7). 

i.  Hérodote,  H,  r.xxxvi. 

5.  Sur  la  construction  des  Pyramides  en  général,  cf.  Perrot-Chipikz,  Histoire  de  VArt,  t.  I,  p.  195. 


LES  CARRIÈRES  DE  TOURAH.  383 

les  Pharaons  s'en  bâtissaient  pour  eux-mêmes,  mais  les  princes  et  les  prin- 
cesses de  leur  famille  s'érigeaient  les  leurs,  chacun  selon  ses  moyens  :  trois  de 
ces  mausolées  secondaires  sont  rangés  sur  la  face  orientale  de  l'Horizon,  trois 
sur  la  face  méridionale  de  la  Suprême,  et  partout,  près  d'Abousîr,  à  Saqqarah, 
à  Dahshour,  dans  leFayoum,  la  plupart  des  pyramides  royales  rallient  autour 
d'elles  un  cortège  plus  ou  moins  nombreux  de  pyramides  princières,  sou- 
vent ruinées  hors  de  toute  figure  et  de  toute  proportion1.  On  apportait  les 
matériaux  de  la  montagne  Arabique.  L'éperon  qui  poussait  droit  vers  le  Nil 
jusqu'au  village  de  Troiou  n'est  qu'un  bloc  de  calcaire  d'une  finesse  et  d'une 
blancheur  sans  égales*.  Les  Égyptiens  l'attaquèrent  dès  les  temps  les  plus 
anciens;  à  "force  de  le  couper  en  tout  sens,  ils  en  ravalèrent  la  pointe  au 
ras  du  sol  sur  une  épaisseur  de  plusieurs  centaines  de  mètres.  L'aspect  de 
ces  carrières  est  aussi  étonnant  peut-être  que  celui  des  monuments  qui 
en  sortirent.  L'extraction  s'y  pratiquait  avec  une  habileté  et  avec  une  régu- 
larité qui  dénotent  une  expérience  séculaire.  Les  galeries  épuisent  les  filons 
les  plus  fins  et  les  plus  blancs  sans  en  rien  laisser  perdre,  et  les  chambres 
sont  d'une  étendue  presque  effrayante  ;  on  dressait  les  parois,  on  parachevait 
les  piliers  et  le  toit,  on  calibrait  régulièrement  les  couloirs  et  les  portes 
comme  s'il  se  fût  agi  d'un  temple  souterrain  et  non  d'une  simple  exploitation 
de  matériaux8.  Des  graffiti  tracés  rapidement  aux  encres  noire  et  rouge  conser- 
vaient le  nom  des  ouvriers,  des  contremaîtres  ou  des  ingénieurs  qui  avaient 
travaillé  là  à  des  époques  déterminées,  des  calculs  de  paye  ou  de  rations, 
des  épures  de  pièces  intéressantes,  chapiteaux  ou  fûts  de  colonne,  qu'on 
dégrossissait  sur  place  pour  en  alléger  le  poids.  Ça  et  là  de  vraies  stèles 
officielles,  réservées  en  bonne  place,  rappelaient  qu'après  une  longue  inter- 
ruption, tel  ou  tel  souverain  illustre  avait  recommencé  l'excavation  et  ouvert 
des  chambres  nouvelles4.  L'albâtre  se  rencontrait  non  loin  de  là,  dans  l'Ouadv 

2i0;  Pétrie,    The  Pyramids  and  Temples  of  Gizeh,   p.    162-172;  Maspero,   Archéologie  Egyptienne, 
p.  126-148. 

1.  On  trouvera  déjà  la  description  de  la  plupart  de  ces  pyramides  dans  l'ouvrage  de  Vysk-Perrin<;, 
Opérations  varried  on  al  the  Pyramids  in  1837,  t.  II.  Les  petites  pyramides  du  Fayoum  ont  été 
déblayées  tout  récemment  par  Pétrie,  Illahun,  Kahnn  and  Gurob,  p.  i-5. 

2.  Troiou  est  la  Troja  des  écrivains  classiques  (Bricsch,  Das  Aïgyptische  Troja,  dans  la  Zeitschrift, 
1867,  p.  89-93),  que  d'Anville  (Mémoires  sur  l'Egypte  Ancienne  et  Moderne,  p.  175)  avait  identifiée 
déjà  au  bourg  moderne  de  Tourah;  cf.  la  carte  du  Delta,  à  la  page  75  de  cette  Histoire. 

3.  La  description  des  carrières  de  Tourah,  telles  qu'on  les  voyait  au  commencement  du  siècle,  a  été 
faîte  trop  brièvement  par  Joroard  (Description  générale  de  Memphis  et  des  Pyramides,  dans  la  Des- 
cription de  V  Egypte,  t.  V,  p.  672-671),  puis  plus  complètement  par  Perring  (Vyse,  Opérations,  t.  III, 
p.  90  sqq.).  Depuis  une  trentaine  d'années,  les  maçons  du  Caire  ont  détruit  la  plupart  des  restes 
d'antiquités  qui  se  trouvaient  dans  ces  parages,  et  ont  changé  complètement  l'aspect  des  lieux. 

4.  Stèles  d'Amenemhalt  111  de  la  XII*  dynastie  (Vyse,  Opérations  carried  on  at  the  Pyramids  in 
1HS7,  t.  III,  planche  en  face  la  page  94;  Lepsics,  Denkm.,  II,  143  i),   d'Ahmosis  Ier  (Vyse,  Opérations^ 


384  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

Gerraouî,  et  de  très  vieux  Pharaons  avaient  établi  une  véritable  colonie  en 
plein  désert  pour  le  débiter  en  morceaux  et  pour  l'emporter  :  un  barrage 
puissant,  jeté  en  travers  de  la  vallée,  emmagasinait  l'eau  des  pluies  pendant 
l'hiver  ou  le  printemps,  et  formait  un  étang  ou  les  ouvriers  trouvaient  con- 
stamment de  quoi  s'abreuver1.  Khéops  et  ses  successeurs  tirèrent  leur  albâtre 
de  Hàtnoubou*,  au  voisinage  d'Hermopolis,  leur  granit  de  Syène,  le  diorite 
et  les  autres  roches  dures  dont  ils  aimaient  à  fabriquer  leurs  sarcophages  des 
vallées  volcaniques  qui  séparent  le  Nil.  et  la  mer  Rouge,  surtout  de  l'Ouadv 
Hammamât.  Comme  c'étaient  les  seuls  matériaux  dont  la  quantité  ne  fût  pas 
réglée  à  l'avance  et  qu'il  fallût  aller  chercher  au  loin,  chaque  roi  dépêchait  les 
principaux  personnages  de  sa  cour  en  mission  aux  carrières  de  la  Haute- 
Egypte,  et  la  célérité  avec  laquelle  ils  ramenaient  la  pierre  constituait  un  titre 
éminent  à  la  faveur  du  maître.  Si  le  gros  œuvre  était  en  briques,  on  moulait  la 
brique  sur  place,  avec  la  terre  ramassée  dans  la  plaine  au  pied  de  la  colline. 
S'il  était  en  calcaire,  les  parties  du  plateau  les  plus  voisines  fournissaient  à 
profusion  le  moellon.  On  consacrait  d'ordinaire  à  la  construction  des  cham- 
bres et  au  revêtement  le  granit  rose  d'Éléphantine  et  le  calcaire  de  Troiou, 
qu'on  n'avait  même  pas  la  peine  de  se  procurer  spécialement  pour  la  circon- 
stance. La  cité  du  Mur-Blanc  entretenait  à  portée  ses  entrepôts  toujours  pleins, 
où  l'on  puisait  sans  relâche  pour  les  édifices  publics,  et  par  conséquent  pour 
la  tombe  royale.  Les  blocs,  choisis  dans  ces  réserves  et  convoyés  en  barque 
jusque  sous  la  montagne,  montaient  à  la  force  des  bœufs  vers  l'emplacement 
désigné  par  l'architecte,  sur  des  chaussées  inclinées  doucement3. 

La  disposition  intérieure,  la  longueur  des  couloirs,  la  hauteur,  varient 
grandement  :  la  moindre  des  pyramides  n'atteint  pas  dix  mètres.  Comme  on 
conçoit  malaisément  quels  motifs  déterminèrent  les  Pharaons  à  choisir  des 
dimensions  différentes,  on  a  pensé  que  la  masse  de  chacune  d'elles  s'accrois- 
sait en  proportion  directe  du  temps  dépensé  à  la  bâtir,  c'est-à-dire  de  la 
durée  de  chaque  règne.  Dès  qu'un  prince  s'asseyait   sur   le  trône,    il  aurait 

t.  III,  p.  94;  Lepsics,  Denkm.,  III,  3  a-b),  de  Àkhopîrourt  (Vyse,  Opérations,  t.  111,  p.  95)  et  d'Ain  e- 
nôthés  III  (Vyse,  Opération*,  t.  III,  p.  96;Lepshjs,  Denkm.,  III,  71  a-b)  de  la  XVIIIe,  enfin  de  Necta- 
nébo  II  de  la  XXX*  (Vysb,  Opérations,  t.  III,  p.  99;  Brogsch,  Reiseberichte,  p.  46  sqq.). 

1 .  ScHWEiMFUHTH,  Sur  une  ancienne  digue  de  pierre  aux  environs  dflélouan,  dans  le  Bulletin  de 
r Institut  Égyptien,  2*  série,  t.  VI,  p.  139-145.  M.  Schweinfurth  pense  que  l'albâtre  employé  dans  le  tem- 
ple du  Sphinx  provient  très  probablement  de  cqg  carrières  de  l'Ouadv  Gerraouf. 

2.  Les  carrières  de  Hàtnoubou  ont  été  découvertes  en  1891  par  M.  Newberry  (Egypt  Exploration 
Fund,  Report  of  the  Fifth  Ordinary  General  Meeting,  1890-1891,  p.  27-28;  cf.  G.  Willocghbt-Fraie*. 
Hat-nub,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  biblique,  t.  XVI,  1893-1894,  p.  73-82). 

3.  Une  des  stèles  de  Tourah  nous  montre  un  bloc  de  calcaire  posé  sur  un  traîneau  que  tirent  six 
grands  bœufs  (Vyse,  Opérations,  t.  III,  planche  en  face  de  la  page  99;  Lepsuîs,  Denkm.,  III,  3  a). 


LES  PLANS  DIVERS  DES  PYRAMIDES. 


385 


commencé  par  s'ébaucher  en  hâte 
une  pyramide  assez  vaste  pour  con- 
tenir les  éléments  essentiels  du  tom- 
beau; puis,  d'année  en  année,  on 
aurait  ajouté  des  couches  nouvelles 
au  noyau  primitif,  jusqu'au  jour  où 
la  mort  du  maître  arrêtait  à  jamais 
la  poussée  du  monument1.  Les  faits 
ne  justifient  pas  cette  hypothèse  : 
telle  petite  pyramide  de  Saqqarah 
appartient  à  un  Pharaon  qui  régna 
trente  ans1,  quand  l'Horizon  de 
Gizéh  est  l'œuvre  de  Khéops  qui  gou- 
verna vingt-trois  années  seulement. 
Le  plan  de  chaque  pyramide  était 
réglé  d'ordinaire  une  fois  pour 
toutes  par  l'architecte,  selon  les 
instructions  qu'il  avait  reçues  et 
les  ressources  qu'on  lui  accordait. 
Une  fois  mise  en  train,  l'exécution 
s'en  poursuivait  jusqu'à  complet 
achèvement  des  travaux,  sans  se 
développer  ni  se  restreindre,  à 
moins    d'accidents  imprévus.    Les 

1.  C'est  la  théorie  formulée  par  Lepsius 
(Veber  den  Bau  der  Pyramiden,  dans  les  Ber- 
liner  Monatsberichte,  1843,  p.  177-203)  d'après 
ses  recherches  et  les  travaux  d'Erbkam,  adoptée 
et  défendue  encore  par  la  plupart  des  Égypto- 
logues  (Ebers,  Cicérone  durch  dos  Alte  und 
Neue  Mgypien^  t.  I,  p.  133-134;  Wiedemann, 
Agyptische  Geschichte,  p.  181-182).  Elle  a  été 
fortement  combattue  par  Perrot-Chipiez  (His- 
toire de  Vart,  t.  I,  p.  214-221)  et  par  Pétrie 
{The  Pyramids  and  Temples ofGizeh,  p.  163- 
lC6)t  puis  elle  a  été  reprise,  avec  des  amen- 
dements, par  Borchardt  (Lepsius  s  Théorie  des 
Pyramidenbaues,  dans  la  Zeitschrift,  t.  XXX, 
p.  102-106),  dont  les  conclusions  ont  été  adop- 
tées par  Ed.  JHeyer  (Geschichte  des  Alten 
.Egypte ti s,  p.  106  sqq.).  Les  sondages  que 
j'ai  eu  l'occasion  d'exercer  dans  les  pyra- 
mides de  Saqqarah,  d'Abouslr,  de  Dahshour, 

de  Rigah  et  de  Lisht,  m'ont   montré   qu'elle  ne   pouvait  s'appliquer  à  aucun  de  ces  monuments. 

2.  Telle  est  la  pyramide  en  calcaire  blanc  d'Ounas,  dont  les  dimensions  sont  des  plus  exiguës. 


LE   NOME   MEMPHITE   ET    L  EMPLACEMENT    DES   PYRAMIDES 
DE   L'ANCIEN   EMPIRE. 


HIST.    ASC.    DE   L  ORIENT.   —   T.    I. 


49 


386  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

pyramides  devaient  présenter  les  faces  aux  quatre  points  cardinaux,  comme 
les  mastabas;  mais,  soit  maladresse,  soit  négligence,  la  plupart  ne  sont  pas 
orientées  fort  exactement,  et  plusieurs  s'écartent  sensiblement  du  nord  vrai. 
La  grande  pyramide  de  Saqqarah  ne  décrit  pas  à  la  base  un  carré  parfait, 
mais  un  rectangle  allongé  de  Test  à  l'ouest  :  elle  est  à  degrés,  c'est-à-dire 
qu'elle  se  compose  de  six  cubes  à  pans  inclinés,  d'inégale  hauteur  et  en 
retraite  l'un  sur  l'autre  de  deux  mètres  environ1.  La  plus  haute  des  pyra- 
mides en  pierre  de  Dahshour  se  penche  de  54°  41'  sur  l'horizon  à  la  partie 
inférieure,  mais  à  mi-hauteur  l'angle  se  resserre  brusquement  et  se  réduit  à 
42°  59';  on  dirait  un  mastaba  surchargé  d'une  mansarde  gigantesque1.  Tous 
ces  monuments  avaient  leur  mur  d'enceinte,  leur  chapelle,  leur  collège  sacer- 
dotal qui  y  célébra  longtemps  les  offices  sacramentels  en  l'honneur  du  prince 
défunt,  leurs  biens  de  mainmorte  administrés  par  le  chef  des  prêtres  de  doi/- 
ble  ;  tous  recevaient  un  nom,  la  Fraîche,  la  Belle,  la  Divine  en  ses  places*,  qui 
leur  conférait  une  personnalité  et  comme  une  âme  vivante.  Ils  formaient  à 
l'ouest  du  Mur-Blanc  une  longue  chaîne  dentelée,  dont  les  extrémités  se  per- 
daient au  sud  comme  au  nord  dans  les  lointains  de  l'horizon  :  Pharaon  les 
apercevait  des  terrasses  de  son  palais,  du  jardin  de  ses  villas,  de  tous  les 
points  de  la  plaine  où  il  promenait  sa  résidence,  entre  Héiiopolis  et  Méîdoum, 
comme  un  mémento  constant  du  sort  qui  l'attendait  en  dépit  de  sa  divinité.  Le 
peuple  étonné  et  inspiré  par  leur  nombre,  par  la  diversité  de  leur  taille  et  de 
leur  apparence,  racontait  de  la  plupart  d'entre  elles  des  histoires  où  le  surna- 
turel jouait  un  rôle  prépondérant.  H  savait  évaluer  à  quelques  onces  près  les 
monceaux  d'or  et  d'argent,  les  bijoux,  les  pierres  précieuses  qui  décoraient 
les  momies  royales  ou  qui  encombraient  les  chambres  funéraires;  il  n'ignorait 
aucune  des  précautions  que  les  architectes  avaient  prises  pour  mettre  ces 
richesses  à  l'abri  des  voleurs,  et  ne  doutait  pas  que  la  magie  n'y  eût  joint  la 
sauvegarde  plus  efficace  des  talismans  et  des  génies.  11  n'admettait  pyramide  si 
mesquine  qu'elle  n'abritât  ses  défenseurs  mystérieux  attachés  à  quelque  amu- 
lette, le  plus  souvent  une  statue  animée  par  le  double  du  fondateur*.  Les 
Arabes  d'aujourd'hui  les  connaissent  encore  et  les  craignent  par  tradition.  La 
grande  pyramide  recelait  une  image  noire  et  blanche,  assise  sur  un  trône 

\.  Voir  p.  242-244  de  cette  Histoire  la  description  plus  complète  et  la  figure  de  cette  pyramide. 

2.  Vyse,  Opérations  carried  on  at  the  Pyramids  in  1837*  t.  III,  p.  65-70. 

3.  La  fraîche*  Qobhou,  était  la  pyramide  de  ShopsiskaC,  dernier  roi  de  la  IVe  dynastie  (E.  de  Rocgè. 
Recherches  sur  les  Monuments,  p.  74),  la  Délie,  Noria,  celle  de  Dadkerf  Assi  (m/.,  p.  100),  et  la  Divine 
en  ses  places,  INoutir  IsouItou  (id.f  p.  99),  celle  de  Menkaouhorou,  qui  appartiennent  à  la  V*  dynastie. 

4.  Maspkro,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes*  t.  1,  p.  77  sqq. 


LES  ROIS  DE  LA  V  DYNASTIE.  387 

et  munie  du  sceptre  des  rois  :  qui  la  regardait,  «  il  entendoit  de  ce  costé  vn 
bruit  espouuan table,  qui  luy  faisoit  presque  faillir  le  cœur,  et  celuy  qui 
auoit  entendu  ce  bruit,  en  raouroit  ».  Une  idole  de  granit  rose  veillait  sur  la 
pyramide  de  Khéphrèn,  debout,  le  sceptre  à  la  main  et  Furseus  au  front, 
«  lequel  serpent  se  iettoit  sur  ceux  qui  en  approchoient,  se  rouloit  autour 
de  leur  col  et  les  faisoit  mourir1  ».  Un  sorcier  avait  armé  ces  protecteurs  des 
Pharaons  passés,  mais  un  autre  aussi  puissant  pouvait  endormir  leur  vigilance 
ou  annuler  leur  force,  sinon  pour  toujours,  au  moins  le  temps  nécessaire  à 
dépister  le  trésor  et  à  détrousser  la  momie.  La  cupidité  des  fellahs,  surexcitée 
par  les  récits  même  qu'ils  entendaient,  l'emporta  chez  eux  sur  la  terreur,  et 
les  encouragea  à  se  risquer  dans  ces  tombeaux  si  bien  gardés  :  combien  de 
pyramides  étaient  déjà  vides  au  début  du  second  empire  thébain*  ! 

La  quatrième  dynastie  s'éteignit  avec  Shopsiskaf,  successeur  et  probable- 
ment fils  de  Mykérinos3.  Les  savants  du  siècle  de  Ramsès  II  considéraient  la 
famille  qui  la  remplaça  comme  n'étant  qu'une  branche  secondaire  de  la  lignée 
de  Snofroui,  amenée  au  pouvoir  par  le  simple  jeu  des  lois  qui  régissaient 
l'hérédité*.  Et  de  fait,  rien  dans  les  monuments  contemporains  n'annonce  que 
le  changement  se  soit  accompli  violemment,  au  milieu  des  guerres  civiles,  ou 
à  la  suite  d'une  révolution  de  palais  :  la  construction  et  la  décoration  des 
tombes  continuent  sans  interruption  et  sans  hâte,  les  gendres  de  Shopsiskaf 
et  de  Mykérinos,  leurs  filles,  leurs  petits-enfants  conservent  sous  les  rois 
nouveaux  la  même  faveur,  les  mêmes  biens,  les  mêmes  dignités  dont  ils  jouis- 
saient auparavant8.  On  racontait  pourtant  autour'  des  Ptolémées  que  la  cin- 

1.  Les  Merveilles  de  V Egypte  de  Mourtadi,  de  la  traduction  de  M.  Pierre  Vattier,  p.  46-48. 

2.  Ainsi  la  pyramide  de  Méfdoum;  cf.  ce  qui   est  dit  sur  ce  sujet  à  la  page  360  de  celte  Histoire. 

3.  La  série  des  rois  à  partir  de  Mykérinos  a  été  établie  pour  la  première  fois  de  manière  certaine 
par  K.  dk  RoiGÉ,  Recherches  sur  les  Monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties, 
p.  66-8 i.  Les  résultats  auxquels  M.  de  Rougé  était  arrivé  ont  été  admis  depuis  par  tous  les  égyptologues 
(Brlgsch,  Geschichle  /Egypteus,  p.  8<4sqq.;  Lauth,  Aus  /Egyptens  Vorzeit,  p.  129  sqq.;  Wiedehann. 
.Egyptische  Geschichle,  p.  193-197;  Et>.  Meyer,  Geschichtc  des  Alten  .Egyptens,  p.  129  sqq.)  Voici 
d'ailleurs  le  tableau  de  la  IV*  dynastie  reconstitué  autant  que  possible,  avec  les  dates  approximatives  : 

D'après  Manéthon. 


D'après   le  canon    de    Turin 
et  les  monuments. 

SNorROCi  (4100-1076?) 24 

Kmoitoli  (4075-4052?) 23 

DADOtrRl  (4051-4043?) 8 

KhAkrI  (4042-?) ? 

Menkaoirï ? 

Shopsiskaf ? 


Soris 29 

Solphis  l«r 63 

Soiphîs  II 66 

Mf.nkhkrks 63 

Katoisks 25 

Bikhéres 22 

Seberkherès  7 

Tamphthis 9 


4.  Les  fragments  du  Papyrus  Royal  de  Turin  ne  présentent  en  effet  aucune  séparation  entre  les  rois 
que  Manéthon  attribue  à  la  IV*  dynastie  et  ceux  qu'il  classe  dans  la  V%  ce  qui  semble  bien  indiquer 
que  l'annaliste  égyptien  les  considérait  tous  comme  appartenant  à  une  même  famille  Pharaonique. 

5.  L'exemple  le  plus  frappant  est  celui  de  Sakhemkari,  fils  de  Khéphrèn,  mort  au  plus  tôt  sous 
le  Pharaon  SahourJ  (E.  de  Roit.k,  Recherches  sur  les  Monuments,  p.  77-78;  Lepsiis,  Denkm.,  II,  42). 


388  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

quième  dynastie  ne  se  reliait  pas  à  la  quatrième;  on  la  tenait  pour  étrangère 
à  Memphis,  et  l'on  affirmait  qu'elle  venait  d'ÉIéphantine1.  La  tradition  était 
fort  ancienne,  et  on  en  sent  déjà  l'influence  dans  un  conte  populaire,  qui  avait 
cours  à  Thèbes  dès  les  premiers  temps  du  Nouvel  Empire*.  Khéops,  cherchant 
les  livres  mystérieux  de  Thot  pour  en  transcrire  le  texte  dans  sa  chambre 
funéraire3,  avait  demandé  au  magicien  Didi  de  vouloir  bien  les  lui  procurer, 
mais  celui-ci  avait  récusé  la  tâche  périlleuse  qu'on  lui  imposait  :  «  Sire,  mon 
maître,  ce  n'est  point  moi  qui  te  les  apporterai  ».  Sa  Majesté  dit  :  «  Qui  donc 
me  les  apportera?  »  Didi  lui  dit  :  «  C'est  l'aîné  des  trois  enfants  qui  sont  dans 
le  sein  de  Roudîtdidit  qui  te  les  apportera  ».  Sa  Majesté  dit  :  «  Par  l'amour 
de  Râ!  qu'est-ce  que  tu  me  contes  là,  et  qui  est-elle  la  Roudîtdidit?  »  Didi 
lui  dit  :  «  C'est  la  femme  d'un  prêtre  de  Râ,  seigneur  de  Sakhîbou.  Elle  porte 
en  son  sein  trois  enfants  de  Râ,  seigneur  de  Sakhîbou,  et  le  dieu  lui  a  promis 
qu'ils  rempliraient  cette  fonction  bienfaisante  dans  cette  Terre  Entière4,  et 
que  l'aîné  d'entre  eux  serait  grand  pontife  à  Héliopolis.  »  Sa  Majesté,  son 
cœur  en  fut  troublé,  mais  Didi  lui  dit  :  «  Qu'est-ce  que  ces  pensers,  Sire, 
mon  maître?  Est-ce  à  cause  de  ces  trois  enfants?  Alors  je  te  dis  :  Ton  fils, 
son  fils,  puis  l'un  de  ceux-là8?  »  Le  bon  roi  Khéops  essaya  sans  doute  de 
mettre  la  main  sur  ce  trio  menaçant,  au  moment  de  la  naissance  ;  mais  Râ  le 
prévint  et  sauva  sa  progéniture.  Quand  le  temps  de  l'accouchement  approcha,  la 
Majesté  de  Râ,  seigneur  de  Sakhîbou,  adressa  la  parole  à  lsis,  à  Nephthys,  à 
Maskhonît8,  à  Hiqît7,  à  Khnoumou  :  «  Allons,  hâtez-vous  de  courir  délivrer  la 

1.  Telle  est  la  tradition  admise  par  Manéthon  (édit.  Unger,  p.  96-97).  Lepsius  pense  qu'il  y  a  eu 
chez  les  copistes  de  Manéthon  une  distraction  qui  a  fait  passer  la  mention  d'origine  de  la  VI*  dynastie 
à  la  V*  :  ce  serait  la  VI*  dynastie  qui  aurait  été  Èléphantite  (Kônigslntch  der  Allen  JEgypter,  p.  20-21). 
Je  crois  que  le  mieux  est  de  respecter  le  texte  de  Manéthon  jusqu'à  nouvel  ordre,  et  d'admettre  qu'il 
a  connu  une  tradition  d'après  laquelle  la  V*  dynastie  passait  pour  être  originaire  d'filéphantine. 

2.  Erman,  Die  Mârchen  des  Papyrus  Wcstcar,  pi.  IX  sqq.,  p.  11-13;  Maspero,  les  Contes  populaires 
de  l'Egypte  Ancienne,  2*  édit.,  p.  73-86. 

3.  La  grande  pyramide  est  muette,  mais  on  trouve  dans  d'autres  pyramides  des  inscriptions  qui 
comptent  des  centaines  de  lignes.  L'auteur  du  Conte,  qui  savait  combien  certains  rois  de  la  VI*  dynastie 
avaient  travaillé  pour  graver  dans  leur  tombe  des  extraits  des  Livres  sacrés,  imaginait  sans  doute 
que  son  Khéops  avait  voulu  en  faire  autant,  mais  n'avait  pas  réussi  à  se  procurer  les  textes  en 
question,  probablement  à  cause  de  son  impiété  légendaire.  C'était  une  manière  comme  une  autre  d'ex- 
pliquer pourquoi  il  n'y  avait  aucune  inscription  religieuse  ou  funéraire  dans  la  Grande  Pyramide. 

A.  Ce  genre  de  circonlocution  est  employé  à  plusieurs  reprises  dans  les  vieux  textes  pour  dési- 
gner la  royauté.  Il  était  contraire  à  l'étiquette  de  désigner  directement,  dans  le  langage  courant,  Pha- 
raon et  ce  qui  touche  à  ses  fonctions  ou  à  sa  famille.  Cf.  p.  263-264  de  cette  Histoire. 

5.  Cette  phrase  est  rédigée  en  style  d'oracle,  comme  il  convient  à  une  réponse  de  magicien.  Elle 
parait  être  destinée  à  rassurer  le  roi,  en  lui  affirmant  que  l'avènement  des  trois  fils  de  Rà  ne  sera  pas 
immédiat  :  son  tils,  puis  un  fils  de  son  fils  lui  succéderont  avant  que  les  destinées  s'accomplissent, 
et  qu'un  des  enfants  divins  monte  sur  le  trône  à  son  tour.  L'auteur  du  roman  ne  tient  compte  ni  de 
Dadoufrf,  ni  de  Shopsiskaf,  dont  les  règnes  étaient  probablement  fort  peu  connus  de  son  temps. 

6.  Sur  Maskhonît,  et  sur  le  rôle  qu'elle  joue  auprès  des  nouveau-nés,  voir  p.  81-82  de  cette  Histoire. 

7.  Hiqît  est  la  déesse  grenouille  ou  à  tête  de  grenouille  (Lanzone,  Dhionario  di  Mitologia  Egi&ia, 
p.  852-855),  une  des  sages-femmes  qui  assistaient  à  la  naissance  du  Soleil  chaque  matin.  Sa  présence 
est  donc  naturelle  auprès  de  l'épousée  qui  va  mettre  au  monde  les  fils  royaux  du  Soleil. 


LE  ROMAN  D'OUSIRKAF,  DE  SAHOURl  ET  DE  KAKIOU.  389 

Rouditdidît  de  ces  trois  enfants  qu'elle  porte  en  son  sein  pour  remplir  cette 
fonction  bienfaisante  dans  cette  Terre  Entière,  et  ils  vous  bâtiront  vos  tem- 
ples, ils  fourniront  vos  autels  d'offrandes,  ils  approvisionneront  vos  tables  à 
libations,  ils  augmenteront  vos  biens  de  mainmorte.  »  Les  déesses  se  dégui- 
sèrent en  danseuses  et  en  musiciennes  ambulantes;  Khnoumou  s'institua  le 
domestique  de  cette  bande  d'aimées,  chargea  le  sac  aux  provisions,  et  tous 
ensemble  allèrent  frapper  à  la  porte  de  la  maison  où  Rouditdidît  attendait 
son  heure.  Le  mari  terrestre  Râousir,  inconscient  de  l'honneur  que  les  dieux 
lui  réservaient,  les  introduisit  auprès  de  sa  femme,  et  aussitôt  trois  enfants  mâles 
naquirent  l'un  après  l'autre.  Isis  les  nomma,  Maskhonit  leur  prédit  fortune 
et  royauté,  Khnoumou  leur  infusa  la  vigueur  et  la  santé  dans  les  membres  : 
l'aîné  s'appela  Ousirkaf,  le  second  Sahourî,  le  troisième  Kakiou.  Raousîr 
voulut  s'acquitter  envers  ces  inconnus  et  leur  proposa  du  blé,  comme  s'ils 
eussent  été  de  simples  mortels;  ils  l'avaient  accepté  sans  vergogne  et  remon- 
taient déjà  au  firmament,  quand  Isis  les  ramena  au  sentiment  de  leur 
dignité  et  leur  ordonna  d'emmagasiner  leurs  honoraires  dans  une  des  chambres 
de  la  maison,  où  les  prodiges  les  plus  étranges  ne  cessèrent  désormais 
de  se  mapifester.  Chaque  fois  qu'on  y  pénétrait,  on  y  entendait  une  rumeur  de 
chants,  de  musique,  de  danse,  d'acclamations  semblables  à  celles  dont  on 
accueille  un  roi,  présage  certain  de  la  destinée  qui  attendait  les  nouveau-nés. 
Le  manuscrit  est  mutilé  et  nous  ne  savons  comment  la  prédiction  s'accomplit. 
Si  Ton  pouvait  se  fier  au  roman,  les  trois  premiers  princes  de  la  Ve  dynastie 
étaient  frères  et  d'origine  sacerdotale,  mais  l'expérience  des  récits  analogues 
ne  nous  encourage  guère  à  prendre  celui-ci  au  sérieux  :  n'affirmaient-ils  pas 
que  Khéops  et  Khéphrèn  étaient  frères  aussi?  La  cinquième  dynastie  se  montra 
en  toute  chose  la  suite  et  le  complément  de  la  quatrième1.  Elle  compta  neuf 
Pharaons  après  les  trois  que  la  tradition  faisait  fils  du  Dieu  Râ  lui-même  et 

1.  Voici  la  liste  des  Pharaons  connus  de  la  Ve  dynastie,   restituée  autant  que  possible  avec   les 
dates  très  approximatives  de  leur  règne  : 


D'après  le  Canon  de  Turin 
et  les  monuments. 

Ousirkaf  (3990-3964?) 28 

Sahourî  (3961-3957?) t 

Kakiou  (395&-39S4?) 2 

NoriRiRiKERi  (3953-3946) 7 

Se».    .    .    .  (3945-3933?) 12 

Shopsisker!  (3932-3922?) ? 

Akaochorou  (3921-3914?) 7 

9 

Oi  sirnirI  Anou  (3900-3875?) 25 

Menkaolhorod  (3874-3866?) 8 

DadkerÎ  Assi  (3865-3837  ?) 28 

Ousas  (3834-3804?) 30 


D'après  Manéthon. 

0(îSERKHERÈ£ 28 

Sephrès 13 


Nepherkhérè* 20 

Sisirés 7 

Khkrés 20 

Rathourès 44 

Menkhérès 9 

Tankhérès 44 

Obnos 33 


390  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

de  Roudltdidit.  Ils  régnèrent  un  siècle  et  demi;  la  plupart  d'entre  eux  nous 
ont  légué  des  monuments,  et  les 
quatre  derniers  au  moins,  Ousir- 
iiirîÀnou,  Menkaouhorou ,  Dadkeri 
Assi,  Ounas,  paraissent  avoir 
exercé  glorieusement  leur  auto- 
rité. Ils  bâtirent  tous  des  pyrami- 
des', ils  réparèrent  les  temples, 
ils  fondèrent  des  villes*.  Les 
Bédouins  du  Sinai  leur  donnèrent 
fort  à  faire.  Sahourî  réduisit  ces 
nomades  à  la  raison  et  consacra 
la  mémoire  de  ses  victoires  par 
une  stèle  gravée  sur  une  des  parois 
de  l'Ouady  Magharah  ;  Ànou  rem- 
porta sur  eux  quelques  succès,  el 
Assi  les  repoussa  en  l'an  IV  de  son 
règne3.  Somme  toute,  ils  maintin- 
rent l'Egypte  au  rangde  prospérité 
et  de  splendeur  où  leurs  prédé- 
stitii  MKRASiT  MHK  ni  pHAïuiw  *>nu  iu   i>  :  >.      .         cesseurs  l'avaient  élevée. 

Ils  l'agrandirent  même  sur  un  point.  Elle  ne  vivait  pas  tellement  isolée  du 

I.  On  admol  assez  Kénéralcmoul.  mais  sans  prouves  décisives,  que  los  pyramides  d'AhousIr  ont 
servi  do  tombeau*  à  do»  Pharaons  do  la  V  dynastie,  l'une  à  Sahourl  (Vvss,  Opération*  carried.  I.  III. 
en  fare  la  (>.  U  el  p.  3J-3U;  et.  Lirais.  Itenkm.,  Il,  M  g),  l'autre  à  Ousirnirl  Anou  (Vvst,  Opération*, 
t.  111.  planche  cil  face  la  p.  17  et  ».  41  sqq.  ;  I  ne  .Wokgas.  Découverte  du  Mantaba  de  Ptah-tlnepte* 
daiië  la  nécropole  d'Aboutir,  dans  la  Itrnie  Archéologique,  III"  Série,  tSUl,  t.  XXIV,  p.  33;  cf.  I.ekiis, 
Aunirahl  der uiehligtten  Vrkuadea,  pi.  Vil),  bk'ii  que  Wiedcmann  attribue  pour  tombeau  à  ec  roi  la 
pyramide  à  mansarde  de  Dahshour.  J'ai  cru  reconnaître  que  l'une  des  pyramides  do  Saqqarah  niait 
rie  l'oiialruitc  par  Assi  ;  la  pyramide  il'Ounas  a  clé  ouverte  en  IKSI  ol  publiée  par  H.hpho.  Étude* 
de  Mythologie  et  d'Ari-ln'nliii/ir  Egyptiennes,  I  I.  p.  I.'ill  sqq.,  cl  Uecueil  de  Traeaur,  I.  IV  et  V. 
I.c  nom  de  la  plupart  Je-  pyramide*  nous  osl  connu  par  los  monuments  ;  celle  d'OusirLaf  s'appebit 
lluob-isilou  (K.  iik  llwi.fi,  Itrcherche*  ë-tr  le*  Monument;  p.  Hll);  colle  do  Sahourl  Khabi  (id.,  p.  Mil: 
celle  de  Noliririkerl,  M  {id.,  p.  H.'i);  celle  d'Àuou,  Min-imuitou  [id.,  p.  SU);  colle  de  Mrnkaouhor, 
Xoutir-Uouttau  (id..  p.  9!t):  celle  d'Assi.  Soutir(id  ,  p.  lllli);  celle d'Ounas,  Xofir-itouttou  (id..  p.  1113). 

4.  Ainsi  Pa-Sahourl  (lli  «n mks,  iïenhichte  det  Atten  .Egypleii*.  p.  61),  près  d'Ksnch,  fut  construite 
par  Sahourl  (K.  m:  Itoi'iiK,  llrchrrchct  sur  le*  Monument*,  p.  U3)  :  sans  que  les  hahitanls  s'en  doittenl. 
le  nom  moderne  du  village  de  Salioura  conserve  encore  sur  place  le  nom  du  vieux  Pharaon. 

3.  Stèles  de  Sahourl  (Laiomik,  Voyage  de  l'Arabie,  pi.  5.  il"  3;  I.F.fsiis,  Denkm.,  II.  3M  a:  \jmn 
ni:  l.ivAL,  Voyage  dans  la  ptiiintulc  Arabique,  Ins.  hier.,  pi.  4.  n°  t;  Act-ount  of  the  Surrey.  p.  174), 
d'OiiMiinri  Ànou  (1  .u'sirs.  II.  ISi  n;  Accotait  of  the  Survey,  p.  174),  do  Dadkeri  Assi  (I.EPSirs.  Denkm  . 
Il,  pi.  XXXIX  d:  HiHtK.  Varia,  dans  la  Zeittchrift,  1BI1U,  p.  4!i,  et  Account  of  the  Surcey,  p.  174: 
i;nn:-.  Dnrch  lioteu  mm  Siiiai,  p.  s:it>),  do  Menkaouhorou,  avec  la  date  de  l'an  IV  du  rogne  (Unir*. 
Denkm.,  H,  i'J  r;  Account  of  the  Surcrg,  p.  174):  elles  se  trouvent  toutes  éparscs  dans  l'Ouady 
Magharah.  et  comiuémoreiil  de  petites  yicloircs  remportées  sur  les  Bédouins  du  voisinajic. 

■I.   Drmiidt  Itoudier.daprrula  photographie d'Emile  lirugmh  (et.  flitrt.irr,  le  Miarr  Egyptien,  pi.  \). 


LES  RELATIONS  DE  L'EGYPTE  AVEC  LES  PEUPLES  DU  NORI>. 


reste  du  monde  que  ses  habitants  ne  connussent,  par  expérience  propre  ou 
par  ouï-dire,  une  partie  au  moins  des  peuples  qui  résidaient  hors  de  l'Afrique, 
vers  le  nord  et  vers  l'est.  Ils  savaient  qu'au  delà  de  la  Très-  Verte,  presque  au  pied 
des  montagnes  derrière  lesquelles  le  Soleil  voyageait  la  nuit  durant,  des  îles' 
ou  des  contrées  fertiles  s'étendaient  et  des  nations  sans  nombre,  les  unes  bar- 
bares ou  demi-barbares,  d'autres  civilisées  comme  ils  l'étaient  eux-mêmes.  Les 
noms  qu'elles  se  donnaient,  ils  ne  s'en  souciaient  guère,  mais  ils  les  appelaient 
toutes  d'une  épithète  commune,  les  Gens  d'au  delà  les  mers,  Haaui-nibou3 '. 

1.  Dessin  de  Hoiulier,  d'après  [aquarelle  publiée  dam  Lipsus.  Benkm.,  I,  /il.  tt,  a'  t. 

1.  Les  iles  de  la  Tris-Verte  sont  mentionnées  sous  la  XII*  dynastie,  au  Papyrus  de  Berlin  a"  I 
(I.  ill),  dans  une  formule  toute  faite,  qui  a  été  rédigée  ed'laincnient  lunptemps  a\mii  relie  époque,  et 
qui  paraît  remonter  sou»  sa  forme  première  jusqu'aux  temps  rie  l'Ancien  Empire. 

S.  Ce  nom  a  été  signalé  pour  la  première  fois  par  Champoltion  et  par  Roseltini  (ttonmuenti  Sta- 
rici,  I.  III,  p.  1,  p.  «1-iîfij,  qui  en  firent  l'application  aux  Grecs  dans  les  textes  d'époque  Ptolémaï- 
que.  et  qui  lo  lurent  Jounan,  Jouai,  ce  qui  leur  permit  de  l'identifier  avec  te  Javan  de  la  Bible  et  les 
Ioniens  d'Asie  Mineure,  même  sur  les  monuments  de  Ihoutmosis  IV  et  de  Séti  I".  Birch  {Galtery  of 
Antif/uilKt,  p.  89)  y  reconnut  le  premier  (ou*  les  peuples  du  Nord,  et  bientôt  K.  de  Houkc  (/.'««ni 
mir  l'Inscription  du  tombeau  d 'Ahiui* ,  p  M-iiJ  en  interpréta  les  iicm  variantes  par  Ici  Septentrionaux 
tous,  quand  il  s'applique  aux  peuples  grec*,  et  par  In  Septentrionaiu  Seigneurs,  quand  il  s'applique 
aux  roi»  grées.  A  l'instigation  d'Ernest  Curtius  {Die  Jonervor  der  Joiiisrlten  Wanderung,  p.  HVli.JB), 
Lepsius,  reprenant  l'hypothèse  des  premiers  cgyptologucs,  essaya  de  montrer  qu'il  désignait  non 
plus  les  Grecs  en  général,  mais  les  Ioniens  d'Asie  Mineure,  et  qu'il  était  une  transcription  aventureuse 
du  mot  'laovîe  {Veber  den  Sameii  der  louer  auf  den  A~.gyptixchen  Denkinâlern,  dans  Ici  Muiiatsbe- 
richte  de  l'Académie  des  Sciences  de  Berlin,  1855,  p.  W7  sqq.),  mais  Brugsch  [Geogr,  Insrhri  flan, 
t.  TU,  p.  47)  le  définit  •  une  qualilicalion  générale  de  tous  les  peuples  et  de  toutes  les  tribus  qui 
habitent  les  grandes  et  petites  tles  de  l'Ouas-ùur,  c'est-à-dire  de  In  Méditerranée  orientale  ■.  I.a  tra- 
duction actuellement  admise,  les  Gens  de  derrière,  parait  avoir  été  proposée  par  Châtias  {les 
l'apgrus  hiératiques  de  Berlin,  p.  titi,  note  t).  qui,  le  premier  aussi,  n'hésita  pas  à  déclarer  que  •  dé* 
le  temps  de  l'Ancien  Empire,  les  Egyptien:;  a  va  i  etil  poussé  fort  loin  leurs  expéditions,  et  connu  lisaient 
certainement  une  partie  considérable  ries  eûtes  de  la  Méditerranée.  Ils  avaient  lié...  avec  les  Hanebu. 
dans  lesquels  étaient  compris  les  Européens,...  un  commerce  assez  intime  ■  (/rf..  p.  58).  Les  formules 
des  Pyramides  montrent  la  justesse  de  celte  observation  :  la  façon  dont  ils  parlent  des  llaoui-ntbou 
prouve  que  l'existence  de  ces  peuples  était  déjà  connue  de  longue  date  au  temps  où  les  textes 
furent  rédigés  (Teti,  1.  i71-i75;  Papi  I,  I.  ÎT-ÎM,  lit;  Hirairi,  I.  3R.  -II.  Ut).  M.  Max  Millier  (Asiett 
und  Europa,  p.  30-31)  parait  incliner  à  penser  qu'au  début  les  Haoui-nlbou  étaient  les  peuplades  à 
demi  sauvages  qui  habitaient  les  marais  du  Delta  d'Egypte  sur  les  rives  de  la  Méditerranée. 


392  L'EMPIRE  MEMIMIITE. 

Partaient-ils  en  personne  pour  recueillir  les  richesses  qu'elles  leur  propo- 
saient en  échange  des  produits  du  Nil,  les  Égyptiens  n'étaient  pas  le  peuple 
immobile  et  casanier  qu'on  se  figure1.  Us  sortaient  volontiers  de  leurs  villes, 
à  la  poursuite  de  la  fortune  ou  des  aventures,  et  la  mer  ne  leur  inspirait  ni 
crainte,  ni  horreur  religieuse.  Les  navires  qu'ils  y  lançaient  étaient  construits 
sur  le  modèle  des  bateaux  du  Nil,  ou  n'en  différaient  que  par  des  détails  inap- 
préciables aujourd'hui.  Une  coque  établie  sur  quille  ronde,  étroite,  amincie 
aux  deux  bouts,  pontée  d'une  extrémité  à  l'autre,  basse  à  l'avant,  très  relevée 
à  l'arrière  et  chargée  d'une  longue  cabine  couverte;  un  gouvernail  consistant 
en  une  ou  deux  grandes  rames  épaisses,  supportées  par  un  pieu  fourchu 
et  confiées  chacune  à  un  timonier;  un  mât  unique,  parfois  taillé  d'une 
seule  pièce,  parfois  formé  par  l'assemblage  de  deux  mâtereaux  plantés  à 
quelque  distance  l'un  de  l'autre,  mais  réunis  au  sommet  par  de  fortes  liga- 
tures et  consolidés  dans  l'intervalle  par  des  traverses  simulant  échelle  ;  une 
voile  unique,  tendue  tantôt  sur  une  vergue,  tantôt  sur  deux;  un  équipage  d'une 
cinquantaine  d'hommes  entre  rameurs,  gabiers,  pilotes  et  passagers.  Tels 
étaient  les  vaisseaux  de  course  ou  de  plaisance  ;  les  navires  de  commerce  leur 
ressemblaient,  mais  avec  des  façons  plus  lourdes,  plus  de  hauteur  sur  l'eau, 
un  tonnage  plus  considérable.  Ils  n'avaient  point  de  cale;  les  marchandises 
restaient  entassées  sur  le  pont  et  n'y  laissaient  que  bien  juste  la  place  néces- 
saire à  la  manœuvre1.  Ils  n'en  réussissaient  pas  moins  à  fournir  de  longues 
traversées  ou  à  transporter  des  troupes  en  territoire  ennemi,  des  bouches 
du  Nil  aux  côtes  méridionales  de  la  Syrie8.  Rien,  si  ce  n'est  un  vieux  pré- 
jugé, ne  nous  empêche  d'admettre  que  les  Égyptiens  des  temps  memphites 
allaient  par  mer  aux  villes  d'Asie  et  chez  les  Haoui-nîbou.  Une  partie  au 
moins  du  bois*  nécessaire  aux  constructions  et  à  la  menuiserie  civile  ou  funé- 

1.  On  peut  consulter,  sur  ce  côté  remuant  et  aventureux  du  caractère  égyptien,  méconnu  par  le* 
historiens  modernes,  Maspero,  les  Contes  populaires  de  V Ancienne  Egypte,  2*  édit.,  p.  LX XXIII  sqq. 

2.  Voir  les  figures  de  navires  reproduites  dans  DCmiciien,  Die  Flotte  einer  ALgyplischen  Kônigiu, 
pi.  XXV-XXX,  et  Hittorische  Inschriften,  t.  II,  pi.  XI-XI.  La  marine  égyptienne  a  été  étudiée  en  général 
parB.  G  laser,  Ueber  das  Seewesen  der  Allen  .Egypter,  p.  i-27  (dans  DOxichen,  liesultate,  1. 1),  et,  sous  la 
XVIII-  dynastie,  par  Maspero,  De  quelques  navigations  des  Égyptiens  sur  la  mer  Erythrée  (dans  la  Herur 
historique,  i879)  :  ce  sont  les  résultats  de  ce  dernier  travail  qui  sont  consignés  ici,  avec  quelques 
modifications  qui  m'ont  été  suggérées  par  une  étude  nouvelle  des  représentations  de  navires  égyptiens. 

3.  Sous  Papi  Ier,  Ouni  transporte  ainsi  par  mer  le  corps  de  troupes  destiné  à  agir  contre  les  Hirou- 
Shàttou  (Inscription  d'Ouni,  1.  29-30;  cf.  p.  42i  de  cette  Histoire). 

4.  Le  bois  de  cèdre  devait  être  importé  couramment  en  Egypte.  Il  est  nommé  dans  les  Pyramides 
(Ounas,  1.  o(J9-;>8.fi;  Papi  /,  1.  669;  Mirnirl.  1.  779);  on  voit  au* tombeau  de  Ti,  et  sur  d'autres  tombes 
de  Saqqarnh  ou  de  Gizéh,  des  ouvriers  qui  en  fabriquent  des  meubles  (Brpgsch,  Die  AZgyptische  Grâ- 
herwelt,  t.  III,  n°  124;  Loret,  la  Flore  pharaonique  d'après  les  documents  hiéroglyphiques,  n*  52. 
p.  41-42).  Des  éclats  de  bois  provenant  de  cercueils  de  la  VIe  dynastie,  brisés  dans  l'antiquité  et  trouvés 
dans  plusieurs  mastabas  à  Saqqarah,  ont  été  attribués  les  uns  au  cèdre  du  Liban,  les  autres  à  une 
espèce  de  sapin  qui  croit  aujourd'hui  encore  en  Cilicie  et  dans  le  nord  de  la  Syrie. 


LA  MARINE  ET  LE  COMMERCE  MARITIME  DES  EGYPTIENS.  393 

bre,  sapin,  cyprès,  cèdres,  ils  le  tiraient  des  forêts  du  Liban  ou  de  l'Ama- 
nos.   On  trouve  encore  des  perles  d'ambre  près  d'Abydos,  dans  les  tombes 

,1,.   In    ni,.^.».!»    la   rJ...    violllo     ot    l'un 


bronze  lui-même,  prenaient  sans  doute  les  mêmes  voies  que  l'ambre*.  Les 
Iribus  de  race  inconnue  qui  peuplaient  alors  les  cotes  de  la  mer  Egée,  les 
recevaient  en  dernier  lieu  et  les  transmettaient  soit  directement  aux  Égyptiens, 
soit  à  des  intermédiaires  asiatiques  qui  les  transportaient  en  Egypte.  L'Asie 
Mineure  avait  d'ailleurs  ses  richesses  en  métaux  comme  en  bois,  son  cuivre, 
son  plomb,  son  fer  que  certaines  nations  de  mineurs  et  de  forgerons  exploi- 

I.  J'ai  ramas».?  dans  les  tombes  de  la  VI*  dynastie,  au  Kom-cs-Sullan.  et  dans  la  partie  de  la  nécro- 
pole d'Abydos  où  se  trouvent  les  tombes  des  XI*  et  Xlt*  dynasties,  quantité  de  perles  en  ambre,  fort 
petit»  pour  la  plupart.  Mariette,  qui  en  avait  trouvé  un  certain  nombre  au  même  endroit,  et  qui  les 
avait  déposées  au  Musée  de  Boulaq,  le»  avait  prises  pour  des  perles  de  verre  jaune  ou  brun,  tlérnin- 
posées.  Les  propriétés  électriques  qu'elles  conservaient  encore  ont  prouvé  l'identité  de  la  matière. 

3.  Je  rappelle  que  l'analyse  de  quelque»  objet»  découverts  à  Méldoum  par  M.  Pétrie  a  prouvé  qu'ils 
étaient  fabriqués  en  brome,  renfermant  9,1  pour  100  d'étain  (J.-ll.  GLAMtOM,  On  tnelaitir  Copper,  Tin 
mut  Anlinionij  fnttu  Aiiririil  Eaypt.  dans  les  Proceedingt  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  189Î, 
t.  XIV.  p.  ÏÎ3-S4G)  :  on  employait  donc  dès  la  IV*  dynastie  le  brome  a  coté  du  cuivre  pur. 

3.  Drnin  de  Fanrhe.r-Giidin,  d'apr/1!  une  photographie  d'Emile  Brug>eh-Bey  :  le  tableau  est 
emprunté  à  une  des  parois  du  tombeau  d'Api,  découvert  &  Saqqarah  et  aujourd'hui  conservé  au  Musée 
de  r.izéli  (VI'  dynastie].  L'homme  debout  sur  la    proue  est   le    pilote  d'avant,  chargé  de   sonder  le 

i.  Suoao»  Buxach,  t'Étain  eelliqur.  dans  V Anthropologie,  1894,  p.  280,  noie  il  (cf.  Ihe  Babyioninn 
and  Oriental  Hfcord,  l,  VI.  p.  139,  note  I).  et  le  Mirage  oriental  (entrait  de  l'Anthropologie,  1891. 
p.  39  <qq.).  où  sont  evprimées  des  idées  analogues  i  celle»  que  j'expose  dans  le  texte  de  cette  Hittoire. 


304  L'EMPIRE  MEVPHITE. 

tèrent  de  toute  antiquité.  Les  caravanes  faisaient  la  navette  entre  l'Egypte  et 
les  contrées  de  civilisation  chaldéenne.  à  travers  la  Syrie  et  la  Mésopotamie, 
peut-être  même  par  la  voie  plus  courte  du  désert  jusqu'à  Ourou  et  jusqu'à  Babv- 
lone.  Les  relations  de  peuple  à  peuple  étaient  fréquentes  dés  lors  et  très  fruc- 
tueuses, mais  on  les  sent  et  on  en  devine  l'importance  plus  qu'on  ne  les  saisit 
sur  le  fait  ou  qu'on  n'en  constate  les  résultats  positifs.  Elles  demeuraient  encore 
pacifiques,  et,  le  Sinai  excepté,  Pharaon  ne  songeait  pas  à  quitter  sa  vallée 
pour  s'en  aller  au  loin  piller  ou  subjuguer  les  pays  d'où  lui  arrivaient  tant  de 
richesses.  Le  désert  et  la  mer  qui  protégeaient  l'Egypte  contre  la  convoitise 
des  Asiatiques  au  nord  et  à  l'est,  protégeaient  aussi  efficacement  les  Asiati- 
ques contre  les  convoitises  de  l'Egypte. 

Vers  le  midi  au  contraire,  le  Nil  offrait  une  voie  toute  tracée  à  qui  voulait 
pénétrer  au  cœur  de  l'Afrique.  Les  Égyptiens  n'avaient  possédé  au  début  que 
l'extrémité  septentrionale  de  la  vallée,  de  la  mer  au  défilé  de  Silsiléh,  puis  ils 
s'étaient  avancés  à  la  première  cataracte,  et  Syène  avait  marqué  pendant 
quelque  temps  la  limite  extrême  de  leur  empire1.  A  quelle  époque  avaient-ils 
franchi  cette  seconde  frontière  et  repris  leur  marche  vers  le  sud,  comme  pour 
remonter  au  berceau  de  leur  race  ?  Ils  avaient  gagné  de  proche  en  proche 
jusqu'au  grand  coude  que  le  fleuve  décrit  près  du  village  actuel  de  Korosko*, 
mais  le  territoire  conquis  de  la  sorte  n'avait  pas  encore  sous  la  Ve  dynastie 
de  nom,  ni  d'organisation  particulière  :  il  se  rattachait  à  ia  baronnie  d'Éléphan- 
tine  et  mouvait  directement  de  ses  princes.  Ceux  des  indigènes  qui  habitaient 
la  berge  même  paraissent  n'avoir  pas  opposé  une  résistance  opiniâtre  aux 
envahisseurs  :  les  peuplades  du  désert  se  montrèrent  plus  difficiles  à  réduire. 
Le  Nil  les  séparait  en  deux  masses  distinctes.  A  droite,  la  confédération  des 
Ouaouaiou  s'étendait  dans  la  direction  de  la  mer  Rouge,  des  parages  d'Ombos  à 
ceux  de  Korosko,  dans  les  vallées  que  les  Ababdéhs  occupent  aujourd'hui3;  elle 
confinait  vers  le  sud  aux  tribus  des  Mâzaiou,  de  qui  nos  Mâazéh  contemporains 
descendent  probablement4.  Les  Amamiou  campaient  sur  la  rive  gauche  en  face 

1.  Voir  p.  44-45,  74  de  cette  Histoire  ce  qui  est  dit  des  frontières  primitives  de  l'Egypte  au  Sud. 

2.  Cela  Hemblc  résulter  d'un  passage  de  l'inscription  d'Ouni.  Ce  ministre  lève  des  troupes  et 
demande  des  bois  de  construction  chez  des  tribus  du  désert  dont  les  territoires  se  touchent  vers  ce 
point  de  la  vallée  :  la  façon  dont  les  réquisitions  s'opèrent  (I.  15-15,  18,  45-47)  montre  qu'il  s'agissait 
là  non  pas  d'une  exigence  nouvelle,  mais  d'une  opération  familière,  par  suite  que  les  peuples 
énumérés  étaient  liés  par  des  traités  réguliers  avec  les  Egyptiens,  depuis  quelque  temps  au  moins. 

3.  La  position  des  Ouaouaiou  a  été  déterminée  exactement  par  Brugsch  {Die  JSegerstnmme  der 
Una  Inschrift,  dans  la  Zeittchrift,  1884,  p.  31).  Leur  nom  a  été  assimilé  par  les  Égyptiens  à  la  racine 
nuanua,  crier,  piailler,  et  a  été  compris  les  criailleurs,  les  piailleurs,  plus  tard  les  gens  qui  crient, 
qui  conspirent  contre  Horus  le  jeune,  et  qui  soutiennent  Sit,  le  meurtrier  d'Osiris. 

4.  Les  Mnzaiou,  d'après  les  renseignements  que  fournissent  les  inscriptions  d'Ouni  et  de  Hirkhouf, 
confinent  au   Nord  avec  les  Ouaouaiou.  Ils  sont  rais  en  rapport  avec  le  Pouanft,  et  c'est  leur  pays 


LA  NUBIE  ET  SES  TRIBUS:  LES  OUAOUAIOU  ET  LES  MÀZAIOU.      395 

des  Màazéli,  et  la  contrée  d'Iritit  faisait  vis-à-vis  au  territoire  des  Ouaouaiou1 . 
Aucun  de  ces  peuples  barbares  n'était  sujet  de  l'Egypte,  mais  ifs  reconnais- 
saient tous  sa  suzeraineté,  une  suzeraineté  de  nature  assez  douteuse,  analogue 
à  celle  que  les   khédives 

exercent  de  nos  jours  sur  4 

leurs  descendants.  Le  dé- 
sert ne  leur  fournit  point 
de  quoi  vivre  :  les  pâtu- 
rages amaigris  de  leurs 
Ouadys  nourrissent  quel- 
ques troupeaux  de  mou- 
tons, des  bœufs  en  petite 
quantité,  des  ânes,  mais 
les  cultures  qu'ils  essayent 
au  voisinage  des  sources 
ne  leur  rendent  que  des 
récoltes  insignifiantes  de 
légumes  ou  de  dourah'.  Ils 
mourraient  littéralement 
de  faim  s'ils  ne  pouvaient 
venir  se  ravitailler  aux 
bords  du  Nil.  D'autre  part, 
la  tentation  est  forte  pour 

eux  de  tomber  à  l'impro-  u  sdmi  m  n*t  de  l'eipme  ««imite. 

viste  sur  les  villages  ou  sur 

les  habitations  isolées  à  la  lisière  des  terres  fertiles,  et  d'en  enlever  les  bes- 
tiaux, les  grains,  les  esclaves  hommes  ou  femmes;  car  ils  auraient  presque 
toujours  le  temps  de  regagner  la  montagne  avec  leur  butin  et  de  s'y  mettre  a 
l'abri  des  poursuites,  avant  que  la  nouvelle  n'en  parvînt  au  poste  de  gendar- 


que  le  Soleil  rencontre  dana  sa  course  à  coté  de  cette  région  (Bavcscii,  Die  Scgertlâmme  der  Una 
Ituehrift,  dans  la  Zeitickrift,  188Ï,  p.  35);  ils  touchaient  au  littoral  de  la  mer  Rouge  comme  les 
Uuaouaiou  (Bruckh,  Die  £ltàggptùche  Vôlkertafel,  dans  les  Ahhandlungeii  de»  5'"  Internationale» 
Orientatitten-Congresies,  t.  H,  p.  61).  el  peut-itre  la  ville  de  Massaouah  conserve-l-elle  leur  nom. 

1.  Sur  la  position  de  ces  peuples,  voir  IHaspsbo,  Sur  le  payi  de  Silou,  dans  le  Recueil  de  Travaux, 
I.  XV,  p.  loi.  Les  Ouaouaiou,  les  Nâzaiou,  tes  gens  de  l'Amamlt  et  de  l'Iriltl  avaient  fini  pur  former 
dans  l'esprit  des  Égyptiens  un  ensemble  indécomposable,  qu'on  appelait  sous  la  XII'  dynastie  Ici 
quatre  peupla  étrangers  {liucription  a"  Amoni-Amenemhûit  à  Beiii-Haman,  1.  S). 

î.  Le  récit  d'une  razzia  d'Ousirtasen  III  décrit  ces  contrées  (Lersius,  Dritkm.,  Il,  136  A.  I.  14-113)  : 
a  Je  pris  leurs  femmes,  j'emmenai  leurs  serfs,  sortant  vers  leurs  puits,  chassant  leurs  bœufs,  gâtant 
leurs  moissoni  et  y  mettant  le  feu  »,  Un  des  princes  du  peuple  d'\mami  donne  des  ânes  a  llirkhouf 
pour  sa  caravane  (Scbiipabeili,  Una  tomba  Egiziana  iaedita  délia  VI'  dinaitia,  p.  33). 


396  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

merie  le  plus  proche.  Des  traités  conclus  avec  les  maîtres  du  pays  les  autori- 
sent à  descendre  dans  la  plaine,  pour  y  échanger  pacifiquement  contre  du  blé 
et  de  la  dourah  le  bois  d'acacia  de  leurs  forets,  le  charbon  qu'ils  en  fabri- 

9 

quent,  des  gommes,  du  gibier,  des  peaux  de  bête,  l'or  et  les  pierres  pré- 
lieuses qu'ils  extraient  de  leurs  mines  :  ils  s'engagent  en  revanche  à  ne  com- 
mettre aucun  acte  de  brigandage  et  à  faire  la  police  du  désert  moyennant  une 
solde.  Il  en  était  déjà  ainsi  dans  les  temps  anciens1.  Les  tribus  se  louaient 
à  Pharaon.  Elles  lui  apportaient  des  poutres  de  sont  à  la  première  réquisi- 
tion, quand  il  avait  besoin  de  matériaux  pour  se  construire  une  flotte  au  delà 
de  la  première  cataracte*.  Elles  lui  prêtaient  des  bandes  tout  équipées,  lors- 
qu'une campagne  contre  les  Libyens  ou  contre  les  Asiatiques  le  forçait  à 
recruter  ses  armées8  :  les  Mâzaiou  entraient  si  nombreux  au  service  de 
l'Egypte  que  leur  nom  servit  à  désigner  les  soldats  d'une  manière  générale, 
comme  on  donne  au  Caire  celui  de  Berbérins  aux  portiers  et  aux  veilleurs  de 
nuit4.  Parfois  le  naturel  prévalait  chez  ces  gens  sur  le  respect  de  la  foi  jurée, 
et  ils  se  laissaient  entraîner  à  piller  les  cantons  qu'ils  étaient  convenus  de 
défendre  :  les  colons  de  Nubie  avaient  souvent  à  se  plaindre  de  leurs  exac- 
tions. Quand  elles  dépassaient  par  trop  la  mesure  et  qu'il  devenait  impossible 
de  fermer  les  yeux  plus  longtemps,  on  expédiait  contre  eux  des  troupes  légè- 
res qui  les  contraignaient  promptement  à  la  raison.  C'étaient,  comme  au  Sinai, 
des  victoires  faciles.  On  recouvrait  en  une  fois  ce  que  les  Ouaouaiou  avaient 
volé  en  dix  de  troupeaux  et  de  fellahs,  et  le  général  heureux  perpétuait  le 
souvenir  de  ses  exploits,  en  gravant  au  retour  le  nom  de  Pharaon  sur  quelque 
rocher  de  Syène  ou  d'Éléphantine  :  nous  pouvons  soupçonner  ainsi  qu'Ousir- 
kaf,  Nofiririkerî  et  Ounas  soutinrent  des  guerres  en  Nubie8.  Leurs  armées  ne 
devaient  jamais  dépasser  la  seconde  cataracte,  si  même  elles  l'atteignirent  : 
plus  loin  vers  le  sud,  on  ne  connaissait  le  pays  que  par  le  témoignage  des 
indigènes  ou  des  rares  marchands  qui  y  avaient  pénétré.  Au  delà  des  Mâzaiou, 
toujours  entre  le  Nil  et  la  mer  Rouge,  on  rencontrait  la  contrée  de  Pouanit,  riche 
en  ivoire  et  en  ébène,  en  or  et  en  métaux,  en  gommes  et  en  résines  odorantes6  : 

i.  Voir  à  ce  sujet  Du  Boys-Aymé,  Mémoire  sur  les  Tribus  arabes  des  déserts  de  VÉgyjtte,  dans  In 
Description  de  ï  Egypte,  t.  XII,  p.  330-332,  et  Mémoire  sur  la  ville  de  Qocéyr,  dans  la  Descrip- 
tion de  UÊgypte,   t.  XI,  p.  389-390. 

2.  Inscription  d'Ouni,  1.  46-47.  Sur  l'acacia  sont,  voira  la  page  30,  note  4,  de  cette  Histoire. 

3.  Inscription  d'Ouni,  1.  15-16,  18,  où  les  opérations  du  recrutement  sont  indiquées;  cf.  p.  419-420. 

4.  Le  mot  Mali,  Matoi,  qui  en  copte  signifie  simplement  soldat,  est  une  forme  dérivée  régulièrement 
du  nom  de  la  tribu  Mazai,  au  pluriel  MAiaiou  (Brugsch,  Dictionnaire  Hiéroglyphique,  p.  631). 

5.  Proscynèraes  d'Ousirkaf  (Mariette,  Monuments  divers,  pi.  LIV  e),  de  Nofiririkerî  (Id.,  pi.  LIV/*) 
et  d'Ounas  (Pétrie,  A  Season  in  Egypt,  p.  7  et  pi.  XII,  n°  212)  dans  l'île  d'Éléphantine. 

6.  Le  Pouanît  était  le  pays  situé  entre  le  Nil  et  la   mer  Rouge  (Krall,   Dos  Land  Punt,  dans  les 


LE  POUANIT,   LES  NAINS  ET  LE  OAMCA.  397 

quand  un  Égyptien  plus  hardi  que  les  autres  se  hasardait  à  l'aborder  lui-même, 
il  avait  le  choix  entre  les  routes  de  terre  et  celles  de  mer.  La  navigation  de  la 
mer  Rouge  était  en  effet  plus  active  qu'on  ne  le  pense  généralement,  et  le  même 
genre  de  navires  sur  lesquels  les  Egyptiens  cabotaient  le  long  de  la  Médi- 
terranée les  voiturait  en  sui- 
vant la  côte  d'Afrique  jusque 
vers  le  détroit  de  Bab-el-Man- 
deb'.    Us   préféraient   cepen- 
dant s'y  rendre  par  terre,  et 
ils  en  revenaient  avec  des  cara- 
vanes de  baudets  et  d'esclaves 
chargés  pesamment*.  Tout  ce 
qui  se  trouvait  derrière  Pouanit 
était  réputé  région  fabuleuse, 
une  sorte  de  marche  intermé- 
diaire   entre    le    monde    des 
hommes  et   celui  des  dieux, 
Ile  de  Double,  Terre  des  Mânes, 

où  les  vivants  coudoyaient  les  ÉK   >M  lomun  M  TOUlsils 

âmes  des  morts.  Les  Dangasy 

habitaient,  des  peuplades  de  nains  à  demi  sauvages,  dont  la  figure  grotesque 
et  les  gestes  désordonnés  rappelaient  aux  Egyptiens  le  dieu  Bisou*.  Les  hasards 
de  la  guerre  ou  du  commerce  en  jetaient  quelques-uns  de  temps  en  temps  au 
Pouanit  ou  chez  les  Amamiou  :  le  marchand  qui  réussissait  à  les  acquérir  et  à 
les  convoyer  en  Egypte,  sa  fortune  était  faite.  Pharaon  recherchait  les  Dangas, 
et  voulait  en  posséder  à  tout  prix,  parmi  les  nains  dont  il  aimait  s'entourer  : 
nul  ne  savait  danser  comme  eux  la  danse  du  dieu,  celle  à  laquelle  Bisou  se 


Sitiungtberiehte  de  l'Académie  des  Sciences  do  Vienne,  I,  CXXI,  p.  13),  à  la  hauteur  de  Saouakln  el 
de  Berber,  jusqu'au  pied  des  montagnes  d'Abyssinie  ;  le  nom  s'en  étendit  plus  lard  à  toute  la  cote 
de  la  mer  Rouge  et  du  pays  des  Somalis,  peut-être  mémo  à  une  partie  de  l'Arabie.  A  la  XII*  dynastie, 
on  comptait  de  l'Ile  de  Double,  c'est-à-dire  d'une  contrée  fabuleuse  située  derrière  le  l'ouanlt,  jusqu'en 
Egypte,  deux  mois  seulement  de  navigation  (Mispero,  Contet  populaires,  S*  édil.,  p.  iii,  145). 

I.  Cf.  la  traversée  exécutée  par  Papinakhlti  sur  la  mer  Rouge,  aux  pages  433-<l3i  de  cette  Unitaire 

t.  Ainsi  les  expéditions  do  llirkhouf  en  Amami  et  en  Irittt,  sous  la  Vl'dynastio  (ScKIAMitUI,  Vna  Tomba 
Egiiiana  inédit  a,  p.  18  sqq.),  et  celle  de  Bioordidi  en  l'ouanlt  sous  la  V{frf.,  ibid..  p.  il»,  tt).  C'est  «ans 
doute  du  Pouanit  que  venait  le  Nahti  —  le  iVoir —  représenté  dans  un  tombeau  (Lirons,  Iteilkm.,  Il, M). 

3.  Dessin  de  Faucher-Gudi»,  d'apret  une  photographie  de  Ftîndcri  Pétrie.  Ce  type  est  emprunté 
au  ban-relief  par  lequel  le  Pharaon  llnrmhabi  de  la  XVIII*  dynastie  consacra  à  Karnaklc  souvenir  de 
ses  succès  *ur  les  peuples  du  Midi  do  l'Egypte  (Mariette,  Monument*  diueri,  pi.  88,  et  p.  Ï7). 

t.  Le  rOle  du  Tlanga  a  été  mis  en  lumière  pour  la  première  fois  par  Schiaukelli,  Vna  Tomba 
Egiziana  inedita  délia  VI'  dinattia,  p.  30  sqq.  ;  cf.  Eau**  dans  la  Zeittchrift  d.  D.  Morgent.  Gesell.. 
I.  XI.  VI.  d.  579.  el  Na»no,  Éludée  de  Mythologie  el  d'Archéologie  Egyptienne»,  t.  Il,  p.  4x9  sqq. 


398  L'EMPIRE  MEMPUITE. 

livrait  avec  passion  dans  ses  moments  de  bonne  humeur.  Àssi  en  possédait  un 
vers  la  fin  de  son  règne,  qu'un  certain  Biourdidi  avait  acheté  au  Pouanit1. 
Était-ce  vraiment  le  premier  qu'on  eût  vu  à  la  cour,  ou  d'autres  l'avaient-ils 
précédé  dans  les  bonnes  grâces  de  Pharaon?  Sa  sauvagerie,  son  agilité,  ses 
postures  bizarres  frappèrent  vivement  l'imagination  des  contemporains,  et  son 
souvenir  se  perpétuait  dans  l'esprit  de  tous  près  d'un  siècle  plus  tard. 

Un  grand  fonctionnaire  né  sous  Shopsiskaf,  et  qui  vécut  très  âgé  jusqu'au 
règne  de  Nofirirkerî,  s'attribue  dans  son  tombeau  le  titre  de  Scribe  delà  Maison 
de*  Livres1.  Cette  simple  indication  insérée  incidemment  entre  la  mention  de 
deux  charges  plus  hautes  suffirait,  à  défaut  d'autres,  pour  nous  montrer  le 
développement  extraordinaire  que  la  civilisation  égyptienne  avait  pris  dès 
lors.  Sans  doute,  la  Maison  des  Livres  était  avant  tout  un  dépôt  de  pièces 
officielles,  où  l'on  conservait  les  registres  du  cadastre  et  de  l'impôt,  la  corres- 
pondance échangée  entre  la  cour  et  les  gouverneurs  de  province  ou  les  sei- 
gneurs féodaux,  les  minutes  des  actes  de  donation  passés  en  faveur  des  tem- 
ples ou  des  particuliers,  les  paperasses  de  toute  sorte  qu'exige  la  conduite  régu- 
lière d'un  État.  Mais  elle  contenait  aussi  des  œuvres  littéraires,  dont  beau- 
coup étaient  déjà  vieilles  dans  ces  temps  si  vieux  pour  nous,  des  prières 
écrites  sous  les  premières  dynasties,  des  poésies  dévotes  antérieures  au 
personnage  nébuleux  qu'on  appelait  Mîni,  des  hymnes  aux  dieux  de  lumière, 
des  formules  de  magie  noire,  des  recueils  artificiels  d'opuscules  mystiques 
tels  que  le  Livre  des  Morts*  et  le  Rituel  du  tombeau*;  des  traités  scientifiques 
sur  la  médecine,  sur  la  géométrie,  sur  les  mathématiques,  sur  l'astronomie5; 
des  manuels  de  morale  pratique,  des  romans  enfin  ou  ces  récits  merveilleux 
qui  ont  précédé  le  roman  chez  les  Orientaux8.  Tout  cela,  si  nous  l'avions,  for- 
merait «  une  bibliothèque  qui  serait  bien  plus  précieuse  pour  nous  que  celle 
d'Alexandrie  »  ;  par  malheur  nous  n'avons  pu  rassembler  jusqu'à  présent  que 

1.  Scmaparklli,  Una  Tomba  Egiziana  inedita  délia  VI*  dînas  tia,  p.  20,  22. 

2.  Lepsils,  Denkm.,  11,  50;  cf.  E.  de  Bougé,  Recherches  sur  les  Monument*,  p.  73-74. 

3.  Le  Livre  des  Morts  devait  exister  dès  les  temps  préhistoriques,  sauf  certains  chapitres  dont  on 
indiquait  l'origine  relativement  moderne,  en  plaçant  la  rédaction  sous  les  rois  des  premières  dynasties 
humaines  (Maspero,  Études  sur  la  Mythologie  et  V Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  367-369). 

4.  C'est  le  nom  bous  lequel  je  désigne  le  recueil  des  textes  qui  sont  gravés  dans  les  chambres  des 
pyramides  royales  de  la  V«  et  de  la  VI*  dynastie,  en  attendant  qu'on  en  découvre  le  titre  égyptien. 

5.  Cf.,  p.  238-239  de  cette  Histoire,  les  mentions  d'ouvrages  attribués  parla  légende  aux  rois  des  pre- 
mières dynasties  humaines,  les  livres  anatomiques  d'Athothis  (Manéthon,  édit.  Unger,  p.  78),  le  livre 
de  Housapatti,  inséré  au  Livre  des  Morts  sous  le  titre  de  Chapitre  LX1V  (Lepsius,  Todtenbuch* 
Préface,  p.  11  ;  Goodwin,  On  a  teurt  of  the  Book  of  t/ie  De  ad,  belonging  to  the  Old  Kingdom,  dans  la 
Zeitschrift,  1866,  p.  55-56),  puis  le  livre  de  Khéops  (Manëthon,  édit.  Unt.er,  p.  91;  Berthelot,  Collection 
des  Anciens  Alchimistes  grecs,  t.  I,  p.  211-214;  cf.  p.  380,  note  4  de  cette  Histoire). 

6.  Un  fragment  de  conte,  conservé  par  le  Papyrus  de  Berlin  n°  Ht  (Lepsius,  Denkm.,  VI,  112,  1.  156- 
194),  remonte  peut-être  jusqu'à  l'Ancien  Empire  (Maspero,  Etudes  Égyptiennes,  t.  I,  p.  73-80). 


LA  LITTÉRATURE  ÉGYPTIENNE.  399 

des  restes  insignifiants  de  tant  de  richesses1.  Nous  avons  recueilli  ça  et  la  dans 
les  hypogées  quelques  fragments  de  chansons  populaires*.  Les  pyramides  nous 
ont  rendu  un  rituel  presque  intact  en  l'honneur  des  morts  :  on  y  trouve  beau- 
coup de  verbiage,  beaucoup  de  platitudes  pieuses,  beaucoup  d'allusions 
obscures  aux  choses  de  l'autre  monde,  et,  dans  ce  fatras,  quelques  morceaux 
pleins  de  mouvement  et  d'énergie  sauvage,  où  l'inspiration  poétique  et  l'émo- 
tion religieuse  se  devinent  encore  à  travers  les  expressions  mythologiques. 
Nous  lisons  dans  un  papyrus  de  Berlin  la  fin  d'un  dialogue  philosophique  entre 
un  Égyptien  et  son  âme,  où  celle-ci  s'applique  à  démontrer  que  la  mort  n'a 
rien  d'effrayant  pour  l'homme.  «  Je  me  dis  chaque  jour  :  Tel  le  retour  à  la  santé 
du  malade,  qui  sort  pour  aller  à  la  Cour  après  son  tourment,  telle  la  mort.  — 
Je  me  dis  chaque  jour  :  Gomme  respirer  l'odeur  d'un  parfum,  comme  s'asseoir 
à  l'abri  d'un  rideau  tendu,  ce  jour-là,  telle  la  mort.  —  Je  me  dis  chaque 
jour  :  Comme  respirer  l'odeur  d'un  parterre  de  fleurs,  comme  s'asseoir  sur 
la  berge  du  Pays  d'Ivresse,  telle  la  mort.  —  Je  me  dis  chaque  jour  :  Comme 
la  route  que  parcourt  un  flot  d'inondation,  comme  un  homme  qui  va  en 
soldat  à  qui  nul  ne  résiste,  telle  la  mort.  —  Je  me  dis  chaque  jour  :  Comme 
un  rassérénement  du  ciel,  comme  un  homme  parti  pour  chasser  au  filet  et 
qui  se  trouverait  soudain  dans  un  canton  qu'il  ignore,  telle  la  mort3.  »  Un 
autre  papyrus,  donné  par  Prisse  d'Avennes  à  la  Bibliothèque  Nationale  de 
Paris,  renferme  le  seul  ouvrage  complet  qui  nous  soit  parvenu  de  cette  sagesse 
primitive4.  Il  fut  transcrit  sans  doute  avant  la  XVIIIe  dynastie  et  contenait 
les  œuvres  de  deux  auteurs  classiques,  dont  l'un  passait  pour  avoir  vécu  sous 
la  III*"  et  l'autre  sous  la  Ve  :  ce  n'est  donc  pas  sans  raison  qu'on  l'a  nommé  le 
plus  ancien  Livre  du  monde.  Les  premiers  feuillets  manquent  et  la  partie  con- 
servée débute  par  la  fin  d'un  traité  de  morale  attribué  à  Qaqimni,  contempo- 
rain de  Houni.  Venait  ensuite  un  ouvrage  aujourd'hui  perdu  :  un  des  posses- 

1.  E.  de  RoiGÉ,  Recherchée  sur  les  Monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties,  p.  73. 

2.  Maspero,  Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  73-74,  81-85,  89;  cf.  p.  339-341  de  cette  Histoire. 

3.  Lepsius,  Denkm.,  VI,  112,  1.  130-140.  La  traduction  insérée  dans  le  texte  n'est  pas  littérale  :  c'est 
une  paraphrase  destinée  à  rendre  intelligible  le  langage  trop  concis  pour  nous  de  l'auteur  égyptien. 

4.  Il  a  été  publié,  à  Paris,  en  1847  par  Prisse  d'Avennes,  Fac-similé  d'un  Papyrus  égyptien  en  carac- 
tères hiératiques  trouvé  à  'Thèbes,  puis  analysé  par  Chabas,  Le  plus  ancien  Livre  du  monde,  Étude  sur 
le  Papyrus  Prisse  (dans  la  Revue  Archéologique,  1"  série,  t.  XIV,  p.  1-25).  Il  a  été  traduit  en  anglais 
par  IIeath.  A  Record  of  the  Patriarchal  Age  or  the  Proverbs  of  Aphobis,  en  allemand  par  M.  Laith,  /. 
Der  Autor  Kadjimna  vor  5400  Jahren;  II.  Ueber  Chu  fus  Bau  und  Buch;  ///.  Der  Prinz  Ptahhotep 
ueber  dos  Aller,  de  Senectute  (dans  les  Sitzungsberichte  de  l'Académie  des  Sciei  ces  de  Munich,  1869, 
t.  II,  p.  530-579;  1870,  t.  I,  p.  245-274,  et  t.  II,  Beilage,  p.  1-140),  en  français  par  Virey,  Études  sur 
le  Papyrus  Prisse  :  le  Livre  de  Kaqimna  et  les  leçons  de  Ptah-hotep.  Récemment  M.  Griffith  a  décou- 
vert au  British  Muséum  les  fragments  d'un  second  manuscrit,  plus  récent  comme  écriture,  et  qui  con- 
tient de  nombreux  débris  des  préceptes  de  Phtahhotpou  (fioles  on  Egyptian  Texts  of  the  Middle 
Kingdom,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XIII,  p.  72-76,  145-147). 


400  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

seurs  antiques  du  papyrus  l'avait  effacé  afin  de  lui  substituer  un  autre  morceau 
qui  n'a  jamais  été  recopié.  Les  quinze  dernières  pages  sont  remplies  par  une 
sorte  de  pamphlet  déjà  célèbre  dans  la  science  sous  le  nom  d'Instructions 
de  Phtahhotpou. 

Ce  Phtahhotpou,  fils  de  roi,  florissait  sous Menkaouhorou  et  sous  Assi  :  nous 
avons  encore  son  tombeau  dans  la  nécropole  de  Saqqarah1.  C'était  un  personnage 
assez  célèbre  pour  qu'on  pût  lui  attribuer,  sans  choquer  les  vraisemblances, 
la  rédaction  d'un  recueil  de  Maximes  politiques  et  morales  qui  témoignaient 
d'une  connaissance  approfondie  des  hommes  et  des  cours.  On  supposa  qu'il 
s'était  présenté  au  Pharaon  Assi,  sur  le  déclin  de  ses  ans,  lui  avait  remontré 
l'état  piteux  où  la  vieillesse  l'avait  réduit,  et  lui  avait  demandé  l'autorisation  de 
faire  profiter  la  postérité  des  trésors  de  sagesse  qu'il  avait  amassés  durant  sa 
longue  carrière.  «  Le  nomarque  Phtahhotpou  dit  :  «  Sire,  mon  maître,  quand 
l'âge  est  là  et  que  la  vieillesse  arrive,  la  débilité  vient  et  la  seconde  enfance 
sur  laquelle  une  misère  s'abat  chaque  jour;  les  yeux  se  rapetissent,  les 
oreilles  s'étrécissent,  la  force  s'use  sans  que  le  cœur  cesse  de  battre,  la  bouche 
se  tait  et  ne  parle  plus,  le  cœur  s'obscurcit  et  ne  se  rappelle  plus  hier,  les  os 
s'endolorissent,  tout  ce  qui  était  bon  devient  mauvais,  le  goût  s'en  va  entiè- 
rement; la  vieillesse  rend  un  homme  misérable  en  toute  chose,  car  sa  narine 
s'obstrue  et  ne  respire  plus  qu'il  se  lève  ou  s'asseye.  Si  l'humble  serviteur  qui 
est  devant  toi  reçoit  Tordre  de  tenir  le  discours  qui  convient  à  un  vieillard, 
alors  je  te  dirai  le  langage  de  ceux  qui  connaissent  l'histoire  du  passé,  de  ceux 
qui  ont  entendu  les  dieux,  car  si  tu  agis  comme  eux,  le  mécontentement  sera 
détruit  parmi  les  hommes,  et  les  deux  terres  travailleront  pour  toi  !  »  —  La 
majesté  de  ce  dieu'  dit  :  «  Instruis-moi  au  langage  d'autrefois,  car  il  fera 
merveille  pour  les  enfants  des  nobles;  quiconque  entre  et  l'entend,  ce  qu'il 
dit  pondère  exactement  le  cœur  et  n'engendre  pas  la  satiété8.  »  Il  ne  faut  pas 
s'attendre  à  trouver  dans  cette  œuvre  une  grande  profondeur  de  conception. 
Les  analyses  savantes,  les  discussions  raffinées,  les  abstractions  métaphysiques 
n'étaient  pas  de  mode  à  l'époque  de  Phtahhotpou.  On  négligeait  les  idées 
spéculatives  pour  les  faits  positifs  :  on  observait  l'homme,  ses  passions,  ses 
habitudes,   ses  tentations,  ses  défaillances,  non  pas  afin   de   construire  un 

1.  Il  se  dit  lui-même  fils  de  roi  (pi.  V,  1.  6-7);  il  adresse  son  ouvrage  à  Assi  (pi.  IV,  î.  1),  et  le 
nom  de  Menkaouhorou  se  rencontre  dans  son  tombeau  (K.  de  Rougi:,  Recherches  sur  les  Monuments, 
p.  99;  DfMicHEN,  Rcsultate,  t.  I,  pi.  VIII-XV;  E.  Mariette,  les  Mastabas,  p.  350-356). 

2.  C'est  Assi  que  le  texte  désigne  de  la  sorte,  selon  l'étiquette  usuelle;  cf.  p.  258  de  cette  Histoire. 

3.  Papyrus  Prisse,  pi.  IV,  1.  2,  pi.  V,  1.  6;  cf.  Virey,  Études  sur  le  Papyrus  Prisse,  p.  27-32. 


LES  PROVERBES  DE  PHTAHHOTPOU.  404 

système  à  ses  dépens,  mais  dans  l'espoir  de.  réformer  ce  que  sa  nature  a 
d'imparfait,  et  de  lui  montrer  le  chemin  de  la  fortune.  Aussi  Phtahhotpou 
ne  se  met-il  pas  en  frais  d'invention  et  de  déductions.  11  note  les  réflexions 
qui  lui  viennent  à  l'esprit,  telles  qu'elles  lui  viennent,  sans  les  grouper  et  sans 
en  tirer  la  moindre  conclusion  d'ensemble.  La  science  est  utile  pour  arriver 
à  une  bonne  place;  il  recommande  la  science1.  La  douceur  envers  les  subal- 
ternes est  bien  vue  et  de  bonne  éducation;  il  fait  l'éloge  de  la  douceur*.  Il 
entremêle  le  tout  de  conseils  sur  la  conduite  à  tenir  dans  les  diverses  circon- 
stances de  la  vie,  quand  on  est  introduit  en  présence  d'un  homme  impérieux 
et  colère3,  quand  on  va  dans  le  monde,  quand  on  dine  chez  un  grand4,  quand 
on  se  marie.  «  Si  tu  es  sage,  tu  monteras  ta  maison  et  tu  aimeras  ta  femme 
chez  elle,  tu  empliras  son  ventre  de  nourriture,  tu  habilleras  son  dos;  tout  ce 
qui  enveloppe  ses  membres,  ses  parfums,  est  la  joie  de  sa  vie,  tant  que  tu 
seras  là,  elle  est  un  champ  qui  profite  à  son  maître5.  »  Analyser  en  détail  un 
tel  ouvrage  est  impossible;  le  traduire  entièrement,  plus  impossible  encore. 
La  nature  du  sujet,  l'étrangeté  de  certains  préceptes,  la  tournure  du  style, 
tout  concourt  à  dérouter  le  lecteur  et  à  l'égarer  dans  ses  interprétations.  Dès 
les  temps  les  plus  reculés,  la  morale  a  été  considérée  comme  une  matière 
saine  et  louable  en  elle-même,  mais  tellement  rebattue  qu'on  ne  peut  la 
rajeunir  que  par  la  forme.  Phtahhotpou  a  subi  les  nécessités  du  genre  qu'il 
avait  choisi.  D'autres  avaient  exprimé  déjà  les  vérités  qu'il  avait  à  dire  :  il  dut 
chercher  des  formules  imprévues  et  piquantes  pour  réveiller  l'attention  du  lec- 
teur. Dans  certains  cas,  il  a  donné  tant  de  subtilité  à  sa  pensée  que  le  sens 
de  la  phrase  nous  échappe  sous  le  cliquetis  des  mots. 

L'art  des  dynasties  Memphites  a  souffert  des  siècles  autant  que  la  littéra- 
ture, mais  ici  du  moins  les  fragments  sont  nombreux  et  accessibles  à  tous. 
Ces  vieux  rois  bâtissaient  dans  leurs  cités,  et,  sans  parler  de  la  chapelle 
du  Sphinx,  les  débris  qui  restent  de  leurs  temples6  nous  révèlent  des 
chambres  de  granit,  d'albâtre  et  de  calcaire,  les  unes  nues,  les  autres 
revêtues  de  tableaux  religieux  comme  aux   époques  plus  récentes.   Battus 

1.  Papyrus  Prisse,  pi.  XV,  l.  8;  pi.  XVI,  l.  1  ;  cf.  Virey,  Études  sur  te  Papyrus  Prisie,  p.  91-95. 
4.  Idem,  pi.  VI,  1.  3;  p.  10;  pi.  VII,  1.  5-7;  cf.  Virey,  op.  /.,  p.  59-41,  45-47. 

3.  Idem,  pi.  V,  1.  10;  pi.  VI,  1.  3;  pi.  VIII,  1.  7-9,  etc.;  cf.  Virey,  op.  t.,  p.  35-38,  47-49. 

4.  Idem,  pi.  VI,  1.  II;  pi.  VU,  1.  3;  pi.  XIV,  1.  6;  cf.  Virey,  op.  t.,  p.  41-44,  85-87.  Voir  également 
pi.  I,  1.  3  sqq.,  et  Virey,  op.  t.,  p.  16  sqq. 

5.  Idem,  pi.  X,  1.  8-10;  cf.  Virey,  op.  t.,  p.  67-68. 

6.  l'ai  découvert  dans  la  maçonnerie  d'une  des  pyramides  de  Lisht  les  restes  d'un  temple  bâti  par 
Khéphrèn  (Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  148-149),  et  Naville 
a  signalé  à  Bubastis  les  fragments  d'un  autre  temple  décoré  par  le  même  roi  et  par  Khéops,  son  prédé- 
cesseur (Naville,  Bubastis,  pi.  XXXII,  a-b,  p.  3,  5-6,  10). 

H1ST.   ANC.   DE  L'ORIENT.    —  T.    I.  51 


402  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

en  brèche  par  les  invasions  ou  par  les  guerres  civiles,  retouchés,  agrandis, 
restaurés  vingt  fois  d'âge  en  âge,   leurs  monuments  publics  ont  péri  tous, 
ou  peu  s'en  faut;   mais   les  tombeaux  subsistent   et  font   foi  de  l'habileté 
constante  avec  laquelle  les  architectes  devisaient  un  plan  et  l'exécutaient1. 
Beaucoup  des  mastabas  qui  s'échelonnent  de  Gizéh  à  Méîdoum  ont  été  édifiés 
à  la  hâte,  sans  soin,  par  des  gens  pressés  d'en  finir  ou  qui  visaient  à  l'éco- 
nomie; on  y  rencontre  toutes  les  négligences  et  toutes   les  imperfections, 
toutes  les  ruses  de  métier  qu'un    entrepreneur  hàtif  et  peu  scrupuleux  se 
permettait  alors  comme  aujourd'hui,  afin  d'abaisser  le  prix  de  revient  et  de 
contenter  l'esprit  de  parcimonie  naturel  à  ses  clients  sans  trop  diminuer  ses 
gains1.  Où  le  maître-maçon  n'a  pas  été  gêné  par  l'obligation  de  travailler 
vite  ou  à  bon  marché,  il  a  agi  en  conscience,  et  le  choix  des  matériaux,  la 
régularité  des  lits,  l'homogénéité  de  la  construction  ne  laissent  rien  à   Sou- 
haiter; les  blocs  s'ajustent  avec  tant  de  précision  que  les  joints  en  disparais- 
sent, et  le  mortier  a  été  répandu  entre  eux  d'une  main  si  exercée  qu'il  y  forme 
partout  une  couche  égale  d'épaisseur  presque  inappréciable3.  La  masse  longue, 
basse,  plate,  que  le  tombeau  terminé  présente  à  l'œil,  manque  de  grâce,  mais 
on  y  perçoit  le  caractère  de  force  et  d'indestructibilité  qui  convient  à  une 
maison  éternelle.  La  façade  n'était  pas  dépourvue  d'ailleurs  d'une  certaine 
élégance  sévère  :  les  jeux  d'ombre  que  les  stèles,  les  niches,  la  baie  profonde 
des  portes  y  distribuent  d'espace  en  espace,  en  varient  l'aspect  pendant  le 
jour  sans  diminuer  l'impression  qu'elles  donnent   de  la  grandeur  et  d'une 
sérénité  que  rien    ne  trouble.   Les   pyramides  elles-mêmes  ne  sont   point, 
comme  on  pourrait  le  croire,  la  réalisation  brutale  et  irréfléchie  d'une  figure 
mathématique  grossie  démesurément.  L'architecte  qui  chiffra  les  devis  pour 
celle  de   Khéops  dut  peser  longtemps  la  valeur  relative  des  éléments  que  le 
problème  à  résoudre  comportait,  la  hauteur  verticale  du  sommet,  la  longueur 
des  côtés  au  ras  de  terre,  l'ouverture  des  angles  montants,  l'inclinaison  des 
arêtes  et  des  faces  latérales,  avant  de  découvrir  les  proportions  particulières 
et  l'agencement  de  lignes  qui  font  de  son  monument  une  œuvre  d'art  véri- 

1.  Voir  l'étude  de  MM.  Perrot  et  Chipiez  sur  les  mastabas  (Histoire  de  l'Ait,  t.  I,  p.  168-194). 

i.  La  similitude  des  procédés  techniques,  des  matériaux,  de  la  décoration,  me  paraît  prouver  qu'à 
Memphis,  sous  l'Ancien  Empire,  comme  à  Thèbes,  pendant  le  nouveau,  la  plupart  des  tombeaux  ont 
été  construits  par  un  petit  nombre  d'entrepreneurs  ou  de  corporations,  prêtres  ou  laïques. 

3.  Parlant  de  la  grande  pyramide  et  de  son  revêtement,  M.  Pétrie  dit  :  «  Though  the  stones  were 
broughl  as  close  as  ~  inch,  or,  in  Tact,  into  contact,  and  the  mean  opening  of  the  joint  vas  but 
-6'ô  inch,  yet  the  builders  managed  to  fill  the  joint  with  cément,  despite  the  great  area  of  it,  and  the 
weight  of  the  stone  to  be  moved  —  some  16  tons.  To  merely  place  such  stones  in  exact  contact  at 
the  aides  would  be  careful  work;  but  to  do  so  with  cernent  in  the  joint  seems  almost  impossible.  » 
[The  Pyramide  and  Temples  of  Gheh,  p.  4-i.) 


L'ARCHITECTURE.  403 

t*ble,  et  non  pas  un  simple  entassement  de  pierres  régularisé  chèrement1.  Les 
sentiments  qu'il  a  voulu  éveiller,  tous  ceux  qui  sont  venus  après  lui  les  ont 
éprouvés  en  face  des  pyramides.  On  dirait  de  très  loin  des  cimes  de  mon- 
tagnes qui  rompent  la  monotonie  de  l'horizon  libyque  ;  puis  elles  décroissent 
à  mesure  qu'on  les  approche,  et  paraissent  n'être  plus  que  des  accidents  de 
terrain  peu  importants  à  la  surface  du  plateau.  On  ne  devine  combien  elles 
sont  énormes  qu'en  s'arrêtant  à  leurs  pieds.  Les  assises  de  la  base  semblent 
alors  fuir  sans  fin  à  droite  et  à  gauche,  le  sommet  se  dérober  dans  le  ciel 
hors  la  portée  du  regard  humain.  «  L'effet  est  dans  la  grandeur  et  la*  simpli- 
cité des  formes,  dans  le  contraste  et  la  disproportion  entre  la  stature  de 
l'homme  et  l'immensité  de  l'ouvrage  qui  est  sorti  de  sa  main  :  l'œil  ne  peut 
le  saisir,  la  pensée  même  a  de  la  peine  à  l'embrasser.  On  voit,  on  touche 
des  centaines  d'assises  de  deux  cents  pieds  cubes  et  du  poids  de  trente  mil- 
lions, des  milliers  d'autres  qui  ne  leur  cèdent  guère,  et  l'on  cherche  à  com- 
prendre quelle  force  a  remué,  charrié,  élevé  un  si  grand  nombre  de  pierres 
colossales,  combien  d'hommes  y  ont  travaillé,  quel  temps  il  leur  a  fallu,  quels 
engins  leur  ont  servi;  et  moins  on  peut  s'expliquer  toutes  ces  choses,  plus 
on  admire  la  puissance  qui  se  jouait  avec  de  tels  obstacles1.  » 

Nous  ne  connaissons  aucun  des  artistes  qui  ont  conçu  ces  œuvres  prodi- 
gieuses. Les  inscriptions  nous  parlent  en  détail  des  princes,  des  barons  et  des 
scribes  qui  présidaient  à  tous  les  travaux  du  souverain,  mais  elles  ont  dédaigné 
d'enregistrer  un  seul  nom  d'architecte8.  C'étaient  des  gens  de  petite  extraction, 
vivant  sous  le  bâton,  durement,  et  leurs  aides  ordinaires,  les  dessinateurs,  les 
peintres,  les  sculpteurs,  n'étaient  pas  mieux  partagés  qu'eux;  on  les  considé- 
rait comme  des  manœuvres  de  même  ordre  que  les  cordonniers  ou  les  charpen- 

1.  Cf.  l'article  de  Borchardt,  Wie  wurden  die  Bôschungen  der  Pyratniden  bestimmtf  (dans  la 
Zeitschrift,  t.  XXXI,  p.  9-17),  dans  lequel  l'auteur,  un  architecte  de  profession  en  même  temps  qu'un 
égyptologue,  interprète  les  théories  et  les  problèmes  du  Papyrus  mathématique  Hhind  (Eisenlohr, 
Ein  Mathematisches  H  and  bue  h  der  Âlten  Mgypten,  pi.  XVIII,  p.  116-131)  d'une  façon  nouvelle,  rap- 
proche le  résultat  de  ses  calculs  des  faits  que  fournissent  les  mesures  de  quelques  pyramides  encore 
debout,  et  montre,  par  l'examen  des  épures  découvertes  à  Méfdoum  (Pétrie,  Medum,  p.  12-13  et  pi.  8  ; 
cf.  Griffith,  Medum,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XIV,  1891-1892, 
p.  486),  sur  le  mur  d'angle  d'un  mastaba,  que  les  entrepreneurs  égyptiens  d'époque  memphite 
appliquaient  déjà  les  règles  et  les  procédés  dont  nous  trouvons  l'exposé  au  Papyrus  d'époque  thébaine. 

2.  Jomard,  Description  générale  de  Memphis  et  des  Pyramides,  dans  la  Description  de  V Egypte,  t.  V, 
p.  597-598. 

3.  Le  titre  mir  kaoutou  nibou  ntti  sou  ton,  très  fréquent  sous  l'Ancien  Empire,  ne  désigne  pas  les 
architectes,  comme  plusieurs  égyptologues  l'ont  cru  :  il  signifie  directeur  de  tous  les  travaux  du  roi, 
et  s'applique  aux  irrigations,  aux  digues  et  canaux,  aux  mines  et  carrières,  à  toutes  les  branches  de 
la  profession  d'ingénieur  aussi  bien  qu'à  celles  du  métier  d'architecte.  Les  directeurs  de  tous  les  tra- 
vaux du  roi  étaient  les  hauts  personnages  chargés  par  Pharaon  de  prendre  les  mesures  nécessaires 
pour  faire  bâtir  les  temples,  pour  curer  les  canaux,  pour  extraire  la  pierre  et  les  minerais;  ils 
étaient  des  administrateurs  et  non    pas  des  gens  de  métier  ayant  les  connaissances  techniques  de 

■architecte  ou  de  l'ingénieur.  Cf.  Perrot-Chipiez,  Histoire  de  l  Art  dans  l'Antiquité,  t.  I,  p.  627-630. 


«*  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

tiers  du  voisinage.  La  plupart  d'entre  eux  n'étaient  en  effet  que  des  praticiens 
plus  ou  moins  habiles,  habitués  à  camper  une  statue  sur  ses  pieds  ou  à  décou- 
per un  bas-relief,  selon  des  régies  immuables  qu'ils  se  transmettaient  de  géné- 
ration en  génération  sans  y  rien  changer  :  on  en 
trouvait  pourtant  qui  manifestaient  un  véritable 
génie  pour  leur  art,  et  qui,  s'élevant  au-dessus  de 
la  médiocrité  générale,   produisaient  des  chefs- 
d'œuvre.    Leur  outillage  était   fort   simple,  des 
pointes  en  fer  emmanchées  de  bois,  des  maillets 
en  bois,  des  martel  i  nés,  un  violon  pour  forer  des 
trous'.  Le  sycomore  ou  l'acacia  leur  fournissait 
une  matière  d'un  grain  délicat  et  d'une  texture 
souple,  dont  ils  tiraient  le  meilleur  parti  :  fart 
égyptien  ne  nous  a  légué  rien  qui  surpasse,  pour 
la  pureté  de  la  ligne  et  pour  la  délicatesse  du 
modelé,  les  panneaux  du  tombeau  de  Hosi', 
avec  leurs  portraits  d'hommes  assis  ou  debout 
et  leurs  hiéroglyphes  ciselés  vigoureusement 
dans  le  champ  du  tableau.  Toutefois  la  flore 
d'Egypte  possède  peu  d'arbres   dont  la  fibre 
prête  au  travail  de  la  sculpture,  et  ceux  mêmes 
m  dis  passeaui  en  bol*  m  »os[,  qui   s'y   plieraient  n'ont  que  des  troncs  trop 

minces  et  trop  courts  pour  qu'il  soit  possible 
d'en  extraire  de  grandes  pièces.  Le  sculpteur  s'adressait  de  préférence  au  cal- 
caire blanc  et  tendre  de  Tourah.  M  dégageait  rapidement  de  la  masse  la  forme 
générale  de  sa  figure,  en  limitait  les  contours  au  moyen  de  tailles  menées 
parallèlement  de  haut  en  bas,  puis  abattait  les  angles  saillants  des  tailles  et 
les  fondait  de  manière  à  préciser  le  modelé.  Cette  façon  de  procéder  régulière 
et  continue  ne  convenait  pas  aux  roches  dures  :  on  les  abordait  à  la  pointe, 
mais  dès  qu'à  force  de  patience  on  avait  poussé  l'ébauche  au  point  voulu,  on 
ne  se  fiait  plus  aux  outils  de  métal  pour  l'achever.  On  écrasait  avec  des  haches 
de  pierre  les  aspérités  qui  la  hérissaient,  et  l'on  polissait  vigoureusement  pour 

I.  Pebuot-Chipiki,  Histoire  de  CArt,  t.  1.  ]).  753-"64;  Misptao,  VArchéoIogit  Égyptienne,  p.  188-131. 

t.  Mariette,  Notice  lies  principaux  Monument!,  18"6.  p.  294-194,  n"  989-994;  Maspcro,  Guide  du 
Viiiteurau  Mutée  de  Boulaq,  p.  SI3-ÏU,  n"  1037-10:19.  Ils  sont  publics  dans  Mimette,  Album  pho- 
tographique du  Mutée  de  Iloulaq,  pi.  li,  et  dans  PiMot-Ciipiez,  Histoire  de  l'Art,  t.  1,  p.  G10-645. 

3.  Dcisin  de  Boudier,  d'aprtt  une  photographie  d  Emile  llrugich-Bey  (cf.  Mariette,  Album  photo- 
graphique  du  Mutée  de  Boulaq,  pi.  11).  L'original  est  conservé  aujourd'hui  au  Musée  de  Giféb. 


LA  STATUAIRE.  40B 

effacer  les  cicatrices  que  les  divers  instruments  avaient  pu  laisser  sur  l'épi- 
derme.  Les  statues  n'offraient  pas  la  diversité  de  gestes,  d'expressions  et  d'atti- 
tudes que  nous  recherchons  aujourd'hui.  Aussi  bien  étaient-elles  avant  tout 
les  accessoires  d'un  temple  ou  d'un  tombeau,  et  leur  apparence  se  ressentait 
des  idées  particulières  qu'on  se  faisait  sur  leur  nature.  On  ne  songeait  pas  à 
réaliser  en  elles  un  type  idéal  de  beauté  masculine  ou  féminine  :  elles  étaient 
les  supports    qu'on  fabriquait   pour   perpétuer   l'existence   du    modèle.  On 


voulait  que  le  double  put  s'adapter  aisément  à  son  image,  et  il  fallait  pour 
cela  que  l'homme  de  pierre  imitât,  au  moins  sommairement,  les  propor- 
tions ou  les  singularités  de  l'homme  de  chair  auquel  on  le  dédiait.  La  tète 
devait  être  le  portrait  fidèle  de  l'individu  :  il  suffisait  que  le  corps  fût 
pour  ainsi  dire  un  corps  moyen,  qui  le  montrât  au  meilleur  de  son  déve- 
loppement et  dans  la  plénitude  de  ses  fonctions  physiques.  Les  hommes  s'im- 
mobilisaient à  la  force  de  l'âge,  les  femmes  gardaient  toujours  le  sein  ferme  et 
les  hanches  grêles  de  la  jeune  fille,  mais  un  nain  conservait  sa  laideur  native, 
et  son  salut  dans  l'autre  monde  exigeait  qu'il  en  fût  ainsi*.  Si  on  lui  avait  resti- 
tué la  stature  normale,  le  double,  habitué  ici-bas  à  la  difformité  de  ses  mem- 
bres, n'aurait  pu  s'accommoder  à  cet  appui  régulier  et  ne  se  serait  plus  trouvé 
dans  les  conditions  nécessaires  pour  reprendre  le  courant  de  sa  vie.  La  pose  se 
règle  sur  la  condition  sociale  du  personnage.  Le  roi,  le  noble,  le  maître  sont 

I.  Dttlin  de  Faucher-Gudin,  d'après  ta  chromolithographie  de  l'usât  i'.Iïïims.  Histoire  de  FArl 
Égyptien.  L'original  kc  trouve  au  tombeau  de  Rakhmirt,  qui  vivait  à  Thèbei  sons  la  XVIII'  dynastie 
(cf.  Vimt,  te  Tombeau  de  Rekhmarà,  dans  le*  Mémoire*  de  ta  Mission  française  du  Caire,  t.  V, 
pi.  mr,  im-iviir).  Les  procédés  qu'on  y  pratique  ne  différent  point  do  eem  que  les  sculpteurs  el 
les  peintres  de  l'époque  Meiuphite  employaient  plus  de  deux  mille  ans  auparavant. 

ï.  Cf.  à  la  page  480  de  celle  Histoire  la  statue  en  calcaire  peint  du  nain  Khnoumhotpou. 


406  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

toujours  debout  ou  assis  :  debout  ou  assis,  ils  reçoivent  l'hommage  de  leurs  vas- 
saux ou  de  leur  famille.  La  femme  partage  le  siège  de  son  mari,  se  tient  droite 
à  côté  de  lui  ou  s'accroupit  à  ses  pieds  comme  elle  faisait  ici-bas.  Le  fils  revêt 
~  '  '  '  :  l'enfance,  si  la  statue  a  été  commandée  tandis 

ifant  :  on  lui  prête  le  geste  et  l'attribut  de  sa 
ïst  à  l'âge  d'homme.  Les  esclaves  broient  le 
ellériers  poissent  l'amphore,  les  boulangers 
t  la  pâte,  les  pleureurs  se  désolent  et  s'arra- 
t  les  cheveux*.  La  hiérarchie  suivait  les  Ëgyp- 
i  dans  le  temple  ou  dans  la  tombe,  partout  où 
s  statues  allaient,  et  privait  le  sculpteur  qui  les 
ésentait  de  presque  toute  sa  liberté.  On  luî 
idaitde  varier  le  détail  et  de  disposer  les  acces- 
soires à  son  gré;  il  n'aurait  pu  rien  changer  à 
l'attitude  et  à  la  ressemblance  générale  sans 
compromettre  la  destination  de  son  œuvre'. 
C'est    à    la   centaine   que    l'on    compte 
aujourd'hui  les  statues  de  l'époque  Mem- 
phite.  Quelques-unes  sont  d'un  style  lourd 
et  barbare  qui  les  a  fait  prendre  pour  des. 
monuments  primitifs  :    telles,  au    Louvre, 
les  statues  de  Sapi  et  de  sa  femme  qu'on  a 
placées  au  début  de  la  IIIe  dynastie  ou  plus 
haut  encore1.   On  trouve  assez  souvent  dans  les  tombeaux  de  la  Ve  et  de  la 
VIe  dynastie  des  groupes  d'apparence  identique,  qui  seraient  à  ce  compte  plus 
vieux  même  que  celui  de  Sapi  :  ils  sortaient  d'un  mauvais  atelier  et  leur 
archaïsme  prétendu  n'est  que  la  gaucherie  d'un  imagier  ignorant.   Le  reste 
ne  se  distingue  pour  la  plupart  ni  par  des  défauts  choquants  ni  par  des  qua- 

1.  Voir  p.  3iO  de  relie  Histoire  la  figure  dp  l'une  des  broveusos  de  grain  du  Musée  de  Gizéh,  el 
n.  3iS,  en  rul-de-lampe,  la  tête  et  le  buste  de  la  brojeuse  de  grain  conservée  au  Musée  de  Florence 
(cf.  KcuMMUeLLI,   Musro  Archéologie,  di  Firent,  Antiehità  Eghie,  p.  IBO.  n*U!M). 

t.  Cf.  p.  Ji"  de  celte  Hiiloire,  en  lettrine  au  début  du  chapitre  IV,  le  pleureur  du  Musée  deCizéh. 

3.  I'eurot-Cmmei,  Histoire  de  l'Art,  1. 1,  p.  031-036;  Mas«»o,  Té te  de  acribe  égyptien,  ei  Prliouriioirri , 
dans  le  premier  volume  de  IIayit,  Monument»  de  l'Art  antique,  et  Archéologie  Egyptienne,  p.  303- 
300;  Eshaic,  sEgypten,  p.  j-lj  sqq.  L'admirable  Tête  de  arrib'  égyptien  que  le  Musée  du  Louvre  pos- 
fi-de  t;«t  reproduite  à  la  p.  31:>  de  cette  Histoire,  comme  en-téte  du  présent  chapitre. 

(.  Dénia  de  Uoadier,  ttaprèt  une  photographie  d'Emile  Brugach-llru  (cf.  Mahiitte,  Album  pho 
tographigue  du  IHuaér  de  Boulai/,  pi,  itl).  L'original  est  conservé  aujourd'hui  au  Musée  de  Giich. 

S.  C.  nt  Routé,  Notice  sommaire  dea  Nouttmentt  Égyptien»,  p.  50;  PiM0T-C«iriii,  Histoire  de  l'Art. 
I.  I,  p.  GÏH-G38.  Celle  opinion  a  été  combattue  par  Misrr.n»,  Archéologie  Éayptienn:  p.  1011.  Le  juge- 
ment de  M.  de  lloiigc  est  accuutd  Encore  par  la  plupart  des  historiens  et  des  critiques  d'art. 


LES  OEUVRES  PRINCIPALES  DE  LA  STATUAIRE.  407 

lités    ém menti; s  :   c'est  une  cohue  d'honnêtes^  bonshommes  sans    caractère 
personnel  et  sans  prétentions   à    l'originalité.    Us    se  divisent  aisément  en 
cinq  ou  six  séries,  dont  chacune  a  sa  facture  uniforme,  et  paraît  avoir  été 
exécutée  d'après  un  petit  nombre  de   poncifs  toujo"™   '<»■ 
mêmes;  les  statuaires  qui  travaillaient  pour  les  ent 
tieurs  de  mastabas  se  répart issaient  en  très  peu  d'ati 
qui  observaient  tout  le  long  des  dynasties  une  roui 
traditionnelle.  Us  n'attendaient  pas  la  commande,  ma 
comme   nos   marbriers  de  cimetière,  ils  tenaient 
magasin  un  assortiment  raisonnable  de  figures  presq 
achevées  où  le  client  venait  se  fournir  à  son  gré.  I 
mains,    les   pieds,  le    buste  n'avaient   pas   encore 
couleur  et  le  poli  final,  mais  la  tète  était  à  peine 
grossie  et  l'habit  seulement  réservé;  quand  le  mait 
futur  du  tombeau  ou  sa  famille  avaient  fait  leur  choi 
quelques  heures  de  travail  suffisaient  pour  transfor- 
mer la  maquette  impersonnelle  en  un  portrait  tel 
quel  du  défunt  qu'on  voulait  honorer,  et  pour 
lui  arranger  son  jupon  à  la  mode  nouvelle1.  Si 
pourtant  les  parents  ou  le  souverain1,  mécontents 
de  ces  icônes  banales,  réclamaient  pour  le  double 

de   celui  qu'ils  avaient  perdu   un  corps  d'allure  , 

moins  conventionnelle,  ils  en  trouvaient  toujours 

parmi  les  praticiens  qui  étaient  capables  de  comprendre  leurs  intentions  et 
d'atteindre  à  la  vérité  vivante  des  membres  ou  du  visage.  On  connaît  aujour- 
d'hui une  vingtaine  peut-être  de  statues  de  cette  époque,  éparses  dans  les 
musées,  et  qui  sont  d'un  art  consommé,  les  Khéphrèn,  le  Khéops,  l'Anou,  la 
Nofrit,  le  Ràhotpou  dont  j'ai  parlé  déjà*,  le  Skéîkk-el-Beled  et  sa  femme,  le 
Scribe  accroupi  du  Louvre  et  celui  de  Gizéh,  le  Scribe  agenouillé.  Kaàpîrou,  le 
Shéikh-el-Beletl,  était  probablement  un  des  chefs  de  corvée  qui  bâtirent  la  grande 

1.  NtsPEio,  Guide  du  yistlcur  au  Musée  de  Boulaç,   p.  308-31)9,  l'Archéologie  Égyptienne,  p.  104  ; 
cf.  Peuroi-Cwpiii,  Histoire  de  l'Art  dans  l'Antiquité,  t,  I,  p.  633, 
i.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  les  statues  étaient  souvent,  comme  le  tombeau  lui-même,  donnée»  par 

Par  la  foreur  de  par  le  roi...  dont  j'ai  parle  plus  haut;  cf.  p.  301,  note  5,  de  cette  Histoire. 

3.  Dessin  de  lloudier,  d'après  une  photographie  de  lléchanl  (cf.  Manette,  Album  photographique 
du  Mutée  de  Boulag,  pi.  Ï0).  L'original  est  conserve  actuellement  au  Musée  de  Cizéh  (cf.  Haswïo, 
Guide  du  Vititeur  au  Mutée  de  Itoulaq,  p.  ttO,  n>  1013). 

X.  Cf.  pour  le  Khéphrèn  la  p.  37'J  de  cette  Hiitoire,  pour  le  Khéops  la  p.  361,  pour  l'Anou  la  p.  300, 
pour  la  Mofrll  la  p.  356  et  la  planche  t;  la  tête  de  llàholpou  sert  de  lettrine  à  ce  chapitre,  p.  3. 


m  I.  EMPIRE  MEHPHITE. 

pyramide  '.  On  dirait  qu'il  marche  droit  sur  le  spectateur,   le  bâton  d'acacia 
à  la   main.    Lourd,   trapu,     déjà   épaissi 
et   chargé  de  chair,  il  a  l'encolure  d'un 
taureau   et   une   physionomie   commune, 
qui  ne  manque  pas  d'énergie  dans  sa  vul- 
garité. L'oeil   large,    bien   ouvert,   prend 
une  vivacité  presque  inquiétante  grâce  à  un 
artifice  du  se"1"' —    n" 
a  évidé  l'orbi 
châsse,  et  in< 
le    creux    ur 
blage  d'émail 
noir;  une  moi 
bronze  cerne 
tour  des   pau 
tandis     qu'ui 
clou  d'argent, 
fond  de  la  pr 
réfléchit  la  lu 
et  simule    l't 
d'un    regard 
animé.  La  statue  est  de  petite  taille,  en  bois, 
et  l'on  incline  peut-être  à  penser  que  la  sou- 
plesse   relative    de    la    matière   compte   pour 

1      II         •  •  LlaWIM  ACEKOVILLÏ  DCIl'Itt  HCUÏK1. 

quelque  chose  dans  la  hardiesse  de  I  exécution  : 

le  Scribe  accroupi  du  Louvre  est  en  calcaire  et  le  sculpteur  ne  l'a  pas  composé 

moins  librement.  On  reconnaît  en  lui  un  de  ces  employés  de  rang  moyen,  un 

I.  Il  a  été  découvert  par  Mariette  à  Saqqarah.  •  La  tête,  le  torse,  le»  bras,  le  bâton  même  étaient 
intacts;  mais  le  socle  et  les  jambes  étaient  irrémédiablement  pourris,  et  la  statue  ne  se  tenait  debout 
que  par  le  sable  qui  la  pressait  de  toutes  parts.  •  (Mambttf.,  lit  Maitabai,  p.  119.)  Le  bâton  s'est 
eassé  depuis  et  a  été  remplacé  par  un  bâton  plus  récent  d'apparence  semblable.  Pour  dresser  son 
personnage  debout,  Mariette  dut  lui  rajouter  des  pieds,  auxquels  il  laissa  la  couleur  du  bois  nou- 
veau. Par  un  hasard  singulier.  haaplrou  était  le  portrait  exact  d'un  des  Skétkh-el-Beled  ou  maires  du 
villa^cde  Saqqarah  :  les  ouvriers  arabes,  toujours  prompts  à  saisir  les  ressemblances,  l'appelèrent 
aussitôt  le  Shéikh-el-Beled,  et  le  nom  lui  en  est  demeure  (Miaimt,  Notice  det  principaux  Monu- 
ment t,  I8"6,  p.  IM,  n"  4'Ji,  cl  Album  photographique  du  Muirr  de  Boulaq,  pi.  18-19;  Roitï- 
BasV[i.i.i!,  Album  de  ta  Mi'êian  photographique  de  M.  de  Rougé,  n-  93-96).   Cf.  pi.  3   —  IV-  dynastie. 

ï.  Dcëiin  de  Doudier,  iCapreê  uue  photographie  d'Emile  Brugtch-Bcu  (cf.  IUiiette,  Album  pho- 
tographique du  Hustedc  llvulaq,p\.  IN}.  La  tête  de  cette  admirable  statue  est  reproduite  en  grandes 
dimensions  sur  la  planche  I  de  cette  Histoire,  en  guise  de  frontispice. 

:i.  Deitin  de  Faueher-Gudin,  d'aprè»  une  photographie  d'Emile  Brugtch-Bey  (cf.  Mamette.  .4  (bu ni 
photographique  du  Hutte  de  Boulaq,  p\.  20;  Mâspho,  dansO.  Katit,  tes  Honumenti  de  [Art  Antique,  t.  I). 


LES  DEUX  SCRIBES  ACCROUPIS  DU  LOUVRE  DE  GIZÊH.  409 

peu  flasques,  un  peu  pesants,  qui  encombrent  les  cours  orientales  :  les  jambes 

repliées  et  j 

armée  du  ci 

du  feuillet  d 

mille  ans  d'i 

daigne  repre 

confrère  de  I 

vigueur  et  pai 

il  étale  un  bi 

que  l'autre  e 

et  aggravé  d 

agenouillé  g! 

son  visage  le 

gnée  et  de  < 

l'habitude  d' 

écoulée  sous 

bâton  împrim 

fonctionnaire 
condition  mo 
ne'.    Rànofir 
contra  ire,  est 
gneur     qui 
regarde  ses 
vassaux  dé- 
filer devant 
lui;  ila  le  poi 
superbe,    la 

gneuse.raird'indifférencehau-  M  Ka,(ri  îcciot-i  «n  ««h  m  c»*.-.*. 

laine,  qui  convient  au  favori  de 
Pharaon,  titulaire  de  sinécures  généreusement  rétribuées  et  maître  de  vingt 

1.  Découvert  par  Mariette,  pendant  les  fouilles  du  Sântpomn,  et  publié  dans  le  Choir  de  Monument* 
et  de  Deeiîn*  du  Sérapêum  de.  Memphit,  pi.  \  (RoinÉ-llmuLLis.  Album  photographique  de  la  Million. 
n*  11)6-107:  JU-PUO  dans  les  Monument*  de  l'Art  Antique  d'0.  Il.ir-T,  t.  1).  Il  provient  nu  loml.cn.. 
rie  Saklicmka  et  représente  ce  personnage  (E-  be  Houcé,  Notice  lommaire,  I8SB,  p.  6S).  — V*  dynastie. 

*.  Découvert  par  Mariette  a  Saqqarah  (Notice  det  principaux  Monument*,  1876,  p.  13K,  n*  Ï6»), 
reproduit  par  Mariette  lui-même,  dans  V Album  photographique,  pi.  10,  puis  par  Pei  rot-Chipie  l//i»- 
toire  de  l'Art  dan*  l'Antiquité",  t.  I,  p.  6jï,  n"  410)  el  par  Naspero,  dans  0.  lu  vit,  1rs  Monument*  de 
(Art  Antique.  1.  I,  cl  dan»  V  Archéologie  Egyptienne,  p.  41 1-îlî  et  fi".  186).  —  V*  dynastie. 

.1.   Béni»  de  Bandirr,  tfaprt*  une  photographie  d'Emile  Rruomeh-Hry.  I>  serihc  a  été  découvert  à 


410  L'EMPIRE  NEMPHITE. 

domaines'.  La  même  fierté  d'attitude  signale  le  directeur  des  grains  Nofir  : 
rarement  statue  inoindre  donna  aussi  pleine   la  sensation  de  la  force  et  de 
l'"n"";°l   On  rencontre  à  l'occasion,  parmi  ces  gens  court  vêtus, 
mage  caché  et  comme  étouffé  sous  une  immense  abaye*, 
rime  nu,  un  paysan  qui  semble  se  rendre  au  marché,  le 
l'épaule  gauche  et  hanchant  légèrement  sous  le  poids, 
indales  à  la  main  droite,  de  peur  de  les  user  trop  vile 
îr  chaussant*.  Partout  les  traits  distînctifs  du  rang  et  de 
lividu  sont  observés  et  rendus  avec  une  conscience  scru- 
ïuse   :   rien  n'est  omis,   rien  n'est  atténué  de  ce   qui 
ctérise  la  personnalité  du  modèle.  D'idéal,  il  n'en  faut 
exiger,    mais   une  fidélité   intelligente,  brutale  quel- 
quefois. On  a  pu  concevoir  le  portrait  différemment  à 
d'autres  époques  et  chez  d'autres  peuples,  on  ne  l'a 
jamais  mieux  traité  \ 

La  décoration  des  hypogées  mettait  en  branle  des 
escouades  de  dessinateurs,  de  sculpteurs  et  de  pein- 
tres qui  y  multipliaient  les  scènes  de  la  vie  courante, 
indispensables  au  bien-être  ou  à  l'agrément  du  double. 
Les  murailles  ne  recevaient  parfois  que  des  tableaux 
isolés  dont  chacun  contient  une  opération  indépendante; 
on  y  retraçait  le  plus  souvent  une  action  unique  dont 
les  épisodes,  superposés  du  soubassement  au  plafond,  représentent  un  pano- 
rama égyptien  du  Nil  au  désert.  Au  registre  du  bas,  les  bateaux  vont,  vien- 
nent, se  choquent,  et  les  matelots  échangent  des  coups  de  gaffe  à  portée  de 

Saqqarah  par  M.  de  Morgan,  an  commencement  de  1893,  public  par  Maspexo,  le  Nouveau  Scribe  du 
Hutte  de  Giich,  dm»  la  Ga'.ette  des  Iteaui-Arts,  3*  série,  i,  IX,  p.  365-170,  et,  avec  une  planche  en 
couleur  rouge,  dans  le  recueil  de  la  Fondation  Piot,  Monuments  el  Mémoires,  t.  I,  pi.   I  et  p.  1-6. 

1.  Découvert  à  Kaqqarah  par  Mariette  (Lettre  a  M.  le  vicomte  de  Rongé,  p.  Il;  les  Mastabas  de 
l'Ancirn  Empire,  p.  Iil-li3,  Notice  de»  principaux  Monument*.  1876,  p.  116,  n"  58Î)  :  le  modèle 
vivait  dans  la  première  moitié  de  la  IV'  dynastie.  Il  a  été  reproduit  dans  Pnaoï-Cairiii.  Histoire  de 
l'Art  daiii  l'Antiquité,  1. 1.  p.  lu,  lie;.  6.  p.  655,  n'  136,  el,  plu*  haut,  p.  il  de  cette  Hittoire. 

t.  Minium,  Notice  det  principaux  Monuments,  iB7fi,  p.  187,  n-J58;  M.speno,  Guide  du  Visiteur  au 
Musée  lie  linuluq,  p.  tU,  n'  H3i.  Il  a  été  reproduit  par  l'Kanot-Caipisi,  Hittoire  de  CArt  dan* 
I  Antiquité,  t.  I.  p.  GiB,  d'âpre*  un  dessin  de  Bourgoin.  —  V*  dynastie. 

3.  Découvert  i  Saqqarah  par  Mariette  {Notice  des  principaux  Monuments,  1876,  p.  435-Ï36.  n-  7"ii). 
reproduit  par  lui  (Album  photographique,  pi.  il»)  el  par  PeMdT-Chpiu,  Hittoire  de  l'Art,  t.  I.  p.  657. 
n-  *3u.  Cf..  p.  55  de  celle  Histoire,  un  dessin  de  celle  curieuse  ligure.  —  IV-  dynastie. 

i.  Découverte  a  Saqqarah  par  Mariette  (Notice  des  prinripaur  Monuments.  I87C,  p.  Î36.  n*  771). 
reproduite  dans  PiBIiot-Cripiii,  Histoire  de  l'Art  dans  l'Antiquité,  t.  I.  p.  73,  n*17,  p.  660-6(11,  n*  1*5. 
où  les  sandales  mil  été  méconnues  el  prises  pour  un  bouquet  de  fleurs.  —  V*  dynastie. 

5.  l'caBOT-Cmi'iii,  Histoire  de  l'Art,  t.  1.  p.  655  sqq.  :  Misrtao,  l'Archéologie  Egyptienne,  p.  206-1 U. 

(i.  Dessin  de  lloudier,  d'après  une  photographie  de  Bernard  (cf.  Niriett*.  Album  photographique 
du  Jtfu«Jr  de  Uoitlaq,  pi.  Ï0).  L'original  est  conservé  actuellement  au  Musée  de  Ciiéh.  —  V  dynastie. 


(     I 


'/,-'  ,%,/v   .    /,;■„;. 


LES  BAS-RELIEFS.  M 

l'hippopotame  et  des  crocodiles.  Dans  ceux  du   dessus,  une  bande  d'esclaves 
chasse  les  oiseaux  au  milieu  des  fourrés  qui  avoisinent  le  fleuve  :  on  fabrique 
des  canots,  on  tresse  la  corde,  on  pare  et  on  sale  de 
Sous  la  corniche,  enfin,  des  chasseurs  et  des  chiens 
gazelle  à  travers  les  plaines  ondulées  du  désert.  Chat; 
répond  à  l'un  des  éléments  du  paysage  :  seulement  l* 
au  lieu  d'assembler  les  plans  en  perspective,  les  a  sép 
détaillés  au-dessus  l'un  de  l'autre1.  Les  groupes  se 
tent  de   tombeau  en  tombeau,  toujours  les  mêmes 
tantôt  réduits  à  deux  ou  à  trois  personnages,  tantôt  agi 
étalés,  encombrés  de  figures  et  de  légendes.  Chaq 
chef  décorateur  possédait  ses  cahiers  de  motifs  et  di 
textes,  qu'il  combinait  de  façon  différente,  resser- 
rait, dédoublait,  espaçait  largement,  selon  le  cré- 
dit qu'on  lui  ouvrait  pour  son  travail  ou  suivant 
la   surface  à   couvrir.   Les  mêmes  hommes,  les 
mêmes  animaux,  les  mêmes  accidents  de  terrain, 
les  mêmes   accessoires   reparaissent   partout   : 
c'est  de  l'art  industriel  et  mécanique  au  premier 
chef.  Pourtant  l'ensemble  est  harmonieux,  agréa- 
ble à  l'œil,  instructif.  Le  dessin  y  a.  comme  la  g»»,  le  ontscutia  dus  euiu1. 
composition,  ses  conventions  fort  distinctes  des 

nôtres.  Homme  ou  bête,  le  sujet  présente  invariablement  une  silhouette  décou- 
pée sèchement  au  pinceau  ou  à  la  pointe  sur  le  fond  environnant  ;  mais  les 
animaux  sont  pris  au  vif,  avec  l'allure,  le  geste,  la  flexion  des  membres  parti- 
culière à  l'espèce.  La  marche  lente  et  mesurée  du  bœuf,  le  pas  court,  l'oreille 
méditative,  la  bouche  ironique  de  l'âne,  la  force  calme  du  lion  au  repos,  la 
grimace  des  singes,  la  grâce  un  peu  frêle  de  la  gazelle  et  de  l'antilope  sont 
saisies  avec  un  bonheur  constant  de  ligne  et  d'expression.  L'homme  est  moins 
parfait  :  qui  ne  connaît  ces  étranges  personnages  où  la  tète,  munie  d'un  œil 
de  face,  s'emmanche  de  profil  sur  un  buste  de  face,  qui  surmonte  un  tronc 
de  trois  quarts  étajé  sur  des  jambes  de  profil?  Ce  sont  de  véritables  monstres 

I.  Mtspeno,  les  Peinture»  des  Tombeaux  égyptien!  et  la  Mosaigue  de  Falestriue  (extrait  des  Mélange» 
publiés  par  la  Section  historique  et  philologique  de  HEcale  des  Hautes  Eludes  pour  le  dixième 
annirersaire  de  ta  fondation,  p.  ij-4".  el  de  la  Gaiette  Archéologique,  I8ÏB,  p.  1-3),  l'Archéologie 
Égyptienne,  p.  lSi-I8ô. 

*.  Destin  de  Boudier,  d'après  une  photographie  d'Emile  Brugsch-Uey .  I.e  monument  original  e»f 
conservé  actuellement  au  Musée  de  Giiéh.  —  V  dvnutie. 


41-2  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

pour  le  chirurgien,  et  pourtant  ils  ne  paraissent  ni  monstrueux,  ni  rîsibles. 
Les  membres  défectueux  s'allient  aux  corrects  avec  tant  d'adresse  qu'on  les 
dirait  soudés  comme  naturellement  ;  les  lignes  exactes  et  les  fictives  se  suivent 
et   s'agencent    sî  ingénieusement  qu'elles  semblent  se   déduire   nécessaire- 
ment les  unes  des  autres.  Les  acteurs  de  ces  scènes  sont 
bâtis  de  façon  si  paradoxale  qu'ils  ne  pourraient  pas  vivre 
dans  notre  monde;  ils  n'en   vivent  pas  moins  en  dépit  des 
lois  ordinaires  de  la  physiologie,  et  qui  veut  se  donner  la 
peine  de  les  regarder  sans  préjugé,  leur  étrangeté  leurajoute 
un  charme  que  n'ont  pas  des  œuvres  plus  conformes  à  la 
nature'.  Une  couche  de  couleur  répandue  sur  le  tout  les 
rehausse  et  les  complète.  Elle  n'est  jamais  ni  entièrement 
vraie,  ni  entièrement  fausse.  Elle  se  rapproche  de  la  réalité 
autant  que  possible,  mais  sans  prétendre  à  la  copier  servile- 
ment; l'eau  est  toujours  d'un  bleu  uni  ou  rayé  de  zigzags 
noirs,  tous  les  hommes  ont  le  nu  brun,  toutes  les  femmes 
l'ont  jaune  clair.  On  enseignait  dans  les  ateliers  la  nuance 
qui  convenait  à  chaque  être  et  à  chaque  objet,  et  la  recette, 
une  fois  composée,  se  perpétuait  sans  changement.  L'effet 
produit  par  ce  coloris  factice  n'est  pourtant  ni  discordant, 
ni  criard.  Les  tons  les  plus  vifs  s'y  juxtaposent  avec  une  hardiesse  extrême, 
mais  avec  la  pleine  connaissance  des  relations  qui  s'établissent  entre  eux  et 
des  phénomènes  qui  résultent  de  ces  relations.  Ils  ne  se  heurtent,  ne  s'exa- 
gèrent, ni  ne  s'éteignent  ;  ils  se  font  valoir  mutuellement  et  donnent  nais- 
sance par  le  rapprochement  à  des  demi-tons  qui  les  accordent1.  Les  chapelles 
funéraires,  quand  leur  décoration  a  été  terminée  et  nous  est  parvenue  intacte, 
semblent  des  chambres  tendues  de  belles  tapisseries  lumineuses  et  divertis- 
santes, où  le  repos  devait  être  doux,  pendant  la  chaleur  du  jour,  à  l'âme  qui 
les  habitait  et  aux  amis  qui  venaient  s'entretenir  avec  leurs  morts. 

L'ornementation  des  palais  et  des  maisons  n'était  pas  moins  riche  que  celle 
des  hypogées,  mais  elle  a  été  si  complètement  détruite  que  nous  aurions 
peine  à  imaginer  le  mobilier  des  vivants  si  nous  ne  le  voyions  figuré  fréquem- 
ment chez  les  doubles.  Les  grands  fauteuils,  les  pliants,  les  tabourets,  les  lils 

I.  PïiwoT-Caipju,  llitloire  de  ÏArl  data  V Antiquité,  I.  I,  p.  "41  sqq.:  Miwtno,  r Archéologie 
Égyptienne,  p.  1(18-173;  F.mm .  .Eggpten  und  dut  .€gy)>!iic/ie  Lttien  im  Altertum,  p.  530  sqq. 

t.  Destin  de  Boudier,  d'aprèi  une  photographie  de   Souriant.  L'original  cul   chez  un    particulier. 
3.  Puuyi-CaiTw, MtloirtdttArl,  t.  I,  p.  7S1-7IH;  msrino,  f Archéologie  Egyptienne,  p.  197-199. 


L'ART  INDUSTRIEL  413 

en  bois  sculpté,  peint  et  incrusté,  les  jvases  en  pierre  dure1,  en  métal  ou 
en  terre  émaillée,  les  colliers, 
les  bracelets,  les  bijoux  éta- 
lés sur  les  murs,  même  la 
poterie  commune  dont  on  re- 
trouve les  débris  au  voisinage 
des  Pyramides,  sont  en  général 
d'une  élégance  et  d'une  légè- 
reté qui  font  honneur  à  la 
main  et  au  goût  des  artisans. 
Les  carrés  d'ivoire  dont  ils 
plaquaient  leurs  coffres  à 
linge  et  leurs  boites  à  bijoux 
portaient  souvent  de  véritables 
bas-reliefs  en  miniature,  d'une 
facture  aussi  large  et  d'une 
exécution  aussi  savante  que 
les  plus  beaux  tableaux  des 
hypogées  :  c'étaient  encore 
des  scènes  de  la  vie  privée, 
des  danses,  des  processions 
de  porteurs  d'offrandes  et 
d'animaux*.  On  voudrait  pos- 
séder quelques-unes  de  ces  wàu  M  u  mu  M  ÏHÉOWj 
statues   en  cuivre  et   en    or 

que  le  Pharaon  Khéops  consacrait  à  [sis  en  l'honneur  de  sa  fille  ;  l'image  seule 
en  subsiste  sur  une  stèle,  et  les  morceaux  de  sceptre  ou  d'ustensiles  qui 
sont  arrivés  trop  rares  jusqu'à  nous  n'ont  malheureusement  aucune   valeur 

1.  L'étude  des  vases  en  albâtre  et  en  diorile  trouvé!  auprès  de*  Pyramides  de  Gizéh  i  fourni  dus 
observations  fort  ingénieuses  à  Pétrie  (The  Pyramide  and  Templei  of  Gi:ek,  p.  173  sqq.)  sur  la 
façon  dont  les  Egyptiens  travaillaient  la  pierre  dure.  Les  flacons  de  toilette  ou  de  sacrifice  en  pierre 
ton!  assez  fréquents  dans  nos  musées  :  je  signalerai  au  Louvre  ceui  qui  portent  les  cartouches  de 
Dadkerl  Aasi  (n°  313),  de  Papi  I"  (n-  3S 1-351)  et  de  Papi  11  (n-  3-16-3*8).  fils  de  Papi  I"  (Pisumr,  Cala- 
logutde  la  Salle  HUtorique,  p.  81-86),  non  qu'ils  comptent  parmi  les  plus  fins,  mais  parce  que  les  ear- 
touches  qu'ils  donnent  assurent  la  date  de  la  fabrication.  Ils  proviennent  des  pyramides  de  ces  souve- 
rains, ouvertes  par  les  Arabes  au  commence  ment  de  notre  siècle  :  le  vase  de  la  VI*  dynastie,  '\<n  I.-.1 
au  Musée  de  Florence,  a  élé  rapporté  d'Abydns  (Itostuuwi,  Monument*  Storici,  t.  III,  p"  1',  p.  5). 

ï.  M.  Grébaut  acliela  aux  grandes  pyramides,  en  188",  une  série  de  ces  ivoires  sculptés  de  l'An- 
cien Empire  qui  sont  déposés  au  .Musée  de  Cizéh.  D'autres,  qui  proviennent  de  la  même  trim vaille. 
sont  dispersés  dans  des  collections  particulières  :  l'un  d'eux  est  reproduit  p.  llî  de  cctle  Ilieloire. 

3.  Henni  de  Faucher-Gudiu ,  d'âpre»  une  photographie  de  Héckard  Icf.  Minime,  Album  photo- 
graphique du  Mutée  de  Boutai),  pi.  M,  et  ,l/oniiine»(j  divers,  pi.  33  cl  p.  17). 


414  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

artistique'.  Le  goût  des  jolies  choses  était  général,  au  moins  chez  les  hautes 
classes,  non  seulement  aux  alentours  du  souverain,  mais  dans  les  cantons  les 
plus  éloignés  de  l'Egypte.  Gomme  les  courtisans  qui  fréquentaient  le  palais, 
les  seigneurs  de  province  se  piquaient  de  réunir  auprès  d'eux  dans  l'autre 
monde  tout  ce  que  la  science  de  l'architecte,   du  sculpteur  et  du    peintre 
pouvait  concevoir  et  accomplir  de  plus  délicat.  Leurs  châteaux  n'existent  plus 
comme  leurs  temples,  mais  on  rencontre  encore  ça  et  là,  au  flanc  des  col- 
lines, les  hypogées  qu'ils  se  préparèrent  pour  rivaliser  de  piété  et  de  magni- 
ficence avec  les  gens  de  cour  ou  avec  les  membres  de  la  maison   régnante. 
Us  ont  fait  de  la  vallée  une  vaste  galerie  funéraire,  où  l'horizon,  de  quelque 
côté  qu'on  se  tourne,  est  toujours  borné  par  une  rangée  de  tombeaux  histori- 
ques. C'est   grâce  à   leurs   syringes  que    nous   commençons  à  connaître  les 
princes  de  la  Gazelle  et  du  Lièvre1,  ceux  du  Mont-Serpent3,  d'Àkhmim*,  de 
Thinis8,  de  Kasr-es-Sayad*,  d'Àssouân7,  tous  les  rejetons  de  cette  féodalité 
qui    avait   précédé  la  royauté  aux  bords  du  Nil  et   dont  la  royauté  ne  se 
débarrassa  jamais  entièrement.  Les  Pharaons  de  la  IVe  dynastie  l'avaient  tenue 
de  si  court,  qu'à  peine  signale-t-on  sous  leur  règne  quelques  preuves  de  l'exis- 
tence des  grands  barons  :  c'est  dans  la  domesticité  et  dans  la  famille  même 
du  souverain  que  les  chefs  de  l'administration  pharaonique  se  recrutaient,  non 
parmi  les  possesseurs  de  fiefs.  11  semble  que  ces  derniers  rentrèrent  en  faveur 
sous  les  rois  de  la  Ve  dynastie,  et  qu'ils  reprirent  le  dessus  peu  à  peu  :  on  les 
trouve  de  plus  en  plus  nombreux  autour  d'Ànou,  de  Menkaouhorou,  d'Assi. 

1.  Ainsi  les  deux  vase»  en  bronze  au  nom  d'Ouni,  qui  vivait  sous  la  VI»  dynastie  (Pierret,  Cata- 
logue de  la  Salle  Historique,  p.  85,  n»  350),  et  les  bouts  de  sceptre  de  Papi  I-r  qui  sont  conservés  au 
British  Muséum  (Leemans,  Monuments  Égyptiens  portant  des  Légendes  Royales,  pi.  XXX,  n°  302;  Aar*- 
dale-Bonoiii-Birch,  Gallery  of  Egyptian  Anliquities,  pi.  30,  n°  144,  et  p.  72;  Prisse  d'Avennbs,  Notice  sur 
les  Antiquités  Egyptiennes  du  Musée  Britannique,  p.  23;  cf.  Bévue  Archéologique,  1"  série,  t.  111, 
p.  713).  L'un  de  ces  derniers,  analysé  par  Berthelot  (Annales  de  Chimie  et  de  Physique,  série  6B,  t.  XII, 
p.  129),  ne  lui  a  donné  que  du  cuivre,  sans  traces  d'étain;  des  outils,  trouvés  par  M.  Pétrie  dans  ses 
fouilles  de  Méidouro,  sont  au  contraire  fabriqués  avec  du  bronze  véritable,  composé  de  la  même 
manière  que  le  nôtre  (J.  H.  Gladstone,  On  melallic  Copper,  Tin  and  Antimony,  from  Ancient  Egypt, 
dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XIV,  p.  225). 

2.  Dans  les  tombeaux  de  Kom-el-Ahmar,  de  Zaoutét-el-Maiéttn  et  de  Shétkh-Satd  {Description  de 
l'Egypte,  t.  IV,  p.  355-360,  et  A.  T.  V.,  pi.  LXVIIl;  Champollion,  Monuments  de  r Egypte  et  de  la  Nubie, 
t.  II,  p.  441-455;  Lbpsu's,  Denkm.,  II,  105-113). 

3.  A  Bené-Mohammed-el-Koufour,  sur  la  rive  droite  du  Nil  (Sayce,  Gleanings  from  the  Land  of 
Egypt,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  65-67,  et  les  observations  de  Maspero,  ibid.,  p.  68-71). 

4.  Mariette,  Monuments  divers,  pi.  XXI  b  et  Texte,  p.  6;  Schiaparelli,  Chemmis-Achmim  e  la  tua 
anttca  Necropoli,  dans  les  Études  archéologiques,  historiques  et  linguistiques,  dédiées  à  M.  le 
Dr  C.  Leemans,  p.  85-88.  Quelques  fragments  des  sculptures  provenant  de  ces  tombeaux  sont  d'un 
style  très  fin. 

5.  A  Bené-Mohammed-el-Koufour  (Sayce,  Gleanings  dans  le  Recueil,  t.  XIII,  p.  67),  et  plus  au  Sud, 
à  Negadlych,  en  face  de  Girgéh  [id.,  p.  63-64,  et  Nestor  Lhôte  dans  le  Becueil,  t.  XIII,  p.  71-72). 

6.  Lepsiis,  Denkm.,  II,  113  g,  114;  Prisse  dAvennes,  Lettre  à  M.  Champoltion-Fiqeac.  dans  la  Revue 
Archéologique,  1"  série,  t.  I,  p.  731-733;  Nestor  Lhote,  Papiers  inédits,  t.  III,  à  la  Bibliothèque. 

7.  Bcdce,  Excavations  made  al  Asuân,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique, 
t.  X,  p.  4-40;  Boiria>t,  les  Tombeaux  d'Assouân,  dans  le  Becueil  de  Travaux,  t.  X,  p.  181-198. 


L'AVÈNEMENT  DE  LA  VI'  DYNASTIE.  «S 

Ounas,  qui  fut  le  dernier  souverain  de  race  Ëléphantite,  mourut-il  sans  posté- 
rité? ses  enfants  furent-ils  écartés  du  trône 
par  la  force?  Les  Annales  Égyptiennes  du 
temps  des  Ramessides  arrêtaient  avec  lui 
la  descendance  directe  de  Menés  :  une  lignée 
nouvelle  commençait  au  delà,  Memphite 
d'origine1.  Il  est  à  peu  près  certain  que  la 
transmission  du  pouvoir  ne  s'opéra  pas  sans 
trouble,  et  que  plusieurs  prétendants  se  dis- 
putèrent la  couronne*.  L'un  d'eux,  Imhot- 
pou,  dont  la  légitimité  fut  toujours  contestée, 
a  laissé  quelques  traces  à  peine  de  son  pas- 
sage au  pouvoir9,  mais  Ati  s'établit  solide- 
ment pendant  une  année  au  moins*;  il  poussa 
activement  la  construction  de  sa  pvramide 
et  envoya  chercher  dans  la  vallée  de  Ham- 
mamât  la  pierre  de  son  sarcophage.  On  ne 
sait  quelle  révolution  ou  quelle  mort  sou- 
daine l'empêcha  de  rien  achever  :  le  Mastabat 

el-Faraoun    de    Saqqarah,    où     il    espérait  tï  flllBJ11)S  nmiu,™™,;» 

reposer,  ne  dépassa  jamais   la   hauteur  que 
nous   lui   connaissons   encore*.   Il    fut  inscrit   pourtant    sur   certaines    listes 

1.  Ed.  Mkimi,  Gctchirhle  der  Allen  /F.gypten».  p.  133-1.13. 

S.  Le  Canon  lloyal  de  Turin  (Lepsids,  Autwald  der  iviclitigttfH  Vrkundcn,  pi.  IV,  col.  IV-VI, 
fragro.  34,  59)  intercale,  après  Ounas,  un  résume  des  règnes  et  des  années  écoulées  depuis  Menés. 

3.  Les  monuments  noua  donnent  la  preuve  que  les  contemporain»  considérèrent  ces  souverains 
éphémères  comme  autant  de  prétendants  illégitimes.  Phlahapopsisou  II  et  son  fils  Sabou-Abibi,  qui 
eiercèrent  de  grandes  charges  à  la  cour,  ne  mentionnent  qu'Ounas  et  Tcii  111  (E.  De  Hol'sk,  llrehenliet 
sur  tel  Monument*  qu'on  peut  attribuer  auj  ti  r  première!  dynattiei  de  Manétlton,  p.  108-114):  Ounî, 
<|ui  débuta  sous  Téti  III,  ne  mentionne  après  ce  roi  que  Papi  I"  et  Slihlimsaouf  I"  (l'A.,  p.  117-118, 
135  sqq.).  La  succession  officielle  était  donc,  a  l'époque  même,  réglée  de  la  façon  que    la  table    de 

Saqqarah   enregistra  plus   tard,  i .>.  IVti  111.  Papi  I",   Mihtimsanufl",  et  qu'on  retrouve  au  Canon 

royal  de  Turin  (JUsreiio,  Elude*  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptienne»,  t.  Il,  p.  140-44*),  sans 
intercalalîon  d'autre  roi  (E.  m  Roter.  Iterheirhe*  tur  le*  Monument*,  p.  148  sqq). 

4.  Bnigsch,  dans  son  Hittoire  d'Egypte,  p.  4t.  43,  avait  identifié  ce  roi  avec  le  premier  Hétésouphis 
de  >U  né  thon",  E.  de  Rougé   préfère  le  rejeter  après  la   VI-  dynastie,  dans  l'une  des  deux  dernières 

éries  Memphilcs  (Herherehet  tur  le*  Monument*,  p.  149,  15i),  cl  son  opinion  a  été  adoptée  par  Wiede- 
mann  [AÙgyptitche  Geêchiehle,  p.  SïO)  l.a  place  que  l'inscription  occupe  parmi  celles  de  llammamàt 
(Lwwus,  Denkm.,  Il,  115  h;  cf.  Mtspiso,  les  Monument!  Égyptien*  de  la  Vallée  de  llammamàt,  dans  la 
llerue  Orientale  et  Américaine,  1877,  p.  3Î8-3Ï9)  m'a  décidé  à  le  ranger  sur  les  conlins  de  la  V*  et  de 
la  VI-  dynastie  :  c'est  ce  qu'a  fait  aussi  Ed.  Mcyer  (Getchichle  de*  Allen  .Kyypten;  p.  131-183). 

5.  Destin  de  Boudier,  daprèt  une  photographie  de  Faucher-Gndin.  L'original,  qui  provient  des 
fouilles  de  Mariette  au  Rérapeum,  est  déposé  au  Louvre  (E.  ne  Roiick,  Xotire  tommaire  det  Monument* 
Égyptien*.  1853,  p.  51,  D  48,  et  Album  photographique  de  ta  Million  de  M.  de  llougé,  n"  loi).  C'est 
une  œuvre  du  temps  de  Séli  I",  et  non  pas  un  morceau  contemporain  de  Menkaouhorou  lui-même. 

6.  Ati  n'est  connu  que  par  une  inscription  de  llammamàt,  datée  de  l'an  1"  de  son  rèpie  (Lusic*. 
Denkm.,  Il,  115  f;  cf.  Mispho,  let  Monument*  Egyplient  de  la   Vallée  de  Haiiimamùl ,  dans  la  /feuue 


416  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

officielles1,  et  la  tradition  de  lepoque  grecque  voulait  qu'il  eût  péri  assassiné 
par  ses  gardes*.  Téti  III  est  le  fondateur  réel  de  la  VIe  dynastie*,  celui  que  les 
historiens  présentaient  comme  ayant  été  le  successeur  immédiat  d'Ounas*. 
11  vécut  assez  longtemps  pour  bâtir  à  Saqqarah  une  pyramide  dont  les 
chambres  intérieures  sont  couvertes  d'inscriptions8,  et  son  fils  lui  succéda 
sans  opposition8.  Papi  1er  régna  vingt  années  au  moins7,  il  déploya  son  activité 
dans  tous  les  coins  de  l'empire,  dans  les  nomes  du  Said  ou  dans  ceux  du  Delta, 
et  son  autorité  franchit  les  frontières  où  celle  de  ses  prédécesseurs  immédiats 
était  restée  enfermée.  Il  possédait  assez  de  territoire  au  sud  d'Éléphantine 
pour  considérer  la  Nubie  comme  un  royaume  nouveau  à  côté  de  ceux  qui 
constituaient  l'Egypte  primitive;  aussi  le  voit-on  s'intituler  dans  son  protocole 
le  triple  Horus  d'or,  le  triple  Horus  vainqueur,  Horus  pour  le  Delta,  Horus 
pour  le  Said,  Horus  pour  la  Nubie8.  Les  tribus  du  désert  lui  fournissaient, 
selon  l'usage,  des  recrues  dont  il  avait  d'autant  plus  besoin  que  les  Bédouins 
du  Sinai  remuaient  fort  et  même  devenaient  dangereux.  Papi,  secondé  par 
Ouni  son  premier  ministre,  engagea  contre  eux  une  série  de  campagnes  offen- 

Orientale  et  Américaine,  1877,  p.  349-330).  Il  a  été  identifié  par  Brugsch  {Histoire  d'Egypte,  p.  44-45) 
avec  l'Othoès  de  Manéthon,  et  cette  identification  a  été  adoptée  généralement  (E.  dk  Rorr.it,  Recher- 
ches sur  les  Monuments,  p.  108-109,  148-149;  Wirdemann,  jEgyptische  Geschichte,  p.  «07;  Lxnn,  Avs 
JEgyptens  Vorzeit,  p.  149  sqq.;  Ed.  Meyer,  Geschichte  des  Alten  JEgyptens,  p.  132-133).  M.  de  Bougé 
(Recherches,  p.  146)  est  porté  à  lui  attribuer  pour  prénom  le  cartouche  Ousirkert  qui  est  placé  par  la 
Table  d'Abydos  entre  ceux  de  Téti  111  et  de  Papi  I";  Mariette  (ta  Table  d'Abydos,  p.  15)  préfère 
reconnaître  dans  Ousirkeri  le  nom  d'un  Pharaon  indépendant,  de  règne  éphémère.  Plusieurs  blocs 
du  Mastabat-el-Faraoun  de  Saqqarah  portent  le  cartouche  d'Ounas,  et  cette  particularité  avait  décidé 
Mariette  à  placer  le  tombeau  du  Pharaon  dans  ce  Mastabah.  Les  fouilles  de  1881  ont  montré  qu'Ounas 
est  enterré  ailleurs,  et  il  ne  reste  guère  qu'à  attribuer  le  Mastabat  à  Ati.  Nous  connaissons  en  effet 
les  pyramides  de  Téti  III,  des  deux  Papi,  de  Métésouphis  I'r  :  Ati  est  le  seul  prince  de  cette  époque 
dont  le  tombeau  ne  soit  pas  encore  reconnu.  C'est,  comme  on  voit,  par  élimination,  et  non  par 
preuve  directe,  que  j'arrive  à  ce  résultat  :  Ati  aurait  puisé  dans  les  chantiers  de  son  prédécesseur 
Ounas,  ce  qui  expliquerait  la  présence  des  cartouches  de  ce  dernier  sur  les  blocs. 

1.  Sur  celle  d'Abydos.  si  l'on  admet  avec  E.  de  Rougé  (Recherches  sur  les  Monuments  qu'on  peut 
attribuer  aux  six  premières  dynasties  de  Manéthon,  p.  1  il))  que  le  cartouche  Ousirkert  renferme  son 
prénom;  sur  celle  que  Manéthon  consultait,  si  Ton  admet  qu'il  se  confond  avec  Othoès. 

i.  Manéthon,  éd.  Unger,  p.  101,  où  la  forme  du  nom  est  Othoès. 

3.  Il  est  nommé  Téti  Minéphtah,  avec  le  cartouche  prénom  de  Séti  1er,  sur  un  monument  du  Musée 
de  Marseille  des  premiers  temps  de  la  XIXe  dynastie  (En.  Naville,  le  Roi  Téti  Merenphtah,  dans  la 
Zeilschrift,  1876,  p.  69,  72)  :  on  le  voit  représenté  debout  dans  sa  pyramide,  celle-là  même  qui  fut 
ouverte  en  1881,  et  dont  les  chambres  sont  revêtues  entièrement  de  longues  inscriptions  funéraires. 

4.  Maspf.ro,  Éludes  de  Mythologie  et  d' Archéologie  Egyptiennes,  t.  II,  p.  441-442. 

r».  Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  147,  et  Recueil  de  Tra- 
vaux, t.  V,  p.  1-59.  Son  cartouche  a  été  retrouvé  récemment  dans  les  carrières  de  Hàtnoubou  (Black- 
dkn-Frazrr,  Collection  of  Hieratic  Graffiti  from  the  Alabaster  Quarry  of  Hat-nub,  pi.  XV.  6). 

6.  La  véritable  prononciation  de  ce  nom  serait  Pipi,  et  celle  du  nom  précédent  Titi  :  les  deux  autres 
Téti  sont  Téti  Ier  de  la  \n  dynastie,  et  Zosir-Téti  ou  Téti  II  de  la  I1I-. 

7.  D'après  le  fragment  59  du  Canon  Royal  de  Turin  (Lepsirs,  Auswahl,  pi.  IV,  col.  VI,  1.  3;  cf.  Mas- 
pkro.  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptiennes,  t.  II,  p.  441).  l'ne  inscription  des  carrière* 
de  Hàtnoubou  porte  une  date  de  l'an  XXIV  (Blackden-Frazer,  Collection  of  Hieratic  Graffiti  from  the 
Alabaster  Quarry  of  Hat-nub,  pi.  XV,  1)  :  si  elle  a  été  copiée  exactement,  le  règne  aurait  duré  quatre 
années  au  moins  de  plus  que  ne  le  pensaient  les  chronologistes  du  temps  des  Ramessides. 

8.  Ce  titre  se  rencontre  à  Hammamàt  (Burton.  Exverpta  Hierogtyphica,p\.  X;Lepsh'$,  Dcnkm.,U, 
115  c),  à  Tanis  (Petiuf,  Tanis  I,  pi.  I,  1  et  p.  4;  II,  p.  15),  à  Bubaste  (IVaville,  Rubastis,  pi.  XXXII  c-d 
et  p.  5-6).  L'explication  en  a  été  donnée  par  E.  de  Rougé  (Recherches  sur  les  Monuments,  p.  116-117). 


'  ET  SON  MINISTRE  OU  NI. 


sives  qui  les  réduisirent  à  l'impuissance  et  qui  étendirent  momentanément  la 
suzeraineté  de  l'Egypte  sur  des  régions  jusqu'alors  insoumises1. 

Ouni  avait  débuté   sous   Téti*.   D'abord  simple  page  au  palais9,  il   obtint 


un  poste  dans  l'administration  du  trésor,  puis  dans  l'inspection  des  bois  du 
domaine  royal1.  Papi  le  prit  en  amitié  dès  les  premiers  temps  de  son  règne, 
et  lui  conféra,  avec  le  titre  d'ami',  les  fonctions  de  chef  de  cabinet,  dont  il 

I,  L'inscription  du  tombeau  d'Ouni,  qui  OSt  le  monument  principal  du  règne  de  Papi  [•'  et  de  ses 
deux  successeurs,  fut  découverte  par  Mariette  dans  la  nécropole  d'Àhydos  (Mariette.  Abydoi,  t.  Il, 
pi.  XLIV-XLV,  et  Catalogue  Général,  p.  81,  n'  5Î4).  Elle  Tut  transportée  au  Musée  de  Boulaq  (Manette, 
Soticu  du  principaux  Monuments,  187U,  p.  ÏB0-Î8I,  u°  Sîi).  Publiée  et  analysée  par  K.  lie  Hougé 
(llecherches,  pi.  VII-VIII  et  p.  1 17-144),  traduite  partiellement  par  Maspero  (Histoire  Ancienne,  4-  éd., 
p.  81-83}  et  par  Brugach  (Grschichte  /Eggptem,  p.  95-IOi),  elle  a  été  rendue  complètement  eu  anglais 
par  Dirch  (Inscription  of  (/un,  dans  les  Records  0/  the  Paît,  1"  série,  t.  Il,  p.  1-8]  et  par  Maspero 
(Inscription  of  Uni,  dans  les  Records  of  the  Pasl,  V  série,  I.  II,  p.  (-10),  en  allemand  par  Erman 
{Commenter  :«r Intckrift  des  Una,  dans  la  ZeUschrifl,  I88Ï.  p.  i-!9;  cf.  ALgupttn,  p.  G88-WHÏ). 

5,  Le  commencement  de  la  première  ligne  manque,  et  je  l'ai  restitué  d'après  d'autres  inscriptions 
du  même  type  :  .Je  naquis  sous  Ounas  ■  (Records  of the  Patl.t"  Séries,  t.  Il,  p.  4).  Ouni  ne  pouvait 
être  né  avant  Ounas,  la  première  fonction  qu'il  remplit  sous  Téti  111  étant  d'un  enfant  ou  d'un 
adolescent,  et  le  règne  d'Ounas  ayant  duré  trente  ans  (Lepsivs,  Austcahl,  pi.  IV,  col.  lï,  fragm.  34), 

3.  Litl.  :  porte-couronne.  On  désignait  probablement  de  la  sorte  des  enfants  qui  servaient  le  roi 
dans  ses  appartements  privés,  et  qui  portaient  une  couronne  de  fleurs  naturelles  sur  la  tète;  la  cou- 
ronne était  sans  doute  de  même  forme  que  celle  qu'on  voit  au  front  des  femmes  dans  plusieurs  tom- 
beaux de  l'époque  Memphite  [Lepsius,  Denkm.,  II.  40,  47.  71  a,  etc.). 

I.  Dessin  de  Faucker-tïutlin,  d'après  une  photographie  de  Richard. 

H.  Le  mot  Khonlti  marque  probablement  les  terrains  plantés  eu  bois,  palmiers,  acacia»,  les  forêts 
claires  de  l'Egypte,  et  aussi  les  vignobles  qui  appartenaient  au  domaine  personnel  du  Pharaon  (Maspero, 
Sur  l'inscription  de  Zâau,  dans  le  Recueil  de  Trataux,  t.  XIII,  p.  69-70). 

6.  Voir,  sur  le  râle  des  amis,  et  sur  la  position  qu'ils  occupaient  dans  la  hiérarchie  égyptienne 
auprès  des  Pharaons,  ce  qui  est  dit  aux  pages  376,  note  1,  et  Ï81  de  cette  Histoire. 


418  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

s'acquitta  fort  bien  :  seul,  sans  autre  aide  que  d'un  scribe  subalterne,  il  réglait 
toutes  les  affaires  et  expédiait  toutes  les  écritures  du  harem  et  du  conseil 
privé.  Ses  services  lui  méritèrent  une  récompense  insigne.  Pharaon  lui  octroya, 
comme  preuve  de  sa  haute  satisfaction,  la  garniture  d'un  tombeau  en  calcaire 
blanc  de  choix  :  un  des  employés  de  la  nécropole  alla  chercher  les  blocs  aux 
carrières  de  Troiou  et  les  lui  ramena,  un  sarcophage  et  son  couvercle, 
une  stèle  en  forme  de  porte,  son  encadrement  et  sa  table  d'offrandes1.  Il 
affirme  complaisamment  que  jamais  chose  pareille  n'advint  à  personne  avant 
lui;  aussi  bien,  ajoute-t-il,  «  ma  sagesse  charmait  Sa  Majesté,  mon  zèle 
lui  plaisait,  et  le  cœur  de  sa  Majesté  était  ravi  de  moi  ».  C'est  pure 
hyperbole,  mais  dont  nul  ne  s'étonnait  en  Egypte  :  l'étiquette  voulait  qu'un 
sujet  fidèle  déclarât  nouvelles  ou  inouïes  les  faveurs  du  souverain,  quand 
même  elles  ne  présentaient  rien  que  d'ordinaire  et  de  commun.  Les  dons  de 
mobilier  funéraire  étaient  fréquents  et  nous  en  connaissons  plus  d'un  exemple 
avant  la  VIe  dynastie,  témoin  ce  médecin  Sokhîtniônkhou  dont  le  tombeau 
existe  encore  à  Saqqarah,  et  que  Pharaon  Sahourî  avait  gratifié,  lui  aussi,  d'une 
stèle  monumentale  en  pierre  de  Tourah*.  Ouni  pouvait  désormais  envisager 
sans  crainte  l'avenir  qui  l'attendait  dans  l'autre  monde;  il  n'en  continua  que 
plus  rapidement  à  faire  son  chemin  dans  celui-ci,  et  passa  bientôt  après 
ami  unique,  surintendant  de  toutes  les  terres  irriguées  du  roi.  Les  amis 
uniques  touchaient  de  très  près  à  la  personne  du  maître3.  Leur  place  était 
marquée  immédiatement  derrière  lui  dans  toutes  les  cérémonies,  place  d'hon- 
neur et  de  confiance  s'il  en  fut,  car  ceux  qui  l'occupaient  tenaient  littérale- 
ment sa  vie  entre  leurs  mains.  Us  préparaient  ses  promenades  et  ses  voyages, 
veillaient  à  ce  qu'on  observât  partout  le  cérémonial  convenable,  à  ce  que 
nul  accident  n'entravât  la  marche  du  cortège.  Ils  prenaient  garde  enfin  que 
les  nobles  ne  se  départissent  jamais  du  rang  précis  auquel  la  naissance  ou 
leur  charge  leur  valait  droit  :  la  tâche  exigeait  beaucoup  de  tact,  car  les 
questions  de  préséance  n'étaient  guère  moins  irritantes  en  Egypte  que  dans 

i.  Pour  l'explication  des  pièces  de  calcaire  données  à  Ouni,  voir  Maspero,  De  quelques  termes  étar- 
chitecture  égyptienne,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XI,  p.  309  sqq. 

2.  Mariette,  les  Mastabas  de  V Ancien  Empire,  p.  202-203;  cf.  Maspero,  De  quelques  termes  d 'ar- 
chitecture égyptienne,  dans  les  Proceedings,  t.  XI,  p.  30-4  sqq.  Sous  Papi  II,  Zàou.  prince  du  Mont- 
Serpent,  reçoit  du  roi  son  cercueil  et  le  linge  nécessaire  à  sa  momie  (Sayce,  Gleanings  from  tke 
Land  of  Egypt,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  66,  et  Maspero,  Sur  l'inscription  de  Zàou, 
ibid.,  p.  69-70). 

3.  Cette  définition  des  fonctions  de  Y  Ami  unique  me  parait  résulter  du  passage  même  de  l'inscrip- 
tion d'Ouni  (I.  8-9).  La  traduction  du  titre  Samirou  ouâiti  a  été  donnée  par  E.  de  Roi*g£,  Recherches 
sur  les  monuments,  p.  57  ;  sur  les  objections  qu'a  soulevées  Lkpage-Renouf,  On  the  priestly  Character 
of  the  Egyptian  Civilisation,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XII, 
p.  359,  cf.  Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  I,  p.  290,  note  1. 


LES  GUERRES  CONTRE  LES  HÏROU-SHÀlTOU.  419 

les  monarchies  modernes.  Ouni  s'en  tira  avec  tant  de  bonheur  qu'il  y  gagna 
un  emploi  plus  délicat  encore.  La  première  des  femmes  du  roi,  la  reine 
Amîtsi,  avait-elle  trempé  dans  quelque  conjuration  de  palais?  commit-elle 
une  infidélité  en  acte  ou  en  intention,  ou  se  trouva-t-elle  impliquée  dans 
l'un  de  ces  drames  fértiinins  qui  troublent  souvent  la  paix  des  harems?  Papi 
jugea  nécessaire  de  procéder  contre  elle  et  désigna  Ouni  pour  entendre  la 
cause  :  celui-ci  l'instruisit  seul  avec  son  secrétaire,  et  la  vida  si  discrètement 
que  nous  ne  savons,  ni  de  quelle  faute  on  accusait  Amitsi,  ni  quelle  fut  la 
conclusion  de  l'affaire1.  Il  ressentit  une  fierté  très  vive  d'avoir  été  choisi 
entre  tous,  et  ce  ne  fut  pas  sans  raison,  «  car,  disait-il,  ma  charge  était  de 
*  surintendant  des  bois  royaux ,  et  jamais  homme  de  ma  sorte  n'avait  été  initié 
aux  secrets  du  Royal  Harem,  auparavant,  jusqu'à  moi  ;  mais  Sa  Majesté  m'y 
initia,  parce  que  ma  sagesse  plaisait  à  Sa  Majesté  plus  que  celle  d'aucun  autre 
de  ses  liges,  plus  que  celle  d'aucun  autre  de  ses  mamelouks,  plus  que  celle 
d'aucun  autre  de  ses  serviteurs1  ». 

Ces  antécédents  ne  semblaient  pas  le  prédisposer  à  devenir  ministre  de 
la  guerre  ;  mais  en  Orient  on  estime  volontiers  qu'un  homme  qui  a  fait  ses 
preuves  d'habileté  dans  une  branche  de  l'administration  est  également  propre 
à  tout  dans  les  autres,  et  la  volonté  du  prince  transforme  le  scribe  adroit  en 
général,  du  jour  au  lendemain.  Personne  ne  s'en  étonne,  ni  lui-même  :  il 
accepte  sans  broncher  ses  fonctions  inaccoutumées,  et  s'y  distingue  souvent 
tout  autant  que  s'il  y  avait  été  nourri  dès  l'enfance.  Quand  Papi  eut  résolu 
d'infliger  une  leçon  aux  Bédouins  du  Sinai,  il  songea  aussitôt  à  Ouni,  son 
unique  ami,  qui  avait  conduit  si  prestement  le  procès  de  la  reine  Amitsi3. 
L'expédition  n'était  point  de  celles  qu'on  pouvait  terminer  avec  les  con- 
tingents des  nomes  frontières;  elle  exigeait  une  armée  considérable,  et  mit 
en  jeu  toute  l'organisation  militaire  du  pays.  «  Sa  Majesté  leva  des  soldats 
au  nombre  de  plusieurs  myriades,  dans  le  sud  entier  d'Éléphantine  au  nome 
de  la  Cuisse,  dans  le  Delta,  dans  les  deux  moitiés  de  la  vallée,  dans  chaque 
fort  des  forts  du  désert,  dans  le  pays  d'Iritît,  parmi  les  noirs  du  pays 
de  Mâza4,    parmi   les   noirs   du  pays   d'Amamît,   parmi  les  noirs   du   pays 

1.  Cet  épisode  de  la  vie  d'Ouni,  dont  E.  de  Rougé  n'avait  pas  pu  se  rendre  un  compte  exact  au 
moment  de  la  découverte  (Recherches  sur  les  monuments,  p.  121),  a  été  débrouillé  et  exposé  nettement 
par  Erman,  Commenlar  zur  Inschrift  des  Una,  dans  la  Zeitschrift,  1882,  p.  10-12. 

2.  Inscription  d'Ouni,  1.  11-13. 

3.  L'inscription  d'Ouni  dit  expressément  (1.  13)  que  Papi  !"  voulut  repousser  les  Bédouins.  L'expé- 
dition égyptienne  avait  donc  été  provoquée  par  quelque  attaque  antérieure  des  Nomades. 

4.  Le  texte  porte  Zama,  mais  c'est  une  inversion  fautive  des  deux  signes  qui  servent  à  écrire  le  nom 
de  Nâza  :  la  série  des  peuples  nubiens  ne  serait  pas  complète,  si  les  Mâzainu  n'y  figuraient  point. 


420  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

d'Ouaouaît,  parmi  les  noirs  du  pays  de  Kaaou,  parmi  les  noirs  du  To-Tàmou, 
et  Sa  Majesté  m'envoya  à  la  tête  de  cette  armée.  Certes  il  y  avait  là  des 
chefs,  il  y  avait  là  des  mamelouks  du  roi,  il  y  avait  là  des  amis  uniques  du 
Grand  Château,  il  y  avait  là  des  princes  et  des  régents  de  château  du  Midi  et 
du  Nord,  des  Amis  dorés,  des  directeurs  des  prophètes  du  Midi  et  du  Nord, 
des  directeurs  de  districts  à  la  tête  des  milices  du  Midi  et  du  Nord,  des  châ- 
teaux et  des  villes  que  chacun  régissait,  et  aussi  des  noirs  des  régions  que 
j'ai  mentionnées,  mais  c'était  moi  qui  leur  donnais  la  loi,  —  bien  que  mon 
emploi  fût  seulement  celui  du  surintendant  des  terres  irriguées  du  Pharaon, 
—  si  bien  que  chacun  d'eux  m'obéissait  comme  les  autres.  »  Ce  ne  fut  pas 
sans  difficulté  qu'il  encadra  cette  foule  disparate,  qu'il  l'équipa,  qu'il  l'ap- 
provisionna. 11  finit  par  ordonner  tout  pour  le  mieux  :  à  force  de  patience  et 
d'industrie,  «  chacun  prit  le  biscuit  et  les  sandales  pour  la  route,  et  chacun 
d'eux  prit  du  pain  dans  les  bourgs,  et  chacun  d'eux  prit  des  chèvres  chez  les 
paysans1  ».  11  rassembla  ses  forces  à  la  frontière  du  Delta,  dans  Vile  du  Nord, 
entre  la  Porte  d'Imhotpou  et  le  Tell  de  Horou  iiib-màit,  et  se  lança  dans  le 
désert1.  11  poussa  probablement  par  le  Gebel  Magharah  et  le  Gebel  Helal  jus- 
qu'à TOuady  el-Arîsh,  dans  le  pays  riche  et  peuplé  qui  s'étendait  alors  entre 
les  versants  septentrionaux  du  Gebel  Tih  et  le  sud  de  la  mer  Morte5  :  arrivé 
là,  il  se  comporta  avec  toute  la  rigueur  que  les  lois  de  la  guerre  autorisaient, 
et  rendit  largement  aux  Bédouins  les  mauvais  traitements  qu'ils  avaient  infli- 
gés à  l'Egypte.  «  Cette  armée  vint  en  paix,  elle  hacha  le  pays  des  Maîtres  des 
Sables.  Cette  armée  vint  en  paix,  elle  pulvérisa  le  pays  des  Maîtres  des 
Sables.  Cette  armée  vint  en  paix,  elle  démolit  leurs  douars.  Cette  armée  vint 
en  paix,  elle  coupa  leurs  figuiers  et  leurs  vignes.  Cette  armée  vint  en  paix, 
elle  incendia  les  maisons  de  tout  leur  peuple.  Cette  armée  vint  en  paix,  elle 

1.  Inscription  d'Ouni,  1.  11-21. 

2.  Sur  le  nom  de  ces  localités,  voir  la  remarque  d'Emux,  Der  Ausdruck  TP-HS,  dans  la  Zcitschrift, 
t.  XXIX,  p.  120,  note  1.  Dans  celui  de  la  dernière,  le  titre  de  double  Horou  tiib-mâtt  désigne 
Snofroui,  comme  l'a  fait  observer  K.  Sf.thk,  Ein  neuer  Horusnamc,  dans  la  Zeitschrift,  t.  XXX,  p.  62. 
Vile  du  Nord  et  les  deux  forteresses  devaient  être  situées  entre  Ismafliah  et  Tel-Défennéh,  au  point 
de  départ  des  voies  de  terre  qui  mènent  à  travers  le  désert  de  Tih;  cf.  p.  351  de  cette  Histoire. 

3.  L'habitat  des  tribus  contre  lesquelles  Ouni  Ht  la  guerre  me  parait  pouvoir  être  fixé  par  certains 
détails  de  la  campagne,  surtout  par  la  mention  des  enceintes  ovales  ou  rondes  —  ocaMt  —  dans  les- 
quelles elles  se  retranchaient.  Os  enceintes,  ces  douars,  répondent  aux  naouamis  qui  sont  mention- 
nés par  les  voyageurs  dans  ces  régions  (E.  II.  Palmkr,  the  Désert  of  Exodut,  p.  321-3*2),  et  qui  sonl 
fort  caractéristiques  (cf.  p.  352-353  de  cette  Histoire).  Les  Maîtres  des  Sables  d'Ouni  occupaient  les 
pays  k  naouamis,  soit  les  régions  du  Negeb  situées  sur  la  lisière  du  désert  de  Tih,  autour  d'Ain- 
Cadis  et  au  delà,  jusqu'à  l'Akabah  et  la  mer  Morte  (Maspero,  Soles  au  jour  le  jour,  §  30,  dans  les 
Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XIV,  1891-1892,  p.  326-327).  Dans  cette  hypothèse, 
la  route  suivie  par  Ouni  ne  peut  être  que  celle  qui  fut  découverte  et  décrite,  il  y  a  une  vingtaine 
d'années,  par  Holland,  A  Journey  on  foot  through  Arahia  Petrœa,  dans  les  Quarterly  Statcmcnts  du 
Palestine  Exploration  Fund,  1878,  p.  70-72,  et  Noies  to  arcompany  a  Map,  ibid.,  1884,  p.  4-15. 


LA  GUERRE  CONTRE  LE  PAYS  DE  TIBA.  42* 

y  égorgea  leurs  milices  par  myriades  nombreuses.  Cette  armée  vint  en  paix, 
elle  ramena  leur  population  en  grand  nombre,  comme  captifs  vivants,  de 
quoi  Sa  Majesté  me  loua  plus  que  de  toute  autre  chose.  »  Ces  malheureux, 
en  effet,  partaient,  aussitôt  pris,  pour  les  carrières  ou  pour  les  chantiers  de 
construction,  dispensant  le  roi  d'obliger  ses  sujets  égyptiens  à  des  corvées 
trop  fréquentes*.  «  Sa  Majesté  me  manda  cinq  fois  pour  guider  cette  armée, 
afin  de  pénétrer  dans  le  pays  des  Maîtres  des  Sables,  chaque  fois  qu'ils  se 
révoltaient  contre  cette  armée,  et  je  me  conduisis  si  bien  que  Sa  Majesté  me 
loua  par-dessus  tout1.  »  Les  Bédouins  se  soumirent  enfin,  mais  les  tribus 
qui  les  avoisinaient  vers  le  nord,  et  qui  sans  doute  leur  avaient  prêté 
secours,  menaçaient  de  disputer  à  l'Egypte  la  possession  des  territoires 
qu'elle  venait  de  conquérir.  Comme  elles  touchaient  à  la  Méditerranée,  Ouni 
s'avisa  de  les  attaquer  par  la  voie  de  mer  et  rassembla  une  flotte  sur  laquelle 
il  embarqua  son  monde3.  Les  troupes  abordèrent  à  la  côte  du  canton  de 
Tiba4,  au  nord  du  pays  des  Maîtres  des  Sables,  puis  «  elles  se  mirent  en 
chemin.  J'allai,  je  frappai  tous  les  barbares  et  je  tuai  tous  ceux  d'entre  eux 
qui  résistaient.  »  Au  retour,  Ouni  obtint  la  faveur  la  plus  éclatante  qui  pût 
être  concédée  à  un  sujet,  le  privilège  de  porter  une  canne  et  de  garder  ses 
sandales  dans  le  palais,  en  présence  de  Pharaon8. 

Ces  guerres  avaient  rempli  la  fin  du  règne  ;  la  dernière  dut  précéder  de  fort 
peu  la  mort  du  souverain6.  L'administration  intérieure  de  Papi  Ier  paraît  ne 
pas  avoir  procuré  des  résultats  moins  heureux  que  son  activité  au  dehors.  11 
exploita  les  mines  du  Sinai  avec  suite,  les  soumit  à  des  inspections  régu- 
lières, et   en  tira  une  abondance  de   minerais   inusitée   :   la  mission  qu'il 

i .  E.  de  Rolgé,  Recherche*  sur  les  monuments  qu'on  peut  attribuer  aux  six  premières  dynasties ,  p.  1 28. 

2.  Inscription  a" Ouni,  1.  23-28.  L'expression  vint  en  paix,  que  notre  texte  répète  avec  insistance, 
doit  être  comprise  de  la  même  manière  que  son  correspondant  arabe  bïs-salamah,  et  signifie  que 
l'expédition  réussit,  non  pas  qu'elle  ne  rencontra  aucune  résistance  de  la  part  des  ennemis. 

3.  Voir  une  description  des  navires  égyptiens,  p.  392  de  cette  Histoire,  et  la  figure  qui  est  donnée 
de  l'un  d'eux  à  la  p.  393  :  comme  il  est  dit  en  cet  endroit,  les  vaisseaux  de  haute  mer  ne  devaient 
pas  différer  sensiblement  des  grandes  barques  en  usage  sur  le  Nil  vers  la  même  époque. 

A.  Le  nom  avait  été  lu  d'abord  Takhiba  (K.  de  Roigk,  Recherches  sur  les  Monuments,  p.  125).  La 
lecture  Tiba  (Maspkro,  Notes  sur  quelques  points  de  Grammaire  et  a" Histoire,  dans  la  Zeilschrift,  1883, 
p.  64)  a  été  contestée  (Piebl,  Varia,  dans  la  Zeilschrift,  1888,  p.  111),  sans  raison,  je  crois  (Maspero, 
Inscription  of  Uni,  dans  les  Records  of  the  Pasl,  2"-  Séries,  t.  II,  p.  8,  note  2).  Krall  (Studien  zur 
Geschichte  des  Allen  Mgyptens,  III,  p.  22)  l'identifie  avec  le  nom  de  Tcboui,  qui  se  rencontra  dans  un 
texte  d'Edfou  (OTmichen,  Tempel-lnschriften,  t.  I,  pi.  LXX1II,  2,  et  Oie  Oasen  der  libyschen  Wiiste, 
pi.  XVI  e),  mais  que  Brugsch  (Reise  nach  der  Grossen  Oase,  p.  92)  ne  sait  où  placer.  Le  passage  de 
l'inscription  d'Ouni  (I.  30-31),  qui  nous  apprend  que  le  pays  de  Tiba  était  au  nord  du  pays  des  Mot- 
ires  des  Sables,  nous  oblige  à  y  reconnaître  le  canton  qui  s'étend  entre  le  lac  de  Sirbon  et  Gaza, 
probablement  les  parties  septentrionales  de  l'Ouady  el-Artsh,  et  le  pays  voisin  en  marchant  vers  l'Est. 

5.  E.  de  Rougé,  Recherche*  sur  les  Monuments,  p.  128.  Sur  les  guerres  entreprises  en  ce  temps-là 
contre  les  Maîtres  des  Sables,  cf.  Krall,  Die  Vorlaufer  der  Hyksos,  dans  la  Zeilschrift,  1879,  p.  64-67. 

6.  Cela  paraît  résulter  de  ce  fait  qu'immédiatement  après  la  mention  des  récompenses  reçues  pour 
ses  victoires,  Ouni  passe  à  l'énumération  des  faveurs  que  le  Pharaon  Mirnirt  lui  accorda  (I.  32-33). 


422  I/EMPIRE  MEMPHITE. 

y  envoya  Tan  XVIII  y  laissa  un  bas-relief,  où  les  victoires  d'Ouni  sur  les 
barbares  et  les  concessions  de  territoire  faites  à  la  déesse  Hâthor  sont  rap- 
pelées1. Le  travail  ne  chôma  point  aux  carrières  de  Hatnoubou1  et  de 
Rohanou8;  les  constructions  se  multiplièrent,  à  Memphis  où  Ton  préparait 
la  pyramide*,  dans  Abydos  où  l'oracle  d'Osiris  attirait  déjà  de  nombreux 
pèlerins5,  à  Tanis8,  à  Bubaste7,  à  Héliopolis8.  Le  temple  de  Dendérah  tombait 
en  ruines  :  on  le  restaura  sur  les  plans  primitifs  qu'on  découvrit  par  hasard', 
et  cette  piété  envers  Tune  des  divinités  les  plus  vénérées  fut  récompensée 
comme  elle  méritait  de  l'être,  par  l'insertion  dans  le  cartouche  royal  du 
titre  de  fils  d'Hàthor10.  Les  vassaux  rivalisaient  d'activité  avec  le  suzerain, 
et  édifiaient  partout,  pour  leur  servir  de  résidence,  des  villes  nouvelles,  dont 
plusieurs  reçurent  son  nom11.  La  mort  de  Papi  Ier  n'arrêta  point  cet  élan  : 
Faîne  des  deux  fils  qu'il  avait  eus  de  sa  seconde  femme,  Mirirî-ônkhnas,  lui 
succéda  sans  obstacle".  Mirnirî  Mihtimsaouf  Ier  (Métésouphis)13  était  presque 
un  enfant  lorsqu'il  monta  sur  le  trône.  Il  n'eut  aucune  révolte  à  réprimer 
chez  les  Bédouins  récemment  vaincus  :   la  mémoire  des  défaites  était  trop 

1.  Lepsius,  Denkm.,  II,  116  a;  Lottin  de  Laval,  Voyage  dans  la  péninsule  Arabique,  Ins.  hier.,  pi.  I. 
n°  2;  Account  of  the  Survey,  p.  173-174.  Le  roi  est  représenté  courant,  comme  dans  les  scènes  de 
fondation  d'un  temple,  ce  qui  paraît  montrer  qu'il  prétendait  avoir  construit  la  chapelle  de  la  déesse: 
la  légende  nous  apprend  de  plus  qu'il  avait  donné  un  champ  aux  dieux  locaux,  à  propos  du  jubilé 
solennel  qu'il  célébra  pour  la  première  fois  cette  année-là,  à  la  date  anniversaire  de  son  avènement. 

2.  Blackden-Krazer,  Collection  of  Hieratic  Graffiti  from  the  Alabaster  Quarry  of  Hat-nub,  pi.  XV, 
i,  4,  sans  doute  à  propos  de  la  mission  d'Ouni  dont  il  est  parlé  à  la  p.  433  de  cette  Histoire. 

3.  Lepsius,  Denkm.,  II,  115  a-c,  e,  g,  i-k\  Burton,  Excerpla  hieroglyphica,  pi.  X;  Prisse  d'Avexxes. 
Monuments,  pi.  VI,  4;  cf.  Maspero,  les  Monuments  Égyptiens  de  la  Vallée  de  Hammamâl, dans  la  Bévue 
Orientale  et  Américaine,  1877,  p.  330  6qq. 

4.  Elle  a  été  publiée  par  Maspero,  la  Pyramide  de  Papi  /•',  dans  le  Hecueilde  Travaux,  t.  V,  VU,  VIII. 

5.  Voir  dans  Mariette,  Catalogue  Général  des  Monuments  d' Abydos,  p.  83-92,  les  monuments  du 
temps  de  Papi  I*r  qui  montrent  combien  la  vie  publique  était  déjà  active  dans  cette  petite  ville. 

6.  Pétrie,  Tanis  II,  pi.  I,  2;  cf.  p.  416,  note  8  de  cette  Histoire,  où  l'inscription  est  déjà  citée. 

7.  Ed.  Naville,  Bubastis,  pi.  XXXII  c-d  et  p.  5-8. 

8.  Pline  raconte  qu'un  obélisque  fut  élevé  dans  cette  ville  a  Phio,  par  Phios,  qui  est  Papi  Ier  (Plise, 
//.  Nat.,  XXXVI,  8,  67)  :  il  avait  emprunté  ce  renseignement  à  quelque  écrivain  alexandrin. 

9.  DOmichen,  Bauurkunde  der  Tempelanlagen  von  Dendera,  pi.  XV,  1.  36-40  et  p.  18-19;  Mariette, 
Dendérah,  t.  III,  pi.  71-74,  et  Texte,  p.  54  sqq.;  cf.  les  observations  présentées  par  Chaba$,  Sur 
l'antiquité  de  Dendérah,  dans  la  Zeitschrift,  1865,  p.  92-98. 

10.  On  lit  ce  titre  sur  les  blocs  trouvés  à  Tanis  et  à  Bubastis;  cf.  E.  de  Rolgé,  Becherches  sur  les 
Monuments,  p.  115-116,  Naville,  Bubastis,  pi.  XXX,  t.  I,  c-d,  p.  5-8,  aussi  p.  416  de  cette  Histoire. 

11.  Ainsi  Hâlt-Papi,  —  la  Ferté-Papi%  —  dans  le  nome  Hermopolitain  (Lepsius,  Denkm.,  Il,  112  rf-e). 

12.  La  généalogie  de  toute  cette  famille  a  été  établie  par  E.  de  Rougé  (Becherches  sur  tes  Monu- 
ments, p.  129-184),  d'après  les  monuments  découverts  par  Mariette  à  Abydos.  La  reine  Mirirt-ôokhnas 
était  fille  de  Khoui  et  de  la  dame  Nibtt,  qui  parait  avoir  été  de  race  royale  et  avoir  apporté  à  son  mari 
les  droits  qu'elle  possédait  à  la  couronne  (E.  de  Rougé,  Becherches  sur  les  Monuments,  p.  132,  note  1  : 
cf.  p.  274,  note  1,  de  cette  Histoire)',  elle  avait  pour  frère  un  certain  Zàou  (Mariette,  Abydos.  t.  I. 
pi.  2  a,  et  Catalogue  Général,  p.  84,  n°  523),  le  même  dont  le  fils  fut  prince  du  Mont-Serpent  sous 
Papi  11  (Maspero,  Sur  l'inscription  de  Zàou,  dans  le  Becueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  68).  Elle  eut  de 
Papi  I-r  deux  fils,  qui  tous  les  deux  succédèrent  à  leur  père,  Métésouphis  I"r  et  Papi  H. 

13.  Le  nom  a  été  lu  successivement  Mentcmsaf  (Mariette,  la  Nouvelle  Table  d' Abydos,  p.  16;  cf. 
Bévue  Archéologique,  2*  série,  t.  XIII,  p.  88),  Hourcmsaf  (Brugsch,  Zwei  Pyramiden  mit  Inschriften, 
dans  la  Zeitschrift,  1881,  p.  9),  Sokarimsaf  (Maspero,  Guide  du  Visiteur,  p.  347,  n°  5150,  et  peu).  La 
véritable  lecture  Mihtimsaf,  ou  plutôt  Mihtimsaouf,  fut  signalée  presque  en  même  temps  par  Lauth 
{Pyramiden texte,  p.  317-318;  cf.  Sitzungsbcric.hle  de  l'Académie  de  Munich,  1881,  t.  Il)  et  par  Maspero. 


MÊTÉS0UPH1S  I".  423 

fraîche  encore  chez  eux,  pour  qu'ils  songeassent  à  profiter  de  sa  minorité 
et  à  se  remettre  en  campagne.  Ouni  d'ailleurs  était  là,  prêt  à  recommencer 
les  razzias  à  la  moindre  alerte  :  Métésouphis  l'avait  confirmé  dans  toutes  ses 
charges  et  même  lui  en  avait  accordé  de  nouvelles.  «  Pharaon  m'institua 
gouverneur  général  de  la  Haute-Egypte,  d'Êléphantine  au  sud  jusqu'à  Létopolis 
au  nord,  parce  que  ma  sagesse  plaisait  à  Sa  Majesté,  parce  que  mon  zèle 
plaisait  à  Sa  Majesté,  parce  que  le  cœur  de  Sa  Majesté  était  content  de 
moi....  Quand  je  fus  en  ma  place,  j'étais  au-dessus  de  tous  ses  liges,  de  tous 
ses  mamelouks  et  de  tous  ses  servants,  car  jamais  dignité  pareille  n'avait  été 
confiée  auparavant  à  un  simple  sujet.  Je  remplis  à  la  satisfaction  du  roi 
mon  rôle  de  surintendant  du  Sud,  si  bien  qu'on  m'accorda  d'être  le  second  en 
rang  à  côté  de  lui,  accomplissant  tous  les  devoirs  d'un  chef  de  travaux,  jugeant 
toutes  les  causes  que  l'administration  royale  avait  à  juger  dans  le  sud  de 
l'Egypte  comme  second  juge,  à  toute  heure  fixée  à  l'administration  royale 
pour  rendre  jugement  dans  ce  sud  de  l'Egypte  comme  second  juge1;  réglant 
en  tant  que  gouverneur  tout  ce  qu'il  y  avait  à  faire  dans  ce  sud  de  l'Egypte*.  » 
L'honneur  de  convoyer  les  blocs  de  pierre  dure  destinés  à  la  pyramide  lui 
revenait  de  droit  :  il  alla  chercher  le  granit  du  sarcophage  et  de  son  couvercle 
aux  carrières  d'Abhaît8  vis-à-vis  de  Séhel,  et  l'albâtre  de  la  table  d'offrandes 
dans  celles  de  Hâtnoubou.  Le  transport  de  la  table  présentait  des  difficultés 
considérables,  car  le  Nil  était  bas  et  la  pierre  gigantesque  :  Ouni  fabriqua 
sur  place  un  ponton  où  la  charger,  et  l'amena  promptement  à  Saqqarah, 
malgré  les  bancs  de  sable  dont  le  fleuve  s'obstrue  à  l'étiage4.  11  ne  s'en  tint 
pas  là  :  les  Pharaons  n'avaient  pas  encore  d'escadre  en  Nubie,  et  s'ils  en 
eussent  possédé  une,  l'état  du  chenal  les  aurait  empêchés  de  la  faire  évoluer 
d'un  côté  à  l'autre  de  la  cataracte.  Il  demanda  du  bois  d'acacia  aux  tribus 
du   désert,   aux  gens  d'Iritit,   d'Ouaouaît,   aux  Màziou,  mit  ses  navires  en 

1.  Le  premier  juge  était  naturellement  le  Pharaon  lui-même  :  Ouni  dit  donc  à  sa  façon  qu'il  reçut, 
pour  les  exercer  dans  la  Haute-Egypte,  les  pouvoirs  d'un  vice-roi.  Sur  le  droit  dont  jouissaient  les 
administrateurs  politiques  de  rendre  la  justice  dans  leur  circonscription,  cf.  p.  336  de  cette  Histoire. 

2.  Inscription  d'Ouni,  1.  34-37. 

3.  Abhatt  est  peut-être  Mahallah,  en  face  de  Sehel,  où  Ton  trouve  des  filons  de  granit  gris  assez 
puissants  (Maspero,  De  quelques  termes  d'architecture  égyptienne,  p.  8,  note  1,  dans  les  Proceedings 
de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XI,  p.  311).  M.  Schiaparelli  (la  Catena  Orientale  delV  Egitlo, 
p.  31,  note  2)  identifie  cette  localité  avec  un  pays  d'Abhaît  qui  est  placé  au  voisinage  de  l'Ouady 
Hammamàt,  en  plein  désert  :  l'inscription  d'Ouni  constate  (I.  41-42)  que  l'Abhalt  d'Ouni  était 
accessible  aux  bateaux,  comme  Éléphantine  elle-même,  ce  qui  permet  d'écarter  cette  hypothèse. 

4.  Inscription  d'Ouni,  1.  37-45.  M.  Pétrie  (A  Season  in  Egypt,  1887,  p.  19-21)  a  essayé  de  prouver, 
par  le  passage  relatif  au  transport,  que  l'époque  du  règne  de  Papi  lur  devait  être  3240  av.  J.-C,  à 
soixante  ans  près  :  la  date  est,  je  crois,  de  quatre  siècles  au  moins  trop  rapprochée  de  nous.  C'est 
peut-être  à  ce  voyage  d'Ouni  que  se  rapporte  l'inscription  de  l'an  V  de  Métésouphis  1er  recueillie  par 
BlackdeN'Frazbr,  Collection  of  Hier  a  tic  Graffiti  front  the  Alabasler  Quarry  of  Hatnub,  pi.  XV,  2. 


4M  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

chantier,  construisit  en  un  an  trois  galères  et  deux  grands  chalands  ;  pendant 

ce  temps,  les  riverains  avaient  dégagé  cinq  chenaux  par  où  la  flottille  défila  et 

s'achemina  vers  Memphis  avec  son  lest  de  granit'.  Ce  fut  le  dernier  exploit 

d'Ouni  :   il  mourut   peu   après  et   fut  enterré 

au  cimetière  d'Abydoa,  dans  le  sarcophage  que 

Papi  1"  lui  avait  donné*. 

Était-ce  seulement  dans  l'intérêt  de  la  pyra- 
mide qu'il  avait  rétabli   la    voie   d'eau   entre 
l'Egypte  et  la  Nubie?  Les  Égyptiens  gagnaient 
chaque  jour  du  terrain  vers  le  sud,  et  la  ville 
d'Éléphantine  devenait  entre  leurs  mains  l'en- 
trepôt du  commerce  avec  le  Soudau'.  Elle  n'oc- 
cupait pourtant  que  la  moindre  partie  d'une  île, 
longue,  mince,  mignonne,  assise  sur  plusieurs 
blocs  de  granit,  que  des  bancs  de  sable  avaient 
soudés  progressivement  l'un  à  l'autre,  et  par- 
dessus lesquels  le  Nil  avait  jeté  de  temps  immé- 
morial une  couche  épaisse  de   son  limon.  Des 
acacias,  des  mûriers,  des  dattiers,  des  palmiers- 
doums  l'ombragent,  ici  alignés  en  haies  au  bord 
des  sentiers,  là  semés  par  groupes  au  milieu 
des   champs.  Une    demi-douzaine  de  sakièhs, 
rangées  en  batterie  sur  la  rive,  montent  l'eau 
nuit  et  jour,  sans  presque  interrompre  leur  grincement  monotone.  Les  habi- 
tants ne  perdent  pas  un  pouce  de  leur  étroit  domaine  ;  ils  ont  aménagé  partout 
où  ils  ont  pu  de  petites  pièces  de  dourah  et  d'orge,  des  plants  de  bersim,  des 
carrés  de  légumes.  Quelques  buffles  et  quelques  vaches  paissent  discrètement 
dans  des  coins,  des  poulets  et  des  pigeons  innombrables  s'en  vont  par  bandes 
à  la  maraude.  C'est  un  monde  en  miniature,  tranquille  et  doux,  où  la  vie 

1.  Iiucriplioii  d'Ouni,  I.  4S-S0.  Sur  les  traïaui  de  canalisation  exécutés  par  Ouni  dam  la  première 
cataracte,  cf.  la  note  de  Maspero  dans  le  Recueil  de  Traçait*.  t.   XIII,  p.  403-104. 

ï.  Papî  11  Piolirkert  n'est  nommé  nulle  part  dans  l'inscription,  ce  qui  montre  qu'Ount  ne  vit  pis  son 
règne.  Le  tombeau  d'Ouni  était  construit  en  forme  de  Mastaba  :  il  se  dressait  au  sommet  de  la  rol- 
linc  qui  domine  ce  que  Mariette  appelait  la  nécropole  du  Centre  (Huietti,  Catalogue  Général,  p.  SI. 
il"  5«).  La  stèle  d'Ouni  est  au  Musée  de  Gizch  {Mariette,  Catalogue  (.entrai,  p.  90,  n>  519). 

3.  L'importance  croissanlc  d'f.lép  nanti  ne  csl  attestée  et  par  les  dimensions  des  tombes  que  se- 
pririri's  fe  tirent  construire,  et  par  le  nombre  de  uraftiti  commémorant  des  visites  de  prince  et  de  fonc- 
tionnaires qui  nous  restent  de  celte  époque  (Petme,  A  Seal  on  jn  Eggpt.  pi.  XII,  n»  309,  311-31*). 

4.  Plan  dretsé  par  Thuiilier.  d'aprèi  ta  Carte  de  ta  Comminion  d'Egypte  [Aat.,  t.  I,  pi.  31) 
comparée  aux  relevât  opérât  par  M.  de  Morgan  pendant  l'hiver  de  IS9S. 


ÊLÊPHANTINE  ET  SES  SEIGNEURS. 


jours  verts.  La  ville  antique  se  serrait        ..  , 

contre  la  pointe  sud,  haut  placée  sur  un 

plateau  de  granit  à  l'abri  des  crues'.  Les  restes  en  ont  huit  cents  mètres  de 
circuit  et  s'accumulent  autour  d'un  temple  ruiné  de  Khnoumou,  dont  les 
parties  les  plus  anciennes  ne  remontent  pas  au  delà  du  xvi"  siècle  avant  notre 
ère'.  Elle  était  ceinte  de  murs,  et  un  château  en  briques  sèches,  perché  au 
sud-ouest  sur  un  îlot  voisin,  lui  permettait  d'ouvrir  ou  de  fermer  à  son  gré 
les  débouchés  de  la  cataracte.  Un  bras  d'eau  large  de  quatre-vingt-douze 
mètres  la  séparait  de  Souaoît,  dont  les  maisons  pressées  s'étageaient  à  l'Est 
sur  les  escarpements  de  la  berge  comme  un  faubourg*.  Des  pâturages  maré- 
cageux envasaient  l'emplacement  de  la  Syène  actuelle,  puis  des  jardins,  des 
vignes  qui  produisaient  un  vin  célèbre  par  l'Egypte  entière",  une  forêt  de 
dattiers  courant  au  nord  le  long  du  fleuve.  Les  princes  du  nome  de  Nubie, 
campés  pour  ainsi  dire  aux  avant-postes  de  la  civilisation,  entretenaient  avec 
les  peuples  du  désert  des  rapports  fréquents,  mais  variables.  Ils  ne  se  gênaient 
guère  pour  lancer  à  l'occasion  des  colonnes  de  troupes  sur  la  droite  ou  sur  la 
gauche  de  la  vallée,  vers  la  mer  Bouge  ou  vers  les  Oasis  :  si  peu  que  ces 

I.  Dettin  de  Boudier,  d'apret  une  photographie  tir  lUato.  Sur  les  premiers,  plans,  les  ruines  du  mâle 
romain  en  briques  qui  détendait  l'entrée  du  port  de  Syène:  au  fond,  la  montagne  Libjqne,  couronnée 
par  le»  ruine»  de  plusieurs  mosquées  el  d'un  couvent  copte.  Cf.  la  vignette  p.  A3!  de  celle  Hùloirr, 

ï.  Joui».,  Detcriplioa  de  Me  d'Elfp/iautinr,  dans  la  Description  de  l'Egypte,  t.  I,  p.  175-181. 

3.  ("est  une  porte  en  granit  rouge,  du  règne  de  Thoulmosi*  III,  mais  restaurée  et  remaniée  sous 
Alexandre  le  Macédonien  :  les  autres  ruines  remontent  pour  la  plupart  au  temps  d'AmëiidUiès  III. 

i.  Sur  l'einplaccmenlquc  la  Syène  Pharaonique  et  r.réco-llomaine  occupait  par  rapport  à  la  moderne, 
et.  Jonian,  Description  de  Sytue  et  det  Cataracte»,  dans  la  Dctcription  de  l'Egypte,  t.  I,  p.  1Ï8  sqq, 

5.  Brugscb  (licite nach  der  Grotte*  Oate cl-Khargeh,  p.  91)  pense  que  ce  vin  venait  non  pns  d'AssouSn 
près  la  cataracte,  mai*  d'une  Syène  inconnue,  située  au  voisinage  d'Alexandrie,  dans  le  nome  Maréolique. 


«6  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

razzias  leur  rapportassent,  des   bœufs,  des  esclaves,  du  bois,  du  charbon, 
quelques  onces  d'or,  des  améthystes,  de  la  cornaline,  du  feldspath  vert  dont 
on  fabriquait  des  bijoux,  c'était  toujours  autant  de  gagné,  et  le  trésor  princier 
en    faisait   son   profit.   Mais   leurs 
expéditions   n'allaient  jamais  bien 
loin  :  voulaient-ils  frapper  un  coup 
à  distance,  atteindre  par  exemple 
ces  régions   du   Pouanit   dont    les 
barbares  leur  vantaient  l'opulence, 
l'aridité  des  cantons  qui  entourent 
la  deuxième  cataracte  arrêtait  leurs 
fantassins,   et  les  rapides  d'Ouadv 
Halfah  opposaient  à  leurs  vaisseaux 
un  obstacle  presque  infranchissable, 
ils  ne  recouraient  plus  aux  armes 
dès   qu'il    s'agissait   d'opérer    aux 
pays  lointains,  et  ils  se  déguisaient 
en  marchands  pacifiques.  Lne  route 
facile  les  menait  presque  droit  de 
leur  capitale  au   Ras  Banàt  sur  la 
mer  Rouge1,  qu'on  appelait  la  Tète 
de  Nekhabîl  :  débouchés  à  l'endroit 
où  s'éleva  plus  tard  une  des  nom- 
breuses Bérénice,  ils  construisaient  rapidement  une  barque  avec  le  bois  des 
forêts  claires  du  voisinage,  et  s'aventuraient  le  long  des  côtes,  au  nord  jus- 
qu'au   Sinai  et  chez  les   Hirou-Shàitou,   au   sud  jusqu'au    Pouànit  même1. 
La  petitesse  de    ces  bateaux  improvisés  leur  rendait  les  croisières  dange- 
reuses et  le  bénéfice  médiocre;  aussi  préféraient-ils  le  plus  souvent  la  voie  de 
terre.   Elle  était  fatigante,  interminable  :   les  baudets,  les  seules   bêtes  de 
somme   que  l'on  connût  ou   que   l'on   employât,    ne   fournissaient  que  des 
étapes  assez  brèves,  et  l'on  usait  des  mois  et  des  mois  à  parcourir  des  con- 

1.  C'ait  la  roule  parcourue  en  1883  el  décrite  par  Colési^.beff.  Une  Excurêion  à  Bérénice,  dans  le 
Recueil  île  Travaux,  l.  XIII,  p.  89-93,  à  son  retour  de  Bérénice.  Les  graffiti  arabes  dont  les  ruchers 
de  certains  Ouadys  sont  emiuirt»  munirent  qu'elle  a  été  fréquentée  presque  jusqu'à  nos  jours. 

t.  Plan  île  Thuillier,  iTaprèê  la  Deirriplion  de  l'F.gijnle,  Ant.,  t.  l.pl.  ,10,  ».  J'ai  ajouté  ceux  des 
noms  antiques  qu'il  est  possible  d'identifier  aujourd'hui  avec  l'une  ou  l'autre  des  localité*  modernes. 

3.  C'est  ce  que  fit  l'un  des  membres  de  la  famille  princière  d  f.lcphanlinc,  Pnpiiukliltl,  sous  Papi  II 
(cf  p.  434-435  de  cette  Hiltoire),  el  l'on  peut  conclure  de  la  façon  (ton!  l'inscription  de  son  tombeau 
parle  de  celte  cnlreprise,  que  son  cas  ne  paraissait  pas  extraordinaire  à  ses  contemporains 


LES  EXPLORATIONS  DES  SEIGNEURS  D  ÊLÉPHANTÏNE. 


trées  qu'une  caravane  de  chameaux  traverse  maintenant  en  quelques 
semaines'.  Les  routes  où  l'on  se  risquait  étaient  celles  que  les  sources  ou  les 
puits  jalonnaient  à  intervalles  très  rapprochés,  et  la  nécessité  d'abreuver  sou- 
vent les  ânes,  l'impossibilité  d'emporter  avec  eux  des  réserves  d'eau  consi- 
dérables, obligeaient  le  voyageur  à  suivre  des  itinéraires  sinueux  et  compli- 


qués. On  choisissait  pour  l'échange  les  objets  qui  valaient  beaucoup  sous  un 
petit  volume  et  avec  un  poids  très  léger.  C'étaient  du  côté  des  Égyptiens  les 
pacotilles  de  verroterie,  de  bijoux,  de  coutellerie  grossière,  les  parfums  vio- 
lents, les  rouleaux  de  toile  blanche  ou  colorée,  qui  plaisent  encore  après 
cinquante-cinq  siècles  aux  peuplades  africaines1.  Les  indigènes  payaient  ces 
trésors  inappréciables  avec  de  l'or  en  poudre  ou  en  barre,  avec  des  plumes 
d'autruche,  des  peaux  de  lions  ou  de  léopards,  des  dents  d'éléphant,  des  eau - 
ries,  des  billots  de  bois  d'ébène,   de  l'encens,  de  la  gomme  arabique'.  On 

I.  L'ffisloire  du  Payan  des  Papyrus  rie  Berlin  a"  Il  et  IV  nous  oITrc  un  bon  exemple  de  l'usage 
des  baudets  ;  le  héros  se  rendait  de  l'Ouady  Nalroun  a  llénassièh,  à  travers  le  désert,  avec  une  paco- 
tille (]ii  il  comptait  vendre,  quand  un  artisan  peu  scrupuleux  lui  vola,  bous  un  prétexte  futile,  sa 
bande  de  sommiers  et  leur  charge  (>I«speso,  Contes  populaire»  de  l'Egypte  Ancienne,  *■  éd.  p.  41-13). 
Ilirkhouf  ramena  de  l'un  de  ses  voyages  une  caravane  de  trois  cents  ânes,  cf.  p,  133  de  cette  Hittoirc. 

ï.  Destin  de  Faueher-Giidin,  d'après  une  photographie  de  Gotfnitcheff. 

3.  Ce  sont  les  objets  représentes  dans  les  has-reliefs  du  temple  de  Déir  el-Bnharl  comme  servant  à 
l'échange  entre  les  matelots  Egyptiens  et  les  gens  du  l'onanft,  au  xvii*  siècle  avant  notre  ère.  sous  la 
reine  llàtshopsllou  de  la  XVII  l*  dynastie  (MaRIOTi,  Deir-el-Bahart,  pi.  V). 

i.  Voir  l'énumération  des  denrées  que  Ilirkhouf  rapporta  avec  lui  lors  de  son  dernier  voyage,  dans 
Sem «pji ull i,  Una  Tomba  Egitiana  inedita,  p.  Ï3,  I.  4-5  ;  cf.  les  pages  433-433  de  celte  Hutoire. 


42*  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

attachait  assez  de  prix  aux  cynocéphales  et  aux  singes  verts,  dont  les  rois  ou 
les  seigneurs  se  divertissaient  et  qu'ils  exposaient  enchaînés  au  pied  de  leur 
chaise  les  jours  de  réception  solennelle  ;  mais  le  nain,  le  Danga,  était  la  mar- 
chandise rare,  qu'on  demandait  toujours,  sans  presque  jamais  l'obtenir1. 
Moitié  commerce,  moitié  pillage,  les  barons  d'Éléphantine  s'enrichirent  vite 
et  commencèrent  à  faire  bonne  figure  parmi  la  noblesse  du  Said  :  il  leur  fallut 
bientôt  prendre  des  précautions  sérieuses  contre  la  convoitise  que  leur  fortune 
excitait  parmi  les  tribus  du  Konousit*.  Ils  se  retranchèrent  derrière  une 
muraille  en  briques  sèches  longue  de  douze  kilomètres,  et  dont  les  ruines 
étonnent  encore  les  voyageurs.  Elle  s'appuyait  vers  le  nord  aux  remparts  de 
Syène  et  suivait  assez  régulièrement  le  fond  de  la  vallée  qui  aboutit  au  port  de 
Mahatta,  en  face  de  Philae  :  des  gardiens,  échelonnés  sur  son  parcours,  guet- 
taient la  montagne  et  criaient  aux  armes  dès  qu'ils  apercevaient  l'ennemi*.  La 
population  se  sentait  à  l'aise  derrière  ce  boulevard,  et  pouvait  exploiter  sans 
crainte  les  carrières  de  granit  pour  le  compte  de  Pharaon  ou  poursuivre  en 
sécurité  le  métier  de  pécheurs  ou  de  matelots.  Les  habitants  du  village  de 
Satit  et  des  ilôts  voisins  revendiquaient  de  toute  antiquité  le  privilège  de 
piloter  les  navires  qui  remontent  ou  descendent  le  rapide,  et  de  nettoyer  les 
passes  qui  servent  à  la  navigation4.  Us  travaillaient  sous  la  protection  de  leurs 
déesses  Anoukit  et  Satît  ;  les  voyageurs  de  rang  sacrifiaient  dans  le  temple 
qu'elles  avaient  à  Séhel5  et  gravaient  sur  les  rochers  un  proscynème  en  leur 
honneur,  pour  les  remercier  de  leur  avoir  accordé  une  traversée  heureuse. 
On  rencontre  leurs  griffonnages  partout,  à  l'entrée,  à  la  sortie,  sur  les  îlots  où 
ils  s'amarraient  chaque  soir,  pendant  les  quatre  ou  cinq  jours  que  la  traversée 
durait  ;  la  berge  du  fleuve  entre  Éléphantine  et  Philae  est  comme  un  album  immense 
où  toutes  les  générations  de  l'Egypte  antique  se  sont  inscrites  tour  à  tour6. 

1.  DPnichen,  Geographische  Inschriften,  t.  I,  XXXI,  1.  1,  où  il  est  question,  à  l'époque  des  Ptolémées, 
des  Nains,  des  Pygmées  qui  viennent  à  la  cour  du  roi  pour  servir  dans  sa  maison  (Df  miches,  Geschickte 
des  Allen  /Egyptens,  p.  9,  note  1).  Diverses  nations  de  petite  taille,  qui  ont  été  refoulées  depuis  lors 
dans  le  bassin  supérieur  du  Congo,  s'étendaient  jadis  plus  haut  vers  le  nord  et  habitaient  entre  le 
Darfour  et  les  marais  du  Bahr-el-Ghazàl.  Pour  le  Danga,  cf.  ce  qui  est  dit  à  la  p.  397  de  cette  Histoire. 

2.  L'inscription  attribuée  au  roi  Zosiri  dit  expressément  que  le  mur  fut  construit  pour  s'opposer 
aux  attaques  des  gens  du  Konousit  (I.  11  ;  cf.  Brlgsch,  Die  sieben  Jahrc  der  Hungersnoth,  p.  55-56). 

3.  Lancret,  Description  de  Vile  de  Phi  las,  dans  la  Description  de  C  Egypte,  t.  I,  p.  5-7.  Lancret  avait 
reconnu  la  haute  antiquité  de  cette  muraille,  dont  Letronne  prétendit  ensuite  rabaisser  la  construction 
jusqu'au  temps  de  Dioctétien  (Recueil  de»  Inscriptions  grecques  et  latines  de  l'Egypte,  t.  H,  p.  211  sqq.). 
J'ai  déjà  eu  occasion  de  dire  qu'elle  était  beaucoup  plus  vieille  qu'on  ne  croyait  (Recueil  de  Tra- 
vaux, t.  XIII,  p.  204),  mais  je  n'avais  pas  osé  la  faire  remonter  plus  haut  que  la  XII*  dynastie. 

4.  Cf.  l'inscription  du  temps  d'Ousirtasen  III  et  celle  du  règne  de  Thoutmosis  III,  qui  ont  été  pu- 
bliées par  Wilboir,  Canalizing  the  Cataract,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  20*2-203. 

5.  Les  ruines  ont  été  découvertes  par  M.  de  Morgan  en  1893  (Bou  riant,  Notes  de  voyage,  §  20,  dans 
le  Recueil  de  Travaux,  t.  XV,  p.  187-189;  J.  de  Morgan,  Notice  sur  les  fouilles  et  déblaiements,  p.  11). 

0.  Elles  ont  été  recueillies  en  purtie  par  Champollion,  par  Lepsius  (Denkm.t  II,  116  6),  par  Mariette 


S    HOCBEHS    DE    1,'lu    DE    SSUEI.    El    QGEIGCES  US! 

Dessin  de  Boudior,  il"«i>ri»  une  phologmphic  de  Wierii,  prise  ei 


430  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

Les  marchés  et  les  rues  des  deux  cités  jumelles  devaient  présenter  dès  lors 
le  même  bariolage  de  types  et  de  costumes  que  les  bazars  de  la  Syène 
moderne  offraient,  il  y  a  quelques  années  :  les  Nubiens,  les  nègres  du  Soudan, 
peut-être  les  peuples  de  l'Arabie  méridionale,  y  coudoyaient  les  Libyens  et 
les  Égyptiens  du  Delta.  Ce  que  les  princes  firent  afin  d'en  rendre  le  séjour 
agréable  à  ces  étrangers,  les  temples  qu'ils  consacrèrent  à  leur  dieu  Khnou- 
mou  et  à  ses  compagnes  pour  les  remercier  de  leurs  largesses,  nous  l'ignorons 
jusqu'à  ce  jour.  Êléphantine  et  Syène  n'ont  rien  sauvé  de  leurs  construc- 
tions; mais  leurs  tombeaux  existent  encore  et  nous  ont  raconté  leur  histoire. 
Us  s'ouvrent  en  longues  lignes  dans  les  flancs  de  la  colline  abrupte  qui  domine 
toute  la  rive  gauche  du  Nil,  en  face  le  goulet  du  port  d'Assouân.  Un  escalier 
en  grosses  pierres  brutes  conduisait  de  la  berge  à  la  hauteur  des  hypogées. 
La  momie,  après  l'avoir  monté  lentement  sur  les  épaules  de  ses  porteurs, 
stationnait  un  moment  au  bord  de  la  plate-forme,  à  l'entrée  de  la  chapelle.  La 
décoration  était  assez  pauvre  et  ne  se  distinguait  ni  par  la  finesse  de  l'exécu- 
tion, ni  par  la  variété  des  sujets.  Elle  se  manifestait  de  préférence  au  dehors, 
sur  les  murs  qui  flanquaient  la  porte  et  qu'on  apercevait  du  fleuve  ou  des 
rues  d'Éléphantine.  Une  inscription  encadre  la  baie  et  vante  les  qualités  du 
maître  à  tout  venant,  puis  le  portrait  du  mort  et  parfois  celui  de  son  fils  se 
dressent  à  droite  et  à  gauche  ;  les  scènes  d'offrandes  se  déroulaient  à  la  suite, 
quand  on  trouvait  un  artiste  suffisamment  adroit  pour  les  graver*. 

Ces  entreprises,  couronnées  de  succès  le  plus  souvent,  attirèrent  bientôt 
l'attention  des  Pharaons  :  Métésouphis  daigna  recevoir  en  personne  à  la  cata- 
racte l'hommage  des  chefs  d'Ouaouait,  d'iritît  et  des  Mâziou,  pendant  les 
premiers  jours  de  sa  cinquième  année1.  Le  guide  de  caravanes  le  plus  célèbre 
était  alors  Hirkhouf,  propre  cousin  de  Mikhou,  sire  d'Ëléphantine.  Il  était 
entré  dans  la  carrière  sous  les  auspices  de  son  père  Iri,  l'ami   unique.   Un 

(Monuments  divers,  pi.  70-73,  p.  23-25),  plus  complètement  par  Pétrie  et  Griffith  [A  Season  in  Egypt, 
pi.  I-X1II),  puis  par  les  membres  de  la  Mission  Française  pendant  l'hiver  de  1892-1893. 

1.  Les  tombes  d'Assouân,  longtemps  oubliées,  ont  été  déblayées  successivement  à  partir  de  1885, 
en  partie  par  les  soins  du  général  Grenfell  (Maspero,  Études  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyp- 
tiennes, i.  I,  p.  216-251;  K.  \V.  Bidge,  Excavations  tnade  at  Assuân,  dans  les  Proceedings  de  la 
Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  X,  p.  4-40;  Bou  riant,  le*  Tombeaux  oVAssouân,  dans  le  Recueil  de 
Travaux,  t.  X,  p.  181-198;  Scheil,  Mate  additionnelle  sur  les  tombeaux  d'Assouân,  dans  le  Recueil 
de  Travaux,  t.  XIV,  p.  94-90;  K.  Sciiiaparelli,  Una  Tomba  Egiziana  inedita  délia  Vlm  Dinastia,  dans 
les  Memoric  délia  R.  Ace.  dei  Lincei,  Ser.  4",  t.  I,  part.  1,  p.  21-53). 

2.  Chavpollion,  Monuments  de  l'Egypte  cl  de  la  Nubie,  t.  I,  p.  214;  Lepsips.  Dcnkm.,  116  b;  Pétrie, 
A  Season  in  Egypt,  pi.  XIII,  n°  338.  Les  termes  de  l'inscription  :  «  Le  roi  lui-même  alla  et  roint,  se 
levant  sur  la  montagne  pour  voir  ce  qu'il  y  a  sur  la  montagne  »,  prouvent  que  Métésouphis  inspecta  les 
carrières  en  personne.  Une  autre  inscription,  découverte  en  1893,  fournit  la  date  de  l'an  V  pour  son 
passage  à  Êléphantine,  et  ajoute  qu'il  y  entretint  des  relations  avec  les  chefs  des  quatre  grands  peuples 
nubiens  (Sayce,  Gleanings  from  the  Land  of  Egypt,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XV,  p.  147-148). 


HIRKHOUF,  L'OCCUPATION  DES  OASIS.  431 

roi  dont  on  ne  dit  point  le  nom,  peut-être  Ounas,  mais  plus  probablement 
Papi  Ie*,  les  dépêcha  tous  deux  au  pays  d'Amamît.  Le  voyage  dura  sept  mois 
et  réussit  à  merveille'  :  le  souverain,  encouragé  par  cette  aubaine,  résolut  de 
faire  partir  un  convoi  nouveau.  Hirkhouf  en  eut  seul  le  commandement;  il 
traversa  l'irilît,  explora  les  cantons  de  Satir  et  de  Dar-ros,  puis  rebroussa 
après  huit  mois  entiers  d'absence.  Il  rapportait  avec  lui  des  marchandises  pré- 


cieuses en  quantité  telle  «  que  personne  n'en  avait  rapporté  autant  aupara- 
vant ».  Il  ne  voulut  pas  rallier  sa  patrie  par  la  route  ordinaire;  il  s'enfonça 
hardiment  dans  les  Ouadys  étroits  qui  sillonnent  le  territoire  des  gens  d'iritit, 
déboucha  sur  le  district  de  Sitou,  au  voisinage  de  la  cataracte,  par  des  sen- 
tiers où  nul  des  voyageurs  officiels  qui  avaient  visité  l'Amamît  ne  s'était 
aventuré  jusqu'alors'.  Une  troisième  expédition,  qui  eut  lieu  probablement 
quelques  années  plus  tard,  l'entraîna  dans  des  régions  moins  fréquentées 
encore*.  Il  quitta  par  la  voie  de  l'Oasis,  se  dirigea  vers  l'Amamit,  et  trouva  le 

(.  Pour  le  premier  voyage  de  Uirkhour,  qu'il  entreprit  de  compte  fl  demi  avec  son  père  Iri.  cf. 
ScmAMRn.1,1,  Vna  Tomba  Eghiana  inédits  délia  Vf  binattia.  p.  18,  I.  1-6  de  l'inscription. 

t.  Deuil!  de  Boudier,  d'aprèt  une  photographie  iflminger.  Les  porte*  des  tombeaux  s'ouvrent  à 
rai-cote  :  la  longue  tranchée  qui  coupe  obliquement  la  pente  de  la  montagne  abrite  l'escalier  encore 
subsistant  qui  menait  aux  hypogées  des  temps  pharaoniques.  Sur  la  hauteur,  on  aperçoit  les  ruines 
de  plusieurs  mosquées  et  de  plusieurs  couvents  coptes;  cf.  la  vignette  p.  ii'i  de  cette  Rùtoire. 

3.  Le  second  voyage  de  llirkhouf  en  Iritil,  et  son  retour  par  Sîlou  sont  racontés  sommairement 
dans  ScuupAïutiLi,  Vna  Tomba  Egteiana  inrdita  delta  f'ia  Dinaitia,  p.  18-10,  I.  5-10  de  l'inscription, 

i.  Le  rescrit  relatif  su  Banga  est  daté  en  effet  de  l'an  II  de  Pnpi  II.  Métésouphis  I"  régna  quatorze 
ans,  d'après  le  fragment  59  du  Canon  Royal  de  Turin  (l.rpsns,  Auëicaht,  pi.  IV,  col.  vi),  où  Rrman 
(On.  Briefde*  Kfmigi  Kefer-ke-re,  dans  la  Zeittehrift.  t    XXXI.  p.  ',*)  ne  vcul  lire  que  quatre  ans. 


432  I/EMPIRE  MEMPHITE. 

pays  tout  en  émoi.  Les  shéikhs  avaient  convoqué  leurs  goums  et  se  prépa- 
raient à  porter  la  guerre  chez  les  Timihou,  «  vers  l'angle  occidental  du  ciel  », 
dans  les  parages  où  se  dresse  celui  des  piliers  qui  étaie  le  firmament  de  fer 
au  couchant.  Les  Timihou  étaient  probablement  de  race  et  de  langue  berbère1. 
Leurs  tribus,  venues  d'au  delà  le  Sahara,  vaguaient  à  travers  les  solitudes 
affreuses  qui  bornent  à  l'ouest  la  vallée  du  Nil.  Les  Égyptiens  devaient  veiller 
sur  elles  sans  cesse  et  se  prémunir  contre  leurs  incursions;  après  s'être  bornés 
longtemps  à  les  repousser,  ils  avaient  pris  enfin  l'offensive,  et  s'étaient  décidés 
à  les  pourchasser  dans  leurs  retraites,  non  sans  quelque  horreur  religieuse. 
Comme  les  habitants  de  Mendès  et  de  Busiris  avaient  caché  le  séjour  de  leurs 
morts  au  fond  des  marais  impraticables  qui  bordent  la  côte  du  Delta,  ceux 
de  Siout  et  de  Thinis  avaient  cru  d'abord  que  les  âmes  émigraient  au  delà 
des  sables  :  le  bon  chacal  Anubis  les  guidait,  par  la  gorge  de  la  Fente  ou 
par  la  porte  du  Four,  à  des  îles  de  verdure  éparses  dans  le  désert,  où  les  bien- 
heureux séjournaient  en  paix,  à  distance  médiocre  de  leurs  cités  natales  et 
de  leurs  tombeaux.  C'était,  nous  le  savons,  un  peuple  bizarre,  dont  tous  les 
citoyens  logeaient  au  cercueil  et  avaient  endossé  le  maillot  funèbre  —  ouîti  : 
les  Égyptiens  appelèrent  terre  des  emmaillotés  ou  des  momies,  Ouït,  les 
Oasis  qu'il  avait  colonisées,  et  le  nom  demeura,  longtemps  après  que  le  pro- 
grès des  connaissances  géographiques  eut  refoulé  le  paradis  plus  loin  vers 
l'ouest1.  Les  Oasis  tombèrent  l'une  après  l'autre  sous  la  domination  des  princes 
limitrophes,  celle  de  Bahnésa  entre  les  mains  du  seigneur  d'Oxyrrhynkhos, 
celle  de  Dakhel  aux  ordres  des  barons  de  Thinis".  Les  Nubiens  de  l'Amamit 
avaient  probablement  affaire  à  ceux  des  Timihou  qui  possédaient  l'Oasis  de 
Doush,  prolongement  de  celle  de  Dakhel,  sur  le  parallèle  d'Éléphantine.  Hir- 
khouf  les  accompagna,  réussit  à  rétablir  la  paix  entre  les  rivaux,  leur  persuada 
d'  «  adorer  tous  les  dieux  de  Pharaon  »  :  il  réconcilia  ensuite  l'Iritît,  l'Amamit, 
l'Ouaouaît,  qui  vivaient  en  état  d'hostilité  perpétuelle,  en  fouilla  les  vallées, 

1.  Jusqu'à  présent  la  plus  ancienne  mention  connue  des  Timihou  ne  remontait  qu'à  la  XIIe  dynastie 
(Chabas,  les  Papyrus  hiératiques  de  Berlin,  p.  41-44).  Dévéria  (la  Race  supposée  proto-celtique  est-elle 
figurée  sur  les  monuments  égyptiens?  dans  la  Revue  Archéologique,  3*  série,  t.  IX,  p.  38-48)  les  rattachait 
aux  races  blanches  qui  peuplèrent  l'Afrique  du  Nord,  notamment  l'Algérie,  et  le  général  Faidherbe  a 
cru  retrouver  leur  nom  dans  celui  des  Tamachek.  La  présence  de  mots  berbères,  constatée  en  égyptien 
dès  la  XII0  dynastie  (Maspkro,  On  the  Name  of  an  Egyptian  dog,  dans  les  Transactions  de  la  Société 
d'Archéologie  Biblique,  t.  V,  p.  1 27-1 28),  jointe  à  ce  fait  que  les  habitants  de  l'oasis  de  Siouah  parlent 
encore  de  nos  jours  un  dialecte  berbère  (Basset,  le  Dialecte  de  Syouah),  semble  prouver  que  les 
Timihou  appartenaient  à  la  grande  race  qui  domine  aujourd'hui  dans  l'Afrique  du  Nord. 

2.  Maspero,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Egyptiennes,  t.  II,  p.  421-427;  cf.  p.  232  de 
cette  Histoire  les  renseignements  déjà  donnés  sur  le  caractère  mystérieux  de  la  Grande  Oasis. 

3.  Le  premier  prince  de  Thinis  et  de  l'Oasis  que  nous  connaissions  est  l'Antouf  de  la  stèle  C  26  du 
Louvre,  qui  vivait  au  début  de  la  XII*  dynastie  (Brugsch,  Reise  nach  der  Grossen  Oase,  p.  62-63). 


LES  EXPLORATIONS  PREPARENT  LA  CONQUETE  DE  LA  NUBIE.  433 

y  réunît  assez  d'encens,  d'ébène,  d'ivoire  et  de  peaux  pour  en  charger  trois 
cents  ânes  '.  Il  eut  même  la  chance  d'acquérir  un  Danga  de  la  Terre  des  Mânes, 
semblable  à  celui  que  Biourdidi  avait  amené  du  Pouanît  quatre-vingts  ans 
plus  tôt,  sous  le  règne 
d'Assi'.  Cependant  Mété- 
souphis  était  mort  et  son 
jeune  frère  Papi  II  lui  avait 
succédé,  depuis  un  an  déjà. 
Le  nouveau  roi,  heureux  de 
posséder  un  nain  qui  sût 
danser  le  dieu,  adressa  un 
resent  à  Hirkhouf  pour  lui 
témoigner  sa  satisfaction;  il 
lui  envoya  en  même  temps 
un  messager  spécial,  Ouni, 
parent  éloigné  du  ministre 
de  Papi  I",  qui  devait  l'in- 
viter à  venir  rendre  compte 
de  sa  mission .  Le  bateau  où 
l'explorateur  s'embarqua 
pour  descendre  à  Memphis 
portait  aussi  le  Danga,  et  le 
Danga  devient  désormais  le 

,  .11  HEXKHOliP    1ECITAEVT    l'bDMjUI        ilP.S.URK    DE    »K    ML* 

personnage  important  de  la  À  u       Ë  Bt  cox  I0„EAÏs 

troupe.  C'est  pour  lui  que 

tous  les  officiers  royaux,  tous  les  seigneurs,  tous  les  collèges  sacerdotaux 
préparent  ponctuellement  des  vivres  et  des  équipages;  sa  santé  est  plus  pré- 
cieuse que  celle  de  son  guide,  et  l'on  veille  anxieusement  ace  qu'il  ne  s'échappe 
point.  *  Quand  il  sera  avec  toi  dans  le  bateau,  fais  qu'il  y  ait  des  gens  avisés 
à  côté  de  lui,  de  peur  qu'il  ne  tombe  à  l'eau;  quand  il  reposera  pendant  la 
nuit,  fais  que  des  gens  avisés  reposent  à  côté  de  lui,  de  peur  qu'il  ne  se 
sauve  rapidement  de  nuit.  Car  Ma  Majesté  préfère  voir  ce  nain  plus  que  tous 

I.   I.e   troisième   voyage  d'Hirkhouf  est    raconté   plus   longuement    que    les    autre».    La    partie   de 

l'inscription  qui   en   contenait   le  détail  a   malheureusement   souffert  beaucoup  plus  que  le  reste,  et 

plusieurs  lignes  renferment  des   lacunes  difficile»  a  combler;   cf.   ScHUMMstM,   I  na    Tomba  Eattiamt 

inrdila  delta   VI*  Dinailia,  p.  18,  I.  10-i*  du  texte  hiéroglyphique  et  \i.  ii-ÏS. 

t.  Sur  ce  Danga  ramené  en  Egypte  bous  Assi,  voir  ce  qui  est  dit  a  la  page  2:<1  dp  cotte  Ni'loue, 

3.   Tlrtiin  de  Faucher-Gudin.  daprti  une  photographie  d'Alejandre  Gayet,  pitnr  ru  t*9t 

■IST.    Lit.    DE    l'iilllM.   —  r.    i.  55 


434  L'EMPIRE  MEMPH1TE. 

les  trésors  qu'on  importe  du  pays  de  Pouanit1.  »  Hirkhouf,  de  retour  à 
Éléphantine,  grava  sur  la  façade  de  son  tombeau.  la  missive  royale  et  le  récit 
détaillé  de  ses  caravanes  aux  terres  du  Midi*. 

Ces  courses  répétées  produisirent  à  la  longue  des  résultats  plus  sérieux  et 
plus  durables  que  la  capture  d'un  nain  savant,  ou  la  fortune  d'un  seigneur 
aventureux.  Les  peuples  que  les  marchands  visitaient,  à  force  d'entendre 
parler  de  l'Egypte,  de  son  industrie,  de  sa  force  militaire,  finissaient  par 
concevoir  pour  elle  une  admiration  et  un  respect  mêlés  de  crainte  :  ils  appre- 
naient à  la  considérer  comme  une  puissance  supérieure  à  tout,  et  son  roi 
comme  un  dieu  à  qui  personne  ne  devait  résister.  Ils  lui  empruntaient  ses 
cultes,  ils  lui  prêtaient  leur  hommage,  ils  lui  mandaient  des  présents  :  elle 
les  gagnait  par  sa  civilisation  avant  de  les  subjuguer  par  ses  armes.  On  ne  sait 
quel  parti  Nofirkeri  Papi  II  tira  de  leurs  dispositions  pour  étendre  son  empire 
vers  le  sud.  Les  explorations  ne  tournaient  pas  toutes  aussi  heureusement  que 
celles  du  seigneur  Hirkhouf,  et  l'un  au  moins  des  princes  d'Éléphantine, 
Papinakhîti,  trouva  la  mort  au  cours  de  l'une  d'elles.  Papi  H  l'avait  envoyé  en 
mission  après  tant  d'autres,  «  pour  profiter  sur  les  Ouaouaiou  et  sur  l'Iritit  ». 
11  tua  beaucoup  de  monde  dans  cette  razzia  et  y  ramassa  grand  butin,  qu'il 
partagea  avec  Pharaon  ;  «  car  il  était  à  la  tête  de  nombreux  guerriers  choisis 
parmi  les  plus  braves  »,  ce  qui  lui  permettait  de  réussir  dans  les  aventures 
que  Sa  Sainteté  daignait  lui  confier.  Une  fois  pourtant  le  roi  l'employa  dans 
des  régions  qu'il  connaissait  sans  doute  moins  bien  que  la  Nubie,  et  la  chance 
se  déclara  contre  lui.  Il  avait  reçu  Tordre  de  se  rendre  chez  les  Àmou,  chez  les 
Asiatiques  qui  habitaient  la  péninsule  du  Sinai,  et  de  refaire  en  petit  par  le 
Sud  l'expédition  qu'Ouni  avait  menée  contre  eux  par  le  Nord  :  il  y  alla,  et, 
son  séjour  terminé,  il  choisit  la  route  de  mer  pour  revenir.  Cingler  vers  le 
Pouanît,  puis  remonter  le  long  de  la  côte  jusqu'à  la  Tête  de  Nekhabît,  débar- 
quer en  cet  endroit  et  piquer  droit  sur  Éléphantine  par  le  plus  court,  l'entre- 
prise n'offrait  en  elle-même  rien  d'extraordinaire,  et  plus  d'un  l'avait  sans 
doute  accomplie  parmi  les  voyageurs  ou  les  généraux  de  l'époque  ;  Papinakhîti 
échoua  misérablement.  Comme  il  était  occupé  à  construire  son  bateau, 
les  Hirou-Shâitou  tombèrent   sur  lui   et   le   massacrèrent  avec  le  détache- 

1.  Le  rcscrit  de  Papi  II  a  été  publié  par  Schiaparelli,  Una  Tomba  Egiziana,  p.  19-22;  cf.  sur  le  Danga 
en  Egypte  Maspkro,  Etudes  de  Mythologie  et  d'Archéologie  Égyptiennes,  t.  11,  p.  429-143. 

2.  Pour  l'étude  des  inscriptions  de  Hirkhouf,  outre  le  mémoire  de  Schiaparelli  que  j'ai  cité  fré- 
quemment dans  les  notes  des  pages  précédentes,  voir  les  deux  articles  d'Erman,  dans  la  Zeits.  d.  D. 
Morg.  Ges  ,  t.  XLVI,  p.  574-579,  et  dans  la  Zeitschrift  fur  jEgyplische  Sprache,  t.  XXXI,  p.  63-73, 
et  celui  de  Maspero,  dans  la  lie  vue  Critique,  1892,  t.   II,  p.  357-366. 


LES  PYRAMIDES  DE  SAQQARAH.  435 

ment  de  troupes  qui   t'accompagnait  :   le  reste  de  ses  soldats  ramena  son 
cadavre  qui  fut  enterré  dans  la  montagne   en  face  de  Syène,   à   côté   des 
autres  princes'.  Le  temps  ne  manqua  pas  à  Papi  H  pour  venger  la  mort  de 
son  féal  ni  pour  lancer  de  nouvelles  exp  ' 
vers  l'Iritît,  dans  l'Amamît.  et  par  delà,  s 
ment  il  régna  plus  de  quatre-vingt-dix 
comme  le  prétend  l'auteur  du  Canon  chr 
nologique  de  Turin1,  mais  les  monumen 
sont  presque  muets  sur  son  compte  et  r 
nous   apprennent   rien   de   ce    qu'il   pi 
faire   en   Nubie.   Une    inscription   de 
deuxième    année    prouve    qu'il    contîn 
d'exploiter   les     mines  du   Sinai  et 
qu'il    les   défendit   contre   les  Bé- 
idouins*.  D'autre  part,  le  nombre  et 
a  beauté  des  tombeaux  où  il  est  nommé 
semblent  attester  que   l'Egypte  ne  pei~.. 
rien   de    sa  prospérité'.    Les   découvertes  ""  "F' L*  ""*"'  DK 

récentes  lui  ont  rendu,  comme  à  ses  prédécesseurs  immédiats,  une  réalité 
que  n'ont  plus  beaucoup  des  Pharaons  moins  éloignés  de  nous.  Ces  pyra- 
mides dont  nous  déchiffrons  le  sobriquet  dans  les  textes,  on  les  a  déblayées  à 

I.   Inicription  du  tombeau  de  Papinakhiti,  découverte  en\IH9î-W93  et  communiquée -par M.  Houriant. 

t.  LiKiD»,  Auswahl,  pi.  IV,  col.  vi,  fragni.  59.  Les  fragments  de  Manélhon  (ndil.  L'«er,  p.  Itli,  10G) 
et  le  Canon  d'ftratosthènes  (Fragm.  chrouol.,  édit.  C.  Molles,  p.  183)  «'accordent  à  lui  pn'ler  un 
règne  de  cent  ans.ee  qui  pourrait  faire  croire  que  le  chiffre  des  unités  perdu  dans  le  Canon  de  Turin 
était  un  neuf  :  Papi  II  serait  mort  dans  la  centième  année  de  «on  règne.  Le  régne  de  cent  ans  est 
impossible  :  Mihtimsaouf  1"  ayant  régné  quatorze  ans,  il  faudrait  admettre  que  Papi  11,  lllsde  Papi  I". 
aurai!  vécu  eent  quatorze  ans  nu  moins,  même  en  admettant  qu'il  fût  enfant  posthume.  La  solution  la 
plus  simple  consisterait  à  supposer  :  I"  ou  que  Papi  II  vécut  eent  ans,  comme  plus  tard  llamsès  II,  et 
que  l'on  a  confondu  ses  années  de  vie  avec  ses  années  de  règne;  î'ou.  qu'étant  frère  de  Mihtimsaouf  I", 
il  fut  considéré  comme  associé  au  trône,  et  que  les  cent  années  de  règne,  renfermant  les  quatorze 
années  de  ce  dernier  prince,  s'identifient  avec  les  cent  années  de  vie.  On  peut  croire  encore  que  les 
chronographes,  manquant  de  renseignements  sur  la  VIII"  dynastie,  ont  comblé  la  lacune  qu'ils  trou- 
vaient dans  leurs  annales,  en  allongeant  le  règne  de  Papi  II,  qui  de  toute  façon  devait  être  fort  long. 

3.  Lottm  de  LtvAL,  Voyage  dont  ta  presqu'île  du  Sinai,  Ins.  hier.,  pi.  i,  n°  I  ;  LEPsurs,  Denkm.,  Il, 
1)6  a;  Account  of  ihe  Surrey,  p.  174.  Il  eiploita  également  les  carrières  de  llatnoubou  (Blacsdis- 
FB.11M,  Collection  of  Hieralic  Graffiti  from  the  Alabaster  Quarry  of  Hat-nub,  pi.  XV,  3). 

4.  Destin  de  lloudicr,  if  après  la  photographie  d'Emile  ltrug*rh-Ury.  La  momie  est  déposée  aujour- 
d'hui lu  Musée  de  Giiéh  (cf.  Hisruio,  Guide  du  I  tuteur  au  Mutée  de  lloulaq,  p.  317-318,  n*  KÎS(I). 

5.  A  Kasr-es-Sayad,  n"  l-i  (Prisse  r'Atimes.  Lettre  à  M.  Champollion-Figeac,  dans  la  Heine 
Archéologique,  f  "série,  t.  I.  p.  73Î-733.  et  Monuments  égyptien»,  pi.  V;  Lepsii's.  Denkm.,  Il,  113  g., 
1  M  c-l),  à  Assouàn  (Bbdge,  Excavations  marte  at  Aswiln,  dans  les  Prmeedingi  do  la  Société  d'Archéo- 
logie Biblique,  t.  X,  p.  17  sqq.;  Boi'ittm,  te*  Tombeau*  d' Allouait,  dans  le  liccueil,  t.  X,  p.  181  sqq.),  J 
Moliammed-beni-Xourour  (StvcE,  Gleaningi  front  the  l.amtof  tlgypt,  dons  le  Itccueit,  t.  XIII.  p.  65-(i7; 
cf.  M.i*«(io,  Sur  [inscription  de  Zaau,  ibid.,  p.  67-70),  à  Abyd'os  (Xaiiette,  Catalogue  Général,  p.  8. 
sqq.),  a  Saqqarah  (Mispebo,  Quatre  Années  de  fouillée,  dans  les  Mémoires  pi  fientes  par  les  membi'ei  de 
la  Million  archéologique  française  au  Caire,  t.  1,  p.  IdAill"). 


436  L'EXPIRE  MEMPBITE. 

Saqqarah,  et  les  inscriptions  qu'elles  renferment  nous  révèlent  le  nom  do 
souverain  qui  y  reposait.  Ounas,  Tôt î  II),  Papi  I",  Hétésouphis  I",  Papi  II  sont 
maintenant  pour  nous  des  personnages  aussi  nettement  définis  que  Ramsès  II 
et  que  Séti  1"  ;  même  la  momie  de  Métésouptiis  a  été  découverte  près  de  son 
sarcophage,  et  on  la  voit  sous  verre  au  Musée  de  Gizéh.  Le  corps  est  grêle. 


mides  du  groupe  sont  conçues  sur  un  type  uniforme,  dont  celle  d'Ounas  avait 
fourni  le  modèle.  La  porte  s'ouvre  dans  le  milieu  de  la  face  Nord,  au-dessous 
de  la  première  assise,  au  niveau  du  sol.  Un  canal  incliné,  obstrué  de  pierres 
énormes,  conduit  à  une  antichambre  qui,  tantôt  reste  entièrement  nue,  tantôt 
se  revêt  de  longues  colonnes  d'hiéroglyphes  :  un  couloir  horizontal,  coupé 
en  son  milieu  par  trois  herses  de  granit,  au  bout,  une  salle  presque  carrée, 
à  gauche  trois  cellules  basses  et  sans  ornements,  a  droite  la  chambre  oblongue 
où  s'élève  le  sarcophage.  Le  toît  des  deux  pièces  principales  était  pointu. 
11  se  composait  de  larges  poutres  en  calcaire,  accotées  l'une  à  l'autre  par 
l'extrémité  supérieure,  appuyées  sur  une  sorte  de  banquette  continue  qui  déli- 
mitait l'aire  du  caveau  :  la  première  rangée  était  surmontée  d'une  seconde, 
celle-ci  d'une  troisième,  et  les  trois  réunies  défendaient  efficacement  les 
appartements  du  mort  contre  la  poussée  des  matériaux  accumulés  ou  contre 
les  attaques  des  voleurs.  La  partie  des  murs  qui  avoïsine  le  sarcophage  est 
décorée  chez  Ounas  de  ces  ornements  multicolores  et  de  ces  portes  sculptées 
et  peintes  qui  imitent  la  façade  d'une  maison  :  c'est  en  effet  la  demeure 
du  double,  dans  laquelle  il  réside  avec  le  cadavre.  Les  inscriptions  sont  des- 
tinées, de  même  que  les  tableaux  des  hypogées,  à  fournir  le  souverain  défunt 
de  provisions,  à  écarter  loin  de  lui  les  serpents  et  les  dieux  malfaisants,  à 

1.  D'«près  li;s  relevé»  de  Naspeuo,  la  Pyramide  rTOunan,  dans  le  Rtcuril  dr  Tracaui,  t.  IV,  p.  ITT. 


METÊS0UPH1S  11,  N1TÛKR1S  ET  SA  LÉGENDE.  «7 

empêcher  son  âme  de  mourir,  à  l'introduire  dans  la  barque  du  Soleil  ou  dans 
le  paradis  d'Osiris.  Elles  forment  comme  un  livre  immense  dont  les  chapitres 
se  retrouvent  épars  sur  les  monuments  des  époques  postérieures.  Et  ce  n'est 


pas  seulement  la  religion  qu'elles  nous  restituent,  c'est  la  langue  la  plus 
ancienne  de  l'Egypte  :  la  plupart  des  formules  qu'on  y  lit  ont  été  rédigées 
sous  les  premiers  rois  humains,  peut-être  même  avant  Menés'. 

La   VIe  dynastie  se  perd  dans  la  légende  et   dans  la   fable.   Elle  compta 
encore  deux  souverains  après   Papi  Nofirkeri,  Mirniri  Mihtimsaouf  (Métésou- 

I.  Deism  de  Houdier,  d'apret  «ne  photographie  d'F.nlitr  lirug/rh-Bey ,  prite  en   1881, 
S.  M«»ï»o,    Archéologie    Égyptienne,    p.   t3l!-136.    Les    textes    gravés   dans   les   chambres    de    ce* 
curieuses  pyramides  onl  <■(<.'  publias  in-exlenso  dans  le  flccueil  de  Travmij-,  du  1.  IV  nu  I.  XIV. 


438  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

phis)  II  et  Nitaouqrît  (Nitokris)'.  Métésouphis  II  fut  tué,  dit-on,  dans  une 
émeute,  un  an  après  son  avènement*.  Sa  sœur  Nitokris,  la  Belle  aux  joues  de 
rose,  qu'il  avait  épousée  selon  la  coutume,  lui  succéda  et  le  vengea.  «  Elle 
bâtit  une  immense  salle  souterraine  ;  puis,  sous  prétexte  de  l'inaugurer,  mais 
en  réalité  dans  une  tout  autre  intention,  elle  invita  à  un  grand  repas  et  reçut 
dans  cette  salle  bon  nombre  d'Égyptiens,  de  ceux  qu'elle  savait  avoir  été 
surtout  les  instigateurs  du  crime.  Pendant  la  fête,  elle  détourna  les  eaux  du 
Nil  dans  la  salle  par  un  canal  qu'elle  avait  tenu  caché.  Voilà  ce  qu'on  raconte 
d'elle.  On  ajoute  qu'après  cela,  la  reine  se  jeta  d'elle-même  dans  une  grande 
chambre  remplie  de  cendres,  afin  d'éviter  le  châtiment8.  »  Elle  avait  terminé 
la  pyramide  de  Mykérinos;  elle  lui  avait  donné  ce  coûteux  revêtement  de 
syénite  qui  excitait  l'admiration  des  voyageurs;  elle  dormait  dans  un  cer- 
cueil de  basalte  bleu,  au  centre  même  du  monument,  au-dessus  de  la  chambre 
secrète  où  le  dévot  Pharaon  avait  caché  sa  momie*.  Les  Grecs,  à  qui  leurs 
drogmans  débitaient  l'histoire  de  la  Belle  aux  joues  de  rose,  métamorphosèrent 
la  princesse  en  courtisane  et  substituèrent  au  nom  de  Nitokris  le  nom  plus 
harmonieux  de  Rhodopis,  qui  traduisait  exactement  l'épithète  caractéristique 
de  l'Égyptienne5.  Un  jour  qu'elle  se  baignait  dans  le  fleuve,  un  aigle  lui  vola 
une  de  ses  sandales  dorées,  l'emporta  dans  la  direction  de  Memphis  et  la  laissa 
tomber  sur  les  genoux  du  roi  qui  rendait  la  justice  en  plein  air.  Celui-ci, 
émerveillé  et  par  la  singularité  de  l'aventure  et  par  la  beauté  du  soulier 
mignon,  fit  chercher  dans  tout  le  pays  la  femme*  à  laquelle  il  appartenait  : 
Rhodopis  devint  ainsi  reine  d'Egypte  et  put  se  construire  une  pyramide*.  Le 

1.  Métésouphis  II  est  mentionné  dans  la  table  d'Abydos  (Mariette,  la  tourelle  Table  d Abydo*,p.  16: 
cf.  lievue  Archéologique,  2e  série,  t.  XIII,  p.  88),  comme  dans  Manéthon  (édit.  Fisger,  p.  106).  Nitaou- 
qrît est  nommée  dans  Manéthon  (édit.  L'nger,  p.  102, 106),  dans  ftratosthènes  (Fragm.  chronol.,  p.  183) 
et  dans  le  canon  royal  de  Turin  (Lepsus,  Auswahl  der  wichtigsten  Urkunden,  pi.  IV,  coW  v.  fragm.  43) 
où  elle  fut  découverte  par  E.  de  liougé  (Examen  de  l'Ouvrage  de  M.  le  Chevalier  de  Bunsen,  II,  p.  »). 
Lesueur  (Chronologie  des  rois  d'Egypte,  p.  223,  268),  puis  Stern  (Die  Handbemerkungen  in  dem 
manelhonischer  Kœnigscanon,  dans  la  Zeitschrift,  1885,  p.  92)  ont  soutenu  que  Nltaouqrit  n'était 
pas  un  nom  de  femme,  et  que  la  reine  Nitokris  était  un  Pharaon  •Nitaqerti.  Mcyer  (Geschichle  des 
Aller  Ihxuns,  t.  I,  p.  104-105,  et  Geschichle  des  Alten  /Egyplens,  p.  139)  ne  croit  pas  que  la  Nitaouqrit 
du  Papyrus  suive  immédiatement  Métésouphis,  mais  il  intercale  plusieurs  rois  entre  les  deux. 

2.  Manéthon,  édit.  Unc.er,  p.  102,  100-107,  ne  mentionne  pas  ce  fait,  mais  la  légende  racontée  par 
Hérodote  disait  que  Nitokris  avait  voulu  venger  le  roi  son  frère  et  son  prédécesseur,  tué  dans  une 
révolution,  et  de  l'énoncé  même  des  faits  il  résulte  que  ce  frère  anonyme  était  le  Métésouphis  de 
Manéthon  (Hérodote,  II,  c).  Le  papyrus  de  Turin  (Lkpsus,  Auswahl  der  wichtigsten  Urkunden,  pi.  IV, 
col.  vi,  fragm.  59)  attribue  à  Mihtimsaouf-Métésouphis  II  un  an  et  un  jour  de  règne. 

3.  Hérodote,  II,  c;  cf.  Wiedemann,  llerodot's  Zweites  Huch,  p.  399-400. 

4.  La  légende  d'après  laquelle  la  troisième  pyramide  avait  été  construite  par  une  femme,  a  été 
recueillie  par  Hérodote  (II,  cxxxiv)  :  E.  de  Bunsen,  la  rapprochant  des  observations  de  Vyse,  eut 
l'idée  d'attribuer  à  Nitokris  l'agrandissement  du  monument  (Mgyplcns  Stelle,  t.  II,  p.  236-238),  qui 
me  parait  être  l'œuvre  de  Mykérinos  lui-même;  cf.  ce  qui  est  dit  p.  376,  380-381  du  présent  volume. 

5.  Lepsus,  Chronologie  der  Allen  Mgypter,  p.  304  sqq. 

6.  Strabon,  XVII,  p.  808;  c'est,  ainsi  qu'on  l'a  remarqué  souvent,  une  forme  du  conte  de  Cendrillcu. 
M.   Piehl  (Notes  de  Philologie   Egyptienne^  §  2,  dans   les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie 


440  L'EMPIRE  MEMPHITE. 

christianisme  et  la  conquête  arabe  n'effacèrent  pas  entièrement  le  souvenir  de 
la  princesse  courtisane.  «  On  dit  que  l'esprit  de  la  pyramide  méridionale  ne 
paroist  jamais  dehors  qu'en  forme  d'une  femme  nuë,  belle  au  reste,  et  dont 
les  manières  d'agir  sont  telles  que,  quand  elle  veut  donner  de  l'amour  à  quel- 
qu'un et  luy  faire  perdre  l'esprit,  elle  luy  rit,  et,  incontinent,  il  s'approche 
d'elle  et  elle  l'attire  à  elle  et  l'affolle  d'amour;  de  sorte  qu'il  perd  l'esprit 
sur  l'heure  et  court  vagabond  par  le  pays.  Plusieurs  personnes  l'ont  veue 
tournoyer  autour  de  la  pyramide  sur  le  midy  et  environ  soleil  couchant1.  » 
C'est  Nitokris  qui  hante  encore  le  monument  de  sa  honte  et  de  sa  grandeur1. 
Après  elle,  la  légende  même  s'évanouit  et  l'histoire  d'Egypte  n'est  plus 
qu'un  blanc  durant  plusieurs  siècles.  Manéthon  admet  encore  deux  dynasties 
memphites,  dont  la  première  compta  soixante-dix  rois  pendant  soixante-dix 
jours.  Akhthoès,  le  plus  cruel  des  tyrans,  vint  ensuite  et  persécuta  longtemps 
ses  sujets;  il  fut  enfin  saisi  de  folie  furieuse  et  mourut  sous  la  dent  d'un  cro- 
codile. On  raconte  qu'il  était  originaire  d'Héracléopolis,  et  les  deux  dynasties 
qui  lui  succédèrent,  la  IXe  et  la  Xe,  furent  Héracléopolitaines  comme  lui8.  La 
table  d'Abydos  est  incomplète 4,  le  Papyrus  de  Turin  trop  mutilé  pour  nous 
renseigner  exactement  en  l'absence  d'autres  documents8;  les  contemporains 
des  Ptolémées  ignoraient  à  peu  près  entièrement  ce  qui  s'était  passé  de  la  fin 
de  la  VIe  au  commencement  de  la  XIIe  dynastie,  et  les  égyptologues,  ne  ren- 
contrant aucun  monument  qu'ils  pussent  attribuer  à  cette  époque,  en  avaient 
conclu  aussitôt  que  l'Egypte  avait  subi  une  crise  redoutable,  dont  elle  ne 
s'était  sauvée  qu'à  grand'  peine6.  Les  prétendus  Héracléopolitains  de  Mané- 

Bibliquc,  t.  XI,  p.  221-223)  a  émis  Vidée  que  l'épithète  de  Rhodopis,  Rouge-Visage,  avait  été  d'abord 
appliquée  au  grand  Sphinx  de  Gizéh,  dont  la  face  est  en  effet  peinte  en  rouge;  un  abus  d'étymologie 
populaire  aurait  donné  à  Nîtaouqrit  la  valeur  de  Rouge-Visage,  et  le  génie  mauvais  au  visage  rouge 
qui  animait  le  Sphinx  serait  devenu  la  Rhodopis  qui  habitait  la  troisième  pyramide. 

1.  L'Egypte  de  Mur  lad  i  fils  du  Gaphiphe,  de  la  traduction  de  M.  Vattier.  A  Paris,  MDCLXVI.  p.  65. 

2.  Voici  le  tableau  de  la  VI*  dynastie  avec  les  dates  très  approximatives  des  rois  qui  la  composent  : 

d'après  manéthon 


Othoès 30 

Phios 53 

métésouphis 7 

Phiops 100 

Mentésouphis 1 

Nitokris 12 


d  apres  le  canon  de  turin  et  les  monuments 

TétiHI  3808-3798? ? 

MirirïPapi  I"  3797-3777? 20 

MirnirÎ  Iw  Mihtimsaodf  I»r  3776-3762 ?  1-4 

NofireerÎ  Papi  II  3761-3661?.  .    .    .  90  -f  ? 

MirnirI  II,  Mihtimsaouf  11  3660-3659?  1  an  1  m. 

NÎtaouqrIt  3658?            ? 

3.  Manéthon,  édit.  Unger,  p.  107-108. 

4.  Elle  compte  entre  Métésouphis  II  et  Monthotpou  Nibkhrôouri  de  la  XI*  dynastie  dix-huit  rois 
parmi  lesquels  on  ne  rencontre  point  un  certain  nombre  des  souverains  dont  nous  aurons  à  parler. 

5.  Les  fragments  du  Canon  Royal  de  Turin  qui  se  rapportent  à  cette  époque  ont  été  classés  inexac- 
tement par  Lcpsius  (Auswahl  der  wichtigsten  Urkunden,  pi.  IV,  col.  V-VI,  nl,43,  47,  48,  59,  61).  plus 
régulièrement  par  Lauth  (Manetho  und  der  Turiner  Kônigspapyrus,  col.  IV-V)  et  surtout  par  Lieblein 
(Recherches  sur  la  Chronologie  Égyptienne,  pi.  II,  III). 

6.  Marsham  {Canon  Chronicus,  édit.  de  Leipzig,  1676,  p.  29)  déclarait  déjà  au  xvii*  siècle  qu'il 
n'éprouvait  guère  d'hésitation  à  considérer  les  Héracléotes  comme  identiques  aux  successeurs  (2e 


LES  DERNIÈRES  DYNASTIES  DE  MEMPHIS.  Hl 

thon  auraient  été  en  réalité  les  chefs  d'un  peuple  barbare  d'origine  asiatique, 
ces  Maîtres  des  Sables  qu'Ouni  avait  châtiés  si  rudement,  mais  qui  auraient 
envahi  le  Delta  peu  après,  s'y  seraient  installés  dans  Héracléopolis  la  petite 
comme  dans  leur  capitale,  et  auraient  dominé  de  là  sur  toute  la  vallée.  Ils 
auraient  détruit  beaucoup,  n'auraient  rien  édifié;  l'état  de  sauvagerie  dans 
lequel  ils  auraient  plongé  les  vaincus  et  se  seraient  enfoncés  eux-mêmes, 
expliquerait  l'absence  de  monuments  qui  caractérise  leur  époque.  Cette  hypo- 
thèse ne  s'appuie  sur  aucune  preuve  directe;  même  ce  vide  monumental  dont 
on  a  tiré  un  argument  à  l'appui  de  la  thèse  commence  à  se  combler1.  La  suite 
des  règnes  manque  et  le  détail  des  révolutions;  mais  on  connaît  plusieurs 
rois,  certains  faits  de  leur  histoire,  et  l'on  entrevoit  la  marche  générale  des 
événements.  La  VIIe  et  la  VIIIe  dynastie  sont  Memphites,  et  les  noms  seuls  en 
feraient  foi,  quand  nous  n'aurions  pas  à  cet  égard  le  témoignage  précis  de 
Manéthon  :  celui  qui  y  revient  le  plus  fréquemment  est  Nofirkerî,  le  prénom 
de  Papi  II,  et  un  Papi  III  y  figure  qui  s'intitule  Papi-Sonbou  pour  se  distinguer 
de  ses  homonymes*.  Le  peu  qu'on  disait  d'eux  sous  les  Ptolémées,  la 
légende  même  des  soixante-dix  Pharaons  gouvernant  soixante-dix  jours, 
trahit  une  période  de  troubles  où  le  pouvoir  changea  rapidement  de  main3.  De 
fait,  les  successeurs  de  Nitokris  au  Papyrus  royal  de  Turin  ne  font  guère 
qu'apparaître  sur  le  trône*  :  Nofirkerî,  un  an,  un  mois,  un  jour;  —  Nofirous, 

Ménès-Misrafra  qui  régnèrent  sur  la  Mestrsea,  c'est-à-dire  sur  le  Delta  seul.  L'idée  d'une  invasion  asia- 
tique, analogue  à  celle  des  Hyksos,  émise  par  Mariette  (Aperçu  de  l'Histoire  d'Egypte,  3e  édit.,  1874, 
p.  33-34)  et  acceptée  par  Fr.  Lenormant  (Manuel  d'Histoire  Ancienne ;  3°  éd.,  t.  I,  p.  34G-347),  a  trouvé 
ses  principaux  défenseurs  en  Allemagne.  Bunsen  (JEgyptens  S  telle,  t.  H,  p.  264-270)  fît  des  Iléra- 
cléopolitains  deux  dynasties  secondaires  ayant  régné  ensemble  dans  la  Basse-Egypte,  et  originaires 
d'Héracléopolis  dans  le  Delta  :  ils  auraient  été  contemporains  des  derniers  Memphites,  ainsi  que  des 
premiers  Thébains.  Lepsius  (Kœmgsbuch,'p.  21-23)  accepta  et  crut  reconnaître  chez  les  Iléracléopoli- 
tains  du  Delta  les  prédécesseurs  des  Hyksos,  idée  qu'Ebers  défendit  (JEgyplen  und  die  Bûcher  Moses, 
p.  153  sqq.)  et  que  Krall  développa  en  identifiant  les  envahisseurs  inconnus  avec  les  Ilirou-Shâttou 
(Die  Vorlnûfer  der  Hyksos,  dans  la  Zeilschrift,  1879,  p.  34-36,  64-67,  Die  Composition  und  die 
ScUicksale  des  Mancthonischen  Geschichtswerkes,  p.  81  sqq.,  et  Noch  Einmal  die  Uerusâ,  dans  la 
Zeitschrift,  1880,  p.  121-123)  :  elle  a  été  adoptée  par  Ed.  Mcyer  (Geschichte  des  Al  ter  l  hum  s,  t.  I, 
p.  105  sqq.,  et  Geschichte  des  Alten  jEgyptens,  p.  141  sqq.). 

1.  A  vrai  dire,  il  n'a  jamais  existé  complètement,  mais  les  monuments  provenant  de  cette  époque 
avaient  été  mal  classés.  Cf.  à  ce  sujet  Maspkro,  Quatre  Années  de  fouilles,  dans  les  Mémoires  de  la  Mis- 
sion du  Caire,  t.  1,  p.   133-238  sqq.;  Lieblein,  Recherches  sur  la  Chronologie  Égyptienne,  p.  46-49 
A.  Baillet,   Monuments  des  Vlll*-X*  dynasties,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XII,  p.  48-53. 

2.  Us  ont  été  reconnus  Memphites  par  Mariette  (la  Nouvelle  Table  d'Abydos,  p.  17;  cf.  Revue 
Archéologique,  2*  Série,  t.  XIII,  p.  90),  par  Lieblein  (Recherches  sur  la  Chronologie,  p.  43  sqq.)  et 
par  Brugsch  (Geschichte  Mgyptens,  p.  105-106);  Lauth  (Manetho,  p.  213,  et  Aus  AEgyptcns  Vorzeit, 
p.  178  sqq.)  propose  de  les  identifier  avec  les  Héracléopolitains,  bien  qu'on  ne  retrouve  sur  cette 
liste  aucun  des  noms  royaux  que  les  monuments  nous  obligent  d'attribuer  aux  IX*  et  X*  dynasties. 

3.  L'explication  de  M.  Lauth  (Aus  Mgyptens  Vorzeit,  p.  169-170),  d'après  laquelle  Manéthon 
aurait  considéré  comme  formant  une  dynastie  indépendante  les  cinq  prêtres  Memphites  qui  firent 
l'interrègne  pendant  les  soixante-dix  jours  de  l'embaumement  de  Nitokris,  est  certainement  fort 
ingénieuse,  mais  elle  n'est  que  cela.  La  donnée  légendaire  dont  Manéthon  s'est  inspiré  indiquait  bien 
soixante-dix  rois  successifs  ayant  régné  soixnnte-dix  jours  à  eux  tous,  un  roi  par  jour. 

4.  Papyrus  de  Turin,  fragm.  53  et  61,  dans  Lkpsiis,  Auswahl  der  wichtigsten  Urkunden,  pi.  IV. 

56 


m  LE  PREMIER  EMPIRE  THEBAIN. 

quatre  ans,  deux  mois,  un  jour  ;  —  Abou,  deux  ans,  un  mois,  un  jour.  Chacun 
d'eux  espéra  sans  doute  jouir  de  son  pouvoir  souverain  plus  longtemps  que 
ses  prédécesseurs,  et,  comme  l'Ati  de  la  VI"  dynastie,  ordonna  dès  son 
avènement  qu'on  lui  devisât  sans  tarder  une  pyramide  :  aucun  n'eut  le  temps 
d'achever  la  bâtisse,  ni  même  de  fa  pousser  assez  loin  pour  que  la  trace  en 
demeurât.  Comme  ils  n'avaient  pas  de  tombeau  qui  les  rappelât  à  la  postérité, 
leur  souvenir  mourut  avec  la  génération  qui  les  avait  vu  régner.  L'autorité 
royale  s'amoindrit  à  tant  changer  de  main,  sa  faiblesse  favorisa  l'accrois- 
sement des  familles  féodales  et  encouragea  leur  ambition.  Les  descendants 
de  ces  seigneurs  qui  se  creusaient  de  si  beaux  hypogées  sous  Papi  1er  et  sous 
Papi  II  ne  supportèrent  plus  que  nominalement  la  suprématie  du  suzerain 
officiel  ;  plusieurs  comptaient  des  princesses  du  sang  parmi  leurs  grand'mères 
et  possédaient  ou  croyaient  posséder  des  droits  égaux  à  ceux  de  la  branche 
régnante.  Memphis  déchut,  s'appauvrit,  se  dépeupla.  On  n'y  construisit  plus 
ces  immenses  mastabas  en  pierre  où  la  richesse  de  ses  habitants  s'étalait 
avec  orgueil,  mais  des  mastabas  en  briques  où  la  décoration  se  concentra 
presque  entière  dans  une  niche  étroite,  autour  du  cercueil.  Bientôt  même,  on 
renonça  aux  mastabas,  et  la  ville  n'eut  plus  que  des  cimetières  mesquins 
semblables  à  ceux  des  moindres  cités  provinciales.  Le  centre  de  gravité  de 
l'Egypte,  qui  avait  si  longtemps  pesé  sur  elle,  se  déplaça,  descendit  au  sud 
et  s'arrêta  vers  la  Grande  Héracléopolis. 


oUeJ     <JÏremier^  G/n&treJ       Ôneoai/v 

t£iaJ  deux  aunaâ&ed.'  it  C/vélacuotroutt.'  et.   la    douzièmes  aunaâfie. 
sAa   conauèfe'  de'  l  L>fniopie> 
se    l achèvement,    deS    la    CyrandeS    Oaupie.'    *>«/■-*   ledJ   roùt.'     ÙAeoain 


J.a  jmncùraufe'  il  ^/beradèotnilidJ  :  ^/zÂMnoèdJ-^/lniti  et.  lett.>  dunaôii&O 
ncrac/cop0ufaùu!sL.\  -  Ôtu>rema/ic->  denJ  ^uinddJ  oatennJ  :  lea.'  ^orteref*ed.> 
feoaalettS,  Ol-^Slalet.  t-HoiiaoïtS;  /a  aurrre  '  yeraè/iielle.' et.  UdJarmeocJ.  -  Ci'/ll- 
mencemenf/tS  des  la  princùniu/è  tne'&aiite'  :  lu  ôaro/iaieJ  de'  C'iottt.,  et.  ùitS 
UtfteitJ  dcJ  Jesc  '  àeianenrrt.'  conireJ  leaJ  ùneoainrtJ.  •  ^ierc  '  roi/cJ  des  la  onzièmes 
dunajties  et.  leumJ  co/ufluc/ionitJ  :  lot.  '  StùramiaeitJ  en  OriaueS  <i \sZoudOdJ  et. 
deJ  bneoetc>  et.  la  oaréarieS  au  /premier-' art.    C'AeOni/i. 

*J.a  douzième'  tlu/ta.>fie  '  :  S/ZmeitemÂttit.  ,  / ",  Jtin  avestemenj,,  aedJ  lulteitJ; 
il  afiocie'  au.  inl/ie'Jon  /tùtS  Clujiriaje/t  •  /',  et.  le'  firinci^e >  de  '  la/6t>cia/io/i 
frte'oatit.  lyirèdJ  lui  e/iez  jett*  jucce/Setint-'.  •  G/a*.  deitS  relatt'oiidJ  avec  leirJ 
ftcajHedJ  d^4lôie'  :  le*.'  J~amoit  en  L'atiffe'  et-  leaJ  Ùgtffrfiend-'  chez  ledJ- 
•Mèt/ouinjc' ',-  lea.>  J~U.veittitred?  des  ë'irtouliit-.  -  ^lectJ  ètaùlif>eniesi/it 
•la  VÙtiti  .-  teS  Airlvut.  el-C'là''d<'"  "-  ■>"  cAtyiel/eS  li '  isZ\i/Aor-'. 


e£n  jw/ùifue  '  â/ruptien/ie  '  danttJ  le'  ôa/iui  du  JÙi.  -  <£a  Jtuéie'  nj>inu/ce.' 
tut  reàltJ  ae.'  t Oifffitc'  :  lea.'  /nivaux  flatJ  MAaraonic',  ùd'  nune/c'  a  or-' et.  la 
ciltuteue' ae.' l'teuôàn.  -  CAyani>tx/ion  ae'  ut  Jerense'  attlour-' aeJ la  ieconde' 
calarxtcte'  ;  le/t-'  lieux  /orte/WseaJ  et.  loùjetvatoire'  -flueial  rite.»  Oettuien.  - 
■  /Îoum  t  Attnulièe.'  et.  aejtJ  freturleitJ  ;  le/tJ  quem/t.'  en/reprtJed.'  con/re  '  eue'  et. 
teuntJ  re.il/ffalrt.' ,■  lanJ  mùiejt.'  tt or-'.  •  ^Ce^cJ  expèdiliotutJ  au  .M'Utuiù.,  et.  lettJ 
/utv£aa/t'o/ui.>/eS  tvnp  detc.'  Celte*!.?  dcJ  la  mer- '^Jlouije-'  .•  IcJ  Civile'  dit  Jtau/raaè. 

**.ercJ  travaux  frttolict.'  et.  lea.'  conôtructiont.' nouveuett^'.  -  via  restauration 
dettJ lenyieit.'  au,  *J)elta  ;  Vanitt  '  et-  lejt-'  àpltinx  au  troiâiènteJ  ^/tmenemfiàll., 
UGttùaJle.'  t/beZuyx/lucJ  et.  te.'  tetiyte'  dCAuirlajen  L/T  -  ^leit.'  aaranaïj/Se- 
men/ic'  t/eJ  Vftèbttr.' et.  il \  fibudort.'.  -  ^/Ùèracle'tyjoliic.'  et.  leJ  ^J'aaoum  ;  Uit_> 
monumetitic  '  aeJ  iJOegiq  et,  de'  ^/Sianmoti,  lenJ  enanuirt  '  et-  lerc>  eaux  ait 
J/ityottm,  frrtditectioti.  dex.'  ^Mutraonn.' frvar-' 'celle'  province'.  -  ^ien.'  iritra- 
mùéexJ  uy a/ed-'  de'  Wo/ij/uhu*)  ae.'^ùsÂt..  a'.MfaAoun  et.  de  w'sZ'aiimrtr. 

*/,<*  /eodalile 'et. Mm-  rtUeJûOitjc' 'la  deuxième  'du/iajtie'.  -  •  /i'titloire'aeii'firûtcert.' 

liait..   -  ^ie/C'JÛYd  'ae.'   hnèoeit  '.  et.  /avènement,  de'  la  treizième.' 

aujiajlleJ  ;  teic'   CjovK&atpifu   et.  le/tJ   JLo/trAotpou.   - 

i_  Acnèvemeiu.  des  ta  cimauèteJ  nttoientie  ';  ùi 

aualortième,'auiiaJtie.  >. 


CHAPITRE   VI 

LE    PREMIER   EMPIRE   THÉBAIN 


(   CnNtflÉTL  ut  l'i 
BOIS    IHËIAUtS. 


V 


\  principauté  du  Laurier-Rose —  Nàrou  —  confinait  vers 
le  Nord  au  nome  Memphite  :  la  frontière  courait  de 
la  rîvc  gauche  du  Nil  à  la  colline  Libyenne,  du  voisinage  de 
Rikkah  à  celui  de  Méidoum.  Elle  enfermait  le  territoire 
compris  entre  le  Nil  et  le  Bahr-Yousouf,  de  ces   deux 
villages  au  canal  d'Harabshent,  —  l'île  Héracléopoli faine 
des  géographes  grecs,  —  et  de  plus  le  bassin  entier  du 
Fayoum,  au  couchant  de  la  vallée.  Elle  se  divisa  très 
anciennement  en  trois  circonscriptions,  le  Laurier-Rose 
Supérieur  —  Nàrou  Khoniti,  —  le  Laurier-Rose  Infé- 
rieur —  Nàrou  l*ahoui  —  et  la  terre  du  Lac,  —  To-shit, 
qui,  réunies  d'ordinaire  sous   la    suprématie   d'un   seul   chef,  constituaient 
comme  un  petit  Etat  dont  Héracléopolis  restait  la  capitale.  Le  sol  était  fertile, 
bien  arrosé,  bien  cultivé,  mais  le  revenu  que  les  cantons  resserrés  entre  les 

lettrine  représente  lo  l.ustc 
-r  de  la  tlollnliim  Sijypt itniic , 


446  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

deux  bras  du  Fleuve  portaient  à  ses  maîtres,  n'approchait  pas  aux  ressources 
que  ceux-ci  dérivaient  des  pays  situés  par-delà  les  monts1.  On  pénètre  au 
Fayoum  par  une  gorge  étroite,  sinueuse,  longue  d'une  dizaine  de  kilomètres 
environ,  dont  le  fond  fut  entaillé  avant  l'histoire  et  ravalé  à  main  d'homme, 
pour  permettre  aux  eaux  du  Nil  d'y  circuler  aisément*.  Le  canal  qui  les  amène 
se  détache  du  Bahr-Yousouf  à  la  hauteur  d'Héracléopolis,  franchit  rapidement 
la  chaîne  Libyque,  puis  débouche  dans  un  amphithéâtre  immense,  adossé  à 
l'Egypte,  dont  les  pentes  descendent  par  ressauts  jusqu'à  plus  de  trente 
mètres  au-dessous  du  niveau  de  la  Méditerranée.  Il  jette  à  droite  et  à  gauche 
deux  grands  bras,  l'Ouady  Tamiéh  et  l'Ouady  Nazléh,  qui  filent  d'abord  au 
pied  des  hauteurs  et,  se  rabattant  l'un  vers  l'autre,  tombent  dans  un  grand 
lac  déployé  en  croissant  ou  en  corne,  de  l'Est  à  l'Ouest,  le  Mœris  de  Strabon, 
le  Birkét-Kéroun  des  Arabes3.  Une  troisième  branche  pousse  droit  dans 
l'espace  enclavé  entre  les  premières,  baigne  au  passage  la  ville  de  Shodou, 
et  se  décompose  en  une  quantité  de  canaux  et  de  rigoles  dont  les  rami- 
fications dessinent  sur  la  carte  un  lacis  semblable  au  réseau  de  nervures  qui 
forme  le  squelette  d'une  feuille  desséchée.  Le  lac  se  répandait  alors  plus  loin 
qu'il  ne  fait  aujourd'hui  et  submergeait  des  terrains  desquels  il  s'est  retiré*. 

p.  8i-85,  n°  730),  dessine  par  Faucher-Gudin,  d'après  une  photographie  de  GolénischefT  (cf.   Golk- 
mschkfk,  Amenemha  III  et  les  sphinx  de  San,  pi.  III,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XV,  p.  136). 

1.  Brugsch  (Die  /Egypiologie,  p.  447)  Iil  Im,  Amou,  le  nom  du  norne;  les  variantes  du  nom  de 
la  capitale  (Brugsch,  Die  t.  Géogr.,  p.  315-316,  331)  me  paraissent  prouver  qu'il  faut  le  lire  Nâril 
ou  Nârou.  Le  nome  avait  été  d'abord  méconnu  et  sa  capitale  identitîéc  par  Brugsch  avec  Bubastis 
(Mariette,  Henseignement*  sur  les  soixante-quatre  Apis,  dans  le  Bulletin  Archéologique  de  FAlhé- 
nseum  Français,  1856,  p.  98,  note  103),  puis  avec  l'Oasis  d'Ain  on  (Geogr.  Ins.,  t.  I,  p.  292-294; 
cf.  Chabas,  les  Papyrus  hiératiques  de  Berlin,  p.  17-36)  :  E.  de  Bougé  démontra  le  premier  qu'il 
s'agissait  d'Héracléopolis  Magna  (Inscription  historique  de  Pianchi-Meriamen,  p.  19-20;  cf.  Itevue 
Archéologique,  1864,  2*  série,  t.  VIII,  p.  113-114).  La  lecture  du  nom  de  la  ville  est  Hininsou 
(Daréssy,  Remarquée  et  Notes,  g  XX,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XI,  p.  80;  Brugsch,  Der  ait â- 
gyptische  Name  der  Stadt  Gross-Hcrakleopolis,  dans  la  Zeitschrift,  1886,  p.  75-76).  Le  nom  de 
To-shit  a  été  appliqué  au  Fayoum  par  Brigsch,  Das  alltegyptischc  Seeland,  dans  la  Zeitschrift, 
1872,  p.  89-91,  qui,  plus  tard,  en  restreignit  l'application  au  canton  d'EI-Bats,  le  pays  qui  court 
d'HIahoun  vers  Tamiéh,  le  long  de  la  chaîne  Libyque  (der  Môris-Sce,  dans  la  Zeitschrift,  t.  XXX, 
p.  73  sqq.).  Les  limites  du  nome  Héracléopolite  ont  été  parfaitement  définies  par  Joraard  à  l'aide 
de  données  empruntées  aux  géographes  grecs  (Description  de  Vllcptanomide,  dans  la  Description 
de  l'Egypte,  t.  IV,  p.  400  sqq.). 

2.  Pour  la  géographie  du  Fayoum,  cf.  Jomard,  Description  des  Antiquités  du  nome  Arsinoïte,  dans 
la  Description  de  l'Egypte,  t.  IV,  p.  486-440,  et  Mémoire  sur  le  lac  Mœris,  dans  la  Description  de 
l'Egypte,  t.  VI,  p.  157-162;  Chklu,  le  Nil,  le  Soudan,  VÉgyple,  p.  381  sqq.,  et,  tout  récemment,  le 
mémoire  du  major  11.  II.  Brown,  the  Fayûm  and  Lake  Mœris,  1892. 

3.  Strabon,  XVII,  p.  809-811  ;  Jomard,  Mémoire  sur  le  lac  de  Mœris,  dans  la  Description,  t.  VI,  p.  164. 

4.  La  plupart  des  savants  qui  se  sont  occupés  du  Fayoum  en  dernier  lieu  ont  exagéré  grande- 
ment l'étendue  du  Birkét-Kéroun  à  la  période  historique.  M.  Pétrie  (Hatrcra,  Biakmu  and  Arsiuoc, 
p.  1-2)  déclare  qu'il  couvrait  le  Fayoum  actuel  en  son  entier,  pendant  la  durée  de  l'empire  Mcin- 
phite,  et  qu'une  toute  petite  partie  en  fut  desséchée  pour  la  première  fois  par  Amenemhàlt  I'% 
et  M.  Brown,  adoptant  cette  théorie,  pense  que  ce  fut  sous  Amenemhàlt  III  que  le  grand  lac  du 
Fayoum  fut  transformé  en  une  sorte  de  réservoir  artificiel  qui  serait  le  Mœris  d'Hérodote  (The 
Fayûm  and  Lake  Mœris,  p.  69  sqq.).  La  ville  de  Shodou,  Shadou,  Shadît,  capitale  du  Fayoum. 
et  son  dieu  Sovkou  sont  mentionnés  déjà  dans  les  textes  des  Pyramides  (Maspero,  ta  Pyramide  de 
Pépi  11,  dans  le  Recueil  de  travaux,  t.  XIV,  p.  151,  lignes  1359-1360)  :  le  district  oriental  du  Fayoum 


LA  PRINCIPAUTÉ  D'HËRACLËOPOLIS. 


447 


L'excédent  des  eaux  s'y  dégorgeait  dans  les  années  où  la  crue  surabonde  ; 
quand  elle  était  insuffisante,  on  reversait  à  la  vallée  par  le  même  chemin  ce 
qui  n'en  avait  pas  été  absorbé  par  les  terres,  et  le  Bahr-Yousouf  le  roulait 
vers  la  partie  occidentale  du  Delta,  pour  y  renforcer  l'inondation.  Le  Nil 
avait  tout  créé  dans  ce  pays  et  c'était  à  des  dieux  humides  que  les  habitants 


des  trois  nomes  rendaient  hommage.  Héracléopolis  adorait  le  bélier  Harsha- 
fitou,  auquel  elle  associait  l'Osiris  de  Naroudouf  comme  roi  des  morts1;  les 
habitants  de  l'autre  partie  du  Laurier-Rose  révéraient  un  second  bélier, 
Khnoumou  de  Hàsmonitou*,  et  le  Fayoum  entier  pratiquait  le  culte  de  Sovkou, 
le  crocodile8.  Les  Pharaons  des  lignées  anciennes,  attirés  par  la  richesse  du 
sol,  avaient  résidé  parfois  aux  environs  d'Héracléopolis  ou  dans  Héracléopolis 

est  nommé  dans  l'inscription  d'Aroten,  sous  la  III*  dynastie  (Maspero,  Éludée  Égyptiennes,  t.  II, 
p.  187-188;  cf.  p.  293  de  cette  Histoire). 

1.  On  consultera  sur  le  dieu  Harshafftou,  Lamzone,   Dizionario  di  Mitologia,  p.  552-557  (cf.  p.  98-99 
de  cette  Histoire),  et  sur  l'Osiris  de  Naroudouf,  Brigsch,  Dictionnaire  Géographique,  p.  345. 

2.  Ilâ-Smonîtou  ou  Smonft  est  aujourd'hui  Ismend  (Brigsch,  Geographische  Inschriflen,  t.  1,  p.  232). 

3.  Brugsch,  Iteligioii  und  Mythologie  der  aiten  Mgypter,  p.  156  sqq.;  cf.  p.  103-104  de  cette  Histoire. 


448  LE  PREMIER  EMPIRE  THÊRAIN. 

même,  et  l'un  d'eux,  Snotroui,  avait  bâti  sa  pyramide  à  Méidoum,  près  la 
frontière  du  nome'.  A  mesure  que  la  puissance  des  Memphites  s'amoindris- 
sait, les  princes  du  Laurier-Rose  devenaient  plus  forts  et  plus  entreprenants; 
quand  elle  s'éclipsa,  ils  remplacèrent  leurs  maîtres  de  la  veille  et  s'assirent 
«  sur  le  siège  d'Horus  o. 

Le  fondateur  de  la  IX'  dynastie  fut  peut-être  Khîti  1"  Miribri,  l'Akhthoès 


des  Grecs".  Son  autorité  s'exerça  dans  l'Egypte  entière,  et  l'on  a  déchiffré  son 
nom  sur  les  rochers  de  la  première  cataracte*.  Un  conte  de  l'époque  des 
Ramessides  mentionne  ses  guerres  contre  les  Bédouins,  à  l'Orient  du  Delta*, 
et  ce  que  Manéthon  nous  dit  de  sa  mort  n'est  qu'un  roman  dont  l'auteur  le  trai- 
tait de  tyran  ou  de  sacrilège,  comme  Khéops  et  Khêphrèn  :  le  crocodile,  ven- 
geur attitré  des  dieux  qu'on  offense,  l'entraînait  au  fond  des  eaux  et  le  dévo- 
rait*. Ses  successeurs  paraissent  avoir  régné  sans  éclat  pendant  un  peu 
plus  d'un  siècle7.  Nous  ne  connaissons  rien  de  leurs  actions,  mais  on  plaçait 

I.  Cf,  sur  la  pyramide  de  Métdoumel  sur  ia  résideucedcSnoufroui,  les  [li.jiu^.  :j-iH-3t".Ll  de  cette  Histoire. 

t.  Destin  de  Faucher-Oudin,  d'après  l'original  tomeivif  au  Mutée  du  Louvre.  Cf.  Mispena,  fioles 
au  jour  le  jour,  g  11],  dans  les  Procecdings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique.  I.  XIII,  p.  119-1311. 

3.  Le  nom  de  Khîti,  prononcé  rapidement  Khti,  a  pris  une  voyelle  initiale  et  est  devenu  Akhti. 
comme  Sni  cal  devenu  Esnch,  Thou  Edfou.  Khmounou  Ashmounétn,  etc.  Le  rapprochement  de  Khîti, 
Khltou,  et  d'Akhthoès  est  dû  à  M.  GMFM7H,  F.gypt  Exploration  Fund,  Report  of  General  Meeting, 
1888-1889,  p.  18  note,  et  Notes  on  some  Royal  .Vamn  and  Famitîcs,  dans  les  Proceedings  de  la 
Sociélé  d'Archéolonie  Biblique,  t.  XIV,  p.  10.  Sur  la  coupe  en  brome  de  ce  souverain  acquise  par  le 
Musée  du  Louvre,  cl  sur  les  scarabées  qui  porlent  son  prénom  de  Mirihrt,  cf.  les  observations  de 
M*s«so,   yoles  au  jour  le  jour,  %  10,  dans  les  Proceedings,  t.  Xïll,  p.  129-131. 

1,  Il  nété  signalé  dans  ces  parages  par  Sayce  {The  Atadcmy,  IMS,  I.  Il,  p.  33Î). 

;;.  GoLtWMWt,  le  Papyrus  n-  I  de  Saint-Petrrsbourg,  dans  la  Zeiltclirifl,  1876,  p.  1U9. 

fi.  M.speao,  les  Coules  populaires  de  l'Egypte  Ancienne.  ï-  éd.,  p.  59-lîi;  cf.  ce  qui  a  élé  dit  du 
crocodile  vengeur  des  dieux  à  la  page  !3li,  note  3,  et  d'Akhthoès  à  la  page  «Il  de  celle  Histoire. 

7.  Le  chiffre  le  plus  vraisemblable  pour  la  durée  de  celte  première  dynastie  Ilénicléopolttainr  cl 


KHlTI  1"  ET  LES  DYNASTIES  HEKACLEOPOLITAINES.  «9 

sous  l'un  d'eux,  Nibkaouri,  l'aventure  d'un  fellah  en  voyage  qui,  dépouillé 
de  son  pécule  par  un  artisan,  venait  à  Héracléopolis  réclamer  justice  auprès 
du  maître  ou  le  charmer  par  l'éloquence  de  ses  plaintes  et  par  la  variété 
de  ses  métaphores1.  Sans  doute  il  serait  puéril  de  vouloir  retrouver  dans  ce 
fabliau  le  souvenir  d'un  événement  véritable,  mais  le  peuple  ne  se  rappelle 
•  guère  le  nom  des   princes  insignifiants,  et  la  ténacité  avec  laquelle  il  con- 


serva la  mémoire  de  plusieurs  des  Héracléopolitains  prouve  suffisamment 
qu'ils  avaient  su  frapper  son  imagination  en  bien  ou  en  mal.  L'histoire  de 
cette  époque,  autant  qu'on  la  devine  à  travers  les  brouillards  du  passé,  semble 
une  mêlée  confuse;  du  nord  au  midi,  la  guerre  sévit  sans  trêve,  guerre  des 
Pharaons  contre  leurs  vassaux  rebelles,  guerres  des  nobles  entre  eux,  ou 
moins  que  des  guerres,  des  maraudes  poussées  en  tout  sens  par  des  bandes 
pillardes,  trop  faibles  pour  menacer  sérieusement  les  grandes  cités,  assez 
nombreuses  ou    menées  assez    vigoureusement  pour  rendre  les   campagnes 

«lui  de  ceni  dix-neuf  ans  que  Lcpsius  [Kôiiigthuelt,  p.  :iti-li~,)  avait  adopté  avec  doute  (cf.  Maspbro, 
(Juatre  Année!  de  fouillei,  dans  les  Mémoire,  de  la  Mi-ion  du  Caire,  t.  I,  p.  S4lt).  Le  nombre  le  plus 
vraisemblable  des  rois  est  de  quatre. 

1.  On  a  cru  d'abord  que  c'était  le  second  roi  de  la  III*  dynastie  (Masfepio,  la  Coules  populaire!  de 
l'Egypte  antienne,  *•  éd.,  p.  il,  noie  1),  ou  un  pharaon  inconnu  de  la  X'  (i:h*«is,  les  l'apyrui  Hiérati- 
que! de  Berlin,  p.  13).  Comme  le  lieu  do  la  scène  est  placé  dans  Héracléopolis  Magna,  ainsi  que  la 
résidence  du  roi.  M,  CriOith  a  certainement  raison  de  ranger  Nibkaouri  dans  la  IX'  dynastie  [Eggpt 
Exploration  Fané,  Ucporlof  thi  Tliird  gênerai  Meeting,  IBH8-1889,  p.  Ï8H;  fragment!  of  old  jSgyp- 
liait  Storiet,  dans  tes  Procerdingi  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  IH91-18'JS,  t.  XIV,  p.  169, 
noie  t).  Sur  l'histoire  de  ce  paysan,  cf.  ce  qui  est  dit  aux  pages  ÏO'J-310  du  présent  volume. 

t.  Dettin  de  Boudirr,  d'aprdt  une  photographie  de  firéhaut.  Au  milieu,  une  brèche  à  l'endroit  oii 
s'élevait  la  porte  ;  à  droite  et  à  gauche,  on  distingue  nettement  la  courbure  des  lits  de  briques. 


450  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBA1N. 

inhabitables  et  pour  ruiner  la  prospérité  du  pays1.  Les  bords  du  Nil  étaient 
hérissés  déjà  de  citadelles  où  les  princes  des  nomes  résidaient  et  d'où  ils 
surveillaient  les  régions  soumises  à  leur  autorité*  :  d'autres  s'installèrent  par- 
tout où  l'on  crut  discerner  une  position  favorable,  sur  les  passes  du  fleuve» 
vers  l'entrée  des  gorges  qui  vont  au  désert.  Le  même  plan  leur  servit  à 
toutes,  et,  si  elles  diffèrent  entre  elles,  c'est  uniquement  par  l'ampleur  de  l'aire 
qu'elles  enfermaient  ou  par  l'épaisseur  de  leur  enceinte.  Elles  dessinent  sur  le 
sol  un  long  parallélogramme,  dont  les  murailles  se  partagent  assez  souvent  en 
panneaux  verticaux,  aisément  reconnaissables  à  l'agencement  des  matériaux. 
A  EI-Kab  et  dans  plus  d'un  endroit,  les  lits  de  briques  sèches  sont  légèrement 
concaves  et  simulent  un  arc  renversé,  très  ouvert,  dont  l'extrados  s'appuie 
sur  le  sol3.  Ailleurs  les  panneaux  en  assises  courbes  alternent  régulièrement 
avec  d'autres  où  elles  sont  rigoureusement  horizontales.  La  raison  de  cet 
arrangement  demeure  encore  obscure  :  on  croit  pourtant  que  les  édifices  où  il 
a  été  employé  résistent  mieux  aux  tremblements  de  terre.  La  plus  vieille  forte- 
resse d'Abydos,  celle  dont  les  ruines  se  cachent  sous  la  butte  du  Kom-es- 
Sultan,  était  ainsi  construite4.  Envahie  par  les  tombeaux  dès  la  VIe  dynastie, 
on  la  remplaça  bientôt,  à  quelque  cent  mètres  au  sud-est,  par  un  fort  de 
même  taille  qui  est  l'un  des  modèles  les  mieux  conservés  de  l'architecture 
militaire,  pour  les  temps  immédiatement  antérieurs  à  l'avènement  du  premier 
empire  thébain6.  Le  tracé  n'en  présente  ni  tours,  ni  saillants  d'aucune  sorte  : 
il  se  compose  de  quatre  fronts  parallèles  deux  à  deux,  qui  mesurent 
131  mètres  de  long  à  l'est  et  à  l'ouest,  78  mètres  au  nord  et  au  sud.  Le  gros 
œuvre  consiste  en  assises  horizontales;  il  est  plein,  légèrement  incliné  en 
arrière,  décoré  à  l'extérieur  de  rainures  verticales  qui  en  diversifient  la  surface 
par  des  jeux  d'ombre  et  de  lumière  sans  cesse  renouvelés  à  toutes  les  heures 
du  jour.  Complet,  il  ne  devait  guère  s'élever  à  plus  de  12  mètres;  le  chemin 
de  ronde  se  couronnait  d'un  parapet  mince,  assez  bas,  à  nierions  arrondis,  et 

1.  Ces  faits  résultent  des  expressions  employées  dans  les  textes  qui  nous  sont  parvenus  des  pre- 
miers temps  de  la  XII0  dynastie,  dans  la  Grande  Inscription  de  Béni-Hassan  (I.  36  sqq.),  dans  les 
Instructions  d'Amenemhâit  (pi.  1,  1.  7-9;  cf.  p.  -464  de  cette  Histoire),  mais  surtout  dans  les  panégy- 
riques des  princes  de  Siout  analysés  ou  traduits  plus  bas,  aux  pages  456-468  de  cette  Histoire. 

2.  Il  a  déjà  été  question  de  ces  Châteaux,  de  ces  résidences  fortifiées  dans  lesquelles  les  grands 
seigneurs  égyptiens  passaient  leur  vie,  aux  pages  297-298  de  cette  Histoire. 

3.  A  EI-Kab,  le  front  sud  présentait  la  même  disposition  qu'on  rencontre  au  Kom-es-Sultàn;  c'est 
seulement  sur  les  fronts  nord  et  est  que  les  lits  sont  ondulés  régulièrement  d'un  bout  à  l'autre. 

4.  Cf.  ce  qui  a  été  dit  de  cette  première  forteresse  d'Abydos  à  la  page  232  de  cette  Histoire. 

5.  Maspero,  Archéologie  Egyptienne,  p.  22-28;  Dikilafoy,  l'Acropole  de  Suse,  p.  163-166.  J'avais 
d'abord  pensé  que  la  seconde  forteresse  avait  été  édifiée  vers  la  XVIII*  dynastie  au  plus  tdt,  peut-être 
k  la  XXe  (Archéologie  Egyptienne,  p.  23).  Les  détails  de  la  construction  et  de  l'ornementation  me  por- 
tent maintenant  à  l'attribuer  aux  périodes  intermédiaires  entre  la  VI"  et  la  Xll*  dynastie. 


LES  FORTERESSES  FEODALES  :   EL-KAÏt  ET  ABYDOS.  43i 

l'on  y  montait  par  des  escaliers  discrètement  ménagés  dans  la  maçonnerie. 
Une  chemise  crénelée,  haute  de  5  mètres  ou  environ,  courait  à  3  mètres  en 
avant  et  enveloppait  le  corps  de  la  place.  Deux  portes  livraient  accès  à  l'inté- 
rieur, et  des  poternes,  réservées  dans  les  intervalles,  facilitaient  les  sorties  de 
la  garnison.  L'entrée  principale  se  dissimulait  dans  un  massif  épais,  à  l'extré- 
mité orientale  du  front  est.  Une  coupure  étroite,  barrée  de  solides  battants 
en  bois,   lui  correspondait  dans  lavant-mur;  par  derrière,  une  petite  place 


d'armes  s'étendait,  au  fond  de  laquelle  on  avait  pratiqué  une  seconde  porte 
aussi  resserrée  que  la  première,  puis  une  cour  oblongue  étouffée  entre  les 
remparts  extérieurs  et  deux  contreforts  qui  s'en  détachaient  à  angle  droit, 
enfin  une  dernière  porte  reléguée  à  dessein  dans  le  recoin  le  plus  éloigné.  C'en 
était  assez  pour  résister  victorieusement  aux  moyens  d'action  dont  les  meil- 
leures armées  d'alors  pouvaient  disposer.  Elles  n'en  connaissaient  que  trois 
pour  enlever  une  place  de  vive  force  :  l'escalade,  la  sape,  le  bris  des  portes. 
La  hauteur  des  murailles  empêchait  l'escalade.  La  braie  tenait  les  pionniers 
;'i  distance;  quand  ils  l'avaient  percée,  des  hourds  charpentés  en  dehors  des 
crénelages  permettaient  aux  assiégés  d'accabler  de  pierres  et  de  javelines 
l'ennemi  qui  approchait  le  pied  du  mur  et  de  rendre  le  travail  de  la  sape 
presque  impossible.  La  première  porte  finissait-elle  par  céder,  les  assail- 
lants s'engouffraient  dans  la  cour  comme  dans  une  sorte  de  puits  où  ils  ne 
pénétraient  qu'en  très  petit  nombre  :  il  leur  fallait  aussitôt  courir,  attaquer 

I.  Iteiëiii  de  Boudin;  d'après  ont  photographie  d'Emile  Itiutjsch-Kcij.  Les  Arabes  t'appellent  anjour 
d'hui  la  Shountl  Fi-Ze'btti.  le  grenier  ries  raisins  sors  (cf..  pour  une  origine  possible  de  ce  nom, 
nocHMiMMi,  VEarrr*  direrta,  p.  SU)  ;  le  plan  en  es!  donné  dans  Mahictti,  AUydot,  t.  Il,  pi.  C». 


432 


LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBA1N. 


la  seconde  porte,  sous  une  pluie  de  projectiles,  et  s'ils  la  jetaient  bas,  c'était 
Dieu  sait  au  prix  de  quels  sacrifices.  Les  peuples  du  Nil  ignoraient  le  bélier 
suspendu,  et  le  bélier  manœuvré  à  bras  ne  figure  nulle  part  dans  les 
tableaux  :  c'est  à  coups  de  hache  ou  en  mettant  le  feu  aux  vantaux  que  Ton 
devait  se  frayer  un  chemin  au  cœur  de  la  place.  Pendant  que  les  sapeurs 
travaillaient  de  leur  mieux,  les  archers  essayaient  de  nettoyer  la  courtine  et 
d'en  écarter  les  ennemis  par  la  précision  de  leur  tir;  des  soldats  abrités 
derrière  des  mantelets  mouvants   s'ingéniaient  à  écrêter  les  défenses  ou  k 


l/ATTAQI'E    d'IMK    FORTERESSE    ÉGYPTIENNE    PAR    DES  TROl  PES   DR    DIVERSES   ARMES1. 


désemparer  les  hourds  avec  des  lances  gigantesques  pourvues  d'une  pointe 
métallique.  Aucun  de  ces  procédés  n'était  efficace  lorsqu'on  avait  affaire  à 
une  garnison  résolue  :  on  ne  venait  à  bout  de  sa  résistance  qu'en  la  bloquant 
de  près,  en  l'affamant,  ou  en  provoquant  la  trahison  parmi  les  habitants. 

L'équipement  manquait  d'uniformité  et  l'on  voyait  côte  à  côte  des  miliciens 
armés  de  la  fronde  ou  de  l'arc,  de  la  pique,  du  sabre  en  bois,  du  casse-tête, 
de  la  hache  en  pierre  ou  en  métal.  Des  bonnets  rembourrés  protégeaient  la 
tête;  des  écus  de  petite  taille  pour  l'infanterie  légère,  d'un  module  énorme 
pour  l'infanterie  de  ligne,  abritaient  le  corps.  Le  succès  des  batailles  se 
décidait  par  une  succession  de  combats  singuliers  entre  adversaires  de 
mêmes  armes  :  les  piquiers  seuls  paraissent  avoir  chargé  en  ligne  derrière 
leurs  grands  pavois.  Les  blessures  étaient  en  général  assez  légères  :  on  se 
couvrait  du  bouclier  avec  tant  d'adresse  qu'on  ne  risquait  guère  d'être  atteint 
dans  les  parties  vives.  Quelquefois  pourtant  une  lance  poussée  à  fond  crevait 
une  poitrine;  un  sabre  ou  une  massue  vigoureusement  maniés  fendaient  un 
crâne,  étourdissaient  un  homme,  retendaient  à  terre  évanoui.  On  ne  faisait 
guère  d'autres  prisonniers  que  ces  blessés  incapables  de  fuite,  et  le  terme 

1.  Destin  de  Faucher-Gudin.  d'apre*  une  peinture  du  tombeau  d' Amoni-AmenemhAit  à  Réni-Hasêan 
(cf.  Newberry,  Iteni-Hasan,  t.  I,  pi.  XIV). 


LES  COMMENCEMENTS  DE  LA  PRINCIPAUTÉ  THÊBAINE.  453 

dont  on  les  désignait,  le*  frappé*  vivant*  —  sokirou  ônkhou,  —  indique 
assez  la  façon  dont  on  se  les  était  procurés.  Les  bandes  se  recrutaient  en 
partie  chez  les  possesseurs  de  fiefs  militaires,  en  partie  chez  les  tribus  du 
désert  ou  de  la  Nubie.  Les  princes  conservèrent,  grâce  à  leur  appui,  l'indé- 
pendance réelle  qu'ils  avaient  conquise  sous  les  derniers  Memphites  :  partout, 
à  Hermopolis,  à  Siout,  à  Thèbes,  ils  fondèrent  de  véritables  dynasties,  liées 
très  intimement  à  la  dynastie  pharaonique  et  parfois  ses  égales,  bien  qu'elles 
ne  s'attribuassent  ni  la  couronne  ni  le  double  cartouche.  Thèbes  surtout  était 


merveilleusement  placée  pour  devenir  la  capitale  d'un  État  important.  Elle 
s'élevait  sur  la  rive  droite,  à  l'extrémité  septentrionale  du  coude  que  le  fleuve 
décrit  vers  Hermonthis,  et  au  centre  d'une  des  plaines  les  plus  fertiles  qu'il 
y  ait  en  Egypte.  Juste  en  face  d'elle,  la  chaîne  Libyque  lance  un  rameau 
escarpé,  entrecoupé  de  ravins  et  de  cirques  arides,  et  séparé  de  la  berge  par 
une  simple  langue  de  terre  cultivée,  facile  à  défendre.  Une  troupe  d'hommes 
aguerris  postée  sur  cet  isthme  commandait  le  bras  navigable,  interceptait 
à  volonté  le  commerce  de  la  Nubie  et  barrait  complètement  la  vallée  aux 
armées  qui  auraient  tenté  de  passer  outre  sans  en  avoir  acheté  l'autorisation. 
Les  avantages  du  site  ne  semblent  pas  avoir  été  appréciés  au  temps  des  Mem- 
phites :  la  Haute  Egypte  n'avait  alors  qu'une  vie  politique  assez  languissante, 
et  Thèbes  demeura  un  village  obscur,  incorporé  au  nome  d'Ouisit  sous  la 
dépendance  d'Hermonthis.  Elle  ne  commença  à  prendre  conscience  de  sa  force 
que  vers  la  fin  de  la  VIII"  dynastie,  quand  la  chute  des  Memphites  eut  con- 
sommé le  triomphe  de  l'esprit  féodal  sur  la  royauté*.  Une  famille  originaire 

I.  /vit m  de  Faurher-G'idin,  d'api**  une  peinture  du  tombeau  d Amnni-Amenemhâit,  à  Béni-Hat- 
ton  {cf.    >»i«,i,  Beni-llataa,  t.  1,  pi.  XVI), 

t.  lie  fui  de>ienl  des  plus  probables  si  l'on  compare  le  nombre  officiel  de  ces  princes  avec  le 
plus  irsisemMable  de*  chiffres  qui  marquent  la  durée  des  deux  dynasties  Héracléopoli laines  (Masfsim, 
Quatre  Aantri  de  fouille*,  dans  les  Mémoire»  de  la  Million  Fratieattr  du  Caire,  l,  I,  p.  34U). 


454  LE  PREMIER  EMPIRE  THËBAIN. 

d'Hermonthis,  s'il  faut  en  juger  par  le  nom  de  Monthotpou  que  ses  membres 
affectionnèrent,  s'y  établit,  en  fit  la  capitale  d'une  petite  principauté  qui 
s'arrondit  rapidement  aux  dépens  des  nomes  voisins1.  Tous  les  bourg»  et 
toutes  les  villes  de  la  plaine,  Mâdout*,  Hfouît8,  Zorît4,  Hermonthig,  puis, 
vers  le  sud,  Àphroditopolis  Parva  au  défilé  des  Deux  Montagnes  qui  marquait 
la  frontière  du  fief  d'El-Kab,  Kousit  vers  le  nord,  Dendérah,  Hou,  tombèrent 
entre  les  mains  des  Thébains,  et  enflèrent  démesurément  leur  apanage.  Les 
baronnies  voisines  d'El-Kab,  d'Éléphantine,  de  Coptos,  de  Kaar  es-Sayad, 
de  Thinis,  d'Àkhmîm  acceptèrent  plus  ou  moins  volontairement  leur  supré- 
matie. Le  premier  d'entre  eux,  Antouf,  ne  s'arrogeait  d'autre  qualité  que  celle 
de  Sire  de  Thèbes5  :  il  s'inclinait  encore  devant  la  suzeraineté  des  Héracléo- 
politains.  Ses  successeurs  se  crurent  assez  robustes  pour  la  rejeter  et  usur- 
pèrent les  insignes  de  la  royauté,  l'urseus  et  le  cartouche  :  Monthotpou  Ier, 
Antouf  11,  Antouf  III,  furent  ce  que  les  annalistes  appelèrent  plus  tard  des 
Horus,  des  souverains  de  l'Egypte  du  midi,  maîtres  de  la  Nubie  et  des  vallées 
perdues  entre  le  Nil  et  la  mer  Rouge6.  Ils  ne  manquèrent  pas  d'invoquer  à 
l'appui  de  leurs  ambitions  le  souvenir  d'alliances  contractées  jadis  avec  des 
filles  de  race  solaire  :  ils  se  targuaient  de  descendre  des  Papi,  d'Ousirniri 
Ànou,  de  Sahourî,  de  Snofroui,  et  d'annuler  par  l'antiquité  de  leurs  titres  les 
droits  plus  récents  de  leurs  rivaux7. 

Leur  révolte   mit  fin  à  la  IXe  dynastie;  la  Xe  usa  ses  forces  contre  eux 
sans  réussir  à  les  ramener  dans  le  devoir8.  Elle  fut  pourtant  soutenue  par  la 

1.  Le  dieu  d'Hermonthis  s'appelle  Montou  :  le  nom  de  Monthotpou,  le  dieu  Mont  ou  s'unit  à  lui, 
marque  donc  probablement  l'origine  hermonthite  des  princes  qui  le  portent.  Sur  l'étendue  de  la  prin- 
cipauté thébaine,  telle  qu'on  peut  la  déduire  des  litres  des  prêtresses  d'Amon  sous  la  XXI*  dynastie,  voir 
Maspero,  les  Momies  Royales  de  Déir  el-Bahart,  dans  les  Mémoires  de  la  Mission  du  Caire,  t.  I,  p.  715-716. 

2.  Mâdout  ou  Màdit  est  aujourd'hui  Médamôt,  ou  Kom-Madou,  au  IN.-E.  de  Thèbes  (Brugsch,  Geogra- 
phische  lnschn'ften,  t.  1,  p.  197;  Dictionnaire  Géographique,  p.  312-313). 

3.  llfouît,  Tuphion,  aujourd'hui  Taoud  (Brugsch,  Dictionnaire  Géographique,  p.  494-495). 

4.  Zorit,  aujourd'hui  le  petit  village  d'ed-Dour  (DCmichen,  Geschichte  des  Allen  Mgyptens,  p.  65). 

5.  C'est  à  lui,  je  crois,  qu'appartient  la  stèle  de  l'Ancien  Musée  de  Boulaq  (Mariette-Maspkro,  Monu- 
ments divers,  \>\.  50  b  et  p.  1 6  ;  Maspero,  Guide  du  Visiteur,  p.  34  et  planche),  reproduite  à  la  page  115 
de  cette  Histoire.  Il  est  en  tous  cas  l'Antouf  qui,  dans  la  Salle  des  Ancêtres  de  Karnak,  n'a  que  le  titre 
de  prince,  râpât tou,  sans  les  cartouches  (Prisse  d'Avkxnes,  Notice  sur  la  Salle  des  Ancêtres,  dans  la 
Revue  Archéologique,  lr#  série,  t.  I,  pi.  XXIII,  et  Lepsu's,  Auswahl  der  wichtigsten  Vrkunden,  pi.  1). 

6.  Le  titre  d'Horus  est  attribué  dans  la  Salle  des  Ancêtres  à  plusieurs  Antouf  et  Monthotpou  qui  ont 
le  cartouche.  C'est  probablement  une  façon  ingénieuse  qu'a  employée  le  rédacteur  de  marquer  la 
position  subordonnée  de  ces  personnages  à  côté  des  Pharaons  Héracléopolilains,  les  seuls  qui,  même 
au  temps  des  grandes  dynasties  Thébaines,  eussent  le  droit  de  figurer  sur  les  listes  officielles.  La  place 
dans  la  XI*  dynastie  des  princes  intitulés  Horusa  été  déterminée  pour  la  première  fois  par  E.  de  Bougé, 
Lettre  à  M.  Leemans,  dans  la  Revue  Archéologique,  V*  s.,  t.  VI,  p.  561  sqq. 

7.  Ousirlascn  l*r  consacrait  une  statue  à  son  père  Ouairnirî  Anou,  de  la  \*  dynastie  (Lepsiks, 
Auswahl  der  wichtigsten  Urhunden,  pi.  IXfl-r);  ce  pharaon,  Sahouri  et  Snofroui  figuraient,  dans  la 
Salle  des  Ancêtres,  parmi  les  ascendants  de  nos  princes  et  des  Pharaons  Thébains  de  la  XVI 11°  dynastie. 

8.  L'histoire  de  la  famille  Thébaine  a  été  reconstituée  parallèlement  à  celle  des  dynasties  Héracléo- 
politaines  par  Maspero,  dans  la  Revue  Critique,  1889,  t.  II,  p.  220.  La  difficulté  que  présentait  le 
nombre  des  rois  qu'elle  compte  dans  Manéthon,  comparé  aux  quarante-trois  ans  qu'elle  aurait  duré, 


LA  PRINCIPAUTÉ  IlE    SÎOUT. 


féodalité  du  centre  et  du  nord,  surtout  par  les  sires  du  Térébinthe  qui 
voyaient  de  fort  mauvais  œil  la  fortune  subite  des  Thébains1.  La  famille  qui 
détenait  alors  le  fief  de  Siout  y  commandait  depuis  trois  générations",  lorsque 


la  guerre  éclata.  Ses  débuts  avaient  coïncidé  avec  l'avènement  d'Akhthocs, 
et  son  élévation  fut  probablement  la  récompense  des  services  rendus  par 
son  chef  au  chef  des  Héracléopolitains3.  Elle  possédait  depuis  lors  un  titre 

a  été  écartée  par  B.imvcin,  Ditcorei  rriliti  raura  la  Cronologia  Eghia,  p.  131-134.  Ce»  u,uaranlc-troiB 
années  représentent  le  temps  que  la  dynastie  thébaine  a  régné  seule  et  pour  lequel  elle  avait  éle 
inscrite  au  Canon;  le  nombre  des  rois  comprend,  cil  plus  des  personnages  reconnus  comme  Pharaons, 
les  princes  contemporain»  des  llcracléopolilain»  qui  constituaient  officiellement  la  X*  dynastie. 

1.  Les  tombeaux  de  Sionl  ont  èlé  classés  longtemps  dans  la  Mil-  dynastie  (ainsi  encore  par  Wie- 
■eii»,  ,Egypiiiclic  Geëchirhle,  p.  fil-tli,  et  par  En.  Meykk,  Oetchkkte  dei  Allen  jEgt/plent,  p.  199, 
note  t).  L'attribution  que  j'eu  avais  faite  au*  dynasties  Héradcopolitaincs  (Quatre  Annie*  de  fouillet, 
dans  les  Mémoire»  de  la  Million  du  Caire,  t.  I,  p.  133)  a  été  confirmée  pour  trois  d'entre  eux,  Ici 
n-  III,  IV  et  V,  par  les  travaux  de  M.  Gairnrn,  The.  Inirriptiom  of  Siûl  and  Dtr-llifeh,  et  ISabylo- 
inan  and  Oriental  Record,  t.  III,  p.  111-139,  164-168.  174-184.  L'histoire  de  la  famille  qui  gouverna 
le  nome  du  Térébinthe,  telle  qu'elle  est  eiposée  ici,  a  été  déterminée  pour  la  première  fois  dans  la 
Renie  Critique,  I88!>.  1.  II.  p.  410-431.  ù  propos  de  l'ouvrage  de  H.  GrilSth. 

1.  C'est  ce  qu'on  doit  conclure  d'un  passage  de  la  Grande  Inscription  de  Khlti  II  (GatrriTH,  The 
Inscription!  of  Siûl,  pi.  XIII,  1.  8  =  pi.  XX,  I.  3),  très  ingénieusement  interprété  par  Griffith  [Babylo- 
n<an  and  Orientât  Record,  t.  III,  p.  161)  :  ce  prince  se  vantait  d'élra  descendu  de  cinq  princes,  hiqou, 
ce  qui  nous  oblige  à  admettre  une  série  de  trois  princes  à  Siout  avant  son  grand-père  Khlti  I". 

3.  En  accordant  aui  princes  de  Siout  une  moyenne  de  règne  égale  à  celle  des  Pharaons,  et  en 
admettant  que  la  IX"  dynastie  se  compose  de  quatre  ou  cinq  rois,  comme  l.epsius  l'admet  (Ktinigëliuch, 
p.  56-51),  l'avènement  du  premier  de  ces  princes  coïncide  très  suftisamment  avec  le  règne  d'A  ththoès. 
l.e  nom  de  Khlti,  que  porte»!  deu\  des  nu-mlire»  de  cotte  petite  dynastie  locale,  serait  peut-être  un 
souvenir  de  celui  du  Pharaon  Khlti  Miribrl  ;  il  v  a  d'ailleurs,  dans  la  série  des  souverains  Héracléopo- 
litains, un  second  Khlti.  dont  l'un  des  Khlti  de  Siout  a  pu  être  le  contemporain.  La  famille  prétendait 
avoir  une  origine  1res  reculée  et  disait  d'elle-même  qu'elle  était  unr  rentrée  antique  (CwrnTi,  The 
Inscription»  of  Siût.  pi.  XIII,  I.  8  =  pi.  XX,  I.  31  :  ce  qu'elle  devait  à  Khlti  I"  ou  aui  autres  rois 
d'Iléracléopolis,  c'était  le  titre  plus  relevé  et  le  pouvoir  de  prince —  hiqou. 


LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 


tw*r.HP 


de  régent  —  hiqou  —  que  les  Pharaons  ne  dédaignaient  pas  à  l'occasion 
et  la  faveur  dont  elle  jouissait  avait  crû  d'année  en  année.  Khîti  Ier,  le  qua- 
trième en  date  de  ses  princes,  avait  été  nourri  dans  le  palais  d'Héracléopolis 
et  il  avait  appris  à  nager  avec  les  enfants  royaux1.  De  retour  chez  lui,  il 
demeura  l'ami  personnel  du  souverain,  et  gouverna  sagement  ses  États, 
nettoyant  les  canaux,  encourageant  la  culture,  allégeant  les  impôts,  sans 
négliger  les  milices  :  c'était  par  milliers  qu'il  comptait  les  soldats  de  sa  grosse 
infanterie  recrutée  parmi  l'élite  des  gens  du  nord,  de  son  infanterie  légère 

recrutée  parmi  l'élite  des 
gens  du  sud'.  Il  s'opposa 
de  tout  son  pouvoir  aux  pré- 
tentions thébainess,  et  son 
fils  Tefabi  marcha  sur  ses 
traces.  «  La  première  fois, 
dit-il,  que  mes  fantassins 
combattirent  les  nomes  du 
sud  qui  étaient  venus  réunis 
ensemble,  depuis  Éléphan- 
tine  au  midi,  jusqu'à  Gaou 
vers  le  nord*,  je  vainquis  ces  nomes,  je  les  repoussai  vers  la  frontière  méri- 
dionale, je  parcourus  en  tout  sens  la  rive  gauche  du  Nil.  Quand  j'arrivais  à 
une  ville,  je  renversais  ses  murs,  je  m'emparais  de  son  chef,  je  l'emprisonnais 
sur  le  port,  jusqu'à  ce  qu'il  me  payât  rançon.  Dès  que  j'en  avais  fini  avec 
la  rive  gauche  et  que  personne  ne  s'y  trouvait  plus  qui  eût  le  courage  de 
résister,  je  passais  sur  la  rive  droite,  et  je  faisais  force  de  voiles  vers  un  autre 
chef,  ainsi  qu'un  lévrier  à  la  course  rapide....  Je  naviguais  par  le  vent  du 
nord  comme  par  celui  de  Test,  par  celui  du  sud  comme  par  celui  de  l'ouest, 
et  quiconque  j'abordais,  je  triomphais  de  lui  complètement;  il  était  précipité 
à  l'eau,  ses  bateaux  se  jetaient  à  la  rive,  ses  soldats  semblaient  des  taureaux 
sur  qui  le  lion  se  rue;  je  cernais  sa  ville  d'un  bout  à  l'autre,  je  saisissais  ses 

1.  C.Rim™,  The  Inscriptions  of  Siût  and  Dér-Rifeh,  pi.  XV,  1.  22;  cf.  Mariette,  Monuments  divers, 
pi.  LXV1II  d\  E.  et  J.  de  Roitgk,  Inscriptions  recueillies  en  Egypte,  pi.  CCLXXXVIII;  Brcgsch,  The- 
saurus  lnscript ionum  Jïgyptiacarum.  p.  1501,  1.  6.  Cf.  p.  300  de  cette  Histoire. 

2.  Griffith,  The  Inscriptions  of  Siût,  pi.  XV,  1.  l-î5;  cf.  Mariette,  Monuments  divers,  pi.  LXVIU  d, 
p.  11-22;  E.  et  J.  de  Rolt.k,  Inscriptions,  [A.  CCLXXXVIII;  Brixsch,  Thésaurus,  p.  1499-1502. 

3.  C'est  ce  qui  semble  résulter  de  ce  qu'on  peut  lire  encore  dans  les  débris  d'une  longue  inscription 
de  son  tombeau,  publiée  par  Griffith  (The  Inscriptions  of  Siût  and  Dêr-Hifch,  pi.  XV,  1.  25-40). 

4.  Il  n'est  pas  sûr  que  le  groupe  inusité  inscrit  en  cet  endroit  (Griffith,  The  Inscriptions  of  Siût  and 
ftêr-liifeh,  pi.  XI,  I.  16),  soit  le  nom  de  Gaou-el-Kéblr  ou  du  nome  Antiropolitc  dont  Gaou  était  la  capi- 
tale :  en  tout  cas,  la  localité  ainsi  désignée  marquait  la  limite  du  royaume  thébain  vers  le  nord. 


LES  GUERRES  DES  PRINCES  DE  SIOUT  CONTRE  LES  THÊFUINS.      457 

biens,  je  les  poussais  dans  le  feu.  »  Grâce  à  son  énergie  et  à  sa  bravoure,  il 
«  détruisit  la  rébellion  par  le  conseil  et  selon  les  plans  du  chacal  Ouapouaî- 
tou,  le  dieu  de  Siout  ».  Dès  lors,  il  n'y  eut  «  canton  au  désert  qui  fût  à  l'abri 
de  ses  terreurs  a,  et  il  «  promena  la  flamme  à  son  gré  parmi  les  nomes  du 
sud  s.  Dans  le  temps  même  qu'il  portait  la  désolation  chez  ses  ennemis,  il 
s'appliquait  à  guérir  les  maux  que  l'invasion  avait  déchaînés  sur  ses  propres 
sujets.  Il  rendit  si  exacte  justice  que  les  malfaiteurs  disparurent  comme  par 
enchantement.  «  Quand  la  nuit  arrivait,  quiconque  couchait  sur  les  routes  me 
bénissait  parce  qu'il  y  était  en  sûreté  autant  que  dans  sa  propre  maison,  car 


l'effroi  que  mes  soldats  répandaient  le  protégeait,  et  les  bestiaux  restaient 
sans  péril  aux  champs  ainsi  qu'à  1  etable  :  le  voleur  était  devenu  l'abomination 
du  dieu  et  ne  pressurait  plus  le  serf,  si  bien  que  celui-ci  ne  se  plaignait 
plus  jamais,  mais  payait  la  redevance  exacte  de  ses  terres  par  amour  pour 
moi*  ».  Khiti  11,  fils  de  Tefabi,  vit  les  Héracléopolitains  maîtres  encore  dans 
l'Egypte  du  nord,  mais  déjà  contestés  et  menacés  par  la  turbulence  de  leurs 
vassaux  :  Héracléopolis  elle-même  chassa  le  Pharaon  Mirikarî,  et  celui-ci  dut 
se  réfugier  à  Siout,  auprès  de  Khiti  qu'il  appelait  son  père*.  Khiti  rassembla 
une  flotte  si  considérable  qu'elle  encombrait  le  Ni)  de  Shashotpou  au  Gebel- 
Àboufédah,  d'une  extrémité  à  l'autre  de  la  principauté  du  Térébinthe.  Ce  fut 

1.  Deisin  de  Houdier,  d'aprèt  une  photographie  dliuingrr,  priie  en  tSSÎ;  cf.  la  Detcriplion  de 
rtgypte,  Ant.,t.  IV,  pl.XLVI.3-*.  Celle  représentation  décorait  une  des  parois  de  la  tombe  de  Khiti  III 
(Griffitb,  The  Inscription»  of  Sîut,  p.  Il  el  pi.  14). 

ï.  Gmfprni,  The  Intcription»  of  Siùt  and  Dér-Ilifeh,  pi.  XI-XII  ;  cf.  E.  et  ).  M  Roics,  Inscription! 
recueillit*  en  Egypte,  pi.  CCXOCCXC1I  ;  Drucsck,  Theiaurue  iiitcriptionum,  p.  1507-1511.  Cette 
Inscription,  demeurée  inachevée,  puis  surchargée  par  Tefabi  lui-même,  a  été  traduite,  ou  plutôt  inter- 
prétée, pour  la   première  fois  par  Maspero,  dans  la  Revue  Critique,  1889,  t.   Il,  p.  415-418. 

3.  Dans  l'une  des  inscriptions  de  son  tombeau  (GnirirtH,  The  Intcripliont  ofSiàt,  pi.  XIII,  I.  IG  = 
pi.  XX,  I.  H),  le  rédacteur,  s'adressa  lit  à  khiti,  appelle  le  l'haraon  Nirikarl,  •  ton  Aïs  >. 


438  LE  PREMIER   EMPIRE  THÊBAIN. 

en  vain  que  les  rebelles  se  coalisèrent  avec  les  Thébains  :  Khiti  <  sema 
l'épouvante  sur  le  monde  et  châtia  les  nomes  du  sud  à  lui  seul  » .  Tandis  qu'il 
descendait  le  courant  pour  ramener  le  suzerain  dans 
sa  capitale,  >  le  ciel  se  rassérénait  et  le  pays  entier  se 
ralliait  à  lui  ;  les  commandants  du  sud  et  les  archontes 
d'Héracléopolis,  leurs  jambes  vacillent  sous  eux  quand 
l'uraeus  royale,  régente  du  monde,  vient  pour  refou- 
ler le  crime,  la  terre  tremble,  le  Midi  s'enfuit  en 
barque,  tous  les  hommes  se  sauvent  éperdus,  les  villes 
se  soumettent,  car  la  crainte  envahit  leurs  membres  ». 
Le  retour  de  Mirikarf  fut  une  promenade  triomphale  : 
i  quand  il  atteignit  Héracléopolis,  la  population 
courut  à  sa  rencontre,  en  joie  de  son  maître,  les 
femmes  pêle-mêle  avec  les  hommes,  les  vieillards 
comme  les  enfants1  j>.  La  fortune  changea  bientôt1. 
Les  Thébains,  toujours  vaincus,  revenaient  toujours 
à  la  charge;  ils  triomphèrent,  après  environ  deux 
siècles  d'efforts,  et  rangèrent  sous  leur  sceptre  les 
deux  moitiés  rivales  de  l'Egypte  *. 

Le  peu  que  nous  entrevoyons  de  leurs  origines 
nous  donne  l'idée  d'une  race  énergique  et  intelligente. 
Confinés  dans  la  région  la  moins  peuplée  et,  somme 
toute,  la  moins  riche  de  la  vallée,  absorbés  au  nord 

VM   MLtm  ,1U    MO»    Mi  IIItlktRi'. 

dans  des  guerres  perpétuelles  qui  épuisaient  leurs 
ressources,  ils  trouvèrent  encore  le  temps  de  bâtir,  à  Thèbes  et  sur  les  points 
les  plus  divers  de  leur  territoire.  Vers  le  midi,  si  leur  domination  ne  pro- 
gressait guère,    du    moins  elle  ne  reculait  pas,  et  la  portion  de  la   Nubie 

1.  Garni™,  The  Inscriptions  of  Siùt,  pi.  XIII  =  jil.  XX;  cf.  Deteription  de  FÉgypte.  Atil..  t.  IV. 
|>l.  XLIX,  3;  J.epsius  Dcnkm.,  Il,  1511  g;  Humeitr.  Monuments  Divers,  pi.  l.XIX  a:  K.  et  J.  ne  HorsÉ, 
liiiaipliviir,  pi.  CCXCIII;  Baisse»,  Thésaurus  Inscriplioniim,  p.  1503-1.1(10.  Ce  teite  important  a  été 
analysé  el  traduit  en  partie  |>ar  Maipero,  dans  la  Itevitc  Critique,  1B80,  t.  Il,  p.  jl H-AI9. 

*.  On  peut  supposer  i|tie  la  surcharge  a  été  ciéculée  dans  un  moment  où  les  Pharaons  Thébains 
avaient  reprit  l'avantage,  et  peut-être  étaient  déjà  maîtres  île  Siout  :  il  n'eut  |ias  été  politique  d'ache- 
ver une  inscription  où  l'on  rarontait  comment  le  prince  Tcïahi  avait  malmené  les  vainqueurs. 

.H.  J'ai  adopté  pour  la  durée  de  cette  seconde  dynastie  lléracléopolitaine  le  chiffre  de  183  ans  indiqué 
par  l.cpsius  comme  étant  le  plus  vraisemblable  de  ccui  qu'on  lit  dans  Hanéthon  (KdiiigsBurh,  p.  S6-ST). 

t.  Destin  lie  Fauchcr-Gudin,  d'après  l'original  conservé  au  Mutée  du  Louvre;  cf.  Misreao,  Soin 
au  jour  te  jour,  §  10.  dans  les  Pruceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t,  XIII,  p.  .130,  l.a 
[latcltc  est  en  bois,  au  nom  d'un  personnage  contemporain,  les  hiéroglyphes  sont  incrustés  en  lil 
d'argent:  elle  vient  probahlemenl  de  la  nécropole  de  Mélr,  un  peu  au  nord  de  Sioul.  La  pyramide 
funéraire  du  Pharaon  Nirikarl  est  mentionnée  sur  un  cercueil  du  Musée  de  Berlin  (Hasi-mlo.  Soirs 
au  jour  U  jour,  g  Ifi,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XIII,  p.  5il-j33). 


I.ES  K01S  l>E  LA   XI*  DYNASTIE  ET  LEURS  CuNSTI.lXTIOfJS.  459 

située  au  delà  d'Assouàn  jusqu'aux  environs  de  Korosko  demeurait  en  leur 
possession1.  Les  tribus  du  désert,  Amamiou,  Mazaiou,  Ouaouaîou,  gènaienl 
souvent  les  colons  par  l'imprévu  de  leurs  incursions,  mais,  un  canton  pillé 
ils  ne  s'y  installaient  pas  comme  dans  une  conquête,  et  ils  regagnaient  rapi- 
dement le  chemin  de  leurs  montagnes.  Les  Thébaîns  les  continrent  par  des 
contre-razzias  répétées,  et  renouvelèrent  avec  eux  les  anciennes  conventions 
leur  suzeraineté  fut  reconnue,  aux  termes  traditionnels,  dans  la  Grande 
Oasis  à  l'ouest*,  et  à  l'est  par  les  peuplades  errantes   de  la  Terre  Divine. 

Comme    au    temps   d'Ouni,  , ._ 

les    barbares    fournissaient 

aux  armées  un  appoint  de 

soldats  plus  résistants  à  la 

fatigue  et   plus   exercés   au 

maniement   des   armes  que     — 

les  fellahs  ordinaires  :  c'est      --    2.  _~"  T~  ~*"V  -V  ,.Kuo<.„ 

à  l'énergie  de  leurs  merce-  .         ,     ,  , 

"  LA    PïHKIDL    EN    Bhtlil  ES    11  HMFM,    A    rMf.ES1. 

naires  que  plusieurs  de  ces 

Pharaons  obscurs,  Monthotpou  1",  Antouf  III,  durent  les  succès  dont  ils  se 
vantent  sur  les  Libyens  et  sur  les  Asiatiques*.  Ils  se  gardèrent  pourtant  de 
s'écarter  trop  de  la  vallée  :  l'hgypte  offrait  à  leur  activité  un  champ  assez 
vaste,  et  ils  s'efforcèrent  de  leur  mieux  à  réparer  les  maux  dont  elle  souffrait 
depuis  plusieurs  siècles.   Ils  remirent  les  forts  en  état,   ils  restaurèrent  les 

I.  .lion lliol pou  ."iibholpotiri  n'était  fait  représenter  dans  non  temple  de  Gebéléln.  frappant  les 
Nubiens  (Dasessï,  Noltt  et  Remarqua,  %  imi,  dans  le  Recueil  de  Traraus,  I.  XIV,  p.  tr.j,  mais 
sans  indiquer  ceu\  des  Nubiens  qu'il  prétendait  avoir  vaincus,  lue  inscription  d'Ameiir-mhatl  I"  nous 
montre  ce  souverain  maître  inconlcslé  des  parties  de  la  Nubie  que  possédaient  les  Pharaons  de 
la  VI*  dynastie,  et  en  faisant  la  baie  de  ses  opérations  contre  les  Ouaouaiou  (BM'cki,  f.etrhirble 
.€guptenà,  p.  1 1".|  IH,  et  Die  Hegentàmmc  der  Vna-lnichrift,  dans  la  Zeitichn / 1, JK8Î,  p  3»).  on  peut 
en  conclure  qu'au  moins  les  derniers  rois  de  la  XI'  dynastie  y  avaient  exercé  déjà  la  même  aulonle. 

i.  L'Oasis  thobainc  dépendait  alors  de  la  sircric  d'Abvdos,  comme  le  prouve  le  protocole  du  prince 
Antour,  sur  la  stèle  C  ni  du  Louvre  (Guet,  Stelet  de  la  XII-  dynailie,  pi.  XIX)  :  les  Timibou,  que 
Monthotpou  Nibliotpouri  le  vante  d'avoir  vaincus  dans  son   temple  de  fiébélotn,  sont  probslilemc" 
comme  les  Timibou  de  la   VI-  dynastie  (cf.   p.   13Î  de  cette  Histoire),    les  tribus  berbères  des  (ta, 
thébaincs  (Dasessi,  Nota  et  Remarque*,  g  «»■■  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIV.  p.  il.) 

3,  Iteiiin    de    Fauchtr-Gudiit,  d'nprrt   le  croi/uit  de  Paisse  "/Avenues,   Itilloire  de  l'Art  eggptie 
CeHe  pyramide  est  aujourd'hui  détruite  entièrement. 

i.  Les  cartouches  d'Anloufâi  (l'uni;,  A  Seaton  in  Egypt,  n"  31(1),  graves  sur  les  rocher*  d  flépha 
line,  marquent  une  visite  de  ce  prince  à  Syènc,  probablement  a  la  suite  de  quelque  raina,  beaucoup 
d'inscription!  analogues  des  Pharaons  de  la  XII"  dynastie  ont  été  tracées  en  pareille  circonstance    Noub 
Lhopirrl  Antour  se  vantait  d'avoir  battu  les  Amuu  et  les  Soin  (Bihch-Chim*,  le  Vapynu  Ahbotl,  dan< 
la  Revue   Archéologique,  t"  s.,  t.  XVII,  p.  267-iuX).  Jionthoipou  Nibhotpourl  avait  sculpté,  sur  un  .' 
rochers  de  l'Ile,  à  l'Ile  de  Konosso,  une  sréne  d'offrandes  où  les  dieux  lui  accordent   la  vjrloire  cou 
tous  les  peuples  (C  ma  porno™.  Monument*  de  l'Egypte  et  de  la  Nubie,  pi.  CCCVI,  3;  Ltr-.ii  -.  fient,: 
11,   I.1II  fr).    Les  restes  du  leinplc  qu'il  avait  construit  à  Gebéléln  le  montrent  conduisant  aui  du 
thébains  des  files  de  prisonniers  qui  appartiennent  à  ces  contrées  diverses  (lltanssi.  Noies  et  rem. 
que;  £  mu  et  Liunt,  dan»  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIV.  p.  Ï6,  et  t.  XVI,  p.  11). 


460  LE  PREMIER  EMPIRE  THÊBAIN. 

temples  ou  les  agrandirent  :  Coptos',  Gébéléin,  El-Kab*,  Abydos3  conservent  le 
souvenir  de  leurs  constructions.  La  ville  même  de  Thèbes  a  été  trop  souvent 
bouleversée  par  la  suite  pour  qu'on  y  distingue  la  trace  des  travaux  qu'ils 
entreprirent  au  temple  d'Amon  ;  mais  la  nécropole  est  pleine  encore  de  leurs 
demeures  éternelle».  Ils  les  avaient  échelonnées  dans  la  plaine,  en  face  de 
Karnak,  à  Drah  abou'l-Neggah  et  sur  les  versants  septentrionaux  du  vallon  de 
Déir-el-Baharî.  Les  unes  s'enfonçaient  dans  la  montagne  et  présentaient  au 
dehors  une  façade  carrée,  bâtie  en  pierre  de  taille,  surmontée  d'un  toit 
pointu  en  forme  de  pyramide4.  Les  autres  étaient  de  véritables  pyramides 
précédées  parfois  d'une  paire  d'obélisques  ainsi  qu'un  temple8.  Elles  n'appro- 
chaient jamais  aux  dimensions  des  tombes  memphites,  car  le  royaume  du  Sud 
ne  pouvait  égaler  avec  ses  seules  ressources  des  monuments  dont  l'érection 
avait  exigé  le  concours  de  l'Egypte  entière6  :  il  utilisait  la  brique  où  Ton  avait 
préféré  la  pierre  plus  coûteuse,  une  brique  crue,  noire,  sans  mélange  de 
paille  ou  de  gravier.  Ces  pyramides  à  bon  marché  se  dressaient  sur  un  socle 
rectangulaire,  haut  de  deux  mètres  au  plus;  elles  ne  dépassaient  jamais  dix 
mètres,  du  sol  au  sommet,  et  se  contentaient  d'un  revêtement  de  pisé  badi- 
geonné à  la  chaux.  Une  sorte  de  chambre  ou  plutôt  de  four,  voûté  en  encor- 
bellement, occupait  ordinairement  le  centre  et  abritait  la  momie;  souvent 
aussi  on  pratiquait  le  caveau  partie  dans  le  socle,  partie  dans  les  fondations, 
et  le  vide  supérieur  ne  servait  qu'à  alléger  la  maçonnerie.  La  chapelle  exté- 
rieure n'existait  pas  toujours,  mais  une  stèle  posée  sur  le  soubassement  ou 
encastrée  extérieurement  dans  une  des  faces  marquait  l'endroit  où  l'on  devait 
apporter  l'offrande  au  mort  :  quelquefois  pourtant  on  ajoutait  en  avancée 
un  vestibule  carré,  où  les  cérémonies  commémoratives  s'accomplissaient  aux 

1.  M.  Harris  a  signalé  dans  la  maçonnerie  du  pont  de  Coptos  des  blocs  portant  les  cartouches  de 
Noubkhopirri  Antouf  (Birch-Charas,  le  Papyrus  Abbott,  dans  la  Hevue  Archéotogif/uc,  in  s.,  t.  XVI,  p.  267). 

2.  Monlhotpou  Ier  3ibhotpouri  y  construisit,  sur  le  rocher  où  s'élève  aujourd'hui  la  Konbbnh  du 
Shëikh  Mousa,  un  petit  temple  mis  au  jour  par  M.  G  rehaut  (Daressy,  Notes  et  Hemarques,  §  i.xxxyii, 
dans  le  Hecueil  de  Travaux,  t.  XVI,  p.  42;  J.  de  Morgan,  Sotice  des  fouilles  et  déblaiements  exécute"* 
pendant  l'année  fH93,  p.  8;  G.  Wili.oit.hby  Frazf.r,  El-Kab  and  Geltclén,  dans  les  Proceedings  de  la 
Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  XV,   1892-1893,  p.  497  et  pi.  III,  n»  xv). 

3.  Mariette,  Catalogue  Général  des  monuments  d' Aby dos,  p.  96-97,  nw  514-515;  et  Mariette-Maspero, 
Monuments  Divers,  pi.  XI.1X,  p.  15. 

4.  C'est  à  cette  catégorie  qu'appartient  le  tombeau  du  premier  A nt ouf,  celui  qui  n'était  pas  encore 
roi,  et  dont  la  stèle  est  conservée  aujourd'hui  au  Musée  de  Gizéh;  je  l'ai  reproduite  plus  haut,  à  la 
page  115  de  cette  Histoire. 

5.  Des  deux  obélisques  qui  précédaient  la  tombe  de  Noubkhopirrî  Antouf,  l'un  mesurait  3m,50, 
l'autre  3m,70  de  hauteur  (M  \riktte-M\spkro,  Monuments  Divers,  pi.  L  a  et  p.  15-16;  cf.  Vii.uers-Stiart, 
Mie  Clearings,  p.  273-27  4,  pi.  XXX111:  :  ils  ont  été  détruits  récemment  l'un  et  l'autre. 

6.  Aucune  des  pyramides  de  Thèbes  ne  subsiste  aujourd'hui;  mais  Mariette  découvrit  en  1860  les 
substructions  de  deux  d'entre  elles,  celles  de  Noubkhopirri  Antouf  et  d'Anàa  (Mariette,  Lettre  à  M.fe 
Vicomte  de  liougé,  p.  16-17),  qui  étaient  identiques  pour  la  construction  aux  pyramides  d'Abydos 
(Mariette,  Abydos,  t.  Il,  p.  42-14,  pi.  LXVI-LXVII;  Mispeho,  Archéologie  Egyptienne,  p.  139-142). 


LES  PYRAMIDES  EN  BRIQUES  ET  LA  BARBARIE  DE  L'ART  THÊBAIN.    464 

jours  prescrits.  Les  statues  de  double  sont  gauches  et  rudes1,  les  cercueils 
lourds,  massifs,  décorés  de  figures  sans  grâce  et  sans  proportions1,  les  stèles 
ciselées  maladroitement3.  Dès  la  VIe  dynastie,  les  barons  du  Saïd  en  étaient 
réduits  à  demander  leurs  artisans  à  Memphis  pour  orner  convenablement 
leurs  monuments  :  la  rivalité  des  Thébains  et  des  Héracléopolitains,  qui 
opposa  les  deux  moitiés  de  l'Egypte  Tune  à  l'autre  en  hostilité  réglée, 
obligea  les  Àntouf  à  confier  leurs  commandes  aux  écoles  de  sculpteurs  et  de 
peintres  locaux.  On  imagine  difficilement  le  degré  de  barbarie  où  étaient 
descendus  les  manœuvres  qui  fabriquèrent  certains  sarcophages  d'Akhmîm  et 
de  Gébéléin4  :  à  Thèbes  même  ou  dans  Abydos,  l'exécution  des  bas-reliefs  et 
la  facture  des  hiéroglyphes  dénotent  plus  de  soin  et  de  minutie  que  d'habileté 
réelle  ou  de  sens  artistique.  Faute  de  pouvoir  atteindre  au  beau,  on  s'ingénia 
à  faire  somptueux  :  les  expéditions  vers  Hammamât  se  multiplièrent  à  la 
recherche  des  blocs  de  granit  propres  à  tailler  des  sarcophages5.  11  fallait 
jalonner  de  citernes  la  route  qui  menait  de  Coptos  aux  montagnes  :  parfois 
on  profitait  de  l'occasion  pour  pousser  une  pointe  au  port  de  Saou,  et  pour 
s'embarquer  sur  la  mer  Rouge.  Un  bateau  construit  à  la  hâte  filait  le  long  des 
côtes,  achetant  aux  Trogodytes  la  gomme,  l'encens,  l'or,  les  pierreries  de  la 
région8:  le  convoi  revenu  avec  son  bloc  et  avec  ses  pacotilles  variées,  il  ne 
manquait  pas  de  scribes  pour  raconter  en  termes  emphatiques  les  dangers  de 
la  campagne,  ou  pour  féliciter  le  Pharaon  d'avoir  semé  la  renommée  et  la 
terreur  de  son  nom  sur  les  Terres  Divines  et  jusqu'au  pays  de  Pouanit. 

La  chute  des  Héracléopolitains  et  l'union  des  deux  royaumes  sous  l'autorité 

1.  Il  en  reste  assez  peu  :  on  doit  signaler  pourtant  celles  d'un  Pharaon,  Monthotpou,  au  Vatican 
(Wiedemank,  JEgyptische  Geschichte,  p.  229),  et  d'Antouf-aouqir,  au  Musée  de  Gizéh  (Mariette,  Cata- 
logue Général ,  p.  35-30). 

2.  Mariette,  Notice  des  Principaux  Monuments,  p.  34-34;  même  les  cercueils  royaux  de  cette  époque, 
ceux  des  Antouf  au  Louvre  (E.  de  Bougé,  Notice  sommaire,  1855,  p.  61-62;  Pierret,  Recueil  d'Inscrip- 
tions inédites,  t.  I,  p.  85-87;  cf.  Catalogue  de  la  Salle  Historique,  p.  152,  n°  614,  pour  un  coffret  funé- 
raire au  nom  d'Antoufàa)  et  au  British  Muséum  (Bircr,  On  thc  Formulas  of  three  royal  Cof fins,  dans 
la  Zeitschrift,  1869,  p.  53)  sont  d'un  travail  assez  grossier. 

3.  Les  stèles  d'iritisni  (Maspero,  The  Stèle  C  14  of  thc  Louvre,  dans  les  Transactions  de  la  Société 
d'Archéologie  Biblique,  t.  V,  p.  555-562)  et  C  15  au  Louvre  (Gayet,  Stèles  de  la  XII*  dynastie,  pi.  L1V), 
celle  de  Mirou  à  Turin  (Orc.irti,  Discurso  sulla  Storia  delV  Ermeneulica  Egizia,  dans  les  Mémoires  de 
l'Académie  de  Turin,  2*  série,  t.  XX,  pi.  I— II)  sont  très  soignées  de  dessin,  assez  gauches  de  sculpture  : 
le  sculpteur  n'était  point  aussi  sur  de  lui-même  que  le  dessinateur. 

4.  Pour  les  cercueils  peints  de  la  XI4  dynastie,  qui  ont  été  découverts  à  Gébéléin  et  à  Akhmim, 
cf.  Boi  ria.nt.  Petits  Monuments  et  Petits  Textes  recueillis  en  Egypte,  §  49-54,  dans  le  Hecueil  de 
Travaux,  t.  IX,  p.  82-84,  et  Notes  de  voyage,  dans  le  même  Recueil,  t.  XI,  p.  140-143. 

5.  Lkpsrs,  Denkm.,  Il,  149  d-h,  150  c:  cf.  Maspero,  les  Monuments  Égyptiens  de  la  Vallée  de  Uamrna- 
mât,  dans  la  Revue  Orientale  et  Américaine,  2e  série,  1877,  p.  333-341,  Schiaparelli,  la  Catena  Orien- 
tale dell'  Egitto,  p.  32-39. 

6.  Lepshs,  Denkm.,  II,  150  a,  Golk.msciieff,  Résultats  archéologiques  d'une  excursion  dans  la  Vallée 
de  Hammamât,  pi.  XV-XV1I;  cf.  Charas,  le  Voyage  d'un  Egyptien,  p.  56-63 ;  Brcgsch,  Geschichte  JEgyp- 
tens,  p.  110-112;  Maspero,  \)e  quelques  Navigations  des  Egyptiens  sur  les  côtes  de  la  mer  Erythrée, 
p.  7-9  (extrait  de  la  Revue  Historique,  1879,  t.  IX);  Schiaparelli,  la  Catena  Orientale,  p.  98-100. 


464  LE  PREMIER  EMPIRE  THËBAIN. 

de  la  famille  thébaine  furent,  croit-on,  l'œuvre  d'un  Monthotpou,  celui  qui 
porte  le  surnom  de  Nibkhrôourî  :  c'est  lui  du  moins  que  les  Égyptiens  de 
l'époque  des  Ramessides  inscrivaient  sur  leurs  tables  royales,  comme  le  chef  et 
le  représentant  le  plus  illustre  de  la  XIe  dynastie*.  Les  monuments  rappellent 
ses  succès  sur  les  Ouaouaiou  et  sur  les  barbares  de  Nubie*.  11  continua  de  rési- 
der à  Thèbes,  même  après  la  conquête  du  Delta3,  s'y  construisit  sa  pyramide4, 
et  reçut,  dès  le  lendemain  de  sa  mort,  les  honneurs  divins5.  Un  tableau  gravé 
sur  les  rochers  de  Silsiléh  le  montre  debout  devant  son  fils  Antouf  :  il  est  de 
stature  plus  qu'humaine,  et  l'une  de  ses  femmes  se  tient  droite  derrière  lui*. 
Trois  ou  quatre  rois  lui  succédèrent  rapidement,  dont  le  moins  insignifiant 
paraît  avoir  été  un  Monthotpou  Nibtoouirî;  nous  ne  savons  du  dernier  d'entre 
eux,  le  seul  qui  figure  sur  les  listes  officielles,  que  son  prénom  de  Sonkh- 
keri7.  La  royauté  demeura  sous  leur  main  ce  qu'elle  avait  été  presque  sans 
interruption  depuis  la  fin  de  la  VIe  dynastie.  Ils  se  proclamaient  solennellement 
les  maîtres  et  l'on  gravait  leur  nom  en  tête  des  documents  publics,  mais 
leur  pouvoir  ne  s'exerçait  guère  par  delà  les  frontières  de  leur  apanage  fami- 
lial :  les  barons  ne  se  souciaient  d'eux  qu'autant  qu'ils  déployaient  la  force  ou 
la  volonté  de  les  contraindre,  et  ne  leur  accordaient  qu'une  suprématie 
apparente  sur  la  plus  grande  partie  du  territoire  égyptien.  Il  fallut  une  révo- 
lution pour  réformer  cet  état  de  choses8.  Amenemhâit  Ier,  qui  fut  le  chef  de  la 

1.  Il  est  nomme  dans  les  labiés  d'Abydos  et  de  Saqqarah,  sur  la  table  à  libations  de  Clot-Bey  (E.  de 
Saiîlcy,  Étude  sur  la  série  des  Rois,  p.  54  sqq.,  pi.  II,  n°  6),  dans  la  Salle  des  Ancêtres  de  Karnak 
(Prisse  d'Avennes,  Monuments,  pi.  1;  Lepsus,  Auswahl  der  wichligsten  Vrkunden,  pi.  1).  Dans  la  pro- 
cession du  Bamesséum  (Lf.psms,  Denkm.,  111,  163;  Champollion,  Monument*,  pi.  CXXIX  bis),  il  figure 
entre  Menés  et  Ahmosis  :  Mènes  est  là  comme  fondateur  du  plus  vieil  empire  Égyptien,  Monthotpou 
comme  fondateur  du  plus  vieil  empire  Thébain.  Il  est  représenté  enfin  dans  les  tombes  de  Khàbokhni 
(Lepsus,  Denkm.,  III,  2  a)  et  d'Anhourkhâoui  (Birton,  Exccrpla  Hieroglyphica,  pi.  XXXV;  Champollion, 
Monuments,  t.  I,  p.  864;  Prisse  d'Avennes,  Monuments,  pi.  III;  Lepsics,  Denkm.,  III,  2  d). 

2.  Kn  l'an  XL1  de  son  règne,  deux  officiers  de  passage  à  Assouàn  mentionnent  le  transport  par  eau 
de  troupes  dirigées  contre  les  Ouaouaiou  de  Nubie  (Pétrie,  .4  Season  in  Egypt,  pi.  VIII,  n°  213). 

3.  Entre  autres  preuves  de  son  autorité  sur  le  Delta,  je  citerai  la  présence  à  Êléphanline,  en  l'an  1 
de  son  règne,  d'un  personnage  qui  était  prince  d'IIéliopolis,  et  auquel  il  confia  un  commandement 
militaire  (Pétrie,  A  Season  in  Egypt,  pi.  VIII,  n*  243). 

4.  Elle  s'appelait  Khou-lsiout  (Mariette,  Catalogue  Général,  p.  135,  n"  605).  J'en  ai  retrouvé  les 
restes  à  Drah  abou'I-Ncggah  en  1881,  ainsi  qu'une  architrave  aux  cartouches  de  Monthotpou  et  prove- 
nant de  la  chapelle  funéraire.  Elle  était  encore  intacte  à  la  fin  de  la  XX*  dynastie  {Papyrus  Abbott, 
pi.  III,  1.  14),  lors  de  la  grande  enquête  instituée  par  Hamsès  X  dans  la  nécropole  de  Thèbes. 

5.  Schiaparelli,  Museo  Arvheologico  di  Fircnze,  p.  192-194,  n°  1501. 

6.  Eisexi.ohr,  An  Historical  Monument,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique, 
1881,  p.  98-102;  Pétrie,  A  Season  in  Egypt,  p.  15,  17,  et  pi.  XVI,  n°  489. 

7.  La  classification  de  ces  Pharaons  obscurs  est  encore  mal  assurée;  la  tentative  la  plus  sérieuse 
qu'on  ait  faite  dans  ces  derniers  temps  pour  l'établir,  celle  de  Flinders  Pétrie  (.4  Season  in  Egypt, 
p.  16-19),  ne  donne,  malgré  tout,  que  des  résultats  incertains. 

8.  Les  rois  qui  composent  la  XII"  dynastie  avaient  été  placés  dans  la  XVI*  par  Champollion  et  par 
les  premiers  égyptologucs.  Champollion  avait  reconnu  son  erreur  dans  les  derniers  mois  de  sa  vie 
et  comparé  Amenemhâit  à  l'Araenemès  de  Manéthou,  mais  sa  découverte  demeura  ensevelie  dans 
ses  papiers,  et  Lepsius  eut  l'honneur  de  rectifier  en  1840  la  faute  de  ses  prédécesseurs  {Auswahl 
der  wichtigsten  Vrkunden,  Uebersicht  der  Tafeln,  et  Ucber  die  M1*  .Egyptische  Kônigsdynastie, 
dans  les  Mémoires  de  l'Académie  de  Berlin,  1853;  cf.  Blssen,  .Egyplens  Sicile,  t.  H,  p.  275-283). 


AMENEMHÀIT  I- :   L'AVENEMENT  DE  LA  XII-  DYNASTIE.  463 

dynastie  nouvelle,  était  îhébain  de  race,  mais  nous  ignorons  s'il  possédait  des 
droits  et  comment  il  s'y  prit  pour  asseoir  solidement  sa  domination1.  Qu'il  eut 
usurpé  la  couronne  ou  qu'il  l'eût  héritée  légitimement,  il  se  montra  digne  du 
rang  où  la  fortune  l'avait  haussé  :  la  noblesse  vit  renaitre  en  lui  un  type  de 
souverain  qu'elle  ne  connaissait  plus  guère  que  par  tradition,  le  Pharaon  con- 
vaincu de  sa   divinité  et  résolu  à  la  faire  prévaloir  envers  et  contre  tous. 


Il  inspecta  la  vallée  d'un  bout  à  l'autre,  principauté  à  principauté,  nome  à 
nome,  *  écrasant  le  crime  et  se  levant  comme  Toumou  lui-même,  restaurant  ce 
qu'il  trouvait  en  ruines,  délimitant  les  villes  entre  elles  et  fixant  à  chacune 
ses  propres  frontières  ».  Les  guerres  civiles  avaient  tout  désorganisé  :  on  ne 
savait  plus  quels  impôts  les  cités  devaient  payer,  quelles  portions  du  sol  leur 
appartenaient,  ni  comment  elles  pouvaient  trancher  équitablement  les  ques- 
tions relatives  à  l'irrigation.  Amenemhàit  redressa  leurs  stèles  de  délimitation 
et  restitua  à  chacune  ce  qui  avait  jadis  dépendu  d'elle  :  «  Il  leur  répartit  les 

1.  Brugsch  (Grtehiehie  Mqyptem,  p.  117]  en  Fait  un  descendant  du  prince  de  Thèbes  Àroencmhàll 
qui  vivait  sous  ïlonlliolpou  Nibtoouirl,  cl  qui  alla  chercher  le  sarcophage  de  ce  Pharaon  à  l'Ouadv 
lia rn marnai.  Il  y  reconnaissait  précédemment  {lliiloire  d'Egypte,  î*  édil.,  p.  80.  81)  ce  prince  lui- 
même.  L'une  ou  l'autre  de  ces  hypothèses  devient  vraisemblable,  selon  que  l'on  classe  Nibtoouirl 
avant  ou  après  Nibkhrouuri  (ef.  Mjjkfio,  dans  la  Revue  Critique,  1875,  t.  11.  p.  390-391). 

•i.   Dessin  de  lloudier,  it  après  le  croquis  de  Pitme,  Te»  Years   Dïggintj  in  F.rjypt,  p.  H,  n"  S. 


464  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

eaux,  selon  ce  qu'il  y  avait  dans  les  cadastres  d'autrefois1  ».  Les  seigneurs 
hostiles  ou  douteux  perdirent  tout  ou  partie  de  leurs  fiefs  :  ceux  qui  avaient 
bien  accueilli  le  régime  nouveau  furent  récompensés  de  leur  zèle  et  de  leur 
fidélité  par  un  accroissement  de  territoire.  Le  sire  de  Coptos  fut  estimé  trop 
tiède  et  remplacé  promptement*.  La  baronnie  de  Siout  dévolut  à  une  branche 
de  la  famille  moins  belliqueuse  et  surtout  moins  fidèle  à  la  vieille  dynastie  que 
celle  deKhiti  ne  l'avait  été*.  Le  prince  du  Lièvre,  Nouhri,  s'agrandit  d'un  mor- 
ceau de  la  Gazelle,  et  son  beau-père  Khnoumhotpou  Ier  reçut  la  moitié  orien- 
tale du  même  nome   avec  Monâit-Khoufoui  pour  capitale*.  Des  expéditions 
contre  les  Ouaouaiou,  les  Màzaiou,  les  Nomades  de  Libye  et  d'Arabie  délivrè- 
rent le  fellah  des  incursions  qui  le  ruinaient,  et  assurèrent  la  sécurité  du 
dehors5.  Amenemhâit  eut  d'ailleurs  le  bon  esprit  de  comprendre  que  Thèbes 
n'était  pas  la  résidence  qui  convenait  au  maître  de  l'Egypte  entière  :  elle  était 
reléguée  trop  au  Sud,  mal  peuplée,  mal  bâtie,  sans  monuments,  sans  prestige, 
presque  sans  histoire.  11  la  remit  à  l'un  de  ses  parents  qui  la  gouverna  pour 
lui*,  et  il  alla  s'établir  au  centre  du  pays,  en  mémoire  des  glorieux  Pharaons 
dont  il  prétendait  descendre.   Mais   les  anciennes   cités  royales  de  Khéops 
et  de  ses  enfants  n'existaient  plus,  et  Memphis  était  encore,  ainsi  que  Thèbes, 
une    ville   de  province,   à   laquelle   ne  se    rattachaient   guère  d'autres  sou- 
venirs que  ceux  de  la  VIe  et  de  la  VIIIe  dynastie.    Il   s'installa,  un  peu  au 
sud,  dans  les  environs  de  Dahshour,  au  château  de  Titooui7,  qu'il  élargit  et 

1.  Inscription  de  Béni-Hassan,  1.  36-46;  cf.  Maspf.ro,  la  Grande  Inscription  de  Beni-Hassan,  dans  le 

Recueil  de  Travaux,  t.  1,  p.  162;  Fr.  Krebs,  De  Chnemothis  Xomarchi  Inscriptione  ,€gyptiacâ,  p.  42-S3. 

t.  D'après  une  stèle  encore  inédite  de  Monthotpou,  qui  a  été  découverte  par  Pétrie  à  Coptos  en  1894. 

3.  L'inscription  funéraire  de  Hâpi-Zaoufi,  datant  d'Ousirtasen  Ier  (Griffith,  The  Inscriptions  of  Siû 
and  Dêr-Bifeh,  pi.  IV,  et  Babylonian  and  Oriental  Becord,  t.  III,  p.  167-168).  Hàpi-Zaouti  lui-même  a 
dû  commencer  à  gouverner  sous  Amenemhâit  I*r.  Les  noms  de  ses  parents  diffèrent  entièrement  de 
ceux  qu'on  rencontre  dans  les  tombes  de  l'époque  Iléracléopol Haine  et  indiquent  une  autre  famille 
ou  Hâpi-Zaoufi,  ou  son  père,  étaient  des  princes  nouveaux  qui  devaient  leur  élévation  aux  Thébains. 

4.  Maspero,  la  Grande  Inscription  de  Béni-Hassan,  dans  le  Becueil  de  Travaux,  t.  I,  p.  177-178; 
Newberry,  Beni-Hasan,  t.  Il,  p.  14,  où  l'on  trouvera  le  tableau  généalogique  de  cette  famille. 

5.  Papyrus  Sa  Hier  n°  i,  pi.  II,  1.  10,  —  pi.  III,  1.1.  Montounsisou,  prince  de  Thèbes,  se  vante, 
en  l'an  XXIV,  d'avoir  battu  les  Maîtres  des  Sables,  les  Bédouins  du  Sinai  et  les  Nomades  qui  habi- 
taient le  désert  entre  le  XSil  et  la  Mer  Rouge;  il  avait  ravagé  leurs  champs,  pris  leurs  villes,  pénétré 
dans  leurs  ports  (Maspero,  Un  Gouverneur  de  Thèbes  au  début  de  la  XIIm  dynastie,  dans  les  Mémoires 
du  premier  Congrès  international  de  Paris,  t.  II,  p.  60-61).  Ces  événements  avaient  dû  s'accomplir 
avant  l'an  XX  d'Amenemhâtt,  c'est-à-dire  pendant  le  règne  d'Amenemh&tt  I*r  seul. 

6.  Montounsisou,  dont  il  vient  d'être  question,  a  tout  à  fait  les  allures  d'un  grand  baron,  faisant  la 
guerre  et  administrant  le  fief  de  Thèbes  pour  son  souverain  (Stèle  C  1  du  Louvre,  dans  Gayet,  Stèles 
de  la  XII*  dynastie,  pi.  1;  cf.  Maspero,  Un  Gouverneur  de  Thèbes,  dans  le  Congrès  International  de 
Paris,  t.  II,  p.  48-61). 

7.  Ce  château  de  Titooui  lui  est  attribué  comme  résidence  royale  sur  la  stèle  de  l'an  XXX,  décou- 
verte  dans  la  nécropole  d'Abydos  (Mariette,  Abydos,  t.  Il,  pi.  22;  cf.  Banville-Kougk,  Album  photo- 
graphique de  la  mission  de  M.  de  Bougé,  n°  146);  son  établissement  en  cet  endroit  paraît  avoir  été 
enregistré  au  Canou  de  Turin  comme  marquant  un  événement  de  l'histoire  d'Egypte,  probablement 
le  commencement  de  la  XII*  dynastie  (Lepsiis,  Auswahl,  pi.  IV,  fragm.  64).  Sur  l'identification  de 
Titooui  avec  un  site  voisin  de  Dahshour,  voir  B  fut,  se  h,  Dictionnaire  Géographique,  p.  983-985;  un 
passage  de  la  stèle  de  Piànkhi  montre  qu'en  tout  cas  cette  place  était  située  entre  Memphis  et  Méidoum. 


L'ASSOCIATION  D'OUSIUTASEN  î"  À  LA  COURONNE.  m 

dont  il  fit  le  siège  de  son  administration.  L'Egypte,  se  sentant  dans  une 
main  ferme,  respira  librement  après  des  siècles  d'angoisse,  et  son  souverain 
put  se  féliciter  en  toute  sincérité  de  lui  avoir  ramené  la  paix.  «  J'ai  fait  que 
l'endeuillé  ne  fût  plus  en  deuil  et  sa  plainte  n'a  plus  été  entendue,  —  les 
batailles  perpétuelles,  on  n'en  a  plus  vu,  —  tandis  qu'avant  moi  l'on  s'était 
battu  comme  un  taureau  oublieux  de  hier  —  et  que  le  bien-être  de  personne, 
ignorant  ou  savant,  n'était  stable.  »  —  «  J'ai  labouré  le  pays  jusqu'à  Élé- 
phantine,  —  j'y  ai  répandu  la  joie  jusqu'aux  marais  du  Delta.  —  Le  Nil  a 
concédé  l'inondation  des  champs  à  mes  prières  :  —  point  d'affamé  sous  moi, 
point  d'altéré  sous  moi,  —  car  on  agissait  partout  selon  mes  ordres  —  et 
tout  ce  que  je  disais  était  un  nouveau  sujet  d'amour1.  » 

11  y  avait  sans  doute  auprès  de  lui,  comme  auprès  de  tous  les  souverains 
orientaux,  plus  d'un  homme  de  cour  dont  la  résurrection  du  pouvoir  royal 
lésait  la  vanité  ou  les  intérêts,  gens  qui  trouvaient   leur  compte  à  s'entre- 
mettre entre  Pharaon  et  son  peuple,  et  que  la  présence  d'un  prince  déterminé  à 
tout  mener  par  lui-même  gênait  dans  leurs  intrigues  ou  dans  leurs  exactions. 
Us  ourdirent  contre  Àmenemhâît  des  complots  auxquels  il  échappa  à  grand' 
peine.  «  Ce  fut  après  le  repas  du  soir,  quand  vint  la  nuit,  —  je  me  livrai  une 
heure  à  la  joie,  —  puis  je  me  couchai  sur  les  couvertures  moelleuses  de  mon 
palais,  je  m'abandonnai  au  repos,  —  et  mon  cœur  commença  de  se  laisser 
aller  au   sommeil;  quand,  voici,  on   assembla  des  armes   pour  se  révolter 
contre  moi,  —  et  je  devins  aussi  faible  que  le  serpent  des  champs.  —  Alors 
je  m'éveillai  pour  combattre  moi-même,  de  mes  propres  membres,  —  et  je 
trouvai  qu'il  n'y  avait  qu'à  frapper  qui  ne  résistait  pas.  —  Si  je  prenais  un 
assaillant  les  armes  à  la  main,  je  faisais  tourner  dos  à  cet   infâme;  —  il 
n'avait  plus  de  force  même  dans  la  nuit;  nul  ne  lutta,  —  et  rien  de  fâcheux 
ne  se  produisit  contre  moi*.  »  La  promptitude  avec  laquelle  Amenemhâît  se 
jeta  sur  les  conjurés  les  déconcerta,  et  la  rébellion  fut  étouffée,  ce  semble,  la 
nuit  même  où  elle  éclata.  Cependant  il  vieillissait,  son  fils  Ousirtasen  était 
fort  jeune,  et  les  grands  s'agitaient  en  prévision  d'une  succession  qu'ils  sup- 
posaient être  prochaine3.  Le  meilleur  moyen  de  couper  court  à  leurs  mauvais 
desseins  et  de  garantir  l'avenir  de  la  dynastie  consistait  à  désigner  soi-même 

1.  Papyrus  Sallier  «°  2,  pi.  I,  I.  7-9,  pi.  II,  1.  7-10. 

t.  Papyrus  Sallier  n°  2,  pi.  I,  1.  9,  —  pi.  Il,  1.  3;  cf.  le  petit  mémoire  de  DCmichen,  Bcricht  ùber 
eine  Harem  verse  h  wôrung  un  1er  A  mené  m  ha  /,  dans  la  Zeitschrift,  1874,  p.  30-35. 

3.  C'est  ainsi  que  je  comprends  le  passage  du  Papyrus  Sallier  n°  9,  pi.  111,  I.  5,  où  Amenemhàtt 
dit  qu'on  abusa  de  la  jeunesse  d'Ousirtascn  pour  conspirer  contre  lui,  et  compare  les  malheurs 
occasionnés  par  ces  complots  aux  dégâts  produits  par  les  sauterelles  ou  par  le  Nil. 

M1ST.    ANC.    DE    L'ORIENT.    —   T.    1.  59 


466  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

l'héritier  présomptif  et  à  l'associer  par  anticipation  au  pouvoir  souverain. 
L'an  XX,  Àmenemhàît  conféra  solennellement  à  son  fils  Ousirtasen  les  titres 
et  les  privilèges  de  la  royauté  :  «  De  sujet  que  tu  étais  je  t'élevai,  — je  te 
concédai  le  libre  usage  de  tes  bras,  pour  qu'on  te  craignît  à  cause  de  cela.  — 
Quant  à  moi,  je  me  parai  des  fines  étoffes  de  mon  palais  jusqu'à  paraître  aux 
yeux  comme  les  fleurs  de  mon  jardin,  —  et  je  me  parfumai  d'essences  aussi 
libéralement  que  si  je  versais  l'eau  de  mes  citernes1.  »  Ousirtasen  assuma 
naturellement  à  son  compte  les  devoirs  actifs  de  l'emploi.  «  Ce  fut  un  brave 
qui  agit  par  l'épée,  un  vaillant  qui  n'eut  point  d'égal  :  il  voit  les  barbares, 
s'élance,  fond  sur  leurs  hordes  pillardes.  C'est  un  lanceur  de  javelines,  qui 
rend  débiles  les  mains  de  l'ennemi;  ceux  qu'il  touche  ne  lèvent  plus  la  lance. 
C'est  un  redoutable,  qui  brise  les  fronts  à  coups  de  masse,  et  à  qui  Ton  n'a 
point  résisté  en  son  temps.  C'est  un  coureur  rapide  qui  fiert  de  l'épée  le 
fuyard,  mais  qu'on  ne  joint  pas  à  courir  après  lui.  C'est  un  cœur  debout  en 
son  heure.  C'est  un  lion  qui  frappe  de  la  griffe  et  ne  lâche  jamais  son  arme. 
C'est  un  cœur  cuirassé  à  la  vue  des  multitudes  et  qui  ne  laisse  rien  subsister 
derrière  lui.  C'est  un  brave  qui  se  rue  en  avant  quand  il  voit  la  lutte.  C'est 
un  soldat  joyeux  de  foncer  sur  les  barbares  :  il  saisit  son  bouclier,  il  bondit, 
et  sans  redoubler  son  coup,  il  tue.  Personne  ne  peut  éviter  sa  flèche;  aussi, 
sans  qu'il  ait  besoin  de  tendre  son  arc,  les  barbares  fuient  ses  bras  comme 
des  lévriers,  car  la  Grande  Déesse*  lui  a  donné  de  combattre  qui  ignore  son 
nom,  et,  quand  il  atteint,  il  n'épargne  rien,  il  ne  laisse  rien  subsister*.  »  Le 
vieux  Pharaon  «  restait  au  palais  »  attendant  que  son  fils  vint  lui  annoncer 
le  succès  de  ses  entreprises4,  et  contribuait  par  ses  avis  à  la  prospérité  de 
l'empire  commun.  La  réputation  de  sagesse  qu'il  s'acquit  de  la  sorte  devint 
telle  qu'un  écrivain,  à  peu  près  son  contemporain,  composa  sous  son  nom 
un  pamphlet  où  il  était  censé  adresser  à  son  fils  ses  instructions  posthumes 
sur  l'art  de  gouverner.  Il  lui  apparaissait  en  rêve  et,  l'apostrophant  :  *  Écoute 
mes  paroles.  —  Tu  es  roi  sur  les  deux  mondes,  prince  sur  les  trois  régions. 

1.  Papyrus  Sallicr  u'i,  pi.  I,  ).  5-7.  On  a  discuté  assez  longtemps  sur  la  date  à  laquelle  il  convient 
de  fixer  l'association  d'Ousirtascn  I"  à  la  couronne.  Celle  de  l'an  XX  est  prouvée  par  une  stèle 
d'Abydos  (Mariette,  Notice  des  Principaux  Monuments,  18G4,  p.  85-80,  n°  72,  Abydos,  t.  Il,  pi.  XXII, 
Catalogue  Général,  p.  104-105,  n°  558;  Banville-Hoigk,  Album  photographique,  nJ  14G,  Inscriptions 
recueillies  en  Egypte,  pi.  VIII)  qui  date  des  ans  XXX  d'Amenemhàit  Ier  et  X  d'Ousirtascn  l*r. 

2.  Sokhît,  la  grande  déesse  à  la  tête  de  lionne,  qui  avait  détruit  les  hommes  sur  Tordre  de  Rà  et  qui 
s'était  enivrée  de  leur  sang  (cf.  p.  1G5-1GG  du  présent  volume);  elle  était  demeurée,  à  la  suite  de  cet 
exploit,  la  maîtresse  des  champs  de  bataille  et  du  carnage. 

3.  Papyrus  de  Berlin  nJ  /,  1.  51-65;  cf.  Maspkro,  le  Papyrus  de  Berlin  n°  1,  dans  les  Mélanges 
d' Archéologie  Égyptienne  et  Assyrienne,  t.  III,  p.  77-82,  et  les  Contes  populaires,  2*  édit.,  p.  103-103. 

4.  Papyrus  de  Berlin  ?«°  /,  I.  50-51;  cf.  Maspero,  les  Contes  populaires,  2«  éd.,  p.  101-102. 


LE  PRINCIPE  DE  L'ASSOCIATION  AU  TRONE  PRÉVAUT  DANS  LA  XII*  DYNASTIE.    467 

—  Agis  mieux  encore  que  n'ont  fait  tes  prédécesseurs.  —  Entretiens  la  bonne 
harmonie  entre  tes  sujets  et  toi,  —  de  peur  qu'ils  s'abandonnent  à  la  peur; 

—  ne  t'isole  pas  au  milieu  d'eux  ;  —  n'emplis  pas  ton  cœur,  ne  fais  pas  ton 
frère,  uniquement  du  riche  et  du  noble,  —  mais  n'admets  pas  non  plus 
auprès  de  toi  les  premiers  venus  dont  on  ignore  la  place1.  »  Il  appuyait  ses 
conseils  d'exemples  empruntés  à  sa  propre  vie  et  qui  nous  ont  enseigné 
quelques-uns  des  faits  de  son  histoire.  Ce  petit  ouvrage  se  répandit  et  devint 
rapidement  classique  ;  on  le  copiait  encore  dans  les  écoles  de  la  XIXe  dynastie 
et  les  jeunes  scribes  l'étudiaient  comme  exercice  de  style*.  L'association 
d'Ousirtasen  à  la  couronne  avait  tellement  accoutumé  les  Égyptiens  à  consi- 
dérer ce  prince  comme  roi  de  fait,  qu'ils  en  arrivèrent  insensiblement  à  ne 
plus  écrire  que  son  nom  sur  les  monuments8.  Il  se  trouvait  engagé  dans 
une  guerre  contre  les  Libyens  quand  Amenemhâit  mourut,  après  un  règne  de 
trente  ans.  Les  hauts  fonctionnaires  de  la  couronne,  redoutant  l'émotion  popu- 
laire ou  peut-être  une  tentative  d'usurpation  de  la  part  de  l'un  des  princes  du 
sang,  tinrent  la  nouvelle  secrète,  et  expédièrent  un  courrier  au  camp  pour 
rappeler  le  jeune  roi.  Celui-ci  quitta  sa  tente  pendant  la  nuit,  sans  que  les 
troupes  s'en  aperçussent,  rentra  dans  la  capitale  avant  que  le  peuple  eût  rien 
appris,  et  la  transition  du  fondateur  à  son  successeur  immédiat,  si  délicate 
pour  une  dynastie  de  fraîche  origine,  s'opéra  comme  naturellement1.  La  tra- 
dition établie,  la  plupart  des  souverains  qui  vinrent  ensuite  l'observèrent 
exactement.  Après  avoir  régné  seul  pendant  trente-deux  ans,  Ousirtasen  1er 

1.  Papyrus  Salliev  n°  2,  pi.  I,  I.  2-4. 

2.  Le  texte  nous  en  est  parvenu  sur  deux  papyrus  du  British  Muséum,  Sallier  n°  1  et  n°  2,  sur 
le  Papyrus  Millingen  (Recueil  de  Travaux,  t.  II,  p.  70  et  planches)  et  sur  les  Oslraca  5629-5638 
du  British  Muséum.  Il  a  été  traduit  par  Maspero  (The  Instructions  of  Amenemhat  I  unto  his  son 
liseriasen  /,  dans  les  Records  of  the  Past,  \n  édit.,  t.  II,  p.  9-16),  par  Schack  (Die  Vnterweisungen 
des  Konigs  Amenemhat  I)  et  par  Amélineau  (Étude  sur  les  préceptes  d' Amenemhat  lvr,  dans  le 
Hecueil  de  Travaux,  t.  X,  p.  98-121,  et  t.  XI,  p.  100-116)  en  entier,  partiellement  par  Diïmichen 
(Rericht  ûber  eine  Haremverschwôrung  unter  Amenemha  I,  dans  la  Zcitschrift,  1874,  p.  30-3»)  et  par 
Birch  (Egyptian  Textst  p.  16-20).  Le  détail  nous  échappe  parfois,  mais  le  sens  général  est  clair. 

3.  On  a  des  stèles  où  les  années  d'Ousirtasen  sont  indiquées  seules,  de  l'an  VII  (Maspero,  Notes  sur 
quelques  points  de  Grammaire  et  d'Histoire,  dans  la  Zcitschrift,  1881,  p.  116  sqq.),  de  l'an  IX  (C  2 
du  Louvre,  dans  Pierret,  Recueil  d'Inscriptions  inédites,  t.  II,  p.  107  sqq.;  Gayet,  Stèles  de  la 
XII*  dynastie,  pi.  II;  Piehl,  Inscriptions,  t.  I,  pi.  11;  C  S  du  Louvre,  dans  Maspero,  Sur  une  formule 
funéraire  des  Stèles  de  la  XII*  dynastie.  Mémoires  du  Congrès  des  Orientalistes  à  Lyon,  t.  I,  planche; 
Pierret,  Recueil  d'Inscriptions,  t.  II,  p.  104  sqq.  ;  Gayet,  Stèles  de  la  XII*  dynastietp\.  IV),  de  l'an  X 
(Mariette,  Abydos,  t.  II,  pi.  XXVI,  et  Catalogue  Général,  p.  128,  n°  592;  E.  et  J.  de  Roitgé,  Inscriptions 
recueillies  en  Egypte,  pi.  IX).  La  date  de  l'an  III,  qui  nous  est  indiquée  par  le  manuscrit  de  Berlin 
pour  la  reconstruction  du  temple  d'Héliopolis  (cf.  504-508  de  cette  Histoire),  appartient  au  début  de 
ce  double  règne,  bien  qu'Ousirtasen  Ier  y  soit  nommé  seul. 

4.  Il  mourut  l'an  XXX,  le  second  mois  de  Shaft,  le  7,  et  ce  qui  se  passa  au  moment  de  sa  mort 
nous  est  conté  tout  au  début  des  Aventures  de  Sinouhît  (Maspero,  les  Premières  Lignes  des  Mémoires 
de  Sinouhit,  restituées  d'après  l'Ostracon  27  419  du  Musée  de  Boulaq,  dans  les  Mémoires  de  l'Institut 
Égyptien,  t.  II,  p.  3  sqq.;  Gripfith,  Fragments  of  Old  Egyptian  Stories,  dans  les  Proceedings  de  la 
Société  d'Archéologie  Biblique,  1891-1892,  t.  XIV,  p.  452-458;  cf.  Maspero,  les  Contes  populaires  de 
l'Egypte  Ancienne,  2"  éd.,  p.  96-97),  où  l'auteur  paraît  s'être  borné  à  enregistrer  une  série  de  faits  réels. 


468  LE  PREMIER  EMPIRE  THÊBAIN. 

s'adjoignit  son  fi Is  Amenemhàît  II  en  l'an  XLII\  et  celui-ci,  trente-deux  ans  plus 
tard,  appela  Uusirtasen  11  au  pouvoir1;  Amenemhàît  111  et  Amenemhàît  IV 
partagèrent  le  trône  pendant  longtemps3.  Les  seuls  de  ces  princes  pour  les- 
quels nous  n'avons  encore  aucune  preuve  du  fait  sont  Ousirtasen  III  et  la 
reine  Sovknofriourî,  avec  laquelle  la  dynastie  s'éteignit. 

Elle  dura  deux  cent  treize  ans,  un  mois  et  vingt-sept  jours',  et  c'est  de 


toutes  les  familles  qui  dominèrent  l'Egypte  celle  dont  l'histoire  offre  le  plus 
de  certitude  et  le  plus  d'unité.  Sans  doute,  nous  sommes  loin  de  soupçonner 
la  plupart  des  grandes  choses  qu'elle  accomplit  :  la  biographie  de  ses  huit 
souverains  et  le  détail  de  leurs  guerres  incessantes  nous  sont  connus  fort 
incomplètement.  Du  moins  peut-on  suivre  sans  interruption  le  développement 
de  leur  politique  au  dehors  et  au  dedans.  Pas  plus  que  leurs  prédécesseurs 
de  l'époque  memphite,  l'Asie  ne  les  attira  :  ils  semblent  avoir  éprouvé  un 


1.  Strie  de  Lryde  V  t.  datée  de  l'an  XLIV  d'Ousirtascn  I"  et  de  l'an  11  d'Amen  cm  hall  II  (Lmwa^s. 
Lettre  à  Françoit  Salvolini,  p.  34-3tl  cl  pi.  IV,  3".  puis  Description  rationnée  dei  monumtuU  égyp- 
tiens du  Mutée  de  l.eydc,  p.  ÎÇi;  I.tpslus,  Auticahl  lirr  wichtigtten  Urkulidea,  pi.  X). 

ï.  l'roscyncmc  d'Assouan,  daté  de  l'an  XXXV  d' Amenemhàît  II  cl  de  l'An  III  d'Ousirtaseii  II  (Yoi'SG, 
Hieroglyphics,  pi.  I.X1  ;  I.wsirs,  AuKWahl  der  wiekligtten  Urkunden,  pi.  X.  et  Denkm.,  II,   Ii3  e). 

3.  K.  uk  ItoriGÉ,  Lettre  à  M.  Leentaiit,  dans  la  It/vue  Archéologique.  1™ série,  t.  VI,  p.  S"3  :  il  nous 
reste  plusieurs  roomiTQeots  de  leur  double  règne  (I.fpsiis,  Autwahl  rier  u-irlitigitra  Urkunden,  pi.  X, 
el  Denkm.,  11.  141)  J"),  mais  sans  dote  qui  permette  do  déterminer  le  moment  de  l'Association . 

4,  C'est  le  total  que  le  papyrus  de  Turin  donne  pour  elle  (Lepsii-s,  Aumvaht  der  irirhtigiten  Vrkun- 
den,  pi.  VII.  fra^ui.  "*,  I-  3)-  Plusieurs  égyptolouues  ont  pensé  que  Jlanéthon  y  avait  compris  les 
iiniii'es  des  ilimlilus  récries  et  ont  proposé  de  réduire  la  durée  de  la  dynastie  h  163  ans  (BirtucK, 
Gcschirhle  JF.gyplent,  p.  114-1 1.1),  à  IBII  (Liear.fcis,  Recherche!  êiir  ta  Chronologie  Égyptienne,  p.  "fi-83), 
a  1  tfi  (Eu.  Mi:iu,  Getchirhte  des  Alterthumi,  t.  I.  p.  14i,  et  Cr'chkhte  des  altrn  Mgypten;  p.  l't, 
note  I).  Le  plus  simple  est  d'inl  mettre  que  le  rédacteur  du  Papyrus  ne  s'est  pas  trompé;  nous  ne 
savons  pas  le  temps  qu'ont  duré  les  règnes  d'Ousirtascn  11,  d'Ousirtascn  III,  d 'Amenemhàît  III,  el  ce 
sont  les  années  encore  inconnues  de  ces  princes  qui  complètent  les  deux  cent  treize  ans. 

!i.    Dettin  de  Faueher-dudîtt.  d'aprin  la  chromolithographie  de  I.epsii:*.  Jlenkm.,  SI,  ISS. 


LES  ASIATIQUES  ES   EGYPTE.  4fi9 

certain  effroi  pour  les  races  belliqueuses  qui  l'habitaient  et  n'avoir  eu  d'autre 
souci  que  de  repousser  leurs  attaques.  Amenemhâît  P1'  avait  consolidé  la  ligne 


de  forteresses  qui  courait  à  travers  l'isthme',  et  ses  descendants  l'entretinrent 
avec  soin.  Ils  n'ambitionnaient  point  la  domination  directe  sur  les  tribus  du 


désert,  mais  tant  que  les  Maîtres  des  Sables  consentaient  à  respecter  la  fron- 
tière, ils  évitaient  de  s'immiscer  dans  leurs  affaires  intérieures1.  Les  rapports 
de  commerce  n'en  étaient  que  plus  fréquents  et  plus  surs.  Les  riverains  du 
Delta  voyaient  à  chaque  instant  arriver  dans  leurs  villes  tantôt  des  individus 

1.  L'e\istence  de  ta  ligne  de  forteresses  à  celle  époque  résullo  du  passage  des  Arruliirei  de 
SilioukU  où  le  héros  décrit  la  frontière  orientale  du  Délia  (Papyrtti  de  Berlin  n"  /,  I.  16-19). 

î.  Flous  ne  possédons  jusqu'à  présent  de  mentions  d'une  guerre  contre  tes  Mailret  det  Salilei  que 
«oui  Ameneinhall  1"  (dans  la  stèle  C  I  du  Louvre,  cf.  p.  Mi,  note  3,  de  celle  HUtoire)  et  sous  Ousir- 
lasen  I"  (Slelc  de  MoMhntpou,  I.  Il),  dans  Mimi.n.:,  Abydot,  t.  Il,  pi.  XX11I). 


470  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

isolés  ou  des  bandes  entières  qui,  chassées  de  la  terre  natale  par  la  misère 
ou  par  les  révolutions,  imploraient  un  asile  à  l'ombre  du  trône  de  Pharaon, 
tantôt  des  caravanes  qui  leur  vendaient  les  denrées  les  plus  rares  de  l'Orient 
ou  du  Nord  lointains.  Un  tableau  célèbre  d'une  des  tombes  de  Béni-Hassan 
nous  montre  comment  les  choses  se  passaient  à  l'ordinaire.  On  ne  sait  quelle 
aventure  entraîna  trente-sept  Asiatiques,  hommes,  femmes  et  enfants,  à  fran- 
chir la  mer  Rouge,  puis  le  désert  Arabique  et  les  montagnes  en  l'an  VI  d'Ou- 
sirtasen  II  '  :  ils  tombèrent  à  l'improviste  dans  le  nome  de  la  Gazelle,  où  le 
surintendant  des  chasses  Khîti  les  reçut  et  les  conduisit,  comme  c'était  son 
devoir,  au  prince  Khnoumhotpou.  Ils  lui  présentèrent  du  fard  vert,  de  la 
poudre  d'antimoine,  deux  bouquetins  vivants,  afin  de  se  concilier  sa  bienveil- 
lance, et  lui,  pour  éterniser  la  mémoire  de  leur  visite,  les  consigna  en  pein- 
ture aux  murailles  de  son  tombeau.  Ils  ont,  comme  les  Égyptiens,  l'arc,  la 
javeline,  la  hache,  la  massue,  de  longues  robes  ou  des  pagnes  étroits  bridant 
sur  la  hanche;  tout  en  marchant,  l'un  d'eux  joue  d'un  instrument  qui  rappelle 
par  l'aspect  les  lyres  du  vieux  style  grec.  La  forme  de  leurs  armes,  l'éclat  et 
le  bon  goût  des  étoffes  frangées  et  bariolées  dont  ils  sont  vêtus,  l'élégance 
de  la  plupart  des  objets  qu'ils  traînent  avec  eux,  témoignent  d'une  civilisa- 
tion avancée,  égale  à  celle  de  l'Egypte.  C'était  déjà  d'Asie  que  Pharaon  tirait 
les  esclaves,  certains  parfums,  le  bois  et  les  essences  du  cèdre,  les  vases 
émaillés,  les  pierreries,  le  lapis-lazuli,  les  lainages  brodés  ou  teints  dont  la 
Chaldée  se  réserva  le  monopole  jusqu'au  temps  des  Romains1.  Les  marchands 
du  Delta  bravaient  les  bêtes  féroces  et  les  voleurs  embusqués  au  coin  de 
chaque  vallée  pour  exporter  au  delà  de  l'isthme  les  produits  des  manufac- 
tures nationales3,  les  toiles  fines,  les  bijoux  ciselés  et  cloisonnés,  les  poteries 
vernissées,  les  amulettes  en  pâte  de  verre  ou  en  métal.  Les  gens  à  l'esprit 
hasardeux  qui  jugeaient  la  vie  monotone  aux  bords  du  Nil,  ceux  qui  avaient 
commis  un  crime  ou  qui  se  sentaient  suspects  au  maître  pour  des  raisons  de 
politique,  les  conspirateurs,  les  transfuges,  les  bannis  rencontraient  bon 
accueil  dans  les  tribus  et  gageaient  parfois  la  faveur  des  shéîkhs  :  dès  la 
XIIe  dynastie,  la  Syrie  méridionale,  le  pays  des  Maîtres  des  Sables,  le  royaume 

1.  Ce  bas-relief  Tut  signalé  et  décrit  pour  la  première  fois  par  Champollion  (Monuments  de  l'Egypte, 
pi.  CCCLXÏ-CCCLXII),  qui  prit  les  immigrants  pour  des  Grecs  de  l'époque  archaïque  (filtres  écrites 
d'Egypte,  p.  76-77,  et  Monuments,  t.  II,  p.  410-414).  D'autres  voulurent  y  reconnaître  l'arrivée  en 
Egypte  d'Abraham,  des  fils  de  Jacob,  ou  tout  au  moins  d'une  bande  de  Juifs,  et  cette  hypothèse  lui  a 
valu  l'honneur  d'être  souvent  reproduit  :  Rosellixi,  Monument i  Slorici,  pi.  XXVIH-XXIX  ;  Lkpshjs,  Denkm., 
Il,  131,  132,  133:  Brigsch,  Histoire  d'Egypte,  p.  63;  Newberry,  Béni  llasan,  t.  I.  pi.  XXX-XXXI. 

2.  Cf.  à  ce  propos  le  livre  cTKrf.rs,  JEgypten  und  die  Diïcher  Moues,  p.  288  sqq. 

3.  Papyrus  Sallier  «•  9,  pi.  VU,  1.  4-7. 


LES  AVENTURES  DE  SINOUHÎT.  471 

de  Kadouma  étaient  remplis  d'Égyptiens,  dont  la  carrière  agitée  fournissait 
aux  scribes  et  aux  conteurs  le  thème  de  romans  nombreux1. 

Sinouhit,  le  héros  de  l'un  d'eux',  était  un  fils  d'Amenemhâit  l,r,  qui  avait 
eu  la  malechance  de  surprendre  malgré  lui  un  secret  d'État  :  il  se  trouvait 
près  de  la  tente  royale  au  moment  où  l'on  vint  annoncer  à  Ousirtasen  la 
mort  imprévue  de  son  père.  Craignant  d'être  exécuté  sans  façon,  il  s'enfuit, 
traversa  le  Delta  au  nord  de  Memphis,  évita  les  postes  de  la  frontière  et  s'en- 
fonça dans  le  désert.  «  Je  me  mis  en  route  à  la  nuit,  à  l'aube,  j'atteignis 
Pouteni  et  me  dirigeai  vers  le  lac  de  Kimoiri s.  Alors  la  soif  s'abattit  et  fondit 
sur  moi;  je  râlai,  mon  gosier  se  serra,  je  me  disais  déjà  :  «  C'est  le  goût  de 
«  la  mort!  »  quand  soudain  je  relevai  mon  cœur  et  rassemblai  mes  forces  : 
j'entendais  la  voix  des  troupeaux.  J'aperçus  des  Asiatiques;  leur  shéikh,  qui 
avait  été  en  Egypte,  me  reconnut  :  il  me  donna  de  l'eau,  me  fit  cuire  du  lait, 
et  j'allai  avec  lui  dans  sa  tribu.  »  Sinouhit  ne  s'y  crut  pas  encore  en  sûreté  et 
se  réfugia  en  Kadouma,  auprès  d'un  prince  qui  prêtait  asile  à  plusieurs  autres 
exilés  et  chez  lequel  «  il  pouvait  entendre  le  parler  d'Egypte  ».  11  y  gagna 
rapidement  honneurs  et  fortune.  «  Le  chef  me  mit  avant  ses  enfants,  me 
mariant  à  sa  fille  ainée,  et  il  accorda  que  je  choisisse,  pour  moi,  dans  son 
domaine,  parmi  le  meilleur  de  ce  qu'il  possédait  sur  la  frontière  d'un  pays 
voisin.  C'est  une  terre  excellente,  Aîa  de  son  nom.  H  y  a  des  figues  en  elle  et 
des  raisins;  le  vin  y  est  en  plus  grande  quantité  que  l'eau;  abondant  est  le 
miel;  nombreuses  sont  les  olives  et  toutes  les  productions  de  ses  arbres  :  on  y 
a  du  blé  et  de  la  farine  sans  limites,  et  toute  espèce  de  bestiaux.  Ce  fut  grand, 
certes,  ce  qu'on  me  conféra,  quand  le  prince  vint  pour  m'investir,  réinstallant 
prince  de  tribu  dans  le  meilleur  de  son  pays.  J'eus  des  rations  quotidiennes 
de  pain  et  du  vin  pour  chaque  jour,  de  la  viande  cuite,  de  la  volaille  rôtie, 
plus  le  gibier  de  la  montagne  que  je  prenais,  ou  qu'on  posait  devant  moi  en 
plus  de  ce  que  rapportaient  mes  chiens  de  chasse.  On  me  fabriquait  beaucoup 

1.  Papyrus  de  Berlin  n°  I,  1.  31-34  ;  cf.  Maspkro,  les  Contes  populaires,  2°  édit.,  p.  99-100. 

2.  Le  texte  existe  partie  à  Berlin  (Lkpsujs,  Dcnkm.,  VI,  104-107),  partie  en  Angleterre  (Griffith, 
Fragments  ofOld  Egyplian  Slories,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  1891- 
1892,  t.  XIV,  p.  452-158);  des  fragments  en  ont  été  copiés  sur  des  Ostraca  du  British  Muséum  (Birch, 
Inscriptions  in  the  Hieratic  and  Démolie  Character,  p.  8,  pi.  XXIII,  n°  5629)  et  du  Musée  de  Gizéh 
(Maspero,  les  Premières  Lignes  des  Mémoires  de  Sinouhit,  dans  les  Mémoires  de  l'Institut  Egyptien, 
t.  II,  p.  1-23).  Il  a  été  analysé  par  Chabas  {les  Papyrus  de  Berlin,  récils  d'il  y  a  quatre  mille  ans, 
p.  37-51,  et  Panthéon  Littéraire,  1. 1),  traduit  en  anglais  par  Goodwin  {The  Story  of  Saneha,  dans  le 
Frazers  Magazine,  18G5,  p.  185-202;  cf.  liecords  of  the  Pasl,  lr«  édit.,  t.  VI,  p.  131-150),  en  français 
par  Maspero  (le  Papyrus  de  Berlin  n°  1,  dans  les  Mélanges  d'Archéologie,  t.  111,  p.  G 4-8-4,  132-160,  et 
les  Contes  populaires  de  l'Egypte  Ancienne,  2*  édit.,  p.  87-132). 

3.  Kimoiri  était  situé  non  loin  du  bourg  moderne  d'El-Maghfar  (Navillk,  The  Store-City  of  Pithom 
and  the  Boule  of  the  Exodus,  p.  21-22),  et  son  lac  est  le  lac  d'Ismailiah,  qui  formait  alors  le  fond  de 
la  Mer  Rouge,  de  la  Très-Noire,  comme  les  Égyptiens  l'appelaient;  cf.  p.  351,  note  3,  de  celte  Histoire. 


472  LE  PREMIER   EMPIRE  THÊRAIN. 

de  beurre  et  du  lait  cuit  de  toute  manière.  Je  passai  de  nombreuses  années; 
les  enfants  que  j'eus  devinrent  des  forts,  chacun  maîtrisant  sa  tribu.  Lorsqu'un 
messager  allait  et  venait  à  l'intérieur,  il  se  détournait  de  sa  route  pour  venir 
vers  moi,  car  je  rendais  service  à  tout  le  monde,  je  donnais  de  l'eau  à  l'altéré, 
je  remettais  en  route  le  voyageur  qu'on  avait  empêché  de  passer,  je  châtiais 
le  brigand.  Les  Pitaîtiou  qui  s'en  allaient  en  campagne  lointaine  pour  battre 
et  pour  repousser  les  princes  des  pays  étrangers,  j'ordonnais  et  ils  mar- 
chaient, car  ce  prince  de  Tonou,  il  accorda  que  je  fusse  pendant  de  longues 
années  le  général  de  ses  soldats.  Tout  pays  vers  lequel  je  sortais,  quand 
je  m'étais  lancé  en  guerre,  on  tremblait  dans  les  pâturages  au  bord  de 
ses  puits,  je  volais  ses  bestiaux,  j'emmenais  ses  vassaux  et  j'enlevais  leurs 
esclaves,  je  tuais  sa  population,  il  était  à  la  merci  de  mon  glaive,  de  mon 
arc,  de  mes  marches,  de  mes  plans  bien  conçus  et  glorieux  pour  le  cœur  de 
mon  prince.  Aussi  m'aima-t-il  quand  il  connut  ma  valeur,  me  mettant  chef 
de  ses  enfants,  quand  il  vit  la  vigueur  de  mes  bras. 

«  Un  brave  de  Tonou  vint  me  défier  dans  ma  tente  :  c'était  un  héros  qui 
n'avait  point  de  second,  car  il  avait  écrasé  tous  ses  adversaires.   Il  disait  : 
«  Que  Sinouhit  se  batte  avec  moi,  car  il  ne  m'a  pas  encore  vaincu  »,  et  il  se 
flattait  de  ravir  mes  bestiaux  pour  en  enrichir  sa  tribu.  Le  prince  en  causa  avec 
moi.  Je  dis  :  «  Je  ne  le  connais  point.  Je  ne  suis  certes  pas  son  frère,  je  me 
«  tiens  éloigné  de  son  logis  ;  ai-je  jamais  ouvert  sa  porte  ou  franchi  ses  clô- 
«  tures?  C'est  sans  doute  quelque  jaloux  envieux  de  me  voir  et  qui  se  croit 
«  prédestiné  à  me  dépouiller  de  mes  chats,  de  mes  chèvres,  de  mes  vaches, 
«  et  à  fondre  sur  mes  taureaux,  mes  béliers  et  mes  bœufs  afin  de  se  les  appro- 
«  prier....  S'il  a  vraiment  le  cœur  à  combattre,  qu'il  déclare  l'intention  de  son 
«  cœur!  Est-ce  que  le  Dieu  oubliera  celui  qu'il  a  toujours  favorisé  jusqu'à 
«  présent?  11  en  est  du  provocateur  comme  s'il  se  trouvait  parmi  ceux  qui 
«  gisent  sur  le  lit  funéraire.  »  Je  bandai  mon  arc,  je  dégageai  mes  flèches,  je 
donnai  du  jeu  à  mon  poignard,  je  fourbis  mes  armes.  A  l'aube,  le  pays  de 
Tonou  accourut  ;  il  avait  réuni  ses  tribus,  convoqué  tous  les  pays  étrangers 
qui  dépendaient  de  lui,  il  brûlait  de  voir  ce  duel.  Chaque  cœur  était  sur  des 
charbons  pour  moi,  hommes  et  femmes  poussaient  des  Ah!  car  tout  cœur  était 
anxieux  à  mon  sujet,  et  ils  disaient  :  «  Est-ce  vraiment  un  vaillant  qui  va  se 
«  mesurer  avec  lui?  Voici,  l'ennemi  a  un  bouclier,  une  hache  d'armes,  une 
«  brassée  de  javelines.  »  Quand  il  fut  sorti  et  que  je  parus,  je  détournai  ses 
traits   de  moi.  Comme  pas  un  seul  ne  portait,  il  fondit  sur  moi  et  alors  je 


LES  ÉTABLISSEMENTS  MINIERS  DU  SINAL  473 

déchargeai  mon  arc  contre  lui.  Quand  mon  trait  s'enfonça  dans  son  cou,  il 
s'écria  et  s'abattit  sur  le  nez  :  je  lui  arrachai  sa  lance,  je  poussai  mon  cri  de 
victoire  sur  son  dos.  Tandis  que  les  campagnards  se  réjouissaient,  j'obligeai 
ses  vassaux  qu'il  avait  opprimés  à  rendre  grâces  à  Montou.  Ce  prince,  Am- 
miânshi1,  me  donna  tout  ce  que  le  vaincu  possédait,  et  alors  j'emportai  ses 
biens,  je  pris  son  bétail.  Ce  qu'il  avait  désiré  me  faire  à  moi,  je  le  lui  fis  à 
lui,  je  me  saisis  de  ce  qui  était  dans  sa  tente,  je  dépouillai  son  logis;  par  là 
s'agrandirent  la  richesse  de  mes  trésors  et  le  nombre  de  mes  bestiaux1.  » 
Descendez  le  cours  des  âges,  feuilletez  les  romans  arabes,  celui  d'Àntar  ou 
celui  d'Abou-Zéît,  vous  y  trouverez  les  incidents  et  les  mœurs  décrits  dans 
le  conte  égyptien,  l'exilé  qui  arrive  à  la  cour  d'un  shéîkh  puissant  dont  il 
finit  par  épouser  la  fille,  la  provocation,  la  lutte,  les  razzias  de  peuplade  à 
peuplade.  De  nos  jours  encore,  les  choses  se  passent  à  peu  près  de  même.  Ces 
aventures,  vues  de  très  loin,  ont  un  air  de  grandeur  et  de  poésie  qui  captive 
le  lecteur  et,  l'imagination  aidant,  le  transporte  dans  un  monde  d'apparence 
plus  héroïque  et  plus  noble  que  le  nôtre.  Qui  veut  conserver  cette  impression, 
il  fera  bien  de  ne  pas  y  regarder  de  trop  près  aux  hommes  et  aux  coutumes 
du  désert.  Le  héros  est  brave  assurément,  mais  il  est  encore  plus  féroce  et 
traître  :  il  vit  un  peu  pour  la  bataille,  beaucoup  pour  le  pillage.  Que  voulez- 
vous,  le  sol  est  pauvre,  la  vie  est  dure  et  précaire,  les  conditions  de  l'exis- 
tence n'ont  pas  changé  depuis  les  temps  les  plus  anciens  :  au  fusil  et  à  l'Islam 
près,  le  Bédouin  de  nos  jours  est  le  même  que  celui  du  temps  de  Sinouhît8. 

Aucun  document  ne  nous  apprend  de  manière  certaine  ce  que  les  colonies 
minières  du  Sinai  devinrent  après  le  règne  de  Papi  II*.  Elles  végétèrent,  si 
on  ne  les  abandonna  pas  entièrement  :  les  derniers  Memphites,  les  Héracléo- 
politains,  les  premiers  Thébains  les  négligèrent  par  force,  et  l'avènement  de 
la  XIIe  dynastie  leur  rendit  seul  quelque  animation5.  Les  filons  de  l'Ouady 
Magharah  s'étaient  fort  appauvris  :  une  série  de  perquisitions  heureuses  révéla 

1.  C'est  le  nom  du  prince  de  Tonou,  qui  avait  pris  Sinouhit  en  si  grande  faveur. 

2.  Papyrus  de  Berlin  ji°  /,  1.  19-28,  78-147  ;  cf.  Maspero,  les  Contes  populaires,  2*  édit.,  p.  99,  104-109. 

3.  Maspkro,  la  Syrie  avant  l'invasion  des  Hébreux,  p.  (5-7  (cf.  la  ÏKevue  des  Études  Juives,  t.  XIV). 

4.  La  dernière  inscription  du  Sinai  est,  pour  l'Ancien  Empire,  celle  de  Tan  II  de  Papi  II  (Lottin  de 
Laval,  Voyage  dans  la  Péninsule  Arabique,  Ins.  hier.,  pi.  -i,  n°  1;  Lkpsius,  Denkm.,  II,  116  a). 

5.  Monuments  d'Ousirtasen  Ier  à  Sarbout-el-Khàdtm  (Brigsch,  Geschichte  /Egyptens,  p.  132;  Major 
Félix,  Note  topra  le  Dinastie  de*  Faraoni,  p.  M),  d'Amcnemhâit  II  (Account  of  the  Survey,  p.  183), 
d'Amenemhàlt  III  à  Sarbout-el-Khâdîm  et  à  Ouady  Magharah  (Burton,  Excerpta  Hieroglyphica,  pi.  XLII  ; 
Champollion,  Monuments  de  l'Egypte  et  de  la  ïïubie,  t.  II,  p.  690-692;  Lkpsius,  Denkm.,  II,  137  a-A, 
140  ft;  Account  of  the  Survey,  p.  175-177,  183-184,  et  Photographs,  t.  III,  pi.  3-4),  d'Amenemhâit  IV 
dans  les  deux  mêmes  localités  (Lepsii/s,  Denkm.,  II,  140  o-p;  Account  of  the  Survey,  p.  177,  184,  et 
Photographs,  t.  III,  pi.  4).  On  ne  connaît  encore  au  Sinai  aucun  monument  qui  porte  les  cartouches 
d'Amenemhâit  I"  ou  qu'on  puisse  reporter  au  règne  de  ce  prince. 

60 


«4  LE  PREMIER   EMPIRE  THÉBAIX. 

l'existence  de  dépôts  encore  vierges  dans  le  Sarhout-el-Khâdim,  au  nord  des 
gisements  primitifs'.  On  les  mit  en  œuvre  dès  le  temps  d'Amenemhàit  11*, 
et  l'effort  entier  se  concentra  sur  eux  pendant  plusieurs  générations  :  les 
expéditions  se  répétaient  tous  les  trois  ou  quatre  ans,  parfois  même  d'année 
en  année,  sous  le  commandement  de  hauts  fonctionnaires.  Connus  du  lioi. 
Lecteurs   en  Chef,  Capitaines  des  Archers.  Comme  les  minerais  diminuaient 


vite,  chacun  des  délégués  de  Pharaon  devait  en  découvrir  de  nouveaux  pour 
subvenir  aux  exigences  de  l'industrie  :  la  tâche  était  souvent  ardue,  aussi  la 
plupart  d'entre  eux  se  plaisaient-ils  à  bien  informer  la  postérité  des  anxiétés 
qu'ils  avaient  ressentie»,  à  lui  dire  la  peine  qu'ils  s'étaient  donnée,  à  lui  ènu- 
mérer  les  quantités  d'oxyde  de  cuivre  ou  de  turquoises  qu'ils  avaient  empor- 
tées en  figypte.  Le  capitaine  Haroéris  nous  apprend  donc  que,  débarqué  au 
Sarbout  pendant  le  mois  de  Phaménoth  d'une  année  inconnue  d'Amenem- 
hàit III,  il  débuta  mal  dans  ses  recherches  :  les  ouvriers,  las  de  ne  rien  gagner, 
l'auraient  abandonné  promptement,  s'il  n'avait  toujours  fait  contre  fortune  bon 
visage  et  s'il  ne  leur  avait  promis  hautement  l'appui  de  l'Hàthor  locale  La 
chance  tourna  en  effet,  à  l'instant  où  il  commençait  à  désespérer  :  «  Le  désert 
brûlait  comme  l'été,  la  montagne  était  en  feu,  et  la  veine  épuisée;  un  matin, 

I.  Sur  le  Sarbout-el-Khâdtm  et  sur  son  histoire,  voir  le  résume  île  Bimin.  Egyptien  Hemain»,  dans 
I  Aetimnl  of  Iht  Survnj  of  Ihe  Prninëula  of  Sinoi,  oh.  VII,  p.  1S0-ISÎ. 

3.  Inscription  sans  date  et  inscription  de  l'an  XXIV  d' Amènera  hall  II,  près  du  réservoir  du  Sarbont- 
el-Khfldtm  (Bwcii.  Egyptian  ittmaiiit,  dan»  IM.rouiri  of  Ihe  Snrrcu,  eh.  VII,  p.  183). 


LE  SARBOUT  KL-KI1 A  IlI.M   ET  SA  CHAPELLE.  il?, 

le  contremaître  qui  était  là  interrogea  les  artisans  à  ce  sujet,  les  habiles  qui 
fréquentaient  cette  mine,  et  ils  dirent  :  *  11  y  a  de  la  turquoise  en  la  montagne 
*  pour  l'éternité!  »  Le  filon  se  présenta  juste  en  ce  moment.  «  Et  de  fait  la 
richesse  des  gîtes  qu'il  rencontra  le  dédommagea  complètement  de  ses  pre- 
miers mécomptes  :  en  Pachons,  trois  mois  après  l'ouverture  des  travaux,  il 
avait  achevé  sa  besogne  et  se  préparait  à  quitter  le  pays  avec  son  butin*.  Pha- 


raon dépêchait  de  temps  en  temps  à  ses  féaux  mineurs  des  convois  de  bestiaux 
et  de  provisions,  du  blé.  seize  bœufs,  trente  oies,  des  légumes  frais,  de  la 
volaille  vivante'.  La  population  ouvrière  s'accrut  si  vite  qu'on  dut  lui  con- 
struire deux  chapelles,  dédiées  à  HAthor  et  desservies  par  des  prêtres  de 
bonne  volonté*.  L'une  d'elles,  la  plus  ancienne  probablement,  consiste  en  une 
seule  chambre  taillée  dans  la  roche  même  et  soutenue  par  un  gros  pilier  carré, 
le  tout  recouvert  jadis  de  figures  très  fines  et  d'inscriptions  à  peu  près  effa- 
cées aujourd'hui.  La  seconde  comprend  une  cour  rectangulaire  de  belles 
dimensions,  bordée  jadis  d'un  portique  supporté  par  des  piliers  à  chapiteaux 
en  forme  de  tête  d'Hàthor,  puis  un  édifice  étroit  qui  se  divise  en  beaucoup 
de  petites  chambres  irrégulières.  La  bâtisse  a  été  remaniée,  détruite  à  demi, 

I.  Bipich,  Eggplian  Bernai'".  dans  VArrnunt  of  the  Survcg,  p.  186. 

4.  Destin  de  familier,  d'âpre*  In  photographie  de  l'Ordnaitce.  Surrry,  Phvtngrnpht,  t.  III,  pi.  X. 
3.  Fragments  d'inscriptions  chez  IIihch,   Kijypliun  Ittmaïiii,  dans   V  Account  of  the  Survey,  |i.  t»fi. 
*.  WIUOK,  Note  on  tlie  Huitit  al  Sarabit  el-Khadim,  dans  V Account  of  the  Sun-ey,  ch.  VII  ;  les  vues 
des  ruines  sont  reproduites  sur  les  photographies  de  YOrdnance  Survey,  t.  III,  pi.  VI-XVI11. 


476  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

et  n'est  plus  qu'un  monceau  de  ruines  confuses,  sous  lesquelles  on  ne  démêle 
pas  l'économie  du  plan  primitif.  Des  stèles  votives  de  toute  taille  et  de  toute 
matière,  hautes  ou  basses,  longues  ou  minces,  en  granit,  en  grès,  en  calcaire, 
se  dressaient  au  hasard  dans  les  deux  chambres  et  dans  les  cours,  entre  les 
colonnes,  au  ras  des  murs  :  plusieurs  sont  encore  en  place,  d'autres  gisent 
éparses  au  milieu  des  décombres.  Vers  la  moitié  du  règne  d'Àmenemhàit  111, 
la  demande  des  turquoises  ou  des  minerais  de  cuivre  nécessaires  à  l'industrie 
devint  si  forte,  que  le  Sarbout-el-Khâdîm  n'y  suffit  plus  et  qu'on  dut  revenir 
à  l'Ouady  Magharah1.  La  double  exploitation  ne  se  ralentit  pas  sous  Àmen- 
emhàit  IV*  :  au  moment  où  la  XIIe  dynastie  céda  le  trône  à  la  XI11*,  elle 
continuait  activement.  La  tranquillité  n'était  pas  moindre  dans  ces  recoins 
perdus  de  la  montagne  que  dans  la  vallée  d'Egypte,  et  une  faible  garnison  y 
surveillait  les  Bédouins  du  voisinage.  Ceux-ci  s'enhardissaient  parfois  à  piller 
les  travailleurs,  puis  se  sauvaient  précipitamment,  emportant  leurs  maigres 
rapines  :  la  poursuite,  menée  à  fond  par  l'un  des  officiers  présents  sur  les 
lieux,  les  atteignait  d'ordinaire  avant  qu'ils  se  fussent  mis  en  sûreté  dans 
leurs  douars,  et  les  obligeait  à  rendre  gorge.  Les  vieux  rois  memphites  s'enor- 
gueillissaient de  ces  courses  armées  comme  de  véritables  victoires,  et  en 
perpétuaient  le  souvenir  par  des  bas-reliefs  triomphaux  :  on  les  traitait 
maintenant  en  incidents  de  frontières  sans  importance,  que  Pharaon  daignait 
à  peine  soupçonner,  et  dont  il  abandonnait  la  gloire  telle  quelle  à  ceux  de 
ses  capitaines  qui  commandaient  pour  lui  dans  ces  parages3. 

Les  pays  situés  vers  le  Nord,  au  delà  de  la  Méditerranée,  n'avaient  pas  cessé 
d'entretenir  avec  l'Egypte  des  relations  commerciales  assez  étendues*.  Le 
renom  de  richesse  dont  le  Delta  jouissait  entraînait  parfois  des  bandes  de 
Haiou-nibou  à  venir  rôder  le  long  des  côtes,  pour  y  exercer  leur  métier  de 
pirates  :  ces  courses  tournaient  d'ordinaire  assez  mal,  et  ceux  qui  les  entre- 

1.  Inscriptions  de  l'an  11  et  des  ans  XXX,  XLI,  XLII,  XL1II,  XL1V  d'Amenemhàit  III  dans  Burtom, 
Excerpla  hieroglyphica,  pi.  XII;  Champollion,  Monuments  de  l'Egypte  et  de  la  Nubie,  t.  II,  p.  689-691  ; 
Lepsiis,  Denkm.,  II,  137  c,  f-i\  Birch,  Egyptian  Remains,  dans  \  Account  of  the  Survey,  ch.  VII,  p.  175- 
177,  et  Photographe,  t.  III,  pi.  3. 

2.  Inscriptions  des  ans  V  et  VU  d'Amenemhàit  IV,  dans  Lepsiis,  Denkm.,  11,  137  d-e,  140  n\  Accourt l 
of  the  Survey,  p.  177,  et  Photographe,  t.  III,  pi.  4. 

3.  Sônkhkari  de  la  XI"  dynastie  se  vantait  d'avoir  rompu  le  jarret  des  Haiouriitbou  (Lepsiis,  Denkm. , 
II,  150  a,  I.  8;  cf.  Golémscheff,  Résultais  épigraphiques,  pi.  XVI,  1.  8)..  Ce  n'est  pas,  comme  Chabas 
l'a  pensé  [Eludes  sur  t  Antiquité  Historique,  2"  éd.,  p.  174-175),  d'une  expédition  maritime  qu'il  s'agit 
ici,  mais  d'une  incursion  des  pirates  asiatiques  repoussée  par  le  Pharaon.  Les  Iles  de  la  Très-Verte, 
c'est-à-dire  de  la  Méditerranée,  sont  mentionnées  incidemment  dans  les  Mémoires  de  Sinouhft  (Papyrua 
de  Berlin  nQ  /,  l.  210-211).  Le  séjour  des  prisonniers  égéens  dans  la  principauté  d'Uéracléopolis  a  été 
constaté  par  M.  Pétrie  (Kahun,  Gurob  and  Jlowara,  p.  44,  et  lllahun,  Kahun  and  Gurob,  p.  9-11). 

4.  C'est  au  cours  d'une  expédition  contre  les  Timihou  qu'Ousirtasen  Ier  apprit  la  mort  de  son  père 
Amenemhàft  I"r  (Maspero,  les  Contes  populaires  de  V Ancienne  Egypte,  2e  édit.,  p.  96-97). 


LA  NUBIE  ASSIMILÉE  AU  RESTE  DE  L'EGYPTE.  4TÎ 

prenaient,  s'ils  échappaient  à  une  exécution  sommaire,  allaient  finir  leurs  jours 
comme  esclaves,  au  Fayoum  ou  dans  quelque  village  du  Said.  Leurs  descen- 
dants y  conservaient  un  certain  temps  encore  les  costumes,  la  religion,  les 
mœurs,  les  industries  de 
la  patrie  absente;  ils  con- 
tinuaient à  fabriquer  pour 
leur  usage  journalier  des 
poteries  grossières,  dont  le 
décor  rappelait  celui  des 
vases  qu'on  recueille  dans 
les  tombes  les  plus  ancien- 
nes de  l'archipel  Egéen, 
puis  ils  s'absorbaient  peu 
à  peu  dans  le  milieu 
ambiant,  et  leurs  petits- 
enfants  devenaient  des  fel- 
lahs comme  les  autres, 
nourris  dès  la  mamelle  aux 
coutumes  et  au  langage 
de  l'Egypte.  Les  rapports 
avec  les  tribus  du  désert 
Libyque,  les  Tihounou,  les 
Timihou,  demeuraient  pa- 
cifiques presque  toujours  : 
parfois  seulement  une  raz- 
zia, poussée  par  une  de 
leurs  bandes  sur  territoire 
égyptien,  suscitait  une  con- 
tre-razzia  dans   l'une   des 

vallées  où  ils  abritaient  leurs  troupeaux  et  leurs  tentes.  Un  contingent  de 
femmes  et  d'enfants  berbères  venaient  rejoindre  les  Haiou-nibou  prisonniers  et 
apportaient  à  la  population  de  l'Egypte  un  nouvel  élément  hétérogène  bientôt 
noyé  dans  la  masse.  Des  courses  rapides,  des  fuîtes  d'exilés,  des  répressions 
de  piraterie,  des  échanges  commerciaux  entrecoupés  d'épisodes  romanesques, 
voilà  en  traits  généraux  l'histoire  commune  de  l'Egypte  et  des  contrées  qui 
l'avoîsinent  au  nord,  pendant  les  deux  siècles  que  la  XII'  dynastie  dura  :  les 


478  LE  PREMIER  EMPIRE  THÈBAIN. 

Pharaons  s'y  immobilisèrent  sur  la  défensive.  L'Ethiopie  attirait  toute  leur 
attention  et  réclamait  toutes  leurs  forces.  Le  même  instinct  qui  avait  excité 
leurs  prédécesseurs  à  dépasser  successivement  le  Gebel-Silsiléh,  puis  Eléphan- 
tine,  les  entraîna  au  delà  de  la  seconde  cataracte  et  plus  loin  encore.  La  nature 
de  la  vallée  le  voulait  ainsi.  Elle  forme,  du  Tacazzé  ou  plutôt  du  confluent  des 
deux  Nils  à  la  mer,  comme  une  grande  Egypte,  découpée  par  les  cataractes 
en  compartiments  superposés,  mais  soumise  partout  aux  mêmes  conditions 
d'existence  :  les  morceaux  en  ont  été  séparés  violemment  plus  d'une  fois  au 
cours  des  siècles,  par  les  hasards  de  l'histoire,  mais  ils  ont  tendu  sans  cesse  à 
se  rapprocher  et  se  sont  ressoudés  dès  qu'ils  en  ont  trouvé  l'occasion.  L'Àmami, 
Tlritît,  les  Sitiou,  toutes  les  nations  qui  erraient  à  l'ouest  du  fleuve,  ralliées 
ou  soumises  par  les  Pharaons  de  la  VIe,  puis  par  ceux  de  la  XIe  dynastie, 
ne  paraissent  pas  avoir  inquiété  beaucoup  les  successeurs  d'Àmenemhâit  Ier. 
Les  Ouaouiou  et  les  Mâzaiou  étaient  restés  plus  turbulents  :  il  fallait  les 
réduire,  si  l'on  voulait  assurer  la  tranquillité  des  colons  dispersés  sur  les 
rives  du  fleuve,  de  Philae  à  Korosko.  Amenemhâit  Ier  les  battit  à  plusieurs 
reprises1;  Ousirtasen  Ier  dirigea  contre  eux  des  campagnes  répétées,  dont  les 
premières  datent  du  temps  où  son  père  vivait  encore*,  puis  il  reprit  la  marche 
en  avant,  et,  du  premier  coup,  «  éleva  ses  frontières  »  jusqu'aux  rapides 
d'Ouady  Halfah3.  Le  pays  ne  fut  plus  désormais  disputé  à  ses  successeurs.  On 
le  distribua  en  nomes  comme  l'Egypte  même,  la  langue  de  l'Egypte  acheva  de 
se  substituer  aux  idiomes  indigènes,  les  dieux  locaux  et  Didoun.  le  principal 
d'entre  eux,  s'associèrent  ou  s'assimilèrent  aux  divinités  de  l'Egypte.  Khnou- 
mou  obtint  la  préférence  dans  les  nomes  septentrionaux,  sans  doute  parce  que 
les  premiers  colons  étaient  originaires  d'Éléphantine  et  sujets  de  ses  princes*; 
dans  les  nomes  méridionaux,  qui  avaient  été  annexés  sous  des  rois  de  Thèbes 
et  peuplés  d'immigrants  thébains,  il  partagea  la  vénération  des  fidèles  avec 
le  dieu  de  Thèbes,  Amon,  Amon-Râ8.  Les  autres  divinités  se  taillèrent  des 
domaines  moins  vastes  dans  le  territoire  nouveau,  selon  des  affinités  de  terroir 


1.  Papyrus  Sait ier  n°  /,  pi.  Il,  I.  10. 

2.  Stèle  de  l'an  XXX  d'Ame  ne  m  liait  Ier  =  l'an  IX  d'Ousirtascn  1er  (Brigsch,  die  Negcrstâmme  der 
Una-Inschrift,  dans  la  Zeilschrift,  1882,  p.  30-31). 

3.  On  a  trouvé  la  stèle  triomphale,  aujourd'hui  conservée  à  Florence,  à  Ouady  Halfah,  sur  le  site  de 
l'antique  Bohani  (Champollion,  Lettrts  écrites  d'Egypte,  2"  édit.,  p.  124). 

t.  khnoumou  prenait  on  Nubie  le  titre  de  Gouverneur  des  liabilanls  de.  la  Bassc-Subie,  directeur  de 
la  porte  des  régions  montagneuses  (BmGscn,  Dictionnaire  Géographique,  p.  1288).  A  la  XVIIIe  dynastie 
on  l'y  rencontre  comme  khnouinou-Hà  dans  les  temples  de  Sebouah  (Lkpsiis,  Denkm.,  III,  170),  de 
Koumméh  (id.,  ibid.,  66)  et  de  plusieurs  autres  localités. 

ï>.  Lcpsius  a  montré  le  premier  comment  le  culte  d'Amon  marque  le  progrès  de  la  colonisation  thé- 
bainc  (Ucbcr  die  widderkôpfigen  Gotier  A  tu  mon  und  Chnumis,  dans  la  Zeilschrift,  1877,  p.  14  sqq.). 


LES  TRAVAUX  DES  PHARAONS  EN  NUBIE.  479 

dont  on  ne  peut  plus  se  rendre  compte  aujourd'hui,  Thot  à  Pselcis  et  à 
Pnoubsît,  où  Ton  adorait  un  nabéca  gigantesque1,  Râ  vers  Derr',  Horus  à 
Miama  et  à  Baouka8.  Les  Pharaons  qui  avaient  civilisé  le  pays  y  reçurent  en 
leur  vivant  les  honneurs  de  l'apothéose.  Ousirtasen  111  se  mit  en  triade  avec 
Didoun,  avec  A  m  on,  avec  Khnoumou,  et  eut  ses  temples  à  Semnéh4,  à  Sha- 
taoui8,  à  Doshkéh6  :  sous  Thoutmosis  III,  plus  de  mille  ans  après  lui,  on 
célébrait  encore,  le  21  Pachons,  l'anniversaire  d'une  victoire  décisive  qu'il 
avait  remportée  sur  les  barbares7.  Le  régime  féodal  se  propagea  partout,  et 
l'on  vit  des  barons  héréditaires  tenir  leur  cour  entre  les  deux  cataractes, 
exercer  leurs  armées,  se  construire  des  châteaux,  se  creuser  dans  la  mon- 
tagne des  tombes  décorées  superbement.  L'Egypte  nubienne  ne  différa  de  la 
réelle  que  par  un  excès  de  chaleur  et  par  une  diminution  de  richesse  :  lé  sol, 
moins  large,  moins  fertile,  moins  bien  inondé,  y  nourrissait  une  population 
moins  nombreuse  et  rendait  à  ses  maîtres  des  revenus  moins  abondants. 

Pharaon  s'était  réservé  la  garde  des  principaux  points  stratégiques.  Des 
châteaux-forts,  embusqués  aux  tournants  du  fleuve  et  au  débouché  des  gorges 
qui  menaient  dans  le  désert,  garantissaient  la  liberté  de  la  navigation  ou  écar- 
taient les  nomades  pillards.  Celui  deDerr,  réédifié  souvent,  remonte,  en  partie 
du  moins,  jusqu'aux  premiers  temps  de  la  conquête  :  son  enceinte  rectangu- 
laire en  grosses  briques  sèches  n'est  percée  que  de  brèches  faciles  à  boucher, 
et  pourrait  résister  encore  à  une  attaque  d'Ababdéhs,  si  l'on  y  faisait  quelques 
réparations8.   Les  travaux  les  plus  considérables  furent  exécutés  aux   trois 

1.  Pselcis  est  la  Dakkéh  actuelle.  Pnoubsît  (Pnoubs,  Nupsi,  Noupsia)  des  géographes  grecs  est 
aujourd'hui  probablement  l'ensemble  de  décombres  qu'on  découvre  sur  la  rive  orientale  du  fleuve, 
près  du  village  de  Hamké,  un  peu  avant  l'entrée  de  la  seconde  cataracte. 

2.  Derr  s'appelait  Pi-rà,  la  Maison  de  l\â,  de  son  nom  sacré  (Brucsch,  Geographische  ïnschriflen, 
t.  I,  p.  159). 

3.  Miama,  la  Marna  des  géographes  classiques  (Pline,  VI,  XII,  35,  2,  d'après  Jiba,  fragm.  42,  dans 
Didot-MCllkr,  Fragmenta  Hisloricum  Grsecorum,  t.  III,  p.  477-478),  sur  la  rive  orientale  du  fleuve, 
parait  être  le  village  moderne  de  Toshké,  où  Burckhardt  signalait  des  tombes  au  commencement  de 
notre  siècle  (Travels  in  Nubia,  p.  33);  la  ville  égyptienne  de  Baouka,  qui,  malgré  la  ressemblance  de 
nom,  n'a  rien  de  commun  avec  l'Aboccis  de  Ptoléméc,  semble  avoir  été  située  sur  l'emplacement  du 
village  actuel  de  Kouban  (Brit.sch,  Die  Bib'ischen  sieben  Jahre  der  Hungersnoth,  p.  41-43). 

4.  Le  temple  n'a  pas  été  bâti  par  Thoutmosis  111,  comme  on  l'affirme  ordinairement  (Lkpsils,  Uebcr 
die  widderkopfigen  Golter,  dans  la  Zeilsvhrift,  1877,  p.  21  ;  Wiedemann,  jEgyptische  Geschichte,  p.  253)  : 
Thoutmosis  111  ne  fit  que  restaurer  l'édifice  construit  par  Ousirtasen  III,  ainsi  que  l'a  dit  E.  de  Rougé, 
Mémoire  sur  quelques  phénomènes  célestes,  p.  22  sqq.  (cf.  Bévue  Archéologique ,  1™  série,  t.  IX).  Une 
des  inscriptions  constate  en  effet  que  Thoutmosis  111  a  rétabli  les  rites  solennels  et  les  sacrifices 
institués  par  Ousirlasen  dans  le  temple  de  son  père  Didoun  (Cailliaud,  Voyage  à  Méroé,  Atlas,  t.  II, 
pi.  XXIX,  3;  Lepsu;s,  Denkm.,  III,  55,  1.  3-4). 

5.  Champollion,  Monuments  de  l'Egypte  et  de  la  Nubie,  pi.  I,  3,  et  t.  I,  p.  609;  Lepsius,  Denkm.,  III. 
114  A,  sous  le  Pharaon  AY,  l'un  des  derniers  souverains  de  la  XVIII0  dynastie. 

6.  Lepsu's  Denkm.,  111,  59,  sous  Thoutmosis  III. 

7.  Lrpsius,  Denkm.,  III,  55,  1. 12;  cf.  E.  de  Roit.k,  Mémoires  sur  quelques  phénomènes  célestes,  p.  25-27. 

8.  Les  briques  les  plus  anciennes  des  fortifications  de  Derr,  assez  facilement  reconnaissables  au 
milieu  de  celles  qui  proviennent  des  restaurations  plus  récentes,  sont  identiques  pour  la  forme  et  les 
dimensions  à  celles  du  mur  de  Syène  ou  d'El-Kab  :  or  ce  dernier  est  au  plus  tard  de  la  XIIe  dynastie. 


480  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

endroits  d'où  Ton  peut  même  aujourd'hui  dominer  la  Nubie  avec  le  plus  d'ef- 
ficacité,  aux  deux  cataractes  et  dans  le  canton  qui  s'étend  de  Derr  à  Dakkèh. 
Éléphantine  avait  déjà  son  camp  retranché  qui  couvrait  les  rapides  et  le  che- 
min de  terre  entre  Syène  et  Philae.  Ousirtasen  111  restaura  la  grande  muraille; 
il  cura  et  agrandit  les  passes  de  Sehel  comme  Papi  Ier,  si  bien  qu'on  put  les 
franchir  aisément  et  conserver  en  tout  temps  des  communications  rapides  entre 
Thèbes  et  les  villes  nouvelles.  Il  fonda,  à  peu  de  distance  de  Philae,  une  station 
de  bateaux  et  un  entrepôt  qu'il  appela  Hirou  Khâkerî  —  les  Voies  de  Khâkerî^ 
—  d'après  son  prénom1.  Le  site  exact  en  est  inconnu,  mais  elle  parait  avoir 
complété,  du  côté  méridional,  le  système  de  murs  et  de  redoutes  qui  proté- 
geait les  cantons  de  la  cataracte  contre  une  surprise  ou  contre  une  attaque 
régulière  des  peuples  barbares.  Les  fortifications  de  la  Nubie  moyenne,  sans 
utilité  appréciable  pour  la  sécurité  générale,  avaient  cependant  une  importance 
extrême  aux  yeux  des  Pharaons.  Elles  commandaient  les  routes  du  désert, 
celles  qui  vont  à  la  mer  Rouge,  ou  au  cours  supérieur  du  Nil  vers  Berber  et 
le  Gebel  Barkal.  Les  plus  importantes  s'élevaient  sur  l'emplacement  du  village 
actuel  de  Koubân,  en  face  de  Dakkéh*.  L'Ouady  Olaki,  dont  elles  surveillent 
l'accès,  conduit  droit  aux  gisements  aurifères  les  plus  riches  que  l'Egypte  ait 
connus.  Chacune  des  vallées  qui  sillonnent  le  massif  montagneux  de  l'Etbaye 
possédait  les  siens,  l'Ouady  Shaouanîb,  l'Ouady  Oumm-Teyour,  le  Djebel 
Iswoud,  le  Djebel  Oumm-Kabrite.  L'or  s'y  trouve  en  pépites,  dans  des  poches 
perdues  au  milieu  du  quartz  blanc  :  il  y  est  mêlé  à  des  oxydes  de  fer  et 
de  titane  dont  les  anciens  n'ont  point  tiré  parti.  L'exploitation,  commencée 
de  temps  immémorial  par  les  Ouaouaiou  qui  habitaient  la  région,  était  des 
plus  simples  :  on  en  rencontre  partout  la  trace  au  flanc  des  ravins.  Les  gale- 
ries s'enfoncent  à  cinquante  ou  soixante  mètres  de  profondeur  en  suivant 
la  direction  naturelle  des  filons.  Le  quartz  détaché,  on  en  jetait  les  débris 
dans  des  mortiers  de  granit,  on  les  pilait,  on  pulvérisait  ensuite  les  débris 
sur  des  meules  analogues  à  celles  qu'on  employait  pour  broyer  le  grain,  on 
triait  les  résidus  sur  des  tables  en  pierre,  puis  on  lavait  le  reste  dans  des 

1.  L'agrandissement  des  passes  est  de  l'an  VIII  (Wn.Bom,  Canalizing  fhr  Cataract,  dans  le  Recueil  de 
Travaux,  t.  XIII,  p.  402-204),  l'année  même  où  le  Pharaon  établit  la  limite  de  l'Egypte  à  Semnéh;  les 
autres  travaux  sont  indiqués  assez  confusément  dans  une  stèle  de  l'an  VIII,  qui  provient  d'Éléphantine 
et  qui  se  trouve  au  Uritish  Muséum  (Birch,  Tablets  of  the  XII*  Dynatty,  dans  la  Zeitschrift,  1875, 
p.  50-51).  C'est  probablement  à  ce  curage  des  passes  en  l'an  VIII  que  se  réfère  le  proscynème  gravé  à 
Sehcl  (Lkpsm's,  Denkm.,  II,  136  A)  en  l'honneur  d'Anotikît,  et  daus  lequel  le  roi  se  vante  d'avoir  fait 
pour  cette  déesse  «  le  chenal  excellent  [nommé]  les  Voie»  de  Khâkeouri  ». 

2.  Sur  les  ruines  de  cette  forteresse  importante,  voir  la  notice  de  Prisse  d'Avennes,  qui  a  été 
publiée  par  Chabas,  les  Inscriptions  des  Mines  d'or,  p.  13-14. 


LES  MINES  D'OR   DE  NUBIE  ET  LA  FORTERESSE  DE  KOllBAîï.         481 

sébiles  en  bois  de  sycomore,  jusqu'à  ce  que  les  paillettes  se  fussent  déposées'. 
C'était  l'or  de  Nubie,  que  les  nomades  introduisaient  en  Egypte,  et  que  tes 
Égyptiens  allèrent  chercher  eux-mêmes  au  pays  de  production  à  partir  de 
la  XIIe  dynastie.  Ils  ne  se  préoccupèrent  pas  d'y  installer  des  colonies 
permanentes,  comme  au  Sinaï;  mais,  presque  chaque  année,  un  détachement 
de  troupes  se  rendait  sur  les  lieux  et  ramassait  les  quantités  de  métal  récol- 
tées depuis  le   voyage  précédent.    Un  jour,   c'était   le   prince  de   la  Gazelle 


que  le  roi  Ousirtasen  I"'  expédiait  de  la  sorte,  avec  quatre  cents  hommes 
de  son  contingent  féodal*  :  un  autre  jour,  c'était  le  fidèle  Sihâthor  qui  par- 
courait la  contrée  en  triomphateur,  obligeant  jeunes  et  vieux  à  redoubler 
d'activité  pour  son  maître  Amenemhàit  II*.  On  se  vantait  au  retour  d'avoir 
rapporté  plus  d'or  que  personne  auparavant,  et  de  n'avoir  perdu  ni  un  soldat, 
ni  une  bête  de  somme,  pas  même  un  âne,  en  traversant  le  désert  :  un  fils  du 
Pharaon  régnant,  voire  l'héritier  présomptif  de  la  couronne,  daignait  quelque- 
fois accompagner  la  caravane.  Amenemhàit  III  répara  ou  construisit  à  nouveau 
le  château  de  Koubàn,  d'où  la  petite  armée  partait  et  où  elle  revenait  avec 

t.  Les  mines  d'or  et  la  manière  de  les  exploiter  ont  été  décrites  sous  les  Plolémées  par  Agatbar- 
chide  (MCLLïH-Dioot,  Geographi  Grmei  Minaret,  t.  I.  p.  1Ï3-IÎ0;  cf.  DiodObe  de  Siciie,  III,  IÎ-14);  les 
procédés  étaient  fort  anciens  el  n'avaient  guère  changé  depuis  le  temps  des  premiers  Pharaons 
comme  le  prouve  la  cornpa raison  du  matériel  trouvé  dans  ces  parages  avec  le  matériel  recueilli  au 
Sinai  dans  les  mine»  de  turquoise  du  l'Ancien  Lmpiro.  Sur  l'état  ariucl  de  la  contrée,  cl\  une  noie  de 
Pansu:  n'Ainni,  dam  Caisis,  tet  Iiitcn pliant  dei  Minet  d'or.  p.  3T-i!>.  Les  Incaliti".  où  l'un  iiti  cuti  Ire 
des  galeries  d'exploitation  ont  été  marquées  par  l.inanl  de  Bellefonds  sur  sa  Carte  de  l'Etliaije,  1BS4. 

t.  Dettin  de  Bnudier,  d'aprèx  une  photographie  d'Iutinger.  prise  en  iMIt. 

3.  Inscription  biographique  du  prince  de  la  Gazelle  Àmoni-Ainenemhatl,  à  Deni-Ilassan.  I.  3-8. 

4.  La  stèle  lie  Sihàlhor  est  conservée  au  Brilish  Muséum  ;  elle  a  été  publiée  par  Ilm™.  Tahtelt  of 
the  AÏJ"  iiynattg,  dans  la  Zeittrlirifl,   1871.  p.  Itl-lll;  cf.'  BmtH,  F.guptùtn  Ttj-tt,  p.  *!-«. 


IM  LE  PREMIER   EMPIRE  TIIÊBAIX. 

sa  charge.  C'est  une  enceïnle  carrée,  de  cent  mètres  de  côté;  les  remparts 
de  briques  sèches  s'inclinent  en  talus  et  sont  renforcés  d'espace  en  espace  par 
des  sortes  de  bastions  saillants  sur  le  front  de  la  place.  Le  fleuve  couvrait  un 
des  côtés  :  les  trois  autres  étaient  défendus  par  des  fossés  qui  communi- 
quaient avec  le  Nil.  Une  porte  s'ouvrait  au  milieu  de  chaque  face  :  celle  de 

qui  regardait  le  dé- 


l'Est, 

sert  et  qui  se  trouvait  en 
but  aux  attaques  les  plus 
sérieuses,  était  flanquée 
d'une  tour1. 

La  cataracte d'Ouady-Hal- 
fah  opposait  une  barrière 
naturelle  aux  invasions  ve 
nues  du  Sud .  Même  à  défaut 
de  fortifications,  la  chaîne 
de  granit  qui  coupe  la  vallée 
en  cet  endroit  aurait  interdit 
suffisamment  l'accès  de  la 
Nubie  septentrionale  à  une 
flotte  qui  aurait  essayé  de 
brusquer  le  passage.  Le  Nil 
n'a  pas  ici  l'aspect  de  gran- 
deur  sauvage    qu'il   prend 

M    «CM»   CAT«»C™    B-TM    IAKMI    HT   0TAM-H.1.F.».  }»,US    ,JaS-     G"iK     AsSOUan   et 

Phîla?.  Les  montagnes  bas- 
ses et  fuyantes  l'encadrent  mal.  Les  amas  de  roches  noires  dont  il  s'encombre, 
nues  ou  voilées  à  peine  de  verdure  maigre,  se  multiplient  et  s'enchevêtrent 
en  quelques  places,  au  point  qu'ils  semblent  l'avoir  absorbé  tout  entier.  Ses 
eaux  s'y  divisent  à  l'infini  sur  trois  kilomètres  de  largeur,  pendant  les  vingt- 
cinq  kilomètres  qu'elles  parcourent,  et  plusieurs  des  lits  qu'elles  se  creusent 
invitent  presque  à  la  navigation,  tant  ils  sont  calmes  et  surs  en  apparence, 
mais  ils  se  heurtent  soudain  à  des  seuils  de  récifs  cachés,  ou  ils  se  resserrent 
brusquement  en  manières  de  couloirs  obstrués  par  des  monceaux  de  granit  : 
la  barque  la  plus  solide  et  la  mieux  pilotée  s'y  brise,  sans  que  nul  effort  ou 
nulle  habileté  de  l'équipage  puisse  la  sauver,  si  le  patron  se  risque  à  y  tenler 
I.  Prukk  n'Aieuit*.  <■■■■«  Cniw,  le  liueripthti*  dn  Mina  dor,  p.  13. 


484  LE  PREMIER   EMPIRE  THÉBAIN. 

la  descente.    Le  seul  chenal  qui   se   prête  quelque  peu  au  transit  part  du 
village  d'Aèsha  sur  la  rive  orientale,  serpente  capricieusement  d'une  berge  à 
l'autre,  et  débouche  en  eau  calme  un  peu  au  sud  de  Nakhiét  Ouady-Halfah. 
On  se  confie  à  lui  pendant  quelques  jours  en  août  et  en  septembre,  mais  avec 
des  bateaux  peu  chargés  ;  encore  est-ce  à  la  grâce  de  Dieu,  et  au  danger  de 
sombrer  d'heure  en  heure1.  Dès  que  le  flot  décroît,  la  traversée  devient  plus 
difficile  :  on  l'interrompt  dès   le   milieu  d'octobre,   et    les  communications 
fluviales  demeurent  suspendues  entre  les  pays  d'en  haut  et  l'Egypte,  jusqu'au 
retour  de  l'inondation.  Des  épaves  engagées   entre    les   écueils   ou  enlizées 
dans  les  bancs  de  sable  émergent  à  mesure  que  le  niveau  baisse,  comme  pour 
avertir  les  matelots   et   les    décourager  d'entreprendre   une  aventure  aussi 
périlleuse.  Ousirtasen  Yv  devina  l'importance  de  la  position  et  en  arma  les 
abords.  Il  jeta  les  yeux  sur  la  petite  ville  nubienne  de  Bohani,  qui  s'élevait  en 
face  du  bourg  actuel  de  Ouady-Halfah*,  et  il  en  fit  une  place  frontière  de  pre- 
mier ordre.  II  y  édifia,  outre  la  citadelle  traditionnelle,  un  temple  consacré 
au  dieu  Amon  thébain  et  à  l'Horus  qu'on  adorait  dans  la  localité,  puis  il  y 
dédia  une  grande  stèle  qui  célébrait  ses  victoires  sur  les  peuples  d'au  delà. 
Dix  de  leurs  chefs  principaux  avaient   défilé  devant  Amon,  prisonniers,   les 
bras  liés  derrière  le  dos,  et  avaient  été  sacrifiés  au  pied  des  autels  par   le 
souverain  lui-même8  :  il  les  représenta  sous  la  figure  de  cartouches  crénelés, 
qui  enfermaient  leur  nom,  et  d'où  sortait  un  buste  d'homme  relié  par  une 
longue  corde  à  la  main  du  vainqueur.  Près  d'un  siècle  plus  tard,  Ousirtasen  III 
agrandit  la  forteresse,  puis,  trouvant  sans  doute  qu'elle  ne  suffisait  plus  a 
garantir  la  sécurité  du  passage,  il  échelonna  des  postes  de  garde  en  différents 
points,  à  Matouga4,  à  Fakous,  à  Kassa.  C'étaient  autant  d'étapes  où  les  na- 
vires qui  suivaient  le  fil  du  courant  et  le  remontaient  avec  leurs  marchandises 

1.  Voir  dans  E.  dk  Gottberg,  les  Cataractes  du  Ml,  p.  28-35,  la  description  des  précautions  prises 
encore  aujourd'hui  par  les  matelots  nubiens  au  passage  des  cataractes;  pour  ce  qui  concerne  plus 
spécialement  la  cataracte  d'Ouady-llalfah,  cf.  Ch^.li-,  le  Ml,  le  Soudan,  l'Egypte,  p.  62-04. 

2.  Brugsch  place  Bohani  sur  la  ri\e  droite,  dans  le  voisinage  d'Ouad\-llalfah  (Die  Hiblischen  Sichen 
Jahre  der  Hungersnoth,   p.  43-14);  mais   la  stèle  de  Ramsès  ltr,  découverte  par  Champollion  sur  la 

ive  gauche,  dans  l'un  des  temples  qui  subsistent,  rappelait  les  dons  faits  par  ce  prince  au  dieu  Min- 
Amon  qui  réside  dans  Bohani,  en  sa  demeure  divine  (1.  0-7).  Bohani  s'élevait  donc  à  l'endroit  même 
roù  l'on  voit  aujourd'hui  les  ruines  de  trois  temples  ou  chapelles  (Ciiampollio.n,  Monuments  de  l'Egypte, 
t.  I,  p.  34).  La  Boôn  de  Ptolémée  était  également  sur  la  rive  gauche  :  si  elle  est  identique  à  Bohani,  le 
géographe  alexandrin  ou  ses  auteurs  l'ont  placée  plus  haut  sur  le  fleuve  qu'elle  n'était  réellement. 

3.  La  stèle  est  aujourd'hui  à  Florence  (Schiaparklli,  Museo  Archeologico,t.  I,  p.  243-244);  elle  a  été 
publiée  plusieurs  fois  par  Champollion  (Monuments  de  lEgy/tle  et  de  fa  Nubie,  pi.  I,  1  et  t.  I,  p.  34-36, 
t.  Il,  p.  692),  puis  par  Ilosellini  (Monument i  Storici,  pi.  XXV,  i),  et  enfin  par  Berend  (Principaux 
Monuments  du  Musée  Egyptien  de  Florence,  p.  oi-;»2). 

4.  Lettre  du  lieutenant  H.  G.  Lyons  dans  YAvademy,  n°  1057,  0  août  18îl2,  p.  117  :  •  I  hâve  dis- 
covered  old  Kgyplian  fortresses  at  llall'a  and  at  Matuga,  twelve  miles  south,  the  latter  containing  a  car- 
touche of  L^ertasen  III.   »  On  n'a  aucun  renseignement  détaillé  sur  ces  deux  citadelles. 


LES  DEUX  FORTERESSES  DE  SEMKÊH.  485 

vouaient  alterrir  vers  le  coucher  du  soleil  :  des  bandes  de  Bédouins,  embus- 
quées dans  le  voisinage,  auraient  eu  beau  jeu  les  surprendre  et  arrêter  par 
leurs  déprédations  le  commerce  du  Saîd  avec  le  Haut-Nil,  pendant  les  quel- 
ques semaines  qu'on  y  pouvait  vaquer  sans  trop  de  péril.  Une  gorge  étroite  et 

un  banc  de  granit  que  le  fleuve  franchit  ~  c "'* 

en  amont  de  la  seconde  cataracte,  lui  f 
un  site  des  plus  heureux  pour  compléter 
tème  de  défense.  Il  construisit  de  ctiaqu 
sur  des  falaises  qui  plongent  à  pic   da 
courant,  un  château  qui  battait  complétei 
et  la  voie  de  terre  et  la  voie  d'eau.  A  Kou 
méh,  sur  la  rive  droite,  où  l'assiette  éla 
naturellement  très  forte,  ses   ingénieurs 
décrivirent  un  carré  irrégulier  de  soixante 
mètres  environ  de  côté;  deux  contreforts 
allongés  commandent,  l'un,  au  nord,  les 
sentiers  qui  montent  à  la  porte,  l'autre, 
au  sud,  le  cours  de  la  rivière.  Un  che- 
min avec  fossé  s'élève  à  quatre  mètres 
en  avant  et  épouse  fidèlement  le  con- 
tour du  mur  principal,  sauf  aux  angles 
nord-ouest  et  sud-est,  où  il  se  hérisse 
de  deux  saillies  qui  forment  bastion.  La 
ville   de   l'autre   bord,    Samninou-Kharp- 

Khàkeri,  occupait  une  position  moins  favorable*  :  le  flanc  oriental  en  était 
protégé  par  une  ceinture  de  rochers  et  par  le  fleuve,  mais  les  trois  autres  faces 
étaient  d'abord  facile.  On  les  garnit  de  remparts  qui  se  haussaient  à  vingt- 
cinq  mètres  au-dessus  de  la  plaine,  et  on  les  appuya  de  longs  épis,  disposés 
à  intervalles  inégaux.  C'étaient  comme  des  tours  sans  parapets  qui  surplom- 
baient les  alentours   du  chemin  de  ronde,  et  d'où   la    garnison  prenait  en 

I .  Detsïn  de  Fauchrr-Gadin,  d'aprri  une  plvluqraphit  de  V original,  amtcrvé  il  Ftorenrt. 

i.  Le  nom  égyptien  de  Scmnéli,  Saïuamou-Kliarp-Kkâlieri ,  nous  est  fourni  |iar  une  inscription  de 
l'an  III  de  Soïhhotpou  l"(E.  or.  Hui  (.f,  Inscription  des  rocker*  de  Semiiéh,  dans  la  Il/vue  Archéolo- 
gique, \"  série,  t.  V,  p.  313;  Lkpsii  s,  Denkm.,  Il,  1  ï>  1  c),  où  personne  \K  parail  l'être  allé  clicn  lu  i 
jusqu'à  présent.  On  le  rencontre  sous  la  forme  aliréf.ve  Samiml,  Sninift.  dans  un  teste  de  1'qminic 
ptuléRiiiïuuc  (DdïicHi.s,  Geographitche  Iiischriftcn.t.  Il,  pi.  LXXI,  c);  une  inscription  en  tirer,  hut'hure 

l'écrit  Stimiuina  et   nous  fait   connaître  le  nom  de  Koi îth    nwc   l'orlluitiraphc  Koumiami,  dont  la 

forme  égyptienne.  n'cU  pan  ccitaiiit'  1 .  i.  F'  >  [  r  !. .  irl/rr  riiirii  tillrn  .YiVninniri'  tri  Semnc  in  Xubti-ii,  dans  les 
Notiattberichte  de  l'Académie  des  Sciences  du  llcrlin,  18441. 


486 


LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 


écharpe  les  sapeurs  lancés  contre  le  corps  de  la  place.  On  en  avait  calculé 
Técarteraent  de  manière  que  les  archers  pussent  balayer  de  leurs  flèches  tout 
le  terrain  intermédiaire.  Le  gros  œuvre  est  en  briques  crues,  entremêlées  de 
poutres  couchées  horizontalement;  le  parement  se  compose  d'un  soubasse- 
ment à  peu  près  vertical,  et  d'une  partie  haute  inclinée  d'environ  160  degrés 


LES    RAPIDES    DU    ML    A   SEMNKH    ET    LES    DEUX    FORTERESSES   CONSTRUITES   PAR    OUSIRTASEN    III". 


sur  la  première,  ce  qui  rendait  l'escalade  sinon  impraticable,  du  moins  fort 
malaisée.  Chacune  des  deux  enceintes  renfermait  une  ville  complète,  des 
temples  voués  aux  fondateurs  et  aux  dieux  nubiens,  ainsi  que  de  nombreuses 
habitations  aujourd'hui  ruinées8.  L'élargissement  soudain  du  fleuve,  immédia- 
tement au  sud  de  la  passe,  ménage  comme  une  rade  naturelle  où  les  escadres 
égyptiennes  se  concentraient  sans  crainte,  à  la  veille  d'une  campagne  contre 
l'Ethiopie;  les  galiotes  des  Nègres  y  attendaient  l'autorisation  de  cingler 
au  delà  des   rapides  et  de  pénétrer  en  Egypte  avec   leurs  cargaisons.  Port 

1.  Carte  dressée  par  Thuillier.  d'après  le  relevé  déjà  ancien  de  Cailliaud,  Voyage  à  Mcroé  el  au 
Fleuve  lilanc.  Allas,  t.  II.  pi.  XXIII. 

2.  Le  site  des  deux  villes  anciennes  a  été  décrit  très  en  détail  par  Cailliaud,  Voyage  à  Mcroé,  t.  I. 
p.  349,  t.  III,  p.  2of»-258,  et  Atlas,  t.  II,  pi.  XXIII-XXX,  et,  trente  ans  plus  tard,  par  M.  de  Vogi'?,  Forti- 
fications de  Seninéh  en  iïubic,  dans  le  Bulletin  Archéologique  de  VAthénarum  Français,  l8.->3,  p.  81-84  ; 
cf.  Lepsiis,  Denkm.,  I,  111-112;  Pkrrot-Chumkz,  Histoire  de  VA  ri  dans  V Antiquité,  t.  I.  p.  403-502; 
Maspero,  V Archéologie  Egyptienne,  p.  28-31;  Marcel  Dieilakoy,  l'Acropole  de  Susc,  p.  1G7-170. 


L'OBSERVATOIRE  FLUVIAL  HE  SEMNÊH.  487 

de  guerre  el  douane  fluviale,  Semnéh  était  le  boulevard  nécessaire  à  l'Egypte 
nouvelle,  et  Ousirtasen  111  le  proclamait  hautement,  dans  deux  décrets  qu'il 
y  afficha  pour  l'édification  de  la  postérité.  «  C'est  ici,  dit  le  premier  d'entre 
eux,  la  limite  méridionale  réglée  en  l'an  VIII,  sous  la  Sainteté  de  Khàkerî 
Ousirtasen,  qui  donne  la  vie  à  toujours  et  à  jamais,  afin  que  nul  des  peuples 


Noirs  ne  la  franchisse  en  amont,  si  ce  n'est  pour  le  transport  des  bestiaux, 
bœufs,  chèvres,  moutons,  qui  leur  appartiennent*.  »  L'édit  de  l'an  XVI  réitère 
la  prohibition  de  l'an  V11I,  el  ajoute  que  «  Sa  Majesté  fit  ériger  sa  propre  statue 
aux  bornes  qu'elle-même  elle  avait  imposées1  ».  Le  seuil  de  la  première  et 
celui  de  la  seconde  cataracte  étaient  moins  usés  alors  qu'ils  ne  sont  aujour- 
d'hui :  ils  retenaient  plus  efficacement  les  eaux  de  l'inondation  et  les  forçaient 

I.  ItcproduHton  par  Fauehcr-Gudin  du  rmquii  lithographie  publié  par  CuLi.ru  d.  Voyage  à  IHéroé, 
Allât,  t.  II,  pi.  XXX. 

t.  l.iMir»,  Daikm.,  Il,  I3fl  i;  cl.  Chaias,  Éluda  «i<r  V Antiquité  Hiitmique.  »•  éd.,  |>.  133:  Bnicsnt. 
Gtnhichte  JCgyptent,  p.  133. 

8.  LEtsiiiS.  Denkm.,  Il,  I3H.  h.  L'inscription.  Rravée  sur  une  slélc  en  granit  rose,  avait  ('té  brisée 
il  j  a  cinquante  ans  cimron.  pour  êlr«  transportée  plus  facilement  en  Europe.  Elle  se  trouve,  partie 
au  Musée  de  Berlin  (Emis,  Veneichnist  der  .f.gyptiir.hen  Attrrlhiimer,  \i.  Ï3,  n"  R.l),  partie  au  Musée 
de  Boulaq-f.iiéh,  où  la  moitié  supérieure  a  été  déposée  en  1HH.I,  p;ir  les  soin?  du  nioridir  d'Esuéli: 
la  traduction  complète  en  a  été  donnée  par  Ciiadas,  Sur  l'Antiquité  Itittorigiic,  i-  éd.,  p.  1  Sa  sqq.,  et 
ensuite  par  BwssfH,  tlctthichte  Mgyptcns,  p.  773-780. 


488  LE  PREMIER   EMPIRE  TIIËBAIX. 

à  s'élever  plus  haut1.  Ils  agissaient  sur  elles  à  la  façon  de  véritables  régu- 
lateurs, et  pourvu  qu'on  en  étudiât  les  mouvements  journaliers,  on  pouvait 
annoncer  aux  riverains  d'aval  les  progrès  et  la  qualité  probables  de  la 
crue.  Tant  que  la  domination  des  Pharaons  s'était  arrêtée  à  Philœ,  on  avait 
observé  le  jeu  de  la  première  cataracte  ;  c'était  d'Ëléphantine  qu'on  signalait  à 
l'Egypte  l'arrivée,  le  passage,  le  renforcement  du  flot.  Amenemhâit  111  installa 
un  nilomètre  nouveau  sur  la  frontière  nouvelle,  et  ordonna  à  ses  officiers  d'y 
noter  la  marche  du  phénomène*.  Ils  lui  obéirent  scrupuleusement,  et  chaque 
fois  que  l'inondation  leur  sembla  dépasser  la  moyenne  des  Nils  ordinaires, 
ils  en  enregistrèrent  la  hauteur  sur  les  rochers  de  Semnéh  et  de  Koumméh, 
gravant  à  côté  du  chiffre  le  nom  du  roi  et  la  date  de  l'année.  L'usage  se 
perpétua  d'abord  sous  la  XIIIe  dynastie,  puis,  la  frontière  reculant  encore, 
le  nilomètre  se  déplaça  comme  elle  et  l'accompagna  vers  le  Sud3. 

Le  pays  d'au  delà  Semnéh  était  une  terre  vierge,  que  les  guerres  antérieures 
avaient  effleurée  à  peine  sans  jamais  l'entamer,  et  dont  le  nom  paraît  alors 
pour  la  première  fois  sur  les  monuments,  celui  de  Kaoushou,  —  Koush 
l'humiliée1.  11  comprenait  les  cantons  situés  au  Midi,  dans  le  coude  immense 
que  le  fleuve  décrit  entre  Dongolah  et  Khartoum,  les  vastes  plaines  où  le  Nil 
Blanc  et  le  Nil  Bleu  promènent  leur  lit,  les  régions  du  Kordofan  et  du  Darfour  : 
il  confinait  aux  monts  d'Abyssinie,  aux  marais  du  lac  Nou,  à  toutes  les  contrées 
demi  fabuleuses,  où  l'on  reléguait  les  Iles  des  Mânes  et  les  Terres  des  Esprits*. 

1.  11  résulte  des  marques  inscrites  sur  les  rochers  par  les  fonctionnaires  égyptiens,  que  le  Nil 
s'élevait  à  six  ou  huit  mètres  plus  haut  qu'il  ne  monte  aujourd'hui  dans  les  mêmes  parages  de  Sem- 
néh, pendant  les  derniers  règnes  de  la  XIIe  dynastie  et  pendant  les  premiers  de  la  X1I1"  (Lepsus, 
lirief  an  Ehrenberg,  dans  les  Monalëberichte  de  l'Académie  des  Sciences  de  Berlin,  1845). 

2.  La  plus  ancienne  de  ces  marques  porte  la  date  de  Tan  III  d'Amenemhàit  III  (Lf.psus,  Devkm.,  II, 
139  a).  On  en  possède  des  ans  V,  VII,  IX,  XIV,  XV,  XXII,  XXIII,  XXIV,  XXX,  XXXII,  XXXVII,  XL,  XLI. 
XLIII  de  ce  prince  (Lkpsius,  Denkm.,  II,  139  a-p)\  on  ne  connaît  en  revanche  pour  le  règne  de  son  suc- 
cesseur Amenemhâit  IV  qu'une  seule  marque,  qui  est  de  l'an  V  (Lkpshs,  Denkin.,  II,  152/). 

3.  Les  seules  de  ces  marques  de  niveaux  qu'on  rencontre  sous  la  XIII"  dynastie  appartiennent  au 
règne  de  Sakhemkhoutoouirt  Sovkhotpou,  le  premier  de  la  lignée  (E.  de  Roigk,  Inscription»  tirs 
rochers  de  Semnéh,  dans  la  Revue  Archéologique,  1M  série,  t.  V,  p.  311-314;  Lepsii*s,  Dcnkm.,  II. 
lfil  a-d)\  l'usage  en  cessa  donc  probablement  lorsque  les  officiers  d'Amenemhàit  III  eurent  disparu. 

A.  Khaisft,  l'humiliée,  la  prosternée,  est  l'épithète  oflicielle  de  l'Ethiopie  dans  les  inscriptions.  Les 
différentes  orthographes  que  les  monuments  égyptiens  donnent  de  ce  mot  lui  assurent  la  pronon- 
ciation Kaoushou,  qui  devint  plus  tard  Koushou,  Koush.  Lepsius,  qui  rattachait  les  Koush  i  tes  du  Nil 
aux  peuples  de  l'Élam,  pensait  (Nubische  Grammalik,  FÀnleitung,  p.  xc  sqq.)  qu'ils  étaient  arrivés 
d'Asie  par  le  détroit  de  Bab  el-Mandeb,  durant  le  long  intervalle  qui  sépare  Papi  II  d'Amenemhàit  I*r, 
et  qu'ils  avaient  refoulé  sur  le  Haut-Nil  des  tribus  nègres  qui  occupaient  la  Nubie  sous  la  VI*  dynastie. 
La  comparaison  des  noms  consignés  dans  l'inscription  d'Ouni  avec  ceux  qu'on  rencontre  sur  les  monu- 
ments d'époque  postérieure  montre  que  la  population  du  désert  nubien  ne  changea  point  pendant  ce 
laps  de  temps  (Bmr.sc  h,  Die  Negerstâmme  der  Una-lnschrift,  dans  la  Zeitschrift,  1882,  p.  30  sqq.).  Je 
crois  que  l'absence  du  nom  de  Kaoushou-Koush  dans  les  textes  antérieurs  à  la  XII*  dynastie  vient 
de  ce  que  l'Egypte,  arrêtée  alors  entre  Korosko  et  Ouady-Halfah,  était  séparée  des  tribus  qui  habi- 
taient l'Ethiopie  par  un  triple  rempart  de  nations  nubiennes.  Le  pays  de  Kaoushou  commence 
au  delà  de  Semnéh  :  il  ne  put  donc  entrer  en  contact  continuel  avec  les  Égyptiens,  qu'après  que 
les  Pharaons  eurent  soumis  les  territoires  et  les  peuplades  intermédiaires  entre  Assouàn  et  Semnéh. 

5.  Voir  ce  qui  a  été  déjà  dit  de  ces  régions  fabuleuses,  aux  p.  19-20  de  cette  Histoire. 


KuUSH  L'HUMILIÉE  ET  SES  PEUPLES. 


Le  Pouanit  le  séparait  de  la  Mer  Rouge,  les  Timihou  s'interposaient,  à  l'Ouest, 
entre  lui  et  les  limites  du  monde.  Cent  tribus  aux  noms  étranges,  blanches, 
cuivrées,  noires,  se  disputaient  cet  espace  mal  défini,  les  unes  encore  bar- 
bares ou  policées  à  peine,  les  autres  parvenues  à  un  certain  degré  de  civili- 
sation matérielle  presque  comparable  à  celui  de  l'Egypte.  Elles  présentaient 
dès  lors  la  même  diversité 
de  types  qu'on  rencontre 
de  nos  jours  parmi  les 
masses  confuses  qui  hantent 
la  haute  vallée  du  Nil,  et 
aussi  la  même  instabilité, 
la  même  stérilité  d'intelli- 
gence. Elles  menaient  la 
même  vie  bestiale,  instinc- 
tive, troublée,  sans  raison 
que  le  caprice  de  leurs 
petits  chefs,  par  des  guer- 
res sanglantes  souvent  sui- 
vies d'esclavage  ou  d'émi- 
gration lointaine.  Les  em- 
pires grandissent  diffici- 
lement et  ne  durent  guère 
dans  ce  milieu   inconstant  prismmehs  nierai™*  Aient*  m  tvrm'. 

et  tumultueux.    De   temps 

à  autre  un  roitelet  plus  hardi  que  le  reste,  plus  rusé,  plus  tenace,  plus  habile 
à  entraîner  les  hommes  et  à  manier  les  choses,  étend  sa  domination  sur  ce  qui 
l'environne,  et,  gagnant  de  proche  en  proche,  réunit  de  vastes  régions  sous 
une  même  tyrannie.  A  mesure  que  son  royaume  s'élargit,  il  ne  travaille 
pas  à  l'organiser  de  façon  régulière,  à  y  introduire  une  administration  uni- 
forme, à  s'en  attacher  les  éléments  disparates  par  des  lois  équitables  et 
profitables  à  tous  :  cessés  les  massacres  de  la  première  conquête,  quand  il  a 
versé  dans  son  armée  ce  qui  subsistait  des  bandes  vaincues,  qu'il  a  emmené 
leurs  enfants  en  servitude,  empli  ses  caisses  de  leurs  trésors  et  son  harem  de 
leurs  femmes,  il   n'imagine  rien  au  delà.   Il  essaierait  d'agir  autrement  que 


pt-  xi  r. 


.1  dr  Ftmrher-Gittlm 


/*90  LE  PREMIER   EMPIRE  THËBMN. 

cela  ne  lui  servirait  probablement  de  rien.  Ses  sujets  anciens  et  nouveaux  sont 
trop  divers  de  langue  et  d'origine,  trop  opposés  de  mœurs,  trop  ennemis  et 
depuis  trop  longtemps,  pour  s'approcher  et  pour  se  fondre  aisément  en  un 
corps  de  nation  unique.  Dès  que  la  main  qui  les  assemblait  momentanément 
se  relâche,  la  discorde  se  glisse  partout,  parmi  les  hommes  comme  sur  le  terri- 
toire, et  l'empire  né  d'hier  se  résout  en  ses  éléments  plus  vite  encore  qu'il 
ne  s'était  formé.  Le  bruit  d'armes  qui  avait  signalé  sa  courte  vie  s'éteint 
et  meurt  promptement,  le  souvenir  de  sa  grandeur  éphémère  s'efface  au 
bout  de  quelques  générations  sous  les  horreurs  d'une  conquête  nouvelle  : 
son  nom  s'évanouit  sans  laisser  aucune  trace.  L'occupation  de  la  Nubie  mit 
l'Egypte  en  contact  avec  ce  ramassis  de  peuples  incohérents,  et  le  contact 
engendra  soudain  la  lutte.  Cest  en  vain  que  les  États  policés  prétendent 
demeurer  en  paix  avec  les  nations  barbares  auxquelles  elles  touchent.  Sitôt 
qu'ils  ont  décidé  d'enrayer  leur  progrès  et  de  s'imposer  des  bornes  qu'ils 
ne  dépasseront  plus,  leur  modération  prend  couleur  de  faiblesse  ou  d'impuis- 
sance; les  vaincus  reviennent  à  l'assaut  et  ramènent  la  civilisation  en  arrière 
ou  l'obligent  à  marcher  outre.  Les  Pharaons  n'échappèrent  pas  à  cette  fatalité  de 
la  conquête  :  leur  frontière  méridionale  monta  toujours  plus  haut  le  long  du 
Nil,  sans  jamais  se  fixer  dans  une  assiette  tellement  forte  qu'elle  défiât  l'attaque 
des  Barbares.  Ou sirtasen  Ier  avait  assujetti  le  pays  de  Hahou1,  celui  de  khontha- 
nounofir*,  celui  de  Shaad5,  et  battu  les  Shemîk,  les  Khasa,  les  Sous,  les  Àqîn, 
les  Anou,  les  Sabiri,  les  gens  d'Akiti  et  de  Makisa4.  Àmenemhàit  11 5,  Ousirtasen  II6, 

i.  Le  pays  do  Hahou,  qui  produit  de  l'or  (DCmiciikn,  Geographische  Ittschnftt'H,  t.  II,  pi.  LXIII,  3, 
pi.  LXXIII,  2,  LXXVI,  5,  etc.),  appartient  par  conséquent  à  la  partie  du  désort  nubien  qui  s'étend  vers 
la  Mer  Bouge.  Il  est  mis  en  rapport  avec  Sa  mi  né  par  les  textes  géographiques  de  l'époque  ptolé- 
maïque  (DPmichkn,  Geog.  Ins.,  t.  Il,  pl.  LXXI,  2),  ce  qui  nous  permet  d'en  préciser  le  site  entre  le 
Nil  et  l'Ouady  Galgabba,  au  voisinage  des  mines  d'or  de  l'Ktbaye.  L'inscription  de  l'an  VIII  et  celle 
de  l'an  XVI,  d'Ousirtasen  III,  où  le  nom  est  écrit  de  façon  différente,  indiquent  également  la  même 
situation  (Bkh.sch,  Geographische  Inschriften,  t.  I,  p.  46—17,  t.  III,  p.  61,  65). 

2.  Le  territoire  du  khonthanounotir,  silué  entre  koush  et  l'Egypte  (Bai  t.st.h,  Geographische  Imchriften, 
t.  I,  p.  52-53,  1.  II,  p.  5-6),  parait  s'être  étendu  sur  la  rive  droite  du  MI,  depuis  la  chaîne  de  mon- 
tagnes qui  borde  le  fleuve  jusqu'au  pays  d'Akiti.  Cf.  Bri x*;h,  Die  Altàgyplische  Vofkerfafel,  dans  les 
Verhandlungen  des  V"n  Oricnlalisten  Congresses,  t.  Il,   Afrikauische  Se  kl  ion,  p.  57-50. 

3.  Shaad  avait  des  carrières  de  calcaire  blanc,  où  Amenôthcs  II  de  la  XVIIh  dynastie  puisa  pour 
bâtir  le  temple  de  khnournou  à  Semnéh  (Lkpsk  s,  Dcn/cm.,  III,  67).  Le  pays  devait  donc  être  près  de 
celle  ville  (Bnn;scH,  Geographische  Inschriften,  t.  I,  p.  45,  note  2,  et  p.  160),  sur  la  rive  gauche  du  Nil. 

4.  Le  site  de  ces  tribus  nous  est  inconnu  :  le  nom  d'Akiti,  le  seul  que  nous  sachions  à  peu  près 
placer  sur  la  carte,  nous  montre  que  la  campagne  à  propos  de  laquelle  Ousirtasen  1"  avait  élevé  le 
monument  triomphal  d'Ouady-Halfah  (cf.  p.  484-485  de  cette  Histoire),  avait  été  dirigée  à  l'est  du  Nil. 
vers  le  pays  des  mines  d'or,  c'est-à-dire  vers  l'Elbaye.  La  date  de  l'an  XLII,  qu'on  lui  a  attribuée 
(Wikdeshsn,  .Egyptische  G"schichte,  p.  242),  repose  sur  une  combinaison  des  données  de  cette  stèle 
avec  un  passage  de  l'inscription  d'Amoni-Ainenemhàit  à  Béni-Hassan. 

5.  Expédition  de  Sihàthor  au  pays  de  Hall,  plus  tard  Ahit  entre  korosko  et  les  mines  d'or  de» 
l'Ktbaye  (Bwcit,  Tablets  of  the  A7/'A  bynasty,  dans  la  Zeilsehrift,  1874,  p.  1 12;  Bmcsui,  Die  Hibliachen 
sieben  Jahre  der  llunyersnot/t,  p.  106-107). 

6.  Stèle  de  Monthotpou  à  Assouàn  (Lei»siis,  Denkm.,  II,  123  d),  où  il  est  question  d'abattre  des  enne- 
mis qui  ne  peuvent  ici  être  que  des  peuples  Nubiens. 


LES  GUERRES  CONTRE  L'ETHIOPIE  ET  LEURS  RÉSULTATS.  491 

Ousirtasen  III  ne  se  firent  pas  faute  de  «  frapper  Koush  l'humiliée  »,  chaque 
fois  que  l'occasion  s'en  présenta.  Le  dernier  surtout  lui  porta  des  coups 
redoublés  en  l'an  VIII1,  en  l'an  XII8,  en  l'an  XVI3,  en  Tan  XIX*,  et  ses  victoires 
le  rendirent  si  populaire  que  les  Égyptiens  de  l'époque  grecque,  prétendant 
voir  en  lui  le  Sésostris  d'Hérodote,  lui  attribuaient  la  possession  de  l'univers5. 
La  base  d'une  statue  colossale  en  granit  rose  qu'il  s'érigea  dans  le  temple 
de  Tanis  nous  a  conservé  une  liste  des  peuplades  qu'il  vainquit  :  les  noms 
en  ont  une  forme  bizarre,  Alaka,  Matakaraou,  Tourasou,  Pamaîka,  Ouarakî, 
Paramaka,  et  l'on  ne  sait  guère  où  les  placer  sur  la  carte6.  On  voit  seulement 
qu'ils  vivaient  dans  le  désert,  des  deux  côtés  du  Nil,  à  la  hauteur  de  Berber  ou 
à  peu  près.  Les  expéditions  continuèrent  du  même  train  après  Ousirtasen,  et 
Amenemhàit  III  considérait  déjà  les  rives  du  Nil,  entre  Semnéh  et  Dongolah, 
comme  étant  une  partie  du  territoire  proprement  égyptien.  La  grande  Egypte 
se  faisait  peu  à  peu,  par  la  force  des  choses;  elle  cheminait  d'un  mouvement 
continu  vers  le  terme  que  la  nature  lui  avait  prédestiné,  vers  le  point  où  le  Nil 
rappelle  à  lui  ses  derniers  affluents  et  où  sa  vallée  unique  commence  à  se 
diviser  en  plusieurs  vallées. 

La  conquête  était  d'ailleurs  facile,  et  les  guerres  rapportaient  tant  de  profits 
que  les  troupes  et  les  généraux  s'y  engageaient  sans  la  moindre  répugnance. 
Un  seul  fragment  nous  est  resté  qui  contenait  le  récit  détaillé  de  l'une 
d'entre  elles,  probablement  celle  qu'Ousirtasen  III  dirigea  en  l'an  XVI  de  son 
règne7.   Le  Pharaon  avait  appris  que  les  tribus  du  canton  de  Houâ,  sur  le 

1.  A  la  campagne  de  l'an  VIII  se  rattachent  plusieurs  stèles  d'fîléphantine  (Birch,    Tablets  of  the 
Xllfk  Dynasty,  dans  la  Zeitschrift,  1875,  p.  50-51),  de  la  cataracte  (Wilboir,  Canalizing  the  Cataract 
dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  202-204),  et  de  Semnéh  (Lkpsius,  Denkm.,  II,  136  i). 

2.  La  campagne  de  l'an  XII  parait  avoir  été  assez  longuement  décrite  dans  un  proscynème  assez 
mutilé,  qui  est  gravé  sur  la  route  d'Assouan  à  Philo?  (Pétrie,  .4  Season  in  Egypt,  pi.  XIII,  n°  340). 

3.  Lepsius,   Denkm.,   11,  186  h. 

4.  Stèles  du  Musée  de  Genève  (Maspero,  Notes  sur  différents  points  de  Grammaire  et  d'Histoire, 
dans  les  Mélanges  d' Archéologie,  t.  II,  p.  217-219)  et  du  Musée  de  Berlin  (Lepshs,  Denkm.,  II,  135  h)- 

5.  Les  fragments  de  Manéthon,  dans  leur  état  actuel  (Mankthon,  éd.  List.er,  p.  118),  appliquent  le  nom 
de  Sésostris  à  Ousirtasen  II.  M.  de  Rougé  (Deuxième  Lettre  à  M.  Alfred  Alaury  sur  le  Sésostris  de  la 
XIIe  dynastie  de  Manéthon,  dans  la  Revue  Archéologique,  ln  série,  t.  IV,  p.  485  sqq.)  a  montré  que  la 
notice  de  Manéthon  convenait  bien  plutôt  à  Ousirtasen  III.  Il  ne  faut  pas  se  dissimuler  d'ailleurs  que 
la  légende  de  Sésostris  appartient  réellement  à  Ha  m  ses  II,  et  non  pas  un  prince  de  la  XIIe  dynastie. 

6.  Louvre  A  18.  Cette  statue  a  été  usurpée  par  Aménôthès  III  de  la  XVIIIe  dynastie,  à  qui  l'on 
a  attribué  et  l'on  attribue  encore  la  défaite  des  peuples  inscrits  sur  la  base  (E.  de  Rougé,  fiotice  des 
Monuments,  1849,  p.  4-5;  Birch,  Historical  Monument  of  Amenophis  III  in  the.  Louvre  at  Paris,  dans 
YArchxologia,  t.  XXI V,  p.  489-491;  Brit.sch,  Geographischc  Inschriflen,  t.  II,  p.  8-9,  et  Geschichle, 
JRgyptens,  p.  401-402).  Dévcria  (Lettre  à  M.  Auguste  Mariette  sur  quelques  monuments  relatifs  aux 
Hyksos  ou  antérieurs  à  leur  domination,  dans  la  Revue  Archéologique,  i*  série,  t.  IV,  p.  252)  recon- 
nut l'usurpation  sans  se  prononcer  sur  le  nom  originel  du  roi  représenté.  Wiedkmank,  /Kgyptische 
Geschichle,  p.  294-295,  incline  à  y  voir  Apopi  II.  La  ressemblance  que  la  tète  colossale  A  19  du  Louvre, 
qui  appartient  à  la  même  statue  que  la  base  A  18,  présente  avec  les  portraits  d'Ousirtasen  III  me 
fait  croire  qu'il  faut  attribuer  à  ce  Pharaon  ce  monument,  qui  provient  de  Bubaste. 

7.  Navillb,  Bubastis,  pi.  XXXIV  4,  et  p.  9-10.  Naville  pense  que  l'inscription  racontait  la  campagne  de 
l'an  VIII  ou  celle  de  l'an  XVI,  mentionnées  dans  les  décrets  de  Semnéh;  cf.  p.  486-487  de  cette  Histohe. 


49-2  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

Tacazzé',  harcelaient  ses  vassaux  et,  peut-être  aussi,  les  Égyptiens  que  le 
commerce  attirait  au  voisinage  de  leurs  repaires.  11  se  décida  à  les  aller  châtier 
vertement,  et  s'embarqua  sur  sa  flotte.  Ce  fut  une  promenade  presque  sans 
danger  :  on  mettait  pied  à  terre  aux  endroits  favorables,  on  enlevait  les  bes- 
tiaux et  les  habitants  qu'on  rencontrait,  une  fois  123  bœufs  et  11  ânes,  d'autres 
fois  moins.  De  petits  partis  couraient  les  deux  rives  et,  poussant  des  pointes  à 
droite  et  à  gauche,  rabattaient  le  butin  devant  eux.  La  tactique  des  invasions 
n'a  guère  changé  dans  ces  contrées  :  le  récit  que  fait  Cailliaud  de  la  première 
conquête  du  Fazogl  par  Ismail-Pacha,  en  1822,  pourrait  servir  à  compléter  les 
débris  de  l'inscription  d'Ousirtasen  111  et  nous  restituer,  à  quelques  détails 
près,  le  tableau  fidèle  des  campagnes  menées  dans  ces  régions  par  les  souve- 
rains de  la  XI I1'  dynastie*.  Ce  sont  les  mêmes  chasses  à  l'homme  et  les  mêmes 
ravages,  exercés  par  une  poignée  de  gens  bien  armés  et  suffisamment  disci- 
plinés sur  des  peuplades  nues  et  sans  cohésion,  les  jeunes  gens  massacrés 
après  une  courte  résistance  ou  forcés  de  fuir  dans  les  bois,  les  femmes  em- 
menées esclaves,  les  huttes  pillées,  les  villages  brûlés,  des  tribus  entières 
anéanties  en  quelques  heures.  Parfois  un  détachement,  lancé  imprudemment 
dans  des  fourrés  épineux  à  l'assaut  d'un  bourg  perché  sur  une  cime  rocheuse, 
éprouvait  le  dessous  et  ne  ralliait  le  gros  de  l'armée  qu'à  grand'peine,  après 
avoir  perdu  les  trois  quarts  de  son  effectif3.  Le  plus  souvent  la  résistance  ne 
se  prolongeait  pas,  et  les  assaillants  emportaient  la  place  avec  une  perte  de 
deux  ou  trois  hommes  blessés  ou  tués.  Le  butin  n'était  jamais  très  consi- 
dérable dans  chaque  localité,  mais  il  faisait  masse  à  mesure  que  la  razzia 
pénétrait  plus  avant  :  il  devenait  bientôt  si  lourd  qu'on  devait  s'arrêter  et 
rétrograder,  afin  de  l'enfermer  dans  la  forteresse  la  plus  proche.  11  consistait, 
pour  la  meilleure  part,  en  troupeaux  de  bœufs  et  en  monceaux  de  substances 
encombrantes,  grains  ou  bois  de  construction.  Mais  il  comprenait  aussi  des 
objets  qui  valaient  beaucoup  sous  un  petit  volume,  de  l'ivoire,  des  pierres 
précieuses,  de  l'or  surtout.  Les  indigènes  récoltaient  l'or  dans  les  terrains 
d'alluvion  que  le  Tacazzé,  le  Nil  Bleu  et  ses  affluents  arrosent.  Leurs  femmes 

1.  Le  pays  de  Houà  est  mentionné  encore  sous  Itamsès  III  (Lki»shs,  Denkm.,  111,  209),  à  côté  du 
Pouanit  :  c'était  un  pays  montagneux  auquel  on  arrivait  par  eau.  Peut-être  faut-il  le  placer  sur  les 
bords  du  Ml  même  :  le  voisinage  du  Pouanlt  indique  pourtant  les  contrées  riveraines  de  la  Mer 
Kouge,  ou  celles  que  l'Atbara  arrose,  plutôt  que  les  régions  du  Fleuve  Bleu. 

2.  Je  renvoie  surtout  aux  chapitres  où  Cailliaud  raconte  les  razzias  exécutées  par  Ismail-Pacha  ou 
par  ses  lieutenants  au  Fazogl  {Voyage  à  Méroé,  t.  II,  ch.  XXXVII-XXXIX,  p,  354-398)  et  au  Qamâmyl 
{Voyage  à  MéroS,  ch.  XXX1X-XLII,  t."  Il,  p.  398  sqq.,  et  t.  III,  p.  l-.*i<>). 

H.  Voir  dans  Cailliaud  {Voyage  à  Sléroé,  t.  II,  p.  37H-378)  l'attaque  du  camp  d'ismail  par  les  Nègres 
du  mont  Tàby  et  la  punique  qui  en  résulta.  On  sait  qu'Ismaîl-Pacha  lui-même  fut  surpris  et  brûlé  dans 
sa  maison,  h  Chendy, en  1822  (/</.,  t.  III,  p.  336-337),  par  le  melck  N'imr  et  par  une  bande  de  révoltés. 


LES  EXPÉDITIONS  COMMERCIALES  AU  POUANlT.  493 

s'occupaient  à  recueillir  les  pépites,  qui  sont  souvent  assez  grosses  :  elles  les 
serraient  dans  de  petits  sachets    en   cuir,  les  échangeaient  aux  marchands 
contre  les  produits  de  l'industrie  égyptienne,  ou  les  livraient  aux  orfèvres 
pour  en  façonner  des  boucles  d'oreille,  des  anneaux  de  nez,  des  bagues,  des 
bracelets  d'une  facture  assez  fine.   L'or  se  trouve  associé  à  plusieurs  autres 
métaux,  dont  on  ne  savait  pas  le  séparer  :  le  plus  pur  avait  une  teinte  jaune 
clair  qu'on  estimait  par-dessus  tout,  mais  l'or  allié  à  l'argent,  dans  la  propor- 
tion de  80  pour  100,  l'électrum,  était  encore  recherché,  et  les  ors  grisâtres 
mêlés  de  platine  servaient  à  fabriquer  des  bijoux  communs1.  Ces  expéditions 
ne  produisaient  point  de  résultats  durables,  et  les  Pharaons  n'implantaient 
point  de  colons   dans  ces  contrées.   Leurs  Égyptiens  n'y  auraient  pu   vivre 
longtemps  sans  s'abâtardir  par  le  métissage  et  par  l'effet  du  climat;  ils  y 
auraient  dégénéré  en  espèces  indécises,  ayant  tous  les  vices  des  races  origi- 
nelles, mais  aucune  de  leurs  qualités.  Aussi  menaient-ils  la  guerre  sans  ména- 
gement, et  ne  songeaient-ils  qu'à  tirer  le  plus  possible  de  leurs  succès.  Il  leur 
importait  peu  que  rien  ne  subsistât  plus  où  ils  avaient  passé,  et  qu'on  pût 
noter  aux  ruines  l'itinéraire  de  leurs  armées.  Us  ramassaient  ce  qu'ils  rencon- 
traient sur  leur  route,  pour  l'emporter  en  Egypte,  hommes,  choses  ou  bêtes; 
ils  dévastaient  à  plaisir  tout  ce  qui  ne  leur  convenait  point,  et  créaient  le 
désert  où,  la  veille  encore,  des  cantons  fertiles   s'étendaient,  couverts    de 
champs,  parsemés  de  bourgs  populeux.  Les  voisins,  se  sentant  incapables  de 
résister  aux  troupes  régulières,  essayaient  de  se  racheter  en  livrant  avant  le 
combat  ce  qu'ils  possédaient  d'esclaves,  de  troupeaux,  de  bois  ou  de  métaux 
précieux.  Cependant  les  généraux  calculaient  à  quel  moment  précis  la  baisse 
des  eaux  leur  imposait  la  retraite  :  ils  faisaient  halte  quand  elle  commençait 
à  s'accuser,   et  ils  s'en  retournaient  «   en  paix  »,  sans  autre  souci  que  de 
perdre  au  retour  le  moins  d'hommes  ou  d'animaux  prisonniers. 

Où  les  soldats  ne  pénétraient  point,  les  marchands  s'aventuraient  comme 
autrefois,  et  préparaient  le  terrain  pour  la  conquête.  Les  princes  d'Eléphan- 
tine  n'avaient  pas  renoncé  aux  caravanes  lointaines,  et  celui  d'entre  eux  qui 
vivait  sous  Ousirtasen  Ier  et  sous  Amenemhàît  II,  Siranpîtou,  avait  raconté  ses 
explorations  dans  son  tombeau,  à  l'exemple  de  ses  ancêtres1  :  le  roi  l'avait 

1.  Cailliaud  a  décrit  brièvement  les  sables  aurifères  du  Qamàmvl  et  leur  mode  d'exploitation 
(Voyage  à  Méroé,  t.  III,  p.  16-19)  :  c'est  à  son  récit  que  j'ai  emprunté  les  détails  donnés  dans  le  texte. 
Des  analyses  de  bijoux  égyptiens  de  la  XVIIIe  dynastie,  brisés  et  sans  valeur  archéologique  ou  artis- 
tique, que  j'ai  fait  exécuter  au  Musée  de  Boulaq,  ont  constaté  la  présence  du  platine  et  de  l'argent 
que  Cailliaud  indique  dans  les  pépites  provenant  du  Nil  Bleu. 

2.  D'après  l'inscription  du  tombeau  qu'il  se  creusa  dans  la  montagne,  en  face  d'Êléphantinc. 


494  LE  PREMIER  EMPIRE  THÊBAIX. 

expédié  au  Soudan  à  plusieurs  reprises,  mais  l'inscription  où  il  consigna  son 
histoire  est  tellement  mutilée  que  nous  ne  savons  pas  au  juste  quels  peuples 
il  visita.  Nous  apprenons  seulement  qu'il  y  gagna  des  peaux,  de  l'ivoire,  des 
plumes  d'autruche,  tout  ce  que  le  centre  de  l'Afrique  fournit  au  commerce 
depuis  les  temps  les  plus  reculés1.  Et  ce  n'est  point  seulement  par  terre  que 
les  marchands  de  l'Egypte  tentaient  d'aller  chercher  fortune  à  l'étranger  :  la 
Mer  Rouge  les  attirait  et  leur  prêtait  la  voie  la  plus  courte  pour  atteindre  ce 
pays  de  Pouanit,  dont  les  traditions  antiques  et  les  récits  des  matelots  leur 
vantaient  la  richesse  en  parfums  et  en  raretés  de  toute  sorte*.  Les  relations 
s'étaient  ralenties  ou  avaient  cessé  entièrement  pendant  les  guerres  de  la 
période  héracléopolitaine  :  quand  on  les  renoua,  il  fallut  découvrir  de  nouveau 
les  routes  oubliées  depuis  des  siècles.  Le  trafic  se  concentra  presque  entier 
sur  deux  ou  trois  d'entre  elles,  l'une  qui  allait  d'Éléphantine  ou  de  Nekhabit 
à  la  Tête  de  Nekhabit,  la  Bérénice  des  Grecs3,  les  autres  qui  partaient  de 
Thèbes  ou  de  Coptos  pour  aboutir  au  même  point  de  la  côte  ou  bien  à  Saou, 
le  Qoçéîr  actuel4.  Cette  dernière,  la  plus  courte,  traversait  ce  val  de  Ham- 
mamât  où  les  Pharaons  s'approvisionnaient  de  blocs  de  granit  pour  leurs 
sarcophages  :  aussi  la  suivait-on  de  préférence.  Les  officiers  qu'on  envoyait 
tailler  la  pierre  profitaient  souvent  de  l'occasion  pour  descendre  à  la  mer,  et 
pour  pousser  jusqu'aux  régions  des  Aromates.  Déjà  en  l'an  VIII  de  Sônkhkeri; 
prédécesseur  d'Amenemhàit  lPr,  Y  Ami  unique  Hounou  avait  été  mandé  par  ce 
chemin  «  afin  de  diriger  une  escadre  au  Pouanît,  et  de  récolter  l'encens  frais 
en  tribut  des  princes  du  désert  ».  Il  réunit  trois  mille  hommes,  leur  distribua 
à  chacun  une  outre,  un  crochet  pour  la  porter,  dix  pains,  et  quitta  Coptos 
avec  cette  petite  armée.  Le  chemin  manquait  d'eau  :  il  fora  dans  le  roc  plu- 
sieurs citernes  et  plusieurs  puits,  l'un  à  la  station  du  Baît,  deux  dans  le 
canton  d'Àdahaît,  un  enfin  dans  les  vallées  d'Adabehait.  Arrivé  au  bord  de  la 
mer,  il  y  construisit  rapidement  un  gros  chaland,  le  chargea  d'une  pacotille  et 
de  provisions,  de  bœufs,  de  vaches,  de  chèvres,  et  fila  en  course  le  long  des 

1.  L'ivoire  y  est  appelé  ouapirou,  ouapourou,  qui  semble  être  la  forme  originelle  d'où  le  mot  latin 
ebur  dérive,  par  l'intermédiaire  d'abourou. 

t.  Voir,  sur  ces  voyages  de  la  Mer  Bouge,  à  la  VI«  dynastie,  les  p.  396-397,  43-1  de  cette  Histoire. 

3.  Tap-Nekhabit,  la  Tête,  le  Cap  de  Nekhabit,  a  été  identifiée  par  Brugsch  (Die  jEgyptische  Yôlker- 
tafel,  dans  les  Yerhandlungen  des  .5"»  Orientalisten-Congresucs,  t.  II,  Afrikanische  Seklion,  p.  Ci) 
avec  un  cap  situé  près  de  Bérénice  :  c'est  le  nom  de  la  bourgade  que  les  Grecs  appelèrent  Bérénice. 
Les  routes  de  Coptos  à  Bérénice  et  de  Bérénice  à  Éléphantine  ont  été  explorées  en  dernier  lieu 
par  GoUnischeff,  Une  Excursion  à  Bérénice,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XIII,  p.  75-96. 

-i.  Brugsch,  le  premier  qui  ait  vu  clair  dans  toute  cette  partie  de  la  géographie  égyptienne,  place 
Saou,  Saouou,au  voisinage  de  Myos-Hormos  (Die  Mgyplische  Volkertafel,  p.  35,  59,  64),  vers  l'Ouady 
Gasoils  :  le  site  de  cette  localité  me  parait  répondre  à  celui  du  vieux  Ûoçcir. 


I.A  NAVIGATION  LE  LONG  DES  CÔTES  DE  LA  MER  IlOUGE.  495 

côtes  :  on  ne  sait  jusqu'où  il  alla,  mais  il  revint  avec  une  grosse  cargaison 
de  tout  ce  que  la  Terre  Divine  possédait,  surtout  de  l'encens.  Au  retour,  il 
se  rabattit  sur  le  val  d'Ouagni,  puis  sur  celui  de  Rohanou,  et  il  v  choisit  de 
beaux  blocs  de  pierre  pour  un  temple  que  le  roi  bâtissait  :  «  Jamais  Couxin 
royal  dépêché  en  mission  n'en  avait  fait  autant  depuis  le  temps  du  dieu 
RA1  !  »  Nombre  d'officiers  royaux  ou  d'aventuriers  marchèrent  sur  ses  traces, 
mais  leur  mémoire  n'est  point  parvenue  jusqu'à  nous.  Deux  ou  trois  noms 
seulement  ont  échappé  à  l'oubli,  celui  de  Khnounihotpou  qui,  l'an  I  d'Ousir- 
tasen  I",  dressa  une  stèle  au   Ouady    Gasoùs  en  pleine  Terre  Divine;  celui 


de  Khentkhitioirou,  qui,  en  l'an  XXYI1I  d'Amenemhàit  II,  rallia  le  havre 
de  Saou,  après  une  croisière  heureuse  au  l'ouanit,  sans  avoir  perdu  ni  un 
homme  ni  un  bateau'.  La  navigation  est  rude  sur  la  Mer  Rouge.  La  côte  est 
généralement  escarpée,  hérissée  de  récifs  et  d'ilôts,  presque  dépourvue  de 
perts  et  de  plages.  Nul  fleuve,  nulle  rivière  n'y  débouche,  nulle  terre  fertile 
ou  boisée  ne  la  borde,  mais  de  hautes  falaises  à  demi  décomposées  par  les 
ardeurs  du  soleil  ou  des  montagnes  abruptes,  d'un  rouge  terne  ou  d'un  gris 
sale  selon  que  le  granit  ou  les  grès  y  dominent.  Les  rares  tribus  qui  habitent 
cette  région  déshéritée  y  supportent  leur  vie  misérable  du  produit  de  leur 
pèche  et  de  leur  chasse  :  à  l'époque  grecque,  ils  comptaient  parmi  les  plus 

I.  I.tpsrt'5,  Denkm.,  Il,  150  a,  ftoLbiiscmirr,  Hétulfal*  l'pigraphiguet  d'une  exruriioa  à  VOuady 
llammamal,  pi.  XV-XVII.  l.e  Icite  a  été  Iraduïl  en  fiançais  |iar  Ciub.is,  le  Ytiyagr  d'un  Egyptien, 
p.  jG-fi3,  en  allemand  par  Bm:cscn,  Getchiehle  .Egyplem.  p.  110-113,  el  par  Lifbi.ei*.  tiaudet  und 
Srhiffa/irt  auf  dem  llolken  Meere  in  alleu  Xeilen,  nach  àgijptiirheii  Quelten,  p.  îll-ii,  en  russe  par 
GoLisittacrr,  Itémillali  e^pigiaphiauei,  p.  !i-ll,  en  italien  pnr  StuiAr ih>:i.lj,  la  f.alewa  Qrirntale 
delV  Kgillo,  p.  flS-100. 

i.  Stèles  rapportées  par  Wilkinso»  et  conservées  au  eliâtcau  il'Alnwkl  (IVuiBsos,  Hannrrt  and 
Cutlnm*.  t"  éd.,  I.  I,  p.  ÏM;  Binc.u.  Gatatogtie  of  Ihe  Oilleetian  of  Egyplian  Antî>/u_itîet  al  Alnwi'k 
Caille,  p.  478  sqn..  pi.  III-IV;  Bmi;stH.  Dit  AHAggpiUehe  Volketlafel,  dans  les  Abliaiidlungen  de»  t<" 
Inlerualionalrn  Oiieulalitleu-Ciingiesset,  l.  Il,  Afrikanitrhe  Sektitm,  p.  ">-l-5;i.  BS;  Kb»ih,  Sleten  eus 
Vâdi  Gaiûi  Itei  Qoiér,  dans  la  Zeitichrift,  1884,  p.  ÎOS-ïll.ï,  et  dans  Smwkimiuth,  Aile  Batirette  uud 
llier.iglyphitche  huchriftCH  im   Vadi  Gasùs,  p.   Il,  noie  t). 


496  LE  PREMIER  EMPIRE  THÊBAIN. 

déshérités  des  humains,  et  tels  les  matelots  des  Ptolémées  les  virent,  tels 
les  marins  des  temps  pharaoniques  durent  les  connaître  avant  eux.  On 
signalait  pourtant  quelques  villages  de  pêcheurs  dispersés  sur  le  littoral,  des 
aiguades  espacées,  fréquentées  à  cause  de  leurs  puits  d'eau  saumâtre  par  la 
population  du  désert,  Nahasît1,  Ïap-Nekhabit,  Saou,  Tàou  :  les  navires  égyp- 
tiens venaient  s'y  ravitailler  et  y  embarquer  le  fret  de  la  contrée,  la  nacre, 
l'améthyste,  l'émeraude,  un  peu  de  lapis-lazuli,  un  peu  d'or,  des  gommes,  des 
résines  odorantes.  Si  le  temps  le  permettait  et  que  la  récolte  de  marchandises 
n'eût  pas  été  abondante,  on  continuait  à  travers  mille  dangers  de  naufrages 
jusqu'aux  parages  de  Saouakîn  et  de  Massaouah,  où  le  Pouanît  proprement  dit 
commençait.  Les  richesses  y  affluaient  de  l'intérieur,  et  l'on  n'avait  plus  que 
l'embarras  du  choix  :  que  valait-il  mieux  charger,  de  l'ivoire  ou  de  l'ébène,  des 
peaux  de  panthère  ou  de  l'or  en  anneaux,  de  la  myrrhe,  de  l'encens,  des  essences 
de  vingt  espèces?  Le  culte  consommait  tant  de  ces  substances  parfumées,  qu'on 
avait  toujours  intérêt  à  s'en  procurer  le  plus  possible  :  l'encens  frais  ou  sec 
était  la  marchandise  type,  celle  qui  caractérisait  le  commerce  de  la  mer  Rouge, 
et  le  bon  peuple  d'Egypte  se  figurait  le  Pouanît  comme  une  terre  embaumée  que 
ses  émanations  délicieuses  dénonçaient  de  très  loin  à  l'attention  des  matelots5. 
Ces  voyages  étaient  fatigants,  hasardeux  :  l'imagination  populaire  s'en  em- 
para et  y  prit  la  matière  de  récits  merveilleux.  Elle  choisissait  comme  héros 
un  aventurier  hardi  que  son  maître  envoyait  ramasser  de  l'or  aux  raines  de 
Nubie  ;  à  force  de  remonter  le  fleuve,  il  atteignait  la  mer  mystérieuse  qui  borne 
le  monde  au  midi3,  «  Je  m'embarquai  sur  un  navire  long  de  cent  cinquante 
coudées,  large  de  quarante,  avec  cent  cinquante  marins  des  meilleurs  du  pays 
d'Egypte,  qui  avaient  vu  ciel  et  terre  et  dont  le  cœur  était  plus  résolu  que 
celui  des  lions,  lis  avaient  annoncé  que  le  vent  ne  serait  pas  mauvais,  ou  même 
qu'il  n'y  en  aurait  pas  du  tout;  mais  une  bourrasque  survint  tandis  que  nous 

1.  Nahasit  a  été  rapproché  fort  heureusement  de  la  Nechesia  de  Ptolémée,  par  Biu:r.sf.H,  AZgyptisrite 
Vôlkertafel,  p.  <U  :  le  site  en  est  placé  par  les  uns  à  la  M  ers  a  Zebara,  par  les  autres  à  la  Mersa 
Moumbara,  sans  qu'il  y  ait  des  raisons  bien  sérieuses  de  préférer  l'une  à  l'autre  de  ces  localités. 

2.  Le  commerce  des  Égyptiens  avec  le  Pouanît  et  leurs  navigations  sur  la  Mer  Hougc  ont  fourni  la 
matière  de  plusieurs  mémoires  :  Maspero,  De  quelques  navigations  de»  Égyptiens  sur  les  côtes  de  la 
Mer  Erythrée  (extrait  de  la  lievue  Historique,  187U,  t.  IX);  Lieblkix,  Handel  und  Schiffahrt  auf  dem 
itolhen  Mrere  in  aile  a  Zeilen,  nach  âgyptischen  Quellen,  188(3;  Krai.l,  Das  Land  Puni,  i890  (Extrait 
des  Sitzungsberichle  de  l'Académie  des  Sciences  de  Vienne,  t.  XXXI,  p.  1-84);  Schiaparelu,  la  Catcua 
Orientale  delV  Egitto,  1890. 

3.  Le  manuscrit  de  ce  conte,  qui  remonte  certainement  aux  derniers  temps  de  la  XII"  dynastie  ou 
aux  premiers  de  la  XIII*,  a  été  découvert  et  traduit  par  Golknischkh-',  Sur  un  Ancien  Conte  Egyptien, 
Notice  lue  au  Congrès  des  Orientalistes  à  Berlin,  1881  (et  dans  les  Yerhandlungcn  des  ïiem  Intcrna- 
tionalen  Orienlalisten-Congresses,  t.  Il,  Afrihanische  Seklion,  p.  100-122)  :  la  traduction  de  Goléni- 
scheff  a  été  reproduite  avec  de  très  légères  modifications  par  Maspkro,  les  Contes  populaires  de  l'Egypte 
ancienne,  2*  éd.,  p.  131-1 10,  et  lxxxviu-xcviii.  Le  texte  hiératique  du  roman  est  encore  inédit. 


LE  CONTE  DU  NAUFRAGÉ.  497 

étions  au  large,  et,  comme  nous  nous  rapprochions  de  la  terre,  la  brise  fraîchit 
et  souleva  les  lames  à  la  hauteur  de  huit  coudées.  Moi,  je  saisis  une  poutre, 
mais  ceux  qui  étaient  sur  le  navire  périrent  sans  qu'il  en  échappât  un  seul. 
Une  vague  de  la. mer  me  jeta  dans  une  île,  après  que  j'eus  passé  trois  jours 
seul  sans  autre  compagnon  que  mon  cœur.  Je  me  couchai  là,  dans  un  fourré, 
et  l'ombre  m'y  enveloppa,  puis  je  mis  mes  jambes  en  quête  de  quelque  chose 
pour  ma   bouche.  »   L'île  produisait  quantité    de  fruits  délicieux  :  il   s'en 
rassasia,  il  alluma  un  feu  pour  offrir  un  sacrifice  aux  dieux,  et  sur-le-champ, 
dévoilés  par  la  force  magique  des  cérémonies  sacrées,  les  habitants,  qui  jus- 
qu'alors étaient  demeurés  invisibles,  se  révélèrent  à  ses  yeux.  «  J'entendis  un 
bruit  comme  celui  du  tonnerre,  et  je  le  pris  d'abord  pour  le  fracas  du  flot  en 
pleine  mer  ;  mais  les  arbres  frissonnèrent,  la  terre  frémit,  je  découvris  ma  face, 
et  je  m'aperçus  que  c'était  un  serpent  qui  s'approchait.  Il  était  long  de  trente 
coudées,  et  sa  barbe  avait  plus  de  deux  coudées  ;  son  corps  était  incrusté  d'or 
et  sa  couleur  semblait  celle  du  lapis  vrai.  Il  se  dressa  devant  moi,  ouvrit  la 
bouche;  tandis  que  je  me  prosternais  devant  lui,  il  me  dit  :  «  Qui  t'a  amené,  qui 
«  t'a  amené,  petit,  qui  t'a  amené?  Si  tu  tardes  à  me  dire  qui  t'a  amené  dans 
«  cette  île,  je  te  ferai  connaître  le  peu  que  tu  es  :  ou  tu  t'évanouiras  comme 
«  une  femme,  ou  tu  me  diras  quelque  chose  que  je  n'aie  pas  encore  entendu  et 
«  que  j'ignorais  avant  toi.  »  Puis  il  me  prit  dans  sa  bouche,  me  transporta  à 
son  gîte  et  m'y  déposa  sans  me  faire  mal  :  j'étais  sain  et  sauf  et  rien  ne  m'avait 
été  enlevé.  »  Notre  héros  lui  raconte  l'histoire  du  naufrage,  qui  l'émeut  de  pitié 
et  le  décide  à  rendre  confidence  pour  confidence.  «  Ne  crains  rien,  ne  crains 
«  rien,  petit,  et  n'attriste  pas  ton  visage!  Si  tu  es  venu  jusqu'à  moi,  c'est  le 
«  Dieu  qui  t'a  laissé  vivre;  c'est  lui  qui  t'a  amené  dans  cette  Ile  de  Double*,  où 
«  rien  ne  manque,  et  qui  est  remplie  de  toutes  les  bonnes  choses.  Voici,  tu 
«  passeras  un  mois  après  l'autre,  jusqu'à  ce  que  tu  sois  demeuré  quatre  mois 
«  dans  cette  île,  puis  un  navire  viendra  de  ton  pays  avec  des  matelots;  tu  pour- 
«  ras  partir  avec  eux  vers  ton  pays,  et  tu  mourras  dans  ta  cité.  Causer  réjouit, 
«  qui  goûte  de  la  causerie  supporte  mieux  le  malheur  :  je  vais  donc  te  conter 
«  l'histoire  de  cette  île.  »  La  population  se  compose  de  soixante-quinze  serpents 
entre  frères,  enfants  et  gens  de  la  famille  :  elle  comprenait  jadis  une  jeune  fille 
qu'une  suite  d'aventures  malheureuses  y  avait  jetée  et  qui  mourut  frappée  de 
la  foudre.  Le  héros,  ravi  de  tant  de  bonhomie,  se  confond  en  remerciements  et 

1.  Sur  Y  lie  de  Double  et  sur  la  façon  singulière  pour  nous  dont  l'auteur  du  roman  a  conçu  l'itiné- 
raire suivi  par  son  héros,  cf.  ce  qui  est  dit  plus  haut  aux  p.  10-20  de  cette  Histoire. 

HIST.    ANC.    DE    i/ORIENT.    T.    I.  63 


49*  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

promet  au  dragon  hospitalier  de  lui  expédier  de  d ombreux  présents  lorsqu'il 
sera  de  retour  :  «  J'égorgerai  pour  toi  des  ânes  en  sacrifice,  je  plumerai  pour 
«  toi  des  oiseaux,  et  je  ferai  partir  pour  toi  des  navires  comblés  de  toutes  les 
«  richesses  de  l'Egypte,  comme  il  convient  à  un  dieu  ami  des  hommes  dans  un 
«  pays  éloigné  que  les  hommes  ne  connaissent  point.  »  Le  monstre  sourit  et 
lui  répond  qu'il  est  bien  inutile  de  vouloir  faire  des  cadeaux  à  quelqu'un  qui 
est  le  maître  du  Pouanît;  d'ailleurs,  «  dès  que  tu  partiras  d'ici,  tu  ne  reverras 
«  jamais  plus  cette  île,  car  elle  se  transformera  en  flots  ».  —  «  Et  voilà,  quand 
le  navire  s'approcha,  conformément  à  ce  qu'il  avait  prédit  d'avance,  je  m'en 
allai  me  jucher  sur  un  arbre  élevé  pour  tâcher  de  distinguer  ceux  qui  le  mon- 
taient. Je  courus  ensuite  lui  communiquer  la  nouvelle,  mais  je  trouvai  qu'il  en 
était  informé  déjà,  et  il  me  dit  :  «  Bon  voyage  vers  ta  demeure,  petit  ;  revois 
«  tes  enfants  et  que  ton  nom  reste  bon  dans  ta  ville;  ce  sont  là  mes  souhaits 
«  pour  toi!  »  Il  joignit  des  cadeaux  à  ces  paroles  obligeantes;  «  j'embarquai 
le  tout  sur  ce  navire  qui  était  venu,  et  me  prosternant  je  l'adorai.  Il  me  dit  : 
«  Voici  que  tu  rentreras  dans  ton  pays  après  deux  mois,  tu   presseras   tes 
«  enfants  sur  ta  poitrine  et  tu  reposeras  dans  ton  sépulcre  ».  Et  après  cela  je 
descendis  au  rivage  vers  le  navire,  et  j'appelai  les  matelots  qui  s'y  trouvaient. 
Je  rendis  des  actions  de  grâces  sur  le  rivage  au  maître  de  cette  île,  ainsi  qu'à 
ceux  qui  y  demeuraient.  »  C'est  presque  un  épisode  des  voyages  de  Sindbad 
le  marin.  Seulement,  les  monstres  que  Sindbad  rencontre  dans  ses  courses  ne 
sont  pas  d'humeur  aussi  débonnaire  que  le  serpent  égyptien  :  ils  ne  s'ingénient 
plus  à  consoler  les  naufragés  par  les  charmes  d'un  long  bavardage,  mais  ils  les 
avalent  de  fort  bel  appétit.  Aussi  bien  laissons  de  côté  toute  la  partie  mer- 
veilleuse du  récit  :  ce  qui  frappe,  c'est  la  fréquence  de  rapports  qu'il  suppose 
entre   l'Egypte  et   le  Pouanît.    La   présence   d'un   navire  égyptien    n'excite 
aucun  étonnement  dans  ces  parages  :  les  habitants  en  ont  vu  beaucoup  déjà, 
et  de  façon  assez  régulière  pour  en  annoncer  la  venue  à  date  fixe.  La  distance 
n'est  pas  d'ailleurs  considérable,  et  deux  mois  de  mer  suffisent  à  la  franchir. 
Tandis  que  l'Egypte  nouvelle  s'épandait  au  dehors  dans  toutes  les  direc- 
tions, l'ancienne  prospérait  sur  place  et  ne  cessait  de  s'enrichir.  Les  deux 
siècles  que  la  XIIe  dynastie  régna  furent  pour  elle  une  époque  de  paix  profonde  ; 
les  monuments  nous  la  montrent  gaie,  heureuse,  en  pleine  possession  de  toutes 
ses  ressources  et  de  tous  ses  arts.  Plus  que  jamais  les  barons  et  les  officiers 
royaux  insistent  dans  leurs  épitaphes  sur  la  justice  exacte  qu'ils  ont  rendue  à 
leurs  vassaux  ou  à  leurs  subordonnés,  sur  la  douceur  dont  ils  ont  fait  preuve 


LA  RESTAURATION  DES  TEMPLES  DU  DELTA.  499 

à  l'égard  des  fellahs,  sur  la  sollicitude  paternelle  avec  laquelle  ils  ont  essayé 
de  leur  venir  en  aide  dans  les  années  d'inondations  insuffisantes  ou  de  récoltes 
mauvaises,  sur  le  désintéressement  inouï  qui  les  empêcha  d'augmenter  l'impôt 
pendant  les  périodes  de  crue  normale  ou  de  production  surabondante1.  Les 
donations  aux  dieux  se  multiplièrent  d'un  bout  à  l'autre  du  pays,  et  les  grandes 
constructions,  interrompues  depuis  la  fin  de  la  \T  dynastie,  recommencèrent 
sur  tous  les  points  à  la  fois.  H  y  avait  beaucoup  à  faire  pour  réparer  les  ruines 
accumulées  au  cours  des  siècles  précédents.  Non  que  les  souverains  les  plus 
batailleurs  se  fussent  permis  de  toucher  aux  sanctuaires  :  ils  vidaient  les 
trésors  sacrés,  et  ils  en  confisquaient  les  revenus  partiellement,  mais,  leur 
cupidité  satisfaite,  ils  respectaient  les  murailles,  ils  y  restauraient  au  besoin 
quelques  inscriptions  ou  ils  y  replaçaient  quelques  pierres.  Ces  superbes  édifices 
exigeaient  une  surveillance  minutieuse  :  on  avait  beau  les  bâtir  des  matériaux 
les  plus  durables,  grès,  calcaire,  granit,  ou  des  dimensions  les  plus  fortes,  en 
consolider  les  fondations  par  l'interposition  d'une  couche  de  sable  et  par  trois 
ou  quatre  lits  de  blocs  bien  ajustés  formant  patin',  le  Nil  était  toujours  là  qui 
les  menaçait  et  qui  méditait  sourdement  leur  perte.  Ses  eaux,  s'infiltrant  à 
travers  les  terres,  venaient  baigner  les  assises  basses  et  entretenaient  une 
humidité  perpétuelle  au  pied  des  murailles  ou  à  la  base  des  colonnes  :  le 
salpêtre  que  leur  morsure  développait  sans  cesse  sur  le  calcaire  rongeait  tout, 
minait  tout,  si  l'on  n'y  prenait  garde.  La  crue  terminée,  les  mouvements  que 
les  oscillations  de  la  nappe  souterraine  déterminaient  dans  le  sous-sol  dislo- 
quaient à  la  longue  les  fondations  le  plus  compactes  :  les  murailles,  ébranlées 
par  des  tassements  inégaux,  s'inclinaient,  se  lézardaient,  leur  jeu  déplaçait  les 
architraves  qui  reliaient  les  colonnes  et  les  poutres  de  pierre  qui  composaient 
la  toiture.  Ces  désordres,  aggravés  d'année  en  année,  suffisaient,  quand  on 
n'y  remédiait  point  sur-le-champ,  à  déterminer  la  chute  des  parties  atteintes; 
d'ailleurs  le  Nil,  après  avoir  préparé  la  ruine  en  dessous,  se  chargeait  de  la 
consommer  par  des  assauts  directs,  lorsque  le  dénouement  traînait  trop  long- 
temps. Une  brèche  dans  les  digues  qui  protégeaient  la  ville  ou  le  temple,  et 
ses  flots,  précipités  avec  furie,  pratiquaient  de  larges  trouées  par  les  murs 
demi-pourris,  achevaient  de  culbuter  les  piliers,  écrasaient  les  salles  de 
réception  et  les  chambres  mystérieuses  sous  les  débris  des  plafonds*.  Il  y  avait 

1.  Inscription  du  prince  de  la  Gazelle  Amoni-Âmcnemhâit   (I.  17-41),  à  Beni-IIassan  ;  cf.  Maspf.ro, 
la  Grande  Inscription  de  lie  ni- Hassan,  dans  le  liecueil  de  Travaux,  t.  I,  p.  173-174. 

2.  Maspf.ro.  Archéologie  Egyptienne,  p.  \~. 

3.  Le  roi  Smcndès  de  la  XX1°  dynastie,  racontant  les  travaux  qu'il  exécuta  dans  le  temple  deKarnak, 


500  LE  PREMIER   EMPIRE  THÊBAIN. 

peu  de  cités  qui  ne  renfermassent  un  sanctuaire  ruiné  ou  en  mauvais  état, 
quand  la  XIIe  dynastie  mit  la  main  sur  l'Egypte.  Amenemhâît  Ier,  si  occupé 
qu'il  fût  de  réduire  la  féodalité,  les  répara  autant  qu'il  put  :  ses  successeurs 
poussèrent  les  travaux  vigoureusement  pendant  près  de  deux  siècles. 

Le  Delta  profita  grandement  de  leur  activité.  Les  monuments  y  ont  plus 
souffert  que  partout  ailleurs  :  ils  ont  subi  le  premier  choc  des  invasions 
étrangères,  et,  transformés  en  forteresses  au  cours  des  sièges  que  les 
villes  durent  affronter,  ils  ont  été  pris  et  repris  d'assaut,  éventrés  par  les 
machines,  démantelés  par  tous  les  conquérants  de  l'Egypte,  des  Assyriens 
aux  Arabes  et  aux  Turcs.  Les  fellahs  d'alentour  sont  venus  pendant  des  siècles 
s'y  pourvoir  de  calcaire  pour  leurs  fours  à  chaux,  de  grès  ou  de  granit  pour 
les  portes  de  leurs  maisons  ou  pour  le  seuil  de  leurs  mosquées.  Non  seulement 
ils  ont  été  ruinés,  mais  les  ruines  de  leurs  ruines  se  sont  comme  fondues  et 
ont  presque  entièrement  disparu  d'âge  en  âge.  Et  pourtant,  en  quelque  endroit 
qu'on  ait  fouillé  dans  ces  restes  si  déplorablement  maltraités,  on  a  ramené  à  la 
lumière  les  colosses  et  les  inscriptions  commémorât ives  des  Pharaons  de  la 
XIIe  dynastie.  Amenemhâît  Ier  fonda  un  grand  temple  à  Tanis  en  l'honneur  des 
divinités  de  Memphis1  :  les  débris  de  colonnes  épars  encore  de  tous  côtés 
témoignent  que  le  gros  œuvre  en  était  en  granit  rose,  et  une  statue  taillée  dans 
la  même  pierre  nous  a  conservé  le  portrait  du  roi.  Il  est  assis  et  porte  sur  la  tête 
le  haut  bonnet  d'Osiris.  La  tête  est  large,  souriante,  avec  une  bouche  épaisse, 
un  nez  court,  de  grands  yeux  bien  fendus  :  elle  respire  la  bienveillance  et  la 
douceur  plutôt  que  l'énergie  et  la  dureté  qu'on  attend  d'un  fondateur  de  dynas- 
tie*. Les  rois  qui  suivirent  tinrent  tous  à  honneur  d'embellir  le  temple  et  d'y 
déposer  quelque  souvenir  de  leur  vénération  pour  le  dieu.  Ousirtasen  Ier  s'y  fit 
représenter  en  Osiris,  comme  son  père  :  il  siège  sur  son  trône  de  granit  gris,  et  sa 
face  placide  rappelle  à  n'en  pas  douter  celle  d'Amenemhâît  I01  s.  Amenemhâît  II*, 

expose  qu'un  bras  d'eau  avait  miné  et  détruit  de  la  sorte  une  partie  du  sanctuaire  (Daressy,  les  Car- 
rières  de  Gébéléin  et  le  roi  Smendès,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  X,  p.  1 30- 137;  Maspero,  .4  Stèle 
of  King  Smendes,  dans  les  Records  ofthe  Pasl,  2q'  ser.,  t.  V,  p.  20,  23). 

1.  E.  de  Rougé,  Cours  du  Collège  de  France,  1869;  Petrik,  Tanis  /,  p.  5. 

2.  Mariette,  Deuxième  Lettre  à  M.  le  Vicomte  de  Rougé  sur  les  fouilles  de  Tanis,  p.  1,  et  Notice 
des  principaux  Monuments,  1864,  p.  260,  n°  1  ;  Pétrie,  Tanis  I,  p.  4-5  et  pi.  XIII,  1  ;  cf.  A.  B.  Edwards, 
dans  le  Harpers  New  Monthly,  1886,  p.  716  sqq.  La  statue  Tut  usurpée  par  Minéphtah. 

3.  Mariette,  Deuxième  lettre  à  M.  le  Vicomte  de  Rougé,  p.  2-3,  et  Notice  des  principaux  monu- 
ments; Lepsus,  Enldeckung  eines  bilinguen  Dekretcs,  dans  la  Zeilschrift,  1866,  p.  33;  Pktrie,  Tanis  /, 
p.  5  et  pi.  XIII,  2;  A.  B.  Edwards,  dans  le  Harpers  New  Monthly,  1886,  p.  710.  Le  pendant  de 
cette  statue,  qui  fut  apporté  en  Europe  par  Drovetti  au  commencement  du  siècle,  se  trouve  aujourd'hui 
au  Musée  de  Berlin  (Verzeichniss  der  JEgyptischen  Alterthûmer,  p.  75,  n°  371):  le  monument,  après 
avoir  été  usurpé  une  première  fois  par  Amenemhâît  II,  le  fut  une  seconde  par  Minéphtah  (Lepsus, 
Sur  les  deux  Statues  colossales  de  la  Collection  Drovetti  gui  se  trouvent  actuellement  au  Musée 
Royal  de  Berlin,  p.  4  sqq.  Extrait  du  Bulletin  de  l'Institut  Archéologique,  1838). 

4.  Pétrie,  Tanis  I,  p.  5-6  et  pi.  XIII,  3,  4.  M.  G  ri  dit  h  (Tanis  II,  p.  16)  pense,  après  Mariette  (Notice 


TANIS  ET  LES  SPHINX  IlAMENEMH AIT  III.  501 

Ousirtasen  II1  et  la  femme  de  ce  dernier,  Nofrît,  avaient  consacré  aussi  leur 
image  dans  le  sanctuaire.  Nofrît  est  en  granit  noir  :  sa  tète  s'écrase  sous  la 
lourde  perruque  d'Hâthor,  deux  tresses  énormes  qui  encadrent  les  joues  et  qui 
s'étalent  sur  la  poitrine  en  se  tordant; 
ses  yeux  jadis  incrustés  sont  tombés  avec 
leurs  paupières  de  bronze;  ses  bras  sont 
à  moitié  brisés.  Ce  qui  reste  d'elle  n'en 
donne  pas  moins  l'impression  d'un  visage 
jeune  et  gracieux,  d'un  corps  souple  et 
bien  proportionné,  dont  les  formes  se 
modèlent  délicatement  sous  le  sarrau 
collant  des  Égyptiennes;  les  deux  seins 
petits  et  ronds  font  saillie  entre  l'extré- 
mité des  boucles  et  l'ourlet  brodé  du  vête- 
ment, un  pectoral  au  nom  du  mari  couvre 
la  naissance  du  cou  et  le  plat  de  la  poi- 
trine*. Ces  œuvres  diverses  offrent  un  air 
de  parenté  évident  avec  les  belles  figures 
en  granit  de  l'Ancien  Empire.  Les  sculp- 
teurs qui  les  ont  exécutées  appartenaient 
à  la  même  école  que  ceux  qui  ont  façonné 
Khéphrèn  en  plein  diorite  :  c'est  ta  même 
habileté  de  ciseau,  la  même  insouciance 

des  difficultés  que  la  matière  attaquée  oppose,  le  même  fini  du  détail,  la  même 
science  de  la  structure  humaine.  On  serait  tenté  de  croire  que  l'art  égyptien  n'a 
point  changé  pendant  ces  longs  siècles,  et  pourtant,  dès  que  l'on  place  une 
statue  des  vieux  temps  à  côté  de  celles  de  la  XII"  dynastie,  on  distingue  aussitôt 
quelque  chose  dans  les  unes  qui  ne  se  retrouve  pas  dans  l'autre.  Le  sentiment 
diffère,  si  la  technique  ne  s'est  point  modifiée.  C'est  l'homme  qu'on  s'attachait 
surtout  à  reproduire  dans  le  Pharaon  d'autrefois,  et  si  Hère  mine  qu'on  admire 

îles  principaux  monument*,  p.  ïfit,  n=  3).  que  celle  statue 
complète  dans  Biurnn,  Encerpta  llierogtgphica,  pi.  XI..  5,  r 

1.  Piraii,   Tartis  I,  p.  ti. 

t.  Maiiette,  Satire  des  principaux  iitonumeitls,  p.  ÎG1,  n" 
de  ta  Million  de  M.  de  Rougi,  a-  113;  Bair.s™,  An  der 
p.  ltt-135;  Petiis,  Taniil,  p.  G. 

3,  Denin  de  Faui-her-Gudin,  d'après  une  photographie  d'Intinger.  Outre  la  statue  compl 
Musco  de  Gi/éh  possède  un  torse  de  même  jjrovo Mariée.  J'ai  cru  reconnaître  un  portrait  nouvcai 
même  reine  dans  une  belle  statue  en  granit  noir  que  le  Musée  de  Marseille  possède  depuis  ]( 
roencemenl  de  notre  siècle  (Hispeko,  Catalogue  du  Musée  égyptien  de  Marseille,  a'  G,  p.  S-fi). 


502  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

dans  le  Khéphrèn,  c'est  encore  l'homme  qui  domine  en  lui.  Âmenemhâît  1er  et 
ses  successeurs  semblent  au  contraire  appartenir  à  une  race  plus  haute  :  il  y 
avait  plus  longtemps  que  Pharaon  était  dieu  au  moment  où  on  les  fit,  et  la 
nature  divine  avait  presque  éliminé  chez  lui  la  nature  humaine.  Volontaire- 
ment ou  non,  les  sculpteurs  idéalisèrent  son  image  et  l'approchèrent  à 
celles  des  divinités.  La  tête  offre  toujours  un  portrait  ressemblant,  mais  adouci 
et  parfois  affadi.  Non  seulement  les  caractères  de  l'âge  n'y  prédominent  point 
et  les  traits  portent  l'empreinte  d'une  jeunesse  éternelle,  mais  les  accidents 
de  la  physionomie,  l'accentuation  des  sourcils,  la  saillie  des  pommettes,  la 
projection  de  la  lèvre  inférieure  et  du  menton,  s'atténuent  comme  à  plaisir, 
et  disparaissent  sous  une  expression  uniforme  de  majesté  tranquille.  Un  seul 
souverain,  Âmenemhâît  III,  ne  se  résigna  pas  à  subir  cet  effacement  perpétuel, 
et  se  fit  portraiturer  tel  qu'il  était.  Certes  il  a  la  figure  ronde  et  pleine 
d'Amenemhâît  ou  d'Ousiriasen  Ier,  et  l'air  de  famille  est  indéniable  entre  ses 
traits  et  ceux  de  ses  ancêtres,  mais  on  devine  dès  le  premier  coup  d'oeil 
que  l'artiste  n'a  rien  fait  pour  flatter  son  modèle.  Le  front  est  bas,  un  peu 
fuyant,  serré  aux  tempes,  le  nez  vigoureux,  arqué,  large  du  bout,  la  bouche 
épaisse  et  dédaigneuse  presse  les  lèvres  et  s'abaisse  aux  coins  comme  pour 
éviter  le  sourire  familier  au  commun  des  statues  égyptiennes,  le  menton  lourd 
et  charnu  pointe  en  avant  malgré  le  poids  de  la  barbe  postiche  dont  il  est 
grevé;  les  yeux  sont  petits,  étroits,  clos  de  fortes  paupières,  les  pommettes 
sont  osseuses,  proéminentes,  les  joues  se  creusent,  les  muscles  qui  cernent 
le  nez  et  la  bouche  s'accusent  puissamment.  L'ensemble  a  quelque  chose  de  si 
étrange  qu'on  s'est  obstiné  longtemps  à  regarder  les  œuvres  qui  présentent 
ce  type  comme  les  produits  d'un  art  à  demi  égyptien  seulement.  Peut-être 
en  effet  les  sphinx  de  Tanis  sortaient-ils  d'ateliers  où  l'enseignement  et  la 
pratique  de  la  sculpture  avaient  déjà  subi  l'influence  de  quelque  peuple 
asiatique  :  la  crinière  touffue  qui  s'épanouit  autour  de  la  face  et  les  oreilles 
de  lion  qui  s'en  échappent  ne  se  rencontrent  que  chez  eux.  Les  statues  pure- 
ment humaines  où  l'on  reconnaît  la  même  physionomie  n'ont  aucune  parti- 
cularité de  facture  qu'on  puisse  attribuer  à  l'imitation  d'un  art  étranger1.  Si 
les  maîtres  anonymes  auxquels  nous  les  devons  ont  voulu  réagir  contre  la 

I.  Les  premiers  monuments  de  ce  type  furent  découverts  en  1800  à  Tanis,  par  Mariette,  qui  y  crut 
reconnaître  une  influence  étrangère,  et  les  attribua  aux  rois  Pasteurs,  plus  spécialement  au  dernier 
Apopi,  dont  les  cartouches  sont  gravés  sur  l'épaule  de  plusieurs  statues  et  de  plusieurs  sphinx 
(Mariette,  Lettre  à  M.  le  Vicomte  de  Hougé  sur  les  fouilles  de  Tanis,  p.  8-15,  et  Notice  des  principaux 
Monuments,  1804,  p.  233,  n°  il,  et  p.  204,  n-  11-13).  L'hypothèse  adoptée  généralement,  malgré  quel- 
ques cloutes  soulevés  par  M.  de  Rougé  dans  une  note  qu'il  ajouta  à  la  lettre  de  Mariette,  fut  combat- 


LES  TRAVAUX  llE  BUBAST1S.  S03 

technique  un  peu  banale  de  leurs  contemporains,  ils  n'allèrent  rien  chercher 
au  dehors  :  les  monuments  de  l'époque  memphite  leur  fournirent  tous  les 
modèles  qu'ils  pouvaient  souhaiter. 

Bubastis  n'eut  pas  moins  à  se  louer  que  Tanis  de  la  générosité  des  Pha- 
raons thébains.  Le  temple 
de  Bastît  que  Khéops  et 
Khéphrèn  avaient  décoré 
existait  encore'  :  Amenem- 
hàit  I"r,  Ousirtasen  l"r  et 
leurs  successeurs  immé- 
diats se  bornèrent  à  y  res- 
taurer plusieurs  chambres 
puis  à  ériger  leurs  statues1, 
mais  Ousirtasen  IH  ajouta 
un  édifice  nouveau,  qui 
devait  le  disputer  aux  plus 
beaux  monuments  de  l'E- 
gypte. II  croyait  sans  doute 
avoir  des  obligations  par- 
ticulières à  la  déesse  lionne 
de  la  cité  et  lui  attribuait, 
on  ne  sait  pour  quel  motif, 
quelques-uns  de  ses  succès 

en  Nubie  :  c'est,  semhle-t-il,  avec  le  butin  d'une  campagne  contre  le  pays  de 
Houà  qu'il  dota  une  partie  du  sanctuaire  nouveau'.  On  n'en  retrouve  plus 
guère  que  des  fragments  d'architraves  et  des  colonnes  on  granit,  remployés 
par  les  Pharaons  qui  le  réparèrent  ou  l'agrandirent  pins  tard.  Quelques-unes 

lue  par  Maspcro  {Caille  du  ïititeur  an  Nuire  île  limitai/,  p.  i\i-tV'.,  ri"  10T),  qui  allrihua  ces  ligure»  il 
I  mole  locale  de  Ta  ni»  el  déclara  qu'elles  appartenaient   à   l'uni-  de»  djnaslîes  antérieures  aux   l'ns- 

leura  (Arrltfntogie  Égyptienne,  p.  Ïlli-ÏIT).  H.  Golénischcfl" oui  ré  qu'elles  représentent  le  Pharaon 

Àinenenihalt  III  {Auieiiemha  III  el  tel  Sphhtf  lie  San,  dans  le  limait  de  Travaux ,  I.  XV,  p.  131-13(1). 

1.  Sur  le»  restes  des  constructions  de  Khéops  et  de  khepbrcn  .1  Ituuasti».  déroutcrla  |«ir  Hivillh, 
Itubailie,  p.  3,  5*,  III.  et  pi.  VIII,  XXXII  tt-b,  et.  les  page-  861.  871  de  r:-1te  Histoire. 

î.  Inscription  d'Amencinhiill  I",  érigeant  une  de  ses  nia lui  s  tj  ni  mère  lla-iii  ri  réparant  une  porte 
(NtviLLU,  llubailii,  p.  8  el  pi.  XXXIII  a);  reste*  d'une  proe.-ie.ri  .!■■  Nil-,  la  première  que  l'on  ren- 
naise, et  qui  fut  consacrée  par  Ousirtasen  1-  (Nmili.e,  ttubotti;  f>    K-1r  cl  pi    XWIV,  ft.  r.) 

3.  Denin  de  Faucher -tiiidin.  d'aprè*  une  photographe  dt.milr  U-»gtrh  llrg ,  prit  ru  18KI 
(cf.  D.timLLi>ltunrf,  Album  photographique  de  ta  mimiou  de  M,  de  Itougè.  n™  Hn-lîi)  l.e  «phirix 
porte  sur  la  poitrine  le  cartourhe  d'un  l'haraon  lanite  de  la  XXI*  djnttlie,  P.ioulhanoo 

l-  le  fragment  trouvé  par  «avilie  (Itubaitit,  p.  9-1 1  el  pi.  XXXIV,  A)  appartenait  à  une  insr.iplion 
gravie  sur  un  mur  :  les  i;iierrUB  que  l'on  commémorait  dan*  ur>  temple  étaient  choisies  toujours 
parmi  celles  dont  le  butin  avait  été  consacré  en  loul  ou  en  partie  au  bénéfice  de  la  divinité  locale. 


504  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

des  colonnes  appartiennent  au  type  lotiforme.  Le  fût  en  est  composé  de  huit 
tiges  triangulaires,  qui  jaillissent  d'un  bouquet  de  feuilles  disposées  symé- 
triquement, et  qui  sont  liées  au  sommet  par  un  ruban  tourné  trois  fois  autour  du 
faisceau  ;  le  chapiteau  résulte  de  la  réunion  des  huit  boutons  que  surmonte  un 
dé  carré  où  l'architrave  s'appuie.   D'autres  colonnes   se  terminent   en  têtes 
d'Hàthor,  opposées  nuque  à  nuque  et  coiffées  du  bonnet  bas,  garni  d'uraeus. 
La  face,  un  peu  plate  quand  on  la  considère  de  près,  se  relève  et  s'anime  dès 
qu'on  s'éloigne  d'elle  :  la  saillie  en  a  été  calculée  pour  produire  son  effet  à 
hauteur  convenable,  lorsqu'on  la  regarde  d'en  bas1.  Le  pays  situé  entre  Tanis 
et    Bubaste  était  comme  semé  de   monuments  embellis  ou  édifiés  par  les 
Àmenemhâît  et  par  les  Ousirtasen  :  partout  où  la  pioche  frappe,  à  Fakous*,  à 
Tell-Nebishéh3,  les  débris  ressortent  de  terre,  statues,  stèles,  tables  d'offrandes, 
lambeaux  de  dédicaces  et  d'inscriptions  historiques.  Ces  Pharaons  travaillèrent 
dans   le  temple  de  Phtah,  à  Memphis4,  et   Héliopolis  attira  leur  attention. 
Le  temple  de  Râ  ou  ne  suffisait  plus  aux  besoins  du  culte  ou  n  était  plus  en 
bon  état.  Ousirtasen  III  décida  de  le  reprendre  en  sous-œuvre,  l'an  III  de  son 
règne5.  Ce  fut,  semble-t-il,  une  fête  pour  l'Egypte  entière  et  le  souvenir  s'en 
perpétua  longtemps  après  l'événement  :  on  recopiait  encore  à  Thèbes,  vers 
la  fin  de  la  XVIIIe  dynastie,  le  récit  passablement  emphatique  des  cérémonies 
qui  l'avaient  signalée8.  On  y  montrait  le  roi  montant  sur  son  trône,  un  jour  de 
conseil,  puis  recevant  selon  l'usage  l'éloge  des  amis  uniques  et  des  courtisans 
qui  l'entouraient  :  «  Voici,  leur  dit-il,  que  Ma  Majesté  prescrit  des  ouvrages 
qui  rappelleront  mes  actions  dignes  et  nobles  à  la  postérité.  Je  fais  un  monu- 
ment, j'établis  des  décrets  durables  en  faveur  d'Harmakhis,  car  il  m'a  mis  au 

1.  Tous  ces  monuments  ont  été  mis  au  jour  par  Navillc,  et  publiés  dans  Bubastis,p.  9-14  et  pi.  V, 

vi,  vu,  ix,  xxhm,  xxiv  b,  xxxiii  b-f%  xxxiv  b-e. 

2.  A  Tell  Qirqafah,  porte  en  granit  bâtie  par  Atncnemhàtt  Ier,  restaurée  par  Ousirtasen  III  ;  à  Tell 
Abou-Felous,  une  statuette  en  granit  noir  de  la  reine  Sonit;  à  Dahdamoun,  une  table  d'offrandes  au 
nom  d'Amencmhàit  II  (Maspero,  Notes  sur  différents  points  de  Grammaire  et  d'Histoire,  §  LXXV.  dans 
la  Zeitschrift,  1885,  p.  11-13;  Navillb,  Goshen  and  the  Shrine  of  Saft  et-Henneh,  p.  22  et  pi.  IX  A-B). 
Toutes  ces  localités  sont  groupées  dans  un  rayon  assez  restreint  autour  de  Fakous. 

3.  Table  d'offrandes  au  nom  d'Araenemhâit  II  (Pétrie,  Nebeshch,  pi.  IX,  1)  ;  statue  assise  d'Ousirtascn  III 
(/</.,  pi.  IX,  2  a-b,  et  p.  13). 

4.  Table  d'offrandes  au  nom  d'Amenemhàit  III,  découverte  à  Qorn  el-Qalàah  sur  remplacement 
antique  de  Memphis  (Mariette,  Monuments  Divers,  pl.  XXXIV  f);  bloc  d'Ousirtasen  II  (Id.,  pi.  XXVII  a). 

5.  Le  manuscrit  sur  cuir  qui  nous  a  conservé  le  récit  de  ces  événements  est  conservé  au  Musée  de 
Derlin.  Il  a  été  découvert  et  publié  par  L.  Stern,  Urkunde  ûber  den  Bau  des  Sonnentcmpets  zu  On 
(dans  la  Zeitschrift,  1874,  p.  85-90),  qui  crut  y  constater  la  présence  simultanée  d'Amencmhàit  I*p 
et  d'Ousirtascn  Ier.  En  fait,  Ousirtasen  \vr  est  mentionné  seul  et  préside  seul  aux  cérémonies,  ainsi 
qu'il  en  avait  l'habitude  (cf.  p.  465-467  de  cette  Histoire),  bien  que  la  date  de  Tan  III  fasse  tomber 
la  reconstruction  du  temple  pendant  le  temps  où  il  partageait  le  pouvoir  avec  son  père. 

6.  Le  manuscrit  porte  un  compte  daté  de  l'an  V  d'Amenôthès  IV  (Stern,  Urkunde,  dans  la  Zeit- 
schrift, 1874,  p.  8ti).  On  lit  dans  un  Papyrus  de  Berlin  (Lepsiis,  Den  km.,  VI.  121  r,  1.  17-18)  une  for- 
mule mystique,  gravée,  disait-on,  sur  le  mur  du  temple  d'Ousirtasen  Ier,  à  Héliopolis  (Maspbro,AW<*« 
sur  différents  points  de  Grammaire  et  d'Histoire,  §  IX,  dans  la  Zeitschrift,  1879,  p.  83). 


HÉLIOPOLIS  ET  LE  TEMPLE  D'OUSIRTASEN  K  505 

monde  pour  faire  comme  il  a  fait,  pour  réaliser  ce  qu'il  a  décrété  qui  se  fit  ;  il 
m'a  donné  de  mener  cette  terre,  il  l'a  connue,  et  il  l'a  réunie,  et  il  m'a  gratifié 
de  ses  appuis;  j'ai  rasséréné  l'Œil  qui  est  en  lui !,  agissant  en  tout  comme  il  lui 
plaisait,  et  j'ai  recherché  ce  qu'il  avait  résolu  qu'on  connût.  Je  suis  un  roi  de 
naissance,  un  suzerain  qui  ne  s'est  point  fait,  j'ai  gouverné  dès  l'enfance,  j'ai 
été  imploré  dans  l'œuf,  j'ai  dominé  sur  les  voies  d'Ànubis*  et  il  m'a  haussé 
jusqu'à  seigneur  des  deux  moitiés  du  monde,  dès  le  temps  que  j'étais  nour- 
risson ;  je  n'étais  pas  encore  échappé  des  langes  qu'il  m'avait  déjà  intronisé 
maître  des  hommes;  me  créant  lui-même  à  la  face  des  mortels,  il   m'a  fait 
trouver  faveur  devant  l'Habitant  du  Palais8,  quand  j'étais  adolescent4....  Je 
suis  donc  venu  comme  Horus l'éloquent8,  et  j'ai  institué  les  offrandes  divines; 
j'accomplis  des  travaux  dans  le  château  de  mon  père  Àtoumou,  j'approvi- 
sionne son  autel  sur  terre,  je  fonde  mon  château  dans  son  voisinage,  pour  que 
la  mémoire  de  mes  bontés  dure  en  sa  demeure  ;  car  c'est  mon  nom  ce  châ- 
teau, c'est  mon  monument  le  lac,  c'est  l'éternité  ce  que  j'ai  fait  d'illustre  et 
d'utile  pour  le  dieu*.  »  Les  grands  approuvent  la  piété  du  roi;  celui-ci  appelle 
son  chancelier,  lui  ordonne  de   libeller  les  actes  de   donation- et  toutes  les 
pièces  nécessaires  à  l'exécution  de  ses  volontés.   «  Il  se  leva  paré  du  ban- 
deau royal  et  de  la  double  plume,  tous  les  nobles  derrière  lui;  le  lecteur 
maître  du  livre  divin  tendit  le  cordeau  et  planta  le  pieu  en  terre7.  »  Le  temple 
n'existe  plus;  mais  l'un  des  obélisques  en  granit  qu'Ousirtasen  Ier  dressa  des 
deux  côtés  de  la   porte  principale  est  encore  debout.  Héliopolis  entière  a 
disparu  :  des  mouvements  de  terrain  presque  insensibles,  des  pans  de  murs 
croulants,  çà  et  là  des  blocs  épars  de  calcaire  où  l'on  déchiffre  péniblement 
des  lignes  mutilées  d'inscriptions,  marquent  à  peine  le  site  où  elle  s'élevait 

1.  Le  dieu  d'Héliopolis  étant  le  Soleil  (cf.  p.  135  sqq.  de  cette  Histoire),  VŒU  qui  est  en  lui  est  le 
disque  solaire,  considéré  comme  l'Œil  de  Râ  :  le  roi,  par  sa  docilité  à  obéir  aux  volontés  de  la 
divinité,  a  éclairé  l'Œil  qui  est  en  elle,  en  d'autres  termes  il  a  avivé  la  lumière  de  l'Œil,  qu'une 
désobéissance  aurait  menacé  d'obscurcir  et  même  d'éteindre,  à  l'égal  de  la  rébellion  d'Apopi  ou  de  Sît. 

i.  Anubis,  le  chacal,  est  Ouapouaitou,  le  Guide  des  roules  du  Midi  et  du  Nord,  que  le  soleil  suit 
dans  sa  course  autour  du  monde  :  en  affirmant  qu'il  a  dominé  sur  les  voies  d' Anubis,  le  roi  pro- 
clame qu'il  est  maître  des  régions  que  le  soleil  traverse,  c'est-à-dire  de  la  terre  entière. 

3.  L'habitant  du  Palais  est  le  Pharaon,  ici  Amenemhâtt  1er  :  c'est  par  la  faveur  de  Toumou,  le  dieu 
d'Héliopolis,  qu'Amencmhàft  I*r  a  choisi  Ousirtasen,  tout  jeune  encore,  parmi  ses  autres  enfants,  pour 
être  roi  et  pour  dominer  sur  l'Egypte  entière  de  concert  avec  lui. 

4.  Stekn,  Urkunde  ùber  den  Bau  des  Sonnentempels  zu  On,  pi.  I,  1.   4-12. 

5.  Horou  api  nasit,  lit.  :  «  Horus  qui  juge  de  langue  »,  l'Horus  qui  plaide  et  qui  fait  valoir  les 
mérites  de  son  père  auprès  du  tribunal  des  dieux.  Ousirtasen  1",  ayant  plaidé  la  cause  du  dieu 
par-devant  Amenemhâtt  I"  (cf.  p.  466  de  cette  Histoire),  comme  Horus  avait  fait  pour  Osiris,  a  obtenu 
de  son  père  ce  qui  était  nécessaire  pour  reconstruire  le  temple  d'Héliopolis  et  pour  l'enrichir. 

6.  Stf.r.n,  Urkunde  ùber  den  Bau  des  Sonnentempels  zu  On,  pi.  1,  1.  14-17. 

7.  Stern,  Urkunde  ùber  den  Bau  des  Sonnentempels  zu  On,  pi.  1,  1.  13-15.  Le  prêtre  accomplit  ici 
avec  le  roi  les  principales  des  cérémonies  nécessaires  pour  mesurer  l'aire  du  temple,  en  plantant 
les  pieux  aux  quatre  angles,  et  en  délimitant  au  cordeau  les  quatre  côtés  de  l'édifice. 

64 


506  LE  PREMIER  EMPIRE  THÊBAIN. 

jadis;  l'obélisque  a  survécu  même  à  la  destruction  des  ruines,  et  à  qui  veut 
bien  entendre  son  langage  il  parle  encore  du  Pharaon  qui  Térigea1. 

Tant  de  travaux  entrepris  et  terminés  heureusement  avaient  rendu  néces- 
saire une  reprise  de  l'exploitation  dans  les  carrières  antiques  et  l'ouverture 
de  carrières  nouvelles.  Amenemhâit  Ior  envoya  un  très  haut  personnage, 
Antouf,  chef  des  prophètes  de  Minou  et  prince  de  Coptos,  au  Val  de  Rohanou, 
à  la  recherche  des  fins  granits  qui  servaient  à  fabriquer  les  sarcophages 
royaux *.  Amenemhâit  111  avait  inauguré  à  Tourah,  en  l'an  XLH1  de  son  règne, 
de  beaux  filons  de  calcaire  blanc,  qu'on  exploita  probablement  dans  l'intérêt 
d'Héliopolis  et  de  Memphis8.  Calcaire  et  granit,  Thèbes  en  eut  sa  part 
et  Amon,  dont  le  sanctuaire  n'avait  pas  excédé  jusqu'alors  les  proportions 
modestes  qui  convenaient  à  un  dieu  de  province,  posséda  enfin  un  temple 
qui  l'égala  aux  plus  nobles  divinités  féodales.  Il  avait  eu  des  débuts  pénibles  : 
Montou,  le  maître  d'Hermonthis  l'Aounou  du  midi,  l'avait  compté  au  nombre 
de  ses  dieux-liges  et  ne  lui  avait  accordé  d'abord  que  la  propriété  du  bourg 
de  Karnak.  La  fortune  imprévue  des  Antouf  l'avait  tiré  de  son  obscurité  : 
il  n'avait  pas  détrôné  Montou,  mais  il  avait  partagé  avec  lui  les  hommages 
de  tous  les  villages  voisins,  Louxor,  Médamout,  Bayadiyéh,  et,  de  l'autre 
côté  du  Nil,  Gournah  et  Médinét-Habou.  L'avènement  de  la  XIIe  dynastie 
assura  son  triomphe,  et  fit  de  lui  le  personnage  le  plus  puissant  de  l'Egypte 
méridionale.  C'était  un  dieu-terre,  une  forme  du  Minou  qui  régnait  à  Coptos, 
à  Àkhmîm  et  dans  le  désert4,  mais  il  s'était  promptement  allié  au  Soleil, 
et  il  avait  dès  lors  assumé  le  nom  d'Amon-Râ.  Le  titre  de  souton  noutîrou 
qu'il  y  joignait  aurait  suffi  seul  à  témoigner  de  l'âge  relativement  récent 
où  sa  notoriété  avait  percé  :  le  dernier  venu  des  grands  dieux,  il  employait 
pour  exprimer  sa  souveraineté  ce  mot  de  souton,  roi,  qui  désignait  les 
maîtres  de  la  vallée  depuis   la  réunion  des  deux  Égyptes  sous  le  nébuleux 

1.  Sur  l'obélisque  de  Matariéh,  cf.  S.  dr  Sacy,  Relation  de  V Egypte  par  Ahd-Allatif,  p.  180-181, 
225-229,  où  sont  cités  plusieurs  passages  d'auteurs  arabes,  relatifs  à  l'histoire  des  ruines;  l'autre  obé- 
lisque, dont  on  voit  encore  quelques  débris,  tomba  ou  fut  renversé  en  1160  de  J.-C.  Les  inscriptions 
sont  reproduites  dans  Bu r ton,  Excerpta  Hieroglyphica,  pi.  XXVIII;  Roskllini,  Monumenti  Storici, 
pi.  XXV,  1;  Lepsius,  Denkm.,  II,  118  h.  Beaucoup  de  pierres  provenant  d'Héliopolis  et  de  son  temple 
ont  été  encastrées,  à  diverses  époques,  dans  les  murs  des  principaux  monuments  du  Caire,  notam- 
ment dans  la  mosquée  du  Khalife  Hakem  :  l'une  d'elles,  qui  sert  de  seuil  à  la  mosquée  de  Shàaban, 
porte  le  cartouche  d'Ousirtasen  ^(Wiedeman.n,  jEgyptische  Geschichle,  p.  243). 

2.  Lepsils,  Denkm.,  II,  118  d,  et  Golemscheff,  Résultats  épigraphiques  d'une  excursion  à  VOuady 
Hammamât  (Extrait  des  Comptes  rendus  de  la  Société  Russe  d* Archéologie),  pi.  VIII,  qui  a  donné  un 
texte  plus  complet  que  celui  de  Lepsius;  cf.  Maspero,  Sur  quelques  inscriptions  du  temps  d' Amènent- 
huit  Ier  au  Ouady  Hammamât,  p.  1  sqq.,  où  le  texte  assez  difficile  à  lire  et  à  interpréter  de  ce 
document  a  été  traduit  et  commenté  dans  le  détail. 

3.  Perrisg-Vyse,  Opérations  carried  on  at  the  Pyramids  in  1837,  t.  111,  planche,  et  p.  04  ;  Lepshs, 
Denkm.,  II,  143  t,  où  la  date,  inscrite  au  sommet  de  la  stèle,  manque  complètement. 

4.  Cf.  p.  90  de  cette  Histoire  et  p.  148  une  figure  de  limon  thébain,  coiffé  du  mortier  à  plumes. 


LES  AGRANDISSEMENTS  UE  THÊBES.  SOT 

Mènes'.  Seul  d'abord,  il  s'était  associé  en  mariage  une  déesse  vague  et  ma) 
définie,  qui  s'appelait  Maout,  Moût,  la  mère,  et  qui  n'adopta  jamais  un  nom 
plus  personnel  :  le  dieu  fils  qui  compléta  cette  triade  fut,  dans  les  premiers 
temps,  Montou,  mais  plus  tard  un  être  secondaire,  qu'on  alla  chercher  parmi 
les  génies  chargés  de  veiller  sur  les  jours  du  mois  ou  sur  les  étoiles,  Khonsou. 


Amenemliàit  I"  jeta  les  fondations  du  temple  où  le  culte  d'Anton  s'abrita 
jusqu'aux  derniers  jours  du  paganisme1.  L'édifice  était  soutenu  de  colonnes 
polygonales  à  seize  pans,  dont  quelques  fragments  subsistent.  Il  avait  encore 
des  dimensions  médiocres,  mais  il  était  construit  avec  des  matériaux  de 
choix,  grès  et  calcaire,  et  décoré  de  bas-reliefs  exquis.  Ousirtasen  1"  l'élar- 
git1 et  bâtît  au  grand  prêtre  une  belle  maison  à  l'ouest  de  l'étang  sacré5. 

1.  lltspKWi,  Étude»  Egyptienne*,  I.  Il,  p.  13-1",  et  Et  iule*  de  Mythologie  cl  d'Archéologie  Égyp- 
tienne*, l.  Il,  p.  111-11. 

t.   Dettin  de  Boudier,  d'apri*  mir  p/intm/mphir  d'intiitgrr. 

3.  Wiwissoï,  Modem  Egypt  and  Ihetnt,  l.  11,  p.  ïiH;  ce»  débris  ont  disparu  aujourd'hui (Harikiik, 
Karnak,  p.  .11).  Si  le  morceau  a  de  Mahikitk,  Kamnli,  pi.  VIII,  se  rapportait  au  règne  d'Ainencm- 
hall  I",  l'an  XX  pourrait  être  considéré  ivw  vraisemblance?  comme  la  date  probable  lie  la  fondation, 
lue  statue  cil  granit  rose  du  souverain  (JI.tiur.TTE,  Karnak,  pi.  VIII,  rf,  et  p.  41),  ainsi  qu'une  table 
d'offrandes  dédiée  par  lui  (/rf.,  pi.  VIII,  r,  et  p.  11-1*1,  ont  été  di-ronvnrU-s  dans  le  voisinage  de  ce 
Fragment,  cl  contribuent  à  rendre  vraisemblable  l'attribution  qu'on  en  fait  au  régne  d'Amcncmhàit  I". 

4.  Son  nom  est  gravé  sur  plusieurs  morceaux  de  colonnes (JUmktik,  Karnak,  pi.  VIII  h-c  cl  p.  41), 
ainsi  que  sur  une  table  d'offrandes  conservée  aujourd'hui  au  Musée  de  Giiéh  (Viïkt,  Notice  de* prin- 
cipaux monument*  eipoiés  au  Mutée  de  tiiiéh,  p.  41,  a°  131). 

5.  HtRtr.iTi,  Karnak,  pi.  XL  et  p.  GÏ-G3;  E.  de  lloiinr.  Elude*  de*  Monument*  du  Ma»* if  de  Karnak, 
dans  les  Mélange*  d'Archéologie  Egyptienne  et  Aagrienne,  I.  I,  p.  38-30. 


508  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

Louxor1,  Zorit8,  Edfou',  Hiéracônpolis,  El-Kab  \  Êléphantine B,  Dendérah0, 
se  partagèrent  la  faveur  des  Pharaons;  la  ville  auguste  d'Abydos  devint 
l'objet  de  leur  prédilection  spéciale.  Sa  réputation  de  sainteté  s'était  accrue 
sans  arrêt,  depuis  les  Papi  :  son  dieu  Khontamentît,  identifié  avec  Osiris, 
avait  conquis  par  l'Egypte  du  Sud  un  rang  aussi  haut  que  celui  de  l'Osiris 
Mendésien  dans  l'Egypte  du  Nord.  On  adorait  en  lui  le  souverain  des  sou- 
verains des  morts,  celui  qui  réunissait  autour  de  lui  et  qui  accueillait  sur 
ses  domaines  le  plus  de  sujets  appartenant  à  des  cultes  différents.  Son  sépul- 
cre, ou  plutôt  la  chapelle  qui  simulait  son  sépulcre,  et  où  l'on  conservait 
une  de  ses  reliques,  était  édifié  sur  le  toit  comme  partout7.  On  y  accédait  par 
un  escalier  ménagé  au  flanc  gauche  du  sanctuaire  :  les  théories  solennelles 
des  prêtres  et  des  dévots  le  montaient  lentement  au  chant  des  hymnes  funè- 
bres, les  jours  de  la  passion  ou  de  la  résurrection  d'Osiris,  et  là,  sur  la 
terrasse,  à  l'écart  du  monde  vivant,  sans  autres  témoins  que  les  astres  du 
ciel,  les  fidèles  célébraient  mystérieusement  les  rites  de  la  mort  et  de  l'em- 
baumement divins.  Les  féaux  (VOsiris  accouraient  en  foule  à  ces  fêtes,  et  se 
plaisaient  à  visiter  une  fois  au  moins  pendant  leur  vie  la  cité  où  leur  âme 
devait  se  rendre  après  la  mort,  afin  de  se  présenter  à  la  Bouche  de  la  Fente 
et  de  s'y  embarquer  sur  la  bari  de  leur  maître  divin  ou  sur  celle  du  Soleil. 
Us  laissaient,  sous  V escalier  du  dieu  grand,  une  sorte  de  tombeau  fictif  auprès 
de  la  tombe  fictive  d'Osiris,  une  stèle  qui  éternisait  le  souvenir  de  leur  piété 
et  qui  servait  comme  d'hôtellerie  à  leur  âme,  quand  celle-ci  revenait  par  la 
suite  au  lieu  de  ralliement  de  toutes  les  .âmes  osiriennes8.   L'affluence  des 

1.  Virf.y,  Police  des  principaux  Monuments  exposés  au  Musée  de  Gizéh,  p.  44,  n°  136.  Table 
d'offrandes  au  nom  d'Ousirtasen  III,  trouvée  en  1887  dans  les  fouilles  de  Louxor. 

2.  Table  d'offrandes  au  nom  d'Ousirtasen  Ier,  découverte  à  Zorlt-Taoud  en  1881  (Maspkro,  Soles  sur 
différents  points  de  Grammaire  et  d'Histoire,  dans  la  Zeitschrift,  1882,  p.  123). 

3.  Une  inscription  du  grand  temple  d'Horus  mentionne  les  travaux  d'un  Amenemhàlt  et  d'un  Ousir- 
tasen  à  Edfou,  sans  ajouter  aux  cartouches-noms  les  cartouches-prénoms  (Brigsch,  Drei  Feslkalcndev 
von  Apolline  polis  Magna,  pi.  IV,  I.  23)  :  il  s'agit  probablement  d'Amencmhàtt  I"  et  d'Ousirtasen  I". 

\.  MtiRRAY-WiLKiNsoN,  Handbook  of  Eyypt,  p.  508  :  je  n'ai  pas  retrouvé  ces  fragments.  M.  G  ré  haut 
découvrit  à  El-Kab,  en  1891,  un  sphinx  semblable  à  celui  qui  est  reproduit  p.  503  de  cette  Histoire 
(Virky,  Notice  des  principaux  Monuments  exposés  au  Musée  de  Gizéh,  p.  45,  n°  139). 

5.  Birch,  Tablets  of  the  XlVh  Dynasty,  dans  la  Zeitschrift,  1875,  p.  50-51. 

ti.  Dûmichen  a  signalé,  dans  la  maçonnerie  du  grand  escalier  Est  du  temple  actuel  d'Hàthor,  une 
pierre  qui  provient  du  temple  antérieur,  et  qui  porte  le  nom  d'Amencmhàtt  (Dauurkunde  der  Tetn- 
pelantagen  von  Dendera,  p.  19;  Mariette,  Dendérah,  Supplément,  pi.  II,  e);  un  autre  fragment, 
découvert  et  publié  par  Mariette  {Dendérah,  Supplément,  pi.  H,  f),  montre  qu'ici  encore  il  s'agit 
d'Amenemhâît  l"r.  Les  constructions  de  ce  prince  à  Dendérah  devaient  être  assez  considérables,  s'il 
faut  en  juger  par  les  dimensions  de  ce  dernier  morceau,  qui  est  un  linteau  de  porte. 

7.  C'est  ce  tombeau  qui  est  cité  par  Plntarque  (De  Iside  et  Osiriile,  §  20,  édit.  Parthey,  p.  31), 
et  que  Mariette  chercha  si  longtemps  en  vain,  pensant  qu'il  était  construit  sur  le  sol  même  et  non 
sur  la  terrasse  du  temple  (Maspkro,  dans  la  lievue  Critique,  1881,  I.  I,  p.  83). 

8.  Les  inscriptions  constatent  en  effet  pour  beaucoup  de  ces  stèles  votives  qu'elles  étaient  dépo- 
sées sous  Vesealier  du  dieu  grand,  et  qu'elles  étaient  considérées  comme  représentant  le  tombeau 
entier  (Maspero,  Etudes  Égyptiennes,  t.  I,  p.  127-129)  :  de  là,  la  croyance,  courante  à  l'époque  grecque. 


LES  TEMPLES  D'ABYllOS!  50» 

pèlerins  enrichit  la  population,  le  trésor  sacerdotal  se  gonfla,  et  d'année  en 
année  le  temple  d'autrefois 
ne  suffît  plus  aux  besoins 
de  la  religion.  Ousirtasenl1'" 
voulut  remédier  à  cette 
situation  '  :  il  dépêcha  un  de 
ses  grands  vassaux,  Mont- 
hotpou,  pour  surveiller  les 
travaux'.  Un  distingue  les 
arrasements  du  portique  en 
calcaire  blanc  qui  bordait  la 
cour  d'honneur,  et,  adossés 
aux  restes  des  piliers  carrés 
qui  le  soutenaient,  des 
colosses  de  granit  rose  de- 
bout, le  bonnet  osirien  au 
front,  les  pieds  posés  sur 
les  XeufArcs,  symbole  des 
ennemis  vaincus  ;  le  moins 
endommagé  représente  le 
fondateur',  mais  plusieurs 
autres  figurent  ceux  de 
ses  successeurs  qui  s'inté- 
ressèrent au  temple*.  Mont-  «hbmim  i"  t>'mi>M*. 
hotpou  creusa  un  puits 
que  les   infiltrations  du    Ml    alimentaient   abondamment.  Il   élargit  et   cura 

d'après  laquelle  les  plu*  riche»  des  f-K>  ptïetis»  se  seraient  fa  il  nu  (errer  à  AI>yilos  .  parée  qu'il*  e~li- 
menl  n  honneur  de  reposer  aupré*  ilu  tombeau  d'Osirïs  •  {De  Ilide  et  Osiride.  g  îll.  éd.  Paatiiei, 
p.  31).  I.ei  Grec*  confondaient  hit  u»  hipn^éc  réel  les  stèles  repri'-senLilives  .le  l'hypogée,  que  les 
Égyptien  déposaient  dêiotement  pré*  île  I  i-waticr  qui  raenail  au  reposoir  d'Osïrin. 

I.  La  fondation  e.i  altnhui ■■■  a  <i  i.;ri..-. n  I"  par  Amonisonbou  qui  restaura  le  temple  sous  le  Pha- 
raon Poiirrl  de  la  XIII*  dynastie  [Slele  C  IS  du  Louvre,  I.  U-10;  cf.  1'.  HR  lluimn:t.  Sur  deux  ttèle»  de 
F  Ancien  Empire,  dan.  Caini'.  .Wtaoyet  Kgyplologiquet,  3-  série,  I.  11.  p.  *IS,  ill7,  411). 

t.  La  slêlc  de  Sonlhot|Hiu  (Vi»n,  fîulire  tlrt  principaux  Monument'  amierrr'i  au  Mutée  de  Gîirh, 
p.  38,  n-  lin)  a  Clé  publiée  par  Wan-llr  [Abydot.  1.  Il,  pi.  XXIII),  par  K.  cl  J.  de  llougé.  {Inscription* 
liiérogli/plnqnet.  |il  iXiJII-O.CH  ).  |.ar  liarrssj {Remarque*  et  .Yofri,  dan*  le  Heriieii  de  Travaux, 
t.  IX,  v  Ml-ll:i):  la  face  anleri*ure  dan.  Brue.sch  [Kmchickle  .Vgypteiu.  p.  \M  !  33  j  et  dans  Lu  «hindou 
{The  Slete  of  Meatahotrp.  nui  Jramathoutof  the  Society  <if  Hiblicat  Arrlirotngy.  L\l\l.  p   3ï3-:W!ij. 

3.  Il  a  elo  transporté  .-n  IRM  a  Moula.)  (W.biktte,  Sotice  det  principaux  Monument*.  1804,  p.  Ï8K, 
ri"  3,  Abydm.  t  II.  |<l  \XI»->.  el  Catalogne  Géuérot,  p.  f.\,  n°  31".;  Ilwui.k  liuii.i:,  Album  photogra- 
phique de  la  .Vix-ion  uV  M  J-   It.moe.  »■■  1 1  l-l  lï). 

4.  Colosse  d'Oviirta*™  III  (H.hinii.  Abydat,  t.  Il,  pi.  XXI  d,  et  Catalogne  Général.'?.  *'.i.  n-  34<i). 

5.  Iletfi  de  ruo-hcrtladiu.  d'api*»  I"  photographie  de  M.  de  Banville  (er.  B.ixviLLK-llorirt,  Album 
photographique  de  la  ffioinn  de  .11   de  llmigr,  n"  111-112). 


Mil  LE  PREMIER   EMPIRE  TUERAIS. 

le  lac  sacré  sur  lequel  les  prêtres  lançaient  l'arche  sainte,  la  nuit  des  grands 
mystères1.  Les  alluvions  de  cinquante  siècles  ne  l'ont  pas  comblé  entièrement  : 
c'est  aujourd'hui  un  étang  aux  contours  irréguliers,  qui  se  dessèche  en  hiver, 
mais  se  remplit  promptement  dès  que  l'inondation  gagne  le  village  d'EI- 
Kharbéh.  Quelques  pierres  rongées  de  salpêtre  tracent  vaguement  la  ligne 
des  quais,  un  bois  épais  de  palmiers  encadre  les  berges  au  nord  et  au  sud, 
vers  l'ouest  la  vue  est  libre  et  porte  jusqu'à  l'entrée  de  la  gorge  par  la- 
quelle les  âmes  partaient  à  la  recherche  du  paradis  ou  de  ta  barque  solaire. 


Les  buffles  viennent  boire  et  se  baigner  à  midi  où  flottait  la  hari  dorée 
d'Usiris,  et  le  bourdonnement  des  abeilles  échappées  aux  vergers  voisins 
trouble  seul  le  silence,  dans  ces  lieux,  où  les  lamentations  rythmées  des 
pèlerins  résonnaient  jadis. 

La  ville  où  les  premiers  Pharaons  théhains  résidaient  de  préférence  en 
temps  de  paix,  Héracléopolis  la  Grande,  dut  être  une  de  celles  qu'ils  s'ap- 
pliquèrent à  décorer  avec  amour  de  monuments  somptueux.  Elle  a  malheu- 
reusement souffert  plus  que  toute  autre,  et  elle  n'offre  plus  à  nos  regards, 
outre  les  débris  misérables  de  quelques  édifices  d'époque  romaine,  qu'un 
bout  de  colonnade  barbare  sur  le  site  d'une  basilique  byzantine  presque 
contemporaine  de  la  conquête  arabe,  l'eut-ètre  les  buttes  énormes  qui  recou- 
vrent son  emplacement  recèlent-elles  encore  les  restes  de  ses  temples 
antiques.  Nous  ne  possédons  pour  juger  de  ses  splendeurs  que  des  men- 
tions  éparses  dans   les   inscriptions.    Nous   savons    par   exemple   qu'Ousir- 

1.  lutcription  de  MonthotpOU,  rcclo,  I.  ai,  au  Musée  de  fii/oli. 

t.  Demi»  île  Boudier,  d'âpre*  vue  photographie  d'Emile  llrugtdl-liey,  prise  eu  lëKi. 


HÊBACLEOPOI.IS  LA  (IRA  NUE,  ni  I 

tasen  111  remania  le  sanctuaire  de  Ilarshàfitou,  et  qu'il  envoya  des  expé- 
ditions à  l'Ouady  Hammamàt  pour  extraire  des  blocs  de  granit  dignes  de 
son  dieu'  :  mais  l'œuvre  de  ce  roi  et  de  ses  successeurs  a  sombré  dans  la 
ruine  complète  de  la  ville  antique.  Du  moins  quelque  chose  a-t-il  subsisté 
de  ce  qu'ils  firent  au  Fayoum,  cette  dépendance  traditionnelle  d'Héracléo- 
polis1  :   le    temple   qu'ils  rebâtirent  au   dieu   Sobkou  dans  Shodit  demeura 


célèbre  jusque  sous  les  Césars  romains,  inoins  peut-être  par  la  beauté  de 
l'architecture  que  par  la  singularité  des  scènes  religieuses  qui  s'y  passaient 
journellement.  Le  lac  sacré  contenait  une  famille  de  crocodiles  apprivoisés, 
image  et  incarnation  de  la  divinité,  que  les  dévots  nourrissaient  de  leurs 
offrandes,  gâteaux,  poissons  grillés,  liqueurs  édulcoréos  avec  du  miel. 
On  profitait  du  moment  où  l'une  des  bètes,  vautrée  sur  ia  rive,  se  chauffait 
délicieusement  au  soleil  :  deux  prêtres  lui  ouvraient  la  gueule,  un  troisième 
y  jetait  les  gâteaux,  puis  la  friture,  enfin  la  boisson.  Le  crocodile  se  laissait 
faire   sans  sourciller,  engloutissait  sa    provende,   puis   plongeait  et  gagnait 

I.  Expédition  en  Tan  XIV  d'Ousii-tascn  III  (Unucs,  Denkm.,  Il,  p.  130  a).  Les  fouille*  de  «avilie 
ont  fourni  de»  débris  su  nom  d'Ousirtasen  II  (Ahnot-rl-Medweh,  p.  ï,  IU-U,  pi.  I,  é-e). 

ï.  Groupe  deslatuos  représentant  Amcnembalt  I",  découvert  à  Shodit  (I.eixiis,  Deukm.,  Il,  HRe-/-). 
et  mention  de  dons  faits  au  temple  de  Sobkou  par  ce  prince  (I>n»ll,  Itlahuu,  Kahuu  and  Curât., 
[i  l'j-iïu).  K\|)ùiiition  au  Val  de  llainmamàt  en  l'an  XIX  d'Amenemliâll  III  :  le  roi  lui-même  va  chercher 
la  pierre  nécessaire  aux  monuments  de  Sobkou,  ma  lire  de  Shodit  (Lmiis,  Ilenkm.,  11.  138  a;  cf.  138  b). 
(L'uni  probablement  k  ce»  travaux  que  ne  rapporte  le  lambeau  d'inscription  conservé  sur  un  fragment 
de  colonne  (Lfpsui*.  Deukm.,  II.  118  g),  et  d'après  lequel  un  roi,  non  nommé,  niais  <|iii  app:iriii-rit 
certainement  a  la  XII-  dynastie,  éleva  une  sa  Mo  llypostylc  dans  le  temple  do  sou  père  Sobkou. 

3.   lirttiu  de  llouilier,  itaprèt  une  photographie  île  lloliriiîtc/ir/f. 


LE  PREMIER   EMPIRE  TUERAIS. 


paresseusement  l'autre  berge,  dans  l'espoir  toujours  trompé  d'échapper  un 
moment  à  la  libéralité  de  ses  fidèles.  Dès  que  l'un  de  ceux-ci  survenait,  on 
allait  le  relancer  à  son  poste  nouveau  et  on  l'empâtait  de  la  même  manière*. 


Ces  animaux  étaient  d'ailleurs  fort  élégants  en  leur  genre  :  on  leur  pendait 

aux  oreilles   des  anneaux  d'or  ou   de  terre  entaillée  et  on   leur  rivait   des 

bracelets  aux  pattes  de  devant'.   Les  monuments  de   Shodîl,  s'il  en  existe 

encore,     sont   ensevelis    sous    les 

buttes  de  Médinét  el-Fayoum,  mais 

on  rencontre  dans  le  voisinage  plus 

d'un  souvenir    authentique    de  la 

XII"  dynastie.  Ousirtasen  1"  érigea 

ce   curieux    obélisque    en    granit, 

plus  long  que  large  et  arrondi  au 

sommet,    dont    les   pièces    gisent 

oubliées  à  terre  près  du  village  de 

Bégig  :  une  sorte  de  cuvette  s'est 

creusée  autour  de  lui,  qui  se  remplit  au  temps  de  l'inondation,  et  il  baigne 

dans  une  mare  d'eau  trouble  la  meilleure  partie  de  l'année.  11  a  perdu  la 

plupart  de  ses  inscriptions  à  ce  régime;  on  y  aperçoit  pourtant  cinq  étages 

de  tableaux   où  le  roi  tend   l'offrande  à  diverses  divinités1.  Il  y  avait  près 

I.   Simn.ii,  XVII,  |).  DU;  cf.  ItioiHm»:  de  Skue.  I,  Si. 

i.  Destin  tir.  Faiirhri-thidÎH,  d'apret  une  photographie  d'Emile  llmgicli-Bry.  priie  rn  /KK.i.  I.'iiri- 
fiiial  en  granit  noir  est  aujourd'hui  conservé  au  Musée  rlu  Berlin,  il  représente  lin  des  crocodile* 
sacré*  doiil  parle  Slrabon  ;  on  lil  sur  lu  base  une  inscription  grecque  en  l'honneur  de  Ptolémée  Néos 
Dionysos,  dnns  laqurlli;  est  iiiciilinmiK  h-  imrii  Prli-xnuhhiix.  le  dieu  ijratid,  de  l'animal  divin  (Wucsi.n. 
lier  Lalnjrinthrrbauer  Petemkkn',  dans  la  ZeiUekrift,   IB8IÎ,  p.  136). 

a.   lltiROMTE,  II.  Mit;  ef.  Witmiim,  Hérodol'i  Zneite*  lluch,  p.  Î8S-304. 

i.  Orui'u  île  llcudier.  /Taper»  une  photographie  de  Goléiiitcheff. 

5.  IliBiSTiK,  Itenriplioii  de  l'Obélisqut  de  ISequy,  auprès  de  l'ancienne  Croeodilopoli»,  dans  la 
Description  de  l'Egypte,  t.  IV,  p.  SlT-iili.  l.'Oliélisque  est  reproduit  dans  la  Deirriplioii  de  l'Egypte. 
Ant.,  IV,  pi.  L\\\,  dans  Bcmos,  E.nrrpta  llieroglyphica,  pi.  XXIX.  et  dans  Ursirs,  Dcntm  ,  II.  lia. 


s  débris  de  l'osélisqub 


LES  CHAMPS  ET  LES  EAt'X  DU  FAYOUM.  513 

de  Biahmou  un  vieux  temple  tombé  en  ruines1  :  Amenemhàit  111  le  releva  et 
dressa  en  avant  deux  de  ces  statues  colossales  que  les  Egyptiens  plaçaient 
aux  portes,  comme  des  sentinelles  qui  écartaient  les  influences  pernicieuses 
et  les  esprits  mauvais.  Elles  étaient  en  grés  rouge,  assises  très  haut  sur  un 
piédestalde calcaire,  à  l'extrémité  d'une  cour  rectangulaire;  les  murs  cachaient 


la  partie  inférieure  du  socle,  et  le  tout  semblait  une  plate-forme  légèrement 
inclinée,  qu'elles  dominaient  de  leur  masse'.  Hérodote,  qui  les  aperçut  de 
loin,  au  temps  de  l'inondation,  crut  qu'elles  se  trouvaient  au  milieu  d'un  lac 
et  qu'elles  couronnaient  chacune  une  pyramide'.  La  reine  Sovkounofriourî 
elle-même  a  laissé  près  d'illahoun  quelques  traces  de  son  règne  écoiirté". 

t.  L'existence  de  ce  (cm  pie,  dont  !:■  fondation  pouvait  remonter  nu*  dynasties  héracléopolilaines  ou 
au%  djnastics  mernphitcs,  est  prouvée  par  un  fragment  d'inscription  (PeTiIK.  Haicara,  Biahmu  and 
Anittoe,  pi.  XXVII,  I)  dans  lequel  le  roi  Amenemhalt  III  déclare  •  qu'il  trouva  l'édifice  marchant  vers 
•  la  ruine,  cl  qu'il  ordonna  •  soit  de  le  restaurer,  soit  d'en  bâtir  un  nouveau. 

3.  Deitîn  de  Fauehcr-Gudiii ,  d'aprèt  le  major  Broa-a  (cf.  The  Fayùm  and  lake  itierit,  pi.  XXII), 

3.  Les  ruines  de  Uialimou  étaient  au  ivn"  siècle  en  m:>iiis  mauvais  étal  qu'elles  ne  sont  aujour- 
d'hui :  Vansleb  [Nouvelle  Relation  en  forme  de  journal  d'un  Voyage  fait  en  Egypte  en  1612  et  en 
/S7.),  p.  itk>)  assure  qu'on  y  voyait  encore  un  colosse  de  granit  sans  tète,  dehoul  sur  sa  base,  et  cinq 
piédestaux  plus  petits,  ce  que  Paul  Lucas  répète  avec  son  exagération  naturelle.  Les  ruines  ont  été 
décrites  par  Joinai-il  iDeacriplioii  deë  ruines  a" Arsinoe,  dans  la  Deicription  de  l'Egypte,  t.  IV.  p.  417) 
et  fouillées  récemment  par  Pétrie,  qui  en  a  rétabli  le  plan  cl  l'histoire  (llaicara,  Biahmu  and 
Aninne,  p.  53-3li,  pi.  XXVI-XXVII  ;  cf.  Huons,  The  Fayùm  and  l.ake  Mtrri*.  p.  "C-77.  H5-87). 

i.  HtnouoTE,  ni.it;  cf.  Wihhhi.is,  llerodols  Zwcitex  llne/i,  p.  riHI-j.l.'i.  nindure  de  Sicile  ajoute  que 
l'une  des  pyramides  passait  pour  appartenir  au  roi,  et  l'autre  à  sa  femme  (1,  jî). 

j.  Fragments  de  colonnes  portant  son  nom  à  cdlé  du  prénom  de  son  père  Aincneinhill  III  (Lcpsii  ", 


SU  LE  PKEMIErl  EMPIRE  TIIÉHAIN. 

Le  Favoum  justifie,  par  sa  douceur  et  par  sa  fertilité,  la  prédilection  dont 
les  Pharaons  de  la  XII''  dynastie  l'honorèrent '.  Il  se  déploie  au  sortir  des 
gorges  d'illahoun,  comme  un  vaste  amphithéâtre  d'agriculture,  dont  les  gradins 
vont  descendant  vers  le  nord  et  se  perdent  sous  les  eaux  mornes  du  fiirkét- 
Kéroun.  Deux  ravins  profonds  l'isolent  à  droite  et  à  gauche  des  montagnes 
auxquelles  il   s'adosse,    tout    encombrés   de   saules   et  de    tamarisques,  de 


mimosas  et  d'acacias  épineux.  Sur  la  crête,  des  terres  à  blé,  de  la  dourah, 
du  lin  alternent  avec  des  palmiers,  des  grenadiers,  de  la  vigne,  des  oliviers 
presque  inconnus  dans  le  reste  de  l'Egypte.  Sur  les  versants,  un  mélange  de 
labourés  et  de  bois  étages  irrégulièrement,  des  champs  fermés  de  haies,  des 
futaies  dont  les  tètes  verdoyantes,  ici  plus  pressées,  là  plus  claires,  fuient 
en  moutonnant  l'une  au-dessous  de  l'autre.  Une  sorte  de  réservoir  naturel, 
qui  embrassait  Shodît  de  trois  côtés  et  qui  en  faisait  une  presqu'île  à  peine 
reliée   au   continent    par   une    digue    mince,   recevait    la   crue    et   l'emma- 

[Iricfc  nui  .f'gyptcn,  ».  74  squ,.,  Dciikm.,  11.  140,  e-f,  A.  Pktri£.  Ilawara,  Biahmu  and  Ariinnr, 
pi.  XXVII,  li;  cf.  Pétrie,  Entait,  Gnrob  and  Haœara,  pi.  XI,  1).  Pétrie  pense  que  1rs  colonnes  de 
li  XII*  dynastie  découvertes  par  Naville  à  lléracléopolis  proviennent  do  Labyrinthe,  ruais  il  n'est  pas 
nécessaire  de  le  supposer  :  les  rois  de  la  XII'  dynastie  ont  construit  assez  de  monuments  à  llénassiéli 
pour  i|iic  les  restes  dVdilir.cs  où  l'on  trouve  leur  nom  n'aient  pas  été  apportés  du  dehors. 

I.  Sur  le  Fayoum.  voir  Jimiiin,  lte«rrijili/in  de*  i-rfliijm  rl'.iriinoé  ™  t'.rocoditopoii*  (dans  la  [leicrip- 
timi  de  [Egypte,  l.  IV,  p.  437-45(1)  et  Mémoire  cur  le  lac  Maris  (dans  la  Description  de  l'Egypte,  t.  VI, 
|i.  l'.',m,-\r,-lj,  imis.iliiii'icrsuieriiici-s  temps,  BcHwEim'nTli  liriie  i»  dm  DiprcësimiMgcbict  un  i'mtreite  dei 
r'ojum  im  Jmiuar  WKG  (dans  la  ZcUtchrifl  der  Gcxclltchaft  fiir  Erdclnmde  :u  Berlin.  1R8C,  n'  i), 
ui'i  bcoiistitnlioii  (.'(''.ilo|:ii|uv  tlij  jiayii  o:4  élu  il  ire  un  un  soin  minutieux,  enfin  l"oiiM-.-i):e  du  major  Baowx. 
The  e'ayûm  aud  Lakc  ilirrU,  où  les  questions  relatifs  ii  l'histoire  de  la   province  sont  discutées. 

t.  Ueiiiu  de  Iloudicr,  d'aprit  une  photographie  de  livlciiitihtff. 


LES  PHARAONS  OE  LA  XII'  DYNASTIE  AU  FAYOUM.  313 

gasinait  on  automne.  Mille  filets  d'eau  s'en  détachaient,  non  seulement  des 
canaux  et  des  rigoles  semblables  à  celles  qu'on  rencontre  dans  la  vallée,  mais 
de  véritables  ruisseaux  vivants,  murmurants,  dévalant  à  grand  train  entre 
les  arbres,  étalés  en  nappes  sur  les  pentes,  et  tombant  par  endroits  en 
petites  chutes  comme  les  ruisseaux  de  nos  contrées,  mais  appauvris  en  che- 


min par  des  saignées  fréquentes  et  le  plus  souvent  absorbés  par  le  sol  avant 
d'arriver  au  lac  :  ils  entraînent  dans  leur  course  une  partie  du  terreau  accu- 
mulé par  les  inondations,  et  contribuent  ainsi  à  l'exhaussement  des  fonds.  Le 
Itirkéh  se  gontle  ou  diminue  selon  les  saisons'.  M  s'étendait  autrefois  plus 
loin  qu'il  ne  fait  maintenant,  et  la  moitié  des  cantons  qui  l'avoisinent  furent 
recouverts  par  ses  flots.  Ses  rives  septentrionales,  solitaires  et  incultes 
aujourd'hui,  participaient  alors  aux  bienfaits  de  l'inondation  et  nourrissaient 

t.  Dcm'n  de  Fanclirr-Gudin.  d'opret  un*  photographie  du  major  Biwrn  (cf.  The  Fayùm  and  l,ake 
Nœrii,  pi.  XV). 

1.  On  trouvera  la  descriplion  des  bords  du  lac  dans  JomRD.  Mémoire  lur  le  lac  Maru  (dans  la 
Description  de  t'Êgijptr,  l.  VI.  p.  IC*-104).  et  StlWlUTliTE,  Jteite  in  dat  DejirCttioifgebict,  p.  31  a^q. 


516  LE  PREMIER    EMPIRE  THEIÏAIN. 

une  population  civilisée.  On  y  rencontre  encore  sur  bien  des  points  les  restes 
de  villages  et  de  murs  en  pierres  sèches;  même  un  petit  temple  a  échappé 
à  la  ruine  et  persiste  à  peu  près  intact  au  milieu  du  désert,  comme  pour 
indiquer  la  limite  extrême  du  territoire  Égyptien.  On  n'y  lit  aucune  inscrip- 
tion, mais  la  beauté  des  matériaux  et  la  perfection  du  travail  nous  portent  à 
en  attribuer  la  construction  à  quelque  prince  de  la  XII*  dynastie.  Une  chaussée 
antique  mène  de  son  parvis  à  l'endroit  où  le  lac  affleurait  peut-être  jadis1. 


L'affaissement  continu  du  niveau  a  laissé  ce  monument  isolé  sur  la  corniche 
du  plateau  libyque,  et  toute  la  vie  s'est  retirée  de  la  région  qu'il  commande 
pour  se  concentrer  sur  les  rives  méridionales.  Là,  les  rives  sont  basses  et 
s'immergent  par  une  dépression  presque  insensible.  Les  eaux  découvrent  en 
hiver  de  longues  plages,  durcies  d'une  croûte  de  sel  très  blanche,  sous 
laquelle  des  abîmes  de  boue  et  des  sables  mouvants  se  dissimulent  de  loin 
en  loin.  Sitôt  après  l'inondation,  elles  regagnent  en  quelques  jours  tout 
le  champ  qu'elles  avaient  perdu  :  elles  envahissent  les  buissons  de  tamarisques 
qui  croissent  sur  les  bords,  et  mettent  autour  de  la  province  une  ceinture  de 

1.  Ce  temple  a  été  découvert  ji.-ir  Schv-einfurth  on  IHKt  (cf.  Ileise  in  dot  Depretiionigebiel  im 
Vinkrritr  de*  Fajums  im  Januar  iSKS.  eslrait  <lc  In  '/.eitichrift  fiir  (letelUrhaft  fur  F.rdkunde  ;u 
Berlin,  1XKI1,  |>.  48  »qt|.) ;  il  a  clé  visité  depuis  lors  par  Kl.  l'uni e,  Trn  Year*  Digging  in  Egypl, 
p.  104-tuu,  et  par  le  Major  Bnow.,  The  Fayùm  and  Lakc  Mari*,  p.  5Î-M  et  pi.  XIV-XYI. 

t.   Ileitin  de  lloudier.  tfaprè*  une  photographie  de  Gotr~ni*cheff. 


MEMPHIS  ET  LES  PYRAMIDES  DE  DAHSIIOUR.  517 

marais  herbeux  où  les  canards,  les  pélicans,  les  oies  sauvages,  vingt  espèces 
d'oiseaux  s'ébattent  et  nichent  par  milliers.  Les  Pharaons,  las  du  séjour  de 
leurs  villes,  trouvaient  là  des  paysages  variés  et  frais,  un  climat  toujours  égal, 
des  jardins  sans  cesse  égayés  de  fleurs,  et,  dans  les  fourrés  du  Kéroun,  ces 
chasses  au  boumérang  ou  ces  pèches  interminables  qui  faisaient  leurs  passe- 
temps  favoris'. 

Ils  voulurent  reposer  où   ils  avaient  vécu.  Leurs  tombeaux  vont  d'IIéra- 


cléopolis  rejoindre  les  dernières  pyramides  Memphites  :  Dahshour  en  a  con- 
servé deux.  Celui  du  nord  est  une  immense  bâtisse  en  briques,  placée  à 
proximité  de  la  pyramide  à  mansarde,  mais  plus  approchée  qu'elle  à  la  lisière 
du  plateau,  de  manière  à  dominer  la  vallée3.  On  dirait  qu'en  venant  s'in- 
staller immédiatement  au  sud  du  site  où  l'api  II  trônait  dans  sa  gloire,  les 
Thébains  ont  voulu  renouer  la  tradition  des  dynasties  anciennes  par-dessus 
les  Héracléopoli tains  et  affirmer  à  tous  les  yeux  leur  descendance  antique.  Une 
de  leurs  résidences  s'élevait  non  loin  de  là,  vers  Miniét  Dahshour,  la  cité  de 

1.  Plusieurs  personnages  du  premier  empire  théhnin  parlent  les  divers  titres  appartenant  aui 
mattm  de*  chaîna  royale»  du  Fayoum  ;  ainsi  le  Sovkholpou  dont  la  statue  est  au  Musée  de  Marseille 
(E.  Nsville,  Un  Fauclionnaire  delà  XII'  dynastie,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  I,  p.  I0M1Ï). 

t.  Detiin  de  lloudier,  d'après  une  photographie  d'Emile  Brugtck-Bey.    Les  deui   pyramides   sont 

3.  Cette  pyramide  a  été  décrite  sommairement  par  Perring,  dans  le  troisième  volume  du  grand 
ouiragc  de  Vvse,  Opérations  carried  on  al   Ihe  Pyramid*  in  ISST,  t.  Il,  p.  5T-63. 


Rt8  LE  PREMIER   EMPIRE  THEBAIN. 

Tttooui,   le  séjour  préféré  d'Amenemhàît  1".  C'est  là  que   fleurirent  à   côté 
d'Amenemhait  III  ces  princesses  souveraines,  Nofirhonlt,  Sonit-Sonbit,  Sitlià- 
thor,  Monîl,  ses  sœurs,  ses  épouses,  ses  filles,  dont  les  sépultures  bordent  le 
front  nord  de  la  pyramide.  Elles  y  dormaient  côte  à  côte,  comme  jadis  au 
harem,  et  leurs  momies  ont  gardé,  en  dépit  des  voleurs,  les  parures  dont   la 
piété  de  leurs  maîtres  les  avait  revêtues  la  veille  des  funérailles.  L'art  des 
vieux  orfèvres,  dont  nous  ne  connaissions  que  des  images  dessinées  sur  les 
murs  des  tombes  ou  sur  les  ais  des 
cercueils,  s'y  déploie  dans  toute  sa 
finesse.  C'est  une  profusion  de  gor- 
gerins  en  or,  de  colliers  en  perles 
d'agate  ou  en  fleurs  de  lotus  émail- 
Iées,  de  scarabées  en  cornaline,  en 
améthyste,  en  onyx.  Des  pectoraux 
aux    cloisons    d'or,    inscrustées    de 
lamelles   en   pâtes   vitreuses   ou   en 
(  pierres  découpées,  portent  les  car- 

touches d'Ousirtasen  111  et  d'Amen- 
emhait 11,  et  tout  dans  ce  trésor  trahit  une  sûreté  de  goût  et  une  légèreté 
d'outil  prodigieuse.  A  les  voir  si  délicats,  et  pourtant  si  neufs  dans  leur 
antiquité,  on  perd  la  notion  des  cinquante  siècles  qui  se  sont  écoulés  depuis 
lors.  II  semble  que  les  femmes  royales  auxquelles  ils  appartinrent  se  tiennent 
quelque  part,  à  portée  de  la  voix,  prêtes  à  répondre  dès  qu'on  daignera  les 
appeler;  on  imagine  par  avance  la  joie  qu'elles  ressentiront  lorsqu'on  leur  ren- 
dra ces  parures  somptueuses,  et  il  faut  l'aspect  des  cercueils  vermoulus  où  leur 
momie  sommeille  raide  et  défigurée,  pour  ramener  le  curieux  au  sentiment  de 
la  réalité*.  Deux  autres  pyramides,  mais  cette  fois  en  pierre,  subsistent  plus 
au  sud,  sur  la  gauche  du  village  de  Lisht'  :  le  revêtement,  arraché  par  les 
fellahs,  a  disparu  tout  entier,  et  l'on  dirait  de  loin  deux  tertres  qui  rompent  la 
ligne  du  désert,  plutôt  que  deux  édifices  façonnés  de  main  d'homme.  Les 
chambres  funéraires  ménagées  fort  bas  dans  le  sable  se  sont  remplies  d'eau 

1.    Destin  de  Fauchcr-iSudin,  d'âpre*  une  photographie  d'Emile.  llnigseh-Bey. 

t.  C.p  sont  les  bijoix  ilémuveris  (.nr  M.  de  Morgan  en  ISU4  dans  ses  fouille»  autour  de  la  pyramide 
de  Tlahsliour  (cT.  les  Complet  Itelidnt  de  l'Aeadtmir  des  Interiplioiu,  I8t>4). 

ï.  l'.e*  pyramides,  signalées  par  Jonian,  lieteription  det  Antiquité!  de  V Ileptannmide  (dans  la  Drt- 
rripliuu  de  l'Egypte,  t.  IV,  p.  4Ï9-430),  et  par  Pfmhm-Vïse,  Opération*  earried  on.  t.  III,  p.  77-78,  ont 
été  ouvertes  île  18Sîà  mil.  Les  ehambres  n'ont  pu  élre  e\ploréei  (Mamem,  Ktudet  de  Mythologie  et 
d'Archéologie  Égyptienne:  t.  I,  p,  1 48-149}.  Les  objets  qui  y  ont  été  recueillis  sont  conservés  aujour- 
d'hui au  Musée  de  Gizéh  (Masnsro,  Guide  du  Vitileur,  p.  HitfA,  n»  1034-1051). 


LES  PYRAMIDES  IflLI.AHOUN  ET  DE  HAWARA.  519 

par  infiltration,  et  l'on  n'a  pas  réussi  encore  à  les  vider  assez  pour  y  pénétrer  : 
est-ce  Amenemhàît  I"  qu'elles  renferment,  Ousirtasen  1"  ',  Àmenemhàit  II?  On 
sait  du  moins  qu'Ousirtasen  11  se  bâtit  la  pyramide d'Illahoun,  et  Amenemhàît  III 
celle  d'Hawarà.  Holpoit,  la  tombe  d'Ousirtasen  II,  s'étalait  sur  une  colline 
rocheuse  à  sept  cents  mètres  environ  des  terres  cultivées.  Un  temple  la  bor- 
nait à  l'est,  et  contre  le  temple  une  ville,  Hàit-Ousirtasen-llotpou,  «  le  Châ- 
teau du  Repos  d'Ousirtasen  »  :  les  ouvriers  employés  aux  travaux  y  habitaient 
ainsi  que  leur  famille.  Il  ne  reste  plus  guère  du  temple  qu'une  enceinte  en 


briques,  dont  les  parois  étaient  habillées  de  calcaire  fin,  écrit  et  sculpté.  Le 
mur  de  la  ville  s'y  appuyait,  et  les  quartiers  avoisinants  sont  encore  intacts, 
ou  peu  s'en  faut  :  les  rues  couraient  droites,  coupées  à  angle  droit,  flanquées 
de  maisons  et  si  régulièrement  distribuées,  qu'un  seul  agent  de  police  pouvait 
surveiller  chacune  d'elles  d'un  bout  à  l'autre.  La  maçonnerie  est  grossière, 
hâtive,  et  contient  des  débris  de  constructions  antérieures,  des  stèles,  des 
morceaux  de  statues.  La  ville  se  dépeupla  dès  que  le  Pharaon  eut  pris  pos- 
session de  son  sépulcre  :  elle  fut  abandonnée  à  la  XUI"  dynastie,  s'engrava 
sous  les  décombres  et  sous""  le  sable  que  le  vent  apporte'.  Au  contraire, 
la  cité  qu'A  mènent  hait  III  annexa  à  son  tombeau  se  prolongea  à  travers  les 

1.  La  construction  de  la  pyramide  d'Ousirtasen  I"  avait  été  confiée  à  Merrî,  qui  la  décrit  sur  une 
Blèlc  conservée  au  Louvre  {C  3,  I.  1-7,  PieRbkt,  Htcueil  d'inscriptions  inédite),  l.  Il,  |>.  IOi-101;  G«vet, 
Stèles  de  ta  XII'  dynastie,  pi.  IV-V;  cf.  Misreno,  Noirs  sur  différent»  points  de  Grammaire  et  d'His- 
toire, dans  les  Hélanges  d'Archéologie,  t.  Il,  p.  Ml-Mi,  Ëtudei  de  Mythologie,  t.  I,  p.  3,  note  i). 

ï.  Dessin  de  r'anchrr-tiudin,  d'après  une  photographie  de  Goténischeff. 

S.  La  pyramide  d'Illalioun  a  été  ouverte  et  sou  identité  avec  la  pyramide  d 'Ousirtasen  II  démontrée 
par  Pétrie,  Kahun,  f.urob  and  llaurnra,  p.  1 1-14,  *I-SS,  et  lllahun,  Kahaii  and  llurob,  p.  1-15. 


520  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

âges.  Le  roi  reposait  dans  un  grand  sarcophage  de  grès  quartzeux,  et  à  côté 
de  lui,  dans  un  petit  cercueil,  son  épouse  favorite,  Nofriouphtah1.  La  chapelle 
funéraire  était  fort  vaste  et  aménagée  de  façon  assez  compliquée.  On  y  voyait 
un  nombre  considérable  de  pièces,  les  unes  assez  larges,  les  autres  médiocres, 
toutes  difficiles  d'accès  et  plongées  dans  une  obscurité  perpétuelle  :  c'est  le 
Labyrinthe  d'Egypte,  auquel  les  Grecs  ont  fait  par  méprise  une  renommée 
universelle'.  Amenemhâit  III  ou  ses  architectes  ne  songeaient  pas  à  construire 
l'édifice  assez  puérilement  combiné  auquel  la  tradition  classique  a  cru  tout 
entière.  Il  avait  richement  doté  son  clergé  et  assuré  à  son  double  des  revenus 
considérables  :  les  chambres  étaient  autant  de  magasins  où  Ton  conservait  le 
trésor  du  mort  ou  ses  provisions,  et  dont  la  répartition  n'offrait  rien  de  plus 
mystérieux  que  celle  des  entrepôts  ordinaires.  Comme  le  culte  dura  longtemps, 
le  temple  fut  longtemps  entretenu  en  bon  état  :  il  n'était  peut-être  pas  aban- 
donné encore  au  moment  où  les  Grecs  le  visitèrent  pour  la  première  fois3.  Les 
autres  souverains  de  la  XH°  dynastie  doivent  être  enterrés  non  loin  d'Amenem- 
hàit  III  et  d'Ousirtasen  II  :  ils  possédaient,  eux  aussi,  leurs  pyramides,  dont  il 
faudra  bien  un  jour  retrouver  le  site4.  La  silhouette  de  ces  monuments  est  à 
peu  près  celle  des  pyramides  memphites,  mais  les  dispositions  intérieures  ont 
changé.  A  Hawarà  comme  à  Illahoun,  comme  à  Dahshour,  le  gros  œuvre  est  en 
briques  sèches,  de  forte  taille,  entre  lesquelles  on  a  coulé  du  sable  fin  pour  don- 
ner de  la  consistance  à  la  masse,  et  qui  disparaissaient  entièrement  sous  un  revê- 
tement de  calcaire  poli8.  Les  couloirs  et  les  chambres  ne  s'agencent  pas  non  plus 
sur  le  plan  assez  simple  qu'on  rencontre  dans  les  pyramides  de  l 'âge  antérieur*. 

1.  Comme  la  pyramide  d'IUahoun,  celle  de  Hawarà  a  été  ouverte,  et  le  sarcophage  du  Pharaon  décou- 
vert, par  Pétrie,  Hawarà,  Biahmu  and  Arsinoe,  p.  3-8,  Kahun,  Gurob  and  Hawarà,  p.  5-8,  1*2-17. 

2.  Le  mot  Labyrinthe,  XaoupivOoç,  est  une  adaptation  grecque  du  nom  égyptien  rapou-rahounit,  temple 
de  Hahounit  >,  prononcé  selon  le  dialecte  local  lapou-rahounît  (Mariette,  les  Papyrus  Egyptiens  du 
Musée  de  Boulaq,  t.  I,  p.  8,  note  2  ;  Br rr.se h,  Das  Mgyptische  Sec l and,  dans  la  Zcilschrift,  1872,  p.  91, 
Dictionnaire  géographique,  p.  501).  Brugsch  a  contesté  depuis  cette  étymologie,  qu'il  avait  été 
pourtant  l'un  des  premiers  à  préconiser  (l)er  Môris-See,  dans  la  Zeitschrift,  t.  XXX,  p.  70). 

3.  Sur  le  Labyrinthe  d'Egypte  et  sur  les  hypothèses  auxquelles  il  a  donné  naissance,  voir  Jomard- 
Caristir,  Description  des  ruines  situées  près  de  la  pyramide  d'Haouârah,  considérées  comme  les  restes 
du  Labyrinthe,  et  comparaison  de  ces  ruines  avec  les  récits  des  anciens,  dans  la  Description  de 
VÈgypte,  t.  IV,  p.  478-521.  L'identité  des  ruines  d'IIawarà  avec  les  restes  du  Labyrinthe,  admise  par 
Jomard-Caristie  et  par  Lepsius  (Rriefe  aus  ,figypten,  p.  74  sqq.),  contestée  par  Vassalli  (Rapport  sur 
les  fouilles  du  Fayoum  adressé  à  M.  Auguste  Mariette,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  VI,  p.  37-41), 
a  été  démontrée  définitivement  par  Pétrie  (Hawarà,  Biahmu  and  Arsinoe,  p.  4  sqq.),  qui  a  retrouvé  les 
restes  des  constructions  d'Amencmhâit  III  sous  les  débris  d'un  village  et  de  tombes  gréco-romaines. 

4.  On  possède  les  noms  de  la  plupart  de  ces  pyramides  :  ainsi,  celle  d'Amenemhàit  Ier  s'appelait 
Ka-nofir  (Louvre  G  i,  1.  1  ;  cf.  Gayet,  Stèle  de  la  XIP  dynastie,  pi.  II). 

5.  La  construction  particulière  de  ces  pyramides,  indiquée  par  Jomard-Caristie,  Pyramide  (VHaouA- 
rah  et  Description  de  la  Pyramide  d'IUahoun  (dans  la  Description  de  VÈgypte,  t.  IV,  p.  482-482,  514- 
510),  a  été  étudiée  de  plus  près  par  Vyse-Perriniî,  Opérations  carriedon  at  the  Pyramids  in  M\?7,  t.  III, 
p.  80-83;  cf.  Perrot-Cuipikz,  Histoire  de  l'Art  dans  l'Antiquité,  t.  1,  p.  210-211. 

6.  Voir  les  plans  de  la  pyramide  d'IIawarà  dans  Pétrie,  Kahun,  Gurob  and  Hawarà,  pi.  II— IV,  et 
ceux  de  la  pyramide  d'IUahoun  dans  Pétrie,  Ulahun,  Gurob  and  Arsinoe,  pi.  II. 


L'AGENCEMENT  INTERIEUR  DES  PYRAMIDES  SOUS  LA  XII*  DYNASTIE.   521 

L'expérience  avait  appris  aux  Pharaons  que  ni  les  murs  de  granit,  ni  les 
herses  doublées,  ne  garantissaient  leurs  momies  contre  les  profanations  : 
dès  que  les  guerres  civiles  ou  la  faiblesse  de  l'administration  relâchaient  la 
surveillance,  les  voleurs  entraient  en  campagne  et,  perçant  à  travers  la  maçon- 
nerie de  vraies  galeries  de  taupes,  se  glissaient  à  force  de  patience  jusqu'au 
caveau  même  pour  dépouiller  le  mort  de  ses  richesses.  On  multiplia  les  cou- 
loirs en   cul-de-sac,  les  chambres  sans  issue   visible,  mais  dont  le  plafond 


déplacé  livrait  accès  à  d'autres  salles  et  à  d'autres  corridors  également  mysté- 
rieux ;  des  puits  forés  dans  les  coins  puis  bouchés  avec  soin  attiraient  le  sacri- 
lège sur  une  piste  fausse,  et  le  menaient  à  la  roche  solide,  après  lui  avoir  fait 
perdre  beaucoup  de  temps  et  de  travail.  Aujourd'hui  l'eau  du  ÏNil  emplit  la  cel- 
lule du  centre  et  noie  le  sarcophage  :  je  ne  serais  pas  étonné  que  le  cas  eût  été 
prévu,  et  qu'on  n'eût  compté  sur  les  infiltrations  comme  sur  un  obstacle  de  plus 
qu'on  opposait  aux  attaques  du  dehors1.  La  dureté  du  ciment  qui  soude  la  cuve 
au  couvercle  protège  le  cadavre  contre  l'humidité,  et  Pharaon  brave  encore 
sous  plusieurs  pieds  d'eau  la  convoitise  des  voleurs  ou  des  archéologues. 
La  toute-puissance  des  rois  tenait  la  féodalité  en  bride  :  elle  ne  l'avait 


intin  dr  Boudin-,  d'apr*»  une  photographie  dhmile  Brug'rhhnj  priie  en  I8HA. 

I  faut  remarquer  en  effet  qu'à  l'époque  gréco-roin-iiin-  i>«  connaissait  la  présence  de  l'eau  dans 

rlain  nombre  de  pyramides,  et  qu'on  l'y  croyait  n«se*  n*«ulièrc  pour  la  supposer  dans  une  de 
où  elle  n'avait  jamais   péiiétn-,  la  pynmids  Ai-  kii<.ir,«      Hin  Vote  (11,  cmrv)  raconte,  d'après 

loignattc  des  drogmans  qui  le  guidaient,  qu'un  canal  souterrain  apportait  les  e*nx  du  Nil  jus- 
caveau  funéraire  du  Pharaon  cl  renfermait  de  lnuti>  jurl.  comme  dans  une  Ile. 


S22  LE  PREMIER   EMPIRE  TllEBAlK. 

point  supprimée,  et  les  familles  seigneuriales  continuaient  non  seulement  à 
vivre,  mais  à  prospérer  grandement.  Partout,  à  Êléphantine1,  à  Coptos1, 
à  Thinîs*,  dans  Àphroditopolis',   dans  la  plupart  des  cités  du   Said  ou  du 

Delta,  des  princes  sié- 
geaient qui  dérivaient  leur 
origine  des  anciens  barons 
ou  même  des  Pharaons  de 
l'époque  Memphite,  et  qui 
le  disputaient  en  noblesse 
aux  membres  de  la  famille 
régnante,  s'ils  ne  l'empor- 
taient pas  sur  eux.  Les 
princes  de  Siout  ne  jouis- 
saient plus  d'une  autorité 
égale  à  celle  que  leurs 
ancêtres  avaient  exercée 
sous  les  dynasties  béra- 
cléopolitaines.mais  il  s  con- 
servaient une  influence  con- 
sidérable :  l'un  d'eux,  Ha- 
pizaoufi  I",  se  creusa  sous 
Ousirtasen  1'',  non  loin  des 
hypogées  de  Khiti  et  de 
Tefabi,  cet  admirable  tombeau  qui,  à  moitié  détruit  par  les  moines  coptes  ou 
par  les  Arabes,  attire  encore  les  voyageurs  et  les  remplit  d'étonnement'.  Les 
sîres  de  Shashotpou  au   sud1,  ceux  d'Hermopolis  au  nord  avaient  hérité  en 

I.  On  connaît  a  f.lcphantiiic  Si  ran  pilou  I"  (cf.  p.  493-494  do  cette  Histoire),  sous  Ousirtascn  I" 
et   sous  AmcncmhAII    II   (Doi'HIakt,     Us    Tombeaux   d'Assouâii,    dans    le  Itecueii    de    Travail*,  t.    X, 

î.  C'est  probablement  n  la  principauté  de  Coptes  qu'il  convient  de  rattacher  le  Zaoutaqtr  de  deu» 
inscriptions  relevées  par  Goluoscheff,  Résultat*  épigraphiquei  d'une  excursion  au  Ouady  Hammamat, 
pi.  Il,  n"  4,  pi.  III,  n"  3,  cl  traduites  par  Mjspf.so,  Sur  quelque/  iutrriplionê  du  temps  d'Amen- 
rmkiltt   I"  au  Ouady  Ilamnianial,  p.  10  sqq.;  cl\  p.  464  de  celte  Histoire. 

3.  l.c  princi|ial  des  princes  de  Thinîs  sont  la  XII'  dynastie  est  l'Autour  du  la  stèle  C  £6  du  Louvre 
[0»tet,  Stèles  de  ta  XII-  dynastie,  pi.  XIV-XXI1). 

4.  La  aircric  d 'Aphroditopolis  Parva,  Zohoui,  i 


;nt  du  temps  d'Aincnfnihàll  III     elle  •■»'  consacrée  à  la  m 
«IRTTI,  Catalogue  Centrât,  p   19*.  n"  687) 
tait  actuellement  t|uc   deux   des   membre»  de  la  iljna-lii-  ununlli-  de- 
Siout,  Hapiiaouli  1",  contemporain  d'Oiisirla»cii  I",  cl  Hapi'aunlî  II.  dont  le-  lomlies.  ; 
Gmffitb,  The  Inscriptions  of  Siût  and  Dêr-lufrh.  pi    IX.  \X,  renferment   des  leur*  r 


?c.r  II 


orit|u< 


.  La  tombe  de  Khnouinnolir,  fils  de  Mazi,  a  ctf  signale 


n.  The 


LES  PRINCES  DE  MONÀlT-KHOUFOUl.  523 

partie  de  la  prépondérance  que  leurs  voisins  de  Siout  avaient  perdue.  Les 
Hermopoli tains  dataient  au  moins  de  la  VIe  dynastie,  et  ils  avaient  traversé 
sans  encombre  les  temps  de  guerres1  qui  suivirent  la  mort  de  Papi  II.  Une 
de  leurs  branches  possédait  le  nome  du  Lièvre,  tandis  qu'une  autre  comman- 
dait à  celui  de  la  Gazelle*.  Les  seigneurs  du  Lièvre  se  rallièrent  à  la  cause 
thébaine  et  comptèrent  parmi  les  vassaux  les  plus  fidèles  aux  souverains  du 
Midi  :  l'un  d'eux,  Thothotpou,  se  fit  ériger  dans  sa  bonne  ville  d'Hermo- 
polis  une  statue  digne  d'un  Pharaon3,  et  leurs  hypogées  de  Bershéh  témoi- 
gnent de  leur  puissance  autant  que  de  leur  goût  pour  les  arts4.  Pendant  les 
troubles  qui  mirent  fin  à  la  XIe  dynastie,  un  certain  Khnoumhotpou,  qui  se 
rattachait  on  ne  sait  comment  aux  sires  de  la  Gazelle,  entra  au  service  thé- 
bain  et  accompagna  Amenemhâît  1er  dans  ses  campagnes  de  Nubie.  Il  obtint 
en  récompense  de  sa  fidélité  Monâit-Khoufoui  et  le  canton  de  Khouît-Horou,  — 
V Horizon  d'Horus,  —  à  l'orient  du  Nil5.  Lorsque  la  partie  occidentale  lui 
accrut,  il  confia  le  gouvernement  de  celle  qu'il  quittait  à  son  fils  aîné,  Nakhîti  Ier, 
puis,  Nakhîti  étant  mort  sans  postérité,  Ousirtasen  Ier  voulut  bien  accorder 
à  la  sœur  du  défunt,  Biqit,  la  qualité  et  les  prérogatives  d'une  princesse 
héritière.  Biqît  épousa  Nouhri,  qui  était  des  princes  d'Hermopolis,  lui 
apporta  en  dot  le  fief  de  la  Gazelle,  et  doubla  ainsi  la  fortune  de  la  maison. 
L'aîné  des  enfants  qui  naquirent  de  leur  union,  Khnoumhotpou  H,  fut  nommé 
tout  jeune  gouverneur  de  Monâît-Khoufoui,  et  ce  titre  paraît  avoir  été  dans 
l'espèce  l'apanage  du  successeur  désigné,  comme  celui  de  Prince  de  Kaou- 
shou  fut  plus  tard  la  propriété  de  l'héritier  au  trône,  à  partir  de  la  XIXe  dynastie. 
Le  mariage  de  Khnoumhotpou  II  avec  la  jeune  Khîti,  dame  héréditaire  du 
Chacal,  le  rendit  maître  de  l'une  des  provinces  les  plus  fertiles  de  l'Egypte 
moyenne.  La  puissance  de  la  maison  se  confirma  encore  sous  Nakhîti  II,  fils  de 
Khnoumhotpou  II  et  de  Khîti  :  Nakhîti,  prince  du  Chacal  des  droits  de  sa  mère, 
sire  de  la  Gazelle  après  la  mort  de  son  père,  reçut  d'Ousirtasen  II  l'adminis- 

Dér-Htfeh,  pi.  XVI,  1  :  elle  appartient  à  la  XII"  dynastie,  ainsi  que  plusieurs  autres  tombes  inédites  de 
la  même  localité. 

1.  Du  moins  les  princes  hermopolitains  de  la  XII°  dynastie  affirmaient  que  ceux  de  la  VI*  étaient  leurs 
ancêtres  directs  (Maspero,  la  Grande  Inscription  de  Béni-Hassan,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  I, 
p.  178-179),  et  les  traitaient  en  conséquence  dans  leurs  inscriptions  (Lepsius,  Denkm.,  II,  112,  a-e). 
Thothotpou  avait  fait  restaurer  leurs  tombes  comme  celles  de  ses  pères. 

2.  Maspero,  la  Grande  Inscription  de  Beni-Hassan,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  I,  p.  177-178. 

3.  Voir,  p.  333  de  cette  Histoire,  la  vignette  qui  montre  le  transport  de  ce  colosse. 

4.  Les  tombes  de  Bershéh  ont  été  décrites  par  Nestor  Lhote,  Lettres  écrites  d'Egypte,  p.  -46-52, 
reproduites  partiellement  par  Prisse  d'Avennes,  Monuments,  pi.  XV,  p.  3,  et  par  Lepsius,  Denkm.,  H, 
131-135.  La  principale  d'entre  elles,  qui  appartenait  à  Thothotpou,  a  été  fort  mutilée,  il  y  a  quelques 
années,  par  les  marchands  d'antiquités  et  par  les  touristes 

5.  Newberry.  Beni-Hasan,  t.  I,  pi.  XLIV,  I.  4-7  et  p.  84;  cf.  p.  40-4  de  cette  Histoire. 


824  LE  PREMIER  EMPIRE  THÉBAIN. 

t ration  de  quinze  des  nomes  du  Midi,  depuis  Aphroditopolis  jusqu'à  Thèbes1. 
Ce  que  nous  savons  de  son  histoire  s'arrête  là,  mais  il  est  probable  que  ses 
descendants  se  maintinrent  au  même  point  pendant  plusieurs  générations.  La 
carrière  de  ces  personnages  se  réglait  sur  celle  des  Pharaons,  leurs  contem- 
porains :  ils  allaient  à  la  guerre  avec  leurs  troupes,  et  du  butin  qu'ils  ramas- 
saient ils  construisaient  des  temples  ou  se  bâtissaient  des  tombeaux.  Ceux 
des  princes  de  la  Gazelle  sont  disséminés  sur  la  rive  droite  du  Nil,  et  les  plus 
anciens  font  vis-à-vis  à  Miniéh.  C'est  à  Zaouiét  el-Maiêtîn  et  à  Rom  el-Ahmar, 
presque  en  face  d'Hibonou,  leur  capitale,  qu'on  trouve  les  hypogées  de  ceux 
d'entre  eux  qui  vivaient  sous  la  VIe  dynastie.  L'usage  de  conduire  les  morts 
au  delà  du  Nil  existait  depuis  des  sjècles,  au  moment  où  ils  se  creusèrent 
leurs  caveaux  dans  la  montagne  orientale;  il  persiste  de  nos  jours,  et  une 
partie  du  peuple  de  Miniéh  se  fait  enterrer,  d'année  en  année,  aux  lieux 
même  où  ses  ancêtres  lointains  choisirent  le  site  de  leurs  maisons  éternelles. 
Le  cimetière  dort  en  plein  sable,  au  pied  des  collines  :  un  bois  de  palmiers  le 
cache  à  demi,  comme  un  rideau  tendu  le  long  de  la  rivière,  un  couvent  copte 
et  quelques  santons  rallient  autour  d'eux  les  tombes  de  leurs  fidèles,  musul- 
mans ou  chrétiens.  Les  syringes  de  la  XIIe  dynastie  se  succèdent  -en  une 
seule  ligne  irrégulière  dans  les  rochers  de  Béni-Hassan,  et  le  voyageur  qui 
navigue  sur  le  Nil  voit  longtemps  leurs  portes  s'ouvrir  et  se  refermer 
devant  lui,  à  mesure  qu'il  remonte  ou  descend  le  courant.  On  y  pénètre 
par  une  sorte  de  baie  rectangulaire,  plus  ou  moins  haute,  plus  ou  moins 
étroite  selon  l'importance  de  la  chapelle.  Deux  seulement,  ceux  d'Àmoni- 
Amenemhâit  et  de  Khoumhotpou  II,  ont  un  portique  extérieur  dont  tous  les 
membres,  piliers,  bases,  entablements,  sont  réservés  dans  la  roche  vive  :  les 
colonnes  polygonales  dont  il  se  compose  prennent  un  faux  air  de  dorique 
primitif.  Des  rampes  droites  ou  des  escaliers  semblables  à  ceux  d'Eléphantine 
menaient  jadis  de  la  plaine  au  palier*.  11  n'en  subsiste  plus  aujourd'hui  que  les 
traces,  et  le  visiteur  gravit  de  son  mieux  la  pente  sablonneuse  :  où  qu'il  entre, 
les  parois  étalent  à  ses  yeux  de  vastes  panneaux  d'inscriptions,  des  scènes 
civiles  ou  funéraires,  des  tableaux  militaires  et  historiques.  Ce  ne  sont  point 
des   sculptures  comme  aux  mastabas  memphites,  mais  des  fresques  peintes 

1.  L'histoire  de  la  principauté  du  Lièvre  et  celle  de  la  principauté  de  la  Gazelle  ont  été  rétablies 
par  Maspkro,  la  Grande  Imcription  de  Béni-H autan  (dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  I,  p.  169-181), 
dont  il  faut  rectifier  en  partie  les  résultats  au  moyen  des  documents  nouveaux  publiés  par  Newrehry. 
Béni- H  a  s  an,  t.  1  et  II,  et  mis  en  œuvre  par  Griffith,  dans  Newbkrry.  Ben  i- H  a  sa  n,  t.  Il,  p.  5-16. 

S.  ItosELLiNi,  Monumenti  Civili.  t.  I,  p.  63-64;  cf.,  p.  -430-431  de  cette  Histoire,  la  description  de 
ces  tombes  d'Kléphantinc  et  la  vignette  qui  en  montre  l'aspect  extérieur. 


LES  HYPOGÉES  DE  Bf.NI-HASSAN.  525 

sur  la  pierre  même.  L'habileté  technique  ne  s'y  révèle  pas  moindre  qu'autre- 
fois, et  la  conception  de  l'ensemble  n'a  pas  changé  depuis  le  temps  des  rois 
constructeurs  de  pyramides,  tl  s'agit  toujours  d'assurer  au  double  la  richesse 
dans  l'autre  monde,  et  de  lui  conserver  parmi  les  mânes  le  rang  qu'il  occupait 
parmi  les  vivants  :  les  semailles,  la  récolte;  l'élevage  des  bestiaux,  l'exercice 
des  métiers,  la  préparation  et  l'apport  des  offrandes  sont  donc  représentés 


aussi  complètement  que  jadis.  Mais  un  élément  nouveau  se  joint  aux  motifs 
anciens.  Un  sait,  et  l'expérience  du  passé  est  là  pour  l'enseigner,  que  les  pré- 
cautions prises  avec  le  plus  de  soin  et  les  conventions  observées  avec  le  plus 
de  conscience  ne  suffisent  pas  à  perpétuer  le  culte  des  ancêtres.  Le  jour  vien- 
dra forcément  où  non  seulement  la  postérité  de  Khnoumhotpou,  mais  la  masse 
des  indifférents  et  des  curieux  visitera  son  tombeau  :  il  veut  qu'elle  connaisse 
sa  généalogie,  ses  vertus  d'administrateur  et  d'homme  privé,  ses  actions 
d'éclat,  ses  titre»  et  ses  dignités  de  cour,  l'immensité  de  ses  richesses,  et,  afin 
qu'elle  ne  puisse  rien  en  ignorer,  il  raconte  ce  qu'il  a  fait  ou  il  le  figure 
sur  la  muraille.  Il  résume  l'histoire  de  sa  famille  en  un  long  discours  de  deux 
cent  vingt-deux  lignes,  et  il  y  introduit  des  extraits  de  ses  archives,  pour  mon- 

I.  Deitin  de  Boudier,  fapri*  une  plmtagrapliie  d'tnnuigcv. 


m  LE  PREMIER   EMPIRE  THÉBAIN. 

trer  la  faveur  dont  les  siens  jouissaient  auprès  de  leurs  rois1.  Amoni  et  Khiti, 
qui  furent,  à  ce  qu'il  paraît,  les  belliqueux  de  la  race,  ont  retracé  partout  les 
épisodes  de  leur  carrière  militaire,  les  évolutions  de  leurs  soldats,  le  combat 
corps  à  corps,  le  siège  des  forteresses*.  Ce  n'étaient  pas  des  bandes  de  princes 
fainéants  que  ces  lignées  de  la  Gazelle  ou  du  Lièvre  dont  les  chefs  partageaient 
avec  Pharaon  la  possession  du  sol  de  l'Egypte  :  elles  avaient  l'esprit  tenace, 
l'humeur  batailleuse,  le  désir  insatiable  d'arrondir  leurs  domaines  et  l'habi- 
leté d'y  réussir  par  intrigues  de  cour  ou  par  mariages  avantageux.  On  se  figure, 
d'après  leur  histoire,  ce  qu'était  la  féodalité  égyptienne,  de  quels  éléments 
elle  était  constituée,  quelles  ressources  elle  avait  à  sa  disposition,  et  Ton  est 
saisi  de  stupeur  quand  on  songe  aux  qualités  de  force  et  de  finesse  que  les  rois 
durent  déployer  pour  tenir  tête  à  de  tels  vassaux  pendant  deux  siècles. 

Àmenemhâit  1er  avait  abandonné  Thèbes  pour  fixer  sa  résidence  à  Héracléo- 
polis  et  à  Memphis;  il  l'avait  remise  à  un  personnage,  qui  appartenait  pro- 
bablement à  la  maison  royale.  Le  nome  d'Ouisît  était  retombé  à  la  condi- 
tion de  fief  simple,  et,  si  nous  ne  réussissons  pas  encore  à  établir  la  série 
des  princes  qui  s'y  succédèrent  à  côté  des  rois,  nous  voyons  du  moins  que 
tous  ceux  dont  le  souvenir  est  parvenu  jusqu'à  nous  jouèrent  un  rôle  consi- 
dérable dans  l'histoire  de  leur  temps.  Montounsîsou,  dont  la  stèle  fut  gravée 
en  l'an  XXIV  d'Amenemhâît  Ier,  et  qui  mourut  sous  le  règne  commun  de  ce 
Pharaon  et  de  son  fils  Ousirtasen  Ier,  avait  participé  à  la  plupart  des  guerres 
dirigées  contre  les  voisins  de  l'Egypte,  les  Ànitiou  de  Nubie,  les  Monîtou  du 
Sinai,  les  Maîtres  des  Sables  :  il  avait  démantelé  leurs  cités  et  rasé  leurs  for- 
teresses3. La  principauté  conserva  sans  doute  les  mêmes  limites  qu'elle  avait 
acquises  sous  les  premiers  Àntouf,  mais  la  ville  s'agrandit  de  jour  en  jour,  et 
elle  gagna  en  importance,  à  mesure  que  les  frontières  fuyaient  vers  le  sud. 
Elle  était  devenue,  après  les  conquêtes  d'Ousirtasen  111,  comme  le  nombril  du 
monde  égyptien,  le  centre  d'où  les  Pharaons  pouvaient  rayonner  indifférem- 
ment vers  la  péninsule  du  Sinai  ou  vers  la  Libye,  vers  les  côtes  méridionales 

i.  L'inscription  de  Khnoumhotpou  a  été  copiée  pour  la  première  fois  par  Burton,  Excerpta  Iliero- 
glyphica,  pi.  XXII1-XXIV.  Le  tombeau  a  été  décrit  par  Champollion  (Monuments  de  l'Egypte  et  delà 
Nubie,  t.  Il,  p.  385-425)  et  beaucoup  de  scènes  publiées  dans  les  planches  de  son  grand  ouvrage,  très 
fidèlement,  ainsi  que  dans  celui  de  Rosellini.  On  le  trouve  dessiné  en  entier  dans  Lkpsiis,  Denkm., 
II,  123-130,  et  dans  Newbkrry,  Beni-Hasan,  t.  I,  pi.  XXII-XXXVI1I. 

2.  Le  tombeau  d'Amoni-Amenemhàit  a  été  décrit  très  minutieusement  par  Champollion,  Monu- 
ments de  l'Egypte  et  de  la  Nubie,  t.  Il,  p.  .125-434,  et  par  Newhkrry,  Beni-Hasan,  t.  I,  pi.  111-XXI; 
celui  du  prince  Khîti  est  public  également  dans  Champollion  le  Jeune  (Monuments  de  l'Egypte  et  de 
la  Nubie,  t.  II,  p.  334-358)  et  dans  Newherry  (Beni-Hasan,  t.  II,  p.  51-62,  pi.  IX-XIX). 

3.  Stèle  C  I  du  Louvre  (Gayet,  Stèles  de  la  XII'  dynastie,  pi.  I  ;  Pikrret,  Hecueil  d'Inscriptions, 
t.  II,  p.  27-28),  interprétée  par  Maspkro,  Un  Gouverneur  de  Thèbes  au  début  de  la  XII*  dynastie  (extrait 
des  Mémoires  du  premier  Congrès  International  des  Orientalistes  tenu  à  Paris,  t.  II,  p.  48-01). 


LES  SIRES  t)E  THÊItES  SOUS  1.A  XII*  DYNASTIE.  .127 

de  la  mer  Rouge  on  vers  Koush  l'humiliée.  L'influence  de  ses  seigneurs  s'en 
accrut  d'autant  :  ils  étaient,  sous  Amenemhàit  III  et  sous  Amenemhàit  IV,  les 
plus  puissants  peut-être  des  grands  vassaux,  et,  quand  la  XII'  dynastie  laissa 
échapper  la  couronne,  .l'un  d'eus  la  releva.  On  ne  sait  comment  la  transition 
s'acheva  entre  les  Pharaons  qui  descendaient  d'Amenemhàit  Ier  et  la  branche 


cadette  de  leur  famille.  Lorsqu'Amenemhâit  IV  mourut,  on  ne  lui  trouva 
d'autre  héritier  qu'une  femme,  sa  sœur  Sovkounofnourî  :  celle-ci  garda 
l'autorité  suprême  un  peu  moins  de  quatre  ans1,  puis  elle  céda  ta  place  à  un 
Sovkhotpou 1.  Y  eut-il  révolution  de  palais,  émeute  populaire,  guerre  civile? 
La  reine  choisit-elle  le  nouveau  souverain  comme  époux  et  le  changement 
s' accomplit-il  sans  lutte?  Sovkhotpou  était  probablement  sire  d'Ouisît,   et  la 

t.  Dessin  de  Boudier,  d'après  la  chromolithographie  de  LmiN,  Denkm.,  I,  pi.  Ut.  Le  premier 
tombeau  a  gauche,  dont  on  •  perçoit  le  portique,  est  celui  de  Khnoumhotpou  It. 

j.  Elle  régna  exactement  trois  ans.  dix  mois,  dix-huit  jours,  d'après  les  fragments  du  Canon  royal 
de  Turin  (Lefsics,  Auttoaht  dtr  irirhtigiten  Urkunden,  pi.  V.  col.  Vil,  I.  £). 

3.  Sovkhotpou  Khoutoouirl  d'après  les  éditions  actuelles  du  Papyrus  de  Turin  (Lepsiiï.  Auttrahl. 
pi.  V,  col.  Vil,  I.  B).  ce  qui  avait  décidé  Lïeblein  (llecherclies  sur  ta  Chronologie  Égyptienne,  p.  lOi- 
in:i)  H  Wicdemann  [.Egyptische  Getchichte.  p.  ■iBG-itST]  à  écarter  l'identification  de  ce  premier  roi  de 
la  XIII*  dynastie  avec  Sovkhotpou  Sakhem khoutoouirl.  admise  généralement  (E.  de  Hocrct,  Inscription  des 
rochers  de  Semnth,  dans  la  Revue  ArelUotogique,  V  scr.,  I.  V,  p.  313-314;  I.aiitk,  Manelho  und  der 
Tttriner  Kiinigtpapyna.  p.  Ï3C).  Cependant  la  façon  dont  les  monuments  de  Snvkliotpon  Sakhcni- 
khoutoouirl  et  ses  papyrus  (KiirriTi,  dans  I'etme,  lllahun,  Knkun  and  lluroti,  p.  50)  sont  mêlés  aux 
monuments  d'Amenemhàit  III  a  Semnéh  et  au  r'avouni,  montre  qu'on  ne  saurait  beaucoup  h'  séparer 
de  ce  roi.  De  plus,  quand  on  examine  le  Papyrus  de.  Turin,  on  s'aperçoit  qu'il  y  a,  en  avant  du  groupe 
Khautooui  du  premier  cartouche,  une  déchirure  qui  n'est  point  indiquée  sur  le  fac-similé,  mais  qui  s 
endommagé  légèrement  le  disque  solaire  initial  et  enlevé  presque  entièrement  un  signe.  On  est 
donc  porté  à  croire  qu'il  y  avait  là  m  Sni/iriiiklinuliiiniiri  au  lieu  d'un  Khoutoouiri,  si  bien  qu'en  fin 
de  compte  tous  les  savants  auraient  raison  chacun  à  leur  manière,  et  que  le  fondateur  de  la  XIII*  dy- 
nastie serait  un  Sakhemkhouloouiri  I",  tandis  que  le  Sovkhotpou  Sakhemkhoutoouirl  qui  occupe  le 
quinzième  rang  dans  la  dynastie  sera  il  un  Saklicinklioiilooiiirt  11. 


528  LE  PREMIER  EMPIRE  THËBAIN. 

dynastie  qu'il  fonda  est  enregistrée  comme  originaire  de  Thèbes  par  les  his- 
toriens indigènes.  Son  avènement  ne  changea  rien  à  la  constitution  de 
l'Egypte  :  il  consolida  seulement  la  suprématie  thébaine  et  la  consacra  défini- 
tivement. Thèbes  fut  désormais  la  tète  du  pays  entier  :  sans  doute  ses  rois 
n'abandonnèrent  pas  du  premier  coup  Héracléopolis  et  le  Fayoum,  mais  ils 
ne  visitèrent  ces  résidences  qu'en  passant,  à  de  longs  intervalles,  et  finirent  par 
ne  plus  s'y  arrêter  au  bout  de  quelques  générations1.  La  plupart  séjournèrent 
à  Thèbes,  y  concentrèrent  l'administration  du  royaume,  y  bâtirent  leurs  pyra- 
mides*. La  capitale  effective  d'un  souverain,  c'était  moins  encore  l'endroit 
où  il  siégeait  vivant,  que  celui  où  il  reposait  mort  :  Thèbes  fut  la  capitale 
effective  de  l'Egypte,  du  jour  où  ses  maîtres  y  eurent  leurs  tombeaux. 

L'incertitude  reparaît  dans  son  histoire  avec  Sovkhotpou  Ier  :  non  que  les 
monuments  nous  manquent  ou  les  noms  de  rois,  mais  au  milieu  de  tant  de 
Sovkhotpou  et  de  Nofirhotpou  qui  sortent  de  terre  pêle-mêle  sur  vingt  points 
de  la  vallée,  nous  ne  savons  pas  encore  de  manière  certaine  l'ordre  qu'il 
convient  d'adopter  pour  les  classer.  La  treizième  dynastie  compta,  dit-on, 
soixante  rois  qui  durèrent  quatre  cent  cinquante-trois  ans8.  La  succession  ne 
s'opéra  pas  toujours  en  ligne  directe  de  père  en  fils  :  plusieurs  fois  inter- 
rompue par  le  défaut  d'héritiers  mâles,  elle  se  renoua  toujours  sans  secousse, 
grâce  aux  droits  que  les  princesses  possédaient  et  qu'elles  transmettaient  à 
leurs  enfants,  quand  même  leurs  maris  n'appartenaient  pas  à  la  famille  royale. 
Sovkhotpou  III  avait  pour  père  un  simple  prêtre,  Monthotpou,  dont  il  cite 
souvent  le  nom;  mais  le  sang  solaire  coulait  dans  les  veines  de  sa  mère  et  lui 
valut  la  couronne*.  Le  père  de  son  successeur,  Nofirhotpou  II,  ou  ne  tenait  pas 
ou  ne  tenait  que  de  loin  à  la  branche  régnante,  mais  sa  mère  Kamâit  était  fille 

1 .  M.  Pctrie  a  trouvé  des  Papyrus  de  Sovkhotpou  Ier à  Hawara  (Pétrie,  lllahun,Kahun  and  Gurob,  p.  50). 

2.  On  connaît  à  Thèbes  la  pyramide  de  Sovkoumsaouf  et  de  sa  femme  la  reine  Noubkhâs,  par  le 
témoignage  du  Papyrus  Abbott  (pi.  111,  I.  1-7,  pi.  VI,  1.  2-3;  Birch-Chabas,  Élude  sur  le  Papyrus 
Abbott,  dans  la  Revue  Archéologique,  1M  série,  t.  XVI,  p.  269-271  ;  Chabas,  Mélanges  Égyptologiques, 
3*  série,  t.  I,  p.  63-64,  68, 104;  Maspero,  Une  enquête  judiciaire  à  Thèbes,  p.  18-19,  41,  73)  et  du  Papyrus 
Sait  (Chabas,  Mélanges  Égyptologiques,  3*  série,  t.  II,  p.  1  sqq.).  Les  fouilles  de  M.  Morgan  ont  montré 
qu'Aoutouabrl  Ier  Horou  se  fit  enterrer  sur  le  plateau  de  Dahshour  près  de  Memphis. 

3.  C'est  le  chiffre  de  l'une  des  listes  de  Manéthon,  dans  MCller-Didot,  Fragmenta  Historicorunt 
Grxcorum,  t.  II,  p.  565.  La  théorie  de  Lepsius,  d'après  laquelle  les  Pasteurs  auraient  envahi  l'Egypte 
dès  la  fin  de  la  XII*  dynastie,  et  auraient  laissé  subsister  deux  dynasties  vassales,  la  XIIIe  et  la  XIVe 
(Bunsen,  /Egyptens  Stelte  in  der  Weltgeschichte,  t.  III,  p.  3  sqq.),  a  été  combattue  et  renversée  dès 
son  apparition  par  £.  de  Rougk,  Examen  critique  de  V ouvrage  de  M.  le  Chevalier  de  Bunsen,  11, 
p.  52  sqq.  :  on  la  retrouve  chez  quelques  égyptologues  contemporains,  mais  la  plupart  de  ceux  qui  la 
maintenaient  encore  y  ont  renoncé,  ainsi  Naville,  Rubastis,  p.  15  sqq. 

4.  La  généalogie  de  Sovkhotpou  III  Sakhmouaztoouirî  a  été  établie  par  Brdgsch,  Geschichle  AZgyp- 
tens,  p.  180,  et  complétée  par  Wiedemann,  jEgyptische  Gcschichte,  suppl.,  p.  29-30,  d'après  plusieurs 
scarabées  réunis  aujourd'hui  dans  Pétrie,  Hislorical  Scarabs,  nM  290-292,  et  d'après  plusieurs  inscrip- 
tions du  Louvre,  notamment  l'inscription  C  8,  reproduite  dans  Prisse  d'Avf.nsfs,  Monuments  Égyp- 
tiens, pi.  VIII,  et  dans  Pierret,  Recueil  d'inscriptions  inédites,  t.  II,  p.  107. 


530  LE  PREMIER  EMPIRE  THËBAttï. 

de  Pharaon,  et  cela  suffit  pour  qu'on  lui  donnât  la  royauté1.  Peut-être  découvri- 
rait-on, en  cherchant  bien,  la  trace  de  plusieurs  révolutions  qui  changèrent 
l'ordre  d'hérédité  légitime,  sans  entraîner  pourtant  la  substitution  d'une 
dynastie  à  une  autre.  Les  Nofirhotpou  et  les  Sovkhotpou  continuèrent  au 
dedans  comme  au  dehors  l'œuvre  que  les  Amenemhâit  et  les  Ousirtasen 
avaient  si  bien  commencée.  Ils  mirent  tous  leurs  soins  à  l'embellissement 
des  principales  villes  de  l'Egypte,  et  firent  exécuter  des  travaux  considé- 
rables dans  la  plupart  d'entre  elles,  à  Karnak*  dans  le  grand  temple  d'Amon, 
à  Louqsor3,  à  Bubaste4,  à  Tanis5,  à  Tell-Mokhdam6,  au  sanctuaire  d'Abydos. 
Khâsoshoushrî  Nofirhotpou  y  rendit  au  dieu  Khontamentît  les  biens  considéra- 
bles qu'il  avait  perdus7;  Nozirrî8  envoya  l'un  de  ses  officiers  restaurer  l'édifice 
qu'Ousirtasen  Ier  avait  bâti  ;  Sovkoumsaouf  II  y  consacra  sa  statue9,  et  les 
particuliers,  suivant  l'exemple  que  les  souverains  leur  donnaient,  y  entas- 
sèrent à  l'envi  leurs  stèles  votives"*.  Les  pyramides  étaient  de  dimensions 
médiocres,  et  tel  d'entre  eux  renonçant  à  s'en  construire  se  fit,  comme 
Aoutouabri  Ier  Horou,  enterrer  dans  une  tombe  modeste,  auprès  des  pyra- 
mides gigantesques  de  ses  ancêtres11.  Le  style  des  statues  de  cette  époque 

1.  La  généalogie  de  Nofirhotpou  II  s'établit  comme  celle  de  Sovkhotpou  par  des  scarabées  réunis 
aujourd'hui  dans  Pétrie,  Historié  al  Scarabs,  nM  293-298,  et  par  des  inscriptions  de  Konosso  (Lkpsiis, 
Denkm.,  Il,  151  /*),  de  Sehel  (Mariette,  Monuments  divers,  pi.  LXX,  3)  et  d'Assouàn  (Lepsics, 
Denkm.,  II,  151  e).  Ses  successeurs  immédiats  Sihâthorri  et  Sovkhotpou  IV,  puis  Sovkhotpou  V,  sont 
mentionnés  comme  princes  royaux  dans  ces  inscriptions  (Brugsch,  Geschichte  Àlgyptens,  p.  180). 

2.  Table  d'offrandes  de  Sonkhabri  Àmoni-Àntouf-Àmenèmhàît  provenant  de  Karnak  (Mariette,  Kar- 
nak, pi.  1X-X,  et  p.  45-46),  aujourd'hui  à  Gizéh  (Virry,  Police  des  principaux  Monuments,  1893,  p.  39, 
n°  123);  statues  de  divers  Sovkhotpou  (Mariette,  Karnak,  pi.  VIII,  k-m,  et  p.  44-45);  bloc  aux  cartou- 
ches de  Nofirhotpou  II  et  de  Sovkhotpou  Khànofirri  (Mariette,  Karnak,  pi.  VIII  n-of  et  p.  45). 

3.  Architrave  au  nom  de  Sovkhotpou  II  (Gr£bu:t,  Fouilles  de  Louqsor,  dans  le  Bulletin  de  /' Institut 
Égyptien,  2"  série,  t.  X,  p.  335-336;  cf.  Virey,  Notice  des  principaux  Monuments,  p.  44,  n*  136). 

4.  Architrave  au  nom  de  Sakhemkhoutoouiri  Sovkhotpou  Ier  (Naville,  Bubastis,  t.  I,  pi.  XXXIII,  G-l), 
montrant  que  ce  prince  avait  dû  construire  dans  le  temple  de  Bubastis  une  salle  de  grandes  dimensions 
(Naville,  liubastis,  t.  I,  p.  15).  Naville  pense  qu'une  statue  de  Bubastis,  au  Musée  de  Genève,  appar- 
tenait à  un  roi  de  la  XIIIe  dynastie  avant  d'avoir  été  usurpée  par  Ram  ses  II  (Bubastis,  t.  I,  pi.  XIV). 

5.  Statues  de  Mirmàshàou  (Biîrton,  Excerpta  Hieroglyphica,  pi.  XXX,  1,  7;  Mariette,  Lettre  à  M.  le 
Vicomte  de  Bougé  sur  les  fouilles  de  Tanis,  p.  5-7,  et  Deuxième  Lettre,  p.  4-5,  Fragments  et  Docu- 
ments relatifs  aux  fouilles  de  Tanis,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  IX.  p.  14;  Bvnvili.e-Rocgé,  Album 
photographique  de  la  Mission  de  M.  de  Bougé,  n°  114,  et  Inscriptions  recueillies  en  Egypte, 
pi.  LXXV1;  Pétrie,  Tanis  /,  pi.  111,  17  B,  et  p.  8-9);  statues  de  Sov  khôl  pou  Khànofirri  au  Louvre 
{A  16,  17;  cf.  E.  de  Rouge,  Notice  sommaire  des  Monuments,  1880,  p.  16;  Pétrie,  Tanis  I,  p.  8)  et  à  Tanis 
(E.  et  J.  de  Roi'cti,  Inscriptions  recueillies  en  Egypte,  pi.  LXXVI;  Pétrie,  Tanis  1,  pi.  III,  16  A-B);  statues 
de  Sovkhotpou  Khàkhopirri  (Mariette,  Deuxième  Lettre,  p.  4)  et  de  Montholpou,  fils  de  Sovkhotpou 
Sakhmouaztoouirt  (Brigsch,  Geschichte  jEgyptens,  p.  182),  obélisque  de  Nahsi  (Pétrie,  Tanis  /, 
pi.  III,  19,  A-D,  et  p.  8;  Naville,  le  Boi  Ne/iasit  dans  le  Ile  eue  il  de  Travaux,  t.  XV,  p.  99). 

6.  Statue  du  roi  Nahsirl  (Naville,  le  Boi  Nehasi,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  XV,  p.  97-101). 

7.  Mariette,  Abydos,  t.  Il,  pi.  XXVIII-XXX,  et  Catalogue  Général  des  monuments,  ri-  766,  p.  233-334. 

8.  Louvre  C  11-12,  stèles  publiées  par  J.  de  Horrack,  Sur  deux  stèles  de  C Ancien  Empire,  Chabas, 
Mélanges  Égyptologiques,  3e  sér.,  t.  Il,  p.  203-217  ;  le  prénom  du  roi  est  Rà-ni-màit-ànou  (Maspf.ro,  Notes 
sur  différents  points  de  Grammaire  et  d'Histoire,  §  12,  dans  les  Mélanges  d'Archéologie,  t.  I,  p.  140). 

9.  Mariette,  Abydos,  t.  II,  pi.  XXVI,  et  Catalogue  Général,  n°  347,  p.  30. 

10.  Il  y  en  a  des  milliers  dans  les  musées  :  celles  que  Mariette  avait  découvertes  remplissent  cent 
cinquante  pages  de  son  Catalogue  Général  des  Monuments  d'Abydos,  n°*  766-1046,  p.  231-373. 

11.  Tombeau  d'Aoutouabrl  lar  Horou,  découvert  à  Dahshour  par  M.  de  Morgan,  en  avril  1894. 


LA  Xlll-  DYNASTIE  :   LES  SOVKHOTl'OU  ET  LES  NOFIBHOTPOL.       83* 

est  déjà  inférieur  à  celui  des  belles  œuvres  de  la  XII"  dynastie  :  les  propor- 
tions de  la  figure  humaine  s'y  altèrent  légèrement,  le  modelé  des  membres 
perd  de  sa  vigueur,  le  rendu  du  visage  manque  de  caractère  individuel,  on 
dirait  que  les  sculpteurs  tendaient,  plus  encore  qu'au  temps  des  Ousîrtasen,  ù 
ramener  tous  leurs  modèles  au  même  type  banal  et  souriant.  H  y  a  pourtant 
quelques  morceaux    d'assez  noble  allure,   parmi  ce   qui    nous   est  parvenu 
des  rois  et  des  particuliers.   Le  colosse  de  Sovkhotpo"   lv  m" 
se  trouve  au  Louvre,  à  côté  d'une  figure  de  dimensions  or 
du  même  Pharaon,  devait  faire  bonne  figure  à  l'entrée  di 
de  Tanis1  :  il  redresse  rondement  le  buste,  porte  haut  la 
et  l'on  sent  en  lui  quelque  chose  de  la  dignité  suprême 
les  sculpteurs  memphites  ont  su  imprimer  au  corps  et 
traits  du  Khéphrèn  en  diorite  qui  trône  à  Gizéh.  Le  Min 
shaou  assis  de  Tanis  n'est  dénué  ni  d'énergie,  ni  de  maje 
et  le  Sovkoumsaouf  d'Abydos,  malgré  la  rudesse  du  fai 
tient  fièrement  sa  place   parmi   les  autres  Pharaons.   ) 
statuettes  provenant  des  tombeaux    et  les  menus   ohj 
qu'on  découvre  dans  les  ruines  ne  sont  ni  moins  soign 
ni  moins  bien  réussis.  Le  petit  scribe  en  marche  de  Gi; 
est   un  chef-d'œuvre  de  finesse  et  de  grâce,  qu'on  ati 
huerait  au  meilleur  atelier  de  la  XII"  dynastie,  si  les  il 
criptions  ne  nous  obligeaient  à  le  restituer  à  l'art  thé- 
bain  de  la  Xlll".  Le  personnage  vulgaire  et  lourd  que 
représente  la   figurine  du   Musée  de  Vienne  est  traité 
avec  un  réalisme  un  peu  brutal,  mais  avec  une  grande  ,Mne  M  utuiovi 

souplesse  de  ciseau.  Et  ce  n'est  pas  seulement  à  Thèbes,  Al  ""**'  "  v'*!™* 
ou  à  Tanis,  ou  dans  quelque  autre  des  grandes  cités  de  l'Egypte,  que  l'on 
rencontre  des  œuvres  habiles,  ou  que  l'on  constate  l'existence  à  cette  époque 
d'écoles  de  sculpture  florissantes  :  il  n'est  si  petite  ville  qui  ne  fournisse 
aujourd'hui  quelque  monument  ou  quelque  objet  digne  de  figurer  dans  un 
musée,  pourvu  qu'on  l'explore  convenablement.  La  XIII°  dynastie  fut,  pour 
l'art  égyptien  comme  pour  tout  en  Egypte,  un  temps  de  prospérité  moyenne  : 
rien  ne  s'y  élève  bien  haut,  mais  rien  n'y  descend  au-dessous  d'un  certain 

I.   B.  m  ROUÉ,  Holiec  de*  Monument*  Égyptiens,  1810,  p.  3-i  ;  cf.  la  vignette  p.  5Ï9  de  Celte  ttittuirc. 
t.   NauFeKO,  Voyage  ifintpertion  en  4S84.  dans  le  Bulletin  de  l'Institut  Egyptien,  i'sér.,  t.  I,  p.  «4. 
Ce  joli  morceau  est  malheureusement  demeure  presque  inconnu,  à  cause  de  sa  petitesse  même. 
3.  Dettin  de  Doudîer,  dapivt  une  photographie  de  M.  Krneit  de  Itergmatw. 


533  LE  PREMIER   EMPIRE  THÊBAIN. 

degré  d'honnête  médiocrité.  Le  riche  finit  cependant  par  l'y  emporter  sur  le 
beau,  et  c'est  en  ébéne  lamé  d'or  qu'Aoutouabri  l"  Horou  voulut  avoir  sa  statut; 
funéraire'  :  Khéops  et  Khépbrèn  préféraient  l'albâtre  et  le  dioritc. 

Rien  à  l'est,  dans  le  Sinai,  rien  à  l'ouest  chez  les  Libyens:  c'est  au  sud,  en 
Ethiopie,  que  les  Pharaons  dépensent  le  surplus  de  leur  activité.  Leur  chef 
Sovkhotpou  1'''  avait  encore  enregistré  la  hau- 
teur du  Nil  sur  les  rochers  de  Semnéti,  mais 
après  lui  on  ne  sait  ni  où  le  nilomètre  fut 
reporté,  nî  qui  le  déplaça.  Le  bassin  moyen 
du  fleuve  jusque  vers  le  Gebel-Barkal  s'an- 
nexa rapidement  à  l'Egypte  et  s'assimila 
d'une  manière  définitive.  La  colonisation 
s'opéra  plus  prompte  dans  les  grandes  îles, 
Say,  Argo,  que  leur  isolement  mettait  à  l'abri 
des  irruptions  soudaines  :  certains  princes 
de  la  XIIIe  dynastie  y  édifièrent  des  temples 
et  y  érigèrent  leurs  statues,  comme  ils  au- 
raient fait  dans  un  des  cantons  les  plus 
tranquilles  du  Saîd  ou  du  Delta.  Argo  est 
encore  aujourd'hui  la  plus  vaste  de  ces  îles 
nubiennes*  :  on  lui  prête  vingt  kilomètres 
de  long  sur  quatre  environ  de  large  en  son 
milieu.  Elle  est  boisée  en  partie,  et  la  végé- 
tation s'y  développe  avec  une  furie  toute 
mini  de  nrawTNu  m a.  tropicale  :  de  grandes  lianes  s'enlacent  aux 

troncs  des  arbres  et  y  font  des  fourrés 
d'accès  difficile,  où  le  gibier  pullule  à  l'abri  du  chasseur  Une  vingtaine  de 
villages  semés  dans  les  clairières  s'entourent  de  champs  cultivés  soigneuse- 
ment où  la  dourah  domine.  Un  Pharaon  inconnu  de  la  XIIIe  dynastie  avait 
bâti  près  du  bourg  principal  un  temple  de  dimensions  assez  considérables  : 
l'aire  qu'il  couvrait,  et  dont  on  distingue  encore  facilement  les  limites, 
mesurait  cinquante-trois  mètres  de  largeur  sur  quatre-vingt-quatre  de  lon- 
gueur, de  l'est  à  l'ouest.  Le  gros  œuvre  était  en  grès,  et  provenait  probable- 

i,  A  Cixéli  ;  clic  provient  des  fouille*  faites  par  M.  de  Morgan  à  Pahthour,  en  avril  18HI. 
i.  I.a  description  d'Argo  et  de  ses  ruines  est  empruntée  a  Caiili.iij,    Voyage  à  lléroé,  t.  II,  p.  1-7, 
8.   Dénia  de  Boudier,  d'après  le  croquis   île   Lepsiits  [Ùtukm.,  II.  1211  h-i,   cf.   l 'inscription  ibid.. 
loi,  i)  :  la  telc  était  .  toute  mutilée  cl  séparée  du  buste  .  (Caillim-d,  Voyage  il  lUdroé.  t.  II.  p.  5). 


L'ART  ET  LES  MONUMENTS  DE  LA  XIII-  DYNASTIE.  533 

ment  des  carrières  de  Tombos  :  il  a  été  dépecé  sans  pitié  par  les  habitants,  et 
il  n'en  reste  plus  sur  place  que  des  débris  insignifiants,  où  l'on  déchiffre 
encore  quelques  lignes  d'hiéroglyphes.  Une  petite  statue  en  granit  noir  d'assez 
boD  style  se  dressait  au  milieu  des  ruines.  Elle  représente  Sovkhotpou  111 
assis,  les  mains  posées  sur  les  genoux;  la  tète,  mutilée,  gisait  à  côté  du 
corps.  Le  même  roi  se  taillait  des  colosses  à  Tanis,  à  Bubaste,  à  Thèbes  : 
il  était  maître  incontesté  de  la  vallée  entière,  presque  depuis  l'endroit  où  le 


Nil  ce  reçoit  plus  d'affluent  jusqu'à  celui  où  il  se  jette  dans  la  mer.  La  grande 
Egypte  était  achevée  de  son  temps,  et  si  tous  les  membres  n'en  étaient  pas 
encore  également  prospères,  le  lien  qui  les  rattachait  les  uns  aux  autres 
tenait  assez  fort  pour  que  rien  ne  put  le  rompre,  ni  les  discordes  civiles  ni 
les  invasions  du  dehors.  Les  révolutions  ne  manquèrent  pas,  et  sî  l'on  ne 
peut  affirmer  avec  certitude  qu'elles  amenèrent  la  chute  de  la  XI11"  dynastie, 
les  listes  de  Manéthon  nous  révèlent  qu'après  elle  le  centre  de  la  puissance 
égyptienne  se  déplaça  de  nouveau  :  la  prépondérance  échappa  à  Thèbes, 
dévolut  à  des  souverains  originaires  du  Delta.  Xoïs,  située  en  plein  marais, 
entre  la  branche  Phatmitique  et  la  branche  Sébennytique,  était  l'une  de  ces 
cités  très  anciennes  qui  n'avaient  pesé  que   d'un    poids  très   léger  sur   les 

:,  Album  photographique  de   la 


534  LE  PREMIER  EMPIRE  TU  fi  ISA  IN. 

destinées  du  pays.  Par  quel  concours  de  circonstances  ses  seigneurs  en  arri- 
vèrent-ils à  se  hausser  jusqu'au  trône  du  Pharaon,  nous  l'ignorons  entièrement  : 
ils  comptèrent,  dit-on,  soixante-quinze  rois,  qui  régnèrent  quatre  cent  quatre- 
vingt-quatre  ans,  et  dont  les  noms  mutilés  noircissent  les  pages  du  papyrus  de 
Turin.  La  plupart  d'entre  eux  ne  firent  que  passer  sur  le  trône,  les  uns 
trois  ans,  les  autres  deux,  d'autres  un  an  ou  quelques  mois  à  peine  :  on 
dirait  une  procession  de  prétendants  qui  se  chassent  à  l'envi,  plutôt  qu'une 
suite  de  souverains  régulièrement  constituée.  Les  barons,  si  puissants  sous  les 
Ousirlasen,  n'avaient  pas  déchu,  loin  de  là,  sous  les  Sovkhotpou  :  des  rivalités 
d'usurpateurs s'arrachant le  diadème  sans  réussir  aie  conserverexpliqueraient 
cette  litanie  de  règnes  écourtés  et  de  Pharaons  éphémères  qui  composent  la 
XIVe  dynastie.  Ils  ne  reculèrent  pas  en  Nubie,  le  fait  est  certain  :  mais  que 
firent-ils  au  nord  et  au  nord-est  de  leur  empire?  Les  Nomades  s'agitaient  sur 
la  frontière,  les  peuples  du  Tigre  et  de  l'Euphratc  poussaient  déjà  leurs 
avant-gardes  jusque  dans  le  centre  de  la  Syrie.  Tandis  que  l'Egypte  soumet- 
tait la  vallée  du  Nil  et  l'angle  oriental  de  l'Afrique,  la  Chaldée  avait  conquis 
à  sa  langue  et  à  ses  lois  toute  la  partie  de  l'Asie  antérieure  qui  la  séparait  de 
l'Egypte  :  les  temps  semblaient  proches  où  les  deux  puissances  civilisées 
du  monde  antique  allaient  s'aborder  de  pied  ferme  et  se  heurter  front  à 
front. 


<^Ca     (Jna/aeeJ  ortmtiiv&J. 


&Ca      i^réation,     les    déluae.',      lliiàtoires     de/tS     ^JÀsu-v. 
deJfraytt.',  ieitJ ctùôtA  acn.>  naoitatii/iJ,  âeitS  irremicrett-?  dunaatieit.'. 

e£eJ  récit,  des  la  création  ;  lertS  aïeux  et  leitJ mo/iJtre/c',  ta  rettdteS  de' 
ùuimat.,  -  oLa  lutte  entres  Giàmat.  et-  i./Jet- .  'llardouÂ,  l organisation,  deS la 
terres  et.  deaJ  vieux,  -  *J*eS  monde'  M  guesle/tS  LJtaldeena,'  Je'  le  '  fiauraienu. 
-  crie'  fHH^oft  CsannèrtS  et.  Ita.' jJrrmiertzS  Aomnten^'. 

*X  GcurArateS  et.  us  oùjrcJ  .■  leurre'  affluent^',  leuitt-'  ûtondaiû/na: '.  - 
c/caS  ÔumerienaJ  et.  leaJ  CJehiite^'  ;  la  conauéteS  du  fauaJ  &ur~'  /fer.-1  eaux. 
•  tJ.il  flore}  .-  lests  cerealea.'  et.  leS  iralmier~'.  •  *ia- faunes  ;  lercJ  4>ot6$otut,!, 
lett>  oiseaux,  les  liott.  leieiinant.  et.  luru/c',  lereS  animaux  domeàfiauenS.  • 
^•ia   CAalteeS  du  Jtord  et.  àcttS  citére'  :  la   CAatdee.)  du  CSutl. 

aleit'  dix  roitL'  avant,  les  zÛduae'.  •  iZtJOutlirort'-CnanutàAna^ùAtini 
et.  le> re'cit.  clialdéen  du  zûe'luaes  ;  li  destruction  dea.'  Aommea',  larrêt.  de? 
larelteS  au  mont.  JCàir-',  leS  aacrilice.'  et.  la  réconciliation.  deaJ  dieux  avec 
lAumanité.   -  d.ea.>roùc'  diyrèa'  le'  ~l)eiiiJieS  ;  iJCera,   Cstana.   ilLimrod 


.  -I <i  leaetide  >  de  '  Cjïlaamè/t  '  et.  .-est  '  •i/fi/iit/ii  '  ajtrorumtiaaea  '-  -  .la 
aeduc/toa  doaoïitii.  -  ^La  mort,  de'  i/iAoamoaùa,  (amour?  a.Jjatar-'  pour-' 
tji&famè/t.'  et-  la  lutte.'  contre.'  I  arusL.'  et  J'ittiou.  -  tXa  mon.  et  Oaùàai  et.  le.  ' 
PouaJfeJ  à  la  recherche'  du  jpag/tJ  Je  fie'  .■  ItaJ  Aommeil-aeomotia >,  la 
aecfie'  Vitlitoitm  et.  le>  jtUoleu'"llrad-Oa.  -  ,-i  accueil de.'  cVmjitajAsr.wijAii/ii 
a.  li  autrison  dcS  CyUaitjnèfC\  -  .=£cJ re/oar-'à  C/urouA,  l évocation  deJ  liimc.' 
d  Oaoâni.    -    <_  Hatiauitë    du   poèmes  ae'  tyilaamè'e.  >. 

^•LettJ  commettcemeid/tJ  deJ  InùttoîreJ  réelleJ  ;  leJ  3<t.>ténie,'  deaJ  dunaitiejt  ' 
établi    par-' leaJ  âcrioeaJ  oaàuloaie/tiKJ.    -    deaJ  roiaJ  dt.Aiattae'  ;    Cnarqaai- 
énar-ali  et.    aa  leaendc',    JCaramain  et.  le>  premier-*  empires  e&aldé'en.   -  ,-J.eecJ 
cite'ii'  du     C'udi  c~iaaaJlt    et.    aeaJ  roùc',     CAuriinâ,   ..Mùiqniranaaniii.    -  Uftt' 
:  '  ac'<J.aaajA  .-    L,oudea,  leaJ  Daî-rclie/à.'  et,  le/c'  .<taiue/i  ' 
jellon.  -  CÂtroa.  et.  àa  première  'dunaatie.'  ;    CAiréaou 
:  Sèouajl.i.  ■  Ma  'rvia  xleUartam.  ,le  StUia, 
J'Cluroii .-  la  seconJe'd'iuta.itieul  Citron. 


CHAPITRE   VII 

LA     CHALDÉE     PRIMITIVE 


v  temps  où  rien  n'existait  en  haut  qui  s'appelât  ciel,  où 

\_  en  bas  rien  n'avait  reçu  le  nom  de  terre",  Apsou,  l'Océan 

qui   le  premier  fut  leur  père,  et  le  Chaos-Tiâmat  qui   les 

enfanta  tous,  mêlaient  leurs  eaux  en  un,  roseaux  qui  ne 

s'unissaient  point,  joncières  qui  ne  fructifiaient  point3.  » 

La  vie  fut  lente  à  germer  dans  cette  masse  inerte  où  les 

éléments  de  notre  monde  gisaient  confondus  ;  quand  elle 

y  pointa,  ce  fut  languissamment  et  à  de  rares  intervalles, 

par    l'éclosion   de   couples    divins    sans    personnalité   et 

presque  sans  forme.  «  Au  temps  où  les  dieux  n'étaient  pas 

;réés,  nul   encore,  où  ils  n'avaient  été  ni  appelés  de  leur 

nom,  ni  assignés  fatalement  à  leur  destinée,  des    dieux   se  manifestèrent. 

1.  Destin  de  Faucher-Gudin,  d'apret  J,  HiEiinroï,  la  Perte,  la  Chald/'e  et  ta  Simone,  p.  Gir>.  La 
lettrine,  qui  est  de  Faucher-Cudin,  reproduit  une  iutaille  du  Cabinet  dos  Médailles  (L»ji»d,  Intro- 
duction à  l  étude  du  culte  public  et  des  Mystère*  de  Hilhra  en  Orient  et  en  Occident,  pi.  XVI,  n>  7), 

ï.  En  Coaldcp,  comme  en  Egypte,  une  personne  ou  une  rliose  n'existait  vraiment  qu'après  avoir  reçu 
son  nom  :  la  phrase  citée  dans  le  texte  revient  à  dire  qu'en  ce  temps-là  il  n'y  avait  ni  terre,  ni  ciel 
(Hun,  Die  Suiueritchen  Familiengcsetie,  p.  31-34;  Suc*,  Religion  of  tkc  Aiuïeut  Ùuhylonians,  p.  385). 

3.  Apsoù  a  élé  transcrit  'Airani^v  en  grec,  par  l'auteur  dont  Damascius  nous  a  conservé  un  entrait 
(Damascii  Succestoris  Solutionet,  édit.  Ruent,  p.  34I-3ÎÎ).  Il  rapportait  une  tradition  différente 
d'après  laquelle  la  déesse  amorplic  Moummou-Tîflmut  se  partageait  en  deui  personne*  :  la  pre- 
mière, Taiithé,  était  la   femme  d'Apason;  la  seronde,  Noymis,  MuXjp.it,  était  le  fils  d'AuaMhi  et  de 


538  LA  CHALDËE  PRIMITIVE. 

Loukhmou  et  Lakhamou  parurent  les  premiers  et  grandirent  durant  des  âges, 
puis  Anshar  et  Kishar  se  produisirent  après  eux.  Les  jours  s'accumulèrent, 
les  années  s'entassèrent  :  Anou,  Inlil,  Éa  naquirent  à  leur  tour,  car  Anshar 
et  Kishar  les  avaient  enfantés1.  »  A  mesure  que  les  générations  émanaient 
Tune  de  l'autre,  leur  vitalité  augmentait  et  leur  personne  s'accusait  plus 
distincte;  la  dernière  ne  comprenait  que  des  êtres  d'un  caractère  original  et 
d'une  individualité  bien  tranchée,  Anou  le  ciel  ensoleillé  pendant  le  jour  et 
semé  d'étoiles  pendant  la  nuit,  lnlil-Bel,  le  roi  de  la  terre,  Éa,  le  souverain 
des  eaux  et  le  sage  par  excellence*.  Chacun  d'eux  se  dédoubla,  Anou  en 
Anat,  Bel  en  Bélit,  Éa  en  Damkina,  et  s'unit  à  l'épouse  qu'il  avait  déduite 
de  lui-même.  D'autres  divinités  sortirent  de  ces  couples  féconds,  et,  le 
branle  une  fois  donné,  le  monde  se  peupla  rapidement  de  leur  descendance. 
Sin  qui  préside  à  la  lune,  Shamash  le  soleil,  Ramman  l'atmosphère,  se  mon- 
trèrent sur  le  même  rang,  puis  les  seigneurs  des  planètes,  Ninib,  Mardouk, 
Nergal,  la  guerrière  Ishtar,  Nébo,  puis  une  véritable  armée  de  dieux  moindres 
qui  se  rangèrent  autour  d'Anou  comme  autour  du  maître  suprême.  Tiàmat, 
dont  leur  activité  restreignait  de  plus  en  plus  le  domaine,  voulut  susciter 
bataillon  contre  bataillon  et  se  mit  à  créer  sans  relâche;  mais  ses  enfants 
modelés  à  son  image  semblaient  ces  fantômes  incohérents  que  les  hommes 
aperçoivent  en  rêve,  et  qui  sont  composés  de  membres  empruntés  à  vingt 

Tauthé.  Le  dernier  membre  de  phrase  est  très  obscur  dans  le  texte  assyrien  et  a  été  traduit  de  façon  fort 
diverse.  Il  paraît  renfermer  une  comparaison  entre  Apsoù  et  Moummou-Tiàmat  d'une  part,  les  roseaux 
et  les  fourrés  de  jonc  si  communs  en  Chaldée  de  l'autre  :  les  deux  divinités  demeurent  inertes  et 
infécondes,  comme  des  plantes  d'eau  qui  n'ont  point  produit  encore  leur  végétation  exubérante. 

i.  Tablette  I,  l.  7-/5.  La  fin  de  presque  toutes  ces  lignes  est  mutilée;  le  texte  en  a  été  établi  de 
façon  certaine  dans  ses  parties  principales  par  Fr.  Lenormant  (les  Origines  de  C  Histoire,  t.  I,  p.  496) 
d'après  le  passage  connu  de  Damascius  (édit.  Ruelle,  p.  322)  :  Elra  a-j  TptTT)v  èx  t<5v  aurai v,  Kiaaapr, 
xaù  'Aauwpbv  il  wv  yevédOat  rpeî;,  "Avbv  xai  "IXXivov  xai  'Abv.  L'identification  de  vlX),tvo;  avec 
Inlil,  prononcé  chez  les  Assyriens  lllil,  est  due  à  Jensen  {de  Incantamentorum  Sumerico-Assyriorum , 
seriei  quie  dicitur  Shurbu  Tabula  VI,  dans  la  Zeitschrift  fur  Keilforschuiig ,  t.  I,  p.  311,  note  l,et  Die 
Kosmologie  der  Babylonier,  p.  271). 

2.  Les  premiers  fragments  du  récit  chaldéen  de  la  Création  furent  découverts  par  G.  Smith,  qui  les 
décrivit  dans  le  Daily  Telegraph  (n°  du  4  mars  1875),  les  publia  dans  les  Transactions  de  la  Société 
d'Archéologie  Biblique  (On  somr  fragments  of  Ihe  Chaldstan  Account  of  the  Création,  t.  IV,  p.  363-361, 
et  six  planches),  et  traduisit  tous  les  morceaux  qu'il  connaissait  dans  son  Chaldxan  Account  ofGcne&is 
1"  édit.,  p.  61-100);  d'autres  débris  ont  été  recueillis  depuis  lors,  qui  n'ont  point  permis  malheu- 
reusement de  reconstituer  la  légende  entièrement.  Elle  couvrait  six  tablettes  et  plus  peut-être.  Des 
parties  en  ont  été  traduites  après  Smith,  par  Talbot  (The  Revolt  in  Heaven,  dans  les  Transactions 
de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  IV,  p.  349-362,  The  Fight  belween  Bel  and  the  Dragon,  et  The 
Chaldiean  Account  of  the  Création,  dans  les  Transactions,  t.  V,  p.  1-21,426-440;  cf.  Records  of  the 
Past,  !•*  Ser.,  t.  VII,  123  sqq.,  t.  IX,  p.  135,  sqq.),  par  Oppert  (Fragments  cosmogo  triques,  dans  Ledraik, 
Histoire  d'Israël,  t.  I,  p.  411-422),  par  Lenormant  (Origines  de  l'Histoire,  t.  I,  p.  494-505,507-517),  par 
Schrader  (Die  Keilinschriften  und  das  Alte  Testament,  2*  éd.,  p.  1-17),  par  Sayce  (Religion  of  the 
Ancien t  Babylonians,  p.  377-390,  et  Records  of  the  Past,  2"4  Ser.,  t.  I,  p.  122-146),  par  Jensen  (Die 
Kosmologie  der  Dabylonicr,  p.  261-364)  et  enfin  par  Wincklcr  (Keilinschriftliche  Textbuch,  p.  88-97).  J*ai 
suivi  presque  partout  la  traduction  de  Jensen.  Vn  fragment  d'une  version  différente  passe,  depuis 
G.  Smith  (The  Chald.van  Account  of  Gcnesis,  p.  101-107),  mais  sans  preuve  bien  certaine,  pour 
appartenir  au  dogme  de  la  Création,  tel  qu'on  le  professait  dans  le  sanctuaire  de  Kouta. 


LES  DIEUX  ET  LES  MONSTRES,  LA  RÉVOLTE  DE  TIÀMAT.  339 

animaux  différents.  On  y  voyait  des  taureaux  à  tète  humaine,  des  chevaux  au 
museau  de  chien,  des  chiens  au  troue  quadruple  sortant  d'une  seule  queue  de 
poisson.  Les  uns  avaient  un  bec  d'aigle  ou  d'épervier,  les  autres  quatre  ailes  et 
deux  faces,  d'autres  les  jambes  et  les 
cornes  d'une  chèvre,  d'autres  enfin 
l 'arrière-train  d'un  cheval  et  le  corps 
entier  d'un  homme'.  Tiâmat  leur  dis- 
tribua des  armes  terribles,  les  plaça 
sous  les  ordres  de  Kingou,  son  mari, 
et  partit  en  guerre  contre  les  dieux*. 
Ils  ne  surent  d'abord  qui  lui  oppo- 
ser. Anshar  lui  dépêcha  son  fils  Anou, 
mais  Anou  eut  peur  et  n'osa  rien  contre 
elle.  Il  lança  Ëa,  mais  Éa  blêmit 
de  terreur  comme  Anou  et  ne  se  risqua 
pas  à  l'attaquer.  Seul,  Mardouk,  fils 
d'I'.a.secrut  assez  fort  pour  triompher: 
tous  les  dieux,  convoqués  en  ban- 
quet solennel  dans  le  palais  d'Anshar, 
le  choisirent  pour  être  leur  champion 
et  le  proclamèrent  roi.   «  Toi,  tu  es 

glorieux  parmi  les  dieux  grands,  ta  3 

volonté  est  sans    seconde,  ton  com- 
mandement est  Anou  :  Mardouk,  tu  es  glorieux  parmi  les  dieux  grands,  ta 
volonté  est  sans  seconde',  ton  commandement  est  Anous.  De  ce  jour,  ce  que 
tu  ordonnes  ne  peut  être  changé,  le  pouvoir  d'élever  ou  d'abaisser  sera  dans 

I.  I.»  description  do  ces  monstres  est  empruntée  à  Bérose  (r'R.  I.kiomamt,  Kuai  de  Commentaire 
des  Fragmente  eotmogoniquei  de  tienne,  p.  7-8,  ll-ii,  Ti-8.1);  leur  création  était  décrite  dan»  la 
seconde  tablette  <lc  l'édition  assyrienne  de  la  Création  (Jk.vsei,  Die  Kotmalagie,  p.  i75-î7li;  Piscms,  A 
tiabutimian  Duplicate  of  Tableli  I  and  II  of  the  Création  Série*,  dans  lo  liahylonian  and  Oriental 
Hecord,  t.  Il,  p.  37-33)  et  dan»  le  Fragment  qui  nous  reste  de  la  version  de  kouta  (S.ucr.,  Iteliijivn  of 
the  Aneient  Babyloniam,  p.  37*-3"3).  On  trouvera  un  cerlain  nombre  d'entre  eu*  représentés  sur  des 
broderies  de  l'habit  royal  dont  lu  détail  eslrejiroduit  dans  l.iï.mu.  Monument*  of  N  inrirh ,  t.  1.  pi.  ■13-j'l. 

t.  l.cs  préparatifs  de  Tiàmal  étaient  décrits  dans  la  troisième  tablette  (Jt..isei«,  Die  Konnoliigie 
der  tiabyloniee,  p.  173-27!!)  :  le  texte  est  trop  mutilé  pour  qu'on  en  donne  une  Iraduclion  suivie. 

3.  Dei*in  de  Fauiher-tindin,  d'après  un  bat-relief  aftjrien  de  Khortabad  (Iloir.i.  le  Monument  de 
Xiniee,  pi.  71). 


i.   L'assyrien  dit  :  ■  ton  de 

tin  est  sans  second  é.  Il  s 

■■Il  non  de  la 

estiiiée 

qui  attend  le  dit 

i  lu 

ème,  mais  de  colle  qu'il  as» 

substitué,  ici 

1  ailleu 

s,  au   mot  destii 

do 

sens  spécial  n'aurait  pas  et 

compris,  le  mot  entont?. 

ui  rend  inexac 

.lis  qui  évite  des  périphrase 

s  ou   îles  Formules  peu  in 

-[lisibles  pour 

e  lectei 

r  moderne. 

5.   En   termes  moins  concis 

:  •  Uuind  tu  commandes 

nt  l'obéir  aveuglément  con> 

ne  ou  obéit  à  Anou. 

ÎUO  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

ta  main,  la  parole  de  ta  bouche  durera  et  ton  commandement  ne  rencontrera 
point  d'opposition.  Nul  des  dieux  ne  transgressera  ta  loi,  mais  où  l'on  déco- 
rera un  sanctuaire  des  dieux,  la  place  où  ils  rendront  leurs  oracles  sera  ta 
place1.  Mardouk,  c'est  toi  notre  vengeur!  Nous  te  décernons  la  royauté;  l'en- 
semble de  tout  ce  qui  existe,  tu  l'as,  et  partout  sera  exaltée  ta  parole.  Tes 
armes  ne  pourront  être  détournées,  elles  frapperont  ton  ennemi  :  ô  maître, 
qui  se  fie  en  toi  épargne  sa  vie,  mais  le  dieu  qui  fait  le  mal  verse  sa  vie 
comme  une  eau.  »  Ils  revêtirent  leur  champion  d'un  habit,  puis  ils  s'adres- 
sèrent eux-mêmes  à  Mardouk  :  «  Ta  volonté,  maître,  sera  celle  des  dieux.  Un 
mot  et  dis  :  «  Que  ce  soit!  »  ce  sera.  Ainsi,  ouvre  la  bouche,  ce 'vêtement 
disparaîtra  ;  dis-lui  :  «  Reviens!  »  et  le  vêtement  sera  là.  »  11  parla  de  sa  bouche, 
le  vêtement  disparut;  «  Reviens!  »  lui  dit-il,  et  le  vêtement  se  reconstitua*.  » 
Mardouk  une  fois  convaincu  par  cet  exemple  qu'il  avait  le  don  de  tout  faire 
et  de  tout  défaire  à  son  gré,  les  dieux  lui  remirent  le  sceptre,  le  trône,  la  cou- 
ronne, les  insignes  de  la  domination  suprême  et  le  saluèrent  de  leurs  accla- 
mations :  «  Sois  roi  !  —  Va,  tranche  la  vie  de  Tiâmat  et  que  le  vent  emporte 
son  sang  aux  extrémités  cachées  de  l'univers3!  »  11  s'équipa  soigneusement 
pour  la  lutte.  «  Il  fabriqua  un  arc,  y  apposa  sa  marque*;  il  fit  apporter  une 
haste,  il  y  ajusta  une  pointe  :  le  dieu  souleva  la  lance,  la  brandit  de  la  main 
droite,  puis  l'arc  et  le  carquois,  il  les  pendit  à  son  côté.  11  plaça  un  éclair 
devant  lui,  se  remplit  le  corps  d'une  flamme  dévorante,  puis  il  fabriqua  un 
filet  pour  prendre  la  tumultueuse  Tiàmat;  il  posta  les  quatre  vents  de  façon 
qu'elle  ne  pût  échapper,  sud  et  nord,  est  et  ouest,  et  de  sa  propre  main  leur 
apporta  le  filet,  don  de  son  père  Anou.  11  créa  la  bourrasque,  le  vent  mau- 
vais, l'orage,  la  tempête,  les  quatre  vents,  les  sept  vents,  la  trombe,  le  vent 
sans  second,  puis  il  lança  les  vents  qu'il  avait  créés,  tous  les  sept,  pour 
étourdir  la  tumultueuse  Tiâmat,  en  chargeant  derrière  lui.  Et  le  maître  de  la 
trombe  leva  haut  sa  grande  arme,  il  monta  sur  son  char,  ouvrage  sans  pareil, 

1.  Le  sens  n'est  pas  certain.  La  phrase  paraît  vouloir  dire  que  désormais  Mardouk  sera  chez  lui 
dans  tous  les  temples  que  l'on  construira  pour  les  autres  dieux. 

2.  Tablette  IV,  l.  /-V6' ;  cf.  Sayce,  The  Âssyrian  Story  of  the  Création,  dans  les  Records  of  the 
Past,  2°4  Ser.,  p.  136-137,  et  Jenskn,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  278-281. 

3.  Sayce  a,  le  premier,  je  crois  {The.  Assyrian  Story  of  the  Création,  dans  les  Hecords  of  the  Past, 
20-  Sor.,  t.  I,  p.  141,  note  2),  rappelé  à  propos  de  cet  ordre  mystérieux  le  passage  où  Bérose  raconte 
(Fr.  Le.norma.nt,  Essai  de  Commentaire  des  fragments  cosmogonigues  de  Bérose,  p.  9,  12)  que  les  dieux 
créèrent  les  hommes  d'un  peu  de  limon  pétri  avec  le  sang  du  dieu  Bèlos.  Ici  on  semble  craindre  que  le 
sang  de  Tiàmat,  se  mêlant  à  la  boue,  ne  produise  une  poussée  de  monstres  analogues  à  ceux  que  la 
déesse  avait  déjà  façonnés;  le  sang,  transporté  au  Nord,  dans  le  domaine  de  la  nuit,  y  perdra  sa  vertu 
créatrice,  ou  les  monstres  qui  en  naîtront  demeureront  étrangers  au  monde  des  dieux  et  des  hommes. 

4.  Litt.  :  •  il  fit  connaître  son  arme  »  ;  peut-être  vaudrait-il  mieux  comprendre  :  *  et  il  fit  connaître 
que  Tare  serait  désormais  son  arme  distinct! ve  ». 


LA  LUTTE  DE  TIAMAT  CONTRE  BEL-MARDOUK.  S41 

formidable,  il  s'y  installa,  lia  les  quatre  rênes  au  côté,  et  s'élança  impitoyable, 
torrentiel,  rapide1,  n  II  traversa  les  rangs  pressés  des  monstres,  pénétra 
jusqu'à  Tiàmat,  la  provoqua  de  ses  cris.  «  Tu  t'es  révoltée  contre  la  souve- 
raineté des  dieux,  tu  as  comploté  le  mal  contre  eux,  et  tu  as  voulu  que  mes 
pères  goûtassent  ta  méchanceté;  aussi  ton  host  sera  réduit  en  esclavage,  tes 
armes  te  seront  arrachées.  Viens  donc,  moi  et  toi  nous  allons  nous  livrer 


bataille!  »  Tiàmat,  quand  elle  l'entendit,  elle  entra  en  fureur,  elle  s'affola 
de  rage,  puis  Tiàmat  hurla,  elle  se  dressa  sauvage,  bien  haut,  et  par  en  bas 
se  carra  solidement  sur  le  sol.  Elle  prononça  une  incantation,  récita  sa  for- 
mule, et  les  dieux  du  combat  elle  les  appela  à  l'aide  eux  et  leurs  armes.  Ils 
s'approchèrent  l'un  de  l'autre,  Tiàmat  et  le  plus  sage  des  dieux,  Mardouk,  ils 
se  précipitèrent  au  combat,  ils  s'abordèrent  en  lutte.  Alors  le  maître  déploya 
son  filet,  la  saisit  ;  il  fit  passer  devant  lui  la  bourrasque  qui  se  tenait  derrière, 
et,  quand  Tiàmat  ouvrit  la  gueule  pour  l'engloutir,  il  poussa  la  bourrasque 
au  dedans  pour  que  le  monstre  ne  put  refermer  les  lèvres.  Le  vent  puissant 

I.  Tablette  IV,  l.  Sl-ùi;  cf.  S.iï.x,  The  Âinyrian  Slory  of  Ihe  Citation,  dans  les  Htrord*  of  tfie 
Paît,  f  Kcr.,  1.  I,  p.  J37-I3H,  et  Jimskx,  Die  Kotinologie  der  Dabylonier,  p.  Î8U-S83. 

i.  llettin  de  Fauchev-Gudin ,  d'aprti  le  bat-relief  de  Himroud  contera!  au  Britiih  Muséum  [cf. 
LtTin,  The  Monument!  of  fiiiieech,  !•'  Scr.,  jil.  5). 


542  LA  ClULuÉE  PRIMITIVE. 

lui  emplil  la  panse,  sa  poitrine  se  distendit,  sa  gueule  se  fendit.  Mardouk 
poussa  droit  la  lance,  creva  la  panse,  perça  l'intérieur,  déchira  la  poitrine, 
puis  lia  la  bête  et  lui  enleva  la  vie.  Quand  il  eut  vaincu  Tiàinat,  celle  qui 
allait  en  tête,  son  armée  se  débanda,  son  host  se  dissipa,  et  les  dieux  ses 
alliés,  qui  avaient  marché  à  côté  d'elle,  tremblèrent,  s'effrayèrent,  tournèrent 
le  dos'.  »  Il  s'empara  d'eux  ainsi  que  de  Kingou  leur  chef,  et  il  les  amena  tous 
enchaînés  devant  le  trône  de  son  aïeul. 

11  avait  sauvé  les  dieux  de  la  ruine,  mais  ce  n'était  là  que  le  moindre  de  sa 


tâche  :  restait  à  déblayer  l'espace  du  cadavre  immense  qui  l'encombrait,  à  en 
dégager  les  éléments  disparates  et  à  les  ordonner  de  nouveau  pour  le  mieux 
des  vainqueurs.  «  Il  revint  vers  Tiàmat  qu'il  avait  enchaînée.  Il  mit  le  pied 
sur  elle,  de  son  couteau  infaillible  il  l'entailla  par  en  haut,  puis  il  trancha  les 
vaisseaux  qui  contenaient  le  sang,  et  ii  le  lit  porter  par  le  vent  du  nord  aux 
lieux  cachés.  Et  les  dieux  virent  son  visage,  ils  se  réjouirent,  se  livrèrent  à 
l'allégresse  et  lui  envoyèrent  un  présent,  un  tribut  de  paix;  alors  il  se  rassé- 
réna, il  contempla  le  cadavre,  le  souleva,  opéra  des  merveilles.  11  le  fendit 
en  deux,  comme  un  poisson  qu'on  sèche';  »  puis  il  suspendit  en  haut  une 
des  moitiés  qui  devint  le  ciel,  étendit  l'autre  sous  ses  pieds  pour  en  faire  la 

I.  Tabtellr  IV,  l.  Oy-IOS;  cf.  Sutt,  Tiie  Ateyritm  Slory  ofthe  t'.reation,  dans  le*  Itecords  of  tlie 
t'ait,  i"  ik-r.,  t.  I,  p.  lïU-lill,  <>l  Jtv.n,  Die  Koimalogie  ./ci-  llabyloitirr,  p.  iKl-SS". 

*.  Detiin  de  Fauehei-Gviliii  d'apri-t  iiji  bat-relief  de  Knyouiiitji/i  (I.iimuu,  llie  Monuments  of 
îiineveh,  t"'  Ser.,  [il.  lï,  n°  ï;  cf.  Pl»o;,  Ninirc  et  l'Assyrie,  |il.  U"'  a),  H»  voit,  derrière  la  coulft, 
nu  ;ii!-<-hcur  c;mii|h>  à  rhnviil  sur  uni'  oulrv  umiflri-  d'air,  cl  lr  paiiii>r  :i  gioissons  passé  au  cou. 

3.  Tablette  IV,  L  1S6-I3K  ;  et.  Simc.  The  Asiyriaa  Story  of  the  Création,  dans  les  IleearUi  of  Ihe 
l'ait,  *"'  Sot.,  1.  I,  |).  141-1  M,  cl  Iismj,  Die  Koimaloyie  der  Uabyioiiier .  p.  i-6-SWt.  La  séparation  de 
Tii mal  en  tus  moitiés  rempli!  la  lin  de  la  tablette   IV  (cf.  Jïsses,  Hic  hoimologie .  p.  iSS-ï8'J|. 


terre  et  constitua  l'univers  tel  que  les  hommes  l'ont  connu  depuis  lors.  De 
même  qu'en  Egypte,  le  monde  était  une  sorte  de  chambre  close,  en  équilibre 
au  sein  des  eaux  éternelles1.  La  terre,  qui  en  forme  la  partie  basse  et  comme 
le  plancher,  a  l'apparence  d'une  barque  renversée  et  creuse  par-dessous, 
non  pas  un  de  ces  canots  effilés  en  usage  chez  les  autres  peuples,  mais 
une  coufle,  une  espèce  d'auge  ronde  dont  les  tribus  du  Bas-Euphrate  se  ser- 
vent depuis  l'antiquité  jusqu'à  nos  jours*.  Elle  va  s'exhaussant  des  extrémités 
jusqu'au  centre,  ainsi  qu'une  grosse  montagne  dont  les  régions  neigeuses  où 
l'Euphrate  prend  sa  source  marquaient  à  peu  près  le  sommet'.  On  avait 
imaginé  d'abord  qu'elle  se  divisait  en  sept  zones,  superposées  le  long  de  ses 
flancs  à  la  façon  des  étages  d'un  temple*;  on  la  partagea  plus  tard  en  quatre 
maisons,   dont   chacune  répondait,  comme  les  maisons  de  l'Egypte,  à  l'un 

I.  La  description  du  monde  égyptien  se  trouve  p.  16  sqq.  de  cette  Hîiloire  l.a  seule  reconstruction 
ruisumiri-  i]u'oii  oit  tenter  jusqu'à  présenl  du  monde  Chaliîécn  a  été  faite,  «prés  t.cnormanl  (la  Magie 
chez  let  Chaldtent,  p.  141-144),  par  Jcnseii  (Pie  KotmologU  der  Uabylonier,  181111]  :  Jcim'ii,  après 
as-oir  examiné  l'un  après  l'autre  tous  les  éléments  de  sa  restitution  (p.  t-ï;i3),  a  réuni  eu  linéiques 
panes  (p.  4n3-3fi0),  et  reporté  sur  une  planche  (pi.  111).  les  résultats  principaux  de  sou  enquête.  On  verra 
aisément  ce  que  j'ai  pria  à  son  ouvrage,  et  en  quoi  le  dessin  ici  reproduit  diffère  du  sien. 

t.  Dlimont  DE  Sltln.,  11,  ta  :  Iltpl  Si  rf,;  ^r,;  iîiwTcits;  inof  i<rsi;  iroioùvTdi  U?ovte;  ÛJtip/.Hv  a-jir,v 
onaçoE'.Sfi  xa'i  xofXi)v  ('f-  Fr-  LÈiwiiur.iST,  la  Magie  eJua  tes  Chatdt'ent,  p.  141-144;  Jesses,  Die  Kosmo- 
togie  der  Uabylonier,  p.  Ï4Î. 

3.  C'est  te  KhanegkoUTkoura,  la  Montagne  det  Paya,  des  textes  cunéiformes,  que  l'on  place  ordi- 
nairement au  Sord  (Ka.  Dïutisck,  Wo  lag  dai  Paradieir  p.  117-liâ)  ou  à  l'Est,  plus  exactement  au 
Sorti -Kst  (Kb.  I.esohsjst,  ta  Magie  chez  let  Chaliteent,  p.  Ml  150  sqq.,  et  les  Origine*  de  l'Histoire, 
t.  Il,  p.  143  eqt|.).  Jensen  (Die  Koimotogie  der  Uabylonier,  p.  ïflfi  sqq.)  me  parait  avoir  démonlre 
que  c'est  un  nom  servant  à  désigner  la  terre  elle-même  :  la  barque  renversée  ressemble  en  cflet  à 
une  montagne  ronde  dont  les  lianes  s'élèvent  doucement  et  vont  aboutir  à  un  même  point. 

4.  F».  Lxkomukt,  tei  Origine»  de  t'Iliitoire,  t.  M,  p.  143-liti;  Jesseb,  Die  Konno/oyie,  p.  170  sqq. 


SU  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

des  quatre  points  cardinaux,  et  obéissait  à  des  dieux  particuliers1.  Vers  le 
pied  de  la  montagne,  les  bords  de  la  barque  se  redressaient  brusquement  et 
entouraient  la  terre  d'une  muraille  continue,  de  grandeur  uniforme  et  sans 
ouverture'.  Les  eaux  venaient  s'accumuler  dans  ces  bas- fonds  comme  dans 
un  fossé  :  c'était  une  mer  étroite  et  mystérieuse,  un  fleuve  Océan,  que  les 
hommes  ne  franchissaient  vivants  qu'avec  la  permission  d'en  haut,  et  dont 
les  flots  séparaient  inexorablement  leur  domaine  des  régions  réservées  aux 
dieux3.  Le  ciel  s'enlevait  au-dessus  du  Mont  des  Pays  en  coupole  hardie, 
et  le  pourtour  posait  exactement  sur  la  tête  du  mur,  de  la  même  manière 
que  les  structures  hautes  d'une  maison  s'appuient  sur  les  fondements*.  Mar- 
douk  le  forgea  d'un  métal  dur  et  résistant  qui  s'éclairait  brillamment  pendant 
le  jour  aux  rayons  du  soleil,  et,  la  nuit,  ne  présentait  plus  qu'une  surface 
bleu  sombre  semée  irrégulièrement  d'étoiles  lumineuses.  Il  le  laissa  plein  et 
solide  dans  les  régions  méridionales,  mais  il  le  creusa  au  nord,  et  il  y  ménagea 
une  caverne  immense  que  deux  portes,  pratiquées  à  l'est  et  à  l'ouest,  met- 
taient en  communication  avec  le  dehors5.  Le  soleil  sortait  chaque  matin  de 
la  première;  il  montait  au  zénith  en  suivant  le  pied  de  la  voûte,  de  l'Orient 
au  Midi,  puis  il  redescendait  lentement  vers  le  portail  d'Occident  et  rentrait 
dans  l'intérieur  du  firmament,  où  il  passait  la  nuit8.  Mardouk  régla  sur  ses 
mouvements  la  marche  de  l'univers  entier.  Il  institua  l'année  et  la  répartit 
en  douze  mois  ;  il  assigna  à  chacun  des  mois  trois  décans  dont  l'influence 

1.  Cf.  p.  128  de  cette  Histoire.  On  consultera,  sur  les  kibrât  arbat  ou  irbiti,  la  dissertation  de 
Jensen  {Die  Kosmologie,  p.  163-170),  et  l'on  verra  plus  loin,  p.  596,  la  valeur  que  ce  terme  prend  dans 
les  titres  royaux.  Il  me  parait  que  les  kibrât  arbai  représentent  quatre  maisons,  et  sont  une  exprès* 
sion  astronomique  ou  astrologique  appliquée  à  des  données  de  géographie  ou  d'histoire  courante. 

2.  Fr.  Lenorma.it,  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  143.  Les  textes  appellent  ce  rebord  s  hou  pou  k  ou 
shoubouk  s  h  ami,  la  levée  du  ciel,  le  rempart  de  terre  sur  lequel  le  ciel  venait  appuyer  ses  bords 
(Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonien',  p.  37-42). 

3.  Les  eaux  qui  entouraient  la  terre  s'appelaient  abzoû,  apsoû,  comme  les  eaux  primordiales,  avec 
lesquelles  on  les  confondait  (Fr.  Lenormant,  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  143;  Jensen,  Die  Kosmo- 
logie der  Babylonier,  p.  243-253;  Sayce,  The  Religion  of  the.  Ancient  Babylonians,  p.  116-117,  371-375). 

4.  Les  textes  nomment  assez  souvent  ces  ishid  shami,  fondements  du  ciel  (Jensen,  Die  Kosmologie 
der  Babylonier,  p.  9-10);  seulement,  au  lieu  de  les  distinguer  de  la  levée  du  ciel,  shoupouk  shami, 
comme  le  voudrait  Jensen  (Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  40-41),  je  crois  qu'ils  ne  font  qu'un  avec 
elle  (cf.  Fr.  Lenormant,  la  Magie  chez  les  Chatdéens,  p.  143). 

5.  Jensen  (Die  Kosmologie,  p.  10)  a  rassemblé  les  textes  qui  parlent  de  l'intérieur  du  ciel  (Kirib 
shami)  et  de  son  aspect.  Les  expressions  qui  ont  donné  lieu  à  plusieurs  assyriologucs  de  croire  que  le 
ciel  était  divisé  en  différentes  parties  soumises  à  différents  dieux  (Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient 
Babylonians,  p.  189-191  ;  A.  Jkkemias,  Die  Babylonisch-Assyrischen  Vorstellungen  vom  Leben  nach 
dem  Tode,  p.  59-60)  peuvent  s'expliquer  sans  qu'il  soit  besoin  d'avoir  recours  à  cette  conception  : 
le  ciel  d'Anou,  par  exemple,  constate  seulement  la  souveraineté  d'Anou  sur  le  ciel  et  n'est  qu'une 
manière  plus  élégante  de  désigner  celui-ci  par  le  nom  du  dieu  qui  le  régit  (Jensen,  Die  Kosmologie, 
p.  11-12).  Les  portes  du  ciel  sont  mentionnées  dans  le  récit  de  la  création  (Tablette  V,  l.  9). 

6.  On  admet  généralement  que  les  Chaldéens  faisaient  passer  le  soleil  au-dessus  de  la  terre  pendant 
le  jour,  au-dessous  pendant  la  nuit.  La  ressemblance  générale  de  leur  système  du  monde  avec  le 
système  égyptien  me  porte  à  croire  que  chez  eux,  comme  en  Egypte  (p.  18-19  de  cette  Histoire),  on 
pensa  longtemps  que  le  soleil  et  la  lune  tournent  autour  de  la  terre  dans  un  plan  horizontal. 


L'ORGANISATION  DE  LA  TERRE  ET  DES  CIEUX.  545 

s'exerçait  successivement  pendant  dix  jours,  puis  il  mit  le  défilé  des  jours 
sous  l'autorité  de  Nibirou1,  afin  que  nul  d'entre  eux  ne  déviât  de  sa  piste 
et  ne  s'égarât.  «  11  alluma  la  lune  pour  qu'elle  régit  la  nuit,  et  il  fit  d'elle  un 
astre  de  nuit  pour  qu'elle  désignât  les  jours*  :  «  De  mois  en  mois,  sans  cesse, 
modèle  ton  disque8,  et  au  début  du  mois  allume-toi  le  soir,  éclairant  tes 
cornes  afin  de  rendre  le  ciel  reconnaissable  ;  le  septième  jour,  montre  à 
moi-même  ton  disque  ;  et  le  quinzième,  que  tes  deux  moitiés  soient  pleines 
de  mois  en  mois.  »  11  fraya  leur  route  aux  planètes,  il  en  confia  quatre  à 
autant  de  dieux,  il  se  réserva  la  cinquième,  notre  Jupiter,  et  il  s'institua  le 
berger  de  ce  troupeau  céleste;  même,  pour  que  tous  les  dieux  eussent  au 
ciel  leur  image  visible,  il  dessina  sur  la  voûte  des  groupes  d'étoiles  qu'il 
leur  alloua,  et  qui  semblèrent  aux  hommes  des  figures  d'êtres  monstrueux 
ou  réels,  poissons  à  tète  de  bélier,  lions,  taureaux,  boucs,  scorpions \ 

Le  ciel  en  ordre,  il  peupla  la  terre,  et  les  dieux  qui  jusqu'alors  avaient 
assisté  inactifs  à  son  œuvre,  peut-être  impuissants,  se  décidèrent  enfin  à  lui 
prêter  leur  concours.  Ils  couvrirent  le  sol  de  verdure,  et,  tous  ensemble, 
«  ils  fabriquèrent  des  êtres  vivants  de  mainte  espèce.  Le  bétail  des  champs, 
les  bêtes  sauvages  des  champs,  les  reptiles  des  champs,  ils  les  modelèrent  et 
en  firent  des  êtres  de  vie6.  »  Une  légende  contait  que  ces  premiers  animaux, 
à  peine  échappés  aux  mains  de  leurs  créateurs,  n'avaient  pu  endurer  l'éclat  de 
la  lumière  et  qu'ils  étaient  morts  l'un  après  l'autre.  Alors  Mardouk,  voyant  que 
la  terre  redevenait  déserte  et  que  sa  fertilité  ne  servait  à  personne,  pria  son  père 
Éa  de  lui  trancher  la  tête,  de  gâcher  de  la  glaise  avec  le  sang  qui  jaillirait  du 
tronc,  puis  d'en  pétrir  des  bêtes  nouvelles  et  des  hommes,  à  qui  les  vertus 
de  ce  sang  divin  communiqueraient  la  force  de  résister  à  l'air  et  au  jour8. 

1.  3ibirou,  le  passeur,  est  notre  planète  Jupiter  (J  en  s  en,  Der  Kahkab  Mischri  der  Antares,  dans  la 
Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  1,  p.  265,  note  3,  et  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  128-129). 

2.  Cette  phrase  obscure  semble  s'expliquer  si  l'on  se  rappelle  que  le  jour  chaldéen,  comme  l'égyptien, 
courait  d'un  lever  de  lune  au  lever  de  lune  suivant,  soit  de  six  heures  du  soir  environ  à  six  heures  du 
soir.  La  lune,  astre  de  nuit,  marque  donc  l'apparition  de  chaque  jour,  et  désigne  les  jours. 

3.  Le  mot  traduit  ici  par  disque  est  littéralement  le  bonnet  royal,  orné  de  cornes,  âgou,  que  Sin,  le 
dieu-lune,  porte  sur  la  tète.  J'ai  du  rendre  le  texte  assez  librement  pour  en  indiquer  la  signification  au 
lecteur  moderne. 

4.  La  mise  en  place  du  ciel  par  Mardouk  était  décrite  sur  la  fin  de  la  quatrième  et  sur  le  commence- 
ment de  la  cinquième  tablette  (Jksskn,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  288-291  ;  Sayce,  the  Assyrian 
Story  of  the  Création,  dans  les  Records  of  the  Past,  2°*  Ser.,  t.  I,  p.  142-1 .14).  Le  texte,  assez  obscur 
par  lui-même,  est  tellement  mutilé  par  places,  qu'on  ne  peut  pas  toujours  en  tirer  un  sens  certain. 

5.  La  création  des  animaux  puis  de  l'homme  était  racontée  sur  la  septième  tablette  et  sur  une 
tablette  dont  la  place  dans  la  série  est  encore  indéterminée  (G.  Smith,  The  Chaldsean  Account  of 
Genesis,  p.  75-80;  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  389-390,  et  The  Assyrian  Story 
of  the  Création,  dans  les  Records  of  the  Past,  2"4  Ser.,  t.  I,  p.  145:  Jensen,  Die  Kosmologie,  p.  290-292). 

6.  Bérose  avait  recueilli  cette  légende  (Fr.  Lenormant,  Essai  de  Commentaire,  p.  8-9,  12),  qui  parait 
être  une  combinaison  maladroite  de  deux  traditions  relatives  à  la  création  de  l'homme  (Sayce,  The 
Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  370-371).  Sur  fia  et  sur  la  façon  dont  il  avait  tiré  l'homme  du 

HIST.    ASC.    DE    I.'ORIENT.    —  T.    I.  69 


546  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

Us  menèrent  d'abord  une  existence  assez  misérable,  et  «  vécurent  sans  règle  à 
la  manière  des  bétes.  Mais,  dans  la  première  année,  apparut,  sortant  de  la 
mer  Erythrée  à  TendroiJ  où  elle  confine  à  la  Bahylonie,  un  monstre  doué  de 
raison,  nommé  Oannès1.  11  avait  tout  le  corps  d'un  poisson,  mais,  par- 
dessus sa  tête  de  poisson,  une  autre  tète  qui  était  celle  d'un  homme,  ainsi  que 
des  pieds  d'homme  qui  se  dégageaient  de  sa  queue  de  poisson;  il  avait  la  voix 
humaine,  et  l'on  conserve  aujourd'hui  son  image.  11  passait  la  journée  au 
milieu  des  hommes;  sans  prendre  aucune  nourriture;  il  leur  enseignait  la 
pratique  des  lettres,  des  sciences  et  des  arts  de  toute  sorte,  les  règles  de  la 
fondation  des  villes  et  de  la  construction  des  temples,  les  principes  des  lois  et 
la  géométrie,  il  leur  montrait  les  semailles  et  les  moissons,  en  un  mot,  il  leur 
donnait  tout  ce  qui  contribue  à  la  douceur  de  la  vie.  Depuis  ce  temps,  rien 
d'excellent  n'a  été  inventé.  Au  coucher  du  soleil,  ce  monstrueux  Oannès  se 
replongeait  dans  la  mer,  et  demeurait  la  nuit  entière  sous  les  flots,  car 
il  était  amphibie.  Il  écrivit  sur  l'origine  des  choses  et  de  la  civilisation  un 
livre  qu'il  remit  aux  hommes*.  »  Ce  sont  là  quelques-unes  des  fables  qui  cou- 
raient chez  les  peuples  du  Bas-Euphrate  sur  les  premiers  temps  de  l'univers. 
Us  en  possédaient  certainement  beaucoup  d'autres  que  nous  ne  connaissons 
plus,  soit  qu'elles  aient  péri  sans  retour,  soit  que  les  ouvrages  où  ils  les 
avaient  consignées  attendent  encore  la  découverte,  sous  les  ruines  d'un  palais 
ou  dans  les  armoires  de  quelque  musée9.  Us  ne  paraissent  pas  avoir  conçu 
la  possibilité  d'une  création  totale,  par  laquelle  les  dieux,  ou  l'un  d'entre  eux, 
auraient  tiré  du  néant  ce  qui  existe  :  la  création  n'était  pour  eux  qu'une  mise 
en  train  d'éléments  préexistants,  et  le  créateur  un  ordonnateur  des  maté- 
riaux divers  que  le  chaos  renfermait \  La  fantaisie  populaire  varia,  selon  les 

limon,  cf.  Fr.  Lenormant,  les  Origines  de  l'Histoire,  t.  I,  p.  45-47,  Jensen,  Die  Kosmologie  der  Baby- 
lonie r,  p.  293-295,  Sayce,  The  Beligion  of  thc  Ancient  Babylonians,  p.  141-142. 

1.  On  a  proposé  différentes  étymologies  de  ce  nom  :  la  plu»  généralement  admise  est  celle  de  Lenor- 
mant,  d'après  laquelle  Oannès  serait  la  forme  grécisée  de  Ea-khan,  Éa-ghanna,  Éa  le  poisson  (Fr. 
I.exormant,  les  Origines  de  CHistoire,  t.  I,  p.  585).  M.  Jenscn  a  fait  observer  que  le  mot  khan  ou 
ghanna  n'a  été  retrouvé  jusqu'à  présent  dans  aucun  texte  (Jensk.n,  Die  Kosmologie  der  Babylonier, 
p.  322-323)  :  le  nom  d'Oannès  demeure  donc  inexpliqué  jusqu'à  nouvel  ordre.  M.  Ilommel  a  montré 
d'autre  part  (Die  Scmitisrhen  Yôlker  und  Sprachen,  t.  1,  p.  488,  note)  que  l'allusion  au  mythe 
d'Oannès  signalée  il  y  a  quelques  années  par  Sayce  (Babylonian  Literalure,  p.  25;  cf.  Becords  of  the 
Past,   1,!  Ser.,  t.  XI,  p.  155)  ne  se  rencontre  pas  réellement  dans  le  texte  original. 

2.  Bérose,  fragment  IX,  dans  Fr.  Lenormant,  Essai  de  Commentaire  sur  les  fragments  cosmogo- 
niques  de  Bérose,  p.  182  sqq. 

3.  Sur  cette  variété  de  traditions,  voir  les  observations  consignées  par  Smith  dans  The  Chaldran 
Account  of  Genesis,  p.  101  sqq.,  et  le  chapitre  très  développé  de  Sayce,  Cosmogonie  s  and  Aslro-theo- 
logy,  dans  son  livre  sur  The  Heligion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  367  sqq. 

4.  Diodorc  de  Sicile  l'avait  déjà  noté  (II,  30),  ou  plutôt  les  auteurs  de  l'époque  Alexandrinc  auxquels 
il  avait  emprunté  ses  informations  :  ttjv  jiev  toO  x*W^ov  çvmv  àîôiôv  qpa<rtv  eîvai  xal  (iT)Te  ï\  *px*U 
Ytve«xiv  i?XT}xévai,  u.iq6'  voTepov  çOopàv  êm6é^ea0ai.  Le  récit  chaldéende  la  Création,  tel  qu'on  l'a  ren- 
contré plus  haut  aux  pages  537  sqq.  de  cette  Histoire,  confirme  les  paroles  de  l'historien  grec. 


OANHÊS  ET  LES  PREMIERS  HOMMES.  M7 

villes,  le  nom  des  démiurges  et  les  procédés  qu'ils  employaient;  elle  entassa, 
pendant  des  siècles,  un  amas  de  traditions  vagues,  confuses,  contradictoires, 
dont  aucune  ne  la  satisfaisait  du  tout,  mais  dont 
chacune  ralliait  des  partisans.  De  même  qu'en 
Egypte,  les  théologiens  des  sacerdoces  locaux 
essayèrent  de  les  classer  et  de  les  réduire  à  une 
sorte  d'unité  :  ils  en  rejetèrent  plusieurs,  ils 
en  dénaturèrent  d'autres  pour  les  mieux  marier, 
ils  les  assemblèrent  en  systèmes  où  ils  préten- 
daient dérouler,  sous  l'inspiration  d'en  haut, 
l'histoire  authentique  de  l'univers.  Celui  que  j'ai 
tenté  d'exposer  est  fort  ancien,  si,  comme  on 
l'affirme,  il  existait  déjà  deux  ou  même  trois 
mille  ans  avant  notre  ère  ;  mais  les  versions  que 
nous  en  possédons  ont  été  rédigées  beaucoup 
plus  tard,  peut-être  vers  le  septième  siècle  seule- 
ment1. Il  avait  prévalu  chez  les  habitants  de  Ba- 
bylone,  parce  qu'il  flattait  leur  vanité  religieuse, 
en  reportant  le  mérite  d'avoir  débrouillé  le 
chaos  sur  Mardouk,  le  protecteur  de  leur  cité'. 
C'est  celui  que  les  scribes  assyriens  avaient 
mis  en  honneur  à  la  cour  des  derniers  rois  de 

Ninive*;  c'est  lui  que  Bérose  choisit  pour  l'inscrire  en  tète  de  son  livre, 
quand  il  voulut  raconter  aux  Grecs  les  origines  du  monde  selon  les  Chaldéens 
et  les  débuts  de  la  civilisation  babylonienne. 

Elle  était  née,  ainsi  que  l'hgyp  tienne,  entre  mer  et  terre  ferme,  sur  un  sol 

1.  On  a  distillé  la  question  de  savoir  si  le  texte  avait  été  écrit  primitivement  en  sumérien  ou  en 
lingue  sémitique  (voir  la  bibliographie  dans  Buoun,  Kursgefattter  lleberblick  ùber  die  Babyloniëeh- 
Attyritchf.  Literatur,  p.  l'.ï);  la  forme  actuelle  n'en  est  pas  fort  ancienne  et  ni1  remonte  pas  beau- 
coup au  delà  du  règne  d'Assourhanaba!  (Sayce,  The  Religion  of  the  Anriei\l  Itabyloniam,  p.  38(i,  393), 
si  même  elle  n'est  pas  contemporaine  de  ce  prince  (Bkiolii,  Kurzgefauter  Ucbevblick,  p.  i7!>).  Li 
rédaction  première  remonterait,  d'après  Sayce  (The Religion  af  the  Anrirnt  llahgloniant,  p.  373-37*, 
377-378),  au  delà  du  vingtième  siècle,  au  règne  de  llammourabi,  selon  Jeu  son  {Die  Konnologie  der  Ba- 
bytonier,  p.  319-340),  au  delà  du  trentième  siècle  avant  notre  ère. 

t.  Sayce  [The  Religion  of  the  Ancienl  Uahyloniant,  p.  378-391-393)  pense  que  le  mythe  s'est  déve- 
loppé à  firidou,  sur  les  bords  du  golfe  Persîquc,  puisqu'il  a  reçu  sa  forme  actuelle  à  Babylonc,  où  les 
écoles  de  théologie  locale  l'ont  adapté  au  dieu  Mardouk. 

î.  Deuin  de  Faurhcr-Ciiitiin,  d'aprè»  un  bas-relief  assyrien  qui  provient  de  Ximrond  (Laïuih,  the 
ilonumeuli  ofNineveh,  i"  Ser.,  pi.  (I,  n-  I). 

1.  Los  tablettes  qui  nous  l'ont  conservé  proviennent  en  partie  de  la  bibliothèque  d'Assourbanabal  à 
ninive,  en  partie  de  celle  du  temple-dc  Sébo  à  Borsippa  :  ces  dernières  sont  plus  récentes  que  les 
autres  el  paraissent  avoir  été  écrites  h  l'époque  de  la  domination  persane  (Sayce,  Ihr  Attyrian  Stery 
of  the  Création,  dans  les  Itecordi  of  the  Patl,  t"  Scr.,  t.  I.  p.  111,  noie  3). 


548  LA  CHALDEE  PRIMITIVE. 

d'alluvions  bas  et  marécageux,  inondé  chaque  année  par  les  cours  d'eau  qui 
le  traversent,  dévasté  à  de  longs  intervalles  par  des  raz  de  marée  d'une 
violence  extraordinaire1.  L'Euphrate  et  le  Tigre  ne  se  donnent  pas,  comme  le 
Nil,  pour  des  fleuves  mystérieux  dont  la  source  se  dérobe  si  bien  aux  explo- 
rations, qu'on  est  tenté  de  la  placer  hors  des  régions  habitées  par  les 
hommes*.  Ils  naissent  en  Arménie,  sur  les  flancs  du  Niphatès,  l'une  des 
chaînes  de  montagnes  qui  se  dressent  entre  la  mer  Noire  et  la  Mésopotamie, 
la  seule  qui  atteigne  par  endroits  la  limite  des  neiges  éternelles.  Ils  courent 
d'abord  parallèlement  l'un  à  l'autre,  l'Euphrate  de  l'est  à  l'ouest  jusqu'à 
Malatîyéh,  le  Tigre  de  l'ouest  «  vers  l'est  dans  la  direction  de  l'Assyrie  *. 
Au  delà  de  Malatiyéh,  l'Euphrate  tourne  brusquement  au  sud-ouest,  et  se 
fraye  une  route  à  travers  le  Taurus,  comme  s'il  voulait  gagner  la  Méditerranée 
au  plus  vite3,  mais  il  se  ravise  bientôt  et  il  incline  vers  le  sud-est,  à  la 
recherche  du  golfe  Persique.  Le  Tigre  oblique  vers  le  sud  au  débouché  des 
montagnes  et  se  rapproche  graduellement  de  l'Euphrate  :  à  la  hauteur  de 
Bagdad,  les  deux  fleuves  ne  sont  plus  séparés  que  par  quelques  lieues  de 
terrain.  Toutefois  ils  ne  se  rejoignent  pas  encore  :  après  avoir  cheminé  de 
compagnie  l'espace  de  vingt  à  trente  milles,  ils  s'écartent  de  nouveau  pour  ne 
se  réunir  enfin  qu'à  près  de  quatre-vingts  lieues  plus  bas.  Au  commencement 
de  notre  période  géologique,  leur  cours  n'était  pas  si  long.  La  mer  pénétrait 
jusque  vers  le  33e  degré,  et  ne  s'arrêtait  qu'aux  dernières  ondulations  du  grand 
plateau  de  formation  secondaire,  qui  descend  du  massif  d'Arménie  :  ils  s'y 
jetaient,  à  vingt  lieues  environ  l'un  de  l'autre,  dans  un  golfe  délimité  à  l'est 
par  les  derniers  contreforts  des  monts  de  l'Iran,  à  l'ouest  par  les  hauteurs 
sablonneuses  qui  bordent  la  lisière  du  désert  Arabique*.  Ils  le  comblèrent  de 
leurs  alluvions,  aidés  de  l'Adhéra,  du  Diyâléh,  de  la  Kerkha,  du  Karoun  et 
d'autres  rivières  qui,  après  s'être  maintenues  longtemps  indépendantes,  sont 
devenues  les  tributaires  du  Tigre.  Leurs  lits,  reliés  par  de  nombreux  canaux, 

t.  Une  légende  locale  rapportée  par  Ainsworth  dans  ses  ï\csc  arches  in  Assyria,  Babylonia  and 
Ghaldœa,  attribue  la  destruction  du  vieux  Bassorah  à  une  série  d'inondations  et  de  tempêtes. 

2.  Pour  la  description  détaillée  du  cours  du  Tigre  et  de  l'Euphrate,  voir  Elisée  Reçus,  Géographie 
universelle,  t.  IX,  p.  377  sqq.  L'Euphrate  s'appelait  en  Assyrien  Pourattou,  Bourattou,  le  fleuve 
par  excellence,  le  grand  fleuve,  par  adaptation  de  Poura-nounou;  le  Tigre  était  Diglat  ou  Idiglat 
(Fr.  Delitzsch,  Wo  lag  das  Parodies?  p.  169-173).  L'étymologie  classique  qui  attribuait  à  ce  dernier 
nom  le  sens  de  flèche,  soi-disant  à  cause  de  la  rapidité  prodigieuse  du  courant  (Strabon,  XI,  14,  8; 
Pline,  H.  Nat.,  VI,  127;  Qiimte-Citrce,  IV,  9,  6),  est  d'origine  persane. 

3.  C'est  l'expression  même  qu'emploie  Pomponus  Mêla,  de  Situ  Qrbis,  1)1,  8  :  «  Occidentem  petit,  ni 
Taurus  obstet,  in  nostra  maria  venturus  ». 

4.  La  constatation  de  ce  fait  a  été  opérée  par  Ross  et  Lynch  dans  deux  articles  du  Journal  of  the 
Geographical  Society,  t.  IX,  p.  446,  472.  Les  Chaldéens  et  les  Assyriens  donnaient  au  golfe  dans 
lequel  les  deux  rivières  se  jetaient  le  nom  de  Nârmarrâtoum,  fleuve  salé,  qu'ils  étendaient  à  la  Merde 
Chaldée,  c'est-à-dire  au  Golfe  Persique  tout  entier  (Fr.  Delitzsch,  Wo  lag  das  Parodies?  p.  180-182). 


L'EUPHRATE,  LE  TIGRE  ET  LEURS  AFFLUENTS.  549 

se  rencontrent  aujourd'hui  vers  le  village  de  Kornah  et  se  mêlent  en  un  seul 
fleuve,  le  Shatt-el-Arab,  qui  roule  leurs  flots  à  la  mer.  Les  boues  qu'ils 
charrient,  arrivées  à  leur  embouchure,  s'y  déposent  et  progressent  rapidement  : 
on  dit  que  le  rivage  avance  d'environ  seize  cents  mètres  par  soixante-dix  ans1. 
L'Euphrate  rallie  dans  sa  partie  supérieure  un  grand  nombre  de  petits  affluents, 
dont  le  plus  important,  le  Kara-Sou,  a  été  confondu  souvent  avec  lui*.  Dans 
sa  partie  moyenne,  le  Sadjour  lui  apporte  sur  la  rive  droite  les  eaux  du 
Taurus  et  de  TAmanus8,  le  Balikh  et  le  Khabour4  lui  versent  celles  du 
Karadja-Dagh  sur  la  rive  gauche;  du  Khabour  à  la  mer  il  ne  reçoit  plus 
rien.  Le  Tigre  se  grossit  sur  la  gauche  du  Bitlis-Khaî5,  des  deux  Zab8,  de 
l'Adhem7,  du  Diyâléh8.  L'Euphrate  est  navigable  depuis  Souméisat,  le  Tigre 
depuis  Mossoul9,  l'un  et  l'autre  presque  aussitôt  en  quittant  la  montagne. 
Us  sont  sujets  à  des  débordements  annuels  qui  se  produisent  au  moment 
où  les  neiges  de  l'hiver  fondent  sur  les  sommets  de  l'Arménie.  Le  Tigre, 
dont  la  source  est  au  penchant  méridional  du  Niphatès  et  dont  le  trajet 
est  plus  direct,  déborde  le  premier  au  commencement  de  mars  et  atteint 
sa  plus  grande  hauteur  vers  le  10  ou  vers  le  12  mai.  L'Euphrate  se  gonfle 
au  milieu  de  Mars  et  ne  bat  son  plein  que  dans  les  derniers  jours  de  mai. 
Sa  baisse  s'accentue  à  partir  du  mois  de  juin;  en  septembre,  tout  ce  que 
les  terres  n'ont  pas  absorbé  est  rentré  entièrement  dans  le  lit.  La  crue  n'a 

1.  Loflus  (TraveU  and  liesearches  in  Chaldsa  and  Susiana,  p.  282)  évaluait,  vers  le  milieu  de 
notre  siècle,  le  progrès  de  l'alluvion  à  un  mille  anglais  (1609m,30)  environ,  pour  une  période  de 
soixante-dix  ans  écoulés;  H.  Hawlinson  (Journal  ofthe  Geographical  Society ,  vol.  XXVII,  p.  186)  pense 
que  le  progrès  était  plus  considérable  dans  l'antiquité  et  l'évalue  à  un  mille  anglais  tous  les  trente 
ans.  Kiepert  (Lehrbnch  der  Allen  Géographie,  p.  138,  note  2)  pense,  d'après  cela,  qu'au  VI*  siècle 
avant  notre  ère,  le  rivage  de  la  mer  courait  à  dix  ou  douze  milles  allemands  (75  ou  90  kil.)  environ  plus 
haut  que  le  rivage  actuel.  G.  Rawlinson  (The  Five  Great  Monarchies,  2*  édit.,  t.  I,  p.  4-5)  estime 
de  son  côté  qu'entre  le  trentième  et  le  vingtième  siècle  avant  notre  ère,  au  moment  où  il  place 
l'établissement  du  premier  empire  Chaldéen,  le  rivage  était  à  plus  de  120  milles  anglais  (102  kilomètres) 
en  arrière  de  l'embouchure  du  Shatt-el-Arab,  au  nord  du  village  actuel  de  Kornah. 

2.  C'est  l'Arzania  des  textes  cunéiformes,  dont  le  nom,  grécisé  sous  la  forme  d'Arsanias,  a  été  trans- 
porté par  les  géographes  et  par  les  historiens  classiques  à  l'autre  bras  de  l'Euphrate,  le  Nourad-Sou 
(Fr.  Dklitzsch,  \Yo  lag  das  Parodies?  p.  182-183). 

3.  En  assyrien,  Sagoura,  Sagouri  (Schrader,  Keilinschriften  und  Geschichtsforschuug,  p.  220). 

4.  Le  Balikh  est  en  assyrien  Balikhi,  BaXtya,  Bt'Xo/o;,  Bclios  (Amxien  Marcellin,  XXIII,  3,  7).  Le  Kha- 
bour n'a  point  modifié  son  nom  depuis  l'antiquité;  il  reçoit  sur  la  droite  le  Kharmish  (Fr.  De  lit  r.  se  h, 
Wo  lag  das  Paradies?  p.  183).  La  forme  grecque  du  nom  est  Xstjilûpa;,  'Apàppaç. 

5.  Le  Kentritès  de  Xénophon  (Anabase,  IV,  2,  1). 

6.  Le  Zab  supérieur,  Lycos  des  Grecs,  est  en  assyrien  Zabou  flou;  l'inférieur,  le  Kapros,  est  le 
Zabou  Shoupalou.  Le  nom  de  Zabatos  se  trouve  dans  Hérodote  (V,  lu),  appliqué  aux  deux  rivières 
(Kiepert,  Lehrbuch  der  Alten  Géographie,  p.  136,  note  3). 

7.  Radânou  des  Assyriens,  Physcos  de  Xénophon  (Anabase,  II,  4,  25)  :  le  nom  subsiste  encore  dans 
celui  d'un  des  bourgs  que  cette  rivière  arrose,  Ràdhân  (Fa.  Drlitzsch,  Wo  lag  das  Paradies?  p.  185). 

8.  En  assyrien,  Tournât,  le  Tornadotus  de  Pline  (//.  Nat.t  VI,  132),  déjà  nommé  A  ici),  a;  par  les  géo- 
graphes grecs  (Kiepert,  Lehrbuch  der  Alten  Géographie,  p.  137,  note  4). 

9.  Chesney,  The  Expédition  ofthe  Survey  of  the  rirers  Euphrates  and  Tigris,  t.  I,  p.  44-45;  c'est 
à  Samosate  que  l'empereur  Julien  avait  fait  construire  une  partie  de  la  flotte  qu'il  emmena  dans  son 
expédition  malheureuse  contre  les  Perses.  Le  Tigre  est  navigable  depuis  Diarbéklr,  pendant  toute  la 
saison  des  hautes  eaux  (Loftis,  Traveh  and  liesearches  in  Chaldsea  and  Susiana,  p.  3). 


.1*0  LA  GHALDËE  PRIMITIVE. 

point  là,  pour  les  régions  qu'elle  recouvre,  la  même  importance  que  celle  du 
Nil  pour  l'Egypte.  Elle  leur  nuit  plus  qu'elle  ne  leur  sert,  et  les  riverains  ont 
toujours  travaillé  à  se  défendre  contre  elle  et  à  la  détourner,  plutôt  qu'à  lui 
faciliter  l'accès  de  leurs  champs  ;  elle  est  pour  eux  le  mal  nécessaire  auquel 
ils  se  résignent,  mais  dont  ils  tâchent  d'atténuer  les  effets1. 

Les  premiers  peuples  qui  colonisèrent  ce  pays  de  rivières,  les  premiers 
du  moins  dont  on  retrouve  la  trace,  paraissent  avoir  appartenu  à  des  types 
très  différents.  Les  principaux  étaient  des  Sémites  et  parlaient  un  dialecte 
voisin  de  l'Àraméen,  de  l'Hébreu  et  du  Phénicien.  On  a  cru  longtemps  qu'ils 
descendaient  du  nord,  et  on  nous  les  a  montrés  cantonnés  d'abord  en 
Arménie,  au  voisinage  de  l'Ararat,  ou  sur  le  cours  moyen  du  Tigre,  au  pied 
des  monts  Gordiéens1.  On  a  proposé  récemment  de  chercher  leur  lieu 
d'origine  dans  l'Arabie  méridionale,  et  cette  opinion  gagne  du  terrain 
parmi  les'  savants'.  Les  monuments  nous  font  connaître  à  côté  d'eux  des 
populations  d'un  caractère  mal  défini,  qu'on  a  voulu  apparenter  sans  trop  de 
succès  à  celles  de  l'Oural  et  de  l'Altaï*,  et  auxquelles  on  prête  aujourd'hui  par 
simple  provision  le  nom  de  Sumériens5.  Elles  venaient,  à  ce  qu'il  semble, 
de  quelque  contrée  septentrionale  ;  même  elles  avaient  apporté  de  leur  patrie 
première  le  système  curieux  d'écriture  qui,  modifié,  transformé,  adopté  par 
dix  nations  diverses,  nous  a  conservé  ce  que  nous  savons  sur  la  plupart  des 

1.  Le  voyageur  Olivier  l'a  constaté  et  dit  en  propres  termes  :  •  Les  terres  y  sont  un  peu  moins  fer- 
tiles [qu'en  Egypte],  parce  qu'elles  ne  reçoivent  pas  le  limon  des  fleuves  avec  la  même  régularité 
que  celles  du  Delta.  Il  faut  nécessairement  les  arroser  pour  qu'elles  produisent,  et  les  garantir  avec 
soin  des  inondations,  qui  sont  ici  dévastatrices,  parce  qu'elles  sont  trop  subites  et  trop  irrégulières  » 
(  Voyage  dans  l'Empire  Othoman,  i Egypte  et  la  Perse,  An  12,  t.  II,  p.  423). 

4.  C'est  l'opinion  exprimée  par  Renan  (Histoire  générale  des  langues  sémitiques,  t*  édit.,  p.  29), 
chez  qui  l'on  trouvera  l'indication  des  auteurs  qui  se  sont  prononcés  en  ce  sens  :  depuis  Renan, 
J.  Guidi  (Délia  Sede  primitiva  dei  Popoli  Semitici,  dans  les  Memorie  délia  H.  Accademia  dei  Lincei% 
$•  III,  t.  III),  Fr.  Lenormant  (les  Origines  de  V Histoire,  t.  Il,  p.  196),  Hommcl  (la  Patrie  originaire 
des  Sémites,  dans  les  Atti  dei  IV  Congresso  Intemazionale  degli  Orientalisti,  p.  217-218,  Die  Namen 
der  Sàugethiere,  p.  496  sqq.,  Die  Semitischen  Vôlker  und  Sprachen,  p.  7,  11-12,  59-63,  95  sqq.,)  ont 
pris  parti  résolument  pour  l'origine  septentrionale  des  Sémites. 

3.  Sayce,  Assyrian  Grammar  for  comparative purposes.  Inédit.,  p.  13;  Sprexaer,  Leben  und  Lehre 
des  Muhammad,  t.  I,  p.  241  sqq.,  et  Al  te  Géographie  Arabiens,  p.  293-295,  surtout  la  note  de  ta 
p.  29»;  E.  Schraper,  die  Abstammung  der  Chaldseer  und  die  Vrsitze  der  Semiten,  dans  la  Zeits.  der 
D.  M.  Gesellschaft,  t.  XXVII,  p.  397  sqq.  ;  Tiele,  Baby Ionise h- Assyrische  Geschichle,  p.  106-107. 

4.  Fr.  Lenormant  a  défendu  cette  hypothèse  avec  ardeur  dans  la  plupart  de  ses  ouvrages  :  elle  est 
longuement  présentée  dans  son  volume  sur  la  Langue  primitive  de  la  Chaldée.  Hommel  maintient 
encore  et  essaie  de  démontrer  scientifiquement  la  parenté  de  la  langue  non  sémitique  avec  le  turc 
{Geschichle  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  125,  244  sqq.). 

5.  Le  nom  d'Accadien,  proposé  par  H.  Rawlinson  et  par  Hincks,  adopté  par  Sayce,  paraît  l'avoir 
cédé  à  celui  de  Sumérien  qu'Oppert  a  mis  en  avant.  L'existence  du  Sumérien  ou  Suméro-Accadien 
a  été  contestée  par  Halévy  dans  plusieurs  mémoires  considérables  :  Recherches  critiques  sur 
l'Origine  de  la  Civilisation  Babylonienne,  in-8,  1876  (Extrait  du  Journal  Asiatique,  1874-1876);  Étude 
sur  les  documents  philologiques  assyriens,  1878,  les  Nouvelles  Inscriptions  chaldéennes  et  la  question 
de  Sumer  et  d'Accad,  1882,  Observations  sur  les  noms  de  nombre  sumériens,  1883  (articles  réuni» 
dans  les  Mélanges  de  Critique  et  d'Histoire  relatifs  aux  peuples  sémitiques,  in-8,  Paris,  1884);  Docu- 
ments  religieux  de  V Assyrie  et  de  la  Babylonie  (in-8,  Paris,  1883);  Aperçu  Grammatical  de  VAllogra- 
phie  Assyro-Babylonienne  (dans  les  Actes  du  0"**  Congrès  International  des  Orientalistes,  t.  I,  p.  535- 


LES  SUMÉRIENS  ET  LES  SÉMITES.  554 

empires  nés  et  morts  dans  l'Asie  Antérieure  avant  la  conquête  perse.  Sémite 
ou  Sumérien,  on  doute  encore  lequel  précéda  l'autre  aux  embouchures  de 
l'Euphrate.  Les  Sumériens,  qui  furent  un  moment  tout-puissants  aux  siècles 
antérieurs  à  l'histoire,  s'étaient  déjà  mêlés  intimement  aux  Sémites,  quand 
l'histoire  s'ouvre  pour  nous.  Leur  idiome  le  cédait  au  sémitique  et  tendait  de 
plus  en  plus  à  devenir  une  langue  d'apparat  et  de  rituel,  qu'on  finit  par  appren- 
dre, moins  pour  l'usage  journalier  que  pour  la  rédaction  de  certaines  inscrip- 
tions royales  ou  pour  l'intelligence  de  très  vieux  textes  juridiques  et  sacrés. 
Leur  religion  s'était  assimilée  aux  religions  et  leurs  dieux  s'étaient  identifiés 
aux  dieux  des  Sémites.  Le  travail  de  fusion  commença  si  anciennement  qu'à 
dire  le  vrai,  il  ne  nous  est  rien  parvenu  du  temps  où  les  deux  peuples  vivaient 
étrangers  entièrement.  Nous  ne  pouvons  donc  discerner  de  manière  authentique 
ce  que  chacun  d'eux  emprunta  à  l'autre,  ce  qu'il  lui  donna,  ce  qu'ils  lais- 
sèrent tomber  de  leurs  instincts  et  de  leurs  mœurs  individuelles.  Il  faut  les 
prendre  et  les  juger  tels  qu'ils  s'offrent  à  nous,  comme  ne  constituant  plus 
qu'une  même  nation,  imbue  des  mêmes  idées,  mue  dans  tous  ses  actes  par 
la  même  civilisation,  et  d'un  caractère  si  fortement  trempé  qu'il  ne  se  modifia 
plus  sensiblement  jusqu'aux  derniers  jours  de  leur  existence.  Ils  subirent  au 
cours  des  âges  les  invasions  et  la  tyrannie  de  vingt  races,  dont  les  unes, 
Assyriens  et  Ghaldéens,  dérivaient  de  la  souche  sémitique,  dont  les  autres, 
Ëlamites,  Cosséens,  Perses,  Macédoniens,  Parthes,  ou  ne  leur  étaient  alliés 
par  aucun  lien  du  sang,  ou  se  rattachaient  d'assez  loin  peut-être  au  tronc 
sumérien.  Ils  éliminèrent  fort  vite  une  partie  de  ces  éléments  superflus, 
absorbèrent  et  digérèrent  le  reste  :  ils  étaient,  comme  les  Égyptiens,  de  ces 
peuples  qui,  une  fois  constitués,  semblent  incapables  de  se  modifier  jamais 
et  se  maintiennent  irréductibles  d'un  bout  à  l'autre  de  leur  vie. 

Leur  pays  devait  présenter  au  début  le  même  aspect  de  désordre  et  d'aban- 
don qu'il  offre  de  nos  jours.  C'était  une  lande  plate,  interminable,  qui  se 
continuait  toute  droite  jusqu'à  l'horizon  et  recommençait  toujours  plus  pro- 

568),  et  dans  quantité  d'articles  parus  entre  temps.  M.  Halévy  propose  de  reconnaître  dans  les  docu- 
ments soi-disant  sumériens  la  langue  sémitique  des  inscriptions  ordinaires,  mais  écrite  avec  un 
syllabaire  hiératique  soumis  à  des  règles  spéciales  :  ce  serait  une  cryptographie,  ou  plutôt  une  alto- 
graphie.  M.  Halévy  a  rallié  successivement  à  son  système  MM.  G u yard  et  Pognon  en  France,  Delitzsch 
et  une  partie  des  élèves  de  Delitzsch  en  Allemagne.  La  controverse,  menée  de  part  et  d'autre  avec 
une  ardeur  parfois  superflue,  continue  encore  :  on  en  verra  l'état  actuel  dans  le  livre  de  Lehman*, 
Sehama*ch$chuniukin>  Kônig  von  Babylonien  (p.  57-178).  Sans  entrer  dans  le  détail  des  arguments,  et 
tout  en  rendant  hautement  justice  à  la  science  profonde  dont  M.  Halévy  a  fait  preuve,  je  suis  obligé 
de  déclarer,  avec  Tiele,  que  sa  critique  «  oblige  les  savants  à  revoir  minutieusement  tout  ce  qui 
a  été  donné  comme  prouvé  en  ces  matières,  nullement  à  rejeter  comme  intenable  l'hypothèse, 
toujours  très  vraisemblable,  d'après  laquelle  la  différence  des  systèmes  graphiques  correspondrait 
à   une  différence  réelle  d'idiome  »  (Babyloniêrh-Atsyrittche  Geschichte,  p.  67). 


552  LA  CHALUÊE  PRIMITIVE. 

fonde,  sans  que  !e  moindre  accident  de  terrain  en  rompît  la  monotonie  :  des 
groupes  espacés  de  palmiers  et  de  mimosas  grêles,  entrecoupés  de  lignes  d'eau 
scintillant  à  distance,  puis  de  longs  tapis  d'absinthes  et  de  mauves,  des  échap- 
pées infinies  de  plaine  brûlée,  de  nouveaux  palmiers,  des  mimosas  nouveaux, 
un  sol  partout  uniforme  d'argile  lourde,  grasse,  tenace,  rayée  par  les  ardeurs 
du  soleil  d'un  réseau  de  fissures  minces  et  profondes,  d'où  les  arbrisseaux  et 
les  herbes  sauvages  jaillissent 
chaque  année  au  printemps. 
Une  pente  presque  insensible 
l'abaisse  lentement   du   nord 
au  sud  vers  le  Golfe  Persique, 
du  levant  au  couchant  vers  le 
plateau  d'Arabie.  L'Euphrate 
s'y  promène,  indécis  et  chan- 
geant, entre  des  berges   fon- 
dantes   qu'il  manie  et    qu'il 
remanie  de  saison  en  saison. 
La  moindre  poussée  de    son 
Ilot  les  entame,  les  crève,  y 

lu  «MUii  «ciaiEai™  «  li  «urini.  Peree    des    "g°les>    donl    'a 

plupart  s'empâtent  et  s'obli- 
tèrent par  le  délayement  de  leurs  bords,  presque  aussi  rapidement  qu'elles  se 
sont  ouvertes.  D'autres  s'élargissent,  se  prolongent,  se  ramifient,  se  trans- 
forment en  canaux  permanents  ou  en  véritables  rivières,  navigables  à  leurs 
heures.  Elles  se  rencontrent  sur  la  rive  gauche  avec  des  bras  détachés  du 
Tigre,  et,  après  avoir  erré  capricieusement  dans  l'entre-deux,  rejoignent  enfin 
leur  fleuve  :  tels  le  Shatt-el-Haî  et  le  Shatt-en-Nil .  Sur  la  rive  droite,  la 
déclivité  les  emmène  aux  collines  calcaires  qui  ferment  le  bassin  de  l'Euphrate 
dans  la  direction  du  désert  :  ils  s'arrêtent  à  leur  pied,  se  déversent  sur  les 
bas-fonds  et  s'y  égarent  dans  les  bourbiers,  ou  se  creusent  à  la  lisière  une 
série  de  lacs,  dont  le  plus  grand,  le  lîahr-ï-Nedjif,  s'encadre  sur  trois  côtés  de 
falaises  abruptes  et  s'enfle  ou  s'abaisse  périodiquement  avec  la  crue.  In  large 
canal,  qui  prend  naissance  vers  Hît,  à  l'entrée  de  la  plaine  d'alluvions,  balaye 
leur  trop-plein  au  passage,  et,  côtoyant   les  derniers  ressauts  de  la  montagne 

1.  Ilettin  de  FaucIiei-Gu/lin,  tVaprtt  un    btu-relirf  atiyrirn  du  palait  de  Simreud  (L»ï.i»u,  tke 
Xonumenti  of  Xiiirech,  f'  Sur.,  pi.  XXVII). 


LA  CONQUÊTE  I)U  PAYS  SLR  LES  EAUX.  553 

d'Arabie  s'écoule  presque  parallèle  à  l'Euphrate'.  A  mesure  qu'il  s'en  va  vers 
le  sud,  les  terrains  s'affaissent  encore,  s'imprègnent,  se  noient,  les  berges 
s'effacent  et  sombrent  dans  les  boues.  L'Euphrate  et  ses  dérivés  ne  parvenaient 
pas  toujours  à  la  mer1:  ils  se  perdaient  la  plupart  du  temps  dans  des  lagunes 
immenses,  où  la  mer  montait  à  leur  rencontre  et  aspirait  leurs  eaux  dans  son 
reflux.  Les  joncs  y  pullulent  en  fourrés  gigantesques  qui  atteignent  quatre  ou 


cinq  mètres  de  taille;  des  bancs  d'une  vase  noire  et  putride  émergent  dans 
les  clairières  et  dégagent  des  fièvres  mortelles.  L'hiver  se  fait  sentir  à  peine  : 
la  neige  est  inconnue,  le  givre  rare  et  léger,  mais  parfois,  le  matin,  une  mince 
pellicule  de  glace  s'étend  sur  les  marais,  qui  fond  aux  premiers  rayons  du 
soleil  *.  Il  pleut  beaucoup  pendant  six  semaines  en  novembre  et  en  décembre, 
puis  les  ondées  diminuent,  s'espacent,  cessent  en  mai,  l'été  s'établit  et  traîne 

1.  Le  bras  dp  l'Euphrate  qui  longe  ainsi  la  montagne  s'appela  le  Pallacopas  ou,  selon  d'autres 
Pallacottas  (Appies,  Guerre»  civitee,  I.  II.  153,  édil.  Dinor)  :  celle  forme,  si  elle  est  authentique,  per- 
mettrai! d'identifier  le  canal  cité  par  les  auteurs  classiques  avec  le  Nar-Palloukat  des  inscriptions 
babyloniennes  (fif.LATTBe,  let  Travail*  hydraulique»  in  Babylonie,  p.  i"). 

t.  Les  écrivains  classiques  notent  ce  Tait  à  plusieurs  reprises  :  ainsi,  au  temps  d'Alexandre  (Amilbi, 
Anabate,  VI],  7}  et  de  ses  successeurs  (Pou**,  IX,  40).  Pline  (//.  Hat..  VI.  Ï7)  attribuait  la  perle  du 
fleuve  a  des  travaux  d'irrigation  exécutés  par  les  habitants  d'Ouronk  :  p  longo  tempore  Eu  pli  raiera 
pra?clusere  Orcheni,  el  accola!  agros  irrigantes.  nec  nisi  per  Tigrini  defertur  ad  mare  ». 

3.  Dttrin  de  Fnurher-Ciudin,  d'aprè»  le  croqui»  de  J.  I)If.iiafoï,  à  Suie,  l88t-l8SS,  Journal  det 
Fouillei.  p.  93. 

*.  Loflus  {Traeelt  and  Rr»eaixhes  in  Chaltlra  and  Suniana,  p.  "3-71,  i4fi-l*"|  attribue  l'abaisse- 
ment de  la  température  pendant  l'hiver  au  passage  du  vent  sur  un  sol  imprégné  de  salpêtre;  •  nous 
étions,  dit-il,  comme  dans  un  immense  appareil  réfrigérateur  >. 


5!H  LA  CIIALDEE  PRIMITIVE. 

jusqu'au  novembre  suivant.  C'est  presque  six   mois  d'une  chaleur  lourde, 
humide,  sans  rémission,  qui  accable  les  hommes  aussi  bien  que  les  animaux 
et  les  rend  incapables  de  tout  effort  constant1.  Parfois  le  vent  du  sud  ou  de 
l'est  se  lève  brusquement,  et  les  tourbillons  de  sable  qu'il  chasse  devant  lui 
courent  par-dessus  champs  et  canaux,  brûlant  en  chemin  ce  qui  avait  échappé 
de  verdure  au  soleil.  Des  nuées  de  sauterelles  voyagent  à  leur  suite  et  com- 
plètent leur  œuvre.  On  entend  d'abord  comme  un  bruit  de  pluie  lointaine  qui 
augmente  à  mesure  qu'elles    approchent.  Bientôt   leurs    bataillons  pressés 
emplissent  l'atmosphère  de  tous  côtés,  la  traversent  à  grande  hauteur  d'un 
vol  lent  et  uniforme.  Ils  s'abattent  enfin,  couvrent  tout,  dévorent  tout,  s'ac- 
couplent et  meurent  en  quelques  jours  :  rien  ne  subsiste  où  ils  sont  tombés*. 
Même  en  cet  état,  le  pays  ne  manquait  pas  de  ressources.  La  terre  était 
presque  aussi  féconde  que  le  limon  de  l'Egypte,  et  comme  lui,  elle  payait  au 
centuple  la  peine  des  habitants3.  Parmi  les  herbes  folles  qui  s'y  propagent  au 
printemps  et  qui  l'habillent  de  fleurs  pour  une  saison  brève,  il  s'en  trouvait 
qu'un  peu  de  culture  rendit  utiles  à  l'homme  et  aux  animaux4.  On  y  avait  le 
choix  entre  dix  ou  douze  espèces  de  légumes,   la  fève,  la  lentille,  le  pois 
chiche,  la  gesse,  le  haricot,  l'oignon,  le  concombre,  l'aubergine,  le  gombo,  la 
courge.  On  extrayait  de  l'huile  à  manger  des  graines  du  sésame,  de  l'huile  à 
brûler  de  celles  du  ricin.  Le  carthame  et  le  henné  fournissaient  aux  femmes 
de  quoi  teindre  les  tissus  qu'elles  fabriquaient  avec  le  lin  et  le  chanvre.  Les 
plantes  d'eau  étaient  plus  nombreuses  qu'aux  bords  du  Nil,  mais  elles  ne 
jouaient  pas  dans  l'alimentation  un  rôle  aussi  important  :  le  pain  de  lis  des 
Pharaons  aurait  semblé  un  maigre  régal  à  des  peuples  habitués  de  vieille  date 
au  pain  de  froment.  Le  blé  et  l'orge  passent  pour  être  indigènes  aux  plaines 
de  l'Euphrate  :  c'est  là  qu'ils  auraient  été  cultivés  pour  la  première  fois  dans 
l'Asie  Occidentale,  c'est  de  là  qu'ils  se  seraient  répandus  en  Syrie,  en  Egypte, 

1.  Loftus  (Travels  and  Researches  in  Chahlva  and  Susiana,  p.  9,  note)  dit  avoir  constate  lui- 
même  aux  environs  de  Bagdad  que  les  oiseaux  à  bout  de  forces  restent  perchés  sur  les  palmiers, 
haletants  et  le  bec  ouvert,  pendant  les  heures  du  jour.  Les  habitants  de  Bagdad  passent,  durant 
l'été,  les  nuits  sur  leurs  maisons,  les  jours  sous  leurs  maisons,  dans  des  couloirs  construits  exprès  pour 
les  préserver  de  la  chaleur  (Olivier,  Voyage  dans  l'Empire  Othoman,  t.  II,  p.  381-382,  392-393). 

2.  Voir  sur  les  sauterelles  Olivier,  Voyage  dans  V Empire  Othoman,  t.  II,  p.  424-425,  t.  III,  p.  441,  qui 
fut  deux  fois  témoin  de  leur  invasion.  L'insecte  n'est  pas  à  proprement  parler  une  sauterelle,  mais  un 
criquet,  VAcridium  peregrinum,  qu'on  rencontre  fréquemment  en  Egypte,  en  Syrie  et  en  Arabie. 

3.  Olivier,  qui  était  médecin  et  naturaliste,  et  qui  avait  visité  l'Egypte  comme  la  Mésopotamie, 
estime  que  les  terres  de  la  Babylonie  sont  un  peu  moins  fertiles  que  celles  du  Delta  (Voyage  dan* 
l'Empire  Othoman,  t.  II,  p.  423).  Loftus,  qui  n'était  ni  l'un  ni  l'autre  et  qui  n'avait  jamais  voyagé  en 
Egypte,  déclare  au  contraire  que  le  sol  des  bords  de  l'Euphrate  n'est  pas  moins  productif  qui» 
celui  des  bords  du  Nil  (Travels  and  Hesearches  in  Chaldœa  and  Susiana,  p.  14). 

4.  La  flore  de  la  Mésopotamie  est  brièvement  décrite  dans  Hcffkr,  Chaldce,  p.  180-182;  cf.  le 
tableau  qu'en  a  tracé  Olivier,  Voyage  dans  l'Empire  Othoman,  t.  II,  p.  41(>  sqq.,  et  p.  443  sqq. 


LA  FLORE  :   LES  CÉRÉALES  ET  LE  PALMIER.  555 

sur  l'Europe  entière*.  •  Le  sol  y  est  si  favorable  ans  céréales  qu'elles  y  ren- 
dent habituellement  200  pour  1,  et  300  dans  les  terres  d'une  fertilité  excep- 
tionnelle. Les  feuilles  du  blé  et  de  l'orge  y  sont  larges  de  quatre  doigts. 
Quant  au  millet  et  au  sésame,  qui,  pour  la  grandeur,  deviennent  là  de  véri- 
tables arbres,  je  ne  dirai  pas  leur  hauteur,  bien  que  je  la  connaisse  par  expé- 
rience, sachant  bien  qu'auprès  de  ceux  qui  n'ont  pas  vécu  en  terre  babylo- 


nienne, ce  que  j'en  raconterais  ne  rencontrerait  qu'incrédulité3.  »  Hérodote 
exagérait  dans  son  enthousiasme,  ou  peut-être  prenait-il  pour  la  règle  géné- 
rale des  exemples  de  rendements  exceptionnels  qu'on  lui  avait  cités 
aujourd'hui  l'orge  et  le  blé  restituent  au  paysan  trente  et  quarante  fois  la 
semence  qu'il  a  confiée  au  sillon'.  *  Le  palmier  suffit  à  tous  les  autres  besoins 
de  la  population.  Un  en  tire  une  sorte  de  pain,  du  vin,  du  vinaigre,  du  miel, 
des  gâteaux  et  cent  espèces  de  tissus;  les  forgerons  se  servent  de  ses  noyaux 
en  guise  de  charbon  ;  ces  mêmes  noyaux,  concassés  et  macérés,  sont  employés 

I.  La  tradition  indigène,  recueillie  par  Bérose,  l'attestait  (fragm.  I  dans  Fa.  I.emuïant,  Etiaide  Com- 
mentaire iur  tri  fragment»  rotmogoniguei  de  Béroie,  p.  6)  et  l'on  cite  ordinairement  le  témoignage 
d'Olivier,  comme  confirmant  relui  de  l'auteur  chaldéon.  Olivier  passe,  en  elTet,  pour  avoir  décou- 
vert de»  céréales  sauvage»  en  Mésopolaiiiio.  11  dit  seulement  [Voyage  dan»  l'Empire  Qthoman, 
t.  111,  p.  iilO)  avoir  rencontré  sur  les  bord»  uc  l'Euphralc,  en  aval  d'Anah,  •  dans  une  sorte  de  ravin, 
le  froment,  l'orge  et  l'époautre  •;  du  contexte  de  son  récit,  il  résulte  évidemment  que  ce  n'étaient 
là  que  des  plants  redevenus  sauvages,  ce  qu'il  avait  déjà  ohscrvé  plusieurs  fois  en  Mésopotamie, 
L'origine  mesopotamienne  des  diverses  espèces  de  froment  et  d'orge  est  admise  par  A,  de  Cindolle 
{Origine  drt  planta  cultirèet.  p.  33.1-361,  cr.  Uabyhniaii  and  Oriental  llerord,  t.  Il,  p.  2ljfi). 

i.  Destin  de  Fauchrr-iludiu,  d'aprèt  un  cylindre  du  Mutée  de  la  Haye  (Mekam,  Catalogue  dru 
Cylindre*  orientaux  du  Cabinet  drt  Médaille*,  pi.  III.  n°  i-t;  cf.  I..u.tm,  Introduction  à  l'étude  du 
Culte  de  Milhra  eu  Orient  et  en  Orndcnt,  pi.  XXVII,  ').  L'original   mesure  ll-,l>îu  de  hauteur. 

3.  IlsaoBoit  I,  cicm,  au  témoignage  duquel  on  peut  joindre,  parmi  les  écrivains  anciens,  celui  du 
naturaliste  Théophrasle  (Hittoria  Plantarum,  VIII,  7)  et  du  géographe  Strabon  (XVI,  p.  7il). 

1.  Oliiieb,  Voyage  daim  r Empire  Othoman,  l'Egypte  et  la  Perte,  I.  Il,  p.  Wu. 


556  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

à  la  nourriture  des  bœufs  et  des  moutons  qu'on  engraisse1.  »  On  soignait  avec 
amour  un  arbre  aussi  utile,  on  observait  ses  mœurs,  on  favorisait  sa  repro- 
duction en  secouant  les  fleurs  du  mâle  sur  celles  de  la  femelle;  les  dieux 
eux-mêmes  avaient  enseigné  cet  artifice  aux  mortels,  et  on  les  représentait 
souvent  une  grappe  de  fleurs  à  la  main  droite,  avec  le  geste  du  fellah  qui 
féconde  un  palmier2.  Les  arbres  à  fruit  se  mêlaient  partout  aux  arbres 
d'ornement,  le  figuier,  le  pommier,  l'amandier,  le  noyer,  l'abricotier,  le  pis- 
tachier, la  vigne,  aux  platanes,  aux  cyprès,  aux  tamarisques,  à  l'acacia  :  la 
plaine  était  aux  époques  prospères  un  grand  verger  qui  s'étendait  ininter- 
rompu du  plateau  de  Mésopotamie  aux  rivages  du  golfe  Persique8. 

La  flore  aurait  été  moins  riche,  que  la  faune  eût  subvenu  aisément  aux 
nécessités  d'un  peuple  nombreux*.  Une  bonne  partie  des  tribus  du  Bas- 
Euphrate  n'ont  subsisté  longtemps  que  de  poisson.  Elles  le  mangeaient  frais, 
salé,  fumé  :  elles  le  séchaient  au  soleil,  le  pilaient  dans  un  mortier,  tamisaient 
la  poudre  au  linge  et  en  pétrissaient  une  manière  de  pain  ou  des  gâteaux*.  Le 
barbeau  et  la  carpe  atteignent  de  fortes  dimensions  dans  ces  eaux  lentes,  et, 
si  les  Chaldéens  préféraient  sans  doute  ces  espèces  aux  autres,  comme  les 
Arabes  qui  leur  ont  succédé  en  ces  cantons,  ils  ne  dédaignaient  point  les  variétés 
moins  délicates,  l'anguille,  la  murène,  le  silure,  même  ce  grondin  singulier 
dont  les  habitudes  étonnent  nos  naturalistes.  Il  séjourne  dans  l'eau  à  l'or- 
dinaire, mais  l'air  libre  ne  l'effraie  point  :  il  saute  sur  les  berges,  grimpe  aux 
arbres  sans  trop  de  peine,  s'oublie  volontiers  sur  les  bancs  de  boue  que  la 
marée  découvre,  et  s'y  vautre  au  soleil,  sauf  à  s'enlizer  en  un  clin  d'œil  si 
quelque  oiseau  l'avise  de  trop  près6.  Le  pélican,  le  héron,  la  cigogne,  la  grue, 

1.  Strabon,  XVI,  I,  14;  cf.  TmtoPHRASTE,  Uist.  Plant.,  II,  2,  Pline,  Mis  t.  Sa  t.,  XIII,  4.  Aujourd'hui 
encore,  les  indigènes  emploient  le  palmier  et  ses  diverses  parties  aux  mêmes  usages  (A.  Rich, 
Voyage  aux  ruines  de  llabylonc,  p.  154  de  la  traduction  française  où  Raimond,  ancien  consul  de 
France  à  Bagdad,  a  complété  fort  heureusement  les  indications  de  l'auteur  anglais). 

2.  L'idée  que  les  Chaldéens  avaient  connu  la  fécondation  artificielle  du  palmier,  de  toute  antiquité, 
a  été  émise  la  première  fois  par  E.  B.  Tylor,  The  Fertilisation  of  Date-Palms,  dans  The  Academy, 
8  juin  1886,  p.  396,  et  dans  Sature,  1890,  p.  283,  ainsi  que  The  winged  figures  of  the  Assyrian  and 
olher  Ancieul  Monuments,  dans  les  Proceedings,  t.  XII,  1890,  p.  383-393;  cf.  Bonavia,  Did  the  Assyrian  s 
knoiv  the  Sejres  of  the  Date-Palms,  dans  the  Babylonian  and  Oriental  Record,  t.  IV,  p.  64-69,  89-95. 

3.  C'est  ainsi  que  les  légions  romaines  la  virent  encore,  au  IV0  siècle  après  notre  ère,  quand  l'em- 
pereur Julien  l'envahit,  pendant  sa  dernière  campagne  :  «  In  his  regionibus  agri  sunt  pi  tires  consiti 
vineis  varioque  pomorum  génère  :  ubi  oriri  arbores  adsuetae  palmarum,  per  spatia  ampla  adusque 
Mescnem  et  marc  pertinent  magnum,  instar  ingentium  nemorum  »  (Ammikn  Marcellin,  l.  XXIV,  3,  là). 

4.  Hœfer  a  réuni  les  renseignements  que  nous  possédons  sur  la  faune  actuelle  des  pays  du  Tigre  et 
de  l'Euphrate  (Chaldée,  p.  182-186),  et  son  travail  est  le  seul  que  nous  possédons  sur  la  matière.  Pour 
les  animaux  nommés  et  représentés  sur  les  monuments,  on  peut  consulter  Fr.  Demtxsch,  Assyriscfœ 
Stndien  :  I,  Assyrischc  Thiernamen,  et  \V.  Hoightos,  On  the  Mammalia  of  the  Assyrian  Sculptures, 
dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  V,  p.  33-64,  319-388. 

5.  Hérodote,  I,  ce.  La  façon  originale  dont  les  Arabes  du  Bas-Euphrate  pèchent  le  barbeau  au 
harpon  a  été  décrite  rapidement  par  Layard,  Nineveh  and  Rabylon,  p.  567. 

6.  Ainsworth,  Hcsearches  in  Assyria,  p.  135-136,  Frazkr,  Mesopotamia  and  Assyria,  p.  373. 


LA  FAUNE  :  LES  POISSONS  ET  LES  OISEAUX.  557 

le  cormoran,  cent  races  de  mouettes,  de  canards,  de  cygnes  et  d'oies  sauvages, 
d'une  pâture  inépuisable,  s'ébattent  et   prospèrent   dans  les  joncs. 


L'autruche  et  la  grosse  outarde,  la  perdrix,  la  caille,  le  francolin  se  canlon- 
nent  sur  les  confins  du  désert,  mais  la  grive,  le  merle,  l'ortolan,  les  pigeons, 
les  tourterelles,  foisonnent  de  tout  côté,  malgré  le  massacre  qu'en  font  jour- 
nellement l'aigle,  le  faucon,  l'épervieret  les  autres  oiseaux  de  proie*.  Les  ser- 

1.  Bénin  de  Faucher-Guiliit,  d'uprëx  un  bat-relief  tir  {iimrond  emuercé  nu  Brititk  Muséum. 
t.  Pour  les  oiaeaux  reprenant!.1»  ou  iiommila  sur  los  moinimeiils,  voir  la  monographio  dp  W.  Ilou.mos, 
Thr.  Hirds  of  Ihe  Atsyrian  Monuments  and  Hrcnrds,  dans  lo*  Transncliont,  t.  VIII.  p.   il-Hi. 


5H8  LA  CHALDEE  PRIMITIVE. 

pents  se  cachent  un  peu  partout,  inoffensifs  pour  la  plupart  :  on  n'en  connaît 
que  trois  variétés  qui  soient  dangereuses,  encore  leur  venin  ne  produit-il  pas 
les  effets  foudroyants  de  celui  des  vipères  à  corne  ou  des  urseus  égyptiennes. 
Les  lions  sont  de  deux  genres,  les  uns  sans  crinière,  les  autres  encapuchonnés 
d'une  lourde  perruque  noire  et  emmêlée  :  leur  nom  indigène  signifie  propre- 
ment le  gros  chien,  et,  de  fait,  ils  ressemblent  plus  à  des  chiens  de  belle  taille 
qu'à  nos  lions  roux  d'Afrique1.  Ils  fuient  l'homme,  se  rencoignent  pendant  le 


jour  dans  les  marais  ou  dans  les  buissons  qui  bordent  les  rivières,  et  sortent 
de  nuit,  comme  le  chacal,  pour  courir  la  campagne.  Forcés,  ils  reviennent  sur 
le  chasseur  et  se  battent  en  désespérés  :  de  même  que  les  Pharaons,  les  rois 
chaldéens  ne  craignaient  pas  de  se  mesurer  avec  eux  corps  à  corps  et  se  van- 
taient d'en  avoir  détruit  beaucoup  comme  d'un  service  rendu  à  leurs  sujets. 
L'éléphant  parait  avoir  hanté  assez  longtemps  tes  steppes  du  moyen  Euphra  te': 
on  n'y  signale  plus  sa  présence  à  partir  du  xin1'  siècle  avant  notre  ère,  et  il 

I,  l.c  nom  sumérien  du  lion  l'sl  lik-makh,  le  (,'raml  cliieii.  I.;i  meilleure  description  de  la  pre- 
mière espèce  est  euro™  celle.  d'Ulmvr  (Voyage  duiit  l'Emuirr  llllwman,  1.  Il,  p.  4iii~iiT),  c|ui  en  vil 
cil»]  en  captivité  chez  le  pacha  île  l!ae;dad;  cf.  I.iy.iwi,  Xinerch  aiitt  Baliylim,  p.  187. 

t.  Détail!  de  Fauehrr-tiurlitt,  il'ajirii  mi   bai-relief  de    \nnrnud.  rontervë  au  Ilrilith  Mutriim. 

3.  La  présence  [le  l'éléphant  dans  la  Mésopotamie  et  a  Syrie  du  Nord  est  liien  prouvée  par  l'inscrip- 
liuii  i''(,'y|>lU'iiiie  (l'Ameiuriiilulii  .iu  iv  siècle;  ef.  Vu.  bAimiM,  Sur  l' rxiateure  de  [éléphant  daim  la 
UétepotamU  an  XII'  siècle  avant  1ère  rfirrrliemiti,  dans  les  Comptes  rendus  de  F  Académie  des  Imcrip- 
liiiH*,  S'  série,  t.  I,  p.  1711-183.  I.e  père  l>elallre  »  réuni  ilans  Encore  un  mot  sur  la  Géographie  At*g- 
riemie.  p.  3'1-ill.  la  plupart  i1i-h  piissu^es  d'iiiui-riptimin  eu  né  [Tonnes  i|iii  limitent  de  J'éléplianl. 


LE  LION  ET  L'UtUIS.  55» 

ne  fut  dès  lors  qu'un  objet  de  curiosité  importé  à  grands  frais  des  contrées 

lointaines.   Il   n'est  pas  du  

reste  le  seul  animal  qu'on 
ait  supprimé  de  la  sorte  au 
cours  des  siècles  :  les  sou- 
verains de  Ninive  pourchas- 
sèrent si  hardiment  l'unis 
qu'ils  finirent  par  l'anéantir*. 
Plusieurs  sortes  de  pan- 
thères et  de  félins  moyens 
gîtaient  dans  les  halliers  de 
la  Mésopotamie.  L'hémione 
et  l'onagre  erraient  par  pe- 
tites  bandes  entre  le  Balikli  et  le  Tigre.  Il  semble  qu'on  ait  essayé  de  les 


apprivoiser  à  une  époque  très  ancienne  et  de  s'en  servir  pour  tirer  des  cha- 

I.  C'est  le  rimait  des  textes  et  le  taureau  BJRantesque  des  tableaux  de  chasse  (W.  Ilorsinns,  On  (ht 
Mnmmalia,  dans  les  Tranaartiim*  île  la  Korii'-lé  «"Archr'-o1(i|fir  Biblique,  t.  V,  (>.  33fi-3.il]). 

î.  Pétrin  lie  Faiirhrr-Guilin  d'aprtt  un  bat-relirf  a**yrien  tir  Ximrmiil  I.iyimi.  Monummli  of 
Kitiereli,  \"  Ser.,  |il.  II).  L'anima)  est  masqua  en  jinrtip  sur  l'nrifiinul  par  les  roues  d'un  char. 

3.   Peitinde  Faurlier-Ciiiliu  ifiipret  un  bat-relief  du  llritith  Muteum  (cf.  I'i.ji:k.  Ninirr.p\.  :.\,\). 


560  LA  CHALItÊE  PRIMITIVE. 

riots,  mais  cette  tentative  ou  ne  réussit  pas  ou  donna  des  résultats  si  incer- 
tains qu'on  y  renonça  dès  que  l'on  connut  des  espèces  moins  réfractaïres  à 
la  domestication'.  Le  sanglier  et  son  cousin,  le  porc  ordinaire,  peuplaient 
tous  les  bourbiers;  les  sculpteurs  assyriens  se  sont  amusés  quelquefois  à 
représenter  dans  leurs  tableaux  de  longues  truies  maigres,  filant  parmi  les 
roseaux  avec    leur    innombrable   progéniture".   Comme  en  Egypte,    le  porc 


demeurait  à  demi  domestique,  et  l'homme  ne  comptait,  sans  parler  du  chien, 
qu'un  petit  nombre  de  vrais  serviteurs,  l'àne  et  le  bœuf,  la  chèvre  et  le  mou- 
ton; le  cheval  et  le  chameau  étaient  inconnus  au  commencement  et  ne  furent 
introduits  qu'après  coup*. 

Nous  ne  savons  rien  des  luttes  que  les  premiers  habitants,  Sumériens  ou 
Sémites,  eurent  à  soutenir  pour  vaincre  les  eaux  et  pour  soumettre  la  terre  : 
les  monuments  les  plus  anciens  nous  les  montrent  déjà  maîtres  du  sol  et  depuis 
longtemps  civilisés*.  Les  principales  de  leurs  cités  se  répartissaient  en  deux 

.  I.  Xk»umu>:i,  Anal>a*t,  I,  :;;  cf.  I.ayabd,  Sinernh  and  it*  irmain:  t.  I,  p.  SU,  note,  G.  R*»l.i:uos.  Thr 
Fivt  Ancient  Monarchirn,  t.  I,  p.  ÏM-iï5.  L'onagre:  représenté  sur  1ns  monuments  parait  Cire  l'Eauua 
llemîppui  (W.  Hotr.HTO*,  On  Ihe  Mammaiia,  dans  les  Traniaction*.  t.  V,  p.  37it-380). 

t.  A  propos  du  pore  sauvage  ou  du  sanglier  et  du  nom  que  ces  animaux  ont  porté  dans  Ifs 
i ii'..- ri ji lions  cunéiformes,  cf.  Jkxski,  des  Wildâr/iarin  in  den  A'tyriith-Rahylonittrhen  Intchrifleri , 
dans  la  Zcilirhrift  fvr  Aituriologie,  t.  I,  p.  3IM3-31Î. 

3.  Detsin  dr  FawcÀer-Gndin,  d'apres  vu  but-  relief  ns*yriru  ilr  Koytiimdjik  (Liïabb,  The  Moiwmfiilt 
af  Sinereh,  f  Ser..  pi.  SS). 

4.  Le  clieval  est  désigné  dans  les  textes  assirii-ns  par  un  ensemlile  île  signes  qui  signifient  ■  lane  de 
l'Est  »,  et  le  chameau  par  d'autres  signes  où  le  caractère  ïtnr  entre  également,  Des  façons  de  rendre  le 
nom  des  deux  espèces  montre  bien  qu'elles  étaient  inconnues  aux  temps  les  plus  anciens  :  l'époque  de 
leur  importation  est  incertaine.  On  trouve  un  char  attelé  de  chevaux  sur  la  Stèir  da  Vautour*,  vers 
3000:  quant  aux  chameaux,  ils  sont  mentionnés  comme  butin  fait  sur  les  Bédouins  du  désert. 


LES  CITÉES  DU  NORD  ET  DU  SUD.  561 

groupes  :  ('un  au  midi  dans  le  voisinage  de  la  mer,  l'autre  plus  au  nord,  à  l'en- 
droit où  l'Euphrate  et  le  Tigre  ne  sont  séparés  que  par  un  isthme  assez 
étroit.  Sept  d'entre  elles  composaient  celui  du  midi,  parmi  lesquelles  Éridou 
se  rapprochait  le  plus  de  la  côte'.  Elle  s'élevait  sur  la  rive  gauche  de 
l'Euphrate,  au  point  qu'on  appelle  Abou-Shahréùi*.  Un  peu  vers  l'ouest,  et  sur 
la  rive  opposée,  mais  à  quelque  distance  du  fleuve,  le  tertre  de  Moughéîr 


marque  le  site  d'Ourou,  la  plus  importante  sinon  la  plus  vieille  des  villes 
méridionales4.  Lagash  occupait  l'emplacement  de  Telloh  au  nord  d'Eridou, 

aux  embouchures  Je  l'Euphrate  et  du  Tigre,  La  légende  du  poisson  Oannès  (Bt.Ross,  fragm.  I),  qui 
semble  cacher  quelque  indication  à  ce  sujet  (cf.  Fa.  I.kmimakt,  Estai  sur  un  document  mathématique, 
[i.  I J3-I3S,  et  Estai  de  Commentaire  sur  les  fragments  cotmogoniques,  p.  ÏÎU-ÎÏ3,  où  cette  idée  ■ 
été  développée  pour  la  première  fois),  n'est  qu'une  tradition  mythologique  de  laquelle  on  a  eu  tort 
de  vouloir  tirer  des  conclusions  historiques  (Tir.ii:,  Uabylonitch-Assyritche  Getchichle,  p.  11)1). 

1.  La  plupart  des  identifications  courantes  aujourd'hui  entre  les  noms  anciens  et  les  sites  modernes 
sont  dues  au\  premiers  maîtres  de  l'Assyriolugic,  Bincki,  Oppert,  II.  Ttaulinson.  Comme  elles  sont 
éparses  dans  des  brochures  d'accès  difficile,  je  me  borne  le  plus  souvent  à  renvoyer  le  lecteur  aux 
ouvrages  où  les  assyriologues  de  In  seconde  génération  ont  résumé  et  complété  ces  recherches,  sur- 
tout a  celui  de  Fa.  Dkliiiwh,  Ho  lag  dai  Paradiesï  et  à  celui  de  IIoiiel,  Gesehickte  babyloniens 
und  AstyrUnt.  p.l»5-î34,  qui  les  présente  réunies  sous  une  forme  commode. 

î.  Éridou,  abrégé  en  Hitou  (Sait»,  Early  Ilislory  of  Dubyloma,  dans  les  Transaction!  de  la  Société 
d'Archéologie  Biblique,  1.  I,  p.  SU),  peut-être  la  Rata  de  Ptolémée  (Oppebt,  Expédition  en  Mésopo- 
tamie. I.  I,  p.  Î(Î9),  dans  la  langue  non  sémitique  tfoun  et  Eridougya  (Vu.  Delitesck,  Ho  lag  das 
Paradiet?  p.  Ïi1-Ï38).  Les  ruines  en  ont  été  décrites  par  Taylor  (Hôtes  on  AbuSkakrein  and  Tel- 
el-Lahm,  dans  le  Journal  of  the  II.   Ai.  Society,  t.  XIV,  p.  i\t  sqq.). 

3.  Destin  de  Faucher-Gudin,  daprrt  le  bas-relief  de  Koyaumtjib  (l.inan,  The  Monuments  of 
Sinevth.  V  Ser.,  pi.   lï.  n*  t). 

i.  Ouroum,  Ourou,  qui  signifie  •  la  ville  •  par  excellence  (Fa.  Delitisch,  IVo  lag  dat  Paradietf 
p.  416-*!-),  est  peut-être  l'Our  des  Chaldéens  qui  est  mentionnée  dans  la  Bible  {Gcnete,  XI,  48; 
Séhénùe,  IX,  1),  mais  cette  idenliticalion  n'est  rien  moins  que  certaine,  et  beaucoup  de  savants 
hésitent  encore  a  l'adopter  (IIilêvy,  Mélange*  d'Epigraphie  et  dArchéotogîe  némitiquet,  p.  "4-86), 
malgré  l'autorité  de  Itawlinson.  Oppert,  qui  avait  d'abord  lu  le  nom  Kalounou,  pour  y  reconnaître 
la  Calannéh  de  l'Écriture  (Expédition  en  Mésopotamie,  t.  I,  p.  Ï58  sqq),  se  rallia  plus  lard  à  l'opi- 
nion de  llawlinson  (Inscription*  de  Dour-Sarkayan,  p.  3,  0,  note)  ainsi  que  Schrader  (Die  Keitin- 


564  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

non  loin  du  Shatt-el-Hai !  ;  Nisin*  et  Mar\  Larsam*  et  Ourouk5  s'échelonnaient 
sur  les  terrains  fangeux  qui  s'étendent  entre  l'Euphrate  et  le  Shatt-en-Nil . 
Les  inscriptions  nomment  ça  et  là  d'autres  localités  moindres,  dont  on  n'a  pas 
réussi  à  retrouver  les  ruines,  Zirlab,  Shourippak,  aux  bouches  de  l'Euphrate, 
où  l'on  s'embarquait  pour  la  traversée  du  golfe  Persique6,  l'ile  de  Dilmoun, 
isolée  à  une  quarantaine  de  lieues  vers  le  sud,  au  milieu  de  la  Mer  Salée  — 
Nâr-MaiTatoum1 .  Le  groupe  du  nord  comprenait  Nipour8,  V  «  incomparable  * 
Barsip,  sur  le  canal  parallèle  à  l'Euphrate  et  qui  tombe  dans  le  Bahr-î-Nedjîf*, 
Babylone,  la  «  porte  du  Dieu  »,  la  «  demeure  de  vie  »,  la  seule  des  métro- 
poles euphratéennes  dont  la  postérité  ne  perdit  jamais  le  souvenir,  Kishou10, 
Kouta11,  Agadé11,  enfin  les   deux  Sippara13   de   Shamash    et   d'Ânounit.  La 

êchriften  und  das  Allé  Testament,  1"  éd.,  p.  383-384).  Le  nom  de  Moughélr  (plus  correctement 
Mouqayér)  qu'elle  porte  aujourd'hui  signifie  la  bituminée,  de  qir,  bitume,  et  s'explique  par  l'emploi 
du  bitume  comme  ciment  dans  une  partie  des  constructions  qui  s'y  trouvent. 

1.  Le  nom  a  été  lu  tout  d'abord  Sirtclla,  Sirpourla,  Sirgoulla  :  la  forme  Lagash  a  été  décou\crte 
par  Pinchcs  (Guide  to  the  Koyunjik  Gallery,  p.  7,  et  Lagash,  not  Zirgulla,  Zirpourla,  Sirpulla,  dans 
le  liabylonian  and  Oriental  Becord,  t.  III,  p.  24). 

2.  Nisin,  ISishin  ou  Ishin  (Bezold,  dans  la  Zeitschrifl  fur  Assyriologie,  t.  IV,  p.  1430),  car  les 
deux  formes  existent,  a  été  identifiée  par  G.  Smith  (Early  Hislory  of  Babylonia,  dans  les  Transac- 
tions de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  I,  p.  29-30)  avec  Karrak  :  le  site  en  est  inconnu. 

3.  Mar  est  aujourd'hui  Tell-Ede  (Fr.  Delitzsch,  Ho  lag  das  Parodies?  p.  223). 

4.  Larsam  s'appelle  en  sumérien  Babbar  ounnu,  la  demeure  du  Soleil;  c'est  aujourd'hui  Senkéréh. 

5.  Ourouk  s'appelait  Ounoug,  Ounou  dans  l'ancienne  langue  :  elle  devint  plus  tard,  dans  la  Bible 
Erech  (Genèse,  X,  10;  "Ope-/.  LXX),  Araka  et  Orchoé  chez  les  Grecs  (Strabon,  XVI,  1  ;  Ptolënée,  V,  20). 
C'est  aujourd'hui  Warka,  dont  les  ruines  ont  été  décrites  par  Loft  us  (Travels  and  Besearches  in 
Chaldxa  and  Sus  i  an  a,  p.  159  sqq.). 

6.  Zirlaba,  Zarilab  a  pour  nom  Koulounou,  «  Demeure  de  la  descendance  »,  dans  la  langue  non  sémi- 
tique :  ce  qui  permet  de  l'identifier  à  la  Kainéh,  kalannéh,  de  la  Genèse  (X,  10),  contre  la  tradition  du 
Talmud,  d'après  laquelle  cette  dernière  ville  serait  identique  à  ISipour,  Nifler  (Nfxb.u f.r,  Géographie 
du  Talmud,  p.  346,  note  6).  Le  rapprochement  de  Zirlab-Koulounou  avec  Zerghoul  (Oppert,  Expédition 
en  Mésopotamie,  t.  I,  p.  269-270)  n'est  plus  admis  généralement  (Tielk,  Babylonisch-Assyrische  Ges- 
chichte,  p.  86).  Les  textes  relatifs  à  Shourippak,  Shourouppak,  ont  été  réunis  par  G.  Smith  (The 
Elèvent  h  Tablet  of  the  Izdubar  Legends,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique, 
t.  III,  p.  589);  ils  ne  nous  permettent  point  de  déterminer  le  site  de  la  ville. 

7.  Le  site  de  Dilmoun  est  fixé  par  Oppert  (le  Siège  primitif  des  Assyriens  et  des  Phéniciens,  dans 
le  Journal  Asiatique,  1880,  t.  XV,  p.  90-92  et  349-350)  et  Rawlinson  (dans  le  J.  of  the  B.  Asiatic  Soc., 
1880,  t.  XII,  p.  201  sqq.)  à  Tylos,  la  plus  grande  des  lies  Bahréin,  aujourd'hui  Saraak  Bahréîn,  où 
le  capitaine  Durand  a  trouvé  des  restes  d'occupation  babylonienne,  dont  une  inscription  (/.  of  t/te 
B.  Asiatic  Soc,  1880,  p.  192  sqq.).  Fr.  Delitzsch  propose  d'y  reconnaître  une  Ile,  placée  vers  l'em- 
bouchure du  Shatt-cl-Arab  et  qui  serait  perdue  dans  les  allusions  (Fr.  Delitzsch,  Ho  lag  das  Parodies? 
p.  229-230).  Dilmoun  s'appelait  Sitouk  en  sumérien  (Oppert-Menavt,  Inscription  de  Khorsabad,  p.  116). 

8.  Nipour,  IN ip pour,  Inlil  en  sumérien,  est  Niflerprès  le  Shatt-eii-Nîl,  à  la  limite  des  marais  d'Aflfedj. 

9.  Barsip,  Borsippa,  la  seconde  Babylonc  (Fr.  Delitzsch,  Ho  lag  das  Parodies?  p.  216-217)  est  le 
Birs-Nimroud  (Oppert,  Expédition  en  Mésopotamie,  t.  I,  p.  200  sqq.). 

10.  Kishou  est  à  présent  El-Ohaimir  (Hoxmel,  die  Semilischen  Yolker,  p.  233,  235  sqq.). 

11.  Koutou,  Kouta,  dans  la  langue  non  sémitique  Goudoua,  est  aujourd'hui  Tell-Ibrahim. 

12.  Agadé  ou  Agané  a  été  identifiée  avec  une  des  deux  villes  dont  Sippara  se  composait  (Fr.  Delitzsch, 
Wo  lag  das  Parodies?  p.  209-212;  Fr.  Lkm>rna.nt,  les  Premières  Civilisations,  t.  II,  p.  195),  plus  spécia- 
lement celle  qu'on  nommait  Sippara  d'Anounit  (Uommki.,  Gcschichlc  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  204)  ; 
la  lecture  Agadi,  Agadé,  a  été  mise  en  avant  surtout  pour  amener  une  identification  avec  l'Accad  de 
la  Genèse  (X,  10;  cf.  G.  Smith,  Assyrian  Discoveries,  p.  225,  note  1)  et  avec  l'Akkad  de  la  tradition  indi- 
gène. Cette  opinion  est  abandonnée  par  la  plupart  des  assyriologues(FR.  Dei.itzsch-NCrdtkr,  Gcschichte 
Babyloniens  und  Assyriens,  t"  éd.,  p.  73:  Lkiounn,  Schamaschschumukin  Kônig  von  Babylonien, 
p.  73),  et  Agané  n'a  pas  encore  de  site  déterminé.  Elle  n'était  pas  fort  éloignée  de  Babylone. 

13.  Sippara  de  Shamash  et  Sippara  d'Anounit  forment  la  Sépharvaîin  de  la  Bible  (//  Bois,  XVII,  24,  31); 
les  ruines  en    ont  été  retrouvées  par  Horinuzd  Bassam  dans  les  doux   monticules  d'Abou  llabba  et 


LES  TRI11US  VOISINES  TIE  I.A  CHALDEE.  S63 

première  civilisation  chaldéenne  tenait  donc  presque  entière  sur  les  deux 
rives  du  Bas-Euphrate  :  elle  n'atteignait  le  Tigre  qu'à  la  limite  septentrionale 
de  son  domaine  et  sans  le  franchir.  Isolée  du  reste  du  monde,  à  l'est  par  les 
marais  qui  bordent  ce  fleuve  dans  sa  partie  inférieure,  au  nord  par  le  plateau 
mal  arrosé  et  mal  peuplé  de  la  Mésopotamie,  à  l'ouest  par  le  désert  d'Ara- 
bie, elle  avait  pu,  de  même  que  la   civilisation  de  l'Egypte,  se  développer 


comme  en  vase  clos,  et  suivre  en  paix  ses  destinées.  Le  seul  danger  sérieux 
qu'elle  eut  à  redouter  lui  venait  de  l'est,  où  les  Kashshi  et  les  Llamites,  con- 
stitués en  monarchies  militaires,  ne  cessaient  de  pousser  leurs  armées  contre 
elle  d'année  en  année.  Les  Kashshi  n'étaient  guère  que  des  montagnards 
à  demi  policés,  mais  l'Ëlam  possédait  une  culture  très  avancée,  et  Suse,  sa 
capitale,  le  disputait  en  antiquité  et  en  éclat  aux  villes  les  plus  riches  de 
l'Euphrate,  à  Ourou  et  à  Dabvlone.  Partout  ailleurs  on  ne  rencontrait  que 
des  tribus  pillardes,  gênantes  pour  leurs  voisins,  mais  dont  les  incursions,  si 
ruineuses  qu'elles  fussent,  ne  compromettaient  pas  l'existence  du  pays  et  ne 
se  terminaient  jamais  par  une  conquête,  les  Gouti  au  Nord-est,  sur  la  rive  du 

f  Aiicienl  Babylonien  Cttiet,  dans  les 


564  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

Tigre,  les  Shouti  au  nord  des  Gouti.  Il  semble  que  les  Chaldéens  eussent 
déjà  commencé  à  les  entamer,  et  à  installer  chez  eux  quelques  colonies,  El- 
Ashshour  aux  bords  du  Tigre,  Harran  à  l'extrémité  opposée  de  la  plaine 
de  Mésopotamie,  vers  les  sources  du  Balikh.  Au  delà,  c'était  le  vague  et 
l'inconnu,  Tidanoum1,  Martou*,  la  mer  du  soleil  couchant,  les  régions  immenses 
de  Miloukhkha  et  de  Mâgan8  :  l'Egypte,  du  jour  où  l'on  apprit  son  existence, 
fut  une  contrée  à  demi  fabuleuse,  perdue  aux  rebords  de  l'univers. 

Le  temps  qui  fut  nécessaire  pour  tirer  le  peuple  de  la  sauvagerie  et  pour 
constituer  tant  de  cités  florissantes?  Les  lettrés  ne  se  résignaient  pas  à 
l'ignorer.  De  même  qu'ils  avaient  dépeint  le  chaos  primordial,  et  la  naissance 
des  dieux,  et  leurs  luttes  pour  la  création,  ils  racontaient  sans  hésitation  tout 
ce  qui  s'était  passé  depuis  l'éclosion  de  l'homme,  et  ils  prétendaient  calculer 
le  nombre  de  siècles  qui  divisaient  les  générations  présentes  de  l'origine 
des  choses.  La  tradition  la  plus  accréditée  à  Babylone  vers  l'époque  grecque, 
celle  que  Bérose  avait  consignée  dans  ses  histoires,  affirmait  qu'un  assez 
long  intervalle  s'écoula  entre  la  manifestation  d'Oannès  et  l'avènement  d'une 
dynastie.  «  Le  premier  roi  fut  Alôros  de  Babylone,  Chaldéen,  duquel  on  ne 
dit  rien,  si  ce  n'est  qu'il  fut  choisi  de  la  divinité  même  pour  être  pasteur  du 
peuple.  Il  régna  dix  sares,  ce  qui  fait  trente-six  mille  ans,  car  le  sare  est  de 
trois  mille  six  cents  ans,  le  nère  de  six  cents  ans,  le  sôsse  de  soixante  ans. 
Alôros  étant  mort,  son  fils  Alaparos  commanda  trois  sares  durant  ;  après  quoi, 

1.  Tidanoum  est  le  pays  du  Liban  (Hommel,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  329). 

2.  Martou  est  le  nom  général  des  pays  syro-phéniciens,  dans  la  langue  non  sémitique  (Fa.  Drlitxsch, 

Wo  lag  dos  Parodies?  p.  271),  lu  d'ordinaire  Akharrou  dans  la  langue  sémitique,  mais  pour  lequel 

les  tablettes  d'EI-Amarna  indiquent  la   lecture  Amourou  (Bezold-Bcdge,    The  Tell  el-Amarna  Tablets 

in  the  Brilish  Muséum,  p.  xlvii,  note  2).  Les  noms  des  Kashshi,  de  l'Élam  et  de  leurs  voisins  seront 

expliqués  ailleurs,  au  moment  où  les  peuples  qui  les  portent  entreront  activement  dans  l'histoire. 

3.  La  question  du  Miloukhkha  et  du  Mâgan  est  une  de  celles  qui  ont  le  plus  agité  les  assyriologues 
depuis  vingt  ans.  L'opinion  dominante  aujourd'hui  parait  être  celle  qui  fait  de  Màgan  la  péninsule  du 
Sinai,  et  de  Miloukhkha  le  pays  au  nord  du  Màgan  jusqu'à  l'Ouady-Arish  et  à  la  Méditerranée  (Fr.  Lexor- 
mant,  les  Noms  de  VAirain  et  du  Cuivre  dans  les  deux  langues  des  Inscriptions  cunéiformes  de  la 
C  ha  Idée  et  de  V Assyrie,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  VI,  p.  347-353, 
399-402;  Tiele,  h  Sumér  en  Akkad  het  zelfde  als  Makan  en  Mèlûkha?  dans  les  Comptes  rendus  de 
l'Académie  d'Amsterdam,  2*  série,  Del  XII;  Delattre,  Esquisse  de  Géographie  Assyrienne,  p.  53-55, 
V Asie  Orientale  dans  les  Inscriptions  assyriennes,  p.  149-167;  Ami.u'd,  Sirpour la  d'après  les  inscriptions 
de  la  collection  de  Sarzec,  p.  11-12,  13);  d'autres  soutiennent,  non  plus  la  théorie  de  Delitzsch  (Wo 
lag  das  Paradiesf  p.  129-131,  137-140),  d'après  laquelle  Mâgan  et  Miloukhkha  sont  deux  synonymes 
de  Shoumir  et  d'Akkad,  par  suite  s'appliquent  à  deux  grandes  divisions  de  la  Babylonie,  mais  une 
hypothèse  analogue  qui  les  considère  comme  des  cantons  situés  à  l'ouest  de  l'Euphrate,  soit  dans  les 
pays  chaldéens,  soit  sur  la  lisière  du  désert,  soit  dans  le  désert  même  dans  la  direction  de  la  péninsule 
sinaitique  (Homrel,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  234-235  ;  Jrnse»,  Die  Jnschriften  der  Kônige 
und  Statthalter  von  Lagasch.dans  la  Keilinschriftliche  Bibliothek,  t.  III,  in  partie,  p.  53).  Ce  que 
nous  savons  des  textes  m'oblige,  comme  H.  Rawlinson  (The  Islands  of  Bahrein,  dans  le  Journal  ofthe 
Asiatic  Society,  t.  XII,  p.  212  sqq.),  à  mettre  ces  pays  sur  les  bords  du  golfe  Persique,  entre  l'embou- 
chure de  l'Euphrate  et  les  lies  Bahrétn;  peut-être  les  Maknp  et  les  Mélangita?  des  historiens  et  géogra- 
phes classiques  (cf.  Sprexger,  Die  Aile  Géographie  Arabiens,  p.  124-126,  261)  sont-ils  les  descendants 
des  gens  de  Mâgan  (Mâkan)  et  de  Miloukhkha  (Mélougga),  émigrés  vers  l'entrée  du  golfe  Persique,  à  la 
suite  de  quelque  événement  tel  que  le  développement  en  ces  parages  du  peuple  des  Kashdi  (Chaldéens). 


LES  DIX  ROIS  D'AVANT  LE  DÉLUGE.  565 

Amillaros',  de  la  ville  de  Pantibibla*,  régna  treize  sares.  C'est  soug  lui  que 
sortit  de  la  mer  Erythrée  un  second  Annéddtos,  très  rapproché  d'Oannès  par 
sa  forme  semi-divine,  moitié  homme,  moitié  poisson.  Après  lui,  Amménon, 
aussi  de  Pantibibla,  Chaldéen,  commanda  l'espace  de  douze  sares  :  sous  lui 
apparut,  dit-on,  l'Oannès  mystique.  Ensuite  Amélagaros9,  de  Pantibibla,  com- 
manda dix-huit  sares.  Ensuite  Davos*,  pasteur,  de  Pantibibla,  régna  dix  sares  : 
sous  lui  sortit  encore  de  la 
mer  Erythrée  un  quatrième 
Annédôtos,     qui    avait    la 
même  figure  que  les  autres, 
mélangée   d'homme    et  de 
poisson.    Après     lui    régna 
Ëvédoranchos,  de  Pantibi- 
bla, pendant  dix-huit  sares; 
de  son  temps  sortit  encore 
de  la  mer  un  autre  monstre, 
nommé  Anôdaphos.  Ces  di- 
vers monstres  développèrent  soigneusement  et  point  par  point  ce  qu'Oannès 
avait    exposé    sommairement.    Puis    régnèrent  Amempsinos,  de   Larancha', 
Chaldéen,   pendant  dix   sares,  et    Obartès7,   aussi   de    Larancha,    Chaldéen, 
pendant  huit  sares.  Enfin,  Obartès  étant  mort,  son  fils  Xisouthros*  tint  le 
sceptre  pendant  dix-huit  sares.  C'est  sous  lui  que  le  grand  déluge  arriva, 
de  sorte  que  l'on  nombre  en  tout  dix  rois,  et  que  la  durée  de  leur  pouvoir 
monte  ensemble  à  cent  vingt  sares'.  »  On  comptait,  des  commencements  du 

1.  Variante  :  AtmttOn. 

ï.  Pantibibla  a  été  identifiée  avec  Sépharvatm  cl  Sippara,  à  cause  du  jeu  de  mots  qu'on  croyait 
exister  entre  l'hébreu  Sepher,  livre,  qu'on  voulait  retrouver  dans  Sippara,  et  le  sens  du  nom  grec,  la 
ville  de  tout  let  livret.  Er.  I.enormant  {la  Langue  primitive  île  la  Chaldén,  p.  3*1-314)  a  proposé  en 
dernier  lieu  Ourouk,  Delilisch  (Ho  lag  tint  Paradiet?  p.  ÎÏ4)  préfère  I.arak  :  on  ne  sait  véritable  ment 
quel  terme  chaldéen  répondait  à  celui  de  Pantibibla  dans  l'esprit  de  Bérose. 

3.  Variante  :  Hegalarot. 

i.  Variante  ;  Daonot.  liant. 

5.  Dettiu  de  Fauchcr-Gudin,  rtajirèt  une  intaitte  du  Britith  Mutenm  (Luud,  Intraduction  à  iélude 
du  Culte  public  et  des  myttèret  de  Hilhra  en  Orient  et  en  Occident,  pi.  li,  n*  i). 

6.  Lenormant  (la  Langue  primitive  de  la  Chaidêc,  p.  3*î)  a  proposé  de  corriger  Sourapcha,  au  lieu 
de  Larancha,  et  de  reconnaître  dans  le  nom  grec  la  ville  de  Shourappak,  Shourippak. 

7.  Correction  de  Lenormant,  au  lieu  d'Otiarlès,  pour  retrouver  le  nom  d'Oubaratoutou  que  le  récit 
du  Déluge  donne  au  père  de  Xisouthros;  la  variante  Ardâtes  s'expliquerait  selon  G.  Smith  (Tne  Ele- 
eenlh  Tablet  of  tke  Itdubar  Legend,  dans  les  Trantactiont  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique, 
t.  III.  p.  53!)  par  une  lecture  Arda-Toutou.  Arad-Toulou,  des  signes  dont  le  nom  se  compose.  Enfin, 
on  rencontre  également  a  côté  de  celle  prononciation  non  sémitique  la  prononciation  sémitique 
kidin-Hardouk  (Sam,  The  Elevenlh  Tablet  of  the  Itdubar  Legend,  dans  les  Trantactiont,  t.  III. 
p.  534-533)  dont  la  tradition  recueillie  par  Bérose  n'a  pas  gardé  trace. 

8.  Variante  :  Sitithèt. 

9.  Bêrospî,  fragm.  IX-XI,  dans  Fa,  Lssorïant,  Estai  de  Commentaire,  p.  Î1I-2SI, 


566  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

monde  au  déluge,  six  cent  quatre-vingt-onze  mille  deux  cents  ans,  dont 
deux  cent  cinquante-neuf  mille  deux  cents  s'étaient  écoulés  à  l'avènement 
d'Alôros  et  quatre  cent  trente-deux  mille  étaient  répartis  généreusement 
entre  ce  prince  et  ses  successeurs  immédiats  :  les  écrivains  grecs  et  latins 
avaient  vraiment  beau  jeu  se  moquer  du  chiffre  fabuleux  d'années  que  les 
Chaldéens  assignaient  à  la  vie  et  au  règne  de  leurs  premiers  souverains1. 

Cependant,  les  hommes  devenaient  méchants;  ils  perdaient  l'habitude 
d'offrir  des  sacrifices  aux  dieux,  et  les  dieux,  indignés  justement  de  cette 
négligence,  résolurent  de  se  venger*.  Or  Shamashnapishtim3  régnait  en  ce 
temps-là  dans  Shourippak,  la  ville  du  vaisseau  :  il  fut  sauvé  avec  toute  sa 
famille,  et  il  raconta  plus  tard  à  l'un  de  ses  descendants  par  quel  artifice 
Ëa  l'avait  arraché  au  désastre  de  son  peuple4.  «  Shourippak,  la  cité  que 
tu  connais  toi-même  et  qui  est  sise  sur  la  rive  de  l'Euphrate,  c'était  déjà 
une  ville  antique  lorsque  les  dieux  qui  y  résident,  leur  cœur  les  poussa  à 
soulever  le  déluge  contre  elle,  les  dieux  grands  autant  qu'ils  sont,  leur  père 
Anou,  leur  conseiller  Bel  le  batailleur,  leur  chèvetaine  Ninib,  leur  prince 
Innougi8.  Le  maître  de  la  sagesse,  Éa,  siégeait  avec  eux6  »,  et,  mû  de  pitié, 
voulut  prévenir  Shamashnapishtim,  son  serviteur,  du  péril  qui  le  menaçait; 

1.  Cicékon,  De  Divinatione,  I,  19. 

2.  Le  récit  de  Bérose  impliquait  déjà  cette  cause  du  Déluge,  quand  il  mentionnait  la  recommanda- 
tion faite  aux.  survivants  par  une  voix  mystérieuse  d'être  désormais  respectueux  envers  tes  dieux, 
Geoasfat;  (Bkrose,  fragm.  15,  édit.  Le.norma.yt,  Essai  de  commentaires,  p.  259).  Le  récit  chaldéen  recon- 
naît que  le  Déluge  avait  été  envoyé  aux  hommes  pour  leurs  péchés  envers  les  dieux,  quand  il  nous 
montre,  vers  la  fin  (cf.  p.  571  de  cette  Histoire),  Éa  reprochant  à  Bel  d'avoir  confondu  dans  une  même 
exécution  les  coupables  et  les  non  coupables  (Cf.  Delitzsch,  Wo  lag  das  Parodies?  p.  145-140). 

3.  Le  nom  du  personnage  a  été  lu  de  manière  très  différente  :  Shamashnapishtim,  Soleil  de  vie 
(Haui't,  dans  So.hr  aoer,  Die  Keilinschriften  und  das  Allé  Testament,  2*  éd.,  p.  65),  Sttnapishtim  (Jknskn, 
Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  381-385;  Delitzsch,  Worterbuch,  p.  334,  rem.  4;  A.  Jeremias,  hdubar- 
Nimrod,  p.  28,  52,  note  72),  «  le  sauvé  »,  Pirnapishtim  (Zimnern,  Habylonische  Busspsalmen,  p.  68, 
note  1  ;  A.  Jerenias,  Die  Baby Ionise h- Assyrischen  Yorstellungen  des  Leben  nach  dem  Tode,  p.  82;. 
Dans  un  passage  au  moins,  on  trouve,  au  lieu  de  Shamashnapishtim,  le  nom  ou  l'épithète  d'Adra- 
Khasis,  par  renversement  Khasisadra,  qui  parait  signifier  le  très  avisé,  et  s'explique  par  l'habileté  avec 
laquelle  le  héros  interprète  l'oracle  d'Êa  (Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  385-386)  :  khasi- 
sadra est  très  probablement  la  forme  que  les  Grecs  ont  transcrite  par  Xisouthros,  Sisouthros,  Sisithès. 

1.  Le  récit  du  Déluge  couvre  la  onzième  tablette  du  poème  de  Gilgamès.  Le  héros,  menacé  de 
mort,  allait  rejoindre  son  ancêtre  Shamashnapishtim  pour  lui  demander  le  secret  de  l'immortalité,  et 
celui-ci  lui  racontait  la  façon  dont  il  avait  échappe  aux  eaux  :  la  vie  ne  lui  avait  été  acquise  qu'au 
prix  de  la  destruction  des  hommes.  Le  texte  en  est  publié  par  Smith  (The  Elcvenlh  Tablet  of  the 
hdubar  t.cgend,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  111,  p.  534-567).  par 
Haupt,  fragment  à  fragment  [Das  Babylonische  Ximrodepos,  p.  95-132),  puis  restitué  d'une  manière 
suivie  (p.  133-149).  Les  études  dont  il  a  été  l'objet  forment  presque  une  bibliothèque  à  elles  seules. 
Les  traductions  principales  sont  celles  de  Smith  (dans  les  Transactions,  t.  III,  p.  534-567,  puis  dans 
The  Chnldœan  Account  ofGcnesis,  1876,  p.  263-272),  d'Oppert  (Fragments  de  Cosmogonie  Chaldéenne% 
dans  Ledrain,  Histoire  d'Israël,  1879,  t.  I,  p.  422-433,  et  le  Poème  Chaldéen  du  Déluge,  1885),  de 
Lcnormant  (les  Origines  de  L'Histoire,  1880.  t.  I,  p.  601-618),  de  Haupt  (dans  Schraper,  Die  Keilin- 
schriften und  das  Aile  Testament,  1883,  p.  55-79),  de  Jensen  (Die  Kosmologie  der  Babylonier,  1890, 
p.  365-416),  d'A.  Jeremias  (Izdubar-Ximrod,  1891,  p.  32-36),  de  Sauveplane  (Une  Épopée  Babylo- 
nienne, Islubar-Cilgamès,  p.  128-151).  J'ai  suivi  en  général  la  traduction  de  Jensen. 

5.  Innougi  paraît  être  un  des  dieux  de  la  terre  (Jensen,  Die  Cosmologie  der  Babylonier,  p.  389). 

6.  Haupt,  Das  Babylonische  Nimrodepos,  p.  134,  1.  11-19. 


XISOUTHROS-SHAMASHNAl'ISIITIM.  567 

mais  c'était  chose  sérieuse  que  de  trahir  à  un  mortel  le  secret  d'en  haut,  et, 

comme  il  n'osait  s'y  risquer  directement,  son  esprit  inventif  lui  suggéra  un 

artifice.  11  confia  la  résolution  prise  à  une  haie  de  roseaux'  :  «  Haie,  haie,  mur, 

mur!    écoute,  haie,  et  comprends  bien,   mur!   Homme   de  Shourippak,  fils 

d'Oubaratoutou ,  charpente  un» 

navire,  abandonne  tes  biens,  chi 

rejette   ton   avoir,   sauve   ta   ■ 

embarque  toute  semence  de  ' 

dans  le  navire.  Le  navire  que 

toi  lu  auras  bâti,  que  les 

proportions  en  soient  me- 
surées exactement,  que  les 

dimensions  et  la  forme  en 

soient     bien    réglées,     puis 

lance-le  à  la  mer*.  »  Shamash- 

napishtim  entendit  le  discourt 

adressé  au  champ  de  roseau» 

ou  peut-être  les  roseaux  le  lu! 

récitèrent.  «  Je  le  compris  et  j 

dis  à  Éa  mon  maître  :  «  L'ordre,  m       tablèt^s  de  l*  «mi*  bu  isucm1 

ô  mon  maître,  que   tu  profères 

ainsi,  moi  je  le  respecterai  et  je  l'exécuterai  ;  mais  que  répond  rai -je  à  la  ville, 

peuple  et  anciens?  »  Ëa  ouvrit  la  bouche  et  parla;  il  dit  à  son  serviteur  : 

*  Réponds  ainsi  et  dis-leur  :  =  Parce  que  Bel  me  hait,  je  ne  demeurerai  plus 

dans  votre  ville  et  sur  la  terre  qui   est  à  Bel  je  ne  poserai  plus  ma  tète, 

mais  j'irai  sur  la  mer  et  j'habiterai  avec  Ëa  mon  maître.  Or  Bel  fera  tomber 

la  pluie  sur  vous,  sur  la  foule  des  oiseaux  et  sur  la  multitude  des  poissons, 

sur  l'ensemble  des  animaux  des  champs  et  sur  toutes  les  moissons,  mais  Éa 

vous  donnera  un  signe  :  le  dieu  qui  règle  la  pluie,  un  soir,  fera  tomber  sur 

vous  une  pluie  abondante.  Lorsque  l'aurore  se  lèvera  le  lendemain,  le  déluge 

I.  Le  sens  de  ce  passade  est  loin  d'iHre  ci>rliiin  :  j'ai  suivi  l'interprétation  proposée,  avec  quelques 
«arîaules,  par  l'iiichcs  {Addition»  and  Correction*,  dans  la  Zeitichrift  fïtr  Ktil/ori'hung,  t.  I.  p.  318), 
par  lin u pt  {t'.ollation  der  liHubar-Legcuden,  dans  I.  -  Itrilriii/r  /iir  Auyriolotjir,  t.  I,  p.  1iH.  iiolel  cl 
par  Jcilscn  (Oit  tîoiinolagie  drv  llabgtfinier,  p.  :i!ll-:t!P;H.  Le  stratagème  rappelle  iinmédiulemeilt  l'his- 
toire du  roi  Midas,  el  de*  roseaux  parlants  qui  connaissaient  le  secret  de  ses  oreilles  d'âne.  Dans  lu 
version  de  Bérose,  c'est  kronos  qui  remplit  auprès  de  Xisoutliros  le  rôle  attribué  ici  au  dieu  fia, 

t.  Mai-pt,  liai  ilabyUmiichr  Mmrmltpot,  p.  194-f :«3.  1.  19-31. 

3.  t'ac-timilr  de  Faurlirr-lîutliii,  d'a/irrt  la  phol'ynij'lm-  putilirr  pur  II  Smin.  t.hulda-an  Aceount 
of  the  Drtugt  from  terra-roi  ta  tabltU  fourni  at  Mnevrh. 


568  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

commencera  qui  recouvrira  la  terre  et  noiera  tous  les  êtres1.  »  Shamash- 
napishtim  répéta  l'avertissement  au  peuple,  mais  le  peuple  refusa  d'y  croire 
et  se  moqua  de  lui.  L'ouvrage  marcha  rondement  :  la  coque  avait  cent  qua- 
rante coudées  de  long,  le  pont  cent  quarante  de  large,  tous  les  joints  étaient 
calfatés  de  poix  et  de  bitume.  Une  fête  solennelle  célébra  l'achèvement, 
et  l'embarquement  commença*  :  «  Tout  ce  que  je  possédais,  j'en  emplis  le 
navire,  tout  ce  que  j'avais  d'argent,  je  l'en  emplis,  tout  ce  que  j'avais  d'or, 
je  l'en  emplis,  tout  ce  que  j'avais  de  semence  de  vie  de  toute  sorte,  je  l'en 
emplis:  je  fis  monter  dans  le  navire  toute  ma  famille  et  mes  servantes,  bétail 
des  champs,  bêtes  sauvages  des  champs,  je  fis  monter  tout  ensemble.  Sha- 
mash  m'avait  indiqué  un  signe  :  «  Quand  le  dieu  qui  règle  la  pluie,  le  soir, 
fera  tomber  une  pluie  abondante,  entre  dans  le  navire  et  clos  ta  porte.  » 
Le  signe  se  manifesta  :  le  dieu  qui  règle  la  pluie,  une  nuit,  fit  tomber  une  pluie 
abondante.  Le  jour  je  craignais  son  aube,  j'eus  peur  de  voir  le  jour,  j'entrai 
dans  le  navire  et  je  fermai  la  porte  ;  afin  de  diriger  le  navire,  je  remis  à  Bou- 
zour-Bels,  le  pilote,  la  grande  arche  et  sa  fortune4.  * 

«  Dès  que  le  matin  s'éclaira,  une  nue  noire  monta  des  fondements  du  ciels  : 
Ramman  grondait  dans  son  sein,  Nébo  et  Mardouk  couraient  devant  elle, 
couraient  comme  deux  chèvetaines  par  monts  et  pays.  Néra  le  Grand  arracha 
le  pieu  où  s'amarrait  l'arche6;  Ninib  accourut,  lança  l'attaque,  les  Ànounnaki 
levèrent  leurs  torches  et  firent  trembler  la  terre  de  leur  éclat,  la  tourmente  de 
Ramman  escalada  le  ciel,  mua  toute  clarté  en  ténèbres,  inonda  la  terre  comme 
un  lac7.  Tout  un  jour  l'ouragan  fit   rage  et  souffla   impétueusement  sur  les 

1.  Haupt,  Das  Babylonische  Ximrodepos,  p.  135-136,  I.  32-51.  La  fin  du  texte  est  mutilée  :  j'en  ai 
rétabli  le  sens  général  d'après  la  marche  du  récit. 

2.  Haupt,  Das  Babylonische  Nimrodepos,  p.  136-437,  1.  54-80.  Le  texte  est  encore  mutile  et  ne  per- 
met pas  de  suivre  dans  tous  ses  détails  la  construction  de  l'arche.  D'après  ce  que  l'on  peut  com- 
prendre, le  bateau  de  Shamashnapishtim  était  une  manière  de  kélek  immense,  ponté,  sans  mât,  ni 
gréement  d'aucune  sorte.  Le  texte  identifie  la  fête  que  le  héros  célèbre,  avant  l'embarquement,  à  la 
fête  Akitou  de  Mardouk,  à  Babylone,  pendant  laquelle  «  Nébo,  le  fils  puissant,  se  promène  depuis 
Borsippa  jusqu'à  Babylone,  dans  la  barque  du  fleuve  A  s  mou,  de  beauté  »  (Pognon,  les  Inscriptions 
Babyloniennes  du  Wady-ftrissa,  p.  73,  80,  94-95,  113-114).  La  mise  en  barque  de  Nébo,  et  son  voyage 
sur  le  fleuve  avaient  inspiré  probablement  la  donnée  d'après  laquelle,  la  mise  en  barque  de  Shamash- 
napishtim avait  été  l'occasion  d'une  fôte  Akitou,  célébrée  à  Shourippak  :  le  temps  de  la  fête  babylo- 
nienne était  probablement  censé  coïncider  avec  l'anniversaire  du  Déluge. 

3.  On  a  lu  et  l'on  peut  lire  encore  Bouzour-Shadi-rabi  ou  Bouzour-Kourgal  (Haupt,  dans  Scbrader. 
Die  Kcilinschriflen  und  das  Aile  Testament,  £•  édit.,  p.  58,  73;  Lekornant,  les  Origines  de  t 'Histoire \ 
t.  1,  p.  609),  en  remplaçant  le  nom  de  dieu  Bel  par  une  de  ses  épithètes  les  plus  fréquentes  :  le  sens 
est  Protégé  de  Bel,  ou  du  dieu  Grande  montagne  de  la  terre,  cf.  p.  543-544  de  cette  Histoire. 

4.  Haupt,  Das  Babylonische  Nimrodepos,  p.  137-138,  1.  52-96. 

5.  Sur  ce  qu'on  entendait  par  les  fondements  du  ciel,  voir  plus  haut,  p.  544  de  cette  Histoire. 

6.  Le  sens  n'est  pas  certain  et  les  traductions  diffèrent  beaucoup  en  cet  endroit. 

7.  Le  progrès  de  la  tempête  est  décrit  comme  l'attaque  des  dieux  qui  avaient  résolu  la  perte  des 
hommes.  Ramman  est  le  tonnerre  qui  gronde  dans  la  nue,  Nébo,  Mardouk.  Néra  le  Grand  (Nergal), 
Ninib,  marquent  les  différentes  phases  de  la  tourmente  depuis  le  moment  où  le  vent  se  lève  jusqu'à 
celui  où  il  est  au  plein;  les  Anounnaki  représentent  les  éclairs  qui  embrasent  le  ciel  sans  interruption. 


LE  RÉCIT  DU  DÉLUGE  ET  LA  DESTRUCTION  DES  HOMMES.  569 

monts  et  sur  les  pays  :   la  bourrasque  se  ruait  sur  les  hommes  comme  un 
choc  d'armée,  le  frère  ne  voyait  plus  son  frère,  les  hommes  ne  se  connais- 
saient plus.  Au  ciel,  les  dieux  eurent  peur  du  déluge1,  ils  prirent  la  fuite,  ils 
grimpèrent  au  firmament  d'Anou;  les  dieux,  hurlant  comme  des  chiens,  s'ac- 
croupirent sur  la  corniche*.  Ishtar  clama  comme  une  femme  en  travail,  elle 
s'écria,  la  Dame  de  vie,  la 
déesse  à   la   belle   voix   : 
>  Le  passé  retourne  à  l'ar- 
gile, parce  que  j'ai  dît  le 
mal  devant  les  dieux  !  En 
disant  le  mal  devant  les 
dieux,  j'ai  conseillé  l'atta- 
que   pour    anéantir    mes, 

hommes9,  et  ceux  que  j'ai  ,        ( 

enfantés,  moi,  où  sont-ils? 

Comme  les  fils  des  poissons  ils  encombrent  la  mer!  >  Les  dieux  au  sujet  des 
Anounnaki  pleurèrent  avec  elle*;  les  dieux  à  l'endroit  où  ils  siégeaient  pleurant, 
leurs  lèvres  étaient  serrées9,  a  La  pitié  seule  ne  faisait  point  couler  leurs 
larmes  :  il  s'y  mêlait  beaucoup  de  regrets  et  de  crainte  pour  l'avenir.  Les 
hommes  détruits,  qui  donc  présenterait  les  offrandes  accoutumées?  La  colère 
irréfléchie  de  Bel  les  blessait  eux-mêmes,  en  punissant  l'impiété  de  leurs 
créatures.  «  Six  jours  et  six  nuits  le  vent  alla,  le  déluge  et  la  tempête  firent 
rage.  Le  septième  jour  à  son  lever,  l'orage  faiblit,  le  déluge  cessa  qui  avait 
mené  bataille  comme  une  armée,  la  mer  mollit  et  l'ouragan  s'envola,  le  déluge 
cessa.  J'explorai  la  mer  du  regard  en  élevant  la  voix,  mais  toute  l'humanité 
était  retournée  à  l'argile,  et  l'on  ne  distinguait  plus  ni  champs  ni  bois1.  J'ou- 

1.  Le;  dieux  énumérés  plus  haut  prennent  seuls  pari  il  lu  mise  en  srène  du  Déluge  :  ce  sont  les 
émissaires  de  Bel  et  ses  confédérés.  Les  autres  se  contentent  d'assister  au  désastre,   et  ils  ont  peur. 

ï.  Il  s'agit  ici  de  In  partie  supérieure  de  la  muraille  montagneuse  sur  laquelle  le  ciel  s'appuie 
[cf.  a  la  p.  54*  de  cette  Histoire).  Un  espace  étroit  subsiste  entre  le  bord  escarpé  et  l'endroit  où  pose 
la  voûte  du  firmament  :  le  poète  babylonien  se  représentait  les  dieux  entassés  sur  celte  corniche, comme 
une  meute  de  chiens,  el  contemplant  de  là  le  déchaînement  de  l'orage  et  des  eaux. 

3.  La  traduction  est  incertaine  :  le  texte  fait  ici  allusion  a  une  légende  qui  ne  nouB  est  point 
parvenue,  et  dans  laquelle  on  racontait  qu'lshtar  avait  conseillé  la  destruction  des  hommes. 

i.  [tarin  de  Fauchrr-Gudiii,  d'après  une  iiUaillc  rkaldi-enne  (G.  Sïitb,  Chaldiran  Account  of  tht 
Déluge.,  p.  383). 

5.  Les  Anounnaki  représentent  ici  les  mauvais  génies  t|ue  les  dieux  auteurs  du  Déluge  ont 
déchaînés  et  que  Ramman,  Nébo,  Nardouk,  Nergal,  Ninib.  tous  les  suivants  de  Bel,  ont  menés  au 
combat  contre  les  hommes  :  les  autres  divinités  partagent  les  craintes  et  la  désolation  d'Ishtar  au 
sujet  des  ravages  que  ces  Anounnaki  ont  causés.  CF.  plus  loin,  p.  634-636  de  cette  Histoire. 

6.  H*ipt,  liai  Babylonischr  Nimrodepo»,  p.  138-139,  1.  97-117. 

7.  J'ai  adopté  pour  ce  passage  difficile  le  sens  proposé  par  Haupt  (Naektrâge  und  Berichtigungen, 
dans  les  Beitrâge  iur  Aagriologie,  1. 1,  3SI-3ÎJ),  d'après  qui  l'on  doit  traduire  :  •  Le  champ  ne  faisait 


570  LA  CHALDÊE  PRIMITIVE. 

vris  l'écoutille  et  la  lumière  me  tomba  sur  la  face;  je  m'affaissai  sur  moi- 
même,  je  m'accroupis,  je  pleurai,  et  mes  larmes  coururent  sur  mon  visage 
quand  j'aperçus  le  monde  tout  terreur  et  tout  mer.  Au  bout  de  douze  jours, 
une  pointe  de  terre  sortit  des  eaux,  le  navire  toucha  au  pays  de  Nisir1  :  le 
mont  de  Nisir  arrêta  le  navire  et  ne  lui  permit  plus  de  flotter.  Un  jour,  deux 
jours,  le  mont  de  Nisir  arrêta  le  navire  et  ne  lui  permit  plus  de  flotter.  Trois 
jours,  quatre  jours,  le  mont  de  Nisir  arrêta  le  navire  et  ne  lui  permit  plus 
de  flotter.  Cinq  jours,  six  jours,  le  mont  de  Nisir  arrêta  le  navire  et  ne  lui 
permit  plus  de  flotter.  Le  septième  jour,  à  son  lever,  je  sortis  une  colombe 
et  la  lâchai  :  la  colombe  alla,  vira  et,  comme  il  n'y  avait  place  où  se  poser, 
revint.  Je'sortis  une  hirondelle  et  la  lâchai  :  l'hirondelle  alla,  vira  et,  comme 
il  n'y  avait  place  où  se  poser,  revint.  Je  sortis  un  corbeau  et  le  lâchai  :  le 
corbeau  alla  et  vit  que  l'eau  avait  baissé,  et  s'approcha  du  navire  battant 
de  l'aile,  croassant,  et  ne  revint  pas2.  »  Shamashnapishtim  échappait  au 
déluge,  mais  il  ne  savait  pas  si  la  rage  divine  était  apaisée,  ni  ce  qu'on  déci- 
derait de  lui  en  apprenant  qu'il  vivait  encore.  Il  résolut  de  se  rendre  les  dieux 
favorables  par  quelques  cérémonies  d'expiation.  «  Je  lâchai  les  habitants 
de  l'arche  aux  quatre  vents,  je  fis  une  offrande,  j'accomplis  une  libation 
propitiatoire  sur  le  sommet  de  la  montagne.  Je  dressai  sept  et  sept  vases  et 
j'y  plaçai  du  jonc  odorant,  du  bois  de  cèdre,  du  styrax8.  »  11  rentra  ensuite 
dans  le  navire  pour  y  attendre  l'effet  du  sacrifice. 

Les  dieux,  qui  n'espéraient  plus  pareille  aubaine,  l'agréèrent  avec  une 
joie  mêlée  d'étonnement.  «  Les  dieux  reniflèrent  l'odeur,  les  dieux  reniflèrent 
l'odeur  excellente,  les  dieux  s'assemblèrent  comme  des  mouches  au-dessus 
de  l'offrande.  Lorsqu'lshtar,  la  maîtresse  de  vie,  arriva  à  son  tour,  elle 
leva  le  grand  amulette  qu'Ànou  lui  avait  fabriqué*.  »  Elle  était  encore 
furieuse  contre  ceux  qui  avaient  décidé  la  perte  de  l'humanité,  surtout  contre 
Bel  :  «  Ces  dieux-là,  j'en  jure  le  collier  de  mon  cou!  je  ne  les  oublierai  pas; 

plus  qu'un  avec  la  montagne  »,  c'est-à-dire  •  montagnes  et  champs  ne  se  distinguaient  plus  l'un  de 
l'autre  >.  J'ai  seulement  substitué  à  la  version  montagne  l'interprétation  bois,  pièce  de  terre 
couverte  d'arbres,  que  Jensen  a  indiquée  (Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  433-134). 

1.  Le  mont  de  Nisir  est  remplacé  dans  la  version  de  Bérose  (Lenormant,  Essai  sur  les  fragments 
cosmogoniques,  p.  259)  parles  monts  Gordyéens  de  la  géographie  classique;  un  passage  d'Assourna- 
zirabal  nous  apprend  qu'il  était  situé  entre  le  Tigre  et  le  Grand  Zab,  d'après  Delitzsch  (Ho  lag  das 
Paradiesf  p.  105)  entre  le  35'  et  le  36e  degré  de  latitude.  Les  gens  de  langue  assyrienne  interprétaient 
son  nom  Salut,  et  ce  jeu  de  mots  les  décida  probablement  à  placer  sur  ses  pentes  l'endroit  où 
les  hommes  sauvés  du  Déluge  prirent  terre  au  retrait  des  eaux.  Fr.  Lenormant  (les  Origines  de  l'His- 
toire, t.  II,  p.  64)  propose  de  l'identifier  au  pic  de  Rowandîz. 

2.  Haupt,  Das  liabylonische  Nimrodepos,  p.  140-141,  1.  128-155.  k 

3.  Haupt,  Das  Babylonische  Nimrodepos,  p.  141,  l.  156-159.  Le  mot  que  j'ai  rendu  par  styrax  dési- 
gne plutôt  un  bois  ou  une  écorce  parfumée,  mais  l'espèce  précise  reste  encore  à  déterminer. 

4.  Haupt,  Das  Babylonitche  Nimrodepos,  p.  141,  1.  160-164.  On  ne  sait  quel  est  l'objet  que  la  déesse 


L'ARCHE  S'A.RRÊTE  AUX  MONTS  DE  NISIR.  571 

ces  jours-là,  je  me  les  rappellerai,  et  De  les  oublierai  de  l'éternité.  Que  les 
autres  dieux  accourent  prendre  part  à  l'offrande,  Bel  n'aura  point  part  à 
l'offrande,  car  il  n'a  pas  été  sage,  mais  il  a  fait  le  déluge,  et  il  a  voué  mes 
hommes  à  la  destruction.  »  Bel  lui-même  n'avait  pas  recouvré  son  sang-froid  ; 
«  quand  il  arriva  à  son  tour  et  qu'il  vit  le  navire,  il  en  demeura  immobile 
et  son  cœur  s'emplit  de  rage  contre  les  dieux  du  ciel.  «  Uni  est  celui-là 
qui  en  est  sorti  vivant?  Aucun  homme  ne  doit  survivre  à  la  destruction!  »  Les 


dieux  avaient  tout  à  craindre  de  sa  colère;  Ninib  s'empressa  de  les  disculper 
et  de  rejeter  la  faute  sur  qui  de  droit.  Êa  ne  désavoua  point  ses  actes;  «  il 
ouvrit  la  bouche  et  parla,  il  dit  à  Bel  le  batailleur  :  «  Toi  le  plus  sage  parmi 
les  dieux,  ô  batailleur,  comment  n'as-tu  pas  été  sage  et  as-tu  fait  le  déluge? 
Le  pécheur  rends-le  responsable  de  son  péché,  le  criminel  rends-le  responsa- 
ble de  son  crime,  mais  sois  calme  et  ne  retranche  pas  tout,  sois  patient  et  ne 
noie  pas  tout.  A  quoi  bon  faire  le  déluge?  un  lion  n'avait  qu'à  venir  et  à  déci- 
mer les  hommes.  A  quoi  bon  faire  le  déluge?  un  léopard  n'avait  qu'à  venir  et 
à  décimer  les  hommes.  A  quoi  bon  faire  le  déluge?  la  famine  n'avait  qu'à  se 
produire  et  à  désoler  le  pays.  A  quoi  bon  faire  le  déluge?  Néra  la  Peste  n'avait 
qu'à  venir  et  qu'à  abattre  les  hommes.  Quant  à  moi,  je  n'ai  pas  dévoilé  l'arrêt 

lève  :  peut-être  est-ce  le  sceptre  surmonte  d'une  étoile  rayonnante,  qu'on  lui  voit  sur  certains  cylindres 
(cf.  plu»  loin,  p.  659  de  cette  Hitloirt).  Plusieurs  assjriolORues  (Sayck,  The  Religion  of  Ifie  Anrir.nl 
Babyloniaiu,  p,  380,  note.!;  Haïti.  Collai inn  der  ttdubar-Legcnden,  dans  les  Beilràge  sur  Ai'y- 
riotoyie,  t.  I,  p.  136  ;  A.  Jkbehus  lidubar-Mmrod,  p.  3.'i)  traduisent  flhchet  ou  érlairt  :  Ishtar  es.1  en 
effet  une  déesae  armée,  qui  lance  la  (lèche  ou  l'éclair  fabriqués  par  son  père  Anou,  le  ciel, 
I.  Deisiu  lie  Fauchcf-tiudiii,  d'apréi  le  croquis  de  G.  Sur».  Assyriaa  Diicocerict,  p.    1118. 


572  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

des  dieux  :  j'ai  montré  un  rêve  à  Khasisadra  et  il  a  su  l'arrêt  des  dieux,  et 
alors  il  a  pris  sa  résolution.  »  Bel  s'apaisa  aux  paroles  d'Éa,  «  il  monta  dans 
l'intérieur  du  navire;  il  me  saisit  la  main  et  il  me  fit  monter,  moi,  il  fit  monter 
ma  femme  et  il  la  poussa  à  côté  de  moi,  il  tourna  notre  face  vers  lui,  se  mit 
entre  nous  et  nous  bénit  :  «  Auparavant  Shamashnapishtim  était  homme; 
désormais  que  Shamashnapishtim  et  sa  femme  soient  vénérés  comme  nous  les 
dieux,  et  que  Shamashnapishtim  habite  au  loin,  à  l'embouchure  des  mers!  * 
On  nous  enleva  et  on  nous  installa  au  loin,  à  l'embouchure  des  mers1  !  »  Une 
autre  forme  de  la  légende  racontait  qu'avant  de  s'embarquer,  Xisouthros  avait 
enterré  dans  la  ville  de  Sippara,  par  l'ordre  d'en  haut,  tous  les  livres  où  les 
ancêtres  avaient  exposé  les  sciences  sacrées,  livres  d'oracles  et  de  présages 
«  où  le  commencement,  le  milieu  et  la  fin  étaient  consignés.  Lorsqu'il  eut 
disparu,  ceux  de  ses  compagnons  qui  étaient  demeurés  à  bord,  ne  le  voyant 
pas  rentrer,  sortirent  et  partirent  à  sa  recherche  en  l'appelant  par  son  nom. 
Il  ne  se  montra  pas  à  eux,  mais  une  voix  du  ciel  leur  recommanda  d'être 
dévots  envers  les  dieux,  de  retourner  à  Babylone  et  de  déterrer  les  livres 
pour  les  transmettre  aux  générations  futures;  elle  leur  apprit  aussi  que 
le  pays  où  ils  se  trouvaient  était  l'Arménie.  Ils  sacrifièrent  à  leur  tour,  ils 
regagnèrent  leurs  pays  à  pied,  ils  déterrèrent  les  livres  de  Sippara  et  ils  en 
écrivirent  beaucoup  d'autres,  puis  ils  fondèrent  Babylone  de  nouveau*.  * 
On  prétendait  encore,  à  l'époque  des  Séleucides,  qu'une  partie  de  l'arche 
subsistait  sur  un  des  sommets  des  monts  Gordyéens8.  On  s'y  rendait  en 
pèlerinage,  et  les  fidèles  raclaient  le  bitume  qui  la  recouvrait,  afin  d'en 
fabriquer  des  amulettes  souverains  contre  les  maléfices4. 

Sitôt  après  le  retrait  des  eaux,  la  chronique  des  temps  fabuleux  plaçait 

i.  Haupt,  Das  Babylonische  Nimrodepos,  p.  141  143,  1.  105-205. 

2.  Bkrose,  fragin.  XV,  XVI  (Fr.  Lk.xormant,  Essai  de  Commentaire  sur  les  fragments  cosmogoniques 
de  Bérose,  p.  257-259,  337-338).  Guyard  a  indique  des  survivances  du  personnage  de  Xisouthros  dans 
le  Khidhr  de  la  légende  arabe  d'Alexandre  et  de  la  vie  coranique  de  Moïse  {Bulletin  de  la  Religion 
Astyro-Baby Ionienne,  dans  la  Bévue  de  V Histoire  des  Religions,  t.  I,  p.  344-345);  cf.  A.  Jerkxias,  die 
Babytonisch-Assyrischcn  Vorstellungen  vont  Leben  nach  de  m  Torfe,  p.  81,  note  1,  M.  Lidrarski,  Wer 
ist  Chadir?  dans  le  Zeitschrift  fïtr  Assyriologie,  t.  IV,  p.  104-116. 

3.  Bkrose,  fragin.  XV  (Fr.  Lenormant,  Essai  de  commentaire  sur  les  fragments  cosmogoniques  de 
Bérose,  p.  259,  335-33G).  La  légende  relative  aux  débris  de  l'arche  avait  passé  dans  la  tradition  juive 
du  Déluge  (Fr.  Lknormant,  les  Origines  de  l'Histoire,  t.  II,  p.  3-6).  Nicolas  de  Damas  contait,  comme 
Bérose,  qu'on  les  voyait  encore  au  sommet  du  mont  Baris  (Fragmenta  Hisloricorum  Grsecorum,  édît. 
MCller-Didot,  t.  III,  p.  415,  fragm.  76).  Depuis  lors  on  n'a  cessé  de  les  montrer  tantôt  sur  un  pic, 
tantôt  sur  un  autre.  On  les  indiquait  à  Chardin  au  cours  du  siècle  passé  (Voyages  en  Perse,  t.  VI, 
2,  3;  4,  1  ;  6,  i),  et  le  souvenir  n'en  est  pas  perdu  dans  notre  siècle  (Macdonald-Kinneir,  Travels  in 
Asia  Minor,  Armenia  and  Kurdistan,  p.  453).  Des  trouvailles  de  charbon  et  de  bitume  comme  celles 
qu'on  a  faites  au  Gebel  Djoudi,  sur  l'une  des  montagnes  identifiées  avec  le  ÏSisir,  expliquent  proba- 
blement plusieurs  de  ces  traditions  locales  (G.  Smith,  Assyrian  Discoveries,  p.  108). 

4.  Fr.  Lenormant  a  reconnu  et  signalé  un  de  ces  amulettes  dans  son  Catalogue  de  la  Collection  de 
M.  le  baron  de  Behr,  Aut.  n°  80. 


LES  ROIS  D'APRÈS  LE  DÉLUGE,  NÉRA,  ÉTANA,  NEMROD.  573 

l'avènement  d'une  dynastie  nouvelle,  aussi  extraordinaire  ou  peu  s'en  faut  que 
celle  d'avant  le  déluge.  Selon  Bérose,  elle  était  chaldéenne  et  comptait  quatre- 
vingt-six  rois,  qui  avaient  exercé  le  pouvoir  pendant  trente-quatre  mille 
quatre-vingts  ans  :  les  deux  premiers,  Évêchous  et  Khomasbèlos,  régnèrent 
deux  mille  quatre  cents  et  deux  mille  sept  cents  ans,  les  derniers  ne  dépas- 
sèrent pas  les  limites  d'une  vie  d'homme  ordinaire.  On  essaya  plus  tard  de  les 
ramener  tous  à  la  vraisemblance,  et  l'on  abaissa  leur  nombre  à  six,  la  durée 
de  leurs  règnes  réunis  à  deux  cent  vingt-cinq  ans1.  C'était  méconnaître  leur 
caractère  :  noms  et  gestes,  tout  en  eux  n'est  que  mythe  ou  fiction  irréductible 
à  l'histoire.  Ils  fournissaient  aux  prêtres  et  aux  poètes  la  matière  de  cent 
récits  divers  dont  plusieurs  sont  parvenus  jusqu'à  nous  par  fragments.  Les 
uns  sont  courts  et  servent  de  préambule  à  des  prières  ou  à  des  formules 
magiques;  les  autres  se  développent  longuement  et  peuvent  passer  pour  de 
véritables  épopées.  Les  dieux  s'y  mêlent  et  y  jouent  un  grand  rôle  à  côté  des 
rois.  C'est  par  exemple  Néra,  le  maître  de  la  peste,  qui  déclare  la  guerre  aux 
humains  pour  les  punir  d'avoir  méconnu  l'autorité  d'Anou.  Il  accable  d'abord 
Babylone  :  «  Les  enfants  de  Babel  ils  furent  des  oiseaux  et  leur  oiseleur  ce 
fut  toi  !  —  Au  filet  tu  les  prends,  tu  les  enserres,  tu  les  décimes,  —  héros 
Néra!  »  L'une  après  l'autre,  il  attaque  les  cités-mères  de  l'Euphrate  et  les 
oblige  à  lui  rendre  hommage,  même  Ourouk,  «  la  demeure  d'Anou  et  d'Ishtar, 
—  la  ville  des  hiérodules,  des  aimées  et  des  courtisanes  sacrées  »,  puis 
il  se  tourne  contre  les  peuples  étrangers  et  il  porte  ses  ravages  jusqu'en 
Phénicie*.  Ailleurs  le  héros  Étana  tente  de  s'élever  au  ciel,  et  l'aigle,  son 
compère,  s'envole  avec  lui  sans  pouvoir  le  faire  réussir  dans  son  entreprise8. 
Nemrod  et  ses  exploits  nous  sont  connus  par  la  Bible*.  *  II  fut  un  puissant 
chasseur  devant  l'Éternel,  et  c'est  pourquoi  l'on  dit  jusqu'à  ce  jour  :  Comme 
Nemrod,  le  puissant  chasseur  devant  l'Éternel.  Et  le  commencement  de  sa 
domination  fut  Babel,  Erech,  Accad  et  Calnéh,  au  pays  de  Shinéar.  »  Presque 

1.  Bérose,  fragm.  XI,  Fragmenta  HUtoricorum  Grspcorum,  éd.  MCller-Didot,  t.  II,  p.  503. 

2.  Les  nombreux  fragments  de  cette  sorte  d'épopée  mythologique  ont  été  découverts  et  traduits 
en  partie  par  G.  Smith  (The  Chaldxan  Account  of  Genesis,  p.  143-136;  cf.  W.  B[oscawen],  The  Plague 
Legends  of  Chaldsea,  dans  le  Babylonian  and  Oriental  Record,  t.  I,  p.  11-14).  Ils  ont  été  publiés  et 
traduits  en  entier  par  Ed.  J.  Harpkh,  die  Babylonischen  Legenden  von  Etana,  Zu,  Adapa,  und  Dib- 
barra,  dans  les  Beitrâge  zur  Assyriologie,  t.  Il,  p.  425-437. 

3.  Pour  la  légende  d'fttana,  voir  plus  loin  les  pages  698-700  de  cette  Histoire. 

4.  Genèse,  X,  8,  10.  Tout  un  cycle  de  légendes  s'est  formé  autour  de  Nemrod  chez  les  Juifs  et  chez  les 
Musulmans.  Il  avait  bâti  la  Tour  de  Babel  (Joskphk,  Ant.  Jud.,  I,  4,  §  2)  ;  il  avait  jeté  Abraham  dans  une 
fournaise  ardente  et  il  avait  essayé  de  monter  au  ciel  sur  le  dos  d'un  aigle  (Coran,  Sour.  XXIX,  23  ; 
Yaiout,  Lex.  Geogr.,  s.  v.  Ni/fer).  Sayce  {Simrod  and  the  Assyrian  Inscriptions,  dans  les  Transactions 
de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  11,  p.  248-249)  et  Grivel  (Revue  de  la  Suisse  catholique, 
août  1871,  et  Transactions,  t.  111,  p.  136-144)  voyaient  dans  Nemrod  une  forme  héroïsee  de  Mardouk, 
le  dieu  de  Babylone  :  la  plupart  des  assyriologues  actuels  préfèrent,  à  l'exemple  de  Smith  (The  Chai- 


574  LA  CIIALDËE  PRIMITIVE. 

tous  les  traits  que  la  tradition  hébraïque  lui  attribue,  nous  les  retrouvons 
dans  Gilgamès,  roi  d'Ourouk  et  descendant  du  Shamashnapishtim  qui  avait  vu 
le  déluge1.  Plusieurs  copies  du  poème  où  un  scribe,  aujourd'hui  sans  nom, 
avait  célébré  ses  exploits,  existaient  à  Ninive,  dans  la  bibliothèque  royale,  vers 
le  milieu  du  vu"  siècle  avant  notre  ère;  on  les  avait  exécutées  par  ordre 
d'Assourbanabal,  d'après  quelque  exemplaire  plus  ancien,  et  les  fragments  que 
nous  en  possédons,  criblés  qu'ils  sont  de  lacunes,  nous  permettent  de  rétablir 
presque  partout,  sinon  le  texte  même  de  l'original,  mais  la  suite  des  événe- 
ments*. On  les  partageait  en  douze  épisodes,  comme  l'année  en  ses  douze  mois, 
et  ce  n'est  point  simple  hasard  si  le  vieil  auteur  babylonien  a  choisi  cette 
coupe.  Gilgamès,  d'abord  simple  mortel  patronné  par  les  dieux,  était  devenu 
dieu  lui-même  et  fils  de  la  déesse  Arourou*  :  «  il  avait  vu  l'abîme,  il  avait 
appris  tout  ce  qu'on  tient  secret  et  qui  est  caché,  même  il  avait  apporté  aux 
hommes  la  nouvelle  de  ce  qui  eut  lieu  dès  avant  le  déluge4.  »  Le  Soleil,  qui  le 
protégea  pendant  son  temps  d'humanité,  l'avait  assis  à  côté  de  lui  sur  le  siège 
du  jugement,  et  lui  avait  délégué  l'autorité  pour  rendre  des  arrêts  dont  personne 
n'appelait  :  il  étaitcomme  un  soleil  au  petit  pied,  devant  qui  les  rois,  les  princes, 

dxan  Account  of  the  Déluge,  dans   les    Transactions   de   la    Société   d'Archéologie  Biblique,  t.    1, 
p.  205,  et  Assyrian  Discoveries,  p.   165-167),  l'identifier  avec  le  héros  Gilgamès. 

1.  Le  nom  de  ce  héros  se  compose  de  trois  signes  que  Smith  rendit  provisoirement  par  Isdubar, 
lecture  qui,  modifiée  en  Gishdhubar,  Gistubar,  est  encore  conservée  par  plusieurs  assyriologues.  On 
a  proposé  tour  à  tour  Dhoubar,  Namroûdou  (Smith,  The  Eleventh  Ta  blet  of  the  ïzdubar  Legends,  dans 
les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  II,  p.  588),  Anamaroutou,  Noumarad,  Nam- 
rasit,  toutes  formes  qui  tendent  à  montrer  dans  le  nom  du  héros  celui  de  Nerarod.  Pinches  a 
découvert,  en  1890,  ce  qui  parait  être  l'expression  réelle  des  trois  signes,  Gilgamèsh,  Gilgamès 
(Exit  Gistubar,  dans  le  Babylonian  and  Oriental  Record,  t.  IV,  p.  261);  Sayce  (The  Hero  of  the 
Chaldwan  Epie,  dans  The  Academy,  1890,  n°  966,  p.  421)  et  Oppert  (le  Persée  Chaldéen,  dans  la 
Revue  a"  Assyriologie,  t.  Il,  p.  121-123)  ont  rapproché  ce  nom  de  celui  de  Gilgamos,  héros  babylonien, 
dont  Élicn  (Hist.  Anim.,  XII,  21)  nous  avait  conservé  le  souvenir.  A.  Jcremias  (Izdubar-Ximrod, 
p.  2,  note  1)  se  refuse  encore  à  admettre  et  la  lecture  et  l'identification. 

2.  Les  fragments  connus  jusqu'à  présent  ont  été  réunis,  coordonnés  et  publiés  par  Haipt,  Dos 
Rabylonische  Nimrodepos,  Leipzig,  in— i,  1884-1892,  et  dans  les  Reilrâgc  zur  Assyriologie,  t.  I,  p.  48- 
79,  94-152.  On  trouvera  la  nomenclature  des  principaux  travaux  dont  ils  ont  été  l'objet  dans  Bf.zold, 
Kurzgefassler  Ueberblick,  p.  171-173.  Une  analyse,  accompagnée  de  traductions  partielles,  en  a  été 
donnée  par  A.  Jeremias,  hdubar-Nimrod,  eine  altbabylonische  Heldensage,  1891,  et  une  traduction 
complète  en  français  par  Sauvkplane,  Une  Épopée  Babylonienne,  Istubar-Gilgames,  1894  :  je  me  suis 
borné  presque  partout  à  suivre  l'arrangement  proposé  par  MM.  Haupt  et  Jeremias.  Un  fragment  du 
catalogue  des  ouvrages  mythologiques  de  la  Bibliothèque  de  ISinive,  découvert  par  Pinches  et  publié 
par  Sayce  (dans  Smith,  The  Chaldxan  Account  of  Genesis,  2*  édit.,  p.  10  sqq.),  met  à  côté  du  titre 
de  notre  poème  le  nom  d'un  certain  Sinliqfounntni,  que  l'on  a  considéré  comme  en  étant  l'auteur 
(Fr.  Lenormant,  les  Origines  de  l'Histoire,  t.  11,  p.  9-10,  note);  c'est  peut-être  simplement  celui  d'un 
des  rapsodes  qui  la  récitaient  en  public  (A.  Jeremias,  Izdubar-Nimrod,  p.  13;  cf.  Haupt,  Collation 
der  Izdubar-Legenden,  dans  les  Deilrâge  zur  Assyriologie,  t.  I,  p.  102,  note  2). 

3.  Haipt,  Dos  Rabylonische  Simrodepos,  p.  8,  1.  30.  Le  rôle  de  la  déesse  Arourou  est  inconnu  par 
ailleurs  :  peut-être  doit-on  la  considérer  comme  étant  une  forme  de  Beltis,  Btlit-ilâni,  la  dame  des 
dieux  (Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  294,  note  1).  Il  serait  possible  que  Gilgamès  eût 
pour  père  Shamash,  le  dieu  Soleil,  qui  le  couvre  de  sa  protection  dans  toutes  les  circonstances  diffi- 
ciles de  son  existence  (G.  Smith,  The  Chaldœan  Account  of  Genesis,  p.  174). 

4.  1n  Tablette,  I.  1-6;  cf.,  Haupt,  Das  Rabylonische  Nimrodepos,  p.  1,  6,  79.  et  dans  les  Beilrâge 
zur  Assyriologie,  t.  I,  p.  102-103,  318.  Le  fragment  cité  appartenait  sûrement  au  début  du  poème  et 
contenait  un  sommaire  de  tous  les  exploits  que  le  héros  passait  pour  avoir  accomplis. 


LA  LÉGENDE  DE  C1LGAMËS.  575 

les  grands  de  ce  monde  courbaient  humblement  la  tète1.  Les  scribes  avaient 
donc  quelque  droit  à  modeler  sa  vie  sur  celle  de  l'année  et  à  le  conduire  à 
travers  douze  chants,  de  la  façon  dont  le  soleil 
promène  sa  course  à  travers  les  douze  mois1. 

L'histoire  entière  est  au  fond  le  récit  de 
ses  luttes  contre  Ishtar,  et  les  premières  pages 
nous  le  montrent  déjà  aux  prises  avec  la 
déesse.  Son  portrait,  tel  que  les  monuments 
l'ont  conservé,  s'écarte  singulièrement  du  type 
ordinaire  :  on  dirait  un  spécimen  d'une  race 
différente,  quelque  survivant  d'un  peuple  très 
ancien  qui  avait  dominé  dans  les  plaines  de 
l'Euphrate,  avant  l'arrivée  des  tribus  sumérien- 
nes et  des  Sémites".  Le  corps  est  grand,  large, 
étonnamment  musclé,  à  la  fois  vigoureux  et 
agile;  la  tète  grosse,  osseuse,  presque  carrée, 
avec  une  face  un  peu  plate,  un  nez  massif  et 
des  pommettes  saillantes,  qu'une  abondante  che- 
velure encadre,  et  une  barbe  drue,  bouclée 
symétriquement.  Tout  ce  qu'il  y  a  de  jeune  dans 
Ourouk  la  bien-gardée  a  été  séduit  par  la 
beauté  et  par  la  force  prodigieuse  du   héros; 

les  anciens  de  la  ville  se  sont  rendus  auprès  d'Ishtar  et  se  plaignent  à  elle 
de  l'abandon  où  la  nouvelle  génération  les  relègue.  «  H  n'a  plus  de  rival  dans 

1.  L'identité  Je  Gilgamès  avec  le  dieu  accadien  du  feu.  ou  pluldt  avec  le  Soleil,  a  été  reconnue 
de»  lu  début  par  11.  Rawlinsou  (dans  The  Athenasum,  187*.  7  décembre  ;  cf.  Vu.  Lt*oa«»M,  Ici  Pre- 
mière* Civilisation*,  t.  II.  p.  64  sqq.;  Saïce,  Babylonian  Literalnre,  |).  27  sqq.),  et  admise  depuis  par 
presque  tous  les  assyriologues  (cf.,  en  dernier  lieu,  A.  Jebekus,  hdubar-Nimrod,  p.  3-S).  l'ne  tablette 
rapportée  parC.  Smith  {Sa.,  13111,  187"),  signalée  par  Vr.  Dclilzseh(dans  le  Tigialpitetcr  de  Lhol/ky, 
p.  105)  et  publiée  par  Haupt  (Dos  Babyloniiche  Nimrodepoi,  p.  93-94),  contient  les  restes  d'un 
hymne  à  Gilgnmes,  -  le  roi  puissant,  le  roi  des  Esprit!  de  la  terre  »  (traduit  par  A.  Je  ru  us,  hdubar- 
Nimrod,  p.  3-4,  par  Sitrviir-uiiE,  Vite  Épopée  Babylonienne,  p.  ÎOfi-ïli.  el  en  dernier  lieu  par  Bhkawk*. 
Ilymtu  to  Gilgomet,  dans  le  Babylonian  and  Oriental  Record,  t.  VII,  p.  lîl  sqq.). 

2.  L'identité  des  douze  chants  avec  les  douie  signes  du  Zodiaque,  découverte  par  H.  Raulinson 
(Athenrum,  1872,  "  décembre),  a  été  admise  successivement  par  tous  les  assyriologues  (l'a.  Lesob- 
msT,  le*  Première*  Civilisation*,  t.  II,  p.  67-81,  el  le*  Origine*  de  l'Histoire,  p.  238  sqq.,  note  4; 
S*ice.  Babylonian  Literature,  p.  Î7  sqq.;  HinrT,  Der  Kcilintchriftlicht  Suitfluthberichl,  p.  10-11, 
44,  noies  10-11),  par  quelques-uns  avec  certaines  réserves  (A.  Jereiias,  hdubar-Nimrod,  p.  G6-68  ; 
Siivmljke,  Une  Epopée  Babylonienne,  p.  LXII-LXIX). 

3.  Smith  (The  Chaldœan  Account  af  Geneii*.  p.  194)  avait  remarqué  la  différence  qu'il  y  a  entre 
les  représentations  rie  Gilgamèa  el  1c  type  des  gens  rie  Habvlone  :  il  en  concluait  que  le  béros  étail 
d'origine  éthiopienne.  Homme!  (Geichichle  Babylonien*  u.id  At*yrien*.  p.  ïfl!)  déclare  que  ses  traits 
n'ont  l'aspect  ni  sémitique,  ni  sumérien,  et  qu'ils  soulèvent  un  problème  ethnologique  insoluble. 

i.  Dcitin  de  Faucher-Gudin  d'après  te  bat-relief  aiiyrïen  de  Khortabad  au  Mutée  du  Louvre 
(A.  Di  LoNCPiaiES,  Notice  de*  Antiquité*  aiiyriennei,  3'  éd..  p.  28-30,  n»  4,  S). 


576  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

leur  cœur,  mais  tes  sujets  sont  conduits  au  combat  et  Gilgamès  ne  renvoie 
pas  un  enfant  à  son  père.  Nuit  et  jour  ils  crient  après  lui  :  «  C'est  lui  le  pas- 
teur d'Ourouk  la  bien-gardée\  il  est  son  pasteur  et  son  maître,  lui  le  puis- 
sant, le  parfait,  le  sage*.  »  Les  femmes  elles-mêmes  n'ont  pas  échappé  à  l'en- 
traînement général  :  «  il  ne  laisse  pas  une  seule  vierge  à  sa  mère,  une  seule 
fille  à  un  guerrier,  une  seule  épouse  à  son  maître.  »  Ishtar  entendit  leur 
plainte,  les  dieux  l'entendirent  et  ils  crièrent  vers  la  déesse  Arourou  à  haute 
voix  :  «  C'est  toi,  Arourou,  qui  l'as  enfanté;  crée-lui  maintenant  son  homme 
qu'il  puisse  rencontrer  au  jour  qui  lui  plaira,  afin  qu'ils  se  battent  l'un  avec 
l'autre  et  qu'Ourouk  soit  délivrée.  »  Quand  Arourou  les  entendit,  elle  créa  en 
son  cœur  un  homme  d'Anou.  Arourou  lava  ses  mains,  prit  un  morceau 
d'argile,  le  jeta  à  terre,  le  pétrit  et  créaÉabani,  le  batailleur,  le  haut  rejeton, 
l'homme  de  Ninib8,  dont  le  corps  entier  est  couvert  de  poils,  dont  la  cheve- 
lure est  longue  comme  celle  d'une  femme;  les  mèches  de  ses  cheveux  se 
hérissent  sur  sa  tête  comme  au  dieu  des  blés,  il  est  revêtu  d'un  habit  sem- 
blable à  celui  du  dieu  des  champs,  il  paît  avec  les  gazelles,  il  se  désaltère 
aux  abreuvoirs  avec  les  animaux  des  champs,  il  s'ébat  avec  les  bêtes  des 
eaux*.  »  Ëabani  est  souvent  représenté  sur  les  monuments  :  il  a  les  cornes 
de  la  chèvre,  les  jambes  et  la  queue  d'un  taureau5.  Non  seulement  il  possé- 
dait la  force  d'une  brute,  mais  son  intelligence  embrassait  tout,  le  passé 
comme  l'avenir;  il  aurait  peut-être  triomphé  de  Gilgamès  si  Shamash  n'avait 
réussi  à  les  attacher  l'un  à  l'autre  d'un  lien  d'amitié  indissoluble.  Le  difficile 
était  de  rapprocher  les  deux  amis  futurs  et  de  les  mettre  l'un  en  face  de 
l'autre  sans  qu'ils   en  vinssent  aux   mains  :    le  dieu  dépêcha  son   courrier 

1.  Ourouk  soupouri  ne  se  rencontre  guère  que  dans  le  poème  de  Gilgamès.  Cette  expression 
paraît  signifier  Ourouk  la  bien-gardée  (A.  Jeremias,  Izdubar-Nimrod,  p.  9);  c'est  une  formule  analogue 

Kahirah-el-Mahrouisah  des  écrivains  arabes,  pour  désigner  le  Caire. 

2.  Haupt,  Das  Babylonische  Nimrodepos,  p.  8,  I.  21-26,  cf.  p.  79,  1.  10-16.  Le  texte  est  mutilé  et 
ne  peut  être  rendu  que  par  à  peu  près.  Smith  (Astyrian  DUcotvrica,  p.  168-169)  avait  d'abord  pensé 
que  le  poème  commençait  par  le  récit  d'un  siège  d'Ourouk,  d'une  délivrance  de  la  ville  par  Gilgamès, 
et  de  l'élévation  subite  de  Gilgamès  à  la  dignité  de  roi;  il  s'aperçut  plus  tard  de  son  erreur  (The 
Clialdsran  Account  of  Genesit,  183-185)  et  il  adopta  pour  les  fragments  des  premières  tablettes  l'ar- 
rangement qui  a  été  accepté  jusqu'aujourd'hui  parles  assyriologues  (cf.  A.  Jeremias,  Izdubar-Nimrod, 
p.   14  sqq.,  Sauvkplane,  Une  Épopée  Babylonienne,  p.  4  sqq.). 

3.  Ninib  est  entre  autres  choses  le  dieu  des  laboureurs  :  Y  homme  de  Ninib  est  donc,  à  proprement 
parler,  un   paysan,  un  homme  des  champs  (A.  Jeremias,  Izdubar-Nimrod,  p.  46,  note  16). 

4.  Haupt,  Dos  Babylonitche  Nimrodepos,  p.  8-9,  1.  27-41. 

o.  Smith,  le  premier  à  ma  connaissance,  a  comparé  sa  figure  à  celle  des  satyres  ou  des  faunes  (The 
Chaldœan  Account  of  Gencsis,  p.  196);  ce  rapprochement  présente  d'autant  plus  de  vraisemblance 
qu'aujourd'hui  encore  les  habitants  de  la  Chaldée  croient  à  l'existence  de  monstres  semblables 
(Rich,  Voyage  aux  ruines  de  Babylonc,  trad.  Raymond,  p.  75-76,  79,  210).  A.  Jeremias  (Die  Babylo- 
nisch-Asêyriêchen  Vorstellungen  vom  Leben  nach  de  m  Todey  p.  83,  note  4)  place  Êabani  à  côté  de 
Priape,  qui  est  généralement  un  dieu  des  champs  et  un  devin  habile.  Dans  un  ordre  d'idées  analo- 
gues, on  peut  rapprocher  notre  Éabani  du  Protée  gréco-romain,  qu'il  faut  pourchasser  et  prendre  par 
la  force  ou  par  la  ruse  pour  lui  arracher  des  oracles,  et  qui  paît  les  troupeaux  de  la  mer. 


LA  SÉDUCTION  D'ÉABAHI.  577 

Satdou,  le  veneur,  afin  d'étudier  les  habitudes  du  monstre  et  de  rechercher 
les  moyens  qu'il  conviendrait  employer  pour  le  décider  à  descendre  paci- 
fiquement dans  Ourouk.  «  Saîdou,  le  veneur,  marcha  au  devant  d'Eabani 
vers  l'entrée  de  l'abreuvoir.  Un  jour,  deux  jours,  trois  jours,  Êabani  le  ren- 
contra vers  l'entrée  de  l'abreuvoir,  Saîdou,  il  l'aperçut  et  sa  face  s'assombrit; 
il  entra  dans  l'enceinte,  il  s'affligea,  il  gémit,  il  cria  bien  haut,  son  cœur  se 
serra,  sa  face  se  décomposa,  les  sanglots  lui  brisèrent  la  poitrine.  Le  veneur 
vit  de  loin  que  sa  face  s'enflammait  de  colère1  •,  et,  jugeant  plus  prudent 


de  ne  point  pousser  l'épreuve,  revint  faire  part  à  son  dieu  de  ce  qu'il 
avait  observé.  «  J'ai  eu  peur,  dit-il  en  terminant  son  discours,  et  je  ne  l'ai 
pas  abordé.  Il  a  comblé  ia  fosse  que  j'avais  creusée  pour  le  prendre,  il  a 
rompu  les  lacs  que  j'avais  tendus,  il  a  délivré  de  mes  mains  le  bétail  et  les 
animaux  des  champs,  il  ne  m'a  point  laissé  battre  la  plaine3.  »  Shamash  pensa 
qu'où  l'homme  le  plus  robuste  échouerait  par  la  force,  une  femme  réussirait 
peut-être  par  la  volupté  :  il  ordonna  à  Saîdou  de  courir  vers  Ourouk  et  d'y 
choisir  la  plus  belle  parmi  les  prêtresses  d'Ishtar*.  Le  veneur  se  présenta 
devant  Gilgamès,  lui  conta  l'aventure  et  lui  demanda  l'autorisation  d'em- 
mener l'une  des  courtisanes  sacrées.   «  Va,  mon  veneur,  prends  l'hiérodule, 

1.  Hun,  Bat  Babyloniirlie  Kaurodepot,  p.  9,  l.  4Î-50.  Le  commencement  de  chaque  ligne  est 
détruit,  el  la  traduction  de  l'ensemble  ne  peut  être  donnée  que  par  ù-peu-près, 

î.  Be»in  de  Faucher-Gudiu,  d'aprei  une  inlaittr  ehaldéenne  du  Mutée  de  la  Haye  (Menait,  Cata- 
logue de»  cylindre»  orientaux  du  Cabinet  royal  de»  IHétlailles.  pi.  I,  n*  I,  et  fteeherehei  mr  ta  Glyp- 
tique orientale,  t.  I,  pi.  Il,  n"  3;  cl\  Lutin,  Introduction  A  l'élude  du  rutte  publie  et  de*  ilutfi-rei 
de  Mit/ira  en  Orient  el  en  Occident,  pi.  XXVII.  9).  L'original  mesure  ftmran  "-.»«  de  hauteur. 

3.  HaïIT,  Bai  Babylonischc  Nimrode/ioi.  p.  9,  I.  8-lî. 

4.  Les  prêtresses  d'ishtar  étaient  rie  jeunes  et  belles  femmes  qui  ciumarrairnl  leur  rorps  au  service 
de  la  déesse  cl  au  plaisir  des  dévols  qui  visitaient  son  temple.  Elles  partaient,  outre  le  titre  général 
de  qadithtou,  hiérodule,  des  noms  divers,  kiiirtti,  euhâti,  harint/lti  (\  Jmmm.  hdubar-Nimrod, 
p.  59  sqq.);  l'hiérodule  qui  accompagne  Saîdou  dans  son  entreprise  e»!  «ne  ouftor 

RISI.    ANC.    iib   l'uiiexi.   —  T.    i.  "3 


578  LA  CHALDËE  PRIMITIVE. 

Quand  les  bêtes  viendront  à  l'abreuvoir,  qu'elle  arrache  son  vêtement  et 
dévoile  sa  beauté  :  lui  la  verra,  il  s'approchera  d'elle,  et  ses  bêtes,  qui  font 
troupe  autour  de  lui,  se  disperseront1.  »  Le  veneur  alla,  il  emmena  l'hiérodule 
avec  lui,  il  prit  la  droite  route  ;  le  troisième  jour,  ils  arrivèrent  à  la  plaine 
fatale.  Le  veneur  et  l'hiérodule  s'assirent  pour  reposer;  un  jour,  deux  jours, 
ils  s'assirent  à  l'entrée  de  l'abreuvoir  dont  Ëabani  buvait  l'eau  avec  les 
animaux,  où  il  s'ébattait  avec  les  bêtes  de  l'eau*. 

«   Lorsqu'Éabani  survint,  lui  qui  habite  dans  les  montagnes,  et  qu'il  se 
mit  à  paître  les  herbes  avec  les  gazelles,  qu'il  but  avec  les  animaux,  qu'il 
s'ébattit  avec  les  bêtes  de  l'eau,  l'hiérodule  vit  le  satyre.  »  Elle  s'effraya 
et  rougit,  mais  le  veneur  la  rappela  à  son  devoir.   «    C'est  lui,  hiérodule. 
Dénoue  ta  ceinture,  ouvre  ton  sein  pour  qu'il  s'éprenne  de  ta  beauté;  n'aie 
pas  honte,  mais  dérobe-lui  son  âme.  Il  t'aperçoit,  il  s'élance  vers  toi,  pose 
ton  vêtement;  il  se  rue  sur  toi,  accueille-le  avec  tout  l'art  des  femmes;  ses 
bêtes  se  disperseront  qui  sont  en  troupe  autour  de  lui,  et  il  te  pressera  contre 
sa  poitrine.  »  L'hiérodule  dénoua  sa  ceinture,  ouvrit  son  sein,  défit  sa  jupe; 
elle  n'eut  pas  honte  et  déroba  l'âme  d'Ëabani.  Elle  dépouilla  son  vêtement  et 
il  se  rua  sur  elle;  elle  l'accueillit  avec  tout  l'art  des  femmes  et  il  la  pressa 
contre  sa  poitrine.  Six  jours  et  sept  nuits,  Ëabani  se  tint  près  de  l'hiérodule, 
sa  bien-aimée.  Quand  il  se  fut  rassasié  de  plaisir,  il  tourna  la  face  vers  son 
bétail,  et  il  vit  que  les  gazelles  s'étaient  détournées,  et  que  les  bêtes  des 
champs  s'étaient  enfuies  loin  de  lui.  Ëabani  s'effraya,  il  tomba  en  pâmoison, 
ses  genoux  se  raidirent,  parce  que  son  bétail  avait  fui.  Tandis  qu'il  était  là 
comme  mort,  il  entendit  la  voix  de  l'hiérodule;  il  reprit  ses  sens,  il  revint  à 
lui  plein  d'amour,  il  s'assit  aux  pieds  de  l'hiérodule,  il  regarda  l'hiérodule  au 
visage,  et,  tandis  que  l'hiérodule  parlait,  ses  oreilles  entendirent.  Car  c'est 
à  lui   que    l'hiérodule  parlait,  lui   Ëabani  :   «  Toi  qui  es  superbe,  Ëabani, 
comme  un  dieu,  pourquoi  habites-tu  parmi  les  bêtes  des  champs?  Viens,  je 
t'amènerai  vers  Ourouk  la  bien  gardée,  vers  la  maison  radieuse,  la  demeure 
d'Ànou   et  d'ishtar,    aux  lieux  où   se  tient   Gilgamès  dont   la   vigueur   est 
suprême,  et  qui,  tel  un  unis,  surpasse  les  héros  en  vigueur.  »  Tandis  qu'elle 
lui  parle  ainsi,  il  épie  ses  paroles,  lui  le  sage  en  son  cœur,  il  pressent  un 

1.  Autant  qu'on  peut  en  juger  à  travers  les  lacunes  qui  interrompent  le  récit,  le  pouvoir  qu'Kabani 
exerce  sur  les  animaux  des  champs  est  lié  intimement  à  sa  continence.  Du  jour  qu'il  cesse  d'être 
chaste,  les  bétes  le  fuient  comme  elles  feraient  un  simple  mortel;  il  n'a  plus  alors  d'autre  ressource 
que  de  quitter  la  solitude  et  d'aller  vivre  dans  les  villes,  auprès  des  hommes.  C'est  ce  qui  explique 
le  moyen  que  Shamash  emploie  contre  lui  :  cf.  dans  les  Mille  et  Une  Nuits  l'histoire  de  Shehabeddin. 

2.  Haupt,  Das  Rabylonitchc  Nimrodepos,  p.  10,  1.  40,  p.  11,  1.  1. 


LA  MORT  DE  KHOUMBABA.  579 

ami.  Éabani  dit  à  l'hiérodule  :  «  Allons,  hiérodule,  emmène-moi  vers  la 
demeure  radieuse  et  sainte  d'Anou  et  d'Ishtar,  aux  lieux  où  se  tient  Gilgamès 
dont  la  vigueur  est  suprême,  et  qui,  tel  un  urus,  prévaut  par  sa  vigueur  sur 
les  héros.  Je  me  battrai  avec  lui  et  je  lui  montrerai  ma  force;  je  lancerai  une 
panthère  contre  Ourouk,  et  il  devra  lutter  avec  elle1.  »  L'hiérodule  conduit 
son  prisonnier  vers  Ourouk,  mais  la  ville  célèbre  en  ce  moment  la  fête  de 
Tammouz,  et  Gilgamès  ne  se  soucie  pas  d'interrompre  les  solennités  pour 
affronter  les  travaux  auxquels  Éabani  le  convie  :  à  quoi  bon  ces  épreuves, 
quand  les  dieux  eux-mêmes  ont  daigné  lui  dicter  en  songe  la  conduite  qu'il 
a  tenue  et  se  sont  entremis  entre  leurs  enfants?  De  fait,  Shamash  prend  la 
parole  et  trace  un  tableau  séduisant  de  la  vie  qui  attend  le  monstre,  s'il  con- 
sent à  ne  pas  regagner  ses  montagnes.  Non  seulement  l'hiérodule  lui  appar- 
tiendra à  jamais,  et  n'aura  que  lui  pour  époux,  mais  Gilgamès  le  comblera  de 
richesses  et  d'honneurs.  «  Il  te  couchera  sur  un  grand  lit  préparé  artistement; 
il  t'assiéra  sur  le  divan,  il  te  donnera  la  place  à  sa  gauche,  et  les  princes  de 
la  terre  baiseront  tes  pieds,  les  gens  d'Ourouk  ramperont  devant  toi*.  »  C'est 
par  ces  flatteries  et  par  ces  promesses  d'avenir  que  Gilgamès  gagna  l'affection 
de  son  serviteur  Éabani,  lequel  il  aima  toujours. 

Shamash  avait  ses  raisons  pour  tant  insister.  Khoumbaba,  roi  d'Ëlam,  avait 
envahi  le  pays  de  l'Euphrate,  détruisant  les  temples  et  substituant  le  culte 
des  divinités  étrangères  à  celui  des  nationales3  ;  les  deux  héros  réunis  étaient 
seuls  capables  de  lui  tenir  tète  et  de  le  tuer.  Ils  rassemblent  leurs  troupes,  se 
mettent  en  chemin,  apprennent  d'une  magicienne  que  l'ennemi  se  cache  dans 
un  bosquet  sacré.  Ils  y  pénètrent  sous  un  déguisement,  «  et  s'arrêtent  un  mo- 
ment en  extase  devant  le  bois  de  cèdres,  ils  en  contemplent  la  hauteur,  ils  en 
contemplent  l'épaisseur;  le  lieu  où  Khoumbaba  avait  accoutumé  de  se  prome- 
ner à  grands  pas,  des  allées  y  étaient  percées,  des  sentiers  entretenus  avec 
soin.  Ils  aperçurent  enfin  la  butte  aux  cèdres,  séjour  des  dieux,  sanctuaire 
d'irnini,  et,  devant  la  butte,  un  cèdre  magnifique,  d'ombre  salutaire  et  déli- 

1.  H  a  cpt,  Das  Babylonische  Ntmrodepos,  p.  11,  1.  2-p.  13,  1.  i.  J'ai  adouci  beaucoup  la  scène  de 
séduction  féminine,  qui  est  décrite  avec  une  sincérité  et  une  précision  toutes  primitives. 

2.  Haiipt,  Das  Babylonische  Kimrodepos,  p.  15,  1.  36-39. 

3.  Khoumbaba  renferme  le  nom  du  dieu  élamite  Khoumba,  qui  entre  en  composition  dans  les 
noms  de  ville  comme  Til-Khoumbi,  ou  de  princes  comme  Khoumbanigâsh,  Khoumbasoundasa,  Khoum- 
basidir  (G.  Smith,  The  Chaldxan  Account  of  Gcnesis,  p.  185).  Le  rapprochement  proposé  entre  Khoum- 
baba et  le  Corababos  (Fr.  Lknormant,  les  Origines  de  l'Histoire,  t.  1,  p.  240),  héros  d'une  légende 
singulière  encore  courante  au  ir*  siècle  après  notre  ère  (De  Dca  Syriâ,  §  17-27),  ne  paraît  pas  être 
admissible  certainement  pour  le  moment.  Les  noms  assonent  bien,  mais,  ainsi  qu'Oppert  Ta  dit, 
aucun  trait  de  l'histoire  de  Combabos  ne  répond  à  ce  que  nous  savons  jusqu'à  présent  de  celle  de 
Khoumbaba  (Fragments  cosmogonigues,  dans  Lkdrain,  Histoire  d'isravt,  t.  I,  p.  -423). 


580  LA  CHALDÊE  PRIMITIVE. 

cieuse1.  »  Ils  surprennent  Khoumbaba  à  l'heure  où  il  venait  goûter  le  frais, 
lui  coupent  la  tête  et  rentrent  victorieux  à  Ourouk*.  «  Gilgamès  fit  reluire  ses 
armes,  il  fourbit  ses  armes.  Il  posa  son  attirail  de  guerre,  il  revêtit  ses  habits 
blancs,  s'orna  de  ses  insignes  royaux  et  ceignit  le  diadème;  Gilgamès  se  coiffa 
de  sa  tiare  et  ceignit  le  diadème*.  »  Ishtar  le  vit  paré,  et  la  même  ardeur  la 
brûla  qui  avait  enflammé  les  mortelles*.  «  Vers  l'amour  de  Gilgamès  elle  leva 
les  yeux,  la  puissante  Ishtar,  et  «  Viens,  Gilgamès,  sois  mon  mari,  toi!  Ton 
amour  donne-le-moi  en  don  à  moi,  et  toi  tu  seras  mon  époux,  et  moi  je  serai 
ta  femme.  Je  te  hausserai  sur  un  char  de  lapis  et  d'or,  aux  roues  d'or  et  aux 
montants  d'onyx  ;  tu  l'attelleras  de  grands  lions  et  tu  entreras  dans  notre  mai- 
son aux  fumées  odorantes  du  cèdre.  En  notre  maison  quand  tu  seras  entré, 
tout  le  pays  de  la  mer  t'embrassera  les  pieds,  les  rois  se  courberont  sous  toi, 
les  seigneurs  et  les  grands,  les  dons  de  la  montagne  et  de  la  plaine  ils  te 
les  apporteront  en  tribut.  Tes  bœufs  prospéreront,  tes  brebis  auront  double 
portée,  tes  mules  viendront  d'elles-mêmes  sous  le  fardeau;  ton  cheval  au  char 
sera  fort  et  galopera,  ton  taureau  sous  le  joug  n'admettra  point  de  rival5.  » 
Gilgamès  repousse  cette  déclaration  inattendue  avec  un  mélange  de  mépris  et 
d'effroi  :  il  invective  la  déesse  et  lui  demande  insolemment  ce  qu'elle  fait  de 
ses  maris  mortels  pendant  sa  longue  vie  de  déesse.  «  Tammouz,  l'époux  de  ta 
jeunesse,  tu  l'as  condamné  à  pleurer  d'année  en  année6.  Allala,  l'épervier 
moucheté,  tu  l'aimas,  puis  tu  le  frappas  et  tu  lui  cassas  l'aile  :  il  se  tient  dans 
les  bois  et  crie  :  «  0  mes  ailes!7  »  Tu  aimas  ensuite  un  lion  d'une  force  achevée, 
puis   sept  à  sept  tu  le  fis  déchirer  de  coups8.   Tu   aimas  aussi    un   étalon 

1.  Hacpt,  Das  Dabylonische  Nimrodepos,  p.  24,  1.  1-8. 

2.  G.  Smith  (The  Chaldsean  Account  of  Gcnesis,  p.  184-185)  place  à  ce  moment  l'accession  de  Gil- 
gamès au  trône  :  le  fait  ne  ressort  pas  du  texte  des  fragments  connus  jusqu'à  présent,  et  il  n'est  pas 
même  certain  que  le  poème  ait  raconté  quelque  part  l'élévation  et  le  couronnement  du  héros.  II 
semble  même  que  Gilgamès  soit  reconnu  dès  le  début  comme  le  roi  d'Ourouk  la  bien-gardée. 

3.  Haupt,  Das  Dabylonische  Nimrodepos,  p.  12,  1.  t-f». 

4.  La  déclaration  d'ishtar  à  Gilgamès  et  la  Réponse  du  héros  ont  été  souvent  traduites  ou  analysées 
depuis  la  découverte  du  poème.  Smith  avait  cru  pouvoir  rattacher  à  cet  épisode  la  Descente  d'ishtar 
aux  Enfers  (The  Chaldtean  Account  of  Gènes is,  p.  228),  que  l'on  rencontrera  plus  loin  (cf.  p.  693-696 
de  cette  Histoire),  mais  son  opinion  n'est  plus  admise.  La  Descente  d'ishtar  est  l'en-tète  d'une  for- 
mule magique,  dans  l'état  où  nous  la  connaissons  :  clic  n'appartient  pas  à  la  Geste  de  Gilgamès. 

5.  Hakpt,  Das  Dabylonische  Nimrodepos,  p.  12-43,  1.  7-21. 

6.  Tamraouz-Adonis  est  le  seul  personnage  qui  nous  soit  connu  dans  cette  longue  liste  des  amants 
de  la  déesse.  Les  autres  devaient  être  assez  célèbres  chez  les  Chaldéens,  puisqu'il  suffisait  de  quelques 
mots  consacrés  à  chacun  d'eux  pour  rappeler  leur  histoire  au  lecteur,  mais  nous  n'avons  encore  rien 
retrouvé  qui  se  rapporte  à  leurs  aventures  (cf.  Sayck,  The  Heligion  of  the  Ancient  Babylonitms, 
p.  245  sqq.);  les  titres  de  leurs  poèmes  manquent  dans  la  table  des  œuvres  classiques  de  l'antiquité 
chaldéo-assyricnne,  qu'un  scribe  ninivite  du  temps  d'Assourbanabal  avait  copiée  pour  l'usage  de  ce 
souverain  (Sayce-Smith,  The  Chaldsean  Account  of  the  Déluge,  p.  X  sqq.). 

7.  Le  texte  dit  kappi  (Haupt,  Das  Habylonische  Nimrodepos,  p.  ii,  1.  #0),  et  la  légende  se  rapportait 
évidemment  à  un  oiseau,  dont  le  cri  ressemblait  au  son  de  ce  mot  qui  signifie  mes  ailes.  L'épervier 
moucheté  pousse  un  cri  qu'on  peut  à  la  rigueur  entendre  et  interpréter  de  la  sorte. 

*    „     8.  C'est  évidemment  l'origine  de  notre  fable  du  Lion  amoureux  (La  Fontaink,  Fables,  liv.  IV,  fable  i). 


L'AMOUR  D'ISHTAR  ET  LA  LUTTE  CONTRE  LE  TAUREAU  D'ANOU.    584 

superbe  au  combat,  tu  le  vouas  au  mors,  à  l'aiguillon  et  au  fouet,  dix  lieues 
durant  tu  le  forças  au  galop,  tu  le  vouas  à  l'épuisement  et  à  la  soif,  tu  vouas 
aux  larmes  sa  mère  Silili.  Tu  aimas  aussi  le  berger  Taboulou  qui  sans  cesse  te 
prodiguait  la  fumée  des  sacrifices  et  journellement  t'égorgeait  des  chevreaux  : 
tu  le  frappas  et  le  tournas  en  léopard,  ses  propres  valets  le  pourchassèrent 
et  ses  chiens  flairèrent  ses  restes*.  Tu  aimas  Ishoullanou,  le  jardinier  de  ton 
père,  qui  sans  cesse  t'apportait  des  présents  de  fruits  et  chaque  jour  embellis- 
sait ta  table.  Tu  levas  les  yeux  vers  lui,  tu  le  saisis  :  «  Mon  Ishoullanou,  nous 
«  mangerons  des  melons,  puis  tu  allongeras  ta  main  et  tu  écarteras  ce  qui  nous 
«  sépare.  »  Ishoullanou  te  dit  :  «  Moi,  qu'exiges-tu  de  moi?  0  ma  mère,  ne  fais 
«  point  de  cuisine  pour  moi,  moi  je  ne  mangerai  point  :  ce  que  je  mangerais  me 
«  serait  malheur  et  malédiction,  et  mon  corps  serait  frappé  d'une  froideur  mor- 
«  telle.  »  Toi  tu  l'entendis  et  tu  te  mis  en  colère,  tu  le  frappas,  tu  le  changeas 
en  nain,  tu  l'installas  au  milieu  d'un  divan  :  il  ne  peut  plus  se  lever,  il  ne  peut 
plus  descendre  d'où  il  est.  Tu  m'aimes  maintenant,  puis  comme  ceux-là  tu  me 
frapperas*.  » 

«  Quand  Ishtar  l'entendit,  elle  entra  en  fureur,  elle  monta  au  ciel.  La  puis- 
sante Ishtar  se  présenta  devant  Ànou  son  père,  devant  sa  mère  Anatou  elle  se 
présenta  et  dit  :  «  Mon  père,  Gilgamès  m'a  méprisée.  Gilgamès  a  énuméré 
«  mes  félonies,  mes  félonies  et  mes  hontes.  »  Anou  ouvrit  la  bouche  et  parla  à  la 
puissante  Ishtar  :  «  Ne  peux-tu  demeurer  tranquille  maintenant  que  Gilgamès 
«  a  énuméré  tes  félonies,  tes  félonies  et  tes  hontes?8  »  Mais  elle  se  refuse  à 
laisser  l'outrage  impuni.  Elle  veut  que  son  père  fabrique  un  urus  céleste 
qui  la  venge  du  héros,  et  comme  il  hésite,  elle  menace  de  faire  périr  tout  ce 
qui  vit  dans  l'univers  entier  en  suspendant  les  atteintes  du  désir  et  les  effets 
de  l'amour.  Anou  cède  enfin  à  sa  furie  :  il  crée  un  urus  effroyable,  dont  les 
ravages  ne  tardent  pas  à  rendre  inhabitables  les  alentours  d'Ourouk  la  bien- 
gardée.  Les  deux  héros,  touchés  par  les  misères  et  par  la  terreur  du  peuple, 
partent  en  chasse  et  courent  relancer  la  bête  aux  bords  de  l'Euphrate,  dans 
les  marais  où  elle  se  remise  après  chacune  de  ses  sorties  meurtrières.  Une 

1.  La  donnée  de  l'amant  changé  en  bête  par  la  déesse  ou  par  la  sorcière  qui  l'aime  se  retrouve 
assez  souvent  dans  les  contes  orientaux  (cf.  dans  les  Mille  et  une  Nuits  l'aventure  du  roi  Bedr  avec 
la  reine  Labé);  pour  l'homme  qu'lshtar  métamorphose  en  bête  et  qu'elle  fait  déchirer  par  ses  propres 
chiens,  on  peut  renvoyer  à  l'histoire  classique  de  Diane  surprise  au  bain  par  Actéon. 

2.  Haupt,  Das  Babylonischc  Nimrodepos,  p.  44-45,  I.  46-79;  cf.  Sayck,  The  Religion  of  the  Ancient 
Babylonians,  p.  2 -46-24 8.  Pour  la  mésaventure  d'Ishoullanou,  on  peut  comparer,  dans  les  Mille  et  une 
Nuits,  le  Conte  du  Pécheur  et  du  Génie  enfermé  dans  une  bouteille  de  plomb.  Le  roi  des  lies  Noires 
a  été  transformé  en  statue  de  la  ceinture  aux  pieds  parla  sorcière  qu'il  avait  épousée,  puis  offensée; 
il  reste  couché  sur  un  lit  d'où  il  ne  peut  descendre,  et  l'infidèle  vient  l'y  fouailler  chaque  jour. 

3.  Haupt,  Das  Baby Ionise he  Nimrodepos,  p.  45,  1.  80-91. 


582  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

bande  de  trois  cents  preux  pénètre  dans  les  fourrés  sur  trois  lignes  et  la 
rabat  vers  eux.  Elle  les  charge,  tète  basse,  mais  Êabanî  la  saisît  d'une  main 
par  la  corne  droite,  de  l'autre  par  la  queue,  et  la  contraint  à  se  cabrer. 
Gilgamès  au  même  moment  l'empoigne  par  une  jambe  et  lui  plonge  son 
poignard  dans  le  cœur.  Dés  qu'elle  est  abattue,  ils  célèbrent  leur  victoire  par 
un  sacrifice  d'actions  de  grâce,  et  ils  versent  une  libation  à  Shamash  dont  la 
protection  ne  leur  a  point  manqué  en  ce  dernier  péril.  Ishtar,  déçue  dans  ses 
projets  de  vengeance,  «  monta  sur  les  remparts  d'Ourouk  la  bien-gardée,  elle 

poussa  un  grand  cri,  elle 
lança  une  malédiction  : 
«  Maudît  soit  Gilgamès, 
■  qui  m'a  insultée  et  qui 
i  a  tué  l'unis  céleste!  » 
Ëabani  les  entendit  ces 
paroles  d'ishtar,  il  arra- 
cha le  membre  de  l'urus 
,  céleste,  il  le  jeta  au  visage 

de  la  déesse  :  ■  Toi  aussi, 
u  je  te  vaincrai,  et  comme  lui  je  te  traiterai  :  j'attacherai  à  tes  flancs  la 
«  malédiction.  »  Ishtar  assembla  ses  prêtresses,  ses  hîérodules,  ses  folles 
femmes,  et  toutes  ensemble  entonnèrent  une  nénie  sur  le  membre  de  l'unis 
céleste.  Gilgamès  assembla  tous  les  tourneurs  en  ivoire,  et  les  artisans  furent 
émerveillés  de  la  grosseur  des  cornes  :  elles  valaient  trente  mines  de  lapis, 
leur  diamètre  était  d'une  demi-coudée,  et  elles  pouvaient  contenir  six  mesures 
d'huile  à  elles  deux*.  »  Il  les  consacra  à  Shamash  et  il  les  suspendit  aux 
coins  de  l'autel  ;  puis  il  se  lava  les  mains  dans  l'Euphrate,  rentra  dans  Ourouk 
et  en  parcourut  les  rues  triomphalement,  lin  banquet  tumultueux  termine 
la  journée,  mais,  la  nuit  même,  Ëabani  se  sent  hanté  d'on  ne  sait  quel  songe 
funeste,  et  la  fortune  abandonne  les  deux  héros.  Gilgamès  avait  crié  aux 
femmes  d'Ourouk  dans  l'enivrement  du  succès  :  «  Qui  brille  parmi  les  preux? 
Qui  resplendit  par-dessus  tous  les  hommes?  Gilgamès  brille  parmi  les  preux, 
Gilgamès  resplendit  par-dessus  tous  les  hommes'.  »  Ishtar  le  toucha  dans 
cette  beauté  dont  il  était  si  fier  :  elle  le  couvrit  de  lèpre  de  la  tête  aux  pieds 

[.   Dessin  de  Faurher-Cudin  d'après  lintaitle  rltaidfrum 

clies  sur  lu  Glyptique  orientale,  1.  1,  |il.  I,  n"  I).  L'oritiinat 

ï.  Huit,  bus  Babylottîsche  Mmrodepos,  \i.  4N-4ÎI,  I.  1 7 i- 

3.  Uai'pt,  bas  liabyloniirhc  Mmreilcpos,  \i.  4'J,  I.  ÏIMI-ÎO. 


LA   RECHERCHE  DE  L'ARBRE  DE  VIE,   LES  HOMMES  SCORPIONS.      583 

et  le  rendît  un  objet  d'horreur  pour  ses  admirateurs  de  la  veille.  Une  exis- 
tence de  douleur,  puis  une  mort  affreuse,  celui-là  seul  y  échappait  qui  avait  le 
courage  d'aller  chercher  aux  limites  du  monde  la  source  de  Jouvence  et  l'arbre 
de  vie  qu'on  y  disait  cachés1;  mais  la  route  était  âpre,  inconnue,  semée  de 
périls,  et    nul  n'était  jamais  revenu   de  ceux   qui  avaient  osé  s'y  engager. 
Gilgamès,  résolu  à  braver  tout  plutôt  que  de  se  résigner  à  son  destin,  propose 
cette  nouvelle  aventure  à  son  fidèle  fia  ban  i,  et  celui-ci  consent  à   l'accompa- 
gner, malgré  de  funèbres  pressentiments.  En  chemin  ils  tuent  encore  un  tigre  ; 
mais  Ëabani  est  frappé  mor- 
tellement  dans   un   combat 
qu'ils  livrent  aux  environs  de 
Nipour,  et  rend  l'âme  après 
une  agonie  de  douze  jours. 
*    Gilgamès    pleura    sur 
Ëabani  son  ami,  amèrement, 
vautré  sur  la  terre  nue.  n 
La  peur  égoïste  de  la  mort 
le  disputait  en  son  âme  au 
regret  d'avoir  perdu  un  com- 
pagnon ai  cher,  éprouvé  dans  LES  mntMamnwa  m  aimK  „  wlmm, 
tant  de  rencontres.   «   Moi, 

je  ne  veux  pas  mourir  comme  Ëabani  :  la  douleur  a  pénétré  mon  cœur, 
l'effroi  du  trépas  m'a  envahi  et  je  me  suis  jeté  à  terre.  Mais  j'irai  à  pas 
rapides  vers  le  fort  Shamashnapishtîm,  fils  d'Oubaratoutous,  »  pour  apprendre 
de  lui  comment  on  devient  immortel.  Il  quitte  les  plaines  de  l'Euphrate,  il 
s'enfonce  hardiment  dans  le  désert,  il  s'égare  tout  un  jour  au  milieu  de  soli- 
tudes affreuses.  «  J'atteignis  à  la  nuit  un  ravin  de  la  montagne,  j'aperçus 
des  lions  et  je  tremblai,  mais  je  levai  ma  tète  vers  le  dieu  Lune  et  je  priai  : 
ma  supplication  monta  jusqu'au  père  des  dieux,  et  il  étendit  sur  moi  sa  pro- 
tection*. »  Un  songe  descendu  d'en  haut  lui  révèle  la  route  qu'il  doit  suivre. 
La  hache  et  le  poignard  aux  mains,  il  gagne  l'entrée  d'un  passage  ténébreux 

I.  S.ircesdeui  conceptions  de  l'Arbre  de  vie  cl  de  la  fontaine  de  Jouvence  cliei  les  Babyloniens, 
cf.  A.  J  [sinus,  Oie  Habyloniich-AiiyrÎBchen  Yontcltungen  mm  Leticu  nach  dem  Tmle,  ]>,  N9-W3;  la 
Chaldéc  est  certainement  an  île  pniiils  d'm'i  (.'Iles  se  snnt  répandues  sur  le  monde. 

i.  Dénia  de  Faucher-Gudin,  d'après  une  inlaitle  aiiyrienne  |l.*usn,  Introduction  à  t'élude  du 
Culte  public  et  det  Mytterei  de  Mitltra  en  Orient  et  en  Onidrnt,  pi.  XXVIII,  11),  Plusieurs  autres 
représentations  du  même  sujet  dans  Menant,  Hecherchei  êur  la  lliyplii/ue  orientait,  t.  1,  p.  OT-UB. 

3.  H«itpt,  Dos  Babylonitche  Ximrodepoi,  p.  59,  I.  i-7. 

*.  Hiuit,  Bai  Babylonitche  Nimrodepoi,  p.  S9,  L.  8-iljof.  p.  85,  I.  8-11. 


584  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

percé  dans  le  mont  Mâshou1,  et  «  dont  des  êtres  surnaturels  gardent  la  porte 
jour  après  jour.  Eux,  dont  la  taille  monte  autant  que  les  appuis  du  ciel  et 
dont  la  poitrine  descend  aussi  bas  que  l'Aralou,   les  hommes-scorpions,   ils 
gardent  la  porte.  L'effroi   qu'ils   inspirent    foudroie,    leur  regard  tue,   leur 
éclat  terrifie  et  détruit  les  montagnes  ;  au  lever  et  au  coucher,  ils  veillent  sur 
le  soleil.  Gilgamès  les  aperçut  et  son  visage  s'altéra  de  crainte  et  d'épouvante, 
leur  aspect  sauvage  lui  troubla  l'esprit.  L'homme-scorpion  parla  à  sa  femme  : 
«   Celui-là   qui  vient  vers  nous,   son  corps  est   marqué   des  dieux*.    »    La 
femme-scorpion  lui  répondit  :  «  Par  l'esprit  il  est  un  dieu,  par  l'enveloppe 
«  mortelle  il  est  un  homme.  »  L'homme-scorpion  parla  et  dit  :  «  Ainsi  que  le 
«  père  des  dieux  a  ordonné,  il  a  parcouru  des  routes  lointaines  avant  de  nous 
«  joindre  toi  et  moi8.  »  Gilgamès  comprend  que  les  gardiens  ne  lui  veulent 
point  de  mal,  se  rassure,   leur  raconte  ses  malheurs,   implore  la  grâce  de 
passer  outre  pour  arriver  jusqu'à   «   Shamashnapishtim,  son  père,  qui  fut 
transporté  parmi  les  dieux  et  qui  peut  donner  à  son  gré  la  vie  ou  la  mort*  » . 
L'homme-scorpion  lui  remontre  en  vain  les  dangers  qui  l'attendent,  et  dont  le 
moindre  n'est  pas  l'horrible  obscurité  dans  laquelle  les  monts  de  Mâshou 
sont  plongés  :  il  chemine  au  sein  des  ténèbres  pendant  de  longues  heures, 
puis  il  débouche  sur  le  rivage  de  la  mer  qui  enveloppe  le  monde,  au  voi- 
sinage d'un    bois   merveilleux.  Un   arbre   surtout  excite    son    étonnement  : 
«  dès  qu'il  le  voit,  il  y  court.  Les  fruits  sont  autant  de  pierres  précieuses,  les 
branches  sont  splendides  à  regarder,  car  les  rameaux  sont  chargés  de  lapis 
et  les  fruits  sont  d'une  apparence  superbe.   »  Dès  que  son  admiration  s'est 
calmée,  Gilgamès  se  lamente  et  maudit  l'Océan  qui  l'arrête.  «  Sabitou,  la 
vierge  qui  siège  sur  le  trône  des  mers  »,  l'aperçoit   de  loin  et  d'abord  se 
retire  dans  son  château  et  s'y  barricade.  Il  l'interpelle  de  la  grève,  l'implore 
et  la  menace  tour  à  tour,  l'adjure  de  l'aider  dans  son  voyage  :  «  S'il  se  peut, 
je  franchirai  la  mer;  s'il  ne  se  peut  point,  je  me  coucherai  par  terre  pour 
mourir.  »  La  déesse  se  laisse  enfin  toucher  à  ses  larmes.  «  Gilgamès,  il  n'y 
eut  jamais  ici  de  passée,  et  personne,  depuis  un  temps  immémorial,  ne  peut 
franchir  la  mer.  Shamash  le  preux  franchit  la  mer  :  après  Shamash,  qui  peut 

1.  Le  pays  de  Mâshou  est  le  désert  à  l'ouest  de  l'Euphrate,  confinant  d'une  part  aux  régions 
septentrionales  de  la  mer  Rouge,  de  l'autre  au  golfe  Persique  (G.  Smith,  The  Chaldxan  Account  of 
Genesis,  p.  262);  le  nom  parait  s'en  être  préservé  dans  celui  de  la  Mésène  classique  et  peut-être  du 
pays  de  Masa  des  Hébreux  (Fr.  Delitzsch,  Wo  lag  das  Parodies?  p.  442-243). 

2.  On  ne  doit  pas  oublier  en  effet  que  Gilgamès  est  couvert  de  lèpre;  c'est  la  maladie  dont  les  dieux 
chaldéens  marquent  leurs  ennemis,  lorsqu'ils  veulent  les  châtier  de  manière  exemplaire. 

3.  Haupt,  Das  Babylonische  Nimrodcpos,  p.  60,  1.  1-21. 

4.  Haupt,  Das  Babylonische  Nimrodepos,  p.  61.  1.  3-5. 


SHAMASHNAPISHTIM  ACCUEILLE  GILGAMES.  585 

la  franchir?  La  traversée  est  malaisée,  difficile  le  chemin,  périlleuse  l'Eau  de 
Mort,  qui  est  tirée,  comme  un  verrou,   »  entre   toî  et  ton  but.   «  Si  même, 
Gilgamès,  tu  franchis  la  mer,  quand  tu  seras  parvenu  à  l'Eau  de  Mort,  que 
feras-tu?  »   Arad-Éa',  le  matelot  de  Shamashnapishtim,  est  seul  capable  de 
mener  à  bien  l'entreprise  :  «  s'il  est  possible,  lu  franchiras  la  mer  avec  lui  ; 
s'il  n'est  pas  possible,  tu  reviendras  sur  tes  pas.  »  Arad-Éa  s'embarque  avec 
le  héros  :  quarante  jours  de  croisière  orageuse   les  mènent  aux  Eaux  de  la 
Mort  qu'ils  dépassent  d'un  effort  suprême.  Au  delà,  ils  se  reposent  sur  leurs 
rames  et  desserrent  leur  ceinture  :  l'île,  bienheureuse  se  dresse  devant  eux, 
et    Shamashnapishtim   se 
tient  sur  la   rive,  prêt  à 
répondre  aux  questions  de 
son  petit-fils*. 

Il  faut  être  dieu  pour 
pénétrer  dans  son  paradis 
mystérieux   :   la    barque, 

qui  porte  un  simple  mor-  [|l01,È,  „  lilD_tt  N,»iCl|EX,  om  leu»  ïawuu*. 

tel,  s'arrête  à  quelque  dis- 
tance du  rivage,  et  la  conversation  s'engage  par-dessus  bord.  Gilgamès  fait  un 
récit  nouveau  de  sa  vie  et  expose  le  motif  qui  l'amène;  Shamashnapishtim 
lui  répond  stoïquement  que  la  mort  est  une  loi  inexorable,  à  laquelle  il  vaut 
mieux  se  soumettre  de  bonne  grâce.  «  Si  longtemps  nous  bâtirons  des  mai- 
sons, si  longtemps  nous  scellerons  des  contrats,  si  longtemps  les  frères  se 
querelleront,  si  longtemps  il  y-  aura  hostilité  entre  les  rois,  si  longtemps 
les  fleuves  pousseront  leurs  flots  par-dessus  leurs  rives,  on  ne  pourra  tracer 
aucune  image  de  la  mort.  Quand  les  esprits  saluent  un  homme  à  sa  nais- 
sance, alors  les  génies  de  la  terre,  les  dieux  grands,  Mamitou  la  faiseuse  de 
sorts,  tous  ensemble  lui  attribuent  un  destin,  ils  lui  fixent  la  mort  et  la 
vie;   mais  les  jours  de  sa  mort  lui  restent  inconnus'.  »  Gilgamès  pense  sans 

I.  Le  nom  a  été  lu  successive  mont  Ourkhainsi  (G.  Siiith,  The  Ckaldœan  Acrmtnt,  dans  les  Trant- 
actions,  t.  Il,  p.  318),  Ourbel  [Fit.  Lkhmumm,  tri  Premirrci  Civiliialiem,  t.  II,  p.  30-31),  Ouriol 
(OpptsT,  Fragment!  de  Cosmogonie  ihaldéenne,  dans  Liai*  n»,  Hîitoirr  d'hrael,  t.  I,  p.  433);  la  der- 
nière  lecture,  incertaine  encore,  est  \rad-t.a,  le  serviteur  d'fca,  ou  Amil-F,a,   l'homme  d'En. 

S.  Ce  récit  couvrait  les  tablette»  IX  et  X  qui  sont  lentes  deux  trop  mutilée»  pour  qu'on  puisse  cil 
donner  une  traduction  suivie.  On  en  trouvera  de  nombreux  passages  traduits  dans  G.  Smith  (The 
t'.haldxan  Account  of  Garni;  p.  ili-USt),  dans  A.  Jeremias  (hdubar-Nimrod,  p.  28-31)  et  dans 
Sauveplane  {Une  Epopée  llabylonienne,  Ittubar-liitgamii,  p.  86-ftS). 

3.  Dettin  de  yaiir.lter-Gu.din,  d'âpre»  une  ialailtt  eJieldéeaue  du  ilritiili  Muséum  (Memm,  Recher- 
cha iur  lu  Glyptique  orientale,  pi.  11,  n"  4,  cl  p.  90-1  OU;  cf.  L.u  Mo,  Introduction  à  l'étude  du  culte 
public  et  de*  Militera  de  itithra  en  Orient  et  ni  Occident,  pi.  IV,  n"  8).  l/ori((iii«l  a  0-.0Ï8  de  hauteur. 

-i.  IIupt,  lia»  tlabylonm-he  Simrodepot,  p.  B0,  1.  iG-39. 


!  586  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 


doute  à  part  soi  que  son  aïeul  a  beau  jeu  prêcher  la  résignation  quand  il 
a  su  échapper  lui-même  à  la   fatalité.   «  Je  te  regarde,   Shamashnapishtim, 
et  ton  apparence  n'a  point  changé  :  tu  es  comme  moi  et  n'es  pas  autrement, 
tu  es  comme  moi  et  je  suis  comme  toi.    Tu  serais  assez  vigoureux  en  ton 
cœur  pour  affronter  la  bataille,  à  en  juger  ton  aspect  :  dis-moi  donc  com- 
ment tu  as  obtenu  cette  existence  parmi  les  dieux  à  laquelle  tu  aspirais?1  » 
Shamashnapishtim  y  consent,  ne  fût-ce  que  pour  lui  montrer  combien  son 
cas  est  extraordinaire,  et   à  quel  point  il  méritait   un  destin   supérieur   à 
celui  qui  est  réservé  à   la  foule  humaine.   H  lui   raconte   le    déluge,   com- 
ment il  put  s'y  soustraire  par  la  faveur  d'Éa,  et  comment,  par  celle  de  Bel, 
il  fut  incorporé  vivant  à  l'armée  des  dieux*.   «  Et  maintenant,  ajoute-t-il, 
en  ce  qui  te  concerne,  lequel  des  dieux  te  prêtera  la  force  d'obtenir  la  vie 
que  tu  réclames?  Allons,   endors-toi!  »   Six  jours  et  sept  nuits,  il  sembla 
un    homme  dont    la  force   paraît   suspendue,  car   le  sommeil   avait   fondu 
sur  lui   comme  un  coup   de  vent.    Shamashnapishtim  parla  à  sa  femme  : 
v  Vois  cet  homme  qui  demande  la  vie  et  sur  qui  le  sommeil  a  fondu  comme 
un  coup  de  vent?  »  La  femme  répondit  à  Shamashnapishtim,  l'homme  des 
terres  lointaines  :  «  Charme-le,  cet  homme,  et  il  mangera  le  brouet  magi- 
que, et  le  chemin  par  lequel  il  est  venu,    il   le  refera  sain    de  corps,    et 
la   grande   porte   d'où  il   est  sorti,   il  retournera  par   elle  en  son   pays.   » 
Shamashnapishtim  parla   à   sa  femme   :    «  Le  malheur  de   cet   homme  te 
chagrine;  eh  bien,  cuis-le,  le  brouet,  et  mets-le-lui  sur  la  tête.  »  Et  dans 
le  temps  que  Gilgamès  dormait  à  bord  de  son  navire,  le  brouet  fut  cueilli, 
le  second  jour  il  fut  épluché,   le   troisième   il   fut    trempé,    le    quatrième, 
Shamashnapishtim    para   sa   marmite,    le  cinquième   il   y   mit   la    Sénilité, 
le  sixième  le  brouet  fut  cuit,  le  septième  il  charma   soudain  son  homme, 
et  celui-ci  mangea  le  brouet.   Alors  Gilgamès   parla  à   Shamashnapishtim, 
l'habitant  des  contrées  lointaines  :  «  Je  vacillais,  le  sommeil  m'avait  saisi, 
tu   m'as    charmé,   tu    m'as   donné   le    brouet3.    »  L'effet    n'en    serait   pas 
durable,  si  d'autres   cérémonies  ne  venaient   se  joindre  à  cette  cuisine  de 
sorcier  :  Gilgamès  ainsi  préparé  peut  désormais  descendre  sur  le  rivage  de 
l'île  bienheureuse  et  s'y  purifier.  Shamashnapishtim  confie  le  soin  de  l'opé- 
ration à  son  matelot  Arad-Éa  :  «  L'homme  que  tu  as  conduit,  son  corps  est 

1.  Haupt,  Dom  Babylonischc  Nimrodepos,  p.  134,  1.  1-7. 

i.  Tout  le  récit  du  déluge,  qui  recouvrait  la  onzième  tablette  de  l'exemplaire  conservé  dans  la 
bibliothèque  d'Assourbanabal,  est  traduit  plus  haut,  aux  pages  566-572  de  cette  Histoire. 
3.  Haupt,  Dos  Babylonische  Simrodepos,  p.  143-144,  1.  206-232. 


LE  RETOUR  DE  GILGAMÈS  À  OUROUK  LA  BIEN  GARDÉE!  587 

couvert  d'ulcères,  les  croûtes  lépreuses  ont  perdu  l'agrément  de  son  corps. 
Prends-le,  Arad-Ëa,  mène-le  à  la  place  de  purification,  qu'il  lave  ses  ulcères 
dans  l'eau  nets  comme  neige,  qu'il  se  débarrasse  de  ses  croûtes  et  que  la 
mer  les  emporte,  tant  qu'enfin  son  corps  apparaisse  sain.  11  changera  alors  la 
bandelette  qui  ceint  sa  tête,  et  le  pagne  qui  cache  sa  nudité;  jusqu'à  ce  qu'il 
retourne  en  son  pays,  jusqu'à  ce  qu'il  soit  au  bout  de  son  chemin,  qu'il  ne 
dépouille  point  le  pagne  frippé,  là  seulement  il  en  aura  toujours  un  propre.  » 
Alors  Arad-Éa  le  prit,  le  mena  à  la  place  de  purification;  il  lava  ses  ulcères 
dans  l'eau  nets  comme  neige,  il  se  débarrassa  de  ses  croûtes  et  la  mer  les 
emporta,  tant  qu'enfin  son  corps  apparut  sain.  11  changea  la  bandelette  qui 
ceignait  sa  tête,  le  pagne  qui  cachait  sa  nudité  :  jusqu'à  ce  qu'il  fût  au  bout 
de  son  chemin,  il  ne  devait  pas  dépouiller  le  pagne  fripé,  là  seulement  il 
devait  en  avoir  un  propre1.  »  La  guérison  opérée,  Gilgamès  remonte  sur  la 
barque  et  revient  à  l'endroit  où  Shamashnapishtim  l'attendait. 

Celui-ci  ne  voulut  pas  renvoyer  son  petit-fils  au  pays  des  vivants  sans  lui 
octroyer  un  cadeau  princier.  «  Sa  femme  lui  parla,  à  lui  Shamashnapishtim, 
l'habitant  des  terres  lointaines  :  «  Gilgamès  est  venu,  il  est  consolé,  il  est 
«  guéri;  que  lui  donneras-tu  maintenant  qu'il  va  rentrer  dans  son  pays?  »  11  prit 
les  rames,  Gilgamès,  il  amena  la  barque  proche  la  rive,  et  Shamashnapishtim 
lui  parla,  à  Gilgamès  :  «  Gilgamès,  tu  t'en  vas  d'ici  consolé,  que  te  donnerai-je 
«  maintenant  que  tu  vas  rentrer  dans  ton  pays?  Je  vais,  Gilgamès,  te  révéler 
«  un  secret,  et  le  décret  des  dieux  je  vais  te  le  dire.  11  existe  une  plante  sem- 
«  blable  à  l'aubépine  par  la  fleur  et  dont  les  aiguilles  piquent  comme  la  vipère. 
«  Si  ta  main  peut  saisir  cette  plante  sans  être  déchirée,  brises-en  un  rameau  et 
«  emporte-le  avec  toi  :  il  t'assure  une  jeunesse  éternelle*.  »  Gilgamès  cueille  le 
rameau,  et  dans  sa  joie  il  combine  avec  Arad-Éa  des  projets  d'avenir  :  «  Arad- 
Éa,  cette  plante  est  la  plante  du  renouveau  par  laquelle  un  homme  obtient  la 
vie;  je  l'emporterai  dans  Ourouk  la  bien-gardée,  j'en  cultiverai  un  buisson, 
j'en  couperai,  et  son  nom  sera  le  vieillard  se  rajeunit  par  elle  ;  j'en  mangerai 
et  je  reviendrai  à  la  vigueur  de  ma  jeunesse3.  »  Il  comptait  sans  les  dieux, 
dont  l'âme  jalouse  ne  peut  souffrir  que  les  hommes  participent  à  leurs  privi- 
lèges. Le  premier  endroit  où  il  débarque,  «  il  aperçoit  un  puits  d'eau  fraîche, 

1.  Haupt,  Dos  Babylonltche  yimrodcpos,  p.  145-146,  1.  249-271.  Cf.  dans  le  Lévitique  (XIII,  6,  XIV, 
8,  10)  la  recommandation  faite  au  malade  guéri  de  changer  ses  vieux  habits  contre  du  linge  frais  : 
la  législation  relative  à  la  lèpre  était  probablement  commune  à  tout  le  monde  oriental. 

2.  Haupt,  Das  Babylonische  Nimrodepos,  p.  146-1 47,  1.  274-286.  La  fin  du  discours  est  trop  mutilée 
pour  supporter  la  traduction  :  j'ai  dû  me  borner  à  en  résumer  le  sens  probable  en  quelques  mots. 

3.  Haupt,  Das  Baby Ionise he  Mmrodepos,  p.  147,  1.  295-2U9. 


5<*  LA  CHALDËE  PRIMITIVE. 

descend,  et  tandis  qu'il  puise  l'eau,  un  serpent  en  sort  et  lui  ravit  la  plante, 
oui,  le  serpent  s'élança  et  emporta  la  plante,  et  s'en  fuyant  il  jeta  une  malé- 
diction. Ce  jour-là  Gilgamès  s'assit,  il  pleura,  et  les  larmes  lui  ruisselaient 
sur  les  joues,  il  dit  au  matelot  Arad-Éa  :  «  A  quoi  bon,  Arad-Éa,  mes  forces 
c  sont-elles  rétablies?  à  quoi  bon  mon  cœur  se  réjouissait-il  de  mon  retour 
c  à  la  vie?  Ce  n'est  pas  moi-même  que  j'ai  servi,  c'est  ce  lion  terrestre  que  j'ai 
«  servi.  A  peine  vingt  lieues  de  route,  et  pour  lui  seul  il  a  déjà  pris  possession 
«  de  la  plante.  Comme  j'ouvris  le  réservoir,  la  plante  m'échappa  et  le  génie  du 
«  puits  s'en  empara  :  qui  suis  je  pour  la  lui  arracher?1  »  11  se  rembarque  triste- 
ment, il  rentre  dans  Ourouk  la  bien-gardée,  et  il  songe  enfin  à  célébrer  les 
funérailles  solennelles  dont  il  n'a  pu  honorer  Éabani  au  moment  même  de  la 
mort*.  H  les  dirige,  accomplit  les  rites,  entonne  la  cantilène  suprême  :  «  Les 
temples,  tu  n'y  entres  plus;  les  vêtements  blancs,  tu  ne  t'en  pares  plus;  les 
pommades  odorantes,  tu  ne  t'en  oins  plus  pour  qu'elles  t'enveloppent  de  leur 
parfum.  Tu  ne  presses  plus  ton  arc  à  terre  pour  le  bander,  mais  ceux  que 
l'arc  a  blessés  t'entourent;  tu  ne  tiens  plus  ton  sceptre  en  ta  main,  mais  les 
spectres  te  fascinent;  tu  n'ornes  plus  tes  pieds  d'anneaux,  tu  n'émets  plus 
aucun  son  sur  terre.  Ta  femme  que  tu  aimais,  tu  ne  l'embrasses  plus  ;  ta  femme 
que  tu  haïssais,  tu  ne  la  bats  plus.  Ta  fille  que  tu  aimais,  tu  ne  l'embrasses 
plus  ;  ta  fille  que  tu  haïssais,  tu  ne  la  bats  plus.   La  terre  rugissante  t'op 
presse,  celle-là  qui  est  obscure,  celle-là  qui  est  obscure,  Ninazou  la  mère, 
celle-là  qui  est  obscure,  dont  le  flanc  n'est  pas  voilé  de  vêtements  éclatants, 
dont  le  sein  comme  un  animal  nouveau-né  n'est  point  couvert8.  —  Éabani  est 
descendu  de  la  terre  à  l'Hadès  ;  ce  n'est  pas  le  messager  de  Nergal  l'impi- 
toyable qui  l'a  ravi,  ce  n'est  pas  la  peste  qui  l'a  ravi,  ce  n'est  pas  la  phtisie 
qui  l'a  ravi,  c'est  la  terre  qui  l'a  ravi  ;  ce  n'est  pas  le  champ  de  bataille  qui 
l'a  ravi,  c'est  la  terre  qui  l'a  ravi!4  »  Gilgamès  se  traîne  de  temple  en  temple, 
répétant  sa  complainte  devant  Bel.  devant  Sin.  et  se  jette  enfin  aux  pieds  du 
dieu  des  Morts,  de  Nergal  :  «  Crève  le  caveau  funéraire,  ouvre  le  sol,  que 
l'esprit  d'Éabani  sorte  du  sol  comme  un  coup  de  vent!   »  Dès  que  Nergal, 

1.  Haupt,  Das  Habylonische  Ximrodcpos,  p.  1 17-148,  1.  304-310. 

4.  Le  texte  de  la  douzième  tablette  a  été  publié  par  Boscawen  (Soles  on  the  Religion  and  Mytho- 
logy  of  the  Assyrians,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  IV,  p.  470-286), 
et  plus  complètement  par  Haupt  {Die  zwôlfte  Tafel  des  Babijlonischcn  Sintrodepos,  dans  les  lieitrâge 
sur  Assyriologie,  t.  I,  p.  -18-70). 

3.  Haupt,  Die  zwôlfte  Tafel  des  Babylonischen  Nimrodepos,  p.  57,  1. 11-30;  cf.  p.  49,  1.  34-45,  et  p.  59. 
1.  16-44.  Le  texte  est  mutilé  et  ne  peut  encore  être  entièrement  rétabli  malgré  la  répétition  des  mêmes 
phrases  dans  plusieurs  endroits  différents.  Les  lacunes  qui  subsistent  ne  l'empêchent  pas  d'être  com- 
préhensible, et  la  traduction  en  reproduit  le  sens  et  le  mouvement,  sinon  l'expression  littérale. 

4.  Haupt,  Die  zwôlfte  Tafel,  p.  59,  1.  43-46;  cf.  p.  55,  I.  1-4,  et  p.  61,  I.  17-19. 


ANTIQUITÉ  DU  POÈME  DE  GILGAMÈS.  589 

le  preux,  l'entendit,  il  creva  le  caveau  funéraire,  il  ouvrit  le  sol,  il  fit  sortir 
du  sol  l'esprit  d'Éabani  comme  un  coup  de  vent1.  »  Gilgamès  l'interroge  et 
lui  demande  avec  anxiété  quelle  est  la  fortune  des  morts  :  «  Dis,  mon  ami,  dis, 
mon  ami,  ouvre  la  terre,  et  ce  que  tu  vois  dis-le.  —  Je  ne  puis  te  le  dire, 
mon  ami,  je  ne  puis  te  le  dire;  si  j'ouvrais  la  terre  devant  toi,  si  je  te  disais 
ce  que  j'ai  vu,  l'effroi  te  terrasserait,  tu  t'affaisserais,  tu  pleurerais.  — 
L'effroi  me  terrassera,  je  m'affaisserai,  je  pleurerai*,  mais  dis-le-moi.  »  Et 
le  spectre  lui  dépeint  les  tristesses  du  séjour  et  les  misères  des  ombres.  Ceux 
là  seuls  jouissent  de  quelque  bonheur  qui  tombèrent  les  armes  à  la  main  et 
qu'on  ensevelit  solennellement  après  le  combat;  les  mânes  oubliés  des  leurs 
succombent  à  la  faim  et  à  la  soif.  «  Sur  un  lit  de  repos  il  est  étendu,  buvant 
de  l'eau  limpide,  qui  a  été  tué  dans  la  bataille.  —  Tu  l'as  vu?  —  Je  l'ai  vu; 
son  père  et  sa  mère  lui  supportent  la  tête,  et  sa  femme  se  penche  sur  lui 
gémissant.  Mais  celui  dont  le  corps  reste  oublié  dans  les  champs,  —  Tu 
l'as  vu?  —  Je  l'ai  vu;  son  âme  n'a  point  de  repos  dans  la  terre.  Celui  dont 
l'âme  n'a  personne  qui  s'occupe  d'elle,  —  Tu  Tas  vu?  —  Je  l'ai  vu;  le 
fond  de  la  coupe,  les  restes  du  repas,  ce  qu'on  jette  aux  ordures  dans  la 
rue,  voilà  ce  qu'il  a  pour  se  nourrir!8  » 

Ce  long  poème  n'est  pas  né  tout  entier,  ni  d'un  seul  coup,  dans  l'imagi- 
nation d'un  seul  homme.  Chacun  des  épisodes  en  répond  à  quelque  légende 
isolée  qui  courait  sur  Gilgamès  ou  sur  les  origines  d'Ourouk  la  bien-gardée  : 
la  plupart  gardent  sous  leur  forme  plus  récente  un  air  d'antiquité  extrême, 
et,  s'ils  ne  se  rattachent  pas  à  des  événements  précis  de  la  vie  d'un  roi,  pei- 
gnent vivement  divers  incidents  de  la  vie  du  peuple*.  Ce  ne  sont  point,  comme 
on  le  dit,  des  animaux  mythologiques,  ces  lions,  ces  léopards  ou  ces  urus 
gigantesques  contre  lesquels  Gilgamès  et  son  fidèle  Éabani  mènent  si  rude 
guerre5.  Leurs  pareils  paraissaient  de  temps  en  temps  dans  les  marais  de  la 
Chaldée  et  prouvaient  leur  existence  aux  habitants  des  villages  voisins,  par 
autant  de  ravages  que  certains  lions  ou  certains  tigres  en  commettent  aujour- 

1.  Haitt,  Die  zwolfte  Tafcl,  p.  61,  1.  23-28.  Boscawen,  Notes  on  the  Religion  and  Mythology  of 
the  Assyrians,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  IV,  p.  282,  compare 
justement  cette  scène  à  l'évocation  de  Samuel  par  la  pythonisse  d'Kndor  (/  Samuel,  XXVIII,  7-25). 

2.  Hai'pt,  Die  zwolfte  Tafel  des  Rabylonischen  Simrodepos,  p.  03,  I.  1-6. 

3.  Haupt,  Die  zwolfte  Tafel,  p.  51,  "l.  1-10,  et  p.  65,  l.  2-12.  Cf.,  p.  114-115  de  cette  Histoire,  les 
idées  analogues  qui  avaient  cours  en  Egypte  sur  la  destinée  du  mort  que  les  siens  laissaient  sans 
ressources  :  le  double  égyptien  avait  pour  se  repaître  les  mêmes  rebuts  que  l'àme  chaldéenne. 

4.  G.  Smith  (The  Clialdsean  Account  of  Genesis,  p.  173-190),  identifiant  Gilgamès  avec  ISemrod, 
croit  d'autre  part  que  Nemrod  fut  un  roi  réel  qui  régnait  en  Mésopotamie  vers  2250  av.  J.-C;  le 
poème  renfermerait  donc,  suivant  lui,  des  épisodes  plus  ou  moins  embellis  de  la  vie  d'un  souverain. 

5.  Sur  les  lions  actuels  de  la  Chaldée  et  sur  l'effroi  qu'ils  inspirent  aux  indigènes,  voir  Loftus, 
Travelsand  Researchcs  in  Ckaldxa  and  Susiana,  p.  212-241,  259-262);  cf.  p.  558  de  cette  Histoire. 


:v^  LA  CHALDÊE  primitive. 

d  hui  dans  l'Inde  ou  dans  le  Sahara.  Aux  bords  de  l'Euphrate,  comme  sur  les 
mo$  du  Nil.  comme  chez  tous  les  peuples  à  demi  plongés  encore  dans  la 
barbarie*  c'était  le  devoir  des  chefs  d'aller  les  combattre  corps  à  corps  et  de 
se  dévouer  tour  à  tour,  jusqu'à  ce  que  l'un  d'eux  plus  heureux  ou  plus  fort 
triomphât  de  ces  brutes  endiablées.  Les  rois  de  Babylone  et  de  Ninive  firent 
plus  tard  un  plaisir  de  ce  qui  était  une  nécessité  d'office  pour  leurs  prédéces- 
seurs lointains  :  Gilgamès  n'en  est  pas  encore  là,  et  le  sérieux,  la  crainte  même 
a\ec  laquelle  il  livre  bataille  aux  bêtes  nous  montre  combien  haut  remontent 
les  parties  de  son  histoire  qui  traitent  de  ses  exploits  en  chasse.  Ils  sont  repré- 
sentés sur  le  cachet  de  princes  qui  régnaient  par  delà  le  troisième  millénaire 
avant  notre  ère1,  et  l'œuvre  des  graveurs  archaïques  coïncide  si  minutieuse- 
ment avec  celle  du  scribe  presque  moderne  qu'elle  en  est  comme  l'illustration 
préméditée  ;  elle  reproduit  si  constamment  et  avec  si  peu  de  variété  les  images 
des  monstres,  de  Gilgamès  et  de  son  fidèle  Éabani,  que  les  épisodes  corres- 
pondants du  poème  devaient  déjà  exister  tels  que  nous  les  connaissons,  sinon 
pour  la  forme,  au  moins  par  le  fond.  D'autres  sont  plus  récents,  et  il  semble 
bien  que  l'expédition  contre  Khoumbaba  renferme  des  allusions  aux  invasions 
élamites*  dont  la  Chaldée  eut  tant  à  souffrir  vers  le  xxc  siècle.  Comme  la 
Geste  de  Gilgamès,  les  traditions  que  nous  possédons  sur  les  temps  qui  sui- 
virent le  déluge  renfermaient  des  éléments  fort  anciens,  que  les  scribes  ou  les 
conteurs  avaient  combinés  de  façon  plus  ou  moins  adroite  autour  d'un  nom 
de  roi  ou  de  divinité.  La  chronique  fabuleuse  des  cités  de  l'Euphrate  existait 
ainsi  par  morceaux,  dans  la  mémoire  du  peuple  ou  dans  les  livres  des  prê- 
tres, avant  même  que  leur  histoire  primitive  commençât;  les  savants  qui  la 
recueillirent  sur  le  tard  n'eurent  guère  qu'à  choisir  parmi  les  matériaux 
qu'elle  leur  fournissait,  pour  obtenir  des  annales  suivies  où  les  âges  les 
plus  vieux  différaient  des  plus  récents  par  une  ingérence  plus  fréquente 
et  plus  directe  des  puissances  du  ciel  aux  choses  de  la  terre.  Chaque  cité  avait 
naturellement  sa  version,  où  ses  dieux  protecteurs,  ses  héros  et  ses  princes 
remplissaient  les  premiers  rôles.  Celle  de    Babylone  rejeta  les  autres  dans 

1.  Ainsi  le  cachet  du  roi  Shargaiii-shar-ali  (Menant,  Recherches  sur  la  Glyptique  orientale,  t.  I, 
p.  73;  Catalogue  de  la  Collection  de  Clercq,  t.  I,  pi.  V,  40),  celui  d'un  scribe  attaché  au  roi  Bingani- 
shar-ali  (Menant,  Recherches  sur  la  Glyptique  orientale,  t.  1,  p.  75-76)  et  plusieurs  autres  que  Menant 
a  décrits  ou  reproduits  avec  soin   dans  ses  Recherches  sur  la  Glyptique  orientale,  t.  I,  p.  77  sqq. 

4.  Smith  avait  cru  pouvoir  rétablir  d'après  ce  fait  une  partie  de  l'histoire  chaldéenne  :  lzdubar- 
INcmrod  aurait  été  vers  44i>0  le  libérateur  de  Babylone  opprimée  par  l'Klam,  et  la  date  de  fondation 
d'un  grand  empire  babylonien  coïnciderait  avec  celle  de  sa  victoire  sur  les  Elamites  (The  Chaldxan 
Account  of  Genesis,  p.  188-100,  407).  Les  annales  d'Assourbanabal  (G.  Smith,  The  II  is  tory  of 
Assurhanipal,  p.  434-430,  4,'»0-431)  nous  apprennent  en  effet  qu'un  roi  élamite,  koudournankhoundi, 
a\ait  pillé  Ourouk,  vers  4480  avant  notre  ère,  et  transporté  à  Suse  une  statue  de  la  déesse  Ishtar. 


LES  COMMENCEMENTS  DE  L'HISTOIRE  RÉELLE.  581 

l'ombre,   non  qu'elle  fût  la  meilleure,   mais  Babylone  devint  promptement 
assez  forte  pour  étendre  sa  suprématie  politique  le  long  de  l'Euphrate.  Ses 
scribes  étaient  habitués  à  voir  son  maître  traiter  en  sujets  ou  en  vassaux  les 
maîtres  des  autres  villes.  Ils  imaginèrent  qu'il  en  avait  toujours  été  ainsi  et 
qu'elle  s'était  fait  reconnaître  dès  le  début  la  cité-reine  à  laquelle  leurs  con- 
temporains   rendaient    hom- 
mage. Us  lui  prirent  son  his- 
toire particulière  pour  y  en- 
cadrer l'histoire  du  pays  en- 
tier, et  les  familles  princières 
d'origine  diverse  qui  s'étaient 
succédé    sur  son   trône  pour 
en  forger  de  toutes  pièces  un 
canon  des  rois  de  Chaldée. 

Mais  la  façon  de  grouper 
les  noms  et  de  couper  les 
dynasties  varia  selon  les 
époques,  et  nous  possédons 
dès  à  présent  deux  au  moins 
des  systèmes  que  les  savants 

babyloniens  avaient  cru  pou-  eujuta»  itrmi  ivkc  ie  lion  ht  le  wxete1 

voir  établir.  Bérose,  qui  en- 
seigna l'un  d'eux  aux  Grecs  vers  le  commencement  du  n*  siècle  avant  notre 
ère,  ne  consentait  à  admettre  que  huit  dynasties  pour  une  durée  totale  de 
trente-six  mille  ans,  du  déluge  à  la  conquête  perse.  Les  listes  qu'il  en  avait 
copiées  sur  des  documents  écrits  en  caractères  cunéiformes  ont  été  muti- 
lées misérablement  par  les  abréviateurs  :  ceux-ci  en  ont  retranché  la  plu- 
part des  noms  qui  leur  paraissaient  par  trop  barbares,  et  les  copistes  ont  défi- 
guré le  peu  que  les  abréviateurs  en  avaient  épargné  de  manière  à  les  rendre 
inintelligibles  pour  la  plupart.  Les  modernes  les  ont  restituées  souvent 
et  de  plus   d'une    manière;  celle  que  voici,   pour  être  l'une  des  plus  plus 

1.  Destin  de  Faurher-Gudin,  d'après  une  intaille  clin Idécmie  appartenant  au  Britiih  Muteum  (SUITE. 
The  Miablman  Account  of  the  Déluge,  planche  qui  sert  de  frontispice  il  l'ouvrage;  cf.  Lajam,  Intro- 
duction A  l'étude  du  culte  public  et  des  mgiterci  de  Mithra  en  Orient  et  rn  Occident,  |.1.  XIX,  6). 
L'original  mesure  a  peine  0"  ,1135  de  hauteur. 

i.  C'est  la  restauration  qui  fut  proposée  en  premier  lieu  par  A.  de  Uutsrhmid  (Zu  den  Fragmente!! 
rfci  lieroio*  und  Kleiiai,  dans  le  Rhcîaùchei  Muséum,  t.  VIII,  18S3,  p.  ï"ifi,  cf.  Kleine  Schriften, 
t.  Il,  p.  lOI-ltli,  reproduit  avec  quelques  corrections  dans  les  Ueitrâge  tttr  Qeukiehle  de»  Allen 
Oriente,  p.    18-ïl.  et  dana  les  jWtie  Beitrâgc,  p.  Si  sqq.,  1IIMI6). 


592 


LA  CHALDËE  PRIMITIVE. 


vraisemblables,  n'offre  pas  un  texte  également  certain  dans  toutes  ses  parties* 
I"  Dynastie:     86  Chaldéens,       34  091  ans 


Uc  Dynastie  : 

lir  Dvnastie  : 

IVe  Dynastie  : 

Ve  Dvnastie  : 

VIe  Dvnastie  : 

VIIe  Dvnastie  : 

VIIIe  Dynastie  : 


8  Mèdes, 

11  Chaldéens, 

49  Chaldéens, 

9  Arabes, 

45  Chaldéens* , 

8  Assyriens, 

6  Chaldéens, 


224 

248 
458 
245 
526 
121 
87 


» 


2450-2226 
2225-1977 
1977-1519 
1518-1273 
1273-747 
746-625 
625-638 


Ce  n'est  pas  sans  raison  que  Bérose  et  ses  auteurs  avaient  élevé  à  36  000  ans 
la  somme  des  règnes  accumulés  :  ce  chiffre  répondait  à  quelque  grande 
période  astrologique,  pendant  laquelle  les  dieux  avaient  accordé  aux  Chal- 
déens gloire,  prospérité,  indépendance,  et  dont  la  fin  coïncidait  avec  la  prise 
de  Babylone  par  Cyrus*.  D'autres  avaient  usé  avant  eux  du  même  artifice,  mais 
ils  dénombraient  dix  dynasties  où  Bérose  n'en  voulait  admettre  que  huit  : 


1*'  Dynastie  : 

IIe  Dynastie  : 

lir  Dynastie  : 

IVe  Dynastie  : 

Ve  Dynastie  : 

VIe  Dynastie  : 

VIIe  Dynastie  : 

Vlir  Dynastie  : 

IXe  Dynastie  : 

Xe  Dvnastie  : 


?    rois  de  Babylone  après  le  déluge,  ? 

1 1  rois  de  Babylone,  294  ans 

11  rois  d'Ourou-azagga3,  368  ans 

36  rois,  576  ans,  9  mois. 

11  rois  de  Pashé,  72  ans,  6  mois. 

3  rois  de  la  Mer,  21  ans,  5  mois. 

3  rois  de  Bàzi,  20  ans,  3  mois. 

1  roi  Élamite,  6  ans 

31  rois  de  Babvlone,  ? 

21  rois  de  Babylone  194  ans,  4  mois*. 


I.  A  l'exemple  de  G.  B.  Niebuhr  (Klcine  Schriften,  t.  I,  p.  194-196),  Gutschraid  admettait  ici, 
comme  Oppert  [H apport  adressé  à  S.  Ejc.  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  Cultes t 
p.  47-48),  45  Assyrien»*;  il  s'appuyait  sur  le  passage  d'Hérodote  (I,  cxv)  où  il  est  dit  que  les  Assyriens 
exercèrent  leur  domination  en  Asie  pendant  cinq  cent  vingt  ans,  jusqu'à  la  conquête  mède.  Sur  le 
peu  de  probabilité  de  l'hypothèse  d'après  laquelle  les  15  rois  de  cette  VI*  dynastie  seraient  des  Assy- 
riens, voir  la  démonstration  de  Schrader  (Keilinschriften  und  Geschichtsforschung,  p.  460  sqq.). 

4.  L'existence  du  schème  astronomique  ou  astrologique  sur  lequel  Bérose  établit  sa  chronologie 
a  été  signalée  par  Brandis  (lierum  Assyriarum  tempora  emendala,  p.  17),  puis  par  Gutschmid  (Zu 
den  Fragmentai  des  Herosos  und  K testas,  dans  le  Hheinisches  Muséum,  t.  VIII,  1853,  p.  455;  cf. 
Klcine  Schriften,  t.  II,  p.  101);  elle  est  demeurée  généralement  admise  depuis  lors. 

3.  Le  mot  assyrien  avait  été  lu  d'abord  Siskou  :  c'est  probablement  un  nom  de  Babylone. 

4.  Le  premier  document  ayant  droit  au  titre  de  Canon  Royal  qu'on  ait  trouvé  parmi  les  tablettes  du 
British  Muséum  fut  publié  par  G.  Smith  [On  Fragments  of  an  Inscription  giving  part  of  the  Chro- 
nology  front  which  the  Canon  of  Berosus  was  copied,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Ar- 
chéologie Biblique,  t.  III,  p.  361-379).  Les  autres  ont  été  successivement  découverts  par  Pinchcs  [Sote 
on  a  iiew  List  of  early  Iiabylonian  Kings,  dans  les  Proceedings  de  la  même  Société,  1880-1881, 
p.  40-44,  37-49;  The  Babylonian  Kings  of  the  Second  Period,  dans  les  Proceedings,  t.  VI,  p.  193-404. 
et  t.  Vil,  p.  65-71).  La  liste  de  Smith  est  un  fragment  de  chronique,  où  les  Vp,  VII"  et  VIII*  dynasties 
seules  sont  à  peu  près  complètes.  Une  des  listes  de  Pinches  ne  contient  que  des  noms  royaux  classés 
sans  ordre  constant,  sous  leur  forme  sémitique  d'un  côté,  non  sémitique  de  l'autre.  Les  deux  autres 
listes  sont  de  véritables  canons  qui  donnent  les  noms  des  rois  et  leurs  années  de  règne;  par 
malheur  elles  sont  fort  mutilées,  et  les  lacunes  qu'elles  renferment  ne  peuvent  pas  être  comblées 
encore.  On  les  trouvera  les  unes  et  les  autres  traduites  par  Sayce.  The  Dynastie  Tablets  and  Chro- 
nicles  of  the  Dabylonians,  dans  les  Records  of  the  Past,  ±n4  Ser.,  t.  H,  p.  1-41,  34-36. 


LE  SYSTÈME  DES  DYNASTIES  BABYLONIENNES.  593 

On  a  essayé  de  faire  concorder  les  deux  listes,  et  l'on  y  a  réussi  de  plus  d'une 
manière1  :  c'est,  je  crois,  du  temps  et  de  l'ingéniosité  perdus1.  Comme  les 
Égyptiens,  les  Chaldéens  n'avaient  réuni  pour  certaines  périodes  même  rap- 
prochées de  leur  histoire,  que  des  documents  écourtés,  incohérents,  souvent 
contradictoires,  entre  lesquels  ils  étaient  embarrassés  de  choisir  :  ils  ne  s'en- 
tendaient pas  toujours  lorsqu'ils  voulaient  déterminer  combien  de  dynasties 
s'étaient  succédé  pendant  ces  temps  douteux,  de  quels  rois  chacune  d'elles 
se  composait,  combien  d'années  il  convenait  d'attribuer  à  chaque  roi.  Nous 
ignorons  les  motifs  qui  déterminèrent  Bérose  à  recevoir  une  tradition  de  préfé- 
rence aux  autres  :  peut-être  n'avait-il  plus  le  choix,  et  celle  dont  il  se  fit 
l'interprète  était-elle  la  seule  que  l'on  possédât  encore.  En  tout  cas,  elle 
forme  un  ensemble  auquel  on  ne  peut  toucher  sans  fausser  l'intention  de  ceux 
qui  l'ont  conçue  ou  qui  nous  l'ont  transmise.  On  doit  ou  la  rejeter  ou  l'accepter 
telle  qu'elle  est,  en  bloc  et  sans  changement  :  à  vouloir  l'adapter  au  témoi- 
gnage des  monuments,  c'est  un  système  nouveau  que  l'on  crée,  quand  on 
s'imagine  corriger  simplement  l'ancien.  Le  mieux  est  après  tout  de  l'aban- 
donner pour  le  moment,  et  de  nous  en  tenir  aux  listes  originales  dont  les 
débris  sont  parvenus  jusqu'à  nous  :  elles  ne  nous  rendent  certainement  pas 
l'histoire  de  la  Chaldée  telle  qu'elle  se  déroula  d'âge  en  âge,  mais  elles  nous 
enseignent  ce  que  les  Chaldéens  des  derniers  siècles  connaissaient  de  cette 
histoire  ou  pensaient  en  connaître.  Encore  est-il  prudent  de  les  traiter  avec 
réserve  et  sans  oublier  que,  si  elles  s'accordent  assez  bien  dans  le  gros,  elles 
diffèrent  souvent  par  le  détail.  Ainsi,  les  petites  dynasties  qui  portent 
les  numéros  VI  et  VII  comprennent  un  même  nombre  de  rois  sur  les  deux 
tablettes  qui  constatent  leur  existence3,  mais  les  chiffres  d'années  qui  sont 

1.  Les  premiers  essais  en  ce  sens  furent  faits  naturellement  par  Smith  et  Pinches,  quand  ils 
découvrirent  les  tablettes  [Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  III,  p.  361  sqq., 
J*roceedings,  t.  III,  p.  20  sqq.;  cf.  37  sqq.,  t.  VII,  193  sqq.,  t.  VII,  p.  65  sqq.);  d'autres  ont  essaye 
après  eux  de  combiner  tout  ou  partie  des  listes  avec  tout  ou  partie  du  canon  de  Bérose,  Homme! 
(Die  SemUisrhen  Yôlkcr,  t.  I,  p.  346-3-41,  -483-184,  Zur  Altbabylonischen  Chronologie,  dans  la 
Zeifschrift  fur  Kei/schriftforschung,  t.  I,  p.  32- M,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  168- 
176),  Delitzsch  [Die  Sprache  der  Kossxer,  p.  19-41,  6-1  sqq.),  Schrader  [Die  Keilinschriftliche  Baby- 
lonische  Kônigsliste,  dans  les  Sitzungsberichle  der  Berliner  Akademie,  1887,  t.  XXXI,  p.  579-608, 
et  t.  XL VI,  p.  917-951). 

4.  Voir  ce  que  disent  sur  la  dissemblance  de  ces  deux  canons  Oppert  (la  Xon-ldcntité  de  Phul 
et  de  Teglathphalazar,  dans  la  Revue  d'Assyriologie,  t.  I,  p.  169-170,  note),  Tielc  (Babylonisch- 
Assyrische  Geschichte,  p.  109-114),  Wincklcr  (Vnlersuchungen  zur  Altorientalischen  Geschichte, 
p.  3-6). 

3.  Le  texte  et  la  traduction  ont  été  donnés  par  Pinches  (The  Babylonian  Kings  of  the  second 
Period,  dans  les  Provecdings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  VI,  p.  196-197,  et  colonne  III  de 
la  tablette)  et  par  G.  Smith  (On  fragments  of  an  Inscription,  dans  les  Transactions,  t.  III,  p.  374- 
376)  ;  la  traduction  seule  se  trouve  chez  Sajce  (The  Dynastie  Tablets,  dans  les  Bccords  of  the  Pastt 
4»-  ser.,  t.  I,  p.  17,  41).  Sur  les  différences  que  présentent  les  deux  listes  à  cette  place,  on  peut 
consulter  en  dernier  lieu  Wiscklkr,  Vnlersuchungen  zur  Altorientalischen  Geschichte,  p.  11. 

H1ST.    ANC.    I)K    l/OHIK.NT.    —   T.    I.  75 


594 


LA  CHALDÊE  PRIMITIVE. 


attachés  aux  noms  des  Fois  et  le  total  de  chaque  dynastie  varient  un  peu  de 
Tune  à  l'autre  : 


VI*  DYNASTIE 

DU    PAYS    DE    LA   MER 


il  ans 

■ 

6  ans 

3  mois 

• 

SlMASflSHlGUl'. 
ËAMOl'KIXZIR. 

Kashshoisadisakhé 

t8  ans 

• 

3  ans 

m 

o  mois 

SlMASHSHIGOU 

£\MOlKJN 

KASHSHOl'NADIXAKHÉ 

23  ans 

3  mois 

3  rois 

il  ans 

5  mois  | 

3  rois 

VII-  DYNASTIE 

DE   BAZ! 

15[?J  ans 
2  ans 

» 

m 

3  mois 

ÉoiLHAHSHAKJNSHOlMOL' 
[NlSlpjKOt'DOlROL'SOlR 
[SfilLAMM  )SH01KAM0LN  A 

M  ans 

3  ans 

■ 

■ 
3  mois 

éoilbarshakinshoimoi 

Nisipkocdoi'r[oisour] 

Shila.nimshoi'kamoina 

17  ans 

3  mois 

3  rois 

"20  ans 

3  mois 

3  rois 

La  diversité  du  comput  est-elle  le  fait  des  scribes  qui,  copiant  et  recopiant 
machinalement  les  listes,  en  venaient  fatalement  à  les  altérer?  S'expliquait- 
elle  par  quelque  circonstance  ignorée,  une  association  au  trône  dont  la 
durée  était  rejetée  tantôt  sur  l'un,  tantôt  sur  l'autre  des  deux  corégents,  une 
question  de  légitimité  qui  allongeait  ou  qui  écourtait  un  règne  selon  le  sens 
dans  lequel  on  la  tranchait?  Les  monuments  contemporains  nous  permettront 
peut-être  un  jour  de  résoudre  ce  problème,  dont  la  solution  échappait  aux 
Chaldéens  d'époque  postérieure.  En  attendant  qu'ils  nous  aient  rendu  le 
moyen  de  restituer  une  chronologie  rigoureusement  exacte,  il  faudra  bien 
nous  contenter  des  évaluations  par  à  peu  près  que  les  tablettes  nous  four- 
nissent pour  les  successions  des  rois  babyloniens. 

L'histoire  réelle  y  occupait  une  très  petite  place,  vingt  siècles  à  peine  sur 
trois  cent  soixante  :  la  fantaisie  s'était  donné  libre  carrière  au  delà,  et  le  peu 
de  faits  certains  que  l'on  connaissait  disparaissait  presque  sous  l'amas  des 
récits  mythiques  et  des  contes  populaires.  Ce  n'est  pas  que  les  documents 
fissent  entièrement  défaut;  les  Chaldéens  avaient  l'amour  de  leur  passé  et  ils 
en  recherchaient  curieusement  les  souvenirs.  Chaque  fois  qu'ils  déterraient 
une  inscription  dans  les  ruines  d'une  ville,  ils  la  copiaient  à  plusieurs  exem- 
plaires et  la  déposaient  aux  archives,  où  leurs  archéologues  la  consultaient1. 

1.  Les  exemples  sont  assez  fréquents  de  vieux  textes  dont  noua  ne  possédons  plus  que  des  copies 
exécutées  de  la  sorte.  Ainsi  la  dédicace  d'un  temple  d'Ourouk  par  le  roi  Singashid,  copiée  par  le 
scribe  Naboubalatsouikbi,  fils  de  Mizirai  (l'Égyptien)  pour  le  temple  Kzida  (Pinches,  Singaxhitts  Gift 
to  Ihe  Temple  E-ana,  dans  le  Babylonian  and  Oriental  Hecord,  t.   I,   p.  8-11):  l'histoire  légendaire 


LES  ROIS  DE  BABYLONE  ET  D'AGADË.  595 

Quand  un  prince  rebâtissait  un  temple,  il  exécutait  toujours  des  sondages  sous 
les  premières  assises  de  l'édifice  pour  retrouver  les  pièces  qui  en  commé- 
moraient la  fondation;  s'il  les  découvrait,  il  consignait  sur  les  cylindres 
nouveaux  où  il  vantait  son  œuvre,  le  nom  du  premier  constructeur  et  parfois 
le  nombre  d'années  qui  s'était  écoulé  depuis  la  construction*.  Nous  en  agissons 
de  même  aujourd'hui,  et  nos  fouilles  aboutissent,  comme  celles  des  Chaldéens, 
à  des  résultats  singulièrement  décousus  :  ce  qui  sort  de  terre  n'est  guère  pour 
les  premiers  siècles  que  lambeaux  de  dynasties  locales,  noms  de  souverains 
isolés,  dédicaces  de  temples  qu'on  ne  sait  où  placer  à  des  dieux  dont  la  nature 
nous  échappe,  allusions  trop  brèves  à  des  conquêtes  ou  à  des  victoires  sur 
des  nations  désignées  de  façon  trop  vague*.  La  population  était  dense  et  la 
vie  active  dans  les  plaines  du  Bas-Euphrate.  Les  cités  y  formaient  à  l'origine 
autant  d'États  particuliers,  très  exigus  le  plus  souvent,  et  dont  le  roi  et  les 
dieux  prétendaient  demeurer  indépendants  de  tous  les  rois  et  de  tous  les 
dieux  voisins  :  une  ville,  un  dieu,  un  maître,  de  même  qu'en  Egypte  dans  les 
vieilles  circonscriptions  féodales  d'où  les  nomes  sortirent3.  Les  plus  fortes 
de  ces  principautés  imposèrent  leur  loi  aux  plus  faibles  :  réunies  par  deux 
ou  par  trois  sous  un  seul  sceptre,  elles  finirent  par  constituer  une  dizaine  de 
royaumes  presque  égaux,  échelonnés  le  long  de  l'Euphrate*.  Nous  connaissons 
au  nord  ceux  d'Agadé  et  de  Babylone,  celui  de  Routa  et  de  Kharsag-Kalama, 
celui  de  Kishou    qui   comprenait  une  partie  de  la   Mésopotamie,   peut-être 

du  roi  Sargon  d'Agadé,  copiée  sur  l'inscription  qui  ornait  la  base  de  sa  statue,  et  dont  il  sera  question 
plus  loin,  p.  597-599  de  cette  Histoire;  une  dédicace  du  roi  Hammourabi  (Jensen,  Inschriften  aus 
der  Hegierungszeit  llammurabïs,  dans  la  Keilschriflliche  Bibliothek,  t.  III,  1"  partie,  p.  120-123); 
l'inscription  d'Agoumkakrimi  (Boscawen,  On  an  Early  Chaldxan  Inscription,  dans  les  Transactions  de 
la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  IV,  p.  132)  qui  provient  de  la  bibliothèque  d'Assourbanabal. 

1.  C'est  surtout  Nabonaîd,  le  dernier  roi  de  Babylone  avant  la  conquête  perse,  qui  nous  a  laissé 
le  souvenir  de  ses  fouilles.  Il  trouva  de  la  sorte  les  cylindres  de  Shagashaltibouriash  à  Sippara 
(Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  V,  pi.  64,  col.  III,  I.  27-30),  ceux  de  Hammourabi  [Id.,  t.  I,  pi.  69, 
col.  II,  1.  4-8;  Bezold,  Two  Inscriptions  of  Nabonidus,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéo- 
logie Biblique,  t.  XI,  p.  84-103),  de  Nararasin  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  V,  pi.  6-1,  col.  II,  p.  57-60). 

2.  On  aura  une  idée  de  ce  que  sont  les  documents  connus,  en  parcourant  la  1"  partie  du  tome  III 
de  la  Keilschriftliche  Bibliothek  de  Schrader,  où  MM.  Jensen,  Winckler  et  Peiser  en  ont  publié  une 
transcription  en  caractères  latins  et  ont  traduit  la  plupart  d'entre  eux  en  allemand. 

3.  Voir  ce  qui  est  dit  des  principautés  primitives  de  l'figypte,  p.  70  sqq.  de  cette  Histoire. 

4.  Les  premiers  assyriologues,  H.  Rawlinson  (Soles  on  the  Early  History  of  Babylonia,  dans  le/,  of 
Ihe  As.  Soc,  t.  XV,  et  l'essai  On  the  Early  History  of  Babylonia,  dans  YHerodotus  de  G.  Rawlinson, 
t.  I,  p.  351  sqq.),  Oppcrt  (Expédition  en  Mésopotamie,  t.  I,  p.  275-277,  et  Histoire  des  Empires  de 
Chaldée  et  d'Assyrie  d'après  les  monuments,  p.  13-38)  considérèrent  les  rois  locaux  comme  étant,  pour 
la  plupart,  des  rois  de  la  Chaldée  entière,  et  les  placèrent  à  la  suite  l'un  de  l'autre  dans  le  cadre  des 
plus  anciennes  dynasties  de  Bérose.  Le  mérite  d'avoir  établi  les  séries  des  dynasties  locales,  et  d'avoir 
rendu  à  l'histoire  de  la  Chaldée  la  forme  que  nous  lui  connaissons  aujourd'hui,  revient  à  G.  Smith 
(Early  History  of  Babylonia,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  I, 
p.  28  sqq.,  développé  dans  son  History  of  Babylonia,  p.  63-82,  publiée  après  sa  mort  par  Sayce). 
L'idée  de  Smith  fut  adoptée  par  Menant  (Babylone  et  la  Chaldée,  p.  57-117),  par  Delitzsch-MUrdter 
(Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  2e  édit.,  p.  73-84),  par  Tiele  (Babylonisch-Assyrische  Geschichte, 
p.  100-127).  par  Winckler  (Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  18  sqq.)  et  par  tous  les  assy- 
riologues, avec  les  modifications  que  les  progrès  du  déchiffrement  ont  commandées. 


596  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

même  la  forteresse  lointaine  de  Harran1  :  si  minimes  qu'ils  fussent,  leurs 
possesseurs  déguisaient  leur  faiblesse  sous  les  titres  de  Rois  des  quatre  maisons 
du  monde,  rois  de  l'Univers,  rois  de  Shoumir  et  d'Akkad*.  Babylone  exerçait 
déjà  sur  eux  une  suprématie  réelle.  Peut-être  est-il  prudent  de  ne  pas  prêter 
grande  créance  au  fragment  de  tablette  qui  lui  attribue  une  dynastie 
de  rois  encore  inconnus  par  ailleurs,  Amilgoula,  Shamashnazir,  Amilsin, 
et  bien  d'autres1;  mais  la  même  liste  place  au  milieu  de  ces  fantômes  dou- 
teux un  personnage  au  moins,  Shargina-Sharroukin4,  qui  nous  a  laissé  les 
preuves  matérielles  de  son  existence.  Ce  Sargon  l'Ancien,  dont  le  nom 
complet  est  Shargani-shar-ali5,  était  le  fils  d'un  certain  lttibêl  qui  ne  paraît 

1.  L'existence  du  royaume  de  Kish,  Kishou,  aux  anciennes  époques,  indiquée  par  Jensen  (Inschriflen 
Schamaschschumukins,  dans  la  Keilschriflliche  Bibliothck,  t.  III1,  p.  202,  note),  a  été  démontrée  par 
Hilprecht  (The  Babylonian  Expédition  ofttie  UniversUy  of  Pennsylvania,  t.  1,  p.  23-24). 

2.  Les  noms  officiels  de  ces  royaumes  sont  entrés  dans  le  protocole  des  rois  de  Chaldée,  puis  des 
rois  d'Assyrie  :  ceux-ci  s'intitulaient  régulièrement  shar  Kibrat  arbaî,  roi  des  quatre  maisons  du 
monde  (cf.  p.  543-544  de  cette  Histoire),  shar  Kishshati,  roi  de  l'univers.  M.  Winckler  a  émis  l'idée 
que  ces  qualifications  se  rapportaient  chacune  à  un  petit  État,  jadis  indépendant  (Sumer  und  Akkad, 
dans  les  Mitteilungen  des  Âk.  Oriental  ischer  Vereins  su  Berlin,  t.  I,  p.  9-11,  14).  Apres  avoir  supposé 
que  le  Royaume  des  Quatre  maisons,  par  exemple,  avait  Babylone  pour  centre  (Sumer  und  Akkad, 
p.  9-11),  il  en  transporta  le  siège  à  Kouta  (Untersuchungen  zur  Altorientalischen  Geschichte,  p.  76-78,  83  ; 
Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  31);  il  met  celui  des  Kisshali  avec  doute  à  El-Àshshour  (Sumer 
und  Akkad,  p.  11),  puis  à  Harran  (Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  31,  note  2).  Cette  opinion 
a  été  combattue  fortement  par  Lehmann,  Schamaschschumukin,  Kônig  von  Babylonien,  p.  74  sqq. 

3.  Pioches,  Notes  on  a  new  list  of  Early  Babylonian  Kings,  dans  les  Proceedings  de  la  Société 
d'Archéologie  Biblique,  t.  III,  p.  37-38,  où  il  est  dit  que  ce  sont  là  les  rois  qui  vinrent  après  le 
déluge,  mais  qu'on  n'a  pas  observé  l'ordre  réel  de  succession  en  les  énumérant.  Les  noms  sont  donnés 
à  la  fois  en  langue  sémitique  et  en  idiome  non  sémitique  :  j'ai  adopté  ici  la  première  forme. 

4.  Shargina  a  été  rendu  Sharrouktn  à  l'époque  assyrienne.  Sharrouktn,  Sharouktn,  paraît  avoir 
signifié  «  Dieu  l'a  établi  roi  »  (Scbrader,  Die  Assyrisch-Babylonischen  Keilinschriften,  p.  159  sqq.  ; 
cf.  Winckler,  Die  Keilschrifttexte  Sargons,  p.  xiv),  et  avoir  été  interprété  quelquefois  «  le  roi 
légitime  »  par  les  Assyriens  eux-mêmes.  L'identité  de  Shargani-shar-ali  d'Agadé  avec  Shargina- 
Sharrouktn,  admise  par  Pinches  (On  Babylonian  Art,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie 
Biblique,  t.  VI,  p.  11-14,  107-108,  The  Early  Babylonian  King-List,  dans  les  Proceedings,  t.  VII, 
p.  66-71),  contestée  par  Menant  (l'Inscription  de  Sargon  d'Agadé,  dans  les  Proceedings,  t.  VI,  p.  88-92), 
par  Oppert  (Quelques  Remarques  justificatives,  dans  la  Zeitschrifl  fur  Assyriologie,  t.  III,  p.  134,  et 
La  plus  ancienne  inscription  sémitique  jusqu'ici  connue,  dans  la  Revue  d' Assyriologie,  t.  III,  p.  21 
sqq.)  et  par  d'autres  après  eux,  paraissait  être  controuvée  par  la  forme  sous  laquelle  le  nom  se  pré- 
sentait dans  les  inscriptions  :  Shargani  passait  pour  n'être  qu'une  mauvaise  lecture  d'un  nom  plus 
complet,  Shargani-shar-louh  selon  Menant  (Op.  /.,  p.  90-92),  Shar  (Bin)gani-shar-imsi  (Oppert,  dans 
Menant,  la  Collection  de  Clercq,  p.  50,  n°  46),  Shargani-shar-ali  (Oppert,  Quelques  Remarques,  dans 
la  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  III,  p.  124),  Shargani-shar-mahazi  (Winckler,  Untersuchungen, 
p.  79,  note  4),  Bingani-shar-iris  (Oppert,  La  plus  ancienne  inscription  sémitique  jusqu'ici  connue, 
dans  la  Revue  d' Assyriologie,  t.  IV.  p.  22).  Hommel  (Geschichte,  p.  302)  traduit  Shargani-shar-ali  par 
Shargani,  roi  de  la  ville,  et  une  variante  découverte  récemment  incline  le  père  Scheil  (Inscription  de 
Naramsin,  dans  le  Recueil,  t.  XV,  p.  62-64)  à  croire  qu'il  avait  raison,  par  suite,  que  le  roi  s'appelait 
réellement  Shargani  et  non  Shargani-shar-ali.  L'hypothèse  d'Hommel  (Geschichte,  p.  307  sqq.),  d'après 
laquelle  il  y  aurait  eu  dans  le  haut  empire  chaldécn  deux  Sargon,  Sargon  le  père  de  Naramsin,  vers 
3800,  et  Sargon-Shargani  d'Agadé,  vers  2000  av.  J.-C.,  a  été  rejetée  par  les  autres  assyriologuea. 

5.  Son  premier  titre  est  Shargani-shar-ali,  roi  d'Agadé,  mais  on  a  trouvé  son  nom  dans  les  ruines 
de  Sippara  (Pinches,  On  Babylonian  Art,  dans  les  Proceedings,  t.  VI,  p.  11);  Nabonatd  l'intitule  roi  de 
Babylone  (Uawlinson,  Cun.  bis,  W.  As.,  t.  I,  pi.  69,  col.  II,  1.  30),  et  les  listes  chronologiques  men- 
tionnent son  palais  dans  cette  ville  (Smith,  On  Fragments  of  an  Inscription,  dans  les  Transaction», 
t.  III,  p.  367-368,  374-376).  L'expédition  américaine  du  Dr  Peters  a  découvert  à  Nipour  des  inscriptions 
qui  prouvent  qu'il  régnait  sur  cette  ville  (Hm.prkcht,  The  Babylonian  Expédition  ofthe  UniversUy  of 
Pennsylvania,  t.  I,  p.  15-16,  pi.  1-3;  cf.  Scheil,  Nouvelle  Inscription  de  Naramsin,  dans  le  Recueil, 
t.  XV,  p.  62-64).  La  conquête  de  Kishou  est  mentionnée  dans  les  textes  astrologiques  (R a wlinson,  Cun. 
Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  34,  col.  I,  1.  8-10;  cf.  Hilprecht,  The  Babylonian  Expédition,  t.  1,  p.  25-26),  ainsi 
que  celle  des  Quatre  maisons  du  Monde  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  34,  col.  1,  1.  6,  14; 


SHARGANI-SHAR-AL!  ET  SA  LÉGENDE.  597 

.  pas  avoir  été  roi1.  Il  ne  détenait  au  début  que  la  ville  d'Agadé,  quelque  part 
aux  environs  de  Babylone,  dans  un  site  indéterminé,  mais  il  posséda  bientôt 
Babylone  même,  Sippara,  Kishou,  Nipour,  et  s'acquit  la  réputation  d'un 
conquérant  redoutable,  sans  que  l'on  devine,  par  des  témoignages  contem- 
porains, vers  quelles  contrées  il  porta  ses  armes*.  Son  activité  de  constructeur 
ne  le  cédait  en  rien  à  son  ardeur  guerrière.  Il  bâtit  Ëkour,  le  sanctuaire  de 
Bel,  dans  Nipour,  et  le  grand  temple  Ëoulbar,  dans  Agadé,  en  l'honneur 
d'Anounit,  la  déesse  qui  préside  à  l'étoile  du  matin3.  11  édifia  dans  Babylone 
un  palais  qui  devint  plus  tard  un  lieu  de  sépulture  royale*.  Il  fonda,  pour 
lui  servir  de  capitale,  une  ville  qu'il  peupla  de  familles  prises  à  Kishou  et  à 
Babylone  :  elle  garda  longtemps  après  lui  son  nom  qu'il  lui  avait  imposé, 
Dour-SharroukînB.  C'est  là  ce  que  nous  croyons  savoir  de  positif  à  son  sujet, 
et  les  derniers  Chaldéens  n'étaient  pas  beaucoup  mieux  renseignés  que  nous. 
Ils  suppléèrent  par  la  légende  aux  lacunes  de  l'histoire.  Comme  ils  le 
voyaient  apparaître  brusquement,  sans  qu'aucun  lien  semblât  le  rattachera  ce 
qui  le  précédait,  ils  imaginèrent  qu'il  était  un  usurpateur  d'origine  inconnue, 
introduit  irrégulièrement  par  la  faveur  des  dieux  dans  la  série  des  rois.  Une 
inscription  tracée,  disait-on,  sur  une  de  ses  statues,  puis  copiée  vers  le  vine  siècle, 
et  déposée  dans  la  bibliothèque  de  Ninive,  racontait  longuement  sa  naissance 
mystérieuse6.  «  Sharroukîn,  le  roi  puissant,  le  roi  d'Agadé,  c'est  moi.  Ma 
mère  était  princesse,  mon  père,  je  ne  l'ai  point  connu,  le  frère  de  mon  père 
habitait  la  montagne;  ma  ville  était  Azoupiràni,  qui  est  située  sur  la  rive  de 
l'Euphrate.Ma  mère,  la  princesse,  me  conçut  et  m'enfanta  en  cachette;  elle  me 

cf.  Smith,  Early  History,  dans  les  Transactions,  t.  I,  p.  48-49),  ce  qui  lui  attribue,  au  moins  dans 
la  pensée  des  scribes  du  temps  d'Assourbannbal,  la  domination  universelle  (Lehmann,  Schamaschschum- 
ukln,  p.  94).  Comme  Naramsin,  fils  et  successeur  de  Shargani,  s'attribue  les  mêmes  titres  sur  ses 
monuments  originaux,  on  peut  croire  qu'il  les  avait  hérités  de  son  père  et  admettre  provisoirement 
le  témoignage  du  texte  astrologique  (Rawlinson,  Cun.  Int.    W.  Asia,  t.  I,  pi.  3,  n°  7,  1.  2-4). 

1.  Hii.prf.cht.  The  Babylonian  Expédition  of  the  llniversily  of  Pennsylvania,  t.  I,  pi.  2,  p.  15-16. 

2.  HiLPRF.c.HT,  The  Babylonian  Expédition  of  the  University  of  Pennsyloania,  t.  1,   pi.  2,  p.  15-16. 

3.  Le  fait  est  mentionné  dans  une  inscription  de  Nabonaîd,  découverte  à  Moughéîr,  conservée  au 
British  Muséum  (IUwlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  I,  pi.  69,  col.  II,  l.  29),  traduite  par  Peiser,  dans  la 
Keilschriftliche  Bibliothek,  t.  III,  2e  partie,  p.  85. 

4.  Smith,  On  fragments  of  an  Inscription,  dans  les  Transactions,  t.  III,  p.  367-368,  374-376. 

5.  IUwlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  34,  col.  I,  1.  10.  Je  crois  que  c'est  la  Dour-Sharrouktn. 
mentionnée  dans  le  Caillou  Michaux  (col.  I,  l.  14;  cf.  IUwlinson,  Cun,  Ins.  W.  A.,  t.  1,  pi.  70)  et 
dont  le  site  est  encore  inconnu.  Cf.  Delitzsch,  Wo  lag  das  Paradiesf  p.  208. 

6.  Le  texte  existe  en  deux  exemplaires,  tous  deux  mutilés;  il  est  publié  flans  les  Cun.  Ins.  of.  W. 
Asia,  t.  III,  pi.  4,  n°  7.  Traduit  par  Smith  (Early  II is tory  of  Babylonia,  dans  les  Transactions  de  la 
Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  I,  p.  46-47;  cf.  The  Chaldtean  Account  of  Gencsis,  p.  299-300),  il 
a  été  étudié  et  traduit  de  nouveau  par  la  plupart  des  assyriologues,  Talbot  (A  fragment  of  Ancient 
Assyrian  Mylhology,  dans  tes  Transactions,  t.  I,  p.  271-280,  cf.  Becords  of  the  Pasl,  1"  Ser., 
t.  V,  p.  1  sqq.),  Lenormant  (les  Premières  Civilisations,  t.  II,  p.  104-110),  Menant  (Babylone  et  la 
Chaldée,  p.  99  sqq.),  Delitzsch  (Wo  lag  das  Paradiesf  p.  209-210),  Hommel  (Geschichte  Babyloniens 
und  Assyriens,  p.  302-303),  Winckler  (Légende  Sargons  von  Agane,  dans  la  Keilschriftliche  Bibliothek. 
t.  III,  \n  p.,  p.  100-103,  et  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  30). 


598  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

mit  dans  une  couffe  de  roseaux,  elle  en  ferma  la  bouche  avec  du  bitume,  elle 
m'abandonna  au  fleuve,  qui  ne  me  recouvrit  point.  Le  fleuve  me  porta,  il 
m'emmena  vers  Akki,  le  puiseur  d'eau.  Akki,  le  puiseur  d'eau,  me  recueillit 
dans  la  bonté  de  son  cœur;  Akki,  le  puiseur  d'eau,  m'établit  jardinier.  Jardinier, 
la  déesse  Ishtar  m'aima,  et,  pendant  quarante-quatre  ans,  j'exerçai  la  royauté, 
je  commandai  aux  Tètes-Noires1  et  les  gouvernai.  »  C'est  une  origine  fré- 
quente chez  les  fondateurs  d'empires  et  de  dynasties,  celle  de  Cyrus  et  de 
Romulus*.  Comme  Moïse  et  bien  d'autres  dans  l'histoire  ou  dans  la  fable, 
Sargon  est  exposé  sur  les  eaux  ;  il  doit  son  salut  à  un  pauvre  fellah  qui  tirait 
la  shadouf  sur  la  rive  de  l'Euphrate  pour  arroser  les  champs,  et  il  passe  son 
enfance  dans  l'obscurité  sinon  dans  la  misère.  Arrivé  à  l'âge  de  l'homme, 
Ishtar  s'éprend  de  lui  comme  elle  avait  fait  jadis  de  son  pareil,  le  jardinier 
Ishoullanou*,  et  le  voilà  roi,  on  ignore  par  quels  moyens.  La  même  inscription 
qui  révèle  le  roman  de  sa  jeunesse,  énumérait  les  succès  de  sa  maturité  et 
vantait  le  bonheur  constant  qui  avait  accompagné  ses  armes.  Les  lacunes  en 
ont  presque  détruit  la  fin  et  nous  empêchent  de  suivre  le  développement  de 
ses  entreprises,  mais  d'autres  pièces  prétendent  nous  en  énoncer  les  résultats 
les  plus  importants.  11  avait  réduit  les  cités  du  Bas-Euphrate,  l'île  de  Dilmoun, 
Dourîlou4,  l'Élam,  le  pays  de  Kazalla5;  il  avait  envahi  la  Syrie,  soumis 
la  Phénicie,  franchi  le  bras  de  mer  qui  sépare  Chypre  de  la  côte,  et  n'était 
rentré  dans  son  palais  qu'au  bout  de  trois  ans,  après  avoir  érigé  ses  statues 
partout  sur  son  passage.  A  peine  au  repos,  une  révolte  éclate  brusquement, 
les  chefs  de  la  Chaldée  se  liguent  contre  lui  et  le  bloquent  dans  Agadé  : 
Ishtar,  fidèle  jusqu'au   bout   par  exception,    lui    procure  la  victoire,  et  sa 

1.  L'expression  de  Têlcs-Soircs,  nishi  salmat  kakkndi,  a  été  prise  dans  un  sens  ethnographique, 
comme  désignant  l'une  des  races  de  la  Chaldée,  la  sémitique  (Hommel,  Geschichte  Babyloniens  und 
Assyriens,  p.  241,  note  2);  d'autres  assyriologues  la  considèrent  comme  une  désignation  de  l'huma- 
nité en  général  (Pognon,  t Inscription  de  Bavian,  p.  27-28,  Schrader,  dans  la  Zeitschrift  fur  Assyrio- 
logie,  t.  1,  p.  320).  Ce  dernier  sens  paraît  être  le  plus  vraisemblable. 

2.  Smith  (Early  History  of  Babylonia,  dans  les  Transactions,  t.  I,  p.  47)  avait  déjà  comparé 
l'enfance  de  Sargon  l'Ancien  à  celle  de  Moïse;  les  rapprochements  avec  celle  de  Cyrus,  de  Dionysos, 
de  Romulus,  ont  été  faits  par  Talbot  (A  fragment  of  Assyrian  Mythotogy,  dans  les  Transaction*,  t.  1, 
p.  272-277).  Les  traditions  du  môme  genre  sont  fréquentes  dans  l'histoire  ou  dans  les  contes  populaires. 

3.  Voir  plus  haut,  p.  581  de  cette  Histoire,  le  traitement  qu'Ishtar  infligea  au  jardinier  Ishoullanou. 
A.  Dourilou,  sur  la  frontière  d'Élam  (Delitzsch,  Mo  lag  das  Paradies?  p.  230).  siège  d'une  petite 

principauté,  dont  un  des  princes,  Moulabll,  nous  est  connu  (Fr.  Lknormant,  Choix  de  Textes  cunéi- 
formes, p.  7,  n°  5)  pour  les  temps  antérieurs  à  Hammourabi  (Hommel,  Geschichte  Babyloniens  und 
Assyriens,  p.  22?i,  note  1).  Les  parties  encore  à  peu  près  compréhensibles  de  la  tablette  où  était 
racontée  la  vie  de  Sargon  cessent  en  cet  endroit. 

5.  Kazalla  avait  un  roi  de  nom  sémite,  KashtoubNa;  le  site  du  pays  est  inconnu.  S'il  faut  vraiment 
lire  Kazalla  (Hommel,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  300,  326)  et  non  Sousalla  (Amiaud,  The 
Inscriptions  of  Telloh,  dans  les  Becords  of  the  Past,  2"4  Soi\,  t.  II,  p.  80;  cf.  Hki  zey-Sarzkc,  Décou- 
vertes en  Chaldée,  p.  X)  ou  Soubgalla,  Mougalla,  Mousalla  (Jensen,  Inschriftcn  der  Kônige  und 
Stalthalter  von  Lagasch,  dans  la  Keilschriftliche  Bibliothek,i.  111,  in  partie,  p.  34),  le  nom  cité  sur 
la  Statue  B  de  Goudéa  (Col.  VI,  1.  5-6),  Kazalla  serait  un  canton  de  la  Syrie. 


NARAMSIN  ET  LE  PREMIER  EMPIRE  CHALDÉEN.  599 

fortune  sort  plus  assurée  de  la  crise  où  elle  avait  failli  sombrer.  Tous  ces 
événements  se  seraient  accomplis  vers  38Q0  avant  notre  ère,  au  temps  où  la 
VIe  dynastie  florissait  en  Egypte1.  Ils  n'ont  rien  d'invraisemblable  en  soi,  et 
nous  pourrions  les  accepter  sans  crainte,  si  l'ouvrage  où  ils  sont  consignés 
n'était  pas  un  traité  d'astrologie*.  L'auteur  voulait  justifier  par  des  exemples 
empruntés  aux  chroniques  les  pronostics  de  victoire  ou  de  défaite,  de  paix 
domestique  ou  de  rébellion  qu'il  déduisait  de  l'état  du  ciel  aux  divers  jours 
des  mois;  en  remontant  jusqu'à  Sargon  d'Agadé,  il  bénéficiait  à  la  fois  et 
du  respect  qu'on  éprouvait  autour  de  lui  pour  la  haute  antiquité,  et  de  la 
difficulté  qu'aurait  éprouvée  le  vulgaire  à  contrôler  ses  assertions.  Sa  bonne 
foi  prête  d'autant  plus  au  soupçon  qu'une  partie  au  moins  des  exploits  qu'il 
attribuait  au  vieux  Sargon  avaient  été  récemment  accomplis  par  un  Sargon 
nouveau  :  la  vie  glorieuse  du  Sargon  d'Agadé  semble  n'être  chez  lui  que  la 
vie  plus  glorieuse  encore  du  Sargon  de  Ninive  projetée  dans  le  passé  le  plus 

« 

lointain3.  Si  vraiment  l'enchaînement  des  faits  qu'il  expose  est  une  invention 
de  visée  après  coup,  la  fraude  prouve  du  moins  quel  prestige  s'attachait 
chez  les  lettrés  de  l'Assyrie  à  la  mémoire  «du  conquérant  chaldéen. 

Naramsin,  qui  lui  succéda  vers  3750,  hérita  de  sa  puissance  et  en  partie  de 
sa  renommée4.  Les  tables  astrologiques  prétendent  qu'il  donna  l'assaut  à  la 
ville  d'Apirak,  tua  le  roi  Rishramman  et  emmena  la  population  en  esclavage. 
Une  autre  de  ses  guerres  aurait  eu  pour  théâtre  une  contrée  de  Mâgan  qui, 
dans  la  pensée  de  l'écrivain,  représentait  certainement  la  péninsule  du  Sinai 

1.  La  date  3800  du  règne  de  Sargon  est  déduite  par  à  peu  près  de  celle  que  l'inscription  de  Nabo- 
natd  (cf.  plus  bas  à  la  note  4)  nous  permet  d'adopter  pour  le  règne  de  Naramsin. 

2.  Les  passages  de  ce  traité  relatifs  à  Sargon  et  à  Naramsin,  réunis  et  traduits  pour  la  première 
fois  par  G.  Smith  (On  the  Early  History,  dans  les  Transactions,  t.  I,  p.  47-51),  ont  été  reproduits 
depuis  par  Menant  (Babylone  et  la  Chaldée,  p.  100-103),  par  Homrael  (Geschichte  Babyloniens  umt 
Assyriens,  p.  304-306,  310)  et  par  Winckler  (dans  la  Keilschriftliche  hibliothek,  t.  III  *,  p.  102-107). 

3.  Homme!  (Geschichte,  p.  307)  croit  que  la  vie  de'notre  Sargon  a  été  modelée  sur  celle,  non  de 
Sargon  l'Assyrien,  mais  d'un  second  Sargon,  qu'il  place  vers  4000  av.  J.-C.  (cf.  p.  596,  note  4  de  cette 
Histoire).  Tiele  (Babylonisch-Assyrische  Geschichte,  p.  115)  refuse  d'admettre  l'hypothèse,  mais  les 
objections  qu'il  soulève  peuvent  être  écartées,  je  crois;  Hilprccht  (The  liabylonian  Expédition  of 
the  University  of  Pennsylvania,  t.  I,  p.  21  sqq.)  admet  l'authenticité  des  faits  dans  tous  leurs  détails. 
On  remarquera  une  ressemblance  lointaine  entre  la  vie  du  Sargon  légendaire  et  les  conquêtes  de 
Ramsès  II,  terminées  par  une  conjuration  au  retour,  telles  qu'Hérodote  (II,  c)  les  raconte. 

4.  La  date  de  Naramsin  nous  est  donnée  par  le  cylindre  de  Nabonaid  qui  est  cité  un  peu  plus  bas. 
Elle  fut  découverte  par  Pinches  (Some  récent  Discoveries  bearing  on  the  Ancien t  History  and  Chrono- 
logy  of  Babylonia,  dans  les  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  V,  p.  8-9,  12).  L'au- 
thenticité en  est  maintenue  par  Oppert  (dans  le  Journal  Asiatique,  1883,  t.  I,  p.  89),  par  Latrillc  (Der 
Nabonidcylinder  V  B.  64,  dans  la  Zeitschrift  fur  Keilforschung,  t.  II,  p.  357-359),  par  Tiele  (Ges- 
chichte, p.  111),  par  llommel  (Geschichte,  p.  166-167,  309-310,  qui  avait  d'abord  éprouvé  quelque 
hésitation,  dans  Die  Semilischen  Yôlker,  p.  347  sqq.,  487-489),  par  Delitzsch-Miïrdter  (Geschichte,  2'  éd.* 
p.  72-73);  elle  a  été  révoquée  en  doute,  avec  réserve  par  Ed.  Meyer  (Geschichte  des  Alterthums,  t.  1, 
p.  161-162)  et  plus  résolument  par  Winckler  (Unlersuchungen  zur  Altortentalischen  Geschichte,  p.  44-45; 
et  Geschichte,  p.  37-38).  Il  n'y  a  pour  le  moment  aucune  raison  sérieuse  d'en  contester  l'exactitude, 
au  moins  relative,  si  ce  n'est  la  répugnance  instinctive  des  critiques  modernes  à  considérer  comme 
légitimes  des  dates  qui  les  reportent  plus  loin  dans  le  passé  qu'ils  n'ont  l'habitude  d'y  pénétrer. 


600  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

et  peut-être  l'Egypte1.  L'expédition  contre  le  Mâgan  eut  lieu  véritablement, 
et  l'un  des  rares  monuments  qui  nous  restent  de  Naramsin  y  fait  allusion. 
C'était  en  effet  de  ce  pays  que  les  souverains  tiraient  les  blocs  de  pierre  dure 
dont  ils  fabriquaient  les  vases  précieux  destinés  au  service  des  palais  ou  des 
temples';  ils  y  expédiaient  de  temps  en  temps  des  troupes  qui  leur  rappor- 
taient les  matériaux  dont  ils  avaient  besoin.  Toutefois  Mâgan  était  alors,  non 
pas  l'Egypte,  mais  le  canton  d'Arabie  confinant  à  la  Chaldée  méridionale  et 
au  golfe  Persique5.  D'autres  inscriptions  nous  disent  au  passage  que  Naramsin 
régnait  sur  les  quatre  maisons  du  monde,  sur  Babylone,  sur  Si p para,  sur 
Nipour*.  Comme  son  père,  il  avait  travaillé  à  l'Ékour  de  Nipour  et  à  l'Éoulbar 
d'Agadé5;  il  avait  de  plus  bâti  pour  son  propre  compte  le  temple  du  Soleil  à 
Sippara0.  Les  destinées  en  furent  longues  et  variées.  Remanié,  agrandi,  ruiné 
à  mainte  reprise,  la  date  de  la  construction  et  le  nom  du  fondateur  s'étaient 
perdus  par  la  suite  des  jours,  et  l'on  ne  savait  plus  à  qui  en  attribuer 
la  fondation.  Le  dernier  roi  indépendant  de  Babylone,  Nabonaîd,  découvrît 
enfin  les  cylindres  par  lesquels  Naramsin,  fils  de  Sargon,  signifiait  à  la  pos- 
térité ce  qu'il  avait  fait  pour  élever  au  dieu  de  Sippara  un  sanctuaire  digne 
de  lui  :  «  depuis  trois  mille  deux  cents  ans,  aucun  des  souverains  n'avait 
réussi  à  les  trouver  ».  Nous  ne  pouvons  plus  juger  ce  qu'étaient  ces  édifices 
si  vénérés  des  Chaldéens  eux-mêmes  :  ils  ont  disparu  entièrement,  ou,  s'il 
en  subsiste  quelque  chose,  les  fouilles  ne  nous  l'ont  pas  rendu  encore.  Mais 
plusieurs  menus  objets  échappés  par  hasard  à  la  destruction  nous  donnent  une 
idée  avantageuse  des  artistes  qui  vivaient  en  ce  temps-là  autour  de  Babylone, 

1.  Hawunson,  Cun.  Ins.  W.  Asia,  t.  IV,  pi.  3-4,  col.  II,  I.  10-18. 

2.  Vase  en  albâtre  au  nom  de  Naramsin,  perdu  dans  le  Tigre;  la  légende  a  été  traduite  par  Oppcrt 
(Expédition  en  Mésopotamie,  t.  I,  p.  273,  et  t.  II,  p.  327;  cf.  Kawlikson,  Cun.  Ins.  H".  Asia,  t.  I,  pi.  3, 
n«  7)  d'abord.  On  hésite  pour  le  sens  entre  Vase,  butin  de  Mâgan  (Oppert,  Die  Franzôsischen  Ausgra- 
bungcn,  dans  les  Verhandlungen  du  IV"  Congrès  des  Orientalistes,  t.  Il,  p.  243),  ou  même  conquérant 
du  jxiys  de  Mâgan  (Oppert,  La  plus  ancienne  inscription  sémitique  jusqu'ici  connue,  dans  la  Berne 
d'Assyriologie,  t.  III,  p.  20],  et  Vase  en  travail  poli  de  Mâgan  (Honmel,  Ceschichte,  p.  278-279,  308-3OÎ) 
et  note  1),  après  avoir  lu  conquérant  d'Apirak  et  de  Mâgan  (Smith,  Early  Mis  tory,  dans  les  Trans- 
actions, t.   I,  p.  52;  Menant,  Habylone  et  la  Chaldée,  p.  103;  Tiele,  Ccschichie,  p.  115). 

3.  Voir  sur  le  site  primitif  de  Mâgan  ce  qui  est  dit  p.  564,  note  3,  de  celte  Histoire. 

4.  Il  est  roi  des  quatre  maisons  sur  le  vase  d'albâtre  perdu,  et  roi  de  Babylone  sur  un  cylindre  de 
Nabonaid;  Sippara  lui  appartenait,  puisqu'il  y  construisit  un  temple,  et  les  fouilles  du  Dr  Petcrs 
ont  mis  au  jour  des  inscriptions  qui  prouvent  qu'il  possédait  la  ville  de  Nipour  (Hilprecht  The  Baby- 
lonian  Expédition  of  the  Universily  of  Pennsylvania,  t.  I,  p.  18-10,  pi.  3,  n°  4  ;  The  Academy,  1891, 
3  septembre,  p.  199,  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  VII,  p.  333  sqq.). 

5.  Hilprecht,  The  Babylonian  Expédition  of  the  Vniversity  of  Pennsylvania,  t.  I,  pi.  IV;  Rawl  v- 
son,  Cmw.  Ins.  \Y.  Asia,  t.  I,  pi.  09,  col.  H,  1.  29-31;  cf.  Peiser,  Inschriflen  NabonioTs,  dans  la 
Keilschriflliche  Bibtiothek,  t.  111,  2'  partie,  p.  85. 

6.  IUwli.nson,  Cuti.  Ins.  H*.  Asia,  t.  V,  pi.  04,  col.  II,  1.  57-00;  cf.  Pinches,  Some  Becent  Discoverics 
bearing  on  the  Ancien!  History  and  Chronology  of  Babylonia,  dans  les  Proceedings  de  la  Sociott» 
d'Archéologie  Biblique,  t.  V,  p.  8-9,  12.  Le  texte  qui  nous  fournit  ce  renseignement  est  celui  dans 
lequel  ISabonaid  affirme  que  Naramsin,  fils  de  Sargon  d'Agadé,  avait  fondé  le  temple  du  Soleil  à 
Sippara,  3200  ans  avant  lui,  et  qui  nous  donne  la  date  de  3750  avant  notre  ère  pour  le  règne  de  Naramsin. 


L'ART   DE  LA  CHALDEE  SEPTENTRIONALE.  601 

et  de  leur  habileté  à  manier  la  pointe  ou  le  ciseau.  Un  vase  en  albâtre  au 
nom  de  Naramsin1,  une  tète  de  massue  en  marbre  veiné  délicatement  et  dédiée 
par  Shargani-shar-ali  au  dieu  Soleil  de  Sîppara1,  n'ont  de  valeur  que  par  la 
beauté  de  la  matière  et  par  la  rareté  de  l'inscription  :  mais  un  cylindre  en 
porphyre  qui  appartenait  à  lbnîshar,  scribe  du  même  Shargani,  doit  prendre 
rang  parmi  les  chefs-d'œuvre  de  la  gravure  orientale'.  11  représente  le  héros 
Gilgamès,  agenouillé  et  tendant  à  deux  mains  un  vase  arrondi  d'où  une  source 
s'échappe  à  gros  bouillons  pour  courir  à  travers  champs  ;  un  bœuf,  coiffé  d'une 


paire  gigantesque  de  cornes  en  croissant,  renverse  violemment  la  tète  en 
arrière  et  semble  aspirer  un  des  filets  d'eau  à  la  volée.  Tout  est  également 
admirable  dans  ce  petit  monument,  la  pureté  du  trait,  le  modelé  savant  et 
délicat  des  creux,  la  justesse  du  mouvement,  la  vérité  des  formes.  Un  frag- 
ment de  bas-relief  du  règne  de  Naramsin  montre  que  les  sculpteurs  ne  le 
cédaient  en  rien  aux  (ailleurs  de  pierre  fine.  On  n'y  voit  plus  qu'un  seul 
personnage,  un  dieu,  qui  se  tient  debout  à  la  droite  du  registre,  vêtu  d'une 
étoffe  à  longs  poils  qui  lui  dégage  le  bras  droit,  la  tête  couverte  du  bonnet 
conique  garni  de  cornes.  Les  jambes  manquent,  le  bras  gauche  et  la  cheve- 
lure sont  à  demi  brisés,  les  traits  du  visage  ont  souffert  :  ce  qu'on  distingue 
est  d'une  finesse  à  laquelle  les  artistes  d'âge  plus  récent  ne  nous  ont  pas 
accoutumés.  La  silhouette  s'enlève  sur  le  fond  avec  une  rare  élégance,  le 
détail  des   muscles   ne   présente   rien  d'exagéré  :  n'étaient  le  costume  et  la 

I.  C"csl  le  ïnse  en  albâtre  perdu  dans   le  Tigre  (Ot-rem,  Expédition  ta  Mttapotamie,  t.  1,  p.  Ï73). 
i.  PintOKS,  On  llal.ytonian  Art.  dan»  le?  Trattiactiont,  I.  VI,  p.  il-1i;  cf.  |..  6*0  de  celle  tlittoire. 
;t.  Découvert  el  publié  par  Menant  (Ha-herc/iet  tur  la  lUypIiqur  oriental/-,  t.  1,  p.  "3  sqq.).  alijour 
d'hui  conservé  elieï  M.  de  Uerr<|  (Me**  st.  Catalogue  dt  la  Collection  de  Cltrrq,  t.  I.  pi.  V,  n'  461). 
I,  Celui»  de  Fauclirr-Ciulhi,  d'aprU  Mksint.  Catalouue  de  la  Collection  de  Clein/,  I.  I,  pi.  V,  n-461. 


tut*  LA  CltAI.DEE  PRIMITIVE. 

barbe  en  pointe,  on  croirait  se  trouver  en  présence  d'une  œuvre  égyptienne 
de  la  bonne  époque  memphite.  On  est  presque  tenté  de  croire  que  la  tradition 
t  vrai,  quand  elle  attribuait  à  Naramsin 
e  conquête  de  l'Egypte  ou  des  pays  voi- 
ns  :  le  vaincu  aurait  fourni  des  modèles  à 
on  vainqueur1. 

Sargon  et  Naramsin   vivaient-ils   réelle- 
ment aussi    tôt   que    Nabonaid    se    plai- 
sait  à  le  croire?  Les  scribes  qui  aidaient 
les  monarques  du  second  empire  babylo- 
nien  dans   leurs  études  archéologiques 
avaient  peut-être  des  raisons  fort  mé- 
diocres de  les  reculer  si  avant  dans  la 
distance;  des  documents  sérieux  nous 
contraindraient  à  les  rajeunir,  qu'il  ne 
faudrait  pas  nous  en  étonner.  Le  mieux 
en  attendant  est  de  nous  en  remettre  nu 
ugement  des  Chaldéens  et  de  laisser  Sargon 
ramsin  au  siècle  qui  leur  fut  assigné  par 
,,„„„„„.„,  bien  qu'ils  y  dominent  de  très  haut  tout 
le   reste   de  l'antiquité  chaldéenne.   Les  fouilles   ont 
ressuscité  autour  d'eux,  peut-être  avant,  peut-être  après,  plusieurs  personna- 
ges :  Itingani-shar-ali3,   Man-ish-tourba  et  surtout  Alousharshid,  qui  résidait 
à  Kishou  et  à  Nîponr*,  et  qui  remporta  des  succès  sur  l'Elam1.  Les  ténèbres 
se   referment   immédiatement   sur  ces  ombres   à   peine  entrevues,  et  nous 
cachent  la  plupart  des  souverains  qui  régnèrent  ensuite  à  Babylone.  Les  noms 
et    les  faits   qu'on    rapporte  avec  certitude   aux   siècles   postérieurs   appar- 
tiennent à  l'histoire  des  Etats  méridionaux,  à  Lagash,  à  Ourouk,  à  (luron,  à 
Nisliin,  à  Larsam1.  Les  écrivains  nationaux  avaient  négligé  ces  principautés; 

I,  Publié  par  Selieil  (Vue  Sornette  liitcription  de  Saramti»,  dans  le  lleeueil,  I.  XV,  p.  (ii-fii  ; 
(■(.  Mastkiio.  .Sur  le  but-relief  de  Naramtin,  d.ins  le  llecueil,  t.  XV,  p.  05-W1).  Opperl  (Die  Fran- 
;iisi.irhru  Aiitt/i-riliiiHt/rii  in  f'.liatrlii'a,  dans  le-  l'rrkiindllingeii  du  IV"  limi^rés  (k's  U  ri  enta  listes,  l.  Il, 
p.  337)  avait   roiiiaft]U(>  li-s  rossi-mbliiTii-rs  lies  statues  de  Telloh  avec  les  œuvres  de  l'art  égyptien. 

■i.  lletiiti  de  limtdirr,  d'âpre»  In  plnitiH/iiiphie  publier  par  le  Père  Sliiml,  I  ii  Pourrait  It'ix-ielief 
de  JWiimm'.i  (dans  le  lleeueil  de  Travaux,  I.  XV,  p.  Gi-tll). 

8.  Mkmsi.   Ileeherehet  «nr  la  Glyptique  orientale,  t.  I,  pi.  I,  n*  1 ,  et  p.  75-77. 

I.  Wisiiii.hH,  Snmer  uud  Akkad,  dan-  les   Hitteiliimjeii  det  Ai.  Uricitlalitehcn-Vereini,  l.  I,  p,   in. 

[i.  Hii.mkiiht,  The  Itabyloiiinn  Kj-pediliwt  nftbr  Vuirrrxily  of  Penmylrania,  t.  I,  pi.  S- 111  et  p.  11*-* ■ . 

Ii.  Les  fùil-i  relatifs  à  roi  jielits  roja unies  nul  iitii  signalés  par  Winrkler  (Vlitertuehungrn,  p.  G3-WI). 
dont  les  conclusions,  l'onloslérs  on  partie  par  l.ehmann  (Sïhamaichichiiniuktu,  Kôttig  roii  tlabultt- 
nieii,  p.    «8-100),  ont  éle  admises  par  Dclit/scli-Jliirdtor  (Ceiehichte,  ï>  éd..  p.  7i>  squ). 


LES  CITÉS  DU  SUD,  LAGASH  ET  SES  ROIS.  603 

nous  ne  possédons  ni  résumé  de  leurs  chroniques  ni  listes  de  leurs  dynasties, 
et  les  inscriptions  sont  encore  peu  commu"""  ""' 
parlent  de  leurs   dieux   et   de  leurs  princ 
Celle  de  Lagash  est  peut-être  aujourd'hui 
la    plus   illustre  de   toutes1.  Elle   occu- 
pait le  cœur  du  pays  et  s'étendait  sur  les 
deux  rives  du  Shatt  el-Hai  :   le  Tigre   la 
séparait  à  l'est  de  l'Anshan,  le  plus  occi- 
dental des  cantons  élamiles,  avec  lequel 
elle  entretenait  une  guerre  de  frontières  pe 
pétuelle*.  Toutes  les  parties  ne  se  valaie 
pas  dans  ce  territoire  ;  la  campagne,  fertile 
et  bien  cultivée  près  du  Shatt-el-Haî,  s'ap- 
pauvrissait et   se  noyait   dans  les  boues 
à    mesure   qu'on    avançait    vers  l'est,  et 
ne  nourrissait  plus  qu'à  grand  peine  une 
population  de   pêcheurs  pauvre  et   clair- 
semée.   La    capitale,    bâtie    sur    la    rive 
gauche  du  canal,  s'étirait  du   nord-est  au 
sud-ouest,  sur  une  longueur  d'environ  sept 

kilomètres'.  C'était  moins  une  ville  qu'une  série  de  gros  villages  très  rap- 
prochés, groupés  chacun  autour  d'un  temple  ou  d'un  palais,  Ourouazagga, 
Ghishgalla,  Ghirsou,  Nina,  Lagash'  :  ce  dernier  imposa  son  nom  à  l'ensemble. 
Une  branche  dérivée  du  Shatt-el-Hai  la  protégeait  vers  le  sud  et  apportait  ses 

I.  Elle  nous  eut  connue  presque  exclusivement  parles  recherche»  du  M.  du  Samcc  ut  par  nus  décou- 
vertes sur  le  site  de  TeKoh.  Le  produit  de  ses  fouilles,  acquis  par  l'Etat  français,  est  dénoué  aujour- 
d'hui au  Musée  du  Louvre;  la  description  des  ruines,  le  texte  des  inscriptions,  les  statues,  tous  les 
objets  trouvés  au  cours  des  travaux  ont  été  publiés  par  IIcczky-Suiki:,  Déconcertes  en  i'.haldée.  Le 
nom  ancien  de  la  ville  a  été  lu  Sirpourla,  /.ireulla  (Siiti.  ¥.arly  llitlory  of  Babytonia,  dans  les 
Transaction*,  t.  t.  p.  30;  Doscawiîii,  On  tome  Early  Babylonien  or  Akkadian  Interiptiont,  dans  lus 
Trantacliaia,  I.  VII,  p.  Ï7G-Î77),  Sirtolla  (Owebi,  Die  Franznsischen  Ausgrabungeu  in  ChaUma, 
dans  les  Verhandlungen  du  IV"  Congrès  des  Orientalistes,  t-  II,  p.  Hi,  el  journal  Asiatique,  IBS*, 
I.  XIX,  p.  73),  Sirboulla  (Homel,  DU  Semilisc/ien  Yolker,  p.  4!)*,  note  103).  l'inches  (Vui-le  lo  the 
Knityuiijit  Gatttry,  p.  7,  noie  t.  el  Babylotlian  and  Oriental  Itccord.  t.  III,  p.  i3)  a  rcnconlrc  dan» 
un  syllabaire  !a  lecture  Lagash  pour  les  signes  qui  composent  ce  nom;  peut-être  Lagash  est-il  le 
nom  plus  récent  de  la  ville  el  Shirpoiula  lo  nom  primitif  (Jïjswi.  Ditchriflen  der  Kotiige  und  Stati- 
hallcr  ion  Lagaseh,  dans  la  KeiUelirifUiche.  HMiolhck,  t.  III,   1™  partie,  p.  5). 

■i.  Ainsi,  au  temps  de  f.oudéa  (Iiucriptinn  U,  I.  C.4-B9;  cf.  Aiiai/d,  Interiptiont  of  Tclloli,  dans  le) 
Itecordtof  lot  Paît,  i''  Sur.,  t.  II.  p,  8i,  et  dans  llMm-Smir.:,  Découvertes  ni  t'.haldée,  p.  M;  inxntx, 
Inschriflen  der  Kànige  and  Statlhaller,  dan»  la  hcil'chriftlirhe  Bibliothe/,,  t.  III,  I"  partie,  p.  39). 
Voir  la  mention  de  la  prise  d'Anshan  par  ce  prince,  à  la  p.  CIO  de  cette  Histoire. 

3.  Destin  de  Fauehei-Gudin.  d'apret  le  bas-relief  de  Lagash,  contené  au  Hnsr'e  du  l-ourrc, 
(Hmn-SiBin:,  Découvertes  en  f.huldée,  pi.  1.  n"  S). 

i.  La  description  du  site  su  trouve  dans  lls.ixi:r-.Sini<n:,  Découvertes  en  Clialdèe,  p.  *  su,q. 

S.   &>uiip,  Sirpourla,  p.   1-8.  Amiaud  pense  que  les  qualrc  lells  marqués  N-l'  sur  le  plan  de  M.  do 


60',  LA  CHALDCE  PRIMITIVE. 

eaux  au  bourg  de  Nina  :  on  n'a  retrouvé  aucune  trace  d'enceinte  générale,  et 
les  temples  et  les  palais  servaient  de  refuge  à  son  peuple  en  cas  d'attaque. 
Kl  le  avait  pour  totem,  pour  armes  parlantes,  un  aigle  à  tète  double  posé 
sur  un  lion  passant  ou  sur  deux  demi-lions  adossés1.  Le  chef  des  dieux  qu'on 
y  adorait  s'appelait  Ninghirsou,  le  maître  de  Gliirsou,  dont  il  habitait  le  sanc- 


tuaire; sa  compagne  Baou,  et  ses  associés  Ninagal,  Innanna,  Ninsia,  se  par- 
tageaient la  propriété  des  quartiers  dont  la  cité  se  composait3.  Les  princes 
s'intitulèrent  d'abord  rois  et  prirent  ensuite  le  titre  de  Vicaires,  — patéski — , 
lorsqu'ils  durent  avouer  la  suzeraineté  d'un  souverain  plus  puissant,  celui 
d'Ourou  même  ou  celui  de  Babylone*. 

Ouroukaghina  est,  vers  3^00,  le  premier  en  date  des  rois  de  Lagash  dont 
la   mémoire  soit   parvenue  jusqu'à  nous   :  il  répara  ou    agrandit   plusieurs 

Sanec  marquent  LV  m  place  me  ni  Je  Nina  :  les  autres  telU  re  présente  raient  le  site  de  Ctiirsou.  Cbishgalla 
et  Ourouaiagga  seraient  en  dehors  de  la  région  fouillée  par  l'explorateur.  Hommcl  a  pensé  (OrtcAifkle 
babylonien!  und  Ain/rien*,  p.  3iS,  ;ii7:$ïK.  337)  et  pense  |)out  être  encore  que  Siiiiî  est  Ninîve  ol 
Ghirsou  peut-être  Ourouk. 

1.  Sur  ces  armes  de  Lapsli,  cf.  Ilti  *ky,  les  Origines  orientale*  de  V Art ,  I .  I,  p.  iO-it,  Heiiht-Simm:, 
Dà-ntivertesett  ('.hiiltlà,  p.  N7-U1.  el  en  dernier  Heu  l\wif.\. le*  Armoiries  C.liottlrrnnciidr  Srrjimirlatt'aprèf 
feu  Déconcerta  de.  M.  de  Sar;ec,  dans  les  ilnimmentt  et  Mémoire*  de  la  Fondation  Fiat,  I.  I,  p.  7-ÏO. 

î.  tiemin  de  Faurker-Guditt,  d'âpre*  le  bus-rrlie/'dr  l.nijttsli.  innsn-ir  mi  Huie'e  du  Loutre (Hkciey- 
Kahec,  Décourerlet  en  C.haldee.  pi.  I  liis.  a"  i). 

3.  Pour  le  détail  des  divinités  adorées  à  Lagasli,  voir  Am.uo.  Sirpourla,  p.  15-11';  cf.,  p.  ii;tfi-G39  de 
celte  lliitoire,  ce  qui  est  dit  sur  l'identification  des  divinités  sumériennes  avec  les  sémitiques. 

4.  La  lecture  patit/ii,  patênhi,  du  mot  qui  serl  à  désigne r  les  souverains  des  petits  Klals  chaldéeus. 
longtemps  cou  te  *t  (':<;,  est  établie  aujourd'hui  par  des  vtirianles  certaines  ;\V.  Naïfs  W.ian,  On  an  intrri- 
bed  llabytonian  Weitjht.  dans  les  Proceedingi  de  VAmrrieau  Oriental  Soeiely,  octobre  1HSS,  p.  iii-im  ; 
cf.  I. eh *.i mi,  Au*  einem  Brîefe,  dan»  la  Zeittrhrift  fîir  Aityriotogir,  t.  IV,  p.  i'ji,  et  Juiw,  Iwtehri fini 
lier  Koiiige,  dans  la  Kcilahriftliihe  IlibUothek,  t.  lit.  1"  partie,  p.  it-7).  On  a  traduit  le  litre  par 
ricc-roi.  prelre,  employé,  cl  l'on  a  pensé  qu'il  marquait  la  dépendance  du  personnage  qui  le  portail, 
soit  vis-à-vis  d'un  roi  suzerain,  soit  vis-à-vis  d'un  dieu.  Je  comprends  paléihi  comme  ropâit  en 
figypte  (cf.  p.  7H-7I  de  cette  Hi/loirr).  C'est  un  vieux  lilre  des  princes  féodaux  de  la  C  ha  Idée,  à  la 
Tois  ciiil  el  relifieu\,  puisque  ces  prinres  even; aient  l'autorité  relijiieuse  comme  l'autorité  civile  : 
ils  lu  prenaient  au  début,  lorsqu'ils  étaient  indépendants  l'un  de  l'autre,  et  ils  le  conservèrent 
quand  ils  tombèrent  sous  la  dépendance  d'un  souverain  plus  puissant,  d'un  roi.  Les  rois  eux-mêmes 
pouvaient  s'en  parer,  avec  ou  sans  épitbètes.  de  la  même  façon  que  les  Pharaons  faisaient  pour  le  titre 
je  ropâit  :  c'était  une  affectation  d'archaïsme  aux  bonis  de  l'Kuphrale  comme  aux  bords  du  Nil. 


0URMN.4   ET  IDINIllllRANAGIIIN.  605 

temples,  et  creusa  la  rigole  qui  abreuvait  le  bourg  de  Nina'.  Quelques  généra- 
tions plus  tard,  nous  trouvons  le  pouvoir  aux  mains  d'un  certain  Ournirià, 
dont  le  père  Ninigaldoun  et  le  grand-père  Gourshar  ne  reçoivent  aucun  titre, 


ce  qui  ne  prouve  pas  qu'ils  n'aient  point  régné'.  Ourninà  parait  avoir  été 
d'humeur  pacifique  et  dévote',  car  ses  inscriptions  parlent  beaucoup  des 
édifices  qu'il  érigea  en  l'honneur  des  dieux,  des  ustensiles  sacrés  qu'il 
dédia,  des  bois  qu'il  fit  venir  du  Màgan  pour  satisfaire  aux  besoins  de  la 

1.  C'est  le  canal  que  Ouroukaghina  et  Goudéa  firent  nettoyer  ;  il  est  noramf  .\iii<i-[fcij -fournir,  fleuve 
préféré  de  la  déesse  Nina,  ou  plutôt  du  bourg  de  Nina  (Auuiid,  Sirpourla,  p.  5). 

t,  Dessin  de  t'nucher-Gudiii,  d'après  le  bas-relief du  Louvre  f"1  (IIel'iit,  Rteomlruetion  partielle  de 
ta  Stèle  du  roi  Èannadau,  dite  Sléte  des  Vautours,  pi.  11). 

3.  La  série  des  premiers  rois  et  des  vicaires  de  Lagash  a  été  établie  en  dernier  lieu  par  Heuzoy 
(Généalogies  de  Sirpourla  d'aprèi  let  Découverte*  de  M.  de  Sarzee,  dans  la  Demie  d' Attyriologie, 
t.  II,  p.  78-B4),  qui  place  Ouroukaghina  en  télé  de  la  liste  (irf.,  ibilt.,  p.  Si),  opinion  adopter  par 
M.  Jensen  {Keilschriftlicke  Bibliothek,  t.  III,  1»  partie,  p.  1S.  10)  :  Homme!  (Getcliichle,  p.  Ml]  lui 
donnait  le  troisième  rang  parmi  les  rois.  L'époque  de  ces  piinres  a  été  estimée  de  façon  diverse. 
Ilommel  (tieschichle.  p.  Ï'JI)  fait  vivre  Ouroukaghina  vers  lilMl  avant  notre  ère,  trois  cents  ans  environ 
après  son  Ourglianna  qu'il  inscrit  en  télé  de  la  liste,  et  Heure)',  sans  se  hasarder  à  donner  un  chiffre 
même  approximatif,  tend  à  mettre  les  rois  de  Lagasli  avant  Shargani  et  Naramsin.  Ililprecht  \Tlic 
Dabylonion  Expédition  uf  the  Vnivrrtitu  o{  l'ennsyleania,  t.  I,  p.  Itl)  les  croit  de  même  antérieur;,  à 
Sliarpni-sh.ir-ali;  il  affirme  que  ce  prince  soumit  leur  royaume  et  les  réduisit  à  ta  condition  de 
vicaires.  Ce*  hypt.ith.eses  ne  reposent  que  sur  des  appréciations  artistiques  dont  la  ta)>-ur  n'a  pas  clé 
jugée  décisive  par  tous  les  savants  (cf.  NilPIM,  Sur  le  relief  de  Naramsin,  dan»  la  (te,  nul.  t.  XV, 
p.  6j-G6).  L'intervalle  de  deu\  mille  ans  qu'elles  supposent  entre  les  premiers  cl  1rs  derniers  dei 
souverains  qui  appartenaient  à  ce*  dynastie*  primitives  de  Lagash  ne  paraît  pas  être  justifié  par 
les  circonstances  matérielles  de  la  découverte.  L'importance  de  la  ville  ne  dura  pi'  si  longtemps  . 
en  plaçant  les  premiers  rois  trois  ou  quatre  cents  ans  avant  ceux  d'Ourou,  Ourbaim  et  tniu -i i_h i,  on 
agira  prudemment  (Wmcilm,  Untersiicliungen,  p.  13). 

4.  Les  inscriptions  d'Ourninâ  sont  publiée»  dans  lli.i  ïrv-Shiïkc,  Découverte*  en  (.haldée,  pi.  1,  n'î, 
pi.  S,  n-  1-ï,  pi,  31;  er.  Hkciet,  let  Originel  Orientales  de  fart,  t.  I,  p.  3fi-3o.  Oppert  (dans  le» 
Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Inscriptions,  1RB3.  p.  "Il  sqq.).  Aniiaud  (dans  les  Itecvrdt  of 
the  Past,  t"  Ser.,  t.  I,  p.  lit  sqq.;  cf.  Itaitv-StHm,  Découverte*  en  V.haldée,  p.  »nx),  Jensen  [Keil- 
schriftliche  Bibliothek,  t.  III.  1™  partie,  p.  10-15)  nous  ont  donné  des  trait  net  ions  .les  monuments 
d'Ourninâ.  Hommel  prononce  le  nom  Ourghanna  [Dit  Konige  und  Patiii  ton  Zirgulla,  dans  la  Ze.it- 
schrift  fur  Keitforschung,  t.  Il,  p.  t'9  sqq.),  maïs  la  prononciation  Ournina,  sans  être  encore  abso- 
lument certaine,  présente  beaucoup  de  chances  de  demeurer  la  vraie. 


606  LA  CIIAI.1IÉE  PRIMITIVE. 

construction,  mais  elles  ne  mentionnent  aucune  guerre'.  Son  fils  Akourgal  fut. 


t 
apiesnHuurgai,  eui  i«  goui  ues  armes  ei  uescomoais.  il 
semble  avoir  été  l'allié  ou  peut-être  le  suzerain  d'Ourou  et  d'Ourouk  ;  il  poussa 
les  de  l'Élam,   vainquit  les  troupes 
'Isban',  et  notre  Musée  du  Louvre 
e  trophée  qu'il  consacra  au  retour  de 
npagne,  dans  le  temple  de  Ninghir- 
sou.  C'est  une  large  stèle  en  calcaire 
blanc,  compact  et  fin,  cintrée  par 
J     le   haut,  couverte  de  scènes  et 
d'inscriptions  sur  les  deux  faces. 
L'une  d'elles  ne  portait  que  des 
ujets  religieux.  Deux  déesses  guer- 
s,  couronnées  d'un  diadème  de  plu- 
ie cornes  recourbées,  se  tenaient  en 
'un  tas  d'armes  et  d'objets  variés, 
il  du  butin  ramassé  pendant  la  cam- 
pagne. On  dirait  qu'elles  accompagnent  une  grande  figure  royale  ou  divine. 

I.  Akourjjal  a  été  signale  pour  la  première  fois  par  Mcuiey.  [!'■<  (Iiigittr*  orientales  île  l'Art,  I.  1, 
p.  i\);  on  ne  le  connaît  uuèrc  jusqu'à  présent  que  par  le*  monument!)  de  son  père  et  de  «on  fils. 

ï.  Dessin  de  Fauelirr-Gnilîn,  d'aprtt  le  bns-rclief du  Liiuirc  (tlcintiv,  Iteconstruet ion  partielle  de  ta 
ttéle  du  roi  Eannadou,  dite  Stèle  des  Vautours,  pi.  I,  K<).  l.'écuver  delioul  derrière  le  roi  sur  le  char 
est  effacé;  mais  on  voit  encore  distinctement  le  contour  de  l'épaule  et  celle  îles  mains  qui  tient  les  rênes. 

3.  Le  nom  de  ce  prince  est  lu  fiannadou  par  ileutey,  d'après  Oppnrl  et  Ainiaud. 

i.  Isban-kî,  lill.  :  •  Pays  de  l'Arc  .,  est  mentionné  assez  souvent  dans  les  lentes  de  cette  époque 
(i»i>i-tHT,  biieriptioiis  arehaique*  de  trois  brique»  rhatdétmies,  dans  la  llcrue  d'Assyriologîe,  l.  II. 
p.  M"),  sans  qu'on  sache  trop  où  le  placer. 

;;.  lletsin  de  Pauchrr-tludin.  d'après  te  fragment  de  bat-relief  du  Musée  du  Louvre  (MïiiEr-Smin:, 
Dreourertct  en  Chaldée.  |jI.  3,  A). 


LES   VICAIRES  DE  I.AGASH.  (SOT 

peut-être  celle  du  dieu  Ninghirsou,  patron  de  Lagash  et  de  ses  rois.  L'en- 
seigne que  Ninghirsou  lève  d'une  n 
la  hampe  surmontée  du  totem  prm< 
l'aigle  aux  ailes   éployées,  dont   1 
serres  saisissent  deux    bustes    de 
lions  adossés;   de  l'autre  main,  i; 
abaisse  lourdement  la  masse  sur  u 
groupe  de  prisonniers  qui  se  débai 
tent  à   ses  pieds  dans  les  mailles 
d'un  large  filet.  C'est,  comme  en 
Egypte,  le  sacrifice  humain  après 
la  victoire,  la  remise  au  dieu  na- 
tional d'une  dîme  de  captifs  qui 

tentent  en  vain  d'échapper  à  leur  sort.  La   bataille  fait  rage  à  la  seconde  face. 
T,i;„,.i,;,.n„nr,i,jni  debout  sui'  un  char  que  guide  un 
•ge    l'ennemi   avec  ses   gardes,  et  la 
combre  sous  ses  coups   de  cadavres 
une  bande  de  vautours  l'escorte  et 
ite  à  coups  de  bec  les  bras,  les  jarn- 
les    têtes  coupées   des    vaincus.    Le 
ccès  assuré,  i!    revient  sur    ses   pas 
i  rend  à  ses  morts  les  honneurs  fu- 
nèbres. Les  cadavres  empilés  régu- 
lièrement forment  comme  une  mon- 
'       tagne  :  des  prêtres  ou  des  soldats 
vêtus  d'un  pagne  frangé  l'escala- 
dent et  vont  répandre  au  sommet 
les  offrandes  qu'ils  apportent  dans 
leurs  coufFes.  Cependant  le  souverain  a  décrété  en  leur  honneur  l'exécution 
d'une  partie  des  prisonniers  et  daigne  abattre  lui-même  un  des  principaux 
chefs  ennemis*.  I^e  dessin  et  l'exécution  matérielle  de  ces  tableaux  sont  d'une 

I.  Demi»  de  Faucher-Gitdin,  d'âpre*  le  fragment  de  liat-rcticf  du  Musée  du  Lourre  (IImu.v-Siriri:, 
Découverte*  tft  Ckatdée.  pi.  3,  R). 

■i,  Dcisin  de  faurhrr-Gudin,  d'après  le  fragment  de  bai-relief  du  Htuét  du  l.niirre  [IlEiiiET-StHiEC, 
Oérourerlet  en  CAaldée,  pi.  3,  C). 

3.  C'est  le  monument  appelé  Stèle  de»  Vautour*.  H.  Ilcuzey  lui  a  consarré  plusieurs  arlirlc*  fort 
intéressants,  qu'il  a  réunis  pour  la  plupart  dans  ses  Étude*  d'Archéologie  orientale,  t.  I,  p.  43-8!; 
le  dernier  paru  {Reconstruction  partielle  de  ta  Slèle  du  roi  Eannadou,  dite  Stèle  des  Vautours,  Extrait 
des  Compte*  rendit*  de  l'Académie  de*  Intctïptiont,  18;iâ,  t.  XX,  p.  S6Ï-3U)  annonce  la   découverte 


608  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

grossièreté  remarquable',   hommes  et  bêtes,  toutes   les  figures  ont  des  pro- 
portions exagérées  et  des  formes  baroques,  des  gestes  gauches,  une  démarche 
incertaine  et  pesante'.  Les  sculpteurs  d'idinghiranaghin  ne  sont  que  des  ma- 
nœuvres maladroits  et  barbares,  au  prix  de  ceux  qui  travaillaient  pourNaram- 
sin  longtemps  auparavant.  Ils  appartiennent  à  une  école  provinciale,  d'origine 
peut-être  récente  ;  la  fortune  politique  de  Lagash  avait  été  probablement  trop 
soudaine,  pour  que  les  ouvriers  chargés  d'en  retracer  le  succès  eussent  eu  le 
1  lisir  de  s'instruire  et  d'épurer  leur 
style,   à  l'école  des  artistes  qui  vi- 
vaient dans  les  villes  puissantes  de 
toute  antiquité.  Ils  ont  donné  aux 
vaincus  les  mêmes  traits  qu'aux 
vainqueurs  et  le  même  costume  : 
on   pourrait   donc   chercher   en 
Chaldée   l'emplacement  du    pays 
d'Isban,  et  de  fait,  parmi  les  con- 
quêtes qu'ldinghiranaghin  s'attribue 
dont  il  renvoit  l'honneur  à  son  dieu, 
nui  minivi  i.r  m  nmi.i.h.  on  compte  aumoînsunecitéchaldéenne, 

Ourouk3.  Si  l'on  songe,  d'autre  part,  que  la  population  des  cantons  de  l'Êlam 
les  plus  voisins  ressemble  à  celle  de  la  Chaldée  par  l'aspect  et  par  l'habille- 
ment, on  sera  tenté  de  reléguer  l'Isban  en  territoire  susien  :  Idinghiranaghin 
aurait  représenté  les  épisodes  d'une  de  ces  guerres  qui  se  poursuivaient  d'une 
rive  du  Tigre  à  l'autre,  avec  dos  avantages  variés. 

La  prospérité  de  cette  petite  dynastie  locale  s'amoindrit  promptement.  Les 
ressources  dont  elle  disposait  étaient-elles  trop  faibles  pour  qu'elle  pût  sou- 
tenir longtemps  l'effort  et  le  poids  de  la  guerre?  des  querelles  intestines 
n'amenèrent-elles  pas  plutôt  son  déclin?  Ses  rois  épousaient  plusieurs  femmes 
et  s'entouraient    d'une   postérité  nombreuse   :    Ourninà  comptait  au  moins 

de  morceaux  nouveaux  qui  permettent  de  mieux  comprendre  la  disposition  du  moiiumenl.  Les  frafc- 
menls  sont  reproduits  en  partie  dans  Hecht-Simxc,  Décourertet  eu   Chaldée,  pi.  3.  4. 

1.  Pour  de*  appréciations  différentes  en  partie  de  ce  monument,  voir,  outre  les  mémoires  de 
H.  Ileuicy  cités  plus  haut,  F».  Hères,  Vebrr  altchaldSisehe  Kutvl.  dans  la  '/.eitsrhrift  fur  Astyriologie, 
t.  II.  p.  îï-ïl.  Une  petite  têle  de  in  même  époque  sert  de  cul-de-lampe  au  présent  chapitre,  p.  530 
de  celle  lliiloire  (cf.  Ilm irv-Simn:,  Découvertes  en  Chaldée,  pi.  Î4,  n-  1). 

x.  Dessin  de  Faurher-tiudin  d'aprft  le  bat-relief  du  Louvre  (Hjîi  iey-Samec,  Découvertes  en  Chaldée, 
pi.  4  bis,  n°  t).  Cf.  un  autre  bas-relief  du  même  souverain  p.  707,  ei  l'explication  probable  de  ces 
plaques  percées  au  milieu,  p.  717.  de  celle  Histoire. 

3.  Hei lEï-S.iaiEt.  Découvertes  en  Chaldée,  pi.  31,  et  Généalogies  de  Sirpourla,  dans  la  Revue 
il' A-'Ki/ri"hgie,  l.  II.  p.  Kl  ;  Uppmit,  Inscriptions  archaïques  de  trois  brique*  ehaldéennes,  dans  In  llerue 
of  Assyrialogie.  t.  Il,  p.  R6-H7. 


GOUDÉA.  609 

quatre  fils1.  Ils  confiaient  souvent  à  leurs  enfants  ou  à  leurs  gendres  le  gou- 
vernement des  bourgades  diverses  dont  la  réunion  constituait  la  cité  : 
c'étaient  autant  de  fiefs  temporaires  dont  les  détenteurs  s'appelaient  vicaires7. 
Ce  démembrement  de  l'autorité  suprême,  au  profit  de  princes  dont  beaucoup 
devaient  incliner  à  se  croire  plus  dignes  du  trône  que  celui  qui  l'occupait, 
n'était  pas  sans  danger  pour  la  tranquillité  ni  même  pour  le  maintien  de  la 
dynastie.  Il  semble  que  des  compétitions  se  produisirent  entre  les  descen- 
dants d'Idinghiranaghin,  par  lesquelles  Lagash  déchut  rapidement.  Tomba-t-elle 
dès  lors  sous  la  dépendance  de  quelque  État  voisin,  celui  d'Ourou  par  exem- 
ple? On  ne  le  sait,  bien  que  je  le  tienne  pour  vraisemblable8  :  ses  seigneurs 
renoncèrent  en  tout  cas,  volontairement  ou  non,  à  la  dignité  royale  et  ne 
s'attribuèrent  plus  que  la  qualité  de  vicaires*.  Les  textes  nous  attestent  l'exis- 
tence d'une  demi-douzaine  au  moins  de  personnages  issus  d'Akourgal,  Inanna- 
touma  1er,  son  fils  Intina5,  son  petit-fils  lnannatouma  II,  d'autres  dont  l'ordre 
demeure  incertain,  puis  Ourbaou  et  son  fils  Goudéac.  Ce  furent  tous  gens 
pieux  à  Ninghirsou  en  général,  et  en  particulier  au  patron  qu'ils  s'étaient 
choisi  parmi  les  divinités  du  pays,  àPapsoukal,  à  Dounziranna,  à  Ninâgal.  Ils 
réparèrent  les  temples  et  les  enrichirent;  ils  y  consacrèrent  des  statues  ou 
des  vases  d'offrandes  pour  leur  salut  et  celui  de  leur  famille.  On  dirait,  à  en 
croire  ce  qu'ils  nous  racontent  d'eux-mêmes,  qu'ils  coulèrent  leurs  jours  dans 
une  paix  profonde,  sans  autre  souci  que  de  remplir  leurs  devoirs  envers  le 

1.  Plusieurs  bas-relief  de  Telloh  nous  le  montrent  entouré  de  ses  enfants  (Heuzey-Sarzkc,  Découvertes 
en  Chaldée,  pi.  2  bis,  et  Généalogies  de  Sirpourla  dans  la  Revue  d'Assyriologie,  t.  II,  p.  82-84. 

2.  Akourgal  paraît  avoir  été  vicaire  avant  de  devenir  roi  de  Lagash,  ainsi  que  son  fils  Idinghira- 
naghin  (Hkczey,  les  Généalogies  de  Sirpourla,  dans  la  Revue  d'Assyriologie,  t.  Il,  p.  82-83). 

3.  «  Je  crois  qu'il  est  difficile  de  ne  pas  voir  »  dans  le  changement  de  titre  •  un  indice  de  la  perte 
de  l'indépendance  primitive  de  Sirpourla-ki  et  de  sa  sujétion  à  une  autre  ville,  probablement  la  ville 
d'Our....  Il  est  vrai  que  Goudéa  nous  apparaît  comme  un  prince  puissant....  »  Mais  «  la  dépendance 
comporte  bien  des  degrés,  et  elle  peut  être  même  purement  nominale;  la  France  a  connu  de  grands 
vassaux  qui  tenaient  tète  à  la  royauté  »  (Amiai'd,  Sirpourla,  p.  12-13).  L'Egypte  également,  et  ce  qui 
s'y  passait  sous  la  XIII*  dynastie,  vers  le  temps  de  Goudéa,  nous  explique  la  position  des  vicaires 
en  Chaldéc.  Nous  avons  vu  le  rôle  qu'y  jouaient  les  princes  de  la  Gazelle  sous  les  premiers  rois 
de  la  XII"  dynastie,  et  le  prince  d'IIermopolis  Thothotpou  érigeait  des  statues  de  lui-même  au  prix  des- 
quelles les  statues  les  plus  hautes  de  Goudéa  sont  de  petite  taille  (cf.  p.  341  de  cette  Histoire). 

4.  L'ordre  de  succession  des  rois  et  des  Vicaires  n'est  pas  entièrement  cerlain.  Heuzey  (Études 
d'Archéologie  Orientale,  t.  I,  p.  35-48)  avait  établi  que  les  rois  ont  précédé  les  vicaires,  et  son 
opinion  a  été  adoptée  jusqu'à  présent  par  la  plupart  des  assyriologues,  Amiaud  (Sirpourla,  p.  8  sqq.), 
Homrael  (Gesckichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  282  sqq., 295  sqq.),  Winckler  (Geschichte  Baby- 
loniens und  Assyriens,  p.  40-44). 

5.  Le  nom  de  ce  personnage  a  été  lu  également  Entéména  (Jensen,  Nachlrag  zu  den  Inschriften  der 
Kônige  (Herren)  und  Stat  thaï  ter  von  Lagasch,  dans  la  Keilsckriftliche  Bibliothek,  t.  IIP,  p.  72. 
note  2).  On  a  trouvé  à  Ni  pour  les  fragments  de  vases  qu'il  offrait  au  dieu  Bel  de  cette  ville  (Helphf.cht, 
The  Babylonian  Expédition  of  the  University  of  Pensylvania,  t.  I,  p.  i9). 

6.  Leurs  inscriptions  ont  été  traduites  par  Amiaud  (The  Inscriptions  of  Telloh,  dans  les  Records 
of  the  Past,  2ad  Ser.,  t.  I,  p.  42-77,  et  t.  II,  p.  72-108,  et  dans  Hemey-Sarzec,  Découvertes  en  Cita  Idée, 
p.  I  sqq.),  et  par  Jensen  (Inschriften  der  Kônige  und  Statlhaller  von  Lagasch,  dans  la  Keilschriftliche 
Bibliothek,  t.  III,  1"  partie,  p.  16-77),  après  Amiaud. 

HIST.    ANC.    DE    L'ORIENT.    —    T.    I.  77 


Gin  LA  CIIALUÉE  PRIMITIVE. 

ciel  et  envers  ses  ministres.  Leur  existence  réelle,  si  nous  y  pénétrions,  nous 
apparaîtrait  sans  doute  moins  douce  et  surtout  moins  uniforme;  les  révolu- 
tions de  palais  n'y  manquèrent  pas,  ni  les  luttes  contre  les  autres  peuples  de 
la  Chaldée,  contre  la  Susiane,  même  contre  des  pays  plus  lointains.  Goudéa, 
fils  d'Ourbaou,  sinon  le  plus  puissant  d'entre  eux,  celui  dont  nous  possédons 
'"   plus  de  monuments,  prit  la  ville  d'Anshan 
n  Ëlam,  et  ce  n'est  peut-être  pas  la  seule 
campagne  qu'on  doive  lui  attribuer1;   mais 
il    parle    de    ses   succès   par   occasion,  et 
comme  s'il  était   pressé   de   passer  à  des 
sujets  plus  intéressants.  Ce  qu'il  estime 
important   dans    son    règne,    ce   qui    le 
recommande  surtout  à   l'attention  de  la 
postérité,  c'est   la  beauté,    la  grandeur, 
la  quantité  des  Fondations  pieuses.  Les 
dieux  eux-mêmes  l'avaient  inspiré  dans 
ses   dévotes  entreprises,   et   lui   avaient 
révélé   les   plans  qu'il    Fallait  exécuter. 
Un  vieillard  d'aspect  vénérable  lui  était 
apparu  en  songe  et   lui   avait  ordonné  de 
àtir  un  temple;  comme  il  ne  savait  à  qui  il 
it   à   faire,   Nina   sa    mère   lui  apprît   que 
son  frère,  le  dieu  Ninghîrsou.  Ce  point  éta- 
le  ucitricn*.  bli,  une  jeune   femme,   armée  du    stylet   et   de   la 

tablette  à  écrire,  s'était  offerte  à  lui,  Nisaba,  la  sœur 
de  Nina  :  elle  avait  dessiné  sous  ses  yeux  et  elle  lui  avait  montré  le  modèle 
complet  d'un  édifice'.  Il  se  mit  à  l'œuvre  avec  amour,  et  il  envoya  cher- 
cher les  matériaux  aux  contrées  les  plus  lointaines,  au  Màgan,  à  l'Amanos, 
au  Liban,  dans  les  monts  qui  séparent  le  bassin  du  haut  Tigre  de  celui  de 
l'Kuphrate.  Les  sanctuaires  qu'il  orna  et  dont  il  se  sentait  si  fier  ne  sont 
plus  guère  aujourd'hui  que  des  amas  de  briques  retournées  à  l'argile;  mais 
beaucoup  des  objets  qu'il  y  avait  déposés,  et  surtout  les  statues,  ont  traversé 

I.  Wincltlnr  (l'ntersiichmigen,  p.  41-J.i,  ut  Gftehiehte,  p.  41-1-1),  Jenscn  (Keihchri/lliihe  liibliathek. 
I.  Ml,  I™  partie,  p.  7-8).  Sur  le  lien  1res  étroit  qui  rattache  les  vicaire*  de  t.agash  au  vieun  roi 
Ournina,  (T.  Ilcithv,  les  tiihifalogie*  de  Sirjmurln,  dans  In  Revue  d'Aityriologie.  I.  Il,  p.  Ri  «qq. 

S,  Dei'i»  de  Faucher-Gudin,  iFaprèi  le  bas-relief  du  Louvre  (Heiiiky-Saiuic,  Dêroucerles  en  Chal- 
di'e.  pi.  43). 

3.  Zihkiix,  Bat  Traumgctichl  Gudca!,  dans  la  Zeihchrifl  flir  Aesyrio/ogir,  t.  III.  p.  Î3Î-Ï35. 


LES  BAS-RELIEFS  ET  LES  STATUES  DE  fiOUDÊA.  (ill 

les  siècles  sans  trop  de  dommage,  avant  d'entrer  au  Louvre.  Les  sculpteurs 
de  I.agash  s'étaient  adressés  à  bonne  école  depuis  Idinghiranaghin ,  et  ils  avaient 
appris  leur  métier.  Leurs  bas-reliefs  ne  valent  pas   celui  de  Naramsin;  le 
faire  en  est  beaucoup  moins  fin,  le  dessin  moins  pur,  le  modelé  moins  bien 
étudié.  On  en  jugera  par  le  fragment  de  stèle  ca1""»" 
qui  représentait  les  épisodes  d'une  scène  d'of- 
frande ou  de  sacrifice1.  On  distingue,  au  re- 
gistre du  bas,  une  chanteuse,  qu'un  musi- 
cien accompagne  sur  une  lyre  ornée   d'une 
tète  de  bœuf  et  d'un  taureau   passant.  Au 
registre  supérieur,  un  personnage  s'avance, 
vêtu  du  manteau  frangé,  et  tenant  à  la  main 
droite  une  sorte  de  patène  ronde,  à  la  gauche  t 
bâton  court.  Son  acolyte   le  suit,   les  bras 
ramenés  sur  la  poitrine;  un  homme  marque, 
en  frappant  dans  ses  mains,  le  rythme  de  la 
mélopée  que  récite  un  chanteur  pareil  à  celui 
de  l'autre  registre.  Le  morceau  a  souffert  et 
l'on   en   devine   le   détail   plutôt  qu'on   ne 
l'aperçoit  réellement;   mais  l'aspect  fruste 
qu'il  a  reçu  du  temps  le  sert  plutôt,  et  dis- 
simule un  peu   la  rudesse  de  la  facture.  Les 
statues  au  contraire  témoignent  d'une  sûreti 
ciseau  et  d'une  science  incontestables.  Ce  n'est  pas 

qu'on  ne  puisse  y  relever  beaucoup  de  défauts'.  lilles  sont  trapues,  épsusses, 
massives  de  formes,  écrasées  par  le  poids  de  la  couverture  de  laine  dont  les 
Chfildéens  s'enveloppaient  :  elles  étonnent  et  rebutent  quand  on  les  aborde, 
l'oeil  encore  charmé  de  la  grâce  svelteet  parfois  même  un  peu  grêle  qui  carac- 
térise d'ordinaire  les  bonnes  statues  de  l'ancien  et  du  moyen  empire  égyp- 
tiens. La  première  impression  surmontée,  on  ne  peut  qu'admirer  l'audace 
avec  laquelle  les  artistes  ont  attaqué  la  matière.  C'est  une  dolérite  compacte, 

1.  Iiurription  B,  I.  fil-69;  cl".  Ailino,  The  hue 
¥•  Ser..  t.  II,  p.  Si,  et  dans  Ikncv-SmiKc,  Mrouv 
KOnige  u,id  Slaltliallcr  iw  l.agaicli,  dons  In  Keihehrifltiche  BiblioOiek,  I 

ï.  Dmin  île  Faue/ier-Gudiii  (IlEi  iKï-SiHiKt.  ruuiltr*  eu  Chaldée.  |il.  SU). 

3.  Hki'iey-Saium.  Décourerte*  en  tlhalMe,  pi.  !>-4».  l'orrol-Chipiez  [Iliituirc  île  fArt,  t.  Il,  |i.  ïï!«- 
»!■!•)  e»  ont  fait  ressortir  les  mérites  et  les  défauts;  cf.  Urruir.  Die  framosutheu  AutgyabHinjeii  in 
C.haldxa,  dans  le»  Verhandtungcn  du  IV  CoiiKrés  des  O rie iiln listes.  I.  II.  p.  Ï3<i-Ï3K.  H  h'n.  llthiK, 
Veber  allchaldùuclie  Kuusl.  dans  la  Zeittrhrift  far  AtsyrMoqie,  t.  Il,  p.  ï^3.'i. 


612 


LA  CHALDËE  PRIMITIVE. 


Petites  tombas 
couvwtii  da  ruine* 


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PLAN    DES    RUINES 
DE 

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K^nuJaJUfià  courait  le  fcmtf  do  1»  pln.i» -forrtvo , 


.,        .     ^        si.3jnêtrcrS0ia\.ctfntriSiSS 
V    '  Pi a\e  formé  but  ]a«\»ellis 

est copstruitçlaînaison .  . 

,.       "*      /  .••-';'       •.       •'        "*'<    !     '      ' 
■   Tertre  forme  '--.  ••  ;    f'    "?  .,  \      ' 
'      ^parle^tomTïe»  '   '<  ■■,    s     '•■  ' 

>       ;   &A  ;    x>-.r  l .;- v-  s  n  ■•■; 


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rebelle  à  la  pointe,  plus  dure  peut-être  que  le  diorite  dans  lequel  le  Memphite 
avait  taillé  son  Khéphrèn  :  ils  ont  réussi  à  la  dompter  et  à  la  manier  aussi 
librement  que  s'il  se  fût  agi  d'un  calcaire  ou  d'un  marbre.  Les  plans  de  la 
poitrine  et  du  dos,  la  musculature  de  l'épaule  et  du  bras,  le  détail  des  mains 
et   des   pieds,   tous   les  nus  y  sont  traités  avec  un  mélange  de  largeur  et 

de  minutie,  qu'on  n'est  pas 
accoutumé  à  rencontrer  dans 
les  mêmes  œuvres.  La  pose 
manque  de  variété  :  le 
personnage ,  homme  ou 
femme,  est  tantôt  debout, 
tantôt  assis  sur  un  esca- 
beau, les  jambes  rappro- 
chées, le  buste  assuré  sur  les 
hanches,  les  mains  croisées 
contre  la  poitrine,  dans  le 
geste  de  la  soumission  ou  de 
l'adoration  respectueuse.  Le 
manteau  passe  sur  l'épaule 
gauche,  laisse  la  droite  à 
découvert  et  vient  se  fermer 
sur  le  sein  droit,  en  ébau- 
chant quelques  plis  gauches 
et  enfantins  :  il  s'évase  de 
haut  en  bas,  fait  cloche  autour  du  tronc  et  des  cuisses,  et  dégage  à  peine 
le  bas  de  la  jambe.  Toutes  les  statues  de  grande  taille  qu'on  voit  au  Louvre 
ont  été  décapitées  ;  nous  possédons  par  bonheur  un  certain  nombre  de  têtes 
séparées  de  leur  corps1.  Les  unes  sont  entièrement  rases,  les  autres  portent 
une  manière  de  turban  dont  l'ombre  s'abat  sur  le  front  et  sur  les  yeux; 
on  remarque  chez  toutes  le  même  ensemble  de  qualités  et  de  défauts  que 
dans  les  corps,  la  dureté  de  l'expression,  la  lourdeur,  l'absence  de  vie, 
mais  aussi  la  vigueur  du  rendu  et  la  connaissance  exacte  de  l'anatomie 
humaine.  Voilà  ce  qu'on  savait  faire  dans  une  ville  de  second  ordre;  on 
faisait  mieux  sans  doute  dans  les  grandes  cités  comme  Ourou  et  Babylone. 

I.  Outre  celle  qui  est  reproduite  p.  613  de  cette  Histoire,  en  voir  une  autre  de  même  taille  à  peu 
près,  mais  qui  n'est  point  coiffée  du  turban,  dans  IIkizly-Sauzkc,  Découvertes  en  Chaldèe,  pi.  12,  n°  t. 


t>      *      ^ 

Ta  ■  jn-  °        , 


L.77uxiI!i*r,eW. 


CL.b.C.d.C.f  _  FjwtjJvUhUdT 

par  Tcuflor  .  


OUROl)  ET  SA  PREMIERE  DYNASTIE.  613 

L'art   chaldéen,   tel   que   nous    l'entrevoyons   à   travers    les   monuments   de 
Lagash,   n'avait   ni    la    souplesse,   ni    l'animation,  ni 
l'élégance  de  l'art  égyptien,  mais  il  n'était  dépourvu 
ni    de    puissance,    ni     d'ampleur,    ni    d'originalité. 

Ouminghirsou  remplaça 

son    père   Goudéa;   puis 
plusieurs  vicaires  se  suc- 
cédèrent rapidement  l'u 
à  l'autre,  dont   le  demie 

parait  avoir  été  Galalama' 

Ces  personnages  étaient  le: 

humbles  vassaux    du     roi 

d'Ourou ,     Dounghi ,    (ils 

d'Ourbaou1,   ce  qui  per- 
itTK  n'nm  nus  smuts  ue  telloh1        met    ('e    croire  qu'Our- 

baou  était  le  suzerain, 
de  qui  Goudéa  lui-même  relevait1.  C'est  en  effet  avec 
Ourbaou  et  Dounghi  que  la  cité  d'Ourou  entre  dans 
l'histoire,  non  qu'elle  n'ait  eu  avant  eux  une  ou  plu- 
sieurs dynasties  de  souverains,  mais  ils  sont  les  pre-  ST,,rt  de  cmmu*. 
miers  que  nous  connaissions.  Ourou,  la  seule  parmi 

les  villes  de  Basse-Chaldée  qui  s'élevât  sur  la  rive  droite  de  l'Euphrate,  était 
petite  mais  forte,  et  bien  placée  pour  devenir  un  des  entrepôts  principaux  du 
commerce  et  de  l'industrie  en  ces  temps  reculés1.  L'Ouady  Roumméîn  amenait 

The  Imrri/rfioHJi  of  Teltoh,  dan*  U-t  Hrc.ord,  of  Ihe  l'ail,  4"<  Scr.,  !.  Il,  |i.  Mli-IDK,  ri  |uir  Jkssen.  Die 
liisrltriftcn  der  Kônige  und  Slntthatler  von  Lagtuch,  dans  la  Keilichriftlkhe  Uibtiolhek,  t.  III, 
I™  partie,  p.  86-71,  "4-ï". 

t.  Va  personnage  nomme  Ouniinjinirsoii  dédie  i'i  la  déesse  Minlil,  pour  la  vie  il u  roi  l)oun|!hi.  une 
[ictilc  perruque,  mollit'  en  pierre,  eouservée  aujourd'hui  au  Musée  de  llcrlin;  M.  Minrkler  reconnaît 
en  lui  l'Ourniugliirsou  qui  fut  lits  de  Coudéa  et  lui  succéda  {Viilenuehungcu,  p.  14,  1,'i7,  a°  7,  cl 
Ceiirhir/ilr,  p.  l:i  ;  cf.  DtLirjsiiH-JliHUTkit,  tieichichte,  S*  éd.,  p,  79),  Ile  mémo  Caialama  consac re  une 
stalue  aujourd'hui  brisée  (IIeeikv-Saiiie.:,  Déconcertes  en  ClmldSe,  pi.  il,  n"  4|  à  llaou,  la  mi-re  de 
Lagash,  pour  la  vie  de  Dounghi  (Aïiiin,  The  Imcriplion»  of  Teltoh,  dans  les  Ueeurds,  t''  Scr.,  I.  Il, 
p.  1(18*.  Jessen,  Bit  tn*r.hrifti:u  /In-  Kimi/jr.  diins  la  Kcilichrifllichc  Uibtiolhek,  1. 111,  I"  partie,  p.  711-71). 

'A.  Dénia  de  Foiieher-Gudiii  (Hmin-SiKiEr,  Dèiourtrlei  en  Chaldee,  pi,  \î,  n°  I).  Cf.  la  pulitr  trie 
qui  sert  de  rul-de-lampe  au  sommaire  de  ce  chapitre,  p.  536  de  celte  Histoire  (llr,i:j.F.r-S.tniEC,  Dérou- 
rerle'  en  Chaldee,  pi.  6,  n'  3). 

t,  WisciLEn,  Unlerturliungen,  p.  44,  et  tietchiehle,  p.  411,  44-13;  Rclil/srli-llurdler  (Octefiii-htr. 
»■  éd.,  p.  7M)  iiduie.l   liifitniiii'cit  le  Tait  en  faisant  d'Ourninghirson   le  vassal  de  Dounghi. 

5.  Dessin  de  r'auehcr-Gudin,  d'âpre*  Hkivrï-Sikiih:.  Iii'trmvi'rti:-  n\  l.haldi'e,  pi.   13. 

6.  Les  ruines  d'Ourou,  à  Houghélr,  ont  «le  eiplorées  et  décrites  par  Taylor  (.Vo/e*  ou  Ihe  Haiii*  of 
Mugeyer,  dans  le  Journal  of  Ihe  Atiatic  Society,  1835,  I.  XV.  p.  460  sqq.)  «t  par  l.oflus  (Traveti  and 
Researches  in  Chatdiea  and  Suiiana,  p.  147-13:1).  Iloinmel  a  réuni  avec  soin  la  plupart  îles  dominent-- 
chaldéens  relatifs  à  la  ville  antique,  à  ses  édifices,  au  lemps  et  à  la  nature  de  leur  construction  [Die 


LA  CHALDÈE  PRIMITIVE. 


non  loin  d'elle  les  richesses  de  l'Arabie  centrale  et  méridionale,  l'or,  les 
pierres  fines,  les  gommes  et  les  résines  odorantes  nécessaires  au  culte. 
Une  autre  route  jalonnée  de  puits  pénétrait  à  travers  le  désert  au  pays 
demi-fabuleux  de  Màshou,  et,  de  là  peut-être,  jusqu'à  la  Syrie  méridionale  et 
à  la  péninsule  Sinaitique,  le  Màgan  et  le  Miloukhkha  des  bords  de  la  mer 

Itouge  '  :  ce  n'était  pas  la 
voie  la  plus  facile,  mais  c'é- 
tait la  plus  directe  pour  qui 
voulait  se  rendre  en  Afrique, 
et  les  produits  de  l'Egypte 
la  suivirent  sans  doute  afin 
de  gagner  plus  vite  les  mar- 
chés d'Ourou.  L'Euphrate 
coule  maintenant  à  près  de 
huit  kilomètres  au  nord  de 
la  ville,  mais  il  en  était 
moins  éloigné  jadis  et  pas- 
sait presque  aux  portes.  Les 
cèdres,  les  cyprès,  les  sapins 
de  l'Amanus  et  du  Liban,  les 
calcaires,  les  marbres,  les 
pierres  dures  de  la  Haute-Syrie  le  descendaient  en  bateau,  et  probablement 
aussi  les  métaux  des  régions  voisines  du  l'ont  Eux  in,  le  fer,  le  cuivre,  le 
plomb1.  D'autre  part  le  Shatt-el-Hai  aboutissait  dans  l'Euphrate  presque  en 
faee  de  la  ville, ^et  détournait  vers  elle  le  tralic  qui  s'opérait  sur  le  Tigre  supé- 
rieur et  sur  le  Tigre  moyen7'.  Et  ce  n'est  pas  tout  :  pendant  qu'une  partie  de 
ses  matelots  courait  les  canaux  et  tes  Ile  mes,  l'autre  battait  les  eaux  du  Golfe 

ScmitLehe»  lotkrr,  p.  itll-ill;  CrieAichte,  p.  SIMI8).  Les  misoiffneuieiit»  donnés  ici  sur  le  com- 
merce d'Ourou  sont  emprunté*  oui  inscriptions  de  Coudéa  :  In  sphère  d'activité  de  l'État  vassal  devait 
représenter  à  peu  près  exactement  celle  île  l'État  suzerain.  On  trouvera  les  passades  réunis  clans 
Aminm!  (Sirpourta,  |i.  I3-I.'i).  Homme!  (tinchichtt,  p.  ;tï3-3ÏU),  Terrien  de  Lacouperie  (An  unknotrn 
hiug  of  Laqaih,  dans  le  Babglouian  rmd  Oriental  tleeord,  I.  IV,  p.  llta-ÎOS). 

I.  Sur  ces  deux  routes,  cf.  Dii.itthk,  l'Atic  Occidentale  dan*  lu  Inscription!  Aiiyriennei,  p.  133-111. 

t.  Il  résulte  des  invriplimis  de  llrntiica  que  les  cèdres  et  les  autres  bois  de  construction  néces- 
saires aui  temples  provenaient  de  l'Amanus  (Statue  il.  eol.  V.  I.  ÎS  sqq.;  Anuup,  Tlic  Imcriptiom 
of  Tclloh,  dans  les  Itérants  of  tke  Paît,  V*  Sur.,  t.  II.  p.  "y),  et  la  longueur  même  des  poutres 
prouve  qu'elles  devaient  venir  par  eau,  comme  liois  llolté.  Lei  monts  de  l'hcnicie,  le  Liban  ou  l'Anti- 
liiiiin,  fou  mi '.surent  [es  divr-v.es  espère*  de  jiierre  eiiipluyées  pour  le  revêtement  des  parois,  ou  pour 
l'encadrement  des  portes  (lit.,  col.  VI,  I.  S-ill;  cf.  Ilnizn-Svs*.e,  Urrouvrrtet  en  Chaldér,  ]..  IX-XI). 

It.  Si  les  monts  rie  Tilla  (Anne*,  The.  liiK--iiptio.it  of  Triton,  dans  les  Ilrcnrdt  of  the  Paît,  *•'  Scr., 
1.  II.  |>.  SI),  note  i]  peuvent  être  places  près  de  la  ville  de  Tel  a.  dans  les  montagnes  qui  séparent  le 
haut  Tirire  du  moien  Éiiphrale.  c'est  par  la  voie  du  Shatl-el-llal  que  devaient  arriver  les  bois  de 
relte  région  mentionnés  sur  la  Statue   II  de  Coudé»,  col.  V,  I.  33  sqq. 


LE  COMMERCE  MARITIME  [l'OUROU.  615 

Persique  et  en  exploitait  les  côtes.  Értdou  qui,  seule,  aurait  pu  lui  barrer 
l'accès  de  la  mer,  était  une  ville  religieuse  et  ne  vivait  que  pour  ses  temples 
et  pour  ses  dieux  '  ;  elle  tomba  promptement  sous  l'influence  de  sa  puissante 
voisine  et  devint  la  première  escale  des  navires  qui  remontaient  l'Euphrate. 
Les  Chaldéens  manoeuvraient  sur  le  Tigre,  au  temps  des  Grecs  et  des  Romains. 


des  esquifs  ronds  à  fond  plat,  tirant  fort  peu  d'eau,  de  véritables  touffes,  ou 
des  radeaux  juchés  sur  des  outres  gonflées,  identiques  d'aspect  et  de  con- 
struction aux  kelrks  de  nos  jours5.  Les  keleks  tiennent  la  mer  aussi  aisément 
que  la  rivière  et  on  en  rencontre  encore  qui  cabotent  sur  le  Golfe  Persique. 
On  en  trouvait  bien  certainement  un  grand  nombre  parmi  ces  navires  d'Ourou 
que   les  textes   nous   signalent*  :   mais  on  y  voyait  aussi    de    ces    longues 

1.  Voir  le  plan  d'Ê ridou  à  la  p.  RU  de  cette  Bùtoirc.  Sayee  (The  Iteligion  of  the.  Ancient  iiabylo- 
Nictnt,  ['.  I3i-I3;i)  suppose  qu'Kridou  dut  être  un  porl  fréqucrilé  dans  II  haute  antiquité  chaliliVrme  ; 
en  ce  cas,  elle  avait  cessé  de  l'être  a  l'époque  qui  nous  occupe,  ainsi  que  cela  semble  résulter  du 
peu  de  place  qu'elle  lient  dans  les  inscription»  de  Goudéa  (Tebrieh  de  Lacoiipmiie,  An  vnknoien  Km  g 
of  Lagath,  dans  le  Babylonian  and  Oriental  lleeard,  I.  III.  p.  SUS). 

i.  iïtêsin  de  r'aucher-Cudin,  d'tiprrx  le  croquit  de  Uhkssfv,  Euphratet  Expédition,  I.  I,  p.  640. 

3.  La  description  des  bateaux  en  usage  8ur  'e  Tigre  a  été  donnée  très  fidèlement  par  Hérodote 
(I.  «ciï).  Le  terme  employé  pour  les  désigner  est  koujfa  [Chssmi.  Euphiate*  Expédition,  1.  Il,  p.  C4(l) 
ou  panier,  cf.  p.  5*î  de  cette  Ilittoire.  Les  kelcki  étaient  employés  pour  la  piralerie  (Pline,  II.  Sut.. 
VI,  34)  ou  pour  le  commerce  (Feriplut  mari*  Erytbrri,  g  47,  dans  MClleh-IIipot,  Geographi  (irseri 
Minore;  t.  1,  p.  238-270)  par  les  Arabes  de  la  cote  :  ils  servent  encore  au>  mêmes  usages  chez  les 
riverains  du  Golfe  Persique  (Sprejwer,  Die  Allé  Géographie  Arabient,  p.  1Î3). 

4.  Ainsi  la  liste  publiée  dans  les  Cun.  Int.  Weit.  Ana,  t.  II.  pi.  46,  n»  l,  col.  I,  I,  3.  et  qui  a  été 
traduite  par  r'R.  Lemnumnt,  Eluda  Accadiennei,  t.  III,  p.  190-134. 


616  LA  CHALDÉE  PRIMITIVE. 

barques  aux  extrémités  très  relevées  et  d'allures  égyptiennes,  marchant  à  la 
rame,  qui  sont  dessinées  grossièrement  sur  un  certain  nombre  de  cylindres 
antiques1.  Ces  flottes  primitives  n'affrontaient  pas  volontiers  le  large.  Elles 
se  traînaient  péniblement  en  vue  du  rivage,  et  ne  s'en  détachaient  que  par 
occasion,  quand  il  fallait  rallier  quelque  groupe  d'îles  prochaines;  des  jours 
et  des  jours  de  navigation  leur  suffisaient  bien  juste  à  fournir  des  traversées 
que  le  moindre  de  nos  voiliers  achève  directement  en  quelques  heures,  et 
leurs  voyages  les  plus  longs  pour  la  durée  les  conduisaient  à  fort  peu  de 
distance  de  leur  point  de  départ.  C'est  se  tromper  étrangement  sur  leur 
compte  que  de  les  supposer  capables  de  contourner  l'Arabie  entière  et  d'aller 
charger  des  blocs  de  pierre  au  Sinai  :  pareille  expédition,  périlleuse  même 
aux  galères  grecques  ou  romaines,  aurait  été  impossible  pour  elles*.  Si  elles 
franchirent  jamais  le  détroit  d'Ormuzd,  ce  fut  de  peu  et  par  exception  :  leur 
activité  s'enferma  à  l'ordinaire  dans  les  limites  du  Golfe.  Les  marchands 
d'Ourou  visitaient  régulièrement  l'île  de  Dilmoun,  le  pays  de  Mâgan,  celui  de 
Miloukhkha,  celui  de  Goubîn;ils  en  rapportaient  des  cargaisons  de  diorite 
pour  leurs  sculpteurs,  des  bois  de  charpentes  pour  leurs  architectes,  des  par- 
fums, des  métaux  qui  arrivaient  de  l'Yémen  par  les  voies  de  terre,  peut-être 
les  perles  des  îles  Bahréîn.  Les  marins  de  Dilmoun  et  de  Mâgan  leur  faisaient 
une  concurrence  sérieuse,  les  tribus  du  littoral  devaient  écumer  les  mers 
alors  comme  aujourd'hui3  :  le  risque  était  grand  pour  ceux  qui  partaient,  de 
ne  jamais  revenir.  Du  moins  le  profit  était-il  considérable.  Ourou,  enrichie 
par  son  commerce,  soumit  tous  les  petits  États  du  voisinage,  Ourouk,  Larsam, 
Lagash,  Nipour.  Son  territoire  forma  un  royaume  assez  étendu,  dont  les 
maîtres  s'intitulèrent  souverains  de  Shoumir  et  d'Akkad  et  dominèrent  pen- 
dant plusieurs  siècles  toute  la  Chaldée  méridionale4. 

1.  Mknant,  Hccherches  sur  la  Glyptique  orientale,  t.  I,  p.  99-100,  pi.  Il,  4. 

2.  C'est  pourtant  l'opinion  de  beaucoup  d'assyriologues,  Oppert  (Die  Franùhischen  Ausgrabungen 
in  Chaldœa,  dans  les  Abhandlungen  des  Y,en  Oricntalisten-Congresses,  Semitische.  Section,  p.  238). 
Winckler  (Geschichle,  p.  43-44,  347-328),  appuyée  par  Brindley  et  Boseawen  {Journal  of  Transactions 
of  Ihe  Victoria  Institut?,  t.  XXVI,  p.  283  sqq.).  D'autres  se  sont  élevés  contre  cette  hypothèse  à  la 
suite  de  Perrot  (Comptes  rendus  de  V Académie  des  Inscriptions,  1882,  et  Histoire  de  VArt,  t.  Il,  p.  588, 
note  2);  ainsi  Hommel  (Die  Setnitischen  Vôlker,  p.  217-218,  459-460,  et  Geschichle,  p.  234-235). 

3.  Les  vaisseaux  de  Dilmoun,  de  Mâgan  et  de  Miloukhkha  sont  mentionnés  à  côté  de  ceux  d'Ourou 
(Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  Asia,  t.  II,  pi.  46,  col.  1, 1.  5-7  ;  Fr.  Lï.xokx kxi,  Études  Accadiennes,  t.  III,  p.  190). 

4.  La  définition  de  l'expression  Shoumir  et  Accad  n'est  pas  encore  complètement  établie.  Ces 
deux  mots,  qui  entrent  dans  le  titre  de  tant  de  princes  Chaldéens  et  Assyriens,  ont  été  l'objet  de 
nombreuses  hypothèses  dont  il  serait  trop  long  de  faire  l'histoire  :  Pognon  le  premier  montra  qu'ils 
marquaient  deux  parties  du  territoire  soumis  aux  rois  de  Babylone,  Accad  un  canton  confinant  à  l'As- 
syrie, Shoumir  un  canton  de  site  incertain  (VInscription  de  Bavian,  p.  125-134),  et  depuis  lors  la 
plupart  des  assyriologues  ont  admis  qu'Akkad  désignait  de  préférence  la  Haute,  et  Shoumir  la  Basse- 
Chaldée.  M.  Winckler  a  voulu  prouver  récemment  qu'avant  de  s'étendre  à  la  Chaldée  entière, 
Shoumir  et   Akkad  ou,   en  langue  non  sémitique,  Kiengi-Ourdou,  avait  eu  un  sens  plus  restreint  et 


OURBAOU  LT    DOUNGHI.  617 

Ourbaou,  le  plus  ancien  d'entre  eux,  régnait  vers  2900'.  Il  construisit  sans 
relâche,  et  le  pays  garde  encore  partout  les  traces  matérielles  de  son  activité. 
Temple  du  Soleil  à  Larsam,  temple  de  Nina  dans  Ourouk,  temple  d'Inlilla  et 
de  Mnlilla  dans  Nipour,  il  embellit  ou  restaura  tout  ce  qu'il  ne  bâtit  point  :  à 


Ourou  même,  îl  commença  le  sanctuaire  du  dieu  Lune  et  releva  les  fortifica- 
tions de  la  ville1.  Dnunglii.  son  fils',  fut  comme  lui  un  remueur  de  briques 

s  était   appliqua   a   un  royaume  cl.-  la  ifcaidi •■  iilionulo.  celui  dont  Ourou  était  la  capitalu  (Sumer 

und  AkÂad.  dan»  le«  Hitttilungen  des  Akadtmiseh-Orientnlisehen  Vcreins,  I.  I,  p.  6-14,  tluteran- 
ehungtn.  p.  fis  «qq  .  GeschUMe,  p.  19-*".  *S-1S,  etr.).  Lehinaim  a  combatlu  celle  opinion  {Scha- 
maithsrHOUm-'uttu,  IWny  i»"  llabytonten,  p    lis  sqq.),  et  la  question  demeure  encore  douteuse. 

Il  lla«lin*on  Ip  lut  l  rukh  (Ou  the  Ea-ly  Hi*t"'y  of  Ihiliytonia,  dans  G.  Hawlinsuh,  llerodolus,  I,  I, 
p  J'.W.t)  et  Mincis  lluriyak  [Jonmnt  of  Soered  Litrralurt  and  Uibtical  Retord,  18I1S)  en  souvenir 
du  roi  Ariok  mentionne  incidemment  dan»  la  Cenèse  (XIV,  i)  ;  Opperl  [Expédition  en  Mésopotamie, 
t.  I.  p  ïilti.  noie  i.  cl  Histoire  dtt  Empérrs  dt  l.haldéc  et  d'Assyrie,  p.  III  sqq.]  prédira  se  rappeler 
te  pattr  Orchtunm  d'O.ide  [Metam-irphosts.  I-  IV,  ttt)  et  proposa  sans  illusion  la  lecture  L'rkhani, 
ilrlheiu.  qui  piVialut  quelque  temps,  tin  a  ni  depuis  Ourbugns,  Ourbagous,  l.ikbagas,  llabagas,  Our- 
balii,  l.ikbabi.  Tasbabi  IUioBn.it,  Trt  monument'  flaldei  td  Assiri  drllr  eoUeiioiti  romane,  p.  11-13), 
Aroilapsi  (Sib«imr-II«ci,  ti-e  heitiuschnfUn  und  dm  Allé  Testament,  V  édil.,  p.  'Jt,  note  lî'JI, 
Unrêa  ou  Aradéa  (Ko.  ïtrt»,  t.ttchi.hte  dtt  AHerthums,  t.  I,  p.  ICI,  note  I,  d'après  Dmiiscs), 
Durbau.iiurhan  (IIouhfl,  Dit  Semitiichen  ltdl.tr.  I.  I,  p.  3811,  V.esehUhtc  Rabyloniens  and  .Umjriens, 
p.  331  sqq.).  Ourgour  (DfLinuit-Mfitorui.  l'.rtchnlile  llnbtjluniens  und  Assyriens,  ï"  éd..  p.  77-78). 
I.a  lecture  Ourbauu  nc»l  pas  certaine  :  c'est,  avec  Ourgour,  celle  que  la  plupart  des  sssjrioJojiiies 
emploient  de  préférence  pour  le  moment 

î  llfi'in  dt  VautlierJ'.udiH.  dnprc*  un  bai-rtl'tf  de  Koi/oandjUi  (l.iv  ibip,  The  Monument*  of  Sine- 
wA.  t"  Ser  ,  pi.  13.  cf.  !•■,.«,  Simvt  tt  CAi'yir.  pi.  43.  n*  1). 

3  Larsam,  inscription  sur  une  brique  provenant  d'une  tombe  (lUwLMSini,  Cuh.  Ins.  H".  Al.,  t.  I, 
pi.  5,  0"  I,  7);  Ourouk,  inscription  dune  brique  de  Warka  ((,'.  1.  IF.  As.,  t.  I,  pl.  I,  n>  I,  li|;  pour 
Nipour.  inscriptions  sur  pierre  noire  cl  -ur  brique,  découvertes  a  Niffcr  (C.  I.  H',  As.,  t.  I.  pl.  I, 
n*  I,  8-9);  Ourou,  inscriptions  sur  briques  et  cernes  provenant  de  Moughétr  (C.  1.  II".  As.,  t.  I,  pl.  ), 
«•  t.  1-5)  el  pa*sauc  d'un  cylindre  de  >aboua1d  [C.  I.  II'.  Al.,  t.  I,  pl.  «6,  n-  I,  eol.  t.  I.  o-*7).  Ces 
iliK-umi-iilt  ont  élê  réunis  cl  traduit»  par  lipperl  [Histoire  des  Empira  de  VJtaldée  el  d'Assyrie, 
p  tG-iO).  par  Smith  ir.nrtu  lliitory  nf  liabytonta.  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie 
Biblique.  I.  I.  p  34-3.-.),  par  Menant  ( Uabyftmt  tt  la  V.hatdée,  p.  73-75),  par  Winckler  [Insrhriften  ion 
hoii'gen  ma  Humer  und  Ahhad.  ddns  I.,  heitsthrtftlirht  lliblialhek,  t.  III.  1"  partie,  p.  7(1-81). 

t  Le  nom,  lu  d'abord  llgi.  Hlgi.  se  prononce  aujourd'hui  Dounghi  eu  général  :  la  lecture  Soulgi 
(ScBBti.ta,  heititàtiflm  nnd  t',tsrhrehtr.forichunq,  p.  84)  ne  s'est  pas  maintenue.  Le  son  et  le  sens  en 
Aine kler  i  Inscloiften  von  KOaiyn  voit  Sumer  und  Akkad,  dans  la    Keil'ehrifttiehc 


618  LA  CHALUËE  PRIMITIVE. 

infatigable  :  il  termina  le  sanctuaire  du  dieu  Lune  et  travailla  dans  Ourouk. 
dans  Lagash,  dans  Routa1.  Nous  n'apercevons  nulle  part  dans  les  inscriptions 
qu'il  nous  a  léguées  la  mention  d'une  guerre  civile  ou  d'une  lutte  soutenue 
contre  l'étranger  :  on  se  tromperait  grandement  si  l'on  concluait  de  ce  silence 
que  la  paix  ne  fut  jamais  troublée.  Le  lien  qui  rattachait  les  petits  États  dont  le 
royaume  d'Ourou  se  composait  était  des  plus  lâches.  Le  suzerain  ne  possédait 
guère  en  propre  que  sa  capitale  et  le  territoire  qui  l'entourait  :  les  autres 
cités  reconnaissaient  son  autorité,  lui  payaient  un  tribut,  lui  devaient  l'hom- 
mage religieux  et  sans  doute  aussi  le  service  militaire,  mais  elles  conservaient 
chacune  sa  constitution  spéciale  et  ses  seigneurs  héréditaires.  Ceux-ci  perdaient, 
il  est  vrai,  le  titre  de  roi  dont  leur  suzerain  seul  avait  le  droit  de  se  parer, 
et  se  déclaraient  simplement  vicaires  de  leur  ville;  mais,  leurs  obligations 
féodales  une  fois  remplies,  ils  exerçaient  tout  pouvoir  sur  leurs  anciens 
domaines,  et  ils  transmettaient  librement  à  leur  postérité  l'héritage  qu'ils 
avaient  reçu  de  leurs  pères.  C'est  ainsi  que  Goudéa  probablement,  ses  petits- 
lils  à  coup  sûr,  gouvernaient  Lagash  comme  fief  mouvant  à  la  couronne 
d'Ourou1.  A  l'exemple  des  barons  égyptiens,  les  vassaux  des  rois  de  Chaldée 
se  laissaient  mener  sans  trop  regimber  contre  le  joug,  tant  qu'ils  se  sentaient 
tenus  de  court  par  une  main  énergique  :  ils  se  reprenaient  à  la  moindre 
défaillance  du  maître  et  s'efforçaient  de  recouvrer  leur  indépendance.  Tout 
règne  qui  durait  était  presque  nécessairement  agité  par  des  révoltes  qu'on 
ne  réussissait  pas  toujours  à  comprimer  :  si  nous  n'en  connaissons  aucune, 
c'est  que  les   inscriptions  découvertes  jusqu'à  ce  jour  sont  tracées  sur  des 

Bibliothek,  t.  III,  in  partie,  p.  80,  note  3)  pense  qu'il  répondrait  dans  la  langue  sémitique  à  quel- 
que chose  comme  Baou-oukln. 

1.  Achèvement  du  temple  d'Ourou  indiqué  par  le  passage  déjà  cité  du  cylindre  de  Nabonatd  (Raw- 
linson,  Cun.  /.  \Y.  As.,  t.  I,  pi.  68,  n"  1,  col.  1,  1.  5-27),  confirmé  par  la  découverte  à  Moughéir  de 
ruines  au  nom  de  Dounghi  (C.  I.  \Y.  As.,  t.  I,  pi.  2,  n°  II,  1-2);  constructions  dans  le  temple  d'Ou- 
rou k  {C.  I.  \Y.  As.,  t.  I,  pi.  2,  nn3);  construction  d'un  temple  de  Ninmar  à  Ghirsou,  sur  une  pierre 
noire  trouvée  à  Tell-ld  ((',.  /.  \Y.  A*.,  t.  I,  pi.  2,  n°  2,  A);  constructions  au  temple  de  >ergal  à  Routa, 
d'après  une  copie  faite  sous  le  second  empire  babylonien  du  document  original  (Pinches,  Guide  (o  the 
yimroud  Central  Salon,  p.  61»;  Winckler,  Sumer  und  Akkad,  dans  les  Milt.  des  Ak.  Orientalischcn 
Ycreins,  t.  I,  p.  11,  10,  n°  1;  Amiacd,  l'Inscription  assyrienne  de  Doungi,  dans  la  Zeilschrift  fur 
Assyriologie,  t.  111,  p.  04-1)5).  Ces  documents  ont  été  réunis  et  traduits  par  Smith  (Early  Bis  tory  of 
Iiabylonia,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  I,  p.  36-37)  et  par  Winckler 
(Inschriften  von  Kônigen  von  Sumer  und  Akkad,  dans  la  Keilschriftlivhe  Bibliothek,  t.  III,  \—  partie, 
p.  80-83).  Ilommel  {Geschichte,  p.  337)  croit  pouvoir  étendre  l'autorité  de  Dounghi  jusque  sur  ISinive  : 
Amiaud  a  montré  {l'Inscription  assyrienne  de  Doungi,  dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  III, 
p.  1)1-05)  que  le  document  sur  lequel  Ilommel  s'appuie  s'applique  au  quartier  de  Lagash  nommé  Nina 
et  non  pas  à  la  ville  de  Ninivc  en  Assyrie. 

2.  Cf.  p.  613  de  cette  Histoire.  On  peut  citer  à  côté  des  princes  de  Lagash:  Khashkhamir.  prince  de 
la  ville  d'Ishkounsin  sous  Ourbaou  (IUwlinson,  Cun.  I.  \Y.  Ah.,  t.  I,  pi.  1,  n°  10),  Killoula-Gouzalal,  lils 
d'Ourbabi,  prince  de  Kouta  (C.  I.  \Y.  As.,  t.  IV,  pi.  35,  nJ2;  cf.  Amiaud,  l'Inscription  H  de  Goudéa, 
dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  II,  p.  21U-203),  et  Ourananbad,  lils  de  Lougalsharkhi,  princes 
de  Nipour  (Mknant,  Catalogue  de  la  Collection  de  Clercq,  t.  I,  pi.  X,  n"  86;  cf.  Aiuin,  l'Inscription  // 
de  Goudéa,  p.  2!>5-2l)0)  sous  Dounghi  ;  cf.  le  cylindre  de  ces  derniers,  p.  623  de  cette  Histoire. 


LES  ROIS  DE  LARSAM.   DE  NISHIN  ET  D'OUROl'K.  619 

objets  où  un  récit  de  bataille  n'aurait  pas  été  à  sa  place,  sur  des  briques 
provenant  d'un  temple,  sur  des  cônes  ou  sur  des  barils  en  terre  cuite 
voués  aux  dieux,  sur  des  amulettes  ou  sur  des  cachets  privés.  Nous  ne  savons 
encore  qui  succéda  à  Dounghi,  ni  combien  d'années  traîna  cette  première 
dynastie  d'Ourou  :  nous  devinons  seulement  que  son  empire  finit  par 
s'émietter  au  bout  d'assez  peu  de  temps.  La  plupart  des  villes  s'émanci- 
pèrent, et  leurs  chefs  se  proclamèrent  rois  de  nouveau1.  On  vit  ainsi  un 
royaume  d'Àmnanou  se  dresser  sur  la  rive  gauche  de  l'Euphrate  avec  Ourouk 
pour  capitale,  et  trois  rois  au  moins  y  persister,  dont  le  plus  actif  semble 
avoir  été  Singashid*.  Ourou  gardait  néanmoins  assez  de  prestige  et  assez 
de  richesse  pour  demeurer  la  métropole  réelle  du  pays  entier.  Il  fallait  s'y 
faire  introniser  solennellement  dans  le  temple  avant  d'être  seigneur  légitime 
de  Shoumir  et  d'Àccad3.  Tout  ce  qu'il  y  eut  pendant  plusieurs  siècles  de 
roitelets  ambitieux  se  la  disputa  et  y  résida  tour  à  tour.  Ce  furent  d'abord, 
vers  2500,  les  sires  de  Nishin,  Libitannounit,  Gamiladar,  Ishmidâgan*;  puis 
Goungounoum  de  Nipour  s'empara  d'elle  vers  2400*.  Les  descendants  de 
Goungounoum  furent  dépossédés  à  leur  tour  par  une  famille  originaire  de 
Larsam,  dont  les  deux  principaux  représentants  sont  pour  nous  Nourramman 
et  son  fils  Sinidinnam  (vers  2300).  Sinidinnam  construisit  des  temples  ou  en 
répara,  cela  va  de  soi  ;  mais  de  plus  il  nettoya  le  Shatt-el-Haî,  il  creusa  un 
canal  nouveau  qui  établissait  une  communication  plus  directe  entre  le  Shatt 
et  le  Tigre,  et,  régularisant  le  régime  des  eaux,  il  mérita  d'être  considéré 
comme  un  des  bienfaiteurs  de  la  Chaldée 6. 

Poussière  d'histoire,  plus  qu'histoire  véritable  :  ici  un  personnage  isolé  qui 
se  nomme  et  s'évanouit  quand  on  veut  le  saisir,  là  un  tronçon  de  dynastie 
qui  se  rompt  brusquement,  des  protocoles  emphatiques,  des  formules  dévotes, 

1.  L'ordre  et  la  durée  de  ces  dynasties  locales  ne  sont  pas  assurés  :  l'arrangement  que  j'ai  adopté 
diffère  sur  quelques  points  de  ceux  qu'ont  préférés  Tiele  {Assyrisch-Babylonische  Geschichle,  p.  116 
sqq.),  Delitzsch-Miirdter  (Geschichle,  1*é  Ed.,  p.  79  sqq.),  Winckler  (Geschichte  Babyloniens  und  Assy- 
riens, p.  AA  sqq.),  Hommel  (Geschichle  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  338  sqq.).  La  prédominance 
d'Ourou  est  le  seul  fait  certain  qui  résulte  de  toutes  les  recherches  entreprises  jusqu'à  présent. 

2.  Les  inscriptions  de  Singashid,  de  Singâmil  et  de  Bilbaouakhi,  les  trois  seuls  de  ces  rois  qui  nous 
soient  connus,  ont  été  réunies  et  traduites  en  dernier  lieu  par  Winckler  (ïnschriften  von  Kônigen  von 
Sumer  und  Akkad,  dans  la  Keilschriftliche  Bibliothek,  t.  III,  lre  partie,  p.  82-85). 

3.  Ce  fait,  qui  domine  toute  l'histoire  de  la  Chaldée  méridionale  à  cette  époque,  a  été  fort  heureu- 
sement mis  en  lumière  par  Winckler  (Untcrsuchungen  sur  allorientalischen  Geschichle,  p.  15  sqq.). 

A.  Voir  les  principales  inscriptions  de  ces  rois  de  Nishin  ou  d'Ishin  chez  Winckler  (ïnschriften  von 
Kônigen  von  Sutner  und  Akkad,  dans  la  Keilschriftliche  Bibliothek,  t.  III,  1rc  partie,  p.  8-1-87). 

5.  Goungounoum  et  ses  successeurs  forment  ce  qu'on  appelle  la  seconde  dynastie  d'Ourou.  Leurs 
inscriptions  ont  été  réunies  et  traduites  en  dernier  lieu  par  Winckler  (ïnschriften  Kônigen  von 
Sumer  und  Akkad,  dans  la  Keilschriftliche  Bibliothek,  t.  IV,  lr#  partie,  p.  86-93). 

6.  Fr.  Delitzsch,  Ein  Thonkegel  Sinidinnam' s,  dans  les  Beitrâge  zur  Assyriologie,  t.  I,  p.  301-311. 
et  dans  la  note  Larsa-Ellasar  insérée  chez  Franz  Delitzsch,  Commenlar  ûber  die  Genesis,  1887,  p.  542. 


640  LA  CHALDÊE  PRIMITIVE. 

des  dédicaces  d'objets  ou  d'édifices,  çà  et  là  quelques  actions  de  guerre  ou 
l'indication  d'un  pays  étranger  avec  lequel  on  entretenait  des  relations  de 
commerce  ou  d'amitié.  L'Egypte  n'a  rien  de  plus  à  nous  offrir  pour  beaucoup 
de  ses  rois,  mais  chez  elle  du  moins  les  dynasties  forment  un  cadre  assuré, 
où  chaque  fait  et  chaque  nom  nouveau  finit  par  trouver  sa  place  exacte,  après 
quelques  incertitudes.  Les  grandes  lignes  du  tableau  se  dessinent  assez 
nettement  pour  qu'on  n'ait  plus  à  y  toucher,  la  plupart  des  groupes  sont  au 
plan  convenable,  les  espaces  blancs  ou  mal  couverts  se  restreignent  et  se 
remplissent  de  jour  en  jour  :  on  pressent  le  moment  où,  l'ensemble  étant  fixé 
du  tout,  il  ne  restera  plus  qu'à  s'occuper  du  détail.  Ici  le  cadre  fait  défaut,  et 
l'on  en  est  réduit  aux  expédients  pour  classer  les  éléments  de  la  composition. 
Naramsin  est  à  son  poste,  ou  peu  s'en  faut;  mats  Goudéa,  quel  intervalle  le 
sépare  de  Naramsin,  et  les  rois  d'Ourou  à  quelle  distance  doit-on  les  arrêter 
de  Goudéa?  Les  commencements  de  la  Chaldée  n'ont  qu'une  histoire  provi- 
soire; le,s  faits  y  sont  certains,  la  succession  des  faits  y  est  trop  souvent 
incertaine.  L'arrangement  qu'on  en  donne  aujourd'hui  n'a  rien  que  de  vrai- 
semblable, et  l'on  en  proposera  difficilement  un  meilleur,  tant  que  les  fouilles 
n'auront  pas  rendu  de  documents  nouveaux  :  il  faut  l'accepter  comme  à 
l'essai,  sans  parti  pris  de  confiance  ou  de  scepticisme. 


ez&e/tJ    Ôemo/etiJ  et  /est.  '  <U/ieuœ  de^?  la  Cna/aee  i 

<J.<i  conâtructûm.  et,  ùtt  '  revenait.'  ile/tJ  tettwlea.'  ; 

leaJ    dieux    froputaireaJ   et    fe*J  frùu/e*rJ    tÂéofopiaaett  >. 

*£eaJ  mor&tJ  et.  IL/Uatlèit.l 


i<*t'  citéaJ  cAafaeeanea.'  ;  fttàaaeJ  irretaueJ  excùi.'jr  de>  fa  brique' 
donne?  iï  leum.'  ruinée.)  lavoarenceJ  deJ  monticule/c'  natureli.'.  -  cZeurn.' 
ettceùtteaJ  :  feaJ  temfifeaJ  dejtJ  aïeux  focaux;  reco/utitiitio/i  deJ  leur-'  AiàtoireJ 
au.  moyen  de.t  '  ùriqiteitJ  e. f/iimtéett  '  dont.  ilnJ  ton*.  eonàtruititJ.  •  e*6t'  deux 
fau/ea.'  de.' xîgufowàL  ;  le'  templeJ de>  JCannar- 'à  Clurou  et.  àeaJ  attuntoùibfutj. 

cCenJ  dieux  cfiaufée/i/tJ  et.  feurrr.'  triàust.'.  •  .--Cea.'  aâitea.' Aoûtifett.'  à 
InonuneJ,  feuntJ  -/ormea.'  mo/tj/rueu JescJ;  fe>  Je/U-  du  G)ua- L/ueii-  ;  feaJ 
géiiiett.)  litnveilfanbtJ.  -  <J.ettJ  (Sept,  et.  leurre'  attaauea.'  contreJ le>  dieu  ^luneJ; 
(■/ilil  l*->  dieu  uSea,  trionwneJ  d  eux  et.  deJ  feum.'  emoûcAea.'.  -  =4ea.'  dieux 
.uunérieua.',  ^/(*nanu-joit  .-  (f0icuùé  de.'  leaJ  de/i/tir-'  et-  d'en  comprendre'  la 
naturel;  ùCt'  oo/il  a&jorùé/c' par-' '  fea.>  dieux  M'initia  tien.  >. 

Caractères  et,  jtafiiont.'  oeaj  dieux  cnaldéenaJ  :  leaJ  deefSeaJ  ont. 
auprèaJ  deux  UJ  ràleJ  effacé  deaJ  jimmeaJ  deJ  narem;  CtlCulitta  et.  âoti 
cutfeJ  inwiir-'.  -  c-L  arùitaeratieJ  divine.'  et-  seaJ  ftrineûfaux  repréaentitnùt.'  ; 
feuntJ  rapportaJ  avec  ut,  terre.',  feaJ  oraclerz.>,  feaJ  atatueaJ  fmrfanteitJ,  feaJ 
dieux   -familiaux.  -  &LcaJ  dieux  deJ  cfutaue.'  cité  n  excfuetit.    frtH/it.    fat'  dieux 


iteii>  ciiâtJ  it/iaùteaJ .-  leur*.' a/uance*.'  et.  le*J  enyiriwAt.' yn  iltJae'  fini.  le*J 
un*  i  aux  outre* .'.  -  tJ.e*.>  dïeux-ciei  et.  ù*'  dieux-terre'.  le*J  dieux  Ji'deraux  ; 
lu  lunes  et-  les  aoleu. 

c-Ce/t  '  d'eux  ■féodaux ; iduoieurnS  detttreS  eux  ounÙse/it.  itour-'  aou- 
verner-'  US  montte',  le*  '  deux  WiflW  d  Ùridou.  -  *J.a  triades  Jiyrrnic'  .■ 
^sZnou  les  ciel,  uO(//i  terres  et.  an  jfiiMoa  avec  ,,'fùtntouA  des  i/jaéulone.': 
Ùa,  le>  dieu  de*>  eaux.  -  ^Cit  Accoude  '  triudcS  .-  C'in  la,  luneS  et.  Ô/tamaàA  leS 
itoteil,  iJjA/ar-'  est.  remplacées  dm*?  cette*  triade' jmr-'  ^Stamman;  /en.'  vent*' 
et.  laleyendesd'J%d<ya,  ù*> atirtlut*' desSîamman.  -  $èe>V  deefie*.'  a'atta- 
cAenl.  aux  deux  IrïadeuS  :  leSnKeS  efface  au  elle*,' u Jouent. 

rJ^afiemMee '  de*S  aïeux  gouverne'  ùt  monde'  :  l oiseau  *fou  w/cJ  le*S 

taUette*'  du  destin.   -  de*.'  destinée*,'  sont,  inscrite*,'  au  ciel  et.  déterminée*  ' 

intr-'  le*'  mouvement*'  de*'  astre*'  :   le*.'  comète*J   et.   le*.'  dieux  oui  u 

frre'jiite/it-,   Jléoo  et.    iJsAtitr-'.   -  *4a    valeur-''  numétiaue'  de*,'  dieux,   -    da 

constitution   de*J  tem/dè*',   le*  >  sacerdoce*  >  locaux.  IttcjjÇte*'.   le*'  revenue 

de*' dieux  et.  le*'  donation*' au  ou  UurJ'-fitit..   -  tJ.e*S sacrifice*',   l'expiation 

de*J jfiiute*S.  •  **.a  mort.  et.  le*S destùiée*S  de'  lame'.  •  .  te*  '  tomleau  x 

et.    la    crémation  de*s  cadavre*,' .■  le*' sejndcre*J  rouaux  et.  le*..' 

culte*,'     ■fune'rat're*S.   -  **.  *./Oadè*>  et.    Je*  '  souverain*,'  .• 

Jtergat,     i^uat. .     la     descente  '     d,  /tntar-  '    aux 

Ùn/emJ,    et.   la     indsibuité  dun 

(ion.    -  oL  évocation   de*J  ntort*J. 


CHAPITRE   V11I 

LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALOÉE 


LA    CONSTRUCTION    ET   l 


"s  de   l'Euphrate  ne  se   présentent  pas   comme  celles  du 
au»   l'aspect   de   ruines  grandioses  qui   révèlent  partout 
■e,   après  des   siècles  d'abandon,   l'activité   d'un    peuple 
isant  et  laborieux  :  ce  sont  des  tas  de  décombres  où  l'on 
émèle  plus  aucune  ligne  architecturale,  des  mottes  d'une 
le  lourde  et  grise,  crevassées  par  le  soleil,  ravinées  par 
la  pluie,  sans  traces  apparentes  du   travail   humain.  La 
pierre  n'occupait  qu'une  place  secondaire  dans  les  con- 
ceptions des  architectes  chaldéens  :  comme    il    fallait 
l'amener  d'assez  loin  et  à  grands  frais,  ils  l'employaient 
avec  une  parcimonie  extrême,  eu  linteaux,  en  montants, 
en  seuils,  en  galets  sur  lesquels  les  battants  des  portes 
pivotaient,  en  revêtements  dans  quelques  salles  d'apparat,  en  corniches  ou 
en  frises  sculptées  sur  les  murs  extérieurs  des  édifices,  à  la  façon  des  bandes 
de  broderie  dont  on  décore  discrètement  l'étoffe  trop  unie  d'une  robe.  Brique 


1.   Dessin  de  Faueher-Gudia,  ■ 
la  Cotlalimi  de  .«.  de  Clerey,  i 
chiilccdoine  saphirïne,  mesure  ( 

■r,tt,rè> 

c.ii;i.-. 

'  le  icean  de  deu.r  viennes  de  Sipour  (et.  Menant,  Catalm/ne  < 
1,  X.  n°  M;  cf.  p.  «18,   noie  ï  de  relie  HUloire).  L'inlallle, . 

représente  la  fiRure  de  prêtre   ou   de 
de  188!»  {et.  Hkcib»,   les  Origine,  orient 

scribe  restituée  par  M.  lleuzev  pour  l'Imposition  Universel 
aies  de  tari,  l.  1,  frontispice  cl  pi.  XI). 

624 


LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 


PLAN 
DES  RUINE  S  DE  WARKA 
i/aprts  Loftus.  -v 

jr 


o   _. 


H 


sèche,  brique  cuite,  brique  émaillée,  la  brique  reste  toujours  et  partout 
l'élément  principal  de  leurs  constructions1.  La  terre  du  marais  ou  de  la  plaine, 
débarrassée  des  cailloux  et  des  corps  étrangers  qu'elle  contenait,  mélangée 
d'herbes  ou  de  paille  hachée,  additionnée  d'eau,  foulée  aux  pieds  longuement, 

leur  fournissait  des  maté- 
riaux d'une  ténacité  in- 
croyable. On  la  moulait  en 
plaques  carrées,  larges  de 
vingt  à  trente  centimètres, 
épaisses  de  huit  à  dix,  ra- 
rement de  dimensions  plus 
fortes  :  on  imprimait  sur  le 
plat,  à  l'aide  d'une  matrice 
en  bois  découpé,  le  nom 
du  souverain  régnant,  et 
l'on  séchait  au  soleil*.  Une 
couche  de  mortier  fin  ou 
de  bitume  assemble  parfois 
les  lits,  ou  l'on  avait  jeté 
dans    la    maçonnerie    des 


£.77naZ£*rJdf 


jonchées  de  roseaux  qui  la  traversaient  d'espace  en  espace  et  qui  en  augmen- 
taient la  cohésion  :  le  plus  souvent,  on  entassait  les  briques  à  cru  l'une  sur 
l'autre,  et  elles  s'agglutinaient  du  premier  coup  par  leur  mollesse  propre  ou 
par  leur  humidité  naturelle8.  Le  poids  des  assises  confirmait  et  redoublait 
l'adhérence  à  mesure  que  la  bâtisse  montait  :  les  murs  en  arrivaient  promp- 

1.  Sur  les  différentes  espèces  de  matériaux  en  usage  chez  les  Chaldéens  dès  la  plus  haute  anti- 
quité, voir  Perrot-Chipiez,  Histoire  de  CArt  dans  l'Antiquité,  t.  II,  p.  113-125. 

2.  La  fabrication  de  la  brique  a  été  décrite  minutieusement  par  Place,  iïinive  et  l'Assyrie,  t.  I, 
p.  211-214,  pour  les  monuments  de  l'Assyrie  au  temps  des  Sargonides.  Les  procédés  en  étaient 
ceux-là  même  que  les  Chaldéens  avaient  employés  dès  le  règne  de  leurs  plus  anciens  rois  connus, 
comme  le  prouve  l'examen  qu'on  a  fait  de  briques  provenant  des  monuments  d'Ourou  et  de  Lagash. 

3.  Cette  façon  de  construire  est  déjà  indiquée  par  les  anciens  (Hérodote,  I,  clxxix).  Le  nom  de 
Bowariéh,  que  portent  un  certain  nombre  de  tells  antiques  en  Chaldée,  signifie  à  proprement 
parler  une  natte  de  roseaux  (Loftus,  Travels  and  Hesearches  in  Chaldxa  and  Susiana,  p.  168)  :  il 
s'applique  uniquement  aux  édifices  dont  la  maçonnerie  présente  l'alternance  des  briques  et  des  lits 
de  roseaux  séchés.  La  proportion  des  couches  varie  selon  les  lieux  :  dans  les  ruines  de  l'ancien 
temple  de  Bélos  à  Babylone,  qu'on  appelle  aujourd'hui  le  Moudjelibéh,  la  ligne  de  paille  et  de 
roseaux  court  sans  interruption  le  long  de  chaque  lit  de  briques  (Ker  Porter,  Travels,  t.  II,  p.  341); 
dans  les  ruines  d'Akkerkouf,  elle  ne  revient  que  d'espace  en  espace,  tous  les  sept  ou  huit  lits  selon 
rsiehuhr  et  Ives,  tous  les  sept  lits  selon  llaymond,  ou  enfin  tous  les  cinq  ou  six  lits,  mais  alors  elle 
prend  une  épaisseur  de  huit  à  neuf  centimètres  (Hich,  Voyage  aux  ruines  de  babylone,  trad.  llay- 
mond, p.  9G  sqq.  ;  Kkr  Porter,  Travels,  t.  Il,  p.  278).  H.  Rawlinson  pense,  d'autre  part,  que  tous  les 
monuments  où  l'on  constate  la  présence  de  la  paille  ou  des  roseaux  au  milieu  des  assises  de  briques, 
appartiennent  à  l'époque  parlhc  (dans  G.  Hawlinsox,  Herodotus,  2*  éd.,  t.  I,  p.  253,  n.  4). 


LES  CITÉS  ET  LEURS  ENCEINTES.  f>2B 

tement  à  s'agglomérer  en  une  masse,  dans  laquelle  les  strates  horizontales  ne 
se  distinguent  plus  qu'aux  tons  variés  des  argiles  utilisées  jadis  à  fabriquer  les 
pelais  de  briques'.  Les  monuments  construits  d'une  matière  aussi  souple  exi- 
geaient, pour  durer,  un  entretien  assidu  et  des  réparations  fréquentes  :  ils  se 
défiguraient  après  quelques  années  d'abandon,  les  maisons  fondaient  un  peu 
à   chaque   orage,   les   rues 
s'emplissaient   d'un   préci- 
pité  de   terre  délayée,    le 
plan  des    édifices  et  celui 
des    quartiers     s'empâtait 
et   s'effaçait    comme    noyé 
dans  la  boue.  Tandis  qu'en 
Egypte    le     squelette    des 
villes  est  encore  là,  nette- 
ment  dessiné    sur    le  sol, 
et  assez  bien  préservé  par 
endroits  pour  qu'en  le  dé- 
gageant, on  se  sente  trans- 
porté, hors   de  l'année  où 

l'on  est  et    du   monde  où  :  , 

l'on    vit,    dans    un    autre 

monde  et  dans  les  années  de  longtemps  écoulées,  les  cités  chaldéennes  se 
sont  délitées  et  semblent  être  retournées  à  la  poussière  d'où  le  fondateur 
les  avait  tirées  :  la  recherche  la  plus  patiente  et  l'imagination  le  mieux  infor- 
mée ne  réussissent  qu'imparfaitement  à  en  reconstituer  la  figure. 

Elles  ne  s'enfermaient  pas  dans  ces  enceintes  carrées  ou  rectangulaires  dont 
les  ingénieurs  de  Pharaon  cuirassaient  leurs  places  fortes.  Ourou  s'étirait  en 
ovale1,  Larsam  décrivait  presque  une  circonférence  sur  le  terrain',  Ourouk  et 
Eridou  y  traçaient  une  sorte  de  trapèze  irrégulier1.  La  courtine  dominait  la 
plaine  de  très  haut  et  portait  les  défenseurs  à  peu  près  hors  de  l'atteinte  des 
flèches  et  des  pierres  frondales  :  ce  qui  reste  des  remparts  à  Ourouk  s'élève 

1.  Pute,  iViitiw  et  L'Assyrie,  t.  I,  p.  S6-Î7. 

t.  Destin  de  Fauchrr-Gudin ,  d'après  aie  brique  conserr/e  au  nntste  du  Lourre.  Les  briques  char- 
«lie»  d'inscriptions  historiques  qu'on  rencontre  parfois  paraissent  avoir  été  le  plus  souvent  des 
ex-voto  qu'on  exposait  à  part,  et  non  des  matériaux  de  construction  perdus  dans  la  maçonnerie. 

3.  Voir  le  plan  des  ruines  d'Ourou  à  Moughélr.  p.  fifï  de  celte  Histoire. 

i.  Cela  paraît  résulter  de  la  description  que  I.oftus  donne  des  ruines  (Trarels  and  lieiearches  in 
Chaldtra  and  Sutiana,  p.  tu  »qq.);  il  n'existe  à  ma  connaissance  aucun  plan  de  celte  ville, 

S.  Voir  le  plan  des  ruines  d'Rridou  à  Abou-Shalircln,  p.  614  de  cette  Histoire. 


6*6  LES  TEMPLES  ET  LES  DIETX  DE  LA  CHALDÊE. 

aujourd'hui  encore  à  douze  ou  quinze  mètres  et  conserve  au  sommet  six 
mètres  et  plus  d'épaisseur.  Des  tourelles  oblongues  faisaient  saillie  sur  le 
front,  de  quinze  en  quinze  mètres  :  les  fouilles  n'ont  pas  été  poussées  assez 
loin  pour  qu'on  puisse  se  rendre  compte  du  système  appliqué  à  la  défense  des 
portes1.  L'aire  inscrite  était  souvent  assez  vaste,  mais  la  population  s'y  trou- 
vait répartie  en  proportions  inégales  :  elle  se  divisait  par  quartiers,  groupés 
chacun  autour  d'un  ou  de  plusieurs  temples,  dense  en  certains  endroits,  clair- 
semée en  certains  autres.  Le  dieu  souverain  habitait  d'ordinaire  le  plus  grand 
et  le  plus  riche  de  ces  édifices,  celui  que  les  princes  travaillaient  sans  cesse 
à  décorer  et  dont  les  ruines  attirent  par  leur  masse  l'attention  des  voya- 
geurs. Les  murs,  bâtis  et  rapiécés  en  briques  estampées  au  nom  des  seigneurs 
locaux,  contiennent  presque  à  eux  seuls  une  histoire  complète.  Ourbaou 
fonda-t-il  vraiment  la  ziggourat  de  Nannar  dans  Ourou?  On  rencontre  ses 
briques  à  la  base  des  portions  les  plus  anciennes*,  et  des  cylindres  déterrés  non 
loin  de  là  nous  apprennent  qu'en  effet  «  à  Nannar,  le  taureau  puissant  d'Ànou, 
le  fils  de  Bel,  son  roi  Ourbaou,  le  héros  vaillant,  roi  d'Ourou,  avait  bâti 
Ë-Timila,  son  temple  favori3».  Les  briques  de  son  fils  Dounghi  se  mêlent  aux 
siennes4,  et  ça  et  là  d'autres  briques  appartenant  à  des  monarques  postérieurs, 
des  cylindres,  des  cônes,  de  menus  objets  semés  dans  les  assises  rappel- 
lent les  restaurations  survenues  à  diverses  époques5.  Ce  qui  est  vrai  de  l'une 
des  cités  chaldéennes  l'est  également  de  toutes,  et  les  dynasties  d'Ourouk  et 
de  Lagash  ressortent  comme  celles  d'Ourou  de  l'épaisseur  des  maçonneries6. 
Les  maîtres  du  ciel  promettaient  aux  maîtres  de  la  terre,  pour  récompenser 
leur  piété,  la  gloire  et  la  richesse  en  cette  vie,  un  renom  éternel  après  la 
mort  :  ils  ont  tenu  leur  parole.  La  plupart  des  héros  de  la  haute  antiquité 
chaldéenne  nous  seraient  inconnus  sans  le  témoignage  des  chapelles  en  ruines, 

1.  Lofti's,  Travels  and  Iiesearches  in  Chald&a  and  Susiana,  p.  166. 

2.  Brique  provenant  de  Moughétr,  au  British  Muséum;  publiée  dans  Rawlinson,  Cuneiforni  Inscrip- 
tions of  Western  Asia,  t.  I,  pi.  1,  n*  1  ;  cf.  Oppert,  Expédition  en  Mésopotamie,  t.  I,  p.  260-261. 

3.  Cylindre  en  terre  cuite  provenant  d'un  monticule  situé  au  sud  des  ruines  du  grand  temple  ; 
publié  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins.  \V.  As.,  t.  I,  pi.  1,  n°  I,  4.  É-timila  paraît  signifier  la  maison 
aux  hautes  assises;  sous  Dounghi,  le  temple  prend  le  nom  de  É-Kharsag,  la  maison  de  la  montagne 
des  dieux  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  I,  pi.  2,  n°  H,  2)  et  plus  tard  celui  de  É-shir-gal,  maison 
de  la  grande  radiance  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  33,  n°  6,  I.  9). 

4.  Brique  provenant  de  Moughéir,  au  British  Muséum  ;  publiée  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins.  \Y.  As., 
t.  I,  pi.  2,  n°  11,  1;  cf.  Oppert,  Expédition  en  Mésopotamie,  t.  1,  p.  260-261. 

5.  Briques  de  Boursin  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  H*.  As.,  t.  I,  pi.  5,  n'XIX)  et  de  Sinidinnam  (/</.,  pi.  5. 
n°  XX),  cylindre  de  Nourramman  (ld.,  pi.  2,  n°  IV),  le  tout  provenant  de  Moughéîr. 

6.  Voir  les  documents  réunis  on  originaux  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  I,  pi.  2,  n*  VIII,  et  dans 
Fr.  Lknornant,  Éludes  Accadiennes,  t.  II,  p.  324-325,  publiés  en  traduction  allemande,  dans  la  pre- 
mière partie  du  troisième  volume  de  la  Keilschriftliche  Bibliothek,  pour  les  rois  de  Lagash  par  Jensen, 
Insehriften  der  Kônige  und  Stat  thaï  ter  von  Lagasch,  p.  10  sqq.,  pour  les  rois  d'Ourouk  par  Winckler, 
Inschriften  von  Kfinigen  von  Sumer  und  Akkad,  p.  82-85. 


LES  TEMPLES  DES  DIEUX  LOCAUX  ET  LEUR  HISTOIRE.  6-27 

et  ce  qu'ils  ont  fait  pour  le  service  de  leurs  patrons  célestes  sauve  seul  leur 
mémoire  de  l'oubli.  Leur  dévotion  la  plus  fastueuse  leur  coûtait  d'ailleurs 
moins  d'argent  et  d'efforts  que  celle  des  Pharaons  leurs  contemporains.  Tandis 
que  ceux-ci  s'en  allaient  chercher  à  distance,  et  jusqu'au  fond  du  désert,  les 
variétés  de  pierres  qu'ils  jugeaient  dignes  d'entrer  dans  l'appareil  d'une  mai- 
son divine,  les  rois  chaldéens  ramassaient  à  leurs  portes  même  l'étoffe 
première  de  leurs  bâtisses  :  tout  au  plus  demandaient-ils  quelques  acces- 
soires à  l'étranger,  les  roches  dures  des  statues  et  des  seuils  au  Mâgan  et  au 
Miloukhkha,  le  cèdre  et  le  cyprès  des  poutres  aux  forêts  de  l'Àmanus  et  du 
Haut-Tigre1.  Un  temple  grandissait  vite  dans  ces  conditions,  et  l'achèvement 
n'en  exigeait  pas  des  siècles  de  labeur  continu,  comme  celui  des  grands  sanc- 
tuaires égyptiens  de  calcaire  et  de  granit  :  le  même  personnage  qui  en  avait 
posé  la  première  brique  en  posait  presque  toujours  la  dernière,  et  les  géné- 
rations postérieures  n'avaient  plus  qu'à  réparer  d'ordinaire,  sans  rien  changer 
aux  dispositions  primitives.  C'était  presque  toujours  une  œuvre  d'un  seul  jet, 
conçue  et  terminée  sur  les  dessins  d'un  seul  architecte,  n'offrant  que  rare- 
ment ces  déviations  de  plan  qui  rendent  parfois  si  compliquée  l'intelligence 
des  temples  thébains  :  si  l'état  de  dégradation  des  parties  et  surtout  si  l'in- 
suffisance des  fouilles  ne  permettent  pas  toujours  d'en  deviner  le  détail,  on 
peut  du  moins  en  rétablir  l'économie  générale  presque  à  coup  sûr. 

Le  temple  égyptien  allongeait  ses  lignes  parallèlement  au  sol,  le  chaldéen 
poussait  les  siennes  vers  le  ciel  le  plus  haut  qu'il  pouvait*.  Les  ziggourât,  dont 
le  profil  anguleux  caractérisait  les  paysages  de  TEuphrate,  se  composaient  de 
plusieurs  prismes  immenses,  empilés  en  retraite  l'un  sur  l'autre  et  couronnés 
d'un  édicule  léger  où  le  dieu  logeait  en  personne.  On  en  distingue  deux  types 
principaux.  Dans  le  premier,  pour  lequel  les  maçons  de  la  Basse-Chaldée 
témoignèrent  une  préférence  marquée,  l'axe  vertical  commun  à  tous  les 
massifs  superposés  ne  passait  point  par  le  centre  même  du  rectangle  qui 

1.  Cf.  p.  610,  614  de  cette  Histoire.  Goudéa  faisait  venir  le  cèdre  (irinna)  de  l'Amanus  (Inscription 
delà  Statue  B,  col.  V,  1.  28-32,  dans  Hkizky-Sarzkc,  Découvertes  en  C  ha  Idée,  pi.  17;  cf.  Anucd,  The 
Inscriptions  vf  Telloh,  dans  les  Records  of  the  Past,  2nd  Ser.,  t.  Il,  p.  79,  puis  dans  les  Découvertes 
en  Chatdée,  p.  ix,  et  Jf.nsen,  Inschriften  der  Kônige  und  Statthaller  von  Lagasch,  p.  32-35),  et  le 
dioritc  du  pays  de  Mâgan  (Inscription  de  la  Statue  D  du  Louvre,  col.  V,  1.  13,  V,  1. 1  ;  cf.  Amiaud,  The 
Inscriptions  of  Telloh,  t.  I,  p.  91,  puis  Découvertes  en  Chaldée,  p.  xix,  et  Jensen,  Inschriften  der  Kônige 
und  Statthaller  von  Lagasch,  p.  52-55). 

2.  La  comparaison  du  temple  égyptien  et  du  temple  chaldéen  a  été  faite  de  main  de  maître  par 
Pkrrot-Chipiez,  Histoire  de  l'Art  dans  l'Antiquité,  t.  II,  p.  412-414;  les  objections  qui  ont  été  soule- 
vées contre  leur  manière  de  voir  par  Hommkl,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyn'ens,  p.  18,  note,  se 
rattachent  à  une  conception  particulière  que  l'auteur  s'est  faite  de  l'histoire  orientale,  et  ne  me  parais- 
sent pas  pouvoir  être  acceptées  jusqu'à  nouvel  ordre.  Des  études,  entreprises  récemment  en  vue  de 
constater  si  les  idées  de  M.  Hommel  répondaient  aux  faits,  ont  achevé  de  me  convaincre  que  la 
ziggourât  chaldéennc  diffère  entièrement  de  la  pyramide,  telle  qu'on  la  voyait  en  Egypte. 


6-28  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

sert  de  base  à  l'ensemble  :  on  le  ramenait  fort  près  de  l'un  des  petits  côtés, 
si  bien  que  Tune  des  faces  étroites,  celle  de  derrière,  s'enlève  par  brusques 
ressauts  au-dessus  de  la  plaine,  quand  la  face  opposée  se  développe  en 
larges  esplanades1.  Les  étages  sont  autant  de  blocs  pleins  en  argile  crue;  du 
moins  n'y  a-t-on  découvert  jusqu'à  présent  nulle  trace  d'appartements  inté- 
rieurs*. La  chapelle  terminale  ne  pouvait  guère  contenir  qu'une  seule  chambre  : 
un  autel  se  dressait  devant  la  porte,  et  l'on  y  accédait  par  un  escalier  à  ciel 
ouvert,  droit,  mais  interrompu  à  chaque  terrasse  par  un  palier  plus  ou  moins 
vaste3.  Le  second  type,  fréquent  dans  la  Chaldée  septentrionale,  comporte  une 
base  carrée,  sept  degrés  de  hauteur  uniforme,  reliés  par  une  ou  deux  ram- 
pes latérales,  puis  au  sommet  le  kiosque  du  dieu*;  c'est  la  tour  à  étages  que 
les  Grecs  ont  admirée  à  Bab^lone,  et  dont  le  temple  de  Bel  offrait  le  modèle  le 
plus  remarquable8.  Les  ruines  en  subsistent,  mais  il  avait  été  remanié  si 
souvent  et  si  profondément  au  cours  des  âges,  qu'on  ne  sait  plus  aujourd'hui 
ce  qu'il  conserve  de  la  construction  originale.  On  connaît  au  contraire  plusieurs 
ziggourât  du  premier  type,  l'une  à  Ourou6,  l'autre  à  Éridou7,  une  troisième  à 
Ourouk8,  sans  parler  de  celles  que  personne  n'a  jamais  explorées  méthodi- 
quement. Aucune  d'elles  ne  s'implante  directement  dans  le  sol  même,  mais 
elles  posent  toutes  sur  un  soubassement  qui  met  leurs  fondations  presque  au 

1.  C'est  le  Temple  Chaldéen  sur  plan  rectangulaire  qui  a  été  décrit  en  détail  et  restitué  par 
Perrot-Chipiez,  Histoire  de  VArt  dans  l'Antiquité,  t.  II,  p.  385-389  et  pi.  II. 

2.  Perrot-Chipiez  (Histoire  de  l'Art,  t.  II,  p.  388  et  n.  3)  admettent  entre  le  premier  et  le  second 
étage  un  socle  de  deux  mètres  et  quelques  centimètres  de  haut  (7  pieds  anglais),  analogue  au  sou- 
bassement qui  soutient  le  premier.  Il  me  semble,  comme  à  Loft  us  (Travels  and  Hesearches  in 
Chaldœa  and  Susiana,  p.  129),  que  la  pente  qui  sépare  aujourd'hui  les  deux  massifs  verticaux  «  est 
accidentelle  et  provient  de  la  destruction  des  parties  supérieures  de  l'étage  inférieur  ».  Taylor  ne 
signale  que  deux  étages  et  considère  évidemment  la  pente  en  question  comme  un  talus  de  décombres 
(Soles  on  the  ruins  of  Muqeyer,  dans  le  Journal  of  the  Royal  Asialic  Society,  t.  XV,  p.  261-263). 

3.  Perrot-Chipiez  cachent  dans  l'intérieur  de  l'édifice  l'escalier  qui  monte  du  rez-de-chaussée  à  la 
terrasse,  ■  combinaison  qui  présente  l'avantage  de  ne  pas  couper  les  lignes  de  cet  immense  soubas- 
sement et  de  lui  laisser  toute  la  fermeté,  toute  la  solidité  de  son  aspect  »  (Histoire  de  l'Art  dans 
l'Antiquité,  t.  II,  p.  386-387);  llcber  (Ucbcr  altchaldâische  Kunst,  dans  la  Zcitschrift  fur  Assyriolo- 
gie,  t.  I,  p.  175,  1*)  propose  une  combinaison  différente.  A  Ourou,  l'escalier  est  tout  entier  en  avant 
de  la  maçonnerie,  et  ■  leads  up  to  the  edge  of  the  basement  of  the  second  story  »  (Taylor,  yoles 
on  the  tu  in  8  of  Muqeyer,  dans  le  Journal  of  the  Royal  Asiatic  Society,  t.  XV,  p.  261),  puis  se  con- 
tinue en  plan  incliné  de  l'extrémité  du  premier  étage  à  la  plate-forme  du  second  (Id.,  p.  262),  formant 
un  escalier  unique,  peut-être  de  même  largeur  que  ce  second  étage,  de  la  base  au  sommet  de  l'édifice 
(Loftus,  Travels  and  Researches  in  Chaldœa  and  Susiana,  p.  129). 

4.  C'est  le  Temple  chaldéen  à  rampe  unique  et  sur  plan  carré  tel  qu'ont  essayé  de  le  définir  et  de 
le  restituer  Perrot-Chipiez,  Histoire  de  l'Art  dans  l'Antiquité,  t.  Il,  p.  389-395,  et  pi.  III. 

5.  Hérodote,  I,  clxxix-clxxxiii  ;  Diodore,  II,  9;  Strabon,  XVI,  1,5,  p.  737-739;  Arrien,  Anabasis,  VII,  17. 
fi.  Les  ruines  de  la  ziggourât  d'Ouron  ont   été  décrites   par  Loftus,    Travels   and  Researches  in 

Chaldœa  and  Susiana,  p.   127-134,  et  par  Taylor,  Notes  on  the  ruins  of  Muqeyer,  dans  le  Journal 
of  the  Royal  Asiatic  Society,  t.  XV,  p.  260-270. 

7.  On  ne  possède  jusqu'à  présent  d'autre  description  des  ruines  d'fcridou  que  celle  de  Taylor, 
Soles  on  Abu-Shahrein  and  Tel-el-Lahm,  dans  le  Journal  of  the  Asiatic  Society,  t.  XV,   p.  402-412. 

8.  Loftus  a  exploré  à  deux  reprises  les  ruines  de  Warka.  La  ziggourât  Au  temple  que  la  déesse  INanâ 
possédait  dans  cette  ville  est  représentée  aujourd'hui  par  les  ruines  que  les  gens  du  pays  appellent 
Bowariéh  (Travels  and  Researches  in  Chaldœa  and  Susiana,  p.  167-170);  cf.  p.  624  de  cette  Histoire. 


LE  TEMPLE  DE  NANNAK  À  OUKOII  ET  SES  DISPOSITIONS.  629 

niveau  du  toit  des  maisons  environnantes.  11  mesure  encore  six  mèlres  de  hau- 
teur au  temple  de  Nannar  dansUurou,  et  les  quatre  angles  en  sont  orientés 
exactement  sur  les  quatre  points  cardinaux.  On  l'abordait  de  front  par  un 
plan  incliné  ou  par  des  marches  en  pente  douce,  et  le  sommet  en  était  dallé 
d'énormes  briques  cuites  au  four  :  une  balustrade  basse  limitait  ce  parvis,  où 
les  processions  évoluaient  à  l'aise  les  jours  de  fêtes  solennelles.   Le   pre- 


mier étage  représente  un  parallélogramme  long  de  soixante  mètres,  large  de 
quarante,  haut  de  dix  environ*.  Le  gros  œuvre  en  briques  sèches  a  gardé 
presque  jusqu'au  faite  son  parement  de  carreaux  rouges,  cimentés  avec  d.u 
bitume;  des  contreforts  saillants  de  trente  centimètres  à  peine  le  maintien- 
nent et  en  diversifient  maigrement  la  surface  un  peu  nue,  neuf  sur  li»s  cotés 
longs,  six  sur  les  côtés  courts'.  Le  second  étage  ne  va  plus  qu'à  six  mètres 

I.  Dettin  de  Fma-lirr-tïudht.  I.;i  restau  rutimi  dilTère  de  nlli-.  .|nimt  |.n>|.ei.<-i  *  |'i*iioi-i:oii>i>i.  Ut*- 
toire  de  l'Art  ilaiu  l'Antiquité,  t.  Il,  p.  3K[i  ci  pi.  Il,  et  Ki  IImki,  Vrbcr  aitckeldâùtrhe  hu»n, 
clan»  la  Zeiltrhrift  fur  Aftgriologie,  I.  I,  |>.  115,  I*.  le  l'ai  faite  eo  m'inspira  rit  des  FaiK  ri  m  ululé* 
sur  le  terrain  par  Tayi.or,  Nolet  on  tkt  mm*  of  Nii'/rurr.  dan-  le  Journal  ••(  Ihe  II.  I".  Sortrlg, 
t.  XV,  p.  ï(ill-ÎTl),  el  par  [.unis,  Travets  ami  Itesearches  m  l.hatdra  a"d  Suêinna.  \>    \f.\t\ 

ï.  Les  cl i iiio usions  sonl  empruntées  à  Lnfliis  (Trttvett  and    Hrtrarehtt    in   t'.hnldrn  and  Svttana. 

p.  it'i),  qui  donne  i!*8  pieds  cin(;l;ii«.  et  173  pour  la  longueur  n-pi-rine  de*  cilles  .  l'cUg ■  mesure 

plus  d'après  lui  que  4"  pieds  de  haut,  sait  un  pou  plus  de  K  inèlres. 

3.  T»ïlo»,  Xulci  on  Ihe  ruina  of  Mw/cytr,  dans  le  Journal  of  ilir  Anatn  Sacirl».  I,  XV,  p.  (CI. 


630  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CKALOÉE. 

au-dessus  du  premier,  et  il  ne  dépassait  guère  huit  ou  neuf  mètres  du 
temps  qu'il  était  intact'.  Les  briques  de  Uounghi  y  abondent,  parmi  les  maté- 
riaux utilisés  lors  de  la  dernière  restauration,  au  vt1'  siècle  avant  notre  ère; 
les  surfaces  sont  lisses,  mais  percées  çà  et  là  de  trous  d'êvent,  et  leur  sim- 
plicité même  nous  garantit  presque  sûrement  que  Nabonaîd  s'est  borné  à 
remettre  les  choses  dans  l'état  où  les  premiers  rois  d'Ourou  les  avaient  lais- 
sées'. On  distinguait,  il  y  a  une  centaine  d'années,  les  traces  d'un  troisième 
étage,  non  plus  massif  comme  les  précédents,  mais  creux  et  renfermant  une 

chambre  au  moins  : 
c'était  le  Saint  des 
Saints,  la  chapelle  de 
Nannar'.L'ne  parure  du 
plaques  émaillées,d'uD 
bleu  clair  et  luisant,  la 
décorait  à  l'extérieur. 
L'intérieur  en  était  lam- 

LE    TIIPLK   B'UUROU    riAHS   SUN    *T1T   KWIL,    BÂFRÉS   TAÏLOR*.  uHssé  de    CCS     l)OÏS   pré- 

cieux,  cèdre  ou  cyprès, 
que  le  commerce  demandait  aux  peuples  du  Nord  et  de  l'Ouest  :  des  feuilles 
d'or  mince  lamaient  en  partie  les  boiseries,  et  des  panneaux  en  mosaïque 
composés  de  petits  morceaux  de  marbre  blanc,  d'albâtre,  d'onyx,  d'agate 
découpés  et  polis,  alternaient  avec  elles1.  La  statue  de  Nannar  s'y  dressait,  un 
de  ces  icônes  raides  et  gauches,  dont  la  pose  transmise  de  génération  en  géné- 
ration se  perpétua  jusque  dans  les  statues  de  la  Chaldée  grécisée.  L'esprit  du 
dieu  y  résidait  ainsi  que  le  double  des  idoles  égyptiennes  :  il  veillait  de  là  sur  le 
peuple  qui  s'agitait  à  ses  pieds,  et  dont  la  rumeur  montait  à  peine  jusqu'à  lui. 
Les  dieux  de  l'Euphrate  formaient,  comme  ceux  du  Nil,  un  peuple  innom- 
brable d'êtres  visibles  et  invisibles,  distribués  en  tribus  et  en  empires  par 
toutes  les  régions  de  l'univers*.  Ils  se  cantonnaient  chacun  dans  une  fonction, 

I.  Actuellement  11  pieds  de  haut,  plus  ;i  pieds  île  décombres,  MU  pieds  de  long,  7a  de  large 
(LoFTirs,  TravcU  and  tltttarchrt  in  Chatdra  and  Sutiana,  p.  HBj. 

t.  Les  cylindre»  de  Jiabonatd  racontant  la  restauration  du  temple  ont  été  découverts  aux  quatre 
angles  du  second  étage  par  Tavuw,  fiotn  ou  the  ruine  of  Muqeyrr,  dans  le  J.  Ai.  Soi:,  t.  XV.  p.  ÎK3. 
îti.I;  ce  «ont  les  cylindres  publiés  dans  Hawi.ii.sok,  Cuil.  lut.   W.  .-la.,  t.  I,  pi.  «M,  n«  I,  69. 

3.  T.ivlok,  AVrfeu  on  Ihe  rtiÎHt  of  Mw/eyrr,  dans  le  J.  Ai.  Soc..  I.   XV,  p.  it'.i-Siifi. 

i,  Far-siniilé  par  Faurher-Cudin  du  ifcxiiii  publif  ilnnt  Tiïiiir,,  .Yu(c.«  oh  the  min*  of  Mnqryrr, 
dans    le  Journal  of  the  lioijitl  Atinlir  Society,  t.  XV,  u.  tut. 

:',.  Tajlor  a  trouvé  de-,  frapnienls  de  ce  jji-nre  de  décoration  ii  firidnii  (Soirs  on  AbuShahrrm  and 
Tcl-el-lahm.  dans  le  J.  Ai.  Soc,  t.  XV,  p.  iHT)  :  elle  devait  exister  à  Ourou. 


LES  CÉNIES  HOSTILES  ET  LEURS  FORMES  MONSTRUEUSES.  031 

dans  un  métier,  qu'ils  exerçaient  d'un  zèle  infatigable,  aux  ordres  de  leurs 
princes  ou  de  leurs  rois1  ;  mais,  tandis  qu'en  Egypte  ils  se  montraient  pour  la 
plupart  bienveillants  à  l'homme  ou  tout  au  plus  indifférents,  ils  le  poursui- 
vaient en  Chaldée  d'une  haine  inexpiable  et  semblaient  ne  respirer  que  pour  sa 
perte.  Ces  monstres  aux  formes  inquiétantes,  armés  de  couteaux  et  de  lances, 
que  les  théologiens  d'Héliopolis  ou  de  Thèbes  enfermaient  dans  les  cavernes 


de  l'Hadès,  au  plus  profond  des  ténèbres  éternelles,  les  Chaldéens  se  les 
figuraient  lâchés  en  plein  jour  à  travers  le  monde,  les  gallon  et  les  maskim, 
les  âlon  comme  les  outoukkott,  et  vingt  autres  peuplades  démoniaques,  aux 
noms  bizarres  et  mystérieux5.  Certains  flottaient  dans  l'air  et  présidaient  aux 
vents  malsains.  Le  vent  du  Sud-Ouest,  le  plus  cruel  de  tous,  se  tenait  à  l'affût 
dans  les  solitudes  de  l'Arabie,  mais  il  en  sortait  soudain  aux  mois  les  plus 
lourds  de  l'année  :  il  ralliait  en  passant  les  vapeurs  malsaines  que  les  marais 
exhalent  aux  ardeurs  du  soleil,  et,  les  répandant  sur  les  campagnes,  il  frap- 
pait à  coups  redoublés  non  seulement  les  hommes  et  les  animaux,  mais  les 
moissons,  les  herbages,  les  arbres*.  Les  génies  des  fièvres  et  de  la  folie 
s'insinuaient  partout  sans  bruit,  insidieux  et  traîtres*.  La  Peste  tantôt  SOm- 
mière  fais  pr  Fa.  Lf.nufhhm.  la  Magie  chez  le*  Chaldêem  et  ht  Originel  Aecadiennei,  dont  les 
Irailurtiuris  on!  été  modi lices,  surtout  par  Jïmsïn,  De  Inriintainenlûriiin  tumerico-aimyriomm  teriei  f  un 
ilicitur  schurbu  Tabula  VI,  dans  la  Zeittehrift  fur  Keilforsrhung,  t.  I.  y.  SÏH-3ÏÏ,  t.  Il,  p.  13-61, 
mais  dont  le»  rond  usions  mythologiques  sont  demeurées  presque  intactes  sur  bien  des  points. 

I.  Il  csl  question  d'un  roi  {lougalj  des  l.amsissi  et  d'autres  espèces  de  génies,  voire  d'Anou,  roi 
des  Sept  lils  de  la  Terre  (K,  187(1,  reclo.  I.  Ï8,  dans  IUwlisson,  f.un.  lus.   If.  A*.,  t.  IV,  pi.  5}. 

t.  burin  de  Bou&ier,  d'aprèi  Loftus,  Trave.li  and  tiaearehet  in  l'.hald.ra  and  Sviiana.  |>.  148. 

3,  1,'énuméralionen  csl  dans  Fn.  Lknounant,  la  Magie  c  kc-  tel  Chaldéens ,  p.  43-36,  où  l'auteur  essaye 
rie  définir  le  caractère  et  la  fonction  de  chacune  îles  classes  de  démons  :  cf.  sur  ces  êtres  les  passais 
recueillis  par  K».  Dsutisck,  Anyritchei  Wôrierbuck,  p.  417-419,  v.  «liât,  ol  p.  394-399,  s.  v.  ekimmou. 

4,  Fa.  Lknommiit,  la  Magie  chei  lei  Ckaldéem  et  tei  Originel  Accadiennei,  p.  36. 

5,  Le  plus  redoutable  d'entre  eux  eat  le  démon   Mal-de-téle,  contre   lequel   noua   possédons  un 


633  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  [IE  LA  CllALDÉE. 

meillait.  et  tantôt  se  lançait  furieuse  au  plus  épais  des  foules  humaines1.  Des 
lutins  hantaient  les  maisons,  des  follets  erraient  au  bord  des  eaux,  les  ghoules 
-"---laient   les   voyageurs   dans   les   lieux    inhabités1,   et    les    morts 
nt  leurs  tombeaux  se  glissaient  la  nuit  auprès  des  vivants  pour 
ibreuver  de  leur  sang9.  La  figure  matérielle  de  ces  êtres  meur- 
iers  exprimait  fidèlement   aux   yeux   leur   caractère   pervers   et 
éroce.    On    leur  prêtait   des  corps   composites,    où    le  torse  de 
'homme  s'alliait  de  façon  grotesque  aux  membres  des  bêtes  les 
jltis   imprévues.    Ils   s'accommodaient   comme   ils   pouvaient  de 
attes  d'oiseau  et  d'une  peau  de  poisson,  d'une  queue  de  taureau 
de   plusieurs   paires  d'ailes,   d'un  chef   de    lion,   de    vautour, 
yène  ou  de   loup;  quand  on  leur  laissait  la  tète  humaine,  on  la 
p  faisait  hideuse  et  grimaçante  à  plaisir.  Le  vent  du  Sud-Ouest  se 
tinguait  entre  tous  par  la  multiplicité  des  éléments  dont  sa  per- 
nne  se  bigarrait.  Il  équilibrait  son  corps  de  chien  sur  deux  Jam- 
es terminées  en  serres  d'aigle  ;  ses  deux  bras  armés  de  griffes  acé- 
ées  s'adaptent   à   quatre   ailes  éployées,    dont   deux   retombent 
derrière  lui,  deux  se  relèvent  haut  et  encadrent  sa  tète;  sa  queue 
est  d'un   scorpion,   son  masque   d'un   homme   aux  gros   yeux 
ronds,  aux  sourcils  épais,   aux  joues  décharnées,   aux   lèvres 
otslB  rétractées    formidablement    sur    des    dents    menaçantes,    au 

"  '"* Ll0"  '         crâne  plat,  aux  cornes  de  chèvre  :   le  tout  si  laid  que  le  dieu 
s'effrayait  lui-même  et  s'enfuyait,  quand  il  rencontrait  à  ['improviste  un  de 

certain  nombre  d'incantations  et  île  charmes  dans  Rakli.isoi,  f.ini.  I.  H".  Al.,  t.  IV,  pi.  3-1.  dont  un 
fragment  fut  traduit  pour  la  première  foi»  par  Foi  Tai.boi,  On  Ihe  tteligiout  Hclïef  of  Ihe  Assurions, 
dans  lus  Transaction»  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  Il,  p.  H4.  Des  traductions  complète» 
en  ont  été  données  par  Fa,  I.K-iomiiM,  Etude»  Arradiennc»,  t.  II,  p.  ÎS3-3K3,  t.  III,  p,  98-ttlI,  puis 
par  IIalëtV,  Document*  religieux  de  FAstyrie  et  de  la  l'.haldie,  \i.  13-*),  ,>4-'J3  ;  listai.  De  Incanta- 
meiitorma,  dans  la  Zeitschrifl  f&r  Keilforichung,  t.  I,p.  3(11;  Sait...  The  Religion  of  Ihe  Ancien!  Babjf- 
loniant,  p.  4SB-4G3.  Cf.  Kn.  Lfstmnnrir,  la  Magie  chez  le»  Chaldéen»,  p.  19-it),  38-39. 

1.  Incantation  contre  le  démon  de  la  peste  dans  Vu.  I.imibuaxi,  Elude»  Accadiennet,  t.  Il,  p,  Ï39- 
Ï3i,  t.  III,  p.  94-97;  cf.  la  Magie  fhet  le»  Chaldeens,  p.  17-48. 

t.  C'est  le  Mal,  le  démon  de  la  nuit  qui  suce  le  sang  de  ses  victimes,  cl  dont  il  est  souvent 
question  dans  les  incantations  magiques  (IUwlivsos,  Cuneif.  In».  W.  A».,  t.  Il,  pi.  17,  eol.  n,  I.  63. 
t.  IV,  pi.  Î9,  n*  t.  verso.  I.  49-311,  etc.).  Sur  le  rapprochement  qu'on  peut  en  Taire  avec  la  Lililh  des 
traditions  hébraïques,  cf.  Kit.  I.exomm»,  la  Magie  cka  le»  Chaldeent,  p.  36,  et  Sayce  The  Religion  of 
the  Ancient  Babyloniant,  \i.  147-148;  Sayce  paraît  confondre  les  ghoules,  qui  n'ont  jamais  été  hommes 
ou  femmes,  avec  les  vampires,  qui  sont  des  morts  ou  des  mortes  sortis  du  tombeau. 

3.  l,es  vampires  sont  fréquemment  cités  dans  les  formules  magiques,  Haklissoh,  Cun.  lus.  H'.  A»., 
t.  II,  pi.  17,  eol.  n,  I.  G-15,  fiî,  t.  IV,  pi.  1,  col.  î,  I.  49-50,  t.  IV,  pi.  Î9,  n"  I  verso.  I.  17-iS,  ele.;  cf. 
F».  Lmomaht,  la  Magie  chti  Ut  Chaldeent,  p.  33,  la  Divination  et  la  Science  de.»  présages  chez  te» 
Chaldeent,  p.  158-157.  Dans  sa  Descente  aux  Enfer»  (cf.  p.  fifl4  de  celte  Histoire),  Ishtar  raenare  de 
•  ressusciter  les  morts  pour  qu'ils  mangent  les  vivants  >  (L.  lit), 

4.  Dessin  de  Faucher-Gudin,  d'aprè»  la  figurine  en  terre  cuite  d'époque  attyrienne  qui  etl  au  Musée 
du  Louvre  (Losgpébieb,  Hotiee  de»  antiquités  assyriennes ,  3"  éd..  p.  57.  nn  tax).  c'est  Inné  des  figures 
un  terrée'*  j  Klinrs.nl.iad,  sons  le  sou  il  d'une  des  portes  de  Li  ville,  |ioui'  eu  écarter  les  influences  ma  m  aises. 


LES  BONS  GENIES  ET  LEURS  LUTTES  CONTRE  LES  MAUVAIS.        633 

ses  portraits'.    Les   bons  génies  ne   manquaient  pas  qu'on  opposait  à  cette 

gent  hargneuse   et   malformée*.   On   les  représentait  comme  des  monstres, 

mais  des  monstres  à  l'air  noble  et  de  grande  allure,  des  griffons,  des  lions 

ailés,  des  hommes  à  mufle  de  lion,  et  surtout  ces  beaux  taureaux 

à  tête  humaine,  ces  lamaxxi  couronnes  de  la  mitre,  dont 

l'image  gigantesque  veillait  à  la  porte  des  temples  et 

des  palais*.   Les  hostilités  se  continuaient  sans  cesse    J 

entre  les  deux  races  :  étouffées  sur  un  point,  elles  se   " 

rallumaient  sur  l'autre,  et  les  mauvais  toujours  battus 

refusaient   toujours  d'accepter  leur   défaite.   L'homme 

plus  désarmé  contre  eux  que  les  dieux  les  rencontrait  pa 

tout  :  ■  Là-haut  ils  hurlent,   ici   ils   sont  à  l'affût,   —   i 

sont  les  grands  vers  que  le  ciel  a  lâchés,  —  les  puissant 

dont  la  clameur  va  par  la  cité,  —  qui  versent  à  torrents 

l'eau  du  ciel,  les  fils  sortis  du  sein  de  la  terre.  —  Ils 

s'enroulent    autour    des  hautes   poutres ,    des    larges 

poutres  comme  une   couronne;    —   ils   cheminent  de 

maison  en  maison,  —  car  la  porte  ne  les  arrête  pas,  la  I 

les  repousse  pas,  —  mats  ils  se  glissent  comme  un  ser| 

bous  la  porte,  —  ils  s'insinuent  comme  l'air  par  les  join 

du  battant.  —  Ils  éloignent  l'épouse  des  embrassement? 

de  l'époux,  —  ils  arrachent  l'enfant  d'entre  les  genoux  ,  ^   nu  sud-ouesi* 

de   l'homme,  —  ils   attirent   l'ingénu  hors  de  sa  maison 

féconde,  —  ils  sont  la  voix  menaçante  qui  le  poursuit  par  derrière".  »  Leur 

malice   se   tourne   contre   les   bêtes  :    «   Ils  forcent  le  corbeau   à  s'envoler 

sur  ses  ailes,  —  et  ils  obligent  l'hirondelle  à  s'échapper  de  son  nid;   —  ils 

1.  Fn.  U»MUT,  la  Magie  chez  la  Chaldfem,  p.  48-4»,  ISS;  Scnkil.  Sole»  d'Épigraphie  et  d'Ar- 
riléotogic  assyrienne»,  g  m,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  l.  XVI,  p.  33-36,  oïl  »ont  indiquées  les  prin- 
cipales figures  connues  jusqu'à  prêtent  qu'on  peut  attribuer  au  vont  du  Sud-Ouest. 

1.  Les  mêmes  textes  apposent  aux  outoukkou,  aui  ékimmou,  aux  gallon,  aux  atou  mauvais,  les 
bons  outoukkou,  les  bons  ékimmou,  les  bons  gallou,  les  bons  a/ou  (Sayck,  The  Religion  of  the  Ancien! 
Babyloniam,  p.  166,    I.  44-16;   cf.  Ka.  Lmommit,  la  Magie  chez  let  Chaldériii,  p.  Î3,  138-139). 

3.  Sur  le  râle  protecteur  des  taureaux  ailés  a  face  humaine,  voir  Fn.  Lddiiht,  final  de  Commen- 
taire lur  tei  fragment»  coimogoniguei  de  litroie,  p.  79-81,  et  ta  Magie  chez  let  Chaidécm,  p.  Î3, 
49-50.  Il  est  décrit  assez  longuement  dans  la  prière  publiée  par  IIawlusox,  Cuit.  lui.  W.  A*.,  t.  IV, 
pi.  58-59,  et  traduite  par  Savce.  The  Religion  of  the  Ancien!  Ilabyloniani,  p.  506.  I.  31-35. 

4.  Denin  de  r'aucher-Gudin,  d'aprfi  l'original  en  bronze  gui  et!  tonterv*  nu  Mutée  du  Louvre.  Le 
I.nuvrc  et  le   Musée  Britannique  possèdent   plusieurs  autres   figures  du  mi1  me  démon. 

5.  RjkWLCUM,  Cm».  Int.  W.  Al.,  t.  IV,  pi.  t,  col.  I,  I.  14-43;  cf.  Tai.«ot,  On  the  Religion,  Betief  o, 
the  Atsyriant,  dans  les  Transaction»  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  Il,  p.  73-75;  F».  Lbsob- 
■jtiT,  la  Magie  chez  lei  ChalHêem,  p.  ÏR-49.  et  Élude»  Accadiennei,  t.  III,  p.  "9-80;  Opptm,  Frag- 
mente Mythologique»,  dam  l.tumis,  BUtoire  etltracl,  l.  Il,  p.  469:  Satci,  The  Religion  of  the  Ancien! 
Hnbytonian»,  p.  451. 


634  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  IIE  LA  ClIALDfiE. 

font  fuir  le  taureau,  ils  font  fuir  l'agneau  —  les  démons  mauvais  qui  tendent 
des  embûches1.  » 

Les  plus  vigoureux  d'entre  eux  ne  craignaient  pas  de  s'attaquer  par  occasion 
aux  dieux  de  lumière;  un  jour  même,  dans  les  premiers  temps  du  monde,  ils 
avaient  failli  les  déposséder  et  régner  en  leur  place.  Ils  avaient  escaladé  le 
ciel  à  l'improviste,  ils  s'étaient  précipités  sur  Sin,  le  roi  Lune,  ils  avaient 
repoussé  Shamash  le  Soleil  et  Ramman  accourus  au  secours,  chassé  lshtar  et 
Anou  de  leurs  trônes  :  le  firmament  entier  serait  tombé  entre  leurs  mains,  si 
Bel  et  Nouskou,  Éa  et  Mardouk  n'étaient 
intervenus  au  dernier  moment,  et  n'a- 
vaient  réussi     à    les    culbuter  sur   la 
terre,  après  une  bataille  terrible*.  Ils  ne 
s'étaient  jamais  relevés  de  cet  échec,  et 
les  dieux  leur  avaient  suscité  pour  rivaux 
une  classe   de  génies  bienfaisants,  les 
in  déliïiiiï  mi  "«noni  de  l' ath quk  Igiyi  <  (i  "*'  CIIKI  Anounnas  du  ciel  diri- 

geaient' Les  Anountias  de  la  terre,  les 
Anounnaki,  reconnaissaient  pour  chefs  sept  fils  de  Bel,  aux  corps  de  lion,  de 
tigre  et  de  serpents  :  »  le  sixième  était  un  vent  d'orage  qui  n'obéit  ni  au  dieu 
ni  au  roi,  —  le  septième,  un  tourbillon,  une  bourrasque  mauvaise  qui  brise 
tout1  ».  —  «  Sept,  sept,  —  au  creux  de  l'abîme  des  eaux  ils  sont  sept,  --  et 
destructeurs  du  ciel  ils  sont  sept.  —  Ils  ont  grandi  au  creux  de  l'abîme,  dans 
le  palais;  —  mâles  ne  sont,  femelles  ne  sont,  —  ils  sont  des  bourrasques  qui 
passent.  —  Ils  ne  prennent  point  femme,  n'engendrent  point  d'enfant,  —  ils 
ne  connaissent  ni  la  compassion,  ni  la  bienveillance,  —  n'écoulent  ni  la 
prière,  ni  la  supplication.  —  Comme  des  chevaux  sauvages,  ils  sont  nés 
dans  tes  montagnes,  —  ils  sont  les  ennemis  d'tëa,  —  ils  sont  les  agents  des 

1.  lUWLEWoa,  Cuit.  Int.  11'.  Aê.,1.  IV,  pi.  Ï7,  n"  V,  1.  ili-iï;  cf.  Fi..  Lumiint,  la  Magie,  p.  Ï9, 
Étudet  Actadititne*,  l.  Il,  p.  tti-t*X  I.  III,  p.  77-78;  IIouhfl,  Die  Semilitchen  rallier,  t.  1,  |>.  101. 

i.  Cet  épisode  de  l'histoire  des  luttes  des  dieui  contre  les  mauvais  Renies  élail  raconte  dans  une 
incantation  magique  en  partie  mutilée  (IUwluso-i,  Clin.  Int.  If'.  A:,  t.  IV,  pi.  s).  Signalée  par  C.  Sariit. 
dnns  les  Traniactioni  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  III,  p.  458-439  (cf.  Attgrian  Diacotvrict . 
p.  3014-103,  el  Chaldiran  Account  of  Gênait,  p.  107-1  lî),  elle  fut  traduite  par  r'a.  LsKonmm.  la  Magie 
chei  Im  Chaldéeut,  p.  171  (cf.  la  Gazelle  Archéologique,  1878.  p.  ÎS-35,  el  Étudet  Aaxdiemm, 
t.  III,  p.  Ill-l.'il);  OrPKKT,  Fragment»  mythologique*,  clans  Lmimix,  Ilittoire  d'itrael,  t.  Il,  p.  176- 
179;  llimi.  Die  Semititchen  Vbtker,  a.  307-31Ï;  Htufv».  Donimentt  religieux  de  lAttyrie  el  de  lu 
llabytottic,  p.  i.0-30.   (00-1*6;  Sxic.y.,  The  lleligion  of  Ihe  Aucient  Babylaniant,  p.  103-166. 

3.  Dmii'ii  de Faucher-Gudin,  d'âpre*  une  inlaille  anyrienne  publiéepar  Laj.ibi.,  Intradurlion  à  I  llit- 
toii-edu  Culte  public  et  de»  Mytère*  de  Nilhra.  pi.  XXV,  n"  I  (cf.  Gazette  Archéologique.  IS7S,  p.  iit). 

I.  Sur  les  Igigi  ut  sur  les  Anouima,  cf.  Itaettx,  Ueber  einige  Kumero-akkadiKhen  Samen,  dans  la 
Zrilithrift  fur  Aityrioloyir,  t.  I.  p.  7  sqq.  ;  Saïci:,  The  Religion  of  the  Ancien!  Babutoniaot,  p.  18*183 

s.  RiKutns,  Cuu.  In*.  11'.  A>...  t.  IV,  pi.  ;;,  col.  I,  I.  it-îo. 


LES  SEPT,   LEURS  ATTAQUES  CONTRE  LA   LUNE  :  GIBIL,   LE  FEU.    633 

dieux;  —  ils  sont  mauvais,  ils  sont  mauvais,  —  et  ils  sont  sept,  ils  sont  sept, 
ils  sont  deux  fois  sept'.  »  L'homme,  réduit  à  ses  seules  ressources,  ne  pouvait 
pas  lutter  avec  avantage  contre  des  êtres  qui  avaient  jeté  les  dieux  aux 
abois.  H  invoquait  pour  se  défendre  le  secours  de  l'univers  entier,  l'esprit  du 
ciel  et  celui  de  la  terre,  l'esprit  de  Bel  et  de  Bélit,  celui  de  Ninib  et  de  ÏSébo, 
ceux  de  Sin,   d'ishtar  et  de  Ramman',   mais  Gîbir  ou   Gibil1,  le  maître  du 


feu,  était  son  auxiliaire  le  plus  efficace  dans  cette  guerre  de  tous  les  instants. 
Issus  de  la  nuit  et  de  l'eau  ténébreuse,  les  Anounnaki  n'avaient  pas  de  plus 
grand  ennemi  que  la  flamme;  qu'elle  s'allumât  au  foyer  des  maisons  ou  sur  les 
autels,  son  apparition  les  mettait  en  fuite  et  dissipait  leur  puissance,  a  Gibil, 
héros  exalté  dans  le  pays,  —  vaillant,  fils  de  l'abîme,  exalté  dans  le  pays, 
—  Gibil,  ton  feu  clair,  éclatant,  -  quand  il  illumine  les  ténèbres,  —  assigne 
sa  destinée  à  tout  ce  qui  a  nom.  —  Le  cuivre  et  l'étain,  c'est  toi  qui  les 
mêles,  —  l'or  et  l'argent,  c'est  toi  qui  les  fonds,  —  le  compagnon  de  la 
déesse  Nmkasi,  c'est  toi,  —  celui  qui  oppose  sa  poitrine  à  l'ennemi  nocturne, 

I.  Uawlissot,  Cun.  Int.  IF.  A'.,  t.  IV,  pi.  S, col.  i,  I.  311-5!»;  cf.  T.iiwit,  Oh  the  lleligiou»  Relief  of  the 
Aityriant,  dans  les  Tr'iiuaclwm  de  la  Société  il 'Archéologie  Biblique,  1  II,  ]•  73-75;  F*.  Lesouihbt, 
la  Magie  rkri  les  Chaldccni,  p.  IB,  Eluda  Accadicnnc*,  I.  Ml,  |i,  «1-83;  J.  Opkkt,  Fragment*  mytho- 
liiijiqùe*.  dans  Lmmm»,  Hittoire  dïnaet,  l.  Il,  p.  i"t;  llomii-.L,  Die  SeniiHichen  Voilier,  p.  3«(i  ;  Sun. 
The  Religion  of  the  Ancien!  Itahuloniam,  p.   151-458. 

i.  Ainsi  dans  les  incantations  bilingues,  sumériennes  et  sémitiques,  publiées  par  IUwihison,  L'un. 
In:  II'.  Al.,  I.  IV,  pi.  I,  col.  III,  I.  «3-I1B,  col.  iv,  i.   t-3. 

3.  l.e  caractère  du  ilicu  du  feu  et  son  rôle  dans  la  lutte  contre  les  Anounnaki  ont  été  dénnis  pour 
la  première  fois  par  On.  Lbsomam,  la  Magic  chez  Ici  Chnldeent,  p.  KID-I74. 

1.  Butin  de  Faucher-tiudtn,  d'aprei  l.iï.inn,  Monumcidt  of  Sineeeh,  l"Sei\,  pi,  i.'i,  n°  I. 


636  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

c'est  toi  !  —  Fais  donc  que  l'homme,  fils  de  son  dieu,  ses  membres  brillent, 
—  fais  qu'il  soit  clair  comme  le  ciel,  —  qu'il  brille  comme  la  terre,  —  qu'il 
reluise  comme  l'intérieur  du  ciel,  —  que  la  parole  mauvaise  s'écarte  de  lui*  », 
et  avec  elle  les  esprits  malins.  L'insistance  même  avec  laquelle  on  réclamait 
de  l'appui  contre  les  Anounnaki  montre  combien  on  redoutait  leur  pouvoir. 
Le  Chaldéen  les  sentait  partout  autour  de  lui  et  ne  faisait  pas  un  mouvement 
qu'il  ne  risquât  d'en  heurter  quelques-uns.  11  s'inquiétait  moins  d'eux  pen- 
dant le  jour,  rassuré  qu'il  était  par  la  présence  au  ciel  des  dieux  lumineux, 
mais  la  nuit  leur  appartenait  et  le  livrait  à  leurs  assauts.  S'il  s'attardait  dans 
la  campagne  à  la  brune,  ils  étaient  là  sous  les  haies,  derrière  les  murs  ou  le 
tronc  des  arbres,  prêts  à  se  ruer  sur  lui  au  moindre  écart.  S'il  se  hasardait 
après  le  coucher  du  soleil  dans  les  rues  de  son  village  ou  de  sa  cité,  il  les  y 
trouvait  encore  disputant  les  rebuts  aux  chiens  sur  les  tas  d'ordure,  tapis  au 
renfoncement  des  portes,  embusqués  par  les  coins  où  l'ombre  s'épaississait 
le  plus  noire.  Même  barricadé  dans  sa  maison  et  sous  la  protection  directe  de 
ses  idoles  domestiques,  ils  le  menaçaient  encore  et  ne  lui  accordaient  pas  un 
instant  de  tranquillité*.  Aussi  bien  étaient-ils  si  nombreux  qu'on  ne  pouvait  se 
garer  efficacement  de  tous  ;  quand  on  en  avait  désarmé  la  plupart,  il  en  restait 
toujours  beaucoup  contre  lesquels  on  avait  oublié  de  prendre  les  précautions 
nécessaires.  Que  de  génies  secondaires  ne  devait-il  pas  y  avoir,  quand  le 
recensement  des  invisibles  constatait,  vers  le  ixe  siècle  avant  notre  ère,  l'exis- 
tence de  soixante-cinq  mille  grands  dieux  du  ciel  et  de  la  terre5! 

Nous  sommes  souvent  bien  embarrassés  de  dire  ce  que  représentaient  ceux 
dont  nous  déchiffrons  les  titres  sur  les  plus  anciens  monuments.  Les  souve- 
rains de  Lagash  adressaient  leurs  vœux  à  Ninghirsou,  le  champion  vigou- 
reux d'inlil,  à  Ninoursag,  la  dame  de  la  montagne  terrestre,  à  Ninsia,  le 
maître  des  destinées,  au  roi  Ninagal,  à  Inzou,dont  personne  ne  soupçonne  le 
nom  véritable,  à  Inanna,  la  reine  des  batailles,  à  Pasag,  à  Galalim,  à  Doun- 

1.  Rawlinson,  Cun.  Ins.  XV.  As.,  t.  IV,  pi.  14,  n°  2  verso,  1.  6-28;  cf.  Fr.  Lenorxant,  la  Magie  chez  les 
Chaldéens,  p.  109-170,  Etudes  Accadiennes,  t.  Il,  p.  93-99,  t.  III,  p.  33-35  ;  Hommel,  Die  Semitischen 
Vôlker,  p.  277-278;  Haupt,  Die  Sumerisch-Akkadische  Sprache,  dans  les  Verhandlungen  des  5tem 
lnlerttattonalen  Orientalisten-Congresses,  Semitischc  Section,  p.  269-271  ;  Sayce,  The  Religion  of 
the  Ancienl  Babylonians,  p.  487-188. 

2.  Fr.  Lenormant,  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  37  sqq.  La  présence  des  mauvais  esprits  en 
tout  lieu  est  démontrée,  entre  autres  formules  magiques,  par  l'incantation  de  Rawlinson,  Cun.  1ns, 
\Y.  As.,  t.  Il,  pi.  18,  où  l'on  énumère  longuement  les  endroits  qu'on  veut  leur  interdire.  Le  magicien 
leur  ferme  la  maison,  la  haie  qui  entoure  une  maison,  le  joug  qu'on  pose  sur  les  bœufs,  la  tombe, 
la  prison,  le  puits,  la  fournaise,  l'ombre,  le  vase  à  libations,  les  ravins,  les  vallées,  les  montagnes, 
la  porte  (cf.   Sayce,  The  Heligion  of  Ihe  Ancienl  Babylonians,  p.  446-448). 

3.  Assournaziraba),  roi  d'Assyrie,  parle  dans  une  de  ses  inscriptions  de  ces  soixante-cinq  mille 
grands  dieux  du  ciel  et  de  la  terre  (Sayce,  The  Heligion  of  the  Ancienl  Babylonians,  p.  216). 


LES  DIEUX  SUMÉRIENS  :  NINGHIRSOU.  037 

shagana,  àNinmar,  à  Ninghishzida'.  Goudéa  leur  élevait  des  temples  dans  toutes 

les  villes  sur  lesquelles  son  autorité  s'étendait,  et  il  consacrait  à  ces  fondations 

pieuses  le  revenu  de  son  territoire  ou  le  butin  de  ses  guerres.   »   Goudéa,  le 

Vicaire  de  Lagash,  après  avoir  bâti  le  temple  lnin 

pour  Ninghirsou,  il  a  construit  un  trésor;  une  maïs 

décorée  de  sculptures,  telle  que  nul  Vicaire  n'en  avi 

construit  à  Ninghirsou,  il  la  lui  a  construite,  il  y  a  éc 

son  nom,  il  y  a  fait  tout  ce  qu'il  fallait,  et  il  a  exé 

cuté  fidèlement   toutes  les  paroles  de  la  bouche 

de   Ninghirsou1.    »  La  dédicace  de   ces  édifices 

était  accompagnée  de  fêtes  solennelles  auxquelles 

la   population    entière    prenait   une    part  active. 

<  Sept  jours  durant,  on  n'écrasa  plus  le  grain,  et 

la  servante  fut  l'égale  de  sa  maîtresse,  l'esclave 

marcha  à  côté  de  son  maître,  et  dans  ma  ville      j 

le  faible  reposa  à  côté  du  fort.  »  Dans  la  suite,      I 

Goudéa  veilla  soigneusement  à  ce  que  rien  d'Impur 

ne  vînt  souiller  la  sainteté  du  lieu.  Ce  sont  les 

vieilles  divinités  sumériennes,  mais  le  caractère 

de  la  plupart   d'entre    elles  nous  échapperait,   si 

nous  ne  savions,   par   d'autres  documents,  à  quel 

dieux  moins  inconnus  et  d'aspect   moins  rébarbatif  les   Sémites  les  avaient 

assimilées.  Ninghirsou,  le  maître  du  quartier  de  Lagash  qu'on  appelait  Ghirsou, 

s'identifiait  à  Ninib;  Inlil  est  fiel,  Ninoursag  Beltis,  lnzou  Sin,  Inanna  lshtar, 

et   ainsi  des  autres'.   Et  leurs  religions   ne   sont  pas   des  religions  locales, 

confinées  obscurément  dans  un  coin  du  pays  :  elles  dominaient  par  toute  la 

1.  I.'é numération  de  ces  divinités  se  trouve,  par  exemple,  dans  l'inscription  de  la  statue  Q  de 
Goudéa  au  Louvre  (1Iei:iïy-Sa*uc,  Di'i-oh entes  en  Chaldée,  pi.  16-1!»;  cf.  Aii.ip,  Inscriptions  of 
Telloh,  dans  les  Records  of  the  Vaut,  f'  Sw.,  I.  Il,  p.  BS-8G,  el  DiwwrfM  eu  Chaldée,  p.  vu-xv  ; 
Jhmj,  Insckriflc»  der  Kànigc  unit  Slatlhatler  eon  Lagasch.  dan»  la  Keilschriftliche  llililiothtk, 
I.  III,  1™  partie,  p.  .16-17).  Les  transe  ri  pi  ions  varient  selon  les  auteurs  :  où  Jensen  donne  NinoursaK, 
Auiiaud  lit  Nint.har8.ifc,  le  llounshaa;aiia  de  ces  deux  ailleurs  devient  Shoulshagana  pour  Lkgac,  Deux 
ImcripiiouM  de  Goudéa,  patahi  de  hngaïku  (dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriotogïe.  t.  VIII,  p.  tll-lt], 
et  l'on  trouve  ailleurs  la  déesse  Galoumdoug  qui  devient  sans  conviction  Gasig(î>-dou|[. 

ï.  Uiiîm-S-iiiu:.  Déeourerlei  en  Chaldée.  pi.  VI,  I.  7U,  col.  VIII,  I.  »-,  cf.  A»i*ro,  Tlic  Inscription» 
of  Telioh,  dans  les  Record*  of  Ihe  Pa»l,  tmt  Scr.,  t.  Il,  p.  RÏ-83,  el  dans  les  Déconcerte»  en  Chaldée, 
p.  jli-xii  ;  Jr.vsb*,  tnschriften  dtr  Kônige  und  Stattlialter  ron  Lagaicli,  dans  la  KeiltrliriflUche  Uibfio- 
tliek,  l.  Ht,  I"  partie,  p.  UJI-3». 

a.  Destin  de  r'aurher-Gudin,  d'après  Hhhï-Shik,  Découverte»  ru  Chaldée,  pi.  tt.  n*  .'i.  I.ullribu- 
tion  de  cette  ligure  à  .Ninghirsou  est  1res  probable,   mais  non  pis  entièrement  certaine. 

i.  Cf.  à  ce  sujet  le  mémoire  d'Aaura,  Sirpourla,  d'après  les  Inscription»  de  la  Collection  de  Sar- 
zec,  p.  Ij  sqq.,  où  les  identifications  possibles  des  noms  de  dieux  sumériens  adoréb  à  Telloh  avec  les 


638  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

Chaldée,  au  Nord  comme  au  Sud,  à  Ourouk,  à  Ourou,  à  Larsam,  à  Nipour,  à 
Babylone  même.  Inlil  était  le  régent  de  la  terre  et  de  l'Hadès1,    Babbar  le 
soleil,  Inzou  la  lune,  Inanna-Anounit  l'étoile  du  soir  et  du  matin,  la  déesse  de 
l'amour1,  au  temps  où  deux  religions  distinctes  se  trouvaient  en  présence  aux 
bords  de  l'Euphrate  et  deux  troupes  de  dieux  rivaux.  La  sumérienne  n'est 
encore  aujourd'hui  pour  nous  qu'un  amas  de  noms  étranges,  dont  nous  ignorons 
souvent  et  le  sens  et  la  prononciation.  Quels  êtres  et  quels  dogmes  recou- 
vraient-ils au  commencement  ces  blocs  de  syllabes  barbares  qui  hérissent  les 
inscriptions  des  plus  vieilles  dynasties,  Pasag,  Dounshagana,  Doumouzi-Zouaba 
et    vingt    autres?   Les    théologiens  des   époques    postérieures   prétendaient 
définir  avec  précision  ce  qui  en  était  de  chacun  d'eux,  et  probablement  ce 
qu'ils  affirment  est-il  exact  pour  la  plupart  des  cas,  au  moins  dans  le  gros. 
Mais  nous  ne  soupçonnons  guère  les  motifs  qui  ont  décidé  le    rapproche- 
ment des  divinités,  la  façon  dont  il   s'opéra,  les  concessions  mutuelles  que 
Sumériens  et  Sémites  durent  se  faire  pour  arriver  à  s'entendre,  et  les  traits 
de  leur  physionomie  primitive  qu'ils  ont  dû  atténuer  ou  effacer  entièrement. 
Plusieurs  d'entre  eux  se  sont  si  bien  transformés  qu'on  se  demande  auquel  des 
deux  peuples  ils  appartenaient  à  l'origine,  Êa8,  Mardouk*,  Ishtar5.  Les  Sémites 
l'emportèrent  à  la  fin  sur  leurs  émules,  et  ceux-ci  ne  conservèrent  plus  d'exis- 
tence indépendante  que  dans  la  magie,  dans  la  divination,  dans  la  science 
des  présages,  dans  les  formules  des  exorcistes  et  des  médecins  auxquelles 
les  dissonances  de  leurs  noms  prêtaient  plus  d'autorité.  Partout  ailleurs  ce  fut 
Bel  et  Sin,    Shamash  et  Bamman  qu'on   adora,   mais  un  Bel,    un    Sin,   un 
Shamash,  un  Bamman   qui   n'avaient   pas  oublié  leurs  alliances  avec   lnlil 
et  avec  Inzou,  avec  Babbar  et  avec  Mermer6  les  Sumériens;  quelque  langue 

1.  Fr.  Lenormant,  la  Magie  chez  les  Chaldée  ns,  p.  154-154  (où  le  nom  est  lu  Moul-ge  au  lieu  de 
Moullil,  variante  d'/fi/iï);  Savcb,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  146-149. 

4.  Sur  Anounit-lnanna,  l'Étoile  du  Matin,  et  sur  les  divinités  qui  se  confondirent  avec  elle,  voir 
la  curieuse  étude  de  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  184-181. 

3.  Éa,  le  dieu  de  l'ablmc  et  des  eaux  primordiales,  est  Sumérien  ou  Accadien  pour  Fr.  Kenonuant 
(la  Magie  chez  les  Chaldcens,  p.  148),  pour  Hommel  (Die  Semitischen  Yôlker,  p.  373),  pour  Sayce 
(The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  104-105,  134-134). 

4.  Sayce  (The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  106)  n'ose  décider  si  le  nom  de  Mardouk- 
Mérodach  est  Sémite  ou  Sumérien;  Hommel  (Die  Semitischen  Vôlher,  p.  376-377,  et  Geschichte  Baby- 
loniens und  Assyriens,  p.  255-456,  466)  le  tient  pour  Sumérien,  ainsi  que  Jensen  (Die  Kosmologie  der 
Babylonicr,  p.  444-443)  et  Lcnormant  (la  Mo  g  ie  chez  les  Chaldéens,  p.  141). 

5.  Ishtar  est  Sumérienne  ou  Accadien  ne  pour  Fr.  Delitzsch  à  ses  débuts  (Die  Glialdseische  Gencsis, 
p.  473),  pour  Hommel  (Die  Semitischen  Vôlker,  p.  385,  et  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens, 
p.  457,   466)  et  pour  Sayce  (The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  454-461). 

6.  Sur  l'identité  du  dieu  sumérien  dont  le  nom  se  lit  communément  Mermer,  Merou,  avec  le  Sémite 
Hamman,  cf.  Fr.  Lenormant,  les  Noms  de  l'airain  et  du  cuivre  dans  les  deux  langues  des  inscrift- 
lions  cunéiformes  de  la  Chaldée  et  de  ï Assyrie,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie 
Biblique,  t.  VII,  p.  390,  n°  1;  Pognon,  l'Inscription  de  Mérou-nérar  1er,  roi  d'Assyrie ,  p.  44-23;  Sayce, 
The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  404. 


LES  DÉESSES  :  MYLITTA  ET  SON  CULTE  IMPUR.  639 

qu'on  employât  pour  s'adresser  à  eux,  sous  quelque  vocable  qu'on  les  appelât, 
ils  ouvraient  l'oreille  et  répondaient  favorablement  aux  sommations  des  dévots. 
Sumériens  et  Sémites,  les  dieux  n'étaient  pas  plus  qu'en  Egypte  des  per- 
sonnes abstraites,  présidant  métaphysiquement  aux  forces  delà  nature1.  Cha- 
cun d'eux  enfermait  en  soi  l'un  des  éléments  principaux  dont  notre  univers 
se  compose,  la  terre,  les  eaux,  le  ciel,  la  lune,  le  soleil,  les  astres  qui  tournent 
autour  de  la  montagne  terrestre.  La  vie  du  monde  ne  résulte  pas  d'un  ensemble 
de  phénomènes  produits  par  des  lois  immuables  :  elle  n'est  qu'une  série 
d'actes  volontaires,  accomplis  par  des  êtres  d'une  intelligence  et  d'une  puis- 
sance inégale.  Chacune  des  parties  du  grand  tout  est  un  dieu,  et  ce  dieu  est  un 
homme,  un  Chaldéen,  d'essence  plus  durable  et  plus  fine  que  les  autres  Chal- 
déens,  mais  pourvu  de  leurs  instincts  et  agité  de  leurs  passions.  Il  lui  manque 
d'ordinaire  cette  élégance  de  formes  un  peu  grêle  et  cette  bonté  d'âme  un  peu 
molle  qu'on  remarque  au  premier  coup  d'oeil  chez  les  dieux  de  l'Egypte  :  il  a 
les  larges  épaules,  le  buste  trapu,  les  muscles  saillants  des  peuples  sur  lesquels 
il  règne,  leur  esprit  emporté  et  violent,  leur  sensualité  brutale,  leur  tempéra- 
ment cruel  et  belliqueux,  leur  hardiesse  dans  la  conception  des  projets  et  leur 
ténacité  impitoyable  dans  l'exécution.  Les  déesses  se  modèlent  de  même  à 
l'image  des  dames  et  surtout  des  reines  chaldéennes.  La  plupart  d'entre  elles 
ne  sortent  point  du  harem,  et  ne  témoignent  d'autre  ambition  que  de  devenir 
mères  le  plus  possible,  et  le  plus  vite.  Celles  qui  rejettent  ouvertement  cette 
contrainte  sévère,  et  qui  prétendent  tenir  leur  rang  à  côté  des  dieux,  semblent 
perdre  toute  retenue  en  dépouillant  le  voile  :  elles  roulent,  comme  Ishtar,  de 
l'extrême  chasteté  dans  la  débauche  la  plus  vile,  et  elles  imposent  à  leurs 
fidèles  la  vie  désordonnée  qu'elles-mêmes  avaient  menée.  «  Toute  femme  née 
au  pays  doit  se  rendre  une  fois  en  sa  vie  dans  l'enceinte  du  temple  d'Aphrodite, 
s'y  asseoir  et  s'y  livrer  à  un  étranger.  Beaucoup  parmi  les  plus  riches  sont 

].  Le  cadre  général  des  religions  chaldéo-assyriennes  a  été  reconstitué  d'un  seul  coup  par  les 
assyriologues  de  la  première  heure  :  il  se  trouve  déjà  tout  tracé  dans  les  deux  mémoires  de  Hincks, 
On  the  Assyrian  Mythology  (dans  les  Memoirs  of  the  Irish  Academy,  novembre  1854,  t.  XXII,  p.  405- 
422),  et  de  II.  Rawli.nson,  On  the  Religion  of  the  Babylonians  and  Assyrians  (dans  YHerodotus  de 
G.  Kawlinson,  2*  éd.,  t.  I,  p.  480-547).  Il  fut  considérablement  élargi  par  les  recherches  de  Fr.  Lenor- 
mant,  dans  son  Essai  sur  les  fragments  rosmogoniques  de  Bérose,  et  surtout  dans  ses  deux  ouvrages 
sur  la  Magie  chez  les  Chaldéen»  et  les  Sources  Accadicnnes,  et  sur  la  Divination  et  la  science  des 
présages.  Depuis  lors,  bien  des  erreurs  ont  été  corrigées  et  bien  des  faits  nouveaux  ont  été  signalés 
par  les  assyriologues  contemporains,  toutefois  personne  n'a  essayé  encore  de  donner  une  exposition 
complète  de  ce  qu'on  sait  jusqu'à  présent  sur  la  Mythologie  chaldéenne  et  assyrienne  :  il  faut  se 
contenter  des  résumés  publiés  par  Fr.  Lknorwant,  Histoire  Ancienne  des  peuples  de  l'Orient ,  6-  édit., 
t.  VI,  par  MAhdter-Delitzsch,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  4*  éd.,  p.  43-53,  par  Ed.  Meykh, 
Geschichte  des  Aller! hurns,  t.  I,  p.  174-183,  en  attendant  que  le  grand  ouvrage  de  Tielk,  Histoire  de 
la  Religion  dans  l'antiquité  jusqu'à  Alexandre  le  Grand,  ait  achevé  de  paraître  dans  une  langue  plus 
accessible  à  la  majorité  des  savants  que  le  hollandais  ne  l'est  aujourd'hui. 


640  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÊE. 

trop  fières  pour  se  mêler  aux  autres  et  y  vont  prendre  place  dans  des  cha- 
riots fermés,  suivies  d'un  grand  train  d'esclaves.  Le  plus  grand  nombre  s'as- 
soient sur  le  parvis  sacré,  la  tête  ceinte  d'une  tresse  de  cordes,  —  et  il  y 
a  toujours  là  grand  foule,  les  unes  venant,  les  autres  s'en  allant;  des  cordes 
ménagent  des  avenues  en  tout  sens  parmi  ces  femmes,  et  les  étrangers  y  défi- 
lent pour  faire  leur  choix.  Une  femme  qui  s'est  installée  ne  peut  plus  retourner 
chez  elle,  tant  qu'un  étranger  ne  lui  a  pas  jeté  une  monnaie  d'argent  sur  les 
genoux  et  ne  l'a  pas  emmenée  avec  lui  hors  les  limites  du  sol  sacré.  En  jetant 
la  monnaie,  il  prononce  ces  paroles  :  «  Puisse  la  déesse  Mylitta  te  rendre  heu- 
reuse! »  —  Or  Aphrodite  s'appelle  Mylitta  chez  les  Assyriens.  La  monnaie 
d'argent  est  de  n'importe  quelle  valeur,  et  nulle  ne  peut  la  refuser  :  c'est 
interdit  par  la  loi,  car,  une  fois  jetée,  elle  est  sacrée.  La  femme  va  avec  le  pre- 
mier homme  qui  lui  donne  de  l'argent  et  ne  repousse  personne.  Une  fois  qu'elle 
s'en  est  allée  avec  lui,  et  qu'elle  a  ainsi  contenté  la  déesse,  elle  rentre  chez 
elle,  et  dès  lors  on  aurait  beau  lui  offrir  la  plus  forte  somme,  on  n'obtiendrait 
plus  rien  d'elle  Celles  des  femmes  qui  sont  grandes  et  belles  en  ont  vite  fini, 
mais  souvent  les  laides  demeurent  longtemps  avant  de  pouvoir  satisfaire  à  la 
loi  :  quelques-unes  ont  dû  attendre  trois  et  quatre  années  dans  l'enceinte1.  » 
Cette  coutume  subsistait  encore  au  ve  siècle  avant  notre  ère,  et  les  Grecs  qui 
visitèrent  Babylone  en  ce  temps-là  l'y  virent  en  pleine  vigueur. 

Quand  les  dieux,  après  avoir  été  la  matière  même  de  l'élément  qu'on  leur 
attribuait,  en  devinrent  successivement  l'esprit,  puis  le  roi',  ils  continuèrent 
d'abord  d'y  résider  :  on  les  isola  de  lui  par  la  suite,  on  leur  permit  de 
s'aventurer  chacun  sur  le  domaine  de  l'autre,  d'y  séjourner,  d'y  commander 
même,  comme  ils  auraient  fait  chez  eux,  et  l'on  finit  par  réunir  la  plupart 
d'entre  eux  au  firmament.  Bel  le  seigneur  de  la  terre,  Ëa  le  chef  des  eaux, 
montèrent  au  ciel,  qui  ne  leur  appartenait  point,  et  s'y  installèrent  à  côté 
d'Anou  :  on  y  montrait  les  voies  qu'ils  s'y  étaient  frayées  le  long  de  la  voûte, 
pour  inspecter  leur  royaume  des  hauteurs  lointaines  où  on  les  avait  trans- 
portés, celle  de  Bel  au  tropique  du  Cancer,  celle  d'Éa  au  tropique  du  Capri- 

1.  Hérodote,  I,  cxcii;  cf.  Strabon,  XVI,  p.  1058,  qui  probablement  s'est  borné  à  citer  dans  ce  passage 
Hérodote  ou  quelque  historien  inspiré  d'Hérodote.  On  rencontre  une  allusion  directe  à  la  même  cou- 
tume dans  la  Bible,  au  Livre  de  Baruch  :  «  Les  femmes,  ceintes  de  cordes,  sont  assises  par  les  rues, 
brûlant  du  son  en  guise  de  parfums;  mais  si  quelqu'une  d'entre  elles,  emmenée  par  un  passant 
de  hasard,  a  commerce  avec  lui,  elle  reproche  à  sa  compagne  de  ne  pas  avoir  été  jugée  aussi  bien 
qu'elle  et  de  ne  pas  avoir  brisé  sa  corde  »  (ch.  vi,  43). 

2.  Fr.  Lksormant.  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  144  sqq.,  où  l'auteur  montre  comment  Ana-Anou, 
après  avoir  été  d'abord  le  Ciel  même,  la  voûte  étoilée  étendue  au-dessus  de  la  terre,  devient  succes- 
sivement l'esprit  du  Ciel  (Zi-ana)  et  enfin  le  seigneur  suprême  du  monde  :  d'après  Lenormant,  ce 
seraient  surtout  les  Sémites  qui  auraient  transformé  l'esprit  primitif  en  un  véritable  dieu-Roi. 


LES  ORACLES  ET  LES  STATUES  PARLANTES.  641 

corne1,  lis  y  rassemblèrent  autour  d'eux  toutes  les  divinités  que  l'on  pouvait 
abstraire  sans  trop  de  peine  de  la  fonction  ou  de  l'objet  auquel  elles  étaient 
liées,  et  ils  constituèrent  de  la  sorte  une  aristocratie  divine,  comprenant  ce 
qu'il  y  avait  de  plus  puissant  parmi  les  êtres  qui  menaient  le  monde.  Le  nombre 
en  était  encore  considérable,  car  Ton  y  comptait  sept  dieux  magnifiques  et 
suprêmes,  cinquante  grands  dieux  du  ciel  et  de  la  terre,  trois  cents  esprits  des 
cieux,  six  cents  esprits  de  la  terre*.  Chacun  d'eux  entretenait  ici-bas  des 
représentants,  qui  recevaient  pour  lui  les  hommages  des  hommes  et  qui  leur 
signifiaient  ses  volontés.  11  se  révélait  en  songe  à  ses  voyants  et  leur  ensei- 
gnait la  marche  des  événements  prochains3,  ou  bien  il  les  envahissait  brus- 
quement et  parlait  par  leur  bouche  :  leurs  discours,  recueillis  et  commentés 
par  les  assistants,  étaient  autant  d'oracles  infaillibles.  Mais  le  nombre  en 
demeurait  limité  des  mortels  assez  vigoureux  et  doués  de  sens  suffisamment 
affinés  pour  affronter  sans  danger  la  présence  directe  d'un  dieu;  les  rapports 
s'établissaient  le  plus  souvent  par  le  moyen  d'objets  variés,  dont  la  substance 
épaisse  et  lourde  atténuait  ce  qu'il  y  avait  de  redoutable  pour  la  chair  et 
pour  l'intelligence  humaine  dans  le  contact  d'un  immortel.  Les  statues  cachées 
au  fond  des  temples  ou  dressées  au  sommet  des  ziggourât  se  transsubstan- 
tiaient  par  la  consécration  au  corps  même  de  la  divinité  qu'elles  figuraient,  et 
dont  on  écrivait  le  nom  sur  la  base  ou  sur  le  vêtement4.  Le  souverain  qui  les 
dédiait  les  sommait  d'avoir  à  parler  aux  jours  à  venir,  et  dès  lors  elles  par- 
laient :  lorsqu'on  les  interrogeait  selon  le  rite  institué  pour  chacune  d'elles,  la 
portion  de  l'àme  céleste  que  la  vertu  des  prières  y  avait  attirée  et  qu'elle  y 
gardait  captive  ne  pouvait  s'empêcher  de  répondre*.  Y  avait-il  à  cet  usage  des 

1.  Le  transfert  de  fiel  et  d'Éa  au  ciel  à  côté  d'Anou,  déjà  indique  par  Schrader  (Studien  und  Kriti- 
ken,  1871,  p.  3 il),  et  l'identification  des  Voies  de  Hel  et  d'Ea  avec  les  tropiques,  ont  été  étudiés,  et 
les  problèmes  que  ces  faits  soulèvent  résolus  par  Jexse.n,  Die  Kosmologie  der  liabylonier,  p.  19-37. 

2.  Ce  nombre  nous  est  fourni  par  la  tablette  du  Musée  Britannique  à  laquelle  G.  Smith  renvoie, 
dans  son  article  de  la  Xorth  and  Brilish  Review,  janvier  1870,  p.  309. 

3.  Un  songe  prophétique  est  déjà  mentionné  sur  une  des  statues  de  Tciloh  (Zimwkrn,  Dus  Traumge- 
sicht  Gudca's,  dans  la  Zeilschrift  fur  Assyriologie,  t.  111,  p.  232-235,  cf.  p.  610  de  cette  Histoire). 
Dans  l'histoire  du  seul  Assourbanabal  nous  trouvons  plusieurs  voyants  —  shahrou  —  dont  l'un  prédit 
le  triomphe  général  du  roi  sur  ses  ennemis  {Cylindre  de  Rassam,  col.  m,  I.  118-127),  et  dont  l'autre 
annonce  au  nom  d'Ishtar  la  victoire  sur  les  ftlamitcs  et  encourage  l'armée  assyrienne  à  franchir  un 
torrent  gonflé  par  les  pluies  (id.y  col.  v,  1.  97-103),  tandis  qu'un  troisième  voit  en  songe  la  défaite 
et  la  mort  du  roi  d'Élara  (Cylindre  /i,  col.  v,  1.  49-76,  dans  G.  Smith,  flislory  of  Assurbanipal, 
p.  123-126).  Ces  voyants  sont  mentionnés  dans  les  textes  de  Goudéa  avec  des  prophétesses  «  qui 
disent  le  message  »  des  dieux  (Statue  H  du  Louvre,  dans  IIeuzey-Sahzec,  Fouilles  en  Chaldée,  pi.  10, 
col.  iv,  I.  1-3;  cf.  AwAim,  The  Inscriptions  of  Telloh  dans  les  Records  of  the  Past%tné  ser.,  t.  I,  p.  78). 

A.  Dans  une  formule  dirigée  contre  les  esprits  mauvais,  et  destinée  à  fabriquer  les  figures  talis- 
maniques  protectrices  des  maisons,  en  dit  de  Mardouk  qu'il  «  habite  l'image  •  —  as  hibou  salam  — 
qui  a  été  fabriquée  de  lui  par  le  magicien  (Kawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  21,  n°  1,  l.  40-41  ; 
cf.  Fr.  Le.norm\nt,  Études  Accadiennes,  t.  Il,  p.  272-273,  t.  III,  p.  104,  106). 

5.  C'est  ce  que  dit  Goudéa  lorsque,  décrivant  sa  propre  statue  qu'il  avait  placée  dans  le  temple  de 
Telloh,  il  ajoute  qu'  «  à  la  statue  il  a  donné  ordre  :  A  la  statue  de  mon  roi  parle!   •   (Ami un,  dans 

HIST.    ANC.    DE    L'ORIENT.    —   T.    1.  81 


64i  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  l)E  LA  CHALDÉE. 

images  spéciales  qu'on  articulait  savamment  comme  en  Egypte,  et  dont  un 
prophète  tirait  mystérieusement  les  (ils?  Des  voix  résonnaient  la  nuit  au  plus 
profond  des  sanctuaires,  surtout  lorsqu'un  roi  s'y  prosternait  pour  apprendre 
l'avenir  :  son  rang  qui  l'élevait  à  mi-chemin  du  ciel  le  préparait  à  recevoir  la 
parole  d'en  haut  des  propres  lèvres  de  l'idole'.  Le  plus  souvent,  un  prêtre, 

instruit  au  métier  dès  l'en- 
fance, jouissait  du  privi- 
lège de  poser  les  questions 
voulues  et  d'interpréter  aux 
dévots  les  signes  divers  par 
lesquels  la  pensée  divine 
s'exprimait.  L'esprit  souf- 
flait d'ailleurs  où  bon  lui 
i/iooiution  ne  la  ««Ht  et  ni'  ront*.  semblait,  et  se  logeait  sou- 

vent dans  des  endroits  où 
l'on  ne  se  serait  pas  attendu  à  le  rencontrer.  Il  animait  des  pierres,  celles 
surtout  qui  tombaient  du  ciel',  des  arbres  et  par  exemple  l'arbre  d'Ëridou  qui 
rendait  des  oracles*,  la  masse  d'armes  à  tête  de  granit,  à  manche  de  bois',  la 
hache  de  Kamman',  les  lances  fabriquées  sur  le  modèle  du  javelot  de  Gilga- 
mès,  javelot-fée  qui  partait  et  revenait  à  l'ordre  de  son  maître,  sans  qu'on  eût 
besoin  d'y  toucher7.  Les  objets  pleins  de  la  divinité,  une  fois  qu'on  les  avait 

Hkchi-Samec,  Découvertes  en  Chaldêr,  p.  XII,  I.  31-45}.  I.»  statue  di 
parlera  désormais  quand  on  la  consultera  selon  lus  formules.  Cf.  ce  i 
royales  consacrées  dans  les  temples  de  l'Egypte,  p.  titl-IÏO  de  celte 

t.  Ainsi  le  roi  assyrien  Assourbanabal  entend,  la  nuit,  dans  le 
In  yoix  de  la  déesse  elle-même  qui  lui  promet  son  appui  contre  le  n 
col.  y,  I.  36-48,  dans  fi.  Siith,  Hitlory  of  Anurbampal,  p.  140-143}. 

4.  Destin  de  Fnuchci-Ctidiu,  d'après  Cintailtt   chnlde'cttne  reproduite  dont  Nu; 
vertes  en  ilhaldée,  pi,  30"-,  n-  13'. 

3.  Saicf.,  The  Itcligion  of  llie  Ancien!  ISaliytoniaiu.  o.  il";  sur  la  pnisonec  possible  dans  un  des 
sanctuaire*  d'Ourou  d'un  arbre  sacré  ou  d'une  pierre  météorique  consacrée  au  dieu-Lune,  Sin, 
cf.  Iluiasi.,  Die  Sentitiichen  Vôlktr  und  Sprachen.  p.  40fi-40". 

4.  L'arbre  d'Êridou  est  décrit  dana  la  tablette  K,  III  (1U* limon.  Cm.  ht*.  IV.  À».,  t.  IV,  pi.  15) 
du  Dritish  Muséum;  cl,  S.iice,  The  Religion  of  the  Ancien)  Baligtoaiant,  p.  438-144,  471,  I.  46-35, 
où  il  est  identifié  à  l'arbre  cosmique.  Je  crois  avec  Jmsf.k,  Die  Kimmalogie  der  Baln/lonicr,  p.  14», 
n.  I,  que  cet  arbre  rendait  ses  oracles  par  le  moyen  d'un  prêtre  attaché  a  son  entretien.  Il  a  élé 
question  des  arbres  sacrés  de  l'Egypte  et  du  culte  qu'on  leur  rendait  au*  p.  141-144  de  celle  Histoire. 

5.  La  masse  d'armes  plantée  droit  sur  l'autel  et  recevant  l'hommage  d'un  homme  debout  devant 
elle  n'est  pas  rare  parmi  les  représentations  des  cylindres  assyriens;  cf.  au  sujet  de  ce  culte  Htrin , 
tel  Origine*  orientales  de  t'Ait,  t.  I,  p.  i!i3-l!IR.  Il  se  peut  que  l'énorme  tête  de  massue  eu  pierre 
du  vicaire  MiiKhirsiiuiiHiudou  (llnin.  Ileron'lruclion  partielle  de  la  stèle  du  roi  Eannadou,  dans 
les  Ciiinplm  rendus  de  l'Académie  des  Iwtcripliims,  IBiti,  t.  XX.  p.  4711.  et  la  Innée  coloriait  rf" Js- 
itnttbnr,  ibid.,  IS!I3,  t.  XXI,  p.  3111)  soit  une  île  ces  massues  divines  qu'on  adorait  dans  les  temples. 
Le  fouet,  placé  dans  notre  vignette  il  coté  des  deux  mapser.,  ]>arï;if;t'ail  le  culte  qu'elles  recevaient. 

11.  La  hache  d'armes  dressée  sur  un  autel  pour  recevoir  l'offrande  d'un  prêtre  ou  d'un  dévot  a  élé 
signalée  pour  la  première  fois  par  A.  dk  Loratallk,  Œuvres.  1. 1,  p.  1"0-I7t,  418-441. 

7.  Une  de  ces  lances  en  cuivre  ou  en  bronze,  décorée  de  petits  has-reliefs,  a  élé  retrouvée  par 
N.    de   Saricc  dan-  les   ruines  d'une   sorte   de   villa  appartenant   aux  princes    de    Lagash  ;    elle    est 


n  roi,  inspirée 

par  celle  du  dieu. 

qui  est  dit  des 

Histoire. 

sanctuaire  de 

l'Ishtar  d'Articles, 

oi  d'rLIam  Tiou 

:imian  (Cylindre  II, 

lutte  dans  lin 

Ilt-SAMEG,    Decou- 

LES  FETICHES   ET  LES  DIEUX  FAMILIERS.  6*3 

reconnus,  on  les  plaçait  sur  l'autel  et  on   les  adorait  avec   autant  de   piété 

qu'une  statue  même.  Les  animaux   ne  devinrent   jamais   l'objet    d'un   culte 

régulier  comme  en  Egypte  :  certains  d'entre  eux  pourtant,  le  taureau,  le  lion, 

tenaient  de  près  aux  dieux,  et  les  oiseaux  trahissaient  inconsci 

ment  par  le  vol  ou  par  le  cri  les  secrets  de  l'avenir1.  Ajoutez  c 

chaque  maison  possédait  ses  dieux  familiers,  auxquels  elle  ré 

tait  des  prières  ou  versait  des  libations  soir  et  matin,  et  do 

les  images,  présentes  au  foyer  domestique,  le  défendaient  contre 

les  embûches  du  mauvais1.  Les  religions  d'Etat,  que  tous  les 

habitants  d'une  même  cité,  depuis  le  roi  jusqu'au  dernier  des 

esclaves,  devaient  pratiquer  solennellement,  ne   représentaie 

en  réalité  pour  les  Chaldéens  que  la  moindre  partie  de  leur  v 

religieuse  :  elles  contentaient  une  douzaine  de  dieux,  les  pli 

grands  sans  doute,  mais  elles   laissaient  de  côté,  ou  peu  se 

faut,  tous  les  autres,  dont  la  colère  s'éveillait  dangereuse  quan 

on  les  négligeait  entièrement.  Les  religions  particulières  complé 

taient  les  religions  publiques,  en  assurant  des  fidèles  à  la  plupai 

de  ces  oubliés,  et  elles  compensaient  ainsi,  par  les  œuvres  de  I 

dévotion  privée,  l'impuissance  de  la  communauté  à  leur  rendre 

ouvertement  un  hommage  officiel. 

L'idée  de  ramener  tant  d'êtres  à  un  seul  être  qui  réu- 
nirait en  lui  toutes  leurs  substances  et  l'ensemble  de  M  11[im| 
leurs  facultés,  si  elle  traversa  jamais  l'esprit  de  quelque  nmunx*  . 
théologien,  ne  se  répandit  point  chez  le  peuple  :  on  n'a  signalé  nulle  part 
encore,  entre  les  milliers  de  tablettes  ou  d'inscriptions  sur  pierre  où  sont 
enregistrées  les  prières  et  les  formules  magiques,  un  document  qui  traite  de 
l'existence  du  dieu  unique  ou  qui  contienne  une  allusion  lointaine  à  l'unité  de 

aujourd'hui  au  Xuscc  du  Louvre;  cf.  Heiieï,  la  Lance  colottalc  d'hdouhar  et  le»  nouvelle*  fouille/ 
de  M.  de  Sariec,  dans  les  Complet  rendue  de  l'Académie  de»  Inicriptions  et  Ileltet-Lcttret,  189S. 
1.  XXI.  p.  3lir,  sqq. 

I.  Les  formes  animale*  son!  restreintes  presque  toutes  soit  au*  génies,  soit  aut  constellations,  soit 
aux  formes  secondaires  des  grandes  divinités  :  Ëa  pourtant  est  représenté  sous  la  ligure  d'un  homme 
a  queue  de  poisson  ou  d'un  homme  vêtu  d'un  poisson,  ne  qui  semblerait  indiquer  qu'à  l'origine  ou 
le  considérait  comme  un  poisson  véritable.  Sur  les  facultés  prophétiques  que  les  prêtres  attribuaient 
aui  oiseau»,  cf.  Fa.  I.e.iomum,  la  Divination  chei  let  Chaldêen»,  p.  Si  sqq. 

t.  Les  images  de  ces  dieui  étaient  des  amulettes  dont  la  présence  seule  repoussait  les  mauvais 
esprits.  On  en  a  trouvé  à  Khorsabad  qui  étaient  enterrés  sous  le  seuil  des  portes  de  la  ville  (Plac*, 
jVtitîtie  et  t'A—yrie,  t.  I,  p.  198  sqq.).  Une  tablette  bilingue  du  British  Muséum  nous  a  conservé  une 
formule  de  consécration  destinée  à  donner  la  puissance  souveraine  à  ces  statue  Ile  s  protectrices 
[Vu.  Lwomjurt,  Eluda  aecadienne»,  I.  H.  p.  167-177,  et  t.  III,  p.  101-106). 

3.  Denin  de  Faueher-Gudin,  d'après  ta  figurine  m  terre  cuite  d'époque  attyrîcnnc  du  Mutée  du 
Louvre  (cf.  A.  dï  Lonr.piiBren.  Notice  de»  Antiquité»  attyrUnaei,  3*  éd..  p.  57,  u-  4B!). 


644  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

Dieu1.  On  y  rencontre,  il  est  vrai,  beaucoup  de  passages  où  telle  et  telle  divinité 
vante  sa  force,  rabaisse  éloquemment  celle  de  ses  rivaux  et  termine  son  dis- 
cours par  l'injonction  de  n'adorer  que  lui  :  «  Homme  qui  viendras  par  la  suite, 
fie-toi  en  Nébo,  en  aucun  autre  dieu  ne  te  fie'!  »  Les  termes  qu'elle  emploie 
pour  ordonner  aux  races  futures  d'abandonner  le  reste  des  immortels  en  faveur 
de  Nébo,  prouvent  combien  ceux-là  même  qui  se  targuaient  d'être  l'homme 
d'un  seul  dieu  se  sentaient  éloignés  de  croire  à  l'unité  de  dieu.  Ils  admettaient 
volontiers  que  l'idole  de  leur  choix  l'emportait  de  beaucoup  sur  les  autres, 
mais  ils  ne  songeaient  pas  à  proclamer  qu'elle  les  avait  absorbées  toutes  en 
soi,  et  qu'elle  demeurait  seule  en  sa  gloire  vis-à-vis  du  monde,  sa  créature. 
A  côté  d'eux,  un  habitant  de  Babylone  en  disait  autant  et  plus  de  Mardouk,  le 
patron  de  sa  ville  natale,  sans  pourtant  cesser  de  croire  à  l'indépendance 
réelle  et  à  la  royauté  de  Nébo.  «  Quand  ta  puissance  se  manifeste,  qui  s'y 
soustrait?  —  Ta  parole  est  un  filet  souverain  que  tu  déploies  au  ciel  et  sur  la 
terre  :  —  il  s'abat  sur  la  mer,  et  la  mer  se  retire,  —  il  s'abat  sur  la  plaine,  et 
les  champs  mènent  grand  deuil,  —  il  s'abat  sur  les  hautes  eaux  de  l'Euphrate, 
et  la  parole  de  Mardouk  y  trouble  la  crue.  —  0  Seigneur,  tu  es  souverain,  qui 
te  résiste?  —  Mardouk,  parmi  les  dieux  qui  portent  un  nom,  tu  es  souverain8.  » 
Mardouk  est  le  roi  des  dieux  pour  son  fidèle,  il  n'est  pas  le  seul  dieu.  Les 
divinités  de  marque  recevaient  de  la  même  manière  l'assurance  de  leur  omni- 
potence, mais  leurs  zélateurs  les  plus  fervents  ne  les  considéraient  pas  pour 
cela  comme  la  divinité  unique  et  solitaire,  dont  l'existence  et  l'empire 
excluaient  l'existence  et  l'empire  des  autres.  Leur  élévation  simultanée  au 
rang  suprême  ne  fut  pas  cependant  sans  influer  grandement  sur  l'idée  qu'on  se 
faisait  de  leur  nature.  Anou,  Bel,  Ëa,  pour  ne  parler  que  de  ceux-là,  étaient  au 
début  des  personnages  incomplets,  bornés,  emprisonnés  chacun  dans  un  con- 
cept unique,  et  réduits  aux  attributs  qu'on  jugeait  indispensables  à  l'exercice 
de  leur  pouvoir  dans  un  champ  limité,  au  ciel,  sur  la  terre,  dans  les  eaux  ; 
en  prenant  tour  à  tour  le  dessus  sur  leurs  rivaux,  ils  durent  revêtir  les  qua- 

1.  Le  dieu  suprême  que  les  premiers  assyriologues  avaient  cru  retrouver  et  qu'ils  appelaient  II, 
Hou,  Rà  (H.  Rawlimson,  On  the  Religion  of  the  Babylonian*  and  Assyrians,  dans  YHerodotus  de 
G.  Rawlinson,  2e  éd.,  t.  I,  p.  482,  cf.  G.  Rawlinson,  The  Five  Great  Monarchies,  îm  éd.,  t.  I,  p.  1 14- 
115;  Fr.  Lemormant,  Essai  de  Commentaire  sur  les  fragments  cosmogoniques  de  Bérose,  p.  63-04, 
les  Dieux  de  Baby  lotie  et  de  l'Assyrie,  p.  4-5),  n'existe  pas  plus  que  le  dieu  souverain  dont  les 
égyptologues  avaient  imaginé  la  présence  au  sommet  du  panthéon  égyptien. 

2.  Inscription  de  la  statue  du  dieu  Nébo,  du  temps  de  Rammannirari  III,  roi  d'Assyrie,  aujourd'hui 
conservée  au  British  Muséum;  Rawmnson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  I,  pi.  35,  n°  H,  1.  12. 

3.  Rawlinsom,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  26,  n°  IV,  I.  1-22;  cf.  les  traductions  de  ce  texte  qui  ont 
été  données  en  français  par  Fr.  Lenormant,  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  175,  et  Études  accadiennrs, 
t.  II,  p.  119-123,  t.  III,  p.  41-43,  en  allemand  par  Deutzsch-MCrdter,  Geschichte  Babyloniens  und 
Assyriens,  2«  éd.,  p.  37,  et  en  anglais  par  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  497. 


LES  ALLIANCES  DES  DIEUX.  645 

lités  qui  leur  permettaient  de  les  régenter  chacun  dans  son  domaine.  Leur  être 
s'élargit,  et  de  dieux  du  ciel  ou  de  la  terre  ou  des  eaux  qu'ils  étaient,  ils 
devinrent  les  dieux  du  ciel  et  de  la  terre  et  des  eaux  tout  à  la  fois  :  Anou 
régna  chez  Bel  et  chez  Ea  comme  chez  lui,  Bel  joignit  à  la  sienne  propre 
l'autorité  d'Anou  et  d'Éa,  Ëa  traita  Anou  et  Bel  du  même  sans-gêne  qu'ils 
l'avaient  traité,  et  cumula  leur  suprématie  avec  la  sienne.  Leur  personne  se 
composa  désormais  de  plusieurs  couches  stratifiées  :  elle  conserva  comme 
noyau  l'être  qu'ils  étaient  au  début,  mais  elle  y  superposa  les  caractères  par- 
ticuliers à  tous  les  dieux  au-dessus  desquels  on  l'exaltait  successivement. 
Anou  s'adjugea  un  peu  du  tempérament  de  Bel  et  de  celui  d'Ëa,  et  ceux-ci  lui 
empruntèrent  en  échange  bien  des  traits  de  sa  physionomie.  Le  même  travail 
de  nivellement  qui  changea  la  face  des  divinités  égyptiennes,  et  qui  les  trans- 
figura peu  à  peu  en  variantes  locales  d'Osiris  et  du  Soleil,  s'opéra  presque 
aussi  fortement  sur  les  Chaldéennes  :  celles  où  s'incarnaient  la  terre,  les  eaux, 
les  astres,  le  ciel,  parurent  désormais  se  tenir  de  si  près  qu'on  est  presque 
tenté  de  les  considérer  comme  les  doublets  d'un  seul  dieu,  adoré  sous  des 
noms  différents  selon  les  lieux.  Leur  caractère  primitif  ne  ressort  pleinement 
que  si  on  les  débarrasse  du  vernis  uniforme  qui  les  recouvre. 

Les  dieux-ciel  et  les  dieux-terre  avaient  été  plus  nombreux  au  début  qu'ils 
ne  furent  par  la  suite.  On  reconnut  toujours  comme  tels  Anou,  le  firmament 
inébranlable,  et  Bel  l'Ancien,  le  seigneur  des  hommes,  le  sol  sur  lequel  ils 
vivent,  au  sein  duquel  ils  s'engloutissent  après  la  mort;  mais  d'autres,  qui 
avaient  perdu  en  tout  ou  en  partie  leur  caractère  premier  aux  époques  histo- 
riques, Nergal1,  Ninib1,  Doumouzi3,  ou  parmi  les  déesses  Damkina4,  Ésharra5, 
Ishtar  elle-même6,  avaient  commencé  par  représenter  la  terre  ou  l'un  de  ses 

1.  Cette  donnée,  qui  ressort  des  diverses  fonctions  attribuées  à  Nergal,  est  repoussée  très  énergi- 
quement  par  Jf.nsen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  481-484;  d'après  lui,  Nergal  serait,  dès 
l'origine,  ce  qu'il  fut  certainement  par  la  suite,  le  Soleil  de  l'été  ou  du  raidi,  brûlant  et  meurtrier. 

2.  Ninib  et  son  double  Ninghirsou  sont  des  dieux  de  la  culture  et  de  la  fertilité,  partant  des  dieux 
de  la  terre,  comme  leur  mère  fisharra,  le  sol  fécond  qui  produit  les  moissons  et  qui  engraisse 
les  bestiaux  (Jenses,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  61,  199);  cf.  p.  576,  note  3,  de  cette  Histoire. 

3.  Doumouzi,  Dououzi,  le  Tammouz  des  Sémites  occidentaux,  était  à  la  fois  un  dieu  de  la  terre 
des  vivants  et  de  la  terre  des  morts,  de  préférence  celui  qui  fait  pousser  la  végétation  et  qui  verdit 
la  terre  au  printemps  (Jenses,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  t97,  225,  227,  480). 

4.  Damkina,  Davkina,  la  AavxTj  des  transcriptions  grecques,  est  une  des  rares  déesses  dont  le 
caractère  de  Terre  soit  reconnu  presque  unanimement  par  les  assyriologues  qui  se  sont  occupés 
d'études  religieuses  (Lenormant,  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  148,  183;  Hommel,  Die  Semilischen  Vol- 
k*r,  p.  375-376;  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  139,  264-265)  :  son  nom 
Dam-ki  est  composé  de  manière  à  signifier  littéralement  la  maîtresse  de  la  terre. 

5.  Sur  la  qualité  de  divinité  du  sol  que  possède  à  n'en  pas  douter  la  déesse  Ésharra,  cf.  ce  que 
dit  Jensen,  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  195-201. 

6.  C'est  la  théorie  fort  ingénieuse  de  Tiele,  établie  sur  la  légende  de  la  descente  d'Ishtar  aux 
Enfers  (Tiele,  la  Déesse  Ishlar  surtout  dam  le  mylh*  babylonien,  dans  les  Actes  du  VI*  Congrès 
International  des  Orientalistes,  t.  II,  p.   493-506).  Elle  a  été  adoptée  par  Sayce,   Tlic  Religion  of 


6>W  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX   DE  LA  CHÀLDÉE. 

aspects  principaux,  Nergal  et  Ninib,  les  agents  de  la  culture  et  les  protecteurs 
de  la  glèbe,  Doumouzi,  le  sol  printanier,  dont  la  parure  se  flétrit  aux  pre- 
mières atteintes  de  Tété,  Damkina,  l'humus  uni  à  l'eau  fécondante,  Ésharra,  le 
champ  où  germent  les  moissons,  lshtar,  la  motte  qui  reverdit  après  les  feux  de 
la  canicule  et  les  froids  de  l'hiver.  Tous  ces  personnages  avaient  subi  à  des 
degrés  inégaux  le  sort  qui  attend  chez  la  plupart  des  peuples  ces  vieilles 
divinités  chthoniennes,  trop  vastes  et  trop  ondoyantes  en  leurs  manifestations 
pour  qu'on  pût  en  serrer  l'idée  de  près  ou  en  dessiner  une  image  précise, 
sans  les  limiter  et  sans  les  amoindrir.  De  nouveaux  maîtres  avaient  surgi, 
moins  immenses  et  d'un  contour  moins  flou,  par  suite  plus  faciles  à  embrasser 
d'un  seul  regard  et  à  définir  dans  leur  action  réelle  ou  supposée,  le  soleil,  la 
lune,  les  astres  immobiles  ou  voyageurs.  La  lune  note  le  temps,  distingue  les 
mois,  conduit  les  années,  la  vie  entière  des  cités  et  des  hommes  dépend  de 
la  régularité  de  ses  mouvements  :  on  fit  d'elle  ou  de  l'esprit  qui  l'animait  le 
père  et  le  roi  des  dieux,  mais  elle  obtint  presque  partout  une  suzeraineté  de 
convention  plutôt  qu'une  supériorité  réelle,  et  le  Soleil,  son  vassal  théorique, 
compta  plus  de  fidèles  que  cette  pâle  et  froide  majesté.  Les  uns  l'adoraient 
sous  son  titre  courant  de  Shamash,  comme  Rà  en  Egypte,  les  autres  l'ap- 
pelaient Mardouk,  Ninib,  Nergal,  Doumouzi,  pour  ne  citer  que  les  plus  connus 
de  ses  noms.  Nergal  n'avait  à  l'origine  rien  de  commun  avec  Ninib,  et  Mar- 
douk différait  de  Shamash  comme  de  Ninib,  de  Nergal  ou  de  Doumouzi,  mais 
le  mouvement  qui  poussa  tant  de  divinités  égyptiennes  étrangères  l'une  à 
l'autre,  entraîna  les  Chaldéennes  à  muer  peu  à  peu  de  nature  et  à  s'ensoleiller. 
Chacune  d'elles  fut  d'abord  un  soleil  complet  et  réunit  en  soi  toutes  les 
vertus  innées  au  Soleil,  l'éclat  et  l'empire  sur  le  monde,  la  chaleur  douce  et 
bienfaisante,  l'ardeur  féconde,  la  bonté,  la  justice,  l'esprit  de  vérité  et  de 
paix,  puis  les  vices  incontestables  qui  obscurcissent  certains  côtés  de  son  être, 
l'emportement  de  ses  flammes  à  midi  et  pendant  l'été,  la  dureté  inexorable 
de  ses  volontés,  son  humeur  batailleuse,  sa  brutalité  irrésistible,  sa  cruauté. 
Elles  perdirent  ensuite  ce  caractère  uniforme  et  s'en  partagèrent  les  attributs  : 
si  Shamash  demeura  le  Soleil  en  général1,  Ninib  se  restreignit  à  n'être  plus,  à 
l'exemple  d'Harmakhis  l'Égyptien,  que  le  Soleil  à  son  lever  et  à  son  coucher*, 

the  Ancient  Rabylonians,  p.  251,  et   se  présente  avec   une  grande  apparence  de  vraisemblance  :  le 
caractère  aiderai  d'Ishtar  lui  viendrait  de  l'alliance  qu'elle  contracta  avec  Ànounit. 

1.  Shamash  est,  comme  Râ  en  égyptien  (cf.  p.   88,  note  1,  de  cette  Histoire),  le  mot  même  qui 
signifie  Soleil  dans  la  langue  courante  :  il  est  transcrit  Sato;  (Heztchius,  s.  v.  /.)  par  les  Grecs. 

2.  Lenormant  lui  avait  attribué  le  caractère  du  «  Soleil  ténébreux  et  nocturne,  du  Soleil  [dans  l'hé- 
misphère inférieur  •   (Essai  de  Commentaire  sur  les  Fragments  Cosmogoniqves  de  Bérose,  p.  113). 


LA  LUNE  ET  LE  SOLEIL.  647 

le  Soleil  dans  les  deux  horizons.  Nergal  devint  le  Soleil  fiévreux  et  destructeur 
de  Tété1.  Mardouk  se  changea  au  jeune  Soleil,  le  Soleil  du  matin  et  du  prin- 
temps1; Doumouzi  fut,  comme  Mardouk,  le  Soleil  avant  Tété3.  Leurs  qualités 
morales  se  ressentirent  naturellement  de  ce  rétrécissement  de  leur  personne 
matérielle,  et  la  physionomie  qu'on  leur  prêta  d'après  leurs  fonctions  s'écarta 
sensiblement  de  celle  qu'on  attribuait  jadis  au  type  unique  dont  ils  dérivaient. 
Ninib  se  montre  vaillant,  hardi,  querelleur  :  c'est  un  soldat  qui  ne  rêve  que 
lutte  et  beaux  faits  d'armes*.  Nergal  joint  à  la  bravoure  une  férocité  sour- 
noise :  il  ne  se  contente  pas  d'être  le  roi  des  batailles,  il  est  aussi  la  peste 
qui  fond  à  l'improviste  sur  le  pays,  la  mort  qui  survient  comme  un  voleur  et 
qui  emporte  sa  proie  avant  qu'elle  ait  eu  le  temps  de  se  mettre  en  défense5. 
Mardouk  joint  la  sagesse  au  courage  et  à  la  force  :  il  attaque  les  méchants, 
protège  les  bons  et  use  de  sa  puissance  pour  faire  triompher  l'ordre  et  la 
justice8.  Une  légende  fort  ancienne,  qui  s'est  développée  plus  tard  très  abon- 
damment chez  les  Cananéens,  racontait  la  passion  malheureuse  d'Ishtar  pour 
Doumouzi.  La  déesse  s'égarait  chaque  année  d'une  fureur  nouvelle,  mais  la 

Delitzsch  préfère  reconnaître  en  lui  le  Soleil  du  sud,  le  Soleil  du  midi,  qui  dévore  et  détruit  tout 
(Delitzscr-MOrdter,  Geschichle  Babyloniens  und  Assyriens,  2*  éd.,  p.  33).  Amiaud,  revenant  en  partie 
à  l'opinion  de  Lenormant,  croyait  que  Ninib  est  le  Soleil  caché  derrière  les  nuages  et  combattant 
contre  eux,  un  Soleil  obscur,  mais  obscur  pendant  le  jour  (Amiaud,  Sirpourla  d'après  les  inscriptions 
de  la  collection  de  Sarzec,  p.  18-19).  Enfin  Jensen  conclut  la  longue  dissertation  qu'il  a  consacrée  à 
l'étude  de  ce  dieu  (Die  Kostnologie  der  Babylonier,  p.  457-475)  en  déclarant  que  •  le  Soleil  du  Matin 
à  l'horizon,  étant  égal  en  apparence  au  Soleil  du  soir  à  l'horizon,  fut  identifié  avec  celui-ci  »,  en 
d'autres  ternies  que  Ninib  est  le  Soleil  à  son  lever  et  à  son  coucher,  l'analogue  de  l'Harmakhis 
égyptien,  Harmakhouiti,  l'Horus  dans  les  deux  Horizons  du  ciel  (cf.  p.  138  de  cette  Histoire). 

1.  Le  caractère  solaire  de  Nergal,  au  moins  aux  époques  postérieures,  est  admis  par  tous  les  Assyrio- 
logues,  mais  avec  des  nuances.  Les  rapports  évidents  que  l'on  a  constatés  entre  Ninib  et  lui  (Fr.  Lenor- 
mant, Essai  de  Commentaire  sur  les  fragments  cosmogoniques  de  Bèrose,  p.  123-123)  ont  inspiré  à 
Delitzsch  l'idée  qu'il  est  aussi  le  Soleil  ardent  et  destructeur  (Delitzsch-MCrdter,  Geschichle  Babylo- 
niens und  Assyriens,  2*  éd.,  p.  34),  et  à  Jensen  la  conception  analogue  d'un  Soleil  de  midi  ou  d'un 
Soleil  de  l'été  (Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  484-485). 

2.  Fr.  Lenormant  paraît  avoir  été  le  premier  à  distinguer  dans  Mardouk,  outre  le  dieu  de  la  planète 
Jupiter,  une  personne  solaire  (les  Premières  Civilisations,  t.  Il,  p.  170-171,  et  la  Magie  chez  les  Chai- 
déens,  p.  120-121,  177).  Cette  donnée,  admise  d'une  manière  générale  par  la  plupart  des  Assyriolo- 
gues  (voir  ce  que  dit  Sayce,  The  Beligion  of  the  Ancien t  Babylonians,  p.  98-101),  a  été  définie  plus 
exactement  par  Jensen  (Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  87-88,  249-250),  qui  tend  à  voir  dans 
Mardouk  à  la  fois  le  Soleil  du  matin  et  le  Soleil  du  printemps  :  c'est  l'opinion  qui  prévaut  pour  le 
moment  (Delitzsch-MOrdter,  Geschichle  Babyloniens  und  Assyriens,  2*  éd.,  p.  31). 

3.  Saycr,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  212,  232  sqq. 

4.  Cette  appréciation  résulte,  entre  autres,  de  l'examen  des  hymnes  à  Ninib  publiés  dans  Rawlinson, 
Cun.  Ins.  \Y.  As.,  t.  I,  pi.  17,  1.  1-9,  pi.  29,  I.  1-25,  et  dans  Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier, 
p.  470-473  :  les  trois  ont  été  traduits  par  Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  464-473,  le  pre- 
mier par  Lhotzky,  Die  Anna  le  n  Asturnazirpals,  p.  2-3,  le  second  par  le  Père  Schk.il,  Inscription  en 
caractères  archaïques  de  Samsi-Râmman  IV,  roi  d'Assyrie,  p.  2-5. 

5.  Le  rôle  de  Nergal,  «  le  grand  Néra  »,  comme  dieu  de  la  peste,  a  été  étudié  par  Sayce,  The  Beligion 
of  the  Ancient  Babylonians,  p.  310-313;  cf.  M.  Jastrow,  A  fragment  of  the  Babylonian  Dibbarra 
Epi,-,  p.  21,  36  sqq. 

6.  Sur  le  caractère  de  Mardouk,  cf.  la  prière  de  Naboukodorosor,  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins.  IV.  As., 
t.  I,  pi.  53,  col.  i,  1.  41-60,  et  surtout  l'hymne  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  29,  n°l) 
traduit  par  Fr.  Lenormant,  les  Premières  Civilisations,  t.  Il,  p.  178  sqq.,  la  Magie  chez  1rs  Chaldéens, 
p.  175-176,  Éludes  accadiennes,  t.  III,  p.  116-121,  par  Fr.  Delitzsch,  Die  Cluildâische  Gcnctis, 
p.  302  sqq.,  et  par  Sayck,    The  Beligion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  501-502. 


! 


648  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

mort  tragique  du  héros  brisait  bientôt  sa  tendresse.  Elle  le  pleurait  éperdu- 
ment,  Tallait  disputer  aux  maîtres  de  l'Enfer,  puis  le  ramenait  triomphante 
ici-bas  :  c'était  chaque  année  la  même  rage  amoureuse  interrompue  violem- 
ment par  le  même  deuil.  La  terre  s'unit  au  jeune  Soleil  de  printemps  en 
printemps,  et  se  couvre  de  verdure  sous  l'influence  de  ses  caresses;  puis 
l'automne  vient  et  l'hiver,  et  le  Soleil,  vieilli,  descend  au  tombeau,  d'où  il 
faut  que  sa  maîtresse  l'évoque,  pour  se  replonger  avec  lui  d'un  élan  commun 
dans  les  joies  et  dans  les  douleurs  d'une  année  nouvelle1. 

Les  différences  s'accentuèrent  d'autant  plus  aisément  que  les  êtres  de  même 
origine  se  trouvèrent  souvent  séparés  l'un  de  l'autre  par  des  distances  relati- 
vement considérables.  Us  se  partageaient  la  surface  du  monde,  et  ils  y  for 
niaient  comme  en  Egypte  une  féodalité  véritable,  dont  les  chefs  résidaient 
chacun  dans  une  cité.  Ourouk  adorait  Anou,  Enlil-Bel  régnait  dans  Nipour, 
Éridou  appartenait  au  maître  des  eaux  Êa.  Le  dieu-Lune,  Sin,  gouvernait  à 
lui  seul  deux  grands  fiefs,  Ourou  vers  l'extrême  sud,  Harran  vers  l'extrême 
nord-ouest  ;  Shamash  dominait  dans  Larsam  et  dans  l'une  des  Sippara,  et  les 
autres  soleils  faisaient  aussi  bonne  figure  que  lui,  Nergal  à  Kouta,  Zamama  à 
Kish,  Ninib  à  Nipour  à  côté  de  Bel,  Mardouk  à  Babylone*.  Us  étaient  maîtres 
absolus  chez  eux,  et  c'est  une  exception  si  l'on  voit  dans  la  même  localité 
deux  associés  de  valeur  égale,  comme  Ninib  et  Bel  à  Nipour,  Éa  et  lshtar  dans 
Ourouk;  non  qu'ils  s'opposassent  en  principe  à  la  présence  sur  leurs  terres  de 
divinités  étrangères,  mais  ils  ne  les  accueillaient  qu'à  titre  d'alliées  ou  de 
sujettes3.  C'était  d'ailleurs  à  charge  de  revanche,  et  Nébo  ou  Shamash,  après 
avoir  trôné  souverains  à  Borsippa  ou  à  Larsam,  ne  pensaient  pas  déchoir  s'ils 
passaient  au  second  rang  à  Babylone  ou  dans  Ourou.  Tous  les  dieux  féodaux 
revêtaient  donc  un  double  personnage  et  comme  un  double  état  civil,  suze- 
rains dans  une  ou  deux  localités,  vassaux  partout  ailleurs,  et  cette  double 

1.  Pour  les  questions  que  soulève  le  degré  de  parenté  philologique  qui  unit  Doumouzi  à  Tam- 
mouz,  cf.  Jknsen,  Veber  einige  sumcro-akkadisvhc  und  babylonisch-assyrische  Golternamen,  dans  la 
Zeilsvhrift  fur  Assyriologic,  t.  I,  p.  1 7-4-1.  Sur  le  mythe  de  Tammouz-Adonis  et  d'Ishtar-Aphrodité 
on  peut  consulter  les  deux  mémoires  spéciaux  de  Fr.  Lenormant  (//  Mito  di  Adone-Tammuz  net 
documenti  cuneiformi,  dans  les  AUi  del  IV  Congresso  Internazionale  degli  Orientalisti,  p.  143-173) 
et  de  Tiele  (la  Déesse  lshtar  surtout  dans  le  mythe  babylonien,  dans  les  Actes  du  VI*  Congrès  inter- 
national des  Orientalistes,  t.  II,  p.  493-306),  dont  les  conclusions  ne  s'accordent  pas  dans  le  détail. 
On  lira  le  récit  de  la  descente  d'ishtar  aux  Enfers  aux  p.  093-tiUti  de  cette  Histoire. 

2.  Sans  remonter  aux  textes  originaux,  on  trouvera  l'indication  de  la  plupart  des  localités  qui 
appartiennent  à  chacune  des  grandes  divinités  dans  Delit7st.ii,  Wo  lag  das  Parodies  Y  Nipour,  p.  221. 
Éridou,  p.  228,  Ourou,  p.  227,  I.arsani,  p.  223,  Sippara,  p.  210,  Kouta,  p.  218,  Kishou,  p.  219.  L'attri- 
bution de  Harran  à  Sin.  qui  manque  dans  Delitzsch,  se  rencontre  dans  Saycb,  The  Religion  of  the 
Ancient  Babylonians,  p.  103-1  Ci. 

3.  On  a  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins.  \\\  As.,  t.  III,  pi.  fit»  verso,  col.  7,  une  liste  des  divinités  dont  les 
images,  placées  dans  les  principaux  temples  d'Assyrie,  formaient  la  cour  plénière  et  comme  la 
domesticité  du  dieu-maitre  (Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Habylonians,  p.  218-220). 


LA  HIÉRARCHIE  DIVINE,   LES  DEUX  TRIADES  D'OUROUK.  649 

condition  leur  était  une  garantie  sérieuse  de  prospérité,  même  d'existence.  Sin 
aurait  couru  grand  risque  de  s?étioler  et  de  tomber  dans  l'oubli,  s'il  n'avait 
possédé  pour  subvenir  à  ses  besoins  que  ses  temples  domaniaux  de  Harran  et 
d'Ourou.  Leur  appauvrissement  aurait  consommé  sa  déchéance  :  après  avoir 
connu  des  jours  de  richesse  et  de  splendeur  au  début  de  l'histoire,  il  aurait 
achevé  sa  vie  dans  la  misère  et  dans  l'obscurité.  Mais  les  sanctuaires  qu'on 
lui  bâtissait  dans  la  plupart  des  autres  cités,  les  honneurs  dont  on  l'y  entou- 
rait, les  offrandes  qu'il  y  récoltait,  le  dédommageaient  de  la  pauvreté  et  de 
l'abandon  qu'il  subissait  dans  les  siennes  :  il  y  gagnait  les  ressources  néces- 
saires à  maintenir  sa  divinité  sur  un  pied  convenable.  Tous  les  Chaldéens  ado- 
raient donc  tous  les  dieux  de  la  Chaldée,  seulement  les  uns  mettaient  celui-ci 
au-dessus  du  reste,  les  autres  un  autre.  Les  dieux  des  principautés  les  plus 
riches  et  les  plus  anciennes  jouissaient  assez  justement  de  la  popularité  la 
plus  forte.  La  grandeur  d'Ourou  avait  fait  celle  de  Sin,  et  Mardouk  dut  sa  for- 
tune à  la  suprématie  que  Babylone  acquit  tôt  sur  les  cantons  du  Nord.  On  le 
tenait  pour  le  fils  d'Éa,  pour  l'astre  issu  de  l'abîme  afin  d'illuminer  le  monde 
et  de  porter  aux  hommes  les  décrets  de  la  sagesse  éternelle.  On  le  proclamait 
le  maître  —  bîlou  —  par  excellence,  au  prix  duquel  les  autres  maîtres  ne 
comptaient  plus,  et  ce  titre  lui  fit  bientôt  un  second  nom  aussi  répandu  que 
le  premier  :  on  le  cita  partout  comme  le  Bel  de  Babylone,  Bel-Mardouk,  devant 
qui  Bel  de  Nipour  s'effaça  graduellement1.  Les  rapports  entre  ces  divinités 
féodales  n'étaient  pas  toujours  pacifiques  :  elles  se  jalousaient  comme  les  villes 
auxquels  elles  commandaient,  elles  conspiraient  l'une  contre  l'autre,  au  besoin 
elles  se  déclaraient  la  guerre.  Au  lieu  de  se  coaliser  contre  les  génies  mauvais 
qui  menaçaient  leur  domination  et  par  suite  l'ordre  entier  des  choses,  elles 
s'alliaient  parfois  avec  eux  et  se  trahissaient  mutuellement  :  leur  histoire, 
si  nous  la  possédions  entière,  serait  pleine  des  mêmes  violences  que  celle 
des  princes  et  des  rois  leurs  adorateurs.  On  avait  essayé  pourtant,  et  dès 
l'antiquité  la  plus  haute,  d'établir  entre  elles  une  hiérarchie  analogue  à  celle 
qui  existait  parmi  les  grands  de  notre  terre.  Les  fidèles  qui,  au  lieu  de  prier 
l'une  d'elles  isolément,  préféraient  s'adresser  à  toutes,  suivaient  en  les  invo- 
quant un  ordre  toujours  le  même  :  ils  commençaient  par  Ànou,  le  ciel,  puis 

1.  La  confusion  de  Mardouk  et  de  Bel  fut  notée  par  les  premiers  assyriologues  :  ils  distinguaient 
entre  Bel  de  Nipour,  Bel-Nerarod  (H.  Rawlinson,  On  the  Religion  of  the  Babylonians,  p.  488-492,  et 
G.  Rawlinson,  The  Five  Great  Monarchies,  2«éd.,  t.  I,  p.  117-119),  et  Bel  de  Babylone  ou  Bel-Mérodach 
(H.  Rawlinson,  On  (fie  Religion  of  the  Babylonians,  p.  515-517;  G.  Rawlinson,  op.  /.,  p.  134-135).  La  façon 
dont  ces  dieux  se  sont  assimilés  a  été  étudiée  par  Fa.  Lrnormant,  les  Premières  Civilisations,  t.  II, 
p.  170  sqq.,  et  par  Sayck,  The  Religion  of  the  Ancient  Rabylonians,  p.  85  sqq. 

82 


650  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÊE. 

ils  énuméraient  Bel,  Éa,  Sin,  Shamash,  Ramman1.  Ils  divisaient  ce  sizain  en 
deux  groupes  de  trois,  en  deux  triades,  dont  Tune  comprend  Anou,  Bel,  Ëa,  et 
l'autre  Sin,  Shamash,  Ramman.  Toutes  ces  personnes  appartiennent  à  laChaldée 
méridionale,  et  le  système  qui  les  unit  a  dû  naître  dans  cette  partie  du  pays, 
probablement  dans  Ourouk,  dont  le  patron  Anou  détient  le  premier  rang1.  Les 
théologiens  qui  les  ont  classés  de  la  sorte  ne  paraissent  pas  avoir  songé,  comme 
les  auteurs  de  l'Ennéade  héliopolitaine,  à  expliquer  les  moments  successifs  de 
la  création  :  aussi  leurs  triades  ne  sont-elles  pas  des  copies  de  la  famille  hu- 
maine, comprenant  un  père  et  une  mère  dont  le  mariage  enfante  une  des  par- 
ties du  monde  nouveau.  D'autres  avaient  exposé  déjà  les  origines  des  choses 
et  raconté  les  luttes  de  Mardouk  avec  le  chaos3  :  ils  prirent  l'univers  tout  édi- 
fié, et  ne  se  soucièrent  plus  que  d'en  dénombrer  les  éléments  par  les  dieux  qui 
les  incarnent4.  Ils  placèrent  au  sommet  les  plus  grands  parmi  les  êtres  que 
l'homme  perçoit  forcément,  Anou  d'abord,  puisque  le  ciel  était  le  dieu  de  leur 
cité,  puis  Bel  de  Nipour,  la  terre  qui  de  tout  temps  s'est  appareillée  au  ciel, 
enfin  Ëa  d'Ëridou,  les  eaux  terrestres  et  l'Océan  primordial  d'où  Anou  et  Bel 
étaient  sortis  avec  le  reste  des  créatures,  le  dieu  dont  ils  auraient  dû  faire  le 
souverain  maître,  s'ils  n'avaient  été  guidés  dans  leur  choix  par  la  vanité  locale. 
Anou  doit  sa  suprématie  plutôt  à  un  accident  historique  qu'à  une  pensée  reli- 
gieuse :  il  tient  le  haut  de  tout,  non  pour  ses  propres  mérites,  mais  parce  que  la 
théologie  qui  prévalut  à  une  époque  très  ancienne  était  l'œuvre  de  son  sacerdoce8. 
Le  caractère  des  trois  personnages  qui  siègent  dans  la  triade  suprême  se 
déduit  très  simplement  de  la  nature  de  l'élément  qu'ils  représentent.  Anou, 
c'est  le  ciel  lui-même  —  ana  — ,  la  voûte  immense  qui  s'arrondit  au-dessus 
de  nos  têtes,  claire  pendant  le  jour  et  glorifiée  par  le  soleil,  sombre  et  semée 
la  nuit  d'innombrables  constellations6.  C'est  ensuite  l'esprit  qui  anime  le  firma- 

t.  C'est  l'ordre  constant  dans  les  inscriptions  de  Nabonatd  par  exemple,  comme  dans  celles  de 
Salmanasar  II,  et  l'analyse  de  la  légende  de  G  il  gainés  montre  qu'on  l'observait  déjà  aux  anciens  temps 
(A.  Jkremias,  Izdubar-Nimrod,  p.  9-10),  avec  l'échange  usuel  de  Ramman  et  d'ishtar  au  sixième  rang. 

2.  Henry  Rawlinson  inclinait  à  placer  dans  Éridou  l'origine  de  la  théologie  chaldéenne;  mais  Sayce 
fait  remarquer  avec  raison  (The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  192)  que  le  choix  d'Annu 
comme  chef  de  file  indique  plutôt  la  ville  d'Ourouk  que  celle  d'tfridou. 

3.  Cf.  p.  1)37-545  de  cette  Histoire  la  cosmogonie  d'origine  babylonienne,  dont  Mardouk  est  le  héros, 

4.  Je  ne  sais  guère  que  Sayce  (The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  110-111,  192-193)  qui 
ait  essayé  d'expliquer  la  formation  historique  des  triades.  Elles  seraient  d'origine  accadienne,  et 
le  système  aurait  commencé  peut-être  par  la  constitution  d'une  triade  astronomique,  composée  du 
dieu-Lune,  du  dieu-Soleil  et  de  l'Etoile  du  soir  (op.  /.,  p.  110),  Sin,  Shamash  et  Ishtar;  à  côté  de 
cette  trinité  élémentaire,  «  la  seule  authentique  qu'on  puisse  trouver  dans  la  foi  religieuse  de  la 
Chaldée  primitive  »,  les  Sémites  auraient  placé  la  trinité  rosraogonique  d'Anou,  de  Bel  et  d'fta,  for- 
mée par  la  réunion  des  dieux  d'Ourouk,  de  M  pour  et  d'Éridou  (op.  /.,  p.  192-193). 

5.  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  192-194. 

6.  Anou  avait  été  considéré  d'abord  comme  un  dieu  des  enfers  et  identifié  à  Dis  ou  à  Pluton 
(H.  Rawlinson,   On  the  Religion  of  the  Babylonians  and  Assyrians,  p.  485-487  ;  cf.  Hincks,  On  the 


LA  TRIADE  SUPRÊME,  ANOU  LE  CIEL.  654 

ment1  ou  le  dieu  qui  le  gouverne*  :  il  réside  au  nord  vers  le  pôle,  et  la  route 
qu'il  choisit  d'ordinaire  pour  inspecter  son  domaine  suit  le  tracé  de  notre  éclip- 
tique3.  11  occupe  les  régions  sublimes  de  l'univers,  à  l'abri  des  vents  et  des 
orages,  dans  une  atmosphère  toujours  pure  et  dans  une  lumière  toujours  sereine. 
Les  dieux  des  espaces  moyens  et  de  la  terre  se  réfugient  vers  ce  ciel  d'Anou', 
lorsqu'un  grand  danger  les  menace,  mais  ils  n'osent  pas  en  affronter  les  pro- 
fondeurs et  ils  s'arrêtent,  la  limite  à  peine  franchie,  sur  la  corniche  qui  sup- 
porte la  voûte,  vautrés,  et  hurlants  comme  des  chiens5  :  il  ne  s'ouvre  entier 
qu'à  de  rares  privilégiés,  aux  rois  que  le  destin  consent  à  y  admettre,  aux 
héros  tombés  vaillamment  sur  les  champs  de  bataille.  Placé  si  loin  de  tous, 
sur  les  sommets  inabordables,  Anou  semble  participer  de  leur  calme  et 
de  leur  immobilité.  S'il  est  prompt  à  concevoir  et  à  juger,  il  n'accomplit 
presque  jamais  lui-même  les  projets  qu'il  mûrit  ou  les  arrêts  qu'il  rend  : 
il  se  décharge  du  tracas  d'agir  sur  Bel-Mardouk,  sur  Éa,  sur  Ramman6, 
et  il  fait  souvent  des  génies  inférieurs  les  exécuteurs  de  ses  volontés. 
«  Sept  ils  sont,  les  messagers  d'Anou  leur  roi,  —  et  c'est  eux  qui  de  ville  en 
ville  soulèvent  le  vent  d'orage;  —  ils  sont  le  vent  du  Sud  qui  chasse  puissam- 
ment dans  le  ciel  ;  —  ils  sont  la  nuée  destructrice  qui  bouleverse  le  ciel  ;  —  ils 
sont  les  tempêtes  rapides  qui  amènent  les  ténèbres  au  milieu  des  jours  sereins. 
—  ils  rôdent  çà  et  là  avec  le  vent  mauvais  et  la  bourrasque  néfaste7.  »  Anou 

Assyrian  Mytliology,  p.  406-407;  G.  Rawlinso*,  The  Five  Great  Monarchies,  2*  édit.,  t.  I,  p.  112,  115- 
117).  Son  rôle  a  été  déterminé  pour  la  première  fois  par  Fr.  Lenormant  (la  Magie  chez  les  Chaldéens, 
p.  106,  121,  142,  144-145),  qui,  après  avoir  d'abord  déclaré  qu'il  était  le  chaos  primordial  (Essai  de 
Commentaire  sur  les  fragments  cosmogoniques  de  Bérose,  p.  64-66),  «  première  émanation  matérielle 
de  l'être  divin  »,  reconnut  qu'Ânou  était  identique  à  Anna,  an  a,  le  ciel,  et  joignit  à  l'idée  de  firma- 
ment celle  de  dieu-Temps,  xp6vo;,  et  monde,  xocru-é;,  pour  se  conformer  aux  notions  contenues 
dans  un  passage  de  Damajscius  (De  Principiis,  §  125,  éd.  Ruelle,  p.  321-322).  L'identité  d'Anou  avec 
le  Ciel,  et,  par  suite,  sa  qualité  de  dieu-Ciel,  sont  aujourd'hui  reconnues  généralement  (Hommel,  Die 
Semitischen  Vôlkerund  Sprachen,  p.  370-373;  Sayce,  Religion  ofthe  Ancient  Babylonians,  p.  186-195; 
Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  4,  11-12,274;  MCriiter-Delitzsch,  Geschichte  Babyloniens  und 
Assyriens,  2*  éd.,  p.  25-26;  Tikle,  Assyrisch-Babylonische  Geschichte,  p.  517,  521). 

1.  Il  est  alors  le  Zi-ana,  YEspiit  du  Ciel  des  conjurations  magiques,  qu'elles  associent  et  qu'elles 
opposent  à  Y  Esprit  de  la  terre  (Fr.  Le.norma.nt,  la  Magie  chez  les  Chaldécns,  p.  139-140,  144;  Hommel, 
Die  Semitischen  Vôlker,  p.  363,  370  ;  Sayce,  The  Beligion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  186-187). 

2.  Il  porte  en  effet  le  titre  d'Anou,  le  grand  du  Ciel,  le  grand  dieu  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As., 
t.  V,  pi.  45,  n°  2,  1.  22),  qui  règne  sur  la  voûte  du  firmament. 

3.  Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  16  sqq. 

4.  Sur  le  sens  de  cette  expression,  voir  J  en  ses,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  11-12,  où  il  est 
montré  qu'elle  ne  désigne  pas  un  seul  de  plusieurs  ciels  entre  lesquels  les  dieux  auraient  été  répartis 
(A.  Jeremias,  Die  Babylonisch-A*syrischen  Vorstellungen  vom  Leben  nach  dem  Tode,  p.  59-60). 

5.  Cf   la  peinture  des  dieux  dans  la  légende  du  Déluge,  à  la  page  569  de  cette  Histoire. 

6.  Dans  le  récit  de  la  guerre  soulevée  par  Tiàmat  contre  les  dieux  de  lumière,  il  envoie  successi- 
vement Éa  puis  Bel-Mardouk  contre  les  puissances  du  Chaos  (cf.  p.  539  de  cette  Histoire).  Dans  la 
légende  du  dieu  Zou,  c'est  à  Ramman  qu'Anou  confie  le  soin  de  reprendre  les  tablettes  du  destin 
(J.  Harper,  Die  Babylonischen  Legenden  von  Etana,  Zû,  Adapa  und  Dibbara,  dans  les  Beitràge  zur 
Assyriologie,  t.  II,  p.  409-412);  cf.  aux  pages  666-667  de  cette  Histoire. 

7.  IUwxinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  5,  col.  i,  1.  27-39;  cf.  Fr.  Lenormant,  le  Dieu  Lune  délivre 
de  l'attaque  des  mauvais  esprits,  dans  la  Gazette  Archéologique,    1878,   p.  24,  Éludes  Accadienne*, 


65-2  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÊE. 

lance  tous  les  dieux  à  son  gré,  puis  il  les  rappelle,  puis,  à  force  de  se  servir 
d'eux  comme  d'instruments,  il  affaiblit  leur  personnalité,  la  réduit  à  néant, 
l'absorbe  dans  la  sienne.  Ils  se  mêlent  en  lui  et  leurs  noms  ne  semblent  plus 
que  des  doublets  du  sien  :  c'est  Anou  le  Lakhmou  qui  paraît  aux  premiers 
jours  de  la  création,  c'est  Anou  Ouràsh  ou  Ninib,  le  soleil  guerrier  de  N'ipour, 
c'est  Anou  l'aigle  Alala  qu'lshtar  énerva  par  ses  tendresses1.  Anou  ainsi  conçu 
cesse  d'être  le  dieu  par  excellence  :  il  devient  le  seul  dieu  maître,  et  l'idée 
d'autorité  s'attache  si  bien  à  lui  que  son  nom  sert  dans  le  langage  courant  à 
rendre  la  notion  de  dieu*.  Bel  se  serait  effacé  presque  entièrement  devant 
lui,  eomme  c'est  assez  le  sort  des  dieux-Terre  en  présence  des  dieux-Ciel,  s'il 
ne  s'était  confondu  avec  son  homonyme  le  Bel-Mardouk  de  Babylone  :  il  dut 
à  cette  alliance  de  conserver  sa  vie  propre  jusqu'à  la  fin,  vis-à-vis  d'Anou3. 
Éa  était  le  plus  actif  et  le  plus  énergique  des  membres  de  la  triade4.  Comme 
il  figurait  l'abîme  sans  fond,  les  eaux  ténébreuses  qui  avaient  empli  l'univers 
jusqu'au  jour  de  la  création,  on  lui  avait  attribué  la  connaissance  de  toutes 
les  choses  passées,  présentes  et  futures,  dont  les  germes  avaient  reposé  dans 
son  sein.  On  vénérait  en  lui  la  sagesse  suprême,  le  maître  des  conjurations 
et  des  charmes  qui  commandent  aux  hommes  et  aux  dieux  :  nulle  force  ne 

t.  111,  p.  122-123;  Hommrl,  Die  Semitischen  Vôlker,  p.  307;  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylo- 
nians, p.  463.  Delitesch,  Die  Chaldâische  Gène  sis,  p.  308,  pense  que  le*  sept  mauvais  génies  sont  en 
rapport  avec  les  sept  jours  funestes  de  l'année  chaldéo-assyrienne. 

1.  Une  tablette  de  la  Bibliothèque  d'Assourbanabal  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  III,  pi.  69, 
n°  1,  verso)  donne  la  liste  de  vingt  et  un  dieux  et  déesses  qui  sont  identiques  à  Anou  et  à  sa  forme 
féminine  Anat,  dans  le  rôle  de  père  et  de  mère  des  choses  (Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier, 
p.  272-275);  d'autres  textes  montrent  que  ces  identifications  étaient  admises  par  les  théologiens,  au 
moins  pour  quelques-unes  de  ces  divinités,  pour  Ourash-INinib  (Je.nsen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier \ 
p.  136-139)  et  pour  Lakhmou  (Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  191-192). 

2.  Le  fait,  remarqué  par  les  premiers  assyriologues,  leur  avait  inspiré  l'idée  que  An,  Anou,  Ana, 
était  le  nom  de  la  divinité  en  général,  appliqué  à  un  dieu  spécial  par  abus  de  langage  (Rawli.nson, 
On  the  Religion  of  the  babylonians  and  Assyrians,  p.  486;  cf.  G.  Rawlinson,  T/ie  Five  Great  Monar- 
chies, 2"  éd.,  t.  I,  p.  115);  les  assyriologues  d'aujourd'hui  ont  renversé  la  proposition,  à  l'exemple  de 
Fr.  Lenormant,  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  144-145. 

3.  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  1 03-10 i. 

4.  Le  nom  de  ce  dieu  a  été  lu  ISisrok  par  Oppert  {Expédition  en  Mésopotamie,  t.  Il,  p.  339-340), 
Nouah  par  Hincks,  et  par  Lenormant(/c*  Premières  Civilisations,  t.  Il,  p.  130-132).  La  lecture  actuelle 
la,  Éa,  se  traduit  ordinairement  Maison  (Lenormant,  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  145-146),  Maison 
de  l'eau  (Hommel,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  251);  c'est  une  interprétation  populaire 
qui  paraît  avoir  été  inspirée  aux  Chaldéens  par  les  valeurs  diverses  des  signes  qui  servent  à  écrire 
le  nom  du  dieu  (Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  246,  note).  Dès  le  début,  H.  Rawlinson 
(On  the  Religion  of  the  Babylonians  and  Assyrians,  p.  492-495)  reconnut  dans  Éa.  dont  il  lisait  le  nom 
Héa,  Hoa,  la  divinité  qui  préside  à  l'abîme  des  eaux;  il  le  comparait  au  serpent  de  l'Écriture,  mis  en 
rapport  avec  l'arbre  de  la  science  et  de  la  vie,  et  il  déduisait  de  ce  rapprochement  le  rôle  de  maître 
de  la  sagesse.  Son  caractère  de  seigneur  des  eaux  primordiales  d'où  sont  sorties  toutes  choses,  net- 
tement défini  par  Lenormant  (la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  145-147),  est  bien  connu  aujourd'hui 
(Hommel,  Die  Semitischen  Yôtker,  p.  373-375;  Demtzsch-Mï'riiter,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens, 
2*  éd.,  p.  2";  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  131-145;  Tiele,  Iiaby  Ionise  h- 
Assyrische  Geschichte,  p.  518-520).  Son  nom  est  transcrit  'Ab;  par  Daniascius  (De  Principiis,%  125. 
éd.  Ruelle,  p.  322),  sans  qu'il  soit  aisé  d'expliquer  cette  transcription  (Je.nskn,  Die  Kosmologie  der 
Babylonier,  p.  271);  l'hypothèse  la  plus  vraisemblable  est  encore  celle  d'Hommel  (Geschichte  Baby- 
loniens und  Assyriens,  p.  254)  qui  considère  'Abç  comme  une  forme  apocopée  de  'Iabç  =  la,  Ea. 


BEL  LA  TERRE,  ÉA  LE  DIEU  DES  EAUX.  653 

prévalait  contre  sa  force,  nulle  voix  contre  sa  voix,  mais  dès  qu'il  avait 
entr'ouvert  la  bouche  pour  annoncer  ses  décisions,  sa  volonté  devenait  loi  et 
ne  rencontrait  plus  de  contradicteurs.  Si  un  danger  se  présentait  contre  lequel 
les  autres  dieux  se  sentaient  impuissants,  ils  imploraient  aussitôt  son  aide,  et 
il  ne  la  leur  refusait  jamais1.  Il  avait  sauvé  du  déluge  Shamashnapishtim';  il 
délivrait  chaque  jour  ses  adorateurs  de  la  maladie  et  des  mille  démons  qui 
la  produisaient8.  11  était  le  potier,  et  il  avait  modelé  les  hommes  avec  l'argile 
des  plaines*.  Les  forgerons  et  les  orfèvres  tenaient  de  lui  l'art  d'assouplir 
et  de  travailler  les  métaux.  Les  tisserands  et  les  tailleurs  de  pierre,  les  jar- 
diniers, les  laboureurs,  les  matelots  le  proclamaient  leur  instituteur  et  leur 
patron  Les  scribes  dérivaient  leur  science  de  sa  science  incomparable,  et  les 
médecins  ou  les  sorciers  ne  parlaient  aux  esprits  qu'en  son  nom,  par  la 
vertu  des  prières  qu'il  avait  daigné  leur  enseigner8. 

Au-dessous  de  ces  êtres  sans  limites  et  presque  sans  figure,  les  théologiens 
composèrent  leur  deuxième  triade  de  dieux  bornés  et  immuables  en  leurs 
formes.  Ils  trouvaient,  dans  la  régularité  implacable  avec  laquelle  la  lune 
agrandit  et  décroît  son  disque  ou  le  soleil  monte  sur  l'horizon  et  en  descend 
chaque  jour,  la  preuve  de  leur  asservissement  aux  décrets  d'une  volonté  supé- 
rieure, et  ils  marquaient  cette  dépendance  en  les  faisant  fils  de  l'un  des  trois 
grands  dieux  ou  fils  l'un  de  l'autre  :  Sin  l'était  de  Bel8,  Shamash  de  Sin7,  Ram- 
man  d'Anou8.  Sin  devait  sans  doute  la  primauté  parmi  ces  divinités  de  la 
seconde  classe  au  pouvoir  prépondérant  qu'Ourou  exerça  sur  la  Chaldée  méri- 

1.  Ainsi  dans  l'histoire  du  soulèvement  des  Anounnaki  (cf.  p.  634  de  cette  Histoire),  Bel,  apprenant 
les  progrès  de  l'ennemi,  envoie  son  messager  Nouskou  pour  implorer  le  secours  d'Éa  (Rawllnsok,  Cun, 
Ins.  \Y.  As.,  t.  IV,  pi.  3,  col.  il,  1.  36  sqq.)  :  Éa  expédie  aussitôt  son  fils  Mardouk  dont  l'arrivée 
décide  de  la  victoire  des  dieux  de  lumière  (cf.  Sayce,  The  Religion  of  the  Aneient  Babylonians, 
p.  454-465;  Halévy,  Documents  religieux  de  l'Assyrie  et  de  la  Babylonie,  p.  101-102). 

2.  Voir,  p.  566-367  de  cette  Histoire,  le  récit  du  songe  par  lequel  Éa  prévient  Shamashnapishtim  du 
danger  qui  le  menace  lui-même  et  l'humanité  avec  lui. 

3.  11  procure  aux  hommes,  par  l'intermédiaire  de  son  fils  Mardouk,  la  guérison  des  maux  de  tétc 
et  des  fièvres  dont  ils  souffrent  (Sayce,  The  Religion  of  the  Aneient  Babylonians,  p.  460-461, 
470,  472). 

4.  Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  293-295;  cf.,  p.  693  de  cette  Histoire,  le  récit  d'une 
création  d'homme,  ou  plutôt  d'un  messager  divin  à  figure  d'homme,  par  Éa. 

5.  La  variété  des  fonctions  d'Éa  est  prouvée  par  la  liste  de  ses  titres  que  renferme  une  tablette  du 
British  Muséum  (Kawlinsos,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  55,  I.  17  sqq.;  cf.  un  double,  ibid.,  pi.  58,  n°  V), 
elle  n'est  pas  d'ailleurs  complète  et  les  monuments  nous  en  font  connaître  plusieurs  qui  n'y  figurent  pas. 

6.  Sa  filiation  est  indiquée  nettement  sur  les  plus  anciens  documents  d'Ourou  ;  ainsi,  sur  un  baril 
en  terre  cuite  provenant  du  temple  de  Moughéir,  on  l'appelle  *  IS'annar,  le  taureau  puissant  d'Anou, 
le  fils  d'Inlil-Bel  »  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  I,  pi.  I,n°  IV,  1.  1-4;  cf.  n°  V). 

7.  Shamash  est  appelé  déjà  le  rejeton  de  Nannar,  sur  une  inscription  du  roi  d'Our,  Goungounoum 
(cf.  p.  619  de  cette  Histoire)  qui  provient  du  temple  de  Moughéir  (Rawlinsok,  Cun.  1ns.  W.  As.,  t.  I, 
pi.  2,  n/»VI,  1,  I.  1-3). 

8.  Téglathphalazar  Ier  appelle  Ramman  :  le  vaillant  fils  d'Anou.  Anou  et  Kamuian  possédaient  dans 
la  ville  d'Assour  un  même  temple  très  ancien,  où  ils  étaient  adorés  en  commun  et  qui  fut  restauré 
par  Téglathphalazar  Ier  (Prisme,  col.  vu,  1.  60-113);  on  y  voyait  également  une  chapelle  dédiée  à 
Ramman  seul  (ibid.,  col.  vin,  I.   1-16). 


654  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

dionale1.  Mar,  où  Ramman  dominait,  ne  sortit  jamais  de  son  obscurité,  et 
Larsam  ne  conquit  la  suprématie  que  bien  des  siècles  après  sa  voisine,  encore 
ne  s'y  maintint-elle  pas  longtemps1  :  le  dieu  de  la  cité  suzeraine  prit  néces- 
sairement le  pas  sur  celui  des  cités  vassales,  et  sa  supériorité,  une  fois  inculquée 
dans  l'esprit  du  peuple,  y  résista  à  toutes  les  révolutions  de  la  politique.  Sin* 
portait  dans  Ourou  les  noms  d'Ourouki*  ou  de  Nannar  le  brillant8,  et  ses  prê- 
tres en  arrivaient  parfois  à  l'identifier  avec  Ànou.  «  Seigneur,  prince  des  dieux, 
qui  au  ciel  et  sur  la  terre  es  seul  exalté,  —  père  Nannar,  seigneur  des  armées 
du  ciel,  prince  des  dieux,  —  père  Nannar,  seigneur,  grand  Anou,  prince  des 
dieux,  —  père  Nannar,  seigneur,  dieu-Lune,  prince  des  dieux,  —  père  Nannar. 
seigneur  d'Ourou,  prince  des  dieux,  ....  —  Seigneur,  ta  divinité  emplit  le  ciel 
lointain  comme  la  vaste  mer  de  crainte  respectueuse!  —  Maître  de  la  terre, 
qui  y  fixes  les  limites  [des  villes]  et  leur  assignes  leurs  noms,  —  père,  généra- 
teur des  dieux  et  des  hommes,  qui  leur  établis  des  demeures  et  fondes  pour  eux 
ce  qui  est  bon,  —  qui  proclames  la  royauté  et  donnes  le  sceptre  élevé  à  ceux 
dont  la  destinée  est  fixée  depuis  les  jours  reculés,  —  chef,  puissant,  dont  le 
cœur  est  large,  dieu  que  nul  ne  sait  nommer,  —  dont  les  membres  sont  fer- 
mes et  dont  les  genoux  ne  fléchissent  jamais,  qui  ouvres  les  voies  de  ses 
frères  les  dieux....  —  Au  ciel,  qui  est  suprême?  Toi,  c'est  toi  seul  qui  es 
suprême!  —  Toi,  ton  arrêt  est  notifié  dans  le  ciel,  et  les  Igigi  inclinent  leur 
visage!  —  Toi,  ton  arrêt  est  notifié  sur  la  terre,  et  les  esprits  de  l'abîme  bai- 
sent le  sol!  —  Toi,  ton  arrêt  souffle  en  haut  comme  le  vent,  et  l'étableet  le 
pâturage  deviennent  féconds!  —  Toi,  ton  arrêt  s'accomplit  en  bas  sur  la  terre, 
et  l'herbe  et  la  verdure  poussent!  —  Toi,  ton  arrêt  est  vu  dans  les  parcs  des 

1.  Sayck,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  1G4-167. 

2.  Sur  la  domination  de  Larsam,  cf.  p.  619  de  cette  Histoire. 

3.  Le  nom  de  Sin  a  été  lu  en  suméro-accadien  Enzouna,  Zou-in-na,  Zottin  (Fr  Lf.norma.nt,  la  Magie 
citez  les  Chaldéens,  p.  16,  127;  Uommel,  Die  Semitischen  Yôlker,  p.  493-494),  qui  serait  l'origine  de  la 
forme  courante  Sin.  Jensen  s'est  élevé  contre  cette  étymologie  (Die  Kosmologie  der  Babylonier, 
p.  101-102),  et  Winckler  {Su mer  und  Akkad,  dans  les  Mittheilungen  des  Akadcmista-OricntalUtchen 
Vereins  zu  Berlin,  1887,  1,  p.  10)  ainsi  que  Tiele  (Babylonisch-Assyrische  Geschichte,  p.  523)  consi- 
dère l'idéogramme  au  moyen  duquel  on  écrit  le  nom  du  dieu  comme  étant  sémitique  d'origine. 

■i.  Lu  d'abord  Hourki  (Kawlinson,  On  the  Religion  of  the  Babylonians  and  Assurions,  p.  504).  Le 
nom  du  dieu  se  rattache  à  celui  de  la  ville,  et  pourrait  signifier  le  protecteur  (ibid.,  note  8)  ou  le  dieu 
de  la  place  de  protection,  sans  qu'il  soit  bien  facile  de  distinguer  lequel  des  deux  sens  est  le  véri- 
table (Hommel,  Die  Semitischen  Yôlker,  p.  205-206). 

5.  Le  nom  de  N'annarou  a  été  grécisé  en  Ndtvapo;,  et  a  donné  lieu  à  une  légende  que  nous  connais- 
sons sous  sa  forme  persane.  Nicolas  de  Damas  (Fragmenta  Historicorum  Gnecorum,  éd.  MCller-Didot, 
t.  III,  p.  359-363),  l'avait  empruntée  à  Ctésias.  Ce  récit,  dont  Charles  Lenormant  avait  reconnu  le 
caractère  mythologique  (Chabooillet,  Catalogue  Général  des  Camées  et  Pierres  gravées  de  la  Biblio- 
thèque Impériale,  p.  111),  a  été  rattaché  à  Nannarou-Sin  par  Fr.  Lenormant,  Essai  de  Commentaire  sur 
les  fragments  cosmogoniques  de  Bérose,  p.  96-97,  dont  l'opinion  à  ce  sujet  est  admise  aujourd'hui 
par  les  assyriologues;  cf.  Sayck,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  157-159.  Une  forme 
voisine  du  nom  est  Nannak,  Nanak,  qui  a  passé  également  en  grec,  Nacwaxdç,  et  autour  duquel  se 
sont  ralliées  diverses  légendes  répandues  en  Asie  Mineure  à  l'époque  gréco-romaine. 


LA   SECONDE  TRIADE,  SIN  LA  LUNE.  65S 

bestiaux  et  dans  les  repaires  des  bêtes,  et  il  multiplie  les  êtres  vivants  !  — 
Toi,  ton  arrêt  a  évoqué  le  droit  et  la  justice,  et  les  peuples  ont  promulgué 
la  loi  !  —  Toi,  ton  arrêt,  ni  au  ciel  lointain,  ni  dans  les  profondeurs  cachées  de 
la  terre,  nul  ne  peut  le  connaître!  —  Toi,  ton  arrêt,  qui  peut  l'apprendre, 
qui  se  mesurer  avec  lui  ?  —  0  seigneur,  au  cîel  en  puissance,  sur  la  terre  en 
souveraineté,  parmi  les  dieux  tes  Frères,  tu  n'as  point  de  rival'!  »  Ailleurs  qu'à 


Ourou  et  dans  Harran,  on  ne  prêtait  pas  à  Sin  ce  rang  de  créateur  et  de 
régent  des  choses  :  il  était  simplement  le  dieu-Lune,  et  on  l'imaginait  sous  la 
forme  d'un  homme,  le  plus  souvent  accompagné  d'un  croissant  mince',  parfois 
debout  sur  le  croissant  ou  en  sortant  à  mi-taille,  dans  le  costume  et  dans 
l'attitude  des  rois*.  Sa  mitre  s'identifiait  si  bien  avec  lui  qu'elle  le  remplaçait 
sur  les  tableaux  astrologiques  :  le  nom  qu'elle  portait  —  agou  —  désigne 
souvent  la  lune  considérée  comme  corps  céleste  indépendamment  de  toute 
divinité1.  Babbar-Shamash,  «  la  lumière  des  dieux,   ses  pères  e,  «  l'illustre 

I.  Rawlinson,  Cun.  In:  W.  Al.,  I.  IV,  pi.  9,  1.  Ml),  Ï8-39.  53-KÎ  el  verso  I-]*;  cf.  F».  Lksobnaiit, 
(et  Première»  Civitimtiom,  1.  It,  p.  I5R-IG4,  Éluda  Accadienues,  1.  Il,  p.  131-148,  I.  III,  p.  46-1(3,  el 
le  Dieu  Lune  délivré  de  l'attaque  des  mouvait  Esprits,  dans  la  Gazelle  Archfolngiatœ,  18"8,  p.  33- 
3'i;  Deiitik*,  Dit  Chaldàitche  Gênait,  p.  ÎH1-Ï83;  Omar,  Fragment*  cosmogoniquei,  dans  E.emuii, 
Histoire  du  peuple  d'Israël,  t.  Il,  p.  48i-4fl4;  IlomtL,  Geschichle  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  3"8- 
37»;  SaïM,  The  Religion  of  the  Aneient  Dabylontaus,  p.  IfiO-lfiî. 

t.   Dessin  di ■  Faucher-Gudia,  d'après  V héliogravure  de  Venant,  la  Glyptique  Orientale,  l.  I,  pl.IV,  n'1. 

4.  LlUilD,  Hanuments  relatifs  au  culte  de  Milhra,  pi.  XLIV,  n°  I,  LIV  B,  n'1G;  rf.  plus  haut,  p.  CM. 

5,  La  m ilre  ornée  de»  cornes,  agou,  représente  plu»  particulièrement  la  pleine  lune.  On  disait  alors 
que  Si»  arait  mis  sa  mitre  (R.inainsos,  Clin.  Int.  II'.  A.,  t.  III,  pi.  5«.  n-  3,  I.  I  ;  cf.  Saycï,  The 
Aslronomy  and  Aslrotogy  of  the  Babyloniant,  dans  les  Trantaetimls  de  la  Société  d'Archéologie 
Biblique,  1.  III,  p.  Îi5-Ï2G.  où  l'eipression  est  comprise  des  halos  qui  se  forment  autour  de  la  lune), 
tandis  qu'au  premier  quartier  les  cornes  seules  apparaissaient  (cf.,  p.  545  de  celte  Histoire,  la  fin  du 
récit  de  la  création).  Elle  désigne  Sin  au  sommet  des  stèles  (Stèle  de  Salmanaiar  II  dans  les  Tram- 


OSe  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDËE. 

rejeton  de  Sin1  »,  passait  les  nuits  dans  les  profondeurs  du  Nord,  derrière  les 
murs  de  métal  poli  qui  bornaient  la  partie  du  firmament  visible  aux  hommes1. 
Dès  que  l'aube  lui  en  ouvrait  les  portes,  il  se  levait  à  l'Est  tout  en  flammes,  le 
casse- tri  te  au  poing,  et  il  s'élançait  impétueusement  sur  la  chaîne  de  montagnes 
qui  entoure  le  monde':  il  atteignait  six  heures  pins  tard  le  terme  de  sa 
course  vers  le  Sud,  puis  il  remontait  à  l'Ouest  en  diminuant  progressivement 


ses  feux,  et  il  rentrait  dans  son  gîte  accoutumé  par  la  porte  d'Occident,  pour 
ne  plus  ressortir  qu'au  matin  du  jour  suivant.  Il  accomplissait  son  voyage 
autour  de  la  terre  sur  un  char  conduit  par  deux  écuyers,  et  attelé  d'onagres 
vigoureux,  «  dont  les  jarrets  ne  se  lassent  jamais"  »  ;  le  disque  flamboyant 
que  nous  apercevons  d'ici-bas  était  une  des  roues  du  char'.  Dès  qu'il  se 
montre,  le  chant  des  hymnes  le  salue  :  «  Soleil,  sur  le  fondement  des 
cieux  tu  pointes,    —  tu  tires  les  verrous  qui   barrent   les  cieux  étincelants, 

action*  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  (.  VI,  pi.  VIII)  ou  des  bornes  qui  «ervent  de  limites  à 
tin  domaine  [Caillou  Michaux,  à  la  Bibliothèque  Nationale,  cf.  la  vignette  p.  îfiï  de  celte  Histoire). 

t.  Babbar  est  le  nom  suraérien,  ShaniEisii  lu  nom  sémitique,  qui,  prononcé  Shaouaih  selon  une  loi 
connue  de  phonétique  ha h> Ionienne,  a  été  transcrit  Saulç  par  les  fîrers.  Le  nom  de  Shamash  avait 
été  d'ahord  lu  San  ou  Snnti  (RiwLMtti*,  On  the  IMigion  of  the   tlabyloiiians  and  Assurions,  p.  500). 

î.  Cf.  I»  description  du  ciel  et  l'indicalion  des  deui  portes  aui  p.  SJ3-S45  de  cette  Histoire.  Les 
teites  relatifs  ï  la  course  du  Soleil  sont  dans  Jkusek,  Die  Konnologie  der  Babylcmicr,  p.  9-10. 

3.  Sa  course  sur  la  levée  qui  tourne  autour  de  la  voûte  céleste  lui  faisait  donner  le  titre  de  Irait 
d'union  entre  la  Terre  et  le  Ciel  (cf.  p.  666  de  cette  Histoire)  :  il  circulait  en  effet  sur  la  ligne  où  le  ciel 
et  la  terre  se  louchent  et  paraissait  les  souder  par  le  cercle  de  feu  qu'il  y  décrivait.  Une  autre  expres- 
sion de  l'idée  se  retrouve  dans  le  protocole  de  tergal  et  de  Ninih,  qu'on  appelle  let  séparateurs  : 
la  course  du  Soleil  peut  en  effet  séparer  aussi  bien  que   réunir  les  deux  parties  de  l'univers. 

i.  Dessin  de  Fauther-Cudin,  d'après  une  intaitte  chaldéennc  en  jaspe  vert  du  Musée  du  Louvre 
(Mh*kt,  Ueeherclies  sur  la  Glyptique  orientale,  t.  I.  p.  193,  n*  71).  L'original  a  0-.033  de  hauteur. 

5.  JmiF.x,  Die  Kosmologie  der  liabylonier,  p.  98-111. 

6.  Le  disque  a  tantôt  quatre,  tantôt  huit  rayons  inscrits,  ce  qui  réponds  des  roues  de  quatre  ou 
huit  jantes.  Ilawlinson  suppose  que  ■  ces  deux  figures  indiquent  une  distinction  entre  le  pouvoir 
mate  el  le  pouvoir  femelle  de  la  divinité,  le  disque  a  quatre  rais  symbolisant  Shamas,  l'orbe  à   huit 


SHAMASII-B.VBBAH,   LE  SOLEIL.  637 

—  tu  ouvres  la  porte  des  cieux!  —  0  Soleil,  lu  lèves  ta  tète  au-dessus  de  la 
terre,  —Soleil,  tu  étends  au-dessus  de  la  terre  la  voûte  éclatante  des  deux'!  •> 
Les  esprits  de  ténèbres  s'enfuient  à  son  approche  ou  se  rejettent  dans  leurs 
cavernes  mystérieuses,  car  «  il  détruit  les  mauvais,  il  fait  s'écarter —  les  signes 
et  les  présages  funestes,  les  songes  et  les  ghoules  méchantes,  —  il  tourne  le 
mal  en  bien,  et  il  pousse  à  leur  perte  les  pavs  et  les  hommes  —  qui  se  vouent 


à  la  magie  noire1.  »  En  même  temps  que  la  lumière  matérielle,  il  verse  la 
vérité  et  la  justice  à  pleins  flots  sur  la  terre;  il  est  le  n  juge  élevé*  »  devant 

rais  étant  l'emblème  (l'Ai,  de  Coula  ou  d'Anounil  •  (On  Ihe  Religion  of  Ihe  Rabyloniamand  Aatytiani. 
dans  G.  RaWLIRM»,  Herodolut,  f  éd.,  t.  I,  p.  504}. 

1.  RtwLisnos,  Citn.  Int.  IV,  A»  ,  t.  IV,  pi.  îl).  n>  *,  I.  1-10;  cf.  LtlOMWT,  ta  Magie  che;  le*  Chai- 
dieu;  p.  lG5-lfiB;  IwKCr,  Hymtien  auf  dut  Wiederertcheinen  der  drei  gxouen  I.ichtg6lftr,  dans  la 
Zeitichrifl  fur  Anyriologie,  t.  11.  p.  191  sqq.;  S»rcE,  The  Religion  of  Ihe  Ancien!  Rabyloniane,  p.  401. 

i.  firitiH  de  Faucher-Gudin .  d'aprri  la  photographie  de  Hissa*,  dans  le*  l'roreeding*  de  la  Société 
d'Archéologie  Biblique,  I.  VIII,  planche  entre  le»  p.  164-lfiIÎ.  Le»  deux  divinités  qui  sortent  à  mi-corps 
du  loi!  du  naos  sont  le»  dcui  écuyers  du  Soleil  (Pisciiib,  The  Aniiquilie*  found  by  M.  H.  Itatiam  al 
Abu-llabbuh.  dans  les  Traniactiont  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique.  I.  VIII,  p.  161-165;  Ho«»el, 
Geichichte  Babylonien*  und  Attyricm.  p.  ÎÏ9,  note  4)  :  ils  maintiennent  cl  guident  le  disque  radié 
placé  sur  l'autel.  Cf.  à  l'époque  assyrienne  le  disque  ailé  conduit  avec  des  cordes  par  deux  (renies. 

3.  Riwuïsos,  Can.  /ni.  II'.  A*.,  t.  IV,  pi.  17,  verso,  I.  13-46;  cf.  Lixomiiit,  la  Magie  rhes  le*  Chat- 
dieni,  p.  164-165;  Oppkht.  Fragmenté  cotmagoniquei,  dans  Lkmuix,  IUttoire  du  peuple  d'Itraël,  t.  Il, 
p.  48I-48Ï;  Siyck,  The  Religion  of  the  Ancien!  Babytonian»,  p.  IÎ3. 

4.  IUWI.1WI,  Cuu.  hu.  II'.  .!«..  t.  I.  pi.  54.  col.  iv,  I.  ÏS;  et  dans  les  différents  hjmneg  au  Soleil; 
Bawkotto.  6'nn.  lai.  II'.  Ai.,  t.  IV,  pi.  îs,  «•  1,  t.  V,  pi.  60,  col.  i.  I.  10-15;  cf.  BuCasow,  Awyrian 
lli/mn;  Jans  la  ï.eiliehrifl  ftïr  Anyriologie.  t.  IV,  p.  7-13,  15-Î4,  F».  Liisomamt,  Étude*  Accadieima, 
t.  III,  p.  139,  I.  37-38,  cl  S.ILE,  The  Religion  of  Ihe  Ancien!  Babgloniam,  p.  4'J!l-5UO,  51(1. 

hist,  ur..  nK  l'ohibit.   —  t.  i.  BS 


658  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDËE. 

qui  tout  s'incline,  son  droit  ne  plie  point,  ses  arrêts  ne  sont  jamais  repoussés. 
«  0  Soleil,  au  milieu  du  ciel  quand  tu  te  couches,  —  puissent  les  verrous  du 
*  ciel  éclatant  te  saluer  en  paix,  —  et  la  porte  des  cieux  te  bénir!  —  Puisse 
«  Misharou,  ton  serviteur  bien-aimé,  guider  droit  ton  chemin,  —  pour  qu'en 
«  Ëbarra,  le  siège  de  ta  domination,  ta  grandeur  se  lève,  — -  et  que  A,  ton 
«  épouse  chérie,  t'accueille  joyeusement!  Puisse  ton  cœur  allègre  trouver  en 
«  elle  ton  repos!  —  Que  l'aliment  de  ta  divinité  te  soit  apporté1  par  elle,  — 
«  guerrier,  héros,  soleil,  et  qu'elle  redouble  ta  vigueur;  —  sire  d'Ébarra, 
«  quand  tu  t'avances,  puisses-tu  diriger  droit  ta  course!  —  0  Soleil,  pousse 
«  droit  ta  route,  le  long  de  la  voie  stable  qui  t'est  fixée,  —  ô  Soleil,  toi 
«  qui  es  le  juge  du  pays  et  l'arbitre  de  ses  lois1!  » 

Il  semble  que  la  triade  ait  commencé  par  avoir  comme  troisième  personne 
une  déesse,  Ishtar  de  Dilbat3.  lshtar  est  l'étoile  du  soir  qui  précède  l'appari- 
tion de  la  lune,  et  l'étoile  du  matin  qui  présage  la  venue  prochaine  du  soleil  : 
l'éclat  de  ses  feux  justifie  le  choix  qu'on  avait  fait  d'elle  pour  l'associer  aux 
plus  grands  des  astres.  «  Aux  jours  passés,...  Éa  chargea  Sin,  Shamash  et 
Ishtar  de  régir  le  firmament  des  cieux  ;  —  avec  Anou,  il  partagea  entre  eux 
le  commandement  de  l'armée  des  cieux,  —  et  entre  ces  trois  dieux,  ses 
enfants,  —  il  répartit  le  jour  et  la  nuit,  et  les  obligea  à  travailler  «ans  cesse4.  » 
Elle  se  sépara  de  ses  deux  compagnons,  quand  le  groupe  des  planètes  s'orga- 
nisa définitivement  et  sollicita  l'adoration  des  dévots,  puis  les  théologiens 
lui  substituèrent  un  personnage  d'une  physionomie  moins  originale,  Ramman*. 
Ramman  assemble  en  soi  les  éléments  de  plusieurs  génies  fort  anciens,  tous 
préposés  à  l'atmosphère  et  aux  phénomènes  qui  s'y  développent  journelle- 
ment, le  vent,  la  pluie,  le  tonnerre.  Ils  avaient  tenu  une  place  considérable 

1.  C'est  une  allusion  directe  au  sacrifice  ou  à  la  libation  que  le  Soleil  recevait  chaque  soir  à  son 
coucher  dans  le  temple  de  Sippar,  É barra,  Ébabbara. 

2.  Pinchbs,  The  Aniiquities  found  by  M.  Rassam  al  Abu-llabbah  (Sippara),  dans  les  Transaction» 
de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  VIII,  p.  1(>7-I68;  F.  Bertin,  l'Incorporation  verbale  en  Acca- 
dien,  dans  la  Revue  dWssyriologie,  t.  I,  p.  157-161;  Hommel,  Geschickte  Babylonien»  und  Assyriens, 
p.  228-229;  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancienl  lia  by  louions,  p.  177,  noie  i,  513. 

3.  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  110,  193;  A.  Jeremias,  hdubar-Simrod, 
p.  9-10.  Dans  l'inscription  de  la  stèle  de  Salmanasar  11,  la  deuxième  triade  est  composée  de  Sin,  de 
Shamash  et  d'Ishtar  (Hawu.nson,  Cuti.  Ins.  \Y.  As.,  t.  III,  pi.  7,  col.  i,  1.  2-3). 

4.  Hawunson,  Cuii.  Ins.  \Y.  As.,  t.  IV,  pi.  5,  col.  i,  1.  52-79;  cf.,  pour  l'interprétation  de  la  légende, 
Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  257-258. 

5.  Le  nom  du  dieu  de  l'atmosphère  est  de  ceux  qui  ont  suscité  le  plus  de  dissentiments  parmi  les 
assyriologues  :  il  a  été  lu  Iv  ou  ha,  puis  Bin  par  Hincks  (On  the  Assyrian  Mythology,  dans  les 
Memuirs  de  l'Académie  de  Dublin,  t.  XXIII,  p.  412-413),  Vul  ou  Put,  par  Rawlinson  {On  the  Religion 
of  the  Babylonians  and  Assyrians,  p.  497-498),  Ao,  Hou,  par  Oppert  (Rapport  adressé  à  Son  Exe.  le 
Ministre  de  l'Instruction  publique,  p.  45-45).  La  lecture  Kammanou,  Ramman,  déduite  de  Ramamov, 
mugir,  tonner,  domine  actuellement,  bien  que  M.  Oppert  ait  proposé  récemment  d'adopter  en 
général  celle  de  Iladad  (Adad-Sirar,  roi  d  Ellassar,  dans  les  Comptes  rendus  de  l'Académie  des 
Inscriptions  et  Belles-Lettres,  1893,  t.  XXI,  p.  177-179),  qui  est  prouvée  pour  quelques  cas  particuliers. 


1SHTAR  REMPLACEE  PAU  K  A  MM  AN   DASS  LA  TRIADE.  659 

dans  les  religions  populaires  qui  avaient  préparé  les  combinaisons  savantes 
des  théologiens  d'Ourouk,  et  il  nous  reste  encore  beaucoup  de  légendes  où 
leurs  incarnations  diverses  sont  mises  en  jeu.  On  se  les  figurait  volontiers 
comme  des  oiseaux  gigantesques,  accourus  sur  leurs  ailes  rapides  du  fond  de 
l'horizon,  et  soufflant  une  haleine  de  flamme  ou  des  torrents  d'eau  contre  les 
paya  qu'ils  effleuraient  de  leur  ombre.  Le  plus  terrible  d'entre  eux,  Zou, 
présidait  aux  tempêtes  : 
il   amassait    les    nuées, 
il  les  crevait  et  les  pré- 
cipitait   en    averses  ou 
en  grêle,   il   déchaînait 
les  vents  et   la  foudre, 
et   rien    ne   restait   de- 
bout où  il  avait  passé1. 
Sa    famille   était    nom- 
breuse :  on  v  remarquait 

des    croisements     des-  u  rtBWK  imtm  ikmot  iw  rroit*    u  hm  w  »i'. 

pèces  bizarres,  qui  dé- 
concerteraient un  naturaliste  moderne,  mais  qui  paraissaient  tout  simples  aux 
sacerdoces  anciens.  Sa  mère  Siris,  dame  de  la  pluie  et  des  nuages,  était  un 
oiseau  comme  lui3,  mais  il  avait  pour  fils  un  taureau  robuste,  qui,  paissant 
dans  les  prairies,  y  répandait  l'abondance  et  la  fertilité.  Les  caprices  de  ces 
êtres  ambigus,  leur  malice,  leurs  attaques  sournoises  leur  attiraient  souvent 
des  mésaventures  fâcheuses*.  Shoutou,  le  vent  du  Sud,  aperçut  un  jour  Adapa, 
l'un  des  nombreux  enfants  d'Ka,  qui  péchait  pour  approvisionner  sa  famille. 
Malgré  sa  haute  origine,  Adapa  n'était  pas  un  dieu;  il  ne  possédait  point  le 

1.  Sur  l'oiseau  Zou.  cf.  fl.  SiiTn,  f.haldxan  Account  of  Ûtneii;  p.tlî-lii;  K.  1.  IIiuper,  Die  liabtj- 
loniichen  I.egenden  von  Etana,  Zu,  Adapa  und  Dibbara,  dans  les  Bcitliiye  :ur  Auyriologie,  l.  Il, 
p.  il 3- 118.  On  trouvera  plus  loin,  p.  BtHi-Wi"  de  cette  Histoire,  le  récit  de  nés  démêlés  avec  le  Soleil. 

i.  Dctiin  de  Faucker-Giidin,  d'âpre*  t'intaille  ronierve'e  à  Home  rt  publiée  par  K».  LtsomvïT,  Tre 
Monument i  Caldeî  rd  Aaîri  ilelle  cotle:ioni  romane,  pi.  VI,  n"  3. 

3.  E.  J.  IlAiiPT.it,  Die  Babuloninheu  Légende»  ton  Elttaa,  Za,  Adapa  und  Dtbbara,  p.  413-417; 
Jensen  (Die  Kosmnlogie  drr  Habylottier,  p.  SI,  93)  identifie  Zou  avec  la  constellation  de  Pégase,  cl  le 
taureau.  Ills  de  £ou.  avec  notre  constellation  du  Taureau. 

4.  La  légende  d" Adapa  nous  a  été  conservée  en  partie  sur  l'une  des  tablettes  d'KI-Amarna  (WlnciLiR, 
Thonttafelfund  ton  El-Amarna,  t.  III,  pi.  CLXVI  fl-6).  Elle  fut  signalée  successivement  par  Ennan, 
par  Lehmann  (clans  la  Zeittehrift  fur  Anyriologie ,  t.  III.  p.  38u},  par  Sayre  [Addreu  to  the  Aisyrian 
Section  of  Ihc  Sinth  liilrriiiiliomil  i'.ongret*  nf  Orieiilalitlt,  p.  i-l-ÏO),  par  Seheil  (Légende  rhafilfeiwe 
trouvée  à  Tcll-ct-Amarna.  dans  la  Reçue  de*  Iteligion».  I.  I.  p.  KM- MES);  elle  a  été  Induite  entière- 
ment et  commentée  par  Ziiheiih,  An  Old  Rabytouian  l.egend  from  Egypt,  dans  le  StHtdaySchooh 
Time»  (18  juin  18SÏ],  p.  38f.  sqq.,  puis  par  E.  1.  Haupeu,  Oie  Habyloniichen  Légende»  ••'»  l'Iinm. 
Zu,  Adapa  und  Dibbara.  dans  les  Beitrâge  sue  A'nyrialngic,  t.  Il,  p.  HR-I'i'i,  dont  j'ai  suivi,  en 
général,  l'interprétation. 


660  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

don  de  l'immortalité,  et  ne  pouvait  s'introduire  librement  au  ciel  en  présence 
d'Anou.  11  jouissait  pourtant  de  certains  privilèges,  grâce  à  la  familiarité  dans 
laquelle  il  vivait  avec  son  père  Ea,  et  il  était  né  assez  vigoureux  pour 
repousser  les  assauts  de  plus  d'une  divinité.  Quand  donc  Shoutou,  fondant 
sur  lui  à  I'improviste,  l'eut  culbuté,  sa  colère  ne  connut  plus  de  bornes  : 
<r  Shoutou,  tu  m'as  accablé  de  tes  inimitiés,  quantes  elles  sont,  —  je  bri- 
«  serai  tes  ailes!  »  Ainsi  qu'il  avait  parlé  de  sa  bouche,  —  Shoutou,  Àdapa 
lui  brisa  les  ailes.  Sept  jours,  —  Shoutou  ne  souffla  plus  sur  la  terre.  » 
Anou  s'inquiéta  de  cette  tranquillité,  qui  lui  paraissait  mal  convenir  au 
tempérament  brouillon  du  vent,  et  il  s'informa  auprès  de  son  messager 
Ilabrât.  «  Son  messager  llabrât  lui  répondit  :  «  Mon  maître,  —  Adapa,  le  fils 
«  d'Éa,  a  brisé  les  ailes  de  Shoutou.  »  — Anou,  quand  il  entendit  cette  parole, 
s'écria  :  «  Un  aide!  »  et  il  expédia  vers  Êa  Barkou,  le  génie  de  l'Eclair,  avec 
ordre  de  ramener  le  coupable.  Celui-ci  n'était  rassuré  qu'à  moitié,  bien 
qu'il  eût  pour  lui  le  bon  droit,  mais  Éa,  le  plus  avisé  des  immortels,  lui  traça 
sa  ligne  de  conduite.  Il  revêtirait  promptement  un  habit  de  deuil  et  il  mon- 
terait au  ciel  avec  le  messager.  Arrivé  aux  portes,  il  ne  manquerait  pas  d'y 
rencontrer  deux  des  divinités  qui  les  gardent,  Doumouzi  et  Ghishzida  :  «  En 
«  l'honneur  de  qui  cet  appareil,  Adapa,  en  l'honneur  de  qui  —  cet  habit  de 
«  deuil?  »  «  Sur  notre  terre  deux  dieux  ont  disparu,  —  moi  c'est  pour  cela  que 
«  je  suis  de  la  sorte!  »  Doumouzi  et  Gishzida  se  regarderont  mutuellement1,  — 
«  ils  gémiront,  ils  diront  un  mot  amical  —  au  dieu  Anou  pour  toi,  ils  éclairci- 
«  ront  le  visage  d'Anou  — en  ta  faveur.  Quand  tu  entreras  à  la  face  d'Anou, — 
«  la  nourriture  de  mort,  on  te  l'offrira,  —  ne  la  mange  pas.  La  boisson  de 
«  mort,  on  te  l'offrira,  —  ne  la  bois  pas  Un  vêtement,  on  te  l'offrira,  — 
«  mets-le!  De  l'huile,  on  te  l'offrira,  oins-t'en.  —  L'ordre  que  je  te  prescris, 
«  observe-le  bien!  »  Tout  se  passa  comme  Ëa  l'avait  prévu.  Doumouzi  et 
Ghishzida  firent  bon  accueil  au  pauvre  diable,  parlèrent  en  sa  faveur,  le  pré- 
sentèrent ;  «  comme  il  s'approchait,  Anou  l'aperçut  et  lui  dit  :  —  «  Allons, 
«  Adapa,  pourquoi  as-tu  brisé  les  ailes  de  Shoutou?  »  —  Adapa  répondit  à 
Anou  :  «  Mon  maître,  —  pour  la  maison  de  monseigneur  Éa,  au  milieu  de 
«  la  mer,  —  je  péchais  des  poissons,  et  la  mer  était  tout  unie.  —  Shoutou 
«  souffla,  lui,  il  me  culbuta,  —  et  je  plongeai  dans  la  demeure  des  poissons. 

1.  Doumouzi  et  Ghishzida  sont  les  deux  dieux  qu'Adapa  désigne  sans  les  nommer;  en  leur  insinuant 
qu'il  a  pris  le  deuil  à  cause  d'eux,  Adapa  est  assuré  de  K^ner  lour  sympathie  et  d'obtenir  leur  inter- 
vention en  sa  faveur  auprès  du  dieu  Anou.  Sur  Doumouzi,  cf.  p.  645-648  de  cette  Histoire;  le  rôle 
de  Ghishzida  est  inconnu,  ainsi  que  l'événement  de  la  vie  de  ce  dieu  auquel  notre  texte  fait  allusion. 


LES  VENTS  ET  LA   LÉCESDE  D'ADAPA.  «61 

«  En  la  colère  de  mon  cœur,  —  pour  qu'il  ne  recommençât  plus  ses  inimitiés, 
«  —  je  lui  brisai  tes  ailes.  »  —  Tandis  qu'il  plaidait  sa  cause,  ie  cœur  furieux 
d'Anou  redevenait  calme.  La  présence  d'un  mortel  dans  les  salles  du  fir- 
mament était  une  sorte  de  sacrilège,  qu'il  fallait  punir  sévèrement,  à  moins 
qu'on  ne  se  décidât  à  l'expier  en  donnant  le  philtre  d'immortalité  à  l'intrus. 
Anou  s'arrêta  sans  hésiter  à  ce  dernier  parti,  et,  prenant  la  parole  :  «  Pour- 
«  quoi  donc  Ëa  a-t-il  permis  qu'un  homme  impur  vit  —  l'intérieur  du  ciel 

•  et  de  la  terre?  »  —  Il  lui  tendit  une  coupe,  lui-même  il  le  rassura.  — 
■  Nous,  que  lui  donnerons-nous?  La  nourriture  de  vie  —  prenez-en  pour 
«  lui,  qu'il  en  mange!   »  La  nourriture 

de  vie,  —  on  en  prit  pour  lui,  mais  il 
n'en  mangea  pas.  L'eau  de  vie  —  on  en 
prit  pour  lui,  mais  il  ne  la  but  pas.  Un 
vêtement  —  on  le  prit  pour  lui,  et  il 
s'en  habilla.  De  l'huile  —  on  en  prit 
pour  lui  et  il  s'en  oignit.  »  —  Anou  le 
regarda,  il  gémit  sur  lui  :  —  «Eh  donc,  lM  OISMl.,  BE  u  TÏ„tIti 

*  Adapa,  pourquoi  n'as-tu  pas  mangé, 

»  n'as-tu  pas  bu?  —  Tu  n'auras  plus  maintenant  la  vie  éternelle,  »  «  Êa,  mon 
e  maître,  —  m'a  ordonné  :  tu  ne  mangeras  pas,  tu  ne  boiras  pas.  »  C'est  ainsi 
qu'Àdapa,  pour  avoir  trop  bien  retenu  les  leçons  de  son  père,  perdit  l'occa- 
sion qui  s'offrait  de  monter  au  rang  des  immortels  :  Anou  le  renvoya  chez 
lui  comme  il  était  venu,  et  Shoutou  en  fut  pour  ses  ailes  cassées.  Ramman 
absorba  l'un  après  l'autre  tous  ces  génies  d'orage  et  de  querelle,  et  de  leurs 
caractères  réunis  il  se  composa  une  personnalité  unique  aux  cent  faces 
diverses.  Il  avait  l'humeur  capricieuse  et  changeante  de  l'élément  qu'il  incarne, 
et  il  passait  du  rire  aux  pleurs,  de  la  sérénitéà  la  colère  avec  une  promptitude 
qui  faisait  de  lui  le  plus  déconcertant  des  dieux.  Il  était  de  préférence  l'orage, 
et  tantôt  il  envahissait  brusquement  les  deux  à  la  tète  d'une  troupe  de 
lieutenants  féroces  dont  les  chefs  se  nomment  Matou  la  bourrasque,  et  Barkou 
l'éclair,  tantôt  ils  n'étaient  que  les  manifestations  variées  de  sa  nature,  et 
c'est   lui-même  qu'on  appelait  Matou  et  Barkou1.  Il  assemblait  les  nuages, 

1,  ft-jaiii  de  Faurhcr-Gudin,  iCa/irei  te  cylindre  chaldi'en  du  Musée  de  tietr-  York  (Ckmoli,  Cyprut, 
pi.  XXXI,  n'  j);  Lenormanl,  dans  un  lonjj  article  qu'il  publia  sous  le  pseudonyme  de  Hinsoll,  croyait 
reconnaître  ici  la  rencontre  de  Sabiloum  et  de  r-ilgamés  {Vu  épitode  de  ?  épopée  chaldétnne.  dan» 
la  Gaulle  archéologique,    187!),    p.    I  U-l  19)  au*  bords  de  l'Oman;  cf.    p    S84-SN3  de  celle  HiHoire. 

t.  Sur  l'origine  de  Hamman  el  sur  les  diverses  divinités  sumériennes  ou  sémitiques  qu'il  absorba, 
on  pcul  consulter  l'élude  de  Sivck.  The  Religion  of  Ihe  Ancien!  Babylonian* ,  p.  ïlri-ilï. 


mt  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEL'X  DE  LA  CHALDEE. 

il  dardait  la  foudre,  il  secouait   les  montagnes,  et  «  à  sa  rage,  à  sa   force, 
—  à  son  rugissement,  à  son    tonnerre,  —   les   dieux   du   ciel   montent    au 
ciel,   —  les  dieux  de  la  terre  s'enfoncent   en  terre,  »  effrayés'.   Les  monu- 
ments nous  le  montrent  armé  en  guerre,  du  casse-tête,  de  la    hache,  ou  de 
"ïpée  à  double   lame  flamboyante  qui   figure  ordinaire 
nent  la  foudre*.  Comme  il  détruit  tout  dans  sa   fureur 
veugle,  les  rois  l'invoquent  contre  leurs  ennemis  et  le 
pplient    de     •   ruer   l'ouragan    sur    les   races   rebelles 
sur  les  nations  insoumises'  ».  Quand  sa  colère  s'apaise, 
qu'il  revient  à  des  sentiments  plus  doux,  sa  bienveil- 
nce   ne  connaît  pas  de  bornes.  Il  était  la  trombe  qui 
nverse   les  forêts,   il   devient  la   brise  qui  les  caresse 
les  rafraîchit;  il   féconde   les  champs   de  ses  ondées 
'des,  il  décharge  l'atmosphère  et  tempère  les  ardeurs 
;  l'été.   Les  fleuves  gonflés  par  lui   débordent  :  il    les 
panche  sur  les  champs,  il  leur  creuse  des  canaux,  il  les 
lirige  partout  où  le  besoin  d'eau  se  fait  sentir.  Mais  son 
tempérament  fougueux  se  réveille  à  la  moindre  injure, 
et  alors  «   son  glaive  de  tiamme  répand  la  peste  par 
le  pays;  il  dissipe  la   moisson,    anéantit  la   récolte, 
>»»"  arrache  les  arbres,  couche  et  déracine  les  blés*   ». 

Somme  toute,  la  seconde  triade  formait  un  corps  plus 
homogène  au  temps  qu'lshtar  lui  appartenait  encore,  et  la  présence  de  la 
déesse  nous  permet  seule  d'en  comprendre  le  plan  et  l'intention  :  elfe  était 
astrologique  en  principe,  et  l'on  avait  voulu  n'y  enrôler  que  les  chefs 
évidents  des  constellations.  Itamman,  au  contraire,  n'offrait  rien  de  ce  qu'il 
faut  pour  figurer  à  côté  de  la  lune  et  du  soleil  :  il  n'est  pas  un  corps  céleste, 
il  ne  possède  aucune  forme  nettement  circonscrite,  il  semble  un  faisceau  de 

I.  ».»...  .  .  r«B  lut  H  A*.,  I.  IV,  pi.  J8,  n-  ï,  1.  li-lii;  cf.  F».  Luoiurn,  tei  Première!  Ciri- 
luatiout.  t.  II.  |>    1D1,  H  Suce,  The  Religion  of  the  Aneient  Bahyloniant,  p.  51111. 

1  Tr|(1»tpbalazar  I",  vainqueur  des  Koumani,  fabriqua  une  de  ces  épéoa  qu'il  appelle  •  un  éclair 
île  cuivre  •  cl  i|u"il  ilolia.  comme  trophée  de  sa  victoire,  dans  une  chapelle  liâtie  sur  les  ruines  de 
l'une  d.-.  ciléK  vaincue.  [f>„,me  de  Ti'gtatphalaiar  l",  col.  »l,  I.  15-41). 

3.  CI"  la  malédiction  prononcée  par  Téglatphalaiar  I"  à  la  fin  de  son  l'riime  (col.  vm,  I.  B3-BS), 
nu  nom  de  Itamman.  adore  dans  la  cilé  royale  d*Ànhshour. 

■I.  Le  caractère  de  llamman  se  trouve  défini  entièrement  dans  le*  écrits  des  premiers  ossjriologuos 
(11.  Rurmwj,  On  the  Religion  of  the  llabylnniam  nnd  Alignant,  p.  W7-3IHI:  F».  Le>om«.it,  F.itai 
de  iiimnteiitaire  tut  lei  fragment*  rmmogoniguei  de  tiérate,  p.  113-93). 

5.  Ileitin  de  Fiiiielirr-tivdin,  d'après  te  croquis  de  Lofii  s,  TrareU  and  Ueiearehes  in  Chaldteit  and 
Sutiana,  p.  ¥.iX.  L'original,  une  petite  stèle  en  terre  cuite,  eal  conservé  au  Crilish  Muséum.  L'âge  de 
celle  rcprâtentiitioti  est  incertaine  :  Itamman  eal  debout  »ur  la  montagne  qui  soutient  le  ciel. 


LES  DÉESSES  RATTACHÉES  AUX  DEUX  TRIADES.  663 

dieux  plutôt  qu'un  dieu  unique.  Son  adjonction  combla  de  façon  assez  mala- 
droite le  vide  que   la  défection  d'Ishtar   avait  creusé.  Convenons  d'ailleurs 
que  les  théologiens  auraient  été  embarrassés  de  trouver  mieux  que  lui  :  du 
moment  qu'ils  rattachaient  Vénus  au  reste  des  planètes,  il  ne  leur  restait  au 
ciel  rien  d'assez  lumineux 
pour  la   remplacer  digne- 
ment. Ils  prirent  par  force 
ce  qu'ils  connaissaient   de 
plus    puissant    après     les 
cinq,  le  maître  de  l'atmo- 
sphère et  de  la  foudre1. 

Les  dieux  des  triades 
étaient  mariés,  mais  leurs 
déesses  n'avaient  point 
pour  la  plupart  la  liberté 
d'allures  des  Égyptiennes 
ou  leurs  fonctions  impor- 
tantes* :  elles  s'éclipsaient 
modestement  derrière  leurs 
époux  et  vivaient  dans  l'om- 
bre, comme  c'est  l'usage  des 

femmes  de  l'Asie.  On  paraît  ut».»,  le  dm  ms  wuen  et  de  u  foi-dh*. 

d'ailleurs  ne  s'être  inquiété 

d'elles  qu'après  coup,   lorsqu'on    voulut    expliquer  la   filiation  des   immor- 
tels.  Anou  et  Bel  étaient  célibataires  à  l'origine.  Quand  on  s'avisa  de  leur 

I.  Leur  embarras  se  traliil  par  la  façon  dont  ils  ont  classé  ce  dieu.  Dans  la  triade  primitive,  Ishtar, 
étant  le  plus  pelit  des  trois  astres,  prenait  naturel leinont  la  troisième  place  après  la  Lune  et  le  Soleil  ; 
Ramman  avait  au  contraire  des  affinités  essentielles  avec  le  groupe  élémentaire  et  se  rattachait  a 
Anou,  Bel,  Éa  plutôt  qu'a  Si»  et  à  Shainash.  Aussi  le  Irouve-t-on  tantôt  a»  troisième  rang,  tantôt  au 
premier  de  la  seconde  triade,  et  cette  place  en  vedette  lui  est  si  habituelle,  que  les  assyriologucs  la 
lui  conservèrent  au  début,  et  qu'ils  décrivirent  la  triade  comme  étant  composée  non  pas  de  Sin,  de 
Shamash  et  de  Ramman,  mais  de  Itamman,  de  Sin  et  de  Shamasb  (BmLUtsos,  On  the  Religion  of  Ihr 
ttubylaniani  and  Anyriam,  p.  iH-t,  4W7)  ou  même  de  Sin,  de  Ramman  et  de  Sharoanh  (llucis,  Un 
the  Attyrian  Mylkoloyy,  dans  tes  Mtmoirt  of  the  Iriih  Academy,  t.  XX  lit,  p.  410-113]. 

ï.  Le  caractère  passif  et  presque  impersonnel  de  la  plupart  des  déesses  habyloniennes  et  assyriennes 
est  notoire  (l'a.  Lemmuixt,  Estai  de  commentaire  mr  le*  fragmente  r.oimogoniquet  de  lléio'e,  p.  OH). 
La  plupart  d'entre  elles  auraient  été  indépendantes  au  début,  vers  l'époque  sumérienne,  ci  ne  se 
seraient  mariées  que  plus  tard,  sous  l'inlluence  des  idées  sémitiques  (Stvr.n,  The  lleligion  of  the 
AueUnt  Dabytoai'int,  p.  110-112,   176-17!),  315-316}. 

3.  Deiëin  de  Fawhcr-liadin,  ifaprèi  l.iriMi,  The  Monument»  tif  Mnerrh,  I"  Ser.,  pi.  63.  C'est  à 
proprement  parler  une  divinité  siisîcnne  que  les  soldats  d'Assourbanabnl  emportent  en  Assyrie,  main 
elle  porte  les  insignes  habituels  de  Ramman,  et  elle  peut,  à  défaut  d'autres  renseignements,  nous 
"igurnit  rc  dieu  dans  le  courant  du  premier  millénaire  avant  notre  ère  :  il  n'a 
ni  la  robe  longue  du  Ramman  figuré  sur  la  page  6fii  de  celte  Histoire. 


664  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

prêter  des  compagnes,  on  recourut  au  procédé  que  les  Égyptiens  employaient 
en  pareil  cas  :  on  ajouta  à  leur  nom  la  terminaison  ordinaire  des  substantifs 
féminins,  et  Ton  construisit  de  la  sorte  deux  déesses  grammaticales,  Anat  et 
Bélit,  dont  le  tempérament  se  ressentait  de  cette  naissance  accidentelle1.  Leur 
rôle  flotta  toujours  incertain,  et  elles  ne  présentaient  guère  que  les  semblants 
de  la  réalité.  Anat  désignait  parfois  un  ciel  féminin  et  elle  ne  différait  d'Anou 
que  par  le  sexe1;  on  la  prenait  plus  souvent  pour  l'antithèse  d'Anou.  pour 
la  terre  par  opposition  au  ciel3.  Bélit,  en  tant  qu'on  peut  la  distinguer  des 
autres  personnes  qui  s'attribuent  ce  même  rang  de  dame,  partageait  avec 
Bel  la  domination  de  la  terre  et  des  régions  ténébreuses  où  les  morts  demeu- 
rent emprisonnés4.  L'épouse  d'Éa  possédait  son  nom,  qui  ne  dérivait  point  de 
celui  de  son  mari,  mais  elle  n'était  pas  animée  d'une  vie  beaucoup  plus  intense 
qu'Anat  ou  que  Bélit  :  on  l'appelait  Damkina,  la  maîtresse  du  sol,  et  elle 
personnifiait  de  façon  presque  passive  la  terre  unie  à  l'eau  qui  la  féconde5.  Les 
déesses  de  la  seconde  triade  présentaient  peut-être  quelque  chose  de  moins 
artificiel.  Sans  doute,  Ningal,  qui  régnait  avec  Sin  àOurou,  parait  n'être  qu'une 
épithète  incarnée.  Son  nom  signifie  la  (jrande  dame,  la  reine6,  sa  personne 
double  celle  de  son  mari  :  comme  il  est  la  lune  homme,  elle  est  la  lune  femme, 
son  amie7  et  la  mère  de  ses  enfants  Shamash  et  Ishtar*.  Mais  A  ou  Sirrida 
jouissait  d'une  autorité  incontestable  aux  côtés  de  Shamash  :  elle  se  souvenait 
d'avoir  été  un  soleil  ainsi  que  Shamash,  un  dieu  du  disque  avant  de  se  trans- 
former en  déesse9.  Shamash  était  d'ailleurs  accompagné  d'un  vrai  harem  dont 

1.  Sur  les  déesses  grammaticales  de  l'Egypte,  voir  ce  qui  est  dit  aux  p.  105-106  de  cette  Histoire. 

2.  G.  Rawmnsoh,  The  Five  Great  Monarchies,  2-  édit.,  t.  1,  p.  117;  Delitzsch-MPrdtf.r,  Geschichte 
Babyloniens  und  Assyriens,  2a  éd.,  p.  26. 

3.  Hommel,  Die  Semilischen  Vôlker,  p.  373  ;  Tiele,  Babylomsch-Assyrische  Geschichte,  p.  521  ;  Sayce, 
The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  194.  Sur  la  diffusion  d'Anat  chez  les  peuples  voisins  de 
la  Chaldée,  notamment  en  Syrie,  voir  les  observations  de  Fr.  Lrnormant,  Essai  de  Commentaire  sur  les 
fragments  cosmogoniques  de  Bérose,  p.  150-152,  de  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians, 
p.  187-189,  et  de  Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  192-194,  272-274. 

4.  Sur  la  Béllt-Beltis  de  Nipour,  la  Ninlilla  des  vieux  textes,  voir  Fr.  Le.nornant,  la  Magie  chez  les 
Chatdéens,  p.  105-106,  153,  et  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  149-150,  177; 
cf.  p.  691  de  cette  Histoire.  J'aurai  occasion  de  parler  dans  une  autre  partie  de  cet  ouvrage  du  rôle 
important  que  joua  plus  tard  la  Beltis  de  Babylone,  différente  de  celle  de  Nipour. 

5.  Fr.  Lenorxamt,  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  148,  153;  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient 
Babylonians,  p.  139,  264-265.  Damkina,  Davkina,  a  été  transcrit  Aavxy;  par  les  Grecs  (Damascics,  De 
Principiis,  §  125,  éd.  Ruelle,  p.  322). 

6.  Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  14,  n.  3. 

7.  Cylindre  de  Nabonald,  trouvé  à  Abou-Habba,  publié  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins.  \Y.  As.,  t.  V, 
pi.  64,  col.  il,  I.  38-39. 

8.  Cf.  Rawlinson,   The  Five  Great  Monarchies  of  the  East,  2e  éd.,  t.   I,  p.  125-126. 

9.  Sur  la  déesse  A,  Aa,  Ai,  nommée  aussi  Sirrida,  Sirdou,  et  sur  sa  forme  masculine,  cf.  Sayce,  The 
Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  177-179.  Pinches  {Sole  upon  the  Divine  Name  A,  dans  les 
Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  1885,  p.  27-28)  a  voulu  rattacher  la  forme  mâle  de 
cette  divinité  à  laô,  lahvéh  des  Hébreux  ;  son  hypothèse  n'a  point  trouvé  faveur  auprès  des  assy- 
riologues.  La  lecture  Malik  du  nom,  proposée  par  Oppert  (la  Chronologie  biblique  fixée  par  les  éclipses 
des  inscriptions  cunéiformes,  p.  15,  note),  se  rapporterait  au  doublet  masculin  de  la  divinité. 


L'ASSEMBLÉE  DES  DIEUX  GOUVERNE  LE  MONDE.  665 

elle  était  la  reine  comme  lui  en  était  le  roi1,  et  où  l'on  comptait,  entre  autres, 
Goula,  la  grande',  et  Ànounit  la  fille  de  Sin,  l'étoile  du  matin8;  Shala,  la 
miséricordieuse,  y  avait  figuré,  puis  on  l'avait  donnée  à  Ramman*.  Elles 
étaient  toutes  des  déesses  de  race  très  vieille,  jadis  adorées  pour  elles-mêmes, 
au  temps  où  le  peuple  sumérien  dominait  en  Chaldée,  amoindries  plus  tard 
et  distribuées  entre  les  dieux  lorsque  les  Sémites  prirent  le  dessus.  Une  seule 
conserva  sa  liberté,  Nanâ,  le  doublet  d'Ishtar  :  quand  ses  compagnes  se  sont 
effacées  au  second  plan,  elle  reste  encore  reine  et  maîtresse  dans  sa  ville 
d'Éridou.  Les  autres,  si  fort  assouplies  qu'elles  fussent  d'ordinaire  à  l'exis- 
tence du  harem,  éprouvaient  quelquefois  des  velléités  de  révolte,  et  plus 
d'une,  rompant  le  lien  qui  l'attachait  à  son  seigneur,  proclamait  à  l'occasion 
son  indépendance  :  Anounit,  s'arrachant  aux  bras  de  Shamash.  redevenait  sa 
sœur,  son  égale,  et  revendiquait  la  moitié  de  son  domaine.  Sippara  était  une 
cité  double,  ou  plutôt  il  y  avait  deux  Sippara  voisines  l'une  de  l'autre  :  la 
première  était  la  ville  du  Soleil,  Sippara  sha  Shamash,  mais  la  seconde  rele- 
vait d'Anounit  et  se  qualifiait  Sippara  sha  Anounitoum.  A  bien  l'entendre, 
ces  ménages  d'immortels  avaient  une  seule  excuse,  le  besoin  d'expliquer  sans 
brutalité  les  liens  de  parenté  que  le  classement  théologique  obligeait  à  nouer 
entre  les  êtres  qui  composaient  les  deux  triades.  On  n'imaginait  pas  volon- 
tiers en  Chaldée  ou  en  Egypte  que  les  familles  divines  pussent  se  propager 
par  des  procédés  autres  que  ceux  des  familles  humaines  :  les  déesses 
légitimèrent  la  paternité  des  dieux  auxquels  on  les  unit. 

Les  triades  ne  sont  donc  des  triades  que  par  fiction  sacerdotale.  Elles 
comprennent  en  réalité  six  membres  chacune,  et  c'est  un  conseil  de  douze 
divinités  que  les  prêtres  d'Ourouk  avaient  institué  pour  vaquer  à  l'administra- 
tion de  l'univers  ;  seulement  la  moitié  féminine  de  l'assemblée  fait  rarement 
parler  d'elle  et  n'apporte  qu'un  appoint  assez  mince  à  l'œuvre  commune.  Les 

1.  Malik,  d'où  le  nom  de  Malkatou  par  lequel  un  texte  bilingue  rend  l'idéogramme  de  la  déesse  A 
(Kr.  Lenoruant,  Essai  de  Commentaire  sur  tes  fragments  cosmogoniques  de  Bérose,  p.  97-98).  La  forme 
complète  est  Malkatou  sha  shami,  la  reine  du  ciel,  et,  en  cette  qualité,  la  déesse  A  s'identifie  com- 
munément avec  ishtar  (Schradkr,  Die  Gôttin  Ishlar  als  malkatu  und  sharratu,  dans  la  Zeitschrift 
fur  Assyriologie,  t.  III,  p.  353-364,  et  t.  IV,  p.  74-76). 

2.  Sur  Goula,  voir  Rawlinso.n,  On  the  Religion  of  the  Babylonians  and  Assyrians,  p.  503-504; 
Fr.   Lenormant,   Essai  de  Commentaire  sur  les  fragments  cosmogoniques   de  Bérose,  p.  98-99,   103. 

3.  Anounit  fut  considérée  d'abord  comme  étant  un  Soleil  femelle  (Rawmkson,  On  the  Religion  of 
the  Babylonians  and  Assyrians,  p.  504,  503;  G.  Rawlinso.n,  The  Five  Great  Monarchies,  2"  éd.,  t.  I, 
p.  128-129)  ou  la  Lune  (Fr.  Lrnormant,  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  107,  121).  On  l'identifie  d'or- 
dinaire avec  Ishtar,  à  laquelle  elle  prête  sa  qualité  d'Étoile  du  Matin  ;  cf.  p.  670  de  cette  Histoire. 

i.  Shala  est  l'épouse  de  Mardouk  et  de  Douraouzi  aussi  bien  que  celle  de  Ramman  (Sayce,  The 
fiel ig ion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  209-211);  son  nom,  joint  à  l'épithète  oummou,  la  mère,  a 
donné  le  nom  de  £aXotu.6(o,  £aXàu.oaç*  appliqué  par  Hésychius  et  par  VEtymologicon  Magnum  à 
l'Aphrodite  babylonienne  (Rawlinson,  On  the  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  499,  n.  8  ; 
Fr.  Lenormaxt,  Essai  de  Commentaire  sur  les  fragments  cosmogoniques  de  Bérose,  p.  95). 

84 


66«  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

grandes  divisions  établies  et  les  principaux  chefs  de  service  connus,  il  restait 
à  débrouiller  le  détail  et  à  choisir  des  agents  pour  y  maintenir  Tordre.  Rien 
n'arrive  au  hasard  dans  notre  monde,  mais  les  événements  les  plus  insigni- 
fiants en  apparence  s'accopiplissent  en  vertu  de  combinaisons  calculées  et  de 
décisions  prises  longtemps  à  l'avance.  Les  dieux  s'assemblent  chaque  matin 
vers  l'Est,  dans  une  salle  située  au  voisinage  des  portes  du  Soleil,  et  délibèrent 
sur  les  événements  de  la  journée1.  Le  sage  Éa  leur  soumet  les  sorts  qui  vont 
s'ache\er,  puis  il  en  fait  transcrire  la  minute  dans  les  chambres  du  destin, 
sur  des  tablettes  que  Shamash  ou  Mardouk  emporte  avec  lui  et  répand  en  che- 
min :  qui  lui  déroberait  ces  tablettes  fatales,  il  se  rendrait  maître  du  monde  ce 
jour-là.  Ce  malheur  était  advenu  une  seule  fois  au  commencement  des  âges*. 
Zou,  l'oiseau  des  tempêtes,  qui  habite  avec  sa  femme  et  ses  enfants  au  mont 
Sabou  sous  la  protection  de  Bel3,  et  qui  fond  de  là  sur  les  campagnes  pour  les 
ravager,  conçut  l'ambition  de  s'égaler  aux  dieux  suprêmes.  Il  pénétra  de  grand 
matin  dans  la  chambre  des  Destinées,  avant  que  le  Soleil  fût  levé  :  il  y  aperçut 
les  insignes  royaux  de  Bel,  «  la  mitre  de  sa  domination,  le  vêtement  de  sa 
divinité,  —  les  tablettes  fatales  de  sa  divinité,  Zou  les  aperçut.  —  Il  aperçut 
le  père  des  dieux,  le  dieu  qui  sert  de  lien  entre  le  ciel  et  la  terre4,  —  et  le 
désir  de  la  domination  s'empara  de  son  cœur;  —  oui,  Zou  aperçut  le  père 
des  dieux,  le  dieu  qui  sert  de  lien  entre  le  ciel  et  la  terre,  —  et  le  désir 
de  la  domination  s'empara  de  son  cœur.  —  «  Je  prendrai  les  tablettes 
«  fatales  des  dieux,  moi,  —  et  les  oracles  de  tous  les  dieux  c'est  moi  qui  les 
«  rendrai  ;  —  je  m'installerai  sur  le  trône,  je  lancerai  les  décrets,  —  je  régirai 
«  la  totalité  de  tous  les  Igigi5.  »  —  Et  son  cœur  complota  la  bataille  ;  —  épiant 
au  seuil  de  la  salle,  il  attendit  le  point  du  jour.  —  Lorsque  Bel  eut  versé 
les  eaux  brillantes,  —  qu'il  se  fut  placé  sur  le  trône  et  qu'il  eut  posé  la  cou- 
ronne, —  il  lui  enleva  la  tablette  fatale  de  sa  main,  —  il  saisit  la  domination 
et  le  pouvoir  de  donner  des  décrets,  —  le  dieu  Zou,  il  s'envola  et  se  cacha 
dans  sa  montagne6.  »  Aussitôt  Bel  s'écrie,  s'enflamme  et  ravage  le  monde  des 

1 .  Sur  la  salle  du  destin  et  sur  ce  qui  s'y  passe,  voir  Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  23 1-2-13. 

2.  La  légende  de  l'oiseau  Zou  a  été  découverte  et  les  débris  en  ont  été  traduits  pour  la  première 
fois  par  G.  Smith,  The  CliaULran  account  of  Gène  sis,  p.  113-122;  cf.  Sayce,  Bahylonian  Literature, 
p.  M).  Ce  qu'on  en  connaît  aujourd'hui  a  été  publié  par  J.  ED.  Harpkr,  Die  babyfonischen  Ijcgenden  von 
Etana,  Zn,  Adapa  und  Dibbara,  dans  les  Beitrâge  zur  Assyriologicy  t.  II,  p.  iOH-i18. 

3.  l/importance  du  mont  Sabou  en  mythologie  a  été  signalée  par  Fn.  Delitzsch,  Ho  lag  das  Paro- 
dies? p.  105-106;  le  site  en  aurait  été  vers  les  villes  de  Kish  et  de  Kharshagkalamma  {id.,  ibid.% 
p.  2111),  ce  qui  me  parait  être  peu  vraisemblable.  Je  le  chercherais  plutôt  aux  extrémités  du  monde, 
quelque  part  dans  le  Sud,  mais  sans  pouvoir  préciser  remplacement  qu'il  occupait. 

\.  Sur  le  sens  de  cette  épithète  appliquée  aux  divinités  solaires,  voir  p.  656,  note  3,  de  cette  Histoire. 

5.  Les  Igigi  sont  les  Esprits  du  ciel,  par  opposition  aux  Anounnaki;  cf.  p.  634  de  cette  Histoire. 

6.  J.  K.  Harper,  Die  Babylonischen  Lcgenden  von  Etana,  Zu,  Adapa  und  Dibbara,  p.  400,  1.  5-22. 


L'OISEAU  7,0(1  VOLE  LES  TABLETTES  DU   DESTIN.  &Ti 

feux  de  sa  colère.  «  Ànou  ouvrit  sa  bouche,  il  parla,  —  il  dit  aux  dieux  ses 
enfants  :  —  «  Qui  vaincra  le  dieu  Zou? —  Il  fera  son  nom  grand  par  tout 
t  pays.  «  —  On  appela  Ramman  le  suprême,  le  fils  d'Anou,  —  et  Anou  lui  dit 
à  lui-même  ses  ordres;  —  ouï,  on  appela  Ramman  le  suprême,  le  fils  d'Anou, 
—  et  Anou  lui  dit  à  lui-même  ses  ordres.  —  «  Va,  fils  Ramman,  le  vaillant, 
«  que  rien  n'arrête  ton  attaque;  —  vainc  Zou  de  ton  arme,  et  ton  nom  sera 
«  grand  parmi  les  dieux  grands,  —  parmi  les  dieux,  tes  frères,  tu  n'auras 
«  point  ton  égal;  —  on  te  construira  des  sanctuaires,  —  et  si  tu  te  bâtis  tes 

*  villes  dans  les  quatre 
«  maisons  du   monde,  — 

<  tes  villes  s'étendront  sur 
«  toute  la  montagne  ter- 
«restre1!  —  Sois  donc 
x  vaillant    à    la   face    des 

<  dieux  et  soit  ton  nom 
«  fort!  »  —  Ramman  prit 
la  parole,  il  tint  ce  langage 

àAnou,sonpcre:  —  «Père,         S11ABASH  um  tmn^  tou  „  C0„KK  LES  mwxm  m  mrtTB». 
«  vers  les  montagnes  ina- 

«  bordables  qui  ira?  —  Qui  est  l'égal  de  Zou,  parmi  les  dieux,  tes  enfants?  — 
«  Il  a  enlevé  les  tablettes  fatales  de  sa  main,  —  il  a  saisi  la  domination  et  le 
s  pouvoir  de  donner  des  décrets  —  Zou,  puis  il  s'est  envolé  et  s'est  caché  dans 
«  sa  montagne.  —  Maintenant,  la  parole  de  sa  bouche  est  comme  celle  du 

•  dieu  qui  unit  le  ciel  à  la  terre;  —  ma  puissance  n'est  plus  qu'argile,  —  et 
x  tous  les  dieux  doivent  se  courber  devant  lui1.  »  Anou  manda  à  son  aide  le 
dieu  Rara,  fils  d'Ishtar,  et  lui  tint  le  même  langage  qu'il  avait  adressé  à  Ram- 
man :  Bara  refusa  de  tenter  l'aventure.  Shamash,  interpellé  à  son  tour,  con- 
sentit enfin  à  partir  pour  le  mont  Sabou  :  il  triompha  de  l'oiseau  des  tem- 
pêtes, lui  arracha  les  tablettes  et  l'amena  prisonnier  devant  F,a\  Le  Soleil  du 
jour  entier,  le  Soleil  en  pleine  possession  de  sa  vigueur,  pouvait  seul  recon- 

I.  Litt  :  ■  Construis  tes  villes  ilaiis  les  quatre  renions  ilu  inonde  (cf.  p.  iviJJ-îiU  de  cette  Hiltoire), 
et  U-s  villes  s'étendront  à  la  montagne  de  I»  terre.  ..  Anou  parait  promettre  à  Karoman  un  monopole  ; 
s'il  veut  bâtir  des  villes  qui  le  reconnaissent  pour  patron,  res  villes  rouvriront  la  terre  entière. 

I.  Demiii  de  Faurher-liudin,  d'a/irit  LuaM,  Introduction  a  l'hiitoire  du  Culte  public  el  de* 
mystère*  de  Mithra  en  Orient  et  en  Occident,  pi.  LSI,  n'  ";  cf.  Kn.  Loobïam,  Sur  la  lignification  de* 
sujet*  de  quelque!  cylindre*  Hnbytonient  et  Aityriem,  dans  la  Gaseltr.  Archéologique,  1878,  p.  Î5-1. 

3.  i.  E.  Iliirtm,  Die  llabylnniichen  Lrgenden  von  Etana,  'lu,  Adapa  und  Dibbara,  n.  lofl-iw, 
I.  Î6-.",Ï.  Les  dernières  lignes  sont  mutilées  el  le  sens  n'en  est  pas  certain. 

i.  Cf.  HtMKT,  Rechercha  tur  la  Glyptique  orientale,  1. 1,  p.  10T-I1U.  l'indication  des  scène»  gravées 
sur  les  cylindres  el  qui  montrent  l'oiseau  Zou  amena  prisonnier  devant  Éa. 


668  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

quérir  les  attributs  du  pouvoir  que  le  Soleil  du  matin  s'était  laissé  dérober. 
Le  privilège  de  répartir  les  décrets  immuables  entre  les  hommes  n'était 
plus  jamais  depuis  lors  sorti  de  la  main  des  dieux  lumineux. 

Les  destinées  une  fois  réglées  là-bas  forment  une  loi  —  mamit  —  une 
fatalité  bonne  ou  mauvaise*,  à  laquelle  nul  ne  se  soustrait,  mais  dont  chacun 
peut  s'informer  par  avance  s'il  apprend  à  en  déchiffrer  les  formules  au  livre  du 
ciel.  Les  étoiles,  même  les  plus  éloignées  de  notre  terre,  ne  demeurent  étran- 
gères à  rien  de  ce  qui  s'y  passe.  Elles  sont  autant  d'êtres  animés  et  doués 
de  qualités  diverses,  dont  le  rayonnement  gagne  de  proche  en  proche  à 
travers  les  plaines  célestes  et  vient  agir  d'en  haut  sur  tout  ce  qu'il  touche. 
Leurs  influences  se  modifient,  se  redoublent  ou  s'annulent  réciproquement, 
selon  l'intensité  avec  laquelle  elles  les  manifestent,  selon  la  place  qu'elles 
occupent  au  firmament  par  rapport  l'une  à  l'autre,  selon  l'heure  de  la  nuit  et 
le  mois  de  l'année  dans  lequel  elles  se  lèvent  ou  se  couchent  derrière  l'horizon. 
Chaque  portion  du  temps,  chaque  division  de  l'espace,  chaque  catégorie  d'êtres, 
et,  dans  chaque  catégorie,  chaque  individu,  est  rangé  sous  leur  domination  et 
subit  leur  tyrannie  inévitable.  L'enfant  naît  leur  esclave  et  reste  leur  esclave 
jusqu'à  son  dernier  jour  :  l'étoile  qui  prévalait  au  moment  de  sa  naissance 
devient  son  étoile  et  commande  sa  destinée*.  Gomme  les  Égyptiens,  les  Chal- 
déens  avaient  cru  discerner  dans  la  position  des  feux  qui  s'allumaient  au  ciel 
nocturne  l'ébauche  d'un  grand  nombre  de  figures  diverses,  des  hommes,  des 
animaux,  des  monstres,  des  objets  réels  ou  imaginaires,  une  lance,  un  arc,  des 
poissons,  un  scorpion,  des  épis  de  blé,  un  taureau,  un  lion3.  La  plupart  d'entre 
elles  s'étendaient  au-dessus  de  nos  têtes  sur  les  parois  de  la  voûte  céleste; 
douze  seulement,  échelonnées  au  bord  même  de  l'horizon  et  reconnaissables  à 
leur  éclat,  veillaient  sur  la  route  que  le  soleil  suit  journellement  le  long  des 
murs  du  monde.  Elles  se  la  partageaient  en  autant  de  domaines  ou  de  mai- 
sons, où  elles  exerçaient  une  autorité  complète,  et  à  travers  lesquelles  le  dieu 
ne  voyageait  qu'après  avoir  obtenu  leur  assentiment  ou  les  avoir  vaincues. 

1.  Sur  la  mamit,  sur  la  destinée,  et  sur  la  déesse  qui  la  personnifie  dans  le  Panthéon  chaldéen, 
voir  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  305-309. 

î.  Les  questions  relatives  à  l'influence  des  astres  sur  la  destinée  humaine  chez  les  Chaldéens  ont 
été  examinées  d'ensemble  pour  la  première  fois  par  Fa.  Lenormant,  la  Divination  et  la  Science  des 
présages  chez  les  Chaldéens,  p.  5-1 4,  37-47. 

3.  L'identification  des  constellations  chaldéennes  avec  les  gréco-romaines  ou  avec  les  modernes 
n'a  pas  été  encore  faite  d'une  manière  certaine  :  comme  en  Egypte,  il  semble  que  les  astres  aient 
été  groupés  d'une  manière  différente  de  celle  que  nous  admettons.  Plusieurs  des  résultats  auxquels 
Oppert,  Tablettes  Assyriennes  (dans  le  Journal  Asiatique,  série  1871,  t.  XVIII,  p.  443-453),  et  Sayce, 
The  Astronomy  and  Astrology  of  the  Babylonians  (dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie 
Biblique,  t.  III,  p.  145-339),  étaient  arrivés,  ont  été  contestés  par  Jessen,  Die  Kosmologie  der 
Babylonier,  p.  42-57,  dont  les  propositions  n'ont  pas  trouvé  grâce  devant  d'autres  assyriologues. 


LES  PLANÈTES  ET  LES  DIEUX  QUI  Y  PRÉSIDENT.  669 

C'était  un  souvenir  des  guerres  par  lesquelles  Bel-Mardouk,  le  taureau  divin, 
le  dieu  de  Babylone,  avait  organisé  le  chaos  :  non  seulement  il  avait  tué  Tiâmat, 
mais  il  avait  terrassé  et  asservi  les  monstres  qui  menaient  l'armée  des 
ténèbres.  11  rencontre  de  nouveau,  chaque  année  et  chaque  jour,  aux  confins 
de  la  terre  et  du  ciel,  les  hommes-scorpions  de  son  antique  ennemie,  ses  pois- 
sons à  tète  de  chèvre  ou  d'homme,  d'autres  encore.  Ils  sont  associés  en  un 
zodiaque  dont  les  douze  signes,  transmis  aux  Grecs  et  modifiés  par  eux,  se 
lisent  même  aujourd'hui  sur  les  cartes  du  ciel1.  Les  constellations,  immobiles 
ou  animées  d'un  mouvement  lent  et  sans  amplitude,  contiennent  les  problèmes 
de  l'avenir,  mais  elles  n'en  fournissent  pas  à  elles  seules  la  solution  aux 
hommes.  Les  astres  capables  de  les  expliquer,  les  véritables  interprètes  du 
destin1,  étaient  d'abord  les  deux  divinités  qui  régissaient  l'empire  de  la  nuit 
et  celui  du  jour,  la  lune  et  le  soleil,  puis  les  cinq  planètes  que  nous  nommons 
Jupiter,  Vénus,  Saturne3,  Mars  et  Mercure,  ou  plutôt  les  cinq  dieux  qui  les 
animent  et  qui  en  dirigent  la  course  depuis  l'heure  de  la  création,  Mardouk 
et  Ishtar,  Ninib,  Nergal  et  Nébo*.  Les  planètes  battaient  le  ciel  en  tout  sens, 
se  croisaient,  se  conjuguaient,  s'occultaient,  s'approchaient  des  astres  fixes 
ou  s'écartaient  d'eux,  et  l'espèce  de  danse  rythmique  qui  les  entraînait  sans 
relâche  à  travers  l'espace,  si  on  l'observait  avec  soin,  révélait  aux  hommes  la 
marche  irrésistible  de  leurs  destinées,  aussi  sûrement  que  s'ils  avaient  pu 
s'emparer  des  tablettes  de  Shamash  et  les  épeler  ligne  à  ligne. 

1.  L'origine  chaldéenne  du  zodiaque  a  été  restreinte  au  minimum  par  Letronne  (Sur  Vorigine  du 
Zodiaque  grec  et  sur  plusieurs  points  de  V monographie  et  de  la  chronologie  de  la  Chaldée,  dans  les 
Œuvres  Choisies,  2-  série,  t.  1,  p.  458  sqq.)t  puis  par  Ideler  (Ueber  der  Ursprung  des  Thierkreises, 
dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des  Sciences  de  Berlin,  1838,  p.  1-24),  dont  l'opinion  fit  loi  pendant 
longtemps.  La  question  fut  reprise  par  Fr.  Lenormant  (Essai  de  commentaire  sur  les  fragments 
cosmogonigues  de  Bérose,  p.  229-233,  les  Premières  Civilisations,  t.  II,  p.  67-73,  Origines  de  V Histoire, 
t.  1,  p.  234-238,  note),  qui  retrouva  la  meilleure  partie  de  nos  signes  du  Zodiaque  en  Chaldée.  Sa 
démonstration  a  été  complétée  par  Jensen  (Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  67-95,  310-320,  et 
Ursprung  und  Geschichte  des  Tierkreises,  dans  la  Deutsche  Revue,  juin  1890),  et  les  idéogrammes 
pour  les  signes  ont  été  découverts  par  Epping  (Astronomisches  aus  Babylon,  p.  170  sqq.). 

2.  Diodork,  11,  30  :  ou;  éxeîvoc  xoivy)  uiv  ip|xr,v£Î;  ôvou.âÇou<riv.  D'après  Jensen,  Die  Kosmologie  der 
Babylonier,  p.  99-100,  l'expression  remonterait  fort  haut  :  l'un  des  noms  suméro-accadiens  des  pla- 
nètes, Our-kinmi,  signifierait  réellement  le  messager,  l'interprète  des  dieux. 

3.  Sur  l'orthographe  du  nom  Kaimànou  et  sur  son  application  à  la  planète  Saturne,  voir  Jensen,  Die 
Kosmologie  der  Babylonier,  p.  111-116;  sur  l'identité  de  Kaimànou  et  du  Kévan  hébreu,  cf.  Oppert, 
Tablettet  Assyriennes,  dans  le  Journal  Asiatique,  6"  série,  t.  XVIII,  1871,  p.  445. 

4.  Les  noms  des  planètes  ont  fourni,  comme  ceux  des  étoiles,  matière  à  de  nombreuses  discussions. 
Ils  ont  été  étudiés  à  plusieurs  reprises  par  Fr.  Lenormant  (Essai  de  Commentaire  sur  les  fragments 
cosmogoniques  de  Bérose,  p.  105  et  p.  370-376  en  note),  Oppert  (les  Origines  de  C Histoire),  Saycc 
(The  Astronomy  and  Astrology  of  the  Babylonians,  with  translation  of  the  tablets  relating  to  those 
subjects,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  III,  p.  167-172),  Jensen  (Die 
Kosmologie  der  Babylonier,  p.  95-133).  Les  identifications  les  plus  probables  sont  celles  d'Epping 
(Astronomisches  aus  Babylon  oder  das  YVissen  der  Chaldâer  ûber  den  gestirnten  Himmel,  p.  7  sqq.) 
et  d'Oppert  (Un  Annuaire  astronomique  babylonien,  traduit  en  partie  en  grec  par  Ptolémée,  extrait 
du  Journal  Asiatique,  1891,  reproduit  avec  variantes  dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  VI, 
p.  110-112),  auxquels  Jensen  paraît  s'être  rangé  avec  répugnance  (Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  V, 
p.  125-129). 


fi"0         LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  HE  LA  CHALDEE. 

Les  Chaldéens  comparaient  volontiers  les  planètes  à  des  moutons  capricieux 
qui  s'étaient  échappés  du  troupeau  des  étoiles,  pour  aller  paitre  au  gré  de  leur 
humeur  vagabonde1.  Elles  étaient  au  début  autant  de  divinités  souveraines, 
sans  autre  fonction  que  de  courir  au  ciel  et  d'y  rendre  des  oracles,  puis  deux 
d'entre  elles  descendirent  sur  notre  terre  et  y  reçurent  tes  hommages  d'une 
cité,  Ishtar  ceux  de  Diluât1,  Nébo  ceux  de  Borsippa.  Nébo*  prit  les  allures 
d'un  devin  et  d'un  prophète.  Il  savait  tout,  prévoyait  tout,  donnait  son  avis 

sur  tout;  il  avait  inventé 
l'art  de  fabriquer  les 
tablettes  d'argile  et  d'y 
écrire.  Ishtar  combinai  t  en 
soi  des  aspects  contradic- 
toires*. On  l'adorait  au  sud 
de  la  Chaldée  sous  le  nom 
de  Nanà,  la  maîtresse 
suprême'.  On  avait  com- 
ishti*  l»  cEiRKiiiËiic0.  mencé    par   ignorer   que 

cette  dame  des  dieux 
—  liêtit-itânit,  —  l'étoile  du  soir,  est  identique  à  Anounit  l'étoile  du  matin, 
et  l'on  avait  fait  deux  déesses  distinctes  de  ces  deux  manifestations  d'un  seul 
être  :  l'erreur  dévoilée,  elles  se  confondirent,  et  leurs  noms  ne  furent  plus  que 
deux  termes  différents  pour  désigner  les  mêmes  astres.  Le  double  caractère 
qu'on  leur  avait  prêté  se  perpétua  dans  la  personne  unique.  L'étoile  du  soir 
avait  symbolisé  la  déesse  de  l'amour  qui  attire  l'homme  vers  la  femme  et  qui 
les  enchaîne  l'un  à  l'autre  par  le  désir,  tandis  qu'on  imaginait  celle  du  matin 

I.  Leur  nom  générique,  lu  d'abord  toubal,  toabbat  en  suméro-accadien,  libbou  en  langue  sémitique 
(Fa.  Lenohmakt,  Euai  de  Commentaire  sur  tel  fragment*  cotmogoniquei  de  Bfroie,  p.  370-3"  1),  dési- 
gnai! un  quadrupède  que  Lenormant  ne  savait  comment  déterminer,  maie  que  Jensen  {Die  Komoloeie, 
[)    •.)',-■)■) )  a  identifie   avec  le  mouton  et  le  bélier.  A  la  fin  du  récit  de  la  création.  M»rdouk-Ju|  e-i 

comparé  à  un  berger  qui  pait  1rs  dieuv  dans  le  champ  du  ciel  (cf.  p.  5)5  de  cette  Hiltoire). 

i  Site  de  Dilbat  inconnu  :  on  le  cherche  au  voisinage  de  Kisbou  et  de  "abylone  (Dïliiiscb.  It'o 
lag  dut  Paradiei?  p.  ÏIM)  :  peut-être  faut-il  le  placer  dans  la  banlieue  de  Sippnra.  E.e  nom  appliqué 
à  la  déesse  a  été  transcrit  AeXtpâr  (Nmvcdi'S,  ».  v.  I.)  et  signifie  le  héraut,  la  ménagère  du  jour. 

3.  Le  rôle  de  Nébo  a  été  défini  par  le«  premiers  atsyriologues  (IUwlisso.i,  On  the  Religion  of  tht 
liabylonians  and  Aiiyriam,  j>.  5*3-516,  Oirmi,  Expédition  en  Métojiotamie ,  t.  11.  p.  Î.Ï7  ;  Lusoani.vr, 
Eliot  de  Commentaire  aur  lei  fragment*  coimogonii/uei  de  Béroie,  p.  114-116).  H  eu  doit  une  partie 
à  mhi  alliance  avec  d'autres  dieu\  (Siïck,  The  Itetigion  of  tht  Ancien!  Babylaniant,  p,  118-1 IV). 

i.  Etudier  le  chapitre  que  Savce  a  consacré  à  Ishtar  dans  sa  Religion  of  tht  Aneienl  Babuloniam 
[IV.  Vammuî  and  Ithtar,  p.  ÎÏ1  sqq.).  et  les  observations  que  A.  Jcrcmias  a  insérées  sur  le  même 
sujet  ;i  la  suite  de  son  fcdulmr-Mmrod  {hhtar-Atlarte  im  lidubar-Epoi),  p.  36-60. 

S,  Sur  >anà,  consulter  avec  réserve  K».  Lkmimiaxi,  £i«ii  de  Commentaire  tur  let  fragment!  cinmo- 
gonii/uei  de  Dénué,  p.  1(10-103.  :i"H-37i>,  où  l'identité  d'ishlar  et  de  Nani  est  encore  méconnue. 

fi.  Bénin  de  F/iurher-Cudin  d'aprci  l'héliogravure  de  Mr.sjsr,  Recherche»  tur  la  Glyptique  orien- 
tale, t.  I,  pi.  ir,  n'  fl. 


NÉ RO  ET  rsHTAK.  671 

comme  la  guerrière  froide  et  cruelle  qui  dédaigne  la  volupté  pour  la  bataille  : 
Ishtar  en  resta  tout  ensemble  chaste  et  lascive,  bienveillante  et  féroce,  paci- 
fique et  belliqueuse,  sans  que  cette  réunion  de  qualités  irréconciliables  décon- 
certât la  piété  de  ses  fidèles.  Les  trois  autres  planètes '~~* 

fait  piètre  figure  à  côté  de  Nébo  et  dlshtar,  si  on  ne  leu 
uctroyé  des  patrons  nouveaux.  Les  dieux-soleil  du  secon 
Mardouk,  Ninib,  Nergal  ne  menaient,  si  l'on  y  réfléch 
qu'une  existence  incomplète;  ils  étaient  une  portion  de  s< 
une  portion  seulement,  quand  Shamash  représentait  l'at 
entier.  Que  devenaient- ils  hors  le  moment  de  l'année 
du  jour  pendant  lequel  ils  fournissaient  leur  carrière? 
s'enfermaient-ils  de  nuit,  durant  les  heures  que  Shai 
rentré  au  firmament,  s'y  cachait  derrière  les  montagne 
Nord?  De  même  qu'en  Egypte  les  Horus  identifiés  d'à 
à  Rà  devinrent  les  maîtres  des  planètes,  en  Chaldée,  les 
soleils  de  Ninib,  de  Mardouk  et  de  Nergal  s'assirnilère 
Saturne,  à  Jupiter  et  à  Mars',  et  leur  pénétration  s'a 
d'autant  plus  facilement  pour  Saturne  qu'on  le  considt 
dès  l'origine  comme  un  taureau  appartenant  à  Shama 
On  eut  désormais  un  groupe  de  cinq  dieux  puissants, 
cantonnés  au  ciel  parmi  les  astres,  sur  la  terre  -* 
dans  les  cités,  et  qui  reçurent  la  charge  d'annoncer  les  desti-  mn»3. 

nées  de  l'univers.  D'aucuns,  trompés  par  la  grosseur  et  par 
l'éclat  de  Jupiter,  donnèrent  le  commandement  à  Mardouk,  et  cette  opinion 
prévalut  naturellement  à  Dabylone  dont  il  était  le  dieu  féodal'.  D'autres,  ne 
tenant  compte  que  de  l'influence  exercée  sur  la  fortune  des  hommes,  accor- 
dèrent la  primauté  à  Ninib  et  rangèrent  à  la  suite  Mardouk  d'abord,  puis 
Ishtar,  Nergal  et  Nébo*.  Comme  les  six  des  triades,    les  cinq   ne  tardèrent 

1.  Justi,  bit  Koamotogie  der  Ilabylonier,  p.  1311-1  il  ;  Ishtar  cl  Nébo.  Sin  ut  Shamash,  étant  des 
antres  a  l'origine,  et  les  autre*  grands  dieux  Anou,  Bel,  Êa,  Hnminaii,  ayant  leurs  astres  an  ciel,  les 
Chaldéeiis  Turent  entraînés  par  l'analogie  à  attribuer  aux  dieux  qui  représentaient  les  phases  du  Soleil, 
Mardouk,  Ninib  et  Nergal,  trois  astres  proportionnés  a  leur  importance,  trois  planètes. 

t.  Map  akanwhi,  dans  les  tablettes  astrologiques.  Diodorc  de  Sicile  (11.  30)  nous  apprenait  déjà  que 
le  Saturne  des  Crues  était  un  Soleil  pour  les  Babyloniens  ;  U:.i  6k  \>,<,  Lt.Ii  :mj  ' l'Xi r,-n«v  Kplyo- 
àïou-JÎ'Jnîvov  eittfKviaTM'»  6É  xai  n).ef<rtn  *al  v-ifima  ipiïor.u.it.ovTa  xaloûoii  "lli.iov. 

2.  UàtiH  de  Faueher-GadÎH,  ttuprèa  la  ita/ar  attyrienne  en  albâtre  du  Itritiëh  Muienm. 

1.  L'o«t  l'ordre  adopté  dans  les  listes  transcrites  par  Jp.jises,  Oie  Kosmoloyic  drr  ISabyloiiiei; 
p.  100-101.  et  Justine  par  un  certain  nombre  de  textes,  avec  quelques  variantes  pour  la  place  qu'il 
convient  de  donner  à  certaines  des  planètes  qui  suivent  Jupiter. 

5.  Ce  classement  résulte  îles  puissances  numériques  attribuées  aux  dieux  des  planètes  sur  la 
tablette  K  170  du  Musée  Britannique,  donl  il  sera  question  ans  pages  (JJS-ii"t  de  cette  llitttiirc. 


67-2         LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

pas  à  se  marier,  s'ils  ne  l'avaient  déjà  fait  avant  qu'on  songeât  a  les  convo- 
quer en  une  seule  assemblée.  Ninib  choisit  pour  femme  Baou,  la  fille  d'Anou, 
la  suzeraine  d'Ourou,  très  vénérée  dès  les  temps  les  plus  anciens1,  puis  Goula, 
la  reine  des  médecins,  dont  la  science  adoucit  les  maux  de  l'humanité,  l'une 
des  déesses  qu'on  mettait  parfois  dans  le  harem  de  Shamash*.  Mardouk  s'as- 
socia Zirbanit  la  féconde,  qui  assure  de  génération  en  génération  la  perpétuité 
et  la  multiplication  des  êtres3.  Nergal  partagea  les  hommages  de  ses  fidèles, 
tantôt  avec  Laz\  tantôt  avec  Esharra,  belliqueuse  comme  lui,  et  comme  lui 
toujours  victorieuse  dans  les  combats8.  Nébo  s'appareilla  à  Tashmit6,  la  grande 
fiancée,  ou  même  à  Ishtar7.  Ishtar  ne  voulut  pas  se  contenter  d'un  seul  mari  : 
après  qu'elle  eut  perdu  Doumouzi-Tammouz,  l'époux  de  sa  jeunesse,  elle 
s'abandonna  sans  contrainte  à  la  violence  de  ses  caprices,  favorisant  les 
hommes  aussi  bien  que  les  dieux,  et  quelquefois  rebutée  avec  ignominie 
par  les  héros  qu'elle  conviait  libéralement  à  ses  amours*.  Les  cinq  étaient  en 
réalité  les  dix,  et  l'on  profita  de  ces  alliances  pour  nouer  entre  eux  des 
liens  nouveaux  de  parenté  :  Nébo  fut  proclamé  le  fils  de  Mardouk  et  de 
Zirbanit9,  Mardouk  le  fils  d'Éa10,  Ninib  celui  de  Bel  et  d'Ësharra11. 

1.  Baou,  lue  aussi  Gour,  qui  tient  une  grande  place  dans  les  inscriptions  de  Tel  lob  (Aniacd,  6ïr- 
pourla,  p.  17-18)  est  à  l'origine  la  mère  d'Êa,  une  personnification  des  eaux  ténébreuses  et  du  Chaos 
(Hommel,  Die  Semitischen  Vôlker,  p.  379-382)  :  ce  n'est  qu'assez  lard  qu'on  s'avisa  de  la  marier  à  Ninib. 

2.  Goula,  la  grande,  peut  n'avoir  été  à  l'origine  qu'une  épithète  générale  attachée  au  nom  de 
Baou,  puis  incarnée  en  une  déesse  particulière  (Hoxmkl,  Die  Senti  lise  hen  Vôlker,  p.  381,  note);  son 
rôle  et  celui  de  Baou  sont  entièrement  parallèles  dans  les  textes  babyloniens  (cf.  Jknsf.n,  Die  Kosmo- 
logie  der  Babylonier,  p.  245-246).  Tiele  (Babyloniseh-Assyrische  Geschichte,  p.  529-530)  reconnaît  en 
elle  le  feu  intérieur,  la  chaleur  vitale  et  aussi  la  chaleur  mauvaise,  la  fièvre  qui  tue. 

3.  Le  nom  de  Zirbanit,  Zarpanit,  l'une  des  divinités  chaldéennes  dont  l'importance  a  été  constatée 
le  plus  tôt  par  les  assyriologues  (Oppert,  Expédition  en  Mésopotamie,  t.  II,  p.  297  ;  Rawlinson,  On 
the  Religion  of  the  Babylonians  and  Assyrians,  p.  517-518),  signifie  Celle  qui  produit  les  germes, 
qui  produit  la  postérité.  Elle  parait  se  rattacher  à  une  divinité  très  antique,  Gasmou,  la  sage,  qui 
était  la  femme  ou  la  tille  d'fta,  et  qui  semble  avoir  été  considérée  à  l'origine  comme  dame  et  voix 
de  l'Océan  (Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  110-112). 

4.  On  ne  connaît  guère  de  Laz  que  le  nom  :  Hommel  (Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens, 
p.  225)  émet  avec  doute  l'idée  que  cette  déesse  était  Cosséenne  d'origine. 

5.  Ésharra  est  d'un  côté  la  terre  (cf.  p.  645-646  de  cette  Histoire),  de  l'autre  la  déesse  de  la  guerre. 

6.  Tashmit,  dont  le  nom  fut  lu  d'abord  Ourmit  ou  Varamit  (Kawlisson,  On  the  Religion  of  the 
Babylonians  and  Assyrians,  p.  525),  est  la  déesse  des  lettres,  toujours  associée  à  Nébo  dans  la 
formule  qui  termine  chacun  des  ouvrages  conservés  dans  la  bibliothèque  d'Assourbanabal  à  Ninive. 
Elle  ouvrait  les  yeux  et  les  oreilles  de  ceux  qui  recevaient  les  instructions  de  son  mari  ou  qui 
lisaient  ses  livres  (Sayce,  The  Religion  of  Hue  Ancient  Babylonians,  p.  120). 

7.  C'est  surtout  sous  le  nom  de  Nanà  qu'Ishtar  est  associée  à  Nébo,  dans  le  temple  de  Borsippa 
(Tiele,  Benierkungen  ùber  E-sagila  in  Babel  und  E-zida  in  Borsippa  zur  Zeit  bcbukadrcxzar's  //, 
dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  Il,  p.  185-187). 

8.  Cf.  aux  pages  579-581  de  cette  Histoire  l'aventure  d'Ishtar  avec  Gilgamès,  les  reproches  que  le 
héros  adresse  à  la  déesse  et  la  longue  «numération  qu'il  fait  de  ses  amants. 

9.  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  112  sqq.,  explique  très  ingénieusement  les 
relations  que  l'on  constate  très  intimes  entre  Mardouk  et  Nébo,  par  l'absorption  graduelle  dans  Baby- 
lone  de  la  ville  de  Borsippa  dont  Nébo  était  le  dieu  féodal. 

10.  Sur  l'origine  possible  de  cette  filiation,  cf.  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians, 
p.  104-105,  qui  l'attribue  à  des  rapports  très  anciens  entre  les  habitants  des  deux  cités,  peut-être  à 
une  fondation  de  Babylone  par  des  colons  venus  d'Éridou,  la  ville  d'fca  dans  la  Chaldée  méridionale. 

11.  Jknse.n,  Die  Kosmologie  der  Babylonicr,  p.  196-197,  199. 


LES  VALEURS  NUMÉRIQUES  DES  DIEUX.  673 

Deux  conseils,  l'un  de  douze  membres,  l'autre  de  dix,  celui-là  composé  des 
dieux  les  plus  populaires  de  la  Chaldée  du  Sud  et  incarnant  les  parties  essen- 
tielles du  monde,  celui-ci  comprenant  les  grands  dieux  de  la  Chaldée  du  nord 
et  chargé  de  régler  les  destinées  ou  de  les  prédire  aux  hommes  :  les  inventeurs 
de  ce  système,  qui  étaient  des  méridionaux,  avaient  donné  le  premier  rang  aux 
patrons  de  leur  pays  et  placé  les  douze  au-dessus  des  dix.  On  sait  le  respect 
que  les  Orientaux  ressentent  pour  les  nombres,  et  quelle  puissance  irrésistible 
ils  leur  accordent  :  les  Chaldéens  les  appliquèrent  à  définir  leurs  maîtres  et  à 
calculer  la  valeur  qu'ils  reconnaissaient  à  chacun  d'eux1.  Les  déesses  ne  comp- 
tent pas  dans  cette  arithmétique  mystique,  Ishtar  excepté,  qui  n'était  pas  un 
dédoublement  plus  ou  moins  ingénieux  d'un  dieu  préexistant,  mais  qui  possé- 
dait dès  l'origine  sa  vie  indépendante  et  pouvait  s'intituler  déesse  de  droit 
propre.  Les  membres  des  deux  triades  s'échelonnaient  sur  les  degrés  d'une 
progression  descendante,  dont  Anou  marquait  le  terme  supérieur  :  on  l'esti- 
mait un  sosse  plein  ou  soixante  unités,  et  chacun  de  ceux  qui  le  suivaient 
valait  une  dizaine  de  moins  que  son  prédécesseur,  Bel  50,  Êa  40,  Sin  30, 
Shamash  20,  Ramman  10  ou  6*.  Les  dieux  des  planètes  ne  s'agençaient  pas 
en  série  régulière  comme  ceux  des  triades/  mais  leurs  nombres  exprimaient 
le  degré  d'influence  qu'ils  exerçaient  sur  les  choses  terrestres;  Ninib  était 
coté  50  comme  Bel,  Mardouk  25  peut-être,  Ishtar  15,  Nirgal  12  et  Nébo  10. 
Les  esprits  s'évaluaient  en  fractions,  mais  par  classes  et  non  plus  par  indi- 
vidus3; les  prêtres  n'auraient  su  comment  s'en  tirer,  s'ils  avaient  dû  chiffrer 
l'infinité  des  êtres*.  De  même  que  les  Héliopolitains  avaient  écarté  de  l'En- 
néade  beaucoup  des  divinités  féodales,  les  Chaldéens  avaient  laissé  dehors 
plusieurs  de  leurs  divinités  souveraines,  des  déesses  surtout,  Baou  d'Ourou, 
Nanâ  d'Ourouk,  Allât,  ou  du  moins  ils  ne  les  y  avaient  introduites  que  par  un 
subterfuge,  en  les  identifiant  à  d'autres  déesses  qui  y  tenaient  déjà,  Baou  avec 
Goula,  Nanâ  avec  Ishtar,  Allât  avec  Ninlil-Beltis.  S'ils  leur  avaient  assigné  des 

1.  La  découverte  de  ce  fait  appartient  à  Mincies  (On  the  Assyrian  Mythology,  dans  les  Proceetiingë  of 
the  Irish  Academy,  t.  XXIII,  p.  405  sqq.)  d'après  la  tablette  K  170  du  Musée  Britannique  (Fa.  Lexormant, 
Choix  de  Textes  Cunéiformes,  n°  28,  p.  93-94;  Fa.  Delitzsch,  Assyrische  Lcsestûcke,  l^éd.,  p.  39,  BnM). 

2.  Le  nombre  donné  par  la  tablette  K  170  est  6,  et  appartient  proprement  à  Ramman;  le  nombre  10 
est  en  réalité  celui  du  dieu  du  feu,  Nouskou,  qui  s'est  parfois  fondu  dans  Ramman. 

3.  Fa.  Lenorm.ot,  la  Magie  chez  les  Chaldéens  et  les  Origines  Accadiennes,  p.  24-25. 

4.  Autant  qu'il  est  permis  d'en  juger  pour  le  moment,  la  série  la  plus  anciennement  établie  est 
celle  des  dieux  planétaires,  dont  les  valeurs,  se  succédant  irrégulièrement,  sont  calculées  non  point 
d'après  une  progression  mathématique,  mais  d'après  l'importance  empirique  que  l'étude  des  présages 
attribuait  à  chacune  des  planètes  pour  la  connaissance  de  l'avenir.  La  série  régulière,  celle  des  grands 
dieux,  porte  dans  sa  régularité  la  preuve  de  son  origine  tardive  :  on  l'aura  instituée  après  coup,  à 
l'exemple  de  l'autre,  mais  en  corrigeant  ce  que  celle-ci  présentait  de  capricieux  dans  sa  disposition, 
et  en  laissant  subsister  entre  chacun  des  dieux  dont  elle  se  composait  un  écart  toujours  le  même. 

H1ST.    ANC.    DE    i/OMENT.    —    T.    I.  85 


674  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX   DE  LA  CHALDÉE. 

nombres  proportionnés  à  l'importance  de  leur  rôle  et  à  la  quantité  de  leurs 
dévots,  comment  auraient-ils  expliqué  leur  exclusion  du  cycle  des  grands 
dieux?  Us  les  placèrent  à  côté  plutôt  qu'au-dessous  des  deux  conseils,  sans 
insister  sur  le  rang  qu'ils  leur  imposaient  dans  la  hiérarchie.  D'ailleurs  la 
confusion  qui  s'était  produite  de  bonne  heure  entre  les  divinités  de  nature 
identique  ou  simplement  analogue  leur  permit  de  glisser  toutes  les  personnes 
oubliées  dans  le  cadre  qu'ils  s'étaient  tracé.  Un  dieu  du  ciel  comme  Dagan 
se  mêla  naturellement  avec  Anou,  et  jouit  des  mêmes  honneurs  que  lui1.  Les 
dieux  primaires  ou  non  du  soleil  ou  du  feu,  Nouskou*,  Gibil3,  Doumouzi,  qui 
n'avaient  pas  été  accueillis  au  début  dans  le  groupe  des  privilégiés,  s'y  insi- 
nuèrent par  assimilation  avec  Shamash  et  avec  ses  formes  secondaires,  Bel- 
Mardouk,  Ninib,  Nergal.  Ishtar  absorba  toutes  ses  compagnes,  et  son  nom  mis 
au  pluriel  —  hhtarâti,  les  Ishtars  —  engloba  les  déesses  d'une  manière 
générale  comme  ilnni  embrassa  les  dieux1.  Grâce  à  ces  compromis,  le  système 
prospéra  et  s'étendit  :  la  vanité  locale  trouvait  toujours  le  moyen  d'y  loger  le 
dieu  féodal  en  bonne  vue,  et  de  concilier  ses  prétentions  au  rang  suprême 
avec  l'ordre  de  préséance  déterminé  par  les  théologiens  d'Ourouk.  11  était 
toujours  le  roi  des  dieux,  le  père  des  dieux,  celui  qu'on  adorait  par-dessus 
les  autres  dans  la  vie  de  chaque  jour,  et  dont  le  culte  solennel  constituait 
la  religion  de  l'État  ou  de  la  cité. 

Les    temples  reproduisaient  en    petit  les   dispositions  de  l'univers5.    La 

1.  Ce  dieu,  dont  le  nom  s'écrit  avec  deux  idéogrammes  qui  peuvent  se  lire  Dagan,  sans  que  la 
prononciation  en  soit  bien  certaine,  avait  été  identifié  par  les  premiers  assyriologues  avec  le  Dagon 
des  Philistins  (Hincks,  On  the  Assyrian  Mylhology,  dans  les  Proceedings  of  the  Irish  Academy, 
t.  XXIII,  p.  409-410;  Oppert,  Expédition  en  Mésopotamie,  t.  II,  p.  264;  Fa.  Lenormant,  Essai  de  Com- 
mentaire sur  les  fragments  cosmogoniques  de  Bérose,  p.  66-68),  et  désigné  par  eux  comme  étant  Bel- 
Dagan,  en  opposition  à  Bel-Mardouk.  Cette  opinion  a  prévalu  longtemps  (Menant,  le  Mythe  de  Dagon. 
dans  la  Revue  de  l'Histoire  des  Religions,  t.  XI,  p.  295-301,  et  Recherches  sur  la  Glyptique  orientale. 
t.  II,  p.  49-54).  Il  aurait  été  alors  le  dieu-poisson,  le  dieu  de  la  fécondité.  Jensen  (Die  Kosmologie 
der  Babylonier,  p.  449-456)  a  montré  qu'il  est  à  l'origine  un  dieu  du  ciel,  une  forme  secondaire 
d'Anou,  et  par  suite  du  dieu  Bel  astrologique,  considéré  comme  possédant  une  constellation  au  ciel. 

2.  Nouskou  est  identifié  avec  Gibil,  le  dieu  du  feu,  par  certains  textes  qui  les  mettent  l'un  et  l'autre 
en  rapport  avec  INébo.  Nouskou  est  pour  Sayce  (The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  118- 
119),  à  l'origine,  le  dieu  de  l'aube  et  le  point  du  jour,  qui  devient  plus  tard  le  Soleil  du  midi,  le 
Soleil  au  Zénith  (Df.lit/sch-MOrdtkr,  Getchichte  Babyloniens  und  Assyriens,  2"  éd.,  p.  33);  il  a  dans  les 
conjurations  magiques  le  rôle  subordonné  de  Messager  des  dieux,  et  il  s'attache  alors  de  préférence 
à  Bel  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  5,  col.  n,  1.  32-51). 

3.  Gibil,  Gibir,  est  le  dieu  du  feu  et  de  la  flamme  (Kr.  Lenormant,  la  Magie  chez  les  Chaldéens, 
p.  169  sqq.,  où  le  nom  est  lu  bil-gi  ;  Hommel,  Die  Semilischen  Vôlker,  p.  390-393),  absorbé  plus  tard 
par  le  Soleil  (Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  179-182). 

4.  Ainsi,  dans  les  Fastes  de  Sargon  (I.  176),  le  scribe  mentionne  ilâni  ou  ishlarAli  ashibbouti  Ash- 
shour,  •  les  dieux  et  les  Ishtars  qui  habitent  l'Assyrie  ». 

5.  Cette  conception,  analogue  à  celle  qui  avait  présidé  à  la  distribution  des  temples  égyptiens, 
résulte  de  la  forme  même  de  montagne  que  les  Chaldéens  donnaient  à  leurs  temples  (Fa.  Lenor- 
mant, Essai  de  Commentaire  des  fragments  cosmogoniques  de  Bérose,  p.  358  sqq.,  les  Origines  de  l'His- 
toire, t.  Il,  p.  123  sqq.),  et  du  nom  A'Èkour,  commun  aux  temples  et  à  la  terre  (Jensen,  Die  Kosmo- 
logie der  Babylonier,  p.  185-195)  :  l'apparence  de  montagne,  que  la  zi g  gourât  prenait,  leur  rappelait 
la  montagne  terrestre  avec  ses  zones  ou  avec  ses  étages  superposés  (cf.  p.  543  de  cette  Histoire). 


LA  CONSTITUTION   DES  TEMPLES,  LES  SACERDOCES  LOCAUX.        675 

ziggourat  figurait  par  sa  masse  la  montagne  terrestre,  et  des  salles,  rangées  à 
ses  pieds,  simulaient  de  façon  plus  ou  moins  complète  les  parties  accessoires  : 
le  temple  de  Mardouk  à  Babylone  renfermait  jusqu'aux  chambres  fatales,  où 
le  soleil  recevait  chaque  matin  les  tablettes  de  la  destinée1.  Le  nom  indiquait 
souvent  la  nature  du  maître  ou  l'un  de  ses  attributs  :  le  temple  de  Shamash  à 
Larsam  s'intitulait  É-babbara,  la  maison  du  Soleil,  celui  de  Nébo  à  Borsippa, 
É-zida,  la  maison  éternelle.  Et  n'importe  où  un  dieu  possédait  un  sanctuaire, 
ce  sanctuaire  s'appelait  du  même  nom  :  Shamash  à  Sippara  vivait  dans  un 
E-Babbara  comme  à  Larsam.  Ainsi  qu'en  Egypte,  le  roi  ou  le  chef  de  l'État 
était  le  prêtre  par  excellence,  et  la  qualité  de  vicaire,  si  fréquente  dans  la 
Chaldée  primitive,  montre  qu'on  voyait  en  lui  le  délégué,  le  lieutenant  de  la 
divinité  auprès  des  siens1;  mais  un  clergé,  à  moitié  héréditaire,  à  moitié 
recruté,  remplissait  pour  lui  les  fonctions  journalières  du  sacerdoce  et  assurait 
la  régularité  des  offices.  Un  grand  prêtre  —  ishshakkou  —  marchait  en  tête, 
dont  le  devoir  principal  était  de  répandre  la  libation  :  chaque  temple  avait 
son  ishshakkou,  mais  celui  qui  présidait  au  culte  de  la  divinité  féodale  pri- 
mait tous  les  autres  dans  sa  ville,  celui  de  Bel-Mardouk  à  Babylone,  celui 
de  Sin  à  Ourou,  celui  de  Shamash  à  Larsam  ou  à  Sippara3.  Il  commandait  à 
différentes  catégories  de  prêtres  et  de  prêtresses,  dont  les  titres  et  la  hiérar- 
chie ne  nous  sont  pas  connus  suffisamment.  Les  shangou  paraissent  avoir 
occupé  après  lui  le  poste  le  plus  éminent,  les  chambellans  attachés  à  la  maison 
du  dieu  et  ses  hommes  liges,  dont  l'un  gouvernait  son  harem,  d'autres  les 
autres  départements  de  son  palais4.  Les  kîpou  et  les  shatammou  étaient  sur- 
tout des  administrateurs  chargés  de  veiller  à  ses  intérêts  financiers  ;  mais  les 
pashishou  frottaient  d'huile  bénie  et  parfumée  ses  statues  de  pierre,  de  métal 
ou  de  bois,  les  stèles  votives  déposées  dans  les  chapelles,  le  matériel  du 
culte  et  les  ustensiles  du  sacrifice,  les  grands  bassins,  les  mers  de  cuivre  où 
l'on   recueillait  l'eau  employée  aux  ablutions   saintes8,    les   victimes   qu'on 

1.  Cette  salle  est  décrite  par  Naboukodorosor  II  (Rawlinson,  Cuti.  Ins.  W.  As.,  t.  I,  pi.  54,  col.  n, 
I.  54-65)  et  par  Nériglisor  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  I,  pi.  67,  I.  33-37),  dans  des  passages  dont 
le  sens  véritable  a  été  découvert  par  Jrnskn,  Die  Kosmologic  der  Babylonier,  p.  85-86.  237-238. 

2.  Cf.  sur  le  titre  de  vicaire  ce  qui  est  dit  à  la  page  604  de  cette  Histoire. 

3.  Les  titres  uhshakou,  nishakkou,  qui  répondent  aux  ternies  patishi  et  nou-és  des  idiomes  non 
sémitiques  de  la  Chaldée,  paraissent  provenir  de  la  racine  nashakou,  verser  une  libation  (Sayce,  The 
Religion  of  the  Anvienl  Babylonians,  p.  60,  n.  1). 

4.  Le  shangou  est  celui  qui  est  lié  au  dieu  (Sayce,  The  Religion  of  the  Ancien t  Babylonians,  p.  61); 
les  rois  revêtent  la  dignité  de  shangou,  ainsi  AshshourisMshi  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  III,  pi.  3, 
n*  6,  1.  1,  8,  9)  et  Kourigalzou  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  I,  pi.  4,  n«  XIV,  I.  1,  2,  3).  Tw\e(Baby- 
limisch-Assyrisv.he  Geschichle,  p.  546-547)  pense  que  le  shangou  appartenait  à  la  même  classe  que 
Yishakkou. 

5.  IIki'xky-Sarzkc,  Découvertes  en  Chaldée,  pi.  2,  n°  3;  cf.  Y.  Ir.  Gvc,  Ur-Bau,  paient  de  Lagashu, 
dans  la  Zeilsehrift  fur  Assyriologie,   t.  VII,  p.   150.  Comparu/,  la  mer  d'airain  du    temple  de  Jéru- 


676  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÊE. 

menait  à  l'autel1.  Puis,  c'était  un  peuple  de  bouchers  et  d'aides,  de  devins, 
d'augures,  de  prophètes,  toute  la  domesticité  que  la  complication  des  rites 
exigeait  aussi  nombreuse  en  Chaldée  qu'en  Egypte1,  sans  parler  des  bandes 
de  femmes  ou  d'hommes  qui  honoraient  le  dieu  de  leur  corps,  et  se  livraient 
à  la  brutalité  de  ses  fidèles8.  La  besogne  ne  manquait  jamais  à  ce  personnel 
disparate.  Chaque  jour  et  presque  chaque  heure,  une  cérémonie  nouvelle  le 
mettait  en  mouvement,  tantôt  les  uns,  tantôt  les  autres,  depuis  le  monar- 
que lui-même  ou  son  légat  dans  le  temple,  jusqu'au  dernier  des  sacristains. 
Le  là  du  mois  d'Éloul  était  réservé  dans  Babylone  à  Bel  et  à  Beltis:  le  prince 
leur  présentait  ce  qu'il  voulait,  puis  il  célébrait  devant  eux  les  sacrifices 
ordinaires,  et  s'il  levait  la  main  pour  implorer  quelque  grâce,  il  l'obtenait 
sans  faute.  Le  13  était  dédié  à  la  Lune,  le  dieu  suprême,  le  14  à  Beltis  et 
à  Nergal,  le  15  à  Shamash;  le  16  on  jeûnait  en  l'honneur  de  Mardouk  et  de 
Zirbanit,  on  fêtait  le  17  l'anniversaire  de  Nébo  et  de  Tashmît,  le  18  la  pané- 
gyrie  de  Sin  et  de  Shamash,  et  le  19  était  un  jour  blanc  pour  la  grande  déesse 
Goula*.  C'était,  l'année  entière,  la  même  variété  que  pendant  ces  quelques 
jours  pointés  au  hasard  dans  le  calendrier.  Les  rois,  en  fondant  un  temple, 
ne  lui  léguaient  pas  seulement  le  mobilier  et  les  fournitures  nécessaires  aux 
besoins  du  moment,  les  brebis  et  les  bœufs,  les  oiseaux,  les  poissons,  les 
pains,  les  liqueurs,  l'encens  et  les  essences  odorantes;  ils  lui  allouaient  aussi 
des  revenus  sur  le  trésor,  des  esclaves,  des  terres  cultivées,  et  leurs  succes- 
seurs renouvelaient  ces  dons  gracieux  ou  les  augmentaient  en  toute  occasion5. 
Chaque  guerre  victorieuse  lui  apportait  sa  part  des  dépouilles  et  des  captifs; 
chaque  événement  heureux  ou  malheureux  qui  survenait  dans  l'État  ou  dans  la 


Balcm  :  le  terme  babylonien  est  apsou,  le  même  qui  sert  à  rendre  l'abîme  des  eaux  primordiales.  Un 
texte  (Hawlinson.  Cun.  Ins.  \Y.  As.,  t.  IV,  pi.  23,  n°  1),  que  Lenormant  avait  interprété  comme  se 
rapportant  à  une  descente  d'ishtar  aux  Enfers  (la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  157-160),  a  trait  en 
réalité  à  l'établissement  d'une  mer  d'airain,  soutenue  par  des  taureaux  en  bronze  (Sayce,  The  Reli- 
gion of  the  Ancient  Rabylonians,  p.  63,  n.  3). 

1.  Sayce,  The  Religion  of  Ihe  Ancient  Rabylonians,  p.  61-63. 

2.  Cf.  ce  qui  est  dit  de  la  domesticité  des  temples  égyptiens,  à  la  page  1*25  de  cette  Histoire. 

3.  Sur  les  hiérodules  d'ishtar  à  Ourouk  et  sur  les  noms  qu'on  leur  donne,  cf.  À.  Jeremias,  hdubar- 
Nimrod,  p.  59-60;  on  se  rappelle  que  les  séductions  de  l'une  d'elles  aidèrent  Gilgamès  à  s'emparer 
d'ftabani  (voir  aux  pages  577-579  de  cette  Histoire).  Outre  les  hiérodules  d'ishtar  on  connaît  encore 
celles  d'Ànou  et  leurs  compagnons  mâles  (Rawlinso.n,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  17,  col.  i,  I.  11-12). 

4.  La  tablette  d'où  sont  extraits  ces  renseignements  renfermait  un  hémérologe  d'un  mois  supplé- 
mentaire de  l'année  chaldécnne,  le  second  Éloul,  qui  appartenait  à  un  calendrier  complet  (Rawli.nson, 
Cun.  Ins.  \V.  As.,  t.  IV,  pi.  32-33,  cf.  Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Rabylonians,  p.  69-77). 

5.  Les  exemples  les  plus  anciens  de  ces  donations  nous  sont  fournis  par  les  inscriptions  des  souve- 
rains de  Lagash.  Ourninà  (Heizey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  pi.  21,  col.  m,  I.  7-10;  cf.  àjuaud, 
The  Inscriptions  of  Telloh,  dans  les  Records  of  the  Past,  2n*  Ser.,  t.  I,  p.  65,  et  Découvertes  en  Chaldée, 
p.  XXIX),  Goudéa  (Inscription  de  la  statue  E\  cf.  Amiaid,  The  Inscriptions  of  Telloh,  dans  les  Records 
of  the  Past,  tni  ser.,  t.  II,  p.  94-96,  et  Découvertes  en  Chaldée,  p.  XXI-XXII,  et  Inscription  de  la 
Statue  G.,  col.  hi-vi,  dans  Hei  zey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  pi.  13,  3;  cf.  àmiaud,  The  Insrrtp- 
tions  of  Telloh,  p.  101-102,  et  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  111,  p.  30-31). 


LES  DONATIONS  AUX  TEMPLES.  677 

famille  royale  lui  valait  un  redoublement  de  cadeaux,  pour  remercier  le  dieu 
de  sa  bonté  ou  pour  apaiser  son  mécontentement.  L'or,  l'argent,  le  cuivre, 
le  lapis-lazuli,  les  pierres  fines  et  les  bois  précieux  s'entassaient  dans  les 
entrepôts  sacrés;  les  champs  s'ajoutaient  aux  champs,  les  troupeaux  aux 
troupeaux,  les  serfs  aux  serfs  :  le  tout,  accumulé  pendant  des  générations, 
aurait  fini  par  égaler  l'apanage  de  la  maison  régnante,  si  les  peuples  voisins 
n'en  avaient  enlevé  des  lambeaux  de  temps  à  autre  dans  quelque  incursion, 
ou  si  un  souverain  à  court  de  ressources  n'avait  osé  refaire  ses  finances  aux 
frais  des  prêtres.  On  avait  essayé  de  prévenir  ces  usurpations  en  couvrant  de 
malédictions  quiconque  abaisserait  une  main  sacrilège  sur  le  moindre  objet 
appartenant  au  domaine  divin  :  on  lui  prédisait  «  qu'il  serait  tué  comme 
un  bœuf  au  milieu  de  sa  prospérité,  et  abattu  comme  un  urus  sauvage  dans 
la  plénitude  de  sa  vigueur!...  Puisse  son  nom  être  effacé  de  ses  stèles  dans 
le  temple  de  son  dieu  !  Puisse  son  dieu  voir  le  désastre  de  son  pays  sans  en 
avoir  pitié,  le  ravager  avec  les  eaux  du  ciel,  le  ravager  avec  les  eaux  de  la 
terre!  Puisse-t-il  être  chassé  comme  un  homme  sans  nom,  et  sa  race  tomber 
en  sujétion!  Puisse  cet  homme,  comme  tout  homme  qui  agit  mal  envers  son 
maître,  ne  trouver  nulle  part  un  gîte,  au  loin,  sous  la  voûte  des  cieux,  dans 
quelque  cité  que  ce  soit1  !  »  Les  menaces,  si  terribles  qu'elles  fussent,  n'empê- 
chaient rien,  et  les  puissants  du  jour  les  bravaient  volontiers  lorsque  leur 
intérêt  le  leur  conseillait.  Goulkishar,  sire  des  pays  de  la  Mer,  avait  voué  un 
champ  de  blé  à  Nina,  sa  dame,  près  la  ville  de  Déri,  sur  le  Tigre.  Sept  cents 
ans  plus  tard,  sous  le  règne  de  Belnadinabal,  Êkarrakaîs,  gouverneur  de  Bît- 
sinmagir,  s'en  empara  et  l'annexa  au  fisc  provincial,  contre  toute  équité.  Le 
prêtre  de  la  déesse  en  appela,  et,  se  prosternant  devant  le  trône  avec  force 
prières  et  formules  mystiques,  implora  la  restitution  du  bien  volé.  Belnadin- 
abal fit  droit  à  la  requête  et  renouvela  les  imprécations  qui  avaient  accom- 
pagné la  rédaction  de  la  charte  primitive  :  «  Si  jamais,  par  la  suite  des  jours, 
l'homme  de  loi  ou  l'intendant  d'un  suzerain  qui  gérera  la  ville  de  Bitsinmagir 
redoute  la  rancune  du  dieu  Haman  ou  de  la  déesse  Nina,  alors  que  Haman  et 
Nina,  la  dame  des  déesses,  viennent  à  lui  avec  la  bénédiction  du  prince  des 
dieux,  qu'ils  lui  accordent  une  destinée  de  vie  heureuse,  et  qu'ils  lui  concè- 
dent des  jours  de  vieillesse  et  des  années  de  rectitude!  Mais  toi,  qui  songes 

1.  Inscription  de  la  Statue  li  de  Goudéa,  au  Louvre,  dans  Heuzey-Saiikec,  Découvertes  en  Chaldéc, 
pi.  16-17,  19,  col.  ix,  I.  6-9,  15-26;  la  traduction  par  Aniaid,  'Ihe  Inscription  of  Telloh,  dans  les 
Records  ofthe  Past,  2°'  Ser.,  t.  II,  p.  86-87,  et  Découvertes  en  Chaldée,  p.  XV;  Jknsen,  Inschriftender 
Kônige  und  Statthalter  von  Lagasch,  dans  la  KeilschrifUichc  Bibliolkek,  t.  III,  1"  p.,  p.  46-49. 


678  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÊE. 

à  changer  ceci,  ne  franchis  point  les  bornes,  ne  désire  pas  le  territoire  :  hais 
le  mal  et  chéris  la  justice1.  »  Si  les  princes  ne  se  montraient  pas  toujours 
d'humeur  aussi  accommodante  que  Belnadinabal,  la  piété  des  particuliers, 
stimulée  par  la  crainte,  réparait  promptement  le  dommage,  et  des  legs  fré- 
quents comblaient  bientôt  les  brèches  que  l'épée  de  l'étranger  ou  la  rapacité 
d'un  maître  peu  scrupuleux  avait  ouvertes  au  budget  des  temples.  Ce  qui 
échappait  aux  révolutions,  accru,  amoindri,  accru  encore,  formait  dans  la  cité 
comme  un  fief  indestructible,  dont  le  grand  prêtre  dirigeait  l'administration 
sa  vie  durant,  et  dont  la  rente  subvenait  largement  aux  besoins  personnels  du 
dieu  ainsi  qu'à  l'entretien  de  ses  ministres. 

Ce  n'était  que  justice.  Une  croyance  respectée  de  tous  faisait  de  la  terre 
entière  non  seulement  la  création,  mais  le  domaine  imprescriptible  des  dieux. 
Elle  leur  appartenait  d'origine,  chacun  dans  les  limites  de  l'État  dont  il  était 
le  souverain  seigneur,  et  tous  ceux,  nobles  ou  manants,  vicaires  ou  rois,  qui 
prétendaient  la  posséder,  n'étaient  que  les  détenteurs  passagers  des  parcelles 
dont  ils  s'imaginaient  être  les  maîtres.  Les  cadeaux  aux  Temples  étaient  donc 
des  restitutions  volontaires  que  les  dieux  acceptaient  gracieusement,  et  dont 
ils  daignaient  savoir  gré  aux  donateurs,  quand  après  tout  ils  auraient  pu  les 
considérer  comme  des  actes  de  stricte  honnêteté,  qui  ne  méritaient  d'eux  aucun 
retour  de  faveur  ou  de  reconnaissance.  Ils  souffraient  pourtant  que  le  meil- 
leur de  leur  patrimoine  demeurât  entre  des  mains  étrangères,  et  ils  se 
contentaient  de  ce  que  la  générosité  prétendue  des  fidèles  voulait  bien 
leur  attribuer.  Leurs  terres  étaient  les  unes  mises  en  valeur  directement  par 
le  clergé,  les  autres  affermées  à  des  laiques  de  tout  rang,  qui  déchargeaient 
le  sacerdoce  des  risques  de  l'exploitation  pour  ne  lui  en  réserver  que  les 
bénéfices;  d'autres  enfin  ne  leur  acquittaient  qu'une  rente  déterminée  par 
contrat  authentique  et  qu'ils  ne  pouvaient  jamais  augmenter  de  leur  seule 
autorité.  Les  tributs  de  dattes,  de  blé,  de  fruits,  qu'on  leur  assignait  pour 
célébrer  des  cérémonies  commémoratives  en  l'honneur  de  telle  ou  telle  per- 
sonne, étaient  gagés  sur  des  champs  qui  en  garantissaient  le  paiement,  et  qui 
finissaient  toujours  par  écheoir  entièrement  à  la  mainmorte  du  temple 
C'était  le  revenu  fixe  du  dieu,  grâce  auquel  il  vivait,  lui  et  ses  gens,  sinon  très 
amplement,  du  moins  ainsi  qu'il  convenait  à  sa  dignité.  Les  offrandes  et  les 

1.  Hii.prkcht,  The  Uabylonian  Expédition  of  theVniversity  of  Pcnnsylvania,  t.  I,  pi.  30-31  ;  Oppert, 
le  Champ  sacré  de  la  déesse  Sinâ,  une  laïcisation  au  XIIe  siècle  avant  l'ère  chrétienne,  dans  le» 
Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  lie  Iles- Lettres,  1893,  t.  XXI,  p.  326-344,  et  la 
Fondation  consacrée  à  la  déesse  Nina,  dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriologie.  t.  VIII,  p.  3(ï0-37-I. 


LES  REVENUS  DES  TEMPLES.  679 

sacrifices  lui  apportaient  un  gain  flottant  dont  la  quotité  variait  singulièrement 
avec  les  saisons  :  il  en  recevait  peu  à  de  certaines  dates,  tandis  qu'à  de  cer- 
taines autres  il  s'en  trouvait  comme  encombré.  La  plus  grande  portion  en  était 
consommée  immédiatement  sur  place  par  le  personnel  attaché  au  sanctuaire  : 
ce  qui  pouvait  se  conserver  sans  dommage  allait  rejoindre  les  produits  des 
domaines,  et  constituait  soit  une  réserve  pour  les  mauvais  jours,  soit  un  fonds 
de  roulement  que  les  prêtres  faisaient  fructifier.  Ils  avançaient  le  blé  ou  le 
métal  à  gros  intérêts,  et  leur  habileté  dans  le  commerce  de  l'argent  était  si 
notoire  que  nul  particulier  n'hésitait  à  leur  confier  le  maniement  de  ses  capi- 
taux :  ils  servaient  d'intermédiaires  entre  les  prêteurs  et  l'emprunteur,  et  les 
commissions  qu'ils  touchaient  comme  prix  de  ce  service  n'étaient  pas  la 
moindre  source  de  leurs  bénéfices  ni  la  moins  sûre.  Ils  nourrissaient  de  véri- 
tables troupeaux  d'esclaves,  laboureurs,  jardiniers,  artisans,  même  ces  chan- 
teuses et  ces  courtisanes  sacrées  dont  j'ai  parlé  déjà1,  qui  travaillaient  direc- 
tement pour  eux  de  leur  métier,  ou  qu'ils  louaient  en  dehors  du  temple  à 
quiconque  réclamait  leur  aide.  Le  dieu  n'était  pas  seulement  le  plus  grand 
cultivateur  de  l'État,  après  ou  souvent  même  avant  le  roi  :  il  était  le  manu- 
facturier le  plus  actif,  et  beaucoup  des  objets  nécessaires  au  luxe  ou  à  l'usage 
commun  sortaient  de  ses  ateliers.  Sa  fortune  lui  assurait  une  autorité  prépon- 
dérante sur  la  cité  et  jusque  dans  les  conseils  du  prince  :  les  prêtres  qui  le 
représentaient  sur  terre  étaient  mêlés  aux  affaires  de  l'État,  et  son  influence 
s'y  exerçait  par  eux,  à  côté  de  celle  des  officiers  de  la  couronne*. 

Aussi  bien  avait-il  besoin  de  richesse  et  de  renom  autant  que  ses  moindres 
clients.  Comme  il  participait  à  toutes  les  faiblesses  de  l'humanité  et  en 
éprouvait  tous  les  appétits,  on  devait  le  nourrir,  l'habiller,  le  divertir,  ce 
qu'on  ne  pouvait  faire  qu'à  grands  frais.  Les  statues  de  métal,  de  pierre  ou  de 
bois,  érigées  dans  les  sanctuaires,  lui  prêtaient  leurs  corps  qu'il  animait  de 
son  souffle,  et  qu'il  accréditait  parmi  nous  pour  recueillir  ici-bas  tout  ce 
dont  il  manquait  dans  son  royaume  mystérieux*.  On  revêtait  ces  images 
d'étoffes,  on  les  oignait  d'huiles  odorantes,  on  les  couvrait  de  bijoux,  on  leur 
servait  à  manger  ou  à  boire,  et  là-haut  sous  le  ciel,  dans  l'abîme,  au  sein  de 

1.  Voir  les  noms  des  diverses  classes  d'hiérodules  à  la  page  577,  note  4,  de  cette  Histoire. 

2.  Pour  la  constitution  du  domaine  des  temples  et  pour  l'administration  sacerdotale,  on  consultera 
l'étude  très  consciencieuse  de  Pkiser,  Bnbylonischc  Vertrâge  des  Berliner  Muséums,  p.  xvu-xxix;  sur  le 

»,       « • i__  »a _*  J__ ii _r    u r>_'a_i: iliL.L..! •    _r r»     • a f.j    _     a 


chaldéenne  des  statues  animées  et  prophétiques  est,  comme  on  devait  s'y  attendre,  identique  à  la 
théorie  égyptienne  dont  j'ai  exposé  quelques  traits  au  chapitre  u  de  cette  Histoire,  p.  119-120. 


680  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  f.HALDEE, 

la  terre,  les  dieux  s'habillaient,  parfumaient  leur  chair  et  la  paraient,  se  ras- 
sasiaient du  même  coup  :  il  suffisait  pour  cela  de  leur  expédier  le  sacrifice  avec 
les  prières  et  selon  les  rites  qu'ils  avaient  enseignés.  Le  prêtre  commençait 
par  les  inviter  solennellement  ;  dès  qu'ils  flairaient  de  loin  l'odeur  de  la  bonne 
chère,  ils  accouraient  «  comme  un  essaim  de  mouches  »  et  se  tenaient  prêts  à 
la  saisir'.  L'appel  entendu,  on   leur  apportait  l'eau  et  on  leur  proposait  les 

ablutions  indispensables 
au  début  d'un  repas*  : 
■  Lave  tes  mains,  nettoie 
tes  mains,  —  que  les 
dieux  tes  frères  lavent 
leurs  mains,  nettoient  leurs 
mains  !  —  Dans  un  plat 
pur,  mange  un  manger 
pur,  —  dans  une  coupe 

Lt    Bf.ïOT   ANUï   UEVIST  LE   MET   POlIt   SKCtllll»  LK  MU*    PII   MtlUFl€K>.         pillT,  1)01  S   de  l'eaU  pUl'e   !    » 

La  statue,  raidie  par  la 
matière  dans  laquelle  on  l'avait  taillée,  n'aurait  su  comment  profiter  des 
choses  exquises  qu'on  lui  prodiguait  :  ou  lui  ouvrait  la  bouche,  au  moment  de  la 
consécration,  et  on  la  rendait  ainsi  capable  de  s'assouvir  à  son  gré*.  Le  repas 
durait  longtemps  et  comprenait  tout  ce  que  la  cuisine  du  temps  imaginait 
de  plus  délicat  :  on  servait  tour  à  tour  des  dattes  et  de  la  farine  de  froment, 
du  miel,  du  beurre,  des  vins  de  plusieurs  sortes,  des  fruits,  de  la  viande  rôtie 
et  bouillie.  H  parait  bien  qu'on  exécutait  des  victimes  humaines  aux  temps  les 
plus  anciens;  mais  l'usage  n'en  avait  persisté  que  dans  des  cas  très  rares,  et 

I,  C'pst  l'image  même  que  l'auteur  du  poème  de  Cilgamès  emploie  pour  exprimer  l'empressement 
des  dieux  au  moment  où  Shamashnapishlim  leur  fait  le  sacrifice;  cf.  p.  511)  de  cette  Hiiloire. 

t.  BiWLianOs,  (.'un.  Au.  II'.  A*.,  I.  IV,  pi.  13,  n'  II.  I.  1-5;  traduit  par  Lksomast,  la  Magic  chez  te» 
Ctiatdient,  p.  47;  Hohel.  Die  Semitiichen  Volker,  p.  111  ;  Sa  in,  The  Religion  ofthe  Ancien!  Haby- 
Imians,  p.  187;  J.  C.  Ball.  Glimpiei  of  Uabyloaian  Religion,  dans  les  Proceedingi  de  la  Société 
d'Archéologie  Biblique,  1891-1891,  t.  XIV,  p.  155-136. 

3.  Deitin  de  Fauchrr-I'wudin,  d'aptet  l'inlaillr  rhaldéenne  du  Minée  de  Berlin,  reproduite  en 
héliogravure  par  Me.mit,  tiechert-het  tur  la  Glyptique  orientale,  t.  I,  pi.  IV,  n-  t. 

1.  Cette  opération,  qui  s'accomplissait  aussi  en  figypte  sur  les  statues  des  dieux  et  des  morts, 
est  indiquée  fort  nettement  dans  un  leitc  du  second  empire  chaldëen,  publié  dans  Kawlkm*.  C.un. 
Int.  IV.  Al,,  I.  IV,  pi.  15.  Le  prêtre  qui  consacre  une  image  constate  d'abord  (col.  m,  I.  15-16)  que, 
i  an  boue.he  n'étant  pa>  oucerle,  elle  ne  peut  prendre  aucun  rafraîchissement  ;  nourriture  elle  ne 
mange,  eau  elle  ne  boil  ..  Sur  quoi,  il  accomplit  divers  rites  qu'il  déclare  avoir  été  célébrés  sinon 
actuellement,  du  moins  pour  la  première  fois  par  £a  lui-même  :  ■  El  t'a  apportée  ■  la  place  glo- 
rieuse, —  à  la  place  glorieuse  il  t'a  apportée,  —  apportée  avec  sa  main  brillante.  —  apportée  avec 
le  beurre  et  le  miel  ;  —  il  fa  verte  de  l'eau  eontaerêe  dam  ta  bouche,  —  et  par  magie,  il  t'a  ouvert  la 
bouche  •  (col.  iv,  I.  10-511).  l.a  statue  peut  désormais  manger  et  boire  comme  une  personne  vivante 
les  mets  et  les  boissons  qu'on  lui  présente  pendant  le  sacrifice  (J.  C.  Bail,  Gtimpnee  of  Babylnnian 
Religion,  dans  les  Proceedingi  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  1891-189*.  t.  XIV,  p.  16tM6t). 


LES  SACRIFICES  EN  L  HONNEUR  DES  DIEUX.  681 

la  brebis,  le  bœuf,  parfois  ie  porc,  faisaient  les  frais  de  l'holocauste  réglemen- 
taire1. Les  dieux  empoignaient  à  la  volée  la  fumée  grasse  des  autels,  et  ils 
s'en  repaissaient  amoureu- 
sement. Lorsqu'ils  avaient 
terminé,  on  leur  insinuait 
une  requête  et  ils  l'exau- 
çaient1. Les  offices  étaient 
fréquents  dans  les  temples  : 
on  en  célébrait  matin  et 
soir    en    temps  ordinaire, 

sans    tenir    compte   de  ceux   que   la   dévotion   des  particuliers   réclamait    à 
toutes  les  heures  de  la  journée.  Les  fêtes  propres  au  dieu  local  et  à  ses  parê- 


dres,  puis  les  panégyries  communes  à  ta  nation  entière,    comme  celle  du 
Nouvel-An,  exigeaient  une  quantité  de  sacrifices  pompeux,  où  le  sang  des  vie- 

1 .  If  fail  iii-*  sacrifices  humains  a  clé  indique  pour  la  première  fois  a  ma  connaissance  par  F». 
LtuntHKT.  ht  Premièra  Cicilitalioni,  t.  Il,  p.  I9<i-I9B  (cf.  Etudes  Accadienne»,  t.  Ut,  p.  lli-113). 
pu  il  par  S««(.  lut  humait  Sarrificei  among  the  liabylonians,  efnns  les  Trantartiott»  de  la  Société 
d'Arcneotc-Nic  Biblique,  t.  IV,  p.  i5-3t  ;  il  y  en  a  peut-être  des  représentations  dans  Hjuukt,  Recher- 
che» tur  la  Glyptique  orientale,  t.  I,  p.  154,  fig.  95  (cf.  Catalogue  de  ta  Collection  de  Ctercq,  t.  I, 
I.  :...  I  ..  i  ..-.  p.  11!,  pl.  VII,  n™  21),  30  bit.  pi.  XVIII,  n*  107,  pi.  XIX,  n«  I7fi-I8î),  La  réalité  de  ces 
sacrillces  a  été  défondue  par  Suce,  On  the  Ifetigion  of  Ihe  Ancien!  Babyloitiant,  p.  "S,  83-M,  par 
Tiile,  Rabyloniich-Astyriicht  Gctchichtc,  p.  548,  et  par  C.  J.  B*i,i.  Glimptet  of  Babylonian  Religion, 
dans  les  Procecdingt  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  I8UI-189Î,  t.  XIV,  p.  149-153. 

t.  Ainsi  dans  l'évocation  publiée  par  Kawlisso*,  Cuti.  Int.  W.  Ai.,  t.  IV,  pl.  17.  et  traduite  par 
Ltwm,M,  la  Magie  chez  le»  Chaldéent.  n.  4<i,  et  Etude»  Accadienne»,  t.  III,  p.  143-144  :  •  Soleil,  à 
l'élévation  de  mes  mains,  viens  a  l'appel,  —  mange  son  offrande,  absorbe  sa  victime,  raffermis  su  maili, 
—  et  que  par  ton  ordre  it  loti  délivré  de  mit  affliction,  que  ton  mal  lui  toit  cnlcié  •  {I.  53-59). 

3.  Ùe'tin  de  Faucher-Gudin,  d'aprït  une  intnille  amyrirnae  publiée  par  A.  Hich,  narrative  of  a 
Jouruey  to  the  lite  nf  Itabylon  in  mil,  pl.  X,  n°  tu  (cf.  M kih.it,  llechrri.het  »ur  ta  Glyptique  orientale, 
t.  I,  p.  183-164).  Le  sacrifice  du  chevreau,  ou  plutût  sa  présentation  au  dieu,  est  ligure  assez  souvent 
sur  les  bas-reliefs  assyriens,  ainsi  dans  Boni,  le  Hotiittnent  de  Xinîve,  t.  I,  pl.  43, 

4.  Destin  de  Fauihcr-Gudin.  d'aprèt  l'intatllc  chahU'eiinc  eignaUe  par  lli.i iti-Sismc,  Recouverte» 


682  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

times  coulait  à  flots.  Des  jours  de  tristesse  et  de  deuil  alternaient  avec  ces 
jours  de  joie,  pendant  lesquels  le  peuple  et  les,  grands  jeûnaient  à  l'envi  et 
faisaient  pénitence1.  Les  Chaldéens  avaient  un  sentiment  très  vif  de  la  fragilité 
humaine  et  des  responsabilités  auxquelles  une  faute  commise  contre  les  dieux 
expose  celui  qui  s'en  rend  coupable.  La  terreur  du  péché  les  poursuivait  à 
travers  leur  vie,  ils  scrutaient  sans  cesse  les  motifs  de  leurs  actions,  et  dès 
que  cet  examen  de  conscience  leur  avait  révélé  l'ombre  d'une  intention  mau- 
vaise, ils  en  imploraient  humblement  le  pardon.  «  Seigneur,  mes  péchés  sont 
nombreux,  grands  mes  méfaits!  —  0  mon  dieu,  mes  péchés  sont  nombreux, 
grands  mes  méfaits  !  —  0  ma  déesse,  mes  péchés  sont  nombreux,  grands  mes 
méfaits!  —  J'ai  fait  des  fautes  et  je  ne  les  connais  pas;  j'ai  commis  le  péché 
et  je  ne  le  connais  pas  ;  —  je  me  suis  nourri  de  méfaits  et  je  ne  les  connais 
pas ,  — j'ai  marché  dans  le  manquement  et  je  ne  le  connais  pas  !  —  Le  seigneur, 
dans  la  colère  de  son  cœur,  il  m'a  frappé,  —  le  dieu,  dans  le  ressentiment 
de  son  cœur,  il  m'a  abandonné,  —  l'ishtar  s'est  enragée  contre  moi  et  m'a 
traité  rudement!  —  Je  m'efforce,  et  personne  ne  me  tend  la  main,  —  je 
pleure,  et  personne  ne  vient  à  moi,  —  je  crie  haut,  et  personne  ne  m'écoute  : 
—  je  succombe  au  chagrin,  je  suis  accablé,  je  ne  puis  plus  lever  la  tête,  — 
vers  mon  dieu  miséricordieux  je  me  tourne  pour  l'appeler,  et  je  gémis!  — 
....  Seigneur,  ne  rejette  pas  ton  serviteur,  —  et  s'il  est  précipité  dans  les  eaux 
impétueuses,  tends-lui  la  main;  —  les  péchés  que  j'ai  faits,  aies-en  miséri- 
corde, —  les  méfaits  que  j'ai  commis,  emporte-les  aux  vents,  —  et  mes  fautes 
nombreuses,  déchire-les  comme  un  vêtement*  !  »  Le  péché  n'est  pas  comme  chez 
nous  une  infirmité  de  l'âme,  il  attaque  le  corps  à  la  façon  d'une  contagion 
réelle,  et  la  crainte  qu'il  engendre  de  la  souffrance  physique  ou  de  la  mort 
inspire  à  ces  plaintes  une  sincérité  d'accent  qu'on  ne  saurait  méconnaître8. 
Chaque  homme  est  placé,  dès  la  naissance,  sous  la  protection  d'un  dieu  et 

en  Chaldée,  pi.  30  bis,  17  b;  cf.  Hkizey,  les  Origines  orientales  de  l'art,  t.  1,  p.  192-193;  l'original 
est  au  Musée  du  Louvre.  La  scène  figurée  derrière  le  dieu  Shamash  appartient  à  une  légende  encore 
inconnue.  Une  déesse,  poursuivie  par  un  génie  à  double  face,  s'est  réfugiée  sous  un  arbre  qui  s'est 
recourbé  pour  la  protéger;  tan'dis  que  le  monstre  essaie  de  briser  l'obstacle  branche  à  branche,  un 
dieu  sort  du  tronc  et  tend  à  la  déesse  la  masse  à  tête  en  pierre  qui  la  défendra  contre  son  ennemi. 

1.  Sur  le  péché,  et  sur  le  sentiment  qu'il  inspirait  aux  Chaldéens,  cf.  Zimmern,  Babylonische 
Busspsalmen,  puis  Délitzsch-MCrdter,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  2*  éd.,  p.  38-39,  Fr.  Le- 
normant,  Études  Accadiennes,  t.  III,  p.  146-163,  et  Hommel,  Die  Semitischen  Volker,  p.  315-322. 

2.  Rawlinsos,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  10,  col.  i,  1.  36-61,  col.  u,  I.  1-6,  3H-44.  Un  verset  en  avait 
été  interprété  par  Fox  Talbot,  On  the  Beligious  Belief  of  the  Assyrians  (dans  les  Transactions  de 
la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  II,  p.  71-72);  le  tout  a  été  traduit  en  anglais  par  Sayce,  dans  les 
Hecords  of  the  Past,  1rt  Ser.,  t.  VII,  p.  151  sqq.,  en  français  par  Fr.  Lenor séant,  Études  Accadiennes,  t.  III, 
p.  148-152,  en  allemand  par  Delitzsch-MCrdter,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  2*  éd.,  p.  38-39, 
par  Hommel,  Die  Semitischen  Vôlker,  p.  31 7,  et  enfin  parZi*MERN,  Die  Babylonischen  Busspsalmen,  p.  61  sqq. 

3.  Fr.  Lenormant,  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  166-167. 


LA  MORT  ET  LES  DESTINÉES  DE  L'ÀME.  683 

d'une  déesse  dont  il  est  le  serviteur  ou  plutôt  le  fils,  et  qu'il  n'appelle  jamais 
que  son  dieu  et  sa  déesse,  sans  les  désigner  autrement.  Us  l'escortent  nuit  et 
jour,  moins  pour  le  défendre  contre  les  périls  visibles,  q\ie  pour  le  garder 
des  êtres  impalpables,  qui  vaguent  sans  relâche  autour  de  lui  et  qui  l'assiègent 
de  tout  côté1.  S'il  est  pieux,  dévot  envers  eux  et  envers  les  divinités  de  son 
pays,  s'il  observe  les  rites  prescrits,  récite  les  prières,  accomplit  les  sacrifices, 
en  un  mot  s'il  fait  le  bien,  leur  aide  ne  lui  manque  jamais  :  ils  lui  accordent 
une  nombreuse  postérité,  une  vieillesse  heureuse,  de  longues  années,  jusqu'au 
terme  fixé  par  la  fatalité,  où  il  devra  se  résigner  à  clore  ses  yeux  à  la 
lumière.  Si  au  contraire  il  est  impie,  violent,  de  mauvaise  foi,  «  son  dieu  le 
coupe  comme  un  roseau  »,  extirpe  sa  race,  abrège  ses  jours,  le  livre  aux 
démons  qui  s'emparent  de  son  corps  et  le  tourmentent  de  maladie  avant  de  le 
frapper  mortellement.  La  pénitence  guérissait  le  mal  du  péché  et  rétablissait 
le  cours  de  la  vie,  mais  elle  n'agissait  de  manière  efficace  que  pour  un  temps, 
et  le  moment  arrivait  enfin  où  la  mort,  prenant  le  dessus,  emportait  son 
homme*.  Les  Chaldéens  n'avaient  pas  sur  ce  qui  les  attendait  dans  l'autre 
monde  des  notions  aussi  claires  que  l'étaient  celles  des  Égyptiens  :  tandis 
qu'aux  bords  du  Nil  le  tombeau,  la  momie,  la  perpétuité  des  revenus  funé- 
raires, le  salut  du  double,  paraissent  être  la  grande  affaire,  en  Chaldée  les 
textes  se  taisent  presque  sur  la  condition  de  l'âme,  et  les  vivants  semblent  ne 
s'être  souciés  de  leurs  morts  que  pour  se  débarrasser  d'eux  le  plus  vite  et  le 
plus  complètement  possible.  On  ne  croyait  pas  que  tout  finit  au  dernier  sou- 
pir, mais  on  ne  pensait  pas  non  plus  que  les  destinées  de  ce  qui  persiste 
dans  la  personne  humaine  soient  liées  indissolublement  à  celles  de  la  part  qui 
périt,  et  que  l'âme  désincarnée  s'anéantisse  ou  dure,  selon  que  la  chair  qui  la 
supporta  s'anéantit  ou  dure  au  tombeau.  Sans  doute,  elle  ne  se  désintéresse 
pas  de  tout  ce  qui  afflige  la  larve  qu'elle  a  quittée  :  on  augmente  la  douleur 
qu'elle  ressent  d'avoir  dépouillé  son  enveloppe  terrestre,  si  l'on  mutile 
celle-ci,  ou  qu'on  l'abandonne  sans  sépulture,  en  pâture  aux  oiseaux8.  Néan- 
moins ce  sentiment  n'est  pas  poussé 'si  loin  que  les  Chaldéens  éprouvent  le 
besoin  d'échapper  entièrement  à  la   corruption,  et   de  se    transformer   en 

1.  Fr.  Lenormant,  la  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  181-183,  dont  les  idéc9  à  ce  sujet  ont  été  adop- 
tées par  tous  les  assyriologues  qui  se  sont  occupés  de  la  matière. 

2.  A.  Jerexias,  Die  Babylonisch-Assyrischen  Vorstellungen  vom  Leben  nach  dem  Tode,  p.  16-49, 
où  ont  été  réunies  pour  la  première  fois  d'une  manière  assez  complète  les  notions  que  l'on  ren- 
contre, dans  les  écrits  des  Babyloniens  et  des  Assyriens,  sur  la  mort  et  sur  l'humanité  posthume. 

3.  Halkvy,  la  Croyance  à  l'immortalité  de  l'âme  citez  les  Chaldéens,  dans  ses  Mélanges  de  Cri- 
tique et  d'Histoire,  p.  308;  A.  Jeremia*.  Die  Babylonisch-Assyrischen  Darstellungen  vom  Leben 
nach  dem  Tode,  p.  5-1-57. 


CJW  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX   DE  LA  GHALDÊE. 

momies  à  l'exemple  des  Égyptiens.  Ils  ne  soumettent  point  les  membres  à  ces 
injections,  à  ces  bains  répétés  dans  des  liquides  préservateurs,  à  cet  emmatl- 
lotement  laborieux  qui  les  rend  indestructibles  :  tandis  que  la  famille  crie  et 
se  désole,  de   vieilles   femmes,  qui 
exercent  le  triste  métier  de  pleureu- 
ses, lavent  le  défunt,  le  parfument, 
l'habillent    dans    une   robe  d'appa- 
rat, lui  fardent  les  joues  et  lui  noir-  chclul  ctuntix  v  ™»f  de  jarhe1. 
cissent  le  tour  des  yeux,  lui  passent  un 

collier  au  cou,  des  anneaux  aux  doigts,  lui  ramènent  les  bras  sur  la  poitrine, 
puis  ('étendent  sur  le  Ht  et  dressent  à  son  chevet  un  petit  autel  où  placer  les 

offrandes  ordinaires  d'eau, 
d'encens  et  de  gâteaux .  Les 
mauvais  esprits  rôdent  sans 
cesse  autour  des  cadavres, 
soit  pour  s'en  repaître, 
soit  pour  les  employer  à 
leurs  maléfices  :  un  mort 
dans  lequel  ils  se  glissent 
à  ce  moment  peut  se  mé- 
tamorphoser eu  vampire, 
et  revenir  sucer  le  sang 
des  vivants.  Aussi  invite- 
t-on  par  des  prières  les 
génies  bienfaisants  et  les 
dieux  à  veiller  sur  lui. 
dne  io«t  vntTfiK  iWiM*.  Deux  d'entre  eux  s'instal- 

lent invisibles  à  la  tète  et 
au  pied  de  sa  couche,  et  agitent  la  main  pour  le  bénîr  :  ce  sont  des  vassaux 
d'ha,  et,  de  même  que  leur  maitre,  ils  ont  endossé  la  peau  de  poisson.  D'autres 
se  postent  dans  la  chambre  mortuaire  et  se  tiennent  prêts  à  frapper  quiconque 
y  voudrait  pénétrer  :  ils  ont  la  figure  humaine,  ou  la  tête  de  lion  sur  un  corps 
d'homme.  D'autres  encore  planent  au-dessus  de  la  maison,  afin  de  repousser 

I.  Déifia  ilr  Faufkfr-Gudin,  tfeprH  te  rrnoui*  lit  T.iium,  Sain  on  thr  runis  of  Abu-Shahrein  and 
Tel  el-Lahm,  dans  lo  Journal  of  the  Hoijal  Asialie  Society,  t.  XV,  p.  414. 

i,  Deitin  de  Faucher-liudiii,  d'a/irei  te  cnn/uii  de  Touja,  Sotet  on  the  ruint  of  Muqeycr,  dans  le 
Journal  of  the  Itoual  Aiiatic  Society,  t.  XV,  |>.  i73. 


LES  FUNÉRAILLES,  LES  TOMBEAUX.  68S 

les  spectres  qui  essayeraient  de  s'y  introduire  à  travers  le  toit.  Les  dernières 
heures  que  le  cadavre  doit  séjourner  parmi  les  siens,  il  les  dort  sous  la  garde 

d'une  légion  de  dieux1. 

Il  ne  faut  pas  chercher 
aux  plaines  de  l'Euphrate 
les  syringes  monumentales, 
les  mastabas  ou  les  pyra- 
mides de  l'Egypte.  Point 
de  montagnes  courant  à 
droite  et  à  gauche  du  fleuve, 
d'une  pierre  assez  tendre 
pour  qu'on  puisse  y  creuser 
tomb  cnaldAuw  wHWKTtB  o'w  dOne*.  aisément    des    galeries    ou 

des  salles  funéraires,  assez 
ferme  pour  que   les  chambres  une  fois  taillées  ne  s'écroulent  point  d'elles- 
mêmes.  La  terre  d'alluvions  sur  laquelle  les  villes  sont  bâties,  loin  de  con- 
server les  corps,  les  décom- 
pose rapidement  sous  l'in- 
fluence de  la  chaleur  et  de 
l'humidité1  :    les    caveaux 
qu'on   voudrait  y  ménager 
seraient    promptement   en- 
vahis par  les  eaux  malgré 
la  maçonnerie,  les  peintures 
et    les   sculptures   seraient 
rongées    par  le    nitre,    les 

objets  mobiliers  et  les  cer-  rouât  ceàlieucie  i  Ton  n««, 

cueits  détruits.  La  demeure 

du  mort  chaldéen  ne  doit  donc  pas  s'appeler  comme  celle  de  l'Egyptien  une 
maison  d'éternité.  On  la  construit  en  briques  sèches  ou  cuites,  et  la  forme 
en  varie  beaucoup  dès  les  temps  les  plus  anciens.  C'est  un  grand  caveau  voûté 

I.  C'est  ce  qu'on  toit  sur  le  bas-rnlief  on  b-TODEe  découvert  par  Péretié  publié  par  CLSBMXT-C"»- 
»eaii,  t'Enfer  Auyrien  (clans  la  Revue  Archéologique,  (S'il,  t.  XXXVIII.  pi.  35),  puis  par  Peihot- 
Ciinei,  Hhloire  de  l'Art  dant  l'Antiquité,  1.  Il,  p.  3G3-3<U;  cf.  |>.  tiaO-0'JI  do  cette  Hittoire. 

ï.  ftettin  île  FmahtT-Gvdi»,  d'âpre*  le  eroquit  de  T.mo»,  iVu'rj  on  tlie  ruiiis  of  Mitqcyer,  dans  le 
Journal  of  the  lloijal  Aêiatif  Society,  1.  XV,  |i.  tlll. 

3.  PuRiiT-CMiniiz,  Uutoirede  CArt  dant  l  Antiquité,  t.  Il,  p.  317  sqq. 

4.  Destin  de  Faueher-lludiii .  d'aprét  le  rroquii  de  Tailob,  Notée  ou  the  ruim  of  Muqeyer,  dans  le 
Journal  of  tht  Hoyal  Atiatic  Society.  I.  XV,  p.  370. 


686  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

en  encorbellement,  où  Ton  emmurait  un  ou  deux  corps  à  la  fois1.  C'est  aussi 
un  simple  pot  de  terre,  où  Ton  accroupissait  le  cadavre,  ou  un  assemblage  de 
deux  énormes  jarres  cylindriques,  dans  lesquelles  on  l'entonnait  et  qu'on 
lutait  avec  du  bitume1.  Ce  sont  enfin  de  piètres  bâtisses  rondes  ou  ovales, 
juchées  sur  un  patin  en  briques  et  recouvertes  d'un  dôme  ou  d'un  toit  plat3. 
La  maison  n'était  pas  large  et  parfois  l'habitant  n'y  entrait  qu'à  peine,  replié 
et  comme  doublé  sur  lui-même.  Il  n'emportait  avec  lui  dans  les  plus  petites 
que  son  linge,  ses  bijoux,  des  flèches  de  bronze,  et  quelques  vases  en 
métal  ou  en  argile.  Les  autres  renfermaient  un  mobilier  moins  complet  que 
celui  dont  les  Égyptiens  encombraient  leurs  hypogées,  mais  suffisant  pour 
les  besoins  d'un  esprit.  Le  corps  était  eouché  tout  vêtu  sur  une  natte 
imprégnée  de  bitume,  la  tête  appuyée  contre  un  coussin  ou  contre  une  brique 
plate,  les  bras  à  la  poitrine,  le  linceul  ajusté  par  des  sangles  autour  des 
cuisses  et  de  la  cheville.  Parfois  on  le  tournait  sur  le  côté  gauche,  les  jambes 
fléchies  légèrement,  la  main  droite  jetée  par-dessus  l'épaule  gauche  et  plon- 
geant dans  un  vase,  comme  s'il  voulait  le  prendre  ou  en  porter  le  contenu  à  sa 
bouche.  Des  jarres  et  des  plats  d'argile,  rangés  autour  de  lui,  lui  fournissaient 
sa  nourriture  et  ses  boissons  journalières,  le  vin  qu'il  aimait  le  mieux,  des 
dattes,  du  poisson,  de  la  volaille,  du  gibier,  jusqu'à  la  hure  d'un  sanglier,  et 
même,  comme  en  Egypte,  des  simulacres  en  pierre  qui  remplaçaient  les 
provisions  réelles  et  qui  duraient  davantage.  L'homme  voulait  des  armes  pour 
défendre  ses  vivres,  une  lance,  des  javelines,  sa  canne  d'apparat,  le  cylindre  à 
son  nom  avec  lequel  il  avait  cacheté  ses  actes.  On  entassait  à  côté  de  la  jeune 
fille  ou  de  la  femme  des  parures  et  des  bijoux  de  rechange,  des  fleurs,  des 
flacons  à  parfums,  des  peignes,  des  aiguilles  pour  le  fard,  et  des  pains  de  la 
pâte  noirâtre  dont  elle  s'enduisait  les  sourcils  et  le  bord  des  paupières4. 

1.  Les  caveaux  voûtés  se  sont  rencontrés  de  préférence  a  Moughéir,  dans  les  cimetières  de  l'antique 
Ourou;  ils  ont  une  longueur  moyenne  de  1  mètres  à  2  m.  20,  une  hauteur  d'environ  1  m.  70  et  une 
largeur  de  1  m.  15.  Les  murs  n'en  sont  pas  entièrement  droits,  mais  ils  s'écartent  légèrement  l'un  de 
l'autre  en  montant,  jusqu'aux  deux  tiers  de  la  hauteur,  puis  se  rapprochent  rapidement  jusqu'à  former 
\oûte  (Taylor,  Notes  on  the  ruins  of  Muqeyer,  dans  le  Journal  of  the  Royal  Asiatic  Society,  t.  XV, 
p.  272-273).  Cf.  Perrot-Chipiei,  Histoire  de  l'Art  dans  l'Antiquité,  t.  II,  p.  371  sqq. 

2.  Ce  genre  de  sépulture  se  rencontre  également  à  Moughéir  et  à  Tell-el-Lahm  (Taylor,  Notes  on 
Abu  Shahrein  and  Tel  el-Lahm,  dans  le  Journal  of  the  Royal  Asialic  Society,  t.  XV,  p.  113-414); 
cf.  Perrot-Chipiez,  Histoire  de  CArt  dans  l'Antiquité,  t.  II,  p.  371-372.  Les  jarres  sont  généralement 
percées  d'un  petit  trou  à  l'une  des  extrémités,  pour  permettre  aux  gaz  que  la  décomposition  produit 
de  s'échapper  plus  librement. 

3.  Taylor,  Notes  on  the  Ruins  of  Muqeyer,  dans  le  Journal  of  the  Royal  Asiatic  Society,  t.  XV, 
p.  2t»i>.  Ce  genre  de  tombeau  est  d'ordinaire  enterré  assez  profondément;  à  Moughéir,  la  plupart  de 
ceux  que  l'on  a  découverts  étaient  à  2  mètres  ou  2  m.  ;*0  au-dessous  de  la  surface.  Cf.  Perrot-Chipifi, 
Histoire  de  l'Art  dans  P  Antiquité,  t.  Il,  p.  372-373. 

A.  Taylor,  Notes  on  the  ruins  of  Muqeyer,  dans  le  Journal  of  the  Royal  Asiatic  Society,  t.  XV, 
p.  271-27-4,  -ili-il.-i,  et  Notes  on  Abu-Shahrcin  and  Tel-el-Lahm,  ibid.,  p.  413. 


LA  CREMATION  DES  CADAVRES. 


llTliniH     [ir    TOMBEAU 


Beaucoup  préféraient  le  bûcher  à  la  simple  mise  au  caveau.  (In  les  brûlait 
à  quelque  distance  de  la  ville,  sur  un  terrain  réservé  au  milieu  des  marais. 
Un  entortillait  le  corps  dans  une  natte  grossière,  on  le  déposait  sur  un  amas 
de  roseaux  et  de  joncs  arrosés  largement  de  bitume,  puis  on  élevait  tout 
autour  un  écran  de  briques  qui  circonscrivait  l'action  de  la  flamme,  et  on 
l'enduisait  d'argile  humide;  les  prières  récitées,  on  empilait  sur  lui,  pêle- 
mêle  avec  le  viatique  ordinaire  et  les  pièces  du  mobilier  funèbre,  des  relais 
nouveaux  de  matières  combustibles.  Quand  on  jugeait  que  le  feu  avait  à 
peu  près  terminé  son  oeuvre,  on  éteignait  le  foyer  et  l'on  constatait  quel 
était  l'état  des  résidus.  Le  plus  souvent,  la  combustion  n'avait  entamé  que  la 
portion  des  chairs  la  plus  facile  à  détruire  :  le  reste  était  carbonisé  à  peine 
et  le  cadavre  semblait  une  masse  noircie  et  défigurée.  La  couche  terreuse 
dont  on  avait  pris  soin  de  le  charger  au  commencement  lui  formait  alors  une 
gaine  de  poterie,  qui  masquait  le  résultat  de  l'opération  et  qu'on  se  gardait 
de  briser,  pour  ne  point  étaler  aux  veux  de  la  famille  et  des  assistants  l'hor- 
reur navrante  du  spectacle.  Parfois  cependant  la  fournaise  avait  dévoré  tout, 
et  l'on  n'apercevait  plus  qu'un  peu  de  cendre  grasse  et  des  éclats  d'osse- 
ments calcinés.  Souvent,  on  n'éloignait  pas  ces  débris  d'humanité  de  la  place 
où  ils  gisaient,  et  leur  bûcher  devenait  leur  tombeau.  Souvent  aussi  on  les 

I.  bénin  de  Fauclur-Guiin,  dnptèi  le  cror/uit  de  Taylor  {fiole*  on  Ihe  ruint  of  Muqeyer.  dans  le 
Journal  of  the  Houal  Atialic  Society,  1.  XV.  p.  Ï71).  l/objcl  placé  sous  la  lêlc  du  morl  est  la  brique 
sèche  dont  il  est  question  dans  le  telle  ;  le  vase  sur  lequel  In  main  porte. est  en  cuivre,  les  autres  sonl 
en  terre  euile  et  renfermaient  de  l'eau  ou  des  dalles,  dont 
dro»  épars  le  long  des  rdle*  sonl  en  [lierre;  les  dem  grands 
et  le»  vases  en  terre,  sonl  des  picees  de  bambou  dont  on  n 


688  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX   DE  LA  CHALDÉE. 

recueillait  soigneusement,  et  l'on  disposait  d'eux,  selon  le  degré  de  destruc- 
tion qu'ils  manifestaient.  On  enfermait  les  corps  consumés  insuffisamment 
dans  des  fosses  ou  dans  des  chapelles  communes;  on  versait  les  cendres 
dans  des  urnes  oblongues  avec  les  fragments  d'os  et  ce  qui  avait  échappé 
des  offrandes.  Le  feu  avait  tordu  les  armes,  fondu  à  demi  les  ustensiles  de 
cuivre  :  le  mort  n'emportait  guère  au  delà  que  les  morceaux  de  ce  qui  lui 
avait  été  attribué.  Cela  lui  suffisait,  et  son  bagage,  une  fois  éprouvé  par  les 
flammes,  l'accompagnait  où  il  allait  :  l'eau  seule  lui  manquait,  mais  on  lui 
préparait  sur  le  lieu  même  de  sa  sépulture  des  citernes  où  elle  s'accumulait. 
On  enfonçait  en  terre  à  des  profondeurs  de  trois  ou  quatre  mètres  plusieurs 
manchons  de  poterie,  larges  de  cinquante  centimètres  environ,  qu'on  super- 
posait exactement,  et  dont  le  dernier  se  resserre  de  manière  à  venir  affleurer 
au  niveau  du  sol  en  un  goulot  étroit  :  la  pluie  les  remplissait,  ou  les  lentes 
infiltrations  des  rivières,  et  on  les  multipliait  dans  une  même  chambre1, 
si  bien  que  l'âme  trouvait  toujours  de  quoi  s'abreuver  à  l'un  quand  l'autre  se 
desséchait8.  Les  tombes,  serrées  mur  contre  mur,  puis  envahies  peu  à  peu  par 
le  sable  ou  par  les  décombres  et  surchargées  de  tombes  nouvelles,  forment  de 
véritables  tertres  à  Ourouk.  Dans  les  villes  où  l'espace  leur  était  moins  par- 
cimonieusement mesuré,  elles  disparaissaient  vite  sans  laisser  de  vestiges  au- 
dessus  du  sol,  et  il  faudra  sans  doute  remuer  beaucoup  de  décombres  avant 
de  retrouver  ce  qui  subsiste  d'elles.  La  Chaldée  presque  entière  nous  offre 
aujourd'hui  le  spectacle  assez  extraordinaire  d'un  pays  où  les  cimetières  sont 
si  rares,  qu'on  dirait  que  les  habitants  anciens  ont  pris  à  tâche  de  les  dissi- 
muler3. Les  rois  seuls  avaient  leurs  monuments  dont  on  connaissait  le  site. 
À  Babylone,  on  les  enterrait  dans  des  palais  antiques  où  les  vivants  ne  vou- 
laient plus  demeurer  :  celui  de  Shargina  était  comme  une  nécropole  à  leur 

1.  L'expédition  allemande  de  1886-1887  a  trouvé  quatre  de  ces  ré  se  noirs  dans  une  seule  chambre, 
et  neuf  qui  étaient  répandus  dans  les  chambres  d'une  même  maison  affectée  tout  entière  à  la  récep- 
tion des  corps  (R.  Koldewey,  Die  Altbabylonischen  Grâben  in  Surghul  und  el-Hibba  dans  la  Zeit- 
ichrift  fur  Assyriologie,  t.  II,  p.  413). 

2.  Les  procédés  de  la  crémation  et  les  deux  nécropoles  de  la  Chaldée  méridionale  où  on  les 
observe  ont  été  découverts  par  l'expédition  allemande  de  1886-1887  et  décrits  assez  longuement 
par  R.  Koldewky,  Die  Altbabylonischen  Grâber  in  Surghul  und  el-Hibba,  dans  la  Zeilschrift  fur 
Assyriologie,  t.  Il,  p.  403-430. 

3.  On  a  essa\é  d'expliquer  de  manières  fort  diverses  cette  absence  de  tombeaux.  Sans  parler  de 
l'hypothèse  désespérée  d'après  laquelle  on  aurait  jeté  les  morts  au  fleuve  (Place,  Ninivc  et  t  Assyrie, 
t.  II,  p.  184),  Loflus  pensait  que  les  Chaldécns  et  les  Assyriens  avaient  coutume  de  les  expédier  dans 
quelqu'un  des  sanctuaires  de  la  Chaldée  méridionale,  à  Ourou  de  préférence  et  à  Ourouk,  dont  les 
vastes  cimetières  auraient  absorbé  pendant  des  siècles  la  plus  grande  partie  des  populations  euphra- 
téennes  (Travels  and  Besearches  in  Chaldsea  and  Susiana,  p.  198  sqq.);  son  opinion  a  été  adoptée 
par  un  certain  nombre  d'historiens  (Delitzsch-MPiidter,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  2*  éd., 
p.  59-60,  Ed.  Meyer,  Geschichte  des  Alterthums,  t.  I,  p.  181,  et,  seulement  pour  les  basses  époques, 
par  Hommel,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  210). 


LES  SÉPULCRES  ROYAUX  ET  LE  CULTE  DES  MORTS.  689 

usage,  plus  de  deux  mille  ans  encore  après  son  fondateur.  Les  chroniques 
notent  pieusement  le  lieu  où  chacun  d'eux  alla  reposer,  son  règne  fini1  :  ils  y 
recevaient  un  culte  comme  en  Egypte,  et  ils  échappaient  ainsi  à  l'oubli  qui 
frappait  les  plus  illustres  de  leurs  sujets*. 

Le  mort  ou  plutôt  ce  qui  survit  de  lui,  son  ékimmou*,  habite  le  tombeau, 
et  c'est  pour  lui  en  rendre  le  séjour  supportable  qu'on  y  enfouit,  à  l'heure 
de  l'enterrement  ou  de  la  crémation,  la  nourriture,  l'habillement,  la  parure, 
les  armes  dont  on  pense  qu'il  a  besoin.  Ainsi  équipé  par  ses  enfants  et  par 
ses  héritiers,  il  leur  conserve  l'affection  qu'il  ressentait  au  temps  qu'il  habi- 
tait sur  cette  terre,  et  il  la  leur  témoigne  par  tous  les  moyens  en  son  pouvoir: 
il  veille  sur  eux,  il  écarte  d'eux  les  influences  mauvaises.  S'ils  le  délaissent 
et  l'oublient,  il  se  venge  en  revenant  les  tourmenter  dans  leur  demeure,  il 
déchaîne  la  maladie  contre  eux  et  il  les  écrase  de  sa  malédiction  :  il  ne  vaut 
pas  mieux  alors  que  le  Lumineux  égyptien,  et  si  par  hasard  on  le  prive  de 
sépulture,  il  devient  un  danger  non  seulement  pour  les  siens,  mais  pour  la 
cité  entière4.  Les  morts,  incapables  de  gagner  eux-mêmes  ce  qui  leur  est 
nécessaire  à  subsister  honnêtement,  sont  impitoyables  l'un  envers  l'autre  : 
qui  leur  arrive  sans  prières,  sans  libations,  sans  offrandes,  ils  ne  l'accueillent 
pas  chez  eux,  et  ils  ne  lui  feraient  pas  l'aumône  d'un  pain  sur  leurs  maigres 
provisions.  L'esprit  du  corps  qu'on  n'ensevelit  pas,  n'ayant  ni  gîte  ni  moyens 
d'existence,  erre  par  les  villes  et  par  les  campagnes,  et  ne  se  soutient  que 
de  rapines  et  de  crimes  qu'il  commet  contre  les  vivants5.  C'est  lui  qui, 
se  glissant  dans  les  maisons  pendant  la  nuit,   s'y  révèle  aux  habitants  sous 

1.  Cf.  à  ce  sujet  les  renseignements  contenus  dans  le  fragment  de  liste  royale  découvert  et  publié  pur 
G.  Smith,  On  fragments  of  an  Inscription  giving  part  of  the  Chronology  front  which  thc  Canon  of 
Berosus  was  copied,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  III,  p.  361-379. 
Sayce,  T/ie  Dynastie  Tablets  and  Chronicles  of  the  Uabylonians  (Becords  of  the  Paslt  2"'  Ser.,  t.  I, 
p.  21),  traduit  les  passages  où  d'autres  reconnaissent  la  mention  d'un  ensevelissement,  par  brûlé  dans 
le  palais  de  Sargon,  brûlé  dans  le  palais  de  Kar-Merodach. 

2.  Amiacd,  Matériaux  pour  le  Dictionnaire  Assyrien,  dans  le  Journal  Asiatique,  1881,  t.  XVIII, 
p.  236-237;  dans  le  texte  publié  par  Poches,  Texts  in  the  Babylonian  Wcdge-W'riting,  autographed 
front  the  Original  Documents,  t.  I,  p.  17,  Assourbanabal  se  représente  vêtu  d'un  habit  déchiré,  versant 
une  libation  aux  Mânes  des  rois,  ses  prédécesseurs,  et  répandant  à  cette  occasion  ses  bienfaits  sur 
les   dieux  et  sur  les  hommes,  sur  les  morts  et  sur  les  vivants. 

3.  Le  sens  du  mot  ékimmou,  ikimmou,  méconnu  par  les  premiers  assyriologues,  a  été  découvert 
par  Asuacd,  Matériaux  pour  le  Dictionnaire  Assyrien,  publiés  dans  le  Journal  Asiatique,  7a  série, 
1881,  t.  XVIII,  p.  237.  Vckimmou  équivaut  au  ka  des  Égyptiens,  et  représente  probablement  la  même 
conception,  bien  qu'on  ne  le  voie  jamais  représenté  comme  le  ka  l'est  sur  les  monuments  des 
diverses  époques;  cf.  p.  108-lOil  de  cette  Histoire. 

4.  Parmi  les  êtres  mauvais  dont  on  se  défend  au  moyen  de  certaines  conjurations,  figure  «  l'homme 
qui  n'est  pas  enseveli  dans  la  terre  »  (Sayce,  The  Religion  of  the  Ancient  Uabylonians,  p.  441). 

5.  Il  devient  alors  •  Yrkimmou  qui   attaque  et  saisit  les  vivants  »  (Kawlinsos,  Cun.  Ins.    W.  As., 
t.  IV,  pi.  16,  n°  2,  1.  7  sqq.;  Haitpt,  Akkadische  und  Sumerische'Keilschrift  texte,  p.  82,  l.  7-8).  Il  ne 
faut  pas   le   confondre  avec  *  Voutoukkou  de  la  tombe  »  (Rawmnson,  Cun.  Ins.  H\  As.,  t.  II,  pi.  17, 
col.  i,  1.  3),  c'est-à-dire  avec  le  mauvais  génie  qui  «  entre  dans  le  creux  de  la  tombe  »  (Rawlinson,  Cun. 
Ins.  W.  As.,  t.  Il,  pi.  18,  col.  m,  1.  25)  ou  «  dans  ses  chambres  voûtées  »  (/</.,  ibid.,  1.  40). 

H1ST.    ANC.    DE    l/ORIKNT.    —   T.    I.  87 


filKI  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  »E  LA  C1IALDÉE, 

des  masques  horribles  et   les  affole  de  terreur.  Toujours  à  l'affût,  dès  qu'il 

a  surpris  une  de  ses  victimes,  il  fond  sur  elle  »  la  tête  contre  sa  tète,  la  main 

.__   __    ___■      |e  pje(j  contre  80n  pi^'  , 

estit  de  la  sorte,  homme  ou 
bête,  succomberait  à  coup 
sur,  si  la  magie  ne  four- 
nissait des  armes  toutes- 
puissantes  pour  résister  à 
ses  étreintes*.  Cette  survi- 
vance humaine,  qu'on  se  re- 
présentait si  forte  pour  le  mal 
comme  pour  le  bien,  n'était 
pourtant  qu'une  sorte  d'être 
fluide  et  sans  consistance, 
un  double  analogue  pour 
l'apparence  au  double  des 
Egyptiens.  Avec  la  faculté 
qu'elle  possédait  de  sortir 
et  de  rentrer  à  son  gré,  de 
se  mouvoir  librement  et  de 
voyager  à  travers  l'espace, 
elle  ne  pouvait  demeurer  tou- 
jours enchaînée  au  réduit  de 
terre  cuite  où  son  corps  pour- 
rissait :  on  la  transporta,  ou 
elle  se  transporta  elle-même,  dans  une  contrée  ténébreuse,  l'Aralou,  située 
bien  loin  de  nous,  les  uns  disaient  sous  le  sol,  les  autres  aux  extrémités 
orientales  ou  septentrionales  de  l'univers*.  Une  rivière  y  aboutit  et  la  sépare 
de  la  terre  ensoleillée,  qui  dérive  des  eaux  primordiales  au  sein  desquelles 


i.  IUwluisos,  '.'un.  lui.    H".  A*.,  1.  Il,  pi.  17,  col.  ni,  1.  65-00;  c 

'.  Vu.  I.EMJimM,  ta  Magie  ches   In 

Utnlileeas,  n.   S,   Kludes  Aceudiemiet,  1.  Il,   p.   IHt-IHl,.  t.  III, 

i.  et;   S*n:t,   The    lleligioa  of  Iht 

Aitritnt  Babulanintu,  p.  iill. 

t.  La  plupart  des  conjurations  dirigées  contre  les  maladies  en 

limèrent  parmi   les  esprits   qu'elles 

combattant  •  Yi'bimiiiou  mauvais  <|ui  oppresse  l'homme  pendant  la 

nuit  •  (Rawi.issos,  ('.un.  Int.  II'.  Ai.. 

1.  V,  pi.  511,  col.  i,  1.  il;  cf.  S.iv.:e,  Oh  Ihe  Religion  of  Iht  Aueit 

I  liobytoniiin*,  p.  ;ilU)  ou  simple- 

ï.  Driim  de  Futi-hrr-l'.tidiii.  it'upi-e-*  In  pliiyur  m  bi-time  publire  par  Ci  iRnim-GveiEU ".  l.'ori, 
i|iii  appartenait  à  M.  l'é relie,  est  fiitiscnr  jurjuiu-il'li ni  <l:iiu   la  en  I  ici-lion  do  M.  de  ("lercq. 

4.  Sur  celle  contrée  ténébreuse,  cf.  .V.  JmmiAs,  Die  llabyluniteh-Aiiyriichen  Vontcltungcn 
l.iben  tiarh  dem    Todc,  |i.  iiSMie,  75-Kd,  et  Ii-sks,  Die  Kofmnlogif  der  llabj/hmrr.  p.  *I5-*M. 


L'HADES  ET  SES  SOUVERAINS,  NERliAL,  ALLAT.  6(11 

notre  monde  est  plongé1.  Elle  est  entourée  de  sept  hautes  murailles,  et 
fermée  de  sept  portes  que  garde  un  geôlier  impitoyable.  Deux  divinités  y 
régnent,  *  Nergal,  le  maitrede  I 
et  Beltis-Allat,  *  la  dame  du  gr 
tout  ce  qui  a  respiré  ici- 
bas  descend  après  la  mort. 
La  nature  même  de  Nergal 
le  prédisposait  à  ce  rôle  de 
prince  des  trépassés  :  il  était 
le  soleil  destructeur  de  l'été, 
le  génie  de  la  peste  et  des 
combats.  Toutefois  ses  fonc- 
tions le  retenaient  au  ciel  ou 
sur  la  terre  et  ne  lui  laissaient 
guère  le  loisir  de  visiter  son 
royaume  :  il  se  contentait 
d'en  être  le  pourvoyeur  le 
plus  actif,  et  d'y  dépêcher  par 
milliers  les  sujets  qu'il  re- 
crutait chaque  jour  ici-bas, 
dans  les  villes  ou  sur  les 
champs  de  bataille.  Allât 
était  la  souveraine  véritable. 
On  lui  attribuait  un  corps  de 
femme,    mais    velu    et    mal 

proportionné,  un  mufle  grimaçant  de  lionne,  les  ailes  et  les  pattes  d'un 
oiseau  de  proie.  Elle  brandit  de  chaque  main  un  gros  serpent,  véritable  jave- 
lot animé  qui  mord  et  empoisonne  l'ennemi.  Elle  a  pour  enfants  deux  lions 
qu'elle  allaite,  et  elle  court  sans  cesse  à  travers  son  empire,  non  pas  à 
cheval,  mais  debout  ou  agenouillée  sur  le  dos  d'un  cheval  qu'elle  écrase  de 
son  poids.  Parfois  elle  explore  en  personne  la  rivière  qui  communique  avec 
les  contrées  lumineuses,  et  va  reconnaître  les  convois  d'âmes  novices  qu'on  lu! 
expédie  sans  relâche;  elle  s'embarque  alors  avec  sa  monture  sur  un  bateau- 


1.  Ce   sont   •   les  en ui  de  la  morl   •  dont  il 

nul  question  ù   la 

tin  du  poème  de  C.ïïçz 

et  qui  sonl  Itfiurées   sur  une  des  rares  de  ta  | 

p.  «911  de  celte  llittoi. 

î.  Denin  de  Faucher-Gudin.  C'est  le  revei 

i  brome,   dont  le  réel 

p.  690  de  cetlc  Hilloire;  la  têtu  animale  du  r 

lieu  apparat!  en  i 

<dief  au-dessus  des  ta 

69-2  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

fée,  qui  navigue  sans  voile  ou  sans  aviron,  et  dont  la  proue  se  termine  en 
bec  d'oiseau,  la  poupe  en  tête  de  taureau.  Rien  ne  lui  résiste,  rien  ne  lui 
échappe;  les  dieux  eux-mêmes  ne  pénètrent  dans  son  empire  qu'à  la  condition 
de  mourir  comme  les  hommes,  et  de  s'avouer  humblement  ses  esclaves*. 

Les  gardiens  des  portes  dépouillent  les  immigrants  de  tout  ce  qu'ils  appor- 
tent avec  eux,  et  les  conduisent  nus  devant  Allât  :  celle-ci  les  juge  et  leur 
assigne  à  chacun  leur  place  au  milieu  de  ses  domaines.  Le  bien  ou  le  mal 
accompli  sur  terre  pèsent  peu  dans  sa  balance  :  il  faut  surtout  avoir  fait 
montre  de  piété  envers  les  dieux  et  envers  elle,  avoir  prodigué  les  sacrifices 
et  les  offrandes,  avoir  enrichi  les  temples.  Les  âmes  qui  ne  peuvent  se  justi- 
fier sont  soumises  à  des  supplices  épouvantables  :  la  lèpre  les  ronge  jusqu'à 
la  fin  des  temps,  les  maladies  les  plus  douloureuses  s'abattent  sur  elles  et  les 
torturent  sans  jamais  les  tuer.  Celles  que  sa  fureur  épargne  traînent  une 
existence  morne  et  sans  joie.  Elles  crient  la  soif  et  la  faim,  et  elles  ne  trou- 
vent pour  se  rassasier  ou  pour  se  désaltérer  que  la  poussière  et  l'argile.  Elles 
tremblent  de  froid,  et  on  ne  leur  laisse  en  guise  de  vêtement  qu'un  manteau 
de  plumes,  les  grandes  ailes  sourdes  des  oiseaux  de  nuit  sur  lesquelles  elles 
volettent  en  poussant  des  cris  aigus8.  Cette  conception  farouche  et  sombre  de 
la  vie  en  commun  dans  un  royaume  unique  est  pire  encore  que  l'idée  de 
l'internement  au  tombeau  à  laquelle  elle  a  succédé.  Au  cimetière,  du  moins, 
l'âme  était  seule  avec  le  cadavre  :  dans  la  maison  d'Allat,  elle  est  comme 
perdue  parmi  des  esprits  qui  souffrent  autant  qu'elle  et  les  génies  qui 
naissent  de  la  nuit.  Aucun  d'eux  n'a  une  figure  simple  et  voisine  de  la  figure 
humaine;  mais  ils  présentent  un  mélange  de  l'homme  avec  les  bêtes  et  des 
bêtes  entre  elles,  où  les  traits  les  plus  repoussants  de  chaque  espèce  sont 
combinés  artistement.  Les  têtes  de  lion  se  hérissent  sur  des  corps  de  chacal 
à  griffes  d'aigle  et  à  queue  de  scorpion,  et  les  chefs  des  monstres  s'ap- 
pellent la  Peste,  la  Fièvre,  le  Vent  du  sud-ouest.  Une  fois  naturalisés  de  ce 
peuple  redoutable,  les  morts  ne  s'en  libèrent  plus  que  par  exception,  sur 
l'ordre  des  dieux  d'en  haut.  Ils  ne  conservent  point  le  souvenir  de  ce  qu'ils 
ont   fait   sur  terre.   Affections  domestiques,   amitiés,   mémoire  des  services 

1.  Les  noms  des  divinités  qui  président  à  l'enfer,  leurs  attributs,  les  classes  des  génies  secondaires 
qui  leur  sont  attachés,  et  les  fonctions  de  chaque  classe,  sont  énumérés  dans  l'excellent  ouvrage 
d'A.  Jkremias,  Die  Habylonisch-Assyrischen  Vorstellungen  vont  Leben  nach  Tode,  p.  66-75.  La  figure  et 
les  attributs  d'Allat  sont  décrits  d'après  le  portrait  d'elle  qu'on  voit  sur  la  plaque  en  bronze  repro- 
duite à  la  p.  690  de  cette  Histoire,  au  registre  inférieur. 

4.  C'est  la  description  que  les  premières  lignes  de  la  Descente  d'hhlar  aux  Enfers  (p.  693  de 
cette  Histoire)  font  de  la  condition  des  morts;  elle  est  confirmée  par  les  fragments  du  dernier  chant 
du  poème  de  Gilgamès,  tels  qu'on  les  trouvera  traduits  aux  p.  588-589  de  cette  Histoire. 


LA  DESCENTE  D'ISHTAR  AUX  ENFERS.  693 

rendus,  tout  s'efface  de  leurs  têtes  légères  :  rien  ne  surnage  qu'un  regret 
immense  d'avoir  été  exilés  de  notre  monde,  et  le  désir  cuisant  d'y  remonter. 
Le  seuil  du  palais  d'Àllat  pose  sur  une  source,  dont  les  eaux  ressuscitent 
quiconque  s'y  baigne  ou  en  boit  :  elles  jaillissent,  dès  qu'on  lève  la  pierre, 
mais  les  esprits  de  la  terre  veillent  sur  elles  avec  un  soin  jaloux,  et  ils  en 
écartent  tous  les  êtres  qui  voudraient  en  dérober  quelques  gouttes.  Ils  en 
ouvrent  l'accès  sur  l'ordre  d'Éa  ou  de  l'un  des  dieux  suprêmes  :  encore  ne 
le  font-ils  qu'à  contre-cœur,  et  en  se  désolant  de  la  proie  qu'on  leur  ravit. 
De  vieilles  légendes  racontaient  comment  le  berger  Doumouzi  naquit  d'Éa  et 
de  Damkina,  comment  Ishtar  l'amoureuse  s'éprit  de  lui  tandis  qu'il  paissait 
ses  troupeaux  sous  l'arbre  mystérieux  d'Ëridou  qui  couvre  la  terre  de  son 
ombre,  et  comment  elle  l'élut  entre  tous  pour  être  l'époux  de  sa  jeu- 
nesse :  un  sanglier  le  blessa  mortellement,  et  le  précipita  au  royaume  d'Allat1. 
Un  moyen  restait  de  le  ramener  à  la  lumière  :  il  fallait  laver  ses  plaies  avec 
l'eau  de  la  source  merveilleuse,  et  Ishtar  résolut  d'y  aller  puiser8.  L'entre- 
prise était  effrayante,  car  nul  ne  voyage  aux  enfers  s'il  n'a  traversé  les 
affres  de  la  mort,  et  les  dieux  eux-mêmes  ne  peuvent  se  soustraire  à  cette 
loi  fatale.  «  Vers  la  terre  sans  retour,  vers  le  pays  que  tu  connais,  —  Ishtar 
la  fille  de  Sin  a  tourné  sa  pensée;  —  elle  a,  la  fille  de  Sin,  tourné  sa 
pensée  —  vers  la  maison  d'obscurité,  demeure  d'Irkalla,  —  vers  la  maison 
où  qui  entre  il  ne  sort  plus,  —  vers  le  chemin  où  qui  va  il  ne  revient  plus, 

—  vers  la  maison  où  qui  entre  il  renonce  à  la  lumière,  —  le  lieu  où  l'on 
se  nourrit  de  poussière,  on  mange  l'argile,  —  on  ne  voit  point  la  lumière, 
on  habite  l'obscurité,  —  où  l'on  revêt,  comme  les  oiseaux,  un  habit  d'ailes, 

—  où  la  poussière  s'entasse  sur  l'huis  et  sur  le  verrou.  »  Elle  arrive  au 
porche,  elle  y  heurte,  elle  adresse  la  parole  au  gardien  d'une  voix  impé- 
rieuse :  «  Gardien  des  eaux,  ouvre  ta  porte,  —  ouvre  ta  porte,  que  j'entre, 

1.  Cf.,  aux  pages  6-17-648  de  cette  Histoire,  la  légende  de  Doumouzi. 

2.  Le  texte  de  la  Descente  d"  Ishtar  aux  Enfers  a  été  découvert  par  Fox  Talbot  (dans  les  Transactions 
of  the  Boyal  Society  of  Literature,  2*  sér.,  t.  VIII,  p.  214-257;  cf.  J.  As.  Soc,  New  Séries,  t.  IV, 
p.  25-26,  27),  puis  publié  par  Fn  Lenornant,  Tablette  cunéiforme  du  Musée  Britannique  (K  162),  dans 
les  Mélanges  d'Archéologie  Égyptienne  et  Assyrienne,  t.  I,  p.  31-35,  traduit  par  lui  dans  Y  Essai  de 
Commentaire  sur  les  fragments  cosmogoniques  de  Bérose,  p.  457-510  (cf.  les  Premières  Civilisations, 
t.  H,  p.  81-93,  Choix  de  Textes  Cunéiformes,  n°  30,  p.  100-105),  puis  par  Fox  Talbot  lui-même  (The 
Legend  of  Ishtar  descending  to  Hades,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique, 
t.  II,  p.  179-212).  Depuis  lors  la  plupart  des  assyriologues  se  sont  exercés  à  interpréter  et  à  com- 
menter ce  poème  :  Schrader  (Die  Hôllenfahrl  der  Istar,  Giessen,  1874),  Oppert  (t Immortalité  de 
lame  chez  les  Chaldéens,  dans  les  Annales  de  Philosophie  Chrétienne,  1874,  t.  VIII,  p.  210-233,  et 
Fragments  mythologiques,  dans  Ledrain,  Histoire  du  peuple  d'Israël,  t.  II,  p.  464-469),  A.  J  ère  mi  as 
(Die  Hôllenfahrl  der  Istar,  eine  allbabylonischc  Beschworungs légende,  1889,  reproduit  en  tête  des 
Babylonisch-Assyrischen  Vorstellungen  rom  Leben  nach  dem  Tode,  p.  4-45).  J'ai  suivi  presque  tou- 
jours la  traduction  qu'A.  Jeremias  nous  en  a  donnée. 


694  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDÉE. 

moi!  —  Si  tu  n'ouvres  la  porte  et  que  je  n'entre,  moi,  —  je  fendrai  l'huis, 
je  briserai  les  barres,  — je  fendrai  le  seuil,  j'enfoncerai  les  vantaux,  —  je 
lèverai  les  morts,  qu'ils  mangent  les  vivants,  —  et  plus  que  les  vivants  les 
morts  seront  nombreux.  »  —  Le  gardien  ouvrit  sa  bouche,  parla,  — manda 
à  la  puissante  Ishtar  :  «  —  Arrête-toi,  ô  dame,  et  ne  renverse  pas  la  porte. 

—  que  j'aille  et  que  j'annonce  ton  nom  à  la  reine  Allât.  »  Allât  hésite,  puis 
lui  permet  d'accueillir  la  déesse  :  «  Va,  gardien,  ouvre-lui  ta  porte,  —  mais 
traite-la  selon  les  lois  antiques  » . 

Les  mortels  entrent  nus  dans  le  monde,  nus  ils  doivent  en  sortir  :  puisque 
Ishtar  veut  partager  leur  sort,  il  faut  qu'elle  se  défasse  comme  eux  de  tous 
ses  vêtements.  «  Le  gardien  alla,  il  ouvrit  sa  porte  :  —  «  Entre,  madame,  et 
que  Kouta  se  réjouisse,  —  que  le  palais  de  la  terre  sans  retour  exulte  de  ta 
présence  !»  —  La  première  porte  il  lui  fit  passer,  la  déshabilla,  enleva  la 
grande  couronne  de  sa  tête  :  —  «  Pourquoi,  gardien,  enlèves-tu  la  grande 
couronne  de  ma  tête?  —  Entre,  madame,  telle  est  la  loi  d'Allat.  »  —  La 
seconde  porte  il  lui  fit  passer,  la  déshabilla,  enleva  les  anneaux  de  ses 
oreilles  :  —  «  Pourquoi,  gardien,  enlèves-tu  les  anneaux  de  mes  oreilles?  — 
Entre,  madame,  telle  est  la  loi  d'Allat.  »  Et  de  porte  en  porte  il  détache 
quelqu'un  des  bijoux  de  l'affligée,  son  collier  garni  d'amulettes,  la  tunique 
qui  lui  drapait  la  poitrine,  sa  ceinture  émaillée,  ses  bracelets,  ses  anneaux 
de  pied  :  à  la  septième,  il  lui  retire  son  dernier  voile.  Quand  elle  fut  enfin 
en  présence  d'Allat,  elle  se  précipita  sur  elle  pour  lui  ravir  de  haute  lutte 
la  vie  de  Doumouzi  ;  mais  celle-ci  appela  Namtar,  son  messager  de  malheur, 
et  lui  ordonna  de  punir  la  rebelle.  «  Du  mal  des  yeux  frappe-lui  les  yeux, 

—  du  mal  des  flancs  frappe-lui  les  flancs,  —  du  mal  des  pieds  frappe-lui  les 
pieds,  —  du  mal  de  cœur  frappe-lui  le  cœur,  —  du  mal  de  tête  frappe-lui 
la  tête,  —  sur  elle,  sur  elle  tout  entière,  frappe  fortement!  »  Or,  tandis 
qu'elle  souffrait  les  tourments  de  l'enfer,  le  monde  des  vivants  menait  le 
deuil  de  sa  mort.  En  l'absence  de  la  déesse  d'amour,  l'amour  n'accomplit 
plus  ses  rites  :  «  le  taureau  ne  s'abat  plus  sur  la  génisse,  l'âne  ne  se 
rue  plus  sur  l'ânesse,  —  le  maître  ne  recherche  plus  la  servante  dans  les 
ruelles  ».  Si  elle  ne  revient  promptement  à  la  lumière,  les  races  des  hommes 
et  des  bêtes  s'éteindront,  la  terre  demeurera  déserte,  et  les  dieux  n'auront 
plus  ni  dévots,  ni  offrandes.  «  Papsoukal,  le  serviteur  des  dieux  grands, 
se  déchira  la  figure  devant  Shamash,  —  vêtu  de  deuil,  plein  de  douleur.  — 
Shamash  alla,  il  pleura  à  la  face  de  Sin,  son  père,  —  et  ses  larmes  cou- 


LA   AÉSURRKC.TIUN   D'ISHTAR.  693 

rurent  devant  Ea,  le  roi  :  —  «  Ishtar  est  descendue  en  terre,  elle  n'est  pas 
remontée!  —  Et  depuis  qu'lshtar  est  descendue  en  la  terre  sans  retour  — 
le  taureau  ne  s'abat  plus  sur  la  génisse,  l'âne  ne  se  rue  plus  sur  l'ânesse, 

—  le  maître  ne  recherche  plus  la  servante  dans  les  ruelles,  —  le  maître 
s'endort  sur  son  ordre,  —  la  servante  s'endort  sur  son  devoir.  »  La  résur- 
rection de  la  déesse  est  le  seul  remède  à  tant  de  maux,  mais  elle  est 
subordonnée  à  celle  de  Doumouzi  :  Ishtar  ne  consentira  à  reparaître  au  jour 
que  si  elle  ramène  son  mari  vivant  avec  elle.  Ea,  le  seigneur  suprême, 
l'exécuteur  infaillible  des  volontés  d'en  haut,  qui  seul  peut  modifier  les  lois 
imposées  à  la  création,  se 

décide  à  lui  accorder  ce 
qu'elle  exige.  «  Éa,  dans 
la  sagesse  de  son  cœur, 
façonna  un  mâle,  —  fa- 
çonna Ouddoushounâmir, 
le  serviteur   des   dieux   : 

—  «   Va   donc,    Ouddou- 
shounâmir, tourne  ta  face  .  , 
vers   la  porte  de  la  terre 

sans  retour;  —  les  sept  portes  de  la  terre  sans  retour,  qu'elles  s'ouvrent 
devant  toi,  —  qu'Allât  te  voie  et  se  réjouisse  devant  toi  !  —  Quand  son  cœur 
sera  calmé  et  son  foie  apaisé,  —  conjure-la  au  nom  des  dieux  grands,  tourne 
ta  pensée  vers  la  source.  —  «  Que  la  source,  madame,  me  donne  de  son 
eau,  afin  que  j'en  puisse  boire!  »  Allât  entra  dans  une  colère  épouvantable, 
lorsqu'elle  se  vit  obligée  de  céder  à  sa  rivale;  «  elle  se  battit  les  flancs,  elle 
se  mordît  les  doigts  »,  elle  éclata  en  malédictions  contre  le  messager  de 
malheur.  *  Tu  m'as  exprimé  une  requête  qu'on  ne  doit  requérir!  —  Fuis, 
Ouddoushounâmir,  ou  je  t'enfermerai  dans  la  grande  prison,  —  la  boue  des 
égouts  de  la  ville  y  sera  ton  manger,  —  les  ruisseaux  de  la  ville  seront  ton 
boire,  —  l'ombre  des  murs  sera  ton  séjour,  les  seuils  seront  ton  habitation, 

—  la  réclusion  et  l'isolement  énerveront  ta  force*!   «  Elle  obéit  pourtant, 

I.  Dessin  de  Fau.ilier-C,udin,  d'après  lintaille  cltatdrenue  du  Mutée  de  la  Haye  (cl".  Mesast, 
Catalogue  des  Cylindres  orientaux  du  Cabinet  Royal  de»  Médailles  île  la  liage,  pi.  V,  n-  ifi).  Sur  la 
figure  dlshtar  nue,  voir  le  mémoire  de  Nicoi.sk  Y,  la  Meuse  des  Cylindres  et  des  Statues  lahyliiniennes, 
dans  la  Rente  Arehrotnyiquc,  18'JO.  t.  XXX,  p.  3S-.tS. 

ï.  Il  résulta  de  ce  passage  qu'lshtar  ne  pouvait  être  délivrée  qu'au  prix  d'une  autre  vie  :  c'est  pour 
cela  sans  doute  qu'Anou,  au  lieu  d'envoyer  le  messager  ordinaire  îles  dieux,  crée  un  messager  spé- 
cial. Allât,  furieuse  du  peu  d'importance  de  la  victime  qu'on  lui  envoie,  se  contente  de  menacer 
Ituddoushounâmir  d'un  traitement  ignominie"*  s'il  ne  se  sauve  au  plus  vite. 


696  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDËE. 

appelle  son  ministre  Namtar  et  lui  commande  de  tout  préparer  pour  rani- 
mer la  déesse.  11  faut  briser  le  seuil  du  palais  afin  de  mettre  la  source  à 
découvert,  et  l'eau  ne  produit  son  plein  effet  qu'en  présence  des  Ànounnas. 
«  Namtar  alla,  il  fendit  le  palais  éternel,  —  il  tordit  les  montants,  que  les 
pierres  du  seuil  en  tremblèrent;  —  il  fit  sortir  les  Anounnaki  et  les  assit 
sur  des  trônes  d'or,  —  il  versa  sur  Ishtar  les  eaux  de  la  vie  et  l'emmena.  » 
Elle  reprit  à  chaque  porte  les  habits  et  les  bijoux  qu'elle  avait  abandonnés 
en  traversant  les  cercles  de  l'enfer  :  dès  qu'elle  revit  le  jour,  il  lui  annonça 
que  le  sort  de  son  mari  lui  appartenait  désormais.  Elle  devait  chaque  année 
le  baigner  d'une  onde  pure  et  l'oindre  des  parfums  les  plus  précieux,  le 
revêtir  d'une  robe  de  deuil,  lui  jouer  des  airs  tristes  sur  une  flûte  de  cristal, 
tandis  que  les  prêtresses  entonneraient  leurs  chants  de  douleur  et  se  déchi- 
reraient la  poitrine  :  son  cœur  se  ranimerait  et  sa  jeunesse  refleurirait  ainsi 
de  printemps  en  printemps,  aussi  longtemps  qu'elle  accomplirait  pour  lui  les 
cérémonies  jadis  prescrites  par  les  divinités  infernales. 

Doumouzi  était  un  dieu,  l'amant  d'une  déesse,  et  la  divinité  réussissait  où 
les  humains  échouent.  Si  Mardouk1,  Éa,  Nébo,  Goula,  Ishtar  et  leurs  pareils 
possédaient  vraiment  la  faculté  de  rappeler  les  trépassés  à  la  vie,  ils  n'en 
usaient  guère  dans  l'intérêt  de  leurs  créatures,  et  les  plus  dévots  avaient 
beau  réclamer  de  temple  en  temple  la  résurrection  de  leurs  morts,  ils  n'ob- 
tenaient jamais  pour  eux  la  grâce  qu'Allât  avait  accordée  à  Doumouzi.  Le 
cadavre,  une  fois  couché  dans  la  tombe,  ne  se  relevait  plus,  il  ne  réintégrait 
plus  la  place  qu'il  avait  perdue  dans  sa  maison,  il  ne  recommençait  plus 
d'existence  nouvelle.  Les  nécromants  eux-mêmes  n'arrachaient  sa  proie  à 
l'Hadès  que  pendant  quelques  instants.  Le  sol  se  crevassait  au  bruit  de  leurs 
conjurations,  l'âme  en  jaillissait  comme  un  coup  de  vent  et  répondait  mélan- 
coliquement aux  questions  qu'on  lui  posait  :  le  charme  rompu,  il  lui  fallait 
rebrousser  sur  les  voies  de  la  contrée  sans  retour  et  se  replonger  dans  les 
ténèbres*.  Cette   perspective   d'une   éternité  morne  et    sans  joie   n'effrayait 

1.  Mardouk  est  appelé  «  le  miséricordieux  qui  se  plaît  à  éveiller  les  morts  »,  et  *  le  maître  de  la 
libation  pure,  qui  éveille  les  morts  »,  le  «  miséricordieux  à  qui  il  est  permis  de  rendre  la  vie  • 
(A.  Jerkxias,  Die  Babylonisch-Assyrischen  Vorslellungen  vom  Leben  tiach  dem  Iode,  p.  101  ;  Jensk\, 
Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  496-297).  On  trouvera  dans  Jeremias  (op.  /.,  p.  100-101)  la  liste  des 
dieux  qui  jusqu'à  présent  ont  le  droit  de  ressusciter  les  morts;  il  est  probable  que  cette  faculté  appar- 
tenait à  tous  les  dieux  et  à  toutes  les  déesses  du  premier  rang. 

4.  Voir,  p.  588-389  de  cette  Histoire,  les  offrandes  et  les  sacrifices  que  Gilgamès  est  obligé  de  faire 
de  temple  en  temple,  avant  d'obtenir  pour  un  moment  la  faveur  de  voir  l'ombre  d'Ëabani;  cf.  sur  les 
nécromants  et  sur  les  évocations,  Boscawen,  botes  on  the  Religion  and  Nylhology  of  the  Assy riant, 
dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  IV,  p.  471,  478-486;  Fa.  Lesormaxt,  la 
Divination  et  la  Science  des  présages  chez  les  Clialdéens,  p.  151-167;  A.  Jeremias,  Die  Babylonisch- 
Assyrisc/ien  Vorslellungen  vom  Leben  nach  dem  Tode,  p.  101-103. 


L'ÉVOCATION  DES  MORTS.  697 

pas  les  Chaldéens  autant  qu'elle  faisait  les  habitants  de  l'Egypte.  Les  courtes 
années  qu'ils  avaient  à  vivre  en  notre  monde  de  lumière  les  inquiétaient  beau- 
coup plus  que  les  siècles  sans  fin,  dont  le  défilé  monotone  commençait  pour 
eus  au  lendemain  des  funérailles.  La  somme  de  bonheur  et  de  malheur  allouée 
par  le  destin  à  chacun  d'eux,   il  devait  la  dépenser  tout  d'un  trait  en  plein 
soleil,  aux  beaux  pays  de  l'Euphrate  et  du  Tigre  :  ce  qu'il  en  aurait  écono- 
misé, afin  de  se  ménager  un  fonds  de  félicité  posthume,  n'avait  plus  cours  au 
delà  du  tombeau  et  ne  lui  comptait  pour  rien.  I^es  dieux  qu'il  servait  fidèle- 
ment lui  remboursaient  donc,  dans  sa  cité  natale,  en  prospérité  présente,  en 
santé,  en  richesse,  en  puis 
sance,  en  gloire,  en  pos- 
térité nombreuse,  l'équi- 
valent   largement  mesuré 
de  ses  offrandes  et  de  sa 
piété  :  s'il  les  irritait  par 
ses  fautes,  ils  se  vengeaient 
en  l'accablant  d'infirmités 

et  de  souffrances.  Ils  «  le  kifwmi  mira  h-r  us  euod.  «'mu*.1, 

coupaient  comme  un  ro- 
seau' »,  et  «  son  nom  était  anéanti,  sa  semence  détruite;  —  il  finissait  ses 
jours  dans  la  gène  et  dans  la  faim,  —  son  cadavre  était  jeté  au  hasard,  —  et 
il  ne  recevait  point  de  sépulture'.  »  On  se  résignait  donc  à  tomber  en  expirant 
dans  la  torpeur  et  dans  la  misère  éternelle,  pourvu  qu'on  eût  joui  longuement 
ici-bas  de  tous  les  dons  que  la  terre  accorde  à  ses  enfants'.  Quelques-uns 
pourtant  se  révoltaient  contre  l'idée  de  confondre  dans  une  même  condition 
les  lâches  et  les  héros  tués  sur  les  champs  de  bataille,  les  tyrans  et  les 
roïs  doux  à  leurs  peuples,  les  méchants  et  les  bons.  Ils  supposaient  que  les 
dieux,  les  distinguant  du  vulgaire,  les  accueillent  dans  une  île  fertile,  éclairée 
par  le  soleil  et  isolée  du  séjour  des  hommes  par  les  eaux  de  la  mort,  la  rivière 
infranchissable  qui  mène  chez  Allât.  L'arbre  de  vie  y  fleurit,  la  source  de  vie 

I.  Dessin  de   Fauchrr-Gudiii,  d'après  fiiitaillc   chatddrnne  publiée  par  Mmut,   Catalogue  de  ta 
Collection  de  U.  de  Clerrq,  t.  I.  pi.  IX,  n°  83;  ri".  IIhïkv.  les  Originel  orientale,  de  fArt,  t.  I,  p.  93. 
S.  Rawlisshi.  Cun.  In*.  H".  As.,  t.  IV,  pi.  3,  col.  I,  I.  3. 

3.  f.'eat  la  lin  d'une  inscription  de  Nahouhalidin,  roi  de  Baliylonc  au  n*  siècle  avant  J.-C,  publier 
dans  Hiwmso»,  Cun.  Ini.  11*.  A:,  t.  V.  pi.  61,  col.  iv.  I.  50-RS.  CX  K».  V.  Schkil,  Inscription  rie  Nabû- 
abit  i.ldin,  dans  la  Zeilichrîfl  f&r  Assyriotogie.  I.  IV.  p.  331  ;  J.  I».»ni,  Die  CnUnsiafet  l'on  Hippar. 
dans  les  Ueilrâge  zur  Attgriotogie,  1.  I.  p.  Î77. 

4.  Sur  ce  qu'étaient  les  croyance*  chs  M  éo-a  syriennes  relatives  au  bonheur  que  le»  dieu*  accor- 
daient au*  fidèles  dans  cette  vie.  foute  de  pouvoir  le  leur  assurer  dans  l'outre,  voir  A.  Jm.»ns.  Die 
llabylonitrh-.Usyrisrhen  Votttellungen  vom  Leben  naeh  dem  Tode,  p.  *G-«. 


698  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDËE. 

y  coule,  Ea  y  transporta  Xisouthros  après  le  déluge,  Gilgamès  en  vit  les  rives 
et  en  revint,  sain  et  vigoureux  comme  aux  jours  de  sa  jeunesse.  On  chercha 
d'abord  cette  région  de  délices  au  milieu  des  marais  de  l'Euphrate,  vers 
l'embouchure  du  fleuve,  puis,  quand  on  connut  mieux  le  pays,  on  l'exila  au 
delà  de  la  mer*.  A  mesure  que  les  découvertes  des  marchands  ou  les  guerres 
élargissaient  les  limites  de  l'horizon  où  les  premiers  Chaldéens  s'étaient  tenus 
enfermés,  Pile  mystérieuse  recula  de  plus  en  plus  vers  l'est,  puis  vers  le  nord, 
et  finit  presque  par  s'évanouir  dans  l'éloignement.  Au  dernier  terme,  les 
dieux  du  ciel,  devenus  hospitaliers,  ouvrirent  leur  propre  royaume  aux 
âmes  épurées  des  héros. 

Ils  n'y  étaient  pas  si  sûrement  séparés  de  l'humanité,  que  les  habitants  de 
la  terre  ne  fussent  tentés  parfois  d'aller  les  y  rejoindre,  avant  que  l'heure 
suprême  eût  sonné  pour  eux.  De  même  que  Gilgamès  avait  affronté  jadis  les 
dangers  du  désert  et  de  l'Océan  pour  découvrir  l'île  de  Khasisadra,  Étana 
s'était  lancé  dans  les  plaines  de  l'air  afin  de  monter  jusqu'au  ciel  d'Ànou  et 
de  s'y  unir  vivant  encore  au  chœur  des  bienheureux'.  La  légende  racontait 
son  amitié  avec  l'aigle  de  Shamash,  les  services  qu'il  lui  avait  rendus,  ceux 
qu'il  avait  reçus  d'elle.  L'aigle  avait  envahi  le  nid  du  serpent,  avait  ravi 
les  serpenteaux  et  les  avait  livrés  en  pâture  à  ses  propres  petits.  Le  serpent 
s'était  hissé  en  rampant  jusqu'à  Shamash  et  lui  avait  crié  vengeance:  «  Le  mal 
qu'elle  m'a  fait,  Shamash,  vois-le!  —  A  mon  aide,  Shamash!  ton  filet  est  égal 
à  la  large  terre,  —  ton  lacs  est  égal  au  ciel  lointain,  —  qui  peut  échapper  à 
ton  filet?  —  Le  criminel  Zou8,  Zou  qui  le  premier  fit  le  mal,  y  échappa-t-il?  » 
Shamash  refusa  d'intervenir  en  personne,  mais  il  indiqua  au  serpent  une  ruse 
qui  devait  le  venger  aussi  sûrement  que  s'il  eût  agi  lui-même.  «  Mets-toi  en 
chemin,  monte  sur  la  montagne,  —  et  cache-toi  dans  un  taureau  mort;  — 
ouvre  son  intérieur,  déchire  son  ventre,  —  ta  demeure,  établis-la  en  son  ventre. 
—  Tous  les  oiseaux  du  ciel  s'abattront...  —  et  l'aigle  elle-même  viendra  avec 
eux,  — -  sans  savoir  que  tu  es  là  dedans;  —  elle  voudra  s'emparer  de  la 
chair,  elle  arrivera  rapidement  —  elle  ne  songera  qu'aux  entrailles  cachées. 

LA.  Jkremias,  Die  Babyloiusch-Assyrischeti  VorsteUungen  vont  Leben  nach  dem  Tode,  p.  81-99,  et 
les  critiques  de  Jensen,  Die  Kosmologie  der  Babylonier,  p.  212-214. 

2.  La  légende  d'Étana  fut  découverte  et  quelques  fragments  en  furent  d'abord  traduits  par  G.  Smith. 
The  Chaldxan  Account  of  Genesis.  p.  138-144.  Ce  qui  en  est  connu  en  a  été  rassemblé,  publié, 
traduit  et  commenté  par  Ed.  J.  Harpf.r,  Die  Dabylonischen  Legenden  vo  i  Etana,  Zu,  Adapa  und  Dib- 
bara,  dans  les  Beitrâge  zur  Ansyriohgie,  t.  Il,  p.  391-408,  où  l'on  trouvera  indiquées  sommairement 
les  analogies  que  l'histoire  d'Étana  présente  avec  les  légendes  de  môme  nature  qui  ont  cours  chez 
différents  peuples  anciens  ou  modernes  de  notre  vieux  Monde. 

3.  C'est  une  allusion  au  vol  des  tablettes  qui  contiennent  les  destinées  et  à  la  défaite  de  l'oiseau 
Zou  par  Shamash  :  il  a  été  question  de  cette  légende  à  la  p.  667  de  cette  Histoire. 


L'ASCENSION  D'ÊTANA   AU  CIEL  DMHOU.  699 

—  Dès  qu'elle  aura  attaqué  l'intérieur,  saisis-la  par  ses  ailes,  —  abats-lui  ses 
ailes,  le  fouet  tle  son  aile  et  ses  serres,  —  déchire-la  et  rue-la  dans  un  ravin 
de  la  montagne,  ~-  qu'elle  y  meure  la  mort  de  faim  et  de  soif!  «  L'aigle  ne 
se  laissa  pas  tromper  à  ce  stratagème,  et  l'un  de  ses  aiglons  aperçut  ie  serpent 
dans  le  cadavre  du  taureau.  Cependant  la  femme  d'Étana  ne  pouvait  mettre 
au  monde  le  fds  qu'elle  portait  en  son  sein;  le  héros,  s' adressant  à  l'oiseau, 
lui  demanda  la  plante  qui  apaise  les  douleurs  des  femmes  et  qui  facilite  les 
naissances.  Mais  on  ne  la  rencontre  qu'au  ciel  d'Anou,  et  comment  se  risquer 
si  haut,  sans  être  anéanti  en  route  par  la  colère  des  dieux?  L'aigle  prend  en 
pitié  la  peine  de  son  com- 
père et   se  résout  à  tenter 

l'aventure  avec  lui.  «  Ami, 
lui  dit-il,  rassérène  ton  vi- 
sage !  —  Viens  et  que  je  te 
porte  au  ciel  du  dieu  Anou. 

—  Contre  ma  poitrine,  mets 

ta  poitrine,  —  sur  le  fouet  , 

de  mes  ailes  mets  tes  deux 

mains,  —  contre  mon  flanc,  mets  ton  flanc!  »  contre  la  poitrine  de  l'aigle 
il  mit  sa  poitrine,  —  sur  le  fouet  des  ailes  il  mît  ses  deux  mains,  contre  le 
flanc  il  mit  son  flanc;  —  il  s'assujettit  solidement,  et  son  poids  était  grand,  » 
Les  artistes  clialdéens  avaient  représenté  plus  d'une  fois  le  départ  du  héros. 
Ils  le  montraient  serré  au  corps  de  son  alliée  et  la  tenant  embrassée  forte- 
ment, l'n  premier  élan  les  a  déjà  soulevés  de  terre,  et  les  bergers  épars  dans 
les  champs  assistent  avec  stupéfaction  à  ce  spectacle  inaccoutumé;  l'un  d'eux 
indique  le  prodige  à  l'autre,  et  leurs  chiens,  assis  à  leurs  pieds,  tendent  le 
museau  comme  pour  hurler  d'épouvante.  «  L'espace  d'une  heure  double, 
l'aigle  l'enleva,  —  puis  l'aigle  lui  parla  à  lui  Ktana  :  —  «  Contemple,  ami, 
la  terre  quelle  elle  est,  regarde  la  mer  qu'enserre  l'Océan  !  —  Vois,  la  terre 
n'est  plus  qu'une  montagne,  et  la  mer  n'est  plus  qu'un  étang.  »  —  L'espace 
d'une  seconde  heure  double,  il  t'enleva,  puis  l'aigle  lui  parla  à  lui  Étana  :  — 
«  Contemple,  ami,  la  terre  quelle  elle  est  :  la  mer  apparaît  comme  la  cein- 
ture de  la  terre.  »  —  L'espace  d'une  troisième  heure  double,  il  l'enleva, 
puis  l'aigle  lui  parla  à  lui  Ëlana  :  —  «   Vois,  ami,  la  terre  quelle  elle  est  : 

I.  Destin    de  Faiiclict-Cu-liii,  d'aprei   I  inttitlle  chatdcenne   reproduite  dam  lltLin-S.mu,  llérou- 
veitet  en  Chaldée.  pi.  ;i(i  bis.  n"  13. 


700  LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDEE. 

—  La  mer  n'est  plus  que  la  rigole  d'un  jardinier.  »  Ils  arrivent  ainsi  au  ciel 
d'Anou,  et  ils  s'y  reposent  un  moment.  Êtana  n'aperçoit  plus  autour  de  lui 
que  l'espace  vide,  et  rien  qui  l'anime,  pas  même  un  oiseau;  it  a  peur,  mais 
l'aigle  le  rassure  et  lui  dit  de  reprendre  sa  course  vers  le  ciel  d'ishtar. 
«  Viens,  ami,  laisse-moi  te  porter  à  Istitar,  —  et  près  d'ishtar,  la  dame,  je  te 
poserai,  —  et  aux  pieds  d'ishtar,  la  dame,  tu  te  jetteras.  —  Contre  mon 
flanc,  mets  ton  flanc,  —  sur  le  fouet  de  mes  ailes,  mets  tes  mains!  •  L'espace 
d'une  double  heure  il  l'enleva  :  —  «  Ami,  vois  la  terre  quelle  elle  est.  —  La 
face  de  la  terre  s'étend  toute  plate  —  et  la  mer  n'est  pas  plus  grosse  qu'une 
mare.  »  L'espace  d'une  seconde  double  heure,  il  l'enleva  :  —  *  Ami,  vois 
la  terre  quelle  elle  est,  —  la  terre  n'est  plus  qu'un  carré  dans  un  jardin,  — 
et  la  large  mer  n'est  pas  plus  grande  qu'une  flaque  d'eau.  »  A  la  troisième 
double  heure,  Étana  perdit  courage,  il  cria  «  Halte!  »  et  l'aigle  redescendit 
aussitôt  ;  mais,  à  bout  de  forces,  il  lâcha  prise  et  se  brisa  sur  le  sol. 

Les  dieux  ne  permettaient  à  nul  vivant  de  pénétrer  impunément  dans  leur 
empire  :  qui  voulait  y  monter,  si  brave  fût-il,  il  devait  s'acheminer  vers  eux 
par  la  mort.  Le  commun  des  hommes  n'y  prétendait  pas.  La  religion  lui 
donnait  à  choisir  entre  le  séjour  perpétuel  au  tombeau  et  la  réclusion  dans 
les  prisons  d'Allat  :  s'il  chercha  parfois  à  sortir  de  cette  alternative  et  à  se 
figurer  différemment  ce  qu'il  deviendrait  par  delà,  ses  idées  sur  l'autre  monde 
restèrent  vagues  et  n'égalèrent  point  la  précision  minutieuse  des  conceptions 
égyptiennes.  Les  soucis  de  la  vie  présente  l'absorbaient  trop  complètement 
pour  lui  laisser  le  temps  de  spéculer  sur  les  conditions  de  la  vie  future. 


~<ti  n>ututie.   -  d,  inyantjitàon  itc'  la    -familles  et.  aes  âa    -fortune.'. 
o&  commerces  et.  i ùiaujlncs  aeaJ  (JaiuaeenrcS. 

d~ea.}  roia.' ne' Jont,  ftvint.  aeic.'  tUeux,  mizùtS  lea.>  incaîreaJ  aertS  dieux ; 
leur-'' rtiuS  aacen/tital.  •  J.ea.' reûiettS  et-  ietc'-fentmeaJ  iie>  la  fiiinulcS  royales  ; 
lea.'  filaJet.  t orr/re' de'  jucce/ji'iin  au  trônes.  -  *J.ea.'  c/uileaii-v  roairux  :  dèjcryr- 
tùtn  au  jntlaiit.'  aeJ  Cjoiia/n,  à  d.aaaaA,  leaJ  -fiipadat.',  la  zigaounit,  lea.> 
tyyxiriemen/icJrejerfekJ,  le.'  mobilier-]  la  décoration-  cr-teme.',  -  <ÂeS costumes aetc> 
Iwmme^.'  et.  celui  deitS  ^jfcmmatJ  :  leaJ  emfiloueaJ  au  jtalaittS  et.  I  adminia- 
trallou  rouateS,  ÙtlS  àoùtattc'  et-  le*LS  seigneuries. 

*J.e>  acrioeJ  et.  lert.>  lltrrea.'  aaraile'.  -  &L  écriture'  cune'iforme.'  ;  âou 
orlifine'  Aierotr/upAioue ',  la  itoltipAunle..'  dcjcJ  caracterea.',  lea>  taoletteit.) aratn- 
maticaùrtJ  et.  lexieoqrapniaue/tJ.  -  .-iescJ  contm&t.'  et.  leur^  rédaction-  à  _plu- 
MeurrcJ  exe/iwlalrest-' ;  le.'  cotur  d ony/e',   les  atcAet. 

&ta  coiijlliutùm  dé->  ùt  jfatnli/e.'  et.  /a  frûices  aucS  la  jf"emme.>u  occupe.'. 
.-•LeS  mart'aae',  le.'  contrat,  le/tJ  cerr'monicrt.)  reuaieuJe/tJ.  •  fie'  divorce' ;  leaJ 
droites  deicS  femmeit'  ric/ienJ,  ÙstS  femnicttS  et.  les  marûtyeS  daititJ  lacs 
ciafSea'  fHiuu/acreiL.'.  -  .-&*.'  en/asdaS  adiwltôts,  leur-''  ^f>o.iilùin  duinS  la 
familles,  ÙrCS  motifstS  ordi/iaireit-'  ae>  /adoption.  -  JLertJ  ejcltifcrc  '.  leur^ '  coitdc- 
tloa,   lea.' affriuu-nl^emenla  \ 


t/at  '  vittat'  eha£o£catnerc  ' .-  £  aspect,  cl.  £a  distribution  denJ  maisonn.',  ht 
oteJ  aomestiaue'.  -  aie'  patrimoine.'  ■fatruuai  ;  £a  division  denJ  AeritaaeaJ.  - 
^ie'frret.  à  intérêt.,  £e>  taux  de.' £ aeaent.,  £e>  commerce  '  par*' terre' et-  £a  nairi- 
aation.  -  d.eitJ  corpa.'  de'  métier^ ;  £a  -fabriai/ion,  de'  £a  oriaue',  £  ouiu/aae.' 
industrie/  en  _pierreJ  et.  en-  meta/,  £ orfetrtéiieJ,  £tttJ  ifraeeum.1  de'  cnu/idren.', 
£enJ  tijserattattJ;  £etat.  deitJ  c£a/>eic.'  o. 


-•Le.'    Yeimaae'  et.  ùi  ctuttireJ  aettJ  ttrrcitJ  ;  £eS  bornaae.'  aen.'  cnanufn.', 

£e/r.>  escùioetc'  et.  £ett.>  oui>rie/it!  aujrico£e<t.'.   -    CJcetiest.'  deJ £a  vie' jtastora/e' :  M 

péc/ieJ,  £a  cna/seJ.  -./.a  utte'ratare. '  arentt/aue'  ci.  £e/t. > science/c'  positivât.'  ■ 

£ ttriiAmetiifueJ  ri.    £a    aeométriej     £  astronomie'    et.    £  astrowaif, 

£a   science'  ae*t>  jirésaœtn.'.   -  ^le'  médecin,  ùi  mayie' 

et.  son  ùi/£uenceJ  sur^£en.  '  nationnJ  tn 


CHAPITRE   IX 

LA    CIVILISATION    CHALDÉENNE 

la  rot*  y  té.  l'hhc.aiiisation  nr.  la  famille  et  de  sa  f< 


Les  rois  de  Chaldée  ne  se  proclamaient  point  dieux  comme 
les  Pharaons,   leurs  contemporains.   Ils   se    contentaient 
d'occuper  une  place  intermédiaire  entre  leurs  sujets  et  la  divi- 
nité, et  de  s'attribuer  pour  traiter  avec  celle-ci  des  pouvoirs 
que  les  hommes  ordinaires  ne  possédaient  point.  S'ils  s'intitu- 
laient parfois  les  fils  d'Ëa*,  de  Ningoul1,  ou  de  quelques  autres, 
itait  pure  hyperbole  dévole  et  non  croyance  en  une  parenté  réelle; 
ie   sentaient  point    palpiter  en  eux   la  chair  même  du  dieu   ou 
le  ses  doubles,   mais  ils  voulaient  qu'on  les  reconnut  pour  ses 
:s  ici-bas,  ses  prophètes,   ses  favoris,  les  pasteurs  élus  par  lui 
gouverner  les  troupeaux  humains,  les  prêtres  attachés  fidèlement 
srvice.  Seulement,  tandis  que  le  prêtre  du  commun  se  choisissait 

1  llrtttu  de  Houdier,  da/nr*  lr  rroqunde  I  nuis.  Trarrta  and  Rrxrurrke*  in  Chaldra  and  Sntinna, 
[>  ':,.  I.a  lettrine,  qui  e-t  de  l'anchcr-Cndin.  représente  une  fiRiire  royale  agenouillée  et  porlanl  i'i 
deux  mains  on  Kn.s  clo»  (cf.  p  TSJ  de  relie  Iliiloire),  qui  sert  à  la  tenir  firhée  droite  en  terre  : 
rW  la  ri- (.n  h!  i  if  ti  on  dp  Is  hpurinc  en  brome  rfu  Loutre,  publiée:  déjà  par  Hfi  lEi-Sismr.,  [Meaurrrte* 
m  CMldêt.  pi    ÎN.  «•  t. 

!  C'eut  le-  titre  que  prend  1c  roi  Oiirbaon  do  l-a^asli  dan»  IIedikt-SaHiix,  Décttttterteë  en  Chaldée, 
pi.  7.  col,  I.  I.  3-8.  rf  Or  put.  Ut  Inscription'  de  Goudéa,  don»  le»  Complet  rendu*  de  l'Académie 
de»  Intrrtptinut  et  »ette*i.rttre>,  IKS*.  u.  39;  lai  ai:»,  The  luieriuliont  of  Telloh,  dans  les  Record» 
af  the  Pa*l,  i-'  Ser  ,  i  I.  p  î..  )i<u\  Intchrtftcn  der  Kiinige  und  Slatlkaller  von  Lagasch,  dans  la 
KeiUchrifltieht  Hibliotheh.l.  III*.  p   *>-ïl 

3.  Singaihid.  roi  H'Ourook,  -■    proclame  RU  de  cette  déesse  (Hawlissos,  Cuit,  lui.  Il .  Al.,  1.  1,  pi.  1, 


7(U  LA  CIVILISATION  CHALDÊENNE. 

un  seul  maître  auquel  il  se  consacrait,  le  prêtre-roi  exerçait  le  sacerdoce 
universel  et  se  posait  en  pontife  de  toutes  les  religions  nationales.  Ses  pré- 
férences allaient  de  droit  aux  patrons  de  la  cité,  à  ceux  qui  avaient  tiré  ses 
ancêtres  de  la  poussière  et  qui  l'avaient  haussé  lui-même  au  rang  suprême, 
mais  les  autres  exigeaient  leur  part  de  ses  hommages  et  ils  attendaient  de 
lui  un  culte  proportionné  à  leur  importance1.  S'il  avait  voulu  le  leur  rendre 
en  personne  jusque  dans  les  détails,  son  existence  entière  se  serait  écoulée 
au  pied  des  autels  ;  quand  il  s'en  était  déchargé  le  plus  possible  sur  le  clergé 
régulier,  ce  qu'il  en  conservait  encore  remplissait  une  grande  partie  de  son 
temps.  Chaque  mois,  chaque  jour  lui  apportait  son  contingent  de  sacrifices, 
d'oraisons,  de  processions  inévitables*.  Le  1er  du  second  Ëloul,  le  souverain 
de  Babylone  présentait  à  Sin  une  gazelle  sans  tache,  puis  il  faisait  à  Shamash 
une  offrande  à  son  gré  et  lui  égorgeait  des  victimes.  Les  cérémonies  se  répé- 
taient le  2  sans  changement,  mais,  du  3  au  12,  elles  s'accomplissaient  pendant 
la  nuit,  devant  les  statues  tantôt  de  Mardouk  et  d'Ishtar,  tantôt  de  Nébo  et 
de  Tashmit,  de  Moullil  et  d'Inlil,  de  Ramman,  de  Zirbanit,  parfois  au  lever 
d'une  constellation  déterminée,  celle  du  Chariot,  par  exemple,  ou  celle  du 
Fils  d'Ishtar,  parfois  au  moment  où  la  lune  «  exaltait  vers  la  terre  sa  couronne 
lumineuse  ».  A  telle  date,  il  fallait  réciter  un  psaume  pénitentiel  ou  une 
litanie3;  à  telle  autre,  défense  de  manger  de  la  viande  cuite  ou  fumée,  de 
changer  de  linge,  d'endosser  des  habits  blancs,  de  boire  médecine,  de 
sacrifier,  d'édicter  un  arrêt,  de  sortir  en  char*.  Et  partout  l'asservissement 
aux  rites  pesait  aussi  lourdement  qu'à  Babylone  sur  les  épaules  du  prince, 
à  Ourou,  à  Lagash,  à  Nipour,  dans  les  cités  souveraines  de  la  Haute  et  de  la 

n°  VIII,  1,  l.  1-2);  cf.  G.  Smith,  Early  History  of  Babylonia,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Ar- 
chéologie Biblique,  t.  I,  p.  41  (où  le  nom  de  la  déesse,  lu  Belatsounat,  est  pris  pour  celui  d'une 
reine),  Winckler,  Inschriften  von  Kônigen  von  Sumer  und  Akkad,  dans  la  Keilschriftliche  Bibliothek, 
t.  III,  1"  partie,  p.  82-85. 

1.  Ainsi,  pour  ne  citer  qu'un  exemple,  Hammourabi  s'intitulait  dans  la  seconde  inscription  du 
Louvre  :  «  prophète  d'Anou,  intendant  de  Bel,  favori  de  Shamash,  berger  chéri  de  Mardouk  •  (Mknijvt, 
Une  Nouvelle  Inscription  de  Hammourabi,  roi  de  Babylone,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  II,  p.  79; 
cf.  Fr.  Delitzsch,  Die  Sprache  der  Kossiïer,  p.  74).  Le  protocole  adopté  par  Goudéa  dans  l'Inscription 
de  la  Statue  D  du  Louvre  est  plus  développé,  mais  trop  obscur  encore  pour  qu'on  le  traduise  en 
entier  (Heuzey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  pi.  9,  col.  i-ii;  cf.  Oppert,  les  Inscriptions  de  Goudéa, 
dans  les  Comptes  rendus  de  C Académie  des  Inscriptions,  1882,  p.  28-40.  123-127;  Aniaud,  The 
Inscriptions  of  Telloh,  dans  les  Records  of  the  Past,  2b4  Ser.,  t.  II,  p.  89-90,  et  dans  Heuzey-Sarzec, 
Découvertes  en  Chaldée,  p.  xvii-xvm  ;  Jensen,  Inschriften  der  Kônige  und  Statihnlter  von  Lagasch, 
dans  la  Keilschriftliche  Bibliothek,  t.  III,  r*  partie,  p.  50-51). 

2.  Tous  les  détails  qui  suivent  sont  empruntés  à  la  tablette  du  British  Muséum  (IUwllnson,  Cun. 
Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  32-33),  découverte  et  traduite  par  Sayce,  A  Babylonian  Saints1  Calcndar,  dans 
les  Records  of  the  Past,  lrt  Ser.,  t.  VII,  p.  157-168,  et  The  Religion  of  the  Ancien  t  Babylonian  s 
p.  69-76.  Cf.  le  fragment  cité  par  Sayck,  The  Religion  of  the  Ancient  Babylonians,  p.  69,  note  3. 

3.  Ainsi,  le  6,  le  16,  le  26  du  second  mois  d'Êlou),  dans  le  document  indiqué  à  la  note  précédente, 
et  qui  a  été  traduit  entièrement  par  Sayce,  à  deux  reprises. 

4.  Ainsi  le  7  de  ce  même  mois  d'ftloul,  puis  le  14,  le  21,  le  28. 


LE  RÔLE  SACERDOTAL  DES  ROIS.  705 

Basse-Chaldée.   Le  roi,  dès  qu'il  montait   sur  le   trône,  allait  chercher  au 
temple  une  investiture  solennelle,  dont  la  forme  variait  selon  les  dieux  qu'il 
adorait  :  à  Babylone,  il  s'adressait  à  la  statue  de  Bel-Mardouk,  dans  les  pre- 
miers jours  du  mois  de  Nisan  qui  suivait  son  avènement,  et  il  lui  «  prenait 
les  mains  »   afin  de  lui  prêter  hommage1.  Dès  lors,  il   suppléait   Mardouk 
ici-bas,  et  les  dévotions  minutieuses  où   ses  heures  se  consumaient  étaient 
autant  d'actes  d'allégeance,  auxquels  sa  féauté  de  vassal  l'astreignait  envers 
le  suzerain.  Telles,  les  audiences  que  l'intendant  d'un  grand  seigneur  demande 
journellement  à  son  maître  pour  lui  rendre  ses  comptes  ou  pour  l'entretenir 
des  affaires  courantes  :  toute  interruption  non  justifiée  par  un  cas  de  force 
majeure  risquait  d'être  interprétée  comme  un  manque  de  respect  ou  comme 
une  velléité  de  révolte.  À  négliger  le  moindre  détail  de  son  service,  il  soulevait 
promptement  les  soupçons  des  dieux  ou  leur  colère,  contre  lui  d'abord,  puis 
contre  ses  sujets  :  le  peuple  avait  donc  un  intérêt  direct  à  ce  qu'il  s'acquittât 
exactement  des  fonctions  sacerdotales,  et   la  piété  n'était  pas  celle  de  ses 
vertus  qu'on  prisait   le   moins*.  Toutes  les  autres  découlaient  de   celle-là 
et  ne  valaient   que    par  l'appui    divin   qu'elle   leur   assurait,   la   bravoure, 
l'équité,  la  justice.  Les  dieux  et  les  héros  des  premiers  âges  s'étaient  assigné 
la  tâche  de  protéger  leurs  fidèles  contre  tous  les  ennemis,  hommes  ou  bêtes. 
Qu'un  lion  décimât  les  troupeaux,  ou  qu'un  urus  de  taille  gigantesque  dévastât 
les  récoltes,  le   roi  devait  l'aller  vaincre,  à  l'exemple  de  ses  prédécesseurs 
fabuleux5.  L'aventure  exigeait  d'autant  plus  de  courage  et  d'appui  surhumain 
qu'à  dire  vrai  les  monstres  passaient  pour  n'être  pas  des  animaux  ordinaires; 
on  les  considérait  comme  les  instruments  d'une  vengeance  céleste,  dont  on 
ignorait  le  plus  souvent  la  cause,  et  qui  les  assaillait,  il  ne  les  affrontait  pas 
seulement,  mais  encore  le  dieu  qui  les  poussait.  La  piété  et  la  confiance  au 
patron  de  la  cité  soutenaient  le  roi,  au  moment  de  relancer  la  bête  dans  son 
repaire;  il  l'abordait  corps  à  corps,  et  dès  qu'il  l'avait  percée  de  ses  flèches 

1.  La  découverte  du  sens  qu'il  convient  d'attacher  à  cette  cérémonie  est  due  à  Winckler,  qui,  après 
l'avoir  indiqué  sommairement  à  la  fin  de  sa  dissertation  inaugurale,  de  Inscriptione  Sargonis  régis 
Assyrix  quse  vocatur  Annalium,  th.  4,  fournit  la  preuve  de  son  opinion  dans  ses  Sludien  und  Bei- 
trâge  zur  babylonisch-assyrischen  Geschichte  (dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  II,  p.  302-304); 
cf.  les  faits  apportés  depuis  lors,  à  l'appui  de  l'hypothèse  de  Winckler,  par  Lehnann,  Schamaschschum- 
ukin,  Kônig  von  Babylonien,  p.  44  sqq. 

t.  Le  cylindre  de  Cyrus  (Hawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  V,  pi.  35;  cf.  Rawlinson,  Notes  on  a  newly 
discovered  Clay-cylinder  of  Cyrus  the  Great,  dans  le  Journal  of  B.  As.  Society,  New  Ser.t  t.  XII, 
p.  70-97)  montre  de  la  manière  la  plus  frappante  l'influence  que  cette  façon  d'envisager  le  rôle  reli- 
gieux du  roi  peut  exercer  sur  la  politique  :  les  prêtres  et  le  peuple  y  considèrent  le  triomphe  de 
Cyrus  comme  une  vengeance  des  dieux  chaldécns  que  Nabonàld  avait  offensés. 

3.  Cf.  les  luttes  de  Gilgamès  contre  le  taureau  et  contre  les  lions,  aux  pages  581-582,  583  de  cette 
Histoire  :  le  poème  reflète  très  fidèlement,  sur  ce  point  comme  sur  beaucoup  d'autres,  l'idée  qu'on 
se  faisait  en  Chaldée  des  devoirs  d'un  roi,  pendant  le  troisième  millénaire  avant  notre  ère. 

HIST.    ANC.    DE    L  ORIENT.     —   T.    I.  89 


706  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

et  de  sa  lance  ou  abattue  de  sa  hache  et  de  son  poignard,  il  répandait  une 
libation  sur  elle  et  il  consacrait  la  dépouille  dans  un  temple1.  Sa  grandeur 
lui  imposait  à  la  guerre  un  rôle  non  moins  périlleux;  s'il  ne  dirigeait  pas 
lui-même  la  première  colonne  d'attaque,  il  se  mettait  à  la  tête  de  la  petite 
troupe  d'élite  dont  le  choc  au  moment  opportun  décidait  du  succès.  Que  lui 
aurait  profité  sa  vaillance,  si  la  crainte  des  dieux  n'avait  marché  devant  lui, 
et  si  l'éclat  de  leur  face  n'avait  jeté  le  trouble  dans  les  bataillons  ennemis1? 
Dès  qu'il  avait  triomphé  par  leur  ordre,  il  s'efforçait  avant  toute  autre 
chose  de  les  payer  largement  de  l'appui  qu'ils  lui  avaient  concédé.  Il  versait 
la  dîme  du  butin  dans  leur  trésor,  il  annexait  à  leur  domaine  une  partie  des 
terres  conquises,  il  leur  allouait  des  prisonniers  pour  cultiver  leurs  champs 
ou  pour  travailler  à  leurs  constructions,  et  les  idoles  des  vaincus  suivaient  la 
destinée  du  peuple  :  il  les  arrachait  aux  sanctuaires  qui  les  avaient  abritées 
jusqu'alors,  et  il  les  entraînait  captives  avec  lui  pour  faire  à  son  dieu  une 
cour  de  dieux  esclaves8.  Shamash,  le  haut  juge  du  ciel,  inspirait  sa  justice,  et 
la  prospérité  dont  sa  bonne  administration  gratifiait  son  peuple  était  moins 
son  œuvre  que  celle  des  immortels*. 

Nous  savons  trop  peu  comment  les  rois  se  conduisaient  dans  l'intimité  de 
la  famille,  pour  nous  figurer  la  manière  dont  ils  conciliaient  les  obligations 
rigoureuses  de  leur  rôle  pontifical  avec  les  routines  de  la  vie  courante.  Nous 
voyons  seulement  qu'aux  jours  de  fêtes  et  de  sacrifices,  lorsqu'ils  officiaient 
eux-mêmes,  ils  abdiquaient  tous  les  insignes  du  rang  suprême  pendant  la 
cérémonie,  et  revêtaient  le  costume  du  prêtre.  On  les  rencontrait  alors,  le 

1.  Gilgamès  consacre  de  la  sorte,  dans  le  temple  de  Shamash,  la  dépouille  de  l'unis  d'ishtar  qu'il 
a  vaincu  ;  voir  plus  haut  à  la  p.  582  de  cette  Histoire. 

2.  Indinghiranaghin,  fils  d'Akourgal  et  roi  de  Lagash  comme  son  père,  attribue  ses  victoires  à  la 
protection  de  Ninghirsou  (Heuzey-Sarzec,  Découvertes  en  C  ha  Idée,  pi.  31,  2;  cf.  Oppert,  Inscriptions 
archaïques  de  trois  briques  chaldéennes,  dans  la  Revue  d'Assyriologiet  t.  II,  p.  86-87).  Goudéa  est  conduit 
à  l'attaque  par  le  dieu  ISinghishzida  (Statue  B  de  Goudéa,  dans  Heuzey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée, 
pi.  XVI,  col.  m,  I.  3-5;  cf.  Amiadd,  The  Inscriptions  of  Telloh,  dans  les  Records  of  the  Past,  2"4  Ser., 
t.  II,  p.  77).  Les  expressions  employées  dans  le  texte  sont  empruntées  aux  inscriptions  assyriennes. 

3.  C'est  ainsi  que  Mardouknâdinakhé,  roi  de  Babylone,  avait  enlevé  au  roi  d'Assyrie  Téglathpha- 
lasar  I°r  les  statues  de  Ramman  et  de  la  déesse  Shala  (Inscription  de  Bavian,  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins. 
W.  As.,  t.  III,  pi.  14, 1.  48-50).  D'autre  part,  Assourbanabal  ramena  de  Susc  à  Ourouk  la  statue  de  la 
déesse  Nanà  que  le  roi  d'Élam  Koudournakhounti  avait  prise  seize  cent  trente-cinq  ans  auparavant 
(Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  III,  pi.  38,  nM,  I.  12-18,  et  t.  V,  pi.  6,  1.  107-124);  il  conduisait  dans 
le  même  temps  les  dieux  ftlamitcs  et  leurs  prêtres  prisonniers  en  Assyrie  (Rawmnsox,  Cun.  Ins.  W. 
As.,i.  V,  pi.  G,  1.  30-47). 

4.  Cf.  ce  qui  est  dit  plus  haut  du  rôle  de  Shamash  comme  dieu  de  la  justice,  p.  658  de  cette 
Histoire.  Un  fragment  d'inscription  bilingue  du  temps  de  Hammourabi,  étudié  à  deux  reprises  par 
Amiaud,  Vue  inscription  bilingue  de  Hammourabi,  roi  de  Babylone,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  1, 
p.  181-190,  et  Inscription  bilingue  de  Hammourabi,  dans  la  Revue  d'Assyriologie,  t.  II,  p.  4-19  (cf. 
Jensen,  Inschriften  aus  der  Regierungszeit  Hammurabi's,  dans  la  Keilschriftliche  Bibliothek,  t.  III  >, 
p.  110-117),  montre  comment  les  rois  s'en  référaient  aux  dieux  et  prenaient  modèle  sur  eux  pour  tout 
ce  qui  touche  leur  conduite.  Le  caractère  sacerdotal  de  la  royauté  assyro-babylonienne  a  été  indiqué 
très  fortement  par  Tiklk,  Babylonisch-Assyrische  Geschichte.  p.  491-492. 


LES  REINES  ET  LES  FEMMES  DE  LA  FAMILLE  ROYALE.  707 

crâne  ras  et  le  buste  nu,  les  reins  ceints  du  pagne,  qui  s'avançaient  au  premier 
rang,  droits  sous  le  poids  de  la  couffe  pleine,  comme  de  simples  valets;  et  de 
fait,  ce  n'est  plus  alors  le  souverain  qui  domine  en  eux,  c'est  l'hiérodule,  c'est 
l'esclave  qui  comparait  devant  son  maître  divin  afin  de  le  servir,  et  qui  s'af- 
fuble pour  la  circonstance  d'un  déguisement  d'esclave'.  Ses  femmes  ne  sem- 
blent pas  avoir  été  investies 
de  ce  caractère  demi-sacré 
qui   associait    les   Égyp- 
tiennes   aux    dévotions 
de    l'homme   et  faisait 
d'elles    les    auxiliaires 
indispensables  de  toute 
pompe  religieuse';  elles 
ne    tenaient   pas    d'ail- 
leurs à  côté  de  lui   la 
place  prépondérante  que 
la  loi  assignait  aux  reines 
dans  l'entourage  de   Pha- 
raon. Tandis   qu'aux  bords 

du  Nil  les  monuments  nous  montrent  les  princesses  assises  sur  le  siège 
de  leur  mari  et  le  serrant  embrassé  par  un  geste  d'affectueux  abandon,  en 
Chaldée,  toutes  les  épouses  du  prince,  sa  mère,  ses  sœurs,  ses  filles,  ses 
esclaves  même,  demeurent  invisibles  à  la  postérité.  Le  harem  où  la  cou- 
tume les  enfermait  s'ouvrait  rarement  pour  elles  :  le  peuple  les  apercevait 
peu,  leurs  parents  parlaient  d'elles  le  moins  souvent  qu'ils  pouvaient,  on 
évitait  de  les  impliquer  aux  actes  publics  du  culte  ou  du  gouvernement,  et  le 
nombre  se  laisserait  aisément  supputer  de  celles  que  les  inscriptions  désignent 
par  leur  nom*.  On  choisissait  les  unes  parmi  les  familles  nobles  de  la  cité,  les 

I.  Coït  l'altitude  d'Ourninâ  sur  les  plaques  publiées  par  Hiiïev-S.imi.i:,  Découverte*  en  Chaldée, 
pi.  %  bis.  ou  relie  des  statuettes  en  liromr  de  Dounghi  (Hutet-SmikC,  Découverte*  en  Chaldée,  ni.  ÎH, 
i-î)  et  de  Koudourmabouk  (Phiuoi-Chinei,  Histoire  de  l'Art  dam  F  Antiquité.,  I.  Il,  p.  5311)  que  le 
Musée  du  Louvre  possède  aux  légendes  de  ces  souverains  (HcriEr,  Nouveaux  Monument!  du  roi  Our- 
ninâ,  déeoucerlt  par  M.  de  Sai-.ec,  dans  la  Revue  d'Atsyriotogie,  t.  III,  p.  (4  sqq.). 

!.  Voir  ce  qui  est  dit  plus  haut  des  reines  égyptiennes,  aux  pâtes  îïft-574  de  retle  Histoire. 

3.  Destin  de  Faueher-tludin,  d'après  Hel-ièv-Samec,  Découverte»  en  Chaldée,  pi.  î  bit,  n°  t. 

I.  La  plupart  d'entre  elles  sont  nommées  à  coté  do  leur  mari  ou  de  leur  père  sur  des  objets  votifs 
déposés  dans  les  temples,  ainsi  la  femme  de  Goudia,  Cendounpaé  (Oppert,  l'Olive  de  Goudéa,  dans  la 
ZeiUchrift  fui-  Asiyriologie,  t.  I,  p.  439-110)  ou  Ginoumounpaouddou  (Jïssb>,  Imrhriflcn  dur  htinige 
und  Statlhatter  von  iagasch,  dons  la  KeiUchriftliche  Bibliotliek,  t.  III*,  p.  Bi-G5),  sur  le  cylindre  du 
Musée  de  la  Haye,  signalé  et  publié  par  «mm.  les  Cylindres  Orientaux  du  Mutée  de  la  Haye, 
pt.  VII,  u>  35,  p.  50-BO)  ou  celle  de  !<iammaehani,  vicaire  de  LaRash,  Ganoul  (HiiiiïT,  Généalogies  de  Sir- 
pourla  d'après  les  découvertes  de  M.  de  Sancc,  dans  la  iterue  d'Auyrioloyic,  t.  Il,  p.   Vi;  cf.  Je.\s>„v, 


708  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

autres  venaient  des  royaumes  chaldéens  ou  des  cours  étrangères;  certaines 
ne  s'élevaient  jamais  au-dessus  de  la  condition  de  simples  concubines,  plu- 
sieurs se  paraient  du  titre  de  reines,  presque  toutes  étaient  les  gages 
vivants  d'alliances  conclues  avec  des  États  rivaux,  ou  elles  avaient  été 
livrées  en  otages  à  la  suite  d'une  paix  infligée  par  les  armes*.  Gomme  les  rois, 
ne  s'attribuant  point  une  origine  divine,  n'étaient  pas  contraints  d'épouser 
leurs  sœurs  à  l'exemple  des  Pharaons  pour  entretenir  la  pureté  de  leur  race*, 
il  s'en  trouvait  rarement  entre  leurs  femmes  qui  possédassent  sur  la  couronne 
des  droits  égaux  aux  leurs  :  le  cas  se  présentait  seulement  pendant  les  temps 
de  troubles,  lorsqu'un  parvenu  de  basse  extraction  légitimait  son  usurpa- 
tion par  un  mariage  avec  les  sœurs  ou  avec  les  filles  de  son  prédécesseur8.  La 
condition  primitive  des  mères  régissait  presque  toujours  celle  des  enfants, 
et  les  fils  d'une  princesse  naissaient  princes,  quand  même  leur  père  était  un 
homme  obscur  ou  demeurait  inconnu4.  Ils  exerçaient  à  la  cour  des  fonctions 
importantes,  ou  ils  recevaient  des  apanages  qu'ils  administraient  sous  la 
suzeraineté  du  chef  de  la  famille5;  on  distribuait  les  filles  aux  rois  étrangers 
ou  aux  personnages  issus  des  maisons  les  plus  altières.  Rien  n'obligeait  le 
souverain  à  transmettre  la  couronne  à  tel  ou  tel  des  siens;  l'aîné  lui  succé- 
dait d'ordinaire,  mais  il  pouvait,  si  bon  lui  semblait,  préférer  celui  d'entre 
eux  qui  lui  plaisait  le  mieux,  quand  c'eut  été  le  plus  jeune  ou  le  seul  qui  fût 

lnschriften  der  Kônigeund  Statthalter  von  Lagasch,  dans  la  Keilschriftliche  Bibliothek,  t.  III1,  p.  74- 
75,  où  le  nom  de  la  dame  est  lu  Ninkandou).  Ailleurs  pourtant  on  voit  la  femme  de  Himsin,  roi  de  Lar- 
sam,  dont  le  nom  est  malheureusement  mutilé,  dédier  elle-même  un  temple  pour  sa  vie  et  pour  celle 
de  son  mari  (Wi.nckler,  Sumer  und  Akkad,  dans  les  Mitteilungen  des  Ak.  Orienta  lischen  Vereins,  t.  I, 
p.  17,  et  lnschriften  von  Kônigcn  von  Sumer  und  Akkad,  dans  la  Keilschriftliche  Bibtiolhek,  t.  III1, 
p.  96-97).  Quelques  reines  paraissent  pourtant  avoir  été  inscrites  sur  quelque  canon  royal,  ainsi  Ellàt 
Goula  (Smith,  Early  History  of  liabylonia,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique, 
t.  I,  p.  52-53)  ou  Baou-ellit,  en  sumérien  Azag-Baou  (Records  of  the  Past,  2n4Ser.,  t.  I,  p.  32),  mais 
on  ne  sait  au  fond  ni  qui  elle  était,  ni  quand  elle  régna. 

1.  Les  exemples  de  ces  unions  politiques  abondent  entre  l'Egypte  et  la  Chaldée  d'après  les  tablettes 
d'El-Amarna  (Bezold-Bhdge,  The  Tell-el-Amama  Tablets  in  the  British  Muséum,  p.  xxv-xxx,  xxxu-xxxiu) 
pour  une  époque  postérieure,  et  entre  la  Chaldée  et  l'Assyrie  (Peiser-Winckler,  Die  sogenannte  synchro- 
nistiche  Geschichte,  dans  la  Keilschriftliche  Bibtiolhek,  t.  I,  p.  194-195,  198-201);  parmi  les  quelques 
reines  de  l'époque  archaïque,  la  femme  de  Nammaghani  est  fille  d'Ourbaou,  vicaire  de  Lagash,  et  par 
suite  la  cousine  ou  la  nièce  de  son  mari  (Jknsen,  lnschriften  der  Kônigc  und  Statthalter  von  Lagasch, 
dans  la  Keilschriftliche  Bibliothek,  t.  III1,  p.  74-75),  tandis  que  celle  de  Rimsin  paraît  être  la  fille  d'un 
seigneur  du  nom  de  Rimnannar  (Winckler,  lnschriften  von  Konigen  von  Sumer  und  Akkad,  dans  la 
Keilschriftliche  Bibliothek,  t.  IIP,  p.  96-97). 

2.  Sur  les  mariages  des  Pharaons  avec  leurs  sœurs,  cf.  ce  qui  est  dit  aux  p.  270  sqq.  de  cette  Histoire. 

3.  Nammaghani,  vicaire  de  Lagash,  devait  probablement  son  élévation  à  son  mariage  avec  la  fille  du 
vicaire  Ourbaou  (Heuzey,  Généalogies  de  Sirpourla,  d'ajtrès  les  découvertes  de  M.  de  Sanec,  dans  la 
Bévue  d'Assyriologie,  t.  II,  p.  78-79). 

i.  Le  fait  ressort  avec  évidence  du  début  de  l'inscription  où  Sargon  I*r  était  censé  raconter  sa  vie 
(cf.  p.  597-598  de  cette  Histoire)  :  •  Mon  père  était  inconnu,  ma  mère  était  princesse  »,  et  c'est  bien 
de  sa  mère  qu'il  tenait  ses  droits  à  la  couronne  d'Agadé. 

5.  C'est  ce  qu'on  doit  conclure  des  bas-reliefs  de  Lagash,  où  l'on  voit  Akourgal,  encore  prince,  tenir 
la  charge  d'échanson  à  la  suite  de  son  frère  Lidda  (Hkizey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  pi.  2  bis, 
n°  1,  et  Nouveaux  Monuments  du  roi  Our-nina,  découverts  par  M.  de  Sarzec,  dans  les  Comptes 
rendus  de  l'Académie  des  Inscriptions,  1892.  p.  34 1,  et  dans  la  Bévue  d'Assyriologie,  t.  III,  p.  16). 


LES  FILS  DU  ROI  ET  L'OKDRE  DE  SUCCESSION.  709 

issu  d'une  esclave1.  Dès  qu'il  avait  annoncé  sa  volonté,  il  n'y  avait  droit  de 
primogéniture  qui  tint  devant  elle  :  elle  faisait  loi.  On  conçoit  quelles  intrigues 
subtiles  les  infants  et  leurs  mères  nouaient  pour  gagner  la  bienveillance  du 
père  et  pour  fixer  son  choix,  quelle  vigilance  jalouse  ils  déployaient  à  s'épier 
mutuellement,  quelles  haines  furieuses  la  faveur  accordée  à  l'un  d'eux  allu- 
mait au  cœur  de  tous  les  autres.  Souvent  les  frères  trompés  dans  leur  attente 
se  coalisaient  sourdement  contre  l'héritier  désigné  ou  présumé  tel;  un  complot 
éclatait,  le  peuple  apprenait  brusquement  que  son  vieux  chef  était  mort  sous 
le  poignard  d'un  assassin  et  qu'il  en  avait  un  nouveau.  Ou  bien  le  mécon- 
tentement se  propageait  hors  du  palais,  l'armée  se  scindait  en  deux  camps, 
les  villes  prenaient  parti  pour  l'un  ou  pour  l'autre  des  prétendants,  et  la 
guerre  civile  sévissait  pendant  de  longues  années  avant  qu'on  en  arrivât  à 
l'action  décisive.  Cependant  les  tribus  vassales  profitaient  du  désordre  et 
s'affranchissaient,  les  cités  voisines  ou  les  El  ami  tes  intervenaient  dans  la  que- 
relle et  se  rangeaient  du  côté  où  il  leur  semblait  qu'il  y  eût  le  plus  à  gagner  : 
le  vainqueur  payait  toujours  cher  cet  appui  équivoque  et  se  tirait  affaibli  de  la 
lutte.  C'était  souvent  la  ruine  de  la  dynastie,  parfois  celle  de  l'État*. 

Le  palais  des  rois  Chaldéens  présentait,  comme  celui  des  Égyptiens,  l'aspect 
d'une  citadelle  véritable  :  les  murailles  devaient  être  assez  solides  pour  braver 
indéfiniment  l'effort  d'une  armée  et  pour  mettre  la  garnison  à  l'abri  de  tout, 
sauf  de  la  trahison  et  de  la  famine.  Une  des  statues  de  Telloh  a  sur  les  genoux 
le  plan  d'une  de  ces  résidences  :  le  contour  extérieur  en  est  seul  indiqué,  mais 
on  y  devine  sans  difficulté  une  place  forte  avec  ses  tours,  ses  redans,  ses 
portes,  ménagées  entre  deux  saillants3.  C'est  l'ancien  palais  de  Lagash,  plus 
tard  retouché  et  agrandi  par  Goudéa  ou  par  l'un  des  vicaires  ses  succes- 
seurs, et  dans  lequel  beaucoup  des  seigneurs  de  l'endroit  ont  habité  jus- 
qu'aux premiers  temps  de  l'ère  chrétienne*.  Le  site  qu'il  occupe  au  quartier 

1.  Akourgal  parait  avoir  eu  un  frère  plus  âgé,  Lidda,  qui  ne  régna  pas  (Hkizky,  Nouveaux  Monu- 
ments du  roi  Ournina  découverts  par  M.  de  Sarzec,  dans  la  Revue  a'  Assyriologie,  t.  III,  p.  15-16). 

2.  Tout  ceci  est  certain  pour  les  derniers  temps  de  l'Assyrie  et  de  la  Chaldée  :  il  est  à  peine  besoin 
de  rappeler  les  meurtres  de  Sargon  II  et  de  Sennachérib,  la  révolte  d'Assourdanfnpal  contre  son  père 
Salmanasar  III.  Pour  l'époque  archaïque,  nous  n'avons  guère  que  des  indices;  la  succession  du  roi 
Ourninà  de  Lagash  parait  avoir  été  troublée  de  la  sorte  (Heuzey,  Généalogies  de  Sirpourla,  d'après  les 
découvertes  de  M.  de  Sarzec,  dans  la  Revue  d' Assyriologie,  t.  II,  p.  82-83),  et  il  est  certain  que  son 
successeur  Akourgal  n'était  pas  l'aîné  de  ses  fils  (Hei/.ky,  Nouveaux  Monuments  du  roi  Our-Nina,  dans 
les  Comptes  rendus  de  V Académie  des  Inscriptions,  1892,  p.  34-4,  et  dans  la  Hernie  d'Assyriologie, 
t.  III,  p.   16,  18,  19),  mais  nous  ne  savons  pas  encore  à  quels  événements  Akourgal  dut  son  élévation. 

3.  Heuzey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  p.  138-139,  qui  préfère  y  reconnaître  une  forteresse  plutôt 
qu'un  palais  (cf.   Un  Palais  chaldéen,  p.  15);  en  Orient,  un  palais  est  toujours  plus  ou  moins  fortifié. 

4.  Ce  palais  a  été  découvert  par  M.  de  Sarzec,  dans  ses  premières  fouilles,  et  décrit  par  lui  en  grand 
détail  (IIeizky-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  p.  13-54);  on  trouvera  un  résumé  de  la  description  et 
un  essai  de  reconstitution  de  l'édifice  dans  Heuzey,  Un  Palais  chaldéen,  d'après  les  découvertes  de 


710  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

de  Ghirsou'   n'était  déjà  plus  entièrement  nu,  au  moment  de   la  fondation. 

"     '  — "'   -'-- : — mrat  et  tracé,  quelques  siècles 

auparavant,    des  murs   qui 
tombaient  en  ruines.  Goudéa 
ne  détruisit  point  l'œuvre  de 
son  prédécesseur  antique  : 
il  se  contenta  de  ia  noyer 
dans 
>structi< 
d  édifici 
u  pl»n  h'oh  pai.a]s  i».  LUAji*.  sans  plus  s'inquié- 

ter  d'elle  que  les 
Pharaons  ne  se  souciaient  des  monuments  qui  appar- 
tenaient à  une  dynastie  antérieure9.  Les  palais,  ainsi 
que  les  temples,  ne  posaient  jamais  directement  sur 
le  sol;  on  les  bâtissait  sans  faute  au  sommet  d'une 
butte  factice  en  briques  sèches.  A  Lagash,  le  soubas- 
sement massif  surplombe  la  plaine  de  douze  mètres, 
et  ne  communique  avec  elle  que  par  un  seul  escalier 
étroit,  raide,  aisé  à  couper  et  à  défendre*.  Le  château 
qui  surmonte  cette  motte  artificielle  dessine  une  façon  d 
rectangle   irrégulier,    long    de   cinquante-trois    mètres 
large  de  vingt  et  un,  orienté  sur  les  quatre  points  car 
naux  par  les  angles,  au  contraire  de  ce  qui  se  passe  en  WM  mum.ii 

Egypte.  Les  deux  côtés  principaux  ne  sont  point  parallèles;  "'  ™"  €l""  ' 

ils  se  renflent  un  peu  vers  le  milieu,  et  la  flexion  de  leurs  lignes  esquisse  une 

M.  de  Sancc,  Purin,  1888.  Il  fut  restauré  à  l'époque  part  ho  par  un  petit  souverain  local,  vassal  des 
rais  de  Nésène.  et  qui  s'appelait  lladadundinakhés  (IUi-iey-Sahuc,  Découverte!  en  Chaldëe.  p.  17-18,  3Ï). 

t.  Cette  identification  du  nom  de  Ghirsou  avec  le  site  sur  lequel  le  palais  de  Coudéa  n'élève  ■  été 
proposée  dès  le  début  par  Aïiaiid,  Sirpourla,  d'aprèt  Ici  interiptiam  de  la  collection  de  Sarser,  p.  8, 
et  adoptée  par  Heihet-SaiiiC,   Découverte*  en  Chaldëe,  p.  33. 

t.  Dri'în  de  r'aucher-Gudin,  d'aprèt  Hfiiiki-Sabiix,  Découvertes  en  Chaldëe,  pi.  f.î,  H'  I.  I.e  plan  est 
tracé  sur  la  tablette  que  la  Statue  E  du  Louvre  porte  sur  ses  genoux  (iUi'iky-Saiiik.  Découvertes  eu 
Chaldëe,  pi.  1G  sqq.).  En  avant  du  plan,  on  aperçoit  la  règle  divisée  dont  l'architecte  se  servait  pour 
iiicltre  ses  dessins  à  l'échelle  voulue;  le  stylet  du  scribe  est  posé  a  plat  du  crtté  gauche. 

3.  Bmuet-SjMK,  Découverte*  en  Chaldëe,  p.  13-11,  Ï9-30,  511-53  ;  Neizky,  Un  Patait  ehaldccit, 
p.  30-34.  I.e  petit  massif  carré,  marqué  /"sur  le  plan  reproduit  à  la  page  711  de  cette  Hittoire,  est 
une  du  ces  constructions  antérieures  que  Goudca  enterra  sous  les  briques  de  sa  plateforme. 

4.  Sur  le  soubassement,  voir  Hki/ey-Sabiei:,  Découverte)  en  Chaldëe,  p.  13-l.i;  dans  une  partie  du 
tell,  le  socle  construit  pour  l'édifice  d'Ourbaoïi  parait  avoir  atteint  déjà  dil  mètres  de  haut  (llmu- 
Sahzei:,  Découvertes  eu  Chaldëe,  p.  53,  note).  Il  n'est  pas  question  de  l'escalier  dans  le  récit  des 
Touilles  de  M.  de  Sarîec;   peut-être  a-t-il  été  détruit  dès  l'antiquité. 

b.  Dessin  de  l'auihtr-ùudiu,  d'après  le  fac-similé  de  Pl.uik,  Maire  et  l'Atiyrie.  pi.  7S,  n"  2. 


LE  PALAIS  DE  GOUDÊA  À  I.AGASR,  711 

silhouette  assez  semblable  à  celle  de  ces  barillets  d'argile  sur  lesquels  les 
rois  consignaient  leurs  inscriptions  dédicatoires  ou  leurs  annales'.  Il  n'y  a  là 
probablement  aucun  parti  pris  d'architecte,  mais  la  difficulté  était  grande  de 
mener  droit  d'un  bout  à  l'autre  des  murailles  aussi  étendues,  et,  Chaldéens  ou 
Égyptiens,  les  peuples  orientaux  tenaient  d'autant  moins  à  la  justesse  des 
alignements  que  les  défauts  de  ce  genre  s'effacent  presque  toujours  dans  la 


réalité  visible;  ils  ne  se  révèlent  nettement  que  sur  les  plans  dressés  et  cotés 
avec  la  rigueur  moderne*.  La  façade  se  déploie  de  l'est  au  sud,  et  se  divise  en 
trois  corps  de  dimensions  inégales.  Celui  du  centre  projette  en  son  milieu  une 
sorte  d'avancée  complètement  lisse,  saillante  d'un  mètre,  longue  de  cinq  et 
demi,  qui  masque  ingénument  l'angle  très  ouvert  sous  lequel  se  raccordent 
les  deux  parties  du  mur.  Elle  est  flanquée  à  droite  et  à  gauche  de  cannelures 

1.  C'est  l'expression  même  que  H.  de  Sarzce  emploie  (Hei;iki-S.uiec.  Découvertes  en  Chaldée.  p.  I!i), 
et  ilonl  l'exactitude  relative  frappe  dès  qu'on  jette  un  eoup  d'ici!  sur  le  plan  de  l'édifice. 

t.  Datiii  de  Fauchcr-Gndin,  d'apret  Htuitï-Stmti:,  liémMerte*  en  Cfiald/e,  plan  À. 

3.  M.  Heuicy  pense  que  le  rendement  dea  lignes  eut  •  tout  simplement  un  procédé  primitif  pour 
obtenir  une  solidité  plus  grande,  pour  donner  plus  d'assietle  1  ces  longues  façades,  posées  sur  des 
[errasses  artificiel  la*  de  briques  crues,  où  des  tassements  et  des  rrevasses  pouvaient  facilement  se 
produire  •  (HuizIt,  Un  Palaix  chatdeen,  p.  35).  Je  crois  que  l'explication  des  faits,  (elle  que  je  la 
donne  dans  le  texte,  est  plus  simple  que  celle  que  JH.  Heuzey  a  proposée  1res  ingénieusement  :  les 
maçons,  ajani  commencé   la    construction  des  murs  par  les  deux   extrémités   à  la  fois,  n'ont  pas  su 

dans  un  massif  de   briques,  dont  la  saillie  a  dissimulé  leur  maladresse. 


742  LA  CIVILISATION  CHALDÊENNE. 

rectangulaires,  analogues  à  celles  qui  sillonnent  les  forteresses  et  les  mai- 
sons privées  de  l'Ancien  Empire  Égyptien'  :  l'alternance  méthodique  des 
reliefs  et  des  creux  détermine  des  jeux  d'ombre  qui  rompent  la  monotonie 
des  parements.  Au  delà,  tes  rainures  prismatiques  cèdent  la  place  à  des  demi- 
colonnes  de  cinquante  centimètres  de  diamètre,  accolées  sans  base,  sans  cha- 
piteau, sans  corniche,  comme  autant  de  troncs  d'arbres  ou  de  pieux  plantés 
l'un  contre  l'autre  pour  former  une  palissade1.  Les  motifs  se  succèdent  ici 
selon  une  progression  voulue,  moins  amples  et  moins  espacés  à  mesure  qu'on 
s'éloigne  du  panneau  centra!  pour  se  rapprocher  des  extrémités.  Ils  s'arrêtent 
à  l'angle  sud,  et  les  deux  fronts  qui  se  développent  du  sud  à  l'ouest,  puis 
de  l'ouest  au  nord,  ne  constituent  que  des  surfaces  plates  et  froides,   sans 


ressauts  ni  rentrants,  sans  aucun  effet  de  lumière  qui  en  dissimule  la  mai- 
greur et  la  banalité.  Ils  reparaissent  sur  le  côté  nord-ouest,  où  l'on  retrouve 
en  partie  les  dispositions  de  la  façade.  Les  compartiments  de  rayures  commen- 
cent aux  angles  mêmes  et  les  demi-colonnes  manquent,  ou  plutôt  elles  se 
reportent  sur  le  saillant  du  milieu  et  simulent  de  loin  un  buffet  d'orgues 
gigantesque*.  Cet  ensemble  lourd  et  trapu  de  bâtiments,  qu'on  apercevait  for- 
cément de  tous  les  points  de  la  ville,  conservait-il  les  tons  mornes  et  ternes 
de  la  brique?  On  ne  saurait  guère  en  douter,  mais  ailleurs  on  avait  essayé 
d'atténuer  par  des  crépis  de  couleurs  la  tristesse  des  masses  architecturales. 
A  Ourouk,  des  cônes  en  terre  cuite,  engagés  jusqu'à  la  tète  dans  un  enduit 
solide  et  teintés  jaune,  rouge  ou  noir,  dessinaient  sur  les  murailles  du  palais 
des  chevrons,  des  spirales,  des  losanges,  des  triangles  entrelacés  ou  juxtaposés 
tant  bien  que  mal  :  cette  mosaïque  d'argile  peinte  habillait  toutes  les  sur- 

t.  Cf.  p.  SIC,  ISO  de  celte  Histoire  ce  qui  est  dit  des  maisons  et  des  forteresses  égj plie n nos. 

ï.  L'origine  de  ce  Heure  de  décoration  a  été  signalée  dès  le  début  par  Loms,  TraveUt  and  Hetearche» 
in  C.haldira  and  Suiiana,  p.  1"!i.  puis  par  Plice,  Native  et  CAmyrie,  t.  Il,  p.  WI-5Ï.  L'en-léle  du  pré- 
sent chapitre  (cf.  p.  703  de  celte  Histoire)  donne,  d'après  l'ouvrage  de  Loftus,  «n  bon  eiemple  de 
l'aspect  qu'avaient  a  Ourouk  les  édiliecs  décorée  de  la  sorte. 

3.  Deiêiu  de  Faucher-Gttdin,  d'après  le  croi/ui»  de  Louis,  Travelt  and  Heicarcltet  in  C/taidra 
and  Suiiana.  p.  18$. 

i.  La  description  des  façades,  d'après  lin  (SV-S.imf.c.  Découverte»  en  Chaldée,  p.  li-P  ;  rf.  Pehuoi- 
CmnE(,  lliitoire  de  l'Art  dam  [Antiquité,  1.  tl,  p.  ÏSÏ-2(i3,  et  Hsr.iF.i,  Un  Palaii  chatdéen.  p.  ii  «, 


LES  FAÇADES,   LA  ZMCiOURAT  DU  PALAIS.  7*3 

faces  courbes  ou  plates  et  leur  prêtait  un  air  de  gaieté  que  le  monument  de 
Lagash  était  loin  de  posséder1. 

Une  auge,  étroite  et  longue,  en  calcaire  jaunâtre,  se  dressait  devant  le  palais, 
sur  un  socle  de  deu\  marches  :  des  figures  de  femme  d'un  travail  assez  fin  s'en- 
lèvent en  relief  sur  les  faces  extérieures,  debout,  les  mains  tendues,  et  se  pas- 


sent des  vases  d'où  deux  filets  d'eau  s'échappent  à  gros  bouillons*.  C'est  un 
réservoir  qu'on  remplissait  chaque  matin  à  l'usage  des  hommes  et  des  ani- 
maux; ceux  qu'une  affaire  ou  un  ordre  attirait  là-haut  s'y  rafraîchissaient  en 
attendant  d'être  reçus  par  le  maître*.  Les  portes  par  lesquelles  on  accède  à 
l'intérieur  sont   percées   assez  irrégulièrement  :  deux  s'ouvrent  sur  le  front 

I.  La  décoration  du  palais  d'Ourouk,  découverte  et  décrite  par  Lorrvs,  Traveti  and  tteicatxhes  in 
Clialdsea  and  Sutiauu,  p.  188-189,  se  retrouvait  dan»  un  certain  nombre  des  palais  chaldécns  de 
très  ancienne  date,  s'il  faut  on  juger  par  la  quantité  de  cônes  en  terre  colorés  qu'on  a  trouvée  dans 
les  ruines  d'Anou-Shaliréln  (Tiïum,  Noie»  oh  Abu-Shehrcin  end  Tet-cl-Lakm,  dans  le  Journal  of  the 
Royal  Atiatie  Society,  I.  XV,  p.  411)  et  de  diverses  autres  cités;  cf.  PtFnuii-CmpiKi,  Biliaire  de  l'Art 
daiiti ':  Antiquité,  t.  II.  p.  i'J3-«M.  M.  de  Sarrec  déclare  n'avoir  observé,  dans  les  ruines  de  Telloh,  sur 
les  parois  extérieures  du  mur  d'enceinte,  aucune  trace  de  revêtement  de  ce  genre,  de  crépi  ou  de 
peinture  lllmiti,  Un  Valait  ehaléétti,  p.  17-îll). 

t.  Dénia  de  Faueher-liadia.  itapri-s  llfim:ï-Siuin:,  l)t'rtiitccrtrs.rn  C.haldéc.  }>l.  $0,  ir  1. 

3.  four  l'explication  probable  de  ces  figures  de  femme,  du  vase  qu'elles  se  passent  de  main  en 
main  et  du  double  jet  d'eau  qui  a' an  édiappc,  cf  l'ingénieux  mémoire  de  Itnutr,  le  Battin  sculpté  cl 
le  Symbole  du  vote  jailtiutaut,  dans  les  Origine»  orientale*  de  l'Art,  t.  I,  p.  119-171. 

i.  IlEUisï-SmiEc,  Découverte!  en  Clialdér.  p.  16;  lUuiv,  Un  Palais  chaldèen,  p.  5'J  sqn. 


714  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

principal,  les  autres  façades  n'en  ont  qu'une  seule.  Elles  sont  cintrées,  basses, 
et  semblent  ne  s'entre-bâiller  qu'à  regret;  on  les  fermait  de  battants  en  bois 
de  cèdre  ou  de  cyprès,  garnis  de  pentures  en  bronze,  et  leurs  pivots  roulaient 
sur  deux  galets,  encastrés  solidement  à  droite  et  à  gauche,  gravés  d'ordinaire 
au  nom  du  fondateur  ou  du  souverain  régnant.  Deux  d'entre  elles  sont  accom- 
pagnées d'une  sorte  de  réduit  en  boyau,  où  les  soldats  du  guet  extérieur 
s'abritaient,  le  jour  contre  les  ardeurs  du  soleil,  la  nuit  contre  le  froid  et  contre 
les  rosées  de  l'aube1.  Le  seuil  franchi,  on  filait  à  travers  un  couloir  flanqué 
de  deux  petites  pièces,  où  se  tenaient  les  portiers  et  les  hommes  de  la  garde 
intérieure,  puis  on  débouchait  sur  une  cour  entourée  de  bâtiments,  dont  l'en- 
semble couvrait  la  moitié  au  moins  de  l'espace  compris  entre  les  murs.  C'était 
encore  un  endroit  à  demi  public,  et  les  fournisseurs,  les  marchands,  les  sup- 
pliants, les  fonctionnaires  de  tout  grade  y  entraient  sans  trop  de  difficultés. 
Une  enfilade  de  trois  chambres  reléguées  dans  l'angle  nord-ouest  tenait  lieu 
d'entrepôt  et  d'arsenal.  Le  corps  sud  était  occupé  par  des  salles  d'apparat  dont 
la  plus  vaste  mesure  au  moins  douze  mètres  :  Goudéa  et  ses  successeurs  y 
donnaient  audience  à  leurs  nobles  et  y  rendaient  la  justice.  Les  services  géné- 
raux de  l'administration  et  le  personnel  chargé  d'y  pourvoir  logeaient  pro- 
bablement dans  le  reste  des  bâtiments.  La  toiture  était  plate  et  courait  tout 
autour  du  mur  d'enceinte,  comme  une  courtine  où  l'on  montait  par  un  escalier 
ménagé  entre  la  porte  principale  et  les  magasins*.  Une  ziggourat  s'élevait  à 
l'angle  nord.  La  coutume  exigeait  que  le  souverain  possédât  dans  sa  demeure 
un  temple,  où  il  pût  pratiquer  ses  devoirs  religieux,  sans  descendre  dans  la 
ville  ni  se  mêler  à  la  foule.  A  Lagash,  la  tour  sacrée  était  antérieure  au  palais 
et  remontait  peut-être  jusqu'au  vieil  Ourbaou.  Elle  se  composait  à  l'origine  de 
trois  étages,  mais  le  premier  fut  remanié  par  Goudéa  et  disparut  tout  entier 
dans  l'épaisseur  du  soubassement.  Le  second,  devenu  le  premier  de  la  sorte, 
s'élargit,  s'exhaussa  légèrement  au-dessus  des  toits  voisins  :  une  chapelle 
dédiée  probablement  à  Ninghirsou  terminait  l'édifice.  C'était  en  vérité  un 
monument  de  proportions  médiocres,  et  la  plupart  des  temples  réels  le  domi- 
naient sans  doute  de  leur  tête  ;  mais,  si  modeste  qu'il  fût,  on  apercevait  du 
sommet  la  ville  entière  avec  ses  quartiers  épars  et  sa  ceinture  de  jardins,  la 

1.  Helzey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  p.  18-19;  Hkizkv,  Un  Palais  chaldéen,  p.  26-27.  Le  plus 
important  de  ces  réduits  est  marqué  d  sur  le  plan  reproduit  à  la  p.  711  de  cette  Histoire. 

2.  Toute  cette  partie  demi-publique  du  palais  est  décrite  longuement  dans  Helzey-Sar/.kc,  Décou- 
vertes en  Chaldée,  p.  30  sqq.  La  suite  des  fouilles  modifiera  sans  doute  quelques-unes  des  attributions 
de  détail  proposées;  il  est  probable  toutefois  que  nous  connaissons  dès  à  présent  la  disposition  géné- 
rale des  grandes  divisions  de  l'édifice  et  les  emplois  auxquels  chacune  d'elles  était  affectée. 


LES  APPARTEMENTS  RESERVES  DU  PALAIS.  715 

campagne  entrecoupée  de  rigoles,  semée  de  bourgs  isolés  et  de  bois  légers,  les 
(laques  et  les  marais  herbeux  que  l'inondation  laisse  en  se  retirant,  puis  aux 
derniers  plans  les  rangées  de  buissons  et  d'arbres  qui  encadrent  les  berges 
de  l'Euphrate  et  des  canaux.  Qu'une  troupe  ennemie  se  hasardât  à  l'horizon, 
ou  qu'un  tumulte  suspect  éclatât  dans  la  cité,  les  veilleurs  postés  sur  la  der- 
nière plate-forme  donnaient  aussitôt  l'alarme;  le  souverain  averti  par  eux 
avait  le  temps  de  fermer  ses  portes,  et  de  prendre 
mesures  pour  résister  à  l'invasion  étrangère  ou  pou 
écraser  les  révoltes  de  ses  sujets1, 

Les  régions  septentrionales  du  palais  apparte- 
naient à  Goudéa  et  à  sa  famille.  Elles  tournent  le 
dos  à  la  cour  d'honneur  et  se  divisent  en  deux 
corps  ;  le  prince,  ses  enfants  mâles  et  leurs  ser- 
viteurs habitent  celui  de  l'ouest,  tandis  que  les 
femmes  et  leurs  esclaves  sont  comme  cloîtrées  dans 
celui  du  nord.  Le  logis  royal  communiquait  avec 
le  dehors  par  un  passage  mené  dans  le  front 
nord-ouest  de  l'enceinte,  avec  la  grande  cour  par 
un  corridor  voûté  qui  côtoyait  un  des  pieds  de  la 
ziggourat  :   les  portes  qui   en  garnissaient  les  deux 

extrémités  s'entrouvraient  juste  assez  large  pour  admettre  gaut  de  l'obi  »h  nam 
une  seule  personne  à  la  fois,  et  des  niches,  creusées  à 
droite  et  à  gauche  dans  la  muraille,  permettaient  aux  gardiens  de  dévisager 
les  arrivants  sans  qu'ils  s'en  doutassent,  et  de  les  empoigner  à  Pimproviste 
si  l'on  observait  quelque  chose  de  suspect  dans  leurs  allures.  Huit  salles  pren- 
nent jour  sur  la  cour.  On  empilait  dans  l'une  les  provisions  du  jour,  l'autre 
servait  de  cuisine  :  le  maître  queux  opérait  sur  une  sorte  de  banquette  rectan- 
gulaire de  dimensions  moyennes,  où  de  petits  murs  de  briques  cuites  déli- 
mitaient plusieurs  foyers  pour  autant  de  marmites  et  de  plats  divers;  un  puits, 
foré  dans  un  coin  à  travers  le  soubassement  et  plus  bas,  fournissait  l'eau 
nécessaire  à  la  préparation  des  mets.  Le  prince  et  les  siens  s'accommodaient 
comme  ils  pouvaient  des  cinq  ou  six  chambres  qui  restent3,  l'n  couloir  aussi 
bien  défendu  que  le  premier  conduisait  de  ses  appartements  à  ceux  de  ses 

1.  Heliirï-Saiiiec,  Wcouvertei  en  Chaldée,  p.  Sfi-30;  Heiuet,  Un  Patnit  ckaldéen.  p.  34-34. 
ï.   ifefniM  lie  Faucher-Gudin,  daprei  IIeuieï-Suiec,  Mcauverte*  en  Chaldée,  pi.  97.  n-  t. 
3.  Voir  la  description  complète  de  In  partie  du  palais  réservée  aux  hommes  et  don  chambres  doiit 
clic  se  compose,  dans  Nu'IKI-Sariec,  DScourerltt  en  Chaldée,  p.  U-IG. 


716  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

femmes  :  un  préau,  une  demi-douzaine  de  cellules  inégales,  une  cuisine,  un 
puits,  une  porte  par  laquelle  la  domesticité  entrait  ou  sortait  sans  être  obligée 
de  traverser  le  logis  des  hommes1.  Cet  ensemble  ne  répond  guère  à  l'idée 
merveilleuse  qu'on  se  forge  d'un  palais  oriental  :  les  pièces  sont  mesquines, 
sombres,  éclairées  à  peine  par  la  porte  ou  par  quelque  lucarne  taillée  chiche- 
ment dans  le  plafond,  aménagées  de  manière  à  protéger  les  habitants  contre 
la  chaleur  et  la  poussière,  mais  sans  souci  du  luxe  et  de  l'apparat.  On  n'y 
voyait  sur  les  murailles  ni  boiseries  de  cèdre  lamées  d'or,  ni  panneaux  de 
mosaïque  comme  dans  les  temples,  ni  même  ces  draperies  d'étoffes  brodées 
ou  teintes  que  les  modernes  imaginent  volontiers  et  qu'ils  prodiguent  à  l'envi, 
lorsqu'ils  essayent  de  restituer  l'intérieur  d'un  palais  ou  d'une  maison 
antique*.  Les  parois  devaient  rester  nues  pour  demeurer  fraîches  :  tout  au 
plus  se  bornait-on  à  les  enduire  d'un  crépi  blanc,  sur  lequel  on  retraçait,  aux 
deux  ou  trois  couleurs,  des  scènes  de  la  vie  religieuse  ou  civile,  des  bandes 
de  monstres  fantastiques  en  lutte  les  uns  contre  les  autres,  des  hommes  avec 
un  oiseau  sur  le  poing8.  Le  mobilier  n'était  pas  moins  sommaire  que  le 
décor,  des  nattes  par  terre,  des  coffres  pour  serrer  le  linge  et  les  habits, 
des  lits  bas,  incrustés  d'ivoire  et  de  métal,  munis  de  leurs  couvertures  et  de 
leurs  matelas  minces,  puis  des  selles  en  cuivre  ou  en  bois  pour  soutenir  des 
lampes  ou  des  vases,  des  tabourets  carrés  à  quatre  montants  réunis  par  des 
traverses,  des  fauteuils  à  pieds  de  lion  dont  le  galbe  ressemble  à  celui  des 
fauteuils  égyptiens*  :  étaient-ils  apportés  en  Chaldée  par  les  caravanes,  ou  les 
fabriquait-on  sur  des  modèles  venus  de  l'étranger?  Quelques  rares  objets 
présentaient  un  caractère  artistique  et  témoignaient  d'un  certain  goût  d'élé- 

1.  Heuzey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  p.  22-24. 

2.  M.  de  Sarzec  déclare  expressément  qu'il  n'a  rencontré  nulle  part,  dans  le  palais  de  Goudéa,  •  la 
moindre  trace  soit  d'un  enduit,  soit  d'un  revêtement  coloré,  soit  d'une  décoration  de  briques  vernis- 
sées. Les  murs  paraissent  avoir  présenté  des  surfaces  nues,  sans  autre  agrément  que  l'alternance 
régulière  de  leurs  assises  et  de  leurs  joints  »  (Heizey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  p.  20).  Les 
boiseries  étaient  réservées  d'ordinaire  aux  temples  et  aux  édicules  sacrés  :  c'est  dans  les  débris  d'une 
chapelle  de  Ninghirsou  que  M.  de  Sarzec  a  trouve  des  restes  de  panneaux  en  bois  de  cèdre  carbonisé 
(Hkuzey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  p.  65,  note,  et  Un  Palais  chaldéen,  p.  53).  Les  tapisseries 
qui  auraient  recouvert  les  murs  auraient  été,  d'après  M.  Heizey^w  Palais  chaldéen,  p.  18-20),  décorées 
de  dessins  géométriques  analogues  à  ceux  que  les  cônes  de  .terre  cuite  dessinent  sur  les  murs  du 
palais  d'Ourouk;  les  inscriptions,  qui  sont  pourtant  remplies  de  détails  minutieux  sur  la  construction 
et  l'ornementation  des  temples  et  des  palais,  ne  renferment,  jusqu'à  présent,  aucune  mention  qui 
permette  d'établir  l'emploi  des  tapisseries  comme  décoration  murale  en  Chaldée  ou  en  Assyrie. 

3.  C'était  le  cas  dans  le  palais  d'Éridou,  fouillé  par  Taylor,  Notes  on  Abu-Shahrein  and  Tel-el-Lahm% 
dans  le  J.  R.  As.  S.,  t.  XV,  p.  408,  -410;  cf.  Perrot-Chipiez,  Histoire  de  l'Art,  t.  Il,  p.  449. 

4.  Quelques  débris  de  coussins  en  tapisserie  ont  été  retrouvés  dans  les  tombes  de  Moughéîr  (Taylor, 
Notes  on  the  Ruins  of  Muqeyer,  dans  le  /.  As.  Soc,  t.  XV,  p.  271).  Les  autres  objets  mobiliers,  sièges, 
tabourets,  coffres  à  linge,  sont  figurés  sur  les  cylindres.  L'exemple  le  plus  marqué  d'un  fauteuil  de 
style  égyptien  nous  est  fourni  par  le  cylindre  d'Ourbaou,  roi  d'Ourou  (J.  Menant,  Recherches  sur  la 
Glyptique  orientale,  t.  I,  pi.  IV,  2),  sur  l'antiquité  duquel  quelques  doutes  se  sont  élevés  (Mf.naist, 
le  Cylindre  de  Urkham  au  Musée  Britannique,  extrait  de  la  Revue  Archéologique,  p.  14  sqq.). 


LE  MOBILIER,  LA  DÉCORATION  DU  PALAIS.  717 

gance  et  de  raffinement  ;  ainsi,  une  aorte  d'augette  circulaire  on  pierre  noire 
qu'on  utilisait  probablement  à  supporter  un  vase.  Trois  zones  d  écailles  imbri- 
quées en  enveloppent  la  base,  et  sept  figurines  d'hommes  accroupis  s'ados- 
sent au  rebord  avec  un  air  de  satisfaction  assez  spirituellement  rendu.  Dans 
les  salles  les  plus  grandes,  qui  étaient  destinées  aux  réceptions  publiques  et 
aux  cérémonies  officielles,  la   décoration,  sans  jamais  assumer  le  caractère 
monumental  qu'on  observe  en  Egypte  aux  mêmes  époques,  admettait  plus  de 
richesse  et   plus  de   variété  que   dans   les  parties   réservées  à  l'habitation. 
De   petits    tableaux    en    cal'*""™" 
brunâtre,  encadrés  dans  la  i 
raille  ou  fixés  aux   parois   p 
des  chevilles  en  terre  cuite 
décorées     d'inscriptions  ' , 
représentaient     de     façon 
plus    ou    moins    naïve    le 
souverain  officiant  devant 

une  divinité',    tandis  que  tumn  a  pidme  mmi  au  fm.ui  di  t-luk*. 

ses  enfants  et  ses  servi- 
teurs l'accompagnaient  de  leurs  chants.  Des  briques,  recouvertes  de  légendes 
qui  célébraient  ses  exploits,  s'étalaient  ça  et  là  en  bonne  vue.  On  ne  les  noyait 
pas  comme  les  autres  entre  deux  lits  de  bitume  ou  de  chaux,  mais  on  les 
exposait  bien  en  évidence  sur  des  statuettes  en  bronze  de  divinités  ou  de 
prêtres,  enfoncées  dans  le  sol  ou  dans  la  maçonnerie  :  c'étaient  des  clous 
magiques  destinés  à  les  garantir  de  la  destruction,  et,  par  suite,  à  conserver 
saine  et  sauve  la  mémoire  du  dédicateur.  Des  stèles  gravées  aux  deux  faces 
rappelaient  les  guerres  du  temps  passé,  le  champ  de  bataille  et  les  scènes 
d'horreur  qui  s'y  déroulaient,  le  retour  du  vainqueur  et  son  triomphe*.  Des 
statues  assises,  debout,  en  diorite,  en  grès  siliceux,  en  calcaire  dur,  la  robe 
et  les  épaules  chargées  d'écriture,  perpétuaient  les  traits  du  fondateur  ou 
des  membres  de  sa  famille  et  commémoraient  les  donations  pieuses  qui  lui 


loHiirhru  (iriiber  in  Surijliut  und  Ei-Hibba,  dai 
Une  cheville  de  ce  ("enre,  provenant  des  fouilles 
m  Chaldée,  pi.  38),  est  reproduite  comme  cul-i 
t.  Heliici-Sahiec,  Découvertes en  t'.haldée,  p.  Iti' 
découvert'  par  M.  de  Snnec,  dans  le*  Complet  rendu»  île  V Académie  des  Inscriptions  et  Beltcj-Leltres. 
I8M,  p.  341-31*.  316.  347  :  deux  de  ces  lableaux  sont  reproduils  p.  608.  71V7  de  celle  Histoire. 

3.  Destin  de  Faucher-Gudiu,  d'après  HrxiKi-SHuKr.,  Découvertes  en  fÛiildéf,  ïil.-il,  n-3,  et  p.  161-lfi* 

4.  Ainsi  la  stèle  du  roi  Idingbiranaghin,  dite  Stèle  des  Vautours  :  et.  p.  6II6-IH18  de  cette  llùtoire. 


n  chevilles. 

croit  y  reconnaître.  Ci 

smin 

e  Tajlor,  une 

rs  sont  radiée 

■e  avec  elles  (II.  Km  ni; 

WKÏ. 

Die  Atlbabu- 

is  la  Zeitschrifl  fur  Assyriologic, 

t.  Il, 

p.  416-41'). 

de  M.  de  Sa 

rzecà  Telloh  (Hkiikv-S 

,  Découvertes 

le-lampe  à   1 

a  p.  "Ri  de  cette  llisl 

i-173;  IlutiKi 

.  Somemu:  Monument- 

,du 

roi  Our-nina, 

718  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

avaient  valu  la  faveur  des  dieux  :  le  palais  de  Lagash  en  contenait  des  dizaines, 
dont  plusieurs  nous  sont  parvenues  presque  intactes,  une  du  vieil  Ourbaou, 
et  neuf  de  Goudéa1. 

A  en  juger  l'espace  bâti  et  le  nombre  ou  la  distribution  des  chambres, 
les  vicaires  de  Lagash  et  les  chefs  des  autres  villes  secondaires  se  contentaient 
à  l'ordinaire  d'une  domesticité  assez  restreinte;  leur  cour  ressemblait  pro- 
bablement à  celle  des  barons  égyptiens  qui  vivaient  à  peu  près  vers  le  même 
temps,  Khnoumhotpou  de  la  Gazelle  ou  Thothotpou  d'Hermopolis*.  Dans  les 
grandes  cités  telles  que  Babylone,  les  palais  occupaient  une  aire  beaucoup 
plus  vaste,  et  l'armée  des  courtisans  ne  devait  le  céder  en  rien  à  celle  qui  se 
pressait  autour  des  Pharaons.  Nous  n'en  possédons  plus  le  dénombrement 
exact,  mais  les  titres  que  nous  en  avons  montrent  avec  quelle  minutie 
on  définissait  les  offices  qui  touchaient  à  la  personne  du  souverain'.  Son 
costume  seul  exigeait  presque  autant  d'employés  qu'il  comptait  de  pièces.  Les 
hommes  s'habillaient  du  pagne  léger  ou  de  la  tunique  à  manches  courtes 
qui  ne  descendait  guère  au-dessous  du  genou;  comme  les  Egyptiens,  ils 
jetaient,  par-dessus  le  pagne  ou  la  tunique,  une  vaste  abaye  dont  la  coupe 
et  la  matière  variaient  au  caprice  de  la  mode.  Ils  choisissaient  souvent  pour 
cet  usage  une  sorte  de  châle  uni,  mais  frangé  ou  garni  d'un  liséré  plat, 
souvent  aussi  ils  le  préféraient  côtelé  ou  plissé  artificiellement  dans  le  sens 
de  la  longueur4.  Toutefois  l'étoffe  favorite  aux  temps  anciens  était  une  toile 
ou  un  lainage  poilu  et  floconneux,  dont  les  mèches  tantôt  droites,  tantôt 
ondulées  et  tordues,  mais  serrées  en  rangs  épais,  s'étageaient  par  couches 
régulières  semblables  à  des  volants  superposés5.  On  pouvait  l'adapter  carré- 

1.  Heuzey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  p.  77  sqq.,  où  la  description  de  ces  monuments  est  donnée 
tout  au  long  :  voir  les  statues  de  Goudéa  aux  p.  611,  613  de  cette  Histoire. 

2.  Cf.  les  p.  523-526  de  cette  Hittoire  pour  ces  deux  personnages  en  particulier,  et  les  p.  295-301 
pour  ce  qui  est  de  la  condition  générale  des  barons  égyptiens. 

3.  Le  seul  document  qui  pourrait  nous  fournir  sur  la  hiérarchie  des  fonctions  chaldéennes  les 
renseignements  analogues  a  ceux  que  le  Papyrus  Hood  nous  fournit  sur  la  hiérarchie  égyptienne 
(cf.  p.  277,  note  4  de  cette  Histoire)  est  la  liste  publiée  dans  Rawlinsox,  Cuti.  Ins.  W.  As.,  t.  II, 
p.  31,  n°  5,  interprétée  par  Fr.  Delitzsch,  Assyrische  Studien,  t.  I,  p.  128-135,  et  par  Oppert-Mknaîst, 
Documents  juridiques  de  V Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  71-78,  avec  beaucoup  de  lacunes  et  d'incerti- 
tudes. Elle  a  été  écrite  sous  les  Sargonides,  mais  l'orthographe  des  noms  qu'elle  contient  indique  une 
origine  chaldéenne  :  une  partie  des  charges  civiles  et  religieuses  qu'on  rencontrait  à  la  cour  des  rois 
d'Assyrie  n'étaient  que  la  reproduction  des  charges  similaires  qui  existaient  à  celle  de  Babylone. 

4.  Le  costume  relativement  moderne  a  été  décrit  par  Hérodote,  I,  cuv;  l'ancien  lui  était  presque 
identique,  comme  le  prouvent  les  représentations  des  cylindres  et  les  monuments  de  Telloh.  La 
tunique  à  manches  courtes  y  est  plus  rarement  représentée,  et  le  pagne  est  caché  d'ordinaire  par  l'abaye 
chez  les  nobles  et  les  rois.  On  voit  les  princes  de  Lagash  revêtus  du  pagne  simple,  sur  les  monuments 
d'Our-ninâ  par  exemple  (Hei'zey-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldée,  pi.  2,  n*  1-2,  et  Heczey,  Nouveaux 
Monuments  du  roi  Our-nina,  dans  les  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres, 
1892,  p.  342,  343,  34-4).  Sur  l'abaye  égyptienne  et  la  façon  de  la  figurer,  cf.  p.  55-57  de  cette  Histoire. 

5.  C'est,  comme  M.  Hcuzey  l'a  montré  très  ingénieusement  (les  Origines  orienta/es  de  VArt,  t.  I. 
p.  120-136).  l'étoffe  à  laquelle  les  Grecs  donnèrent  plus  tard  le  nom  de  kaunahês. 


LE  COSTUME  DES  HOMMES  ET  DES  FEMMES.  719 

ment  au  cou  comme  un  manteau,  mais  le  plus  souvent  on  la  drapait  en 
travers  sur  l'épaule  gauche,  puis  on  la  ramenait  sous  l'aisselle  droite,  de 
manière  qu'elle  laissait  le  haut  de  la  poitrine  et  le  bras  nus  de  ce  côté.  Elle 
faisait,  somme  toute,  un  vêtement  commode  et  sain,  excellent  l'été  contre  le 
soleil,  l'hiver  contre  les  bises  glacées  du  nord1.  Des  sandales  aux  pieds,  sur 
la  tête  une  calotte  collante  autour  de  laquelle  on  enroulait  un  linge,  de  façon 
à  simuler  un  turban  rudimentaire,  complétaient  cet  équipement1.  Se  gar- 
nissait-on, comme  en  Egypte,  de  perruques  et  de  barbes  postiches?  Certains 
monuments  nous  montrent  des  faces  glabres  et  des  crânes  rasés  de  près  ;  sur 
d'autres,  les  hommes  ont  la  chevelure  flottante  ou  ramassée  en  chignon  à 
la  nuque3.  Autant  les  peuples  du  Nil  aimaient  la  toile  blanche  et  légère,  plis- 
sée  ou  gaufrée  à  peine,  autant  ceux  de  l'Euphrate  paraissent  avoir  recherché 
les  tissus  lourds  et  bariolés  d'ornements  multicolores.  Les  rois  se  costumaient 
comme  leurs  sujets,  mais  d'étoffes  plus  riches  et  plus  fines,  teintes  en  rouge 
ou  en  bleu,  décorées  de  fleurs,  d'animaux  ou  de  dessins  géométriques*;  une 
haute  tiare  en  forme  de  tour  leur  couvrait  le  front5,  ou  le  diadème  de  Sin 
et  des  autres  dieux,  la  mitre  conique  armée  d'une  double  paire  de  cornes, 
surmontée  quelquefois  d'une  sorte  de  diadème  de  plumes  et  de  figures  mys- 
tiques, brodées  ou  peintes  sur  la  coiffe6.  Ils  paraient  leurs  bras  d'anneaux 
massifs  et  leurs  doigts  de  bagues  ;  ils  portaient  un  collier,  des  boucles 
d'oreilles,  un  poignard  passé  à  la  ceinture7.  Garde-robe,  bijoux,  armes,  insi- 
gnes royaux,  c'étaient  autant   de  provinces  distinctes  dont  chacune  se  sub- 

1.  Une  des  manières  de  porter  l'abaye  se  voit  sur  la  vignette  insérée,  en  guise  de  lettrine,  au  com- 
mencement du  chapitre  VIII,  à  la  p.  621  de  cette  Histoire. 

2.  Cf.  la  tête  provenant  d'une  des  statues  de  Tell  oh,  et  qui  est  reproduite  à  la  p.  613  de  cette  His- 
toire. On  remarque  la  même  coiffure  sur  un  certain  nombre  d'intailles  ou  de  monuments,  ainsi  sur  la 
plaquette  en  terre  cuite  insérée  à  la  p.  769  de  cette  Histoire,  et  qui  représente  un  bouvier  en 
lutte  avec  un  lion.  11  faut  jusqu'à  nouvel  ordre  éviter  de  dire,  comme  le  faisait  G.  Rawlinson,  The 
Five  Great  Monarchies,  2*  édit.,  t.  1,  p.  105,  que  ce  bandeau  formant  turban  était  en  poil  de  cha- 
meau :  la  date  de  l'introduction  du  chameau  en  Chaldéc  reste  encore  inconnue. 

3.  Les  personnages  ont  la  tête  nue  et  le  menton  ras,  par  exemple  sur  les  deux  bas-reliefs  figurés 
aux  pages  608  et  707  de  cette  Histoire;  cf.  les  têtes  reproduites  en  cul-de-lampe  aux  p.  536,  622.  Le 
chignon  est  fort  reconnaissable  sur  la  nuque  du  personnage  central,  dans  la  vignette  reproduite  à  la 
p.  743  de  cette  Histoire.  Sur  les  perruques  égyptiennes,  voir  p.  54  de  cette  Histoire. 

4.  Les  détails  de  couleur  et  d'ornementation  que  les  monuments  chaldéens  nous  refusent  nous  sont 
fournis  par  le  tableau  de  Beni-Hassan,  qui  représente  l'arrivée  en  Egypte  d'une  bande  d'Asiatiques 
(cf.  p.  468-469  de  cette  Histoire),  et  qui  est  antérieur  d'assez  peu  au  règne  de  Goudéa,  à  Lagash. 
La  ressemblance  des  étoffes  dont  ces  gens  sont  revêtus  avec  le  costume  chaldéen,  et  l'identité  des 
dessins  avec  le  décor  géométrique  en  cônes  peints  du  palais  d'Ourouk  (cf.  p.  712  de  cette  Histoire)  ont 
été  indiquées  fort  justement  par  H.  G.  Tomkins,  Studies  on  the  Times  of  Abratuxm,  p.  1  11  sqq.,  et  I1ei> 
zey,  les  Origines  orientales  de  l'Art,  t.  I,  p.  27-28  (cf.  Heuzey-Sarzec,  Découvertes  en  C  ha  Idée,  p.  82). 

5.  La  haute  tiare  est  représentée  entre  autres  sur  la  tête  de  Mardouknàdinakhé,  roi  de  Babylone;  à 
propos  de  la  mitre  conique,  coiffure  de  Sin,  cf.  ce  qui  est  dit  p.  545,  655  de  cette  Histoire. 

6.  Ainsi  la  divinité  protectrice  d'idinghiranaghin  sur  l'un  des  fragments  de  la  Stèle  des  Vautours 
(Heczey-Sarzec,  Fouilles  en  Chaldée,  pi.  4,  n^B-C;  IIeuzey,  les  Origines  orientales  de  l'Art,  p.  71-72); 
cf.  p.  606  de  cette  Histoire. 

7.  G.  Rawlinmx,  The  Five  Great  Monarchies,  2"'  edit.,  I.  I,  p.  98-99,  106-107. 


720  LA  CIVILISATION  CHALDÊENNE. 

divisiiit  en  départements  moindres  pour  la  lingerie,  pour  la  blanchisserie,  pour 
tel  ou  lel  genre  de  coiffure  ou  de  sceptre.  La  toilette  des  femmes  n'exigeait 
pas  moins  de  personne!  ;  elle  s'approchait  d'ailleurs  singulièrement  à  celle  des 
hommes.  Comme  les  serviteurs  mâles,  les  servantes  allaient  le  buste  à  l'air,  du 
moins  dans  la  maison.  Au  dehors,  c'était  la  même  tunique  ou  le  même  pagne, 
maïs  plus  long  et  tournant  au  jupon  ;  c'était  la  même  abave 
serrée  aux  épaules  ou  enroulée  autour  du  corps  en  guise  de 
i      manteau,  mais  descendant  presque  à  terre;  on  lui  substituait 
H      souvent  une  robe  véritable,  ajustée  à  la  taille  par  une  cein- 
ture et  coupée  dans  la  même  étoffe  velue  qui  fournissait  les 
abayes'.  Les  bottines  étaient  en  cuir  souple,  lacées  et  sans  talon, 
les  bijoux  plus  nombreux  que  ceux  des  hommes,  colliers,  bra- 
elets,  anneaux  de  pied,  bagues,  boucles  d'oreille;  les  cheveux, 
séparés  en  bandeaux   et   maintenus   sur  le  front  par  un  ruban, 
tombaient  en  grosses  nattes  courtes  ou  se  relevaient  en  catogan 
derrière  la  nuque1.  Beaucoup  de  charges  étaient  aux  mains  d'es- 
claves étrangères  ou  indigènes,  mais  commandées  le  plus  sou- 
vent par  des  eunuques,  et  des  eunuques  vaquaient,  auprès  du 
souverain  et  des  princes  royaux,  à  la  plupart  des  devoirs  de  la 
vie  domestique;   ils   gardaient  les  chambres  à   coucher,  ils  les 
rangeaient,  ils  éventaient  ou  émouchaient  le  maître,  ils  lui  ser- 
vaient à  boire  et  à  manger.  L'Egypte  ou  ne  les  connaissait  pas 
ïu  ne  les  estimait  guère  :  elle  évita  d'en  user,  même  au  temps 
iuv.uitr,         où  elle  était  en  rapports  journaliers  avec  l'Asie  et  où  elle  aurait 

pu  s'en  approvisionner  sur  les  marchés  de  Babylone. 
Chefs  de  la  garde-robe,  chambellans,  échansons,  porteurs  du  poignard 
royal  ou  du  chasse-mouches,  commandants  des  eunuques  ou  de  la  garde, 
leurs  fonctions,  en  les  attachant  de  près  à  la  personne  du  souverain,  leur  four- 
nissaient l'occasion  journalière  de  gagner  de  l'influence  sur  son  esprit  et  sur 
la  direction  de  son  gouvernement  :  il  élisait  souvent  parmi  eux  ses  géné- 
raux d'armée  et  les  administrateurs  de  ses  domaines*.   Ici  encore,   ce  que 


1.  Il  «rit 

,  tea  Origine»  orienlalen  de  l'Art,  l. 

p.  145  nqq. 

3.  Voir 

vixncllo  de  U  paire  'il,   la  tête  qui    sert   de  fron- 

lispiee  à  r 

chapitre,  p.  VU,  elle*  intailles  re|> 

oiluites  au\   p.  :.:,:,.  «';:;,  (ItW,  olc,  de  relie  Histoire 

3.  i>e*,i 

de  Fawlier-iiiidm,  d'apiéi  la  figur 

•te  en  bronze  du  bourre  publiée  par  Heufa-Shiic 

Itcrom-rrlr 

en  Chalilèr,  pi.  U. 

i.  Tous 

es  personnage»  fou!  représentés  [s:i r 

a  suite  sur  les  bas-reliefs  assyriens,  ainsi  dans  Bon», 

U  Menante 

al  de  ftiniee,  pi.  14  ho/].,  où   l'on  vo 

des  officiers  défiler  en  portant  des  offrandes  devanl 

Sargom  If 

ra  charge*  existaient  sans  doute  po 

r  la  plupart  dès  la  vieille  époque  rhaldéenne,  et  les 

L'ADMINISTRATION  ROYALE.  TU 

la  rareté  des  monuments  et  l'obscurité  des  testes  nous  laisse  entrevoir  indique 
une  organisation  civile  et  militaire  analogue  à  celle  des  Egyptiens  :  les  diver- 
gences considérables  que  les  contemporains  pouvaient  constater  entre  le  régime 
des  deux  peuples  s'effacent  dans  l'éloignement,  et  les  ressemblances  s'accentuent 
à  nos  yeux.  Comme  les  transactions  s'opéraient  par  échange  de  marchandises 
contre  d'autres  marchandises  ou  contre  des  quantités  p— '— 
de  métaux  précieux,    l'impôt  se   payait  nécessairemen 
nature  :  le  blé  et  les  céréales,  les  dattes  et  les  fruits, 
étoffes,  les  animaux  vivants,  les  esclaves,  en  composait 
matière  ainsi  que  l'or  et  l'argent,  le  plomb  et  le  cuivr 
bruts,  coulés  en  briques,  façonnés  en  instruments  ou  ei 
vases  ciselés.  On  rencontrait  donc  partout  pour  les  besoins 
du  fisc,  dans  les  villes  ou  dans  les  campagnes,  des  entre- 
pôts dont  le  service  exigeait  des  bataillons  de  fonction- 
naires et  de  manœuvres   :   les  ministres  du   blé,  des 
bestiaux,  des  métaux   nobles,   du  vin  et   de  l'huile, 
autant  de  ministres  que  le  pays  pratiquait  de  cultures 
et  d'industries,  centralisaient  les  produits  à  la  résidence 
et  en  réglaient  la  répartition'.  Ils  en  consacraient  le 
principal  au  traitement  des  employés  et  à  la  solde  des 

ouvriers  requis  pour  exécuter  les  travaux  :  le  reste  costi-me  de  un  culmmk*. 
s'accumulait  dans  le  trésor,  et  y  préparait  des  ré- 
serves auxquelles  on  ne  touchait  qu'en  des  cas  de  nécessité  extrême.  Chaque 
palais  recelait,  outre  ses  chambres  d'habitation,  de  véritables  dépôts  de 
provisions  et  d'outils  qui  faisaient  de  lui  une  forteresse  munie  des  ressources 
indispensables  pour  prolonger  un  siège  contre  une  troupe  ennemie  ou  contre 
des  sujets  révoltés1.   Le  prince  entretenait  toujours  à  ses  côtés  des  bandes 

noms  de  plusieurs  d'outre  elles  figurent  dans  les  liste»  don!  la  rédaction  première  semble  nous  reporter 
très  haut  (rUwLJKSON,  V.un.  In;  IV.  A»„  t.  tl.  pi.  31,  n-  5,  col.  i.  I.  II.  et  col.  v,  I.  ï!t,  le  porte- 
poignard,  col.  i.  1.  8-10,  les  «chantions;  cf.  Dilitisck,  Aayriiehe  Studien,  I.  I,  p.  13Ï;  Om«T-MBMJiT, 
Ut  Documente  juridique»  de  fAuyrie  et  de  ta  Ckaldée,  p.  71,  U).  Sur  le  même  personnel  à  la  cour 
de  Pharaon  et  près  des  nohles  égyptiens,  cf.  ce  qui  est  dit  aux  pages  STI-ÎBO  de  celte  Ilutoire. 

1.  Toutes  ces  fonctions  et  tous  les  services  qu'elles  supposent  nous  sont  connus  par  la  liste  de 
■UwLiaxn,  Cun.  Int.  IV.  At.,  t.  Il,  pi.  31,  n*  B,  dont  il  vient  d'être  question  dans  la  noie  précédente  : 
les  miniâlrci  du  blé  (col.  il,  I.  ï}  et  det  métaux  précieux  (col.  il.  I.  3).  les  chefs  de»  eignet  (col.  m. 
I.  ii]  et  de»  troupeaux  de  bœuf»  (col.  vi,  1.  *)  ou  d'oiteaux  (col.  vu,  1.  S). 

î.  Dessin  de  Faurhrr-Giidin,  d'aprtt  ta  statuette  en  albâtre  du  Limrre,  publiée  dam  HeritY,  les 
Originel  orientât™  de  l'Art,  t.  I.  pi.  V.  Elle  tient  à  la  main  l'ampoule  pleine  d  eau  analogue  au  vase 
jaillissant  cité  plus  haut,  p.  Tlï  (cf.  UeuinY,  les  Originel  orientait*  de  l'Art.  I.  I,  p.  157  sqq.l. 

3.  Pour  les  charges  militaires  de  l'époque  assyrienne,  voir  le  commentaire  de  l'a.  Delitisck,  Auy- 
rucke  Sludien,  t.  I,  p.  liB-139,  sur  la  liste  de"  Rjwlimpoii,  Cun.  Int.  IV.  Ai.,  t.  Il,  pi.  31,  n>5;  la 
plupart  d'entre  elles  remontent  ii  l'époque  chaldéenne,  roromi;  le  prouve  la  forme  même  des  noms. 


722  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

de  soldats,  peut-être  étrangers  comme  les  Mâzaiou  des  armées  pharaoniques, 
et  qui  formaient  sa  garde  permanente  en  temps  de  paix.  Dès  qu'une  guerre 
menaçait,  il  les  appuyait  d'une  milice  levée  sur  ses  domaines,  sans  que  nous 
sachions  si  le  recrutement  atteignait  la  population  entière  indistinctement, 
ou  seulement  une  classe  spéciale,  du  genre  de  celle  des  guerriers  qu'on  ren- 
contrait en  Egypte,  et  rétribuée  de  même  par  la  concession  d'un  fief.  L'équipe- 
ment était  rudimentaire  :  point  de  cuirasses,  mais  un  bouclier  rectangulaire, 
et,  au  moins  chez  les  personnages  de  condition,  le  timbre  conique  en  métal, 
probablement  en  cuivre  battu,  garni  d  un  couvre-nuque;  dans  la  grosse  infan- 
terie, la  pique  avec  une  pointe  en  bronze  ou  en  cuivre,  une  hache  ou  une 
herminette  tranchante,  une  massue  à  tête  de  pierre,  un  poignard;  dans  les 
troupes  légères,  l'arc  et  la  fronde1.  Le  roi  combattait  déjà  vers  le  xxx°  siècle 
sur  un  char  attelé  d'onagres,  peut-être  de  chevaux;  il  avait  son  arme  spéciale, 
un  bâton  recourbé  terminé  probablement  d'une  pointe  métallique,  et  comparable 
au  sceptre  des  Pharaons1.  Les  arsenaux  renfermaient  ce  matériel  en  quantités 
considérables,  magasins  des  arcs,  magasins  des  masses,  magasins  des  piques  : 
il  n'était  pas  jusqu'aux  pierres  de  fronde  qui  n'eussent  leur  réduit  particulier8. 
On  distribuait  au  commencement  de  chaque  campagne  ce  qu'il  fallait  aux 
levées  nouvelles;  la  guerre  terminée,  les  hommes  rapportaient  leurs  harnois 
jusqu'à  l'occasion  prochaine.  La  bravoure  des  soldats  et  des  chefs  recevait 
alors  sa  récompense  :  pour  les  uns,  un  lot  du  butin,  des  bestiaux,  de  l'or, 
du  blé,  une  esclave,  des  ustensiles  de  prix;  pour  les  autres,  des  terres  et  des 
villes  en  pays  conquis,  selon  le  rang  des  bénéficiaires  et  la  valeur  des  services 
rendus.  Les  biens  ainsi  donnés  l'étaient  à  titre  héréditaire,  et  il  s'y  joignait 
souvent  des  privilèges  qui  égalaient  le  titulaire  à  une  manière  de  souverain 
au  petit  pied  :  aucun  officier  royal  n'avait  le  droit  de  les  grever  d'un  impôt, 
d'y  prendre  des  bestiaux,  d'y  réquisitionner  des  vivres;  aucune  troupe  ne 
pouvait  y  pénétrer,  même  pour  y  arrêter  un  fugitif4.  La  plupart  des  familles 
nobles  possédaient  des  domaines  de  ce  genre  et  constituaient,  dans  chacun  des 

1.  Voir  le  cylindre  reproduit  p.  723,  où  est  figuré  un  soldat  conduisant  une  bande  d'hommes  et  de 
femmes  prisonniers;  cf.  également  les  débris  de  la  Stèle  des  Vautours,  p.  606  de  cette  Histoire. 

t.  C'est  à  peu  près  le  houqou  des  Égyptiens  (cf.  p.  60,  note  3  de  cette  Histoire)  que  l'on  connaît 
surtout  sous  la  forme  qu'il  avait  prise  aux  derniers  temps,  mais  dont  plusieurs  variantes  sont  identi- 
ques à  l'arme  chaldéenne.  M.  Heuzey  préfère  y  voir  une  arme  de  jet,  peut-être  analogue  au  boumérang. 

3.  La  liste  de  Kawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  31,  n°  5,  donne  ainsi  le  Préposé  aux  arcs 
(col.  vi,  1.  6),  le  Gardien  des  pierres  de  fronde  (col.  vi,  1.  7;  cf.  Oppert-Menant,  les  Documents  juridi- 
ques de  V  Assyrie  et  de  la  C  ha  Idée,  p.  75),  et  d'autres  chefs  d'arsenaux  analogues  dont  les  titres  sont 
incertains.  Place  a  trouvé  à  Khorsabad  des  magasins  considérables  d'outils  en  fer  et  en  cuivre  (Place. 
Ninire  et  l'Assyrie,  t.  1,  p.  84-90)  qui  nous  montrent  ce  que  pouvaient  être  ces  dépôts  d'armes. 

4.  Tous  ces  renseignements  sont  empruntés  à  l'inscription  de  Rawlinson,  Cun.  Ins.   \Y.  As.,  t.  V, 


LES  SOLDATS  ET  LES  SEIGNEURS,  LE  SCRIBE.  723 

royaumes,  une  féodalité  riche  et  puissante,  dont  les  rapports  avec  le  prince 
rappelaient  sans  doute   ceux   qui   reliaient  les  sires  des   nomes  avec  Pha- 
raon. Leur  existence  n'était  pas  moins  instable  que   celle  des  dynasties  sous 
lesquelles  elles  vivaient  :  tandis  que  certaines  d'entre  elles  s'agrandissaient 
par  des  mariages  ou  par  des  acquisitions  réitérées,  certaines  autres  tombaient 
dans  la  disgrâce  et  se  ruinaient.  Comme  le  sol  appartenait  aux  dieux1,  peut- 
être  étaient-elles  censées  ne  dépendre  que  des  dieux  en  théorie;  maïs  comme 
les  rois  étaient  les  vicaires  des  dieux,  îci-bas,  c'étaient  aux  rois  qu'elles  obéis- 
saient dans  la  réalité.  Cha- 
que État  comprenait  donc 
deux  portions  soumises  à 
un    régime    distinct    :    le 
domaine  propre  du  suze- 
rain qu'il  gérait  lui-même 
et  dont  il  touchait  les  re- 
venus, puis  des  fiefs  dont 
les  seigneurs  lui  devaient 

un  tribut  et  s'acquitatent  envers  lui  d'obligations  diverses  encore  mal  définies. 
Le  scribe  était,  comme  chez  les  Egyptiens,  le  rouage  essentiel  de  cette 
double  administration  royale  et  seigneuriale.  11  paraît  ne  pas  avoir  joui 
d'autant  de  considération  que  ses  confrères  des  bords  du  Nil  :  les  princes, 
les  nobles,  les  prêtres,  les  soldats,  les  officiers  des  temples  et  de  la  cou- 
ronne ne  se  targuaient  pas  volontiers  de  son  titre,  et  ne  l'énonçaient  pas  à 
côté  de  leurs  autres  dignités,  ainsi  qu'ils  faisaient  dans  l'Egypte  contempo- 
raine'. Le  rôle  du  scribe  n'en  était  pas  moins  fort  considérable.  On  le  rencon- 
trait assidûment  à  tous  les  étages  de  la  société,  dans  les  palais,   dans  les 

pi.  55-57,  traduite  par  Hilpbkcht,  Freibriéf  Sebukadneiar's  I.  Kônigt  von  babylonien,  1883,  cl  par 
Pncarc-HuDGB,  On  an  Edicl  of  Hebuchadncsiar  /.,  dan»  le«  Proceedings  de  la  Société  d'Archéologie 
Biblique,  1883-1884,  t.  VI,  p.  144-170;  cf.  Peise»,  Inteltriften  Nrbtikadnewtr  t  t.,  dans  la  Keilsehriflliche 
Bibliothek,  l.  III',  p.  164-171.  Une  autre  charte  du  même  roi,  traitant  d'une  donation  analogue,  a  clé 
publiée  par  Alden-Siith,  Assyrian  Letlert,  IV,  pi.  VII1-IX,  et  traduite  par  Dmino  Meiss»er,  £ih  Freibriéf 
Nebukadneiafi  IL,  dans  la  Zeittchrift  fur  Attyriologie,  L  IV,  p.  Î5'J-Î67  (où  elle  cal  attribuée  par 
erreur  à  Nabuchodorosor  II),  el  par  Prise»,  InscAriften  Hebukadnciar's  I.,  dans  la  Keitschrifttiche 
Hibtioihek,  1.  III,  1™  partie,  p.  174-173.  Dca  donation»  du  même  genre,  mais  un  peu  moins  étendues 
ce  semble,  sont  consignées  aur  pierre,  cl  nous  ramènent  au  lemps  de  Nardouknàdinakhé  (Opi>nar- 
Hekamt,  Document!  juridiques  de  CAssyrie  et  de  la  V.haldée,  p.  US  sqq.). 

I.  Cf.  ce  qui  csl  dit  1res  brièvement  sur  ce  sujet  p.  H78-679  de  cctlc  Histoire. 

t.  bénin  de  Fancher-Gudin,  d'après  t'inlaitte  chaldéenne  du  BritUh  Muséum  (McjUKT,  fleekerehes 
sur  ta  glyptique  orientale,  t.   I,  pi.  III,  a'  1  el  p.   1114-103], 

3.  Le  nom  du  scribe,  doubthar,  assyrianisé  en  tipthar,  signifie  à  proprement  parler  écrivain  des 
tablettes,  el  il  est  passé  en  hébreu  au  moment  des  grands  rapports  de  la  Judée  avec  l'Assyrie,  vers  le 
VIII"  siècle  avant  notre  ère.  Sdiradcr  en  a  donné  le  premier  la  signilicalion  réelle;  on  l'avait  inter- 
prété d'abord  chef  militait»,  capitaine,  satrape  (Ofpebt.  Expédition  en  Mésopotamie,  t.  II,  p.  361). 


724  LA  CIVILISATION  CHALDËENNE. 

sanctuaires,  dans  les  bureaux,  dans  la  maison  des  particuliers,  et  partout,  à 
la  cour,  à  la  ville,  à  la  campagne,  aux  armées,  il  était  là  qui  s'ingérait  aux 
affaires  petites  ou  grandes,  et  qui  en  rendait  la  marche  régulière.  Son  éduca- 
tion ne  devait  guère  différer  de  celle  qu'on  donnait  à  l'Égyptien  :  il  apprenait 
par  la  routine  les  rubriques  administratives  ou  juridiques,  les  formules  pour 
correspondre  avec  les  nobles  ou  avec  le  peuple,  Fart  d'écrire,  de  calculer  vite 
et  de  dresser  des  comptes  correctement.  Employait-il  parfois  le  papyrus  ou 
les  peaux  préparées?  Il  serait  étrange  en  vérité  que  le  commerce  des  cara- 
vanes n'eût  jamais  apporté,  pendant  des  siècles,  l'une  quelconque  des  sub- 
stances réservées  en  Afrique  aux  usages  littéraires1,  et  pourtant  l'argile,  qui 
prodiguait  aux  architectes  l'étoffe  de  leurs  constructions,  assurait  encore  aux 
scribes  les  moyens  d'enregistrer  le  langage.  Ils  étaient  toujours  pourvus  de 
pains  d'une  terre  fine  et  ductile,  corroyée  avec  soin,  encore  assez  molle  pour 
contracter  aisément  l'empreinte  d'un  objet,  déjà  assez  ferme  pour  ne  pas  la 
déformer  ni  la  perdre  une  fois  qu'elle  l'avait  subie.  Lorsqu'ils  avaient  un  texte 
à  transcrire  ou  une  pièce  à  rédiger,  ils  choisissaient  une  de  leurs  galettes, 
qu'ils  posaient  à  plat  sur  la  paume  de  la  main  gauche,  et,  saisissant  de  la 
main  droite  un  stylet  triangulaire  en  silex,  en  cuivre,  en  bronze,  en  os5,  ils  se 
mettaient  à  la  besogne.  Au  début,  l'instrument  se  terminait  en  pointe  effilée, 
et  les  traits  qu'il  creusait  quand  on  l'appuyait  légèrement  sur  la  pâte  étaient 
grêles  et  d'épaisseur  uniforme;  plus  tard,  on  tailla  l'extrémité  en  biseau  et 
les  traces  affectèrent  l'aspect  d'un  clou  métallique  ou  d'un  coin.  On  commen- 
çait à  gauche,  le  long  du  bord  supérieur,  et  l'on  couvrait  les  deux  faces  de 
lignes  pressées  qui  parfois  débordaient  sur  les  tranches8.  La  gravure  ter- 
minée, l'écrivain  envoyait  son  œuvre  au  potier,  qui  l'enfournait  et  la  chauffait 
à  point,  ou  peut-être  avait-il  à  sa  disposition  un  four  toujours  prêt,  comme 
un  employé  a  chez  nous  sa  table  ou  son  pupitre.  La  forme  des  documents 
variait  et  nous  semble  parfois  singulière  :  on  trouve,  à  côté  des  tablettes  et 

1.  Sur  les  monuments  assyriens  on  voit  fréquemment  des  scribes  enregistrant  le  butin  ou  écrivant 
des  lettres  sur  des  tablettes  et  sur  une  matière  souple,  papyrus  ou  peau  préparée  (cf.  Layard,  The 
Monuments  ofNineveh,  iBi  Ser.,  pi.  19,  26,  29, 35,  37,  etc.).  Sayce  a  indiqué  de  bonnes  raisons  de  croire 
que  les  Chaldéens  des  vieilles  dynasties  connurent  le  papyrus,  soit  qu'ils  le  fabriquassent  eux-mêmes, 
soit  qu'ils  le  flsHcnt  venir  de  l'Egypte  (Sayck,  The  Use  of  Papyrus  as  a  wriling  mater  ta  l  among  the 
Accadians,  dans  les  Transactions  of  the  Society  of  Biblical  Archmology,  t.  I,  p.  343-345). 

2.  Cf.  le  stylet  triangulaire  en  cuivre  ou  en  bronze  qui  est  reproduit  à  côté  de  la  règle  graduée 
et  du  plan  sur  la  tablette  de  Goudéa,  p.  710  de  cette  Histoire.  Le  Musée  assyrien  du  Louvre  possède 
plusieurs  poinçons  en  os,  plats  et  larges,  taillés  en  pointe  à  l'extrémité,  et  qui  paraissent  avoir 
appartenu  à  des  scribes  assyriens  (A.  dk  Longpérier,  Notice  des  Antiquités  Assyriennes,  3*  éd.,  p.  82, 
n°*  414-417;  cf.  Oppkrt,  Expédition  en  Mésopotamie,  t.  I,  p.  63).  Taylor  a  découvert  dans  une  tombe 
d'ftridou  un  outil  en  silex,  qui  a  pu  servir  au  même  usage  que  les  stylets  en  métal  ou  en  os  (Notes 
on  Abu-Shahrein  and  Tel  el-Lahm,  dans  le  J.  As.  Soc.,  t.  XV,  p.  410,  et  m  de  la  plancbc  11). 

3.  Muant,  la  Bibliothèque  du  Palais  de  Ninive,  p.  25-27. 


LE  SCRIBE  ET  LES  LIVRES  D'ARGILE.  725 

des  briques,  des  barillets  pleins  ou  des  cylindres  creux  de  grande  dimension, 
sur  lesquels  les  rois  racontaient  leurs  exploits  ou  consignaient  l'histoire  de  leurs 
guerres  et  la  dédicace  de  leurs  constructions.  Ce  procédé  présente  beaucoup 
d'inconvénients  et  beaucoup  d'avantages  Les  livres  de  terre  sont  incommodes 
à  tenir,  lourds  à  manier,  le  caractère  se  détache  mal  sur  le  fond  brun  ou 
jaune  ou  blanchâtre  de  la  matière;  mais  d'autre  part,  un  poème  durci  et 
incorporé  à  la  page  court  moins  de  danger  que  s'il  était  griffonné  à  l'encre 
sur  des  feuillets  de  papyrus.  Le  feu  ne  peut  rien  contre  lui,  l'eau  ne  l'attaque 
qu'à  la  longue,  et,  même  quand  on  le  casse,  les  morceaux  en  sont  bons  : 
pourvu  qu'on  ne  les  réduise  pas  en  poudre,  on  réussit  toujours  à  en 
reconstituer  l'ensemble,  moins  quelques  signes  ou  quelques  membres  de 
phrase.  Les  inscriptions  qu'on  recueille  dans  les  fondations  des  temples  les 
plus  anciens,  et  dont  plusieurs  sont  âgées  de  quarante  ou  de  cinquante 
siècles,  restent  pour  la  plupart  nettes  et  lisibles,  comme  au  moment  où  elles 
sortirent  des  mains  du  lettré  qui  les  grava,  ou  de  l'artisan  qui  les  cuisit. 
C'est  à  la  substance  sur  laquelle  on  les  recopiait  que  les  œuvres  principales 
de  la  littérature  chaldéenne  ont  dû  d'arriver  jusqu'à  nous,  poèmes,  annales, 
hymnes,  incantations  magiques;  combien  en  posséderions-nous  de  fragments, 
si  les  auteurs  ou  les  libraires  les  avaient  confiées  au  parchemin  ou  au  papier 
comme  faisaient  les  scribes  égyptiens?  Le  danger  le  plus  grand  qu'elles  cou- 
russent était  de  demeurer  oubliées  dans  le  coin  de  la  chambre  où  on  les 
avait  serrées,  ou  ensevelies  sous  les  éboulis  d'un  édifice,  un  jour  d'incendie 
ou  de  destruction  violente;  encore  les  débris  les  préservent-ils  en  tombant 
sur  elles  et  en  les  recouvrant.  Protégées  par  les  ruines,  elles  sommeillent 
pour  ainsi  dire  pendant  des  siècles,  jusqu'au  jour  où  la  fortune  des  fouilles 
les  ramène  à  la  lumière  et  les  livre  à  la  curiosité  patiente  des  savants1. 

L'écriture  cunéiforme  n'a  rien  de  pittoresque  ou  de  décoratif  en  soi.  Elle 
n'étale  pas  à  la  vue  ce  pêle-mêle  réjouissant  de  poissons,  d'oiseaux  et  de 
serpents,  d'hommes  et  de  quadrupèdes  entiers  ou  débités  par  morceaux, 
d'outils,  d'armes,  d'étoiles,  d'arbres,  de  bateaux,  qui  se  poursuivent  et  se 
heurtent  sur  les  monuments  égyptiens,  pour  célébrer  la  gloire  de  Pharaon  et 
pour  chanter  la  splendeur  de  ses  dieux.  Elle  consiste  avant  tout  de  lignes 
grêles  et  courtes,  juxtaposées,  entre-croisées  de  façon  maladroite  :  on  dirait 
des  paquets   de  clous  semés  au  hasard,  et  leur  agencement  anguleux,    leur 

1.  Les  Assyriens  et  les  Babyloniens  modernes  recherchaient  déjà  les  vieux  documents  pour  les  copier 
de  nouveau;  cf.  p.  5tM,  note  I.  et  p.  597  de  cette  Histoire  quelques  exemples  de  textes  recopiés. 


726  LA  CIVILISATION  CHALDÊENNE. 

tournure  gauche  et  hérissée,  prête  aux  inscriptions  une  physionomie  maussade 
et  rebutante,  que  nul  artifice  de  gravure  ne  réussit  à  atténuer.  Et  pourtant 
leurs  amas  de  traits  cachent  de  véritables  hiéroglyphes1.  Comme  à  l'origine 
des  écritures  égyptiennes,  le  peuple  qui  les  imagina  avait  commencé  par  imiter 
sur  la  pierre  ou  sur  l'argile  la  silhouette  des  objets  dont  il  désirait  rendre 
l'idée.  Mais,  tandis  qu'en  Egypte  le  tempérament  artistique  de  la  race  et 
Thabileté  croissante  des  sculpteurs  avaient  perfectionné  progressivement  le 
dessin  des  signes,  au  point  d'en  faire  le  portrait  en  miniature  de  l'être 
ou  de  la  chose  à  reproduire,  en  Chaldée  les  figures  se  dénaturèrent  l'une 
après  l'autre,  par  la  difficulté  qu'on  éprouvait  à  les  copier  au  stylet  sur  la 
terre  des  tablettes;  elles  passèrent  de  la  position  verticale  où  on  les  avait 
placées  tout  d'abord  à  l'horizontale*,  et  finirent  par  ne  plus  conserver  que  des 
rapports  presque  insaisissables  avec  le  modèle.  On  avait  conçu  le  ciel  comme 
une  voûte  partagée  en  huit  segments,  par  les  diamètres  des  quatre  points  car- 
dinaux et  de  leurs  subdivisions  principales  ^;  le  cercle  extérieur  s'effaça, 
les  lignes  transversales  persistèrent  seules  »$fc  et  se  simplifièrent  en  une 
sorte  de  croix  irrégulière  *~f-3.  La  statue  d'un  homme  debout,  indiquée  par 
l'ensemble  des  lignes  qui  en  cernaient  le  contour,  se  coucha  ^fl^4,  puis  se 
réduisit  de  proche  en  proche  à  n'être  plus  qu'une  enfilade  de  traits  mal  équi- 
librés B^^Ç^jfi  ou  *gE|ÊJrîr4'  On  reconnaît  encore  dans  .JU,  „E[  les  cinq 
doigts  d'une  main  humaine  alignés  sur  la  paume  1  ■■  il  ;  mais  qui  devinerait  au 

premier  moment  que  7T~"T  es*  l'abrégé  d'un  pied  humain  1  /  ?  On  com- 
pila par  la  suite  des  recueils,  où  l'on  essaya  de  classer,  à  côté  de  chaque 
caractère,  l'hiéroglyphe  spécial  duquel  il  dérivait.  Divers  fragments  en  sub- 
sistent, dont  l'étude  semble  montrer  que  les  scribes  assyriens  de  l'époque 
récente  étaient  parfois  aussi  embarrassés  que  nous,  lorsqu'ils  voulaient  remon- 
ter au  principe  de  leur  écriture8  :  ils  n'apercevaient  plus  en  elle  qu'un  système 

1.  L'origine  hiéroglyphique  des  caractères  cunéiformes  a  été  indiquée  par  les  premiers  assyriolo- 
gues,  surtout  par  Oppert,  Expédition  scientifique  en  Mésopotamie,  t.  II,  p.  63-69. 

2.  Ce  fait,  soupçonné  d'abord  par  Oppert,  a  été  mis  hors  de  doute  par  la  découverte  des  inscriptions 
de  Lagash  (Oppert,  Die  Framôsischen  Ausgrabungen  in  Chaldxa,  dans  les  Abhandlungen  des  5"* 
Intcmationalcn  Orienlalisten-Congresses,  z*er  Theil,  1,  p.  230-241;  cf.  Hoxmel,  Die  Semitischen 
Vôtker  und  Sprachen,  p.  270-273,  et  Gcschichle  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  35-37). 

3.  On  rattache  d'ordinaire  ce  signe  au  signe  de  Vétoilc.  Oppert,  qui  avait  d'abord  admis  cette  déri- 
vation, a  pensé  depuis  qu'il  devait  représenter  une  image  conventionnelle  du  ciel  chaldéen,  et  son 
opinion  a  été  confirmée  par  une  observation  de  Jf.nsen,  Die  Kosmologie  der  Babylonicr,  p.  4. 

4.  Hoxmkl,  Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  35-36.  Le  signe  est  emprunté  à  la  Statue  B 
de  Goudéa  (IIklzey-Sarzkc,  Découvertes  en  Chaldée,  pi.  XVI,  col.  vu,  1.  50,  61). 

5.  Le  fragment  qui  nous  fournit  ces  renseignements  a  été  signalé  et  interprété  en  partie  par  Oppert, 
Expédition  scientifique  en  Mésopotamie,  t.  II,  p.  65.  Il  provient  de  kojoundjik  et  est  conservé  au 
British   Muséum.   Il   a  été  publié  par   Menant,   Leçons  d'épigraphic  assyrienne,    p.  51-52,  puis  par 


ORIGINE  HIÉROGLYPHIQUE  DES  CARACTERES  CUNEIFORMES.        727 

de  combinaisons  arbitraires,  dont  la  raison  leur  échappait  d'autant  plus  aisé- 
ment qu'ils  l'avaient  empruntée  à  un  peuple  étranger,  déjà  mort  pour  eux  ou 
peu  s'en  fallait.  Les  Sumériens  l'avaient  inventée  à  l'aurore  des  temps,  et 
peut-être  l'avaient-ils  apportée  tout  ébauchée  d'une  patrie  lointaine'.  Les  pre- 
mières articulations  qui,  s'attachant  aux  hiéroglyphes,  déterminèrent  pour 
chacun  d'eux  une  prononciation  constante,  furent  des  mots  de  leur  langue. 


les    amena     à    métamorphoser, 

comme  en  Egypte,  la  plupart  des  signes  d'idées  en  signes  de  sons,  les  valeurs 
phonétiques  qu'ils  développèrent  à  côté  des  valeurs  idéographiques  furent 
purement  sumériennes.  Le  groupe  — Jf^-,  ■*  ]-.  sous  toutes  ses  formes  désigne 
le  ciel  d'abord,  puis  le  dieu  du  ciel,  enfin  le  concept  de  la  divinité  eu  général. 
On  le  lisait  ana  dans  les  deux  premiers  sens,  dîngir,  dimir,  dans  le  dernier, 
et  il  ne  perdit  jamais  sa  double  puissance;  mais  on  le  sépara  bientôt  des 
pensées  qu'il  éveillait,  et  on  usa  de  lui  pour  noter  la  syllabe  an  dans  tous 
les  mots  où  elle  entre,  quand  même  ils  n'avaient  rien  de  commun  avec 
le  ciel  et  avec  les  choses  célestes.  Il  en  fut  des  autres  signes  ce  qui  en  avait 

W,  HoucHTOt ,  On  the  hirroglyphie  or  Picture  Origia  of  the  Chararters  of  the  Assyrian  Syllabary.  clans 
les  Tramactioni  of  Ihe  Society  of  BMiral  Archnology,  t.  VI,  planche  qui  rail  face  à  la  p.  iM.  Des 
recueils  dp  caractères  archaïques  déjà  défigurés  entièrement,  mais  traduits  néanmoins  en  cunéiformes 
[ilu:i  rivent!!,  ont  élé  découverts  et  commentés  par  Pihcid,  Archaic  Forint  of  Babylonian  C.harar.lert, 
dans  la  '/.eittrhr'tft  fur  Keilfonchung,  t.  11.  u.  USM56. 

I.  L'origine  étrangère  du  syllabaire  cunéiforme  a  été  indiquée  pour  la  première  fois  par  Ofpert,  Sur 
l'Origine  det  Intcriptians  cunéiformes,  dans  VAthénrum  Françait,  numéro  du  iO  octobre  l&M,  Rap- 
port adressé  à  S.  Exe.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  Cultes,  p.  71  sqq.  (cf.  Archiva  det 
Mitiiont  scientifiques,  I™  série,  t.  V,  p.  18fi  sqq.l,  Expédition  scientifique  en  Mésopotamie,  t.  1, 
p.  77-86.  Apport  attribuait  l'honneur  de  l'invention  aui  Scythes  des  Anciens. 

t.  Dca»'»  de  Fauchrr-liudin,  d'après  la  photographie  publiée  par  BoemjiIOW,  On  Ihe  kieroglyphie 
or  Picture  Origin  of  the  eharaclcrs  of  Ihe  Assyrian  syllabary,  dans  les  Transaction',  t.  VI,  p.  iji. 


728  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

été  de  celui-là  :  après  avoir  couvert  uniquement  des  idées,  ils  en  vinrent  à 
marquer  les  sons  qui  leur  correspondaient,  et  ils  passèrent  à  l'état  de  syl- 
labes, syllabes  complexes  où  Ton  distinguait  plusieurs  consonnes,  syllabes 
simples  où  il  y  avait  une  voyelle  et  une  consonne,  une  consonne  et  une 
voyelle.  Les  Égyptiens  avaient  poussé  à  fond  l'analyse  de  ces  dernières,  et  ils 
n'en  avaient  gardé  dans  bien  des  cas  que  l'élément  initial,  une  consonne 
non  vocalisée;  ils  avaient  détaché,  par  exemple,  Vou  final  de  pou  et  de  bon* 
et  ils  n'accordaient  plus  à  la  jambe  humaine  J  et  à  la  natte  de  joncs  Q  que  les 
puissances  de  b  et  de  p.  Les  peuples  de  l'Euphrate  s'arrêtèrent  en  chemin  et 
n'admirent  de  lettres  réelles  que  pour  les  sons  voyelles,  a,  i  et  ou.  Leur  sys- 
tème demeura  un  syllabaire  parsemé  d'une  quantité  d'idéogrammes,  sans 
mélange  d'alphabet. 

11  manquait  évidemment  de  simplicité,  mais,  somme  toute,  il  n'aurait  pas 
présenté  plus  de  difficultés  que  celui  des  Égyptiens,  si  on  ne  l'avait  obligé, 
dès  une  époque  très  ancienne  à  se  plier  aux  exigences  d'une  langue  pour 
laquelle  il  n'avait  pas  été  fait.  Le  jour  où  les  Sémites  se  l'approprièrent,  les 
idéogrammes,  qui  jusqu'alors  avaient  été  vocalises  en  sumérien,  ne  renoncèrent 
point  aux  tonalités  qu'ils  avaient  dans  cet  idiome,  mais  ils  en  empruntèrent 
d'autres  à  l'idiome  nouveau.  Dieu  s'appelait  Hou  et  le  ciel,  shami  :  »^K 
et  •*]-,  rencontrés  par  des  Sémites  dans  les  inscriptions,  s'y  lurent  flou  quand 
le  contexte  réclamait  le  sens  dieu,  et  shami  quand  il  voulait  celui  de  ciel.  Ce 
furent  deux  phonèmes  à  joindre  aux  précédents  ana,  an,  dingir,  dimir,  et 
l'on  n'en  resta  pas  là  :  on  confondit  l'image  de  l'étoile  ->|<-  avec  celle  du  ciel, 
puis  l'on  attribua  quelquefois  à  »3fc  ,  *-f-,  la  prononciation  kakkabou  et  la 
signification  d'étoile.  Le  même  travail  s'opéra  sur  tous  les  signes,  et,  les 
valeurs  sémitiques  s'ajoutant  aux  sumériennes,  les  scribes  eurent  bientôt 
à  leur  disposition  un  double  jeu  de  syllabes  simples  et  composées.  Cette 
multiplicité  de  sons,  cette  polyphonie  attachée  à  leurs  caractères,  les  embar- 
rassait eux-mêmes.  ► — •  indiquait  dans  le  corps  des  mots  les  syllabes  bi 
ou  bal,  mid,  mit,  til,  ziz;  comme  idéogramme,  il  couvrait  vingt  concepts 
distincts  :  celui  du  seigneur  ou  du  maître,  inou,  bîlou;  le  sang,  dâmou;  le 
cadavre,  pagrou,  shalamtou;  le  faible  ou  l'opprimé,  kabtou,  nagpow,  le  creux 
et  la  source,  nakbou;  le  fait  d'être  vieux,  labârou,  de  mourir  matou,  de  tuer, 
mîtou,  d'ouvrir,  pîtoû,  et  d'autres  encore.  On  lui  adjoignit  divers  compléments 
phonétiques,  on  greffa  en  tête  des  idéogrammes  qui  en  signalaient  le  sens 
et  la  lecture,  mais  qui  ne  se  prononçaient  pas  plus  que   les  déterminatifs 


LA  POLYPHONIE  DES  CARACTÈRES  CUNÉIFORMES. 


729 


égyptiens,  et  l'on  parvint  de  la  sorte  à  circonscrire  le  nombre  des  erreurs 
possibles;  avec  ^^"  final  ce  fut  toujours  »~ *Tïï~  kilou,  le  maître,  mais  avec 
*-J-  initial,  »-f-»~ «  le  dieu  Bel  ou  le  dieu  Éa,  avec  ^^m"  °IU*  es^  l'indice  de 
l'homme  ^y^~  » — «  le  cadavre  pagrou  et  shalamtouy  avec  *ï<!^  préfixe, 
Hf<fJ<*  moutanoa,  la  peste  ou  la  mort,  et  ainsi  de  suite.  Malgré  ces  restrictions 
et  ces  éclaircissements,  l'obscurité  demeurait  si  grande  encore  que,  dans  bien 
des  cas,  les  scribes  risquaient  fort  de  ne  pouvoir  déchiffrer  certains  mots  ni 
comprendre  certains  passages  ;  beaucoup  des  valeurs  étaient  d'ailleurs  d'oc- 
currence assez  rare,  et  restaient  inconnues  à  ceux  qui  ne  se  souciaient  point 
d'aborder  l'étude  approfondie  du  syllabaire  et  de  son  histoire.  11  fallut  dres- 
ser à  leur  usage  des  tables  dans  lesquelles  les  signes  furent  enregistrés 
et  classés,  avec  leurs  sens  et  leurs  notations  phonétiques.  Ils  occupaient 
une  colonne,  et,  dans  trois  ou  quatre  autres  colonnes  correspondantes,  on 
voyait  rangés  le  nom  qu'on  leur  donnait  à  l'école,  l'orthographe  par  syllabes 
des  vocables  qu'ils  exprimaient,  les  mots  sumériens  et  assyriens  qu'ils  ren- 
daient, parfois  des  gloses  qui  en  complétaient  l'explication.  Désirait-on 
vérifier  les  équivalents  possibles  du  signe  *-f-,  un  syllabaire  fournissait 


TTf 

M* 

-M 

=  &,7  -m 

-h 

v     —y 

Mf 

A 

—               NA 

H- 

SHA  MOU 

—     OU 

m 

—       IN     —    GHIR 

-!- 

1                

LOUM 

où  *}-  est  interprété  par  ciel  (ana  =  shamou)  et  par  Dieu  (dinghir  =  iloum)  seu- 
lement1, mais  un  autre  donnait  la  série  plus  complète  : 


Hï 

-TT 

H- 

It 

^ 

MIt= 

T^fc 

J=TT 

■4- 

Tï 

^ 

t=ïît 

M*= 

^êw- 

~m 

-ï- 

T! 

^~ 

tfTt 

]^. 

ÏT 

■•+ 

Ir 

*- 

«=m= 

A 

— 

NA 

•+ 

A     — 

NOU 

—   ou 

I 

— 

LOU 

~f 

A    — 

NOU 

—   ou 

DI      — 

IS      - 

—     GHIR 

~f 

A    — 

NOU 

—   ou 

SHA 

— 

A 

~f 

A    — 

NOU 

—   ou 

qui  est  loin  d'épuiser  la  matière1.  Plusieurs  de  ces  lexiques  remontaient  fort 
haut,  et  la  tradition  attribuait  à  Sargon  d'Agadé  le  mérite  de  les  avoir  fait 

1.  Le.norma.nt,  les  Syllabaires,  p.  76;  Delitzsch,  Assyrische  Lcseslûcke,  2*  éd.,  p.  16,  col.  i,  1.  1-2. 

2.  Lenormamt,  les  Syllabaires,  p.  113-114;  Delitzsch,  Assyrische  Lescslùckc,p.  SI,  col.  n,  1.  11-16. 


92 


730  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

rédiger  ou  de  les  avoir  réunis  dans  son  palais.  Us  se  multiplièrent  naturel- 
lement au  cours  des  siècles  :  pendant  les  derniers  temps  de  l'empire  d'Assyrie, 
ils  étaient  assez  nombreux  pour  former  le  quart  peut-être  des  ouvrages  con- 
servés à  la  bibliothèque  de  Ninive  sous  Assourbanabal.  D'autres  tablettes  con- 
tenaient des  lexiques  de  termes  archaïques  ou  inusités,  des  paradigmes  gram- 
maticaux, des  extraits  de  lois  ou  d'hymnes  antiques  analysés  phrase  à 
phrase  et  souvent  mot  à  mot,  des  versions  interlinéaires,  des  recueils  de 
formules  sumériennes  traduites  en  idiome  sémitique,  de  véritables  guide-âne, 
que  les  savants  d'alors  consultaient  avec  autant  de  fruit  que  les  nôtres  aujour- 
d'hui, et  qui  leur  épargnaient  plus  d'une  erreur1. 

Une  fois  rompus  aux  finesses  et  aux  difficultés  du  métier,  les  scribes  ne 
chômaient  guère.  La  Chaldée  a  joué  du  stylet  presque  autant  que  l'Egypte  du 
calame,  et  l'argile  indestructible  dont  elle  se  contentait  à  l'ordinaire  l'a  mieux 
servie,  à  la  longue,  que  l'usage  d'une  substance  moins  grossière  n'a  fait  sa 
rivale  :  l'argile  cuite  ou  simplement  séchée  a  bravé  le  temps  par  masses  éton- 
nantes, où  la  plupart  des  papyrus  ont  disparu  sans  laisser  de  traces.  Si  nous 
rencontrons  rarement,  à  Babylone,  ce  qu'on  aperçoit  partout  dans  les  hypo- 
géep  de  Saqqarah  ou  de  Gizèh,  les  hommes  eux-mêmes  et  leur  famille,  leurs 
travaux,  leurs  plaisirs,  leurs  entretiens  journaliers,  nous  possédons  en  revan- 
che ce  que  les  ruines  de  Memphis  nous  ont  restitué  fort  peu  jusqu'ici,  les 
pièces  juridiques  qui  réglaient  leurs  rapports  réciproques  et  qui  conféraient 
la  consécration  légale  aux  événements  de  leur  vie.  Qu'il  s'agît  d'un  achat 
de  terres  ou  d'un  mariage,  d'un  prêt  à  intérêt  ou  d'une  vente  d'esclaves,  le 
scribe  arrivait  avec  ses  briques  molles  et  grossoyait  la  minute  nécessaire.  Il  y 
insérait  autant  que  possible  le  quantième  du  mois,  l'année  du  souverain 
régnant,  parfois  même,  pour  plus  de  précision,  une  allusion  au  fait  important 
qui  venait  de  s'accomplir  et  dont  la  mémoire  devait  se  perpétuer  aux  annales 
officielles,  la    prise  d'une   ville1,    la  défaite  d'un  roi   voisin8,    la  dédicace 

1.  L'expression  de  guide-âne  a  été  appliquée  pour  la  première  fois  aux  tablettes  grammaticales  et 
lexicographiques  des  bibliothèques  assyriennes  par  Fr.  Lenormakt,  Essai  sur  la  propagation  de  l'Al- 
phabet phénicien,  t.  1,  p.  48.  Ces  textes  ont  donné  lieu  à  quantité  de  publications  et  d'études  de 
détail  dont  on  trouvera  la  bibliographie  presque  complète,  jusqu'en  188G,  dans  Bkzold,  Kurzgefasster 
Ueberblick  ùberdie  Babylonisch-Asnyrisclie  Literalurf  p.  197  sqq.  ;  depuis  lors,  le  nombre  en  a  augmenté 
considérablement. 

t.  Contrat  de  «  l'année  de  la  prise  d'Ishin  »  (Meissner,  Beitrâge  zum  altbabylonischen  Privatrecht, 
p.  33);  autre  du  «  6  Shebat  de  l'année  où  le  mur  de  Maîr  fut  détruit  »  (id.,  ibid.,  p.  85). 

3.  Contrat  daté  «  le  10  Kislev  de  l'année  où  le  roi  Rimsin  frappa  les  méchants,  les  ennemis  • 
(Mf.issner,  lieitrâge  zum  altbabylonischen  Privatrecht,  p.  17);  autre  qui  fut  scellé  à  la  date  •  du 
23  Shebat  de  l'année  où  le  roi  Hammourabi,  dans  la  force  d'Anou  et  de  Bel,  établit  son  droit  et  où  sa 
main  jeta  à  terre  le  régent  du  pays  d'Iamoutbal,  le  roi  Rimsin  »  (Jensen,  Inschriften  au  s  den  Begie- 
rungsseil  llammurabis,  dans  la  Keilschriftliche  Bibliothek,  t.  III,  1r"  partie,  p.  146-127). 


LA  RÉDACTION  DES  CONTRATS,  LE  CACHET.  731 

d'un  temple1,  la  construction  d'un  mur  ou  d'une  forteresse8,  l'ouverture  d'un 
canal',  les  ravages  d'une  inondation4  :  les  noms  des  témoins  et  des  magistrats 
devant  qui  l'acte  était  passé  accompagnaient  ceux  des  parties  contractantes8. 
La  façon  d'approuver  était  particulière.  On  donnait  un  coup  d'ongle  sur  un  des 
côtés  de  la  tablette,  et  cette  marque,  suivie  ou  précédée  de  la  mention  d'une 
personne,  Ongle  de  Zaboudamîky  Ongle  d'Abzii,  tient  lieu  de  nos  paraphes  plus 
ou  moins  prétentieux*.  Plus  tard,  l'acheteur  et  les  témoins  seuls  approuvaient 
de  l'ongle,  tandis  que  le  vendeur  apposait  son  cachet  :  une  légende,  incisée 
au-dessus  ou  à  côté  de  l'empreinte,  indiquait  la  qualité  du  signataire7.  Chaque 
personnage  d'importance  avait  un  sceau8,  qu'il  portait  attaché  au  poignet  ou 
pendu  au  cou  par  un  cordon;  il  s'en  séparait  le  moins  possible  pendant  la  vie, 
et,  après  la  mort,  il  l'emportait  au  tombeau  pour  éviter  qu'on  en  fit  un  mau- 
vais usage9.  C'était  d'ordinaire  un  cylindre,  parfois  un  cône  tronqué  à  base 

« 

convexe,  en  marbre,  en  jaspe  rouge  ou  vert,  en  agate,  en  cornaline,  en  onyx, 
en  cristal  de  roche,  rarement  en  métal.  On  y  voyait  gravé  en  creux  un  emblème 
ou  une  scène  choisie  par  le  propriétaire,  une  figure  isolée  de  dieu  ou  de  déesse, 
un  acte  d'adoration,  un  sacrifice,  un  épisode  de  la  légende  de  Gilgamès,  sans 
légende   ou  complété    d'un  nom  et  d'un   titre10.  On  roulait   le  cylindre  ou 

1.  Contrat  date  du  «  mois  d'Adar  de  Tannée  où  Hammourabi  restaura  pour  Ishtar  et  pour  Nanâ  le 
temple  d'Éitourkalama  •  (Meissner,  Beitrâge  zum  altbabylonischen  Privatrccht,  p.  88-89). 

2.  Contrat  du  «  10  Marcheswàn  de  Tannée  où  Ammiditana,  le  roi,  éleva  le  Mur  d'Amniiditana,  près 
du  canal  de  Sin...  *  (Meissner,  Beitrâge  zum  altbaby Ionise hen  Privatrecht,  p.  27,  cf.  p.  28);  autre  «  du 
2  Marcheswàn,  Tannée  de  la  restauration  des   fondements  du  mur  de  Sippara  »  (1d.,   ibid.,  p.  32). 

3.  Contrat  de  «  Tannée  du  canal  de  Hammourabi  •  (Meissner,  Beitrâge  zum  altbabylonischen  Privat- 
rccht, p.  23,  cf.  p.  48,  86);  puis  «  de  Tannée  du  canal  Toutou-hégal  »  (io.,  ibid,,  p.  24-25.  112,83-84); 
autre  de  «  Tannée  où  Ton  creusa  au  Tigre,  le  flux  des  dieux,  un  lit  vers  l'Océan  •  (u>.,  ibid.,  p.  44). 

4.  Contrat  daté  du  «  mois  de  Tishri  de  Tannée  où  la  crue  ravagea  le  pays  d'Oumliyash  »  (Meissner, 
Beitrâge  zum  altbabylonischen  Privatrecht,  p.  30,  cf.  p.  48,  69). 

5.  Ces  contrats,  et  en  général  tous  les  textes  juridiques,  sont  restés  longtemps  inabordables  à  l'étude. 
Oppert  le  premier  en  affronta  résolument  les  difficultés  et  proposa  des  traductions  de  quelques-uns 
d'entre  eux  (Un  Traité  babylonien  sur  brique  conservé  dans  la  collection  de  M.  Louis  de  Clercq, 
dans  la  Hevue  Archéologique,  2"  sér.,  t.  XIV,  p.  164-177;  les  Inscriptions  commerciales  en  caractères 
cunéiformes,  dans  la  Bévue  Orientale  et  Américaine,  t.  VI,  p.  333  sqq.,  etc.);  il  en  publia  un  grand 
nombre  en  collaboration  avec  Menant  (les  Documents  juridiques  de  l'Assyrie  et  de  la  Chaldée,  1877). 
Depuis  lors  il  a  consacré  quantité  de  notes  et  de  petits  mémoires  à  éclaircir  et  à  corriger  des  points 
qu'il  avait  laissés  douteux  dans  ses  premières  traductions  (Records  of  the  Past,  1*'  Ser.,  t.  IX,  p.  89- 
108,  Journal  Asiatique,  1880,  t.  XV,  p.  543  sqq.,  etc.).  Les  publications  de  contrats  faites  par  le  Père 
Strassmayer  ont  permis  de  compléter  l'intelligence  de  ces  documents  précieux;  les  résultats  conquis 
jusqu'à  ce  jour  ont  été  mis  en  ordre,  surtout  par  Peiser  et  par  Meissner,  en  Allemagne. 

6.  Le  sens  de  cet  usage  tout  local,  et  la  lecture  du  mot  qui  signifie  ongle,  ont  été  découverts  par 
Coxe  du  British  Muséum  (Oppert,  Un  Traité  babylonien  sur  brique,  p.  16). 

7.  Les  questions  techniques  et  archéologiques  relatives  à  ces  cachets  ont  été  élucidées  par  Menant 
dans  divers  mémoires,  qui  ont  été  résumés  et  complétés  en  dernier  lieu  par  le  grand  ouvrage  sur  les 
Pierres  Gravées  de  la  Haute-Asie  :  Recherches  sur  la  Glyptique  Orientale,  2  vol.,  1883-1886. 

8.  Hérodote,  I,  excv  :  (jçprjyîôa  8è  êxaerro;  s-/ei.  Sur  tes  expressions  dont  on  se  servait  pour  l'apposi- 
tion du  cachet,  voir  un  passage  d'OpPERT-MENANT,  Documents  juridiques  de  l'Assyrie,  p.  67-70. 

9.  Taylor  a  trouvé  à  Moughéir  un  squelette  qui  avait  encore  son  cachet  attaché  au  poignet  (Soles 
on  the  ruins  of  Muqeyer,  dans  le  /.  As.  Soc,  t.  XV,  p.  270).  Sur  la  manière  de  porterie  cachet,  cf. 
Menant,  Catalogue  des  Cylindres  Orientaux  du  Cabinet  royal  des  Médailles  de  La  Haye,  p.  3-4. 

10.  Les  empreintes  que  les  cylindres  et  les  cachets  ont  laissées  sur  les  tablettes  cunéiformes  ont  été 


734  LA  CIVILISATION  CHALDËENNE. 

l'on  appuyait  le  cône  sur  l'argile,  à  la  place  réservée.  On  recourait  dans  plu- 
sieurs localités'  à  un  procédé  fort  ingénieux,  pour  prévenir  les  modifications 
ou  les  surcharges,  que  des  gens  peu  délicats  auraient  pu  introduire  dans  les 
pièces.  La  tablette  rédigée,  on  l'enveloppait  d'une  seconde  couche  d'argile,  sur 
laquelle  on  transcrivait  une  copie  identique  à  l'original,  et  celui-ci  devenait 
du  coup  inaccessible  aux  faussaires  :  si  par  hasard  une  contestation  s'élevait 
par  la  suite  des  temps,  et  qu'on  soupçonnât  quelque  altération  au  texte  visi- 


ble, on  brisait  la  couverture  devant  témoins,  et  l'on  vérifiait  si  la  version  de 
l'intérieur  correspondait  exactement  à  celle  de  l'extérieur.  Les  familles  avaient 
ainsi  leurs  archives  privées,  qu'elles  augmentaient  rapidement  de  génération 
en  génération;  elles  y  accumulaient,  en  même  temps  que  les  preuves  de 
leur  propre  histoire,  partie  de  l'histoire  des  familles  avec  lesquelles  elles 
avaient  conclu  des  alliances  ou  noué  des  relations  d'affaires  et  d'amitié1. 

Leur  constitution  était  assez  complexe.  Il  semble  bien  que  le  peuple  de 
chaque  cité  se  divisât  en  véritables  clans,  dont  les  membres  prétendaient 
remonter  jusqu'à  un  ancêtre  unique,  ayant  fleuri  en  des  âges  plus  ou  moins 
reculés*.  On  ne  ne  les  trouvait  point  tous  dans  la  même  condition,  mais  les  uns 

recueillie*  et  étudiées   par  Menht,  Empreinte*  de  cachet*  aityro-chaldeen*  retire*  au  .WuirV  Britan- 
nique *«r  de*  contrat*  d'intWt  prive',  dans  les  Archive*  de*  Million*  icieiilifii/uc*,  3'  série,  t.  IX. 
I.  Ainsi  dan»  la  localité  île  Tell-Sifr,  Loft i1  s  Trarclt  and  Rcscarche*  in  t'.haldra  and  Smiana 
î.  Ilctiinde  t'attcltei-Giidin,  d'après  Loin  s,  Tmiclt  mut  llescnrrhet  in  Chaldxti  ant  Smiana.  p.  i69, 
ï.   Les  tablettes  de  Tell-Sifr  proviennent  d'un  do  ce*  dépôts,   Klles  reposaient  toute*  sur  trois  bri- 
ques (tros-  ières,  au  nombre  d'une  centaine,  et  elles  avaient  été  enveloppées  durci-  Halle,  dont  on  «oyait 
encore  les  restes  à  ileuii  pourri»  :  trois  autres  briques  non  cuites  recouvraient  lu  tas  (Loriis,  Trareli 
and  lle*eiirche*  in  t'.haldra  nnd  Sutimia,  p.  ii.H  si|i| .).    Les  actes  qu'elles  contiennent  se  rapportent 
pour  la  plupart  à  In  famille  île  Siniiiana  et  tl'Aïuililani,  et  forment  une  partie  de  ses  archives. 

4.  La  plus  célèbre  île  res  familles,  pendant  la  durée  du  Nouvel  Kmpire  libaldéen  et  de  la  domi- 
nation persane,  parait  noir  été  celle  d'Efjibi,  où  M.  Boscawen  avait  cru  reconnaître  une  auenec 
d'affaires  Hnancières  et    une  banque  exerçant  le  commerce  sous  le  nom   d'rigibi  et   fils   {Babyiouian 


LA   PLACE  DE  LA  FEMME  DANS  LA  FAMILLE.  133 

avaient  déchu,  d'autres  s'étaient  élevés,  et  on  en  rencontrait  des  professions  les 
plus  différentes,  cultiva- 
teurs ou  scribes,  mar- 
chands ou  industriels.  11 
ne  subsistait  plus  d'autre 
lien  entre  la  plupart  de 
ces  gens  que  le  souvenir 
de  l'origine  unique,  peut- 
être  une  religion  com- 
mune, et  des  droits  éven- 
tuels de  succession  et  de 
revendication  sur  ce  qui 
appartenait  en  propre  à 
chacun  d'eux1.  Les  bran- 
ches qui  s'étaient  déta- 
chées graduellement  du 
tronc  primi  tir,  et  dont  l'en- 
semble formait  le  clan, 
possédaient  au  contraire 
une  organisation  des  plus 
étroites.  Peut-être  la 
femme  y  occupa-t-elle  au 
début  une  situation  pré- 
pondérante ,  mais  de 
bonne  heure  l'homme  en 
devint  le  chef,  autour  duquel  les  épouses,  les   enfants,   les  serviteurs,  les 

dated  Tablett  and  thc  Canon  a[  Ptolemy ,  dans  Ici*  Transaction*  de  1»  Seriélé  d'Archéologie  Biblique, 
t.  VI,  p.  01.  H.  Opperl,  lu  premier,  montra  qu'il  s'agissait  d'une  Iribu,  d'un  clan  véritable,  el  indiqua 
la  division  en  clans  de  lu  population  chaldéimne  (tut  Tabletlei  juridique*  de  flabylone,,  dans  le 
Journal  Asiatique,  18811,  t.  XV,  p.  S43  sqq.,ct  la  Condition de»  enclore»  à  Itabylone,  don-  le-  Cumple» 
rendu/  de  f  Académie  de»  Inscription»,  1888,  p.  1*0-141).  Ce  système  parait  remonter  jusqu'au»  plus 

anciennes  époques,  bien  qu'on  n'en  ait  relrouvi'  jusqu'à  ptv^rnl  que  [n.'ii  ik'  truii ur  Us  inimu nu 

du  premier  empire  cbalrléen.  Il  se  pourrait  pourtantqu'il  )  dît  fait  allusion  dans  des  pasiiiigcï  analo- 
gues à  celui  par  lequel  Goudëa  est  proclamé  le  berger  fidèle,  dont  T'Iiiighirsou  a  établi  le  pouvoir 
parmi  les  tribus  des  hommes  [Statue  D  du  Louvre,  col.  m,  I.  10-11,  dans  lln.ihi-S.mzKr.,  D.Toinvrtri 
en  Chatdée.  pi.  II.);  mais  la  traduction  de  ce  le*le  n'est  pas  entièrement  certaine. 

1,  OptMt,  tri  Tabtcllet  juridique!  de  Babytime,  dans  le  Journal  A'ialiqur,  1880,  l.  XV,  p.  549, 
noie  ",  ot  Un  Aile  dr  renie  conterrt'  eu  deux  ejeuipluirei:,  ihris  h  Zrilurhrifl  fur  Keitforte/tung,  I.  111, 
p.  61-fiï.  On  peut  se  demander  si  le  dieu  et  la  déesse,  qui  veillaient  sur  chaque  homme  ut  donl  il  était  le 
fils  (cf.  p.  G82-D83  de  cette  Histoire)  n'étaient  pas  à  l'origine  le  dieu  cl  la  déesse  du  flan. 

t.  Dessin  de  r'auchcr-Cudin, d'après  te  croquis  de  li\*n\>,  Xincreh  and  tiabylon,  p.  609. 

a.  Le  changement  dans  la  condition  de  la  femme  serait  dû  à  l'influence  des  idées  et  des  coutumes 
sémitiques  en  Chaldcc  (IIoixcl,  Die  Scmitischen  Volkcr  und  Spraclte,  p.  ilC-418,  Piscmks,  riotei  upon 


734  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

esclaves  se  groupaient  avec  des  privilèges  et  des  fonctions  diverses,  il  rendait 
le  culte  domestique  aux  dieux  de  sa  race,  selon  les  rites  spéciaux  qu'il  avait 
hérités  de  son  père;  il  apportait  au  tombeau  de  ses  aïeux,  pendant  les  jours 
consacrés  par  l'usage,  les  offrandes  et  les  prières  qui  assuraient  leur  repos 
dans  l'autre  monde,  et  sa  puissance  ne  s'étendait  pas  moins  loin  en  matière 
civile  qu'en  matière  religieuse1.  Il  tenait  les  siens  dans  sa  main  en  toute  pro- 
priété, pour  faire  d'eux  ce  qu'il  voulait,  et  rien  de  ce  qu'ils  entreprenaient  sans 
son  consentement  ne  valait  aux  yeux  de  la  loi  ;  ses  fils  ne  pouvaient  épouser 
une  femme  qu'il  ne  les  y  eût  dûment  autorisés.  Il  comparaissait  donc  devant 
le  magistrat  avec  les  époux  futurs,  et  l'union  projetée  n'était  réputée  mariage 
véritable  qu'à  partir  du  moment  où  il  avait  apposé  son  cachet  ou  son  ongle 
sur  la  terre  du  contrat*.  C'était  à  vrai  dire  une  vente  en  bonne  forme, 
et  les  parents  ne  se  dessaisissaient  de  leur  fille  qu'en  échange  d'un  présent 
proportionné  aux  biens  du  prétendant*.  Telle  valait  un  shekel  d'argent 
pesé,  et  telle  autre  une  mine,  telle  autre  beaucoup  moins4;  la  remise  du 
prix  s'accomplissait  avec  une  certaine  solennité5.  Lorsque  le  jeune  homme  ne 
possédait  rien  encore,  sa  famille  lui  avançait  la  somme  nécessaire  à  cet  achat*. 
De  son  côté,  la  vierge  n'entrait  pas  les  mains  vides  dans  sa  vie  nouvelle  ;  son 
père,  ou  à  défaut  du  père  celui  des  siens  qui  était  alors  le  chef  de  la  lignée, 
lui  constituait  une  dot  en  rapport  avec  son  rang  social,  et  à  laquelle  sa  grand'- 
mère,  ses  tantes,  ses  cousins,  ajoutaient  souvent  à  titre  gracieux  des  cadeaux 
considérables7.  C'était  un  champ  de  blé  délimité  soigneusement,  un  bois  de 

some  récent  Discoveries,  in  the  Realm  of  Assyriology,  with  spécial  Référence  to  the  private  Life  of 
Ihe  Babylonians,  dans  le  Journal  of  the  Transactions  of  the  Victoria  /if*fi7u/et  t.  XXVI,  p.  138-139,  181). 

1.  L'autorité  illimitée  dont  le  père  de  famille  était  investi  a  été  admise,  au  moins  pour  les  pre- 
miers temps  de  l'histoire  chaldéenne,  par  tous  les  assyriologues  ;  cf.  Oppert,  dans  les  Gottingische 
gelehrte  Anzeigcn,  1879,  p.  1604-1606;  Hommel,  Die  Semitischen  Vôlker  und  Sprachen,  p.  416  ;  Meissner, 
Bei t rage  zum  altbabylonischen  Privatrecht,  p.  14-15. 

2.  Meissner,  Beitràge  zum  altbabylonischen  Privatrecht,  p.  13.  Ce  droit  demeura  entier  jusqu'aux 
derniers  temps,  et  l'on  possède  un  acte  de  l'an  VIII  de  Cynus  (Strassmayer,  Inschriften  von  Cyrus, 
Kônig  von  Babylon,  n°  312),  où  le  juge  casse  un  mariage  célébré  sans  que  le  père  du  fiancé  eût  donné 
son  consentement  (Kohler-Peiskr,  Aus  detn  Habylonischen  Rechlsleben,  t.  II,  p.  6-10).  La  nécessité 
du  consentement  paternel  pour  le  lianec  est  indiquée  aussi  dans  les  fragments  de  textes  juridiques 
sumériens  traduits  en  assyrien,  qui  ont  été  publiés  par  Rawli.nso.n,  Cun.  Ins.  \Y.  As.,  t.  II,  pi.  il, 
col.  îv,  I.  4  sqq.  (cf.  Oppkrt-Menant,  Documents  juridiques  de  l'Assyrie  et  de  la  Chaldéc,  p.  41). 

3.  Meissner,  Beitràge  zum  altbabylonischen  Privatrecht,  p.  13-14. 

4.  Shamashnazir  reçoit,  pour  achat  de  sa  tille,  10  shekels  d'argent  (Meissner,  Beitràge  zum  altba- 
bylonischen Privatrecht,  p.  69-70),  ce  qui  paraît  être  un  prix  moyen  dans  la  classe  à  laquelle  il  appartient. 

5.  Un  passage  des  vieux  textes  sumériens  relatifs  au  mariage  (Rawli.nson,  Cun.  Ins.  H  .  As.,  t.  V, 
pi.  24,  1.  48-52)  semble  dire  expressément  que  le  fiancé  «  posait  le  prix  de  In  femme  sur  un  plat  et 
l'apportait  au  père  »  (Meissner,  Beitràge  zum  altbabylonischen  Privatrecht,  p.  14,  note  3). 

6.  Meissner,  Beitràge  zum  altbabylonischen  Privatrecht,  p.  14. 

7.  La  constitution  de  la  dot  est  prouvée  pour  les  époques  anciennes  par  les  tablettes  suméro-assy- 
riennes  où  sont  expliqués  de  vieux  textes  juridiques  (Hawlinson,  Cun.  1ns.  W.  As.,  t.  II,  pi.  9,  col.  m, 
1.  5-8),  puis  par  les  données  des  contrats  de  Tell-Sifr  et  des  documents  sur  pierre  tels  que  le  caillou 
Michaux  (Oppert-Menant,  Documents  juridiques  de  l'Assyrie  et  de  la  Chaldêe,  p.  85  sqq.),  où  l'on  \oit 
des  femmes  apporter  leurs  biens  à  la  communauté  par  leur  mariage  et  en  conserver  la  libre  dispo- 


LE  CONTRAT  ET  LES  CÉRÉMONIES  DU  MARIAGE.  735 

palmiers,  une  maison  à  la  ville,  un  trousseau,  du  mobilier,  des  esclaves, 
de  l'argent  comptant;  le  tout  couché  sur  argile,  en  trois  expéditions  au 
moins,  dont  le  scribe  remettait  deux  aux  parties,  tandis  que  la  troisième 
demeurait  en  dépôt  chez  le  magistrat1.  Lorsqu'il  s'agissait  de  personnes 
appartenant  à  la  même  classe  ou  jouissant  d'une  fortune  égale,  la  promise  ou 
les  siens  pouvaient  exiger  que  le  futur  jurât  de  ne  point  lui  associer  une 
seconde  femme,  elle  vivante;  un  article  spécial  des  conventions  matrimo- 
niales la  rendait  libre  au  cas  où  il  violerait  sa  foi,  et  lui  assignait  une  indem- 
nité en  compensation  de  l'insulte  reçue1.  Cet  engagement  ne  regardait  pas,  il 
est  vrai,  les  servantes.  En  Ghaldée,  comme  en  Egypte,  comme  partout  dans 
le  monde  antique,  celles-ci  étaient  toujours  à  la  merci  complète  de  leur 
acquéreur3,  et  la  faculté  qu'il  avait  de  leur  imposer  ses  caprices  était  si  bien 
passée  dans  l'usage,  qu'elles  en  arrivaient  à  les  désirer  et  s'offensaient  plutôt 
de  ne  pas  éveiller  ses  désirs  :  les  plaintes  de  la  servante  dédaignée,  dont  le 
maître  n'a  point  dénoué  la  ceinture  et  dont  la  poitrine  ne  se  gonflera  jamais 
de  lait,  formaient  dès  une  époque  très  ancienne  un  des  thèmes  de  la  poésie 
populaire4.  La  tablette  scellée,  l'un  des  assistants,  avant  tout  un  homme  libre, 
unissait  les  mains  des  jeunes  gens5  :  il  ne  restait  plus  dès  lors  qu'à  les  mettre 

• 

en  règle  avec  les  dieux  et  à  terminer  la  journée  par  une  fête  qui  réunissait 

sition.  Pour  les  questions  relatives  à  la  constitution  de  la  dot  chez  les  Chaldéensde  l'époque  récente, 
cf.  Oppert-Menant,  Document*  juridiques  de  l'Assyrie  et  de  la  C  ha  Idée,  p.  85  sqq.;  E.  et  V.  Revilloit, 
les  Obligations  en  droit  égyptien,  p.  329  sqq.,  Kohler-Peiser,  Aus  dem  Babylonischen  Bcchtslcben, 
t.  II,  10-15,  où  l'on  se  rendra  compte  des  difficultés  que  soulevaient  le  payement  non  intégral  de  la 
dot  et  sa  restitution  en  cas  de  divorce. 

1.  Aux  époques  plus  modernes,  des  notices  inscrites  sur  plusieurs  tablettes  prouvent  que  les  deux 
parties  recevaient  parfois  chacune  un  exemplaire  (Peiser,  Babylonischen  Vertrâge  des  Berlinen  Mu- 
séums, p.  156-157,  291).  Nous  possédons  des  contrats  de  vente  à  trois  exemplaires  conservés  dans  les 
Musées  d'Europe,  au  British  Muséum  ou  au  Louvre  par  exemple;  d'autres  ne  nous  sont  parvenus 
qu'à  deux  exemplaires  (Bezold,  Kurzgefasster  Ueberblick  ùber  die  Babylonisch-Assyrische  Literatur,  , 
p.  154-155;  Strassmayer,  Die  Babylonischen  Inschriften  im  Muséum  zu  Liverpool,  dans  les  Actes  du 
V*  Congrès  International  des  Orientalistes  à  Leyde,  2*  partie,  sect.  I,  p.  580,  n°  67,  p.  583,  n°  89). 

2.  Cette  clause  n'est  connue  jusqu'à  présent  que  pour  le  temps  du  Nouvel  Empire  Chaldéen,  et  peut- 
être  pour  le  mariage  avec  une  femme  de  condition  inférieure  à  celle  de  l'homme  (Peiser,  Studien 
zum  Babylonischen  Bechtswesen,  dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  111,  p.  78-80,  Kohler-Peiser. 
Aus  dem  Babylonischen  Bechtsleben,  t.  1,  p.  7;  Oppert,  les  Documents  juridiques  cunéiformes,  dans  la 
Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  III,  p.  182-183,  et  Jugement  approbatif  d'un  contrat,  dans  le  Journal 
Asiatique,  1886,  t.  VIII,  p.  555-556;  Boissier,  Becherches  sur  quelques  contrats  babyloniens,  p.  -40-42). 

3.  Le  soin  qu'on  prenait,  dans  les  contrats  achéménides  où  l'on  louait  ou  livrait  en  gage  une  esclave, 
d'interdire  au  locataire  ou  au  créancier  d'user  d'elle  à  sa  guise  (Oppert-Menant,  Documents  juridiques 
de  l'Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  269-272),  montre  que  le  droit  du  mattre  sur  la  femme  esclave 
demeura  complet  jusqu'aux  derniers  temps. 

4.  Ce  texte  suméro-assyrien,  publié  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  Il,  pi.  35,  n°  4,  1.  61-76, 
et  d'abord  traduit  par  Oppert-Menant,  Documents  juridiques  de  l'Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  64-67,  a 
été  expliqué  complètement  par  Fr.  Lenormant,  Études  Accadieimes,  t.  III,  p.  168-169.  L'esclave  ainsi 
dédaignée  pouvait  devenir  à  la  longue  un  être  malfaisant,  contre  lequel  on  se  prémunissait  par  des 
conjurations  magiques  (Fr.  Lenormant,  Etudes  Accadiennes,  t.  111,  p.  77,  78). 

5.  Oppert,  les  Inscriptions  juridiques  de  V Assyrie  et  de  la  Chaldée,  dans  les  Actes  du  VU*  Congrès 
International  des  Orientalistes,  tenu  à  Vienne,  2*  section,  p.  178-179,  181;  la  coutume  à  laquelle  fait 
allusion  le  document  signalé  par  Oppert  remonte  jusqu'aux  époques  les  plus  anciennes. 


736  LA  CIVILISATION  CHALDËENNE. 

les  deux  familles  et  leurs  invités.  Cependant  les  esprits  méchants,  toujours 
en  quête  de  proies  faciles,  avaient  pu  se  glisser  dans  la  chambre  nuptiale,  à 
la  faveur  du  désordre  inséparable  de  toute  réjouissance  :  la  prudence  comman- 
dait qu'on  déjouât  leurs  embûches  et  qu'on  plaçât  le  nouveau  couple  à  l'abri  de 
leurs  attaques.  Les  compagnons  du  fiancé  s'emparaient  de  lui,  et,  les  mains 
sur  les  mains,  les  pieds  contre  ses  pieds,  comme  pour  lui  faire  un  rempart 
de  leur  corps,  l'entraînaient  en  pompe  ou  la  fiancée  l'attendait.  Il  répétait  une 
fois  encore  les  paroles  qu'il  lui  avait  dites  le  matin  :  «  Je  suis  le  fils  d'un 
prince,  l'argent  et  l'or  rempliront  ton  sein,  toi  tu  seras  ma  femme,  moi  je 
serai  ton  mari  »,  et  il  continuait  :  «  Autant  de  fruits  porte  un  verger, 
autant  sera  grande  l'abondance  que  je  répandrai  sur  cette  femme*  ».  Puis 
le  prêtre  appelait  sur  lui  les  bénédictions  d'en  haut  :  «  Vous  donc,  tout  ce 
qu'il  y  a  de  mauvais  et  qui  n'est  pas  bon  dans  cet  homme,  écartez-le  de 
lui  et  donnez-lui  la  force.  Et  toi,  homme,  donne  ta  virilité,  et  que  cette 
femme  soit  ton  épouse;  toi,  femme,  donne  ce  qui  te  fait  femme,  et  cet 
homme,  qu'il  soit  ton  époux.  »  Le  lendemain  matin,  un  sacrifice  d'actions  de 
grâce  célébrait  l'union  consommée,  et,  purifiant  le  ménage  récent,  chassait 
loin  de  lui  l'armée  des  divinités  mauvaises*. 

La  femme,  une  fois  livrée,  n'échappait  plus  que  par  la  mort  ou  par  le 
divorce  à  la  puissance  souveraine  du  mari;  encore  le  divorce  était-il 
pour  elle  une  sorte  de  peine  qu'elle  subissait  et  non  pas  un  droit  dont  elle 
usait  librement.  Son  mari  la  répudiait  à  son  gré,  sans  cérémonial  gê- 
nant. Une  fois  qu'il  lui  avait  dit  :  «  Tu  n'es  pas  ma  femme,  toi!  »  il  lui 
restituait  une  somme  d'argent  à  peu  près  égale  à  la  valeur  de  la  dot  qu'il 
avait  touchée3,  puis  il  la  renvoyait  à  son  père  avec  une  lettre  constatant  la 

1.  Cette  partie  de  la  cérémonie  était  décrite  sur  une  tablette  en  double  rédaction  suméro-assy- 
rienne,  découverte  et  traduite  par  Pinches,  Ilotes  upon  some  of  the  Récent  Discoveries  in  the  Realm  of 
Assyriology,  with  spécial  référence  to  the  private  Life  of  the  Babylonians,  dans  le  Journal  of  Tran- 
sactions of  the  Victoria  Instituie,  t.  XX VI,  p.  143-145,  159-160,  169-170.  L'interprétation  me  paraît 
résulter  de  la  mention  faite,  au  commencement  de  la  colonne,  d'êtres  impies,  sans  dieux,  qui  pourraient 
s'approcher  de  l'homme;  d'ailleurs  les  conjurations  magiques  indiquent  quelle  peur  on  avait  des 
esprits  qui  «  privent  l'épouse  des  embrassements  de  l'homme  •  (Fr.  Lknormant,  Études  Accadiennes, 
t.  III,  p.  79,  80).  Comme  le  remarque  Pinches  (op.  /.,  p.  144-145),  la  formule  se  retrouve  dans  la  partie 
du  poème  de  Gilgamès  où  Ishtar  veut  épouser  le  héros  (cf.  p.  580  de  cette  Histoire),  ce  qui  montre 
combien  le  rite  et  les  paroles  qui  raccompagnaient  remontaient  loin  dans  le  passé. 

2.  Le  texte  qui  décrit  ces  cérémonies  a  été  découvert  et  publié  par  Pinches,  Glimpses  of  Babylonian 
and  Assyrian  Life,  III.  A  Babylonian  Wedding  Ceremony,  dans  The  Babylonian  and  Oriental  Record, 
t.  I,  p.  145-147.  Autant  que  j'en  puis  juger,  il  contenait  une  conjuration  contre  le  novement  de  Vai- 
guillelte,  et  e>st  à  ce  propos  que  les  rites  du  mariage  sont  rappelés.  Le  rite  exigé  le  lendemain 
était  probablement  une  purification  :  encore  au  temps  d'Hérodote,  le  rapprochement  rendait  l'homme 
et  la  femme  impurs  et  les  obligeait  à  une  ablution  avant  de  reprendre  leurs  occupations  (I,  cxcvm). 

3.  La  somme  est  fixée  à  1/2  mine  par  le  texte  des  lois  sumériennes  (Rawlixsom,  Cun.  1ns.  \Y.  As., 
t.  V,  pi.  25,  1.  12);  mais  on  la  trouve  parfois  ou  plus  faible,  ainsi  de  dix  shekels,  ou  plus  forte,  ainsi 
d'une  mi«c  entière  (Meissner,  Beitrâye  zum  altbabylonischen  Vrivalrecht,  p.  149). 


i 


LE  DIVORCE,  LES  DROITS  DES  FEMMES  RICHES.  737 

dissolution  du  lien  conjugal,  et  c'en  était  assez1.  Mais  que,  dans  un  mouve- 
ment de  lassitude  ou  de  colère,  elle  lui  lançât  à  la  face  la  formule  sacramen- 
telle «  Tu  n'es  pas  mon  mari,  toi!  »  le  dénouement  ne  tardait  guère  :  on  la 
jetait  au  fleuve  et  on  l'y  noyait*.  L'adultère  entraînait  également  la  mort,  mais 
la  mort  par  l'épée  et,  quand  l'usage  du  fer  se  répandit,  par  l'épée  de  fer8. 
Une  autre  coutume  antique  n'épargnait  la  coupable  que  pour' la  vouer  à  l'in- 
famie :  l'outragé  lui  enlevait  sa  robe  en  étoffe  floconneuse,  lui  donnait  en 
échange  le  pagne  qui  la  laissait  à  demi  nue,  et  la  chassait  de  la  maison  dans 
la  rue,  où  qui  voulait  faisait  d'elle  son  affaire*.  Les  femmes  nobles  et  riches 
trouvaient  dans  leur  fortune  même  des  garanties  contre  les  excès  de  l'autorité 
maritale.  Les  biens  qu'elles  apportaient  par  contrat  au  ménage  ne  sortaient 
pas  de  leurs  mains5.  Elles  les  géraient  à  leur  guise,  elles  les  affermaient,  elles 
les  vendaient,  elles  en  dépensaient  les  revenus  comme  bon  leur  semblait, 
sans  que  personne  eût  rien  à  y  voir  :  l'homme  jouissait  du  bien-être  qui  en 
résultait,  mais  il  n'en  disposait  pas,   et  ils  étaient  si  peu  sa  propriété  que 

1.  La  répudiation  et  le  cérémonial  qui  l'accompagnait  sont  indiqués  sommairement,  pour  les 
époques  anciennes,  par  un  passage  de  la  tablette  suméro-assyrienne  publiée  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins. 
W.  As.,  t.  V,  p|.  24-25,  après  Lenormant,  Choix  de  textes  cunéiformes,  p.  35,  l.  47-52,  et  traduite  par 
Oppert-Menant,  Documents  juridiques  de  l'Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  54.  Bertin  (Akkadian  Precepts  for 
the  Conduct  of  Man  in  his  Private  Life,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique, 
t.  VIII,  p.  236-237,  252-253)  voit  au  contraire  dans  le  même  texte  une  description  des  rites  prin- 
cipaux du  mariage,  et  il  en  déduit  la  conclusion  que  le  divorce  n'était  pas  admis  comme  possible, 
en  Chaldée,  entre  personnes  de  condition  noble.  Meissner  (Beilràge  zum  altbabylonischen  Privatrecht, 
p.  14)  reprend  à  bon  droit  l'interprétation  d'Oppert,  dont  il  corrige  quelques  détails. 

2.  Le  fait  résultait  déjà  du  texte  des  soi-disant  Lois  Sumériennes  sur  V organisation  de  la  famille 
(Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  10,  col.  I,  1.  1-7,  cf.  t.  V,  pi.  25,  col.  1)  d'après  l'interprétation  la 
plus  généralement  admise  :  selon  celle  qui  a  été  proposée  par  Oppert-Menant,  Documents  juridique* 
de  V Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  57-58,  60-62,  ce  serait  la  femme  qui  aurait  eu  le  droit  de  faire  jeter 
au  fleuve  le  mari  qui  l'avait  injuriée  (cf.  Oppert,  dans  les  Gôttingische  Gelehrte  Anzeigen,  1879.  p.  1610). 
La  publication  des  contrats  d'Iltani  et  de  Bashtoum  paraît  avoir  démontré  complètement  l'exactitude 
de  la  traduction  ordinaire  (Meissner,  Beilràge  zum  altbabylonischen  Privatrecht,  p.  70-72)  :  l'incertitude 
qui  règne  toujours  sur  le  sens  d'un  mot  ne  permet  pas  de  décider  si  l'on  étranglait  la  coupable 
avant  de  la  jeter  à  l'eau,  ou  bien  si  on  l'abandonnait  vivante  encore  au  courant. 

3.  Oppert,  Jugement  approbatif  d'un  contrat,  dans  le  Journal  Asiatique,  1886,  t.  VII,  p.  556,  et  les 
Documents  juridiques  cunéiformes,  dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  III,  p.  183.  Peut-être  la 
mention  de  l'épée  de  fer  est-elle  introduite  pour  montrer  que  la  femme  était  décapitée  et  non  égorgée. 

4.  Cela  est  indiqué  par  la  tablette  suméro-assyrienne,  où  sont  enregistrées  les  expressions  relatives 
aux  choses  du  mariage  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  10,  col.  n,  1.  1-21,  et  Lenormakt,  Choix 
de  textes  cunéiformes,  p.  35-36)  :  le  passage  a  été  traduit  par  Oppert-Menant,  Documents  juridiques 
de  V Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  55-56,  avec  quelques  corrections  d'Oppert  dans  les  Gôttingische 
Gelehrte  A nzeigen,  1879,  p.  1613-1614.  Ici  encore  Bertin  (Akkadian  Precepts,  dans  les  Transactions 
de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  VIII,  p.  237-240,  252-253)  pense  qu'il  s'agit  du  mariage  et  de 
l'éducation  à  donner  au  fils  aîné  issu  du  mariage,  non  point  de  la  répudiation  ou  du  divorce. 

5.  Meissner,  Beilràge  zum  altbabylonischen  Privatrecht,  p.  14.  Dans  les  actes  du  Nouvel  Empire 
Chaldéen,  on  voit  les  femmes  en  puissance  de  mari  vendre  elles-mêmes  leurs  biens-fonds,  et  assister 
assises  à  la  conclusion  du  marché  (Oppert,  Un  Acte  de  vente  conservé  en  deux  exemplaires,  dans  la 
Zeitschrift  fur  Keilforschung,  t.  1,  p.  52-53),  ou  céder  de  son  vivant  à  sa  tille  mariée  la  nue  propriété 
de  ce  qu'elle  possède,  et  renoncer  ainsi  à  la  libre  disposition  de  ses  biens  pour  n'en  garder  que  l'usu- 
fruit (Oppert,  Liberté  de  la  femme  à  Babylone,  dans  la  Bévue  d Assyriologie,  t.  II,  p.  89-90);  réclamer 
la  restitution  d'objets  en  or  que  son  mari  avait  cédés  sans  son  autorisation,  et  obtenir  une  indemnité 
pour  le  tort  qu'elle  avait  subi  (Peiser,  Babylonische  Vertrâge  des  Berliner  Muséums,  p.  12-15,  230-231); 
prêter  de  l'argent  à  la  belle-mère  de  son  frère  (Priser,  Babylonische  Vertrâge,  p.  18-21,233-234); 
bref,  accomplir  toutes  les  opérations  qu'un  propriétaire  peut  seul  exercer  sur  son  bien. 

HIST.    ANC.    DE   L'ORIENT.    —   T.    I.  93 


738  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

ses  créanciers  n'avaient  point  la  faculté  de  les  saisir1.  Si  le  divorce  intervenait 
par  son  acte,  non  seulement  il  en  perdait  le  fruit,  mais  il  était  obligé  de  servir 
une  pension  ou  de  débourser  une  indemnité  à  titre  de  dommages  et  intérêts*; 
à  sa  mort,  la  veuve  les  reprenait  à  la  succession,  sans  préjudice  du  douaire 
auquel  son  contrat  ou  les  dernières  volontés  du  défunt  pouvaient  lui  donner 
droit8.  La  femme  dotée  s'émancipait  donc  ou  à  peu  près  de  par  la  vertu 
de  son  argent.  Comme  son  départ  appauvrissait  la  maison  d'autant,  et  par- 
fois de  plus,  que  son  arrivée  ne  l'avait  mise  à  l'aise,  on  se  gardait  bien  de 
rien  faire  qui  la  décidât  à  se  retirer,  ou  qui  fournît  à  son  père  et  à  sa  mère 
un  prétexte  pour  la  rappeler  auprès  d'eux  :  sa  richesse  lui  assurait  des  égards 
et  un  traitement  d'égalité  que  la  jurisprudence  lui  avait  refusés  à  l'origine. 
Lorsqu'elle  était  pauvre,  elle  devait  supporter  sans  se  plaindre  toute  l'infé- 
riorité de  son  état.  Les  parents  n'avaient  alors  d'autre  ressource  que  de  la 
taxer  au  plus  haut  prix  possible,  selon  le  rang  dans  lequel  ils  vivaient,  ou 
selon  les  qualités  personnelles  qu'ils  lui  supposaient,  et  la  somme,  versée 
entre  leurs  mains  contre  livraison,  lui  constituait  sinon  une  dot  réelle,  du 
moins  une  provision  qui  lui  restait  acquise  en  cas  de  répudiation  ou  de  veu- 
vage :  elle  n'en  demeurait  pas  moins  l'esclave  de  son  mari,  une  esclave  privi- 
légiée il  est  vrai,  et  qu'il  ne  pouvait  vendre  comme  les  esclaves  ordinaires*, 
mais  dont  il  se  débarrassait  avec  facilité,  dès  qu'elle  avait  cessé  d'être  jeune 
ou  de  lui  plaire5.  Dans  bien  des  cas  alors,  la  fiction  de  l'achat  disparaissait, 
et,  le  consentement  mutuel  tenant  lieu  de  toute  autre  formalité,  le  mariage 
n'était  plus  qu'une  simple  cohabitation  qui  durait  ce  qu'on  souhaitait.  L'auto- 
risation du  père  n'était  pas  requise  pour  ces  associations  libres,  et  plus  d'un 
fils  épousa  ainsi  par  usage,  à  l'insu  des  siens,  une  jeune  fille  de  sa  classe  ou 

1.  E.  et  V.  Révillout,  les  Obligations  en  droit  égyptien  comparées  aux  autres  droits  de  l'Antiquité, 
p.  344  sqq. 

2.  La  restitution  de  la  dot  après  divorce  résulte,  pour  les  époques  postérieures,  d'actes  comme 
celui  qui  est  publié  dans  Kohler-Peiser,  Ans  Babylonischer  Bechlsleben,  t.  11,  p.  13-15,  où  Ton  voit 
le  second  mari  d'une  femme  divorcée  réclamer  la  dot  au  premier.  L'indemnité  était  fixée  par  avance 
à  six  mines  d'argent,  dans  le  contrat  de  mariage  traduit  par  Oppert,  Jugement  ajtprobatif  d'un  contrat, 
dans  le  Journal  Asiatique,  1886,  t.  VII,  p.  555-556. 

3.  Sur  ce  point,  cf.  Peiser,  Jurisprudcniix  Babylonicœ  quse  supersunt,  p.  27  ;  Kohler-Peiser,  Aus 
dem  Babylonischen  Rechlsleben,  t.  I,  p.  45. 

4.  Il  parait  pourtant  que,  dans  certains  cas  mal  spécifiés,  le  mari  pouvait  vendre  comme  esclave 
sa  femme  acariâtre  (Mkissner,  Beilrâge  zum  allbabylonischen  Privatrecht,  p.  6,  70-71). 

5.  Cette  forme  de  mariage,  fréquente  aux  époques  anciennes,  tomba  en  désuétude  au  moins  dans 
les  classes  aisées  de  la  société  babylonienne.  On  en  trouve  pourtant  des  exemples  aux  bas  temps  (Oppert. 
Jugement  approbatifd'un  contrat,  dans  le  Journal  Asiatique,  1886,  t.  VII,  p.  555-556,  et  les  Docu- 
ments juridiques  cunéiformes,  dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t:  III,  p.  182-183;  Peiser,  Studien 
zum  Babylonischen  Hechtswesen,  dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriologie,  t.  III,  p.  77-80;  Kohler-Peiser, 
Aus  dem  Babylonischen  liechtsleben,  t.  I,  p.  7-9).  Elle  continuait  d'être  en  usage  dans  laclas.se  popu- 
laire, et  Hérodote  affirme  que,  de  son  temps,  on  tenait  régulièrement  des  foires  aux  mariées  (I,  exevi), 
comme  on  a,  chez  nos  contemporains,  des  foires  pour  les  domestiques  et  pour  les  servantes. 


LES  FEMMES  ET  LE  MARIAGE  DANS  LES  CLASSES  PAUVRES.         739 

d'une  classe  inférieure  :  mais  la  loi  se  refusait  à  voir  en  elle  autre  chose 
qu'une  concubine,  et  lui  imposait  une  marque  distinctive,  peut-être  celle  du 
servage,  une  olive  en  pierre  fine  ou  en  terre  cuite  portant  son  nom,  le  nom  de 
l'homme,  la  date  du  mariage,  et  qu'elle  gardait  pendue  à  son  cou  par  un 
cordonnet1.  Épouses  légitimes  ou  non,  les  femmes  du  peuple  et  de  la  petite 
bourgeoisie  jouissaient  d'autant  d'indépendance  que  les  Égyptiennes  d'un  degré 
semblable.  Gomme  tous  les  soucis  du  ménage  retombaient  sur  elles,  il  fallait 
bien  les  laisser  libres  à  toute  heure  et  partout  :  on  les  rencontrait  aux  mar- 
chés et  dans  les  rues,  les  pieds  nus,  la  tête  et  la  face  découvertes,  avec  leur 
pagne  en  toile  ou  leur  longue  draperie  d'étoffe  velue*.  Leur  vie  était  un  labeur 
sans  trêve  entre  le  mari  et  les  enfants  :  elles  allaient  chercher  l'eau  soir  et 
matin,  au  puits  public  ou  à  la  rivière,  broyaient  le  blé,  fabriquaient  le  pain, 
filaient,  tissaient,  habillaient  la  maisonnée  entière,  malgré  les  grossesses 
fréquentes  et  les  allaitements  prolongés3.  Les  Chaldéennes  riches  ou  de  sang 
noble,  à  qui  leur  état  civil  garantissait  une  situation  plus  relevée,  n'avaient  pas 
une  allure  aussi  franche.  Les  soucis  de  l'existence  journalière  les  effleuraient 
à  peine,  et  si  elles  travaillaient  dans  leur  intérieur,  c'était  instinct  d'activité, 
sentiment  du  devoir  ou  envie  de  se  distraire,  non  contrainte  ou  nécessité;  mais 
leur  rang  les  tenait  prisonnières.  Tout  le  luxe  et  tout  le  confort  que  l'argent 
procure,  on  le  leur  prodiguait  ou  elles  le  prenaient  d'elles-mêmes,  mais  il 
leur  fallait  rester  chez  elles,  dans  le  harem;  quand  elles  sortaient,  c'était 
pour  se  rendre  chez  leurs  amies,  chez  leurs  parents,  à  quelque  temple  ou  à 
quelque  fête,  et  elles  s'entouraient  de  servantes,  d'eunuques  et  de  pages,  dont 
les  rangs  épais  leur  barraient  la  vue  du  monde  extérieur*. 

Les  enfants  ne  manquaient  pas  dans  ces  maisons  où  plusieurs  maîtresses  se 

1.  Voir  le  cas  cité  dans  Kohler-Peiser,  Aus  dem  Babylonischen  Hechtsleben,  t.  I,  p.  7-9;  on  y  parle 
de  la  marque  remise  publiquement  par  le  magistrat  aux  femmes  qui  acceptaient  ce  genre  d'union 
libre.  Les  olives  en  terre  cuite,  appartenant  à  des  femmes  babyloniennes  et  découvertes  à  Khorsabad 
par  Place  (Oppert,  les  Inscriptions  de  Dour-Sarkayan,  dans  Place,  Ninive  et  t Assyrie,  t  H,  p.  307- 
308),  nous  en  donnent  probablement  la  forme  et,  à  quelques  variantes  près,  la  teneur. 

2.  Pour  la  robe  longue  des  femmes,  voir  la  statue  figurée  p.  721  de  cette  Histoire',  pour  le  pagne  qui 
leur  laissait  la  poitrine  et  le  buste  nus,  cf.  la  figurine  en  bronze  de  la  p.  720.  C'était  sans  doute  le 
vêtement  d'intérieur  des  femmes  de  bonne  maison;  on  voit  par  le  châtiment  infligé  aux  épouses 
adultères  (cf.  p.  737)  que  c'était  un  vêtement  de  dehors  pour  les  courtisanes,  sans  doute  aussi  pour 
les  esclaves  et  pour  les  femmes  du  peuple. 

3.  Les  occupations  de  la  femme  sont  indiquées  dans  plusieurs  textes  ou  sur  plusieurs  monu- 
ments anciens.  Sur  le  cachet  dont  l'empreinte  est  reproduite  à  la  p.  699  de  cette  Histoire,  on  voit  en 
haut,  à  gauche,  une  femme  agencfuillée  broyant  le  grain,  et,  devant  elle,  une  série  de  petits  disques 
figurant  sans  doute  les  pains  préparés  pour  la  cuisson.  La  longueur  de  l'allaitement  est  fixée  à  trois 
ans  par  la  tablette  suméro-assyrienne  qui  raconte  l'histoire  de  l'enfant  trouvé  (Rawlinson,  Cun.  Ins. 
W.  As.,  t.  II,  pi.  9,  col.  il,  I.  45-50;  cf.  Oppert-Menaxt,  Documents  juridiques  de  V Assyrie  et  de  la 
Chaldée,  p.  43);  c'était  le  même  délai  qu'en  Egypte  (Chabas,  VÊgyptologie,  t.  II,  p.  44-45). 

4.  Au  sujet  du  cortège  qui  entourait  les  femmes  nobles,  cf.  ce  que  dit  Hérodote  des  Chaldéennes  de 
son  temps,    orsqu'elles  allaient  acquitter  leur  dette  au  temple  de  Mylitta  (I,  cxcix;  cf.  p.  039-040). 


740  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

partageaient  le  même  homme  ou  se  succédaient  à  ses  bonnes  grâces.  La  fécon- 
dité était  en  effet  le  premier  devoir  de  la  femme  :  si  elle  tardait  à  devenir 
mère  ou  si  elle  n'y  réussissait  pas,  on  la  considérait  comme  une  maudite  ou 
comme  une  possédée,  et  l'on  se  débarrassait  d'elle  afin  d'écarter  les  dangers 
que  sa  présence  attirait  sur  la  famille*.  Beaucoup  de  ménages  finissaient 
néanmoins  par  demeurer  sans  postérité,  soit  qu'une  clause  insérée  au  contrat 
empêchât  l'expulsion  de  l'épouse  stérile,  soit  que  les  enfants  fussent  morts 
quand  le  père  avait  déjà  passé  l'âge  de  réparer  ses  pertes*.  L'adoption  sup- 
pléait alors  aux  trahisons  de  la  nature,  et  fournissait  à  la  race  les  héritiers 
qu'elle  réclamait.  On  pouvait  ramasser  quelque  orphelin  de  hasard,  un  de  ces 
petits  malheureux  que  leur  mère  abandonnait  sur  les  eaux,  ainsi  que  celle  de 
Shargani  avait  fait,  dit-on,  en  son  temps8,  ou  qu'elle  exposait  au  coin  d'un 
carrefour  à  la  pitié  des  passants4,  comme  l'inconnu  dont  une  vieille  chanson 
nous  conte  l'histoire.  «  Celui  qui  n'avait  ni  père,  ni  mère,  —  celui  qui  igno- 
rait son  père  et  sa  mère,  mais  dont  le  souvenir  est  au  puits  —  et  dont  l'entrée 
au  monde  s'est  produite  dans  la  rue  »,  son  bienfaiteur  «  l'a  arraché  à  la 
gueule  des  chiens  —  et  l'a  soustrait  au  bec  des  corbeaux.  —  Il  a  saisi  le  sceau 
devant  témoins,  —  et  il  l'a  marqué  sous  la  plante  des  pieds  avec  le  sceau 
du  témoin,  —  puis  il  l'a  confié  à  une  nourrice,  —  et  pendant  trois  ans  il  a 
garanti  à  la  nourrice  la  farine,  l'huile,  le  vêtement.  »  Le  sevrage  achevé,  «  il 
l'a  institué  son  enfant,  —  il  l'a  élevé  pour  être  son  enfant,  —  il  l'a  inscrit 
comme  son  fils,  —  et  il  lui  a  donné  l'éducation  du  scribe8  ».  Les  rites  de 
l'adoption  ne  différaient  pas  alors  de  ceux  qui  accompagnaient  la  naissance. 
Dans  les  deux  cas  on  exhibait  le  nouveau-né  devant  témoins,  et  on  le  mar- 
quait à  la  plante  des  pieds  pour  bien  constater  son  identité';  l'enregistrement 
aux  archives  de  la  famille  ne  s'accomplissait  qu'après  ces  précautions  prises, 
et  les  enfants  recueillis  de  la  sorte  passaient  désormais  aux  yeux  du  monde 

1.  Le  divorce  pour  stérilité  était  en  usage  de  très  bonne  heure.  On  considérait  la  stérilité  complète 
ou  l'incapacité  pour  la  femme  de  mener  sa  grossesse  à  terme  comme  étant  produite  par  les  mauvais 
esprits;  la  femme  possédée  de  la  sorte  par  un  démon  devenait  elle-même  un  être  redoutable,  qu'il 
était  nécessaire  d'exorciser  (Fr.  Le.normant,  Études  Accadiennes,  t.  III,  p.  57,  68). 

2.  Plusieurs  actes  de  toutes  les  époques  nous  font  connaître  des  femmes  qui,  ayant  des  enfants 
d'un  premier  mari,  n'en  avaient  pas  d'un  second,  sans  que  pour  cela  le  divorce  fût  intervenu. 

3.  Cf.  p.  597-598  de  cette  Histoire  la  légende  complète  de  Sargon  l'Ancien,  roi  d'Agadé. 

4.  Beaucoup  de  ces  enfants  étaient  des  enfants  de  courtisanes  ou  de  femmes  répudiées,  comme  le 
dit  la  tablette  suméro-assyrienne  de  Kawu.nson,  Cun.  1ns.  W.  As.,  t.  V,  pi.  24,  1.  11-15  (cf.  Fa.  Lenor- 
mant,  Choix  de  Textes  Cunéiformes,  p.  36)  :  •  Elle  exposera  son  enfant  seul  dans  la  rue,  où  les  ser- 
pents du  chemin  pourront  le  mordre,  et  son  père  et  sa  mère  ne  le  connaîtront  plus.  » 

5.  Rawunson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  9,  col.  u,  1.  28-66.  Cette  curieuse  histoire  fut  traduite  une 
première  fois  en  français  par  Oppert-Mknant,  Documents  juridiques  de  t Assyrie  et  de  la  Chaldée, 
p.  42-44,  et  plus  complètement  par  Fr.  Lenormant,  Études  Accadiennes,  t.  III,  p.  164-168. 

6.  Meissner,  Beitrâge  zum  altbaby  Ionise  hen  Privalrecht,  p.  15. 


LES  MOTIFS  ORDINAIRES  DE  L'ADOPTION.  744 

pour  les  héritiers  légitimes  de  la  maison.  Le  plus  souvent  on  s'adressait  à  des 
gens  de  connaissance,  amis  ou  cousins  pauvres,  qui  consentaient  à  sacrifier 
un  de  leurs  fils,  dans  l'espoir  de  lui  procurer  un  sort  meilleur.  Quand  il 
s'agissait  d'un  mineur,  le  père  et  la  mère  naturels,  ou  celui  des  deux  qui 
survivait,  comparaissaient  devant  le  scribe  et  se  dessaisissaient  de  tous  leurs 
droits  en  faveur  des  parents  adoptifs  :  ceux-ci,  en  acceptant  ce  désistement, 
s'engageaient  à  traiter  désormais  l'enfant  comme  ils  auraient  fait  leur  propre 
sang,  et  souvent  lui  constituaient  par  le  même  acte  un  capital  prélevé  sur 
leur  patrimoine  personnel1.  Lorsque  l'adopté  était  majeur,  on  exigeait  son 
consentement  aussi  bien  que  celui  des  siens.  C'était  alors  un  motif  d'intérêt 
et  non  plus  le  désir  de  se  préparer  une  descendance  même  factice  qui  décidait 
ces  braves  gens.  La  main-d'œuvre  coûtait  cher,  les  esclaves  étaient  rares,  et 
les  enfants  remplaçaient  autant  d'ouvriers  qui  peinaient  pour  le  père  en  se 
contentant,  comme  la  domesticité,  de  la  nourriture  et  de  l'entretien*.  Aussi 
l'adoption  des  adultes  était-elle  des  plus  fréquentes  aux  vieilles  époques. 
L'entrée  d'un  individu  dans  la  maison  nouvelle  rompait  les  liens  qui  l'atta- 
chaient à  l'ancienne;  il  devenait  un  étranger  pour  ceux  dont  il  était  issu,  il 
ne  conservait  plus  aucune  obligation  filiale  envers  eux,  ni  aucun  droit  sur  la 
fortune  qu'ils  pouvaient  avoir,  à  moins  qu'une  procédure  contraire  ne  vînt 
détruire  les  effets  de  l'acte  et  ne  le  ramenât  légalement  au  lieu  de  son 
origine3.  En  revanche,  il  assumait  toutes  les  charges  et  tous  les  privilèges  de 
son  état  nouveau  :  il  devait  à  ses  parents  adoptifs  autant  de  travail,  d'obéis- 
sance, de  respect  qu'il  en  aurait  dû  aux  naturels,  il  suivait  leur  condition 
bonne  ou  mauvaise,  et  il  succédait  à  leurs  biens*.  Même  on  prévoyait  le  cas 
où  il  serait  renvoyé  sans  cause  par  ceux  qui  l'avaient  appelé,  et  on  lui  assurait 
une  compensation  à  leurs  dépens  :  il  enlevait  la  part  d'héritage  qui  lui  serait 
revenue  à  leur  mort,  et  il  s'en  allait5.  Les  familles  paraissent  avoir  été  assez 
unies,  malgré  l'élasticité  des  lois  qui  les  régissaient  et  la  diversité  des  élé- 
ments qui  pouvaient  s'y  introduire.  Sans  doute,  les  divorces  fréquents  et  la 
polygamie  exerçaient  là  comme  partout  leurs  influences  délétères  :  les  harems 
de  Babylone  étaient  parfois  le  théâtre  d'intrigues  et  de  luttes  sans  fin  entre  les 

1.  Cf.,  pour  les  époques  plus  récentes,  un  acte  du  règne  de  Cyrus,  roi  de  Babylone,  constatant 
l'adoption  d'un  petit  garçon  de  trois  ans  et  la  constitution  de  son  patrimoine  par  le  père  adoptif 
(Kuhler-Peiser,  Aux  dem  Babylonischen  Hechtslcben,  t.  I,  p.  9-10). 

3.  Meissner,  Be  il  rage  zum  allbabylonischcn  Privatrecht,  p.  16,  loi  sqq. 

3.  Meissner,  lieitrâge  zum  a  Ubaby  Ionise  hen  Privatrecht,  p.  15. 

4.  C'est  ce  qui  résulte  pour  les  époques  anciennes  des  actes  97-98  publiés  et  commentés  par 
Meissner,  Beitrâge  zum  altbabylonixchen  Privalvecht,  p.  77-78,  153. 

5.  Cf.  pour  les  temps  récents  Kohler-Peiser,  Ans  dem  Babylonischen  iïechtsleben,  t.  II,  p.   15-18. 


742  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

femmes  de  condition  variée  qui  les  remplissaient  et  les  enfants  des  différents 
lits.  Dans  le  peuple  ou  dans  la  classe  bourgeoise,  où  la  médiocrité  des  res- 
sources restreignait  nécessairement  le  nombre  des  épouses,  la  vie  domestique 
s'écoulait  calme  et  affectueuse,  ainsi  qu'en  Egypte,  sous  la  suprématie  incon- 
testée du  père;  quand  celui-ci  partait  avant  le  temps,  la  veuve,  puis  le  fils 
ou  le  gendre,  prenaient  la  direction  des  affaires1.  Si  pourtant  les  querelles 
éclataient  et  s'exaspéraient  au  point  d'amener  une  rupture  complète  entre  les 
parents  et  les  enfants,  la  loi  intervenait,  non  point  pour  les  rapprocher,  mais 
pour  réprimer  les  excès  auxquels  ils  avaient  pu  se  porter  les  uns  envers  les 
autres.  C'était  un  délit  chez  le  père  ou  chez  la  mère  s'ils  reniaient  leur 
enfant,  et  on  les  enfermait  dans  leur  propre  maison,  aussi  longtemps  sans 
doute  qu'ils  persistaient  en  leur  résolution  de  ne  plus  l'avouer;  mais  c'était 
un  crime  au  fils,  même  au  fils  adoptif,  d'avoir  renoncé  ses  parents,  et  il 
l'expiait  durement.  S'il  avait  dit  à  son  père  :  «  Tu  n'es  pas  mon  père,  toi!  » 
celui-ci  le  marquait  d'un  signe  bien  apparent  et  le  vendait  au  marché.  S'il 
avait  dit  à  sa  mère  :  <r  Tu  n'es  pas  ma  mère,  toi!  »  on  le  flétrissait  de  même, 
puis  on  le  promenait  par  les  rues  ou  par  les  chemins,  et  on  le  chassait  de  la 
ville  et  du  pays  au  bruit  des  huées*. 

Les  esclaves  étaient  nombreux,  mais  distribués  en  proportions  inégales 
entre  les  diverses  classes  de  la  population  :  tandis  que  les  palais  en  renfer- 
maient de  véritables  troupeaux,  on  ne  trouvait  guère,  dans  la  bourgeoisie,  de 
famille  qui  en  possédât  plus  d'un  ou  de  deux  à  la  fois8.  C'étaient  en  partie  au 
moins  des  étrangers  de  race,  des  blessés  relevés  sur  les  champs  de  bataille, 
des  soldats  fugitifs  tombés  aux  mains  du  vainqueur  après  la  défaite,  des  Éla- 
mites  ou  des  Gouti  surpris  dans  leurs  villages  au  cours  de  quelque  expédition, 
sans  parler  des  gens  de  toute  catégorie  dont  les  Bédouins  s'emparaient  pendant 
leurs  razzias  en  parages  lointains,  en  Syrie,  en  Egypte,  et  qu'ils  amenaient 

1.  Sur  la  prépondérance  attribuée  au  fils  aîné,  cf.  V.  et  E.  Révillout,  Sur  (e  droit  de  la  Chaldcc, 
dans  E.  Révilloi't,  les  Obligations  en  Droit  Égyptien,  p.  «356  sqq. 

2.  IUwlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  10,  col.  i,  1.  22-45,  cf.  t.  V,  pi.  Î5,  1.  23  sqq.  J'ai  adopté 
le  .sens  généralement  admis  pour  l'ensemble  de  ce  document,  mais  je  dois  déclarer  qu'OppERT-MEiuxT, 
Documents  juridiques  île  l'Assyrie  et  de  la  C  ha  Idée,  p.  56-57,  60-61,  admettent  une  interprétation 
toute  différente.  11  s'agirait  d'une  véritable  renonciation  des  parents  par  les  enfants  et  des  enfants 
par  les  parents,  à  la  suite  d'une  condamnation  judiciaire.  Oppert  a  défendu  cette  interprétation  contre 
Haupt,  dans  les  Gôttingische  gelehrte  Anzeigcn,  1879,  p.  1604  sqq.,  et  la  maintient  encore.  Les  actes 
publiés  par  Meissner,  Bcitrâge  zum  altbabylonischen  Privatrecht,p.  73-78,  152,  montrent  que  le  texte 
des  vieilles  lois  sumériennes  s'appliquait  également  aux  enfants  adoptifs,  mais  sans  plus  faire  de  dis- 
tinction entre  l'injure  du  père  et  celle  de  la  mère  :  la  même  peine  s'appliquait  aux  deux  cas. 

3.  Pour  ce  qui  est  de  l'esclavage  en  Chaldée,  voir  surtout  le  mémoire  d'OpPERT,  la  Condition  des 
Esclaves  à  Babylone,  dans  les  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-  Lettres,  1888, 
p.  120  sqq.,  le  traité  spécial  de  Meissner,  De  Servitute  Babyloniaca,  et  les  notices  éparaes  dans  Kobler 
Peiser,  Aus  dem  Baby Ionise lien  Rechtsleben,  t.  I,  p.  1-7,  t.  II.  6.  40-50,  52-56,  etc. 


LES  ESCLAVES  ET  LEUR  CONDITION  LÉGALE.  7i3 

journellement  à  Babylone,  à  Ourou,  dans  toutes  les  cités  auxquelles  ils  avaient 
accès.  Les  rois,  les  vicaires,  les  temples,  les  seigneurs  féodaux  les  employaient 
par  masses  à  leurs  constructions  ou  à  l'exploitation  de  leurs  domaines  ;  le 
travail  était  rude  et  en  tuait  beaucoup,  mais  les  vides  se  comblaient  prompte- 
tnent  par  l'afflux  de  bandes  nouvelles.  Ceux  qui  ne  mouraient  point  s'accou- 
plaient à  leurs  compagnes  d'infortune,  faisaient  souche,  et  leurs  enfants,  nés 
aux  langues  et  aux  mœurs  de  la  Chaldée,  se  fondaient  dans  le  corps  de  la 
nation;  c'était,  au-dessous  du  peuple  des  ingénus,  Sumériens  et  Sémites, 
comme  un  second  peuple  servile,  disséminé  par  les  villes  et  par  les  cam- 
pagnes, et  auquel  se  ralliaient  à  chaque  instant  des  recrues  de  sang  indigène, 
nouveau-nés  exposés,  femmes  et  enfants  vendus  par  le  mari  et  par  le  père, 
débiteurs  qui  payaient  leurs  dettes  de  leur  liberté,  criminels  condamnés  par 
autorité  de  justice*.  La  loi  ne  les  qualifiait  point  de  personnes,  mais  elle  les 
comptait  par  tètes,  comme  de  simple  bétail  :  ils  appartenaient  au  maître  de 
la  même  façon  que  les  bêtes  de  son  troupeau  ou  les  arbres  de  son  jardin, 
et  il  pouvait  décider  de  leur  vie  ou  de  leur  mort  à  sa  volonté*,  mais  la 
coutume  et  l'intérêt  bien  entendu  restreignaient  l'exercice  de  ses  droits.  11 
les  livrait  en  gage  ou  en  payement,  les  échangeait,  se  débarrassait  d'eux  sur 
un  marché.  Les  prix  ne  montaient  jamais  bien  haut  :  on  pouvait  se  procurer 
une  femme  pour  quatre  sicles  et  demi  d'argent  pesé,  et  la  valeur  d'un  adulte 
flottait  entre  dix  sicles  et  un  tiers  de  mine.  On  écrivait  l'acte  de  vente  sur 
argile,  et  on  le  remettait  à  l'acquéreur  au  moment  du  paiement  :  on  brisait 
alors  les  tablettes  qui  constataient  le  droit  du  premier  propriétaire,  et  le 
transfert  était  complet3.  Le  maître  ne  sévissait  guère  qu'en  cas  de  désobéis- 
sance réitérée,  de  révolte  ou  de  fuite4;  il  arrêtait  ses  esclaves  marrons  partout 
où  on  les  lui  signalait,  leur  attachait  les  entraves  aux  jambes  et  les  chaînes 
aux  poignets,   les  déchirait  à  coups  de  fouet.  En  temps   ordinaire,    il    les 

t.  Meissner,  Be  il  rage  zum  al  tbaby  Ionise  hen  Privalrecht,  p.  6-7.  Ainsi  les  fils  asservis  par  leur  père, 
d'après  les  lois  dont  il  a  été  question  plus  haut,  p.  742  de  cette  Histoire,  ou  la  femme  que  le  mari  se 
réserve  par  contrat  le  droit  de  vendre  en  cas  de  désobéissance  (acte  8G  de  Meissner,  Beitràge  zum 
ait baby Ionise hen  Privatrechl,  p.  70-71);  une  histoire  d'esclave  fugitif,  conservée  dans  la  tablette 
publiée  par  IUwlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  13,  col.  n,  1.  6,  se  rapporte  peut-être  à  un  fils 
ainsi  vendu  (Fr.  Lenormant,  Études  Accadiennes,  t.  III,  p.  332-233). 

2.  Le  meurtre  d'un  esclave  par  une  personne  autre  que  le  maître  était  puni  d'une  amende  payée  à 
celui-ci  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  10,  col.  u,  1.  13-22;  cf.  Oppert-Mknant,  Documents  juri- 
diques de  C Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  58-59,  61  ;  V.  et  E.  Révillout,  Sur  le  Droit  de  la  Chaldée, 
dans  E.  Révillout,  les  Obligations  en  Droit  Égyptien  comparé  aux  autres  droits  de  l'Antiquité, 
p.  371-372  ;  Kohi.er-Peiser,  .4m*  dem  Babylonischen  liechtsleben,  t.  I,  p.  32-33. 

3.  Meissner,  Beitràge  zum  altbabylonischen  Privatrechl,  p.  6-7. 

4.  11  est  question  des  esclaves  fugitifs  dans  une  des  tablettes  suméro-assyriennes  publiées  par 
IUwlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  13,  col.  n,  I.  6-14,  et  traduite  par  Oppert-Mknant,  Documents 
juridiques   de  la   Chaldée  et  de  l'Assyrie,  p.   14,  et  par  Fr.  Lenormant,  Études  Accadiennes,  t.  III, 


744  LA  CIVILISATION  CHALDËENNE. 

autorisait  à  se  marier  et  à  se  fonder  une  famille1,  il  plaçait  leurs  enfants  en 
apprentissage,  et  dès  que  ceux-ci  savaient  un  métier,  il  les  établissait  à  son 
nom  en  leur  laissant  une  portion  du  profit  *.  On  dressait  les  plus  intelligents 
au  rôle  de  commis  ou  d'intendants,  on  leur  enseignait  la  lecture,  récriture,  le 
calcul,  les  notions  essentielles  au  scribe  habile;  on  leur  assignait  la  surveil- 
lance de  leurs  camarades  ou  l'administration  des  biens,  et  ils  finissaient  par 
devenir  les  hommes  de  confiance  de  la  maison.  Le  pécule  qui  s'accumulait 
entre  leurs  mains  pendant  leurs  années  de  jeunesse  leur  fournissait  les  moyens 
d'apporter  quelques  soulagements  à  leur  situation  :  ils  pouvaient  se  louer  au 
dehors,  moyennant  une  redevance,  même  acquérir  des  esclaves  pour  gagner  à 
leur  compte,  comrrçe  eux-mêmes  gagnaient  au  compte  de  leurs  propriétaires8. 
S'ils  exerçaient  une  profession  lucrative  et  qu'ils  y  réussissent,  leurs  éco- 
nomies s'enflaient  parfois  assez  pour  qu'ils  parvinssent  à  se  racheter  et  même, 
s'ils  étaient  mariés,  à  payer  la  rançon  de  leur  femme  et  de  leurs  enfants4. 
A  l'occasion,  le  maître,  désireux  de  récompenser  une  longue  fidélité,  libérait 
quelques-uns  d'entre  eux  de  son  plein  gré,  et  sans  attendre  qu'ils  eussent 
les  objets  ou  le  métal  nécessaires  :  ils  restaient  ses  clients,  et  continuaient 
comme  affranchis  les  services  qu'ils  avaient  commencé  à  rendre  en  tant 
qu'esclaves5.  Us  jouissaient  alors  des  mêmes  avantages  et  des  mêmes  droits 
que  les  gens  de  vieille  race  ingénue;  ils  léguaient,  ils  héritaient,  ils  estaient 
en  justice,  ils  acquéraient  et  ils  possédaient  des  maisons  et  des  terres.  Leurs 
fils  trouvaient  de  bons  partis  parmi  les  filles  de  la  bourgeoisie,  selon  leur 
éducation  et  leur  fortune;  quand  ils  étaient  intelligents,  actifs  et  laborieux, 
rien  ne  les  empêchait  de  se  hausser  aux  emplois  les  plus  importants  auprès 
du  prince.  Si  nous  ignorions  moins  complètement  l'histoire  privée  des  cités 
chaldéennes,  nous  y  verrions  sans  doute  que  les  éléments  d'origine  servile  y 

p.  232-233;  cf.,  pour  Tachât  ou  la  vente  des  esclaves  fugitifs  à  l'époque  du  Second  Empire  Chaldéen, 
Kohler-Peiskr,  Autt  dem  Babylonischen  Recktsleben,  t.  I,  p.  5-7. 

1.  Les  actes  cités  par  Oppkrt,  la  Condition  des  esclaves  à  Babylone,  dans  les  Comptes  rendus  de 
V Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  1888,  p.  125-127,  nous  montrent  ces  familles  d'esclaves  ; 
il  semble  même  en  résulter  qu'on  prenait  soin  dans  les  ventes  de  les  céder  en  bloc,  et  qu'on  évitait, 
autant  que  possible,  de  séparer  les  enfants  du  père  et  de  la  mère. 

2.  Sur  les  apprentissages  d'esclaves  aux  temps  du  Second  Empire  Chaldéen,  cf.  Kohler-Peiser,  Aus 
dem  Babylonischen  Recktsleben,  t.  II,  p.  52-56. 

3.  On  trouve  deux  bons  exemples  d'un  esclave  se  louant  lui-même  à  une  tierce  personne,  et  d'un 
autre  recevant  en  gage  un  esclave  comme  lui,  dans  Oppkrt,  la  Condition  des  esclaves  à  Babylone 
(Comptes  rendus  de  V  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  1888,  p.  127-129). 

4.  Mkissner,  Beilmge  zum  ait  babylonischen  Privatrecht,  p.  7.  L'existence  du  droit  de  rachat,  au 
temps  de  l'Ancien  Empire  Chaldéen,  est  prouvée  par  les  expressions  de  la  tablette  juridique  suméro- 
assyrienne  publiée  dans  Hawlimson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  43,  col.  h,  1.  15-18;  cf.  Oppert-Menaxt, 
Documents  juridiques  de  V Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  14. 

5.  Sur  ces  esclaves  susceptibles  d'affranchissement,  voir  ce  que  dit  Oppert,  ta  Condition  des  esclaves 
à  Babylone,  dans  les  Comptes  rendus  de  V Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  1888,  p.  122. 


LES  VILLES,  L'ASPECT  ET  LA  DISTRIBUTION  DES  MAISONS.         745 

ont  pesé  d'un  poids  considérable  :  à  remonter  quelques  générations  en  arrière, 
combien  renfermaient-elles  de  grandes  familles  qui  ne  comptassent  pas  un 
affranchi  ou  un  esclave  parmi  leurs  ancêtres? 

On  voudrait  suivre  ce  peuple  mélangé  de  germes  si  complexes  dans  ses 
corvées  et  dans  ses  plaisirs  de  chaque  jour,  aussi  aisément  qu'on  fait  les 
Égyptiens  du  même  temps;  mais  les  monuments  qui  pourraient  nous  rensei- 
gner à  son  sujet  sont  rares,  et  ce  qu'on  en  tire  de  manière  positive  se  réduit  à 
fort  peu  de  chose.  Pourtant  on  ne  risque  guère  de  se  tromper  si  Ton  se  figure 
les  cités  les  plus  riches  comme  étant,  somme  toute,  assez  semblables  aux  villes 
qu'on  rencontre  aujourd'hui,  dans  ces  régions  à  peine  entamées  encore  par 
l'invasion  des  mœurs  européennes1.  Des  rues  sinueuses,  étroites,  fangeuses, 
empestées  d'ordures  ménagères  et  de  détritus  organiques,  où  des  volées  de 
corbeaux  et  des  bandes  de  chiens  errants  s'acquittent  tant  bien  que  mal  des 
fonctions  de  la  voirie*;  des  quartiers  entiers  de  cahutes  en  roseaux  et  en 
pisé,  de  maisons  basses  en  briques  crues,  surmontées  déjà  peut-être  de  ces 
dômes  coniques  qu'on  aperçoit  plus  tard  sur  les  bas-reliefs  assyriens;  des 
bazars  populeux  et  bruyants,  où  chaque  corps  de  métier  se  cantonne  dans  ses 
impasses  et  dans  ses  ruelles  réservées;  des  espaces  silencieux  et  mornes,  par- 
semés de  palais  et  de  jardins  où  les  riches  cachent  leur  vie  intime,  et,  domi- 
nant la  mêlée  des  constructions  particulières,  les  palais  ou  les  temples  avec 
leurs  ziggourats  coiffées  de  chapelles  dorées  ou  peintes.  On  a  mis  au  jour 
parmi  les  ruines  d'Ourou,  d'Éridou  et  d'Ourouk  les  restes  de  quelques  maisons 
où  logeaient  sans  doute  des  gens  de  bonne  famille3.  Elles  sont  construites 
en  belles  briques,  dont  une  couche  mince  de  bitume  cimente  les  lits,  et  elles 
n'aventurent  au  dehors  que  des  lucarnes  percées  irrégulièrement  vers  le  haut 
des  parois  :  la  porte  basse,  cintrée,  défendue  de  lourds  vantaux  en  bois, 
ferme  un  corridor  aveugle  et  sombre  qui  aboutit  d'ordinaire  à  la  cour,  vers 
le  centre  des  bâtiments.  On  distingue  encore  à  l'intérieur  de  petites  salles 
oblongues,  tantôt  voûtées,  tantôt  couvertes  d'un  plafond  plat  que  des  troncs 

1.  On  peut  lire  à  ce  sujet  les  descriptions  que  le  voyageur  Olivier  faisait  de  Mossoul  (Voyage  dmns 
l'Empire  Othoman,  t.  II,  p.  356-357),  de  Bagdad  (W.,  t.  Il,  p.  381-382),  celles  que  Niebuhr  a  données 
de  Bassorah  (Voyage  en  Arabie,  t.  II,  p.  172)  vers  la  fin  du  siècle  passé,  et  qui  sont  confirmées,  pour 
le  commencement  et  le  milieu  de  notre  siècle,  par  les  récits  de  Kbppkl,  Personal  Narrative  of  a 
Journey  from  India  to  England,  by  Bassorah,  Ragdad,  the  ruins  of  Rabyton,  etc.,  t.  I,  p.  69. 

2.  Cf.  p.  740  de  cette  Histoire  le  tableau  de  l'enfant  exposé  à  côté  du  puits  où  les  femmes  viennent 
puiser,  et  que  ses  parents  adoptifs  ont  arraché  à  la  gueule  des  chiens  et  au  bec  des  corbeaux. 

3.  Les  fouilles  ont  été  conduites  à  Ourou  et  à  Ourouk  par  Loftfs,  Travels  and  Researches  in  Chaldsea 
and  Susiana,  et  par  Taylgr,  Notes  on  the  ruins  of  Muqeyer,  dans  le  Journal  of  the  Royal  Asiatic 
Society,  t.  XV,  p.  260-276,  à  Êridou  par  Taylor,  Notes  on  Tel-el-Lahm  and  Abou-Shahrein,  dans  le 
J.  As.  S.,  t.  XV,  p.  404-415.  Pour  l'appréciation  des  ruines  découvertes  par  ces  deux  explorateurs, 
voir  Perrot-Chipiez,  Histoire  de  l'Art  dans  l  Antiquité,  t.  Il,  p.  448-449. 

94 


à 


746  LA  CIVILISATION  CIIALDEENNË. 

de  palmier  soutiennent';  les  murs  atteignent  le  plus  souvent  une  épaisseur 
considérable,  dans  laquelle  on  pratiquait  ça   et  là   des  niches  étroites.  La 
plupart  des    pièces  n'étaient 
que    des  magasins  et  conte- 
naient   les    provisions    et    la 
richesse    de     la     famille; 
d'autres  servaient  à  l'habi- 
tation et  recevaient  un  mo- 
nauwi  cutniuiiu  x  oi:rih'*.  bilier.   Il  était    fort  simple 

chez  les  bourgeois  riches  non 
moins  que  chez  le  peuple,  et  se  composait  surtout  de  chaises  et  de  tabourets, 
comme  dans  le  palais  des  rois;  les  chambres  à  coucher  avaient  leurs  coffres  à 
linge  et  leur  lit  avec  ses  matelas  minces,  ses  couvertures,  ses  coussins,  peut- 


être  ses  chevets  de  bois  analogues  aux  chevets  africains',  mais  on  dormait  le 
plus  souvent  sur  des  nattes  déployées  à  terre.  Un  four  à  pains  occupait  un 
coin  de  la  cour,  à  côté  des  pierres  à  broyer  le  grain  ;  le  foyer  demeurait  tou- 
jours chaud,  et  s'il  s'éteignait,  on  avait  des  hâtons  à  feu  pour  le  rallumer  ainsi 

1.  Tjtlo»,  Holet  on  Ihe  ruini  of  Muaeyer,  dans  te  J.  A».  Soc.,  t.  XV,  p.  ÏCfi,  trouva  encore  les 
restes  des  (loutres  en  bail  de  palmier  qui  Ibrmaipnt  la  terrasse.  Il  pense  (Notes  on  Tel-cl-Lahm  mut 
Aliu-Shahrein,  dans  le  J.  A:  Soc.,  t.  XV,  p.  411),  comme  aussi  l.oflus  (TraccU  and  hesearthn  in 
Chalda-a  and  Sitiiana,  p.  181-183),  qu'une  partie  des  chambres  était  voiïloe.  Cf.,  sur  ret  usa^n  des 
voiltes  dans  les  maisons  rhaMéi-iines,  Phikot  Chimm,  llixtoin:  de  ïArtdnn*  CAiitiijiiitf.  1.  Il,  p.  1(>î  «<|(|. 

S.  Rmitt  de  Faucher-liudin,  d'aprèt  te  rroqui*  de  Tivi.oa,  Hoir*  on  Ihe  Ruina  of  Muqeyer,  dans 
le  Journal  of  Ihe  Hinjal  Aaialk  Society,  I.  XV,  p.  îtHÎ. 

3.  l'Iitnt  dretati  pur  faucher-Guilin,  d'âpre*  Ici  croi/nii  de  Tivi.ob,  .Vo/r«  nu  Ihe  ruina  of  Vuqran, 
dans  le  Journal  of  Ihe  Royal  Asialic  Society,  t.  XV,  pi.  III.  Les  maisons  reprofluii.'S  i  la  partie 
gaurhe  du  plan  ont  été  déblayées  dans  les  ruines  ri'tlumic;  les  maisons  reproduites  à  11  parlic  dn.ite 
a|i|i:irlii']ii]rrit  au\  ruines  d'F.ridoii.  On  remarquera,  sur  le  plan  des  maisons  de  droite,  le*  niche» 
ménagées  dans  les  murs,  et  dont  il  est  parlé  dans  le  lexte. 

1.  Les  chignons  et  les  cheveux  échafaiidés  de  diverses  figures  gravées  sup  des  inlailles  chal- 
iléennes  (cf.  ce  qui  est  dit  des  arrangements  divers  de  la  chevelure  à  la  p.  7î!l  de  celte  llitioire] 
semblent  indiquer  l'usage  de  ces  ustensiles  :  des  coiffures  aussi  compliquées  durent  ur>1in»iri-ini-ni 
plusieurs  jours  au  moins,  et  ne  se  conservent  ce  temps  qu'à  la  condition  d'employer  le  chevet. 


LA  VIE  DOMESTIQUE.  741 

qu'en  Egypte'.  La  batterie  de  cuisine  et  la  vaisselle  comprenaient  quelques 
larges  marmites  en  cuivre  et  des  pots  en  terre  arrondis  par  le  bas,  des  plats, 
des  jarres  pour  l'eau  et  pour  le  vin,  des  bols,  des  assiettes  épaisses  et  de 
pâte   grossière*  ;  le  métal  n'avait  pas  encore  aboli  la   pierre,  et   l'on  ren- 
contrait pêle-mêle  dans  le  même  ménage  des  haches  ou  des  marteaux   en 
bronze  à  côté  de  haches  ou    de    mnrinniix.    rie 
couteaux,  de  grattoirs  ou  de  masse 
De  nos  jours,  les  femmes  des  pa 
séjournent  beaucoup  sur  leurs  V 
installent  le  matin,  jusqu'à  ce  qu 
chaleur  les  chasse;  elles   y  rem< 
tenl  dès  que  le  soleil  commence 
baisser  sur  l'horizon,  et  elles  y  pa; 
sent  la  nuit  ou  ne  le  quittent 
plus   que  très   avant  dans  la 
soirée.  Elles  y  vaquent  libre- 
ment aux  soins  domestiques,  en 

échangeant  des  propos  d'une  terrasse  à  l'autre;  elles  y  boulangent,  elles  y 
cuisinent,  elles  y  lavent  et  tendent  sécher  le  linge,  ou,  si  elles  ont  des  esclaves 
pour  les  dispenser  de  ces  soucis  vulgaires,  elles  y  cousent  ou  elles  y  brodent 
en  plein  air.  Elles  descendent  pendant  les  heures  brûlantes  et  se  réfugient 
à  l'intérieur.  Dans  la  plupart  des  maisons  riches,  la  plus  fraîche  des  pièces 
se  trouve  souvent  en  contre-bas  du  sol  de  la  cour  et  ne  reçoit  que  fort  peu 
de  lumière.  Elle  est  dallée  de  plaques  en  un  gypse  poli,  qui  ressemble  à  nos 

1.  L'usage  'lu  bâton  à  feu  chez  lus  Chaldécns  a  été  indiqué  presque  simultanément  par  Bosc.iwev, 
0»  some  early  Babylonian  or  Akkadien  Inscriptions,  dans  les  Transactions  de  la  Sodété  d'Àichco- 
lofiie  Biblique,  t.  VI,  p.  S79-SKI,  et  par  Houghtos,  Oh  Ihe  Hieroglyphic  or  Picture  Origin  ofthe  C.ka- 
ractert  of  Ihe  Assyrian  Syltaliary,  ibitl.,  p.  4H6-4G8;  cf.  pour  l'Egypte  p.  318  de  celte  Histoire. 

t.  Ces  mai-miles  sont  représentées  dans  les  scènes  reproduites  p.  474  sqq.  de  cotte  Histoire.  La 
poterie  (I [.-couverte  par  Loflus,  au  cours  de  ses  fouilles,  et  par  Taylor  (Hôtes  on  Ihe  ruins  of  Muqeyer, 
dans  le  J.  As.  Soc.,  t.  XV,  p.  i74  sqq.)  dans  les  ruines  et  dans  tes  tombes  de  Mougheir  et  de  Warka 
(cC  les  tombeaux  reproduits  aux  p.  C84,  CH!j,  087  de  cette  Histoire)  est  aujourd'hui  au  British  Muséum 
fr.f.  Pshrot-Cbipio,  Histoire  de  l'Art  dans  L'Antiquité,  I.  Il,  p.  7QU-71I);  des  spécimens  de  celle  qui 
fui  recueillie  à  Tclloh  sont  au  Louvre  (Hm:iït-S*i»h:,  Déconcerte*  en  Chatdee,  pi.  XLII).  La  vaisselle 
en  cuivre  est  plus  rare;  on  en  a  relrouvé  pourtant  les  spécimens  dans  plusieurs  des  tombeaux  d'Ourou 
{ÎAtLO»,  Noie*  on  Abu-Shahre'tn  and  Ttl-el-l.ahm,  p.  .iiïi)  et  dans  les  restes  des  palais  de  Tcl-loli 
(llM'iKV-StKEc,  Découvertes  en  Outillée,  p.  40,  35,  01,  etc.). 

3.  Los  outils  en  sitex  et  en  autres  espèces  iln  pierre  ont  été  découverts  par  Taii.or.  Notes  on 
AUu-Shahrcin  and  Tel-el- Lahm,  dans  le  J.  As.  Soc.,  t.  XV,  p.  410-411  et  pi.  Il,  cl  sont  aujourd'hui 
au  British  Muséum.  Les  outils  en  bronze  proviennent  en  partie  des  lombes  de  Moudiéfr.  en  partie 
de*  ruines  explorées  par  Loflus  à  Tell-Sifr,  c'est-à-dire  des  cilés  anciennes  d'Ourou  el  de  Larsain  :  le 
nom  de  Tell-Sifr,  le  tertre  du  cuivre,  vicnl  de  la  masse  d'objets  i: livre  qu'on  y  découvre. 

4.  Oliviui,  Voyage  dans  {Empire  Othoman,  t.  Il,  \>.  :i!îf>-3.",  381-384,  3!>S-3fl3. 

ti.  Destin  de.  Fauchcr-Oudin,  d'après  les  croquis  de  G.  ll.wLtr.sos.  The  Fire  Great  Monarchies, 
1"  éd.,  t.  I,  p.  91,  et  lliéliograrure  de  Heciby-Saiuiei:,  Di'cauvertcs  en  Chaldée,  pi.  44. 


7'#8  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

beaux  marbres  gris  et  blancs,  et  les  murailles  sont  enduites  d'une  couche 
de  plâtre  fin,  moelleux  au  toucher,  doux  à  l'œil.  On  les  arrose  plusieurs  fois 
le  jour  pendant  l'été,  et  l'eau  refroidit  l'air  en  s'évaporant.  Le  peu  d'habi- 
tations ruinées  que  l'on  a  explorées  jusqu'à  présent  dans  les  villes  anciennes, 
semble  indiquer  les  mêmes  besoins  et  les  mêmes  habitudes  que  de  nos  jours. 
Comme  nos  contemporaines  de  Bagdad  ou  de  Mossoul,  les  Chaldéennes  d'au- 
trefois paraissent  avoir  préféré  l'existence  à  ciel  ouvert  et  presque  en  public 
à  la  réclusion  sous  des  plafonds  étouffés  ou  dans  une  cour  étriquée.  Les 
ardeurs  du  soleil,  le  froid,  la  pluie,  la  maladie  les  obligeaient  malgré  elles  à 
chercher  un  asile  entre  quatre  murs;  sitôt  qu'elles  pouvaient  sortir  sans  incon- 
vénient, elles  grimpaient  sur  leur  toit  pour  y  vivre. 

Beaucoup  de  familles  dans  le  peuple  et  dans  la  petite  bourgeoisie  possé- 
daient la  maison  où  elles  logeaient1.  C'était  un  patrimoine  qu'elles  s'effor- 
çaient de  conserver  intact  à  travers  toutes  les  vicissitudes5  :  le  chef  la  léguait 
en  mourant  à  sa  veuve  ou  à  l'aîné  de  ses  enfants  mâles3,  ou  du  moins  il  la 
laissait  indivise  entre  ses  héritiers,  probablement  jusqu'à  ce  que  l'un  d'eux 
rachetât  les  droits  des  autres.  Le  reste  des  biens,  fermes,  jardins,  terres  à 
blé,  esclaves,  mobilier,  bijoux,  était  réparti  entre  les  frères  ou  les  descen- 
dants naturels,  «  de  la  bouche  jusqu'à  l'or  »,  c'est-à-dire  du  moment  où  l'on 
annonçait  l'ouverture  des  opérations  jusqu'à  celui  où  l'on  délivrait  à  chacun  ce 
qui  lui  revenait*.  Pour  donner  à  cet  acte  plus  de  solennité,  on  l'accomplissait 
d'ordinaire  en  présence  d'un  prêtre.  Les  intéressés  se  rendaient  alors  au 
temple,  «  à  la  porte  du  dieu  »,  ils  y  remettaient  la  totalité  de  la  succession 
aux  mains  de  l'arbitre  choisi,  et  ils  le  requerraient  de  la  distribuer  équitable- 
ment;  ou  bien  l'aîné  des  frères  procédait  au  lotissement  devant  lui,  et  il 
n'avait  qu'à  sanctionner  les  résultats  ou  à  trancher  les  différends  qui  pouvaient 
s'élever  entre  les  ayants  droit  au  cours  de  la  séance.  Lorsqu'il  avait  terminé, 
les  légataires  devaient  déclarer  s'ils  étaient  satisfaits,  et  au  cas  où  ils  n'intro- 

1.  Le  fait  résulte  du  nombre  relativement  considérable  d'actes  où  l'on  rencontre  des  gens  de  classe 
moyenne  donnant  hypothèque  sur  la  maison,  la  vendant,  la  louant  à  bail,  toutes  opérations  auxquelles 
ils  ne  pourraient  se  livrer  si  elle  ne  leur  appartenait  pas. 

2.  La  location  d'une  maison  se  faisait  pour  des  périodes  de  temps  très  variables,  pour  trois  mois 
(Peiser,  Babyloniache  Vertrâge,  p.  56-57,  25-1-255),  pour  un  an  (irf.,  p.  60-63,  256),  pour  cinq  ans  (m/., 
p.  191-197,  300-301),  pour  un  terme  indéterminé  (irf.,  p.  196-199,  301),  mais  avec  minimum  de  six 
mois,  puisqu'on  fixe  le  payement  du  loyer  au  commencement  et  au  milieu  de  chaque  année.  Sur  les 
charges  et  les  droits  du  locataire  et  du  propriétaire,  voir,  pour  les  bas  temps,  l'étude  de  kohler  dans 
Kohlkh-Peiser,  Baby  Ionise  lie  Vertrage,  p.  41-45. 

3.  (/est  sans  doute  cette  «  part  du  frère  aîné  »  qui  est  mentionnée  dans  un  passage  assez  obscur 
du  texte  des  lois  dites  sumériennes  (Rawunson,  Cutt.  lus.  M".  As.,  t.  II,  pi.  9,  col.  m,  I.  7-9; 
Fr.  Lenorhant,  Choix  de  Tartes  Cunéiformes,  p.  13). 

4.  Telle  est,  du  moins  dans  le  gros,  l'interprétation  que  Mkissner,  Beilrâge  zum  altbabylonischrti 
Privatrecht,  p.  146,  15,  a  proposée  de  cette  locution  originale. 


LE  PRÊT  À  INTÉRÊT.  749 

duisaient  aucune  réclamation,  on  leur  dictait  devant  l'arbitre  divin  l'engage- 
ment de  ne  plus  se  quereller  à  ce  sujet  et  de  ne  jamais  porter  plainte  les  uns, 
contre  les  autres*.  À  force  de  renouveler  les  partages  de  génération  en  géné- 
ration, on  finissait  par  user  les  fortunes  les  plus  considérables  :  les  lots  de 
plus  en  plus  petits  ne  suffisaient  qu'à  peine  à  l'entretien  des  familles,  et  le 
moindre  accident  contraignait  le  propriétaire  à  recourir  aux  usuriers.  Les 
Chaldéens  ne  connaissaient  pas  plus  que  les  Égyptiens  l'usage  de  la  monnaie, 
mais  le  maniement  des  métaux  précieux  comme  matière  de  troc  atteignit  chez 
eux  de  bonne  heure  un  développement  énorme*.  L'or  servait  à  cet  office  ainsi 
que  le  cuivre,  mais  l'argent  fournissait  l'instrument  usuel  des  transactions,  et 
commandait  presque  à  lui  seul  la  valeur  vénale  des  personnes  et  des  choses. 
On  ne  le  taillait  jamais  en  anneaux  plats  ou  en  fils  enroulés,  comme  les 
Égyptiens  faisaient  pour  leurs  labnou*;  on  le  coulait  en  petits  lingots  non 
marqués,  qu'on  offrait  ou  qu'on  acceptait  au  poids  et  qu'on  vérifiait  à  la 
balance  au  moment  de  chaque  négociation*.  Peser  était  dans  la  langue  courante 
l'expression  du  payement  en  métal,  et  mesurer  celle  du  payement  en  grains8  : 
on  désignait  donc  les  lingots  d'échange  par  le  nom  même  des  poids  qu'ils 
accusaient.  L'unité  inférieure  était  un  sicle  de  8  gr.  415  en  moyenne  : 
soixante  sicles  faisaient  une  mine,  soixante  mines  un  talent.  Les  Chaldéens 
possédaient-ils  déjà,  comme  plus  tard  les  Assyriens,  deux  séries  de  sicles 
et  de  mines,  l'une  plus  forte,  l'autre  plus  faible8?  Que  ce  fût  du  métal  qu'on 
prêtât,  ou  du  grain,  ou  toute  autre  substance,  l'intérêt  était  considérable7. 

1.  Meissner,  Beilrâge  zum  allbabylonischen  Privatrecht,  p.  16;  cf.  les  actes  nM  101-111,  où  toute  la 
procédure  suivie  en  pareil  cas  est  illustrée  par  les  pièces  mêmes  qui  sont  parvenues  jusqu'à  nous. 

2.  Les  questions  relatives  à  cet  emploi  des  métaux  précieux  ont  été  traitées  sommairement  par 
Fr.  Lenormant,  la  Monnaie  dans  l'Antiquité,  t.  I,  p.  110-122.  Voir  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As., 
t.  111,  pi.  41,  I.  15-30,  le  prix  d'un  champ  énuméré  en  objets  divers,  chariots,  ânes,  taureaux, 
étoffes,  etc.,  dont  la  valeur  argent  est  inscrite  en  face  de  chaque  article  (Oppkrt-Menant,  Documents 
juridiques  de  l'Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  116-119,  122,  124-125;  Belser,  Babylonische  Kudurru- 
Inschriften,  dans  les  Beilrâge  zur  Assyriologie,  t.  Il,  p.  124-127,  151-152). 

3.  Voir  ce  qui  est  dit  des  tabnou  égyptiens  en  métal,  aux  pages  323-326  de  cette  Histoire. 

4.  Si  le  sens  primitif  de  l'idéogramme  par  lequel  on  désigne  le  sicle  dans  les  inscriptions  est 
vraiment  masse,  globe,  comme  Lenormant  l'a  pensé,  on  pourrait  en  conclure  que  les  lingots  employés 
par  les  Chaldéens  avaient  en  général  la  forme  ovoïde,  légèrement  aplatie,  des  premières  monnaies 
lydiennes  (Fr.  Lenormant,  la  Monnaie  dans  V Antiquité,  t.  I,  p.  112-113). 

5.  «  Il  pèse  l'argent,  il  mesure  le  grain  »  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  II,  pi.  13,  col.  II,  I.  44-45; 
cf.  Oppert-Menant,  Documents  juridiques  de  l'Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  12,  Fr.  Lenormant,  Etudes 
Accadiennes,  t.  III,  p.  2). 

6.  Cf.  pour  toutes  les  questions  que  soulèvent  les  deux  séries  de  poids  employées  par  les  Assyriens, 
et  d'une  manière  générale  tous  les  poids  équivalents  à  notre  monnaie,  Oppert,  l'Etalon  des  mesures 
Assyriennes  fijeé  par  les  textes  cunéiformes,  p.  69  sqq.,  et  les  observations  de  Lehiuann  dans  Meissner, 
Beitràge  zum  allbabylonischen  Privatrecht,  p.  95-101. 

7.  Ou  trouve  à  plusieurs  reprises,  pendant  le  cours  du  Second  Empire  Chaldéen,  des  échanges  de 
blé  contre  des  vivres  et  des  liqueurs  (Peiskr,  Babylonische  Vertrâge,  p.  76-79)  ou  de  poutres  contre 
des  dattes  (te/.,  p.  206-207,  305-306).  En  fait,  le  troc  n'a  jamais  disparu  complètement  de  ces  régions, 
et  aujourd'hui  encore,  en  Chaldée  comme  en  Egypte,  le  blé  est  employé  dans  bien  des  cas  soit  pour 
payer  l'impôt  gouvernemental,  soit  pour  opérer  des  paiements  commerciaux. 


750  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

Une  loi  très  ancienne  le  fixait  en  certains  cas  à  12  drachmes  par  raine  et  par 
année,  soit  à  20  pour  1001,  et  des  textes  plus  récents  nous  montrent  qu'un 
accroissement  d'un  quart,  soit  25  pour  100,  n'avait  rien  d'anormal*.  Le  com- 
merce des  capitaux  se  concentrait  presque  entier  dans  les  temples.  Les  quan- 
tités de  métal  ou  de  céréales  que  les  dieux  recevaient  constamment,  soit  à 
titre  de  revenu  fixe,  soit  comme  offrandes  journalières,  s'accumulaient  rapi- 
dement et  auraient  encombré  les  magasins,  si  l'on  n'avait  imaginé  un  moyen 
de  les  utiliser  à  bref  délai  :  les  prêtres  en  trafiquaient  et  les  faisaient  fruc- 
tifier3. Chaque  placement  nécessitait  l'intervention  d'un  scribe  public4.  Le 
billet,  rédigé  devant  témoins  sur  tablette  d'argile,  énumérait  les  sommes 
versées,  les  noms  des  parties,  le  taux  de  l'usure,  la  date  des  remboursements, 
et  parfois  une  clause  pénale  en  cas  de  fraude  ou  d'insolvabilité  :  il  demeu- 
rait entre  les  mains  du  créancier  jusqu'à  la  complète  extinction  de  la  dette. 
L'emprunteur  consignait  assez  souvent  un  gage,  des  esclaves,  un  champ,  sa 
maison5,  ou  bien  tels  ou  tels  de  ses  amis  répondaient  pour  lui  sur  leur  fortune 
propre8;  parfois  même  il  amortissait  par  le  travail  de  ses  mains  l'intérêt 
qu'il  aurait  été  incapable  d'acquitter  autrement,  et  l'on  stipulait  d'avance  au 
contrat  le  nombre  de  jours  de  corvée  qu'il  fournirait  périodiquement  à  son 
créancier7.  Si,  malgré  tout,  il  n'arrivait  pas  à  l'échéance  avec  les  fonds  néces- 
saires à  sa  libération,  le  principal  s'augmentait  d'une  quantité  prévue,  d'un 
tiers  par  exemple,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  ce  que  la  valeur  totale  des  sommes 

1.  Le  vieux  texte  suméro-assyrien  publié  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins.  \Y.  As.,  t.  II,  pi.  12,  col.  i, 
I.  20-21;  cf.  Oppert-Menant,  Documents  juridiques  de  V Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  19,  23;  Priser, 
Baby Ionise he  Vertrâge,  p.  227.  Sur  les  billets  publiés  par  Meiss.ner,  Beilràge  zum  altbabylonischen 
Privatrecht,  p.  21-29,  on  parle  des  intérêts  à  rendre  avec  le  capital  sans  en  spécilier  la  quotité. 

2.  Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  III,  pi.  47,  nB  9;  cf.  Oppert-Menant,  Documents  juridiques  de 
la  Chaldée,  p.  193-195.  Les  documents  sont  assyriens  et  datent  du  règne  d'Assourbanabal. 

3.  Meissner,  licitràge.  zum  altbabylonischen  Privatrecht,  p.  819.  (l'est  le  dieu  lui-même,  Shamash 
par  exemple,  qui  était  censé  prêter  son  bien,  et  c'est  à  lui  que  les  contrats  stipulaient  qu'on  rendrait 
le  capital  avec  les  intérêts.  Il  est  assez  curieux  de  retrouver,  parmi  les  plus  habiles  des  manieurs 
d'argent,  plusieurs  princesses  consacrées  au  dieu  Soleil  (Meissner,  Beitrâge  zum  altbabylonischen 
Privatrecht,  p.  8);  cf.  p.  «78-679  de  cette  Histoire. 

4.  Les  documents  relatifs  à  ces  transactions  ont  été  étudiés  pour  la  première  fois  par  Oppert, 
les  Inscriptions  commerciales  en  caractères  cunéiformes,  dans  la  Revue  Orientale  et  Américaine, 
V  série,  t.  VI,  p.  33-4-337;  les  différentes  espèces  de  billets  qui  s'y  rapportent  sont  énumérées 
sommairement  dans  Fr.  Lenormant,  la  Monnaie  dans  C Antiquité,  t.  I,  p.  113  sqq. 

5.  Kawunson,  Cun.  Ins.  H\  As.,  t.  II,  pi.  13,  col.  i,  I.  27-29;  cf.  Oppert-Menant,  Documents  juri- 
diques de  l'Assyrie  et  de  la  V.haldée,  p.  15;  Fr.  Lenormant,  Éludes  Accadiennes,  t.  III,  p.  42; 
.Mkissnkr,  Deitriige  zum  altbabylonischen  Priuatrecht,  p.  9.  Ou  trouvera  une  créance  assurée  sur  des 
esclaves  (Peiser,  Habylonische  Vcrtràge,  p.  11-1-117),  sur  des  champs  (Oppert-Menant,  Documents 
juridiques  de  l'Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  155-157,  181-185,  234-236;  Peiser,  Habylonische  Yertrâge, 
p.  110-113,  164-165),  sur  une  maison  (Peiser,  Babylonische  Vertràge,  p.  4-7,  10-13,42-13,72-75); 
ailleurs  des  bijoux  d'or  (n>.,  ibid.,  p.  130-131,  280-281),  ou  une  rente  sur  les  revenus  d'un  temple 
(id.,  ibid.,  p.  158-161,  292-293)  servent  de  gage  à  un  créancier. 

6.  On  voit,  par  exemple,  un  père  garantir  son  lils  (Oppert-Menant,  Documents  juridiques  de  rAs- 
syrie  et  de  la  Chaldée,  p.  260-202). 

7.  On  trouve,  dans  une  pièce  d'époque  récente,  une  clause  imposant  deux  jours  de  travail  au 
débiteur,  Oppert-Menant,  Documents  juridiques  de  l'Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  266-268. 


LE  COMMERCE  PAR  TERRE  ET  LA  NAVIGATION.  751 

égalât  celle  de  la  garantie1  :  l'esclave,  le  champ,  la  maison  étaient  dès  lors 
perdus  pour  leur  ancien  maître,  sauf  un  droit  de  rachat  dont  il  n'avait  que 
rarement  les  moyens  de  profiter*.  Le  petit  commerçant  ou  l'ouvrier  libre 
qu'un  accident  forçait  à  s'obérer  n'évitaient  cette  spoliation  progressive  qu'au 
prix  d'efforts  extrêmes  et  d'un  labeur  incessant.  Le  négoce  extérieur  pré- 
sentait, il  est  vrai,  des  périls  sérieux,  mais  les  chances  de  gain  étaient  si 
considérables  que  beaucoup  de  gens  s'y  adonnaient  de  préférence  à  des 
entreprises  plus  certaines  et  moins  lucratives.  Ils  partaient  seuls  ou  par 
troupes  pour  l'Elam  ou  les  régions  du  Nord,  pour  la  Syrie,  peut-être  pour 
l'Egypte3,  et  ils  rapportaient  de  leurs  caravanes  ce  qu'on  estimait  le  plus 
précieux  dans  ces  contrées.  Les  voies  de  terre  n'offraient  pas  beaucoup  de 
sécurité  :  non  seulement  les  nomades  et  les  bandits  de  profession  rôdaient 
autour  des  voyageurs  et  les  obligeaient  à  une  vigilance  de  tous  les  instants, 
mais  les  habitants  des  villages,  mais  les  petits  seigneurs  locaux,  mais  les  rois 
des  pays  qu'ils  parcouraient  ne  se  faisaient  aucun  scrupule  de  les  malmener, 
ou  de  leur  accorder  très  cher  la  libre  pratique  des  marchés  ou  des  territoires4. 
On  courait  moins  de  risques  sur  les  routes  d'eau  :  l'Euphrate  d'un  côté,  le 
Tigre,  l'Oulaî,  l'Ouknou  de  l'autre  traversaient  des  populations  riches  et 
industrieuses,  chez  qui  les  marchandises  chaldéennes  se  vendaient  bien  et 
s'échangeaient  aisément  contre  des  denrées  d'un  débit  avantageux  à  la  ren- 
trée5. Les  navires  qu'on  employait  communément  étaient  des  kéleks  ou  des 
couffes,  mais  des  couffes  de  dimensions  énormes.  Plusieurs  individus  se  réu- 
nissaient d'ordinaire  pour  noliser  un  de  ces  bâtiments  et  pour  lui  préparer  un 

1.  On  prévoit  de  la  sorte,  dans  les  contrats  du  Nouvel  Empire  Assyrien  ou  Babylonien,  un  accrois- 
sement au  double  (Oppert-Menant,  Documents  juridiques  de  V Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  186-187) 
et  au  triple  (id.,  ibid.,  p.  164  sqq.,  187-188)  de  la  somme  prêtée;  le  plus  souvent  l'intérêt  s'accumule 
jusqu'au  quadruple  (m.,  ibid.,  p.  181-184,  226-228,  232-234,  239-240,  247-2 i8),  après  quoi  sans  doute 
le  gage  appartenait  au  créancier.  On  calculait  probablement  qu'alors  le  capital  augmente  des  intérêts 
équivalait  à  la  valeur  de  la  personne  ou  de  l'objet  donné  en  gage. 

2.  On  se  garait  contre  ce  droit  de  rachat  par  une  formule  de  malédiction  insérée  à  la  fin  des  contrats 
contre  celui  qui  voudrait  en  user  ;  elle  est  inscrite  d'ordinaire  sur  les  pierres  bornâtes  du  Premier 
Kmpirc  Chaldécn  (Oppert-Menant,  Documents  juridiques  de  V Assyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  85  sqq.  ; 
Belser,  liabylonische  Kudurru-lnschriften,  dans  les  Britràge  zur  Assyriologie,  t.  Il,  p.  118-125, 
cf.  les  observations  de  Kohler  dans  Kohler-Peiser,  liabylonische  Vertràgc,  p.  40-41). 

3.  Cf.  ce  qui  est  dit  du  commerce  d'Ourou,  p.  613-616  de  cette  Histoire.  Un  nom  propre,  Shamisri, 
qui  se  trouve  sur  un  contrat  du  temps  de  la  première  dynastie  babylonienne,  montrerait  des  rap- 
ports entre  l'Egypte  et  la  Chaldée,  s'il  faut  le  traduire  réellement  par  l'Égyptien,  comme  le  pense 
Mkissnkr,  Beilràge.  zum  allbabylonischen  Privatrecht,  p.  21,  107. 

4.  H  n'y  a  aucun  renseignement  d'origine  babylonienne  sur  l'état  des  routes  et  sur  les  dangers  que 
les  marchands  couraient  à  l'étranger  :  les  documents  égyptiens  suppléent  en  partie  à  cette  lacune  de 
nos  connaissances.  Les  Instructions  contenues  au  Papyrus  Sa  Hier  nu  II  montrent  les  misères  du 
voyageur  (pi.  VII,  I.  6-8),  et  les  Aventures  de  Sinon  hit  (1.  96-98;  cf.  Maspf.ro,  les  Contes  populaires  de 
l'Egypte  ancienne,  2"  éd.,  p.  105-106)  font  allusion  à  l'insécurité  des  chemins  en  Syrie,  par  le  soin 
même  que  le  héros  prend  de  raconter  ce  qu'il  fit  pour  en  assurer  la  sécurité.  Ces  deux  documents 
sont  de  la  XII*  ou  de  la  XIIIe  dynastie,  c'est-à-dire  contemporains  des  rois  d'Ourou  et  de  Goudéa. 

5.  Sur  le  commerce  maritime  des  cités  chaldéennes,  cf.  ce  qui  est  dit  p.  615-616  de  cette  Histoire 


752  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

chargement  convenable1.  La  carcasse  était  fort  légère,  en  branches  d'osier  ou 
de  saule  recouvertes  de  peaux  cousues;  on  répandait  une  jonchée  de  paille 
dans  le  fond,  puis  on  empilait  régulièrement  les  ballots  ou  les  caisses,  sur 
lesquels  on  jetait  comme  un  manteau  de  paille  nouvelle.  L'équipage  compre- 
nait deux  rameurs  au  moins  et  parfois  quelques  baudets  :  les  associés  remon- 
taient les  fleuves  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  disposé  de  leur  cargaison  et  emma- 
gasiné leur  fret  de  retour*.  Le  danger,  pour  être  moindre  que  sur  les  chemins 
terrestres,  n'en  demeurait  pas  moins  réel.  Souvent  le  bateau  sombrait  ou 
s'échouait  à  la  berge,  les  riverains  interceptaient  et  pillaient  les  convois,  une 
guerre  éclatait  entre  deux  royaumes  voisins  et  suspendait  tout  commerce  : 
le  marchand  branlait  sans  cesse  entre  la  servitude,  la  mort  et  la  fortune. 

Le  négoce  sédentaire,  tel  qu'on  le  pratiquait  dans  les  villes,  enrichissait 
rarement  son  homme,  et  parfois  il  le  nourrissait  à  peine.  Les  loyers  étaient 
ruineux  pour  ceux  qui  n'avaient  point  de  logis  héréditaire;  à  la  rigueur  on  se 
tirait  d'affaire  avec  un  demi-sicle  d'argent  par  année,  mais  le  prix  moyen 
était  d'un  sicle  entier.  On  versait  en  entrant  une  sorte  de  denier  à  Dieu,  qui 
montait  parfois  au  tiers  de  la  somme  totale  :  on  acquittait  le  surplus  à  la 
fin  de  l'année.  Les  baux  duraient  un  an  le  plus  souvent,  mais  on  en  con- 
tractait aussi  pour  des  termes  plus  éloignés,  deux,  trois,  même  huit  années. 
Les  frais  de  réparation  et  d'entretien  tombaient  d'ordinaire  à  la  charge  du 
locataire  :  il  pouvait  aussi  construire  sur  le  terrain  qu'il  avait  loué,  et  alors  on 
le  déclarait  franc  de  charges  pour  un  délai  d'environ  dix  ans,  mais  la  maison 
et  en  général  tout  ce  qu'il  avait  bâti  revenait  ensuite  au  propriétaire5.  La  plu- 
part des  boutiquiers  fabriquaient  en  personne,  avec  l'aide  d'esclaves  ou  d'ap- 
prentis libres,  les  objets  qu'ils  débitaient  au  jour  le  jour.  Chacun  initiait  ses 
enfants  à  son  métier,  ceux-ci  à  leur  tour  y  instruisaient  les  leurs  ;  les  familles 
qui  suivaient  une  même  profession  par  hérédité,  et  celles  qui  se  ralliaient  à 
elles  de  génération  en  génération,  formaient  partout  des  guildes,  ou,  pour 
employer  le  terme  usuel,  des  tribus  gouvernées  par  des  chefs  et  régies  par 
des  coutumes  spéciales.  On  était  de  la  tribu  des  tisserands,  ou  de  celle  des 
forgerons,  ou  de  celle  des  marchands  de  blé,  et  le  signalement  d'un  individu 

1.  On  trouve  dans  Strassnaier,  Die  Babylonischen  Inschriften  im  Muséum  su  Lirerpool  (dans  les 
Actes  du  VIe  Congrès  International  des  Orientalistes,  2°  part.,  Sect.  I,  p.  575,  n°  28,  et  pi.  XXVU-XXVIII), 
une  liste  de  gens  qui  avaient  nolisé  un  bateau.  Le  loyer  coûtait  parfois  assez  cher  :  le  seul  contrat 
que  je  connaisse  sur  la  matière,  et  qui  est  du  temps  de  Darius  1er,  exigeait  un  sicle  d'argent  par  jour 
pour  le  bateau  et  pour  l'équipage  (Peiser,  babylonische  Verlrâge,  p.  108-111,  273). 

2.  Ce  sont  les  bateaux  qu'Hérodote  a  vus  et  décrits  (I,  cxciv),  et  dont  on  se  sert  encore  sur  le  Tigre 
sans  changement  notable  (Layard,  Nineveh  and  Us  rcmains,  1,  ch.  xiii,  et  II,  ch.  v). 

3.  Mkissser,  Beitrâge  zum  altbabylonischen  Privatrecht,  p.  71-72. 


LES   CORPORATIONS,   LA   FABRICATION   DE   LA   BRIQUE.  753 

n'aurait  pas  été  réputé  complet  dans  un  acte  public  ou  privé,  si  Ton  n'avait 
inséré  la  mention  de  sa  tribu  derrière  son  nom,  à  côté  de  sa  filiation  pater- 
nelle1. C'était  la  même  organisation  qu'en  Egypte,  mais  développée  plus  com- 
plètement1 :  d'ailleurs  les  métiers  ne  différaient  guère  chez  les  deux  peuples, 
à  quelques  exceptions  près  dont  la  nature  du  sol  et  sa  constitution  physique 
rendent  un  compte  suffisant.  On  ne  rencontrait  pas  aux  bords  de  l'Euphrate 
ces  corporations  de  tailleurs  de  pierre  et  de  marbriers,  si  nombreuses  dans 
la  vallée  du  Nil.  L'immense  plaine  chaldéenne  n'aurait  pu  les  occuper,  faute 
de  montagnes  et  de  carrières  prochaines  :  on  allait  chercher  fort  loin  le  peu  de 
calcaire,  d'albâtre  ou  de  diorite  indispensable,  et  on  le  réservait  à  des  détails 
de  décoration  monumentale,  pour  lesquels  un  petit  nombre  d'artisans  et  de 
sculpteurs  suffisaient  amplement.  L'industrie  des  briquetiers  s'en  était  accrue 
d'autant  :  ils  faisaient  la  brique  sèche  plus  grande  que  celle  des  Égyptiens, 
plus  résistante,  plus  fine  de  terre,  plus  soignée  d'exécution,  et  ils  avaient 
poussé  la  fabrication  de  la  brique  cuite  à  un  degré  de  perfection  qu'elle 
n'atteignit  jamais  à  Memphis  ou  à  Thèbes.  Une  légende  antique  en  rattachait 
l'invention,  et  par  suite  la  construction  des  premières  villes,  à  Sin,  le  fils  aîné 
de  Bel,  ainsi  qu'à  son  frère  Ninib3;  cet  événement  avait  eu  lieu  en  mai-juin, 
et  depuis  lors  le  troisième  mois  de  l'année,  celui  auquel  les  Gémeaux  prési- 
daient, s'appelait  Mourga  en  sumérien,  et  dans  l'idiome  des  Sémites,  Simanou, 
le  mois  de  la  brique*.  C'était  le  temps  qu'on  choisissait  pour  se  livrer  aux 
manipulations  que  le  métier  exige  :  la  crue  des  fleuves,  très  forte  pendant  les 
mois  précédents,  diminue  alors,  et  l'argile  qu'elle  découvre,  lavée,  pénétrée, 
retournée  par  les  eaux  depuis  des  semaines,  se  laisse  travailler  sans  difficulté. 
Le  soleil,  de  son  côté,  chauffe  hissez  dur  pour  dessécher  la  pâte  de  façon  égale 
et  douce;  plus  tard,  en  juillet  et  en  août,  elle  craquellerait  à  l'intensité  de  ses 
feux  et  se  changerait  en  une  masse  trop  friable  à  l'extérieur,  trop  humide  au 
centre,   pour  qu'il  fût  prudent  d'en  user  dans  des  constructions  soignées. 

1.  L'existence  de  ces  corporations  ou  tribus  est  prouvée,  à  Babylone  par  exemple,  par  les  actes  du 
Second  Empire  Chaldéen,  qui  donnent  presque  toujours  le  nom  de  la  tribu,  à  côté  de  la  filiation  des 
individus  engagés  dans  une  affaire  à  un  titre  quelconque.  Elle  a  été  signalée  par  Oppert,  Babylone  et 
les  Babyloniens  (dans  t Encyclopédie  des  Gens  du  monde,  2*  éd.,  t.  I,  p.  658),  où  le  sens  de  caste  était 
indiqué;  cf.  les  Tablettes  juridiques  de  Babylone,  dans  le  Journal  Asiatique,  t.  XV,  1880,  p.  543-544. 

î.  Sur  les  corporations  et  sur  les  gens  de  métier  en  Egypte,  cf.  p.  310-311  de  cette  Histoire. 

3.  Les  faits  qui  se  rapportent  à  l'origine  légendaire  et  à  la  fabrication  de  la  brique  ont  été  discutés 
tout  au  long  par  Fr.  Lenormant,  les  Origines  de  l'Histoire,  t.  I,  p.  141  sqq. 

4.  Cette  synonymie  a  été  fournie  par  une  tablette  du  British  Muséum,  qui  a  été  publiée  d'abord 
par  Kdwin  Norris,  Assyrian  Dictionary,  P'  I,  p.  50,  puis  par  Fr.  Delitzsch,  Assyrische  Lesestûcke,  2*  éd.. 
p.  70,  n*  3.  La  preuve  que  Simanou,  le  Siwàn  des  Juifs,  était  le  mois  consacré  à  la  fabrication  des 
briques,  s'est  rencontrée  tout  d'abord  dans  l'inscription  dite  des  Borils  de  Sargon,  étudiée  en  premier 
lieu  par  Oppert,  Expédition  scientifique  en  Mésopotamie,  t.  I,  p.  355-356,  et  les  Inscriptions  de  Dour- 
Sarkayan,  dans  Place,  Xiniveet  l'Assyrie,  t.  H,  p.  290. 

HIST.    ANC.   i»f.  l'orient.   —  T.   I.  95 


754  LA    CIVILISATION   CHALDÊENNE. 

La  mise  en  train  était  précédée  de  fêtes  et  de  sacrifices  à  Sin,  à  Mardouk,  à 
Nébo,  à  toutes  les  divinités  qui  s'intéressaient  aux  arts  de  la  bâtisse  ;  d'autres 
cérémonies  religieuses  s'échelonnaient  le  long  du  mois  et  sanctifiaient  l'œuvre 
qui  s'exécutait.  Elle  ne  finissait  pas  au  dernier  jour,  mais  on  la  continuait 
jusqu'au  retour  de  l'inondation,  avec  plus  ou  moins  d'activité  selon  la  cha- 
leur qu'il  faisait  ou    selon    l'importance  des  commandes  :  seule  la  brique 
destinée  aux  édifices  publics,  temples  ou  palais,  ne  pouvait  être  moulée  en 
un  autre  temps1.  Les  teintes  que  la  cuisson  engendre  naturellement  dans  les 
terres,  rouge  ou  jaune,  grise  ou  noirâtre,  n'ont  rien  d'agréable  pour  l'œil  : 
on  les  dissimula  sous  des  couches  d'émail  coloré  plaisantes  à  voir,  indestruc- 
tibles au  soleil  et  à  la  pluie1.  La  glaçure,  étendue  sur  les  tranches  ou  sur  les 
plats  de  la  brique  encore  crue,  s'y  vitrifiait  au  four  et  s'y  incorporait  tout 
entière.  L'Egypte  avait  connu  le  procédé  de  bonne  heure,  mais  elle  l'avait 
rarement  utilisé  à  la  décoration  des  monuments5  :  la  Ghaldée  fit  des  plaques 
émaillées  un  usage  considérable.  Elle  laissa  nus  le  soubassement  de  ses  palais 
et  les  murailles  extérieures  de  ses  temples,  mais  elle  habilla  de  ses  carreaux 
multicolores  les  édicules  qui  couronnaient  les  ziggourat,  les  salles  de  récep- 
tion, le  dessus  des  portes.  On  en  recueille  les  débris  dans  les  ruines  de  ses 
villes,  et  l'analyse  à  laquelle  on  les  a  soumis  montre  l'habileté  prodigieuse  de 
ses  vieux  émailleurs  :  les  tons  en  sont  doux  et  francs,  l'étoffe  homogène,  la 
couverte  égale  partout,  et  si  solide  que  ni  des  siècles  d'ensevelissement  dans 
un  sol  détrempé,  ni  le  transport  et  l'exposition  dans  l'atmosphère  humide  de 
nos  musées  n'en  ont  altéré  la  fraîcheur  et  l'éclat*. 

Il  faudrait,  pour  juger  ce  qu'était  l'outillage  industriel,  pouvoir  surprendre 
les  diverses  corporations  au  travail,  comme  nous  faisons  les  ouvriers  égyp- 
tiens dans  les  mastabas  de  Saqqarah  ou  dans  les  hypogées  de  Béni-Hassan. 
La  pierre  en  fournissait  encore  une  bonne  part,  et  l'équipement  des  morts  se 
réduirait  à  peu  de  chose  parmi  les  tombes  d'Ourou,  si  l'on  en  retranchait  les 
objets  en  silex,  les  couteaux,  les  couperets,  les  grattoirs,  les  herminettes,  les 

1.  Tous  ces  faits  résultent  du  passage  de  Y  Inscription  des  Barils  (1.  57-61)  où  Sargon,  roi  d'Assyrie, 
raconte  la  fondation  de  la  ville  de  Dour-Sharroukin. 

2.  Sur  la  brique  émaillée,  et  sur  le  rôle  de  l'email  en  général  dans  la  décoration  chaldéenne, 
voir  Perrot-Chipiez,  Histoire  de  l'Art  dans  V Antiquité,  t.  H,  p.  295  sqq. 

3.  Le  seul  exemple  qu'on  en  connaisse  pour  les  époques  anciennes  serait  la  chambre  funéraire  de 
la  Pyramide  à  degrés  de  Saqqarah,  si,  comme  je  le  crois,  les  briques  émaillées  qui  la  revêtaient  remon- 
tent, en  partie  au  moins,  aux  temps  de  l'Empire  Memphite;  cf.  p.  243  de  cette  Histoire,  note  t. 

4.  Taylor  en  trouva  de  nombreux  fragments,  d'un  ton  bleu  pour  la  plupart,  à  Moughéir,  dans  les 
ruines  d'Ourou  (Notes  on  the  ruins  of  Muqeyer,  dans  le  J.  As.  Soc.,  t.  XV,  p.  262);  Loftus  (Travels 
and  Hesearches  in  Chaldxa  and  Sus  i  an  a,  p.  185)  en  signale  autant  dans  celles  d'Ourouk.  11  est  possible 
qu'il  faille  attribuer  ces  restes  de  décoration  émaillée,  non  pas  aux  constructions  primitives,  mais 
aux  travaux  de  restauration  entrepris  dans  ces  temples  par  les  rois  du  Second  Empire  Chaldécn. 


L'OUTILLAGE   EN  PIERRE   ET    EN   MÉTAL.  753 

haches,  les  marteaux'.  La  taille  en  est  libre  et  la  retouche  intelligente,  mais 
on  y  remarque  rarement  la  même  pureté  de  galbe  et  la  même  intensité  de 
poli  que  sur  les  outils  et 
sur  les  armes  des  peuples 
occidentaux.  Quelques-uns 
seulement  sont  d'une  tour- 
nure assez  fine  et  portent 
des  textes  gravés  :  l'un 
d'eux,  un  marteau  en  silex 
de  forte  taille,  appartenait  eui»*»)  es  mmrk9 

à    un    dieu,    peut-être    à 

Ramman,  et  semble  provenir  d'un  temple  où  l'un  de  ses  propriétaires  l'avait 
consacré*.  C'est  une  exception  notable,  mais  c'est  une  exception.  L'instrument 
en  pierre  était  d'ordinaire  l'instrument  du  pauvre,   l'instrument  grossier  et 


peu  coûteux  :  à  trop  en  soigner  l'exécution,  on  aurait  du,  ou  le  coter  si  cher 
qu'il  n'eût  plus  trouvé  d'acheteur,  ou  le  céder  à  si  bon  marché  que  le  vendeur 
n'en  eût  retiré  aucun  bénéfice.  Au  delà  d'un  certain  prix,  on  se  procurait 
aisément  des  outils  en  métal,  en  cuivre  d'abord,  puis  en  bronze  et  plus  tard 


1.  Le  British  Muséum  en  possède  une  collection  fort  intéressa  nie  recueillie  par  TirLOI,  Sole»  on  Abu- 
Shahrein  and  Tcl-et-Lahm,  dans  le  Journal  /(.  An.  Soc.,  t.  XV,  pi.  Il,  b,  h,  i,  k,  m,  »,  et  par  Loft  us, 
Travcl»  and  llesearches  in  Chaldaa  and  Susiana.  Quelques-uns  de  ces  objets  ont  été  reproduili 
dans  G.  IUwlusw,  The  Fh'r  Greal  Monarchies,  V  cd.,  t.  I,  p.  9">-98. 

i,  Dettin  de  Fauchtr-Gudin,  d'aprè»  le»  croqui»  publiée  par  Ta*lor,  el  par  G.  IUwlissos,  T/ic  Fii'c 
Créai  Monarchie»,  f*  éd.,  t.  I,  p.  9ii-ue.  A  gauche  un  grattoir  et  deux  couteaux  superposés,  au 
milieu  une  hache,  à  droite  un  marteau  et  une  hache  en  pierre.  Tous  ces  objel6  proviennent  des  fouilles 
de  Taylor  (.Vote*  on  Ihe  ruina  of  Muqeyer,  dans  le  Journal  of  the  Royal  Asiatic  Society,  l.  XV,  pi.  M, 
b,  h,  i,  k,  m.  n)  et  sont  déposés  aujourd'hui  nu  British  Muséum. 

3.  Elle  se  trouvait  dans  l'ancienne  collection  du  cardinal  llor^ia  el  appartenait,  il  y  a  quelques 
années,  ou  comte  Ettore  Borgia.  Klle  a  été  publiée  par  Srsvpws,  Flinl  Chips,  p.  1  l.'i,  et  en  far-HÎmilé 
par  Fa.  Ltsoan.iNT,  Tre  Monumeali  Caldei  ed  Assiri  délie  Colleiioni  Romane,  1B"',',  p.  4-9,  et  pi.  VI,  1  : 
CmAtli.ic,  l'Age  de  ta  pierre  en  Asie,  dans  le  Troisième  Congrès  provincial  des  Orientaliste»,  tenu 
à  Lyon,  t.  1,  p.  3ÏI-3ÏÏ,  a  reproduit  ce  que  Lenormant  en  avait  dit. 

».  Destin  de  Faucher^iudin,  d'après  te  monument  publié  par  Kh.  Looiuix.,  Trc  Monumenli  Caldei 
ed  Assiri  délie  Colle-.ioni  Romane,  pi.  VI,  n*  t. 


756 


LA    CIVILISATION   CHALDÊENNE. 


en  fer1.  On  en  rencontrait  de  toute  sorte  chez  les  fondeurs  et  chez  les  forge- 
rons, des  haches  d'un  modèle  élégant  et  léger,  des  marteaux,  des  couteaux, 
aussi  de  la  vaisselle  de  ménage,  des  coupes,  des  chaudrons,  des  plats,  des 
garnitures    de  porte  et  de  coffret,  des  figurines  d'hommes  ou  de  taureaux, 

de  monstres  ou  de  dieux,  qu'une  for- 
mule de  prière  écrite  ou  prononcée 
sur  elles  pouvait  transformer  en  amu- 
lettes, des  bijoux,  des  bagues,  des  boucles 
d'oreille,  des  anneaux  de  jambe  ou  de  bras, 
enfin  des  armes  offensives  et  défen- 
sives, têtes  de  flèche  et  pointes  de 
lance,  épées,  poignards,  casques 
arrondis  sans  couvre-nuque  et  sans 
visière8  :  quelques-unes  des  pièces  que  les  Chaldéens  fabriquaient  atteignaient 
des  dimensions  considérables,  ainsi  les  mers  d'airain  qu'on  dressait  devant 
chaque  sanctuaire,  et  dans  lesquelles  on  recueillait  les  libations  ou  les 
liquides  destinés  aux  purifications  des  fidèles4.  Comme  il  arrive  souvent 
chez  les  peuples  à  demi  civilisés,  les  orfèvres  maniaient  les  métaux  pré- 
cieux avec  beaucoup  d'adresse  et  de  facilité.  Nous  ne  possédons  jusqu'à  ce 
jour  aucune    des  images   en  or   que  les   rois  dédiaient   dans   les  temples 


OUTILS  CHALDKE.NS  K.N  BRONZE 


1.  On  a  cru  d'abord  que  tous  les  objets  trouvés  dans  les  tombes  d'Ourou  étaient  en  bronze;  les 
analyses  de  Berthelot,  Introduction  à  l'Étude  de  la  Chimie  des  Anciens  et  du  Moyen  Age,  p.  225,  ont 
montre  qu'une  partie  au  moins  d'entre  eux  étaient  en  cuivre  pur. 

2.  Dessin  de  Faucher-Gudin,  d'après  G.  Rawlinson,  The  Five  Gréai  Monarchies*  2#  éd.,  t.  I,  p.  97. 
A  droite  deux  haches,  au  milieu  un  marteau,  à  gauche  un  couteau  et  une  pointe  de  lance. 

3.  Les  haches,  les  tranchants  d'erminette,  les  marteaux,  les  couteaux,  viennent  des  tombes  d'Ourou, 
ainsi  qu'une  partie  des  coupes  et  de  la  vaisselle  (Taylor,  Notes  on  the  ruins  of  Muqeyer,  p.  271. 
273).  Les  garnitures  et  les  figurines  ont  été  trouvées  un  peu  partout  dans  les  ruines,  à  Lagash  (Heuzey- 
Sarzec,  Fouilles  en  C  ha  Idée,  p.  28-29)  ou  au  bourg  moderne  d'Afadji  près  de  Bagdad  (A.  de  Longpérier, 
le  Musée  Napoléon,  t.  111,  pi.  11)  ou  à  Kalwadha  (Inscription  dans  Hawlisson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  I. 
pi.  4,  n°  15).  Les  bijoux  et  les  armes  proviennent  soit  d'Ourou  et  d'Ourouk  (Taylor,  Notes  on  the 
ruins  of  Muqeyer,  dans  le  /.  .4*.  Soc,  t.  XV,  p.  272,  273,  Notes  on  Abu-Shahrein  and  Tel-el-Lahm, 
p.  -115),  soit  de  Lagash  ou  des  environs  (Hklzky,  la  Lance  colossale  d'hdoubar  et  les  dernières  fouilles 
de  M.  de  Sarzec,  dans  les  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  1893,  t.  XXI, 
p.  305-310).  On  voit  des  casques  sur  les  restes  de  la  Stèle  des  Vautours  (cf.  la  vignette  à  la  p.  606  de 
cette  Histoire);  le  Musée  du  Louvre  en  possède  un  de  même  forme  (A.  de  Longpérimi,  Notice  des  Anti- 
quités Assyriennes,  3e  éd.,  p.  53,  n°  223),  qui  appartient  à  l'époque  assyrienne  et  qui  est  originaire 
de  Khorsabad.  La  lance  en  bronze  ou  en  cuivre  que  M.  de  Sarzec  a  découverte  à  Telloh  montre  que  les 
forgerons  chaldéens  ne  reculaient  pas  devant  l'exécution  de  pièces  gigantesques  :  elle  est  décorée 
de  dessins  tracés  à  la  pointe  sur  le  métal  avec  une  netteté  remarquable. 

•i.  Le  roi  Ourninâ  de  Lagash  avait  établi  une  Grande  et  une  Petite  Mer,  et  le  mot  qu'il  emploie. 
zouab,  abzou,  est  celui  qui  sert  a  désigner  l'Océan  céleste  (cf.  p.  537  de  cette  Histoire),  au  sein  duquel 
le  monde  repose  (Heuzky-Sarzec,  Découvertes  en  Chaldëe,  pi.  2,  n°  2,  col.  m,  1.  5-6,  col.  iv,  I.  6-7; 
Oppert,  Deux  Textes  très  anciens  de  la  Chaldée,  dans  les  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Inscrip- 
tions et  Belles-Lettres,  t.  XI,  1883,  p.  75  sqq.;  Ahiaud,  The  Inscriptions  of  Telloh,  dans  les  Records  of 
the  Past,  2,é  Ser.,  t.  Il,  p.  66).  Le  rapprochement  de  ces  abzou,  fréquents  dans  les  temples  de  la 
Chaldée  antique,  avec  la  mer  d'airain  du  temple  de  Salomon,  a  été  fait  par  Sayce,  dans  une  note  à 
la  traduction  d'Amiaud  (Hecords  of  the  Past,in4  Ser.,  t.  I,  p.  05,  note  1). 


L'ORFÈVRERIE,    LES   GRAVEURS    DE   CYLINDRES.  737 

<lu  revenu  de  leurs  propres  biens  ou  du  butin  pris  sur  l'ennemi,   mais  un 
vase  en  argent,  offert  à  Ninghirsou  par  Enténa,  vicaire 
de  Lagash,  nous  donne  l'idée  de  ce  qu'était  cette  portion 
du  mobilier  divin  '.  II  pose  d'aplomb  sur  un  petit  socle  en 
bronze,  carré,  à  quatre  pieds.  Une  Inscription  pieuse  s'en- 
roule autour  du  goulot,  et   la   panse  se  partage  en   deux 
registres  superposés,  qu'un  double  filet  cordé  limite  par 
en  haut  et  par  en  bas.  Quatre  aigles  à  deux  tètes,  les  ailes 
»,  la  queue  étalée  en  éventail,  couvrent  la  zone  inférieure  : 
;rres  s'appuient  sur  la  croupe  de  deux  animaux   adossés  et 
îts,  alternativement  deux  lions  et  deux  bouquetins  ou  deux 
j-dessus  et  vers  la  naissance  du  col,  sept  génisses  couchées 
it  la  tète  dans   la  même  direction.   Le   tout  se  profile  à  la 
ur  le  métal  uni,  sans  reliefs  ni  incrustations.  L'ensemble  de 
isition  s'agence  harmonieusement,  l'allure 
leur  structure  générale  sont  bien  comprise 
avec  fermeté,  mais  le  détail  des  crinière: 
lages  est  d'une  minutie  et  d'une   exac- 
»re  enfantines.  Ce  monument  suffirait 
MB,1*"i     à  lui  seul   pour  nous  prouver  que  les  orfèvres 
les  plus  vieux  de  la  Chaldée  ne  1*  cédaient  en 
rien  à  ceux  de  l'Egypte,  quand  les  tombeaux  ne  nous 
auraient  pas  rendu  un  certain  nombre  de  bijoux  en  or 
a'une   facture  excellente,  boucles  d'oreilles,  bracelets  ou 
anneaux9.  La  composition  et  la  gravure  des  cylindres  occu- 
paient à  côté  d'eux  tout  un  monde  d'intailleurs  et  de  lapi 
daires.  Les  manipulations  étaient  multiples  et  délicates  qui 
métamorphosaient  l'éclat  de  roche  brute,  marbre  ou  granit 
agate,  onyx,  jaspe   vert  et  rouge,  cristal,  lapis-lazuli,  eii 
l'un  de  ces  cachets  merveilleux,  que  l'on    compte  presque 
à  la  centaine  dans  la  plupart  de  nos  musées  d'Europe.  H  fallait  l'arrondir,  le 
calibrer,  le  polir,  y  buriner  le  sujet  ou  la  légende.  Le  forage  exigeait  une 

I.  IIeiigv,  le  Vase  du patém  Enténa,  daim  les  Comptrt  rendus  dr  l'Académie  des  Intn-iptioiu,  1SW3, 
t.  XXI,  p.  169-171,  vile  l'aléti  Entiméua,  d'après  Ut  découvertes  de  .«.  de  Sérier,  ibid.,  p.  3IB-31!!. 

i.  Dessin  de  Fauclirr-tiudin,  d'après  Il  fi  iki-Sahiec,  Découverte-  eu  l'Jialdée,  pi.  *8,  n"  <i.  La  let- 
trine du  présont  rhipilrc  (et.  p.  71)3  de  celle  Histoire)  donne  un  bon  exemple  de  ce  genre  d'amulette, 

3.  Taïlob,  Notes  ou  AbuShaltrein  and  Tet-et-Lahm,  dan»  le  J.  As.  Soc.,  t.  XV,  p.  415. 

4.  Dessin  de  r'auchcr-Gudiit,  d'après  Mliisï-Sibili:,  Découvertes  en  Chaldée,  pi.  43. 


758  LA   CIVILISATION   CHALDÉENNE. 

grande  légèreté  de  main,  et  plus  d'un  ouvrier  ou  ne  perçait  point  ses  cylindres 
de  peur  de  les  briser,  ou  ne  les  évidait  qu'aux  deux  extrémités,  juste  assez 
pour  que  la  monture  métallique  s'y  adaptât  et  les  laissât  rouler  librement. 
On  manœuvrait  à  les  graver  les  mêmes  outils  que  de  nos  jours,  mais  plus 
grossiers.  La  pointe,  qui  n'était  souvent  qu'un  silex,  arrêtait  les  contours  du 
dessin  et  en  esquissait  le  modelé,  la  scie  y  dégageait  largement  les  creux 
qui  ne  demandaient  point  de  détails,  enfin  la  bouterolle,  poussée  à  la  main  ou 
montée  sur  un  touret,  indiquait  les  articulations  et  la  musculature  des  per- 
sonnages par  des  séries  de  trous  ronds.  Le  sujet  ainsi  traité  sommairement, 
on  pouvait  s'en  tenir  là  et  livrer  la  pièce  au  client;  mais  celui-ci,  pourvu  qu'il 
ne  reculât  pas  devant  la  dépense,  trouvait  sans  peine  un  cylindre  d'où  les 
traces  de  l'outil  avaient  disparu,  et  où  la  perfection  du  travail  le  disputait 
à  la  richesse  de  la  matière1.  Le  sceau  de  Shargani,  roi  d'Agadè,  celui  de 
Bingani-shar-ali  *,  et  tant  d'autres  qu'on  a  ramassés  dans  les  ruines  au  hasard 
des  fouilles,  sont  de  vrais  bas-reliefs,  resserrés  et  comme  condensés  sur  une 
surface  de  quelques  centimètres,  mais  composés  avec  une  entente  ingénieuse 
de  la  décoration  et  exécutés  avec  une  hardiesse  que  les  modernes  ont  égalée 
rarement,  jamais  surpassée.  On  y  pressent  quelques-uns  des  défauts  qui 
déparèrent  plus  tard  la  sculpture  assyrienne,  l'épaisseur  des  formes,  la  saillie 
exagérée  des  muscles,  la  dureté  des  contours,  mais  aussi  toutes  les  qualités 
qui  ont  fait  d'elle  un  art  original  et  puissant. 

Les  pays  de  l'Euphrate  étaient  renommés  aux  temps  classiques  pour  la 
beauté  des  étoffes  brodées  et  peintes  qu'ils  apprêtaient3.  Rien  ne  nous  est 
resté  de  ces  tissus  babyloniens  dont  les  auteurs  grecs  et  latins  vantaient  la 
splendeur,  mais  on  peut  soupçonner  par  les  statues  et  par  les  figures  gravées 
sur  les  cylindres  ce  que  les  filateurs  osaient  faire  dès  l'époque  la  plus  reculée. 
Le  métier  qu'ils  employaient  ne  devait  guère  différer  du  métier  horizontal  en 
faveur  aux  bords  du  Nil,  et  tout  nous  porte  à  penser  que  leurs  toiles  de  lin 
unies  rappelaient  les  bandelettes  et  les  lambeaux  d'habits  que  nous  retirons 
encore  des  hypogées  de  Memphis  ou  de  Thèbes.  La  fabrication  des  floquets 
dont  ils  aimaient  se  parer,  hommes  et  femmes,  suppose  une  grande  dexté- 

1.  Le»  questions  relatives  aux  opérations  multiples  que  la  fabrication  des  cylindres  exigeait  ont  été 
élucidées  par  Menant,  Recherches  sur  la  Glyptique  orientale,  t.  1,  p.  45  sqq. 

1.  Le  cylindre  de  Shargani  est  reproduit  p.  601,  celui  de  Bingani  p.  582  de  cette  Histoire. 

3.  Punk,  Hist.  Nat.,  VIII,  "i  :  «  Colores  diversos  pictura*  intexere  Babylon  maxime  celebravit,  et 
nomen  imposuit.  »  La  plupart  des  auteurs  modernes  entendent  de  la  tapisserie  ce  que  les  anciens 
disaient  de  la  broderie  à  l'aiguille  ou  de  la  peinture  sur  étoffes  :  rien  de  ce  que  j'ai  pu  obsener 
sur  les  monuments  ne  m'autorise  à  croire  que  l'on  ait  fabriqué  de  la  tapisserie  réelle,  aux  époques 
les  plus  anciennes  de  la  Chaldéc  ou  de  l'Egypte. 


LES   TISSERANDS,    LA    CONDITION    DES    OUVRIERS.  TS9 

rite.  Les  fils  de  la  trame  une  fois  tendus,  on  y  nouait  ceux  de  ta  chaîne  sur 
autant  de  lignes  parallèles,   régulièrement  espacées,  qu'on  désirait   obtenir 
de  rangs  dans  la  hauteur  de  la  pièce,  puis  on  laissait  pendre  les  boucles  qu'ils 
Formaient  sur  l'endroit  :  tantôt  on  conservait  celles-ci  telles  quelles,  tantôt 
on  les  coupait  à  l'extrémité  et  on  les  ondulait,  de  manière  à  leur  communi- 
quer l'aspect  de  la  laine  frisée'.  La  plupart  des  étoffes  gardaient  une  teinte 
blanche  ou  crémeuse,  celles  surtout  que  les  femmes  tissaient  à  la  maison  pour 
leur   toilette    propre    et 
pour  les  besoins  courants 
de  la  famille.  Mais  le  goût 
des  couleurs  vives  prédo- 
minait, chez  les  Chaldéens 
comme    chez   les   autres 

peuples     asiatiques ,     et,        «Mm*i  cutnii»  porta»  les  tr.ces  tiaiiuc*  a  es^  divers-.*  sortis 
dans  les  classes  riches  au 

moins,  les  vêtements  de  sortie  et  les  manteaux  de  fêtes  se  signalaient  par  une 
profusion  de  dessins  bleus  sur  fond  rouge  ou  rouges  sur  fond  bleu,  rayés,  che- 
vronnés, quadrillés,  semés  de  pois  ou  de  disques  centrés1.  La  profession  de 
teinturier  ne  pouvait  donc  manquer  d'être  aussi  répandue  que  celle  de  tisse- 
rand :  peut-être  même  les  confondait-on  l'une  avec  l'autre.  Nous  ne  savons 
rien  ni  des  boulangers,  ni  des  bouchers,  ni  des  corroyeurs,  ni  des  maçons, 
ni  des  autres  artisans  qui  assuraient  l'entretien  et  la  subsistance  des  villes  : 
sans  doute  ils  gagnaient  tout  juste  de  quoi  joindre  les  deux  bouts,  et  si  nous 
parvenons  à  mieux  les  connaître  un  jour,  nous  constaterons  probablement 
qu'ils  pâtissaient  des  mêmes  misères  que  leurs  contemporains  d'Egypte*.  Leur 
existence  s'écoulait  d'un  cours  uniforme,  interrompue,  aux  intervalles  prescrits, 

1.  Sur  celle  étoffe  que  les  Crées  appelèrent  kaunakè»,  el  sur  les  procédés  employés  à  la  fabriquer, 
voir  ce  que  dit  Usiner,  les  Originel  Orientale»  de  CArl,  t.  I,  p.  110  sqq;  cf.  p.  718-ïii.i  de  celle  His- 
toire, les  modes  divers  dont  on  disposait  le  manteau  pour  s'en  habiller. 

i.  Dessin  île  Fauchtr-Gudin,  d'après  l'héliogravure  de  Veuhi,  Catalogue  de  la  collection  de  M.  de 
Clereq.l-  I.pl.l.nM. 

3.  Le»  monuments  égyptiens  nous  font  connaître  les  couleurs  des  étoffes  asiatiques,  que  les  monu- 
ments chaldéens  ne  nous  ont  pas  montrées  jusqu'à  présent.  L'exemple  le  plus  ancien  nous  en  est 
fourni  par  la  scène  du  tombeau  de  hhnoumhotpou,  où  l'on  voit  des  gens  d'une  tribu  asiatique  apporter 
le  kohol  en  cadeau  au  prince  de  Béni-Hassan  (Cbaipollios,  Monuments  de.  l'Egypte  et  de  la  Piiibie, 
pi.  CCCLX1-CCCI.XII.  el  1,  II,  p.  410-ili;  RossluM,  Monument  i  Storici,  pi.  XXVl-XXVIll  ;  LlPSIt*. 
Denkm.,  X.  131,  133;  N-wurnu,  Btni-Haian,  t.  I,  pi.  XXX-XXXI;  rf.  p.  46IMC1I  de  celle  Histoire)  ;  il 
est  de  In  XII*  dynastie,  c'est-à-dire  quelque  peu  plus  ancien  que  le  régne  de  Goudéa  a  I.agash. 

*.  Cf.  p.  31 1-315  de  celle  Histoire  la  description  des  misères  inhérentes  au*  différents  métiers, 
dans  un  petit  pamphlet  qui  date  de  la  XII-  dynastie  ou  peut-être  de  la  XIII*.  D'une  manière  générale. 
on  peul  penser  que,  les  deux  civilisations  égyptienne  et  chaldcennc  étant  à  peu  près  au  même  niveau, 
les  monuments  égyptiens  doivent  noua  représenter,  à  quelques  détails  près,  l'outillage  industriel  et  les 
principaux  métiers  des  Chaldéens  contemporains. 


760  LA    CIVILISATION   CHALDÉENNE. 

par  les  pompes  accoutumées  en  l'honneur  des  dieux  de  la  cité;  il  y  avait  aussi 
les  chômages  imprévus,  chaque  fois  que  le  souverain  revenait  vainqueur  de  la 
guerre  ou  qu'il  inaugurait  un  temple  nouveau.  La  gaieté  éclatait  alors  d'autant 
plus  exubérante  que  le  train  ordinaire  des  choses  allait  plus  monotone  et  plus 
attristé  de  soucis  pénibles.  Après  que  Goudéa  eut  achevé  Ininnou,  la  maison 
de  son  patron  Nînghirsou,   «   il  se  dérida  et  se  lava  les  mains.  Sept  jours 
durant,  on  s'abstint  de  broyer  le  grain  sous  la  meule,  la  servante  fut  l'égale 
de  sa  maîtresse,   le  serviteur  marcha  au  rang  de  son  maître,  le  fort  et  le 
faible  reposèrent  côte  à  côte  dans  la  cité1.  »  Gomme  pendant  les  Saturnales 
romaines,   le  monde   semblait  se  renverser,  les  classes  se   mêlaient,  et  les 
inférieurs    abusaient   peut-être   de  la  licence    inusitée   dont    ils  jouissaient 
pour  quelques  instants  :  les  distinctions  sociales  reparaissaient  la  fête  finie, 
et  chacun  retombait  naturellement  à  sa  place  d'habitude.  La  vie  se  montrait 
moins  aimable  en  Chaldée  qu'en  Egypte.  Ces  actes  innombrables  de  prêt, 
ces  quittances,  ces  contrats  de  vente  et  d'achat,  ces  instruments  de  chicane 
savante  qu'on  y  recueille  partout  à  la  centaine,  donnent  l'impression  d'un 
peuple  âpre  au  gain,  usurier,  processif,  préoccupé   presque   exclusivement 
d'intérêts  matériels.  Le  climat  plus  variable  et  plus  dur  dans  le  froid  comme 
dans  le  chaud  lui  imposait  des  besoins  plus  grands,  et  l'obligeait  à  déployer 
une  puissance  de  travail  dont  la  plupart  des  Égyptiens  ne  se  seraient  pas 
sentis  capables.  Le  Chaldéen,  peinant  plus  et  plus  longtemps,  gagnait  davan- 
tage et  n'en  devenait  pas  plus  heureux.  Si  lucratif  que  fût  son  métier,  il  ne 
suffisait  pas  toujours  aux  nécessités  de  la  maison,  et  les  commerçants  ou  les 
ouvriers  devaient  s'endetter  pour  suppléer  à  l'insuffisance  des  affaires.  Une 
fois  aux  mains  des  prêteurs,  le  taux  énorme  de  l'intérêt  les  y  retenait  long- 
temps. Ils  arrivaient  à  l'échéance  sans  avoir  amassé  de  quoi  s'acquitter,  ils 
renouvelaient   leurs  billets  à  des  conditions  désastreuses  ;  comme    le  gage 
remis  au  créancier  était  d'ordinaire  ou  la  maison  dans  laquelle  ils  logeaient, 
ou  l'esclave  qui  les  aidait  à  leur  industrie,  ou  le  jardin  dont  le  produit  nour- 
rissait leur  famille,  c'était  la  misère  s'ils  ne  réussissaient  pas  à  se  libérer5. 
Et  cette  plaie  de  l'usure  ne  rongeait  pas  seulement  les  villes  :  elle  sévissait 
non  moins  violente  sur  les  campagnes  et  s'attaquait  aux  fermiers. 

1.  Statue  Dde  Goudéa,  col.  vu,  1. 20-34;  cf.  Uri^ey-Saiuec,  Découvertes  en  Chaldée,  pi.  17-18;  Amiaid, 
Inscriptions  of  Telloh,  dans  les  Records  of  the  Past,  2"d  Ser.,  t.  Il,  p.  83-84  (cf.  Heitzey-Sarzec, 
Découvertes  en  Chaldée,  p.  xn);  Jknsen,  Inschriflen  der  Kônige  und  S  t  ait  ha  lier  von  Lagattch,  dans  la 
Keilschriftliche  Dibliothek,  1. 111  *,  p.  41-44.  Cf.,  p.  342  de  cette  Histoire,  ce  qui  est  dit  de  la  Fête  de 
l'ivresse  en  Egypte,  telle  qu'on  la  célébrait  à  Dendérah. 

2.  Sur  l'accroissement  de  la  dette  non  acquittée  à  l'échéance,  cf.  p.  750-751  de  cette  Histoire. 


LE    FERMAGE   DES   TERRES.  761 

Si  la  terre  appartenait  théoriquement  aux  dieux,  et  sous  eux  aux  rois, 
les  rois  en  avaient  concédé  et  en  concédaient  chaque  jour  de  telles  quantités 
à  leurs  fidèles,  que  la  part  la  plus  grande  s'en  trouvait  toujours  aux  mains 
des  nobles  ou  des  simples  particuliers.  Ceux-ci  avaient  la  faculté  d'en  dis- 
poser à  leur  gré,  de  la  louer,  de  la  vendre,  de  la  diviser  entre  leurs  héritiers 
naturels  ou  leurs  amis.  Elle  était  grevée  d'un  impôt  qui  varia  selon  les  épo- 
ques, mais  qui  pesait  assez  lourdement  sur  eux  :  une  fois  qu'ils  l'avaient 
payé,  et  les  taxes  que  les  temples  pouvaient  leur  réclamer  an  nom  des 
dieux,  l'État  ni  personne  n'avait  plus  le  droit  d'intervenir  dans  leur  admi- 
nistration ou  de  restreindre  l'exercice  de  leur  volonté.  Certains  proprié- 
taires cultivaient  directement  leurs  biens,  les  plus  pauvres  de  leurs  bras, 
les  riches  par  l'entremise  d'un  esclave  de  confiance  qu'ils  intéressaient 
à  la  prospérité  de  l'entreprise,  en  lui  attribuant  un  tant  pour  cent  du 
revenu.  Souvent  aussi  ils  les  affermaient  en  totalité  ou  par  morceaux  à  des 
paysans  libres,  qui  les  déchargeaient  de  tous  les  ennuis  et  de  tous  les  dangers 
de  l'exploitation.  La  surface  de  chaque  État  avait  été  mesurée  très  ancien- 
nement, et  les  parcelles  en  lesquelles  on  la  lotissait  enregistrées  sur  des 
tablettes  d'argile,  avec  le  nom  du  maître,  celui  des  voisins,  l'indication  des 
mouvements  de  terrain,  des  fossés,  des  canaux,  des  rivières,  des  maisons 
qui  pouvaient  en  définir  les  limites  :  des  plans  sommaires  accompagnaient 
la  description  et  l'interprétaient  aux  yeux  dans  les  cas  les  plus  compliqués1. 
Ce  cadastre,  répété  fréquemment,  permettait  aux  souverains  d'établir  l'impôt 
sur  une  assiette  solide  et  d'en  calculer  le  rendement  sans  erreur  trop  consi- 
dérable. On  rencontrait,  surtout  au  voisinage  des  villes,  des  jardins,  des  bois 
de  dattiers,  des  espaces  consacrés  à  des  essais  encore  grossiers  de  culture 
maraîchère  :  ceux-là  payaient  les  contributions  de  l'État  et  le  loyer  du 
propriétaire,  en  fruits,  en  légumes,  en  dattes  fraîches  ou  confites.  Le  meilleur 
du  sol  était  aménagé  pour  la  production  du  froment  ou  des  céréales  : 
c'était  en  blé  qu'on  en  évaluait  la  contenance,  en  blé  qu'on  en  chiffrait  le 
revenu  dans  les  contrats  privés  ou  dans  les  actes  de  la  comptabilité  publique*. 
Tel  champ  demandait  environ  cinquante  litres  de  semences  par  aroure, 
tel  autre  soixante-deux  ou  soixante-quinze,  selon  la  bonté  du  terroir  et  son 

1.  Cf.  le  plan  cadastral  d'une  vaste  propriété  qui  a  été  publié  par  le  père  Sciikil,  Soles  d'Épigrapkie 
et  d' Archéologie  Assyriennes,  dans  le  lie  eue  il  de  Travaux,  t.  XVI,  p.  36-37. 

2.  Sur  cette  façon  d'évaluer  la  valeur  d'un  champ,  qui  était  également  usitée  en  Egypte  (Maspkro, 
Études  Égyptiennes,  t.  II,  p.  235-238),  cf.  Opi»krt-Me.nant,  Documents  juridiques  de  V  Assyrie  et  delà 
Chaldée,  p.  9-i;  elle  est  contestée  par  Dclitzsch  et  par  son  école  (cf.  en  dernier  lieu  Uklskb,  bahylo- 
nische  Kudurru-lnschriften,  dans  les  Beitrâge  zur  Assyriologie,  t.  II,  p.  130-131). 

UC 


762  LA    CIVILISATION    CHALllÉEMNE. 

exposition.   La  propriété  en  était  placée  sous  la  garantie  des  dieux,   et  la 
transmission  ou  la  cession  s'accompagnait  de  formalités  moitié  religieuses, 
moitié  magiques  :  la  partie  livrante  prononçait,  contre  quiconque  oserait  à 
l'avenir   contester  l'authenticité  de   l'acte,    des   exécrations    dont   le    texte 
"iché  dans  un  coin  du  champ,  sur  un  galet  ovale  en 
e  ou  en  pierre  dure'.  Ces  petits  monuments  étalent  à 
a  lotte  supérieure  une   multitude  de  figures,  tantôt 
ignées    régulièrement    sur    deux    registres,    tantôt 
emées  à  la  surface,  et  qui  représentent  les  divinités 
chargées  de   veiller  à  la  sainteté  du  contrat.  C'est 
comme  la  transcription  en  miniature  du  spectacle 
que  la  voûte    du  ciel  offrait  aux  Chaldéens.  Les 
disques  du  Soleil,  de  la  Lune  et  de  Vénus-lshtar 
dominent  la  scène;  les  personnages  du  Zodiaque 
ou  les  symboles  qu'on  leur  attribue  s'échelonnent 
et  semblent  tourner  au-dessous  d'eux,  le  Scorpion, 
l'Oiseau,  te  Chien,    le  Foudre   de  Ramman,    la 
massue,  les  monstres  cornus  à  demi  cachés  par  le 
temple  qu'ils  défendent,  et   le   Dragon   immense 
dont  les  nœuds  enveloppent  la  moitié  du  firmament, 
i  Si  jamais,  par  la  suite  des  jours,  quelqu'un  parmi 
frères,  les  enfants,  la  famille,  hommes  ou  femmes, 
le  ctiLuiD  inM.ii i  .        esclaves  ou  servantes,  de  la  maison,    un    intendant,   un 
fonctionnaire,  n'importe  qui,  surgit  et  s'avise  de  voler  ce  champ  et  d'enlever 
cette  borne,  soit  pour  en  faire  don  à  un  dieu,  soit  pour  l'adjuger  à  un  com- 
pétiteur, soit  pour  se  l'attribuer  à  soi-même;  s'il  en  modifie  l'aire,  les  limites 
et  la  borne,  s'il  le  morcelle  et  le  dépèce  et  s'il  dit  :  «Le  champ  est  comme 
vacant,  car  il  n'y  a  pas  eu   donation  »  ;  —  si,  par  crainte  des  exécrations 
redoutables  qui  défendent  la  stèle  et  ce  champ,  il  envoie  un  fou,  un  sourd, 
un  aveugle,  un  méchant,  un  simple,  un  étranger,  un  ignorant  et  fasse  enlever 

I.  I.u  plu*  ;i  ne  i  en  ne  mont  connue  de  cor  bornes  est  lo  Caillou  Michaux,  dont  la  nature  el  la 
t uleur  oui  été  reconnues  pur  Ori'mr,  le)  Mesure»  de  longueur  clic;  1rs  V.haltUew*  el  un  dormnenl 
d'urpeitlage  babylonien,  dans  le  Hulletin  Archéologique  de  CAthétumm  Fronçait,  IBhfl,  p.  33-30;  le 

idiii  <{i'-iiérii|iie  eu  était  koudourrou,  koulourrou,  i|"i  pourrait  se  traduire  pierre  levée.  Lo  nombre  en 
est  Lisse/  coOMilêi'.'ilile  (1rs  ma  in  tenant  ;  on  trouve™  la  traduction  (le  plusieurs  (rentre  elles  dans  Or-PEM- 
Mi.vim.  Document*  juridique*  de  l'Assyrie  el  de  la  Uialdce,  p.  HI-I3K,  et  dans  Belskh,  liabylonitelie 
Kiidui-ru-lHit lui fini  (dans  les  Ucitrâge  ;ur  Anyriotogir ,  t.  II,  p.  111-103). 

t.  Dessin  de  r'auchtr-t'.udin;  cf.  Mii.i.u,  Monument*  inédits,  1.  I,  pi  ïiu-u.  L'original  est  au  Cabi- 
net dos  médailles  d«  la  Bibliothèque  >"alionule  (Ckxui -illkt,  f'.alalogut  général,  p.  1(11»,  n*  Ttli), 


LA    CULTURE    DES   TERRES.  7fi{) 

cette  stèle1,  puis  qu'il  la  jette  à  l'eau,  la  recouvre  de  poussu-re,  la  mutile  à 
traits  de  pierre,  la  brûle  au  feu  et  la  détruise,  y  écrive  autre  chose,  la  trans- 
porte dans  un  Heu  où  l'on  ne  la  voie  plus,  —  cet  homme-là,  puissent  Anou, 
Rel,  Éa,  la  Haute-Dame,  les  dieux  grands,  jeter  sur  lui  des  regards  de  colère, 
puissent-ils  anéantir  sa  vigueur,  puissent-ils  exteri 
race*.  »  Chacun  des  immortels  s'associe  à  cette  exi 
munication  et  lui  promet  à  son  tour  l'appui  de  sa  for 
Mardouk,  dont   les  charmes  rendent   la    santé   au 
malades,  frappera  le  coupable  d'une  hydropisie  que 
nulle    incantation    ne  guérira.   Shamash,    le  juge 
suprême,  lancera  contre  lui  ses  arrêts  inévitables. 
Sin,  l'habitant  des  cieux  brillants,  l'enveloppera 
de  lèpre,  comme  d'un  manteau.  Adar,  l«  guer- 
rier,   lui   brisera  ses  armes,  et  Zamama,  le  roi 
des  combats,   ne  se  tiendra  pas  auprès  de  lui 
sur  le  champ  de  bataille;   Ramman  déchaînera 
l'orage  contre  ses  gué  rets  et  les  bouleversera.  La 
troupe  entière  des   invisibles   se  mobilise  pour 
défendre   les  droits  du  maître  contre  toute  atta- 
que; nulle  part  dans  le  monde  antique  le  caractère 
sacré  de  la  propriété  n'a  été  affirmé  avec  plus  de  force 
ni  la  possession  du  sol  mieux  assurée  par  la  relig 

L'agriculture    ne   connaissait    d'autres    instruments   ni  i'miîm  mm 

d'autres  procédés  que  ceux  de  l'Egypte.  La  rapidité  avec 
laquelle  la  crue  monte  au  printemps,  et  son  débit  variable  à  l'extrême  d'année 
en  année,  n'enhardissaient  guère  les  Chaldéens  à  confier  aux  fleuves  la  corvée 
d'arroser  leur  pays  :  ils  étaient  obligés  de  se  fortifier  contre  eux,  et  de  main- 
tenir à  distance  les  masses  liquides  qu'ils  leur  apportaient.  Chaque  domaine 
qu'il  fût  carré,  triangulaire  ou  de  figure  irrégulière,  s'entourait  d'un 
épaulement  continu  en  terre  qui  le  délimitait  sur  toutes  ses  faces,  en  même 
temps  qu'il   lui  servait  de  rempart  pendant  les  mois  de  l'inondation.   Des 

1.  Tous  les  gens  énumérés  dans  ce  passage,  ne  sachant  pas  oo  qu'ils  f:iis.'tiant.  auraient  pu  ne  laisser 
;.i  r-.iu.1i-r  d'aller  arracher  la  pierre  et  de  commettre  inconsciemment  un  sacrilège,  ili-vaiil  lequel  loul 
rhaldWn  dan* -.on  hun  sens  aurait  reculé.  La  formule  prévoit  ce  cas,  et  elle  veille  à  ce  nue  la  malé- 
diction divine  ne  «e  contente  pas  de  frapper  ces  instruments  irresponsables',  elle  prétend  atteindre 
I  instigateur  ilu  crime,  quand  même  il  n'aurait  pris  lui-meme  aucune  pari  matérielle  à  l'exécution. 

i.  Caillou  Mirhaux.  col  n,  I.  I.  col.  m,  I.  1ï,  dans  Hawlissos,  Cuv.  lut.  II'.  A*.,  t.  I,  pi.  m; 
rf  OrFHT-MuJiiT.  Documente  juridique!  de  VAisyrie  et  de  la  Chaldée,  p.  R8-30;  A.  BoimiiM,  tlerhrr- 
c*ct  tur  qurlquei  rauttatt  babyttaiirnK,  p.  Î6-Î1,  31-33. 


m  LA    CIVILISATION    CHALDÉENNE. 

batteries  de  shadoufs  installées  sur  la  berge  des  canaux  ou  des  rigoles  pour- 
voyaient à  l'irrigation'.  Les  champs  étaient  façonnés  en  échiquier,  et  les 
cases,  séparées  par  des  bourrelets  de  mottes,  formaient  comme  autant  de 
bassins;  quand  l'élévation  du  sol  arrêtait  le  progrès  des  eaux,  on  les  recueil- 
lait dans  des  réservoirs,  où  d'autres  shadoufs  les  venaient  puiser  et  les 
haussaient  à  un  niveau  supérieur*.  La  charrue  n'était  qu'une  pioche  couchée, 
dont  on  avait  allongé  le  manche  pour  y   atteler  des   bœufs.  Tandis  que  le 

lahnnepnp      neenif      a.i*     W     „n,.;il,.u        ,l„„,      ,.,!,>(, 


sième  lançait  la  semence  à  la  volée.  M  fallait  un  capital  considérable  afin  de 
réussir  aux  entreprises  agricoles  :  les  contrats  étaient  passés  pour  trois  ans, 
et  stipulaient  que  les  paiements  auraient  lieu  partie  en  métal,  partie  en  pro- 
ductions du  sol.  Le  fermier  versait  une  petite  somme  au  moment  qu'il  entrait 
en  possession,  puis  il  acquittait  le  reste  graduellement  après  chaque  douze 
mois,  et  cela  de  telle  manière  qu'il  se  libérait  une  fois  en  argent,  les  deux 
autres  fois  en  blé.  Les  redevances  variaient  selon  la  qualité  du  terrain  et  selon 
les  facilités  qu'il  présentait  à  la  culture;  tel  champ  de  trois  boisselées  était 
taxé  à  neuf  cents  mesures,  tandis  qu'un  autre  de  dix  boisselées  n'en  devait 
que  dix-huit  cents*.  Souvent  le  paysan  préférait  s'associer  à  son  propriétaire  : 
celui-ci  pourvoyait  alors  à  tous  les  frais  de  l'exploitation,  mais  il  s'adjugeait 

I.  Aujourd'hui  encore,  en  Mésopotamie  ol  en  Chaldée,  «  on  voit  partout  quelques  rentes  d'anciens 
ranaui  :  on  rencontre  de  même,  en  beaucoup  d'endroits,  des  amoncellement*  de  terre,  qui  se  prolon- 
gent à  île  très  grandes  distances  en  ligne  droite,  el  qui  entourent  îles  terrains  parfaitement  nivelés  • 
(Duiïieb.   Voyage  liant  l'Empire  Othoman,  t'ÉgypIe  cl  la  Perse,  t.  Il,  p.  443). 

t.  Hmhhxitk,  I,  mini,  désigne  évidemment  la  nhadouf  sous  le  nom  de  rniïwiriïov;  clic  est  encore 
employée  à  eoié  de  I*  sakièh  (Chkkib»,  Euphratcs  Expédition,  t.  1,  p.  fi">;j,  L.v*sn,  Ninrreh  and  Ilaby- 
lon,  p.  1119).  Cf.  p.  :tltl  de  celte  Histoire  une  représentation  de  la  shadouf  égyptienne  ;  en  figyple 
rumine  en  Chaldée.  le  seau  employé  pour  tirer  l'eau  jfTrcte  la  forme  triangulaire. 

K.  Dessin  de  FitHclier-Gudîti,  d'après  un  bni-rclief  asiyrien  de  Kogoimdjik  (l.insn,  Tlir  Monuments 
nfSinrreh.  f  Set.,  pi.  tS). 

I.   «Ki-SM.K,  lleilriiijr  :nm  attbabyUmitchen  l'rivatreckl,  p.  tï-13. 


LES    ESCLAVES    ET   LES   OUVRIERS   AGRICOLES.  76S 

ensuite  les  deux  tiers  de  la  récotte  brute.  Le  locataire  s'obligeait  à  admi- 
nistrer le  fonds  comme  un  bon  père  de  famille,  pendant  la  durée  de  son  bail  : 
il  entretenait  les  bâtiments  et  le  matériel,  il  refaisait  les  haies,  il  réparait 
les  machines  à  puiser,  il  curait  les  rigoles1.  H  possédait  rarement  assez 
d'esclaves  pour  se  tirer  d'affaire  rien  que  par  leur  aide  :  ceux  qu'il  avait 
achetés  lui  suffisaient  avec  le  concours  de  ses  femmes  et  de  ses  enfants 
pour  venir  à  bout  des  travaux  courants,  mais  dans  les  moments  de  presse 
et  surtout  au  temps  des  récoltes,  il  allait  chercher  au  dehors  les  bras  qui  lui 


manquaient.  Les  temples  lui  en  procuraient  autant  qu'il  en  souhaitait  ;  le 
plus  grand  nombre  de  ces  auxiliaires  étaient  pourtant  des  hommes  libres, 
que  leur  famille  engageait  ou  qui  s'engageaient  eux-mêmes  pour  un  temps 
déterminé.  C'était  une  sorte  de  servitude  à  terme  dont  la  loi  fixait  les 
conditions.  L'ouvrier  abdiquait  sa  liberté  pour  quinze  jours,  pour  un  mois, 
pour  une  année  entière  :  il  vendait  un  morceau  de  sa  vie  au  maître  provi- 
soire qu'il  s'était  choisi,  et,  s'il  n'entrait  pas  en  fonction  dès  le  jour  convenu, 
ou  s'il  ne  déployait  pas  l'activité  qu'on  attendait  de  lui,  il  était  passible  do. 
peines  sévères.  Il  recevait  en  échange  la  nourriture,  le  logement,  même  l'habil- 
lement, et  si  quelque  accident  le  frappait  pendant  la  durée  de  son  service, 
la   loi   lui   accordait  une  indemnité   proportionnée  au  dommage   qu'il   avait 

1.  tliwussiw.  Cuil.  Im.  IV.  A*.,  t.  11.  pi.  11,  1.  29-31),  col.  Il,  I.  9-19,  et  Y*.  Lktosimnt,  Èludr* 
Acrndicnnei.  t.  Il,  p.  -Ii-i:i,  t.  III,  p.  1"  ;  cf.  Oprmï-SfKïi'.T,  Document!  juridique*  de  VAtxurir  ri  de 
la  ï.kaWe,  p.  ifi,  Ï7-SH. 

i.  Dent  in  de  Fauchcr-tiadin.  d'âpre»  une  intuitif  chatdtcnne  reproduite  dont  L*itan,  Inli-otlttHian 
à  l'Hiitoirx  du  culte  public  ri  des  Myitère*  rie  Mit/ira  rit  Orridetit  et  en  Orient,  pi.  \\\\\,  n°  ;•  L'ori- 
ginal est  auCabinel  de»  Médailles  de  la  Bibliothèque  Nationale  (Ciuwiiii.i.et,  Catalogue  g f aérai,  n'9»1); 


Tfifi  LA    CIVILISATION    CHALOËENNE. 

souffert1.  Sa  solde  moyenne  oscillait  entre  le  taux  de  quatre  sicles  d'argent 
et  celui  de  six  par  année.  L'usage  lui  allouait  un  sicle  en  guise  de  denier  à 
Dieu,  et  il  touchait  le  reste  mois  par  mois  quand  la  convention  était  à  longue 
date,  jour  par  jour  quand  il  s'agissait  d'une  location  momentanée  :  on  le 
payait  souvent  en  grain. 

Le  mercenaire   ne   s'abaissait  jamais   à  l'état  de  chose,  ainsi  que  le  serf 
ordinaire;   il   gardait  sa  qualité  d'homme,   et   il  avait   pour    défendre   ses 
intérêts  un  patron  qu'on  fui  indiquait  d'office  ou  qu'il  élisait  lui-même*.  Son 
temps  achevé,  il  rentrait  dans  sa  famille  et  reprenait  ses  occupations  ordi- 
naires jusqu'à  l'occasion 
prochaine  :  beaucoup  de 
très   petits   cultivateurs 
gagnaient  ainsi,  en  peu 
de   semaines,    de    quoi 
suppléer  à  la   modicité 
de  leur  revenu  person- 
nel.    D'autres     recher- 
chaient des  emplois  plus 
stables  et  s'enrôlaient  comme  valets  de  ferme.  Les  terres  que  le  flot  n'attei- 
gnait pas,  ni  l'irrigation  artificielle,  se  tapissent  en  mars  de  graminées  prin- 
tanières  où  l'on  envoyait  les  troupeaux  se  refaire.  La  présence  des  lionB  et 
des  animaux  féroces  obligeait  alors  les   fellahs  à  prendre  des  précautions 
minutieuses.  Ils  construisaient  des  parcs  mobiles  où  leurs  bêtes  s'abritaient 
chaque  soir,  quand  les  pâturages  étaient  trop  éloignés  pour  qu'elles  pussent 
réintégrer  la  bergerie.  Us  chassaient  entre  temps,  et  il  ne  se  passait  pas  de 
jours  où  ils  ne  rapportassent  avec  eux  un  faon  de  gazelle  attrapé  au  piège, 
ou   quelque  lièvre  percé  d'un  coup  de  flèche.   C'était  du    renfort  pour  le 
garde-manger,  car  il   ne  semble  pas  que   les  Ghaldéens  aient  aimé   comme 
les  égyptiens  à  s'entourer  d'animaux  apprivoises,  grues  ou  hérons,  gazelles 
ou  cerfs*  :    ils  se  contentaient  des  espèces  utiles,  les  boeufs,  les  ânes,  les 
moutons,   les  chèvres.    Quelques  monument*  de    vieux   style,   cylindres  ou 

I.  H.iWLUtox,  Cuil.  lu*.  H.  Al  .  1.  Il,  pi.  10,  roi.  n.  I.  18-H;  cf.  Opfkut-SIesaït,  Document»  juridi- 
que» <lr  ÏA*»yrie  et  de  la  Chaldée,  p.  SR-5B. 

3.   MtGiSMM,  BrilrSor  :m«  atlbabutiminrheu  Prigotrtrht,  p.  10-11. 

3.  Demin  de  Vaucher-f.iidin.  it'aprr»  un  cylindre  en  marbre  vert  du  Mutée  ilu  I.ourrr  (A.  DE  Loire- 
rtnit.K,  Xolire  det  antiquité»  Afuririme»,  i'éi-,  p.  lui,  n*  l«l). 

•t.  Cf.  |i.  Ill-fl-l  de  celte  Hiitnirere  qui  e»l  dit  des  troupes  il  ï  de  cmelles  des  Cnypliem  et  de  lii  faenn 
dont  on  les  recrutait.  W.  Hoighto*.  Oh  the  Marnmatiaof  the  Aiiyriatt  Sculpture»,  dans  les  Trantaetintit 
Of  the  Society  of Uiblical  Arrhrahgy,  l.  V,  p.  *S  sqq. 


SCÈNES    IIK    LA    VIE   PASTORALE.  761 

tablettes  en  argile,  reproduisent  assez  grossièrement   les  scènes  de  la  vie 
pastorale1.    L'étable  s'ouvre,  et  de    ses   portes   les   chèvres  s'échappent  en 
bande  aux  claquements  du 
fouet   :    arrivées    au    pré, 
elles    s'éparpillent,    et    le 
berger    les     surveille   tout 
en  jouant  de  la  flûte  à  son 
chien.   Cependant  les  gens 
de  la  ferme  préparent  con- 
sciencieusement   le     repas 
du  soir;  deux  personnages, 
campés  de  chaque  côté  du 
foyer,  surveillent  la    mar- 
mite qui  bout  entre  eus,  et  une  boulangère  façonne  sa  pâte  en  galettes  arron- 
dies. Parfois  une  querelle  mettait  les  camarades  aux  prises  et  se  terminait  par 


un  échange  de  coups  de  poing,  ou  bien  un  lion  en  quête  d'un  dîner  survenait 
à  ('improviste  et  terrassait  un  taureau*  :    le  berger  accourait  la  hache  au 

I.  NesjNT,  Recherche»  iui-  la  Glyptique  orientale,  t.  I,  p.  SOr.-ÎIO, 

î.  Destin  de  r'aueker-tludin,  d'après  tune  des  plaques  r.n  terre  cuite  dècourcrtes  par  Loktis,  Tra- 
oels  and  Itciearrhcs  in  Chaldea  and  Susiana,  p.  i;>". 

3.  Itessin  de  r'aucher-tiudin,  d'après  fia  taille  chatdèenne  reproduite  dont  I.iukii.  Intiintucliou  à 
l'Histoire  du  culte  public  et  des  Mystères  de  Milhrn  ni  Orient  et  en  Occident,  pi.  XLI,  ii":i;rf.  Mkvim, 
iïtirheri-hrx  sur  lu.  fili/pliijur  nrinila/t.  I-  I,  [>.  Srij-imi.  Un  nuire  cylindre  do  nièiiic  nature  a  clii 
reproduit  à  la  p.  liiti)  de  eolli:  Histoire;  il  représente  l'enlèvement  ilu  licrus  Klana  par  l'aigle,  hum 
amie,  ot  à  eu  propos  dos  scènes  de  ta  vie  pastorale,  identique!-  :i  celles  qui-  l'on  voit  ci-dossus. 

1.  J.  Meiuiit,  Rechercha  sur  ta  iituptique  orientale,  t.  I,  p.  tu;,  où  l'on  trouvera  reproduite, 
d'après  un  cylindre  du  la  collection  de  Luyn.es,  l'attaque  du  taureau  par  un  lion. 


768  LA    CIVILISATION    «HALKÉEMtE. 

poing,  et  disputait  bravement  sa  bête  au  brigand.  Il  se  donnait  pour  alliés 

p  énormes  chiens  qui  ne  crai- 
gnaient pas  d'assaillir  les 
fauves,  comme  ils  auraient 
fait  le  menu  gibier.  Son 
courage  naturel  était  stimulé 
alors  par  l'intérêt.  Il  répon- 
dait personnellement  de  son 
troupeau;  quand  le  lion  s'in- 
troduisait dans  un  parc  à 
bestiaux,  celui  des  hommes 
combat  cottbk  «!i  nos1  'I"'    ^a't    de   garde    paraît 

sur  ses  gages  les  fiais  de  sa 
négligence  ou  de  sa  mésaventure1.  La  pèche  servait  moins  de  distraction  que 
de  ressource,  et  les  gens  du 
peuple  accordaient  au  poisson 
une  part  importante  dans  l'a- 
limentation :  ils  le  prenaient 
à  la  ligne,  au  filet,  à  la  nasse, 
ils  le  séchaient  au  soleil,  ils 
le  fumaient,  ils  le  conservaient 
dans  le  sel'.  La  chasse  était 
surtout  plaisir  de  grand  sei- 
gneur,  chasse    au    lion   et   à 
l'ours  dans    les   bouquets  de 
Irais  ou  dans  les  fourrés  maré- 
cageux qui    bordaient  les  ri-  *  » 
vières,  chasse  à  la  gazelle,  à 

l'autruche,  à  l'outarde  dans  les  plaines  hautes  ou  sur  les  plateaux  rocheux 
du  désert'.  L'onagre  de  Mésopotamie  est  une  fort  jolie  bote,  au  poil  gris  et 

I .  Dntin  de.  h'ancher-Gadin.  d'aprrs  l'une  dru  labhllet  en  terre  tuile  déeourerte*  par  Loftm,  ï'io- 
vrli  and  Iteiearchei  in  Chulilira  and  Siniana,  p.  458. 

i.  Mkissm:h,  lleilrùge  ium  altbalijlonur/ien  l'nvatiriht,  p.  111.  LS. 

3.   Cf.  p.  j">ii  de  celle   Itininire  ce.  qui  est  dit  des  tribus  idilhyophagea  de  la  fhaluee. 

1.  Dentin  dr  Faiirher-Gudiii,  d'aprrt  une  tablette  ru  terre  cuite  drrourerie  par  11.  Itnii.iison,  dam 
tes  minet  de  Unbylone,  et  romertte  aujourd'hui  au  Htuér.  Uritaiinii/itr. 

5,  1,'niitruerie  est  représentée  as*™  souvent  sur  les  monuments  assyriens  (IV.  H"n;KTO*.  The  Ilinh 
of  tht  Atiynan  Monument*  and  Hecordt,  dans  les  Transactions  of  Ihr  Society  o{  BibUeal  Archsalogy , 
t.  VIII.  p.  100-101,  133,  fl.  XI);  lu  chasse  à  L'autruche  et  il  l'outarde  est  décrite  par  Xénophon 
{Anabase,  I,  ï,  l-:i),  pendant  la  marclii-  de  L'année  de  Cyrii»  le  j.-une  à  travers  Is  Mésopotamie 


LA    PÊCHE,    LA    CHASSE. 

luisant,  vive  et  rapide  d'allure.  Dès  qu'on  l'in- 
quiète, il  jette  un  cri,  lance  une  ruade,  file  hors 
portée,  puis  s'arrête,  se  retourne  et  voit  venir  : 
sitôt  que  te  chasseur  approche,  il  repart,  s'ar- 
rête, puis  repart  de  nouveau  et  recommence 
le  même  manège  sans  se  lasser,  aussi  long- 
temps qu'on  le  poursuit.  On  le  force  difficile- 
ment avec  des  chiens,  mais  on  l'abat  à  coups 
de  flèches,  ou  bien  on  le  prend  vivant  au 
piège.  On  lui  ajuste  au  cou  un  noeud  cou- 
lant, dont  deux  hommes  tiennent  les  extré- 
mités. L'anîmal  se  débat,  rue,  essaie  de  mor- 
dre, mais  ses  efforts  n'aboutissent  d'ordinaire 
qu'à  serrer  le  lacet,  et  il  s'affaisse  à  demi  étran- 
glé :  après  quelques"  alternatives  de  révolte  et 
de  suffocation,  il   finit  par  se  calmer  tant   bie 


que  mal  et  par  se  laisser 


I.  Deuin  de  Fauclier-tiudin,  d'aprèt  vue  de*  labletlri  m  terre  cuite  dAmieertei  par  Lorti 
ticli  and  lletearchet  in  CAaldma  and  Si'tiana.  p.  ïtftf. 

t.  Destin  de  r'auchtr-Gudin,  d'aprèt  te  bat-relief  attyrien  de  Kimroud  [et.  Pu»:,  Itùtivr 
tyrie.  pi.  51.  n"  3).  Voir.  p.  539  dp  celle  Hittnire.  des  onagret  poursuivit  et  percés  de  flèchei 


770  LA    CIVILISATION   CHALDÉENNE. 

emmener1.  On  l'apprivoisait  et  il  se  pliait  sinon  aux  travaux  de  l'agriculture, 
du  moins  à  ceux  de  la  guerre  :  il  traîna  les  chariots  avant  qu'on  ne  connût 
le  cheval1.  Celui-ci  tirait  son  origine  des  plateaux  de  l'Asie  centrale  :  en 
descendit-il  brusquement  à  la  suite  d'une  invasion  barbare,  ou  gagna-t-il  de 
tribu  en  tribu  les  peuples  du  Tigre  et  de  l'Euphrate5?  11  s'acclimata  promp- 
tement  chez  eux,  et,  s'alliant  à  l'âne,  produisit  des  générations  de  mulets 
superbes.  Les  rois  de  Lagash  le  connaissaient  déjà  et  l'attelaient4.  Les  souve- 
rains des  cités  voisines  en  faisaient  autant,  mais  l'usage  restait  encore  confiné 
dans  les  hautes  classes  de  la  société,  et  l'on  ne  voit  pas  que  les  armées  pos- 
sédassent des  escadrons  de  chariots  à  côté  de  leurs  fantassins,  encore  moins 
une  cavalerie  analogue  à  la  nôtre. 

Les  Chaldéens  poussèrent  fort  loin  l'art  d'aménager  la  terre  et  de  lui 
arracher  tout  ce  qu'elle  pouvait  rendre  :  leurs  enseignements,  transmis  aux 
Grecs,  puis  aux  Arabes,  se  perpétuèrent  longtemps  après  que  leur  civilisation 
eut  disparu,  et  furent  pratiqués  encore  par  les  populations  de  l'Irak  sous  les 
Khalifes  abbassides*.  Les  traités  sur  argile  qui  les  avaient  contenus  étaient 
déposés  dans  l'une  ou  dans  l'autre  de  ces  bibliothèques  sacrées,  où  les  prêtres 
de  chaque  ville  rassemblaient  de  tout  temps  les  écrits  de  provenance  diverse 
qu'ils  réussissaient  à  se  procurer.  On  trouvait  dans  chacune  d'elles  un  cer- 
tain nombre  d'oeuvres  qu'elles  étaient  seules  à  posséder,  soit  que  les  auteurs 
fussent  originaires  de  la  cité  même,  soit  que  les  autres  exemplaires  en  eussent 
été  détruits  au  cours  des  siècles,  l'épopée  de  Gilgamès  à  Ourouk,  une  histoire 
de  la  création  et  des  luttes  soutenues  par  les  dieux  contre  les  monstres  à 
Kouta  :  toutes  avaient  leurs  recueils  particuliers  d'hymnes  ou  de  psaumes, 
de  formules  religieuses  et  magiques,  leurs  listes  de  mots  et  de  tournures 
grammaticales,  leurs  glossaires,  leurs  syllabaires  qui  leur  permettaient  de  tra- 

1.  Xénophon,  Anabase,  I,  v,  2,  à  qui  j'emprunte  cette  description  des  allures  de  l'animal.  L'onagre 
est  rare  aujourd'hui  dans  ces  régions,  mais  il  n'en  a  pas  disparu  entièrement, comme  on  l'avait  cru, 
et  plusieurs  voyageurs  modernes  l'y  ont  rencontré  (Layard,  Nineveh  and  it s  Remains,  t.  I,  p.  323-324). 

2.  Cf.,  p.  G5G  de  cette  Histoire,  la  mention  d'onagres  attelés  au  char  du  Soleil. 

3.  On  trouvera  les  principales  opinions  sur  cette  matière  dans  Piètrement,  les  Chevaux  dans  les 
temps  préhistoriques  et  historiques,  p.  355-358  ;  cf.  W.  Houghton,  On  the  Mammalia  of  the  Assyrian 
sculptures,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  V,  p.  50-52. 

4.  C'est  du  moir.s  l'opinion  de  M.  lleuzey  (Reconstruction  partielle  de  la  Stèle  du  roi  Éannadou, 
dite  Stèle  des  Vautours,  dans  les  Comptes  rendus  de  V Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres, 
1893,  t.  XX,  p.  265)  :  la  partie  de  la  stèle  qui  portait  les  animaux  est  détruite. 

5.  V Agriculture  nabatéenne  d'ibn  Wahshlyah  renferme  l'écho  de  ces  anciennes  traditions.  «  Il  se 
peut  que  la  technique  qui  y  est  enseignée  remonte  bien  réellement,  pour  les  procédés,  aux  plus 
anciennes  époques  de  l'Assyrie,  de  même  que  les  Agrimensores  la  Uni,  si  récents  sous  le  rapport  de 
la  rédaction,  nous  ont  conservé  des  usages  et  des  rites  qui  ne  s'expliquent  que  par  les  Brahmanas 
de  l'Inde,  et  qui  se  rattachent,  par  conséquent,  aux  âges  les  plus  anciens  de  la  race  aryenne  •  (E.  Renan, 
Mémoire  sur  l'âge  du  livre  intitulé  Agriculture  Nabatéenne,  p.  38).  Gutschmid  admet  à  peine  l'exis- 
tence d'éléments  babyloniens  dans  cet  ouvrage  (Kleine-Schriften,  t.  II,  p.  568-753). 


LA   LITTÉRATURE   ARCHAÏQUE.  771 

duire  et  de  comprendre  les  textes  rédigés  en  sumérien  ou  ceux  dont  l'écriture 
présentait  des  difficultés  de  déchiffrement  plus  qu'ordinaires1.  C'était,  comme 
en  Egypte,  une  littérature  entière  dont  quelques  épaves  seulement  ont  sur- 
nagé. Le  peu  qui  en  subsiste  produit  d'ailleurs  sur  nos  modernes  une  impres- 
sion équivoque,  où  l'étonnement  plus  que  l'admiration  le  dispute  à  l'ennui1. 
Ils  reconnaissent  çà  et  là,  parmi  ces  longues  suites  de  phrases  et  de  noms 
rocailleux  qu'on  leur  présente  comme  l'équivalent  d'une  Genèse  ou  d'un 
Véda  chaldéen,  un  tour  d'imagination  hardi,  une  élévation  soudaine  de  pen- 
sée, une  félicité  d'expression  qui  arrêtent  leur  attention  et  la  captivent  pen- 
dant, quelques  instants.  11  y  a  de  la  noblesse  dans  le  récit  des  aventures  de 
Gilgamès,  et  le  développement  s'en  poursuit  d'un  mouvement  libre  et  grave, 
à  travers  les  accidents  naturels  ou  merveilleux  de  la  vie  héroïque  :  si  plusieurs 
épisodes  y  provoquent  le  sourire  ou  soulèvent  notre  répugnance,  c'est  la 
rudesse  des  coutumes  anciennes  qu'il  faut  accuser,  et  les  hommes  ou  les 
dieux  de  l'épopée  homérique,  pour  être  venus  plus  tard,  ne  le  cèdent  pas  en 
brutalité  naïve  à  ceux  de  la  geste  babylonienne.  Le  sentiment  de  la  toute- 
puissance  divine  et  les  angoisses  d'une  âme  affligée  arrachèrent  parfois  aux 
psalmistes  des  cris  d'adoration  ou  de  douleur  qui  peuvent  éveiller  encore  un 
écho  dans  nos  âmes,  malgré  la  différence  des  religions,  et  le  scribe  inconnu 
qui  conta  la  Descente  d'Ishtar  aux  Enfers  a  trouvé  des  accents  d'une  énergie 
sombre  pour  décrire  les  misères  du  Pays  sans  retour9.  Ce  ne  sont  là  pour- 
tant que  des  exceptions,  et  la  plupart  des  œuvres  chaldéennes  produisent  sur 
nous  l'effet  d'un  fatras  prétentieux  :  le  lecteur  le  mieux  disposé  ou  n'y  com- 
prend rien,  ou  ce  qu'il  y  comprend  lui  parait  ne  pas  mériter  qu'on  Tait  dit.  On 
ne  saurait  le  blâmer  d'en  juger  ainsi,  car  le  vieil  Orient  n'est  pas,  comme 
l'Italie  ou  la  Grèce,  de  ces  morts  d'hier  dont  l'âme  flotte  encore  autour  de 
nous,  et  dont  l'héritage  compte  pour  plus  de  moitié  dans  notre  patrimoine  :  il 
est  descendu  au  tombeau  tout  entier,  dieux  et  villes,  hommes  et  choses,  et 

1.  Sur  loe  bibliothèques  des  temples,  cf.  les  remarques  de  Sayce,  Babyloninn  Literalur,  p.  9  sqq. 
L'hypothèse  de  Sayce,  d'après  laquelle  elles  auraient  été  accessibles  au  gros  de  la  population  comme 
nos  bibliothèques  publiques,  n'a  point  été  vérifiée  jusqu'à  présent  et  ne  paratt  pas  vraisemblable 
(Tiki.e,  Babylonisch-Assyrische  Geschichte,  p.  582). 

2.  L'impression  d'ennui  prédomine  dans  le  jugement  sévère  de  Gutschmid  au  sujet  «  der  nieder- 
driickenden  Ode  der  ninevitischen  Biedermaierpocsie  aus  Sardanapal's  Bibliothek  •  (Nette  Beitrâge 
sur  Geschichte  des  Alten  Orient*,  p.  45,  note).  L'enthousiasme  l'emporte  au  contraire  chez  Hommel, 
Geschichte  Babyloniens  und  Assyriens,  p.  262  sqq.  Bezold  (Kurzgefasster  Ueberblick  iiber  die  Babylo- 
nisch-Assyrische Literatur,  p.  193)  conseille  sagement  aux  gens  du  métier  de  suspendre  leur  jugement 
jusqu'au  moment  où  les  textes  poétiques  auront  été  entièrement  expliqués  et  interprétés  au  point  de 
vue  philologique. 

3.  Voir  la  légende  de  Gilgamès  p.  575-587  de  cette  Histoire,  la  Descente  d'Ishtar,  p.  603-696,  et 
p.  633-636,  0-4-4,  65-4-638,  682-683,  quelques  spécimens  de  psaumes  ou  d'hymnes  aux  dieux. 


772  LA   CIVILISATION    CHALDÉENNE. 

depuis  tant  de  siècles,  que  les  peuples  mêmes  qui  avaient  recueilli  sa  succession 
ont  eu  le  temps  de  s'éteindre  à  leur  tour.  À  mesure  que  nous  le  ramenons  à 
la  lumière,  nous  nous  apercevons  qu'il  n'y  a  presque  plus  rien  en  lui  qui  lui 
reste  commun  avec  nous.  Ses  lois  et  ses  mœurs,  ses  moyens  d'action  et  ses 
modes  de  pensée  sont  si  distants  des  nôtres  qu'ils  semblent  appartenir  à  une 
humanité  distincte  de  l'humanité  présente.  Les  noms  de  ses  divinités  ne  par- 
lent plus  à  notre  imagination  comme  ceux  des  Olympiens,  et  nulle  tradition 
de  respect  ne  nous  empêche  plus  de  sentir  ce  qu'il  y  a  de  baroque  dans  le 
cliquetis  de  syllabes  qui  les  compose.  Ses  artistes  n'apercevaient  pas  le 
monde  sous  le  même  angle  que  nous,  et  ses  écrivains,  puisant  leurs  inspi- 
rations dans  un  milieu  différent  de  celui  où  nous  plongeons,  en  retiraient  des 
procédés  aujourd'hui  inusités  de  peindre  leurs  sensations  ou  de  coordonner 
leurs  idées.  Aussi,  tandis  que  nous  entendons  souvent  à  demi-mot  le  langage 
des  classiques  grecs  ou  latins  et  que  nous  lisons  leurs  œuvres  presque  sans 
effort,  les  grandes  littératures  primitives,  l'Égyptienne  et  la  Chaldéenne, 
s'offrent  à  nous  le  plus  souvent  comme  une  suite  de  problèmes  à  résoudre  ou 
d'énigmes  à  deviner  patiemment.  Combien  des  phrases,  combien  des  mots 
auxquels  nous  nous  heurtons,  exigent  une  lente  analyse  avant  de  se  laisser 
maîtriser  par  nous!  et,  quand  nous  en  avons  déterminé  le  sens  littéral  à  notre 
satisfaction,  que  d'excursions  ne  devons-nous  pas  pousser  dans  le  domaine  de 
la  religion,  des  mœurs  ou  de  l'histoire  politique,  afin  de  les  forcer  à  nous 
livrer  leur  valeur  entière  et  de  rendre  nos  traductions  intelligibles  aux  autres, 
comme  elles  le  sont  à  nous-mêmes!  Où  il  faut  tant  de  commentaires  pour 
découvrir  la  pensée  d'un  homme  ou  celle  d'un  peuple,  on  éprouve  quelque 
difficulté  à  discerner  le  mérite  de  l'expression  qu'il  a  su  lui  donner.  Le  beau 
a  été  là  certainement  et  peut-être  y  est-il  encore;  mais  à  mesure  qu'on  le 
dégage  des  décombres  accumulés,  l'amas  des  gloses  nécessaires  à  l'interpréter 
s'écroule  sur  lui  et  l'enterre  jusqu'à  l'étouffer  de  nouveau. 

Si  des  obstacles  sérieux  s'opposent  à  ce  que  nous  goûtions  complètement 
la  littérature  des  Chaldéens,  nous  sommes  plus  à  l'aise  pour  apprécier  l'éten- 
due et  la  profondeur  de  leur  culture  scientifique.  Ils  savaient  d'arithmétique 
et  de  géométrie  ce  dont  ils  avaient  besoin  pour  la  pratique  journalière  de  la 
vie,  autant  que  les  Égyptiens,  mais  pas  plus  :  la  différence  entre  l'usage  des 
deux  peuples  consistait  surtout  en  ce  que  les  Égyptiens  employaient  presque 
exclusivement  le  système  décimal  qui  a  prévalu  chez  nous,  tandis  que  les 
Chaldéens  combinaient  les  données  du  système  duodécimal  avec  celles  du 


L'ARITHMÉTIQUE   ET   LA   GÉOMÉTRIE.  773 

décimal.  Ils  indiquaient  les  unités  par  autant  de  clous  verticaux,  juxtaposés 
ou  superposés  J,  |f,  ||J,  v>  etc.,  les  dizaines  par  des  crochets  <,  «,  <«,  mais, 
à  partir  de  60,  ils  avaient  le  choix  entre  deux  notations  :  tantôt  ils  conti- 
nuaient à  tracer  autant  de  crochets  qu'ils  ajoutaient  de  dizaines  <<<  tantôt  ils 
représentaient  le  nombre  50  par  le  clou  vertical,  puis  ils  lui  adjoignaient  un 
crochet  de  plus  par  dizaine  nouvelle  J<  60,  f«  70.  Ils  avaient  adopté  pour  les 
centaines  le  clou  vertical  frappé  d'un  trait  horizontal  f-,  et  précédé  d'un  clou 
simple  par  chaque  centaine  JJ-  100,  ]]]}-  200,  JJJf-300;  mille  s'écrivait  dix 
fois  cent  <|-,  et  la  série  entière  des  mille  par  la  combinaison  des  sigles 
diverses,  qui  servaient  à  noter  les  unités,  les  dizaines  et  les  centaines.  D'autre 
part,  ils  subdivisaient  l'unité  en  soixante  fractions  égales  et  chacune  d'elles  en 
soixante  soixantièmes  nouveaux,  quelle  que  fût  d'ailleurs  la  nature  des  quan- 
tités auxquelles  le  calcul  s'appliquait.  Toises  ou  pieds  carrés,  talents  ou  bois- 
seaux, le  système  complet  des  poids  et  mesures  chaldéens  reposait  sur  l'al- 
liance intime  et  sur  l'usage  parallèle  des  éléments  décimaux  et  duodécimaux. 
La  soixantaine  y  jouait  un  rôle  plus  considérable  que  la  centaine  dans  l'ex- 
pression des  quantités  fortes  :  on  l'appelait  le  sosse,  et  dix  sosses  faisaient  un 
nère,  et  soixante  nères  donnaient  un  sare,  et  les  sosses,  les  nères  ou  les  sares 
s'entendaient  de  toutes  les  valeurs.  On  comptait  par  sosses  d'années  et  de 
toises,  ou  par  sares,  comme  on  comptait  par  sosses  et  par  sares  de  talents  ou 
de  boisseaux  ;  la  propriété  que  les  nombres  régis  par  ces  coefficients  divers 
possédaient  d'admettre  tous  les  diviseurs  de  10  et  tous  ceux  de  12,  rendait 
les  calculs  singulièrement  faciles  aux  marchands  et  aux  ouvriers  comme  aux 
mathématiciens  de  profession1.  Le  peu  que  nous  entrevoyons  jusqu'à  présent 
des  méthodes  trahit  un  niveau  scientifique  inférieur,  mais  une  routine  assez 
intelligente  des  procédés  techniques  applicables  aux  circonstances  communes 
de  la  vie  :  des  aide-mémoire  de  nature  diverse,  listes  des  chiffres  avec  leurs 
noms  détaillés  phonétiquement  en  sumérien  et  en  langue  sémitique1,  tables 

1.  Les  questions  relatives  aux  connaissances  mathématiques  des  Chaldéens  ou  des  Assyriens,  et  au 
système  de  leurs  poids  et  mesures,  ont  été  élucidées  principalement  par  Oppert  dans  une  longue 
série  d'articles,  dont  le  plus  ancien  traite  des  Mesures  de  longueur  chez  les  Chaldéens  (dans  le  Bulletin 
Archéologique  de  V  Athénxum  Français,  1856,  p.  33-36),  et  dont  le  principal  est  l'Étalon  des  Mesures 
Assyriennes  fixé  par  les  textes  cunéiformes  (dans  le  journal  Asiatique,  1872,  t.*  XX,  p.  157-177,  et 
1874,  t.  IV,  p.  417-486).  Elles  ont  suscité  un  assez  grand  nombre  d'ouvrages  et  de  mémoires 
(Fr.  Lenormant,  Essai  sur  un  Document  mathématique  chaldéen,  et  à  ce  sujet  sur  le  système  des 
poids  et  mesures  de  Babylone,  1868)  et  de  polémiques  entre  Oppert,  Lepsius  (Die  Babylonisch-Assy- 
rischen  Lan  g  entasse  nach  der  Tafel  von  Senkereh,  1877)  et  Aurès  (Essai  sur  le  Système  métrique 
Assyrien,  dans  le  Recueil  de  Travaux,  t.  III,  p.  27,  t.  IV,  p.  157-220,  t.  V,  p.  139-156,  t.  VI,  p.  81-96, 
t.  VII,  p.  8-15,  49-82,  t.  VIII,  p.  150-158,  etc.). 

2.  Listes  des  nombres  et  de  leurs  noms  en  sumérien  et  en  assvrien  chez  Fr.  Lenormant,  Études  Acca- 
diennes,  t.  III,  p.  225-226,  et  chez  Pinches,  Tlie  Akkadian  N limerais,  dans  les  Proceedings  de  la  Société 
d'Archéologie  Biblique,  t.  IV,  1881-1882,  p.  111-117. 


774  LA   CIVILISATION    CHALDfiENNE. 

des  carrés,  tables  des  cubes1,  formules  et  figures  d'arpentage  rudimentaire, 
permettaient  au  premier  venu  d'apprendre  ce  qui  lui  était  nécessaire  pour  exé- 
cuter promptement  des  opérations  compliquées  ou  de  chiffrer,  avec  des  chances 
d'erreur  insignifiantes,  la  superficie  des  terrains  le  plus  irrégulièrement  déli- 
mités. Les  Chaldéens  pouvaient  dresser  des  plans  assez  exacts  de  propriétés 
ou  de  villes*,  et  ils  avaient  même  poussé  leur  ambition  jusqu'à  dessiner  des 
cartes  du  monde.  C'était  à  dire  vrai  des  croquis  informes,  où  les  croyances 
mythologiques  pervertissaient  les  renseignements  exacts  que  les  commerçants 
ou  les  soldats  avaient  recueillis  pendant  leurs  courses.  On  y  apercevait  la 
terre,  sous  les  espèces  d'un  disque  entouré  par  le  fleuve  Océan  :  la  Chaldée  en 
remplissait  la  meilleure  part,  et  les  pays  étrangers  ou  n'y  figuraient  pas  ou  s'y 
morfondaient  aux  extrémités.  Les  notions  positives  s'entremêlaient  bizarrement 
à  des  considérations  mystiques  sur  la  puissance  des  nombres,  sur  les  liens  qui 
les  attachaient  aux  dieux,  sur  l'application  des  diagrammes  géométriques  à  la 
prévision  de  l'avenir8.  On  n'ignore  point  quelle  fortune  brillante  ces  spécula- 
tions firent  par  la  suite,  et  comment  elles  s'imposèrent  pendant  des  siècles  aux 
nations  de  l'Occident  comme  à  celles  de  l'Orient.  D'ailleurs  il  n'y  avait  pas  que 
l'arithmétique  et  la  géométrie  a  se  leurrer  de  pareilles  chimères  :  toutes  les 
sciences  y  furent  trompées  tour  à  tour,  et  il  n'en  pouvait  guère  être  autrement 
de  la  façon  que  les  Chaldéens  concevaient  l'univers.  Les  organes  en  étaient 
mus  non  par  des  lois  impersonnelles  et  immuables,  mais  par  des  êtres  pourvus 
de  raison  et  de  volonté,  conduits  par  une  fatalité  suprême  contre  laquelle  ils 
n'osaient  point  s'insurger,  assez  libres  pourtant  et  assez  puissants  pour  con- 
jurer les  arrêts  du  destin  ou  du  moins  pour  en  retarder  l'exécution.  Chaque 
science  exigeait  de  ce  chef  deux  ordres  de  recherches  bien  distincts  :  elle  con- 
statait d'abord  les  faits  matériels  qui  relevaient  de  sa  compétence,  la  position 
des  astres,  par  exemple,  ou  les  symptômes  d'une  maladie;  elle  essayait 
ensuite  de  deviner  quels  êtres  révélaient  leur  présence  par  les  manifestations 
signalées,  leur  nom,  leur  essence.  Une  fois  qu'elle  les  avait  reconnus,  si  elle 
réussissait  à  mettre  la  main  sur  eux,  elle  les  forçait  à  travailler  pour  elle  : 
elle  n'était  qu'une  magie  appliquée  à  un  ordre  particulier  de  phénomènes. 

1.  Provenant  de  Senkerèh,  dans  Lf.normant,  Choix  de  Textes  Cunéiformes,  p.  219-225,  et  dans 
H.vwLiNSON,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  40,  nM  1-2. 

2.  Cf.  le  morceau  de  plan  publié  par  Pinches,  On  a  Cuneifiyrm  Inscription  relating  to  the  Capture 
of  Babylon  by  Cyrus,  dans  les  Transactions  of  the  Society  of  Biblical  Archseology,  t.  VII,  p.  132, 
et  qu'on  dit  représenter  une  partie  de  Babylonc,  nommée  Tourna,  près  de  la  Grande  Porte  du  Soleil. 
Le  père  Scheil  a  trouvé  un  cadastre  avec  ligures  géométriques;  cf.  p.  761,  note  1,  de  cette  Histoire. 

3.  Tel  est  le  fragment  de  traité,  avec  ligures,  publié  par  Sayce,  Babylonian  Augury  by  means  of 
(ieomctrical  Figures,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  IV,  p.  302-314. 


L'ASTRONOMIE.  77". 

Le  nombre  des  faits  précis  que  les  astronomes  chaldcens  avaient  coordonnés 
était  assez  considérable.  L'antiquité  se  demandait  parfois  quî,  d'eux  ou  des 
Égyptiens,  avait  osé  premier  s'aventurer  du  regard  à  travers  les  espaces 
infinis  du  ciel  :  elle 
n'hésitait  plus  quand  il 
s'agissait  de  décider  qui 
les  avait  pénétrés  plus 
avant,  et  elle  accordait 
la  supériorité  aux  prê- 
tres de  fiabylone  sur 
ceux  d'Héliopolis  ou  de 
Memphis'.  Leurs  obser- 
vations remontaient  fort 
loin  dans  le  passé1.  Gal- 
Hsthènes  en  avait  récolté 
et  envoyé  à  son  oncle 
Aristote,  dont  les  plus 

vieilles  avaient  été  faites  c*»te  m  mih  cbalbém». 

il  y  avait  alors  dix-neuf 

cent  trois  ans,  vers  le  milieu  du  vingt-troisième  siècle  avant  notre  ère*  :  il 
aurait  pu  en  transcrire  de  beaucoup  plus  antiques,  si  les  archives  des  temples 
lui  eussent  été  ouvertes  sans  réserve.  Les  prêtres  chaldéens  avaient  pris  très 
tôt  l'habitude  d'enregistrer  sur  leurs  tablettes  d'argile  l'état  du  firmament  et 
les  altérations  quî  y  surviennent  nuit  après  nuit,  l'aspect  des  constellations  et 
la  vivacité  de  leurs  feux,  le  moment  précis  de  leurs  levers,  de  leurs  culmina- 
tions,  de  leurs  couchers,  le  plus  ou  moins  de  vitesse  dont  elles  s'approchent  ou 
s'éloignent,  s'attirent  ou  se  repoussent  mutuellement.  La  vue  seule,  aiguisée 
par  la  pratique  et  favorisée  par  la  transparence  de  l'air,  leur  révélait,  comme 

I.  Clément  d'Alexandrie  (Slromatri,  I.  I,  16,  §  74),  Lucien  (De  Atlrologiâ.  S,  8-9),  Dîogène  Lacrce 
{Prammium,  aux  Vie»  des  PhUotopke»,  g  il),  Macrobc  (Sur  le  Sange  de  Scipioa,  I,  H,  ,S  9)  attribuent 
l'invention  rie  l'astronomie  aux  Égyptiens,  et  Diodore  de  Sicile  (1. 18-19)  assure  qu'ils  renseignèrent 
aux  Dnbyloniens;  Josèphe  affirme  au  contraire  (Ant.  Jud.,  I,  8,  1)  que  les  Egyptiens  étaient  les  élevés 
des  l'.haldéena. 

t.  Ëpigène  affirmait  que  leurs  observations  remontaient  a  7Ï0  000  ans  avant  le  temps  d'Alexandre, 
tandis  que  Bérnsc  cl  Critodèrae  ne  leur  accordaient  que  IttOOOOans  d'antiquité  (Pline,  Mit.  Hat.,  Vil, 
57).  rérinits  a  173  000  ans  par  Diodore  (II,  31),  à  170000  ans  par  Cicéron  (De  Dirii/aliont,  I,  19).  à 
470  000  ans  selon  Hipparque. 

3.  Driiin  de  Fauc/ier-Gudin,  d'aprt»  le  croqui'  de  Pus»,  Eine  Bat/yloniicke  I.nndkarte,  dans  la 
Zeiltchrift  fur  Aityriologie,  t.  IV,  p.  369. 

*.  Le  nombre  rie  1003  ne  se  trouve  introduit  que  par  correction  dans  le  lexle  de  Simplicius  (Cnm- 
:  lur  te  traité  de  Cœlo  (TAriitote,  p.  50Ï  o),qui  noua  apprend,  d'aprèa  Porphyre,  l'envoi  fait 
e  par  Caliislhènea. 


776  LA   CIVILISATION   CHALDÉENNE. 

aux  Égyptiens,  l'existence  de  beaucoup  d'astres  que  nous  n'apercevons  qu'avec 
nos  instruments.  Ces  milliers  d'êtres  lumineux,  jetés  au  ciel  si  irrégulière- 
ment en  apparence,  se  mouvaient  pourtant  avec  une  régularité  parfaite,  et 
l'on  apprit  bientôt  combien  de  temps  s'écoulait  entre  deux  retours  pério- 
diques de  l'un  d'eux  au  même  point  du  ciel  :  on  était  certain  de  les  rencon- 
trer ici  à  telle  heure,  là-bas  à  telle  autre,  et  leur  route  était  tracée  de  façon 
si  immuable  qu'on  osait  en  prévoir  les  étapes  et  les  indiquer.  La  lune  devait 
parachever  deux  cent  vingt-trois  révolutions  de  vingt-neuf  jours  et  demi, 
avant  d'être  revenue  au  ooint  d'où  elle  était  partie.  Sa  carrière  terminée  à 
peine,  elie  en  recommençait  une  seconde  de  valeur  égale,  puis  une  troisième, 
et  d'autres  encore  en  somme  incalculable,  pendant  lesquelles  elle  parcourait 
les  mêmes  mansions  et  y  répétait  les  mêmes  actes  de  sa  vie  :  toutes  les 
éclipses  qu'elle  avait  subies  pendant  la  première  période  l'affligeaient  de 
nouveau  pendant  les  autres,  et  se  manifestaient  sur  elle  pour  tous  les  lieux  de 
la  terre  dans  le  même  ordre  de  temps  et  d'importance1.  Les  expliquait-on  par 
quelque  cause  mécanique  ou  continuait-on  à  se  les  figurer  comme  autant 
d'assauts  malheureux  des  sept  contre  Sin'?  De  toute  manière,  elles  se  repré- 
sentaient périodiquement,  et  la  connaissance  du  système  des  deux  cent  vingt- 
trois  lunaisons  permettait  d'en  prédire  exactement  la  date  ou  la  durée.  L'ob- 
servation poussée  plus  loin  encouragea  les  astronomes  à  essayer  pour  le 
soleil  ce  qui  leur  avait  réussi  pour  la  lune.  On  n'a  pas  besoin  d'une  très 
longue  expérience  afin  de  découvrir  que  la  plupart  des  éclipses  solaires  sont 
précédées  ou  suivies  à  environ  quatorze  jours  et  demi  d'intervalle  par  une 
éclipse  lunaire  :  les  Chaldéens  ne  surent  pas  tirer  un  parti  suffisant  de  ce  fait 
pour  déterminer  avec  exactitude  le  moment  d'une  défaillance  future  du  soleil, 
mais  la  liaison  apparente  des  deux  phénomènes  les  frappa  assez  pour  qu'ils 
se  crussent  en  état  de  l'annoncer  par  à  peu  près3.  Ils  se  trompaient  souvent 
dans  leurs  pronostics,  et  plus  d'une  éclipse  qu'ils  avaient  promise  ne  se  pro- 
duisit pas  au  moment  où  ils  l'attendaient*  :  les  cas  de  succès  étaient  pourtant 

1.  Cette  période  de  deux  cent  vingt-trois  lunaisons  est  celle  que  Ptolémée  décrit  au  commencement 
du  1.  IV  de  son  Astronomie,  où  il  traite  du  mouvement  moyen  de  la  Lune.  Les  Chaldéens  ne  paraissent 
pas  avoir  su  s'en  servir  d'une  manière  bien  habile,  car  leurs  livres  signalent  l'arrivée  imprévue  d'éclipsés 
lunaires  en  dehors  du  temps  pré\u  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  III,  pi.  51,  n#  7,  et  pi.  55,  n°  1). 

2.  L'explication  mythologique  semble  prévaloir  encore  dans  le  traité  publié  par  Rawlinsos,  Cun.  Ins. 
W.  As.,  t.  III,  pi.  61,  col.  il,  I.  15-16;  cf.  Fa.  Lenormant,  les  Origines  de  l'Histoire,  t.  I,  p.  523. 

3.  Tannery  pense  que  les  Chaldéens  ont  dû  prédire  les  éclipses  du  Soleil  par  le  moyen  de  la  période 
des  deux  cent  vingt-trois  lunaisons,  et  montre  par  quel  moyen  fort  simple  ils  ont  pu  y  arriver  (Pour 
V histoire  de  ta  Science  Hellène;  de  Thaïes  à  Ernpc'docle,  p.  57-60). 

4.  Un  astronome  mentionne  sous  Assourbanabal  que,  le  28,  le  29  et  le  30  du  mois,  «  il  se  tint  prêt  à 
observer  une  éclipse,  mais  que  le  soleil  demeura  brillant,  et  l'éclipsé  ne  vint  pas  »  (Rawlinsok,  Cun. 
Ins.  W.  As. y  t.  III,  pi.  51,  9;  cf.  Fox  Talbot,  On  an  Ancient  Eclipse,  dans  les  Transactions  de  la  Société 


L'ASTROLOGIE.  777 

assez  fréquents  pour  les  consoler  de  leurs  mécomptes  et  pour  maintenir  leur 
science  en  haute  estime  dans  l'esprit  du  peuple  et  des  nobles.  Leurs  années 
étaient  des  années  vagues  de  trois  cent  soixante  jours.  Les  douze  mois  égaux 
dont  elles  se  composaient  portaient  des  noms  relatifs  soit  aux  événements  de 
la  vie  civile  qui  s'y  accomplissaient,  la  fabrication  de  la  brique  en  Simanou, 
ou  les  semailles  en  Addarou,  soit  à  des  faits  mythologiques  encore  obscurs, 
Nisanou  à  l'autel  d'Éa,  Éloul  à  un  message  d'Ishtar1.  On  les  complétait  tous 
les  six  ans  d'un  mois  supplémentaire,  qui  tantôt  s'appelait  un  second  Adar, 
tantôt  un  second  Éloul,  ou  un  second  Nisanou,  selon  l'endroit  où  on  l'inter- 
calait*. Les  heures  et  les  minutes  négligées  dans  cette  opération  devenaient, 
ainsi  qu'en  Egypte,  une  cause  d'embarras  sérieux,  mais  nous  ignorons  à  quels 
moyens  on  recourait  pour  y  remédier.  Les  mois  étaient  en  rapport  avec  les 
signes  du  zodiaque  ;  les  jours  se  partageaient  en  douze  heures  doubles  cha- 
cune. On  avait  inventé  deux  machines  à  mesurer  le  temps,  l'une  et  l'autre 
assez  simples,  une  clepsydre  et  une  horloge  solaire,  que  les  Grecs  emprun- 
tèrent plus  tard  aux  Babyloniens  et  qu'ils  appelèrent  polos  :  le  gnomon  ser- 
vait à  déterminer  un  certain  nombre  de  faits  élémentaires  indispensables  aux 
calculs  astronomiques,  la  place  des  quatre  points  cardinaux,  le  midi  vrai, 
l'époque  des  solstices  et  des  équinoxes,  la  hauteur  du  pôle  pour  l'endroit 
où  l'instrument  est  dressé.  La  construction  du  gnomon  et  de  la  clepsydre, 
sinon  du  polos,  est  évidemment  fort  ancienne,  mais  aucun  des  textes  publiés 
jusqu'à  présent  ne  mentionne  l'usage  de  ces  instruments3. 

Toutes  ces  découvertes,  qui  représentent  à  nos  yeux  le  véritable  patrimoine 
scientifique  des  Chaldéens,  ils  les  regardaient  eux-mêmes  comme  le  résultat 

d'Archéologie  Biblique,  t.  1,  p.  15;  Oppert,  dans  le  Journal  Asiatique,  1871,  t.  XV11I,  p.  67;  Sayce,  The 
Astronomy  and  Aslrology  of  tke  Baby  loti  tans,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie 
Biblique,  t.  111,  p.  233-234;  Smith,  Assyrian  Discoveries,  p.  409). 

1.  Cf.  la  liste  bilingue  publiée  pour  la  première  fois  par  ÏSorris,  Assyrian  Dictionary,  t.  1,  p.  50, 
ainsi  que  les  explications  de  Sayce,  The  Astronomy  and  Astrology  of  the  Babylonians,  dans  les 
Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  111,  p.  160  sqq.,  et  de  Fr.  Lenorvant.  les  Origines 
de  l'Histoire,  t.  I,  pi.  CXL  sqq.,  598  sqq. 

î.  Sur  les  mois  intercalaires,  voir  Sayce,  The  Astronomy  and  Astrology  of  the  Babylonians,  dans 
les  Transactions,  t.  III,  p.  160  :  nous  avons  eu  l'occasion  de  citer,  p.  676  de  cette  Histoire,  les  indica- 
tions de  fêtes  ou  de  cérémonies  à  exécuter  par  le  roi  pendant  le  second  mois  d'Êloul.  Un  fragment 
de  calendrier  indiquant  une  triple  intercalation  est  publié  dans  Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  A.,  t.  III, 
pi.  56,  n*  5.  La  dernière  tentative  faite  pour  fixer  les  époques  d'intercalation,  et  la  mieux  réussie  au 
moins  pour  l'époque  du  Second  Empire  Chaldéen,  est  celle  d'ED.  Mahler,  Der  Schaltcyclus  der  Baby- 
lonier,  dans  la  Zeitschrifl  fur  Assyriologie,  t.  IX,  p.  42-61. 

3.  Hérodote  (II,  cix)  attribue  formellement  l'invention  du  gnomon  et  du  polos  aux  Babyloniens  :  it6Xov 
uiv  yàp  xa\  yvtofxova  xa\  xà  SajSexa  uipsa  rrj;  Tjuipa;  irapà  Ba6vXci>vui>v  Ëu,ot6ov  ol  "EXXtjveç.  Le  polos 
était  une  horloge  solaire.  Il  consistait  en  une  demi-sphère  concave  au  centre  de  laquelle  un  style  se 
dressait  :  l'ombre  du  style  décrivait  chaque  jour  un  arc  de  cercle  parallèle  à  l'équateur,  et  l'on 
divisait  les  parallèles  journaliers  en  douze  ou  vingt-quatre  parties  égales.  Smith  a  découvert  à 
Koyoundjtk,  dans  le  palais  de  Sennachérib,  un  fragment  d'astrolabe,  qui  est  conservé  aujourd'hui  au 
British  Muséum  (Assyrian  Discoveries,  p.  407-408). 

98 


778  LA  CIVILISATION  CHALDËENNE. 

le  moins  important  de  leurs  études1.  Ne  savaient-ils  pas  grâce  à  elles  que  les 
astres  ne  brillent  pas  seulement  pour  éclairer  les  nuits,  mais  qu'ils  régissent 
les  destinées  des  hommes  et  des  rois,  et  par  celles  des  rois  la  fortune  des 
empires?  Les  plus  anciens  de  leurs  astronomes,  à  force  de  contempler  chaque 
nuit  l'armée  des  étoiles,  crurent  discerner  qu'à  chacune  de  leurs  évolutions 
correspondait  sur  terre  un  ensemble  de  phénomènes  et  d'événements  toujours 
les  mêmes.  Si  Mercure,  par  exemple,  s'allumait  à  son  lever  d'un  éclat  sem- 
blable à  celui  du  jour,  et  que  son  disque  simulât  une  lame  d'épée  à  double 
tranchant,  grâce  à  la  disposition  du  halo  lumineux  qui  l'enveloppait,  la 
richesse  et  l'abondance  se  répandaient  sur  la  Chaldée,  les  discordes  se  tai- 
saient et  la  justice  l'emportait  sur  l'iniquité8.  Le  premier  qui  releva  pareille 
coïncidence  en  fut  étonné  et  la  nota;  ceux  qui  vinrent  ensuite  constatèrent 
que  son  observation  était  exacte,  et  finirent  par  déduire  une  loi  générale  des 
antécédents  accumulés  pendant  des  années.  Désormais,  chaque  fois  que 
Mercure  se  montra  sous  le  même  aspect,  ce  fut  un  augure  favorable,  qui  porta 
bonheur  aux  souverains  et  à  toute  la  terre  qui  dépend  d'eux.  Dans  le  temps 
qu'il  s'était  produit  de  la  sorte,  aucun  maître  étranger  ne  pouvait  s'installer 
en  Chaldée,  mais  la  tyrannie  était  divisée  contre  elle-même,  l'équité  prévalait, 
un  monarque  fort  gouvernait;  les  propriétaires  et  le  roi  demeuraient  ferme- 
ment assis  dans  leurs  droits;  l'obéissance  et  la  tranquillité  régnaient  au  pays. 
Le  nombre  de  ces  observations  se  multiplia  tellement  qu'on  dut  les  classer 
méthodiquement  pour  éviter  de  s'y  tromper.  On  en  rédigea  des  tables  où  l'on 
lisait,  à  côté  d'indications  donnant  l'état  du  ciel  telle  nuit  à  telle  ou  telle 
heure,  la  mention  des  événements  survenus  au  moment  même  ou  peu  après, 
en  Chaldée,  en  Syrie,  en  Phénicie,  dans  quelque  autre  région  étrangère*.  Si  la 
lune  offre  exactement  la  même  apparence  le  1er  et  le  27  du  mois,  l'Élam  est 
menacé;  mais  ce  si  le  soleil,  à  son  coucher,  parait  double  de  sa  dimension 

1.  Le  classement  des  œuvres  astrologiques,  dont  l'ensemble  est  conservé  au  British  Muséum,  a  été 
Tait  pour  la  première  fois  par  Fr.  Lenormant,  Essai  de  Commentaire  sur  les  fragments  cosmogoniques 
de  Bérose,  p.  25-30;  les  restes  en  ont  été  en  partie  analysés,  en  partie  traduits  par  Sayce,  The  Astro- 
nomy  and  Aslrology  of  the  Babylonians,  with  Translations  of  the  Tablets  relating  to  thèse  subjects, 
dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  III,  p.  145-339,  et  le  tableau  des  résuiats 
auxquels  les  astrologues  chaldéens  étaient  parvenus  a  été  tracé  par  Fr.  Lesormant,  la  Divination  et  la 
Science  des  Présages  chez  les  Chaldéens,  p.  1-15. 

3.  Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  III,  pi.  Si,  n°  1,  1.  1-7;  cf.  Sayce,  The  Astronomy  and  Astrology 
of  the  Babylonians,  p.  193-194,  où  le  nom  de  la  planète,  Gouttam,  est  rendu  Jupiter,  contre  l'opinion 
d'Oppert  (Tablettes  Assyriennes  traduites,  dans  le  Journal  Asiatique,  1871,  t.  VIII,  p.  445,  et  Un 
Annuaire  Astronomique  Babylonien,  dans  le  Journal  Asiatique,  1890,  t.  XVI,  p.  519-540).  M.  Jensen 
(Die  Kosmologic  der  Babylonier,  p.  131-132)  identifiait  Gouttam  à  Mars. 

3.  Présages  tirés  de  la  conjonction  de  la  Lune  et  du  Soleil  à  différentes  dates,  favorables  (Rawlinson, 
Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  III,  pi.  58,  n°  11,  1.  9-14)  ou  défavorables  pour  Akkad  (Id.,  t.  III,  pi.  58,  n°  lî, 
I.  3-11),  mais  favorables  pour  l'Élam  et  pour  la  Phénicie. 


LA  SCIENCE  DES  PRÉSAGES.  779 

normale,  avec  trois  faisceaux  de  rayons  bleuâtres,  le  roi  de  la  Chaldée  est 
perdu1  ».  Aux  présages  tirés  des  astres,  on  joignit  ceux  qui  se  manifestaient  dans 
l'atmosphère  *  :  s'il  tonnait  le  27  de  Tammouz,  la  récolte  du  blé  devait  être 
belle  et  le  rendement  des  épis  magnifique;  si  c'était  le  2  Abou,  six  jours  plus 
tard,  il  fallait  craindre  des  inondations  ou  des  pluies  à  bref  délai,  la  mort 
prochaine  du  souverain  et  la  division  de  son  empire8.  Ce  n'était  pas  sans 
raison  que  le  soleil  et  la  lune  s'entouraient  le  soir  de  vapeurs  sanglantes  ou 
se  voilaient  de  nuées  noires,  qu'ils  pâlissaient  ou  rougissaient  soudain  d'une 
splendeur  insupportable,  que  des  feux  imprévus  s'enflammaient  aux  confins 
de  l'air  et  qu'à  certaines  nuits  les  étoiles  semblaient  se  détacher  de  la  voûte 
et  pleuvoir  sur  la  terre.  Ces  prodiges  étaient  autant  d'avertissements  que  les 
dieux  accordaient  aux  peuples  et  aux  rois  avant  les  grandes  crises  :   l'astro- 
nome les  cherchait,  les  interprétait,  et  ses  pronostics  influaient  plus  qu'on 
ne  saurait  croire  sur  la  fortune  des  particuliers  ou  des  Etats.   Les  princes 
le  consultaient,  et  se  déchargeaient  parfois  sur  lui  du   soin   d'indiquer  les 
moments  les  plus  favorables  à  l'exécution  de  leurs  projets.  Les  temples  pos- 
sédaient d'ancienne   date  toute  une  bibliothèque  d'écrits  astrologiques,   où 
les  gens  du  métier  trouvaient  rassemblés  comme  en  un  code  les  signes  qui 
annoncent   les   destinées4.    L'un   d'eux,   qui  ne   comprenait   pas   moins    de 
soixante-dix  tablettes  d'argile,  passait  pour  avoir  été  rédigé   sous  le  règne 
de  Sargon  d'Agadé5,  mais  on  l'avait  remanié  à  plusieurs  reprises  et  enrichi 
d'exemples  nouveaux,  sous  lesquels  le  fond  primitif  avait  disparu  peu  à  peu. 
C'était  le  livre  classique  sur  la  matière,  vers  le  vnc  siècle  avant  notre  ère,  et 
les  astronomes  royaux  auxquels  on  réclamait  l'explication  d'un  phénomène 
naturel  ou  merveilleux  en  extrayaient  le  plus  souvent  leurs  réponses  toutes 
prêtes0.    L'astronomie    ainsi    entendue    n'était  pas  seulement   la  reine  des 

1.  Rawlinson,  Cvn.  Ins.  W.  As.,  t.  III,  pi.  64,  n°  7,  I.  57  ;  cf.  Fr.  Lenormant,  la  Divination  et  la  Science 
des  Présages  chez  les  Chaldéens,  p.  8,  u.  1  ;  et  pour  le  présage  du  soleil,  Rawlinson,  Cvn.  Ins.  W.  As., 
t.  III,  pi.  69,  15  recto,  I.  i;  cf.  Sayce,  The  Astronomy  and  Astrotogy  of  Ihe  liabylonians,  p.  221, 
Fr.  Le.nokma.nt,  la  Divination  et  La  Science  des  Présages  citez  les  Chaldéens,  p.  8,  n.  1. 

2.  Fr.  Lenormant,  la  Divination  et  la  Science  des  Présages  chez  les  Chaldéens,  p.  63  sqq. 

3.  Fr.  Lenormant,  la  Divination  et  la  Science  des  Présages,  p.  73-74. 

4.  Fr.  Lenormant,  la  Divination  et  la  Science  des  Présages  chez  les  Chaldéens,  p.  33  sqq.  Aucun  de 
ces  ouvrages  n'est  parvenu  en  entier  jusqu'à  nous,  mais  nous  possédons  la  table  des  matières  de  l'un 
d'eux,  qui  ne  comprenait  pas  moins  de  vingt-cinq  tablettes,  et  qui  était  déposé  dans  la  bibliothèque 
d'Assourbanabal  à  Ninive  (Rawlinson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  III,  pi.  52,  3;  cf.  Sayce,  The  Astronomy  and 
Astrology  of  the  Babylonians,  dans  les  Transactions  de  la  Société  d'Archéologie  Biblique,  t.  III, 
p.  151-160).  On  peut  juger,  par  le  sommaire  qu'elle  nous  a  conservé,  la  somme  de  travail  et  d'observa- 
tions que  les  astronomes  de  la  Chaldée,  puis  de  l'Assyrie,  avaient  dû  accumuler  pendant  des  siècles 
pour  réunir  les  matériaux  de  leur  science. 

5.  Du  moins  il  prenait  ses  exemples  dans  la  vie  de  ce  prince  et  dans  celle  de  son  fils  et  successeur 
Naramsin;  cf.  p.  598-599  de  cette  Histoire. 

6.  Fr.  Lenormant  pense  même  que  cet  ouvrage,  ainsi  modifié,  fut  celui   que  Bérose  traduisit  en 


780  LA  CIVILISATION  CHALDÊENNE. 

sciences,  elle  était  la  maîtresse  du  monde  :  on  renseignait  mystérieusement 
dans  les  sanctuaires,  et  ses  adeptes  formaient  presque  une  classe  à  part  de 
la  société,  ceux  du  moins  qui  avaient  suivi  le  cours  régulier  d'études  qu'elle 
exigeait.  Leur  métier  était  de  ceux  qui  rapportent,  et  il  suscitait  aux  savants 
nourris  dans  les  bonnes  méthodes  des  quantités  de  concurrents  douteux, 
instruits  on  ne  sait  où,  qui  exploitaient  à  l'envi  la  crédulité  populaire.  Us 
s'en  allaient  par  les  chemins,  tirant  des  horoscopes  et  dressant  des  thèmes 
généthliaques,  dont  la  plupart  n'offraient  aucune  garantie  d'authenticité.  La 
loi  s'avisait  parfois  qu'ils  faisaient  concurrence  aux  docteurs  officiels,  et  les 
troublait  dans  leur  commerce;  quand  par  hasard  elle  les  avait  exilés  d'une 
cité,  ils  trouvaient  un  asile  assuré  dans  les  voisines. 

La  Chaldée  regorgeait  d'astrologues  non  moins  que  de  devins  et  de  nécro- 
mants;  elle  ne  possédait  point,  comme  l'Egypte,  une  véritable  école  de  méde- 
cine, où  l'on  enseignait  les  moyens  rationnels  de  diagnostiquer  les  maladies, 
et  de  les  guérir  par  l'emploi  des  simples1.  Elle  se  contentait  pour  soigner 
les  corps  de  sorciers  ou  d'exorcistes,  habiles  à  dépister  les  démons  ou  les 
esprits  dont  la  présence  dans  un  vivant  détermine  les  désordres  auxquels 
l'humanité  est  sujette.  Le  faciès  général  du  patient  pendant  les  crises,  les 
paroles  qui  lui  échappaient  dans  le  délire,  étaient  pour  ces  rusés  personnages 
autant  d'indices  qui  leur  dévoilaient  la  nature  et  parfois  même  le  nom  de 
l'ennemi  à  combattre,  le  dieu  Fièvre,  le  dieu  Peste,  le  dieu  Mal-de-Tête*. 
Les  consultations  et  le  traitement  étaient  donc  des  offices  religieux,  qui 
impliquaient  des  purifications,  des  offrandes,  tout  un  rituel  de  paroles  et  de 
gestes  mystérieux.  Le  magicien  allumait  devant  son  sujet  un  feu  d'herbes 
et  de  plantes  odoriférantes,  dont  la  flamme  claire  écartait  les  spectres  et 
dissipait  les  influences  malignes,  puis  il  récitait  une  oraison  destinée  à  décrire 
le  mal  ou  l'enchantement.  «  L'imprécation  malfaisante  comme  un  démon 
s'est  abattue  sur  l'homme;  —  la  voix  du  magicien  comme  un  joug  s'est 
appesantie  sur  lui,  —  l'imprécation  malfaisante,  le  sortilège,  le  mal  de  tète! 
—  Cet  homme,  l'imprécation  malfaisante  l'égorgé  comme  un  agneau,  — 
car  son  dieu  s'est  retiré  de  son  corps,  sa  déesse  s'est  mise  à  l'écart,  mal 

grec,  et  qui  devint  un  des  principaux  textes  classiques  de  l'astrologie  gréco-romaine  (la  Divination 
et  la  Science  des  Présage»  chez  les  (Jtaldéens,  p.  46-i"). 

1.  Cf.  p.  2U-220  de  cette  Histoire  ce  qui  est  dit  de  la  médecine  égyptienne.  Encore  à  l'époque 
perse,  c'étaient  des  médecins  égyptiens  ou  grecs  que  les  rois  achéménides  entretenaient  auprès  d'eux, 
non  des  médecins  babyloniens;  cf.  dans  Hérodote  (III,  1)  la  légende  de  l'oculiste  envoyé  par  Amasis 
à  Cyrus,  et  dont  la  rancune  amena  la  ruine  de  l'Egypte. 

2.  Pour  les  mauvais  génies,  et  pour  les  maladies  qu'ils  pouvaient  causer  en  pénétrant  dans  le  corps 
des  hommes,  voir  p.  683  de  cette  Histoire;  la  même  doctrine  était  enseignée  en  Egypte,  cf.  p.  312  sqq. 


LA  MÉDECINE.  781 

disposée  pour  lui,  —  la  voix  s'est  étalée  sur  lui  comme  un  vêtement  et  l'a 
troublé!  »  Le  mal  que  le  magicien  a  fait  est  terrible,  mais  les  dieux  peuvent 
le  réparer  encore,  et  déjà  Mardouk  s'émeut,  Mardouk  abaisse  ses  regards  sur 
le  patient,  Mardouk  est  entré  dans  la  maison  de  son  père  Éa,  disant  :  «  Mon 
père,  l'imprécation  mauvaise  s'est  abattue  sur  l'homme  comme  un  démon  !  » 
Par  deux  fois  il  lui  parle,  puis  il  ajoute  :  «  Ce  que  doit  faire  cet  homme,  je  ne 
le  sais;  comment  se  guérira-t-il?  »  Ëa  répond  à  son  fils  Mardouk  :  «  Mon  fils, 
que  ne  sais-tu  et  que  t'ajouterai-je?  —  Mardouk,  que  ne  sais-tu  et  que  t'ajou- 
terai-je?  —  Ce  que  moi  je  sais,  toi  tu  le  sais  :  —  va  donc,  mon  fils,  Mardouk, 
—  mène-le  à  la  maison  de  purification  du  dieu  qui  prépare  les  remèdes,  —  et 
romps  le  charme  qui  est  sur  lui,  rejette  le  charme  qui  est  sur  lui,  —  le  mal 
qui  trouble  son  corps,  —  qu'il  ait  pour  cause  la  malédiction  de  son  père,  — 
ou  la  malédiction  de  sa  mère,  —  ou  la  malédiction  de  son  frère  aîné,  —  ou  la 
malédiction  pernicieuse  d'un  inconnu.  — La  malédiction,  qu'elle  soit  enlevée 
par  le  charme  d'Éa,  —  comme  une  gousse  d'ail  qu'on  défait  peau  à  peau,  — 
comme  un  régime  de  dattes  soit-elle  tranchée,  —  comme  une  grappe  de 
fleurs  soit-elle  arrachée!  Le  sortilège,  ô  double  du  ciel,  conjure-le,  —  double 
de  la  terre,  conjure-le!  »  Le  dieu  daignait  lui-même  prescrire  le  remède  :  le 
malade  devait  prendre  une  gousse  d'ail,  des  dattes,  un  rameau  chargé  de 
fleurs,  puis  les  jeter  au  feu  morceau  à  morceau,  en  murmurant  des  oraisons 
appropriées  à  chaque  moment  de  l'opération.  «  De  même  que  cet  ail  pelé  et 
jeté  au  feu,  —  la  flamme  ardente  le  consume,  —  il  ne  sera  point  planté  au 
jardin  potager,  il  ne  s'abreuvera  pas  à  l'étang  ou  à  la  rigole,  —  sa  racine  ne 
s'implantera  pas  en  terre,  —  sa  tige  ne  percera  pas  et  ne  verra  pas  le  soleil,  — 
il  ne  servira  pas  à  la  nourriture  des  dieux  ou  du  roi,  —  de  même  puisse-t-il 
emporter  l'incantation  mauvaise,  puisse-t-il  dénouer  le  lien  —  de  la  maladie, 
du  péché,  de  la  faute,  de  la  perversité,  du  crime!  —  La  maladie  qui  est  en 
mon  corps,  en  ma  chair,  en  mes  muscles,  —  ainsi  que  cet  ail  soit-elle  pelée,  — 
et  qu'en  ce  jour  la  flamme  ardente  la  consume;  —  sorte  le  sortilège,  que  je 
voie  la  lumière!  »  La  cérémonie  se  prolongeait  autant  qu'on  le  désirait  :  le 
malade  mettait  en  pièces  et  le  feu  dévorait  tour  à  tour  le  régime  de  dattes, 
le  bouquet  de  fleurs,  un  flocon  de  laine,  du  poil  de  chèvre,  un  écheveau  de 
fil  teint,  une  fève.  A  chaque  fois  il  répétait  la  formule  en  y  introduisant  deux 
ou  trois  des  traits  qui  caractérisent  le  mieux  la  nature  de  l'offrande  :  les  dattes 
ne  s'emmancheront  plus  sur  leurs  tiges,  les  feuilles  du  rameau  ne  seront 
jamais  réunies  à  l'arbre,  la  laine  et  le  poil  ne  remonteront  plus  au  dos  de  la 


78-2  LA  CIVILISATION  CHALDÉENNE. 

bêle  qui  les  portait  et  ne  serviront  plus  à  tisser  des  vêtements1.  Des  remèdes 
accompagnaient  souvent  remploi  des  paroles  magiques,  remèdes  baroques  et 
de  composition  fâcheuse,  pour  la  plupart  :  c'étaient  des  copeaux  de  bois 
amers  ou  puants,  de  la  viande  crue,  de  la  chair  de  serpent,  du  vin,  de  l'huile, 
le  tout  réduit  en  pulpe  ou  façonné  en  boulette  et  qu'on  avalait  à  l'aventure*. 
La  médecine  égyptienne  en  admettait  de  pareils,  auxquels  elle  attribuait  des 
effets  considérables,  mais  ils  ne  paraissaient  chez  elle  qu'à  l'état  d'exception. 
La  médecine  chaldéenne  les  préconisait  avant  tous  les  autres,  et  leur  étran- 
geté  même  rassurait  le  patient  sur  leur  efficacité  :  ils  répugnaient  aux  esprits, 
et  délivraient  le  possédé  rien  que  par  l'horreur  invincible  dont  ils  remplissaient 
les  persécuteurs.  Elle  n'ignorait  pas  cependant  les  vertus  naturelles  des  sim- 
ples et  elle  les  utilisait  à  l'occasion8;  mais  elle  ne  les  tenait  qu'en  estime 
médiocre  et  elle  leur  préférait  les  recettes  qui  flattaient  le  goût  du  peuple  pour 
le  surnaturel.  Des  amulettes  confirmaient  ensuite  l'effet  obtenu  et  empêchaient 
l'ennemi  de  rentrer  dans  un  corps,  une  fois  qu'il  en  était  sorti,  nœuds  de 
corde,  coquillages  percés,  figurines  en  bronze  ou  en  terre  cuite,  plaques  atta- 
chées au  bras  ou  pendues  au  cou.  On  y  dessinait  tant  bien  que  mal  une  image, 
la  plus  terrible  qu'on  pût  imaginer,  on  y  griffonnait  une  incantation  en  abrégé, 
ou  l'on  y  gravait  des  caractères  extraordinaires  :  les  esprits  se  sauvaient  dès 
qu'ils  les  apercevaient,  et  la  maladie  épargnait  le  maître  du  talisman4. 

Si  risible  à  la  fois  et  si  déplorable  que  cet  amalgame  disproportionné  de 
notions  exactes  et  de  superstitions  nous  paraisse  aujourd'hui,  il  aida  la 
fortune  des  cités  chaldéennes  autant  et  plus  qu'un  bagage  considérable  de 
science  vraie  ne  l'aurait  pu  faire.  Les  peuples  encore  barbares  qui  les  serraient 
de  toute  part  étaient  imbus  des  mêmes  idées  qu'elles,  sur  la  constitution  du 
monde  et  sur  le  jeu  des  lois  qui  le  gouvernent.  Ils  vivaient  eux  aussi  dans 
la  terreur  continuelle  des  invisibles,  dont  la  volonté  arbitraire  et  changeante 
émet  tous  les  phénomènes  visibles;  ils  attribuaient  à  l'action  directe  d'êtres 

1.  Le  texte  de  cette  conjuration  a  été  publié  dans  Rawljnson,  Cun.  Ins.  W.  As.,  t.  IV,  pi.  7,  et 
couvrait  la  VI"  Tablette  de  la  série  intitulée  Shourbou.  Elle  a  été  traduite  entièrement  par  Fr.  I.enor- 
inant  (Études  Accadiennes,  t.  II,  p.  225-238,  t.  III,  p.  83-93),  Halévy  (Documents  religieux  de  t  Assyrie 
et  de  la  Rabylonie,  p.  135-1-44,  30-34)  et  Jenaen  [De  Incantamentorum  sumerico-assyriorum  seriei 
qux  dicitur  Shurbu  tabula  VI,  dans  la  Zeitschrift  f>ir  Keilforschuny,  t.  1,  p.  479-322,  t.  II,  p.  15-61, 
306-311,416-125). 

2.  On  trouvera  des  exemples  de  ces  formules  incohérentes  chez  Sayce,  Ah  ancien  t  Babylonian  work 
on  Medicine,  dans  la  Zeitschrift  fur  Keilforschung,  t.  Il,  p.  1-14.  Pour  les  recettes  égyptiennes  du 
même  genre,  cf.  ce  qui  est  dit  à  la  p.  219  de  cette  Histoire. 

3.  Voir  par  exemple  les  simples  énumérés  sur  une  tablette  du  British  Muséum  que  vient  de  publier 
A.  Boissier,  Liste  de  plantes  médicinales,  dans  la  Revue  sémitique  d'Épigraphie  et  d'Histoire  Ancienne, 
t.  N,p.  135-145. 

4.  Talbot,  On  the  Religious  Relief  of  the  Assyrians,  n°  3,  §  5-8,  dans  les  Transactions  de  la  Société 
d'Archéologie  Biblique,  t.  11,  p.  54-57,  65  73;  Fr.  Luiormamt,  ta  Magie  chez  les  Chaldéens,  p.  38-52. 


LA  MAGIE  ET  SON  INFLUENCE  SUR   LES  PEUPLES  BARBARES.        783 

mauvais  les  revers  et  les  malheurs  qui  les  frappaient,  ils  croyaient  fermement 
à  l'influence  des  astres  sur  les  événements  terrestres,  ils  étaient  à  l'affût  des 
prodiges  et  s'en  effrayaient,  mais  ils  connaissaient  imparfaitement  le  nombre 
et  le  caractère  de  leurs  adversaires,  et  ils  n'avaient  découvert  que  des  moyens 
insuffisants  de  leur  tenir  tète  ou  de  les  dompter.  Les  Chaldéens  se  donnaient 
à  eus  comme  investis  des  pouvoirs  qui  leur  manquaient.  Ils  avaient  forcé  les 
démons  à  se  démasquer  devant  leurs  yeux  et  à  leur  obéir,  ils  lisaient  cou- 
ramment au  ciel  le  présent  et  l'avenir  des  hommes  ou  des  nations,  ils  inter- 
prétaient  la   pensée   des    immortels 
dans  ses  moindres  manifestations, 
et   ce   n'était    pas   chez   eux    une 
faculté  éphémère  ou    bornée   que 
l'usage  épuisait  promptement  :  les 
rites  et    les   formules  qu'ils  con- 
naissaient   leur    permettaient    de 
l'exercer  sans  jamais  l'affaiblir,  en 

tout  temps,  en   tout   lieu,    sur   les  ns  mklrti  ciuLpim1. 

dieux  les  plus  élevés  comme  sur  les 

plus  redoutables  des  hommes.  Une  race  aussi  savante  n'était-elle  pas  prédes- 
tinée à  l'emporter  sur  ses  voisins,  et  quelle  chance  ceux-ci  avaient-ils  de  lui 
résister  s'ils  ne  lui  empruntaient  pas  ses  mœurs,  ses  coutumes,  son  industrie, 
son  écriture,  les  arts  et  les  sciences  qui  assuraient  sa  supériorité?  La  civili- 
sation chaldéenne  déborda  sur  l'Élam  et  apprivoisa  les  peuplades  riveraines  du 
golfe  Persique,  puis,  comme  la  mer  au  sud,  le  désert  à  l'occident,  les  mon- 
tagnes à  l'est,  entravaient  son  essor,  elle  se  détourna  vers  les  larges  plaines 
septentrionales  et  remonta  les  deux  fleuves  dont  le  cours  inférieur  avait  abrité 
son  berceau.  C'était  le  temps  même  où  les  Pharaons  de  la  XIIIe  dynastie 
achevaient  la  conquête  de  la  Nubie.  La  grande  Egypte,  constituée  enfin  par 
les  efforts  de  vingt  générations,  était  une  puissance  africaine.  La  mer  au  nord 
la  bornait,  le  désert  et  les  montagnes  la  serraient  rigoureusement  sur  les 
côtés,  le  Nil  se  présentait  à  elle  comme  la  seule  voie  tracée  naturellement 
vers  un  monde  nouveau  :  elle  le  suivît  sans  se  lasser  de  cataracte  en  cata- 
racte, colonisant  au  passage  toutes  les  terres  qu'il  féconde  de  ses  eaux. 
A  chaque  pas  qu'elle  faisait  dans  cette  route,  ses  capitales  s'éloignaient  de 


784  LA  CIVILISATION  CHAI.DÉESNE. 

la  Méditerranée, et  ses  foi-ces  se  déplaçaient  vers  le  sud.  L'Asie  aurait  presque 
cessé  d'exister  pour  elle,  si  les  incursions  répétées  des  Bédouins  ne  l'avaient 
obligée  d'y  pousser  quelques  pointes  de  temps  en  temps,  encore  s'y  aven- 
turait-elle le  moins  possible,  et  elle  en  rappelait  ses  troupes  dés  qu'elle 
avait  mis  ses  pillards  à  la  raison  :  l'Ethiopie  l'attirait  seule,  et  c'était  en 
Ethiopie  qu'elle  avait  établi  solidement  son  empire.  Les  deux  grands  peuples 
civilisés  de  l'ancien  monde  avaient  donc  chacun  leur  champ  d'action  nette- 
ment délimité,  où  l'autre  n'intervenait  jamais.  Les  relations  n'avaient  pas 
manqué  entre  eux,  mais  la  rencontre  de  leurs  armées,  si  vraiment  elle  avait 
eu  lieu,  avait  été  un  accident  sans  lendemain;  elle  n'avait  produit  nul  résultat 
durable,  et  leurs  guerres  s'étaient  terminées  sans  assurer  à  l'un  d'eux  aucun 
avantage  décisif. 


T" 


^o/- 


ûce. 


mdiceJ 


LES  PHARAONS   DE    L'ANCIEN    ET   DU    MOYEN   EMPIRE 


(|"-XIV    dynasties) 


I 


es  listes  des  Pharaons  de  l'époque  memphite  paraissent  avoir  été  établies, 
A  dès  la  XIIe  dynastie,  à  peu  près  de  la  façon  dont  nous  les  connaissons 
aujourd'hui  :  elles  l'étaient  certainement  vers  la  XXe  dynastie,  sous  laquelle  le 
Canon  de  Turin  fut  copié.  Celles  d'entre  elles  que  nous  possédons  semblent 
représenter  deux  traditions  légèrement  différentes,  dont  l'une  nous  a  été 
conservée  par  les  abréviateurs  de  Manéthon,  dont  l'autre  a  inspiré  les  auteurs 
des  tables  monumentales  d'Abydos  et  de  Saqqarah,  ainsi  que  le  rédacteur  du 
Canon  de  Turin. 

Il  parait  y  avoir  eu,  pour  les  cinq  premières  dynasties,  un  certain  nombre 
de  souverains  dont  on  savait  ou  dont  on  croyait  savoir  l'ordre  exact  et  la 
filiation,  puis  d'autres  dont  on  lisait  les  noms  sur  les  monuments,  mais 
dont  aucun  document  romanesque  ou  authentique  n* indiquait  la  place  par  rap- 
port aux  précédents.  On  retrouve  donc,  dans  les  deux  traditions,  des  séries 
de  souverains  fixes,  autour  desquels  flottent  des  personnages  indécis.  Les 
listes  hiéroglyphiques  et  le  Canon  royal  paraissent  s'être  occupés  surtout  des 
premiers;  les  auteurs  dont  Manéthon  s'est  servi  avaient  recueilli  soigneuse- 
ment les  seconds,  et  les  avaient  intercalés  à  des  endroits  variables,  parfois  au 
milieu,  le  plus  souvent  à  la  fin  de  la  dynastie,  comme  une  sorte  de  caputmor- 
tuum.  L'exemple  le  plus  frappant  de  cette  disposition  nous  est  fourni  par  la 
IVe  dynastie.  Les  monuments  contemporains  nous  prouvent  qu'elle  forme  un 
bloc  compact,  auquel  se  rattachent  sans  transition  les  trois  premiers  membres 
de  la  Ve  dynastie  :  Menkaouri  succéda  à  Khâfri,  Shopsiskaf  à  Menkaouri, 
Ousirkaf  à  Shopsiskaf,  et  ainsi  de  suite.  Les  listes  de  Manéthon  suppriment 
Shopsiskaf,  et  lui  substituent  quatre  personnages,  Ratôisès,  Bikhéris,  Séber- 
khérès,  Thamphthis,  dont  les  règnes  auraient  couvert  plus  d'un  demi-siècle  ; 
c'étaient  sans  doute  des  prétendants  au  trône  ou  des  rois  locaux  se  rapportant 
aux  temps  de  la  IV'- Ve  dynastie,  et  que  les  auteurs  de  Manéthon  avaient  logés 
entre  les  groupes  solides  constitués  par  Khéops  et  ses  fils  d'un   côté,  par 


UIST.    AISC.    DK   L  ORIK.VT.    —   T.    I. 


'H 


♦9 


786 


APPENDICE. 


Ousirkaf  et  ses  deux  frères  supposés  ou  réels  de  l'autre,  passant  Shopsiskaf 
et  ne  soupçonnant  point  qu'Ousirkaf  lui  avait  succédé  immédiatement,  avec 
ou  sans  compétiteurs. 

J'ai  examiné  longuement,  dans  un  de  mes  cours  au  Collège  de  France  (1893- 
1894),  les  questions  que  soulève  l'examen  des  listes  diverses,  et  peut-être 
publierai-je  quelque  jour  le  résultat  de  mes  recherches  :  pour  le  moment,  je 
me  borne  à  en  donner  ce  qui  est  nécessaire  à  l'intelligence  de  cet  ouvrage,  la 
tradition  manéthonienne  d'une  part,  de  l'autre  la  tradition  monumentale.  Le 
texte  que  j'ai  choisi  pour  cette  dernière,  pendant  les  cinq  premières  dynasties, 
est  celui  de  la  seconde  table  d'Abvdos;  les  noms  entre  crochets  [  ]  sont 
empruntés  soit  à  la  table  de  Saqqarah,  soit  au  Canon  royal  de  Turin.  Les 
chiffres  d'ans,  de  mois  et  de  jours  sont  ceux  que  le  Canon  nous  a  conservés. 


LISTES  DE  MANÉTHON 


MENES. 


ATHOTHIS.  . 
KEN KEN ES. . 
OUÉNÉPHKS.  . 
OIÎSAPHAIDOS 
M1EBIDOS.  . 
SEMEMPSÈS. 
BIÉNEKIIÈS. 


BOETHOS .  .  - 
KAIEKHÔS.  .  . 
BINÔTHRIS. .     . 

TLAS 

SÉTHENÈS.  .     . 
KH  AIRES.     .     . 
NEPHERKHERÈS. 
SÉSAKHRIS  .     . 
KHÉNÉRKS..    . 


NÉKHÉnrtPHKS. 
TOSORTHROS.  . 
TYREIS.  .  .  . 
MÉSÔKHRIS.  . 
SÔYPHIS  .  .  - 
TOSERTASIS.  . 
AKIIÈS.  .  .  . 
SEPHOCRIS.  . 
KEItPHERES.    . 


An* 


LISTES  MONUMENTALES 


I"  DYNASTIE   THINITE 


62 
57 
31 
23 
*20 
26 
18 
26 


MlNl.  .  .  . 
TÉTI  I.  .  . 
ATI  I.  .  .  . 
ATI  II  .  .  . 
HOU  SA  PII  A  tTI 
MARIBI.  .  . 
SAMSOU.  .  . 
QAI1HOU   .     . 


11°  DYNASTIE   THINITE 


BOl.ZAOU. 
KAKÔOU.. 
BINOUTRI. 
OUZNASlT. 
SONDI .     . 


• 

• 

• 

38 
39 
47 
17 
'il 
17 
25 
48 
30 

[nofirkar!]. 


IIP   DYNASTIE  MEMPHITE 


28 
29 

i 

17 
16 
19 
42 
30 
26 


[sOFIRKAHSOKARl]..     . 
[HOUZAOUFl]    .     .     . 
ZAZAI,    [kABAI]..     .     . 

NEBKARl 

ZOSIR   PA    [ZOSIRl]  .     . 
TKTI   II    [ ZOSIRl   TÉTl] 

SAZISOU 

NOFIRKARl   II.      .     .     . 
[HOUNl] 


Ans 

Jour» 

1 

Moi. 


» 

» 

1» 

» 

» 

» 

3 

9 

« 

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LISTES  DES  PHARAONS  DE  L'ANCIEN  EMPIRE. 


787 


LISTES  DE  MANÉTHON 


(su  il  (•) 


An* 


LISTES  MONUMENTALES 


(miîIo) 


IV«  DYNASTIE  MEMPHITE 


SÔRIS.  .     . 
SOUPHIS  I. 
SOUPHIS  II.     . 
MENKHÉRKS.   - 
RATOlSÈS.   .     . 
BIKHÉRIS.    .     . 
SÉBERKtlÉRKS. 
THAMPHTHIS. . 


29 

SNOFROUI 

24 

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23 

9 

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66 

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9 

25 

9 

22 

SHOPSISKAF 

0 

9 

» 

7 

9 

V  DYNASTIE  ELEPHANTITE 


OUSERKHERKS.     . 
SEPHRÈS.     .     .     ■ 
NEFERKHÉRÈS  II. 
SISIRÈS 


KHERKS.  .  .  . 
RATHOURÈ:-.  . 
MENKHÉRÈS  I. 
TANKHÉRÈS.  . 
ONNOS.    .     .     . 


28 
13 

23 
7 

20 
44 
.9 
44 
33 


OUSIRKAF 

SAHOURl 

KAKIOU 

nofir[irike]ri  rr. .   . 

IM^ri  *  •      *  I  *  *      *      *  * 

[SHOPSI8KERt|.    .     • 

[akaouhorou].  .    .    . 

OUSIRNIRÎ   1er   [ÀNOU]. 
MÊNKAOLHOROU.    .     . 
DADKERÎ   Ier   [ASSi]. 
OUNAS 


VI-  DYNASTIE  MEMPHITE 


OTHOES    .     .     . 

PHIOS 

MÉTÉSOUPHIS  . 
PHIOPS.  .  .  .  • 
MENTHÉSOUPHIS. 
NITÔKRIS.     .    .     . 


30 
53 

7 
100 

1 

12 


TETI  III 

MIRIRÎ   [PAPI  l,r] 

MIHNIRÎ  Ier   [MIHTIMSAOUF  I*r] 
NOFIRKARl   III   [PAPI   II].    .     . 
MIRNIRt  II   [MIHTIMSAOUF  II]. 
NÎTAOUQRlT 


28 

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De  la  VIe  dynastie  à  la  XIP,  les  listes  de  Manéthon  nous  font  défaut  :  elles 
enregistrent  l'origine  et  la  durée  des  dynasties,  sans  contenir  les  noms  des 
rois.  Cette  lacune  est  comblée  en  partie  par  la  table  d'Abydos,  par  les 
fragments  du  Canon  royal  de  Turin,  et  par  les  données  monumentales.  La 
tradition  ne  paraît  pas  avoir  été  établie  aussi  fermement  pour  cette  époque 
qu'elle  Tétait  pour  les  temps  précédents.  Les  dynasties  héracléopolitaines 
ne  figuraient  peut-être  qu'au  Canon  de  Turin  ;  quant  aux  dernières 
dynasties  memphites,  tandis  que  la  table  d'Abydos  admet  une  série  de 
Pharaons,  le  Canon  semble  en  avoir  préféré  une  autre.  Il  y  eut  sans  doute, 
après  la  fin  de  la  \T  dynastie  et  avant  l'avènement  de  la  IXe,  une  époque 
où  plusieurs  des  branches  de  la  famille  royale  s'attribuèrent  les  titres 
souverains  et   régnèrent    sur  diverses    parties  de  l'Egypte  :  c'est  ce  qu'on 


788 


APPENDÏCE. 


vit  plus  tard  entre  la  XXIIe  et  la  XXIVe  dynastie.  La  tradition  d'Abydos 
avait  adopté  peut-être  une  de  ces  dynasties  contemporaines,  tandis  que  la 
tradition  du  Canon  de  Turin  avait  fait  choix  d'une  autre  :  Manéthon  avait  pris 
pour  représenter  la  série  officielle  celle  d'entre  elles  qui  avait  succédé  dans 
Memphis  aux  souverains  de  la  VIe  dynastie.  Voici  les  deux  séries  connues, 
autant  qu'il  est  permis  de  les  rétablir  pour  le  moment  : 


TABLE    D'ABYDOS 


CANON  DE    TURIN 


Ans 


Ans 

Jours 

Mois 


[VII*-VIII«  DYNASTIES  MEMPHITES  DE  MANÉTHON] 


NOUTIRKERf 

MENKEPÎ 

NOFIRKARÎ  IV 

NOFIRKARÎ    V    NIBI , 

DADKERÎ   II   SHAOUMA 

NOFIRKARÎ    VI    KHONDOU    .     .     . 

MARMHOROU 

SANOFIRKA   I 

KANIRl 

NOFIRKARÎ   VII   TARAROU 

NOFIRKAHOROU 

NOFIRKARÎ   VIII   PAPI   III   SONBOU 
SANOFIRKA    II   ÂNOU  ...... 

OUSIRKÉOURÎ 

NOFIRKÉOURÎ .     .     . 

NOFIRKÉOUHOROU  

NOFIRIRIKERÎ  II 


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ù 
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P 

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NOFIRKARÎ   IV 
NOFIROUS.  . 
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2 

1 

4 

2 

2 

1 

1 

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IX--X*  DYNASTIES  H  ERACLEOPOLITAIIf  ES  DE  MANETHON 


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KHÎTI   l*r  [MIRIBRl] 

MIBIKERÎ 

NOFIRKARÎ  IX       .     ■ 
KHÎTI   If 


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La  XIe  dynastie  thébaine  ne  figure  sur  les  listes  officielles  que  pour  un  petit 
nombre  de  rois.  Les  tables  monumentales  n'en  connaissent  que  deux,  Nib- 
khrôourî  et  Sônkhkarî,  mais  le  Canon  de  Turin  en  admettait  une  demi-douzaine 
au  moins.  Ces  différences  tenaient  probablement  à  ce  que,  la  seconde  dynastie 
héracléopolitaine  ayant  régné  en  même  temps  que  les  premiers  princes  thé- 
bains,  les  tables  monumentales,  tout  en  écartant  les  Héracléopolitains,  ne 
reconnaissaient  comme  Pharaons  authentiques  que  ceux  des  Thébains  qui 
avaient  dominé  sur  l'Egypte  entière,  les  extrêmes  de  la  série;  au  contraire,  le 
Canon  remplaçait  les  derniers  Héracléopolitains  par  ceux  des  Thébains  con- 


LISTES  DES  PHARAONS  DU  MOYEN  EMPIRE. 


789 


temporains  qui  s'étaient  attribué  les  titres  royaux.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ces 
combinaisons,  l'accord  reparaît  entre  les  listes  avec  la  XIIe  dynastie  thébaine. 


TABLE   D'ABYDOS 


AMMÉNÉMÈS. 

SÉSONKHÔSIS. 
AMMÉNÉMÈS 
SÉSOSTRIS. . 
LAKHARÈS  . 
AMÉRKS.  .  . 
AMÉNÉMÈS  . 
SKÉMIOPHRIS 


Ans 


CANON   DE    TURIN 


XII*  DYNASTIE  THEBAINE 


16 

46 

38 

48 

8 

8 

8 

4 


SHOTPABRÎ   I   AMENEMHÀÎT  I. 
KHOPIRKERl   I  OU8IRTASEN   I. 
NOUBKÉOURt   AMENEMHAIT  II. 
KHÂKHOPIRRÎ   OUSIRTASEN  II. 
KHAKÉOURl   OUSIRTASEN  III. 
MÂlTNIRl   AMENEMHÀÎT   III.. 
MÀKHRÔOURt    AMENEMHÀÎT  IV 
SOVKOUNOFRIOURÎ 


Ans 


Jours 


Mois 


20 

» 

42 

» 

32 

9 

19 

9 

30  + 

» 

40  H- 

9 

9 

3 

3 

10 

9 
9 
» 

9 
9 
» 

27 
24 


Pour  les  dynasties  suivantes,  nous  ne  possédons  plus  que  les  noms  énu- 
mérés  sur  les  fragments  du  papyrus  de  Turin,  et  dont  plusieurs  se  retrou- 
vent soit  dans  la  Chambre  royale  de  Karnak,  soit  sur  des  monuments  con- 
temporains. L'ordre  n'en  est  pas  toujours  certain  :  le  mieux  est  d'en 
transcrire  la  série,  telle  qu'elle  semble  résulter  des  débris  du  Papyrus 
Royal,  sans  essayer  de  discerner  dans  le  nombre  ce  qui  appartient  à  la 
XIIIe  dynastie,  et  ce  qui  revient  aux  dynasties  suivantes. 


1.  SAKHEMKHOUTOOUIRÎ  I  [SOVKHOTPOU  i]. 

2.  SAKHEMKARÎ 

3.  AMENEMHÀÎT  V 

4.  SHOPTABRÎ  II 

5.  AOUFNI 

SONKHABRl[AMONI  ANTOUF  AMENEMHÀÎT] 

SMANKHÀRÎ 

SHOTPABRl  III ....  ^ 

SONKHKARÎ   II 

NOZMABRt 

80vkhotpourî  

13.  rinousonbou 

14.  aoutouabr!  i  [horou] 

15.  sazaouf[ke]rÎ 

16.  sakhemkhoutoouirî  ii  sovkhotpou  ii. 

17.  ousirnirî  ii 

18.  smankhkerî  mirmonfîtou 

19 KARÎ 

20.  80USIRÎSTRÎ    .  

21.  SAKHMOUAZTOOUIRÎ  SOVKHOTPOU  III  .     . 

22.  SASHESHKHÀRf   NOFIRHOTPOU  I    .    .     .     . 
23.  SIHÀTHORRÎ 


6. 

7. 

8. 

9. 
10. 
11. 
12. 


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D 

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9 

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9 

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9 

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9 

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9 

9 

24.  khànofirrt  sovkhotpou  iv. 

25.  (khàkerî| 

26.  [khâonkhr!  SOVKHOTPOU  v]. 

27.  KHÎHOTPOURl   SOVKHOTPOU    VI 

28.  OUAHIBRt  JAIBOU 

29.  MARNOFIRRÎ   [aNI] 

30.  MARHOTPOURÎ 

31.  SONKHNISOUAZTOURl    .    .     .     . 

32.  MARSAKHMOURÎ  ANDOU.      .     . 

33.  SAOUAZKÉOURl   OUIRI.     .     .     . 


Rf. 


34 

35-43 

44.  MIRIKHOPIRRt 

45.  MIRIKÉOURt   [SOVKHOTPOU   Vil]. 

46-50 

51 MASOURÎ  .     .     .     . 

52 MÂÎTRÎ 

53.  NOFIROUBNOURÎ  Iw 

54 KERÎ 

55.  [saouazJnir! 

56-57 

58.  NAHSIRÎ 

59.  KHÀKHRÔOURÎ 


9 
9 
9 

9 
9 

13 
2 
3 
3 

9 
9 


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B6.  MUN BI 

Il  reste  encore  une  cinquantaine  de  noms,  mais  si  mutilés  et  répartis  sur 
des  fragments  si  petits  que  l'ordre  en  est  des  plus  incertains.  Un  cinquième 
environ  tle  ces  rois  nous  ont  laissé  des  monuments,  et  la  durée  de  leurs 
règnes,  quand  elle  nous  est  connue,  donne  des  chiffres  assez  bas  :  on  ne 
saurait  douter  qu'ils  aient  régné  réellement,  et  l'on  peut  espérer  que  le  jour 
viendra  où  le  progrès  des  touilles  nous  les  rendra  l'un  après  l'autre.  Ils  nous 
mènent  jusqu'à  l'invasion  des  Pasteurs,  et  peut-être  s'en  trouve-t-il  dans  le 
nombre  qu'on  doit  considérer  comme  contemporains  des  XV  etXVl"  dynasties. 


uaoteJ  a&cJ  yraw</V(cJ 


Le   Nil    [maladie   de    Trajanj 

Un    pliai    Je    loius    (rul-de- 

lampe; 
Lesi      ■:-  ■!     SA   ■-....      =.i 

de  Béo.-Snuei 
Lgypuen    parant    un    poisson 

(lettrine) 

L'embouchure  (lu  .Ml  avant  la 

formation  ilu  Delta  (carie]  . 
lue   lile   irreguliere   de   cha- 

ineaui  chargés  sort  d'un  pli 

l'n  village  *e   montre  coquet 
Le  Ccbel  Ahour'.-dah.  redoute 

Ine  partie   du  Ci-bel  SbelkO- 

La  :-■.,:.   lie  kl-    es-Sayad 
L'arriiee  a  la  première  eaïa- 

ELlrea  de  la  Sable 

Ju  Grand  llap.de 
Les  moniagoes  prolongent  beue 
■pre>  lieue  leur»  ligne)  basses 

Es*-1   de  i' -  ■>  •:  i .  i de  l'I 

arten  rgjpticn 
Les  tourtca  du  XII  -I  de  l'a- 

fnque     incndiocvile .      par 

lh|.:    H      1.1    Ll.|H-i 

La   iillo   de  SkHIl   cl   le   pay» 

leiobre,   pendant    l'ioooda- 

Les  sycomores  à   l'entrée  de  la 

Moudiriéh  de  Siout 

La  furet  de  dattiers  de  Bédié- 

Acacias  a   l'entrée  d'un  jardin 

dans  la  banlieue  dAkluriliu. 


I.'iirœus  d'ÉgypIe   lovée   pour 

L'ibis  d'Egypte 

Le   mnrmyir  oiïrrhynque. ... 

Le    fohnka 

Deui  péi-heurs  purtanl  un  la- 
dre  

La  déesse  Mirlt  coilloc  du  bou- 
quet de  papyrus 

Le  dieu  Ml 

J.si  chasse  du  Nil  a  ùigêh 

Les  Flils  du  temple  de  Séli  1-, 
A  Àbydos,  apportant  la  ri- 
chesse £  chaque  nome  de 
l'ÉKÏple 

F-Kjpiien  .1  ii  iipe  noble     .     . 

Égyptien  du  lïpe  eommnn. 

Télé  de me  thébame 

Télé  d  un  reliait  de  la  Haute- 
ur» 1 4e .      ..     . 

lue   fellah. ne    porte    »...     lei 

Une»'  mi  Hylisn», 
Prisonniers    nègres   velus    du 

pagne  en  ju-an  de  panthère 
Personnage   rr«ttn   du    grand 

manteau   paix:   •■■■   l'épaule 

«•'"he 

Piètre  pui  tant  la  peau  île  pan- 

Ihere  en  tr»>t.-  de  la  noi- 

IViaonoage  entvIopiHt  dans  le 

Le  hoinncrang    de   guem-   et 

lloi  tenant  le  haton,  la  massue 

lilani-lie  el  le  casse-lele 

l'eche  au  marais  :  deui  pola- 


treet  le  harponnage  de  l'hip- 
popotame  

Chasse  :■  i.i  désert  :1e  taureau, 

Mente  du  tombeau  de  l'htah- 
l""l">" 

Chasse  à  ta  bola 

Les  porcs  et  le  porcher 

Le  loties  d'Egypte,, 

La  rime  égyptienne 

Le  lubnurageà  U  charrue 

Iliie  de  bateliers  sur  un  canal 
dérivé  du  Ml 

Un    grand   seigneur  égyptien. 

Les    nomes    de     la    Moyenne 

Egypte   (carie),... 

Les  nomes  de  In   Haute  Egypte 

Nomes    de    la     basse    Egypte 

Coupe  en  émail  bleu,  décorée 
de  Juins  irul-ile-Jampe) 

La  téted'llalhnr  encadrée  dans 
le  disque  sniaiiv  posé  sur  la 
montagne  d'horiion  (fron- 
tispice)  

Le  dieu  illsou,  coifréde  plumes 
(cul-de-la  ni  pc] 

Le   taureau  gras  mené   solcn- 

Séli  I"  agenouillé  devant  un 
dieu   i lettrine) 

I.i  déesse  Naprlt,  Napil 

IJuelques-uns  des  animani  fii- 
huleui  qui  habitaient  II  dé- 
sert  d'Egypte 

(Jneli[iiL's  tins  des  nniinaui  la- 
tiiileui  qui  habitaient  le  dé- 
sert d'Egypte 

\tmll  l'Étuiiee 

Le  dieu  nie  en  lole-a-lête  avec 


79-2 


TABLE  DES  GR  YVUKES. 


La  vache    Hâthor,    dame    du 

Ciel 88 

Les  douze  moments  de  la  vie 
du  Soleil  et  ses  douze  for- 
mes pendant  te  jour 89 

Les  principales  constellations 
du  Ciel  septentrional,  selon 

les  Égyptiens 98 

La  barque  lunaire,  marchant 
sans  équipage,  sous  la  pro- 
tection des  deux  yeux 95 

La  cuisse  de  bœuf  enchaînée  à 

l'hippopotame  femelle 91 

Orion,  Sothis  et  trois  Ilorus- 
Planètes  debout    sur    leurs 

barques 95 

Sàhou-Orion 96 

Orion  et  la  vache  Sothis  sépa- 
rés par  I'épervier 97 

Amon-Râ  identifié  à  Mlnou  de 
Coptos  et  portant  ses  attri- 
buts       98 

Anhouri 99 

Horus  à  tête  d'épervier 100 

L'horus  d'Hibonou,  sur  le  dos 

de  la  gazelle 101 

Bastlt  à  tète  de  chatte 10* 

Le  tenec h,  prototype  supposé 

de  l'animal  typhonien 103 

Deux  cynocéphales  en  adora- 
lion   devant    le  disque    du 

soleil  levant 105 

Ml  de  Sais lOi 

linhotpou 105 

Nofirtoumou 106 

Horus,  fils  d'Isis 107 

L'ombre  noire  sortant  au  so- 
leil      108 

Les  âmes  augustes  d'Osiris  et 
d 'Horus  en  adoration  devant 

le  disque  solaire 109 

L'imposition     du   ua    au    roi 

après  le  couronnement 111 

Le  chacal  Anubis 113 

Le  sacrifice  au  mort  dans  la 

chapelle  funéraire 115 

Phtah-momie 117 

Taureau  sacré,  flapis  ou  Mné- 

vis 119 

L'ofTrande  au  serpent,  en  plein 

champ 120 

L'offrande  du  paysan  au  syco- 
more     121 

Le  sacrifice  du  taureau.  — 
L'officiant  lace  la  victime. . .     123 

Shou,  soulevant  le  Ciel 127 

Shou  sépare  violemment  Sibou 

et  «ouït 129 

Le  Didou  d'Osiris 130 

Le  Didou  habillé 130 

Osiris-Onnophris,  le  fouet  et  le 

crochet  aux  mains 131 

Isis  coiffée  du  diadème  à  cor- 
nes de  vache 132 

Nephthys  en  pleureuse 133 

Le  dieu  SU  combattant 133 

Plan  des  ruines  d'Héliopolis. . .     134 
Horus  vengeur  de  son  père  et 

Anubis  Ouapoualtou 135 

Le  Soleil  jaillissant  du  Lotus 
épanoui  sous  la  forme  d' Ho- 
rus enfant 136 

La  plaine  et  les  monticules 
d'Héliopolis  il  y  a  cinquante 

ans 137 

Uarmakhoulli-Uariiiakhis,Oieu 


grand 138 

Khopri,  le  dieu  scarabée,  dans 

sa  barque 139 

Les  deux  lions  jumeaux  Shou 

et  Tafnouft 141 

Les  quatre  génies  funéraires, 
Amslt,    flapi,    Tioumaoutf, 

Kabhsonouf 1 13 

Plan  des  ruines  d'Hcrmopolis 

Magna 144 

Thot-ibis 145 

Thot-cynocéphale 1 45 

Amon  de  Thèbes 1 48 

L'Ogdoade  hermopolitaino 1 49 

Une  Ennéade  thébaine  irrégu- 
lière, composée  de  quatorze 
dieux  et  déesses 151 

Singe  jouant  de  la  harpe, 
groupe  en  schiste  d'épo- 
que gréco-romaine  (cul-de- 
lampe)  152 

L'épervier  d'Horus,  fils  d'Isis, 
dans  les  roseaux  (fron- 
tispice)      155 

Tète  de  chatte  en  bronze,  pro- 
venant de  Bubastis  (cul-de- 
lampe)  154 

Isis  réfugiée  dans  les  marais 
allaite  Horus  sous  la  protec- 
tion des  dieux 155 

Un  ichneumon  debout,  sur  un 
chapiteau  de  colonne,  adore 
le  soleil  (lettrine) 155 

Khnoumou  modèle  l'humanité 
sur  le  tour  à  potier 157 

Le  Soleil  s'embarque  à  la  pre- 
mière heure  du  jour,  pour 
parcourir  l'Egypte 161 

Sokhlt  à  tête  de  lionne 165 

La  vache  Nouflt  soutenue  au- 
dessus  de  la  terre  par  Shou 
et  par  les  dieux-étais 169 

Trois  des  amulettes  divinscon- 
servés,  à  l'époque  romaine, 
dans  le  temple  d'Ail-Nobsou.     171 

la  triade  osirienne,  Horus, 
Oriris,  Isis 175 

Isis-Uâthor  à  tête  de  vache ...     177 

La  momie  osirienne  préparée 
et  couchée  sur  le  lit  funé- 
raire par  le  chacal  Anubis. .     179 

La  momie  reçue  par  Anubis  à 
la  porte  du  tombeau  et  l'ou- 
verture de  la  bouche 180 

Osiris  dans  l'Hadès,  accompa- 
gné d'Isis,  d'Amentit  et  de 
Nephthys,  reçoit  l'hommage 
delà  Vérité 181 

Le  mort  escalade  la  pente  des 
montagnes  d'Occident 182 

La  momie  de  Soutimosou  serre 
son  Ame  entre  ses  bras 183 

Les  cynocéphales  tirent  le  filet 
où  les  âmes  se  prennent. . .     184 

Le  mort  et  sa  femme  reçoivent 
le  pain  et  l'eau  d'outre- 
tombe  devant  le  sycomore 
de  N'ouit 185 

I,e  mort  perce  un  serpent  de 
sa  lance 1Ê6 

La  bonne  vache  Uâthor  em- 
porte le  mort  et  son  âme..     187 

Anubis  et  Thot  pèsent  le  cœur 
du  mort  dans  la  balance  de 
Vérité 188 

Le  mort  est  amené  par  Horus, 


fils  d'Isis,  devant  le  naos  du 
juge  Osiris 189 

Le  labourage  et  la  moisson 
des  mânes  dans  les  champs 
d'Ialou 192 

Ouashbiti 193 

Le  mort  et  sa  femme  jouent 
aux  dames  dans  le  kiosque.     194 

Le  mort  se  promène  en  canot 
sur  les  canaux  des  champs 
d'Ialou 194 

Un  des  bateaux  de  la  flotte  du 
mort  en  route  pour  Abydos.     195 

La  barque  solaire  sur  laquelle 
le  mort  va  monter 196 

La  barque  solaire  s'enfonce 
dans  la  montagne  d'Occi- 
dent       197 

L'âme  descend  le  puits  funé- 
raire pour  aller  rejoindre  la 
momie 198 

L'âme  posée  au  bord  du  lit  fu- 
néraire, les  mains  sur  le 
coeur  de  la  momie 199 

L'âme  sort  dans  son  jardin  pen- 
dant le  jour 301 

Un  épisode  des  guerres  d'IIar- 
inakhis  et  de  Stt 203 

Une  des  tables  astronomiques 
du  tombeau  de  Ram  ses  IV. .     205 

Les  dieux  combattant  pour  le 
magicien  qui  les  conjure. . .     213 

Horus  enfant  sur  les  croco- 
diles      215 

Un  mort  recevant  les  souilles 
de  vie 217 

Thot  enregistre  les  années  de 
vie  de  Ramsès  II 221 

La  table  royale  du  temple  de 
Séti  I",  à"  Abydos 227 

Plan  des  ruines  d'Abydos,  levé 
par  Mariette  en  1865  et  en 
1875 231 

Fragment  d'un  collier  dont  les 
médaillons  portent  le  nom 
de  Menés ffio 

Stèle  en  forme  de  porte  du 
tombeau  de  Shiri 257 

Satlt  présente  à  Khnoumou  le 
pharaon  Amenôthès  III 239 

Anouklt 240 

La  pyramide  à  degrés  de  Saq- 
qarah 241 

Une  des  chambres  de  la  pyra- 
mide à  degrés,  avec  son  re- 
vêtement en  plaques  de  terre 
émaillée 243 

Scarabée  funéraire  en  pâte 
bleue  simulant  le  lapis-Iazuli 
(cul-de-lampe) 24  4 

Statuette  de  l'Ancien  Empire, 
au  British  Muséum  :  les 
vases  et  instruments  néces- 
saires au  sacrifice  sont  ran- 
gés sur  le  socle  devant  le 
mort  (frontispice) 24o 

Boite  en  bois,  forme  de  canard 
(cul-de-lampe) <46 

Le  grand  sphinx  et  les  pyra- 
mides de  Gizéh,  vus  au  soleil 
couchant 247 

Un  pleureur  accroupi  (let- 
trine)      247 

Le  mastaba  de  Khointini  dans 
la  nécropole  de  Gizéh 248 

Le  grand   sphinx    de  Gizéh  à 


TABLE  DES  GRAVURES. 


793 


moitié  déblayé,  et  la  pyra- 
mide de  Khéphrèn 249 

Tétiniônkhou,  assis  devant  le 
re|«as  funéraire 230 

La  façade  et  la  stèle  du  tom- 
beau de  Phtahshopsisou  à 
Saqqarah 251 

La  stèle  en  forme  de  porte  et 
la  statue  du  tombeau  de 
Mirrouka 253 

Les  domaines  du  seigneur  Ti 
lui  apportent  processionnel- 
lement  leur  offrande 251 

Le  seigneur  Ti  assiste  en  image 
aux  préliminaires  du  sacri- 
fice et  de  l'offrande 255 

La  naissance  d'un  roi  et  de  son 
double 259 

Le  roi  adulte  s'avance  suivi  de 
son  double 261 

Un  nom  de  double 262 

La  déesse  allaite  le  roi  pour 
l'adopter 263 

Sceptre  à  tête  de  coucoupha. .     264 

Postures  diverses  pour  se  pré- 
senter devant  le  roi 265 

Pharaon  dans  son  harem 269 

Pharaon  reçoit  en  audience 
solennelle  l'un  de  ses  mi- 
nistres      271 

La  reine  bat  le  sistre,  tandis 
que  le  roi  offre  le  sacrifice.    273 

Chanteurs,  joueurs  de  flûte  et 
de  harpe,  chanteuses  et  dan- 
seuses, au  tombeau  de  Ti..     279 

Le  nain  Khnoumhotpou,  chef 
de  la  lingerie 280 

La  mise  en  caisse  du  linge  et 
son  transport  a  l'hôtel  blanc.    285 

Le  jaugeage  des  blés  et  le  dé- 
pôt dans  les  greniers 286 

Plan  d'un  hôtel  d'approvision- 
nements princiers 287 

Le  personnel  d'un  bureau  d'ad- 
ministration sous  les  dynas- 
ties memphites 289 

Le  crieur  annonce  l'arrivée  de 
cinq  greffiers  du  temple  du 
roi  Ousimiri,  de  la  V'  dynas- 
tie       290 

La  stèle  funéraire  du  tombeau 
d'Ain  ton 291 

Statue  d'Âmten,  tirée  de  son 
tombeau 293 

Plan  cavalier  d'une  villa  appar- 
tenant à  un  grand  seigneur 
égyptien 295 

La  chasse  au  boumérang  et  la 
pèche  au  double  harpon  dans 
un  marais  ou  sur  un  étang. .     297 

Le  prince  Api  inspecte  son  do- 
inaine  funéraire  en  palan- 
quin      298 

l'n  nain  jouant  avec  des  cyno- 
céphales et  avec  un  ibis  ap- 
privoisé       299 

En  bateau  sur  le  Nil 299 

Quelques-uns  des  exercices 
gymnastiques  de  la  classe 
militaire 307 

La  danse  de  guerre  exécutée 
par  les  soldats  égyptiens 
avant  la  bataille 309 

Deux  forgerons  manœuvrant 
les  soufflets 311 

Tailleurs  de  pierre   achevant 


de  parer  des  blocs  de  cal- 
caire       312 

l'n  atelier  de  cordonniers  fa- 
briquant des  sandales 315 

Le  boulanger  façonne  et  met 
ses  pains  au  four 314 

Une  maison  de  grand  seigneur 
égyptien 315 

Plan  d'une  partie  de  la  ville 
antique  de  Ghorâb 315 

Stèle  de  Sltou  simulant  une 
façade  de  maison 316 

Une  rue  prise  au  hasard  dans 
la  partie  haute  de  Siout  mo- 
derne     317 

Une  salle  à  colonnes,  dans  une 
des  maisons  de  la  XU*  dynas- 
tie, à  Ghorâb 317 

Chevet  en  bois 318 

Un  pigeon  à  roulettes 318 

Appareil  à  faire  le  feu 318 

Peintures  murales  dans  les 
ruines  d'une  maison  antique, 
à  Kahoun 519 

Femme  broyant  le  grain 320 

Deux  femmes  fabriquent  la 
toile  au  métier  horizontal . .     321 

Une  des  formes  de  la  balance 
égyptienne 324 

Scènes  de  bazar 325 

Une  partie  du  village  moderne 
de  Karnak,  à  l'ouest  du  tem- 
ple d'Api  l 327 

Une  stèle-limite 529 

La  levée  de  l'impôt  :  le  contri- 
buable au  bureau  du  scribe.     331 

La  levée  de  l'impôt  :  le  contri- 
buable entre  les  mains  des 
chaouiches 332 

La  levée  de  l'impôt  :  la  baston- 
nade      333 

I^a  corvée  traînant  la  statue 
colossale  du  prince  Thothot- 
pou 335 

Deux  fellahs  tirent  la  shadouf 
dans  un  jardin 340 

Le  labourage  et  la  rentrée  des 
moissons 541 

Le  troupeau  de  chèvres  et  la 
chanson  du  chevrier 343 

Vase  a  kokol  en  terre  émai liée, 
forme  de  hérisson  (cul-de- 
lampe)  334 

Tête  de  scribe  au  Musée  du 
Louvre  (frontispice) 545 

Tète  de  femme  Memphite,  la 
broyeuse  de  grains  du  Musée 
de  Florence  (cul-de-lampe).    346 

La  pyramide  de  Snofroui  à  Mél- 
doum 347 

Tète  de  la  statue  de  Râholpou 
(lettrine) 347 

Le  Sinai  et  les  établissements 
miniers  des  Égyptiens  au 
temps  de  l'Empire  Memphite 
(carte) 349 

Un  barbare  Monlti  du  Sinai. . .     351 

Deux  tours  de  retraite  des  Hi- 
rou  Shàilou,  dans  l'Ouady 
Biar 332 

Vue  sur  l'oasis  de  l'Ouady  Fél- 
rân  dans  la  Péninsule  du 
Sinai 355 

Les  établissements  miniers  de 
l'Ouady  Magharah  (carte)...     356 

Le  Haut-Castel  des  Mineur*,  — 


Hâit-Qalt,  —  à   la  rencontre 
de    l'Ouady    Gennéh   et    de 

l'Ouady  Magharah 357 

La  pyramide  de  Méidoum 359 

La  cour  et  les  deux  stèles  de  la 
chapelle  attenant  à  la  pyra- 
mide de  Méidoum 561 

Nofrit,  dame  de  Méidoum 363 

Statue  en  albâtre  de  Khéops. .    364 
Les  bas-reliefs  triomphaux  de 
Khéops,  sur  les  rochers  de 

l'Ouady  Magharah 365 

Plan  des  Pyramides  de  Gizéh . .    366 
Khoult,  la  grande  pyramide  de 
Gizéh,  le  sphinx  et  le  temple 

du  sphinx 367 

La  dalle  mobile  a  l'entrée  de 

la  grande  pyramide 368 

L'intérieur  de  la  grande  pyra- 
mide      368 

La    galerie   ascendante  de    la 

grande  pyramide 369 

Le  nom    de  Khéops  tracé   en 
couleur  rouge  sur  plusieurs 
blocs  de  la  grande  pyramide.     571 
Statue  en  albâtre  de  Khéphrèn.    372 
La  pyramide  de  Khéphrèn,  vue 

du  sud-est 373 

StatueendioriledeMenkaourl.    371 

Le  cercueil  de  Mykérinos 376 

Le  sarcophage  en  granit  rose 

de  Mykérinos 377 

Statue  en  diorite  de  Khéphrèn, 

à  Gizéh 379 

l^e  nome  Memphite  et  l'empla- 
cement  des    pyramides    de 

l'ancien  empire  (carte) 385 

Statue  en  granit  rose  du  Pha- 
raon Anou  au  Musée  de  Gizéh.    590 
Le  bas-relief  triomphal  du  Pha- 
raon Sahourl,  sur  les  rochers 

de  l'Ouady  Magharah 391 

Un  navire  de  course  égyptien 

marchant  à  la  voile 393 

La  Nubie  au  temps  de  l'empire 

memphite 395 

Tête  d'un  habitant  du  Pouanit.     597 
Un  des  panneaux    en    bois  de 

Hosi,  au  Musée  de  Gizéh 404 

Un  atelier  de  sculpteurs  et  de 

peintres  égyptiensau  travail.  405 
Cellérier  poissant  une  jarre. . .  406 
Boulanger  brassant  la  pâte...  407 
Le  Shélkh-el-Beled  du    Musée 

de  Gizéh 408 

Le  scribe  agenouillé  du  Musée 

de  Gizéh 4C8 

Le    scribe  accroupi  du  Musée 

de  Gizéh 409 

Paysan  allant  au  marché 410 

Nolir,  le  directeur  des  grain».     411 

Bas-relief  sur  ivoire 412 

Stèle  de  la  fille  de  Khéops. ...     413 

Le  Pharaon  Menkaouhorou 415 

Le  Mastabat-el-Faraoun,  vu  sur 

la  façade  ouest 417 

L'Ile  d'Êléphanline  (carte; ....     424 
L'ile    d'Éléphanline    vue    des 

ruines  de  Syène 425 

La  première  cataracte  (carte).     426 
Petit  Ouady  sur  la  route  de  la 
mer  Bouge,  à   cinq   heures 

au  delà  d'Ed-Douélg 427 

Les  rochers  de  l'Ile  de  Séhel  et 
quelques-uns  des  proscyné- 
mes  qu'ils  portent 429 


100 


794 


TABLE  DES  GRAVURES. 


La  montagne  d'Assouan  et  les 
tombeaux  des  princes  d'Élé- 
phantine 431 

Elirkhouf  recevant  l'hommage 
funéraire  de  son  fils  à  la  porte 
de  son  tombeau 133 

Tête  de  la  momie  de  Métésou- 
phis   I- 433 

Plan  de  la  pyramide  d'Ounas, 
et  coupe  longitudinale  des 
chambres  qui  la  composent.    436 

La  chambre  funéraire  de  la 
pyramide  et  le  Sarcophage 
d'Ounas 437 

L'entrée  de  la  pyramide  d'Ounas 
a  Saqqarah 438 

Tête  de  massue  en  pierre 
blanche,  portant  le  cartou- 
che de  Kliéphrèn  (cul-de- 
lampe) 442 

Tête  de  jeune  fille  nubienne 
(frontispice) 443 

Tête  de  la  statue  du  Pharaon 
Noflrholpou  de  la  XIII'  dy- 
nastie, au  Musée  de  Bologne 
(cul-de-lampe) 441 

La  montagne  à  l'occident  de 
Thèbes,  vue  de  la  pointe  mé- 
ridionale de  Louxor 145 

Buste  d'une  statue  d'Ame- 
nemhàit  III  (lettrine) 443 

Le  Fayoum  et  la  principauté 
d'Iléracléopolis  (carte) 447 

Coupe  à  fond  plat,  en  brome 
découpé,  portant  les  cartou- 
ches du  Pharaon  Khiti  I" 448 

Une  partie  de  l'enceinte  d'KI- 
Kab  sur  le  front  Nord 449 

La  seconde  forteresse  d'Abydos, 
—  la  Shounét  ez-Zébib,  — 
vue  de  l'est 451 

L'attaque  d'une  forteresse  égyp- 
tienne par  des  troupes  de  di- 
verses armes 432 

Bataille  entre  troupes  égyp- 
tiennes de  différentes  armes.    433 

La  plaine  de  Thébes  (carte). . .    455 

Le  nome  de  Siout  (carte) 456 

La  grosse  infanterie  des  prin- 
ces de  Siout,  avec  la  pique  et 
le  pavois 457 

Une  palette  au  nom  de  Mi  ri- 
kart  458 

La  pyramide  en  briques  d'An- 
toufâa,  à  Thèbes 439 

Le  Pharaon  Montholpou  reçoit 
l'hommage  de  son  succes- 
seur Antouf,  au  Gebel-Sil- 
siléh  463 

Le  chef  asiatique  présenté  à 
Khnoumhotpou  par  Noflrhol- 
pou et  par  le  surintendant 
des  chasses  Khlti 468 

Le  gros  de  la  bande  asiatique 
est  amené  à  Khnoumhotpou, 
hommes  et  bêtes 469 

Les  femmes  défilent  sous  la 
surveillance  d'un  joueur  de 
lyre  et  d'un  guerrier 469 

Plan  du  temple  de  Sa r bout 
el-Khadlm,  d'après  G.  Bé né- 
dite  474 

Les  ruines  du  temple  d'Hâthor 

au  Sarboul-el-Kltâdiin 475 

La  Nubie   vers  la    lin    de  la 
XII*  dynastie  (carte) 477 


Une  des  faces  de  la  forteresse 
deKoubân 481 

La  seconde  cataracte  entre 
Hamkéh  et  Ouady-Halfah 
(carte) 482 

La  seconde  cataracte  aux  basses 
eaux,  vue  d'Abousir 483 

La  stèle  triomphale  d'Ousirla- 
sen  I" 483 

Les  rapides  du  Nil  à  Scmnéh 
et  les  deux  forteresses  con- 
struites par  Ousirtasen  111 
(carte) 486 

La  passe  du  Nil  entre  les  deux 
forteresses  de  Semnéh  et  de 
K  ou  miné  h 487 

Prisonniers  koushites  amenés 
en  Egypte 489 

Les  routes  qui  mènent  du  Nil 
à  la  mer  Rouge,  entre  Coptos 
et  Qoçélr  (carte) 495 

La  statue  de  Nofrll 501 

Un  des  sphinx  de  Tanis,  au 
Musée  de  Gizéh 503 

L'obélisque  encore  debout  d'Ou- 
sirtasen  1",  dans  la  plaine 
d'Héliopolis 507 

Ousirtasen  1"  d'Abydos 509 

Une  partie  de  l'ancien  lac  sacré 
d'Osiris  près  du  temple  d'A- 
bydos     510 

Le  site  de  l'antique  Héracléo- 
polis 511 

Le  dieu  Sobkou  du  Fayoum 
sous  la  forme  d'un  crocodile 
sacré 512 

Les  débris  de  l'obélisque  de 
Béglg 512 

Le  piédestal  ruiné  de  l'un  des 
deux  colosses  de  Biahmou. .     513 

Une  vue  du  Fayoum,  dans  le 
voisinage  du  bourg  de  Fidé- 
mln 514 

La  cour  du  petit  Temple  au 
nord  du  Birkét-Kéroun 515 

Les  bords  du  Birkét-Kéroun 
vers  l'embouchure  de  l'Oua- 
di-Na*léh 516 

Les  deux  pyramides  de  la 
XIP  dynastie  à  Lisht 517 

Pectoral  d'Ousirtasen  III 518 

La  pyramide  d'illahoun,  vers 
l'entrée  du  Fayoum 519 

La  montagne  de  Siout  avec  les 
tombeaux  des  princes 521 

Principauté  de  la  Gazelle 
(carte) 522 

Le  cimetière  moderne  de 
Zaouiét  el-Maiétln 525 

Les  tombeaux  des  princes  de  la 
Gazelle,  à    Béni-Hassan 527 

Le  colosse  du  roi  Sovkhotpou 
Khâonkhouri  au  Musée  du 
Louvre 529 

Statue  de  Uarsaouf  au  Musée 
de  Vienne 531 

Statue  de  Sovkhotpou  III 532 

L'une  des  statues  renversées  et 
brisées  de  Mirmâshaou  à  Ta- 
nis       533 

Miroir  égyptien  en  bronze 
(cul-de-lampe) 534 

Tête  de  lion  provenant  de 
Telloh  (frontispice,) 535 

Petite  tête  chaldéenne  (cul-de- 
lampe)  536 


Les  bords  de  l'Eu  pli  rate  à  Ilil- 
Iah 537 

Un  des  dieux-poissons  de  la 
Chaldée  (lettrine) 537 

Un  des  génies  à  tête  d'aigle..    539 

Bcl-Mardouk,  armé  de  la  fou- 
dre, lutte  contre  la  tumul- 
tueuse Tiamat 541 

Une  courte  chargée  de  pierres 
et  manœuvrée  par  quatre 
hommes 542 

Le  monde  tel  que  les  Ghaldéens 
l'imaginaient 543 

Un  dieu  poisson 517 

Les  roseaux  gigantesques  de  la 
Chaldée 552 

Les  marais  vers  le  confluent 
de  la  Kerkha  et  du  Tigre. . .    553 

La  cueillette  des  spathes  du 
palmier  mâle 555 

Un  génie  ailé  tenant  à  la  main 
le  spathe  du  palmier  mâle. .     557 

Le  lion  à  grande  crinière  blessé 
par  une  flèche  et  vomissant 
son  sang 558 

L'urus  chargeant 559 

Une  bande  d'onagres  chassés 
par  des  chiens  et  percés  de 
flèches 559 

Les  principaux  animaux  do- 
mestiques des  contrées  eu- 
phratéennes 560 

La  truie  et  sa  litière  filant  à 
tra  vers  les  fourrés  de  roseaux.    561 

La  Chaldée  (carte) 563 

Deux  divinités  chaldéennes  en 
forme  de  poisson 565 

Une  des  tablettes  de  la  série 
du  déluge 567 

Shamashnapishtim  enfermé 
dans  l'arche 569 

Les  monts  DjoudI,  qu'on  iden- 
tifie quelquefois  avec  les 
monts  de  Nisir 571 

Gilgamès  étouffe  un  lion 5*5 

Gilgamès  lutte,  à  gauche  avec 
un  taureau,  é  droite  avec  Éa- 
bani 577 

Gilgamès  et  Éabani  en  lutte 
avec  les  monstres 582 

Les  hommes-scorpions  des 
monts  de  Màshou 583 

Gilgamès  et  Arad-Éa  naviguent 
dans  leur  vaisseau 585 

Gilgamès  lutte  avec  le  lion  et 
le  soulève 591 

La  massue  de  Shargani-shar- 
ali 600 

Le  sceau  de  Shargani-shar-ali, 
roi  d'Agadé  :  Gilgamès  abreu- 
ve le  bœuf  céleste 601 

Le  bas-relief  de  N  ara  m  si  n 602 

Les  armes  de  la  ville  de  Lagash.    603 

Fragment  d'un  bas- relief  d'Où  r- 
nina,  roi  de  Lagash 604 

Idinghiranaghin  tenant  le  to- 
tem de  Lagash,  l'aigle  sur  les 
deux  lions 605 

Idinghiranaghin  sur  son  char 
en  tête  de  ses  troupes 606 

Les  vautours  dépeçant  les 
morts 606 

Le  champ  de  bataille  couvert 
de  morts 607 

Le  sacrifice  après  la  bataille.     607 

Le  roi  Ourninâ  et  sa  famille. . .     608 


TABLE  DES  GRAVURES. 


U  »ml» I 

Statue  de  Goudéa  assis < 

Plan  des  ruines  de  Houghélr. .  < 
Tête  d'une  des  su  tues  de  Tcl- 

loh I 

Statue  dp  Coudé» I 

Plan   des  ruines  d'Abou-Sbah- 

réln ( 

Arabe  traversant  le  Tigre  en 

mufle I 

Un   lielek   assyrien  chargé  de 

pierre*  Mtir ( 

Te  le  de  massue  do  Sharçani- 

shar-ali  (cul-de-la  ni  pe) < 

du   croissant  lunaire   ;frtin- 

tiapice) ( 

Têle  chaldéenne  fcul-de-lampet    I 
La  libation  sur  l'autel  en  pré- 
sence du  dieu  et  le  sacrifice,    i 
In  scribe  chaldéen  (lettrine).     I 
Plan  des  ruines  de  Warka,  d'a- 
près Loltua t 

Le  temple  de  Nannar.  a  Ourou, 
restauré  approximativement.    I 

Le  temple  d'Ourou  dans  son 
étal  actuel,  d'après  Taylor. .    i 

Deuxième  vue  du  temple  d'Ou- 

d 'a  près  Loftus. I 

Génie  a  têle  de  lion t 

Le  vent  du  sud-ouest f 

Sin  délivre  parMardouk  de  l'at- 
taque d'un  des  sept  mauvais 

génies  de  la  terre ( 

Lutte  entre  un  bon  et  un  mau- 
vais génie t 

Le  dii'ii  Ninghirsuu,  patron  de 

Lagash I 

L'adoration  de  la  masse  et  du 

rouet t 

Un  amulette  protecteur t 

Le  dieu  Sin  reçoit  l'hommage 
de  deui  adorateurs ( 

ciel  par  la  porte  d'Orient. . .  t 
Shamash  dans  son  naos,  et  son 

emblème  sur  l'autel E 

La    déesse    Ishtar  tenant   son 

étoile  a  la  main 6 

Les  oiseaux  de  la  tempête E 

Ramman  armé  de  la  hache. . .  E 
Rimman,  ]c  dieu  des  orages  et 


les  oiseaux  des  tempêtes...    ( 

Ishtar  la  guerrière. I 

Hèbo t 

Le  dévot  amené  devant  le  dieu 

pour  recueillir   le   prii   du 

Le  sacrifice  :  apport  d'un  che- 
vreau i  la  déesse  Ishtar i. 

I*  dieu  Shamash  saisit  de  la 
main  gaucho   la    fumée  du 

saerillce t 

Cercueil  en  forme  de  jarre..    .     f 
Une  lombe  voûtée  d'Ourou. ...     ( 
Tombe  clialdécnne  surmontée 
d'.m  dénie I 

L'Intérieur  du  tomlieau  prési- 
dent.       I 

La  déesse  Allai  parcourt  l'enfer 
sur  sa  barque I 

Nerval,  le  dieu  de  l'enfer I 

Ishlar  nue,  telle  qu'elle  était 
dans  l'Itadès I 

noua  d'Isblar ( 

Kinna   enlevé  au  ciel   par   un 

aigle I 

Tête  d'homme  (cul -de- lampe).  ' 
Tète    de   femme   chaldéenne 

Un  cylindre  cbaldéen  (cul-de. 
l«inr*) • 

éd  i  lices  d'Ourouk : 

Divinité    agenouillée    portant 

(lettrine) : 

Le     roi    Ourninà     portant    la 

Le  plan  d'un  palais  de  Coiidéa    ' 

Un  barillet  de  terre  cuite. ...     ' 

Le  plan  actuel  des  édifices  de 
Telloh.. î 

La  décoration  en  cènes  teintés 
delà  façade  i  Ourou  k ; 

Les  rayures  de  la  façade  au 
palais  de  Goudéa " 

Galet  de  l'une  des  portes  au 
palais  de  Goudéa " 

Sup|iort  en  pierre  noire  au  pa- 
lais de  Telloh î 

Servante,  le  buste  nu ', 

Costume  de  dame  chaldéenne,     ; 

Un  soldat  ramenant  des  prison- 


Fragments  d'une  tablette  où 
quelques  hiéroglyphes  pri- 
mitifs sont  expliqués 

Tablette  de  Warka  brisée  pour 
montrer  les  deux  textes 

Tablette  portant  l'empreinte 
d'un  sceau.. 

liaisons  chaldéennes  i  Ourou. 

Plans  de  maisons  déblayées  à 
Ériilun  el  aOurouk 

Vaisselle  chaldéenne  en  terre 

Outils  ehaldéens  eu  pierre 

Marteau  en  pierre  portant  une 

inscription  chaldéenne 

Oulils  ehaldéens  en  brome... 
Taureau  on  cuivre. 

Cylindre  chaldéen  portant  les 
traces  visibles  des  diverses 
sortes  d'oulils  employés  par 
les  graveurs 

Le  caillou  Michaux 

Laulrefacedu  caillou  Michaux 

Les  bœufs  dans  les  champs.    . 

La  cuisine  el  la  querelle 

Scènes  de   la  vie  jiastorale  en 

Chaldée 

Combat  contre  un  lion 

Le  chien  mené  en  laisse 

Chaldéen  portant  un  poisson.  . 

L'onagre  pris  au  lasso 

Carte  du  monde  chaldéen.   . . 

Un  amulette   chaldéen 

Clou  magique  en  terre  cuite 

(lettrine) 

Corniche  égyptienne,  décorée 

des  cartouches  de  Hamsès  I" 

(frontispice) 

Chevreau  dressé  sur  les  pattes 

de  derrière.  Ivoire  chaldéen 

de  Telloh  (cul-dc-lampo).   . .     ' 
Vautour   égyptien  planant    et 

tenant  deux  chasse-mouches 

dana  ses  serres ' 

Pectoral     égyptien    d'Ousirta- 

seii  11  (cul-de-lampe) ', 

Frise  égyptienne   formée   de 

fleurs  de  lotus  (frontispice).     : 
Boite  en   bois,  forme  de  lotus 

|  cul-de-lampe) ( 


uameJ  (wc)  J/ùaâêr&LJ 


LE    NIL    ET    L'EGYPTE 


-  LA    PREMIÈRE    ORGANISATION    POLITIOLT. 


Le  Délia  :  ses  formations  successives,  sa  structure,  ses  canaux.  —  La  vallée  d'Egypte  : 
les  deux  bras  du  fleuve  ;  le  Nil  de  l'Est,  l'aspect  de  ses  rives  ;  les  montagnes,  le 
délilé  du  Ocbel  Silsiléh.  —  Les  cataractes  :  le  saul  d'AssouSn,  la  Nubie,  les 
rapides  d'Ouady  Halfali,  le  Takaaié,  le  Nil  Bleu  el  le  Nil  Blanc 


Les  origines  du  Nil  :  quelle  idée  les  Égyptiens  se  Taisaient  de  la  constitution  du  monde, 
les  quatre  piliers  et  les  quatre  montagnes  d'étaî.  Le  Nil  céleste,  source  du  Nil  ter- 
restre ;  la  mer  australe  et  les  iles  des  Esprits  ;'  les  pleurs  d'Isis.  —  La  crue  :  le  Nil 
Vert  et  le  Nil  Rouge,  la  rupture  des  digues,  la  décrue,  le  fleuve  à  l'éliage.   .    .    . 

Les  alliivîons  el  l'influence  de  la  crue  sur  le  sol  de  l'Egypte  :  pauvreté  de  la  flore  ;  les 
plantes  d'eau  ;  le  papyrus  et  le  lotus;  le  sycomore  et  le  dattier,  les  acacias,  le  pal- 
mier doum.  —  La  faune  :  les  animaux  domestiques  et  les  animaux  sauvages;  les 
serpents,  l'urecus,  l'hippopotame  et  le  crocodile  ;  les  oiseaux;  les  poissons,  le  fallait  a. 

Le  dieu  Nil  :  sa  figure,  ses  variétés;  la  déesse  Mirit  ;  les  sources  d'Éléphaiilini',  tes 
fêtes  du  Gebel  Silsiléh.    —  L'hymne  au  Nil  des  papyrus  du  Rrislish  Muséum.  .    . 

Les  noms  du  Nil  et  de  l'Egypte  :  Romllou  el  Qimit.  —  Antiquité  de  la  population 
égyptienne,  son  horizon  le  plus  ancien;  hypothèse  d'une  origine  asiatique,  proba- 
bilité d'une  origine  africaine.  —  La  langue  et  ses  affinités  sémitiques  ;  le  peuple  et 
les  principaux  types  qu'il  comporte 

La  première  civilisation  de  l'Egypte  :  ses  survivances  aux  temps  historiques,  les 
courtisanes  d'Amon,  le  mariage,  les  droits  des  enfants  et  de  la  femme.  —  Les 
maisons  :  le  mobilier,  le  costume,  les  bijoux,  les  armes  en  bois,  puis  en  métal. 
—  La  vie  primitive  ;  la  pèche  et  la  chasse;  le  laço  et  la  bola;  la  domestication  des 
animaux.  —  Les  plantes  employées  à  l'alimentation  :  le  lotus  ;  les  céréales  ;  la  houe 
cl  la  charrue 

La  conquête  de  la  vallée  ;  les  digues,  les  bassins,  l'irrigation.  —  Les  princes,  les 
nomes,  les  premières  principautés  locales.  —  Organisation  tardive  du  Delta;  carac- 


798  TABLE  DES  MATIÈRES. 

tère  des  populations  qui  l'habitent.  —  Morcellement  progressif  des  principautés  et 
variabilité  de  leur  territoire  :  le  dieu  de  la  cité .       67 


II 


LES    DIEUX   DE    L'EGYPTE 


LEUR    NOMBRE    ET    LEUR    NATURE,  LES   DIEUX    FÉODAUX   VIVANTS   ET   MORTS   :    LES  TRIADES.    —    LES 
TEMPLES     ET    LES   SACERDOCES    :    LES   COSMOGONIES    DU    DELTA,     LES     ENNÉADES    d'HÉLIOPOLIS    ET 

d'hernopolis 79 

Multiplicité  des  dieux  en  Egypte  :  la  plèbe  divine  et  ses  variétés  humaines,  animales, 
intermédiaires  entre  la  bête  et  l'homme  ;  les  dieux  d'origine  étrangère,  les  dieux 
indigènes  et  leurs  formes  contradictoires  selon  la  conception  qu'on  se  faisait  de 
leur  nature » 81 

Les  astres-dieux.  —  Le  Soleil  Œil  du  Ciel,  le  soleil  oiseau,  le  soleil  veau,  le  soleil 
homme,  ses  barques,  ses  navigations  autour  du  monde  et  ses  luttes  avec  le  ser- 
pent Apôpi.  —  Le  dieu-Lune  et  ses  ennemis.  —  Les  dieux-étoiles  :  la  Cuisse  de 
Bœuf,  l'Hippopotame,  le  Lion,  les  cinq  Horus  des  planètes;  Sothis-Sirius  et 
Sâhou-Orion 85 

La  féodalité  divine  et  ses  classes  :  les  dieux-Nils,  les  dieux-terre,  les  dieux-ciel  et 
les  dieux-soleil,  les  Horus.  —  Les  dieux  et  les  déesses  sont  égaux  devant  le  droit 
féodal  :  leurs  formes,  leurs  alliances  et  leurs  mariages  :  leurs  enfants.  —  Les 
triades  et  leurs  développements  divers 98 

La  nature  des  dieux  :  le  double,  l'âme,  le  corps,  la  mort  des  hommes  et  des  dieux, 
leurs  destinées  après  la  mort;  nécessité  de  conserver  le  corps,  la  momification. 
—  Les  dieux  morts  dieux  des  morts.  —  Les  dieux  vivants,  leurs  temples,  leurs 
images.  Les  dieux  populaires,  arbres,  serpents,  fétiches  familiaux.  —  La  théorie  de 
la  prière  et  du  sacrifice  :  le  personnel  des  temples,  les  biens  des  dieux  et  les 
collèges  sacerdotaux 106 

Les  cosmogonies  du  Delta  :  Sibou  et  Nouit,  Osiris  et  Isis,  SU  et  Nephthys.  —  Hélio- 
polis et  ses  écoles  théologiques  :  Râ,  son  identification  avec  Horus,  son  dédouble- 
ment et  la  conception  d'Atoumou.  —  Les  Ennéades  héliopolitaines  :  formation  de 
la  grande  Ennéade.  —  Thot  et  I'Ennéade  hermopolitaine  :  la  création  par  la  parole 
et  par  la  voix.  —  Diffusion  des  Ennéades  :  leur  alliance  avec  les  triades  locales,  le 
dieu  Un  et  le  dieu  Huit.  —  Les  dieux  uniques  et  solitaires 127 


III 
L'HISTOIRE    LÉGENDAIRE   DE    L'EGYPTE 

LES   DYNASTIES  DIVINES  :  RÂ,  SHOU,  OSIRIS,  SÎT,  HORUS. —  THOT   ET  L* INVENTION  DES   SCIENCES   ET  DE 

L'ÉCRITURE.  —  MENÉS  ET  LES   TROIS   PREMIÈRES   DYNASTIES  HUMAINES 153 

Les  Égyptiens  se  proclament  le  plus  ancien  des  peuples  :  traditions  sur  la  création 
de  l'homme  et  des  bêtes.  —  Les  Ennéades  héliopolitaines  fournissent  le  cadre  des 


TABLE  DES  MATIÈRES.  799 

dynasties  divines.  —  Rà,  premier  roi  d'Egypte,  et  son  histoire  fabuleuse  :  il  se 
laisse  tromper  et  dépouiller  par  Isis,  détruit  les  hommes  révoltés,  puis  monte 
au  ciel 155 

La  légende  de  Shou  et  de  Sibou.  —  Le  règne  d'Osiris  Onnophris  et  d'Isis  :  ils  civi- 
lisent l'Egypte  et  le  monde.  —  Osiris,  tué  par  SU,  est  enseveli  par  Isis  et  vengé 
par  Horus.  —  Les  guerres  de  Typhon  et  d'Horus  :  pacification  et  partage  de 
l'Egypte  en  deux  moitiés  pour  chacun  des  deux  dieux 169 

L'embaumement  osirien  :  le  royaume  d'Osiris  est  ouvert  aux  suivants  d'Horus.  —  Le 
Livre  des  Morts.  —  Les  pérégrinations  de  l'âme  en  quête  des  champs  d'ialou.  — 
Le  jugement  de  l'âme,,  la  confession  négative.  —  Les  privilèges  et  les  devoirs  des 
âmes  osirien  nés.  —  Confusion  des  idées  osiriennes  et  des  idées  solaires  sur  la 
condition  des  morts  :  les  morts  dans  la  barque  du  Soleil.  —  La  sortie  pendant  le 
jour. —  Les  campagnes  d'Harmakhis  contre  Sit 478 

Thot,  son  rôle  d'inventeur  :  il  révèle  aux  hommes  toutes  les  sciences.  —  L'astro- 
nomie, les  tables  stellaires;  Tannée,  ses  divisions,  ses  imperfections  :  l'influence 
des  astres  et  des  jours  sur  les  destinées  humaines.  —  Les  arts  magiques  :  les  con- 
jurations, les  amulettes.  —  La  médecine  :  les  esprits  vitaux,  les  diagnostics,  les 
remèdes.  —  L'écriture  :  idéographique,  syllabique,  alphabétique 204 

Conception  traditionnelle  de  l'Histoire  d'Egypte  :  Manéthon,  les  listes  royales,  les 
grandes  divisions  de  l'histoire.  —  Incertitude  des  commencements  :  Menés  et  la 
légende  de  Mcmphis.  —  Les  trois  premières  dynasties  humaines,  deux  Thinites  et 
la  troisième  Memphite.  —  Caractère  et  origine  des  légendes  qu'on  en  raconte; 
la  stèle  de  la  famine.  —  Les  premiers  monuments  :  la  pyramide  à  degrés  de 
Saqqarah 224 


IV 


LA    CONSTITUTION    POLITIQUE    DE    L'EGYPTE 

LE   ROI,    LA  REINE  ET  LES  PRINCES  ROYAUX.        L'ADMINISTRATION    PHARAONIQUE.  —  LA    FÉODALITÉ  ET 

LE  CLERGÉ  ÉGYPTIENS,    LES  SOLDATS.    LA  BOURGEOISIE  DES   VILLES   ET    LE  PEUPLE   DES  CAMPAGNES.       245 

Les  cimetières  de  Gizéh  et  de  Saqqarah  :  le  grand  Sphinx  ;  les  mastabas,  leur  cha- 
pelle et  sa  décoration,  les  statues  du  double,  le  caveau  funéraire.  —  Importance 
des  tableaux  et  des  textes  tracés  dans  les  mastabas  pour  l'histoire  des  dynasties 
Memphites 247 

Le  roi  et  la  famille  royale.  —  Double  nature  et  titres  du  souverain  :  ses  noms 
d'Horus  et  la  formation  progressive  du  protocole  pharaonique.  —  L'étiquette 
royale  est  un  véritable  culte  divin  ;  insignes  et  statues  prophétiques  de  Pharaon,  il 
sert  d'intermédiaire  entre  les  dieux  et  ses  sujets.  —  Pharaon  dans  sa  famille  ;  ses 
divertissements,  ses  occupations,  ses  ennuis.  —  Le  harem  :  les  femmes,  la  reine, 
son  origine,  soii  rôle  auprès  du  roi.  —  Les  enfants  :  leur  place  dans  l'État;  leurs 
compétitions  pendant  la  vieillesse  du  père  et  à  sa  mort  ;  la  succession  au  trône  et 
les  révolutions  qui  l'accompagnent 258 

La  cité  royale  :  le  Château  et  sa  population.* —  La  domesticité  et  ses  chefs;  les 
bouffons,   les  nains,  les   magiciens  de  Pharaon.   —   Le  domaine  et   les  esclaves 


800  TABLE  DES  MATIÈRES. 

royaux,  le  trésor  et  les  hôtels  qui  en  assurent  le  service  :  les  logis  et  les  places 
pour  la  rentrée  de  l'impôt.  —  Le  scribe,  son  éducation,  ses  chances  de  fortune  : 
la  carrière  d'Amten,  ses  charges  successives,  sa  fortune  personnelle  à  la  fin 
de  sa  vie 275 

Li  féodalité  égyptienne  :  la  condition  des  seigneurs,  leurs  droits,  leurs  plaisirs, 
leurs  obligations  envers  le  souverain.  —  Influence  des  dieux  :  les  donations  aux 
temples  et  les  biens  de  mainmorte;  le  clergé,  sa  hiérarchie  et  son  recrutement. 
—  Les  soldats  :  les  mercenaires  étrangers;  la  milice  indigène,  ses  privilèges,  son 
éducation 296 


L'EMPIRE    MEMPHITE 


LES  ROIS  CONSTRUCTEURS  DE  PYRAMIDES  :  KHÉOPS,  KHÊPHRÈN,  MYKÉRINOS.  LA  LITTÉRATURE  ET 
L'ART  MEBIPHITES.  EXTENSION  DE  L'EGYPTE  VERS  LE  SUD  ET  CONQUÊTE  DE  LA  NUBIE  PAR  LES 
PHARAONS 345 

Snofroui.  —  Le  désert  qui  sépare  l'Afrique  de  l'Asie,  sa  constitution  physique,  ses 
habitants,  leurs  incursions  en  Egypte  et  leurs  rapports  avec  les  Égyptiens.  —  La 
presqu'île  du  Sinai  :  les  mines  de  turquoises  et  de  cuivre,  les  établissements 
miniers  des  Pharaons.  —  Les  deux  tombeaux  de  Snofroui  :  la  pyramide  et  les 
mastabas  de  Méidoum,  les  statues  de  Râhotpou  et  de  sa  femme  Nofnt 347 

Khéops,  Khéphrèn  et  Mykérinos.  —  La  grande  Pyramide  :  sa  construction,  ses 
dispositions  intérieures.  —  Les  Pyramides  de  Khéphrèn  et  de  Mykérinos;  leur 
violation.  —  Légende  des  rois  constructeurs  de  Pyramides  :  l'impiété  de  Khéops 
et  de  Khéphrèn,  la  piété  de  Mykérinos;  la  pyramide  en  briques  d'Asychis.  —  Les 
matériaux  employés  à  la  bâtisse,  les  carrières  de  Tourah;  les  plans,  le.  culte  du 
double  royal,  les  légendes  arabes  sur  les  génies  gardiens  des  Pyramides 363 

Les  rois  de  la  cinquième  dynastie  :  Ousirkaf,  Sahourl,  Kakiou  et  le  roman  de  leur 
avènement.  —  Les  relations  du  Delta  avec  les  peuples  du  Nord  :  la  marine  et  le 
commerce  maritime  des  Égyptiens.  —  La  Nubie  et  ses  tribus  :  les  Ouaouaiou  et 
les  Mâzaiou,  le  Pouanit,  les  nains  et  le  Danga.  —  La  littérature  égyptienne  :  les 
Proverbes  de  Phtahhotpou.  —  Les  arts  :  l'architecture,  la  statuaire  et  ses  œuvres 
principales,  les  bas-reliefs,  la  peinture,  l'art  industriel 387 

Le  développement  de  la  féodalité  égyptienne  et  l'avènement  de  la  sixième  dynastie  : 
Ati,  Imhotpou,  Téti.  —  Papi  I"  et  son  ministre  Ouni  :  l'affaire  de  la  reine  Amitsi, 


i 


Le  peuple  des  villes.  —  Les  esclaves,  les  hommes  sans  maître.  Les  employés  et  les  ' 

artisans;  les  corporations  :  les  misères  des  gens  de  métier.  —  L'aspect  des  villes  : 
les  maisons,  le  mobilier;  la  femme  dans  la  famille.  —  Les  fêtes,  les  marchés 
périodiques,  les  bazars  :  le  commerce  par  échange,  la  pesée  des  métaux  précieux.     308 

Le  peuple  des  campagnes.  —  Les  villages;  les  serfs,  les  paysans  libres.  —  Les 
domaines  ruraux;  le  cadastre,  l'impôt;  la  bastonnade,  les  corvées.  —  L'organisa- 
tion de  la  justice,  les  rapports  du  paysan  avec  ses  seigneurs;  sa  misère, sa  résigna- 
tion et  sa  gaieté  native,  son  imprévoyance,  son  indifférence  aux  révolutions 
politiques 326 


: 


TABLE   DES   MATIÈRES.  804 

les  guerres  contre  les  Hirou-Shaitou  et  contre  le  pays  de  Tiba.  —  Métésouphis  I*r 
et  le  second  Papi  :  les  progrès  de  la  puissance  égyptienne  en  Nubie.  —  Les  sires 
d'Éléphantine,  Hirkhouf,  Papinakhiti  :  leurs  explorations  préparent  les  voies  à  la 
conquête,  l'occupation  des  Oasis.  —  Les  pyramides  de  Saqqarah  :  le  second 
Métésouphis,  Nitokris  et  sa  légende.  Prépondérance  des  seigneurs  féodaux  et 
}  chute  des  dynasties   memphites 414 


VI 


LE    PREMIER    EMPIRE    THÉBAIN 

LES  DEUX   DYNASTIES  d'hÉRACLÉOPOLIS   ET   LA  DOUZIÈME  DYNASTIE.   LA   CONQUÊTE   DE   L'ETHIOPIE    ET 

L'ACHÈVEMENT    DE   LA  GRANDE    EGYPTE   PAR   LES    ROIS    THÉBAINS 445 

La  principauté  d'Héracléopolis  :  Akhthoès-Khiti  et  les  dynasties  héracléopolitaincs.  — 
Suprématie  des  grands  barons  :  les  forteresses  féodales,  El-Kab  et  Abydos  ;  la  guerre 
perpétuelle  et  les  armées.  —  Commencements  de  la  principauté  thébaine  :  la 
baronnie  de  Siout,  et  les  luttes  de  ses  seigneurs  contre  les  Thébains.  —  Les  rois 
de  la  onzième  dynastie  et  leurs  contructions  :  les  Pyramides  en  brique  d' Abydos  et 
de  Thèbes  et  la  barbarie  du  premier  art  Thébain 447 

La  douzième  dynastie  :  Amenerahàlt  Ier,  son  avènement,  ses  luttes  ;  il  associe  au 
trône  son  fils  Ousirtasen  1",  et  le  principe  de  l'association  prévaut  après  lui  chez 
ses  successeurs. —  État  des  relations  avec  les  peuples  d'Asie  :  les  Amou  en  Egypte 
et  les  Égyptiens  chez  les  Bédouins  ;  les  Aventures  de  Sinouhit.  —  Les  établisse- 
ments miniers  du  Sinai  :  le  Sarbout  el-Khâdim  et  sa  chapelle  d'Hâthor 462 

La  politique  égyptienne  dans  le  bassin  du  Nil.  —  La  Nubie  assimilée  au  reste  de 
l'Egypte  :  les  travaux  des  Pharaons,  les  mines  d'or  et  la  citadelle  de  Koubân.  — 
Organisation  de  la  défense  autour  de  la  seconde  cataracte  :  les  deux  forteresses  et 
l'observatoire  fluvial  de  Se  mué  h.  —  Koush  l'humiliée  et  ses  peuples  :  les  guerres 
entreprises  contre  elle  et  leurs  résultats;  les  mines  d'or.  —  Les  expéditions  au 
Pouanit,  et  les  navigations  le  long  des  côtes  de  la  mer  Rouge  :  le  Conte  du 
Naufragé 476 

Les  travaux  publics  et  les  constructions  nouvelles.  —  La  restauration  des  temples  du 
Delta  :  Tanis  et  les  sphinx  du  troisième  Amencmhâit,  Bubaste,  Héliopolis  et  le 
temple  d'Ousirtasen  Ier.  —  Les  agrandissements  de  Thèbes  et  d'Abydos.  —  Héra- 
cléopolis  et  le  Fayoum  :  les  monuments  de  Bégig  et  de  Biahmou,  les  champs  et  les 
eaux  du  Fayoum,  prédilection  des  Pharaons  pour  cette  province.  —  Les  pyra- 
mides royales  de  Dahshour,  de  Lisht,  d'IUahoun  et  de  Hawarâ 498 

La  féodalité  et  son  rôle  sous  la  douzième  dynastie.  —  Histoire  des  princes  de  Monâit- 
Khoufoui  :  Khnoumhotpou,  Khiti,  Amoni-Aracnemhâit.  —  Les  sires  de  Thèbes,  et 
l'avènement  de  la  treizième  dynastie  :  les  Sovkhotpou  et  les  Nofirhotpou.  —  Achè- 
vement de  la  conquête  nubienne;  la  quatorzième  dynastie 521 


HIST.    ANC.    DE   L  OR I EXT.   —   T.  I.  101 


8()t>  TAULE  DES  MATIÈRES. 


Vil 


LA    CHALDEE    PRIMITIVE 

I.A    CRÉATION,  LE  DELUGE,  L'HISTOIRE    DES    DIEUX.    — LE   PAYS,    SES   CITÉS,  SES  HABITANTS,  SES  PRE- 
MIÈRES    DYNASTIES 535 

Le  récit  de  la  création  :  les  dieux  et  les  monstres,  la  révolte  de  Tiâmat.  —  I,a  lutte 
entre  Tiâmat  et  Bel-Mardouk,  l'organisation  de  la  terre  et  des  cieux.  —  Ix>  monde 
tel  que  les  Chaldéens  se  le  figuraient.  —  Le  poisson  Oannès  et  les  premiers 
hommes.  —  Les  Sumériens  et  les  Sémites 537 

L'Euphrate  et  le  Tigre  :  leurs  affluents,  leurs  inondations.  —  Les  Sumériens  et  les 
Sémites  :  la  conquête  du  pays  sur  les  eaux. —  La  flore  :  les  céréales  et  le  palmier. 
—  La  faune  :  les  poissons,  les  oiseaux,  le  lion,  l'éléphant  et  Tunis,  les  animaux 
domestiques.  —  La  Chaldée  du  Nord  et  ses  cités;  la  Chai dée  du  Sud 551 

Les  dix  rois  avant  le  Déluge.  —  Xisouthros-Shamashnapishtim  et  le  récit  chaldéeu 
du  Déluge  :  la  destruction  des  hommes,  l'arrêt  de  l'arche  au  mont  Nisir,  le  sacri- 
fice et  la  réconciliation  des  dieux  avec  l'humanité.  —  Les  rois  d'après  le  Déluge  : 
Néra,  filana,  Nimrod 5fH 

La  légende  de  Gilgamès  et  ses  affinités  astronomiques.  —  I^a  séduction  d'Ëabani.  — 
La  mort  de  Khoumbaba,  l'amour  d'Ishtar  pour  Gilgamès  et  la  lutte  contre  l'unis 
d'Anou.  —  La  mort  d'Éabâni  et  le  voyage  à  la  recherche  du  pays  de  vie  :  les 
hommes-scorpions,  la  déesse  Sabitoum  et  le  pilote  Arad-Ëa.  —  L'accueil  de  Sha- 
mashnapishtim  et  la  guérison  de  Gilgamès.  —  Le.  retour  à  Ourouk,  l'évocation  de 
l'âme  d'Éabâni.  —  Antiquité  du  poème  de  Gilgamès 57  i 

Les  commencements  de  l'histoire  réelle  :  le  système  des  dynasties  établi  par  les 
scribes  babyloniens.  —  Ixîs  rois  d'Agadé  :  Shargani-shar-ali  et  sa  légende,  Naramsin 
et  le  premier  empire  chaldéen.  —  Les  cités  du  Sud  :  Lagash  et  ses  rois,  Ourninâ, 
Idinghiranaghin.  —  Les  vicaires  de  Lagash  :  Goudéa,  les  bas-reliefs  et  les  statues 
de  Telloh.  —  Ourou  et  sa  première  dynastie  :  Ourbaou  et  Dounghi.  —  Les  rois  de 
Larsam,  de  Nishiu,  d'Ourouk  :  la   seconde  dynastie   d'Ourou 593 


VIII 


LES  TEMPLES  ET  LES  DIEUX  DE  LA  CHALDEE 

LA    CONSTRUCTION    ET    LES  REVENUS   DES    TEMPLES  :    LES  DIEUX  POPULAIRES   ET    LES   TRIADES   THÉOLO- 

GIOUES.  LES   MORTS    ET    l/uADES 631 

Les  cités  chaldéennes  :  l'usage  presque  exclusif  de  la  brique  donne  a  leurs  ruines 
l'apparence  de  monticules  naturels.  —  Leurs  enceintes  :  les  temples  des  dieux 
locaux  ;  reconstitution  de  leur  histoire  au  moyen  des  briques  estampées  dont  ils 
sont  construits.  —  Les  deux  types  de  ziggourât  :  le  temple  de  Nannar  à  Ourou  et 
ses  dispositions (533 

Les  dieux  chaldéens  et  leurs  tribus.  —  Les  génies  hostiles  à  l'homme,  leurs  formes 


TABLE  DES  MATIÈRES.  803 

monstrueuses;  le  Vent  du  Sud-Ouest;  les  génies  bienveillants.  —  Les  Sept  et 
leurs  attaques  contre  le  dieu  Lune  :  Gibil,  le  dieu  Feu,  triomphe  d'eux  et  de  leur» 
embûches.  —  Les  dieux  sumériens,  Ninghirsou  :  difficulté  de  les  définir  et  d'en 
comprendre  la  nature;  ils  sont  absorbés  par  les  dieux    sémitiques 630 

Caractère  et  passions  des  dieux  chaldéens  :  les  déesses  ont  auprès  d'eux  le  rôle  effacé 
des  femmes  du  harem  :  Mylitta  et  son  culte  impur.  —  L'aristocratie  divine  et  ses 
principaux  représentants  :  leurs  rapports  avec  la  terre,  les  oracles,  les  statues 
parlantes,  les  dieux  familiaux.  —  Les  dieux  de  chaque  cité  n'excluent  point  les 
dieux  des  cités  voisines  :  leurs  alliances  et  les  emprunts  qu'ils  se  font  les  uns  aux 
autres.  —  I^es  dieux-ciel  et  les  dieux-terre,  les  dieux  sidéraux  :  la  lune  et 
le  soleil 639 

Les  dieux  féodaux  :  plusieurs  d'entre  eux  s'unissent  pour  gouverner  le  monde,  les 
deux  triades  d'Ëridou.  —  La  triade  suprême  :  Anou  le  ciel,  Bel  la  terre  et  sa 
fusion  avec  Mardouk  de  Babylonc  ;  Éa,  le  dieu  des  eaux.  —  La  seconde  triade  : 
Sin  la  lune  et  Shamash  le  soleil,  Ishtar  est  remplacée  dans  cette  triade  par 
Ramman;  les  vents  et  la  légende  d'Adapa,  les  attributs  de  Ramman.  —  Des 
déesses  s'attachent  aux  deux  triades  :  le  rôle  effacé  qu'elles  y  jouenl 648 

L'assemblée  des  dieux  gouverne  le  monde  :  l'oiseau  Zou  vole  les  tablettes  du  destin. 
—  Les  destinées  sont  inscrites  au  ciel  et  déterminées  par  les  mouvements  des 
astres  :  les  planètes  et  les  dieux  qui  y  président.  Nébo  et  Ishtar.  —  La  valeur 
numérique  des  dieux.  —  La  constitution  des  temples,  les  sacerdoces  locaux,  les 
fêtes,  les  revenus  des  dieux  et  les  donations  qu'on  leur  fait.  —  Les  sacrifices, 
l'expiation   des  fautes 663 

La  mort  et  les  destinées  de  l'àme.  —  Les  tombeaux  et  la  crémation  des  cadavres  :  les 
sépulcres  royaux  et  les  cultes  funéraires.  —  L'Hadès  et  ses  souverains  :  Nergal, 
Allât,  la  descente  d'Ishtar  aux  Enfers,  et  la  possibilité  d'une  résurrection.  — 
L'évocation  des  morts.  L'ascension  d'fitana 68*2 


IX 


LA    CIVILISATION    CHALDÉENNE 

LA  ROYAUTÉ.  —  L'ORGANISATION  DE  LA  FAMILLE  ET  DE  SA  FORTUNE.  —  LE   COMMERCE  ET    L'INDUSTRIE 

DES  CHALDKENS '. 701 

Les  rois  ne  sont  point  des  dieux,  mais  les  vicaires  des  dieux  :  leur  rôle  sacerdotal. 

—  Les  reines  et  les  femmes  de  la  famille  royale  :  les  fils  et  l'ordre  de  succession 
au  trône.  — Les  châteaux  royaux  :  description  du  palais  de  Goudéa,  à  Lagash,  les 
façades,  la  ziggourât,  les  appartements  réservés,  le  mobilier,  la  décoration  externe. 

—  Le  costume  des  hommes  et  celui  des  femmes  :  les  employés  du  palais  et  l'admi- 
nistration royale,  les  soldats  et  les  seigneurs 703 

Le  scribe  et  les  livres  d'argile.  —  L'écriture  cunéiforme  :  son  origine  hiéroglyphique, 
la  polyphonie  des  caractères,  les  tablettes  grammaticales  etlexicographiques.  —  Les 
contrats  et  leur  rédaction  à  plusieurs  exemplaires;  le  coup  d'ongle,  le  cachet.    .    .     723 

La  constitution  de  la  famille  et  la  place  que  la  femme  y  occupe.  Le  mariage,  le 
contrat,  les  cérémonies  religieuses.  —  Le  divorce  :  les  droits  des  femmes  riches, 


804  TABLE  DES  MATIERES. 

les  femmes  et  le  mariage  dans  les  classes  populaires.  —  Us  enfants  adoplifs,  leur 
position  dans  la  famille,  les  motifs  ordinaires  de  l'adoption.  —  Les  esclaves,  leur 
condition,  les  affranchissements 732 

Les  villes  chaldécnncs  :  l'aspect  et  la  distribution  des  maisons,  la  vie  domestique.  — 
Le  patrimoine  familial  :  la  division  des  héritages.  —  Le  prêt  à  intérêt,  le  taux  de 
l'argent,  le  commerce  par  terre  et  la  navigation.  —  Les  corps  de  métier  :  la  fabri- 
cation de  la  brique,  l'outillage  industriel  eu  pierre  et  en  métal,  l'orfèvrerie,  les 

graveurs  de  cylindres,  les  tisserands;  la  condition  des  classes  ouvrières 745 

Le  fermage  et  la  culture  des  terres  :  le  bornage  des  champs,  les  esclaves  et  les 
ouvriers  agricoles.  —  Scènes  de  la  vie  pastorale  ;  la  pêche,  la  chasse.  —  La  littéra- 
ture archaïque  et  les  sciences  positives  :  l'arithmétique  et  la  géométrie,  l'astro- 
nomie et  l'astrologie,  la  science  des  présages.  —  Le  médecin,  la  magie  et  son 
influence  sur  les  nations  voisines 761 


Appendice 785 

Table  des  Gravures 791 

Table  des  Planches. 

PI.     L  —  Le  Shélkh-el-Bcled Fimnanix. 

PL    II.  —  La  princesse  Nofrll 363 

PI.  III.  —  Le  Scribe  accroupi 409 

Carte.    —  LeMondeorienl.il 785 


I