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Full text of "Histoire civile, politique et religieuse de Saint-Valery et du comté du Vimeu"

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Patricia R. and 
Arthur J. Kates 
Collection of 
Religious 

Books 




Given in honor of our beloved 
mother and father, Sophia and 
Johiel Katzev, and in the hope 
that the community may bc 
enriched through mutual under- 
standing of the diverse wealth 
in religious thought. 







i 



HISTOIRE 



SAINT-VALERY 



HISTOIRE 



CIVILE, POLITIQUE ET RELIGIEUSE 



DB 



SAINT-VALERY 



ET 



DU COMTÉ DU VIMEU 



Pur Fi« IiEHIiS 



AVEC DES ANNOTATIONS PAR M. H. DUSEVEL 



c I 



ABBEVILLE 



9 » 



RENE HOUSSE, IMPRIMEUR-EDITEUR 

Ru Saint-GilUt, I0« 

1858 



INTRODUCTION 



Il existe, épars dans les bibliothèques pu- 
bliques ou privées, des livres imprimés ou 

^ manuscrits qui contiennent, sur diverses lo- 

calités, des notes souvent inédites du plus 
grand intérêt au point de vue de l'histoire* 
L'isolement de ces notes leur ôte l'intérêt 
qu'elles pourraient avoir si elles étaient 
réunies et classées par ordre de chronologie 
et de date. Cette réunion formerait alors 
pour chaque ville qui a occupé une place ou 
joué un rôle plus ou moins important dans 
l'histoire de la contrée, un volume qui ne 

\ serait point dénué d'intérêt et d'utilité. 

On conçoit aussi qu'il importe sérieuse- 



VI INTRODUCTION. 

ment dans Tintérét de Thistoire locale, de ne 
point laisser perdre ces documents souvent 
uniques; c'est en les réunissant dans un même 
cadre, qu'on peut arriver a établir et fixer le 
passé des localités qu'ils concernent et qu'on 
prépare ainsi pour l'avenir, des matériaux 
précieux qui trouveront leur place dans une 
histoire générale qui n'en sera que plus 
complète . 

Puis, il y a une certaine satisfaction pour 
une cité de fondation ancienne, quelque mé- 
diocre qu'elle soit présentement, de voir ses 
annales réunies sous forme historique, en nn 
liyre plus ou moins volumineux. L'histoire 
d'une ville appartient à la famille; c'est un 
peu le livre des ancêtres, et on se sent fier et 
heureux des belles actions qui illustrerait les 
anciens du pays. 

Ces considérations nous ont engagé k re- 
cueillir tontes les notes que les bibliothèques 
publiques ou particulièVes ont pu conserver 
des temps passés, afin d'arriver a écrire un 
jour l'histoire des principales communes de 
l'ancienne Picardie. 



INTRODUCTION. VII 

T^ouB avions déjà été devancé dans cette 
pensée par M. Darsy, qui a écrit avec an 
véritable talent, l'histoire du canton de Ga- 
maches. Son livre nous a fourni des notes 
précieuses que nous nous sommes permis 
d'emprunter, pour les faire entrer dans cette 
histoire de Saint- Valéry. 

Indépendamment de V histoire d'Abbe ville, 
si savamment écrite par M. Louandre, il 
y a, dans cet arrondissement, plusieurs an- 
ciennes cités dont les annales méritent d'être 
sauvées deFoubli; Saint- Valéry, Rue, Crotoy, 
Saint-Riquier, ont tenu une large place dans 
l'histoire du passé; elles doivent avoir leur 
histoire particulière. Nous avons puisé lar- 
gement dans les écrits de MM. Devérité, 
Louandre et Prarond, ainsi que dans quelques 
manuscrits qui nous ont été officieusement 
communiqués. Ayant l'intention de continuer 
cette œuvre pour toutes les communes de 
quelque importance de l'ancien Ponthieu, 
nous recevrons avec reconnaissance les do- 
cuments qu'on voudrait bien nous confier. 

Sans doute nous ne parviendrons point a 



y m INTRODUCTION. 

recueillir tout ce qui concerne le passé de 
ces localités, mais notre histoire n'est qu'un 
jalon oîi viendront se rattacher, dans la suite, 
d'autres indications qui serviront a faire de 
nouveaux recueils plus complets et plus 
dignes de figurer sur les tablettes des bi- 
bliothèques. 



r 



Dans une charte du roi Dagobert^ le coteau qui 
domine aujourd'hui la ville de Saint-Valery et qui 
en forme le territoire^ est nommé Montem Leuco* 
num\ d'où Ton a donné Leuconauâ' pour premier 
nom à cette ville et trouvé son étymologie dans les 
mots grecs Leucos, blanc ^ et îiaus navire, parce 
qu'on aurait dit de cette côte : c'est un lieu blanc où 
abordent des navires, A cette étymologie un peu 
forcée, nous préférons, en nous basant sur la con- 
formation du littoral, chercher notre origine dans 
la langue celtique et tirer le terme adouci de Leuco^ 
naiis, du mot plus barbare et plus vraisemblable* 
ment originel, de Leak-Ness, c'est-à-dire Leak, ri- 



1 Dagobertas dèi gratia rex... cénobites S. Walarici cui anteces- 
sor mens, Montem lbuconum super mare sitnm concesserat locnm. 

2 s. Walarice monasterinm, hoc nomine appellatum est seculo X, 

ponitnr in loco qni Lenconans antiquo vocabulo dicebatur, ad 

somonœ fluminis osti» in oceanum. fQallia christianaj Walaricus 
in pagi vinemani loco maritimo leuconao, posito ad ostium fluminis 

Suminœ Nunc locusa cœnobio nobiliore parte dicitur S. Wala- 

rici, vel ad sanctum WalaricUm (Notit. Gall. page 274). 

3 Histoire des monastères d'Angleterre, Ingulphe. 

I 



Z HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

vage, et iVeM^cap, corne ou promontoire : rivage 
pointu, rivage cornu. 

Telles étaient en effet la disposition et l'apparence 
du Montent Leuconum de Dagobert. C'était, à l'é- 
poque la plus reculée où 'il nous soit permis de 
remonter, une partie du rivage qui s'avançait en 
pointe dans la mer, car alors les bas-champs de 
Lanchères n'existaient pas : leur emplacement n'était 
qu'un banc de sable ou de roche sur lequel la mer 
heurtant rudement, produisait un choc ou heurt, 
dont la désignation nous parait conservée dans les 
noms de Hurt et Watiéhurt^ hameaux situés sur ce 
banc, et où nous devrons plus tard chercher la véri- 
table origine du mot Hourdel . 

Mais laissons le vague des étymologies pour en- 
trer dans une voie plus positive. 

Je tiens à démontrer, comme je l'exposerai plus 
au long dans un autre ouvrage, que le Montem Leu- 
comim oUy^ plus probablement, le Leak-Ness^ fut. 



1 NausSy est' la contraction de ness qni, dans le langage celtique, 
indiquait «n cap ou toute éminence avançant dans la mer; par une 
crâse pareille, on trouve dans plusieurs noms de rivages les mots 
nach et neach. Le ch et Vs se substituant réciproquement, dit 
M. Labourt, on a dû dii'e nos et nés, comme nttch et nech, ce qyi 
se voit par le latin nasuSy le français nez^ l'italien nazo^ l'allemand 
nasBy ncese, naze^ le theuton nasuj le russe nossj le bohémien et le 
polonais nos, le dalmatien noos, le lusacien noch, l'anglais noso, le 
flamand nuese, l'esclavon nus. Les anciens ont regardé le nez comme 
une espèce de promontoire ou élévation, et Font appelé d'un nom 
qui marque ces choses. Ainsi noss en langage russe, signifie à la fois 
nez et promontoire. Noso en hébreu, élever, lever haut, et n<ui, 
dans la même langue, les grands de l'Efat, les princes, et nastts en 
persan, éminence. {Mémoires de la Société des Antiquaires de 
Picardie. Tome IVj page 254.) 



ET DU QOUnt BE VUIBIJ. 3 

dans Torigine, déUi^é du continent, noo point de la 
terre de Pende» mais de la falaise d'Ault, à laquelle 
il se rattachait par un contrefort aiyourd'hui dis- 
paruy et dont le roc de Gayeun est la base. 

Le mamelon qui forme le territoire de Sainte 
Valéry est, en effet, rextrémité d'un contrefort oro- 
graphique identique à ceux de Saigneville et de 
Boismonty et qm avait une direction parallèle à celui 
sur lequel s'élèvent les villages de Friaucourt, 
Woignarue, Brutdles et Pende. Le vallon qui les 
séparait existe encore dans sa partie supérieure 
^ntre Friaueourt et Ault; il passait au bas de Bru- 
telles, à Lanohères^ à Sallwelle et débouchait dans 
la vallée de Neufville avec la petite rivière d'Am* 
boise qui a sa source à Pende. On comprend dès lors 
que le contrefort, dont la butte de Saint-Yalery est 
l'extrémité tronquée» prenait à Ault et couvrait tout 
l'espace occupé aujourd'hui par les terroirs de 
Cayeux et de Hurt. La Somme à marée basse et la 
mer dans son plein, attaquant cette cote dans le 
sens de sa longueur, la firent disparaître assez ra- 
pid^aoïent dès qu'elle fut mtamée. Les parties basses 
du Cap-Cornu ne sont que des portions détachées 
du mamelon, restées sur .place. 

La butte de Saint-Valery est, comme la falaise 
d'Ault, composée de brèches crayeuses appartenant 
à la période tertiaire, que le regrettable docteur 
iWvin, de SaimtrValery, a nommée palœothérienm; 
elle contient des cyrènes, des melanies, des cérithes 



4 HISTOIRE DE SAIMT-YALERY 

et surtout des huîtres; Targile plastique s'y trouve 
mélangée de fragments de coquilles très-variées. 
Au dessous de l'argile sont des grés ferrugineux, 
puis enfin le banc de craie, qui forme la base du 
bassin géologique de la Somme. 

Il est évident que la colline détruite, qui 
s'étendait du Cap-Cornu à Ault, était de même na- 
ture. Des sondes faites à Cayeux nous feraient 
probablement découvrir ce roc, ou plutôt la craie 
du contrefort dont le Monten Leuconum n'est que 
Textrêmité tronquée. 

Après la section de ce coteau, les eaux des marées 
ne. rencontrant plus d'obstacle, pénétrèrent dans 
les vallons où sont aujourd'hui situés les villages 
de Ribeauville, Pende, Estrebceuf, entourant ainsi, 
à marée haute, la portion de la colline qui était 
restée intacte et qui devint une île très escarpée, 
couverte de forêts et de bruyères et battue de tous 
les côtés par les eaux et par les vents. Ce fut le 
Montent Leuconum ou Leak-Ness. 

Nous nous représenterions alors, que l'île était 
habitée ou du moins visitée par le peuple mysté- 
rieux qui ne nous a laissé de souvenir que dans 
quelques noms significatifs, dans les traditions et 
dans de rares vestiges recueillis sur le sol. Si ce ne 
fut point une ville, comme rien ne l'indique, on 
peut raisonnablement croire qu'il y eut des habi- 
tations isolées dans la campagne, pour tirer parti 
soit de la pêche soit des ressources de la terre. La 



ET DU COMTÉ DE VIHEU. 5 

destination de la pirogue gauloise recueillie par te 
docteur Ravin dans les tourbières d'Estrebœuf\ se- 
rait alors trouvée. Cette barque abandonnée sur 
Vestran^ de la côte, dut servir au passage du détroit. 
Abandonnée sur place, soit par la retraite des ha* 
bitantSy soit par d'autres causes, les herbes marines 
auront cru autour d'elle et l'auront recouverte; l'al- 
luvion, aura ensuite envahi le tout et les grandes her- 
bes se seront transformées en tourbière au milieu 
de laquelle la pirogue se sera conservée pendant des 
siècles. 

Pour nous donc, le Leak-Ness était non-seule- 
ment un promontoire, mais une île, terre élevée 
au milieu des eaux et des sables d'une grève que les 
alluvions devaient exhausser. 

Cette île était naturellement fortifiée sur trois 
points, de l'est à l'ouest par le nord, par des falaises 



1. GeUe pirogue gisait gar le gravier, au-dessous du bancde tourbe. 
Elle était faite d'un seul tronc d'arbre, d'un chêne dont le bois, assez 
bien conservé, se reconnaissait aisément. La longueur étaitde trente 
pieds et présentait une largeur moyenne de vingt pouces. Elle avait 
le fond plat en dessus comme en dessous, mais un peu arquée sur 
sa longueur; ses bouts n'étaient pas terminés en pointe. Une de ses 
extrémités, qui devait être la postérieure, était plus étroite et plus 
longue que l'autre. La proue plus large et chargée du mât, ne devait 
pas s'enfoncer dans l'eau plus profondément que la poupe, qui était 
plus étroite et ne portait rien. L'emplacement du mât était indiqué 
vers la proue non seulement par la saillie et l'épaisseur des bords 
mais encore piir une saillie pareille ménagée dans le fond de la 
barque. {Mémoires de la Société d'Emulation d'Abbeville^ 1834 et 
1835, page 81 . M. Ravin.) 

2 Le nom d'Estreboeuf-est évidemment celtique; il vient A'e$tran^ 
plage, et how^ courbe, plage ou rivage courbe. C'était en effet la 
conformation de cette partie de la côte, qui formait un coude. 



6 HISTOIRE ns SAINT-VALEIIV 

abruptes que baignaient les eaux de la Somme et 
de la fner. Il n'était besoin de fortifier la position 
que du côté du midi où une plaine basse, mais ma-^ 
récageuse, sujette à être inondée par les grandes 
marées, rattachait 111e au continent. Cest ce que 
firent les Romains, qui ne manquèrent pas de venir 
occupa une position si facile à mettre à l'abri des 
attaques des indigènes, dont ils avaient à redouter 
les intentions hostiles. Ils fortifièrent le côté vul* 
nérable de Tile, celui par lequel on pouvait com* 
muniquer de mer basse avec la terre ferme; et <îe 
retranchement, dont les traces existent encore, oc- 
cupe toute la partie qui pouvait être abordée. Cet 
ouvrage nommé vulgairement Chemin vert ou fossé 
de Saint-Valéry y forme une espèce de boulevard 
couvert d'herbes. Une tradition populaire prétend 
que C'était la promenade habituelle du saint homme, 
et que ce fut sous la pression de ses pas que le che- 
min se fraya : cette opinion ne fait que confirmer 
l'ancienneté de ce monument dont M. Ravin a re- 
connu et constaté l'origine. 

Dirigé du nord-ouest au sud-^est, sur une lon- 
gueur de deux mille mètres, le retranchement, dit 
M. Ravin, s'étendait depuis la falaiâe du cap Hornu, 
que la mer baigne, jusqu'à la côte de Rossigny, qui 
domine la vallée de l'Amboise. Il décrivait, dans ce 
long trajet, trois grandes courbures, dont les deux 
extrémités étaient les plus longues : leur convexité 
tournait sur la plaine, tandis que la courbure 



BT DU COMTÉ DE VIMBU. 7 

moyenne, opposée aux deux àulreft, était plus étroite 
et rmtrait dans le camp. 

Ce terrassement n'a été conservé que par dea 
circonstances fortuites; quelques pierres servant de 
bornes, des buissons, cinq ou six arbres Voat dé- 
fendu contre les empiétements de la charrue, mais 
partout on peut encore le reconnaître et en appré- 
cier la destination. 

M. Ravin est d'avis que ce territoire était depuis 
très-longtemps habité. « Quand les soldats romains 
sont venus occuper remplacement de Saint-Valery, 
dit-41y ils ont trouvé le territoire habité par des fa* 
milles gauloises. L'existence de cette peuplade nous 
est manifestée par ses haches en silex, par ses mé- 
dailles et surtout par les restes de poteries funéraires 
qu'elle a laissés \ » Le vallon nommé encore la 
Paurrière semble n'avoir été qu'un vaste champ fu- 
néraire dans lequel on a retrouvé des sépultures 
gauloises et des tombeaux romains. 

Les médailles recueillies par M. Ravin sont à l'ef- 
figie de Tibère, Caligula, Claude, Néron, Yespasien, 
Titus et de tous les Empereurs romains jusqu'à Théo- 
dose -le -Grand. Quelques médailles grecques et 
gauloises ont aussi été ramassées au même lieu. 
Néanmoins on ne pense point qu'il y ait eu à Leu- 
conaus autre chose qu'un établissement militaire. 
Si les Gaulois l'habitèrent, ce fut sans doute dans 

I Mémoires de la Société d*Emulation d'Àbbevilley années f 844 
à484S,p^e208. 



8 HISTOIM DE SAINT-VALBEY 

des habitations disséminées, mais il n*y eut point 
d'agglomération ayant pu former une ville assez 
importante pour que les envahisseurs s'en soient 
beaucoup occupé. Les Romains ne changeaient que 
les noms des grandes cités pour leur donner ceux de 
leurs empereurs. César, Auguste, Aurélien, etc. 
Quant aux petites localités, ils se bornèrent à en 
adopter le nom dont la prononciation en se latini- 
sant, s'adoucit pour leur usage; c'est ainsi que Leu- 
conaus ou Leuconus fut substitué à Leak-Ness. 

On ne sait rien de positif du séjour des Romains 
à Saint-Valery. L'histoire et les légendes ne four- 
nissent que des notions vagues, nous ne pouvons 
en parler que par conjectures. Il est évident que ces 
conquérants eurent des établissements sur tout le 
circuit de la baie de Somme, ainsi que le témpignent 
les ruines que la bêche ou le soc de la charrue y 
remuent quelquefois ; mais sur les actes de ces co- 
lonies, sur leur importance, l'histoire et la tradition 
sont muettes. 

Aucun autre indice archéologique ne supplée au 
défaut de l'histoire. Cependant, dans les environs 
de Saint-Valery, nous devons citer Tours, où un 
buste de Cybèle, de six pouces de hauteur environ, 
a été retrouvé. « Ce buste, dit M. de Caylus, qui 
l'a fait graver dans son recueil d'antiquités * est le 
plus beau et le mieux dessiné que j'aie vue de fa- 

I Mémoiresdela Société d' Emulation d'AhbeviUe. l834-35,p. 71 . 



ET DL' COMTÉ DE VIMEU. 9 

brique romaine L'air de tête ne peut être plus 

agréable ni les cheveux mieux traités. Le coiffeur 
indique de quelle façon les tours flanquaient et dé- 
fendaient autrefois les murailles et les portes. » 

Il y avait probablement un établissement romain 
à Tours et un autre à Sery, près Gamaches, où Ton 
a retrouvé une mosaïque, des vases et des tuiles à 
rebord d'origine romaine. Plusieurs tombelles aussi 
sont desséminées dans les plaines du Yimeu. 

M. Ravin de Saint-Valery qui s'est beaucoup oc- 
cupé du pays de Vimeu, a retrouvé la trace de 
voies romaines qui le traversaient; Tune d'elles 
existe depuis Beauchamps sur la vallée de la Bresle, 
jusqu'à Martaineville-lès-Bus à l'extrémité de la 
vallée de Yismes ; la route de Beauvais à la mer ve- 
nait s'embrancher sur cette voie aux environs de 
Frettemeule, après avoir passé devant le Translay et 
Moriv^l. Cette voie romaine, dit M. Ravin, servant 
à faire la jonction des grandes voies d'Amiens et 
de Beauvais avec celle de Lillebonne, mettait ainsi 

■ 

le pays des Calètes en communication avec celui 
des Bellovaci et des Ambiani. 

Don Grenier prétend qu'une voie romaine se di- 
rigeait d'Amiens vers Saint-Valery, Dieppe et Eu . 
Cette, route est sans doute celle reconnue entre 
Ailly-sur-Somme et Pecquigny, vers MoUiens-Vi- 
dame et Oisemont; mais rien n'indique qu'elle ait 
eu Saint-Valery pour objet. 

n en cite ensuite un autre : « de Saint-Valery à 



10 HISTOIRE M 8A1NT-YALERT 

Estrebœuf, de là à Arrest, de là à Yalmes (Chemin 
Vert), de là à Frettemeule, de là à Tranlay, de là â 
BambureSy de là au bout de Lignières, de là à An- 
dainville, de là à roccident de Villers-Campsart, de 
là elle gagnait Poix. » 

M. Devérité, dans son Histoire de Ponthieu^ parle 
aussi de ces voies. « Le Vimeu, dit^il, est coupé 
de grandes chaussées qui ont retenu le nom de la 
malheureuse reine Brunehaut, et qui semblent de- 
voir, en quelque sorte, réparer l'honneur de sa 
mémoire si indignement flétrie. Celle proprement 
dite la Chaussée Brunehauty paraissait toucher d'un 
bout à la mer, du côté du Tréport, havre autrefois 
fameux, de l'autre, elle allait, à ce qu'on croit, se 
rendre à Beauvais par Vismes, Poix, etc. *. » 

M. Prarond dans ses Notices historiques et topo^ 
graphiques sur V arrondissement d'Abbevillej s'étend 
davantage sur les chaussées du Vimeu . « On croit, 
dit-il, reconnaître deux chaussées distinctes, dont 
l'une se rend au Tréport, l'autre à Saint-Valery. 
Ces deux chaussées se croiseraient à Frettemeule. » 
M. Prarond donne ensuite, d'après une lettre écrite 
le 26 juin 1788, à M. TrauUé, avocat à Abbeville, 
le tracé de ces voies; la première va de Buleu:^ à 
Martaineville; de Martaineville elle passe à côté de 
Vismes qu'elle laisse sur la droite; de là elle passe 
au pied de l'église de Frettemeule; de là dans un 

1 Histoire du comté de Pùnthieu. D^vérité, introd. page 63. 



hameau appelé Vis. On la retrouve près d'une ferme 
appelée Tout-Vent^ non loin de Gamaches, d'où elle 
va i Beaulieu; alws elle est dans la vallée de la 
Bresle où ses traces sont perdues. 

D'après M. Traullé une chaussée venait d'Amiens, 
par la vallée de Tenflos ou des dix courants, passait 
au Quesnoy, à Airaines et montait dans le Vimeu 
par Foroeville, pour gagner la mer par Buleux et 
Yismes. Une autre venait des environs d'Aumale, 
où avait existé une ville romaine, et passait par le 
bois de Bouillancourt pour se rendre aussi à la 
mer. 

Ces indications sont bien compliquées et bien 
vagues; les traces de ces voies sont d'autant plus 
difficiles à retrouver maintenant que, comme le dit 
M. Prarond, on les perd souvent de vue, surtout 
dans les vallées où elles sont recouvertes de terres 
éboulées d^ collines ou entraînées par les pluies. 
M, Dargnies de Fresnes, ajoute^tril, ne croyait à 
aucune chauâsée dans le Vimeu. 

D'après nous il devait y en exister; nous croirions 
à celle de Saint-Valery par Arrest et Estrebœuf, et 
à celle de Tréport indiquée par M. Ravin; mais ces 
routes n'étaient que secondaires, etLeuconausnous 
parait avoir été un lieu isolé en dehors des grandes 
voies de communication romaines. 

Un cimetière mérovingien a été reconnu à Mian* 
nay : on y a trouvé, outre diverses poteries, des 
aitnes d'origine saxonne, et d'autres objets qui 



12 HISTOIRE DE SAIKT-VALBRY 

sont déposés au musée d'Abbeville. Là se bornent 
les antiquités que le sol duVimeu nous a révélées. 

II est présumable aussi, et l'investigation du sol 
le démontre péremptoirement, que pendant les 
quatre siècles que les Romains passèrent dans les 
Gaules, il s'opéra de grands changements dans Tes- 
tuaire de la baie de Somme. Des attérissements 
nombreux convertissaient les profondeurs en bancs 
de sable et en marais. La branche principale de 
l'embouchure, qui contournait la butte de Leiiconaus 
et se dirigeait le long de la côte de Lanchères jus- 
qu'à la falaise d'Ault, cédait peu à peu sous la pres- 
sion du banc appelé le heurt de Cayeux, et ce chenal, 
en prenant la direction de l'Ouest, abandonnait à 
l'alluvion toutes les terres qui formèrent depuis les 
territoires de Cayeux et de Lanchères. 

Sur la rive opposée, le banc du Crotoy s'étendait 
aussi et était occupé par un établissement romain, 
pour garder les passages de la rivière dans la partie 
du Nord. 

On conçoit que dans ces conditions topo-hydro- 
graphiques, l'établissement de Leuconaus dût être 
favorable à la navigation. Aussitôt que les peuples 
commercèrent par mer, ils durent profiter des avan- 
tages que leur présentait un havre d'un abord facile, 
situé à l'entrée d'une grande rivière qui rendait les 
communications commodes et sûres avec les con- 
trées de l'intérieur. M. Louandre pense que l'éta- 
blissement romain de Saint- Valéry, sur la Somme, 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 43 

était destiné à en défendre les abords contre les at- 
taques des Belges septentrionaux et à protéger les 
transports de vivre et des munitions, que les Ro- 
mains effectuaient généralement par la voie des 



rivières * 



On a auguré aussi que les Romains avaient eu, à 
Fembouchure de la Somme, un établissement mari- 
time important; qu'un officier ayant le titre de 
Prœfectus clasm sumbricœ avait résidé au Crotoy et 
commandé les flottes considérables qui stationnaient 
à ce port et à celui de Leuconaus'. La notice de 
l'Empire désigne le Crotoy et Leuconaus en ces 
termes : Quartensissive Homensis locuSy parceque 
Quartensis semble avoir pour dérivé le Crotoy. Il 
fallait alors chercher à placer Homensis ; et comme 
le Cap-Clomu se trouvait sur la rive de Saint-Valery, 
on imagina de dire Cap-Homuj afin de pouvoir ré- 
pondre d'une manière satisfaisante à la supposi- 
tion de la notice de l'Empire. 

Ces opinions nous paraissent trop légèrement avan- 
cées pour que nous puissions les appuyer ici . Nous 
ne voyons point que les rives de la Somme aient 
parues assez importantes aux Romains, pour que 
ceux-ci leur aient imposé une désignation autre que 
celle qu'elles tenaient de leurs anciens habitants. 
Nous arrivons donc à l'invasion franque sans avoir 
à constater, dans l'histoire de Saint-Valery jusqu'a- 



f HisMre d'Abbeville» Louandre, tome I, page 7. 
2 Notice de la Gaule. Danville. 



14 HISTOIRE PE SAINT-VALERY 

lors Leuconaus, aucun fait positif qui puisse nous 
éclairer sur les premiers figes de cette ville. 

Les Romains, divisés par les guerres intestines, 
n'avaient plus la force de résister aux invasions des 
hommes du Nord, qui les attaquaient et par terre et 
par mer. Les tribus firanques avaient déjà dépassé 
les rives du Rhin, et celle des Mérowinges ou en-» 
fants de Mérowig, garnissaient les bords de la 
Somme, rive droite, depuis Samarobrive (Amiens) 
jusqu'à l'embouchure du fleuve en face de Leuco^ 
naus. Les Romains essayèrent encore de s'y main- 
tenir; ils augmentèrent leurs moyens de défense % 
mais ils durent céder au nombre : ils abandonnèrent 
la plage de Leuconauset successivement leurs autres 
positions de l'ancien pays des Ambiani. 

« Les invasions des Francs sans cesse renouve* 
lées, dit M. Augustin Thierry, furent désastreuses, 
sans mesure, et leurs bandes incendiant, dévastant, 
prenant des terres chacune à part, se cantonnèrent 
une à une sans offrir aux indigènes ni capitulation 
ni merci ^. » Leuconaus fut probablement ravagé 
comme les autres endroits qui présentèrent quelque 
défense, et c'est à cette destruction violente qu'il 
faut attribuer les ruines romaines qui sont, de 
temps à autre encore, mises à jour par lahêehe du 
cultivateur ou par la pioché du terrassier. 

1 Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. 
Tome 10, page 446. 

2 Récits des temps méravingéens. AttguMia Thierry, tS40, tome 
!•% page 216. 



ET DU COMTÉ DE VDOBU. 46 

jLe si^edes rois francs fut tour-à-tour à Amiens^ 
à Toumay, à Cambray, i Soissons. Clovis^l'un d'eux, 
acheva la défaite des Romains et étendit sa conquête 
sur toute Ha Gaule. Après sa mort, ses fils divisèrent 
entre eux le royaume des Franks qu'il avait fonde. 
Qotaire, qui avait eu en partage le royaume^ Sois* 
sons, investit Alcaire, fils d'un roi assasiné par 
Clovis, du gouvernement de^ côtes maritimes depuis 
la Seine jusqu'à l'Escaut, contrée qui fut nommée 
Pmthus ou Pimthieuel son gouverneur Dux frandœ 
maritimœ seu Pontieœ. Ce fut l'origine des dues ou 
comtes du Ponthieu, dont le domaine se rétrécit 
progressivement jusqu'à ne faire qu'un très petit 
canton entre la Bresle et la Canche avec Abbeville 
pour capitale. 

La partie du Ponthieu qui se trouvait resserrée 
entre la Somme et la Bresle, sur le littoral de 
l'Océan, était appelée Vimeu. M. Dargnies de 
Fresnes croit que l'étymologie de ce nom vient du 
latin Vimerij signifiant osier, bois flexible, parce 
qu'il y aurait eu, dans l'origine, des oseraies aux 
sources et sur les bords de la rivière * . 

M. Huet, évêque d'Avranches, prétendait que euj 
qui se retrouve dans plusieurs noms de ces con* 
trées : Eu, Vimeu^ Ponthieu, FranUu, Envetmeu, 
Acheu, etc., avait été latinisé auga, prononcé augt, 
Auga proviendrait du Celte a/, pomme, et guez^ 
arbres, à cause des nombreux pommiers qui se treu- 
il Lettres aws bénédictins, par M. Dargnies, de Fresnes. 



16 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

vent dans cette contrée. C'est ainsi qu'il y a, dans 
la basse Normandie, le pays à' Auge, également abon- 
dant en pommiers. 

Le pays de Vimeu avait a peu près vingt lieues 
carrées de superficie; c'est un pays de plaines, 
élevéyOÙiln'y a que des vallons et point de rivières. 
La surface unie et élevée des campagnes du Vi- 
meu, dit M. Devéritéy en a fait le camp de plusieurs 
armées * . C'est sans doute à ces circonstances qu'il 
faut attribuer les tombelles qu'on rencontre fré- 
quemment sur les terres du Vimeu, mais que la 
charrue affaise de plus en plus, tellement qu'elles 
ne seront bientôt plus reconnaissables. 

M. Prarond en citant l'opinion de M. Dargnies 
de Fresnes, qui veut que le mot Vimeu vienne du 
village de Vismes, se demande si c'est le village 
qui a donné son nom à la rivière du Vimeu ou la 
rivière qui a donné le sien au village. 

L'auteur du roman de Rou, Robert Wasse, dît : 

Gome part Pontif è Vimou 
E Vimou dune Tresque ou. 

Le Vimeu est borné au sud^est par la Bresle, au 
nord-est par la Somme. Le petit ruisseau de Vismes, 
sur lequel était situé le premier château des comtes 
du Vimeu, se jette dans la Bresle, à Gamaches, 
après un parcours de six kilomètres. 

\ Histoire ducomté de Ponthieu. Devérité. Introduction, page 53. 



ET DU COMTÉ DE YIMEU. 1? 

M. Dargnies de Fresnes, dit encore M. Prarond, 
pense que le Yimeu, très-anciennement habité, re- 
çut une cotonie romaine; il tire à cet égard ses 
preuves d'une foule de noms latins des villages et 
de Tancienneté des défrichements, défrichements 
dont on n'a pas mémoire, et bien antérieurs aux 
défrichements monastiques * . 



f Notices historiques et topographiques sur l'arrondissement 
d'Abbeville, M. Prarond. Introd., page 49. 



II 



L'higtoire ne commence à parler positivement de 
Saint-Yalery, que verg les commencements du sep* 
tième siècle, époque à laquelle un saint homme du 
nom de Gualaric, vint fixer sa demeure sur le mont 
Leuc(maus« 

Avant lui déjà, plusieurs apôtres de la foi avaient 
parcouru le Yimeu. Saint-Quentin, fils d'un séna* 
teur romain, était venu en France, vers l'an 245, 
avec Saint-Lucien de Beauvais, et il avait pénétré 
jusque chez ces populations idolâtres. On lui érigea 
une église au village d'Outrainville qui, de son 
nom, est encore nommé Saint-Quentin-Motte-Groix* 
au-Bailly. Ce courageux prédicateur fut arrêté par 
les ordres du préfet Rictius Yarius et conduit en la 
ville d'Aii^to, du pays de Yermandois, où on lui 
traversa le corps, de haut en bas, avec deux broches 
de fer. 

Saint-Mellon, Saint -Yictrice, Saint-Firmin et 
Saint*Loup ou Saint-Leu, arrosèrent aussi ces con- 
trés de leurs sueurs et y firent de nombreux pro- 



SO HISTOIRE DE SAINT-YALERT 

sélytes. Saint-Loup, qui avait été archevêque de Sens, 
avait été exilé au village d'Âncennes où sa mémoire 
fut pendant longtemps dans une juste vénération. 
L'évêque d'Amiens; Berchund, avait continué 
l'œuvre de ces apôtres, il prêchait dans le Vimeu 
dès les premières années du quatrième siècle. Les 
plaines, entre la Somme et la Bresle, étaient alors 
entrecoupées de sombres et impénétrables forêts. 
Il y avait là des hommes qui s'y étaient réfugiés 
pour fuir la domination romaine et se livrer pai- 
siblement au culte national des arbres, dont la tra- 
dition leur venait des Druides. Berchund pénétra 
seul parmi ces ennemis de sa foi ; il parlait à ces 
hommes ignorants et primitifs, et la beauté de la 
parole évangélique frappait leur imagination . Ils re- 
cevaient le baptême; mais à peine les avait-il quittés, 
qu'ils retombaient dans leur» erreurs. Un arbre 
d'une grosseur remarquable, situé sur les hauteurs 
de la Bresle, était surtout l'objet de leur adoration : 
c'était l'arbre druidique auquel les dévots immo- 
laient des victimes. Berchund essaya en vain de les 
détourner de ce culte sauvage; ils résistèrent. Il at- 
tacha des croix et des reliques aux branches afin 
de donner le change à la vénération des idolâtres; 
mais sans être plus heureux : les pratiques supers- 
titieuses persistèrent * . 



i Vie de Saint-Valery et histoire de l'abbaye, composée par 
Jean-Baptiste de Boulongne, où il est traité de sa fondation qui 
est environ de l'an 9Sn jusqu'en l'an 1314. Manus. Bibl. 



ET DU COMTÉ DE VIMBU. 21 

*Les rois de la première race firent plusieurs fois 
des règlements pour détruire ces restes de l'idolâtrie 
druidique. « Nous ordonnons, est-il dit dans une 
» loi de Childebert, à ceux qui auront dans leur 
» champ, ou dans un autre lieu, des simulacres ou 
» idoles dédiées au démon ^ de les renverser aussitôt 
» qu'ils en seront avertis; nous leur défendons de 
» s'opposer à ce que les évêques les détruisent ; et 
» si, après s'être engagés par cautions à les dé- 
» truire, ils les conservent encore, nous voulons 
» qu'ils soient traduits en notre présence * . Celui 
» qui sacrifie aux fontaines, aux arbres et aux 
» pierres sera anathêmatisé ^ . » 

Mais les ordonnances étaient sans effet sur ces 
esprits que la terreur retenait attachés aux coutumes 
de leurs pères : le mal persistait. Il eût fallu que 
Berchund se retirât auprès des idolâtres et qu'il 
vécut avec eux pour les maintenir dans la bonne 
voie. C'est à Saint-Valery qu'était réservé la gloire 
de détruire jusqu'aux dernières traces de ce culte 
grossier. 

Gualaric ou Walaric était originaire de la pro- 
vince d'Auvergne. Saint-Germain d'Auxerre avait 
été son maître; il le quitta pour se faire moine à 
Luxeuil dont Saint-Colomban d'Irlande était abbé, 
il se fit bientôt remarquer par la régularité de ses 
mœurs et par la profondeur de sa piété. Le père 

1 Capitulât Baluzii, Tome I^ page f . 

2 IHd. Tome II, coU. 1397, 1398. 



22 HISTOIRE DE SAIMT-VALERY 

Ignace dit que Gualaric n'était qu*un petit berger 
provenu de parents pauvres et n'ayant qu'une hou- 
lette pour tout bien. La grâce de Dieu le tira de 
cet état pour en faire un modèle des vertus chré- 
tiennes ' . 

Malheureusement le relâchement de la règle mo- 
nastique divisait les religieux de l'abbaye de Luxeuil; 
Saint-Colomban partit exilé. Gualaric, profondément 
affligé de ce scandale, résolut de se retirer dans la 
solitude pour y vivre dans le recueillement et la 
prière; il quitta Luxeuil et alla où Dieu voudrait le 
conduire; au bout de quelques jours il se trouva 
sur les rives du fleuve de la Somme et en suivit les 
bords jusqu'au rivage de la mer. Arrivé sur ce point, 
le saint homme s'arrêta à un endroit où jaillissait une 
fontaine dont le filet argenté descendait en serpentant 
sur les pierres et parmi les herbes du sol et les fedilles 
tombées des arbres. <k Le religieux bien fatigué, dit 
une tradition locale, s'assied sur le rivage, secoua 
la boue de ses chaussures et en forma le mamelon 
sur lequel est construite la ville de Saint-Valery. » 

Une épaisse forêt descendait jusque sur les grèves 
. de la mer. Gualaric jugea cet endroit convenable à 
ses desseins. Il avait obtenu du roi des Francs Clo- 
taire II, la permission d'établir sa demeure en tout 
endroit de son royaume où il lui plairait d'habiter; 
il lui fit savoir qu'il choisissait le mont Leaoonaus. 

I Histoire ecclësêoitique 4''Ahbevills, par le père Ignace, page 4<»4. 



BT DU COMTÉ DE VIMEU. 23 

Sa réputation de sainteté et sa vie édifiante ne tar- 
dèrent pas d'être connues : quelques fidèles vinrent 
près de lui pour vivre de sa vie et se nourrir de ses 
pieux exemples! Ils construisirrat . leurs cellules 
près de la sienne, à Textrémité de la forêt, sur le 
bord d'un précipice dont le pied baignait dans la 
mer. 

Saint Berchund n'avait pu qu'approuver la déter- 
mination de Gualaric de vivre au milieu d'un pays 
d'où le paganisme était si difficile à extirper et d'y 
{»rècher la foi; il fit le voyage de Leuccmaus pour y 
visiter le saint homme et on dit qu^il fut si enchanté 
de cette sombre retraite sur le bord de la mer, qu'il 
y revint ensuite chaque année pendant le carême, 
pour s'y livrer mtièrement à la contemplation et à 
la prière. Le père Ignace ajoute même que le roi 
Dagobert, pour l'honneur qu'il portait i Gualaric, hii 
bâtit un ermitage en l'an 61 3. Il semble plus cer« 
tain qu'il lui confirma la possession du mont Leu- 
conaus et de ses dépendances et qu'il assura la sub- 
sistance des pieux anachorètes. Telle fut, assure*^ 
t«on, l'origine de l'abbaye de Saint-Valery . 

C'est alors sans doute que s'effaça le nom de 
Lêak-Ness ou I^uconaus, signifiant rivage paintUj 
qui était donné à tout le mamelon formant promon- 
toire sur la mer. Le langage se modifiant par les 
envahissements successifs des hommes du Nord, 
Leak-Ness désignant l'ensemble du territoire et 
principalement l'extrémité pointue du rivage, fut 



24 HISTOIRE DB SAOrT-YALERT 

traduit par les arrivants en Kome pointe, dont nous 
avons fait Cap-Cornu. 

Le pays, conune nous Tavons dit plus haut, était 
habité par des hommes encore livrés aux pratiques 
de ridolâtrie. Galaric, ou plutôt Valéry ainsi modifié 
par Teuphonie, en fut profondément afiQigé, il vou- 
lut les voir pour leur parler de Dieu et leur inspirer 
l'amour de la vérité. Il fut écouté avec plaisir. Ceux 
qu'il convertit et qui l'admirèrent, vinrent habiter 
près de lui, afin de jouir de sa vue et de profiter des 
bénédictions qu'il répandait autour de lui. C'est 
ainsi que se fonda près de l'homme de Dieu, une 
ville qui prit son nom et devint Saint-Valery *. 
Ce ne fut d'abord qu'une simple agglomération de 
cabanes entourant celles des religieux. Leurs habi- 
tants défrichèrent les bois, cultivèrent la terre ou se 
firent pêcheurs, car la rivière de Somme, qui passait 
au bas de la falaise et au pied du Cap-Cornu, était 
extrêmement poissonneuse. 

Coquart rapporte la fondation de cette ville en 
l'an 61 4, le roi Thierry régnant*. 

Valéry ne resta point continuellement dans la re- 



1 D'après les savants frères Scevole et Louis de Sainte-Marthe, 
ce nom ne Ini fat donné qu'au dixième siècle, c'est-à-dire trois 
siècles après la mort de Saint-Valery. {GalUa Christ ^ tome X, ecci., 
ambiameosis.) 

2 Sancti ValeHci pervenit ad locum qui dicitur Augusia Juxta 

Auvœ fluvium et Juxta ripam ipsHu fluminis siirpserat mag- 

mif , divertis imaginibus figuratuSy atque ibi in terrant n^agna vir- 
tuiè immUms^ qtti lUmio cultu, more gentiHum^ a rusticis cote- 
bsOur. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 25 

traite qa'il s'était choisie. L'amour des conversions 
l'entraînait loin de son domicile où il y avait des 
idolâtres. On dit qu'il porta ses prédications très 
loin et qu'on a retrouvé ses traces jusque sur les 
bords de la Seine. 

On raconte que passant à Aoûts près d'Eu il aper^ 
çut dans ce village, un de ces arbres chargé de di- 
verses figures d'idoles tels que Berchund en avait 
rencontrés*. Aidé du moine Valdolène* qui l'accom- 
pagnait, il renversa cet arbre. Les villageois exaspérés 
par cette violation de l'objet de leur culte, accou- 
rurent en foule et voulurent se jeter sur le saint 
homme. Mais celui-ci, par un autre miracle plus 
surprenant, dit Don Grenier, les calma tout-à-coup 
et les rendit chrétiens. Il parait qu'au moment où 
ils allaient le mettre à mort, il s'écria : « Si Dieu veut 
que je meure, que sa volonté soit faite ! » Un si 
grand calme dans ce péril imminent, produisit une 
vive impression sur l'esprit de ces hommes brutes ; 
ils écoutèrent peu à peu les exortations du saint et 
voulurent l'adorer. Valéry resta quelques jours parmi 
eux et ne les quitta qu'après que lé triomphe du 
christianisme fut assuré. 

Plusieurs auteurs ont prétendu que cet endroit 
était Ault. D'autres copiant Don Grenier , as- 
surent que c'était Augusta (Oust-Marest), village du 
Vimeu sur la rive droite de la Bresle. Peu de temps 

f Mevue de Rtmen, 5 mai 1842. 
2 GuadoUnw. Act. Sanct. Bénéd. 



26 HISTOIRE Dfi SÀlNT-VALERY 

après cette aventure, les habitants du pays 
eux-mêmes une église en l'honneur de Valéry. 

D'autres églises lui furent ^lemmt dédiées à 
Graincourty au mont JoUbois, à Ssdnt-Valery-en* 
Cauxy à Fécamp* Dans toutes ces localités on donne 
enocHre au baptême le nom de Valéry * . 

Valéry n'était pas un homme ordinaire. Sa mis- 
sion témoigne de son courage , ses conversions font 
foi de son éloquence. Il arrachait les hommes à 
Terreur et répandait parmi eux l'instruction pour 
les maintenir dans la praticpie du bien. Il avait 
ouvert, dans son monastère de Leuconaus, des écolos 
pour la jeunesse du pays et il voulait qu'on y usât 
plutôt de dôuorar envers les enfonts que de diâti- 
ments et de manières dures et impérieuses'. 

Les légendaires racontent de lui plusieurs autres 
aventures. M. Guizot voulant donner un exemple 
de la grossièreté des mœurs de cette époque, em- 
prunte à la vie de Saint-Valery le passage suivant ; 

« (}omme cet ami de Dieu revenait à pied d'un 
certain lieu dit Cayeux, à son monastère, dans la 
saison d'hiver, il arriva qu'à cause de l'excessive 

rigueur du froid, il s'arrêta pour se chauffer 

dans la demeure d'un certain prêtre. Celui-ci et ses 
compagnons, qui auraient dû traiter avec grand 
respect un td hôte, commencèrent au contraire à 
tenir audacieusement, avec le juge du lieu, des 

f Revue de Roven, s mai iM2y'pêgt2iS. 
2 Histoire littéraire. Tome UI, page 440. 



ET no COMTÉ DE VUIKU. 27 



propos inconvenanls et deshoimêtes. Fidèle i sa 
coutume de poser toujours, sur les plaies oorrom* 
pues et hideuses, le salutaire remède de la parole 
divine, il essaya de les réprimer, disant : « Mes 
fils, n'avez«-vott8 pas vu daos l'Evangile qu'au jour 
du jugement nous aunms à rendre compte de toute 
parole vaine? » Hais eux méprisant son avertisse* 
ment, s'abandonnèrent de plus en plus i des pro- 
pos grossiers et impudiques, car la bouche parle 
de l'abondance du cœur. Pour lui alors, secouant 
la pousrîère de ses souliers, il dit : « J'ai voulu, 
à cause du froid, chauffer un peu* à votre feu 
mon corps fiitigué; mais vos coupables discours 
me fonMmt à m'éloigner tout glacé encore, » et il 
swtit de la maison * . 

Un jour passant à Gamaches^ où le comte Sigo- 
bard présidait le malUiMy assemblée des hommes 
libres où l'offimseur sur l'assignation de l'offensé, 
paraissait devant ses juges, Valéry aperçut de loin 
un condamné qui venait d'être accroché au chevalet. 
Il se dirigea vers l'instrument du supplice, et, mal- 
gré l'opposition du bourreau, il , s'empara du ca- 
davre, l'âendit sur la terre, posa sa face sur sa face, 
et le ressuscita. Mais le juge irrité ordonna de nou- 
veau de suspendre le condamné au gibet. « Tu' 
persistes donc, s'écrie alors Saint-Yalery, à tuer 
celui que la puissance de Dieu a sauvé; mais à 

1 Cours d'histoire moderne, par M. Gnizot, tome II, page 165. 



28 HI8T0IBB DE SAINT-TAUnT 

moins que tu ne me fasses mourir avec lui, tu ne 
l'arracheras pas de mes mains. Si tu dédaignes de 
m'entendre, moi qui ne suis qu'un faible serviteur 
du Christ; sache que le créateur du mondeest par- 
tout et qu'il ne méprise point ceux qui l'invoquent. » 
Ces paroles courageuses effrayèrent le juge, et il 
ordonna de délivrer le coupable qui depuis vécut 
longtemps * . 

M. Louandre, dans son Histoire d'AbbevillCj rap- 
porte des légendes miraculeuses attribuées au saint 
et qui doivent trouver leur place ici. « Il y avait 
tant de douceur et de bonté dans l'âme ^e Saint- 
Yalery, dit-il, que les petits oiseaux venaient sou- 
vent sans crainte prendre leur nourriture dans le 
creux de sa main. Ils oubliaient leur caractère 
sauvage et se laissaient caresser doucement. Les 
moines, en s'approchant de l'abbé, s'étonnaient de 
voir tant d'oiseaux l'entourer en volant : « Mes 
enfants, leur disait Saint-Valery, ne leur faisons 
pas de mal; mais laissons les se rassasier de nos 
miettes. » Quand les frères s'étaient éloignés, les 
oiseaux revenaient aussitôt, pressés comme un 
nuage; le saint les laissait, comme de coutume, 
manger dans sa main, et, après leur avoir donné 
une abondante pâture, il les renvoyait dans leur 
nid^. » 

On peut lire dans l'histoire du saint, et un peu 

\ Histoire d*Abbeville. Louaadre, tome I, page 44. 
2IHd, 



ET DU COMTÉ DE YIHEU. 29 

dans Touvrage de M'. Louandre, les actes miracu- 
leux qui illustrèrent sa réputation. Nous ne dirons 
rien du merveilleux qui s'attache aussi à quelques 
actes de sa vie : on trouvera ces faits racontés dans 
les légendes du saint. C'est l'histoire de la ville 
plutôt que l'histoire du fondateur que nous voulons 
raconter. 

Une vie si bien remplie devait avoir une fin peu 
commune. Saint- Valéry usé par le jeune, l'extase 
et les travaux apostoliques, se dirigea un jour vers 
un arbre entouré de ronces, au pied duquel il avait 
coutume de faire ses prières, et fixant deux bâtons 
dans la terre, il désigna une place de la longueur 
de son corps et dit à ses disciples qu'il avait engagés 
à le suivre : « Lorsque par la volonté de Dieu je 
m'exilerai de ce monde, c'est là qu'il faudra m'en- 
sevelir. » Le dimanche suivant il mourut et sa vo- 
lonté fut exaucée. Ce fut l'évêque Berchund qui 
vint lui-même procéder à l'inhumation de l'homme 
dont le nom allait être impérissable dans les contrées 
ou il avait si bien vécu. . 

Le roi Dagobert, dit le père Ignace, à l'invita- 
tion de son père Clotaîre, ayma toujours ce grand 
saint, et pour tesmoigner sa bienveillance parefTect, 
l'an 636, il donna aux religieux de Saint- Valéry, 
sa terre de Ratier -Ville {Rathery -Villa) avec ses 
dépendances pour les faveurs qu'il avait reçues * . « 

1 Histoire ecclésiastique d*Abbevilléy par le père Ignace, page 
464. 



30 HiSTOlKE DE SAlIfr-VALERY, ETC. 

Les louanges de Saint^Valery ont été célébrées 
en vers latins par Adrien Blondin^ prieur de l'ab* 
baye de Saint-Valery. En voici le titre : Versus pa^ 
negyrîci in laudem el gloriam S S iEtemitatis can* 
didatorum Walarici, Blithmundi, Yulganci, Sevoldi 
et Riohberti, quorum reliquiœ in regio S. Walarici, 
monasterio Servantur, per dominum Adrianum 
Blondin, etc. Rothomagi, le Boulanger, 1554, in-i"". 



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I 



Après la mort de Saint-Valery, ses disciples se 
dispersèrent de divers côtés. Plusieurs des fidèles 
que sa vie avait édifiés vinrent prier sur son tom- 
beau et le bruit se répandit bientôt que la grâce 
de Dieu y opérait des miracles. Blimond natif des 
bords de l'Oise, qui avait été compagnon des travaux 
apostoliques de Saint-Yalery et qui habitait le mo* 
nastère de Bobio en Lombardie, fit exprès le voyage 
pour venir visiter cette tombe déjà célèbre. Il fut 
fort surpris de trouver Leuoonaus et les environs 
replongés dans le paganisme. Profondément afQigé 
de ce malheur, ilconçut le projet de continuer l'œuvre 
de son vertueux maître, et d'y fonder un établisse- 
ment dont l'importance exercerait une influence di- 
recte sur l'esprit religieux de cette sauvage contrée. 
Blimont s'adressa à l'évêque Berchund et obtint du 
roi Glotaire, la permission de construire une abbaye 
près du tombeau de Saint-Yalery et d'y réunir des 
religieux pour perpétuer la gloire de son nom. 

Les architectes se mirent à l'œuvre. Blimond 




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36 • HISTOIRE DE SAINT-YALERT 

Valéry, s'arrêta sur le tombeau de Saint-Valery, et 
après y avoir fait dfe riches offrandes, il repartit plein 
de vénération pour la mémoire du saint. 

Mais la main impériale n'était plus là. Plusieurs 
descentes opérées dans la baie de Somme effrayèrent 
les moines; ils s'empressèrent de mettre leurs 
richesses à l'abri du piHage. Les abbayes de Saint7 
Josse-sur-Mer et de Saint -Saulve de Montreuil 
venaient d'être ravagées et brûlées ; les abbés de 
Saint-Valery enlevèrent le corps de leur saint patron 
et le cachèrent dans les bois. Peu de temps après, 
en effet, le 6 janvier 859, Weland, chef des Nor- 
mands, fondit sur Saint-Valery, massacra les habi- 
tants, qui refusaient de livrer leur argent, et mit le 
feu à la ville. 

Pendant plus de trente ans, ce ne furent que des 
ravages incessants : en 881 , une bande considérable 
de ces pirates débarqua sur les côtes de la Somme, 
sous la conduite de leur konong, nomme Gara- 
mond. Tout fuyait à leur approche; l'incendie éclai- 
rait leur marche et la stérilité marquait leur passage. 
Louis III, roi de France, qui se trouvait en Dau- 
phiné avec son frère Carloman, apprend la nouvelle 
de ces désastres. Il part immédiatement pour venir 
en Picardie arrêter la marche de ces terribles étran- 
gers. Les Normands qui avaient pillé l'abbaye de 
Saiift-Valery et incendié la ville, s'éloignaient gor- 
gés de butin et se dirigeaient sur Eu. Louis III, 
éclairé sur leur marche, arrive près de Franleu, au 



ET DU COMTÉ DE VIMEÛ. 37 

moment où la bande de pillards paraissait sur les 
hauteurs, entre la Croix-au-Bailly et Friaucourt; il 
les atta(|ua et les força à rétrograder par la ligne qui 
est encore appelée le champ des batailles j et les joi* 
giiit entreFressenneville et Saucourt* . Sans leur don- 
ner le temps de se reconnaître, il donna le signal du 
combat : ce signal était le Kyrie £2éi>an/ répété im- 
médiatement par vingt mille voix ; charge formidable 
qui étonna les ennemis et les remplit de terreur. 

— Seigneur, ayez pitié de nous ! s'écria le roi 
de France en tombant sur les Normands. 

— Kyrie eleison ! Kyrie eleison ! répétèrent les 
masses en le suivant. 

La bataille était engagée. Les Normands un 
moment intimidés par cette attaque impétueuse, 
reprirent cependant leur assurance et résistèrent au 
choc. Pendant un instant le succès sembla devoir 
être de leur côté ; les Français, moins nombreux et 
fatigués par une marche précipitée, allaieni; plier. 
Louis III qui n'était âgé que de vingt-deux ans, 
mais qui pourtant avait une grande bravoure, vit 
le danger, il se porta où le péril était plus grand, 
repoussa l'ennemi et décida bientôt du gain de la 
bataille; les Normands furent taillés en pièces. On 
dit qu'il en resta neuf milles sur le champ du com- 
bat. Garamond était du nombre : on assure qu'il 
reçut la mort de la main du jeune roi de France. 

1 In pago viminiaco, in loco qui vocatur êodalchurch, (Annales 
de Fold et de Réginon, année 883.) 



38 HISTOIRE BE SAINT-VALERY 

Ganunmd fut entorré i Vignaoourt. 

Les soldats de Louis m câébrârent leur victoire 
par un chant rimé, d(mt voici la pr^oiière strophe 
en langue tudesque : 

linen Kuning weiz ich, 
Hesset herr Lndwig, 
Der geme Gott dimett, 
Weir er ihms lohnet. 
Kind wart ert waterlos, 
Dess wart ihme sehr bos, 
Holoda nan Trahtin; 
Biagaczoga waitli her sin *. 

Ce chant, en langue tudesque ou théodisque telle 
qu'on la parlait dans toute la Picardie, en Flandre 
et en Belgique, était encore populaire dans le Vimeu 

I Schilter, tom n. En voici la traduction de Mabillon : 
Je sais on roi qui s'appelle le seigneur Louis. H sert volontiers 
Dieu, qtfi Ten récompense. Enfant, il fiit orphelin, ce qui lui étoit 
très funeste, Mais Dieu le recueillit et fut son tuteur. 

— Louis, mpn bon roi porte secours à mon peuple, que les Nor- 
mands ont si durement opprimé.— Alors Louis répondit : Mon Dieu, 
j'obéirai à tes ordres, et dussè-je périr, ta sainte volonté sera faite. 

En attendant l'heure de sa vengeance, il rendit grâce au ciel et 
s'écria : Seigneur, marche avec nous, car depuis Icmgtemps nous 
implorons tcm aide. 

Et ensuite il dit, en s'adressant à ses soldats : 

— Frères d'armes, vous tous qui partagez mes périls, que votre 
âme soit ferme et forte. 

C'est Dieu qui m'a envoyé parmi vous, pour recueillir votre avis 
et vous conduire à la bataille. Puisse ce Dieu vous être favorable l 

Je n'épargnerai pas mon sang pour vous faire libres ; mais il faut 
que tons ceux qui sont fidèles à Dieu me suivent avec confiance. 
C'est la volonté suprême du Christ, qui règle la durée de nos jours; 
c'est lui qui garde nos os, qui défend dotre tombe. 

Celui qui fera joyeusement la volonté de Dieu, sortira sans bles- 
sure de la bataille, et je le récompenserai. 

Celui qui mourra dans le combat sera récompensé dans sa famille 



ET DU COMTÉ DE YIMEU. 39 

et m Normandie, vers l'an 4 1 00 \ Le clergé, les 
administraleurs, les ofiieiers publics parlaient uo 
mauvais latin. Cest de ce mâange avec la langue 
romane que se fonna le picard- et même le français 
du moyen âge. 

Louis m repartit trop vite du pays où la présence 
de forces imposantes aurait été nécessaire. Il était à 
peine éloigné, que d'autres bandes reparurent sur 
les rives de la ScMnme.. Louis était mort, son frère 
Carloman, resté seul sur le trône, vint visiter ces 
entrées si rudement et si firéquemment ravagées : 
on dit qu'il séjourna à Miannay et que de là il orga- 
nisa les moyens de défense au passage de la Somme. 
Mais ces préparatifs furent vains, les Normands 
passèrent peu après à Lavier, surprirent le camp 
français et mirent l'armée en fuite; puis ils recom- 
mencèrent leurs dévastations dans le Yimeu. De 



Il dit et saisit son écu et s« lance, et pressa les pas de son destrier. 

Car, en vérité, il était fermement résolu de punir les ennemis 
d'une manière terrible, et il n'était plus séparé des Normiwds que 
par UD faible intervalle. 

Dieu soit loué, disaît-il, car il se voyait au comble de ses v€nul, et 
8*avançant audacieusement en avant de son armée, il entonna un 
cantique à baute voix. 

Et tous chantaient avec lui : Kyrie elekon! £t quand le ci^Uque 
fut terminé, la bataille commença. 

Le sang monta aux joues des Francs, qui bondissaient de colèn. 
Chaque soldat prit largement sa part de vengeance, mais aucun 
n'égala Louis. 

Il était né leste et brave : il renversa l'un et perça Vautre. 

Il versa à un grand nombre de ses amis une amère boisson, et 
beaucoup sortirent de la vie. 

Bénie soit la sagesse de Dieu : Louis remporta la victoire ; il faut 
dire des actions de grftce à tous les saints. 

1 Hariulf. Chrwi^. centuknse, j^fMl» d'Acberi, tom IV, p. 4S8. 



40 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

880 à 900, pendant dix ans, on resta à peine six 
mois sans les voir; la mort et le deuil étaient par- 
tout dans le malheureux pays de Pieardie. 

Les seigneurs de Saint-Yalery profitèrent de cette 
circonstance pour s'ériger en défenseurs de l'abbaye; 
ils prêtaient serment devant l'autel et disaient : nous 
jurons de lui être aideur contre tous, excepté nos 
hommes ligeSj mais cette protection était bien sou- 
vent inefficace. Une bande de ces pillards après 
avoir désolé tout le pays s'y établit et fit de là ses 
excursions dans tous les cantons environnants. On 
ne sait sur quels points ils -habitaient. En 860, 
Charles-le^hauve leur avait payé 5,000 livres d'ar- 
gent (2,815,000) pour les obliger à se retirer; c'é- 
tait une habitude prise : des taxes publiques étaient 
depuis longtemps établies pour acquitter les ran- 
çons exigés par ces terribles aventuriers * . 

La qualité d'avoué, mot fait du latin advocatus, 
préposé, représentant, comme le témoigne Ducange, 
obligeait le titulaire à diriger l'administration des 
biens de l'abbaye, à défendre ses causes lorsqu'elle 
était attaquée, à rendre la justice à ses Vassaux et 
même au besoin à défendre ses intérêts les armes à 
la main. Hugues-Capet en créant ce grade, dont 
l'origine en France remontait à l'établissement de la 
monarchie, avait surtout en vue de réprimer les spo- 
liations qui s'exerçaient par certains abbés ; mais 

1 Bex^ suorum concilio exactionem pecuniœ coUatUiœ fieri 
exaetorUm indixit, anno 924 (Richer, liv. 1, chap. 48). 



ET DU COMTÉ DE YIVEC. 41 

nous verrons plus loin que les seigneurs de Saini- 
Ystlery ne furent pas toujours exempts de blâme, et 
qu'ils profitèrent de la position qui leur était don- 
née, pour opprimer les ecclésiastiques et usurper 
les propriétés qu'ils s'étaient engagés à défendre. 

Du reste, les avoués de l'abbaye de Saint-Valery 
ne furent pas les seuls coupables : on peut lire Du- 
cange, Hallam, Muratori, Yaistelle, Labédollière 
pour se convaincre que les spoliations furent géné- 
rales, ainsi que le prouvent d'ailleurs les déciisions 
fulminées contre les avoués par les conciles. 

La ville et l'abbaye de Saint-Valery étaient dans 
un piteux état. C'était un amas de ruines fumantes 
d'où se relevaient quelques cabanes, aussitôt qu'un 
peu de calme venait rendre le courage aux anciens 
habitants. Les moines de l'abbaye, plus occupés à 
se défendre qu'à prier, s'étaient bien relâchés de 
leur règle : ils avaient introduit parmi eux des cha- 
noines dont la vie n'était pas exempte de reproches; 
les avoués ou défenseurs de l'abbaye songeaient 
plutôt à s'enrichir ,qu'à veiller aux intérêts dé la 
communauté. Il en résulta une désorganisation 
complète qui fit perdre à l'àbbaye la réputation de 
sainteté qu'elle s'était acquise et qui lui avait con- 
quis une glorieuse célébrité. 

Amould le Pieux, comte de Flandre, qui avait 
là manie de s'emparer bon gré et mal gré de toutes 
les reliques à sa convenance, était alors en guerre 
avec Herluin, comte de Ponthieu, et il venait de 



42 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

s'emparer de Montreuil, capitale du comté et rési- 
dence du comte. Un clerc de l'abbaye de Saint-^Y^-- 
lery, d'autres disent un habitant séculier de la ville, 
fut trouver secrètement Arnould et lui proposa de 
lui livrer 4e corps du saint moyennant une somme 
d'argent qui lui serait payée. Arnould accéda à cette 
demande et se mit en marche, sous la conduite du 
traître. La ville de Saint-Valery qui n'était point 
sur la défensive, fut prise d'assaut, ses habitants 
passés par les surmes et le monastère envahi . Arnould 
chargé des reliques dont il s'était emparé, retourna 
dans ses Etats, convaincu qu'il venait de faire une 
riche conquête et que les faveurs du ciel lui étaient 
assurées. 

Cet acte de piraterie passa inaperçu comme tant 
d'autres. Charles-le-Simple venait d'abandonner une 
de ses belles provinces aux Normands; son fils 
Louis d'Outre-mer pouvait bien laisser au comte de 
Flandre une relique. Les successeurs de ces rois 
n'avaient plus assez d'énergie pour mettre un frein 
aux déprédations qui se commettaient dans tout le 
royaume : la race carlovingienne s'éteignait dans 
la fainéantise. 

, Deux siècles s'étairat écoulés et l'abbaye, veuve 
de ses précieuses reliques, dépérissait. Les reh- 
gieux, comme si l'absrace du saint corps exerçait 
$ur eux une fatale influence, n'avaient plus rien de 
l'austérité de leur ordre; la désolation était dans le 
pays. 



BT DU COMTÉ DE VIIIKU. 43 

A la mort du roi Louis V, le trône semblait de* 
vmr appartenir au duc de Lorraine, fils de Louis 
d'Outre-mer; mais celui-ci s'était aliéné l'amitié et 
l'estime des grands et du peuple que Hugues-Capet, 
cœntede Paris et duc de France, s'était acquises dès 
longtemps; Hugues entrevoyait la possibilité decon- 
cJUérir un trône; les circonstances le favorisèrent. 

Les chroniqueurs racontent qu'une insurrection 
ayant éclaté dans une contrée du Vimeu, le duc de 
France fut chargé de la réprimer et qu'à la suite 
d'un combat dans lequel il avait éprouvé beaucoup 
de fatigues, il s'endormit dans une grotte ou plutôt 
dans une forêt. Deux personnages vêtus de robes 
blanches lui apparurent alors. 

— Qui êtes*-vous? s'écria le duc effrayé de cette 
apparition, je ne vous connais pas? que venez*vous 
foire en ce lieu ? 

— Je suis l'abbé de Saint*Valery, dit l'un des 
fantômes ; avant de mourir je restais sur les bords 
de la mer. Il y a deux cent dix--sept ans que je suis 
descendu dans la tombe ; mes os et ceux de Saint- 
Riquier ici présent avec moi, ont été ravis à leur 
tombe et maintenant ils sont captifs sur une terre 
étrangère; mais le temps est venu où ils doivent 
être réintégrés dans les lieux où nous avons vécus. 
Le peuple qui nous a été confié se réjouira de notre 
retour, car il est désolé de notre absence. Quand 
Dieu m'aura déposé dans mon ancienne tombe, je 
vous prédis que vous deviendrez roi et que votre 



44 HISTOIRE DE SAINT-YALERY 

race portera la couronne pendant plus de sept 
siècles. Pour vous convaincre que je dis la vérité, 
allez jusqu'à Montreuil, vous savez que cette ville 
est au pouvoir du comte de Flandre. Redemandez- 
lui mes reliques; s'il refuse, reprenez-les de force 
et réintégrez-les à leur patrie. Vous réussirez, je 
le sais. Alors, quand vous m'aurez déposé daiis 
mon église, vous en chasserez les clercs et les 
moines qui la profanent et vous les remplacerez 
par de plus dignes. Hâtez-vous, car je vous prédis 
que vous deviendrez roi et que la royauté se per- 
pétuera dans votre famille. Et pour que vous ne 
doutiez point de la vérité de mes paroles, ajouta 
l'apparition, présentez-vous devant la ville de Mon- 
treuil et je vous réponds que vous y entrerez sans 
perdre un seul de vos soldats * . 

Hugues plein de confiance dans cette vision, et 
en ces paroles, partit aussitôt pour Montreuil dont 
en effet il se rendit maître. Sûr alors du succès de 
son entreprise, il envoya un message au comte 
Arnould, pour l'inviter à lui rendre les corps de 
Saint- Valéry et de Saint-Ricquier dont il s'était 
emparé par surprise. Arnould refusa; répliquant 
que si Hugues-Capet les voulait, il n'avait qu'à ve- 
nir les reprendre. Hugues ne s'étonna point de cette 



1 Germain Poirier démontre que la vision de Hugnes-Capet est 
une pieuse fraude. Ingelvan, abbé de Saint-Ricquier^ qui a écrit 
l'histoire de la translïition de Saint-Vàlery, ne parle ni de la vision, 
ni de la prophétie. (Mémoires de l'Académie des inscriptions et 
belles lettres^ tom. 50, année 1808.) 



ET DU GOlfTÉ DE VIMEU. 45 

menace ; il rassembla une nombreuse armée et se 
dirigea vers les Etats du comte de Flandre. Amould, 
effrayé, s'abandonna à la douleur, car, dit une lé- 
gende, il vit dans cette attaque une manifestation 
de la volonté du Seigneur. Il envoya des députés 
au-devant d'Hugues, l'invitant à ne commettre au- 
cun dégât et lui assurant que les deux corps saints 
lui seraient rendus. 

A la vue de ces précieuses reliques, le duc de 
France pleura d'attendrissement et de joie, il se 
prosterna ainsi que son armée, et rendit grâce à 
Dieu de Theureux succès de son entreprise. Les 
Flamands, consternés, retournèrent chez eux, et 
Hugues, suivi d'une foule immense qui chantait 
des hymnes au Seigneur, reprit la route de Saint- 
Valery. 

Le père Ignace raconte très-naïvement ce fait 
dans son Histoire Ecclésiastique d'Abbeville ; mais, 
d'après lui, Hugues-Capef ne fut point en personne 
à la conquête des reliques; il commit le comte Bur- 
card pour le remplacer. « Le comte Burcard, dit- 
» il, arrivant à Noyelles, au bord de la rivière de 
» Somme et voulant passer^ voilà qu'incontinent le 
» flux de la mer s'enfle si hautement qu'il inondé 
» tous les passages et oste la commodité de passer 
^ au comte et à tous ceux de sa suite. Mais Dieu 
» voulait faire miracle, comme vous allez voir. » 

ce Le comte Burcard qui portait sur ses épaules 
» avec un autre comte, la chasse où estaient les 



46 HISTOIRE DE SAIIfr-YÀLERY 

» saintes reliques, remply de vive foy, faisant 
» mettre tous ses gens en prières, s'adresse à Dieu, 
» et devant toute sa compagnie, dit tout haut : 
» Seigneur Jésm^Christy si ta volonté miséricordieuse 
» est que le corps de ton saint soit rendu à son propre 
» monastère^ que ta clémente bonté ordonne que pour 
» nous le fleu/i/e se sépare en deux, et ne refuse pas 
» à nous donner un passage, afin que ce peuple sou^ 
» mis à ton nom, puisse d'un cœur dévot, et dans un 
» transport de joie, rendre à ta gloire et à Vhonneur 
» de ce saint, le tribut de ses louanges. » 

« Chose admirable, ajoute le père Ignace, à la 
» voix de ce généreux comte Burcard et par les 
» mérites de Saint-Valery, Notre-Seigneur ayant 
» exaucé ses prières, Teau se divisa en deux si à 
» propos, que ceux qui portaient ce saint corps, et 
» tout le peuple qui suivait, jouissant d'une liberté 
» triomphante, passèrent à pied sec ce large trajet 
» d'eau qui est entre l'une et l'autre rive, lorsque 
» la mer est venue, louant et bénissant Dieu avec 
» grande joye, d'avoir passé ce détroit sans danger: 
» et ainsi le corps de Saint-Valery fut remis hono* 
» rablement dans son église, où on voit encore ce 
» miracle dépeint dans un tableau, qui est à côté 
» du chœur \ » 

Ce tableau qui existe encore dans la chapelle de 
Saint-Valery, porte : 

^Hist4)&e Ecclésiastique d'Àbbeville, père Ignace, page 68. 



ET DU COMTÉ DE VIMBU. 47 

Voyez Hugtteshle-Orand» conducteur d'une année. 
Pour dégager ses os par les foudres de Mars, 
Qui ne s'étonnerait I La mer inanimée 
Leur fait la révérence et se fend en deux parts. 

Saint-Valery sachant de Hugues la vaillance, 
Pour retirer son corps que la Flandre détient, 
n promet à ses hoirs la couronne de France 
Qui dans Louis-le-Juste encore se maintient. 

D*après le père Ignace encore, Saint-Riquier et 
Saint-Valery n'apparurent en vision à Hugues- 
Capet qu'après la rentrée des corps et pour le re- 
mercier et lui promettre la couronne de France et 
à ses héritiers à perpétuité ^ en récompense du ser- 
vice qu'il leur avait rendu de restituer leurs corps en 
leurs abbayes. « Oh ! qu'il fait bon servir les saints!» 
ajoute-t-il. La mer demeurant immobile et sans 
flots, ils passèrent à pied sec à la Manque taque * . 

C'est ainsi que Hugues-Capet rendit le corps de 
Saint-Valery à son église. 

Le comte Burcard donna aux religieux de Saint- 
Valery les terres de Héru, Quent et Monceaux et 
encore plusieurs droits à Hélicourt et en la ville 
d'Abbeville. Le titre de cette donation est datée : 
anno secundo règne Roberti régis. Et à l'endroit des 
signatures on lit : signum Roberti régis, signum 
Bwcardi comitis, qui hanc cartain fieri iv^sit. 

I Histoire Ecclésiastique d'Abbeville, père Ignace, page 446. 



48 HISTOIRE DE SAINT-YALERY 

• 

Quant au fait du passage de la mer à Noyelles, 
il n'a rien d'extraordinaire : c'est sur cette commune 
que se trouve le gué de Blanquetaque. Le cortège 
arrivant à Noyelles lorsque la mer était haute, il lui 
suffit d'attendre que le reflux fut opéré pour effec- 
tuer le passage à pied, sans le secours d'aucune 
embarcation. 

Hugues-Gapet étant monté sur le trône, se res- 
souvint qu'il avait fait vœu de reformer l'abbaye de 
Saint-Valery; il y envoya des religieux de' Saint- 
Lucien de Beauvais et leur donna pour abbé Res- 
toulde qui rétablit la règle sévère de Saint-Blimond. 
Il fit ensuite fortifier une petite île de la Somme 
située plus haut près d'un hable très fréquenté et à 
portée de l'abbaye de Centule, et il lui donna le 
titre de protecteur ou d'avoué de Saint-Riquier. 
Mais celui-ci ayant épousé la veuve du comte de 
Boulogne tué dans une bataille, prit le titre de 
x^omte de Ponthieu qui, depuis Angilbert, avait ap- 
partenu aux abbés de SaintrRiquier. Ce lieu fut 
nommé Eahleville^ du hable sur lequel il était situé, 
ou bien AbbeviUe^ de l'abbaye dont il était une dé- 
pendance. 



IV 



. On ne sait positivement à quelle époque remonte 
la création du comté de Saint- Valer>% ni en faveur 
de qui il fut fondé. Selon les mémoires de Philippe 
de Gommines, dit Goquart, les anciens seigneurs 
de Saint-Valery venaient de la maison d'Eu. Ce dont 
on est à peu près certain, c'est que le comté de 
Saint-Valery est Tun des plus anciens de la monar- 
chie française et que ses titulaires se disaient comtes 
par la grâce de Dieu* . Il fut substitué au comté de 
Vimeu dont le territoire de Saint-Valery était une 
dépendance. 

Les comtés étaient des portions de territoire plus 
ou moins étendues, comprenant quelquefois une 
province, ou bien restreintes à une seule ville avec 



I On appella d'abord comités ceux qui accompagnaient les pro- 
consuls et les propréteurs- dans les provinces. Sous les Empereurs, 
on donna cette qualification à ceux qui les suivaient dans leurs 
voyages, et qui les aidaient de leurs conseils : ils étaient donc les 
compagnons du prince, et telle fût l'acception du mot comes jus- 
qu'au temps où Gonsfantin en fit une dignité particulière. Ce titre 
devint s| commun dans la suite qu'on retendit à tous les genres de 
services. (Glossaire de Ducange. Vefb. com^.) 

4 



50 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

quelques terres cireonvoisines. Les rois francs de 
la première race donnaient ces possessions à ceux 
de leurs serviteurs dont ils voulaient récompenser 
le zèle ou la valeur * . Le comté de Vimeu, comitatus 
vitmacensiSj fut de ce nombre, mais on ignore 
quels en furent les premiers titulaires. On croit 
communément qu'il fut institué sous Charlemagne 
lorsqu'il organisa militairement les côtes de son 
Empire. 

La résidence des conited parait avoir été à 
Vismcs, château situé à la source d'une petite ri- 
vière qui se jette dans la Bresle. 

M. Darsy qui s'est beaucoup occupé des antiquir 
tés du Vimeu, a étudié les ruines qui nous restent 
de ce domaine; il a reconnu un enclos où existait 
autrefois une maladrerie et les ruines d*un château- 
fort, aujourd'hui en partie couvertes de terre ^ . On 
y voit encore deux vieilles tours dont l'une tron- 
quécj et des terrassements indiquant assez bien lé 
périmètre de la construction . 

Le comte avait une autorité très étendue. Il était, 
en même temps, juge, administrateur civil et com^ 
mandant militaire. En cas de guerre, il armait un 
contingent formé des hommes valides de son comté 

f Lea anciens àeignenrà et Advoués de Saint-Vallery porloienl 
d'axut frété d'or, semé de fleuf's de lia dé ftiême. {Mémoire pour 
Vhistoiirè eUclésidstique et civile de Saint-Vatéry-sur-Sômmè. Ma- 
nus. en là t>ossessidn.dé M. H. Manesàiër, soiùë-préfet de Tarfondis- 
semeiit d'Abbevlile.) 

2 Gamaches et ses Seigneurs, page ^ il. 



ET DU COMTÉ DE VIMBU. 51 

et le conduisait lui-même à la guerre. La juridiction 
du comté de Yimeu paraît s'être étendue de la 
Bresle à la Somme^ et des bords de TOcéan à une 
ligne tirée entre les vallées de laVismeset de la Trie. 

On ne sait rien des faits et gestes des premiers 
comtes de Yimeu ; Thistoire ne donne même pas 
leura noms^ et c'est, avec beaucoup de peine que 
nous retrouverons quelques-uns de ceux qui habi- 
tèrent Saint-Valery. Avant 1790, on disait encore 
le bourg du Vimeu, pour désigner tout le pays qui 
avait fait partie du comté. 

Les comtes ayant rendu leurs charges hérédi- 
taires, s'érigèrent en maîtres souverains des pays 
dont ils n'avaient été que les administrateurs amo- 
vibles et révocables. Ils se contentèrent d'abord d'en 
usurper la survivance pour leurs enfants, ensuite 
pour leurs collatéraux. Enfin, sous Hugues-Capet 
ils déclarèrent ces charges propriétés inaliénables 
de leur familles et Hugues n'obtint lui-même le 
trône qu'au prix de cette concession . 

Assez longtemps avant cette époque, les comtes 
de Yimeu, jaloux de la puissance que les abbés de 
Saint- Yalery acquéraient, firent construire un châ- 
teau-fort sur le promontoire, à peu de distance de 
l'abbaye. 

Un mémoire manuscrit, écrit pour servir à l'his- 
toire. de Saint- Yalery *, dit cependant que du temps 

I Mémoire pour Vhistoire ecclésiaitique et civile de Saint-Val- 
lery^iur-Somme. 



52 HISTOIRE DE SÀIMT-VALERY 

de Renaut de Saint-Valery qui vivait dans le dou- 
zième siècle, il n'y avait point encore de château 
sur ce point. c< Renaut, dit-il, reconnoissoit tenir 
un fief du roy Philippe- Auguste; saint Vallery, Tad- 
vouerie des terres de Tahbaye de Saint- Vallery, le 
château d'Ault, Domart et Bernardville : il aurait 
nommé dans son adveu le château de Saint-Valler\^ 
aussi bien que celuy d'Ault s'il y en eût un alors, 
d'autant plus que dans la suite, lorsqu'il a existé, 
il a esté nommé par un ancien escriyain : un chas- 
tel appartenant au Roy. » 

Cette preuve nous parait bien faible d'autant plus 
que le même mémoire ajoute immédiatement : « Il 
est bien vrai que Renault qui vivait du temps de 
Lotaire, roi de France, s'explique ainsi dans l'his- 
toire des miracles du saint : Portus burgi obseratij 
claves in castrum meum aucludite, » Nous croyons 
donc que le château d« Saint-Valery existait avant 
l'avènement d'Hugues-Capet, et que le comte de 
Saint-Valery l'habitait, comme nous le verrons tout 
à l'heure, lors de la conquête de l'Angleterre par le 
duc de Normandie. 

Dans ce temps aussi, la ville de Saint- Valéry était 
à. peine formée. L'auteur du mémoire dont nous 
venons de parler, dit qu'en l'an 800, les maisons 
étaient bâties au lieu où fut depuis l'abbaye. « On 
ne seait, ajoute-t-il, si dans le siècle suivant, c'est-à- 
dire le neufvième, il y en avait un assemblage assès 
considérable pour former un village ou un bourg.» 



ET DO COMTÉ DE VIMEU. 53 

Dès le siècle suivant il parait que la ville était 
murée et qu'elle avait des portes. Des négociants 
avaient alors bâti des maisons et des magasins sur le 
bord de l'eau afin de pouvoir être à portée des na- 
vires qui y venaient décharger leurs marchandises * . 
Ce lieu était entouré de murailles; c'était ce qu'alors 
on appelait une ferté^ mot fait du latin firmUates, 
fermeté, d'où, par contraction, /!?rte\ nom qui resta 
à la partie de la ville qui se trouvait placée sur le 
bord du chenal de la Somme, à un endroit très pro- 
pice pour abriter les navires et y foire commodément 
les opérations de chargement et de déchargement. 
Le commerce, malgré les nombreuses entraves 
qui contrariaient sa marche et la gêne toujours 
croisante dés contributions et des péages, s'éta- 
blissait à Saint-Yalery et faisait arriver à son port 
les navires marchands des autres pays. Les habi- 
tants du Ponthieu, de la Champagne et de la Picardie 
étaient passionnés pour le luxe, pour la richesse des 
vêtements, pour la chasse; par le port de Saint- 
Valery, ils se procuraient des laines d'Espagne, des 
cuirs de Cordoue, des chiens de chasse d'Angle- 
terre, de la verroterie de Venise. L'Angleterre leur 
fournissait aussi du blé, des cuirs, du plomb, des 
métaux; on venait s'embarquer à Saint- Valéry pour 
l'Espagne, pour le Portugal, pour l'Angleterre et 
pour les Pays-Bas. La rade était des plus vastes et 

I Archives de la couronne^ carton 25. 



64 HISTOIRE DE SAOrr-VALEaiV 

des nûeoK abritées de la Manche. Saint-Valery était 
donc la localité la plus importante du Yimeu : ce 
devait être la capitale des seigneurs du pays. 

Au dirième siècle, dit Noël de la Morinière, le 
port de Saint-Yalery-sur-Somme était plus consi- 
dérable que ceux d'Ambleteuse, d'Etaples et de 
Tréporty qui se livraient à la pêche : le voisinage 
du Crotoy et d'Abbeville, et les facilités que don- 
nait la rivière de la Somme pour les transports 
des marchandises et denrées, y attiraient un grand 
commerce • . 

. La pêche avait été le premier pas vers Tindustrie 
de la navigation. Les bateaux pêcheurs, qui n'étaient 
d'abord que de simples barques ou caraques pour 
faire la pêche dans la rivière et dans la baie^ se 
transformèrent peu à peu en des embarcations d'un 
plus fort gabarit; les pêcheurs s'aventurèrent en 
dehors de la pointe du Hourdel, et ils eurent des 
bateaux de 4 5 à 20 tonnes, espèces de caravelles 
nommées htrondelUs. Quand venait la guerre, le 
seigneur ou le roi de France mettait en réquisition 
tous ces bateaux qui se trouvaient, par ce moyen, 
transformés en vaisseaux de guerre. C'est ainsi que 
Philippe-le-Bel put fournir .une flotte de 4,&00 
voiles qui sortirent de tous les ports depuis la Seine 
jusqu'à Calais. 

La pêche se fit en grand au port de Saint-Vatery, 



f Histoire' générale des pèches. Noël de la morimèkE) tome I, 
page 320. 



er DU COMTÉ DE y IMBU. SS 

ear les eaux de la Somme étaient, comme celles de 
la Manille 9 très poissonneuses. Les cétacés ise mon^ 
traient en vue des côt^ et entraient quelquefois 
dans la baie. Les plies, les anguilles, les maque- 
reaux se prenaient en abondance. C'est au dixième 
siècle que les marins de Saint^Valery commen* 
cèrent à faire la pêche du hareng. Des salines furent 
établies sur des terrains abandonnés par la mer 
entre Abbeville et Saint-Valery et entre Saint^Valery 
et Ault. On conserve encore la tradition de celles 
qui existaient à Saigneville et à Sallenelle, sur les 
terrains que la mer avait abandonnés et que )ps 
habitants endiguèrent pour y laisser déposier les 
eaux de la mer et en tirer du sel . Il y eut à. Saint- 
Valéry des ateliers de salaison . Nous verrons plus 
tard que les salaisons de Saint-Valery acquirent une 
grande réputaticHi. 

Saint-Valery était une résidence bien digne d'être 
la capitale du Vimeu . Les comtes le jugèrent aiiisi : 
il y avait d'ailleurs, dans le commerce qui se fai- 
sait par le port de Saint-Valery, matière à établir 
des droits très avantageux, et ils ne manquèrent 
pas d'en tirer parti. 

L'abbaye, depuis les derniers ravages des Nor- 
mands, avait été reconstruite dans des proportions 
plus grandes : des pèlerins y venaiait en grand 
nombre de toutes les parties du royaume, et les of- 
frandes qu'ils faisaient au tombeau du saint, enri- 
chissaient rabbayeainsiquebviUequieji dépendait. 



56 HISTOIRE DE SAlITr-YALERT 

Le château des comtes de Vimeu se dressait sur 
la crête de la falaise qui dominait l'entrée de la 
Somme. Tout navire qui abordait au port de Saint- 
Valéry y devait un droit au seigneur, qui se payait 
à l'intendant du château. Ce manoir était certes 
mieux placé que dans le fond du vallon de la Yismes; 
aussi dès cette époque , est-il plus souvent parlé des 
comtes de Saint-Valery que des comtes de Vimeu . 
On croit que ce fut vers l'an 825 qu'ils commen- 
cèrent à venir habiter cette résidence. 

Mais cette protection directe du seigneur n'était 
rien moins que vexatoire pour la population ; les 
redevances auxqu.elles elle obligeait, pesait sur les 
négociants qui, pour satisfaire à l'avidité et aux 
exigences' du maître, étaient souvent dans la dure 
nécessité de contracter des emprunts, en s'enga- 
géant, faute de remboursement, à rester esclaves du 
prêteur ou à lui laisser quelques membres de leur 
misérable famille. Poussés à bout par ces exactions 
de leur protecteur, les habitants se coalisèrent plu- 
sieurs fois pour résister à ces injustes et ruineuses 
exigences. 

Les comtes étendaient ainsi leur puissance et gé- 
néralisaient le vasselage en ruinant la classe des pro- 
priétaires allodiaux : chaque jour ils accaparaient 
quelque portion de territoire, soit au détriment de 
leurs vassaux, soit en les saisissant de vive force sur 
leurs voisins. 

Charlemagne ne vit point sans inquiétude le lorl 



BT DU GOMTÉ DE VIMBI}. 57 

que cette puissance des sei^eurs pouvait causer 
à rautorité souveraine. Il essaya d'y mettre un frein, 
et créa, pour cet effet, les ndssi daminici envoyés 
impériaux chargés de parcourir plusieurs fois par 
an la partie du territoire qui leur était confiée. 
Les pouvoirs des tnim dùminici étaient très éten- 
dus. Us faisaient annuellement le dénombrement 
des Casatij tant dans les bénéfices laïques que dans 
le monastère; ils nommaient, avec la participation 
du comte, les juges, les vidâmes, les prévôts, les 
avoués, les notaires, les échevins, et ils soumet- 
taient ces nominations à la sanction du peuple. 
Totius populi consensus Ils faisaient surveiller le 
seigneur et ses subordonnés, remplacer les juges 
vénaux et corrompus et maintenaient la discipline 
ecclésiastique ; ils faisaient poursuivre les voleurs, 
le& homicides, les adultères, les enchanteurs, les 
devins, les sacrilèges « afin, dit Baluze, qu'avec 
l'aide de Dieu, ces crimes disparussent de la chré- 
tienneté. » C'est ainsi que les missi dominici récla- 
maient du comte et des roturiers un serment de 
fidélité formulé en termes précis % ils entendaient 
les réclamations et étaient chargés d'y donner suite. 
Toutes les branches du service public se trouvèrent 
ainsi rattachées à l'autorité centrale. 

Cette institution éminemment sage et utile, de- 
vait rendre de grands services à la civilisation. Le 

1 CapiL de 929, 873. Baluze, tom I, coll. 467. 1216. 

2 Marculf. Livre 1 , formule 40. 



Ci& HUTOIEB DE «AlBrr-YAtBRY 

Vtmeu eut pour missî dominici Tévéque Paul, 
révéque HinneradyHerloinyHungarius^; puis sous 
les successeurs de Charlemagne, poursuivie par 
ceux qui profitaient des abu9, Tinstitution se perdit. 

La puissance des comtes du Yimeu s'était aussi 
accrue : au temps de Charlemagne, les terres de la 
seigneurie s'étendaient sur toute la rive gauche dé 
ia Somme et comprenaient les territoires de Cayeux, 
d*AuU, de Franleu jusqu'à Mons-Boubers; elles 
étaient placées sous les droits de haute justice de 
Tabbaye de Gori)ie; la moyenne et basse justice 
appartenait au marquis de Gamaches qui la faisait 
exercer par des officiers à sa nomination . 

Un grand nombre de fiefs dépendaient de cette 
seigneurie : les possesseurs devaient au seigneur 
rhommage de bouche et de main, fœdus ait et dex- 
trœ eopulanturj les bourgeois de la ville étaient 
tenus de lui donner annuellement un septier d'a- 
voine et un chapon . 

Hugnes-Capet qui eut, avant d'être roi de France, 
le titre de comte de Ponthieu, résida, dit-on, à 
Saint-Valery. On ne dit pas s'il eut le titre de sei- 
gneur de ce domaine; mais au temps du roi Lo- 

I Les envoyés du prince sous ]e titre de Mi$si dominici, institués 
par Louis I**) était une institution précieu^'e qui avoit pour objet de 
parcomrir les provinces, d> faire publier et exécuter les ordonnances, 
de recevoir les plaintes des opprimés, de mander les juges et d'y 
niamiAAT leur conduite, de punir les contes ou évéques. Les ACiast 
dominici tenoient leurs amies dans le Ponthieu 4 fois Tan, en jan- 
vier» avril, juillet et octobre. Tout le monde y avoit accès libre et 
facile. 



ET DU COMTÉ DE YIMBU. 59 

thaire, vers l'an 960, un comte Renault résidait à 
Saint-Valery et y exerçait Tautorité souveraine. 
Sa fille épousa Orland ou Orliac, Tun des fils de 
Guillaume P% comte de Ponthieu, qui fut seigneur 
de Saint-Valery, comte de Boulogne et vicomte du 
Viineu. Cette double qualification ferait supposer 
que le comte venant habiter Saint-Valery, avail 
institué au château de Vismes une lieutenance ou 
subdélégation 4ont il avait alors la gérance. Ce fut 
ce comte Orliac qui , est-il dit dans la vie de Burcard * , 
porta avec ce seigneur le corps de saint Valéry 
dans sa translation de Saint-Omer à Leuconaus. 

A Orliac succéda Guibert, surnommé l'avoué de 
Saint-Valery, qui épousa Papie, fille de Richard II, 
duc de Normandie. Orderic Vital dit qu'ils eurent 
deux fils, Bernard, qui succéda à son père dans la 
seigneurie de Saint-Valery et Richard % qui eut un 
fils nommé Guilbert et une fille nommée Ade'- 



1 Vie de Bouchard^ comte de Melun, Coll. Guizot. Tom VII, p. 20. 

2 HUt. eccl, nojrm. Orderic Vital. Liv. 6, page 9. 

3 Guilbert eut pour fils: Gautier ; Hugues qui fut moine, et Béa- 
trix. Gauthier eut quatre fils, Richard, Jourdain, Gaulier et Hélie. 
{Mém. pour l'hisL ecclésiastique et civile de Saint-Valery,) 



^ ■ ^ ■» 



Le seigneur de Saint- Valéry n'était pas sans im- 
portance : il était au nombre des cinquante neuf 
barons de TEmpire créés par Charlemagne. Ses pri- 
vilèges et prérogatives étaient très étendus. Entre 
autres il exerçait un droit de lagan sur tous les na- 
vires, marchandises et hommes que la tempête jetait 
sur les côtes de son domaine. 

La pratique de ce droit inique remontait aux 
temps lesplus barbare^ : les comtes de Saint-Valery, 
comme seigneurs et possesseurs des terres baignées 
par la mer, réclamaient tout ce que les marées dé- 
posaient sur rétendue de ce rivage maritime. En 
vertu de ce droit, ils confisquaient tous les navires 
que la tempête brisait sur leurs côtes et s'empa- 
raient de leurs débris ainsi que des marchandises 
dont ils étaient chargés. Cet acte de piraterie était, 
à cette époque, en quelque sorte le droit des gens 
de ceux qui habitaient le littoral des mers. Le comte 
de Ponthieu en usait ainsi sur toute l'étendue du 
rivage soumis à sa juridiction, et il n'abandonnait 



Si HlSTOnS DE SADfTHrALBRT 

le même droit aux seigneurs du Yimeu, qu'à la con- 
dition d'une remise sur les avantages qu'ils en re- 
tireraient. 

On comprend que lorsque aucune loi ne proté- 
geait les naufragés, les riverains encore sauvages 
trouvaient naturel de prendre ce que la tempête 
leur envoyait : c'était un don de Dieu, et il n'est 
pas encore loin de nous, le temps où les cotiers 
croyaient que le naufragé était un homme frappé 
par la colère céleste, qu'il était permis de mettre 
à mort pour offrir en holocauste à la justice 
divine. 

Les Romains avaient cependant fait des lois sé- 
vères pour empêcher le pillage des navires que la 
tempête jetait à la côte et, surtout, pour punir les 
gens qui allumaient sur le rivage des feux pour at- 
tirer les navires dans les écueils * . Mais l'invasion 
des barbares du Nord renversa ces sages institu- 
tions, et les seigneurs féodaux du Yimeu et de Saint- 
Valery usèrent largement de l'horrible coutume de 
massacrer les malheureux échappés au naufrage et 
de s'emparer des débris de leur fortune. 

C'est alors que s'organisa le honteux brigan- 
dage inscrit dans les lois anciennes sous le nom 
de droit de bris et de naufrage. Plus tard, mr les 
représentations des évêques, les seigneurs chan- 
gèrent cette barbarie en droits de congés ou brefe 
que tous navires naviguant sur leurs côtés étaient 
tenus de prendre d'eux, moyennant une rétribution 



ET DU COMTÉ HE ▼IMBU. 63 

prélevée stir les ebodes naufragées. Ce droit s'apt^ela 
bref de sauveté. 

Les comtes de Ponthien étaient très âpres à ht 

curée? des objets que là mer poutait déposer sur le 

rivage de leui* domaine. Lorsque le vent avait souf* 

fié avec violence en sDrulevant les flots de la mer^ 

ils faisaient explorel* avec attention les endroits pé- 

rillem sur lesquels ils pouvaient espérer de voir la 

tner apporter et brisel* une abondante moisson de 

navires richement chargés. C'est ainsi qu'un jour 

de l'an 1055, le comte Guy se trouvant à son châ* 

teau de Montreuil-sur-Mer, qui était alors la capitale 

du comté de Ponthleu, on vint lui faire part que des 

étrangers richements vêtus, venaient de prendre 

terre sur les côtes de sa domination. Guy monta 

aussitôt à cheval et se rendit, en toute hâte, sur le 

lieu du haiifrage où déjà les étrangers étaient retenus 

par ses gens. 

Lé naufragé était Harold, coifime de Kent, le 
pliis puissant seigneur de TAngleterrei qui, s'étant 
embarqué pour la Normandie, avait été assailli par 
des vents contraires et poussé par une bourrasque 
sur les €Ôtes maritimes du Ponthieti. Un prince 
était uhe trop bonne aubaine pour qu'on lui rendit 
la liberté sans conditions : le prince Harold fut em- 
mené prisonnier et son navire fut dépouillé de tout 
ce qu'il portait. 



I Ne piséatores iufnine oslento, fallanf navigantes, quasi in 
portum aiiqvem delatnri, ete, Sidonius appolinari^, liv. 8, épttre ^. 



64 HISTOIRE DE 8AINT-VALERY 

On a écrit à tort que ce naufrage avait eu lieu à 
la pointe du Hourdel, et que le prince Harold au- 
rait été enfermé à Saint-Yalery dans une tour du 
rivage. Cette tour aujourd'hui ruinée et que les 
gens du pays nomment la tour à rauts ou à ros, ce 
qui a donné à quelque savant l'idée de prononcer 
tour Harold j est nommée par Coquart tour à roc, 
parce qu'elle est fondée sur le roc de la grève, 
a C'est, dit-il, une grosse tour ronde qui faisait 
» partie de l'enceinte de la place. La plate-forme 
» de sa batterie est percée de quatre embrasures et 
» a sous elle un magasin pour les munitions de son 
» service-. Elle pouvait avoir une batterie supérieure 
» selon qu'on en peut juger par une galerie voûtée 
» que les ruines empêchent de bien reconnaître, 
» mais qui, suivant toute apparence, traversait le 
» rempart et communiquait aux ouvrages de la porte 
» d'Eu et peut-être au château ' . » 

Il est vraisemblable d'ailleurs que la tour à roc 
n'existait point à l'époque du naufrage d'Harold; 
le fait de cet emprisonnement à Saint-Yalery est 
inexact. L'échouement n'eut point lieu au Hourdel 
mais sur les bancs d'Auihie; Guy de Ponthieu qui 
habitait alors Montreuil, vint, en vertu du droit de 
lagauj s'emparer du naufragé et le conduisit pri- 
sonnier à Belrem, aujourd'hui Beaurain sur la Canche 
{Bélloramo). 



I Projet pour le rétablissement du port de Saint-Valery-sur- 
Somme. Bibliothèque de M. Poncet de la Grave. 17. suppl. 






ET DU COMTÉ DE VIMBU. 65 

Ce fait est constaté : Belrem est nominativement 
désigné sur un monument commémoratif décrit 
par M. Lancelot ^ . 

La copie de ce monument fut trouvée, dit Ber- 
nard de Montfauçon, dans ses Monuments de la mo- 
narchie française f parmi les papiers dé M. Foucaut, 
conseiller d'Etal, qui parait l'avoir recueillie à 
Caen. 

On lit ces vers dans les Mémoires de littérature : 

Guy garda Harold par grand cure 
Moult en creust mésavanture 
A Belrem le fit envoyer 
Pour faire le duc esloigner^. 

On lit, en outre, dans les fragments de Duchesne * 

Haroldus navem conscendit ut normanniam peterat; sed 
ttm^pestate ad oram morinarum ultra somonœ ostia coni' 
piUms est. 

C'est donc sur les bancs de l'Authie au-dessus de 
la Somme, que le comte Harold vint échouer, et ce 
fut à Beaurain (Bello ramo) qu'il fut emprisonné. 

Le voyage d'Harold avait pour objet une mission 
du roi d'Angleterre, Edouard le confesseur, auprès 
de Guillaume le bâtard % duc de Normandie, son 



1 Mémoires de lucad, des inscrip, Tom 5, page 759. 

2 Mémoire de littérature. Tom 8. 

3 Les contemporains ne donnent à Guillaume que le surnom de 
bâtard^ et il le prend lui-même dans quelques actes. On ne lui 
donna point, dans son temps, le nom de conquérant. Il est prouvé 
que dans le latin du temps, eonquestor ou conquisitor signifiaient 
l'homme qui acquiert, par opposition à l'homme qui hérite. 

5 



HIOTOIRE DE BAUnVYALERT 



paient ' . De sa .prison de Belrem» le comte Harold 
éerivit au duc pour lui faire part de ce qui venait 
de lui arriver et le prier de le réclamer auprès du 
comte de Ponthieu. C'eist ainsi cfu'il fut rendu à la 
liberté et qu'il parvint à Rouen but de son voyage. 
Il promit, dit-on, à Guillaume, de la part de son 
maître, la couronne d'Angleterre après sa mort. 
Harold retourna en Angleterre, mais, à la mort 
d'Edouard, se croyant à la tête d'un parti assez fort 
pour s'emparer du trône auquel il avajt lui-même 
quelques droits, il oublia les promesses faites au 
duc de Normandie et se fit proclamer roi d'Angle- 
terre. 

Guillaume, surpris et courroucé au-delà de toute 
mesure, prépara une expédition pour ehvahir TAn- 
gleteira et expulser Harold du trône. 

<t II fit publier son ban de guerre dans les con- 
» trées voisines, dit M. Thierry; il offrit une forte 
» solde et le pillage de l'Angleterre à tout homme 
» robuste et de haute taille qui voudrait se servir 
» de la lance, de l'épée et de l'arbalète. « 

Il n'en fallait pas d'avantage pour exciter la con- 
voitise de tous les seigneurs que les luttes et le bri- 
gandage avaient ruinés et qui espéraient reconqué- 
rir des terres. « Il en vint une multitude par toutes 

I Sduardui nimiruM prf^in^uo svi9 WilMmo dncé normano- 
rvm primo par Robértwm Ct^ntuari&mm wmmmuiti ponUftcêm^ 
poUeapêr eumdêm hêraîdum inOgram angliei re^ml mmndavrmt 
cancêssionnem ^i^umquê i:(meêdenMus mnglteU fùtrat Éolhm 
juris sui kerêdem. Orderic Vitale loin. 5, fuif « 4112. 



ET BV GOMTÉ DE VimSU. 67 

» les routes», de loin et de près^ du Nord et du 



» Midi • 



Le rendez-vous était à Tembouchure de la Dives, 
rivière de la basse Normandie qui se jette à la mer, 
entre la Seine et l'Orne. La flotte normande appa^ 
reilla par un léger vent d'Est; mats deux jours 
après, les vents étant tournés à l'Ouest et menaçant 
la tempête, elle dut chercher un refuge et ne put le 
trouver que dans la baie de Somme, à Saint-Valery, 
où le seigneur Bernard I"^, qui avait succédé à 
Guilbert, était parent de Guillaume par sa mère 
Papie. 

' Plusieurs des bâtiments normands étaient péris 
dans la traversée; d'autres n'arrivèrent à Saint- 
Vaiery qu'avec de grandes avaries ; il fallut les ré- 
parer et en équiper de nouveaux ce qui demanda 
du temps. Les vents étaient d'ailleurs passés au 
nord, circonstance qui rendait la sortie du port de 
Saint-Yalery très difficile. 

La baie de Somme avait alors encore subi une 
grande modification, depuis l'occupation des Ro^ 
mains. Le heurt de Gayeux s'était joint au rivage^ 
tant par l'exhaussement des alluvions que par led 
endiguementâ exécutés pour soustraire les terrains 
aux dâ>ordements de la mer. L'ancienne entrée de 
la Somme était restée isolée du courant qui Tali-* 
mentait et formait une vaste crique où se retiraient 

I Histoire de la conquête d'Angleterre par les Normands. 



68 HISTOIRE DE 8A1MT-VALERY 

les bateaux et qui, à cause de cela, était appelée 
hâble. 

Les galets qui n'étaient plus retenus à Ault par 
le passage des eaux de la Somme, s'étaient avancés 
dans la direction du nord abritant le heurt ou roc 
de Cayeux et arrachant ainsi à la mer une grande 
portion de terrain sur lequel les pêcheurs bâtirent 
leurs cabanes et qui fut appelée Cayeux. Je suis 
fondé à croire que ce nom de Cayeux vient de la 
nature du fond, base restée de la colline détruite 
qui rattachait le Cap -Cornu à la falaise d'Ault: 
ce n'est pas sans raison que les seigneurs du pays 
disaient pays et roc de Cayeux. La terre voisine, 
provenant d'un banc maritime, conserva néanmoins 
le nom de heurt on hurt et, comme les marées l'in- 
ondaient encore, on y établit des salines qui furent 
exploitées par les gens de Cayeux et de Saint-Valery . 

La pointe de galets prit de ce mot heurt j le nom 
de Heurdet ou Hourdetj comme l'appellent encore 
les marins, et dont nous avons fait Hourdel. Les 
plu^ anciennes cartes font figurer, à l'abri de cette 
pointe, une vaste anse servant de port et désignée 
longtemps après sous le nom de Vieux port. C'est 
dans cette anse, et â l'abri du Cap-Cornu, que dut 
s'assembler la plus grande partie des neuf cents 
navires à grandes voiles et lés milliers de bateaux 
de transport, li menus vaisselins^ comme l'a dit 
M. Augustin Thierry, qui formèrent la flotte dont 
nous venons de parler. 



i ET DU COMTÉ DE VIMBU. 69 

Robert Wace parle en ces termes de l'expédition 
de Guillaume : 

Mez ceu bî dire à mon père 
I Bien m'en souvient, mes vallet ère 

Quer sept cents nefs quatre mains furent 
Quant de Saint-Valery s'esmurent, 
Qae nefs, que batteaux, que esqueiz 
A porter armes et hemeiz '. 

* 

Bernard, premier du nom, qui était proche parent 
du duc de Normandie, et qui peut-être redoutait sa 
puissance, le reçut avec des protestations de dé- 
vouement. Le comte de Ponthieu qui ne voyait 
point sans une certaine inquiétude une semblable 
armée prendre terre sur son territoire, se montra 
aussi très officieux. L'un et l'autre s'empressèrent 
(de fournir à l'armée normande tout ce qui était 
nécessaire à son alimentation : tous les jours un 
certain nombre de gribanes arrivaient d'Abbeville 

• 

à Saint-Valery avec des vivres, pendant que des 
renforts d'hommes affluaient par toutes les routes. 
Un si bon ordre avait été établi parmi ce grand 
nombre de gens de guerre que le camp ressemblait 
plutôt à une ville policée qu'à un lieu destiné au 
bruit et au tumulte des armes. Chaque peuple oc- 
cupa la place qu'on lui avait marquée. Le comte de 
Ponthieu arriva le premier avec cinq cents hommes 
d'élite ; le comte Hugues^ général des Allemands, y 

I Boman de Jlou. 



70 BKIfOUIE PB aABflHrALUT 

mena troia imUe hommes choisis; AI«in de Bre- 
tagne, Bertrand de Dinan et Amaury, ^Qomt^ 4^ 
ThouarSy y conduisirent les troupes bretonnes et 
poitevines : sous eux étaient le vicomte de Léon, 
les seigneurs de Vitré, de Château^xiron, de Goel, 
de Lohéac ; les Angevins, les Flamands, les Man- 
ceaux, les Boulonnais que commandait leur comte, 
les Tourangeaux et les Nivernais vinrent successi- 
vement grossir l'armée du duc, qui comptait dans 
ses rangs plus de quatre mille gentils-hommes dé- 
voués à sa cause, et parmi eux plus de deux cents 
seigneurs des premières familles du royaume, tels 
que les comtes de Bayeux, de Mortain, de Beau- 
mont, de Montfort, de Tougues, d'Avranches, d'Es- 
touteville, de Senlis, de Jouy, de Longueville, d'Eu, 
de Goumay, de Harcourt, d'Evreux, d'Aumale et 
le vicomte de Coùtances, dont le grand âge était de 
près de quatre-vingts ans V 

Le comte de Saint-Valery voulut aussi y donner 
son contingent sous les ordres de ses deux fils, 
Gauthier et Renaut. Le roi de France fut le seul 
qui ne prit point de part à l'expédition parce qu'il 
entrevit que si Guillaume, son vassal, triomphait, 
il serait plus puissant que lui-même, dont il relevait 
pour le duché de Normandie ^ . Quant au pape, s'il 
n'y vint point en personne, il donna son concours 



1 Histoire de la marine. Bouvet de Gressé. 

2 Mémoire pour r histoire ecclésiastique et civile de SakU-Va 
lery-sur-Somme, 



BT BV COMTÉ DE ^IWU. 7^ 

à Texfiëditira en proûpntant à Tavance rescoMainu- 
nioation contre quiconque S'opposerait aua: préteo- 
tioDs du duc de Normandie. 

Toutles bâtimentscomposantla flotte étaimimouU- 
lœ près de Saint-Vàlery et n'attendaient, pour mettre 
à la veile^que le vent favorable. Trois forteresses de 
bois démontées furent embarquées sur les plus forts 
navires ; elles étaimt destinées à être montées sur le 
sol d'Angleterre, chacune pouvant eonta^ir dix mille 
hommes; elles devaient recevoir et mettre en sûreté 
les vivres et provisions pour six mois. 

Les troupes étaient campées dans un vaste camp 
tracé auprès de Saint-Yalery. Le duc en fit une re«* 
vue générale et il trouva soixante-sept mille com- 
battants sans compter deux cent mille valets, ou^ 
vriers, pourvoyeurs, etc., attachés à l'armée. 

Un historien raconte que le comte de Saint-Ya- 
lery demanda à Guillaume, pour toute récompense 
de l'assistance qu'il lui prêtait « l'accointance de 
» la plus gente puedle que là trouverait ^ . » 

Cependant les vents continuaient à soqffler de la 
partie du nord; les semaines s'écoulaient et \9k flotte 
était toujours retenue dans le port de SaintrYalery. 
La désorganisation ne tarda point à se mettre parmi 
un si grand nombre d'hommes désœuvrés et sans 
discipline; ils murmurèrent, plusieurs désertèrent : 
peu s'eh fallut que l'expédition projetée n'eut point 
lieu faute de soldats. 

I Illustration de la maUon de Gamaches , p. 1 9, cité6 par M. Darsy 



72 msfonuB m SAnnMrALBBT 

Cràt été on contre-temps fiicheiix pour les vues 
de Guillaume. Pour détourner ce malheur, il or- 
donna des prières publiques et les fit faire avec la 
plus grande cérémonie. L'abbé de Saint-Yalery, 
Guaton, fit promener dans tout le camp, le corps 
du saint patron exposé sur un drap d'or, et toute 
l'armée se jetant à genoux, invoqua les précieuses 
reliques pour obtenir un heureux succès de l'entre- 
prise. On 'était au mois de septembre; pendant la 
nuit du 28 au 29, les vents changèrent et la flotte 
put appareiller. Guy, comte de Ponthieu, voulut être 
de l'expédition et partit sur le vaisseau de Guillaume. 
On ne dit point que Bernard de Saint-Yalery partit 
aussi, mais ses deux fils Gauthier et Renaut accom- 
pagnèrent le duc et furent de ses plus fidèles ser- 
viteurs. 

« Quatre cents navires à grandes voiles, dit 
I» M. Thierry, et plus d'un millier de bateaux de 
» transport s'éloignèrent de la rive au même signal 
» le 29 septembre 1066. Le vaisseau de Guillaume 
» marchait en tête, portant au haut de son mât, la 
» bannière envoyée par le pape et une 'croix sur 
» son pavillon. Ses voiles étaient de diverses cou- 
» leurs et Ton y avait peint, en plusieurs endroits, 
» trois lions, enseigne* de Normandie; à la proue 
» était sculptée une figure d'enfant portant uii arc 
» tendu avec la flèche prête à parJir*T » 

I Histoire de la conquête d'Angleterre J^Jes Normands, par 
M. Aug. Thierry. ^^ 




- >v* 



»' 



l 

Ht DU COMTÉ Iffi VIMEU. 73 

i 

ce Spectacle! magnifique, dit M. Bouvet deCressé * , 
que nul expression ne peut rendre, et qu'il faut 
avoir vu pour s'en faire une idée. Onze cents em- 
barcations de tout rang couvrent la mer. » Cette flotte 
poussée par les vents du sud-est, aborda, sur la 
cote d'Angleterre, à Pevensey. Huit jours après, le 
bâtard avait conquis le trône d'Angleterre et tro- 
quait ce surnom contre celui de conquérant qui lui 
est resté . 

Le comte de Ponthieu et Gauthier, fils de Ber- 
nard, revinrent triomphants dans Teurs domaines. 
Le comte Bernard avait employé son temps à forti- 
fier ses châteaux :, on lui attribue la fondation de 
celui de Bernaville, auquel il donna son nom.. 

Pour récompenser Gauthier de l'assistance qu'il 
lui avait prêtée dans sa conquête de l'Angleterre, 
Guillaume le conquérant lui donna autre chose que 
la gente pucelte qu'il lui avait demandée : il eut le 
droit de porter dans ses armes deux léopards avec 
. cette devise : les deux sont égaux aux trois ^ . Quant 
à Renaut, frère de Gauthier, M. Darsy nous ap- 
prend qu'il reçut la terre de Sarum en Angleterre. 
Ses descendants, dit-il, existent encore à Oldsarum 
en Wittshire, sous le nom Waimaches ou Ghai- 
moches, autrefois barons et avoués de Malmesburg 
et de Wittshire. On sait qu'Henri H ajouta un troi- 
sième léopard aux armes d'Angleterre. 

1 Histoire de la marine^ I*' vol. page 185. 

2 Par Ternis Suppar, 



VI 



Les grands vassaux avaient acquis une puissance 
étendue : ils vivaient indép^iniants de la royauté qui, 
depuis Ghartemagne, n'était plus qu'un simulacre 
d'autorité. Le roi, isolé au milieu de ces superbes 
sujets, ne pouvait mênfô hasarder la moindre excur- 
aion hors de sa résidence, sanâ s'exposer à être 
attaqué et dépouillé. 

Les seigneurs, à l'exemple des grands vassaux, 
avaient toujours les armes à la main pour se faire 
la guerre et s'arracher une portion de territoire. 
La France entière était hérissée de châteaux forts, 
retraites qui étaient plutôt des cavernes de voleurs 
que des moyens de défense contre les ennemis du 
pays * . 

Robert Wace nous a donné un exemple de la vie 



I Antiquœ regum jptoeérumque Utduiiriay ad iutehm pairéaB 
et munimem civium contra hostes insurgentesy per loca opportua 
eonstfvi intttuit xâfflda eastellorum, qnm imdo ubiqne nfcrtun" 
lur in spectuncas latronum, ad perniciem populi et vastationes 
regUmum, (Mirac. S. Angilberti, acta Bened., sapc. IV, past. 1, 
p. 142.) 



76 HISTOIRE DE SAINT-VALERT 

des possesseurs de fiefs de cette époque, dans ces 
quelques vers : 

Li baronz s'entre guerroièrent. 
Li forz 11 fiëbles damagièrent. 
Chescun d'els, selunc sa richesse, 
Feseit chastels et forteresse. 
Par li chasteals sursirent les guerres, 
Et li destructions des terres, 
Granz medelées è granz Haenges, 
Granz pourprises è granz chalanges * . 

Au milieu de cette anarchie aristocratique, la con- 
dition des populations 'était bien précaire et bien 
misérable. Les seigneurs s'arrogeaient des droits 
onéreux et même odieux selon que leur caprice ou 
leurs passions le leur dictaient. C'était en vain que le 
malheureux arrosait les campagnes de ses Sueurs et 
de son sang : un caprice de son seigneur et maître 
venait détruire ses récoltes et lui ravir l'existence. 
C'est ainsi que, par leurs rapacités et leurs brigan- 
dages, ils dépouillèrent peu à peu le peuple de ses 
libertés et de ses privilèges.' Ce n'est pas tout. De 
nobles aventuriers apparaissaient fréquemment à la 
tête de bandes pillardes connues sous le nom d'é- 
corcheurs, de malandrins, de routiers, etc., ils pil- 
laient les campagnes et y promenaient le fer et le 
feu avec la plus inhumaine barbarie. 

Le Ponthieu et le Yimeu, aussi bien que les 

I Roman de Rou» Tôm 2, pages 1 et 5. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 77 

autres parties de la France, furent infestés de ces 
bandes qui se grossissaient par la misère des po« 
putations. Le clergé lança en vain des anathêmes 
contre ces bandes de pillards, elles ne respectaient 
rien et dévastaient aussi bien la chaumière du 
pauvre que les églises et les monastères. 

Tel était f état de notre malheureux pays lors- 
qu'un moine, Pierre Lhermite, d'Amiens, parcou- 
rut les campagne^, appelant les fidèles à la conquête 
de la Terre-Sainte. L'extérieur du missionnaire, qui 
était commissionné par le pape Urbain II ^ , n'était, 
dit-on, rien moins qu'imposant. C'était, disent les 
anciennes chroniques, un personnage statura pusil- 
lus; sed sermone et corde magntis. Il était petit, mal 
vêtu, sans chaussures, et n'avait, dans ses longs et 
pénibles voyages, qu'un âne pour monture. Néan- 
moins, à sa voix, les populations s'émurent; les sei*- 
gneurs, cessant de se faire la guerre, levèrent leurs 
hommes pour marcher avec eux en Terre-Sainte; 
les bandes pillardes se joignirent à eux dans l'espoir 
d'un plus riche butin; l'entraînement fut général 
et spontané : c'était un immense pèlerinage qui 
précipitait vers l'Asie les populations entières des 
chrétiens de l'Europe. 

On évalue à six cent mille le nombre des premiers 



I On conserve à la bibliothèque d'Amiens une superbe traduction 
sur vélin, de VHistoire des Croisades, de Guillaume de Tyr, par 
Pajon. Ce, manuscrit est orné de vignettes très-bien peintes, repré- 
sentant Pierre Lhermite aux pieds du pape Urbain 11^ le départ des 
chrétiens pour la Terre-Sainte, leurs exploits et leurs revers. 



78 HisToitiE m sAnrr-TALEftY 

ciH)iâés, sans compter les prétres> tes femmes H les 
enftints * . 

Le retidez-vouB en Picardie se fit en 1 096, sous 
les murs d'Abbeville. JRobert, duc de NoraiMdie^ 
Robert, comte de Flandres et Godefroy de Bouillon 
y vinrent .en personne avec des troupes considé- 
rables ^ . Robert de Normandie entratna à le suivre 
le sei^eur de Saint-Valery, Gauthier, qui avait 
succédé à son père, Bernard P^ Gauthier, accom- 
pagné de son fils Bernard, quitta ses domaines pour 
aller combattre sous les murs de Jérusalem. Après 
le siège de Nicée, l'armée chrétienne s'étant^parée 
pendant la nuit, Gauthier et son fils s'attachèrent 
aux pas de Boemond et se distinguèrent par leui^ 
bravoure. Orderic Vital parle des prouesses de 
Bernard qui, dit-il, monta le premier sur les inem^ 
parts de la ville sainte. 

Ce mouvemait d'rathousiame religieux avait eu 
des conséquences heureuses pour la civilisation. 
Philippe I^, roi de France, avait, par les conseils 
du sage Suger, affranchi les serfs de ses domaines: 
Les seigneurs,*déjà épuisés par le faste de leurcouf , 
1^ tournois et les combats qu'ils se livraient conti^ 
nuellement entre eux, suivirent Tèxemple de leur 
tt^f nfiA d'avdr de Target et de pouvoir fiiire par- 
tie de l'expédition de Palestine; ils vendirent aux 



1 Sex tenta milHa, prœter tléfieos^ muHeriBs et parvietùs, Bon* 
f ftr, page 562. 

2 Chron. de ifug«es de Fletary. GoU. Ouizolj terne 7, pages S5. 



Bt BI5 COMTÉ DE VlMEU. ?9 

eommttiies de leur dépendance le droit de s'admit- 
nistrer elles-mêmes : c'est de cette époque que datent 
les Chartres d'affranchissement. Le comte de Pon-* 
thieu, Guillaume de Talvas, l'accorda aux habitants 
d'Abbeville en 1 1 37, et le seigneur de Saint*Valery 
suivit son exemple. 

On ne dit pas si le seigneur Gauthier revint de 
Terre-Sainte. M. Lebœuf, dans son Histoire d'Eu, 
dit que Robert de Mowbray, comte de Northum- 
berland, mécontent de la manière dont le roi con^^ 
quérant avait récompensé ses services et voulant 
porter mt le trône d'Angleterre, Etienne, comte 
d'Aulàiale, trama une conspiration dans laquelle 
entt« Gauthier dé Saint-^Yaléry qui, jpour ce feit, fut 
pris et bruié par les Normands dans son château * . 

Ordelie Yita^ et lé père Ignace disent que Ber* 
nàrd 11^ fils de Gauthier, succéda à son père dans 
la seigneurie de Saint-Valery, et qu'à son retour 
de Palestine^ il établit hors des murs dé sa. ville de 
Saint-Valery un hospice dé lépreux, car beaucoup 
de ses hommes d'armes étaient revenus avec ce mal 
affreux. 

il pafalt qu'alors Saint-Valé)^ portait h nom de 
ville ; jusqtie là ce n'iiurait été qu'un bourg pirochè 
dé Tabbaye comme semblent le dire ces mots dé 
Renaut, avoué de Saint-Yalery : P^tus b^gi^obêè- 
fiite. Mais Mathieu Paris rapportant la destrucf&M de 

I La Ville d'Eu. Désiré Lebœuf, page 45. 



80 HISTOIRE DE SAUIT-YALERT 

la ville par le roi d'Angleterre, en 1 1 97, s'exprime 
ainsi : Villam combustit. Ainsi, Saint-Valery n'au- 
rait été que village ou.boui^ jusque vers la fin du 
XIP siècle, époque à laquelle il devint ville. 

La maladrerie des Lépreux fut établie entre la 
ville et la Ferté, au lieu où est aujourd'hui l'hospice. 
Aussitôt qu'un cas de lèpre était signalé, le malade 
était condamné au séquestre et livré aux prêtres : 
ceux-ci venaient s'en emparer avec les mêmes for- 
malités que s'il s'était agi d'enlever un mort; on 
l'entrait dans l'église en chantant les versets desti- 
nés aux enterrements; arrivé dans le chœur, on lui 
ôtait ses habits pour le revêtir, d'une robe noire, et 
il entendait la messe des morts entre deux tréteaux; 
les aspersions d'eau bénite ne lui étaient point épar- 
gnées. On le conduisait ensuite à la léproserie avec 
défense d'en sortir; tout était dit: bientôt une mort 
afTreuse terminait ses jours. 

Cependant les croisades, en dépit des excès aux- 
quels elles donnèrent lieu, eurent leur bon côté 
et d'immenses résultats pour la civilisation. Les 
seigneurs affaiblis par les dépenses qu'ils avaient 
dû faire, étaient domptés; la monarchie put s'éta- 
blir sur des bases plus solides. Les guerres de sei- 
gneur à seigneur devinrent moins fréquentes; le 
commerce s'établit avec quelque régularité entre 
les nations; le port de Saint-Yalery en profita; le 
bourg de la Ferté s'étendit, et les navires de tous les 
pays vinrent y aborder. 



ET DU COMTÉ DE YIMEU. 81 

Les améliorations obtenues dans les mœurs et 
dans la vie sociale furent si grandes et si sensibles 
que, dès le commencent du XII* siècle, un chro- 
niqueur disait : 

« Nous avons dépasse les anciens, et nos pères, 
que nous vantons outre mesure, ne valaient pas 
dans leur dos, autant que nous dans notre petit 
doigt * . 



I Et mUnuHssimun digitum nostrum, patrum quoi plus xquo 
extollimus^ nostrorum dorsis grossiorem reperirê poterHis. (6ni- 
berti, gesta dei^ BoBgars, page 470). 



6 



vil 



Les dévotions faites à l'abbaye de Samt-Valery 
profitaient aux abbés qui, loin d'imiter l'humilité et 
la pauvreté de leur fondateur, étaient devenus ex- 
trêmements riches et tout puissants : ils préten- 
daient être de fondation royale, et s'arrogeaient le 
pas sur les seigneurs de Saint-Valery, , qu.'ils qua- 
lifiaient avoués ou serviteurs de l'abbaye*. Leur 
pouvoir s'étendait à tout et leur voix soulevait ou 
appaisait les tempêtes, au gré de leurs caprices 
ou de leurs intérêts; de grandes immunités leurs 
étaient octroyées et, comme ils ne voulaient recon- 
naître aucune autorité supérieure, ils étaient plus 
maîtres que le souverain^. 

A l'abbé Raimbert avait succédé Restoulde, puis 
Foucard, de l'abbaye de Saint-Lucien de Beauvais; 
Adhelmus, moine de Saint-Vaast d'Arras, occupa 



1 Notes manuscrites de M. Devérité. 

2 L'Abbaye de Saini-Vatery était la plus ancienne de la province 
de Picardie; elle remontait selon quelques chroniqueurs, à l'an 611, 
et son premier abbé tui le saint qui lui légua son nom. 

H. DOSBTEL. 



Hl 

msnite le siège. Le peie Iguce, qui nous donne 
cède nomendatnre, n*y fait pas figura* Goaton, qui 
accompagna, en 1 059, Guy, comte de Ponthiai, au 
sacre du roi de France, Philippe V. 

Au temps du seigneur Bernard II, Théodin, 
moine de Saint -Dmis, était abbé de Saint- Yalen'. 
On lui attribue un écrit anonyme sur les discours 
et la vie du saint patron de cette abbaye. 

Lambert lui succéda. Les mœurs cléricales d'a- 
lors étaient très relâchées. On pouvait, sans doute, 
attribuer aux moines de l'abbaye de Saint-Yalery, 
ce que Févéque Flodoard dit des abbés en général : 
u Plusieurs chanoines, dit -il, recherchaient ces 
y> gains honteux, dont la cupidité temporelle est 
» avide; ils étaient brûlés des ardeurs de la luxure, 
» ils s'occupaient d'affaires séculières. On ne les 
» voyait ni donner aux autres l'exemple profitable 
» d'une charité fraternelle, ni plaire à Dieu ou aux 
» hommes par la chasteté. Ils ne s'assemblaient 
» point aux heures prescrite^ pour chanter des 
» psaumes et célébrer les offices ' . » 

En effet, les moines de Saint-Valery étaient 
tombés dans une grande dissolution de mœurs : 
ne voulant supporter aucun joug, leurs actes étaient 
non seulement vexatoires pour les populations, 
mais honteux pour le caractère clérical ; ils ne re- 
connaissaient aucune autorité, pas même celle de 

I Gallia Christiania, tom. I, app. page 6. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 85 

leur évêque, et leur désobéissance aux ordres su- 
périeurs fut plus d'une fois le sujet de réprimandes 
sévères dont ils ne tenaient pas compte. 

Un jour Geoffroy, évêque d'Amiens, faisant la 
tournée de son diocèse,- vint à Tabbayè de Saint- 
Valéry y consacrer quelques calices, y bénir quel- 
ques nappes, quelques ornements sacerdotaux pour 
des curés ou prêtres des campagnes voisines, qui ' 
l'en avaient prié. Les moines, humiliés qu'un évêque 
osât venir dans leur église avec l'autorité que lui 
donnait l'épiscopat, se récrièrent; appuyés par 
leur abbé Lambert, ils osèrent disputer ce droit au 
prélat, s'emportant et disant que jamais évêque 
n'avait fait chez eux de consécration. 

En vain Geoffroy, cherche-t-il "à les calmer, en 
vain sa voix pleine de douceur leur rappelle-t-elle 
qu'un évêque peut consacrer partout où il se trouve; 
rien ne peut retenir leur colère. Les moines l'ac- 
cablent d'injures, ils oublient, et ce qu'ils doivent 
au caractère sacré dont il est revêtu et ce qu'ils se 
doivent à eux-mêmes, à tel point que peu s'en fallut 
qu'ils ne portassent la main sur lui. 

Geoffroy ne passa point outre, dit un annaliste 
du temps, et, considérant que cette maison n'était 
plus d'ailleurs qu'une caverne de voleurs, il se retira 
sans bruit * . Rentré dans sa ville épiscopale, il as- 
semble son clergé, lui expose ce qui s'est passé et 

I Mémoires du clergé, Toin Ul, page 738 et loin VI, page 950. 



86 HISTOIRE INB SAIMT-YALBRY 

demande le rappel des moines à la diseipline de 
l'église. L'abbé est aussitôt mandé à Amiens, il 
arrive apportant avec lui de quoi séduire les juges. 
L'argent qu'il a destiné à cet acte d'iniquité est 
étalé devant les prêtres assemblés. A la vue de cet 
or, ce tribunal sacré ne fait pas difficulté de.vendre 
sa conscience; il cède, et bientôt il a la lâcheté de se 
déclarer contre son évéque. 

Geoffroy porte alors l'affaire devant l'archevêque 
de Reims, Manassès, légat né du saint siège; celui-là 
même qui disail : « l'archevêché de Reims serait une 
bonne place, s'il n'obUgeait à chanter la messe \ » 
Là de nouveaux scandales se renouvellent. On dis- 
tribue l'or à pleines mains ; on fait plus, on fabrique 
de faux titres; le 'i^nt évéque, cettb fois encore, est 
accablé d'injures. On allait prononcer contre lui, 
lorsqu'il demanda à voir les privilèges que les 
moines prétendaient avoir reçus du pape . Ils exhibent 
cette pièce; Geoffroy passant le coin de sa robe sur 
l'encre, fait voir qu'elle était nouvelle, que le par- 
chemin en était tout récent, que l'écriture n'était 
pas romaine non phis que le sceau, et^ la fraude 
ainsi découverte, il confond ses adversaires. 

Les moines ne se considérèrent point comme 
battus, ils en appelèrent au pape et distribuèrent 
de riches présents aiix officiers de la cour pontifi- 
cale, qui {MTomirent de défendre leur cause. Per- 

1 Hujus mores prorsus improbos^ et stupidissimos haàitus cum 
omniê honeslus horreret. (Gviberti abbaiis. Opéra, p. 467.) 



AT DU eomÉ 9B VIMBIJ. S/1 

suadés qu'ils la gagneraient, ils^ revinrent triom* 
phants à SaintrValery. C'est alors que parut la 
bulle pontificale de ii06, da^s laquelle Texcom- 
nHinication est fulniinée oo^re tout séculier, qui 
oserait attenter aux privilèges des monastères. 

Geofl&roy arrive après le départ des moines de 
Saint^Valery, fort de son droit seulement^ car il n'a 
rien à distribuer et de grandes charges s'élèvent con- 
tre lui. On raceuse d'avoir voulu opprimer les moi- 
nes. Le pape, Pascal II, prévenu d'avance^ refuse en 
quelque sorte de l'écouter; mais l'évêque s'exprime 
avee tant d'énergie et de dignité, que le jour de la 
justice arrive enfin « Le pape s'excuse de l'avoir 
d'abord si mal reçu; il admire sa sagesse et n'hésite 
point à confirmer les droits de l'évêché d'Amiens 
sur l'abbaye de Saint-Valery * . 

Ces faits ^ si communs à cette époque^ donnent une 
fâcheuse idée de l'esprit du clergé et surtout des 
abbés de Baint- Valéry, L'abondance des richesses 
tesavait eorroffîpus,et cette dépravation n'était point 
sans influence sur l'état où se trouvait la civilisa- 
tion. 

La corruption des clercs demandait une répres- 
sion sévère. Hildebrand, devenu Grégoire VII, s'en 
occupa sérieusement : il défendit aux moines le 
trafic et la vente des bénéfices, chassa du sanctuaire 
ceux qui n'étaient point dignes de l'approcher et 



I Les évégues d'Amiens, page 16. 



88 HISTOIRE DE SAINT-YALERY 

soumit les chapitres jà une vie régulière et cano- 
nique * . 

Le père Ignace nous donne une belle idée de 
Tabbaye de cette époque. L'église était admirable, 
dit-il, elle se composait d'une nef et de deux bas- 
côtés, unis entre eux par le rond-point du chœur ^. 
M. Désirée Lebœuf dit que, cette église, dans le 
même genre que celle d'Eu, était d'une svelte élé- 
gance, surtout à l'intérieur, admirable par la hau- 
teur des fenêtres, les arceaux, les colonettes et les 
croisillons. Il existait en outre une église dédiée à 
saint Josse et un beffroi que les dégradations de la 
mer firent tomber avec la falaise sur laquelle ils 
étaient construits ' . 

En 1165, les privilèges de l'abbaye de Saint- 
Yalery, comprenaient, d'après un acte du pape 
Alexandre, le comté de Yimeu, qui rentrait dans la 
possession territoriale des seigneurs de Saint-Yalery . 
Les abbésprétextaientaussi des droits sur les terrains 
du Marquenterre dûs à la retraite des eaux de la 



1 Concile de Labbe. Tom. IX, coll. 1099. — Ann, bened. Tom. V, 
append. 

2 L'église de cette abbaye passait pottr une des plus belles de 
France. Il ne reste que des ruines de ses bâtiments, qui avaient été 
reconstruits plusieurs fois et, en dernier lieu, dans un beau style 
ogival. H. DusETEL. 

Le cérémonial du monastère de Saint-Valery se trouve à la bi- 
bliothèque impériale, sous le titre de : Ceremoniale locale mohas- 
terii sancti Valerici supra mare. (Don Grenier, art. Leuconaus.) 

3 Titres de la fabrique. Manns. de M. Saumon. 

On veut parler ici de l'ancienne maison de ville. L'h6tel-de-ville 
étHnt trop près du rivage, a croulé dans la mer. H. Dusevel. 



ET DU COMTÉ DE YIHEII. 89 

mer et qu'ils avaient donnés à cens; mais cette pro- 
priété fut cause de différends qui survinrent plus 
tard entre eux et les comtes de Ponthieu. 

Bernard III, qui avait succédé à son père Ber- 
nard II, était alors possesseur de la seigneurie de 
Saiht-Valery. Il servit la cour de Henri II, roi d'An- 
gleterre, duc de Normandie, et fut par lui envoyé 
extraordinairement vers le pape * . 

La bonne entente ne régna pas toujours entre 
Bernard et son suzerain, Jean, comte de Ponthieu. 
Celui-ci, qui possédait la ville du Grotoy située sur 
la Somme à l'opposite de Saint-Valery, y avait fait 
bâtir une forteresse pour s'assurer un péage sur 
chaque navire qui entrerait dans la rivière. Bernard, 
qui prétendait avoir seul des droits à ce recouvre- 
ment, fit augmenter les fortifications de Saint-Va- 
lery. Depuis cette époque les deux forteresses sem- 
blèrent deux ennemis placés en face l'un de l'autre 
et se mesurant de l'œil: il en résulta, ainsi que nous 
le verrons bientôt, des luttes fâcheuses pour la 
prospérité du pays. 

Une autre circonstance vint augmenter ces causes 
de dissentiment. Le comte de Ponthieu ayant épousé 
en seconde noces Laure, fille de Bernard, il s'en 
sépara peu de temps après sous le prétexte qu'elle 
était parente avec Méhaux*, sa première femme, 

1 Mémoire pour l'hisê, ecclésiast. et civile de Saént-Valerjf. 

2 Panni les anciens seigneurs de Saint-Valery l'histoire cite Ber- 
nard. Sa fille, appelée Mehaux, fut mariée à un haut seigneur du 



90 HlSïTOttS 9E »àfNf-VALE»Y 

et il épousa Béatrix de Saint-Pol, fiUe d'AnselHie, 
de Camp-d' Avoine. Bernard, outré de colère, ne 
ménagea point ses reproches. Des injures on en 
vint aux voies de fait : c'est à qui des deux seigneurs 
entrerait sur les terres de son voisin pour y metti'e 
tout à feu et à sang. Tous les deux se jurèrent 
haine à mort, et la guerre féodale ensanglanta de 
nouveau les rives de la Somme. 

Le seigneur de Saint-Valery fut associé pour 
moitié à la seigneurie de Gamaches par un cheva- 
lier nommé Yaleran^qui la tenait en franc alleo^ et 
il retint de lui l'autre moitié en fief. Il prit dès lors 
le titre de seigneur de Saint-Valery, marquis de 
Gamaches, gouverneur du pays et roc de Cayeux*; 

pays de Gales, appelé Guillaume deBrayau^e et elle rendit d'im- 
portants services au roi, Jean d'Angleterre. Elle se vanta un jour 
au comte d'Aumale, son neveu, d'avoir tant de fromages que si cent 
des plus vighereux (vigoufenx) hommes d'Engleterre étoient as îé- 
gés en un cbasteau ils se pourroient défendre avec ces fromages plus 
d'un mois, pas si encore que tozjours trouvassent les fromages ap- 
pareillés por jetés hors. {Ristoire des dues de Normandie et des rois 
d Angleterre, etc., publiée par Francisque Michel. In-S**, Paris 1840, 

pages f i f et ♦ fî. (mte eommuniqu&e par m. », DUS^VEt. ) 

\ Ce mot roc de Cayeux semble confirmer notre opiAioft suv Fo- 
rigine du territoire de Gayeux; c'est-à-dire que le fond serait un roc 
calcaire, base du contrefort qui, dans des temps très reculée, devait 
rattacher la butte du Cap-Cornu aux falaises du boor^ d'AuH, en 
laissant une vallée depuis Ro^signy jusqu'à Onival. Un mémoire 
très ancien qui nous tombe sons la main, s'exprime ainsi : 

« Cayeux n'était autrefois qu'un roc contre lequel la mer venait 
se briser. A ce roc se sont attachées, par succession de temps, des 
terres que la mer y a apportées et en s'attachent an roe, eilea ont 
acquis de la solidité; elles étaient néanmoins demeurées cachées 
sous les eaux et ce n'a été que par l'industrie et les travaux des ha- 
bitantS) qu'ils parvinrent à l'affraBehir des mavées. » 

(Mémoire pour messire Louis Lemaitre^ prieur comvftandatmre 
du prieuré de Saint-Pierre-lès-Cayeux. ) 



BT DU COMTÉ BE TinU. 91 

puis en 1 096, il fit construire une forteresse à Ga- 
mâches, une autre à Cayeux et des châteaux à Ber* 
neuil et à Dômart. 

Le roi de France, Louis VII, vivement affecté 
des désordres qu'occasionnait cette mésintelligence 
entre les deux seigneurs, s'interposa pour y mettre 
un terme. Ainrès plusieurs tentatives sans succès, 
il obtint enfin que le différend serait terminé par 
le 'duel, dans la cour de l'abbaye de Corbîe et en 
présence de Tabbé Hugues !*'• Bernard, accompagné 
de ses champions et de ses avoués, partit de Saint- 
Valery avec un brillant cortège de chevaux armés 
de toutes pièges. Il arriva à Gorbie où vint aussi 
son adversaire décidé comme lui à vider la question 
par le sort des armes; mais, grâce à l'invervention 
de l'abbé et d'autres hommes prudents,- surtout de 
Thibaut, comte de Chartres, qui s'y trouva de la 
part du roi, le combat n'eut point Heu, et la ren- 
contre scella la réconciliation depuis Iknigtemps 
désirée par les populations à qui ces tuttes avaient 
coûté tant de sang. Par le traité qui fut passé séance 
tenante, la forteresse du Grotoy demeura au comte 
de Ponthieu, et Bernar& conserva ses châteaux de 
Domart, Bemeuil et Saint- Valéry. 

Bernard III, fut père de Bernard IV, qui, d'après 
les annales connues, lui succéda, et de Laure ou 
Laurette de Saint-Valery qui, ayant épousé en pre- 
mières noces, Jean, comte de Ponthieu, en fut ré- 
pudiée et épousa ensuite le célèbre Aléaume de 



92 HISTOIRE DE SAlirr-YALERY 

Fontaines, fondateur de Téglise de Longpré qui 
s'était illustré dans la Terre-Sainte*. GoUenot rap- 
porte à ce sujet un extrait d'un fabel manuscrit, 
tiré en 1749, de la bibliothèque du comte deVence. 

« Ansel de Gayeux ly voyant Âléaume de Fon- 
taines, en grands pourchats, lui dit : 

» Beau sire, serez pris aux tournois et pas 
d'armes pour bâtard et serez regîu'dé comme pré- 
lats et chanoines. Bombances, jeunes bachelettes, 
festins, bals et carrousels vous suffisent, non mie 
beaucoup faits d'armes chevaleresques. Pardieu, 
c'est à guerroyer Mahomet et Sarrasins qu'à telle 
enchaigne qu'à vous appartient. 

» — De par Saint- Vallery, dit Aléaume, je vais 
m'accoutrer et j'espère que vous me trouviez digne 
chevalier. » 

Alors Thomas de Saint-Vallery dit à sa fille 
Laurette : Vous voyez votre mari prendre le vol du 
jeune aigle sortant du nid, mais serait-il resté, si 
vous vous fussiez obstinée à le garder dans votre 
gyron^ ? 

1 Aléaume de Fontaioes resta en Orient avec les chevaliers laissés 
par Philippe-Angnste après son départ. En 1204, il rejoignit les 
croisés qui s'emparèrent de Constantinople Tannée suivante. Il avait 
fondé l'église collégiale de Longpré. Laurette de Saint- Valéry, sa 
femme, avait toutes les vertus des chevalierâ et la charité de son 
sexe. Un historien dit en parlant d'elle : Sicut animi virttUe non 
erat inferior viro^ sic barbato facie sdpsam exhibait virum. Elle 
avait appris la médecine pour secourir les pauvres. {Histoire d'Ab- 
bevtlle et du comté de Ponthieu. M. Louandre, tom I*', page f 39, 
note.) 

2 Recherches de M. Collenot père,— dans les notes manuscrites 
de M. De vérité. 



f 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 93 

Bernard mourut en 1 1 1 7, âgé de plus de 90 ans. 

M. Darsy, dans &on Histoire de Gamaches^ signale 
une lacune qui existe entre Bernard III et Bernard 
lY^ pareeque la date des événements qui s'accom- 
plirent du temps de ce dernier, sont trop éloignés 
de l'époque de la mort de Bernard III, et il suppose 
que Gauthier, fils et successeur de celui-ci, qui fit 
aussi le voyage de Terre-Sainte, dut être seigneur 
de Saint-Valery dans les premières années du xu* 
siècle. 



VIII 



Les dissentiments entre les seigneurs de Saint- 
Valéry et les comtes de Ponthieu leurs suzerains, 
ne pouvaient qu'être préjudiciables à Saint-Valery 
et au pays du Yimeu. La désolation et la stérilité 
éiaient dans les campagnes : la main de Dieu sem- 
blait s'être appesantie sur les peuples en punition 
des désordres de leurs maîtres. 

Nous avons vu que les rois de France intervinrent 
plusieurs fois pour ramener la paix entre ces petits 
tyrans haineux et implacables; mais la paix était de 
peu de durée : les querelles renaissaient soit à pro- 
pos d'une prârogative, soit au sujet des navires que 
les pilotes du comte de Ponthieu allaient devancer 
à la mer pour les conduire au port du Crotoy pré- 
fiérablement à celui de Saint-Valery. 

Bernard IV étant seigneur de Saint-Valery et 
Jean II étant encore comte de Ponthieu, des rela- 
tions de bon voisinage s'établirent entre le vassal 
et son suzerain. Philippe-Auguste était alors en 
guerre avec Henri II, roi d'Angleterre. Mathieu, 



96 HISTOIRE DE S^INT-VALERY 

comte de Boulogne, allié de celui-ci, fit prier 
Jean de Ponthieu de lui accorder l'autorisation de 
passer sur ses terres pour se rendre en Normandie 
au secours du roi Henri. Jean de Ponthieu s'y 
refusa, Mathieu, piqué de ce refus, pénétra de force 
dans le pays, passa la Somme au gué de Blanque- 
taque, et se porta sur le Vimeu, où il brûla plus de 
quarante villages. Bernard et Jean s'unirent pour 
le poursuivre, mais ils ne purent que constater les 
ravages qui venaient d'être causés, sans pouvoir 
rejoindre l'audacieux comte de Boulogne. 

Bernard était un homme de mérite et d'une 
grande piété, qui donna en maintes occasions des 
preuves de son humanité. Voulant cimenter les 
bons rapports qui existaient entre lui et le comte 
de Ponthieu, ils convinrent tous deux d'unir leurs 
enfants par les liens du mariage. Il fut convenu 
et écrit qu'Adèle, fille du comte de Ponthieu, épou- 
serait Renault, fils aîné de Bernard, et que si Re- 
nault venait à mourir il serait remplacé par Thonfôs 
son frère * . Renault étant mort en effet, Adèle de- 
vint femme de Thomas, alors seigneur de Domart. 

Les noces furent pompeuses. La fille du comte 
de Ponthieu, est-il dit dans V Histoire des Mayeurs 
d'Abbevilhy eut en dot une somme de 2,500 livres, 
somme énorme pour le temps. Elle lui apporta en 



I Si Renaldus defecerit, alter filius Bemardi qui hères ipsius 
fuerit filiam comitis habebit; similiter si filia comitis Edela de- 
feeerit aliam fLliam*.. RenaÙtus haberet débet» 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 97 

outre la terre de Saint-Aubin, près Dieppe, et 
celle de la Berquerie, en Flandre. Les cérémonies 
nuptiales se firent à Àbbeville, en 1178, en pré- 
sence de Guillaume de Champagne, archevêque de 
Reims, ce qui fut confirmé par Thiébaut, évêque 
d'Amiens *• 

Le mariage fut heureux, car les deux époux s'ai- 
maient. Ce fut à cette dame de Domart qu'arriva 
une aventure dont les romanciers et les dramaturges 
ont fait d'intéressantes narrations. Le théâtre en 
est placé à tort à Saint-Valery, car le fait se passa 
dans la forêt de Crecy et à Rue. Un Jour que les 
deux époux chevauchaient non loin de Domart, dans 
une vaste forêt, ils furent attaqués par des brigands, 
qui attachèrent le seigneur à un arbre et commirent 
en sa présence le plus grand des forfaits sur la per- 
sonne de sa femme. Peu de temps après, leurs gens 
vinrent les délivrer. Jean ayant appris cette aventure, 
et furieux de l'outrage fait à son sang, fit enfermer 
sa fille dans un tonneau qui fut abandonné à la 
mer. On dit que la malheureuse femme fut recueil- 
lie par un navire flamand qui la ramena à Rue. 

Le comte de Ponthieu eut grand regret de sa du- 
reté envers sa fille. On dit qu'elle le détermina à 
entreprendre le voyage de Terre-Sainte et que 
Bernard voulut le suivre dans cette expédition. 
Avant de partir, il fit toutes sortes de concessions 



2 Histoire d'Alençon. Bry de laClergerie, livre H, chap. f9. 

7 



t)8 mftTOlilE HE fiAJXr-VALBRY 

capaUas 4e lui rendre le ciel favorable. Eo 1484, 
il donnu une charte de commune à la ville d'Mbe- 
ville; Bemanl y assisU et »gna l'acte de conoessiou 
En 4 4 86| il signa encore, avec le comte de Ponthieu 
et les plu« vieux seigneurs du Yimeu, au procèa^ 
verbal de délimitation du comté d'Amiens, qu# le 
rpi Phili([)pe*-Augu6te venait de réunir à la cou- 

roQiie. 

Entre ceux qui reçurent des libéralités du comte 
Jean de Ponthieu, dit le Père Ignace» il n'y en eut 
point qui furent plus avantageusement partagés que 
les religieux Bénédictins de Saint-Valery, auxquels 
il donna tout le territoire de Saint-Quentin Jior$ 
merij ayant intention qu'ils prieront Dieu pour le 
nepos de son âme, de celle de Béatrix son épouse^ 
de ses fils, de ses filles et du roi I^ilippe-Auguste 
son seigneur, avec lequel il allait entreprendre ce 
long et pénible pèlerinage. De plus, il leur donna 
encore le droit qu'il avait sur les poissonl^ qu'on 
péchait dans la mer qui était de son territoire, à la 
condition de donner à chaque maître de bateau, 
ehaqw jour de pechei six pains de la valeur d'un 
denier de Ponthieu ^ . 

Une très kmable décision qu'il prit encore, de 
tçonœrt avec Bernard de Saint- Valéry, fut l'aboli- 
tion du cruel droit de lagan, qui consistait à piiler 



1 On parle sans doute ici de Saint-Quentin-en-Tourmont, dont les 
terrains commençaient à surgir de la mer. f. l. 

2 Misi^dns chronaiogique de9 Mayeun d'Aààevill€,^f^9ge T8. 



BT W €OMTÉ DE VUIKU. 99 

les cai^isoas des navires que la tempête jetait sur 
les rivages 4e leur domaine et de réduire les mal^ 
heureux naufragés* en esclavage. Philippe- Auguste 
et Guillaume, archevêque cie Reims, confirmèrent 
cet abolition. L'archevêque prononça même Tex* 
communication contre tous ceux qui enfreindraient 
la défiduse. 

Bernard fit aussi ses fondations : d'accord avec 
sa femme Annora, il foncto, en 1191, l'abbaye de 
Lieu-Dieu locus dd^ prèsGamaches \ et un chapitre 
de chanoines dans ce bourg ménoe. €omme il avait 
toujours vécu en bonne intelligence avec l'abbé de 
Saint^Valery, celui-ci, pour témoignage de la bonne 
estime qu'il faisait de sa personne, déclara qu'à l'a- 
venir il n'élèverait plus de réclamation auprès du 
comte de Ponthieu au sujet de la commune du Mar- 
quenterre. Avant de partir, il fit encore diverses 
donations,, et désirant suivre en tout l'exemple du 
comte Jean qu'il avait en grande estime, il laissa 
des biens con^érables à l'abbaye Saint-Acheul, 
près d'Amiens, afin que les moines priassent pour 
le salut des âmes de son père, de sa femme Annora, 
de Renault son fils, et de tous ses prédécesseurs. 

Jean de Ponthieu et Bernard de Saint-Valery par- 
tirent pour la Palestine accompagnés chacun d'un 
grand nombre de chevaliers, de varlets, et d'hommes 



I a«riuj-d de Saîni-Valery acbeU, en H9I, à Rogon f 20 journaux 
de terre pour y fbnder Vabbaye du Lieu-Dieu. (DeseH^Kon arèhëo- 
logique et hUtorique du canton de Gumaches.) 



100 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

d'armes. Us se joignirent à Sens au corps que Phi- 
lippe-Auguste et Henri II d'Angleterre y rassem- 
blaient, et toute l'armée s'embafqua à Fréjus. Ber-, 
nard se signala, dit-on, par des prodiges de valeur, 
lean de Ponthieu, atteint de la peste à Saint-Jean- 
d'Acre, mourut, Bernard, toujours fidèle dans son 
affection, rapporta son corps, qui fut inhumé à 
Saint-Josse-sur-Mer . 

Philippe-Auguste et Richard ne furent pas long- 
temps amis. Ils se désunirent et se firent la guerre. 
Bernard de Saint-Valery ayant pris le parti du roi 
de France, Richard lui en conserva un profond 
ressentiment et attendit les occasions de le lui faire 
sentir. 

A son retour, Bernard tranquille possesseur de 
ses domaines, s'occupa de réédifier les murailles 
de la ville, qui étaient depuis longtemps dans un 
piteux état de délabrement; il s'occupa aussi de 
l'abbaye, fit refaire la châsse du saint patron et y 
traça ces quatre vers en lettres gothiques : 

Abbas Bernardus pietas munere fultus 
Hune fruxit loculum, gemnis auroque décorum 
Ossa beata patris, in quo posuit Valarici 
Nomini ad laudem Ghristi per ssecla manentem. 

La vie de Bernard IV, dans ces temps de dé- 
sordres, de guerres et de rapines, mérite des éloges • 
on n'y trouve plus en effet que de belles actions dont 
l'histoire doit lui tenir compte. Il laissa trois en- 



' ET DU COMTÉ DE VIMEU. 101 

fants, Thomas qui lui succéda en 1200; Godefroy, 
tige dont sortirent les différentes branches de Ga- 

« 

mâches; Jean, seigneur de Rouvroy, dont descend 
l'illustre maison de Rouvroy-Saint-Simon . Jlenault, 
son fils aîné, était mort en bas4ge, et Bernard dit 
le Jeune j qui Tavait suivi en Palestine, mourut sous 
les murs de Saint-Jean-d'Acre. 

Après la mort de Bernard, la paix qui avait régné 
entre les comtes de Ponthieu et le seigneur de Saint- 
Valery, cessa; les désordres recommencèrent. 

Thomas, esprit inquiet et belliqueux, ne voulut 
point se soumettre à son beau-frère, son seigneur 
suzerain; la. guerre éclata entre eux, et Ton vit, 
dans ces malheureuses contrées, se renouveller les 
attaques à main armée, les ravages et les incendies 
qu'on avait vues aux temps de Bernard III et du 
comte Jean. Fort heureusement, la guerre qui s té- 
tait allumée entre Philippe - Auguste et Richard 
Cœur-de-Lion, fils du roi d'Angleterre, fut cause 
d'un rapprochement entre les deux seigneurs; la 
paix fut signée entre eux en 1 209, suivant un acte 
rapporté par Ducange en ces termes : 

« Moi, Thomas de Saint-Valery, je fais savoir à 
tous ceux qui verront cette charte, que j'ai fait la 
paix avec monseigneur, Guillaume, comte de Poa- 
ttiieu et de Montreuil, ainsi qu'il suit : Je le servirai 
comme mon seigneur, fidèlement comme je le dois; 
je ne tenterai contre lui aucune prise d'armes aussi 
longtemps qu'il respectera mon droit et celui des 



t02 msTomE ms SABrr-YALsuT 



iniens,et pour celaje loi donne des ôtage&^T'fejfÛMj.» 
Sotvent les noms des otages * . 

Un traité fait a Boobers, la m«''me année, enttt 
les mêmes seigneurs, pmte que Thomas de Saint- 
Val^ devra entretenir le port de cette ville dans 
l'état ou il se trouvait du temps de Bernard, son 
père', et il fut fait accord entre eux, dit le père 
Ignace, tmêchant Vabard des nomes à leurs ports et 
pasturages. 

Guillaume III, avait épousé Alix, sœur du roi 
Philippe- Auguste, qui avait eu en dot tout ce que 
le roi possédait à Saint-Valery et aux alentours, à 
l'exception delà régale de Vabbaye de Samt-Valertf, 
et Thomas, est-il dit dans les notes de M. Devérité, 
fait foy et hommage à son beau-frère, le comte de 
Ponthieu, de le servir contre tous, excq)té les rois 
de France et d'Angleterre, ses. cousins. Il lui dmma 
pour pleiges Guillaume, de Cayeux, et autres de ses 
vassaux. 

Thomas resta dès ce moment fidèle ami de Guil- 
laume. Les villes de la Somme étant devenues le 
théâtre de la guerre déclarée entre Philippe-Auguste 
et Richard, Guillaume de Ponthieu et Thomas de 
Saint-Valery, ^e concertèrent pour servir les intérêts 
du roi de^ France contre l'ennemi commun; ils in-: 
quiétèrent par de fréquentes attaques, les terres de 
Richard, en Normandie et mirent le siège dervant 

1 DHcange. Loc. cit, 332. 126. 

2 DQcange. Ex chartulario Pontivi. 



ET Mj cmftÈ Bfi mncr. iOS 



Aiiniate. Richard av^ti que le PontUefU était 
garni de troupes et qu'il y avait dans le port de 
Sain^^Vatery dei^ bâtiments chargés de blé et d'autres 
prcmsioAs, fit une descente sur la côte de Caycux, 
se ppéeiipita à l'improvistc sur la pkrcè de Saint-» 
Yaleiy, brûla tes navires, fit pendre les matelots et 
Hvra la ville au pillage. L'abbaye n'éâiappt menw 
point â sa furenr, il la dévasta entièrement et, après 
s'être emparé du corps de SaintrYalery, qui arrait 
été réintégré dans son tombeau par Hugues Capet^ 
il remporta dans son duché de N<»*mandie et le éé^ 
posa dan^ une église située proche de la mer, et qui, 
du nom de ces reliques, s'appela depuis Sainf-Yidery-' 
en^ux. 

Le roi Philippe-Augeste tint c<»mpte à Thomas 
des pertes qu'il avait éprouvées à cette occasicsi, et 
celui-ci reconnut tenir de lui en fief la seigneurie 
de Saint-Valery, Tavouerie des terres de l'abbaye, 
ainsi que les châteaux d'Aolt, de Domart et de Ber« 
naviHe. 

Mais la rivalité enb^e Richard et PhiKppe-Auguste 
n'était point terarinée; leurs dissentiments éclataient 
pfus violents. Richard détesté et méprisé de ses su* 
jets , s-'efforça de susciter à son rival des ennemis 
sur le Continent. Philippe vil se fermer contre lui 
une ligne redoutable; il appela à lui les milices des 
communes et Guiltaume comte de Pontbieu ne fut 
point le dernier à répondre à cet appel. 

A la nouvelle des luttes qui se préparaient avec 



104 HISTOIRE DE SADrT-VÀLERT 

rennemi de la France, Thomas assemble ses gens 
de Saint-Valery, de Gamaches et du Vimeu, au 
nombre de cinquante, tous braves, remplis de 
force, dit Guillaume le Breton, munis de bonnes 
armes, fidèles en toute chose à leur seigneur, qui 
avait pris soin de les choisir dans tout son peuple 
pour les associer à son expédition avec soixante 
chevaliers*. Cette petite troupe intrépide et vail- 
lante, commandant deux mille soldats, concourut 
puissamment au succès de la bataille qui fut li- 
vrée entre les Français et les Anglais aux champs 
de Bouvines. Le comte de Salisbury, à la tête de 
sept cents hommes, se trouvait au centre de l'armée 
ennemie qu'il électrisait par son courage; il tenait 
Taffaire en suspend. Thomas, de Saint-Valery l'a- 
perçoit; à la tête de sa vaillante troupe, il se lance 
sur l'audacieux Anglais et sur ses brabançons, les 
taille en pièce sans perte très grande des siens. 
« Chose étonnante, poursuit Guillaume le Breton, 
» lorsqu'après cette victoire, Thomas compta le 
» nombre des siens, il n'en trouvai de moins qu'un 
» seul, qu'on chercha aussitôt et qu'on trouva 
» parmi les morts. Il fut porté dans le camp du roi. 
» Dans l'espace de peu de jours, des médecins le 
» guérirent de ses blessure^ et le rendirent à la 
» santé*. » 
M. Lebœuf, cite à propos de cet acte de bravoure 

i Guillaume le Breton. Tom XII, page 341. 
2 Gesta Philippe'Augmte^ page 220. 



ET DU GOVrÉ DR VIMBU. 105 

de Thomas et des siens, les lignes suivantes dont 
il ne donne pas l'ori^ne : 

« Voici que vient Thomas de Saint- Valéry, le 
» noble héritier, maître de Gamaches, des villages 
» et de plusieurs corps de troupe qu'il a sous lui; 
» illustre par son pouvoir, plus illustre par sa nais- 
» sance. Il prépare cinquante chevaliers pour la 
» guerre, et je ne compte point ses deux mille sol- 
» dats, à l'âme intrépide et au bras vigoureux * . » 

De retour dans ses domaines, Thomas fonda la 
collégiale de Gamaches. Il y a apparence, dit le mé- 
moire manuscrit pour V Histoire de Saint-Valery y 
que ce fut lui qui bâtit le château de cette ville, 
assiégé pour la première fois en 1358. On peut 
lire dans Rigordus et dans Guillaume le Breton, les 
hauts faits de ce seigneur : ils l'appellent un cheva- 
lier noble, vaillant et puissant, recommandable par 
son courage et instruit dans les lettres. 

On ne dit pas où et quand il mourut. 

Sa fille nommée Aenor, épousa, vers l'an 1 207, 
Robert, surnommé Gastebled, comte de Dreux et 
de Montfort, qui descendait en droite ligne de la 
maison de France, par Robert, quatrième fils de 
Louis VII dit le Gros. Celui-ci adopta, dit M. Darsy, 



I Hinc sancti Thomas Galerki noMis hères Gamachus domi- 
nans, vicosquê etplurima sub se castra Tenens, clarus dominatu^ 
elarior ortu; quinquagenta parât équités in hella^ clientes mille 
MSf audaces animis et robore fortes 

La ville d'En. Désiré Lebœuf, page H 6. 

Gamaches et ses seigneurs. M. Darsy, page 60. 



i 



406 HisTom DB 8AiNT-¥ALnY src. 

les ârmes^ éê la dama Âgnèft de Bninéy aa fisuiat 
et elles restèrent celles de la fiimille : échiqueté d'or 
et d*a%ur, à Ul bordure de gueuler * . 

Qést ainsi que la seigneurie de Saint«*Val0ry 
paasa dans la maison de Drrax. 

1 Gamaches et ses seigneurs, M. Darsy, page 71. 



I 
4 



IX 



Par le marîi^e d'Aénor de Sainte Vakry aveo 
Roliert de Dreux^ la ville de Saint- Valary se trouva 
privée de ses comtes quî^ depuis plus, de trois 
sièck»^ habitaient son château. La ville avait gra»^ 
en impcHTtance et en étendue; son port qui était à 
cette époque un des meilleurs et des plus surs de 
ta Manche^ trafiquait avec toutes les contrées ma- 
ritimes : CN» y voyait aborder les navùres de toutes 
les parties du monde avee tesqudies on pouvait 
commercer * . C'était là qu'arrivmébt tous les vins 
du Poitou, tous les sels du Brouage^ toua lea cuivre» 
d'Angleterre. L'Espagne y envoyait ses laines^ la 
BoIIande ses fils de Un; tous les produits du Levant 
lui arrivaient par les Mvires de la l^dit^ranée- 
Une grande partie de oes marchandises étaient trans- 
bordées sur des gribannes ou sur des charrois qui 
lestransportÛMit dans ptoieurs viltea eut royaume . 
D'autres navires^ n'arrêtaient pas à Saînt^Valery el 

f En- H78, le vaisseau qui portait le chancelier d'Angleterre, 
périt à rentrée du y»H â» Saint Valeur. H. Oosbtii.. 



108 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

passaient outre pour monter à Abbeville. Dans ce 
cas, ceux-ci s'arrêtaient preférablement au château 
du Crotoy. C'est ce qui fut cause de fréquents dif- 
férents entre les comtes de Ponthieu et les seigneurs 
de Saint-Valery. Nous avons vu. que du temps de 
Bernard II, il en était résulté des conflits meur- 
triers, qui se reproduisirent encope sous la do- 
mination de Thomas de Saint- Valéry. Robert de 
Dreux, jaloux aussi de ce qu'il appelait ses droits, 
avait voulu établir un droit de travers sur les vais- 
seaux venant de la mer et passant à Saint- Valéry 
pour se rendre à Abbeville; mais le comte de Poin 
thieu s'y était obstinément refuse et Robert de 
Dreux avait été obUgé de s6 désister de ses pré- 
tentions \ 

Les habitants, qui avaient obtenu une charte de 
Guillaume III de Ponthieu, s'étaient constitués en 
commune. Entre autres redevances, ils devaient 
chaque an à leur seigneur un septier d'avoine pour 
son écurie et un chapon pour sa cuisine. 

Ils dépendaient, pour la justice, de l'archevêque 
de Reims ; ils étaient obligés de venir plaider à sa 
cour, sans doute, dit M. Louandre, comme vassaux 
de Robert de Dreux, vassal lui-même de l'arche- 
vêque. 

Si quelqu'un commettait un meurtre, ou une 
blessure avec effusion de sang, il était tenu de 

\ Histoire d* Abbeville. Louandre, tom I", page 313. 



ET DU COMTÉ DE YIMEU. 109 

payer soixante sous; mais pour toute blessure faite à 
sang courant, il était banni et sa maison était abattue. 

La nomination du maire se faisait parmi trois 
candidats que présentaient les capitaines d'es- 
couades et les chefs de métiers, au bailly du sei- 
gneur, à qui était délégué le droit de choisir et de 
nommer. 

D'après Ragueneau, les bourgeois de Saint-Va- 
lery étaient bourgeois fieffés, c'est-à-dire qu'ils 
tenaient leur maire et leur commune en fief de 
leur seigneur * . 

L'abbaye continuait de grandir en richesses. Les 
aumônes et les pèlerinages lui rapportaient con- 
sidérablement; elle avait en outre le cinquième 
denier sur les ventes et mutations d'immeubles qui 
se faisaient à Saint -Valéry ou ailleurs de leur 
dépendance. Entre autres droits, et ils étaient in- 
nombrables et incompréhensibles, les abbés avaient 
celui d'empêcher les nouveaux mariés de cohabiter 
ensemble. Plus tard cet abus cessa sur l'int^ren- 
tion de Jeanne de Dreux, comtesse de Saint- Valéry*. 

Les moines firent, vers cette époque, construire 
un moulin à eau contre la falaise de Moulenelle, sur 
un petit ruisseau, sans doute l'Amboise, qui se 
jetait en cet endroit dans la mer. Il était à l'usage 
de l'abbaye avec droit de bannalité. Plus tard, ils 
l'affermèrent 72 liv. par an. 

1 Glossaire du droit français. Tom I", page 180. ^ 

2 Trésor des chartes du roi. Histoire de Dreux. 



11B imuMiB M eàmiHrALRY 

C'est vers le nnême tempe qu'on rai^rte une 
dooetiiHi de seize joorneiix de terre avec un bo» 
eitié à II NeufvUle, faite pur Hugues de Fontaines 
é Tabbaye de Saint^Vaiery. 

Le bon accord ne régnait point toujours «ntn 
les deux pouvoirs civil et religieux. Les moines 
étaient peu admirateurs des droits conférés par ke 
chartes aux bourgeois, et ils saistasaient toutes les 
occasions de le leur faire smtir. Les bourgeois 
blessés de ce dédain et iiers des privilèges qu'ils 
considéraient comme légitimement acquis, ren«- 
daient aux moines le mépris dont ils les abreu- 
vaient : il résultait de cette disposition hostile dos 
esprits dans les deux ordres, une fermentation qui 
amaiait souvent des querelles et quelquefois des 
voies de &it. 

Pendant que Robert était seigneur de Sidnt«Va<- 
lery , ces querelles devinrent si fréquentes et si vives, 
que les moines ne sachant plus quels moyens em* 
ployer pour triompher de leurs adversaires, prirent 
le parti de les excommunier. Les bourgeois n'en 
ftnreait pas plus dociles ; ils se moquèrent des foudres 
ecclésiastiques, ce qui les fit suspecter d'avoir 
trempé dans les hérésies qui, à cette époque, avaient 
d^ji quelque retentissement dans les provinces du 
Nord. Un jour les bourgeois surexcités prirenjt le 
parti de ne plus laisser sortir les moines. Le mayeur, 
les échevins et les autres notables suivis de la po- 
pulation, cernent l'abbaye et leur coupent les vivres. 



BT DU OOMTÉ HE ¥imJ. Ifl 

Les reUgieux n'oot d'aatues resswroe que de sortir 
processionneUemeiit ésm h eroyaocd qu*ib eo iœ^ 
léseront à la multitude; msis ils sont assaillis à 
coups de bâton et de {Herre et obligéfi de sa ré* 
fogier dsms le prasbytàre de Téglise Saint^Martin^ 
où les lOfiûUHits les tiennent eacore cernés et privés 
46 vivres pendant plusieurs joyrs. 

Les religieux af&més et n'en pouvant plus, s'hu* 
miliefiit et demandent qu'on leur donne des vivrest 
les bourgeois n'en sont que plus acharnés : ils leurs 
font porter des ordures et amassent du bois pour, 
4iseot^lSi £iire rôtir les. moines* Le mayeur et son 
coiifieil formant alors avec le peuple une longue pro*: 
odssîonvfent plusieurs fois le tour de l'cglise et du 
presbytère en proférant de grands cris et aspergeant 
d'wm eau impure et maudite les lieux consacrés a% 
fmdateur de tentes ehàses et au collège des saints. 
Puis ils liraient les portes de Téglise et livrent aux 
flammes l'image de la Vierge et celle de saint Jean . 

L'bistoire ne dit pas comment les moines se ti^ 
rèrent de là; mais le pape Grégoire IX, informé de 
ces £adts, porta des plaintes au roi Saint-Louis ' , à 
Robert de Dreux, comte de Saint- Valéry et à l'ar- 
chevêque de Rouen. La bulle pontificale appelle 
uAe répression sévère contre les bourgeois^ las 
édievins et les mayeurs qui, sans respect pour 

1 Au ittois de juinet 123S, le pape écrivit à Saint-Louis pour Yen^ 
gager & venger les injures faites à Dieu, & la sainte Vierge et à 
l'abbaye de Saint-Valery, par le maire et 1e^ juréâ de cette ville. 
{Cabinet des Chartes, G. G. 847.) 



112 nSTOniB K SâllfT-TALBRT 

Vùrdre monastique^ ont osé se porter à des excès 
de la plus grande gravité. Robert, en sa qualité 
d'avoué, fut tenu de faire droit aux injonctions du 
souverain pontife'. Un conseil composé de l'ar- 
chevêque de Rouen, de Geofiroy, évêque de Beauvais 
et Thibaut, archidiacre d'Amiens, s'assembla et 
après la cause entendue, prononça contre les habi- 
tants de Saint- Valéry et les condamna en répara- 
tions et dommages intérêts et amendes pécuniaires. 
De plus Robert déclara la ville déchue du droit de 
commune. « L'abbé de Saint -Valéry, est-il dit 
dans cet acte de déchéance, a reçu du saint père le 
droit de juger et de punir la commune et ses offi- 
ciers. Robert est obligé de lui prêter assistance en 
sa qualité d'avoué; et, pour rendre impossible à 
l'avenir toute tentative des gens de la commune 
contre l'abbaye, il est décidé que le maire de Saint- 
Valery sera nommé par l'abbé, si toutefois l'abbé 
consent à ce qu'il y ait un maire, et en outre que 
la commune ne pourra prendre cloche au beffroi 
que sur les terres tenues en fief de l'abbaye. » 

Mais les moines, qui ne pouvaient vivre d'accwd 
avec l'autorité civile, ne conservaient même point la 
bonne intelligence entre eux. lisse livraient fréquem- 
ment à des actes de rébellion qui les déconsidéraient 
dans l'esprit de la bourgeoisie. Un jour raconte l'in- 
génieurCoquart, ils se rebellèrent contre leurabbé, le 

I J}on Grenier. 28« paquet, n* 2, 1234. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 143 

chassèrent du monastère et le conduisirent jus- 
qu'à un- carrefour où ils le maltraitèrent. L'autorité 
ecclésiastique sévit contre les plus mutins et obligea 
les autres à édifier sur le carrefour une croix de 
pierre qui porte encore le nom de Croix Vabbé * . 

Afin de donner plus d'autorité aux abbés, le pape 
Innocent IV^ permit , en 1246^ à Gelduin abbé de 
Saint-Valery et à ses successeurs, de porter mitre, 
anneau, dalmatique, sandales, gants et autres or- 
nements pontificaux, comme les évêques. 

Le comte Robert n'était pas souvent à Saint- 
Valery. Il s'allia avec le comté Guillaume de Pon- 
thieu et à son oncle Philippe, évêque de Beauvais, 
pour marcher contre les Albigeois hérétiques. A 
son retour, il vint cependant à Saint-Valery et ré^ 
glementa quelques affaires : entre autres, il stipula 
avec Guillaume que les vaisseaux de la mér, de 
quelque lieu qu'ils vinssent, pourraient, dans la 
baie de la Somme, librement accéder à quel port ils 
voudroient; que le seigneur de Saint-Valery ne lè- 
verait rien sur les marchandises qui seraient con- 
duites à sous-marées^ par terre, ou par la grève du 
Crotoy, vers le Ponthieu. 

Parmi les droits du seigneur, il y en avait d'ar- 
bitraires, mais il y en avait aussi de ridicules ou qui 
ne se rattachaient à aucune raison connue. Ainsi, en 
1219, Robert ordonna par lettres patentes, que 

4 Projet d*etablissement d'une retenue propre à débaucher le 
port de SaHit-Valery-tur-Somme^ Coquart. 

8 



i 



Ifi HlSTOni DB SAnrr*YALBBT BTC. 

toutei les fois qu'il séjouroerait i Dieppe, mi serait 
ténu dé lui faire crédit pendant quinze jours de dix 
livres monnaie usuelle * . 

Robert qui avait refusé de servir le roi d'Angle* 
terre dont il était le vassal, parce qu'il était Ten'^ 
nfmi de la France, perdit, par ce fait, toutes les 
seigneuries qu'il possédait en Angleterre du chef 
d'Aenor sa femme. Mais, en reconnaissance de sa 
fidélité, Saint-Louis lui donna, par lettres datées 
de Yemon, en juin 1227, d'autres terres en Nor* 
mandie ' . 

Aenor demeura héritière de sa maison. Outre la 
ville de Saint-Valery, elle avait apporté à son mari 
les seigneuries d'Ault, de Gamaches, de Bouin, de 
Domart, de Saint-Aubin, de Bernaville et d'autres 
belles terres. 

Robert mourut le 3 mars 1 233, laissant ses do* 
maines à son fils Jean, premier du nom, comte de 
Dreux. 

1 EkctclopiIdib. Crédit Droit de crédit. 

2 Gamaches et ses seigneurs. M. Darsy, pag« 72. 



X 



La ville de SainUValery, placée dans d'heureuses 
conditions de prospérité, avait à lutter contre deux 
puissances qui entravaient son essor. Le seigAeur 
y exerçait un pouvoir arbitraire qui nuisait à toutes 
les transactions commerciales; des droits énormes 
étaient imposés sur la navigation et le commerçant 
était en outre obligé de payer pour les marchan- 
dises qui entraient dans ses magasins. Ce n'était 
pas tout, l'abbaye venait ensuite réclamer sa part 
dans les redevances : le vin, la viande, le beurre, 
les toiles, toutes les denrées possibles devaient la 
dîme à l'abbé. A Saint-Valery, comme dans les 
autres ports de pêche, le pêcheur était tenu de payer 
par an une taxe en poissons et surtout en harengs 
frais et salés * . Les boulange: s qui cuisaient du 
pain biscuit pour les approvisionnements maritimes* 



1 Louis IX donna aux monastères du royaume jusqu'à 78,000 
hareng par année. 

2 Mebus, aquis^ armis IHscotopane meroque immuneras onerat 
naves. (Philippide, ch. IV.) Glossaibb db Ducangb, au mot pain. 



116 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

en devaient aux moines de Tâbbaye, qui les détrem- 
paient dans Teau chaude pour les amollir. Les 
moines s'enrichissaient; les biens de Tabbaye étaient 
immenses; mais les bourgeois étaient pauvres et 
traînaient péniblement leur exi stence sous les charges 
qui les accablaient. 

Les comtes de Dreux, qui possédaient la sei- 
gneurie de Saint-Valery, se succédaient sans qu'on 
les vit beaucoup à Saint- Valéry. Jean I*' qui avait 
succédé à son père Robert, en 1240, avait été placé 
pendant sa minorité, sous la tutelle d'Aenor sa 
mère. Lorsqu'il eut atteint sa majorité, il épousa 

Marie, fille d'Archambault VIII dit le Grande sire 
de Bourbon, sa parente au cinquième degré. 

M. Louandre dit que c'était un homme très 
lettré, qu'il composa des jeux partis ou débats en 
vers sur l'amour. Gomme les jongleurs et les trou- 
vères, il avait disputé la couronne au pays d'amour 
et il est qualifié li rois dans les manuscrits qui ren- 
ferment ses poésies V 

Jean confirma en février 1 246 tout ce que ses 
prédécesseurs avaient fait relativement aux droits 
de commune des villes et villages de ses domaines. 
Vers le même temps, comme il se trouvait à Saint- 
Valery, il s'enqûit de l'objet d'une contestation 
qu'il avait avec Marie, comtesse de Ponthieu, rela- 
tivement à la justice des villes d'Abbeville et de 



1 : 



t Histoire d'Abbeville. M. Louandre, tom I*'. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 11? 

Saint- Valéry. Ils convinrent unanimement de s- en 
rapporter à deux arbitres, Jean de Friaucourt et 
Jean de Toflet. L'histoire ne dit point comment la 
chose fut jugée. 

Jean ne vécut point longtemps après cette affaire, 
car il mourut en 1248. Son fils Robert IV lui suc- 
céda. On ne sait de celui-ci rien autre chose que 
son mariage avec Béatrix de Montfort TAmaury} 
c'est de son temps que le Ponthieu passa sous la 
domination anglaise, par le mariage d'Edouard r% 
roi d'Angleterre avec Eléonore de Ponthieu; il 
mourut en 1283. 

Son fils Jean II, surnommé le Bouy à cause de la 
douceur de son caractère, est plus connu. Celui-ci 
fit quelque bien à la ville de Saint- Valéry. Dévoué 
au service du roi de France, Philippe-le-Bel, dont 
il était le chambrier, il appela sa bienveillance sur 
cette ville qui fut gratifiée de quelques immunités 
et privilèges dont elle avait besoin pour tenir tête 
aux gens de Tabbaye. Cette sollicitude fut poussée 
si loin qu'elle lui fit renouveler la querelle de ses 
pères avec les comtes de Ponthieu : il plaida en 
1 306 devant le parlement de Paris pour que les 
navires à destination d'Abbeville fussent tenus de 
faire siège à Saint-Valery et d'y payer un droit; mais 
il fut débouté de sa demande par arrêt de cette 
date. Jean avait épousé Jeanne de Beaujeu et, en 
secondes noces. Péronnelle de Suilly, veuve de 
Geoffroy comte de Chatellerault; il mourut en 1 309, 



IIS HISTOIRE DE SAlirr-VALEftT 

laissant trois fils, Robert^ Jean et Pierre, qui se 
succédèrent dans la seigneurie de Saint-Valery. 

Rd)ert V parut peu à Saint-Valery : il y ftit ap- 
pelé au mois d'août 1310, pour régler un diffé- 
rend survenu, à cause de cette terre, eiitre lui et 
Edouard II roi d'Angleterre, qui avait pris posses- 
si<m du comté de Ponthieu comme successeur de 
sa mère Eléonore, morte en 1 290 . Dix ans après, il 
vendit à l'abbé et au couvent de Saint-Valery, tous 
les droits qu'il avait sur leurs hommes et tenants 
avec la haute justice et vicomte de la ville de War- 
meru {Woignarue)^ pour le prix de 3,280 livres 
parisis * . 

Robert avait épousé Marie, fille de Gauthier, sei'- 
gneur d'Enghien et d'Yolande de Flandres, à la- 
quelle il fit don du quint de ses terres situées à 
Saint-Valery, Ault, Gamaches, Domart et .Berna- 
ville, en stipulant que si elle mourait sans enfants 
soit de lui, soit d'autre mari après sa mort, le quint 
donné appartiendrait à Robert de Dreux, seigneur 
de Beu, son cousin ^ . 

Ces détails seraient étrangers à l'histoire de Saint- 
Valery, si les faits et gestes de ses seigneurs n'im- 
portaient pour l'explication des vicissitudes si fré- 
quentes qu'éprouva cette ville sous le régime féodal. 

Philippe de Valois étant monté sur le trône de 
France en 1328, avait sommé le roi d'Angleterre, 



1 Gamaches et ses seigneurs. M. Darsy, p. 85. 

2 Jd. p. 86. 



m DU GOHTÉ DE vimi}. 149 

Edouard III, qui lui avait disputé la couronne, 
de venir lui rradre hommage comme vassal pour 
le duché de Guyenne. Edouard avait ^ malgré 
lui, €b&r à cette injcmction de son suzenuii et avait 
prêté hommage, le 6 juin 4 329, dans la cathédrale 
d'Amiens. Mais furieux d'avoir courbé le ffm&a 
devant le roi de France et instigué par les ennemia 
de odni-K^i, il chercha les occasions de faire éclater 
son mécontentement et il s'occupa de l'aroieme^ 
d'une flotte considérable. Des matelots français s^é- 
tant pris d'injures avec des matelots anglais, des 
rixes sanglantes eurent lieu; c'était un prétexte; les 
deux rois se mêlèrent de la querelle qui, à la fin,, 
amena une rupture. Le roi d'Angleterre cité encore 
une fois au parlement de Caris pour la même cause» 
refusa d'y comparaître; PhiUppe de Valois déclara le 
duché confisqué. C'était le signal de la guerre; les 
Français ayant repris la Guyemne, le roi d'Angleterre 
dont les armements étaient prêts, fit voile pour les 
côtes de France; Philippe de Valois, pour lui montrer 
qu'il était aussi puissant que lui sur mer, avait aussi 
fait équiper une flotte de tou$ les navires qu'il avait 
pu trouver dans les ports de la Manche depuis la Seine 
jusqu'au Pas-de-Calais. La ville de Satnt-Valery y 
fournit trois cent seize hommes qui furent répartis 
sur quatre navires * . La flotte aux ordres de Hugues 



1 L«s quatre navires de Saint- Valéry étaient commandés par 
Jehan de la Gove, seigneur, et Jehan le Bruiant, maître, 79 hommes; 
parWitasse Doffeu, seigneur, et Guillaume Marchant, maUre> 79 



120 HISTOIM DB SàUIT-VALERT 

Qaierety amiral de France et de sir Nicolas Bebucbet, 
conseiller au roi, appareilla et rencontra celle d'An- 
gleteire en vue du port de TEcluse en Flandres. 
Elles se livrèrent un combat terrible dans laquelle 
les Français perdirent quatre-vingt-dix navires pris, 
brûlés ou coulés et de vingt-cinq à trente mille 
hommes de troupes. 

On ne dit pas qu'elle fut la part de Saint-Valery 
dans ces pertes et si ses quatre navires re* 
vinrent. 

L'art de la navigation avait, à cette époque, fait 
un grand pas : la fièvre des croisades en nécessi- 
tant l'embarquement d'un grand nombre de gens 
de guerre, avait porté Tattention aux constructions 
maritimes; les navires avaient pris un certain degré 
de force et de grandeur : généralement très longs, 
peu profonds, à fond plat, ils n'exigeaient qu'un 
faible tirant d'eau; ils n'avaient qu'un seul mât 
qu'on enlevait à volonté et ils se manœuvraient 
à la rame aussi bien qu'à la voile. Ainsi gréées 
ces immenses caraques pouvaient contenir jusqu'à 
quinze cents hommes armés. La flotte de Philippe de 
Valois, composée, dit-on, de plus de dix huit cents 
voiles, n'était sans doute qu'un assemblage de tous 
les navires employés pour le commerce et pour la 



hommes; par Gauthier Bruiant, seigneur, et Bertaut le Carpentier, 
maître, 99 hommes; par Jean Postel, seigneur, et Henri Postel, 
maître, 59 hommes. {Abrégé des Annales du commerce de mer 
d'Abbeville.pàTM.TT&uXïé.) 



ET DU COMTÉ DE VIMBD. 121 

pèche et que le propriétaire élait obligé de livrer 
pour le service du roi ' . 

A cette époque, le port de Saint-ValN>y se livrait 
à la pêche de l'anon et de l'anoncelle, nommés de- 
puis églefin*; l'esturgeon, le hareng, le cabillaud, 
la plie et le maquereau y faisaient aussi l'objet 
d'une pêche très abondante. Ces pêches se faisaient 
alors, au-delà du Pas-de-Calais sur lé dogger-banek. 
Les Anglais qui apportaient à Saint-Valery des 
métaux prenaient en échange des barils d'esturgeon 
salé*. 

La destruction de la [flotte française au combat 
naval de l'Ecluse, ouvrait à Edouard les portes de 
la France. Il put sans empêchement arriver sur les 
côtes de la Normandie avec une flotte de quatre 
vingts voiles portant des troupes de débarquement. 
La descente eut lieu en deux parties, à l'embou- 
chure de la Bresle, vers Mers et sous la falaise de 
Ménival. 

Les habitants d'Eu, dit M. Darsy, après avoir 
reçu la bénédiction de Jean deCherchemont, évêque 
d'Amiens, qui se trouvait alors dans leur ville, se 
joignirent à ceux du Tréport et de Mère et atta- 
quèrent l'ennemi assez vivement pour le forcer à 

I jDsqu'i la On du xn' siècle, la plupart dea vaisseaui dont en 
compDuit les Qotlei étaient ceni-li mêmeB dont le^ marchand!) se 
servaient pour lenr commerce et qai, changeant d'objet, chan~ 
geaient aussi de nom et s'appelaient Vaisneaax ds guerre. {BUloire 
de la milice fraitçaiie sur mer, par le pire Daniel, page 440.) 

% Glosiarium novuttt ad icriplores medil cevl. Ducange, V, S53. 

3 BIttoire féiUrale detpécAet. Nal de la HoriaUre. 



r 



ISS HI8TMIE K SAOlV-VALnT 

se renbtrquer après avoir perdu ufte quarantaine 
d'hommes. 

Il parait néanmoins qu'un parti d'Anglais avait 
pu pénétrer dan» l'intârieur ou bien qu'une autre 
descente eut lieu sur un autre point de la côte, car, 
incontinent après celte affaire, les Anglais se réftsm-» 
dirent dans les campagnes du Yimeu, brûlèrent 
quelques villages et se présentèrent devant la pkce 
de Saint-Valery dont ils ruinèrent les alentours et 
entre autres le moulin à eau du Molénel qui avait 
été jusqu'alors respecté, parcequ'il appartenait à 
l'abbaye. Les habitants firent bonne contenanee et 
forcèrent les assiégeants à se retirer, après leur 
avoir &it perdre beaucoup de mcmde; puis, pour se 
mettre à l'abri d'une nouvelle surprise, ils répa- 
rèrent leurs murailles et firent fortifier Gayeux et 
quelques autres points de la côte. En considération 
de cette belle défense et des pertes éprouvées par 
les habitants d^ns leur longue résistance, le roi 
Philippe leur octroya un impôt à prendre pendant 
trois ans^ sur tous les chargements de vin qui accé- 
derairat à leur port \ 

Bob^t y mourut en 1 329 et la seigneurie de 
Saint-Valery passa à son frère Jean III qui épousa 
Ide de Bosny après sa mort, en 1 331 ; cette dame 



I Pour Gonsidéralions est-il dit, dans lâs lettres du moBac4(ue, 
des grands pertes et dommages quels ont eu de leurs gens,. vais- 
seaux, denrées et marchandises et autres biens, tant en mer comme 
en terre, par nos ennemis. {Tiré (fes ordonnances des rois de 
France,) G. Dusevel. 



ET BU COMTÉ BE VIMEU. 423 

Ait eemtesse de Saint-Yalery , d' Ault et de Gamaches . 
Pierre de Dreux, frère de Jean, fut néanmoins con- 
sidéré comme seigneur de Saint-Yalery. Il avait 
épousé Isabeau de Melun; il mourut en 1345. 

Pendant ce temps, la guerre avec TAngleterre 
continuait et jetait la désolation dans le pays' de 
Vimeu et dans le commerce du port de Saint-Va- 
lery. En 1 346, Edouard III ayant fait en personne 
une descente sur les côtes de Cheii)Ourg, traversa 
toute la Normandie en la ravageant; il arriva ainsi 
dans le Vimeu, mais plutôt en fugitif qu'en vain- 
queur, car, acculé vers la mer et la Somme, il sen- 
tait derrière lui venir le roi Philippe de Valois 
avec des forces considérables. Après s'être ^[nparé 
d'Oisemont, il envoya plusieurs officiers recon* 
naître le pays. Godefroy d'Harcourt avec un grand 
nombre de gens d'armes et d'archers s'approcha des 
portes de Saint-Valery. La place était défendue par 
lé comte de Saint-Pol et Jean de Huy : ils accueil- 
lirent les Anglais par une nuée de flèches, et les 
assaillants, malgré leur nombre et leurs efforts, 
furent obligés de se retirer. 

Le lendemain, les Anglais conduits par un traitre 
nommé Gobin Agache, passaient k Somme au gué 
de Blanquetaque et allaient donner la funeste ba- 
taille de Grécy, qui ne fut perdue que par la trop 
grande impétuosité des Français. Les Anglais furent 
assiéger la place de Galais qui se défendit noble- 
ment. Les habitants du Ponthieu s'armèrent pour 



124 usTonB K SiUirrHrALBiT 

aller ao secours de cette ville : ramiral de France, 
Flolon de Bevel, équipa une flotte à Saint-Vakfy 
et donna Tordre aux négociants de la ville de lui 
fournir un certain mnnbre de navires, et, comme 
quelques-uns paraissaient hésiter à le faire, il les 
menaça de les faire arrêter et de saisir leurs biens. 
Ces actes d'autorité aii>itraire étairat positifs, 
les n^;ociants se soumirent; la flotte fut équi- 
pée et quitta le port dans les premiers jours de 
novembre 1 346; mais, ayant rencontré des forces 
supérieures avant d'arriver à Calais, elle fîit battue 
et ses débris vinrent se réfugier au Crotoy. 

Philippe de Valois mourut bientôt : son succes- 
seur, rinfortuné roi Jean qui lui succéda en 1 350, 
eut la douleur de voir les maux de. la France par- 
venus à leur comble. La bataille de Poitiers plus 
fatale encore que celle de Crécy, livra ce monarque 
aux Anglais. Le Dauphin qui depuis fut le sage 
Charles Y et fut nommé régent de France pendant 
la captivité de son père, se trouva dans l'obliga- 
tion d'appeler à son secours le roi de Navarre, qui, 
au lieu de lerprotéger, lui disputa bientôt le royaume 
et excita partout le peuple à la rébellion. Il eut des 
partisans en Picardie, mais ceux-ci ayant voulu s'em- 
parer d'Amiens, en furent repoussés avec perte, ainsi 
que plusieurs de leurs officiers. Les Navarrois 
commandés par Jean de Picquigny, se réfugièrent 
vers Saint-Valery dont ils parvinrent à s'emparer. 
Le roi de Navarre y mit pour capitaine, c'est-à-dire 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 1S5 

pour gouverneur, messire Guillaume de Bonne- 
mare et Jean de Seguere * . 

Le château de Saînt-Valery bâti par Thomas en 
1200, était, s'il faut s'en rapporter à Bellcforest, 
une forteresse de grande importance, qui mérita 
plus tard le nom de clé du Vimeu, Le mémoire ma- 
nuscrit pour VHistoire ecclésiastique et civile de 
Saint-Valéry j croit pouvoir conjecturer qu'alors la 
ville n'était point encore fermée de murailles et 
que Jean de Picquigny n'occupa que le château. 

« Les gens du roi de Navarre, prirent le chastel 
i> de Saint- Vallery, où ils eurent garnison de cinq 
» cents combattants qui courroient tout le pays, 
» jusqu'à Dieppe et environ Abbeville, selon la 
» marine jusqu'aux portes du Crotoy et de Mon- 
» treuil, sous le règne du roi Jean qui mourut en 
» 1364^ 

On sentit bientôt la nécessité de mettre un terme 
à tant de ravages, car le commerce du pays, et par- 
ticulièrement celui d' Abbeville, qui, au dire de 
Froissart, prenait à Saint- Valéry la plus grande 
partie de sa subsistance, en souffrit considérable- 
ment; le siège fut résolu. Morel de Tiennes et 
Gui de Saint«Pol, à la tête des milices de Lille, 
Arras, Douai, Béthune, Saint-Quentin, Péronne, 
Saint-Omer, Amiens, Rue, etc., formant en tout 
deux mille chevaux et douze mille hommes, se 

1 Histoire de France. Froissart. 

2 MéfnoirepourVHistoireecclésiastigueet civile de Saint-Valéry* 



1S6 HISTOIRE DB &U1IT-VALBRT 

réunirent et vinrent cerner la ville V On fit venir 
d'Abbeville et d'Amiens des machines de guerre 
qui jouèrent contre la place et causèrent de graves 
dommages aux assiégés, ceux-ci qui étaimt munis 
d'artillerie, canons et espingoles, répondirent par 
un feu bien nourri qui fit grand tort aux milices; 
selon Froissart, « il y en avoit de blessés et navrez, 
à la fois des uns et à la fois des autres. » Les 
Navarrois n'étaient guère plus que trois cent» dans 
la place, mais ils forçaient les habitants à combattre 
sous leurs ordres et multipliaient ainsi leurs moyens 
de défense. 

Les assiégeants renonçant à prendre la place de 
vive force, résolurent de la réduire par famine; ils 
en cernèrent les abords et coupèrent toutes les 
communications. Cela dura sept mois, depuis août 
1 358 jusqu'en mars 1 359. Cependant Jean de Pic- 
quigny parvint à faire savoir l'état des choses à 
Philippe de Navarre, frère de Charles-le-Mauvais; 
mais, n'en recevant point de réponse, il capitula à 
la condition que lui et les siens pourraient partir 
et aller quelque part qu'ils voudraient leurs vies 
sauves et sans nulle armure ^ . 

Les Navarrois sortirent de la place, mais à peine 
en étaient-ils éloignés de trois lieues,, qu'ils rencon- 



3 Le connétable de France, Morel de Fienne», assiégea Saint- 
Valer]f que détenaient les Anglais et où ils avaient brûlé l'abbaye, et 
les força à s'éloigner de cette ville. {Continuateur de Nangis^ tom 8, 
in-8>. Paris, 1843, page 282.) Note de M. Dusetsl. 

1 MémoirepourVHisUHrecivileetecclésiastiquedt Saint-Valéry, 



m DU COMTÉ BE VIMEU. 187 

trèrent Philippe de Navarre à la tête d'un corps 
considérable de troupes. Les Dauphinois, qui étaient 
entrés dans Saint- Valéry, s'y maintinrent malgré 
les elforts des Navarrois pour les en déloger. 

Gomme nous venons de le dire^ Isabeau de Melon, 
veuve de «Pierre de Dreux, était alors douairière de 
Saint-Valery; elle avait eu de son mariage Jeanne 
de Dreux, qui naquit à Gamaches en 4 345 et mou- 
rut Tannée suivante. La succession revenait à Jeanne 
de Dreux, sœur de son beau-père, Jean II, laquelle 
épousa Louis, vicomte de Thouars, à qui elle porta 
la Seigneurie de Saint-Valery. 

Le régent avait été peu satisfait du coup de main 
opéré par les Navarrois sur la place de Saint-Valery; 
il réprimanda la dame douairière de n'avoir pu 
la défendre, et,'pour la punir, il confisqua ce do- 
maine et le remit à Jean d'Artois, comte d'Eu, des- 
cendant de saint Louis, qui avait épousé Isabeau 
de Melun, veuve de Pierre. Il se présenta ensuite 
en armes devant la ville, sommant les habitants 
de lui ouvrir leurs portes. Une nouvelle lutte allait 
s'engager sous les murs de l'abbaye-, mais sur 
ces entrefaites, le traité de Brétigny ayant rendu à 
la France le roi Jean, qui était prisonnier des An- 
glais, cdui-ci fit remettre le château à Jean d'Artois, 
qui fut par ce fait seign^r de Saint-Valery. 

Jean d'Artois étant mort, la seigneurie fut 
donnée à Mademoiselle de Dreux, première du 
nom, sa fille, épouse de Simon de Thouars, fils 



128 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

de Louis et de Jeanne de Dreux, qui fut tué le pre- 
mier jour de ses noces, dans un tournoi à Eu, et 
pour le service duquel on affecta une rente de 
quatre-vingts livres sur la châtellenie de Saint- 
Yalery. Sa veuve ne se remaria point et fut appe- 
lée dame de Saint-Valery * . 

Ces changements de maîtres étaient peu favorables 
à cette malheureuse ville, car chaque nouveau sei- 
gneur venait avec de nouvelles exigences. Jeanne 
de Dreux, pour subvenir aux frais de son mariage, 
leva des subsides extraordinaires sur les habitants 
et envoya des officiers pour les percevoir; mais les 
Valeriens ayant demandé l'intervention des Amié- 
nois, ils en reçurent assistance et l'imposition en 
fut point payée ^. 

Jeanne, voulant à toute force se procurer de l'ar- 
gent, renouvela les prétentions des anciens seigneurs 
de Saint- Valéry au sujet dp droit de travers sur les 
bâtiments d'Abbeville, elle fit même arrêter Jehan 
de la Çapelle et Guillaume, marins d'Abbeville, re- 
fusans; mais elle échoua comme ses auteurs. 

Le traité de Bretigny donnait le comté de Pon- 
thieu aux Anglais, mais les habitants de ce pays 
avaient horreur du joug de l'étranger et ils aspi- 
raient l'occasion de le secouer. Edouard III ayant 
paru enfreindre les privilèges dont il avait juré 
la conservation, les Picards se mirent en rela- 

1 Dom Grenier, 16* paquet, n? 2. Leuconaus, 

2 Hist. d'Abbeville, M. Louândre, tom 1, page 193. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 129 

tions avec le roi de France, Charles Y. Hugues de 
Châtillon, grand maître des arbalétriers^ ayant, 
avec le secours des troupes municipales d'Abbeville, 
chassé les Anglais de cette ville, se présenta ensuite 
devant Saint-Yalery, dont les habitants s'empres- 
sèrent d'ouvrir les portes. Ceux-ci fournirent ensuite 
leur contingent pour aider à poursuivre les ennemis. 
On les joignit au Pont-Remy où ils furent taillés 
en pièce. Le fils du comte de Saint-Pol, comman- 
dant de Saint-Valery, mérita, dans cette rencontre, 
d'être fait chevalier sur le champ de bataille. Bien- 
tôt les Anglais n'eurent plus dans le Ponthieu que 
la forteresse du Crotoy où ils se tinrent enfermés. 

Pour remercier Dieu de ce succès, André, sire 
de Rambures, selon les titres de 1 366, fonda une 
chapelle dans le château de Saint-Valery et trois 
autres à Cambron. 

Mais les Anglais n'étaient point décidés à aban- 
donner ainsi ce pays. La garnison du Crotoy in- 
quiétait fréquemment Saint-Valery, sans cependant 
y causer grand dommage. En 1372, le duc de 
Lancastre reparut sur les côtes et opéra sa descente 
à Hautebut près d'Ault; il dépêcha Robert KnoUes 
au Crotoy avec un renfort de troupes, et, à la tête 
de quinze cents hommes, il se jeta dans le Vimeu, 
s'empara de Gamaches et du château deVismesetse 
présenta ensuite audacieusement devant la place de 
Saint-Valery * . La garnison était faible. Néanmoins, 

I Froiftsart. Tom I*% partie 2«, page 597. 

9 



130 HISTOIRE DE ftAnTNVALBRY BTG. 

confiante dans ses bonnes murailles, elle se détendit 
vaillamment et doubla ses forces en armant les ha* 
bitants de bonne volonté. Les Anglais voyant qu'ils 
perdaient du temps et qu'ils ne parviendaient point 
à réduire la place, levèrent le siège pour se porter 
vers Pont-Remy, où ils passèrent la Somme, 



XI 



Pendant ces luttes, où le Yimeu et la ville de 
Saint-Valery furent si fréquemment attaqués par les 
ennemis de la France, les Yaleriens se conduisirent 
si bien et donnèrent des preuves de tant de vail- 
lance et de patriotisme, qu'il y avait justice à les en 
récompenser. Jean d'Artois et Isabeau de Melun, 
son épouse, leur rendirent les droits dont les avait 
privés l'ordonnance de saint Louis après les dif- 
férends des officiers municipaux avec les moines 
de l'abbaye. Dans la charte qu'ils leur donnèrent 
en 1 376, il accorda échevinage, ban-cloque, pilori, 
scel et banlieue. Il est dit, en outre, dans ce titre, 
que les chevaliers qui se rendront à Saintr Valéry 
pour la guerre ou pour leur propres affaires, doivent 
payer leurs dépenses aux bourgeois, et en outre 
que tout chevalier débiteur d'un juré, qui vient 
à cheval dans la ville, ne peut être arrêté à cause 
de sa dette, aussi longtemps qu'il reste en selle; 
mais, s'il met pied à terre, le juré peut saisir son 
cheval et le v^dre pour se payer de sa créance. 



132 HISTOIRE DE SàlKT-VALERT 

Hommage bizarre rendu par la pédaille des com- 
munes aux habitudes de la chevalerie * . 
La même charte porte en outre : 

Toute blessure avec effusion de sang, toute me- 

■ 

nace de Tépée ou du couteau font perdre soixante 
sous. 

La tranquille possession des maisons est garantie 
aux habitants. 

Le maire peut recevoir qui bon lui semble dans 
la commune sans le consentement du bailly. 

Les bourgeois ne paieront aucun droit pour les 
denrées à leur usage consommées dans la ville. 

Les calomnies, les paroles injurieuses contre les 
officiers municipaux seront punies de deux sous six 
deniers d'amende, 

Le sire de Saint- Valéry a le droit de prendre un 
pot de bière sur chaque tonneau ^. 

Les guerres avec TAngleterre avaient anéanti le 
commerce de Saint- Valéry, qui se faisait principa- 
lement par mer. Entre autres denrées d'exporta- 
tion, on chargeait beaucoup de blé à Saint- Valéry. 
M. Louandre nous dit, dans son Histoire d^Àbbevillej 
que Guillaume duc de Bavière ayant un jour fait 
conduire au port de Saint- Valéry cinq cents muids 
de blé que des marchands hollandais avaient acheté 
à Abbeville, huit cents bourgeois eu armes se ren- 
dent aussitôt à Saint- Valéry, s'emparent du blé 

1 Histoire d'Abbeville. M. Louandre. Tome I, page 103. 

2 Dom Grenier, 16* paquet, n* 2. Leuconaus: 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 133 

qu'ils revendent, avec Tautorisation du maire, ^ux 
habitants et appliquent au besoin de la commune 
d'Abbeville le montant de la vente. Un procès s'en- 
gagea entre les marchands et les Abbevillois, dit 
M. Louandre, mais les marchands perdirent leur 
cause. 

L'autorité des seigneurs de Saint- Valéry s'était 
beaucoup affaiblie depuis qu'Aenor avait porté ce 
domaine dahs la maison de Dreux. A la mort de 
Jean d'Artois en 1 400, Saint- Valéry passa* à son 
neveu Charles d'Artois et ensuite à Bonne d'Artois 
sœur de Charles, laquelle, par son mariage en 1 41 3 
avec Philippe de Bourgogne, comte de Nevers, fit 
passer la seigneurie de Saint-Valery dans la maison 
royale de Bourgogne. 

Mais les maux éprouvés par la ville de Saint- 
Valery n'étaient point finis; les Anglais qui se main- 
tenaient dans la forteresse du Crotoy, continuaient 
à faire grand tort à la ville et à son commerce ainsi 
qu'à la culture des terres. Cet état de choses durait 
déjà depuis neuf ans; Duguesclin était apparu un 
instant dans le Vimeu où sa présence eût fait changer 
la face des événements s'il y fut resté; mais rappelé 
en Guyenne, où il y avait de grandes luttes avec les 
Anglais, il quitta le pays et se retira par Gamaches. 

Jean d'Artois était alors encore seigneur de Saint- 
Valery et il n'avait rien négligé pour maintenir la 
place en état de défense. C'est de cette époque que 
date la confirmation qu'il fit de la charte donnée aux 



134 HlSTCflRB DE ftAmT-VALBRY 

habitants d*Ault en 1340, par Mathieu de Trie, 
seigneur de Gayeux. 

Les plaintes des habitants du pays éveillèrent 
l'attention du roi Charles VI; il envoya des troupes 
dans le Ponthieu avec la mission de se rendre 
maîtres de la forteresse du Crotoy. La milice de 
Saint* Valéry et celle d*Abbeville se joignirent en 
1 385 i ces forces militaires: on eerna les Anglais 
et on les obligea par la famine, de rendre la place. 

Mais Henri V en montant sur le trône, fut pris 
d'une velléité de suivre l'exemple de son père; il 
partit avec une armée et débarqua à Criel en Nor- 
mandie, le 27 septembre 1413; quelques jours 
après, il passa la Bresle à Gousseauville près de 
Gamaches et vint coucher à Bailleul en Vimeu. Tout 
le pays fut dans la consternation. Les Anglais ra- 
vagèrent les campagnes et les mirent à contribu- 
tion, puis ils se dirigèrent sur Saint-Valery dont 
ils s'emparèrent, ce qui doit nous faire supposer 
que l'état des fortifications était alors bien au-dessous 
de ce qu'en avait fait le seigneur Thomas. 

Les Anglais laissèrent une garnison dans la ville; 
puis ils marchèrent sur Boismont dans l'intention 
de passer au gué de Blanquetaque. Mais le passage 
étant gardé, ils durent remonter la Somme pour 
chercher un passage plus facile. L'armée française, 
qui était à leur poursuite, les joignit à Azincourt 
où les mêmes fautes qu'on avait commises à Grécy 
eurent des résultats aussi funestes. 



BT DU COMTÉ DE VllIEU. 135 

Pour comble de calamités, la haine des maisons 
d'Orléans et de Bourgogne divisait les forces de la 
France. L'assassinat de Jean-sans-Peur, duc de 
Bourgogne, par les partisans du Dauphin, alluma 
la guerre civile. Philippe*le-Bon, fils de la victime» 
prit les armes pour venger la mort de son père et 
reconnut Henri Y, roi d'Angleterre, pour régent et 
héritier de la couronne de France. 

Dans cette fatale division, la ville de Saint-Valery, 
occupée déjà par les Anglais, reçut en outrç un parti 
de Bourguignons. Jacques d'Harcourt qui comman* 
dait au Grotoy, se rangea sous les drapeaux du Dau- 
phin, et se mit à guerroyer avec avantage contre 
les Anglo-Bourguignons; il appela à lui les parti- 
sans du Dauphin. La Hire, Quieret, Saveuse, Poton 
de Xaintrailles, Rambures et Louis de Gaucourt 
répondirent à son appel. Xaintrailles se dirigea sur 
Saint-Valery qu'il eut L'honneur d'enlever aux An- 
glais malgré leur vive résistance. 

Ce fut alors dans le Ponthieu, et surtout dans le 
Vimeu, une lutte à outrance entre les Dauphinois et 
les Anglo-Bourguignons. Les Anglais, qui étaient 
retranchés à Eu et à Monchaux, infestaient le Vimeu 
et faisaient des courses fréquentes en vue d'inquié- 
ter la place de Saint-Valery; mais, un beau jour, 
la garnison de Gamaches ayant reçu un renfort de 
Compiègne, tomba à l'improviste sur les Anglais et 
leur tua sept cents hommes. Sur ces entrefoiles, 
Henri Y étant débarqué à Calais, se joignit au duc 



436 unonB k &àiiiiHrALBftT 

de Bourgogne : pendant trois ans la contrée fut 
ravagée par Tun et l*aotre parti; Saint-Valery ne 
fut (dus que ruines. 

Une bataille décisive était imminente pour faire 
cesser ces alternatives désastreuses. Philippe de 
Boui^ogne sachant que les Dauphinois le cher- 
chaient pour le combattre, partit de Saint-Riquier 
le pénulHème jour d'aaûtt et se dirigea par Âbbe- 
ville vers Oisemont. Le» Dauphinois avaient pro- 
jeté de passer le gué de Blanquetaque pour se 
joindre à Jacques d'Harcourt du Crotoy; mais lors- 
qu'ils y arrivèrent, la marée étant montée, ils ne 
purent effectuer le passage et durent rebrousser 
chemin vers Mons-Boubers, où ils se rencontrèrent 
avec Tavant-garde du duc de Boui^ogne. 

La bataille fiit décidée, dit Monstrelet, « ils 
créèrent plusieurs chevaliers; le duc étant arrivé, 
ils mirent tous les mieux armés et mieux montés au 
milieu de la bataille et se polvoient trouver de quinze 
à seize cents lances. » Le duc fit mettre ses gens en 
ordre et reçut le choc des Dauphinois, qui d'abord 
rompirent ses rangs et passèrent outre; mais ils se 
trouvèrent en présence des corps de réserve comman- 
dés par le seigneur de Saveuse et le bâtard de Coussy 
qui, se tenant fermes, mirent le désarroi parmi les 
assaillants auxquels les archers ne faisaient pas 
grâce aussitôt qu'ils les voyaient tomber à terre. 

La déroute se mit parmi les Dauphinois, ils 
fuirent de tous les côtés et les Bourguignons se 



ET DU COMTÉ DE VIMBU. 43? 

mettant à leur poursuite, en tuèrent un grand 
nombre et firent beaucoup de prisonniers. Le duc 
de Bourgogne prit de sa main deux nobles cheva- 
liers, ce La bataille fut bien combattue, dit Mons- 
trelet, mais Thoimeur et. victoire en demeura au 
duc. » Il resta de six à sept cents hommes sur le 
champ de bataille. Après quoi le duc de Bourgogne 
retourna à Abbeville; un grand nombre de Dau- 
phinois fugitifs avait trouvé à entrer à Saint- 
Valéry et à s'y maintenir. Jacques d'Harcourt qui 
s'était avancé de ce côté à la tête de six à sept cents 
hommes, fut rencontré par un parti Anglais qui le 
battit et faillit le faire prisonnier. Le comte de 
Warvick, qui commandait les Anglais, s'empara 
ensuite de Gamaches et mit ainsi les alentours de 
Saint- Valéry au pouvoir des ennemis. 

La garnison de Saint- Valéry était composée de 
la cavalerie de Picardie et de partie des soldats 
échappés au désastre de Mons-Boubers et à la prise 
du château d'Airaines. Chacun était à son posté 
pour résister aux attaques que les Anglais ne man- 
queraient point de diriger contre la ville. Cette 
attaque fut tentée en août 1 422 * ; un détachement 
de cent cavaliers du régiment de Picardie sortit 



I Une ville ne s'éleva réellement là qu'en 1422, époque à laquelle 
on y soutint plusieurs sièges, au rapport de Monstrelet et d'autres 
écrivains. Comme elle était exposée à des invasions continuelles, on 
Pentonra de fortifications, et son importance s'accrut à tel point 
qu'on la considéra comme la clef du Viraeu. Lepayen île Flacourt. 

{ffoîe communiqmée p«nr M. H. DVSBVEL.) 



138 HlSfOnS DB SAMT-VAUIftY 

aassitôt de la place et se jeta sur Tavant-garde des 
Anglais qui, surpris de cette sortie imprévue, per* 
dirent plusieurs hommes. « Il y eut d'une partie 
» et d'autres de grands estours, hommes d'armes 
j» navrés terriblement'.» Mais Warvick n'était pas 
loin; il hâta le pas et investit la ville au moment 
où le détachement vainqueur venait d'y rentrer. Il 
dirigea ses efforts sur l'abbaye, qui était crénelée 
comme une place de défense et pourvue d'une gar- 
nison vaillante; maïs l'ayant attaquée vigoureuse- 
ment, il l'emporta d'assaut et s'y logea. 

Les Français tenaient encore dans la ville qui 
alors- était murée. Warvick continua de la cerner 
pour empêcher les secours qui pourraient y ar- 
river; il occupait l'abbaye pendant que ses soldats 
étaient logés sous des tentes et des pavillons; des 
machines de guerre furent organisées et dressées 
contre les murailles et il en fut lancé une grêle de 
pierres, en même temps que des choes terribles 
ébranlaient les murailles et les portes. Les assiégés 
ne s'intimidèrent point; ils ripostèrent vivement et 
firent même plusieurs autres sorties heureuses. 
Warvick qui avait cru pouvoir emporter cette place 
d'emblée, reconnut qu'il n'y . parviendrait qu'en 
l'affamant; malheureusement pour lui il n'avait 
point de navires et ne pouvait empêcher les as- 
siégés de recevoir des renforts et des vivres par le 

I Chronique de Monslrelet^ tom IV, page 383. 



BT m GOMTÉ DE VIMBU. 439 

Crotoy; il envoya en Normandie pour demander des 
vaisseaux et peu de temps après une escadre an* 
glaise pénétra dans la baie et vint fermer l'entrée 
du port. « Les dits assiégés, dit Monstrelet, voyant 
que de tous côtés avaient perdu l'issue de leur 
ville, furent moult troublés et assimplis ^ . » 

Néanmoins les Dauphinois tinrent encore pen- 
dant trois isemaines; ils demandèrent alors à capi- 
tuler, et ils convinrent avec le comte de Warvick 
d'abandonner la ville ayant la vie sauve et. leurs 
biens conservés si, le 4 septembre suivant, le duc 
de Touraine ne se présentait avec des forces suffi- 
santes pour secourir la place. On convint en même 
temps d'une suspension d'armes et des otages furent 
donnés. Le 4 septembre, après un siège de trois 
mois, aucun corps de troupes dauphinois ne s'étant 
présenté, la ville capitula, et les Anglais après y 
avoir mi&garnison et avoir brûlé l'abbaye, montèrent 
sur leurs vaisseaux el furent attaquer le Crotoy ^ . 

Ce malheureux pays était Jivrée à l'anarchie la 
plus complète. Il n'y avait plus de villages dans Iç 
Yimeu; plus de culture; tout était brûlé, anéanti. 
Anglais, Bourguignons et Français semblaient faire 
assaut de brigandage. Peu de temps après la prise 
de Saint- Valéry, en 4 423, le seigneur de Fontaines 

r I Ûhroniçiue de Monstrêlet, tom IV, page 383. 

2 Après que le roi d'Angleterre eut pris Meauz, toutes les Torte- 
ressea tenant le parU da Dauphin, depuis Paris jusqu'au Crotoy, se 
soumirent à Tobéissance du prince anglais et Saint- Valéry se rendit 
de même. H. Dosetel. 



140 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

surprend au village de Neuville un corps de troupes 
anglaises : il l'attaque, le bat, le met en déroute, lui 
fait huit cents prisonniers; le reste se sauve par le 
gué de Blanquetaque. 

C'est dans ce temps, en 1 428, que le prédicateur 
de Tordre des Carmes, Thomas Conecte, célèbre 
par les prédications et les conversions qull fit 
dans la province d'Artois, arriva à Saint-Yalery où 
il s'embarqua pour la Bretagne son pays. 

D'Harcourt tenait toujours au Crotoy. Il avait fait 
avec les Bourguignons d'Abbeville une trêve ou 
abstinence de guerre. Néanmoins, un de ses cor- 
saires capture sept navires chargés de vin que les 
Abbevillois . envoyaient à Ë tapies, et ceux-ci, dit 
M . TrauUé, envoyent Perrotin de Torgny , à Saint- 
Valery et au Crotoy, vers les conservateurs de ladite 
abstinence pour obtenir la restitution . 

Les Anglais redoublèrent d'efforts pour prendre 
le Crotoy; Cloquart de Cambronne le rendit enfin 
par composition à R^oul de-Bouteiller, envoyé du 
duc de Bedfort, régent de France pour les Anglais. 

Au milieu de ces luttes, l'histoire peut à peine 
se rappeler et suivre les diverses vicissitudes 
qu'éprouva la malheureuse ville de Saint-Valery. 
En 1431, Charles VII la surprend sur le duc de 
Bourgogne; un mois après, Pierre de Luxembourg 
la reprend par composition, et y ayant mis garni- 
son sous les ordres de Jean de Brimeu, se dirigea 
vers Rambures et de là à Mondiaux pour faire 



inH 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 141 

d'autres conquêtes. Ce fut bientôt au tour des 
Anglais à y pénétrer en vainqueurs; mais, peu 
après, en 1 432, le seigneur de Fontaines, à la tête 
des milioes bourgeoises, archers et arbalétriers 
d'Abbeville, et de quelques gens de Charles YII 
ayant pour chefs Louis de Yaucourt et messire 
Regnault de Verseilles, surprit la ville, qui fut esca- 
ladée par échelle *. Jean, duc de Bourgogne, fils de 
Philippe, était alors seigneur de Saint- Valéry. « Il 
y fut fait de grands maux par iceux François, dit 
Monstrelet. » C'était alors l'habitude : une ville 
prise, fut-elle amie ou ennemie, était traitée en 
conquête; mille horreurs étaient commises à l'égard 
des malheureux bourgeois. Les Français, dans cette 
circonstance, ne se bornèrent pas à punir les habi- 
tants de la ville de désordres dont ils n'étaient pas 
cause : ils parcoururent le pays et désolèrent les 
campagnes environnantes. 

Les Anglais, très-peu de temps après, reprirent 
encore la ville et le château de Saint-Valery et y 
mirent une garnison plus forte afm de résister à de 
nouvelles attaques. 

I On entendait par ces mots escaladée par échetle une prise 
d'assaut, à la suite de laquelle les habitants, sans distinction, étaient 
passés au fil de Téjiée. f. l. 



XII 



Ces assauts successifs avaient mis la ville de 
Saint-Valery et les campagnes de sa banlieue dans 
un pitoyable état. Un capitaine français, nommé 
Blanchefort, ayant pris d'assaut le château de Ram^- 
bures, se vengea sur les infortunés habitants du 
Yimeu des revers dont eux-mêmes avaient tant 
souffert : les ruines de Saint-Valei^ dominaient un 
désert. 

Cependant le ciel veillait encore sur la France : 
Jeanne d'Arc parut; elle rendit le courage aux 
Français, les ramena sur le champ de la victoire. 
Les partisans du roi reprirent l'avantage jusque 
dans le Yimeu, dont les forteresses étaient sans cesse 
prises et reprises par les deux partis. 

Mais la mission de Jeanne d'Arc était terminée; 
elle vint se faire prendre à Compiègne par les en-* 
nemis de son pays; après être restée quelque temps 
prisonnière dans la forteresse du Crotoy, elle en fut 
extraite et traversa Saint-Valery, enfermée dans une 
cage de fer; cette ville la salua du cteur et de$ yeuxj 



i 



144* HISTOIRE DE SAINT- VALERY 

(lit le Père Ignace. Elle ne s'arrêta point à Saint- 
Valery : ses gardes lui firent prendre sur-le-champ 
la route d'Eu et de Dieppe. 

Sans doute, à cette époque, là ville s'était relevée 
de ses ruities par les Anglais, qui voulaient garder ce 
passage de la Somme. Peu après le départ de Jeanne 
d'Arc, Gaucourt, capitaine français, se présenta 
devant la place et la somma de se rendre, mais la 
garnison se prépara à la résistance. Les Françaiiï se 
disposèrent pendant la nuit; au point du jour, ils 
dressèrent leurs échelles le long des murailles, et, 
après un combat de deux heures, ils culbutèrent les 
Anglais et reprirent possession de la ville. Les An- 
glais s'enfuirent en désordre et on en fit un grand 
massacre. Lies vainqueurs, comme tî'était d'usage 
dans ces temps barbares, ne distinguèrent point 
leurs compatriotes de leurs ennemis, et leurs coups 
tombèrent aussi bien sur les habitants de ]a ville 
que sur lés Anglais. • 

Louis de Vaucourt prit le commandement de la 
place. Il avait pour lieutenants messire Regnault de 
Verseilles et Philippe de la Tour. Comme ils s'atten- 
daient à être bientôt attaqués, ils essayèrent d'orga- 
niser des moyens de défense; mais n'ayant que trois 
cents hommes valides, ils n'en eurent point le 
temps. Pierre de Luxembourg parut tout-à-coup 
devant les murailles avec urt corps de douze cents 
Anglo-Bourguignons, que commandait un seigneur 
anglais nommé Villeby. Ayant environné la ville, 



nir 




ilssedisposèreniài 

Malgré la fiul)lesseoniDériqDedeiFfM(w,h fU n^ 
bien défendue, tint encore trois senwa, m èoM 
duquel temps, les dwniiers asà^ ne i«i«i 
point moyen de résister plus loogiemps wt km 
seules forces, pariementàmt avec Robert de Si> 
veuse, commis à cet effet par Pierre de Ln». 
bourg, n fut décidé que si, i on jour dit, h lifc 
n'était secourue, les assi^ rahiadoQKnieii et 
pourraient mfntiet leurs biens et anàiit et 
^""''«'ifflMrs prisonniers'. 
Au jour dit, b secooB néta^ p«« ,1^ 

<iats,qmiial,îilleeis'enalhà|««^Jl 
Muf conduit. «w»»!**» 

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147 

ration du 
aient jiis- 
uel temps 
et châtel 
tOi nostre 
res ne se 

lans leurs 
îés de fa- 
icore avec 
jours avec 
n'étaient 
faite étant 
entassent, 
t se retira 

a au port 
me barge 
à la vail- 
glo-Bour- 
) de joie. 
t à Saint- 
la garde 
en Artois 

w. Tome IV, 

ieurs pavoi- 
Qu et occupé 
e d'Amiens.) 

rSBVSL.) 



146 HISTOItS DK SAUfr-VAUHT 

aussitôt qu*il y avait apparence de quelque danger. 

C'est à cette époque qu'une grande peste désola 
toute la Picardie; les gens mourraient dans les rues 
et sur les routes, et leurs corps restaient privés de 
sépulture. Plusieurs villages furent entièrement 
dépleuplés et les maisons abandonnées. Ce fléau 
était le résultat de la guerre et des maux qu'elle 
avait entraînés après elle. 

Au commencement du mois de janvier 1434, 
Charles Desmarest ayant fait une swtie du château 
de Rambures où il commandait, profita d'une de 
ces absences des officiers boui^guignons, pour se 
jeter dans la place dégarnie et en chasser les en- 
nemis, après en avoir fait un grand carnage. Le 
bâtard de Fiennes, lieutenant de Robert de Saveuse, 
fut fait prisonnier et beaucoup d'autres avec Iui« Ce 
succès répandit une grande joie dans tout le pays 
de Ponthieu; mais, dans ces temps de malheur, il 
était peu de succès durables. 

Pierre de Luxemboui^ ne s'éloigna cependant 
point du Yimeu; y ayant été rejokit par un corps 
que lui amenait le duc de Bedfort son gendre, il 
résolut de reprendre la place de Saint-Valery. Pour 
être plus sûr de son entreprise, il appela à son aide 
le comte d'Etampes, Jean de Croy et le Vidame 
d'Amiens. 

On voit> dans le registre aux délibéraiionl^ dé 
cette capitale de la Picardie, que le comte d'Etampes 
fut accompagné au siège de Sôint-Valery ^ar tlouze 



BT DU COMTÉ DE VIMEU. 147 

arbalétriers de cette ville, et qu'une délibération du 
25 juillet 1 434, décide qu'ils y demeureraient jus* 
qu'au jeudi ou vendredi suivant « pour lequel temps 
» ou audit jour, est-il dit, la dite ville et châtel 
» doivent être mis en l'obéissance du Roi nostre 
» sire et du dit seigneur, si les aversaires ne se 
» montrent les plus forts * . » 

Mais les Français résistèrent un mois dans leurs 
murailles; au bout duquel temps, épuisés de fa- 
tigues et privés de vivres, ils traitèrent encore avec 
les Anglais s'engageant à partir dans dix jours avec 
tout ce qu'ils pourraient emporter s'ils n'étaient 
secourus. Le jour convenu pour leur retraite étant 
arrivé sans que les secours attendus seprésen tassent, 
Charles Desmarest s'éloigna avec les siens et se retira 
au château de Rambures. 

Le jour même de leur retraite, il eutra au port 
de Saint-Valery, venant de Saint-Mâlo, une barge 
chargée de vins et de provisions destinés à la vail- 
lante garnison de Saint-Valery. Les Anglo-Bour- 
guignons s'en emparèrent avec beaucoup de joie. 
Le comte d'Etampes ne resta qu'une nuit à Saint- 
Valery; U y laissa Jean de Brimeu, pour la garde 
de la ville et du château et il retourna en Artois 



I Registre aux délibérations de la ville d'Amiens, Tome rv, 
page 30. 

La ville d'Amiens fournit au comte d'Etampes plusieurs pavoi- 
sières, pour l'aider à faire le siège de Saint-Valery, détenu et occupé 
par les adversaires du roi notre sire. {Comptes de la ville d'Amiens,) 

{Note communiquée par M. H. DUSBVBL.) 



148 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

avec ses gens, pendant que le duc de Luxembourg 
et les Anglais se dirigeaient sur Rambures et Mon- 
€haux. 

Les maladies malignes qui désolaient la Picardie 
continuaient; la ville de Saint-Valery en subissait 
cruellement l'influence : c'est à peine s'il y restait 
assez de gens valides pour relever les morts. Les 
campagnes du Vimeu n'étaient pas mieux partagées 
et il n'était point de village qui ne fut infecté de 
miasmes pestilentiels*. Pierre de Luxembourg 
frappé par le mauvais air, fut atteint de maladie 
au village de Rambures, « et, dit Monstrelet, il 
alla de vie à trépas, le Vingtième jour d'octobre, 
au moment où il projetait la prise de Rambures et 
de Monchaux. Par cette mort, tous ses gens, et 
aussi les capitaines anglais, là étant, furent fort 
troublés et courroucés en cœur *. » 

Le corps de Pierre de Luxembourg fut transporté 
à Saint-Pol, et son fils, Louis de Luxembourg, âgé 
de quinze ans à peine, lui succéda dans le com- 
mandement de ses troupes. 

Baudouin Quieret était alors abbé de Saint- 
Valery. Lorsque le calme fut rétabli, il fit promener 
le corps du saint patron dans les rues de la ville et 
aux alentours, afin d'attirer la miséricorde divine 

1 II y avait eu alors en Picardie, dit un contemporain, tant de 
gens morts et occhi^, tant de filles pucelles et vierges violées, pol- 
luées, souillées, tant de religieuses ostées de leurs églises, que c'é- 
toit pitié à dire et à recorder. (Arsenal. Titres de Picardie. ^&nus, 
histoire, n« 332, f» 216.) 

2 Collection des Chroniques françaises. Monstrelet, tom VI . 



ET DU COMTÉ DE ^IHEU. 149 

sur ce malheureux pays. La ville avait été telle- 
ment désolée par ces différents sièges, que les mu- 
railles ne tenaient plus et qu'il ne restait plus de 
gens capables de les réparer. 

La paix d'Arras, signée entre Philippe-le-Bon et 
Charles V, vint ramener un peu dé calme, malheu- 
reusement toujours de trop peu de durée. Les ha- 
bitants du pays accueillirent cette nouvelle avec 
des démonstrations de joie : tous les maux allaient 
cesser, on allait pouvoir se livrer de nouveau à la 
culture, reprendre le commerce abandonné, ar- 
mer des bateaux pour la pêche et réparer tous les 
désastres causés par la guerre. 

Jean de Bourgogne, comte de Nevers, était alors 
seigneur de Saint-Valery. Après la paix, il fit 
quelques travaux indispensables pour relever les 
murailles de la ville; mais les Anglais qui étaient 
restés maîtres du Grotoy, inquiétaient les travail- 
leurs. Florimond de Brimeu, sénéchal de Ponthieu, 
Richard Bicheaume et Robert Duquesnoy, capitaine 
de Saint-Valery, résolurent de mettre un terme à 
ces brigandages; ils se concertèrent pour cerner les 
Anglais dans leur ville, et, après quelques jours de 
siège, la place fut prise d'assaut; mais les Anglais 
se retirèrent dans le château et ^y maintinrent 
encore. Philippe-le-Bon donna alors Tordre aux 
marins de Saint-Valery et à ceux de toute la côte, 
de se rendre avec leurs navires en rade du Crotoy 
et de n'y laisser pénétrer aucun navire; du côté de 



150 HlftTOIHB DE ftAINT-VALERY 

terre, les mêmes mesures ftirent prises pour un 
siège en règle; mais, malgré ces mesures, le Crotoy 
secouru par Talbot, sir Thomas Kiriel et lord Fal- 
combridge, résista et les assiégeants durent se re* 
tirer et la flotte revenir à Saint-Valery. Les Anglais 
restèrent encore treize ans au Crotoy. 

A son avènement au trône, Louis XI songea au 
rachat de Saint-Valery et des autres villes de la 
Somme. Il vînt en 1 463 à Abbeville et fut de là à 
Hcsdin pour traiter de cette opération avec le duc 
de Bourgogne : les conventions bien arrêtées,- 
Louis XI fit toucher à Abbeville les 400 mille écus 
promis, et Saint-Valery ainsi que Crotoy, Rue et 
d'autres places furent réintégrées à la couronne de 
France. 

La bonne entente ne pouvait régner longtemps 
entre ces deux princes ambitieux. Le duc de Bour- 
gogne croyant avoir à se plaindre du roi de France, 
entra dans une coalition qui se formait contre lui 
sous le nom de ligue du bien public^ et il fit immé- 
diatement marcher sur le Ponthieu des troupes aux 
ordres du comte de Charolais, son fils. Louis XI fut 
bientôt contraint de signer le traité deConflans, qui 
rendait au jeune comte et à ses successeurs les 
villes de la Somme, avec faculté de rachat au moyen 
de quatre cent mille écus d'or (4,734,000 fr. de 
notre monnaie actuelle). Saint-Valery se retrouva 
ainsi en la possession du duc de Bourgogne. 

Le comte de Charolais étant devenu duc de Bour^ 



ET iMJ conTÉ m y\mv. 151 

gagne, sous le nom da Charle^-le^^Téméraire, refusa 
de recevoir ie prix de la restitution des villes de la 
Somme, car il tenait au comté de Ponthieu, surtout 
i cause de la ville d'Abbeville et du peys d^ 
Yimeu. Avec un homme du caractère de Louis XI 
la ruptaire était inévitable; après des négocia- 
tions infructueuses, Louis XI fit déclarer au duc 
la saisie de la seigneurie du Yimeu qu'il lui avait 
cédée, et la guerre se ralluma. On était alors en 
4467; quatre ans après, Charles - le * Téméraire 
n'ayant pu résister à la force des Allemands qu'il 
avait assiégés dans Nuze, revint dans le comté de 
Ponthieu avec toute son armée. Voyant la possibi* 
lité de se rendre maître de Saint- Valéry, il fut l'as- 
siéger et s'en empara. Plusieurs des notables habi- 
iants furent faite prisonniers, après quoi il incendia 
la ville et continua sa marche sur la Normandie. 

Pendant que le duc de Bourgogne opérait sur 
Saint-Valery, ses lieutenants, Olivier de la Marche, 
Jacques de Harchies et le sire d'Esquerdes déso- 
laient le Vimeu déjà si maltraité. Tous se réunirent 
cependant et quittèrent le pays qu'ils avaient 
marqué d'une trace de sang. 

Philippe de Commines raconte que, sur ces en- 
trefaites un petit corsaire de la ville d'£u ayant 
pris un bâtitiment marchand du pays de Flandres, 
ie comte d'Eu offrit de faire répaRition du tort causé 
par cette capture; mais le duc voulait cofitraindre le 
comte à lui faire homm^e envers et contre tous. 



452 HISTOIRE DB 8AIMT-VALERT 

ce à quoi celui-ci se refusait, parce que c'était 
contre les intentions du roi Louis XI, qu'il 
avait intérêt à ménager. Il se plaignit à lui aux 
Etats tenus à Tours dans les mois de mars et 
avril 1470. Louis XI, heureux d'avoir une occasion 
de chercher noise au duc, qu'il détestait, réclama 
en termes énergiques contre cette prétention du 
duc de Bourgogne. Cependant par des raisons que 
la politique de Louis XI explique suffisamment, 
des négociations furent entamées dans le château du 
Crotoy entre ce monarque et le duc de Bourgogne, 
et il fut convenu entre eux que la place de Saint- 
Valéry et la prévôté du Vimeu seraient cédées au 
duc de Bourgogne. Mais ce n'était de la part de 
Louis XI qu'une feinte pour gagner du temps. 
Charles, outré de cette mauvaise foi, envoya Oli- 
vier de la Marche, l'un de ses plus célèbres lieu- 
tenants, pour reconquérir ces villes. Ce capitaine 
redoubla ses excès et ses ravages dans le Vimeu et 
vint attaquer Saint- Valéry. Les habitants sachant à 
quelles horribles vengeances ils seraient sacrifiés si 
ils étaient pris d'assaut, ouvrirent leurs portes, ce 
qui n'empêcha pas les Bourguignons de commettre 
dans la ville, les plus horribles excès. 

Le château de Rambures s'était également rendu 
au duc de Bourgogne, qui en fut très joyeux, car 
« ce chasteau estoit à merveille fors; à grant peine 
» Tavoit on sans affamer \ » 

I Chronique de Pierre Leprestre. 



ET DU COMTÉ DE VIMEI}. 153 

Le seigneur Joachim Rouault de Gamaches, qui 
tenait pour le roi, se mil aussitôt en marehe et vint 
se porter sur les hauteurs de Pinchefall|b. Il avait 
des intelligences dans la place, les Bourguignons, 
effrayés, abandonnent la ville de Saint- Valéry sans 
résistance : aussi ne souffrit-elle cette fois aucun 
dommage. 

Le bruit courut alors que pour détourner le but 
des ennemis qui faisaient d'incessantes tentatives 
contre la ville de Saint- Valéry, le roi allait faire 
procéder à la destruction de ses murailles. Les habi- 
tants d'Anfiiens que cette nouvelle inquiétait, prirent 
aussitôt la résolution suivante : 

« Pour ce qu'il est grant nouvelle que le roy a 
commandé que la ville de Saint- Valéry soit des- 
molye et abatue, messieurs ont délibéré de rescupre 
au roy que ce serait moult grant domage pour le 
pays de Piquardie et pour tout le royaume, et spé- 
cialement pour la ville d'Amiens, car. les vivres, 
tant de la mer comme de la terre, ^viennent par 
le moien de la dite ville de Saint-Valery en celle 
d'Amiens, laquelle en est en partie soutenue, et 
pour ce envoieront prestement Huguet Mahon à tout 
(avec) lettres closes par devers le roy afin que la 
dite démolition ne se fasse \ » 

Probablement la démolition projetée n'eut point 
lieu, car il n'en fut plus parlé. 

I Registres de V hôtel- de-Ville d'Àmi&ns. 

(ffùte eommuni^e par M^H. DOSEVEL.) 



454 H18T0UK w &Ai]«T-yAumv 

Le duc de Bourgogne pour se yenget de ces tra- 
hisons du roi de France, appela Edouard d'Angle- 

• 

terre à solide. Louis XI tenta alors de négocier, 
mais apprenant que ses ennemis réclamaient entre 
autres placesdu littoral, les villesd'Eu et de Saint-Va- 
lery, il envoya Charles de Briquebec avec des soldats 
pour les incendier, ce qui fut fait le 1 4 juillet 1 475 * . 
La malheureuse ville de Saint-Valery eut de la 
peine à se remettre de ce nouveau désastre. « Les 
» plus anciens monuments qui restèrent de cet 
9 incendie, dit Goquart,sont les ruines de la vieille 
» église qui font voir quelle était sa magnificence 
» en ce temps-là. Les tours qui défendaient le 
» corps de la place sont demeurées à découvert 
» depuis ce ravagé ainsi que les ouvrages des deux 
» portes; le château seul a été entretenu jusqu'au- 
» jourd'hui, mais son enceinte, aussi bien que le 
» pont de secours et son épaulement, sont entière- 
» ment ruinés; la tour attenant existe enoore, mais 
» ses plates formes, escaliers et autres ouvrages in- 
» térieurs ont sauté, le feu ayant pris aux poudres 
» d'un magasin sur lequel elle est élevée ' . » 

1 Eglises et Châteaux de Picardie^ f 846. 

2 Projet pour le rétablissement du port de Scint-Valery-sur- 
Somme. (Bibliothèque de M. Poncet de la Grave. 17 suppl.) 

La ner de l'église est du douzièsoe siècle. Les ogives sont sans 
moulures, portées sur des chapiteaux à Teuilles semblables à celles 
de chêne. Les piliers tors de l'origine sont ornés de fleurs de lys. 

Quelques piliers séparant la nef des ailes sont fort aaciens; 4es 
archéologues pensent qu'ils peuvent dater au moins du xi" siècle. 

Ces marques d'ancienneté prouveraient l'erreur de ceux qui ne 
font remonter la ville de Saint-Valery qu'à une époque mokis reculée. 

H. DCJSEVEL. 



ET DU COMTÉ DE YIMEU. 155 

La mort de Charles-le-Téméraire arrivée en i 477, 
délivra Louis XI d'un dangereux vassal et le Yimeu 
d'un fléau. 

Jean de Bourgogne, seigneur de Saint- Valéry, 
était mort. Sa fille Elizabeth, comtesse de Nevers, 
ayant épousé en 1 455 Jean de Clèves, celui-ci était 
devenu seigneur de Saint- Valéry. L'histoire nous 
fait ici défaut pour la filiation de la maison de 
Clèves. A la mort de Charles-le-Téméraire, Angil- 
bert était seigneur de Saint-Valery * . La ville man- 
quant d'habitants, il fit annoncer qu'il concéderait 
des privilèges à ceux qui viendraient s'y établir; 
peu à peu les habitants reparurent, les maisons se 
relevèrent; en 1490, une partie de sa population 
était revenue. Angilbert de Clèves leur accorda la 
franchise du seï, l'exemption du ban et de l'arrière 
ban^; ils furent chargés seulement de la garde de la 
ville. En 1493, il convertit en un impôt en argent 
la prestation annuelle qui était due par chacun 
d'eux pour droit de mairie. 

En 1 488 le sir de Rambures avait été nommé 
gouverneur de Saint-Valery pour le roi. Charles 
VIII, roy de Sicile et de Jérusalem, régnant alors". 



f Le 28 septembre 1487, Guillaume Bournel rendit aveu au sei- 
gneur de Saint- Valéry pour la terre de Lambercourt dont il avait 
pris possession le 19 février précédent, l'ayant héritée de Jules Bour- 
nel son oncle. (Gamaches et ses seigneurs. M. Darsy.) 

2 Mémoire pour servir à l'histoire civile et ecclésiastique de 
Saint- Valery-sur 'Somme. 



XIII 



Avant le seizième siècle, Tart de la navigation 
était encore ignore. Le marin s'exposait au hasard 
et n'osait guère perdre les côtes de vue. L'embou- 
chure de la Somme avait été, dans les temps an- 
ciensy beaucoup plus large; les marées y pénétraient 
jusqu'à une distance considérable de la mer : on 
a dit qu'elles s'étendirent jusque dans les marais 
de Flixecourt et près de Picquigny, où on en re- 
trouve des traces; il entrait par conséquent. beau- 
coup plus d'eau dans cette baie, et la profondeur se 
trouvait entretenue par l'immense mouvement de 
flux et de reflux qui en résultait : on conçoit dès 
lors , la facilité qu'avaient, pour j naviguer, des 
barques à fond plat, comme étaient toutes les em- 
barcations de cette époque. 

Avec le temps, les dépôts alluviens successifs ré- 
trécissant la baie, les passes perdirent de leur pro- 
fondeur. En même temps les constructions mari- 
times se perfectionnaient; on donnait plus de creux 
au}^navires, ce qui les rendait plus propres à la 



t58 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

marche, mais exigeait plus de tirant d'eau. La 
navigation des côtes et des rivières devenait plus 
difficile et plus périlleuse; on y suppléait par des 
connaissances acquises dans la pratique et dans 
rétude des localités; la science du pilotage naquit : 
c'étaient les premiers rudiments de l'art nautique. 

On en jugera par les plus anciennes indications 
écrites qui nous soient restées. 

a Dehors ÂntiiTerjusqu'au bas deSôme la lune en 
l'est-nord-est basse mer, et aususouruoist plainemer . 

» Si vous voulez gésir au bas de Sôme, gisez hors 
le banc, et gardez que Téglise de Gayeux vous de- 
meure en l'est-nord-est, et mectez l'ancre à cinq 
ou à six brasses. 

» Demande, â neuf vingt heures, la lune, le so- 
leil au oesf souruoist, quelle marée sera à Sainct- 
Vallery ? 

» Réponse. Il sera plaine mer et la 'lune sera au 
susuest, et v aura deux vents entre le soleil et la 
lune V » 

Ces données étaient bien insuffisantes; mais c'é- 
tait un premier pas qui conduisait le marin à la 
connaissance de son métier et qui devait produire 
les hardis navigateurs qui, plus tard, illustrèrent la 
marine française. 

Déjà, d^uis assez longtemps, l'invention de la 
boussole avait fait faire un grand pas à la navigation 

f Routier et Jugement des cours et marées deppariement du 
soleil et de la lune. Par Jtan deBruge». Maaus. 76W— 8— a#l5ao. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 159 

et lancé de hardis marins dans des expéditions 
avantareuses.; dans les premières années du xy* 
siècle un gentilhomme du Yimeu^ nommé Béthen- 
court, avait découvert les îles Canaries et en avait 
ftiit une principauté où il régna en souverain; 
d'autres marins suivirent sed traces en se portant 
plus ao sud, le long de la côte occidentale d'Afrique. 
Enfin^ en 1 492, le génois Christophe Colomb dé- 
couvrait l'Amérique, événement qui allait changer 
la face du monde. 

Saînt-Valery, à cette époque, était un port de 
cabotage dont les relations intérieures s'étendaient 
dans le Nord et dans l'Est de la France et même 
jusqu'à Paris. François I" reconnaissant l'influence 
qu'allait exercer la navigation sur les destinées des 
ainpires, voulut créer un port à portée de sa capi- 
tale et il fonda le Havre, parce qu'il était situé à 
l'embouchure de la rivière qui traversait Paris. 

L'embouchure de la Somme, avait à cette époque, 
éprouvé un nouveau changement depuis l'expédi- 
tion de Guillaume-le-Conquérant. La pointe du 
Hourdel^n s'avançânt vers le Nord, avait déterminé 
l'ensablement du vieux port où s'était réunie la plus 
gralftde partie de la flotte normande*; les sables 

\ Les tables se sont tellement accrus dans celte embouchure, de- 
puis l'armement de Guillaume, qu'après avoir commencé à remplir 
l'anse de la Mal assisCj ils se sont étendus ensuite jusqu'à la côle 
du Cap-Cornu, d'où s'est ensuivi peu après la ruine et Vapplanisse- 
ment de ce 'port. Le dépôt du Gap-Cornu se trouvant trop chargé des 
sables que le flot continue d'y pousser, le port de la Ferlé le devint à 
son idUT des sables du premier, et en fut totalement remplienf 716 et 
\ 71 7. (CoQCART. Projet de rétablissement du port de Saint Valéry.) 



160 HISTOIRE DE SÀINT-yALERT 

s'étaient accumulés dans l'embouchure entre le 
Crotoy et Saint-Valery et même jusqu'aux portes 
du Hourdel et de Saint-Quentin : il ne restait plus 
qu'un chenal entretenu par les eaux de la Somme^ 
ce qui rendait les mouvements de la navigation bien 
plus difficiles.il fallait, dès lors^dit l'intendant gé- 
néral Bignon, qu'un pilote de Saint-Valery ou de 
Cayeux allât recevoir les navires au-delà des sables 
appelés bancs de Somme et qui avançaient déjà de 
plus d'une lieue dans la mer * . 

En 1 582, il fut dressé un acte de notoriété d'a- 
près lequel il appert que l'entrée de la Somme étant 
obstruée de bancs de sable, il convient mieux de 
fréquenter le hâble du Hourdel dépendant de Cayeux, 
où Ion peut entrer en mer haute ou basse quand 
on veut. Les marins d'Abbeville déclarent « qu'ils 
ont toujours vu charger et décharger audit havre, 
avec la permission du seigneur, de Cayeux; que 
depuis deux ans les maire et échevins de Saint- 
Valery ont empêché de le faire, ce qui a été cause 
de la perte de plusieurs vaisseaux, y ayant plus dé 
danger à venir du Hourdel à Saint-Valery ou au 
Crotoy, que du Touquet de Brest audit havre du 
Hourdel, où il y a soixante fois plus de chemin à 
faire. » Ce havre était le hâble d'Ault^ 



1 La Somme, par Bignon. Manus. Biblioth. du Ministère de l'in- 
térieur. 

2 Abrégé des annale ducommerce de mer d'Abbeville., M. Tr&uUé 
page 16. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 161 

Le territoire de Cayeux s'était considérablement 
accru des alluvions que le remous des courants 
avait déposés à l'abri de la pointe du Hôurdel, al- 
longée vers le Nord par l'apport incessant des galets. 
Les habitants y dit Don Grenier, avaient établi sur ces 
terrains, plusieurs censés ou bergeries dont les plus 
anciennes sont celles de Qap-CcMrnu, là Malassise, 
le Hourdel, Hurt, Watiéhurt et l'Anviette; de ma- 
nière que ces salines sont présentement si bien ha- 
bitées, qu'elles paraissent comme un seul village 
dans toute leur étendue * . 

Par suite de ce mouvement des sables dans l'em- 
bouchure de la Somme, l'entrée du port de Saint- 
Valery s'était successivement modifiée : le port qui, 
au onzième siècle, se trouvait entre le Cap-Cornu et 
le Hourdel, avait. été dans la vallée de Neufville, 
puis sous la Ferté. Mais, ditCoquart, le chenal de 
la Somme, refoulé par les sables qui se déposaient 
à l'abri du Hourdel, prit sa direction vers l'église 
de Saint-Pierre, au Crotoy. Le coude qu'il fit alors, 
entre la ville et le faubourg, servit aussitôt de port 
aux vaisseaux qui avaient la rivière pour chenal 
d'arrivée. Cet emplacement n'était pas moins avan- 
tageux qu'au Câp-Cornu; il était commandé par la 
tour de la ville et par les ouvrages de la porte 
d'Abbeville; un quai régnait depuis la rampe de la 
basse rue de <îe faubourg jusqu'à l'enceinte de cette 
place, et le port y était alors si profond que les bâ- 

I Don Grenier. Topographie. Cayeux. 

Il 



I4S8 DlBIlOlltE SE «MMT-VALEtY 

timmts y ëtaienf touji^urs à {l0t,>oe qui fit qii'on Tor- 
na d'uw longue file de pieux pour I^ y amarra * . 

Tdle était la «ituaticm de la baie de Somme et 
du port de Saini-Valeiy w oammencement du sei*> 
zîème siècle^ alors que toutes tes idées se portaient 
à la navigation et vers las entreprises lointaines. 

Cet éTénement^ en doublant le champ de la pro- 
duetkm, augmentait dans une proportion énorme 
la nature et la quantité des matières échangeables. 
Une grande révolution s'opérait dans la navigation 
et le commerce. On soigna davantage la construc- 
tion des navires, qui furent classés par catégories 
selon teur structure, leur gréement, leur grandeur 
et leur tirant jd'eau; la voile prévalut comme mo- 
teur sur le système des rames. C'est aussi de ce 
mommt qu'on commença à dres.ser des cartes ma- 
rines; on inventa des instruments de navigation tels 
que les octans, les cadrans, les sextans, les téles- 
copes, les chronomètres et les réflecteurs, pour la 
mesure des temps, des longitudes, des latitudes et 
des hauteurs. Tout le commerce de l'Europe allait 
se faire par mer; les ports de mer entraient dans 
une ère nouvelle de prospérité. 



i Prqj$t pour le rétablissement du port de Saini-Valerff-sur' 
Somme. Bibl. de M. Poncet de la Grave, 17, suppl. 

Qttoiqv'il n'y ait point de port, maii senlement une anse qui joint 
le l'avbour^ de la Ferté, ce mouillage ne laisse pas que d'être fré- 
quenté À cause de la commodité qu'il y a à transporter en Picardie, 
tm Artois et en Champagne les jnarchaadis^ qu'on y apport^. JDiÇ' 
iionnaire historique. Moreri, tom VI, page 42. 

(Wott camnmnifHét par M. DVSBVBL,) 



BT DU OOMTÉ DE YIHBU. 163 

D'un iiutre côté» la paix et la sécurité commen- 
^ient à s'étaBlir dans le royaume de France. Le 
Vimeu, ftp{)auvri et déchire par deux siècles de luttes 
étrangères, par là rapacité des seigneurs et les bri- 
gandages de toutes sortes, .commençait à respirer; 
OQ pouvait essayer un peu de x^ulture et espérer 
UR6 récolte paisible. 

La vallée de la Somme avait des éléments de 
prospérité industrielle dont devait profiter le port 
de Saint- Valéry. Abbeville, Amiens et Saint-Quen- 
tin étaient des villes manufacturières et riches qui 
allaient demander, à la navigation maritime les 
laines d'Espagne, les cotons du Nouveau-Monde, 
les cuirs et les chanvres de Russie. 

Les marchands qui d'abord accompagnaient leurs 
marchandises ou les faisaient accompagner, pou- 
vaient maintenant les expédier avec quelque sécu- 
rité. Les Génois avaient inventé les banques et les 
assurances maritimes, qui bientôt furent établies 
dans tous les ports de France. 

La pêche avait aussi profité de ce mouvement de 
progression : cette industrie avait formé des mate- 
lots; ils s'aguérii ent de plus en plus dans la pra- 
tique de la mer. La découverte de l'Amérique amena 
celle du banc de Terre-Neuve, où se formèrent des 
établissements de grande pêche. Les marins de 
Saint- Valéry furent y chercher la morue; ils pour- 
suivirent la baleine qui, depuis plusieurs siècles 
était disparue de la Manche. C'est de ce moment 



164 HISTOIRE DE SAINT-VALERT 

aussi que datent les pêcheries de harengs et les sa- 
laisons du port de Saint-Valery qui/plus tard, ac- 
quirent une grande réputation. L'art des pêcheries 
devait cependant ne se perfectionner que plus d'un 
siècle après. 

Cette prospérité maritime profitait médiocrement 
aux moines de l'àbbaye, car ils dimaient sur tous 
les produits, soit pêche ou marchandises, qui étaient 
déchargés aux quais de Saint-Valery. Aussi l'abbé 
était-il beaucoup plus riche que le seigneur qui, 
après avoir cédé ou vendu tous se& droits, ne tirait 
plus qu'un médiocre revenu de sa seigneurie. 

Les seigneurs, qyi n'habitaient plus leurchâteafti, 
l'avaient donné à cens aux moines moyennant douze 
sous parisis et deux chapons par an ad causant 
census. Les moines leur -accordèrent plus tard, pour 
s'assurer leur protection, le droit de chasse en 
warennes dans cent soixante journaux de terre près 
du château, lesquels devaient être enclos de fossés 
pour empêcher les lapins de passer. 

Ces redevances et les aumônes qui se faisaient au 
tombeau de Saint-Valery, permettaient aux moines 
d'étaler une grande pompe dans leurs offices. On 
venait y assister de très loin, autant à cause de la 
beauté du spectacle que par la dévotion aux reliques. 
Aux grandes fêtes- religieuses, l'abbé et son chapitre 
se rendaient processionnellement dans toutes les 
rues de la ville et répandaient les bénédictions sur 
le peuple, ta ville était-elle menacée (ce qui arri- 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 165 

vait bien souvent), aussitôt le corps du saint fon- 
dateur était tiré de son tombeau et porté sur divers 
points des fortifications de la ville pour y attirer sa 
sainte protection . 

La dévotion à ces reliques était si grande, dit 
un chroniqueur de Tépoque, que lorsqu'il y avait 
cérémonie à l'église de l'abbaye, on était obligé 
d'apposer des gardes dans la ville afin de veiller 
sur les maisons et les empêcher d'être dévalisées 
par des malfaiteurs étrangers. 

En outre de la dime que les négociants de Saint- 
Valéry devaient à l'abbaye, il y avait encore la part 
du curé de l'église paroissiale, mais les marins s'y 
soumettaient sans murmurer, car, dès le jour où ils 
commencèrent à faire des voyages lointains, comme 
ils exposaient leurs jours, ils faisaient des vœux à 
l'église et à l'abbaye pour le succès de leur entre- 
prise, et à leur retour il n'était point de beau pois- 
son dont ne profitât l'abbé et aussi le curé de l'é- 
ghse Saint-Martin * . 

L'église paroissiale était tr!ès-belle : elle s'élevait 
à l'entrée de la ville, vers la porte d'Abbeville et 
sur le sommet d'une terrasse d'où l'on découvrait 
une grande étendue de la mer ainsi que les forte- 
resses du Grotoy et de Noyelles, dont le pied se 
reflétait dans les eaux de la Somme. 

Cette église était alors desservie par un curé et 

1 Projet pour le rétablissement du port de Saint-Valery-sur- 
Somme. Cocquart. Bibiioth. de M. Poncet de la Grave, 17, suppl. 



168 HI8T0IBE DE SAINT-VALERY 

à terre, la face meurtrie et boorsoufflée et le corps 
contusionné et considérablement enflé. 

On le transporta chez le diocésain, qui le lende- 
main devait dédier l'église; là, on découvrit les 
plaies du patient qui étaient horribles à voir. On en 
parla beaucoup et longtemps dans la ville comme 
d'une chose étonnante et diabolique. 

Un prêtre nommé Jehan de Sens, déclara qu'étant 
éveillé, il avait vu, vers l'église, trois grands per- 
sonnages qui rétonnèrent et l'inquiétèrent beau- 
coup. Alors, dit-il, l'horloge ne sonna point depuis 
onze heures jusqu'à une heure après minuit; on 
entendit des bruits étranges; une lumière très vive 
fut aperçue sur l'hôtel saint Martin, pendant tout le 
temps que l'éyêque fit sa dédicace. Les trois per- 
sonnages inconnus disparurent du côté de la chapelle 
des Mariniers, et ils laissèrent derrière eux une 
forte odeur de soufre. 

Le lendemain sir Martin de Prédavant, rendit 
son âme à Dieu « car il avait passé par un détroit 
» et merveilleux purgatoire * . 

Les seigneurs, comme nous venons de le dire, n'a- 
vaient plus qu'une autorité fictive et sans force à 
Saint-Valery. Pendant une période d'un demi siècle, 
l'histoire en perd même la suite et la filiation. Cette 
dignité si éclatante à son origine, n'était plus qu'un 
vain titre et que l'ombre du pouvoiret de la célébrité 

I Mémoire pour servir à l'histoire civile et ecclésiastiqiie de 
Saint-Valéry. 



ET DU COMTÉ DE YIHEU. 169 

des Bernard et des Thomas de Saint-Valery, qui 
avaient soutenu si audacieusement la lutte contre 
leur suzerain y le comte de PonthieuV 

En 1488, Jean, duc de Brabant, comte de Ne- 
vers, d'Eu et de Rethel, est qualifié de comte de 
Saint-Valery, dans la nomenclature du mémoire 
pour servir à VHistoire civile et ecclésiastique de 
cette villcy et on ajoute qu'il confirma la charte de 
mairie donnée à cette ville par Jean d'Artois; 'mais 
après, celui-ci, on ne voit plus figurer aucun sei- 
gneur de Saint-Valery jusqu'à Henriette de Clèves, 
qui vivait en 1570, et qui épousa un prince de 
Màntoue dont nous parlerons plus loin . 

Les habitant» de Saint-Valery n'avaient d'ailleurs 
que faire de l'autorité seigneuriale qui, malgré son 
défaut, n'entravait encore que trop les opérations 
de leur navigation et de leur commerce. Erigés en 
commune, ils s'administraient eux-mêmes et ne 
faisaient que mieux leurs affaires. La liberté dans 
leurs opérations avait succédé à une extrême ser- 
vitude; les droits seigneuriaux existaient encore, il 
est vrai, et les charges abbatiales pesaient rudement 
sur leur commerce; mais il y avait dans i 'esprit pu- 
blic une tendance à s'affranchir de ces jougs vexa- 

1 Les seigneurs de Saint- Valéry faisaient hommage au comte de 
Ponthieu, même contre la France et l'Angleterre^ comme on le 
voit par un titre de 1205. Ils prétendaient» aussi, à une époque plus 
récente, avoir I0 droit de créer un amiral sur leurs terres. (Mi- 
raulmont, Mémoires sur les justices existant dans l'enclos du pa- 
lais, in-8°, page 384.) 

(Note de M. H. DUSBVML. ) 



170 HiSTOHUS HE filAlirr-fALERY 

toires; dé fréquentes coUisions avaient Hey avee 
les collecteurs des droits; on se réclamait à Tauto* 
rite royale, presque toujours impuissanle ; mais 
c'était le commencement d'un mieux qui devait 
aboutir plue tard. 

Le luxe qui avait feit des progrès rapides en 
Picardie, n'avait pas peu contribué à Textension An 
commerce. Les dames portaient de grandes toi- 
lettes, pour lesquelles il fallait les productions di^ 
verses des contrées qui produisaient la. soie, les 
laines, les verroteries, les fourrures. La contagi(»i 
du luxe devenait générale; les bourgeoises au- 
raient voulu égaler les dames nobles, si de» édits 
royaux n'y avaient mis empêchement. On fut même 
obligé d'interdire « aux filles de joie et paillardes 
» le costume et les étoffes des femmes honnêtes. » 
Les officiers municipaux de. Stint^-Yalery avaient 
ordonné aux courtisannes de leur ville de porter 
une étiquette sur l'épaule, afin d'être reconnues de 
loin et de n'être point confondues avec les dant^ 
de noblesse. 

Cette sévérité cfaes mœurs municipales de Sainte 
Valéry est encore constatée dans une ordonnance 
contre les adultères, recueillies par M. Louandre 
dans les archives municipales de cette ville. Elle 
est de l'an 1533, et ainsi conçue : 

« Considérant la justice tant ecclésiastique que 
temporelle, que nostre seigneur Jésus-Christ est 
journellement offensé en ceste paroisse de plusieurs 



ET DU COMTÉ DE VQIEU. I7i 

crimes ft énormes vices qui se y perpètrent et prin- 
cipalement au péché d'adultère par plusieurs per- 
sonnes, hommes et femmes mariés, qui sont tous 
publicques et manifestes, pour lesquels crimes et 
villains péchés sommes appertement menachés de 
l'ire de Dieu, a esté advisé etconclud,tant de mon- 
seigneur l'oificial que par les bailly et mayeur de 
ceste ville, qu'il sera faicte deffense générale, tant 
en l'église que es lieux publicques que nulz hommes 
ni femmes mariés, ne aient plus à commettre adul- 
tère à paine de estre mis en une brinqueballe * , qui 
sera faicte et mise . sur ung des flos de cette ville, 
et illec tombés et plongés testes et corps : assavoir 
pour une première fois que il sera treuvé et sceu 
que ils auront adultère ou pourront estre en lieu 
suspect de tel vice par trois fois dedens. le dit flos, 
et de soixante sols parisis d'amende pour estre 
donnée pour Dieu aux poures et aux dénunciateurs 
de tels crimes;^ et pour la seconde fois de estre fus- 
tigés par les carrefours par la main du bourreau, 
et banny de la dite ville, et leurs biens confisqués : 
espérant que moïennant telles punitions l'ire de 
Dieu nostre seigneur sera appaisée ^ . 

1 Levier qui sert sui les navires à faire jouer le piston de la pompe. 
. 2 Histoire d'Àbbeville. M. Louandre. Tome II, page 298. 



XIV 



Les troubles qui agitèrent le règne de François P% 
eurent leur retentissement jusque dans le petit coin 
du royaume appelé le Vimeu. Des bandes indisci- 
plinées désolaient les campagnes et répandaient 
partout la terreur; les soldats italiens à la solde du 
roi y enlevaient les femmes et les filles, brûlaient les 
habitations, ravageaient les cultures. Saint- Valéry, 
comme les autres localités du pays, était obligé de 
subvenir aux dépenses, de nourriture et d'entretien 
de ces dangereux allies. Cette situation dura plu- 
sieurs années; les habitants étaient aux abois. 

L'abbé de Saint- Valéry avait fait restaurer l'ab- 
baye, gravement endommagée dans les dernières 
affaires. Il sollicita et obtint qu'on réparerait les 
fortifications de la ville : chacun y mit du sien; 
nobles, ecclésiastiques et bourgeois y contribuèrent : 
chacun travailla, et bientôt les murailles se trou- 
vèrent en état de résister aux bandes de lansquenets * , 

I Soldats d'infanterie allemande à la solde du roi. de France, ori- 

finairement serfs, faisant campagne à la suite des reltres et armés 
'une mauvaise pique. f. l. 



174 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

qui venaient quelquefois jusque dans la ville pour 
y piller les habitants . 

François I^ vint en personne visiter cette ville 
au mois de Juin 1517, et il s'intéressa beaucoup 
au commerce de mer qui se faisait par son port; il 
promit protection aux habitants et les laissa très sa- 
tisfaits de son affabilité. 

Sans doute les promesses du roi chevalier eussent 
été réalisées, mais les rivalités suscitées par Tam- 
bitton de C3iarleM}uint, allaient de nouveau attirer 
la guerre étrangère sur les rives de la Somme. 
Charles d'Artois s'unit au roi d'Angleterre emitre 
la France : en 1523, trois cents flamands ayant 
passé la Somme à Blanquetaque, parurent devant 
Saint-Valery et en ravagèrent les ^ilentours. Ils n'o- 
sèrent toutefois point attaquer la ville dont les ha* 
bitants étaient sur leurs gardes, et ils s'éloignèrent, 
par Boismont et Saigneville, sur Abbeville. 

Cette surprise déterminâtes communes dû Yîmeu 
à faire garder le passage du gué de Blanquetaque. 
Seize bateaux plats armés d'artillerie furent établis 
sur le passage et un fortin construit en bas du co- 
teau de Saigneville. Ces mesures intimidèrent les 
ennemis, leurs tentatives échouèrent; l'année sui- 
vante, ils se présentèrent de nouveau avec l'inten- 
tion de passer; mais l'artillerie fit si bien son jeu, 
que les cadavres des assaillants jonchèrent la grève 

m 

et qu'ils furent obligés de renoncer à leurs des- 
seins. Néanmoins, cet état de craintes et d'ap- 



HT W <30VTÉ HE VIMBC. 1?ft 

prébeaâto»6 dura jusqu'en 4ô87| que François I**^ 
fU aliiaHce avec Henri VIII d'Angleterre contre 
Qiarles-Quiat. Mais on sait quelle instabilité il y 
aurait dans ramiiié de ces princes; ils furent tour à 
tour alliés et ennemis, et le malheureux pays de 
PonAieUy surtout sur la rive droite de la Somme, 
fut pendant près de vingt ans le théâtre de combats 
qui, depuis Boulogne jusqu'à Abbeville, ne lais- 
sèrent que des ruines. 

Si la ville de Saint- Valéry s'était sauvée des atta- 
ques des Flamands, il n'en avait pas été de même 
des environs : l'hospice des lépreux, fondé par Ber- 
nard II, avait été tellement saccagé, qu'il n'était 
plus habitable; les murs étaient lésardés et les toits 
laissaient pénétrer l'eau dans les chambres. Il resta 
dans eet état jusqu'en 1 533 , que des religieuses de 
l'ordre de Saint-Dominique, qui avaient déserté 
Thérouanne en Artois, détruit par les Impériaux, 
vinrent s'y établir. Faute de ressources et d'un local 
suffisant pour recevoir les pauvres malades, ces 
femmes allaient les soigner à domicile. Les offrandes 
des personnes pieuses et le produit de leurs quêtes 
suffirent pour rétablir la maison et la mettre à 
même de remplir sa destination. 

Le pays n'avait point seulement à souffrir des 
ennemis; les alliés et même les nationaux étaient 
pour lui tout aussi terribles. Les auxilliaires italiens, 
mauvais soldats que François I" avait pris à sa solde, 
commettaient les plus grands dégâts et se livraient 



176 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

à tous les excès envers la propriété et même la vie 
des citoyens. Il fallait néanmoins que Saint-Valery 
et le pays de Yimeu^ malgré leur juste méconten- 
tement, contribuassent à leur fournir des vivres. En 
1545, la ville de Saint-Valery donne quatre mille 
pains et deux muids de vin et de bière. Le roi pré- 
vient en même temps les habitants que si la cotisa- 
tion qu'il leur est enjoint de fournir n'est pas 
complète, il s'en prendra à eux et rendra leurs biens 
responsables V 

Cependant ces sacrifices n'empêchaient point les 
ennemis de triompher de la faiblesse des Français. 
En 1553, les Impériaux . étaient maîtres d'une 
grande partie de la Picardie; fort heureusement 
le gué de Blanquetaque était toujours défendu par 
les mêmes moyens qui avaient déjà coûté -tant de 
monde à eux qui avaient tenté de le forcer. Le duc 
de Savoie échoua dans son projet de le franchir pour 
venir ravager le Vimeu, comme il avait fait des pays 
de la rive droite de la Somme; le Vimeu fut épargné. 

Mais d'autres malheurs non moins grands com- 
mençaient à agiter la France; les questions reli- 
gieuses fanatisaient les esprits et soulevaient les 
plus épouvantables tempêtes. La réforme prêchée 
par Calvin faisait des progrès; les seigneurs mé- 
contents, se prononçaient partout pour elle, parce 
qu'elle leur donnait une occasion de satisfaire leur 
désir de vengeance. 

1 Histoire d'Àbbevifle. M. Louandre, tom. 11^ page 34. 



ET DU GOUTÉ DE YIMEU. f77 

Les abbés de Saint*VaIery avaient tellement vexé 
les habitants par leur orgueil et leurs prétentions 
arbitraires, que depuis longtemps ils s'étaient alié- 
nés leur affection. Les Calvinistes profitèrent de cette 
situation des esprits pour faire des prosélytes * et se 
faire un parti dans les populations. En 1 567, guidés 
au nombre de dix-huit cents par un de leurs chefs 
nommé François Gocqueville, ils pénètrent dans le 
Vimeu et se dirigent sur Saint-yalery,avecrintention 
de se rendre maîtres de cette place. La ville n'était 
point prévenue, et il ne fut point difficile à Cocque- 
ville de s'en emparer à la faveur de la nuit. Ses 
soldats commencèrent par faire un butin immense; 
comme leur intention n'était point de la conserver. 



1 Les chefs huguenots tels que Gaspard de Goligny et autres, 
suscitèrent plusieurs capitaines et soldats de s'aller esbattre avec 
leurs armes au pays de Flandre pour secourir les Huguenots de ce 
pays qui disaient la guerre au duc d'Albe. Et, pour ce faire, dépê- 
chèrent quatre capitaines, quiétoient Cocqueville, Saint- Amand et 
deux autres, lesquels levèrent bien le nombre de deux mille hugue- 
nots français, la plupart vacabons qui n'avoient où se retirer en 
seureté, et les passèrent en Picardie « gouvernement de M. le prince 
de Coudé, qui étoit au dit pays et tacitement advouait cette entre- 
prise. Le prince les fit séjourner au dit pays, en attendant qu'il eût 
*response du roy sur certaines plaintes qu'il envoyât à Sa Migesté, 
du tort qu'il di^ait estre fait aux Huguenots de France, par les ca- 
tholiques, lesquels n'obéissant aux édicts de la paix faisaient, maleste 
aux dits huguenots qu'ils appelaient teulx de la religion. Auxquel- 
les plaintes ne hasta le roy de respondre, du moins au gré du dit 
prince, ce que voyant, le dit amiral de Goligny escrivit au dit Coc- 
queville qu'il ne se hastât de passer en Flandre, mais qu'il advisât 
à se retirer en quelque, ville du pays de Picardie, en attendant la 
response du roy. Ce qu'il fist trop follement en se saisist de la ville 
de Saint- Valeri par surprise et encore de quelques autres petites 
villes proches d'icelle dans lesquelles il mist ses gens d'armes en 
garnison. {Mémoires de Claude Hailon, Communiqué par M. H. 
Jhuevel. 



178 H18TMIB DK SAOTT-TALERY 

fls en ressortirait vers huit heure» dû matin char- 
gés de dépouilles; puis ils se jetèrent sur les villages 
du voisinage» pillèrmt les élises et les presbytères 
et incendièrent les maiscms. 

Le roi ayant été averti de ce qui se passait, fit 
demander au prince de Gondé si c'était d'après ses 
ordres et de eeulx de $a prétendue religum^ que se 
cominettaient ces actes de pillerie. Le prince ayant 
répondu que non, le roi fit donner ordre au maré- 
ehèal de Gossé-Brissac, qui se trouvait à Abbeville, 
de rassembler les troupes dont il pourrait disposer 
et de reprendre la ville de Saint-Valery sur les fiu- 
gwnpts. 

Le maréchal de Brissac % à la tête de dix compa^^ 
gnies de gens de pied, de cinq ou six compagnies 
d'ordonnance et des archers d'Amies/ qu'il avait 
fait venir de nuit» marcha à la rencontré des hu- 
guenots, qui aussitôt se hâtèrent de rentrer à Saint- 



I Le maréchal de Coesé-Brissae établissait sori camp près d'Ab- 
beiriUe a« momeat même où l'une des pins jolies personnes de la 
oowr, M}^ de Celtoa, fille d'honneur de Catherine de Médicis, y ar- 
rivait avec sa mère, qui la menait en Angleterre pour la marier.' 
C'étaii une de ces dunes qui méritaient de figurer dans les galeries 
de BraaUVme. Le maréchal, épris de cette demoiselle, s-empresse 
de préparer une fête, y invite M*« de. Gelton, se ménage aiisément le 
moyen de s'entretenir avec sa fille, et en obtient un rendez^voas. n 
en attendait le nnoraent avec la iHus vive impatience, lorsqu'on vint 
loi énaoncer que.CocqneviUe marchait sur Saint- Valéry, et qu'il n'y 
avait pas un instant à perdre s'il voulaitsauver cette place.— 
• Parbleu, dit-il^ il est bien cruel de passer sur la setie, et à comr 
balilre une mut qui aurait été si agréable; les hiigumiots me poûeroiil 
cher le tour qu'ils me jouent. » Pois i) se dirigea en toute h&te sar 
Saini-Yalery. 

{Histoire d'Abbeville^ M. Louandre, tôm. II, p. 55.) 



ET DU amvt M mou. 179 

Valéry. Arrivé sonis tes murs de la vUle, il somma 
CocqueviUe de ki lui livrer au nom du roy. Celui- 
ci répondit qu'il ne la rendrait qu'à la mort de lui 
et du dernier de ses sddats. Le maréchal fit aussi- 
tôt battre la ville de trois pièees de. canon, et la 
brèche étant faite, il dqnna Tassaut. Comme tes 
bourgeois n'étaient point favorabtes aux huguenots, 
ils prêtèrent leurs concours aux assiégeants qui 
passèrent sans miséricorde tous les huguenots au 
fil de répée. Ceux qui tentèrent de se sauver fureat 
tués par les paysans qu'ils avaient volés. Cocque- 
viUe, Saint-Âmand et tes principaux officiers ayant 
été fait prisonniers, ils déclarèrent avoir fait cette 
entreprise par les ordres de l'amiral de Coligny et 
du prince de Condé. Mais ayant été conduits à 
Abbeville, on leur trancha la tête, lesquelles furent 
portées au roi à Paris et ensuite exposées en place 
de Grève, avec les noms, surnoms et qualités de 
ceux à qui elles avaient appartenues. . 

• • • * ' , 

La place était à peine entre les mains des Li- 
gueurs, que le prince d'Orange arriva en vue de la 
ville pour prêter son concours à CocqueviUe. N'y 
ayant plus rien à faire., il s'éloigna sans rien tenter. 

Les maladies contagieuses et pestitentielles ne 
tarissaient pas{ elles étaient entretenues par les 
désordres, les combats et les maux de toute espèce 
qui pesaient sur le malbeuréux pays de Yimeu et de 
Picardie; teurs ravages se firent sentir non-seule* 
ment dans les murs de Sâint-.Vatery, mais à Cayeux, 



180 HI8T0IBE 1« SAniT-YAtERT 

à Ault, à Gamaches et dans toutes les campagnes 
environnantes; les malheureux habitants mourraient 
sans secours, c'est à peine si Ton trouvait des 
gens pour les enterrer. M. Désiré Lebœuf dit que 
des processions d'hommes, femmes et enfants tous 
vêtus de blanc, la tête couverte d'un voile, pieds 
nus, portant des croix de bois, descendaient du 
pays de Vimeu au tombeau de Saint-Laurent, dans 
l'église d'Eu, pour implorer son assistance; ils 
chantaient en marchant : 

Amendons-nous, 

Portons uos suaires... 

Pensons qu'il nous faut tous mourir 

Pour aller avec Jésus-Christ '. 

La famine devait inévitablement se joindre à ce 
fléau; on trouvait des gens morts de faim sur les 
routes et dans les rues : le pays fut dépeuplé. 

La ville de Saint-Valery était dans un pitoyable 
état : dépeuplée, les maisons écroulées par Teffet 
de la guerre et les fortifications détruites * . Sur les 
instances du peu d'habitants qui restaient et qui 
exposèrent que si on les laissait en cet état, la ville 
serait à la merci de nouvelles tentatives de la part 
des Huguenots, les Ligueurs amiénois leur en- 

1 ffisMre d*Eu par Désiré LeboBuf. 

2 En 1592, les magistrats d'Amiens demandent que la neutralité 
soit accordée à la ville de Saint-Valery qui se trouvait hors d'état de 
soutenir un siège par les prises et reprises qui l'avaient démantelée. 
{Histoire de la ville d'Amiens. Daire.) 



ET DU COMTÉ DE VIMBU. 181 

voyèrent des secours d'hommes et d'argent pour se 
mettre à l'abri * . 

Après s'être montrés favorables au projet des 
Calvinistes,, les habitants de Saint-Valery qui n'en 
avaient éprouvé que des désastres, sentirent la néces- 
sité de leur résister, ils se joignirent aux gens 
d'Abbeville et d'Amiens pour faire une association 
de catholiques qui prit le nom de Saint-Ligue pour 
se défendre contre le parti des Huguenots. Ce fut 
la guerre civile dans toute l'étendue du mot. Saint- 
Valéry ainsi que plusieurs autres villes de la Picardie 
adhérèrent à ce pacte qui les mit en guerre ouverte 
avec celles qui reçurent les Calvinistes. Le règne 
d'Henri UI fut marqué parles luttes sanglantes qu'elle 
engendra. Le pays était continuellement sillonné par 
des bandes armées qui, sous le prétexte d'être de l'un 
ou de l'autre parti, ravageaient les campagnes, met* 
taient les habitants à contribution, pillaient, tuaient, 
incendiaient sans crainte d'avoir à répondre de leurs 
méfaits. 

Après la mort d'Henri HI, la guerre civile conti- 
nua avec plus d'ardeur; un parti important se forma 
contre Henri de Navarre qui appartenait à la reli- 
gion réformée; la Normandie et le Vimeu furent 
livrés à toutes les horreurs de la guerre civile. 

I Le sieur Damerval, capitaine de Saint-Valery, écrit aux maires 
et échévins d'Amiens qu'il importe d'y faire un pont-levis et diverses 
réparations pour les mettre en sûreté contre les courses des roya- 
listes. Les Amiénois ordonnent ces réparations. {Registre aux déli- 
bér aiions.de la ville d'Amiens, Cpmmunitiué par M. H. Dusstbl. 



488 HnroiRB db aàiirr-YALUY 

Les catholiques exMpérés eontre les babitants de 
Saint-Vaiery, qui s'étaient donnés à ce parti, réso- 
lurent de prendre la ville : ils vinrent Tattaquer en 
grand nombre, et, conune il n'y avait qu'une faible 
garnison, ils s'en emparèrent sans grande pme; 
ils se rendirent ensuite également maîtres d'autres 
places du Ponthieu, et, fiers de leurs succès, ils 
narguèrent le roi dans leur conquête. 

Mais Henri IV était peu effrayé de leurs menaces; 
il enlevait Neufchâtel presque sans coup férir pen- 
dant que Givry, l'un de ses lieutenants, mettait le 
Vimeu et la ville de Saint-Yalery i contribution. 

Le duc de Mayenne averti de ce qui se passait, 
s'avançait en Picardie pour contrcèalancer lès suc- 
cès qu'obtenait le roi; les Ligueurs d'AbbeviUe le 
reçurent à bras ouverts et ils lui facilitèrent l'entrée 
de Saint- Valéry. Mayenne partit de là pour Arques 
où il fut vaincu parle roi en personne. M. deNevers 
se présenta inopinément devant Saint- Valéry qu'il 
reprit aux Ligueurs et où il laissa une garnison moi- 
tié française et moitié allemande 

Le duc de Mayenne se replia sur la Picardie, 
pendant que le roi se dirigeait sur Rouen dont il 
voulait s'emparer. Son éloignement- rendit le cou- 
rage à ses ennemis; les AbbeviUois, avec le secours 
des Espagnols, conduits par le comte Charles, mar- 
chèrent sur Saint-Valery; entrèrent par le château 
et forcèrent la garnison à ée soumettre aux Ligueuris. 
Mayenne et le duc de Parme assemblèrent alors une 



BT BU coarÉ Di vimu. 488 

année «Bpagaoie dans oetle j^lace, et se poricvent 
sur la Normandie afin à» coiilraiiidre Henri IV à 
lever le siège de Reuen. 

Henri lY marcha à leur rencontre et vilit les 
b.««àA««.J., «s *,l.p« « ,^pa™li«„t .mm 
dons le Vimeu et diassèrent ks Ligueurs de Saint* 
Yal^ : l'abbaye fut ravagée et les moines chasses; 
mais le duc de Parme s'y étant présenté de nou* 
veau^ reprit la ville le 2 novembre 169S et y mit 
une garmson de se|^t cmts hommes. Le roi se pro* 
posait de venir lui-*même attaquer son eimemi à 
Saint-Valery; distrait par d'autres affaires il se con- 
tenta d'y envoyer le duc de Longueville avea des 
forces suffisantes pour triompher ^ on était alors au 
mois de décembre 1 50% et le froid qui était extrê- 
mement vif frappait^ les assi^ahts à la face et 
paralysait tous leurs mouvements, tellement qn'ii les 
gariok de pouvoir quasi mettre la mmn à l'espée. 
Dans une telle* situation , les assiégés étaient bien 
moins gênés que les assiégeants et l'on fut bien 
étonné, de voir la garnison demander à csq[)itttler. 

M. de Longueville se surpassa dans ce siège 
pénible, il montra bien que le courage masle et 
robuste de ses ancêtres était en lui tout entier^ dit 
Legrain \ car bien qu'il fut de stature grêle et 
délicate, il ne se donnait point de repos et se por- 
tait avec activité sur tous les points; il passait 

I Décade du ray Henry le Grand. Lëgrain, 1663| in 4<*, page 519 
etsuiv. 



184 HISTOIRB DB aunT-VALnT ETC. 

quelques heures de la nuit sur une paillasse, sans 
quitter son armure, et se retrouvait debout pour 
engager ses gens par son exemple, malgré le froid 
horrible qui abattait les plus robustes. 

Certainement les gens du duc d'Aumale auraient 
dû tenir plus longtemps dans cette place et profiter 
des avantages que leur donnait la saison pour ré- 
sister plus longtemps et attendre des secours; d'au- 
tant plus que le comte de Mansfeldt, l'un des chefs 
de l'armée espagnole, était en marche pour le Vimeu; 
mais soit qu'ils ne fussent point informés de ce se- 
cours, soit que le nom du ducdeLongueville leur fit 
peur, les Français en profitèrent.' Leursuccèsfutde 
peu de durée; le comte de Mansfeldt étant arrivé, 
attaqua vivement la place et avec tant d'ardeur que 
les royalistes n'y purent tenir et qu'ils capitulèrent. 

Sur la nouvelle de ces événements, les gens de 
Gamaches avaient dépêché un espion à qui ils avaient 
payé dix-huit sous pour aller observer la marche du 
duc d'Aumale sous les murs de la ville assiégée, 
mais ils ne purent empêcher la reddition de la place; 
aussitôt après ils dépêchèrent le sieur Flaii vers 
le duc de Longueville pour s'informer en quel lieu 
il se retirerait et lui offrir du pain de munition et 
des vivres pour son armée * . 



1 Le lendemain de Noël 1592, auroyt envoyé Flan à Saint - 

Wallery pour savoir où se retirait Varmée de Monseigneur de 

Longueville. Il aurait convenu fournir pains de munition à 

ladite armée dont ung chascun des habitants auroyt esté cottisé. 
(Gamaches et ses seigneurs^ par M. Darsy.) 



XV. 



Pendant les dernières années du règne de Henri 
IV, Saint-Valery et le Vîmeu goûtèrent un peu de 
repos; mais après la mort du roi, arrivée en 1610, 
les Calvinistes, que le seul nom de Henri lY conte- 
nait, à cause de sa réputation de justice et de bonne 
foi, recommencèrent à donner de Tinquiétude. On 
s'attendait chaque jour à Saint-Valery, à tort ou à 
raison, à voir débarquer les protestants pour re- 
nouveller la tentative de Gocqueville; on arma les 
habitants et même les paysans des villages environ- 
nants et l'on fit des patrouilles sur les côtes de 
Cayeux; mais ce fut inutile : les protestants ne pa- 
rurent point. 

Le comte de Mansfeldt en s'éloignant de Saint- 
Valery avait exprimé l'opinion que les fortifications 
devraient être démolies afin d'éviter une garnison 
inutile. Les Abbevillois, de leur côté, considérant 
que le voisinage de cette place, sujette à tant d'at- 
taques successives, leur était préjudiciable, et que 
le peu de fortifications qui y restaient ne la défen- 



186 BUTOIRE DE SAINT-VALERY 

daient que trop bien, se joignirent au vœu du comte 
de Mansfeldt pour en proposer la démolition \ 
ils seraient certainement venus à bout de leur 
dessein si le duc d'Aumale ne a'y était opposé. 
Le comte de Mansfeldt était à peine éloigné du 
Yimeu, que Rubempré, gouverneur de Rue, sortit de 
cette ville avec un corps detroupes, passa la Somme 
au gué de Blanquètaque que Ton avait négligé de 
garder, et vint surprendre la garnison, qui n'atten<- 
dant pas les ennemis sitôt, n'avait fait aucuns pré- 
paratifs de résistance. Les habitants avaient d'ail- 
leurs leurs sympathies pour l'armée royaliste et ils 
contribuèrent pour une benne part, à faire triompher 
les assiégeants; Rubempré fit déposer les armes 
aux Espagnols et laissa une garnison royaliste dans 
la place. Aussitôt le duc d'Aùmale qui se trouvait à 
Abbeville à la tête d'un corps de troupe^ marcha 
sar la ville pour la i^prendre, mais il fut repoussé 
et dut renoncer à ses intentions; 

Le séjour des Espagnols avait été très préjudi«> 
ciable au commerce de Saint^Valery. Le duc d'Au- 
male avait, au mois d'octobre 1592,' malgré le vœu 



I II existe dtiiis les registres de l'échevinage d'Amiens, une déli- 
bération da3* jour de juillet 1593, portant : Veues les lettres escrites 
à messieurs par le mâyenr et les esclievinsd' Abbeville^ par lesquelles 
ils prient ces messieurs d'aider et contribuer de leur part' pour la 
desmolition de Saint-Wallery, que le sieiir Conte (Sic) Charles de 
Mansfeldt a trouvé estre nécessaire à desmolir, a esté ordonné qu'il 
sera fait response que la ville d'Amiens n'y peut contribuer pour les 
grands frais par elle.faicU à la desnolition du cfaastean de Be&a- 
quesne et austres lieux. 

{fhf it M, V. DUSSrtL.) 



■T DU OOMfÉ DE VDW. 487 

des habitante, qui demaoulaieot à rester neutres, 
établi (dttK-eux un bureau pour la p^ceptîon des 
impots sur les marchandises qui y aborderaient de 
la mer. On lui observa en vain qne cet impôt était 
contre les privilèges de la ville, et que s'il ne vou* 
hit pas le lever, ou s'y opposerait formellement, 
le duc d'Âumale avait la force &k main, il en usa 
pour Élire respecter ses intentions; les droits furent 
p^us en dépit de tous. 

Les habitents d'ÂbbeviUe pour qui étaient des- 
tinées la plupart des marchandises que l'impôt 
frappait à Saiut-Yalery, étaient extrêmement lésés 
par cette mesure arbitraire; ils se joignirent aux 
habitants de Saint-Valery pour demander des poudres 
à Amiens; mais les Amiénois s'excusèrent sur les 
besoins qu'ils avaient eux-mêmes de munitions de 
guerre pour arrêter les royalistes. 

L'impôt mis au bureau de Saint- Valéry subsista 
jusqu'en 1594, qu'un édit du roi en déchargea les 
habitants. 

Après tant de luttes, tant d'assauts successifs, 
on peut se figurer ce qu'était devenue la ville de 
Saint-Yalery ^ Ses murailles ne tenaient plus, les 
maisons étaient désertes ou tombaient en ruines; 
les environs de la place et les campagnes dans tout 
le Vimeu, n'étaient pas dans un état plus florissant; 



I La ville de Saint-Valéry fut taat de fois prise, repriée et ravagée, 
que l'histoire ne sait pas an juste le compte de ses malheurs. 

LOUANDRB. 



188 HISTOIRE DR ftAlRT-VALRRY 

le duc d'Aumalei repoussé de Saint-Yalery, s'était 
jeté sur les villages et y avait exercé sa fureur en les 
incendiant et en détruisant le peu de récoltes que 
la terre avait pu rapporter. C'était partout le désert, 
la désolation et la mort. Les villages que les flammes 
épargnèrent, dit M. Louandre, étaient tellement 
ruinés à six ou sept lieues autour de Saint-Yalery, 
qu'il devint impossible d'y lever aucune taille. 

Il parait qu'après ces désastres la ville fut encore 
prise et reprise quatre fois. Charles de Mansfeldt, 
dit l'auteur précité, présumant que Henri IV avait 
le projet de s'en emparer, donna l'ordre de la faire 
démolir et de raser le château. Il y a lieu de croire 
que cet ordre fut exécuté, car les habitants vinrent 
un mois après chercher un refuge à Abbeville * . 

La place de Saint-Valery revint ainsi ruinée et 
démantelée en la possession du roi^; le duc de 
Nevers, qui avait été dévoué au ^service d'Henri IV, 
s'en vit déposséder pour satisfaire d'anciens li- 
gueurs. 

La guerre civile était à peu près terminée; mais 
les Espagnols qui conservaient TÂrtois, commet- 
taient encore de cruelles déprédations dans le pays 
de Ponthieu; ils s'avancèrent même dans le Vimeu 
et brûlèrent les fermes et les villages; les paysans 
chassés de leurs maisons, se réfugièrent dans les 

\ histoire d' Abbeville. M. Louandre, tome II. 

2 Henri IV était maître de Saint-Valery et de la Picardie hormis 
Soissons, la Fère et Ham. (Mémoire pour V histoire civile et ecclé' 
siastique de Saint-Valery.) 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 189 

murs de Saint-Valery, qui leur offrait un refuge 
où il était possible de se procurer des vivres par 
mer. Des troupes hollandaises débarquèrent à Saint- 
Valery le 20 octobre 1595, pour aider les habi- 
tants à repousser les ennemis. Henri lY était à 
Amiens; les habitants de Saint- Valéry lui dépu- 
tèrent des notables pour lui offrir les services de 
la ville et prendre ses ordres. Le roi satisfait de 
cette preuve de dévouement, promit de se rendre 
à Saint-Valéry la semaine suivante; mais on l'at- 
tendit en vain jusqu'au 10 novembre; il ne vint 
point encore * . 

Pendant ce temps, les Hollandais étaient tou- 
jours à Saint- Valéry où les habitants les fêtaient au 
mieux. Des vivres leurs étaient envoyés des envi- 
rons et les bourgeois ne les laissaient manquer de 
rien. 

Le roi Henri IV ayant le dessein d'aller renforcer 
Jean de Montluc, contre l'archiduc Albert, qui ve- 
nait de pénétrer en France, partit d'Abbeville en 
s'embarquant à la porte d'Hocquet, sur une gri- 
banne qui fit voile pour Saint- Valéry . Le roi avait 
avec lui deux cents cuirassiers et six cents fantas- 
sins. Il fut reçu à Saint-Valery par des acclamations 
enthousiastes dont il fut très flatté. Le 1 8 avril 1 596 
il s'embarqua sur un navire qui fit voile pour Ca- 
lais; mais surpris par des vents contraires, son 

I Notes manuscrites de M. Davérité. 



190 RlflVMIK IB ftâlMIHrâtniT 

Mvire relâcha ra Crotoy, et le roi rc^t k route 
d'Abbeville. 

Pendant cette longue période de désastres, l'his- 
toire ne fait plus presque mention des sagneurs de 
Saint-Yalery; leur autorité n'est plus que nominale; 
on ne les voit figurer nulle part. 

Jean de Clèves, par son mariage avec Elii^betb, 
comtesse de Nevers, avait été seigneur de Saint- 
Yalery en 1 455. En i 488, d'après le mémoire ano- 
nyme pour Y Histoire cknleet ecclésiastique de Saint" 
Valéry^ Jean, duc de Brabant, comte de Neyers, 
d'Eu et de Rethel, est nommé seigneur de SaiiU- 
Valéry et confiroie la mairie aux habitonts de cette 
ville. Mais (tepiiis cette époque il y a une lacune 
d'un siècle, et ce n'est qu'en 1 570 qu'on voit Hen- 
riette de Clèves, apr^ la mort de ses fr^es, héritar 
des terres de Picardie. « Elle épousa Louis de 
Gonzague, prince de Mantoue\ avec lequel elle 
fonda en 1574, à perpétuité, pour le nmriage de 
soixante pauvres filles en toutes leurs terres et sei- 
gneuries par chacun et, à chaque fille, cinquante 
livres qu'on leur distribue à chacune tous les ans. 
U y en a une pour Saint-Valery. » 

Il manque la suite de la maison de Mailtoue^. 



4 Suivaat M. d'Imfrévine, le dnc de Muiloue ftvail à Saint-Valery 
les droits de Prévôté. (Mémoires de Sourdis. CoUection-de mémoires 
inédits relatifs à V histoire de France. Tom 3, p. 78.) 

CimmuniquépoT M. H, DUSEVBL. 

2 Mémoire pour l'histoire civile et ecclésiastique de Saint- 
Vatery-sur-Somme. 



R DU €OiRt ic vnm. 191 

Les Espagnols taraient encore plusieurs places 

• 

de la province d'Artois que le roi était jaloux de 
reconquérir. Louis XIII vint plusieurs fois en Pi- 
cardie et une armée fut assemblée sous les murs 
d'Abbeville pour marché sur Saint-Om^ et Hes* 
din. Dans un de ses voyages à la frontière^ le roi 
vînt visita Sain(*Yalery et écouta avec intérêt les 
réclamations des habitants relativement aux travaux 
qu'il serait nécessaire de faire pour améliorer le 
port, que la rivière de Somme abandonnait fréquem- 
ment pour se porter sur l'autre rive.de la baie. Le 
roi assista avec beaucoup de plaisir à une pêche 
qui se pratiquait à marée basse. Des pêcheurs bar- 
raient le chenal de la Somn^ avec leur filet, puis 
remontant le courant de la rivière jusqu'si une cer- 
taiae distance ils redesceÎDidaient en frappant Feau 
avec de longues perdhes et proférant de grands 
cris pour é£Ëaroucher le poisson et le chasser dans 
les filets qu'ils tiraient ensuite sur le sable. Cette 
pêcherie s'app^ait le huage et le poisson qui en 
provenait poisson hué*. M. Dusevel dit que 
les marins qui firent eette pêche en (NrésaniCe de 
Louis XIII, prirent entre autres pièces un. esturgeon 
de douze pieds. 

I Parfait Chasseur, Sélincourt, année 1683. La pècheàSaint- 
Valery n'eil ni abontaite ni distinguée. On ne prend que dès^filiee, 
des limandes vaseuses; on envoie le tout à la bourgeoisie parisiennç 
qui s'en régale aux jours maigres et qui ne croit pas qu'il y ait meil- 
leur» inarà qoe celle de Saint«>Val^. On tire ee profit de la faim 
insatiable des grandes villes. {Voyage en France, de 1778 jusqu'à 
1827.) 

{ C o m m ui tiqué par M. g. DÇSSTEL,) 



192 H18T0IBE M SAOrr-YALKRY. 

L'ingénieur Gocquart donne la description des 
pêcheries de Saint-Valery. « On y pêche, dit-il, au 
bas parc et au ravoye. Les ra voyeurs en établissant 
leurs filets dans le chenal de la Somme, enfoncent 
dans le banc de sable qui sépare cette rivière du 
port de Saint-Yalery, une longue file de piquets 
qu'ils replient par plusieurs retours et lui font dé- 
crire des spirales qui, après avoir été enfoncés sor- 
tent encore au-dessus des sables environ deux pieds 
six pouces; ils y attachent leurs filets qui ne sont 
pas plus élevés, le poisson qui monte avec le flot 
ou celui qui descend avec TEsbe, se trouvant en- 
gagé dans ces détours, les ravoyeurs ont soin de 
l'aller prendre à toutes les marées basses ' . 

Les négociants de Saint- Valéry crurent devoir 
attribuer à l'espèce de remous qu'occasionnaient 
ces filets, les fréquentes variations du cours de la 
Somme; ils adressèrent une requête au roi en le 
priant de faire interdire la pêche du ravoi; cette 
pêche cessa en effet d'être pratiquée, mais comme 
l'alluvion ne continuait pas moins de progresser on 
cessa de l'attribuer au ravoi, qui fut repris plus 
tard^ 

Le roi Louis XIII témoignait beaucoup d'intérêt 
à la ville de Saint- Valéry dpnt il appréciait les ser^ 
vices rendus à la cause royale; pour témoigner sa 



1 Projet de rétablissement du part de Saint-Valery'Sur'Somme. 
Coquart. 

2 Ibîd. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 193 

satisfaction aux habitants, il les confirma en 1 636 
dans les privilèges de franchises de taille et autres 
impôts dont ils avaient toujours jouï. Peu de temps 
après, le 26 juin de la même année, la princesse 
Marie-Louise de Gonzague, duchesse de Nevers, de 
Mantoue et de Clèves (depuis reine de Pologne), 
vint à Saint-Valery, dont elle était apanagiste, et 
y resta quelques jours avant de se rendre à Abbe- 
ville. Elle entendit les vœux des négociants qui 
désiraient qu'un quai fut construit le long du port 
afin de faciliter les opérations de chargement et 
de déchargement des navires, et elle promit de 
s'en occuper. 

Sur ces eiïtrefaites, le seigneur d'Imfreville, 
commissaire général de la marine, était envoyé par 
le cardinal de Richelieu sur les côtes de la Manche 
pour rechercher l'endroit où il pourrait être établi 
un port capable de recevoir des vaisseaux de guerre; 
il arriva à Saint-Valery par la voie du Crotoy, 
et s'adressa ^u sieur Blondin, lieutenant de l'ami- 
rauté, lequel lui donna tous les renseignements 
qu'il demandait sur la baie de Somme. Il résulte 
des termes du rapport de M. d'Imfreville, que le port 
de Saint-Valery commençait à devenir d'un accès 
difficile, à cause de l'allongement de la pointe du 
Hourdel qui facilitait des dépôts alluviens entre lui 
et la mer. 

D'Imfreville suivit la côte par Cayeux et son rap- 
port est assez favorable sur un endroit qu'il nomme 

13 



494 HRfOlllE BB SAOrMrALKKT 

la fésiê de Cayeux et qui n*é6t autre que te hâbte 
d'Ault : il est d'avis qu*on y peut établir un port 
du roi et que les vaisseaux pourront y être oMdmo- 
dément à flot et à l'abri des effets de la mer * . 

Cependant ce projet ne reçut point d'effet : la 
navigation commerciale continua de se fliire par le 
port de Saint-Valley dont le grenier à sel fournis- 
sait à toute la Picardie. M. Louandre raconte, dans 
son histoire d'Abbeville, que les soldats du régiment 
du maréchal de Brézé, en garnison à Abbevilte, fai- 
saient un trafic du sel qu'ils venaient acheter à 
Saint^-Yalery pour le revendre en fraude aux bour^ 
geois d'Abbeville. 

« Gomme je n'avais pas de quoi les payer, dit 
Pontis, je les laissais agir, ne voyant pas grand mal 
à cela, et y trouvant même l'intérêt du roi, qui 
trouvait ainsi le» moyens de faire subsister ses 
troupes sans rien débourser et sans charger ses 
sujets • . 

Les fraudeurs, continue M. Louandre, s'en allè- 
rent un jour jusqu'au nombre de soixante ou quatre- 
vingts bien annés à Saint-Valery. Les soldats de la 
gabelle, en ayant eu avis^ mirent en campagne un 
pareil nombre d'archers, avec ordre de charger les 
soldats et de les amener pieds et poings liés. Le 

1 Recherches sur le port convenable à Vétahlisseràent d'un port 
du roi. Manusc. Biblioth. Impériale. 

2 Mémoire pour VEistoire einsile ei écclésiéêUquê de Saint- 
Valéry -sur 'Somme. 

S Mémoires de Pùntis. CoH. Ml«hatt4, lome 6, t* gérîe, p. <MM. 



BT DU COMTÉ DE VIMEU. 496 

combat s'engagea, pli»ié#s archers fiirent tués, 
quelques soldats blestés^ mais ces derniers eur^t 
l'avantage \ 

Gharl^ Sire, marquis de Saveuse et conseiller du 
roi, était alors gouverneur de la ville et du château 
de Saint'-Valery et, en cette qualité, capitaine de 
cinquante hommes d'armes, il était très^^partisan 
des travaux qu'on pourrait faire pour la commo- 
dité et rraibellissement du port de laFerté; sur 
les ordres qu'il reçut, il fit, conjointement avec 
M. de Seirières, secrétaire d'Etat, construire des 
quais en pierre depuis la Bourse jusqu'au nmgasin 
au sel ; les travaux commencèrent en sa présence, 
en 1640 ^ 

Ce fut en cette même année 1 640, que la princesse 
de Mantoue, dame de Saint-Valery, vendit la sei«- 
gneurie de ladite ville à Nicolas-Joachim Rouault 
de l'antique maison de ce nom. 

Le premier de cette famille illustre, dont le nom 
s'est conservé dans l'histoire, fut Clément Rouault, 
écuyer en \ 327; il avait pour armes deux léopards 
passants* 

Son fils Clément devint, par alliance avec Péron- 
nelle de Thouars, l'un des plus grands seigneurs du 
royaume de France; il prit, à cause de sa femme, 
la qualité de comte de Dreux et de vicomte de 

i Histoire d'ÀbbwUle, M. Loaandre, tome 2, p. 104. 
2 Mémoir9 pour l'HUtoire civiiê et ecelësiatiéque de Sûint. 
Vaier^. 



196 BISTOIRE DE SAHIT-VALBRT 

Thouars; il brilla à la*èour des rois Qiarles lY et 
Charles Y, de 1 390 à 1 420. Il n'eut point d'enfants 
de Péronnelle de Thouars. 

Son frère, seigneur de Boismenart et de la Rous- 
selière, fut gouverneur du fils aîné du duc de 
Berry. Le roi le gratifia d'une somme de cinq cents 
livres pour reconnnaissance des services qu'il avait 
rendus dans les guerres de Guyenne contre les 
Anglais. Celui-ci eut deux fils; l'aîné, seigneur de 
Boismenart, chambellan du roi, qui eut Joachim, 
maréchal de France, lequel s'acquit beaucoup de 
gloire dans les guerres de son temps \ Par aecom- 



1 U se distingua dans un grand nombre de combats, et principa- 
lement à 'la bataille de Furmigny, qui assura la conquête de la 
Normandie, et balança les succès de TAngleterre. L'armée française 
s'étant dirigée vers la Guienne, il y acquit une nouvelle gloire, no- 
tamment à Gbalais, où il alla planter son étendard sur la brècbe, 
pour entraîner ses troupes qui redoutaient l'assaut. En 1452, il as- 
sista au siège de Castillon sur Dordogne, et contribua au succès de 
la bataille livrée sous les murs de cette ville, où fut tué TAcbille an- 
glais, le fameux Talbot. Peu de temps avant la bataille, les francs 
archers que- commandait Gamaches, ayant été surpris, se retiraient 
en désordre : « Ne vous al-je pas promis de vivre et de mourir avec 
vous, leur cria t-il, afin de ranimer leur courage? Voulez-vous donc 
m'abandonner? > et Ubc précipita le premier contre l'ennemi. Plus 
d'une fois il fut renversé de son cheval; mais les archers le relevè- 
rent toujours, et ils parvinrent à rejoindre l'armée. La France se 
trouvant débarrassée de ses ennemis, Louis XI l'envoya en Angle- 
terre au secours de la maison de Lancastre, que le duc d'Yorck 
voulait précipiter du trône, et il ne revint que lorsque sa présence 
dans ce royaume fut jugée inutile. Louis XI le créa maréchal en 
1461 , et reçut de lui une nouvelle preuve de son zèle et de son atta- 
chement durant la guerre dite du bien public.. U fut alors gouver- 
neur de Paris. En 1472, il défendit Beauvais contre le duc de Bour- 
gogne. En 1475, Louis XI, trompé par de faux avis qui lui annon- 
çaient que le roi d'Angleterre voulait s'emparer d'Eu et de Saint- 
Valeri, donna ordre à Gamaches de briller ces deux villes. A peine 
les habitants eurent-ils le temps d'emporter à Abbeville leur fortune 
et leurs enfants. Son dévouement et ses services ne changèrent 



ET DU GOMTÉ DE VIMEU. 19? 

modement avec la maison de Thouars, il devint en 
1 461 y seigneur de Gamaches; il mourut en 1 478. 

Après le maréchal, Aloph, chambellan du roi, fut 
seigneur de Gamaches, ainsi que son. fils Aloph II, 
qui fut père de Nicolas P% aussi seigneur de Ga- 
maches, lequel eut plusieurs enfants, et, entre 
autres, Nicolas II, qui fit ériger la terre de Ga- 
maches, en marquisat en l'an 1620. Celui-ci fut 
père de Nicolas-Joachim Rouault, marquis de Ga- 
maches, dont nous venons de parler comme ac- 
quéreur de la seigneurie de Saint- Valéry : il porta 
les titres de gouverneur de Saint- Valéry et de Rue, 
maréchal de camp, lieutenant général des armées 
du roi. 

Le cardinal de Bentivoglio était alors abbé de 
Saint- Valéry. Il y avait amené des bénédictins 
réformés de la congrégation de Saint-Maur, et il 
s'occupait de la restauration de l'église et du mo- 
nastère que les guerres précédentes avaient fort 
endommagés. 

Louis XIII était mort et Louis XIV lui avait suc- 
cédé, il en résulta pour la France une tranquillité 
à laquelle elle n'était point accoutumée ; la ville de 
Saint-Vaiery put renaître de ses longs désastres, 

point en sa faveur l'esprit sombre et méfiant de Louis XL II fut ar- 
rêté en 1476, par son ordre, et jugé par une commission giii le con- 
damna au bannissement, à une amende de deux mille livres, et à la 
confiscation de ses biens. Mais cet inique arrêt ne fut point exécuté, 
et Gamaches mourut tranquillement dans ses terres, .le 7 août U78. 
Son portrait a été gravé par Stuerhelt, in-4<*. (Biographie d'Ab- 
beville et de ses environs, M. Louandre, p. 149. ) 



108 HlSfOllB DB tADIT-VAtBRY 

et si w n'avait été les ineesaaiitea Yartatima de la 
Somme qui ne viaitait aon port qii'i de rares inter- 
valleS) sa proapérité eût été grande, car ses rela- 
tions eommeroîales s'étendaient dans tout le N(Nrd 
et l'Est de la Franoe. 

La place de Hesdin qui avait doni^ tant de mal 
à Louis XIII pour la reprendre aux Espagmds, était 
alors occupée par une garnison française et soua le 
commandement d'un gentilhomme nommé Baltha* 
zar de Farguea. Cet homme écouta les propositions 
du prince de Gdndé et s'insurgea avec le régiment 
de Bellebrune. Il vendit la place à Don Juan d'Au* 
triche, et après en avoir reçu le prix, il r^usa de 
la lui livrer, fit sauter les fortifications et se ré* 
pandit dans le Ponthieu dont il ravs^gea les cam- 
pagnes; il feillit surprendre Abbeville, mais ayant 
été repoussé d'un manière à lui faire renoncer à 
une autre tentative ; il vint avec son parti hleu pa&* 
ser le gué de la Somme à Blanquetaquej il avait 
avec lui environ huit cents hommes, tant cavaliers 
que &ntassins. Son intention était de piUer le 
Yimeu; il commença par brûler le vilh^e de Bois- 
mont et il arriva vers six heures du matin sur les 
hauteurs de Saint-Valery qu'il se disposa à atta- 
quer; mais les habitants qui avaient été avisés à 
temps, jvaient faits des préparatifs de défense aux- 
quels de Fargues ne s'attendait pas; ils avaient 
dressé une batterie derrière laquelle ils se mon- 
traient en bon ordre; un capitaine de vaisseau qui 



BT MJ COMTÉ ME Snm. i99 

était venu embosaer son navire bous la Ferlé, tira 
un coup de canon à boulet, le& inrargés s'effrayèrent; 
ils reconnurent qu'il y aurait témérité à attaquer 
des gens si bien en mesure de réaiateri «t ils v^ 
broussèrent ebemin. 

Dans sa retraite, Balthazar de Fargue pilla les 
fermes du voisinage, brûla l'église et le village de 
Neuville; et après, cet acte de brigandage, il em^ 
porta tout ce qM'il put, même une des cloches de 
cd village. Il se dirigea ensuite par Àrrest pour 
entrer plus avant dans le Vimeu; mais la milice 
des cotes, commandée par M, dePrévillè, lui donna 
la chasse et le contraignit de repasser la Somme à 
Blanquetaqueavec son parti. 

<c Ce passage, ajoute Cocquart qui nous donne 
ces détails, est à présent inaccessible, de quelque 
manière qu'on voulût tmter de le passer de mer 
basse. ». 

Fargues, après avoir amassé des biens immenses 
par le pillage, fut assez adroit pour se faire com* 
prendre dans le traité des Pyrennées et se retirer 
avec la vie sauve et sa fortune; mais, quelque ten^ia 
après, il&t arrêté et pwdu à Abbeville sur la place 
Saint-Pierre. Ce fut un tort; on n^urait point du 
traiter avec un tel homme, et ne point le gracier 
pour ensuite le &ire mourir par trahison. 

C'était le dernier acte de guerre qui devait se 
pasi^ spus les murs de Saint^Valery; mai$ le sou- 
vem> di^ tant de malheurs avait rendu l'habitant 



200 BlftTOlBE DB SAnrr-VAtBRT 

tellement craintif, que la vue d'un habit militaire 
re£Rrayait et qu'il croyait que la désolation allait de 
nouveau tomber sur sa ville et sur sa demeure. Les 
l^abitants du Yimeu étaient dans ce même esprit et 
lorsqu'un régiment français ou étranger passait 
dans le pays, tout le monde se sauvait, se cachait 
et se barricadait si on ne se sentait point les plus 
forts. Il est vrai que le soldat de cette époque 
était farouche, cruel et sans discipline, et qu'il 
saisissait toutes les occasions de marauder au pré- 
judice du paysan. En juillet 1649, un régiment 
de cavalerie s'avance dans le Yimeu pour fourrager ; 
les habitants des villages s'assemblent, l'attaquent, 
le poursuivent, et l'ayant joint au village de Behen, 
ils en taillent une grande partie en pièces. 

CependairtJa ville de Saint-Valery commençait 
à respirer de ses luttes passées, depuis quelque 
temps le bonheur de la paix lui donnait des jours 
prospères. Le souvenir des luttes religieuses cau- 
sées par la réforme s'était effacé; le catholicisme 
régnait sans obstacles, la ville démantelée n'en 
était que plus heureuse. 

L'abbaye florissait et les reliques qu'elle possé- 
dait continuaieift à y attirer un grand nombre de 
pèlerins. L'abbé jouissait de 18,000 livres de re- 
venuu et les religieux de 9,500 livres. Ils étaient 
seigneurs fonciers et universels de la ville et de ses 
dépendances, en vertu de l'ancienne charte de Da- 
gobert, et possédaient des manses à Citernes, à Fa- 



t 



ET DU GOMTÉ DE VIMEU. 201 

vières et à Morlancoùrt. Les privilèges de l'abbaye 
étaient grands; mais un arrêt du parlement de Paris, 
du 8 février I66i, la priva de la juridiction proé- 
piscopale dont elle avait jouï. La chronologie de ses 
abbés nous manque ; nous trouvons cependant^ par- 
mi ceux qui nous sont connus, des personnages 
d'un haut renom, tels que le cardinal de Guise, un 
neveu de Sixte-Quint, deux Bentivoglio et l'immortel 
auteur de Télémaque * . 

En l'an 1700, Edmond Martenne, bénédictin de 
Saint-Maur et Dom Ursin Durand vinrent à Saint- 
Valery où ils passèrent les fêtes de la Pentecôte. Us 
visitèrent l'abbaye où, disent-ils, il y a beaucoup 
de dévotion et où plusieurs insensés reçoivent leur 
guérison. Ses reliques étaient conservées dans une 
belle châsse d'argent, ainsi que celles de saint Bli- 
mond, son successeur; celles de saint Sévole, comte 
de Ponthieu et martyr, celles de saint Wulgan, ar- 
chevêque de Cantorbery et celles de saint Ribert ^ . 

Les religieuses de l'hospice étaient parvenues à 
restaurer complètement leur couvent. En 1665, se 
trouvant en trop petit nombre pour continuer effi- 
cacement leur œuvre de charité, elles témoignèrent 
leur désir d'être remplacées par des religieuses de 
l'Hôtel-Dieu d'Abbeville. C'est depuis ce temps que 
les sœurs Âugustines sont en possession d'y donner 
leurs soins aux malades. 



1 Histoire d'Abbeville. M. Louandre. Tom II, page 423. 

2 Voyage littéraire. Tom II, page 173. 



I 



202 HISTOIU U «ÀII!IT*-VALEBY 

Un couvent des swira bitiiebe» a'éttit forooé à 
Saint-Vatery, depuis 1520, ^poquA à laquelle les 
religieuses domtniotines avaient été autorisées i se 
fœr dans cette ville, à condition qu'dles ne pour-* 
raient jamais être plus de douze, suivant la décision 
du corps, municipal de la même ville qui leur avait 
permis de quêter trois fois la semaine *.. 

C'est dans le commencement du xvii'^ siècle que 
vivait à Saint-Valery, le curé lacques Leclerc^ au- 
teur de différents poëmes ascétiques qu'on a réunis 
depuis en un seul volume de quatre cent soixante^ 
dix pages. La pièce la plus curieuse de ce livre est 
VUrame pénitente ou Vie et pénitence de la Magde^ 
laine. L'auteur y dq>lore ses faut^^ et entre ainu 
en matière : 

<c Un jour que mon âme pressée 
Des atteintes d'un grand remord, 
Sentît couler en sa pensée 
La souvenaDee de la mort; 
Et que tOQs mes péchés énormes, 
Puavits, horribles et diiSbrmes, 
Ouvrant les yeux de mon esprit, 
Donnèrent à mon cœur Falarme : 
Il se fondit du tout en larme. 
Et soupira ce triste écrit. )> 

M. Louandre, dans sa biographie d'Abbeville et 
de ses environs, donne la nomaiclature des écrits 
de Jacques Leclerc : Les larmes de saint Pierre; les 

I Histoire d'Abbeville. M. Louandre. Tom II, page 473u ::md 



ET DU COMTÉ DE VllIEU. 203 

repentirs, les dédains, les remords, les soupirs, les 
regrets d'un. pénitent, la conversion de saint Paul; 
là contrition de là Magdelaine, le jugement dernier, 
des strophes et une complainte sur ces mots : Mise- 
remini mei, vos saltem amici mei. La paraphrase 
du nunc dimittîs; le retour et le repentir de Venfant 
prodigua, etc., etc. 

Saint-Valery a, en outre, donné le jour à plusieurs 
hommes remarquables, tels que Martin Glaire, poëte 
latin de la société de Jésus, né en 1 61 2, qui com- 
posa des hymnes' ecclésiastiques; Dom Gauteleu, 
moine de la congrégation de saint Maur, en 1649, 
qui publia des Insinuatùmes pietatis, seu vitœ sanctœ 
Gertrudis virginis et abbatissœ sancti Benedicti. 
Paris 1622 \ ' 



I On rapporte qu'un sentiment secret TaverUt-de sa mort, et qu'il 
en fixa le jour. Cette singulière déclaration surprit d'autant plus, 
qu'il n'était point malade. Le %8 juin 1662, il rendU exactement ses 
comptes, fit appeler son successeur, et lui donnai <][es instructions. 
Le lendemain, terme indiqué de son existence, il demanda la der- 
nière épreuve de son livre, et après l'avoir corrigée, il expira. 
(M: Louandre. Biographie d'Abbeville et de ses environs.) 



1 



i 



XVI 



Au commencement du 1 7* siècle, quelques an- 
nées de paix avaient relevé Saint- Valéry ^de ses dé- 
satres; la pêche et le commerce avaient repris leur 
activité. Malheureusement les variations incessantes 
de l'embouchure de la rivière compromettaient 
l'existence de ce port : les bancs de sable, dit le 
chevalier de Glerville * , sont causes que les navires 
ne peuvent venir à Saint-Valery qu'en trois marées, 
et sont obligés de toute nécessité à mouiller dans 
cet intervalle soubs la pointe du Hourdel ou soubs 
le château du Crotoy. » 

Cependant la science nautique avait fait des pro- 
grès depuis le règne de François P'; au routier 
de Jean de Bruges avaient succédé des instructions 
plus complètes sur la navigation des côtes et de 
l'embouchure des fleuves ; le Petit Flambeau de la 
mer était mis entre les mains de tous lès capitaines 



I Rapport du chevalier de Clerville sur les ports de la Picardie 
et de la Normandie. CoUect. Colbert* 122. V*. 



à 



206 HISTOIRE DK fiàlNT-YALERT 

de navires qui faisaient la navigation sur les côtes 
de rOcéan * . 

Le prolongement excessif de la pointe du Hour- 
del vers le Nord semblait être la cause de l'envase- 
ment qui se produisait sur la plage de Saint-Valery . 
Néanmoins, malgré les stations que les navires 
étaient obligés de faire au Hourdel et au Crotoy, le 
commerce de Saint-Valery était assez florissant. 
« Mais dit le chevalier de Glerville, comme Tanti- 



I iyÉia|>le à la rivière de Somme, la eMe eonrt au Sud sit grandes 
lieues. C'est une rivière dans laquelle il peut entrer des navires de 
moyenne grandeur, mais l'entrée en est très-difficile, car droit de- 
vant celte rivière il y a un bane qui la barre, et qui met an moine 
trois quarts de lieue en mer, ce qui la rend d'un difficile accès; elle 
a néanmoins deux passages, savoir, an au Nord le lonj;de la terre 
du Nord, et l'autre au Sud le long de la terre du Sud. 

Pour passer par le Nord, il faut approcher la terre et prendre 
connaissance d'une tonne qui est à l'entrée des bancs, et quand 
vous êtes passé ladite tonne, vous gouvernez sur Saint- Vallery, qui 
est du côté du Sud de ladite rivière, et courre ainsi jusqu'à ce que 
voua soyez proche de la terre du Sud. A la pointe du Nord de l'entrée 
de cette rivière, le long de la terre, il y a encore quelques petits 
platons de sable qui mettent un peu au large, c'est pourquoi il ne 
faut point épargner la sonde ; et quand vous pouvez avoir un Pilote 
de terre, c'est encore le meilleur, car les entrées de cette rivière 
sont sujettes à changer, ce qui fait que Ton n'en peut pas bien écrire, 
joint que dans la rivière il y a plusieurs bancs qui sont de sable 
mouvant et fort sujets à changer. 

Quand on vient deTOuest, et que Ton veut entrer dans la rivière 
de Somme, il faut mettre le Cretoy en dedans de la pointe de la 
rivière, la longueur d'an câble, et gouvernez ainsi jusqu'à ce que 
vous ayez connaissance de la première tonne : vous snlvez ainsi les 
tonnes qui sont au nombre de trois ou quatre, que vous laissez toutes 
à tribord, c'est-à-dire, à terre de vous; et quand vous êtes au-de- 
dans desdites tonnes, de la pointe dn Sud et de l'entrée de ladite 
rivière, alors vous gouvernez à l'Est dans la rivière, puis étant un 
peu dedans, vous gouvernez sur Saint-Vallery le long de la côte du 
Sud. Âu-dedans de la rivière il y a beaucoup de balises qui facilitent 
la connaissance du canal allant à Saint- Vallery. 

( Le Petit Flambeau de la mer y ou le véritable guide des pilotes 
cô tiers ^ Bougard, page 3- ) . 



wt M ooMTÉ DE vmu. 207 

pâthie qui est entre les marchanda de Saint^-Yalery 
et ceux d'Abbeville empéohe que le débit des choses 
qui s'y apportent ne s'en ftisse si bien et n'accontH 
mode ces deux lieux là tout eiisemble par le com- 
merce qu'ils pourraient faire l'un avec l'autre^ il 
faudrait que quelque personne d'autorité prist soin 
de les concilier les uns avec les autres^ ce qui ne 
serait pas trop malaisé, n'y ayant point d'intérêts 
de bien qui les séparent. »> 

Le port de Saint*-Valery, dit toujours de Glerville, 
est assec bien placé pour l'exportation des vins de 
Laon, de Goucy et de la montagne de Rheims ainsi 
que des autres denrées qui peuvent y être apportées 
par la rivière de Somme. Le commerce de cabotage 
y était très-actif surtout avec Calais, la Normandie et 
la Bretagne; le nombre des navires qui accédaient 
annuellement au port était de SOO à 300 % il était 
plus fréquenté par le commerce que Boulogne et 
Dieppe. Il y avait, appartenant au port, vingt<>deux 
navires du port de vingt à quatre-^ vingt tonneaux, 
qui allaient jusques en Flandre et en Hollande et 
rapportaient les marchandises de ce pays pour être 
expédiées par la Somme ou par charrois pour les 
pays de l'intérieur ou même pour Paris. 

L'intendant général de Bignon dit dans ses Mé- 
moires ^ t tt à proprement parler il n'y a point de 



1 En 1766, il j entra 279 navires français et étrangers; Tannée sui- 
vante, n en etitratô4. 

2 Mémoires de Bignon, intendant général de la Picardie. 



208 HISTOIRE DB SAOIT-YALBRT 

port à Saint-Yalery, les navires se retirent le long 
du rivage dans une anse qui joint le faubourg de la 
Ferté, où ils sont à couvert. ( 

tf Le commerce de Saint-Valery est très-considé- 
rable, quoique l'entrée en soit difficile à cause des 
bancs de sable, mais il est d'ailleurs très-commode 
et très-avantageux par la facilité de faire transporter 
en Picardie, en Artois, en Champagne, à Paris les 
marchandises qui y abordent de tous les porta de 
France, de Hollande, d'Angleterre et de Hamboui^, 
sans courir les risques et être exposées aux retards 
de la voie du Havre. » 

« Un bâtiment se rend de Hollande à Saint-Valery 
en vingt-quatre heures par un temps favorable; les 
marchandises dont il est chargé sont en deux jours 
et demi à Amiens par des gribannes qui remontent 
la Somme. Si les marchands veulent faire plus de 
diligence et ne pas ménageries frais, ils font voitu- 
rer leurs denrées en trois jours de Saînt-Valery à 
Paris. C'est ce qui a déterminé le conseil du roi à 
permettre l'entrée des dragues et grosseries par ce 
port, à la réserve néanmoins des cires et des 
sucres. » 

Que dirait Bignon maintenant, où des marchan- 
dises chargées à Saint-Valery, sont six quarts d'heure 
après rendues à Amiens et peuvent l'être en moins 
de six heures à Paris ? 

Bignon donne ensuite ainsi le détail du commerce 
qui se faisait par Saint-Vàlery : 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 209 

Sortir. Blés pour la Normandie, la Bretagne, 
l'Angleterre; fils de caret, toiles à voiles et d'em- 
ballage, étoffes d'Abbeville et d'Amiens pour l'Es- 
pagne, le Portugal; les vins de Champagne et de 
Bourgogne, des indigos des îles françaises et des 
safrans du Gatinais, des étoffes des fabriques du 
royaume et autres marchandises, pour l'Angleterre 
et la Hollande. 

Cabotage. Sucrer des raffineries de Nantes, de la 
Rochelle, de Normandie, des Savanes, de Toulon, 
de Marseille; des vins et eaux-de-vie de la Rochelle, 
Bretagne, Bordeaux, Languedoc, des cidres d'Auge, 
des miels bruns de Bretagne, des prunes et autres 
denrées de Gascogne^ des papiers de Caen, des 
beurres de Normandie et Bretagne, des sels du 
Brouage pour le fournissement des greniers, des 
pelleteries de la Rochelle, de la molue salée, de la 
pêche de la Normandie, Bretagne et la Rochelle. 

Il y vient des pays étrangers des cendres com- 
munes de Danemark pour le blanchissage, des cen- 
dres potasses de Hollande pour la fabrication du 
savon, des huiles dé baleine et poisson, des lins de 
la mer Baltique, des laines d'Espagne, du bois de 
Campielj Brésil, bois jaune et autres drogues pour 
les teintures, de la molue salée, des harengs appor- 
tés par les Hollandais, quantité de fromage d'Hol- 
lande, des fers blancs et noirs de Hambourg. 

La plus grande partie du commerce de Saint- 
Valery, dit Clerville, était dirigée à la Rochelle et à 

«4 



210 MISTOIRE OB SAINT-VALEHY 

* 

Bordeaux; ou y portait les toiles de Picardie, les 
fils de caret qui se filaient à Abbeville et dans les 
environs. 

Un arrêt du conseil d'Etat du roi, en date des 8 
noven^re 468? et 3 juillet 1698, avait désigné le 
port de Saint-Yaleiy pour l'entrée des tissus prove* 
nant d'Espagne, d'Angleterre et de Hollande. 

Il y avait, attaché à ce port, un inspecteur du roi 
pour les produits des manufactures étrangères. 

La pêche se faisait dès le commencement du 1 7* 
siècle par soixanle-dix grands bateaux : la morue et 
le hareng formaient l'objet principal de celle pêche. 
Ces poissons étaient débarqués et salés à Saint- 
Valery, et, d'après Clerville, les pêcheurs de ce port 
savaient si bien accommoder leur poisson, avec une 
industrie qui est si fort au^dessu^ de celle des autres 
pescheurs de la coste de Picardie et de Narmandiej 
que les harengs dont les barils étaient à la marque 
de Saint-Valery, se vendaient par préférence qua- 
rante sous par baril plus que les autres. 

D'après Bignon, intendant général de Picardie, 
Boulogne et Saint-Yalery. faisaient par an pour plus 
de quatre cent mille livres argent en harengs et 
maquereaux qui étaient distribués en Flandre, en 
Artois et à Paris. 

Mais lorsque le chevalier de Clerville vint à 
Saint-Valery, en 16...., cette pêche était déjà bien 
détériorée: il en. attribue la cause à l'excès des 
droits qui étaient imposés sur le poisson et parti- 



ET BU COMTÉ DE VIMEU. 214 

culièrement des droite d'abord et de consommation; 
il se plaint en outre de l'usurpation du privilège de la 
fourniture du sel, dont les adjudicataires des gabelle 
avaient obtenu la préférence par un arrêt du conseil 
royal, laquelle était cause que les marchands qui ven- 
daient préalablement ces sels aux pêcheurs avaient 
cessé de les faire venirdù BrOuage. Les adjudicataires 
pouvaient ainsi impunément vendre cette denrée 
à un prix exorbitant, de sorte qu'au lieu de 
soixanteniix bateaux-pécheurs le port de Saint- 
Valéry n'en avait phis que douze petits et grands. 
La pèche, au rapport de Clerville, faisait le prin- 
, cipal intérêt du port de Saint-Valery; depuis long- 
temps, les marais salans du voisinage n'existaient 
plus et les habitants réclamaient instamment que 
la liberté leur fut rendue d'aller acheter «leur sel 
sur les salines^ sûrs que cette' faculté augmenterait 
immédiatement le nombre de leurs bateaux. 

« Sur la plainte générale de tous les habitants 
de la côte de Picardie, est-il dit dans le rapport de 
Clerville, de ce que messieurs des Gabelles font 
faire le transport des sels par les hollandais préfé- 
rablemenf aux français; c'est chose un peu étrange 
que les français pouvant rendre un service aussy 
commodément et aussy avantageusement que les 
estrangers, que l'on s'opiniâtre à leur ôter le gain 
d'une somme de 1 1 livres, qui nourriroit beaucoup 
de matelots, pour faire gaigner cette mesme somme 
par des estrangers, auxquels, par toutes les ordon- 



il12 HISTOIRE DE SAUiT-VAtERT 

nances, il a este deffendu de naviguer de port en 
port, et pour preuve que les français peuvent rendre 
ce service comme les estrangers, je m'obligerai à 
foire faire le transport des. sels par des français 
pour le mesme prix que les adjudicataires donnent 
aux Hamands.* » 

Les administrateurs des cinq grosses fermes en- 
travaient considérablement le commerce, et le che- 
valier de Clerville ne manque pas de l'annoter dans 
son rapport : il demande que les fermes soient ré- 
gies à par de fort honnêtes gens, qui aient plus 

« ♦ 

d'envie de plaire et de servir, que de s'enrichir par 
de petits profits. » 

Le port de Saint-Valery armait aussi pour la 
pêche de la baleine. Le chevalier de Clerville y vit 
cinq bâtiments en construction pour cette destina- 
tion; mais dans ce moment, dit-il, des spéculateurs 
obtinrent un édit sur les huiles de baleine, qui était 
très-préjudiciable à cette pêche comme au menu 
peuple, et les cinq navires ne purent être employés 
à. cette industrie. 

Le chevalier de Clerville porta son attention sur 
toutes les questions qui pouvaient intéresser le 
commerce de Saint-Valeryj c'est ainsi qu'il repré- 
sente au roi que le renchérissement des soudes 
dont le commerce de Saint-Valery faisait un grand 
débit pour le blanchissage des toiles de Picardie, 



.1 Rapport du chevalier de Clerville sur les ports de la Picar- 
die, 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 213 

cause un préjudice considérable aux habitants de 
toutes les classes, il s'élève surtout contre les droits 
seigneuriaux auxquels, les habitants étaient encore 
tenus et rappelle Tédit de Louis XII sur l'abus de 
sesfedevances. 

Ces droits qui durèrent jusqu'à la révolution de 
1 789, consistaient en prélèvements sur les censives, 
feux et fanaux, tonnes et balises, vicomte et pré- 
vôté, de trois moulins à vent, formant uii revenu 
de 10,000 livres environ. Piganiol de la Force cite 
parmi ces sources de revenus, le droit de quatre 
deniers par livre sur le prix de tous les poissons ' 
qui se vendaient dans le port de Sainl-Valery; celui 
de mësurage et minage sur tous lès blés, orges, 
avoines et autres grains qui entraient et arrivaient 
à Saint-Yalery et autres lieux de la baie de Somme; 
c'est-à-dire un sol ou douze deniers, par chaque 
septier pour droit de mësurage, et en outre une 
patelle ou la cinquième partie d'un boisseau par 
chaque septier de grain, mesure de Saint- Valéry, 
pour droit de minage, lorsque les grains se vendent 
au marché ou en la banlieue de cette ville et 
dépendances. Les bourgeois et habitants du lieu 
étaient exempts de ce droit de patelle ou (jie minage, 
lorsque les grains leur appartenaient en propre* Il 
y avait, en outre, un droit de paulette, qui consis- 
tait en une taxe annuelle du soixantième de la va- 
leur des offices. Il était perçu comme indemnité du 
droit de transmission des offices, qui fut consacré 



214 HISTOIRE DE 8AIIIT-VALBR\ 

au profit de la veuve et des héritiers du titulaire, 
par ordonnance royale de 460i, et il prit son nom 
de celui de Tinventeur, Charles Paulet, secrétaire 
de la chambre du roi V 

* La ville de Saint-Yalery, dit ClerviUe, mérite 
quelque, considération par Tancienne importance 
de son commerce et par les services qu'elle rendit 
à la cause royale. C'est le siège d'une amirauté 
composée d'un lieutenant, d'un procureur du roi, 
avec substitut et d'un greffier, Il y a, en outre, un 
gouverneur militaire, un lieutenant du roi et un 
major ' . 

La seigneurie de Saint^Yalery avait été détachée 
du Ponthieu pour faire partie du comté d'Amiens; 
plus tard, par lettres patentes du roi Louis XIY, le 
comte d'Artois en obtint la mouvance ainsi que de 
la seigneurie de Cayeux. 

Le marquis de Saint^Yàlery, Nicolas*Joachim 
Rouault, lieutenant général des armées du roi, dont 
nous avons parlé plus haut, était mort en 1637, 
âgé de 68 ans; il avait laissé entre autres enfants, 
Joseph-Ëmmanuel*Joachim, brigadier, mort en 
1 691 , lequel avait eu pour fils Jlean-Joseph qui fut 
tué à la bataille d'Hochsteedt. 

A la fin du xvn* siècle, le seigneur de Saint-Ya- 
lery était Claude-Jean-Baptiste-Hyacinthe Rouault, 

1 Piganiol de la Force, cité par M, Darsy. Gamaches et ses Sei- 
gneurs. 

2 Rapport du chevalier de^lerville sur les ports de la Picar- 
die. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 215 

marquis de Gamachcs, brigadier d'armée en 1690, 
maréchal de camp en 1606, lieutenant général des 
armées de Sa Majesté, etc. , etc. Il avait pour fils, 
lean-Joachim, comte de Gâyeux, brigadier d'armée, 

marié avec madame N qui, dit notre mémoire 

anonyme ' « aura un jour quatre-vingt-dix mille 
» livres de rentes. » 

Le dit seigneur Rouault, gouverneur de Saint- 
Valery, advoué et advocataire de l'abbaye, avait la 
haute justice et voirie; en 1708, il réclamait en- 
core des droits de travers et péages sur. les mar- 
chandises passant à Saint-Valéry . Il fut ordonné, à 
cette époque, par le conseil d'Etat, que le marquis 
aurait à justifier de sa possession ^. 

Le commerce réclamait vivement contre ces 
droits, parce quil entravait ses opérations. Tous 
les navires, même ceux à destination d'Âbbeville, 
étaient tenus de venir à Saint-Valery pour y dé- 
charger leurs marchandises, les faire visiter et en 
acquitter les droits. La ville d'Abbeville réclama 
contre cet usage et demanda que les navires pussent 
venir avec le bouillon de la mer jusqu'à leur quai, 
sans être obligés de toucher ni au Grotôy^ ni à Saint- 
Yalery. Le conseil d'Etat, par un arrêt do 13 mai 
1716, voulut bien qu'on ne déchargeât plus les 
marchandises à Saint-Valery et qu'on ne les y visitât 



1 Mémoire pour l'Histoire civile et ecclésiastique de Saint- 
Valery-sur-Somme, 

2 Archives de la Somme. Liasse intitulée : Péages. 



216 H18T01RB l>B SAllCr-VALBRY 

plus; mais seulement il tint à ce qu*on y payât les 
droits d'entrée sur la déclaration des armateurs et 
sur les connaissements et acquiis-à-caution visés 
par les commis du fermier, lesquels seraient msuite 
portés au bureau d'Abbeville pour être vérifiés. 

Cette époque (fin du nvn* et commencent du 
xx\ni* siècle) était brillante pour le port de Saint- 
Valery; le chenal de la Somme s'était fixé contre le 
quai de la Ferté, et de ce point, il traversait la baie 
pour passer près du Grotoy, d'où sa direction était 
directe vers la iner*. Les navires les plus gros en- 
traient d'une seule marée dans son port ou bien 
relâchaient pendant une marée au Grotoy: aussi est- 
ce le temps de la grande prospérité et du grand 
renom du port de Saint- Valéry, où abordaient les 
navires de toutes les nations maritimes. 

En 4718, une maladie épidémique, la Suettey 
apportée par un navire hollandais chargé de laine, 
causa de grands ravages à Saint-Yalery et dans le 
Yimeu. La châsse du saint patron de l'abbaye fut 
promenée dans les rues et exposée à la vénération 
des fidèles; mais la maladie fit des ravages qui ne 
se ralentirent qu'avec le temps. Il mourut 1 ,1 00 per- 
sonnes à Saint- Valéry. 

Les seigneurs de Saint-Valery avaient vendu ou 
cédé peu à peu chacun de leurs droits à l'abbaye : le 
dernier de ce nom, Nicolas- Aloph Rouault, brigadier 



1 Voir les cartes et plans, au dépôt des cartes de la marine, a 
Paris. 



ET DU GOIITÉ DE VIMEU. 21? 

des armées du roi, afferma en OYS, par acte nota- 
rié au profit de Nicolas Bataille, fermier général du 
prince de Monaco, demeurant à Paris, entre autres 
biens, la terre et seigneurie de Saint- Valéry et la 
terre, pays et roc de Cayeux, régis par la cou- 
tume d'Amiens. Le seigneur de Rouault se réser- 
vait néanmoins le château de Saint- Valéry avec 
droits de chasse, droits de «nomination aux offices, 
la présentation aux bénéfipes, cures et chapelles, 
les droits honorifiques, ceux de garde-noble, de 
lods et ventes, etc. Si ce bail était sérieux, dit 
M. Darsy, à qui nous empruntons ces détails, on 
pourrait croire qu'il avait pour but d'assurer au 
comte de Rouault le paiement régulier et mensuel 
de revenus qui lui arrivaient trop longtemps au gré 
de ses désirs et de ses besoins incessants, pas les 
voies ordinaires de perception * . 

A la révolution, le comte de Rouault émigra et 
mourut sur la terre étrangère. Ainsi finit la sei- 
gneurie de Saint- Valéry. 

I Gamachei et ses Seigneurs, 2* partie, par M. Darsy. 



XVII 



Les anciennes relations géographiques repré- 
sentent Saint-Valery comme une ville d'une grande 
importance- commerciale, dont le port était un des 
plus fréquentés des ports de la Manche. L'ingénieur 
Coquarty qui avait été commis par les négociants 
de Saint-Valery pour faire les plans d'un port à y 
créer, la dépeint ainsi : 

Là ville de Saint-Valery au comté de Ponthieu, 
en basse Picardie, est très-ancienne; elle est située 
sous le 50^ 10"» de latitude et par les 20* 18"* de 
longitude, à quatre lieues d' Abbeville, dans une belle 
campagne du pays du Vimeu, sur le bord escarpé 
d'un cap du rivage de la Somme ^ . 
' La ville haute de Saint-Valery, dit Lesueur, sur 
la rive gauche de la Somme, est située sur un tertre 
élevé de soixante à quatre-vingts pieds au-dessus 
des laisses de basse mer '• 



I Projet pour le rMahlissement du port de Saint-Valery que la 
mer a ensablé. Bibl. de M. Poncet de la Grave. 17, suppl. 

a Reconnaissance du port de Saint-Valery 1815. Lesueur, cap, 
du génie. Comité des fortifications à Paris. 



220 HISTOIRE DE SAOrT-T ALERT . 

Dès le milieu du xyiii* siècle, ses fortifications 
n'étaient plus ce qu'elles avaient été autrefois; ^es 
brèches considérables n'avaient point été réparées 
et ne représentaient plus que des ruines. Cepen- 
dant Goquarty dit que de son temps, il y avait en- 
core une bonne muraille formant un plan irrégulier/ 
fortifié d'un rempart avec un fossé sec, le tout 
flanqué de grosses tours pour en défendre l'ap- 
proche. En 4767, une de ces tours, qui existait 
encore, était remarquable par un escalier double, 
disposé de manière que deux personnes qui y mon- 
taient en se tournant le dos, se retrouvaient en face 
l'une de l'autre en arrivant au haut ^^ 

La ville n'était percée que de deux portes qui 
devaient avoir été assez bien défendues. Celle de 
l'abbaye du côté de la ville d'Eu, vers le Midi, 
avait un pont-levis; celle de la Ferté, du côté d'Ab- 
beville, vers l'Est, au bout du fossé, sur le bord de 
la mer, avait une forte barrière, défendue par un 
fer à cheval et par d'autres ouvrages qui en com- 
mandaient toutes les avenues et qui enfilaient aussi 
le fossé en croisant leurs feux avec ceux d'un 
épaulement pratiqué dans le fossé du château, sous 
le pont de secours établi du côté de l'abbaye. Cet 
épaulement défendait aUssi les abords du corps de la 
place jusqu'à la porte d'Eu» Le reste de l'enceinte 



3 Une note manuscrite de M. Saumon dit que cette tour- avec son 
escalier était située derrière l'église, qu'elle fut démolie jusqu'à hau- 
teur du sol et que l'eAcalier disparut en i 780. F. L. 



ET DU COMTÉ DE YIMEU. 221 

vers le Nord, depuis cette porte jusqu'à celle d'Ab- 
beville, était dçféndu par la mer qui baignait ses 
murs deux fois tous les vingt-quatre heures. 

Les tours qui protégaient le corps de la place 
étaient demeurées à découvert ainsi que les ou- 
vrages des deux portes, depuis le sac de cette ville 
en 4 473 par le duc de Bourgogne. Le château seul 
avait été entretenu et, en 1737, lorsque Çpquart 
écrivait son mémoire, il était encore en assez bon 
état, sauf son épaulement et le pont de secours qui 
étaient restés en ruine. La tour était encore debout, 
mais ses plate-formes, escaliers et autres ouvrages 
intérieurs, avaient sauté, comme nous l'avons dit 
plus loin, par suite de l'explosion d'un magasin à 
poudre qui avait été ménagé au-dessous. 

La tour à roc, située au bas de la mer, existait 
encore en partie ainsi que la plate-forme de sa bat- 
terie, percée de quatre embrasures. Cet ouvrage 
renfermait un magasin pour les munitions de son 
service. Il avait dûexister une batterie supérieure, 
ainsi qu'on en pouvait juger par une galerie voûtée 
que son état de dégradation empêchait de bien recon- 
naître, mais qui suivant toute apparence, traversait 
le rempart et communiquait aux ouvrages de la 
porte d'Eu et peut-être au château. 

Le revêtement, depuis cette tour jusqu'à celle 
de l'église, était à peu près dans l'état où nous le 
voyons aujourd'hui; une partie avait coulé à la mer 
en 1 720 ou 1 721 , faute d'un léger entretien qui 



ifiH HlâTOmE DE &AINT-VALBRY 

aurait évité cet accident. Ce revêtement soutenait 
la poussée des terres à plus de quarante pieds de 
hauteur. Le quartier de la ville qui était situé sur 
le haut de cette falaise, souffrait considérablement 
de cette dégradation; on y voyait des maiscms à 
moitié renversées et les autres étaient abandonnées. 
Coquart parle d'une des plus belles maisons de la 
ville qui 9 de son temps, au mois de mai, coula avec 
les terres en une seule marée; plusieurs autres 
étaient menacées de ruine par la même cause et 
l'on ne voyait aucun moyen d'y apporter remède. 

La muraille de l'église était enc(H*e en bon état; 
il existait autour de l'église un chemin de ronde. 
« A l'égard des corps-de-garde, chambres des or- 
gues, et autres logements à la porte d'Abbeville^ 
qui joignent la paroisse, dit Coquart, on les a em- 
ployés utilement pour en faire le pre^ytère dans 
lequel le curé est logé. » 

Les choses changèr^t peu pendant un siècle. 
Voilà comment s'exjNrimait en t815,*le capitaine 
du génie Lesueur, chargé dé faire un rapport sur 
l'état des fortifications de Saint-Valery : 

« Son ancienne enceinte établie sur escarpement 
et construite en maçonnerie, est culbutée sur un 
tiers environ de son développement; sur les deux 
autres tiers, elle est restée intacte et a conservé 
depuis trois jusqu'à douze et quinze pieds d'éléva- 
tion au-dessus du sol de la ville. Cette enceinte 
était environnée d'un fossé sans eau de huit à dix 



ET W COMTÉ DE VIMSU. 223 

pieds de profondeur, dont moitié du développement 
a été rempli de ferres et de décombres pour l'éta- 
blissement d'une {HTomenade publique. 

» Les restes de ses murs sans terrassement ont 
de trois à six pieds d'épaisseur à la base; il& appar- 
tiennent à des particuliers qui y ont adossé, dif- 
férentes constructions : il serait peut-être conve- 
nable, si on leur en interdissait la jouissance, de 
les indemniser. 

» Cette enceinte a six cents toises environ de 
développement; elle pourrait exiger pour sa défense 
une garnison de 600 hommes envirtm. 

» Cette position est soumise au commandement 
de quelques hauteurs fort élevées, qui n'en sont 
distantes que de cent à cent cinquante toises et qu'il 
ne faudrait céder qu'à la dernière extrémité, afin de 
retarder l'époque de leur occupation par l'ennemi . 

» Après une défense de quelques jours la gar- 
nison pourrait se retirer dans l'église qui est suffi- 
sammrat grande et solide pour s'y retrancher ' . » 

Ainsi lecafHtaine Lesueur, qui écrivait ces lignes 
en 4815, s'exprimait en vieux troupier décidé à ne 
broncher d'une semelle et à se faire sauter sur les 
dernières ruines de la place plutôt que de se rendre. 

Au temps de Coquart, Saint-Valery n'avait plus 
qu'une seule paroisse dédiée à Saint-Martin % la 

t Reconmaissance du poste de Saint-Valery y 1815. Lesueur, cap. 
du génie. 

2 Dans «ne chapelle de Téglise de Saiat- Valéry on remarque une 
peinture tn grisaille assez en ruine, et trois tableaux sur bois por- 
tant la date de f 6f5. H. Dusetel. 



224 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

ville était ornée de deux belles et longues rues qui 
la traversaient presque d'un t>out à Tautre; elle avait 
aussi un baillage, vicomte, amirauté et grenier à 
sel; le petit nombre de ses bourgeois étaient tous 
officiers de ces justices, et le reste de ses habitants 
consistait en brasseurs, petits marchands, cabare- 
tiers et autre menu peuple. 

Les prisons de la ville étaient dans les souter- 
rains et corps-de-garde du château; Coquar( dit 
que les appartements au-dessus étaient alors occu- 
pés par le bailly qui y faisait sa résidence. 

La place n'avait plus de gouverneur d'état-major, 
mais elle avait un maire chargé du soin de l'en- 
tretien de son enceinte et des buvlrages publics, 
comme ausài de veiller à la police, de concert avec 
le subdélégué de l'intendant. 

« Il y a toute apparence, observe Coquart, que 
son revenu est très-peu de chose, mais qu'il ne 
suffit pas à beaucoup près pour subvenir aux en- 
tretiens des ouvrages publics à quoi l'on doit pré- 
sumer qu'il est employé. On ne sait point quel est 
son revenu ni à qui ce maire en rend compte. » 

Coquart ne nous donne pas l'étendue de la ville; 
mais d'après les recueils géographiques de cette 
époque, elle avait huit cents maisons * . 

1 L'auteur de l'Itinéraire descriptif ou description routière ^ 
géographique^ historique et pittoresque de la France et de l'Italie^ 
(3* partie) pour 1816, ia-8*, dit, en parlant de la ville de Saint- Va- 
léry, qu'elle est peuplée d'environ 4,000 habitants, et celui du livre 
intitulé Bienfaisance française ou Mémoire pour servir à l'his- 
toire de ce siècle^ in-12, Paris 1778, ajoute qu'un des quartiers ap- 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 225 

Coquart entre ensuite dans des détails étendus sur 
l'économie de la ville. « Tous les puits, dit-il, sont 
saumaches et Teau douce s'y achète comme à Paris; 
mais les bourgeois les plus aisés ont des citernes 
chez eux pour subvenir à leurs besoins. 

» Le marché tient deux fois de la semaine et 
cette ville a une foire à la Saint-Martin d'hiver, qui 
dure deux jours sous le nom de TroteriSy où il se 
vend toutes sortes de marchandises et bestiaux né- 
cessaires aux besoins de la vie. 

» Saint- Valéry a deux faubourgs, celui de l'ab- 
baye, qui est le moins considérable, a sa paroisse 
dédiée à Saint-Nicolas : c'est une petite chapelle 
dans l'église du monastère des bénédictins. La cha- 
pelle de Saint- Valéry existe dans ce faubourg sur 
le plus haut du cap au. bord de la Somme. Il y a, 
au pied de cette chapelle, une fontaine d'eau douce 
qui porte le nom de ce saint et qui fournit de l'eau 
à la vUle. Les habitants du faubourg de l'abbaye 
sont presque tous maraichers et manouvriers, ex- 
cepté quelques laboureurs. On y voit un très-beau 
carrefour orné d'une belle croix de pierre de taille* . 

pelé faubourg de la Ferté, n'a que trois rues qui en partagent toute 
la longueur et que l'on y compte douze cents maisons. 

Dans les Voyages en France^ depuis 1775 jusqu'en 1817, on n'é- 
lève pas aussi haut le nombre des maisons de Saint- Valéry; on y lit 
avec surprise : • Saint- Valérie très-petite ville.. Vous n'aurez pas 
plus de sept à huit maisons à distinguer dans ce lieu, et ces maisons 
appartiennent à sept ou huit négociants qui font tout le commerce 
de l'endroit; il consiste en entrepAt de> eaux de vie de Rhé et des 
huiles et savons de Marseille. 

{Notes de M. S. DVSEVEL.) 

1 Voir plus haut, page 113. 

15 



2Sfi HISTOIRE DE SAIITI^VAL^RY 

» Le faubûurg de la Ferté est baaiKH)up |4u& con- 
sidéraMe que k ville; deux longues rues ftfqsquei 
parallèles qui s'étendent à mi-€Ôte depuis la côte 
de la Ferté Jusqu'au c^p du Montant en font le ptw. 
Sa situation le long du bord de la Somme eut si 
agréaUe, que la commodité de ce Keu y a fait éta- 
blir un grand nombre de cemmi^ionnaîres qui 
font les affrètements^ reçoivent les marchandi^ies 
et tiennent ouverts les magasins des négociants qui 
font leur commerce dans ce port. 

» Il en est peu dans ce faubourg qui négocient 
pour leur compte; c'est aussi la résidence des ca- 
pitaines, maîtres de navires, pêcheurs^ pilotes cô- 
tiers, matelots et de tous les gens de mer; la douane, 
les aides, les traites, la vicomte et tous les autres 
bureaux y sont établis, excepté celui des classes, 
qui se tient dans la ville. Il y a des gens de métier 
de toutes les professions, absolument nécessaires; 
mais il y manque un kidrografe^ qui y serait très- 
utile pour Finstruclien d'un grand nombre de jeunes 
gens de bonne volonté, mais qui ne sont poii^t en 
état de soutenir des pensions^ en s'absentant de cheis 
eux pour aller aux écoles de marine * , dont la plus 
proche est à Dieppe. La corderie et la charpenterie 
sont situées à son extrémité le long de la grève, 
vers le cap du Montant. 

» Ce faubourg, qui renferme une quantité ngm- 

I Une école d'hydrographie de la marine a, depuis cette époqiM, 
été créée à Saint- Valéry. f. l. 



£T BU €€aiTÉ DE VlllfiU. SlS7 

breoses d*habîtdnts, ttnt naturels qu'étrangers, n'a 
point de paroisse que celle de la ville dont ils sont 
éloignés quoiqu'ils en fassent partie; mais^ par ar* 
rêt du conseil y ils ont obtenu depuis peu d'soinées, 
la permission de faire construire à frais communs, 
une chapelle qu'ils ont dédiée à la Vierge et où ils 
entretiennent un prêtre qui n'a point d'ai^inte- 
Hients fixes et qui ne subsiste que d'une quéie aB- 
nuelle, qu'il fait chez les freteloUy et de ee que lui 
produit un petit nombre d'enfants de matelots qu'il 
enseigne^ ce qui le &it vivre au-dessous de la mé« 
diocrité * . Ils ont aussi un Hôtel-Dieu où il y a plu- 
sieurs lits fondés pour les malades et des soeurs de 
communauté pour l'éducation des jeunes filles. 

» Ce qu'on voit • dans ce faubourg de |^us con- 
sidérable, est un £a[meux dépôt de sels, bâti depuis 
deux ans, qui est d'une si grande contenance qu'il 
pourrait fournir à l'entretien des greniers de la 
haute Normandie, de la Picardie, de la Champagne 
et de la Bourgogne; mais cet édifice, qui a coûté 
cent mille écus, est à la veille de devenir inutile 
après une dépense si considérable, par le mauvais 
état du port, qui ne peut être plus près de sa ruine. 



I Les habitants du foaboui^ de là Ferté étaient obligés, avant 
1778, d'aller à la ville pour le service divin, ce qui leur était très à 
charge, par rapport à l'éloignement, mais cette' année^ pour leur 
commodité, ils firent bâtir à leurs dépens, dans le faubourg, par 
permission du Roi, et avec l'agrément de Tévêque d'Amiens, une 
chapelle sueeursaie qui est sous l'invocatioa de Saènt Pierre, On y 
entretient aus.si aux dépens des fondateurs un chapelain. 

(iVMe commmiqKé9 jmt JT S. DCSErBL,) 



228 HISTOIRB DB SAlirr-TALBRT 

» Il y a sur les hauteurs de la Ferté trois mou- 
lins à vent qui ne sont point suffisants à la consom- 
mation du blé pour la ville et les fauboui^ : dans 
les bas-vents, les habitants sont obligés de faire 
venir le pain d'Abbeville, incommodité fôcheuse 
pour eux, aussi bien que pour les équipages qui 
s'arrêtent dans ce port et qui sont destinés pour le 
long cours, ce qui les oblige souvent à relâcher pour 
faire leur provision de biscuit dans leur route. » 

Le moulin à eau du Mollenel avait été détruit 
pendant les guerres du duc de Bourgogne. En^ 1 636, 
un sieur d'Assigny le rétablit sur ses anciens fon- 
dements, moyennant une redevance de vingt livres 
par an, pendant vingt ans, après quoi il retourne- 
rait à Tabbaye. 

Le moulin rétabli, le sieur Dassigny afferma à 
l'abbaye, moyennant douze livres et six carpes par 
an, la rivière d'Amboise, dont il fit un étang qu'il 
peupla de carpes, de brochets et autres poissons 
d'eau douce. Mais en 4655, la mer rompit la digue 
et détruisit l'étang et les molières jusqu'à la hau- 
teur de Neufville. 

Après l'expiration de la jouissance d'Assigny, le 
moulin retourna à l'abbaye qui continua à le don- 
ner à bail. En 4738 il était loué 400 livres par an. 
M. Goquart entre dans de longs détails sur les dif- 
férents et les procès que ce moulin suscita entre 
les moines et les propriétaires des ^olières. 

« Tous les puits, comme ceux de Ja ville sont 



/ 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 229 

saumaches, excepté un seul dont les eaux sont 
douces quoiqu'il soit percé sur le bord de la falaise 
de pleine mer de vive eau, au bout de la corderie 
et au bas du cap du Montant; il est inépuisable et 
fournit de Teau à tous les besoins des fretelois dont 
la plupart ne laissent pas d'avoir des citernes chez 
eux pour s'épargner Tachât de l'eau de ce puits, 
qui se vend là comme à la ville. » 

M. Coquart dit peu de chose de l'abbaye. « C'est/ 
dit-il, une maison royale de bénédictins qui pos- 
sède cinq corps saints et a donné pour évêques 
d'Amiens Regembeau et Raimbert. Elle reçijt la 
réforme de la congrégation de saint Maur, par les 
soins de Jean Bentivoglio leur abbé, en l'an 4644. 

M. Dusevel nous dit que parmi les manuscrits 
que possédait cette ancienne abbaye, on remarquait 
le roman de Guarim li LoherenSj dont M. Paulin 
Paris a publié une bonne édition en 1 833-36, d'a- 
près le texte des divers manuscrits de ce roman 
célèbre au moyen-âge, existant à la bibliothèque 
impériale et à celle de l'arsenal à Paris. Le manus- 
crit de l'abbaye de Saint-Valery était beaucoup plus 
complet; c'était un fort volume in- 4% sur velin, 
écriture du treizième siècle, à deux colonnes, re- 
liure en bois, recouverte d'un taffetas broché bleu. 
Il contient, dit l'auteur de la notice publiée sur ce 
roman, dans le bulletin du bibliophile, n"" du 13 
mai 4 844 , pages 563 à 564, deux cent vingt-neuf 
feuillets de 21 ,200 vers environ, 11 offre un des 



230 UIftTOIRB DE SAUrr-VALERÏ 

textes les plus purs que l'on connaisse et semble 
appartenir au dialecte picard ou à celui de FUe 
de France. Oh y trouve, ajoute cet auteur, des 
variantes intéressantes avec le texte publié par 
M. Paulin Paris, et la leçon que nous citons est de 
nature à fixer vivejnent l'attention des philosophes 
et des historiens. 

Les villages environnants s'étaient relevés des 
désastres qui les avaient accablés depuis les guerres 
avec l'Angleterre; mais la plupart étaient encore 
composés de cabanes en terre, couvertes avec des 
roseaux ou de la paille, véritables huttes de sauvage 
enfumées qui ne recevaient de jour que par la 
porte. Don Grenier, en nous parlant du village de 
Cayeux, compare les maisons à des tannières sé- 
parées les unes des autres « à une distance assez 
considérable, dit-il, on les prendrait pour des 
hourdes ou des cabanes de bergers. Il n'y a pas la 
moindre herbe à Cayeux : je crois qu'il n'y a qu'un 
seul arbre dans le village près du moulin situé sur 
le Mont-Rôti ' . » 

Il y avait à cette époque à Cayeux une manufac- 
ture royale de glaces de France qui fut détruite le 
26 septembre 1727, par le feu qui prit à une bras- 
serie du bourg. Tout y fut consumé ainsi qu'une 
grande quantité de matières toutes préparées ^ . 



1 Prqiet pour h rëMflisimnent du port de Saint-Valery sur- 
Somme. Goquart. Bibl. de M. Poncel de la Grave. 

2 Journal de Verdun, Année 1727, sept. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. S34 

Les maisons de Sâint<^Valery n'étaient guère plus 
belles et plus solides que celles des villages : cons* 
truites en bois et en terre mêlée de paille, elles 
prenaient feu aisément. Mais depuis le règne de 
Louis XIY, on commençait cependant à construire 
des maisons neuves en pierres et en briques; on 
établit le long de la rue de la Ferté des maisons 
élevées sur pilotis, pour les affranchir des marées 
qui inondaient fréquemment les rues et les quais. 
On voyait déjà dès 1 750, quelques belles maisons 
sur le quai de la Ferté et dans la ville. 

La Ferté était reliée à la ville par un quai spa*^ 
cieux qui servait de promenade publique aux fre^ 
telois et aux valericains; mais ces quais construits 
en 1640, étaient en très-mauvais état; ils étaient 
soutenus sur beaucoup de points par des planches 
retenues par des piquets. M. Coquart raconte 
que plusieurs parties de ce quai tombèrent de son 
temps sous les coups de la mer, et que les maté* 
riaux dont il était construit se retrouveraient encore 
sous le sable si on les y cherchait. « Il ne reste 
plus de ce port, dit-'il, que les pieux d*amarrage 
qu'on y a laissés comme pour servir de témoignage 
d'un changement si extraordinaire. » 

D'après un recensement fait en 1772, la ville de 
Saint- Valéry, y compris ses annexes, Ribeauville 
et Rossigny , contenait 81 8 feux et 2,807 habitants * . 

1 Dom Grenier. Art. Saint-Valery. 



232 HISTOIRE DB SAIMT-VALBRY 

La situation du port continuait d'inspirer les plus 
grandes inquiétudes; toutes les relations du temps 
en donnent une idée qui nous parait cependant 
exagérée * . Les navires qui entraient en Somme à 
la destination de Saint-Yalery, relâchaient au Cro- 
toy pour y attendre les vives eaux et y transbor- 
daient une partie de leur cai^ison; mais, en vertu 
de l'ancien usage, ils étaient obligés de venir à 
Saint-Valery acquitter leurs droits de douane, de 
navigation et autres. Cette obligation excitait des 
réclamations de la part du commerœ d'Abbeville. 
En 1 734, les négociants de cette ville présentèrent 
au conseil d'amirauté, un Mémoire pour obtenir|que 
les navires à leur destination puissent remonter du 
bouillon de la mer à Abbeville, sans acquitter à 
Saint-Valery ^, ainsi que cela se pratiquait autrefois. 

Ce Mémoire nécessita une réplique de la part du 
commerce de Saint- Valéry, Il s'ensuivit une très- 
longue polémique à laquelle on vit l'avocat Linguet 
prendre part en 1 764, dans son ouvrage sur les 
canaux navigables. 

Ces discussions n'amélioraient point la situation, 
et la navigation dans la baie de Somme devenait de 
plus en plus difficile. L'ingénieur Cocquart, raconte 
que le 1 8 février 1 737, douze navires frétés à Saint- 
Valery à morte charge, entreprirent la sortie de ce 

1 Abrégé des annales du commerce de mer d* Abbeville. M.TrauUé 
page . 

2 Projet pour le rétablissement du port de Saint^Valery-sur- 
Somme, Cocquart. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 233 

port dans le coup de pleine mer. Surpris par le 
calme, ces navires perdirent un temps considérable 
à chenailler avant d'arriver au lit de la Somme sous 
le Grotoy; ce ne fut qu'à basse mer qu'ils purent 
arriver au bas de la Somme où ils échouèrent tous 
sur les bancs : trois y furent entièrement naufragés 
et les autres ne s'en tirèrent qu'avec des avaries 
considérables .qu'ils durent faire réparer dans les 
ports voisins où ils se hâtèrent de relâcher * . 

Le hàble-d'Ault était à cette époque encore ou- 
vert à la navigation; il servait aux pêcheurs de 
Gayeux qui y retiraient leurs bateaux à l'abri des 
coups de la mer. Un fanal avait été élevé à son 
entrée et se hissait au haut d'un mât au moyen 

I Le port de Saint- Valéry est assez commerçant; sa situation est 
sur la rive gauche et près de l'embouchure de la Somme, presque 
en face du bourg du Grotoy, qui se trouve sur l'autre rive. La marée 
s'y élève à douze pieds; l'entrée en est difficile à cause des bancs de 
sable. C'est dans la baie de Saint- Valéry que vint s'échouer, il y a 
quelques années, un énorme cétacé dont ont parlé les journaux du 
temps et qui a été classé parmi les baleines. 

M. Durand, Observations et réflexions politiques sur le com- 
merce et les finances du royaume, etc., précédé de Recherches re- 
latives au commerce de Picardie, seconde édition. Paris, 1789, 
in-8«, a écrit le passage suivant sur la situation du port de Saint- 
Valéry : 

t La situation du port de Saint- Valéry est une des plus précieuses 
que l'on puisse trouver pour l'utilité du royaume, par les grands 
débouchés qui lui sont ouverts; mais la nature en a malheureuse- 
ment rendu la fréquentation infiniment dangereuse. Fixé sur la 
partie méridionale de la Somme, à plus d'une lieue de son embou- 
chure, des sables et des écueils en ont en tout temps fait redouter 
l'approche. Une côte plate, des bancs énormes qui barrent l'entrée 
de la rivière, une laisse de basse mer immense, l'impossibilité de 
franchir l'entrée de la baie, même pour les bâtiments de moyenne 
grandeur dans les marées de morte-eaux, tels sont les obstacles qu'il 
faut vaincre pour arriver à ce port, qui, d'ailleurs, offre des res- 
sources si utiles et se trouve par le fait, le plus important de la Pi- 
cardie (pages 6 et 7) . (ffote communiquée par M. H. DUSBWBL.) 



2S4 HISTOmB BB ftAll«T-VAUSRY 

d'une corde et d'une poulie. Mais le comte de 
Rouault, seigneur de Cayeux, afin de recouvrer une 
centaine de journaux de terre que la mer inondait, 
obtint un arrêt du conseil d'Etat pour faire bou- 
cher cette crique; les travaux furent exécutés en 
1751, aux dépens de la Généralité de Picardie; la 
digue que Ton construisit à cet effet porte encore 
le nom de Grand barrement * . 

Les bateaux de pêche de Cayeux qui se retiraient 
ordinairement au hâble, furent obligés d'ail» cher- 
cher un abri beaucoup plus loin, dans une crique 
formée par la mer au Sud de la pointe du HourdeL 
Cette pointe qui, par son prolongement progressif 
vers le Nord, avait déterminé la formation du ter*- 
ritoire alluvien de Hurt, Wathiehurt et Sallenelle, 
étendait l'alluvion sur le Cap-Cornu qui avait été 
autrefois le port de Saint-Valery; des digues nou- 
velles, s'appuyant d'un côté sur la pointe du Hour- 
del et de l'autre sur la terre de Saint-Valery, s'a- 
joutaient aux anciennes digues et repoussaient l'al- 
luvion «dans la baie, de manière à y entraver la 
navigation sur la rive gauche. 

Ce malheur qui menaçait le port de Saint-Valery, 
excitait les inquiétudes du commerce; des suppliques 
furent adressées à la chambre de commercede Picar- 
die, puis au roi. Dans un de ces mémoires, il est dit: 

1 L'embouchure de ce hâble se trouvait, à Tépoque du barre- 
ment, tout près de Gayenx; en 1400 elle était très-voi.sine d'Onival 
près d'Aull. Dans Tespace de trois siècle > et demi, elle s'est avancée 
de sept à huit mille mètres vers le Nord. {Notice sur la baie de 
Somme^ M.Quinette.) 



FT OU GOMTÉ DE THREU. 235 

« Le port de Saint* Valéry , Sire, est dans ceux 
du second ordre, un des plus considérables du 
royaume, c'est le seul que cette province possède. 
Il sert non*seulement à son commerce maritime, 
qui y attire de toutes les parties de TEurope les 
choses nécessaires à la vie, et les matières propres 
aux manufactures; mais son utilité s'étend beaucoup 
plus loin; il est aussi l'entrepôt des provinces de 
Champagne, de Bourgogne, des Trois^Evêchés, de^ 
la Lorraine, d'une partie de la Suisse, de Lyon et 
de Paris même, qui, dans les circonstances pres- 
santes, trouve, par le passage de ce port, beau- 
coup plus de célérité que par la voie de la Seine. 

» La rivière de Somme faisait autrefois la ri- 
chesse et la sûreté du port de Saint- Valéry. Elle y 
dirigeait son cours, le traversait dans toute son 
étendue, y entretenait une profondeur et une quan- 
tité d'eau salutaire aux vaisseaux, et ensuite leur 
creusait un chenal facile pour l'entrée et la sortie 
Jusqu'à la pleine, mer; mais ces avantages ont dis- 
paru depuis plusieurs années, par l'éloignement de 
cette rivière qui s'en est retirée de sept à huit cents 
toises. Il est résulté de cet éloignement un amas 
immense de sables dans l'intervalle qui sépare au- 
jourd'hui la Somme du port, et ces sables se sont 
élevés à tel point, que dans les plus hautes marées, 
il n'y monte pas assez d'eau pour que les grands 
vaisseaux de deux cents tonneaux franchissent ce 
passage. Les plus petits ne le font même qu'avec 



236 H18T01IIB DE SAIMT-VALBRY 

beaucoup de danger, et on est fondé à croire, sui- 
vant de nouvelles opérations, que dans peu de 
temps il ne pourra y en aborder aucun. 

9 Cette perspective alarmante a déterminé les 
habitants de Saint- Valéry à adresser aux suppliants 
le mémoire qu'ils joignent à la présente requête 
ainsi que la délibération soit prise en conséquence ' .» 

L'ingénieur Goquart avait produit des plans à 
l'appui de son projet : il creusait un vaste bassin 
dans la vallée de Neuville et l'alimentait des eaux 
de la petite rivière d'Amboise. Le projet ne fut 
point adopté. 

Après M. Coquart, M. Œillo des Bruyères, in- 
génieuc à Saint-Valery, proposa un plan qui, pre- 
nant la Somme à Grand-Port, ramenait dans l'anse 
que forme le port de la Ferté et la laissait ensuite ^e 
diriger sur le Grotoy pour tomber à la mer vers la 
pointe du Hourdel. Ge projet présenté en janvier 
1 777 au comte de Maurepas, fut également repoussé. 

Le conseil des ponts-et-chaussées admit un pro- 
jet qui établissait un canal depuis Sur-Somme près 
Abbeville jusqu'à la falaise du Moulenel à Saint- 
Vaïery, et un arrêt rendu par le roi, le 18 octobre 
1778, en prescrivit l'exécution. 

Les travaux furent commencés en 1786, mais 
lentement; la révolution de 1789 vint les arrêter 
tout à fait. 

1 Registre atix délibérations de ta chambre de commerce de 
Picardie, 1777, page 8. 



XVIII 



La révolution de 1 789 avait bouleversé les usages 
et les. coutumes. Le peuple déchaîné dans sa fureur, 
avait fait main basse sur ce qui lui rappelait les 
rigueurs du passé. Le dernier seigneur de Saint- 
Valery s'était expatrié sur la terre baitannique; les 
moines de Tabbaye disparurent comme par enchan- 
tement, et la populace se vengea sur les objets qui 
lui rappelaient sa servitude et ses misères, l'abbaye 
fut détruite et ce qui en restait vendu comme 
propriété nationale. 

On trouve, dit M. Dusevel, dans un Catalogue de 
lettres autographes * l'indication d'un document cu- 
rieux pour l'histoire de Saint-Valery pendant la 
révolution. Les commissaires nommés pour établir 
le culte de la raison à Montagne-sur-Spmme (c'est 
ainsi qu'on voulait alors appeler Saint-Valery), 
écrivent à André Dumont, afin d'accuser réception 
à ce dernier de l'arrêté par lui pris pour la con- 
version du ci-devant Temple de Vimposture (l'église) 

\ Catalogtie de lettres autographes. In-8° f 857, page 6. 



238 HHTOIRB DB SAINT-VALERY 

en halle au bled. Voici un petit échantillon de leur 
st>ie démagogique : 

« Nous avions fait commencer le déménagement 
du ci-devant temple; déjà le vieux Saint-Pierre, 
le gros Saint-Christophe, Saint-Georges le bien 
monté, le bien coiffé Saint-Roch, le bien accom- 
pagné Saint-Antoine, la bien amoureuse Sainte- 
Thérèse, le gros cœur du sieur Jésus, ci-devant 
Christ, les vierges et leurs enfants, etc., avaient été 
envoyés au bûcher, après avoir reçu maintes ero- 
quignoles, maints horions qui les rendairat un peo 
méconnaissables. A Tégard des autres messieurs et 
dames peints sur toile, sur bois,, sur papier; mou- 
lés, sculptés, etc., ainsi que des os pourris, cariés, 
révérés sous le nom de reliques, il en a été fait un 

vilain autodafé Les os que contenait une des 

châsses étaient enveloppés dans une chemise de 
femme et parmi ces os était une mâchoire d'âne 
dont le citoyen Baillet, chirurgien et juge-de-paix 
de cette ville, est porteur pour la montrer à tout le 
monde comme un échantillon de la vénération que 
méritaient de pareilles reliques, etc., etc. *. » 

Avec la révolution, les vieux droits et les vieilles 
redevances que réclamaient encore les moines de 
l'abbaye étaient tombés; le commerce allait s'établir 
sur des bases solides; par lettres patentes du roi 
Louis XYI, données à Paris le 15 avril 1793, un 

I Noies de M, DvsEYEL, 



ET mJ COMTÉ DE VIMEU. 3S9 

tribunal de oommeree était institué à Saint-Valery 
à cause de rimportance de son port qui, à cette 
époque, comptait quatre-vingt-cinq navires appar- 
tenant à ses armateurs. 

Plus tard, par un décret du 6 octobre 1 809, le res- 
sort de ce tribunal fut composé des cantons de Saint- 
Valeiy, Rue et Ault; mais, un an après, le canton 
de Rue, à cause de la difficulté des communications 
au travers de la haie de Somme, en fut distrait et joint 
au ressort du tribunal de commerce d'Abbeville. 

La décadence de la navigation par suite de Té- 
ioignement de la rivière de Somme, fit proposer la 
suppression du tribunal de commerce de Saint- 
Valery; mais une délibération du conseil généra) 
déclara qu'il était indispensable de le maintenir et 
la proposition de suppression Jfut rejetée. 

On fit pendant la révolution des assignats de 
caisse patriotique de dix, quinze et vingt sols^ 
qu'on émettait pour un temps limité d'une année 
au plus, puis on les détruisait à mesure qu'ils 
étaient remboursés. Ces papiers jetèrent lé désordre 
dans les affaires, (dusieurs maisons ne purent le 
supporter et il y eut à cette époque de grands dé- 
sastres dans le commerce de Saint-Valery. 

Saint-Valery, avait comme les autres villes de 
quelque in^ortance^ envoyé son député à la légis- 
lature et à la convention : ce fut M. Ricot qui eut 
l'honneur de protester contre le 31 mai 1 793; il ne 
fut néanmoins pas compris dans la proscription qui 



[ 



240 HISTOIRE DR SAIOT-VALERT 

atteignit ses collègues, signataires de cet acte. A la 
fin de 1794, il fut un des commissaires chargés 
d'examiner la conduite de Carrier et il eut encore 
le courage de se déclarer ouvertement contre cet 
agent sanguinaire. Son pays le renvoya comme dé- 
puté au conseil des Cinq cents, et il en sortit en 
1 797 pour devenir administrateur du département 
de la Somme * . 

Les travaux du port étaient interrompus par suite 
du mauvais état des financer; le canal, commencé 
sur tout son parcours, depuis Sur-Somme jusqu'à 
Pinchefalise, avait pour résultat de fixer davantage 
le chenal de la Somme sur la rive droite. Les na- 
vires à destination de Saint-Valery continuaient, 
comme par le passé, à stationner au Crotoy pour 
s'y alléger ou pour attendre une marée favorable. 
« Les commerçants de Saint-Valery sentant la néces- 
sité d'entretenir un chenal sous les murs de laFerté, 
se firent autoriser à supprimer le moulin del'abbaye 
situé sur la rivière d'Amboise, en indemnisant les 
propriétaires, afin d'employer les eaux de la dite 
rivière pour entretenir un chenal à travers les sables 
qui [séparaient le port du cours de la Somme ^ . » 

Ce chenal suffit pour conserver la navigation de 
Saint-Valery. Le port n'était abordable que dans 
les marées de vives eaux; mais il permettait d'at- 



1 Voir Biographie d'Abbeville et de ses environs. Louandre, 
page 291 . 

2 Rapport de M. Quinette^ préfet de la Somme,' f 5 juillet 1808. 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 244 

tendre des temps meilleurs où les travaux inter* 
rompus pourraient être repris. 

Les instincts maritimes étaient d'ailleurs con- 
servés parmi la population de Saint-Valery; ils pro- 
duisirent des marins dont les noms figurent avec 
honneur dans les fastes de la France. Saint-Valery 
cite avec orgueil le contre-amiral Perrée, qui mou-^ 
rut glorieusement sur son banc de quart en com- 
battant Nelson; le capitaine Lejoille^ enlevé par un 
boulet au moment où il forçait le port de Brindes; 
Jean-François Blavet, lieutenant de la marine royale 
en 1778, que les habitants de Saint-Valery nom- 
mèrent en 1 793 capitaine de vaisseau, et qui mou- 
rut à Saint-Valery en 1796, des blessures qu'il 
avait reçues en combattant les Anglais; d'autres 
noms, tels que les capitaines Ricot, Parmentier et 
Châtelain, figurent encore honorablement dans les 
biographies, et témoignent de l'aptitude des Valeri- 
cains pour la marine et de leur bravoure dans les 
circonstances périlleuses * . 

La grande question pour la prospérité commer- 
ciale de Saint-Valery, était l'amélioration du port. 
Napoléon !•% qui cherchait les moyens de tenir tête 
à l'Angleterre, visita les ports de la Mancheet vint 
à Saint-Valery, le 26 juin 1 803; il avait jugé l'em- 
bouchure de la Somme propre à abriter une flotlile 
de bâtiments légers : c'est dans ces vues qu'il or- 
donna que les travaux de canalisation fussent con- 

1 Bibliographie d'Abbwille et de $ês environs, Louandre, p. 339. 

16 



l 



t42 HiSTOIU DE ^ASm^VkLMKH 

timiéi. On y mit des ouvnerSy on y emplcrf^ti seHoet 
des prisonniers espagnol; mais bientôt, psor mite 
des événements politiques, l'otiTrage fut de nouveau 
abandonné. 

A la Bestauration, les projets de canafisatioif de 
la Somme furent repris. Une convention provisoire 
passée le 24 mai i 8t4 , entre le gouvernement et 
M. Urbain Sartoris, banquier, stipula que te oanal 
de la Somme, qui porterait le nom de canal é^Aâ^ 
goulême, serait entrepris par la compagnie que 
représentait M. Sartoris, au moyen d'un emprunt 
de six minions de francs * . Une ordonnance royale 
du 20 février 1823, autorisa en effet, cette com- 
pagnie à émettre des actions pour cet emprunt, et 
deux ans après, les travaux étaient entrepris sur 
toute la ligne et poussés avec activité. 

Ce canal qui, dans Torigine, eut pour but d'éta* 
blir par la vallée de la Somme, une communication 
des villes dé Tintéricur avec la mer, s'embranche 
près du village de Saint-Simon, Sur le canal Cro:^at, 
passe â proximité de Péronne, traverse Amiens et 
Abbc ville, et vient déboucher dans la mer, près 
de Saint-Yalery, sous la falaise du Moulenel, où 
fut établie une écluse de chasse à trois perthuis. 
Le développement du canal est de 156,831 mètres. 



i une ^rdoàiiMice royale dti ^7 ftvtii lM(, AtttoiriM hu Statuts et 
la Société anonyme da canal à» la Somme, et permit en mâmv 
tettkps dé dédoubler leâ actions de Joulssandé, c'est-ft-dire dé porter 
le nombre des actions de cette espèce de 660 à 1330, en donnant a 
chaque portenr d'aetkHis anciennes deiii actions d^^nrelles. r. t. 



ET DU COMTÉ DB VIMKU. 243 

dont 8,500 éans le département de l'Aisne M le 
reste dans celui de la Somme. Sa pente totale est 
de 66 mètres 74 centimètres. Elle est tachetée par 
vingt-quatre écluses, y compris le sas écluse dont 
nous venons de parler , qui termine le canal vers 
Saint-Yalery et le met en communication avec 
la mer. 

Ce canal est destiné à transporter du port de 
Saint- Valéry dans l'intérieur les marchandises des- 
tinées à Tapprovisionnement d'Amiens, Gorbie, 
Péronne, Ham, Abbeville, Saint-Quentin, Laon, 
La Fère, Chauny, Noyon, Soissons, Rheims, Com- 
piègne, Creil, Chantilly, Pontoise et Paris. 

Ces marchandises consistent principalement en 
houille, hois, tourbe^ engrais, fers et fonte, maté- 
riaux de construction, etc. La plus grande partie 
des bateaux qui parcourent la basse Somme se 
compose de petites embarcations employées à l'ex- 
ploitation des tourbières que renferme la Vallée. 
Les bateaux servant au transport des marchandises 
sont des gribannes, embarcations plates que étaient 
gréées pour naviguer à mer haute dans la baie; 
mais elles tendent à disparaître. 

Là partie depuis Saint-Valery jusqu'à Abbeville, 
peut recevoir des navires de mer de deux cents 
tonneaux et plus. 

Lors de la reprise de ce travail, en 1825, une 
opposition s'éleva contre son exécution : on voulait 
que la direction du canal fût changée et qu'on tirai 



V 



244 HISTOIIB DE SADIT-VALBIIT ETC. 

partie de la position du Crotoy pour en feire Tavant 
port de SainlrValery. Cette opinion ne prévalut 
point : on écarta le Crotoy et l'avant port fut établi 
à la pointe du Hourdel, situé plus bas sur la même 
rive que Saint-Valery. 



XIX 



Après tant d'orages, tant de vicissitudes, la ville 
de Saint-Yalery jouît enfin du calme apporté par la 
civilisation, et par l'unité et la stabilité du pouvoir. 
C'est aujourd'hui une jolie vijle, pittoresquement 
située au pied du vieux coteau de Leuconaus. La 
ville a conservé une partie de sa physionomie du 
moyen-âge : encore enserrée dans les limites de son 
enceinte séculaire, elle semble aspirer l'air et l'es- 
pace et demande à s'élargir et à s'étendre. La porte 
d'Abbeville existe encore, elle est haute et étroite; 
deux baies latérales avaient servi à recevoir les deux 
bras d'un pont-levis qui n'existe plus, mais dont 
on peut reconnaître la longueur par la largeur 
du fossé, qui fut comblé pour établir une issue 
à la porte. 

Entre les deux baies du pont-levis, il y avait un 
écusson qui a été détruit et badigeonné : on lit au- 
dessus le mot fidesj écrit sans doute sous le règne 
d'Henri lY, qui avait eu lieu d'être satisfait des 
témoignages de dévouement donnés à sa cause par 
les habitants de Saint-Yalery. 



246 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

Un couloir étroit et tortueux, bordé de murailles 
épaisses, descendait de la voûte jusqu'à Textrêmité 
des ouvrages de défense; on a abattu une partie de 
ces murailles pour dégager les abords de la porte : 
il est probable qu'on fera disparaître également le 
pâté de maisons qui masque encore cette entrée. 

On a enlevé en même temps Tépaulement qui 
servait à la défense de cette porte. C'était une espèce 
de bastion élevé de douze mètres environ et qui 
devait dominer les abords de k place de ce coté : 
on en a retiré une assez grande quantité de boulets 
et de bombes qui paraissaient y avoir été casematés. 

La muraille qui soutient la poussée de l'égtise, 
est encore «entière, mais les herbes oroîssent dans 
les iatersiîces des pierres, qui semMeat prêtes à se 
détacher. Une longue fissure la partage dans sa 
tengueur : il semble qu'une partie de la maçaa- 
nerie a cédé sous la pression des terres. 

Les éboulements de terre <mt cessé dans la paiiie 
où la muraille n'existe plus; le talus a été planté 
d'arbres dt d'arbustres qui en assuré la solidité. 

La tour Harold (tow à roc) est arrasée presque 
au niveau de la digue du port, avec laquelle elle a 
été raoeordée pa^ une levée de terre formant pro- 
menade; un gracieux chalet a été construit sur son 
sommet, par un propriétaire de bains de m^ établis 
au pied de la tour. Ce vieux monument qui, il y a trois 
siècles à peine, vomissait la flamme et le fer sur les 
vaisseaux ennemis, est aujourd'hui une pitoresque 



BT m COÛTÉ fiE VllfSU. %47 

rwne wwaim» aw loisir» dasteigneurs, quivien^ 
mat y retirer Tair Irai» à% la mer H M réoraer 
du délideuK panorama qu'of&e de ce poiol la vue 
de la baie. En comparant ees deux ^oquesi noua 
soBiiaea teotés de véçétar les paroles de Gniberti, 
et mnitti9$mim digitum mtirum; patrum quos plus 
œquo extoUimw, no^rorum d(Hrsi$ grosmrem repe^ 
fire p^eritU * . 

Au-deasua de la tout* Harold existent ^Oicore le^ 
refi^s de la porte d'Eu, qu'uae plaque apposée sur 
la ruine, intitule Parte Guillaume, La municipalité 
a eu le ban goût de conserver intact ce précieux 
morceau de rarcbitecture militaire du xif siècle. 
La porte était placée dans un massif épais formé 
par deux tours que liait entre elles la voûte et les 
am^agements qu'elle supportait, mais qui n'^i&- 
tent plus. Ces deux tourelles se projettent en avant 
de l'enceinte continue, à laquelle elles sont ratta^ 
diées par un conduit étroit qui devait être voûté. 
Deux portes exiaAent dans le couloir, elles conr 
duisent dai^ des soujkerrains dont Texploration 
po^irrsût ètne interressante. Les deux touirelles, 
quoique dégradées et noireîe3 par le lemps, 
ont une él^ance de forme dont il nous 9St 
resté peu de spécimens dans cette contrée; J'uue 
d'elle a conservé une partie de son couroimiemûat, 
eompoaé de ^eovso)^ ou de <>pntreforte ^ui dwient 

I auîfaierti. ç^tadH, Boi^mt^ page 430. 



248 HISTOIRE DE SAIlTr-VALBRY 

servir à des mâchicoulis; la seconde était sans 
doute pareille, mais le couronnement n'existe plus. 

En explorant ces souterrains on arriverait à sa- 
voir quelle fut leur destination. Les souterrains 
des forteresses du moyen-âge servaient ordinai- 
rement de magasins pour les provisions, ou bien 
on y enfermait des prisonniers ; quelques uns dé- 
bouchaient à une assez grande distance dans la 
campagne, sans doute pour communiquer secrè- 
tement avec le dehors ou pour quitter la place 
lorsqu'il devenait impossible de la défendre. 

En descendant vers le Sud, on contourne le pied 
de l'ancienne enceinte du château, dont quelques 
parties de mur sont encore [debout. Lorsqu'on re- 
garde le haut de ces murailles élevées, on se figure 
y voir encore les combattants anglais et bourgui^ 
gnons, le casque en tête et la cuirasse au dos. Que 
de soldats agonisants furent précipités au bas de ces 
murailles lorsque les échelles étaient dressées et 
que les machines de guerre ébranlaient la maçon- 
nerie jusque dans ses fondations ! Il reste mainte- 
nant peu de chose de ces anciens attributs de la 
forteresse du Yimeu; mais ses ruines et l'em- 
placement qu'elles occupent suffisent pour don- 
ner une idée de la place et de son importance 
militaire. 

Le château était renfermé dans l'enceinte de la 
place et ne paraît point en avoir été séparé par 
aucun ouvrage défensif ; il était édifié sur la partie 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 249 

la plus escarpée de la ville, du côté de la cam- 
pagne. Il n'en reste aujourd'hui qu'un corps de 
bâtiment, où l'on avait construit un théâtre qui 
existait encore il y a quelques années \ 

Les bâtiments de l'abbaye étaient presque con- 
tigus aux murailles de la ville du côté du Château 
et de la porte d'Eu. Il n'en existe plus qu'une aile 
servant d'habitation et qui porte encore le cachet 
de grandeur des anciens possesseurs religieux. Un. 
pan de mur a conservé quelques traces des parois 
intérieures de l'égUse qui étaient très-belles et dont 
les derniers vestiges ont disparu dans la tourmente 
révolutionnaire de 1 793. 

C'est maintenant une charmante propriété d'a- 
grément, qui a longtemps appartenu à la célèbre 
famille Renouard. Les jardins et le parc formaient 
une étendue immense qui est enclose de murs parmi 
lesquels on remarque encore des restes d'anciennes 
constructions. Du côté de la Croix-l'Âbbé, sur le 
Mont-Rôti, est une porte charretière isolée, qui 
donne entrée à un corps de ferme dépendant de la 
propriété, et sur laquelle est gravé le millésime de 
4 722. Â l'extrémité opposée, on remarque dans le 
mur, un endroit nommé le cul des moines. C'est 
une porte basse murée, dont le ceintre porte quel- 



f n restait en 1800 quelques murs à demi renversés et un vieui 
château, où est une salie de comédie fréquentée une fois ou deux 
par an, pendant deux à trois jours au plus. 

{Note mamucritê de M, DBrÈRITÈ,) 



ques tnces de ficulfture. Cette porte aemblmt àfi^ 
tinée à mettre Tabbaye en eommunication ayee h 
cbi^pette de Smnt-Y&leiy, siioiée à deux mètre» de 
là, au milieu d'iu boE<|Het d'aii)nes élevés. La dia* 
peUe a été récemoieat restaurée. On jouU de ce 
point, le plus élevé des environs et qui Iwine le 
promontoire duCaH^^^y ^'^^^ ^^ vues les plus 
étendues et les plus variées (|u'il mi possible de 
reDcontrer* 

La vîUe de SaintrYaleiy communique actuelle* 
osent avec la Ferté par une belle route et par la 
digue du quai que kmge le chenal de la Somme; de 
jolies constructions s'élèvent le long de cette f oute 
qui avanit peu sera la phis belle rue de la ville. 

On y remarque le Cosîm^ établiaseivient ouvert 
à r^ieeasion des bains de mer et des régates» ou 
Ton donne des bals et des concerts. Il y a un jar- 
din et un parc d'où Ton jouit de la vue que prë* 
senie la Ime avec son encadDement jusqu'au Cro*- 
toy et la foret de Cféojf. 

C'est m face du Cosiao que se tout les r^tes, 
qui eAt été inaugurées sous lee plus brillante aiM^ 
pioes et qui promettent d'être les plus fréquentées 
et Jes pbis eeurues des ports de la Manche. 

La Ferlé est encore, oemme du temps du <!;beva* 
lier de Glerville, la partie la plus commerçante et 
la plus animée de la ville de Saint-Valery. C'est 
une longue rue, an bas du coteau, que longe la 
Somme canalisée depuis l'entrée du port jusqu'aux 



ET w court m vimbu. 254 

édœesL La gtlerie de pilotis qui, U y « une ving- 
taine d'années, servaient, du eôlé de la mer, de sup- 
port aux maisons d'une partie de la graode rue et 
sous laquelle la haute mer portait ses dernières 
vagues, a disparu pour foro^r k oontinuation du 
qoai qui communique de h Bourse i la toulr Ha- 
roid et au Cap-Cornu. 

De diarmantes {nromenades ont été plantées sur 
les terrains vagues que la mer a abandonnés aux 
deux ratrêmiiés de ia Ferté. Les arbres et les taillis 
croissent, des bancs y ont été placés : dans quelques 
années on aura, à portée des quais, de frais om- 
brages pour le repos et la méditation, agréments 
qui se rencontrent rarement sur les bords de la 
mer. 

Le barrage écluse est établi, ainsi que nous l'a- 
vons dit plus haut, sous la falaise du Moulenel, en 
arrière du chantier de construction. Les buses du 
sas sont à 4 mètre au-dessus du niveau des posées 
du quai de la Ferté, ou à 5 mètres 7 cent, au-des- 
sus du plan du niveau des basses mers. Il y avait 
autrefois trois perthuis; mais une des piles s'étant 
affaissée en 4846, on fut obligé de la supprimer; il 
n'en reste actuellement que deux qui suffismt au jeu 
des chasses et aux communications de la navigation 
exktre ia mer et le canal. 

La gare du chemin de fer est à peu de distance 
de l'écluse. C'est une construction provisoire qui 
sera prochainement rapprochée du port, et peut- 



252 HISTOIRE DE SAINT-VALERY 

être même placée entre la ville et la Ferté, empla- 
cement le plus commode pour le commerce et pour 
les voyageurs. 

Le chemin de fer de Saint-Yalery est une des 
œuvres les plus hardies et les plus pittoresques qui 
ait été exécutée en ce genre en France; la partie 
centrale est établie sur un pont en charpente de 
treize cent soixante-sept mètres, se rattachant des 
deux bouts à une digue ou levée en terre élevée au 
niveau des deux rives. C'est encore une construc- 
tion provisoire, car les attérissements dans la partie 
supérieure de l'ancienne baie, et même entre Sâint- 
Valery et le Crotoy, est si rapide, qu'avant peu 
d'années le barrage pourra être condamné et rem- 
placé par une digue pleine. 

Le port de Saint- Valéry est spacieux. A propre- 
ment parler, il ne s'étend que du barrage écluse 
au coin de la Bourse, étant limité du côté de la 
Ferté par de beaux quais en pierre nouvellement 
construits, et au Nord par une digue en terre que 
termine une estacade à claire-voie. Le fond du che- 
nal est de vase marneuse mêlée de sable et de ga- 
lets formant un talus plus incliné sur lequel les 
navires asséchant à marée basse, trouvent une posée 
commode. 

L'avant port s'étend depuis la Bourse jusqu'à la 
tour Harold. Le chenal, sur cette étendue, est large 
et tiré au cordeau : c'est une magnifique entrée de 
port, qui a d'un côté la ville et les coteaux boisés 



ET DU COMTÉ DE VIMEU. 253 

qui la séparent de la Ferté, et de l'autre la baie 
avec le charmant panorama de la rive droite. Le 
côté gauche du chenal est bordé par une digue 
élevée au-dessus des plus hautes marées et garnie 
de clayonnages et de galets; le côté droit est formé 
d'enrochements sous-marins qui empêchent le cou- 
rant de dévier de la ligne droite. Le lit de la Somme 
sera ainsi prolongé jusqu'à la pointe du Hourdel 
qui sera définitivement l'avant-port de Saint-Va- 
lery. 

Cette direction donnée au lit de la rivière nous 
semble peu favorable au port de Saint-Yalery et 
même à l'avenir de la navigation de la Somme. 
Le chenal étant encaissé sur la rive gauche, malgré 
sa tendance à se porter sur la rive droite, il est 
évident que l'encaissement étant arrivé au Hourdel, 
l'exhaussement des terres sera rapide sur la rive du 
Crotoy et qu'il atteindra promptement l'enroche- 
ment qui forme le côté droit du chenal. Déjà même, 
on peut remarquer que l'exhaussement est tel à l'ap^p 
pui de ces enrochements, que les bancs ne couvrent 
plus dans les marées de morte-eau. C'est peut- 
être un enseignement dont les projets futurs pour- 
ront tirer parti. Le vide de la baie n'existant plus, 
il n'y aura plus de flot, plus de jusant ; il faudra 
de toute nécessité une écluse au Hourdel. Dès ce 
moment. Saint- Valéry cesserait d'être port de mer; 
ce sera un port de canal; une station de navigation 
entre le Hourdel et Abbeville, et rien de plus. 






264 HlSteiâS M SURt-VALOIY 

Dans rëtat des choses, ce qu'il convenait de faire^ 
c'était, à la tête de Testacade, de laisser la Sonune 
choisir sa pente, de suivre cette indication impri^ 
mëe par les moorvements de flux et de reflux dans 
rembouchure, et, avec les ressources que l'art pos- 
sède, d'améliorer et d'approfondir le dienal dans 
cette direction. La baie dont le port de Saint-Ta)^ 
devenait le sommet était conservée, et cette fdage 
qui est aujourd'hui en voie de se tranirf(mner en 
canal, restait plage maritime et port de mer. 

C'est un V(Bu que noos avons souvent estprimé 
Msec franchise. Les destinées de Saint-Valery nous 
semblent en dépendre. Lorsque les attérissements 
qui se produisent au nord des rarochements aurwt 
atteint le niveau maximum des terrains à enclore, 
la nappe d'ean qui s'étend aujourd'hui de Saint* 
Valéry au Crotoy n'existera plus ; alors plus de bains 
de mer, plus de r^tes, plus de port : tout cela aura 
été transporté au Hourdel, qui dans les conditions 
d'avenir que lui donnent les travaux en vœe d'ex*- 
écution, nous semble devoir être un jour Tunique 
port de la Somme. 



FIN 



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