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Patricia R. and
Arthur J. Kates
Collection of
Religious
Books
Given in honor of our beloved
mother and father, Sophia and
Johiel Katzev, and in the hope
that the community may bc
enriched through mutual under-
standing of the diverse wealth
in religious thought.
i
HISTOIRE
SAINT-VALERY
HISTOIRE
CIVILE, POLITIQUE ET RELIGIEUSE
DB
SAINT-VALERY
ET
DU COMTÉ DU VIMEU
Pur Fi« IiEHIiS
AVEC DES ANNOTATIONS PAR M. H. DUSEVEL
c I
ABBEVILLE
9 »
RENE HOUSSE, IMPRIMEUR-EDITEUR
Ru Saint-GilUt, I0«
1858
INTRODUCTION
Il existe, épars dans les bibliothèques pu-
bliques ou privées, des livres imprimés ou
^ manuscrits qui contiennent, sur diverses lo-
calités, des notes souvent inédites du plus
grand intérêt au point de vue de l'histoire*
L'isolement de ces notes leur ôte l'intérêt
qu'elles pourraient avoir si elles étaient
réunies et classées par ordre de chronologie
et de date. Cette réunion formerait alors
pour chaque ville qui a occupé une place ou
joué un rôle plus ou moins important dans
l'histoire de la contrée, un volume qui ne
\ serait point dénué d'intérêt et d'utilité.
On conçoit aussi qu'il importe sérieuse-
VI INTRODUCTION.
ment dans Tintérét de Thistoire locale, de ne
point laisser perdre ces documents souvent
uniques; c'est en les réunissant dans un même
cadre, qu'on peut arriver a établir et fixer le
passé des localités qu'ils concernent et qu'on
prépare ainsi pour l'avenir, des matériaux
précieux qui trouveront leur place dans une
histoire générale qui n'en sera que plus
complète .
Puis, il y a une certaine satisfaction pour
une cité de fondation ancienne, quelque mé-
diocre qu'elle soit présentement, de voir ses
annales réunies sous forme historique, en nn
liyre plus ou moins volumineux. L'histoire
d'une ville appartient à la famille; c'est un
peu le livre des ancêtres, et on se sent fier et
heureux des belles actions qui illustrerait les
anciens du pays.
Ces considérations nous ont engagé k re-
cueillir tontes les notes que les bibliothèques
publiques ou particulièVes ont pu conserver
des temps passés, afin d'arriver a écrire un
jour l'histoire des principales communes de
l'ancienne Picardie.
INTRODUCTION. VII
T^ouB avions déjà été devancé dans cette
pensée par M. Darsy, qui a écrit avec an
véritable talent, l'histoire du canton de Ga-
maches. Son livre nous a fourni des notes
précieuses que nous nous sommes permis
d'emprunter, pour les faire entrer dans cette
histoire de Saint- Valéry.
Indépendamment de V histoire d'Abbe ville,
si savamment écrite par M. Louandre, il
y a, dans cet arrondissement, plusieurs an-
ciennes cités dont les annales méritent d'être
sauvées deFoubli; Saint- Valéry, Rue, Crotoy,
Saint-Riquier, ont tenu une large place dans
l'histoire du passé; elles doivent avoir leur
histoire particulière. Nous avons puisé lar-
gement dans les écrits de MM. Devérité,
Louandre et Prarond, ainsi que dans quelques
manuscrits qui nous ont été officieusement
communiqués. Ayant l'intention de continuer
cette œuvre pour toutes les communes de
quelque importance de l'ancien Ponthieu,
nous recevrons avec reconnaissance les do-
cuments qu'on voudrait bien nous confier.
Sans doute nous ne parviendrons point a
y m INTRODUCTION.
recueillir tout ce qui concerne le passé de
ces localités, mais notre histoire n'est qu'un
jalon oîi viendront se rattacher, dans la suite,
d'autres indications qui serviront a faire de
nouveaux recueils plus complets et plus
dignes de figurer sur les tablettes des bi-
bliothèques.
r
Dans une charte du roi Dagobert^ le coteau qui
domine aujourd'hui la ville de Saint-Valery et qui
en forme le territoire^ est nommé Montem Leuco*
num\ d'où Ton a donné Leuconauâ' pour premier
nom à cette ville et trouvé son étymologie dans les
mots grecs Leucos, blanc ^ et îiaus navire, parce
qu'on aurait dit de cette côte : c'est un lieu blanc où
abordent des navires, A cette étymologie un peu
forcée, nous préférons, en nous basant sur la con-
formation du littoral, chercher notre origine dans
la langue celtique et tirer le terme adouci de Leuco^
naiis, du mot plus barbare et plus vraisemblable*
ment originel, de Leak-Ness, c'est-à-dire Leak, ri-
1 Dagobertas dèi gratia rex... cénobites S. Walarici cui anteces-
sor mens, Montem lbuconum super mare sitnm concesserat locnm.
2 s. Walarice monasterinm, hoc nomine appellatum est seculo X,
ponitnr in loco qni Lenconans antiquo vocabulo dicebatur, ad
somonœ fluminis osti» in oceanum. fQallia christianaj Walaricus
in pagi vinemani loco maritimo leuconao, posito ad ostium fluminis
Suminœ Nunc locusa cœnobio nobiliore parte dicitur S. Wala-
rici, vel ad sanctum WalaricUm (Notit. Gall. page 274).
3 Histoire des monastères d'Angleterre, Ingulphe.
I
Z HISTOIRE DE SAINT-VALERY
vage, et iVeM^cap, corne ou promontoire : rivage
pointu, rivage cornu.
Telles étaient en effet la disposition et l'apparence
du Montent Leuconum de Dagobert. C'était, à l'é-
poque la plus reculée où 'il nous soit permis de
remonter, une partie du rivage qui s'avançait en
pointe dans la mer, car alors les bas-champs de
Lanchères n'existaient pas : leur emplacement n'était
qu'un banc de sable ou de roche sur lequel la mer
heurtant rudement, produisait un choc ou heurt,
dont la désignation nous parait conservée dans les
noms de Hurt et Watiéhurt^ hameaux situés sur ce
banc, et où nous devrons plus tard chercher la véri-
table origine du mot Hourdel .
Mais laissons le vague des étymologies pour en-
trer dans une voie plus positive.
Je tiens à démontrer, comme je l'exposerai plus
au long dans un autre ouvrage, que le Montem Leu-
comim oUy^ plus probablement, le Leak-Ness^ fut.
1 NausSy est' la contraction de ness qni, dans le langage celtique,
indiquait «n cap ou toute éminence avançant dans la mer; par une
crâse pareille, on trouve dans plusieurs noms de rivages les mots
nach et neach. Le ch et Vs se substituant réciproquement, dit
M. Labourt, on a dû dii'e nos et nés, comme nttch et nech, ce qyi
se voit par le latin nasuSy le français nez^ l'italien nazo^ l'allemand
nasBy ncese, naze^ le theuton nasuj le russe nossj le bohémien et le
polonais nos, le dalmatien noos, le lusacien noch, l'anglais noso, le
flamand nuese, l'esclavon nus. Les anciens ont regardé le nez comme
une espèce de promontoire ou élévation, et Font appelé d'un nom
qui marque ces choses. Ainsi noss en langage russe, signifie à la fois
nez et promontoire. Noso en hébreu, élever, lever haut, et n<ui,
dans la même langue, les grands de l'Efat, les princes, et nastts en
persan, éminence. {Mémoires de la Société des Antiquaires de
Picardie. Tome IVj page 254.)
ET DU QOUnt BE VUIBIJ. 3
dans Torigine, déUi^é du continent, noo point de la
terre de Pende» mais de la falaise d'Ault, à laquelle
il se rattachait par un contrefort aiyourd'hui dis-
paruy et dont le roc de Gayeun est la base.
Le mamelon qui forme le territoire de Sainte
Valéry est, en effet, rextrémité d'un contrefort oro-
graphique identique à ceux de Saigneville et de
Boismonty et qm avait une direction parallèle à celui
sur lequel s'élèvent les villages de Friaucourt,
Woignarue, Brutdles et Pende. Le vallon qui les
séparait existe encore dans sa partie supérieure
^ntre Friaueourt et Ault; il passait au bas de Bru-
telles, à Lanohères^ à Sallwelle et débouchait dans
la vallée de Neufville avec la petite rivière d'Am*
boise qui a sa source à Pende. On comprend dès lors
que le contrefort, dont la butte de Saint-Yalery est
l'extrémité tronquée» prenait à Ault et couvrait tout
l'espace occupé aujourd'hui par les terroirs de
Cayeux et de Hurt. La Somme à marée basse et la
mer dans son plein, attaquant cette cote dans le
sens de sa longueur, la firent disparaître assez ra-
pid^aoïent dès qu'elle fut mtamée. Les parties basses
du Cap-Cornu ne sont que des portions détachées
du mamelon, restées sur .place.
La butte de Saint-Valery est, comme la falaise
d'Ault, composée de brèches crayeuses appartenant
à la période tertiaire, que le regrettable docteur
iWvin, de SaimtrValery, a nommée palœothérienm;
elle contient des cyrènes, des melanies, des cérithes
4 HISTOIRE DE SAIMT-YALERY
et surtout des huîtres; Targile plastique s'y trouve
mélangée de fragments de coquilles très-variées.
Au dessous de l'argile sont des grés ferrugineux,
puis enfin le banc de craie, qui forme la base du
bassin géologique de la Somme.
Il est évident que la colline détruite, qui
s'étendait du Cap-Cornu à Ault, était de même na-
ture. Des sondes faites à Cayeux nous feraient
probablement découvrir ce roc, ou plutôt la craie
du contrefort dont le Monten Leuconum n'est que
Textrêmité tronquée.
Après la section de ce coteau, les eaux des marées
ne. rencontrant plus d'obstacle, pénétrèrent dans
les vallons où sont aujourd'hui situés les villages
de Ribeauville, Pende, Estrebceuf, entourant ainsi,
à marée haute, la portion de la colline qui était
restée intacte et qui devint une île très escarpée,
couverte de forêts et de bruyères et battue de tous
les côtés par les eaux et par les vents. Ce fut le
Montent Leuconum ou Leak-Ness.
Nous nous représenterions alors, que l'île était
habitée ou du moins visitée par le peuple mysté-
rieux qui ne nous a laissé de souvenir que dans
quelques noms significatifs, dans les traditions et
dans de rares vestiges recueillis sur le sol. Si ce ne
fut point une ville, comme rien ne l'indique, on
peut raisonnablement croire qu'il y eut des habi-
tations isolées dans la campagne, pour tirer parti
soit de la pêche soit des ressources de la terre. La
ET DU COMTÉ DE VIHEU. 5
destination de la pirogue gauloise recueillie par te
docteur Ravin dans les tourbières d'Estrebœuf\ se-
rait alors trouvée. Cette barque abandonnée sur
Vestran^ de la côte, dut servir au passage du détroit.
Abandonnée sur place, soit par la retraite des ha*
bitantSy soit par d'autres causes, les herbes marines
auront cru autour d'elle et l'auront recouverte; l'al-
luvion, aura ensuite envahi le tout et les grandes her-
bes se seront transformées en tourbière au milieu
de laquelle la pirogue se sera conservée pendant des
siècles.
Pour nous donc, le Leak-Ness était non-seule-
ment un promontoire, mais une île, terre élevée
au milieu des eaux et des sables d'une grève que les
alluvions devaient exhausser.
Cette île était naturellement fortifiée sur trois
points, de l'est à l'ouest par le nord, par des falaises
1. GeUe pirogue gisait gar le gravier, au-dessous du bancde tourbe.
Elle était faite d'un seul tronc d'arbre, d'un chêne dont le bois, assez
bien conservé, se reconnaissait aisément. La longueur étaitde trente
pieds et présentait une largeur moyenne de vingt pouces. Elle avait
le fond plat en dessus comme en dessous, mais un peu arquée sur
sa longueur; ses bouts n'étaient pas terminés en pointe. Une de ses
extrémités, qui devait être la postérieure, était plus étroite et plus
longue que l'autre. La proue plus large et chargée du mât, ne devait
pas s'enfoncer dans l'eau plus profondément que la poupe, qui était
plus étroite et ne portait rien. L'emplacement du mât était indiqué
vers la proue non seulement par la saillie et l'épaisseur des bords
mais encore piir une saillie pareille ménagée dans le fond de la
barque. {Mémoires de la Société d'Emulation d'Abbeville^ 1834 et
1835, page 81 . M. Ravin.)
2 Le nom d'Estreboeuf-est évidemment celtique; il vient A'e$tran^
plage, et how^ courbe, plage ou rivage courbe. C'était en effet la
conformation de cette partie de la côte, qui formait un coude.
6 HISTOIRE ns SAINT-VALEIIV
abruptes que baignaient les eaux de la Somme et
de la fner. Il n'était besoin de fortifier la position
que du côté du midi où une plaine basse, mais ma-^
récageuse, sujette à être inondée par les grandes
marées, rattachait 111e au continent. Cest ce que
firent les Romains, qui ne manquèrent pas de venir
occupa une position si facile à mettre à l'abri des
attaques des indigènes, dont ils avaient à redouter
les intentions hostiles. Ils fortifièrent le côté vul*
nérable de Tile, celui par lequel on pouvait com*
muniquer de mer basse avec la terre ferme; et <îe
retranchement, dont les traces existent encore, oc-
cupe toute la partie qui pouvait être abordée. Cet
ouvrage nommé vulgairement Chemin vert ou fossé
de Saint-Valéry y forme une espèce de boulevard
couvert d'herbes. Une tradition populaire prétend
que C'était la promenade habituelle du saint homme,
et que ce fut sous la pression de ses pas que le che-
min se fraya : cette opinion ne fait que confirmer
l'ancienneté de ce monument dont M. Ravin a re-
connu et constaté l'origine.
Dirigé du nord-ouest au sud-^est, sur une lon-
gueur de deux mille mètres, le retranchement, dit
M. Ravin, s'étendait depuis la falaiâe du cap Hornu,
que la mer baigne, jusqu'à la côte de Rossigny, qui
domine la vallée de l'Amboise. Il décrivait, dans ce
long trajet, trois grandes courbures, dont les deux
extrémités étaient les plus longues : leur convexité
tournait sur la plaine, tandis que la courbure
BT DU COMTÉ DE VIMBU. 7
moyenne, opposée aux deux àulreft, était plus étroite
et rmtrait dans le camp.
Ce terrassement n'a été conservé que par dea
circonstances fortuites; quelques pierres servant de
bornes, des buissons, cinq ou six arbres Voat dé-
fendu contre les empiétements de la charrue, mais
partout on peut encore le reconnaître et en appré-
cier la destination.
M. Ravin est d'avis que ce territoire était depuis
très-longtemps habité. « Quand les soldats romains
sont venus occuper remplacement de Saint-Valery,
dit-41y ils ont trouvé le territoire habité par des fa*
milles gauloises. L'existence de cette peuplade nous
est manifestée par ses haches en silex, par ses mé-
dailles et surtout par les restes de poteries funéraires
qu'elle a laissés \ » Le vallon nommé encore la
Paurrière semble n'avoir été qu'un vaste champ fu-
néraire dans lequel on a retrouvé des sépultures
gauloises et des tombeaux romains.
Les médailles recueillies par M. Ravin sont à l'ef-
figie de Tibère, Caligula, Claude, Néron, Yespasien,
Titus et de tous les Empereurs romains jusqu'à Théo-
dose -le -Grand. Quelques médailles grecques et
gauloises ont aussi été ramassées au même lieu.
Néanmoins on ne pense point qu'il y ait eu à Leu-
conaus autre chose qu'un établissement militaire.
Si les Gaulois l'habitèrent, ce fut sans doute dans
I Mémoires de la Société d*Emulation d'Àbbevilley années f 844
à484S,p^e208.
8 HISTOIM DE SAINT-VALBEY
des habitations disséminées, mais il n*y eut point
d'agglomération ayant pu former une ville assez
importante pour que les envahisseurs s'en soient
beaucoup occupé. Les Romains ne changeaient que
les noms des grandes cités pour leur donner ceux de
leurs empereurs. César, Auguste, Aurélien, etc.
Quant aux petites localités, ils se bornèrent à en
adopter le nom dont la prononciation en se latini-
sant, s'adoucit pour leur usage; c'est ainsi que Leu-
conaus ou Leuconus fut substitué à Leak-Ness.
On ne sait rien de positif du séjour des Romains
à Saint-Valery. L'histoire et les légendes ne four-
nissent que des notions vagues, nous ne pouvons
en parler que par conjectures. Il est évident que ces
conquérants eurent des établissements sur tout le
circuit de la baie de Somme, ainsi que le témpignent
les ruines que la bêche ou le soc de la charrue y
remuent quelquefois ; mais sur les actes de ces co-
lonies, sur leur importance, l'histoire et la tradition
sont muettes.
Aucun autre indice archéologique ne supplée au
défaut de l'histoire. Cependant, dans les environs
de Saint-Valery, nous devons citer Tours, où un
buste de Cybèle, de six pouces de hauteur environ,
a été retrouvé. « Ce buste, dit M. de Caylus, qui
l'a fait graver dans son recueil d'antiquités * est le
plus beau et le mieux dessiné que j'aie vue de fa-
I Mémoiresdela Société d' Emulation d'AhbeviUe. l834-35,p. 71 .
ET DL' COMTÉ DE VIMEU. 9
brique romaine L'air de tête ne peut être plus
agréable ni les cheveux mieux traités. Le coiffeur
indique de quelle façon les tours flanquaient et dé-
fendaient autrefois les murailles et les portes. »
Il y avait probablement un établissement romain
à Tours et un autre à Sery, près Gamaches, où Ton
a retrouvé une mosaïque, des vases et des tuiles à
rebord d'origine romaine. Plusieurs tombelles aussi
sont desséminées dans les plaines du Yimeu.
M. Ravin de Saint-Valery qui s'est beaucoup oc-
cupé du pays de Vimeu, a retrouvé la trace de
voies romaines qui le traversaient; Tune d'elles
existe depuis Beauchamps sur la vallée de la Bresle,
jusqu'à Martaineville-lès-Bus à l'extrémité de la
vallée de Yismes ; la route de Beauvais à la mer ve-
nait s'embrancher sur cette voie aux environs de
Frettemeule, après avoir passé devant le Translay et
Moriv^l. Cette voie romaine, dit M. Ravin, servant
à faire la jonction des grandes voies d'Amiens et
de Beauvais avec celle de Lillebonne, mettait ainsi
■
le pays des Calètes en communication avec celui
des Bellovaci et des Ambiani.
Don Grenier prétend qu'une voie romaine se di-
rigeait d'Amiens vers Saint-Valery, Dieppe et Eu .
Cette, route est sans doute celle reconnue entre
Ailly-sur-Somme et Pecquigny, vers MoUiens-Vi-
dame et Oisemont; mais rien n'indique qu'elle ait
eu Saint-Valery pour objet.
n en cite ensuite un autre : « de Saint-Valery à
10 HISTOIRE M 8A1NT-YALERT
Estrebœuf, de là à Arrest, de là à Yalmes (Chemin
Vert), de là à Frettemeule, de là à Tranlay, de là â
BambureSy de là au bout de Lignières, de là à An-
dainville, de là à roccident de Villers-Campsart, de
là elle gagnait Poix. »
M. Devérité, dans son Histoire de Ponthieu^ parle
aussi de ces voies. « Le Vimeu, dit^il, est coupé
de grandes chaussées qui ont retenu le nom de la
malheureuse reine Brunehaut, et qui semblent de-
voir, en quelque sorte, réparer l'honneur de sa
mémoire si indignement flétrie. Celle proprement
dite la Chaussée Brunehauty paraissait toucher d'un
bout à la mer, du côté du Tréport, havre autrefois
fameux, de l'autre, elle allait, à ce qu'on croit, se
rendre à Beauvais par Vismes, Poix, etc. *. »
M. Prarond dans ses Notices historiques et topo^
graphiques sur V arrondissement d'Abbevillej s'étend
davantage sur les chaussées du Vimeu . « On croit,
dit-il, reconnaître deux chaussées distinctes, dont
l'une se rend au Tréport, l'autre à Saint-Valery.
Ces deux chaussées se croiseraient à Frettemeule. »
M. Prarond donne ensuite, d'après une lettre écrite
le 26 juin 1788, à M. TrauUé, avocat à Abbeville,
le tracé de ces voies; la première va de Buleu:^ à
Martaineville; de Martaineville elle passe à côté de
Vismes qu'elle laisse sur la droite; de là elle passe
au pied de l'église de Frettemeule; de là dans un
1 Histoire du comté de Pùnthieu. D^vérité, introd. page 63.
hameau appelé Vis. On la retrouve près d'une ferme
appelée Tout-Vent^ non loin de Gamaches, d'où elle
va i Beaulieu; alws elle est dans la vallée de la
Bresle où ses traces sont perdues.
D'après M. Traullé une chaussée venait d'Amiens,
par la vallée de Tenflos ou des dix courants, passait
au Quesnoy, à Airaines et montait dans le Vimeu
par Foroeville, pour gagner la mer par Buleux et
Yismes. Une autre venait des environs d'Aumale,
où avait existé une ville romaine, et passait par le
bois de Bouillancourt pour se rendre aussi à la
mer.
Ces indications sont bien compliquées et bien
vagues; les traces de ces voies sont d'autant plus
difficiles à retrouver maintenant que, comme le dit
M. Prarond, on les perd souvent de vue, surtout
dans les vallées où elles sont recouvertes de terres
éboulées d^ collines ou entraînées par les pluies.
M, Dargnies de Fresnes, ajoute^tril, ne croyait à
aucune chauâsée dans le Vimeu.
D'après nous il devait y en exister; nous croirions
à celle de Saint-Valery par Arrest et Estrebœuf, et
à celle de Tréport indiquée par M. Ravin; mais ces
routes n'étaient que secondaires, etLeuconausnous
parait avoir été un lieu isolé en dehors des grandes
voies de communication romaines.
Un cimetière mérovingien a été reconnu à Mian*
nay : on y a trouvé, outre diverses poteries, des
aitnes d'origine saxonne, et d'autres objets qui
12 HISTOIRE DE SAIKT-VALBRY
sont déposés au musée d'Abbeville. Là se bornent
les antiquités que le sol duVimeu nous a révélées.
II est présumable aussi, et l'investigation du sol
le démontre péremptoirement, que pendant les
quatre siècles que les Romains passèrent dans les
Gaules, il s'opéra de grands changements dans Tes-
tuaire de la baie de Somme. Des attérissements
nombreux convertissaient les profondeurs en bancs
de sable et en marais. La branche principale de
l'embouchure, qui contournait la butte de Leiiconaus
et se dirigeait le long de la côte de Lanchères jus-
qu'à la falaise d'Ault, cédait peu à peu sous la pres-
sion du banc appelé le heurt de Cayeux, et ce chenal,
en prenant la direction de l'Ouest, abandonnait à
l'alluvion toutes les terres qui formèrent depuis les
territoires de Cayeux et de Lanchères.
Sur la rive opposée, le banc du Crotoy s'étendait
aussi et était occupé par un établissement romain,
pour garder les passages de la rivière dans la partie
du Nord.
On conçoit que dans ces conditions topo-hydro-
graphiques, l'établissement de Leuconaus dût être
favorable à la navigation. Aussitôt que les peuples
commercèrent par mer, ils durent profiter des avan-
tages que leur présentait un havre d'un abord facile,
situé à l'entrée d'une grande rivière qui rendait les
communications commodes et sûres avec les con-
trées de l'intérieur. M. Louandre pense que l'éta-
blissement romain de Saint- Valéry, sur la Somme,
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 43
était destiné à en défendre les abords contre les at-
taques des Belges septentrionaux et à protéger les
transports de vivre et des munitions, que les Ro-
mains effectuaient généralement par la voie des
rivières *
On a auguré aussi que les Romains avaient eu, à
Fembouchure de la Somme, un établissement mari-
time important; qu'un officier ayant le titre de
Prœfectus clasm sumbricœ avait résidé au Crotoy et
commandé les flottes considérables qui stationnaient
à ce port et à celui de Leuconaus'. La notice de
l'Empire désigne le Crotoy et Leuconaus en ces
termes : Quartensissive Homensis locuSy parceque
Quartensis semble avoir pour dérivé le Crotoy. Il
fallait alors chercher à placer Homensis ; et comme
le Cap-Clomu se trouvait sur la rive de Saint-Valery,
on imagina de dire Cap-Homuj afin de pouvoir ré-
pondre d'une manière satisfaisante à la supposi-
tion de la notice de l'Empire.
Ces opinions nous paraissent trop légèrement avan-
cées pour que nous puissions les appuyer ici . Nous
ne voyons point que les rives de la Somme aient
parues assez importantes aux Romains, pour que
ceux-ci leur aient imposé une désignation autre que
celle qu'elles tenaient de leurs anciens habitants.
Nous arrivons donc à l'invasion franque sans avoir
à constater, dans l'histoire de Saint-Valery jusqu'a-
f HisMre d'Abbeville» Louandre, tome I, page 7.
2 Notice de la Gaule. Danville.
14 HISTOIRE PE SAINT-VALERY
lors Leuconaus, aucun fait positif qui puisse nous
éclairer sur les premiers figes de cette ville.
Les Romains, divisés par les guerres intestines,
n'avaient plus la force de résister aux invasions des
hommes du Nord, qui les attaquaient et par terre et
par mer. Les tribus firanques avaient déjà dépassé
les rives du Rhin, et celle des Mérowinges ou en-»
fants de Mérowig, garnissaient les bords de la
Somme, rive droite, depuis Samarobrive (Amiens)
jusqu'à l'embouchure du fleuve en face de Leuco^
naus. Les Romains essayèrent encore de s'y main-
tenir; ils augmentèrent leurs moyens de défense %
mais ils durent céder au nombre : ils abandonnèrent
la plage de Leuconauset successivement leurs autres
positions de l'ancien pays des Ambiani.
« Les invasions des Francs sans cesse renouve*
lées, dit M. Augustin Thierry, furent désastreuses,
sans mesure, et leurs bandes incendiant, dévastant,
prenant des terres chacune à part, se cantonnèrent
une à une sans offrir aux indigènes ni capitulation
ni merci ^. » Leuconaus fut probablement ravagé
comme les autres endroits qui présentèrent quelque
défense, et c'est à cette destruction violente qu'il
faut attribuer les ruines romaines qui sont, de
temps à autre encore, mises à jour par lahêehe du
cultivateur ou par la pioché du terrassier.
1 Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.
Tome 10, page 446.
2 Récits des temps méravingéens. AttguMia Thierry, tS40, tome
!•% page 216.
ET DU COMTÉ DE VDOBU. 46
jLe si^edes rois francs fut tour-à-tour à Amiens^
à Toumay, à Cambray, i Soissons. Clovis^l'un d'eux,
acheva la défaite des Romains et étendit sa conquête
sur toute Ha Gaule. Après sa mort, ses fils divisèrent
entre eux le royaume des Franks qu'il avait fonde.
Qotaire, qui avait eu en partage le royaume^ Sois*
sons, investit Alcaire, fils d'un roi assasiné par
Clovis, du gouvernement de^ côtes maritimes depuis
la Seine jusqu'à l'Escaut, contrée qui fut nommée
Pmthus ou Pimthieuel son gouverneur Dux frandœ
maritimœ seu Pontieœ. Ce fut l'origine des dues ou
comtes du Ponthieu, dont le domaine se rétrécit
progressivement jusqu'à ne faire qu'un très petit
canton entre la Bresle et la Canche avec Abbeville
pour capitale.
La partie du Ponthieu qui se trouvait resserrée
entre la Somme et la Bresle, sur le littoral de
l'Océan, était appelée Vimeu. M. Dargnies de
Fresnes croit que l'étymologie de ce nom vient du
latin Vimerij signifiant osier, bois flexible, parce
qu'il y aurait eu, dans l'origine, des oseraies aux
sources et sur les bords de la rivière * .
M. Huet, évêque d'Avranches, prétendait que euj
qui se retrouve dans plusieurs noms de ces con*
trées : Eu, Vimeu^ Ponthieu, FranUu, Envetmeu,
Acheu, etc., avait été latinisé auga, prononcé augt,
Auga proviendrait du Celte a/, pomme, et guez^
arbres, à cause des nombreux pommiers qui se treu-
il Lettres aws bénédictins, par M. Dargnies, de Fresnes.
16 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
vent dans cette contrée. C'est ainsi qu'il y a, dans
la basse Normandie, le pays à' Auge, également abon-
dant en pommiers.
Le pays de Vimeu avait a peu près vingt lieues
carrées de superficie; c'est un pays de plaines,
élevéyOÙiln'y a que des vallons et point de rivières.
La surface unie et élevée des campagnes du Vi-
meu, dit M. Devéritéy en a fait le camp de plusieurs
armées * . C'est sans doute à ces circonstances qu'il
faut attribuer les tombelles qu'on rencontre fré-
quemment sur les terres du Vimeu, mais que la
charrue affaise de plus en plus, tellement qu'elles
ne seront bientôt plus reconnaissables.
M. Prarond en citant l'opinion de M. Dargnies
de Fresnes, qui veut que le mot Vimeu vienne du
village de Vismes, se demande si c'est le village
qui a donné son nom à la rivière du Vimeu ou la
rivière qui a donné le sien au village.
L'auteur du roman de Rou, Robert Wasse, dît :
Gome part Pontif è Vimou
E Vimou dune Tresque ou.
Le Vimeu est borné au sud^est par la Bresle, au
nord-est par la Somme. Le petit ruisseau de Vismes,
sur lequel était situé le premier château des comtes
du Vimeu, se jette dans la Bresle, à Gamaches,
après un parcours de six kilomètres.
\ Histoire ducomté de Ponthieu. Devérité. Introduction, page 53.
ET DU COMTÉ DE YIMEU. 1?
M. Dargnies de Fresnes, dit encore M. Prarond,
pense que le Yimeu, très-anciennement habité, re-
çut une cotonie romaine; il tire à cet égard ses
preuves d'une foule de noms latins des villages et
de Tancienneté des défrichements, défrichements
dont on n'a pas mémoire, et bien antérieurs aux
défrichements monastiques * .
f Notices historiques et topographiques sur l'arrondissement
d'Abbeville, M. Prarond. Introd., page 49.
II
L'higtoire ne commence à parler positivement de
Saint-Yalery, que verg les commencements du sep*
tième siècle, époque à laquelle un saint homme du
nom de Gualaric, vint fixer sa demeure sur le mont
Leuc(maus«
Avant lui déjà, plusieurs apôtres de la foi avaient
parcouru le Yimeu. Saint-Quentin, fils d'un séna*
teur romain, était venu en France, vers l'an 245,
avec Saint-Lucien de Beauvais, et il avait pénétré
jusque chez ces populations idolâtres. On lui érigea
une église au village d'Outrainville qui, de son
nom, est encore nommé Saint-Quentin-Motte-Groix*
au-Bailly. Ce courageux prédicateur fut arrêté par
les ordres du préfet Rictius Yarius et conduit en la
ville d'Aii^to, du pays de Yermandois, où on lui
traversa le corps, de haut en bas, avec deux broches
de fer.
Saint-Mellon, Saint -Yictrice, Saint-Firmin et
Saint*Loup ou Saint-Leu, arrosèrent aussi ces con-
trés de leurs sueurs et y firent de nombreux pro-
SO HISTOIRE DE SAINT-YALERT
sélytes. Saint-Loup, qui avait été archevêque de Sens,
avait été exilé au village d'Âncennes où sa mémoire
fut pendant longtemps dans une juste vénération.
L'évêque d'Amiens; Berchund, avait continué
l'œuvre de ces apôtres, il prêchait dans le Vimeu
dès les premières années du quatrième siècle. Les
plaines, entre la Somme et la Bresle, étaient alors
entrecoupées de sombres et impénétrables forêts.
Il y avait là des hommes qui s'y étaient réfugiés
pour fuir la domination romaine et se livrer pai-
siblement au culte national des arbres, dont la tra-
dition leur venait des Druides. Berchund pénétra
seul parmi ces ennemis de sa foi ; il parlait à ces
hommes ignorants et primitifs, et la beauté de la
parole évangélique frappait leur imagination . Ils re-
cevaient le baptême; mais à peine les avait-il quittés,
qu'ils retombaient dans leur» erreurs. Un arbre
d'une grosseur remarquable, situé sur les hauteurs
de la Bresle, était surtout l'objet de leur adoration :
c'était l'arbre druidique auquel les dévots immo-
laient des victimes. Berchund essaya en vain de les
détourner de ce culte sauvage; ils résistèrent. Il at-
tacha des croix et des reliques aux branches afin
de donner le change à la vénération des idolâtres;
mais sans être plus heureux : les pratiques supers-
titieuses persistèrent * .
i Vie de Saint-Valery et histoire de l'abbaye, composée par
Jean-Baptiste de Boulongne, où il est traité de sa fondation qui
est environ de l'an 9Sn jusqu'en l'an 1314. Manus. Bibl.
ET DU COMTÉ DE VIMBU. 21
*Les rois de la première race firent plusieurs fois
des règlements pour détruire ces restes de l'idolâtrie
druidique. « Nous ordonnons, est-il dit dans une
» loi de Childebert, à ceux qui auront dans leur
» champ, ou dans un autre lieu, des simulacres ou
» idoles dédiées au démon ^ de les renverser aussitôt
» qu'ils en seront avertis; nous leur défendons de
» s'opposer à ce que les évêques les détruisent ; et
» si, après s'être engagés par cautions à les dé-
» truire, ils les conservent encore, nous voulons
» qu'ils soient traduits en notre présence * . Celui
» qui sacrifie aux fontaines, aux arbres et aux
» pierres sera anathêmatisé ^ . »
Mais les ordonnances étaient sans effet sur ces
esprits que la terreur retenait attachés aux coutumes
de leurs pères : le mal persistait. Il eût fallu que
Berchund se retirât auprès des idolâtres et qu'il
vécut avec eux pour les maintenir dans la bonne
voie. C'est à Saint-Valery qu'était réservé la gloire
de détruire jusqu'aux dernières traces de ce culte
grossier.
Gualaric ou Walaric était originaire de la pro-
vince d'Auvergne. Saint-Germain d'Auxerre avait
été son maître; il le quitta pour se faire moine à
Luxeuil dont Saint-Colomban d'Irlande était abbé,
il se fit bientôt remarquer par la régularité de ses
mœurs et par la profondeur de sa piété. Le père
1 Capitulât Baluzii, Tome I^ page f .
2 IHd. Tome II, coU. 1397, 1398.
22 HISTOIRE DE SAIMT-VALERY
Ignace dit que Gualaric n'était qu*un petit berger
provenu de parents pauvres et n'ayant qu'une hou-
lette pour tout bien. La grâce de Dieu le tira de
cet état pour en faire un modèle des vertus chré-
tiennes ' .
Malheureusement le relâchement de la règle mo-
nastique divisait les religieux de l'abbaye de Luxeuil;
Saint-Colomban partit exilé. Gualaric, profondément
affligé de ce scandale, résolut de se retirer dans la
solitude pour y vivre dans le recueillement et la
prière; il quitta Luxeuil et alla où Dieu voudrait le
conduire; au bout de quelques jours il se trouva
sur les rives du fleuve de la Somme et en suivit les
bords jusqu'au rivage de la mer. Arrivé sur ce point,
le saint homme s'arrêta à un endroit où jaillissait une
fontaine dont le filet argenté descendait en serpentant
sur les pierres et parmi les herbes du sol et les fedilles
tombées des arbres. <k Le religieux bien fatigué, dit
une tradition locale, s'assied sur le rivage, secoua
la boue de ses chaussures et en forma le mamelon
sur lequel est construite la ville de Saint-Valery. »
Une épaisse forêt descendait jusque sur les grèves
. de la mer. Gualaric jugea cet endroit convenable à
ses desseins. Il avait obtenu du roi des Francs Clo-
taire II, la permission d'établir sa demeure en tout
endroit de son royaume où il lui plairait d'habiter;
il lui fit savoir qu'il choisissait le mont Leaoonaus.
I Histoire ecclësêoitique 4''Ahbevills, par le père Ignace, page 4<»4.
BT DU COMTÉ DE VIMEU. 23
Sa réputation de sainteté et sa vie édifiante ne tar-
dèrent pas d'être connues : quelques fidèles vinrent
près de lui pour vivre de sa vie et se nourrir de ses
pieux exemples! Ils construisirrat . leurs cellules
près de la sienne, à Textrémité de la forêt, sur le
bord d'un précipice dont le pied baignait dans la
mer.
Saint Berchund n'avait pu qu'approuver la déter-
mination de Gualaric de vivre au milieu d'un pays
d'où le paganisme était si difficile à extirper et d'y
{»rècher la foi; il fit le voyage de Leuccmaus pour y
visiter le saint homme et on dit qu^il fut si enchanté
de cette sombre retraite sur le bord de la mer, qu'il
y revint ensuite chaque année pendant le carême,
pour s'y livrer mtièrement à la contemplation et à
la prière. Le père Ignace ajoute même que le roi
Dagobert, pour l'honneur qu'il portait i Gualaric, hii
bâtit un ermitage en l'an 61 3. Il semble plus cer«
tain qu'il lui confirma la possession du mont Leu-
conaus et de ses dépendances et qu'il assura la sub-
sistance des pieux anachorètes. Telle fut, assure*^
t«on, l'origine de l'abbaye de Saint-Valery .
C'est alors sans doute que s'effaça le nom de
Lêak-Ness ou I^uconaus, signifiant rivage paintUj
qui était donné à tout le mamelon formant promon-
toire sur la mer. Le langage se modifiant par les
envahissements successifs des hommes du Nord,
Leak-Ness désignant l'ensemble du territoire et
principalement l'extrémité pointue du rivage, fut
24 HISTOIRE DB SAOrT-YALERT
traduit par les arrivants en Kome pointe, dont nous
avons fait Cap-Cornu.
Le pays, conune nous Tavons dit plus haut, était
habité par des hommes encore livrés aux pratiques
de ridolâtrie. Galaric, ou plutôt Valéry ainsi modifié
par Teuphonie, en fut profondément afiQigé, il vou-
lut les voir pour leur parler de Dieu et leur inspirer
l'amour de la vérité. Il fut écouté avec plaisir. Ceux
qu'il convertit et qui l'admirèrent, vinrent habiter
près de lui, afin de jouir de sa vue et de profiter des
bénédictions qu'il répandait autour de lui. C'est
ainsi que se fonda près de l'homme de Dieu, une
ville qui prit son nom et devint Saint-Valery *.
Ce ne fut d'abord qu'une simple agglomération de
cabanes entourant celles des religieux. Leurs habi-
tants défrichèrent les bois, cultivèrent la terre ou se
firent pêcheurs, car la rivière de Somme, qui passait
au bas de la falaise et au pied du Cap-Cornu, était
extrêmement poissonneuse.
Coquart rapporte la fondation de cette ville en
l'an 61 4, le roi Thierry régnant*.
Valéry ne resta point continuellement dans la re-
1 D'après les savants frères Scevole et Louis de Sainte-Marthe,
ce nom ne Ini fat donné qu'au dixième siècle, c'est-à-dire trois
siècles après la mort de Saint-Valery. {GalUa Christ ^ tome X, ecci.,
ambiameosis.)
2 Sancti ValeHci pervenit ad locum qui dicitur Augusia Juxta
Auvœ fluvium et Juxta ripam ipsHu fluminis siirpserat mag-
mif , divertis imaginibus figuratuSy atque ibi in terrant n^agna vir-
tuiè immUms^ qtti lUmio cultu, more gentiHum^ a rusticis cote-
bsOur.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 25
traite qa'il s'était choisie. L'amour des conversions
l'entraînait loin de son domicile où il y avait des
idolâtres. On dit qu'il porta ses prédications très
loin et qu'on a retrouvé ses traces jusque sur les
bords de la Seine.
On raconte que passant à Aoûts près d'Eu il aper^
çut dans ce village, un de ces arbres chargé de di-
verses figures d'idoles tels que Berchund en avait
rencontrés*. Aidé du moine Valdolène* qui l'accom-
pagnait, il renversa cet arbre. Les villageois exaspérés
par cette violation de l'objet de leur culte, accou-
rurent en foule et voulurent se jeter sur le saint
homme. Mais celui-ci, par un autre miracle plus
surprenant, dit Don Grenier, les calma tout-à-coup
et les rendit chrétiens. Il parait qu'au moment où
ils allaient le mettre à mort, il s'écria : « Si Dieu veut
que je meure, que sa volonté soit faite ! » Un si
grand calme dans ce péril imminent, produisit une
vive impression sur l'esprit de ces hommes brutes ;
ils écoutèrent peu à peu les exortations du saint et
voulurent l'adorer. Valéry resta quelques jours parmi
eux et ne les quitta qu'après que lé triomphe du
christianisme fut assuré.
Plusieurs auteurs ont prétendu que cet endroit
était Ault. D'autres copiant Don Grenier , as-
surent que c'était Augusta (Oust-Marest), village du
Vimeu sur la rive droite de la Bresle. Peu de temps
f Mevue de Rtmen, 5 mai 1842.
2 GuadoUnw. Act. Sanct. Bénéd.
26 HISTOIRE Dfi SÀlNT-VALERY
après cette aventure, les habitants du pays
eux-mêmes une église en l'honneur de Valéry.
D'autres églises lui furent ^lemmt dédiées à
Graincourty au mont JoUbois, à Ssdnt-Valery-en*
Cauxy à Fécamp* Dans toutes ces localités on donne
enocHre au baptême le nom de Valéry * .
Valéry n'était pas un homme ordinaire. Sa mis-
sion témoigne de son courage , ses conversions font
foi de son éloquence. Il arrachait les hommes à
Terreur et répandait parmi eux l'instruction pour
les maintenir dans la praticpie du bien. Il avait
ouvert, dans son monastère de Leuconaus, des écolos
pour la jeunesse du pays et il voulait qu'on y usât
plutôt de dôuorar envers les enfonts que de diâti-
ments et de manières dures et impérieuses'.
Les légendaires racontent de lui plusieurs autres
aventures. M. Guizot voulant donner un exemple
de la grossièreté des mœurs de cette époque, em-
prunte à la vie de Saint-Valery le passage suivant ;
« (}omme cet ami de Dieu revenait à pied d'un
certain lieu dit Cayeux, à son monastère, dans la
saison d'hiver, il arriva qu'à cause de l'excessive
rigueur du froid, il s'arrêta pour se chauffer
dans la demeure d'un certain prêtre. Celui-ci et ses
compagnons, qui auraient dû traiter avec grand
respect un td hôte, commencèrent au contraire à
tenir audacieusement, avec le juge du lieu, des
f Revue de Roven, s mai iM2y'pêgt2iS.
2 Histoire littéraire. Tome UI, page 440.
ET no COMTÉ DE VUIKU. 27
propos inconvenanls et deshoimêtes. Fidèle i sa
coutume de poser toujours, sur les plaies oorrom*
pues et hideuses, le salutaire remède de la parole
divine, il essaya de les réprimer, disant : « Mes
fils, n'avez«-vott8 pas vu daos l'Evangile qu'au jour
du jugement nous aunms à rendre compte de toute
parole vaine? » Hais eux méprisant son avertisse*
ment, s'abandonnèrent de plus en plus i des pro-
pos grossiers et impudiques, car la bouche parle
de l'abondance du cœur. Pour lui alors, secouant
la pousrîère de ses souliers, il dit : « J'ai voulu,
à cause du froid, chauffer un peu* à votre feu
mon corps fiitigué; mais vos coupables discours
me fonMmt à m'éloigner tout glacé encore, » et il
swtit de la maison * .
Un jour passant à Gamaches^ où le comte Sigo-
bard présidait le malUiMy assemblée des hommes
libres où l'offimseur sur l'assignation de l'offensé,
paraissait devant ses juges, Valéry aperçut de loin
un condamné qui venait d'être accroché au chevalet.
Il se dirigea vers l'instrument du supplice, et, mal-
gré l'opposition du bourreau, il , s'empara du ca-
davre, l'âendit sur la terre, posa sa face sur sa face,
et le ressuscita. Mais le juge irrité ordonna de nou-
veau de suspendre le condamné au gibet. « Tu'
persistes donc, s'écrie alors Saint-Yalery, à tuer
celui que la puissance de Dieu a sauvé; mais à
1 Cours d'histoire moderne, par M. Gnizot, tome II, page 165.
28 HI8T0IBB DE SAINT-TAUnT
moins que tu ne me fasses mourir avec lui, tu ne
l'arracheras pas de mes mains. Si tu dédaignes de
m'entendre, moi qui ne suis qu'un faible serviteur
du Christ; sache que le créateur du mondeest par-
tout et qu'il ne méprise point ceux qui l'invoquent. »
Ces paroles courageuses effrayèrent le juge, et il
ordonna de délivrer le coupable qui depuis vécut
longtemps * .
M. Louandre, dans son Histoire d'AbbevillCj rap-
porte des légendes miraculeuses attribuées au saint
et qui doivent trouver leur place ici. « Il y avait
tant de douceur et de bonté dans l'âme ^e Saint-
Yalery, dit-il, que les petits oiseaux venaient sou-
vent sans crainte prendre leur nourriture dans le
creux de sa main. Ils oubliaient leur caractère
sauvage et se laissaient caresser doucement. Les
moines, en s'approchant de l'abbé, s'étonnaient de
voir tant d'oiseaux l'entourer en volant : « Mes
enfants, leur disait Saint-Valery, ne leur faisons
pas de mal; mais laissons les se rassasier de nos
miettes. » Quand les frères s'étaient éloignés, les
oiseaux revenaient aussitôt, pressés comme un
nuage; le saint les laissait, comme de coutume,
manger dans sa main, et, après leur avoir donné
une abondante pâture, il les renvoyait dans leur
nid^. »
On peut lire dans l'histoire du saint, et un peu
\ Histoire d*Abbeville. Louaadre, tome I, page 44.
2IHd,
ET DU COMTÉ DE YIHEU. 29
dans Touvrage de M'. Louandre, les actes miracu-
leux qui illustrèrent sa réputation. Nous ne dirons
rien du merveilleux qui s'attache aussi à quelques
actes de sa vie : on trouvera ces faits racontés dans
les légendes du saint. C'est l'histoire de la ville
plutôt que l'histoire du fondateur que nous voulons
raconter.
Une vie si bien remplie devait avoir une fin peu
commune. Saint- Valéry usé par le jeune, l'extase
et les travaux apostoliques, se dirigea un jour vers
un arbre entouré de ronces, au pied duquel il avait
coutume de faire ses prières, et fixant deux bâtons
dans la terre, il désigna une place de la longueur
de son corps et dit à ses disciples qu'il avait engagés
à le suivre : « Lorsque par la volonté de Dieu je
m'exilerai de ce monde, c'est là qu'il faudra m'en-
sevelir. » Le dimanche suivant il mourut et sa vo-
lonté fut exaucée. Ce fut l'évêque Berchund qui
vint lui-même procéder à l'inhumation de l'homme
dont le nom allait être impérissable dans les contrées
ou il avait si bien vécu. .
Le roi Dagobert, dit le père Ignace, à l'invita-
tion de son père Clotaîre, ayma toujours ce grand
saint, et pour tesmoigner sa bienveillance parefTect,
l'an 636, il donna aux religieux de Saint- Valéry,
sa terre de Ratier -Ville {Rathery -Villa) avec ses
dépendances pour les faveurs qu'il avait reçues * . «
1 Histoire ecclésiastique d*Abbevilléy par le père Ignace, page
464.
30 HiSTOlKE DE SAlIfr-VALERY, ETC.
Les louanges de Saint^Valery ont été célébrées
en vers latins par Adrien Blondin^ prieur de l'ab*
baye de Saint-Valery. En voici le titre : Versus pa^
negyrîci in laudem el gloriam S S iEtemitatis can*
didatorum Walarici, Blithmundi, Yulganci, Sevoldi
et Riohberti, quorum reliquiœ in regio S. Walarici,
monasterio Servantur, per dominum Adrianum
Blondin, etc. Rothomagi, le Boulanger, 1554, in-i"".
m
I
Après la mort de Saint-Valery, ses disciples se
dispersèrent de divers côtés. Plusieurs des fidèles
que sa vie avait édifiés vinrent prier sur son tom-
beau et le bruit se répandit bientôt que la grâce
de Dieu y opérait des miracles. Blimond natif des
bords de l'Oise, qui avait été compagnon des travaux
apostoliques de Saint-Yalery et qui habitait le mo*
nastère de Bobio en Lombardie, fit exprès le voyage
pour venir visiter cette tombe déjà célèbre. Il fut
fort surpris de trouver Leuoonaus et les environs
replongés dans le paganisme. Profondément afQigé
de ce malheur, ilconçut le projet de continuer l'œuvre
de son vertueux maître, et d'y fonder un établisse-
ment dont l'importance exercerait une influence di-
recte sur l'esprit religieux de cette sauvage contrée.
Blimont s'adressa à l'évêque Berchund et obtint du
roi Glotaire, la permission de construire une abbaye
près du tombeau de Saint-Yalery et d'y réunir des
religieux pour perpétuer la gloire de son nom.
Les architectes se mirent à l'œuvre. Blimond
m I « '
"KLIOJH-S,;
LSMT^tQCK RT
L
"' '^«^'^É D, v,,«,:
" * « BCÏEVU
36 • HISTOIRE DE SAINT-YALERT
Valéry, s'arrêta sur le tombeau de Saint-Valery, et
après y avoir fait dfe riches offrandes, il repartit plein
de vénération pour la mémoire du saint.
Mais la main impériale n'était plus là. Plusieurs
descentes opérées dans la baie de Somme effrayèrent
les moines; ils s'empressèrent de mettre leurs
richesses à l'abri du piHage. Les abbayes de Saint7
Josse-sur-Mer et de Saint -Saulve de Montreuil
venaient d'être ravagées et brûlées ; les abbés de
Saint-Valery enlevèrent le corps de leur saint patron
et le cachèrent dans les bois. Peu de temps après,
en effet, le 6 janvier 859, Weland, chef des Nor-
mands, fondit sur Saint-Valery, massacra les habi-
tants, qui refusaient de livrer leur argent, et mit le
feu à la ville.
Pendant plus de trente ans, ce ne furent que des
ravages incessants : en 881 , une bande considérable
de ces pirates débarqua sur les côtes de la Somme,
sous la conduite de leur konong, nomme Gara-
mond. Tout fuyait à leur approche; l'incendie éclai-
rait leur marche et la stérilité marquait leur passage.
Louis III, roi de France, qui se trouvait en Dau-
phiné avec son frère Carloman, apprend la nouvelle
de ces désastres. Il part immédiatement pour venir
en Picardie arrêter la marche de ces terribles étran-
gers. Les Normands qui avaient pillé l'abbaye de
Saiift-Valery et incendié la ville, s'éloignaient gor-
gés de butin et se dirigeaient sur Eu. Louis III,
éclairé sur leur marche, arrive près de Franleu, au
ET DU COMTÉ DE VIMEÛ. 37
moment où la bande de pillards paraissait sur les
hauteurs, entre la Croix-au-Bailly et Friaucourt; il
les atta(|ua et les força à rétrograder par la ligne qui
est encore appelée le champ des batailles j et les joi*
giiit entreFressenneville et Saucourt* . Sans leur don-
ner le temps de se reconnaître, il donna le signal du
combat : ce signal était le Kyrie £2éi>an/ répété im-
médiatement par vingt mille voix ; charge formidable
qui étonna les ennemis et les remplit de terreur.
— Seigneur, ayez pitié de nous ! s'écria le roi
de France en tombant sur les Normands.
— Kyrie eleison ! Kyrie eleison ! répétèrent les
masses en le suivant.
La bataille était engagée. Les Normands un
moment intimidés par cette attaque impétueuse,
reprirent cependant leur assurance et résistèrent au
choc. Pendant un instant le succès sembla devoir
être de leur côté ; les Français, moins nombreux et
fatigués par une marche précipitée, allaieni; plier.
Louis III qui n'était âgé que de vingt-deux ans,
mais qui pourtant avait une grande bravoure, vit
le danger, il se porta où le péril était plus grand,
repoussa l'ennemi et décida bientôt du gain de la
bataille; les Normands furent taillés en pièces. On
dit qu'il en resta neuf milles sur le champ du com-
bat. Garamond était du nombre : on assure qu'il
reçut la mort de la main du jeune roi de France.
1 In pago viminiaco, in loco qui vocatur êodalchurch, (Annales
de Fold et de Réginon, année 883.)
38 HISTOIRE BE SAINT-VALERY
Ganunmd fut entorré i Vignaoourt.
Les soldats de Louis m câébrârent leur victoire
par un chant rimé, d(mt voici la pr^oiière strophe
en langue tudesque :
linen Kuning weiz ich,
Hesset herr Lndwig,
Der geme Gott dimett,
Weir er ihms lohnet.
Kind wart ert waterlos,
Dess wart ihme sehr bos,
Holoda nan Trahtin;
Biagaczoga waitli her sin *.
Ce chant, en langue tudesque ou théodisque telle
qu'on la parlait dans toute la Picardie, en Flandre
et en Belgique, était encore populaire dans le Vimeu
I Schilter, tom n. En voici la traduction de Mabillon :
Je sais on roi qui s'appelle le seigneur Louis. H sert volontiers
Dieu, qtfi Ten récompense. Enfant, il fiit orphelin, ce qui lui étoit
très funeste, Mais Dieu le recueillit et fut son tuteur.
— Louis, mpn bon roi porte secours à mon peuple, que les Nor-
mands ont si durement opprimé.— Alors Louis répondit : Mon Dieu,
j'obéirai à tes ordres, et dussè-je périr, ta sainte volonté sera faite.
En attendant l'heure de sa vengeance, il rendit grâce au ciel et
s'écria : Seigneur, marche avec nous, car depuis Icmgtemps nous
implorons tcm aide.
Et ensuite il dit, en s'adressant à ses soldats :
— Frères d'armes, vous tous qui partagez mes périls, que votre
âme soit ferme et forte.
C'est Dieu qui m'a envoyé parmi vous, pour recueillir votre avis
et vous conduire à la bataille. Puisse ce Dieu vous être favorable l
Je n'épargnerai pas mon sang pour vous faire libres ; mais il faut
que tons ceux qui sont fidèles à Dieu me suivent avec confiance.
C'est la volonté suprême du Christ, qui règle la durée de nos jours;
c'est lui qui garde nos os, qui défend dotre tombe.
Celui qui fera joyeusement la volonté de Dieu, sortira sans bles-
sure de la bataille, et je le récompenserai.
Celui qui mourra dans le combat sera récompensé dans sa famille
ET DU COMTÉ DE YIMEU. 39
et m Normandie, vers l'an 4 1 00 \ Le clergé, les
administraleurs, les ofiieiers publics parlaient uo
mauvais latin. Cest de ce mâange avec la langue
romane que se fonna le picard- et même le français
du moyen âge.
Louis m repartit trop vite du pays où la présence
de forces imposantes aurait été nécessaire. Il était à
peine éloigné, que d'autres bandes reparurent sur
les rives de la ScMnme.. Louis était mort, son frère
Carloman, resté seul sur le trône, vint visiter ces
entrées si rudement et si firéquemment ravagées :
on dit qu'il séjourna à Miannay et que de là il orga-
nisa les moyens de défense au passage de la Somme.
Mais ces préparatifs furent vains, les Normands
passèrent peu après à Lavier, surprirent le camp
français et mirent l'armée en fuite; puis ils recom-
mencèrent leurs dévastations dans le Yimeu. De
Il dit et saisit son écu et s« lance, et pressa les pas de son destrier.
Car, en vérité, il était fermement résolu de punir les ennemis
d'une manière terrible, et il n'était plus séparé des Normiwds que
par UD faible intervalle.
Dieu soit loué, disaît-il, car il se voyait au comble de ses v€nul, et
8*avançant audacieusement en avant de son armée, il entonna un
cantique à baute voix.
Et tous chantaient avec lui : Kyrie elekon! £t quand le ci^Uque
fut terminé, la bataille commença.
Le sang monta aux joues des Francs, qui bondissaient de colèn.
Chaque soldat prit largement sa part de vengeance, mais aucun
n'égala Louis.
Il était né leste et brave : il renversa l'un et perça Vautre.
Il versa à un grand nombre de ses amis une amère boisson, et
beaucoup sortirent de la vie.
Bénie soit la sagesse de Dieu : Louis remporta la victoire ; il faut
dire des actions de grftce à tous les saints.
1 Hariulf. Chrwi^. centuknse, j^fMl» d'Acberi, tom IV, p. 4S8.
40 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
880 à 900, pendant dix ans, on resta à peine six
mois sans les voir; la mort et le deuil étaient par-
tout dans le malheureux pays de Pieardie.
Les seigneurs de Saint-Yalery profitèrent de cette
circonstance pour s'ériger en défenseurs de l'abbaye;
ils prêtaient serment devant l'autel et disaient : nous
jurons de lui être aideur contre tous, excepté nos
hommes ligeSj mais cette protection était bien sou-
vent inefficace. Une bande de ces pillards après
avoir désolé tout le pays s'y établit et fit de là ses
excursions dans tous les cantons environnants. On
ne sait sur quels points ils -habitaient. En 860,
Charles-le^hauve leur avait payé 5,000 livres d'ar-
gent (2,815,000) pour les obliger à se retirer; c'é-
tait une habitude prise : des taxes publiques étaient
depuis longtemps établies pour acquitter les ran-
çons exigés par ces terribles aventuriers * .
La qualité d'avoué, mot fait du latin advocatus,
préposé, représentant, comme le témoigne Ducange,
obligeait le titulaire à diriger l'administration des
biens de l'abbaye, à défendre ses causes lorsqu'elle
était attaquée, à rendre la justice à ses Vassaux et
même au besoin à défendre ses intérêts les armes à
la main. Hugues-Capet en créant ce grade, dont
l'origine en France remontait à l'établissement de la
monarchie, avait surtout en vue de réprimer les spo-
liations qui s'exerçaient par certains abbés ; mais
1 Bex^ suorum concilio exactionem pecuniœ coUatUiœ fieri
exaetorUm indixit, anno 924 (Richer, liv. 1, chap. 48).
ET DU COMTÉ DE YIVEC. 41
nous verrons plus loin que les seigneurs de Saini-
Ystlery ne furent pas toujours exempts de blâme, et
qu'ils profitèrent de la position qui leur était don-
née, pour opprimer les ecclésiastiques et usurper
les propriétés qu'ils s'étaient engagés à défendre.
Du reste, les avoués de l'abbaye de Saint-Valery
ne furent pas les seuls coupables : on peut lire Du-
cange, Hallam, Muratori, Yaistelle, Labédollière
pour se convaincre que les spoliations furent géné-
rales, ainsi que le prouvent d'ailleurs les déciisions
fulminées contre les avoués par les conciles.
La ville et l'abbaye de Saint-Valery étaient dans
un piteux état. C'était un amas de ruines fumantes
d'où se relevaient quelques cabanes, aussitôt qu'un
peu de calme venait rendre le courage aux anciens
habitants. Les moines de l'abbaye, plus occupés à
se défendre qu'à prier, s'étaient bien relâchés de
leur règle : ils avaient introduit parmi eux des cha-
noines dont la vie n'était pas exempte de reproches;
les avoués ou défenseurs de l'abbaye songeaient
plutôt à s'enrichir ,qu'à veiller aux intérêts dé la
communauté. Il en résulta une désorganisation
complète qui fit perdre à l'àbbaye la réputation de
sainteté qu'elle s'était acquise et qui lui avait con-
quis une glorieuse célébrité.
Amould le Pieux, comte de Flandre, qui avait
là manie de s'emparer bon gré et mal gré de toutes
les reliques à sa convenance, était alors en guerre
avec Herluin, comte de Ponthieu, et il venait de
42 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
s'emparer de Montreuil, capitale du comté et rési-
dence du comte. Un clerc de l'abbaye de Saint-^Y^--
lery, d'autres disent un habitant séculier de la ville,
fut trouver secrètement Arnould et lui proposa de
lui livrer 4e corps du saint moyennant une somme
d'argent qui lui serait payée. Arnould accéda à cette
demande et se mit en marche, sous la conduite du
traître. La ville de Saint-Valery qui n'était point
sur la défensive, fut prise d'assaut, ses habitants
passés par les surmes et le monastère envahi . Arnould
chargé des reliques dont il s'était emparé, retourna
dans ses Etats, convaincu qu'il venait de faire une
riche conquête et que les faveurs du ciel lui étaient
assurées.
Cet acte de piraterie passa inaperçu comme tant
d'autres. Charles-le-Simple venait d'abandonner une
de ses belles provinces aux Normands; son fils
Louis d'Outre-mer pouvait bien laisser au comte de
Flandre une relique. Les successeurs de ces rois
n'avaient plus assez d'énergie pour mettre un frein
aux déprédations qui se commettaient dans tout le
royaume : la race carlovingienne s'éteignait dans
la fainéantise.
, Deux siècles s'étairat écoulés et l'abbaye, veuve
de ses précieuses reliques, dépérissait. Les reh-
gieux, comme si l'absrace du saint corps exerçait
$ur eux une fatale influence, n'avaient plus rien de
l'austérité de leur ordre; la désolation était dans le
pays.
BT DU COMTÉ DE VIIIKU. 43
A la mort du roi Louis V, le trône semblait de*
vmr appartenir au duc de Lorraine, fils de Louis
d'Outre-mer; mais celui-ci s'était aliéné l'amitié et
l'estime des grands et du peuple que Hugues-Capet,
cœntede Paris et duc de France, s'était acquises dès
longtemps; Hugues entrevoyait la possibilité decon-
cJUérir un trône; les circonstances le favorisèrent.
Les chroniqueurs racontent qu'une insurrection
ayant éclaté dans une contrée du Vimeu, le duc de
France fut chargé de la réprimer et qu'à la suite
d'un combat dans lequel il avait éprouvé beaucoup
de fatigues, il s'endormit dans une grotte ou plutôt
dans une forêt. Deux personnages vêtus de robes
blanches lui apparurent alors.
— Qui êtes*-vous? s'écria le duc effrayé de cette
apparition, je ne vous connais pas? que venez*vous
foire en ce lieu ?
— Je suis l'abbé de Saint*Valery, dit l'un des
fantômes ; avant de mourir je restais sur les bords
de la mer. Il y a deux cent dix--sept ans que je suis
descendu dans la tombe ; mes os et ceux de Saint-
Riquier ici présent avec moi, ont été ravis à leur
tombe et maintenant ils sont captifs sur une terre
étrangère; mais le temps est venu où ils doivent
être réintégrés dans les lieux où nous avons vécus.
Le peuple qui nous a été confié se réjouira de notre
retour, car il est désolé de notre absence. Quand
Dieu m'aura déposé dans mon ancienne tombe, je
vous prédis que vous deviendrez roi et que votre
44 HISTOIRE DE SAINT-YALERY
race portera la couronne pendant plus de sept
siècles. Pour vous convaincre que je dis la vérité,
allez jusqu'à Montreuil, vous savez que cette ville
est au pouvoir du comte de Flandre. Redemandez-
lui mes reliques; s'il refuse, reprenez-les de force
et réintégrez-les à leur patrie. Vous réussirez, je
le sais. Alors, quand vous m'aurez déposé daiis
mon église, vous en chasserez les clercs et les
moines qui la profanent et vous les remplacerez
par de plus dignes. Hâtez-vous, car je vous prédis
que vous deviendrez roi et que la royauté se per-
pétuera dans votre famille. Et pour que vous ne
doutiez point de la vérité de mes paroles, ajouta
l'apparition, présentez-vous devant la ville de Mon-
treuil et je vous réponds que vous y entrerez sans
perdre un seul de vos soldats * .
Hugues plein de confiance dans cette vision, et
en ces paroles, partit aussitôt pour Montreuil dont
en effet il se rendit maître. Sûr alors du succès de
son entreprise, il envoya un message au comte
Arnould, pour l'inviter à lui rendre les corps de
Saint- Valéry et de Saint-Ricquier dont il s'était
emparé par surprise. Arnould refusa; répliquant
que si Hugues-Capet les voulait, il n'avait qu'à ve-
nir les reprendre. Hugues ne s'étonna point de cette
1 Germain Poirier démontre que la vision de Hugnes-Capet est
une pieuse fraude. Ingelvan, abbé de Saint-Ricquier^ qui a écrit
l'histoire de la translïition de Saint-Vàlery, ne parle ni de la vision,
ni de la prophétie. (Mémoires de l'Académie des inscriptions et
belles lettres^ tom. 50, année 1808.)
ET DU GOlfTÉ DE VIMEU. 45
menace ; il rassembla une nombreuse armée et se
dirigea vers les Etats du comte de Flandre. Amould,
effrayé, s'abandonna à la douleur, car, dit une lé-
gende, il vit dans cette attaque une manifestation
de la volonté du Seigneur. Il envoya des députés
au-devant d'Hugues, l'invitant à ne commettre au-
cun dégât et lui assurant que les deux corps saints
lui seraient rendus.
A la vue de ces précieuses reliques, le duc de
France pleura d'attendrissement et de joie, il se
prosterna ainsi que son armée, et rendit grâce à
Dieu de Theureux succès de son entreprise. Les
Flamands, consternés, retournèrent chez eux, et
Hugues, suivi d'une foule immense qui chantait
des hymnes au Seigneur, reprit la route de Saint-
Valery.
Le père Ignace raconte très-naïvement ce fait
dans son Histoire Ecclésiastique d'Abbeville ; mais,
d'après lui, Hugues-Capef ne fut point en personne
à la conquête des reliques; il commit le comte Bur-
card pour le remplacer. « Le comte Burcard, dit-
» il, arrivant à Noyelles, au bord de la rivière de
» Somme et voulant passer^ voilà qu'incontinent le
» flux de la mer s'enfle si hautement qu'il inondé
» tous les passages et oste la commodité de passer
^ au comte et à tous ceux de sa suite. Mais Dieu
» voulait faire miracle, comme vous allez voir. »
ce Le comte Burcard qui portait sur ses épaules
» avec un autre comte, la chasse où estaient les
46 HISTOIRE DE SAIIfr-YÀLERY
» saintes reliques, remply de vive foy, faisant
» mettre tous ses gens en prières, s'adresse à Dieu,
» et devant toute sa compagnie, dit tout haut :
» Seigneur Jésm^Christy si ta volonté miséricordieuse
» est que le corps de ton saint soit rendu à son propre
» monastère^ que ta clémente bonté ordonne que pour
» nous le fleu/i/e se sépare en deux, et ne refuse pas
» à nous donner un passage, afin que ce peuple sou^
» mis à ton nom, puisse d'un cœur dévot, et dans un
» transport de joie, rendre à ta gloire et à Vhonneur
» de ce saint, le tribut de ses louanges. »
« Chose admirable, ajoute le père Ignace, à la
» voix de ce généreux comte Burcard et par les
» mérites de Saint-Valery, Notre-Seigneur ayant
» exaucé ses prières, Teau se divisa en deux si à
» propos, que ceux qui portaient ce saint corps, et
» tout le peuple qui suivait, jouissant d'une liberté
» triomphante, passèrent à pied sec ce large trajet
» d'eau qui est entre l'une et l'autre rive, lorsque
» la mer est venue, louant et bénissant Dieu avec
» grande joye, d'avoir passé ce détroit sans danger:
» et ainsi le corps de Saint-Valery fut remis hono*
» rablement dans son église, où on voit encore ce
» miracle dépeint dans un tableau, qui est à côté
» du chœur \ »
Ce tableau qui existe encore dans la chapelle de
Saint-Valery, porte :
^Hist4)&e Ecclésiastique d'Àbbeville, père Ignace, page 68.
ET DU COMTÉ DE VIMBU. 47
Voyez Hugtteshle-Orand» conducteur d'une année.
Pour dégager ses os par les foudres de Mars,
Qui ne s'étonnerait I La mer inanimée
Leur fait la révérence et se fend en deux parts.
Saint-Valery sachant de Hugues la vaillance,
Pour retirer son corps que la Flandre détient,
n promet à ses hoirs la couronne de France
Qui dans Louis-le-Juste encore se maintient.
D*après le père Ignace encore, Saint-Riquier et
Saint-Valery n'apparurent en vision à Hugues-
Capet qu'après la rentrée des corps et pour le re-
mercier et lui promettre la couronne de France et
à ses héritiers à perpétuité ^ en récompense du ser-
vice qu'il leur avait rendu de restituer leurs corps en
leurs abbayes. « Oh ! qu'il fait bon servir les saints!»
ajoute-t-il. La mer demeurant immobile et sans
flots, ils passèrent à pied sec à la Manque taque * .
C'est ainsi que Hugues-Capet rendit le corps de
Saint-Valery à son église.
Le comte Burcard donna aux religieux de Saint-
Valery les terres de Héru, Quent et Monceaux et
encore plusieurs droits à Hélicourt et en la ville
d'Abbeville. Le titre de cette donation est datée :
anno secundo règne Roberti régis. Et à l'endroit des
signatures on lit : signum Roberti régis, signum
Bwcardi comitis, qui hanc cartain fieri iv^sit.
I Histoire Ecclésiastique d'Abbeville, père Ignace, page 446.
48 HISTOIRE DE SAINT-YALERY
•
Quant au fait du passage de la mer à Noyelles,
il n'a rien d'extraordinaire : c'est sur cette commune
que se trouve le gué de Blanquetaque. Le cortège
arrivant à Noyelles lorsque la mer était haute, il lui
suffit d'attendre que le reflux fut opéré pour effec-
tuer le passage à pied, sans le secours d'aucune
embarcation.
Hugues-Gapet étant monté sur le trône, se res-
souvint qu'il avait fait vœu de reformer l'abbaye de
Saint-Valery; il y envoya des religieux de' Saint-
Lucien de Beauvais et leur donna pour abbé Res-
toulde qui rétablit la règle sévère de Saint-Blimond.
Il fit ensuite fortifier une petite île de la Somme
située plus haut près d'un hable très fréquenté et à
portée de l'abbaye de Centule, et il lui donna le
titre de protecteur ou d'avoué de Saint-Riquier.
Mais celui-ci ayant épousé la veuve du comte de
Boulogne tué dans une bataille, prit le titre de
x^omte de Ponthieu qui, depuis Angilbert, avait ap-
partenu aux abbés de SaintrRiquier. Ce lieu fut
nommé Eahleville^ du hable sur lequel il était situé,
ou bien AbbeviUe^ de l'abbaye dont il était une dé-
pendance.
IV
. On ne sait positivement à quelle époque remonte
la création du comté de Saint- Valer>% ni en faveur
de qui il fut fondé. Selon les mémoires de Philippe
de Gommines, dit Goquart, les anciens seigneurs
de Saint-Valery venaient de la maison d'Eu. Ce dont
on est à peu près certain, c'est que le comté de
Saint-Valery est Tun des plus anciens de la monar-
chie française et que ses titulaires se disaient comtes
par la grâce de Dieu* . Il fut substitué au comté de
Vimeu dont le territoire de Saint-Valery était une
dépendance.
Les comtés étaient des portions de territoire plus
ou moins étendues, comprenant quelquefois une
province, ou bien restreintes à une seule ville avec
I On appella d'abord comités ceux qui accompagnaient les pro-
consuls et les propréteurs- dans les provinces. Sous les Empereurs,
on donna cette qualification à ceux qui les suivaient dans leurs
voyages, et qui les aidaient de leurs conseils : ils étaient donc les
compagnons du prince, et telle fût l'acception du mot comes jus-
qu'au temps où Gonsfantin en fit une dignité particulière. Ce titre
devint s| commun dans la suite qu'on retendit à tous les genres de
services. (Glossaire de Ducange. Vefb. com^.)
4
50 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
quelques terres cireonvoisines. Les rois francs de
la première race donnaient ces possessions à ceux
de leurs serviteurs dont ils voulaient récompenser
le zèle ou la valeur * . Le comté de Vimeu, comitatus
vitmacensiSj fut de ce nombre, mais on ignore
quels en furent les premiers titulaires. On croit
communément qu'il fut institué sous Charlemagne
lorsqu'il organisa militairement les côtes de son
Empire.
La résidence des conited parait avoir été à
Vismcs, château situé à la source d'une petite ri-
vière qui se jette dans la Bresle.
M. Darsy qui s'est beaucoup occupé des antiquir
tés du Vimeu, a étudié les ruines qui nous restent
de ce domaine; il a reconnu un enclos où existait
autrefois une maladrerie et les ruines d*un château-
fort, aujourd'hui en partie couvertes de terre ^ . On
y voit encore deux vieilles tours dont l'une tron-
quécj et des terrassements indiquant assez bien lé
périmètre de la construction .
Le comte avait une autorité très étendue. Il était,
en même temps, juge, administrateur civil et com^
mandant militaire. En cas de guerre, il armait un
contingent formé des hommes valides de son comté
f Lea anciens àeignenrà et Advoués de Saint-Vallery porloienl
d'axut frété d'or, semé de fleuf's de lia dé ftiême. {Mémoire pour
Vhistoiirè eUclésidstique et civile de Saint-Vatéry-sur-Sômmè. Ma-
nus. en là t>ossessidn.dé M. H. Manesàiër, soiùë-préfet de Tarfondis-
semeiit d'Abbevlile.)
2 Gamaches et ses Seigneurs, page ^ il.
ET DU COMTÉ DE VIMBU. 51
et le conduisait lui-même à la guerre. La juridiction
du comté de Yimeu paraît s'être étendue de la
Bresle à la Somme^ et des bords de TOcéan à une
ligne tirée entre les vallées de laVismeset de la Trie.
On ne sait rien des faits et gestes des premiers
comtes de Yimeu ; Thistoire ne donne même pas
leura noms^ et c'est, avec beaucoup de peine que
nous retrouverons quelques-uns de ceux qui habi-
tèrent Saint-Valery. Avant 1790, on disait encore
le bourg du Vimeu, pour désigner tout le pays qui
avait fait partie du comté.
Les comtes ayant rendu leurs charges hérédi-
taires, s'érigèrent en maîtres souverains des pays
dont ils n'avaient été que les administrateurs amo-
vibles et révocables. Ils se contentèrent d'abord d'en
usurper la survivance pour leurs enfants, ensuite
pour leurs collatéraux. Enfin, sous Hugues-Capet
ils déclarèrent ces charges propriétés inaliénables
de leur familles et Hugues n'obtint lui-même le
trône qu'au prix de cette concession .
Assez longtemps avant cette époque, les comtes
de Yimeu, jaloux de la puissance que les abbés de
Saint- Yalery acquéraient, firent construire un châ-
teau-fort sur le promontoire, à peu de distance de
l'abbaye.
Un mémoire manuscrit, écrit pour servir à l'his-
toire. de Saint- Yalery *, dit cependant que du temps
I Mémoire pour Vhistoire ecclésiaitique et civile de Saint-Val-
lery^iur-Somme.
52 HISTOIRE DE SÀIMT-VALERY
de Renaut de Saint-Valery qui vivait dans le dou-
zième siècle, il n'y avait point encore de château
sur ce point. c< Renaut, dit-il, reconnoissoit tenir
un fief du roy Philippe- Auguste; saint Vallery, Tad-
vouerie des terres de Tahbaye de Saint- Vallery, le
château d'Ault, Domart et Bernardville : il aurait
nommé dans son adveu le château de Saint-Valler\^
aussi bien que celuy d'Ault s'il y en eût un alors,
d'autant plus que dans la suite, lorsqu'il a existé,
il a esté nommé par un ancien escriyain : un chas-
tel appartenant au Roy. »
Cette preuve nous parait bien faible d'autant plus
que le même mémoire ajoute immédiatement : « Il
est bien vrai que Renault qui vivait du temps de
Lotaire, roi de France, s'explique ainsi dans l'his-
toire des miracles du saint : Portus burgi obseratij
claves in castrum meum aucludite, » Nous croyons
donc que le château d« Saint-Valery existait avant
l'avènement d'Hugues-Capet, et que le comte de
Saint-Valery l'habitait, comme nous le verrons tout
à l'heure, lors de la conquête de l'Angleterre par le
duc de Normandie.
Dans ce temps aussi, la ville de Saint- Valéry était
à. peine formée. L'auteur du mémoire dont nous
venons de parler, dit qu'en l'an 800, les maisons
étaient bâties au lieu où fut depuis l'abbaye. « On
ne seait, ajoute-t-il, si dans le siècle suivant, c'est-à-
dire le neufvième, il y en avait un assemblage assès
considérable pour former un village ou un bourg.»
ET DO COMTÉ DE VIMEU. 53
Dès le siècle suivant il parait que la ville était
murée et qu'elle avait des portes. Des négociants
avaient alors bâti des maisons et des magasins sur le
bord de l'eau afin de pouvoir être à portée des na-
vires qui y venaient décharger leurs marchandises * .
Ce lieu était entouré de murailles; c'était ce qu'alors
on appelait une ferté^ mot fait du latin firmUates,
fermeté, d'où, par contraction, /!?rte\ nom qui resta
à la partie de la ville qui se trouvait placée sur le
bord du chenal de la Somme, à un endroit très pro-
pice pour abriter les navires et y foire commodément
les opérations de chargement et de déchargement.
Le commerce, malgré les nombreuses entraves
qui contrariaient sa marche et la gêne toujours
croisante dés contributions et des péages, s'éta-
blissait à Saint-Yalery et faisait arriver à son port
les navires marchands des autres pays. Les habi-
tants du Ponthieu, de la Champagne et de la Picardie
étaient passionnés pour le luxe, pour la richesse des
vêtements, pour la chasse; par le port de Saint-
Valery, ils se procuraient des laines d'Espagne, des
cuirs de Cordoue, des chiens de chasse d'Angle-
terre, de la verroterie de Venise. L'Angleterre leur
fournissait aussi du blé, des cuirs, du plomb, des
métaux; on venait s'embarquer à Saint- Valéry pour
l'Espagne, pour le Portugal, pour l'Angleterre et
pour les Pays-Bas. La rade était des plus vastes et
I Archives de la couronne^ carton 25.
64 HISTOIRE DE SAOrr-VALEaiV
des nûeoK abritées de la Manche. Saint-Valery était
donc la localité la plus importante du Yimeu : ce
devait être la capitale des seigneurs du pays.
Au dirième siècle, dit Noël de la Morinière, le
port de Saint-Yalery-sur-Somme était plus consi-
dérable que ceux d'Ambleteuse, d'Etaples et de
Tréporty qui se livraient à la pêche : le voisinage
du Crotoy et d'Abbeville, et les facilités que don-
nait la rivière de la Somme pour les transports
des marchandises et denrées, y attiraient un grand
commerce • .
. La pêche avait été le premier pas vers Tindustrie
de la navigation. Les bateaux pêcheurs, qui n'étaient
d'abord que de simples barques ou caraques pour
faire la pêche dans la rivière et dans la baie^ se
transformèrent peu à peu en des embarcations d'un
plus fort gabarit; les pêcheurs s'aventurèrent en
dehors de la pointe du Hourdel, et ils eurent des
bateaux de 4 5 à 20 tonnes, espèces de caravelles
nommées htrondelUs. Quand venait la guerre, le
seigneur ou le roi de France mettait en réquisition
tous ces bateaux qui se trouvaient, par ce moyen,
transformés en vaisseaux de guerre. C'est ainsi que
Philippe-le-Bel put fournir .une flotte de 4,&00
voiles qui sortirent de tous les ports depuis la Seine
jusqu'à Calais.
La pêche se fit en grand au port de Saint-Vatery,
f Histoire' générale des pèches. Noël de la morimèkE) tome I,
page 320.
er DU COMTÉ DE y IMBU. SS
ear les eaux de la Somme étaient, comme celles de
la Manille 9 très poissonneuses. Les cétacés ise mon^
traient en vue des côt^ et entraient quelquefois
dans la baie. Les plies, les anguilles, les maque-
reaux se prenaient en abondance. C'est au dixième
siècle que les marins de Saint^Valery commen*
cèrent à faire la pêche du hareng. Des salines furent
établies sur des terrains abandonnés par la mer
entre Abbeville et Saint-Valery et entre Saint^Valery
et Ault. On conserve encore la tradition de celles
qui existaient à Saigneville et à Sallenelle, sur les
terrains que la mer avait abandonnés et que )ps
habitants endiguèrent pour y laisser déposier les
eaux de la mer et en tirer du sel . Il y eut à. Saint-
Valéry des ateliers de salaison . Nous verrons plus
tard que les salaisons de Saint-Valery acquirent une
grande réputaticHi.
Saint-Valery était une résidence bien digne d'être
la capitale du Vimeu . Les comtes le jugèrent aiiisi :
il y avait d'ailleurs, dans le commerce qui se fai-
sait par le port de Saint-Valery, matière à établir
des droits très avantageux, et ils ne manquèrent
pas d'en tirer parti.
L'abbaye, depuis les derniers ravages des Nor-
mands, avait été reconstruite dans des proportions
plus grandes : des pèlerins y venaiait en grand
nombre de toutes les parties du royaume, et les of-
frandes qu'ils faisaient au tombeau du saint, enri-
chissaient rabbayeainsiquebviUequieji dépendait.
56 HISTOIRE DE SAlITr-YALERT
Le château des comtes de Vimeu se dressait sur
la crête de la falaise qui dominait l'entrée de la
Somme. Tout navire qui abordait au port de Saint-
Valéry y devait un droit au seigneur, qui se payait
à l'intendant du château. Ce manoir était certes
mieux placé que dans le fond du vallon de la Yismes;
aussi dès cette époque , est-il plus souvent parlé des
comtes de Saint-Valery que des comtes de Vimeu .
On croit que ce fut vers l'an 825 qu'ils commen-
cèrent à venir habiter cette résidence.
Mais cette protection directe du seigneur n'était
rien moins que vexatoire pour la population ; les
redevances auxqu.elles elle obligeait, pesait sur les
négociants qui, pour satisfaire à l'avidité et aux
exigences' du maître, étaient souvent dans la dure
nécessité de contracter des emprunts, en s'enga-
géant, faute de remboursement, à rester esclaves du
prêteur ou à lui laisser quelques membres de leur
misérable famille. Poussés à bout par ces exactions
de leur protecteur, les habitants se coalisèrent plu-
sieurs fois pour résister à ces injustes et ruineuses
exigences.
Les comtes étendaient ainsi leur puissance et gé-
néralisaient le vasselage en ruinant la classe des pro-
priétaires allodiaux : chaque jour ils accaparaient
quelque portion de territoire, soit au détriment de
leurs vassaux, soit en les saisissant de vive force sur
leurs voisins.
Charlemagne ne vit point sans inquiétude le lorl
BT DU GOMTÉ DE VIMBI}. 57
que cette puissance des sei^eurs pouvait causer
à rautorité souveraine. Il essaya d'y mettre un frein,
et créa, pour cet effet, les ndssi daminici envoyés
impériaux chargés de parcourir plusieurs fois par
an la partie du territoire qui leur était confiée.
Les pouvoirs des tnim dùminici étaient très éten-
dus. Us faisaient annuellement le dénombrement
des Casatij tant dans les bénéfices laïques que dans
le monastère; ils nommaient, avec la participation
du comte, les juges, les vidâmes, les prévôts, les
avoués, les notaires, les échevins, et ils soumet-
taient ces nominations à la sanction du peuple.
Totius populi consensus Ils faisaient surveiller le
seigneur et ses subordonnés, remplacer les juges
vénaux et corrompus et maintenaient la discipline
ecclésiastique ; ils faisaient poursuivre les voleurs,
le& homicides, les adultères, les enchanteurs, les
devins, les sacrilèges « afin, dit Baluze, qu'avec
l'aide de Dieu, ces crimes disparussent de la chré-
tienneté. » C'est ainsi que les missi dominici récla-
maient du comte et des roturiers un serment de
fidélité formulé en termes précis % ils entendaient
les réclamations et étaient chargés d'y donner suite.
Toutes les branches du service public se trouvèrent
ainsi rattachées à l'autorité centrale.
Cette institution éminemment sage et utile, de-
vait rendre de grands services à la civilisation. Le
1 CapiL de 929, 873. Baluze, tom I, coll. 467. 1216.
2 Marculf. Livre 1 , formule 40.
Ci& HUTOIEB DE «AlBrr-YAtBRY
Vtmeu eut pour missî dominici Tévéque Paul,
révéque HinneradyHerloinyHungarius^; puis sous
les successeurs de Charlemagne, poursuivie par
ceux qui profitaient des abu9, Tinstitution se perdit.
La puissance des comtes du Yimeu s'était aussi
accrue : au temps de Charlemagne, les terres de la
seigneurie s'étendaient sur toute la rive gauche dé
ia Somme et comprenaient les territoires de Cayeux,
d*AuU, de Franleu jusqu'à Mons-Boubers; elles
étaient placées sous les droits de haute justice de
Tabbaye de Gori)ie; la moyenne et basse justice
appartenait au marquis de Gamaches qui la faisait
exercer par des officiers à sa nomination .
Un grand nombre de fiefs dépendaient de cette
seigneurie : les possesseurs devaient au seigneur
rhommage de bouche et de main, fœdus ait et dex-
trœ eopulanturj les bourgeois de la ville étaient
tenus de lui donner annuellement un septier d'a-
voine et un chapon .
Hugnes-Capet qui eut, avant d'être roi de France,
le titre de comte de Ponthieu, résida, dit-on, à
Saint-Valery. On ne dit pas s'il eut le titre de sei-
gneur de ce domaine; mais au temps du roi Lo-
I Les envoyés du prince sous ]e titre de Mi$si dominici, institués
par Louis I**) était une institution précieu^'e qui avoit pour objet de
parcomrir les provinces, d> faire publier et exécuter les ordonnances,
de recevoir les plaintes des opprimés, de mander les juges et d'y
niamiAAT leur conduite, de punir les contes ou évéques. Les ACiast
dominici tenoient leurs amies dans le Ponthieu 4 fois Tan, en jan-
vier» avril, juillet et octobre. Tout le monde y avoit accès libre et
facile.
ET DU COMTÉ DE YIMBU. 59
thaire, vers l'an 960, un comte Renault résidait à
Saint-Valery et y exerçait Tautorité souveraine.
Sa fille épousa Orland ou Orliac, Tun des fils de
Guillaume P% comte de Ponthieu, qui fut seigneur
de Saint-Valery, comte de Boulogne et vicomte du
Viineu. Cette double qualification ferait supposer
que le comte venant habiter Saint-Valery, avail
institué au château de Vismes une lieutenance ou
subdélégation 4ont il avait alors la gérance. Ce fut
ce comte Orliac qui , est-il dit dans la vie de Burcard * ,
porta avec ce seigneur le corps de saint Valéry
dans sa translation de Saint-Omer à Leuconaus.
A Orliac succéda Guibert, surnommé l'avoué de
Saint-Valery, qui épousa Papie, fille de Richard II,
duc de Normandie. Orderic Vital dit qu'ils eurent
deux fils, Bernard, qui succéda à son père dans la
seigneurie de Saint-Valery et Richard % qui eut un
fils nommé Guilbert et une fille nommée Ade'-
1 Vie de Bouchard^ comte de Melun, Coll. Guizot. Tom VII, p. 20.
2 HUt. eccl, nojrm. Orderic Vital. Liv. 6, page 9.
3 Guilbert eut pour fils: Gautier ; Hugues qui fut moine, et Béa-
trix. Gauthier eut quatre fils, Richard, Jourdain, Gaulier et Hélie.
{Mém. pour l'hisL ecclésiastique et civile de Saint-Valery,)
^ ■ ^ ■»
Le seigneur de Saint- Valéry n'était pas sans im-
portance : il était au nombre des cinquante neuf
barons de TEmpire créés par Charlemagne. Ses pri-
vilèges et prérogatives étaient très étendus. Entre
autres il exerçait un droit de lagan sur tous les na-
vires, marchandises et hommes que la tempête jetait
sur les côtes de son domaine.
La pratique de ce droit inique remontait aux
temps lesplus barbare^ : les comtes de Saint-Valery,
comme seigneurs et possesseurs des terres baignées
par la mer, réclamaient tout ce que les marées dé-
posaient sur rétendue de ce rivage maritime. En
vertu de ce droit, ils confisquaient tous les navires
que la tempête brisait sur leurs côtes et s'empa-
raient de leurs débris ainsi que des marchandises
dont ils étaient chargés. Cet acte de piraterie était,
à cette époque, en quelque sorte le droit des gens
de ceux qui habitaient le littoral des mers. Le comte
de Ponthieu en usait ainsi sur toute l'étendue du
rivage soumis à sa juridiction, et il n'abandonnait
Si HlSTOnS DE SADfTHrALBRT
le même droit aux seigneurs du Yimeu, qu'à la con-
dition d'une remise sur les avantages qu'ils en re-
tireraient.
On comprend que lorsque aucune loi ne proté-
geait les naufragés, les riverains encore sauvages
trouvaient naturel de prendre ce que la tempête
leur envoyait : c'était un don de Dieu, et il n'est
pas encore loin de nous, le temps où les cotiers
croyaient que le naufragé était un homme frappé
par la colère céleste, qu'il était permis de mettre
à mort pour offrir en holocauste à la justice
divine.
Les Romains avaient cependant fait des lois sé-
vères pour empêcher le pillage des navires que la
tempête jetait à la côte et, surtout, pour punir les
gens qui allumaient sur le rivage des feux pour at-
tirer les navires dans les écueils * . Mais l'invasion
des barbares du Nord renversa ces sages institu-
tions, et les seigneurs féodaux du Yimeu et de Saint-
Valery usèrent largement de l'horrible coutume de
massacrer les malheureux échappés au naufrage et
de s'emparer des débris de leur fortune.
C'est alors que s'organisa le honteux brigan-
dage inscrit dans les lois anciennes sous le nom
de droit de bris et de naufrage. Plus tard, mr les
représentations des évêques, les seigneurs chan-
gèrent cette barbarie en droits de congés ou brefe
que tous navires naviguant sur leurs côtés étaient
tenus de prendre d'eux, moyennant une rétribution
ET DU COMTÉ HE ▼IMBU. 63
prélevée stir les ebodes naufragées. Ce droit s'apt^ela
bref de sauveté.
Les comtes de Ponthien étaient très âpres à ht
curée? des objets que là mer poutait déposer sur le
rivage de leui* domaine. Lorsque le vent avait souf*
fié avec violence en sDrulevant les flots de la mer^
ils faisaient explorel* avec attention les endroits pé-
rillem sur lesquels ils pouvaient espérer de voir la
tner apporter et brisel* une abondante moisson de
navires richement chargés. C'est ainsi qu'un jour
de l'an 1055, le comte Guy se trouvant à son châ*
teau de Montreuil-sur-Mer, qui était alors la capitale
du comté de Ponthleu, on vint lui faire part que des
étrangers richements vêtus, venaient de prendre
terre sur les côtes de sa domination. Guy monta
aussitôt à cheval et se rendit, en toute hâte, sur le
lieu du haiifrage où déjà les étrangers étaient retenus
par ses gens.
Lé naufragé était Harold, coifime de Kent, le
pliis puissant seigneur de TAngleterrei qui, s'étant
embarqué pour la Normandie, avait été assailli par
des vents contraires et poussé par une bourrasque
sur les €Ôtes maritimes du Ponthieti. Un prince
était uhe trop bonne aubaine pour qu'on lui rendit
la liberté sans conditions : le prince Harold fut em-
mené prisonnier et son navire fut dépouillé de tout
ce qu'il portait.
I Ne piséatores iufnine oslento, fallanf navigantes, quasi in
portum aiiqvem delatnri, ete, Sidonius appolinari^, liv. 8, épttre ^.
64 HISTOIRE DE 8AINT-VALERY
On a écrit à tort que ce naufrage avait eu lieu à
la pointe du Hourdel, et que le prince Harold au-
rait été enfermé à Saint-Yalery dans une tour du
rivage. Cette tour aujourd'hui ruinée et que les
gens du pays nomment la tour à rauts ou à ros, ce
qui a donné à quelque savant l'idée de prononcer
tour Harold j est nommée par Coquart tour à roc,
parce qu'elle est fondée sur le roc de la grève,
a C'est, dit-il, une grosse tour ronde qui faisait
» partie de l'enceinte de la place. La plate-forme
» de sa batterie est percée de quatre embrasures et
» a sous elle un magasin pour les munitions de son
» service-. Elle pouvait avoir une batterie supérieure
» selon qu'on en peut juger par une galerie voûtée
» que les ruines empêchent de bien reconnaître,
» mais qui, suivant toute apparence, traversait le
» rempart et communiquait aux ouvrages de la porte
» d'Eu et peut-être au château ' . »
Il est vraisemblable d'ailleurs que la tour à roc
n'existait point à l'époque du naufrage d'Harold;
le fait de cet emprisonnement à Saint-Yalery est
inexact. L'échouement n'eut point lieu au Hourdel
mais sur les bancs d'Auihie; Guy de Ponthieu qui
habitait alors Montreuil, vint, en vertu du droit de
lagauj s'emparer du naufragé et le conduisit pri-
sonnier à Belrem, aujourd'hui Beaurain sur la Canche
{Bélloramo).
I Projet pour le rétablissement du port de Saint-Valery-sur-
Somme. Bibliothèque de M. Poncet de la Grave. 17. suppl.
ET DU COMTÉ DE VIMBU. 65
Ce fait est constaté : Belrem est nominativement
désigné sur un monument commémoratif décrit
par M. Lancelot ^ .
La copie de ce monument fut trouvée, dit Ber-
nard de Montfauçon, dans ses Monuments de la mo-
narchie française f parmi les papiers dé M. Foucaut,
conseiller d'Etal, qui parait l'avoir recueillie à
Caen.
On lit ces vers dans les Mémoires de littérature :
Guy garda Harold par grand cure
Moult en creust mésavanture
A Belrem le fit envoyer
Pour faire le duc esloigner^.
On lit, en outre, dans les fragments de Duchesne *
Haroldus navem conscendit ut normanniam peterat; sed
ttm^pestate ad oram morinarum ultra somonœ ostia coni'
piUms est.
C'est donc sur les bancs de l'Authie au-dessus de
la Somme, que le comte Harold vint échouer, et ce
fut à Beaurain (Bello ramo) qu'il fut emprisonné.
Le voyage d'Harold avait pour objet une mission
du roi d'Angleterre, Edouard le confesseur, auprès
de Guillaume le bâtard % duc de Normandie, son
1 Mémoires de lucad, des inscrip, Tom 5, page 759.
2 Mémoire de littérature. Tom 8.
3 Les contemporains ne donnent à Guillaume que le surnom de
bâtard^ et il le prend lui-même dans quelques actes. On ne lui
donna point, dans son temps, le nom de conquérant. Il est prouvé
que dans le latin du temps, eonquestor ou conquisitor signifiaient
l'homme qui acquiert, par opposition à l'homme qui hérite.
5
HIOTOIRE DE BAUnVYALERT
paient ' . De sa .prison de Belrem» le comte Harold
éerivit au duc pour lui faire part de ce qui venait
de lui arriver et le prier de le réclamer auprès du
comte de Ponthieu. C'eist ainsi cfu'il fut rendu à la
liberté et qu'il parvint à Rouen but de son voyage.
Il promit, dit-on, à Guillaume, de la part de son
maître, la couronne d'Angleterre après sa mort.
Harold retourna en Angleterre, mais, à la mort
d'Edouard, se croyant à la tête d'un parti assez fort
pour s'emparer du trône auquel il avajt lui-même
quelques droits, il oublia les promesses faites au
duc de Normandie et se fit proclamer roi d'Angle-
terre.
Guillaume, surpris et courroucé au-delà de toute
mesure, prépara une expédition pour ehvahir TAn-
gleteira et expulser Harold du trône.
<t II fit publier son ban de guerre dans les con-
» trées voisines, dit M. Thierry; il offrit une forte
» solde et le pillage de l'Angleterre à tout homme
» robuste et de haute taille qui voudrait se servir
» de la lance, de l'épée et de l'arbalète. «
Il n'en fallait pas d'avantage pour exciter la con-
voitise de tous les seigneurs que les luttes et le bri-
gandage avaient ruinés et qui espéraient reconqué-
rir des terres. « Il en vint une multitude par toutes
I Sduardui nimiruM prf^in^uo svi9 WilMmo dncé normano-
rvm primo par Robértwm Ct^ntuari&mm wmmmuiti ponUftcêm^
poUeapêr eumdêm hêraîdum inOgram angliei re^ml mmndavrmt
cancêssionnem ^i^umquê i:(meêdenMus mnglteU fùtrat Éolhm
juris sui kerêdem. Orderic Vitale loin. 5, fuif « 4112.
ET BV GOMTÉ DE VimSU. 67
» les routes», de loin et de près^ du Nord et du
» Midi •
Le rendez-vous était à Tembouchure de la Dives,
rivière de la basse Normandie qui se jette à la mer,
entre la Seine et l'Orne. La flotte normande appa^
reilla par un léger vent d'Est; mats deux jours
après, les vents étant tournés à l'Ouest et menaçant
la tempête, elle dut chercher un refuge et ne put le
trouver que dans la baie de Somme, à Saint-Valery,
où le seigneur Bernard I"^, qui avait succédé à
Guilbert, était parent de Guillaume par sa mère
Papie.
' Plusieurs des bâtiments normands étaient péris
dans la traversée; d'autres n'arrivèrent à Saint-
Vaiery qu'avec de grandes avaries ; il fallut les ré-
parer et en équiper de nouveaux ce qui demanda
du temps. Les vents étaient d'ailleurs passés au
nord, circonstance qui rendait la sortie du port de
Saint-Yalery très difficile.
La baie de Somme avait alors encore subi une
grande modification, depuis l'occupation des Ro^
mains. Le heurt de Gayeux s'était joint au rivage^
tant par l'exhaussement des alluvions que par led
endiguementâ exécutés pour soustraire les terrains
aux dâ>ordements de la mer. L'ancienne entrée de
la Somme était restée isolée du courant qui Tali-*
mentait et formait une vaste crique où se retiraient
I Histoire de la conquête d'Angleterre par les Normands.
68 HISTOIRE DE 8A1MT-VALERY
les bateaux et qui, à cause de cela, était appelée
hâble.
Les galets qui n'étaient plus retenus à Ault par
le passage des eaux de la Somme, s'étaient avancés
dans la direction du nord abritant le heurt ou roc
de Cayeux et arrachant ainsi à la mer une grande
portion de terrain sur lequel les pêcheurs bâtirent
leurs cabanes et qui fut appelée Cayeux. Je suis
fondé à croire que ce nom de Cayeux vient de la
nature du fond, base restée de la colline détruite
qui rattachait le Cap -Cornu à la falaise d'Ault:
ce n'est pas sans raison que les seigneurs du pays
disaient pays et roc de Cayeux. La terre voisine,
provenant d'un banc maritime, conserva néanmoins
le nom de heurt on hurt et, comme les marées l'in-
ondaient encore, on y établit des salines qui furent
exploitées par les gens de Cayeux et de Saint-Valery .
La pointe de galets prit de ce mot heurt j le nom
de Heurdet ou Hourdetj comme l'appellent encore
les marins, et dont nous avons fait Hourdel. Les
plu^ anciennes cartes font figurer, à l'abri de cette
pointe, une vaste anse servant de port et désignée
longtemps après sous le nom de Vieux port. C'est
dans cette anse, et â l'abri du Cap-Cornu, que dut
s'assembler la plus grande partie des neuf cents
navires à grandes voiles et lés milliers de bateaux
de transport, li menus vaisselins^ comme l'a dit
M. Augustin Thierry, qui formèrent la flotte dont
nous venons de parler.
i ET DU COMTÉ DE VIMBU. 69
Robert Wace parle en ces termes de l'expédition
de Guillaume :
Mez ceu bî dire à mon père
I Bien m'en souvient, mes vallet ère
Quer sept cents nefs quatre mains furent
Quant de Saint-Valery s'esmurent,
Qae nefs, que batteaux, que esqueiz
A porter armes et hemeiz '.
*
Bernard, premier du nom, qui était proche parent
du duc de Normandie, et qui peut-être redoutait sa
puissance, le reçut avec des protestations de dé-
vouement. Le comte de Ponthieu qui ne voyait
point sans une certaine inquiétude une semblable
armée prendre terre sur son territoire, se montra
aussi très officieux. L'un et l'autre s'empressèrent
(de fournir à l'armée normande tout ce qui était
nécessaire à son alimentation : tous les jours un
certain nombre de gribanes arrivaient d'Abbeville
•
à Saint-Valery avec des vivres, pendant que des
renforts d'hommes affluaient par toutes les routes.
Un si bon ordre avait été établi parmi ce grand
nombre de gens de guerre que le camp ressemblait
plutôt à une ville policée qu'à un lieu destiné au
bruit et au tumulte des armes. Chaque peuple oc-
cupa la place qu'on lui avait marquée. Le comte de
Ponthieu arriva le premier avec cinq cents hommes
d'élite ; le comte Hugues^ général des Allemands, y
I Boman de Jlou.
70 BKIfOUIE PB aABflHrALUT
mena troia imUe hommes choisis; AI«in de Bre-
tagne, Bertrand de Dinan et Amaury, ^Qomt^ 4^
ThouarSy y conduisirent les troupes bretonnes et
poitevines : sous eux étaient le vicomte de Léon,
les seigneurs de Vitré, de Château^xiron, de Goel,
de Lohéac ; les Angevins, les Flamands, les Man-
ceaux, les Boulonnais que commandait leur comte,
les Tourangeaux et les Nivernais vinrent successi-
vement grossir l'armée du duc, qui comptait dans
ses rangs plus de quatre mille gentils-hommes dé-
voués à sa cause, et parmi eux plus de deux cents
seigneurs des premières familles du royaume, tels
que les comtes de Bayeux, de Mortain, de Beau-
mont, de Montfort, de Tougues, d'Avranches, d'Es-
touteville, de Senlis, de Jouy, de Longueville, d'Eu,
de Goumay, de Harcourt, d'Evreux, d'Aumale et
le vicomte de Coùtances, dont le grand âge était de
près de quatre-vingts ans V
Le comte de Saint-Valery voulut aussi y donner
son contingent sous les ordres de ses deux fils,
Gauthier et Renaut. Le roi de France fut le seul
qui ne prit point de part à l'expédition parce qu'il
entrevit que si Guillaume, son vassal, triomphait,
il serait plus puissant que lui-même, dont il relevait
pour le duché de Normandie ^ . Quant au pape, s'il
n'y vint point en personne, il donna son concours
1 Histoire de la marine. Bouvet de Gressé.
2 Mémoire pour r histoire ecclésiastique et civile de SakU-Va
lery-sur-Somme,
BT BV COMTÉ DE ^IWU. 7^
à Texfiëditira en proûpntant à Tavance rescoMainu-
nioation contre quiconque S'opposerait aua: préteo-
tioDs du duc de Normandie.
Toutles bâtimentscomposantla flotte étaimimouU-
lœ près de Saint-Vàlery et n'attendaient, pour mettre
à la veile^que le vent favorable. Trois forteresses de
bois démontées furent embarquées sur les plus forts
navires ; elles étaimt destinées à être montées sur le
sol d'Angleterre, chacune pouvant eonta^ir dix mille
hommes; elles devaient recevoir et mettre en sûreté
les vivres et provisions pour six mois.
Les troupes étaient campées dans un vaste camp
tracé auprès de Saint-Yalery. Le duc en fit une re«*
vue générale et il trouva soixante-sept mille com-
battants sans compter deux cent mille valets, ou^
vriers, pourvoyeurs, etc., attachés à l'armée.
Un historien raconte que le comte de Saint-Ya-
lery demanda à Guillaume, pour toute récompense
de l'assistance qu'il lui prêtait « l'accointance de
» la plus gente puedle que là trouverait ^ . »
Cependant les vents continuaient à soqffler de la
partie du nord; les semaines s'écoulaient et \9k flotte
était toujours retenue dans le port de SaintrYalery.
La désorganisation ne tarda point à se mettre parmi
un si grand nombre d'hommes désœuvrés et sans
discipline; ils murmurèrent, plusieurs désertèrent :
peu s'eh fallut que l'expédition projetée n'eut point
lieu faute de soldats.
I Illustration de la maUon de Gamaches , p. 1 9, cité6 par M. Darsy
72 msfonuB m SAnnMrALBBT
Cràt été on contre-temps fiicheiix pour les vues
de Guillaume. Pour détourner ce malheur, il or-
donna des prières publiques et les fit faire avec la
plus grande cérémonie. L'abbé de Saint-Yalery,
Guaton, fit promener dans tout le camp, le corps
du saint patron exposé sur un drap d'or, et toute
l'armée se jetant à genoux, invoqua les précieuses
reliques pour obtenir un heureux succès de l'entre-
prise. On 'était au mois de septembre; pendant la
nuit du 28 au 29, les vents changèrent et la flotte
put appareiller. Guy, comte de Ponthieu, voulut être
de l'expédition et partit sur le vaisseau de Guillaume.
On ne dit point que Bernard de Saint-Yalery partit
aussi, mais ses deux fils Gauthier et Renaut accom-
pagnèrent le duc et furent de ses plus fidèles ser-
viteurs.
« Quatre cents navires à grandes voiles, dit
I» M. Thierry, et plus d'un millier de bateaux de
» transport s'éloignèrent de la rive au même signal
» le 29 septembre 1066. Le vaisseau de Guillaume
» marchait en tête, portant au haut de son mât, la
» bannière envoyée par le pape et une 'croix sur
» son pavillon. Ses voiles étaient de diverses cou-
» leurs et Ton y avait peint, en plusieurs endroits,
» trois lions, enseigne* de Normandie; à la proue
» était sculptée une figure d'enfant portant uii arc
» tendu avec la flèche prête à parJir*T »
I Histoire de la conquête d'Angleterre J^Jes Normands, par
M. Aug. Thierry. ^^
- >v*
»'
l
Ht DU COMTÉ Iffi VIMEU. 73
i
ce Spectacle! magnifique, dit M. Bouvet deCressé * ,
que nul expression ne peut rendre, et qu'il faut
avoir vu pour s'en faire une idée. Onze cents em-
barcations de tout rang couvrent la mer. » Cette flotte
poussée par les vents du sud-est, aborda, sur la
cote d'Angleterre, à Pevensey. Huit jours après, le
bâtard avait conquis le trône d'Angleterre et tro-
quait ce surnom contre celui de conquérant qui lui
est resté .
Le comte de Ponthieu et Gauthier, fils de Ber-
nard, revinrent triomphants dans Teurs domaines.
Le comte Bernard avait employé son temps à forti-
fier ses châteaux :, on lui attribue la fondation de
celui de Bernaville, auquel il donna son nom..
Pour récompenser Gauthier de l'assistance qu'il
lui avait prêtée dans sa conquête de l'Angleterre,
Guillaume le conquérant lui donna autre chose que
la gente pucelte qu'il lui avait demandée : il eut le
droit de porter dans ses armes deux léopards avec
. cette devise : les deux sont égaux aux trois ^ . Quant
à Renaut, frère de Gauthier, M. Darsy nous ap-
prend qu'il reçut la terre de Sarum en Angleterre.
Ses descendants, dit-il, existent encore à Oldsarum
en Wittshire, sous le nom Waimaches ou Ghai-
moches, autrefois barons et avoués de Malmesburg
et de Wittshire. On sait qu'Henri H ajouta un troi-
sième léopard aux armes d'Angleterre.
1 Histoire de la marine^ I*' vol. page 185.
2 Par Ternis Suppar,
VI
Les grands vassaux avaient acquis une puissance
étendue : ils vivaient indép^iniants de la royauté qui,
depuis Ghartemagne, n'était plus qu'un simulacre
d'autorité. Le roi, isolé au milieu de ces superbes
sujets, ne pouvait mênfô hasarder la moindre excur-
aion hors de sa résidence, sanâ s'exposer à être
attaqué et dépouillé.
Les seigneurs, à l'exemple des grands vassaux,
avaient toujours les armes à la main pour se faire
la guerre et s'arracher une portion de territoire.
La France entière était hérissée de châteaux forts,
retraites qui étaient plutôt des cavernes de voleurs
que des moyens de défense contre les ennemis du
pays * .
Robert Wace nous a donné un exemple de la vie
I Antiquœ regum jptoeérumque Utduiiriay ad iutehm pairéaB
et munimem civium contra hostes insurgentesy per loca opportua
eonstfvi intttuit xâfflda eastellorum, qnm imdo ubiqne nfcrtun"
lur in spectuncas latronum, ad perniciem populi et vastationes
regUmum, (Mirac. S. Angilberti, acta Bened., sapc. IV, past. 1,
p. 142.)
76 HISTOIRE DE SAINT-VALERT
des possesseurs de fiefs de cette époque, dans ces
quelques vers :
Li baronz s'entre guerroièrent.
Li forz 11 fiëbles damagièrent.
Chescun d'els, selunc sa richesse,
Feseit chastels et forteresse.
Par li chasteals sursirent les guerres,
Et li destructions des terres,
Granz medelées è granz Haenges,
Granz pourprises è granz chalanges * .
Au milieu de cette anarchie aristocratique, la con-
dition des populations 'était bien précaire et bien
misérable. Les seigneurs s'arrogeaient des droits
onéreux et même odieux selon que leur caprice ou
leurs passions le leur dictaient. C'était en vain que le
malheureux arrosait les campagnes de ses Sueurs et
de son sang : un caprice de son seigneur et maître
venait détruire ses récoltes et lui ravir l'existence.
C'est ainsi que, par leurs rapacités et leurs brigan-
dages, ils dépouillèrent peu à peu le peuple de ses
libertés et de ses privilèges.' Ce n'est pas tout. De
nobles aventuriers apparaissaient fréquemment à la
tête de bandes pillardes connues sous le nom d'é-
corcheurs, de malandrins, de routiers, etc., ils pil-
laient les campagnes et y promenaient le fer et le
feu avec la plus inhumaine barbarie.
Le Ponthieu et le Yimeu, aussi bien que les
I Roman de Rou» Tôm 2, pages 1 et 5.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 77
autres parties de la France, furent infestés de ces
bandes qui se grossissaient par la misère des po«
putations. Le clergé lança en vain des anathêmes
contre ces bandes de pillards, elles ne respectaient
rien et dévastaient aussi bien la chaumière du
pauvre que les églises et les monastères.
Tel était f état de notre malheureux pays lors-
qu'un moine, Pierre Lhermite, d'Amiens, parcou-
rut les campagne^, appelant les fidèles à la conquête
de la Terre-Sainte. L'extérieur du missionnaire, qui
était commissionné par le pape Urbain II ^ , n'était,
dit-on, rien moins qu'imposant. C'était, disent les
anciennes chroniques, un personnage statura pusil-
lus; sed sermone et corde magntis. Il était petit, mal
vêtu, sans chaussures, et n'avait, dans ses longs et
pénibles voyages, qu'un âne pour monture. Néan-
moins, à sa voix, les populations s'émurent; les sei*-
gneurs, cessant de se faire la guerre, levèrent leurs
hommes pour marcher avec eux en Terre-Sainte;
les bandes pillardes se joignirent à eux dans l'espoir
d'un plus riche butin; l'entraînement fut général
et spontané : c'était un immense pèlerinage qui
précipitait vers l'Asie les populations entières des
chrétiens de l'Europe.
On évalue à six cent mille le nombre des premiers
I On conserve à la bibliothèque d'Amiens une superbe traduction
sur vélin, de VHistoire des Croisades, de Guillaume de Tyr, par
Pajon. Ce, manuscrit est orné de vignettes très-bien peintes, repré-
sentant Pierre Lhermite aux pieds du pape Urbain 11^ le départ des
chrétiens pour la Terre-Sainte, leurs exploits et leurs revers.
78 HisToitiE m sAnrr-TALEftY
ciH)iâés, sans compter les prétres> tes femmes H les
enftints * .
Le retidez-vouB en Picardie se fit en 1 096, sous
les murs d'Abbeville. JRobert, duc de NoraiMdie^
Robert, comte de Flandres et Godefroy de Bouillon
y vinrent .en personne avec des troupes considé-
rables ^ . Robert de Normandie entratna à le suivre
le sei^eur de Saint-Valery, Gauthier, qui avait
succédé à son père, Bernard P^ Gauthier, accom-
pagné de son fils Bernard, quitta ses domaines pour
aller combattre sous les murs de Jérusalem. Après
le siège de Nicée, l'armée chrétienne s'étant^parée
pendant la nuit, Gauthier et son fils s'attachèrent
aux pas de Boemond et se distinguèrent par leui^
bravoure. Orderic Vital parle des prouesses de
Bernard qui, dit-il, monta le premier sur les inem^
parts de la ville sainte.
Ce mouvemait d'rathousiame religieux avait eu
des conséquences heureuses pour la civilisation.
Philippe I^, roi de France, avait, par les conseils
du sage Suger, affranchi les serfs de ses domaines:
Les seigneurs,*déjà épuisés par le faste de leurcouf ,
1^ tournois et les combats qu'ils se livraient conti^
nuellement entre eux, suivirent Tèxemple de leur
tt^f nfiA d'avdr de Target et de pouvoir fiiire par-
tie de l'expédition de Palestine; ils vendirent aux
1 Sex tenta milHa, prœter tléfieos^ muHeriBs et parvietùs, Bon*
f ftr, page 562.
2 Chron. de ifug«es de Fletary. GoU. Ouizolj terne 7, pages S5.
Bt BI5 COMTÉ DE VlMEU. ?9
eommttiies de leur dépendance le droit de s'admit-
nistrer elles-mêmes : c'est de cette époque que datent
les Chartres d'affranchissement. Le comte de Pon-*
thieu, Guillaume de Talvas, l'accorda aux habitants
d'Abbeville en 1 1 37, et le seigneur de Saint*Valery
suivit son exemple.
On ne dit pas si le seigneur Gauthier revint de
Terre-Sainte. M. Lebœuf, dans son Histoire d'Eu,
dit que Robert de Mowbray, comte de Northum-
berland, mécontent de la manière dont le roi con^^
quérant avait récompensé ses services et voulant
porter mt le trône d'Angleterre, Etienne, comte
d'Aulàiale, trama une conspiration dans laquelle
entt« Gauthier dé Saint-^Yaléry qui, jpour ce feit, fut
pris et bruié par les Normands dans son château * .
Ordelie Yita^ et lé père Ignace disent que Ber*
nàrd 11^ fils de Gauthier, succéda à son père dans
la seigneurie de Saint-Valery, et qu'à son retour
de Palestine^ il établit hors des murs dé sa. ville de
Saint-Valery un hospice dé lépreux, car beaucoup
de ses hommes d'armes étaient revenus avec ce mal
affreux.
il pafalt qu'alors Saint-Valé)^ portait h nom de
ville ; jusqtie là ce n'iiurait été qu'un bourg pirochè
dé Tabbaye comme semblent le dire ces mots dé
Renaut, avoué de Saint-Yalery : P^tus b^gi^obêè-
fiite. Mais Mathieu Paris rapportant la destrucf&M de
I La Ville d'Eu. Désiré Lebœuf, page 45.
80 HISTOIRE DE SAUIT-YALERT
la ville par le roi d'Angleterre, en 1 1 97, s'exprime
ainsi : Villam combustit. Ainsi, Saint-Valery n'au-
rait été que village ou.boui^ jusque vers la fin du
XIP siècle, époque à laquelle il devint ville.
La maladrerie des Lépreux fut établie entre la
ville et la Ferté, au lieu où est aujourd'hui l'hospice.
Aussitôt qu'un cas de lèpre était signalé, le malade
était condamné au séquestre et livré aux prêtres :
ceux-ci venaient s'en emparer avec les mêmes for-
malités que s'il s'était agi d'enlever un mort; on
l'entrait dans l'église en chantant les versets desti-
nés aux enterrements; arrivé dans le chœur, on lui
ôtait ses habits pour le revêtir, d'une robe noire, et
il entendait la messe des morts entre deux tréteaux;
les aspersions d'eau bénite ne lui étaient point épar-
gnées. On le conduisait ensuite à la léproserie avec
défense d'en sortir; tout était dit: bientôt une mort
afTreuse terminait ses jours.
Cependant les croisades, en dépit des excès aux-
quels elles donnèrent lieu, eurent leur bon côté
et d'immenses résultats pour la civilisation. Les
seigneurs affaiblis par les dépenses qu'ils avaient
dû faire, étaient domptés; la monarchie put s'éta-
blir sur des bases plus solides. Les guerres de sei-
gneur à seigneur devinrent moins fréquentes; le
commerce s'établit avec quelque régularité entre
les nations; le port de Saint-Yalery en profita; le
bourg de la Ferté s'étendit, et les navires de tous les
pays vinrent y aborder.
ET DU COMTÉ DE YIMEU. 81
Les améliorations obtenues dans les mœurs et
dans la vie sociale furent si grandes et si sensibles
que, dès le commencent du XII* siècle, un chro-
niqueur disait :
« Nous avons dépasse les anciens, et nos pères,
que nous vantons outre mesure, ne valaient pas
dans leur dos, autant que nous dans notre petit
doigt * .
I Et mUnuHssimun digitum nostrum, patrum quoi plus xquo
extollimus^ nostrorum dorsis grossiorem reperirê poterHis. (6ni-
berti, gesta dei^ BoBgars, page 470).
6
vil
Les dévotions faites à l'abbaye de Samt-Valery
profitaient aux abbés qui, loin d'imiter l'humilité et
la pauvreté de leur fondateur, étaient devenus ex-
trêmements riches et tout puissants : ils préten-
daient être de fondation royale, et s'arrogeaient le
pas sur les seigneurs de Saint-Valery, , qu.'ils qua-
lifiaient avoués ou serviteurs de l'abbaye*. Leur
pouvoir s'étendait à tout et leur voix soulevait ou
appaisait les tempêtes, au gré de leurs caprices
ou de leurs intérêts; de grandes immunités leurs
étaient octroyées et, comme ils ne voulaient recon-
naître aucune autorité supérieure, ils étaient plus
maîtres que le souverain^.
A l'abbé Raimbert avait succédé Restoulde, puis
Foucard, de l'abbaye de Saint-Lucien de Beauvais;
Adhelmus, moine de Saint-Vaast d'Arras, occupa
1 Notes manuscrites de M. Devérité.
2 L'Abbaye de Saini-Vatery était la plus ancienne de la province
de Picardie; elle remontait selon quelques chroniqueurs, à l'an 611,
et son premier abbé tui le saint qui lui légua son nom.
H. DOSBTEL.
Hl
msnite le siège. Le peie Iguce, qui nous donne
cède nomendatnre, n*y fait pas figura* Goaton, qui
accompagna, en 1 059, Guy, comte de Ponthiai, au
sacre du roi de France, Philippe V.
Au temps du seigneur Bernard II, Théodin,
moine de Saint -Dmis, était abbé de Saint- Yalen'.
On lui attribue un écrit anonyme sur les discours
et la vie du saint patron de cette abbaye.
Lambert lui succéda. Les mœurs cléricales d'a-
lors étaient très relâchées. On pouvait, sans doute,
attribuer aux moines de l'abbaye de Saint-Yalery,
ce que Févéque Flodoard dit des abbés en général :
u Plusieurs chanoines, dit -il, recherchaient ces
y> gains honteux, dont la cupidité temporelle est
» avide; ils étaient brûlés des ardeurs de la luxure,
» ils s'occupaient d'affaires séculières. On ne les
» voyait ni donner aux autres l'exemple profitable
» d'une charité fraternelle, ni plaire à Dieu ou aux
» hommes par la chasteté. Ils ne s'assemblaient
» point aux heures prescrite^ pour chanter des
» psaumes et célébrer les offices ' . »
En effet, les moines de Saint-Valery étaient
tombés dans une grande dissolution de mœurs :
ne voulant supporter aucun joug, leurs actes étaient
non seulement vexatoires pour les populations,
mais honteux pour le caractère clérical ; ils ne re-
connaissaient aucune autorité, pas même celle de
I Gallia Christiania, tom. I, app. page 6.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 85
leur évêque, et leur désobéissance aux ordres su-
périeurs fut plus d'une fois le sujet de réprimandes
sévères dont ils ne tenaient pas compte.
Un jour Geoffroy, évêque d'Amiens, faisant la
tournée de son diocèse,- vint à Tabbayè de Saint-
Valéry y consacrer quelques calices, y bénir quel-
ques nappes, quelques ornements sacerdotaux pour
des curés ou prêtres des campagnes voisines, qui '
l'en avaient prié. Les moines, humiliés qu'un évêque
osât venir dans leur église avec l'autorité que lui
donnait l'épiscopat, se récrièrent; appuyés par
leur abbé Lambert, ils osèrent disputer ce droit au
prélat, s'emportant et disant que jamais évêque
n'avait fait chez eux de consécration.
En vain Geoffroy, cherche-t-il "à les calmer, en
vain sa voix pleine de douceur leur rappelle-t-elle
qu'un évêque peut consacrer partout où il se trouve;
rien ne peut retenir leur colère. Les moines l'ac-
cablent d'injures, ils oublient, et ce qu'ils doivent
au caractère sacré dont il est revêtu et ce qu'ils se
doivent à eux-mêmes, à tel point que peu s'en fallut
qu'ils ne portassent la main sur lui.
Geoffroy ne passa point outre, dit un annaliste
du temps, et, considérant que cette maison n'était
plus d'ailleurs qu'une caverne de voleurs, il se retira
sans bruit * . Rentré dans sa ville épiscopale, il as-
semble son clergé, lui expose ce qui s'est passé et
I Mémoires du clergé, Toin Ul, page 738 et loin VI, page 950.
86 HISTOIRE INB SAIMT-YALBRY
demande le rappel des moines à la diseipline de
l'église. L'abbé est aussitôt mandé à Amiens, il
arrive apportant avec lui de quoi séduire les juges.
L'argent qu'il a destiné à cet acte d'iniquité est
étalé devant les prêtres assemblés. A la vue de cet
or, ce tribunal sacré ne fait pas difficulté de.vendre
sa conscience; il cède, et bientôt il a la lâcheté de se
déclarer contre son évéque.
Geoffroy porte alors l'affaire devant l'archevêque
de Reims, Manassès, légat né du saint siège; celui-là
même qui disail : « l'archevêché de Reims serait une
bonne place, s'il n'obUgeait à chanter la messe \ »
Là de nouveaux scandales se renouvellent. On dis-
tribue l'or à pleines mains ; on fait plus, on fabrique
de faux titres; le 'i^nt évéque, cettb fois encore, est
accablé d'injures. On allait prononcer contre lui,
lorsqu'il demanda à voir les privilèges que les
moines prétendaient avoir reçus du pape . Ils exhibent
cette pièce; Geoffroy passant le coin de sa robe sur
l'encre, fait voir qu'elle était nouvelle, que le par-
chemin en était tout récent, que l'écriture n'était
pas romaine non phis que le sceau, et^ la fraude
ainsi découverte, il confond ses adversaires.
Les moines ne se considérèrent point comme
battus, ils en appelèrent au pape et distribuèrent
de riches présents aiix officiers de la cour pontifi-
cale, qui {MTomirent de défendre leur cause. Per-
1 Hujus mores prorsus improbos^ et stupidissimos haàitus cum
omniê honeslus horreret. (Gviberti abbaiis. Opéra, p. 467.)
AT DU eomÉ 9B VIMBIJ. S/1
suadés qu'ils la gagneraient, ils^ revinrent triom*
phants à SaintrValery. C'est alors que parut la
bulle pontificale de ii06, da^s laquelle Texcom-
nHinication est fulniinée oo^re tout séculier, qui
oserait attenter aux privilèges des monastères.
Geofl&roy arrive après le départ des moines de
Saint^Valery, fort de son droit seulement^ car il n'a
rien à distribuer et de grandes charges s'élèvent con-
tre lui. On raceuse d'avoir voulu opprimer les moi-
nes. Le pape, Pascal II, prévenu d'avance^ refuse en
quelque sorte de l'écouter; mais l'évêque s'exprime
avee tant d'énergie et de dignité, que le jour de la
justice arrive enfin « Le pape s'excuse de l'avoir
d'abord si mal reçu; il admire sa sagesse et n'hésite
point à confirmer les droits de l'évêché d'Amiens
sur l'abbaye de Saint-Valery * .
Ces faits ^ si communs à cette époque^ donnent une
fâcheuse idée de l'esprit du clergé et surtout des
abbés de Baint- Valéry, L'abondance des richesses
tesavait eorroffîpus,et cette dépravation n'était point
sans influence sur l'état où se trouvait la civilisa-
tion.
La corruption des clercs demandait une répres-
sion sévère. Hildebrand, devenu Grégoire VII, s'en
occupa sérieusement : il défendit aux moines le
trafic et la vente des bénéfices, chassa du sanctuaire
ceux qui n'étaient point dignes de l'approcher et
I Les évégues d'Amiens, page 16.
88 HISTOIRE DE SAINT-YALERY
soumit les chapitres jà une vie régulière et cano-
nique * .
Le père Ignace nous donne une belle idée de
Tabbaye de cette époque. L'église était admirable,
dit-il, elle se composait d'une nef et de deux bas-
côtés, unis entre eux par le rond-point du chœur ^.
M. Désirée Lebœuf dit que, cette église, dans le
même genre que celle d'Eu, était d'une svelte élé-
gance, surtout à l'intérieur, admirable par la hau-
teur des fenêtres, les arceaux, les colonettes et les
croisillons. Il existait en outre une église dédiée à
saint Josse et un beffroi que les dégradations de la
mer firent tomber avec la falaise sur laquelle ils
étaient construits ' .
En 1165, les privilèges de l'abbaye de Saint-
Yalery, comprenaient, d'après un acte du pape
Alexandre, le comté de Yimeu, qui rentrait dans la
possession territoriale des seigneurs de Saint-Yalery .
Les abbésprétextaientaussi des droits sur les terrains
du Marquenterre dûs à la retraite des eaux de la
1 Concile de Labbe. Tom. IX, coll. 1099. — Ann, bened. Tom. V,
append.
2 L'église de cette abbaye passait pottr une des plus belles de
France. Il ne reste que des ruines de ses bâtiments, qui avaient été
reconstruits plusieurs fois et, en dernier lieu, dans un beau style
ogival. H. DusETEL.
Le cérémonial du monastère de Saint-Valery se trouve à la bi-
bliothèque impériale, sous le titre de : Ceremoniale locale mohas-
terii sancti Valerici supra mare. (Don Grenier, art. Leuconaus.)
3 Titres de la fabrique. Manns. de M. Saumon.
On veut parler ici de l'ancienne maison de ville. L'h6tel-de-ville
étHnt trop près du rivage, a croulé dans la mer. H. Dusevel.
ET DU COMTÉ DE YIHEII. 89
mer et qu'ils avaient donnés à cens; mais cette pro-
priété fut cause de différends qui survinrent plus
tard entre eux et les comtes de Ponthieu.
Bernard III, qui avait succédé à son père Ber-
nard II, était alors possesseur de la seigneurie de
Saiht-Valery. Il servit la cour de Henri II, roi d'An-
gleterre, duc de Normandie, et fut par lui envoyé
extraordinairement vers le pape * .
La bonne entente ne régna pas toujours entre
Bernard et son suzerain, Jean, comte de Ponthieu.
Celui-ci, qui possédait la ville du Grotoy située sur
la Somme à l'opposite de Saint-Valery, y avait fait
bâtir une forteresse pour s'assurer un péage sur
chaque navire qui entrerait dans la rivière. Bernard,
qui prétendait avoir seul des droits à ce recouvre-
ment, fit augmenter les fortifications de Saint-Va-
lery. Depuis cette époque les deux forteresses sem-
blèrent deux ennemis placés en face l'un de l'autre
et se mesurant de l'œil: il en résulta, ainsi que nous
le verrons bientôt, des luttes fâcheuses pour la
prospérité du pays.
Une autre circonstance vint augmenter ces causes
de dissentiment. Le comte de Ponthieu ayant épousé
en seconde noces Laure, fille de Bernard, il s'en
sépara peu de temps après sous le prétexte qu'elle
était parente avec Méhaux*, sa première femme,
1 Mémoire pour l'hisê, ecclésiast. et civile de Saént-Valerjf.
2 Panni les anciens seigneurs de Saint-Valery l'histoire cite Ber-
nard. Sa fille, appelée Mehaux, fut mariée à un haut seigneur du
90 HlSïTOttS 9E »àfNf-VALE»Y
et il épousa Béatrix de Saint-Pol, fiUe d'AnselHie,
de Camp-d' Avoine. Bernard, outré de colère, ne
ménagea point ses reproches. Des injures on en
vint aux voies de fait : c'est à qui des deux seigneurs
entrerait sur les terres de son voisin pour y metti'e
tout à feu et à sang. Tous les deux se jurèrent
haine à mort, et la guerre féodale ensanglanta de
nouveau les rives de la Somme.
Le seigneur de Saint-Valery fut associé pour
moitié à la seigneurie de Gamaches par un cheva-
lier nommé Yaleran^qui la tenait en franc alleo^ et
il retint de lui l'autre moitié en fief. Il prit dès lors
le titre de seigneur de Saint-Valery, marquis de
Gamaches, gouverneur du pays et roc de Cayeux*;
pays de Gales, appelé Guillaume deBrayau^e et elle rendit d'im-
portants services au roi, Jean d'Angleterre. Elle se vanta un jour
au comte d'Aumale, son neveu, d'avoir tant de fromages que si cent
des plus vighereux (vigoufenx) hommes d'Engleterre étoient as îé-
gés en un cbasteau ils se pourroient défendre avec ces fromages plus
d'un mois, pas si encore que tozjours trouvassent les fromages ap-
pareillés por jetés hors. {Ristoire des dues de Normandie et des rois
d Angleterre, etc., publiée par Francisque Michel. In-S**, Paris 1840,
pages f i f et ♦ fî. (mte eommuniqu&e par m. », DUS^VEt. )
\ Ce mot roc de Cayeux semble confirmer notre opiAioft suv Fo-
rigine du territoire de Gayeux; c'est-à-dire que le fond serait un roc
calcaire, base du contrefort qui, dans des temps très reculée, devait
rattacher la butte du Cap-Cornu aux falaises du boor^ d'AuH, en
laissant une vallée depuis Ro^signy jusqu'à Onival. Un mémoire
très ancien qui nous tombe sons la main, s'exprime ainsi :
« Cayeux n'était autrefois qu'un roc contre lequel la mer venait
se briser. A ce roc se sont attachées, par succession de temps, des
terres que la mer y a apportées et en s'attachent an roe, eilea ont
acquis de la solidité; elles étaient néanmoins demeurées cachées
sous les eaux et ce n'a été que par l'industrie et les travaux des ha-
bitantS) qu'ils parvinrent à l'affraBehir des mavées. »
(Mémoire pour messire Louis Lemaitre^ prieur comvftandatmre
du prieuré de Saint-Pierre-lès-Cayeux. )
BT DU COMTÉ BE TinU. 91
puis en 1 096, il fit construire une forteresse à Ga-
mâches, une autre à Cayeux et des châteaux à Ber*
neuil et à Dômart.
Le roi de France, Louis VII, vivement affecté
des désordres qu'occasionnait cette mésintelligence
entre les deux seigneurs, s'interposa pour y mettre
un terme. Ainrès plusieurs tentatives sans succès,
il obtint enfin que le différend serait terminé par
le 'duel, dans la cour de l'abbaye de Corbîe et en
présence de Tabbé Hugues !*'• Bernard, accompagné
de ses champions et de ses avoués, partit de Saint-
Valery avec un brillant cortège de chevaux armés
de toutes pièges. Il arriva à Gorbie où vint aussi
son adversaire décidé comme lui à vider la question
par le sort des armes; mais, grâce à l'invervention
de l'abbé et d'autres hommes prudents,- surtout de
Thibaut, comte de Chartres, qui s'y trouva de la
part du roi, le combat n'eut point Heu, et la ren-
contre scella la réconciliation depuis Iknigtemps
désirée par les populations à qui ces tuttes avaient
coûté tant de sang. Par le traité qui fut passé séance
tenante, la forteresse du Grotoy demeura au comte
de Ponthieu, et Bernar& conserva ses châteaux de
Domart, Bemeuil et Saint- Valéry.
Bernard III, fut père de Bernard IV, qui, d'après
les annales connues, lui succéda, et de Laure ou
Laurette de Saint-Valery qui, ayant épousé en pre-
mières noces, Jean, comte de Ponthieu, en fut ré-
pudiée et épousa ensuite le célèbre Aléaume de
92 HISTOIRE DE SAlirr-YALERY
Fontaines, fondateur de Téglise de Longpré qui
s'était illustré dans la Terre-Sainte*. GoUenot rap-
porte à ce sujet un extrait d'un fabel manuscrit,
tiré en 1749, de la bibliothèque du comte deVence.
« Ansel de Gayeux ly voyant Âléaume de Fon-
taines, en grands pourchats, lui dit :
» Beau sire, serez pris aux tournois et pas
d'armes pour bâtard et serez regîu'dé comme pré-
lats et chanoines. Bombances, jeunes bachelettes,
festins, bals et carrousels vous suffisent, non mie
beaucoup faits d'armes chevaleresques. Pardieu,
c'est à guerroyer Mahomet et Sarrasins qu'à telle
enchaigne qu'à vous appartient.
» — De par Saint- Vallery, dit Aléaume, je vais
m'accoutrer et j'espère que vous me trouviez digne
chevalier. »
Alors Thomas de Saint-Vallery dit à sa fille
Laurette : Vous voyez votre mari prendre le vol du
jeune aigle sortant du nid, mais serait-il resté, si
vous vous fussiez obstinée à le garder dans votre
gyron^ ?
1 Aléaume de Fontaioes resta en Orient avec les chevaliers laissés
par Philippe-Angnste après son départ. En 1204, il rejoignit les
croisés qui s'emparèrent de Constantinople Tannée suivante. Il avait
fondé l'église collégiale de Longpré. Laurette de Saint- Valéry, sa
femme, avait toutes les vertus des chevalierâ et la charité de son
sexe. Un historien dit en parlant d'elle : Sicut animi virttUe non
erat inferior viro^ sic barbato facie sdpsam exhibait virum. Elle
avait appris la médecine pour secourir les pauvres. {Histoire d'Ab-
bevtlle et du comté de Ponthieu. M. Louandre, tom I*', page f 39,
note.)
2 Recherches de M. Collenot père,— dans les notes manuscrites
de M. De vérité.
f
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 93
Bernard mourut en 1 1 1 7, âgé de plus de 90 ans.
M. Darsy, dans &on Histoire de Gamaches^ signale
une lacune qui existe entre Bernard III et Bernard
lY^ pareeque la date des événements qui s'accom-
plirent du temps de ce dernier, sont trop éloignés
de l'époque de la mort de Bernard III, et il suppose
que Gauthier, fils et successeur de celui-ci, qui fit
aussi le voyage de Terre-Sainte, dut être seigneur
de Saint-Valery dans les premières années du xu*
siècle.
VIII
Les dissentiments entre les seigneurs de Saint-
Valéry et les comtes de Ponthieu leurs suzerains,
ne pouvaient qu'être préjudiciables à Saint-Valery
et au pays du Yimeu. La désolation et la stérilité
éiaient dans les campagnes : la main de Dieu sem-
blait s'être appesantie sur les peuples en punition
des désordres de leurs maîtres.
Nous avons vu que les rois de France intervinrent
plusieurs fois pour ramener la paix entre ces petits
tyrans haineux et implacables; mais la paix était de
peu de durée : les querelles renaissaient soit à pro-
pos d'une prârogative, soit au sujet des navires que
les pilotes du comte de Ponthieu allaient devancer
à la mer pour les conduire au port du Crotoy pré-
fiérablement à celui de Saint-Valery.
Bernard IV étant seigneur de Saint-Valery et
Jean II étant encore comte de Ponthieu, des rela-
tions de bon voisinage s'établirent entre le vassal
et son suzerain. Philippe-Auguste était alors en
guerre avec Henri II, roi d'Angleterre. Mathieu,
96 HISTOIRE DE S^INT-VALERY
comte de Boulogne, allié de celui-ci, fit prier
Jean de Ponthieu de lui accorder l'autorisation de
passer sur ses terres pour se rendre en Normandie
au secours du roi Henri. Jean de Ponthieu s'y
refusa, Mathieu, piqué de ce refus, pénétra de force
dans le pays, passa la Somme au gué de Blanque-
taque, et se porta sur le Vimeu, où il brûla plus de
quarante villages. Bernard et Jean s'unirent pour
le poursuivre, mais ils ne purent que constater les
ravages qui venaient d'être causés, sans pouvoir
rejoindre l'audacieux comte de Boulogne.
Bernard était un homme de mérite et d'une
grande piété, qui donna en maintes occasions des
preuves de son humanité. Voulant cimenter les
bons rapports qui existaient entre lui et le comte
de Ponthieu, ils convinrent tous deux d'unir leurs
enfants par les liens du mariage. Il fut convenu
et écrit qu'Adèle, fille du comte de Ponthieu, épou-
serait Renault, fils aîné de Bernard, et que si Re-
nault venait à mourir il serait remplacé par Thonfôs
son frère * . Renault étant mort en effet, Adèle de-
vint femme de Thomas, alors seigneur de Domart.
Les noces furent pompeuses. La fille du comte
de Ponthieu, est-il dit dans V Histoire des Mayeurs
d'Abbevilhy eut en dot une somme de 2,500 livres,
somme énorme pour le temps. Elle lui apporta en
I Si Renaldus defecerit, alter filius Bemardi qui hères ipsius
fuerit filiam comitis habebit; similiter si filia comitis Edela de-
feeerit aliam fLliam*.. RenaÙtus haberet débet»
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 97
outre la terre de Saint-Aubin, près Dieppe, et
celle de la Berquerie, en Flandre. Les cérémonies
nuptiales se firent à Àbbeville, en 1178, en pré-
sence de Guillaume de Champagne, archevêque de
Reims, ce qui fut confirmé par Thiébaut, évêque
d'Amiens *•
Le mariage fut heureux, car les deux époux s'ai-
maient. Ce fut à cette dame de Domart qu'arriva
une aventure dont les romanciers et les dramaturges
ont fait d'intéressantes narrations. Le théâtre en
est placé à tort à Saint-Valery, car le fait se passa
dans la forêt de Crecy et à Rue. Un Jour que les
deux époux chevauchaient non loin de Domart, dans
une vaste forêt, ils furent attaqués par des brigands,
qui attachèrent le seigneur à un arbre et commirent
en sa présence le plus grand des forfaits sur la per-
sonne de sa femme. Peu de temps après, leurs gens
vinrent les délivrer. Jean ayant appris cette aventure,
et furieux de l'outrage fait à son sang, fit enfermer
sa fille dans un tonneau qui fut abandonné à la
mer. On dit que la malheureuse femme fut recueil-
lie par un navire flamand qui la ramena à Rue.
Le comte de Ponthieu eut grand regret de sa du-
reté envers sa fille. On dit qu'elle le détermina à
entreprendre le voyage de Terre-Sainte et que
Bernard voulut le suivre dans cette expédition.
Avant de partir, il fit toutes sortes de concessions
2 Histoire d'Alençon. Bry de laClergerie, livre H, chap. f9.
7
t)8 mftTOlilE HE fiAJXr-VALBRY
capaUas 4e lui rendre le ciel favorable. Eo 1484,
il donnu une charte de commune à la ville d'Mbe-
ville; Bemanl y assisU et »gna l'acte de conoessiou
En 4 4 86| il signa encore, avec le comte de Ponthieu
et les plu« vieux seigneurs du Yimeu, au procèa^
verbal de délimitation du comté d'Amiens, qu# le
rpi Phili([)pe*-Augu6te venait de réunir à la cou-
roQiie.
Entre ceux qui reçurent des libéralités du comte
Jean de Ponthieu, dit le Père Ignace» il n'y en eut
point qui furent plus avantageusement partagés que
les religieux Bénédictins de Saint-Valery, auxquels
il donna tout le territoire de Saint-Quentin Jior$
merij ayant intention qu'ils prieront Dieu pour le
nepos de son âme, de celle de Béatrix son épouse^
de ses fils, de ses filles et du roi I^ilippe-Auguste
son seigneur, avec lequel il allait entreprendre ce
long et pénible pèlerinage. De plus, il leur donna
encore le droit qu'il avait sur les poissonl^ qu'on
péchait dans la mer qui était de son territoire, à la
condition de donner à chaque maître de bateau,
ehaqw jour de pechei six pains de la valeur d'un
denier de Ponthieu ^ .
Une très kmable décision qu'il prit encore, de
tçonœrt avec Bernard de Saint- Valéry, fut l'aboli-
tion du cruel droit de lagan, qui consistait à piiler
1 On parle sans doute ici de Saint-Quentin-en-Tourmont, dont les
terrains commençaient à surgir de la mer. f. l.
2 Misi^dns chronaiogique de9 Mayeun d'Aààevill€,^f^9ge T8.
BT W €OMTÉ DE VUIKU. 99
les cai^isoas des navires que la tempête jetait sur
les rivages 4e leur domaine et de réduire les mal^
heureux naufragés* en esclavage. Philippe- Auguste
et Guillaume, archevêque cie Reims, confirmèrent
cet abolition. L'archevêque prononça même Tex*
communication contre tous ceux qui enfreindraient
la défiduse.
Bernard fit aussi ses fondations : d'accord avec
sa femme Annora, il foncto, en 1191, l'abbaye de
Lieu-Dieu locus dd^ prèsGamaches \ et un chapitre
de chanoines dans ce bourg ménoe. €omme il avait
toujours vécu en bonne intelligence avec l'abbé de
Saint^Valery, celui-ci, pour témoignage de la bonne
estime qu'il faisait de sa personne, déclara qu'à l'a-
venir il n'élèverait plus de réclamation auprès du
comte de Ponthieu au sujet de la commune du Mar-
quenterre. Avant de partir, il fit encore diverses
donations,, et désirant suivre en tout l'exemple du
comte Jean qu'il avait en grande estime, il laissa
des biens con^érables à l'abbaye Saint-Acheul,
près d'Amiens, afin que les moines priassent pour
le salut des âmes de son père, de sa femme Annora,
de Renault son fils, et de tous ses prédécesseurs.
Jean de Ponthieu et Bernard de Saint-Valery par-
tirent pour la Palestine accompagnés chacun d'un
grand nombre de chevaliers, de varlets, et d'hommes
I a«riuj-d de Saîni-Valery acbeU, en H9I, à Rogon f 20 journaux
de terre pour y fbnder Vabbaye du Lieu-Dieu. (DeseH^Kon arèhëo-
logique et hUtorique du canton de Gumaches.)
100 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
d'armes. Us se joignirent à Sens au corps que Phi-
lippe-Auguste et Henri II d'Angleterre y rassem-
blaient, et toute l'armée s'embafqua à Fréjus. Ber-,
nard se signala, dit-on, par des prodiges de valeur,
lean de Ponthieu, atteint de la peste à Saint-Jean-
d'Acre, mourut, Bernard, toujours fidèle dans son
affection, rapporta son corps, qui fut inhumé à
Saint-Josse-sur-Mer .
Philippe-Auguste et Richard ne furent pas long-
temps amis. Ils se désunirent et se firent la guerre.
Bernard de Saint-Valery ayant pris le parti du roi
de France, Richard lui en conserva un profond
ressentiment et attendit les occasions de le lui faire
sentir.
A son retour, Bernard tranquille possesseur de
ses domaines, s'occupa de réédifier les murailles
de la ville, qui étaient depuis longtemps dans un
piteux état de délabrement; il s'occupa aussi de
l'abbaye, fit refaire la châsse du saint patron et y
traça ces quatre vers en lettres gothiques :
Abbas Bernardus pietas munere fultus
Hune fruxit loculum, gemnis auroque décorum
Ossa beata patris, in quo posuit Valarici
Nomini ad laudem Ghristi per ssecla manentem.
La vie de Bernard IV, dans ces temps de dé-
sordres, de guerres et de rapines, mérite des éloges •
on n'y trouve plus en effet que de belles actions dont
l'histoire doit lui tenir compte. Il laissa trois en-
' ET DU COMTÉ DE VIMEU. 101
fants, Thomas qui lui succéda en 1200; Godefroy,
tige dont sortirent les différentes branches de Ga-
«
mâches; Jean, seigneur de Rouvroy, dont descend
l'illustre maison de Rouvroy-Saint-Simon . Jlenault,
son fils aîné, était mort en bas4ge, et Bernard dit
le Jeune j qui Tavait suivi en Palestine, mourut sous
les murs de Saint-Jean-d'Acre.
Après la mort de Bernard, la paix qui avait régné
entre les comtes de Ponthieu et le seigneur de Saint-
Valery, cessa; les désordres recommencèrent.
Thomas, esprit inquiet et belliqueux, ne voulut
point se soumettre à son beau-frère, son seigneur
suzerain; la. guerre éclata entre eux, et Ton vit,
dans ces malheureuses contrées, se renouveller les
attaques à main armée, les ravages et les incendies
qu'on avait vues aux temps de Bernard III et du
comte Jean. Fort heureusement, la guerre qui s té-
tait allumée entre Philippe - Auguste et Richard
Cœur-de-Lion, fils du roi d'Angleterre, fut cause
d'un rapprochement entre les deux seigneurs; la
paix fut signée entre eux en 1 209, suivant un acte
rapporté par Ducange en ces termes :
« Moi, Thomas de Saint-Valery, je fais savoir à
tous ceux qui verront cette charte, que j'ai fait la
paix avec monseigneur, Guillaume, comte de Poa-
ttiieu et de Montreuil, ainsi qu'il suit : Je le servirai
comme mon seigneur, fidèlement comme je le dois;
je ne tenterai contre lui aucune prise d'armes aussi
longtemps qu'il respectera mon droit et celui des
t02 msTomE ms SABrr-YALsuT
iniens,et pour celaje loi donne des ôtage&^T'fejfÛMj.»
Sotvent les noms des otages * .
Un traité fait a Boobers, la m«''me année, enttt
les mêmes seigneurs, pmte que Thomas de Saint-
Val^ devra entretenir le port de cette ville dans
l'état ou il se trouvait du temps de Bernard, son
père', et il fut fait accord entre eux, dit le père
Ignace, tmêchant Vabard des nomes à leurs ports et
pasturages.
Guillaume III, avait épousé Alix, sœur du roi
Philippe- Auguste, qui avait eu en dot tout ce que
le roi possédait à Saint-Valery et aux alentours, à
l'exception delà régale de Vabbaye de Samt-Valertf,
et Thomas, est-il dit dans les notes de M. Devérité,
fait foy et hommage à son beau-frère, le comte de
Ponthieu, de le servir contre tous, excq)té les rois
de France et d'Angleterre, ses. cousins. Il lui dmma
pour pleiges Guillaume, de Cayeux, et autres de ses
vassaux.
Thomas resta dès ce moment fidèle ami de Guil-
laume. Les villes de la Somme étant devenues le
théâtre de la guerre déclarée entre Philippe-Auguste
et Richard, Guillaume de Ponthieu et Thomas de
Saint-Valery, ^e concertèrent pour servir les intérêts
du roi de^ France contre l'ennemi commun; ils in-:
quiétèrent par de fréquentes attaques, les terres de
Richard, en Normandie et mirent le siège dervant
1 DHcange. Loc. cit, 332. 126.
2 DQcange. Ex chartulario Pontivi.
ET Mj cmftÈ Bfi mncr. iOS
Aiiniate. Richard av^ti que le PontUefU était
garni de troupes et qu'il y avait dans le port de
Sain^^Vatery dei^ bâtiments chargés de blé et d'autres
prcmsioAs, fit une descente sur la côte de Caycux,
se ppéeiipita à l'improvistc sur la pkrcè de Saint-»
Yaleiy, brûla tes navires, fit pendre les matelots et
Hvra la ville au pillage. L'abbaye n'éâiappt menw
point â sa furenr, il la dévasta entièrement et, après
s'être emparé du corps de SaintrYalery, qui arrait
été réintégré dans son tombeau par Hugues Capet^
il remporta dans son duché de N<»*mandie et le éé^
posa dan^ une église située proche de la mer, et qui,
du nom de ces reliques, s'appela depuis Sainf-Yidery-'
en^ux.
Le roi Philippe-Augeste tint c<»mpte à Thomas
des pertes qu'il avait éprouvées à cette occasicsi, et
celui-ci reconnut tenir de lui en fief la seigneurie
de Saint-Valery, Tavouerie des terres de l'abbaye,
ainsi que les châteaux d'Aolt, de Domart et de Ber«
naviHe.
Mais la rivalité enb^e Richard et PhiKppe-Auguste
n'était point terarinée; leurs dissentiments éclataient
pfus violents. Richard détesté et méprisé de ses su*
jets , s-'efforça de susciter à son rival des ennemis
sur le Continent. Philippe vil se fermer contre lui
une ligne redoutable; il appela à lui les milices des
communes et Guiltaume comte de Pontbieu ne fut
point le dernier à répondre à cet appel.
A la nouvelle des luttes qui se préparaient avec
104 HISTOIRE DE SADrT-VÀLERT
rennemi de la France, Thomas assemble ses gens
de Saint-Valery, de Gamaches et du Vimeu, au
nombre de cinquante, tous braves, remplis de
force, dit Guillaume le Breton, munis de bonnes
armes, fidèles en toute chose à leur seigneur, qui
avait pris soin de les choisir dans tout son peuple
pour les associer à son expédition avec soixante
chevaliers*. Cette petite troupe intrépide et vail-
lante, commandant deux mille soldats, concourut
puissamment au succès de la bataille qui fut li-
vrée entre les Français et les Anglais aux champs
de Bouvines. Le comte de Salisbury, à la tête de
sept cents hommes, se trouvait au centre de l'armée
ennemie qu'il électrisait par son courage; il tenait
Taffaire en suspend. Thomas, de Saint-Valery l'a-
perçoit; à la tête de sa vaillante troupe, il se lance
sur l'audacieux Anglais et sur ses brabançons, les
taille en pièce sans perte très grande des siens.
« Chose étonnante, poursuit Guillaume le Breton,
» lorsqu'après cette victoire, Thomas compta le
» nombre des siens, il n'en trouvai de moins qu'un
» seul, qu'on chercha aussitôt et qu'on trouva
» parmi les morts. Il fut porté dans le camp du roi.
» Dans l'espace de peu de jours, des médecins le
» guérirent de ses blessure^ et le rendirent à la
» santé*. »
M. Lebœuf, cite à propos de cet acte de bravoure
i Guillaume le Breton. Tom XII, page 341.
2 Gesta Philippe'Augmte^ page 220.
ET DU GOVrÉ DR VIMBU. 105
de Thomas et des siens, les lignes suivantes dont
il ne donne pas l'ori^ne :
« Voici que vient Thomas de Saint- Valéry, le
» noble héritier, maître de Gamaches, des villages
» et de plusieurs corps de troupe qu'il a sous lui;
» illustre par son pouvoir, plus illustre par sa nais-
» sance. Il prépare cinquante chevaliers pour la
» guerre, et je ne compte point ses deux mille sol-
» dats, à l'âme intrépide et au bras vigoureux * . »
De retour dans ses domaines, Thomas fonda la
collégiale de Gamaches. Il y a apparence, dit le mé-
moire manuscrit pour V Histoire de Saint-Valery y
que ce fut lui qui bâtit le château de cette ville,
assiégé pour la première fois en 1358. On peut
lire dans Rigordus et dans Guillaume le Breton, les
hauts faits de ce seigneur : ils l'appellent un cheva-
lier noble, vaillant et puissant, recommandable par
son courage et instruit dans les lettres.
On ne dit pas où et quand il mourut.
Sa fille nommée Aenor, épousa, vers l'an 1 207,
Robert, surnommé Gastebled, comte de Dreux et
de Montfort, qui descendait en droite ligne de la
maison de France, par Robert, quatrième fils de
Louis VII dit le Gros. Celui-ci adopta, dit M. Darsy,
I Hinc sancti Thomas Galerki noMis hères Gamachus domi-
nans, vicosquê etplurima sub se castra Tenens, clarus dominatu^
elarior ortu; quinquagenta parât équités in hella^ clientes mille
MSf audaces animis et robore fortes
La ville d'En. Désiré Lebœuf, page H 6.
Gamaches et ses seigneurs. M. Darsy, page 60.
i
406 HisTom DB 8AiNT-¥ALnY src.
les ârmes^ éê la dama Âgnèft de Bninéy aa fisuiat
et elles restèrent celles de la fiimille : échiqueté d'or
et d*a%ur, à Ul bordure de gueuler * .
Qést ainsi que la seigneurie de Saint«*Val0ry
paasa dans la maison de Drrax.
1 Gamaches et ses seigneurs, M. Darsy, page 71.
I
4
IX
Par le marîi^e d'Aénor de Sainte Vakry aveo
Roliert de Dreux^ la ville de Saint- Valary se trouva
privée de ses comtes quî^ depuis plus, de trois
sièck»^ habitaient son château. La ville avait gra»^
en impcHTtance et en étendue; son port qui était à
cette époque un des meilleurs et des plus surs de
ta Manche^ trafiquait avec toutes les contrées ma-
ritimes : CN» y voyait aborder les navùres de toutes
les parties du monde avee tesqudies on pouvait
commercer * . C'était là qu'arrivmébt tous les vins
du Poitou, tous les sels du Brouage^ toua lea cuivre»
d'Angleterre. L'Espagne y envoyait ses laines^ la
BoIIande ses fils de Un; tous les produits du Levant
lui arrivaient par les Mvires de la l^dit^ranée-
Une grande partie de oes marchandises étaient trans-
bordées sur des gribannes ou sur des charrois qui
lestransportÛMit dans ptoieurs viltea eut royaume .
D'autres navires^ n'arrêtaient pas à Saînt^Valery el
f En- H78, le vaisseau qui portait le chancelier d'Angleterre,
périt à rentrée du y»H â» Saint Valeur. H. Oosbtii..
108 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
passaient outre pour monter à Abbeville. Dans ce
cas, ceux-ci s'arrêtaient preférablement au château
du Crotoy. C'est ce qui fut cause de fréquents dif-
férents entre les comtes de Ponthieu et les seigneurs
de Saint-Valery. Nous avons vu. que du temps de
Bernard II, il en était résulté des conflits meur-
triers, qui se reproduisirent encope sous la do-
mination de Thomas de Saint- Valéry. Robert de
Dreux, jaloux aussi de ce qu'il appelait ses droits,
avait voulu établir un droit de travers sur les vais-
seaux venant de la mer et passant à Saint- Valéry
pour se rendre à Abbeville; mais le comte de Poin
thieu s'y était obstinément refuse et Robert de
Dreux avait été obUgé de s6 désister de ses pré-
tentions \
Les habitants, qui avaient obtenu une charte de
Guillaume III de Ponthieu, s'étaient constitués en
commune. Entre autres redevances, ils devaient
chaque an à leur seigneur un septier d'avoine pour
son écurie et un chapon pour sa cuisine.
Ils dépendaient, pour la justice, de l'archevêque
de Reims ; ils étaient obligés de venir plaider à sa
cour, sans doute, dit M. Louandre, comme vassaux
de Robert de Dreux, vassal lui-même de l'arche-
vêque.
Si quelqu'un commettait un meurtre, ou une
blessure avec effusion de sang, il était tenu de
\ Histoire d* Abbeville. Louandre, tom I", page 313.
ET DU COMTÉ DE YIMEU. 109
payer soixante sous; mais pour toute blessure faite à
sang courant, il était banni et sa maison était abattue.
La nomination du maire se faisait parmi trois
candidats que présentaient les capitaines d'es-
couades et les chefs de métiers, au bailly du sei-
gneur, à qui était délégué le droit de choisir et de
nommer.
D'après Ragueneau, les bourgeois de Saint-Va-
lery étaient bourgeois fieffés, c'est-à-dire qu'ils
tenaient leur maire et leur commune en fief de
leur seigneur * .
L'abbaye continuait de grandir en richesses. Les
aumônes et les pèlerinages lui rapportaient con-
sidérablement; elle avait en outre le cinquième
denier sur les ventes et mutations d'immeubles qui
se faisaient à Saint -Valéry ou ailleurs de leur
dépendance. Entre autres droits, et ils étaient in-
nombrables et incompréhensibles, les abbés avaient
celui d'empêcher les nouveaux mariés de cohabiter
ensemble. Plus tard cet abus cessa sur l'int^ren-
tion de Jeanne de Dreux, comtesse de Saint- Valéry*.
Les moines firent, vers cette époque, construire
un moulin à eau contre la falaise de Moulenelle, sur
un petit ruisseau, sans doute l'Amboise, qui se
jetait en cet endroit dans la mer. Il était à l'usage
de l'abbaye avec droit de bannalité. Plus tard, ils
l'affermèrent 72 liv. par an.
1 Glossaire du droit français. Tom I", page 180. ^
2 Trésor des chartes du roi. Histoire de Dreux.
11B imuMiB M eàmiHrALRY
C'est vers le nnême tempe qu'on rai^rte une
dooetiiHi de seize joorneiix de terre avec un bo»
eitié à II NeufvUle, faite pur Hugues de Fontaines
é Tabbaye de Saint^Vaiery.
Le bon accord ne régnait point toujours «ntn
les deux pouvoirs civil et religieux. Les moines
étaient peu admirateurs des droits conférés par ke
chartes aux bourgeois, et ils saistasaient toutes les
occasions de le leur faire smtir. Les bourgeois
blessés de ce dédain et iiers des privilèges qu'ils
considéraient comme légitimement acquis, ren«-
daient aux moines le mépris dont ils les abreu-
vaient : il résultait de cette disposition hostile dos
esprits dans les deux ordres, une fermentation qui
amaiait souvent des querelles et quelquefois des
voies de &it.
Pendant que Robert était seigneur de Sidnt«Va<-
lery , ces querelles devinrent si fréquentes et si vives,
que les moines ne sachant plus quels moyens em*
ployer pour triompher de leurs adversaires, prirent
le parti de les excommunier. Les bourgeois n'en
ftnreait pas plus dociles ; ils se moquèrent des foudres
ecclésiastiques, ce qui les fit suspecter d'avoir
trempé dans les hérésies qui, à cette époque, avaient
d^ji quelque retentissement dans les provinces du
Nord. Un jour les bourgeois surexcités prirenjt le
parti de ne plus laisser sortir les moines. Le mayeur,
les échevins et les autres notables suivis de la po-
pulation, cernent l'abbaye et leur coupent les vivres.
BT DU OOMTÉ HE ¥imJ. Ifl
Les reUgieux n'oot d'aatues resswroe que de sortir
processionneUemeiit ésm h eroyaocd qu*ib eo iœ^
léseront à la multitude; msis ils sont assaillis à
coups de bâton et de {Herre et obligéfi de sa ré*
fogier dsms le prasbytàre de Téglise Saint^Martin^
où les lOfiûUHits les tiennent eacore cernés et privés
46 vivres pendant plusieurs joyrs.
Les religieux af&més et n'en pouvant plus, s'hu*
miliefiit et demandent qu'on leur donne des vivrest
les bourgeois n'en sont que plus acharnés : ils leurs
font porter des ordures et amassent du bois pour,
4iseot^lSi £iire rôtir les. moines* Le mayeur et son
coiifieil formant alors avec le peuple une longue pro*:
odssîonvfent plusieurs fois le tour de l'cglise et du
presbytère en proférant de grands cris et aspergeant
d'wm eau impure et maudite les lieux consacrés a%
fmdateur de tentes ehàses et au collège des saints.
Puis ils liraient les portes de Téglise et livrent aux
flammes l'image de la Vierge et celle de saint Jean .
L'bistoire ne dit pas comment les moines se ti^
rèrent de là; mais le pape Grégoire IX, informé de
ces £adts, porta des plaintes au roi Saint-Louis ' , à
Robert de Dreux, comte de Saint- Valéry et à l'ar-
chevêque de Rouen. La bulle pontificale appelle
uAe répression sévère contre les bourgeois^ las
édievins et les mayeurs qui, sans respect pour
1 Au ittois de juinet 123S, le pape écrivit à Saint-Louis pour Yen^
gager & venger les injures faites à Dieu, & la sainte Vierge et à
l'abbaye de Saint-Valery, par le maire et 1e^ juréâ de cette ville.
{Cabinet des Chartes, G. G. 847.)
112 nSTOniB K SâllfT-TALBRT
Vùrdre monastique^ ont osé se porter à des excès
de la plus grande gravité. Robert, en sa qualité
d'avoué, fut tenu de faire droit aux injonctions du
souverain pontife'. Un conseil composé de l'ar-
chevêque de Rouen, de Geofiroy, évêque de Beauvais
et Thibaut, archidiacre d'Amiens, s'assembla et
après la cause entendue, prononça contre les habi-
tants de Saint- Valéry et les condamna en répara-
tions et dommages intérêts et amendes pécuniaires.
De plus Robert déclara la ville déchue du droit de
commune. « L'abbé de Saint -Valéry, est-il dit
dans cet acte de déchéance, a reçu du saint père le
droit de juger et de punir la commune et ses offi-
ciers. Robert est obligé de lui prêter assistance en
sa qualité d'avoué; et, pour rendre impossible à
l'avenir toute tentative des gens de la commune
contre l'abbaye, il est décidé que le maire de Saint-
Valery sera nommé par l'abbé, si toutefois l'abbé
consent à ce qu'il y ait un maire, et en outre que
la commune ne pourra prendre cloche au beffroi
que sur les terres tenues en fief de l'abbaye. »
Mais les moines, qui ne pouvaient vivre d'accwd
avec l'autorité civile, ne conservaient même point la
bonne intelligence entre eux. lisse livraient fréquem-
ment à des actes de rébellion qui les déconsidéraient
dans l'esprit de la bourgeoisie. Un jour raconte l'in-
génieurCoquart, ils se rebellèrent contre leurabbé, le
I J}on Grenier. 28« paquet, n* 2, 1234.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 143
chassèrent du monastère et le conduisirent jus-
qu'à un- carrefour où ils le maltraitèrent. L'autorité
ecclésiastique sévit contre les plus mutins et obligea
les autres à édifier sur le carrefour une croix de
pierre qui porte encore le nom de Croix Vabbé * .
Afin de donner plus d'autorité aux abbés, le pape
Innocent IV^ permit , en 1246^ à Gelduin abbé de
Saint-Valery et à ses successeurs, de porter mitre,
anneau, dalmatique, sandales, gants et autres or-
nements pontificaux, comme les évêques.
Le comte Robert n'était pas souvent à Saint-
Valery. Il s'allia avec le comté Guillaume de Pon-
thieu et à son oncle Philippe, évêque de Beauvais,
pour marcher contre les Albigeois hérétiques. A
son retour, il vint cependant à Saint-Valery et ré^
glementa quelques affaires : entre autres, il stipula
avec Guillaume que les vaisseaux de la mér, de
quelque lieu qu'ils vinssent, pourraient, dans la
baie de la Somme, librement accéder à quel port ils
voudroient; que le seigneur de Saint-Valery ne lè-
verait rien sur les marchandises qui seraient con-
duites à sous-marées^ par terre, ou par la grève du
Crotoy, vers le Ponthieu.
Parmi les droits du seigneur, il y en avait d'ar-
bitraires, mais il y en avait aussi de ridicules ou qui
ne se rattachaient à aucune raison connue. Ainsi, en
1219, Robert ordonna par lettres patentes, que
4 Projet d*etablissement d'une retenue propre à débaucher le
port de SaHit-Valery-tur-Somme^ Coquart.
8
i
Ifi HlSTOni DB SAnrr*YALBBT BTC.
toutei les fois qu'il séjouroerait i Dieppe, mi serait
ténu dé lui faire crédit pendant quinze jours de dix
livres monnaie usuelle * .
Robert qui avait refusé de servir le roi d'Angle*
terre dont il était le vassal, parce qu'il était Ten'^
nfmi de la France, perdit, par ce fait, toutes les
seigneuries qu'il possédait en Angleterre du chef
d'Aenor sa femme. Mais, en reconnaissance de sa
fidélité, Saint-Louis lui donna, par lettres datées
de Yemon, en juin 1227, d'autres terres en Nor*
mandie ' .
Aenor demeura héritière de sa maison. Outre la
ville de Saint-Valery, elle avait apporté à son mari
les seigneuries d'Ault, de Gamaches, de Bouin, de
Domart, de Saint-Aubin, de Bernaville et d'autres
belles terres.
Robert mourut le 3 mars 1 233, laissant ses do*
maines à son fils Jean, premier du nom, comte de
Dreux.
1 EkctclopiIdib. Crédit Droit de crédit.
2 Gamaches et ses seigneurs. M. Darsy, pag« 72.
X
La ville de SainUValery, placée dans d'heureuses
conditions de prospérité, avait à lutter contre deux
puissances qui entravaient son essor. Le seigAeur
y exerçait un pouvoir arbitraire qui nuisait à toutes
les transactions commerciales; des droits énormes
étaient imposés sur la navigation et le commerçant
était en outre obligé de payer pour les marchan-
dises qui entraient dans ses magasins. Ce n'était
pas tout, l'abbaye venait ensuite réclamer sa part
dans les redevances : le vin, la viande, le beurre,
les toiles, toutes les denrées possibles devaient la
dîme à l'abbé. A Saint-Valery, comme dans les
autres ports de pêche, le pêcheur était tenu de payer
par an une taxe en poissons et surtout en harengs
frais et salés * . Les boulange: s qui cuisaient du
pain biscuit pour les approvisionnements maritimes*
1 Louis IX donna aux monastères du royaume jusqu'à 78,000
hareng par année.
2 Mebus, aquis^ armis IHscotopane meroque immuneras onerat
naves. (Philippide, ch. IV.) Glossaibb db Ducangb, au mot pain.
116 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
en devaient aux moines de Tâbbaye, qui les détrem-
paient dans Teau chaude pour les amollir. Les
moines s'enrichissaient; les biens de Tabbaye étaient
immenses; mais les bourgeois étaient pauvres et
traînaient péniblement leur exi stence sous les charges
qui les accablaient.
Les comtes de Dreux, qui possédaient la sei-
gneurie de Saint-Valery, se succédaient sans qu'on
les vit beaucoup à Saint- Valéry. Jean I*' qui avait
succédé à son père Robert, en 1240, avait été placé
pendant sa minorité, sous la tutelle d'Aenor sa
mère. Lorsqu'il eut atteint sa majorité, il épousa
Marie, fille d'Archambault VIII dit le Grande sire
de Bourbon, sa parente au cinquième degré.
M. Louandre dit que c'était un homme très
lettré, qu'il composa des jeux partis ou débats en
vers sur l'amour. Gomme les jongleurs et les trou-
vères, il avait disputé la couronne au pays d'amour
et il est qualifié li rois dans les manuscrits qui ren-
ferment ses poésies V
Jean confirma en février 1 246 tout ce que ses
prédécesseurs avaient fait relativement aux droits
de commune des villes et villages de ses domaines.
Vers le même temps, comme il se trouvait à Saint-
Valery, il s'enqûit de l'objet d'une contestation
qu'il avait avec Marie, comtesse de Ponthieu, rela-
tivement à la justice des villes d'Abbeville et de
1 :
t Histoire d'Abbeville. M. Louandre, tom I*'.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 11?
Saint- Valéry. Ils convinrent unanimement de s- en
rapporter à deux arbitres, Jean de Friaucourt et
Jean de Toflet. L'histoire ne dit point comment la
chose fut jugée.
Jean ne vécut point longtemps après cette affaire,
car il mourut en 1248. Son fils Robert IV lui suc-
céda. On ne sait de celui-ci rien autre chose que
son mariage avec Béatrix de Montfort TAmaury}
c'est de son temps que le Ponthieu passa sous la
domination anglaise, par le mariage d'Edouard r%
roi d'Angleterre avec Eléonore de Ponthieu; il
mourut en 1283.
Son fils Jean II, surnommé le Bouy à cause de la
douceur de son caractère, est plus connu. Celui-ci
fit quelque bien à la ville de Saint- Valéry. Dévoué
au service du roi de France, Philippe-le-Bel, dont
il était le chambrier, il appela sa bienveillance sur
cette ville qui fut gratifiée de quelques immunités
et privilèges dont elle avait besoin pour tenir tête
aux gens de Tabbaye. Cette sollicitude fut poussée
si loin qu'elle lui fit renouveler la querelle de ses
pères avec les comtes de Ponthieu : il plaida en
1 306 devant le parlement de Paris pour que les
navires à destination d'Abbeville fussent tenus de
faire siège à Saint-Valery et d'y payer un droit; mais
il fut débouté de sa demande par arrêt de cette
date. Jean avait épousé Jeanne de Beaujeu et, en
secondes noces. Péronnelle de Suilly, veuve de
Geoffroy comte de Chatellerault; il mourut en 1 309,
IIS HISTOIRE DE SAlirr-VALEftT
laissant trois fils, Robert^ Jean et Pierre, qui se
succédèrent dans la seigneurie de Saint-Valery.
Rd)ert V parut peu à Saint-Valery : il y ftit ap-
pelé au mois d'août 1310, pour régler un diffé-
rend survenu, à cause de cette terre, eiitre lui et
Edouard II roi d'Angleterre, qui avait pris posses-
si<m du comté de Ponthieu comme successeur de
sa mère Eléonore, morte en 1 290 . Dix ans après, il
vendit à l'abbé et au couvent de Saint-Valery, tous
les droits qu'il avait sur leurs hommes et tenants
avec la haute justice et vicomte de la ville de War-
meru {Woignarue)^ pour le prix de 3,280 livres
parisis * .
Robert avait épousé Marie, fille de Gauthier, sei'-
gneur d'Enghien et d'Yolande de Flandres, à la-
quelle il fit don du quint de ses terres situées à
Saint-Valery, Ault, Gamaches, Domart et .Berna-
ville, en stipulant que si elle mourait sans enfants
soit de lui, soit d'autre mari après sa mort, le quint
donné appartiendrait à Robert de Dreux, seigneur
de Beu, son cousin ^ .
Ces détails seraient étrangers à l'histoire de Saint-
Valery, si les faits et gestes de ses seigneurs n'im-
portaient pour l'explication des vicissitudes si fré-
quentes qu'éprouva cette ville sous le régime féodal.
Philippe de Valois étant monté sur le trône de
France en 1328, avait sommé le roi d'Angleterre,
1 Gamaches et ses seigneurs. M. Darsy, p. 85.
2 Jd. p. 86.
m DU GOHTÉ DE vimi}. 149
Edouard III, qui lui avait disputé la couronne,
de venir lui rradre hommage comme vassal pour
le duché de Guyenne. Edouard avait ^ malgré
lui, €b&r à cette injcmction de son suzenuii et avait
prêté hommage, le 6 juin 4 329, dans la cathédrale
d'Amiens. Mais furieux d'avoir courbé le ffm&a
devant le roi de France et instigué par les ennemia
de odni-K^i, il chercha les occasions de faire éclater
son mécontentement et il s'occupa de l'aroieme^
d'une flotte considérable. Des matelots français s^é-
tant pris d'injures avec des matelots anglais, des
rixes sanglantes eurent lieu; c'était un prétexte; les
deux rois se mêlèrent de la querelle qui, à la fin,,
amena une rupture. Le roi d'Angleterre cité encore
une fois au parlement de Caris pour la même cause»
refusa d'y comparaître; PhiUppe de Valois déclara le
duché confisqué. C'était le signal de la guerre; les
Français ayant repris la Guyemne, le roi d'Angleterre
dont les armements étaient prêts, fit voile pour les
côtes de France; Philippe de Valois, pour lui montrer
qu'il était aussi puissant que lui sur mer, avait aussi
fait équiper une flotte de tou$ les navires qu'il avait
pu trouver dans les ports de la Manche depuis la Seine
jusqu'au Pas-de-Calais. La ville de Satnt-Valery y
fournit trois cent seize hommes qui furent répartis
sur quatre navires * . La flotte aux ordres de Hugues
1 L«s quatre navires de Saint- Valéry étaient commandés par
Jehan de la Gove, seigneur, et Jehan le Bruiant, maître, 79 hommes;
parWitasse Doffeu, seigneur, et Guillaume Marchant, maUre> 79
120 HISTOIM DB SàUIT-VALERT
Qaierety amiral de France et de sir Nicolas Bebucbet,
conseiller au roi, appareilla et rencontra celle d'An-
gleteire en vue du port de TEcluse en Flandres.
Elles se livrèrent un combat terrible dans laquelle
les Français perdirent quatre-vingt-dix navires pris,
brûlés ou coulés et de vingt-cinq à trente mille
hommes de troupes.
On ne dit pas qu'elle fut la part de Saint-Valery
dans ces pertes et si ses quatre navires re*
vinrent.
L'art de la navigation avait, à cette époque, fait
un grand pas : la fièvre des croisades en nécessi-
tant l'embarquement d'un grand nombre de gens
de guerre, avait porté Tattention aux constructions
maritimes; les navires avaient pris un certain degré
de force et de grandeur : généralement très longs,
peu profonds, à fond plat, ils n'exigeaient qu'un
faible tirant d'eau; ils n'avaient qu'un seul mât
qu'on enlevait à volonté et ils se manœuvraient
à la rame aussi bien qu'à la voile. Ainsi gréées
ces immenses caraques pouvaient contenir jusqu'à
quinze cents hommes armés. La flotte de Philippe de
Valois, composée, dit-on, de plus de dix huit cents
voiles, n'était sans doute qu'un assemblage de tous
les navires employés pour le commerce et pour la
hommes; par Gauthier Bruiant, seigneur, et Bertaut le Carpentier,
maître, 99 hommes; par Jean Postel, seigneur, et Henri Postel,
maître, 59 hommes. {Abrégé des Annales du commerce de mer
d'Abbeville.pàTM.TT&uXïé.)
ET DU COMTÉ DE VIMBD. 121
pèche et que le propriétaire élait obligé de livrer
pour le service du roi ' .
A cette époque, le port de Saint-ValN>y se livrait
à la pêche de l'anon et de l'anoncelle, nommés de-
puis églefin*; l'esturgeon, le hareng, le cabillaud,
la plie et le maquereau y faisaient aussi l'objet
d'une pêche très abondante. Ces pêches se faisaient
alors, au-delà du Pas-de-Calais sur lé dogger-banek.
Les Anglais qui apportaient à Saint-Valery des
métaux prenaient en échange des barils d'esturgeon
salé*.
La destruction de la [flotte française au combat
naval de l'Ecluse, ouvrait à Edouard les portes de
la France. Il put sans empêchement arriver sur les
côtes de la Normandie avec une flotte de quatre
vingts voiles portant des troupes de débarquement.
La descente eut lieu en deux parties, à l'embou-
chure de la Bresle, vers Mers et sous la falaise de
Ménival.
Les habitants d'Eu, dit M. Darsy, après avoir
reçu la bénédiction de Jean deCherchemont, évêque
d'Amiens, qui se trouvait alors dans leur ville, se
joignirent à ceux du Tréport et de Mère et atta-
quèrent l'ennemi assez vivement pour le forcer à
I jDsqu'i la On du xn' siècle, la plupart dea vaisseaui dont en
compDuit les Qotlei étaient ceni-li mêmeB dont le^ marchand!) se
servaient pour lenr commerce et qai, changeant d'objet, chan~
geaient aussi de nom et s'appelaient Vaisneaax ds guerre. {BUloire
de la milice fraitçaiie sur mer, par le pire Daniel, page 440.)
% Glosiarium novuttt ad icriplores medil cevl. Ducange, V, S53.
3 BIttoire féiUrale detpécAet. Nal de la HoriaUre.
r
ISS HI8TMIE K SAOlV-VALnT
se renbtrquer après avoir perdu ufte quarantaine
d'hommes.
Il parait néanmoins qu'un parti d'Anglais avait
pu pénétrer dan» l'intârieur ou bien qu'une autre
descente eut lieu sur un autre point de la côte, car,
incontinent après celte affaire, les Anglais se réftsm-»
dirent dans les campagnes du Yimeu, brûlèrent
quelques villages et se présentèrent devant la pkce
de Saint-Valery dont ils ruinèrent les alentours et
entre autres le moulin à eau du Molénel qui avait
été jusqu'alors respecté, parcequ'il appartenait à
l'abbaye. Les habitants firent bonne contenanee et
forcèrent les assiégeants à se retirer, après leur
avoir &it perdre beaucoup de mcmde; puis, pour se
mettre à l'abri d'une nouvelle surprise, ils répa-
rèrent leurs murailles et firent fortifier Gayeux et
quelques autres points de la côte. En considération
de cette belle défense et des pertes éprouvées par
les habitants d^ns leur longue résistance, le roi
Philippe leur octroya un impôt à prendre pendant
trois ans^ sur tous les chargements de vin qui accé-
derairat à leur port \
Bob^t y mourut en 1 329 et la seigneurie de
Saint-Valery passa à son frère Jean III qui épousa
Ide de Bosny après sa mort, en 1 331 ; cette dame
I Pour Gonsidéralions est-il dit, dans lâs lettres du moBac4(ue,
des grands pertes et dommages quels ont eu de leurs gens,. vais-
seaux, denrées et marchandises et autres biens, tant en mer comme
en terre, par nos ennemis. {Tiré (fes ordonnances des rois de
France,) G. Dusevel.
ET BU COMTÉ BE VIMEU. 423
Ait eemtesse de Saint-Yalery , d' Ault et de Gamaches .
Pierre de Dreux, frère de Jean, fut néanmoins con-
sidéré comme seigneur de Saint-Yalery. Il avait
épousé Isabeau de Melun; il mourut en 1345.
Pendant ce temps, la guerre avec TAngleterre
continuait et jetait la désolation dans le pays' de
Vimeu et dans le commerce du port de Saint-Va-
lery. En 1 346, Edouard III ayant fait en personne
une descente sur les côtes de Cheii)Ourg, traversa
toute la Normandie en la ravageant; il arriva ainsi
dans le Vimeu, mais plutôt en fugitif qu'en vain-
queur, car, acculé vers la mer et la Somme, il sen-
tait derrière lui venir le roi Philippe de Valois
avec des forces considérables. Après s'être ^[nparé
d'Oisemont, il envoya plusieurs officiers recon*
naître le pays. Godefroy d'Harcourt avec un grand
nombre de gens d'armes et d'archers s'approcha des
portes de Saint-Valery. La place était défendue par
lé comte de Saint-Pol et Jean de Huy : ils accueil-
lirent les Anglais par une nuée de flèches, et les
assaillants, malgré leur nombre et leurs efforts,
furent obligés de se retirer.
Le lendemain, les Anglais conduits par un traitre
nommé Gobin Agache, passaient k Somme au gué
de Blanquetaque et allaient donner la funeste ba-
taille de Grécy, qui ne fut perdue que par la trop
grande impétuosité des Français. Les Anglais furent
assiéger la place de Galais qui se défendit noble-
ment. Les habitants du Ponthieu s'armèrent pour
124 usTonB K SiUirrHrALBiT
aller ao secours de cette ville : ramiral de France,
Flolon de Bevel, équipa une flotte à Saint-Vakfy
et donna Tordre aux négociants de la ville de lui
fournir un certain mnnbre de navires, et, comme
quelques-uns paraissaient hésiter à le faire, il les
menaça de les faire arrêter et de saisir leurs biens.
Ces actes d'autorité aii>itraire étairat positifs,
les n^;ociants se soumirent; la flotte fut équi-
pée et quitta le port dans les premiers jours de
novembre 1 346; mais, ayant rencontré des forces
supérieures avant d'arriver à Calais, elle fîit battue
et ses débris vinrent se réfugier au Crotoy.
Philippe de Valois mourut bientôt : son succes-
seur, rinfortuné roi Jean qui lui succéda en 1 350,
eut la douleur de voir les maux de. la France par-
venus à leur comble. La bataille de Poitiers plus
fatale encore que celle de Crécy, livra ce monarque
aux Anglais. Le Dauphin qui depuis fut le sage
Charles Y et fut nommé régent de France pendant
la captivité de son père, se trouva dans l'obliga-
tion d'appeler à son secours le roi de Navarre, qui,
au lieu de lerprotéger, lui disputa bientôt le royaume
et excita partout le peuple à la rébellion. Il eut des
partisans en Picardie, mais ceux-ci ayant voulu s'em-
parer d'Amiens, en furent repoussés avec perte, ainsi
que plusieurs de leurs officiers. Les Navarrois
commandés par Jean de Picquigny, se réfugièrent
vers Saint-Valery dont ils parvinrent à s'emparer.
Le roi de Navarre y mit pour capitaine, c'est-à-dire
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 1S5
pour gouverneur, messire Guillaume de Bonne-
mare et Jean de Seguere * .
Le château de Saînt-Valery bâti par Thomas en
1200, était, s'il faut s'en rapporter à Bellcforest,
une forteresse de grande importance, qui mérita
plus tard le nom de clé du Vimeu, Le mémoire ma-
nuscrit pour VHistoire ecclésiastique et civile de
Saint-Valéry j croit pouvoir conjecturer qu'alors la
ville n'était point encore fermée de murailles et
que Jean de Picquigny n'occupa que le château.
« Les gens du roi de Navarre, prirent le chastel
i> de Saint- Vallery, où ils eurent garnison de cinq
» cents combattants qui courroient tout le pays,
» jusqu'à Dieppe et environ Abbeville, selon la
» marine jusqu'aux portes du Crotoy et de Mon-
» treuil, sous le règne du roi Jean qui mourut en
» 1364^
On sentit bientôt la nécessité de mettre un terme
à tant de ravages, car le commerce du pays, et par-
ticulièrement celui d' Abbeville, qui, au dire de
Froissart, prenait à Saint- Valéry la plus grande
partie de sa subsistance, en souffrit considérable-
ment; le siège fut résolu. Morel de Tiennes et
Gui de Saint«Pol, à la tête des milices de Lille,
Arras, Douai, Béthune, Saint-Quentin, Péronne,
Saint-Omer, Amiens, Rue, etc., formant en tout
deux mille chevaux et douze mille hommes, se
1 Histoire de France. Froissart.
2 MéfnoirepourVHistoireecclésiastigueet civile de Saint-Valéry*
1S6 HISTOIRE DB &U1IT-VALBRT
réunirent et vinrent cerner la ville V On fit venir
d'Abbeville et d'Amiens des machines de guerre
qui jouèrent contre la place et causèrent de graves
dommages aux assiégés, ceux-ci qui étaimt munis
d'artillerie, canons et espingoles, répondirent par
un feu bien nourri qui fit grand tort aux milices;
selon Froissart, « il y en avoit de blessés et navrez,
à la fois des uns et à la fois des autres. » Les
Navarrois n'étaient guère plus que trois cent» dans
la place, mais ils forçaient les habitants à combattre
sous leurs ordres et multipliaient ainsi leurs moyens
de défense.
Les assiégeants renonçant à prendre la place de
vive force, résolurent de la réduire par famine; ils
en cernèrent les abords et coupèrent toutes les
communications. Cela dura sept mois, depuis août
1 358 jusqu'en mars 1 359. Cependant Jean de Pic-
quigny parvint à faire savoir l'état des choses à
Philippe de Navarre, frère de Charles-le-Mauvais;
mais, n'en recevant point de réponse, il capitula à
la condition que lui et les siens pourraient partir
et aller quelque part qu'ils voudraient leurs vies
sauves et sans nulle armure ^ .
Les Navarrois sortirent de la place, mais à peine
en étaient-ils éloignés de trois lieues,, qu'ils rencon-
3 Le connétable de France, Morel de Fienne», assiégea Saint-
Valer]f que détenaient les Anglais et où ils avaient brûlé l'abbaye, et
les força à s'éloigner de cette ville. {Continuateur de Nangis^ tom 8,
in-8>. Paris, 1843, page 282.) Note de M. Dusetsl.
1 MémoirepourVHisUHrecivileetecclésiastiquedt Saint-Valéry,
m DU COMTÉ BE VIMEU. 187
trèrent Philippe de Navarre à la tête d'un corps
considérable de troupes. Les Dauphinois, qui étaient
entrés dans Saint- Valéry, s'y maintinrent malgré
les elforts des Navarrois pour les en déloger.
Gomme nous venons de le dire^ Isabeau de Melon,
veuve de «Pierre de Dreux, était alors douairière de
Saint-Valery; elle avait eu de son mariage Jeanne
de Dreux, qui naquit à Gamaches en 4 345 et mou-
rut Tannée suivante. La succession revenait à Jeanne
de Dreux, sœur de son beau-père, Jean II, laquelle
épousa Louis, vicomte de Thouars, à qui elle porta
la Seigneurie de Saint-Valery.
Le régent avait été peu satisfait du coup de main
opéré par les Navarrois sur la place de Saint-Valery;
il réprimanda la dame douairière de n'avoir pu
la défendre, et,'pour la punir, il confisqua ce do-
maine et le remit à Jean d'Artois, comte d'Eu, des-
cendant de saint Louis, qui avait épousé Isabeau
de Melun, veuve de Pierre. Il se présenta ensuite
en armes devant la ville, sommant les habitants
de lui ouvrir leurs portes. Une nouvelle lutte allait
s'engager sous les murs de l'abbaye-, mais sur
ces entrefaites, le traité de Brétigny ayant rendu à
la France le roi Jean, qui était prisonnier des An-
glais, cdui-ci fit remettre le château à Jean d'Artois,
qui fut par ce fait seign^r de Saint-Valery.
Jean d'Artois étant mort, la seigneurie fut
donnée à Mademoiselle de Dreux, première du
nom, sa fille, épouse de Simon de Thouars, fils
128 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
de Louis et de Jeanne de Dreux, qui fut tué le pre-
mier jour de ses noces, dans un tournoi à Eu, et
pour le service duquel on affecta une rente de
quatre-vingts livres sur la châtellenie de Saint-
Yalery. Sa veuve ne se remaria point et fut appe-
lée dame de Saint-Valery * .
Ces changements de maîtres étaient peu favorables
à cette malheureuse ville, car chaque nouveau sei-
gneur venait avec de nouvelles exigences. Jeanne
de Dreux, pour subvenir aux frais de son mariage,
leva des subsides extraordinaires sur les habitants
et envoya des officiers pour les percevoir; mais les
Valeriens ayant demandé l'intervention des Amié-
nois, ils en reçurent assistance et l'imposition en
fut point payée ^.
Jeanne, voulant à toute force se procurer de l'ar-
gent, renouvela les prétentions des anciens seigneurs
de Saint- Valéry au sujet dp droit de travers sur les
bâtiments d'Abbeville, elle fit même arrêter Jehan
de la Çapelle et Guillaume, marins d'Abbeville, re-
fusans; mais elle échoua comme ses auteurs.
Le traité de Bretigny donnait le comté de Pon-
thieu aux Anglais, mais les habitants de ce pays
avaient horreur du joug de l'étranger et ils aspi-
raient l'occasion de le secouer. Edouard III ayant
paru enfreindre les privilèges dont il avait juré
la conservation, les Picards se mirent en rela-
1 Dom Grenier, 16* paquet, n? 2. Leuconaus,
2 Hist. d'Abbeville, M. Louândre, tom 1, page 193.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 129
tions avec le roi de France, Charles Y. Hugues de
Châtillon, grand maître des arbalétriers^ ayant,
avec le secours des troupes municipales d'Abbeville,
chassé les Anglais de cette ville, se présenta ensuite
devant Saint-Yalery, dont les habitants s'empres-
sèrent d'ouvrir les portes. Ceux-ci fournirent ensuite
leur contingent pour aider à poursuivre les ennemis.
On les joignit au Pont-Remy où ils furent taillés
en pièce. Le fils du comte de Saint-Pol, comman-
dant de Saint-Valery, mérita, dans cette rencontre,
d'être fait chevalier sur le champ de bataille. Bien-
tôt les Anglais n'eurent plus dans le Ponthieu que
la forteresse du Crotoy où ils se tinrent enfermés.
Pour remercier Dieu de ce succès, André, sire
de Rambures, selon les titres de 1 366, fonda une
chapelle dans le château de Saint-Valery et trois
autres à Cambron.
Mais les Anglais n'étaient point décidés à aban-
donner ainsi ce pays. La garnison du Crotoy in-
quiétait fréquemment Saint-Valery, sans cependant
y causer grand dommage. En 1372, le duc de
Lancastre reparut sur les côtes et opéra sa descente
à Hautebut près d'Ault; il dépêcha Robert KnoUes
au Crotoy avec un renfort de troupes, et, à la tête
de quinze cents hommes, il se jeta dans le Vimeu,
s'empara de Gamaches et du château deVismesetse
présenta ensuite audacieusement devant la place de
Saint-Valery * . La garnison était faible. Néanmoins,
I Froiftsart. Tom I*% partie 2«, page 597.
9
130 HISTOIRE DE ftAnTNVALBRY BTG.
confiante dans ses bonnes murailles, elle se détendit
vaillamment et doubla ses forces en armant les ha*
bitants de bonne volonté. Les Anglais voyant qu'ils
perdaient du temps et qu'ils ne parviendaient point
à réduire la place, levèrent le siège pour se porter
vers Pont-Remy, où ils passèrent la Somme,
XI
Pendant ces luttes, où le Yimeu et la ville de
Saint-Valery furent si fréquemment attaqués par les
ennemis de la France, les Yaleriens se conduisirent
si bien et donnèrent des preuves de tant de vail-
lance et de patriotisme, qu'il y avait justice à les en
récompenser. Jean d'Artois et Isabeau de Melun,
son épouse, leur rendirent les droits dont les avait
privés l'ordonnance de saint Louis après les dif-
férends des officiers municipaux avec les moines
de l'abbaye. Dans la charte qu'ils leur donnèrent
en 1 376, il accorda échevinage, ban-cloque, pilori,
scel et banlieue. Il est dit, en outre, dans ce titre,
que les chevaliers qui se rendront à Saintr Valéry
pour la guerre ou pour leur propres affaires, doivent
payer leurs dépenses aux bourgeois, et en outre
que tout chevalier débiteur d'un juré, qui vient
à cheval dans la ville, ne peut être arrêté à cause
de sa dette, aussi longtemps qu'il reste en selle;
mais, s'il met pied à terre, le juré peut saisir son
cheval et le v^dre pour se payer de sa créance.
132 HISTOIRE DE SàlKT-VALERT
Hommage bizarre rendu par la pédaille des com-
munes aux habitudes de la chevalerie * .
La même charte porte en outre :
Toute blessure avec effusion de sang, toute me-
■
nace de Tépée ou du couteau font perdre soixante
sous.
La tranquille possession des maisons est garantie
aux habitants.
Le maire peut recevoir qui bon lui semble dans
la commune sans le consentement du bailly.
Les bourgeois ne paieront aucun droit pour les
denrées à leur usage consommées dans la ville.
Les calomnies, les paroles injurieuses contre les
officiers municipaux seront punies de deux sous six
deniers d'amende,
Le sire de Saint- Valéry a le droit de prendre un
pot de bière sur chaque tonneau ^.
Les guerres avec TAngleterre avaient anéanti le
commerce de Saint- Valéry, qui se faisait principa-
lement par mer. Entre autres denrées d'exporta-
tion, on chargeait beaucoup de blé à Saint- Valéry.
M. Louandre nous dit, dans son Histoire d^Àbbevillej
que Guillaume duc de Bavière ayant un jour fait
conduire au port de Saint- Valéry cinq cents muids
de blé que des marchands hollandais avaient acheté
à Abbeville, huit cents bourgeois eu armes se ren-
dent aussitôt à Saint- Valéry, s'emparent du blé
1 Histoire d'Abbeville. M. Louandre. Tome I, page 103.
2 Dom Grenier, 16* paquet, n* 2. Leuconaus:
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 133
qu'ils revendent, avec Tautorisation du maire, ^ux
habitants et appliquent au besoin de la commune
d'Abbeville le montant de la vente. Un procès s'en-
gagea entre les marchands et les Abbevillois, dit
M. Louandre, mais les marchands perdirent leur
cause.
L'autorité des seigneurs de Saint- Valéry s'était
beaucoup affaiblie depuis qu'Aenor avait porté ce
domaine dahs la maison de Dreux. A la mort de
Jean d'Artois en 1 400, Saint- Valéry passa* à son
neveu Charles d'Artois et ensuite à Bonne d'Artois
sœur de Charles, laquelle, par son mariage en 1 41 3
avec Philippe de Bourgogne, comte de Nevers, fit
passer la seigneurie de Saint-Valery dans la maison
royale de Bourgogne.
Mais les maux éprouvés par la ville de Saint-
Valery n'étaient point finis; les Anglais qui se main-
tenaient dans la forteresse du Crotoy, continuaient
à faire grand tort à la ville et à son commerce ainsi
qu'à la culture des terres. Cet état de choses durait
déjà depuis neuf ans; Duguesclin était apparu un
instant dans le Vimeu où sa présence eût fait changer
la face des événements s'il y fut resté; mais rappelé
en Guyenne, où il y avait de grandes luttes avec les
Anglais, il quitta le pays et se retira par Gamaches.
Jean d'Artois était alors encore seigneur de Saint-
Valery et il n'avait rien négligé pour maintenir la
place en état de défense. C'est de cette époque que
date la confirmation qu'il fit de la charte donnée aux
134 HlSTCflRB DE ftAmT-VALBRY
habitants d*Ault en 1340, par Mathieu de Trie,
seigneur de Gayeux.
Les plaintes des habitants du pays éveillèrent
l'attention du roi Charles VI; il envoya des troupes
dans le Ponthieu avec la mission de se rendre
maîtres de la forteresse du Crotoy. La milice de
Saint* Valéry et celle d*Abbeville se joignirent en
1 385 i ces forces militaires: on eerna les Anglais
et on les obligea par la famine, de rendre la place.
Mais Henri V en montant sur le trône, fut pris
d'une velléité de suivre l'exemple de son père; il
partit avec une armée et débarqua à Criel en Nor-
mandie, le 27 septembre 1413; quelques jours
après, il passa la Bresle à Gousseauville près de
Gamaches et vint coucher à Bailleul en Vimeu. Tout
le pays fut dans la consternation. Les Anglais ra-
vagèrent les campagnes et les mirent à contribu-
tion, puis ils se dirigèrent sur Saint-Valery dont
ils s'emparèrent, ce qui doit nous faire supposer
que l'état des fortifications était alors bien au-dessous
de ce qu'en avait fait le seigneur Thomas.
Les Anglais laissèrent une garnison dans la ville;
puis ils marchèrent sur Boismont dans l'intention
de passer au gué de Blanquetaque. Mais le passage
étant gardé, ils durent remonter la Somme pour
chercher un passage plus facile. L'armée française,
qui était à leur poursuite, les joignit à Azincourt
où les mêmes fautes qu'on avait commises à Grécy
eurent des résultats aussi funestes.
BT DU COMTÉ DE VllIEU. 135
Pour comble de calamités, la haine des maisons
d'Orléans et de Bourgogne divisait les forces de la
France. L'assassinat de Jean-sans-Peur, duc de
Bourgogne, par les partisans du Dauphin, alluma
la guerre civile. Philippe*le-Bon, fils de la victime»
prit les armes pour venger la mort de son père et
reconnut Henri Y, roi d'Angleterre, pour régent et
héritier de la couronne de France.
Dans cette fatale division, la ville de Saint-Valery,
occupée déjà par les Anglais, reçut en outrç un parti
de Bourguignons. Jacques d'Harcourt qui comman*
dait au Grotoy, se rangea sous les drapeaux du Dau-
phin, et se mit à guerroyer avec avantage contre
les Anglo-Bourguignons; il appela à lui les parti-
sans du Dauphin. La Hire, Quieret, Saveuse, Poton
de Xaintrailles, Rambures et Louis de Gaucourt
répondirent à son appel. Xaintrailles se dirigea sur
Saint-Valery qu'il eut L'honneur d'enlever aux An-
glais malgré leur vive résistance.
Ce fut alors dans le Ponthieu, et surtout dans le
Vimeu, une lutte à outrance entre les Dauphinois et
les Anglo-Bourguignons. Les Anglais, qui étaient
retranchés à Eu et à Monchaux, infestaient le Vimeu
et faisaient des courses fréquentes en vue d'inquié-
ter la place de Saint-Valery; mais, un beau jour,
la garnison de Gamaches ayant reçu un renfort de
Compiègne, tomba à l'improviste sur les Anglais et
leur tua sept cents hommes. Sur ces entrefoiles,
Henri Y étant débarqué à Calais, se joignit au duc
436 unonB k &àiiiiHrALBftT
de Bourgogne : pendant trois ans la contrée fut
ravagée par Tun et l*aotre parti; Saint-Valery ne
fut (dus que ruines.
Une bataille décisive était imminente pour faire
cesser ces alternatives désastreuses. Philippe de
Boui^ogne sachant que les Dauphinois le cher-
chaient pour le combattre, partit de Saint-Riquier
le pénulHème jour d'aaûtt et se dirigea par Âbbe-
ville vers Oisemont. Le» Dauphinois avaient pro-
jeté de passer le gué de Blanquetaque pour se
joindre à Jacques d'Harcourt du Crotoy; mais lors-
qu'ils y arrivèrent, la marée étant montée, ils ne
purent effectuer le passage et durent rebrousser
chemin vers Mons-Boubers, où ils se rencontrèrent
avec Tavant-garde du duc de Boui^ogne.
La bataille fiit décidée, dit Monstrelet, « ils
créèrent plusieurs chevaliers; le duc étant arrivé,
ils mirent tous les mieux armés et mieux montés au
milieu de la bataille et se polvoient trouver de quinze
à seize cents lances. » Le duc fit mettre ses gens en
ordre et reçut le choc des Dauphinois, qui d'abord
rompirent ses rangs et passèrent outre; mais ils se
trouvèrent en présence des corps de réserve comman-
dés par le seigneur de Saveuse et le bâtard de Coussy
qui, se tenant fermes, mirent le désarroi parmi les
assaillants auxquels les archers ne faisaient pas
grâce aussitôt qu'ils les voyaient tomber à terre.
La déroute se mit parmi les Dauphinois, ils
fuirent de tous les côtés et les Bourguignons se
ET DU COMTÉ DE VIMBU. 43?
mettant à leur poursuite, en tuèrent un grand
nombre et firent beaucoup de prisonniers. Le duc
de Bourgogne prit de sa main deux nobles cheva-
liers, ce La bataille fut bien combattue, dit Mons-
trelet, mais Thoimeur et. victoire en demeura au
duc. » Il resta de six à sept cents hommes sur le
champ de bataille. Après quoi le duc de Bourgogne
retourna à Abbeville; un grand nombre de Dau-
phinois fugitifs avait trouvé à entrer à Saint-
Valéry et à s'y maintenir. Jacques d'Harcourt qui
s'était avancé de ce côté à la tête de six à sept cents
hommes, fut rencontré par un parti Anglais qui le
battit et faillit le faire prisonnier. Le comte de
Warvick, qui commandait les Anglais, s'empara
ensuite de Gamaches et mit ainsi les alentours de
Saint- Valéry au pouvoir des ennemis.
La garnison de Saint- Valéry était composée de
la cavalerie de Picardie et de partie des soldats
échappés au désastre de Mons-Boubers et à la prise
du château d'Airaines. Chacun était à son posté
pour résister aux attaques que les Anglais ne man-
queraient point de diriger contre la ville. Cette
attaque fut tentée en août 1 422 * ; un détachement
de cent cavaliers du régiment de Picardie sortit
I Une ville ne s'éleva réellement là qu'en 1422, époque à laquelle
on y soutint plusieurs sièges, au rapport de Monstrelet et d'autres
écrivains. Comme elle était exposée à des invasions continuelles, on
Pentonra de fortifications, et son importance s'accrut à tel point
qu'on la considéra comme la clef du Viraeu. Lepayen île Flacourt.
{ffoîe communiqmée p«nr M. H. DVSBVEL.)
138 HlSfOnS DB SAMT-VAUIftY
aassitôt de la place et se jeta sur Tavant-garde des
Anglais qui, surpris de cette sortie imprévue, per*
dirent plusieurs hommes. « Il y eut d'une partie
» et d'autres de grands estours, hommes d'armes
j» navrés terriblement'.» Mais Warvick n'était pas
loin; il hâta le pas et investit la ville au moment
où le détachement vainqueur venait d'y rentrer. Il
dirigea ses efforts sur l'abbaye, qui était crénelée
comme une place de défense et pourvue d'une gar-
nison vaillante; maïs l'ayant attaquée vigoureuse-
ment, il l'emporta d'assaut et s'y logea.
Les Français tenaient encore dans la ville qui
alors- était murée. Warvick continua de la cerner
pour empêcher les secours qui pourraient y ar-
river; il occupait l'abbaye pendant que ses soldats
étaient logés sous des tentes et des pavillons; des
machines de guerre furent organisées et dressées
contre les murailles et il en fut lancé une grêle de
pierres, en même temps que des choes terribles
ébranlaient les murailles et les portes. Les assiégés
ne s'intimidèrent point; ils ripostèrent vivement et
firent même plusieurs autres sorties heureuses.
Warvick qui avait cru pouvoir emporter cette place
d'emblée, reconnut qu'il n'y . parviendrait qu'en
l'affamant; malheureusement pour lui il n'avait
point de navires et ne pouvait empêcher les as-
siégés de recevoir des renforts et des vivres par le
I Chronique de Monslrelet^ tom IV, page 383.
BT m GOMTÉ DE VIMBU. 439
Crotoy; il envoya en Normandie pour demander des
vaisseaux et peu de temps après une escadre an*
glaise pénétra dans la baie et vint fermer l'entrée
du port. « Les dits assiégés, dit Monstrelet, voyant
que de tous côtés avaient perdu l'issue de leur
ville, furent moult troublés et assimplis ^ . »
Néanmoins les Dauphinois tinrent encore pen-
dant trois isemaines; ils demandèrent alors à capi-
tuler, et ils convinrent avec le comte de Warvick
d'abandonner la ville ayant la vie sauve et. leurs
biens conservés si, le 4 septembre suivant, le duc
de Touraine ne se présentait avec des forces suffi-
santes pour secourir la place. On convint en même
temps d'une suspension d'armes et des otages furent
donnés. Le 4 septembre, après un siège de trois
mois, aucun corps de troupes dauphinois ne s'étant
présenté, la ville capitula, et les Anglais après y
avoir mi&garnison et avoir brûlé l'abbaye, montèrent
sur leurs vaisseaux el furent attaquer le Crotoy ^ .
Ce malheureux pays était Jivrée à l'anarchie la
plus complète. Il n'y avait plus de villages dans Iç
Yimeu; plus de culture; tout était brûlé, anéanti.
Anglais, Bourguignons et Français semblaient faire
assaut de brigandage. Peu de temps après la prise
de Saint- Valéry, en 4 423, le seigneur de Fontaines
r I Ûhroniçiue de Monstrêlet, tom IV, page 383.
2 Après que le roi d'Angleterre eut pris Meauz, toutes les Torte-
ressea tenant le parU da Dauphin, depuis Paris jusqu'au Crotoy, se
soumirent à Tobéissance du prince anglais et Saint- Valéry se rendit
de même. H. Dosetel.
140 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
surprend au village de Neuville un corps de troupes
anglaises : il l'attaque, le bat, le met en déroute, lui
fait huit cents prisonniers; le reste se sauve par le
gué de Blanquetaque.
C'est dans ce temps, en 1 428, que le prédicateur
de Tordre des Carmes, Thomas Conecte, célèbre
par les prédications et les conversions qull fit
dans la province d'Artois, arriva à Saint-Yalery où
il s'embarqua pour la Bretagne son pays.
D'Harcourt tenait toujours au Crotoy. Il avait fait
avec les Bourguignons d'Abbeville une trêve ou
abstinence de guerre. Néanmoins, un de ses cor-
saires capture sept navires chargés de vin que les
Abbevillois . envoyaient à Ë tapies, et ceux-ci, dit
M . TrauUé, envoyent Perrotin de Torgny , à Saint-
Valery et au Crotoy, vers les conservateurs de ladite
abstinence pour obtenir la restitution .
Les Anglais redoublèrent d'efforts pour prendre
le Crotoy; Cloquart de Cambronne le rendit enfin
par composition à R^oul de-Bouteiller, envoyé du
duc de Bedfort, régent de France pour les Anglais.
Au milieu de ces luttes, l'histoire peut à peine
se rappeler et suivre les diverses vicissitudes
qu'éprouva la malheureuse ville de Saint-Valery.
En 1431, Charles VII la surprend sur le duc de
Bourgogne; un mois après, Pierre de Luxembourg
la reprend par composition, et y ayant mis garni-
son sous les ordres de Jean de Brimeu, se dirigea
vers Rambures et de là à Mondiaux pour faire
inH
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 141
d'autres conquêtes. Ce fut bientôt au tour des
Anglais à y pénétrer en vainqueurs; mais, peu
après, en 1 432, le seigneur de Fontaines, à la tête
des milioes bourgeoises, archers et arbalétriers
d'Abbeville, et de quelques gens de Charles YII
ayant pour chefs Louis de Yaucourt et messire
Regnault de Verseilles, surprit la ville, qui fut esca-
ladée par échelle *. Jean, duc de Bourgogne, fils de
Philippe, était alors seigneur de Saint- Valéry. « Il
y fut fait de grands maux par iceux François, dit
Monstrelet. » C'était alors l'habitude : une ville
prise, fut-elle amie ou ennemie, était traitée en
conquête; mille horreurs étaient commises à l'égard
des malheureux bourgeois. Les Français, dans cette
circonstance, ne se bornèrent pas à punir les habi-
tants de la ville de désordres dont ils n'étaient pas
cause : ils parcoururent le pays et désolèrent les
campagnes environnantes.
Les Anglais, très-peu de temps après, reprirent
encore la ville et le château de Saint-Valery et y
mirent une garnison plus forte afm de résister à de
nouvelles attaques.
I On entendait par ces mots escaladée par échetle une prise
d'assaut, à la suite de laquelle les habitants, sans distinction, étaient
passés au fil de Téjiée. f. l.
XII
Ces assauts successifs avaient mis la ville de
Saint-Valery et les campagnes de sa banlieue dans
un pitoyable état. Un capitaine français, nommé
Blanchefort, ayant pris d'assaut le château de Ram^-
bures, se vengea sur les infortunés habitants du
Yimeu des revers dont eux-mêmes avaient tant
souffert : les ruines de Saint-Valei^ dominaient un
désert.
Cependant le ciel veillait encore sur la France :
Jeanne d'Arc parut; elle rendit le courage aux
Français, les ramena sur le champ de la victoire.
Les partisans du roi reprirent l'avantage jusque
dans le Yimeu, dont les forteresses étaient sans cesse
prises et reprises par les deux partis.
Mais la mission de Jeanne d'Arc était terminée;
elle vint se faire prendre à Compiègne par les en-*
nemis de son pays; après être restée quelque temps
prisonnière dans la forteresse du Crotoy, elle en fut
extraite et traversa Saint-Valery, enfermée dans une
cage de fer; cette ville la salua du cteur et de$ yeuxj
i
144* HISTOIRE DE SAINT- VALERY
(lit le Père Ignace. Elle ne s'arrêta point à Saint-
Valery : ses gardes lui firent prendre sur-le-champ
la route d'Eu et de Dieppe.
Sans doute, à cette époque, là ville s'était relevée
de ses ruities par les Anglais, qui voulaient garder ce
passage de la Somme. Peu après le départ de Jeanne
d'Arc, Gaucourt, capitaine français, se présenta
devant la place et la somma de se rendre, mais la
garnison se prépara à la résistance. Les Françaiiï se
disposèrent pendant la nuit; au point du jour, ils
dressèrent leurs échelles le long des murailles, et,
après un combat de deux heures, ils culbutèrent les
Anglais et reprirent possession de la ville. Les An-
glais s'enfuirent en désordre et on en fit un grand
massacre. Lies vainqueurs, comme tî'était d'usage
dans ces temps barbares, ne distinguèrent point
leurs compatriotes de leurs ennemis, et leurs coups
tombèrent aussi bien sur les habitants de ]a ville
que sur lés Anglais. •
Louis de Vaucourt prit le commandement de la
place. Il avait pour lieutenants messire Regnault de
Verseilles et Philippe de la Tour. Comme ils s'atten-
daient à être bientôt attaqués, ils essayèrent d'orga-
niser des moyens de défense; mais n'ayant que trois
cents hommes valides, ils n'en eurent point le
temps. Pierre de Luxembourg parut tout-à-coup
devant les murailles avec urt corps de douze cents
Anglo-Bourguignons, que commandait un seigneur
anglais nommé Villeby. Ayant environné la ville,
nir
ilssedisposèreniài
Malgré la fiul)lesseoniDériqDedeiFfM(w,h fU n^
bien défendue, tint encore trois senwa, m èoM
duquel temps, les dwniiers asà^ ne i«i«i
point moyen de résister plus loogiemps wt km
seules forces, pariementàmt avec Robert de Si>
veuse, commis à cet effet par Pierre de Ln».
bourg, n fut décidé que si, i on jour dit, h lifc
n'était secourue, les assi^ rahiadoQKnieii et
pourraient mfntiet leurs biens et anàiit et
^""''«'ifflMrs prisonniers'.
Au jour dit, b secooB néta^ p«« ,1^
<iats,qmiial,îilleeis'enalhà|««^Jl
Muf conduit. «w»»!**»
KerTedel4Mnb«^i^
v>Ile,»usle««M«dewitdel,
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**^ipflrfe4
IL ••
147
ration du
aient jiis-
uel temps
et châtel
tOi nostre
res ne se
lans leurs
îés de fa-
icore avec
jours avec
n'étaient
faite étant
entassent,
t se retira
a au port
me barge
à la vail-
glo-Bour-
) de joie.
t à Saint-
la garde
en Artois
w. Tome IV,
ieurs pavoi-
Qu et occupé
e d'Amiens.)
rSBVSL.)
146 HISTOItS DK SAUfr-VAUHT
aussitôt qu*il y avait apparence de quelque danger.
C'est à cette époque qu'une grande peste désola
toute la Picardie; les gens mourraient dans les rues
et sur les routes, et leurs corps restaient privés de
sépulture. Plusieurs villages furent entièrement
dépleuplés et les maisons abandonnées. Ce fléau
était le résultat de la guerre et des maux qu'elle
avait entraînés après elle.
Au commencement du mois de janvier 1434,
Charles Desmarest ayant fait une swtie du château
de Rambures où il commandait, profita d'une de
ces absences des officiers boui^guignons, pour se
jeter dans la place dégarnie et en chasser les en-
nemis, après en avoir fait un grand carnage. Le
bâtard de Fiennes, lieutenant de Robert de Saveuse,
fut fait prisonnier et beaucoup d'autres avec Iui« Ce
succès répandit une grande joie dans tout le pays
de Ponthieu; mais, dans ces temps de malheur, il
était peu de succès durables.
Pierre de Luxemboui^ ne s'éloigna cependant
point du Yimeu; y ayant été rejokit par un corps
que lui amenait le duc de Bedfort son gendre, il
résolut de reprendre la place de Saint-Valery. Pour
être plus sûr de son entreprise, il appela à son aide
le comte d'Etampes, Jean de Croy et le Vidame
d'Amiens.
On voit> dans le registre aux délibéraiionl^ dé
cette capitale de la Picardie, que le comte d'Etampes
fut accompagné au siège de Sôint-Valery ^ar tlouze
BT DU COMTÉ DE VIMEU. 147
arbalétriers de cette ville, et qu'une délibération du
25 juillet 1 434, décide qu'ils y demeureraient jus*
qu'au jeudi ou vendredi suivant « pour lequel temps
» ou audit jour, est-il dit, la dite ville et châtel
» doivent être mis en l'obéissance du Roi nostre
» sire et du dit seigneur, si les aversaires ne se
» montrent les plus forts * . »
Mais les Français résistèrent un mois dans leurs
murailles; au bout duquel temps, épuisés de fa-
tigues et privés de vivres, ils traitèrent encore avec
les Anglais s'engageant à partir dans dix jours avec
tout ce qu'ils pourraient emporter s'ils n'étaient
secourus. Le jour convenu pour leur retraite étant
arrivé sans que les secours attendus seprésen tassent,
Charles Desmarest s'éloigna avec les siens et se retira
au château de Rambures.
Le jour même de leur retraite, il eutra au port
de Saint-Valery, venant de Saint-Mâlo, une barge
chargée de vins et de provisions destinés à la vail-
lante garnison de Saint-Valery. Les Anglo-Bour-
guignons s'en emparèrent avec beaucoup de joie.
Le comte d'Etampes ne resta qu'une nuit à Saint-
Valery; U y laissa Jean de Brimeu, pour la garde
de la ville et du château et il retourna en Artois
I Registre aux délibérations de la ville d'Amiens, Tome rv,
page 30.
La ville d'Amiens fournit au comte d'Etampes plusieurs pavoi-
sières, pour l'aider à faire le siège de Saint-Valery, détenu et occupé
par les adversaires du roi notre sire. {Comptes de la ville d'Amiens,)
{Note communiquée par M. H. DUSBVBL.)
148 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
avec ses gens, pendant que le duc de Luxembourg
et les Anglais se dirigeaient sur Rambures et Mon-
€haux.
Les maladies malignes qui désolaient la Picardie
continuaient; la ville de Saint-Valery en subissait
cruellement l'influence : c'est à peine s'il y restait
assez de gens valides pour relever les morts. Les
campagnes du Vimeu n'étaient pas mieux partagées
et il n'était point de village qui ne fut infecté de
miasmes pestilentiels*. Pierre de Luxembourg
frappé par le mauvais air, fut atteint de maladie
au village de Rambures, « et, dit Monstrelet, il
alla de vie à trépas, le Vingtième jour d'octobre,
au moment où il projetait la prise de Rambures et
de Monchaux. Par cette mort, tous ses gens, et
aussi les capitaines anglais, là étant, furent fort
troublés et courroucés en cœur *. »
Le corps de Pierre de Luxembourg fut transporté
à Saint-Pol, et son fils, Louis de Luxembourg, âgé
de quinze ans à peine, lui succéda dans le com-
mandement de ses troupes.
Baudouin Quieret était alors abbé de Saint-
Valery. Lorsque le calme fut rétabli, il fit promener
le corps du saint patron dans les rues de la ville et
aux alentours, afin d'attirer la miséricorde divine
1 II y avait eu alors en Picardie, dit un contemporain, tant de
gens morts et occhi^, tant de filles pucelles et vierges violées, pol-
luées, souillées, tant de religieuses ostées de leurs églises, que c'é-
toit pitié à dire et à recorder. (Arsenal. Titres de Picardie. ^&nus,
histoire, n« 332, f» 216.)
2 Collection des Chroniques françaises. Monstrelet, tom VI .
ET DU COMTÉ DE ^IHEU. 149
sur ce malheureux pays. La ville avait été telle-
ment désolée par ces différents sièges, que les mu-
railles ne tenaient plus et qu'il ne restait plus de
gens capables de les réparer.
La paix d'Arras, signée entre Philippe-le-Bon et
Charles V, vint ramener un peu dé calme, malheu-
reusement toujours de trop peu de durée. Les ha-
bitants du pays accueillirent cette nouvelle avec
des démonstrations de joie : tous les maux allaient
cesser, on allait pouvoir se livrer de nouveau à la
culture, reprendre le commerce abandonné, ar-
mer des bateaux pour la pêche et réparer tous les
désastres causés par la guerre.
Jean de Bourgogne, comte de Nevers, était alors
seigneur de Saint-Valery. Après la paix, il fit
quelques travaux indispensables pour relever les
murailles de la ville; mais les Anglais qui étaient
restés maîtres du Grotoy, inquiétaient les travail-
leurs. Florimond de Brimeu, sénéchal de Ponthieu,
Richard Bicheaume et Robert Duquesnoy, capitaine
de Saint-Valery, résolurent de mettre un terme à
ces brigandages; ils se concertèrent pour cerner les
Anglais dans leur ville, et, après quelques jours de
siège, la place fut prise d'assaut; mais les Anglais
se retirèrent dans le château et ^y maintinrent
encore. Philippe-le-Bon donna alors Tordre aux
marins de Saint-Valery et à ceux de toute la côte,
de se rendre avec leurs navires en rade du Crotoy
et de n'y laisser pénétrer aucun navire; du côté de
150 HlftTOIHB DE ftAINT-VALERY
terre, les mêmes mesures ftirent prises pour un
siège en règle; mais, malgré ces mesures, le Crotoy
secouru par Talbot, sir Thomas Kiriel et lord Fal-
combridge, résista et les assiégeants durent se re*
tirer et la flotte revenir à Saint-Valery. Les Anglais
restèrent encore treize ans au Crotoy.
A son avènement au trône, Louis XI songea au
rachat de Saint-Valery et des autres villes de la
Somme. Il vînt en 1 463 à Abbeville et fut de là à
Hcsdin pour traiter de cette opération avec le duc
de Bourgogne : les conventions bien arrêtées,-
Louis XI fit toucher à Abbeville les 400 mille écus
promis, et Saint-Valery ainsi que Crotoy, Rue et
d'autres places furent réintégrées à la couronne de
France.
La bonne entente ne pouvait régner longtemps
entre ces deux princes ambitieux. Le duc de Bour-
gogne croyant avoir à se plaindre du roi de France,
entra dans une coalition qui se formait contre lui
sous le nom de ligue du bien public^ et il fit immé-
diatement marcher sur le Ponthieu des troupes aux
ordres du comte de Charolais, son fils. Louis XI fut
bientôt contraint de signer le traité deConflans, qui
rendait au jeune comte et à ses successeurs les
villes de la Somme, avec faculté de rachat au moyen
de quatre cent mille écus d'or (4,734,000 fr. de
notre monnaie actuelle). Saint-Valery se retrouva
ainsi en la possession du duc de Bourgogne.
Le comte de Charolais étant devenu duc de Bour^
ET iMJ conTÉ m y\mv. 151
gagne, sous le nom da Charle^-le^^Téméraire, refusa
de recevoir ie prix de la restitution des villes de la
Somme, car il tenait au comté de Ponthieu, surtout
i cause de la ville d'Abbeville et du peys d^
Yimeu. Avec un homme du caractère de Louis XI
la ruptaire était inévitable; après des négocia-
tions infructueuses, Louis XI fit déclarer au duc
la saisie de la seigneurie du Yimeu qu'il lui avait
cédée, et la guerre se ralluma. On était alors en
4467; quatre ans après, Charles - le * Téméraire
n'ayant pu résister à la force des Allemands qu'il
avait assiégés dans Nuze, revint dans le comté de
Ponthieu avec toute son armée. Voyant la possibi*
lité de se rendre maître de Saint- Valéry, il fut l'as-
siéger et s'en empara. Plusieurs des notables habi-
iants furent faite prisonniers, après quoi il incendia
la ville et continua sa marche sur la Normandie.
Pendant que le duc de Bourgogne opérait sur
Saint-Valery, ses lieutenants, Olivier de la Marche,
Jacques de Harchies et le sire d'Esquerdes déso-
laient le Vimeu déjà si maltraité. Tous se réunirent
cependant et quittèrent le pays qu'ils avaient
marqué d'une trace de sang.
Philippe de Commines raconte que, sur ces en-
trefaites un petit corsaire de la ville d'£u ayant
pris un bâtitiment marchand du pays de Flandres,
ie comte d'Eu offrit de faire répaRition du tort causé
par cette capture; mais le duc voulait cofitraindre le
comte à lui faire homm^e envers et contre tous.
452 HISTOIRE DB 8AIMT-VALERT
ce à quoi celui-ci se refusait, parce que c'était
contre les intentions du roi Louis XI, qu'il
avait intérêt à ménager. Il se plaignit à lui aux
Etats tenus à Tours dans les mois de mars et
avril 1470. Louis XI, heureux d'avoir une occasion
de chercher noise au duc, qu'il détestait, réclama
en termes énergiques contre cette prétention du
duc de Bourgogne. Cependant par des raisons que
la politique de Louis XI explique suffisamment,
des négociations furent entamées dans le château du
Crotoy entre ce monarque et le duc de Bourgogne,
et il fut convenu entre eux que la place de Saint-
Valéry et la prévôté du Vimeu seraient cédées au
duc de Bourgogne. Mais ce n'était de la part de
Louis XI qu'une feinte pour gagner du temps.
Charles, outré de cette mauvaise foi, envoya Oli-
vier de la Marche, l'un de ses plus célèbres lieu-
tenants, pour reconquérir ces villes. Ce capitaine
redoubla ses excès et ses ravages dans le Vimeu et
vint attaquer Saint- Valéry. Les habitants sachant à
quelles horribles vengeances ils seraient sacrifiés si
ils étaient pris d'assaut, ouvrirent leurs portes, ce
qui n'empêcha pas les Bourguignons de commettre
dans la ville, les plus horribles excès.
Le château de Rambures s'était également rendu
au duc de Bourgogne, qui en fut très joyeux, car
« ce chasteau estoit à merveille fors; à grant peine
» Tavoit on sans affamer \ »
I Chronique de Pierre Leprestre.
ET DU COMTÉ DE VIMEI}. 153
Le seigneur Joachim Rouault de Gamaches, qui
tenait pour le roi, se mil aussitôt en marehe et vint
se porter sur les hauteurs de Pinchefall|b. Il avait
des intelligences dans la place, les Bourguignons,
effrayés, abandonnent la ville de Saint- Valéry sans
résistance : aussi ne souffrit-elle cette fois aucun
dommage.
Le bruit courut alors que pour détourner le but
des ennemis qui faisaient d'incessantes tentatives
contre la ville de Saint- Valéry, le roi allait faire
procéder à la destruction de ses murailles. Les habi-
tants d'Anfiiens que cette nouvelle inquiétait, prirent
aussitôt la résolution suivante :
« Pour ce qu'il est grant nouvelle que le roy a
commandé que la ville de Saint- Valéry soit des-
molye et abatue, messieurs ont délibéré de rescupre
au roy que ce serait moult grant domage pour le
pays de Piquardie et pour tout le royaume, et spé-
cialement pour la ville d'Amiens, car. les vivres,
tant de la mer comme de la terre, ^viennent par
le moien de la dite ville de Saint-Valery en celle
d'Amiens, laquelle en est en partie soutenue, et
pour ce envoieront prestement Huguet Mahon à tout
(avec) lettres closes par devers le roy afin que la
dite démolition ne se fasse \ »
Probablement la démolition projetée n'eut point
lieu, car il n'en fut plus parlé.
I Registres de V hôtel- de-Ville d'Àmi&ns.
(ffùte eommuni^e par M^H. DOSEVEL.)
454 H18T0UK w &Ai]«T-yAumv
Le duc de Bourgogne pour se yenget de ces tra-
hisons du roi de France, appela Edouard d'Angle-
•
terre à solide. Louis XI tenta alors de négocier,
mais apprenant que ses ennemis réclamaient entre
autres placesdu littoral, les villesd'Eu et de Saint-Va-
lery, il envoya Charles de Briquebec avec des soldats
pour les incendier, ce qui fut fait le 1 4 juillet 1 475 * .
La malheureuse ville de Saint-Valery eut de la
peine à se remettre de ce nouveau désastre. « Les
» plus anciens monuments qui restèrent de cet
9 incendie, dit Goquart,sont les ruines de la vieille
» église qui font voir quelle était sa magnificence
» en ce temps-là. Les tours qui défendaient le
» corps de la place sont demeurées à découvert
» depuis ce ravagé ainsi que les ouvrages des deux
» portes; le château seul a été entretenu jusqu'au-
» jourd'hui, mais son enceinte, aussi bien que le
» pont de secours et son épaulement, sont entière-
» ment ruinés; la tour attenant existe enoore, mais
» ses plates formes, escaliers et autres ouvrages in-
» térieurs ont sauté, le feu ayant pris aux poudres
» d'un magasin sur lequel elle est élevée ' . »
1 Eglises et Châteaux de Picardie^ f 846.
2 Projet pour le rétablissement du port de Scint-Valery-sur-
Somme. (Bibliothèque de M. Poncet de la Grave. 17 suppl.)
La ner de l'église est du douzièsoe siècle. Les ogives sont sans
moulures, portées sur des chapiteaux à Teuilles semblables à celles
de chêne. Les piliers tors de l'origine sont ornés de fleurs de lys.
Quelques piliers séparant la nef des ailes sont fort aaciens; 4es
archéologues pensent qu'ils peuvent dater au moins du xi" siècle.
Ces marques d'ancienneté prouveraient l'erreur de ceux qui ne
font remonter la ville de Saint-Valery qu'à une époque mokis reculée.
H. DCJSEVEL.
ET DU COMTÉ DE YIMEU. 155
La mort de Charles-le-Téméraire arrivée en i 477,
délivra Louis XI d'un dangereux vassal et le Yimeu
d'un fléau.
Jean de Bourgogne, seigneur de Saint- Valéry,
était mort. Sa fille Elizabeth, comtesse de Nevers,
ayant épousé en 1 455 Jean de Clèves, celui-ci était
devenu seigneur de Saint- Valéry. L'histoire nous
fait ici défaut pour la filiation de la maison de
Clèves. A la mort de Charles-le-Téméraire, Angil-
bert était seigneur de Saint-Valery * . La ville man-
quant d'habitants, il fit annoncer qu'il concéderait
des privilèges à ceux qui viendraient s'y établir;
peu à peu les habitants reparurent, les maisons se
relevèrent; en 1490, une partie de sa population
était revenue. Angilbert de Clèves leur accorda la
franchise du seï, l'exemption du ban et de l'arrière
ban^; ils furent chargés seulement de la garde de la
ville. En 1493, il convertit en un impôt en argent
la prestation annuelle qui était due par chacun
d'eux pour droit de mairie.
En 1 488 le sir de Rambures avait été nommé
gouverneur de Saint-Valery pour le roi. Charles
VIII, roy de Sicile et de Jérusalem, régnant alors".
f Le 28 septembre 1487, Guillaume Bournel rendit aveu au sei-
gneur de Saint- Valéry pour la terre de Lambercourt dont il avait
pris possession le 19 février précédent, l'ayant héritée de Jules Bour-
nel son oncle. (Gamaches et ses seigneurs. M. Darsy.)
2 Mémoire pour servir à l'histoire civile et ecclésiastique de
Saint- Valery-sur 'Somme.
XIII
Avant le seizième siècle, Tart de la navigation
était encore ignore. Le marin s'exposait au hasard
et n'osait guère perdre les côtes de vue. L'embou-
chure de la Somme avait été, dans les temps an-
ciensy beaucoup plus large; les marées y pénétraient
jusqu'à une distance considérable de la mer : on
a dit qu'elles s'étendirent jusque dans les marais
de Flixecourt et près de Picquigny, où on en re-
trouve des traces; il entrait par conséquent. beau-
coup plus d'eau dans cette baie, et la profondeur se
trouvait entretenue par l'immense mouvement de
flux et de reflux qui en résultait : on conçoit dès
lors , la facilité qu'avaient, pour j naviguer, des
barques à fond plat, comme étaient toutes les em-
barcations de cette époque.
Avec le temps, les dépôts alluviens successifs ré-
trécissant la baie, les passes perdirent de leur pro-
fondeur. En même temps les constructions mari-
times se perfectionnaient; on donnait plus de creux
au}^navires, ce qui les rendait plus propres à la
t58 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
marche, mais exigeait plus de tirant d'eau. La
navigation des côtes et des rivières devenait plus
difficile et plus périlleuse; on y suppléait par des
connaissances acquises dans la pratique et dans
rétude des localités; la science du pilotage naquit :
c'étaient les premiers rudiments de l'art nautique.
On en jugera par les plus anciennes indications
écrites qui nous soient restées.
a Dehors ÂntiiTerjusqu'au bas deSôme la lune en
l'est-nord-est basse mer, et aususouruoist plainemer .
» Si vous voulez gésir au bas de Sôme, gisez hors
le banc, et gardez que Téglise de Gayeux vous de-
meure en l'est-nord-est, et mectez l'ancre à cinq
ou à six brasses.
» Demande, â neuf vingt heures, la lune, le so-
leil au oesf souruoist, quelle marée sera à Sainct-
Vallery ?
» Réponse. Il sera plaine mer et la 'lune sera au
susuest, et v aura deux vents entre le soleil et la
lune V »
Ces données étaient bien insuffisantes; mais c'é-
tait un premier pas qui conduisait le marin à la
connaissance de son métier et qui devait produire
les hardis navigateurs qui, plus tard, illustrèrent la
marine française.
Déjà, d^uis assez longtemps, l'invention de la
boussole avait fait faire un grand pas à la navigation
f Routier et Jugement des cours et marées deppariement du
soleil et de la lune. Par Jtan deBruge». Maaus. 76W— 8— a#l5ao.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 159
et lancé de hardis marins dans des expéditions
avantareuses.; dans les premières années du xy*
siècle un gentilhomme du Yimeu^ nommé Béthen-
court, avait découvert les îles Canaries et en avait
ftiit une principauté où il régna en souverain;
d'autres marins suivirent sed traces en se portant
plus ao sud, le long de la côte occidentale d'Afrique.
Enfin^ en 1 492, le génois Christophe Colomb dé-
couvrait l'Amérique, événement qui allait changer
la face du monde.
Saînt-Valery, à cette époque, était un port de
cabotage dont les relations intérieures s'étendaient
dans le Nord et dans l'Est de la France et même
jusqu'à Paris. François I" reconnaissant l'influence
qu'allait exercer la navigation sur les destinées des
ainpires, voulut créer un port à portée de sa capi-
tale et il fonda le Havre, parce qu'il était situé à
l'embouchure de la rivière qui traversait Paris.
L'embouchure de la Somme, avait à cette époque,
éprouvé un nouveau changement depuis l'expédi-
tion de Guillaume-le-Conquérant. La pointe du
Hourdel^n s'avançânt vers le Nord, avait déterminé
l'ensablement du vieux port où s'était réunie la plus
gralftde partie de la flotte normande*; les sables
\ Les tables se sont tellement accrus dans celte embouchure, de-
puis l'armement de Guillaume, qu'après avoir commencé à remplir
l'anse de la Mal assisCj ils se sont étendus ensuite jusqu'à la côle
du Cap-Cornu, d'où s'est ensuivi peu après la ruine et Vapplanisse-
ment de ce 'port. Le dépôt du Gap-Cornu se trouvant trop chargé des
sables que le flot continue d'y pousser, le port de la Ferlé le devint à
son idUT des sables du premier, et en fut totalement remplienf 716 et
\ 71 7. (CoQCART. Projet de rétablissement du port de Saint Valéry.)
160 HISTOIRE DE SÀINT-yALERT
s'étaient accumulés dans l'embouchure entre le
Crotoy et Saint-Valery et même jusqu'aux portes
du Hourdel et de Saint-Quentin : il ne restait plus
qu'un chenal entretenu par les eaux de la Somme^
ce qui rendait les mouvements de la navigation bien
plus difficiles.il fallait, dès lors^dit l'intendant gé-
néral Bignon, qu'un pilote de Saint-Valery ou de
Cayeux allât recevoir les navires au-delà des sables
appelés bancs de Somme et qui avançaient déjà de
plus d'une lieue dans la mer * .
En 1 582, il fut dressé un acte de notoriété d'a-
près lequel il appert que l'entrée de la Somme étant
obstruée de bancs de sable, il convient mieux de
fréquenter le hâble du Hourdel dépendant de Cayeux,
où Ion peut entrer en mer haute ou basse quand
on veut. Les marins d'Abbeville déclarent « qu'ils
ont toujours vu charger et décharger audit havre,
avec la permission du seigneur, de Cayeux; que
depuis deux ans les maire et échevins de Saint-
Valery ont empêché de le faire, ce qui a été cause
de la perte de plusieurs vaisseaux, y ayant plus dé
danger à venir du Hourdel à Saint-Valery ou au
Crotoy, que du Touquet de Brest audit havre du
Hourdel, où il y a soixante fois plus de chemin à
faire. » Ce havre était le hâble d'Ault^
1 La Somme, par Bignon. Manus. Biblioth. du Ministère de l'in-
térieur.
2 Abrégé des annale ducommerce de mer d'Abbeville., M. Tr&uUé
page 16.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 161
Le territoire de Cayeux s'était considérablement
accru des alluvions que le remous des courants
avait déposés à l'abri de la pointe du Hôurdel, al-
longée vers le Nord par l'apport incessant des galets.
Les habitants y dit Don Grenier, avaient établi sur ces
terrains, plusieurs censés ou bergeries dont les plus
anciennes sont celles de Qap-CcMrnu, là Malassise,
le Hourdel, Hurt, Watiéhurt et l'Anviette; de ma-
nière que ces salines sont présentement si bien ha-
bitées, qu'elles paraissent comme un seul village
dans toute leur étendue * .
Par suite de ce mouvement des sables dans l'em-
bouchure de la Somme, l'entrée du port de Saint-
Valery s'était successivement modifiée : le port qui,
au onzième siècle, se trouvait entre le Cap-Cornu et
le Hourdel, avait. été dans la vallée de Neufville,
puis sous la Ferté. Mais, ditCoquart, le chenal de
la Somme, refoulé par les sables qui se déposaient
à l'abri du Hourdel, prit sa direction vers l'église
de Saint-Pierre, au Crotoy. Le coude qu'il fit alors,
entre la ville et le faubourg, servit aussitôt de port
aux vaisseaux qui avaient la rivière pour chenal
d'arrivée. Cet emplacement n'était pas moins avan-
tageux qu'au Câp-Cornu; il était commandé par la
tour de la ville et par les ouvrages de la porte
d'Abbeville; un quai régnait depuis la rampe de la
basse rue de <îe faubourg jusqu'à l'enceinte de cette
place, et le port y était alors si profond que les bâ-
I Don Grenier. Topographie. Cayeux.
Il
I4S8 DlBIlOlltE SE «MMT-VALEtY
timmts y ëtaienf touji^urs à {l0t,>oe qui fit qii'on Tor-
na d'uw longue file de pieux pour I^ y amarra * .
Tdle était la «ituaticm de la baie de Somme et
du port de Saini-Valeiy w oammencement du sei*>
zîème siècle^ alors que toutes tes idées se portaient
à la navigation et vers las entreprises lointaines.
Cet éTénement^ en doublant le champ de la pro-
duetkm, augmentait dans une proportion énorme
la nature et la quantité des matières échangeables.
Une grande révolution s'opérait dans la navigation
et le commerce. On soigna davantage la construc-
tion des navires, qui furent classés par catégories
selon teur structure, leur gréement, leur grandeur
et leur tirant jd'eau; la voile prévalut comme mo-
teur sur le système des rames. C'est aussi de ce
mommt qu'on commença à dres.ser des cartes ma-
rines; on inventa des instruments de navigation tels
que les octans, les cadrans, les sextans, les téles-
copes, les chronomètres et les réflecteurs, pour la
mesure des temps, des longitudes, des latitudes et
des hauteurs. Tout le commerce de l'Europe allait
se faire par mer; les ports de mer entraient dans
une ère nouvelle de prospérité.
i Prqj$t pour le rétablissement du port de Saini-Valerff-sur'
Somme. Bibl. de M. Poncet de la Grave, 17, suppl.
Qttoiqv'il n'y ait point de port, maii senlement une anse qui joint
le l'avbour^ de la Ferté, ce mouillage ne laisse pas que d'être fré-
quenté À cause de la commodité qu'il y a à transporter en Picardie,
tm Artois et en Champagne les jnarchaadis^ qu'on y apport^. JDiÇ'
iionnaire historique. Moreri, tom VI, page 42.
(Wott camnmnifHét par M. DVSBVBL,)
BT DU OOMTÉ DE YIHBU. 163
D'un iiutre côté» la paix et la sécurité commen-
^ient à s'étaBlir dans le royaume de France. Le
Vimeu, ftp{)auvri et déchire par deux siècles de luttes
étrangères, par là rapacité des seigneurs et les bri-
gandages de toutes sortes, .commençait à respirer;
OQ pouvait essayer un peu de x^ulture et espérer
UR6 récolte paisible.
La vallée de la Somme avait des éléments de
prospérité industrielle dont devait profiter le port
de Saint- Valéry. Abbeville, Amiens et Saint-Quen-
tin étaient des villes manufacturières et riches qui
allaient demander, à la navigation maritime les
laines d'Espagne, les cotons du Nouveau-Monde,
les cuirs et les chanvres de Russie.
Les marchands qui d'abord accompagnaient leurs
marchandises ou les faisaient accompagner, pou-
vaient maintenant les expédier avec quelque sécu-
rité. Les Génois avaient inventé les banques et les
assurances maritimes, qui bientôt furent établies
dans tous les ports de France.
La pêche avait aussi profité de ce mouvement de
progression : cette industrie avait formé des mate-
lots; ils s'aguérii ent de plus en plus dans la pra-
tique de la mer. La découverte de l'Amérique amena
celle du banc de Terre-Neuve, où se formèrent des
établissements de grande pêche. Les marins de
Saint- Valéry furent y chercher la morue; ils pour-
suivirent la baleine qui, depuis plusieurs siècles
était disparue de la Manche. C'est de ce moment
164 HISTOIRE DE SAINT-VALERT
aussi que datent les pêcheries de harengs et les sa-
laisons du port de Saint-Valery qui/plus tard, ac-
quirent une grande réputation. L'art des pêcheries
devait cependant ne se perfectionner que plus d'un
siècle après.
Cette prospérité maritime profitait médiocrement
aux moines de l'àbbaye, car ils dimaient sur tous
les produits, soit pêche ou marchandises, qui étaient
déchargés aux quais de Saint-Valery. Aussi l'abbé
était-il beaucoup plus riche que le seigneur qui,
après avoir cédé ou vendu tous se& droits, ne tirait
plus qu'un médiocre revenu de sa seigneurie.
Les seigneurs, qyi n'habitaient plus leurchâteafti,
l'avaient donné à cens aux moines moyennant douze
sous parisis et deux chapons par an ad causant
census. Les moines leur -accordèrent plus tard, pour
s'assurer leur protection, le droit de chasse en
warennes dans cent soixante journaux de terre près
du château, lesquels devaient être enclos de fossés
pour empêcher les lapins de passer.
Ces redevances et les aumônes qui se faisaient au
tombeau de Saint-Valery, permettaient aux moines
d'étaler une grande pompe dans leurs offices. On
venait y assister de très loin, autant à cause de la
beauté du spectacle que par la dévotion aux reliques.
Aux grandes fêtes- religieuses, l'abbé et son chapitre
se rendaient processionnellement dans toutes les
rues de la ville et répandaient les bénédictions sur
le peuple, ta ville était-elle menacée (ce qui arri-
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 165
vait bien souvent), aussitôt le corps du saint fon-
dateur était tiré de son tombeau et porté sur divers
points des fortifications de la ville pour y attirer sa
sainte protection .
La dévotion à ces reliques était si grande, dit
un chroniqueur de Tépoque, que lorsqu'il y avait
cérémonie à l'église de l'abbaye, on était obligé
d'apposer des gardes dans la ville afin de veiller
sur les maisons et les empêcher d'être dévalisées
par des malfaiteurs étrangers.
En outre de la dime que les négociants de Saint-
Valéry devaient à l'abbaye, il y avait encore la part
du curé de l'église paroissiale, mais les marins s'y
soumettaient sans murmurer, car, dès le jour où ils
commencèrent à faire des voyages lointains, comme
ils exposaient leurs jours, ils faisaient des vœux à
l'église et à l'abbaye pour le succès de leur entre-
prise, et à leur retour il n'était point de beau pois-
son dont ne profitât l'abbé et aussi le curé de l'é-
ghse Saint-Martin * .
L'église paroissiale était tr!ès-belle : elle s'élevait
à l'entrée de la ville, vers la porte d'Abbeville et
sur le sommet d'une terrasse d'où l'on découvrait
une grande étendue de la mer ainsi que les forte-
resses du Grotoy et de Noyelles, dont le pied se
reflétait dans les eaux de la Somme.
Cette église était alors desservie par un curé et
1 Projet pour le rétablissement du port de Saint-Valery-sur-
Somme. Cocquart. Bibiioth. de M. Poncet de la Grave, 17, suppl.
168 HI8T0IBE DE SAINT-VALERY
à terre, la face meurtrie et boorsoufflée et le corps
contusionné et considérablement enflé.
On le transporta chez le diocésain, qui le lende-
main devait dédier l'église; là, on découvrit les
plaies du patient qui étaient horribles à voir. On en
parla beaucoup et longtemps dans la ville comme
d'une chose étonnante et diabolique.
Un prêtre nommé Jehan de Sens, déclara qu'étant
éveillé, il avait vu, vers l'église, trois grands per-
sonnages qui rétonnèrent et l'inquiétèrent beau-
coup. Alors, dit-il, l'horloge ne sonna point depuis
onze heures jusqu'à une heure après minuit; on
entendit des bruits étranges; une lumière très vive
fut aperçue sur l'hôtel saint Martin, pendant tout le
temps que l'éyêque fit sa dédicace. Les trois per-
sonnages inconnus disparurent du côté de la chapelle
des Mariniers, et ils laissèrent derrière eux une
forte odeur de soufre.
Le lendemain sir Martin de Prédavant, rendit
son âme à Dieu « car il avait passé par un détroit
» et merveilleux purgatoire * .
Les seigneurs, comme nous venons de le dire, n'a-
vaient plus qu'une autorité fictive et sans force à
Saint-Valery. Pendant une période d'un demi siècle,
l'histoire en perd même la suite et la filiation. Cette
dignité si éclatante à son origine, n'était plus qu'un
vain titre et que l'ombre du pouvoiret de la célébrité
I Mémoire pour servir à l'histoire civile et ecclésiastiqiie de
Saint-Valéry.
ET DU COMTÉ DE YIHEU. 169
des Bernard et des Thomas de Saint-Valery, qui
avaient soutenu si audacieusement la lutte contre
leur suzerain y le comte de PonthieuV
En 1488, Jean, duc de Brabant, comte de Ne-
vers, d'Eu et de Rethel, est qualifié de comte de
Saint-Valery, dans la nomenclature du mémoire
pour servir à VHistoire civile et ecclésiastique de
cette villcy et on ajoute qu'il confirma la charte de
mairie donnée à cette ville par Jean d'Artois; 'mais
après, celui-ci, on ne voit plus figurer aucun sei-
gneur de Saint-Valery jusqu'à Henriette de Clèves,
qui vivait en 1570, et qui épousa un prince de
Màntoue dont nous parlerons plus loin .
Les habitant» de Saint-Valery n'avaient d'ailleurs
que faire de l'autorité seigneuriale qui, malgré son
défaut, n'entravait encore que trop les opérations
de leur navigation et de leur commerce. Erigés en
commune, ils s'administraient eux-mêmes et ne
faisaient que mieux leurs affaires. La liberté dans
leurs opérations avait succédé à une extrême ser-
vitude; les droits seigneuriaux existaient encore, il
est vrai, et les charges abbatiales pesaient rudement
sur leur commerce; mais il y avait dans i 'esprit pu-
blic une tendance à s'affranchir de ces jougs vexa-
1 Les seigneurs de Saint- Valéry faisaient hommage au comte de
Ponthieu, même contre la France et l'Angleterre^ comme on le
voit par un titre de 1205. Ils prétendaient» aussi, à une époque plus
récente, avoir I0 droit de créer un amiral sur leurs terres. (Mi-
raulmont, Mémoires sur les justices existant dans l'enclos du pa-
lais, in-8°, page 384.)
(Note de M. H. DUSBVML. )
170 HiSTOHUS HE filAlirr-fALERY
toires; dé fréquentes coUisions avaient Hey avee
les collecteurs des droits; on se réclamait à Tauto*
rite royale, presque toujours impuissanle ; mais
c'était le commencement d'un mieux qui devait
aboutir plue tard.
Le luxe qui avait feit des progrès rapides en
Picardie, n'avait pas peu contribué à Textension An
commerce. Les dames portaient de grandes toi-
lettes, pour lesquelles il fallait les productions di^
verses des contrées qui produisaient la. soie, les
laines, les verroteries, les fourrures. La contagi(»i
du luxe devenait générale; les bourgeoises au-
raient voulu égaler les dames nobles, si de» édits
royaux n'y avaient mis empêchement. On fut même
obligé d'interdire « aux filles de joie et paillardes
» le costume et les étoffes des femmes honnêtes. »
Les officiers municipaux de. Stint^-Yalery avaient
ordonné aux courtisannes de leur ville de porter
une étiquette sur l'épaule, afin d'être reconnues de
loin et de n'être point confondues avec les dant^
de noblesse.
Cette sévérité cfaes mœurs municipales de Sainte
Valéry est encore constatée dans une ordonnance
contre les adultères, recueillies par M. Louandre
dans les archives municipales de cette ville. Elle
est de l'an 1533, et ainsi conçue :
« Considérant la justice tant ecclésiastique que
temporelle, que nostre seigneur Jésus-Christ est
journellement offensé en ceste paroisse de plusieurs
ET DU COMTÉ DE VQIEU. I7i
crimes ft énormes vices qui se y perpètrent et prin-
cipalement au péché d'adultère par plusieurs per-
sonnes, hommes et femmes mariés, qui sont tous
publicques et manifestes, pour lesquels crimes et
villains péchés sommes appertement menachés de
l'ire de Dieu, a esté advisé etconclud,tant de mon-
seigneur l'oificial que par les bailly et mayeur de
ceste ville, qu'il sera faicte deffense générale, tant
en l'église que es lieux publicques que nulz hommes
ni femmes mariés, ne aient plus à commettre adul-
tère à paine de estre mis en une brinqueballe * , qui
sera faicte et mise . sur ung des flos de cette ville,
et illec tombés et plongés testes et corps : assavoir
pour une première fois que il sera treuvé et sceu
que ils auront adultère ou pourront estre en lieu
suspect de tel vice par trois fois dedens. le dit flos,
et de soixante sols parisis d'amende pour estre
donnée pour Dieu aux poures et aux dénunciateurs
de tels crimes;^ et pour la seconde fois de estre fus-
tigés par les carrefours par la main du bourreau,
et banny de la dite ville, et leurs biens confisqués :
espérant que moïennant telles punitions l'ire de
Dieu nostre seigneur sera appaisée ^ .
1 Levier qui sert sui les navires à faire jouer le piston de la pompe.
. 2 Histoire d'Àbbeville. M. Louandre. Tome II, page 298.
XIV
Les troubles qui agitèrent le règne de François P%
eurent leur retentissement jusque dans le petit coin
du royaume appelé le Vimeu. Des bandes indisci-
plinées désolaient les campagnes et répandaient
partout la terreur; les soldats italiens à la solde du
roi y enlevaient les femmes et les filles, brûlaient les
habitations, ravageaient les cultures. Saint- Valéry,
comme les autres localités du pays, était obligé de
subvenir aux dépenses, de nourriture et d'entretien
de ces dangereux allies. Cette situation dura plu-
sieurs années; les habitants étaient aux abois.
L'abbé de Saint- Valéry avait fait restaurer l'ab-
baye, gravement endommagée dans les dernières
affaires. Il sollicita et obtint qu'on réparerait les
fortifications de la ville : chacun y mit du sien;
nobles, ecclésiastiques et bourgeois y contribuèrent :
chacun travailla, et bientôt les murailles se trou-
vèrent en état de résister aux bandes de lansquenets * ,
I Soldats d'infanterie allemande à la solde du roi. de France, ori-
finairement serfs, faisant campagne à la suite des reltres et armés
'une mauvaise pique. f. l.
174 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
qui venaient quelquefois jusque dans la ville pour
y piller les habitants .
François I^ vint en personne visiter cette ville
au mois de Juin 1517, et il s'intéressa beaucoup
au commerce de mer qui se faisait par son port; il
promit protection aux habitants et les laissa très sa-
tisfaits de son affabilité.
Sans doute les promesses du roi chevalier eussent
été réalisées, mais les rivalités suscitées par Tam-
bitton de C3iarleM}uint, allaient de nouveau attirer
la guerre étrangère sur les rives de la Somme.
Charles d'Artois s'unit au roi d'Angleterre emitre
la France : en 1523, trois cents flamands ayant
passé la Somme à Blanquetaque, parurent devant
Saint-Valery et en ravagèrent les ^ilentours. Ils n'o-
sèrent toutefois point attaquer la ville dont les ha*
bitants étaient sur leurs gardes, et ils s'éloignèrent,
par Boismont et Saigneville, sur Abbeville.
Cette surprise déterminâtes communes dû Yîmeu
à faire garder le passage du gué de Blanquetaque.
Seize bateaux plats armés d'artillerie furent établis
sur le passage et un fortin construit en bas du co-
teau de Saigneville. Ces mesures intimidèrent les
ennemis, leurs tentatives échouèrent; l'année sui-
vante, ils se présentèrent de nouveau avec l'inten-
tion de passer; mais l'artillerie fit si bien son jeu,
que les cadavres des assaillants jonchèrent la grève
m
et qu'ils furent obligés de renoncer à leurs des-
seins. Néanmoins, cet état de craintes et d'ap-
HT W <30VTÉ HE VIMBC. 1?ft
prébeaâto»6 dura jusqu'en 4ô87| que François I**^
fU aliiaHce avec Henri VIII d'Angleterre contre
Qiarles-Quiat. Mais on sait quelle instabilité il y
aurait dans ramiiié de ces princes; ils furent tour à
tour alliés et ennemis, et le malheureux pays de
PonAieUy surtout sur la rive droite de la Somme,
fut pendant près de vingt ans le théâtre de combats
qui, depuis Boulogne jusqu'à Abbeville, ne lais-
sèrent que des ruines.
Si la ville de Saint- Valéry s'était sauvée des atta-
ques des Flamands, il n'en avait pas été de même
des environs : l'hospice des lépreux, fondé par Ber-
nard II, avait été tellement saccagé, qu'il n'était
plus habitable; les murs étaient lésardés et les toits
laissaient pénétrer l'eau dans les chambres. Il resta
dans eet état jusqu'en 1 533 , que des religieuses de
l'ordre de Saint-Dominique, qui avaient déserté
Thérouanne en Artois, détruit par les Impériaux,
vinrent s'y établir. Faute de ressources et d'un local
suffisant pour recevoir les pauvres malades, ces
femmes allaient les soigner à domicile. Les offrandes
des personnes pieuses et le produit de leurs quêtes
suffirent pour rétablir la maison et la mettre à
même de remplir sa destination.
Le pays n'avait point seulement à souffrir des
ennemis; les alliés et même les nationaux étaient
pour lui tout aussi terribles. Les auxilliaires italiens,
mauvais soldats que François I" avait pris à sa solde,
commettaient les plus grands dégâts et se livraient
176 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
à tous les excès envers la propriété et même la vie
des citoyens. Il fallait néanmoins que Saint-Valery
et le pays de Yimeu^ malgré leur juste méconten-
tement, contribuassent à leur fournir des vivres. En
1545, la ville de Saint-Valery donne quatre mille
pains et deux muids de vin et de bière. Le roi pré-
vient en même temps les habitants que si la cotisa-
tion qu'il leur est enjoint de fournir n'est pas
complète, il s'en prendra à eux et rendra leurs biens
responsables V
Cependant ces sacrifices n'empêchaient point les
ennemis de triompher de la faiblesse des Français.
En 1553, les Impériaux . étaient maîtres d'une
grande partie de la Picardie; fort heureusement
le gué de Blanquetaque était toujours défendu par
les mêmes moyens qui avaient déjà coûté -tant de
monde à eux qui avaient tenté de le forcer. Le duc
de Savoie échoua dans son projet de le franchir pour
venir ravager le Vimeu, comme il avait fait des pays
de la rive droite de la Somme; le Vimeu fut épargné.
Mais d'autres malheurs non moins grands com-
mençaient à agiter la France; les questions reli-
gieuses fanatisaient les esprits et soulevaient les
plus épouvantables tempêtes. La réforme prêchée
par Calvin faisait des progrès; les seigneurs mé-
contents, se prononçaient partout pour elle, parce
qu'elle leur donnait une occasion de satisfaire leur
désir de vengeance.
1 Histoire d'Àbbevifle. M. Louandre, tom. 11^ page 34.
ET DU GOUTÉ DE YIMEU. f77
Les abbés de Saint*VaIery avaient tellement vexé
les habitants par leur orgueil et leurs prétentions
arbitraires, que depuis longtemps ils s'étaient alié-
nés leur affection. Les Calvinistes profitèrent de cette
situation des esprits pour faire des prosélytes * et se
faire un parti dans les populations. En 1 567, guidés
au nombre de dix-huit cents par un de leurs chefs
nommé François Gocqueville, ils pénètrent dans le
Vimeu et se dirigent sur Saint-yalery,avecrintention
de se rendre maîtres de cette place. La ville n'était
point prévenue, et il ne fut point difficile à Cocque-
ville de s'en emparer à la faveur de la nuit. Ses
soldats commencèrent par faire un butin immense;
comme leur intention n'était point de la conserver.
1 Les chefs huguenots tels que Gaspard de Goligny et autres,
suscitèrent plusieurs capitaines et soldats de s'aller esbattre avec
leurs armes au pays de Flandre pour secourir les Huguenots de ce
pays qui disaient la guerre au duc d'Albe. Et, pour ce faire, dépê-
chèrent quatre capitaines, quiétoient Cocqueville, Saint- Amand et
deux autres, lesquels levèrent bien le nombre de deux mille hugue-
nots français, la plupart vacabons qui n'avoient où se retirer en
seureté, et les passèrent en Picardie « gouvernement de M. le prince
de Coudé, qui étoit au dit pays et tacitement advouait cette entre-
prise. Le prince les fit séjourner au dit pays, en attendant qu'il eût
*response du roy sur certaines plaintes qu'il envoyât à Sa Migesté,
du tort qu'il di^ait estre fait aux Huguenots de France, par les ca-
tholiques, lesquels n'obéissant aux édicts de la paix faisaient, maleste
aux dits huguenots qu'ils appelaient teulx de la religion. Auxquel-
les plaintes ne hasta le roy de respondre, du moins au gré du dit
prince, ce que voyant, le dit amiral de Goligny escrivit au dit Coc-
queville qu'il ne se hastât de passer en Flandre, mais qu'il advisât
à se retirer en quelque, ville du pays de Picardie, en attendant la
response du roy. Ce qu'il fist trop follement en se saisist de la ville
de Saint- Valeri par surprise et encore de quelques autres petites
villes proches d'icelle dans lesquelles il mist ses gens d'armes en
garnison. {Mémoires de Claude Hailon, Communiqué par M. H.
Jhuevel.
178 H18TMIB DK SAOTT-TALERY
fls en ressortirait vers huit heure» dû matin char-
gés de dépouilles; puis ils se jetèrent sur les villages
du voisinage» pillèrmt les élises et les presbytères
et incendièrent les maiscms.
Le roi ayant été averti de ce qui se passait, fit
demander au prince de Gondé si c'était d'après ses
ordres et de eeulx de $a prétendue religum^ que se
cominettaient ces actes de pillerie. Le prince ayant
répondu que non, le roi fit donner ordre au maré-
ehèal de Gossé-Brissac, qui se trouvait à Abbeville,
de rassembler les troupes dont il pourrait disposer
et de reprendre la ville de Saint-Valery sur les fiu-
gwnpts.
Le maréchal de Brissac % à la tête de dix compa^^
gnies de gens de pied, de cinq ou six compagnies
d'ordonnance et des archers d'Amies/ qu'il avait
fait venir de nuit» marcha à la rencontré des hu-
guenots, qui aussitôt se hâtèrent de rentrer à Saint-
I Le maréchal de Coesé-Brissae établissait sori camp près d'Ab-
beiriUe a« momeat même où l'une des pins jolies personnes de la
oowr, M}^ de Celtoa, fille d'honneur de Catherine de Médicis, y ar-
rivait avec sa mère, qui la menait en Angleterre pour la marier.'
C'étaii une de ces dunes qui méritaient de figurer dans les galeries
de BraaUVme. Le maréchal, épris de cette demoiselle, s-empresse
de préparer une fête, y invite M*« de. Gelton, se ménage aiisément le
moyen de s'entretenir avec sa fille, et en obtient un rendez^voas. n
en attendait le nnoraent avec la iHus vive impatience, lorsqu'on vint
loi énaoncer que.CocqneviUe marchait sur Saint- Valéry, et qu'il n'y
avait pas un instant à perdre s'il voulaitsauver cette place.—
• Parbleu, dit-il^ il est bien cruel de passer sur la setie, et à comr
balilre une mut qui aurait été si agréable; les hiigumiots me poûeroiil
cher le tour qu'ils me jouent. » Pois i) se dirigea en toute h&te sar
Saini-Yalery.
{Histoire d'Abbeville^ M. Louandre, tôm. II, p. 55.)
ET DU amvt M mou. 179
Valéry. Arrivé sonis tes murs de la vUle, il somma
CocqueviUe de ki lui livrer au nom du roy. Celui-
ci répondit qu'il ne la rendrait qu'à la mort de lui
et du dernier de ses sddats. Le maréchal fit aussi-
tôt battre la ville de trois pièees de. canon, et la
brèche étant faite, il dqnna Tassaut. Comme tes
bourgeois n'étaient point favorabtes aux huguenots,
ils prêtèrent leurs concours aux assiégeants qui
passèrent sans miséricorde tous les huguenots au
fil de répée. Ceux qui tentèrent de se sauver fureat
tués par les paysans qu'ils avaient volés. Cocque-
viUe, Saint-Âmand et tes principaux officiers ayant
été fait prisonniers, ils déclarèrent avoir fait cette
entreprise par les ordres de l'amiral de Coligny et
du prince de Condé. Mais ayant été conduits à
Abbeville, on leur trancha la tête, lesquelles furent
portées au roi à Paris et ensuite exposées en place
de Grève, avec les noms, surnoms et qualités de
ceux à qui elles avaient appartenues. .
• • • * ' ,
La place était à peine entre les mains des Li-
gueurs, que le prince d'Orange arriva en vue de la
ville pour prêter son concours à CocqueviUe. N'y
ayant plus rien à faire., il s'éloigna sans rien tenter.
Les maladies contagieuses et pestitentielles ne
tarissaient pas{ elles étaient entretenues par les
désordres, les combats et les maux de toute espèce
qui pesaient sur le malbeuréux pays de Yimeu et de
Picardie; teurs ravages se firent sentir non-seule*
ment dans les murs de Sâint-.Vatery, mais à Cayeux,
180 HI8T0IBE 1« SAniT-YAtERT
à Ault, à Gamaches et dans toutes les campagnes
environnantes; les malheureux habitants mourraient
sans secours, c'est à peine si Ton trouvait des
gens pour les enterrer. M. Désiré Lebœuf dit que
des processions d'hommes, femmes et enfants tous
vêtus de blanc, la tête couverte d'un voile, pieds
nus, portant des croix de bois, descendaient du
pays de Vimeu au tombeau de Saint-Laurent, dans
l'église d'Eu, pour implorer son assistance; ils
chantaient en marchant :
Amendons-nous,
Portons uos suaires...
Pensons qu'il nous faut tous mourir
Pour aller avec Jésus-Christ '.
La famine devait inévitablement se joindre à ce
fléau; on trouvait des gens morts de faim sur les
routes et dans les rues : le pays fut dépeuplé.
La ville de Saint-Valery était dans un pitoyable
état : dépeuplée, les maisons écroulées par Teffet
de la guerre et les fortifications détruites * . Sur les
instances du peu d'habitants qui restaient et qui
exposèrent que si on les laissait en cet état, la ville
serait à la merci de nouvelles tentatives de la part
des Huguenots, les Ligueurs amiénois leur en-
1 ffisMre d*Eu par Désiré LeboBuf.
2 En 1592, les magistrats d'Amiens demandent que la neutralité
soit accordée à la ville de Saint-Valery qui se trouvait hors d'état de
soutenir un siège par les prises et reprises qui l'avaient démantelée.
{Histoire de la ville d'Amiens. Daire.)
ET DU COMTÉ DE VIMBU. 181
voyèrent des secours d'hommes et d'argent pour se
mettre à l'abri * .
Après s'être montrés favorables au projet des
Calvinistes,, les habitants de Saint-Valery qui n'en
avaient éprouvé que des désastres, sentirent la néces-
sité de leur résister, ils se joignirent aux gens
d'Abbeville et d'Amiens pour faire une association
de catholiques qui prit le nom de Saint-Ligue pour
se défendre contre le parti des Huguenots. Ce fut
la guerre civile dans toute l'étendue du mot. Saint-
Valéry ainsi que plusieurs autres villes de la Picardie
adhérèrent à ce pacte qui les mit en guerre ouverte
avec celles qui reçurent les Calvinistes. Le règne
d'Henri UI fut marqué parles luttes sanglantes qu'elle
engendra. Le pays était continuellement sillonné par
des bandes armées qui, sous le prétexte d'être de l'un
ou de l'autre parti, ravageaient les campagnes, met*
taient les habitants à contribution, pillaient, tuaient,
incendiaient sans crainte d'avoir à répondre de leurs
méfaits.
Après la mort d'Henri HI, la guerre civile conti-
nua avec plus d'ardeur; un parti important se forma
contre Henri de Navarre qui appartenait à la reli-
gion réformée; la Normandie et le Vimeu furent
livrés à toutes les horreurs de la guerre civile.
I Le sieur Damerval, capitaine de Saint-Valery, écrit aux maires
et échévins d'Amiens qu'il importe d'y faire un pont-levis et diverses
réparations pour les mettre en sûreté contre les courses des roya-
listes. Les Amiénois ordonnent ces réparations. {Registre aux déli-
bér aiions.de la ville d'Amiens, Cpmmunitiué par M. H. Dusstbl.
488 HnroiRB db aàiirr-YALUY
Les catholiques exMpérés eontre les babitants de
Saint-Vaiery, qui s'étaient donnés à ce parti, réso-
lurent de prendre la ville : ils vinrent Tattaquer en
grand nombre, et, conune il n'y avait qu'une faible
garnison, ils s'en emparèrent sans grande pme;
ils se rendirent ensuite également maîtres d'autres
places du Ponthieu, et, fiers de leurs succès, ils
narguèrent le roi dans leur conquête.
Mais Henri IV était peu effrayé de leurs menaces;
il enlevait Neufchâtel presque sans coup férir pen-
dant que Givry, l'un de ses lieutenants, mettait le
Vimeu et la ville de Saint-Yalery i contribution.
Le duc de Mayenne averti de ce qui se passait,
s'avançait en Picardie pour contrcèalancer lès suc-
cès qu'obtenait le roi; les Ligueurs d'AbbeviUe le
reçurent à bras ouverts et ils lui facilitèrent l'entrée
de Saint- Valéry. Mayenne partit de là pour Arques
où il fut vaincu parle roi en personne. M. deNevers
se présenta inopinément devant Saint- Valéry qu'il
reprit aux Ligueurs et où il laissa une garnison moi-
tié française et moitié allemande
Le duc de Mayenne se replia sur la Picardie,
pendant que le roi se dirigeait sur Rouen dont il
voulait s'emparer. Son éloignement- rendit le cou-
rage à ses ennemis; les AbbeviUois, avec le secours
des Espagnols, conduits par le comte Charles, mar-
chèrent sur Saint-Valery; entrèrent par le château
et forcèrent la garnison à ée soumettre aux Ligueuris.
Mayenne et le duc de Parme assemblèrent alors une
BT BU coarÉ Di vimu. 488
année «Bpagaoie dans oetle j^lace, et se poricvent
sur la Normandie afin à» coiilraiiidre Henri IV à
lever le siège de Reuen.
Henri lY marcha à leur rencontre et vilit les
b.««àA««.J., «s *,l.p« « ,^pa™li«„t .mm
dons le Vimeu et diassèrent ks Ligueurs de Saint*
Yal^ : l'abbaye fut ravagée et les moines chasses;
mais le duc de Parme s'y étant présenté de nou*
veau^ reprit la ville le 2 novembre 169S et y mit
une garmson de se|^t cmts hommes. Le roi se pro*
posait de venir lui-*même attaquer son eimemi à
Saint-Valery; distrait par d'autres affaires il se con-
tenta d'y envoyer le duc de Longueville avea des
forces suffisantes pour triompher ^ on était alors au
mois de décembre 1 50% et le froid qui était extrê-
mement vif frappait^ les assi^ahts à la face et
paralysait tous leurs mouvements, tellement qn'ii les
gariok de pouvoir quasi mettre la mmn à l'espée.
Dans une telle* situation , les assiégés étaient bien
moins gênés que les assiégeants et l'on fut bien
étonné, de voir la garnison demander à csq[)itttler.
M. de Longueville se surpassa dans ce siège
pénible, il montra bien que le courage masle et
robuste de ses ancêtres était en lui tout entier^ dit
Legrain \ car bien qu'il fut de stature grêle et
délicate, il ne se donnait point de repos et se por-
tait avec activité sur tous les points; il passait
I Décade du ray Henry le Grand. Lëgrain, 1663| in 4<*, page 519
etsuiv.
184 HISTOIRB DB aunT-VALnT ETC.
quelques heures de la nuit sur une paillasse, sans
quitter son armure, et se retrouvait debout pour
engager ses gens par son exemple, malgré le froid
horrible qui abattait les plus robustes.
Certainement les gens du duc d'Aumale auraient
dû tenir plus longtemps dans cette place et profiter
des avantages que leur donnait la saison pour ré-
sister plus longtemps et attendre des secours; d'au-
tant plus que le comte de Mansfeldt, l'un des chefs
de l'armée espagnole, était en marche pour le Vimeu;
mais soit qu'ils ne fussent point informés de ce se-
cours, soit que le nom du ducdeLongueville leur fit
peur, les Français en profitèrent.' Leursuccèsfutde
peu de durée; le comte de Mansfeldt étant arrivé,
attaqua vivement la place et avec tant d'ardeur que
les royalistes n'y purent tenir et qu'ils capitulèrent.
Sur la nouvelle de ces événements, les gens de
Gamaches avaient dépêché un espion à qui ils avaient
payé dix-huit sous pour aller observer la marche du
duc d'Aumale sous les murs de la ville assiégée,
mais ils ne purent empêcher la reddition de la place;
aussitôt après ils dépêchèrent le sieur Flaii vers
le duc de Longueville pour s'informer en quel lieu
il se retirerait et lui offrir du pain de munition et
des vivres pour son armée * .
1 Le lendemain de Noël 1592, auroyt envoyé Flan à Saint -
Wallery pour savoir où se retirait Varmée de Monseigneur de
Longueville. Il aurait convenu fournir pains de munition à
ladite armée dont ung chascun des habitants auroyt esté cottisé.
(Gamaches et ses seigneurs^ par M. Darsy.)
XV.
Pendant les dernières années du règne de Henri
IV, Saint-Valery et le Vîmeu goûtèrent un peu de
repos; mais après la mort du roi, arrivée en 1610,
les Calvinistes, que le seul nom de Henri lY conte-
nait, à cause de sa réputation de justice et de bonne
foi, recommencèrent à donner de Tinquiétude. On
s'attendait chaque jour à Saint-Valery, à tort ou à
raison, à voir débarquer les protestants pour re-
nouveller la tentative de Gocqueville; on arma les
habitants et même les paysans des villages environ-
nants et l'on fit des patrouilles sur les côtes de
Cayeux; mais ce fut inutile : les protestants ne pa-
rurent point.
Le comte de Mansfeldt en s'éloignant de Saint-
Valery avait exprimé l'opinion que les fortifications
devraient être démolies afin d'éviter une garnison
inutile. Les Abbevillois, de leur côté, considérant
que le voisinage de cette place, sujette à tant d'at-
taques successives, leur était préjudiciable, et que
le peu de fortifications qui y restaient ne la défen-
186 BUTOIRE DE SAINT-VALERY
daient que trop bien, se joignirent au vœu du comte
de Mansfeldt pour en proposer la démolition \
ils seraient certainement venus à bout de leur
dessein si le duc d'Aumale ne a'y était opposé.
Le comte de Mansfeldt était à peine éloigné du
Yimeu, que Rubempré, gouverneur de Rue, sortit de
cette ville avec un corps detroupes, passa la Somme
au gué de Blanquètaque que Ton avait négligé de
garder, et vint surprendre la garnison, qui n'atten<-
dant pas les ennemis sitôt, n'avait fait aucuns pré-
paratifs de résistance. Les habitants avaient d'ail-
leurs leurs sympathies pour l'armée royaliste et ils
contribuèrent pour une benne part, à faire triompher
les assiégeants; Rubempré fit déposer les armes
aux Espagnols et laissa une garnison royaliste dans
la place. Aussitôt le duc d'Aùmale qui se trouvait à
Abbeville à la tête d'un corps de troupe^ marcha
sar la ville pour la i^prendre, mais il fut repoussé
et dut renoncer à ses intentions;
Le séjour des Espagnols avait été très préjudi«>
ciable au commerce de Saint^Valery. Le duc d'Au-
male avait, au mois d'octobre 1592,' malgré le vœu
I II existe dtiiis les registres de l'échevinage d'Amiens, une déli-
bération da3* jour de juillet 1593, portant : Veues les lettres escrites
à messieurs par le mâyenr et les esclievinsd' Abbeville^ par lesquelles
ils prient ces messieurs d'aider et contribuer de leur part' pour la
desmolition de Saint-Wallery, que le sieiir Conte (Sic) Charles de
Mansfeldt a trouvé estre nécessaire à desmolir, a esté ordonné qu'il
sera fait response que la ville d'Amiens n'y peut contribuer pour les
grands frais par elle.faicU à la desnolition du cfaastean de Be&a-
quesne et austres lieux.
{fhf it M, V. DUSSrtL.)
■T DU OOMfÉ DE VDW. 487
des habitante, qui demaoulaieot à rester neutres,
établi (dttK-eux un bureau pour la p^ceptîon des
impots sur les marchandises qui y aborderaient de
la mer. On lui observa en vain qne cet impôt était
contre les privilèges de la ville, et que s'il ne vou*
hit pas le lever, ou s'y opposerait formellement,
le duc d'Âumale avait la force &k main, il en usa
pour Élire respecter ses intentions; les droits furent
p^us en dépit de tous.
Les habitents d'ÂbbeviUe pour qui étaient des-
tinées la plupart des marchandises que l'impôt
frappait à Saiut-Yalery, étaient extrêmement lésés
par cette mesure arbitraire; ils se joignirent aux
habitants de Saint-Valery pour demander des poudres
à Amiens; mais les Amiénois s'excusèrent sur les
besoins qu'ils avaient eux-mêmes de munitions de
guerre pour arrêter les royalistes.
L'impôt mis au bureau de Saint- Valéry subsista
jusqu'en 1594, qu'un édit du roi en déchargea les
habitants.
Après tant de luttes, tant d'assauts successifs,
on peut se figurer ce qu'était devenue la ville de
Saint-Yalery ^ Ses murailles ne tenaient plus, les
maisons étaient désertes ou tombaient en ruines;
les environs de la place et les campagnes dans tout
le Vimeu, n'étaient pas dans un état plus florissant;
I La ville de Saint-Valéry fut taat de fois prise, repriée et ravagée,
que l'histoire ne sait pas an juste le compte de ses malheurs.
LOUANDRB.
188 HISTOIRE DR ftAlRT-VALRRY
le duc d'Aumalei repoussé de Saint-Yalery, s'était
jeté sur les villages et y avait exercé sa fureur en les
incendiant et en détruisant le peu de récoltes que
la terre avait pu rapporter. C'était partout le désert,
la désolation et la mort. Les villages que les flammes
épargnèrent, dit M. Louandre, étaient tellement
ruinés à six ou sept lieues autour de Saint-Yalery,
qu'il devint impossible d'y lever aucune taille.
Il parait qu'après ces désastres la ville fut encore
prise et reprise quatre fois. Charles de Mansfeldt,
dit l'auteur précité, présumant que Henri IV avait
le projet de s'en emparer, donna l'ordre de la faire
démolir et de raser le château. Il y a lieu de croire
que cet ordre fut exécuté, car les habitants vinrent
un mois après chercher un refuge à Abbeville * .
La place de Saint-Valery revint ainsi ruinée et
démantelée en la possession du roi^; le duc de
Nevers, qui avait été dévoué au ^service d'Henri IV,
s'en vit déposséder pour satisfaire d'anciens li-
gueurs.
La guerre civile était à peu près terminée; mais
les Espagnols qui conservaient TÂrtois, commet-
taient encore de cruelles déprédations dans le pays
de Ponthieu; ils s'avancèrent même dans le Vimeu
et brûlèrent les fermes et les villages; les paysans
chassés de leurs maisons, se réfugièrent dans les
\ histoire d' Abbeville. M. Louandre, tome II.
2 Henri IV était maître de Saint-Valery et de la Picardie hormis
Soissons, la Fère et Ham. (Mémoire pour V histoire civile et ecclé'
siastique de Saint-Valery.)
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 189
murs de Saint-Valery, qui leur offrait un refuge
où il était possible de se procurer des vivres par
mer. Des troupes hollandaises débarquèrent à Saint-
Valery le 20 octobre 1595, pour aider les habi-
tants à repousser les ennemis. Henri lY était à
Amiens; les habitants de Saint- Valéry lui dépu-
tèrent des notables pour lui offrir les services de
la ville et prendre ses ordres. Le roi satisfait de
cette preuve de dévouement, promit de se rendre
à Saint-Valéry la semaine suivante; mais on l'at-
tendit en vain jusqu'au 10 novembre; il ne vint
point encore * .
Pendant ce temps, les Hollandais étaient tou-
jours à Saint- Valéry où les habitants les fêtaient au
mieux. Des vivres leurs étaient envoyés des envi-
rons et les bourgeois ne les laissaient manquer de
rien.
Le roi Henri IV ayant le dessein d'aller renforcer
Jean de Montluc, contre l'archiduc Albert, qui ve-
nait de pénétrer en France, partit d'Abbeville en
s'embarquant à la porte d'Hocquet, sur une gri-
banne qui fit voile pour Saint- Valéry . Le roi avait
avec lui deux cents cuirassiers et six cents fantas-
sins. Il fut reçu à Saint-Valery par des acclamations
enthousiastes dont il fut très flatté. Le 1 8 avril 1 596
il s'embarqua sur un navire qui fit voile pour Ca-
lais; mais surpris par des vents contraires, son
I Notes manuscrites de M. Davérité.
190 RlflVMIK IB ftâlMIHrâtniT
Mvire relâcha ra Crotoy, et le roi rc^t k route
d'Abbeville.
Pendant cette longue période de désastres, l'his-
toire ne fait plus presque mention des sagneurs de
Saint-Yalery; leur autorité n'est plus que nominale;
on ne les voit figurer nulle part.
Jean de Clèves, par son mariage avec Elii^betb,
comtesse de Nevers, avait été seigneur de Saint-
Yalery en 1 455. En i 488, d'après le mémoire ano-
nyme pour Y Histoire cknleet ecclésiastique de Saint"
Valéry^ Jean, duc de Brabant, comte de Neyers,
d'Eu et de Rethel, est nommé seigneur de SaiiU-
Valéry et confiroie la mairie aux habitonts de cette
ville. Mais (tepiiis cette époque il y a une lacune
d'un siècle, et ce n'est qu'en 1 570 qu'on voit Hen-
riette de Clèves, apr^ la mort de ses fr^es, héritar
des terres de Picardie. « Elle épousa Louis de
Gonzague, prince de Mantoue\ avec lequel elle
fonda en 1574, à perpétuité, pour le nmriage de
soixante pauvres filles en toutes leurs terres et sei-
gneuries par chacun et, à chaque fille, cinquante
livres qu'on leur distribue à chacune tous les ans.
U y en a une pour Saint-Valery. »
Il manque la suite de la maison de Mailtoue^.
4 Suivaat M. d'Imfrévine, le dnc de Muiloue ftvail à Saint-Valery
les droits de Prévôté. (Mémoires de Sourdis. CoUection-de mémoires
inédits relatifs à V histoire de France. Tom 3, p. 78.)
CimmuniquépoT M. H, DUSEVBL.
2 Mémoire pour l'histoire civile et ecclésiastique de Saint-
Vatery-sur-Somme.
R DU €OiRt ic vnm. 191
Les Espagnols taraient encore plusieurs places
•
de la province d'Artois que le roi était jaloux de
reconquérir. Louis XIII vint plusieurs fois en Pi-
cardie et une armée fut assemblée sous les murs
d'Abbeville pour marché sur Saint-Om^ et Hes*
din. Dans un de ses voyages à la frontière^ le roi
vînt visita Sain(*Yalery et écouta avec intérêt les
réclamations des habitants relativement aux travaux
qu'il serait nécessaire de faire pour améliorer le
port, que la rivière de Somme abandonnait fréquem-
ment pour se porter sur l'autre rive.de la baie. Le
roi assista avec beaucoup de plaisir à une pêche
qui se pratiquait à marée basse. Des pêcheurs bar-
raient le chenal de la Somn^ avec leur filet, puis
remontant le courant de la rivière jusqu'si une cer-
taiae distance ils redesceÎDidaient en frappant Feau
avec de longues perdhes et proférant de grands
cris pour é£Ëaroucher le poisson et le chasser dans
les filets qu'ils tiraient ensuite sur le sable. Cette
pêcherie s'app^ait le huage et le poisson qui en
provenait poisson hué*. M. Dusevel dit que
les marins qui firent eette pêche en (NrésaniCe de
Louis XIII, prirent entre autres pièces un. esturgeon
de douze pieds.
I Parfait Chasseur, Sélincourt, année 1683. La pècheàSaint-
Valery n'eil ni abontaite ni distinguée. On ne prend que dès^filiee,
des limandes vaseuses; on envoie le tout à la bourgeoisie parisiennç
qui s'en régale aux jours maigres et qui ne croit pas qu'il y ait meil-
leur» inarà qoe celle de Saint«>Val^. On tire ee profit de la faim
insatiable des grandes villes. {Voyage en France, de 1778 jusqu'à
1827.)
{ C o m m ui tiqué par M. g. DÇSSTEL,)
192 H18T0IBE M SAOrr-YALKRY.
L'ingénieur Gocquart donne la description des
pêcheries de Saint-Valery. « On y pêche, dit-il, au
bas parc et au ravoye. Les ra voyeurs en établissant
leurs filets dans le chenal de la Somme, enfoncent
dans le banc de sable qui sépare cette rivière du
port de Saint-Yalery, une longue file de piquets
qu'ils replient par plusieurs retours et lui font dé-
crire des spirales qui, après avoir été enfoncés sor-
tent encore au-dessus des sables environ deux pieds
six pouces; ils y attachent leurs filets qui ne sont
pas plus élevés, le poisson qui monte avec le flot
ou celui qui descend avec TEsbe, se trouvant en-
gagé dans ces détours, les ravoyeurs ont soin de
l'aller prendre à toutes les marées basses ' .
Les négociants de Saint- Valéry crurent devoir
attribuer à l'espèce de remous qu'occasionnaient
ces filets, les fréquentes variations du cours de la
Somme; ils adressèrent une requête au roi en le
priant de faire interdire la pêche du ravoi; cette
pêche cessa en effet d'être pratiquée, mais comme
l'alluvion ne continuait pas moins de progresser on
cessa de l'attribuer au ravoi, qui fut repris plus
tard^
Le roi Louis XIII témoignait beaucoup d'intérêt
à la ville de Saint- Valéry dpnt il appréciait les ser^
vices rendus à la cause royale; pour témoigner sa
1 Projet de rétablissement du part de Saint-Valery'Sur'Somme.
Coquart.
2 Ibîd.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 193
satisfaction aux habitants, il les confirma en 1 636
dans les privilèges de franchises de taille et autres
impôts dont ils avaient toujours jouï. Peu de temps
après, le 26 juin de la même année, la princesse
Marie-Louise de Gonzague, duchesse de Nevers, de
Mantoue et de Clèves (depuis reine de Pologne),
vint à Saint-Valery, dont elle était apanagiste, et
y resta quelques jours avant de se rendre à Abbe-
ville. Elle entendit les vœux des négociants qui
désiraient qu'un quai fut construit le long du port
afin de faciliter les opérations de chargement et
de déchargement des navires, et elle promit de
s'en occuper.
Sur ces eiïtrefaites, le seigneur d'Imfreville,
commissaire général de la marine, était envoyé par
le cardinal de Richelieu sur les côtes de la Manche
pour rechercher l'endroit où il pourrait être établi
un port capable de recevoir des vaisseaux de guerre;
il arriva à Saint-Valery par la voie du Crotoy,
et s'adressa ^u sieur Blondin, lieutenant de l'ami-
rauté, lequel lui donna tous les renseignements
qu'il demandait sur la baie de Somme. Il résulte
des termes du rapport de M. d'Imfreville, que le port
de Saint-Valery commençait à devenir d'un accès
difficile, à cause de l'allongement de la pointe du
Hourdel qui facilitait des dépôts alluviens entre lui
et la mer.
D'Imfreville suivit la côte par Cayeux et son rap-
port est assez favorable sur un endroit qu'il nomme
13
494 HRfOlllE BB SAOrMrALKKT
la fésiê de Cayeux et qui n*é6t autre que te hâbte
d'Ault : il est d'avis qu*on y peut établir un port
du roi et que les vaisseaux pourront y être oMdmo-
dément à flot et à l'abri des effets de la mer * .
Cependant ce projet ne reçut point d'effet : la
navigation commerciale continua de se fliire par le
port de Saint-Valley dont le grenier à sel fournis-
sait à toute la Picardie. M. Louandre raconte, dans
son histoire d'Abbeville, que les soldats du régiment
du maréchal de Brézé, en garnison à Abbevilte, fai-
saient un trafic du sel qu'ils venaient acheter à
Saint^-Yalery pour le revendre en fraude aux bour^
geois d'Abbeville.
« Gomme je n'avais pas de quoi les payer, dit
Pontis, je les laissais agir, ne voyant pas grand mal
à cela, et y trouvant même l'intérêt du roi, qui
trouvait ainsi le» moyens de faire subsister ses
troupes sans rien débourser et sans charger ses
sujets • .
Les fraudeurs, continue M. Louandre, s'en allè-
rent un jour jusqu'au nombre de soixante ou quatre-
vingts bien annés à Saint-Valery. Les soldats de la
gabelle, en ayant eu avis^ mirent en campagne un
pareil nombre d'archers, avec ordre de charger les
soldats et de les amener pieds et poings liés. Le
1 Recherches sur le port convenable à Vétahlisseràent d'un port
du roi. Manusc. Biblioth. Impériale.
2 Mémoire pour VEistoire einsile ei écclésiéêUquê de Saint-
Valéry -sur 'Somme.
S Mémoires de Pùntis. CoH. Ml«hatt4, lome 6, t* gérîe, p. <MM.
BT DU COMTÉ DE VIMEU. 496
combat s'engagea, pli»ié#s archers fiirent tués,
quelques soldats blestés^ mais ces derniers eur^t
l'avantage \
Gharl^ Sire, marquis de Saveuse et conseiller du
roi, était alors gouverneur de la ville et du château
de Saint'-Valery et, en cette qualité, capitaine de
cinquante hommes d'armes, il était très^^partisan
des travaux qu'on pourrait faire pour la commo-
dité et rraibellissement du port de laFerté; sur
les ordres qu'il reçut, il fit, conjointement avec
M. de Seirières, secrétaire d'Etat, construire des
quais en pierre depuis la Bourse jusqu'au nmgasin
au sel ; les travaux commencèrent en sa présence,
en 1640 ^
Ce fut en cette même année 1 640, que la princesse
de Mantoue, dame de Saint-Valery, vendit la sei«-
gneurie de ladite ville à Nicolas-Joachim Rouault
de l'antique maison de ce nom.
Le premier de cette famille illustre, dont le nom
s'est conservé dans l'histoire, fut Clément Rouault,
écuyer en \ 327; il avait pour armes deux léopards
passants*
Son fils Clément devint, par alliance avec Péron-
nelle de Thouars, l'un des plus grands seigneurs du
royaume de France; il prit, à cause de sa femme,
la qualité de comte de Dreux et de vicomte de
i Histoire d'ÀbbwUle, M. Loaandre, tome 2, p. 104.
2 Mémoir9 pour l'HUtoire civiiê et ecelësiatiéque de Sûint.
Vaier^.
196 BISTOIRE DE SAHIT-VALBRT
Thouars; il brilla à la*èour des rois Qiarles lY et
Charles Y, de 1 390 à 1 420. Il n'eut point d'enfants
de Péronnelle de Thouars.
Son frère, seigneur de Boismenart et de la Rous-
selière, fut gouverneur du fils aîné du duc de
Berry. Le roi le gratifia d'une somme de cinq cents
livres pour reconnnaissance des services qu'il avait
rendus dans les guerres de Guyenne contre les
Anglais. Celui-ci eut deux fils; l'aîné, seigneur de
Boismenart, chambellan du roi, qui eut Joachim,
maréchal de France, lequel s'acquit beaucoup de
gloire dans les guerres de son temps \ Par aecom-
1 U se distingua dans un grand nombre de combats, et principa-
lement à 'la bataille de Furmigny, qui assura la conquête de la
Normandie, et balança les succès de TAngleterre. L'armée française
s'étant dirigée vers la Guienne, il y acquit une nouvelle gloire, no-
tamment à Gbalais, où il alla planter son étendard sur la brècbe,
pour entraîner ses troupes qui redoutaient l'assaut. En 1452, il as-
sista au siège de Castillon sur Dordogne, et contribua au succès de
la bataille livrée sous les murs de cette ville, où fut tué TAcbille an-
glais, le fameux Talbot. Peu de temps avant la bataille, les francs
archers que- commandait Gamaches, ayant été surpris, se retiraient
en désordre : « Ne vous al-je pas promis de vivre et de mourir avec
vous, leur cria t-il, afin de ranimer leur courage? Voulez-vous donc
m'abandonner? > et Ubc précipita le premier contre l'ennemi. Plus
d'une fois il fut renversé de son cheval; mais les archers le relevè-
rent toujours, et ils parvinrent à rejoindre l'armée. La France se
trouvant débarrassée de ses ennemis, Louis XI l'envoya en Angle-
terre au secours de la maison de Lancastre, que le duc d'Yorck
voulait précipiter du trône, et il ne revint que lorsque sa présence
dans ce royaume fut jugée inutile. Louis XI le créa maréchal en
1461 , et reçut de lui une nouvelle preuve de son zèle et de son atta-
chement durant la guerre dite du bien public.. U fut alors gouver-
neur de Paris. En 1472, il défendit Beauvais contre le duc de Bour-
gogne. En 1475, Louis XI, trompé par de faux avis qui lui annon-
çaient que le roi d'Angleterre voulait s'emparer d'Eu et de Saint-
Valeri, donna ordre à Gamaches de briller ces deux villes. A peine
les habitants eurent-ils le temps d'emporter à Abbeville leur fortune
et leurs enfants. Son dévouement et ses services ne changèrent
ET DU GOMTÉ DE VIMEU. 19?
modement avec la maison de Thouars, il devint en
1 461 y seigneur de Gamaches; il mourut en 1 478.
Après le maréchal, Aloph, chambellan du roi, fut
seigneur de Gamaches, ainsi que son. fils Aloph II,
qui fut père de Nicolas P% aussi seigneur de Ga-
maches, lequel eut plusieurs enfants, et, entre
autres, Nicolas II, qui fit ériger la terre de Ga-
maches, en marquisat en l'an 1620. Celui-ci fut
père de Nicolas-Joachim Rouault, marquis de Ga-
maches, dont nous venons de parler comme ac-
quéreur de la seigneurie de Saint- Valéry : il porta
les titres de gouverneur de Saint- Valéry et de Rue,
maréchal de camp, lieutenant général des armées
du roi.
Le cardinal de Bentivoglio était alors abbé de
Saint- Valéry. Il y avait amené des bénédictins
réformés de la congrégation de Saint-Maur, et il
s'occupait de la restauration de l'église et du mo-
nastère que les guerres précédentes avaient fort
endommagés.
Louis XIII était mort et Louis XIV lui avait suc-
cédé, il en résulta pour la France une tranquillité
à laquelle elle n'était point accoutumée ; la ville de
Saint-Vaiery put renaître de ses longs désastres,
point en sa faveur l'esprit sombre et méfiant de Louis XL II fut ar-
rêté en 1476, par son ordre, et jugé par une commission giii le con-
damna au bannissement, à une amende de deux mille livres, et à la
confiscation de ses biens. Mais cet inique arrêt ne fut point exécuté,
et Gamaches mourut tranquillement dans ses terres, .le 7 août U78.
Son portrait a été gravé par Stuerhelt, in-4<*. (Biographie d'Ab-
beville et de ses environs, M. Louandre, p. 149. )
108 HlSfOllB DB tADIT-VAtBRY
et si w n'avait été les ineesaaiitea Yartatima de la
Somme qui ne viaitait aon port qii'i de rares inter-
valleS) sa proapérité eût été grande, car ses rela-
tions eommeroîales s'étendaient dans tout le N(Nrd
et l'Est de la Franoe.
La place de Hesdin qui avait doni^ tant de mal
à Louis XIII pour la reprendre aux Espagmds, était
alors occupée par une garnison française et soua le
commandement d'un gentilhomme nommé Baltha*
zar de Farguea. Cet homme écouta les propositions
du prince de Gdndé et s'insurgea avec le régiment
de Bellebrune. Il vendit la place à Don Juan d'Au*
triche, et après en avoir reçu le prix, il r^usa de
la lui livrer, fit sauter les fortifications et se ré*
pandit dans le Ponthieu dont il ravs^gea les cam-
pagnes; il feillit surprendre Abbeville, mais ayant
été repoussé d'un manière à lui faire renoncer à
une autre tentative ; il vint avec son parti hleu pa&*
ser le gué de la Somme à Blanquetaquej il avait
avec lui environ huit cents hommes, tant cavaliers
que &ntassins. Son intention était de piUer le
Yimeu; il commença par brûler le vilh^e de Bois-
mont et il arriva vers six heures du matin sur les
hauteurs de Saint-Valery qu'il se disposa à atta-
quer; mais les habitants qui avaient été avisés à
temps, jvaient faits des préparatifs de défense aux-
quels de Fargues ne s'attendait pas; ils avaient
dressé une batterie derrière laquelle ils se mon-
traient en bon ordre; un capitaine de vaisseau qui
BT MJ COMTÉ ME Snm. i99
était venu embosaer son navire bous la Ferlé, tira
un coup de canon à boulet, le& inrargés s'effrayèrent;
ils reconnurent qu'il y aurait témérité à attaquer
des gens si bien en mesure de réaiateri «t ils v^
broussèrent ebemin.
Dans sa retraite, Balthazar de Fargue pilla les
fermes du voisinage, brûla l'église et le village de
Neuville; et après, cet acte de brigandage, il em^
porta tout ce qM'il put, même une des cloches de
cd village. Il se dirigea ensuite par Àrrest pour
entrer plus avant dans le Vimeu; mais la milice
des cotes, commandée par M, dePrévillè, lui donna
la chasse et le contraignit de repasser la Somme à
Blanquetaqueavec son parti.
<c Ce passage, ajoute Cocquart qui nous donne
ces détails, est à présent inaccessible, de quelque
manière qu'on voulût tmter de le passer de mer
basse. ».
Fargues, après avoir amassé des biens immenses
par le pillage, fut assez adroit pour se faire com*
prendre dans le traité des Pyrennées et se retirer
avec la vie sauve et sa fortune; mais, quelque ten^ia
après, il&t arrêté et pwdu à Abbeville sur la place
Saint-Pierre. Ce fut un tort; on n^urait point du
traiter avec un tel homme, et ne point le gracier
pour ensuite le &ire mourir par trahison.
C'était le dernier acte de guerre qui devait se
pasi^ spus les murs de Saint^Valery; mai$ le sou-
vem> di^ tant de malheurs avait rendu l'habitant
200 BlftTOlBE DB SAnrr-VAtBRT
tellement craintif, que la vue d'un habit militaire
re£Rrayait et qu'il croyait que la désolation allait de
nouveau tomber sur sa ville et sur sa demeure. Les
l^abitants du Yimeu étaient dans ce même esprit et
lorsqu'un régiment français ou étranger passait
dans le pays, tout le monde se sauvait, se cachait
et se barricadait si on ne se sentait point les plus
forts. Il est vrai que le soldat de cette époque
était farouche, cruel et sans discipline, et qu'il
saisissait toutes les occasions de marauder au pré-
judice du paysan. En juillet 1649, un régiment
de cavalerie s'avance dans le Yimeu pour fourrager ;
les habitants des villages s'assemblent, l'attaquent,
le poursuivent, et l'ayant joint au village de Behen,
ils en taillent une grande partie en pièces.
CependairtJa ville de Saint-Valery commençait
à respirer de ses luttes passées, depuis quelque
temps le bonheur de la paix lui donnait des jours
prospères. Le souvenir des luttes religieuses cau-
sées par la réforme s'était effacé; le catholicisme
régnait sans obstacles, la ville démantelée n'en
était que plus heureuse.
L'abbaye florissait et les reliques qu'elle possé-
dait continuaieift à y attirer un grand nombre de
pèlerins. L'abbé jouissait de 18,000 livres de re-
venuu et les religieux de 9,500 livres. Ils étaient
seigneurs fonciers et universels de la ville et de ses
dépendances, en vertu de l'ancienne charte de Da-
gobert, et possédaient des manses à Citernes, à Fa-
t
ET DU GOMTÉ DE VIMEU. 201
vières et à Morlancoùrt. Les privilèges de l'abbaye
étaient grands; mais un arrêt du parlement de Paris,
du 8 février I66i, la priva de la juridiction proé-
piscopale dont elle avait jouï. La chronologie de ses
abbés nous manque ; nous trouvons cependant^ par-
mi ceux qui nous sont connus, des personnages
d'un haut renom, tels que le cardinal de Guise, un
neveu de Sixte-Quint, deux Bentivoglio et l'immortel
auteur de Télémaque * .
En l'an 1700, Edmond Martenne, bénédictin de
Saint-Maur et Dom Ursin Durand vinrent à Saint-
Valery où ils passèrent les fêtes de la Pentecôte. Us
visitèrent l'abbaye où, disent-ils, il y a beaucoup
de dévotion et où plusieurs insensés reçoivent leur
guérison. Ses reliques étaient conservées dans une
belle châsse d'argent, ainsi que celles de saint Bli-
mond, son successeur; celles de saint Sévole, comte
de Ponthieu et martyr, celles de saint Wulgan, ar-
chevêque de Cantorbery et celles de saint Ribert ^ .
Les religieuses de l'hospice étaient parvenues à
restaurer complètement leur couvent. En 1665, se
trouvant en trop petit nombre pour continuer effi-
cacement leur œuvre de charité, elles témoignèrent
leur désir d'être remplacées par des religieuses de
l'Hôtel-Dieu d'Abbeville. C'est depuis ce temps que
les sœurs Âugustines sont en possession d'y donner
leurs soins aux malades.
1 Histoire d'Abbeville. M. Louandre. Tom II, page 423.
2 Voyage littéraire. Tom II, page 173.
I
202 HISTOIU U «ÀII!IT*-VALEBY
Un couvent des swira bitiiebe» a'éttit forooé à
Saint-Vatery, depuis 1520, ^poquA à laquelle les
religieuses domtniotines avaient été autorisées i se
fœr dans cette ville, à condition qu'dles ne pour-*
raient jamais être plus de douze, suivant la décision
du corps, municipal de la même ville qui leur avait
permis de quêter trois fois la semaine *..
C'est dans le commencement du xvii'^ siècle que
vivait à Saint-Valery, le curé lacques Leclerc^ au-
teur de différents poëmes ascétiques qu'on a réunis
depuis en un seul volume de quatre cent soixante^
dix pages. La pièce la plus curieuse de ce livre est
VUrame pénitente ou Vie et pénitence de la Magde^
laine. L'auteur y dq>lore ses faut^^ et entre ainu
en matière :
<c Un jour que mon âme pressée
Des atteintes d'un grand remord,
Sentît couler en sa pensée
La souvenaDee de la mort;
Et que tOQs mes péchés énormes,
Puavits, horribles et diiSbrmes,
Ouvrant les yeux de mon esprit,
Donnèrent à mon cœur Falarme :
Il se fondit du tout en larme.
Et soupira ce triste écrit. )>
M. Louandre, dans sa biographie d'Abbeville et
de ses environs, donne la nomaiclature des écrits
de Jacques Leclerc : Les larmes de saint Pierre; les
I Histoire d'Abbeville. M. Louandre. Tom II, page 473u ::md
ET DU COMTÉ DE VllIEU. 203
repentirs, les dédains, les remords, les soupirs, les
regrets d'un. pénitent, la conversion de saint Paul;
là contrition de là Magdelaine, le jugement dernier,
des strophes et une complainte sur ces mots : Mise-
remini mei, vos saltem amici mei. La paraphrase
du nunc dimittîs; le retour et le repentir de Venfant
prodigua, etc., etc.
Saint-Valery a, en outre, donné le jour à plusieurs
hommes remarquables, tels que Martin Glaire, poëte
latin de la société de Jésus, né en 1 61 2, qui com-
posa des hymnes' ecclésiastiques; Dom Gauteleu,
moine de la congrégation de saint Maur, en 1649,
qui publia des Insinuatùmes pietatis, seu vitœ sanctœ
Gertrudis virginis et abbatissœ sancti Benedicti.
Paris 1622 \ '
I On rapporte qu'un sentiment secret TaverUt-de sa mort, et qu'il
en fixa le jour. Cette singulière déclaration surprit d'autant plus,
qu'il n'était point malade. Le %8 juin 1662, il rendU exactement ses
comptes, fit appeler son successeur, et lui donnai <][es instructions.
Le lendemain, terme indiqué de son existence, il demanda la der-
nière épreuve de son livre, et après l'avoir corrigée, il expira.
(M: Louandre. Biographie d'Abbeville et de ses environs.)
1
i
XVI
Au commencement du 1 7* siècle, quelques an-
nées de paix avaient relevé Saint- Valéry ^de ses dé-
satres; la pêche et le commerce avaient repris leur
activité. Malheureusement les variations incessantes
de l'embouchure de la rivière compromettaient
l'existence de ce port : les bancs de sable, dit le
chevalier de Glerville * , sont causes que les navires
ne peuvent venir à Saint-Valery qu'en trois marées,
et sont obligés de toute nécessité à mouiller dans
cet intervalle soubs la pointe du Hourdel ou soubs
le château du Crotoy. »
Cependant la science nautique avait fait des pro-
grès depuis le règne de François P'; au routier
de Jean de Bruges avaient succédé des instructions
plus complètes sur la navigation des côtes et de
l'embouchure des fleuves ; le Petit Flambeau de la
mer était mis entre les mains de tous lès capitaines
I Rapport du chevalier de Clerville sur les ports de la Picardie
et de la Normandie. CoUect. Colbert* 122. V*.
à
206 HISTOIRE DK fiàlNT-YALERT
de navires qui faisaient la navigation sur les côtes
de rOcéan * .
Le prolongement excessif de la pointe du Hour-
del vers le Nord semblait être la cause de l'envase-
ment qui se produisait sur la plage de Saint-Valery .
Néanmoins, malgré les stations que les navires
étaient obligés de faire au Hourdel et au Crotoy, le
commerce de Saint-Valery était assez florissant.
« Mais dit le chevalier de Glerville, comme Tanti-
I iyÉia|>le à la rivière de Somme, la eMe eonrt au Sud sit grandes
lieues. C'est une rivière dans laquelle il peut entrer des navires de
moyenne grandeur, mais l'entrée en est très-difficile, car droit de-
vant celte rivière il y a un bane qui la barre, et qui met an moine
trois quarts de lieue en mer, ce qui la rend d'un difficile accès; elle
a néanmoins deux passages, savoir, an au Nord le lonj;de la terre
du Nord, et l'autre au Sud le long de la terre du Sud.
Pour passer par le Nord, il faut approcher la terre et prendre
connaissance d'une tonne qui est à l'entrée des bancs, et quand
vous êtes passé ladite tonne, vous gouvernez sur Saint- Vallery, qui
est du côté du Sud de ladite rivière, et courre ainsi jusqu'à ce que
voua soyez proche de la terre du Sud. A la pointe du Nord de l'entrée
de cette rivière, le long de la terre, il y a encore quelques petits
platons de sable qui mettent un peu au large, c'est pourquoi il ne
faut point épargner la sonde ; et quand vous pouvez avoir un Pilote
de terre, c'est encore le meilleur, car les entrées de cette rivière
sont sujettes à changer, ce qui fait que Ton n'en peut pas bien écrire,
joint que dans la rivière il y a plusieurs bancs qui sont de sable
mouvant et fort sujets à changer.
Quand on vient deTOuest, et que Ton veut entrer dans la rivière
de Somme, il faut mettre le Cretoy en dedans de la pointe de la
rivière, la longueur d'an câble, et gouvernez ainsi jusqu'à ce que
vous ayez connaissance de la première tonne : vous snlvez ainsi les
tonnes qui sont au nombre de trois ou quatre, que vous laissez toutes
à tribord, c'est-à-dire, à terre de vous; et quand vous êtes au-de-
dans desdites tonnes, de la pointe dn Sud et de l'entrée de ladite
rivière, alors vous gouvernez à l'Est dans la rivière, puis étant un
peu dedans, vous gouvernez sur Saint-Vallery le long de la côte du
Sud. Âu-dedans de la rivière il y a beaucoup de balises qui facilitent
la connaissance du canal allant à Saint- Vallery.
( Le Petit Flambeau de la mer y ou le véritable guide des pilotes
cô tiers ^ Bougard, page 3- ) .
wt M ooMTÉ DE vmu. 207
pâthie qui est entre les marchanda de Saint^-Yalery
et ceux d'Abbeville empéohe que le débit des choses
qui s'y apportent ne s'en ftisse si bien et n'accontH
mode ces deux lieux là tout eiisemble par le com-
merce qu'ils pourraient faire l'un avec l'autre^ il
faudrait que quelque personne d'autorité prist soin
de les concilier les uns avec les autres^ ce qui ne
serait pas trop malaisé, n'y ayant point d'intérêts
de bien qui les séparent. »>
Le port de Saint*-Valery, dit toujours de Glerville,
est assec bien placé pour l'exportation des vins de
Laon, de Goucy et de la montagne de Rheims ainsi
que des autres denrées qui peuvent y être apportées
par la rivière de Somme. Le commerce de cabotage
y était très-actif surtout avec Calais, la Normandie et
la Bretagne; le nombre des navires qui accédaient
annuellement au port était de SOO à 300 % il était
plus fréquenté par le commerce que Boulogne et
Dieppe. Il y avait, appartenant au port, vingt<>deux
navires du port de vingt à quatre-^ vingt tonneaux,
qui allaient jusques en Flandre et en Hollande et
rapportaient les marchandises de ce pays pour être
expédiées par la Somme ou par charrois pour les
pays de l'intérieur ou même pour Paris.
L'intendant général de Bignon dit dans ses Mé-
moires ^ t tt à proprement parler il n'y a point de
1 En 1766, il j entra 279 navires français et étrangers; Tannée sui-
vante, n en etitratô4.
2 Mémoires de Bignon, intendant général de la Picardie.
208 HISTOIRE DB SAOIT-YALBRT
port à Saint-Yalery, les navires se retirent le long
du rivage dans une anse qui joint le faubourg de la
Ferté, où ils sont à couvert. (
tf Le commerce de Saint-Valery est très-considé-
rable, quoique l'entrée en soit difficile à cause des
bancs de sable, mais il est d'ailleurs très-commode
et très-avantageux par la facilité de faire transporter
en Picardie, en Artois, en Champagne, à Paris les
marchandises qui y abordent de tous les porta de
France, de Hollande, d'Angleterre et de Hamboui^,
sans courir les risques et être exposées aux retards
de la voie du Havre. »
« Un bâtiment se rend de Hollande à Saint-Valery
en vingt-quatre heures par un temps favorable; les
marchandises dont il est chargé sont en deux jours
et demi à Amiens par des gribannes qui remontent
la Somme. Si les marchands veulent faire plus de
diligence et ne pas ménageries frais, ils font voitu-
rer leurs denrées en trois jours de Saînt-Valery à
Paris. C'est ce qui a déterminé le conseil du roi à
permettre l'entrée des dragues et grosseries par ce
port, à la réserve néanmoins des cires et des
sucres. »
Que dirait Bignon maintenant, où des marchan-
dises chargées à Saint-Valery, sont six quarts d'heure
après rendues à Amiens et peuvent l'être en moins
de six heures à Paris ?
Bignon donne ensuite ainsi le détail du commerce
qui se faisait par Saint-Vàlery :
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 209
Sortir. Blés pour la Normandie, la Bretagne,
l'Angleterre; fils de caret, toiles à voiles et d'em-
ballage, étoffes d'Abbeville et d'Amiens pour l'Es-
pagne, le Portugal; les vins de Champagne et de
Bourgogne, des indigos des îles françaises et des
safrans du Gatinais, des étoffes des fabriques du
royaume et autres marchandises, pour l'Angleterre
et la Hollande.
Cabotage. Sucrer des raffineries de Nantes, de la
Rochelle, de Normandie, des Savanes, de Toulon,
de Marseille; des vins et eaux-de-vie de la Rochelle,
Bretagne, Bordeaux, Languedoc, des cidres d'Auge,
des miels bruns de Bretagne, des prunes et autres
denrées de Gascogne^ des papiers de Caen, des
beurres de Normandie et Bretagne, des sels du
Brouage pour le fournissement des greniers, des
pelleteries de la Rochelle, de la molue salée, de la
pêche de la Normandie, Bretagne et la Rochelle.
Il y vient des pays étrangers des cendres com-
munes de Danemark pour le blanchissage, des cen-
dres potasses de Hollande pour la fabrication du
savon, des huiles dé baleine et poisson, des lins de
la mer Baltique, des laines d'Espagne, du bois de
Campielj Brésil, bois jaune et autres drogues pour
les teintures, de la molue salée, des harengs appor-
tés par les Hollandais, quantité de fromage d'Hol-
lande, des fers blancs et noirs de Hambourg.
La plus grande partie du commerce de Saint-
Valery, dit Clerville, était dirigée à la Rochelle et à
«4
210 MISTOIRE OB SAINT-VALEHY
*
Bordeaux; ou y portait les toiles de Picardie, les
fils de caret qui se filaient à Abbeville et dans les
environs.
Un arrêt du conseil d'Etat du roi, en date des 8
noven^re 468? et 3 juillet 1698, avait désigné le
port de Saint-Yaleiy pour l'entrée des tissus prove*
nant d'Espagne, d'Angleterre et de Hollande.
Il y avait, attaché à ce port, un inspecteur du roi
pour les produits des manufactures étrangères.
La pêche se faisait dès le commencement du 1 7*
siècle par soixanle-dix grands bateaux : la morue et
le hareng formaient l'objet principal de celle pêche.
Ces poissons étaient débarqués et salés à Saint-
Valery, et, d'après Clerville, les pêcheurs de ce port
savaient si bien accommoder leur poisson, avec une
industrie qui est si fort au^dessu^ de celle des autres
pescheurs de la coste de Picardie et de Narmandiej
que les harengs dont les barils étaient à la marque
de Saint-Valery, se vendaient par préférence qua-
rante sous par baril plus que les autres.
D'après Bignon, intendant général de Picardie,
Boulogne et Saint-Yalery. faisaient par an pour plus
de quatre cent mille livres argent en harengs et
maquereaux qui étaient distribués en Flandre, en
Artois et à Paris.
Mais lorsque le chevalier de Clerville vint à
Saint-Valery, en 16...., cette pêche était déjà bien
détériorée: il en. attribue la cause à l'excès des
droits qui étaient imposés sur le poisson et parti-
ET BU COMTÉ DE VIMEU. 214
culièrement des droite d'abord et de consommation;
il se plaint en outre de l'usurpation du privilège de la
fourniture du sel, dont les adjudicataires des gabelle
avaient obtenu la préférence par un arrêt du conseil
royal, laquelle était cause que les marchands qui ven-
daient préalablement ces sels aux pêcheurs avaient
cessé de les faire venirdù BrOuage. Les adjudicataires
pouvaient ainsi impunément vendre cette denrée
à un prix exorbitant, de sorte qu'au lieu de
soixanteniix bateaux-pécheurs le port de Saint-
Valéry n'en avait phis que douze petits et grands.
La pèche, au rapport de Clerville, faisait le prin-
, cipal intérêt du port de Saint-Valery; depuis long-
temps, les marais salans du voisinage n'existaient
plus et les habitants réclamaient instamment que
la liberté leur fut rendue d'aller acheter «leur sel
sur les salines^ sûrs que cette' faculté augmenterait
immédiatement le nombre de leurs bateaux.
« Sur la plainte générale de tous les habitants
de la côte de Picardie, est-il dit dans le rapport de
Clerville, de ce que messieurs des Gabelles font
faire le transport des sels par les hollandais préfé-
rablemenf aux français; c'est chose un peu étrange
que les français pouvant rendre un service aussy
commodément et aussy avantageusement que les
estrangers, que l'on s'opiniâtre à leur ôter le gain
d'une somme de 1 1 livres, qui nourriroit beaucoup
de matelots, pour faire gaigner cette mesme somme
par des estrangers, auxquels, par toutes les ordon-
il12 HISTOIRE DE SAUiT-VAtERT
nances, il a este deffendu de naviguer de port en
port, et pour preuve que les français peuvent rendre
ce service comme les estrangers, je m'obligerai à
foire faire le transport des. sels par des français
pour le mesme prix que les adjudicataires donnent
aux Hamands.* »
Les administrateurs des cinq grosses fermes en-
travaient considérablement le commerce, et le che-
valier de Clerville ne manque pas de l'annoter dans
son rapport : il demande que les fermes soient ré-
gies à par de fort honnêtes gens, qui aient plus
« ♦
d'envie de plaire et de servir, que de s'enrichir par
de petits profits. »
Le port de Saint-Valery armait aussi pour la
pêche de la baleine. Le chevalier de Clerville y vit
cinq bâtiments en construction pour cette destina-
tion; mais dans ce moment, dit-il, des spéculateurs
obtinrent un édit sur les huiles de baleine, qui était
très-préjudiciable à cette pêche comme au menu
peuple, et les cinq navires ne purent être employés
à. cette industrie.
Le chevalier de Clerville porta son attention sur
toutes les questions qui pouvaient intéresser le
commerce de Saint-Valeryj c'est ainsi qu'il repré-
sente au roi que le renchérissement des soudes
dont le commerce de Saint-Valery faisait un grand
débit pour le blanchissage des toiles de Picardie,
.1 Rapport du chevalier de Clerville sur les ports de la Picar-
die,
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 213
cause un préjudice considérable aux habitants de
toutes les classes, il s'élève surtout contre les droits
seigneuriaux auxquels, les habitants étaient encore
tenus et rappelle Tédit de Louis XII sur l'abus de
sesfedevances.
Ces droits qui durèrent jusqu'à la révolution de
1 789, consistaient en prélèvements sur les censives,
feux et fanaux, tonnes et balises, vicomte et pré-
vôté, de trois moulins à vent, formant uii revenu
de 10,000 livres environ. Piganiol de la Force cite
parmi ces sources de revenus, le droit de quatre
deniers par livre sur le prix de tous les poissons '
qui se vendaient dans le port de Sainl-Valery; celui
de mësurage et minage sur tous lès blés, orges,
avoines et autres grains qui entraient et arrivaient
à Saint-Yalery et autres lieux de la baie de Somme;
c'est-à-dire un sol ou douze deniers, par chaque
septier pour droit de mësurage, et en outre une
patelle ou la cinquième partie d'un boisseau par
chaque septier de grain, mesure de Saint- Valéry,
pour droit de minage, lorsque les grains se vendent
au marché ou en la banlieue de cette ville et
dépendances. Les bourgeois et habitants du lieu
étaient exempts de ce droit de patelle ou (jie minage,
lorsque les grains leur appartenaient en propre* Il
y avait, en outre, un droit de paulette, qui consis-
tait en une taxe annuelle du soixantième de la va-
leur des offices. Il était perçu comme indemnité du
droit de transmission des offices, qui fut consacré
214 HISTOIRE DE 8AIIIT-VALBR\
au profit de la veuve et des héritiers du titulaire,
par ordonnance royale de 460i, et il prit son nom
de celui de Tinventeur, Charles Paulet, secrétaire
de la chambre du roi V
* La ville de Saint-Yalery, dit ClerviUe, mérite
quelque, considération par Tancienne importance
de son commerce et par les services qu'elle rendit
à la cause royale. C'est le siège d'une amirauté
composée d'un lieutenant, d'un procureur du roi,
avec substitut et d'un greffier, Il y a, en outre, un
gouverneur militaire, un lieutenant du roi et un
major ' .
La seigneurie de Saint^Yalery avait été détachée
du Ponthieu pour faire partie du comté d'Amiens;
plus tard, par lettres patentes du roi Louis XIY, le
comte d'Artois en obtint la mouvance ainsi que de
la seigneurie de Cayeux.
Le marquis de Saint^Yàlery, Nicolas*Joachim
Rouault, lieutenant général des armées du roi, dont
nous avons parlé plus haut, était mort en 1637,
âgé de 68 ans; il avait laissé entre autres enfants,
Joseph-Ëmmanuel*Joachim, brigadier, mort en
1 691 , lequel avait eu pour fils Jlean-Joseph qui fut
tué à la bataille d'Hochsteedt.
A la fin du xvn* siècle, le seigneur de Saint-Ya-
lery était Claude-Jean-Baptiste-Hyacinthe Rouault,
1 Piganiol de la Force, cité par M, Darsy. Gamaches et ses Sei-
gneurs.
2 Rapport du chevalier de^lerville sur les ports de la Picar-
die.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 215
marquis de Gamachcs, brigadier d'armée en 1690,
maréchal de camp en 1606, lieutenant général des
armées de Sa Majesté, etc. , etc. Il avait pour fils,
lean-Joachim, comte de Gâyeux, brigadier d'armée,
marié avec madame N qui, dit notre mémoire
anonyme ' « aura un jour quatre-vingt-dix mille
» livres de rentes. »
Le dit seigneur Rouault, gouverneur de Saint-
Valery, advoué et advocataire de l'abbaye, avait la
haute justice et voirie; en 1708, il réclamait en-
core des droits de travers et péages sur. les mar-
chandises passant à Saint-Valéry . Il fut ordonné, à
cette époque, par le conseil d'Etat, que le marquis
aurait à justifier de sa possession ^.
Le commerce réclamait vivement contre ces
droits, parce quil entravait ses opérations. Tous
les navires, même ceux à destination d'Âbbeville,
étaient tenus de venir à Saint-Valery pour y dé-
charger leurs marchandises, les faire visiter et en
acquitter les droits. La ville d'Abbeville réclama
contre cet usage et demanda que les navires pussent
venir avec le bouillon de la mer jusqu'à leur quai,
sans être obligés de toucher ni au Grotôy^ ni à Saint-
Yalery. Le conseil d'Etat, par un arrêt do 13 mai
1716, voulut bien qu'on ne déchargeât plus les
marchandises à Saint-Valery et qu'on ne les y visitât
1 Mémoire pour l'Histoire civile et ecclésiastique de Saint-
Valery-sur-Somme,
2 Archives de la Somme. Liasse intitulée : Péages.
216 H18T01RB l>B SAllCr-VALBRY
plus; mais seulement il tint à ce qu*on y payât les
droits d'entrée sur la déclaration des armateurs et
sur les connaissements et acquiis-à-caution visés
par les commis du fermier, lesquels seraient msuite
portés au bureau d'Abbeville pour être vérifiés.
Cette époque (fin du nvn* et commencent du
xx\ni* siècle) était brillante pour le port de Saint-
Valery; le chenal de la Somme s'était fixé contre le
quai de la Ferté, et de ce point, il traversait la baie
pour passer près du Grotoy, d'où sa direction était
directe vers la iner*. Les navires les plus gros en-
traient d'une seule marée dans son port ou bien
relâchaient pendant une marée au Grotoy: aussi est-
ce le temps de la grande prospérité et du grand
renom du port de Saint- Valéry, où abordaient les
navires de toutes les nations maritimes.
En 4718, une maladie épidémique, la Suettey
apportée par un navire hollandais chargé de laine,
causa de grands ravages à Saint-Yalery et dans le
Yimeu. La châsse du saint patron de l'abbaye fut
promenée dans les rues et exposée à la vénération
des fidèles; mais la maladie fit des ravages qui ne
se ralentirent qu'avec le temps. Il mourut 1 ,1 00 per-
sonnes à Saint- Valéry.
Les seigneurs de Saint-Valery avaient vendu ou
cédé peu à peu chacun de leurs droits à l'abbaye : le
dernier de ce nom, Nicolas- Aloph Rouault, brigadier
1 Voir les cartes et plans, au dépôt des cartes de la marine, a
Paris.
ET DU GOIITÉ DE VIMEU. 21?
des armées du roi, afferma en OYS, par acte nota-
rié au profit de Nicolas Bataille, fermier général du
prince de Monaco, demeurant à Paris, entre autres
biens, la terre et seigneurie de Saint- Valéry et la
terre, pays et roc de Cayeux, régis par la cou-
tume d'Amiens. Le seigneur de Rouault se réser-
vait néanmoins le château de Saint- Valéry avec
droits de chasse, droits de «nomination aux offices,
la présentation aux bénéfipes, cures et chapelles,
les droits honorifiques, ceux de garde-noble, de
lods et ventes, etc. Si ce bail était sérieux, dit
M. Darsy, à qui nous empruntons ces détails, on
pourrait croire qu'il avait pour but d'assurer au
comte de Rouault le paiement régulier et mensuel
de revenus qui lui arrivaient trop longtemps au gré
de ses désirs et de ses besoins incessants, pas les
voies ordinaires de perception * .
A la révolution, le comte de Rouault émigra et
mourut sur la terre étrangère. Ainsi finit la sei-
gneurie de Saint- Valéry.
I Gamachei et ses Seigneurs, 2* partie, par M. Darsy.
XVII
Les anciennes relations géographiques repré-
sentent Saint-Valery comme une ville d'une grande
importance- commerciale, dont le port était un des
plus fréquentés des ports de la Manche. L'ingénieur
Coquarty qui avait été commis par les négociants
de Saint-Valery pour faire les plans d'un port à y
créer, la dépeint ainsi :
Là ville de Saint-Valery au comté de Ponthieu,
en basse Picardie, est très-ancienne; elle est située
sous le 50^ 10"» de latitude et par les 20* 18"* de
longitude, à quatre lieues d' Abbeville, dans une belle
campagne du pays du Vimeu, sur le bord escarpé
d'un cap du rivage de la Somme ^ .
' La ville haute de Saint-Valery, dit Lesueur, sur
la rive gauche de la Somme, est située sur un tertre
élevé de soixante à quatre-vingts pieds au-dessus
des laisses de basse mer '•
I Projet pour le rMahlissement du port de Saint-Valery que la
mer a ensablé. Bibl. de M. Poncet de la Grave. 17, suppl.
a Reconnaissance du port de Saint-Valery 1815. Lesueur, cap,
du génie. Comité des fortifications à Paris.
220 HISTOIRE DE SAOrT-T ALERT .
Dès le milieu du xyiii* siècle, ses fortifications
n'étaient plus ce qu'elles avaient été autrefois; ^es
brèches considérables n'avaient point été réparées
et ne représentaient plus que des ruines. Cepen-
dant Goquarty dit que de son temps, il y avait en-
core une bonne muraille formant un plan irrégulier/
fortifié d'un rempart avec un fossé sec, le tout
flanqué de grosses tours pour en défendre l'ap-
proche. En 4767, une de ces tours, qui existait
encore, était remarquable par un escalier double,
disposé de manière que deux personnes qui y mon-
taient en se tournant le dos, se retrouvaient en face
l'une de l'autre en arrivant au haut ^^
La ville n'était percée que de deux portes qui
devaient avoir été assez bien défendues. Celle de
l'abbaye du côté de la ville d'Eu, vers le Midi,
avait un pont-levis; celle de la Ferté, du côté d'Ab-
beville, vers l'Est, au bout du fossé, sur le bord de
la mer, avait une forte barrière, défendue par un
fer à cheval et par d'autres ouvrages qui en com-
mandaient toutes les avenues et qui enfilaient aussi
le fossé en croisant leurs feux avec ceux d'un
épaulement pratiqué dans le fossé du château, sous
le pont de secours établi du côté de l'abbaye. Cet
épaulement défendait aUssi les abords du corps de la
place jusqu'à la porte d'Eu» Le reste de l'enceinte
3 Une note manuscrite de M. Saumon dit que cette tour- avec son
escalier était située derrière l'église, qu'elle fut démolie jusqu'à hau-
teur du sol et que l'eAcalier disparut en i 780. F. L.
ET DU COMTÉ DE YIMEU. 221
vers le Nord, depuis cette porte jusqu'à celle d'Ab-
beville, était dçféndu par la mer qui baignait ses
murs deux fois tous les vingt-quatre heures.
Les tours qui protégaient le corps de la place
étaient demeurées à découvert ainsi que les ou-
vrages des deux portes, depuis le sac de cette ville
en 4 473 par le duc de Bourgogne. Le château seul
avait été entretenu et, en 1737, lorsque Çpquart
écrivait son mémoire, il était encore en assez bon
état, sauf son épaulement et le pont de secours qui
étaient restés en ruine. La tour était encore debout,
mais ses plate-formes, escaliers et autres ouvrages
intérieurs, avaient sauté, comme nous l'avons dit
plus loin, par suite de l'explosion d'un magasin à
poudre qui avait été ménagé au-dessous.
La tour à roc, située au bas de la mer, existait
encore en partie ainsi que la plate-forme de sa bat-
terie, percée de quatre embrasures. Cet ouvrage
renfermait un magasin pour les munitions de son
service. Il avait dûexister une batterie supérieure,
ainsi qu'on en pouvait juger par une galerie voûtée
que son état de dégradation empêchait de bien recon-
naître, mais qui suivant toute apparence, traversait
le rempart et communiquait aux ouvrages de la
porte d'Eu et peut-être au château.
Le revêtement, depuis cette tour jusqu'à celle
de l'église, était à peu près dans l'état où nous le
voyons aujourd'hui; une partie avait coulé à la mer
en 1 720 ou 1 721 , faute d'un léger entretien qui
ifiH HlâTOmE DE &AINT-VALBRY
aurait évité cet accident. Ce revêtement soutenait
la poussée des terres à plus de quarante pieds de
hauteur. Le quartier de la ville qui était situé sur
le haut de cette falaise, souffrait considérablement
de cette dégradation; on y voyait des maiscms à
moitié renversées et les autres étaient abandonnées.
Coquart parle d'une des plus belles maisons de la
ville qui 9 de son temps, au mois de mai, coula avec
les terres en une seule marée; plusieurs autres
étaient menacées de ruine par la même cause et
l'on ne voyait aucun moyen d'y apporter remède.
La muraille de l'église était enc(H*e en bon état;
il existait autour de l'église un chemin de ronde.
« A l'égard des corps-de-garde, chambres des or-
gues, et autres logements à la porte d'Abbeville^
qui joignent la paroisse, dit Coquart, on les a em-
ployés utilement pour en faire le pre^ytère dans
lequel le curé est logé. »
Les choses changèr^t peu pendant un siècle.
Voilà comment s'exjNrimait en t815,*le capitaine
du génie Lesueur, chargé dé faire un rapport sur
l'état des fortifications de Saint-Valery :
« Son ancienne enceinte établie sur escarpement
et construite en maçonnerie, est culbutée sur un
tiers environ de son développement; sur les deux
autres tiers, elle est restée intacte et a conservé
depuis trois jusqu'à douze et quinze pieds d'éléva-
tion au-dessus du sol de la ville. Cette enceinte
était environnée d'un fossé sans eau de huit à dix
ET W COMTÉ DE VIMSU. 223
pieds de profondeur, dont moitié du développement
a été rempli de ferres et de décombres pour l'éta-
blissement d'une {HTomenade publique.
» Les restes de ses murs sans terrassement ont
de trois à six pieds d'épaisseur à la base; il& appar-
tiennent à des particuliers qui y ont adossé, dif-
férentes constructions : il serait peut-être conve-
nable, si on leur en interdissait la jouissance, de
les indemniser.
» Cette enceinte a six cents toises environ de
développement; elle pourrait exiger pour sa défense
une garnison de 600 hommes envirtm.
» Cette position est soumise au commandement
de quelques hauteurs fort élevées, qui n'en sont
distantes que de cent à cent cinquante toises et qu'il
ne faudrait céder qu'à la dernière extrémité, afin de
retarder l'époque de leur occupation par l'ennemi .
» Après une défense de quelques jours la gar-
nison pourrait se retirer dans l'église qui est suffi-
sammrat grande et solide pour s'y retrancher ' . »
Ainsi lecafHtaine Lesueur, qui écrivait ces lignes
en 4815, s'exprimait en vieux troupier décidé à ne
broncher d'une semelle et à se faire sauter sur les
dernières ruines de la place plutôt que de se rendre.
Au temps de Coquart, Saint-Valery n'avait plus
qu'une seule paroisse dédiée à Saint-Martin % la
t Reconmaissance du poste de Saint-Valery y 1815. Lesueur, cap.
du génie.
2 Dans «ne chapelle de Téglise de Saiat- Valéry on remarque une
peinture tn grisaille assez en ruine, et trois tableaux sur bois por-
tant la date de f 6f5. H. Dusetel.
224 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
ville était ornée de deux belles et longues rues qui
la traversaient presque d'un t>out à Tautre; elle avait
aussi un baillage, vicomte, amirauté et grenier à
sel; le petit nombre de ses bourgeois étaient tous
officiers de ces justices, et le reste de ses habitants
consistait en brasseurs, petits marchands, cabare-
tiers et autre menu peuple.
Les prisons de la ville étaient dans les souter-
rains et corps-de-garde du château; Coquar( dit
que les appartements au-dessus étaient alors occu-
pés par le bailly qui y faisait sa résidence.
La place n'avait plus de gouverneur d'état-major,
mais elle avait un maire chargé du soin de l'en-
tretien de son enceinte et des buvlrages publics,
comme ausài de veiller à la police, de concert avec
le subdélégué de l'intendant.
« Il y a toute apparence, observe Coquart, que
son revenu est très-peu de chose, mais qu'il ne
suffit pas à beaucoup près pour subvenir aux en-
tretiens des ouvrages publics à quoi l'on doit pré-
sumer qu'il est employé. On ne sait point quel est
son revenu ni à qui ce maire en rend compte. »
Coquart ne nous donne pas l'étendue de la ville;
mais d'après les recueils géographiques de cette
époque, elle avait huit cents maisons * .
1 L'auteur de l'Itinéraire descriptif ou description routière ^
géographique^ historique et pittoresque de la France et de l'Italie^
(3* partie) pour 1816, ia-8*, dit, en parlant de la ville de Saint- Va-
léry, qu'elle est peuplée d'environ 4,000 habitants, et celui du livre
intitulé Bienfaisance française ou Mémoire pour servir à l'his-
toire de ce siècle^ in-12, Paris 1778, ajoute qu'un des quartiers ap-
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 225
Coquart entre ensuite dans des détails étendus sur
l'économie de la ville. « Tous les puits, dit-il, sont
saumaches et Teau douce s'y achète comme à Paris;
mais les bourgeois les plus aisés ont des citernes
chez eux pour subvenir à leurs besoins.
» Le marché tient deux fois de la semaine et
cette ville a une foire à la Saint-Martin d'hiver, qui
dure deux jours sous le nom de TroteriSy où il se
vend toutes sortes de marchandises et bestiaux né-
cessaires aux besoins de la vie.
» Saint- Valéry a deux faubourgs, celui de l'ab-
baye, qui est le moins considérable, a sa paroisse
dédiée à Saint-Nicolas : c'est une petite chapelle
dans l'église du monastère des bénédictins. La cha-
pelle de Saint- Valéry existe dans ce faubourg sur
le plus haut du cap au. bord de la Somme. Il y a,
au pied de cette chapelle, une fontaine d'eau douce
qui porte le nom de ce saint et qui fournit de l'eau
à la vUle. Les habitants du faubourg de l'abbaye
sont presque tous maraichers et manouvriers, ex-
cepté quelques laboureurs. On y voit un très-beau
carrefour orné d'une belle croix de pierre de taille* .
pelé faubourg de la Ferté, n'a que trois rues qui en partagent toute
la longueur et que l'on y compte douze cents maisons.
Dans les Voyages en France^ depuis 1775 jusqu'en 1817, on n'é-
lève pas aussi haut le nombre des maisons de Saint- Valéry; on y lit
avec surprise : • Saint- Valérie très-petite ville.. Vous n'aurez pas
plus de sept à huit maisons à distinguer dans ce lieu, et ces maisons
appartiennent à sept ou huit négociants qui font tout le commerce
de l'endroit; il consiste en entrepAt de> eaux de vie de Rhé et des
huiles et savons de Marseille.
{Notes de M. S. DVSEVEL.)
1 Voir plus haut, page 113.
15
2Sfi HISTOIRE DE SAIITI^VAL^RY
» Le faubûurg de la Ferté est baaiKH)up |4u& con-
sidéraMe que k ville; deux longues rues ftfqsquei
parallèles qui s'étendent à mi-€Ôte depuis la côte
de la Ferté Jusqu'au c^p du Montant en font le ptw.
Sa situation le long du bord de la Somme eut si
agréaUe, que la commodité de ce Keu y a fait éta-
blir un grand nombre de cemmi^ionnaîres qui
font les affrètements^ reçoivent les marchandi^ies
et tiennent ouverts les magasins des négociants qui
font leur commerce dans ce port.
» Il en est peu dans ce faubourg qui négocient
pour leur compte; c'est aussi la résidence des ca-
pitaines, maîtres de navires, pêcheurs^ pilotes cô-
tiers, matelots et de tous les gens de mer; la douane,
les aides, les traites, la vicomte et tous les autres
bureaux y sont établis, excepté celui des classes,
qui se tient dans la ville. Il y a des gens de métier
de toutes les professions, absolument nécessaires;
mais il y manque un kidrografe^ qui y serait très-
utile pour Finstruclien d'un grand nombre de jeunes
gens de bonne volonté, mais qui ne sont poii^t en
état de soutenir des pensions^ en s'absentant de cheis
eux pour aller aux écoles de marine * , dont la plus
proche est à Dieppe. La corderie et la charpenterie
sont situées à son extrémité le long de la grève,
vers le cap du Montant.
» Ce faubourg, qui renferme une quantité ngm-
I Une école d'hydrographie de la marine a, depuis cette époqiM,
été créée à Saint- Valéry. f. l.
£T BU €€aiTÉ DE VlllfiU. SlS7
breoses d*habîtdnts, ttnt naturels qu'étrangers, n'a
point de paroisse que celle de la ville dont ils sont
éloignés quoiqu'ils en fassent partie; mais^ par ar*
rêt du conseil y ils ont obtenu depuis peu d'soinées,
la permission de faire construire à frais communs,
une chapelle qu'ils ont dédiée à la Vierge et où ils
entretiennent un prêtre qui n'a point d'ai^inte-
Hients fixes et qui ne subsiste que d'une quéie aB-
nuelle, qu'il fait chez les freteloUy et de ee que lui
produit un petit nombre d'enfants de matelots qu'il
enseigne^ ce qui le &it vivre au-dessous de la mé«
diocrité * . Ils ont aussi un Hôtel-Dieu où il y a plu-
sieurs lits fondés pour les malades et des soeurs de
communauté pour l'éducation des jeunes filles.
» Ce qu'on voit • dans ce faubourg de |^us con-
sidérable, est un £a[meux dépôt de sels, bâti depuis
deux ans, qui est d'une si grande contenance qu'il
pourrait fournir à l'entretien des greniers de la
haute Normandie, de la Picardie, de la Champagne
et de la Bourgogne; mais cet édifice, qui a coûté
cent mille écus, est à la veille de devenir inutile
après une dépense si considérable, par le mauvais
état du port, qui ne peut être plus près de sa ruine.
I Les habitants du foaboui^ de là Ferté étaient obligés, avant
1778, d'aller à la ville pour le service divin, ce qui leur était très à
charge, par rapport à l'éloignement, mais cette' année^ pour leur
commodité, ils firent bâtir à leurs dépens, dans le faubourg, par
permission du Roi, et avec l'agrément de Tévêque d'Amiens, une
chapelle sueeursaie qui est sous l'invocatioa de Saènt Pierre, On y
entretient aus.si aux dépens des fondateurs un chapelain.
(iVMe commmiqKé9 jmt JT S. DCSErBL,)
228 HISTOIRB DB SAlirr-TALBRT
» Il y a sur les hauteurs de la Ferté trois mou-
lins à vent qui ne sont point suffisants à la consom-
mation du blé pour la ville et les fauboui^ : dans
les bas-vents, les habitants sont obligés de faire
venir le pain d'Abbeville, incommodité fôcheuse
pour eux, aussi bien que pour les équipages qui
s'arrêtent dans ce port et qui sont destinés pour le
long cours, ce qui les oblige souvent à relâcher pour
faire leur provision de biscuit dans leur route. »
Le moulin à eau du Mollenel avait été détruit
pendant les guerres du duc de Bourgogne. En^ 1 636,
un sieur d'Assigny le rétablit sur ses anciens fon-
dements, moyennant une redevance de vingt livres
par an, pendant vingt ans, après quoi il retourne-
rait à Tabbaye.
Le moulin rétabli, le sieur Dassigny afferma à
l'abbaye, moyennant douze livres et six carpes par
an, la rivière d'Amboise, dont il fit un étang qu'il
peupla de carpes, de brochets et autres poissons
d'eau douce. Mais en 4655, la mer rompit la digue
et détruisit l'étang et les molières jusqu'à la hau-
teur de Neufville.
Après l'expiration de la jouissance d'Assigny, le
moulin retourna à l'abbaye qui continua à le don-
ner à bail. En 4738 il était loué 400 livres par an.
M. Goquart entre dans de longs détails sur les dif-
férents et les procès que ce moulin suscita entre
les moines et les propriétaires des ^olières.
« Tous les puits, comme ceux de Ja ville sont
/
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 229
saumaches, excepté un seul dont les eaux sont
douces quoiqu'il soit percé sur le bord de la falaise
de pleine mer de vive eau, au bout de la corderie
et au bas du cap du Montant; il est inépuisable et
fournit de Teau à tous les besoins des fretelois dont
la plupart ne laissent pas d'avoir des citernes chez
eux pour s'épargner Tachât de l'eau de ce puits,
qui se vend là comme à la ville. »
M. Coquart dit peu de chose de l'abbaye. « C'est/
dit-il, une maison royale de bénédictins qui pos-
sède cinq corps saints et a donné pour évêques
d'Amiens Regembeau et Raimbert. Elle reçijt la
réforme de la congrégation de saint Maur, par les
soins de Jean Bentivoglio leur abbé, en l'an 4644.
M. Dusevel nous dit que parmi les manuscrits
que possédait cette ancienne abbaye, on remarquait
le roman de Guarim li LoherenSj dont M. Paulin
Paris a publié une bonne édition en 1 833-36, d'a-
près le texte des divers manuscrits de ce roman
célèbre au moyen-âge, existant à la bibliothèque
impériale et à celle de l'arsenal à Paris. Le manus-
crit de l'abbaye de Saint-Valery était beaucoup plus
complet; c'était un fort volume in- 4% sur velin,
écriture du treizième siècle, à deux colonnes, re-
liure en bois, recouverte d'un taffetas broché bleu.
Il contient, dit l'auteur de la notice publiée sur ce
roman, dans le bulletin du bibliophile, n"" du 13
mai 4 844 , pages 563 à 564, deux cent vingt-neuf
feuillets de 21 ,200 vers environ, 11 offre un des
230 UIftTOIRB DE SAUrr-VALERÏ
textes les plus purs que l'on connaisse et semble
appartenir au dialecte picard ou à celui de FUe
de France. Oh y trouve, ajoute cet auteur, des
variantes intéressantes avec le texte publié par
M. Paulin Paris, et la leçon que nous citons est de
nature à fixer vivejnent l'attention des philosophes
et des historiens.
Les villages environnants s'étaient relevés des
désastres qui les avaient accablés depuis les guerres
avec l'Angleterre; mais la plupart étaient encore
composés de cabanes en terre, couvertes avec des
roseaux ou de la paille, véritables huttes de sauvage
enfumées qui ne recevaient de jour que par la
porte. Don Grenier, en nous parlant du village de
Cayeux, compare les maisons à des tannières sé-
parées les unes des autres « à une distance assez
considérable, dit-il, on les prendrait pour des
hourdes ou des cabanes de bergers. Il n'y a pas la
moindre herbe à Cayeux : je crois qu'il n'y a qu'un
seul arbre dans le village près du moulin situé sur
le Mont-Rôti ' . »
Il y avait à cette époque à Cayeux une manufac-
ture royale de glaces de France qui fut détruite le
26 septembre 1727, par le feu qui prit à une bras-
serie du bourg. Tout y fut consumé ainsi qu'une
grande quantité de matières toutes préparées ^ .
1 Prqiet pour h rëMflisimnent du port de Saint-Valery sur-
Somme. Goquart. Bibl. de M. Poncel de la Grave.
2 Journal de Verdun, Année 1727, sept.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. S34
Les maisons de Sâint<^Valery n'étaient guère plus
belles et plus solides que celles des villages : cons*
truites en bois et en terre mêlée de paille, elles
prenaient feu aisément. Mais depuis le règne de
Louis XIY, on commençait cependant à construire
des maisons neuves en pierres et en briques; on
établit le long de la rue de la Ferté des maisons
élevées sur pilotis, pour les affranchir des marées
qui inondaient fréquemment les rues et les quais.
On voyait déjà dès 1 750, quelques belles maisons
sur le quai de la Ferté et dans la ville.
La Ferté était reliée à la ville par un quai spa*^
cieux qui servait de promenade publique aux fre^
telois et aux valericains; mais ces quais construits
en 1640, étaient en très-mauvais état; ils étaient
soutenus sur beaucoup de points par des planches
retenues par des piquets. M. Coquart raconte
que plusieurs parties de ce quai tombèrent de son
temps sous les coups de la mer, et que les maté*
riaux dont il était construit se retrouveraient encore
sous le sable si on les y cherchait. « Il ne reste
plus de ce port, dit-'il, que les pieux d*amarrage
qu'on y a laissés comme pour servir de témoignage
d'un changement si extraordinaire. »
D'après un recensement fait en 1772, la ville de
Saint- Valéry, y compris ses annexes, Ribeauville
et Rossigny , contenait 81 8 feux et 2,807 habitants * .
1 Dom Grenier. Art. Saint-Valery.
232 HISTOIRE DB SAIMT-VALBRY
La situation du port continuait d'inspirer les plus
grandes inquiétudes; toutes les relations du temps
en donnent une idée qui nous parait cependant
exagérée * . Les navires qui entraient en Somme à
la destination de Saint-Yalery, relâchaient au Cro-
toy pour y attendre les vives eaux et y transbor-
daient une partie de leur cai^ison; mais, en vertu
de l'ancien usage, ils étaient obligés de venir à
Saint-Valery acquitter leurs droits de douane, de
navigation et autres. Cette obligation excitait des
réclamations de la part du commerœ d'Abbeville.
En 1 734, les négociants de cette ville présentèrent
au conseil d'amirauté, un Mémoire pour obtenir|que
les navires à leur destination puissent remonter du
bouillon de la mer à Abbeville, sans acquitter à
Saint-Valery ^, ainsi que cela se pratiquait autrefois.
Ce Mémoire nécessita une réplique de la part du
commerce de Saint- Valéry, Il s'ensuivit une très-
longue polémique à laquelle on vit l'avocat Linguet
prendre part en 1 764, dans son ouvrage sur les
canaux navigables.
Ces discussions n'amélioraient point la situation,
et la navigation dans la baie de Somme devenait de
plus en plus difficile. L'ingénieur Cocquart, raconte
que le 1 8 février 1 737, douze navires frétés à Saint-
Valery à morte charge, entreprirent la sortie de ce
1 Abrégé des annales du commerce de mer d* Abbeville. M.TrauUé
page .
2 Projet pour le rétablissement du port de Saint^Valery-sur-
Somme, Cocquart.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 233
port dans le coup de pleine mer. Surpris par le
calme, ces navires perdirent un temps considérable
à chenailler avant d'arriver au lit de la Somme sous
le Grotoy; ce ne fut qu'à basse mer qu'ils purent
arriver au bas de la Somme où ils échouèrent tous
sur les bancs : trois y furent entièrement naufragés
et les autres ne s'en tirèrent qu'avec des avaries
considérables .qu'ils durent faire réparer dans les
ports voisins où ils se hâtèrent de relâcher * .
Le hàble-d'Ault était à cette époque encore ou-
vert à la navigation; il servait aux pêcheurs de
Gayeux qui y retiraient leurs bateaux à l'abri des
coups de la mer. Un fanal avait été élevé à son
entrée et se hissait au haut d'un mât au moyen
I Le port de Saint- Valéry est assez commerçant; sa situation est
sur la rive gauche et près de l'embouchure de la Somme, presque
en face du bourg du Grotoy, qui se trouve sur l'autre rive. La marée
s'y élève à douze pieds; l'entrée en est difficile à cause des bancs de
sable. C'est dans la baie de Saint- Valéry que vint s'échouer, il y a
quelques années, un énorme cétacé dont ont parlé les journaux du
temps et qui a été classé parmi les baleines.
M. Durand, Observations et réflexions politiques sur le com-
merce et les finances du royaume, etc., précédé de Recherches re-
latives au commerce de Picardie, seconde édition. Paris, 1789,
in-8«, a écrit le passage suivant sur la situation du port de Saint-
Valéry :
t La situation du port de Saint- Valéry est une des plus précieuses
que l'on puisse trouver pour l'utilité du royaume, par les grands
débouchés qui lui sont ouverts; mais la nature en a malheureuse-
ment rendu la fréquentation infiniment dangereuse. Fixé sur la
partie méridionale de la Somme, à plus d'une lieue de son embou-
chure, des sables et des écueils en ont en tout temps fait redouter
l'approche. Une côte plate, des bancs énormes qui barrent l'entrée
de la rivière, une laisse de basse mer immense, l'impossibilité de
franchir l'entrée de la baie, même pour les bâtiments de moyenne
grandeur dans les marées de morte-eaux, tels sont les obstacles qu'il
faut vaincre pour arriver à ce port, qui, d'ailleurs, offre des res-
sources si utiles et se trouve par le fait, le plus important de la Pi-
cardie (pages 6 et 7) . (ffote communiquée par M. H. DUSBWBL.)
2S4 HISTOmB BB ftAll«T-VAUSRY
d'une corde et d'une poulie. Mais le comte de
Rouault, seigneur de Cayeux, afin de recouvrer une
centaine de journaux de terre que la mer inondait,
obtint un arrêt du conseil d'Etat pour faire bou-
cher cette crique; les travaux furent exécutés en
1751, aux dépens de la Généralité de Picardie; la
digue que Ton construisit à cet effet porte encore
le nom de Grand barrement * .
Les bateaux de pêche de Cayeux qui se retiraient
ordinairement au hâble, furent obligés d'ail» cher-
cher un abri beaucoup plus loin, dans une crique
formée par la mer au Sud de la pointe du HourdeL
Cette pointe qui, par son prolongement progressif
vers le Nord, avait déterminé la formation du ter*-
ritoire alluvien de Hurt, Wathiehurt et Sallenelle,
étendait l'alluvion sur le Cap-Cornu qui avait été
autrefois le port de Saint-Valery; des digues nou-
velles, s'appuyant d'un côté sur la pointe du Hour-
del et de l'autre sur la terre de Saint-Valery, s'a-
joutaient aux anciennes digues et repoussaient l'al-
luvion «dans la baie, de manière à y entraver la
navigation sur la rive gauche.
Ce malheur qui menaçait le port de Saint-Valery,
excitait les inquiétudes du commerce; des suppliques
furent adressées à la chambre de commercede Picar-
die, puis au roi. Dans un de ces mémoires, il est dit:
1 L'embouchure de ce hâble se trouvait, à Tépoque du barre-
ment, tout près de Gayenx; en 1400 elle était très-voi.sine d'Onival
près d'Aull. Dans Tespace de trois siècle > et demi, elle s'est avancée
de sept à huit mille mètres vers le Nord. {Notice sur la baie de
Somme^ M.Quinette.)
FT OU GOMTÉ DE THREU. 235
« Le port de Saint* Valéry , Sire, est dans ceux
du second ordre, un des plus considérables du
royaume, c'est le seul que cette province possède.
Il sert non*seulement à son commerce maritime,
qui y attire de toutes les parties de TEurope les
choses nécessaires à la vie, et les matières propres
aux manufactures; mais son utilité s'étend beaucoup
plus loin; il est aussi l'entrepôt des provinces de
Champagne, de Bourgogne, des Trois^Evêchés, de^
la Lorraine, d'une partie de la Suisse, de Lyon et
de Paris même, qui, dans les circonstances pres-
santes, trouve, par le passage de ce port, beau-
coup plus de célérité que par la voie de la Seine.
» La rivière de Somme faisait autrefois la ri-
chesse et la sûreté du port de Saint- Valéry. Elle y
dirigeait son cours, le traversait dans toute son
étendue, y entretenait une profondeur et une quan-
tité d'eau salutaire aux vaisseaux, et ensuite leur
creusait un chenal facile pour l'entrée et la sortie
Jusqu'à la pleine, mer; mais ces avantages ont dis-
paru depuis plusieurs années, par l'éloignement de
cette rivière qui s'en est retirée de sept à huit cents
toises. Il est résulté de cet éloignement un amas
immense de sables dans l'intervalle qui sépare au-
jourd'hui la Somme du port, et ces sables se sont
élevés à tel point, que dans les plus hautes marées,
il n'y monte pas assez d'eau pour que les grands
vaisseaux de deux cents tonneaux franchissent ce
passage. Les plus petits ne le font même qu'avec
236 H18T01IIB DE SAIMT-VALBRY
beaucoup de danger, et on est fondé à croire, sui-
vant de nouvelles opérations, que dans peu de
temps il ne pourra y en aborder aucun.
9 Cette perspective alarmante a déterminé les
habitants de Saint- Valéry à adresser aux suppliants
le mémoire qu'ils joignent à la présente requête
ainsi que la délibération soit prise en conséquence ' .»
L'ingénieur Goquart avait produit des plans à
l'appui de son projet : il creusait un vaste bassin
dans la vallée de Neuville et l'alimentait des eaux
de la petite rivière d'Amboise. Le projet ne fut
point adopté.
Après M. Coquart, M. Œillo des Bruyères, in-
génieuc à Saint-Valery, proposa un plan qui, pre-
nant la Somme à Grand-Port, ramenait dans l'anse
que forme le port de la Ferté et la laissait ensuite ^e
diriger sur le Grotoy pour tomber à la mer vers la
pointe du Hourdel. Ge projet présenté en janvier
1 777 au comte de Maurepas, fut également repoussé.
Le conseil des ponts-et-chaussées admit un pro-
jet qui établissait un canal depuis Sur-Somme près
Abbeville jusqu'à la falaise du Moulenel à Saint-
Vaïery, et un arrêt rendu par le roi, le 18 octobre
1778, en prescrivit l'exécution.
Les travaux furent commencés en 1786, mais
lentement; la révolution de 1789 vint les arrêter
tout à fait.
1 Registre atix délibérations de ta chambre de commerce de
Picardie, 1777, page 8.
XVIII
La révolution de 1 789 avait bouleversé les usages
et les. coutumes. Le peuple déchaîné dans sa fureur,
avait fait main basse sur ce qui lui rappelait les
rigueurs du passé. Le dernier seigneur de Saint-
Valery s'était expatrié sur la terre baitannique; les
moines de Tabbaye disparurent comme par enchan-
tement, et la populace se vengea sur les objets qui
lui rappelaient sa servitude et ses misères, l'abbaye
fut détruite et ce qui en restait vendu comme
propriété nationale.
On trouve, dit M. Dusevel, dans un Catalogue de
lettres autographes * l'indication d'un document cu-
rieux pour l'histoire de Saint-Valery pendant la
révolution. Les commissaires nommés pour établir
le culte de la raison à Montagne-sur-Spmme (c'est
ainsi qu'on voulait alors appeler Saint-Valery),
écrivent à André Dumont, afin d'accuser réception
à ce dernier de l'arrêté par lui pris pour la con-
version du ci-devant Temple de Vimposture (l'église)
\ Catalogtie de lettres autographes. In-8° f 857, page 6.
238 HHTOIRB DB SAINT-VALERY
en halle au bled. Voici un petit échantillon de leur
st>ie démagogique :
« Nous avions fait commencer le déménagement
du ci-devant temple; déjà le vieux Saint-Pierre,
le gros Saint-Christophe, Saint-Georges le bien
monté, le bien coiffé Saint-Roch, le bien accom-
pagné Saint-Antoine, la bien amoureuse Sainte-
Thérèse, le gros cœur du sieur Jésus, ci-devant
Christ, les vierges et leurs enfants, etc., avaient été
envoyés au bûcher, après avoir reçu maintes ero-
quignoles, maints horions qui les rendairat un peo
méconnaissables. A Tégard des autres messieurs et
dames peints sur toile, sur bois,, sur papier; mou-
lés, sculptés, etc., ainsi que des os pourris, cariés,
révérés sous le nom de reliques, il en a été fait un
vilain autodafé Les os que contenait une des
châsses étaient enveloppés dans une chemise de
femme et parmi ces os était une mâchoire d'âne
dont le citoyen Baillet, chirurgien et juge-de-paix
de cette ville, est porteur pour la montrer à tout le
monde comme un échantillon de la vénération que
méritaient de pareilles reliques, etc., etc. *. »
Avec la révolution, les vieux droits et les vieilles
redevances que réclamaient encore les moines de
l'abbaye étaient tombés; le commerce allait s'établir
sur des bases solides; par lettres patentes du roi
Louis XYI, données à Paris le 15 avril 1793, un
I Noies de M, DvsEYEL,
ET mJ COMTÉ DE VIMEU. 3S9
tribunal de oommeree était institué à Saint-Valery
à cause de rimportance de son port qui, à cette
époque, comptait quatre-vingt-cinq navires appar-
tenant à ses armateurs.
Plus tard, par un décret du 6 octobre 1 809, le res-
sort de ce tribunal fut composé des cantons de Saint-
Valeiy, Rue et Ault; mais, un an après, le canton
de Rue, à cause de la difficulté des communications
au travers de la haie de Somme, en fut distrait et joint
au ressort du tribunal de commerce d'Abbeville.
La décadence de la navigation par suite de Té-
ioignement de la rivière de Somme, fit proposer la
suppression du tribunal de commerce de Saint-
Valery; mais une délibération du conseil généra)
déclara qu'il était indispensable de le maintenir et
la proposition de suppression Jfut rejetée.
On fit pendant la révolution des assignats de
caisse patriotique de dix, quinze et vingt sols^
qu'on émettait pour un temps limité d'une année
au plus, puis on les détruisait à mesure qu'ils
étaient remboursés. Ces papiers jetèrent lé désordre
dans les affaires, (dusieurs maisons ne purent le
supporter et il y eut à cette époque de grands dé-
sastres dans le commerce de Saint-Valery.
Saint-Valery, avait comme les autres villes de
quelque in^ortance^ envoyé son député à la légis-
lature et à la convention : ce fut M. Ricot qui eut
l'honneur de protester contre le 31 mai 1 793; il ne
fut néanmoins pas compris dans la proscription qui
[
240 HISTOIRE DR SAIOT-VALERT
atteignit ses collègues, signataires de cet acte. A la
fin de 1794, il fut un des commissaires chargés
d'examiner la conduite de Carrier et il eut encore
le courage de se déclarer ouvertement contre cet
agent sanguinaire. Son pays le renvoya comme dé-
puté au conseil des Cinq cents, et il en sortit en
1 797 pour devenir administrateur du département
de la Somme * .
Les travaux du port étaient interrompus par suite
du mauvais état des financer; le canal, commencé
sur tout son parcours, depuis Sur-Somme jusqu'à
Pinchefalise, avait pour résultat de fixer davantage
le chenal de la Somme sur la rive droite. Les na-
vires à destination de Saint-Valery continuaient,
comme par le passé, à stationner au Crotoy pour
s'y alléger ou pour attendre une marée favorable.
« Les commerçants de Saint-Valery sentant la néces-
sité d'entretenir un chenal sous les murs de laFerté,
se firent autoriser à supprimer le moulin del'abbaye
situé sur la rivière d'Amboise, en indemnisant les
propriétaires, afin d'employer les eaux de la dite
rivière pour entretenir un chenal à travers les sables
qui [séparaient le port du cours de la Somme ^ . »
Ce chenal suffit pour conserver la navigation de
Saint-Valery. Le port n'était abordable que dans
les marées de vives eaux; mais il permettait d'at-
1 Voir Biographie d'Abbeville et de ses environs. Louandre,
page 291 .
2 Rapport de M. Quinette^ préfet de la Somme,' f 5 juillet 1808.
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 244
tendre des temps meilleurs où les travaux inter*
rompus pourraient être repris.
Les instincts maritimes étaient d'ailleurs con-
servés parmi la population de Saint-Valery; ils pro-
duisirent des marins dont les noms figurent avec
honneur dans les fastes de la France. Saint-Valery
cite avec orgueil le contre-amiral Perrée, qui mou-^
rut glorieusement sur son banc de quart en com-
battant Nelson; le capitaine Lejoille^ enlevé par un
boulet au moment où il forçait le port de Brindes;
Jean-François Blavet, lieutenant de la marine royale
en 1778, que les habitants de Saint-Valery nom-
mèrent en 1 793 capitaine de vaisseau, et qui mou-
rut à Saint-Valery en 1796, des blessures qu'il
avait reçues en combattant les Anglais; d'autres
noms, tels que les capitaines Ricot, Parmentier et
Châtelain, figurent encore honorablement dans les
biographies, et témoignent de l'aptitude des Valeri-
cains pour la marine et de leur bravoure dans les
circonstances périlleuses * .
La grande question pour la prospérité commer-
ciale de Saint-Valery, était l'amélioration du port.
Napoléon !•% qui cherchait les moyens de tenir tête
à l'Angleterre, visita les ports de la Mancheet vint
à Saint-Valery, le 26 juin 1 803; il avait jugé l'em-
bouchure de la Somme propre à abriter une flotlile
de bâtiments légers : c'est dans ces vues qu'il or-
donna que les travaux de canalisation fussent con-
1 Bibliographie d'Abbwille et de $ês environs, Louandre, p. 339.
16
l
t42 HiSTOIU DE ^ASm^VkLMKH
timiéi. On y mit des ouvnerSy on y emplcrf^ti seHoet
des prisonniers espagnol; mais bientôt, psor mite
des événements politiques, l'otiTrage fut de nouveau
abandonné.
A la Bestauration, les projets de canafisatioif de
la Somme furent repris. Une convention provisoire
passée le 24 mai i 8t4 , entre le gouvernement et
M. Urbain Sartoris, banquier, stipula que te oanal
de la Somme, qui porterait le nom de canal é^Aâ^
goulême, serait entrepris par la compagnie que
représentait M. Sartoris, au moyen d'un emprunt
de six minions de francs * . Une ordonnance royale
du 20 février 1823, autorisa en effet, cette com-
pagnie à émettre des actions pour cet emprunt, et
deux ans après, les travaux étaient entrepris sur
toute la ligne et poussés avec activité.
Ce canal qui, dans Torigine, eut pour but d'éta*
blir par la vallée de la Somme, une communication
des villes dé Tintéricur avec la mer, s'embranche
près du village de Saint-Simon, Sur le canal Cro:^at,
passe â proximité de Péronne, traverse Amiens et
Abbc ville, et vient déboucher dans la mer, près
de Saint-Yalery, sous la falaise du Moulenel, où
fut établie une écluse de chasse à trois perthuis.
Le développement du canal est de 156,831 mètres.
i une ^rdoàiiMice royale dti ^7 ftvtii lM(, AtttoiriM hu Statuts et
la Société anonyme da canal à» la Somme, et permit en mâmv
tettkps dé dédoubler leâ actions de Joulssandé, c'est-ft-dire dé porter
le nombre des actions de cette espèce de 660 à 1330, en donnant a
chaque portenr d'aetkHis anciennes deiii actions d^^nrelles. r. t.
ET DU COMTÉ DB VIMKU. 243
dont 8,500 éans le département de l'Aisne M le
reste dans celui de la Somme. Sa pente totale est
de 66 mètres 74 centimètres. Elle est tachetée par
vingt-quatre écluses, y compris le sas écluse dont
nous venons de parler , qui termine le canal vers
Saint-Yalery et le met en communication avec
la mer.
Ce canal est destiné à transporter du port de
Saint- Valéry dans l'intérieur les marchandises des-
tinées à Tapprovisionnement d'Amiens, Gorbie,
Péronne, Ham, Abbeville, Saint-Quentin, Laon,
La Fère, Chauny, Noyon, Soissons, Rheims, Com-
piègne, Creil, Chantilly, Pontoise et Paris.
Ces marchandises consistent principalement en
houille, hois, tourbe^ engrais, fers et fonte, maté-
riaux de construction, etc. La plus grande partie
des bateaux qui parcourent la basse Somme se
compose de petites embarcations employées à l'ex-
ploitation des tourbières que renferme la Vallée.
Les bateaux servant au transport des marchandises
sont des gribannes, embarcations plates que étaient
gréées pour naviguer à mer haute dans la baie;
mais elles tendent à disparaître.
Là partie depuis Saint-Valery jusqu'à Abbeville,
peut recevoir des navires de mer de deux cents
tonneaux et plus.
Lors de la reprise de ce travail, en 1825, une
opposition s'éleva contre son exécution : on voulait
que la direction du canal fût changée et qu'on tirai
V
244 HISTOIIB DE SADIT-VALBIIT ETC.
partie de la position du Crotoy pour en feire Tavant
port de SainlrValery. Cette opinion ne prévalut
point : on écarta le Crotoy et l'avant port fut établi
à la pointe du Hourdel, situé plus bas sur la même
rive que Saint-Valery.
XIX
Après tant d'orages, tant de vicissitudes, la ville
de Saint-Yalery jouît enfin du calme apporté par la
civilisation, et par l'unité et la stabilité du pouvoir.
C'est aujourd'hui une jolie vijle, pittoresquement
située au pied du vieux coteau de Leuconaus. La
ville a conservé une partie de sa physionomie du
moyen-âge : encore enserrée dans les limites de son
enceinte séculaire, elle semble aspirer l'air et l'es-
pace et demande à s'élargir et à s'étendre. La porte
d'Abbeville existe encore, elle est haute et étroite;
deux baies latérales avaient servi à recevoir les deux
bras d'un pont-levis qui n'existe plus, mais dont
on peut reconnaître la longueur par la largeur
du fossé, qui fut comblé pour établir une issue
à la porte.
Entre les deux baies du pont-levis, il y avait un
écusson qui a été détruit et badigeonné : on lit au-
dessus le mot fidesj écrit sans doute sous le règne
d'Henri lY, qui avait eu lieu d'être satisfait des
témoignages de dévouement donnés à sa cause par
les habitants de Saint-Yalery.
246 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
Un couloir étroit et tortueux, bordé de murailles
épaisses, descendait de la voûte jusqu'à Textrêmité
des ouvrages de défense; on a abattu une partie de
ces murailles pour dégager les abords de la porte :
il est probable qu'on fera disparaître également le
pâté de maisons qui masque encore cette entrée.
On a enlevé en même temps Tépaulement qui
servait à la défense de cette porte. C'était une espèce
de bastion élevé de douze mètres environ et qui
devait dominer les abords de k place de ce coté :
on en a retiré une assez grande quantité de boulets
et de bombes qui paraissaient y avoir été casematés.
La muraille qui soutient la poussée de l'égtise,
est encore «entière, mais les herbes oroîssent dans
les iatersiîces des pierres, qui semMeat prêtes à se
détacher. Une longue fissure la partage dans sa
tengueur : il semble qu'une partie de la maçaa-
nerie a cédé sous la pression des terres.
Les éboulements de terre <mt cessé dans la paiiie
où la muraille n'existe plus; le talus a été planté
d'arbres dt d'arbustres qui en assuré la solidité.
La tour Harold (tow à roc) est arrasée presque
au niveau de la digue du port, avec laquelle elle a
été raoeordée pa^ une levée de terre formant pro-
menade; un gracieux chalet a été construit sur son
sommet, par un propriétaire de bains de m^ établis
au pied de la tour. Ce vieux monument qui, il y a trois
siècles à peine, vomissait la flamme et le fer sur les
vaisseaux ennemis, est aujourd'hui une pitoresque
BT m COÛTÉ fiE VllfSU. %47
rwne wwaim» aw loisir» dasteigneurs, quivien^
mat y retirer Tair Irai» à% la mer H M réoraer
du délideuK panorama qu'of&e de ce poiol la vue
de la baie. En comparant ees deux ^oquesi noua
soBiiaea teotés de véçétar les paroles de Gniberti,
et mnitti9$mim digitum mtirum; patrum quos plus
œquo extoUimw, no^rorum d(Hrsi$ grosmrem repe^
fire p^eritU * .
Au-deasua de la tout* Harold existent ^Oicore le^
refi^s de la porte d'Eu, qu'uae plaque apposée sur
la ruine, intitule Parte Guillaume, La municipalité
a eu le ban goût de conserver intact ce précieux
morceau de rarcbitecture militaire du xif siècle.
La porte était placée dans un massif épais formé
par deux tours que liait entre elles la voûte et les
am^agements qu'elle supportait, mais qui n'^i&-
tent plus. Ces deux tourelles se projettent en avant
de l'enceinte continue, à laquelle elles sont ratta^
diées par un conduit étroit qui devait être voûté.
Deux portes exiaAent dans le couloir, elles conr
duisent dai^ des soujkerrains dont Texploration
po^irrsût ètne interressante. Les deux touirelles,
quoique dégradées et noireîe3 par le lemps,
ont une él^ance de forme dont il nous 9St
resté peu de spécimens dans cette contrée; J'uue
d'elle a conservé une partie de son couroimiemûat,
eompoaé de ^eovso)^ ou de <>pntreforte ^ui dwient
I auîfaierti. ç^tadH, Boi^mt^ page 430.
248 HISTOIRE DE SAIlTr-VALBRY
servir à des mâchicoulis; la seconde était sans
doute pareille, mais le couronnement n'existe plus.
En explorant ces souterrains on arriverait à sa-
voir quelle fut leur destination. Les souterrains
des forteresses du moyen-âge servaient ordinai-
rement de magasins pour les provisions, ou bien
on y enfermait des prisonniers ; quelques uns dé-
bouchaient à une assez grande distance dans la
campagne, sans doute pour communiquer secrè-
tement avec le dehors ou pour quitter la place
lorsqu'il devenait impossible de la défendre.
En descendant vers le Sud, on contourne le pied
de l'ancienne enceinte du château, dont quelques
parties de mur sont encore [debout. Lorsqu'on re-
garde le haut de ces murailles élevées, on se figure
y voir encore les combattants anglais et bourgui^
gnons, le casque en tête et la cuirasse au dos. Que
de soldats agonisants furent précipités au bas de ces
murailles lorsque les échelles étaient dressées et
que les machines de guerre ébranlaient la maçon-
nerie jusque dans ses fondations ! Il reste mainte-
nant peu de chose de ces anciens attributs de la
forteresse du Yimeu; mais ses ruines et l'em-
placement qu'elles occupent suffisent pour don-
ner une idée de la place et de son importance
militaire.
Le château était renfermé dans l'enceinte de la
place et ne paraît point en avoir été séparé par
aucun ouvrage défensif ; il était édifié sur la partie
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 249
la plus escarpée de la ville, du côté de la cam-
pagne. Il n'en reste aujourd'hui qu'un corps de
bâtiment, où l'on avait construit un théâtre qui
existait encore il y a quelques années \
Les bâtiments de l'abbaye étaient presque con-
tigus aux murailles de la ville du côté du Château
et de la porte d'Eu. Il n'en existe plus qu'une aile
servant d'habitation et qui porte encore le cachet
de grandeur des anciens possesseurs religieux. Un.
pan de mur a conservé quelques traces des parois
intérieures de l'égUse qui étaient très-belles et dont
les derniers vestiges ont disparu dans la tourmente
révolutionnaire de 1 793.
C'est maintenant une charmante propriété d'a-
grément, qui a longtemps appartenu à la célèbre
famille Renouard. Les jardins et le parc formaient
une étendue immense qui est enclose de murs parmi
lesquels on remarque encore des restes d'anciennes
constructions. Du côté de la Croix-l'Âbbé, sur le
Mont-Rôti, est une porte charretière isolée, qui
donne entrée à un corps de ferme dépendant de la
propriété, et sur laquelle est gravé le millésime de
4 722. Â l'extrémité opposée, on remarque dans le
mur, un endroit nommé le cul des moines. C'est
une porte basse murée, dont le ceintre porte quel-
f n restait en 1800 quelques murs à demi renversés et un vieui
château, où est une salie de comédie fréquentée une fois ou deux
par an, pendant deux à trois jours au plus.
{Note mamucritê de M, DBrÈRITÈ,)
ques tnces de ficulfture. Cette porte aemblmt àfi^
tinée à mettre Tabbaye en eommunication ayee h
cbi^pette de Smnt-Y&leiy, siioiée à deux mètre» de
là, au milieu d'iu boE<|Het d'aii)nes élevés. La dia*
peUe a été récemoieat restaurée. On jouU de ce
point, le plus élevé des environs et qui Iwine le
promontoire duCaH^^^y ^'^^^ ^^ vues les plus
étendues et les plus variées (|u'il mi possible de
reDcontrer*
La vîUe de SaintrYaleiy communique actuelle*
osent avec la Ferté par une belle route et par la
digue du quai que kmge le chenal de la Somme; de
jolies constructions s'élèvent le long de cette f oute
qui avanit peu sera la phis belle rue de la ville.
On y remarque le Cosîm^ établiaseivient ouvert
à r^ieeasion des bains de mer et des régates» ou
Ton donne des bals et des concerts. Il y a un jar-
din et un parc d'où Ton jouit de la vue que prë*
senie la Ime avec son encadDement jusqu'au Cro*-
toy et la foret de Cféojf.
C'est m face du Cosiao que se tout les r^tes,
qui eAt été inaugurées sous lee plus brillante aiM^
pioes et qui promettent d'être les plus fréquentées
et Jes pbis eeurues des ports de la Manche.
La Ferlé est encore, oemme du temps du <!;beva*
lier de Glerville, la partie la plus commerçante et
la plus animée de la ville de Saint-Valery. C'est
une longue rue, an bas du coteau, que longe la
Somme canalisée depuis l'entrée du port jusqu'aux
ET w court m vimbu. 254
édœesL La gtlerie de pilotis qui, U y « une ving-
taine d'années, servaient, du eôlé de la mer, de sup-
port aux maisons d'une partie de la graode rue et
sous laquelle la haute mer portait ses dernières
vagues, a disparu pour foro^r k oontinuation du
qoai qui communique de h Bourse i la toulr Ha-
roid et au Cap-Cornu.
De diarmantes {nromenades ont été plantées sur
les terrains vagues que la mer a abandonnés aux
deux ratrêmiiés de ia Ferté. Les arbres et les taillis
croissent, des bancs y ont été placés : dans quelques
années on aura, à portée des quais, de frais om-
brages pour le repos et la méditation, agréments
qui se rencontrent rarement sur les bords de la
mer.
Le barrage écluse est établi, ainsi que nous l'a-
vons dit plus haut, sous la falaise du Moulenel, en
arrière du chantier de construction. Les buses du
sas sont à 4 mètre au-dessus du niveau des posées
du quai de la Ferté, ou à 5 mètres 7 cent, au-des-
sus du plan du niveau des basses mers. Il y avait
autrefois trois perthuis; mais une des piles s'étant
affaissée en 4846, on fut obligé de la supprimer; il
n'en reste actuellement que deux qui suffismt au jeu
des chasses et aux communications de la navigation
exktre ia mer et le canal.
La gare du chemin de fer est à peu de distance
de l'écluse. C'est une construction provisoire qui
sera prochainement rapprochée du port, et peut-
252 HISTOIRE DE SAINT-VALERY
être même placée entre la ville et la Ferté, empla-
cement le plus commode pour le commerce et pour
les voyageurs.
Le chemin de fer de Saint-Yalery est une des
œuvres les plus hardies et les plus pittoresques qui
ait été exécutée en ce genre en France; la partie
centrale est établie sur un pont en charpente de
treize cent soixante-sept mètres, se rattachant des
deux bouts à une digue ou levée en terre élevée au
niveau des deux rives. C'est encore une construc-
tion provisoire, car les attérissements dans la partie
supérieure de l'ancienne baie, et même entre Sâint-
Valery et le Crotoy, est si rapide, qu'avant peu
d'années le barrage pourra être condamné et rem-
placé par une digue pleine.
Le port de Saint- Valéry est spacieux. A propre-
ment parler, il ne s'étend que du barrage écluse
au coin de la Bourse, étant limité du côté de la
Ferté par de beaux quais en pierre nouvellement
construits, et au Nord par une digue en terre que
termine une estacade à claire-voie. Le fond du che-
nal est de vase marneuse mêlée de sable et de ga-
lets formant un talus plus incliné sur lequel les
navires asséchant à marée basse, trouvent une posée
commode.
L'avant port s'étend depuis la Bourse jusqu'à la
tour Harold. Le chenal, sur cette étendue, est large
et tiré au cordeau : c'est une magnifique entrée de
port, qui a d'un côté la ville et les coteaux boisés
ET DU COMTÉ DE VIMEU. 253
qui la séparent de la Ferté, et de l'autre la baie
avec le charmant panorama de la rive droite. Le
côté gauche du chenal est bordé par une digue
élevée au-dessus des plus hautes marées et garnie
de clayonnages et de galets; le côté droit est formé
d'enrochements sous-marins qui empêchent le cou-
rant de dévier de la ligne droite. Le lit de la Somme
sera ainsi prolongé jusqu'à la pointe du Hourdel
qui sera définitivement l'avant-port de Saint-Va-
lery.
Cette direction donnée au lit de la rivière nous
semble peu favorable au port de Saint-Yalery et
même à l'avenir de la navigation de la Somme.
Le chenal étant encaissé sur la rive gauche, malgré
sa tendance à se porter sur la rive droite, il est
évident que l'encaissement étant arrivé au Hourdel,
l'exhaussement des terres sera rapide sur la rive du
Crotoy et qu'il atteindra promptement l'enroche-
ment qui forme le côté droit du chenal. Déjà même,
on peut remarquer que l'exhaussement est tel à l'ap^p
pui de ces enrochements, que les bancs ne couvrent
plus dans les marées de morte-eau. C'est peut-
être un enseignement dont les projets futurs pour-
ront tirer parti. Le vide de la baie n'existant plus,
il n'y aura plus de flot, plus de jusant ; il faudra
de toute nécessité une écluse au Hourdel. Dès ce
moment. Saint- Valéry cesserait d'être port de mer;
ce sera un port de canal; une station de navigation
entre le Hourdel et Abbeville, et rien de plus.
264 HlSteiâS M SURt-VALOIY
Dans rëtat des choses, ce qu'il convenait de faire^
c'était, à la tête de Testacade, de laisser la Sonune
choisir sa pente, de suivre cette indication impri^
mëe par les moorvements de flux et de reflux dans
rembouchure, et, avec les ressources que l'art pos-
sède, d'améliorer et d'approfondir le dienal dans
cette direction. La baie dont le port de Saint-Ta)^
devenait le sommet était conservée, et cette fdage
qui est aujourd'hui en voie de se tranirf(mner en
canal, restait plage maritime et port de mer.
C'est un V(Bu que noos avons souvent estprimé
Msec franchise. Les destinées de Saint-Valery nous
semblent en dépendre. Lorsque les attérissements
qui se produisent au nord des rarochements aurwt
atteint le niveau maximum des terrains à enclore,
la nappe d'ean qui s'étend aujourd'hui de Saint*
Valéry au Crotoy n'existera plus ; alors plus de bains
de mer, plus de r^tes, plus de port : tout cela aura
été transporté au Hourdel, qui dans les conditions
d'avenir que lui donnent les travaux en vœe d'ex*-
écution, nous semble devoir être un jour Tunique
port de la Somme.
FIN
IM — Akbevilie, Iéi|k H. MmmB,mineamatàe't. XtâtU
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