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IS T O I RE
D E
FRANCE.
TOME CINQUIEME.
HISTOIRE
D E
FRANCE,
VEPUIS L'ÉTABLISSEMENT DE LA MONARCHIE
JUSQU'A LOUIS XI r.
Par M. V I L L A R É T.
^.
TOME CINQUIEME.
A PARIS,
SAILLANT &NYON,rue Saint- Jean-de-Bcauvais.
E S A I N T , rue du Foin Saint-Jacques.
«•:
:•»
M. D C C. LXX.
Avec Aprobation , & Privîlcgc du Roi
Les Eloges fi jufiement acordés à V Ouvrage
de M% VAbé Velly ; le mérite de cet excélent
Ecrivain trop tôt erdevé à la nation par une
mort précipitée ; l'importance & Vutilité d'un
travail auffi intérejfant que le fien , impofent au
Continuateur les plus étroites obligations. Si j'ofè
me préfenter dans une cariere au* il parcourait
avec tant de fiiccès , ce neft pas fans éprouver
cete crainte que doit injpirer un pareil prédéçef-
Jjèur. La France retentit eruore des fiifrages don»
nés aux premiers volumes de fi>n Hiftoire. Il
Jaut en mériter de femhlahles en marchant fiir
Ces traces. Je fens toute la difiçulté de Ventre-
prife : je ni y abandonne cependant avec confiance»
Les motifs de cete confiance font puifés dans un$
fource trop pure pour ne pas me flater d'obtenir
au- moins l'indulgence publique : je n'ai d'autre
objet d^ns mon travail y que le defir de fervir ma
patrie : fon aprobation fera pour moi la plus
chère iSf la plus glorieufe des récompenfes.
Tome V. "J*
vj
JM ON SIEUR l'abé VELLY en écrivant
l'hlftoire de la nation , sétok propofê un plati,
fous lequel on ne l'avoît point encore envilàgée
jufquà préfent. La plupart de nos biftoriens ,
uniquement atachés au récit des grands événer
ments , au détail des guerres , des traités , ÔC
des révolutions qui en ont été les fuites , onc
paru regarder tout autre objet comme étranger
a leur travail. Nous ferions plus inftruits , Se
peut -être meilleurs que nous ne le ibnunes, fî
dans le même temps qu'ils traçoient les vîéloî-
res , les défaites , les négociations , ouvrages-
malheureufement trx>p répétés de la politique ou-
de la violence > ils avoient (uivi là marche de
l'efprit humain , les progrès fucceffifs des vices
Se des vertus , le déveippement des lumières,
& les avantages qui peuvent en réfulter pour le
bonheur de 1 humanité.
Il faut convenir cependant que cet oubli
n*eft pas un dé.'aut particulier à nos écrivains :
Ceux des autres nations , (ans en excepter les
plus célèbres , ne nous ont guère tranfmis que.
les exploits militaires de leurs compatriotes. Si.
VJJ
quelquefois il leur arîve de peindre les mœurs ,
ce ne font jamais celles de leur patrie qui
étoîent {bus leurs yeux & qu'ils pouvoient ren-
dre avec fidélité , mais des mœurs étrangères
donc ils n'étoient inftruits que fuperficiélementt
ce qui n*a pas peu contribué à ne nous donner
que de faulTes idées des peuples anciens , par
l'habitude où nous fommes de ne les confidéret
que les armes à la main , ou dans les ocafions
éclatantes. De - là cece admiration aveugle peur
ce qui eft éloigné de nous , erreur qu'il feroic
inutile de combatre , fi le mépris pour fbn fiè-
cle n'en étoit pas la pernicieufe conféquence.
C^eft à l'efprît phîlofbphiqie de ces derniers
temps que nous fommes redevables des premiers
écrits dans le genre hiftoriqae , où l'on fe (bit
ataché à faire connoître les bpmmes : & s'il
écoic permis d'en bazarder un feul exemple >
on ofëroic alfurer qu'on éft mieux inftruîc du
génie & du caraâere des Romains , après
avoir lu la candeur & la décadence de leur
empire par l'illudre Montefquieu , qu'en par-
courant la plupart des billoriens de l'ancienne
Rome.
Il (èroit fiiperflu de répéter dans un difcours
• • •
"VHJ
prélîmînaîre le defleîn de cet ouvrage annonce
dès Ton commencement* C'eft rexécutîon en
partie du vafte projet conçu par monfeigneur
Je duc de Bourgogne , augufte & vertueux père
du meilleur des monarques. Ce refpe<5lable
prince , dans la vue de fe remplir des connoif^
iànces relatives au gouvernement , vouloîc
joindre au détail exzâï Se circonftancié de l'étac
actuel des provinces , un abrégé hiflorique de
nos loix , de nos mœurs 6c de nos ufagcs , de
nos découvertes plus ou moins rapides dans les
arts & dans les fciences , & des divers établie*
fèments qui en ont été les fruits ; un ouvrage
en un mot où ces objets înftruélifs incorporé^
pour ainfi dire à l'hiftoire générale , & mar-
chant d*un pas égal avec les événements , pvC-
fent mettre à chaque infiant le leéleur à portée
de comparer les François avec eux - mêmes >
en raprochant les changements furvenus dans-
la légiflation , dans le génie des peuples , dans
leur caraâere , dans la forme du gouverne-
ment : variations qu'on ne peut juftement apré«
cier fans remonter aux principes d'où elles^
émanent.
M. le comte de Boulait) villiers entreprit
iz
3*exécutef ce projet j en ce qui concernoît la
nation repréfentée par les états - généraux. Il ne
nous apartienc pas de décider Ci cet écrivain
célèbre ne s'eft pas laifTé entraîner par trop de
prévention en faveur d'un ordre dont les droits
refpeâables fans doute , ne doivent pas donner
Texclufîon au refte des citoyens , non moins
utiles pour l'harmonie de la fociété. Quoi qu'il;
en foit , cet ouvrage , fbutenu d'un ftyle no*
ble , Cerné de réflexions hardies j de traits lu-
mineux , ne remplilFoit pas cependant l'objet
d'une hiftoire auflî complète que celle dont-
M. l'abé Velly Ce traça le delTein. Après avoir
débrouillé le cahos dé nos premières Dynafties
qu'il avoit trouvé l'art de rendre aufli agréable
qu'inllru<5lif , il commençait à s'aprocher des
iîecles où les monuments devenus moins rares >
s'ils augmentent la dificulté du travail , procu-
rent en même - temps la fàtîsfa<5iion d'écrire
avec plus de certitude. Chaque volume qu'il
donnoît , aquéroic un degré d'importance Se
d'utilité à fbn ouvrage. U rempliifoit cete incé-
' reliante cariere avec un fuccès proportionné à
fon mérite , lorsqu'une mort imprévue l'arêtant
au milieu de fa courfè , priva la (bciécé d'un
citoyen eftimable à tous égards > & la littérature
d'un écrivain deftîné par {çs talents à en faire
rornement. Quoique je n'eufle pas le bonheur
de le connoîrre particulièrement , je partageai
avec le public les juftes regrets qu'encîtoît la
perte d'un homme que la douceur du cara<5lere,
1 aménité de refprit , la droiture de lame , U
pureté des mœurs , rafTiduïté au travail âc le
génie rendoient également cher à la nation Sq
à iès amis. Je lùplie le, même public d'excufer
la liberté que je prends de l'arêter un momenc
fiir quelques réflexions qui me concernent ; je
les aurois fuprîniées (ans la nécellîté preique in-»
diipenfable de juftifier à Tes yeux la hardîeiïè
de mon entreprifè. M. Tabé Veily n'étoit plus,
perfonne ne s'ofroic à continuer Touvrage qu'il
avoit û heureufèment commencé. J'ofàî me pré-
{èntèr , peut - être fans trop confulter mes forces»
Employé pendant pluCeors années Cous les or-»
dres d'une cour Souveraine où j'avois eu l'oca-
fîon d'examiner une grande partie des chartres
& des plus anciens monuments de notre mo*
narchie , je me crus en état , à l'aide de ces
premières clartés , de marcher flir les traces de
mon prédécelïèur» Bientôt éfrayé par les difi-
cultes que je voyoîs fe multiplier dès mes pre-
miers eCals , fétois pr^ès d*y renoncer. L'amitié
vînt au fecours de tna tîmidîté. J*avoîs.fait part
de mon projet à M. Capperonier de l'académie
de belles - lettres , garde de la bibliothèque de
Sa Majellé. Lorlque je voulus abandonner mon
deflfein , loin de fè prêter aux motifs de ma
jufte criainte , il m'encouragea , & {es preflTan-
les exhortations m'infpirerenc un peu plus de
confiance. Je travaillai , guidé par Tes confeils :
aux lumières qu'il mé communiquoît , il joignit
l'utile fècours de m'indiquer les fources où je
devois puifer. DépoHtaire de la bibliothèque la
plus précieufè confiée à fes foins , il étoit plus
à portée que perfonne de me fournir les maté-
riaux nécelfaires. Je n'infifterai , pas fur ce der-
nier fervîce , qu'il fe fait un plaifir honorable
de rendre à tous ceux qui cultivent les lettres.
CTeft aux lecteurs à juge^ fi j'ai /çu tirer quel-
que profit , & de la -munificence littéraire , Sc
du zèle de mon ami , qui n'aprendra qu'avec le
public l'hommage que je rends ici à la recon-
jioillànce & à l'amîtié. Cet avant -propos eft
prefque la feule partie de moi^travail lùr laquele
je ne Taye pas confulté.
Comme il ne fèroît pas jufte de laifier Coup-
çonner mon prédécellèur des fautes qui peuvent
t\]
m'être ëcfeapëes , je croîs être obligé d'averrîr
que rhiftoire de France commencée par M. l'abé
Velly , finit- incluiivement à la page 3p5> du
quatrième volume.
1 7,t'\\ iu:
HISTOIRE
ilJljJillÉliilljfilIii'^^''^
llilil
rrfiJiiii^
h 'il
^
^^U
1
ff^-^^^^?3i
Silr \^
g^^v^S»
. "':■■'"• -.-^jW
S*aBmt— 'fij» *
^*^l|
HISTOIRE
DE
BRAN CE.
:r-/|
*i
1
J E AN II.
fiui$ loni;-^çemps utieir^j[iKM^ générale dans l^s mopurs
joi dans le eénie de ht^natioa.: Les roîs uniquçttieivi:
occupés du foin de récal;jlir l'autorité (buveraine • avoient
formé dey en|:r^^r«;s fpyvea^ contredites , qijielquefais
ieiireufes , qu^ lembloien^ n'avoir |>our^objet que à'^i-^
iujper ^f p;:e^^ de^la.^QHrcîifiie j^tpaiisen voubhp
^Lieriliir leur puifTancè l ils avoient négligé d'en régler
Fufage. Les prog;r^s ^e/içet^ pu^âance furent içroo ra-*
pides j pour qu'elle pût recevoir. une forme conita^nte
parlç cpnçours d'anç<f(ag« éçopqmie.^ Les peuples à
Îjeirie forfis dç/refclava^p^, ^toient encore, nioinseclairis
ijrla n^çuije 4e; jeurR ^vQJirsf^ In^pabtes; d|/e ^itc^xfiQi^
fonuV. ' ^ À '
Ann. X3p.
V; - les limites précifes qui fépareat la liberté de ia licence,
Ann- i^;o. on les veixà bientôt s'armer contre l'autorité fouveraine,
de cette même liberté <ju*elle leur avoit accordée. La
nobleflç mécontente des rois dont toutes les démarches
tendoient à TabaiiTer & à rafTujécir y impatiente du
joug qu'on vouloit lui impofer , déploroit en fecret la
' / pepte de fes anciens privilèges : eBe ne voyoit qu'avec
• 'indignation les pouples «ifraflchis former dans l'Etat un
. çprps.., dont le crédit, balahçoit au -moins le fien par
fon influence dans les délibérations publiques. Le choc
de. ces deux ordres diyifé$ d'intérêt > ^oit été fufpendAi
moins par politique qtie par Tignoran^^e leurs foroès
refpeâives J; Un ^ouvêrnetnent wible idctoit fiéceil&iri^-
• ment faire éclater l'orage qui s'étoit grofli par la con-
trainte d'une adminiftrarionr (violente. Ce fut dans ces
circonflances dangèreufes que Jean mourut fur lé trône»
Héritier des ^tat$ & des déiaqts de ion père , k Tim-
prudence ^ >,Ja témérité i à l'hjimeur^ inflexible de ce
prince , il ajouta une prodigalité aveugle , & toute la
foiblQflre.d'un£iprit borné*" ..^^,^ —
Philippe de Valois avant que de mourir àvoiï paru
reconnoître fes fautes : fes remontrances k fes enrants
au lit de la mort annoncèrent fes regrets & la condam-.
nation de fa conduite paiOfée : foibles"& tardifs témoi-
gnages d'une confçience qui ne fe réveille qu'aux dët
liiéré Cris dé] la iuftîce , commafe' fi c'^dît^ fa ^ preÂiiefc
• * ' ' fois qU'ib fé ftifleht fait entendre \ IV téu^ ncémÀùiUfk
qu^ils euffent à garder là concorde entre eux , àfatre la
paixji Lon pouvoit , à maintenir Vàrdre de la jujfice ,
Jur-'tout à Jbulager les pèupks , ^ autres belles ckofes.
dit Mézcrai ^ 'que les princes recommandent phs Jbùvent
â leurs Jhccejffeurs j tn mûuraàt', ^u^ikiiè k^lprati^ucni
en leur vivant. * ' ' :,.':.... ^^
Le nouveau monarque rendit les devoirs funet>res'à
fon père , dont le cèrps fut inhumé k Saint-Denis^ dahs
un tombeau placé au côté èaùche dii'grai|i4 auté!^;'lé$
entrailles de cç prinée , fuivant fes dernières difj^ëfi^
^dons y furentf enterrées àzA^ Tiégllfe des Doniimcaiils
r J JB A oK .1 î. 3^
de la rue Saint-Jacques tfe Paris ^ & leiaœùi! fut porté /
au couvent des Chartreux de Bourg -Fontajftejoa Va:^ aha. ^^^o..
lois. : . • :• :'■/•*
Les préparati& nécefiaires pour le facre en retardèrent Couronoe-
la cérémonie. La cour fe rendit à Rheims : le coi &r «cnt <*«»«>•»
la reine forent couronnés le vingts fiic Septembre. Ce
même jouir Jean arma Sievaliers Charles Dauphin ^ le
comte d^Aniou y & Louis comte d'Alençon fes enfants^
le duc d'Orléans fon frefe , & Philippe duc de Bour-.
gogne , fils de la reine Jeanne fon époufe : il accorda
auiii le même honeur aux comtes d'Ëtampes & de
Dammartin , aii vicointe de Touraine neveu du pape ,
au fdgneur de TËfcan & à plufieurs princes oc fei-^
gneurs ). entre autres à Jean d'Artois ^ fils du malbeu-*
reux Robert d'Artois , qui fous le règne précédent avoit
été envelopé dans la dilgrace de fon père.
Le roi célébra la cérémonie de fon couronnement &
de Tonlre de chevalerie , conféré aux princes & auk ^
grands de' TEtat ^ avec une magnificence ipii iurpaila
tout ce qui avoit été pratic|ué par f« predébeflenrs : k
luxe des habillements y qui depuis quelque temps avoit
fait des progrès cxceflifs » rendoit ces fortes de fèces
\ fi>rt difpendieufes. Le .roi Êdfoic tous les irais* de ces
grandes folenmtés ^: que fa muintûde des téàifmnàsi^ïxs
portoiit à des (bmmcs prodigieufes (dY .t '
Philippe duc #01éans avoit cédé a Charles fon n»
veu , les droits qu'il avoit fur le Dauphiné par le pre- ^p'^^l^ntin.
mîer tranfport que le dauphin Hunibert lui en avôit ^ '"'^"*
fait) ainfi qu^on a dû Toblerver fous* le régde (préc^
tient. Lorfque racquifixicin et cette- province fut toq-
..:...'•' * . , • i •;:. .. K -' '• : > ^'i i , ■' '
' (a) On fauraidbit à toii& les princes 8c feif^octA ^Atnh par le tnonarcjite à
k ptofeffioà des armes , non-^euemfctit iet ka^its ciéceflali^B poar reprèfcoteif ,
içMt comme icayer&la taille» ibir Comme chevaliers lev)par/loiienr.réceptîoa«
maïs encôre'^ane double tenture Si garniture générale '3e'' côuc ce qui fcrvoit ^
meubler les pl^^Éphes apanemeots s car il etoit de Tordre que les • (éoifteii-
daires fuAent l9n en particulier, chacun dans des chambres féparées Se diti*
Wées.lw - * - - . . . .
«Mmta< nl^léés.(oiar la TeUiej9ppDiirU j«^4e U^^réomiib. Qo caipl4?]roK
poiiK œs menues Se habillements les foncures les .pins, eyqut&a ft ks éiôfes ias
^litt piiUifurcs d'or Se de (pie. ...
A ij
IF4
4 ÎIlST.OLRE U K FHAIÎCE,
- fommée en fàvjsur de Charles & de fe$ fuccefleurs , il
Ann^ 2 5JO* avoitioé réglé que ie duc d'Orléans feroit indemnifé de
la* renonciation abfolue qu'il fit pour-lors à fes préten-
tions. Philippe de Valois dans les derniers jours de fa
vie avoit réglé cette indemnité , en ordonnant que Phi-
Hppe duc aOrléans fon. fécond fils auroit en augmen-.
tation d'apanage, le comté de l^lois , dont lui-même
9Voit porté le titre avant que de parvenir à la couronne*
Dès que Jean fut monté fur le trône , il invefiit foti
frère de ce comté.
La cour partit de Rheims & arriva à Paris , où le
roi fit fon entrée le dix-fept Oâobre. La capitale dans
la réception de fon fouverain , étala toute la pompe dont
le génie de la nation étoit fufceptible dans ce$ temps
de groiliéreté & d'ignorance , ou une profufion fans
choix & une abondance d'ornements nial*entendus te-
noient lieu de la délicacejQe & du goût qui manquoient
Chron.MS. à nos aïeux. Toutes les rues de la ville , dit une. an-
duroiJtàn,iia cieniie achronique , étoient tapilTées d^étofes de diverfes
BiU.duR»i. couleurs : \ts artifans des diférents corps de métiers,
diftribués . fuivant leurs clafTes , étoient revêtus d'ha*
bits uniformes : les bourgeois de Paris formoient un
corps pdrdculier ; ils portoient aufli des robes de la
même couleur. Les Lombards & ufuriers , dont mal*
heureufement la ville abondoit pour-lors , fe fignalerent
<n cette occafîoh : ils étoient tous hsÉ^Ués de robes de
foie de deux couleurs ^ & portoient fur leurs têtes des
chapeaux [hauts agus ] à pointe exhaufTée , femblables
à leurs habits. Tous les habitants ainfi partagés en
plufieurs troupes , les unes à pied , les autres a che-
val, allèrent au-deyant du roi , oui entra dans Paris
au fon des inftrun«nts , traverfa le grand pont , au-
J'ourd'hui nommé le Pont -au -change, & vmt loger à
^hôtel de* Nèfle .(/z). Les réjouïflances durèrent pendant
huit jours. ^
•fr. * "<tf) Cet b6cef éMic fur le bor<l d^ fa Seiac iA Ait conftniîc l'hAcel At Ne-
* ftn daos 1a fiikc , àfcu-pt es dans le même cenein donc le collège de Mazarnà
U rbôtel de Comi occupent aujourd'btti une partie, U faut diftinguer cet bôcel
J E A N I I- " 5
• Aufli-tôt que Te pape eût été informé de la mort de '■'
Philippe de Valois , il écrivit aux deux rois de France ^nn. ijjo.
& d'Angleterre pour les exhorter à la paix. Edouard ,^f^"l*^^*
toujours conttamment ataché aux maximes de poli- ^part\ 'Tp. U\
tique qu'il s'étoit prefcrites dès le commencement de 60^0^,69,7%
fon règne , parut le prêter de bonne grâce aux invita- cLmbn des
tions du faint Père : mais toute cette bonne volonté Comptes, m/-
aboutit à une confirmation de la trêve conclue fous le moriaiCfoL
règne précédent , trêve qui fiit prorogée à diverfes re- '^^*
prifes jufqu'à trois années.
La lituation des afàires étoit toujours la même : le
monarque Anglois ne perdoit pas de vue l'exécution de
fès ,projets. Son. ambition ne paroifibit fe repofer que
pour reprendre de nouvelles forces ; & pour le malheur
de la France , le caraâere du roi , violent , foupçon-
neux & vindicatif 9 n'étoit que trop capable de féconder
plus que jamais les defTeins dangereux de ce redoutable
ennemi.
La prorogation de la trêve entre les deux couronnes Hoftiiités en
ae fufpendoit pas les hoftilités en Bretagne : •lies étoient B«^c|agnc.
toujours auffi. vives , quoique . depuis la défaite & la jPj^^J/^'*
piBe de Charles de Blois à la bataille de la Roche de
Kien , la guerre ne fût plus foutenue que par la com-
leflè de Penchievre fon epoufe , & la veuve de Mont-
fort. Les Anglois maîtres de la Roche de Rien , défo--
loient par des ravages continuels les environs de cette
ville 5 fous prétexte que les habitants avoient favorifé
le parti de Charles de Blois : ils commirent tant de
cruautés , que les payfans défefpérés fe rafiemblerent
en armes ; car tout étoit devenu foldat dans ces temps
de guwres & de brigandages : ils entourèrent la place
dans la réfolution de l'emporter k Quelque prix que ce fût.
Ils furent encore encouragés parlajonâiondelanoblefle
de la province , & par la prélence de Pierre de Craon,
feigneur Breton , & d'Antoine Doria, Génois^ que le
ée Nèfle li'cin antre da même nom , qui fut bâti dans le'niéme«-tcnips. Ce fécond
hôtel étoit fitué aa liea même od fut conftruit rhôtd de Soiffons qu on vient de
démolir en 1747.
6 Histoire dé France «
. ^ roi leur envoya accompagnés de plusieurs hommes d*ar-
Ann. i3;o. mcs. La garnifon Angloife foucmt les premières ata-
ques avec afTurance 3 mais en peu de jours les ailauts
confécutifs qu'on livroic à la place y firent perdre aux
ennemis Tefpoir de pouvoir la défendre : ils demandé^
renc à capituler ; les afliégeancs écoienc fi animés contre
eux qu'ils refuferent de les. recevoir à compoficion. Les
acaques recommencerenc avec plus de fureur : au plus
fore de TafTaut Pierre de Craon fiif pendit au bout a un
bâton une bourfe de cinquante écus y & promit de la
donner a celui qui le premier entreroit dans la ville :
ce prix propofé redoubla Tardeur des afiaillants ; cinq
Génois s'étant avancés jufque ibus les murailles abati-
rent cinquante pieds du mur par le moyen de la fape
f & pénétrèrent aans la place : ils furent fuivis des trou**
pes qui entrèrent, par la brèche , pafTant au fil de Tépée
tout ce qui fe préfenta fur leur pafikge. La ville fut
livrée au pillage , & fuivant les funeftes loix de la
guerre 9 les habitants furent maffacrés fans difUnâion
d'àgc ni d^fexe. Deux cent cinquante Anglois fe fau--
verent dans le château y où ils furent invedis dans le
moment , & forcés en peu d'heures de fe remettr#à
la difcrétion des vainqueurs , k condition qu'ils auroient
la vie fauve : mais malgré la promeflè qu'on leur avoic
faite y il ne fut pas pomble de les garantir de ta fureur
4u peuple : ceux qui étaient chargés de les efcorter les
Cohduiurent jufqu'au château-neuf de Quintin y où les
bouchers y charpentiers & autres artifans fe jetèrent
fur eux , & les mafTacrerent impitoyablement..
Vroiffari. Cette vidoire y qui releva le parti de la comcefie de
Fenthievre y époufe de Charles de Biais y fur bientôt
fuivie d'un nouveau fuccès« Raoul de Caours y à la tête
de fix vinçts hommes d'armes y pafia devant la ville
d'Aurai. Thomas Dagorne, Anglois, qiii commandoit
^ims la .place pour la comtd^ de Moutfbir^ fortit pour
combatre : il fut entièrement défait , & perdit la vie
dans cette aâion , où plus de cent hommes d^armes du
côté des Anglois demeurèrent fur le champ de bataille.
J E A N I I. 7
Toutes xes petites expéditions , qui ne terminoient !
point cette longue & fan^lante querelle y ne fnvoient Aon. 1350.
qu'à entretenir & à redoubler la Fureur des deux par- D'Arg^ri.
cis : les Andois fur-tout n^épargnoient perfonne. Les cul^
tîvateursyétpient forcés d'abandonner les campagnes de-
venues le théâtre du meurtre & du ravage. Depuis la
défolation du royaume par les incurflons des Normands
fous le déclin de la féconde race , on ignoroit la bar-*
bare coutume d'exterminer les gens fans défenfe, & de
dévafter les terres : ce ne fut que dans cette guerre
cruelle qu^on renouvela ce genre de deftruâion inconnu
aux généreux guerriers des règnes de Fhilippe-Auçufle
& de fai'nt Louis. Cette manière d'exercer les hoftilités
excitoit Tindignation de la noblefle , & fut l'occafion
prilicipale de ce combat tant célébré par les auteurs
Bretons.
Richard Brembro y capitaine Anglois y commandant Combt; des
de lagarnifon de Ploermel , brûlant du defir de venger Trente,
la lÉJlrt de Thomas Dagorne fdn compagnon d'armes^ m^?But*
tué devant Aurai , portoit la terreur & le ravage dans
tous les environs y maâacrant indiftinébment les mar*^
chands , les artifans &: les laboureurs. Le fèigneur dô
Beaumanoir^ qui pour-lors étoità JofTelin , à deux lieues
de diftance de Ploermel , entreprit d'arrêter ou de fu(^
pendre le cours de ces défordres. Il alla trouver Rî-^
chard Brembro , fous la sûreté d'un fauf-cohduit. Dans
cette entrevue le feigneur Breton repréfenta au com-*
mandant Anglois , qu'il étoit indigne d'un fl vaillant
chevalier de Faire mauvaifc guerre , en ataquant , non
ceux qui portoient les armes y mais les artiians^ labou-*
i'eurs > & autres g6ns incapables de fe défendre ; qu'ciâ
brave guerrier épargnoit les cultivateurs de la terre i &
que fi TAnglois vouloit mériter ce titre , il ne dévoie
combatre que contre ceux qui avoient les armes k là
main , & noo contre des payfans hors d'état de lui ré->
fifter. Le fier Anglois crut fon honeui' blefii 4>ar ce*
reproches qui n'avoîent que trop de fondenieht..It répon-
dit k Beauxâanoir avM ^hauteur i> af^^âantt tdték^ep fa
8 HistoiredxFrance^
■> nation au-deflus des Bretons , dont il ne parla qu*avec
^nn. lijô. mépris , en difant qu'il né leur aparcenoit pas de fo
* comparer. parangoTuicr * aux Angloîs. Beaumanoir fputint avec
une noble fierté Thoneur de toute la noblefTe Bretonne
infultée par les bravades de Brerabro. Ce pour-parléf»
loin de concilier un accommodement , fe termina par
un défi donné par le feigneur Breton y & accepté par
l'Anglois. Ils convinrent de fe trouver à certam jour
accompagnés chacun de vingt-neuf chevaliers y dans le
deffein de décider leur querelle les armes à la main.
Le lieu du rendez-vous rut indiqué près d**in chêne qui
fe trouvoit placé à moitié d'un grand chemin entre
J^loermel & Jofielin. Ces rivaiix de gloire furent exaâs
à Taffignation , & fe rendirent aii jour marqué , le fa-p
raedi veille du dimanche Latarc , dçj'an 1350/ L'hifto-r
rien de Bretagne nous a confervé les noms des com-»
bâtants.
Les chevaliers du parti de Beaumanoir étoient le fire
de Tinteniac , Yves Charruel , Huon de Saint- H^)n^
Olivier Artel , Jean RoufTelet , chevaliers ; Guillaume
de Montauban , Triûan de Peflivian , Robîn de Seau-
mont 9 Alexandre Fardet t Haterel , Geofroi ou Gui de
Rochefort y Robin de RagiSenel ^ Karo de Bodegat ,
Geofroi Dubois , Olivier de Kaerenrais ^ Geofroi oe U
Roche / Geofroi de Beaucorps , Jeannot de Serens ,
Huet ou Morice de Trexuiguidi , Moriçe & Çelia
d*Entragujr , Guillaume de la Lande , Olivier de MQn-r
teville ^ Simon Richard y Geofroi Foulard , Alain de*
Tinteniac y Alain de Kaerenrais y Loys Goyon | Guyoa
diç Fohtblanc , Morice Du parc j écuyers. S^lon .quel-?
Ques auteurs y il faudroit retrancher deux cômbataqtsr
ae ceux dont nous venons de donner les noips , pouc
fiibftituer à leur place deux frères de la nfiaifon de Fqnp
fénay , qtfon aflTure avoir été du nombre des chevaliers,
choifis par .Beaumanoir ppur, iputçnir^n .petite journée
la gloire de la Bretagne. / ::
. C^Wi qui ijonibatiretit avec Brembrp y étoient Çor-
bm Jtjiollc iî.Croquart> Hsrvi 4e LeïVAlefi , Jean cPl^^,
faoton ,
J E A N I !• 9
(ancon ., Richard le Gaillard , Hugues fon frère , Jean- "
nequin Taillard , Repefort , Richard de la Lande, Ann. ij;6.
Thomelin Billefort , [ ce Thomelin fe fervoit dans les
batailles d'un maillet de plomb du poids de vingt-cinq
lîyçes ] Hucheton Clervaban , qui étoit armé d'un fau-
chart crochu taillant des deux côtés , [ ces fortes d'ar-
mes commençoieut à n'être plus en ufage', ] Gautier
TAUemant , Jeannequin de Gamehoup , Hanequin He-
rouart^ Jeannequin le Maréchal , Thomelin Holethon,
Jlue^ou Huguede Caurelée, ou de Caverlay , Knol-
les , Robinet , Malipas , Yfray ou Ifaunay , Jean
Trouffel. Quatre chevaliers Bretons , nommés Perrin
de Camaléon , Jean le Gaillard , Raoulet , Prévôt &
Dardaine y augmentèrent le nombre des guerriers de la
compagnie de Brembro., & n'eurent pas honte de com-
batre pour une querelle où il s'agiiToit , non de l'inté-
rêt dès deux partis de M ontfort & de Blois , mais de
l'honeur de la nation Bretonne. On ne devoit admettre
à cette partie que des eentilhomnies \ cependant comme
JSrembro ne put remplir le nombre prcfcrit de trente ,
il prit pour le compléter un foldat de conditio^i rotu-
rière, nommé Hulbitct.
Ce combat fe donna en préfence de toute la noblefTe
de la contrée , qui obtint des fauf-conduits pour y af-
iîfler. Avant que de donner le fignal de la bataille ,
Brembro qui avoit difpofé & harangué les chevaliers
de fan parti , leur promettant une viaoire complète fur
la foi d'une prophétie de Merlin , où il étoit margué
€u'il devoit ce jour même obtenir un triomphe afluré ,
ie détacha de la troupe , & s'avança au milieu du
champ. Quelaue certain qu'il fût du fuccès de cette
jpurnée lîir la prédiâion de Merlih , il fit apeler
JBeaumanoir , auquel il dit qu'il croyoit ce combat ir-
réguUer , atendu qu'il avoit été indiqué fans le congé
des princes , ajoutant qu'il étoit plus à propos de re-
mettre la partie à une autre fois. Beaumanoir lui ré-
pondit qu'il s'avifoit trop tard ; & que puifqu'il avoit
pris la peine de venir , il ne s'en retourneroit point yi/w
TomcK B
20 Histoire ds France^
■ mener les mains , 6i Ravoir qui avoit la pjus btUf amu;
Ann. ino, [ car la beauçé <Je faniie éçoit la préçention favorite de
nos çhamp^oûs d'honeur ] que cependant il ea alloit con^
férer avec (e$ compagnons j qui furent du mâme avis
que leur comç^andant , infultant par des railleries ameres
la réfieiçm (ardivç de PÀngloîs. Brembro cependant
inflftoit ençorç en difant j que quand tous les comba*
tants périroiçQt y la querelle des princes nç feroit pas
4^çidee : à qupi Beaumanoir répliqua que dans ce com«
bat il étoit queftion y non de la cwereUe des prij^ces ^
mais de Tboneur de leur napon. K^Ujh folit de comba-^
tre y difoit Sirembro ; ap: quand nous Jetons morts , toute
la Bretagne ne recouvrera pas de tels hommes. Beauma-
noir aum modefte qu'intrépide , lui repartit que quoi-
qu'il eût avec lui de braves ch&vaUers > cependant les
ieigneurs. les pJus confîdérables du parti n^ étoiene
pas y tçls que Ibs Lavais y les Montforts èç les Lohéacs.
Al<xr$ fanst vouloir entendre davantage les repréi^nta-
^ons de FAoglois, il rejoignit fa troupe > & donna le
i^gnal du plus tçrribk combat qu'on eut e^icore vu dans
tout Ite cours de cette guerre y qui paâia même en pi^o-
verbe ; car long-temps après y lorlqu'on &ifoit le récit
d*uçye aâion vive ôç meurtrière y on difoit qu'il n'avoit
jamais été çoQ^batu fi vaillamment depi^s la bataiHe des
Trente. Seloii lu pl^s. commune, opimon , les cbevalier%
des djeux partis, çocabatircnt à pied y à la réferve d^^
Guillaume de Monjcauban y k qui la permiflîon de corn-
batre à cheval fut accordée. Tous bs écrivains fe font
conformés à l'hiftoriea de Bretagne , qui luirméme ce*
pendant n'eu pacoit afiuré fui; aucun témoignage digne
de foi. Si je ne craignois de bkâcr le^ fentunent géné-
ral y j'oferois afitmer que le combat fe fit à cheval :
je ne puis au-moin^ me difpenfèr de raporter ici fur
quel fi>Qdement j'apuie cette conjeâure. Tous les conv-
bats particuliers entre chevaliers s!étoienjD toujours d^
cidés à cheval > & fe décidèrent loog^temps en(:ore après
de la même manière. D'Argentré qui a écrit Phiftoire
. de Bretagne deux fiecles après cet événement y & qui.
JeanIÏ. ît
dit que VôTL cemhàm à pied , fiiît ëh célà'ttnc traditioil ^
popmaiicc i il rie peut cébfendànfc s'erriiiêichet d*avoùer Âhà. i)|o-
<^a'il à lu rihe ancienne hittbirë en Vers , compofëe j^àk^
bn auteur contemporain , (][ui paroît faire chèeridte que
Ton combatit à cheval; II n'allegiie aucune autorité pdilit
détruite ce témoignage : il fe tontente de dire que quel*
3* ues-uns déà chévilTiers cotnbatirent â^fec des drftiéi
ont les cavaliers ne fé fcfvoient jias oi-dihaircfrieifït j
ftiàîs il eft également: obligé dé convenir qùé d*autre4
émployéféht aufli des àrhiés iitufitée^ dans les combàti
à pied. D'ailleurs il n'étoit pis nàtui-cl qu'bri eût àfc-
cordé le privilège de fe batré à cHéVâl iH fciil Gùtl-
laumé dé Montàubari , qtii fe kinï dé cet âiàntaçé
pour déférrriinéf fct viftoif é en faveur dé fôtt {iârti i àîfaft
que réyénemént va tiàni Ife pfouièV.
Là fortuite parut fé déclarer pbur. lès Anglcris àii
coriimencèhiént du combat par la pHfè d'Yves Chàruèl
& de triftari dé ]^eftiviaii , & par la ihort de.RôirfTé^-
!«• Mèlot & Pôttlaft, déuik àutrfei ctievàlifets du raériVé
pàfû i furent bleffés ; mîisf la vdcur dé 'BéiHimtnbit
fôtftîrit le courage dès Bretons; On fe batït âe p'aré &
d*âiit*è avec iati âclwitrièmétit faris eiéBtilë , Ji^^u'â ce
que les combataht^ é^aléniétit fattî^ues fulpéndifeM:
léurS èàvLp^ pbtft reprendra ïratlètné & fé tâfr^îèhir.
Àpfës né cèixri îhécrvâffle ,* fis' réi^iiirérit à H charge,
Brerfibf'o s'élança fni^ Beaùmanoif dins le temprs qu'A-
lain de Kaeréfirais le prévint en le feiivwfâtft ann àdup
dé lance dans le viftgé ; , 6t Géofror Dubé/îs lui â^dhx
mtfféfàti épêè au tra^^ef* du corpi , lui ccrupâ H tèiè (â^.
jLà rnbti du tomriiaîhdant jeta la terreur pàTihx lés Aa-
glois. Croquart , foldat de fortune , lés rahima pàt (où.
exemple & fes difcôùrs. Ec6utc[ , ctimpdgrtôni , lèiif
(tf) Mènerai ,' qîA rapbrte ce cotnb'at Jaûs foh abrégé chibnolojâtjtre , liïi/qilè
tû noce ^e ivt Gaerdio fe Bacic une autre foif conée ^Bicnibro & le tu^;
c"c& ûiie erreur : celui qui ponoit ce nom de Brembrp , & que du Guefclin rua
criCohÀatfnigulicrpendâiil lôficgcde Rcnî'es, ncft^aslc Aicnic; its*açcloj[t
QtdUâume Bïémbré, paréi^^ de Rjch'a^d Bteiiâb/ô', qui perdit éféaiveih'enc la
vie à la bataille des Trertte. Vîd. iAr^ntrL^ Kfi. dt Brttagne^ liv\% ^ch.^\.
Troîffàrd , ta vit dt BirtraniduGùifctin Ma,
Bij
12 Histoire DE Frakce,
~ dit- il , ne vous atcnde^ pas aux prophéties de Merlin ;
Ann. 1350. çàr à grand peine les peut-- on croire pour cette fois : le
remède ejl de fe ferrer , tenir ferme & bien combatre. La
troifîeme reprise fut encore plus furieufe que les deux
premiers afiàuts. Ce fut fur la fin de ce combat que
JBeaumanoir , qui avoifété bleffé , preflé par la foif ,
demanda k boire. Beaumanoir , bois de ton fang , lui
cria Geofroi Dubois , ta foif fe paffera. A ces mots il
rentra au combat , dont 1 acharnement redoubloit ^ loin
de diminuer. Jufqu*alors les Anglois fe tenant étroite-
ment ferrés , avoient fou tenu les éforts de leurs advér-
faires , lorfque Guillaume de Montauban , oui proba-
blement s'étoit retiré du combat pour quelques mo-
ments y remonta à cheval ^ prit fa lance , & teignit de
s'éloigner. ' Faux 5' mauvais chevalier y s'écria Beauma-
noir , où vas tu ? Il te fera reproché à toi & à ta race
à jamais. Fais bien ta befogne , lui répondit Montau-
ban : de mon côté je ferai mon devoir. En difant tes
mots y il pouiTa fon cheval à toute bride ; & prenant
les Anglois en flanc , il les rompit , & en renverfa
fept par terre du premier choc. Les Anglois étant ou-
verts par cette irruption fubite , les Bretons pénétrèrent,
& achevèrent de les tailler en pièces*
On peut voir par ce récit , que s'il eft vrai que Ton com-
batit à pied, la gloire que la noblefle Bretonne acquit
en cette fameufe journée > feroit due au cheval de Guil-
laume de Montauban , fupérioritéque les Anglois n'au-
roient pas manqué de reprocher. Prefque tous les che-
valiers du parti de Brembro furent tués ou pris : Knol-
les , Caurelée , Bellefort & Croquart furent faits pri-
fonniers & conduits à Joflelin. Le feigneur de Tinte-
niac fut eftimé le jplus brave combatant des chevalier$
Bretons : le prix de la valeur des Anglois fut atribué
à Croquart. Ce Croquart étoit un de ces aventuriers
que le malheur des guerres avoit élevé. Dans fa jeuneile
il avoit fervi un chevalier de Hollande ? il s'atacha dans
la fuite à un homme d'armes , & combatit fi vaillam-
ment dans une occafiôn où fon maître fut tué , que
. J £ A. N I I. 13
les foldats , témoins de fa bravoure , Pélurent unani- î=^ï!5=
mement pour leur chef. Devenu capitaine , il rançonna ^nn. ido-
les châteaux & les bourgades , à Texemple d'une infi-
nité d'autres conduâeurs de troupes. Il devint extrême-
ment riche k force de rapines & de brigandages. It
s'étoit acquis une telle réputation , que le roi de France
ne dédaigna pas.de le faire folliciter d*entrer à fon
fervice , ofrant de lui donner Pordre de chevalerie ,
de le marier avantageufement , & de lui afîigner deux .
mille livres de revenu en terres ; mais la vie libre &
indépendante de chef de brigands lui parut préférable.
II refufa les ofres du roi. ôe Croquart mourut d'une
chute de cheval en voulant franchir un foffé.
Jean fignala les commencements de fon règne par un Chron. MS.
de ces coups d'autorité dont fon prédécefTeur lui avoit %[^'/^''JI*
tracé l'exemple. Raoul comte d'Eu & de Guienne , SpiciLYJ'ntini
connétable de France , prifonnier en Angleterre , avoit ^^"S\
obtenu d'Edouard la permiflion de faire plufieurs voya- ^<^'m^''^'
ges en France fur fa parole , pour traiter de fa rançon
& de celle de quelques chevaliers pris avec lui à la
journée de Caen fous le règne précédent. Après la mort
de FUlippe de Valois, il vint k Pari# folliciter auprès
du nouveau roi un arangerhent pour fa délivrance. Il
étoît aufli chargé par lé roi d'Angleterre de négocier
la confirmation & la prorogation de la trêve.
Parmi les feigneurs qui s'étoient emparés de la con- Raoul comte
fiance du roi , Charles d'Efpagne , dit de la Cerda , Jifa^Tranc^^^
frère de Lpuk d^Efpagne , occupoit le premier rang. Hifi.génér.de
Fier de fa namance & de la faveur du fouverain , fon ^^ mai/on de
ambition démefurée afpiroit k tout. Il envifageoit la f^^'^jV^/'*
pofleflion des dignités les plus confidérables de l'Etat
comme une fuite néceflaire de Taveugle amitié du
prince. Il exerçoit depuis quelque temps la charge de
connétable «n Tabfence du comte d'Eu : on le foup-
çonnà d'avoir contribué k fa perte , foupçon que la fuite
rendit aflez vraifemblable. La Cerda fit entendre au
roi que le connétable n'étoit venu en France que pour
femer la difcorde parmi les princes , & ménager une
t4 HiSTÔÏRE DM FkANCE,
' révolution «ri faveur d'Edouard dttéc il écoiC tiiidiiis te
AaA. ifj<K pfifbfinier quô le partifan féé^et. L* totldùitë éqiiivé^tiè
de ce feigneUf à h d^fenfë dé fô Ville de Câë6 , fut
rapelôe & repréfentée fôus les dâittletir^ les plus odiea-
fes ; & vériiablemenf le eomte d'£u s'étoit coâfdilii â^vtné
manière k rendra fufpëââ eu fi vâleâf oH (à fidélité.
En ràpdrtanÉ 6et événement , ùéxiÉ avenus ttpofé les
réflexions défavantagêlifes à fon héâeât > qu'on dut
fwmef fur le peu de réÇi&âtice qtt*il fit ^ & la manœu-
vre imprudente qu'il employa dâris eèfté occafiofi y où
il ^^âgifTôit du faluf de TÊtât. Charles d^Efpagfië n'eut
p^ (& jlHsine à rendre fes rAifOnâ ^laûfiblés : d'âitleu^s
1 art étoit peu riéèeflTairë ôôiir réveîller la défiance d'un
prince naturellement ombrageux , & pour' porter fon
ame impéCueufe aux ei^pédienti les plus violents. Là
perte du connétable fut réfolue : le leiie Novembre îl
fur arrêté par le prévôt de ï^wis , en fortaflt de Thôiel
de Nede où Idgèoit le roi ^ & ifaii^etié dilns lé ttiêtue
hôtel où on lui donna des gardes. Ses aitiié hiurihut'è-
i?ent ; les gens défintéreffés atendirent tti filëncé lé dé-
Vëlopement d'un myftercf qu'on n'âvoit pâs^ défféih à6
leur révéler. La'^eour des piïH éfôif feulé efl âtéii dtf
yiiger le êonnétable , & îl li'y âvOît pas tf apdrericè qucf
ce Corps^ refpéâable voulut mârquêf âii prince une coitl-
plaifance aveugle en fe déshonorant ptfr un jugemerit
précipiter Comme ori igneroit? Fart d'éiudet les loi* , il
&loi( kiilèr un libre eour^ k leur autorité où lei vîolcr
oâVttPtdment i c^eft à ce ^derrriér piirti q(foA fe déter-
mina. L'infortuné Raoul fiit rire dé fe prîfdn la nuit
du dix-neuf Novembre , trôi^J'ours^ après fa défcntîott ,
& décapité âstns l'hôtel de Nèfle , en préfertce du duo
de Bourgogne , des comfés d'ArMagtf ac & de Morit-^
fort y de- Girucher de CliâtiiMotf , duc* d*AtRentes , de»
fcigneurs de Boulogne & et Rueil , & te plofieurs
atotres feigtteurs & chevalmrS- Cette exécution fe fit du*
commândtement du ror. ?ouf donner une ap^rence de
juftice à cette mort , an publia qu'il avoit avoué phi-'
ficurs trahîfons en préfence êvi duc d'Athetfés & dt.phc^
I s A ^ I !• i^
ûeurs amp^ defo» Ugnas^ Ses amis obônrent pa» grâce ■
la permî(Iion die \dï répare les derniers devoirs : il fqt Aw.^ ij^o^
enterré fans pompe d^ns un territoire apartenant aux
Auguftiqs dQ Paris , hors du moaaftere. Eff lui finit la
branche des cQ4?(ices d'^Ëu de la maifaa de Brieni]be«
Cet abus du pouvoir arbitraire ne pouvoit manquer
d'iodi^pf^r tous Ie$ ordres du royaume ^ & fur^tout la
noblefle^ Ou ne vit plus dans le connétable çiu'une vie-
tin;ie de la cupidité de fos rivaux y ^ de Tinjuitice du
monarque. Il fut jugé innocent; & fon crime , vrai ou
faux y f^t rçgar^é coijime une imputation odieufe ^ im
ouvjragQ de çénebres, & d'iniquité. Que oonvoic-om
penfeç en^ éfet d'un prince qui faifoiç périr la première
peiffon^e d^ VEtat, fans daigner confulter ks lioix^m
même çonferver urte ombre de juftice , en fe confer-^
mant aux règles prefcrites par les cooiftitutions du
royaijimQ ^ règles inviolables , & qui font les garartts
iaçrés d« la lib^riié ^ de la vie dss hommes ? IL ne
refpe^Q^ pas dav^ncage le droit des nations ^ puifque
le çonpis^ û%Vk , relâché fur fa foi , mais encore aâuel-
leipeut pififon^iqr du roi d'Angleterre , éçoit mqrt civi-
lem^n.K ». ^ n'apartSQoit plus k k France pendant le
cours de fa captivité. Il devoit jouïr au moins de la
f%uve-garde acqiûfepajf U privatîoi^ dfune liberté perdue
les arômes à la main pour foutenir cecte même puiilaace
qui roprimoit.
I^'irrégularit^ de cette exécutip» n-ajaaonçoit pas ua
eQuvef9eji»ent cnodiéré, Il eft bien dangereux poui; un
u>uverav9 4^ ^yeir par fon exemple la route de Tinr
juftice & de la cruauté. Le roi ea fie kii-même la trifte
eitp^ieQce , lorsqu'un revers fiindie précipita dans Tin-
fi^r-ct^Q fa préfbmptipn & fon impétuoiité. Em liJanc
Thiftoire de font règne > on eft étonné de voir un foulé*
vement général dans tous les efprits > & la nation en?^
riere , occupée de fes. feuls intérêts ^ témoigner peu do
fenfibilité pour les. n^alfaeurs du prince. Sans prétendre
juftifiei les fujets ,^ les réflexions que peuvent faire les
iefteurs fur la; févâuté defon caraâere , fufiront pour
Ann. 1350.
Mémorial Je
le chambre des
comptes^ coté
C.jfol, 9%.
lbid.foL9l
Uid.
i^ Histoire db France,
diminuer la furprife. La plupart des hiftoriens raportent
à la mort du connétable Torigine de tous les défordres
qui agitèrent le royaume dans la fuite.
Un de nos hiftoriens à prétendu , fur la foi de Vil-
lanî , que le crime de Raoul étoit d'avoir fait une con-
vention avec le roi d'Angleterre , de lui donner quatre-
vingt mille écus d'or pour fa rançon , ou de lui remet-
tre au défaut de cette fomme la ville de Guines ^ qui
confine avec le territoire de Calais. Indépendamment
du oeu de probabilité de cette convention , qui n'eft
ateuée que par Villani , on ne trouve aucun veftige de
ce prétendu traité dans le recœuil des ades de Rymer ,
& Ton ne peut foupçonner qu'il ait été lbuftrait.de ce
recœuil , qui contient des négociations du même temps
entre Edouard & les partifans feArets qu'il avoit en
France , aufli myftérieufes & plus importantes ; une
entr'autres , dont nous aurons occafion de parler incef-
famment , dans laquelle il étojc queftion du partage du
royaume. Villani d'ailleurs eft le feul de tous les écrivains
contemporains qui fafle mention de ce traité , que le con-
tinuateur de Nangis , & l'auteur de la chronique du roi
Jean , qui vivoient dans le même temps , n'auroient pas
manque de raporter.
Le bailli de Calais [ car il y avoit toujours un bailli
titulaire de cette ville , quoiqu elle fût au pouvoir d'E-
douard ] , receveur des domames , eut ordre de prendre
. pofîeflion au nom du roi de tous les biens du connéta-
ble , dont l'état avoit été remis à la chambre des com-
ptes par le bailli d'Amiens , aînfi que les papiers apar-
tenants k ce feigneur.
Les dépouilles de Raoul furent partagées entre les
favoris, tharles d'Efpagne obtint la charge de copné-
table , objet de fon ambition & de fes intrigues. Le
comté d'Eu fut donné à Jean d'Artois. Le comté de
Guines demeura réuni au domaine de la couronne juf-
qu'au règne de Louis XI , que par lettres- patentes de
1461 , confirmées par autres lettres du 24 Juille||i4^3 ,
il fut donné à Antoine de Croï. C'eft en vertu de cette
donation ,
. f E A N I I. XJ
donation que le comté de Guines a fait dans la fuite -
partie des terres poffédées par cette illuftre maifon. Aiin..iHi.
Peu de temps après la cérémonie de fôn couronne- voyage du roL
meut , Jean nt un voyj^ L la cour d'Avignon. Le «» Provence.
fouverain pontife. Clément Vl, fit à fa recommanda- ^^J^*^^'^*^
tion une promotion de douze cardinaux. A fon retour
le roi paiia par la province , de Languedoc y a où le
9> vicaire-général de Tarchevéque de Touloufe, Etienne
» Aldebrand , vint de la part de ce prélat fe plaindre
yy de la rigueur exceflive dont les moines ufoient envers
y> ceux de leur communauté qui fe rendoient coupables
y> de grandes fautes , les mettant en une prifon oofcure
yy & perpétuelle qu-ils apeloient vadc in pacc. Ils ne
i> leur donnoient pour nouriture que du pain & de Feau
y> & leur ôtoient toute communication avec leurs con-
yy frères , en forte que ces malheureux mouroient tou-
9y jours défefpérés )^. Sur cette plainte le roi ordonna
que déformais les abés & les autres fupérieurs vifite-
roient & confoleroient deux fois le mois ces frères en-
fermés, & qu'il leur feroit permis de demander aufli
deux fois le mois la compagnie d'un moine de la com-
munauté. Il en fit expédier des lettres-patentes , dont
Texécution fut commife au fénéchjil de Touloufe , &
aux autres fénéchaux du Languedoc. Croiroit-on qu'une
ordonnance fi fage & fi conforme à l'humanité duc
trouver des contradiâeurs ? Les Frères Mineurs & les
Frères Prêcheurs, moins compatiifants pour leurs com-
Sagnons , que jaloux de la jurifdiâion qu'ils exerçoient
ans rintérieur de leurs maifons , fe donnèrent de
grands mouvements pour la révocation de ce règle-
ment : ils réclamèrent même l'autorité du faint pj^re ;
mais le roi fut inébranlable. // voulut abfolument être
obéi , ou au^ils fortijfcnt de fon royaume. Ils obéirent
donc , mais avec une extrême répugnance. Contcftatioo
- ' • ... r r ^ 1- • ^ntrc les pré-
Les ordres religieux , lur-tout les mendiants , avoient uts & les reii-
dans le pape Clément VI un proteâeur déclaré. Il leur peux mcn-
eaî dogrina des témoignages éclatants dans une occafion 3^*^^ \Tlz-
cà il s'agiiToit de leur entière extinâioa. Comme cet^ pe.
Tome V. C
i^^ Histoire de FraIïce,
- • '• afaire tîetit auy. mœurs de ce temps , nous ne pouvons
Aim. U.M*.' nous, difpenfer de la rapodrcer d'après le conciituacetir
Spiciiconcin^ do Nangis 9 & hauteur de Phiftoirc eccléfiaftique Dans
^iVft!^içcUr. ^* temps à» la dernière cqjj^tagion , la plupart des eccl^^
fiaftiq;U;e$ri avoâ^n: pets la faîte , abaxidonnant le foin
c^'admviiflreir' les mourants à^ la^chairité des religieux,
mçndiasuts ^y . dont le: zèle plus hardi remplit ces* fbnaions
. périlkufes. Cecte faince générofité leur atira de la.re-^
GonnoilTance des fidèles expirants y quantité d'aumônes
& de legs pieux qui les enrichirent. L'épidémie ayant
difcontinioé fes ravages y les biens que ces religieux
avoient acquis* pendant x:es jours die. oiiamité y excitèrent*
l'envie. Ils contmuoient d'ailleurs de prêcher , d-entendre
les confeffions y & de doimer fépuleure aux défunts ;
fondions oui fembloient leur avoit été réf ignées par la
défertion de prêtres féouliers« La hiérarchie eccléfiafti-»
que s'éleva contre eux. Les cardinaux , prélats &> curés
{portèrent leurs plaintes à la cour d'Avignon. Sa^ fainteté
tint un confifboire à ce fujet ; un cardinal parla au nom
des eccléiiafiiques. La fubflance de fon diicours Ait que
les religieux mendiants n'étoient .apelés ni choifis par
l'Eglife ; au'il ne leur apartenoit pas de s'ériger en mir*
niftres de la parole dpi X)ieu y d'entendre les confèfliôns^
ni de donner là fépuleure^ ; qu'il étoit à propos» de les
caffir & fufpendre de c^s exercices. , ou du<^moins de-
les priver entièrement des profits immenfes qu'ils ti-»
roient des fépultures. Ce ftit fur ce dernier article que
Torateur infilfa.
Les députés de$ ordres mendiants y préfents au con«
fifibîre y ne. répondirent à ces reproches que par un fî-
lence^ refpeâueux. Le faiht père fe chargea de leur dé*«
fènfe y alléguant en leur faveur que ces religieux avoient
été apelés de Dieu & par TEglife pour fecourir l'Eglife
même ; qu'on ne devoit pas les méprifer pour avoir été
introduits dans le fein du chriftianifme par une voca-
tion plus tardive que les autres. Pour démontrer ce qu'il
avançoit y il s'apuya fur l'exemple de faint Paul y qui
bien qu'apelé le dernier , a mérité d'occuper les premiers
J k A N I I. 1^
rangs entre les apôtres. Le pontife jtifqtte^lk sMtoit ^^^ ' '
contenté d'employer des raifons ^loignëos 4 mais dhan^ ^'^^ 'tn-
gçant tout-<i'un-c0ap de ton y il s'adreâTa perfoutinelk^
ment aux adverfaires des mendiants y en demandant auic
rélats Quels feroient les objets de leurs prédications ,
ces religieux écoient condamnés au iilence. i> Parlée
f} re2-yous d'humilité ^ leur dit le nape y vous oui entre
9> toutes les conditions du monde eces les plus iuperbes^ *
>y les plus vains & les plus pompeox 4ans vos mon- *
9> tures & dans vos équipages ? Padlerez-vaas de la pau-^
» vreté y vous qui êtes n tenaces & fi avides , oue toutes
9} les prébendes & tous les bénéfices du monoe ne fuf-
V firoient pas à irotre cupidité ? Je ne parle point de la
V chafleté y dit fa fàinteté en rougifuint y Dieu fçait
^ comme chacun fe conduit , éc comment plufieurs
i> âatent leurs corps y & vivent dans le» déH[^$ a;
Le pape ajouta : v que plufieurs prélats & curés haïf^
9> foient les mendiants & leur fèrftioient leurs portes y
f> afin qu'ils ne fiifient pas témoins de la vie fcan-«
f> daleule qu'ils menoient y tandis que-leut^ maifons
» étoient ouvertes à des boufbns & à des infâmes * ; * Lenonibus
f> qu^on ne devoir pas trouvet mauvais fi les mendiants ^J^'^ff''^^^^'
f> avoîent reçu quelques biens dans le temps de la
jy mortalité y en reconnoiflknce des fervices qu'ils
19 avoient rendus aux malades & aux mourants aban*
y> donnés par leurs curés ; que ce falaire de leurs tra^
» vaux fpirituels a voit été employé à conftruire des
» édifices qui ^ifoient Tornement de Téglife *. Fàrcc ^ jyr^„ ,7,
f> que vous ne vous êtes point conduits ainfi , continua voiuptaûbus
» le faint père , vous vous aftige[ de ne pas fout avoir ^^J^^'"*"
yy pour Femphytr à vos ^agcs , & Dieu fçait quels ^
yy ufages ! Vous haïjje^ les. mendiants & vous les accu-^
>yje\ , pendant que plufieurs. dUntre vous ne ^ occupent
» que des vanités du Jiecle ; & maintenant vous vtne[
yy contre les mendiants comme une troupe de taureaux
}y contre les vaches du peuple , afin d'exclure ceux qui
yy font éprouvés par V argent ce Une répoçfe fi vive fut
terminée en repréfentant les maux dont TEglife feroit
C ij
20 Histoire de Frakce,
""^^"""^ frapée^ fi les prélats obtenoienc leur demande ; qa'au
Ann. 1J51. furplus s'ils avoient quelques moyens à produire contre
les religieux mendiante ^ ils les mifTent par écrit y &
2u'il feroit droit fur les raifons refpeâives des parties,
lettë afaire y que le moine continuateur de Nangis pa-
roît raporter avec complaifance y n'eut pas d'autre fuite.
La harangue de fa fainteté peut donner un exemple de
. réjoquence de fon fiecle.
Trêve renou- La treve conclue entre Edouard & le nouveau roi
Tcicc. de France expiroitau mois d'Août de Tannée 135 1. Les
c'hrfn.'^MS. «^gociations pour parvenir à concilier les intérêts des
du roi Jean. * dcux coufonnes , fe pourfuivoient toujours , comme fi
u^h^^h^^î^ les deux partis euiTent concouru avec une égale fincé-
compus. ' '^ rite au bien d'une paix folide & confiante. Tandis que
les députés nommés de part 6c d'autre travailloient k
un accommodement qui ne fe termina jamais y les hof^
tilités recommencèrent y même avant la fin de la trêve.
Il y eut un fanglanr combat en Saintonge. Le maré-
chal Gui de Nèfle fut vaincu & fiiit prilonnier , ainfi
que Guillaume de Nèfle fon frère , Àrnoul d'André-
ehen y & plufieurs autres feigneurs. Ce combat fe donna
le premier jour d* Avril. Les François fe vengèrent de
cette défaite au mois de Septembre fuivant parla prife
de Saint-Jean-d'An£;é}y . La place manquait de vivres ,
fut obligée de fe rendre parcompofition.Ùne prorogation
de la treve pour une année ralentit du -moins , fi elle
ne fufpendit pas entièrement les fureurs de la guerre.
Froîffard. Le pape , à la prière du roi , avoir accordé à Rr-
p.fr"cAn>«' gault de Roufîy , ci-devant abé de Saint -Denis , qu^
NicoiaL Trt- avoit été compris dans la dernière promotion èts car-
v€ui fakanno Jinaux , difpenfe de . fe rendre à la cour d'Avignon
Januenfa t. 9, pour recevoir les ornements de la nouvelle dignité. Sa
*«'• 48. fainteté lui envoya le chapeau , qui lui fut préfenté au
iu^TtM. ^^ ^ Paris , en «réfence du roi , par les évêques de
raris & de Laon. rfous ne raportons cette cérémonie
que parce que ce fut la première fois que les fouverains
pontifes dérogèrent à l'ancien ufage , & envoyèrent le
chapeau de cardinal dans une cour étrangère. L^infti-
7 £ A N I I. 21
tution de cette marqua de la dignité des princes de '
TEglife romaine eft due au pape Innocent iV , qui le -^^' M)»*
premier ordonna , en 125% , que les cardinaux porte-
roient un chapeau rouge ; ce qui probablement fut
réglé en conféquence d^une délibération du cortcile de
Lyon^ tenu fix années auparavant^ en 1246. Jufque-là
les feuls cardinaux à latcre avoient été décorés par cette
marque de diftinâion.
Le roi ne pouVoit ignorer qu^en fe montrant févere inftitutîon
dès fon avènement à la couronne^ il devoit néceflaire- ^^^^l'^^^^^
ment; avoir indifpofé plufieurs feigneurs : pour éfacer Froiffard.
ces pœmieres impreflions j il voulut eflàyer de ramener SphUcontin.
les cfprits en inftituant un ordre de chevalerie. Edouard ^^^f^ ^^
avoit employé ce moyen dans fes Etats avec fuccès ; jurdJean.
mais tel eft le privilège du génie , que (fe qui concourt Mémorial de
à féconder Tadminifiration d'un prince habile , change ^^^J^^f^' ^''
de nature entre les mams d un monarque qui lubnitue
le caprice au difcernement. Le iroi aAngleterre , en
inftituant Tordre de la Jarretière , avoit fixé le nomt^fe
des chevaliers à vingt- fix. Jean établit l'ordre de l'Ë-
toile , & crut renchérir fur fon rival , & l'emporter du-
moins par le nombre : il créa tinc^ cents chevaliers.
Cette marque de diftinâion multipliée à l'excès , ne
difttngua perfonne , & l'ordre fut avili dès fon origine.
Cependant ^ comme cette inftitution d'un ordre parti*
culier de chevaliers eft» la première* dont notre hiftoire
fafTe mention ^ & qu'elle* a fervi de modèle dans la
fuite aux établiffements de la même efpece ^ nous efpé-
rons que les leâeurs ne nous fcauront pas mauvais^ré •
de raporter ici quelques détails que nous fourniftent
les monuments qui nous en reftent.
Ce fut au palais royal de Saint-Ouen, autrement de
Clichy près raris , que le roi indiqua l'affemblée gé-
nérale ces chevaliers défignéspour être admis au nouvel
ordre militaire {a).
(tf) Comme il s'cA trouvé quelques écrivains qui ont prétendu que cette
fondation avoit pour obiet non une aflbciation guerrière . mais une çonfrairie
pxenfe , on ne peut fe difpenfer de raporter ici les lettres a invitation qui furenS
22 Histoire DE France,
■> La cérémonie de cette inftitution fut célébrée au mois
Ann. 1351. d'Oâobre à Saint- Ouen. Le roi revêtu d'un manteau
4'e velours doublé d-hertninop , p^^t fur un trône en-
adreffées «ux récipic^dair/cs. Ces lettres conpcQncDt |cs motifs & rx>bjet «le
récabUnçnient , lesrezles de l'ordre, 8c jaH^u'à la ferme des habillements qup
dévoient porter les cfievaliers.
Dç PAR LE Roi.. Biau cQufin ., ppns à l'oniicar de Dieu ^ 8c tn cC-
faucement de chevalerie 8c accroiflement d*onn^ur t avons oïden^ de faire unç
compai^nie de chevaliers. qui feront apelés les chevaliers Noftrë-Dame de laaobU
maifon , qui porteront la robe ci-après devifée , c'-eft affiivoîr une cote blanche ,
un fcrcot 8c un chaperon vermeil. Quand ils feront fans mantel » 8c quand
ils veftiront mantel qui fera fait à euife de chevalier nouvel à entrer 8c de«
mourer eii TEglifê de la noble maifen/il fera vermeil , 8c (omti di^vaîre.
Bon pas d'erminçs» de cencUil » ou Gvnit blaAC, 8c faadca qu'ils aieoi. deflbus
ledit mantel fcrcot blanc ou cote hardie blanche » ch^uflÊs noires 8c fe^liers
dorés y 6c porteront continuellement un annel entour la vex^e duquel fera
éfcrit leur nom & furnom » auquel annel il y aura un eûnail plat vermeil , en
l'efmail une efloile 4>^anche » au milieu de l'cftoille une rondette d*aizar , au
milieu d'icelle rondette d'azur un petit foleil d'or , 8c ou mantel fus l'cfpaule
ou devant en leur chaperon un fremail » auquel aura une eftoille toute tele.
conmijc çn Tannel eft divifé«
Et to^s Les famedis quelque part qu'il feront » il porteront vermeil 8c blanc
en cote 8c en fcrcot » 8c cnaperon comme defliis , le faire le peuvent bonne^
tt. Et (î il veulent ^porter mantel « il fera vermeil 8c fenduz à l'un des
h « 8c tous les jours blanc ddfous. Et fe touzi les jours de la ^ppaine il
veulent porter le fremail l faire le pourront 8c fur quelque robe que il leur
plaira : 8c en Tarmeure pour guerre il porteront ledit 6email en leur' cahiail
ou en leur cote d'armes, ou la où il leur plaira appAremment. '
Et feront tenus de jeûner tous les famedis fe il peuvent bonnement ; 8c fc
bonn.ement ne pçuvent jeûner ou ne veulent , il donront ce. jour quinzq de-
niers pour Dieu en Tonneur des quinze joycs No(lrc-Dame« Jureront que à
leur pouvoir il donront lovai con(eil au prince de ce que il leur demandera»
foit aarmcs ou d'autres cnofes. Et fe il y a aucun qui avant cefte compaigniq
aycnt emprifé aucun ordre , il le devront Icflier , le il peuvent bonnement ;
8c fe bonnement ne le peuvent leffier , * fi fera oette compaigaie devant , 8c
deci en avant n'en pourront aucune autre cmprcndre fans te congié du prince.
Et feront tenus de venir tous les ans à la noble maifon affife entre Paris 6c
Saint-Denis en' France , à la veille de la fefte Noftre-Dame de miaouft dans
prime , 8c y denu>urer tout le jour 6c lendemain jour, de la Fcfte jafqu à vef-
près : 6c fe bonnement n'y peuvent venir , il en feront creu par leur fimplc
parole. Et en tous les lieux ou il fe trouveront cinq enfemble ou plus à la
veille 6c. au jour de ladite miaou(t , £c que bonnement il n'auront peu venir
à ce jour au lieu de la noble maifon , il porteront leCdites robes 6c «o^endronc
vefpres 6c la mefTe enfemble fe il peuvent bonnement.
Et pourront lefdits cinq chevaliers , fe iî leur plaift , lever une bannière
vermeille fem^e des eftoilles ardennées , 6c une imfuge de Noftie-Dame blan**
che » efpécialement fur les ennemis de lafoy ou pour U guerre de leur droituriet
feigneur.
Et au jour de leur trefpaffement , il en voiront à la noble maifon , Te il
peuvent bonnement ,'leur annel 6c leur fremail les meilleurs que il auroient
J E A N I I. 23
rîchi de tous les ornements que Part de ce fiécle àvoït ^ïï=^=
pu irtiâginer. Le dais du trône étoit furmonté par uri' ^°°- ^'^**
ciel d'azur fenVé de nuées d/argent , k travers léTquefles
infcrîption' : Monflrant regibus ajha' viam : les aftres'
guident lés rois.
Tandis que la cour étoit occupée des préparatifs &.
de l'exécution de cette fête , Edouard toujours atentif
à profiter des circonftances , furprit la ville & le château
faits pôor ladite compaignié, pour en ordener ^ proalfît de lêars âmes &: à
Tonmar de Téglife de la noble maifon \ en laquelle fera fait leur fervici» fo-'
lemnelemcnt 6c fera tenu chacun de faire dire une meflc pour le trépaflif au
pluftât que il pourront bonnement depuis que 11 l'auront içeu.
£r eft ordené que les arm^ & timbres de tous les feigncurs & chevaliers
de la noble maiu>n feront pains eii la fale d*icelle au-deffds d'un chafcun là
oii il fera.
Et fe il y a aucun qui bonteu(ement , qtfe Dieu ne Noftre-Dame ne veillent , fc
parte de bataille ou de biefoigiie ordcni^e, il fera foufpendude la compaignie»
& ne pourra porter tel habit , & li tourner à s'en en la noble maifon fes
armés & fon timbre ce delTus delfous fans dcsfacier , jufques à tant que il
(bit refticuez par le prince ficnTon confeil » 6c tenuz pour relayez par fon
bienfait. •
Et eft encore ordené que en la noble maifon aura une table appellée la table
d'ônneur , en laquelle feront affis la veille U le jour de la première fefte les
trois plus fuAfanz princes » trois plus fuf&fanz bannercz , & trois plus fufH-
fanz bachelers » qui feront à ladite fefte de ceuls qui ferotit reçUs en ladite
cdmpaignîe : 6c en chafcune veille ^ fefte de la miaouft chafcun an après
enfnivant' ferooit alfis' à ladite table d'ônneur , les trois princes , trois banne-
rez,6c trois bachelers» qui l'année auront plus fait en armes de guerres 5 car
^_ nul fait d'armes de pais n'y fera mis en compte.
w Et eft enc0r ordene que nuls de ceuls de ladite compaignie , ne devra emprendre
à Hier en aucun voya^ lointain fans le dire ou faire fçavoir au prince :
les quiçf cheÎFaliers feront en nombre cinq cens » 6c des quicx nous comme
inventeur 6c fondeur d'icetle compaignie Icrons prince , 6c aîn(î l'en devront
être nos. fucceiTeors xois. Et yous avons efleu à être du nombre de ladite coùi-
f»aignie i 6c penfons à faire , fe Dieu plâiftS la première fèfte ^ entrée de
adite compaignie à Saint-Ouyn la veille 6c le jour de l'aparicion prouchenc.
Si foiez aus dis jours 6c lieu ^ fi vous povez bonnement , a tout votre habic,
annel 6c fremail. Et adoncquaftfera à vous 6c aus autres plus à plain parlé
fur cette matière.
Et eft encor ordené que chafcun apporte fes armes 6c fon timbre- pains en
un feuillet de papier ou de parchemain , afin que les paincres les puiffent mettre
pluftoft 6c plus promptcment là oii ils devront eftre mis en ladite .maiftin.
Donné à Saint-Chriftophe en Hatale le fixfeme jour de novembre , l'an do
grâce i j ç i . Signé au bas ^ S e r i z. Sp/c/V, tom. 3 , pag. 7^0.
24 Histoire de France,
-- de Guînes^ par la trahifon de Guillaume de Beaucour«>
Apn. x^i. roy, à qui la sarde en avoic été confiée pendant lab-
fence du fire oe Baulanmehan , que la curioficé d'af-
fifter à la cérémonie de i ordre de Tétoile avoit atiré à *
Saint-Ouen. Ce fut ce même Aymery de Pavie , gou-
verneur de Calais , dont nous avons déjà parlé dans le
volume précédent , qui corompit la fidélité de Beau-
courroy. Les Anglois fe préfenterent devant la place ,
& y entrèrent fans auc*une réfiftance.^Cette trq^ifon ne
demeura pas impunie. Beaucourroy fut arrêté & puni
de mort ; loais fon fuplice ne répara pas le dommage
que caufoit la perte d'une fortereife aufli importante.
Le roi fe plaignit hautement de cette infraoion de la
trêve qu'on venoit de conclure. Il en envoya demander
raifon a Edouard ; mais le monarque Anglois , peu dé-
licat fur Tobfervation des traités y répondit à des plain-
• tes fi juftes y que les trêves étoient marchandes ; plai*
fantene peu convenable à un fi grand prince. Le roi
d'Angleterre ajouta que les François , fous le règne
f précédent , lui avoient donné l'exemple de ces fortes de
urprîfes , par la tentative que Gharny avoit faite fur
Calais ; tentative gue Philippe de Valois avoit défa-
vouée. Une mauvaife foi fi manifefte répond d'avance
aux reproches que ce même Edouard fera dans la fuite
fur de prétendues inobfervations de traités y lorfque les
François plus heureux commenceront k réparer une
partie de leurs pertes. Le roi d'Angleterre foutenoic
d'ailleurs qu'il avoit des droits inconteftables fur le comté <
de Guines pour la rançon du connétable ; mais c'étoft
une mauvaife juftification , puifque , lorfque *Ia trêve
avoit été rçnouvelée , le douze Septembre , immédiate-*
ment avant la furprife 3k Guines y il n'avoit point été
queftion des prétentions d'Edouard à ce fujet.
CWM5. ^ conjonaure préfente força l«roi de diffimuler cet
iiu rQi^Uan\ afront : la langueur de l'Etat lie permettoit pas de
kiU.royd. fopger à renouveler la guerre ; il fàlut remettre la
vengeance à des circonljances plus favorables. Une fa-
mine afreqfe défoloiç Iç royaume : on n'avoit poinç
encore
\
J £ A N I I. • 1^
eneore éprouvé en France une difecte fi générale & fi -
exceilîve. Le fecier de fîromenc fe payoic à Paris huit Ann. z^i.
livres parifis , ce qui revenoic à plus de cinquante francs
'de nocre monoie (a^ ; fomme exorbitante pour un
temps où Targent étoit beaucoup plus rare qu'au jour-
d*Iiui : le peu d'efpeces qui fe trouvoient dans le royau-
me , étoit entre les mains dec fang-fues publiques ^ ou
avoit été abforbé par les dépenfes des guerres précé--
dentes. La mifere des peuples étoit fi grande , que les
malheureux habitants de la campagne déterroient les
racines dans les champs y & mangeoient jufqu'à Técorce
des arbres. Quelles pouvoient être les refiburces de
r£tac dans une fituauon fi déplorable ? Loin de pou-
voir exiger de nouveaux fubfides , on fut contraint de
fufpeudre la levée des inipofitions acordées par plu-
ficurs provinces la dernière année du règne de Philippe
de Valois , & continuées pendant la première année du
règne de Jean, En vain on avoit efpéré de tirer quel-
que fecours de la recherche de <*ux qui avoient admi-
niftré les finances. Cet examen a prelque toujours été
ihfruâueux. On arêta les coupables ^ on les punit ;
mais ces remèdes violents n'aretoienc pas le mal dans
fon principe. Kous avons vu fous le règne précédent
plufieurs de ces Lombards enrichis de la fubftance du
peuple y furprendre de l'indulgence du prince des let- .
très qui fufpendoient Téfet des pourfuites qu'on faifoic
contre eux. La chambre des comptes en cette occafion
fignala fon zèle pour le bien de PEtat y & pour les in-
térêts du fouverain , en continuant de percer le myflérc
des déprédations commifes par ces avares étrangers.
Elle travailla à cette recherche avec une atendon infa-
tigable y & avec cette intégrité dont elle a fans celTe
renouvelé les preuves.
(a) Cette année le plas haut prix du marc d'amnt fut de neuf livres dix
Tous Se d'onze Hvres tournois. La livre tournois étok d'un cinauicme plus foible
que la livre parifis » en forte qa*en fupoGint dans le cours de cette année le
Eciz du marc d'argent It dix livres touroois , cçtte valeur étoit équivalente à
uît livres parifis. Un Tetier de froment coucoit donc réellement ua marc
d'argent.
Tome y. D
i6 Histoire de France,
- Il féroit dificile de couitater Torigine de l^établîffc-
Ann. IJ5I. ment de cette cour : elle fe confond & fe perd dans les
oro^tc^"^ ^^^ ténèbres de la plus haute antiquité. L'exercice de fes
corop es, fondions , de quelques noms qu'on les ait qualifiées ,'
a commencé en même^temps que la monarchie. Malgré
les révolutions du gouvernement y les invaiions des bar*
bares , la perte des titres tes plus précieux de la cou-
ronne à la déroute de Bellcfoge fous Philippe- Augufte,
l'enlèvement de la plus conlxdérable partie du tréfor
des Chartres par les Anglois y maîtres de Paris pendant
près de quinze années après le rc^e de Charles VI ^
& le malheur récent ocafionné par Tincendie de 1737 »
on conferve encore a la chambre des monuments ©ri-
vaux des temps les plus éloignés , monuments qui
avoient été recœuillis dans des dépôts que les temps &
les événements oot heureufement épargnées y ce qui
forme des preuves inconteftableis de l'ancienneté & de
la continuité de fon adminiftration dans des liecles fort
* antérieurs à. fa réfideifce à Paris..
Il y a toute aparence qu*èlle étoit d'abord compofée
de tous les grancb oficiers de la couronne , adminifbra*
teurs chacun pour la partie qui le concernoit , des re«
venus des domaines royaux & des diférents droits
afe^és au fouveraia dans toute Tétendue du royaume.
On voin fous pluiSeors des premiers rois de la troifieme
race , ces grands oficiers confirmer rauthenticité des
lettres du prince par leurs fignatures ; ce qu*on ne doit
pas regarder comme une vaine formalité , mais comme
un caraâere eiFentiel qui confacroit la validité de ces
Chartres; caraâere équivalent k Penregiftrement qui
lui a fuccédé immédiatement. Lts foins, du gouverne*
ment fe multipliant avec la puifTance des rois \
Tafluence des afaires ne permit plus à ces grands
oficiers de re^nplir feuls tentes les diférentes fonc-
tions qu'ils avoient exercées dans les premiers temps
die leur infiitution : on fut obligé de leur aflbcier des
prélats , & autres perfonnes recommandables par leur
probité & leurs lumières , chevaliers & feigneurs de
J E A K I I. ft7
marque , qui par leurs travaux les foulageoîent du poids ■
des afaires , & vaquoient cofijointemenc avec eux k ^iin. ifjx,
4'examen & au jugement des comptes. Bientôt ces nou*-
veaux juges & maîtres furent fèuis chargés de cette
partie du miniftere public. Les «ands ofices de k
couronne , ooitiiés à . vie d'abord , deretius dans la
fuite hérédicaîtes , furent poiSëdés par des feigneurs qui
ne s'en réferveretit que les citres & les honeurs. Ceft
ce qu'on peut voir j«ir les charges de fénéchal & de
grand échanfon ^ donc les ttnikires ^ loin d'être k la fuite
de nos monarques ^ encreteiioient par eux-mêmes dans
leur« grands fiefs une cour tiombreufe ^ image tracée
fur le modèle de celle des rois y ayant Mffi leurs grands
ofîciers octtpés des mênles fondions , & décorés des
.mêmes titres.
Les grands bouceilliers contintterent plus long-temps Pahmer
que les autres grands oficiers de (a couronne , de A^
maintenir dans la pol&ffion du 4roit qu'ils avoient an^
ciennen^ettt de pl-éfider au jugement des comptes > quoi-
qu'une interruption de jouifi^nce pendant plusieurs an^
nées , femblât devoir anéantir cette pr^ogadve. La
prefcription avoit fi peu éteint ce droit , qu'on le fit
revivre fous Charles Vl en la perfonhe de Jacques de
Bourbon > grand bouteillier de France qui > le i^etze août
1397 , fit en la <:kambrt kjirment acoutumé de prcmkr
pré^dcnt lai , charge que Von difoit apartcmr fir être
afiStée au grand bouPtilîkr y quel qu^il fût y quoique Jes
titres de provijion n^en jMent aucune mention : Ce qui
cooflatoit encore plus évidemment i'autheaticité de cette
prérogative. Un ancien reciftre de la chambré, en par- Mimoriaidê
tant des droits du grand bouteillier , marque préçirér ^^^^"^^^^^
ment qu'il étoît fouveratn des comptes. Il n'eft pas pro- ^^'"^"*'
bable qu'il ait été le feul des grands oficîers en poflef-
fion de préfider à l'examen. & au jugement des comr
ptes. Ce qui confirme encore cette opinion , c'eft que
rori voit dans les anciens CQriiptes , le cTi^incerier dé
France compris avec les préfidents & maîtres de la
D ij
i8 Histoire db France,
■ chambre {a\ Les chanceliers alors comptoient à la
Ann. IJ5I, chambre de rémolument du fceau : cet ufage ne fub-
r/^T^'''^' fifte plus aujourd'hui ; ce compte eft préfenté par ks
Mémorial A. référendaires : il n'y a plus que les lettres de provifîon
/<)/• 13. de ce premier chef de la magiftrature qui foient fu jetés
^il^%!tt ^ l'enregiftrement. La chambre par fes arêts commet-
Arrit du 6 ^^^^ ^ ^^ recette , & adminiftroit les droits de la grande
Hars.ij^il. .chambrerie. Les dépenfes des armements, des voyages
de la cour , des équipages du prince , des frais de ion
hôtel , dont les comptes étoient fournis à fon examen
& réglés en vertu de fes jugements , entrajnoient né-
cefTairement dans le relTort de fa jurifdiâion toutes les
diférentes parties fubordonnées aux titulaires des gran-
des dignités. On formeroit un recœuil immenfe de toutes
les preuves qui fe trouvent dans les anciens regillres :
dons , concernons , graces , rémiffions , afaires civiles
& politiques des princes , intérêts de la nation , traités ,
négociations , déclarations de guerre , trêves , pacifica-
tions , commiifions fecretes , bulles des fouverains pon-
tifes , décrets des conciles , tous les monuments de i ad*
miniftration publique s'y trouvent dépofés.
(tf) Dans les anciens comptes pour le droh de bûche eftimë en total 4e lîv.
J^arifis , étoient compris monfeigneur le chancelier , le préfident des comptes ,
es confeillers clercs 6c lais , le changeur 6c le clerc du tréfor. Dans Tétat du
même compte il y a des articles qui fournirent un témoignage fenfiblc de la
modeftie , de la trugalité & du defintéreflement de notre ancienne magiftra-
ture. Voici le montant de leurs gages 6c droits utiles.
Six fous parlfis pour chacun jour de gages , 6c leur en eft fait te compte au
tréfor par chacun terme de Nod U de Saint-Jean. Ceft par an civ. Hv. x* fous
parifis , 6c quand biflexte échiet ils montent à cix. Ilv. xvi. fous parifis.
Item par an pour droit d*efcripture qui fe comptent par jour audit tréfor»
XXX. Hy. parifis.
Item , par an deux manteaux , Tun d'hiver » l'autre d*efté , qui fe comptent
efdîts termes de Noël 6c de Saint -Jean. Ceft à fçaroir , le manteau d'hiver
au terme de Noël Dour le jour de Noël , 6c le manteau d^été au terme de Sainte
Jean pour le jour de Pentecoufte. Pour chacun manteau c fous parifis.
Item un couftel garny de gucunivet 6c 4^ gayne , une eforitoirc gamy de
cornet 6c de bourfo» 6c une paire de gans.
Ltt officiers de la chambre ponoient anciennement de grands cifeaux à lents
ceintures , pour marquer le pouvoir qu'ils avoient de retrancher les mauvais
emplois dans ïit% comptes qu'on leur préfentoit. Mémorial dt ta Chamire du
Compti*.
J E A N I I. 29
Pafquier dans fes curieufes & fçavantes Recherches .
die : V qu'en Itfanc les anciens regittres & mémoriaux Ado. 1551.
i> de cette illuftre compagnie dans lefquels fe trouvent
» une infinité d'afaires d*£tat y il faut que les feigneurs
V des comptes ayent été décorés des premières dignités
» de la France , ou qu'ils ayent eu plus qu'aucuns des
}y autres oficiers du roi un foin particulier de rédiger
V & recœuillir dans leurs archives toutes les afaires im-.
» portantes qui fe paiToient en France. a« Le fentiment
de ce célèbre écrivain ne doit pas être regardé comme
une iimple conjeâure y il avoir confulté les monuments
les plus authentiques dont la garde étoit confiée à la
chambre. Pafquier étoit avocat-général de cette cour.
Une lettre de meffire Jean de Saint-Juft , confeiller
du roi 9 maître ordinaire en fa chambre des comptes ,
adrelTée à M. le chancelier , le 23 Novembre 1339 >
nous a tranfmis une partie des prérogatives de cette
compagnie. Ils fignolent les lettres du prince comme
fecretaires ^ & fcelloient les Chartres & lettres-^patentes
du grand*fceau de la chancellerie. Le grand nombre &c
la diverfité des a&ires ayant obligé les feigneurs des
comptes de fixer leur réfidence à raris , il ne leur fut
plus poflîble de vaquer à l'expédition des lettres éma-
nées (lu fouverain : ils continuèrent cependant de jouïr
des droits honoraires & utiles de la chancellerie juf-
qu'en l'année 1300 , que Guillaume de Crefpy chancelier
de France leur retrancha leur part de la chancellerie , pour
ce çff^ils' ne /iiivoUntplus la cour , en leur réjervant toute-
fois V exemption & franchifes pour eux 6f leurs afaires
particulières.
Tel étoit l'état de la chambre dès tes premières an-
nées de fon inftitùtion , & lorfqu'elle étoit inféparable-
ment atachée à la fuite de nos rois : çUe conferva la
plus nande partie de fes prérogatives long-temps après
«fa réfidence a Paris : c'eft au reg^e de faintXouis que
Ton peut en fixer l'époque. Par l'ordonnance de ce Ordonnances
prince de l'an 12^2 , il eft dit que ceux qui auront reçu ^/««'^^'^>
le lien des villes pendant une année viendront à Paris ^'^^^^^y
^o Histoire de France,
^™*''"***^ ïiux gau du roi qui font les gens des comptes j auxoSaves
AniL 13 ;i. de la /aint. Martin enfitivant pour rendre compte de leur
recetu €f dépmfe. Jean de Saint-Jufi (jui a rccœuilii &
^'édigé un€ partie des aQciennes archives au commen-
cemeat du quatorzième iiecle ^ en donnant des éclair-
ciflbments fur l'état de la chambre au chancelier Pierre
Mémorial s. ^^^^^ y ^^ formellement : J^ai pieça fym par les an--
jufl. ' cieMs que ceux de la . cliambre des comptes réfidens à Paris
fi copime ils ont été puis à tems notre Jcigneur /aint
Loys.
(a) Quoique la chambre des comptes , ayant cefië
d'être ambulatoire » femblâc devoir natiutdlement bor«
ner fes fondions à la diicuffion âc au jugement des ma«
tieres de finance , que l'augmentation des domaines ,
des droits & de Tautorité de nos monarques rendoit un
des foins les plus importants du gouTernement ^ on la
vit eqçore ocupée des afaires les plus graves êc les plus
intéreflantes , dîftinâes abf(^ument de l'économie des
Mémorial c. ^cvenus de l'Etat. Les gens des comptes , difpenfateurs
' de l'autorité fouveraine , décidoient de l'incapacité des
. juges , les dépofoient^ en commettoient d'autres à leur
place ^ Se ces aâes de pouvoir étoient exercés par eux^
fans qu'ils j fufTent autorifés par des lettres af^tériçu-
res : preuve certaine de Tancienne étendue qu'enjbraf-
foit leur inftitution primitive* ^
On peut citer encore , comme un témoignage irré*
I^rochaole de la confidération dont nos rois nonoroient
es geos des comptes ^ les lettres - patentes du 13 Ifars
1339 9 par lefquelles Philippe de Valois leur confié
(a) AfKÎêmnemeBt » dit Pa&akr * les gentilshommes , baillifs U fénécliaaz
«dniniftroient la jofticc fans iteucenaot de robe loogcie. Advint que M. Go*
demar do Fay , baillif de Cbaumont èc de Vitry » fe trouvant n être capable
pour exercer cette diaige , il Rit ordonné par la chambre tjiiM s'en demet-
troit s car comment ^'H fait kon hommi tTarmts « il n*a pas ttconttttnié à
tenir plaids ne afTiArs ^ & que Ton y poanroye d'aucun bonne perfonne qai ^
(bit cheraHef. Ce qui fm exécuté fliivant le mémorial , k 30 août 15H »*
^nil remis As iceaux à la chambse {^or aommer zlù. gouverneac derdîts
bail lies.
C'eiï à des circonftances à-peu-près femblables qu'on peut raporter Torigine
des lieutcoanis des bailliages 6c fénéchaufTéa. ,
J E A N I I. 31
f Pendant foti abfence le dépôt facré de la puiiTance roya- "^amsus^ss:
e : la régence abfolue du royaume n'exprimeroic pas Ann. ijji*
une autorité plus illimitée. Le roi partoit alors pour
l'armée , & la chambre dépofitaire des droits du mo-^
narque les exercoit fans réferve (a).
De toute ancienneté il y avoit deux préfidents à la
tête de cette compagnie y un prélat & un fëîgneur che-
valier. Quelquefois , dit Pafquier , // y avoit deux autres
prélats avec un fei^neur lai , mais fur- tout Vétat de pre^
fnier préjident étott afeâé à la prélature. La première
préfidenceeft encore de nos jours une charge de premier
préfident clerc : ce qui eft exprimé dans les lettres de
provifioiï. Dans ces temps malheureux où nos funeftes
divifions livrèrent le royaume aux Anglois , la cham-
bre è^ comptes fc reflentit de la confufîon générale
Qui boulevcrfa tous les ordres dû royaume. Le premier
foin dé Charles VII , loriîjue la capitale fut rentrée
fous TobéifTance de fon légitime fouverain y fut de re-
{a) Ces lettres nous ont para fi int^refTantes « que nous avons cru devoir
les raporter.
PHXLIP9E» &c. à nos am^s £c ftxvx , les gens de nos comptes à Paris,
£alat & dUeûion. Noa$ fommes au temps ptéfent moule occupés pour en-
tendre au iait de nos guerres & à la défenU de notre peuple. Et pour ce que
lions ne pouvons pas bonnement entendre aux requéces , délivrer tant de grâces
aue de juftice, que piufieur^ gens i tant d'églife, de religion , que autres nos
iujets nous ont louvent à requerre : pourquoi nous qui avons grande & pie-
niere confiance de vos loyautés , vous commettons par ces préfentes lettres
pienier pouvoir jufqu'^ la fête de la Touflaint prochain^ à venir d*oéboyer
de par nous à toutes gens , tant d*égUre , de religion comme de féculier ,
grâces fur requêtes tant faits que faire à perpétuité , d*oAroyer privilèges 8C
grâces perpétuels & à temps à perfonnes.(éculiers , églifes , communes» & ba-
bitans des villes , & iaipo/itions & maletottes pour le profit commun des lieux ,
de faire grâces de rappel , à bannir de notre royaume , de recevoir à traité
de comp^fitîon quelques perfonnes de communautés que ce fbient fur canfcs
tant civiles que criminelles , qui encore n'auront été jugées » & fur quelcon-
ques ;iutrcs cnofes qu& vous verrez qui feroient à odroyer , à nobiliter bour-
fcoi^, & quelques autres perfonnes non nobles y de légitimer perfonnes nées
ors mariage quant au temporel , & d'avoir fucceffion du père & mère , àt
confermer & renouveller privilèges & donner nos letcKs en cire verte fut;
toutes cbofes devant dites & chacune d'icelles à valoir perpétuellement & fer-
mement , fans revocation de fans empêchement. Et aurons ferme & fiable tout
ce one vous aurez fait is cho(ès deirufdices êc chacunes d'icelles. En témoin
de laquelle cho(£ nous avons fait mettre noue fcel à ces préfeutes. Donné au
bois de Vincennes, le x^ mars 1335.
3^ Histoire de France,
■ mettre Tordre dans Tadminiflration de la juftice &des
Afin. i);i. finances de l'Etat : par fon ordonnance du dix -huit
RÊcœuîi des Mars 1^37 , il rétablit les deux charges de préfîdents
1557.^"^"' eccléliaiiique & laïque fuivant l'ancienne forme. Louis
XI fon fils s'écarta de cet ufage en conférant la dignité
de premier préfident clerc à de Beanveau ,
quoiqu'il fût féculier. Charles VIII , par une difpofi-
tion contraire , donna l'état de premier préfident lai k
l'Evêque de Lodeve , & peu après fous Xouis XII ,
meffire Jean Nicolas , maître des requêtes de l'hôtel du
roi , fut pourvu de cet ofic^ , en i^o^. Il avoit été
employé par le roi Charles VllI en plufieurs grandes
charges en Italie ^ & nommément en celle de chance*
lier du royaume de Naples , & eji chofc grandement
mémorable que cet état de premier préfident ait été tranp-
mis en quatre fucuffives générations de biCdieul , dieul j
père & fils y meffire Jean , Aymar , Antoine & Jean
Nicolay , ce qui n^ advint à autre famille de la France.
C'eft ainfi que s'exprimoit , il y a près de deux fiecles ,
un magiftrat aufii judicieux que fcavant y en rendant k
la maifon de Nicolay la^juftice due aux vertus héréditaires
de cette illuftre famille. Depuis ce temps cette dignité
a toyjours été remplie par leurs defcendants pendant
le cours de fix générations , & nous avons vu cette
fucceffipn non interrompue parvenir jufqu'k nous , par
une fuite de magiftrats que leur intégrité & leurs lu*
mieres ont également rendus recommandables. La
France voit avec fatisfadion revivre dans la perfonne
de meffire Aymard-Jean Nicolay , les refpeâaoles qua-
lités de fes ancêtres. S'il eft , comme on n'en peut dif-
convenir , une nobleffe d'extraâion qui mérite notre
vénération & nos refpeds , c'eft fur-tout celle qui , fon-
dée fur des fervîceç réels jpc multipliés jrendus au prince
& k la patrie , s'eft acquis des droits imprefcriptibïes fur
la reconnoiiTance publique.
Les maîtres de la chambre des comptes , ainfi que
les confeillers du parlement , étoient diftingués en con-
feîllers clercs & en confeillers laïques y coutume qui fut
religieulement
: J E A N I r. 33
religieufemem obfervée pendant long-temps : on ne î=îS!!îS!!=
trouva qu'une ei^ception a cette loi générale fous Char- A^- <}/'•
les yil , lorfque la chambre des comptes étoh réfidente
à Bourges. Le nombre des maîtres étoit fixé ancienne-
ment à cinq j dont trois étoient clercs & deux laïques : ^
ce nombre nit augmenté dans la fuite y les rois créèrent
des charges nouvelles , ce qui introduifit 11 diftinâion
des maîtres ordinaires & extraordinaires. François I en
ajouta de nouveaux. Henri II fon fils multiplia le^
états au double , & les poflèflëurs exerçoient leurs
charges alternativement pendant fix mois.
Lorfque les confeillers maîtres ^ clercs & laïques \
fuîvoient la cour ^ ils étoient en même-temps juges &
raporteurs des comptes : ils confièrent dans la fuite le
foin de raporter les comptes à leurs clercs ou fecré-
taires , qui furent apelés petits -clercs pour les diiiin*
guer des maîtres eccléfiaftiques. Ces petits-clercs rapor-
teurs nommés d*abord & inftitués par les maîtres , ob*
tinrent des lettres de^ confirmation des rois avec le titre
de clercs & enfuite de confeillers - auditeurs. Quelque
temps après , la chambre fit choix de quelques audir
teurs 9 qu'elle commit à la révifion & correâion de$
comptes y dont l'examen devenoit plus pénible pal: les
augmentations & variations des finances : ces correc-
teurs avoient féance au grand bureau des confeillers
maîtres. Charles VII par fon édit de 1447, leur en in-,
terdit Tentrée > k moins qu'ils ne fufient dans U nécef<-
fité d'y venir pour fiiire raport de leurs correâions.
Ces charges fe multiplièrent ainfl que celles dçs audi-
teurs y des maîtres & des préfidents , fixées aujourd'hui
au nombre de un premier préfident , douze préfidents y
foixante & dix-huit maîtres , treiïte-huit correâeurs , &
quatre-vingt-deux auditeurs.
Les magiftrats qui rempliflbient les fondions d'avo-»
cats & de procureurs - généraux du parlement les exer*
cerent pareillement à la chambie des comptes jufqu'ea
14^4, que Charles VII , par édit du vingt-trois Décem-
bre , créa un ofice de procureur -général , & Louis XI
Tenu V. E
34 Hl STO I RE DE Fr AN CE ,
^^^^^^a^^^ celui d'avocat -général , fucceffivemenc remplis jufqu^à
Ami. X55»- ce Jour fans innovation.
Les afaifcs importantes qui fe , traitoient journellcr
ment àja chambre dés comptes, dcAiandânt un fecret
inviolable ; potir en dérober, la cortnoiflaiice aux ofi-
ckrs fùbalternésr de éette cour , Tighorance des lettres
^toit une âcs condîtions requifcs dans ceux qu'on ad-
Mettoit à ces emplois : ils éroietit obligés d*afir mer pat
ferment qu'ils ne ffeavoient ni lire , ni écrire. Coltnct
Malingre y reçu dans l'état de' premier huiffier , [ charge
dont les provifîpns ennobliffent aujourd'hui celui .qiri
éaeft revêtu J fut ie premier qui en 143^ obtint a^
kttres de difpenfe de 1 ignorance prefcrite à fes prédé-
ceffeurs.
LHmportancc des fondions & l'antiquité immémo-
riale de cette compagaic , lui ont mérite des diftinâions
•& des hôneurs qui P&alént aux corps les plus refpeâa*
1>les'de l'Etat. /Dans les cérémonies publiques , la coilr
Mémorial B. ^^ pairs &'Ia chambrc des comptes marchent en-
fol. 144. fembie. Les confeitlcrs de la cour & les maîtres ,
[ comme il eft raporté dans, un ancien mémorial } ung
d^un^y ung (P autre [, tant qu^vn y peut fournir^ & n*ya
• diférence , finon que ceux qui. /ont ae parlement font
au - dejjus à dextre. Lorfque les rois aoclent dres deui
compagnies à quelques cérémonies , aàions de grâces
& procdfions indiquées à la cathédrale , ils s'èxpriinent
ainn dans les lettres d'invitation adrcffées à la chambra
des comptes ; Çf pan;e quelle diférend^ que vous aveT
(ivcc notre cour de parlement n^ejt pas encore terminé ,
nousvûUlons m. 'atendant qu^il le f oit , & pour cette fois
feulement , que vous ayei^ à fortir par la. porte du chœur
du côté de l^ évangile.
Origine des ^^ ^^^ > P^^ ^^ atcntipu \ réformjer quelques abus
malheurs de introduits dans les finances , avbit paru s'apliquer aux
TEtac foins du gouvernement. Ce thoriarque , dans toute' la
vigueur de l'âge, Ibrfqtfil ÎYionta fur le trôpe , avoir de
la probité, cette vertu fi refpeftable , fur-tout dans un
fouvçrain : il étoit brave & généreux j'ces heureufes
, J « A N I I. 3^
qualités avpîent éjcé cultivées par une excellente éduca- .
tiort. Outre ces (avantages , lexemple des fautes de fon ^na. i|;i.
père étoit devant fes yeux ; leçon udlc ^ mais qu'il
négligea. L'aveuglement qui l'empêcha d'en profiter eft
incompréhenfible : il eût pu rendre heureux les peuples
dont la Providence lui avoit confié le gouverhement ;
êc jamais ^ depuis que fa famille tenok les rêoes de
Tempirë François , la France a'avoit été réduite dans
un état fi déplorable qu'elle le fur Cous £on régne. Il
faut convenir , cependant , pour juftifier en partie la
mémoire de ce roi ^ que pluueurs circànftances étr^-
gères concoururent avec fon imprudence aux malheurs
de l'Etat. C'eft au mariage de Jeanne fa fille qu oa
peut raporter l'époque des funeftes divifions qui déchi<-
rerent le royaume. Cette pfeincefTe , âgée pour-lors de
huit ans ^ rut acordée avec ie jeune Charles ^ roi de
Navarre.
Il efi: nécefiàire ^ potir l'incelligeocB de l'hiftoire ^ de Ponraic de
faire connoitre ce: prince , qui va joàer.un fi terrible S^^^^^c^^^^
rôle fous les règnes con£écuti£^ de Jeani.j& de Charr-
ies V. Charles 9 roi de Navarre, étoit fils de Philippe,
comte d*Evreux , & roi de Navarre lui-même 9^ caufe
de Jeanne de France , fon époufe , fille de Louis X.
// avait j dit Méaetay.,, toutes ies bànneîvqualms qu^iim
mtckantc ante rend pémimufès , lUfptit ^Véhûûmu^ Z^^-
djjdfc , la hardujffc 6r la. liberaUtL li étoit! J'homnaec le
^ip» beau & le mieux fidc de fon temps ; mais cet exté-
rieur prévenant étoit démenti per les vices les plils
odieux. Sous l'apavenceTéduifante des grâces. de la Au-
gure exiftmt une axne cruelle , artificieuie , vôndkracKe ,
capable de le porter aux plus grands excès), k cp;n le
crime ne.coûtx>it rien. Son imagination mèmci fémblmt
acquérir de nouvelles fiirces , lorfiju^il s*agiflbit de pro^
jeter un Jbrfiiit. Sa vie ne fut qu'un tifTu d'aâions abo-
minables. Toujours inconféquent d»ns fes démarches,
fans defieia fixe, fôn inconftance ne paroifibic ooncre-
<itte que par une perverfitd inaltérable. En jugeant de
fa conduite par le principe & par l'événement , on eût
E ij
3^ HlSTOI^RE DE FrA47C£^
. . ' dit qu*il ne commettoic le mal que, pour le plaiiir de
Aûn. XÎ5Ï» le commettre. Son génie inquiet & turbulent étoit dans
une aâivité perpétuelle. S'aventurant prefque toujours
avec imprudence , il étoit affuré de trouver des reflbur-
res contre tous les revers *dans fon efprit dMntrigues &
de cabales. Brouillon & politique , il s^accommodoit
au joug de la néceflité aufli facilement qu'il fçavoit
faire ufage des circonftànces heureufes , lorfque le iuccès
couronnoit fon audace : connoifTant toutes les paillons
humaines qu'il manioit à fon gré , rien ne pouvoit ré«
ffter à la rapidité de fon éloquence. Cétoit un torrent
qui entrainoit tous les efprits. AiTemblage inouï de
tous les vices ^ il eft peut-être le feul grand criminel
<jui n'ait jamais démenti fon caraâere par un aâe de
vertu. Le mépris des loix divines & humaines y la per-
fidie y la haine couverte, y le refTentiment implacable y
Timpudence la plus éfrénée y fembloient fe dîfputer
l'empire de fon cœur atroce. Trahifons y révoltes dé-
clarées , négociations firauduleufes , furprifes , parjures y
afiaflinats y empoifonnements y tels étoient les funeftes
jeux d uii prince né pour le malheur du genre humain.
Mobile de prefque toutes les conjurations y éternel ^r-
tifan de dilcord!es y il déchira le royaume y il porta le
fer & la flamme dans toutes les parties de la France y
& mit plufieurs fois l'Etat fur le penchant de fa ruine.
jamais furnom ne fut mieux mérité.
Mariage de Cette même année le roi avoir fait célébrer le ma;*
^z^nc\/^ï' ^^^^^ ^" connétable Charles d'Efpagne , fon favori,
SuProl *^^" avec Marguerite de Blois , dame de l'Aigle , fille de
Charles de Blois.* Cette princefTe étoit nièce y à la mode
de Bretagne , du roi Jean y Charles de Blois étant fils
de Marguerite , fœur de Philippe de Valois. Le roi en
fiiveur de ce mariage donna au connétable le comté
d'Angoulême & les châteaux de Benaon & de Fronte-
nay-Fabatu. Ces terres y ainfi qu'il a été précédemment
J E A N I I. 37
obfervé , avoieiit été affignées pour le paiement de trois ï!!ï!=!5!î
mille livres de rente faiïant partie de plufieurs autres Ann. ijji.
revenus promis à Philippe , roi de Navarre, & à Jeanne
isL femme , en indemnité de leurs droits fur les comtés de
Champagne & de Brie. Cette donation fut le germe des
premiers mécontentements du roi de Navarre , ,& de
là jaloufie contre le connétable , auquel il reprochoit
de l'avoir dépouillé , en le déshéritant , Ê' retenant fon
héritage. Tels étoient les termes dont il fe fêrvoit pour
exprimer fes plaintes. Ces terres éfeâivement avoient
été cédées au roi & à la reine de Navarre : mais Jean-
ne , avant que de mourir , avoit fait un fécond échange
avec le roi Philippe de Valois du comté d'Aneoulême
& des feigneuries de Benaon& de Frontenai-rabatu ,
au-lieu defq^uelles terres on lui avoit donné Pontoife ,
Beajumont-iur-Oyfe & Anieres. Les plaintes du roi de
Navarre auroient donc été mal fondées , s'il en avoit
été réellement mis en pofTeflion : mais on ne trouve
aucun vefiige de TaccomplifTement de ce traité. Il pa-
roît même par tous les diférents accords qui furent
faits dans la fuite avec ce prince , que l'échange n'a-
voit point été exécjuté. Le roi y fans être arête par cet
obflacle ^ qu'il auroit pu lever facilement y en latisfai*
f^nt le roi de Navarre ^ ne fuivoit dans la diftribution
de fes grâces que fon aveugle inclination pour le con-
nétable. // avoit pour ce feigneur , dit un hiftorien ViUanL
contemporain , un amour Ji fingulier ^ qu^il préféroit fes
confeils à tous ceux des autres feigneurs ; & ceux qui
vouloient mal parler , faifoient un crime au roi de ra-
mour defordonnc qu^d avoit pour ce jeune homme. Ce
n'eft pas un des moindres defagréments atachés à la
poiTeuion du diadème y que les rois , plus malheureux
en cela que les derniers de leurs fujets , ne puifTent fe
livrer aux douceurs de l'amitié en fuivanc leurs pen-
chants , & que gênés par leur propre grandeur , Téclat
de leur rang les rende comptaoles au public de leurs
afeâions particulières. On a quelquefois reproché' aux
fouverains de n'avoir point d'amis : acordent-ils cet
• 3^ Histoire DE* France,
g**"— — ^ honeur à quelques-uns de leurs fujecs , auffi-tot la
Ann. 13 51. même îndilcrérion , qui blâtnoit leur infenlibilité , con-
damne leur choix : on fe plaint que ceux qui aprochent
du trône jouïffent feuls de toutes les grâces. Cepen-
dant ces faveurs , qui paroiffent excemves , dcvroienc
moins, être imputées k la trop grande bonté ou à la foi-
blefle du prince , qu'à l'infatiable ambition de ceux oui
les obfedent. Charles d'Efpagne , parvenu au faîte des
honeurs , comblé des bienfaits de fon maître , fe vit
autant d'ennemis qu'il y avoit de courtifans avides : les-
grands feigneurs , & fur -tout les princes du lang ,
étoient indignés ; mais aveuglé par la profpérité , il
n'aperçut pas , ou méprifa peut-être la haine prelique
générale que lui atiroit fon élévation. Il ofa être trop
heureux.
Ann. ijft. Les fêtes & les intrigues ocupoieht la cour de France ,
Entrcprife trauquilc d'ailIcurs fur la foi du dernier traité qui avoit
sriJt'^Omcr!^^ prorogé la trêve , tandis que TAnglois , touiours aren-
Froijfard. ^^^ > ^^ laîfToit échapcr aucune oca lion injuue ou légi-
chronrq. de timc de faifîr fes avantages. Le gouverneur de Calais ,
^^"^chron MS. -^Y^^^y ^^ Pavie , encouragé par le fuccès qui avoit
du roi Jean. * couronné fon entrcprife fur Guines , eflaya de s'empa^
rer de la ville de Saint-Omer , ^ la faveur de quelques
intelligences dont il croyoit s'être afTuré. Charny , gou-
verneur de cette vijle , fut inftruit de fon defTçîn. Non
content d*avoir pris toutes les précautions néceffaires
pour la sûreté de la place où il commandoit , il réfolut
de ne pas manquer une conjonfture fi favorable de fe
faifir d'un ennemi qui venoit lui-même fe livrer à la
vengeance qu'il méditoit depuis fi long-temps. Il fit
avertir le maréchal de Bcaujeu du jour que la tetitative
devoit fe faire. Aymery comptant fur la jM-écifio» des
mefures qu'il avoit prifes , s'aprocha de Saint-Omer
avec fécurité ; le maréchal le laiffa pourfuivre.fa mar-
ché jufqu'^u près de Bourboorg: loflqu'il te vit engagé
fi avant , qti'il ne lui étoit plus poffible de reculer , il
le fuîvit. Quelques foldats de Taricre- garde Angloife
apercevant un gros détachement de cavalerie qui ve-
/x_
J E A N ' I T. î • ^9
noit à eux , en donnèrent avis à leur commandant : il — '
renvoya reconnoître ; •& fur le raport qu'on vint lui Ann, ijîx.
faire que c'étoit un corps confidérable , il voulut re^
tourner fur fts pas , convaincu que fon entreprife étoit
découverte. Mais il n^étoit plus Kmps : il falut fe ré-
foudre, au combat malgré l'inégalité du nombre. L'ac-
tion fut fanglante : 4e maréchal de Bcaujeu fut tué.
.Charny étant forti de Saint- Omer avec une partie de
la garnifon , vint achever la déroute des Anglois , qui
fe bâtirent en défcfpérés. Aymery de Pavie , envelopé
de toutes parts , fut fait prilonnier : chargé de chaînes ,
on le conduifit à Saint-Omer , où Charny le fie écarte-
1er, fuplice trop cruel fans doute dans une guerre où
les furprifes & les violations des traités paroiiToienc
autorifees par les exemples des deux partis. Charny
lui-même auroit dû fe reflbuvenir qu'en femblable oca-
fion , Edouard Payant en fon pouvoir , lavoit généreu-
ement épargné.
On (^ontinuoit cependant les négociations pour la
paix. Le recœuil public des aftes d'Angleterre contient
une infinité de lettres de pouvoir donnée par Edouard
à fes minifires pour terminer les diférends entre les
deux couronnes } mgàs il paroit par les prétentions
exceflives de ce prince , & par les dificultés fans
nombre que fes plénipotentiaires aportoient à la con-
clufion du traité , que Ig monarque Anglois rfavoit
d'autre vue que d'amufer le roi , 6c l'empêcher de
prendre des mefures décifives contre fes defleins per-
nicieur.
Lorlq[«ie Guy de Nèfle , maréchal de France , fait Défaite &
J)rifonnier en ^aintonge , eut recouvré fa liberté , le roi ^c°Ncnïmar7-
'envoya en Bretagne avec des troupes , pour foutenir le chai dcFrancc.
parti de Charles de Blois : il ne fit qu'augmenter le Froifard.
nombre des • difgraces de ce malheureux prince. Les ^^^''^'"' '^^
troupes de la cottHefTe de Monfbrt , commandées par "cfr^i. Ms.
Gaultier de Vintley y Tannegui du Châtel , Garmér de Hift.deBret.
Cadoudal , & Y<pes deTrezuiguidy , s'étoient campées à
Mauron ,. près du château de Brefvili. Le maréchal de
40 Histoire DE France,
— — — Nèfle comptant fur la fupériorité du nombre , voulut
Ann. X55X. les forcer dans leurs retranchements. Les Anglois &
- les Bretons du parti de la comteiTe fe défendirent avec
intrépidité : Tannegui du Châtel perça le corps de ba-
taille où commandoit le maréchal y perdit la vie dans
-Cette ocafion. La mort du chef détermina la viâoire :
les partifans de Charles de Blois furent entièrement
défaits. Le vicomte de Kohan , le lire de Tinteniac,
{ ce brave chevalier qui avoit donné des preuves fi écla-
tantes de Ton courage au combat des Trente , ] le fire
de Bricquebec & le châtelain de Beauvais | expirèrent
fur le champ de bataille.
Le roi arbitre La réputation de bravoure & de générofité que le
dun différend j-^j j^ France s*étoit acquife , lui mérita J'honeur d'être
entre les ducs . . j» • u /• ' •
dcLcncaftrc& pns pour juge d uue querelle lur venue entre deux
de Bninfvich., princes qui n'étoient point fes fujets. Le duc de Len-
^^"'^•^^••caftre , àcufé par le duc de Brunfwich d'avoir, tenu
l'iirtl i7p. ^o. des propos injurieux , avoit donné un démenti public
Froifard. dc" Cette acufkàon 5 &.jeté fôn gaœ , fuivant^ lufage
i^t^ïUan.^^ S"^ ^^ pratiquoit alors. Le duc de ïrunfwich, en. qua-
lité de demandeur ^ avoit le droit de choifir. jpour juge
le prince devant lequel ilprétendoit que la quereUe
fût vuidée : il s'adrefla pour cet éfet au roi > & fit
.fignifier a T Anglois qu'il le.trouveroit à Paris 9 & que
là ils décideroient leur diférend les armes à la main«
Le duc. de Lencaftre obtin(^une permiflion d'Edouard
de fe rendre à la cour de France » afin de défendre fon
honeur. Ces deux rivaux comparurent dansv une lice ou
chàmp-clos ^ qui avoit été préparé dans le pré aux
clercs y hors des murs de la ville ., du côté de l'abaye
Saint- Germain , lieu où fe livroient ordinairemei^t c^
fortes de combats. Après qu'ils eurent fait les ferments
acoutumés en femblable^ rocafions y ils montèrent ^
cheval , & tirèrent leurs épées. Déjà Ton avoit donné
le fignal qui permettoit aux afFaillants de combatre ,
lorfque le roi , qui en qualité de juge afiîftoit à ce fpec^
tacle avec toute fa cour, les empêcha d'aller plus avant,
^ dç piefurèr leurs forces : fatisfait du courage égal
"es
i
JevAn II.^ 41
des deux parties ^ il prie la querelle fur lui-même, & ^
fe chargea du foin de les réconcilier. Cette médiation ^^^^ ny»^-
dut être d'autant plus glorieufe au roi , qu'en préfer-
vant le duc de Lencaftre des fuites incertaines d'un
combat dans lequel il pouvoit fucomber , il fe mon-
troit foigneux de la confervation d'un de fes plus dan- #
gereux ennemis.
Le roi fe difpofoit à faire le voyage d^Avignon , fur Mort de cié-
les nouvelles qu'il reçut de la vacance dû laint fiege. mcntvi.
Clément VI mourut le fix Décembre de cette année , ^'t^^^^ifc
après avoir ocupé la chaire de faint Pierre pendant ^ roThan. *
Tefpace de dix ans & fept mois. « Ce pape , dit HÎfi. EccU-
w un hiftorien contemporain , fut près - libéral pour ^^"^j^^^i^ yn^
9^ donner des bénéfices par les expedtatives & la claufe ianiXi\c.^^^
» anteferri , ou de préférence : il entretenoitfa maifon
»en fouverain : la magnificence & la profufion ré-
9> gnoient à fa table : il avoit un cortège nombreux
» de chevaliers & d'écuyers , & quantité* de chevaux
«qu'il mohtoit fouvent par divertiflement : il ne né-
»gligea point Tavancenient de fa famille : il acquit
»pour fes parfents de grandes terres en France : il en
f> ht plufieurs cardinaux , quoiqu'ils fuflent trop jeunes,
» & qu'ils menafTent une vie fcandaleufe. Dans les pro-
jy motions il n'a voit égard ni à la fcience , ni à la vertu ;
» il ^coit cependant lui-même affez inflruitdans les let-
» très ; mais fes manières étoient cavalières & peu ecclé-
yy fiaftiiques. Etant archevêque [ c'eft toujours le même
écrivain qui parle , ] » il ne garda pas de mefures avec
» les femmes ; mais il alla plus loin que les jeunes fei-
» gneurs : & quand il fut pape , il ne fçut ni fe contenir
M lut ce point , ni fe cacher. Les grandes dames alloîent
» k fes chambres comme les prélats , entre autres une
» comteffe de Tufenne , pour laquelle il faifoit quan-
» tité de grâces. Quand il étoit malade , c'étoient les
» dames qui le fervoient, comme les parentes prennent
w foin des féculiers a. A ce portrait qui ne paroît pas
flaté , qu'on peut même foupçonner d'avoir été difté
par la paflion, Villani auroitdû ajouter que Clément VI
Tome V. F
4^ Histoire de^^France,
==!= cultiva Içs arts âc les fciences , qu'il fut éloquent pour
Ann, xji*. fon fiçcle , qu'fl aima la juftiçe & U paix , qu'il em-
ploya lans çeffe fa médiation & fes foins paternels pour
établir la concorde , & que pendant le cours de fon
pontificat , ou ne peut lui reprocher d avoir négligé
un feul moment de s'apliquer à mettre fin aux funcftes
défordres de la guerre. Ses follicitatipns continuelles
auprès des roi^^cfc France & d'Angleterre , font des
preuves inconteft^bles de, fon amour pour la paix y &
de fon zèle pour le bonheur de l'humanité.
ElcûîQn de ^^^ cardinaux aflemblés dans le conclave fc preflè-
Innocent VI. rcut de douucr un fuçcefîeur au fouverain pontife oui
Uidem. venoit d'expirer. Le motif de cette précipitation tut
qu'ils avoient apris que le rois de France oevoit bien-
tôt fe .rendre à Avignon ^ dans le deflein de déterminer
par fa préfence les lufrages des prélats qui compofoient
le facre collège , en faveur d'un pape qui lui fut rede-
vable de fon exaltation. Los cardinaux le hâtèrent de le
prévenir par la nomination d'Etienne Aubert^ cardinal |,
évêque d'Oftie. Ayant que de procéder k cette éleâion y
ils avoient fait un règlement entre eux pour borner la
puifiànce du fouverain pontife qu'ils alloient élire. Par
ce règlement le pape ne devoit plus faire de cardinaux 9
que leur nombre ne fût réduit a feize ^ & ce nombre
ne pouvoir être augmenté que de quatre : le pape n*au-
roit même la liberté de créer de nouveaux princes de
réglife Romaine ^ que du confentement unanime du
facré collège. Ce même règlement privoit le pape du
pouvoir de dépofer ou de faire arêter- aucun cardinal
fans l'ayis de tous ^ & de prononcer contre eyx aucune
cenfure que du confentement des deux tiers. On avoir
inféré que celui fur qui le choix tomberoit ^ promettroic
dès*lors de ne jamais mettre la main fur les biens des
prélats , de leur vivant , ni après leur mort , de ne point
aliéner ni inféoder les terres pofTédées par Téglife B.o-
maine ^ fans la délibération des deux tiers des cardinaux^
qui fe réfervoient encore la perception & difpofition de la
moitié de tous les fruits & revenus des amendes ^ coa*
J E A K I L 43
damnatHVis ^ &c autres émoluments atrilnués à Kéglife
Romaine , en quelque province que ce fur , folvant le Ann. i^*-
privilège acordé par Nicolas IV. La charge de maré-
chal de la cour de Rome y & le gouvernement des pro^
vinces & terres de Téglife , ne pouvotent être conférés
à aucun parent ou allié du pape. Enfin ^ pour acorder
k quelque prthce que ce fût les décimes ^ & autres fub^
iîdes ecclénaftiqucs , où les réferver à la chambre apol-
tx>lique , il étoic néceffaire <jue cette grâce fut confirmée
par les fufra^s des deux tiers des cardioau:s , qui tou!^
dévoient jouir d'une entière liberté dans leurs délibé-
rations. Ils avoient juré d'obferver inviolablemenp ce
compromis ^ les uos purement & Amplement , les au-
tres avec la reftriâion y s^il étoit conforma Ou droit.
Le nouveau pontife , qui étoit du nombre de ces der*
iiiers y commença fcn pontificat par la révocation du
règlement ^ comme abuiif & préjudiciable à la plénitude
du pouvoir donné par Dieu même au pape (èul. Ce
coup d'autorité ne tut pas k feule mortincation qu^'it fie
effuver aux cardinaux , il fuprima plulieurs réferve^
de oénéfices acordées par fon prédéceâeur en fàvecrr
de quelques - uns d^entre eux : il ordonna aux prélats ,
êc autres bénéîîciers. ,, de réfider k kurs bénéfices. La
fimpUcité des mœurs die ce pontife fè ren>arq«Faf par la
dinlinution de la dépenfe de fa ntaifon : il réforma cette
foule de domeftiques que Clément VI entretenoit h fa
fuite : il s'atacba for-toatk réprimer le honteux trafic
que les oficiers apoftoliques ^ifoient de ta judice y en
acordant l'impuinité aux meurtriers , qu'ils arbfoîvoîent
ou toléroieat pour de Fargent : il priva ces- mêmes oft-
ciers du ptom in&me qti'iis ciroiëne y tant chi jeu t!e^
dés y que des femmes^ proflituées. Il prk h nom d'^In-
aoccnr VI. Le roi ayant été informé de fon éleôion ,
abondofflia le pojet du voyage d' Avigni^n.
La cour cepmdaiic ne jou^flSwt mie d'un calme' apa** J^^^^^^^^^^^
rent : l'élévatiow du c^wnécaWf© excitoic de plus en plus ïié cmrc îc roi
la jafofufîe des priuces & dtfs feigfieurs. Le jeune roi ^^.^f'^'^'J^J?^
de Navarre fiir-tout , que fe. dignité & la <jualit^ de ^^^,''^^^'
F ij
44 Histoire peFrance,
*— ^— — ^ gendre du itionarque faifoîent prétendre à la ^emier&
Ann. 135^- place 3ans la faveur , fuportoit impatiemment une
Froijfard. préférence fi préjudiciable à fes vues. Il avoit déjà mar-
dfr^Uea^^' S?^ ^^ plufieurs circonftances fon indifpofition contre
ViiianL Charles d'Efpagne : mais celui-ci , loin d'eflkyer de Ta-
Chroniq. de paifer par une conduite plus modefte , s'étoit comporté
SpUiLcondn. ^^^^ toute la hauteur que la fortune infpire- Dans une
deNangîs. dîfpute très-vive , le gendre & le fayon s'étoient tenu
de^Ckarief^e' ^^^ ^ l'autre des difcoùrs très- piquants : le roi <jui au-
mauvais à la ^oit dû aréter cette méfintelligence dans fon prmcipe^
chambre des Tirrita encofe en protégeant ouvertement le connéta-
^^ISém'.delit' ^Ic^Le roi de Navarre fe plaignoit que Charles d'Eif--
terature. pagnê l^avoit infulté par des propos ofenfants , en le
déngn^nt fous les noms injurieux de billonneur & mùn-
noycur : il ajoutoit que non-content de l'avoir désho-
noré , il lui avoit par les fuggeftions atiré la difgrace du
roi : il jura hautement de s'en venger , & fe retira à
Evreux , très-mécontent de la cour. Ce fut dans cette
ville, que livré tout entier aux tranfports de fon ref—
fentiment, il forma le projet d'abatre Torgueuil du fa-
vori par une vengeance éclatante.
L'ufage qui fubfiftoit alors , ofroit au roi de Na-
varre un moyen honorable & légitime de fatisfaire fa
haine , en déclarant au connétable ce qu'on apeloit une
guerre particulière. Un de fes oficiers , auquel il aVbit
confié la réfolution où il étôit de perdre fon ennemi ,
lui demanda s'il Tavoit défié : Je le ticns^ tout défié y
répondit brufquement le Navarrois. En même -temps
le prince communiqua à ce même oficier toute la fuite
de fon projet : il étoit , difoit-il, téfolu d'aller à Pa-
ris , là de faire une ihfulte de propos délibéré au con-
nétable , & enfuite de le fiiire ataquer par une troupe
d'hommes armés qui fe tiendroient prêts pour cette
expédition. Charles fe rendit à Paris , ne relpîrant que
la vengeance qu'il méditoit : il épia pendant plufieurs
jours Te moment d'exécuter fon deflein ; mais , foit
éfet du hazàrd ^ foie que Charles d'Efpagne fe défiant
de lui , fe tînt fur fes gardes avec plus de précaution
J E A N I I. 45
qu^k Tordinaire , il ne put jamais rencontrer Tocafion ï55î^=î!=5
favorable à racompliflement de fon entreprife. Il revint a^- nj^-
à Evreux défefpéré d'avoir manqué fon coup , & plus
animé que jamais à fatisfaire fon inimitié ^ à quelque
extrémité qu'il dût fe porter.
Le roi de Navarre aprit à Evreux que le connétable ^"°- ^n.î-
venoit d ariver à TAigle : il ne perdit point de temps , cha^?«"d*Ef-
& fit partir des hommes armés , chargés d'exécuter fes pagne.
ordres. Ces aflTaffins trouvèrent le connétable dans fon Uidcnu
lit. Cet infortuné feigneur , vi6Hme imprudente , que
la fortune fembloit n'avoir favorifée , que pour la livrer
ornée à la fureur de fes ennemis , voulut fe lever & fe
mettre en défenfe ; niais il fut terraffé dans le moment ;
& les cruels fa telli tes qui l'ataquoient , fans être tou-
chés de fa jeuneffe , ni des prières qu'il leur adrefla de
lui conferver la vie , le percèrent de coups , & le maf-
facrerent. Charles de Navarre cependant s'étoit aproché
de l'Aigle y & atendoit dans une grange voifine de
cette ville les nouvelles de Tiffue de cet mdigne com-
plot. Dévoré d'inquiétude dans fon impatience , il en-
voyoit de moment en moment quelques-uns de fes gens
à la découverte , lorfqu'il vit acoufir à toute bride le
haron de MarcuU y qui ariva près de lui en criant :
C^ejl fait , c^ejl fait. Xe roi lui demandant comment
fait , l'aflaflin lui annonça que le connétable étoit mort :
les autres meurtriers , au nombre defquels étoient Gilles
de Bantelu , Maubué y Colin y Doubkau y & plufieurs
Navarroiis furvinrent enfuite.
Lé roi de Navarre témoigna d'abord une douleur
feinte , afeftant de verfer quelques larmes , comme s'il
avoit été pénétré de trifteUe. Il vouloit fans doute dé-
guifer la honte d'un pareil atentat , & pallier l'horreur
de fon aâion aux yeux de quelques feigneurs de fa
fuite , qui auroient pu la condamner ; mais il étoit
encore trop jeune pour être capable de diffimuler long-
temps : il cnangea un moment après de ton & de vi-
fage , & ne rougit plus d'avouer tout haut le meurtre
dont il avoit voulu paroître innocent quelques inftants
4^ Histoire de France,
■■■' auparavant. Il raflëmbla fon monde autour de lui , &
Ann. I j;;. {[ aflura les cruels exécuteurs de fes volontés , qu'il pre-
noit fur lui tout ce Qui avoit été fait , proteftant avec
ferment qu'il défenoroit tous fes complices ^ & qu'il
ne prendroit aucunes lettres de pardon ou de rémiflGlon>,
quMs n'y fulTent compris. Jugeant bien que le roi ne
laifleroît pas un pareil crime impuni , il fongea aux
précautions qui pouvoient le mettre à couvert de fon
reffentiment. Dans cette vue il écrivit k plufieurs villes
du royaume , ainii qu'à la plupart des feigneurs & prin-
ces. Ses manifeftes contenoient la juftification oe fa
conduite , ôc la néceflité où il s'étoit trouvé de fe portîex
à cette violence.
Le duc de Lencaftre , qui étoit pour-lors en^ Flan-
dre y ayant été informé de k nwrt du connétable ^ ju-
gea que le roi de Navarre n avoit d'autre parti à pren-
dre que celui de fe jeter entre les bras du roi d'Angle-
terre : ij, lui dépêcha un de ies gens chargé de l'engager
à lui envoyer quelques perfonne de confiance pour
traiter à ce fujeç. Charles répondît à cette invitation ,
en faifant partir fon chancelier , & un chevalier nommé
Friquet (a) : il donna cotnmiflioo en même - temps k
deux autres de fes oficiers d^ fe içendre à Bruges pour
y emprunter de l argent fur des joyaux. Le due pron^rit
aux meifagers du Navarroi$ toute Tafliftance dont il
auroit befoin , tant pour le préfenc que pour l'avenir ,
^ le fit affurer qu'il feroit fécondé par toutes les force$
de l'Angleterre : il preffa même le chancelier de Na-.
varre de paSer à Londres avec lui. Heureusement les
éfets ne répondirent pas à ces magnifiques promefTes.
(tf) Cd Friqncc fot arâc< quelque temps apxâs • lodqœ 1« mi s'sfllira de la
pctfQwe du. roi de Navanre , en le lurpreoant k Rouen avec pluïeuxs feigneor»^
dont qua^c furent décapités. Friquet fiibit jplufîeurs interrogatoires , dont les
procis^verkaufront été conreryév- ju(qa'à prêtent ^ il. Ac astiqué i \^ queAîon »
&L pea€-£tfe tncme e&t-il été exéeu^^ %'û ne s'éook (iauv« du châcekt pai^ Vft->
drefTe d'un de fes domefliques. C*efl des déportions de ce chevalier qu*ont été.
extraites toutes les particularités que nous avons raportées concernant TaiTaflinat
du connétable, ainfi Que tes circonftances d'un comploc ^e le xoi de* Navarre.
avoii formé , ^ dans lequel il entraîna le dauphin.
J E A N I I. 47
Le premier fecours auquel TAnglois s'engagea envers ?****—?
le prince y dévoie être compofé de cinq cents hommes Aon. ijjj.
d'armes & de deux cents archers , qui reçurent ordre
de fe tenir prêts à partir à fa première requifition.
Pendant ces négociations Cwrles fortifioit fes places j^.j^^
en Normandie , & fe préparoit à foutenir la guerre :
il faifoit venir des tfoupes de tous côtés , & ne négli-
geoit rien pour fe procurer' des alliances* Toutefois ,
loit pour gagner du temps y foie qu'il ne défefpérât pas
de néchir la colère du roi , il envoya le comte de îsTa-
mur.à Paris , afin de fonder les dilpofitions de la cour^
où il avoit quantité de partifans fecrets.
Lorfque le roi avoit apris raflaflînat commis en la Coicrcduroî,
perfonne du premier oficier de la couronne , prince du ["*^*^ ^'""
fane , fon allié & fon favori , il s'étoit abandonné k une Ï^S Navar^
douleur fi peu mefurée , qu'il avoit paiTé quatre jours rois.
fans vouloir parler k perfonne. Dans les premiers mou*
vements de fa colère y il jura de tirer la vengeance la
plus terrible de cette perfidie ; mais la fituation préfente
des afaires ne permettoit pas au monarque d'écouter fon
refTentiment ou fa juftice. Le roi de iNavarre par lui-
même étoit puiflant : il poffédoit en Normandie ^ &
fur-tout vers les cotes maritimes de cette province, des
places & des forterefTes k la bienféance des Anglois : en
le pouilant k bout , il pouvoir y recevoir ces dangereux
ennemis de l'Etat, les introduire dans le cœur du royau-
me , & même jufqu'aux portes de la capitale , près de
laquelle il tenoit les villes de Mantes , de Meulan & de
Pontoife. Dans cette conjonâure embarafTante , le roi
prêta Toreille aux follicitations de Jeanne d'Evreux ,
veuve de Charles le fiel , & k celles de Blanche de
Navarre , veuve de Philippe de Valois , & fœur du
Prince coupable. L'intercefnon de ces princefTes fut fé-
condée par le cardinal de Boulogne , & par plufîeurs
autres feigneurs & prélats. Ce fut dans ces circonflances
aue le comte de Namur vint k Paris , chargé de la parc
u roi de Navarre d'obtenir un pardon qu'on n'etoit
guère en état de lui refufer. Le cardinal de Boulogne, &
4^ Histoire de France.
=îî= Pierre diic de Bourbon , furent nommés avec d autres
Ann. i3;5. commîffaires pour travailler à régler Jes conditions de
cet acommodement. Le roi leur donna plein pouvoir
de traiter avec le roi de Navarre & fes complices.
On découvre dans ce traité toute la foiblefle du
gouvernement , le malheur du prince & de TEtat , &
la perfidie des miniflres chai'gés dé le conclure. Par les
conventions , qui furent arêtées & fignées à Mantes ^
le vingt-deux Février , le roi acorda au roi de Navarre
le comté de Beaumont- le -Roger , & les châtellenies
de Couches ^& de .Breteuil ^ feîgneuries qui aparte-
noient au duc d'Orléans , frère du roi ^ & a la poflef^
fion defquelles ce prince renonça. On céda de plus
Pont-Audemer , le Cotentin , & les vicomtes de Va-
lognes y de Coutances & de Carentan. On convint ^ue
le roi de Navarre pofféderoit ces terres à une feule foi &
hommage-lige , & en pairie avec celles qui lui aparte-
noient déjà en France , & qu'k Tég^f d de celles de fes
terres qui étoient fituées en Normandie , il les tien--
droit aufïï noblement que le duc de Normandie, lorf^
Qu'il y en avoit un ; au'il pouroit avoir deux fois Tan ,
dans tel lieu de fa dépenaance de: la Normandie c^u'il
lui plairoit de choifir , un échiquier ou cour de jufhce^
telle que les anciens fouverains de cette province la te-
noient. [ L'échiquier en Normandie étoit une jurifdic-
tion qui , à l'inllar des parlements , jugeok en dernier
reflbrt tous les apels des juges de la province ] Le roi
de Navarre devoit être mis en poflemon de ces terres
quinze jours après qu'il auroit vu le roi. Il renonçoin
en échange à la propriété de Pontoife , ainfi qu'à la
délivrance qui devoit lui être faite de Beaumont-fur-
Oife & d'Anieres. On arangea le paiement de tout
ce qui lui étoit dû d'arérages de plufîeurs rentes fur
le tréfor : on lui promit de faire rédiger par écrit les
articles de fon contrat de mariage avec Jeanne , fille
du roi y ôc de faire faixe inceflamment l'affiette des
douze mille livres de rente en terre , faifant partie de
la dot dp cette princelTe. On publia une amniftie géné-
rale,
J E A N I I. 49
raie , tant pour lui que pour fes adhérents. Les fei- ■ ^
fneurs de Normandie oui avoient eu part à raflaflînat ^*^- 'în-
u connétable , eurent la liberté de devenir , s'il leur
plaifoit^ vaflaux du roi de Navarre. Quelles Conditions
plus avantageufes ee prince auroit-il pu prétendre , s^il ^
«ût rendu au roi & a TEtat les fervices les plus fîgna--
lés ? £nfin\ pour comble d'humiliation , on lui donna
le fécond fils de France en otage & pour garant de la
sûreté de fa perfonne , tandis qu'il viendrpit à la cour
faire au roi une fatis&âion aparente«
Le roi de* Navarre ayant ainfi pris toutes fes sûre-
tés , fe rendit à Paris , où le roi tint fon lit de juftice :
ce prince criminel comparut dans Paflëmblée du par-
lement y k laquelle afiiftoient les pairs du royaume ^ &
{>lufieurs gens du confeil. Là j s'adrefTant au roi ^ il
e pria de lui pardonner la mort du connétable ^ fou-
tenant cependant qu'il n'avoît fait cbnlmettre ce meurtre
que pour une caufe très -légitime , dont il ofrit d'inf-
truire fa majefté , quand il lui*plairoit de l'entendre.
Il ajouta qu'au-refte il^n'avoit point prétendu violer
par cette aaion le f efpeà dû à la majefté du fouverain.
Après qu'il eut prononcé d'une voix alTurée cette froide
e^ufe , Jacques de Bourbon , nouveau connétable ,
mit la main au roi de Navarre du commq§dement du '
roi , c'efl-à-dire , l'arêta , & le conduifit dans une falle
prochaine. Les deux reines y Jeanne & Blanche ^ en-
trèrent enfuite y & s'inclinèrent devant le roi : Regnaulc
de Trie , dit Patrouillard , s'étant profterné devant le
trône y & parlant au nom des princefTes y implora la
clémence du monarque en faveur du roi de Navarre.
Après qu'il eut ceffe de parler , le connétable & les
maréchaux eurent ordre de faire rentrer le prince : il
reparut au milieu des deux reines. Le cardinal de Bou-
logne prenant alors la parole pour le roi , dit :. Mon-^
feigneur de Navarre , nul ne Je doit émerveiller fi le roi
de France s^efi tenu pour niai-content de vous pour le
fait qui efi advenu y [ lequel il convient ja que je die ,
puijque vous Pavés fi publié par vos lettres , & autrement
Tome V. Q
^o Histoire.de France,
' par-^tout s g^^ chacun le fçait ] car vous êtes tant tenu
Ann. 1J5}. ^ f^i ^^^ ji^ /^ dcujfics avoîr fait, t^ous êtes defon fans
Jl prochain çue chacun le fçait , vous êtes foh homme Qi^
fonpairn ^ Ji avés époujé fa fille y & de tant avés^vous
plus méprins : toutefois pour Vamour de mefdames les
roynes qui cy font , qut moult affeSueufement Ven ont
prié Ci aujjî qu'il tient qn/e vous Vavés fait par petit con-
Jeil , il vous pardonne de bon cœur & de oonne volontés.
A ces mots, les reines & le roi de Navarre fe mirent
à genoux devant le roi , & lui rendirent grâces. Le
cardinal de Boulogne ajoute , qu'aucun* du lignage du
roi iSu autre ne s'avanturât dores^en-avant de faire tels
faits comme le rot de Navarre avoit fait ,* car vrajmmt
s^ïl advenoit y Çf fût-^il k fils du roi qui le fît du plus
petit oficier que le roi eût y fi en jf^roit-il jufiidé : Çf
adonc la cour fe départit. Ce fut ainii que le termina
cette repréfentatîoQ théâtrale , honteux palliatif ^ qui
ne réparoit pas Toutrage feit à l'autorité royale , & à
la fainteté des loix. Lt roi de Navarre , fuivant ce que
raporte le continuateur de Nantis y fonda plufieurs
chapelles , où l'on célébroit des (ervices pour le repos
de Tame du connétable.
Panîtîon d*an On donna dans ce même temps un exemple de la
vS!^"" -févérité delà juftîce par le châtiment public d'un fêi-
chron. MS. g^eur de roitou , qui avoit Taudace de s'ériger en petit
du roi Jean, fouvcrain , mais dont le pouvoir étoit trop ïbible pour
Jèî^d^'^arUm ^^^^^^ ^^^ ^^^^ .^ ^^ taire. Ce gentilhomme s'apeloit
7.reg.foL%\ Regnault de PreifCgny : il étoit feigneur de Marans près
yoL 1. de la Rochelle. Il n'y avoit aucune efpece de concuf-
iions , d'injufiice & de barbarie quM n^eût exercée
dans Tes domaines. Il rançonnoit tous les habitants »
faifoit conduire en prifon ceux qui refufoient de lui
payer les fommes qu^il exigeoit ; & s'ils perfiftoient
dans leur refiis , il les faifoit traîner au fuplice. Il en
avoir fait ainfi exécuter plufieurs y quoiqu'ils apelafTent
à la juftice du roi. Il diioit en plaifantant, lorlqu'il les
envoyoît à la mort , que s'il ne les faifoit pas mourir
conformément au droit , c'étoit à tort , jure aut injuria »*
J E A N I I. 51
il atâcjuoic de même jufgu'aux religieux qu'il empri- , . .
fonnoïc, pour obliger enfuite les monafteres de les ra- Ann. ij^,
checer , ne les laiSant aller qu'après leur avoir crevé
un œuil , araché la barbe , & avoir aflbuvi fa cruauté .
. par d^ndignes outrages. Ce fcélérat fut enfin arête lui-
même , enfermé au châtelet, & condamné à être pendu
par arêt du parlement , auquel aflifterent , ayec les
confeillers de la cour, plufieurs princes du fang , ducs,
comtes , barons y maîtres des requêtes , & maîtres de
la chambre des comptes. Ce jugement peut donner une
idée des abus qui régnoient encore dans les jurifdiétions
fu bai ternes des feigneurs.
Cette année fut remarquable par un violent tremble- Tremblement
ment de terre qui fe fit lentir en diférentes parties du ^^ f^."^*
monde : on en éprouva plufieurs fecouffes k Kheims & 5^',^'^lif"""*
raris , mais oui ne caulerent pas de dommages con-
fidérables. Ce rut en 'AUemaene due ce mouvement
intérieur du globe produifît les plus fâcheux éfets :
plufieurs villes & châteaux furent renverfés : la ville
oe Bafle fut détruite de fond en comble. La plupart
des habitants périrent fous les ruines de leurs édifices.
Après le tremolement , il fortit du débris des maifons
un feu qui dévora les matériaux , & les réduîfit en
•cendres. Lorfque de nos jours la ville de Lîlbonne a
été détruite en partie par* un femblable accident , le
fcvL s*exhaloit k travers les décombres des bâtiments
abymés. •
On pouvoir dès -lors voir le commencement de ces Ann. 1354.
intrigues , & des menées fourdes qui préfageoient & Rcconiiation
préparoient les malheurs du royaume. La trahifon Vé- JJ^hScISf?^
toit gliflée jufque dans le confeil du roi. Le comte avec le roi.
d'Harcourt & Louis , fon frère , qui avoient toujours Froijfard.
été atachés & unis d'intérêts au roi de Navarre , le ré- sfvenTs^' ^'
Concilièrent tout-d*un-coup avec le roi de Fra;nce, fans \hronMS.
ou'on pût foupconner les motîft de cette réconciliation, du roi Jeu
v^es feigneurs dévoient ,• dit-on , révéler au monarque
plufieurs fecrets importants , entr'autres tout le tiflu
du complot formé contre Charles' d'Efpagne. Les fuites
G i j
ean.
^1 Histoire DE France,
■ ■ ? de cette découverte éclatèrent peu de temps après. Le
Aan. tj54. cardinal de Boulogne , qui avoit trahi vifiblement W
gloire & les intérêts de fon prince dans le traité défa-
vantageux conclu à Mantes avec le roi de Navarre ,
fut diferacié , & partit pour Avignon. Robert de Lor-
ris , chambellan du roi , fe déroba par une prompte
fuite au courroux du monarque. Dépofitaire des feçrets
de fon maître , il avoit eu la lâcheté de les vendre au
roi de Navarre ; âc ^ ce qui fur-tout excitoit le reffen-
timent du roi , il avoit été pleinement informé de Pa-
tentât médité & exécuté contre les jours du connétable»
Le roi ne put jamais pardonner dans le fond de fon
cœur à ceux qui avoient eu part à cet afTaflinat : con-
traint de diflimuler Tafront qu'on lui avoit fait dans
la perfonne de fon favori , il avoit remis à des circon-
fbnces plus favorables la vengeance de cet outrage.^
Le roi de Na- Le roi de Navarre , qui avoic des intelligences jufque
varrc quitte la dans le confeil fecret , fut informé que Pon prenoit
îîî[^u?AyV ^" mefures pour le faire arêter. Il partit fubitement
gnon,oi2ii(ie. de la cour ^ & fe retira d'abord en Normandie ; mais
meure caché, ayant apris que le roi aiTembloit des troupes à Rouen
liidem. ^ ailleurs , dans le deffein de le furprendre , il aban-
donna cette province , & fe rendit (ecrétement à Avi-
gnon 9 où le tenoient alors les conférences pour la
paix entre les irlinifbes do France & d'Ânsleterre.
Pendant le féjour qu'il fit dans cette ville , il demeura
caché dans les hôtels des. cardinaux d'Oftie & de Bou-
logne : il fe rendoit toutes les nuits che2 le duc de
Lencaflre , plénipotentiaire d'Edouard : c'efl: là qu'il
émployoit les renburces & les manœuvres que lui liig-
géroit fon génie inquiet & turbulent , & qu'il s'éfor-
coit de traverfer autant <ju'il pouvoit les négociations..
Les deux cardinaux ^ mmiftres du pape ^ en donnant
un afvle obfcur à ce prince , ne fe rendoient que trop
fufpeâs de partialité. Néanmoins le roi de Navarre ,
malgré fcs intrigues-, ne put empêcher qu'on ne proro-
geât la trêve pour une année.
Le roi prit enfin le parti d'éclater contre un prince
J E A N I I. - ^j
dont la conduite ne méritoît plus aucun ménagement. 55==
Four cet éfet il fe rendit à Caen , & fît ordonner la Ann. 15^4.
faifie de toutes les terres pollédées par le Navarrois : }^ ^î fei«
les oficiers du roi furent chargés de s'en emparer. Mal- ju îoi dV >ï^
heureufement ce n'étoit qu une faifie juridique. Charles varrc.
avant fon départ avoit pris foin de faire fortifier fes
places & de les munir de garnifons nombreufes. On
méprifa des ordonnances fi mal apuyées. Les princi-*
pales villes , telles qu'Evreux , Pont-^udemer , Cher-
pourg , Gauray , Avranches & Mortagne refuferent
d'ouvrir leurs portes. Les gouverneurs de ces places
répondirent à ceux qui fe préfenterent de la part du
roi , qu'ils ne les rendroientau'au roi de Navarre , .leur
feignèur y qui les leur avôit aonnées en garde.
Cependant Charles le mauvais négocioit une ligue Retour du roi
avec rAngleterre. Le duc de Lencaftre avoit reçu aE- ^^ Navarre,
douard un plein pouvoir de traiter avec ce prince, qui ^y^-^^^p^^^
après avoir palTé quelque temps à la cour a Avignon , '^lik/on^ids.
partit pour le rendre dans fes Etats de Navarre , où il Froiff. &c.
raflembla des troupes & vint enfuite débarquer à Cher-
bourg , à la. tête de deux mille hommes d'armes. Avant
?[ue ce prince fe fût mis en état de défenfe , il eût été
acile au roi de l'acabler avec toutes les forces du
royaume. La trêve fubfiftoit encore avec l'Angleterre ;
un éfort médiocre eût fufi pour réduire ce pnnce , &
le mettre hors d'état de nuire : fa ruine eût fauve l'E-
tat. Mais le roi, content de l'avoir menacé par la con-
damnation prononcée contre lui , n'avoit pas cru qu'il
falût une puifTante armée pour faciliter l'exécution d'un
pareil arêt. Telle étoit la mauvaife politique d'un mo-^
narque imprudent , que les événements furprîrent pref-
que toujours , & qui ne fe déterminant jamais qu à la
dernière extrémité , fe privoit par fa précipitation des
refiburces que lui eufient procurées facilement plus de
fermeté dans fa conduite, oc des précautions plus fages.
Cependant Charles , de retour en Normandie avec Nouveau traf-
des forces confidérables , menacoit de faire une vigou- jtNawrJ*^
reufe réfiftance : les troupes Navarroifes qu'il avoit lujim.].
54 Histoire de France,
: ! amenées faifoient deç courfes continuelles. La ville de
Ann. I5J4. Conches , la feule des places du roi de Navarre dont le
roi s'étoit emparé , fut reprife. D'un autre côté , le
duc de Lencaftre s'avança jufqu'aux ifles de Jerfey &
de Grenefey , dans l'intention de profiter des circon-
flances & de faire peut-être malgré la trêve une irrup-
tion dans la province de Normandie , dont Tentrée
alloit lui être ouverte pour peu qu'où prefsât trop le roi
de Navarre. Que faire dans une pareille circonuance ?
Il falut recourir aux négociations : on fut trop heureux
d'acheter la paix de ce prince qu'on venoit de condam^
ner. Jacques de Bourbon comte de Ponthieu , conné-
table de France , & le duc d'Athènes , Tallerent trou-
ver , munis de pleins pouvoirs pour traiter avec lui.
Ils fe rendirent a Valogne , & y conclurent un acom-
modement , par lequel le roi de Navarre promit de fe
préfenter devant le roi .& de lui parler en public avec
obéi/Jancc , révérence & honeur , en le priant de lui par-
donner , ainfi qu'à fes frères , & à tous ceux qui étoient
entrés dans fon parti : il devoit aufli pour la forme fu-
plier le roi de lever la faifie de fes terres. Le roi par
ce même traité acordoit un pardon général y cane
pour Charles que pour fes adhérents : dans cette am-
niftîe on avoit compris non-feulement la défobéifTance ^
mais encore les crimes de léfe-majefté contre la per-
fonne du roi & contre l'Etat. Le roi de Navarre avoit
fourni la lifte de tous ceux qui dévoient jouir de cette
grâce : leur nombre montoit à trois cents. Ceux qui
avoient conclu le précédent traité de Mantes étoient men-
tionnés dans cette lifte ^ témoignée non-fufpeâ de leur
perfidie. On y voit le duc de JBourbon > le cardinal
de Boulogne , Geofroi de Charry , Robert de Lorris ,
& le Cocq évêoue de Laon. Quelle condition plus dé-
plorable que celle d'un prince environné de traîtres ,
& qui trouve fes plus grands ennemis dans ceux qu'il
honore de fa confiance ! Le roi de Navarre s'engageoit
de plus , à renouveller fes proteftations d'obéiflance &
idp fidélité au roi en préfence des reines Jeanne &
J E A N I I. ^tj
Blanche , du dauphin 9 du comte d'Anjou , du duc '
d'Orléans , du comte de Foix , du connétable & du ^^' ^^^^
chancelier : tous les princes & feigneurs du fang dé-
voient confirmer & garantir ces conventions par fer*
ment : les oficiers du roi , dont la lifte eft inférée dans
le traité , étoient obligés de jurer de ne jamais con-
feiller au roi d'y contrevenir. Les articles de Tacord
de Mantes concernant les intérêts du roi de Navarre ,
3ui n'avoient point été exécutés , font rapelés dans ce
ernier traité : toutes les fommes qui lui étoient dues
par le roi font évaluées à cent mille écus.
L'acommodement étant terminé , le roi de Navarre
alla trouver le dauphin au Vaudreuil ^ & fe rendit à
Paris avec ce prince. Il fe préfenta devant le roi , qui
pour-lors ^toit logé au Louvre : après de légères excu-
lès fur ce qui s'étoit ]>afré y il {>rotefta que depuis la
mort du connétable , il n'avoit rien fait dont le roi de
France eût fujet d'être mécontent. II fuplia le roi de
vouloir lui pardonner & le tenir en fa grâce , & promit
(ju^il lui ferait bon Qf loyal comme fils doit être à fon
père , Çf vajfal à fon feigneur. Adoncques , dit un de
nos anciens hiftoriens , lui fit dire le roi de France par
le duc d^ Athènes j çu^il lui pardonnait de bon cœur. Le
roi parut fatisfait ou feigniMe Têtre , de ces protefta-
tions de la part d'un prince à qui les ferments ne coû-
toient rien. •
On étoit fur le point de voir recommencer la guerre
qu'à produit
une prorogation de la trêve pour une année , & cette
trêve alloit expirer.* L'hiftorien d'Angleterre , quelque
partial qu'il foit en faveur de cette nation ^ ne peut
s'empêcher de laifler entrevoir que le plus grand obfta-
de à la paix étoit ocafionné par les difpofitions d'E-
douard. Quoique les avantages qu'il avoit remportés
fur la France femblalTent lui donner la fupériorité , un
motif puiflanç l'avoit empêché jufqu'alors de renou-
5^ Histoire DE France^
■ vêler la çuerre : il fkloit qu'avant tout , il mît fin aux
Mn.i^U' inquiétudes qui le troubloient dans Tintérieur de fes
Etats. La prifon de David de Brus ^ & la dernière
. vidoire remportée fur les EcoiTois , n*avoient pu les
réduire. Il voyoit cette fiere nation toujours les armes
à la main, &; prête à faire une irruption en Angleterre
pour peu qu'il s'en éloignât : c'en ce q^ui Tavoit fait
çonfentir que fes députés aiTçmblés à G urnes avec ceux
du roi de France , prolongeaflent Tarmiftice depuis le
mois d'août 13^4 jufqu'à l'année fuivante. Le cardinal
de Boulogne , médiateur nommé par le pape , étoit
préfent à cet acommodement. Rapin Thoiras prétend
que le roi avoit ofert de céder à Edouard la Guienne
& les comtés d'Artois & de Guines en toute fouve-
raineté , fans en faire hommage à la cd\ironne de
France ; mais bientôt i ajoute-t-il , pour U malheur de
la France & le Jîen propre , il rompit brufquement la
négociation commencée. Ce que cet écrivain avance n'eft
apujré fur aucune preuve , & fe trouve au contraire
deftitué de toute vraifemblance. Les aâes publics d'An-
gleterre qui raportent généralement tout ce qui con-
cerne l'intérêt des deux Etats , les pouvoirs donnés par
Jean & par Edouard à leurs plénipotentiaires , leurs
plaintes , leurs juftification#& leurs prétentions refpec-
tives , ne font aucune mention de ces ofres préten-
dues. Quelles raifons auroieot pu forcer le roi d'ache-
ter la paix à des conditions fi défavantageufes ? Ce fut
prefque tout ce que le vainaueur de Poitiers put ara-,
cher de la trifte fituation ou la prifon du roi , la mi-
fere du royaume , nos divifions inteftines , & la fureur
de la nation conîurée contre elle-même réduifirent
l'Etat.
Pendant cette dernière année de trêve , Edouard fe
^répara férieufement à recommencer les hoftilités. Il
Te hâta de conclure avec l'Ecofle un acommodemenc
qui pût le tranquilifer à cet égard- Les Ecoflbis invio-r
lablement atachés à leur fouverain , ne voulurent con-r
feiïtir à la paix qu'à condition qu'il feroit mis eii lir» '
berté.
g
T £ A N I I. ^J
berté. Edouard avoit peine k leur acorder cet article ; — sïsss:
mais leur fermeté l'y contraignit. Il s'engagea donc A»"- Mf4-
par le traité à délivrer David , moyennant une rançon J^*"- ^*'
de quatre-vingt-dix mille marcs d'argent payables dans ^^[ ^^^\*
le cours de neuf années ; mais on eut loin d'inférer
dtt reftriâions qui retardèrent fous, diférents prétextes
la délivrance du roi d'Ecoffe : ce prince demeura en*
core prifonnier pendant plus de trois années.
Edouard cependant dont toutes les vues ne tenàoient conférences
qu'à furprendre le roi de France , témoignoit publique* pw^* pau-
ment les difpofitions les plus favorables à la paix. Les
miniflres des deux fouverains étoient convenus de fe
raflembler à la cour d'Avignon avec de nouveaux pou- .
voirs. Le monarque Anglois renvoya fes plénipoten-
tiaires avec des inftruâions 'plus amples , jufqu^à ofrir
même de s'en raporter pour la déciiion de fes diférends
avec le roi ^ à l'arbitrage du pape Innocent ; mais il
^rok par plufieurs lettres de ce fouverain pontife
adreiTées au roi d'Angleterre avant & après les-confé*
rences qui furent tenues à ce fujet , qu'Edouard avoit
mis à la conclufion du traité des conditions qui la rén-
doient impraticable. Ce prince y toutefois voulant témoi-
fi^ner encore plus de fincerité , afeâa de faire intervenir
les prélats & la plus grande partie de la nobleffe dans
les négociations qui fe traitoient. Le recœuil des aâes
publics d'Angleterre contient plufieurs lettres de pro-
curation (ignées par le cierge & par la plus grande
partie de la noblene Angloife y dont les députés avoient
ordre d'affifter de leur part aux conférence tenues à
Avignon y & de ratifier , en leur nom fous l'autorité
du roi , les conditions de paix quL feroient arêtées dei-
vant les commiiTaires nommés a cet éfet par le faint
père. Le monarque politique avoit plufieurs vues en
autorifant une pareille démarche : il fe Juftifioit d'a^ ,
vance des jufïes reproches ^u'on pouroit lui faire dans
la fuite y d'avoir y pour fatisfaire uniquement fon am^
bition y perpétué une guerre également ruineufe pour
les deux partis. En apdant ainfi les premiers ordres de
Tome V. H
,1^ Histoire DE France,
VEtaç pe^y g4rani:8 die f:* conduite , U çn ijnpdfpit ;^
A^i;. 1554. fep fujets par cçfce confiance , ^ les ani^ioit d'aut»f|t
;plus ^ fçcotider fes éforts pour foutepif yne querelle
étrftngçfç à Piotérêt de la nittion. Mjii? loffi|u'il fut
quçftion de réglçr U$ îirticles du traita, feg n\m^re§ ,
.ftwls déppfitaixes ^ç fes véri^bles intçncipns , «fejpnt
4ç t»iit de déçQurs , fïiukipUerent fi fort ks difiçuffçs,
& avancçrenç des dçmandes fi eiçorbit^ntQç , qu'U fut
fi^dU dVugurçf la fuite dçs conférence^. 11$ rapçlerent
alors les ofrçs prétendueç . de la cçflioi» d<? la Muiçnne
& des comtés d'Artois & de Guinw çn touç^ fouvp-
jraineté. Qç conçoit aifégieiiç que ces prétenppns excçf-
fives matiifeiloieni trpp puvçrçem^nt le pgu de difpo-
iition que TAnglois àporcoit ï la paiï : on çeJSa de
part '$t d'autre ^ ni^goçier pour n^ iongçr qu'^ repren-
dre les armes.
Ann. rj5f. La çrevç ne fut pas plutôt expirée, que le pripçç de
Edouard paffc Galles qui venoU de recevoir du roi fon père la lieutf^
tagc^î?BoÛI nance-générale du duché de Guie«nç , ftt fes prépara-
lonnois&rAr- tifs pour paffer dans cette province , tandis qu'Edouard
ria r^^ h"? ^^^^^ ^^^ ^* ^^^^ ^ ^^^ aébarquer ^ Calais avec une
roitTrcJaflï armée confidérable pkh tête de laquelle il ravagea Ip
CQ Angleterre. Boulonnois & TAftois j & s'avança jufqu'à Hefdin fur
chron.Ms. içs frontières de la Picardie. Il fawgea & twrula les
</^Mi"^4''S/^^virons de la place dont il ne put s'eioparer. 1L§ rai
[ cependant raflembloît fes forces : la ville d'Amiens fut
indiquée pouJ^ le rendez-vous des troupes, Jean ayant
formé fon armée , vint préfenter la bataille aux enr
fiemis ; mais le roi d'Angleterre né jugea pas a propjos
de s'e^pofer k l'événement d'un combat : il fç retira
précipitamment L'armée Françoife le pourfuivit jufqu'à
Saint-Omer , d'où ^e roi l'envoya défier pat le maré-
chal d'Andreghen & par plufieurs chevaliers , lui ofrant
de le conxbatre corps à corps , ou pçuvoir contre pow^
voir , comme on s'e:)cpftmoit alors , c'eft-à-dire avec
leurs forces refpcâiveç* Edouard fatîsfait d'avoir couru
& pillé quelques provinces ^ refufa le défi , ôc répondit
qu'il avoic aJOTez attndu iaiis que perfonne vint à la
J K A IT IL '• {^
rencontre > & qu*il n'atendroit pas davantage. Aptes dette '"'
défaite ^ que les hiftoHens les plus favorables k 'té Ann. 155;.
S rince , faute de meilleure jûftihcâtion , fe contentent
e révoquer en doute , quoiqu'elle fôic ateftée par tou»
les écrivains Contemporains , TAnglois fe retira ver*
contemporaîf
bientôt on lé
qu'il reçut de la prife de Berrich par les
ne.
Ibidem,
Calais , d'où bientôt on lé vit rcpaflbr k Londres , fur
les nouvelles qu'il reçut de la prife de
EcoiIbis«
Dans le même -temps que le roi d'Angleterre âta- Dcfccntcda
quoit la Franco du côte de l'Artois & de la Picardie , prince de Gal-
le prince de Galles fit une irruption 4^ns la Gafcogne , '^^ ^" ^^^^^'
dërola les environs de Toulouie , de Nàrbonne & de
CarcaiTonne i &* revint à Bordeaux , emmenant avec
lui quantité de prifonniérs , & chargé d*un butin confî-
déraole. Le prince fit ces côurfes fatts rencontrer aucun
cbftacle ; quoique le nombre des troupes Françoifes
fût fupérieur aux fiennes. Il fut redevable de cet avan-
tage à la niéfintelligence qui divifoit les générauk
François. Ces chefs étoient Jacques de Bourbon con*-
nétable de France , le maréchal de Clermont , le comte
d'Armagnac lieutenant du roi en Languedoc , [ il avoit
fuccédé au roi de Navarre dans cette commiflion , ] &
Gaflon Phœbus comte de Foix. Ce dernier quelque
temps auparavant avoit été Conftitué prifonnier au Cnâ*
telet pour raifon de là mouvance de fes terres. Après
un mois de captivité , le roi qui l'avoit fait arêter , lui
rendit la liberté , & fut affeï imprudent pour lui con-
fier le commandement d*unQ partie de fès troupes en
Languedoc.
Ce n'étoit pas aflez, pour le malheur de la Frànôe , conjuration
d'être menacée au*-dehors d'une guerre plus obftinée & formée par ic
plus fanglante encore qu'elle ne Tavôit été fous le règne ~i^<=Navarrc.
précédent : les Anglois n'étoient pas les plus dangereux rap!^'J^nsUs
ennemis du roi & de TEtat ; il faloit pdur combler nos Mém. de Uu.
difgraces , que Tintérieui' du royaume fût infeôé par ^„^^f 'j'^^f
le poifoti lent & couvert de là haine & de la perfidie, ^arrt'.
Le roi paroifFoit à»ocuper uniquement des fôin$ nécef-
fairesà la défenfe de TEtat : il viroit iranquile aa mi-
Hij
ëo Histoire de Frakcs;
Ann. ij 55. jj^^ jçj u^^g fjy. |j^ fidélité defquels il comptoit , [ car
un des défauts dominancs du caraâere de ce prince,
extrême en tout , étoit de porter à un excès égal les
foupçons & la confiance ] lorfque la découvert^ d'un
complot pernicieux le tira de cette fécurité. On peut
aflurer qu'en cette occafion il fut expofé au plus grand
danger qu'il eût couru de fa vie ; & ce qui dut lui
rendre cette découverte plus douloureufe , c'eft qu'il fut
frapé par l'endroit le plus fenfîble.
Le roi de Navarre n'eut pas plutôt conclu le traité
de y alogne 9 qi^'il forma ce nouvelles intrigues : il
trouva le moyen de s'infinuer dans l'efprit du daupiiin
avec lequel il étoit revenu à Paris. Charles dauphin ,
Tainé des enfants du roi , étoit alors âge de dix-fept
ans. La jeunefTe de ce prince , la douceur de fon ca«-
raâere , la droiture & la ^^énéroflté de fon cœur , &
fon inexpérience , le rendoient facile à recevoir les im-
preflions qu'on voudroît lui donner. Livré aux coofeils
d'un perfide 9 il fe laiiTa féduire par les aparences
trompeufes de la confiance & de l'amitié. Le Navar-
rois lui avoit fait entendre que le roi fon père le haïf-
foit à mort y & que la preuve de cette haine fe décou-*
vroit facilement 9 en ce que Jufçiu'alors il ne lui avoit
donné aucun apanage. Pour fentir combien cette odieufe
infinuadon étoit dépourvue de vraifemblance y il fufit
de confidérer que CJharles étoit déjà en poiTeflion du
Dauphiné y dont le gouvernement s'adminiftroit en fon
nom. Le dauphin crut tout : il ne vit plus dans l'au-
teur de fes jours qu'un père dur , dont il n'avoit rien
à efpérer : rempli de cette funefle idée y il s'abandonna
entièrement aux fuggeftions du traître qui l'obfédoit :
prefTé par fes foUicitations & fes confeils y il forma le
deffein de partir fecrétement de la cour , & de fe
rendre auprès de Tempereur fon oncle [ c'étoit Char-
. les IV y fiis de ce Jean , roi de Bohême y tué à la ba-
taille de Crécy ]. Le jour fut pris pour l'évafion : il
manda au roi de Navarre qui pou{-lor$ étoit dans fes
terres de Normandie y de lui envoyer des gens de con-
7 E A N I I. €l
fiance avec lefauels il pût s'échaper. Charles le mauvais , .-.
au comble de les vœux d avoir u bien réufli , fe rendit ^^' >55;»
à Mantes pour veiller de plus près à l'exécution de ce
projet. Leatreprîfe paroiiToit immanquable : trente ^'»yM^<^«-
hommes d'armes atendôient à Saint - Cioud Théritier
préfomptif de la couronne j pour le livrer à la difcré-
tion du plus fcélérat de tous les hommes. jHeureufe-
jnent le dauphin aperçut le piège qu'on tendoit à fon d/roUt^^a--
innocence : il prévit les fuites dangereufes de 1 intrigue vane.
dans lacjuelle ion imprudence venoit de l'engager : il J'^^^^c^g^foire
en frémit. Non content d'avoir reconnu fa faute , il ^ Mém!^d€
eut le courage d'en faire l'aveu à fon père. Jean moins ^în-pour fer^
étonné de la criminelle audace du roi de Navarre , que ^roiLN'Jlarre
touché du repentir de fon fils , non-feulement lui par- pûrM.Secouf-
donna , mais même fit grâce en fa faveur à tous ceux ^^^
3ui avoient eu quelque part à ce projet. Le roi & le
auphin lui-même ignoroient jufqu a quel point les con-
jurés efpéroient porter leurs atentats 1^ ce ne fut que
quelque temps après y qu'on pénétra les replis de cet
horrible myftere. Ce Friquet dont nous avons déjà
parlé , «gentilhomme atache au roi de Navarre y gou-
verneur de la ville de Caen y ayant été arête & mis çn
prifon au Châtelet y fut apliqué k la queftion : il con-
vint à la torture que le deflein de Charles le mauvais
étoit de faire enfermer le roi dans quelque fôrtereflè y
& de Ty faire mourir. Le dauphin devoit, difoit-on,
acompamé du roi de Navarre y aller vers l'empereur
fon oncle , afin d'en obtenir du fecours pour prendre
h roi Jedfi j Vemprifonner dans une tour ; é iUec le faire
mourir.
Le peu d'aparence qu'il y avoit de réuffir dans un
1>areil complot , dont le dauphin ne connut jamais que
e commencement , qui tenaoit feuleitlent à fe rendre
auprès de Charles IV j prouve bien que le Navarrois
avoit d'autres vues : il eût été abfurde de penfer que ^
l'empereur eût favorifé une trahifon aufli noire : on
avoit feulement perfuadé au jeune Charles de (è laifTer
conduire vers fon oncle > pour fe plaindre à lui de la
6i HlSTDlRE.DE FHA'NCE,
! dureté prétendue du roi fon père > tâcher de Tengagei^
Ano. i3j;« ^ folliGicer pour lui quelque augmeotation d'apanage*
Ce fut l'unique niotir qu'on lui fit envifager ; mais Id
'^ roi de Navarre fe garda bien de lui découvrir fes véri-
tables intentiori^ ^ fut -tout lé deiTeifi qu'il méditoit
contre la perfonne du roi. Ceft encore un des articles
de la dépofition tle Friquet , qui nous aprend cet abo>*
minable complot- Le Navarrois avoit pris fes mefures
pour furprendre le roi Jean dans un voyage que ce
monarque devoit faire k Tabaye de Grandpré en Nor-
mandie y pour tenir fur les fonts baptifmaux l'enfant
du comte d'Eu, Il paroît , autant qu'on le peut con-
jeâurer , que ce projw devoit s'exécuter , dès que le
dauphin fe ièroit mis^ entre les mains des gens qui t^a*
• tenaoient à Saint-Cioud. •
Qu'on fe rcpréfente les fuites de cette aâion , cnfei*
faut réflexion que c'étoit Charles le mauvais y qui par
ce moyen fe fût trouvé maître du père & du fils en
même temps ; & qu'on juge de forl étonnement , lorf-*
3u'il reçut la. nouvelle que le coup étoit manqué. Lé
auphin lui marqua fimplement qu'il ne lui renvoyât
perlonne , parce qu il avoit changé de defiein , ce qu'il
n'auroit certainement pas fait avec fi peu de précautions
êc d'une manière fi libre y s'il avoit été. coupable d'au-
tre chofe que du pro}et indifcret de quiter la cour fans
la permiffion du roi. Cette feule démarche , indépen-
damment de ce qui a été obfervé ci-defTus , fufit pour
opérer la jufBfication de l'innocence du prince , êc la
conduite du roi envers fon fils achevé d'en 4émontrer
l'évidence. Ces particularités qui pouroient paraître
la fflojre feroit flétrie par l'ombre mêiiie du foupçon :
c'eft Charles le face qu'il faloit juûifier.
Le roi n'eut beioin que de faire fentir au dauphin Ib
danger auquel il s'étoit expofé en fe livrant imptudenir
meot entre les m^os d'un prince que les plus énorme;
J £ A K • I I. <>3
àrimes n'étoient^pas capables d'éfrayer , & qui avoît
un intérêt viiible k^ Ccmet la difieniion dans la famille Aoo. ZH^
royale. Après cgs remontrances tempérées par k ten*p
drefle paternelle , 1^ monarque , quoique perfuadé de
l^innocence & du fi&cere repentir de ion tils y voulut
é«er tout prétexte aux mécontents^ de tenter encore de Troïffard.
le féduire : pour cet éfct il ajouta au. Dauphiné , qui! SaL'tTDtnts
poiTédoit déjà ^ 1& duché de Normandie , dont il lui ^ag. i66.
^nn^ rinveftitu#e« Le dauphin fit hommage au roi fon
père de ce duché dans la .maifon de Martm de Marie ^
chanoine de NotrerDan^e. Ce chanoine demeuroit dans
le cloître.
Ceice d&ng;ereufe entreprife étant échouée , le Na*
varrois fe vit obligé de recourir à la clémence du roi.
Le dauphin y que nous apâerons déformais duc de
À^ Normandie y avoit fi peu compris toute Pénormité
^u complet dans lequel il avoic été engagé y qu'il fut
le. premier & Je: plus ardent à follicicer en feveur des fJ^J^^rel^ ^'^^
coupables Pindulgence de foa père , qui trompé lui- Tré/ôr des
même par les aparences , ne fit aucune dificulté de fe chan.reg.^i,
i^endre a fes prières. On expédia des lettres de grâce , p'*^*"*^^*
dans lefquelles le dauphin voulut être compris y pour
ftfiTurer davanta^ ceux qui avoient eu part a cette conC-
piratio^ y qu^il ne legardoit que comme une intrigue
palTagere y <f oè fon feul inoérét avoit ocafionnée. Dans
ces lettres d'abfblution accordées à Phéritier préfomptif
de Ig couronne y le roi s'exprime ainfi : Comme n^a-
gucres nous efit été raporté que notre très -- cher fils aîné
Charles ^ due de Normand , fe vmiloit partir de notre
royaume fans notre fcen Sf licence y & auer devers notre
tm-^cher frerc lUm^ereur ^ &c. nous aui avons fçu pleine^
ment toute Vintentton de notredit fils le duc y &c. nous
4LVons tenu & tenons notredit fils & tous ceux qui avec
uotredit fils le duc dévoient aller devers notredit frère
Pempenear y & eftoam dUux ^ pour exmfés pleinement dé
tout ce qu^on nous a raporté contre eux. On voit claire-î-
ment par^ les termes de ces lettres y que le fond dû
projet écoit un myâ;ere également inconnu du père H
^4 HistoiredeFrAnce,^
55== du fils. Lorfqu'ils en furent inftruîts /ils prirent la ré-
Anii. 13;;. folutîon d'en punir les principaux auteurs : c'eft ce que
la Alite de Thiftoire nous dévelopera. Le roi de iNa-
Varre cependant qui fe croyoit impénétrable , entrete-
noit toujours Tes tiairons avec le duc de Normandie : il
fut la dupe de cette faufie politique. Le dauphin y qu'une
première erreur , quoique légère , avoit éclairé , pour
déconcerter encore plus mûrement les mefures d'un en-
nemi artificieux 9 fisignitde fe laifier tromper , & par ce
moyen entretint fa confiance.
Un motif puiilant contraignoît le roi & fon fils à
fufpendre les éfets de leur reflentiment contre le roi de
Navarre & fes adhérents. Le gouvernement fe trouvoit
alors dans la circonftànce la plus critique. Les reflburces
pour foutenir la guerre étoient épuifées : on n'en pour-
voit atendre que de la bonne volonté de la nation : il
faloit confulter tous les ordres , dont les fufrages
alloient devenir nécefiaires ; ce n'étoit guère le temp^
d'indifpofer une partie de la noblefTe par. une inflexibi-»
lité hors de faifon. L'affemblée de Etats-généraux avoit
été indiquée pour la fin du mois de Novembre de cette
année. I)éja les députés du clergé y de la nobleffe &
du tiers-état, s'étoient rendus à raris pour cet éfbt, ►
Etats-Géné- Dans le cours de cette hiftoire , il a déjà été queftion
aux. des Etats-généraux : notre eftimable prédéceffeur avoit
jugé fagement qu'il ne pouvoit traiter cette matière
avec troD de circonfpeâion. En éfet , comment pou-
voir fe nater de coi>nbître précifément quelle étoit la
nature de ces aifeniblées dans les diférents fiecles ? on
fe trouve à chaque pas arête par des dificultés fans
ceffe renaiifantes. Les premiers âges de notre hiftoire
ne préfentçnt que des ténèbres impénétrables : une in-
finité de monuments & de faits fans liaifon entre eux >
fouvent contradiâoires , des ufages établis d'abord ,
anéantis çnfuite , renouvelés ou remplacés par d'au-
tres y fans qu'on aperçoive les caufes qui enchaînent ces
viciflitudes , tantôt une fuccefiion premue imperceptible
pi9tr 1^ lenteur de fes progrès , quelquefois un changemnt;
fubiç,
J E A N I I. 6^
fubit y furprennent à tout moment Tatention la plus J
exaâe, & laifTent tout au plus à rimagination la liberté ^Q* ^^ss*
de former des coniedures. Mais ce n'eft pas fur un
pareil objet qu*il eft permis k refprit fyftématique de fç
donner carrière. M, Tabé Velly a évité cçt écœuil , &
s^eft gardé d'entrer dans un labyrinthe où tant d*écri-
vains fe font égarés avant lui. Après avoir dit fuccinc-
tement que nos diètes nationales , nommées d'abord
aifemblées du champ de Mars y enfuite du champ de
Mai y parlements , & enfin états-généraux y ont com^
mencé fous la première race de nos rois y il fe contente
de raporter litéralement le fentiment de Pafquier. Sx
Ton ajoute ici quelques obfervations à ce que ce fça-
vant magiftrat a écrit fur ce fujet , ce n'eft pas par le
defir ambitieux d'agiter une queftion qui paroit avoir
déjà été difcutée y mais uniquement dans la vue de
raffembler , autant que le peuvent comporter les bor-
nes que rétendue de cet ouvrage nous prefcrit , ce que
Ton peut avancer de plus intéreflant & de plus vrai
fbr cette matière.
En fe repréfentant les principales révolutions de
notre monarchie , on s'aperçoit fans peine que l'autorité
des aflemblées ^générales a toujours dépendii de la puif-
fance ou de la foiblefle des princes. /Tant que les rois de
la première race conferverent la difpofition des fiefs ou
bénéfices militaires & des dignités y & qu'ils ne les don-^
nerent que pour un temps y cette multitude de leudes ou
feigneurs qui compofoient les aflemblées du champ dç
Mars y n'avoit garde de manquer de complaifance pour
le fouverain , duquel émanoic Içs grâces & les récom- .
penfes. IJeureux les monarques , s'ils avoient toujours
retenu dans leurs niains ce puiflant mobile de l'afeâion
& de la fidélité des gens de guerre y dans lefquels on
pouvoit dire que réfidoit alors la nation ! Mais bientôt
oubliant l'intérêt de leur grandeur y ils donnèrent ou
vendirent les chargç^ & les fiefs à titre d'hérédité. Ils
fe perdirent ^gd^ement par une libéralité exceflive y ou
par une honteuie avarice ; n'ayant plus rien k donner
^ Tomt K i
6G Histoire db France^
' ou à vendre , ils ne furent plus aimés ni redoutés. Ces
^^- nn- mêmes aflemblée$ , auxquelles jufque-lk ils avoient
impofé la loi , les alServirent àr leur tour : le monarque
ne fut plus qu'un fantôme , & • lautorité fouverame
afoiblie fit place à un nouveau genre de gouvernement r
la puiiTance des makes du palais éclipfa ta majefté des
rois. Ces redoutables minières continrent quelque temps
une nation belliqueufe , plutôt par la terreur que par
Pefpoir des récompenfes. Leur pouvoir étoit iî bien
afermi , que la révolution qui plaça la poftérité de Char-
tes Martel fur le trône , fe fit prcfque fans éfort. Le
\ vafto génie de Charlemagne éleva la monarchie Fran-
çoife au plus haut degré de puiiTance & dé ' grandeur*.
Loin d'abolir les afièmblées nationales , jamais prince
ne les convoqua fi fréquemment ; elles embraiToient
même dans leufs délibérations un plus grand nombre
d'objets. Tout ce qui concernoîc le gouvernement ecclé-
fiaffique , politique & civil , y étoit rédié ; mais le mo-
narque étQit l'ame de ces aÔemblées. Cette dépendance
à la vérité étoit encore plus atachée à hn mérite per—
fonnel qu*à fa dignité ; malheureufement pour la gloire
& le bonheur de TEtat , ce- grand homme fut le der-
nier héros de ia race. L'ouvrage de la valeur de Mar*
. tel 9 de la prudence de Pépin , de la magnanimité de
Charles , fut détruit par les premières démarches du
fils de ce dernier. Louis le Débonnaire ne connut
ni la juftice qu'il devoit aux autres , ni le refpeâ: que
fa propre grandeur exigeoit de lui-* même. Sévère y
ou plutôt cruel par foiblefie ^ il ofa faire juger la caufe
des rois dans une affemblée , en faiiant condamner (on
neveu Bernard y rot d'Italie. La révolte de fes enfants
le força ei^fu\te de reconnoître u,ne autorité au-deflus
de lanenne, en fe foumettant au jugement qui fut pro»
nonce contre lui-même dans une autre afiemblée , qui
eut l'audace de le faire defcendre du trône : violateur
de la loi , il fut la viâime de fon injuftice. Ses defcen-
dants y encore plus mal-adroits y regardèrent les grands
de TEtat comme autant d'ennemis : ils craignoient de.
J E A N I I. Cy
les réunir en corps ; & s'imaginaat de tronvcr leur ==
avantage en les divifanc , ils évitèrent , autant qu'ils ^^^ ^M5-
Î>urent , les convocations générales. Sous le fin de la
econde race ^ on ne voie preique plus que des afîem-
blées particulières : cette mauvaife politique acheva de
tout perdre. Les aflemblées générales auroient peut-être
été la refTource de Tempire & àm prince , fi les foibles
Carliens n^avoient pas négligé trop long -temps de les
convoquer : ils avoiont a|)réhefidé que les Etats n^éclai*
rafTent les inconvénients a'une mauvaife adminiâradon ';
& lorfqu'un gouvernement videux eut abfblument di«-
vifé toutes les parties de TEtat y il n'étoit plus temps
d'implorer le feul afyle qu'ils auroient pu trouver dans
une réunion déformais impoilible. Louis ie Débonnaire
lui-même , dans un temps où la corruption qu'il avoit
le premier introduite y ne comraençoit qu'à fe faire
fentir , avoit éprouvé quelles étoient ies refiources qu'un
ibuverain pouvoit trouver dans ces aflemblées générales.
Un parlement féduit ou intimidé par Tes enfants y Ta-
voit dépofé : un parlement libre te rétablit. Mais les
derniers rois xle la féconde race étoient bien éloignés
de pouvoir fe flater d'un pareil fecouri^. La nation éooit
partagée en une infinité de portions , dont chaque chef,
devenu fouvcrain , avoit un*intérêt\ifible à favorifer
une divifion qui entretenoit l'indépendance y Se garaii*-
tifToit les ufurpatioxis. De cette anarchie naquit le gou-
vernement féodal que Hugues Capet trouva établi y forf-
qu'il parvint à la couronne.
L'élévation trop prompte des deux premières Dynaf-
nés n'avoit eu qu'une durée proportionnée à cette ra-
pidité. La puiiTance fouveraine ious la troifieme race y
par une marche opofée y s'avancant pas à pas y ût des
procès plus lents , mais plus sûrs y Ôc jeta des le^adnes plus
profondes. Les Carliens s'étoient laiflé dépouiller d'un
pouvoir qu'ils avoient reçu tout entier. Les defcendants
de Hugues augmentèrent continaellement ce pouvoir
qu'ils avoient reçu très-borné y 6c rétablirent l'autorité
royale y dont les fondements confacrés par le temps
6S HiSToiRK DE France,
ont enfin acouis ce dernier degré d'immutabilité , an-*
Aon. 1355- quel les établiflements humains peuvent parvenir.
Nous avons vu la France , ^ lorfque nugues Capet
monta fur le trône , former un corps à-peu-près fem-
blable à ce que font aujourd'hui rAllemagne & la Po-
logne. Nos rois s'ocuperent uniquement du foin d'a-
^randir-leurs domaines, ou d'acquérir des vaiTaux : ils
ibngerent peu à rétablir les anciennes afTemblées de la
nation : les* feigneurs ne les réclamèrent pas , aimant
mieux jouïr dans leurs grands fiefs d'une fouveraineté
prefque indépendante, que de paroi tre dans ces afTem-
blées générales , où ils étoient toujours forcés de ref^
pçâer dans le prince un éclat qui éclipfoit le leur. Les
rois cependant voy oient fans peme ces petits fouverains
fe déchirer & s'afoiblir par des guerres mutuelles , &,
la puiffance du monarque s'acroillbit toujours de leurs
pertes. Speâateurs ateatifs des démêlés particuliers ,
les premiers fouverains de la troifieme race fçurent pro-
fiter des circonflances , foit en prenant parti dans les
querelles , foit en fe portant pour médiateurs ou pour
juges , & tirant toujours avantage , ou de leur fecours ,
pu de leur neutralité*
A mefure que la puiffance des* rois s'augmenta &
s'afçrmit , l'indépendance des feigneurs diminua. Les
afTemblées générales devinrent plus fréquentes & plus
régulières : on les vit renaître avec l'autorité du lou-
verain. Lest afTemblées particulières n'avoient pas eu le
même fort : établies dès le règne de Charlemagne , elles
avoiént toujours été tenues depuis afTez régulièrement.
Hugues Capet & fes premiers fuccefTeurs les convo-
quèrent dans }eurs domaines , ainfi que le faifoient dans
les leurs les poflefTeurs des erands nefs. Les rois , en
réunifTant des provinces à celles qu'ils pofTédoient déjà ,
obligèrent kurs nouveaux vaflaux à le rendre à leurs
afTemblées ou parlements , qui dès-lors étoient regar-
dés comme des afTemblées générales pour toutes les
terres de leur domination.. C/eft la raifon pour laquelle
les provinces qui ont été rapelées de bonne heure à
J E A N i !• €^
lancien domaine de lios monarques , n'ont point eu ■
d'Etats particuliers depuis cette réunion , tandis que Ann, 1555.
celles qui ont été réunies dans des temps poftérieurs ^
& fous de certaines conditions y comme le Languedoc ^
la Provence , le Dauphiné , la Bourgogne , la Bretagne ,
la Flandre & TArtois , ont confervé leurs Etats ou af-
fembléesparticulieres.
Les afiemblées générales ne fe tenoient que dans les
grandes ocafions , telles que le couronnement des rois ,
ou les guerres que la nation avoit à foutenir contre les .
étrangers, Ces afiemblées ne furent long-tems compo*
fées que du clerg;é & de la QobleiFe. Les peuples ré-
duits a l'état de fervitude n'étoient , ni apelés , ni con-
fultés dans les délibérations publiques ; mais lorfque
les habitants des villes /élevés au rang de citoyens, for-
mèrent dans l'Etat un corps féparé du clergé & de la
noblefTe , ils durent néceflairement être apelés aux af^
Xemblées convoquées pour la défenfe de cette même
patrie qui leur devenoic commune avec les deux pre-
miers ordres de la nation. En éfet , les premiers établif*
fements des communes fe font formés fous Louis VI:
& fous Louis VII y fon fils , on voit déjà les gens des
bonnes villes afiifter aux Etats de 11 45. Ce qui fervit
encore à augmenter la confidération que le tiers- état
. conmiençoit d'acquérir , ce fut l'ufaee que les rois in^
troduifirent d'employer des trouves loudoyées dans les
armées. Les revenus du fouverain ne funfant pas au
paiement de cette folde , il falut que les fuiets contri-
DuaiTent à cette dépenfe : il étoit à propos de confulcer
leurs facultés : & quipouvoit mieux en rendre copipte
qu'eux-mêmes ? Il n'en donc pas étonnant que les dé-
putés des bonnes villes ayent été apelés aux aflem-
olées y fur-tout lorfqu'il s'agilFoit de quelque impofition.
On prenoit alors avec eux les mefures nécelTaires pour
en taire la répartition. On voit encore fous faint Louis
les députés du tiers-état afEfler à ralTemblée dans la-
quelle on réfolut la guerre contre le comte de la Marche.
Âînfi l'on ne doit pas regarder les Etats de 1301 y fous
yo Histoire DE France,
■ Philippe le Bel , comme les premiers où fé foient trouvés
Abu. nj;, [es députés du peuple , iT\ais comme ceux où ils aflifterent
pour la première fois avec voix délibéracive. Ce troifieme
ordre , f oible dans fes commeocements , s^étoic confidé*
rablement agrandi par les arcs & le commerce j éfec
ordinaire de Ta liberté. Les croifades & les euerres fan*
glances qui leur fuccéderent , avoient épuifé la noblefle ^
candis que les bourgeois , k la faveur de leur obicuricé ,
avoienc acquis des richefles , qui furent avec raifon re«
gardées comme une des principales refTources de l'Ecac,
fur-touc dans un temps où Targenc écoic devenu le pre*»
mier mobile de la guerre. Les fucceiTeurs de Philippe
le Bel les apelerenc prefque coujours aux ailemblees
générales.
Comme le principal mocif dé ces afTemblées écoic de
trouver des fonds- pour foucenir la guerre , & que c'é-
toic ordinairemenc fur le ciers*écac que tomboic la plus
§rande partie des impoii tiens y les fuAragés des députés
u peuple devoienc néceflairemenc avoir la principale
influence dans les délibéracions. Le croiiieme ordre
s acoucuma par degrés à fe prévaloir de la néceffîcé
des temps : après avoir balancé le crédic de la noblef-
fe y il encrepric de difcucer les droics & d acaquer les
iimices de Faucorité fouveraine. Ce fut aux £tats de cetce
année qu il ofa faire le premier eifai d'un pouvoir ufur*
pé : on y vie Tadmininration publique réglée & ré-
formée en plufieurs parcies , le prince jtranfiger avec
fes fujecs , abandonner le profic qu'il ciroicd^Ta fabri-
cacion des monnoies , en échange de rimpofîtion k bu-
quelle on fe foumic , & le peuple afli^ner la réparci-
tion & la levée y fixer Temploi , & décider du manie-*
mène des finances* Plufieurs écrivains ont comparé la
déclaracion du roi Jean y rendue fur les remontrances
des Étacs de 1255 ^ k la fameufe chartre acordée k la
nation Ang^oi/e par un prince do même nom. On ne
peut donc leidifpenfer de donner un précis des délibé-p
rations de cetce aflemblée célèbre. Ce précis , d'ail-
leurs y en nous repréfentanc les mefures que l'on prit ^
L
J s A N I I* 71
foit pour Ie$ opérations de la guerre, foitpour k po- .
lice intérieure , nous procurera la connoiflance de plu^ Am. ijj;.
fieurs parties eflencielies du gouvernement.
Il eft k propos d'obferver avant tout qu'on diflin«
guoit alors le royaume de France eh deux parties , Tune
nommée la langue d'OyZ ( û ) , ou le pays coutumier ,
qui coraprenoit la France feptentrionale : on Tapeloit
pays coutumier , parce oue les provinces qui la compo-
ibient étoient régies par la coutume , candis que la partie
méridionale , apelée la langue d'Oc ^ fûivoit le droit
écrit. La feule province du Lyonnois , quoique régie par
le droit écrit , étoiç cenfée de la langue d'Oyl , ou pays
coutumier. La Garonne faifoit la réparation de ces aeux
parties. Comme la Guienne & quelques provinces voi-
fines étoient alors fous la dominauon Angloife , la langue
d'Oc formoit la moindre portion du royaume , n'étant
compofée que de la province connue a«ujourd'hui fous le
nom de Languedoc y a laquelle il faut ajouter le Quercy
& le Rouergue.
L'àfTemblée compofée des députés de la langue d'Oyl
ie tint dans la graod'chambre du parlement le deux Dé-
cembre , qui étoit k mercredi après la faint André.
Pierre de la Foreft y, archevêque de Kouen j chancelier de
France , fit l'ouverture des États j & parla au nom du
xoi. Après avoir expofé la fituation du royaume & les
befoins du prince , il leur déclara de fa part qu'ils euf*
fent à délihierer encr'eux des moyens capables de fub-
venir aux néceffités de l'Etat , & à la défenfe de la pa-
trie. Il ajouta que le roi étant informé que les fujets
du royaume fe tenoient grevés par k changement des.
mormeits ^ il cfroit à faire forte montioie & durable,,
mais que on bit fît aucune aide qui fût fîififante à faire
fa guerre. Dès que le chancelier eut ceflé de parler y ceux.
(fi) Ce nom de- knene A^Ojl rire (on étymologie » foivant plafîeurs anteurc,
du mot ùyl dont fe tervorent les habitants de ces provinces pour exprimer oui :
c'eft par cette dénomination t^n'on difHnguoit cette partie du royaume des pro-
Tînces méridionales od Ton cmployoit le terme d*oc oons le même fens. Du Congé
ad vcri. Lingtt».
72 Histoire de France,
J ^ui écoienc chargifs de répondre pour les trois ordres ,*
Ann. 1355. Içavoir Jean de Craon , archevêque de Rheims , pour
le clergé ; Gauthier de Brienne , duc d'Athènes , pour
la nobleffe j Etienne Marcel , prévôt des marchands de
Paris , pour le tiers-état , protefterent qu^ib étoicnt
tous aparcillés de vivre & mourir avec le Roi y & de mettre
corps & avoir à fon fervice. Enfuite de cette réponfe ,
ils fu plièrent le roi de leur permettre de conférer en-
tr'eux fur les expédients les plus propres à fournir Içs
fecours qu'on leur demandoit , &: lur les repréfenta-
tions qu'ils avoient à faire au fujèt de la réformation de
plufieurs abus qui s'étoient introduits dans le gouverne-
ment. La féance finit , & éhs le lendemain les confé-
rences commencèrent.
Le premier article dont on convint , & dont on fit une
loi invariable , fiit que tout ce qui feroit propofé par les
Etats j n'auroit de validité qu autant que les trois ordres
réunis y concourroient unanimement ^ & que la voix
de deux des ordres ne pouroit lier ni obliger le troi-
fieme qui auroit refufé fon confentement. On peut juger
par ce jugement préliminaire , quel étoit alors le crédit
du tiers-état , admis à partager en quelque forte l'éga-
lité des fufrages avec le clergé & la nobleffe y dont il
étoit l'efclave deux fiecles auparavant.
L'autorité de l'aflèmbîée étant fixée 'par cette conven*
tion y on délibéra fur les diférents pomts dont il étoit
queftion. Il fut décidé qu'on opoferoit aux ennemis une
armée de trente mille hommes d'armes ^ ce qui dévoie
former au -moins un corps de quatre-vingt-dix mille
combatants , qui joints aux communes du royaume ,
compofées d'une infanterie confidérable ^ auroient dû
rendre l'Etat invincible. Afin de trouver les fonds né-
cefTaires à l'entretien de ces trouoes , on établit une
gabelle fur le fel , & une impofition de huit deniers
pour livre généralement fur toutes les chofes vendues »
excepté les ventes d'héritages. Perfonne ne devoit être
exempt de cette impofition : & pour ôter tout prétexte
Jl^ux prétentions de ceux qui auroienç voulu s'y fouftraire ,
te
7 £ A K I L 73
le roi , la reine & les enfants de France, & les princes ■
du fang y écoienc obligés. Les Etats fe réferverent le A»»* ^'n»
choix de ceux qui dévoient être commis à la levée &
régie de cette impofition. Le roi & fon confeil eurent
bien de la peine k pafTer cet article y qui privoit le fou-
verain de la difpofîtion des fonds deftinés pour la guerre.
On jugea que cette impofition feroit fufifante à rentre-^
tien des trente mille -hommes d armes , qui *fut évaluée
à cinquante mille livres par jour (a).
Le roi aprouva tout ce qui avoit été délibéré par le»
Etats , & rendit une ordonnance conforme aux mefures
qu'on avoit prifes pour foutenir la guerre , & aux re-
montrances qui lui furent préfentées pour redreflbr les
abus de certaines parties de Tadminifiration. Cette or-
donnance prefcrit la levée de la gabelle & impofition ,
Téleâion à faire par les Etats de neuf fur-intendaftts
généraux y fçavoir trois de chaq^ie ordre y la nomina-
tion des députés- particuliers dans les provinces. , pour
r ordonner du ^ic des aides àcordées par les EtatSr,
e ferment que ces oficiers devoieiit prêter en préfence
des gens du roi , Temploi de ces fonds uniquement
r.
• (tf) n cft probable que c*cft ainfi qu'il faut interpréter cet endroit de TOrdon-
nance du roi Jean rendue fur la délibitwàn des Etats , où la femme deftinée au
paiement des trente mille hommes d anqes eft fixée à. 50000 livres parifis , fatis
rpécifier fi c*eft par jour , par mois, ou.par an. Toutes les autres explications
qu'on .a' voulu donner paroi(Cent également défeâueufes. Le fçava^t éditeur de
rbiiloire du père Daniel femble pcrfuadé d*après Sala , abréviateur de Froi^Tard , .
que cette fomme fut eftimée cinquante cent raille livres. Outre que cette manière
tle s'exprimer n'étoit point ufitée al ors > il faudrait que ce fût ùnç faute de copifte ;
mais il eft impofGble que çpttc faute fe t;rpave répétée dan« tcHis les manufcrits
de ce (îcclc. , tels que FroiiTard » la grande chronique , la chtoqiqae }AS. du
roi Jean , l'ordonnance mcriae pnfervéc d^ns les rtfanufait^ de (a bibliothèque
du roi. Le (entiment de .M. te- comte! de Boalaki voilier qui ptétend qu'on doit
lire 50000^ livres^c poi^f , eft' encore p{us éloigné de la vra^feoiblsHic^.' Par jour
ou parifis Vécri-foieiit à-pcu-près de même en abréviation , & c'eft* ce qui a pu
ocafionner Tcrrear. Et ce qui achevé de rendre ^idehte- la conjedure quon
avance ici , c'cft-qu'H falqit 4 jgpo, livres par jour pour ia /olde 6é treatc mille
hommes d^arrpca. Notre livrera touJAurs ,été compotéc dft ving^ fous , 8c. la paie
d'uB homme d'atmé' étoît de trente foûs pir'joût dès lô r^gne de Philippe de
Valois , am&qaonîe trouve préciCém^t m'irqné dans^les ofres qui furent faîtes
au roi par la province de Normandie. Trcfor des ckartres, Mim. de la chxtmhrc
dejeçmpiesm t^nu ad. puhL tom. i , p<yf .' 4 » P«»ff« ^ 9^*
Tome K K
74 Histoire de Frawce,
- deftiùés à la guerre , fans que le roi ni fes g^w putfient;
Apm 1555. ks toucher , 6c fans que la diftribueion en puiffe être
faite que par les feuls députés des Etats aux geadarmes
mêmes. Le roi s'engagea à ne point divertk les foRH
mes qui en proviendroienc , pour les employer à d'au-
tres ufages ; & ddns le cas où il v auroic mandement
contraire , leà députés font obliges fous k foi de leur
ferment de défobéir & de réfifter à toutes violences pour
ce fujet. Le jugement des difîcultés à naître entre les
ûir-intefidants généraux eft atribué au parlement y Tau*
dition des comptes de la recette & dépenfe réfefvée
aux gens du confeil. Comme cette imposition étoit
acordée pour une année ^ raflèmblée des Etats fut in-
diquée à pareil jour de l'année fuivante. Tel fut le ré^**
glement concernant la levée & Temploi du fubfide
établi pour la guerre^
Voici les engagements que le roi voulut bien con-^
traâer. : convaincu , dio-il , de la grande obéiiTance &c
amour que fes peuples lui ont toujours témoignés y &
touché de leurs plaintes ocafiùnnées par les pertes
qu'ils avoient fourertes y il promit tant pour lui y que
pour fes fucceflèurs , de faire dorénavant une monnoie
bonne & ftable y fçavoir des deniers d'or fin de cin-
. quante^deux au marc y valant chacun vingt fous parifis y.
& la monnoie blanche ou d'argent k proportion y. en-
forte qu'un marc d'or fàt égal en valeur a onze marcs
d^argent ; de ne point porter dans les refontes de fa
monnoie le prix du marc d'argent au-delà de fix livres
tournois. Pour la commodité du menu peuple y un jour
de la femaîne fut deltiné à fabriquer de la monnoie
noire ou de billon y des deniers & des mailles de cui*
vre. Afin de rendre ftable l^état des monnaies , le roi
ordonna que dès que la monnoie forte commenceroit à
courir y les prélats y chapitres y nobles & principaux de
chaque ville auroient un eftalon (a) ou patron pour
vérifier le poids y le titre & l'aloi des monnoies , *&
{a) On apelle eftalon tout modelcde poîds^oude meûire* Glff. du Canff ma
Virb, Scalo.
J E A N I I. 7Ç
prévenir dans la fuite tout changement ou altération ; '
qu'il feroit commis pour le gouvernement des mon- ^^^' *h;
noies des perfonnages intelligents &, d'une probité ir-
réprodiable , qui préceroient ferment entre les main^
du monarque y en préfence des furintendants. L'article
des monnoies fut terminé par la promefle que faifoit
le roi d'exécuter le règlement , & de foire acompagner
cette promefle par les ferments du duc de Normandie y
de fes trois autres enfants , des princes du fang , du
chancelier , des membres du parlement , du grand*
confeil , des gens des comptes y des tréforiers & des
ofîciers de la monnoie II ajouta y que s'il arivoit que
des gens mal -intentionnés confeillanent le contraire y
ils feroient à Tinftant même defUtués de leurs ofices,
& déclarés incapables d'en pofTéder d'autres k l'avenir^
£n conféquence de la loi établie pour l'immutabilité
des monnoies y les coupeurs d'efpeces y devenus inuti-»
les y fiirent rapelés (a).
Après avoir affuré l'état fixe & certain des monnoies,
l'ordonnance fiût mention d'un autre objet non moins
important , & qui intéreflbit particulièrement la tràn-p
2uilité publique. Le roi , tant ponr la reine fon époufe ,
;s enonts y les princes de fon fang , oue pour les ofi*
ciers y tels que le connétable , les maréoiaux y le maître
des arbalétriers , les maitres^d'faotel y les amiraux y les
naltres des garnifons y châtelains & capitaines y renonce
à perpétuité au droit uficé jufqu'aiors de prendre ûir
les gens du peuple , ikds , vivres, vins , charttus , du-
i^aux ou autres ckofcs ^ueUts ^uUUcs foitnt ^ fe ré&rvant
cependant , lorfqu'il voyageroit y le droit de faire fournir
a les maicre^-d'hiôtel y par la jnftice des lieux y les chofes
indifpeniablement néceflàires , telles que formes {b^ ,
cables ^ trépeaux y couettes y couifias , feutre ou paille
(tf) On a pu voir fous le legnc ck Philippe de iValok ,f uGigc des comiBis éta-
blis Bcmr coapcr & cifâilkr k^vieiiks e(f«ecs. SpictL cmuùn dt Hmagis.
(/) Oo apeleit ainfi des eTpcoes de fi^cs pbs Ws <}oe Us fauceoils osdia^
Tes : les éegcs des ^lifeseo ontretcnu k nom. Uu. Cange-^ gloffaire au m9i
foma.
K ii
7^ Histoire DE France,
' • ' banie & foins , ainfi que des voitures pour les porter,
Anp. IJ5J. en payant le jufte prix defdites fournitures , le jour
même ou le lendemain ; & faute de paiement , ceux
qui les auroient prifes dévoient être pourfuivis pour y
fàtisfaire pardevant le juge des lieux ou le Prévôt de
Paris. A l'égard de toutes autres perfonnes, de quelque
qualité qu'elles fuflènt , qui prérendroient ufer d'un
lemblabfe droit ^ fa majeflé permit non-feulement qu'on?
pût leur réfifter par foi-même , & en apelant à fon fë-
cours les voilins & les communes les plus prochaines ,
mais encore qu'en cas de violence on faisît tous ceux
qui auroient pris quelque chofe , qu'ils fuflènt punis
comme voleurs & perturbateurs du repos public , &
condamnés à la peme du quadruple envers la partie
ofenfée : enjoint fous les peines les plus féveres aux
I'uges de tenir la main à l'exécution de cet article de
'ordonnance. Pour donner encore plus de vigueur à
cette loi , il fut ajouté que le procureur-général du roi ^
préfent & à venir , feroit ferment de pourfuivre avec la
plus, grande rigueur tous ceux qui oleroient y contre-
venir , auffi-tôt qu'il en feroit averti , quand même il
n'y auroit aucune plainte formée à ce fujet. On peut
juger par la leâure de ce feul article de l'ordonnance ,
des vexations auxquelles le peuple étoit alors expofé ,
efpece de tyrannie d'autant plus cruelle , qu'elle étoit
autorifée par l'ufage & par le droit. Le roi par fa dé-
claration afranchit entièrement fes fujets de cette fervi-
tude , & d'une manière li formelle , qu'il ajouta dans
un autre endroit , que dans le cas même où les aides qur
lui étoient acordées par les Etats , n'auroient pas lieu ,'
ce qui fembleroit devoir rendre nulles les renonciations
qu'il fait par cet édit, il n'entendoit pas cependant que
ni lui , ni fes fuccefleurs puifent revenir contre celle-ci ,
fous quelque prétexte que ce fut. Il s'engagea de plus ^
tant pour lui que pour la reine , lc;s princes fes enrancs,
les feiçneurs du fang , & tous fes oficiers , à ne jamais
contramdre perfonne de prêter de l'argent involputaire-
ment.
J K A N I I. 77
Défcnfe k tous créanciers de tranfporter leurs dettes -
k perfonne plus puifTante, ou à quelques oficiers privi- ^^n* M5X«
légiés , fous la peine de perdre leurs créances , & d'a-
mende arbitraire. Toutes les dettes des Lombards ufu-
ricrs , [ c'eft ainfi qu on apeloit les traitants ] font dé-
clarées prcfcrites après le terme de dix ans. A Tégard
des dettes qui ne font pas dans le cas de la prefcrip-
tion , les débiteurs ne pouvoient être ajournés hors dé
leur juftice naturelle.
Le roi par ce même édit ordonne que toute jurifdic-
tîon foit laiffée.aux juges ordinaires , fans que défor-
mais on puiiTe traduire aucun de fes fujets pardevant fçis
maîtres a'hôtel , les connétable , maréchaux , amiraux,
maîtres des eaux &c forêts , ou leurs lieutenants , ré-
fervant toutefois la jurifdidion des maîtres de requêtes '
de rhôtel fur les oficiers de fa maifon y mais feulement
en caufe perfonnelle & en défendant , & celles des ma-
réchaux de France , de leurs lieutenants à la guerre ,
& des maîtres des eaux & forêts pour les cas de leur
reflbrt uniquement. A l'égard des maîtres des eaux &
forêts , il leur interdit expreffémcnt la connoiffance des
matières de chaffe , de pêche ou autres délits dans les
terres •& jufti ces particulières des prélats & feigneurs
hauts-jufticiers. Toutes les garennes nouvellement fai-
tes, & qui ocupoient pour le feul plaifir de la chaiTe
des terrems qui auroient été employés* plus utilement
au labourage , font abolies pour remédier aux abus que
les maîtres des eaux & forêts avoient commis en is'é-
for^ant d'acroître Tétendue des anciennes garennes , &
d'en fofmer de nouvelles.
Comme le peuple fe plaignoit amèrement des mal-
verfations journalières des fergents (a) , dont le roi fe
propofe de réformer & reftreindre dans la fuite le
(a) Autrefois fous le nom de fergents on entendoit toute efpece de feryîtcurs^
ainfi que Tempone la fignificarion du mot Serviens.
Il y avoit pluficurs fortes de fergents out-e les fergents d'armes , dont Tindi-
tutlon a été laportée fous le règne de Philippe - Auguftc. On diftinguoit entre .
antres les feigenteries fiéfées qui étoient des fiefs donnés à condition d*a(Efict
78 Histoire de Frakce,
i nombre exceflif , il leur eft exprcffément défendu , fous
Aaa. 13;;. peine de deftitution de leurs ofices ^ de prifon & de puni-
tion exemplaire t d'exiger aucune chofe par-deik leurs
iàlaires , ni de fe faire payer plufieurs journées ^ poMc
diférentes exécutions qu'ils auroient faites dans le même
jour. Il eft ordonné en même-temps à tous les oficier$
fervents , autres que ceux qui poffédoient des fergen-
teries fiéfées ^ de faire les exécutions par eux-mêmes p
fans pouvoir commettre perfonne k Texerciçe de leurs
aux n^mcDts de U cour du fcignenr. Ceux qai ne vouloient potnc exercer ces
fooôîons pouvoient donner à (erme leurs fergenterîes avec la permiffion du roi.
On apeloftc grandes lêrgeatenes celles &nt r«aiploi éioic le phs relevé ,
comme le fervice militaire fcrfonnel avec un eu plufieurs honunes , de ponet
la bannière du roi ou fa lance , de conduire ou emmener fon hode ou armée ^
^*étre Ton maréchal , de porter foa épée à Ton couronnement , ou fon iuthtr [ fa
oovi^]^. PU faire autns tdtftrvîus» On peut inférer de-là ou «ndcnntioent ks
ofices les plus confidérables dire^ement atachés à la perionne de aos x»is »
étoient autant de grandes fei^en teries.'
Les petites lêrgenteties écoieat celles d'tm ordœ iafiriear , & xbnt les poflèC-
feurs ne semplifloient pas uft (crvice immédiatement rendu au raociaraiie , & qui
eût quelque raport au devoir militaire , comme d'acompagner le Icigneur ou
la dame , de porter leurs ordres , de nourir les chiens âc les lévriers , d'élever ,
de changer les oifeaux pour la chafle', d'avoir foin des arcs âc des flèches , &e«
Les prélats , feigneuts & communautés avoient aufli leurs fergents chargés di&
diférentes fondions , de garder les bois , les prés , les garennes \ la jgfture de
Teau , mettre les bornes , £»ii;e les fiemoaces Zn ajousnements , à foire toute ma-
miere de forvice qui apariient à fervanu , foit eu ^dmit , fait eu jufiiàam. Lesi
fergents , généralement parlant , avoient droit & étoient tenus «l'exécuter les
mandements & corami (fions des rois , ponces , têigneurs , on autres dont ils rele*
▼oient', de fignifier , de proclamer Se nconplir les jiqgements » &c
Les cours de juûâce fvoientaufC leurs fergents ou apariteurs. Dlfins l'ancienne
coutume MS. de Normandie , i pan. feâ. i , chap. x. l'aRicle qui cojicerne
ces oficiers nous «prend quelles étoient en parties leois lonâîons. En par-
lant des fergents de Tépée , il eft dit , » (bus les vicomtes £bnt les feigcatsdc
o> répée , lelquels doivent tenir les vues , & faire les femonces & ks comman-
3» déments des afifcs de faire tenir ce qui eft jugé , fi doivent les nans [gages ^
» nanti fements 1 délivrer , gardé fur ce Tordce <ie dfoît & pour ee ^ar-ilL
93 ifergents de l'épée , car ils doivent jufticier venueufcment tous les malfiùcevrs »
» gens difamés d'aucun aime , & les doivent avec le glaive de Tépée & avec au-
9» très armes fi ▼igoureufttiient ittfticier, que lecbomies )^eiis qui footoaîfibics
a» foient par les fergents de Tépée gardés paifiblemeot , 9c que les maUattei»6
» foient épouvantés & punis lelon droit , & à ce furent les fergents de Fépéé
M principalement établis «. Hors l'exécution des criminels » dont il parott qu'au-
trefois cette forte de fergents avoit la charge , les /ergents ou aparkcors des >u-
dfdiâions exercèrent les mêmes foulions , îc c'eft particulièrement ces fergen-
terîes uniquement judiciaires » que l'ordonnance a en vue. Qui voudra coonottre
d'une oiaoicrc plus détaillée toutes les différentes efpcces de fcsgcnterîcs^ pouri
«onfulter le (^avam glolTaire de du C^nge au mot Servies.
J s A N I I. 79
fondions : permis k ceux qui ayant compté fur les diP-
penfes d'exploiter par eux^nvétnes ^ quô le prince acor--
doit ordinairement , ôc qui font révoquées par Tédit ,
de vendre leurs oiices dan^ le terme de deux mois.
Quelque temps auparavant on avoit publié un édit
concernant les laboureurs , qui devoit être obfervé fous
de certaines peines & amendes pécuniaires. L^ordon-
nance rapele ce règlement & adjuge aux feigneurs hauts-
jufljciers le profit de cet amendes y chacun dans l'éten-
due de leurs domairies.
Pour affurer la tranquîlité & la Hberté du commerce,
toute efpece de trafic eft interdit aux gens du grand-
eonfeil , prélidents & confeillers du parlement , maî-
tres des requêtes , mahres des comptes , tréforiers de
France , receveurs , maîtres des eaux & forêts , échanfons,
bouteilliei^ , pannetiers , rpaîtres d'écurie , maîtres , gar--
des & oficiers des monnoies , maîtres des garnîfons ,
fénéchaux , prévôts , baillifs , procureurs & fecrétaires
du roi , châtelains f 6c généralement à tous juges & ofi-
ciers. Défenfe k eux de faire aucun commerce direôe-
ment ni indireâement , par eux - mêmes ou fous des
noms empruntés , k peine de contifcation des marchan-
difes y & de punition arbitraire.
Toutes les contraventions antérieures contre les mon-
noies , tant civiles , cjue criminelles , excepté le crime
de faufle monnoie , ou le tranfport des efpeces hors du
rovaume , font remifes & pardonnées en faveur du fub-
fiae acordé par lés Etats ^
Le roi promet qu'k l'avenir il ne convoquera plus Ta-
riere-ban fans une évidente & urgente néceflité , fur les
avis des députés des trois Etats y k moins qu'il ne lui
fut impofiible de les aflembler.
Tous les autres fubfides dévoient celTer pendant le
cours des aides acordéeK par les Etats , dont les députés
âvoieat ordre de fe raflembler Tannée fuîvante pour en
impofer de nouvelles , û la guerre continuoît : & dont
le cas où les trois ordres ne pouroient convenir d'aides
fufifantes « le roi (e réfervoit la faculté de recourir a
Ann. 1355.
n
80 HlSTOIRE*DE FrAKCE^
- ' fon domaine des monnoîes , & à fes autres droits ,
Anû. Ï355- excepté les prifes des vivres , provifions & uftenfiles ,
auxquelles il déclaroit avoir renoncé abfolument.
Le refte de l'ordonnance ne concerne plus que le
fèrvice militaire. Les faufTes montres ftfnt défendues
fous peine de. confîfcation d'armes & de chevaux & de
punition arbitraire. Afin de prévenir tous les abus qui
le commétoient à cet égard ,. il eft ordonné que les fur-
incendants députés des Etats afiifleront aux revues ;
que nul ne fera cru fur fon écrit ou fur fa parole ^ fans
en excepter même les princes du fang & les feigneurs ;
qu'il ne fera rien payé qu'à ceux qui fe feront réelle-
ment préfentés en armes & en équipages ; que les che-
vaux feront marqués , afin d'empêcher qu'on en puiffe
faire diférentes montres ; qu'il fera fait une proclamation
Générale , portant défenfe exprelTe à tous gendarmes,
e s'abfenter du royaume fans permiifion. Enjoint aux
oficiers généraux, tels que le contiétable, les amiraux ,
les maîtres des arbalétriers , les tréforiçrs des guerres ou
autres , de n'exiger aucun droit de ceux qui feront des
courfes fur Tennemi par terre ou par mer. Les capitaines
feront rendus refponfables des défordres que leurs gen»
pouront faire dans les lieux de leur pacage. Les troupes ne ^
peuvent féjourner plus d'uq jour d«ns ks villes de Içur
route ; permis de leur refufer de^ vivres avi-delk.de ce
tçrme , & même de les contraindre d'aller en avant.
Enfin le roi promet de faire les plus puifTants éfortsi
* pour terminer la guerre promptement, &de ne con-
clure, ni paix, ni trêve , que par l!avis des députés
choifis dts trois Etats : & pour (e mettre, plutôt en état
deprefler lesennemis , qu'il fera fait inceuamment une.
puDlicatioii portant ordre à tous les gens de guerre de
le rendre au premier ban , en armes $c en équipages ,
prêts à entrer en campagne , à peine contre les négli-
gents d'y être contraints par les oficiers du rpi , -,& je$
leigneurs hauts - jufticiers , prélats , duc? ,. comtes,
barons , chapitres & communautés. Ce^te ofrdo^nancp
eft dat^edu 3.8 Décembre 1355 , fçell^e le 18 Janvieij
f uivant ,
7 s A N I I. Si
foîvant , & publiée en jugement au Châtelet de Paris , ■
en la préfencede Jean Luillier , lieutenant du prévôt Ann. ijyf.
de Paris , le 22 du même mois.
Tel eft le précis exaft de cette fameufc déclaration
rendue en cpnféauence de la délibération unanime des
Etats généraux de 1355. Elle ne renferme pas un feul
article qui ne rapele quelqu'un des ufages du fiecle où
elle fut publiée i & ç'eft le principal motif oui lui fait
ocuper clahs cet endroit de Thiftoire une étendue que les
bornes ordinaires fembloient lui interdire.
Les meiiires que Ton prit dans cette aflembléc pour
trouver les fonds néceflaires , n'opérèrent pas Téfet qij^on
en avoit atendu. Le roi avoit beaucoup infifté fur Tin-
fufifance de Tàide acordée par les Etats, prétendant qu'une
capitation générale ouvroit une voie plus sûre & moins
embaraffaiîte pour fournir à Tentretien de Tarmée ;
cependant pour ne pas rebuter la bonne volonté des
États , il accepta le fubfide tel qu'il lui fut ofert : on
convint feulement , avant de féparer rafTcmblée , que
des députés àes trois ordres fe troûveroient à Paris au
mois de Mars , & qu'alors on examineroit le produit
de rimpofition.
Suivant la réfolution prife par les Etats , les dépu- LesEut^ fe
tés fc raflèmblcrént à Paris le premier Mars fuivant , «^^ffcmbicnt.
excepté ceux de plufîeurs des villes de Picardie , & ju^rtTjèJ!^.^*
d'une partie de la noblelTe & des villes de Normandie, Mémorkide
qui tinrent une aflémblée particulière de la province au ^^^^^^^ ''^
Vaudrcuil , où les partifans du roi de Navarre , Aar- ^^'frôffard.
tout le comte de Harcourt , atentif à traverfer en tout ProchMS^
les deffçins du roi , donnèrent des témoignages publics ^^^^^
de leur mauvaife volonté. On aflure qu'a cette aflém-
blée du Vaudreuil , le comte de Harcourt tint ouver-
tement les propo$ le!» plus injurieux contre le fouverain.
li avoit conçu contre le roi Jean une haine implacable.
Tar hjang Dieu^ le fang Dieu , difoit-il , ce roi tjl un
mauvais %ornme , & tvéji pas bon roi, & vraiment je me
farcftrai de lui La fuite va nous faire voir que ce pref-
intiment étoit fondé.
Tome y. L
du roi df Na-
Si Histoire de France,
? Il s*cn faloh beaucoup que le fubfide acordé par les
Ann. lis S' Etats fût trouvé fufifant pour fournir à Tentretien des
Nouveau fiib- troupcs : uue grande partie des habitans de diverfes
tionpaTtêtc.' Pfovinces refufcrent de fe foumettre à Timpofîtion ; &
Uidem. i oii fut en£n obligé de revenir au fentiment du roi , en
E ^'^^Ms ^'^ ^^poùitit une capitation générale fur tous les fujets du
^^^ ' royaume , fans en excepter les princes du fang , le
clergé ni la nobleiTe. Ce tribut par tête fut propor-
tionné à la valeur des biens : il fut fixé à quatre livres
Sour cent livres dé revenu , quarante fous au-defTous
e cent livres , & vingt fous au-deifous de quarante
livres^ Les bénéfices pofTédés par les prélats & gens
d'églife privilégiés ou autres , furent taxés pareillement.
Ce qui m paroître cette impontion plus onéreufc , fut
3ue les laboureurs , ouvriers &c ierviteurs à gages ,
ont les (klaires £^roient .eftimés monter à la valeur de
cent fous par an , furent taxés à dix fous. Les meubles
mêmes furent compris dans cette contribution : on payoit
{>our mille livres de meubles , autant que pour cent
ivres de revenu. Il n'y eut d'exempt que les veuves ;
les en£ants en tutelle^ les religieufes , les moines cloi--
tricrs & les mendiants. Le commerce procuroic au roi
RAp.Th.t.i, d'Angleterre des refTources plus faciles. Le produit an-
f%*&ii. nuel du feul fubfide fur les laines ^ acordé à Edouard
par le parlement de la nation , étoic évalué à trois cent
cinquante mille marcs d'argent.
Révolte dtt Dans le temps qu'on s'ocupoic des mefures propres
^P c Ar- ^ foutenir la guerre dont on étoit menacé au - dehors ,
i4/,^CTi. on vit les premières étincelles de cet embrafement gé-
néral j qui ne tarda pas à fe manifefler. La populace
d'Arras (è fouleya : la noblefTe voulut s'opofer aux pre-
miers éforts de la fédition ; rnais le nombre des re-
belles croifiant à tous mome;its , elle fut obligée à^
céder & de fe retirer de la ville : plus de vingt per-
fonnes de diflindion périrent danç ,çe défordre. Cet
atentat ne demeura pas impuni : A^ftoul. d'Andreghen ,
maréchal de France , entra dans Arras j fans parottre
y être conduit par le deffein d'exejrqei? aucyine févéricé.
Je a n i I L 83
Le lendemain de fon arïvée , il fit emprifonner cent -
des principaux mutins ; le fuplice de vingt des plus Aon. t^ss-
coupables ^ décapités aux yeux du peuple y jeta la ter-
reur dans le cœur des révoltés , & les fit rentrer dans
le devoîf.
Le roi réfolut enfin lexécution d'un deflein formé Le roî fur-
depuis long-temps. Si Pon s'en raporte au témoignage N^^aric'^à''*^
de la plupart des hiftoriens contemporains , jamais il Rouen.
n'oublia la mort de Charles d'Eljpagne , il conferva Froiffard.
toujours le defir de venger cet aflamrwit fur ceux qui ^^j^^i^^'^"'^'
en étoient les auteurs ou les complices. Depuis ce cruel Grande chr^
afront , les ofcnfes réitérées dont le roi de Navarre & «'^«f- ^
fés çartifans s'étoient rendus coupables envers lui, leurs ^roUean.
intrigues toujours opofées a fes projets , la confpira-
tion dans laquelle ils avoient engagé l'innocence du
dauphin ^ les fuites de ce complot découvertes depuis ,
le pardon qu'il avoit été contraint de leur acorder , les
éforts qu'ils avoient faits dans raffemblée des Etats- gé-
néraux , pour indifpofer les trois ordres de la nation
contre le gouvernement , tout femblbit lui renouveler
à chaque moment le fou venir d'une première injure.
Le roi cependant avoit diflîmulé ; & malgré la ^rio-
lence de fbn reflentiment , le defir de rendre fa ven-
geance plus complète , Ta voit emporté fur fon impé-
tuofité naturelle* Le duc de Normandie contribua de
fon côté à l^acompliiTement de ce projet : car ce qui fé
pafTa dans cette ocafion ne permet pas de douter au'il
n'entrât dans les vues de ion père. Ce prince ecoit
pour-Iors à Rouen , capitale de fon nouvel apanage.
Il y tenoit une cour nombreufe : il trouva facilement
les moyens d'y atîrer plufieurs fois le roi de Navarre ,
avel lequel il avoit toujours entretenu une étroite liai-
fon. Les feigneurs de la fuite de Charles le mauvais
Tacompagnoient ordinairement dans les fréquents
voyages qu'il faifoit d'Evreux à Rouen. Le dauphin
Tinvita un jour- à^n grand repas. Il s'y rendit , luivî
d'un nombre de fes plus fidèles partifans.
Dès la nuit qui précéda ce même jour , le roi étoit
L ij
lUdiitt.
84 HiSTorç-E DB France,
■ ■ parti de Manneville , armé & acompagné de cent
Ann. ijyj, hommes d'armes , au nombre defquels écoîenc le comte
izUsLvœun&c ^'^^j^^ ^^^ ^^^ > ^^ ^^^ d'Orléans Ion frère , Jean d'Ar-
phificurrfci- tois comte d*Eu , Charles d'Artois fon frère , le comte
gncurs arécés de TancarviUe , le maréchal d'Andreghen , & 'plufieurs
& exécutés, autres feigneurs. Arivé fous les murs de Rouen , pré-
cifément à Theure du feftin y & fans pafler par la ville ,
il fait le tour , entre par une fàufTe porte du château , &
fe préfente à l'entrée de la falle où les convives étoienc
affemblés. Tout le monde fe leva auffi-tôt qu'il parut :
on lui préfenta un gobelet ; mais le monarque lançant
un regard terrible fur les afliftants : Que perfonne ne fe
remue fous peine de mort , s'écria-t-il d'un ton à glacer
d'éfroiles plus hardis. Il s'aprocheaufli-tôtdu roi de Na-
varre , qu il faifit lui-même. Le comte de Harcourt veut
cnvain fe fauver ; il eft arête dans le même inftant. Tous
les feigneurs & chevaliers de la fuite du roi de Navarre
le précipitent les uns fbr les autres pour fe dérober k
la fureur du monarque : quelques-uns eurent le^bon-
heur de s'échaper en pafiant par-defFus les murailles.
Tous les autres furent chargés de chaînes , & con-
duits dans diférentes chambres du château* Le roi ^
après cette expédition^ fe mit à table : auf&-tôt qu'il
eut dîné y il fît mettre fur deux charettes le comte de
Harcourt y les feigneurjs de Graville , Maubué de Mai-
nemars , chevaliers , & Olivier Doublet , écuyer. Jean ,
acompagné du dauphin fon fils , & de fes hommes d'ar-
mes y monta à cheval y conduifant avec lui fes prifon-
niers. Un hiflorien de ce temps raporte que lorfque ces
infortunés pafFerent fur la place de Rouen , les habi-
tants de la ville , étonnés de ce fpeâacle imprévu y vou-
lurent les délivrer ; mais le roi ôtant fon cafque y fe fit
reconnoître , & perfonne n ofa branler. Dans le même
moment il tira de fa poche un aâe y d'où pendoient
plufieurs fceaux y afTurant que c'étoit un traité conclu
avec l'Angleterre. Le même auteur aipute que le comte
de Harcourt y & les trois autres feigneurs nièrent }uf-
qu'à la mort la concluiion de ce traité ; on les conduifit
Viltani.
J Ê A N I I. 85
cependant hors de la ville dans un champ a pelé le Champ- ..
du-Pardon , où ils furent decolés en préfence du roi Ann. 15;;:
& du duc de Normandie.
£n confidérant de fang-froid la conduite du roi dans
cette ocafîon , on ne peut s'empêcher de déplorer le
caraâere inconfidéré de ce prince y qui fe laiilant tou-
jours emporter aux tranfports impétueux de fon ame ^
trouvoit moyen de donner un air ainjuftice à toutes fes
aâions , tandis au41 eût pu fatisfaire un reiTentiment
légitime y en le laifant autorifer par les loix. Qui ne
feroit indigné de voir un roi flétrir la majefté de fon
fang , avilir & dé^ader Taugufte caraâere de monar-
Gue j en faifant lui-même Tonce de jfàtellice ^ arêtant de
fa propre main des fujets coupables , les traînant au fu-
Ïlice , & raflafîant fes yeux de Téfufion de leur fang ?
1 ne lui manquoit plus que de fouiller fes mains la-
crées par la plus horrible des fondions.
Les corps des feigneurs que le roi venoit de faire
exécuter , furent traînés au gibet de Rouen , où ils de-
meurèrent fufpendus par-deilou5 les bras avec des chaî-
nes de fer , & leurs têtes ||ifes k côté d'eux fur des
lances plantées pour cet éfet. Le jour même de cette
aâion , & le lendemain ^ le roi renvoya tous ceux qu'il
avoit fait arêter , à l'exception du roi de Navarre y de
ce Friquet dont nous avons parlé ci - defTus y &c d'un
gentilhomme apelé Vaubattu, Le^oi de Navarre fut Froiffard.
conduit au Louvre à Paris , d'autres difent au château SpicU contin.
Gaillard près d'Andely , enfuite au Châtclet (a) y où ''^^'^•
on lui donna des gens du confeil pour le garder. Il y
a toute aparence que ces gens du confeil y qui furent
(a) Les auteurs contemporains ne font pas d'acord entre eux fur le lieu de la
détention du roi de Navarre. Le continuateur de Nangis a/Ture que ce prince
cfluya les plus durs traitements durant tout le temps qnil fut uècé ; qu'on
envoyoit quelquefois Ters lui des hommes qui paroi (Toient déterminés à lui
trancher la tête , & qu'à Tinftant il çn furvenoit d'autres qui rufpendoient Texé-
cmion.'Il ajoure oui 1 fut chargé de chaînes pendant le cours de ùi captivité^
mats cet auteur ett fe feul qui raporte ces faits , & probablement fur le récic
du roi de Navarre lui-même , qui avoit intérêt d'exciter la compaiGon pour des
/ôufranccs qa'il exagéroit. .
Ann. 1}SS'
96 Histoire de Frange^
chargés de la garde du roi de Navarre , écoient des
commifTaires nommés pour travailler à rinftruâion de
fon procès , de la même manière qu'on en uià contre
Friquet , oui avoit été aurti dans le même-temps ren-
fermé au Châtelet avec Vaubattu. Si Ton commença
_ éfeâiveraent quelques procédures contre ce prince , ce
^ qui paroît allez probable par les plaintes qu'il fit des
menaces concinudiles de mort , & des traitements ri-
goureux qu'il efluya dans fa prifon ; ce commencement
d'inftruâion de procès-criminel aura vraifemblablement
été fuprimé pendant les troubles qui furvinrent peu de
temps après. Il ne nous eft refté que le procès -verbal
des interrogatoires fubits par Friquet. On voit feule-
ment par le certificat du fecrétaire du roi , qui acom-
pagne cet interrogatoire , que le roi de Navarre fut
mterrogé.
Ann. i^j6. La prifou du roi de Navarre , & le fuplice des fei-
PhiHppc de gneurs arêtes avec lui , loin d'éteindre le zèle de fes
partifans , fut le fignal du foulévement d'une partie de
la province de Normandie. Philippe de Navarre , firere
de ce prince , rafTembla t||is ceux qui étoient atàchés
à fa maifon ^ fortifia les piices & châteaux des domai-.
nés de fon frère , y mit de fortes garnifons , réfbiu de
fe défendre jufqu'a la dernière extrémité. Il écrivit en
même-temps au roi , qu'il lui déclaroit une guerre im^
mortelle y li l*on ateatoit à la vie de fon frère. La faifie
qu'on voulut fiiire des terres du roi de Navarre eut
aulli peu d'ééèt que cojle qu'on avoit déjà tentée avant
le traité de Valogncs : fes troupes cantonnées dans le
Cotentin rendirent vains tous les éforts qu'on fit pour
les en chailèr. La noblefle & la plupart des villes de la
province., indifpofées contre le gouvernement , ou em-
brafierent le parti du Navarrois , ou gardèrent la neu-
tralité. Godefroi de Harcourt , le même qui fous le
règne précédent avoit introduit les Anslois dans le
royaume y fe montra dans cette circonftance un des
plus ardents ennemis du roi. L'afront faoglant que fa
maifon venoit de recevoir^ juftifioit en quelque manière
Navarre fc
cantonne en
Normandie.
Ikidcm.
Tri for des
Chartres.
J E A N I I. ,87
cette féconde révolte , fi Ton peut trouver quelque mo- ''^— "T
tif légitime de s'armer contre fa patrie. Ann. ijj^
Philippe de Navarre & Godefroi de Harcour& ^ non-* Philippe de
contents d'avoir pris les mefures propres à rompre les ^*T*r''^ ^
premiers éforts du roi , fongerent à s'apuyer d'un fe- d^Harcoun
cours étranger , fur lequel les ennemis de l'Etat pou- traitent avec
voient toujours compter. L'AnçIeterre leur ofroit une ^^^^'
reiTourxx infaillible. Ils s'adreflerent à Edouard , qui ^ ^'^^
leur témoigna les difpofitions les plus favorables. Il fît puhlHom! ^,
expédier un fauf-conduit pour leurs agents qui pafsè- part.i^p.nx.
rent à Londres. Il ne s'en tint pas-là : comme le roi y
en arêtant le roi de Navarre ^ & en conduifant les
quatre chevaliers' au fuplice , les avoit acufés d'une
confpiradon contre l'Etat y & d'un traité avec l'Angle*
terre y le j||C)narque Anglois entreprit de perdre fon
rival de r^utation , en lui donnant un démenti à la
face de l'Europe.
Pour cet éfet Edouard fit expédier des lettres-paten- Manîfcftcdu
tes adreffées au pape , à l'empereur , & généralement ~J<i'Angietcr.
à tous les princes , Seigneurs & peuples de la chrétien- ùwp.n^.
té. Ci Les prudents de ce fiecle y dit le roi d'Angle-
jy terre dans ce manifeile y s'éfbrceQt de déguifer leurs
yy fautes y ôc de pallier leurs méchancetés y en flétrif-
v faut l'innocence des autres : nous croyons qu'il efl
V conforme à ce que Ton doit à Dieu & à l'humanité
y> d'aracher le voile qui couvre la vérité y & de l'expo-
sa fer toute nue en éfaçant par un témoignage public
V les fauifes couleurs dont elle étoit ofufquée. Tout le
yy monde fçait que Tean de France y poiTefTeur aâuel
yy contre Dieu & juûice de ce rovaume qui m'apar-
V tient y s'étant réconcilié fous la toi du ferment avec
9^ le roi de Navarre , 6c lui ayant promis d'oublier
yy tous les fujets de mécontentement qu'il pouvoit avoir
yy contre lui & contre fes adhérents y l'a cependant fait
39 arèter avec le. comte de Harcourt & pluiiéurs autres
9^ nobles , & les a traités d'une manière fur laquelle le
9> refped dû à Thoneur de la profeflion des armes
» nous impofe .filcncc. Mais comme ledit 7ean de
B8 ^ Histoire de France,
' yy France , pour juftîfier fon aôion , prétend , à ce
l*Aiui. ijfe. yy qu'on dît , avoir entre les mains les -lettres du roi de
yy Navarre & des nobles , par lefquelles il paroît au'ils
fy ont confpiré contre lui , & qu ils ont promis de fe
yy joindre à nous , & de nous livrer la ^Normandie ,
>> craignant que ces difcours ne fafTent tort à notre
yy honeur & k celui du roi de Navarre , & voulant à
yy caufe des liens du fang qui nous unifient, laver ledit
>^ roi de Navarre de cette faufle imputation , quoiqu'il
w foit notre ennemi , nous déclarons en parole de roi
» & devant Dieu , aue le rois de Navarre & fes amis
yy n'ont jamais fait de traité avec nous , n'ont jamais
w Êivorilé notre parti, & qu'au contraire nous les avons
>^ toujours regardés comme nos ennemis ce, Donné à
Weftminfter le 14 Mai i^i^. ^
Philippe 1^5 ennemis du roi ne manquèrent pas de répandre
de Navarre ce manifefte , & ne réuffirent que trop à multiplier le
SeHarcom ^^^^^^ ^^^ mécontents. Le prince de Navarre pafla
paÀencenAn. ^n Angleterre , acompagné de Godefroide Harcourt ,
gictcrrc&reo- afin de preficF la conclunon dn traité commencé. Go-
àEdoS!^^^ defroi de Harcourt n'écoutant que fon reflcntimcnt, no
Rym.aa.puU. ^^t pas plutôt arivé à Londres , qu'il reconnut «Edouard
iom.s.p^n.i, pour roi de France & duc de Normandie , lui rendit
^%y^' $. "O"^*^^?^ cfl c^^te qualité, avoua |tenir de lui fes
'•/^f»H« (eigneuries de Saint -Sauveur -le -Vicomte^, & autres
terres confidérables en Normandie , & de plus inftitua
fiid. f. u8. ^^. monarque héritier de toutes fes pofiefiions. Il fut
fait en récompenfe lieutenant d'Edouard dans la pro->
vince. Philippe de Navarre fit pareillement hommage
au roi d'Angleterre. Dans l'aâe de cet hommage font
inférées les conditions de l'alliance , dont la principale
eâ la euerre réfolue contre la France , jufqu-k ce qu'E^
douard en eût fait la conquête , &. procuré la déli-
vrance du roi de Navarre. Ils s'engagèrent de plus l'un
& l'autre à ne conclure , ni paix , ni trêve , que d'un
mutuel acord.
Guerre en Cependant le due de Lencaflre étoit entré en Nor-
Nor^nandic. mandic ^ conduifant un renfort confidérable d'Anglois ,
qui
J E A w IL 89
3ui joints aux troupes Navarroifes ^ formèrent un corps ■ ■
[armée compofé ae quarante mille hommes d'armes, Ann. ij5^*
& d'une. infanterie nombreufe. Peu de temps avant fon Jj^Jf^f^^
arivée , le comte de Tancarville , connétaole de Nor- nique!. ^^ ^
mandie , & lieutenant du roi dans cette province, avoit Prife d'E-
pris la ville & le château d'Evreux , qui furent pillés vrcux.
& brûlés , tant par les Navarrois qui fe reciroient , aue
par les François viâprieux. Le premier exploit du duc sîcgcdcPont-
de Lencaftre fut de faire' lever le fiege de Pont- Aude- Audcmcrkvé»
mer , invefti depuis deux mois par le maître des arba-
létriers , que Taproche des Angfois contraignit k la re-
traite.
Le duc de Lencaftre ^ Philippe de Navarre ayant PrtfcdcVct-
réuni leurs forces , s'avancèrent jufqu'k Breceuil qu'ils ^^^^
fortifièrent, pillant & ravageant tout ce qu'ils rencon-
treront fur leur pafTage. De - là ils pénétrèrent dans le
Perche , s'emparèrent de Verneuil , qu'ils raferent &
brûlèrent en partie.
Aulfi-tôt que le roi eut aorîs la defçente du duc de Lcroiraflcm-
Lencaftre en Noiwandie , u raflembla des troupes > & p J. ^ ^^^
prit la route de Verneuil , ou il efpéroit rencontrer les ' ^
/ennemis ; mais il aprit en chemin qu'ils s'étoient reti-
rés , & nlarchoient vers la ville de TAigle. Le roi fe
mit fur leurs traces : loriqu'il fut . arive près de ce^te
dernière ville , il fe vit obligé de renoncer au projet de
les jpin^e« Les Anglois s'étoient retranchés dans les
forêts , d'où il étoit impoUible de les déloger , & dans
lefquelles il y avôit tout à craindre de tomber en quel-
Îue embufcade. En revenant fur fes pas , l'armée
rançoife prit le château de Tillieres , dans lequel on
mit une forte garnifon. Le roi vint enfuite s'atacher au m
fiege de Breteuil , qui ne fe rendit k compofîtion qu'a-
près une réfiftance de deux mois.
.Ce qui fe paiToir en Normandie n'étoit que te pré- pcfccntc in
lude des opérations de cette campagne , quoique la fc"cnGuîcn^i
faifon déjà avancée femblât laiiTer peu d'intervalle pour il ravage l'Aa-
former des entreprifes confidérables. Un ennemi plus ^^[[^L^^j^"
redoutable qiie les Navarrois âc le duc de Lencaftre , bm^
Tome K M
9© Histoire pè France,
- - menaçoit la France par rextrémité opoféc k celle où îe
Ann. 13;^. roi ecoit pour-lors ocupé. Tandis que le monarque faifeic
le liege.de Breteuil , le prince de Galles , nouvellement
arivé d^Angleterre ,4éfoioic la France méridionale : après
avoir pafïe la Garonne , il pénétra dans TAuvergAe &
dans le Limofîn^ , qu'il parcourut avec la rapidîcé d'un
torrent : il vint enfuite fondre fur la province de Berry ^
eflaya d'emporter d^affaut Bourges & ïflbudun ; mais
CCS villes étoient trop bien fortifiées pour être prifes
d'emblée. Il ne voulut pas retarder fa courfe en s'arê-
tant devant ces places : déjà il étoit arivé fur les limites
qui féparent le Berry de la Tou raine , incertain s'il re-
tourneroit fur fes pas, ou s'il^traverferoit la Loire pour
joindre dans le Perche Tarmée du duc de Lencaftre ,
lorfqu'il aprit que tous les paflages de cette rivière
étoient gardés , & que le roi raflemoloit à Chartres une
armée tormidable. Il s'arêta ; & par l'avis de fon con-
feil , il réfolut de reprendre la routfe de Boirdeaux pat
la Touraine & le Poitou.
Le roî marche Le roi n*àvoit été informé qu'à fdh retour à Paris ,
de GaUcs""" ^P^^s la prife de Breteuil , de l'irruption du prince de
^Froiffard. ^^^^^^' Sur la première nouvelle qu'il en reçut , // jura
SpiciLcontin. qu^il marchcroit contre lui , (f qu^tl h combatroit j quel-^
dijJangis qii^ part qu^il h trouvât. Toute la noblefle de France
nique/ ^ ^ c"^ ordre de marcher: le rendez -vous général des
ckron.MS. troupes fut indiqué vers les frontières de la Touraine
mî!ro2' ^ ^^ Bléfois. En atendant que l'armée fût affemblée^
le roi envoya les feigneurs de Craon & de Boucicaut ,
& l'Hermitê de Chaumont , avec trois cents hommes
d'armes. Ils eurent ordre de harceler les troupes du
^ prince. Les François fe mirent en' embufcade dans un
paffagp d'ificile , afTez près de Romorantin : ils ne fe
furent j>as plutôt cantonnés dans leur pofte , qu'ils dé*
couvrirent an détachement de l'armée ennemie , com-
pofé de deux cents lances j qu'ils ataquerent * brufque-
ment. Les Anglois , quoique furpris , firent une vigou-
reufe réfiftance y & donnèrent le temps au prince de
Galles de venir à leur fecours. Les François furent
J E A N I I. 9Z
alors pbligés de fonger à la retraite , & de s'enfermer ■■
dans le cnâteau de Horaorantin , la ville n'étant pas Aan. ijj*.
en état de dé&nfe. Le prince piqué de cette ataque ,
fembla pour Quelque temps oublier au'il alloit bientôt
avoir fur les oras toutes les forces de la France , &c
qu'il ne pouvoit retourner en Guienne avec trop de
promptitude. Il fit foramer les trois feigneurs & leurs -
nommés d'armes , de livrer la forterelTe , & de fe
rendre à dHcrétion. Sur leur refus , les Anglois livrè-
rent un premier alTaut , où ils furent repouiTés. Le
prince toujours plus animé , fit (èrment de ne point
partir quil ne les eut foumis. Les ataqucs recom-
mcncerent , & la place auroic peut-être tenu plus
long-temps , fi quelques ingénieurs , qui fuiyoient l'ar-
mée du prince, ne fe fuUènc avifés de faire drefier
quelques bateries de canons , & de jeter dans la place
quantité de feux d'artifice. Par ce «moyen ils mirent le
feu à quelques bâtiments qui écoient dans la badè-cour
du château ^ la fiamme fe communiqua bientôt à une
des toiirs ; alors les àifiégés furent contraints .de fubir
les loix du vainqueur^ & de fe rendre prifonniers de
fuerre. C'eft la première fois ^u'il eft fait mention
ans notre hiftoire de l'ufage de 1 artillerie pour le (iego
des places (a). •
Le fiege du château de Romoraotin , quoique de peu prin. de ro-
de durée , avoit fait perdre au prince de Galles un motaocto.
temps précieux. La plus grande partie de l'armée Fran- ind.
çoife étoit raiTemblée : de nouvelles troupes venoient à .
cous moments la joindre. Le roi étant parti de Char-
tres I fe rendit en un jour k Blois , & le furlcndemain à
Loches , où il aprit que les Anglois écoient encrés dans
la Touraine.
. Le prince s*ayançoit cou jours vers Foiciers , s'éfer-
•
(a) Troiflard d'apris lequel ce fait eft raporcé » s*ezpriine ainfi : » Sx ima-
>» ginereat aucans AibtiU hommes que pour traire ic lancer on fe traivailloit ca
w vain 9 ft ordonnèrent apofter canons en avant & attrait en quarreaulx 8c à
» feu gregois dans la bafle-cour , fi que touce la* baifc-cour fut embrafée o.
Froiffard^ iom. i ^-pag. Z69 A. .
M ij
Ann. i^s6
Les deux ar-
ucrs.
92 HisjroiRE DÉ France,
cane de recouvrer par des marches forcées , les mo-^
mènes qu'il avoic lacrifiés k la prife d*une place peu
mécs fe rcn-" importante. A mefure que les deux armées aprochoient
contrent à de Poitîers , la diftance qui les féparoit fe retréciflbit.
pîès"5c"poi- ^^i^ ^^^ François avoient paffé la petite rivière de la
Creufe au pont de Chauvigny ; & ^ifant le tour d^un
Jiid. bois afTez près de Poitiers , avoient aflis leur camp aux
environs d'un petit village apelé Maupertuis. Les en-
nemis ariverent prefque àufïi-tôt au même endroit par
Tautre côté du bois. Ce fut-là que le prince aprit de
quelques François pris par un de fes détachements,
que le roi de France. & tpute foh -armée Tavoient pré-
cédé y & qu'il ne lui étoit plus poflible d'avancer , ni
de reculer fans combat re. ^11 envoya reconnoître les
troupes Françoifes par un corps de ceux cents hommes
d'armes , & il aprit à leur retour quelles forces redou-
tables il avoit en têter. Mais le péril , tout grand qu'il
étoit , loin de l'intimider-, redoubla fon courage. JJieu
y ait part , dit-il , or nous faut-il f^avoir comment nous
les combatrons à notre avantage. C'étoit le famedi dix-
fept Septembre 1356 , que les dgux armées fe rencon-
trèrent : elles panèrent la nuit en préfence l'une de
l'autre. Les Anglois employèrent ce temps à fortifier
leur camp, qu'ils avoient aflî^daas un lieu très -avan-
tageux , prefque inacceffible par la nature du terrein
entrecoupé de haies , de buiflbns & de vignes.
Tous nos hiftoriens ont judicieufement bbfervé qu'en
cette conjonâure rien n'étoit pliis facile que de triom-
pher fans répandre de fang. L'armée Angloife , fati-
guée d'une longue & pénible marche , commençoit de-
puis quelques jours k foufrir de la difette des vivres
& des fourages , ayant été obligée dans fa route de
repafler par des provinces qu'elle avoit dévaftées : en-
velopée de tous côtés par une armée dix fois plusT
iiombreufe , un retardement de trois jours l'eut forcée
de mettre bas les armes , & de fe rendre à difcrétion :
la guerre étoit finie. La prife du prince de Galles &
^e fon armée eût obligé U roi d'Angleterre de fubir
J E A K I I. 93
toutes les conditions qu'on eût voulu lui împofer. La- l'
vcugle impétuofité* du roi priva la France de cet avan-. Ann. xjj^.
tage y & devint pour lui & pour fes peuples une (burce
intarifTable de malheurs.
A .peine le jour commençoit à paroître , que le roi icroiformc
fit célébrer la meffe , à laquelle il communia , ainfi Jjf ÏJ'/'JJ
que fes quatre fils & les princes' du fang , félon Tufage AngioiJ ^
alors pratiqué dans les jours deftinés à quelque .a£Bon« lUd.
Il aiTembla enfliite le confeil de guerrç y auquel aflif-
terent les ducs d'Orléans & de Bourbon y le comte de
Ponthieu y Jacques de Bourbon , le duc d'Athènes^
aloirs connétable de France y les comtes de Sallebrache,
de Dammartin , de Ventadour , le fire de Clermont ,
Arnoul d'Andreghen , maréchal de France , les fires
de Saint-Venant y de Landas y de Fiennes y Euftache
de Ribaumont , Geofroi de Charny , les fires de Châ-
tillon y de Sully y de Nèfle y de jDujras , & plufieurs
autres feigneurs. Soit que Pon fût infi:ruit des iuten-»
tions du roi y auxquelles on n'ofa pas aporter 4'opofi-*
tion , foit que le petit nombre des ennemis infpirât une
confiance inconfidérée y parmi cette foule de princes
& de chevaliers y Télite des guerriers & de la nobleiTe
Françoife y il ne fe trouva pas un homme afiez prudent
ou afiez généreux pour ouvrir le feul avis falutaire.
L'ataque du t:amp ennemi fut unanimement réfolue.
Auffi-tôt les troupes reçurent ordre de fe mettre fous
ies armes. Tandis qu'Euftache de Ribaumont y Jean de
Landas y & Guichard de Beaujeu y étoient partis pour
rcconnoître Tarjmée ennemie , le roi , monté fur un
cheval blanc y parcouroit les rangs de la fienne. Entre
vous autres , difoit-il tout haut , quand vous êtes à Pa^
ris , à Chartres , à Rouen , ou à Orléans , vous ml--
nacer les Anglois ^ fir difire[ avoir le bacinet [ le caf-
que J en la tête devant eux : or y étes-vous , je vous les
montre : fi leur veuille^ remontrer leurs maltalents [ leurs
torts ] > & contre-venger vos ennemis j & les dommages
outils vous ont faits : car fans faute nous combatrons.
On ne répondit à cette harangue militaire que par des
proteftations de courage & de fidélité.
94 HiSTOxiix DS Frakci,
Cet.t« exhorcaçion , accompagnée de reproches , fcrt
An». i}j«. encore à prouver la durecé naturelle du roi , qui lui
atira dans une aucre ocaiion une vérité un* peu hardie.
Mém>irtd« On raporte de lui , qu'entendant un jour quelques fol-
liuir. tom. », dats quî chancoient la chanfon de Rolland («) , il s'é-
fog'iao' ÇJ.JJJ qy'jj y j^yQjç long-tcmps qu'on ne voyoit plus de
Rolland parmi les François. Un vieux capitaine, F^Sj^^
de cette plainte injurieuie pour la nation , répondit fiè-
rement qu'on ne manqueroic point de Rollanas dans les
armées , ii les foldats voyoient encore un Charlemagne
h, leur tête. •
I-e roi Jean , guerrier auffi intrépide que chef impru-
dent , commandoic une des plus HoriiTantcs armées que
la France eût mifes fur pied depuis long ^ temps : elle
étoit compofée de plus ae foixante mille comoatants ,
parmi lefquels on voyoit trois mille chevaliers portant,
bannière , ou ftnqons. Les quatre fils du roi , les princes
du fang » les plus illuftres leigneurs , tout ce qu'il y
avoit en France de gens diftingués ea état de porter les
armes » fe trouvoient alors raflemblés à Maupertuit
fqus les ordres du monarque {b). Cette armée avoic à
combatre un corps *de troupes de huit mille hommes ,
formé pour la plus grande partie de François & de
(a) Nos ancêtres «voient tetenu 4ei GermaiM Tufage d'aller au eombat en
chantant de* veri à ta louange des guertlen célèbre* de leur nation. La mi-
moite de la bravoure & de* exploit* de Rolland lé conferva long-tempi^
bien avant fout la troifieme race. Les foldats ehantoient encore la chanfon
tffù avoit iié compofée en l'honeut de ce hétoit
Taillefer qui moult bien chantoit ,
Sur an cheval qui tôt albit ,
^ Devant eus alloit en chantant
De l'Altemagne 6e de Rolland
Et d'Olivier te de* vaflâuz
<2ui moururent à Roncevanx.
Roman dt Rou , defeript. dt tarmit dt Guîlt. U Conquérant.
Xt>) *> Là étolt toute la fleur de France , [ dit un de no* anciens écrivains , ]
M ne nul chevalier ne efcuyer n'ofoit demeurer à l'hâtel ^ s'il ne vouloir £ue
«déafaonoré. « Froiffard, tom, i ,fol, 87.
J £ A N I I. • 9^
Gafcons , parmi lefquels on comptoic au plus trois mille *— '^"""^
Anglois ; mais ce corps de troupes , fi toible en com- a»»* m;^*
paraifon des forces qu'il avoit en tête ^ marchoit fous
les ordres du prince de Galles.
L'armée Françoife , rangée en bataille , étoit divifée o^^" ^«
en trois corps de feize mille hommes d'armes , dont **^"' ^'°*'«*-
tous ttoitnt montrés & pnj/cs hommes d^armcs , outre les ' *^
gens de pied. Le duc d'Orléans , frère du roi , condui-^
foit le premier corps. Le dauphin y duc de Normandie,
acompagné de fes deux frères , commandoit le fécond.
Ces trois princes avoient été confiés à la garde du fire
de Saint- Venant y de Landas , de Tibaut de Bodenay y
& d'Arnaud de CervoUe , dit l'archiprêtre. Le roi s'é-
toit réfervé la troifieme divifion : Philippe, le plus jeune
de ks fils , étoit auprès de lui. Les trois chevaliers qu^il
avoit envoyés pour examiner Tordre de bataille des
ennemis , raporterent que le pofte que le prince ocu-
poit , étoit extrêmement fortiné ) que des haies & des
DuifTons épais lui fervoient de retranchements ; qu'il
avoit bordé ces haies d'archers , à travers lefquels il
étoit indifpenfable de pafler , avant que d'entrer dans
un chemin fi étroit , qu'à peine quatre hommes pou*
voient y pafier de front ; que ce chemin aboutifibit à
des vignes , & à des terres hérifiées d'épines , où les
hommes d'armes , qui compbfoient l'armée ennemie ,
s'étoient poftés après avoir quité leurs chevaux ; &
3ue le front de leur bataille étoit couvert par le refte
e leurs archers , rangés en forme de herfc. Le roi
demanda au feigneur Euftache de Ribaumont , de quelle
manière il faloit ataquer. L'avis de ce chevalier fut
que les hommes d^armes milfent pied à terre , excepté
trois cents des plus braves & des mieux armés , defti-
nés à rompre & ouvrir les archers qui bordoient l'ar-
mée ennemie , & que lorfque ce premier corps de ca-
valerie fe feroit ouvert un pafiage , la gendarmerie à
pied donnât l'épée à la main fur le corps de bataille du
prince. Le roi aprouva ce confeil , & donna fes. ordres
en conféquence. -Tous lçs« gendarmes defcendirent de
f€ .HxSTOXRB DB FrANGB|
" ■ ■'■ ■■ de cheval ; on réfcrva fculcinent la cavalerie AUemande
Aoa. 2 5j^. pour foutenir les maréchaux, qui devoienc commencer
Taâion à la tête de trois cents gens d'armes à «hevaL
On commanda aux hommes d*armes d'ôter leurs épcr
rons y & de tailler leurs lances à cinq pieds de hauteur,
afin qu'elles fulTent moins embarailàntes dans la mê-
lée , où il s agiilbit de combatre ferrés les uns contre
^les autres.
Le cardinal* Déjà les troupcs commcnçoient à s'ébranler , lorfque
^^ ^f 1^^^. ^^ cardinal de Périgord vint fufpendre Taâion. Ce pré-
cJSidcmcnt ï^^ ^ ^^ Cardinal d'Urgel , légats députés par le papo
ibidm. Innocent YÎ , dans le deflein d'apaifer les troubles du
ropume , avoient fuivi le roi depuis la Normandie
juique dans le Poitou. Dès la pointé du jour , le car-
dinal de Périgord étoit forti de Poitiers pour faire une
dernière tentative. Il acourut k toute bride vers Tarmée
Françoife , & ariva au moment que Taâion alloit com-
mencer. Aufli-tÔE que le roi l'aperçut , il alla au-devant
de lui. Le cardinal conjura le roi , les mains jointes , de
vouloir bien l'entendre avant que d'engager le combat.
Il lui remontra enfuite , qu'au-lieu d expofer tant de
braves gens , il ne tenoit au'à lui d obtenir dans cette
ocafion tous les avantages aune viâoire complète , fans
être obligé de livrer de bataille ; que les ennemis fe-
roient trop heureux de. reconnoitre la fupériorité de fes
armes , pourvu qu'il voulût leur acorder des conditions
fuportables. Jean confentit à cette ouverture d'acom-
modenient : il dit feulement au cardinal d'engager le
prince à fe déterminer promptement , ^ de lui aporter
aufli<ôt fa réponfe.
• Le jeune Edouard fentoit l'extrémité k laquelle il fe
trouvoit réduit : il voyoit toute la grandeur du péril j
mais il comptoit fur lui-même. On en peut juger par
la difpofition de fon armée , & par le fang froid avec
lequel il profita de toutes les refTousces que la fituation
du terrein , & le temps lui permettoient. Il écouta les
propofitions , & répondit qu'il accepteroit toutes les
conditions qu'on lui prefcriroit , pourvu qu'elles, n'in-
térefTaflçnç
J E A K I I. 97
cëreflafTent point fon honeur & celui de fes gens. Le ■
cardinal revint prompçement raporter cette réponfe au Ai». in«.
roi ^ duquel il obtint après Quelques infiances y une
fufpenfion d*armes pour le reue du jour. Ce temps fe
paua réciproquement à fe faire diférentes propofitions ,
dont le prélat fut porteur. Enfin , le prince de Galles
ofrit de remettre les villes & les châteaux qu'il avoit
conquis , de rendre la liberté k tous les prifonniers ^
& de ne point porter les armes contre la France pen-
dant fept ans. Les feigneûrs qui formoient le confeil ,
& le roi lui-même y rejetèrent ces ofres ; & le cardinal
fut chargé de fignifier aux ennemis , qu^on ne leur
acorderoit la liberté de fe retirer y qu'à condition que
le prince de Galles y & cent des principaux dé fon ar--'
mee y fe rendroient prifonniers de guerre/ Le prince
protefta de fon côté y que jamais il ne perdroit ùl li-
Derté que les armes à la main. La nuit étoit furvenue
pendant ces diférents pourparlers. Le prélat ne voyant
plus d*efpoir de parvenir à un aconunodement y rentra
dans Poitiers y ^ Ton ne foagea plus de part & d autre
qu^à fe préparer au combat. .
Les ennemis cependant âvoient employé le temps
de la fufpenfion d'armes k fortifier leur camp par de
nouveaux retranchements : ils travaillèrent ce jour &
la nuit fuivante k creufer des folTés profonds y revêtus
de palifra<le$ y derrieris lefquels ils placèrent leurs ar-
phers.
Le lendemain lundi dix -neuf Septembre , les deux
armées fe mirent fous les armes dans le même ordre
qu'on avoit obfervé la veille. Le cardinjtl étoit revenu k
la charge y les François luirdéelarerent qu ils ne vouloient
plus entendre parler d'acommodement y ajoutant que
s'il paroifToit encore , il lui en pouroit mal prendre.
Alors le prélat prit congé du roi ; & retournant vers
le prince de Galles y il lui dit : Beau Jils y faitew ce que
vous pourc:^ \ il vous faut comhatre. C^ejl bien notre
int/tnU(M y répondit Edouard y & Dieu veuille aider au
flroit. Ce prince ne fit qu'un feul changement k fou
Tome K N .
98 Histoire ds France.
'^— "^^^ ordonnance de bataille ; ce fut de placer trois cetfti
AnO' n5^- hommes d'armes , & trois cents archers à cheval fur le
revers d'une petite élévation à fa droite , au pied de
laquelle étoit le corps d'armée du duc de Normandie.
Bataille de Auffi-tôt qu'on cut donné le iignal du combat y les
dcPohiw***^" trois cents hommes d'armes à cheval commandés par
liiiiem. ^^^ maréchaux d'Andreghen & de Clermont , deftinés
à commencer Tataque , s'avancèrent. A peine furent-ils
engagés dans le défilé bordé de haies des deux côtés y
que les archers Anglois y oui étoient placés derrière ce
retranchement naturel y nrent pleuvoir fur eux une
frêle de traits. Ces flèches longues & dentelées , tirées
fi peu de difbince , perçoient égaleme i't les hommes
' & les chevaux y qui tombant fous leurs maîtres y oca^
fionnerent le premier défordre y que le nombre 4es ca-
valiers démontés redoubloit à tous moments. L6 che-
min étroit & inégal fut bientôt embaraifé , de manière
à ne pas permettre à ceux oui étoient aux derniers
rangs d'avancer : les chevaux bleiTés & fans conduâeurs
augmentèrent la confuiion. Les deux maréchaux &
quelques hommes d'armes des mieux montés , franchi-
rent cet obflacle y & fondirent avec intrépidité fur l'a-
vant-garde des ennemis*: envelopés de toute part y ils
furent en un infiant mes ou pris. Le maréchal de Cler-
mont ( a ) perdit la vie y & Andreghen fe rendit pri-
fonnier. Ce premier édiec^ quelque léger qu'il parût >
décida l'événement de la bataille. Lts hommes d'armes
qui n'a voient pu aller en avant y emportés par leurs
(a) On atriboa la mort da maréchal de Clermont à Jean Chandos » cheTs-
lier Ânglois. Ces deux feigoeurs , pendant la fafpenfion d*aitnes de la veille ,
s^éroient rencontrés & avoient pris querelle fur la repréfenution d'une dame
habillée de bleu qu'ils portoient en broderie fur leur cote d'armes. Comme la
figure étoit la même » cette reflemblance excita la jaloufie êc Tanimofité réci-
proque des deux guerriers. Ils fe donnèrent plufieurs démentis , & fe feroient
battts fur-le-cbamp fans l'armiftice qui leur interdifbit les yoies de faits. Us Ce
défierenii^ttr le lendemain. Vous mt trouvirg^ demain , dit Chandos > soiu apa-
reilii dt défendre par fait d armes qu'elle ( cette dame bleue ) efi auM-iien mienfla
comme vôtre. Chandes , reprit le maréchal , ce /ont bien les parol^ de nos An*
glois qui neffavent avifer rien de nouveau ; mais tout ce qu'ils wens leur efi
beau. Ils fe fépareie&t & fe tinrent exaftemcnt parok le jow de la bataille.
J s A K IL c99
chevaux y & culbucoient les uns fur les autres* Ils fe ^
replièrent for le corps où tommandoit le duc de Nor- ^^^ "M^
mandie, & la précipîtadon avec . laquelle î# firent ce
mouvement y jeta Talarme & Téfroi dans une partie de$
guerriers qui coropoioient cette divi/îon. La plupart
Fabandonnerent & coururent à leurs cbevaiH: » dans 1«
moment que les gendarmes & les archers placés der^
riere ce monticule dont nous avons parlé , defcendirenç
avec impétuofité & vinrent achever Tébranlement.
Ceux qui acompagnoient le dauphin .& fes frères ^
au -heu de fonger k remédier à ce défordre , caufé
par l'irruption de fix cents hommes fur un corps de
vingt mille combatants , s'abandonnèrent à une lâche
'frayeur : ils emmenèrent les jeunes princes , ^ couvri-
rent leur honteufe retraite du fpécieux prétexte de fauver
refpérance de TEtat. Le duc d'Orléans , qui com- -
-mandoit le fécond corps de bataille , témoigna encore
moins de courage , en fuyant à toute bride ayant que
d'avoir feulement tiré l'épée. Sa fuite entraîna cellp de
la divifîon qui étoit foijs fes ordres. En «vain ^ pour
éfacer la honte de ceux qui fe 'compostèrent fi lâche-
ment dans cette journée , on a produit une prétendue
lettre du comte a' Armagnac , où il marque que le roi
avoît fait commander au dauphin , aiiifi qu'à fes deux
^ireres , & au duc d'Orléans de fe fauver. Le comte
* d'Armagnac n'adifta point, à cette bataille , & fon ab-
sence ôte toute obligation de s'en raporter k fon té-*
moignage , quand le contraire eft atefté par les ^écri-
vains contemporains qui s'acordent généralement .k con-
damner cette infâme retraite. D^ailleurs. , quelle apa-
rence que le roi qui n'abandonna jamais; le champ ^e
bataille, ait pu donner dès. le commencement du com*
bat un ordre qui entralnoît la défaite id» fon arinée.
' Le prince de Galles obfervoit cependant . tous nos
mouvements : dès qu'il, s'étoit aperçu que les xleux corps
d'armée du duc de Normandie & du duc d'Orléans
commençoient à s'ébranler .y il avoit c'onné ordre à fes
hommes d'armes de remonter à chevaL Jean *ChiindQS ,
N ij
^
ïQO Histoire »e Frange,
' qui n^abandonna jamais le prince pendant Mute Tac-
Attù.4jsé. tion , lui dit : allons , feigmur^ la victoire efi à vous f
adreffonsMious au bataillon que commande le roi : ce
doit être notre unique but. £t lui montrant de loin le
roi de France ^ qui fe faifoit remarquer par fa cotte
d*armes femée de fleurs de lys d'or ^ & plus encore par
fon air martial : Je jfçais fort bien , ajouta- 1- il , que
par vaillance il ne fuira pas ; ainji moyennant Vaide de
Dieu & de faint Georges , il demeurera en notre pouvoir.
Allons j Jean , reprit le prince , vous ne me verre:^ Ç au-
jourd'hui retourner en arrière. A ces mots , ce jeune
fuerrier s*avançant fièrement a là tète des fiens , déb-
oucha le défilé , & vint fondre fur le corps de troupes
dont le roi s*étoit réfervé la conduite. Ce fut-là feule-
ment qu'il eft permis de dire qu'on fe bâtit.
Le monarque François méprifant la honceufe défer*-
tion de plus des deux tiers de fon armée , fentit re-
doubler ion courage : jamais il ne fe montra fi grand
ni fi digne de commander à des hommes généreux. Si
ia cinquième partie des François qui Tacompaenoieiit
eût témoigné la même valeur , il eût contraint la for^-
tune k fe déclarer pour lui. Il donna fes ordres avec
tranquilité , rangea fa troupe^ & préfenta un front
immobile au choc de Tennemi. La rencontre de ces
deux corps fut terrible. Aucun des deux partis ne put
s'atribuer le prix du courage dans cette fanglante mê-
lée : on comoatit avec un acharnement égal : on fe dif-
« putoit pied à pied le terrein jonché de bleffés , de morts
& dé mourants.
Ceux de la noblefTe Françoife qui dans cette journée
conferverent le fouvenir de ce qu'ils dévoient à leur
fouverain & à leur patrie, méritent bien que l^hiflotre
tranfmette leffers noms à la poflérité. Outre ceux d^a
* nommés , on diftinguoit entre autres le duc de Bour-
bon , Jacques de Bourbon / Jean & Jacques d'Artois
dont la vertu éfacoit les fautes de Robert d'Artois leur
père , le duc d'Athènes , Gaultier de Brienne conné-
table de France > Jean vicomte de Meluo comte de
J E A N I L lOX
Tancarville , Guillaume de M elun Ton fils archevêque J
de Sens , Jean & Simon fes frères , Arnaut Chauveau Aon. 15;^.
évêque de Châlons en Champagne ^ les feigneurs de
Pons y de Farchenay , de Damp-Marie , de Moncabou-
ton 9 de Surgeres j de la Rooiefoucault , de Saintf é ,
de Langle ^ d'Argencon , de Linieres ^ de Moncandre ,
de Rochechouarc , d'AuInoy , de Beau] eu , de Château-
Villain , de Montpenfier , de Ventadour , de CervoUe ^
de Mareuil ^ de la Tour y de Charencon, de Montagu^
de Rocheforc j de la Chaire , d'Apchon y de Linal y de
Norvel , de Pierre rBufi&ere, de Merle , de Raineval^
de Sainc-Dizier > de Chauny^^ de Hely y de Monfanc &
de Hagnes. Robert Teigneurse Duras avoic été tué dès
le commencement de Taétion. Le prince de Galles ayant
trouvé le corps de ce feigneur ^ neveu du cardinal de
Périgord , le fit relever lur un bouclier & l'envoya à
c^ prélat y en lui faifant faire q^uelques reproches de .
ce que des gens de fa fuite y au-heu de rentrer avec lui
dans Poitiers y s'étoient rangés du parti des François.
Tant de braves combatants rafTemblés autour de leur
prince auroient dû former un rempart invincible : leur
nombre & celui des ennemis éroit à-peu-près égal;
mais ils avoient le défavanuge d'être à pied contre une
gendarmerie bien montée. La fureur dès deux partis
lembloit prendre à tous moments de nouvelles forces.
Les chefs de quelque cavalerie Allemande ayant été
mes y ces étrangers fe retirèrent de la bataille : le con-
nétable qui étoit à leur tête vint fe joindre à la troupe
du roi* jLes François firent des prodiges de valeur :
ataqués de tous côtés y foulés par les chevaux des enne-
mis y ils donnoient ou recevoiént la mort avec la même
intrépidité. Le roi les animoit par fa préfence & plus
encore par fon exemple. Philippe le plus Jeune de fes
fils étoit à fes côtés : ce prince y à peine âgé de treize
ans y combadt avec une ardeur qu*on n'auroit pas aten-
due de la foiblefTe de fon âge : il s'opofoit aux- coups
QA>n adrefToit à fon père : il lui faifoit un rempart de
ion corps : il fut bleué en s'acquitant de ce noble der
102 Histoire de France,
^^^^aa:!::!:!!^ voir. Déjà le connétable & le duc de Bourbon étoienc
Ann. 13 j^. tombés couverts de bleflutes : la bannière de France
étoit étendue par terre entre \^ bras de Charni , qui
n'avûit pas voulu la quiter, même en expirant. Les Fran-
çois s'éclairciflbient à vue d'œuil : le roi environné de
morts & de blefTés ie montroit fupérieur à fa difgrace:
il ralioit autour de lui le peu de !feigheurs François
qui vivoîent encore. Une iiache à la main , ce monar-
que éfrayoit ceux des ennemis qui ofoient Taprocher :
chaque coup qu*il leur portoit étoit un coup mortel :
on eût dit qu'en ce moment ce prince vouloit feul ara-
cher là viâoire à la multitude qui 1 acabloit. En vaià
Prifcduroî. lui crioit-on de tous cotéîT, Jirt j, rtndc[-vous ; il oe
liidim. : répondoît à cette invitation que pkr de nouveaux éforts,
Enfin épùifé d'un combat fi opiniâtre & fi violent ,
àpnt reçu deux blefTures dans le vifage [ car fon ba«-
uf^Tom^' cinét ou fon cafque étoit tombé dans la chaleur db
parti u'"^' Taftion , & ce cafque fut porté au roi d'Angleterre
qui réçompenfa le guerrier qui le lui préferica } un che-
valier François banni de fa patrie pour , un meilrtre
qu'il avoît commis dans une guerre particuriere ^ s'apro-
cha de lui , & le prefFa de nouveau de -rendre les ar-
mes : Et à ûui me rendrai-^je , dit le roi , i ^ui ? Où eji
mon coufîn le prince de Galles : fi je le voyais , je par-
leroîs. Le prince nUJi pas ici j continua le cnevalier , mais
rende^-^vous à moi & je vous mènerai devers lui. Qui
Àes-voùs jf lui demanda le roi ? Sire y reprit-il , jejuis
Denis de Morbec chevalier d^ Artois ^ je fiers le roi d^ An-
gleterre , parce gue je ne puis être au royaume xle Fratict,
pourtant que j\ai'forfiait tout le mien' [ ^ifïïpé mon bien].
Alors le roi tira ie\gltïte\ct de fa main droite & le re-
mit à Denis en lui dïfant : Je me'rtnds à vous.
Le princJfe de Galles cependant , qui avoit ataqué le
corps de bataille du roi par un endroit opofé à celui
où le monarque combatoit , après avoir' éhfoncé , pris
ou diflipjé tout ce qu'il avoit rencontré' fur fon pafTage ,
revénoit de la poùrfuice dès fuyards. De cette multi-
tude de François qui cûuvroient les champs.de Mau-
J £ A K I !• ÏO3
per tuis , il ne paroifToit plus que des monceaux de ■■■
morts. Jean Chandos fit drefler à la hâte un pavillon Aon. lysé.
où le prince ôta fes armes & fe rafraîchit au' milieu
des compagnons de fa viâoire. Il demandoit aux che-
valiers qui arivoient en foule y ce qu'étoit devenu le
roi de France y perfonne ne pouvoit lui en donner des
nouvelles ; on 1 alTuroit feulement qu'il faloit qu'il fût
mort y parce qu'il n'avoit pas quite le champ de ba-
taille. Le prince toujours plus inquiet fur le fort du roi
Jean , pria le- comte de Warwich & Renaut de Gobe-
ghen d en faire une exaâe perquifition. Ces deux fei-
gneurs remontèrent k cheval & partirent. A peu de
diftance ils découvrirent d'une petite élévation une
troupe de gendarmes qui marchoient à pied fort lente-
ment : ils piquèrent *de ce côté. Il étoit temps qu'ils
arivaffent ; c'étoit éfeâivement la troupe qui conduifoit
le roi. Depuis le moment ^ue ce prince s'étoit rendu
à Denis de Morbec y il avoit été piufieurs fois en dan-
ger de perdre une vie que la viftoire venoit de refpeâer.
Plufieurs guerriers Anglois ou Gafcons fe difputoieut
l'honeur d'une lî belle prife^ Ils avoient araché ce prince
au chevalier d'Artois , & chacun d'eux prétendoit s'a-
tribuer fa rançon. C^cji moi qui Vai pris y s'écrioient-
ï\s tous en méme-tems. Le roi tenant fon fils par la
main avoit beau leur dire : Seigneurs , menc{ - moi
courtoifement , fir mon fils aufji y devers le prince mon
couïin y & ne vous querelle:^ pour ma prife y car je fiiis
affeî, grand Jèigneur pour vous faire tous riches. Cts pro**
meiles les apaifoient pour un mojgient ; mais les que-
relles renaiiloient aum-tôt. Le roi vit plus d^une'ibis
l'inftant où fon fils & lui alloient être les < viéHmes; de
l'avarice & de la brutalité de cette foldatefque éfi^née y
lorfque les deux feigneurs Anglois parurent. Leïefpeâ
dû au rang qu'ils ocupoient & les ordres qu'ils donnè-
rent fous peine 4^ mort y qu'on eût à fe retirer y déli*
vrerent le roi. Ils mirent pied à terre , s'aprocherent
du monarque y qu'ils faluerent avec la plus profpnde
foumiffion y Ce prirent avec lui le chemin de la tente
104 Histoire de France^
is^!!^:ss du prince de Galles. Autant qu'on le peut conjefturer
Ann. i}y6; par le filence unanime de tous les hiitoriens, les An-
glois ne firent point ufage d'artillerie à la bataille dé
Poitiers ^ quoiqu'ils eufTent des canons ^ ainfi qu'on a pu
robferver ci - deiTus au fiege de Romorantin , ce qui
fembleroit devoir faire révoquer en doute , quils euf-
fent employé ces machines meurtrières k la bataille de
Crécjr, circonftance d'ailleurs quin'eftraportée que par
Villani.
Dans cete Journée , fi fatale à la France , la perte
n'excéda pas le nombrç de fix mille hommes ; mais ces
fîx mille nommes étoient l'élite de la nation. La plu-
part des princes & feigneurs qui périrent en cete ba-^
taille moururent en combatant auprès de leuf* roi. Parmi
ces braves guerriers on comptoit le maréchal de Cler-
mont , pierre duc de Bourbon {a) , Robert de Duras ,
le duc d'Athènes , & Geofroi de fcharny , ainfi qu1l à
déjà été. raporté. Aux nom^ de ces feigneurs if fau-
droit en ajouter une foule d'autres non moins difHn-'
eues ^ tels que Guichard de Beaujeu , Guillaume de
Nèfle y les feigneurs de Suisgeres y de la Rochefouçault^
de la Fayette , de Laval , d'Humieres , d'Urfé , de
l'Angle , de Bqdçnai , de Landas , de Dammartin , dç
Pons , de Montagu , de Charpbly , de la Heufe , de la
S îcil eoktin '^^^^ » ^® Ribaumont , Tévêque de Châlons {b). Il j
âeNa/^U ^^ P^? F^^ 4ô gratjdes mctifons dans le royaiime qui n'eu^-
^
(tf) Le corps de ce prince fat afoné au couvent des Dominiauaîns de Poitiers od
il demeura en dépôt ; il -fut tnfuîte transféré à Paris dans réglife des Jacobins
de la rue Saint*Xacques. |1 étoit mort chaLigé àç, detjtes : fes créancier^ , fuivanc
Tufage alors pratiqué , Tavoient fait excon^munier. On refufa de prier Dieu
pour k repos de Ton an>e. Il falut que fon f!ls Louis II du nom , duc de Bourbon»
ibllkitik auprès du pape Innocent VI la levée de Teficommunication , qu*tl
n'obtint <]tt*a coi|diti9a d'acqutter les dettes po^r lefi^ueUes elle avoit été en-
courue.
{b) Froiflard dît exprefRment , Renaud dt Chauveau fui tué dans ce epmèar.
Le P. Daniel le compte au nonribrc des prirq^niçrs c9ntrè U témoignage de Froif-
fard 3c du continuateur de Nangîs.
^ Où voit par Texcmplc de Ce prélat & de J'archçycque de Sens qui ailîftcrcnt \
la baiaillè de Poitiers ; que l*uGq;e & les loix féodales qui obligeoienc les
ccdéfiaftiques ^u fciiviccr pcrfonûcl dans les armées , fubfiffoit encore daas
pluiiei^rs partlç$dc la France. Les lôizdc rEglifecoadamnoient cette coutume
fçnf
7 £ Â H II. 105
fent à regreter la mort de quelques oaretits ou âliés. ,
Dix-fèpt comtes & plus de huit cents barons & cheva- ^- <H^*
liers , couverts de bleflures pour la plupart, furent feits
prilonniers. Jean de Melun comte ae Tancarville étoit
de ce nombre , ainfi que Guillaume archevêque de Sens
(pn fils , & Jean & Simon de Melun fes deux autres
^enfants , le feigneur de Pompadour , les comtes de SpicU. eotubii
Vaudemont & de Vendôme , de Graville ,. d'Etampes , de Nantis.
Jean de Saintré eftimé le plus brave chevalier de fon
temps , Jacques de Bourbon , les deux princes d'Ar-
tois , les feiçneurs de Rochechouart , de Damp-Marie ^
de Parthenai, de Mohtandre , de Brunes , de Malval>'
de Pierre- Buffiere , de Saverac , de Genville. Les enr
nemis en pourfuivant les reftes dé Tarmée jufqu'aux
portes de Poitiers , que les habitants fermèrent , en
tuereqt une partie & firent les auçres prifonniers -le
nombre en étoit fi confidéràble , que plufieurs genoar-
mes Anglois ou Gafcons en avoigrit cinq ou fix. .
On doit cete juftice jau«,. vainqueurs ,^ de cpn^v^nir
qu^après le combat ils uferent de la viâoire avec une
générofité qui en relevoit encore Pécîat. Ils prirent foin
des bleffés , & renvoyèrent la plupart de leurs prifon-
iiiers furv leur parole: ils emmenèrent les autres dan$
leurs teates , ou ils les tr^jccrenç ay^ toute Thumanité
poiOGble. Sifirmtiddfarmfirlàu^%^^rifqnnitr&^ un ^n-
ciçn hiftorien , & leur firent uint $amour ^u^ils purent
chacun aux fiens. La difpofitioA des prifonniers étoit
alors, une partie de la récompenfe 'militaire : ceux qui
s^eç trouvoieut les maîtres , pouvoient les rçnvoyer on
les retenir ; & s'il arivoit qu ua. prifonnier fût :4'u^Ç
celé, confidération qu-il importât au jfrince de Tavoi^*
en fa puiiTance ^ la raoço^ étoit eftimée , . & payée à
\ laquele les pQ(reflioDS tcfl^porcLes afleryiflbîent le clergé. Cetç contradiâîon
de la forme de notre gouvernement avec l'cfprif de la religion', Tubfif^t jaï-
qo^à ce qae*te< «ûige infenfiblètneot abellpar difiérehtbs diifekifes , fe eoavettie
en oontribuciofis d^ommes $l d'atgeht. François ^I , .par fon i^ii djU !q«dtre Xa^V
let 1 541 , régla les claufe« 4c cete exemption. Depuis ce .^emps ,Ie^ écléfîa(«
tiques ont été Àifpenfés entiéretnenc dû ban 9^ àrtere-baïf pâr-diVelfeslcccreè^
patentes , & encore par comiat im i9 Avril i^s^* (^^ |«ouis JCIU.
10^ HisToms DE F&Akce^
' I celui auquel le prifonnier s'étoit rendu. Les Angibîs &
Aan. î^^. les Gafcons qui combacirent en cete ocafîon fous le
prince de Galie$ s^enrichirenc cous , tant par le pillage
du camp j que par les fommes qu'ils reçurent pour les
rançons de ceux qu'ils avoient pris.
Au(Ii-tôc que le prince de Galles aperçut le roi qiQ
sVprochoit de fa tente acompagné des deux feigneu js *
Anglois , il s'avança vers lui avec empreflement. Ce
jeune héros oubliant fa viâoire , s^inclina profondément
devant cet augufte prifonnier , le pria d'entrer dans fon
pavillon , & fit aporter des rafiraichiflements qu'il lui
préfenta lui-même. Le foir on lui prépara un feftin au-
quel aflifterent les princes & les feigneurs François aifis
à diférentes tables. Il fe fit un honeur de fervir le roi ,
fe tenant debout devant la table. Jean le pria de ie
pl|^er auprès de lui ; mais il s'en défendit toujours avec
autant de politefTe qu& de modeftie ^ en difant y qu^it
ne lui apartenoit pas de s^ajfeoir à la table de Ji grand
prince édeR vaillant homme ^u^étoit k rai.
Quelque termeté que le roi confervât dans fon mal^
heur , le prince crut apercevoir une impreffion de trif»
leife fur ion vifage : cete idée le pénétra. . Cher Jirt ,
lui dit -il , ne veuille:^ mie vous atrijkr fi Dieu n^a
pas voulu aujourd'hui confenûr à votre volonté , car cer^
tainement monfeigneur mon père vous fera tout honeur
,& amitié j & s'acordera avec vous Ji rai/onnablement ^
Îfue vous demeurerez bons amis enfemhle à toujours. A
'égard de Vévenematt du combat , quoique la journée
ne Joit pas vôtre , vous ave[ aquis la plus haute répu^
tatton de prouefje , Çf avei pajje aujourd'hui tous les
mieux combatants. Je ne le ois mie , cher fire , pour vous
louer j car tous ceux de notre parti qui ont vu les uns
& les autres j fe font par pleine confcience à ce acordés
& vous en donnent le prix. Les paroles du prince de
Galles étoient acompagnées de cet air tendre & de ce
J E A K I I. 107
La conftance du; roi n'avoir pas fléchi fous le poids
de fon infortune : on die que la générofîté de fon vain- Aoq. xn^
queur lui aracha quelques larmes j non de douleur,
mais d'admiration. II répondit à des proteflations fi m ir t^
obligeantes , que ce qui contribuoit fur-tout à foulager Rap^Tàyraî.
le fentiment de fa dilgrace , c'étoit de ce qu'on ne pou-
voit lui reprocher d'avoir rien fait d'indigne de Itii , &
de ce qu'il écoit tombé entre les mains du plus vaillant &
du plus généreux prince du monde. Tous les feigneurs
François & Anglois préfents k ce combat de grandeur
tl'ame , louoient également les deux princes , ^ difoient
en parlant du jeune Edouard , qu'il feroit un jour un
grand roi. Cet augure ne fe vérifia pas : une mort pré*
maturée enleva au milieu de fa cariere ce • prince ,
Tefpérance de l'Angleterre & les délices du genre hu-
main. Le lendemain de !a batarille larrtiée ennemie r^
prit la route de Bordeaux par le Poitou & la Sainton»
ge , fans rencontrer aucun obftacle fur fon paflage.
Ce funefte événement porta le coup mortel à la Le dauptiin
France. Le prince de Galles s*étant éloigné de Poitiers ^««««^càPa-
avec fon armée viâorieufe & chargée de nos dépouil- spidl. contin:
lés , le dauphin revint à Paris dix jours après la dé- Nang.
foute. Ce prince fut reçu avec tous les honeurs dus à . Ckr<fn.MS.
Ion rang. Sa préfence cependant ne diminua pas la '^Froiffani
confiernation qu*une fi trîfte nouvelc avoit répandue
dans tous les cœurs. Le falut de l'Etat ne paroifToît
fondé que fur lui , 6c fa conduite jufqu'alors n'infpiroit
pas la confiance. La confpiration du roi de Navarre ,
dans laquele H s'étoît laiué engager , n'avoit pas dû
•faire concevoir des idées avantageufes de fon efprit: fa
retraite dès le commencement de la bataille , où il
avoit manqué k ce qu'il devoit à fon père , à fon foi &
à fa patrie , faifoit encore juger moins favorablement
de fon courage. Ces premières impreflions ne contri-
buèrent pas peu à troubler les cbmmencemtents de fon
adminiflration. Il çffuya des contradîdtons qui Téjproù-
▼crcnt ; mais fon génie forcé de fè déveloper par lès^
obftacles qu'il rencontra 1 fe forma aux afeires par
Aon* lis 6,
le dauphin
lieutenant riS
îoS Histoire de France^
rhabitude & la nécedicé : il regagna par fon aplica-
non Teftime qu*on lui avoir refulée d*abord/& il aquît
enfin par fa prudence le furnom de fage & de reftau-
raceur de rEtaC. Il eut d'autant plus lieu de s*aplaudir
de cete gloire , qu'elle fut en lui le fruit de la renexion
& de la pàtienoe.
Aufli-tot que le dauphin Charles fe fut rendu à Pa-
is > on s'ocupa du foin de calmer Téfroi général & de
fo^aume^** donner une forme au gouvernement , que la prifon du
^^flbmbiéc fouverain laiflbit en quelque forte fans conduâeur.
des Etats- Quelque temps avant la bataille de Poitiers le duc de
MétT'de Normandie avoit été fait lieutenant du royaume , abfî
Lin. pour fer^ que le prouvent des lettres des mois de Jum & de Sep-
v'> i ^hift. du tembre précédents , dans lefqueles il prend cete qualité.
^vlfl^StcZf- ^^ lieutenance de roi acordée aux fils aînés de nos mo-
ft. narques y étoit afiurément moins bornée que les lieu-
tenances conférées à d'autres princes ou feigneurs , qui
He jouïfToient que d'un pouvoir limité & renfermé dans
de certains diftriâs. Le roi Jean avoit été pareillement
lieutenant général du royaume pendant les dernières
années du règne de Philippe de Valois fon père. Mais
3uel que fût le caraâere eifenciel de cete commifHon ^
n'étoit pas réglé qu'un pareil titre emportât l'exer-
cice abfolu & fans réferve de l'autorité y & la plénitude
du pouvoir fouverain. Quoi qu'il en fpit , ce fut efi
cete qualité de lieutenant du roi fon père y que Charles
{)reila la convocation des Etats généraux y qui fuivanc
es mefures prifes dans la dernière aifemblée y ne dé-
voient fe trouver à Paris qu'à la fin du mois de ^Jio-
vembre. Les députés fe hâtèrent de s'y rendre , & ils
fe trouvèrent tous raflemblés dès le commencemçnt
d'Oftobre : l'ouverture fe fit le dix-fept de ce mois
dans la chambre du parlement.
Etats-Géné-' J^a première délibération de l'affemblée fut de re^
ranx, connoître l'autorité de l'héritier préfomptif de la cou-
ronne , comme lieutenant général du royaume. Cet
aâe d'obéiflance étoit incontefkblemeijt dû à la dignité
' de fa naiflknce. On a recherché les raifons qui empêr
J B A K I I. .10^
chefent le dauphin de prendre le titre de régent , • que -^
Froifiard ôc le continuateur de Nahgis lui atribuent ^^' ^5^*
feulTement , puifqu'il eft certain que , pendant près de
deux années , il ne prit dans toutes fes lettres que la
qualité de lieutenant du roi de France. Il n'eft pas
vrai que les Etats ayent refufé à Charles la régence
qui lui apartenoit de droit y il ne Teft pas davantage
qu'il Tait demandée. Tous les raifonnements qu'on a
employés pour éclaircir cete queftion , n'ont fervi qu'à
la rendre plus obfcure. Dans les difcuffions dont ce
point de notre hiftoire a été l'objet ^ on a omis la feule
conjeâure vraifemblable y & qui paroiflbit fe préfenter
naturélemenc. Le dauphin n'avoit alors que dix -neuf
ans ; & par les loix du royaume il ne pouvoir être dé*-
claré majeur qu'à vingt & un ans. Sa minorité étoit in-
compatiole avec la régence y à moins que le roi ne
l'eût relevé de ce défaut par un aâe émané de fon au-
torité abfolue.
Ce qui confirme encore cete opinion , c'eft que ce
})rince , ^environ deux ans après , lorfau'il eut ateinc
'âge requis par les loix y prit le titre de régent fans
contradiâion y &: fans y être autorifé par fon père en-
core prifonnier en Angleterre. |^e fut-là fans aoute un . . .,
des principaux motifs qui l'engagèrent , lorfqu'il fut
parvenu à la couronne y à donner cete déclaration qui
.fixe la majorité de nos rois à l'âge de quatorze ans. Il
vouloit prévenir les inconvénients auxquels l'Etat peut
.être expofé par la trop longue minorité des princes ,
inconvénients qu'il avoit éprouvés lui-même : car il eu
certain que s'il eût pu prendre la qualité de régent in>-
nr* édiatement après la bataille de xoitiers y ce titre fu--
périeur à celui de lieutenant y eût rendu fon pouvoir
{Ans éficace y & plus capable de contenir les fujets dans
eur devoir.
Il s'en faloit beaucpup que les députés des Etats
aportaifent à cete aifemblée des difpofitions convena-
bles à la fituation préfente* La France avoir befoin
d'un prompt fecours y on parla d'abus & de réforma*
xiô Histoire di France^
==! don': îl faloit rétablir les finances ; on fe plaignit de
Ann. i^jtf. ceux qui les avoienc précédemment adminiftrées. Il étoic
nécefTaire de réunir tous les ordres du royaume ^ afin
d'opofer de puiflants éforts à un ennemi redoutable ,
& tous les corps divifés entre eux ne fe montrèrent
d'acord que pour faire éclater leurs murmures : fuites
trop ordinaires des malheurs de TEtat , qui feinblent
répandre fur ceux oui le compofent un efprit de ver-
tige 9 qui les aveugle ^ & leur fait méconnoitre leurs
véritables intérêts.
La noblefïe qui ^ depuis le commencement de la
guerre contre les Anglois , avoit foufèrt des pertes con-
fidérables , fe trouvoit alors prefque fans crédit : écra-
fée à la bataille de Crécy , la défaîte de Poitiers avoit
achevé fa ruine. Les plus braves feigneurs & gentils-
liommes avoient été tués ou faits prifonniers à cete
dernière journée , & ceux qui s'étoient déshonorés par
une honteufe fuite , haïs 6c méprifés généralement y.
ofoient à peine fe montrer. Ceux qui ne s^étoient pas
trouvés à cete bataille étoient de jeunes gens à«aui Tage
fie permettoit pas encore de porter les armes. Le luxe
de là plupart des nobles ajoutoit encore à la haine qu'oa
Spiat. cottt. ^^^^ portoit. î> Cette thnée , [ dit le continuateur de
dcNang. i>Nangis, ] un grand nombre de nobles & de mili-
^ taires (e livrèrent plus que jamais au fafte & à la
» difTolution. Outre ces habits trop courts qu'ils por-
>f tôiènt depuis quelque temps , ils commencèrent en-
» core à fe rendre plus ridicules à force de magnifi-
» cence : ils chargeoient de perles leurs chaperons &
39 leurs ceintures dorées : tous depuis les plus grand;
» jufqu'aux plus petits fe couvroient de pierres précieu-
se fes y rangées avec art. Les perles & les diamants
» étoient hors de prix : à peine en pouvoit-on trouver
n à Paris. Je me louviens , [ continue le même hifto-
» rien , ] d'avoir vu vendre dix livres parifis deux perles
>i qui n'avoient été achetées- que huit deniers a. Les
nobles commencèrent auffi à porter alors des plumes
d^oife^ux fur leurs chapeaux çu toques : ils pafibiene
J X A R I I. m
Ici nuits dans les débauches les plus crimineles , & leur '^'— **—
acharnement pour la paume & le jeu de dés , n*avoit Ann. ijs^.
point de frein. Le peuple gémifToit de voir confumer f
par des dépenfes fupernues y Targent qu'il avoit donné
pour le foucien de la guerre. Ce fut alors que les habi*
tants de la campagne fe crurent en droit de rendre
aux nobles la dénomination injurieufe de Jacques Bon^
homme. Les payfans apeloient ainii les gentilshommes
& gens de guerre y qu'ils acufoient d'avoir abandonné
leur roi à la bataille de Poitiers. Il n'eft donc pas éton-
nant que dans Taflemblée des Etats les députés du
Seuple ayent eu la principale influence y quoique les
élioérations paiTaiTent fous le nom des trois ordres»
Nous verrons bientôt Tufage que le tiers-état fit de fon
crédit.
Les députés qui compofoicnt l'afTemblée ^ étoient au Ouvemutdes
nombre de huit cents. Le chancelier ayant expofé au ^'*^*
nom du prince la fituation préfente de l'Etat , & ayant . Cotumfde
demande aide & confeil , tant pour la défenfe & le gou- u unut & W-
vernement du royauipe , que pour la délivrance du roi ; ^Jl^i^^fùTotk
les trois ordres , avant que de faije leurs ofres , fu- ^uRoi!
plièrent , fçavoir , le clereé par la bouche de Jean de
Craon^ archevêque, de Rheims y la noblefle par celle
du duc d'Orléans frère du roi ^ & le tiers^état par celle
d'Etienne Marcel prévât des marchands de Paris y qu'il
leur fût acordé un délai pour délibérer entre eux. Le
dauphin y confentit ^ & dès le lendemain' ils commen*
cerent leurs conférences y qui fe tinrent dans la maifoa
des Cordeliers , où les trois ordres s'afTemblerent fépa«
rément. On avoit nommé des cens du confeil du roi
)our y affifter ; mais vçomme leur préfence gènoit la
iberté des délibérations y les députés exigèrent que
'entrée de leurs affembléss fût interdite à ces con-
êillers. Ce préliminaire n'annonçoit pas un dévoue-
ment entier aux intentions du prince & de ks nd-*
niftres.
Après huit jours employés en délibérations fans s'a^
xêter à un objet fixe y on reconnut que le trop grand
112 ^Histoire de France,
^*'*'*'*^ nombre ne faifoit gu^aporter de la cohfufion. On con-
Aftn. ij)6. vint donc de choifir parmi cete multitude cinquante
perfonnes tirées des trois ordres , pour rédiger les avis
& dreffer un projet de réforme , qui feroit enfuite
aprouvé par Taffemblée générale , lorfqu*ils en auroient
fait leur raport. Le choix tomba fur plufieurs membres
de raflemblée qui n'étoient pas agréables au dauphin
ni à ceux de fon confeil. Ces élus nommés par les Ëtats
travaillèrent en conféquence. Après qu'ils eurent dreffé
les principaux articles , ils envoyèrent prier le duc de
Normandie de fe rendre aux Cordeliers. Il y vint
acompagné de fix perfonnes. Avant que de lui déclarer
la rélolution de Taffemblée , les députés voulurent l'o-
bliger de leur promettre de tçnir focret ce qu'ils aloient
lui dire. Le prince ne jugeant pas qu'il fût convenable
à fon rang ni à fa naiflance de faire cete promeffe re-
jeta la propofition. Ce refus ne les empêcha pas de lui
préfenter les chefs des demandes dont ils étoient de-
meurés d'acord dans leurs conférences.
Remontrances Robert le Cocq évêque de Laon, portant la parole
des Etats. Dour leç députés , remontra qu'il ne faloit rechercher
F^'1r"'j l'origine de tous les malheurs qui afligeoient le royau-»
ihTfnTq.'dfi ^^ > ^^® dans la mauvaife adminiftration k laquele il
S. Denis. étoit à propos avant toute autre chofe de remédier. Qua
les miniftres & confeillers , qui jufqu^alors avoienc
environné & obfédé le roi , Vétoient rendus coupa-
bles des fautes que leurs confeils pernicieux avoient
fait commettre ; qu'il faloit priver de leurs dignité»
& deftituer de leurs charges ces oficiers prévariçar*
teurs , les faire arêter , & cojifîfqucr leurs biens ; que
comme il y en avoit parmi eux qui par le privilège
de leur état n'étoient point fujets à la jurifdiâion
temporele ^ il étoit à propos que le due écrivît de fa
propre main au *pape' pour le prier de permettre aux
Etats de nommer dçs commiilaires qui fuflent auto-
rifés à juger définitivement les écléfiaftiquçs qui fe
trouveroient coupables de malverfations.
Le C^q donna enfuite la liftç des profcrî(s ^ qui con-
tenoiç
J :e A N 1 î. iij
tenoic les noms de vîn^t-deux acufés. On voyoic en '^^^^^'^SfH
tête le nom de Pierre de la Foreft chancelier de France , Ann, 155^%
archevêque de Rouen , fuivi de ceux de Simon de Buffi
premier préfidenc du parlement , de Robert de Lorris
chambélaa du roi ^ de Jean Chamillart & de Pierre
d'Grgemont préfidenti au -parlement , de Nicolas
Braque maître-d'hôtd du roi , de Jean Poilvilkin fou-
verain maître des monnoies , d'Enguerrand du Petit
Cellier , & de Bernard de Fremont tréforiers des
guerres , d'£tienne de Paris , de Pierre de la Charité
& d'Ancel Coquarc maitres des requêtes, de Robert*
Defpréaux notaire ou fecrétake du roi ', de Jean Tur-
pin chevalier des requêtes du parlement , de Jeafr
d'Auxerr^ maître ^es comptes, de Jean de Brechaigne
valet de chambre du roi , du Borgne de Beaufle mai-
tre de Técuriç , de Geofroi le Mazanier échanfon {ces
trois . derniers étoient delà maifon du dauphin] & do
irere Regnaut Meichin abé de Faloife préfident de»
enquêtes du parlen^ent. Les Etats acufoient ces mi-
ûiftres & oficiers » d'avoir flaté le roi , de n'avoir eu
V égard dans les confeils qu'ils avoient donnés , ni à
V la crainte de Dieu ^ qî à i'boneur du^ fouverain , ni
i> à la mifer^ des peuples ; de n'avoir eu en vue que
yy leur intérêt particulier , s'ocupant uniqviement du
V foin d'aquérîr des pofTeflions ^ aaracher ces dons ^x*-
» cefTifs 9 & de fe faire conférer les uns aux autres ou*
f> à leurs amis les dignités 6c les cha;rges , 6c fur-tout
V d'avoir caché au roi la vérité >>.
Après ces rejpréientadons générales contre tes abus Uidmi
de l'adminiâration , les députés palTerent aa projet
qu'ils avoient formé pour les réparer. Ils dédarerenc
qu'il étoit à propos qu'on choisît parmi ceux qui com-
pofbient les Etats 9 des réformateurs autorifés par des
commiflions exprefles à réprimer les malverfations des -
oiiciers qui fe trouveroient en faute : Que le dauphiiï
fe formât ui^ conlèil compofé de quatre prélats , de
douze chevaliers & d'un pareil nombre du tiers-état :
Que rien ne fe décidât fans la participation de ces vingt*
Tome r. P
Âim. 135^*
114 Histoire dk France,
huit confeillers , & que la monnoîe fiuc rétablie fui-*
vant Tordonnance qui feroît réglée par les Etats. Les
députés terminèrent la remontrance par la demande de
la liberté, du roi de Navarre. Jean de Pecquigny pour
la nobleiGTe , Nicolas le Chanteur avocat , & Edenne
Marcel pour le tiers^état , confirmèrent en cete oca-
fion ce que Tévêque de Laon venoit d'avancer au nom
de rafTemblée.
Uùlem. Le dauphin , malgré les fujets de défiance qu'il avoic
dû concevoir de la conduite des Etats , ne s'atendoit
pas à de pareilles propofitions. Surpris de la hardieiTe
des députés , il répondit qu'il examineroit avec fon con-
feil la nature de leurs demandes. En atendanc qu'il en
eût délibéré , il voulut fçavoir quels étoient les fecours
que les Etats pouvoient acorder dans la circonftance
I)réfente. Les députés répondirent que , moyennant
'exécution 4^ leurs demandes , ils s'engageoient d'en^
tretenir trente mille hommes d'armes , & que pour aifi-
gner les fi3nds néceflàires à cete dépenfe , on établiroic
une impofition d'un dixième & demi ou de trois ving-
tièmes fur tous les revenus , tant des écléfiafUques ^
eue des nobles^* & que le tiers-état paieroit l'armement
Se la. folde. d'un homme d'armes par chaque centaine
de feux. Ils demandèrent enfui te , qu'afin de connoitre
Il le produit de cete impofition jpouvoit fufire à l'entre-
tien des troupes , l'aiTemblée lût prorogée jufqu'à la
quinzaine de raques. Cete dernière demande mani-
leftoit ouvertement l'intention des Etats. Leur aiTemblée
étant prorogée jufqu'à Pâques , ils n'auroient pas man-
qué de prétexte pour là continuer au-delà de ce terme,
& peut-être par une fuceffion de délais feroient-ils
parvenus à fe rendre permanents.
Le dauphin ^^ confeil du priuce demeura quelque temps partagé
Tompc raflcm- fur l'agrément ou le refus de ces propofitions : ceux
^èidem. ^^^ étoiettt compris dans la profcription les rejetèrent
Mém.delit- tous d'une voix. Quelques-uns d'eux négpcierent avec
tirature. les députés dans l'elpérance d'en obtenir quelque modi-
fication i mais ils furent inébranlables, A la fin la plu«
J « A ÎT II- ., ^î$
ralité des voîx termina Tindécifion, , & il fut réiblu i
que le dauphin confentiroit aux demandes qui lui Ano. xi5^.
avoient été faites. Charles fentit quele ateince une pa-
reille condefcendance aloit porter k fon autorité : cepen-
dant ne voulant pas aler ouvertement contre Tavis dxf.
plus grand nombre .des gens de fon confeil , il feignit
d'agréer tout ce, qui avoit été réfolu, & promit de fç
rendre au parlement le lundi veille de la TouiTaints ,
pour donner fa déclaration conforme à la délibération.
En même temps que le dauphin fiatoit les députés
de la réuilite! de leurs projets , il prqppit des mefure$
pour les déconcerter. L*afaii;e fut agitée de nouveau
dans fon confeil , & ceux qui le compofpient revinrenç
à fon opinion : il y fut décidé que le prince avoit un
intérêt vifible à rompre une aflemblée pernicieufe à
Tautorité royale, &/qui, abufant de la néceffité & des
circonftanceâ , cherchôit.^ s'^mparçr du gouvernement»
Le jour deftiné pour la publication de Pordoxinance des
Etats , les députés fe rendirent au parlement. Tout le
peuple aflemblé devant la porte atendoit Téfet des
promefles du prince , qu*on avoit eu foin de répandre
dans le public. Son anvée fit év9^QPuir ces efpérançes.
Auffi-tôc qu'il parut à la poritie du palai?, il envoya un
ordre aux Etats aUbmbles dans la chambre du parlçl^
ment de lui députer neuf d*en;tr'eux qu'il nommai; fijgr^
voir les archevêques de Lyon & de Rheims , & Tévê-
que de Laou de ta part du clergé ; Vaileran de Luxemn
bourg , le fire de (Jonflans maréchal de Champagne ,
& Jean de Pecquigny gouverneur. d'Artois ; de la part
de la nobleffe ; & de Ja part du tiers -état , Etienne :..
Marcel prévôt des marchands de Paris , Charles Gonfaç;
échevin , Nicolas le Chanteur / qui furent encore
acompagnés de quelques autres députés des bonnes
villes. Lorfqu'ils turent en préfence du prince, il leur
déclara devant tout le monde qu*il atendoit des noiH
vêles du roi , iTans les ordres duquel il ne pouvoît
rien décider, & qu'il étoit auffi réfolu de confulter
l'empereur fon oncle: en conféquence de ces raifons il
P ij
/.• . •/' ■ i
ïltf JIlSTOIRE DE* FlLAVCS^
^''"'™"^' demanda un dt^lai & remit l^aflfemblée au jeudi fuivant;
Ann. is^s^é. Q^ commençoit à murmurer , lorfqûfc le duc d'Orléans
prit la parole & juftifia la conduite du dauphin d'une
manière fi fpécieulè , que le tumulte s'apaifa. L'aflem-
blée fe fépara : plufieurs députés prévoyant ce qu'ils
dévoient atendre de k fuite de cete afaire , eu peut-
être inftruits & gagnés par les gens du confèii ^ fe
retirèrent -dans ïeurs provinces.' Le furlendemain le
duc de Normandie fit apeler au Louvre quelques-uns
des députés & leur déclara fes intentions ^ qu'il leur
ordonna de conmuniquer aux autres. Il leur dit qu'ils
cuflent à fe retirer jufqu'à nouvel ordre j qu'il les man*
deroît lorfqu'fl le jugeroit à propos ; que jKDfur le pré-
fent il ne jpouvoit prendre de réfolution qu'il n'eût fçu
les intentions du roi fon père , vers lequel il avoie
député quelques chevaliers y & qu'il ne fe fût abouché
avec l'empereur fon oncle , auprès duquel il comptoit
fe rendre incefiamment. Après leur avoir déclaré, fes
Volontés d'une manière fi précîfe, illcs congédia.
' , Ceux des députés qui , comptant fur le fuccès de
leurs prétentions 9 fe regardaient déjà comme les arbi-
tres du gouvernement , furent extrêmement mortifiés
de la réfolution du dauphin ; mais il falut s y conformer;
Aucun ' prétexte lie les autoriibit k prolonger kurs
fëancéSj^ fans fe portera une révolte déclai^ée. Ils fu^
rént donc obligés de fe féparer. Avant la diffolutîon
de Paflèmblée, ils dreflerent un aâe de leurs délibé-
rations , dont on délivra une copie à chacun des dé-
putés , afin , difoient-Us, de juftifaer leur conduite.
Etats de Tandis q\ie les Etats de la Langue^d*OiI , aflcmblés
Sdem' ^. ^^^^ • contefteient fur dts points de l'admîniflra-
OrdotuMS. tion, dont peut-être il eût été plus féauc de remettre
JfJ^'^'j^^/tf Texamen à à^s temps plus heureux, les Etats de Lan-
* jguedoc, aflemblés fous l'autorité du comte d'Arma-
gnac , lieutenant du roi dans ces ptovinces , fe figna-
îererit'par des témoignages éclatants de leur fidélité &
de leur atachement. Ils furent convoqués à Touloufer
\k on convint unanimement de lever & entretenir cinq
T s A sr I L 11-7
mille hommes d'armes , k deux chevaux au^moîns cha- — — *—
cun y mille archers k cheval ^ & deux mille pavoiiies Ann. i^s^é
ou fancaifins , armés d'écus. Non -contents d'avoir
acordé cete aide de leur propre mouvement , les Eta» •
ordonnèrent , w que hommes ni femmes , pendant Tan-
V née , fi le roi n'étoit auparavant délivré , ne porte-
» roient fur leurs habits or , argent , ni perles , ni fou-
yy rures de verd ou de gris , ni robes , ni chaperons
yy découpés , ni autres cointifes [ ornements ] quelcon^
yy ques y & qu'aucuns meneflriers , ni jongleurs ne joue-
y> roienc de leur métier ouinftrument yy. Ils firent aufli
un nouveau règlement pour la monnoie > par lequel on
réduifit à trente - deux fous les efpeces qui auparavant
valoient foixante fous. Le comte d'Armagnac députa
au- dauphin k Paris trois perfonnes tirées du clergé,
de la noblefie & du peuple, afin de lui préfenter la
délibération des Etats , qui fut confirmée par ce prince.
La réfolution que les Etats-généraux , avant que de ^^^^ j^g
fe féparer avoient prife de drefTer un aâe de ce qui du roi Jean.
avoit été arête entr'eux pour le bien du royaume , étoit -. cjirtmiq. dt
fur-tout rouvrage de Robert le Cocq & d'Etienne AnJaladl
Marcel , les deux hommes les plus dangereux de leur frana.
temps.
Le premier, prêtre intrigant, parvenu par la faveur
des rois Philippe de Valois & Jean , élevé de la pro-
fedion d'avocat aux charges de confeiller & d'avocat-
S:énéral , fait enfuite évêque & duc de Laon , comblé
es bienfaits de fes maîtres , devint un de leurs plus
cruels ennemis , fans qu'aucun motif pût autorifer une
fi noh-e ingratitude. Etienne Marcel , artificieux , vin^
dicatif, d'une ambiton démefurée, auffi cruel que per-
fide , audacieux jufqu'k l'infolence , incapable de re-
mords, ne trouvoit aucun moyen coupable ni honteux,
pourvu qu'il lui fervît k parvenir k fes fins. Il étoit alors
prévôt des marchands de la ville de Paris : cete place,
& plus encore fes menées fourdes , & l'afeâaaon de
fe déclarer le protedeur des droits du peuple , lui
Avoient aquis une grande autorité. L'honeur qu'il
j
tl8 HiSTOI&E DK FrAKGC^
f— — *— venoit de recevoir récemment d*être choifi pour chef
L^nn. z5j^« des députés du tiers* état dans les deux dernières
aflemblees générales ^ avoit encore augmenté fon cré-*
' dit. Il fe lervit de ce crédit pour ataauer T-autorité
fouveraine, qu'il prétendoit avilir : fuivi aune populace
inieitfée qu^il avoit féduite y on le vit plus dune fois
fecouer le âambëaii de la fédition y & poulTer la har-
dieile jufqu'aux plus énormes atentats. Il bouleverfa
tout, & il eût tout perdu fans Tévénement incfpéré qui
mit fin à fes crimes. Il eft hors de doute que depuis
quelque tenip^ il £3rmoit des projets pernicieux contre
le gouvernement. Il étoît entré dans la confpiration
formée par le roi de Navarre, avec lequel il avéit eu
alors une étroite intelHffehce, Il avoit fait pluiieurs
voyages à Evreux , ou il étoît demeuré caché pendant
quelque temps , ayant foiivent des conférences fecrè-
tes avec Charles- le - Mauvais. VraifemblaWemenl ces
intrigues furent inconnues, puifqu'il fut depuis honoré
de la charge de prévôt des marchands.
\ Le danphin Les Etats s'étant féparés fans acorder aucun fubiîde,
^^/iw«» le dauphin s'adrefla plufieurs fois à Marcel & aux
échevins , dans Tefpérance d*en obtenir quelque (ècours ;
mais ils le refufereot fans ménagement , en aiTuranc
Îu^ils n^acorderoient rien qu'on ne raflemblât les Etats,
le prince , qui avoit de fortes raifons pour ne pas
çonfentir à leur retour , prit un autre parti , qui fut
d'envover des gens dé Ion conlfeil vers les diféren-
tes villes du royaume , pour les exhorter à contribuer
à la défepfe de rEtàt. En atcndaht Téfet que produis
Toient ces députations , il prit la route de meéz où
Tcmpereur Charles IV , fon oncle , étoit pour lors.
Charles IV. Charles IV , fils de Jean roi de Bohême , avoit été
kXn"î,f.*" ^^H""^ ^^i d« Romains dès Tannée 134^. Bleffé à la
tcurdcûbuic journée de Crécy , il fuccéda au royaume de Bo}ieme
^"^Tiii après la mort de fon père , tué dans cete bataille.
/'iSf^;?' Çeft lui qui pour déterminer le pape à favorifer fa
foritV.B^^ promotion à Tempire , eut la foibleffe de figner ce
n^ T. VI. pa^e ^ par Içcjuel \\ s'eogageoit ^ n'entrer daps Rome
niAlU.KS LV.
/>€ ' /if . //ii/iii t/i , ft ' /,it, n *m/*i 'r/n/ lù^yL, ^
HNh
j
I s À N I I. .119
âue le jour de fon couronnement , encore fous la con- *— ™™^
icion numiliante d'en fortir le même jour, fans pou- Ann. xfj^,
voir jamais y revenir , à moins que le faint fiege ne
lui en acordât une permiflion expreffe, Ccte conduite
ignominîeufe le rendit Tobjet du mépris de la plupart
des princes & feigneurs Allemands y &c même Italiens:
on rapeloit Ucmpereur des prêtres. On raporte à ce
{>riBce l'époque de la décadence de l'empire ^ & de
'anéantiflement des droits des empereurs fur Tltalie.
Ce n'étoit pas ainfi que Charlemagne briguoit la fuc-
ceiRon des Céfars.
Charles IV étoit fi foible & fi pauvre , qu'il fut
arête à Worms par le boucher qui lui avoir fourni
de la viande , & il ne feroit pas lorti , fi Févêque de
la ville n'avoit fatisfait le créancier. Armé de bules &
de décrets , il difputa l'empire avec aflez peu de fuccès
pendant les dernières années de Louis de Bavière^
après la mort duquel fon parti prit le defTus : ayant
acheté les droits de fes compétiteurs , avec lefquels il
compofa , il fut enfin reconnu empereur jpar les élec-
teurs. Ce prince eft l'auteur de cete conilitution célè-
bre y connue fous le nom de bule d'or y publiée fur le
xnodele drefTé par Barthole, le plus fameux jurifcon-
jfulte de fon temps. Elle contient trente chapitres y qui
ont pour objet de régler la forme du gouvernement ,
l'éleaion des empereurs y la fuccefiion des éleâeurs y
les privilèges des membres de l'empire, les afiemblées
ou aietes générales , le cérémonial de la cour impériale y
les fonâions des éleâeurs, le fervice de la table de
l'empereur le jour de fon couronnement, ou les autres
jours qu'il tiendra cour folennele. Dans ces folenni-
tés y Téleâeur de Saxe doit venir au lieu de la féance
impériale , tenant un bâton & une mefure d'argent
3u'il remplit d'avoine , dont on a pris foin de placer
evant lui un monceau élevé jufqu'au poitrail ae fon
cheval; il remet enfuite cete mefure au premier pale-
frenier y & le refte de l'avoine efi: abandonné au pil-
lage. Cete cérémonie efi; encore en ufage. LVIecr
V
120 Histoire de France^
"— — — ? teur de Brandebourg vient pareillement à cheval , por-
Aan. 155^. tant un baflîn d'areent , une aiguière oléine d'eau y &c
une ferviete pour donner à laver à S. M. I. Le comte
Palatin arive portant quatre écueles remplies de vian-
des ; il defcend de cheval , & les pofe fur la table ;
enfin le roi de Bohême^ portant une coupe d'argent
du poids de douze marcs , remplie de vin , met pied
à terre , & préfente à boire k l'empereur. Il n'y avoit
point alors d'éleâeurs de Bavière ni d'Hanovre. Le
dernier article de la bule d'or oblige les éleâeurs
féculiers de faire inftruire leurs fils dans les langues
étrangères.
La première partie de cete conilitution fut publiée
k Francfort en i^i^è , & la dernière k Metz le jour de
Noëî de la même annjée» précifément dans le même
temps que le dauphin arivfi^
Commence- Avant que de quiter Paris , il avoit laiiTé dans ceic
OomxQic^.
paroifToit incertaine , & qui auroit pu compromettre
Ion autorité , s'il eût été préfent. N'ayant pu obtenir
de fecours de TafTemblée générale , il vouloir "recourir
à l'expédient ordinaire & trop ufité de l'altération des
efpeces. Il chargea fon frère , ou plutôt les gens de
fon confeil ^ de publier en fbn abfence une nouvele
prdonnance àcs mon noies. Peu de temps après fon
déoart , on fe mit en devoir d'exécuter fçs ordres. La
puolication de l'ordonnance caufa un mécontentement
Général ^ que les ennemis du gouvernement eurent foin
e fomenter.
JLes Parifîens n'avoient point encore démenti Juf-^
qu'alors c^ zèle & cet atacnement k leurs fouverams ,
qui les avoient toujours diftingués depuis les commen*
céments de la monarchie ; nous les .alons voir, bientôt
changer dç conduite ^ oublier ce qu'ils doivent k la uia^
[efté du prince , lever l'étendard de la rébellion , & fe
pp;:(er aux plus condanables excès ^ fous le prétejcte
Ipécieux
Jean II. 121
foécîeux du bien de l'Etat & de la liberté publique, v-
Que n'eft-îl permis à rjiiftoire de couvrir des ténèbres Ann. ijj^.
d'un filence éternel , ces temps de défordres & de cri-
mes , dont là vérité nous arachera dans peu le funefte
récit l Au-refte , les heureux habitants de cete grande
ville , aujourd'hui l'afyle des vertus paifibles , des fcien-
ces & des arts , n'ont plus rien de commun que le
nom avec leurs prédécelfeurs , dont ils ont réparé les
fautes par leur amour & leur fidélité pour les princes ,
convaincus par une longue fuite d'expériences , que
leur intérêt eft le même que celui du monarque , au-
quel il eft inféparablement uni.
Marcel & (es partifans prévirent bien que le deflein
du duc de Normandie étoit de fe procurer de l'argent
par une refonte des monnoies , pour s'exemter de fe
foumettre aux conditions que les Etats avoieht voulu
lui impofer. Il étoit important pour eux de le priver
de cete reffource.. Ils refuferent donc ouvertement de
permettre le coijirs des nouvelles efpeces. Cete démar-
che fut comme le fignal de la révolte , & des crueles
difTcntions qui la fuivirent. Acompagné de quelques
féditieux , le prévôt des marchands le rendit au Louvre ,
où demeuroit le comte d* Anjou : il demanda en pré-
fence de tout le monde , que l'ordonnance fût révo-
quée., proteftant au nom clu peuple, qu'on ne foufri-
roit pomt que 1^ nouvcle monnoie eût cours. Le comte
répondit qu'il ne pouvoit donner une réponfe pofitive
fans avoir pris l'avis de fon confeil , & rcpiit la déci-
jGon au lendemain. Marcel revint avec une fuite pliis
nombreufe , & fut renvoyé de nouveau. Le prince par
ces délais elTayoit de gaener du jemps jufqu au retour
de fon frère , qu'il avoit rait avertir dé ce qui fe pafloit ;
mais le prévôt des marchands devenant de jour en jour
plus l^ardi , fe préfenta au Louvre efcorté d'un fi grand
nombre de féditieux que la crainte d^un foulévemenc
Îjénéral força le conieil de fufpendre l'exécution dç
•ordonnance ^.& d'atendre l'arivée du duc de Nor-
•xiiandie. Ce premier eflai de la hardiefl'e de Marcel ,
Tome V. ' . Q
_\
122 Histoire de France,
-.: ■ couronné par le fuccès , lui infpira une confiance qui
Ann. 155^. ne fervic qu'à le rendre plus entreprenant. Fier d'avoir
vu reculer devant lui Tautorité fouveraine , il fe crut
en état de touc ofer.
Guerre en On n'étoic occupé à Paris que d'intrigues & de con-
défSîc&mJrt déflations fur la forme du gouvernement, A voir Tem-
dc Gcofroi de preflemcnt avec lequel les partis opofés vouloient faifir
Harcourt. {^^ rênes de l'Etat , on eut dit que la prifon du roi
Qll^iFZtî^ J^can avoit laiffé vacant l'exercice du pouvoir fouve*
deNang. ram. La guerrc cependant le contmuoit en Normandie»
chron. MS. Geofroi crHarcourt , cantonné dans le Cotentin , rava-
s.Denh^' ^ gcoit ccte proviuce par des courfes continueles , fani.
Mem.de Ut' que pcrfonnc s^oposât à ces incurfions. Le dauphin
tératurt. ^ j^g E^^ts , dans le temps qu*ils étoient encore anem-
blés , avoietft envoyé huit cents hommes d'armes fous
la conduite de quatre capitaines. Robert de Clermont^
lieutenant du duc de Normandie dans cete province ,
n'eût pas plutôt reçu ce renfort , qu'il le joignit au peu
de troupes qu'il avoit. Il s'avança dans le Cotentin.
Geofroi d'Harcôurt, toujours animé par fa haine, loin
d'éviter le combat, ainfi qu'on le lui confeilloit, raffem-
bla toutes fes forces j & préfenta la bataille. Il fut endé*
rement défait : la plupart de lès gens furent tués ou
faits prifonniers, & le refte l'abandonna. Se voyant
feul , & ne pouvant fe déterminer k fuir , il réfolut de
vendre fa vie chèrement. Il n'ignoroit pas que s'il avoit
le malheur d'être pris vivant , il ne pouvoit s'^atendre
qu'à périr fur un €chafàud. Dans céte funefte extré-
mité, le défefpoir raninïa fon courage : il faîfit une
hache d'armes ; & mettant un pied devant l^autre pour
-être plus fort , dit Froifflart ^ car il était boiteux ahurit
jambe , il atendit les vainqueurs. Ce feigneur étoit d'une
force extraordinaire : auffi fe défendit- il Ifc^ng- temps
avant que de pouvoir être abâtu. Il portoit des coups Jt
terribles , ajoute le ihême auteur , que nul ne les ofoit
' atendre. £nfin deux hommes d'armes rhonterènt fur
leurs chevaux ; & venant avec impétuofité fondre fur
lui les lances baiffées, le renverferent par terre : auffi-
£
N I L 123
Ann. ijj^*
reflendment ne Teûc pas armé pour foucenir une que-
rele fi înjufte.
Le pape avoît chargé les cardinaux de Périgord & , Confércncci
de S, Vital de fe rendre à Metz, où fe fit Tcntreviie ^^^^
du dauphin avec l'empereur. Mais les légats du faint
fieçe s employèrent envain à trouver des moyens de
pacification entre la France & TAngleterre. Leurs foins
ne produifirent que des projets vagues d'un acommode^
ment auquel le roi d'Angleterre étoit bien éloigné de
fe prêter. Le prince revint a Paris avec Pierre de la
Foreft qui Ta voit acompagné dans ce voyage. *Ce pré^-
lac étoit compris dans une promotion de fix cardinaux
que le pape venoit de créer : mais la pourpre Ro-
maine ne le mit pas à l'abri des pourfiiites de la fac-
tion opofée , qui fe fortifioit de jour en jour.
Charles ^ de retour k Paris , trouva les efprits encore Retour in
moins favorablement difpofés, qu'il ne les avoit laiffés ^."P'»*'** P*'
avant fon départ. Peu de jour après fon arivée , il ' jn^^fn.
donna commifiion k l'archevêque de Sens [ qui depuis
la bataille de Poiriers , où il fut pris y avoit été rela«-
ché fur fa parole] au comte de Roufli, au feigneur
de Renel , à Robert de Lorris, & k quelques- autres
de fon confeîl , d*aHer engager le prévôt des marchands
a fe trouver dans une niaifon près de faint Germain
TAuxérois , pour conférer avec eux. Il y vint fuivi
d*uac foule de gens armés , qui formoient une efpece
de garde k cet infolent magiftrat. Les envoyés du
dauphin le prefierent de ne plus mettre obfi^cle au
cours de la nouvele monnoie. Il y eut une contefta-
cion fort vive: non -feulement le prévôt rejeta la de-
mande ; mais au forrir de-lk il fouleva toute la popu-
lace y tant par lui-même , que par fes émiifaires : il
fit fermer les bouriques , & cefler le travail des ou-
vriers, & dans le même-temps il ordonna aux bour-
geois de prendre les armes.
Q ij
Ann. 1)5^.
Sédition : les
Parifîens fer-
ment les bouci-
q lies & pren-
nent les armes:
le dauphin cft
obligé de cé-
der.
Nouvclc con-
"vocation des
Etats.
Ihidem.
124 Histoire de France,
Le confeil du duc alTemblé à la hâte , jugea qu'il
n*y avoic point d'autre parti k prendre que celui de
céder pour un temps. Le lendemain le diic fe rendit
au palais, où il déclara en préfence de Marcel, & des
principaux chefs des féditieux , qu'il pardonnoit tout
ce qui avoit été «enté contre fon autorité, & parti-
culièrement les troubles du jour précédent : il fuprima la
nouvele monnoie ; enfin il confentit à la deftitution
&c à Temprifonnement des oficiers profcrits , dont la
plupart fe retirèrent pour n'êiye pas immolés k la fu-
reur du peuple. Le chancelier , & Simon de Bufli ,
premier préndent , qui étoient de ce nombre , avoienr
été nommés par le roi pour venir k Bordeaux en qua-
lité de Négociateurs j Marcel demanda qu'on révo-
3uât leurs commiflions : il fàlut le fatisfaire k Tégard
e Buffi. Le chancelier feul fut autorifé k fe rendre
auprès du roi , fous prétexte de lui remettre les fceaux.
Ces deux plénipotentaires , malgré cete révocation
aparente , continuèrent Texercice du pouvoir qui leur
avoit été confié. Le prévôt des marchands ne s'en
tint pas Ik f il extorqua du dauphin un ordre qui
l*autorifoit k faire faifir les biens de Buffi , de Ni-
colas Braque , d'Enguerrand du petit Cellier , & de
Jean Poillevilain , fouverain maître des monnoies. On
établit chez eux des fergents gardiens de leurs éfets
inventoriés.
Le prince fut enfin contraint de confentîr k la con-
vocation des Etats. Ils s'alTemblerent le cinq Février
fuivant , ce fut Ik que fon autorité . fi chancelante &
il combatue reçut les derniers coups. Ils ajoutèrent
de nouyeles demandes k celles qui avoient été faites
précédemment. On n'étoit point en état de rien refii-
ler ; on acorda tout. Ils s'atribuerent eux - mêmes la
faculté de pouvoir fe ralTembler quand bon leur lëm-
bleroit. Au- lieu de vingt-huit pcrfonnes tirées de leur
<:orps , dont ils avoient demandé que le confeil du
prince fût compofé, ils en choifirent trente -fix aux*
quels on remit le gouvernement des afaires & Tad^
Jean II: 12^
minîftration des finance^ , en forte qu'on ne rëferva !
pas au dauphin Pombre même de Tautorité, à moins Ann, 13;^.
que Ion ne donne ce nom à 4a vaine formalité de
confacrer les délibérations abfolues des Etats par une
ordonnance publiée en fôn nom. Cete ordonnance
contenoit plulîeurs articles déjà raportés dans le pré-
cis des Etats tenus avant la bataille de Poitiers. On y
inféra de plus quelques autres règlements , tels que la
révocation des dons exceflifs , & des aliénations des
domaines de la couronne depuis Philippe-le-Bel ; dé-
fcnfe exprefle dans toutes les jurifdidions de recevoir
aucunes comportions (a) en matière criminele , aboli-
tion de toutes lettres d'Etat, dont Téfet étoit de fuf-
Î>endre le cours de la juftice ; ordre k tous les juges
ubalternes qui ne rendoienc point leurs fentences , &
laifToient les afkire^ indécifes , [ dans la crainte d'en-
courir l'amende à laquele ils étoient fujets lorfque les
)uges fupérieurs réformoient leurs jugements] de ter-
mioer les procès , & de prononcer leurs fentences ,
fous peine de prife de corps & de privation de leurs
ofices ; taxation des écritures & frais de juftice ; fa-
laires des fergents & hu^ffiers.
.On ne peut dilconvenir que la plupart, de ces arti- chcrchcmou^à
clés ne renfermaHent des loix très-fâges : la manière envahir toute
l'aotoiité.
( a ) L'ufage d'erpier toute efpece de délk par une amende pécuniaire étort
auffi ancien ()ue la monarchie. Les Francs l'a voient aponé de Germanie. On
peut voir ce qui a été die fur ce fujet au commencement de cere hiftoire.
Ces taies , proportionnées à tous les crimes fpécifiës avec la phis fcmpuleufe
^xaôitude dans nos anciennes ioxx > ne laifToient zva^ juges que les fondions
d'en ordonner le paiement : mais dans la fuite il furvint des dificultés , les
moeurs changèrent , les elpeces de délit fe multiplièrent. Les compofitions pour
les meurtres ou injures (t régloicnt fuivant les qualités de Tagrefleur ou de
lofenfé : les conditions dcs»hommes varièrent : il fe préfenta des cas équi-
voques où les parties ne pouvoient demeurer d'acord du prix de la compofi-
tion j alors les jup^cs la fixèrent. Ces compofitions , dont l'éfet étoit d*<iracer
entièrement le crime , étoient vicieufes en ce qu'elles pouvoient bien réparer
l'ofenfc faite à un paniculier , & non pas celle dont tout criminel eft coupable
envers la fociété. Nos loix plus fagcs ne tranfigent pi us en matière criminele «
la tranquilité publique étant intéreflée à la punition exemplaire do ceux qui la
troublent. Il ne rede donc pins des anciennes compofitions que les dédomma-
gements adjugés à la partie ofenfée , proportionnés à fa condition & à la na*
turc de rotcnfct
Il6 HlSTOl3l£ DE FrAÏ^CE^
■^ feule de les autorifer étoic vicieufe. Mais ces conftitù*
Ann. iys6. tions avancageufes étoient ce qui ocupoit le moins les
Etats : ils vouloient feulement en impofer aux peuples
par ces dehors de réformation. Leur principal but écoit
d'envahir toute Tautorité fous le vaile toujours. abufif
de nouvel ordre & d'économie. Il avoit été décidé que
pour entretenir trente mille hommes d'armes , on le-
veroit un fubfide , dont ils difpoferoient feuls : ils fe
trouvoknt par ce moyen maîtres d'une des parties les
plus effencieles du gouvernement. Afin de fe rendre
plus redoutables y. les députés obligèrent les princes
d'inférer dans (a déclaration , qu'il fieroît permis à cha-
cua des membres des Etats de fe hire eicocter par fîx
hommes armés. La dernière féanjce fut terminée par
une harangue féditieufe , que pronmtça Févêque de Làon.
Uîdem. Afin qu'il oe manquât rien k Taviliflfement du pouvoir
Mémorial de fouverai.n , le dauphin fut contraint de fufpendre , & en
il.ltTr^^^^^ quelque forte de dijffbudre les deux cours lupërieures du
comptes, L i oiftii •!•
parlement & delà chambre des comptes ; u n y^eut po^nt
de jurifdiâion dans Paris ^ jufqu'à ce que les Etats y
eufient pourvu. Les députés choifis pour former le
confeil ^ firent eux-mêmes Tordonnance du parlement »
ceft-à-dirè, nommèrent ceux qui dévoient le compo-
fer , n'y admettant que .des gens qui. leur étoient enûé-
rement dévoués , & réduifant leur nombre à feize y tant
Êréfidents que confeillers. Ils réduifirent aufli la cham-
re des comptes , qu*ils Compoferent de leurs créatu-
res : mais ces nouveaux oficiers étoient peu au fait des
afaires qui fe traitoient à la chambre : il falut leur en
affocier d^anciens pour les înftruire.
T^^J^^^^^^**^ Sans ces troubles intérieurs , un rayon d*efpérance
fembloit préfager un temps plus heureux , & permettre
à la ^France de refpirer , après avoir été agitée par de
fi violentes fecouffes. Le roi , après la déraîte de Poi-
tiers , avoit été conduit à Bordeaux, Depuis cete fa-
tale journée 9 il y avoit eu plufieurs négociations enta-
mées pour parvenir à un acommodement. Le cardinal
de Périgord s'écoit réconcilié avec le prince de Galles ,
lèidem.
t \ J. E A N I I. 127
& n'aroit cclTé depuis d employer fa médiarion en oua- *'*'^*''*^
lité de légat du (aint fiege. Le prince nétoit pas âoi- ^^"- '^^^"
gné d'entendre à des propofitions raifonnables ; mais
ce n'écoit pas - Fintendon du roi fon père > dont
l'ambition politique prétendoit tirer de cete viftoire
tous les avantages qu'elle pouvoir lui procurer, Ilavoit
donné à fon fils, avant fon départ , un plein pouvoir p^^^tom'^sl
de conclure en fon nom toute efpece de traités de pan\ï,p.iiû
paix, de trêve , ou d'alianee, fans mettre à ce pou-
voir aucune refbiâion ; mais alors il n'étoit pas maî-
tre de la liberté d*un roi de France. Un pareil événe-
ment changeoit toutes les mefures qu'il avoît prifes.
Il rejeta domrles projets de pacification qui lui furent
préfçntés , & il exigea que le roi fût amené à Londres,
il confentit feulement à la conclufion d'une trêve pour
deux ans entre les deux couronnes ; encqre y fut-îl .
déterminé par fon feul intérêt. Il faloit transférer le
roi ^ & il craignoit qu^me fi belle proiq iic lui ftit
ravie darïs lé J)aflage. '
I-a trêve fut conclue à Bordeaux le 23 Mars , en- Publication de
viron un riiois après la tçnue des Etats à Paris. L'Ar- rfs^Nouvcaux
chévêque'çlè' Setlfe^^i qui depuis ce 'temp-s avok été troubles.
député vërfe le roi /revint danîi fa capitale avec It ^''^^/^''^i^^i
comte de Tancatvïlle îjbïr petie /& le comte ' àtÊuvlU "" ^"^'''•
aporterent le traité figné , 6c' ulielettrie dû to\ qui, en
Vertu de la trêve axëtée >' annuloît ce.qui avoit été feit pdfi
les Etats , & fur - tout défeqdoit la levée du fubfidé.
Le daiiphin fit publier^ ces léttiftis le ^-dirq Avril. Ce
coup deconcertbit les nouveaux gôuvei^oeu^s j qui par-l^
fe t'roùVoient'Jirivîés dû maniement des finances. ïisj
curent radrèfle ^dè faire ^pafler ceije fiipreffion d'ilthU
pots , pôjir un atentat coptre rintéi^ét de la nation , éc le
peuple iifibécile le ctut. Il 's*aflerrtble en turtiulte , &
demande la continuation de là Jeyée' du' fubfide .aye<î
la mênife ardeur , que dans d'àutrers 'circonftançes il en . . ,
auroit déftiaiidé la fupréffion. Les' comtes d'Eu êi
de Tanèatvillie.i:&' ^archevêque d«'5ens, menacés
par une populace en fureur , font obligés de fortir de
128 HlSTOlRJÈS DE FrANCE,
JSSass;^;^ Paris. Le duc de Normandie , toujours contraint de
Ann. ij;^. céder , fit publier une ordonnance, qui, malgré lei
défenfes du roi fon père , prorogeoit les Etats , &
prefcrivoic la continuation de la levée du fubfide- Cete
condefcendance apaifa les féditieux, & rétablit pour
quelque temps un calme aparent dans la capitale.
.Aao. i}'S7. MarceJ & fe^ partifans avoîent 6qs^ vues qui ne
Md f<s"ar- s'^cordoient pas avec l'ombre même de la tranquilité :
nics,&pofc ils répandirent dans le pyblic , que les comtes d'Eu
des chaînes & de Tancarville , &c Tarçhevêque de Sens, raflem-
"* bloient dés troupes, dans ïe deffein de fe venger des
habitants de Paris , dont les enfuîtes & les menaces
Spîcîi. contin. 1" avoîent contiîaints de, fe. retirer .de cete ville. Le
deNang. peuple éfrayé prit les armes j on plaça des corps-de-
^u%^re'^^^' & des fentineles dans' les dîférents quartiers:
Traité de la oix ne laifla pendant le jo^ur que trois portes ouvertes,
Toiicf,tom.i. du côté du grand pont , aujourd'hui nommé, le poijt
au change, & pendant la nuit toutes. les portes étoîent
exadement fermées- On pofa pour la première fois^
, des chaînes ^e fer dans les rues & dans les carefours;
oh creuia dés foifTés aijtour des murailles, qufdéfen-
doient la partie occidentale de la ville y on en fit pa-
Jreillemeni; :çrpujer ^autour des; fauxbourgs du . cote .de
. ,\. loriçm ; on .élévaj des pa^àpeff i on conftruifijc des
redoutes 3 pn plaç^ Tui'.les rmiparts* d^^^ baliftcs, cjes
Çareaux , td|^s guérîtes] des canons/ & autres ma--
chines ^é guerre^ Un' détrùifît quantité de beaux édi-
fices qui fe trouvoieut. placés, ûii; les alignements- pris
pour ces nouveles fprtmcatipns^ Le^ propnétairqs ,de
ces édifices foufrirentlcçj;. démolitions lans mur;nulrer.
Sous lé, règne préçédeni , Iprfque le roi d'Angleterre
étoit campé à Poiflî, on avoit voulu ruiner quelques
maîfons , pour eh lemptoyér le tèr'rein aux fortifica-
tions de. la ville ; cete entreprife âvoit penfé caufer un
foulëvement général. Les tejnps étoient bien changés :
U P. Daniel, ujpritdc fcyfthc^ m cete ocajioa y fit oûhïier aux Varl^^
Jiens leurs 'intérêts particuliers auxquels, dix ans ,aupa*
rayant i ils à^voierit pref^ue facrifié lefalut de tout le
royaume:
Jean II. 129
royaume. On continua de travailler Tannée fuîvante à '
ces fortifications. On abatit une partie des bâtiments ^^- ^y^^*
apartenants aux Frères Mineurs ou Cordeliers , &: aux
Jacobins de la rue faint Jacques , à travers lefquels
on conduifit la fuite des nouveaux murs & des
fofrés(a).
Les nouveles de la bataille de Poitiers avoient été transfôS* à''^
aportées à Londres par Geofroi Hanielin , valet de Londres.
chambre du prince de Galles^ qui préfenta en même- Rym.aH.puM.
temps au roi d'Angleterre la cote d'armes & le baf- ^^'"l*^'''^'**
ftnet du roi de France. Ce fuccès inefpéré fut célébré ^'*' **'
par des aftions de grâces & des réjouïflances qui
furent continuées pendant plus de huit jours. Le prince
de Galles , pour le conformer aux intentions de fon
père , ne s'ocupa plus , après la conclufion de la trêve,
Î|u'aux préparatifs de fon paffage en Angleterre avec
on illuftre prifonnier. Ce paflage avoit les dificultés;
la plupart des feigneurs , chevaliers & hommes d'armes
de Guîenne & de Gafcogne , ne prétcndoient pas
que le roi fût transféré hors de la province j & leurs
f rétentions à cet égard avoient une aparencc de juftice:
Is étoient pour le moins auffi-bien fondés que les
Anglois' à s'atribuer Thonçur du gain de la bataille:
c*étoit k un chevalier François que le roi s'étoit rendu ,
& le prince étoit trop équitable pour ne pas convenir
de la force de leurs raifons : il employa, pour les
apaifer , la douceur & les ménagements qu'il devoir
aux compagnons de fa vidoire ; il les gagna fur-tout Froijfard.
par fes manières généreufes & par fes bienfaits. Cete • Ckron, dirtr-
dificùlté Ipvée , U ne reftoit plus d'autre obîfecle que ^^J'^^ ^w.
(à) En creufant dans 4e terrein apanenanc aux Jacobins on décoavroit des
fondements de cours Se de forcerefles d'une confbniâion fi folide , que les
maneauz & les plus forts inflrumencs pouvoienc à peine les 'entamer. L'opi-
nion vulgaire, mais peu vraisemblable > étoit que les Sarafins avoient ancre-
fois conftriiîc ces édinces. Le fécond concii\uacpir de Nangis qui raporce ccce
découvene comme témoin oculaire » die qu'uae ancienne chronique nu'on li«
foit encore de fon temps > marquoic que jadis il y avoic d^ns ce même lieii
un ch^Lceau apelé HauufeuHU. C'eft probablement de cece tradition que la rao
«pelée encore de nos jours dç Hautcfcuille, a tiré fon nom.
Tome V, R
ijo Histoire dk France,
^ les périls du trajet, dans le cours duquel il apréhen-
Ann. 1357. doit que quelques armateurs ne tentaflent de lui en-
lever fon prifonnier. Il cacha foignçufement le jour
de fon départ ; & lorfau'on s*y atendoit le moins , il fit
embarquer le roi pendant la nuit avec les principaux
prifonniers , & fe mit en mer avec eux : en peu de
temps.il ariva au port de Flymouth, & prie la route
de Londres.
Entrevue des Edouard ayant apris t'arivée du roi dans fes Etats ,
deux rois. ordonna les aprêts pour le recevoir , nipins comme
lUdem. un prifonnier , que comme un ^rand roi qui venoit
lé vifiter. Il ala au-devant de lui à quelque diftance
de Londres. Cete première entrevue fe pafla en té-
moignages réciproques d'honeur & de bienveillance.
Le roi d'Angleterre en ce moment fembla oublier les
avantages de la viâoire , & que ce prince captif étoit
le même auquel il refufoit jufqu^au titre de roi de
France. // lui Jity difent nos anciennes chroniques ,
moult grand aontur fir rcvértnct. Jean de fon côté
répondit à des procédés fi généreux avec une nobleile
digne de la grandeur de* fon ame. Jamais ce prince ne
laifla échaper la moindre marque de foibleue & de
découragement : c'eft une juftice que les Anglois ,
témpins de fa confiance , lui rendirent unanimement.
Après un long entretien , les deux rois fe féparerent.
Le roi de France continua de marcher vers Londres^
acompagné de fon modefle vainqueur.
* . i j . On avoit réfolu de rendre au jeune Edouard les plus
Entrée du roi j 1. • -i 1 ^r r © * 1
àLonircs. grands honeurs ; mais il les retufa tous, & voulut
Uidtm. abfolumeht qu^on les adrcfsât au roi de France lui*
même. Ce monarque monté fuf un cheval blanc fuper-
bement harnaché , entra dans Londres en conquérant.
Le prince de Galles marchoit à côté de lui , monté fur
une petite haquenée noire , ne fe faifant remarquer
Î|ue par Tair refpeûueux avec lequel il Tacompagnoit.
1 fembfoit qu'en ce moment les Anglois fufpendant
cete haine héréditaire & fi peu raifonnable qui les
anime contre nous , s'éforçafferit à Tcnvi de féconder
J E A N I I. 131
les intentions de leur prince. . Le maire de Londres , ' """"
les magiftrats en habit ae cérémoiiie, & les principaux ^nn. i3j7«
habitants , vinrent recevoir le roi avec les niCmes
honeurs qu'il eût pu atendre , s'il fût entré dfins Paris.
Toutes les rues par lefqueles il paiTa étoient tendues,
& les bourgeois avoient étalé leurs plu6 bcles tapifl'e-
ries , leurs armes & leur argenterie. On pouroit ob-
jeéter qu'un peu d'orgueuil national fe mêloit peut-
être à Péclat ae cete pompe ; mais on ne peut s'em-
pêcher de convenir qu*il eft beau de le manifefter
ainfî (a).
Quoique la Bretagne eût été comprife dans je ^^^gnT: fit
traite , cependant les holtilités n avbient pas celle gc de Rennes
auffi-tdt après la publication de la trêve ( b ). Charles P^r ^^^à^ ^^
de Blois avoit obtenu fa liberté , moyennant une ran- * ^^^j^^^^f^l
pubL u
part, i y
iFrance, après avoir laiffé l*es deux fils en otage. Sa
préfence ranima pour quelque temps la fortune chan-
celante de fa mailbn. Quelque temps avant la bataille
de Poitiers , le duc de Lencatftre avoit voulu joindre
l'armée du prince de Galles avec les troupes qu'il com-
mandoit en Normandie. Il efpéroit pafler la Loire au
Pont-de-Cé ; mais il le trouva défendu par les François.
Apȏs plufieurs autres tentatives inutiles , il fe vit con-
traint de renoncer à fon projet. Réfolu de donner de
l'ocupation à fes troupes , il entra en Bretagne , s'avança
(a) Que les ledcurs daignent me permettre une obfcrvation très courte qui
))ettc fervir à ma joftificaiion , tant pour le paffé, que pour ce que je pourpis
dire dans la fuite. Les éloges des deux Edouai^s & de la nation Angloife, ne
doivent pas me faire acufet d'une partialité dont je fuis incapable , fiur-teut en
faveur d*unc nation prefque toujours ennemie de la mienne. Je dois , pour
^ rhoneur de ma patrie » mon premier hommage i la vérité. En rempliflant ce
devoir eifenciel de tout hiftorien , je ne puis refufer mon eftime aux aôîons
louables de nos plus grands adverfaires : puiffe cet exemple de la fincérité
f rançoife être imité de nos rivaux !
(Jf) D*Argentré dit que la Bretagne avoit été exceptée de la treye ; cepen-
dant elle fe trouve fonnélemcDt comprife dans le traité. Rym» aB, puU. tom. 3,
portai , pag. ijj^ • • .,
R ij
13a Histoire 0e Frawce,
— ^— — ^ jufqu'à Hennebond pour vifiter la comceiTe de Mont-
Ann. ij;7. fort , & Vint cnfuitc former le fiege de Rennes.
DuGacfciin Ce fut pendant ce fiege que Bertrand du Guefclin
£re™connt^ Commença de mériter une partie de cete grande' ré-
trc. putation qui Téleva depuis au faite des honeurs. Il
ihîdem. s'étoit aquis déjà Teftime des gens de guerre par àts
prodiges de valeur : formé dans la profemon des armes
dès fa première jeunefle j on peut dire de lui qu'il fut
l'ouvrage de fes mains, & qu'il ne dut fon avancement
qu'à fon courage (a). Quoique forti d'une des meil-
leures maifons de la province, aliée à la plus haute
nobleffe , la fortune de Régnant du Guefclin fon père
ne répondoit pas à fon origine. Ce feigneur, chargé
d'une nombreufe famille , ne jouïiTok que d'un revenu
(iz) L'hiftoricD it Brcc^ne raporte que Bertrand du Gaefclin montK^ dès fa
plus cendre enfance une dilpontiôn extraordinaire pour le métier de la guerre. Il
écoît continuélement aux prrfes avec les jeunes payfans des environs du château
de fon père. Quelquefois on le raportoit prefque afTommé des coups qu'il avoic
reçus en fe bâtant avec eux. Ce ne fut qu*à force de reproches qu'on vint à bout
de lui faire quiter cete habitude. Devenu plus grand , rFen ne pouvoit aréter fa
fougue. Il n'y a point de plus mauvais gcrf on au monde , difoit la dame du Guef-
clin fa mère » il eft toujours hUJfé , le vifage rompu , toujours hâtant ou hatu : fon
père & moi nous le voudrions voir fous terre. Ce fut par ces préliminaires que le ,
jeune Bertrand annonçoit ce qu it ferok dans ta (ûite. On donnoit un jour à Rennes
un tournois oii Rcgnaot du Guefclin fon père affiftoit. 11 auroit bien voulu
être de la partie , mais il n'avoit, ni armes , ni cheval , & Tocafion lui manqua
de dérober les bagues ou les joyaux de fa mère , fa reffource ordinaire. Il (e
trouva cependant au rendez-vous i & voyant un gentilhooime qui après avoir
couru une lance ,. fe retiroit à fon hôteleric , du Guefclin le fuivit , & là
trouvant ce chevalier qui fe faifoit défarmer , il fe mit à genoux devant lui »
3c le pria de vouloir bien lui prêter fon cheval & fes armes. Il n'eut pas de
peine a obtenir fa demande. Il s'arme en diligence , monte fur fon conrfier ,
vole au tournois & fe mêle parmi les combatants fans être reconnu de per*
fonne. La vîfPere baiflée , l'écu pendu au cou » la lance fur la cuiffe , il fournît
la première courfe » faifant perdre les ar^ons^ à (on adverfaîrc. Son adreflc &
fa Donne grâce atirerent les yeux de tous les fpeâateurs : quinze courfes pa-
reilles fournies avec le même fuccès , mirent le comble à la furprife : toute
l'aflemblée le nonunoit tieuyer avantureux. Regnaut du GueUlin vint (c
mettre fur les rangs & fe préfenta pour courir contre lui. Au(fi-tôt que Ber-
trand aperçut fon père, qu'il reconnut à fes parements, il jeta fa lance par
ferre : on étoît curieux de fçavoir qui étoit ce redouuble champion , on.
trouva moyen d'enlever fon cafaue. L'^tonncment & la joie du père ne peuvent
s'exprimer s il l'cmbraffa avec les plus tendres marques d'afeâion. Tous le&
.gentilshommes prêfenrs » la plupart fes parents ou (es amis, le comblèrent de
carc/Tcs \ & dans la fuite le pcre ne négligea rien de ce qui pouvoic contribuer
a faire patoltre avec éclat wct fils qu^- donnoit de fi belcs efpéranccs.
J K A N II. 133
médiocre , qui ne le mettoic pas en (îtuatlon de faire ^"^"^"T^
pour Bertrand fon fils la dépenfe néceflairè k Tentre- Ann. xjx7-
tien de chevalier ; mais le jeune homme brûlant de
Tardeur de fe fignaler^ furmonta toutes les dificultés.
Il fit le premier eflai de fa valeur daais un tournois,
en préfençe même de fon père , qui ne le reconnut qu*k
la nn des joutes , lorfqu'il eut étonné toute l'afTemblée
par fis merveilleux faits (V armes , àinfi qu'on s'expri-
moit alors. Dans la fuite il s'aflbcia plulieurs aventu-
riers , fit des courfes fur les Anglois & les firetons du
parti de Montfort , s'empara par firatagème du château:^
de Fougères, en la forêt de Tillai , dont il fe fit une^
place d armes. Il fui vit toujours le parti de Charles de
Blois , auquel fa famille étoit atachée. Lorfbue les An-
glois formèrent le fiege de Rennes , du ouefclin fiit
un des chevaliers qui contribueront le plus à la déli-
vrance de cete place.
Il y avoit près de huit mois que le duc de Lencafhre Du Gucrdin
avoit invefli Rennes. La place refférée de manière que ^ i^^« ^*^«
rien n'y pouvoit entrer, étoit réduite à Pexcrêmité* Le
général Anglois avoit fait ferment de ne point décam-
per que les affiégés ne fe fuffent rendus ; & il ne doutoic
pas qu'avant peu de jours il ne les eût à difcrétion.^
Dans cete conjonâure embarafiante , un bourgeois
de la ville s'ofric de pafier à travers le camp des enne-
mis, de tromper le duc par un faux avis, & d'aler:
enfuite à Nantes avertir Charles de Blois du danger
où la place fe trouvoit. Il remplit fidèlement fa pro^
meffe : en for tant de la villç, il fe rendit auprès du duc
de Lencaftre , lui «peignit avec :une naïveté. afeâ:ée la
difete afreufe des afliégés , qui fondoient leur unique
efpérance fur un fecours de troupes Françoifes , dont
ils atendoient Tarlvée dans deux ]ours. Le di|c profi-
tant de cete découverte , réfolut . de fprtir avec une
Ç artie.de ks troupes pQur aler au-devant des Français,
ie bourgeois trouva le moyen de s^^échaper : à Quel-
que diflance du camp des Anglois , il rencontra Ber-
trand du Guefclin, & lui raconta la fauife confidence
134 HiSTOi-RÊ pE Fraiîce,
f— —— — ^ Qu'il venoit de faire au duc. Le chevalier Breton pro-
Aw ^17. face fur-le-champ de cette ouverture pour jeter du fe-
cours dans la place : il rafl'emble tous fes fergents qui
formoient une petite troupe , fe met à leur tête , vient
fondre fur le camp des Anglois , malTacre tout ce qu'il
rencontre, rcnverfe les. tentes, y met le feu , s'empare
de deux cents chariots de vivres , cju'il fait marcher
devant lui , & entre dans Rennes , où si efl reçu comme
un libérateur. •
Le duc de Lencafbe, après avoir inutilement atendu
c& prétendu fecours des François qu'il comptoit dé-
truire , reconut l'artifice , & revint à fon camp. Surpris
du déforde qui s^étoit pafTé pendant fon abfence , il s'in-
forma de celui qui avoit exécuté un coup fi hardi ; on
lui nomma du Guefclin qu'il ne connoiuoit pas : il té-
moigna quelque defir de voir un homme qu'il ne pou«
voit s'empêcher d'eftimer. Un héraut d'armes , chargé
d'un faut- conduit pour le chevalier Breton, fe rendit
à Rennes , & lui ht l'invitation de la part du prince.
Du Guefclin fe fit lire le fauf-conduit ; car il ne f^voic
ni lire, ni écrire (a). Il répondit enfuite au meflager,
qu'il fatisfcroit l'empreffement du général : il acompa^
fna cette réponfe d'un habilement complet de foie^
e cent florins d'or , & le congédia.
DaGacrdia Le lendemain du Guefclin fe rendit au camp en«
va trouver le nemi. Tous les Ansrlois acoururent poui' voir cet hom«
duc de Lcn- j» • F? v ti • *^ i
faftre. nie extraordmaire (à)* Il mit un genou en terre devant
(iid. le duc , <jui le releva ^ & lui fit l'apœuil le plus gracieux.
(tf) Tous les maîtres chargés de rkfttuire avtfienc été contraints d'y rcr
lionccr.
Nuls maîtres ne trouva, 8c fachiés fans douter.
De qui le Bers ( comte ) Bertrand fe laifsât dodrîner :
Ainçois Yoololt fon maître & férir & frapen
- Fié du connitébU du Gurfdin ^ MS.
(}) Du Guefclin étoit d'une (grandeur médiocre , le vifs^e brun ou plutôt
noir , le nez extrêmement dourt , les yeux élevés & nrefque forçant de la tête ,
)es épanlcs larges » les bras longs, la main petite » les membres ptopor^onnéa
J E- A N IL ij^
Le chevalier Taflura qu'il étoit k fon commandement , ,
pourvu Gue ce ne fût pas contre le chef de fon «parti. ^^^' i3f7*
Le duc lui ayant demandé quel étoit ce chef: C^eji^
dit-il y Monfagruur Charles de Blcis , auquel par droit
apartîcnt It audit de Bretagne. UAnglois reprit aufli^ôt :
Meffirt Bertrand , avant que ce que vous dtus fe termine
ainjl y il en coûtera cent miac têtes.' Eh bien , Monfeigrutir ,
répondit Bertrand y qu^on en tue tant qu^on voudra,
ceux qui demeureront auront la. robe des autres. Cete
repartie fît rire le duc, qui charmé de la liberté guer-
rière de du Guefclin , voulut r£hga£;er à fon fervice.
Aux oiïes exceflives qui lui furent oitei , il répondit
avec autant de franchife que de défîntérefTement. Il
fe préparoit à prendre congé du duc y lorfque Guillaume
Bremoro , parent du chevalier du même nom , tué au
combat des trente , le pria dé lui fiiire Thoneur de tirer
trois coups de lance .contre lui : plutôt fix, mon capi^
taine, reprit-il , en lui prenant la main, L.^ défi accepté
fut afligné pour le lendemain. Le combat fe donna
entre la ville & le camp : Brembro fut vaincu & tué:
Du Guefclin triomphant falua le. prince, qui avoit voulu ;
être fpeâatenr, & rentra dans la ville. . '
L'hiver aprochoit, àc les fccours d'hommes, d'armes ^c^*î^«fi«g«
& de vivres, & fur-tout la préfence de du Guefclin, ^^"'
avpient rendu le couragq aux aiffiégés. La reddition
de la place paroiiToit déformais fort incertaine. Les \
Anglois tentèrent un dernier éfort. Ils firent aprocher
des murailles - de puifianœs machines ,' :& donnèrent
ie jour même M»à aïTamt glanerai. Penluiet, ^ui côm-
f - ■
U nèrreux , la contenance gÉerriere : il a*^coit iien moins que htûsi dt vifkze ;
attffi écoic-îl pea agréable imiz dames en fa jcttoeilc. D^Jirgtntri^ h^fi.diUft^
Jamais , di/ifit^it^ je ne ferai aîra€ ni cooveh ( iienpenu. ) /
Ainçofs ferai t!es dames •tr^Vbufofin écoiîAtiits', .' i' *
Car bien fçaiV^pie jeWfWis-bîeiî l^^iêrtc malferns.
Iifia^piu(^ae Jefais'l^U^ tttc yfi^x bien hardis.
fTic ékUnnii^iUt du GutfcBn , MS»
13^ Histoire de France,
T mandok dans la place , aflifté de du Guefclîn , les re-
Ann. ij;7. pouflà vigoureufenient , & la nuit fuivante il brûla leurs
machines dans. une fortie. Après cet échec, le duc déf-
efpéra d'emporter la place ; il fe feroit retiré l'ur-le-
çhamp ; mais il étoit retenu par lai honte* de faufTer le
ferment qu'il avoit fait. Du Guefclin voulut lui épar-
Sner cet afront par un. expédient qui fut aprouvé des
qux partis. On convint que le duc entreroit armé
lui dixième; que fes enfeignes feroient plantées fur
les portes , pendant qu'il y demeureroit , & qu'après
cete fatisfaftion il leveroit le fiege. La convention
s'exécuta fidèlement. Le j prince vint à Rennes , y relia
quelques heures, & fe retira. A peine eut-il paffé la
porte qu'on abatit fes enfeignes , qui lui furent jetées
des murailles. Cete aâion l'indigna; mais religieux
obfçrvatQur de fa parole , il ne voulut pas en témoigner
fon reflentiment , 6c réfifla aux folicitations de fon
armée , qui bruloic :de venger cete injure faite au gé-
néral & à la nation. Edouard , habile politique , &
jaloux de la réputation de fes généraux , pour couvrir
Rym.aB.puhL l'honeur du dpc de Lencaftre , lui envoya vers le
tom.i,paruj, mêmc-tcmps un ordre de lev^er le iîege de Hennés-^ la
m* IJ7. Bretagne^ ainfi que le portent ces lettres , étant com-
f)rife daas k trêve. C'étoit s^avifer un peu tard d6
'inobfervation du traité à cet égard. Il n'étoit pas difi-
cile de s'apercevoir que dans une pareille démarche ,
l'Anglois ne confultoit que fon intérêt & la néceilité.
Ce qui fert encore mibux à démontrer le peu de fincé-
rite de cet;e conduite, c'eft que le duc de Lencaftre
n'en continua pas moins la guerre.
Saîte des . La chaîne des événements nous ramené malgré nous
^^^^1^'^*''* au fpeaacle afligeant des malheurs de la France, mal-
Froiffari. ^curs d'autaut plus déplorables , que la nation ne pou-
Grand$ chro- voit Içs imputer qu ^ elle-même. Ce crifte tableau ne
^î'^^* préfente qu'un mélange de bi&reries , de lâchetés,
d'audace , d'inconféqueRices , de foiblefle & de barba-*
ries, que Thiftoire ne peut pafler fous filence^ Se que
rhooeur de l'humanité voudroit condïiner au jplus
protond
Jean II. 137
profond oubli. La conduite des nouveaux réformateurs '*
choifîspar les Etats , ne tarda pas à faire regreter Tan- Aa»- ^^57*
cien miniftere. On reconnut fans peine que Te bien pu-
blic n'avoit été qu un vain prétexte , dont ils avoient
coloré leur ambition & leur avarice, Marcel >plus acré-
ditéj plus ambitieux & plus avide qu'aucun de fes
colegues . avoit ufurpé la principale autorité. Robert .
\ g-y /i c CL' ^ ^ \ ^ f AC Les nouveaux
le Cocq , prélat raaieux , employa tous les étorts pour réformateurs
engager une partie du clergé a fe prêter à fes vues ; f^^^^"],.^*^*
Jean de Pecquigny avoit eflàyé de féduire la noblefle: ^ /j/^,J^'
mais ces deux ordres plus circonfpeâs qu'un peuple
infenfé , né fe laiiTerent pas emporter au torrent. Ceux
mêmes d'entr'eux oui avoient été nommés pour former
avec les députés du tiers-état le nouveau confeil de
reformations dédaignèrent de partager avec de pareils
émules une autorité qui ne cherchoit qu'à s'établir fur
les ruines du gouvernement. Ils abandonnèrent à ces
tyrans fubalternes les rênes de l'Etat, perfuadés que
leur puiffance s'anéantiroit d'elle-même ; & aue pour
les détruire , il n'y avoit qu'à les laiffer agir. Il faut en
même-temps rendre juftice à la plus faine partie de la
nation : ce feroit une erreur de regarder ce grand nom-
bre de députés des bonnes villes du royaume comme
. autant de complices de Marcel & de fes adhérents : la
plupart reconnurent la méchanceté des chefs du parti ,
& s'en détachèrent ; en forte que de trente-fix réfor-
mateurs placés par les Etats à la tête du gouvernement ,
il ne s en trouva que dix ou douze , échevins & bour-
geois , la plupart de Paris, qui vouluflènt prendre part
aux afaires.
Ce fubfide , dont le peuple avoit demandé TétabliiTe-
ment avec tant de fureur, ne produifit pas ce qu'on»
en avoit efpéré. Le clergé & la noblefle fe difpensè-
rent de le payer. Le tiers -état feul y fut afliijéti. Les
chefs de la faâion , qui difpofoient de tout , avoient <
commis pour la perception de Vaidt , des gens qui leur
étoîent entièrement dévoués : ces commis recevoient des
falaires fi exceflifs , que leurs gages abforboient une
Tome V. S
138 Histoire de France,
■ partie; de Targent qu'on en retiroit : le prévôt dfes ttiar-
Ann. 1357, chands & les réformateurs convertiflbient le refte k leur
profit. Par ce moyen Marcel acumula des fommes con^
fidérables , tandis qu'il ne fe trouva aucuns fonds pour
la levée & Pentrctien des troupes. Les Farifiens eux-
mêmes commençoient a fe dégoûter de Tadminiflration
préfente. Le frère du roi de Navarre étoit rentré dans
Ëvreùx par Tadreffe de Regnaut de Granville^ qui avoit
furpris & tué le eouverneur. Les troupes Navarroifes
s'étendant vers les confins de la Normandie , faifoient
des courfes à peu de diflance de Faris , & menaçoient
dé}a cete capitale d'un voifinage dangereux : on n'avoit
point d^armée à leur opofer. Le danger ouvrit les yeux
du peuple : tous ces beaux projets d'ordre , évanouis
aufli-tôt que formés , firent tomber leurs auteurs dans
le mépris qu'ils méritoient.
^^j^^M *** Le dauphin faifit cete circonftance favorable pour
Icià icsautrcs fccouer le joug fous lequel il gémiflbit. Le prévÔ€ des
feaicux. marchands , Charles Confac , Jean Delifle , échevins ,
liidem. & jgg principaux faâieux , furent mandés au Louvre.
Le prince prenant pour la première fois l'air d'empire
convenable à fa dignité & au fang dont il étoit ibrti ,
leur déclara qu'il prétendoit déformais gouverner par
lui-même ; qu'il ne vouloit plus avoir de curateurs : il
leur défendit en même-temps ^ de fon autorité abfolue,
de fe mêler davantage des afkires du royaume^ dont
jufqu'alors ils s'étoient télement emparés^ qu'on leur
obéiflbit plus .qu'à lui. Marcel terraffé par ce difcours^
auquel il ne s^atendoit pas , n'eut d'autre parti à pren-
dre que celui de la foumiflîon. Il fentoit trop le difcré-
dit où il étoit pour olèr réfifter ^ & il fe retira confus
«avec fes partifans. L'évêque de Laon , devenu auffi
timide qu'il avoit été audacieux ^ courut auffi -tôt fe
réfugier dans fcwi diocèfe i car il voyait bien qu^il avoit
tout honni Çt gâté , dit une ancienne, chronique.
Le dauphin Peu de temps après cet éclat d'autorité , le dauphin
*^îi*" fortît de Paris, & parcourue diférentes villes du royau-
me y pour foHciter par lui-même ks fecours qu'exi*
Jean II. 139
geoit la ficuation préfente de TEtat, II y a toute aparence =!!==
qu'il tira peu de fruit de ce voyage, puifqu'il revint au *"»• *Jn«
bout de fix femaines ie remettre de nouveau entre les
mains de Marcel &c de (es complices.
Pendant la courte abfencè du duc de Normandie^ la il revient far
cabale ennemie du gouvernement, aToit fait de fèrîeu-^" Ç^^^*^^^^^
fes réflexions fur la conduite qu'elle avoit tenue. Ceux ihidem.
qui étoient à la tête de ce parti , comprirent les confé-
quences de leurs démarches : ils s'étoient trop avancés
pour reculer en sûreté. Ils prirent les mefures qu'ils
crurent les plus propres à les garantir de Torage dont
ils étoient menacés ; & après des précautions qu'ils
eurent foin de couvrir d'un voile impénétrable , ils
députèrent vers le prince, afin de l'engager à revenir
à raris , en lui faifant les ofres les plus magnifiques.
Ils lui promirent de l'argent en abondance : il ne fut
plus queftion des oficiers dont ils avoient tant de fois
exigé la deftitution, âc fur - tout ils ne lui parlèrent
plus de délivrer le roi de Navarre. Ils parurent même
avoir totalement oublié ce prince : ils demandèrent feu-
lement comme une grâce , que l'on raiTemblât à Paris
les députés de vingt ou trente villes , pour agir de con-
cert avec eux. Le dauphin , féduit par cete foumiflion
aparente , fe rendit à leurs prières , & revint à Paris.
Ce fut probablement en reconnoiflance de leur récon-
ciliation avec le prince , que les Parifiens ofrirent à
Notre-Dame une chandele de cire, de la longueur
du tour de la ville (a).
Le duc n'eut pas de peine à reconnoître, dès les
; premiers jours de fon arivée, le peu de fincérité de
•Marcel & de fes partifans. Lorfqu'il fut queftion d'exé-
cuter les promenés qu^on lui avoit faites , on lui ré-
(tf) L'autear ingénieux des eflais fur Paris conjedbire qu*aparemment cete
chandele étoit roulée : il ajoute d'après l'hiftoire de la yille de Paris , que ce
don qui fe rcnouveloit tous les ans rut fufpendu pendant les guerres de la li- «
gttc , & qu'en 1^05 , fous la prévôt éde Myron , la ville convertit le don an-
nuel de cete longue bougie en une lampe d'argent qui brûle jour & nuit de-
Tant Tautelde la Vierge, iiijf, Jg Paris, tom» 1 , pag. J4- Bj^^ kiftoriq. fur
■ Taris, tom. i ^ pag. 176.
s ij
140 Histoire de Frakce,
. pondit qu'on ne pouvoit rien décider , que les troÎJ
Awr. 1357. Etats du royaume ne fuffent affemblés. Malgré l'expé-
rience du paffé , le prince eut encore la complaifance
de faire cete convocation : le jour de Taflemblée fut indi-
3ué pour le 7 Novembre. Marcel eut auffi la témérité
'écrire en fon nom aux principales villes, & de join-
dre des lettres d'invitgition à celles du prince. Le (Jocq
balança quelque temps entre la crainte & le delîr de
revenir k Paris. Enfin , prefTé par les folicitations du
prévôt des marchands , il s'y détermina.
Délivrance du A peine l'affemblée des Etats étoit-elle ouverte,
roidcNavar- qu'on reçutla nouvelle de la délivrance du roi de Na-
ibîdtm. varre {a). Tous les gens bien intentionnés en frémi-
Spicu/cont. rent ', Marcel , l'évêque de Laon & leurs femblables
^^Wmd Li ^rî^^ph^^^'^^- Cet événement avoit été médité & exé-
tératw-e.^ ' cuté avcc toute la prudence & l'adrefle imaginables.
Mém. pour Jean de Pecquigny , gouverneur d'Artois , fuivi de
"du^rotdf^i trente hommes aarmes , ^'aprocha de nuit du château
varre^parM. d'Arleux en Pailleul , fur les frontières de la Picardie
Stcoujjt. & du Cambrefis , où le roi de Navarre étoit enfermé :
il le furprit par efcaladc , & en tira ce prince , qu'il
conduifit d'abord à Amiens. D'autres difent que Pec-
quigny furprit un ordire de Triftan Dubois , châte-
(tf) Tout ce qui concerne le roi de I^avarrc (t trouve amplement éclaire!
dans les mémoires de l'Académie , 6c principalement dans les deux volumes
compofés par M. Secouflc , dont le premier contient les faits , & le fécond les
pièces juftificatives raportées avec la- dernière exaditudc. Cet infatigable &
judicieux Académicien eft entré dans le plus grand détail ; & ne laiffe rien à
defirer foit pour le dévelopement des intrigues de ce temps , foit pour la juftefle
de fes remarques. C'eft un hommage quon eft d'autant plus flaté de rendre à la
mémoire d'un homme fi refpeâable par Tutiliré & l'importance de fcs travaux ,
au H eft entièrement conforme à la plus cxaéle vérité. Je me fais un honeur
de convenir que fcs mémoires fur la vie du roi de Navarc m'ont fervi de guide,
& qu'en écrivant^ je ne pouvois trop m*aplaudir d'avoir trouvé un pareil fc-
cours , Quoique j'euffe dcia examiné avec l'atention la plus fcrupuleufe , la
plupart des pièces originales fur lef<jueles ces mémoires font compofés. Mais
il m'étoit échapé quantité d'obfervations que la pcrfpicacité de ce içavant lité-
^ ratcur a fidèlement faifics. Je déclare donc une feis pour toutes, que lorfqu'il
eft qucftion du roi de Navarre , je fais le plus fréquent ufage des mémoires de
M. Secouflc , qui lui-mcnic ne parle que d'après tous nos anciens hiftoricns,
les chroniques les plus curieufes, tant imprimées que manufcritcs, 6c les rc-
giftres des chartres du parlement 5c de la cnambre des comptes.
Jean II. 141
lain d'Arleux, à qui la garde du Navarrois avoit été !
confiée , & qu'avec cet écrit il fe fit remettre le roi Ann. 1357.
prifonnier. Quoi qu'il en foit , la fortie de ce roi vint
mettre leconible aux défordres qui agitoient le royaume.
Vingt mois d'une étroite captivité , loin d'adoucir liîd<m.
la férocité de Charles le mauvais , n'avoient au-con-
traire fervi qu'à redoubler fa haine implacable. Auffi-
tôt qu'il fut entré dans Amiens , il ht affembler les
habitants; & dans une harangue prononcée publique-
ment, il fe plaignit du gouvernement, & de la rigueur
avec laquele on l'avoit traité' durant (a détention. Aten-
tif à fe procurer l'atachement de la. plus vile populace ,
il fit ouvrir toutes les prifons , tant des juflices féculiè-
res qu'écléliaftiques.
Les partifans qu'il avoit à Paris ne furent pas plutôt Le toi de Na-
aifurés de fon évafîon , qu'ils préparèrent toutes chofes J*™ ^^^'^^ *
pour lui concilier l'afeâion des Parilîens , & lui mé- "^
nager une réception éclatante dans la capitale. Ils ne
s'en tinrent pas-là. Fecquigny , le Cocq & Marcel alè-
rent trouver le dauphin , non plus avec une feinte fou-
miiïion , mais avec la hardieile qu'infpire le fuccès :
ils demandèrent pour le roi de Navarre le fauf-conduit
le plus ample ; & le prince étonné de ce revers , & de
leur audace , n'eut pas la force de leur refufer une chofe ,
qui d'ailleurs n'étoit plus en fon pouvoir. Dès ce mo-
ment l'évêque de Laon fe mit à la tête du confeil du
duc , fans s'inquiéter de fon agrément. Ce prélat diâoit
lui-même & prononçoit toutes les réponfes du dau-
phin , qui fe vit tout d'un coup à la merci des f<^di-
tieux. Le Navarrois ayant reçu le fauf- conduit , s'a-
vança vers Paris , efcorté de plufieurs habitants d^A-
miens , & fur- tout de cete ft>ule de fcélérats , dont il
venoit de brifer les fers. Sur fa route il haranguoit
les habitants des villes & des bourgades par lefqueles
il paiToit- A fon aproche , la plupart des députés des
villes y principalement des provinces de Xlhampagne &
de Bourgogne , qui étoient à Paris pour ralTemblée des
Etats , fe retirèrent avec précipitation , ne voulant pas
142 Histoire de France,
T feulèacnent être feupçonnés d'avoir contribué k fa déli-
Ann, 1/57. vrance. L'évêque de Paris, Jean de Meulant, acom-
paçné de deux cents perfonnes , ala au-devant de lui .
julqu'à S. Denis. Jean de Pecquigny , le prévôt des 1
marchands & les échevins, vinrent encore groflir lef 1
cortège avec lequel il fit fon entrée, aux aclamations
publiques. Il traverfa la ville, & defcendit à Tabaye
Saint Germain -des -Prés , où (on logement avoit été
préparé. Le dauphin , témoin de cet acœuil , fîit obligé
de dérober à la connoiflance du public les mouvements
de fon indignation.
Il harangua le Le lendemain de fon arivée , Charles le mauvais fit
rrSuxS«^^^^^ inviter les habitants de Paris de fe rendre dans le Pré-
mdim. aux-Clercs, près de Tabaye Saint Getmain-des-Prés,
Ce même jour , environ à P heure de vêpres , il motità
fur un échafaud dreffé contre les murs de Tabaye. Cete
.échafaud fervoit ordinairement à nos rois , lorfqu'ils
afiiftoient au fpeâacle des combats en champ clos , qui
fe faifoient dans des lices qu'on préparoit cmns ce pré«
Il s'y trouva plus de dix mille perfonnes : le duc de
Normandie lui-même étoit préfent. Le roi de Navarre,
oui xie laiiToit échaper aucune ocafion de faire briller
ion éloquence , prononça un long difcours. Il choifit
pour ion texte ces paroles du dixième pfaume : Jufius
Dominus , &jujlitias dilexit : œauitatem vidit vidais gus.
La préfence du dauphin Tempécha de rien dire contre
lui , du-moins ouvertement j mais , fuivant une ancienne
chronique , en fe plaignant des oficiers du roi êc du prin-
ce, // dk d'eux des chofes ajfe[ deshonnétes & vilaines par
paroles couvertes. Après avoir parlé des violences «qu'on
lui avoit fa.ît foufrir , dont il fit une peinture fi tou-
chante, qu'il aracha, dit-on, les larmes de fes audi-
teurs ; il protdla qu'il vouloit vivre & mourir pour la
dé&nfe du royaume de France. Il infinua da^s fa ha-
rangue ,^ue s'il s'agifToit de r^vendiouer la couronne,
il lui étoit aiiîé xle prouver que fes droits étoient plus
inconteftables que <reux de qui que ce fût. Il dâfignoit
par -là, quoique d'une manière indireâe, les préten-
J * £ A K ï L 1^43
rions du roi d'Angleterre. Cete partie de fon difcours , •>
raportée à Edouard, ne fut pas un des moindres mo- Ann. 1357.
tirs qui empêchèrent ce prince de fournir jamais au
Navarrois d'alFez puifTants fecours pour lui aquérir une
fupériorité décidée. Le peuple avide de nouveautés ,
écouta la harangue avec une latisfaâion incroyable.
Marcel , k qui ces premiers fuccès avoient infpiré Marcel & les
une nouvele audace , ala trouver le dauphin au palais , ^ccnt^l^JZ^
& le pria de vouloir rendre juftice au roi de Navarre phb devoir le
fur les griefs dont il fe plaignoit. Uévêque de Laon , ^^^ç^j^.*^"^^
oui pour lors étoit préfent, répondit au nom du duc , der fcs'dema^
fans atendre qu'il l'en chargeât : Que non - feulement <i«.
Monfeigneur rendroit juftice au roi de Navarre , mais i***»»-
qu'il agiroit à fon égard avec grâce Sf courtoijie j Çt
comme un bon frère doit agir av€c fon frère. Le dau-
phin y toujours obligé de cédor aux importunités d'un
confeil entièrement dévoué à fes ennemis , confentit
par complaifance à une entrevue avec le roi de Na-
varre j elle fe fit dans l'hôtel de la reine Jeanne : il s'y
rendit y acompagné d'un petit nombre de fergents ^
qui compofoient fa garde ordinaire. Le Navarrois y
vint avec une nombreufe fuite d'hommes armés y qui
obligèrent les fergents d'armes du duc do (è retirer y &
fe placèrent en même -temps devant la porte de la
chambre où les deux princes fe virent. On peut croire
que leur difpofition mutuele , & la diverfîté de leurs
intérêts ne donnèrent pas lieu à un entretien fort libre :
ils fe débarafTerent de cete contrainte y le plutôt qu^iU
purent y en fe féparant.
Le confeil du dauphin étoit difpofé k facisfaire le
roi de Navarre fur toutes fes demandes : on les exa^*
mina feulement pour la forme. Quelques membres du
confeil y qui n'étoient pas vendus à la cabale- , voulu<-
rent faire des repréfentations ; mais la pluralité der
voix l'emporta. Le prévôt des marchands voyant que^
le duc témoignoit quelque répugnance à fe d^étermi^
ner , lui dit : Sire , faites amiablement au roi de N^xr^
varre ce qu^U vous requiert ; car il convient qu^il fait
144 Histoire de France.
l ainji. Il fut donc décidé que tous les chefs de demande
Ann. I3J7, fçroîent acordés ; que le duc de Normandie donneroic
des lettres d'abolition pour Charles & pour tous fes
adhérents ; qu'il feroit remis en poffeflion de cous fes
biens , terres & fortereflës ; que les corps du comte de
Harcourt , des feigneurs de Graville , de Mainemars
& Doublet , exécutés à Rouen , feroient détachés du
gibet y &. rendus à leurs parents ou à leurs amis,
pour être inhumés honorablement ; que leurs biens
feroient refticués à leurs héritiers. A l'égard des fom-
mes que le Navarrois prétendoit lui être dues , & des
dédommagements qu'il demandoit , la difcuffion en
fut remife à la prochaine affemblée des Etats ^ qui
devoit fe tenir le 15 Janvier fuivant.
Délivrance de Mais ce qui mit le comble à Toprobre d'un traité
tous les prifon- que la contrainte où fe trouvoit alors le dauphin ,
"'rr^/lJ*!! j pouvoit feule juftifier , ce fut la dernière condition
Ckart.reg.zl\ qu'cxigca Ic roi de Navarre. Il voulut que toutes les
pièce ^^i^. prifons de Paris fuffent ouvertes : fon cœur acoatumé
au crime , fe trouvoit flaté que tous les fcélérats lui
euflènt obligation de Pimpunité de leurs forfaits. Le
dauphin , malgré fon amour pour la juftice, fut con-
traint dc; faire publier une déclaration , par laquele ,
en confidération du roi de Navarre qui Ten avoir
f)rié , il ordonnoit au prévôt de Paris de donner la
iberté a tous les prifonniers , larrons , meurtriers ,^
y> voleurs de grands chemins j faux monnoveurs , fauj^
yyfaircs, coupables de viol ^ raviJJeurs de femmes , per^
yy turbateurs du repos public, ajjajjins , Jb^
yy cieres , empoifonneurs yy , &c. Ce fut le Navarrois
lui-même qui donna la lifte de tous ces crimes. On
Uii.reg.Zo^ expédia des pareilles lettres adreffées à l'abé de Saint-
puce loo. Germain -des -Prés pour la fortie des criminels déte-
nus dans les prifons de fa jurifdidion. Ceux qui étoient
arêtes pour les dettes du roi , furent compris dans cece
délivrance : à Tégard des prifonniers pour dettes par-
ticulières , il étoit enjoint au prévôt de Paris & aux
autres chefs des diférentes jurifdiâions ^ d'engager les
créanciers
J X A » I I. 141 -
créanciers à confentir à leur élargiflemcnt , faute de '
quoi il y feroit pourvu d'une autre manière. Ann. 1357-
Le roi de Navarre féjourna quelque temps encore k LcNavarrois
Paris. Le dauphin & lui fe virent (ouvent, & mangé- îoKpoiftn'.
rent piufieurs fois enfemble , tantôt au palais , tantôt né le duc de
chez la reine Jeanne , ou chez I^évêque de Laon. On a Normandie.
cru que ce fut dans un de ces feftins que Charles le ^^^^^^
mauvais trouva le moyen de faire prendre au duc un
J>oiibn fi violent , que malgré la promptitude avec
aquele il fut fecouru , il perdit les ongles & les che-
veux , & conferva toute fa vie une langueur qui en
avança la fin. Quelques-unes de nos anciennes hiftoi-
res , teles que celle de Chrifline de Pifan , raportent
cete aâion exécrable , fans en marquer précifément les
circonflances , & fans fixer le temps où elle fut com-
mife. Lorfque fous le règne de Œarles VI , on com-
mença les inflrudions du procès criminel intenté con-
tre le Navarrois , il ne fut point queflion de cet em-
poifonnement. Il y a toute aparence qu'il avoit pris
des mefures fi sûres & fi fecretes , qu'on ne put tor-
mcr contre lui que de violentes préfomptions.
Lorfque Charles le mauvais le préfenta devant les Le roî de
places qui dévoient, fuivant l*acord, lui être reflituées, Navarre lève
ff^j -1 !• r r Ji des troupes.
la plupart de ceux qui les gardoient, retulerent de les jUd.
remettre , & répondirent que ces places leur avoient été
confiées par le roi , & qu*ils ne les rendroient qu'à lui-
même. Ce refus fervit de prétexte au Navarrois pour
fe plaindre de l'inexécution des pronieflcs qu'on lui
avoit faites , & pour lever des troupes , dans Tunique
intention , difoit-il , de fe faire rendre juflice par la
force des armes. Avant que de partir de Paris , les chefs
de la fadion lui avoient, remis des fommes confidéra-
bles. Les gouverneurs de places qui tenoient pour lui
en Normandie , Tétoient venu trouver à Mantes , où
il eut avec eux une conférence fecrete , dans laquele
il leur donna des inflruâions fur la conduite qu'ils
avoient k tenir.
L'acœuil que les Farifiens avoient fait au roi de
Tome V. T
i4<? Histoire de France,
! Navarre , & le crédit donc il jouïflbit dans cete ville ,
Ann. 1357. ne purent jamais engager Philippe de Navarre fon
N^vS Kfu- fr^^^ ^ ^^ fi^^ ^ ^^^^ faveur populaire , foit qu'il con-
fc de venir à nût le peu de fond qu'on doit faire fur une multitude
^^" u* Tfti^ i^co^^^^^ 9 f^^^ 4^'" ^^ jugeât pas à propos de s'ex-
lités. pofer en même - temps que fon frère aux coups que
Froîjfard. Icurs ennemis communs pouvoient leur porter. Il
SpiciLcontin. répondit à toutes les folicitations qu'on employa
pour l a tirer à Jraris , que en communautés il ny avoit
nul certain arrêt fors que pour tout honnir. Il eut même
fî peu d'égard pour l'acord qui avoit été conclu, que
fes troupes s'avancèrent jufqu'à quatre ou cinq lieues
de Paris du côté de Trappes & de V illepreux , s'em-
parèrent de plufieurs forterefles , & ravagèrent dix ou
douze lieues de pays, prirent Maule Jiir Mauldre qu'elles
fortifièrent , & dont elles firent une place d'armes ,
d'où elles continuoient leurs courfes. Pierre de Villiers,
chevalier du guet, fortit de Paris avec quelques trou-
pes formées des gens de la ville & de la vicomte,
pour fepouffer les Navarrois ; mais il rentra fans avoir
feulement rencontré les ennemis. Les habitants des
campagnes fituées de ce côté-là , vinrent fe réfugier
à Paris.
Le dauphin Le dauphin touché de ces ravages , voulut fe mettre
afTcmble des g^ ^tat d'y remédier ; il donna fes ordres pour affem-
"Trirt MS. ^^^^ ^^^ hommes d'armes. Les faâieux crurent que
' cet armement fe préparoit contre eux , & firent plu-
fieurs repréfentations au prince , lui donnant à enten-
dre que les Parifiens étoient alarmés des troupes qu'il
vouloit introduire dans la capitale. Il eut beau les
affurer de la droiture de fes intentions ; rien ne put
calmer leurs inquiétudes. Ils firent garder les portes
de la ville , avec ordre de ne lailier entrer aucun
homme armé , s'il n'étoit connu. Le Navarrois armoîc
de fon côté , & ces préparatifs annonçoient déjà toutes
les horreurs d'une guerre civile,
chapcronsmi- Enfin Marcel & fes complices trouvant encore
Scrféditfcwf trop de contrainte dans le foible ménagement qu'ils
Jean II. 147
avoient confervé jufque-Ià pour le gouvernement, .'
réfolurent de fe déclarer ouvertement, en donnant à Ann. 1357.
leur parti un caraâere d'indépendance & de révolte J^j^^- ^?'*'"'-
déclarée. Il fut réglé que pour s'unir plus étroitement ^ Fto^^d.
& fe reconnoître , ils prendroient une marque vifible Grande ckro^
qui leur ferviroit comme de fignal de raliement, Cete '''^*'*
marque étoit un chaperon ou càpuce mi-parti de drap
rouge & pers {a). A ces chaperons ils ajoutèrent des
fermails (A) d'argent mi -partis d'émail vermeil &
aizuré, avec cete infcription, à bonne fin ; & ils éri-
ferent une confrairie fous l'invocation de Notre-Dame.
(Orfque les faftieux eurent arboré ce figne de confé-
dération , on ne vit plus dans Paris que chaperons & .
fermails mi-partis : ceux mêmes qui dans le fond de
leurs cœurs condanoient ces coupables excès , furent
obligés d'en porter de femblables. L'Univerfité dans $Jir*ïï^^^
cete conjondure donna des témoignages d'une fidélité ^^ p^^ run?-
dont il eft étonnant que nos hiftoriens modernes ne vcriité.
fafTent aucune mention : le redeur de ce corps, alors ^'J^^^^^ ^*
très confidérable par l'afluence des étudiants qui s*y paille. ^*
rendoient de prefque toutes les provinces du royaume
& des Etats voifms , défendit par un mandement à
toutes les perfonnes académiques de prendre aucunes
marques de fadion.
Tandis que ce qui fe paflbit à Paris annonçoit Le roi Je Na-
une révolution prochaine; le roi de Navarre étoit à î^*mémo1rcdM
Rouen. Il donna dans cete ville un fpeâacle bien feigneurs cxé-
propre à réveiller dans tous les efprits le méconten- cutésàRoucn.
(jo) Le chaperon étoic une cfpece d'habillement de tête , à«pett-près femblable
aux capuces de nos religieux.
Le pers étoif d*une couleur d'un bleu tirant fur le vert. Du Congé ad verbum
Perfus.
{h) Le fermail ^toit une forte d*agrafe avec laquele on atachoit le manteau
fous le cou ou fur la poitrine. Les hommes & les femmes s'en fervoient éga-
lement. Les fermails écoient ordinairement d'or ou d'argent enrichis de pierres
précieufes.
» La reine Clémence femme de Louis Hatin » dans fon teftament , laiffa au
•M comte d'Alençon le meilleur fermail qu'elle eut en France <<. Dans FroiiTard.
» Et fi eut pour le prix un riche fermail à pierres précieufes que madame de
»? Bourgogne prit en fa poitrine ««• Glojf, au mot Fermeilletum.
148 HisToiRï DS France,
cernent que la trop grande févérité du roi avoit excité*
Ann. 1)57. Le lendemain de Ion arivée, il envoya recœuillir les
Ckron.MS. reftes des feigneurs exécutés lors de Ion emprifonne-
Spiciicontin. r\ 11 J '^ j tt I
deNang. ment. On ne trouva plus le corps du comte de Har-
Froiffard. court' que fa famille , fuivant toute aparence , avoit I
Iranctf*^ ^^ enlevé fecrétement. On détacha les corps des trois
autres gentilshommes dont les têtes avoient auffi dif-
paru : après les avoir enfevelis , on les plaça dans des
cercŒuils. Lorfque ces funèbres aprêts furent ache-
vés , le roi de Navarre à cheval , fuivi d'une multi-
tude de peuple , ariva au gibet. On avoit préparé trois
chars , fur le ^premier defquels étoient les corps de
Mainemars & de Doublet , qui n'étoient pas encore
chevaliers. Ce char étoit fuivi de deux écuyers por-
tant deux écuflbns, fur lefquels on avoit peint les ar-
mes des défunts. Le fécond char qui portoit le feigneur
de Graville chevalier , étoit acompagné de deux hom-
mes à cheval , tenant en leurs mains deux banieres
de fes armes, & de deux autres conduifant deux che-
vaux armés , Tun pour la guerre & Tautre pour le
tournois. Cete marche lugubre étoit terminée par le
troifieme char , fur lequel on avoit pofé la repréfenta-
cîon du comte de Harcourt : des chevaux diverfemenc
armés étoient conduits à fa fuite par des valets en
deuil. Les parents & amis de ces gentilshommes ef*
cortoient le convoi , ainfi que le roi de Navarre. La
f)ompe funèbre s^arêta dans le champ du Pardon , où
'exécution avoit été faite. Après avoir chanté les vi-
giles des morts , tout le cortège prit la route de
Kouen , & entra par la petite porte au château , pré-
cifément à l'endroit où ces feigneurs avoient été mis
dans des charetes pour être conduits au fuplice. Alors
on tira des chars les cercœuils qui furent portés par
des chevaliers jufqu'k la cathédrale , puis expofés dans
une chapele ardente de trente - fix pieds de long.
Tous les piliers de Pé^life étoient revêtus de velours
noir , & femés d'écuilons chargés des armes de ces
feigneurs.
T E A N I I. • 149
Le lendemain le peuple s'afTembla dans la place de
S. Oiien : Charles parut aune fenêtre au-deffus de Ann. 1317,
la porte de cete abaye. Là il prononça une harangue
dont j le texte étoit , Innocentes & reSi adhœferunt mihi,
les hommes innocents & jufles fe font atachés k moi.
Il répéta fes déclamations ordinaires contre le gouver-
nement , & iît en termes magnifiques Téloge des
quatre feigneurs, qu'il compara aux martyrs. La po-
pulace féduite par fon éloauence s'atendrit & l'admira,
il fe rendit enfuite à leglife de Notre-Dame où les
corps des gentilshommes avoient été laides la veille :
on leur donna la fépulture (a) après aue Tévêque
d'Avranches eut célébré un fervice folennei pour le re-
pos de leurs âmes. Le foir même , le Navarrois donna
un fuperbe feftin où il admit les bourgeois les plus
acrédités , dont le principal étoit un marchand de vin ^
maire de' la ville. Dans le même temps qu'il prodi-
guoit aux habitants de Rouen ces témoignages de fa-
miliarité, les troupes de fon parti brûloient Couronne,
maifon fuperbe apartenante au duc de Normandie ,
(ituée à trois lieues de la ville.
Le dauphin cependant faifoit tous {es éforts.pour Lc dauphin
fe délivrer de la tyrannie fous laquele il gémiflbit. I)ans harangue ic
la vue de s'atirer Tafeftion du peuple , il fit avertir ^^^^î?'
les Parifiens qu'il fe rendroit aux haies pour leur '^'^'
expofer lui-même fes intentions. Envaîn Tévêoue de
Laon & le prévôt des marchands voulurent-ils le dé-
tourner de ce deffein ; il fe rendit acompagné de peu
gens au lieu indiqué. Une pareille démarche fit im-
preflion fur la populace : une multitude innombrable
atendoit le prince. Il aflura les habitant» de Paris qu^il
vouloit vivre & mourir avec eux ; qu'il n'avoit raflëmblé
des troupes que pour les défendre^ qu'il auroit déjà
repouITé les ennemis qi^i faifoient des courfes dans les
environs , s'il en avoit eu le pouvoir ; mais que les
(a) Ils furent inhumés dans la chapele des Innocents , aujourd'hui nommée
la chapelle de faint Romain , où Ton voit encore leurs heaumes. Hiftoirt de
Iformandît raponit par M. Hicoujfe^ Mém. de iittén pag* 18^»
i«jo .Histoire de France,
■ adminiftrateurs chargés par les Etats de l^emploi des
Ann. i}57. £nances , s*en étoient emparés dans le deffein de les
détourner à leur profit particulier ; qu*il efpéroit ce-
pendant les forcer un jour à rendre compte d'une con-
duite fi préjudiciable au bien du royaume. Ce difcours
fut reçu avec un aplaudiffement général. Tous furent
pénétrés de voir Tnéritier préfomptif de la couronne
le juftifier en quelque forte devant fes fujets & les
prendre pour juges de fes aâions : le prince dans cete
journée gagna tous les cœurs , à la réferve des faâieux
atachés au prévôt des marchands
Les panifans Marcel érrayé de ce changement , eflaya de ramener
de Marcel ha- le peuple : pour cet éfet il le fit aflemoler le lende-
'cu^?c'^à kur ^^^^ ^ ^' Jacques de Thôpital. Le duc de Normandie
tour^. ^ * ^"' informé de cete démarche , s'y reàdit au(fi-tôt. Il ne
ilndem. parla pas lui-même au peuple ; mais Jean deDormans^
chancelier du duché de Normandie , répéta les mê-
mes chofes à- peu- près que le prince avoit dites la
veille , & toute raliemblée parut l'écouter avec fatis-
fadion, Lorfqu'il eut ceffé , Charles Confac échevin
voulut prendre la parole : mais il en fut empêché par
un murmure univerfel. Le triomphe du duc étoit com-
plet : il fe retira. Dès qu'il fut parti , les émiflkires du
prévôt & de Tévêque de Laon répandus parmi la mul-
titude , firent tant qu'on voulut bien entendre l'orateur.
Confac recommença fon difcours dans lequel il dé-
clama beaucoup contre les oficiers du duc. Après cete
première harangue Marcel prit la parole pour afirmer
avec ferment que l'argent du fubfixle n'avoit été tou-
ché, ni par lui, ni par aucun des députés choifis par les
Etats. Un avocat nommé Jean de S. Onde , l'un des
généraux des aides , déclara que la plupart des fom-
mes qui provenoient de l'impofition , avoient été mjd
employées, & qu'il en avoit été délivré k plufieurs
chevaliers par ordre du duc de Normandie iufqu'à
cinquante mille moutons d'or (a), ainfi qu'il étoit
• (a) Le moacon d'or étoit une pièce de monnoie fur laqucle il y avoit Tem'-
preintc d*ua agneau avec cete infcription , Agnus Dti ^ gui tollis ptccata mun^
J E A N I I. ï^t
prouvé par les rôles. L'échevin Confac revint en- "*"" !
core à la charge : il fit Téloge de Marcel préfent , Ann. 1357.
alTura qu'il n avoit rien fait jufqu'à ce jour que pour
le bien commun, & que fi les Parifiens ne foutenoient
pas leur prévôt des marchands , il feroit obligé de cher-
cher un afyle pour fe fouftraire au danger évident qu'il
avoit encouru en travaillant pour le falut public. A
ces mots cete multitude inconftante , fi favorable au
dauphin un moment auparavant , . enibrafla avec la
même facilité le parti opofé : les auditeurs s'écriè-
rent unanimement, que Marcel avoit raifon , & qu'ils
lé défendroient contre tous. Ce fut ainfi que fe termina
cete fcene ridicule , où l'on vit le fouverain plaider
lui-même fa caufei en préfence du peuple contre des
fujecs audacieux, & h plus grand mal fut qu^il ne /^ if P. D^wW,
gagna pas. hifi.de France.
Au milieu de ce tumulte, les députés des Etats Etats à Paris.
s'étoient rendus à Paris vers les fêtes de Noël. Il n'y Froijfard.
afiîfta que. des gens du tiers - état & quelques éclé- cûonhul^^c.
fiafliques. La noblefTe dédaignoit de fe trouver à ces
afièmblées , où la principale autorité étoit devenue le
fartage de ceux qui auroient dû le moins y prétendre.
1 ne fut rien décidé : on convint feulement de fe raf-
fembler vers la mi- carême. En atendant on ordonna
par provifion une fabrication de monnoie plus foible
que la précédente , & Ton convint que le duc de Nor-
mandie auroit pour fa dépenfe particulière la cinquiè-
me partie du profit qui en proviendroit , les quatre
autres étant réîervées pour les frais de la guerre.
Les troupes que le pj-ince avoit mandées ariverent surprîfc & pil-
à Paris & aux environs : elles pouvoient compofer un ^^8^ d'Etam-
corps de deux mille hommes d'armes. Les deux ^"/^/^^«.
reines Jeanne & Blanche employoîent toujours leur
médiation pour acorder le dauphin & le roi de Na-
varre: Jean de Pecquigny & les partifans du Navarroîs
di , mftrert nobis ; & fur le revers une croîi avec ces mots , Chrifius vincit i
Chrifiut régnât « Chrifius imperat. Il y avoit cinquante-deux pièces dans uo marc
d*or fin. Vu Cange ^ gloff, ad yerb. Muttones.
1^2 Histoire de France,
! foutenoîent hautement les intérêts de ce prince. Les
Afln. I3J7. ennemis cependant continuoient leurs brigandages. Le
jour même du mariage du comte d'Etampes avec Jeanne
fille de Raoul comte d'Eu , connétable de France , dé-
capité au commencement de- ce règne , les Navarrois
qui s*étoient cantonnés dans le pays Chartrain, fur-
prirent Etampes qu'ils pillèrent, & emmenèrent quan-
tité de prifonniers.
Aflaflînat du Un incident qui paroiflbit devoir être de peu de confé-
dauphin. " quence , manifefta plus que jamais Tefprit de révolte
& d'indépendance qui régnoit alors. Un miférable
valet de changeur nommé rerrin Marc , aflaflina d'un
coup de couteau Jean Baillet tréforier du duc de Nor*
mandie : il commit cet afTaflinat dans la rue neuve S.
Merry , & fe réfugia dans l'églife du même nom. Le
duc informé de ce meurtre commis en la perfonne d'un
de fes oficiers auquel il étoit fort ataché , donna ordre
k Jean de Châlons maréchal de Champagne , d'aler
fur-le-champ fe failir du coupable. L'ordre fut exé-
cuté. Le maréchal acomp^né de Guillaume Staife pré-
vôt del^aris ôc de plufieurs hommes armés, fe rendit
à S. Merry , dont il fit brifer les portes. Perrin Marc
fut araché de l'églife , traîné au Châtelet, & le lende-
main pendu en préfence du peuple , après avoir eil
le poing coupé au lieu même où il avoit commis le
crime. Ce fcéléràt étoit clerc écléfiafiiquc. L'évêque
de Paris réclama le droit des francHifes & le privi-
lège de la cléricature , qu'il prétendoit avoir été vio-
lés dans la jufte exécution d'un aflaflîn digne du der-
nier fuplice. Il falut détacher du eibet cet infâme &
le raporter dans l'églife de faint Merry : on lui fit des
funérailles folenneles auxqueles fe trouvèrent le prévôt
des marchands & quantité de bourgeois de Paris , le
jour même que le prince affifta au fervice de fon
tréforier.
Le dauphin , dans la vue d'intimider les faâieux
en leur annonçant le prochain retour du roi, avoic
fait répandre dans le public qu'on étoit à la veille
dua
J E AN II. 1^3
d'un acommodement , & que le projet de paix aporté
depuis peu de Londres par le comte de Vendôme & Abu. mît^
l'évêque de Térouane , nouveau chancelier nommé
à la place de Pierre de la Foreft , contenoit des pro-
pofîtions fi modérées , qu'il nV avoît pas lieu de dou-
ter qu'on n'obtînt dans peu la délivrance du monar-
que. Mais les ennemis du gouvernement, ^ui parieurs
liaifons fecretes avec l'Angleterre étoient mformés de
ce qui fe pafToit à Londres , ne rabatirent rien de
leur préfomption. Jean de Pecquigny étant venu à
Paris comme député du roi de rïavarrc , fe plaignit
de Finexécution de plufieurs articles du dernier traité.
Cétoit en préfence des reines Jeanne & Blanche &
de plufieurs du confeil , que le duc de Normandie
donnoit audience à Pecquigny. Lorfque le député eut
fini fes reproches , le prince fléchit un genou devant
les reines , qui le relevèrent promptement & le fi-
rent afleoir auprès d'elles. Après cete cérémonie il
afirma qu'il avoit exadement rempli le traité, &• que. •
fi quelqu'un en état de lui répondre ofoit foutenir le
contraire , il étoit prêt à lui en donner le démenti ;
mais que Pecquigny n'étoit pas d'un rang à pouvoir
relever ce défi ; que cependant s'il perfiftoit , il y avoit
dans fa cour des chevaliers qui combatroient contre
lui. L'évêque de Laon toujours partial , toujours im-
Eudent , rompit l'entretien en difant que monfeigneur
î duc aurait avis fur les demandes du roi de Navarre :
ou'il confulteroit fon confeil & rendroit une réponfe
fatisfaifafite.
Quelques jours après , les Parifiens , que le Cocq , Députitioa
Marcel & leurs partifans , ne ceffoient d'animer , adref- '^"/^'^^^hi"*
ferent une députation folennele au duc de Normandiç *^ ^"^ ^°'
pour rengager k fatisfaire le Navâffois. Frère Simon
de Langres , maître de V ordre des Jacobins [ général de
l'ordre de S. Dominique] écoit à la tête des députés,
au nom defquels il parla. Ce religieux eut la hardiefle
de dire au prince que lui & fes colegues s'ccoient afiem-
blés & avoient délibéré que le roi de Navarre fcroiç
Tome F. V
Ann, i^sj.
154 Histoire de France,
toutes fes demandes en une feule fois , & qu'auffi-tôt
qu'il les auroit faites , le duc feroit tenu de lui remet-
tre toutes fes forterefles , & qu'enfuite on lui ren-
droit juftice fur fts autres demandes. Après cete auda-
cieufe harangue le Jacobin fe tut, & n'ofa achever ce
3u'il s'étoît chargé de déclarer. Alors un religieux
e fAit Denis , prieur d'Effone près de Corbeil , prit
la parole , & s'adreffant k Simon de Langres : J^ous
nouvel pas tout dit j s'écria- 1- il. Il fe tourna enfuite
vers le duc & lui fignifia fans détour , qu'ils étoient
unanimement déterminés à fe déclarer , ou contre le
roi de Navarre , ou contre lui-même , s'ils refufoient
l'un ou l'autre de fe foumettre à ce qu'ils avoient réglé*
C'étoit le comble de Thumiliation pour la majefté
fouveraine , que de fe voir fi indignement outragée
par deux moines rebeles.
Nouveaux Tant d'excès n'étoient encore que le prélude des
pTris*-^a(ïkffi! ^^^^^^^ qu^ méditoit la fureur de Marcel & de ks
^ '^ complices. Le jeudi 22 Février il fit affembler la plu-
f>art des gens de métier de la ville aux environs de
'églife de faint Eloi où eft aujourd'hui fituée la mai-
fon des Barnabites. Fendant que cete populace armée
arivoit au rendez-vous , Regnaut d'Acy avocat-général
retournant du palais k fa maifon près de l'églife de
faint Landry , fut ataaué & pourfuivi jufqu'à l'églife
de la Madeleine. On l'ateignit dans la boutique d'un
pâtiflier où il s'étoit réfugié : il fut à Tinftant percé de
coups , & mourut fur la place. Le prévôt des mar-
chands à la tête des féditieux marche aufli-tôc* vers le
palais, monte les degrés , entre dans la chambre du
dauphin , qui parut éfrayé en voyant cete multitude
qui rempliflbit fon aoartement. Èire , dit Marcel, ne
vous csbahijfés de chojc que vous voyés , car il cji or-'
donné , Çf convient qu^il foit ainji. Se tournant enfuite
vers fes fergents. Allons ^ continua-t-il , faites en bref
ce pourquoi vous êtes venus ici.
A peine eut- il ceffé de parler que ces furieux fe
jetèrent fur les maréchaux de Champagne & de Nor-
Paris : aflafli
nat de deux
feieaears en
prélcncc du
dauphiu.
Ibidem.
J E A N I I. ï$$
mandie. Le premier qui écoit le feigneur de Conflans^ *
eft à Tinflanc maflacré en préfence du dauphin : fon Aiui.,x}57«
fang même rejaillit fur le prince. Robert de Clermont,
le lècond de ces deux infortunés feigneurs, fe fauve
dans une chambre de retrait * , voinne de Taparte- * CMme.
ment du duc : on le fuit & dans le même moment il eft
immolé à la rage de ces fcélérats. Tous les oficiers du
prince épouvantés de ces fanglantes exécutions , fe dif-
perfent & fuient. On dit qu'en cete horrible extrémité ,
abandonné de tout le monde , feul , à la merci d'une
troupe de forcenés , le prince s'abaifla jufqu'à deman-
der la vie à Marcel , qui lui dit : Siré , vous n^aye[
garde*. Le prévôt en même- temps ôta fon chaperon *N*ayeipas
mi-parti , fignal de la faâion , qu'il lui donna , &: prit p^'^-
le chaperon du dauphin , qui étoit de brunette noire
avec un orfroi * d9r , dont il fe para le refte de la * Frange.
journée comme d'un gage de fon triomphe.
La fcene n'étoit pas finie : il falut encore que le dau-
phin vît traîner devant lui les corps des deux feigneurs
mailàcrés : on les roula le long àts degrés du palais
jufqu'à la pierre de marbre fous les fenêtres de l'apar-
tement du prince , où ils demeurèrent le refte du jour
expofés aux regards & aux infultes de cete lâche &
vile multitude , fans que perfonne osât les enlever.
Sur le foir on ks porta par ordre du prévôt des mar-
chands à fainte Catherine du Val -des -Ecoliers, Les
religieux de cete maifon firent dificulté de leur don-
ner la fépulture fans un ordre précis de Marcel , qui
voulut marquer une forte de déférence en répondant
qu'il n'y avoit qu'à fe conformer aux intentions de M.
le duc. Ce prmce confterné répondît qu'on n'avoit
qu'à les entérer fans folennité. Lorfau'on aloit leur
rendre ce dernier devoir , l'évêque de Paris fit dé-
fendre fous peine d'excommunication , de donner la
fépulture à Robert de Clermont , qui étoit morç ex-
communié pour avoir tiré avec violence Perrin Marc
del'églife de S. Merry. On prit le parti de les enterrer
feerétement , ainfi que Régnant d'Acy , tué le même
V ij
15^ Histoire db France,
-" jour. Ce trifte fervice fut rendu par deux pauvres vâ-
Anii, XJ77. lefs^ qui pQuj. leuj. falaire emportèrent le manteau d'uû
des deux maréchaux.
c^tT ^^"^^*° Marcel enhardi au crime par la facilité qu*il trou-
prouvcHacon" ^oît à le Commettre , s'étoit rendu à Thôtel de ville ,
duitc de Mar- acompagné des barbares exécuteurs de fes volontés.
Une foule de peuple rcmpliflbit la place : il parut à
Tune des fenêtres de rhôtel. Là il dit que tout ce qui
venoit de fe faire étoit uniquement en vue du bien du
royaume ; que les feigneurs immolés étoient faux ,
mauvais , Sf Jraîtres & qu'il étoit néceflaire que le
^ peuple le foutînt contre les fuites que pouvoit produire
une aâion à laquele il ne s'étoit porté que pour le fa-
lut public. La place retentit aufli-tôt d'une aclama-
tion générale ; tous Taffurerent qu'ils vouloient» vivre
& mourir avec lui. Fier de laTaveur de" ce peuple
înfenfé , il retourne , ou plutôt il eft porté au palais :
îl remonte avec une partie de fes gens à Tapartement
où le dauphin , acablé de douleur , crut en le voyant ,
que ce fcéléra-t venoit peut-être dans ^intention de
couronner fes forfaits par un paricide. Il avoît encore
fous fes yeux Tafreux fpeftacle des deux maréchaux
fanglants , étendus fur la . table de marbre.. Le prévôt
des marchands înfuhant à la douleur du prince , lui dît
qu*H ne devoît pas s^aflîger de ce qui venoit d'ariver ;
3ue tout s'étoit fait par k volonté du peuple au nonv
uguel il venoit lui demander une aprobation de ce
qui s'étoît paflë : il te pria en même - temps de s'unir
pour toujours étroitement avec Tes Pàrîfîens. Le dau^
{>hin acorda tout : qu^eût produit un refus ? \\ pria
es habitants de Paris d'être de fes amis , les affurant
qu'il feroit des leurs. Des îè foir même le prévôt lui
envoya deux pièces de drap, l'une rouge & l'autre
pets, pour faire des chaperotis tant pour le prince,
que pour les oficiers royaux.
Etatsà Paris; Il s'étoît tenu quelques jours auparavant une afTem-
^d€nu bFée de plufieurs députés des villes , dans laquele it
avoit été arête qu'on leveroit un fubfide d'un dcmi^
J E A N I I. 1^7
dixième fur les revenus écléfîaftiques , & que les villes '
fermées fourniroienc un homme d'armes par fbixante- ^""' '^^^'
cinq feux , & les habitants de la campagne un homme
{)ar cent feux. Ce fut pendant cete tenue d'Etats que char/nug^o.
'évêque de Laon obligea le duc de Normandie d'é- Mémoire de
trire au pape en fa faveur pour en obtenir le chapeau ^^^^^'^^^^^
de cardinal. Mais Sa Sainteté ne parut point avoir égard
k cete recommandation , & il y a toute aparence que
le prince empêcha fous main qu'on n'acordât cete
dignité à un prélat aufli indigne de la pourpre Romai-
ne, que de Tépifcopat qu'il deshonoroit.
Quelques - uns des députés des Etats n*avoient point
encore quité Paris dans le temps du meurtre des ma-
réchaux : Marcel les pria de fe trouver aux Auguftins.
Regnaut de Corbie leur parla pour juftifier la conduite
du prévôt des marchands : il les prefla de ratifier tout
ce qui avoit été fait , & d'engager les autres villes du
royaume à s'unir avec les Pariiiens. La crainte d'être
maltraités ayant fait confentir les députés k tout ce
qu'on exigeoit d'eux , ils furent remerciés de cete
complaifance.
Cnaque* jour produifoit quelque nouvele démarche
de la part des fadieux. Ils vinrent trouver le dauphin
dans la chambre du parlement, & lui demandèrent par
la bouche de Marcel l'aprobation de tout ce que les
Etats avoient ordonné ; qu'il les laifsât les maîtres du
gouvernement comme ils l'avoient été jufou'alors \
qu'il renvoyât quelques perfonnes de fon confeil , aux-
queles ils le prioient de fubftîtuer trois ou quatre
bourgeois qu'ils lui nommeroient. Les circonftances &
la néceffité ne laiflbient aucun prétexte k la réfiftance :
ils obtinrent tout ce qu'ils exigeoient.
Sur ces entrefaites* ariva le roi de Navarre , fuivi ^^^^^"^^
d'une troupe nombreufe de gens armés. Comptant fur ^ ^*^^
la difpofîtîon des efprits & lur l'impuiffance du dau-
phin , il venoit poiir augmenter encore le trouble & la
confufion. Le jour même de fon arivée le prévôt des
marchands Pala trouver k l'hôtel de Nèfle où il écoic
158 Histoire de France,
' defcendu. Ils eurent enfemble une longue conférence.
Ann. i3;7. Cependant les deux reines Jeanne & Blanche qui fe
portoient toujours pour médiatrices, quoiqu'elles pen-
chaflent en fecret pour le Navarrois , Tune étant fœur,
& l'autre tante de ce prince , ménagèrent un acommo-
dement. Le dauphin ne contefta aucun des articles
dreflés par le Cocq & Marcel. Cet excès de condef-
cendance ne fatisfaifoit pas encore les mécontents : ils
écrivirent à la plupart des villes du royaume pour
juftifier la conduite qu'ils avoient tenue, & pour.le^
porter à s'unir avec eux en arborant les chaperons mi-
partis. Ils eurent la mortification de ne recevoir au-
cune réponfe , à la réferve des feuies villes d'Amiens
& de Laon.
Défordrcs des Cependant les défordres dont la capitale étoit agitée ,
compagnies, commençoient à fe communiquer au refte du royaume.
Depuis la dernière trêve conclue à Bordeaux , pfuficurs
troupes répandues dans diverfes parties de la France,
n^avoient pas difcontinué les hoftilités , & s'étoient
même emparées de quelques places. Le roi qui pour
lors étoit à Londres , fe plaignit de Tinobfervation du
traité. Edouard voulant faire croire qu'il n'avoit au-
cune part à ces entreprifes , envoya deux chevaliers
chargés d'ordonner en fon nom la reftitution de ces
places ; mais ceux qui les ocupoient refuferent de les
chroniq. de évacuer. La plupart répondirent a qu ils n'étoient point
Saint-Denis. ,, ^ j^ folde du roi d'Angleterre . & que ce n'étoit
Cnron. Mo, 1 • • r «-i *• • r
du roi Je jn. '^ P^s pour lui , ni en Ion nom , qu ils teuoient ces for-
Mémoire de jy tereffes. Il y en eut qui aléguerent pour motifs de
^'^^Rym.'^aa. ^^ ^^"" ^^^^^ ' qu'cux & Icurs troupcs apartenoient
puM. t'om. 3*, ^y au roi de Navarre. D'autres enfin reconnurent qu'ils
par(. I. ,^ avoient fait cts ufurpations de leur propre mouve-
w ment , mais qu'ils étoient bien aflurés de trouver des
^y gens qui les avoueroient yy. Les chevaliers Anglois
furent congédiés avec ces réponfes , & les fortcrefles
demeurèrent au pouvoir de ceux qui s'en étoient ren-
dus maîtres. Ces places étoient devenues autant de
retraites de voleurs qui ravageoient les environs &
Jean IL i^^
faifoient des courfes continueles , pillant & rançonnant ■ ,■
toutes Içs provinces, à la défenfe deiqueles les troubles Ann. 13^7.
intérieurs du royaume ne permettoient pas de pourvoir.
Après la déroute de Poitiers la plupart des troupes
qui compofoient Tarmée du roi Jean , s'étoient dif-
perfées. Acoutumées k fubfîfter de la profeflion des
arnies , de leur folde & du pillage , elles fe trouvè-
rent tout d'un coup privées des feuls moyens qui pou-
voient fournir à leur entretien. Le roi étoit prifon-
nier : fon fils trop jeune encore pour prendre les rênes
de TEtat & faire refpeâer fon autorité ; les princes
ou privés de la liberté ou déshonorés par une hon-
teufe fuite ; la noblelTe écrafée ou avilie aux yeux
d'un peuple devenu infolent par les malheurs pu-
blics ; des féditieux dévorés d'ambition , mais trop
foibles par eux-mêmes & trop peu acrédités pour
s'emparer de la puifFance fuprême fans contradiâion ;
la divifioa de tous les corps ; tout concouroit à mul-
tiplier les défefpoirs d'un gouvernement foible, ou
plutôt d'une véritable anarchie.
Qui pouvoit dans ces malheureufes circonflances
contenir une multitude féroce , familiarifée avec le
carnage , qui ne vivoit que de brigandage & de rapi-
ne , incapable d'ailleurs de fubir d'autre joug que celui
de la dilcipline militaire , malheureufement trop né-
gligée depuis quelque temps .^ Il n'eft donc pas éton-
nant de les voir le répandre dans toutes les parties
du royaume , pour fe procurer les avantages dont les
privoit le défaut d'ocupation. On a dû remarquer que
depuis quelque temps nos rois , outre les troupes natio-
nales , avoient atiré à leur fervice quantité d'étrangers
qu'ils foudoyoient. Ces fecours utiles peut-être pour le
moment, parce qu'ils ménageoient le fang des fujets,
entraînoient cependant des conféquences très dangereu-
fes , ainfi qu'on l'avoit fouvent éprouvé.
Plus de deux fiecles avant le règne du roi Jean,
on avoit vu de nombreufes troupes formées de ces
hardis aventuriers , ravager la France & contraindre
i(?o Histoire de France,
■ les monarques de lever des armées pour réprimer
Ann. i3;7. leurs brigandages. Les guerres prefque continueles
lurvenues depuis ce temps, avoienc facilité les moyens
de les employer contre les ennemis, & de les conte-
nir dans le devoir. Dès que la malheureufe journée de
Maupertuis eut laiffé le royaume fans chef^ quelques-
unes de ces troupes cherchèrent à fupléer au défaut
de la paye , en pillant les habitants des campagnes.
On ne s^opofa pas aux premiers ravages qu'elles com-
mirent : enhardies par Timpunité , elles multipliè-
rent leurs défordres , fe raflemblerent & formèrent
bientôt des corps redoutables. Réunies fous divers
chefs, ces compagnies conçurent & exécutèrent de plus
grandes entreprifes. La confufîon dans laquele TÉtat
languilToit favorifoit encore leur audace* Elles n*é-
toient d abord compofées que d'aventuriers & de fol-
dats de fortune : plufieurs chevaliers & gentilshom-
mes fe joignirent k elles. François, Anglois, Ecoflbis,
Bretons , Normands , Flamands , Hennuyers , Bra-
bançons , Allemands , oubliant les diférents partis pour
lefquels ils avoienc combacu jufau'alors , s'upifibient
entr'eux dans le deflçin de faire la guerre pour eux-
mêmes , ôc de partager les dépouilles des provinces (a).
(a) Mais au noble coyaume avoit confudon
D*une grant compagaic ; & écoient foifon
Gens de maint pays & de mainte nation ,
L*un Englois, l'autre Efcot : C avoit m^int Breton t
Hannuyers & Normans y avoit à foifon :
Par li pays aloicnt prendre leur manfion ,
Et prcnoicnt par-tout les gens à rançon :
Vingt-cinq capitaines trouver y pouvoit-on«
Chevaliers , écuyers y avoit , ce dit-on »
Qui de France exilier avoient dévotion ,
Et il n'y dcmeuroît bucf , vache ne mouton.
Ne pain , ne char , ne vin , ne oye , ne chapon^
Tout piliart, meurtrier, traiteur & larron
£toient en la route .dont je fais mentioxx.
Déjà
T E A N II. 1^1
Déjà plufieurs de ces compagnies avoient des chefs ■
de réputation k leur tête. Arnaud de Cervole étoit un Ann. 1^7.
des plus célèbres , on le furnommoit Tarchiprêtre (a). ca^iV^^^^^dc^
Il avoit été pris à la bataille de Poitiers , & peu de compagnies"
temps après , ayant aquité fa rançon par le fecours du n^^c à contri-
maréchal d^Andreghen , il étoit rentré en France. Ce SaI^s^^^^^^
chevalier qui ne connoiflbit d'autre ocupatîon que la
guerre , ramafla quelques-unes de ces hordes éparfes ,
en forma une petite armée avec laquele il traverfa le
Limofin & l'Auvergne , s'empara des ponts de la Du-
rance & du Rhône , & vint faire trembler le pape dans
Avignon. Il députa vers Innocent VI , pour l'afTurer
qu'il "ne feroit fait aucun tort au territoire de l*églife ;
mais cependant il pilloit la Provence,
Le faint père n'etoit pas tranquile , & comptoit peu
fur les promefles du chef d'une troupe qui donnoit k
fès gens le nom de focieta dcll^ acquifio. Envaîn il SùcliUiUs
implora le fecours de l'empereur Charles VI. Le roi ^'^'^ ^^'^^
Jean prifonnîer en Angleterre & le dauphin , auxquels
il s'adrefla , n'étoîent pas en fîtuation de l'aflifter. Le
pape fut donc obligé de mettre lui-même une armée
fur pied : on ferma les portes d'Avignon : on éleva
des fortifications , & l'on commença autour de la ville .
ces murs qui font encore aujourd'hui une des merveilles
de l'Europe. Comme cete dépenfe excédoit fes forces 9
il fît contribuer toute la chrétienté. Ces fages préeau-
T,n la grant compagnie y avoic de gens tant
Qae ne vous le diroit créature vivant » &c. •
Hifi, MS. di Bertrand du, Guefclin , glojf. de du Cange ad vtrB, Campagnia.
(a) Dans les (ledes antérieurs le titre d*archiprétre répondoit à celui de
vicaire épifcopal : dans la fuite il fut dooné aux prêtres fubordonnés aux
archidiacres : leur diftrid étoit pareil à ce qu'eft aujourd'hui celui des doyens
ruraux. Arnaud de Cervole « né d*une famille noble de Gafcogne , quoique
chevalier & fnarié , jeuïflbit du revenu d*un arckiprêtre , fui vaut l'ufage qui
fubfiftoit encore dans quelques provinces. On voit dans cete coutume des vefti-
ges de ces donations faites aux gens de guerre par Charles Martel des revenus
ecléfiaftiques. Mémoires de littérature ^ tom, if , pag, iV4« par M^ le Baron
de Zurlauberu D. Giojf, dt du Cange adyerk, Archiprcsbytcr.
Tome K X
Uidem.
iCi Histoire deFrance,
! rions , les murailles & Jarmée ne raflurerent pas le foU-
Ann. 1357, verain pontife. Il falut compofer avec TArchiprêtre,
qui entra dans Avignon acompagné des principaux ca-
pitaines de fes troupes , fut admis pluneurs fois k la
table de fa fainteté & des cardinaux , obtint pour le
falut de fon ame la rémiflion de tous fes péchés , &
forrit de la ville fêté , comblé de carefles , emportant
avec lui quarante mille écus & l'abfolution (a).
Ravages des Diférentes compagnies de ces brigands infeuoient les
.compagnies, ^rovinccs voifiues de rîle de France du côté de la
Normandie , du pays Chartrain , de la Beauce & de
rOrléanois. La gârnifon d'Epernon vint piller la ville
de Châtres-fous- Montlhéry , aujourd'hui Arpajon , em-
menant un grand nombre de prifonniers. Il n'étoît
plus poflible de forrir de Paris fans s'expofer à tomber
entre les mains des gens de guerre. Comme une partie
de ces troupes étoit favorifée fecrétement par le roi de
Navarre , ou dépendoit de lui , ceux qui vouloient
pourvoir à leur sûreté ne voyageoient pas fans obtenir
des pafleports ou fauf-conduits de ce prince , auxquels
on avoit plus d'égard qu'à ceux' qui étoient expédiés au
nom du duc de Normandie,
Départ du roi C'étoit fur - tout lorfque les traités les plus auten-
dc Navarre, nques fembloient devoir garantir la^foi des promefTes,
que le rqi de Navarre préparoit les plus noires trahi-
Ions. Croyant avoir diflipé eiitiérement les juftes fujeti
de défiance du dauphin y comptant d'ailleurs fur ceux
qui Tenvironnoient , il partit de Paris pour aler en
d'autres lieux drefler de nou vêles machines, & atendre
que fes partilans enflent amené les habitants de la ca-
pitale au point de fouhaiter de l'avoir pour chef.
Le lendemain de fon départ , le duc de Normandie,
• {a) Quand rarchiprctrc & fes gens curent rodé tout le pays , le pape & le
clergé firent traité à l'archiprétre , & vint fous bonne condition en Avignon
& la plupart de fes gens , & fut auflî révércromcnt reçu comme s'il eût été
fils au roi de France , & dina pluficurs fois de lez le pape & les cardinaux ,
& lui furent pardonnes tous fes péchés , & au départir on lui livra quarante
mille écus pour délivrer à fes compa;jaons. frùijjard ^tom* i ^foL $% > vtrfa^
coL a.
3
Jean II. 1^3
m depuis la prifon du roi n'avoit porté que le titre !
e lieutenant , prit la qualité de régent du royaume. Ann. 1557-
Charles étoit alors dans fa vingt & unième année : il ^c dauphin
avoit rage requis par les conftitutions du royaume Sc^réecnt.^ "*^
pour prendre en main les rênes du gouvernement. Juf- Tréfor des
que- là les arêts du parlement & autres lettres de juf- chanus.
tice avoient été expédiées au nom du roi , quoiqu ab- parilmin" ^
fent ; mais depuis on mit à la tête de tous les édits , Mèmor aidt
arêts & déclarations le nouveau titre du pidnce , qui ^^ <^^^^^''^ àes
étoit Charles aîné fils du roi de France , régent du ReccèuU des
royaume , &c. Les lettres ne furent plus fcélées comme ordonnances ',
auparavant du fcel du Châtelet en Tabfence du, grand. Conférence des
mais uniquement du fceau du duc de Normandie , par ordonnances,
Jean de Dormans , qui de chancelier du prince comme q/^^JI'^^^[
duc de Normandie , fut créé chancelier du régent, nique.
Quelque temps auparavant Tévêque de Térouane chan-
celier de France s'étoit retiré.
Il ne paroit dans tous' nos anciens hiftoriens aucuns
vieftiges de la moindre opofition à la régence que le
dauphin s'atribua pour-lors : quoique le pouvoir de ce
prince n'eût Jamais été fi borné , perfonne ne s'avifa
de lui contefter un titre qui apartient légitimement à
rhéritier préfomptif de la couronne. Il n'y fut pas
niême autorifé par le roi fon père. Ces circonftances
réunies femblent démontrer ce qui a été avancé précé-
demment , que s'il ne le prit pas plutôt , fi même il
ne fit aucune démarche pour engager les ordres du
royaume à le lui déférer , il n'en avoit été empêché que
par fa minorité.
Le régent , quoique revêtu d'un titre qui le rendoit Confcilicrs
dépofitaire de toute la puiffance fouveraine , ne jouïf- **°""^^ *^ ^^
foit pas pour cela d'une autorité plus étendue. Il pa-
roit même que plus fon pouvoir devenoit redoutable ,
Î)lus ceux qui Tenviron noient s'éforçoient de redoubler
à dépendance. Dans le même- temps qu'il prenoit la
Qualité de régent , les faâieux l'obligèrent d'admettre
iahs fon confeil des échevins de Paris , tels aue Ro-
bert de Corbiè , Charles Confac & Jçan de rilie. Rien
gcnt.
1^4 Histoire de Frakce,
' ne fe décidoic que fur les délibérations de ces confeil-
Ann. I3J7. lers , Confirmées par le prévôt des marchands & par
révêque de Laon. Le régent avoit perdu jufqu'à la li-
berté : obfédé par un confeil tyrannique , environné de
féditieux , tous fes pas étoient obfervés.
Exécution Le dix-fept Mars de cette année on arèta au vilage
Wmf"ui de Saint - Cloud un gentilhomme apelé Philippot ^e
vouioit ai"c- Repenti ou de Renti JDeux jours après il fut décapité
ver le régent, aux hales & fon corps expofé au gibet. Apliqué à la
c/iron. MS. queftion y il avoua qu'il avoit avec plufieurs autres per-
lonnes , qui ne furent pas nommées , formé le deliein
d'enlever le régent à Saint -Ouen où il étoit aie trois
ou quatre jours auparavant. Il n'y avoit pas d'aparence
que ce complot eût été fuggéré par le roi de Navarre,
oui n'avoit aucun intérêt de tirer le prince des mains
ae gens entièrement dévoués à fes volontés. Il y eut
plufieurs perfonnes , dit la chroniaue d'où ce fait eft
tiré , qui affurerent que le deflein des conjurés n'étoit
{)as de faire du mal au prince , mais au -contraire de
e délivrer de la tyrannie des Parifiens.
Le régent Enfin le régent prit la réfolutîon de fecouer le joug
fort de Pans, f^y^^^ lequel il gémiffoit depuis fi long-temps. Les con-
Sai!u^D€nis\ tradidions perpétueles qu'il effuyoit depuis plus de
fol. 179' ' dix-huit mois , Tavoient formé dans Thabituoe de fe
Chron.MS. contraindre. Les obftacles l'avoient inftruit dans l'art
de régner. De concert avec le roi de Navarre & fes
partilans ^ il avoit indiqué une affemblée de la nobleile
de Picardie à Senlis. Ce rendez- vous lui fournit un pré-
texte de fortir publiquement de Paris , fans que fon
départ pût alarmer les Parifiens. Le Navarrois ne s'é-
tant pas trouvé à l'affemblée , Pecquigny vint faire des
excules de fa part. De Senlis le régent , au-lieu de
reprendre le chemin de la capitale , fe rendit à Com-
piegne où quantité de noblefle vint le trouver. Plufieurs
députés des trois ordres de la province de Champagne
^ s'aflTemblerent à Provins où le régent les avoit mandés :
. le roi de Navarre qui devoit y venir ne parut pas.
Les Parifiens ^ que la fortie du prince commençoit à
Jean II. ï€^
inquiéter , envoyèrent à ces Etats Arnaud de Corbie >
échevin , & Tarcnidiacre de Téglife de Paris, pour con- ^^n. i3j8,
férer avec les députés de Champagne.
Le régent repréfenta aux Champenois la fîtuation &c ru^m" ne
les .befoins de TEtat , leur remontra la néceflité de Tu- tcnuTa* Ptot
nion entre le prince^ & les fujets pour fou tenir le 'vins.
royaume dans la conjonâure dificile où il fe trouvoit :
il finit en leur difant que deux députés de Paris vou-
loient leur parler pour leur communiquer les inten-
tions des habitants de ccte ville. Le prince paroiflbit
encore conferver quelque ménagement pour les rebè-
les : il vouloit avant que de fe déclarer ouvertement
s'aflurer des moyens de les punir. Corbie prononça un
difcours auquel les députés prêtèrent peu d'atention :
ils fe contentèrent de demander la permiflîon de déli-
bérer entre eux fans vouloir admettre les envoyés de
Paris. Le régent acompacné du duc d'Orléans , du
comte d'Etampes & de plufieurs feigneurs vint à la
féconde féance des Etats aflemblés dans un jardin de
la ville. Simon de Roufly comte de Brefne , portant
la parole , aflura le prince de la part de tous les Cham-
f>enois , qu ils étoient prêts à lui prouver leur zèle &
eur fidélité comme k leur feigneur , & à lui fournir
les fecours néceflaires , le fupliant d'indiquer une af-
femblée k Vertus pour délibérer fur la nature des fe-
cours les plus prompts & les plus éficaces , & lui dé-
clarant que les députés de la province étoient réfolus
de ne plus fe trouver à Paris.
Le comte de Brefne fe tournant vers Arnaud de
Corbie & l'archidiacre , dit qu'k Tégard des propofî-
tions des Parifiens il navoit aucune réponfe k leur
faire : s'adreflant enfuite au régent y il lui demanda au
nom de fes compatriotes , s'il avoit reconnu dans le
feigneur de Connans , maréchal de Champagne , quel-
que aâion lâche ou criminele , qui eût mérité la mort
que les Parifiens lui avoient fait foufrir , ajoutant qu'il
ne parloit pas du maflâcre de Robert de Clermont,
maréchal de Normandie , ne doutant pas que la pro-
i6S Histoire de France,
î*""^"*"*? vince ne fe fît un devoir d'en cirer vengeance. Le prince
Ann. 1358. répondit que les deux maréchaux lavoient toujours fi-
dèlement fervi & confeillé. Alors le comte fe mettant
à genoux devant le régent , dit : Monfcigncur , nous
Champenois qui cy Jommcs vous mcrcions de et que vous
ave:[ dit y & nous atendons que vous fit[Jie[ bonne jujlice
de ceux qui votre ami ont mis à mort i^ fans caufe.
Conduite Dans cete ocafion délicate où il s'agiflbia de fe mé-
Snc.'^'^" nager entre les Parifiens & les Champenois , Charles
aprit à faire ufage de cete prudence qui dans la fuite
lui mérita la fupériorité fur fes ennemis , & lui aquic
à jufte titre la réputation du plus grand politique de
Mlm.delht. ^^^ fiecle. Il étoit également dangereux de paroître
kift.de Charles favorifcr Ics Champenois ou les Parifiens , amfi que
lemauvais^par pobferve judicieufemeut le fçavant académicien , dont
les curieufes & profondes recherches embraflent une
grande partie des troubles intérieurs furvenus dans le
royaume après la bataille de Poitiers. Si le prince eût
indifpofé les députés de Champagne , il fe fût privé
des lecours néceflaires pour Texécution du projet qu il
méditoit. S'il s'étoit ouvertement déclaré pour eux , il
eût averti les rebeles de Paris de ce qu'ils avoient à
craindre. Pour fe tirer d'un pas fi délicat , il exhorta
les Champenois k l'union , fans s'expliquer fur celle
que les Parifiens vouloient former avec eux : & il ne
parla qu'en termes généraux du meurtre de fes oficiers,
Cete conduite produifit Téfet qu'il avoit prévu : les
Champenois n'en furent que plus animés contre les
Parifiens , & n'en fervirent que mieux fon reflentiment
particulier, qu'il eut la fagefle de diflimuler.
. ^ Le régent va Lorfque les Etats fe furent féparés , le régent partît
àMcaux, de Provins pour aler à Meaux- La ducheffe de Nor-
Ibidcm. mandie fon époufe étoit dans cete ville : il avoit apris
quelques jours auparavant que les Parifiens formoienc
le projet de s'en emparer, rour les prévenir il envoya
devant lui le comte de Joigny avec foixante hommes
d'armes , qui fe rendirent maîtres de la forterefle du
marché. I^es habitants de Meaux en furent très-fâchés ,
Jean II. 1^7
& le maire de la ville dit au comte de Joigny , que s'il J
avoit prévu fon deflein , il s'y feroit opofé. Deux jours Ann. ijjs,
après le régent étant arivé , fit une févère réprimande
à ce magiitrat , & lui impofa une amende y qu'il eut
cependant la bonté de lui remettre.
Charles reçut à Meaux des lettres fort infolcntes de i-cttrcs m(of
la part des Parifiens. Ces lettres contenoient une efpece lieux! '^^*^'''^^*
de déclaration de guerre. Les rebeles , avant que de chron.MS^
les envoyer , avoient déjà commencé les hoftilités. Lorf-
que le régent s'étoit retiré de Paris , tout ce qu'il y
avoit de noblefle dans la ville , l'avoit abandonnée , &
la plupart s'étoient atachés k la fuite du prince. Cete
délertion avoit confterné un peuple inconftant & timi-
de , qui reçoit les impreffions d'une efpérance infenfée
& d'une terreur fubite avec la même facilité. Marcel
eflaya de les raffurer par quelque entreprife d'éclat.
Pour cet éfet il s'empara du château du Louvre , qui ils s'emparent
pour-Iors étoit fitué nors de l'enceinte de Paris : il y du Louvre.
avoit trouvé un amas confidérable d'armes & de ma-
chines de guerre , qu'il fit tranfporter k l'hôtel de ville
& diftribuer enfuite dans les diférents quartiers de la
ville. Par cete violence il fe flatoit de rendre les Pari-
iîens irréconcialibles avec le régent , & fe les atacher
inviolablement.
Les Etats de Vermandoîs affemblés k Compiegne Etats du Vcr-
atendoient le prince , qui vint y préfider- Ils acorderent champagn^^^
un fubfide k- peu- près égal k celui qu'ofrirent les Etats
de Champagne affemblés k Vertus dans le même-temps.
Ces fortes de fubfides étoient de la même nature que
ceux déjà fpécifiés dans les ordonnances des Etats pré-
cédents : ils confiftoient dans le dixième des revenus
écléfiaftiques , le vingtième des revenus nobles & des
fiefs pofïédés par les roturiers , l'entretien d'un homme
d'armes par foixante & dix feux dans les villes , &
par cent feux dans les campagnes : cete impofition s'é-
tendoit jufqu'aux gens de condition fervile , qui étoient
pbligés d'entretenir un homme d'armes par deux cents
feux.
1^8 Histoire de France,
'^"""""Tt Cependant le temps aprochoit que les Etats • gêné-
Ann. ijjg. raux du royaume dévoient fe tenir à Paris. Le régent
Le régent in- déjà sûr de la Champagne, du Vermandois & de quel-
picgnc les ^."^^ autres provinces , changea le lieu de la convoca-
Etats qui de- tion , qu'il indiqua dans la ville de Compiegne. Ce
àTris^^"'^^^ changement fut reçu agréablement, La conduite des
(iid^m, faftieux avoit télement indigné la plupart des villes ,
que leurs députés furent ravis de n'être pas obligés d^
le trouver à Paris. Dès les premières féances on fuplia le
f)rince de chaffer de fon confeil & de fa préfence Robert
e Cocq , regardé par tous les gens bien intentionnés
comme un traître , & comme un des principaux arti-
fans des défordres qui àâigeoient le royaume. Ce pré-
lat , chargé de la haine & du mépris univerfel , fut
trop heureux d'échaper au reflentiment des nobles , qui
menacèrent de le maltraiter. Il partit furtivement , &
prit avec précipitation la route de Paris , où il ariva
efeorté d^une troupe nombreufe de gens d'armes , qu'on
avoit envoyés au-devant de lui,
. Etats tenus Charles jufqu'à ce moment s'étoit vu dans la nécef-
Ridc^^^ fité de parcourir les provinces pour foliciter des fe-^
cours de chacune en particulier : il eut enfin la fatiC»
faâion de voir la plupart des villes , que Tefprit de ré-
volte n'a voit point infeélées , réunir leurs lufrages en
fa faveur. Les Etats-généraux aflemblés à Compiegne ,
fe réglèrent fur les fubfides acordés par la Champagne
& le Vermandois. Tout ce qui s'étoit paffé dans les
Etats tenus à Paris l'année précédente , y fut géné^
ralement condané , ainfi que la conduite de la ville
de Paris , & des autres ^ui avoient embraffé le même
{)arti. Ce qui dut être plus flateur pour le régent dans
a conduite de raflemblée à fon égard , ce rut le ter
moignage public , dont la reconnoiflance des trois orr
dres couronna la grandeur de fon courage. Les Etats
le remercièrent au nom de la nation w de ce que dans
>^des temps orageux,. de trouble & de calamité , il
yy n'avoit point défefpéré du falut de la France a. Ce
fut-là le premier hommage rendu à cete fage confiance
J s A N IL 1^9
*rec laquele ce prince fe montra digne de réparer les ■!
ifnalhcurs dé l'Etat. Ann. ijyg.
Les Parifîens n'envoyèrent point de députés k cete Entrevue du
affembléc. Quelques jours auparavant , le roi de Na- a^Nawre!^^
4^arre avoir demandé une entrevue , que le régent lui uidcm!
avoit acprdée .: ces deux princes le virent à Clermonc
en Beauvaifis. Charles le mauvais y qui voulut pénétrer
les vues du prince , lui parla d'un acord avec les Pari-
-fiens. Le dauphin lui répondit qu'il aimoit la ville de
Paris ; quîl y connoiilbit des citoyens fidèles à leur
prince & à leur patrie ; mais qu'il n'y rentreroit jamais ,
que les auteurs de la révolte & des excès auxquels
lès féditieux s'étoient 'emportés y n'euffent été punis.
Le Navarrois ala porter cete réponfe à Paris. IWarcel
comprit dès-lors une partie du danger qui le menaçoit :
il fe fit quelques mouvements dans la capitale pour
mettre Je roi de Navarre à la tête du parti (a) ; mais
comme cete difpofition n'étoic pas générale y il fe retira
lie cete ville , après y avoir féjourné quelques jours.
Le prévôt des marchands reconnut à la conduite du f^^^^^ ^*
régent qu'il avoit mal jugé du génie de ce prince ; il fe marchands.
repeatit de s'être engage fi avant ; mais il étoit alors Uidem.
dincile de reculer. Il eUava cependant de conjurer l'o-
rage. Pour cet éfet le reàeur de Tuniverfité , à la tête i-^îJ^g^/dt
de plufieurs députés de ce corps y fe rendit à Compicgne pûtes au ré-
dans Tefpérançe de ménager quelque acommodement. S^^
Le prince les reçut avec bonté , iSc leur répondit, comme
il avoit déjà fiiit au roi de Navarre , qu'il étoit prêt
d^acorder une amniftie générale aux Parifiens . pourvu
.qu'ils rentraflent dans leur devoir , & qu'ils livraflent
entre fes mains dix ou douze y ou même cinq ou fix
des plus coupables y à la vie defquels il leur promettoic
de ne point atenter : il ajouta qu ils ne dévoient rien
«fpérer de lui ^.s'ils ne lui donnoient cete marque de
foiimiifion. Marcel y qui jugeoit de toutes le» âmes par
(<i) yolooticrs en eotTent fait aucans de ladite ville de Paris leur capitaine
&leùr fcigneor , comme hva 0c mauvais ^a'ils ^coicnc envers leur prince.
Tomjt V., y
Aniir Z358.
Tyo Histoire de France,
la férocité de la f ieiine , ne crut jamais que le prince pût
être aflez généreux pour lui conferver la vie , dès qu*U
Tauroit en fon pouvoir. Il fentoit bien d'ailleurs ^ue
1 atrocité de fes crimes étoic indigne de grâce , ainfi
qu'il Tavoua lui-même au moine continuateur de Nan-
gis : il fit cependant encore quelques tentatives avec
auffi peu de luccès. Ce fcélérat , dévoré de remords,
n'avoit plus devant les yeux que l'horrible apareil des
plu;^ honteux fuplices : abatu , confterné , le défefpoîr
ranima fon audace , & lui rinc lieu de courage. Il
voulut du moins reculer fa perte i qu'il voy oit inévita-
ble. Il fit redoubler les travaux des fortifications de la
ville , comme s'il eût voulu s'enfevelir fous les ruines
de la capitale. Il introduifit des troupes Angloifes &
Navarrojfes.dans Paris ; il envoya même lever des fol-
dats ou brigands , & acheter des armes jufqu^en Pro-
vence. Il eft vraifémblablé que Targent que le prévôt
4e$ marchands donna pour cet. éfet , étoit defiiné à dé*
tacher quelques troupes de celles qui étoient alors aux
environs d'Avignon , fous la conduite d'Arnaud de
Cervole. Ces troupes ne parurent point : les armes
furent achetées & envoyées : mais le comte de Poitiers
s'en empara , &rles envoya, au régent fon frère. L'é-
vêque de. Laon de fon coté fe fortifioit dans fon dio**
cele# • . -
Ravages a)m- Les Parifiens , viâimes de leur obftination , fe virent
^"^*°.^.î^i^^!' bientôt réduit? à fe tenir renfermés dans les nouveles
fortifications quHls élevoient. Les compagnies répan-
dues dans les environs , pmrtoient le ravage jufqu*aii*
près de leurs murailles : les nobles qu'ils avoienc irités,
s'étoient armés , & ne les traicoîent pas avec moins
de rigueur. Foulques de Laval , à la tête d'une troupe
de firetons , dévafbit la Beauce ,: tandis qu'une autre
troupe vint une féconde fois facagcr & brûler Etampes.
L'intérieur de la Prance étoic devejiù le .théâtre de- la
défolation ; on ne voyoit que pillages , mafikcres &
incendiés^ Cependant le régçeht , lècondéj)ar la Lptus
faine partie des villes ÎSc de la hoblelle , rafiembloit des
forces capables de foumettre les rebeles. / . :
fcs proYinces.
Jean II. lyi
Tant de maux ne paroiiToieiu pas* fufceptibles d*a- ^'"*'*™''^
croiiTemenc , lorfqu'un nouveau genre de calamité vint ^n- ^5».
y mettre le comble , & fembla par fes excès fufpendre ^p^^^^ *^«
& faire oublier pendant quelque -temps la fureur des m7efa°jacqu^
deux partis. Les campagnes livrées à toutes les horreurs "e-
de k guerre , n'étaient plus qu'un féjour afreux pour j^/^r^'*
les habitants. Cete multitude de. troupes répandues de ihidem.
tous côtés , portoienten tous lieux la mifere & la faim. Mcmoire de
Les malheureux cultivateurs abandonnoient leurs champs ^'''/^^^^^'^ ^^
à la merci des brigands qui les ocupoient. Expofés à Saint-Dt^s.
des infultes continueles y oprimés indiftinâement par
les faâions opofées , qui fembloient avoir oublié qu'el-
les avoient à faire à ûcs hommes ; rançonnés malgré
leur extrême pauvreté , dépouillés de tout , ils voyoient
tous les jours croître leurs maux ^ fans pouvoir fe flater
d^aucun adoucifTement, N'atendant plus riea, leur défef*
poir fc convertit en rage. La première étincele de cete
révolution , qui devint fubit^ment un embrafement
géaéral , parut dans le ^^^uvaifis. Quelques payfans
de cete contrée s'étant rafTembléis , jurèrent entre eux
d'exterminer les gentilhommes , difant que tous les no^
hles honntffoit le royaume de France , & que ce feroit
un grand bien qui tous les détruiroit. Honni foit cebd
par qui il demeurera qu^ils ne foient tous détruits , ' s'é*
cricrent-ils d'une commune voix. Ils s'arma ent auffi*
tôt de bâtons ferrés, & vinrent aiTaillîr le château d'un
gentilhomme du voifinage. Après avoir enfoncé les
portes , ils entrèrent comme des furieux : le chevalier,
la femme & leurs en&nts , furent mafl&crés par ces
barbares : ils pillèrent la maifon , qu'ils livrèrent aux
flammes en fe retirant. Ce premier atroupement n'^toic
pas compofé dé cent perlonnes ; mails bientôt il ne
tut pas poffible de les compter. Dans tous les environs
de Paris & de Pile de France ; dans les provinces de
Picardîp , du Soiflonnois , du Beauvaifis , en un mot
dans prefque toutes fes parties feptentrionales de la
France , on ne vit plus que des bandes de ruflres af*
fcmblés y qui tuoieat même ceux des leurs qui refiifoient
y ij
^7^ Histoire dé Frakck,
■ de fe joindre à eur. Ce foulévemcnt ariva preFqtte dan»
Ann. ij5^. le même jour ; & ce qui dok parokre extraordinaire ,
Ch^r^^^^^ '^* c*éft qu*il fut excité fans qu*on eût pu foupçonner ces
pUcc}^^] ^* hommes agrefles de s'y être préparés par un concert
médité. La plupart n'a voient aucune liaiion les uns avec
l^s^ autres , uniquement oeupés de leurs travaux", &
n'ayant jamais pris aucune part aux afaires du gouver-
Troîffarè. nemcnc Diférentes troupes s'étant réunies , formèrent
Cominuat.tU en peu de temps des corps confidérables. Un hiftorien
"i^vn. MS. contemporain affure , que fi elles avoient été toutes af-
femblées , elles auroient au-moins compofé une armée
de cent mille hommes. Les plus formidables de ces
troupes fe donnèrent des chefs ,. entre autres un habi-
tant du village de Mello , apelé Guillaume CailUt. On
donna le nom de Jacques à ces payfans ramaffés.
Cruautés cxcr- l»^s excès auxquels ils s'emportèrent , furpaflenr tout
cécs par ks ce quc la vengeance la plus éfrénée & la oarbarie la
Jacques. pjyg atroce peuvent ima^ner. On frémit , & le livre
échape des mains , lorlqu op Ht dans nos anciennes
chroniques , que ces furieux y transformés en bêtes fé-
roces , entrèrent dans le château d'un chevaKer y Fata-
cberent à un poteau , violèrent en fa préfence fa femme
& fes filles j embrochèrent enfuite ce feisneur y le firent
rôtir 9 forcèrent fes enfants & fon époule à manger de
fa chair , & terminèrent cete afreufe fcene par le maf*
facre de cete malheureufe famille , & par rembrafe-
ment de la maifon. Plus de deux cents châteaux ^ ou
demeures de gentilshommes , furent pillés & brûlés.
Quand on leur demandoit , dit FroifFard^ le motif qui
les engageoit 2i commettre des aâions fi abominables ^
ils répondoient quUs ne Jçavoient , mais qu^ib faifoient
fli/z/r qu^ils y oy oient faire les autres y &rpenfoient qu^ils
dujjent en tele manière détruire tous les nobles Çf gentils-^
homtrus du monde,
ta noblcfc ^^^ premiers moments de cete révolution ;|^rodui-
fc raflemblc. firent les éfets du débordement d^un fleuve : tout fuyoit>
ihidim. devant les Jacques. La nobleflb épouvantée, fc refugioit
dans les villes fermées y ou dans les châteaux aflez. for^
I E A K II. Ï7J
tîfîës pour braver leurs infultes. Les duchefles de Nor- ■■' ■ ■ li»
mandie & d'Orléans , & plufieurs dames de la première am. ijst.
diftinâion y furent réduites à la nécef&cé de chercher ua
afylc qui pût les mettre à couvert des outrages de ce»
monflres , que le refpeâ du fexe & du rang n'étoient
pas capable d'arêter. La noblefîe revenue de la frayeur
que caufa d'abord cete incurfion fubite , fe raflembla ;
les gentilshommes demandèrent du fecours aux provin-
ces voifines j plufieurs chevaliers étrangers , de Flandre y
du Brabant y du Hainaut & de Bohême y vinrent fe
joindre à eux: : ils cherchèrent alors ces troupes épar-
iès y en exterminèrent la plus grande partie féparément ,
& contraignirent les -autres à fe réfugier dans leurs de-
meures.
Ce qui dut paroitre furprenant , €*eft qu'on fijt rede-^ Défaite dcf
vable de la défaite entière d'une des plus formidables ^^^^n^^j/* ^^
compagnies de ces malheureux ^ au roi de Navarre , kuK"hcfs-
qui paroifFoit avoir intérêt de laifîer fubfifter une guerre Uidcm:,
uniquement déclarée à la nobleffe , dont la plus grande,
partie étoit atachée au régent. Il eft vf ai que le Navar-»
rois , en s'armant contre les payfans , vengeoit Tinjuire
perfonnele qu'ils lui ayoient faite par le malTacre de
Uuillaume & Teftard de Pecquigny , chevaliers d*Ar-
tois , frères ou parents de Jean de Pecquigny , Tun de
ies plus zélés partifans. Ce prince dans un fèul jour en
fit pafibr trois mille an fil de Tépée y près de Clermont
en JSeauvaiiis y & fit exécuter Guillaume Caillet y ce
chef dont il a déjà été fait mention. Les nobles raflurés
par leur réunion y & les fecours qu'ils avoient reçus ^
tinrent alors la campagne , mettant tout à feu & à
iang y &c maiTacrant indiftinâement tous les payfans
qu'as reocontroient y innocents ou coupables. Ceux des
environs de la Loire fe retiroient la nuit dans des îles , dtNangZ
ou dans des bateaux qu'ils arêtoient au milieu du fleu-
ve : c'étoit-lk qu'ils fe renfermoient avec leurs familles
& leurs befliaux y pour fe dérober à la fureur des
croupes Angloîfes , qui^ malgré la trêve y parcoururent
laTouraineyPOrléanois y où. elles pillèrent &c brûlèrent
SptciL conttni
CE
Ann. 1358.
Les vilagcs
fortifiés.
ua
Courage hé-
roïque
payfan.
Ibidem.
* Magnus
fcrratus.
174 Histoire de Fra
Mehun & Boifgency , fe répandant enfuite clans le pays
Charcrain t le Maine & la Bretagne , jufqu^à Nantes.
Les vilages étoient devenus autant de places d'ar-
mes, lats habitants de la campagne qui n'avoient point
quité leurs demeures , &; qui ne s*étoient point unis
avec les Jacques , entourèrent leurs églifes de foffés ,
garnirent leurs tours de planches , fur îfcfqueles ils pla-
cèrent des pierres & des machines pour les lancer , &
conftruifirent des échaugucttts fur les clochers , où les
fentineles veilloient jour & nuit. Dès qu^on voyoit apro-
cher l'ennemi y les faâionnaires donnoient un fignal
avec la cloche ou un cornet : alors ceux qui étoient
dans les champs ^ ou dans leurs maifons y acouroienc
fe renfermer dans Téglife. La néceflité de fe défendre
les avok inftruits dans lart de la guerre.
En lifant les chroniques de ce temps on voit Quel-
quefois avec furprife la férocité ruftique allée avec Thé-
roïfme. Environ deux cents payfans s'étoient renfermés
dans Longucil , bourg fîtué vis-à-vis Saint -Corneille
de Compiegne y déterminés à le défendre jufqu'à l'extré-
mité. Ils avoient élu pour capitaine un d'entre eux^
apelé Guillaume Lalouette. Une <:ompagnie Ângloife ^
qui ocupoit le château de Creil , croyant avoir bon
marché d'eux , vint les ataquer. Les Anglois entrèrent,
fans prefque trouver d'autre obftacle que le chef , avec
auelques-uns des plus réfolus. Dès le commencement
u combat y Guillaume Lalouette tombe percé de
coups : il avoit avec lui un valet de ferme aune fta->
ture & d'une force de corps prodigieufes , apelé le
Grand-ferré *. Ce valet, ému par la vue de fon maître
expirant y s'atendrit y verfe des larmes , & devient fubi-^
tement un autre homme. Il ranime ceux de fes cama«>
rades , qu'il peut exciter à vendre chèrement leurs vies ,
& à venger la mort de leur capitaine ; il faifit une
hache y ^ tombe fur les Anglois. Chaque coup qu'il
porte , met un ennemi hors de défenfe : il en. étend àix-i
nuit fur la place y met le refte en fuite y les chaflè hors
^]i bourg : fwivi dç fes compagnons , il les pourfuit >
Jean II. 1735
ouvre leurs rangs , arache leur drapeau , après avoir .-.^
tué celui qui le porcoit , & les diflipe entièrement. Ann. 135$.
Non-content de ces premiers exploits , il dit k un des
fiens d'aler jeter le drapeau des ennemis dans le fofTé :
celui-ci refuie , parce qu'un gros d'Anglois coupoit le
feul paffage qui pouvoit y conduire. Le Grand-^ferrc
fe fait fuivre par l'on homme , ataque lui feul les An-
glois , les renverfc , s'ouvre le chemin , & jeté le dra-
peau dans le fofTé : il revient au combat , qu'il n'aban-
donne point fans avoir exterminé les ennemis. Dans
cete première ocafion , il en tua quarante de fa propre
main. Quelques jours après , les Anglois voulant avoir
leur revanche , furent repoufles par le Grand-ferré avec
autant de courage que la première fois. Dans ce fécond
combat , ce payian guerrier s'échaufa fî fort, qu'ayant
bu de leau froide , il tomba malade dangereuiement*,
& fiit obligé de retourner à fon vilagc ,.apelé RoChe-
cour y à peu de difiance de Longueil.
Les Anglois informés de fon état , voulurent pro-
fiter de cete circonftance pour fe défaire d'un ennemi
fi redoutable : ils envoyèrent douze des leurs dans le
-defTftin de le furprendre dans fon lit. La femme du
•malade les apercevant, courut à fon mari pour lui
^prendre le danger qui le menacoit. Loin a en être
éfrayé , cete ocafion de fîgnaler ^on courage lui rend
£es forces : il fe jeté hors de fon lit , s'arme de fa ha-
che , s'avance dans fa cour. AufE-tôt qu'il aperçoit les
aflaillants : Voleurs , s'écria- t-il , vous vene^ m^ataquer
-dans mon lit comme des traîtres : mais vous ne me
prendrez pas ainji. A ces mots oubliant leur nombre
&c fa tbiblefTe , il s'apuie contre la muraille & les
provoque lui - même au combat : cinq font immolés ,
le refte prend la fuite. Cete dernière viâoire redoubla
fon mal ; il fe remit au lit , demanda les facrc-
ments , & mourut en chrétien , après avoir eombattt
en héros. L'hîfloire a célébré des ax^ions de courage
moins dignes d'être ra portées.
Il fenu>loit qu'une fureur épidémique s'étoit em-
>•
tj6 Histoire dk France^
' parée de tous les efprits. Jamais confufion fi épou-
inn. ïhs. vancable n'avoit afligc le royaume , fans même en
Triftc fima- excepter les ravages caufés par les Normands. Tou-
.tion de la i* i ^ *^ j • i
France. ^^ les/ horreurs que peuvent produire la guerre natio-
nale, & les difcordes civiles , fe trouvoient rallem-
blées : la France ékoit également dévaftée par les An-
glois y les Navarrois & les compagnies. Les habi«<
tants des villes , d'un autre côté , aux prifes avec les
nobles & les payfans ^ fe déchiroient impitoyable-
ment y & fe faifoient plus de maux ^ aue les troupes
étrangères ne pouvoient leur en cau^r. Enfin , ii
l'on veut fe former une jufte idée de Tétat où le peu-
ple étoit rédu't^ qu'on fe figure cjue dans nos pro-
vinces £eptentrionales , il n'y avoit prefque pas un
feul petit canton qui ne fût teint de fang , & d^oà
< il ne s'élevât la flamme de quelque incendie.
parti les villes que 1 eljpi
pas corompues , confirmoit dfans leur fidélité celles
4}ui s'étoient d'abord déclarées pour lui : enfin il em-
pJoyoit tous les reflbrts d'une fage politique pour réta-
blir la fortune chancelante de TËtat* Les gentilshom-
mes ^ ennemis déclarés des bourgeois de Paris , Se
des autres habitants des villes rebeles^ acouroient fe
ranger fous fes drapeaux. Quelques-uns s'étoient enga-
gés au feryice du roi de Navarre, féduits par la guerre
3ue ce prince avoit faite aux payfans révoltés ; mais
nç fontînt pas long-temps ce perfonnace ; & la plu-
part de ceux qui l'avoient fuivi d'abord , l'abandon-
oerent , lorfan'iU eurent reconnu fes defleîns perni-
.cieux. Marcel cependant , & ceux de fa faâion, quoi-
iC}ue maîtres abfoJus dans Paris, n'étoient pas (ans
inquiétude. Ils ne pouvoient ignorer que la plus faine
pajjie des jiabitants Je ceie capitale n'entroient pas
chr^ni it ^^^^ ^^"" vues, & qu'ils n*atendoient cju'une conjonc-
Maini^Dms.^ ^"^^ favorable pour faire éclater leurs difpofidons. Il
fîrpn.m, fe fit dans ce temps même une xentativi^ pour intro-
duire
Jean II. 177
duire des hommes d'armes du régent > laquele dut
faire encore mieux comprendre aux féditieux , que ce Ann. ijj'*
prince avoit plus d'un partifan parmi le peuple. Le
defTein de faire entrer ces gendarmes ayant été dé-
couvert, on arêta le charpentier du roi & le maître LePont^ut^
du pont de Paris , acufés d'avoir vouly favorifer ce ^^'^P*
projet. Ils furent eicécutés dans la place de Grève. Lorf-
que le boureau aioit décapiter le premier , il tomba
tourmenté par des convulfions : une partie du peuple
cria miracle, & dit que cete injufte exécution déplai-
foit à Dieu. Un avocat du Châtelet , apelé Jean Go-
dart , qui étoit aux fenêtres de Thôtél-de-ville , dit k
la multitude , Bonnes gens , ne veuilles vous émou--
voir Ji Raoulet [ c'étoit le nom de l'exécuteur ] eji ainji
chu at mauvaife maladie; car il en eft entaché ^ 6f en
chct Couvent.
Depuis quelque - temps le régfent faifoit travailler ^«J^^PV^^ ^^^
aux fortifications du marché de Meaux : fa fituation J^c^J*; "^^
dans une île formée d'un côté par la rivière de Marne uutm.
qui le fépare de là ville, & de l'autre par un canal, ïlf^Z^r
eft très avantageufe. La ducheffe de Normandie , la J^aui l^o^
princeffe fa fille , & Ifabelle de France , l'une des filles
du roi Jean , étoient alors renfermées dans cete j)lace,
(bus la carde de Gafton comte de Foix , de Cirailly'
Captai de Buch , qui s'y étoient arêtes en revenant' ^, • ^
de PrufTe * , & de plufieurs autres fei^neurs & ^^^^^ houÏL
chevaliers. Les fa£Heux de Paris , qui épioient l'oca- wt en panU
fion de s'emparer de cete fortereffe , faifirent le temps ^^^^^;;^/^^j
que le régent étoit parti de Meaux pour aler à Mon- toUntdanstu^
rereau-Fault-Yonne & à Sens. Etant fortis de Paris au fé^gt dy aicr
lîombre -de trois cents bourgeois armés fous la con- ^^^^^ '"^
duite de Pierre Gilles , épicier de cete ville , ils fe
joignirent en chemin à quelques compagnies de pay-
fans y & ariverent à Meaux , dont le maire & les ha-^
bitants leur ouvrirent les portes , nualgré le ferment
de fidélité qu'ils avoient prêté au régent.
Ils fe préfenterent en bataille devant le marché ; mais Uur défaite
ces bourgeois & ces ruflres , fans ordre & f^ns difci^
Tome V. Z
ly^ Histoire de. Frakce^
=== pline , furent repouffés & taillés en pièces k la pre-
Asp, i3;s« miere fbr,tie que fit fur eux le comte de Foix , luivi
feulement de vingt -cinq hommes d'armes. Ceux qui
purent fe dérober par la fuite forcirent de la ville avec
précipitation. Alors la garnifbn qui gardoit^ le marché ,
indignée de la perfidie des habitants de Meaux,, fe jeta
dans la cité y y mit le feu qui dura quinze jours , pafla
une partie des habitants au fil de Tépée , fe faifit du
maire de là ville ^ qui fut puni du dernier fupUce^ &
pourfuivit les fiiyaras Jufque dans la campagne. Il périt
ce jour - là plus de fept mille hommes. Ces troupes
de payfans ^ qui avoient accompagné les Parifiens p
furent prefque entièrement exterminées. Ce te défaite
donna le coup mortel à ta faâion de la Jacquerie ^ &
les troupes de ce parti n'ofoient plus paroitre. Le
jeune Enguerrand, fire de Coucy , avoit rafTemblé plu-
fieurs gentilshommes , à la tête dëfquels il les pour-
fuivoit y & les mafiàcroit fans pitié par-tout où il les
rencontroit.
Marcel arc- L'échec que les Parifiens venoient de recevoir à
wrv'I^c.^^^'^^ Tataque de Meaux , avoit confidérablement refroidi
Uidèm. 1^^ ardeur. Marcel intimidé par les ennemis qui le
Mém. dt Litt* meuaçoient au - dehors y jSc par La divifion intérieure
de la ville , dont il ne doutoit pas qu'une partie ne le
déteflât^ & ne Ibupirât en fecret après le retour du
légitime fouverain^ prit la réfolution d'à peler le roi
de Navarre à fon fecours y & de ranimer le zèle de
fes partifans par la pcéfence d'un chef acrédiré y qui
ayant des troupes à fes ordres, y pût foutenir fa fac-
tion, chancelante. Le Navarrois fe rendit à Paris y ha*
rangua. le peuple à foa orxlinaire^ Lorfqu'il out ceffè
de parler y Téchevia Confac dit q^e TEtat mal âdmi-
nifiré avoit befoin de quelqu'uaqui le zouveraât mieux/
Ce que le roi de Navarre étoit le feuf qui par £el naif-
fànce & par fes qualités perfonneles ^ méritât c^^tre
choifi pour capitaine- général. Quelques féditieux, ré-^
pandus dans la place i confirmèrent la propofition par
leur fufrage y mais le peuple témoignoit fi>n indigna-
J B. A K • I L 17^
rion par un morne filence. Perfonne cependant n'ofa -
contredire , & Marcel décida qu'on écriroit au nom Aim. 155^.
des Parifiens à toutes les villes du royaume^ afin de
les enga^r à confirmer Péleâion du roi de Navarre
pour capitaine-général de l'Etat.
Si , dans le cours de ces troubles , le Navarrois
conçut Quelque deiTein de monter fur le trône y ainfi
Que E^uiieurs de fes démarches le font foupçonner, il
dut bien connoicre alors le peu de fondement de fes
précendons. La plupart des gentilshommes ^ qui s*é*
coient atachés. k lui dans la faufie confiance qu'il leur
ayoic infpirée de la droiture de fes intentions ^ n'eu-
rent pas plutôt découvert les projets dangereux de fon.
ambition, qu'ils Tabandonnerent. Une grande partie
de la noblefle de Bourgogne, qui l'avoit fuivi pendant
cete campagne , fe reura , ne voulant plus fervir fous
les ordres d'un capitaine de bourgeois rebeles. Le parti
du régent fe fortifioit par ces déferdons , & ce prince
prudent mettoit à profit toutes les fkufies démarches
de fes ennemis.
La plupart des payfans foulevés avoient été exter- Le r^gene
minés. La noblefle , délivrée de cet obftacle , s'étoit JjP~^**^ ^^
4*endue auprès du ragent. Ce prince qui , pendant fon ûùUm.
féjour à Sens , avoir convoqué tous les gentilshommes
en état de contribuer à réduire les rebeles , & k re-
poufler les ennemis , fe voyoit k^la tête d'un corps de joookommes
plus de trois mille hommes d'armes. Avec ces forces i^\£%lf^
il s'avançoit vers Paris ,«dans la réfoludon de faire ixooo^Âom-
enfin éprouver aux habitants fédideux les juftes éfets ma.
de fon reflendment. Les troupes difperfées dans les 'W^*»"-
environs , pillèrent & brûlèrent les maifons de cam-
pagne des Parifiens. Le roi de Navarre , nouveau ca-
pitaine-général ^ fordt de Paris fuivi de fix mille hom-
mes ; mais il ne fit rien qui juftifiât le dtre qu'on lui
avoir déféré. Il ala d'abord k Gonefle > & s'aprocha de
la ville de Sq|||^ , fur laqude plufieurs nobles réunis
firent une teAtive qui tfe réuflit pas. Cependant l'ar*
mée du régent étoit à Chelles ^ abaye diftance de quatre
Z ij
i8o Histoire d£ France,
• Jieues de Paris. Il y eut là quelques conférences jiouf
Aao. i5j8. un acommodement. Le prince voyant qu'il n'étoit pas
pofïïble de le conclure , partit de Chelles , & vint
camper aux environs de Viqjpcnncs , de Confians & de
Charenton. Marcel de fon côté preflbit plus que jamais
les travaux des fortifications. Il avoit introduit dans
la ville pkfîeurs troupes d'Anglois & de Navarrois,
moins pour la défenfe de la place, que pour donner
de Tautorité à fon parti ^ qui commençoit k bailTer.
Spicti. cont. JDans ce temps-là même , quelques feigneurs atachés
deïiang. -au régent, S'étant aprochés jufque fous les murs de
-Pafis, provoquèrent les Parinens au combat j. mais ils
Je tinrent renfermés fans ofer répondre à ce défi , di-
fant a que leur defiein n'étoit pas de prendre \ts
» armes contre leur fîeigneur , mais qu'en cas d^ata*
y> que , ils étoient déterminés à fe défendre n.
Enerevne da ijt régent cédant aux folicitations de la reine Jeanne ,
dt^NaV^rc'^* confentit à une entrevue avec le roi de Navarre : pour
Chron. A«. ^^^ .^^^^ > ^^ drcfla un pavillon entre Vincennes &
durai Jean. Tabayc Saint- Antoine. L'armée du régent , compofée
de douze mille hommes , étoit campée Jiir les champs
en quatre batailles. Les troupes du roi de Navarre ,
.^ui ne montoient qu'à huit cents hommes d'armes , ocu*
E oient une montagne entre Montreuîl & Charonne.
.es troupes des deux partis fe tinrent éloignées du
lieu de la conférence Les deux princes convinrent de
.tout. Les prétentions du Navarrois furent évaluées à
400000 florins payables en ^iférents temps , & à dix
mille livres de rente en terre : il s'engageoit de fon
côté à s'unir avec le régent, envers Gr contre tous , ex-
cepté contnc le roi de France , & promettoit de porter
les Parifiens à fe foumettre , & a fournir trois cent
mille écus pour une partie de la rançon du roi , à
cdnditioii que le régent leur remtttroit^ toutes peines
criminelcs' pour, le paffe. Après la condufion de ce
traité, l'évêque dé Lifieux célébra Ui^mefTe dans le
pavillon même , en préfence des feignélirs & des deux
.princes, qui jurèrent l'jexécution de l'acommodemehtyir
Jean II. i8i
•
h corps dt Dieu facTt% que Tévéque tenoit entre fes '
mains. Le prélat alors partagea Thoftie qu il leur pré- ^^* ''^**
fenta. Le roi de Navarre , tout méchant qu'il étoit , ne
put foutenir cete épreuve : la préfeiice redoutable du
|uge des rois Tarrèta. Il dit que n'étant pas à jeun ^
il ne pouvoit communier , & révêque fut obligé de
confommer Thoftie.
Les deux princes fe féparerent : le Navarrois revint
à St-Denis ^^ & le régent retourna aux Carieres , foi-
blejnent convaincu de la fîncérité de fon ennemi ^ qui
ne tarda pas k manifefter fes véritables fentiments. En
éfet 9 deux jours après qu'il eut quité le régent , il vint
à Paris , fous prétexte de faire ratifier le traité. Les Pa*
rifiens 9 dit-on ^ ne voulurent pas 'y accéder. Le roi
de Navarre renouvela {t.s aliances avec eux , & leur
laifTa des troupes qu'il avoit amenées. Il y eut dans ce
même temps un combat près de la Grange -aux -mer-
-ciers , entre des troupes de l'armée du régent & des
rebeles , qui furent repouflés avec perte, Cete aftion ,
que les rarifiens avoient engagée , fournit au roi de
Navarre un prétexte de fe difpenfer de l'exécution du
traité : lorfqu'on vint le fommer de la part du régent dé
fe rendre auprès de lui pour Taider contrt tous y ainfi
qu'il Tavoit promis , il répondit que le prince , en ata-
3uant les Parifiens y avoit le premier enfreint Tacommo-
ement , & l'avoit relevé de fon ferment.
La pofîtion des troupes incommodoit les habitants de paris bio-
Paris. On avoit conftruit fur la Seine un pont de ba- qu^ - ravtgc
teau au-deflbus de Corbeil : à la faveur de cete comuni- ^^^™j)^^^^
cation , les détachements de l'armée faîfoient librement nil^ue. '
des courfes le long de la rivière, & empêchoient que SpUiLcontin.
rien n'entrât dans la ville de ce côté-là. Marcel, qui ^'"*^'
vouloit eflayer de ranimer la confiance par quelque
aâion d'éclat y fortit de Paris k la tête d'environ douze
cents hommes ; il furprit Corbeil , & détruiflt le pont.
C'étcSt précifement le jour du marché , auquel on avoit .
coutïÉpe de tranfporter du pain de Corbeil à la capi-
tale. Le prévôt des marchands , & les Parifiens qui l'a-
i82 Histoire d£ France,
. voient acompagné à cette e^jpédition , rentrerait en
Ami. iî5g. triomphe dans la ville. Voilà le feul exploit digne de
remarque , qui fe fit pendant refpece de blocus que le
régent avoit formé à Torient de Paris. Encore cete
aâion n'efk-elle raportée ,que par le continuateur de
Nangis , qui pouroit bien avoir confondu cete entre-
prife des rarifiens fur Corbeil , avec une autre qu'ils
firent pour détruire un pont jeté fur la Seine près de
Charenton ^ vis-à-vis la maifon des Carieres y ou le
régent étoit logé , à Tataque duquel ils furent repooffés.
Le roi de Xcs Parifiens 9 quelques jours après, firent une autre
Navarre fc fortic fous la conûuite du roi de N^avarre. Ce prince
oroutlle avec »/ /•/*• \i j' ^ ^
les Parifiens, S étant avaucé julqu*auprès des troupes du régent , eut
& fe retire. ' Une longue confërence avec les chefs du parti opofé »
s^Uii"'^^' a|>rès laquele il ramena fes gens fans avoir combatu.
de^NLlg^^'"' Cete conduite le rendit fufpcâ: : les bourgeois indignés
CAroniq. de de cc qu'il les avoit empêcnés de fignaler leur courage,
' ^^««« conçurent du mépris pour lui : ils s imaginèrent qu il
étoit d'intelligence avec les nobles , qu'ils regardoient
comme leurs ennemis. Dès ce moment il perdit leur
confiance , & ils le privèrent même du titre de capi-
taine : c'eft la raifon que le continuateur de Nantis
aporte de la retraite au Navarrois. Ce prince irité
contre les Parifiens , fortit de la ville , emmenant avec
lui la plus grande partie des troupes Navarroifes &
Angloiles de fa fuite. Ces troupes furent infultées par
le peuple , qui tua plufieurs Anglois* Quelques autres
hiftoriens ont prétendu que Charles le mauvais , s'a-
percevant que le parti des faâieux chanceloit > ne fe
crut pas en sûreté y & fe retira , laifiknt encore dans
Denis , où il demeura pendant quelque temps.
Noavdcscon- La reiile Jeanne étoit alors aujwrès du récent , dans
un^^^ÏÏ'c- ^^ dcffein de renouer les négociations. On tint denou*
ment. velcs coufércnces près de Vitry , à l'extrémité 4^ pont
Uidem. conflruit devant Carieres. L'archevêque de Tyon ,
Jean II. 183
commiiTaire député par fa fainteté pour ménager un ■
acommodemenc ^ s'y rendit acompagné de l'évêque de Ann* 1358.
Paris ^ &; de quelques bourgeois de Paris. Le roi de
Navarre y vint efcorté d'hommes d'armes & d'archers :
le régent n'y parue qu'acompagné d'une fuite peu nom-
breufe & fans armes. Ce fut dans l'un des bateaux qui
compofoient le pont , que^ la conférence fut tenue. Les
principales conaitions de l'acommodement y furent ré-
glées : les Parifiens dévoient fuplier le régent de leur
pardonner ; & pour réparation d!e leur conduite pafTée^
ils fe remettoient k fa difcrétion , avec la claufe qu'il
ne feroit rien décidé fur cet article y que par l'avis una«
nime de la reine Jeanne > du roi de Navarre , du duc
d^Orléans & du comte d'Etampes. On convint de fe
raflembler à Lagny quelques jours après , pour ratifier
cet acord. En conféquence y le régent s'engagea pour
préliminaire à laiiTer libres les panages ^ tant par eau
que par terre > du côté de la ville y que fon armée te-
noit bloquée. Il tint parole y en filant publier dans
fon camp que la paix étoit faite entre lui & les Pari-
fiens , &, les troupes fe retirèrent. Mais tout efpoir dé
pacification s'évanouit le lendemain de la conférence y
dont le réfultat paroit avoir été plutôt un projet d'a-
commodement y qu'un véritable traité. Les Parifiens y
loin de donner au régent les marques de foumifiîon
3vJiï atendoit d'eux y renvoyèrent avec des menaces &
es injures ceux qui vinrent de fa part fe préfenter de-
^^ant la ville. Cet obflacle venoit uniouement de l'obfti-
nation des faâieux , & du défefpoir oe Marcel. '
Ce fcélérat fe voyoic enfin à la veille d'expier fes for- Tenears de
faits : tourmenté par fa crainte plus que par fes remords , M*fccL
dévoré de foupcons & d'inquiétudes y il portoit en tous
lieux les foins lunefles dont il étoit déchiré. Il ne lui
refloit plus d!àucre ^fyle que dans l'incertaine proteâion
d'^un homme encore plus méchaflt que lui: fon Êdutdé*.
pendoit du roi de Navarre. Il avoit de fréquents en- (^onîq. de
tretiens avec ce prince , qui s'étoit retiré à Saint-Denis: MéZ^deUt-
Ik il employoit les fuplications ks plus bafies y reflburces térature.
N
1^4 Histoire de France,
- ■ des lâches & des traîtres : il le conjuroit de le garan-
Ann. 1358. tir , ainti que fes complices , des châtiments qui le me-
naçoient : il rapeloit à ce prince , qu'il iie s'étoit rendu
coupable que pour foutenir fcs intérêts , foiten lefai-
fant for tir de prifon , fôit en fe déclarant en toute oca-
fion pour lui contre le duc de Normandie , conimé fi
Ja voix des bienfaits eût été affez puifTante pour faire
quelque impreflion fur Tame de Charles le mauvais:
Ce roi , à qui les ferments ne coûtoient rien , rafTutoit
Froiffard^t.i. \q prévôt & fcs adhérents. » Certes j feigficurs & amis ,
^colI!^ » leur difoit-il, il ne vous arivera jamais de mal j que
yy je ne le partage avec vous. Ëendant que vous avez le
ry gouvernement de Paris , je vous confeille de vous bien
yy pourvoir d'or & d'argent , que vous puiffiez trouver
» dans le befoin. Vous pouvez vous en fier à moi , &
» me l'envoyer hardiment à- Saint-Denis , où je le gar-
yy derai bien , & j^entretiendrai fecrétement des gens
5> d'armes & des compagnons j qui ferviront k vous
yy défendre contre vos ennemis, a Marcel , quôiqu'a-
vare , crut qu'en fatisfaifant le Navarrois , il le procu-
reroit un protefteur déclaré. : il ne manqua pas dans la
fuite d'envoyer deux fois par femaine a Saine- Deni^
deux yàm/nier; chargés de norins*
LcsParificns Vainement par ces précautions le prévôt des mar-'
maltraitent les chands eflayoit de conjurer l'orage. Sort crédit s'afoi-
^^Uidcm' ^^*^^^ ^^ P^^ ^^ jour, & fes partifans commençoienc
à fe décourager. Un incident qui furvint dans le même
temps acheva de précipiter fa perte , en le ^rçant de *
recourir aux derniers expédients que le défefpoir & la-
rage lui fuggérerent. Outre les Navarrois & les An-
glois que Charles le mauvais avoit à fa fuite , &c dont
la plus grande partie s'étoit retirée avec ce prince à
Saint-Denis , il y avoit encore quelques troupes de ces
étrangers que les Parificns entretenôient à leur folde.
Le peuple, mécontent du Navarrois , & de tous ceux
par lelquels il s^étoit laiïTé gouverner jufqu'alors , fou-
piroit en fecret après le retour de fon légitime fouve-
cain : la préfence des J^nglois rapeloit aux habitants
de
J X A N I L 18^
de Paris le fouvenir de leur roi prifonnier k Londres. J
Le fpeâacle afligeanc des calamités qui défoloient la Ano. i^ys.
France , excitoic leur indignation : ils ne purent foufrir
plus long-temps , que les plus cruels ennemis du royau-
me femblaflènt triompher jufque dans le fein de la ca«
pitale : ils infulterent les Anglois , qui tentèrent de fe
défendre ; mais la partie n'étoit pas égale : environ
foixante Anglois furent tués dans le premier tumulte.
Marcel favorifa Tévadon de la plupart de ces étrangers:
toutefois il fut obligé , pour fatisfkire le peuple j de
confentir à Temprilonnement de cent cinquante An-
glois 9 qui furent enfermés dans le Louvre. Le roi de
Navarre fut très ofenfé de cete violence. Le prévôt ,
entièrement dévoué aux volontés de ce prince ^ fe ren^
dit au Louvre y acompagné de plufieurs hommes d'ar-
mes & archers y délivra les priionniers y malgré la ré-
fifiance des Parifiens y & les fit fortir de Paris par la
porte Saint-Honoré : ceux c^uî les efcortoient , avoieac
leurs arcs bandés y prêts k tirer fur le peuple.
La retraite des Anglois auprès du roi de Navarre Défaite Jet
augmenta le nombre des brigands /& multiplia les ra- Panficnspar
vages. Ces troupes maltraitées fe vengèrent en com- J^ioïc^^
mettant des déA)rdres horribles dans les environs de
Paris , & venant défier les habitants jufque fous les
murs de la capitale. Le Parifiens aflemolés tumultuai--
remeut% demandèrent qu^on les conduisit contre elles.
Le prévôt des marchands fortit avec douze cents hom-
mes , qu'il partagea en deux corps , afin , difoit-il , de
furprendre & d enveloper les Anglois. Il fe réferva la
conduite du corps le moins nombreux y avec lequel il
fe contenta de parcourir les endroits où il fçavoit bien
qu^il ne rencontreroit pas les ennemis , avec lefquels il
s'entendoit. L'autre corps cependant tomba dans une
embufcade dreffée près de Samt-Cloud ; les Anglois
en tuèrent iiif cents , & pourfuivîrçnt le rçfte jufqu'aux
portes de la ville. Marcel revinç de fon expédition fans
avQÎr combatu , & fut hué par la populace , lorfqu'il
rentra. Le lendemain de cete aâion ^ les parents & les
. TQmcF. • Aa
Ann. 1358.
Marcel veut
lîvr:r Paris au
roidcNavarrc.
Citron MS-
du roi Jean,
Chfoniq de
Saint Denis.
h'roijjard^
Spicd. contin,
de Nang,
Ml m» de
littératurt.
18^ Histoire DE France,
amis de ceux qui avoienc été tués , fortirent pour enle-
ver les corps : les Anglois les ataquerent une féconde
fois , & en maiGTacrerent plus de cent vingt.
Le roi de Navarre , tranquile fpeftateur de ces déf-
aftres , voyoit avec une fatisraâion fecrete les Parifîens
punis au gré de Ton reflentimenc. Il efjpéroit d'ailleurs
que les incommodités qu'ils foufroient , les ameneroienc
à fe livrer eux-mêmes entièrement à fa difcrétion. La
confufion étoit poulTée trop loin pour fubfîfter encore
long- temps dans cet état : il faloit que cete crife vio-
lente fe terminât par une révolution décifive. Marcel
n'efpérant plus obtenir du régent une grâce , dont fes
crimes Tavoient rendu indigne, déteflé de la plus grande
partie du peuple , dont il avoit été l'idole , en horreur
à tous les bons citoyens , n avoit plus rien à ménager.
Le feul parti qu'il avoit à prendre etoît , ou de s*enfe-
Velir fous les ruines de fa faâion , ou de s^abandonner
fans réferve au roi de Navarre qui le méprifoit , &
qui ne le regardoit que comme un vil initrument de
les méchancetés. Il ala le trouver fecrétement , &
drefla de concert avec lui un projet bien digne de la
noirceur de ces deux âmes crueles. Le fimple récit fait
frémir. Le prévôt des marchands convint de livrer, la
ville au Navarrois. Ses troupes , jointes aux rebeles ,
dévoient s'emparer à^ la Bajtillc Saint- Antoine & des
principales portes , fè répandre enfuite dans la ville ,
& ma nacrer tous les partifans du régent , dont les mai-
fons étoient déjà marquées pour cete horrible exécu-
tion , après Jaquele on auroit couronné Charles*le-
mauvais roi de France. C'étoit Févêquç de Laon qui
étoit chargé de cete cérémonie. Le nouveau monarque
eût cédé à Edouard les provinces qui fe feroient trou-
vées à fa bienféance , & lui eût fait hommage du refte
du royaume. On ajoutoit que le roi d^Angleterre , aullî-
tôt que la nouvele de cete révolution lui fcroit parve-
nue , de voit faire décapiter le roi Jean. Villani eft le
feul qui fafle mention de ce dernier article de la con-
fpiration que le roi de Navarre & Marcel avoicnt fort
bien pu méditer ;*mais il n*y a pas la moindre apa-
J K A N I I. 287
rence qu^Edouard fc fut prêté â féconder les projeta des ■ f
iëditieux par la mort du roi fon prifonnier. Ce mo- Ana. xjjs.
narque étoit incapable d'une pareille horreur y & Ton
ne peut fans témérité détrir fa mémoire par une impu*
tation il odieufe. Il eft bien vrai que dans ce temps-lk
même les agents du roi de Navarre k Londres conclu--
rent entre ce prince & le roi d'Angleterre un traité ,
dont incefTamment il fera fait mention ; mais ce traité
n'a d'autre objet que la continuation de la guerre : &
loin qu'Edouard paroiiTe confentir à faire périr le roi
Jean & à recevoir l'hommage de Charles-le-mauvais
pour le royaume de France , l'Anglois .au-contraire n'y
parle que de fes prétentions à la couronnti Ce ^u'il y
a de certain , c'eft que le roi de Navarre amufoit éga-
lement le régent par des négociations qui paroifToient
ne tendre qu'à rétablir la paix , & le roi d Angleterre
par l'eljpérance d^embraifer fon parti & de Taider à con-
quérir la France. A la faveur de ces intrigues , trom-
pant la défiance de l'un ^ & tirant des fecours de l'au-
tre , il fe frayoit une route fecrete k la révolution qu'il
projetoit , & qui étoit fur le point d'éclater , fi la tra-
nifon de Marcel n'eût été prévenue.
Le prévôt des marchands ayant pris toutes les me- i^ortJcMar-
fures qu'il croyoit nécefTaires pour l'exécution de fon cd , réduaion
projet, fit avertir le roi de Navarre de s'aprocher avec de Paris.
des troupes : il devoit lui ouvrir les portes à un fignal -ï*'^*"»*
convenu. Pour cet éfet, pendant la nuit qui précéda
le premier Août , il vint à la porte Saint-Antoine ,
Tune de celles qu*il avoit promis de livrer : ayant ren-
voyé une partie des bourgeois commis k la ^arde de
cete porte & leur ayant fubflitué des gens k la dévo^
rion , il prit les clefs des mains de l'oficier qui en étoit
dépofi taire. Jufque-là il n'avoit rencontré aucun ob-
Aacle k fa trahifon : la ville aloit"^ devenir la proie' du
Navarrois , lorfqu*un fidèle & généreux citoyen , fur-
venant avec une troupe de fes amis , arêta les fureurs
de Marcel, & fauva fa patrie. Ce bourgeois, digne
d'être immortalifé dans les annales de la nation , fe
Aa ij
i88 Histoire de FrasTcè,
'" noityiioîc Jean Maillard : il étoit capitaine d*un des
Ann. ij;8. quartiers de Paris. Ataché conftamment k fon prince
légitime, il n'atendoit que le moment de faire éclater
fon zèle : les intrigues de Marcel n'avoient pu être fi
fecretes qu il ne les eût pénétrées. Il arive au moment
que ce perfide aloit conlommer fon crime, il Taborde :
Etienne y lui dit -il, que faites -vous ici à cete heure ?
Jean , répondit le prévôt , à vous qu^en monte [ qu'im-
porte] de le fç avoir ? Je fuis ici pour prendre garde
à la ville dont j^ai le. gouvernement. Pardieu , reprit
Maillard , il nUn va mie ainfi j ains n^étes ici à cetc
heure pour nul bien , & je vous montrerai , conti-
nua-1- il en-«'adreflant à ceux qui étoient auprès de
lui , comme il tient les clefs de la porte entre fes mains
pour trahir la ville. Jean , vous mente:[, répliqua le
prévôt, mais vous , Etienne y mente:^ , s'écria Maillard
tranfporté de fureur. En même-temps il levé fa bâche
d^armes : Marcel veut fuir ; il le Joint , le frape k la
tête ; & quoiqu'il fût armé de (on bafiinet , il le
renverfé k fes pieds. Ses compagnons fe jetent fur les
gens du prévôt ; ils en mafiacrent une partie, & s'af-
furent des autres. Maillard marche vers la porte Saint-
Honoré , par laqùele les Navarrois dévoient aufli être
introduits. En traverfant la ville, ils éveillent le peu-
ple , Tapelent k la défenfe de la sûreté commune : ils
racontent ce qu'ils venoient de faire; ils arivent k la
Î)orte , font main - bafl'e fur tous ceux qui veulent
e mettre en défênfe , arêtent ceux qui ne réfiftent
point , & les conduifent en prifon , ainfi que la plu-
part des autres complices de Marcel, qui furent laifis
cete même nuit dans leurs lits.
Le peuple excité par les cris de Monjoit Saint--
Denis , mêlés avec les noms du roi & du réeent s'af-
ieitible tumultuairement. Les rues fe rempliflent d'une
foule dTîabitants en armes : tous les faâieux qui fe
préfentent font mâflacrés. En vain les autres fe réfu-
gient dans leurs maifons : il n'ett plus pour eux d'afylc
contre l'emportement d'une mulcitude iritée : on en--
J E A N I I. 189
fbhce Ids portes , on les charge de fers j on les traîne '■
en prîfon. Un des principaux auteurs des troubles a Ana, x^^s,
feul le bonheur d'échaper à la vengeance publique.
Uévêque de Laon , ce prélat coupable de tant d'aten-
tats trouve le moyen de fe fauver , tandis que le corps
de fon complice Marcel eft traîné dans les rues par
la populace , oui croit , par mille outrages fur un ca-
davre infenfible^ fe venger du traître qui Ta portée à
la révolte. Tel , par un ordre de la Providence, eft
ordinairement le fort des chefs de fédition , que la
feveur populaire n'élevé que pour les précipiter avec
plus d éclat. On ne peut s'empêcher de remarquer
comme un éfet de la juftice divine , qu'après leur
mort , Marcel & quatre de fts plus criminels com-
plices 9 qui avoient trempé dans le meurtre des deux
maréchaux , furent portés couverts de fange , fanglants
& déchirés , k Sainte Catherine du Val des écoliers ,
& jetés fur le tombeau de ces deux feigneurs , où ils
demeurèrent expofés,ainfi^que des viôimes expiatrices.
Dès que le jour parut , Maillard affembla le peu- -p„nîrion Jc$
{>\c aux Haies : il prononça un difcours pathétique fur complices de
es malheurs qui avoient afligé la ville depuis le com- ^«^^«j-
mencement des féditions : il déclara les motifs qui Ta- J*'*^«.
voient excité à tuer le prévôt des marchands , quoi-*
qu'il fût fon comperc. La harangue fut écoutée avec
un aplaudiilèment général .: tous demandèrent à grands
cris qu'on punît les perfides qui avoient voulu trahir
la ville , le roi & le régent. Enfuite le confeil des pm-^
d^ hommes [on donna vraifemblablement ce nom à des
commiflaires ctoifis parmi les principaux bourgeois]
travailla au procès des partifans de Marcel y qui avoient
été emprifonnés. Plulieurs furent punis les jours fui-
vants de diférents fuplices ; la plupart furent apliqués
à la queftion avant que de mourir. Les prifons étoient
remplies de ceux qu'on arêtoit à tous moments. Comme
une infinité de gens de la plus vile populace profitoienc
de ce premier tumulte pour piller les maifons des prof»
crits > le confeil de la ville nt publier une défenfe très
190 Histoire de France,
T— —^"^ févere d'atenter à leurs biens ou aux perfonnes de kurs
Aûfl. 1358. femmes & de leurs enfants.
La face de hi ville écoic bien changée. Le peuple ne
fbupiroic plus qu'après le retour du régent , aont quel-
ques jaurs auparavant on n*eût ofé prononcer le nom ,
fttns s'expofer k perdre la vie : les cnaperons mi-partis
étoient évanouis : les principaux chefs des rebeles
étoient morts ou chargés de fers : ceux qui n^avoienc
pas encore perdu leur liberté , voy oient avec éfroi leurs
SpiciLeont. Complices traînés au fuplice. Parmi ces malheureux, on
icNaog. comptoit des citoyens dont la conduite, jufqu*au mo-
ment des troubles , avoit été irréprochable , mais que
l'exemple de leurs parents ou de leurs amis , la terreur
qu*infpiroit Marcel , & les féduâions du roi de Na-
varre avoient entraînés dans le parti des révoltés. Un
de ces bourgeois , généralement eftimé , s'écrioit , lorf-
Uidem. qu'on le conduifit à la mort : Malheureux que je fuis î
0 roi de Navarre j plût au ciel que je ne t^eujje jamais
vu ni entendu !
Le régent rc- On députa vers le régent, Simon Maillard & deux
^^rî^^""* confeillers au parlement, Jean Alphons & Jean Paf-
Saint^Deniu wurel. Ces députés trouvèrent le prince à Charenton.
chron. MS. Us lui rendirent compte de ce qui s^étoit pafle , & le
ftiplierent de la part des Parifiens d^achever de rendre
le calme à la ville par fa préfence. Charles écouta les
députés avec bonté ; il leur promit de les fuivre incef-
famment, & les chargea d'afTurer les Parifiens de fon
afeâion & de fa clémence. Peu de jours après il vint
à Paris , acompagné du maréchal a Andreghen , &
du feigneur de Roye & d'un nombreux cortège de
feigneurs & de chevaliers. Il fut reçu aux aciamations
Chrifi. de de tous les habitants. Le lendemain de fon arivée, le
Pifan , MS. i^égent partit du Louvre où il étoif logé , pour fe ren-
lag^i^lnBo. dr® à rhotel-de-ville. Les rues par lefqueles il padà,
étoient bordées d'une multitude de peuple, qui le com-
bloit de bénédidions & de proteftations de fidélité.
L'infolence d^un bourgeois lui fournit une bêle oca-
fion demanifefter k grandeur de fon ame. Cet homme fy
Jean II* 191
préfentant devant lui avec éfronterie 5 lui dit: Pardicu , ■•
jirc y fi j^^^ fiilf^ <^ru, vous ny fujfici ja entre ; mais Ann. i^^i^
au fort on y fera peu pour vous. Tous les feigneurs
qui acompagnoient le prioce furent indignés d'une pa-
reille audace : le comte de Tancarville fe mit en devoir
de punir ce téméraire ; mais le priince ^ fans s'émou<-
voir , arêta l'emportement de c^e feigneur , & regar-
dant le bourgeois en fouriant, fe contenta de lui ré-
pondre , On ne vous en croira pas , beauRre. Il pour-
luivit fa marche , laiflant tous les fpeoateurs auffi
furpris que charmés de fa modération.
Etant arivé k l'hôtel -de- ville , devant lequel une
foule d'habitants étoient raflemblés ^ il dédara publi-
3uement tout le détail de la conffHranon qu'on ycnoit
e prévenir. Il aprit au peuple que le deifein de
Marcel , de Tévêque de Laon & de leurs complices^
étoit de livrer la ville aux Anglois & aux Navarroi^,
de maffacrer tous ceux que l'on fçauroit être atachés
à leur fouverain , & de couronner enfuite Charles-le-
itiauvais. On avoit découvert les particularités fecretes
de la conjuration ^ tant par l'aveu des coupables apli-
oués à la torture , que par la détention de Thomas
de Ladit , chancelier du roi de Navarre , qui avoit été
arête dans le moment qu'il aloit fortir de Paris , dé-
guifé en moine : il fut exécuté quelque -temps après.
Le prince termina fon difcours par l'aflurance qu'il
donna d'enfevelir dans l'oubli tout ce qui s'étoit paffé
pendant ces temps de troubles , & de réduire les éfets
de fa juftice à la punition des auteurs de la revente,
qui par leurs violences & leurs intrigues avoiem gd-
rompu la fidélité de leurs concitoyens.
Pour donner une preuve évidente que -cete promefle
n'avoit point d'exception oui pût alarmer la cranquilité
de ceux qui avoient eu le malheur de pariâdper à la p^^^^^ ^^
fédition , le prince acorda aux prières de Gentien ckart.reg.ie.
Triftan ^ nouveau prévôt des marchands , des échevins p^g- ^o.
& des jM^incipaux bourgeois de Paris, des lettres {a)
(a) Cet Ictucs imprimées dans le quameme yolome des ordoonanccs^ p. .}4^ »
I
t^x Histoire de France,
■ d'abotition générale , ne déclarant exclus de cete
Aon* Il 58. grâce que deux , cjui s'étanc rendus coupables de haute
trahilon , étoient indignes d'éprouver la clémence du
fouveraîn. Toujours atentif à difliper jufqu*aux moin-
dres équivoques , Charles dans ces lettres s'expliqua
fur la nature du crime de haute trahifon : il entendoit
défigner par ce terme ceux qui étoient ou auroient été
du confeil fecret /ur le fait de la grande trahifon dudit
prévôt & de fis complices , c^eji à fçavoir de vouloir
atcnter à la vie du roi & du prince régent , ou de Us
tenir en prifon perpetucle, & défaire le roi de Navarre
roi de France- La plupart de ceux qui étoient coupa-
bles de ces forfaits , étoient arêtes ou évadés. Les
Parifiens rafTurés par ce garant de la bonté du prince ,
rentrèrent dans leur devoir, & lui vouèrent un ata-
chement inviolable. Charles pouffa la générofité juf-
3 u*à remettre aux femmes & aux enfants de plufieurs
bs coupables, une partie de leurs biens confifqués,
fans même en excepter la veuve de Marcel, & celle
de Téchevin Confac , qui avoic été exécuté. Cete der-
nière époufa en fécondes noces Pierre de Dormans ,
neveu du chancelier.
LcroidcNa- La nuit que Marcel devoit livrer la ville, le roi de
wEdoMrd!" Navarre s'étoit préfenté à la porte Saint - Antoine :
Chron.MS. l'ayant trouvée fermée contre îbn atente, il craignit
yuiaai. que quelque nouvel incident n'eût fait échouer Tentre-
prife : le tumulte qu'il entendit , redoubla fon inquié-i
cude : il envoya de fes gens à la découverte, & fue
bientôt inftruit de ce qui s*étoit pailé. Il voulut répa-
rer ce contre-temps en ataquant la ville ; mais il fuç
repouffé vigoureufement y & revint à Saint-Denis tranf*
porté de colère contre les Parifiens. Il leur fit éprouver
les éfecs de fon refientiment , en ravageant les environs
de la capitale. Quelques jours après , il reçut la nou-
raportent une paftic des faits furTenus pendant les troubles de Paris : ic cet
faits ezaé^ment conformes à ce qui a et^ dit ci-deflus , achèvent de donnée
un caraâere de yiiïii incoAteftablc aux andcos éciivabs qui en fournifTene
ks détails.
vclo
T E A N IL 193
Vele du traité conclu entre fcs agents & le roi d'An- .
gleterre, La date de ce traité eu du premier Août, le ^«o- nf«-
jour même «^ue le complot de Marcel devoit éclater, ^f/'^^''* ^^*
Cete convention portoit que le roi de Navarre aide- ^]^\[^foij^.
roit Edouard de tout Ton pouvoir pour conquérir la
France ; & que dans le cas où ces deux princes pou-
roient y réuflir^ Charles auroic pour fa part les comtés
de CKimpagne & de Brie, les comtés de Chartres &
le bailliage d'Amiens , & que les autres provinces
âpajrtiendroient au roi d'Angleterre , réfervé de faire ,
droit au Navarroi« fur fes prétentions au duché de
Normandie.
Le Navarrois lié déformais avec TAngleterre dont
il fe promettoit un puiffant fecours» n'eljpérant plus
rien des Parifiens depuis la découverte & la punition
de fes complices , ceUa de garder des mcfures avec le
régent, ^u il avoit prétendu amufer jufqu'alors par des
négociations & des traités démentis ou violés prefque
toujours au(&-tôt que conclus. £n fe retirant de Saint*-
.J^enis., qu'il abandonna au pillage avant que de s'en
éloigner , il l'envoya défier ouvertement. Il marcha ^T^^^^^ ^^'
enfuite vers Meljun qui apartenoit à la reine Blanche pag'[i^f'^^'
fa fosur , & dont cetp princeSe lui ouvrit les portes:
il s'emparar de l'île & de la partie de la ville ficuée
vers la Brie : les troupes du régent s'étoient fortifiées
dans l'autre partie. Jrhilippe de Navarre de fon coté
rentra dans la Normandie , jeta de fortes earnîfons
:dans les villes de Mantes & de Meulan , par le moyen
defqueles il fe rendit maître du cours de la Seine , &
£ut en état de faire des courfes dans le pays Chartrain
& jufqu'aux environs de Paris. Les troupes Angloifès
fp joignirent alors aiix troupes Navarroifes plus ou-
vertement qu'elles n'avoient tait jufqu'alors ; & par ce
moyen Edouard, malgré la trêve , continuoit tou-
jçiurs les hoflilités fous le nom du' roi de Navarre. Le
politique Anglois efpéroit afoiblif le royaume , en
fomentant fecrétement les divifions qui le déchiroîent ,
parties fecours indireâs & la proteâion tacite qu'il
To/ne F. Bb
Add. 1558.
Défenfe de
fonner les clo-
ches quand les
TÉprcs fcroicnt
£nies.
Froijfard.
SpiciL cont,
deNang,
PîUages &
brigandages.
Culture des
terres aban-
données.
194 Histoire de France,
acordoit k Tun des deux partis. Il entretenoic cepea-
dant le roi Jean & fon fils de refpérance d'un acommo-
dément: prochain. Cete conduite étoit éfeâivement une
voie prelque affurée de forcer la France à fubir les con-
ditions qu'il voudroit difter.
Chaque jour ajoutoit quelques nouveles infortunes
aux calamités qui afiigeoient la nation. Les villes les
mieux fortifiées n'étoient pas exemptes de la terreur
générale , & il faloit être perpétuélement fur fes gar-
des. Ce fut vers ce temps qu'on défendit de fonner les
cloches dans les églifes œ Paris depuis les vêpres
chantées jufqu'au grand jour du lendemain , dans Tapré-
henfion de troubler par le moindre bruit Tatention des
fentineles qui veilloient pendant la nuit pour avertir
de Ta proche des ennemis. On excepta de cete défenfe
le couvrefiu (a) qu'on avoit coutume de fonner tous
les .foîrs à Notre-Dame. A cete heure les chanoines
après les complies chantoient tout de fuite les matines ,
qu'auparavant ils ne difoient qu'à minuit. Peu de pla-
ces échaperent au pillage & à l'incendie , & la plu^
part eflbyerent ce malheur plus d'une fois.
Les garnifons cantonnées dans les villes & les for-
tereffes formoient autant de troupes de fcélérats qui
ne laiiToient paiTer aucune ocafion d'exercer les plus
afreux brigandages. Toute communication , non-feu-
lement de province à province , mais même de cités à
cités étoit intérompue. On voyoit les chemins couverts
d'herbes & de ronces : les maifons , les églifes , les
(a) Aneienaemcnt dans la plaoart des TÎHes policées on zvcniSoit par le (on
d*une cloche les habitants de le renfermer chez eux & d'éteindre leur feu ,
précaution que la ouancité de bois employée dans la conftru^iion des maifon»
dé nos aïeux rendoit nécefTaire : on fonnoit cete cloche à fept heures du foir
dans rhiver ; c'eft ce qu'on apeloit Theure du couvre -feu. Il n*étoit plus
permis alors d*aler dans les rues à moins au on n*eût une lumière , afin de
mévenir les brigandages qui auroient pu U commettre pendant VohCcxaiié :
la garde des plus grandes villes nétoit pas alors exercée avec cete régu-
larité qui fait aujourd'hui la s&reté de nos cités les plus tumukuenfes.
C'eft à cete heure du couvre-feu que la première inftitution de VAngtius fixa
le moment de la prière qu'elle prefcrit. Il en a déjà été queftion dans le vo*
lume précédent, yid* Giogl di du Cangeadverè. Ignitagium & Ai^cius.
Jean IL 19^
monafleres , en un mot tous les bâtiments qui pou- =5!!ï!!^55
voient être fortifiés, étoient ou remplis de troupes ou* An». 1358.
détruits également par les deux partis. Les Anglois &
les Navarrois les renverfoient pour fatisfaire leur ini-
mitié : les troupes du régent ne les épargnoient pas '
davantage , pour priver les ennemis des retraites qu'ils
auroient pu s'y former. Les monafteres étoient aban-
donnés : on ne voyoit dans les villes que des perfonnes
religieufes des deux fexes qui acouroient de toutes parts
chercher des afyles contre les fureurs de la guerre.
T,cs habitants des campagnes expofés à toutes fortes de
ravafi^es y après avoir payé tribut aux diférentes troupes
qui les rançonnoient y & n'en ayant pas été traités
{>lus favorablement y furent contraints de renoncer k
a culture infrudueufe de leurs terres. Ou ne labouroit
plus : les champs déferts & ftériles n'étoient plus ocupés
€^ue par des bandes de foldats & de briganas. Le con- .
tmuateur de Nangis y pour donner le dernier trait au
tableau de la défolation de la France, ajoute que» la
y> mifere devint fi grande , qu'elle s'étendit jufqu'aux
n chefs du clergé qui jouïiToient aup^aravant des plus
y> confidérables revenus. On ne voyoit plus dans Paris
y> & dans les autres grandes «villes qu'abés & abefies
5> ocupés à^ chercher les moyens de fubfifter. Les pré-
y> lats & grands bénéficiers , qui autrefois auroient
y> rougi de marcher en public , à moins qu'ils n'euflent
» été acom pagnes du faftueux cortège d'une multitude
y> d'écuyers , de domeftiques & de chevaux , étoient
^y alors dans l'humiliante néceffité d aler à pied , fuivis
5> feulement d'un moine ou d'un valet , & de fe con-
yy tenter d'une nouriture frugale a.
Ce fcroit abufer de la patience du leâeur que de le
fatiguer par les détails auffi révoltants qu'ennuyeux des
opérations d'une guerre qui fe faifoit par-tout dans le '
même temps : il aimera mieux fans doute embrafiër
les principales expéditions dans une narration rapide ,
qui fans lui laiffer rien ignorer des faits eflencicls , fu-
primeles moins importants. Ces détails ne produireicnt
Bb ij
1^6 HlSTQlfLE DE FHAKCE.
-- qu'une répétition monotone d'aâions dans lefqueles^î
Ann. 1358. on voit toujours régner la même fureur : prifes & re-
prifes de petites places y démolitions de châteaux , de
forterefles , combats multipliés prefque à Tinfini , où
Ton Te difputoit la viâoire avec autant d'acharnement
Î|ue fî la fortune de chaque parti en avoit dépendu :
uccès cependant qui n'aportoit d'autre avantage que .
celui de rendre les vainqueurs maîtres de quelque petit
canton , difputé le lendemain par quelques troupes
du parti contraire. Comment d'ailleurs feroit-il poflible
de ne pas s'égarer dans ce cahos d'événements confus ,
& dont les écrivains , même du temps où ils fe font
paffés , n'ont pu démêler Tobfcurité ? C'eft iur-tout
dans rhifloire de ces temps de défordre & de trouble
ou'on peut avancer avec vérité , qu'il eft plus aifé de
dire tout» que de ne dire que ce qu'il faut.
Défordrcsclcs ^^ principal defTein du roi de Wavarre étoit de ref-
compagnies, férer & d'afamer la capitale. Il s'étoit emparé des pa(^
fages fur les rivières qui pouvoient y conduire des
provifîons. Maître de l'Oife par Creil^ de la Marne
par Lagny , il coupoit la Seine au-defTus & au-defTous
de Paris par les garnifons de Melun y de Mantes 6c de
Meulan : il tenoic encore, les fortereffes d' Argenteuil ,
de Franconville & de Croiffy , par le moyen defqueles '
il refféroit la ville de ce côté-là. Le régent raffembloit
des troupes : il fe trouva obligé de prendre à fa folde
plufieurs de ces compagnies de brigands qui infef-*
toient le royaume. L'état de fes finances ne lui per*
mettant pas de payer leurs funefies fecours y ils com-
mirent Qts défordres afreux dans tous les endroits où
il les diftribua y quelques-uns même de leurs chefs
traitèrent fecrétement avec les ennemis y & formèrent
une confpiratipn qui fut découverte. La punition de
ces traîtres produifit la défertion de leurs troupes ,
Î[uî alerent (e joindre au Navarrois. Ce prince , qui
e trouvoit en état de les payer par le moyen des fom-
mes qu'il avoit tirées de Marcel , voyoit journélement
grolBr le nombre de fes partifans. Cete jonâion lut
A » II.
197
:R>urnit pendant quelque temps les moyens de pouffer ™**— '^— S
les hoftilités avec chaleur. ' Aim. i^yir.
Les villes de Picardie & de Vermandois , fur les sîcgc de
diemandes du régent , fournirent un corps de troupes ^«»»confcii.
fous la conduite de Tévêque de Noyon, & des fei- rf,^!^^^'/'"*'^
gneurs de Coucy, de Ravtnal on Ravënel , de Chauny Froijfiud.
& de Roye. Ils formèrent le fiegc du château de c^on.MS^
Mauconfeil , place importante par fa fituadon. Jean
de Pecquigny , averti du danger où étoit ce fort ,
arive k la tête de la garnifon de Creil , s'aproche des
ailiégeants à la faveur d'un brouillard , les furprend
dans leur camp, & les met en fuite. La plupart des
feigneurs furent tués ou pris : Tévêque de Noyon
étoit au nombre de ces derniers. Les ennemis firent
lin butin confidérable , tant par le pillage du camp oh
ils trouvèrent quantité d'armes & de joyaux , que
par les rançons de leurs prifonniers. Les chevaliers
aquitoient ces rançons en chevaux ou en argent, &
les boui:geois en ttofts , en fers de glaives , en haches ,
en épées , en Jacques , en pourpoints , en hou:^eaux &
en outils. Les Navarrois obligeoient ceux que leur
fortune mettoit hors d'état de payer leurs rançons , de
fervir dans leurs troupes pendant un certain temps.
On fe fortifioit de tous côtés , les feigneurs n'étoient
ocupés qu*à garantir leurs domaines , tout le monde
devenoit guerrier. Un écléfiaftique nommé le chanoine
de Robefart , cantonné dans le La«iois , s'étoit rendu
la terreur des Ânglois & des Navarrois dont il avoic
exterminé plufieurs partis.
Le roi de Navarre, qui entretenoit des intelligences Entreprife fat
dans les villes qui tenoîent le parti du régent , fit Amiens.
tenter une entreprife fur Amiens , dont quelques bour- iMm.
geois avoient promis de le rendre maître. Ces traî-
tres introduifîrent fecrétement des hommes d'armes
dans leurs maifons. Tout paroiifant difpofé , Pec-
3uigny vint de nuit à la tête d'un corps de troupes ;
furprit le fauxbourg dont il s'empara : mais n'ayant
pas fuivi ce premier avantage aflez promptement ^ il
j
19^ Histoire de France,
-. donna le temps aux habitants de la vilk de fe mettre
Ann. I.3J8. en état de renfler. Cependant , foit par un éfet du
hafard , ou de quelque avis , le connétable de Fiennes
& le comte de Saint - Paul ariverent dans la ville par
un autre côté : ils avoient des troupes avec eux ; les
Navarrois furent repoufl'és avec perte ; & vojrant
qu'ils ne pouvoient emporter la ville, ils fe retira--
rent dans le fauxbourg qu'ils abandonnèrent après
Tavoir pillé & brûlé. Trois mille matfons {a) furent
la proie des flammes. Dès que le jour parut , on fit
dans les maifons de la ville la recherche des coupables
de coœ trahifon. Plufieurs bourgeois furent arêtes ,
dix-fept furent exécutés publiquement: Tabé du Gard,
& Fremin de Coquerel maire de la ville , étoient du
nombre de ceux qui furent décapités. Il fe fit dans
le même-temps un autre tentative fur la ville de Laon
que Pévêque vouloit livrer aux Navarrois. La conju-
ration fut découverte : le perfide prélat eut le bonheur
d'être aflez promptement averti pour s'échaper de la
ville & fe retirer a Melun auprès du roi de Navarre ,
laiflant ks complices expofés au châtiment qu'il eût
partagé avec eux , s'il avoit été arête.
Confpira^ On n'entendoit parler que de confpirations : il fe
^^^' pafibit peu de femaines qu'on n'en découvrît quelque
nguvele. Le régent ayant été inftruit qu'il s'étoit formé
un complot d'introduire dans Paris des troupes du roi
de Navarre , fit arêwr plufieurs bourgeois de cete ville.
Quelques habitants fe rendirent en tumulte à l'hôtel*
de-ville : Jean Culdoé prévôt des marchands réfifla
aux demandes qu'ils lui tirent d'aler foliciter auprès du
prince Télargiflement de ceux qu'on avoit emprifon-
(a) II parole furprenant que le fauzbourg d'Amiens fôt alors compof<f de
trois mille maifons , les quacre faaxbourgs de cette ville nea contenant pas
aujourd'hui deux-cents chacun. Cependant toutes les chroniquesdu quatorzième.
iîecle font d'acord fur ce nombre de trois mille j & comme il n*efl pas écrie
en chiffres s il ne peut y avoir d*erreur. Le fçàvant Académicien oui a fourni
des mémoires fut la vie de Charles4e-manvais , n'a pas fait . dtii culte d'a-
dopter le même nombre de trois mille , fondé probablement fur les mémec
autorités. Il faut fans doute qu'Amiens , fur-tout. par fes fauzbourgs , ait étî
^iv:içniiemcD( unç ?i|lç plus conûdéiable ^qu'elle ne Tçft de nos jours.
Jean I I. 155
nés. Le lendemain le régent acompagné d une nom- '■
breufe efcorte , vint à la place de Grève : il monta Ann. x^^a.
fur les degrés de la croix d'où il parla au peuple , &
il les aflura que ceux qu'il avoit fait arêter étoient par-
tifans du roi de Navarre , & qu'il en avoit des preuves
certaines. Un bourgeois qui avoit eu des relations avec
le roi de Navarre , confirma par ferment la vérité de ce
Î[ue le prince venoit de déclarer : cete démarche apaifa "
e peuple. Cependant le régent qui vouloit gagner les
cœurs par fa clémence , après avoir fait inftruire le
procès des coupables , leur pardonna (a).
li^^ cardinaux de Périgord & d'Urgel , légats nom- Prife Shmtt^
mes • par fa fainteté pour négocier un acommodement "•
entre le roi de Navarre & le régent, après avoir em- ^?"^'?* ,
I ^ • .| 1 -i- r * • Chroma, de
ployé inutilement leur entremile , turent contraints Saint-Denis.
de reprehdre la route • d'Avignon. Ils n'avoient pas MémdeUt*
été plus heureux dans un voyage qu'ils ayoieut fait à * '^^^^^^
Londres pour traiter delà paix entre les dei^x couronnes.
Une troupe d'Anglois & de Navarrois compofée au
plus de mille hommes , s'aprocha d'Auxerre ^ que dé-
fendoit une garnifon de deux mille hommes. La place
ëtoit fi mal gardée que les ennemis s'en emparèrent
dès le premier éfort. La garnifon & les habitants payè-
rent chèrement leur négligence : la ville fut pillée , & '
le butin fut évalué à plus de cinq cent mille moutons
d'or : Guillaume de Châlons , fils ^m comte d'Auxerre ,
fut fait prifonnier. Les Navarrois ayant paiTé huit jours
dans la ville , menacèrent les habitants de les renfer*
mer tous dans un quartier de la place & de brûler le
refte s'ils ne vouloient confentir a racheter leurs per-
sonnes & leur ville. Il falut fubir la loi des vainqueurs :
on demeura d'acord de donner quarante mille moutons
d'or & quarante perles eflimées dix mille gloutons
(a) Villanî qui raporte cete ccajuration dans laquelle il envelope les comtes
<I*Etainpes & de Koufly , [ on a va ci deiTus^dcs témoignages bien fenfibles
éc la iidéHté de ce dernier i Toccafion de la tenae des Etats de Champa^
gne ] , dit que le régent fit exécuter les bourgeois & pardonna aux comtes }
mais fon témoignage ne peut balancer celui de tous les écrivains de la ns^
tion » qui difent formélement le contraire.
açx> Histoire de France;
-. " d'or. Les habitants dépouillés entièrement , nVtoient
^n. z};3. pas en état de fournir cete fomme : ils mirent en gage
entrç les mains des ennemis pour sûreté du paiement ,
les joyaux de Téglife de S. Germain , qui ièule avoit
* été exceptée de la fpoliation générale. Les habitants
s'obligèrent de payer à cete égUfe une rente annuele de
trois mille florins;^ en cas qu'il ne leur fût pas poffîble
de retirer ces gages. Cependant les Anglois continuè-
rent de demeurer dans la ville & d'y vivre à difcré*
pon : ils abatirent les portes & les fortifications ^ &
comblèrent les foifés y tandis que des bourgeois déb-
outés dç la part de$ malheureux habitants étoient aies
a Paris pour fotiçiter auprès du régent la confirma*
tion du traité auquel la néceflité les avoit contraints de
fe foumettre, & pour obtenir quelque fecours d^ar*
gent. Ils furent volés à leur retour.
La plupart des capitaines Anzlois ou Navarrois s'é«-
Coient formé des établifTements oans des villes ou forte^
refTes d'où ils exerçoient impunément les plus afreux bri«
«gandages : ils pilfoient ou brûloient tous les cantons
qui fe trouvoient à portée de leurs courfes , & Ton
étoit quelquefois furpris de fe trouver ataqué à Tim*
provifte par une troupe de brigands dont la réfidence
çtoit éloignée do plus de trente lieues. L'unique précau-p
jtion pour fe mettre à l'abri de leurs violences étoic
d'acheter de ces capitaines des fauf- conduits ou des
{exemptions de pillage & de rançons y & ce remède
devenoit aufli incommode que le mal même , puifque
pour jouir de quelque sûreté, il auroît falu paver en
même - temps tribut à tous les diférents cheé. Les
troupes mên^e ataçhées au parti du régent n'étoient guè«
res plys fcrupuleufes , ou féduites par l'exemple , ou
forcées par la néceffité ; car les finances du prince ne
pouvoient fufire à conœnter l'avidité de plufîeurs de
ces compagnies mercenaires que la néceflité Tavoit
foricé de prendre à fa folde. Enfin c'étoit par-rtout le
même tableau de défordre & de dévaluation , mais
yarié & multiplié à Tin^pi. Ces bpgands vçndoienc
' leurs
Jean I I. ^ 201
leurs fervices indiftinâement aux divers partis , tou- ■
jours difpofés à paffer de Tun k l'autre à la moindre a«^»- mî^- '
ouverture d'obtenir le prix de leur perfidie. Le régent
ëntretenoit plufieurs corps de foldats ultramontains qui
formèrent le complot de livrer aux ennemis les forte-
refles qu'ils avoient en garde. Sur la dépofition de
leurs chefs on en fit mourir une partie: les autres de-
mandèrent lé paiement de leurs gages : on étoit dans
l'impoflibilité de les fatisfaire , ils le crurent autorifés
à fe payer par leurs mains : ils fe répandirent dans
les environs des places qu'ils ocupoient , mafiacrant les
hommes , violant les femmes & les filles , & mettant
le feu par-tout. Après ces horribles excès ^ il falut en-
core compofer avec eux & leur acorder des lettres
de rémiflîon. Arnaud de Cervole 9 dit l'archiprêtre , s'é-
toit engagé au fervice du régent avec la troupe qu'il
commandoit. Il voulut ataquer Robert Canolle , capi-
taine Anglois , qui s'étoit fortifié dans Malicorne ,
place du Gâtinois , mais il fut honteufement repouiTé.
La valeur avec laquele le connétable de Ficnnes & PrifcdcSaint-
le comte de Saint -Paul s'étoient conduits à la défenfe ^^ll^izlicdl
d'Amiens y leur avoit aquis la confiance des gens de Ficnnes.
giierr^Ils fe trouvèrent à la tête de deux mille hom- Froijfard,
mes liâmes & .de douze mille hommes des commu- ^^^^i%^
nés. Cet forces confidérables les engagèrent à former
fe fiege de Saint- Valéry. La place , quoique défendue
vigoureufement , fut lérée de fi près , que les afïiégés
demandèrent à capituler. A peine les François s'en
furent^ils mis en pofleflioh que l'on vit paroître Philippe
de Navarre, le comte de Harcourt & Pecquigny qui
àcouroient pour faire lever le fiege. Mais ils arivoient
trop tard, il falut fonger à la retraite avec d'autant
plus de promptitude , que l'armée Françoife qui s'é-
toit encore groflie par de nouveles troupes , fe mit fur
leurs traces. Les Navarrois ne fe fentant pas affez forts
pour réfifter à un corps de trente mille hommes , re-
pafferent la Somme ayant toujours à leur dos le con-
Tomt V^ ' Ce
202 Histoire de France,
■ nétable qui les preflbit vivement. Il les auroit ateints
Ann. 1358. fans la dificuké que firent les habitants de Saint-Quen-
tin de laifler palier les troupes Frahçoifes. Ce refus
arêta la pôurfuite & fauva les Navarrois , qui fe reti-
rèrent dans la Normandie où ils continuèrent de piller
& de rançonner la province.
Ann. 1359. Le régent opofoit aux contradiâions & aux obfta-
RécabiifTc- clés qui le renouveloient fans ceffe , une patience qu'o»
dcrs' Sîtuls ^^ P^^^ ^^ ^^^^^ d'admirer dans un âge fi peu avancé.
pendant les La douccur de fon caraâere & la fagefle de fes vues
troubles. ^^J jpg manifeftoient dans toute fa conduite , lui conci-
Iioient joùrnélement Tafedion des peuples dans le
même-temps qu'elles lui méritoient Teflime générale.
Sûr d'avoir allez tempéré la fermentation qui régnoit
dans les efprits , pour n'avoir plus befoin de conti-
nuer les ménagemens donc le malheur des temps lui
avoit fait jufqu'alors une néceflite , il crut «ju'il pou-
voit fans péril fe montrer tel qu'il étoit , & juflifier la
?énérofîte de fon ame & la droiture de fes intentions.
, , , , I fe rendit au parlement où il prononça lui-même
la chambre ats , * « 1 •! // 1 • ♦•!
comptes , reg. ^ue Ordonnance par laquele il declaroit qu il avoir
D/oi.i^.reao. toujours regardé conime fujets fidèles & afeâionnés
les vingt-deux oficiers que TafTemblée des Etats de
1357 l'avoit contraint de deflituer ; que l'apréUgifion
de plus grands malheurs n'auroit pas été cajffble de
le faire céder à l'importunité des ennemis du gouver-
nement^ s'il n'avoit efpéré aue dans des circonftances
plus heûreufes il lui feroit libre de fuivre les mouve-
ments de fa juftice ; que le temps étoit arivé de rcJH-^
tuer en leurs états & renommées , des oficiers qui n*a-
voient été pourfuivis qu'en haine de leur atachement
au bien général & à l'honeur du fouverain ; qu'en
conféquence il les réintégroit dans leurs biens & digni-
tés , ordonnant qu'ils feroient payés des gages de leurs
ofices comme s'ils les avoient toujours confervés. Le
prince ajouta qu'il defiroit que fa déclaration fût figni-
fiée au pape, à l'empereur , aux princes & aux villes,
afin que ce témoignage authentique éfaçât jutqu'au
Jean II. 203
moindre foupçon qu'auroit pu faire naîtrç la deftitu- , i
tion de ces oficiers. Ann. 135 p.
Cete démarche confirma de plus en plus les François subfîdc ac-
bien intentionnés dans ces fentiments d'amour & de co^dé par les
rcfpeâ: fi naturels à la nation pour fes fouverains. Le ^rTmhr -d
prince ne tarda pas à faire Tépreuve du zèle & de Tata- compTeJ^! mT-
chement tant de la noblefie aue des principales villes morîaiD.
de fon parti. Dans une affemblée d'£tats-généraux qui ^rffnâanLf!'
fe tint pour lors, les nobles y outre les fubfides, s'obli- chroniq. de
gèrent unanimement de fervir à leurs dépens pendant Saint-Denis.
un mois , fans y comprendre le temps necefTaire j foit
pour fe rendre à l'armée , foit pour fe retirer. La feule
ville de Paris offrit Tentretien de fix cents hommes
d'armes , quatre cents archers & mille brigands : les
autres villes feifant des éforts proportionnés, fourni-
rent juiqu'à douze mille hommes d'armes. C'étoit beau-
coup , n Ton confidere le déplorable état des campa-
{;nes , la defiiruâion & le pillage de tant de villes , &
a nécefiîté où elles étoient de veiller chacune en par-
ticulier à leur propre défenfè contre cete multitude
'd'ennemis qui les environnoient de toutes parts.
Afin de ne pas perdre Téfet de ces heureufes difpofi- Sicgc de
tions , il fut réfolu que l'on feroit le fiege de Melun. M^^^"-
Cete ville ocupée par les Navarrois incommodoit ex- ^^roUean. *
trêmement la capitale*par fa fituation fur la Seine. D'ail- Frofjfard.
leurs trois reines , Jeanne veuve de Chiairles IV , Blan- ^^"^•^?''"''*
che de Navarre * veuve de Philippe de Valois, & la ''''^'^'
reine de Navarre y étoient renfermées. La place fut vieduconni-
înveftie & féf ée vivement. Ce fut à ce fiege que f<^^^ "^mÏ
Bertrand du Guefclin, ataché depuis peu au régent, ^''^*
fervit pour la première fois dans l'armée Françoife:
il fit dès-lors admirer cete rare valeur dont il avoit
déjà donné des preuves dans les gu^res de Breta-
Îjne. Le régent qui afiiftoit à ce fiege fiit témoin de
•intrépidité avec laquele il monta feul à Tafiaut d'une
tour qu'il eût emportée fi fon échele n'eût été fracaffée
ar un tonneau de groifes pierres qu'on lança fur lui.
a trempe de fes armes le garantit, mais il fut préci-
C c ij
E
204 Histoire DE France,
• - pité dans le fofl'é d'où on le retira privé de connoîf-
Ann. 155^. lance. Le prince qui ne Tavoit pas perdu de vue con-
çut pour lui la plus haute eftime : ce fut Charles lui-
même qui envoya. du monde k fon fecours. Lorfque
le chevalier Breton fut revenu de révanouiffemenc
caufé par fa chute , il courut à Taflaut qui duroit
encore , renverfa plufieurs Navarrois , obligea les au-
tres de repafler la bariere & de lever le pont. La nuit
qui furvint fépara les combatants.
Projet aac- On devoit livrer un autre • affaut le lendemain ; mais
commodément la nuit même les afiiégés firent des propositions d'acom-
leVcgc^"' *^* modement. La reine Jeanne & fon confeil promirent
Ibidem. de rendre la ville , & l'on y régla les conditions pré-
liminaires d*un nouveau traité de paix avec le roi de
Navarre. En atendant Tacompliffement de ce projet
de pacification , le prince retira fes troupes & revmt
à Paris fur la promeffe qui lui fut faite que les Na-
varrois évacueroient Melun.
Conférences Tandis que les agents des deux princes difcutoient à
^^UUm ^^^^^^ les articles de Pacommodement , le régent vou-
lut donner k fes fujets des marques de la confiance
qu'il avoir en leur ateâion. Les gens de fon confeil fe
rendirent au parlemenr où furent convoqués le prévôt
des marchands & les principaux bourgeois. L^alTem-
blée fut confultée fur le traité qu'on négocioit. Tous
les aflîftants ODnfeillerent au prince de Taccepter. Les
députés du roi de Navarre furent invités de le rendre
à raris , & lorfque tout fut réglé , le régent vint k
Pontoife où le Navarrois devoit fe trouver pour ratifier
" les conditions.
Le roi de Navarre, avant que de partir de Mantes,
exgiea qu'on lui donnât pour otage le duc de Bourbon ,
Louis de Harcourt, les feigneurs de Montmorency &
de Saint- Venant , Guillaume Martel ^ le Baudrain de
la Heuze , le prévôt des marchands , & deux bour-
geois de Paris. Il ariva efcorté de cent hommes d'ar-
mes; mais aufli-tôt qu'il aperçut le régent qui étoit
forti de Pontoife pour le recevoir , U renvoya une
J £ A N I L lO^
partie de fes gens. Ces deux princes s'abordèrent ayant , ■-
le chaperon avalé de la tête : après s'être donné des té- ^^^* ^^S9*
moignagp réciproques d'amitié j ils prirent le chemin
de la ville , où ils entrèrent à la lueur des flambeaux.
Il y eut encore de nouveles dificultés pour la conclu-
iîon du traité^ & elles furent pouilées fi loin de la
part du roi de Navarre , que Ton crut Tacommode-
ment défefpéré. Le régent même lui fit dire par le
comte d'Etampes , que s'il refufoit les conditions qu'on
lui ofroit , il ne faloit plus fonger. à la paix , & qu'il
étoit prêt à le «faire conduire sûrement au lieu où il
avoit été reçu.
Tout paroiiToit rompp lorfque le Navarrois , par Paix conclue
une de ces "bizareries aparentes dont il couvroit ordi- iT^^'^j^Çf."^
r .^ r • 1 / ^ &icroidcNa-
nairement les artifices , parut entièrement changé. Ce v^rrc.
ii'étoit plus le même homme : autant fes prétentions Chronîq. de
de la veille avoient paru exceflîves , autant fpn définté- ^^chr^n^MS.
relTement opofa-t-il un contrafte fingulier. Il vouloit du roi Jean.
tout , il ne demandoit plus rien , il fit venir dans fa Mémoire de
chambre le confeil du régent auquel il déclara la réfo- ^ech^^^^^^
lution où il étoit de finir Tes malheurs de l'Etat, d'être mauvais.
ami du roi & de fon fik , & de les fervir de tout ç^^j-^^^ /'*
fon pouvoir. Il protefla qu'il ne demandoit plus , ni G-ioV^' ^'
argent, ni terres nouveles , fatisfait feulement d'obte- Chambre des
nir la refKtution de celles qui lui apartenoient légiti- ^^rUilD. "'^^
mement. Il ajouta que fon intention étoit de publier
FalTurance de fes fentiments devant le peuple. Un
changement fi peu atendu ne pouvoit que furprendre
agréablement le régent : il s'écria tranfporté de joie
que fi le roi de Navarre penfoit comme il parloit ,
cUtoit Dieu lui - même qui Vavoit injpiré. Charles - le -
mauvais , plus dangereux ami qu'ennemi redoutable,
ne le laîfla pas long-temps dans l'erreur. Cependant
le jour même^ devant le peuple de Pontoife afTemblé
dans la falle du château , il répéta la déclaration qu'il
avoit faite au coafeil du régent: il promit de plus qu'il
feroit évacuer toutes les forterefles qui avoient été
prifes par lui ou par (es allés dipuis le commence-
io€ Histoire de France,
"' ment de la guerre. Il tint parole à Tégard de quel-
Ann. 155^. quej5.Qnes ^ ^eles que Poifly, Chaumont en Vexin,
Joui -la- Ville , & la Chanville. Mais cete Iftnne-foi
aparente partoit d un principe qu'il eft indifpenfable
de déveloper.
Une grande partie" des troupes qu'il avoit em-
ployées juqu'alors étoit compofée d 'Anglois , & de
ces compagnies de brigands qui ravageoient le royau-
me. La plupart des chefs de ces compagnies, après
avoir dépouillé les provinces, cherchoient à mettre
leur butin en sûreté. Plulîeurs même,' de leur autorité
privée, vendoient les villes qu'ils ocupoient fans le
confulter. Les Anglois voul#îent aufli retourner dans
leur île pour y tranfporter leurs richefles , & plu-
fîeurs étoient rapelés par Edouard qui raflembloit fes
forces pour l'exécution d'un projet qui éclata quelque-
temps après. Que rifquoit donc le roi de Navarre en
acceptant la paix } Il fe délîvroit d'une guerre qui
commençoit a lui devenir onéreufe , fe réfervant tou-
jours la faculté de la continuer par le moyen de Phi-
lippe de Navarre fon frère , qui n'y voulut point ac-
céder , & qui feignant d'être irité contre lui , dit en
fe retirant : v II faut qu'on ait enforcelé le roi de Na-
3} varre pour lui faire accepter un acommodement fi
Rymer.aSi, ^^ Préjudiciable a. D'ailleurs la trêve avec l'Angleterre
pubi. tom 3 i étoit expirée. Comme Edouard ne lui avoit fourni
part, u des fecours qu'avec une extrême circonfpeôion , il
efpéroit dans Je renouvélement de la guerre faire fts
conditions meilleures; & fà bonne -foi fimulée , eh
l'aprochant du régent , le mettoit à portée de tramer
f)lus sûrement de nouveles perfidies. Ce jugement de
a conduite de Charles n'eft pas a'puyé fur de fîmples
conieftures. Plufîeurs Anglois repayèrent' à Londres ,
& la fureur des compagnies fembla fe ralentir pen-
dant quelque- temps. Enfin le Navarrois s'infinuant
dans la familiarité du régent forma une confpiration
dont le mauvais fuccès lui fit lever le mafque.
Quoique par u*dçs premiers articles du traité de
Jean II. 207
paix , nie & la partie de la ville de Melun pofTéd^es . -j
par les Navarrois, duflent être rendues, il ralut en- Ann. i^s^.^
core Taçj^ecer de la reine Blanche ; & malgré cete nou-
vêle convention , la place ne fut pas évacuée. Le Na-
varrois avoit converti la guerre en un autre genre de
déprédation. Toutes les marchandifes & denrées oui
paubîent fous le pont de Melun pour defcendre à Fans,
etoient fujetes k des droits exoroitants. Le tonneau de
vin étoit taxé à fix écus d'or , le muids de grain à
deux écus & le refte à proportion. Le produit de ces
importions étoit deftiné, difoit-on , pour payer les
fommes dues aux troupes que le roi de Navarre avoic
entretenues dans Melun. On en ufoit de même^ aux
ponts de Mantes & de Meulan pour les marchandifes
3ui remontoient la Seine, dont la navigation n'étoit
evenue libre que pour enrichir le Navarrois , qui
trouvoit le fecret de mettre la capitale à contribution ,
fans être obligé de faire la guerre.
Le régent Iblicité par le roi de Navarre, qui avoit Rctonrdaroî
des raifons fecretes de revenir à Paris, affembla les de Navarre.
principaux bourgeois dans la chambre du parlement, ^^f^^^w^^*
Après la lefture du traité, il voulut bien déclarer que chroniq.' de
le roi de Navarre demandoit la permiflion de rêve- Sainte Denis.
nir à Paris ^ mais ^u'il ne la lui acorderoit pas contre '*"' ^ ''^*
le gré des habitants. Jean Defmarès, avocat au par-
lement, répondit pour raifemblée, que les Parinens
nVvoient que des grâces à lui rendre de la paix qu'il
leur avoit procurée ; & qu'ils ne s'opofoient point au
retour du roi de Navarre , pourvu qu'il n'amenât pas
avec lui certains traîtres , qu'il nomma tout haut. L'é-
véque de Laon étoit en tête des perfides défignés par
Torateur du peuple. Le prince répondit que les fouhaits
de TaiTemblée étoient conformes à fon intention ; que
le roi de Navarre Tavoit inutilement prié de pardon-
ner à ces coupables indignes de grâce. Ces détails pou-
roient dans d autres circonftances paroi tre trop longs ;
mais après des divifîons fi crueles , il femble qu'on ref-
pire , toiCque des temps moins orageux laiflbnt entre-
2o8 Histoire dj: France,
î voir le rétablifferaenc de Tharmonie. Il eft bien con-
Ann. 135^. fplanc pour les cœurs pénétrés de Taniour de leur pa-
trie , de voir enfin renaître cete confiance de la part
du fouverain y &'ces fentimens de zèle & d'afeâion de
la part des fujets.
Le Navarrois ayant obtenu la liberté de paroître
dans la capitale , ne tarda pas à s en fervir. Le régent
ala au-devant de lui jufau'a Saint -Denis, & l'amena
au Louvre, où il le fit loger : il le combla même de
tant de careiTes, que plufieurs de ceux qui avoient
fervi le plus fidèlement , ne purent s'empêcher de mur-
murer de cet excès de confiance. Après une femaine
de féjour dans Paris , il en partit pour aler à Melun ,
fous prétexte d'en faire retirer fes troupes. Il fe con-
duifit avec fa bonne-fqi ordinaire. Il vifita fes fœurs ,
qui demeuroient toujours dans cete ville : il reprit en-
luite la route de Normandie; mais les Navarrois y de-
meurèrent. Le régent étoit trop éclairé pour ne pas
pénétrer fes artifices : les circonftances feules Tempê-
choient d en témoigner fon jufte reflentiment.
La paix conclue avec le roi de Navarre n'avoit point
fufpendu le cours des hoftilités : le feul changement
qu'elle aporta fut qu'une partie des mêmes troupes con-
tinua la guerre fous un autre nom : Philippe de Navarre
en Normandie, & les Anglois dans les autres provin-
ces , s'avouèrent alors d'Edouard , tandis que les chefs
des compagnies , vendant leurs ferviçes interelTés , tan-
tôt aux ennemis , tantôt au régent , mais ne comba-^
tant en éfet que pour eux-mêmes,. achevoient d'aflbu-
vir leur avidité , & d'enlever le refte des dépouilles du
royaume.
Entrcprifc Pierre d'Andelée , capitaine Ànglois , qui s'étoit em-^
SiÔr^s paré de plufieurs fortereffes entre Troies & Châlons,
Froifard. entreprit de fe rendre m?LÎtre de cete dernière ville,
dans Uquele il trouva moyen de s'introduire à la faveur
de la nuit. Les habitants réveillés par le bruit des
armes, fe levèrent avec précipitation, criûnt aux lar^
rons An^iois & Navarrois. S'étant raflèmblés \ ils fou-
tinrent
J E A N I I. 2,09
tinrent le premier choc , & donnèrent le temps au !
ieigneur de Grancey, chevalier de Bourgogne d'ariver An«. xijy.
avec foixante hommes dWmes au fecours de la place.
5a préfence ranima les habitants^ qui achevèrent de
repouflèr les ennemis.
Euftache d'Auberticourt, autre chef d'aventuriers, Dëfeitcd'An.
donner ce titre au conduâeur d'une troupe de bri*
gands. Il étoit amoureux d'Ifabele de Juilliers , fille
dAjgMfite du même nom , qui avoit époufé en premiè-
^ffroces le comte de Kent , dont elle étoit veuve.
La dame de fon côté n'étoit pas ingrate. Flatée de fé
voir adorée par un guerrier , dont elle entendoit tous
les jours vanter les exploits , elle répondit à fa tendrelTe
oar des fenciments réciproques. La comtefle , qui pour
lors étoit en Angleterre , envoyoit à fon chevalier ,
harnais de guerre , haauenées , courjiers Çf lettres amou-^
rcufes y par auoi ledit mejjire Eujlache en étoit plus
hardi , of faijbit tant de chevaleries & de beaux faits
d^armes , que chacun ga&noit avec lui. Auberticourt
époufa dans la fuite ifabele de Juilliers. Les défor-
dres qu'il. commettoit étoient fi grands , que le régent
crut ne pouvoir 7 remédier plus sûrement , qu'en lui
opofant un adverfàire de même trempe. Il chargea de
cete commiflion Brocard de Féneftrange , chef d'aven-
turiers Lorains , & lui promit une fomme eonfidé^
rable pour cete* expédition. Féneftrange raffembla fes
Î^ens au nombre de cinq cents hommes d'armes : plu-
leurs feigneurs & gentilshommes , Champenois &
Bourguignons 9 fe joignirent à lui. Le château de Hans^
apartenant à Auberticourt^ fut emporté d'aflaut. Fé*
neftrançe Tateignit enfuite près dp Nogent- fur- Seine.
Le capitaine Lorain , comme le plus expérimenté >
raiigea fa petite armée en (rois batailles ; il fe réferva
le commandement de la première,. ayant pour fécond
révêque de Troies. Jean de Châlons & le comte de
TomcV. Dd
iio Histoire de France^
;— *— — ^ Joui écoienc à la tête de la féconde , & le comte de
Ann. ijS9' JoinviUe çonduifoit la troïfîeme. Le combat fut long
& fanglant ; mais enfin Euftache d'Auberticourt > dan-
gereufement blefTé d'un coup de lance qui lui rompit
trois dents , £ut entièrement dé&it, & obligé de fe
rendre prifonnier.
Cete vidoire procura quelque tranquilité k la pro-
vince ; mais ce foible foulaeement ne fut pas de lonr-
gue durée. On avoit promis a Féneftrange trente mille
écus^ qu'il n'étoit psLs poflible d'aquiter- Il fit deman-
der au régent le paiement de fes (ervices ; & comme
on diféroit de le fansfaire , il eut la hardieiïe d'ei|MW'
au prince un défi , par lequel il lui déclaroit I^^Rr-
re, ainfi qu'au royaume de France. Il ne s'en tint
pas aux menaces : il devint en peu de temps un ennemi
plus redoutable que ne l'avoit été Auberticourt. II
commença les hoftilités par la prife , le pillage &
Tembrafement de Bar- fur -Seine, qu'il détruint de
fond en comble : il courut enfuite la Champagne,
mettant tout à feu & à fang , ravageant les villes
fans défenfe , les bourgs. & les campagnes , avec
Elus de fureur & d'inhumanité qu'aucun des autres
rigands qui l'a voient précédé. La foiblefTe du gou-
vernement empêchoit le régent de punir ces barba^*
res excès , que le malheur des temps fembloit aifoir
légitimés. Il falut compofer avec Féneftrange, qui ne
confentit de fe retirer en Loraine , qu'après avoir été
payé entièrement de ce qu'il prétendpit fui être dû.
Impiété mi- * Commç vers ce temps-là on s'aperçut que les rava-
racuicufcmcnt ges ocafionnés par les gens de guerre , devenoient
^^Froiffaril "^^^?? fréquents , on atribua ce ralentiffement k la
roijfar . «unition niiraculeufe d'une impiété commife par un
nomme d'armes : voici comme Frôiflard raporte cete
aventure , que Ton place ici fans prétendre faire va-
loir , encore moins garantir ce qu'elle a de prodigieux ,
mais uniquement dans la vue de donner une idée de
la licence & de la férocité qui régnoient parmi ces
brigands. Les Anglois étant entrés dans un vilage
J B A N I !• lïï
apelié Ranay , forcèrent Téglife où le curé, vêtu de .
fes habits facerdotaux, cél^broit la melTe. Un écuyer ^a»- ^is^
prit le calice y renverfa le vin y & frapa de fa mam ,
armée d'un gantelet de fer , le prêtre qui voulut lui "
faire quelques repréfentadons fur ce facrïlege : le coup
fut fi violent , que le fâng du œiniftre rejaillit fuc
TauteL Ce fcélérat fortit enfuite de Téelife, empor-
tant le calice y la patène & le corporal ; mais il ne
porta pas loin ces dépouilles facrées. A peine fut -il
dans la campagne , que fon cheval l'emporta ; &
après avoir, tourné, quelque -temps , fe renverfa fur
fui y & le tua par fa chute. Les compagnons de cet
écuyer regardoient avec furprife cet événement ; mais
leur terreur augmenta , lorsqu'ils virent dans le mo-
ment rhomme & le cheval réduits en cendre. Ils
firent dès- lors ferment , que jamais églijc ils ne viole-
raient. Jean de Pecquigny , ce digne ami du roi de Na- •
varre , termina dans ce même -temps fa vie criminele:
ion valet-de-chambre Tétrangla dans fon lit.
La ruine des provinces força ces voleurs d'aban- Evacuation
donner des lieux défolés qui n'ofr oient plus rien à de pluficurs
leur avarice. Ils fe jetèrent fur le Berry , le Limofin P^^^*'*
& l'Auvergne : leur deflein , difoit' Robert de Canolle , c^^!m5.
leur chef, étoit dealer violer le pape & les cardinaux à
u4vignony d^avoir de leurs florins y aujfi-bien ijueVarchi-*
prêtre en avoit eu. Quelques autres compagnies évacuè-
rent à prix d'argent les villes & les fortereffes qu'elles
ocupoient. On s'eftimoit trop heureux de fe défaire k
quelque condition que ce rut, de ces incommodes
voifins. Ce fut ainfi que les habitants de Noyon achetè-
rent le château de Montconfeil , qu'ils démolirent juf-
qu'aux fondements , aufli-tôt que les ennemis fe fu-
rent retirés. Les habitants de Compiegne aquirent
pareillement le château de Creil , dont la garnilon al a
fur -le -champ s'emparer de Pont - Saint -Maxence &
de Clermont , pour en retirer encore une nouvele com-
poiition. Jean dç Segur , commandant de la garnifon
Aùgloife de Nogent- fur -Seine , vendit cete place à
Dd ij
3.12 Histoire db France,
y*— — ^ Tévêquc de Troies , qui lui donna fes lettres d'oWîga-
Ann. 155^. tion de la fomme convenue. Segur eut rimprudenGC
Spiciicontin. Je venir k Troies pour recevoir le paiement : les habi^
'^' tants de la ville entourèrent la maifon du prélat , de-
mandant à grands cris qu'on leur livrât ce feigneur:
Comment y difoient-ils , Monfiigneûr Vcvégucfc truffc-P-il
de nous tenir auprès dt lui le plus grand pillard de
France , & veut encore que nous lui donnions notre ar--
gent? L'évêque.eut beau leur repréfenter que le che-
valier n'étoit venu que fur la foi d'un faufconduit
pour Pacompliifement d'un traité, dont eux-mêmes
étoient demeurés d'acord, ils ne voulurent rien en-
tendre : malgré les prières du prélat , ils forcèrent le
palais épifcopal , mailacrerent Segur , & le tnirent en
pièces , après Tavoir immolé à leur reflentimentr
Expiration de Edouard , exaâement informé de la fituation du
i'A^r^ *^^^' royaume , jugea qu'il étoit temps de mettre à profit
Propofitions ^^^ circonftances fi favorables à Ion ambition. Juiqu'a-
de paix rcjc- lors il ne s'étoit point encore ouvertement expliqué
*^^* . fur les conditions qu'il prétendoit impofer. Depuis la
Ch^oniq! dt prifon du roi, on avoir plufieurs fois traité de la déli-
Smnt'Dtnis. vrauce , fans pouvoir y parvenir : le monarque An-
çhrçn.MS. riois avoit fes vues, en traînant les négociations en
longueur. La France s'afoibliiToit tous les jours par la
défunion de (es propres forces , & il n'en avoit coûté
à TAnglois que quelques troupes , & d'acorder aux
^rnifons de fes places une permiffion tacite de fe
joindre aux compagnies qui déchiroient nos provin-
ces. La trêve étant expirée , on renouvela les hofli-
lités & les conférences pour la paix. L'archevêque de
Sens, le comte de Tancarville fon frère, le comte de
Dammartin , le maréchal d'Andreghen , prifonnicrs
en Angleterre , avoient fait plufieurs voyages de Lon-
dres à raris , mais inutilement.
Traité ponr Le roi Jean cependant, malgré- les égards <}ont les
IiiKoL^^^^ vainqueurs adouciflbient fa captivité , s'ennuyoit d'un
féjour qui depuis fi long- temps le tenoit éloigné de fes
Etats : (on impatience ne lui permit pas de difërer da-
J E A K I I. aij
Vantage le recouvrement de fa liberté. Il crut obtenir "^^'^^'^
des conditions moins défavantageufes en traitant avec A^* 'H5«
Edouard 7 fans employer d^autre agent aue lui-même,
dans Tefpoir que rAnglois par généronté relâcheroit
quelque chofe de fes prétentions : mais ce prince poli-^
tique ne fe piquoit pas de facrifier fes intérêts à des
raifons de bienféance. Il prefcrivoit fes loix avec toute
la rigueur dont fa bonne fortune Tavoit mis en état
de faire ufage ; & le roi qui vouloit terminer à quelque
prix que ce fût j confentit à tout. Le modèle du traité
dreflé & figné par les deux rois, & par le prince de
Galles & le duc de Bourbon , fut aporté en France ,
afin que le régent le ratifiât. Ce prince trouva exceP-
five la dureté des conditions exigées . par TAnglois :
toutefois Tapréhenfion qu'on ne le foupçonnât de ne
Sas témoigner aiTez de zèle pour procurer la délivrance
u roi ion père , lempêcha de prendr&fur lui un refus ,
qu'on auroit pu mal interpréter. Il convoqua les trois
ordres du royaume. La confufion qui regnoit alors
en France , ne permit pas k plufieurs des députés des
bonnes villes de fe rendre à cete invitation.
L^aiTemblée rejeta unanimement le traité, & con- Rejeté patlq
feilla au duc de continuer la guerre , plutôt que d'ac- ^**""
cepter la paix à ce prix. Le régent afiuré de la difpo- .
fition des Etats , & en quelque forte autorifé par leur
avis , fe conduifit d'une manière bien capable de
faire impreffion fur l'efprit du peuple* Il fe rendit au
palais , & fe montra aux Panfiens fur le péron dé
marbre de la cour. Guillaume de Dormans , avocat-
fénéral , lut tout haut le traité aporté de Londres.
Idouard s'y fàifoit céder les duchés de Normandie
& de Guienne, la Saintonge, l'Aunîs, Tarbes, le Pé-^
rigord , le Querci , le Limonn , le Bigorre , le Poitou , ^
rXnjou, le Maine, la Touraine , les comtés de Bou-
logne , de Guines & de Ponthieu , Montreuil fur mer
& Calais ^ pour les pofTéder en toute fouveraineté. Il
prétendoit encore qu on abandonnât la fuzeraineté du
duché de Bretagne : il exigeoit enfin quatre millions
114 Histoire de France,
r .• <l'écuS d'or pour la rançon du roi. La leâiire de ce
Ann. i)S9' traité fouleva tous les efprits : on entendit un murmure
général d'indignation : le peuple s'écria de concert ,
Que ledit traité n^étoit point pajfable nifaifabk , & que
toute la nation étoit réfoluc de faire bonne guerre au
roi Anglois. Lorfque les feigneurs qui avoient ap-
porté le traité en France , furent retoiurnés à Londres ,
&: qu'ils eurent rendu aux deux rois la réponfe du
régent , le roi Jean j qui ne s'acendoit pas à ce refus ,
en témoigna un extrême déplaifir : ffaAa , dit - il ,
Charles beau -fils > vous vous. confeille[ au roi de Na-^
V^rre àûi vous déçoit & dectvroit quarante tels^ que vous
ét€s. Edouard de fon côté jura qu'avant que l'hiver
fût pafTé, il entrerbit en France avec une armée fi
formidable, quil obligeroit le régent de fubir les loix
qu'il voudroit diâer, & qu'il ne défarmeroit point,
Ry«. aB. Qu'il n'eût fubjugué la France. Il fit cependant trans-
part. i^p. 177. ^^^^^ ^^ ^oi ^^ château de Sommerton dans le duché
de Lincoln, & lui retrancha une partie de la liberté
dont il avoit joui jufqu'alors.
Piuficurs ë- Le bruit de la refolution d'Edouard fe répandit bien-
STc^^h ^^f- Tandis qu'il raOembloit en Angleterre l'armement
ofrir ieur$ fer- le plus redoutable qu'il eût jamais formé., une infi-
^*f^« .^ nite de barons & de chevaliers Allemands fe préparoîent
Edouard. % •i««i j 1 j * i-
Froiffard. ^ vcnir le jomdrc. , dans la vue de partager avec lui
le pillage de la . France. Les richeiies que plufieurs
de leurs compatriotes avoient raportées, étoient un
puiflant motif pour aiguillonner leur bonne volonté.
On voyoit journélement acourir par la Flandre & le
Brabant de ces conduâeurs de troupes mercenaires ,
atirés par Tefpoir da butin, Leur nombre étoit fi con-
fidérable , qu'ils remplifibient les environs & la ville
^ de Calais, où l'on difoit que le roi d'Angleterre de-
voit inceflamment ariver. L'oifiveté , les plaifirs &
Abonne chère les obligèrent bientôt de vendre jufqu'à
urs équipages pour fournir k leurs dépenfes. Le duc de
Lencaftre étant defcendu à Calais avec quelques trou*
pes , fut afiez embarafié d'y rencontrer cete foule d'é«
.Jean J I. n$
crangers , dont la plupart étoienc venus fans être* man- ■ ■ ■>.
dés. Il étoit auflî dangereux d'accepter que de refu- Aun. lyss*
fer leur fécouxs. Le duc s^arêta au projet de les éloi-
gner de Calais , & de profiter de ce mouvenient pour
commencer Iqs hoftilités.' Ils acceptèrent la propomion
qu il leur fit de fe «netire k leur tête , & d- ouvrir la
campagne , dans Icfpérance qu'ils trouveroient en
France de quoi fe dédommager du temps qu'ils avoient
perdu : il fit donner à la plupart l'argent nécefTaire
pour payer ce qu'ils dévoient , & fe remettre en équi-
{>age. Le duc de Lencaflre avec fqs troupes ravagea
es environs de S. Omer , courut le Cahi Wéfis , l' Ar-<
tois^ jufquaux frontières de la Picardie , où il reçue
la nouvele du débarquement d'Edouard : . alors il re-
prit la route de Calais. Il rencontra le roi k quelque
diftance de la ville ^ avec la première ba f aille àc loti
armée. Ces capitaines Alemands y Bohémiens , Bra-i
ba^tiçons ^ Hennuyers , repréfenterent a Edouard cju'iU
avoient tout quité pour venir lui ofrir leurs ferjvices ,
& que la trop longue atente de fon arivée les avoic
réduits dans l'indigence ayant dépendu harnais > che-^
vauxi. 9 habits & tout vendu , enforte que peu ou rien leur
étoit demeuré. Edouard leur dit dej retourner à Calais y
où il leur feroit fçavoir fts in tentipns. Quelques, jours
après ^ il leur envoya dire qu'il n'avoit pais aporté
d Angleterre un tréfor aflèz conndérable pour les payer ;
mais que s'ils vouloient l'acompagner k leurs frais , il
leur permettroit de tenter la fortune avec lui , fans,
être obligé de fa part de leur dontaer; de folde , ni
aucuns dédommagements pour pertes dUquivages , t/^ar-
mcs & de chevaux perdus. La déclaration d'Edouard ne
les fatisfit pas : piufieurs retournèrent dans leur par
trie , & les autres prirent le parti qu'on leur ofroit. EdonarJ cn-
L'armée Angloife.montoit k cent niille combatants, trc en France,
Cinq cents hommes marchoient en avant pour aplanir ^c™^. *?*
les chemins : fix mille chariots atelés ^rtoient les Spuu. contins
bagages , l'artillerie & \ts provifions. Les ennemis dtNangis,
avoient des fours & des moulins portatifs, auffi-bien ^chSnltis,
2i€ HiSToiii£ DE France^
? que des grains pour leur nouricure : car la famitie
Aao. 13;^. défoloic alors la France; & ce malheureux rovaume^
depuis fi Iong-€emps dévafté en détail , toucnoic au
moment d'éprouverj un ravage|général par de nouveaux
ennemis. Lorfque le régent aprit la defcente du roi
d'Angleterre, il jugea que ce lerok une grande témé-
rité que de commettre le falut de TEtat au fuccès
douteux d'une bataille , avec le peu de troupes qu il
avoit. Il fe contenta donc de fortifier les villes qui pou-
voient être défendues , & d'y mettre de bonnes gar-
nirons , abandonnant le plat pays à la difcrétion des
' ennemis. Ainfi le prince Anglois , fans trouver pref-
Que la moindre réfiftance , traverfa le Cambras,
apnt les habitants réclamèrent envain les privilèges
de l'empire, entra dans l'Artois & la Picardie, que
fes troupes parcoururent , fans ataquer les villes for^
cifiées. Il vint enfuite s'atacher au fiege de Reims ,
malgré les inconimodités de la faifon. La place fuc
inveftieie jour de la Saint André. Elle étoit défendue
par meffire Jean*de Craon fon archevêque , par le comte
de Porcien & Hugu^ dç Porcien fon frère , les fires de
la Bone , de Canency, Pannore , de Lore, plufieurs
autres chevaliers de par une forte garnifon.
Les ennemis foufrirent beaucoup d'incomtnodités
pendant ce fiege , fans pouvoir fe flater d^avoir rem-
porté d'autre s^vantage que de ruiner les environs de
. la place. On foupçonna Edouard de n'avoir afiiégé
Reims , par préférence à pluiieurs autres villes quMl
avoit laiiiées derrière lui , que dans Tintencion de s'y
faif e facrer & couronner roi de France. Peut-être auffi
Gomptoit-il fur la réufiite d'ifne confpiraçion qui fe
tramoit à Paris dans le même temps.
ÇoDfpirarion Par le dernier traité de pacification, le Navarrois
UiJinu '^^voit longé a le procurer un accès libre auprès du
chroniq. de ^^g^^P > ^ue dans la vue de marquer plus sûrement
S0înt-Denis. Tendroit où il voudroit le fraper. Il vivoit avec le
fharlregfll^ pHiice dans la plus intime familiarité t il étoit de tous
pifcc'sSt'r ' les confeils. Cnarle$ le confultoic î mais il avoit tou^
jours
J B A N I I. ^
jours les yeux, ouverts fur fa conduite publique & fe- ï!!5!!!=
crête : aucune de.fès démarches ne lui échapoic. Le Aqq. m5^.
régent avoit fait vers ce temps-là un voyagea Rouen , Mém.deiUr.
d'où il étoit revenu pour célébrer les noces de Cathe- ^tmmvahjlr
rine de Bourbon , fœur de la princeffe fon époufe ^ M. Secouie.
avec Jean de Harcourt , fils du comte de Harcourc , ^^^î^^^^f j;
qui avoit eu la tête tranchée. Le Navarrois qui aflîf- Frtma!
toit à ce mariage , obtint un fauf- conduit pour le
Captai de Buch fon parent » lequel ne s'en fervit que
pour efcalader le château de Clermont en Beauvailis.
Quoiqu'il ne fût pas douteux que cete entreprife n'a-
voit pas été formée fans la participation de Charles-
le-mauvais ^ cependant le duc de Normandie feignit
de l'ignorer. Le roi de Navarre^ féduit par la con-
fiance qu'on lui témoigyoit , fe croyoit à la veille
d'exécuter la plus noire trahifon. Ua bourgeois de Pa-
ris 5 nommé Martin Pifdoc y ancien ami &: complice de
Marcel 9 étoit à la tête de la conjuration. Il avoit eu
le bonheur , dans le temps de la réduâion de Paris ,
d'être compris »u nombre de ceux auxquels le prince
avoit pardonné. Peu touché d'une pareille grâce , il
avoit toujours çonfervé un violent dçfir de venger
la mort dç Marcel. Il ne pouvoit Tefpérer qu'en exci-
tant une révolution. Pour cet éfet il tenta la fidélité
de deux autres bourgeois nommés Jean le Chavenatier
& Denis le Paumier. Ces deux citoyens ne fe conten-
tèrent pas de rejeter les propofitions de Pifdoé : ils en
avertirent le réeent> qui leur ordonna de diflimuler
avec ce traître ^ dont par ce moyen on dévelo pales in-
trigues. Voici quel étoit le complot dans lequel il avoit
die à Chavenatier que trempoient les oficiers du roi
de Navarre. On devoit introduire fecrétement par
div^r£es portes de Paris des hommes d'armes déguifes ,
les diftribuer dans les diférents quartiers de la ville ^
furprendre le régent ^ns le Louvre , maffacrer tout
ce qui s'y rencontreroit , enfin s'emparer des principales
places 9 afin d'empêcher lé peuple de s'afiëmbler : par
C9 moyçn les conjurés fe fufient rendus maîtres de la
Tome V. Ee
||8 Histoire de France,
" capitale. La vigilance du régent prévint Texécution
Ann. 13J5. jg qq projet} Martin Pifiloé fut arête, & apliquéà
la queftion , ^ans laoueie il déclara les particularités
de la confpiration : il fubit enfuitç le dernier fuplice ;
& fon corps , divîfé çn quartiers , fut expofé aux qua-
tre peAes principales de la ville. Le Navarrois avoit
d*abor4 afeâé une contenance aiTurée; mais lorfqu'il
vit qu^pn fe préparoic à donner la queftion à Pifdoé,
il ne fecrut plus en sûreté dans Paris : la précipitation
avec laquele il fe retira , fut un nouvel indicé de fa
<:omplicité.
Ann. 13^0. -^^ ^®i ^^ Navarre fe voyant découvert, ne garda
Le Navarrois pluç de mefurcs ! de Mantes où il s^étoit réfugié, il
défie le régent, envoya défier le régent & fes frères, & recommença
if^ûczt Ir^ ^^ guerre plus* vivement ou* jamais. Le premiei? aae
Reims. d'hoftilîté tilt la priie <ie Kouboife , château très fort
Froiffard. fur la Seine , dont un de fes capitaines s'empara. Le
dcNangT^''^' roi d'Angleterre cependant continuoit. le fiege de
c&roniq. de Rcims , qu'il fut enfin obligé de lever peu de temps
Saint-Dénis, après la déclaration de guerre envoyée «u régene par le
roi de Navarre. Il lui venoit tous les Jours de nou-
veaux renforts. Le feigneur de Roye, aflifté du brave
chanoine de Robefart , délit un parti de trois cents
hommes dermes qui aloient joindre Tarmée Angloife ;
mais ces petits exploits n*empéchoient pas les ennemis de
vivre à difcrétion au milieu ae la France comme dans
un pays de conquête. Les Anglois fe rendirent maîtres
du château de^ Commercy par le moyen de la mine.
L'ufage de miner dans ce temps -là étoit de crcofer
fous fédifice qu'on vouloit détruire : on foutenoic
d*efj>ace en efpace le terreiu par dies étançons de bois ,
& lorfque Touvrage étoit achevé , on mertoit le feu
aux étançons oui n*étoient pas plutôt confumés que
l'édifice s'écrouloit. Lorfoue Barthélémy de Bonnes
capitaine Anglois , qui amégecûf Commercy , crut fa '
mine en état de produire fon eret , il fit venir fur fa
barole d*honeur Henri de Noir qui commandoit dans
la place: il le coaduifit jufque (bus U tour principale^
Jean II. 219
& lui montra qu^elle n'étoic plus foutenue que par les ■
apuis qu'on y avôic placés. Certainement fire , dit lé ^^^ '5^^'
commandant François à TAnglois , vous ave[ honnt
caufey Ç/ et que fait en aver vient de grande sentillejfey^
fi nous rendons à votre volonté : Ji Jacques bons hom--
mes eujfent eu pareil avantage y ils n^en auroient pas
uje avec tant de courtoifie. La garnifon demeura pri-
sonnière.
Edouard après fept femaines de fîege avoit décampé Froîjfard.
de devant Reims , & traverfant la Champagne s*apro- ç„l^^^:i^f*
choit des frontières de la Bourgogne, 11 avoit, avant dcNang.
que de partir d'Angleterre , pris toutes les précautions
poffibles ) afin que rien ne retardât la marche de fon
ar*mée. Il conduifoit avec lui , pour traverfer les étants
& les rivières , jufqu'à des oateaux de cuir bouilli
dont chacun pouvoit contenir trois ou quatre hommes,
II parcourut la France avec la même fécurité dont il
eût pu jouïr dans fes propres Etats, prenant le plaifir
de la chafle du vol & de la pêche, Perfonne n*ofoit
fe préfenter devant une armée auffi formidable que la
fîenne ; & s*il fe commettoit de temps à autres quel-
ques hoftilités , ce n*étoit que par des détachements
qui s'éloignoient du gros dé l'armée pour faire des
courfes, ou ataquer quelques petites places.
Sur les avis qu'Edouard reçut du projet que quel- Dcfccntcca
ques chevaliers de Normandie , de Picardie, & de Angleterre.
Flandre avoient formé de faire une defcente en An- -„j^^7ôm''^'
gleterre pour enlever le roi Jean , il envoya ordre de part.i,f,\l'^,
transférer ce prince du 'château de Sommerton à ce- ^/^'v.
lui de Berkampftedc. La crainte qu'on ne lui' ravît
fon prifonnier ne lui permcttoit pas d'être trahqùile :
il le fît conduire fucceflivement de forterefle en for-
terefTe jufqu'à la tour de Londres, Il crut avoir tout
Heu de s'aplaudîr de cete prévoyance, lorfqa'il fut in-
formé que les François avoient débarqué en Angle-
terre, & s'étoient emparés de la ville de Wynchelfe,
qu*ils avoient pillée oc embrafée avant que de re-
monter fur leurs vaifFeaux.
E c ii
110 HisTornE DE France^
^ ' De toutes les parties de la France, la Bourgoj^nft
Ann. ijéo. étoit Celle qui avoit le moins foufert , grâce k la (âge
La Bourgogne conduite de la reine Jeanne, qui maleré fon mariage
compote avec ^ i i'«r^i S
Edouard pour en lecondcs noces avec le roi, avoit conlervé la tutele
fc racheter du du jeune duc de Bourgogne, fils d'elle & de Philippe
^* F^ T d ^ Bourgogne , fon premier mari , tué au fiege d'Ài-
s^piciLcont. guillon fous le règne précédent. Après la bataille de
dt Nang. Poiticrs , ccte vertueufe princefle , voyant les défordres
Gui afligeoient le royaume ôc l'impumance où elle étoit
d'y remédier , s'étoiç retirée, dans les Etats de fon fils.
Elle mourut à-peu-près dans ce temps ( ^ ) , laifiant
le jeune duc fous la conduite d'un confeil compofé
des principaux de la province. L'âge de ce prince ne
lui avoit pas permis de prendre part aux troubles qui
agitoient la France ,, & les fojets n'en avoient été cj^ue
moins malheureux. L'a proche de 1 armée Angloile ,
(^ui d'abord s'empara de Flavigny où elle trouva quan-
Rymer. aB. ^^ ^^ vivres, jeta l'alarme dans toute la province. Le
pu6L tom. 3 i roi d'Angleterre avoit , difoit-on , defiein d*y demeu-
&7ùi^'^'^^^' ter îufqu'au printemps : pour conjurer cet orage , on
conclut un traité par lequel le duc & les Etats de Bour-
gome s'engagèrent à payer en. quatre termes deux cent
mille moutons d'or y. moyennant laquele fomme l'An-
glois acordoit une trêve de trois années : mais cete
trêve devoit être rompue en cas que par l'avis de la
plus grande partie des pairs du royaume , Edouard
voulût fo faire couronner roi de France , ôc que le duc
de Bourgogne y aporcât quelque obftacle. Quinze {t>
eneurs s'obligèrent k la garantie de ce traité , ainfi que
les prélats & les principales villes de la province.
Edouard après la conclufion de ce traité s'éloigna de
(a) Mëzerâi marque la mort ic ccte reine Qppt ou huit mois apris la hz^
taille de Poitier». Cependant le continuateur de Naog^s dit que la notfvele de Is
èompofition faite par la province de Bourgogne , pour éviter le pillage ,. fur
aportée à Paris dans le temps' méniie qu*il écrivoit fes annafes. Il ajoute , qu'il
ne garantit pas ce fait , qui peut-être n'étoit qu'un bruit populaire , ne pou-*
vant fe figurer que la nobkfie de Bourgogne & la reine Jeanne , qui ponr-lors
réfidoit dans cete province , Ce fulTcnt déshonorées par un traité fi honteux.
Suivant le témoignage de cet écrivain , il; paroit incontefiable que la icioc
vivoit encore. Spiciu cçtuin. (k Nangis^
Jean II. fiif •
Ja Bourgogne, & s'avança vers Paris en côtoyant le !
Nivernois qui, dit -on, fe racheta du pillage par un Ann. ij^o.
traité dont pourtant on ne trouve aucun veltige dans l>™*c An-
les aâes publics d'Angleterre. L'armée Angloife , après fvoîr^trave7fé
avoir traverfé & ravagé le Gatinois, vint, camper aux la France, ,
environs de Montlhéry & de Longjumeau. Edouard IlèsdcP^m!
étoit logé au château de Chanteloup, .entre Montlhéry Froijfard'
& Châtres [ aujourd'hui Arpajon 3» ^^''?''- ^'^•
. Ce fut là pour la première fois que ce prince prêta ^f^at/^"''
l'oreille aux proportions d'un acommodement. Uabé
de Cluny & Simon de Langres général des Domini- Négociations
cains , légats nommés par S, S. pour procurer la paix **^ 7^/v"«tu ^^
entre la France & l'Angleterre, après plufieurs voya-
ges de Paris , où le régent fe tenoit renfermé , au
camp d'Edouard , déterminèrent enfin le monarque
Anglois k confentir qu'on commençât les négociations.*
La conférence fe tint dans la maladrerie de Longju^
meau : le connétable de Fiennes , le maréchal de Bou-
cicaut , Jean le Maingre , les ièigneurs de Garencieres
éc de Vignay , Jean de. Buflî & Guichard de Lan^le
chevaliM|, & Maillard, ce fidèle bourgeois de Pans,
bien c^ie, après avoir délivré fes concitoyens, de
travailler au bonheur général , s y trouvèrent de la part
du régent : & de celle du roi d'Angletnre, le duc
de Lencaftre, les comtes de Warwich & de Nore-
tonne , Jean Chandos , & Gautier de Mauny. Ces
plénipotentiaires fe féparerent fans rien conclure.
Edouard alors s'aprocha de Paris & vint loger au £joaar<! cn-
Bourg4a-Reine , d'où il envoya un héraut au régent , voie défier le
chargé de *le défier à la bataille. Le prince ne fit au- ^^^^l'
cune réponfe à cete bravade. On renoua cependant ^^'
la négociation , mais avec aufli peu de fruit que la
première fois. Edouard fe flatoit qu'en faifant le dé*
gât dans les environs de la ville , il atireroit les habi-
tants au combat ; mais le régent avoit fait défenfe ex- <
preffe de fortir. On détruifît les fauxbourgs de S*
Germain , de Notre-Dame-des-champs & de S. Mar-
cel. Les fortifications que le prévôt des marchands
♦ a2« Histoire db France,
— "-*™*^ avoit Élit conftruire dans le temps des derniers trou-
Ann. ijtfo. bles mettoicnt la ville hors d'infuke , & du-moins on
tira ce bien de la révolte de Marcel.
Les environs Lcs Anglois campés^ Châtîllon , k Montrouge , à
i'bÉsf^^' Vanvres , k Vaugirard , k Gentilly , k Cachand , côu^
roient impunément la campagne & venoiedt journéle-^
ment infulter les Parifiens julque fous leurs murailles.
Environ douze cents hommes des vilages voifins de
Châtres s^étoient retirés dans un monaftere aparté-
nant k S. Maur-des-FofTés : ils avoient fait une efpece
de forterefTe de Téglife , entourée de fofl'és & garnie
de machines de guerre. Les Anglois ataquerent ce fort.
Le capitaine qui cammandoit cete multitude fe trou-
vant trop incommodé des pierres que les Anglois ûd
difcontinuoient pas de lancer , gagna une tour con-
tiguë k Téglife , luivi des hommes de guerre qu'il avoit
avec lui , & abandonna ces malheureux habitants f
3ui fè voyant fans défenfe , réfolurent de fe livrer au<
Lnglois 9 reprodiant k ce chef déferteur qu'il les laif-*
foit k la dikrrétion des ennenûs. Ce barbare ^irité de
ces Juftes reproches / & voulant les enipêch de fe
rendre, fit mettre le feu k Téglife. La namiro en un
inftant dévora tous ceux qui sy étoient réfugiés. Mais
il ne porta pas loin la punition de fon crime : Fembra-
femcnt parvint de Téglife k la tour qui fut brûlée >
ainfi que ceux qui s'y étoient renfermés.
Les habitants* de Thoury , ville afTez confidérâble
entre Ecampes & Orléans , s'étoient cantonnés dans
des loges & des baraques de bois , qu'ils avoient conf-
' truites auoDor d'un château bien fortifié , fi^tué au mî-^
lieu de leur ville. Ils avoient détruit leurs habitations
& emporté avec eux ce qu'ils poffédoient. Les An-
glois s'en étant aprochés , un des leurs mit le feu k
une maifon qui par hafard fubfiftoit encore : il faifoit
un grand vent qui porta des parceles de feu fur les
toits de ces cabanes. L'incendie fe communiquant avec
une rapidité inconcevable, fit périr tous ces infortû-^
nés au milieu des flammes. Les hommes, les femmes
Jean IL 223
& les enfants pouflbient des cris qui ateodriflbient leurs ■;
ennemis mêmes : il ne fut pas poilible de les fecourir: Ann. 1560.
ils périrent prefque tous', & la ville ne fut plus qu'un
monceau de ceixdre$« Les villes de Mootlhéry & de
Longjumeau furent aufli inceudiées : on vpyoit ces
embralemeots des remparts de Paris. La plupart des
habitants; des campaj^nes circoQvoifines acouroient dans
cete capitale : on les vi^oit errer dans les rUes fans
trouver aucun fecours. Ajouter à tanc de calamités
une famine afreufe : le fetier de blé valoit quarante^
huit livres parifis. Teje étoit la fîtuation de nos pères ' ckriT.MS.
dans Tenceinte de. ces murs» aujourd'hui le: théâtre, de duroijcan.
la moleâe > des plaifirs & de la diffipatîon. -
JLçs campagnes avoient été trop maltraitées , & lar- ^ Les Angioi$
mée An^loife étoit trop nomboretife pour qu'Edouard p^HsP^"^ ***
pûc la foire, fubfiftcr long - tcmpst dans Iç même en- ù^^^^
droit. Il fottçea. donc à s'éloîgpier de^ Paris , voyaiir
quUl n'y avoit. pas d'apareacè» de. pwiVoir: forcer cjetc
ville, ou détermioer le régent au combat. Le^ trou-»
pes ennemies décampcreoc après avoir achevé de dé-»
truire & d*embrafcr tous les poftes qu'elles ocupoient.
Un détachement de Tarière -garde vint infi|lter les
Parifiens îufqu'auprès de Si mrcbL Plufieors cheva- •
Hers ae pouvant uuifrîr ee défi » fortdrent de la ;villé
malgré la défenfe du .régent : ils furent punis de leur
témérité. A peine avoient-ils paffé le Bourg-la-Reiiie
qu'ils tombèrent dans une emoufcade : la plupart fu-
rent tués, on pris> & les autres eurent bkn de la peine
à fe faire jour à travers^ les ennemis pour rentrer dans
Paris. Les Ai^ois le même iour laiâerent aler fur
leur parole les .prifonniers cp'ils firent en cete ocafion«
Le dcflein d'Edouard étoit de rafraîchir fon armée Edoaarfba-
dans laBeauce & dajis le oays Chartrain , de paffer {^"^t mU^
enfutce en Bretagsie ^ & ae centrer de nouveau en
France pour faire le fiége de Paris, ne voulant point
retourner en Angleterre qu'il n'eût achevé fon entre-
prife. Les lésats du pape ne ce0bient de l'exhorter à
la paix y quelquefois il n'en paroiflbit pas éloigné :
i24 Histoire de France,
'■■ mais la dureté des conditions détruifoic ' bientôt tout
Aûû. i}6o. efpoir d'acommodement. La fureur des deux partis
cependant commençoit à fe ralentir par Tépuifement
de leurs forces : la France étoit aux abois , & les An-
glois eux-mêmes excédés d'une marche pénible à tra-
vers des provinces devenues ftériles par les malheurs
de la guerre , épuifés d'ailleurs par les incommodités
Su'ils avoient (oufertes des ^ueurs de Thiver, pen-
ant lequel ils avoient prefque toujours tenu la cam«-
pagne , ne demandoient ^us qu'à jouir de quelque
repos. Cete armée fi floriflante, en entrant en Fran-
ce, avoit déjà beaucoup perdu de fon aâivité. Edouard
ne pouvoit s'empêcher de cohfidérer que tout ce grand
armement ne lui avoit produit d'autre avantage que
de lui procurer la trifte facilité de porter dans les
campagnes le ravage & la défolation , fans qu'il pût
s'aplaudir de la conquêtp d'une place importante;. Ces
réflexions ne durent pas peu contribuer à lui infpirer>
des difpofitions pacifiques. Les deux légats , qui ne le
3uitoient prefque pas , lui firent enfin agréer que des
éputés des deux partis s'afTemblafTent pour traiter de
la paix..
du d^cLca- Comme Edouard témoignoit encore quelque îrré-
caftrp!^ ^ ^^ folution , le duc de Lencaitre acheva de le déterminer
par fes repréfentations. Confidcrc[ , Monfcigncur , lui
dit ce prince, que cete guerre que vous faites au royau^
me de France eji trop peu favorable pour vous : vos
gens y gagnent , & vous y perdre^ votre temps ; tout
conjiaéré que vous y guerroyé:^ félon votre opinion (^),
vous y itjere[ votre vie , ^ c^fft fort que vous en venie[
ja à votre entente. Si vous confeille que entendit^ que
vous en puijjie[ yffr à votre honeur , que prenie[ les
ofres qu^on vous préfente : car , monfèigneur , nous
pouvons plus perdre en un jour que nçus n^ avons gagné
en vingt ans.
(a) C'eft comme s*il avoit dit s En fu^ofant mime qutvous fiffiif ta ^trtf
/^toa votre e/péraacf.
On
J E A N I I. 22^
On ne peut pafler fous filence un événement dont ^^^^^— "^
le témoignage unanime de tous Içs écrivains contem- a°"- '3^o-
porains ne permet pas de douter. Ils xaportent que Edouard fc
-% , * i*-i»Af /•'^ /^ détermine.
dans le temps que le roi d Angleterre étoit campé au- uifUm.
près de Chartres , il furvint "un orage acompagné de
tonnerres & de grêle d'une groffeur prodîgieule, qui
écrafoit les hommes & les chevaux. Les tentes ara-
chées par la violence du vent étoient entraînées dans
les torrents rapides que formoit cet afreux déluge.
Mille hommes d'armes & dIus de fix mille chevaux
périrent en cete ocafion. On dit Gu*en ce moment
Edouard éfrayé fe tourna vers Péglife de Chartres^ i&
fît vœu de facrifier Ion reflentiment & fes prétentions
au bien de la paix. Le brillant auteur de Teflai fur Effaifurthift.
Thiftoire générale oppofe au récit des hiftoriens qu'il ^''^'•\^^^-^'
acufe de (implicite, une objeâion plus éblouiflante ^^/î^'^['''***
que folide. Rarement ,^1'tX ^ la, pluie a décidé de la
volonté des vainqueurs & du deJHn des Etats. Si cet
illuftre écrivain s'étoit donné la peine de faire aten-
tion k cete multitude de révolutions arivées dans Tuni-
vers , il auroit reconnu que très foxiven^ des caufes
plus foibles qu*une tempête extraordinaire , ont oca-
lionne des changements encore moins prévus : il n'en
faut pas tant à la fragilité humaine pour nous détermi-
ner dans les aâions les plus importantes. D'ailleurs ce
qu'il avance ne peut détruire un feit atefté & qui ne
répugne point à la raifon. Il n'eft pas néceffaire da
recourir au miracle , & Ton peut fe convaincre , fans
être acufé ii'une fuperftîtieufe crédulité, que la Pro-
vidence fe fert fouvent des moyens les plus fimples
pour nous faire entendre la voix de la juftice & de la
traité
raifon. Froiffard , qui pour lors écrivoit fon hiftoire f^ifi^r.
& ,oui eut plufieurs fois Thoneur de voir Edouard III , ^^ Nanèf^'^^'
& ne lui parler , aflure que ce priftce depuis le
convint de Timpreffion que Torage fit fur lui. Le con-
tinuateur de Nangis marque précifément que plufieurs
des principaux feigneurs & capitaines Anglois alerent
;rome V. F f
2z6 " Histoire de Fratîce,
■ nuds pieds de leur camp à l'églife cath^rale de Char-
Ann, 13^0, ç^es rendre grâces à Dieu du recour ^c la paix.
Conférences ^^ ^"^ ^ Brétîgny , bourg litué ^ une licue de dif-
& traité de tance de la ville de Chartres , qqe fe rendirent les
Brccigny. députés chargés de cece intéreflanti^ négociation. Le
d u^'^hltihcf. traité fut fait au nom des deux princes fils des rois
du roi. ' de France & d'Angleterre. Les plénipo ternaires nom-
^om'^^'ïrt^i ^^^ ^^ ^^ JP^^^ ^" régent étoient , Jean de Dormans
tom.^ Impart, i ^^^^^^ ^^ Beauvais , chancelier du duc de Normandie ,
Mémorial, de Jean de Melun comte de Tancarville encore prifon-
^Compusl^^^^ nier fur fa parole , les feigneurs de Montmorency ,
chron.MS. de Boucicault^ de Vignay & de Reneval, Simon de
^'^ChrinT' de ^^^Y. ?^^^^^^ préfidcut , Eftienne de' Paris chanoine
Saïnt-Denis! ^^ Notre - Dame , Pierre de la Charité grand chantre
de ladite églife , Jean Dogerant doyen de Chartres ,
Guillaume de Dormans y Jean Delmarès avocat au
parlement, & Jean MailIar()i|)ourgeois de Paris. I^ts
minières Anglois étoient y le duc de Lencaftre » les
comtes de Northampton , le duc de Warwich , de Staf-
ford , de Salifbury , les feigneurs de Mauny , de Gob-
hean , de Beauchamp , le Captai de Buch , & autres
chevaliers au nombre.de vingt-deux. Les conférences
durèrent pendant une femaine entière. Enfin toutes les
conditions d'une paix fi defirée étant réglées de parc
& d'autre , le famedi feptieme jour du mois de Mai ^
on convint pour préliminaire , d'une crevé qui dévoie
durer jufqu'a la faine Michel de Tannée fuivance.
Articles du ^^ lendemain de la conclufion de la crevé ^ le traicé
traité de Bré- de paix , cél qu'il devoit fubfifter jufqu'à ce au il eue
^'gny* éf é confirmé par les deux rois , fut figné par les plé-
nipotentiaires des deux partis. Comme la fuite de Thif-
toire obligera plus d'une fois de recourir aux condi-
cions de cete paix pour TéclaircifTemenc des contcfb-
tions qui furviendront , il efl: néceffaire d'en raporter
au - moins le précis le plus fommaire , mais en même-
cemps le plus exaâ^ en diflinguanc cous les arcicles , afin
d^évicer la confiifion. Voici ces articles au nombre de
quarante, i?. Le roi d'Anglecerre , outre ce qu'il te-
J E A N I L . 227
noît en Guîenne & en Gafcogne , dévoie être mis en .
pofleflion du Poitou, des fiefs de Thouars & de Belle- ^^* »3«0-
ville , de la Saintonge , de T Agénois , du Périgord ,
du Limofin , du Quercy , de larbes & de.^Bigorre,
du comté de Gaure , de TAngoumois & du Kouer-
gue y pour les tenir en toute fouveraineté ainfi que les
rois de France les avoient tenus , avec l'obligation de
la part des feigneurs , tels que les comtes de Foix , d'Ar-
magnac , de rifle , de Périgord , lé vicomte de Limo-
ges &: autres dont les terres étoient enclavées dans les
provinces cédées , d'en faire hommage au monarque
Angloîs.
2^. On cédoit à Edouard Montreuil ; 3*. le comté
de Ponthieu ; 4^. Calais avec fon territoire , & les fei-
gneuries de Merch , Sangate , Coulogne , Hoipes ,
Wall , & Oye ; ^''. le comté de Guines ; 6"^. les îles
dépendantes de toutes les provinces cédées. 7^. Le roi
de France & fon fils, dévoient dans le terme d'un an
cranfporter au roi d'Angleterre tous leurs droits géné-
ralement (}Qelconques fur ces provinces. 8°. Il eft dit
que le roi d'Angleterre les tiendra au même titre que
les rois de France, 6c que toutes les aliénations faites
depuis 70 ans par les monarques François feront
révoquées : 9°. Que le roi d'Angleterre poffédera dans
ces pays les terres qui avoient apartenu à fes prédécef-
feurs , de la même manière que les rois de France les
avoient tenues depuis ce temps : 10^. ^ue fi dans les
lefdites terres jadis poflédées par les fois d'Angleterre
il fe trouvoit quelques aquifitiona nouveles faites par
les rois de France , Edouard- & fes fuccefleurs- les tien-
dront au même titre. L*onzieme article eft une répéti-
tion du (eptieme.
Le douzième article qui mérite le plus d'atention,
par les dificultés qui fuivitent fon inexécution, porté
<jue le roî de France & fon iils aîné renonceront ex-
preffément aux reflbrt & fouvéfaîneté fur toutes les
provinces cédées en vertu du traité, & que de leur
4^ôté Edouard & le prince de Galles renonceront expref-*
F f i j
228 Histoire de France,
^^^^^^^^^ fément à toucés lés prétentions qu'ils formoienc avant
Ann. 13^0. le traité, & fbécialement au droit & au nom de la
couronne de France , ainfi qu'à Thommage des duchés
de Normandie, de Touraine, des comtés d'Anjou &
du Maine , de la Bretagne & du comté de Flandre ,
& que les deux rois conviendront à Calais du lieu
& du jour auquel ils doivent faire les renonciations
réciproques, ij"*. En conféquence du traité le roi d'An-
gleterre doit faire conduire le roi de France à Calais
trois femaines après la S. Jean - Baptifte. 14"^. Le roi
de France doit payer à Edouard trois millions d'écus
d'or pour fa rançon , fçavoir fix cent mille écus à Ca-
lais quatre mois après Ion arivée , & quatre cent mille
/écus d'or d'année en année jufqu'k la nn du paiement.
15®. Immédiatement après le paiement des premiers fix
cents mille écus , & la remiie au roi d'Angleterre de
la Rochelle & du comté de Guines , le roi poura fornr
librement de Calais ,en livrant pour otages rhilippe de
France fon fils , les comtes d'Eu , de Longueville , de
Ponthieu ,. de Tancarville , de Joigny , de Sancerre ,
de Dammartin, de Ventadour, de Sallebruch, d'An-
cœur & de Vendôme ,. les feigneurs. de Craon , de
Derval , d'Odenham & d'Aubigny : ces princes & fei-
gneurs avoient tous été pris à la bataille de Poitiers.
Voici les noms des autres otages : Louis comte d'Anjou
& Jean comte de Poitiers fils du roi, Philippe duc
d'Orléans fon frère, le duc de Bourbon, les comtes
de Blois ou d'AIençon ou leurs frères , les comtes de S.
Paul, de Harcourt, de Portien , de Valentinois ,. de
Brenne , de Vaudemont , de Forez , le vicomte de
Beaumont , les feigneurs de Coqcy , de Fiennes , de
Préaux , de S. Venant , de Garencieres , le dauphin
d'Auvergne , les feigneurs de Hangeft , de Montmo-
rency j^ de Craon > de Harcourt & de Lignyoïé®. Ceux
des prtfonoiers qui font donnés en otage étoient dé-
clarés quites de toute rançon, à moins qu'ils n'euf-
fent compofé avant le traité. 17^. Dans le cas où quel-
' qu'un des otages fe retireroit fans congé , le roi devok
J I A N II. 129
en rendre un autre de femblable condition k la pre- -
miere demande du roi d'Angleterre. Cet article por- Ann, tj^o.
toit encore que le roi de ^France en partant de Calais
pouroit emmener avec lui dix des quarante otages ci-
defïîis nommés , du choix deiquels les deux rois con-*
viendroient. 18*^. Le roi , trois mois après fon déparc
de Calais^ devoit livrer au roi d'Angleterre quarante--
deux otages bourgeois y dont quatre de la ville de Pa«
ris , & deux des dix-neuf villes fuivantes ; fçavoir de
Rouen , S. Omer , Arras , Amiens , Beau vais , Lille ,
Douai , Tournai , Reims , Châlons , Troiès , Char-
tres , Touloufe , Lyon , Orléans , Compiegne , Caen ,
Tours & Bourges. Le k)"". article concerne la con-
duite du roi à Calais ^.& fon féjour dans cete ville pen-
dant quatre mois , dont le premier mois aux dépens
du roi d'Angleterre > & les trois autres aux dépens du
roi. ao^. Le roi un an après fon départ de Calais,
rendra la terre de Montfort , au comte de ce nom.
•Par le 21^. article les deux rois conviennent d'efTajrer
de terminer par, eux ou par leurs commiiTaires le difé-
rend entre Cnarles de Blois & Jean de Montfort, pour
raifon de la Bretagne , & que fi par eux ^ mêmes ou
}>ar les amis de ces deux contendants ils ne peuvent
es mettre d'acord au bout d'un an & demi , les deux
parties pourfuivront leurs droits comme elles voudront,
avec la liberté à leurs amis, de les aider , & qu'au
furplus quel que foit l'événement, l'hommage ue la
Bretagne reftera au roi de France, az^. Les deux rois
f«l confirmeront réciproquement la poiTefiion des terres
cédées , toutes les fois qu'un des deux le demandera. Le
2.5^. article a pour objet la reftitution de toutes les
terres de Philippe de Navarre. 24'. Le roi d'Angle-
terre pour cete fois feulement poura difpofer de la
fuccefiion de Geofroi de Harcourt , qui Tavoit infti-
tué fon héritier , ainfi qu'il a été marqué plus haut.
25^ Aucuns des fujets des deux princes qui par le traité
changent de domination, ne peuvent être inquiétés
pour quelque aâion qu'ils ayenc commife auparavant»
1^0 Histoire de F^^ance,
^ 26^. Tous les propriétaires des terres confifquées peo-
Ann. liéô^ dant la guerre en feront remis en poffeïlion , à Fex-
ception des feigneurs de Fronfac , & de Galard Braf*
fac feigneur de Limeuil. Le fécond de ces deux fei-
gneurs , très puiffant & très confidéré dans la Guieone^
avoit fait un traité particulier avec le prince de Galles ,
confirmé par Edouard qui lui donna quatre mille liv.
de rente en terre , en confidération jdu mariage pro-
jeté de fon fils avec la fille du feigneur d^Albret ,
alié depuis long-temps avec le roi d*Angleterre (tt).
Par le 27®. article le roi doit remettre dans le cours
d'un an toutes les terres tranfportées par le traité.
28^. Le roi d'Angleterre doit remettre a fes propres
dépens toutes les terres ou places tenues par lui ou
par fes aliés dans la Touraine , TAnjou , le Maine y lo
Berry , l'Auvergne , la Bourgogne , la Champagne ,
la Picardie , la Normandie & Tlle de France , la Bre-
tagne exceptée , à condition qu'au préalable le roi de
France aura fourni Taôe de renonciation & aura livré *
le Ponthieu 9 la Saintonge , l'Angoumois ^ & la fei-
gneurie de Montfort. 29®. Le roi de France fera pa-
reillement la délivrance à fes dépens des terres qu'il
doit céder ; & en cas de défobéifiance de la part de
ceux qui tenoient lefdites terres ^ les deux rois font
obligés de s'aider mutuélement à les réduire. 30^. Le
clergé doit jouir de fon temporel dans les provinces
dépendantes des deux monarques. Le 31^. article con-
firme l'aliance des deux rois. Le 32^. oblige le roi de
(a) Jean de Galard de Braflac , feîgnear de Lîmeail, itoh fils de Pierre de
Galard , grand maicte des arbalétriers fûas le règne précédent , charge qui
répond à celle de grand-maître de l'artillerie. Les defcendants de cete mai-»
fon , connu fous • les noms de Galard Terraube & Galard Bralîac , Tune des
plus anciennes & des plus diftinguéet de la Guienne , ont toujours depuis ce
cemps (îgnalé leur lele & leur atackement pour la perfonne de nos rois , 8c
ont»fufifammcnt réparé par leurs fcrvices & leur fidélité, une démarche à la-
qucle Jean de Galard ne s'étoit laiffé entraîner que par la conjondure des
temps ,^ la pofitjon de fes domaines , Taliance & Tafinité de (a nuifon avec
celles d*Armagnac , dcFoixIli: d'Albret» & fur* tout retendue de U principauté
de Guienne , dont les limites incertaines ocafionnoient quelquefois des dificulté<
pour la movaztïcç & le vpffon dçs fci^oet^s voifiaes»
J E A l/ II. 231
France de renoncer k l'aliance des Ecoffoîs, & le roi .
d'Angleterre à celle des Flamands. Par le 33^. les deux Ann. 1360.
rois s'engagent à faire aprouver le traité par le pape
fous la peine des cenfures écléfiaftiques. Le 34^ con-
firme toutes les collations des bénéfices faites pendant
la guerre. Le 35^. prefcrit que les fujets des deux
royaumes jouiront des privilèges des univerfités. 3^°.
Les deux rois doivent (e donner mutuélement des let-
tres de sûreté fcélées de leurs grands fceaux , lignées
par les princes de leur fang , & par vingt des principaux
leigneurs. S il fe trouvoit des oppofants au traité ^ le
roi de France devoit s'unir avec Edouard pour les
contraindre. Le 37e. annule tous les traités précé-
dents. 'Le 38^. règle la manière dont les deux rois,
un mois après que le traité aura été juré à Calais , s'en-
vèront mutuélement leurs lettres confirmatives. 39^.
I4GS rois de France & d'Angleterre doivent promet-*
trc de ne point foufrir qu'il furvienne de la part de
Rome aucun obflacle k l'exécution du traité. Enfin par
le 40e. il eft dit que les deux rois conviendront enfem-
ble à Calais de la manière dont le roi d'Angleterre
cédera au roi de France les dix otages qu'il doit ren-
dre , fuivant Tarticle dix-feptieme.
Six chevaliers Anglois députés par Edouard & le Confirmation
prince de Galles vinrent à Paris le lendemain de la àVaHs^p^k
conclufion du traité , pour en entendre la confirma- régènc.
non de la propre bouche du régent. Ce prince manda Ckron.MS.
le prévôt acs marchands & les principaux bourgeois ^^^^J^^'^^
de Taris , en préfence defouels il fit lire tous les arti-
cles de la paix par Jean Defmarès. Après cete leâure
Guillaume de Melun archevêque de Sens célébra la
meffe dans l'hôtel de Sens ou le régent étoit logé.
Pendant la célébration le prince fordt de fon oratoire j
s'avança vers Tautel, & pofant une de fes mains fur
le Miiiel , tandis qu'il aprochoit l'autre du S. Sacre-
ment fans toutes --fois y toucher , il prononça tout
haut devant les chevaliers Anglois , le ferment pref-
crit d'obferver inviolablemenc toutes les conditions da
ijî Histoire deFrance,
-■ traité. Auffi-tôt que le ferment fut fait, un huiflîer
Ann. 13^0. d armes ouvrit une des fenêtres de Tapartement du
duc y & annonça au peuple afièmblé dans la cour de
Thôtel , cnie la paix étoit faite. Le régent fe rendit
enfuite à Notre - Dame pour rendre à Dieu des grâ-
ces folenneles du retour de la tranqûilité.
Cete cérémonie fut le fignal des réjouïflances publi-
ques. Les chevaliers Anglois furent honorés & fêtés
pendant le peu de féjour qu'ils firent k Paris. Le ré-
gent les conduifit lui-même k la fainte Chapelle y &
leur montra les reliques qu'on y conferve. Il leur
donna un feflin magnifique^ & les congédia après avoir
fait préfent k chacun d'eux d'un cheval de prix. ^
A^^r'^é^^^^t Le prince de Galles fit le même ferment dans Té-
le" prfncc d^ glif® cathédrale de Louviers en préfence de fix dé-
Gaiics. pûtes du régent. Après ces premières sûretés de paci-
cft''co"Lu'à fi""o^ dpnnées de part & d'autre , le roi d'Ande-
Calais. terre & Ion fils s embarquèrent k Harneur & palle-
Uîdim. rent k Londres y afin de commencer l'exécution du
traité en faifant conduire k Calais le roi prifonnier.
Jean étoit pour lors renfermé dans la tour de Lon-
foZ'i^'^""' dres. Ce fut Ik que ce prince ratifia le traité de Brétigny
en préfence de rhilippe de France fon fils , des comtes
de Ponthieu, de Tancarville, d'Auxerre, de Joiçny ,
de Sancerre y & de Sallebruch. Le même jour il fut
élargi de la tour y en promettant de tenir loyale prifon
jufcju'à lacompliffement des conditions qui fuivant lo
Rym.aH.puBl. traité dévoient précéder fon entière délivrance. Con-
tom. },part.i, fermement aux termes de Tacord le roi monta fur le
dcNang. vaiUeau qui devoit le tranfporter en France, & vmc
Froijfard. débarquer k Calais, dans le même temps que le ré-»
Ckron.MS. g^^^. p^^^j^ de Paris & fe rendit k S. Omer.
Subfidc , & On commençoit cependant k lever dans le royaume
acordés^plncs ^^ fubfîde acordé pour payer la rançon du roi. La ville
Parificns pour de Paris fournit quatre- vingt mille florins d'or pour
la^ rançon du ç^ ^^^^ J^ premier paiement, & on tira par forme
d'emprunt cent mille royaux d'or tant des gens d'églife
& nobles , que des gens aifés du tiers-état« .
Edouard
T E A N ï ï* ^33
Edouard ariva trois mois après le roi dans la ville ^
'de Calais , & les deux rois dinerenc enfemble. Le Ana. xj^o,
comte de Flandre entra dans la falle où ils étoient à
table : il fè mit à genoux devant le roi de France y &
5'étant relevé il falua le roi d*Angleterre d'une fimple
inclination. Le comte de Flandre vcnoit à Calais pour
ratifier les claufes du traité qui concernoient its Etats ,
teles que Taliance des Flamands avec les Anglois j &:
la fouveraineté du roi de France fur cete province. Le
récent s^étoit rendu à Boulogne , d'où il ala voir le
roi Ton ^ere k Calais 5 ayant pris la précaution de ie
faire donner les deux fils puînés du roi d'Angleterre
en otage. L'entrevue du père 6c du fils après une d
lonjg;ue abfqnce fut extrêmment tendre. Ils prirent
enfemble les mefures convenables pour lacompliilè-
ment du traité &, le foulagement des maux dont le
royaume étoit acablé.
jLcs premiers jours de Tarivée d'Edouard k Calais tes deux lott
furent employés k drefTer les modèles des lettres & ^uu^êraUé
des aâes jugés néceflaires pour la sûreté y ratification dcBiécigoy»
&, exécution de tous les articles que les deux rois Rvnur. aa^
fignerent. Enfin le vingt-quatre Odobre après la con- P'^^-^'^^ ^ ^
firmation de la paix , ils entendirent la méfie enfemble y ^^ckron.^MS.
•& jurèrent Tobfervation du traité fur les faipcs Evaa* duroiJeau.
giles. Lorfqu'il fut queftion dealer k lofi-ande y aucun
des deux monarques ne voulut précéder l'autre : on
aporta la paix au roi de France y qui ne la ^voulut
prendre y mais fortant de fbn oratoire la préfenqi au
roi d'Angleterre qui la refufa pareillement : alors les
deux prmces s^embrafFerent en préfencp de tout le
monde.
Les aâes relatifs aux diférentes conditions du traité
furent expédiés le même jour ; mais le plus important de
tous y ôc dont les autres ne font que des dépendances,
c'eft la ratification dû traité niême conclu entre le duc
de Normandie & le prince de Galles , autorifés par les
pouvoirs des deux rois leurs pères. Le changement le
plus confidérable qui fut ^t a ce traité & qui mérit»
Tome F. • G g
^54 Histoire de Fkakce,
; ! ^oe férieufe atention , c'eft qu'on retrancha l'article
Aaa* i|^. douzième qui concernoit les renonciations refpeâives
d'Edouard a la couronne de France , & du roi à la
fouveraineté des provinces cédées. Pu Tillet & quel-
!ques écrivains après lui , ont prétendu que cete Ibuf-
traâion du douzième article étoit l'ouvrage de la poli-
tique du duc de Normandie ^ qui vouloit fe ménager
un moyen de revenir contre un acord défavantageux ;
mais le Fere Daniel obferve qu'il n'y a pas d'aparence
que le retranchement d'un point fi efTenciel eût échapé
à la connoiilance d'Edouard & de fes miniftres. On
peut ajouter à cete remarque judicieufe , que ce fut
plutôt un artiiice employé par le roi d'Angleterre pour
ie conferver fa prétention chimérique au ^trône Fran-
çois y. prétention qu'il n'abandonna jamais fincérement.
Xa bonne foi que le roi 4c France témoigna dans l'exé-
cution du traite^ & qu'il ne démentit point , ne peut
donner prife au moindre foupçon : il faudrait donc
^ que le duc de Normandie t'eût trompé auilî-biea
Trlfot it qu'Edouard , ce qui ne paroit pas vraifemblable. Enfin
^^Aa^^iûi^ pour juflifier pleinement la franchife du roi kcet égard ^
l'exécution du o» trouve dans le recœuil des pièces confervées dans
traité d^ Bré- uu manufcrit de la bibliodieque du roi , un aâe daté
tigMUiQt.ài jç Boulogne, par lequel le roi renonce à la fouvcrai-
neté des provinces cédées à Edouard , à condition tou*
tefois que ce roi renoncera de/on côté à fes prétentions y
confosmément au dotmeme article du traité de Bré-
cigny. Oue pouvoit ^ire de plus le roi de France? Il
envoya dans la fuite cet aâe de renonciation k Brugés>
ainfi qu'on en écoit convenu ; mais le roi d'Angleterre
n'agit pas de même , perfonne ne fe rendit à Bruges
de Ta part, /
Vues d*E- U^® pareille conduite ne prpuve-t-elle pas manifefle*
Couard en re- ment quo fatisfàit de l'acompliflèment des autres con»
ficHcdouLt ^i^i^^s> iï. ûe vouloit pas en rempliffant ce feul arti-
iBc article. cle , fe privcr' d'uri! dioit prétendu qu'il fe réfervoit
tacitement de faire «valoir dans la luite ? PofTefTeur
de plus de la.moiitié du royaume^ il s'imaginoit n'a-
7 s A N II. 23^
voir plus qu*un pas à faire pour envahir le refte k la ^*'^'*"^'
première ocafîon^ & le droit de fuzerainecé dévoie lui Ann. ij^©»
f ^arbitre un avantage chimérique dans la perfonne de
ean , dès qu^il pcrnftoit k fe regarder lui-même com«>
me fèul légitime roi de France. Audi négligea-t-il dô
répondre aux fommations qui lui furent Êtites d'en-»
voyer à Bruges Taâe de la renonciation.
jLes autres articles du traité , à la réferve de quel- DéUnaace
ques-uns des moins importants , furent exécutés fidé- *^ '^V
lemenc. Le roi fit expédier des ordres à tous les gou- -^^^««•
verneurs 6c commandants des provinces & places cé-
dées ^ de les délivrer aux oficiers du roi d'Angleterre.
Les principaux otages fe rendirent à Calais. Enfin le
roi après quatre ans un mois %c fix jours de captivité ^^^H^^^
partit k pied de cete ville le 25 Oâobre 1360 , acom-
pagné du prince de Galles & de fes deux frères y Se
vint le même jour en pèlerinage k Notre - Dame de
Boulogne. Edouard Tavoit conduit par honeur jufqu'k
une lieue de diflance de la ville de Calais.
Le roi d'Angleterre fuivant le traité devoit rendre Pkjlippc le
au roi dix des otages : Philippe le plus jeune des en- f^£!iS
fants de France fut de ce nombre. L^atachement que eftccadu.
ce prince avoir témoigné au roi fon père le jour de
la bataille de Poitiers , le lui avoit rendu extrêmmenc
cher : cete inclination s'étoit encore fortifiée par lô
lonç féjour qu'ils avoient fait enfemble en Angleterre ^
& le roi ne. tarda pas k lui donner des marques de fa ^
prédileâion fur fes autres enfants. •
Le jour même de la confirmation faite k Calais du Traité avec
traité de Brétigny , fut conclu lacommodement du roi '« ^®* «*« ^a-
de Navarre , par la médiation d'Edouard. En confé- ^^^^Jâ.. mq
quence le roi acorda au Navarrois une abolition gène* concernant u
raie tant pour lui que pour fes partifans, & la refti- trahi dtBH^
tution de tous leurs biens. Parmi ce grand nombre dç ^if/^^ii %x^
Î partifans compris dans Tamniftiè^ le roi de Navarre Rynur^aOk
e réferva le droit d'en nommer trois cents , auxquels ^'"biJ^^^'J^j,
... -, . !• j» I 1^ • mémoires de
on devoit donner des lettres particuberes daboliaon Un.pourfer^
expédiées en chaocélerie , & cç pardon n'exceptoit v"" ^ f^'fi^ <^«
Gg ij
i^G Histoire de France,
!!!~î!=:=s aucun crime , non pas même celui de lefe-majefté. On
Ann. n^o. ne peut retenir fon indignation à la ledure de la lifte
roi de ^vdr- qu^jj donna , d'y voir Robert le Coq Evêque de Laon,
a)tfe!^ *" c^ prélat fi digne des plus féveres châtiments : mais
Trtfor des le.roi en acordant cete grâce k laquele il ne fe déter-
îwavara ^* ^î^oit quc oour le bien de la paix , exigea que ce
Chambre des prêtre turbulent fortît du royaume. Il pafla en Efjpa-
cwKptesy mém. gne où il mourut évêque de Çalahorra. Charles s'obli-
gea par ce traité de venir trouver le roi & de lui faire
ferment de fidélité , k condition cependant qu'on lui
remettroit pour sûreté de fa perfonne douze otages à
fon choix parmi les princes & feigneurs , les enfants
de France exceptés. Les glaces ocupées parles Anglois^
dans les domaines du roi de Navarre j dévoient lui
être reftituées ; & fi quelques ennemis vouloient lui
faire la guerre, le roi promit d*obferver une exaâe
neutralité. Enfin ce traité confirma Tacord précédem-
^ ment fait entre le duc de Normandie & la reine Blan*-
che. Cete paix avec le Navarrois fut jurée par les rois
de France & d'Angleterre en préfence du duc d'Or-
léans , de Tévêque de Térottane , du comte de Tan-
carville & des autres plénipotentiaires du roi de Fran«
Trifordes ce , & de Philippe de Navarre, de Tévêque d'Avran-
CAtfrrr. /tfy. 4, chcs , du Captai de Buch & des feigneurs de Pecqui-
fiece^. gny a^ nom du roi de Navarre, qui envoya quelque
temps après fes lettres de ratification.
Le roi fe rend QucIqucs jours après , le roi partit de Boulogne &
\l^lT^lZl vint à Saint-Omer , où Pon célébra fon arivée par des
rois lui prére réjouifiauccs & dcs fêtcs. On donna un magnifique
Séiité"^ tournoi auquel affifterent plufieurs feigneurs & che-
chroniq.de valîers François & Anglois. De Saint-Omer Jean fe
s. Denis. rendit à Hefdin , où il demeura quelque temps. Ce fut
^FroiTar^^^ en cete ville qu'il nomma plufieurs oficiers pour com-
SpUiL^cont. pof^^r f^ mailbn : il y fit Tordonnance de fon hôtel &
itNang. de fa chambre des comptes qu'il forma de'fix maîtres
des comptes , moitié clercs & moitié lais. Le monarque
prit enfuite la route de. Paris par Amiens, Compieghe
& Senlis. Il ariva le ii Décembre à S. Denis, où le
I E A N II. 137
Navarrois qui ne s'écoit point encore préfenté devant :
lui 9 vint le trouver ^ emmenant avec lui les otages qu'on Aon. 1^60.
lui avoit donnés pour sûreté de fa perfonne ^ conformé-
ment au traité. Le roi reçut ce prince dans Téglife de
S. Denis devant le grand autel. Charles s'inclina pro*-
fondement devant fon fouverain j & jura fur le corps
de N. S. que Tabé de S. Denis revêtu de fes habits
facerdotaux tenoit entre fes mains, » que dorénavant
yy il feroit bon , loyal , & fidèle fujet & fils du roi de
yy France fon beau-pere , qui de fon côté promit qu'il
» lui feroit bon père & feigneur yy. Ces promeffes
réciproques furent acompagnées des ferments du duc
de Normandie & de Phiuppe de Navajrre. Cette entre-
vue fe termina par un feltm auquel Jean invita le roi
de. Navarre , qui le même jour partit de S. Denis ôc
retourna en Normandie.
On faifoit cependant à Paris les préparatifs de la Le roi vient
réception du roi , qui entra dans cete capitale le 13 ^ P*"f-
Décembre. Les Parifiens ffemblerent en cete ocafion ^^'^^'^
avoir oublié les maux qu'ils avoient fouferts. La pré-
iènce du fouverain avoit tout éfacé. Les lieux par Icf-
quels il pafTa étoient tarifés ; des fontaines de vin
couloient dans les rues remplies d'une foule de peuple.
Le roi traverfant la ville fous un dais de drap aor
porté fur quatre lances , ala d'abord defcendre à Té-
glife de Notre-Dame , où il rendit à Dieu fes aâions "^
de grâces. Après s'être acuité de cete obligation reli-
gieufe, il vint au palais/ Il y étoit atendu par les dé-
putés de la ville , qui lui ofrirent au npm des habitants
un préfent de mille marcs de vaifelle d'argent.
Le roi de retour dans fes Etats , avant que de re- Du TiUet ;
prendre les rênes du gouvernement, confirma tous les recmii des rois
aâes de fouveraineté exercés jpar Charles de France not!^'^^^^'''^'
fon fils aîné , comme régent du royaume en l'abfence kegtftres du
du roi fon père, Cete confirmation qui fut pour lors Pf^^''"^^^^^^ ^%
jugée d'une néceffité indifpenfable, fert à établir la di- ^'ck.'des c.
fërence effcnciele qui fe trouve entre la régence admi- ^ip^onai a ,
* ^ foi. 14.
238 Histoire de France,
■ niftrée pendant Tabfence ou la maladie du monarque 9
Ann. i%6o. & celle qui a lieu pendant fa minorité. Dans le dernier
•^^^f"* ^^' ^^^ ^^ ratification du prince parvenu à la majorité n'eft
rois ronce. ^^ jugée néceflaire , parce que les loix & les confti-
tutions du royaume ayant apelé au gouvernement de
TEtat celui qui a rempli les fondions du fouverain,
ces mêmes loix font cenfées avoir confirmé tous les
aâes émanés de Tautorité qui lui a été confiée. On ne
regarde comme régent proprement dit , que celui qui
gouverne pendant la minorité : celui qui régît pour
abfence ou maladie n eft régent qu'accidentélement &
en quelque façon par prêt , quoiqu'il ait jouï pen-
dant fon minittere de toute la plénitude au pouvoir
abfolu.
Dificolté de La mifere des peuples rendoit très onéreufe Texé-
çordu roi!*'* cution des articles de la paix : on manquoit d'argent
Tréfor des P^^r aquitcr le paiement de la rançon du roi. Le pape^
Chartres. avoit acorclé deux décimes fur le clergé de France, j^z.
DuTiUet. plupart des bonnes vilIes*^s'étoient taxées elles -mê-^
mes ; plufieurs adminiftrateurs des finances avoient été
arêtes & conftitués prifonniers : enfin la néceffité où
L'on fe trouvoit avoit fait recSiirir à tous les expédients
pour recouvrer les fonds nécefTaires. L'afoibliffemenc
des monnoies fut la feule, reiTource qu'on ne mit pas
d'abord en ufaçe , & que peut - être l'extrême déran-
gement des afaires auroit rendu excufable. Il paroîtra
MS . '^^ doute fineulier que dans le temps où tout lembloit
du rouèatt. * ^^viter le roi a fe procurer des fecours par l'afoiblifle*
ment des efpeces , on fabriquât au-contraire une mon-
noie nouvele plus forte que la précédente. Mais c'étoit
avec cete monnoie que les décimes & autres impofi-
tions dévoient être payées par les peuples ; & le roi
d'Angleterre ne fe leroit pas contenté pour la rançon
du roi d'efpeces au-deflbus de leur valeur. Il eft dit
feulement que dans le même temps ott fabriqua pour
'Phittp. de ^® menu peuple de petits blancs faux de la valeur de
Comine. dçux deoiers, Ceft probablenîent ce qui a donné liçtt
Jean II. 439
à Pun de nos écrivains de raporter dans le fiecle fui- ■
vant, qu'on fie une monnoie de cuir avec, un clou ^nm i^éo.
d'argent dans le milieu.
IjÇs Juifs crurent trouver le moment favorable pour. Rapel des
obtenir leur rapel. Bannis de France fous les règnes ^'*^^-
précédents , &^ même depuis ravénemem du roî à la cJ^^^anLf!*
couronne y ils n'avoienr depuis ce temps jouï de la
permiflion d'y demeurer que par une efpece de tolé-
rance. Avant la délivrance du roi ils avoient fait plu-
fieurs démarches auprès du régent qui n'avoit pa$
marqué d'éloignement de leur acorder une grâce pour,
laquele ils ofroient des fommes confîdérables. Peu de ^^^f^'' ^"
temps après (a délivrance le roi donna une déclaration ^ '^'^' *^*
par laquele il leur permettoit de revenir & de demeu-
rer dans le royaume pendant vingt années. La même
ordonnance étoit acompagnée de lettres qui commet-
toient à la garde & confervation de leurs privilèges le
comte d'£tampes ^ prince du fang de la branche d'E-
Vreux. Outre la fomme que trete nation induftrieufe> Mrlg.ckra^
toujours perfécutée. toujours étrangère dans Tunivers • «^'- ^* ''^'^•
o'*^*ii l'i-/ 1 de France.
& toujours riche , donna pour cete liberté , chaque ordonnances,
chef do famille payoit douze florins d'or de Florence je vo/./>.47w
pour fon entrée dans le royaume , fix florins tous les
ans pour le droit d'y féjourner j & de plus un florin
par tête^ de tribut annuel impofé généralement fur
tous. En leur permettant d'habiter en France y le roi
jugea au'il étoit à propos de mettre un frein à leur
cupidité 9 & de modérer l'intérêt exceflif des fommes
quils prêtoicnt à fes fujets. Il leur fut défendu d'exi-
ger au-delà de quatre deniers pour livre par femaine :
une ufure fi exorbitante autorifée par une déclaration
du prince ^ annonce à quel degré de mifere le royaume
étoit réduit.
Les Juifs avoient éprouvé plus d'une fois des vicif- RecœuUdis
fitudes qui leur avoient alternativement ouvert ou in- *'^^^«".'"'^^**
terdit l'entrée du royaume. Il en a été fouvent queftion
dans le cours de ceto hifloire. Saint Louis avant fon
départ pour la première croifade les avoit chaflés de
24^ Histoire de France^
" fes Etats , & s'étoit emparé de leurs biens , non dans
Ann. ij6o. rintention de profiter de leurs dépouilles, maïs pour
dédommager fes fujets des ufures qu'ils en avoient ex«
.rorquées. A Ton recour il les rapela ; mais il ne tarda pas
à les chafTer de nouveau : & quelques mois après il
leur permit de revenir. Ce fut dans le, temps de cete
dernière révocation qu*ils furent afTujétis k l'obligation
cfe porter fur Tépaule & fur la poitnne un morceau de
drap rouge ou jaune qu'on nomma la roue des Juifs
{rota Juaceorum) à laquele Philippe -le -Hardi ajouta
une corne atachée à leur bonnet/ lis jouirent de quel-
que tranquilité jufqu'au règne de Philippe-le-BeL Ce
prince défendit même aux inquifiteurs de la foi de les
inquiéter. Quelques années après il leur enjoignit de
fortir du roy'aume, & n'oublia pas Tufage pratioué de
faifir & confifquer leurs biens. Louis Hutin les fit
revenir 6c leur permit de demeurer dans le royaume
en les prenant fous fa proteâion e/pccialc. A cete grâce
Philippe-le-Long ajouta de nouveaux privilèges en leur
permettant d'hériter. Charles -le -Bel au-contraire les
exila de nouveau & les dépouilla. Philippe - de - Valois
confentit à leur retour & leur ordonna de fe retirer
huit ans après. Jean j Iorfqu*il monta fur le trône ^ les
rétablit : ce qui dura jufau'en 1357. Pendant la prifoa
du roi ils furent encore tannés. A fon retour le mo-
narque confentit k leur rapel ^ ainfi que nous venons
de le voir : ils demeurèrent en France pendant tout
Pafuiêr '^ ^egne de Charles V. La pièce de drap qu*ils écoient
c^wl«'i7tf obligés de porter avoit été changée en une platine d'é-
fronce, p.7^i. tain de la grandeur du grand Iccl royal. Enfin fous
Charles VI , ils furent chaffés pour la feptieme fois en
1394. Ils n'ont jamais été raoelés depuis, & s'ils ont
continué de demeurer dans le royaume , ce n*a été
qu'à la faveur d*un confentement tacite. Louis XIII en
161^ les bannit abfolument. Les juife de Metz furent
feuls exceptés de cete dernière profcription. Ils font à
préfent les feuls de leur nation qui pofledent en France
un domicile public & autorifé dans cete ville.
Oa
Jean IL 441
On peut voir par rincertîtude du fort de cete nation
dans les fiecles palTés^ que nos aïeux n^étoient pas trop Ann. i3<îo.
d'acord avec eux-mêmes fur le danger auquel on s'ex-
pofoit, ou fur Tutilité qu'on pouvoit retirer en permet-
tant aux Juifs de demeurer en France. Ils étoient ufu-
rJers^ mais habiles négociants. Nos pères négligeoient
rinduftrie & le commerce : à cete négligence ils ajou-
toient un goût maufTade , quoique très vif , pour la
diflipation & pour le luxe. Les Juifs les ruinoient, mais
ils iatisfkifoient leurs pallions & leur pareflè. On igno*
roit encore en France iufqu'aux éléments de Part des
finances : ils étoient habiles calculateurs : ils envifageoient
du premier coup-d*œuil les profits à faire efi achetant
en gros les revenus du fouverain. Ils fiirent les feuls
traitants jufqu'à ce que les Italiens & les Lombards
viaiTent partager avec eux c^te profeflioo lucrative.
Nous fommes devenus plus éclairés dans la fuite , &
iious avons apris à nos dépens à nous procurer Tintel-
ligence du commerce 3 la fcience d'entretenir & d*au-
Î^menter notre luxe, Part enfin de combiner les ref-
ources du prince & les acuités du peuple. -
Le roi incontinent après fa délivrance fe mit en de-* Le roi exécute
voir d^acomplir les obligations qu*il avoit contraâées. le traité, mai-
^^ n t ^ ' ^1 • * I • gré les iDltau-
Ce fut alors que rejetant toutes les voies qu'on lui ces de fes
préfentoit pour éluder Içs conditions du traité le plus fujccs.
défavantageux que jamais roi de France eût fîgne, il
mit réélemeut en pratique cete maxime digne à jamais
de préfîder à toutes les a(9:ions àcs fouverains ^ maxime
qu'il prononçoit fouvent : Si la jujlict & la bonne-foi
étaient bannies du rejlc du monde ^ il faudrait encore
qu^on retrouvât ces vertus dans la bouche & dans le cœur
des rois. Les commifTaires députés par Edouard pour
recevoir les places & les provinces cédées ,-^n'efluyerenc
de la part .du monarque François , ni dificulté , ni refus.
En vain une partie de la nation indignée de fe voir
arachée k la domination de fon prince légitime , pour
pafTer fous un joug étranger , opofa-t-elle les plus for-
tes ioftances : Jean ^ efclave jnéoranlable de fa parok 9
Tome K Hh .
î4^ Histoire DE France,
' . " ne répondit aux prières & aux gémiflements de fes
Aon. î}6o. peuples, qu*en leur repréfcncant la bonne-foi des trai-
tes , & la nécefficé indifpenfable d*immoler leurs incli-
nations au bien de la paix.
On voit avec fatisfaâion les traits de notre hifloire
qui fervent à faire connoitre tes ufages y les mœurs &
le génie de la. nation y & ces objets ibnt bien dignes
éfedivement de notre atentiofi. Ces traits cependant ^
il faut rendre hommage à la vérité , ne font pas tou-
jours notre éloge : les François ont été plus d'une fois
taxés de frivolité, d'inconflance & de légèreté : mais
|>uifqa'jl faut toujours payer par quelque endroit le
tribut à rhumanité , il doit être tlateur pour nous qu'on
ne puîiTe pas nous reprocher que ces imperfeâions de
refprit ayent jamais infefté nos cœurs ; & c'eft par-là ,
j*ofe le dire , que nous rachetons nos défauts. Le cœur
des François eft toujours le même : les goûts ^ les mo-
des y les manières mêmes de penfer changent parmi
nous : nos fentiments font inaltérables. Dans les temps
les plus orageux nos monarques ont éprouvé qa*ils pof-
fedent dans les cœurs de leurs fujets , une refiource in*
faillible & capable de leur faire furmonter les plus
grands obftades.
Lorfqu'il fut queftion de mettre les Anglois en pof^
fedion des villes & territoires exprimés, dans les con»-
ventions , les nobles & les gens du peuple marquèrent
un égal éloignement. Les la Marche , les Comminges ,
les Périgords , les Chatillons , les Carmings , les Pin-
cornets , les Foix , les Armagnacs , les Albrets , quoi-
que CCS derniers fulTent liés avec Edouard par une
aliance particulière, tous ces chefs, dis-je^ denos plus
illuflres maifons, tous les feigneurs & gentilshommes
qui leur étoient atachés , ne purent entendre fans fré-
mir qu'ils aloient changer de maître : ils rcpréfentè-
rent unanimement qu'ils ne reconnoiflbient point d^au-
tre fouverairi que le roi; q^i'ils étoient inféparablemênt
unis à la monarchie Françoife. Ils raponoient leurs
Chartres & leurs privilèges confacrés par tous nos rois
J s A . N I le 24^
depuis Charlemagne : tous regardoient comme un avi- '-
liflemenc infuportable de reconnoître un autre domi- ^^^' '5^'^-
nation que celle de leur prince légitime. *
Le roi, pénétré de cete généreufe réfiftance , gé-
miiïbit dans le fond de fon cœur ; mais fa promefTe
Tobligeoit de renoncer malgré lui à de (i fidèles vafFaux t
il faloit acheter le bonheur de la nation par ce retranr
chement. Il envoya Jacques de Bourbon pour ame-
ner les efprits à ce changement. ^ la prière du roi de
France & de fon çhier coujîn , dit Froiflàrd , iis ohéi-^
rentf mais ce fut bien ennuys. Les peuples des villes
ne témoignèrent pas un moindre atachement ; il falut
employer les raifons les plus preffantes pour les déter-
miner. Les habitants de la Rochele refuferent de. fe
iburpettre pendant plus d*une année : ils ne vouioient
permettre renjtrée de leur ville à aucun An^lois. Ils
répondirent à toutes les fblicitadons du roi par les
plus vives pjroteftations de zèle & de fidélité : ils le^
fuplierent pour Dieu de ne point les quiur de leur foi ^
de ne les point Ster de fon domaine , de ne les point
livrer à des étrangers, proteftant qu'ils aimoient mieux
donner tous les ans la moitié de leurs biens, que d'être
fujets du roi d'Angleterre. Jean flaté^ mais en même-
temps déchiré par le fentiment douloureux que lui eau-
foît la perte de fî dignes fujets , leur répondit afeSueu-- .
fement que le bien de la paix & le faïut du royaume
exigeoient qu'ils fe facrinafTcnt- Enfin v^oyaht qu'ils
ne pouvoient changer leur deflinée , ils fe fournirent,
& voici leur dernière réponfe; ail roî[: Nous obéironi
aux Anglots des kvres , mais nos cœurs nt s^én mouve-^
vont. Oefl: fur-^tout par ces exemples de zèle & de fen-
fibilité que notre nation s'efl rendue recommandable
dans tous les temps : les François aiment leurs princes
& méritent d'en être aimés. Les peu oies mécontents
du roi avoient d'abord paru afTez indîferents aux mal-
heurs de TEtat : mais ïorfqu'îls virent qu'il faloit chan-
ger de domination , ils féntirent alors fe réveiller dans
leurs ccBurs c^te afeâion natufele pour leur fouverain ;
H h ij
244 Histoire de TtiAvctf
-- ils oublièrent tous les fujets de plainte qu'ils croyoieflt
Ann. 13^0. avoir , & ne virent plus dans le changement de condi-
tion dont ils étoient menacés , que la féparation dQ::lott-
reufe qu'éprouveroient des enfanti qu'on aracheroit du
fein paternel. C'eft fur^ ce rapprt mutuel de bonté ,
d'atachement , de confiance & d^amour/ que doivent
principalement. fe fonder la gloire du monarque i le
bonheur des peuples , & la féeurité de T^tat.
Le roi donne On prétend que la néceflîté d^avoir de Targent pbli-
f?fii^^^"î^- gea le roi^ de donner Ifabele fa fille en mariage à Jean
vî^nti. ^^^ Galéas feigneur de Milap , encore rtial afermî dans fa
Tréfor des ttouvole dpmihatiom Ce feigneur étoit frère de Ber-
Chartr. rcgift. nabo. Vifcouti ,; conuu par les longs démêlés avec la
^'irr^MsT ^^"^ d'Avignon 3, & fes violences exercées fur -tout
Uid.reg.29 contre les geps d'églife. Excommunié par Iç pape il
frï07. fie un jour venir l'archevêque dé Milan qui jivpit refufé
t.^i^'uv!^^. d'ordonner un moine, à fa recôinmandaftoîi. Lorfque
le prélat fut arivé : Mets - toi à genoux | Ribaùd , lui
*dit Bernabo , ru fçais-tu pas que je fuis ptipf.$ cmpt-*
rcur fir feigneur en toutes mes terres y & que î)iw même
ne pouroit y faire que et que je voudrois ? Il ne fê con-
tentoit pas de ces blafphêmes , il contraignit. un .prêtre
de monter fur une tour , de lancer delà une fentence
d'excommunication contre le pape Innocent VI & Iw
cardinaux. Il ne rentra en grâce avec le faint fiege que
fous le pontificat d'Urbain, ualéas acheta ^ dit-on > Tlio-
neur de s*alier à la maifon de France: c*eft du -moins
le fentinient de tous nos hiftoriens moderneSé II eût été
' cependant à propos que ces écrivains euâei^t prouvé
cfete efpece de vente d'une princeiTe du fang royal)
marché auffi honteux pour le vendeur que pour Taqué*
reur, Jean Galéas Vifconti feigneur de Milan y époufa
Ifabele de France , à laquele le roi fon père donna en
dlnriT. apanage le comté de Sommieres en Languedoc , &
Du TUUt. trois mille livres de rente. Dans la fuite Galéas obtint
le comté de Vertus en échange de celui de Sommieres.
Voila les feuls monuments authentiques qui fubfiflenc
de ce mariage. Il eft trifle que la menioire du roi foit
J 1 A » ï I. 245
flétrie par un foupçon d'avarice , défaut que fes plus — ^— ^
grands ennemis ne lui ont jamais reproche* La foible Ann. i|«a.
reflburce qu'un pareil traité lui eût procurée ne pouvoic
entrer en comparaifon avec le déshoneur de la conven-
tion* Le paiement de la rançon du roi n'écoit pas la
condition la plus fâcheufe du traité de Brétigny : le
démembrement de tant de provinces formoit alors Tob-
jet le plus important.
Dans le même temps que les gens prépofés par Ezccotîonda
Edouard pour fe mettre en poffeflion des villes , pro- ^^"*"
vinces & châteaux mentionnés au traité de Brétigny JZ^'fpJti]
s'aquitoient de cete commiffion , Iç roi d'Angleterre en-
voya en France Jean Chandos avec le titre de fon lieu*
tenant-général en Guienne. Le caraâere de ce feigneur
étoit bien propre à féconder les vues du monarque
Anglois , dont le deflein étoit de gagner les efprits. &
de fe concilier l'aféftion des feigneurs François qui
alpient devenir fes vaiTaux. Chandos étoit regardé
comme un des plus eftimables chevaliers de fon temps*
Il poiTédoit Tart de (è faire aimer par fon afâbilité ,
fa modération & fa générolité , dans un fiecle où Ton .
nVvoit pas encore perfeftionné cette impofture ingé-
nieufe/qui fous le nom de politefTe fubftitue l'image
des vertus à la réalité. L^ Anglois reçut Içs hommages
des feigneurs François y qui ne confentirent à cete dé«*
marche que preiTés par les exhortations de Jacques de
Bourbon f envoyé par le roi à Montpellier pour
cet éfet.
Les ennemis, [ car quel autre nom peut- on donner SpUii. comin.
aux Anglois qui n'avoient confenti à la paix que pour '''^^X^^
continuer la guerre fous une autre forme ? ] les enne- cZon.'^MS.
mis , dis^je » n'exécutèrent pas avec la même fidélité
les conditions auxqueles ils s'étoient engagés. La plu-* •
part des garnifons des places qu'ils dévoient rendre re-
xufèrenc de les livrer , les unes fous prétexte que leurs
apointements leur étoient dûs , les autres aléguant qu'el-
les les tenoient pour le roi de Navarre : d'autres enfin
répondirent qu'elles les gardoient en leurs noms. Si
jt4^ Histoire de Fhatîce,
- (quelques - unes évacuerenc , ce ne fut que daQS rinten-t
Ann.,i}^o» Don de chercher dans le royaume des établiSemenU
plus avantageux.
Edouard no \jQs ordres d'Edouard cependant paroiflbient précis;
mité!^"*'^^ mais il n'employa jamais que des ordres fans les apuyer
DuTilUt. par la force , quoiqu'il s'y fût obligé par le traité ; e»
ibrte qu'il falut encore retirer la plupart de c^s places
des mains de ceux qui s'en étoient rendus maîtres ^ ei)
les contraignant à main armée de les abandonner , ou
compofer avec chacun d'eux par des traités particu-^
liers. Les fommes employées à ces diverfes aquiiitions
montoient à plus dq deux millions* L'on peut donc
afTurer qu'à cet égard le roi d'Angleterre n'exécuta pas
le traité de Brétigny ^ tout avantageux qn'il étoit^pour
lui. Les hiftoriens qui lui font le plus Ëivorables ne
l'excufent que foiblement fur cet article. Il ne tint pas
plus exaâement fa parole pour la renonciation qu'il
devoit envoyer à Bruges , & il ne répondit jamais aux
fommations qui lui furent faites. Une mauvaife foi fi
marquée n'empêcha pas le roi Jean de livrer toutes
les provinces & les villes , à la réferve de Belleville &
de la feigneurie de Gaure j qui ocafionnerent quel*
Î|ues conteftations , remifes à 1 arbitrage des commit
aires nommés de part & d'autre. Les otages furent
donnés , une partie de la rançon fut aquitée pendant
les trois dernières années de la vie du roi & les pre*
mieres du règne de fon fils. Le monarque Anelois ,
contre l'efprit & les termes formels du traité, fous le
yain prétexte de quelques conditions les moins impor-
tantes qui réftoient a remplir ^ fe piiétendit en droit
de retenir les otages. Plufiecfrs d^entre eux ftirent obli-
gés d'acheter leur délivrance particulière :»les aâes
• publics d'Angleterre contiennent quelques - unes de
ces" conventions. Le duc de Bourbon donna de l'argent
pour fa liberté ; le duc d'Orléans céda plu&ears fei-
gneuries en Poitou au fils du roi d'Angleterre pour
le même fujet; le dauphin d'Auvergne, Gui-de-Blois ,
l^ comte d'Alençoii i ^ quelques autres (tirent réduits
J H 'a K II. 14^
k de pareils acords. Quelques-uns k la vérité fc reci- •*—'**—?!?
rerentTans coiigé; mais que les partifans les plus outrés Ann. ^5^0.
de r Angleterre réclament s'ils rofciit contre leur re-
traite. Quel écoit le droit d'Edouard pour les retenir ?
Lé traité de Brétigay confirmé à Caiais. Les condi*
dons de ce traité avoient été rempiies par le roi de
France à la réferve d*une partie de la rançon pour
laquele même Edouard avoit acordé un délai , & le
roi d'Angleterre n'en avoic encore exécuté aucunes.
Il n'avoit pas feiilensent voulu s^reindre à la vaine
formalité de êl renonciation à la couronnç de France.
Indépendamment dss raifons tirées de la confkitcpcion
de \i monarchie qui n'admet le (démembrement d'au-»
cune des parties de la fouveraineté & qui itapele éter-*
nélement' ces parties au corps dont elles ont été fôpa-
réeSy raifons qu'il feroit facile de faire vaioii: contre
des prétentions injuftes; inxiépendamment, dis-jd^ de
ces raifons 9 Charles ne fut que trop bien fondé h re-^
garder comme nul un traité qui n'avoit été décote
que de la part de la France , & h.foutenir fur-tout
l'invalidité de la renonciation que. le roi fon père de->
voit faire à la fouveraineté des provinces cédées au
roi d'Angleterre , puifqu'£douard avoit paru par fon
filence refufer de renoncer à fes droits imaginaires.
Que des écrivains Anglois fe foient emportés jufqu'k
condaner la conduire d'un de nos plus grands mo-
narques * dans fes démêlés avec Edouard y on peut le "^ Charles V.
pardonner à l'excès d'un zèle aveugle £c mal entendu
en faveur de la. patrie : mais que des François fe. foient
déshonorés par une femblable injuftice ^ c^eft ce qu'on
ne peut voir fans indignation , & qui doit foulever
contre eux le«r fiecle & la poâérité.
Toutes les conditions du traité de Brétigny peuvent
iè r a porter à trois chefs principaux, i^. l»a reddition
réciproque des places : Jean s'en aquita exaéèement j &
FAnglbis , de l'aveu de ks plus zélés partifans , multiplia
lecrétemeiTt les dificïiltés. ^ 2®. Les renonciations ref-
pèâives : le roi d'Angleterre n^envoya jamais la iienne ^
Ann. 1160.
Trifor des
Chartres.
Le roi &ic
Tordonnance
de Ton parle-
mène»
Chrofu MSt
Regiftres du
parlement.
tUçœuU des
ordonnances.
Cçnfirence des
ordonnances.
%éfi Histoire DE France,
quoique le roi de France *ren prefsât en. mème-tempi
que les députés à Bruges préfencoienc de fa parc une
renonciation en bonne Forme. 3^. Lk rançon de trois
millions d'or : le feul tréfor des Chartres fournit plu-
fieurs quitances de paiement montant à là fomme de
dix-fept cent quarante -neuf mille huit cent dix - huic
écus. Les aâes publics d'Angleterre contiennent di-
verfes preuves d'autres paiements : il s'en trouve pour
Î^lus de cinq cent trente mille écus^, fans compter les
bmmes déléguées par Edouard au prince de Galles fôn
fils , qu'on prétend n'avoir pas été aquitées. Il n*eft
doac plus queftion que d'une partie du dernier million
de la irançon du roi prifonnier, qu'Edouard avoit acheté
dix mille francs de Denis de Morbec.
Cete difcuflîon que des récriminations hafardées
ont rendue indifpenfable peut fervir une fois pour tou«
ces de j unification pour Charles V , & d'apologie de
la fincérité du roi Jean^ à qui peut-être, on n'a d'au'^
très ntproches à faire que de s'être conduit avec une
droiture que fon rival fçut toujours mettre k profit ,
& qu'il* ne fut jamais tenté d'imiter. Le dauphin étoic
trop éclairé pour ne pas s'apercevoir du maneee de la
politiaue Angloife; mais il remit à des temps plus heu-
reux le foin dé s'en venger. Plus jufie & non moins
politique qu'Edouard > il le voyoit tranquilement s'en*
férer pour ainfi dire de lui-même y & lui fournir par
fa mauvaife foi les armes dont il fe fervit dans la fuite
avec autant de bonheur que de fagefle.
Jean inftruit par Tadverfité , affifté d'ailleurs par les
confeils d'un fils fi fage & fi modéré, donna toute
fon atention aux foins du gouvernement. Il n'y avoir
point eu dç parlement depuis plus d'une^iannée : q^uel-
ques membres de cet augufle corps avoient continué
pendant cete longue abfence de veiller à robfcrvation
des loix & au maintien de la juftice : ils avoient feuls
rempli jes fondions de juges avec la même autorité que
s'ils eufient formé le nombre ordinaire des confeillers«
Ce n'étoit pas la première Fois que les défordres dit
royaume
J R A N IL 249
royaume & le malheur des guerres avoienc intérompu .
les léances de la cour. En 1303 fous Philippe-le-Bel , *«"• 'J^^-
il n'y eut point de parlement , a caufe de la guerre de
Flandre : pareille cellàtion deux années après y à caufé
des trouWes furvenus en France.' La confufion qui afli-
geoit TEtat pendant la prifon du roi Jean, & fur- tout
pendant Tannée qui précéda la conclufion de la paix ,
avoir probablement empêché le dauphin régent de
pas au-refte regard
téruption des afTemblées régulières de notre cour de
Paris pendatit les guerres. Les prélats , barons & che-
valiers qui formoient le plus grand nombre des mem-
bres du parlement , ne pouvoient y aflifter , étant
détournés de leurs fondions de préfidents & cbnfeiliers,
par Tobligatibn où ils étoient de s'amiiter du fer vice
militaire qu'ils dévoient au prince. Il y avoit peut-
être encore une autre raifon qui empêchoit le fbuve-
rain de défigner ceux qui dévoient compofer le parle-
ment. Cétoit le paiement des gages, regardés alors
comme un objet confidérable , malgré leur modicité.
On imagina dans la fuite un fyftême d'économie pour
faciliter la tenue des parlements pendant la guerre.
Afin de diminuer la depenfe on n'aflignoit des cages
3u'à un certain nombre de préfidents & de confeillers
ont tous les ans on faifoit un rôle nouveau , en ob-
icrvant de le diminuer autant qu'il fe pouvoit. Ce^
Î>endant les autres confeillers qui* n*étoient pas infcrîts
ur ce rôle confervoient le droit d'affifter aiix jugements
avec voix délibérative. Mais leurs fervices étoient gra-
tuits , & ils ne pouvoient exiger aucun honoraire. L'or-
donnance de Philîppe-dç- Valois cjui prçfcrit ce régie- j^ p'^/,?''^^'
ment, s'exprime ?mfi, & toutefois fe d plaft aux autres valois^lUx.
venir e faits Etats & ofices , il plaît bien au roi qu^ih
y viennent , mais ils ne prenront gages. En forte qu'on
peut jconfîdérer tous ceux qui avoient droit d entrée &
de féance au parlement dans ces fiecles reculés , comme
TomcV. li
a^o Histoire de France,
* faifant er^ tout temps partie du fénat de la France ,
Aan. i^dt. foit qu'ils fulTeht infcrits fur la lifte de ceux qui rece-
voient des gages y foit qu'ils exerçaiTent gratuitement
ces fublimes ibnâions. £t quels étoient ces gages?
Les monuments qui fublîftcnt encore d^ nos^ purs
- iiQus en inftruifent. On voit dans un compte de Phi-
lippe-le-Ber rétat des gages d'un, feigneur pour foi-
xànte-neuf jours de réfîdence k la cour & pour onze
jours de fervice au parlement : le total monte k dix-
neuf livres fîx fous , dont treize livres feize fous pour
les. jours employées à la fuite de la cour, à raifon de
quatre fous par jour , & les cinq livres dix fous pour
les.^ jours confacrés au fervice du parlement : il taloit
même qu'il fût préfîdent pour que fes honoraires mon-
Ordonnancedc taflcnt a cctc fomme ^ car plus d'un fiecle après, les
CharUsYL confcillers au parlement ne recevoient encore pour ga-
ges que cinq îbus parifis par jour de fervice. Le pre-
mier préfident avoir mille livres parifis par an pour
tout revenu de la place qu'il ocupoit ^ les trois autres
préfidents chacun cinq cents livres parifis , & tous les
autres membres tant clercs que lais , feigneurs , che-
valiers d'armes ou de loix , cinq fous parifis chacun:
pour les jours qu'ils
fiégeoient; Les gages du chancelier de France n'é-
encore ne les touchoient-ils que.
toient pareillement que de mille livres parifis. Ces ma-
giftrats , outre leurs gages , recevoient du roi deux
in^ceaux par an , femblables à ceux que portent en-
core de nos. jours les préfidents à mortier. C'étôit la
forme d'habillement qui diftinguoit les chevaliers, n On
n peut juger ,. dit un écrivain moderne , de la modi*
l> cité du prix de ces manteaux par l'ufage qui fubfîfte
yy aâuélement de payer tous les ans à chacun des mcm*^
^ bres du parlement douze livres pour les manteaux.
yy Quoique les temprs foient bien changés , ajoute-t-il ,
i> les gages font à-peu- près demeurés au même taux,
7> au - moins pour les Confeillers : ceux - mêmes de la
» grand'cham ore ^ la capitation & autres frajs préle-
» vés , a'ont de net qu'enviroa deux cent quarante
J £ A K I I. 25 1
» livres, les manteaux compris. Que diroîc le roi ^s; ;
f^ Jean, ceft toujours le même auteur qui parle, s'il aoq* n^^
r> vivoit de nos jqurs , lui qui dans un (lecle fi fore
^ éloigné du notre , admiroit déjà Tétonnance mode*-
y> ration de fcs fénateurs » ? En éfct ce monarque en roUtan^lcu
parlant des gages du parlement s'exprime ainfi : Dtp*
quels gages , tout modiques qu^Hs font , la modejh
Jincéritc défaits ofiàcrs de notre cour eft contente* Lz Chambre des
dépenfe annuele du parlement montoit alors à la fom- ^^'^nV;'"f"
me douze mille livres partlts* , reSo.
Un défincéreiTement fi louable ne peut fervir qu'à .
relever encose la vertu de ces refpeâablcs interprètes
dQs loix. Uniquement guidés par le defir de contribuer
au bien de la patrie , ils n'envifagent dans leurs tra-*-
vaux que Thoneur ataché k la noblefle & à l'impor*
tance de leurs fondions. L'intérêt , ce vil mobile de
rant d'autres profeffions , n'a jamais fouillé le fane-
suaire de notre raagifirature. De quele reconnoiflance
la nation ne doit-elle pas être pénétrée pour la mé^
moire de nos rois qui ont remis en des mains fi pures
le dépôt facré de la portion là plus précieufe de la puif-
faoce fouveraine , le foin de veiller fous l'autorité inva*
riabledes loix à la confervation des biens, delà sûreté
êc de la vie des citoyens 1 Les bornes de cet ouvragç
ne permettent pas de railembler fous le même point
de vue tout ce qui peut avoir raport k notre cour des
pairs : cete difcumon exigeroit pliuieurs volumes. L'abé
Velly en a déjà fait mention , lorfque fous le règne
de rhilippe IV , il a raporté l'époque k laquele on fixe
communément la réfidence habituele du parlement de
nos rois dans la capitale de la France. Nous obferve-
rons dans la fuite de marquer , autant qu'il fera pof-
fible , les changements & les augmentations furvenus
dans cete illuflre cour , à mefure qiie renchaînement
des faits faifloriques noue les préfènto-a.
L'£tat fe trouvoit alors dans une fituation dénlo- Nouveaux
rable : le démembrement de tant de provinces etoit JfJ^g^^ Jj^^^
la moindre des calamités dont le royaume gémiiToit. ^chr^n^MS
li ij
1^2 Histoire de Frakce,
■ Le traité, de Brétigny n'avoic terminé la guerre pendant
Amb. i}4o. laquele les hoftilités avoienr du - moins unb aparence
de jultice , que pour livrer la France aux rapines &
aux cruautés des gens de guerre transformés en brigands
& en voleurs de griands chemins. Edouard avoit lailTé
en France le comte de N5(^arwich , tant pour licencier
les troupes que pour faire obferver la trêve qui avoit
été publiée avant la fîgnature du traité. Mais cete trêve
fut mal gardée , & principalement de la. part des An-
glois. Les foldats à mefure qu'on les congédioit , fe
téunifToient ^ & choififToient entre eux de nouveaux
chefs fous la conduite defquels ils commencèrent à ra-
vager les provinces , mais avec d'autant plus de fu-
reur, que n'étant avoués d'aucuns princes, nul frdfl
n'étoit plus capable de les retenir : ils faifoiem: , difent
nos anciennes chroniques, plus de maux que pendant
la guerre entre les deux couronnes, pillant indiftinc-
tement amis & ennemis , & maflacrant impitoyable-
ment tous ceux qui avoient le malheur de tomber en*
tre leurs mains.
Ann. ijtfx. ^^^ nouveaux ennemis fe jetèrent d'abord fur la
Champagne & la Bourgogne , où ils commirent les
plus grands excès. Ils fe nommèrent les Tards-venus,
parce qu'ils ne vinrent délbler la France qu'après les
compagnies dont il a déjà été queftion. Ils s'empare-»
rent du fort château de Genvilie, qu'ils n'évacuèrent
moyennant cent mille livres , qu'après avoir détruit &
» rançonné les environs de Verdun, de Toul & de
Langres. Ils traitèrent enfuite de la même manière
Befançon , Dijon & Beaune. Les provinces qu'ils dé-
•foloient étoient le rendez- vous de leurs femblables:
on les voyoit acourir de toutes parts , & bientôt ils
formèrent un corps d'armée de plus de feize mHIe
combatants. Plufieurs de ces compagnies s'étoient déjà
mifes en pofTeffion de la ville» & du Pont - Saint -£i-
prit {a) près de Lyon. Les Tards -venus fe fentant
(a) Froiflard ne marque la prife clà Pont- Saint -Efprit par les compagnies
<pc vos k milieu de Taïui^c iiÛTaute , apiés la bataUic de Bk:ignais. il y a
Jean IL 253
affeï forts pour former les» plus grandes entreprifcs, ■
prirent la réfolution dealer rendre vîfite à Sa Sainteté. Aen, ij.6u
Si s^avifcrcnt Us œmpagnons , die Froiflard ^ qu^ils fc
tireroient vers Avignon & iroicnt voir le pape & les car--
dinaux. Car les richefles du S. Père & des prélats de
(a cour étoient un merveilleux apas pour ces voleurs
avides de butin & peu fcrupuleux. Ils traverferent le
Mâconnois, prenant la route du Comtat. La multi-
tude de ces brigands caufa les plus vives alarmes : tou--
tes les provinces qu'ils parcouroient , expofées aux déf-
ordres les plus funeftes , adrefToient leurs plaintes au
conleil du roi. La France étoit menacée d'une défola*-
pon générale^ fi Ton ne remédioit de bonne -heure à
tant aexcès.
La diiiculté, pour ne pas dire rimpoflibilité d'en
arêter le cours y jetoit le gouvernement dans un emha-*
ras inexprimable : on manquoit de troupes &c des
fonds néceflaires pour en lever- Dans cete extrémité
le roi eut recours a Jacques de Bourbon y qui pour lors
étoit à Montpellier ocupé à mettre Jean Çhandos en
pofTenion de plufieurs des places qu'on devoit livrer
aux Anglois. Jacques de Bourbon étoit un des princes
les plus eftimés de Ton temps. Sa générofîté £c fa bra-
voure lui avoient aquis l'afeâion de la nobleiTe & des
gens de guerre. Dès qu'il eut reçu les ordres du roi ,
Il ne fongea plus qu à les remplir , il fe rendit dans
l'Agénois 6c dépêcha des couriers dans les provinces
vodiines. Il eut bientôt railemblé fous fes ordres
quantité de gentilshommes > chevaliers & écuyers qui
tous brûloient du defir de combatre avec lui. Suivi de
cete généreufe noblelTe^ il s'avança, par le Lyonnois
dans la province de Forez , dont le comte mort depuis
quelque temps , avoit époufé fa fœur. Les enfants de
toute a^rence que cete ville fut prife deux (bis : car une cbtooique écrire
fous le règne du roi Jean , aflîlre précifément que les compagnons qui éioitnt
Jortis dt france , & qui fe faifoient aptler la grande compagnie , s'cnoparercnt
du château 8c de la ville du Pont-Sainc-Efprit le jour même des lonocenu de
l'an I ) ^o. Chroaiq. MS. dêkroi lu» ^ bibL du roi » unm. ^6$ «•
254 Histoire DE France,
^ cete princefîe fe joignirent à leur oncle : il fe mit avec
Ann. ij^i. les troupes , qui groffiflbient tous les jours , à la pour-
Xbite des ennemis. Les compagnies ravageoienc pour
lors les environs de Châlons-fur-Sône. Ces brigands
ayant apris Paproche des François, tinrent confeil entre
eux pour fçavoir s'ils, les atendroient* Après avoir fait
le dénombrement de leurs forces qui fe trouvèrent
monter k feize mille hommes , ils réfolurent de rifquer
Tévénement du combat : Si la fortune cji pour nous ,
difoient-ils , nous ferons tous riches pour un long^
temps y tant en bons prifonniers que nous prendrons^
que en ce que nous ferons fi redoutés ou nous irons ,
que nul ne Je mettra contre nous : fi nous perdons , nous
ferons privés de nos gages. Ils vouloient faire enten-»
dre p4r-lk que n'ayant rien à perdre, ils ne couroienc
d-autre rifque que de gagner.
Bataille de C^tt rélolution unc fois prife , loin d'atendre que
Brignais. les Frauçoîs vinflcnt les chercher , il alerent eux-mê-
mortdcjac^ mes à leur rencontre. Ils quiterent le Mâconnois; &
quesdeBour- traverfant une partie du Forez & du Beaujolois qu'ils
bon. ravagèrent, ils vinrent s'emparer du château de Bri-
arlfr M5 S"^^^ > ^^w^ ^^^ '^ petite rivière du même nom , envi-
ron k trois lieues de diflance du Rhône dans le. Lyon-
nois. Jacques de Bourbon aprenant qu'ils étoient fi
près de lui , rafTembla ks troupes, & vint leur préfen-
ter .la bataille. Ces compagnies compofées de vieux
foldats & de chefs expérimentés , s'étoient poftées fur
une montagne dont le pied fortifié par la nature étoit
encore défendu par des retranchements qui redou-<
blojent la dificulté de Taproche , quoiqu'ils euffent été
faits k la hâte. Les ennemis ne fe contentèrent pas do
ces précautions, ils eurent encore recours k la rufe,
en faifant pafTer leurs troupes les plus aparentes &
les mieux ordonnées fur le revers de la montagne,
empêchant par ce flratagême qu'on ne pût découvrir
leurs forces. Cete manœuvre leur réuffit. Ceux que
leç généraux François envoyèrent k la découverte ra->
porterçnt , k Jacques de Bourbon , au comte d'Ufez &
I i: A N II, 255
aux autres chefs , gu'ils avoient obfervé Tordonnance ■■
des ennemis 9 qui formoient tout au plus un corps de ^^^* M^^'
cinq à fix mille hommes fort mal arniés. Ce faux ra*
|>orc produifît une confiance inconfidénée. Le feisneur
de JBourbon fe détermina fur -le- champ à les forcer
dans leurs retranchements , malgré lea avis de Tarchi*
prêtre , lequel ayant combatu lui-mêmfe avec les pre-
mières compagnies de brigands qui s'étoient formées
en France , devoit mieux connoître que tout autre les
xeilburces qu'ils fçavoient mettre en ufage* L'ataque ,
ainfi que Tarchiprètre Tavoit prédit , fut très malheu-*
reufe. Les ennemis' cachés dèriere la montagne fe
montrèrent .tout-à-coup & fondirent fur les François
déjà ébranlés par les obftacles qu'ils avoient rencon-
trés aux premiers affauts Qu'ils avoient donnés aux
retranchements. La défaite lut entière. La plupart des
fens de diftinâion furent tués , faits prifonmers ou
leiTés. Parmi ces derniers on comptoit Jacques de
Bourbon , qui mourut trois jours après des blcffureô
qu'il avoit reçues; Pierre de Bourbon fon fils bleifé
pareillement , lui furvécut peu de temps : le jeune
comte de Fore4 perdit aufli la vie. Hegnaut de Forez
fon oncle fut du nombre des prifonniers , ainfi que le
comte d'Ufez , Robert de Beaujeu , Louis de Châlons ^
Tarchi prêtre & plus de cent chtevaliers. Tel fut l'évé-
nement de la bataille de Brignais y dont le malheur
des temps rendit la perte encore plus fenfible qu'elle
ne leût été dans toute autre circonflance.
Après cete viâoire les compagnies continuèrent de Les compa-
fillcr & de rançonner les provinces du Lyonnois , du fJ^J^j/j^'^fi^^
brez & du Beaujolois. Une partie de ces brigands du^Pont-s^nt^
réunis fous la conduite de Seguin de fiadefol, gentil- Erpnt.&ran-
homme Navarrois , s'empara de la forterefle dfEnce k cou^d'iv*
une lieue de Lyon y tandis que les autres ayant choifi gnon.
pour chef un des leurs qui fe faifoit apeler l^ami de
JDïtu & V ennemi de tout le monde y reprirent la pour-
fuite de leur premier deflein , ^ui étoit dealer vififer
le pape & les cardinaux. lù jurèrent entre eux j die
24S Histoire de Frakce^
^^^^^=ï= Froiflard , çu^ils auraient de V argent des prélats, ou
Ann. 13^1, çiî^Hs feraient haryés * de grand manière. Ils furpri*
rent une féconde fois la ville du Pont- Saint- Efprit,
qu'ils pillèrent après avoir mafl'acré la plupart des ha-
bitants ^ & commis les plus afreux excès, ils firent un
butin ineftimable dans cete ville, où ils trouvèrent u 1.0
quantité de vivres fufifante pour les faire fubfitter
pendant plus •d'une année. Maîtres da Pont- Saint -Ef^
prit qui leur fervoit de place-d'armes y ils faifoient des
courfes jufqu^aux portes d'Avignon , laifTant par -tout
des marques funeftes de leur paflkge.
Les nouveles de la déroute de Brignaîs étant par-
venues en France, pi ufieurs- pillards Anglois , Aile-*
mands , Brabançons , Gafcons & autres qui ocupoient
encore une partie des places qu'Edouard devoit refti-
tuer , & qui avoient refufé de les rendre , fe hâtèrent
de les évacuer dans la vue de partager la fortune de
leurs compagnons. Ils n'envifageoient rien moins quo
de s'emparer d'Avignon & de piller ent4érement la
Provence. On les voyoit ariver en foule. Ces fcélérat^
excités par la foif du pillage & fàmiliarifés avec toute
efjpece de crime , fe livroient aux plus monftrueuz
defordres. Ils violoient les femmes vieilles ou jeunes ,
fans diftinâion d'âge & de condition 2 ils pafToient au
fil de l'épée les hommes faits , les vieillards & les en«
fants : rien n'étoit capable d'arêter leur fureur. Les mai-
fons , les églifes devenues la proie de ces barbares y
étoient ruinées de fond en comble , & ce qu'ils ne
pouvoient ravir étoit livré aux flammes. Il y avoit
entre eux une funefte émulation de forfaits : les plus
cruels & les plus impies étoient les plus eftimés.
Embaras de Cependant la cour du pape trembloit dans Avignon.
lacourd'Avir ^^ faintcté eut recours aux armes fpiritueles ; mais que
pouvoient les foudres de Téglife contre des fcélérats
déterminés ? On prêcha une croifade contre eux : le pape
(go) Hary/s , fecouts ^ vieille czprciCon gauloife qui probablement tire (})il
érymologie du mot cclticjue hatr ^ fcaiiles & branches d'arbres , au^eœenc
(faevelure d'arbre.
promic
gaoo.
J E A "N II. 2^7
promît abfolution de peine & de coulpe à. tous ceux oui '^*****'**^
voudroient prendre les armes. Le cardiÂI d'Oltie riit ^^^^ '3^o*
choifi pour le chef des croifés. Ce prélat ayant établi le
fiege de fa millîon à Carpentras , éloigné de fept lieues
d'Avignon > engageoit fous les drapeaux de Péglife
tous ceux qui vouloient fauver leurs âmes & aquérir
les pardons. Il rafiembla d'abord quelques troupes ;
mais le zèle de ces nouveaux croifés le ralentit prompte-
ment quand ils eurent reconnu que le cardinal n'avoit
d'autre folde à leur donner *que des indulgences. La
plupart fe retirèrent en leur pays, quelques-uns aie-
renc en Lombardie y les autres enfin fe joignirent aux
compagnies.
Le mal croiflbit de plus en plus : Innocent & les Unepaniediis
prélats de fa cour prefles par les ennemis ne fçavoient ^ffcclYtaUc.
comment conjurer l'orage qui les menaçoit. Heureu- ^* ^^^
iement le marquis de MondFerrat vint les délivrer de
de x:çte fâcheuie extrémité. Ce feigneur promit rtioyen-
nanc une fomme confidérable j de débaraiTer la Pro-
vence de ces hôtes dangereux. La propofition du mar-
quis fut acceptée de la fainteté : il conclut avec les
chefe des compagnons un acommodement y par lequel
ils s'engagèrent à fe retirer moyennant foixante mille
florins 9 & outre cete fomme , Patfolution de leurs péchés ,
grâce que le pape leur acorda volontiers. Le marquis
de Montferrat , qui pour lors étoit en guerre avec
les fcîgneurs de Milan , Galéas & Bernabo Vifconti ,
{>ric k fa foide ces compagnies qui W fuivirent en Ita-
ie ^ & lui furent d'un j^rand fecours pour la conquête
de plufieurs villes & tortereffes qu'il emporta fur fes
et^nemis. Ce fut environ vers ce temps qu ariva la pré*
tendue proclamation d'un nommé Jean Gouge natif f f«^; ^^«'^^^
de Sens , qui prit le'atre de roi , & s empara du châ-
teau de Codelet près d'Avignon , où il tut pris avec
Jean de Vernai gentilhomme Anglois qu'il avoit choifi
pour fon liqptenanf. Cet. événement ne paroi t pas bien
avéré. Tous les hiftoriens de ce ficelé qui raportent
îufqu'aux moindres déuiis^ n'en £bnt aucune mention.
varn.
1^8 Histoire Di France,
\ ! Ce fait ne nous a été tranfmis que par une lettre du
Ann. ii4i. pape Innoceftt VI : c'étoit préciiémenc dans le même^
temps que les compagnies, ravageoienc les environs d*A-
vignon , & la frayeur du faint père aura bien pu lui
groflir les objets.
BiiganJages Le paflage des compagnies en Italie fous la con«
commis par j^j^^ j^ marouîs de Montferrat foulasçea la France
Scoruiii de Ba- . • 1 jyr j /r
defoi.samort. ^n partie, mais les délordres ne cellerent pas encore.
Ibidem. Scguin de Badefol , après avoir long-temps ravagé le
dJ'roide^a^ Lvonnois , Tabandônna i^ur entrer dans T Auvergne,
a- ^^ .j gïçj^pj^j.^ jg Brioude qu'il tint pendant plus d'un
an , & qu il n'abandonna que lorfqu'il eut abfoiumeiit
ruiné les environs : encore falut-il compofer avec lui
pour l'obliger à lâcher prife. Il fe fit payer cent mille
florins pour Tévacuation de Brioude. Chargé des dé-
pouilles des diférences parties du royaume quil avoit
parcourues , ce chef: de brigands fe retira en Gafco*
gne avec des richeflès immenfes. FroifTard , dont l'hif*
toire fournit une partie de ces détails , ajoute qu'on
n'entendit plus parler depuis de Badefol, ^u^il a Jeur
Icmcnt entendu aire qu^il mourut (Tune manière étrange.
La mort d'un capitaine de voleurs feroit par elle-mé*
me un objet aflèz peu important , fi elle ne fervoit à
faire connoître de plus en plus la perfidie & la fcélé-
ratelTe réfléchie du roi de Navarre. C'eft le procès
manufcrit de ce roi qui nous aprend les çirconftances
de cete mort.
Suelque*tem)|ri après le retour de Seguin de Bi-
en Gafcogne , Charles - le - mauvais , qui fe pré-
paroit à porter de nouveau le trouble dans le royau*
me , voulut Tatirer contre la promefTe que ce fameux
aventurier avoit faite en remettant Brioude au roi , de
ne plus porter les armes contre la France. Segurn
prêta Toreille aux proportions du Navarrois qui ofroit
de lui afTurer des revenus confidérables en fonds de
terre. Tout étoit convenu , hors le lieu où ces rentes
dévoient être aÏÏîgnées. Le roi de Navarre vouloit que
ce fût en Normandie : Seguin au-contraire les demau-
Jean II. 2^9
doit dans la, Navarre. Cet obftacle étoit d^ficile à lever ^■-
par lobftÎQacion réciproque des parties. Charles diibit Ana, ii^u
a les confidents que le ùajlon était trop cher y & qu'il*
lui demaodoit de trop belcs poiTellions. Seguin cepen-
dant avoit entre its mains le fecrct du roi de Navarre;
mais ce princç n'en conçut pas d inquiétude. Puifquil
ycut tant fe faire valoir , dit-il , il ny a qu^k s'en di^
faire. Cete réfolution prife , le Navarrois le fit inviter
à diner ^ ayant auparavant pris la précaution d'ordon-*
ner à l'un de fes valets-de-chambre de lervir un plat
d'oranges & de poires fucrées devant lui. Charles pré-
fenta lui même à Seguin ces fruits dont il vantoit rex-
célcnce , l'invitant k les goûter : à peine Badefol en
eut il fait lefiai^ qu'à Tinâant même il tomba dans
une défaillance dont il ne revint que pour témoigner
fa douleur par des cris horribles. Le roi de Navarre
fans changer de vifage le fit emporter chez lui* Il mou-»
rue peu de jours après.
On s'ëtoic flaté que la paix conclue entre les deux Afaîres de
CCHironnes auroit eiifin terminé la longue ai fanglante ^^^^^^T\trà
querele de la iucceflion de Bretagne. Les comtes de hift.af^Br!t/
Montfort & de Blois s'étoieiat rendus à Calais , l'un Froiffard.
& l'autre conduits par l'efpérance de faire agir la pro- ^jj^7<î/n!'^*
teâion àes deux rois. Celui de ï^rance malgré fa bonne part, kti/
volonté 5 n^étoJt pas dans une conjonâure affez favo^
rable pour apuyer avec éficacicé les prétentions de
Charies<l^Blois. Tout ce qu'il put obtenir , ce fut la
neutralité de la France &c de l'Angleterre pour les
afaires de Bretagne. Edouard témoigna beaucouo d'in*
diférence mur Momfort fon gendre : le feul duc de
Xiencaflre le foutint avec chaleur ^ mais ies inftances
furent inutiles. On fut fupris de la froideur du monar-
que Anglois. Ce prince au Êiixe de la profpérité pa<-
roiflbit négliger toute autre coniidération que les ob-
Î*ecs partscuiiers de £bn ambition : il avoit délibéré , dit
'kiftorîen de Bretagne , de licencier plujîeurs foldats
€f voleurs qu'il tenoît dans les places , & il aimoit
^eilx que ces brigands alaâeot chercher fortune en
K k i]
i6o Histoire de France,
— — — ^ Bretagne que de demeurer en fes terres : en laiflanc
Ann. ï^éu indécis le diférend des deux rivaux , il ménageoit à fes
garnirons , lorfqu'il les auroit congédiées , une retraite
dans cete province. Cete mauvaife politique lempêcha
de féconder le projet d'acojnmodement qui fut propofé
par les feigneurs atacbés aux deux partis : il fut quef-
tion de partager également le duché entre Montfort &
Blois , qui refuferent à la vérité d*y confentir ; mais
pour peu qu'Edouard 'eût infifté , fon gendre eût été
forcé de s'y foumettre. Charles-de-Blois de fon côté
rejeta la propofition avec hauteur , en difant gu'il
voulait tout ou rien. L'afàîre demeura donc au même
point où elle étoit avant le traité de Brétigny , & fut
réfervée à l'arbitrage des commifTaire^ , ainfi qu'on en
étoit convenu par le vingt & unième article de la pa-
cification. En atendant que le démêlé pût fe décider à
l'amiable > le duc de Lencaftre obtint qu'il y auroit
une trêve jufqu'au mois de Mai de l'année luivantCr
Peut-être leroit-on parvenu à terminer la difpute , fans
la mort du duc. Ce feigneur ne laiiTa que deux filles,
dont une époufa un des fils du roi d'Angleterre , qui
Îrit après la mort de fon beau-pere , le nom de duc de
iCncaflre.
Après plufieurs conférences , les compiifTaires déj)U-
tés*de part & d'autre fe féparerent fans avoir pu rien
décider. Le comte de Montfort & Gharles de filois re-
prirent les armes , & la guerre albit recommencer avec
une nouvele fureur , lorlque les prélats & les feigneurs
de la province fufpendirent une féconde fois l'orage , en
ménageant une trêve qui devoit durer jufqu'k la faint
Michel de Tannée 1363.
Ce fut quelque temps après le retour du roi que Ber-
s'MchcluCct' trand du Guefclin s'atadia entièrement à la Trance.
\ice da roi. Sur le • raport du duc de Normandie & de tous les
Uidem. princes & feigneurs , car les fufrages étoient unanimes
en faveur de ce brave guerrier , Jean crut ne pouvoir
faire une meilleure aquifition que de l'atirer à Ion fer-
vice. Bertrand fe rendit aux premières invitations qui
T £ A K I I. iCl
lui furent faites : il parla au prince avec cetc liberté , .-J
cete franchife & cete généroiîté qui lui étoient-natu- ^n- iJ^'-
reles. Sire , dit-il , mon métier ejl la guerre > j^ai aquis
Vamitié de plujieurs braves guerriers des plus conjîdérables
de mon pays fji vous me donner moyen de les entretenir y
ils vous feront très-loyable fervice. Je ne veux d^ autre té^
main de leur valeur que vous-^méme y répondit le roi , & en
atendant mieux je vous donne cent lances de mes ordon--
nances , & l^apointement qui y eft dont vous les poure:[
apointer. On voit par cete réponlë que dès-lors nos rois Milice Fr.
avoient des troupesrégulieres d'hommes d'armes , diftri- ^« ^' Daniel^
buées par compagnies de cent lances chacune ; & lorf- '' ^D^Cange]
que dans la fuite Œarles VII formera Tinftitution d'une giof. ad vtrL
f Pareille milice , il ne fera que renouveler un ufage que l*^^^*-
es défordres du royaume avoient intérompu pendant
quelque temps. Chaque lance ou homme d'arme avoit
avec lui trois archers , un coutilier , ainli nommé parce
qu'il étoit armé d'un coutelas aflëz ferablable à nos
bajonnetes ^ & un page ; enforte qu'une compagnie de
cent lances formoit un corps de fix cents hommes.
\jts capitaines auxquels le roi donnoit l'agrément de Juijcnne Ja
^ . r • ^ A I ^ , Gucfclm reli-
ées compagnies 9 rormoient eux-mêmes leurs troupes, gjçufc fj^„Yc
Du Guefclin compofa la fîenne de gentilshommes de ic château ie
fa. province, la plupart fes parents ou amis , d'une va- P^°«o'^on-
leur éprouvée : ils l'acompagnerent dans toutes fes expé- iiiji^JfBre!.*
ditions. On lui confia d abord 'la garde du château de
Pontorfon en baffe Normandie , où malgré la paix , les
garnifons Angloifes qui n'avoient pas évacué , commet-
toient quantité de défofdres. Du Guefclin répondit à la
haute opinion qu'on avoit de lui : il bâtit les Anglois
en pluneurs rencontres , & fit deux fois prifonnier le
chevalier Felleton qui les commandoit. La dernière
ocafion où Felleton fut pris eft trop finguliere pour la
paffer fous filence : TAnglois pendant fa première capti-
vité à Pontorfon , s'étoit ménagé une intelligence fecrete
avec deux chambrières de la dame du Guefclin , qui
faifoit alors fa réfidence dans le château avec Julienne
du Guefclin religieufib ^ fœur de fon mari. Felleton étant
i6i Histoire de Frange,
-^ ■■' élargi choifît le temps d'une abfence de du Gucfclîn ,
Aiiiï. ii6u & ne.matKjua pas de venir de nuit pour efcalader le
château , aiafi quil en écoic convenu avec les deux per^
fides fuivances. Tout le monde étoit endormi » les An-*
;lois avoient déjà dreflë quinze écheles conire les murs
le la tour ^ lorfque la dame du Guefclin y qui dans le
moment revoit qu'on furprenoit Le château , ou ce auà
paroi c plus vrailemblable , réveillée par le bruit des
ennemis qui montoient avec précipitation , s'écria que
lennemi étoit au pied de la tour. Julienne du Guelclia ,
qui couchoit avec fa bêle- fouir fe jeté hors du lit , &
prend fur elle un Jacque, {a) pendu en la chambre ^
comme rcjfcntant la rau dont eik étoit. Uintrépide
(4) Le Ttcqae 00 Jacke itéit une effece de ctfaqae mtlîraire <|u*on nec«
toit par-deflas le hauberté Cet habtllenieQt fait en ferme de furtouc coûte
qui ne pafToit pas les genoux , étoît compofé de pluiienrs peaux de cerf apli-
quées les unes fut les autres , garnies en dedans de boure & de linge : ce
qui le rendoit imp^ttable aux lances 9c aux dards. La daitté da Jaccpie^le
rendoit très •incommode ; & pour remédier à ce défaut 00 avoit foin de le tenir
fort laige , enfi>rte que Thomme flotoit dedans. On employoit pour les plus
forts jofqu*à trente cotre de cerf. Ceux qui ks Toulotent plus légers , fe fer-
▼oieat de ufetas , <)a'on apeloit alors ceirdaux : ces' cafecas employés en plu«
iieurs doubles opéroient le même éfet que le cuir.
Si aveit diacan «n Taeqae par-^eflbs Ibn haubert.
Rrnn. di du Guefclin^
Si eut oa Jacque moult fon » de bonne foie empli.
Ibid. da Cta^ Gloff.
Qaelqneleis on cmirioit ces Jaoqtxa des étofes les plus précteufes d'or ft d'ar«
gent. « Et le voit adonc yéta d'un court Jacque de drap d*or à la mode d'Ale«
i» magne <«• Froiffard.
C'eft decete (orne dliabillemefic que nos ancét*TS ont pris le modèle de lenn
Jaquetes , anxqeeles oftt fiiccédé noc poutpoiats & ki jiifta«Gorps qoe nous
portons aujourd'IRif»
C*étok onpofHpofnt de cbamois»
Farci de borne fus U fous ,
Un grand vilain Jacque d*Angloîf
Qui lai pendott jufqu'aux genoux*
't^es de Cocquillard , rapprtées par le T. batiUl «
ivm» a « #4af. 240., diU milicefraafoifi.
Jean IL lê)
religîeufe s^étant armée monte fur le haut de la tour , rsss^sums:!!:
& trouvant les écheles dont les Anglois n'avoient pas Ann. 1361.
encore gagné les derniers échelons , elle les renverfe
par terre en criant alarme pour apelèr la garni fon à la
défenfe du château. Fclleton fe voyant découvert prit
le parti de la retraite ; mais malheureufement il ren-
contra du Guefclin qui le fit prifonnier. On aprit de
lui la trahifon des deux chambrières : elles furent noyées
dans la rivière oui paiTe au pied du château.
Plufieurs chets d'aventuriers Bretons atirés probable*^
ment par Teipoir des récompenles &; des honeurs dont
le roi avoir favorifé du Guefclin , acoururent en Fran- ^f'//L7/''''
ce , & fuivant Tufage de ces troupes irrégulieres , ils ' ''*^"'
commirent beaucoup de défordres dans les provinces
du Poitou y de l'Anjou , du Vendomois , de l'Ôrléanois
& du pays Chartrain : & ce qui doit paroître étonnant^
c'eft que non - feulement le gouvernement n'aportoit
• aucun remède à leurs brigandages, mais même paroif-*
foit les favorifer. Les peuples fe plaignirent d*une cala**
mité qui fe j&ifoit reflcncir jufquaux portes de Paris.
l^es bourgeois de cete capitale aâigés de voir le com-
merce abfolument intéroxnpu par le peu de sûreté des
routes publiques , s'adreilerent au confeil : on ne ré-
}>ondit à leurs repréfentations que par une défenfe de
e . mêler en aucune manière de ce qui regardoit ces
Bretons & Gajcons , & de faire leurs afaires h mieux
^u^ils pouroient. Une pareille conduite de la part des
E rinces & des miniftres manifeftoit plus que de la foi-
leflè. Il femble que dans ces temps de défafire tout
étoit conjuré pour agraver les maux de la nation On
Icvoit cependant les fubfîdes avec la même exaâitude
qu'on auroit pu faire fi l'Etat eût jouï de toutes les
profpérités qui acompagnent la paix & l'abondance.
On avoir impofé quantité de droits dont la levée
étoit^ plus à charge au peuple que profitable à TEtât &
au Prince. Au défaut des voies fîmples , fi avantageu- Tréfor des
(es au roi & a fes fujets , on cherchoit l'art de perfec- f*^'^^- %«•
donner la reflburce toujours ruineufe de ce qu'on apele "^''^^^û^"-
2^4 Histoire de France,
''*"**''^ en langage de calculateur , la fcience des expédients.
Afin. 15^1. Ces tributs multipliés sabforboient en frais de régi^
Mémorial de ^ ^^ ^^^^^ j^ fermiers. Le roi , de Tavis des mcil-
la chambre des • ^ i /• r «i t i» ^
comptes , reg. icurcs tctcs de lon conleil , abolit toutes ces modernes
D.foLix. inventions de la cupidité , auxqueles il fubititua Tim-
Î^ofition générale d'une aide de douze deniers pour livre
ur toutes les marchandiles vendues dans le royaume ,
d'un cinquième fur le prix du fel , & d'un treizième
fur les vms & autres boiiTons. Cete impofition fur les
liqueurs étoit proportionnée k leur qualité , enforte qu'un
vin médiocre étoit taxé beaucoup moins que les vins
de Bourgogne & de Champagne. Les élus & députés
Aqs provinces & des villes avoient commidîon d'adju-
ger chacun dans leurs diftriâs , la levée de cete aide
lur le fel & fur les boiiTons , aux fermiers qui fe pré-*
fentoient. Comme ils connoifToient la nature des can-
tons qu'ils afermoient , & de. quel produit ils étoient
fufceptibles , les furprifes & les non*valeurs ne pou-^.
voient prétexter Tinfolvabilité de ces adjudicataires par-
ticuliers. La plupart de ces fermes étoient données kdes
Juifs ou à des Lombards , que Ton regardoit avec rai-
fon comme autant de fang-fues. En conféquence de
cete déclaration le roi rétablit la monnoie fur 1 ancien
pied & diminua le prix du marc d'or & d argent. Afin
de prévenir les inconvénients oui fuivoient ces fortes
de mutations , foit qu'elles hauflaffent ou baiflàiTent la
valeur des efpeces \ la même ordonnance défendit à tous
marchands , artifan's , laboureurs , & gens de fervice y
de prendre ocafion de cete diminution pour furvendro
. & renchérir leurs marchandifes & leurs falaires.
acsdomaiiM^ .^^^^ ^^^^' P^^^ ^f^ ^^S^^ précautions pour le reta-
rda couronne blifiement d'une partie des finances , le monarque ju-
*^*lî?t^ g^^ ^^^^^ n'étoit pas moins néceflàire de réparer , autant
chlrt/rfgll^, qu'il étoit poffible , les défordres furvenus depuis plu-
jpiece^^%. * iieurs années par les libéralités imprudentes des «rois
co^^s^^ml ^" prédéceflcurs & de lui-même. Les grandes pertes
^mmalD^^oL ^^^ quelquefois cet avantage pour les diflipateursqui
u^vtrfo. les ^prouvpnt , qu'elles les ramènent involontairement
à
T E A N I I. 2S^
Yéconottùe. Les aliénations des domaines avolent été — — — !
acordées avec autant de profufion que de défaut de Ann. xj^i.
difcernement. Nos rois , dit un judicieux écrivain ,
ont été prefque tous généreux & magnifiques : la no-
ble/Te & l'élévation de leurs fentiments ne leur permet-
toient pas de réfifter aux importunes folicitations de
ces vils adulateurs rampants à la fuite des cours , &
dont rinfatiable cupidité engloutiroit tous les revenus de
la couronne fans afibuvir leurs defirs : femblables à ces
hydropîques dont l'ardeur fe redouble à proportion
qu*on s*éforce de les défaltérer.
C*étoit dans la vue de prévenir ces inconvénients ,
que la chambre des comptes , toujours atentive à con-
lerver les intérêts du prince , & pour empêcher , au-
tant qu'il étoit en elle , que les fouverains ne fuflënc
importunés par cete foule de demandeurs , avoit grand
foin de dérooer au public la connoiflknce des domaines
royaux , & avoit expreffément défendu à tous les mem-
bres de cete compagnie de révéler aux étrangers l'état
des revenus du royaume. Mais eft-il des barieres im-
pénétrables à la fureur de s'enrichir ? L'avarice a des
yeux de Lynx. Excédés d'importunités , les fouverains
s'étoient infenfiblement dépouillés des meilleures par-
ties de leurs domaines. Le roi réprima ces extorfions
abufives , en révoquant toutes les aliénations qui avoiçnc
été faites depuis Fhilippe-le-Bel , excepté les apanages
des enfants de France > & ce que la piété des monar-
ques avoi( acordé k l'églife. Far une autre déclaration
le roi réferva au parlement de Paris Iç jugement de
toutes les caufes relatives au patrimoine de la couron-
ne. Si malgré les lumières ôc l'intégrité de la cour &
/de la chambre des comptes , quelques abus dans la
liiite , ont pu s'introduire dans radminiftration des do-^
Uiaines , ces inconvénients pafFagers , fournis aux re-
cherches d'examinateurs éclaurés & fcrupuleux ^ étoienc
trop voifins de la réforme pour ne pas être facilement
rpdxeiTés. C'efl; à leurs foins vigilants que nos rois fonç
Tome V. %\
2^è Histoire de France,
^***"'''*^ redevables de la confervation d'un des revenus les plus
Afm.iïj6t. eifenciels au maintien de leur grandeur.
Mort du duc Le démembrement de tant de provinces cédées par
de Bourgogne: le traité de Brétieny avoit télement rétréci les limites
réunion de ce j >m » *^ J^ $'t ia
ducWài^cou- "" royaume , quil ny avoit pas daparence quil dût
ronnc. recouvrer fitôt fon premier luftre , lorlqu'une mort im-
CAron. MS. prévuc rendit * à la France une partie de fon ancienne
niqut^^ ^ ^' étendue. Le jeune duc de Bourgogne , Philippe de Rou-^
Mém.deiitt. vre , ainfi apclé parce qu*il étoit né au château de ce
deU^maihfdi ^^^ > X mourut vers les fêtes de Pâques de cete année,
France^ ^'' ' à peine âgé de quinze ans. Il avoit été du nombre des
F/^1/T^* ^ ôtaçes donnés k Edouard , dont il obtint , peu de temps
n/ir^/ après fori paflage en Angleterre, la permiflîon de re-
DuTulct. Venir en France. Cinq ans avant fa mort il avoit époufé
la princeflc Marguerite , fille & unique héritière de
Louis , dit de Maie , comte de Flandre , de Nevers &
de Rethel ; mais la jeunefle des époux avoit jufqu'alors
empêché la confommation de ce mariage. Ce prince
étoit fils de Philippe de Bour|;ogne , tué au fiege d'Ai-
guillon en 134Ô , premier mari de Jeanne de Bourgogne,
3ui époufa le roi Jean en fécondes noces. Eudes duc
e Bourgogne , grand -père de Philippe de Rouvre,
vivoit encore dans le temps que fon fils mourut , & il
ne termina fes jours ^qu'en 1349. Eudes avoit aqùis par
fon mariage avec Jeanne de France , les comtés d'Ar-
tois & de Bourgogne , & la feigneurie de Salins. Il
fut le fondateur de la Chartreufe de Beaune.^ Philippe
fon fils époufa Jeanne de Boulogne , héritière* de Guil-
laume III , comte de Boulogne & d'Auvergne. Ainfi
Philippe de Rouvre pctit-fils d'Eudes , réuniffbit la plus
opulente fucceffion de PEurope après les têtes couron-
nées. En lui finit la première branche royale de Bour-
gogne , qui a fubfifte pendant trois cent trente années
aepuis Robert de France premier duc , fils du roi Ro-
bert , 6c petit-fils de Hugues Capet. Philippe douzième
& dernier duc de cete maifon fut inhumé à Crteaux ,
monaftere fondé par fes ancêtres , où Ion voit encore
plus de foiicante tombeaux de princes & princefTes des
J K A N I I. iQj
deux branches de Bourgogne. Les ducs de cete pro- !
vince , depuis Robert II , étoient rois titulaires de Ann. ij^x,
Theflalonique , jufau'k Eudes IV , oui vendit cete cou-
ronne idéale , ainu que it% droits lur les principautés
d'Achaïe & de Morée , k Louis de Bourbon comte de
Oermont. De pareilles prétentions trouveroient aujour-
d'hui peu d*aquéreurs.
Philippe à fon retour d'Angleterre avoit fait un tef-
tament , par lequel la fucceflîon de fes Etats fut divifée
en deux parties. Les Comtés de Boulogne & d'Au-
vergne furent poffédés par Jean de Boulogne , oncle
^e Ta reine Jeanne mère du jeune prince. Les comtés
de Bourgogne & d'Artois échurent à Marguerite de
Flandre. Le duché de Bourgogne , ainfi que tout ce
qui provenoit de l'héritage dired d'Eudes IV , retourna
au roi Jean , k qui d'ailleurs cete fucceflîon apartenoit
par droit de naifTance , ce monarque étant fils de
Jeanne de Bourgogne fœur d'Eudes. Il eft bien vrai
aue fans la difpofition teftamentaire du duc , le droit
au roi de France auroit pu être coritefté par le roi ^
de Navarre , k caufe de Marguerite de Bourgogne fa • •
grand - mère , pareillement lœur d'Eudes , & même
Paînée de la mère du roi. Mais Jean opofoit k cete
prétention l'avantage qu'il avoit fur le roi de Na-
varre d*un degré de proximité. Du Tillet a penfé que
le .duché de Bourgogne , confidéré comme apanage de
fils de France, étoit reverfible k la couronne faute
d'hoirs mâles. On a prétendu -que ce fentiment fou-
froit une dificulté k laquele il feroit dificile de répon-
dre. Le droit de -reverfion des grands fiefs, dit-on ,
n'écoit pas encore établi lorfcjue Robert de France
reçut du roi Henri fon frère Fmveftiture du duché de
Bourgoçne en 1032. Ce ne fut que long-temps après, Trlfor dts
que Philippe -le -Bel par fon codicile ordonna que Id îtEiS'^'
comté de roitou par lui donné en apanage k fon fils rcgum.
puîné retourneroit k la couronne au défaut d'hoirs
mâles. Mais avant Philippe IV , la reverfion des grands
fief donnés en apanage aux enfants de France ^toii;
Ll îj
i62 Histoire de France,
en ufâge. La cour des pairs, compofée des grands du
Aim. ij^i. royaume au nombre de trente -cinq, décida par un
Pafquier. ^f^^ ^ qu'au défaut d'hoirs mâles les apanages retour-
neroient au roi ; & cet arêt fut rendu en conformité
d'une loi établie depuis le commencement de la'troi-
DuTHUt. £eme race. Quelques années après, deux femblables
arêts. intervinrent, dont le premier adjugea au roi le
comté de Clermont en Beauvaifîs , qui avoit été donné
à Philippe fils puîné de Philippe Augufte. Le fécond
réunit pareillement au domaine royal les comtés de
Poitou & d'Auvergne qui avoient apartenu à Alphonfe
frère de faint Louis* Ce dernier arêt fut rendu contre
les prétentions de Charles d'Anjou roi de Sicile. Ce
n'en donc point k la difpofition particulière de Phi-
lîppe-le-Bel qu'il faudroit avoir recours pour autorifer
la légitimité des droits du roi fur le duché de Bour-
gogne, comme grand fief démembré de la couronne,
mais aux arêts antérieurs que nous venons de citer ,
jugements authejn tiques, & quifupofent néceifairement
Chamhn des ^^e îoi* Ce ne fut point cependant en conféquence de
Comyex, m/- cete loi que le roi le mit en poiFedion de la Bourgo-
'"rte^ô/^^* gne , mais en vertu du droit de proximité , ainfi qu'il
^^Recetuiî des le déclara lui-même dans les lettres de réunion de cete
ordonnances, provincc. Par ces mêmes lettres le roi réunit irrévo-
^Mi/'tfjr. »i». cablement à la couronne les comtés de Touloufe , de
Champagne & de Brie , & le duché de Norman-
die , enjoignant à fon fils , lorfqu'il feroit parvenu au
trône , & à fes fuccefTeurs , de ne jamais donner ateinte
à cete difpofition, en détachant du domaine royal au-
cune de ces quatre provinces. Il voulut même que les
rois à l'avenir fuflent obligés de jurer l'obfervation
de cete loi , en montant lur le trône. Une pareille
ordonnance étoit^tr^s fage, fur-tout dans l'état d'afoi-
bliffement où fe trouvoit le royaume. Malheureufe-
ment le roi lui-même enfreignit le premier cete dif-
pofition.
Le roi de Navarre ne manqua pas de revendiquer
les droits qu'il prétendoit à la lucceflion dePhilippe de
J ï A N II. 2^9
Rouvre* Il envoya des députés chargés de demander -
juftice. Le roi lui fit ofrir de remettre Tafaire àParbi- A""- n*^'.
tragedefa fainteté. Le Navarrois qui fe fondoit moins Le roi de Na-
/-*' j'* nri /^nr-ni varrc réclame
lur un droit mconteltable , que lur lelpoir demba- laflicccffiondc
rafler la cour par une demande capable de faire naître Bourgogne.
des inquiétudes , auroit bien voulu tourner ' Pafaire
fin une négociation à la faveur de laquele il eût pu
obtenir quelque dédommagement, & peut-être réa-
lifer fes anciennes prétentions fur la Champagne &
fur la Brie. Il fit k ce fujet plufieurs démarches tou-
jours infruâueufes. Il n'auroit pas manqué de mani-*
fefter fon mécontentement s'il eût trouvé la circonf-
tance favorable. Ne voyant aucune aparence de fuc-
ces , il fut obligé de fe contraindre , & ce déni fu-
pofé de juftice devint pour lui dans la fuite un pré-
texte de plus pour autorifer la guerre k laquele' dès*
lors il fe préparoit fourdement.
Immédiatement après la réunion juridique de la Voyage du rot
Bourgogne , le roi partit de Paris pour aler prendre ^^^^'^'^^^^
poiFeiuon de cete province. Il confirma les privilèges ordonnançai^
& franchifes tant des feigneurs que des villes & com-
munautés. Il revint à Paris par la Champagne , où
pareillement il acorda des lettres de confirmation tant
au clergé qu'à Ta nobleffe & au tiers -état de cete
Srovince. Le roi s'éforçoit par toutes fortes de moyens
e réparer les pertes ouc l'Etat venoit de foufrir , en ra-
prochant & rafermiflant y autant qu'il étoit poflible ^
les parties du royaume qui fubfifloient encore entières.
La France avoit tout à redouter d'un ennemi devenu ckronîq. de
puiflant par nos malheurs , & qui cherchoit encore à Fland.p.x%i»
le rendre plus redoutable. Depuis la mort du duc de Rym.aa.puii.
Bourgogne , Edouard avoit formé le projet de marier tom.i»pan.%.
le prince Edmond comte de Cambridge Ion fils, avec
Marguerite de Flandre veuve de Phinppe de Rouvre. .
Les miniflres Anglois agirent fi puiffamment auprès
des principaux membres des Etats de Flandre , que
le comte Louis , quoiquer peu favorablement difpofé
en faveur de l'Angleterre^ confentit à cete aliance, •
2.70 Histoire de France,
^ preffé par les importunités de fon confeil qui avoir été
Ann. ij^i. gagné. Les articles de cete réunion furent réglés, &
le roi d'Angleterre qui fentoit tout l'avantage d'un
pareil traité fe hâtoit de le conclure. L'afaire paroiflbit
immanquable, & les Anglois aloient joindre à ce qu'ils
pofTédolent déjà en France , les comtés de Flandre i de
Bourgogne & d'Artois. Le roi informé de ce qui fe
Î)aflbit, comprit, tout mauvais politique qu'il etoic ,
e danger auquel il étoit expofé. Il fkloit parer ce
coup , & la cnofe n'étoit pas facile. Le comte de Flan*
dre, quoique partifan de la France, avoit donné fa
parole. D'ailleurs Jean n'étoit pas d'humeur à fe com-
mettre de nouveau avec Edouard , en fe déclarant
trop ouvertement contre ce mariage. Dans cete con-
jonâure embaraffante il réfolut d^employer le minif-
tere du pape , afin d'opofer aux projets ambitieux d'E-
douard un obftacle invincible , & qu'on ne pût pas
lui atribuer. Il fe rendit pour cet éfet à la cour d'A-
vignon (a).
Mon du pape Innoccnt VI venoit de mourir le i2« Septembre de
Innocent vi. q^^q année, après avoir ocupé le fîege de laint Pierre
ffl'oi/tfl^^^ pendant neuf ans & neuf mois. Ce fouverain pontife
joignoit à une piété folide les lumières d'un efprit
éclairé. Il aima les lettres ; il protégea ceux qui s'y
apliquoient ; il les cultiva lui-même. On ne peut fans
injuuice l'acufer -d'avoir trop écouté la voix du fang
en conférant à fes parents les dignités écléfîaftiques ,
puifque ceux de fa famille qu'il éleva aux honeurs
mftinerent fon choix par leur mérite perfonnel & par
leur exaâitude à remplir les devoirs de leur état. l)ix
jours après la mort du fouverain pontife les cardinaux
(a) Depuis Ton retonr de Londres le roi ne fit que ce fenl voyage II la cour
d'Avignon > ^ où il n*ariva qu*aprcs la mort d'Innocent VL Cete opinion ne
peut à la .vérité s*âcorder avec ce que dit Froiâard , qui raporte que le pape
Innocetft vivoit encore Sudomui plufienrs fêtes au roi. Il faudroit que Jean eut
fait deux voyages à peu de diftance Tun de Tautre , & le contraire cft ié-
montré par la luite des lettres de ce xt>i , recoeiiiUis dans le quatrième volume
des ordonnances. Fipifiàrd aura fans doute confondu ce voyage avec celui que
, ce même prince fit avant fa prifon. Vojti U qmtriaof vol. &s onbunéncts îi
M. Stcouffu
J E A H II. 271
entrèrent au conclave pour lui donner un fucceffeur. -
Ils demeurèrent afleniDlés pendant plus d'un mois Ann. xs^u
fans pouvoir convenir en faveur duquel d'entre eux
ils reuniroient leurs fufrages. Ils terminèrent enfin
leur indécifion en fixant leur choix hors du facré co-
lege. Guillaume Grimaud ou Grimoard, abé de faint Eicaion
Vidor de Marfeille , fils du feigneur de Grifac en d'Urbain v.
Gévaudan , fut unanimement élu le 28 Oâobre. Il
étoit pour lors en Italie. Les cardinaux lui mandè-
rent de fe rendre à Avignon y & tinrent fon éleâion
fecrete jufqu'à ce qu'ils fe fuflent aflurés de fon con-
fentement. Grimaud entra fecrétement dans la ville 5
& le lendemain de fon arivée , fon exaltation fut
rendue publique. Il fut facré évêque par le cardinal
de Maguelonne évêque d'Oftie , & couronné pape fous
le nom d'Urbain V . L'éclat de la tiare n'altéra point
la fimplicité de fes mœurs. Ennemi du faôe , il fuprima
la pompeufe cavalcade qu'on avoit préparée fuivant
Tufage ordinaire , pour célébrer fon avènement au pon-
tificat.
Le roi qui depuis quelques jours étoit logé à Ville- 3Tr//br des
neuve près Avignon , fe trouvoit à portée d'agir éfica- ^^^^[\ jp/f^!
cément auprès du nouveau pape pour empêcher le ma- inam^Unres
riage qu'Edouard projetoit. Le prédécefleur de fa fain- *^^ ^ *^^'
te té avoit acordé a^roi d'Angleterre des bules de dif-
Îenfe générale fans défigner le nom des perfonnes.
ean prépara le fouverain pontife à révoquer ces bules ^
& à déiendre exp^ffément de conclure l'aliance du
comte de Cambridge & de Marguerite de Flandre ,
atendu qu'ils étoient parents au troifieme & au qua-
trième degrés. Cete interdidion déconcerta les mefu-
res d'Edouard , qui dans la fuite tourna fes vues d'un
autre côté , en faifant époufer à fon fils une fille' de
dom Pedro roi de Caftille , avec lequel il avoit déjà
figné un traité de confédération.
Le roi qui fuivoit le monarque Angloîs dans toutes Lcroîs'alic
fes démarches , chercha les moyens de le traverfer en- Y^Tvlu&z-^
core y opofant au Caftillan un rival redoutable. Pour marre.
272 Histoire de France,
-. cet éfet il conclut un traité fecret avec Henri comte
Ann. ij^r. de Tranftamarre , frère naturel du roi de Caftille.
Tréfor des Henri qui depuis long -temps faifoit la guerre à fon
coTiôo! frère , s'engagea par ce traité de tirer hors de France
les compagnies qui la défoloient , de fervir le roi cnr
vers & contre tous , fans qu4l pût jamais fe difpenfer de
rhommage qu'il lui rendoit. Le roi pour fe latacher
davantage devoit lui donner dix mille livres de rente
en terre ; & s'il fe trouvoit obligé par le mauvais fuc-
ces de fon entreprife , de reveqir en France , il pro-
mettoit de lui affigner un entretien honête & con-
forme k fa condition. Ce traité prépara la révolution
qui éclata fous le- règne fuivant. Èï Jean fe fût toujours
conduit avec cete prudence , il n'eft pas douteux qu'il
n'eût prévenu une partie de fes difgraces , & qu'il ne
fe fût fouftrait à l'afcendant que le roi d'Angleterre
çonferva toujours fur lui.
Edouard étoit enfin parvenu au terme de fes prof-
pérités. Idole de fes fujets qui n'envifageoient (ju'avec
une efpece de tranfport l'éclat qui environnoit leur
monarque ; maître d'une partie de la France c^u'il ve-
noit de fe faire céder par un traité dont la vidoire elle-
même avoit drelTé les articles en fa faveur ; père d'une
famille nombreufe & qui donnoit les plus bêles efpé-
rances ; un fils aîné couvert de gldre , déjà aufïî cner
k fa nation que lui même ; un fils compagnon de fes
triomphes & dont la réputation étoit capable d'exciter
U jaloufie de tout autre que d'ua père ; que d'avan-
tages réunis ! voilà quele étoit la muation du monar-
que Anglois , dont le bonheur paroiflbit établi fur des
tondements inébranlables. Que lui manquoît-il pour
fixer la fortune.^ La modération. Au -lieu de fonger
à cimenter la pofTeflîon injufte ou légitime qu'il s'é-
toit aquife , il ne fut atentif qu'à fe procurer de nou-
veaux avantages, foit en étendant les droits au gré
de l'interprétation arbitraire qu'il leur donnoit , loît
en éludant (bus de vains prétextes l'acompliflemenc
des promeiTes les plus authentiques. Il étoi( bien \uÛù
- que
Jean II. 173
que fes artifices retournaf&nt contre lui - même : aufli .,i_,i..,,«,
le vèrons - nous dans la fuite perdre infenfiblemenc ce "T ~"
qu'il avoit envahi avec tant de facilité. Leçon pour les ^' ^ '
rois dont Tinfatiable ambition néglige de fe renfermer
dans les bornes d'une grandeur véritable , qui ne doit
jamais avoir pour baie que Téquité. L'exemple d'un
louverain que le fuccès n'entraîne jamais au - delà des
limites de la juftice , eft trop rare pour échaper aux
hommages de fon fiecle & à la vénération de la pofté-
rîté. Nous avons vu de nos jours cete efpece de pro-
dige dans un prince qui s'arêtant lui-même au milieu
de fes conquêtes, a donné la paix à fes ennemis fans
fe réferver d'autre fruit de la viâoire que i'honeur d'a-
voir vaincu , & la gloire encore plus grande de ré-
tablir la tranquilité de l'Europe. Je laifle à nos adver-
faires les plus déclarés le foin de le nommer.
Le monarque Angloîs entroit pour -lors dans fa Rap.Tkoyras.
cinquantième année. Il voulut qu'elle fut folennifée
par une efpece de jubilé. Les prifons furent ouver-
tes par fon ordre , & tous les coupables obtinrent leur
prace : il n'excepta pas même de cete amniftie générale
Tes criminels de lefe-majefté. Il confirma les privilè-
ges dç la nation exprimés dans la grande chartre acor-
dée autrefois par le roi Jean-fans-terre. Il étoit dans
Tufage de donner de temps en temps aux Angloîs
Cete marque de fon refpefl: pour les conftitutions de
TEtat , & Pon compte jufqu a dix ratifications de cete
chartre pendant le cours de fon règne. Cete même'
année dans laflemblée du parlement tenu à Londres,
31 fut réglé qu'à Tavenir on ne fe ferviroît plus dans
les tribunaux d'Anjgleterre & dans les aâes publics,
de la langue FrançoiCe dont f ufage fubfîftoît depuis
Guillaume-le-conquéraot {a)^ Edouard vouloit fans^
(a) lorCque. Gaîllaiime eat fait ta conquête de l'Angleterre , il fit rédiger
les lois dn pays en fran^oîs , ordonnant que dorénavant tous les procès inftruit^
1 la ceur du roi fcrotent plaides en François. Cete ordonnance obligea les jn«
j^lHî^iont Subalternes d'adoptju: le mime lâi^agc : il inftitua des écoles {fur
hlîques od on rcnfeignoit , & tous les jeunps gens qui fe deftinoieni;. aui }çt«
Tome y. Mm
474:- Histoire DE. France,
== doute éù^t dansîlei cœm: de3 Anglois jufqu-au. fouttcûîr:,
Ann. i}6%. d'une rjèvolwÏQtK QWJi les. ayqit aJuj^us aûttefois.kL un
firaple, feudaraire de: la courpane. de I?rançe.^ mai» h,
mémoire de q^ évéaemejDtejft.inéfagable, 4c U.de\;oit
fc Goûvamcre Inirmême qiae» le ttone qu'il oçupoit^vpii;
été, fonde par ces Normands, dont: il. profcrivoir l;idiQ<
me. La. profcription cependant, ne fîit pa$ entière, £&
k chancélerie d'Ajigleterxe continua, de faire ufage de
la langue Fr^nçoife , principalement dans les. chargeât
Rymer. aB. cx^édiées. pQur des alaires.qui,cpi)cernoJent la. France*
fuU. iom. j , Lq prince de Galles que fon ^ox^ venoit de, revêtit 4c,
&%iv/'^^^ la principaixté d:Aquitâine, en réunifiant fous, ce titre,
froiiard. la, Uuienne^ & les, provinces, voifines qui- lui avoien!}
étd cédées par le traité de Bréaeny., le fervit de. U
langue. Françoife, dans les lettres de reconnoiffance de
cete inveftiture., k la charge d'ui>e once d'pr de, revenu
annueL
Le nouveajLi duc d'Aquitaine juftifioît par ibxi m^
rite, perfonncl les marques de feyeur & de diftinâioa
donc Ion père le cpmbloit. Peu. de temps après il pajc-^
tit de Londj:e3 Pour fe rendre en Guiennê.> & vint
tenir fa cour à Bordeaux. Si quelque cbofe était ca-^
gable de contenir, ces provinces, fous le jqug dlune do^
miuation étrangère , ç*6toit fea^. contredit la préfence
d'un prince, qui s'é toit; concilié par fes. vertu» TeÛime
univerfele : on laifle à juger fi par cet ^fte de fbuve-^
raineté prématurée, le roi d'Angleterre ue donnoit pas
une areinte* formele aui traité de Brédgny , puifqu'il,
ne s^écoit, pas. encore rois en état, de recevoir la renon-*-
ciation. du roi à- la fiizerainçté des provinces au'il érir^
geoit de fon chef en principautés. I»fque-lk îi c'avoiç
aucun droit : les reproches qu'on pouvoit lui faire à cec[
égard font déjà en fi grand nombre, qu.^il efit fuperfli^
de les multiplier à toutes les ocaiions qui s'en préfentent.
vrts ^toîent obîSgés de rapren^. Cet niage, otioi<fO*atioIi par BAmcid, tfoh^
fifta encore eo partie pendant long-temps , & l'on rctfouve maître encore ai>-
Kurdliui dans c|aelqi^c& fornolcs jodiciaives- dcS' vcftigcs de Taiickfi laagagiê
omand»
Jean IL 27^
Comme les modfs du voyage du roi n'avoîent pas été
^ivulgU4és 9 chacun ie crue autorifé à les deviner. C*eft ^■'*- '^^^^
•le fort de prefque toutes les démarches des princes;
miais de toas les prétextes ou'on imagina , celui qui eft
le :plus ddtitué ue vraifemolance , c*eft le projet pré-
tendu de tbn mariage avec Jeanne reine de Sicile , veuve
de Louis de Tarente Ton fécond mari ^ mort au mois
de Mai précédent. Quele aparence que le roi qui dans
cont le cours de fa vie ne donna jamais ocafion de le
foupconner de fentinients éouivoques fur l'honeur, eût
voulu démentir la réputation qu'il s-étoit «aquife tu
époufantune princeflè aufli décriée que. Jeanne? QuVHe
ait été coUpal>le des ^fordres que lui ont reprochés
plufieurs écrivains contemporains , ou que fuiVant To-
pinion de quelques autres , elle ait été plus nialheu-
reufe que criminele, il n^en éft pas moins vrai de dire
que fes aparence étoîént contre elle , & que ce te feule
raifon étok fufifante pour empêcher Jean de fortgerà
une pareille aliance : ^*ailleurs il rfétoit pas de Tîrité-
rêt du fàîtît fiége d'avoir Un feudataire tel que le roi
de france. Il ne parok pas que cete princeffe qui
époufa Jac(jues tf Aragon peu de temps après fa mort
cle'fon dernier mari, ait été folicîtée de prêter PoreiHe
k des propôfîtions de mariage avec le monarque
François.
Tandis que le roi hiénageoit Tes ^ribérêts à la cour Guerre entre
d*Avi*n<>*i en s'opbfant fous-main à Tagrandiffement ï« comtes de
de fa puiffarieç d^Edouard , il fe liVra un fenglant ^^^J^,;^^^-
combat ^rès dé Touloufe^entjrè GaftdnThœbus comte chron.MS.
-de Foixv^&lle'Cftînte d^Armaghac. Le pï^mîer ^gria du roi Jean.
-tine viÔtfirfe' complété; Lès Wmtes dé Goininges. & ^*'^''"-
de Madiflftin , 4é tire d'^AIbret;, fes deux 'frères , ïe
leigneur de la Garde , . & le comte d'^Armagnac lui-
trièmt ^rcfnt faits prifottrtiers. Le comte de Foiâc les
lit conduire à Ortaîs , où il les retint jufqu'à ce qu'ils
'éi!flSw;My^4eBfs rafrçoMs. L^immîtîé que d:es intérêts
deTamïlle avoiejàit Êit naître ent^êjes ipajifons de Foîx
£c d'Armagnac fut caufe que le comte dé Foisc -jporta
M m îj
2j(j Histoire d« France,
• la rançon de fon advcrfaire à une fomme exceflîve : il
Ana. x}éi. exigea cinquante mille livres que le comte d Armagnac
fe trouvoit hors d'état d'aquiter : il ofrit pour obtenir
fon élargiiTement la caution du roi de Navarre. Gafloii>
quoique beau-fi:ere.de ce roi , ne voulut pas^ accepter
ùi garantie ^ le connoij/ant , difoit-il , trop cauteleux Çf
malicieux. Agnès de Navarre comteffe dé Foix, fut
ofenfée de ce que fon mari ne vouloit pas s*en rappr-
ter à la bonne foi du roi fon frère. Llle mit tant
d'amertume & d'aigreur dans les plaintes qu'elle fit à
ce fujet, que le cqmte fatigué de les reproches. conti-
nuels confentit enfin à rendre la liberté au comte, d'Ar-
. magnac , à condition que le toi de Navarre s'oblige-
roit à payer les cinquante mille livres»
Hîftoire tra- Le comte d'Armaguac paya exaâçment la fomme
çiquc du fils au Navarrois qui s'étoit engagé pour lui ; mais Charles
du comte de . i j *iT i Pr ^ '^ r a \
Foix(tf). peu jaloux dejhonçur de le montrer garant ndeie^
ibUem. retint les cinquante mille livres, & après avoir amufé
le cpmpe.de Foix par plûfîeors défaitç^s » il finit par
refufer puvertement la rpftitutipp. Gaftoa indigné
d'une m^uvaife foi fi manifefte, obligea, fon époufe
de fe*rendre auprès du roi de Navarre pour le déter--
miner à lui faiye raifon. Agnès partit, quoiqu'elle ef-
pérât; peu defuccès de ton voyage : elle connoilToit
trop le caraftere de fon frère pour fe flatèr qu'il vou-
lût fe deffaifir d'une fomme doi>t il s'étoi( une fois
rendu le maître. Lorfqu'elle fut arivée k Pampelune>
Charles ne la défabufa pas : elle eut beau employer les
plus vives inftances\, en lui repréfentant qu'il aloitpar
ce refus alun^er entre elle & fon mari| une haine îrré-
çonciliabliç;; en vain elle luf protefta qucvs'il pei;fif-
. itoit , elle xi,'ofçroh .plus retourner à Ortais, ïmj elle i»e
devoit plus s'atendre qu'à de mauvais traitements de
. la part d'un époux irité , qui ne s'étoit laiiTé féduire
» ' • ■ . i • ' -' ^ ' .\. . •' :
{a^ CoBUXte la guerre Viliiihé<: entre Itc comtof de f oiz -fc^' Armagnac fut
- ^^'^C'"^ ^^ nialbeur du |eune Gaflon de Foix » on a rappné de foice ccce
' feiefte- catastrophe ^i rt^mz ^isc'plttfitars aimées' après , fous U r^e dft
CbaiIei.Y. ' rj i' \\\. .. • '
J s A K I Ir 277
que J)ar fes folicitations^ Charles fut inflexible k toutes ' —
les fuplications de fa fœur. Jt ne fçais Ji vous dcmturcrer Ann. ii^xp
eu fi vous retournerez vers votre mari , lui dit-il ; mais
je fuis maître de cet argent y & jamais il ne fortira de
Navarre.
La comteiTe au défefpoir , craignant de fe préfenter
devant fon mari , prit le. feul parti que lui permettoit |a
fituation , elle continua de demeurer à Pampelune.
Elle avoit un fils nommé Gafton comme fon perç :
ce jeune prince qui donnoit déjà les plus bêles efpé-
rances , demanda quelques années après au comte la
permiflion d>ler en Navarre voir la comteffe fa mère.
Gafton y confentit. Agnès eut la confolation de re-
. voir ce fils dont elle regrétoit Tabfence. Le roi de Na-
varre lui-ipême^ quoiqu'il n'aimât perfonne , reçut
fon neveu avec toutes les démonftrations d'une ten-
dre/Iè véritable. Gafton qui dans cete entrevue avoit
fenti redoubler fon atachement pour fa mère, auroit
bien voulu la réconcilier avec Tauteur de fes jours: il
la prefta de revenir avec lui , ne doutant pas qu'il ne
parvînt k réunir deux perfonnes fi chères. Agnès qui
connoiflbit l'inflexibilité de fon mari , réfifta aux priè-
res de fon fils , qui ne pouvant rien obtenir , fe dif-
Dofa k retourner vers fon père. A fon départ Charles-
le-mauvais le combla de xrarefTes & de préfents. Après
qu'il l'eut préparé par ces aparences de bonté ,. il le
lit monter dans fon apartement le jour qu'il vint pren-
dre Congé de lui, & ayant fait retirer tout le monde.
Beau neveu ^ lui dit-il , il me déplaît de la grande haine
qui efi entre ma fœur & votre père : tauufois pour dé-
teindre , vous prendrez de ceu poudre [ en difant cela
il lui donna un paquet] vous la mettre^ adroitement fur
Us viandes qu^ on jert devant votre père , 6 dès qu^il
en aura mangé , il ne fongera autre chofe que ravoir
fa femmt ^ fir par ce moyen ils feront inféparabUment
réunis : mais fur-tout gardti qu^on ne vous voie, car
' tout feroit perdu. L'imprudent Gafton promit tout
& parût*
iiji Histoire db France;
- Quelques jours après fon arivéc à Qrtais , en jouant
•Ann. 13 61. avec Yvain, fils naturel du Comte, il lui àriva de fe
déshabiller. Yvaîn aperçut le pa<juet de poudre ataché
contre la poitrine de fon frère : il lui demanda ce q^ue
c'étoit- Le jeune de Foix fe défendit mal & devint
rêveur. Il eut enfuite Tindifcrétion de fe vanter que
dans peu fa mère feroit réconciliée avec fon père. Le
bâtard curieux démêla une partie du myftere^ & ayant
été maltraité par fon frère qui lui donna un fouflet, il
ala porter fes plaintes au comte de Foix : il fit plus , il
acula Gafton de porter fur lui une poudre dont il pré-
tendoit faire ufage pour remettre la comteffe en fès
bonnes grâces , ainfi qu'il s'en était vanté. Le comte
de Foix frapé de ccte découverte, ordonna à Yvain-
de tarder le nlence; & le jour même, lorlque le jeune
Gafton vint fe mettre à table devant fon père, il le fit
aprocher & fkifît le paquet dont il fit TeiFai fur un
cnien qui mourut fur-le-champ. Le père furieitx vou-
lut k Tinftant même 'immoler fon fils ; mais tous les
gentilshommes de fa fuite préfenCs à cete afi^fe fcè-
ne, fe jetèrent aif- devant de lui. Ils furent obligés
d'opofer la violence à fes premiers trànfports. Le fils
confterné n'eut pas la force de prononcer une parole
pour fa juftification : éclairé par répreuve c\vi*on venoit
de faire de la poudre, fur Ia nature du crime dont le
déteftable roi de Navarre Tiivoit rendu l'inftrument,
il fe voyoit malgré fon innocence convaincu de pa-
ricide. JDans cet horrible état , immobile devant fon
père , il paroiffoit s^ofrir volontairement à fa ven-
geance. Ce ne fut qtfavec des peines infinies ^ue les
chevaliers qui entouroient le cohite <ie Fbix , obtinrent
. qu'il fufpendroit la punition de fon rtialheUreux fils.
Un le conduifit dans la cour du château, où il 'fut
foîgneufemerit gardé , mais abandonné à lui - même.
Ce fut Ik que ce jeune prince paffa les dix derniers
jours de fa vie Tans prendre de nourîture & fans ceiTer
• de verfcr des torrents de larmes.
Le comte cependant affembla les feigneurs die fes
J E A; N II. 1^^,
Etats , (|ul r££ufer,eot uoaoimçment de foufcnrA à> la-. ^
cpiid^^Uon, d'un.n, cher coupab)e« Enfin Iqs gens qui; A^a. 13^^.
évHeot. ch^fgés de lui porter k mafigçr dans la priibn
vinr.em;ayer.cir le perie qu'il refufoit abrolumcnt de pren-
dre, aucqnQ npupitu;cc. Gaûpn ]?hœbus confervoit en-
core tout. £bn, reirentiment : il n^pme kla tour , fe fait
ouvrir la porte. t<Q fils étcnda fur Ton lit; frémit à la
%:ue de fbn per^e :, près d'expirer d!une abftinçnce. vo-
lontaii;e IL tp^ma ie^ yeuse vers lui £c fembloit en im-
plorer lie cpqp/ morteU te cpmte tenpit alors a fa
main un coype^. CJPAC oa ne voyoit que la pointe :
ï\' Ta^cQQhe. dç la gorge, dp Gafton , en lui difant , Ah
traître pour^jupi ne manges --tu ? Il fe retira. Son fils
écoic mort ^^ les uns difent de la bleflure qu'il reçut du
couteau, de £pn père ,. d'autres qui ont voulu s'ép^r-. ,
gneç à eux r mêmes Vhorreur d'une aâion fî cruelç ,,
allnrent que la payeur jointe à la fpiblefTe termina les,
jours de ce prince infortuné, !Pans cete funefle avenr
ti4re il feroit difîcilededire quel étoit le plus à plaindre-
du père ou du fils. Le jeune Ga^on quelque- tem ps avanc
ce: njalheur avoit été fiancé avec une fille du comte,
d* Armagnac.
Le roi avanf que de s'éloigner de fes Etats , avoir Projet de
laiffé. le gouyennempn;: du royaume au dauphin q,ui croifadc
av^it été revêtu du titre de lieutenant-général de TE-
tat. Confirroié parc l'exemple du paffé, Jean fe reppfbit
av^ec confiance des foins de l-admaiiflration publique fu;r
1% fagefle & fur la mpdération d'un fils qui par fa cofi-
duite s'étpit rendu digne de toute fon eflime. Tran-
^ùiLe a cet égard il féjourna près du pape plus long-
temps que ne fembloit le permettre Tétat de fcs afai-
res. Ijl le Ijivra même fafls fcruple au goût qu'il avoir
poujr Içs. e^ntreprifes fingi^ieres > pl.U3 convenable ^ uti:
ancien preux f qu'au fouverain d'ua empire qui âvpit
befoin de fa préfènce. Depuis longtemps les croifades
écoieqt pafTées de mode , grâce aux dificultés & au peu
de ftuit qu'on avoir rccœuilli de ces expi^ditions. On
^coit revenu, dp la fureur de dépeupler l'Europe pour.
î8o Histoire de France;
^*'"'*''*** alcr enfevelir fes habitants dans les provinces de PAfie.
Àan. ij^i. Jean forma le projet de renouveler ces migrations fi
fouvent réitérées & toujours funefles.au genre humain.
En arivant k la cour a Avignon il fut infbrmé oue le
roi de Chypre devoit s'y rendre inceflammcnt. 11 ré-
folut de Tatendre, non «feulement pour conférer avec'
lui fur la fituation des afaires des cnrétiens en Orient ,
mais -encore pour fatisfaire la curiofité qu'il avoit de
connoître par lui-même un prince qui s*étoit aquis une
grande réputation d'éloquence & de bravoure , qualités
brillantes , dont le roi (e çiquoit également.
cT'^'^'^MS '^^^"^ ^^ Luzignan roi de Chypre avoit fuccédé à
du rouèan. * Hugucs fon père. Il s'étoit déjà hgnalé par plufieurs
Spicii.cont. expïoits contre les infidèles, & venoit récemment,
%Mt!viUani. ^^"ft^ ^^ fecours des chevaliers hofpitaliers , d'enlever
' à ces ennemis du nom chrétien la ville de Satalie :
c'eft TAtalie des anciens, (ituée dans la Pamphilîe,
province qui fait aujourd'hui partie de la Caramanie. Ce
prince n'ariva que le 29 Mars 1362 , le mercredi de
de la femaine-fainte. Valdemar III roi deDanemarck
!• s'y trouva dans le même- temps : il venoit mettre fa
perfonne & fes £ta(s fous la proteâion du faint fiege.
Valdemar étoit père de Marguerite , princeffe dont
le coura2;e honora fon fexe : elle réunit les trois cou**
ronnes de Suéde, de Danemarck & de Norvège, &
mérita d'être apelée la Sémiramis du Nord. Le ven-
dredi-faint les trois rois afiifterent au fervice célébré
}>ar fa fainteté% Urbayi prononça un difcours pathé^
tique dans lequel il expofa le déplorable état des çhré-*
tiens Orientaux : après le fermon le roi de France dé-
clara publiquement le deflèin qu'il avoit conçu depuis
quelque temps d'aquiter en prenant la croix , le vœu que
Philippe de V alois fon pcre avoit fait : il ajouta qu'il avoit
jufqu'alors tenu fa réfolution fecrete, atendant que
Tocafion fe préfentât de la faire éclater. Il fuplia en
même-temps le pape de confirmer ce pieux projet , ce
que le fouvei^^in pontife lui acorda fur -le -champ en
lui donnant là marque des croifés. Le cardinal de Pé-
rigord |
Jean II. i%t
rigord , les comtes <i*Axtois , d*Èu , de Dammartin - - .-'
& de Tancarville , ks maréchaux d'Andreghen & de A«**- »ï^^-
Boucicauc, le' grand -prieur de France, tous les fei-
gneurs & chevaliers de la fuite du roi fe croiferent en
même -temps. Le lendemain le pape fit expédier une
bule adrATée au roi Jean , par laquele il le conftîtuoic
chef de cete entreprifë , & nommoit en même -temps
le cardinal de Périgord légat du faint fiege à Tarmée
des croifés. On fixa le temps du départ à deux années ^
f>endant lefqueles on devoit faire les préparatifs nécef-r
îàires. Le roi de Chypre partit enfuite d'Avignon pour
aler foliciter les princes de la chrétienté de féconder
rëfort commun qu'on le difpofoit a tenter. Le fruit
que les fidèles d'Afie recœuillirent de ce projet fut de
voir apefantir leurs chaînes. Les Sarafins informés de
l'armement qu'on préparoît , en prirent ocafîo^ de
tourmenter les chrétiens d'Egypte & de Syrie, qu'ils
avojent'jufqu'alors traités avec affez de ménagement:
c*eft dtf^moins ce que Ion doit conjeâurer de là li-
berté dont ufa Pierre Thomas nonce du pape, qui en
revenant de Conftantinople paflk par Jérufalem qui
pour lors étoît fous la domination des infidèles. Ce
THMice enflammé d'un zèle apoftolique prêcha publique-
ment dans la ville, & fe retira lans être inquiété. Il
seft bien vrai que le fultarf d^Egypte fit trancher la. tête
^ l'Emîr de jférufalera, pour le punir d'avoir foûfert
^et-atehtat contre fon autorité. •
Tandis que le roi de France cherchoîta divertir l'en-» Traité à ton-
•nui qui le dévoroic, par des projets auffi déplacés qu'im- drcsTOuriaii-
pratkablcs , & dont Texécution eût -ac^ievé la ruine ccsdufeng!**^
ilu royaume j le roi d^Angleterre toujours atencif à Rym. aS;
profiter des circoûftances , s'apliquoit encorç à tirer de P'^^- tm.i»
nouveaux avantages de la trifte fitùatîôh de la France, ^'^l^
Le duc d'Orléans frère du roi , les ducs d'Anjou, de
Berry & le duc de Bourbon fuportoient impàtiepi-
^laent leur éloignement de leur patrie, malgré la li-
4>erté dont ils jouiflbiérit en qualité d^^tages à Londres*.
Edouard leur propofa de les kifler partir k des condî-
Tome P^. N n
28z Histoire de France^
^— — tions dures k la vérité , mais que le defir de revoir la
Ann. IJ61. France leur fit accepter. Sans rien diminuer de la ri-
gueur des loix prefcrite par le traité de Brétigny , le
monarque Anglois exigea que pour la sûreté de la dé-
livrance qui lui devoit être faite des feigneuries de Gaure
& de Belleville , ces princes lui fiflent remQ|p:e avant
3ue d'être élargis , les châteaux de Chifec , de Melle ,
e Cointay & de Villeneuve , ainfi que toutes les terres
poffédées par le duc d'Orléans en Poitou & en Sain-
tonge 9 avec la châtélenie de Beaurain en Ponthieu.
Moyennant ce tranfport le rpi d^Angleterre cpnfentoit
au départ de ces princes , mais avec cete reftriâion
qu'en cas qu'on manquât de lui remettre au temps
marqué les feigneuries de Belleville & de Gaure y ils
feroient obligés de retourner à Londres ie conftituer
en otage, & que cepenfdant les terres ôc feigneuries
rèmifes en nantiiTement lui demeureroient en propriété
fans préjudice de fes autres prétentions. Il n'étoit guè*
res dodiDle de dreiTerle plan d'un traité plustabufif ,
& il n'y a qu'un excès d'ambition qui ait pu aveugler
le monarque Anglois jufqu'au point de n'en pas recon-
noitre l'injuflice. Il fit plus : il n'eut pas hont^ de
convenir par ce même traité au'il n'avoit point exé-
cuté à l'égard de la France, l'article le feul intéref-
fant de la paix de Brétigny : il voulut que les princes
s'obligeaiTent de faire en forte que le roi renonçât aux
réclamations qu'il étoit en droit de faire au fujet de
l'inexécution du traité par lequel le roi d'Angleterre
devoit faire ^ évacuer les places à fes frais , condition
qu'il âvouoit n'avoir pas été remplie de fa part. £o
conféquence de ce projet les princes furent conduits à
Calais.
Ann. 13^3. Ce traité entre le roi d'Angleterre & les princes du
fang , avoit été ménagé pendant lé voyage d!^Avignon:
ce lut-lk que le roi le reçut &c le connrma. Cependant
il l'envoya au dauphin Ion fils aîné & fon- lieutenant
pendant fon abfence. Le prince ayant .communiqué cet
acord à la cour des pairs , & pris lavis des prélats^
J « A N I I. 183
fcigneurs & gens de fort confeU , repréfcnta au roi fon ■
père qu'il n'écoit pas poiËble d'accepter un traité fi A'^- ^J^J-
)réjudictabie ^ dans lequel tout l'avantage étoit pour
e roi d'Angleterre fans qu'il en revint d'autre bien k
a France que la liberté momentanée des princes aux--
quels elle auroit déjà dû être rendue j puifque les
conditions efTencieles du traité de Brétigny étoient
acomplies de la part du roi. Ce refus rompit le traité :
le duc d'Anjou plus impatient que le duc de Berry
fon frère & que le duc d'Orléans y partit fans avoir
obtenu con^é d'Edouard & ne revint plus. Il fe rendit
à Paris où il déclara devant le duc de Normandie 6c
les notables aflëmblés au palais, que lorfque le roi
feroit informé , ainfi que le public , de la caufe de fon
évafiQn , il étoit certain qu'on aprouveroit fa retraite :
on «n'a jamais fçu quele étoit cete caufe. Le roi d'An* Rym.aa.pHU.
gleterre eut beau le réclamer , il ne voulut jamais re- '^^ î»f^-u
tourner en otage , quoique le duc de Normandie eût ^^' ^^'
blâmé fa conduite , & que le roi fon père l'eût vive-
ment folicité de réparer ce manque de parole.
Le roi fut extrêmement fenfible à la faute qu'avoit Le toi (orme
commife le duc d'Anjou. Délicat fur l'honeur plus J^ J^Jf^iJ^
Gu'aucun prince de (on temps, il réfoluc de réparer hks. "*
1 évafion de fon fils en fe remettant lui-même entre les Fm
mains d'Edouard : car à quel autre motif peut-on atri-
buer fon retour eu Angleterre ? // voulait , difoit-il ,
cxcufer fon fils le duc d^ Anjou. Ce remède violent
n'étoit pas aiTurément diâé par la prudence^ mais il
étoit bien digne de la franchife & de ta générofité du
roi. Ceux qui ont voulu déshonorer la mémoire de ce
prince en raportant qu'il repalTa en Angleterre pour
fatisfaire l'amour qu'il avoir conçu pour une dame de
eete lie , fe font autorifés d'une expreflion équivoque
du moine continuateur de Nangis , qui dit que le roi
retourna à Londres pour fe divertir j causa joà. Sur
cete idée ils ont imaginé un roman. La comtefTe de
Salifbury a voit été célèbre pour fa beauté : Edouard
l'aimoity le roi de France eu étoit aufli devenu amou-
N n ij
LOQ-
Froiffari.
1
284 Histoire DK France,
-' reux , & pour fatisfaire cete bêle paflîon , il avoit
Ann. 13^3. formé le deiTein de fe remettre au pouvoir de fon
rival. C'eft ainfi que Timpodure & la témérité ataquçnt
les réputations les plus refpedables, en forgeant des
anecdotes aufli ridicules qu'odieufes.
« 'Toutes les repréfentations qu'on put faire au roi
pour le détourner de fon voyage de Londres ne furent
point capables de Tébranler. A fon recour d'Avignon
il revint par Montpellier & vifica une partie du Lan-
guedoc. Il confirma fur fa route les privilèges & fran-
chifes de la plupart des villes & communautés de cete
Recœuii des province. Ce fut pendant ce voyage qu'il jeta les fon-
V0/.4 déments d une pumance dont 1 acroillement rapide de-
Rym.aB.pubL vint Une fourcç de divifîons & de malheurs, ofufqua
^^J* sôf"^''*' Téclat du trône, & penfa renverfer la monarchie après
; Cts lettres l'avoir ébranlée par tes plus violentes fecoufles. Il km-»
^G^r^^^^^u ^"^^^J P^^ ^^^ fatalité inévitable , que toutes les vertus
^r^^^îfj! du roi ne duflent éclater qu'au dommage du royaume
& à la ruine de fa poflérité. Depuis la funefle journée
de Maupertuis, il avoit conçu pour Philippe, le plus
jeune de fes fils , un atachement qui s'étoit fortifié de
jour en jour. Il efl vrai que ce prince s'étoit montré
digne de cete prédileâion par fon courage & par fa
tendreffe. Tean voulut le récompenfer en lui donnant
un apanage plus confidérable que ceux qu'il avoit
acordés à les frères aînés , les ûucs d'Anjou & de
Berry. Philippe eut le duché & le comté de Bourgogne.
Quoique le roi eût irrévocablement réuni cete piro-
-vincc au domaine de la couronne^ w cependant , dit-il ,
yy\ la requête des fujets de cete province, & pour
yy reconnoitre le zèle que Philippe fon quatrième fils
.y> lui a témoigné en s'expofant a la mort & xom bâtant
» intrépidement à fes cotés à la bataille de Poitiers
.« où ce fils fi cher avoit été blelTé & fait prifonnier
» avec lui, il lui donne pour lui & pour fes hoirs les
3> duché & comté de Bourgogne , pour les pofféder
» ainfi que les ducs précédents ». Par ces mêmes let-
tres le roi déclare fon fils premier pair de France , &
Jean IL 285
cete prérogative ne duc pas être une des moindres '
caufes de la jaloufie de fes frères, prérogative cepcn- Ann. ij^j,
dant dont il ne jouît pleinement & fans contradiàion
que pluiieufs années après l'oâroi qui lui en avoit été -
fait. Les ducs d'aquitaine & de Normandie ayoient
jufqu'alors précédé en plusieurs ocafions les ducs de
Bourgogne comme pairs de France. Ce fait eft remarr
quable en ce qu'il prouve qua l^autoritc royale peut 'Nouvel ahrégi
en^ quelque forte changer la nature des chofes en donnant ^^^^f^j}'^^
4 \ine injlitution nouvele la priorité des temps fur déplus mnalt^t![\
^/ic/e/i/ze^. \];*eft Tobfervation d'un de nos plus judicieux z^. 305-
modernes. Il fe rencontrera dans la fuite d'autres exem*
pies de ce droit de nos monarques.
. Le roi , après avoir mis le prince Philippe en pof- Trifor des
feflion du duché & jdu comté de Bourgogne , vint ^^\['^'^^^
çenic dans Amiens une aflemblée des £cats*2énéraux Kegiftresda
de la Languedoyl , tant pour régler Timpontion de Pfriem.coté A
l'àide deftinée au paiement du refte de fa rançon , qu'a- lucœuîi dês
£n de prendre des mefures pour la réformacion du ordonnances,
royaume, A: l'abolition de pluueurs abus introduits par ^•î'^'^if-^^^'
le malheur des temps. En conféquence il fut défendu à
tous les : princes 5 feigneurs , villes & communautés
d'impofer dans la fuite des droits arbitraires fur les
marchandifes & denrées qui paflbient fur les terres de
leurreflbrt. Cete efpece de vexation qui s'exercoit dans
ie cœur du royaume , étoit audi préjudiciable aux
droits du roi q^e nuifible au commerce intérieur^ qui
Î>ar cete tyranifie fe trouvoit intercepté à tous les paf*
âges de villes & de rivières. Il étoit facile d'augurer
par les démarches du roi. de Na.varre> que ce prince
préparoit de nouveaux troubles. Il y avoit même des
commencements d'hoftilité. Cete railon jointe à l'éva-
cuation d*une partie des garnifons Angloiles qui n'étoit
pas encore faite, , & aux défordrès continués par les
compagnies qui étoient demeurées en France , fai-.
foie qu'on étoit obligé de fe conduire comnK fi la
jguerre la plus* vive eut fubfifté. Auffi le roi défendic
^s guerres particulières jufqu'à ce que la guerre publi-
\
1Î6 Histoire d£ France^
' qug cefsât entièrement. Pendant les troubles quiavoiênt
Aan. i}é). agité le royaume & principalement la capitale , il pa-
roît que refpric de chicane avoit déjà fait de rafyle des
Reg. A. du loix un dédale inextricable. Le parlement étoit fur-
PiirUm.foi.s4' chargé de la multiplicité des afaires qui s'y portoieht
en première inftance. Le roi pour remédier à cet in-
convéniei\t , ordonna que dans la fuite on ne préfente-
roit au parlement que les caufes des pairs^ de quel-
ques prélats , des chapitres & communautés religieu-
fes y des barons , conlbls & échevins des communes ,
les matières domaniales , les apels des jugements du '
prévôt de Paris , des fénéchaux & baillifs royaux &
autres juges qui refTortifToient nuement au parlement
fans jurildiâion intermédiaire ^ à moins que le roi ou
la cour n'acordât des lettres d'évocation. Ce feul ar-
ticle de l'ordonnance fait connokre quele étoit alors la
nature des afaires réfervées au jugement du parlement.
Cete même ordonnance eflaya de réprimer le luxe
oratoire dont fe piquoient les avocats de ce fîecle. Elle
leur défendit expreffénîent de^ plaider plus de deux fois
dans la même caufe ^ leur enjoignant fous peine d^être
punis févérement de fe renfermer uniquement dans la
queftion qu'ils auroient à traiter y fans charger leurs
plaidoyers de répétitions y toujours inutiles y & qui
fembk^ient infulter à l'atention dîes magiftrats y de di-
grefïïoh^ étrangères à leur objet y enfin de tout cet
étalage de vaines déclamations & de verbiage frivole
dont le moindre inconvénient eft la perte d^un temps
trop précieux pour l'employer à fatisfaire la vanité
de Torateur : & afin que la fcicncc expérimentée des
avocats foit mieux connue de la cour , tels font les
termes de l'ordonnance, & gu^ils /oient de plus en
plus animés à écrire bien , fucdntement & effendékment ;
ils mettront dans la fuite leurs noms & teurs furnoms
tn fin des mémoires & écritures qu^ils compoferont pour
hurs ttients. II n'étoît gueres poflible d'aporter des
précautions plus fages pour prévenir l'abus qu'on peut
faire du talent de la parole y li la manie de faire parade
Jean II. 187
d'une éloquence déplacée n'étoit pas un défaut incori- •
gible. C'eft à cete ordonnance qu'on peut raporter Tori- ^nn. lye^.
gine de l'ufage introduit pour l'ordre des avocats ^ qui
les oblige de figner leurs écritures , ufage qui s'eft per-
pétué jufqu'à ce jour.
La sûreté de la ville de Paris exigeoit une a tendon R^Ument
particulière. Les défordres qui s'y commettoient jour- pour iç guc«
nélement provenoient de la négligence de ceux a qui ^j^l^'^a^^,
l'infpeftion du guet avoit- été commife. De toute ancien- ordonnanas ,
neiÀ un certain nombre de bourgeois tirés des corps voLi^p.é€%.
de métiers veilloient pendant la nuit dans les diférents ^ cUuUt^*
3uartiers de la ville. Deux infpeâeurs avoient la charge r. }^.
c faire remplir ce fervice en avertiflant chaque com-
munauté d'artifans du jour qu'elles dévoient fournir-
le nombre de gardes néceflaires. Ces infpeâeurs étoient
apelés dcTcs du guet. Dans la fuite les rois ajoutèrent
à cete garde bourgeoife vingt fergents à cheval & vingt-
fix argents à pied, fous la conduite d'un oficier apelé
le chevalier du guet. Ces clercs ou infpeâeurs du guet
pendant les troubles civils difpenferent à prix d'ar-
gent les bourgeois Tiu fervice qu'ils dévoient^ & la
prévarication tut poùiTée fi loin que non-feulement les
gens de métier avoient difcontinué abfolument de
monter leurs gardes j mais la négligence du devoir avoic
gagné jufau'aux fergents à cheval & à pied , quoique
payés par le roi. Les d'eux clercs du guet furent cafles ^
£c leurs ofices donnés à deux notaires du châtelet^
chargés de rétablir l'ordre pour la garde de la ville y
contormément à l'ancien ufage. Voici de quele manière
cete partie de notre ancienne police s'exécutoit. L'hi-
ver > à l'entrée de la nuit , & pendant l'été à l'heure du
couvrefeu qu'on fonnoit à Notre-Dame à fept heures
du foir y les gens de métier nommés pour faire la garde
cete Quit-là le préfentotent devant le châtelet. Les clercs
du guet faifoient l'apel & les diftribuoient enfuite dans
les quartiers où ils étoient obligés de fe tenir éveillés
Se armés jufqu'au point du jour , que celui qui faifoit
iencinelle au châtelet Tonnoit de la trompette^ fignal
iS^ Histoire deFrakce,
s qu'on apeloîc guctc cornée. Cependant le chevalier du
Aan. 13^3. guet k la tête de fes fergents, tant à cheval qu'à pied,
raifoit fa ronde dans Paris , vifitoit tous les poftes ocu-
pés par le guet bourgeois, & ne fe retiroit pareille-
ment que lorfque le jour paroiflbit.
Le roi paflTe Cete Ordonnance pour la police de la cstpitale fut le
en Angleterre, dernier aâe important de fouvcraineté que le roi exerCa^
^MiSfT^w/,^.' dans fes Etats qu'il fe préparoit à quicer , malgré tous
part.i. ' * les éforts qu'on tenta pour le retenir* Il fe rendit peu
^Ck^on^MS ^^ ^^n^ps après k Boulogne où il s'embarqua pour
iaroTjtan. ' l'Angleterre , ayant reçu précédemment un faufconduit
d'Edouard. Jean fut reçu avec tous les boneurs conve-
nables k la majefté d'un grand roi. Il vit le monarque
Anriois k fa bêle maifon d'Altem, fituée k quelques
milles de Londres, Les diférents corps de cete capitale
vinrent au-devant de lui, & le conduifirent jufqu'k
Thôtel <îe Savoie qu'on avoit préparé pour le recevoir.
Les rois d'Ecofle & de Chypre étoient pour lo« k
Londres. Edouard eut la fatisfaâion de réunir dans le
même- temps k fa cour trois têtes couronnées. Il les
traita avec une magnificence vraiment royale. Les fu-
jcts fecondoient k l'envi le goût de lèiïr fouverain. Le
maire de Londres au nom de la ville donna une fête
Rap. Thoyr. pbmpôùfe auK quatre rois. La fomptuofité d'un firnplc
i0tn.uP'^H' Dourgepis peut donner une idée de l'opulence qui ré-
gnoit alors en Angleterre. Un'marclKind de vin eue
fhoneur d'inviter chez lui les rois de France, d'An-
gleterre , d^Ecofle & de Chypre , & de donner^ un
repas fplendide k ces princes, àinfi qu'k tous les feî^
gneurs & gens de leur fuite.
Le roi de Na- Quel Gu'ait été le mofif du voyage du roi , il fertwt
pofb\&iw^u ^^fi^^'^ ^^ ^^ juftifier. Jamais fa préfence n'a voit été
guerre. plus néceflaire. Depuis long-temps diférents avis an-
nonçoient les mauvaifes intentions- du Nàvarrois. Plu-
fîeurs feigneurs de Gafcogne , quoique fournis au prince
de Galles par la paix de Brétigny , confèrvant toujours
leur ancien atachement pour la Fraflce , avoîént îmândé
au roi que Charles • le -mauvais armoic dans fes Etats
de
J E A N I I. 285
de Navarre. On avoit intercepté des lettres de ce prince =!ïïSS!
adrefifées à fes vaffaux de jN ormandie , par leiqueLes Ann. ij^j.
il les afluroit qu'il fe rendroit inceiTamment dans cete
province. Jean de Crailly captai {à) de Buch s*avan-
coit avec la qualité de lieutenant du roi de Navarre.
Il engagea au fervice de ce prince plufieurs des com-
|>agnies : après avoir traverfé le Bordelois & le Poitou ^
Il entra dans la Touraine y prenaQt la route de la Nor-
mandie. Ses gens fe vantoienc publiquement qu'ils ^
aloient faire la guerre au roi de France. Les compa-
|;nies qui étoient reftées dans le Languedoc avoient
arboré les armes du roi de Navarre , & commen-
çoient déjà les hoflilités en fon nom. L'irruption fut
lufpendue par la maladie du captai , pendant laquele
une partie de fes troupes fe débandèrent; mais le roi
de Navarre n'en pourfuivoit pas moins vivement Texé-
jcution de ffis projets. Afin même de manifefter plus
ouvertement fa rupture avec la France , il fit peindre
fur {i^s enfeignes les armes de France écartelées de
celles de Navarre , en fuprimant de ces armes la mar-
que qui (hjrvoit à diftinguer les branches cadetes de la
^primer les deilems de ijharles y le natant toujc
que ce prince n'en viendroit jamais jufqu'à l'exécution.
( tf ) Le titre de Captai avoit été ancienDement afeûé à quelques - uns des
plus illufties feigoeurs d'Aquitaine. Il paroit qu'originairement il étoit équi-
valent à celui de comte , & défi^oit même une &périorité , ainfi que Tan*
nonce la finûfication du mot Capit^lis » chef principal. Cete dignité perCbn-
nele d'abord , ainfi que toutes les autres « devint dans la fuite acachée aux fa-
jnilles ft aux terres qu'elles poflédoient. Dans le temps des premiers ducs d'A-
qoitaine • il y avoit plufieurs Captais \ mais ce titre apareounent négligé fut
remplacé^ par d'autres , enîbne que vers le quatorzième uede on ne connoiffoit
4^a plus que deux Captais , celui de Bach U celui de Trene. Vid$ Glojf, du
Caagt àd vtri. Capitalit.
( A) Les armes des princes d'Evreux rois de Navarre » écoienc femées de
France à la branche componée d'argent 3c de gueules » étartelée de Navarre »
ic gueules aq ràis d'efcarboucle fommeté d'or. Le roî de Navarre avoit re-
tranché de cc^ amies la branche componée , ce qui fembloit annoncer unp pré*
f cncioD à la coioonne de f raoce. Hifi* gtnidogiqui d$ U nmjmi d$ Frana j
ipni.t9pag.9^é^
Tome V. Oo
290 Histoire db France,
î Le duc de Normandie , lieutenant-général du royau-
Ann. 13^4. me en rabfence du roi fon père, ne vit pas avec la
Guerre en même fccurité les démarches du Navarrois. Il affcm-
^Fr^iffa^d. ^'^ '^ confeil, par l'avis duquel il chargea Jean de
^^uu!cont. Châlons comte d'Auxerre & Bertrand du Gucfditi^
deNang. d acaqucr les places tlu roi de Navarre en Normandie.
ckron.MS. Dy <;fuefclin s'empara de la ville de Mantes qu'il prit
par ftratagême : il mit enfuitc le fîegc devant le château
qui écoit fortifié , & Pem porta d'aflaut après une lon-
gue & vigoureufe défènfe. Il y eut un grand carnage.
On fit prifonniers plufieurs rarifîens atachés depuis
long-temps au roi de Navarre : on en conduifit vingt-
huit à Paris où ils furent décapités. La prife de Meulaû
fuivic de près celle de Mantes. Cete conquête aflbroit
la navigation de la Seine au-defibus de Paris.
Mort du roi. Lc jouf même que Bertrand du Gucfclin fe rendit
Ibidem, maître de Mantes, le 8 Avril de Tannée r3(54, le roi
B^^rts ^^^' ^^^ depuis quelque- temps étoit malade k Londres , ter-
'^^^'' mina par fa mort les malheurs de fon règne. Ce feroic
une entreprife fuperflue que de s'atachef à réfuter la fable
avancée par quelques écrivains An^lois : il fufira de
la raporter pour en faire fentir le ridicule. Ces hifèo-
riens affurent que le roi au lit de la mort fit inviter
Edouard de venir le trouver , & lui demanda humble-
ment pardon de lui avoir retenu injuftement la cou-
ronne de France jufqu*au traité de Brétigny , grâce
que le monarque Angldis lui acorda fans réfcrve. Ils
ajoutent que le roi de France confeiTa de plus qu^il Êii-
foift fecrécement ramafier dans Londres Tor le plus fin
de TAngleterre {a) , qu'il envoyoit en France réduit
(tf) Edouard finis doute a^m décomrcn le gmid*fecfeede la tM«(mtarfoB
d«s métaux par le moyen des deax Clirfiniftes qot pararenc en Angleterre fon»
fon règne. Ces deux prétendus adeptes fe nommoient Jean le Romt It Gotl-
kame d'AlM. Snr les pfemteres nouveles raporeée^i au roi ^4m avoit déeon*
ven dans fes Etats éeux pofTei^ars de la pieire pkîlofophale , )1 f t «xpédier
des ordres ^ tous les ofieiei^ de Ton royaoïiHs pour s'a/Tutr de la peribnne
des deux artiAes , & pour les conduire sâremeirc à* Lombes. Là foire des nio^
■OBientt Aagkifs ne nous apread pas ce ^oc .devint cete alaire. Ctfitx qaî pié-^
tendent que TAlchymie o'eft pas une fctence vaine , peuvent afcutei les nonv
de ces deux |bUofopbes au catalogue de leurs fages. Ils véroM avec (àtisfaâioa
J « A N II. • i^f
cnlingocsy aiûfî que des armes & des flèches. Edouard^ .
^ui avoit pofTé légèrement for le prétendu rapt de lai ^^ ^^^^'
cauroniie^ n'encendic pas raillerie lur Farticle de Tor,-
qu^il fit arêter, dit>-oii, aioii que les armes. II. faut en
vérité poufier le zèle 60 la patrie juf^u*au faaatifme
pour avancer de pareilles abfurditéis. ^
Jean étoit âgé de quarante-cinq an^ lotfmi'îl tnon^ Caraacrc de
rut (a). On ne peut trop fortement rcfpréfenter aux! ^^P"**"-
rois que celui qui peut tout ce qu'il veut y ne doit
jamais vouloir fe venger : récompefnfer ou punir , yoilk
fes droits dont îl ne* peut abûfer qù^ fa- hante & potii*
le malheur du geni^e humain, lean fe laifla dornihet*
par la cokre : cetQ paffionôfufqud tes lumières de fotf
efprit. Formé pour tout autre rang que celui qu'il
ecupa, H ne fut pas un grand roi. Généreux, fincere,
libéral , amareur des lettres, de la juftice, de la piété ,
fidèle ài fa. pawle, bftlve jùfqiA^ l4éroïfme , eohfta^nil
dans l^initié;. mâ^is implacable datis êl h^ine, fvtctt'^
fiant tout k 4. veiigeaflfeev toujours entraîné par les*
accès de fan irapé^<Uïté ^ il commit des fautes irré-^
parables, L'adverfieé fit en lui un e^ngëment fur--
prenant. Il ne fut plus le même prince depuis que
vaiâcu & fafic prifon^iier il lutâ feul contre la fonuncr
qui Tacabloit. Toute la duretés de fon; caraâere difpa-^
rat : il ne lui refta plû« de cere inflexibilité d^ame;
qu'an courage invincible épfou^é paf les^ revers. Il
Içut alors parloMfer : dit le' ^* lôtfque Paris r^tra fqus
àiakis Uîtâtêit l^fUcif, qû*dîrr»|W)tta 3r Èiôtrtec! , qu'ils ivoiénr fait" drrar-
goht « 6c M'ib eo texfirânt méine aâbélcdicor; yid. Rym. àB.^puhl. tom. %^
pari. 3 » y»/. »4. / ^ • J
^a) Il pânjîf qtfc jJféfquc tous nos hîftbrîcns fc font trompés lur l'Age de
Tesm II , lorfija'ilt om airur# qm ce prinee ite^ Monéâ fur lé ttckkt que da^s fa
^pacantft & unième aan^e* Voî«i quelles fon» les ration» qnî oat déremiiné ai
préRrei^ l'opinion adoptée dan» cece hiftoire* £n»$i8, Philippe^tle-Valois mit
j€0n ÎBbn- ils' tfntft Ibr marn^ des hpmtrtcs , & loi donna poar ^uvetneûr Ber-
'wtfà'io Mor^vi'' Sfidt^: tom^ i^ pàf- 71 ^ # réffVini du qUàêriàné vol, di ceté^
hifioire^ Jean , qpoicmç fUsr «oiqiic alors- ,, tt fut marié que quatre ànnécii
âffirès , en ^3fi « tfînn que le marque tt continuateur de NangiSi Ces fait»
Çjtfnc A^SLOcùti a^c k-femtiMûit^d^Pcre Amlcfaiie , foiyafttt kquel Jean naquiif
Oo ij
Ann. i}^4«
Mim. dt Utt.
2^2 Histoire de Frakce^
foQ obéifTance , écrire aux habitants avec là bonté d*un
père qui excufe fe^ tenfants : il défendit qu on usât de
rigueur. Uhumanité avoii repris fes droits fur un cœur
aveuglé par la flaterie : il reconnut fes erreurs , & par
une efpeçe de prodige , il fe concilia dans le malheur
l'amour de fes peuples , Teftime & le refpeft de fes
ennemis. Au-i'e^te > il faut convenir que Tindocilité de
fes fujets contribua autant que fon imprudence aux ca-
lamités publiques. Ils. avoient befoin aufli-^bien que
leur fouverain d'être inftruits par l'infortune. Jean aima
«. *^.*. les lettres 6ç lés çulçiva lui-même : il Anima: les fça-
voLiy' ^'' vants par la proteâion . & les récompetifeSi qu^il leur
acorda. Il arvoit. fait traduire en frani^ois une grande
partie de la Bible & plufieurs autres ouvrages de piété.
Son goût pour les bons auteurs latins lui fit defirer d'a-
voir leurs produâtons en. notre langue. On lui doit la
plus ancienne traduâion que nou» çonno>(Iion& dés Dé*
çades de Tite-Live,'que Pierre :Bércheur , prieur de
Saint-Ëloi 9 entreprit par fqs ordres. Cete traduâion
fut bientôt fuivie de celles de Sallufie y de Lucain , des
commentaires de Céfar. Les poëtès & lès orateurs de
l'ancienne .Rome devenus plus communs excitèrent
notre émulariop^. & préparèrent la renaiflance des leC'
très négligées en France, depuis long-temps. La Une-
rature de ce fiecle mérite d'ocuper un article à part.
Iléfervons ce détail pour le règne de Charles Y ^ qui
témoigna encore plus dezele que fon père pour Thoneur
àts fciences & des arts.
Edouard fut fincérement afligé de la mort du roi : il
donna des larmes à la perte de ce prince pour lequel il
avoit conçu la plus tenare amitié. On lui rendit à Lon-
dres les devoirs funèbres avec toute la pompe & cour
l'apareil qu'on auroit pu employer pour les fouverains
de la nation. Son fervice fut célébré dans l'églife de
faintPaul : quatre mille torches & un pareil nombre
de cierges éclairoient le temple. On préfenta , fuivanc
l'ufage y quantité de chevaux couverts de houifes aux
armes de France : ces chevaux étoient conduits par
J E A H II. 2^3
aucant de chevaliersé Après ^ue le monafqae Angloii^ =!!ï=;
iè fut aquicé des triftes devoirs que fa généroficé con-* Ann. 1^64.
facroic k la mémoire d*un prince long- temps fon rival
& devenn fon ami , acompagné dés princes & feigneurs ^
tant Arigloiâ que François , qui fe trouvoient à Lon-
dres, il conduific le corps du feu roi jufqu'au rivage,
où on rembarqua pour le tranfporter en France, Il
fut d'abord dépofé à rabaye Saint-Antoine-des-champs ^
}>rès Paris; & lorfque tduc fut ptêt pour les obfeques,
es enfants de France, les princes du fang , le roi de
Chypre , qui pour lors étoit à Paris , le clergé de la
ville & les cours fouveraines alerént le chercher à Ta-
baye. Il fut aporté à Téglife de Notre-Dame par les
gens du parlement ; Ji j comme aœutumé avait été des chon. MS.
autres rois , pour ce qu^ils repréfentent la perConne dii ^" ''^' •''? " *
roi au jait de jujiice , qui ejt le principal membre de fçi^ %^^ r^ao.
Jii couronne j par lequel le roi règne & a feigneurie. Le
dimanche 5 mai , le fervice fut célébré à la cathédrale,
& le lendemain le corps fut tranféré k Saint -Denis,
dans le même ordre qu'il avoit été aporté à Notre-
Dame. Il fut inhumé auprès du grand autel de Ta-
baye (a). Après le fervice le nouveau roi vint dans la
cour du cloître ; & là apuyé contre un figuier , il reçut
les hommages des pairs & des feigneurs Frahçois ,
préfents à cete cérémonie.
• Jean I , ou fi Ton compte au nombre de nos rois Enfontsdoroi
le fils de Louis X , qui régna cinq jours , Jean II eut ^^"•
de fon premier mariage avec Bonne de Bohême qua-
tre fils ; Charles qui lui fuccéda, Louis , duc d'Anjou,
Jean , duc de Berry , & Philippe , duc de Bourgogne ;
& quatre filles , Jeanne , reine de Navarre , Marie ,
duchefie de Bar , Ifabele , époufe de Galéas Vifconti ,
& Marguerite, religieufe k Poiflv.
Ce fut fous le règne du roi Jean , que les comtes
(a) En préparant le caveaa oA il fat dépofif « on trouva* plu fieurs anncaot
enrichis de pierres précieufes » & une couronne. d*or d'un poids confidérablc ,
fans infcription & fans veftige d'aucun corps de fouverain, auquel ces orncmenift
tuBcnî pu apaneoir. SpiciL coaiintuù\ deislan^/uhaano 1564*
294 HiSTaiRE DE FrAVCEj^
! de Bar commencerenc à prendre le titre de ducs : Ru-
Aan. i3^f. berc fut le premier. On ne fçait à qui ^ de Charr
Ercàioninccr- Jcs IV, empereur, ou du roi de France, atribuer cete
SIî'b^Î «rTu- ^feâion. Un fçavant académicien a prétendu que le
ché. roi de France en 13 < 5 érigea le comté de Bar en du»
Réflexions fur ché - pairie , fondé fur ce que la partie du Barois ,
^dachédtBar, ^^^^ laquele eft fituée la ville de Bar-le-Duc , relevait
;7dr M. Bon- de la couronuc de France. Cete préfompcion eft fcnrte:
^"^^im de ^^ prouve le droit, mais elle ne détruit pas le témoi-
litcér.t^m. lo, guage d'un chroniqueur du quatorzième fiecle ^ qui
p^g' 474* marque précifément , que Charles IV vint à Metz (a) ,
où il conféra le titre de duc au comte de Bar. Char-
les IV qui aimoit toutes les aâions d^aparat , & qui
toujours avide d'exercer des aâes de fouveraineté ,
même hors des limites de fa domination, peut bien
avoir oublié le droit du roi de France pour faire un
duc. C'étoit fa pailîon dominante , contre laquele on
prit des précautions , lorfqu'il vint en France. Cet
empereur aimoit fi fort à repréfenter , qu'il s'arêta pen*^
dant les fêtes de Noël à Cambrai , parce que les ^u*
gujits d'Occident avoient droit d*y cnanter la feptietne
leçon à^s matines , revêtus des ornements impériaux
Au-re(be , peut-être le comte de Bar s'arogea«t-iL le
titre de duc de fa propre autorité. Sa qualité de beau-
frère de Charles , roi de France , & d'alié de Tempe*
reUr , empêcha ces princes de s'y opofer pendant leux?»
règnes. Ùufage prévalut enfuite, & tint lieu à f<s
fuccefTeurs de titre légitime.
Sous le règne de Jean, l'Europe fut témoin d^iin
de cesv événements, qui par leur fingularité méritenc
d'être inférés dans toutes les hiftoires. On vit renou-
veler l'exemple de Tatcoce févérité des Spartiates , qui
(0) Mil trois cents cinquante 6c trois
Vint de Bohême à Metz un roi :
£d féjournant dans fon repair
Fit duc le comte de Bair,
Chrçmq. en Vin » çompfifée p^ un chanoine de Metf^
J E A N I I. 295
condaneretit Agis à la mort- Martin Faliérî , doge de r
Vcnife , acufé a*avoir confpiré contre la république , Ann. 13^4.
fut jugé par le 'confeil fuprême , & décapité publi-
quement. En 13^5 , peu de temps auparavant , Ni-
colas Gabrini , dit Rienïi , Romain de la plus baffe
naiflance , après s*être élevé par fon éloquence & fa
hardielTc jufqu'à la fouverainete de Rome , fous le titre
de tribun , cnaflc cnfuite , livré au pape Clément VI ,
qui le retint prifonnier dans Avignon , renvoyé k Rome
par Innocent VI , où il fut reçu comme libérateur
de fa patrie , eut enfin le fort de fes pareils : il fut
maffacré dans une émeute populaire. Cet homme fîn-
fulier afeâoit toute la hauteur de Tancienne Rome ,
ont il prétendoit rétablir la fplendeur y citant les
{)rinces k comparoître devant lui comme empereur de
'univers : il prenoit pour titre, Nicolas, chevalier,
candidat du oaint-Efprit , févere & clément , libéra-
teur de Rome , zélateur de l'Italie , l'amour du monde,
tribun , augufte. Né avec l'éloquence & 1 gudace des
Grecs , fans avoir leurs vertus, il fut comme eux l'idole
paifagere, & la viâime de Tinconftance des Romains.
L'opinion commune atribue au roi Jean le privi- ^ç^J^^P'^^J?
leee, par lequel tous les membres du parlement étoient vcurdu^priic-
afrancnis des drgit^de péage pour leurs vivres, j^ afin «»cnt-
» quêtant libres de tous obltacles & empêchements, R^g'fi'-i A.
yy ils ne loient ocupés que du iom de donner.au rot yb/.i?,rr^a.
» des preuves de leur atachement k fa perfonne , & de ^^'^- ^'^fo.
yy leur zèle pour le bien de l'Etat v. Cete déclaration ^rdo'nna^^^^^^
n'acordoit pas k la cour ' une exemption nouvele :
par des lettres de l'année précédente 1352, il cft ex-
preffément marqué que le cnancelier , le parlement ^ la
chambre des comptes , les gens du roi , les tréforiers
de France & les fecrétaires du roi jouiffoient depuis
un temps immémorial d'une exemption entière de
tous droits de péage , de tonlieu , de coutume , de
chauffée , de travers , & généralement d'exaâion quel-
conque pour les blés , grains , vins , animaux , bois ,
ic autres provifions néceflaires pour leurs maifoos.
i€f6 Histoire de Frakce,
' Les lettres qui furent données pour les maintenir dan^
Ann. 1^64. cete franchife, menaçoient en même-temps les rec^
yeurs qui les troubleroient , d'être chafT^s de leurs em-
plois , & punis exemplairement. Les plaintes de Si-
mon de Bufly , premier préfîdent , & de Jacaues d*A-
delaincourty confeiller au parlement ^ contre les exac-
teurs des ponts de Mantes & de Meulan, donnèrent
lieu k ce renouvélement des anciennes immunités dç
la magiftrature.
CHARLES
Z/.' R in/ iù Thune ,
i[[r^"|:i^
CHARLES V.
.- France paroifToît réduite au dernier degré ss
d'abaifibment. Il y avoic peu d'aparence qu'elle put fe Aniu xK4f
relever fîtôt de tant pertes. Mais il eft dans tous les JEtats^
Ôc fur-tout dans le nôtre y des reflburces qui n'atendenc
]>our fe manifefter , que les lumières d'un génie aâif ^
qui fçache faire jouer à propos^ ces refforts inconnus
au vulgaire. Uo prince éclairé peut tout , lorfqu'atentif
à profiter des circonftances , il fçait alier là fageflè k
la vigilance. Charles, d'une lanté délicate , peu propre
aux expéditions militaires , monta fur le trône dans un ^
temps où la conjonâure préfente fcmbloit exiger un
prince guerrier, dont la valeur fut capable de repouf-
1er un ennemi devenu trop puiffant , & de rétablir les
limites de l'empire. Ce roi , du fond de fon cabinet ^
exécuta fans tirer l'épée ce qu'on auroit k peine ofé fo
promettre du plus grand capitaine. Le règne de ce mo-
narque , malheureufement d une trop courte durée , va.
prouver combien la fupériorité des lumières l'emporte
lur l'excès du courage : il nous donnera une jufte idée
des vertus les plus eflencieles dans un fouveîrairi. Charr:
les V peut aprendre à tous les monarques la routé
qu'ils doivent fuivre pour fe couvrir de gloire , rendre
leur Etat floriflant , & affurer la félicité des peuples
que la Providence leur a foumis. Il portoit dans un
corps débile une ame forte , intelligente & courageufe ,
qualités dont la droiture de fon cœur ne lui permit
jamais d'abufer. Il montra que la faine politique &. la
probité font inliéparables : incapable 4e tromper , il
*^ TomcV. Pp
È^% Hxsxoi&s DE Francs^
' ne fe laîfla jamais furprendre. Il foutint avec vigueur
^ûii- »3^4- k$ démarches aucorifées par la juftice. Eprouvé par les
concradiâions , il fe forma une habitude de confiance
que rien n*étoit capable d'ébranler : enfin il enchaîna
la jfbrtune par les liens les plus folides & les plus ho-
norables , fa fagefle & la probité. Il aquit la connoif-
fance des hommes j connoiflance fi néceflaire à ceux
qui fopt chargés de les conduire : il mit en ufage leurs
bonnes qualités pour le bien du gouvernement. Il fit
{>Ius y il t}):a même quelque utilité de leurs défauts :
a prudence préfidoit à toutes Tes aâions. Sa bonté
tempéra la févérité de la juftice : il défendit fes fujets^
il les foulagea ^ il anima les fciences & les arts par Ton
exemple & par les récompenfes dont il les honora : il
fut généreux avec économie , également éloigné de l'a-
varice & de la prodigalité : exaâ à remplir les obli-
gations facrées de la religion , il fut pieux par goûc
autant que par devoir. Quoiqu'il fût la meilleure tête
de Ton confeil , il écoutoit tous les avis , & ne rougif^
foit pas de réformer le fien. L'Etat reprit une nouvelc
face fous la domination de ce grand prince ; la nation
recouvra fon ancien luftre. Il travailla toute fa vie
pour le bonheur de fes fujets , il les aima, il en fut ai-
mé , il mérita leur plus tendre atachement : c'eft le
plus beau trait dont on puiiTe couronner fon éloge.
Etat da Avant que d'entrer dans le détail des événements de
royaume. ce rcgne , il ne fera pas inutile de jeter un coup d'œuil
fur le tableau du royaume , & de le confidérer un mo-
ment dans les diverfes parties relatives au gouverne-
ment politique & civil : car c'eft dans ces fources qu'il
faut cnercher 1 origine des vertus & des vices domi->
nants dans un fiecle^ L'adminiftration bonne ou mau-
vaife ébranle en quelque forte la mafle entière d'une
aation , & forme ton caraâere général , dont la direc-
tion dépend abfolument du fouverain qui la gouverne.
Torcctmili- La prorfèflion des armes y toujours honorée en France
^'^* depuis rétabliflenaent de notre monarchie , s*efl Main-
tenue dans toute ia fplendeur pendant près de quatorze
. Charles V, 299
fîecles , malgré ccte multitude de changements furve- '■
nus dans la conftitucion de TEtat. Les François de nos ^^^ M ^4*
jours volent aux combats avec la même ardeur & la
même intrépidité <}ui animoient leurs ancêtres fous les
CloVis y les Carlovmgiens , & les fuccefTeurs de Hu-
gues Capet. Le^ même efprit guerrier règne parmi no*
tre nation , & ce feu martial qui la remplit , n'a befoin
d'autre aliment pour s entretenir , que cle la confidéra-
tion & des honeurs atachés de tout temps k Pétat d'hom-
me de guerre. Un peuple feniible à la gloire , 6c qui
fait tout pour elle^ feikibleroit être invincible : mais
une longue fuite d'expériences nous aprend que la
valeur n'eft pas toujours le garant de la viâoire : rexcès
même du courage peut être nuifible y lorfque tournant
contre lui-même les propres éfbrts , il fe livre à la
préfomption & k la témérité , fuites trop ordinaires
d'une confiance aveugle. L'hiftoire des règnes de Phi-
lippe de Valois & de Tean , préfente naturélement ces
réflexions. Le (iecle où vécurent ces princes cft fertile
en guerriers ; Tétat militaire jouiffoit alors de la plus
grande coniidération : c^étoit le feul état honorable. A
ce motif de gloire , plus que fufifant pour échaufer
jQOtre nobleife y fe joignoit encore la raifon d'intérêt : ^
c^étoit dans cete cariere brillante que fe faifoient le$
fortunes rapides y on s*enrichiiIoit en combatant : plu-
£eurs profeflions devenues de nos jours fi profitables
Î>our ceux qui les exercent y étoient alors ignorées ou
anguifiantes : on n'aauéroit de Tilluftration & des richef-
fes que la lance ou Tépée à la main. Cependant mal-
gré tant d^avantagcs prodigués aux gens de guerre,
jamais nos armes n'a voient été fi malheureufes. Les
fiœeftes Jour nées de Crécy & de Poitiers nous couvrir
rent de honte : l'Etat ébranlé penfa devenir la proie
de nos vainqueurs. Ces malheurs paroiira|| ipcom-
préhenfibles au premier afpeâ. La furprife difparoî-
tra peut-être en examinant quele étoit alors notre ma^
nîere de faire la guerre , quels ufages on obfervoit
dans les combats, & fur- tout de queles efpeces de
Pp ij
300 Histoire de Frahc^^
' troupes nos armées étoient compofées : c'cft dans €6t
Ann. 14^4. examen qu'on doit démêler le vice caché qui produifit
ces revers étonnants.
Armées. Depuis long-temps la fbrCe de nos armées réfidoiç
{)rincipalement y pour ne pas dire uniquement , dans
. . ^ a cavalerie. Tout homme de guerre étoit un comba*
g^J.^ ^"^^^^" tant à cheval , & c'eft la raifon pour laquele nos an-
Memoîre de ciens écrivains rendoient en François Texpreffion de
littérature, milcs y par cclle de chevalier, dont Tufage fubfîfte en-
t^ncTZl&l core & n'cft réfervé que pour la haute nobleffe. On a
Valérie , par VU dans les commeucemcnts de cete hiftoire Tinftitu-
M,de Sainu. tion de la chevalerie , l'éducation de ceux qui étoient
"^ ''^'' admis à cet ordre , une partie des cérémonies prati-
quées à leur réception , & des prérogatives atachées à
leur état. Les chevaliers étoient en quelque forte égaux
à ce qu'il y avoit de plus grand en France , honorés
de Tamicié & de la familiarité des plus illuftres prin-
ces, qui fe faifoient gloire eux-mêmes de cete qua-
lité. La chevalerie pouvoit être confidérée comme Tame
de la nation , en ce qui concernoit le gouvernemeoc
politique & militaire : elle avoit même la^ meilleure
part au eouvernement civil, malgré l'introduâion des
cens de lectres dans Tadminittration des loix. Tous {les
honeurs étoient réfervés pour les chevaliers : les jeux ,
les fpeâacles , les fêtes , avoient toujours quelque ra-
port à cete inftitution. Leurs privilèges étoient fans
nombre , leur caraâere étoit indélébile , à moins que
auelque trahifon ou quelque lâcheté ne les en fiflent
déchoir. Rien ne pouvoit les priver de leurs droits,
jufque-là que les chevaliers clercs pouvoient fe ma-
rier & confèrver les prérogatives de la cléricature.
JLeur état à la vérité leur impofoit les plus étroites
chScrî. obligations. La chevalerie dans les beaux fiecles de
fon infUfeition , étoit un exercice confiant de ce que
rhéroïfi^a de plus fublime & de plus dificile dans la
pratique. Leurs fautes étoient plus févérement punies
que celles du refte des hommes. S'ils fucomboient dans
les jugements , ils étoient condanés à de plus fortes
G H A R I E s V# 301
amendés que les fimples écuyers. Leurs fervîces mi- —
licaires étoienc doubles (a). Toujours en adion , leur Ann, 13^4.
vie fembloic être ly combat continuel , ils n'étoient
prefque jamais libres de fe refufer à une entreprife
utile ou nonorable , & les ocafions de fe fignaler, quoi-
oue fréquentes , fufifoient encore' k peine à leur avi-
dité pour la gloire.
Les obligations que les chevaliers promettoient de Vœux parti-
remplir, lorfqu'ils etoient reçus, oaroiflbient renfer- ^"^^^"•
mer les devoirs de leur état , & ces devoirs étoient aflez
pénibles par eux-mêmes, fans chercher encore à les
multiplier : cependant ils étoient dans Tufage de s^im*
pofer des loix particulières pour de certaines entre-
f>rifes qu'ils faiioient vœu d'acomplir dans un temps
imité & à des conditions prefcrites. Pour donner une
idée de ces vœux , & des formalités qu'ils obfervoient,
il fufîra de raporter le cérémonial de celui qu'on peut
regarder comme le plus authentiaue. On le nommoit
U vœu du fiaon ou au fai/àn. Ceft le fçavant & labo-
rieux Académicien dont les profondes recherches ont
ëcla^irci Thiftoire de notre ancienne chevalerie , qui noqf
fournit ce détail curieux. La fingularité de ce vœu nous
retrace cete fimplicicé groffiere de nos aïeux , qui
alioient les cérémonies religieufes avec les pratiques de
la fu perdition la plus infenfée & la plus ridicule.
Le jour deftiné pour cet engagement folennel, une pétc fingu-
dame ou une demoifele magnifiquement habillée , fe J|^^« • ^<^" ^^
rendoit au lieu où les chevaliers avpient été convo- *^*°'
qués : elle portoit un baffin d'or ou d'argent , fur lequel
etoit un paon, ou faifan, quelquefois rôti, mais tou-
jours paré de fes plus bêles plumes. La dame préfenr
toit l'oifeau à tous les aififtants à tour de rôle , afin
que chacun d'eux fit fon vœu fur l'animal : elle le
pofoit. enfuite fur une table pour être diftribué, &
(a) Il fut ordonné aux chevaliers en 141 x , aa fiep;e de Dun-ie-Roy > de porter
hait fafcines, tandis que les écuyers n étoient obligés d'en porter que quatre.
M^m, délit, tom,XX, pag.éô'j, Dijftrt, fur t ancienne cheva/irû j par AL de
la Curne de Sainte-Palaye^
30X Histoire de France,
^ choififToit dans raffemblée celui qui étoît eftimé le
Attn. i|#4. plus brave, pour qu'il fît la difleâion de Tanimal.
L'habileté confîftoit à le parcager^e manière c^ue tous
les chevaliers préfents en puffent avoir une parue. Phi-
lippe-le-Bon duc de Bourgogne , renouvela cete an-
.cienne cérémonie de la manière la plus folennele. Il
donna un fuperbe banquet dans une fale alfez fpa-
cieufe pour contenir , outre les tables j une infinité de
machines & de décorations. Il y parut des figures
d'hommes & d'animaux extraordinaires , des arbres ,
des montagnes , des rivières , une mer y des vaifieaux.
Ces objets artificiels étoient entremêlés de perfonna*
ges , d oifeaux , & d'autres animaux vivants , qui
écoient en mouvement dans la fale ou fur les tables p
repréièntant des aâions relatives au deflein du duc.
Au milieu du repas ^ un Sarazin d'une taille gigan*
tefque parut , un éléphant marchoit à fa fuite portant
un château , dans lequel étoit renfermée une dame
éplorée , revêtue, d'un habit blanc de relipeufe : cete
dame repréfentoit la religion. Lorfau'elle fut arivée
Rêvant le duc , l'éléphant s'arêta , & la dame Religion
ouvrant une des fenêtres du château , prononça une
complainte fur les maux que lui faifoient éprouver les
infidèles , & fur le peu de zèle que témoienoient pour
fon fervice ceux qui étoient chargés par «at de l'obli-
gation de la fecourir. Alors le roi d armes portant un
faifan fur le poing , entra précédé d'oficiers d'armes ,
il introduifit devant le duc deux autres dames & lui
ofrit l'oifeau , orné d*un colier d'or enrichi de pierre-
ries & de perles : il lui préfenta en même -temps la
requête des dames , à laquele le duc répondit par une
promefle de combatte les infidèles. Le commencement
de cete promefib étoit conçu en ces termes : Je voue
à Dieu mon créateur tout premièrement y & à la très
glorieufe f^i^J^^ > Jà mère or après aux dames & au
faifan , &c. Toute la cour du duc acompagna ce vœu
dune aclamation générale, en fuite de laquele les che-
valiers préfents à cete fête, firent chacun leur vœu
Charles V. 303
particulier : ces vœux étoient des pénitences arbitrai- :
res 9 teies que de ne point coucher dans un lit, de ne Ann. 13^4*
point manger fur une nape , de fe priver de viande
ou de vin certains jours de la femaine, de ne porter
qu'une partie de leur armure , ou de la porter toute
entière jour & nuit , & autres femblables obligations
auxqueles ils fe foumettoient volontairement , jufqu'k
ce qu'ils euiTenc acompli leur vœu.
Après ces promelTesy la dame vêtue de blanc def--
cendit du château apelé le château de la foi, & vint
remercier raiTemblée, à laquele elle préfenta douze
dames conduites par autant de chevaliers. Chacune de
ces dames portoit fon nom écrit fur un rouleau ataché ^
à fon épaule , à-peu-près femblable à ce au'on voit en-
core dans nos tapifleries antiques. Sur le rouleau de
la dame du château repréfentant la religion, étoit
écrit le nom de Grâce de Dieu qu elle portoit aufTi :^
les noms des douze autres dames étoient Foij Charité,
Jufiice y Raifon , Prudence j Tempérance ^ Force , yé--
rilé j LargeJ/èj Diligence , Efpérancc & Vaillance. Lorf-
que la Grâce de Dieu eut reçu les rouleaux fur lef-
quels étoient gravés les noms de fcs douze compagnes ,
elle forma un balet avec elles , & toutes enfin , difenç
les écrivains de oui cete particularité eft extraite , corn--
mencerent à danjer en guife de momerie , & à faire bonne
chère pour remplir Çf rachcver plus joyeufement la fête.
!Les balets de nos opéra dans lefquels nous voyons
danfer la Viâoire, la Gloire, TAmour, la Haine, les
Furies , les Dieux , les Démons , &c. ofriront peut-^
écre dans quelques fiecles à nos defcendants des fin-
gularités aufli peu raifonnables , & dont Tufage à tous
égards n'a pas pour objet une fin auffi utile & aufli
honorable.
Les honeurs exceflifs rendus aux chevaliers , la con- inconvénients
fidération dont ils jouïiToient, la générofîté même àc At\z AtvTXc-
ceux qui exerçoient cete profeiflion , n'empèdherent pas "rgnoranccr
qu'il ne fe glîfsât parmi eux -des abus qui fe perpé-
tuant & fe multipliant dans la fuite , contribuèrent à
304 Histoire de France,
! les rendre moins recommendables. On peut regarder
Ann. ijtf4. fur-cout Tignorance à laquele ils s*habituerent , comme
une des principales caufes de leur aviliffement. Les
chevaliers , dans Torigine de leur inftitution , écoient
obligés de s'inftruire dans les lettres , en même-temps
qu'ils fe formoient au métier des armes : ils négligè-
rent infenfiblemenc cete première partie de leur éou-
cation , & ils pouffèrent cet oubli fi loin , que les
exercices militaires devinrent Içur unique ocupacion.
Les mieux inflruits fçavoient à peine lire : la connoif--
fance des lettres étoit en quelque façon réputée bon-
teufe pour un gentilhomme : elle étoit prefque une
indice de roture. Cete négligence entraîna nécefTaire-
ment après elle Timprudence & l'indocilité : un cheva-
lier ne connut bientôt plus d'autre frein que les loix
de convention , que les guerriers s'étoient impofées
entre eux* Leur religion dégénéra en pratiques iuperl^
titieufes , k la faveur defqueles ils fe croyoienc tout
permis. Un trait d'Etienne de Vignoles , dit la Hirc ,
oui vivoit au commencement du fiecle fuivant, peut
faire connoitrequele étoit la piété militaire. Il étoit près
d'entrer dans Montargis que les Anglois afliégeoient ,
Iprfqu'il rencontra un chapelain auquel il demanda l'ab-
folution. Le prêtre lui dit de fe confeffer : la Hire ré-
pondit qu^il n^en avoit pas le loijîr , car ilfaloit pront'^
ptcmcnt fraptr fur Us ennemis : qu^au-^rejle il avoit fait
tout ce ^ue les gens de guerre ont acoutumé de faire ,
fur quoi le chapelain lui bailla Vabfolution ule quele^
La Hire abfous fit fa prière à Dieu en ces termes;
Dieu , je te prie que tu fajjes aujourd'hui pour la Hire
autant que tu voudrois que la Hire fit pour toi s^il étoit
Dieu y & que tu.fujfes la Hire. Quelç étrange dévo-
tion, dans laquele cependant on découvre qne droi-
ture de cœur eflimable.
La difTolution , fuite de l'ignorance , engageoit les
gens de guerre dans les écarts de la plus exceffive pro-
digalité. Pour réparer le défordre de leurs fortunes ,
il n'y eut point d'çxpédient auquel ils n'eulFent recours,
pourvu
Charles V. 305
pourvu que le genre de brigandage qu'ils fc permet- J
toienc ne choquât point les règles de la chevalerie. La ^^s. i|«^
plupart ne firent plus la guerre que pour avoir oca-
lion de piller. Talbot, général Anglois, difoit que Jt
Dieu était homme d^armts , il ferait pillard. L'indé-
pendance de ces guerriers favorifoit leurs injuflices y
en leur procurant Timpunité. Un courage , qui n'a
d autre mobile que Tavidité du gain ^ ne tarde pas à
dégénérer.
Le trop grand nombre acrut encore le défordre. Çaufesdela
La facilité avec laquele on créoit les chevaliers , en décadence de
introduifit une multitude indigne d'être admife à cet ^* *^'*^^*^«"^-
honeur. Cétoit la coutume de conférer cete marque
tie diftinâion fur le champ de bataille avant le com-
mencement de l'aâion. Fnilippe de Valois ^ au camp
de Vironfofle , étant en préfence de l'armée Angloife^
£t quantité de chevaliers : on ne combatit point ; & il
n'y eut d'autre événement en cete ocafion que le paf-
fage d'un lièvre entre les. deux arm#s ^ ce qui fut
çaufe qu'on apela les nouveaux reçus les chevaliers du
Lièvre^ Les diftinâions honorables inventées pour ré-
compenfer la vertu , doivent fuivre , non devancer les
aâions par lefdueles on peut les mériter. Que diroit-on
de nos jours y li nos princes acordoient la croix de faine
Louis 9 objet de l'ambition de nos guerriers ^ à dès
oficiers qui entrent au fervice ?
Ces abus fréquents avoient déjà rendu trop commua
un titre dont oa auroit dû être avare pour lui confer-
yer fon premier luftre. ^L'inftitution de l'ordre de l'E-
toile 9 fi nombreux dèa fon origine 9 porta une nou-
vele ateinte à la chevalerie. On en afoiblit encore plus
l'éclaf en le conférant k des villes entières; teles auà
Paris & la Rochelle. Mais ce qui mit le comble à iV
viliflement de cete qualité , ce fut de la voir profti*
tuéb à des jongleurs y à des baladins , à des ménétriers.
Ce n'étoit pas illuftrer ces profeflîons : c'étoit déshono-»
rer fans refTource la prétendue diiïinâion dont on Içs
4^coroit.
TomcV. Qq '
I
!
3^^ Histoire de Frasce,
' Un des plus grands vices de la chevalerie > & dont
Aaa» X jrf4* Tinflitution n'avoit pu prévoir les funeftes conféquen*
ces, fiit l'habitude introduite de faire des courfespar»
ticulieres , pour fe fignaler dans les provinces étrange*
res y fur-tout pendant les premières années qui fuivoîent
les réceptions. Les chevaliers nouvélemenc armés aloîenc
chercher les aventures. Ces chevaliers errants > pro-
teâeurs de Tinnocence , ndrcffeurs des totts , & fur^
tout dévoués aux dames , établiuoient quelques pas alar-
mes y s'ofrant de foatentr contre tous a(&ullants la
beauté de leurs amies. Parmi ces vertueux baladins ,
il s'en trouva de mccurs très équivoques , qui ne fe
I firent pas un fcrupute d'abufer du refpeâ qu'on avoit
pour leur profeflion, & de l'avantage que leur don*
noit leur armure de fer , qui. ks couvrant entière-
ment , empèchoit qu'on ne les connût. Uardeur du
butin étoit un puimnt motif de valeur : les chevaux t
les armes , la dépouille entière Àa vaincus devenoicnt
la proie des vâÉiqueurs. Flufieurs fe transfbrmeient ea
voleurs de grands chemins , rançonnèrent les campa-
gnes^ & déoroufferent les paiFants, le tout en l'no-
neur des dames. A l'exemple des gentilshommes y qad>-
ques roturiers Se foldacs de fortune fe mafqueirenc, &
s^abillerenc de fer > &ns refpeâ pour les loix de h
dievalerie^ qm isncerdifoient cete armure à tous autres
qu'aux chevaliers. Ces nouveaux brigands s'enfaardbH
renc, s^affocîerent , formèrent des troupes redoutablies ,
& forcèrent les* princes & les rots mêmes de compo-
fer avec eux , 6c d'acheter leurs fecours. IL falote bien
reconnoftre pour chevaliers des gens qui içavoienc ic
feire craindre. Les défordres afreux coamûs par ks
compagnies fous ces règnes , étoient aMocifés par i\i-
fage de la guerre y dont les chevaliears avoknt doimé
Fexemple y qui gagna jufqu'au peuple : & la nation ,
confiderée comme guerrière > fut corompue par FefÎHric
de brigandage.^
Défaut dans ' L'habitude de L'indépendanœ; rendoic les chevaliers
les armes. plus propres aux comoats particuUers qu'aux aâttins
Chariss V. 307
générales , donc le fuccès dépend autant du concert ■
unanime 9 que de la bravoure des combatants. Dans Ann. i)^4«
les batailles , leur valeur avoit moins pour objet le defîr
de déterminer là viâoire en faveur ce leur partie que
de faire um apertifc d^ armes ^ ou de s'emparer de quel--
que prifonnier. ïis cherchoient à ie (ignaler ou à s'en-^
richir. Combien de fois arivoit-il qu'ils fortoient de
leurs rangs pour s*atacher k quelque guerrier plus apa-
rent que les autres ! L*avoient-ils contraint die fe ren-
dre , ils ne paroifibient plus , dans Tapréhenfion de
perdre leur proie. Ajoutons aux défordres perpétuels
3ue ces mouvements dévoient ocaiionner , l'embara»
es écuyers qui acompagnoient leurs maîtres unique-^
ment pour être témoins du combat y porter leurs ar-
mes 9 tenir leurs chevaux y & les relever en cas qu^ils
fuffenc Knverfés* Pour peu qu'une troupe fujete à tant
^inconvénients fôt ébranlée^ la conluhon dévoie être
borrible» & ne lailfer aucune efpérance deraliement,
lorfqu^elle étoit rompue.
Les cbevaiiers Anglois n^avoient il la vérité aucune
fupériorité fur tes nôtres ^ car tout étoit égal des denx
côtés ; mais ils Temportoient fur nous par leurs ar^
chers. Ce fiit à ces troupes , que Tefprit de chevalerie
dédaignoit ^ qu'ils durent les viâoires de Crécy & de
Poitiers. Nos archers manquoient d'adreffe y Ôt les
François faifoient fi peu d'eftime de cete milice y qu'ils
fe fervotent d'étrangers , plutôt que de s^ataoher à for«-
mer de bons archers nationaux. Il n'en étoit pas
de même des Anglois qui en avoient d'excellents. Cet
exercice étoit cultivé avec foin en Angleterre, ai le
reccBuil des àâes publics de cete nation contient plu*-
fieurs ordonnances des rois à ce fujet. Ces archers
tenoient en quelque foirte lieu d'infanterie. Les Fran-
çois ftmtirent ce défaut : mais loin d'y remédier par
un (emblabie établiiïèment y ils eurent recours à 1 ex-
pédiait de démonter leurs hommes d'i^rmes, quii ne
pouvoient fe mouvoir que dificilement y étant emba*^
raffés , ou plutôt acablé» fous le poids de kurs arment
Qqij
3o8 . Histoire de France,
, . . . On peut inférer de PimperFeôion de notre milice,
Ann. ij^4* que dans les batailles où l'ordre obfervé par les combà-
tants décidoit tout, nous devions être autant inférieurs
à nos ennemis , que nous l'emportions fur eux dans
les ocafions particulières , où il ne s'agifloit que de
combatre d'homme à homme. Auffi doit- on remarquer
que dans toutes les afaires oui fe palToient entre de
petits corps de troupes détachés , l'avantage nous de-
meuroit prefque toujours à nombre égal.
Tel étoit à- peu- près dans le quatorzième fiede l'état
de nos troupes ^ au nombre defqueles il eft inutile de
compter les milices des communes , foldats peu agué-
ris, fans difcipline & prefque fans armes, qui mar-
choient à Tennemi fous . les bannières de leurs paroif-*^^
fes :.on les voit toujours taillées en pièces.
Armes oftn- Les armes ofenfives étoient à -peu -près les mêmes
W*^*^"** que celles dont on fe feçvoit depuis long - temps, teles
que la lance , l'épée , le poignard , la hache d!armes ,
le bâton féré, la mafTue, le maillet. Tare & l'arba-
îlete. On employoit encore. pour armes défenfives, les
boucliers, pavois, targcs, ou écus : maïs on ne faifoit
{>rçfque plus ufage des hauberts , qui étoient des ch^
niifes de doubles . mailles de fer forgé , fous lefqueles
ron mettoit encore des jplatines de même métal. L'in-
commodité de cete armure par-deifus laquele il ialoit
{porter un gambijfon ou Jacques , fut caufe c^on lui
ùbititua l'armure de fer complète^ qui n'étoit encore
que trop embarafTante.
Ataque «c L'ataque & la défenfe des places n'avoit. point encore
Jéfcnfc des ^éprouvé de changement conndérable. On a vu fous les
^^*^^^ règnes précédents quele étoit la forme des fieges. L'u-
fage de la poudre & des canons étoit déjà connu : ce-
pendant nous avons trouvé jufqu'ici peu d'ocalîons
dans lefqueles on les ait employés , foit négligence,
foie habitude de fe fervir des anciennes machines , plus
: propres peut-être à l'ataaue des places par la nature des
fortifications. Cete terrible invention eft plus ancienne
quon ne lé peuTe communément, s'il eft vrai, ainfi
, Charles V. 309
que Tavance l-hiftoriçn de l'Empire , qu'on voit à Am- — ■ ■
' berg une pièce de canon fondu en 1301. .A"°- ^3^-^-
Quoique les rois entretinfient peu de troupes réelées , i^opuiation de
il leur étoit cependant facile de former de grandes ar- ^*^'^°^^'
inées(û). On a vu Philippe de Valois & Jean fon fil$,
au premier fignal de guerre , alTcmbler des corps de
troupes de quatre-vingt ou cent mille hommes. Une
nombreufe population fupléoit au défaut de prévoyan-
ce ^ & Ton ne peut que blâmer Tufage où l'on étoit
alors d atirer en France des troupes étrangères , tandis
Gu'on ne devoit pas manquer de foldats nationaux.
Dans prétendre entrer dans la difcudion des caufes mo«
raies ou phyfiques qui ont diminué le nombre des
habitants 9 dn raporce comme un fimple fait, que le
royaume étoit beaucoup plus peuplé qu'il ne l'efl au-
iourd hui. Au commencement du règne de Philippe de
Valois on comptoir deux millions cinq cent mille feux
dans les feules terres dépendantes de la couronne âc
fujetes à l'impofition de l^aidc Ces terres ne faifoient
pas k beaucoup près le tiers de Tétendue que renferme
aujourd'hui le royaume : on n'y comprenoit pas alors
les provinces poilédées en France par le roi d' Angles-
terre & de Navarre , les grandes feigneuries de Guien-*
ne, teles que les comtés de Foix & d'Armagnac 9
Baïonhe & fes dépendances , le Rouf&Uon , la %our«
gogne , la Franche -Comté, la Flandre, le Hainaut ,
k Cambreiîs , l'Artois y la* Bretagne , l'Alface , la Lo-
raine, le Barois ,^ le Dauphiné , la Provence. On peut
afirmer fans exagération , que la France renfermoit
alors dans fon fein huit millions de feux : ce qui for-
me , en comptant trois perfonnes par feu , un total
de vingt-quatre millions d'habitants, fans compter les
feigneuries écléliaftiques & féculieres, qui ne furent
pas aiTiijéties au dénombrement qu'on fit alors. Qu'on
ajoute à ce calcul les célibataires , les ferfs ; car mal-
(tf) Etat da fubfide impofô par feux en i ; 18 , tranfcrit dai^s un MS. du temps»
Ce MS. intitulé , Voyage^Outremer « eft à la bibliotK. royale » faos nu(nero
extérieur, il eftcâté au premier feuillet verfo , H. num. xx. -
310 Histoire ds France,
!5!5== gré le afranchifiemencs des communes , il y avoît en-
Ann. 15^4. cote beaucoup de familles qui n'avoient pas aquis la
liberté , & qui ne furent point comptées ; un clergé
compofé d'une multitude immenfe d*écléfiaftiques & de
{)erfonnes religieufes dos deux fexes ; les univerfités &
e corps entier de la nobleffe y tous exempts de fubfide ,
on fera éfrayé du dépérifiemtnt fenfible de l'efpece hur«
maine depuis quatre fiecles.
La vertu eft ^ lé^iflation (b perfeâionnoit tous les jours. Les
le principe de rois avoieut paru atefitifs à réformer » à prévenir mè->
vcrncmcnr" me les abus par une multitude de fages ordonnances :
cependant PËtat n^étoit pas plus â^iâant que dans
les fiecles précédents. Que peuvent les meilleures lois
fana les mœurs ^ La vertu , dans quelque fens qu*oi|
Tentende , eft aufli néccifiairQ dans les monarchies qua
dans toute autre forme de gouvernement. Elle eft
eftenciele dans les princes ^ dans leurs tniniftses , dans
les interprètes des loîx , dans ceux qui doivent les ob-*
ferver. Il eft tant de moveos d'éluder les loix les plus
claires & le$ plus préciles, que leur obfervation dé^
pend moins de leur force coaâive que du concours
volontaire de cous ^s ordres , ôc ce concours ne peut
- extfter dh% qu^un honeur fa^ce tiendra lieu de vertu.
Si Tamour de la patrie eft banni , fi tous les mem««
bres de la fociété uniquement ocupés de leur intérêt
particulier deviennent injuftes , vicieux ^ foibles &' mé-
chants , vainement les lois les rapéleront au bien gé-
néral : elles n'auront de vigueur que- contre ceux ^ui
ne pouront s'y fouftraire y & bientôt elles ne contrain-
dront perfomie. Il nV a point de ciment qui puiffe
{>révenir la, diflbtudon a^ln corp politique dont toutes
es parties font divifees entre elles. Ces réflexions plus
convenables fans doute k un traité de morale y n^au*
roient pas trouvé plasce dans cote biftoire , fi Pun de
nos plus fublimes écrivains , dans un ouvrge où il
dévelope en homme de eénie les principes des loix
& des gouveraernei^ts , n^voit avancé cet étrange pa-
radoxe /que la vertu aUfi point k pfincipt du gouv^^
CjlLARXSSV. 311
ntment monarchique. Gardons - nous de difpenfer le "" ^^^
genre humain de vertu. C'efl: fur la fagefle & rincé* Ann. i}64-
gricé des magifirats, c'eft-à-dire^ fur ceux de l^urs
lujets qui deroient alier dans un degré plus éminenc
les vertus de Tame aux lumières de refpric, que nos
monarques fe repofoienc du foin de veiller au itiain--^
tien des lotx anciennes & des nouveaux règlements*
Il a déjà été parlé des cours fûuverainei ^ à la garde
defqueles étoit confié le précieux dépôt de nos cpnfti*
cucions. 1\ ne refte plus qu'à io former une idée des
}urifdiâion9 inférieures»
La France étoit diftribuée en bailliages pour le» pro^ Jarirdîaions
vinces où l'on iiiivoic la coutume y & en fénéchauâées \^^^^^^ ^
pour les pavs de drcnt écrit. Les fénéchaux & baillis lUcœlu des
exerçoient leurs emplois par commiilion du prince, ordonnances.
révocable à volontés Les charges de prévôts & de K^^^xm
vkomtes furent conférées par les rois , tantôt k. titre " ^ '*
de garde^ caiitôt à titre de ferme : dans ce dernier cas
elles s'adjugeoient au plus ofrant & dernier enchérii^
icar^ Cete forme de bail des émoluments de la juftice
ofiroit un apas dangereux pour la cupidité des adju^
dicataires : il étoit bien tnfte de ne trouver fouvene
^ua avare fermier à k place d'un nMgiftrat équitable
& défintérefFé : auj]^ les viUes , dit Paf^uiet f afcShn-'
noient Us prévôts tn garde comme ceux qui par leur prud^
honrnm ttoicnt apelés à ceU charge fans bourfe délier*
CeiRJuges & ofiçiers royaux avoient droit de réfor-^
mer léS abus commiis dan3 les jurifdiâioiis des feigneurs
& prélftts , & de punir les ofioers prévaricateurs. Corn-»
me b pliipart des fénéchaux & baillis exerçoient en
iDiâme- temps la profeilion des armes, ils commet-
foienc des lieutenants pour ocuper leurs fieges lorP»
(}0^s. étoient abfents. la^s revenus du domaine étoient
reçus par les baillis & par les iénéchaiix , chacua
dans leur département, & les fommes reçues^ étoient
remtfes par eux aux receveurs généraux que le roi
nommoît k cet éfec) em forte que le partage obfervé
pour l'exercice dc^pi jufiicc daas le Yojraume^ étoic 1&
312 Histoire de F&ance,
■ même que celui qu'on fuivoic pour Tordre des fînan*.
Ann. 15^4. ces. Ces oficiers rurenc encore chargés de la réparti-
tion & de la levée des nouveaux fubfides » juiqu'au
temps où les adminiftrateurs & réformateurs généraux
fur le fait des aides & des finances , & les élus pro-
vinciaux choiiis pair les Etats & confirmés par les
rois, introduifirent un nouvel arangement, & chan-
gèrent dans la fuite l'ancienne divifion de la France
en bailliages & fénéchauffées , à laquele on fubftitua le
rrtage du royaume en généralités & en éleâions. C'eft
ces généraux des finances que l'on raporte l'origine
de nos cours des aides.
Monnoies. Sous les règnes précédents^ & fur«*tout fous ceux
Recœuildes de Philippe & de Tean> la valeur des monnoies avoit
^'Mémtrid^dt ^P^^^vé des variations fans nombre. Les rois féduits
laChambrtiUs P^r la facilité de cete relTource, ne l'avoient employée
Compus. aue j;rQp fréquemment, promettant à chaque mutauon
de n'y plus avoir recours, & ne fe faifant aucun fcru-
pule de violer cete promeffe. Pour donner une idée
au gain prodijgieux que ces changements produifoient
au roi , il fufira de ra porter un feul exemple des abus
ocafionnés par l'infbabilité des monnoies. Le prix du
marc d'or & d'argent étoit fixé par l'ordonnance du
prince. Supofez le marc d'argent à huit livres cinq
V}\x^ y un nouveau règlement ordonnoit une refonte ,
& que les vieilles efpeçes fufient prifes aux hôtels d^
monnoies fur le pied de fept livres le marc : cela for-
jnoit pour le profit du prince un bénéfice de *vîn«-
cinq Tous. On compte dans une feulé année onze ra-
brications fucccflîves de nouveles efpeces : le prince '
dut donc retirer par ce canal treize livres quinze fous
par marc de tout l'argent monnoyé dans ion royau-
me , c'eft-à-dire^ prelque le double de ce qu'il de-
voir y enavoir réélement. On cite ce feul inconvé-
nient parmi 'un grand nombre, tels que les augmen-*
tarions & diminutions fubites de la valeur fnuméraire ,
Pinfidélîté dans l'aliage, dont le fecretjétoit recommandé
9UX maîtres & aux ouvriers 4ç«%(nonnoies fous le9
'^ peinçs
Charles V* 313
peines les plus féveres , les malverfacions des ofîciers. ,.!
Quariva-t-il d'une vexation fi intolérable? La mau- Ami. 13^4.
vaife foi détruifit le crédit public & particulier : elle fit
languir , elle anéantit le commerce , elle fit des faux-
monnoyeurs. Les étrangers imitèrent nos monnoies ,
& par ce moyen s'enrichirent de nos pertes. L'argent
diiparut , les fujets devinrent pauvres , & par une luite
inévitable le fouverain partagea leur mifere , & devint
même plus indigent que le peuple. Du défaut de cir-
culation des efpeces devoit naître la dificuké d'aquiter
les charges de l'Etat & de foutenir 1 éclat de la ma-
jefté fouveraine , qui devient un fardeau immenfe lorf-
Que la mifere des peuples les réduit à l'impoilibilité
a'y contribuer. On peut facilement juger cjue le roi
en mourant avoit laiilé à fon fuccefieur une infinité de
déîbrdres à réparer , & des obftacles qu'il étoit dificile
de furmonter , fans une atention continuele guidée
par des vues fupérieures.
Tandis que le nouveau monarque, acompagné des Guerre «i
princes & des feigneurs de fa cour, aloit à Reims ^^)JÎ^^J*
célébrer la cérémonie de fon couronnement, ks trou- SpUiL'^conu
pes commandées par le brave du Guefclin , fignaloient deNang.
ion avènement à la couronne par des fuccès qui fem- f^lT^Gucii
bloient déjà préfager la grandeur & la félicité de fon din^ Ms.
reene. Les François s'étoient emparés du château de chronUonin^
o abolie , environ dans le même temps qu ils a voient ckron. MSi
pris Mantes & Meulan. Les habitants de Rouen quç bibiiot.duroi^
CCS trois places fituées fur la Seine- incommodoient en ^^^i/^^^ *
intérompant leur commerce avec la ville de Paris ^
avoient contribué par leurs fervices à cete çonqtiête.
Cependant Jean de Grailly captai de Buch , étoit def-
ceodu en Normandie pour fe mettre k la tête des Na-
yarrois. Ce n'étoit pas au nombre de fes troupes que
du Guefclin étoit redevable des avantages qu il venoif
^e remporter. Il auroit eu bçfoin d'un puiflant fecourç
qu'on n*étoit pas en état de lui fournir. Le roi lui
envoya le comte d'Auxerre , le vicomte dp Beau**
jnent , le fire de Beaujçu , avec quelques hommes
Tome V. R r ^
3^4 Histoire de France,
-' d*arines , auxquels on joignit les croupes que le fîrc
ÂDXk. ij6A. d*Albret & quelques autres feigneurs Gafcons avoîenc
amenées depuis peu au fervice du roi. Ces forces réu-
nies a celles que cDnduifoit du Guefclin formoient un
{)etit corps d'onze à douze cents hommes d'armes , avec
efquels il ne craignit pas d'aler à la rencontre des en-
nemis. Le captai de fon côté le cherchoit , loin de
l'éviter : il s'avança près de Cocherel fîtué fur la gau-
che de la rivière d'Eure, & choifit fon pofte fur une
éminence où il rangea fes troupes en bataille. Les
François ariverent dans le même- temps dû côté de
riton , petite rivière qui va fe perdre dans l'Eure près
de Pont-de-l' Arche. Lorfqu^ils furent en préfence des
ennemis, ils délibérèrent entre eux fur le choix du
commandant qui fe chargcroit d'ordonner la bataille
& de les mener au combat. Du Guefclin avoit la
confiance des troupes ; mais la naiifance & le rang
du comte d'Auxerre engagèrent les principaux capi-
taines à lui ofrir l'autorité de général : il s'en défendit
modeftement , & le fufraee unanime déféra la con-
duite de l'aâion à l'intrépide Breton.
Du Guefclin ne démentit pas la haute opinion qu'on
àvoit conçue de fon courage & de fon expérience. Il
étendit le front de fa petite armée de manière que les
ennemis la jugèrent aun tiers plus nombreufe qu'elle
ne rétoit réélement. Le captai trompé réfolut draten-
dre un renfort de quatre cents lances que lui amenoit
Louis de Navarre , Frère de Charles- le-mau vais , & de
ne pas abandonner le pofte avantageux qu'il ocupoit.
Les François expofés à l'ardeur du loleil , manquoîent
de provifions , tandis que les Navarrois défendus con-
tre la chaleur par un bois à l'ombre duquel ils étoient
rangés , fembloient encore. inful ter à nos troupes, en
étalant à leurs yeux les vivres & le vin qu'ils avoient
en abondance {a). On envoya, félon Tufage , un hé-
(a) Du Guefclin Ht au héraut qui vîift tuî ofrir âc la pan du général <la . vii»
le «les provifions *de bouche. » Gentil hi^raut;.» vous fçavez très -bien prêcher^
» aufll poux Youc difcouts je vous douacun courfier de cent florins , mais dites
Bacailfc de
Cocherel.
Charles V. 31^
raut-d'armes aux Navarrois pour leur propofer la ba- .
taille dans la plaine; mais il revint fans réponfe. Du Ann, 1^6^.
Guelclin qui vouloir à quelque prix que ce fût atirer
les ennemis au combat , s'avifa d'un ftratagême ; il
feignit de décamper. On fonne la retraite , les valets
& les bagages repafTent la rivière y les troupes fe ^
mettent en marche & reprennent le chemin du pont.
Les ennemis voyant ce mouvement , fe croient allures
de la viâoife : en vain le captai^ Tun des meilleurs
capitaines de fon temps ^ veut les retenir en leur di-
fant , çu^il n^avoit jamais ouï dire aue du Guefclin eût
jamais daigné décamper, & que cUtoitune rufe. On
ne récQute pas : lui-même entraîné par le torrent eft
obligé de fuivre fes gens. A peine (ont -ils delcendus
& commencent - ils k s'étendre dans la plaine, que les^
François font volte-face : il n'eft plus temps de rega-
gner la montagne , les deux armées fe joignent. jl)u
Guefclin courant de rang en rang , infpîre à tous le
courage qui Tanime : Pour Dieu , amis , difoit-il , fou-
vene^j^'vous que nous avons un nouveau roi de France ;
Îue ja couronne foit aujourd'hui étrennée par vous {à).
id viâoîre eft difputée avec une bravx)ure égale : l'avan-
tage fe détermine enfin en faveur des François par
la prife du général ennemi , qui dans cete furieufe
mêlée fè conduifit avec autant de fagefle que de va-
leur. Il auroit prévenu la difgrace de fon parti , fi fon
avis eût prévalu; mais le.déraut de fubordination em-
pêchoit alors les chefs de difpofer toujours des mou-
vements de leurs troupes. Dans Je plus fort de l'aâion
trente chevaliers Gafcons exécutèrent un projet qu'ils
avoient formé avant le commencement du combat.
» an captai que je ▼eux combatre , & que s'il ne vient pas a moi , je marcherai
» à lai : avant la fin du jour je mangerai un quartier du captai » Il enecndoit'
par ce. propos qu'il auroit le quart de; la valeur des biens du captai pour fa ranr
fon» eip^rant le faire prifonnier. VU MS. de du Guefclin^
(a) C'cft probablement fur ce dîfcours de du Oucfclin que quelques écri-
vains ont cru que la bataille de Cocherel fe donna te jour du couronnement
du roi, au- lieu ^u'il eft coaftanc quelle le précéda de trois jours. Chambre dis
mmvus f mémorial D*
Rr ij
^'i
3itf Histoire de France,
^ Etroitement férés les uns contre les autres, ils péné-
Ann. 1J64. trerent dans un bataillon où le captai combatoic en
perfonne : ils s'atacherent uniauement à lui , & l'ayant
joint ils Tenleverent malgré les éforts qu'on fit pour
le délivrer. Cete bataille plus célèbre par Ihabileté
des chefs & par la valeur oue par le nombre des
combatants j fe donna le jeudi 19 Mai , trois jours
avant le facre du nouveau roi. Chriftine de Pifan a
marqué que le defTein du captai étoit d'aler s'opofer
au couronnement de Charles V , defTein chimérique
& dénué de toute vraifemblance. Du Guefclin qui
jugeoit de l'événement en guerrier expérimenté, dit
au commencement du combat , qu^il ejpéroit donner le
captai au roi pour étrenne de fa noble royauté. 11 tint
{parole , & cete viâoire importante à pluiîeurs égards ,
e fut fur-tout en ce qu'elle ranima la confiance des
François, découraeés depuis long -temps par les dé-
faites qui avoient flétri les deux règnes précédents*
Chron.MS. La nouvcle de cete vidoire fotaportéeà Reims par
libiiot.durois Eugucrraud d'Audan , cjui étoit parti de cete ville
^^Mém.d€Ut- ^^^ ^^ bruit qu'il y auroit un combat en Normandie.
tirature. Il fe rendit a toute bride au camp des François,
combatit fous la bannière de du Guefclin , & quoioue
bleffé reprit après la bataille la route de Reims , ou il
vint annoncer au roi la défaite de fes ennemis & la
prife du captai.
Le roi & la Charles & Jeanne de Bourbon fon époufe reçurent
n&àRdms'*" ^ R^ims Tonâion royale (a) , & furent couronnés
litdim. ^^) Lorfquc les roîs étoienc mariés à leur ayénement aa trône , les reines
recevoient en même- temps qu'eux la couronne & roné^ion royale à Reims.
On ne fe fervoit pas pour elle de la fainte Ampoule , mais d'un ccêmc di^renc.
Anciennement les reines étoient ointes au front , fur les épaules & à la poi«
trine : pour cet ëfet » elles portoient à leur facre une tunique & une chemife
fendues des deux cotés. Les princefics qui n'époufbient les rois qu'après leur
couronnement n'étoit pas couronnées à Reims , mais dans d'autres égli/ês ,
telles qu'Orléans , Sens , Paris , Saint-Denis , la Sainte-Chapelle , &c. Les
ornements royaux dcftinés à cete cérémonie , la couronne , le fceptre > la main
^e juftice , l'épée , les éperons , les fandales , la camifole , la tunique , la
tnntque ^
caimanquc oc ic maniean ac latin Dieu azuré , etoient conierves dans l'abayc
de Saint-Denis. Philippe-AugnAe les avoit fait renouveler : on lei. eardoît or-
dinairement au tréfor du paiais > jufqu à faint Louis quf co confui la ganlc
»
Charles V. 317
*vec les cérémonies ordinaires. Les évêques de Beau- ■!
vais j de Laon, de Langres & de Noyon y pairs éclé« Ann. 15^4*
fiaftiques , les ducs d'Anjou & de Bourgogne aflîfiè-
rent à cete folennicé. Marguerite de Flandre comcefTc
d'Artois fit en cete qualité les fondions de pair , fou-
tenant de fes mains la couronne fut la tête du nou**
Teau roi. Le roi de Chypre , les ducs de Luxembourg ,
de Brabant , de Loraine & de Bar , les prinCes &
les feigneurs François contribuèrent par leur préfence
à la pompe de cete augufte fête. Cinq jours après , le
roi & la reine acompagnés d'une cour brillante , firent
leur entrée dans la capitale. La reine & les princeifes
ëtoient montées fur des chevaux fuperbément harna-*
chés. Philippe duc de Bourgogne , qui portoit encore
le titre de auc de Touraine , marchoit à pied à côté
de la reine , tenant le frein du palefroi de cete prin-
ceiTe. Le comte d'Eu conduifoît la duchefTe d'Oriéans
de la même manière : la duchefTe d'Anjou étoit efcor-
fée par le comte d'Etampes : Madame Marie , fille
4lu roi y conduite par les feigneurs de Beau jeu & de
Cbâlons, fermoit la marche. On fit le jour même de
iiiperbes Joutes dans la cour du palais, où le roi de
Chypre fit admirer fon adrefTe.
A fon avènement à la couronne le roi confirma la
donation faite à Philippe , le plus jeune de fes frères ,
du dnc^é de Bourgogne. Ce prince lui en fit hom-
mage le jour même, en lui remettant le ducjié de
Touraine dont il avoit reçu l'invefliture trois années
auparavant.
li'autorité des cours fouveraines finifToit au même Confirmation
infiant que le roi cefibit de vivre : les maeiflrats ne ^udicfrarT&*
pouvoient reprendre leurs fondions que de ragrément iatrcs."*'^
du fuccefleur. Aufli*tôt que Charles fut informé de Regijires dd
la mort de fon père , il confirma tous les oficiers de P^^imtot.
anx rtlipeas it Saiiit*Deiiis. Matthieu qui ponr-lors écoit aM , en donna (a
veconnoifTance. On fc ferait de ces anciers ornements )iifqu an règne de Henri II,
^ai fit (aire de nouveaux habits & léparcr les couronnes. Du Tillet » cowron'-.
Miment des rois « pi^. %6é^
3i8 Histoire de France,
, judicaturè dans Texercice de leurs charges (a). Le par-
Ann. 15(^4. îement étoit alors compofé de deux préfidents cheva-
Mémorial de \{^j^^ & jg jgQx préfidents maîtres, de quinze confeil-
^^^Jf^/'"^" 1ers clercs, de quatre confeillers chevaliers & de neuf
Recauii des confeillers maîtres pour la grand'chambre. On ape-
ordonaancts. |^^^ maîtres ccux qui n'étant pas nobles , ne pouvoient
être admis à Tétat de chevaliers. On peut oblerver que
la dignité & non la nobleffe régloit les rangs au par-
lement , puifque les confeillers chevaliers étoient îub-
ordonnés à àts préfidents qui n'étoient que maîtres.
L'élévation dépendoit entièrement du mérite , des fu-
frages du corps, & du choix du prince. Deux préfi-
dents maîtres , vingt-deux confeillers clercs , un confeil-
ler chevalier, & dix confeillers maîtres formoient la
chambre des .enquêtes. Un préfident , deux clercs , un
chevalier & deux maîtres tenoient les requêtes du pa-
lais. Dans la même année , le roi qui donnoit fon aten-
tion à toutes les parties du gouvernement & principa-
lement au maintien de la juftice, rendit une nouvele or-
donnance pour les requêtes du palais. Ce règlement,
entre autres articles , enjoint expreffément aux avocats
& procureurs d'affifterles pauvres de leurs confeils,
& de plaider pour eux fans exiger aucuns fakires ou
honoraires , & aux gens des requêtes d'expédier gra-
tuitement & diligemment les caufes de ceux qui par
(â) Ces lettres de confirtnatîon ^tant très-courtes , on fe flate qae les leâears
ne feroor p^s fâchas de les trouver ici : » Charles , &c. à uns amés & féaux
a> les préfidents & autres gens de notre parlement , enquêtes & requêtes , gens
M de nos comptes , &c. nous vous nundons & à chacun de vous , que vos ofices
»> & chacun d'iceux vous exerciés 9c en icenx vaquiés , tout ainfi & en la forme
9> & manière que vous faifiés avant que nous vinflions au gouvernement de V
M notre royaume » jufqu'à tant que par nous en notre grand confeii en foit plas
» à plein ordonné ». Ces lettres font datées du dix-fept Avril 15^4 > dix joars
après la mort du roi. Regifi. A. du parlement , foi, SS » ^^ffo. Chambre dtt
comptes , mémorial D. foL 60 , verfo. Recœuii des ordonnances « tmn. 4 •
P^g' 4TJ.
Leroî» outre ces lettres générales, en adrefla de particulières à toutes les
cours fouveraines : celles qui furent expédiées pour confirmer les membres an
parlement dd^ns leurs états , forment le plus ancien monument en ce genre.
L'original de ces lettres fut trouvé deux ficelés après , & la cour en ordonna
le dépôt au regidre des anciennes ordonnances, yid. Reg. du parUment coU
A*/oL 1. B^eceeuil dss ordonnances ^ tom. 4 , fol, 418*
Charles V. 319
leur indigence fe crouveroienc hors d'état d*aquiter les '■??
frais des procédures. C'eft par de femblables conftitu- Ann. ne.^.
tions que Charles annonçoit à iès fujets la douceur &c
la fagefle de fon règne.
Le roi peu de -jours après fou entrée à Paris, ala ^^^î^^^^^pi
en Normandie : il vouloit par fa préfence fortifier les ^^cZ^n^MS
difpofitions favorables de la noblelfe de cete province.
On - lui préfenta les prifonniers faits au combat de
Cocherel. Roland Bodin fimple écuyer avoir en fort
pouvoir le captai qu'il remit au roi. Ce feigneur fut en-
voyé d'abord au marché de Meaux , pour y demeurer
prifonnier fur fa parole d'honeur : les autres prifonniers
lurent traités à-peu-près avec les mêmes égards, à la
réferve de ceux qui étant nés fujets du roi de France
avoient embraffé le parti du Navarrois. Ces derniers
furent gardés plus étroitement : plufieurs même d'en-
tr eux furent punis de mort. Pierre de Saquainville>
Tun des principaux confeillers du roi de Navarre y
ayant eu te malheur d'être du nombre des prifonniers y
fut décapité à Rouen. Le continuateur de Nangis
écrit aue dans le même temps un chanoine de la ca«
thédrale d'Amiens nommé Kieret , fauteur du Navar*
rois , fut exécuté. La juftice écléfîaftique le réclama y
mais foiblement , atendu qu'il portoit les armes , &
qu'il avoir commis plufieurs mauvaifes aâions qui le
rendoient indigne de jouïr des privilèges de la cléri*
cature.
L'important fervice que du Guefclin yenoit de ren- Don i Bct-
dre à l'Etat méritoit une récompenfe , qui en l'atachant dfn du"comté
par les liens de la reconnoiifance l'encourageât à faire de Longueviu
de nouveaux éforts pour fe rendre digne de la âveur ^^*
de fon fouverain. Le roi étant a Saint-Denis lui donna ch^^re %i^
le comté de Longueville , pour le tenir lui & fes fuc- Comptes.
cefTeurs , à la charge d'entretenir quarante hommes
d'armes au fervice du roi pendant la guerre. Le nou-
veau comte fit le même jour hommage lige de la fei-
gneurie dont le monarque lui donnoit Tinveftiture , &
parût peu de temps après pour en aler prendre pofleif*
320 Histoire de Frakce,
■ fion par la force des armes : car les Navarroîs étoienC
Ann. 131^4. encore maîtres du château de Longueviile, d*où il nc;
tarda pas à les chaiTer. On lit dans quelques chroni-
ques ^ que le roi donna ce comté à Eiertrand du Gue(^
clin pour le récompenfer de la rançon du captai qu'il
lui avoit remis ; mais le contraire eft prouvé pair ua
aâe de Jean de Grailly même, qui reconnoit avoir été
fait prifonnier par Roland Bodin.
Bertrand du Guefclin en alant prendre poflbflion du
comté de Longueville , aiTura le roi c^u'il partoic dans,
la réfolution de combatre les ennemis de TEtat y &
qu'il efpéroit délivrer inceffamment la France des trou-
pes de brigands qui Tinfeftoient : mais le mal étoit
trop univerlel pour être facilement réprimé. Les gens
de guerre des diférents partis'étoient prefque également
k charge aux peuples. Xes Bretons que commandoic
du Guefclin commirent une infinité de défordres en
s^éloignant de Rouen , raviflant tout ce qu'ils rencon-
troient , & pillant iitdiftinâement amis & ennemis.
Comme la peinture des mœurs eft un des principaux
objets qu'on a en vue en écrivant cete hiftoire , ce
trait de la conduite de du Guefclin & de fes gens ferc
à &ire connoltre le caraâere des guerriers de ce fiede.
A quels excès ne devoient-ils pas fe livrer , fi du Guef^
clin regardé de fon temps comme un chevalier irré^
prochable n'étoit pas exempt de cet efprit de rapine t
malgré la générouté dont il fe piquoit ?
U rod jtiftifîc Dans le même temps quo le roi commençoit à faire
régira du^J preffentir au roi de Navarre ce qu'il devoit atendre
lie Navarre. d\me gucrrc jqifil avoit excitée lé premier , il ne né-
Mémoiresde glig^oit rien de ce^ui pouvoit contriouer à rendre évi-
t wur€. dente la juftice de fes démarches. Le feu roi avoit
remis k Tarbitrage de fa fainteté Icjugement des pré-
tentions du Navarrois fur la fucceifîon de Bourgogne.
Charles donna fes inftruftions au duc d* Anjou & aux
ambafTadeurs députés à la coor d'Avignon. Ses inf*
truâions furent acompagnées d'une foumiflion de la
part du duc dç Bourgogne de c'en raporter à ce qui
fcroit
Charles V- 321
feroît décidé fur ce point. Non content de ces précau- T""*™^
tions, le roi chargea fes envoyés à Londres de faire Ann. 1364.
part au roi d'Angleterre des fujets légitimes au'il avoit
de foutenir par la force des armes la querele injufte
que lui fufcicoit le roi de Navarre. Ges envoyés avoient
ordre de prefler le monarque Anelois , conformément
au traité de Brétigny, de féconder les éforts du roi
dans cece ocafion , de défendre au prince de Galles de
favorifer diredernent , ni indireftement , Gharles - le-
mauvais & fes aliés , & de lui ordonner au-contraire
de fecourir le roi de France de tout fon pouvoir,
ainfi. qu'il y écoit obligé.
Charles n'efpéroit recœuillir d'autre fruit de cete Gacrrc ca
démarche auprès du roi d'Angleterre, aue l'avantage ^^^^^^^^
de mettre dans leur tort fes adverfaires déclarés & les chmn'^MS.
ennemis fecrets. En juftifiant fa conduite , il aquéroit . Mémoire dt
cete fupériorité que donnent la raifon & la juftice : ''"'^^'"^'•
cete fupériorité forme l'apui le plus folide que la faine
politique puifle fe procurer, fur-tout quand la pru-
dence & Taftivité concourent k Tafermir. Philippe ,
nouveau duc de Bourgogne , fut chargé par le roi fon
frère du foin de foutenir une guerre dont fon apanage
étoit le prétexte. Il entra en Normandie , acompagtié
de du Guefclin , de Boucicaut, du comte d'Auxerre,
de Louis de Ghâlons & de Jean Bureau de la Rivière,
fevori du roi, adminiftrateur des finances : emploi qui
.dans ce temps n'étoit pas incompatible avec celui d hom-
me de guerre. Cinq mille hommes d'armes ^|^po-
foient l'armée du duc : il les divifa en trois corp^ dont
il fe ^ferva le plus confidérable , & confia les deux
autres à la conduite de du Guefclin & du i^igneur de
la Kiviere.
Tandis que le duc de Bourgogne s'emparoit de Mar-
rheranville , de Càmerolles & de plufieurs autres pla-
ces oçqpéçs par les Anglois & les Navarrois , la Ri-
vière founiettoit les forterefles du comté d^Evreux , &
du Guefclin faifoit trembler le Çoçentip par la feule
TomcV. Sf .
322 Histoire de FrÀkce,
iL terreur de fon nom (a). Les villes fe rendoîent pref-
jinii. 13H. que fans défenfe. Le château de Valognes fut la feule
place qui opofa quelque réfiftance. Cete forterefle étoit
conftruite dès le temps de Clovis ; ce qui ' prouve que
Part des fortificatiohs avoit peu changé depuis la pre^
miere face. Du Cuefclin fit lancer par fes machines des
pierres d'une groffeur énorme , fans pouvoir entamer le
mur de la citadele. IHté par la dificulté , il livra plu-
fieurs alTauts avec tant de vigueur y que les affiégés in-
V timides, confentirent de fe rendre à compofition. Ils
fortirent^ emportant avec eux leurs éfets. Les Fran-
çois , en le$ voyant pafler , les infulterent avec des
huées , & les acablerent des reproches les plus outra-
geants. Huit chevaliers Anglois , indignés d'un pareil
traitement , rentrèrent dans la tour , réfolus de (e dé-
fendre jufqu'à la dernière extrémité. Du Guefclin eue
beau les fommer d'exécuter la capitulation , ils furent
inébranlables : il falut les forcer. lis combatirent com-
me dès lions ; vainéus & pris y on leur trancha la tête.
Leur valeur mérjfoit une conduite plus généreufe de
la part des vainqueurs.
BrcM^^nc^ ^^ couquêtes étoient fî rapides , qu'il y avoir peu
^^c^on^MS. d'apârencc que le roi de Navarre pût foutenir une
Froifard. gucrre fi défavatîtageufe ^ fans perdre en peu de temps
L^J&^n"'''^ * toutes fes pofTedions en Normandie , lorfque deux évé-
Spicii.conu nements obligèrent les généraux de retirer leur^ treu-
il Nang. pes de cete province. Le crômte de Montbeliiard , foli-
cité iHf 1q Navarrois, Venoit d'entrer en Bourgogne ,
où le roi manda au duc fon frère de fe rendre încef-
famment y pour s'opofer à cete irruption fubg^. Le
duc partit aulli-tôt^ & n'eut pas de peine k repoufler
un 11 foible ennemi : ainfi cete diverhon momentanée
M'eût feit que différer dé quelques mois la ruine entière
de Chài-les-k-mauvais , fi du Guefclin n'av^t été j>ô-
Teillement obligé de quicer prife , potot V^lcr au fe-
(a) Lorfqtie du Guefclin aprochoit » tout fii.y<Mt 4evâRt lui. Ceux oui (ère*
tiroicnt dans les villes , crioient qu'on fermât les portes > ^e le diakk veaoiu
Vie MS. de du Guefclin,
Ibidem.
Charles V. 323
cours de fes anciens maîtres. Il reçut un ordre du roi s
d'aler en Bretagne. La guerre alumée depuis fi long- inn. 13^4.
temps dans cete province > fe pourfuivoit avec plus de
fureur que jamais , & paroifToic ne pouvoir plus fe
terminer que par la ruine entière de Tun des deux
partis.
Les troupes Angloifes, qui combatoient en Nor-
mandie pour le roi de Navarre , furent envoyées par
Edouard au comœ de Montfort y dans le même temps
que Charles de Blois invitoit du Guefclin à venir le
joindre. Depuis le fiege de Rennes, raporté fous le
règne précédent , quelques trêves intérompues par de
petits exploits 9 tels que la prife de Carhaix ôc de la
Roche-aux^nes par Charles de Blois & fes partifans ^
avoient traîné en longueur la décifion de cete fan-
glante querele.
Charles de Blois aloit former le fiege de Bécherel j
lorfque Montfort ayant raffemblé fes troupes , vint fe
prélenter au-devant de fon rival. Les armées fe ren-
contrèrent dans les Landes de Beaumanoir^ encre Bé-
cherel & le bourg d*£uran , où les deux partis étoient
convenus de le trouver, pour remettre au fort des
armes la juftice de leurs prétentions. Les troupes
étoient rangées en bataille : on n*atendoit plus que le
fignal y lori^ue les prélats & les feigneurs repréientè*
rent fi vivement à Charles de Blois l'incertitude d'un
combat 9 dans lequel on aloit prodiguer le plus pur
fang de la Bretagne , qu'ils le forcèrent de confêntir
qu'on envoyât au comte de Montfort des feigneurs,
chargés de renouveler l'ancien projet d'acommodement
f>ropofé à Calais , qui auroit mis fin à tous les démè-
és , en divifant également le duChé de Bretagne entre
les deux contendants^. Montfort rejeta d'abord la pro-
{>ofition : enfin , preffé par les feigneurs de fon armée ,
e traité fut conclu & figné par les deux princes , ainfi
que par les feigneurs de leurs partis.
Jean de Montfort & Charles de Blois convinrent
par cet acord de conferver refpeâivement le titre de
S f ij
3H Histoire de France,
' duc avec les mêmes prérogatives. Rennes & Nantes
Ann. 1^64. dévoient être les capitales des deux duchés formés par
cete divilîon. Les otages furent donnés de part &
d autre : la paix fut publiée , & cete heureufe nouvele
répandit la joie dans la province , déchirée depuis fi
long- temps par les horreurs d*une guerre également
ruineufe pour les partifans des deux chefs.
Jiiéiem. Charles de Blois dépêcha un exprès pour préfenter
à la princeffe fon époufe les articles de la paix qu'il
venpit de conclure. Cete dame altiere ne fut pas
affez maîtreffe d'elle-même pour retenir les mouve-
ments de fon indignation , à la lefture du traité des
Landes. Dans fa colère elle s'écria, que fon mari fai^
/bit trop bon marché de ce qui nUtoit pas à lui ^ &
qu^il n'y aloit rien du Jien. La comtefle de Penthiè-
vre , fuivant toujours les tranfports de fa paflion ,
écrivit à fon mari , qu^elle Vavoit prié de défendre fon
héritage comme il devoity paru qu'il en valoit la peine ,
& que tant de gens de bien étoient morts à foutenir fon
droit , Çf qu'il y avoit eu tant de fang répandu , qu'il
ne devoit pas remettre fon patrimoine en arbitrage ,
ayant les armes au poing. Vous fcre[ tout ce ^u'il vous
plaira , ajoutoit-elle , en finiffant fa lettre , je ne fuis
qu'une femme Çf ne puis mieux ; mais plutôt j'y perarois
la vie y ou deux , fi je les avois , que d'avoir confend
à chofe fi reprochaole à la honte des miens. En faifant
cete réponfe, la comtefle répandoit des larmes. Cos
témoignages de douleur, ou plutôt de fierté, ne fu-
rent raportés que trop fidèlement à Charles de Blois.
La réfolution de la comtefle le confterna : il fe voyoit
réduit à la cruele alternative , ou de fe déshonorer par
une violation de parole , ou de porter la douleur dans
Ta me d'une époule qu'il idolâtroit. L'honeur & la rai-
fon lui traçoient la route qu'il devoit fuivre; mais
l'amour l'entraîna. Il faudroit oeut-être fe croire une
ame fupérieure à toutes les afeoions humaines , pour
ofer le condaner.
Ui(Um. Avant que les deux armées fe féparaflênt , on s'étoit
Charles V. 32^
promis de s'envoyer réciproquement la ratification du ■
traité qu'on venoit de conclure. Le lieu où cete afaire ^*^- ''^*'
ilevoit fe confommer, avoit été indiqué entre Ploer-
mel & Joflelin, près de ce chêne célèbre par le combat
des trente. Les députés de Charles de Blois y portèf
rent fa rétraôation , & la guerre recommença. Mont-
fort protefta contre ce manque de foi , & déclara pu-
bliouement qu'il déchargeoit fa confcience de tous les
malheurs qui aloient fuivre une infraâion fi manifefle
d'une paix folennélement jurée. Il remit cependant
les otages en liberté y ne retenant que du Guefclin ,
qui étoit de ce nombre. Le chevalier Breton trouva
moyen de s'évader , & de venir en France. Ce fut
alors qu'il fit en Normandie , fur les terres du roi de
Navarre , les conquêtes dont on vient de parler.
On tenta de nouveau de terminer le diférend de la itiJtm
Bretagne par la médiation du prince de Galles. Jean
& Charles fe rendirent à Bordeaux ; mais ce dernier
iie pouvoit rien décider fans l'aveu de fa femme, qui
ce vouloit rien relâcher de fes prétentions. Ainfi cete
entrevue , après bien des contefïations infruftueufes ,
n'aboutit qu'à des défis de bataille donnés 6c acceptés
réciproquement. Néanmoins un refle d'efpérance de
parvenir à un acord , fit ménager une trêve jufqu'k la
fin de l'année. Aufli-tôt qu'elle fut expirée, le comte
de Montfort & l'époux de la comtefle de Penthiè-
vre, entrèrent en campagne. Après la prife de quel-
Sues châteaux , Jeaii vint inveftir Aurai. Charles de
(lois , averti du danger de la place , rafTembla fes
troupes , dans l'intention de forcer fon ennemi à lever
!e fiege. Sur ces entrefaites , du Guefclin vint le join-
dre avec fes troupes. Indépendamment de ce nouveau
renfort , le vicomte de Rohan , les fires de Léon , de
Rieux , de Rochefort , de Dinan , d'Amiens , de Raix,
de Maleflroit , de Quentin , de Loheac , de Kergol-
lay , de Pont, de Beaumanoir, le comte. d'Aulcerre,
Liouis de Châlons fon frère , apelé le chevalier vert {a) ,
(4) U portoic aparemzneot ce nom à caafe de la couleur de fes aimes.
^i6 Histoire db Frakce,
■ le comte de Joigny , les feigneurs de Beau jeu , de
Ann. i3^4. Béthune , de Raineval, de ireauville, de Prie, de
Villaines , de Pierreforc, de Poiriers & de Fouqui-
gny ; une foule de feigneurs François & Bretons corn-
?oloienc la HorifTante armée de Charles de j^lois»
'out paroifToîc Taffurer de la viâoire. En montant à
cheval pour aler joindre fhs troupes , la çonwGc foa
époufe lui dit : Je vous prie de m^acorder une requête ;
c^efi de n^acorder , ni pacifier en forte que ccfoitj, ^moit
que le . corps du duché vous en demeure : car il eji
juftcnunt mon patrimoine. Charles baifa la Dame , lui
promit d employer fa vie à foutenir fa querele , &
parut. Il ne fut que trop exaft à remplir cete pro-
meffe.
Ihidm. Tandis que Charles de Blois , plein de confiance ^
fe préparoit k faire valoir les droits d'une époufe am«-
bitieuie, le comte de Montfbrt prenoit des mefures,
dont la fagefle fembloit lui promettre la ruine de fon
rival. De l'avis des feigneurs de ion parti ^ un héraut
fut envoyé à Charles. Ce héraut avoit ordre de lui
repréfenter le traité des Landes , de lui en demander
l'exécution I & de lui protefkr qu'à fon refus le comte
fe croyoit juftifié devant Dieu & devant les hommes
des maux qui en réfulteroient^ rejetant entièrement
le crime fur la confcience de Charles, déformais feul
refponfable de la mi&re des peuples , & de tout le
fang de la noblelTe de la province , que (on obftination
aloit faire répandre. Cete démarche du comte de Mont*
fort infpira un nouveau courage à £es troupes. De
quels éforts n'eâ pas capable une armée, lorfqu'elle
eft alFurée de marcher au combat pour foutenir une
caufe jufte ? Charles de Blois, foit fierté, foit con*
viâion intérieure , dédaigna de femblables précautions.
Il vint afiboir fon camp à la vue de celui de Montforc
Une prairie coupée par un ruiffeau, féparoit les
deux armées. Le feigneur de Bcaumanoir fit une der-
nière tentative pour ménager un acommodement : obligé
de fe retirer fans rien conclure , on ne s'ocupa plus que
Chaules V. 327
des préparatifs du combat. Du Guefclin rangea les =!!!!!=;
croupes de Charles de Blois en trois batailles , ainli Ann. 1^64.
qu'on s'exprimoit alors : un corps de réferve formoic
l'ariere- garde. Il fe chargea de la conduite du pre-
mier corps ; les comtes d*Auxerre & de Joigny com-
mandèrent le fécond : Charles de Blois fe réferva le
troifieme : les feigneurs de Rieux , de Raix , de Tour-
nemine & de Font conduifîrent Tarière * garde. Jean
Chandos, qui étoit eftimé le plus grand capitaine de
foQa temps , fut chargé par le comte de Montfort du
foin de régler Tordre de la bataille. Ce feîgneur avoit '^
étéenvoyé par Edouard au comte, ainfi que du Guef-
clin à Cnarles de Blois. En coniidérant Tarangement
obfervé par Bertrand , TAnglois lui rendit hautement
J'uftice : incapable d'une bafle jaloufie , il fit en grand
lomme Téloge du général qu'il avoit à combatre. Il
difpofa fes troupes dans le même ordre. Lç$ trois
corps de bataille étoient fous le commandement du
comte de Montfort, de Robert Knolles, & de Ma-
thieu de Gournay ; & ces trois corps étoient difbofés
de manière , que celui de Montfort avoit en tête Char-
les de Blois. Hue de Caurelée fut deftiné à conduire
le corps de réferve : ce ne fut qu'avec des peines infi-
nies qu'on pût le déterminei: k prendre ce pofte, qu'il
regardoit comme le moins honorable , tant Tart mi-
litaire étoit encore dans fon enfance. Il fiilut que
Chandos employât les prières & même les larmes
pour lui perfuader que loin que fon honeuir fut bleffé ,
en commandant le corps de réferve, cet cncïploi au-:
contraire étoit d'une tele conféijtieiicc , qu'il étoit né-
ceflaire qu'à fon refus il s'en cbargeât lui-même. Cau-
relée, à moitié convaincu 5 obéit, & Tévénement To-
Wigea de reconnoître que c^erft au général feul k juger
de Timportance d'un pofte. Chandos ne choifit le com-
mandement d'aucun des corps de bataille , afin d'être
filus libre de veiller k tous les mouvements. C'eft pour
a première fois qu'on voit dans cete guerre des com-
binaifons réfléchies &c une manœuvre raifonnée.
328 Histoire de France,
! Les deux armées étoient en préfence , & près d'en
Ann. 13^4; venir aux mains. Le comte de Montfort fie encore
lire à haute voix le traité des Landes, priant tous les
feigneurs de fon parti de prononcer avec franchife fur
l'équité de fes prétentions , s'en remettant abfolument
à leur décifîon, & ofrant de renoncer a tout, s'ils le
condanoient. Il fut intérompu par une aclamation uni-
verfele : Tarmée entière l'aflùra Qu'elle combatroit juf-
qu'à la mort pour le foutien de fa querele. Après
avoir remercié les fiens de leur afeâion ^ il adrefTa^s
»., vœux au Seigneur , en fe profternant k terre. On vou-
lut encore tenter un acommodement ; mais Chandos
foit par impatience , foit qu'il eût des ordres fecrets
d'Edouard pour s'y opofer {a) y abrégea brufquement
les pourparlers. Beaumanoir toujours médiateur , quoi-
qu'ataché au parti de Charles de Blois, venoit de fe
retirer; & l'on aloit commencer Taâion, lorfque Ta-
rivée d*un courier fufpendit encore le combat. C'écoit
le roi de France qui mandoit au comte de Montfort
de lever le fiege de devant Aurai , & de fe rendre à
Paris , avec amirance qu'il trouvcroit en lui jujiice ^
contentement. Montfort plein de refped pour le mo-
narque de la part duquel il recevoit ce meflage, ofrit
de fe retirer , pourvu que la place fût mlfe en fequef-
tre au pouvoir d'Olivier de Cliflbn , feigneur de fon
parti , & du fire de Beaumanoir , du parti opofé.
Charles de Blois . ne répondit à ces propofitions que
f)ar un refus. Impatient de combatre , les retardemcnts
ui fembloient ne fervir qu'à diférer fon triomphe.
C'eft ainfi que ce prince, digne par ks vertus d'une
jneilleure fortune, couroit de lui-même au-devant de
fa perte.
Ce fut le vingt- deux de Septembre que le fort de
(il) Le r<5if qui précéda 1& combat , plaliear» chevaliers Angloîs Yinrent
trouver Chandos pour le prier de rejeter tou^çs propofi rions d'acommodement»
en repréfentant » qu'ils avoient dépeofé tout ce qu'ils avoient , & qu'ils écoient
M fi pauvres qu'ils vouloienc par bataille , ou tout perdre , ou aucune chofe re-
» couvicr «. troiffard , tom i ^ foL i j i , vfrfç.
la
Charles V. 329
k Bretagne fut décidé par une des plus fanglantes .-
aâions qu'on eût vues depuis long^temps. Jamais on Ann. ij^^-
ne combatit avec plus de fureur j & ce qu'il y a de fin- ^f^î^ic^l'Au-
gulier, jamais peut-être on ne defira moins de com- ^^mj^^.
batre. Les fçigneurs Bretons des deux côtés étoienc
également fatigués d'une guerre aufli funefte au peu-
fue qu'à la noblefle. Montiort ofroit, pour le bien de
à paix 9 la moitié de fes prétentions : Charles de Blois
lui-même auroit volontiers accepté le parti; mais ua
motif trop puifTant le retenoit , les reproches , les
pleurs de la comteflc fon époufe , lui diâoient des loix <■■'
qu'il n'eut pas la force de mécônnoître.
On épargne aux leâeurs le récit des préfages {d^
qui parurent annoncer le malheur de Charles de Blois.
Lorfque les forces font égales des deux côtés y ce n'eft
point par de vains prodiges , mais par la conduite des
nommes , qu'il faut augurer du fuccès. Charles , prince
religieux , s'étoit préparé au combat par des aoes de
piété : il eût falu fans doute que de pareils aâes euilenc
été acompagnés d'une juftice évidente, pour intérefler
le ciel en faveur de celui qui les pratiquoit^
Les deux armées en filence atendoient qu*on donnât
le fignal du combat. Chandos empêcha les troupes
de fon parti d'avancer les premières : Montfort , mal-
gré l'impétuofité qui lui étoit naturele , fuivit les con-
leils dû général Ânglois. Du Guefclin ne put obte^
nir le même empire lur Charles de Blois : ce prince ^
(a) On remarqua qu'on Lévrier que Charles de Blois aimoit beaucoup , & qui
fcîgn
relTes quil écoic dans Tufage d*adre(fer à fon maître. Uhiftoricn de Bretagne
ra porte ce triit fur le témoignante d*uhe chronique du temps. Le fait lui auroic
paru moins citraordinairc , s'il avoit fait atention à Tezaâe reflemblance qui
devoir fe trouver entre Charles de Blois & Jean de Monfbrt , revêtus des mêmes
ornements. Le chien égaré dans le premier tumulte des préparatifs d*an com-
bat j aura cherché fon maître » & ne Taura pu reconnoitr.e qu'aux fignes exté-
rieurs dont la conformité Taura trompé. Si Ton ezaminoit la plupart des fignca
prodigieux oue les hiftoriens raponcoc , on ea démélcroic aifémenc le pria«
x»pe» i^cla /urprife pefTeroi;.
Tom V, T c
330 Histoire de France,
y emporté par fon courage , eft fourd aux plus fages
Ann. 13^4. avis : il lé met en marche & pafle le ruifleau avec le
corps qu'il conduifoit ; les autres font obligés de le
fuivre. Le comte de Montfort voyant ce mouvement,
s'avance avec moins de précipitation , & fe préfente
en bon ordre. Comme les troupes extrêmenîent férées ,
& couvertes de leurs pavois , rendoient les traits inu-
tiles , les archers , après avoir fait leur première dé-
charge , fe retirèrent , & rentrèrent dans les rangs des
hommes d'armes. On s'aproche , on fe joint ; & dans
n^ le moment les deux corps de bataille commandés par
Montfort & Charles de Blois , font aux prifes, L'ho-
neur animoit également les deux partis. Cete &tale
journée aloit fixer irrévocablement la fortune des deux
princes : le vaincu devoit perdre la. vie ; tele étoit la
réfolution prifé de part & d'autre par les feigneurs
frétons. Ce fut probablement le motif qui porta Jean
de Montfort à faire couvrir un de fes gentilshommes
d'armes exaâement femblablcs aux fiennes , afin de
diminuer le danger en le partageant, & non pour élu-
der Téfet d'une prétendue prophétie de Merlin , qui
afTuroit gu^en une certaine bataille ^ celui qui porterait
des hermines [ armes de Bretagne ] Jèroit défait. Le
malheureux gentilhomme paya cher Thoneur de por-
ter les armes de fon maître. Charles de Blois , trompé
})ar cete aparence , fondit fur lui avec impétuofité , &
e tua de fa main : aufli-tôt il s'écria que fon ennemi
étoit mort ; mais le comte de Montfort vint bientôt
lui ravir cete fauffe joie. L'ataque avoît été fi brufque
& fi vive de la part. de Charles de Blois, que la pré*
fence de Montfort ne pue d'abord entièrement, réta-
blir le défordre qu'elle avoit caufé, lorfque Caurelée
vint avec fon corps de réfervç prendre en queue la
bataille de Charles , qui par ce moyen fe trouva en-
velopé. En vain il fait des prodiges de valeur ; il vit
bientôt l'épais bataillon où il combatoit, aflailli, percé
de tous côtés , & s'éclairciflant à vue d'œuil. Cepen-
dant Chandos & CliiTon couroiem de rang en rang,
ChAB.££S V. 331
&c combatoient en même- temps qu^ils animoîcnt leurs !
gens. Les autres corps s'étoient joints pareillement, Ann. 15^4.
ï)u Guefclin , défcfpéré de ce que l'imprudent Charles
n'avoît pas déféré à fon avis , fe furpaffa dans cete
journée. La mêlée fut horrible : la fkur de la nobleiîe
J3retonne , les meilleurs guerriers , tant François qu'An-
glois , les troupes d'aventuriers les plus déterminés ,
formoient les deux armées qui dans les plaines d'Au*
rai fe difputoient la gloire de faire un duc de Breta-
gne, La terre étoic couverte d'armes , de chevaux , de
blelTés & de morts entafTés y fans qu'un des partis
parût vouloir céder la vidoire à l'autre : tous comba-
toient avec autant d'acharnement , que fi la querele
leur eût été perfonnele. Cependant l'inftant déciiif
aprochoit : Charles de 31ois raifoit des éforts inutiles
j)our rétablir fon corps d'armée ; la confufion étoit
lans remède. Laval & Rohan, fes braves & gêné*
reux amis, ralient autour de lui l'élite des leurs , &
lui font un rempart de leurs corps : vainement fon
courage héroïque féconde le leur ; preffé de plus en
plus , il ne lui refte d'autre efpoir qu'une mort glo-
rieufe. Un Aaglois l'âleint , le faifit par fon bajfinet , ^jJJ^^ Il
& lui plonge Ion épée dans la gorge : il tombe, & bIoIs."
cède en expirant la principauté à fon rival. Jean de lUdtnu
Blois , fon nls naturel , eft tué à fes côtés. On alTure
3ue Charles , avant que de mourir , regréta la perte
e tant de braves gens immolés aux quereles de fa
maifon ; voici fes dernières paroles : Pat guerroyé long- ^Contrema
temps contre mon cfcient"^. confdencc
Lz nouvele de cete mort vole aufli-tôt dans les difé-
rents endroits où Ton fe bat encore; les partifans de
Montfort redoublent leurs éforts ; ceux de fon infor-
tuné compétiteur , confternés de cete perte , chance-
lent , & fentent ralentir leur ardeur par le défefpoir
de foutenir un parti , qui déformais n'a plus de chef.
Du Guefclin aprend ce malheur commun : dans fon
afliftion il eût voulu ne pas furvivre à Charles de Blois ;
mais quel fruit retirer d'un trépas inutile.^ Couvert
T t i j
332 HistoiRE DE France,
- de bleflures , & perdant fon fang , la terreur qu'A
Ann. i}64. infpiroit, empêchoïc qu'on n'osât l'aprochcr. Chandos
arive , fe nomme , Tinvite à fe rendre ; le héros Breton
cède à la fortune, & donne fa foi -au héros Anglois.
Le combat cefle. Montfort vient recœuillir le fruit de
fa viâoire : il peut jouir de la funefte fatisfaâion de
voir fon rival mort , environné de fes courageux dé-
fenfeurs. Ce fpedacle lui arache des larmes : Ah ,
mon coujin , s'écria-t-il , par votre opiniâtreté vous avc[
ité caufe de beaucoup de maux en Bretagne , Dieu vous
le pardonne ; je regrete bien que vous êtes venu à cete ma--
lefin. Monjeigneur , lui dit Chandos j en l'arachant de
ce trifte lieu , vous ne pouviez avoir votre coujtn en vie ,
& le duché tout ènfembte : remercie:^ Dieu & vos amis»
Ainfi finit après . vingt-trois années de viciflitudes &
de combats , l'infortuné Charles de Blois , prince orné
<le touis les dons de l'efprit & du cœur , brave , géné-
reux , fidèle , fage même , s'il eût été moins tendre
époux. Il couronna tant de bêles qualités par une
piété fincere : il en rempliiToit les aufteres devoirs juf-
^u^au fein des armes : lorfqu'on le dépouilla, on le
trouva revêtu d'une haire. Sa'*mort fut le falut de la
province. Il fut enterré dans l'églife des Cordeliers de
Guincamp. On avoit envie d'en faire un bienheureux :
on prétendit qu'il s'étoit opéré des miracles à fon tom-
beau. On conimença même des enquêtes pour fa cano-
nifation , fous les pontificats d'Uroain V & de Gré-
goire XI. Ce dernier pape ne permit pas qu'on les
continuât. Le comte de Montfort , devenu duc de Bre-
tagne , avoit un intérêt trop fenfible de s'opofer à
cete béatification. Le vainqueur d'un faint ne pouvoic
paffer que pour un ufurpateur. Quelques écrivams ont
alTuré que Charles de Blois ne fut pas tué dans le
combat ; qu'il fut feit prifonnier , & préfenté à Mont-
fort , qui fouilla fa viûoire , en lui faifant trancher la
tête en fa préfence. Une contradiâtion fi manifefte entre
des auteurs , tous contemporains , laifTe une incertitude
qu'il efi dificile de réfoudre. Queles mœurs que celles
Charles V. 333
cle ce (iecle , li cet horrible abus de la vîâoire efl un *!
fait véritable (a) ? Ann. 13^4-
. Le comte de Montfort fit avertir les habitants de liîdem.
Rennes & des villes voifines , qui avoient tenu le
parti de Charles de Blois, de la liberté qu'il leur acor-
doit de venir rendre les derniers devoirs , à ceux qui
avoient été tués dans le combat. Le champ de bataille
étoit couvert des feigneurs les plus didingués de la
Bretagne. On comptoit parmi les morts, Charles de
Dinan , les fires de Léon, d'Ancenis , d'Avaugour,
de Loheac, de Kergollay , de Maleflroiti de Pont, de
Rochefbrt , de Rieux , de Tournemine , de Montau-
ban , de Coetmen, de Boisboidèi & de Kaergouet.
Les prifonniers en grand nombre n'étoient pas moins
confidérables par leur ran^ & par leur naiiiance. Les
comtes d' Auxerre , de Joigny , de Rohan , Guy de
Xeon , les fires de Rbchefort , de Raix , de Rieux , Je
comte de Tonnerre, Henri de Maleftroit, Olivier de
Mauny , les feigneurs de Riville , de Fran ville , de
Raineval & de Beaumanoir, demeurèrent au pouvoir
des vainqueurs. Olivier de Cliflbn, que nous vèrons
dans la fuite, connétable de France , perdit un œuil
dans ce combat. On publia que cete viâoire n'avoit
pas coûté vingt hommes au parti de Montfort ; mais
c'eft un fait démenti par la fureur avec laquele on
combatit. Il eft vrai que l'on doit fupofer, dans les
batailles qui fe donnoient alors , le nombre des morts
^u côté des vaincus toujours infiniment plus confidé-
rable que du côté des viâorieux. On ignoroit alors
encore la manoeuvre des retraites , qui n'étoit pas pra-
(d) Les princes de la maifon de Penthievre defcendants de Charles de Blois »
loog-temps après reprochèrent cece mort an duc de Bretagne. Le feigneur de
Boilac & Nicole de Bretagne fon époufe , dans les letrres de tranfport qu'ils
firent au roi Louis XI de leurs prétentions. au duché de Bretagne, rapelcrent
€|cte aâion odieufe dont la mémoire s>icoit confervée. Cependant ce fait ne fe
trouve raporté que dans les vies MS. de du Guefclin , tandis que pre(que tous
les autres hiftoriens , tels mie Froiflard , le continuateur de Nangts , Bc les
chroniques du mênne (îecle aflurent le contraire. Dans un pareil conflit d opinions
diamétralement opofées , celle qui honore Thumanité ne pouroi^c-clle pas mé-*
jBCcr la préférence.
334 Histoire de France,
S* ticable par le peu d'ordre obfervé dans les croupes ic
Aûiî. 13(^4. par la pefanteur des armes. Lorfque deux armées
s*ataquoient , ce n*étoit pas dans le choc qu'il périf-
foit beaucoup de monde : les hommes couverts de fer ,
ne faifoient gueres autre chofe que fe renverfer, & fc
relever le plus fouvent fans blemire : mais quand un
corps de troupes étoic une fois rompu , ne pouvant
plus fe ralier, ni fe retirer , les hommes d'armes de-^
meuroient expofés fans défenfe , & c'écoit alors que le
icarnage commençoit : on peuc inférer delà que les vain-
queurs dévoient perdre fort peu des leurs.
Aurai fe rendit incontinent. Guillaume de Harte-
celle , gouverneur de cete place , en étoit forti avafit
la bataille , à la tête de quarante lances. Charles de
Blois l'avoit retenu pour l'aflifler dans le combat. Il
fut du nombre des prifonniers.
Quoique Charles de Blois eût laiffé plufieurs enfants >
deux deiquels étoient encore otages en Angleterre pour
la rançon de leur père , le combat d'Aurai termina la
guerre alumée pour lafuccedion de la Bretagne. On
fait une obfervation bien honorable pour la noblelTe
de cete province. Les princes de Montfort & de Biais
fe -difputerent le duché pendant Tefpace de vingt-trois
années^ fans qu'il fe fût trouvé iix gentilshommes dans
les deux partis qui euffent quité par trahifon, ou par
inconftinc^ > celui auquel ils s'étoient atachés dans le
commencement de la conteflation : encore , fi quel*
ques-uns abandonnèrent Charles de Blois protégé par
la France , DQuroic- on atribuer leur dhangement au
fuolice des feigneiirs. Bretons^ , ordofitié fans forme de
juftice par Philippe de Valois. De pareils exemples
de fidélité font trop précieux pour les paflèr fous fi-
lence.
Les fèîgneurs dévoués à Charles de Bloîs , devenus
par fa mort libres de leur foi, ne tardèrent pas à
reconnoître les décrets de la Providence dans le triom-
phe de Jean de Montfort. Le feîgneur de Maleftroit,
gouverneur de Vannes , lui en ouvrit les portes j & la
C H A R t E s V- ^3^
province entie;:e annonçoic une difpofition prochaine **— *— *^
à fe foumettre au vainqueur. Ann. i3<f4.
La nouvele de la défaite d' Aurai , portée k Nantes , suite de la
fut un coup de foudre pour la veuve de Charles de bawiiicdAu-
Blois : elle perdit Tufage de fes fens , & ne revint ^^^' uidem.
d'un lonjg évanouiflement que pour fe livrer aux vains
& tardirs regrets que lui arachoic fa déplorable iitua-
tion. Le duc d^Anjou , qui avoit époufé une des filles
de cete princefle , apric ce malheur dans la ville d'An-
gers , où il étoit pour lors : il fe rendit aufli-tôt près
de la comtefle de Penthievre , & calnriâ les premiers
tranfports de fa douleur par les plus tendres confola-
tions. Il lui fit ofre de tout fon pouvoir & de ics fer-
vices ; il écrivit en même- temps à tous les feigneurs &
aux villes qui tenoient fon parti y en les priant de per-
fifter dans leur fidélité. La comtefle reçut aufii des
envoyés de la part du roi, qui TaflUrerent d'un prompt
fecours & d'une promefle formele d'employer les
moyens le plus éficaces pour réparer la perte qu'elle
venoit de faire. Le monarque François , par ces mê-
mes envoyés , exhortoit le duc d'Anjou fon frère à
ne pas abandonner cete princefle infortunée / & lui
mandoit qu il feroit puiflamment fécondé. Elle fe re-
tira cependant en Anjou auprès du duc , abandonnant
les places qui lui reftoient , à la fidélité des peuples &
des feigneurs atachés k fa maifon.
Charles , dans une difgrace fî cruele , fuivoit en
homme les mouvements naturels de cete compaflîon
qu'éprouvent les cœurs fenfibles : mais fa qualité de
monarque ne lui permettait pas de s'y livrer aveuglé-
ment; il avoit ^ comme roi, d'autres devoirs à rem-
plir. La fortune , en fe déclarant pour Monfort , chan-
geoit par cete importante révolution le fyftême qu'on
avoit luivi jufqu'alors. Il étoit à craindre, n Ton preflbit
trop le vainqueur, qu'il ne renonçât entièrement à la
France, en fe jetant entre les bras du roi d'Angleterre ,
& lui faifant nommage de la Bretagne , dont il poffé-
doit déjà la meilleure partie par la reddition de Jugon ^
33^ Histoire de France,
■ de Dinan , de Kimper & d'un grand nombre d*autfes
Aan. 15^4. places qui fe rendoient journélement depuis la mort
de Charles de Blois.
Edouard étoit à Douvres, difpofé k profiter de la
cîrconftance , & à prendre des mefures fur le parti
(jUe le roi choifiroit. On étoit encore en guerre avec le
roi de Navarre : le royaume épuifé demandoit que Ton
s'ocupât du foin de réparer fes pertes : étoit-il temps
de s'atirer une guerre nouvele ? Le roi pefa ces raifons
dans fon confeil , & l'avis de préférer la voie de la
négociation aux remèdes violents, prévalut. Charles*
fe confola de ne bouvoir fatisfaire la générofité , en
ailiftant la comtèfle de toutes les forces de fes Etats ,
par la fatisfadion encore plus jufte & plus grande de fa-
crifier fon penchant particulier au bonheur & à la tran-
quilité de les fujets. Il fut réfolu dans le confeil , qu'on
méhageroit pour la veuve de Charles de Blois les con-
ditions les plus favorables, en même-temps qu'on tâ-
cheroit de conclure avec Montfort l'acommodement le
moins défavantageux , que la circonftance préfente pou-
voit permettre,
Jean de Craon, archevêque de Reims, le fire de
Craon fon coufin & le maréchal de Boucicaut , furent
envoyés pour fonder les difpofitions de Jean de Mont-
fort. Ce prince, fur les premières ouvertures de paix
qui lui furent faites , dépêcha vers le roi d'Angleterre
pour fçavoir fes intentions. Edouard lui fit répondre
cju'il lui confeilloit de faire la paix, pourvu que le
auchc lui demeurât. Montfort ayant reçu ce confen-
tement , écouta les propofitions , & les conférences
commencèrent. Les peuples de Bretagne , en proie de-
puis fi long-temps k toutes les horreurs de la guerre ,
ne cefToient de faire des vceux au ciel pour la paix.
Cependant , malgré les prières publiques , & les dif-
pofitions du prince , Paeommodement fut fur le point
d'être rompu ; les commiflaires de part & d'autre fe
retiroient lans efpérance de renouer la négociation.
Une foule d'habitants s'étaient rendus k Guerrande ,
où
"C H A R t E s V. 337
oii les conférences fe tenoient , dans refpoir d*écre les
premiers témoins d'un traité qui aloit rendre la tran- Ana. i^<^.
quilité à la province. Lorfqu'ils aprirent que les dépu-
tés fe féparoient , on n'entendit plus qu'un cri géné-
ral. Ils environnèrent le lieu où le confeil fe tenoit:
Donnc^'-'nouslapaixenVhoneur de Dieu ^ s'écrioient-ils
de concert. Cete prière étoit acompagnée & intérom-
pue de gémîffements, de larmes & de fanglots ; ils fe
rouloient k terre , en invoquant à leur fecours la pro-
tedion divine. Un fjpeâacle fi touchant étoit capable
de fléchir les âmes les moins fenfibles : // n^y avoit
r^wr^? y?re , dit rhiftorien de Bretagne, qui ne pleurât
avec eux. On vint rendre compte à Montfort de cete
fcene atendriflante : il fortit de fon apartement ; &
jetant fes regards fur cete multitude défefpérée , il ne
jput retenir les larmes : fur-le-champ il rapele fon con-
ieil , & déclare avec ferment , qu'avant jfbn départ il
promettoit à Dieu & au peuple d'acorder la paix , k
quelque condition que ce fût. On reprit les conféren-
ces , & le traité fut enfin conclu le famedi veille de
Pâques de cete année.
Par ce traité, dont les conventions furent rédigées TraW ic
en préfence des députés repréfentants le roi de France, ^"^^o^^^f^rtre
médiateur & juge en qualité de feigneur fuzerain de connu duc de
la Bretagne , la veuve de Charles de Blois renonça Bretagne,
aux droits qu'elle prétendoit au duché. On lui réferva ^^^f^^^tri
le comté de Penthievre , la vicomte de Limoges, dix kift.JeBrle/
mille livres tournois de rente perpetuele en fonds de V«^- coruin.
terres, & trois mille livres de rente viagère. Ces '^^ ^^^* ^^5
feigneurics & rentes dévoient être poffédées par elle de Charles K
& fa poftérité, k la charge d'en faire hommage au ^^^^{'''i/"^^
duc de Bretagne, dont elle feule étoit difpenfée pen- Britan. 18+.
dant fa vie. En conféquence de cete renonciation , le
duché de Bretagne fut adjugé k Jean de Montfort ,
& k fes defcendatits en ligne mafculine. Au défaut de
fa poftérité , celle de la maifon de Penthievre étoit
apeiée k la fucceffion : il fut exprefl'ément réglé que les
femmes ne pouroictjt k l'avenir fuccéder k la fouverai-
Tomc K V V .
33^ Histoire de France,
, neté de la Bretagne, quau défaut des mâles. Mont-
Ann. ï}é4, fort s'engagea de plus de procurer la liberté de Jean>
fils de (Jharles de Blois , qui étoit alors en Angle-
terre, de lui faire époufer fa fœur, & de fournir pour
fa rançon cent mille francs , à prendre fur . une aide
en Bretagne. Cet article ne fut pomt exécuté. Les deux
rois de France & d'Angleterre , le prince de Galles
& le duc d'Anjou , furent apelés comme garants de
Rymer, acj. ccte tranfaftion , Qu'ils ratifièrent. Il fut çnfin réglé
pt^hL tom. 3 , que iç comte de Montfort , déformais duc de Breta-
putt.i^p.19. g^ç^ feroit reçu en cete qualité à faire hommage au
roi de France , feigneur luzerain du duché. Comme
il n'étoit pas encore en état de s'aquiter de ce devoir ,
le roi lui acorda la permidion de le diférer jufqu'à la
faint Jean. Olivier de Cliflbn vint trouver le roi de la
part du duc de Bretagne , pour obtenir ce délai*
Charles qui eftimoit ce leigneur , employa pour fe l'a-
tacher les bienfaits & Ta^bilité , moyens infaillibles y
lorfau'un roi les met en ufage. Il lui rendit les biens
de (a maifon , qui avoient été confifqués par Philippe
de Valois. Pluheurs autres feigneurs Bretons prirent
le même parti ; enforte que la Bretagne , quoique fou-
mife à un duc dévoué aux Anglois , tenoit à la France
par la portion la plus confidérable de la nobleffe. Tan-
negui du Châtel étoit de ce nombre. La plupart de
ces feigneurs eurent en France des établifTcments con-
fîdérables. Cliflbn devint connétable dans la fuite ^
ainfî qu'on Ta déjà dit ; & du Châtel fut gouverneur
de l'Ile de France , & prévôt de Paris. Il dopna les
plus grandes preuves de fwélité aux rois : nous le vèrons
même pouflèr le zèle à Texcès en faveur du petit-fils de
Charles V.
Mariage ivL ^^^ ^^ temps après le traité de Guerrancîe , le nou-
duc de Brcta- veau duc de Bretagne , qui étoit veuf de Marie , fil/c
8"^ d'Edouard , de l^quele il n'avoit pas eu d'enfants ,
fuhl'^tom^l ^ époufa en fécondes noces Jeanne fiile de, la princefle
part. I cp 1. ' de Galles , comtefle de Kent , & de Thomas de Rol-
land fon premier mari. Ce mariage fe fit avec Ta gré-
Charles V. 339
ment du roi d'Angleterre , auquel Montfort avoit pro- -:
mis , lorfqu'il perdroit la princefle fon époufe de ne Am. m h-
contraâer aucun engagement que de fon confente-
ment. Cttc aliance ne Tem pécha pas cependant de fe
rendre à Paris , l'année fuivante , où il fit hommage
au roi du duché de Bretagne , de la feigneurie de Mont*
fort-rAmaury , & des autres terres qu'il poilédoit en
France. Il y eut que^ue conteftation pour la forme
de rhommage ; on eut recours k Texpédient ordinaire
de le faire en termes généraux. Le duc ôtant fon man<«
reau & fon chaperon fe mit à genoux devant le roi ,
Se déclara qu'il lui faifoit hommage tel que fes pré-
décelTeurs Pavoient fait. Après la cérémonie , Tévêque
de âeauvais , chancelier de France , déclara que Thom-
mage que le duc venoit de rendre étoit lige, puifque
les prédéccfleurs de Montfort Tavoient fait en çetc
forme , & pour preuve il montra deux aftes d'hom-
mage rendu par les ducs Artur & Jean le Roux. Il
étoit dificile d'élndor un témoignage fi authentique :
aulli le duc de Bretagne & fon chancelier n'y répon-
dirent que par une proteftation générale. Cela n'em-
pêcha pas le roi de marquer au duc touie la bienveil-
lance poilible, & de le combler de careilbs & de pré-
fents. Montfort y répondit de fon côté par des dé-
monftrations de reconnoiffance &: d'amitié; maisj dit .
rhiftorien de Bretagne, toutes ces œntenanccs ne trom--
poient ni Pun ni Vautre : le roi étoit fin & acord , &
le duc ne V étoit pas moins. La comtefle de Penthievre
ne ratifia que dans ce temps le traité que fes olénipo-
tentiaires avoient fi^né pour elle à Guerranoe , près
de deux années auparavant. Traite ariir
La grande afaire de la Bretagne étant terminée , la avecTcrordc
France n'eut plus k combatre que le roi de Navarre, Navarre.
prince toujours inquiet & dangereux- par fes manœu- ^,^'^'^^r ^'*
vres ; mais ennemi trop foible pour rélilter j^ar Iuh ^^ Navarra.
jmème aux forces du royaume déformais réunies pour Mém.dtUn.
l^acabler. Il fut trop heureux que les reines^ Jeanne & ^chînfùs.
Blanche , veuves de Charles-le-Bel & de Philippe de ^c.
Vv ij
340 Histoire de France,
== Valois , employaffent leur médiation pour lui ménager
Ann. i5(^;, racommodemenc le moins défavantageux. Le captai de
Buch négocioit depuis long -temps en faveur de ce
prince, & fe fervoit habilement du crédit que lui don-
iioient Peftime & Tamitié dont le roi Thonoroit. Un
<les puifTants motifs qui déterminèrent encore plutôt
le Navarrois , ce fut le traité de ligue ofenfive oc dé-
fenfîve que le roi de France vjenoit de conclure avec
le roi d'Aragon. Après plufieurs conférences tenues
en divers lieux , les conditions de cete paix forent ré-
. glées à Saint -Denis où les deux reines fe trouvèrent,
ainiî que le captai & les députés de la part du roi de
Navarre. La reftitution de Mantes, de Meulan & du
comté de Longueville , formoit la feule dificulté. On
leva cet obftacle, en donnant au roi de Navarre la
feigneurie de Montpellier , que Philippe de Valois
avoir aquife du roi d'Aragon. Toutes les places prifes
en Normandie par les généraux François , furent ren-
dues. Les renonciations aux anciennes prétentions de
la maifon d'Evreux fur la Champagne & la Brie, fu-
rent renouvelées & confirmées , & la difcuffion des
droits du rof^de Navarre fur le duché de Bourgogne,
remife au jugement qui feroit prononcé par le pape.
Le refte des conventions n'eft qu'une répétition des
articles contenus dans les traités précédents ; le réta-
blifTement des partifans du roi de Navarre, la refti-
tution de leurs biens , les pardons , les abolitions de
divers complots & trahifons , âcc. La liberté du cap-
tai*^ fans payer de rançon , fut un des articles du traite :
le roi deuroitfort l'atirer à fonfervice, & ce feigneur
méritoit à tous égards qu'un monarque audi connoiA
feur en hommes que l'étoit Charles , s'apliquât k le
gagner. Pour cet éfet, il lui donna la feigneurie de
ïfemours dont il fit hommage , & devint par confé-
quent vaiTal du roi de France. Mais ce prince eut la
mortification de ne pouvoir le conferver long-temps.
Jean de Grailly étant retourné en Guienne, vit le
prince de Galles, & ne put réfifter aux reproches qu'il
Charles V. 341
lui fit. Il envoya fon écuyer à la cour de France , avec *?— — "^
ordre de remettre au roi Toriginal de la donation^ & Ann. 13^5.
de renoncer en fon nom à Thommàge qu'il avoit fait.
Quelque-temps avant la retraite du captai en Guicn- fhrift. de
ne, on avoit confeillé au roi de le faire arêcer ; mais rjf"l*^^'
ce prince auffi généreux que politique, ne voulut point * ^**
qu'on atentât à fa liberté , quelque eftime qu'il lit du
courage & de lexpérience d'un ennemi fi dangereux.
Il fut dans la fuite fait prifonnier une féconde fois,
& mourut , après cinq ans de captivité , au Temple
à Paris , où le roi le retint étroitement gardé , fans vou-
loir le rendre au roi d'Angleterre, qui lui fit pour fa
rançon les ofres les plus avantageufes.
A peine une année s'étoit écoulée depuis que Charles
ocupoit le trône : ce temps lui avoit fufi cependant
pour faire déjà fentir à fes fujets ce que peut, pour
le bonheur de tout un peuple , la conduite de celui
qui tient les rênes du gouvernement. Deux traités éga-
lement avantageux , venoient de mettre le royaume à
l'abri des hoftilités étrangères : il ne manquoît plus à
la félicité publique que le rétablifiement de la tranqui-
licé intérieure des provinces, & ce grand ouvrage de-
mandoit toute la fagefie du prince, aidé du concours
des circonftances.
La paix générale entre les puiflances avoit multiplié Nouveaux déf-
prefque à l'infini ces troupes de brigaads qui déchi- Jar?cscompï
roient le joyaume. N'étant plus employés au fervice gnîcs.
des princes , ils aloient recommencer leurs défordres Froifard.
avec plus de fureur. Déjà la plupart de ces fcélérats ^^J^^^«-«*^
étoient rentrés dans la France , qu'ils apeloient leur
chambre , aparemment parce qu'ils la regardaient com-
me leur demeure ordinaire. Il n'étoit pas facile de les
en déloger : on avoit éprouvé à la journée de Brignais
combien ces troupes aguerries étoient redoutables. On
n*eût pu employer pour cet éfet que de nouvelcs levées
qui leur auroient été trop inférieures. D'ailleurs, l'o-
bligation d'entretenir des armées eût rendu inutiles
les avantages de la paix , par la néceffité où le roi fe
34^ Histoire de France,
■ fût trouvé de iarcharger encore le peuple d'impofî*
Ann. ijtfj. tions*
Froîjfard. Dans cete conjondure embaraiTance , on avoit inu-
tilement tenté divers expédients. Louis d'Anjou^ l'ur-
nommé le Grand , roi de Hongrie , frère & vengeur
du malheureuK André, premier mari de Jeanne reine
de Sicile , eût volontiers atiré les compagnies k Ton
fervice : elles lui euflent été d'un grand lècours dans
les guerres qu'il eut à foutenir à diverfes reprifes con-
tre les Valaques , les Tranfylvains , les Croates & les
Tarcares. Il avoit pour cet éfet écrit au pape ^ au roi
de France & au prince de Galles. On propofk cete
expédition aux principaux chefs , avec pronjefie de
leur fournir Targent néceflaire & toutes les commo-
dités pour le paflkge. Ils délibérèrent entre eux fur ces
ofres, qu'ils refuferent, ne voulant pas s'expofer aux
périls d'un fi long voyage. Quelques - uns des leurs
qui connoifToient Ta Hongrie , leur avoient raporté ^
que dans ce pays il y avait tels détroits j que s^ils y
étoient une fois engagés , on les feroit tous de maie mort
mourir. Comme ils étoient ennemis de tout le monde ,
ils fe rendoient juftice , & craignoient qu'en cherchant
à les éloigner , on ne fongeât en même-temps à les
faire périr. Le projet de les faire embarquer pour la
croifade que le roi de Chypre folicitoit depuis ii long-
temps , n'eut pas un fuccès plus heureux. Les expédi-
tions éloignées ne tentoient pas des gens acoutumés à
trouver fans peine, dans les provinces qu'ils ocupoient,
les moyens de fatisfaire leur avidité pour le pillage.
Cependant le mal , loin de diminuer , aquéroit tous
les jours de nouveles forces. Ce n'étoient plus feule-
ment des voleurs & des aventuriers qui compofoient
ces troupes : on les voyoit incefTamment s'acroître par
l'arivée d'une infinité de chevaliers , de gentilshommes,
& même de feigneurs de la première diftinâion , qûç
le préjugé du rang & de la naiflance n'étoio pas capa-
ble de retenir. La mauvaife politique -des princes n'a-'
voit pas peu contribué à perpétuer ce mal, Ils éçoient
Charles V. 343
depuis long-temps dans Tufage d'acorder des penfions .-:
fur le tréfor à des gens de guerre de tout pays , à la Ann. 1^65.
charge du fervice militaire , avec un cerqtio nombre
d'hommes d'armes, tandis qu'ils auroient pu entre-
tenii* k meilleur marché des troupes foudoy^es & ré-
gulières dont ils euflênt été les maîtr^es. Dés au'un ^
homme d'armes avoit aquis quelque réputation > il fai-*
foit acheter fes fervices , devenait chef d'une com-
nagnie dont il djfpofoît , .& aquiéroit le droit de faire
la guerre pour le parti qtai lui procuroit de plus fortes
penfions : c^étoient fes foldats & non ceux du prince
qu'il condiiifoit ^u combat. Il n'avoit befoin pour for-
mer & augmenter fa troupe d'être autorifé par aucune
commiflion : la levée des gens de guerre ne fe faifant
pas au nom du roi 9 il h'étoit pas plus en fon pouvoir
de les licencier* La confusion étoit alors fi grande' ,
que le droit de faire la guerre fembloit apartenir à qui-
conque ofoit s'armer. Loin donc d'être furprjs qu'à la
faveur d'une pareille licence^ les compagnies fe foient
rendues formidables , on doit plutôt regarder comme
une feveur finguliere de la Providence qui veille au
maintien du royaume, que la monarckb ufait pas été
entièrement renverfée.
♦ Les principaux chefs de ces troupes étoicnt le che- Froifard.
valier Vcrd , frère du comte d'Auxerre , Perducas ^jf ^^- ^^
d'Albret , Hue de Caurelée , Mathieu de Gournay, ^^'''/^^'«•
Gauthier Huet ^ Robert Briquet , Jean Carfeuillée ,
Nandon de 6agei:^nt , Lanny , le Petit Mefchin , le
Bourg Camus , le Bourg de Lefparre , Batillet Ef-^
fiotte, Aymon d'Ortige , Perrot de Savoie, Lefcot,
ean de Éraines, Arnaud de Ccr voile , dit PArchi-
prêtre , dont il a déjà été parlé. Ce dernier fut peu
de temps après maflacré par fes gens.
Les compagnies y après avoir parcouru & pillé la
Champagne , le Barois , la Locame , & pénétré par
l'Alface jufqu'aux frontières de l'Allemagne, étoient
revenues fur leurs traces. On étoit à la veille d'éprou-
ver de nouveau leurs brigandages , lorfque l'embaras
344 Histoire de France,
Î5î5!!=!!î! où fe troiîvoit le confeil du roi fut enfin terminé par
Ann. i3^f. Tarivée de Henri de Tranftamare k la cour d'Avignon.
Ce prince ven oit pour fui vre auprès du pape la conda-
nation du roi de Caftille fon frère f qui par fa conduite
tyrannique avoit foulevé toute l'Efpagfie. Dom Fedre
( c'étoit le nom de Ce monarque , auquel on ajouta
celui de cruel , qu'il n'avoit que trop mérité , ) étoit
devenu l'objet de la haine univerfele. L'horreur des
f)euples oprimés par fon avarice (a) , l'indÎMatibn de
a noblefle dont il avoic prodigué le fang , Te reffenti-
ment des princes de fa maifon , viâimes de fes injuf-
tices & de fa barbarie , préparoieïit depuis long-temps
la perce de cet indigne monarque.
Guerre d'Ef- Henri fie propofer au roi le renou vêlement du traité
pagne. Départ nui avoit été projeté fous le règne précédent , par lequel
Scr""^*" il s'ofroit de prendre à fon fervice les compagnies qui
Hifi. dEfp. caufoient tant de maux en France. La propofition rut
Mariana & acceptée , & lon choifit pour mettre à la tête de ces
^^Froifàrd. ^^^P^s Bertrand du Guefclin , qui étoit encore prifon-
Du Tiiiec. nier de guerre. Chandos exigea cent mille francs pour
^^'/^'' ^^ fa rançon : le roi en paya quarante mille livres , le pape
chron. MS. & I^ Éaftillan fournirent le refte,
SpîciLcontin. Charles en foulageant ks Etats retiroit encore un
deNang. autre avantage de cete encreprife : il fatisfeifoit une
vengeance légitime. Fedre étoit accufé par la voix pu*
blique de la mort de Blanche de Bourbon fon époufe,
la plus bêle j la plus vertueufe & la plus infortunée
princefTe de fon temps. Cete reine fœqr de la reine de
France ^ après dix années de mariage paiTées dans la
difgrace ou la captivité , avoit fini fes jours dans le châ^
teau de Xérès y où fon barbare époux ^ félon quelques
écrivains , l'avoit fait empoifonner : d'autres aflurenç
qu'elle fut étoufée entre deux matelas. Ceux qui ont
voulu noircir la réputation de çete malheùreufe reine,
par le foupçon d'un commerce criminel avec un des
{a) A fa mort on trouva dans fes cofres cent cinquante millions , fomme
prodigicufc pour le temps , & qui paroît prcfquc incroyable. Wft. d^Efpagn'ê ^
Alariana ^ Firrgra^ , &f.
feerç?
Charles V. 345
Ibères naturels du roi , n'ont pu apuyer ccte odieufe ■
imputation fur aucun fondement vraifemblable. Ann. ij^^
On prit avec du Gucfclin les mefures les plus con-
venables pour déterminer les compagnies au voyage
<l'£fpagne. Elles étoient alors campées aux environs de
Châlôns-fur-Sone , & formoient une arniée de trente
mille combatants. Le faint père avoit employé contre
ces brigands les armes fpiritueles ; mais ils ora voient
les foudres de l'églife. Urbain ne ceflbit de les excom- Trifir des
munier : on retrouve encore dans le tréfor de nos ^^^'' J^^f*
Chartres les fentences réitérées, lancées contre eux, .& ^^^iiid.j^â.
les promelTes de pardons & d'indulgences , enfin de Bertrand du *
toutes les grâces apoftoliques à ceux qui prcndroient ^^^^^xiiu
les armes pour les exterminer. Le fouverain pontife
voyant que ces remèdes n'opéroient que foiblement fur
des pécheurs endurcis , prit une autre voie : il les
exhorta par fes bules k quiter le genre de vie qu'ils
xnenoient , en les aiTurant d'une abfolution générale
pour tous leurs crimes paiTés : ils furent aum foUrds
aux exhortations qu'ils l'avoient été aux. menaces. £n^
vain le pape fit iojftruire leur procès en plein confif*-
toire , les cita k comparoître , les condana , les dé^
clara excommuniés , agrava les cenfures , défendis
qu'on leur donnât la fépulture : vingt bules| d'interdit
ou d*indulgences , furent moins éficaces qu'une fimple
promefTe de du Guefclin. Il s'obligea par un aâe au-^
centique d'emmener hors de la r rance hâtivement j
Jansjéjour & fans exaSion , les compagnies qui étoient
en Bretagne , Normandie , pays Chartrain & ailleurs ,
moyennant une fomme que k roi devoit fournir.
L'événement prouva qu'on ne pouvoit confier cete
importante commiffionk quelqu'un plus capable de s'en
aquiter. Le chevalier Breton envoya un héraut chargé
de demander aux chefs un fauf-conduit pour les aler
trouver : l'ayant reçu , il fe rendit à leur çanip. L'arc
des négociations étoit inuàle auprès de gens que le feul
iotérèt préfent conduifoic II fe contenta de leyr repré^
fenter avec une liberté guerrière les défordres de leur
Tome V. X x
34^ Histoire de Frakce^
vie : Nous avons ajft[fait vous & moi , leur dit- il ,
latjfons. A cete brufque
des raifons plus convainquantes pour de pareilles gens :
il leur fit envifager le profit qu'ils retireroient de Pen-
treprife qu'il leur propofoit , les tréfors du roi de Caf-
tille livres à leur difcrétion j une fortune afiurée , &
pour premier éfet de fes promefTes deux cent mille
francs de la part du roi de France. Il finit fa harangue
militaire en leur annonçant qu'avant leur entrée en Ef-
pagne , il fe propofoit d'aler avec eux rendre vifîte à
fa Sainteté. On ne peut s'empêcher de regreter qu'en
cete ocafion du Guefclin eût oublié que le faint père
venoit récemment d'aquiter une partie de fa rançon.
Le projet du voyage d'Avignon étoit toujours flateur
Î^our cete foldatefque infatiable. Le* traité fut conclu
ur- le- champ : les chefs vinrent à Paris faluer le roi.
Ils furent acœuillis favorablement , on les régala f^Ien-
didement au Temple , on leur fit des préfents outre les
deux cent mille francs qu'ils touchèrent. Ils partirent
fatîsfaits , & rejoignirent les leurs pour faire les prépa-
ratifs du départ.
Le projet de la guerre d'Efpagne étant rendu public,
plufieurs feigneurs & chevaliers fe joignirent aux com*
pagnies , tels que le maréchal d'Andreghen , le fire de
Beau jeu , le Bègue de Vilaines , les 'fires d'Albret , de
Mauni , d'Auberticourt , d'Anthoin , de Brinel , de
Neuville, deBailleul, de Berguette , de Saint- Venant,
& une infinité d'autres gentilshommes de moindre dif-
tinâion. Bertrand du Guefclin fit ofrir à Jean Chandos
de partager avec lui l'honeur de cete expédition : il s'en
excufa , mais fon refus n'empêcha pas plufieurs cheva-
liers Anglois de prendre 'parti : le jeune comte de la
Marche , Jean de Bourbon , fut nommé par le roi pour
chef de Tentreprife , avec or^re de fe conduire en tout
par les avis de du Guefclin qu!i étoit le véritable géné-
ral.
Charles V. 347
Du Guefclîn , pour s'aquiter de Ùl prbmeflc , prit la
route de la Provence. Urbain ne s'atendoit pas à cete ^nn. i$6s.
importune vîfite. Lorfque Tarmée aprocha d'Avignon , ^ ^^l^^
il envoya au-devant d'elle un cardinal chargé de la me- n^fircoiff
nacer de Texcommunication , fi elle ne fe retiroit prom- «l'Ay^non.
rement du territoire de Téglife. Le cardinal s'aquita ^y^^j^sde
de cette commiflîon à contre cœur ^ fçachant trop à duGuifcUn.
.queles gens il avoit à faire. Le premier auquel il s'adrefTa
étoit un Anglois , qui lui dit : Soyer le bien venu , apor-
te^-vous de ^argent ( a ) ? Cette demande renfermoic
(a) On a fiiprimé les propos tenns de part & d'autre dans cete négociation »
difcours trop fidèlement raportés par quelques hiftoriens fur la foi des Roman-
ciers de ce ficelé. Ces produdîons grofileres d'une imagination déréglée , ne
méritent pas d'être inférées dans le corps de Thiftoire : cependant pour latisfaire
ceux des ieâonrs qui font curieux d'examiner dans ces morceatix détachés la
toumute d*efprit qui régnoit alors , on fe contentera d'en placer ici un fimpie
extraie , qui inffira pour faire îuger du refte. Du Guefclîn , fuivant le Roman
qui pone fon nom , ayant déclaré au cardinal qu'il faloit pour (on armée
, aooéoo francs 9c rabfolution , le prélat répondit que pour des pardons on lui
en donneroit tant qu'il vondroit , mats que pour de l'argent c'6toit une autre
afaire. Bertrand reprit que fes gens préféroient l'or à l'abfolution. ^'Ce font tous
»> des earnements , ajouta-t-il , nous les faifons prud-hommes malgré eux. <(
Il con&lla an prélat de fe déterminer promptemcnt. Le cardinal fit Con raporc
au pape , & lui remit en même-temps la confeffion générale de toute l'année
ca ces termes : '
Je TOUS viens aporter la lot confeflîon s
Us ont ars maint moutier » mainte belle maife»
Occis femmes , cnfans , à grande deftrudion «
Pucelles Tiolées Se dames de grand nom , &c» .
Four tous ces crimes ils demandent rabfolution» Us t'auront , dit le papei
mais lorfque le cardinal ajoute qu'ils exigent xooooo francs » ie faint Perc n'en
veut point entendre parler. Enfin voyant dans la campagne les ravages conunis
par les compagnies , il fe réfolut à faite cotifer les bourgeois d'Avignon. Le
prélat retourne au camp avec la fomme. Bertrand inftruit de la onaniere dont
die avoit été levée , fe fait un fcrupule de la recevoir.
Ha Dieu ! fe dit Benrand , or vois-je chrétienté
Pleine de convoitife & de déloyauté ;
Avarice & orgueuil te toute vanité
Demeure en fainte Eglife & toute cruauté ^
Cil qui doivent garder fainte chrétienté
Et donner de leurs biçns pour Dieu de ivajefté ;
AS 11
348 Histoire de Frakce,
^. Tunique objet fur lequel Te prélat devoit diriger fa mit-
Ann. 1)^5. fion. Les généraux lui répétèrent à-peu-près la même
chofe , en termes plus ménagés. On fit quelques difi-
cultés : cependant les troupes ravageoient les environs
d'Avignon. Le pape voyoit de fon palais la défolation
des campagnes ; il falut céder & acheter l'éloignement
de ces brigands y en leur acordant ce qu^ils demandoienc.
Les généraux n*étoient que foiblement obéis par une
armée compofée en grande partie de voleurs & de fcé-.
lérats , la lie des nations de l'Europe , acoutumés aux
forfaits & à l'indépendance. C'étoit beaucoup que de
pouvoir modérer leurs brigandages , en ne les laiiTanc
féjourner dans les provinces que le moins qu*il étoit pof-
fible.
Ann. i}6é. Ces hôtes incommodes étoient atendus en Efpagne
GucrrcdEf- ^y^Q autant d'impatience qu'on en avoit en France
Sc^ranftama- jpour leur fortie. Du Guefclin, après avoir traverfé ra-
re détrône pîdemeut le Languedoc & le refte de la France méri-
^«rwEr ^^^'^^^^ 9 ^^^^^ ^^^^ 1* Aragon. A Tarivée de ces trou-
j/lJiânaJtf" pes , les places prifes fur TAragonnois par le roi de
Ttras^Ajda^ CaftiUe furent emportées. Henri de Tranftamare vînt
^^FroiiTari \^^^^^^ ^^ Gucfcliu , avec lequel il entra en CaftiUe.
OrotuMS. Jamais révolution ne fût fi prompte : ce fut plutôt une
courfe qu'une conquête : Henri le préfenta devant Ca-
lahorre qui lui ouvrit fes portes. Ce fut en cete ville
qu'à la perfuafion de du Guefclin , de Hue de Caure-
ree , & du comte de Ribagorce , il fe fit pour la pre-
mière fois proclamer roi de CaftiUe. Sans perdre de
Ce (ont eux qai le tiennent enclos & enfermé ,
Et (prennent tout par-tout tfc ont tout demandé «
Et non tiéant vaillant de leur propre hérité , fie.
Après cette indécente exclamation il Renvoya le cardinal , en aiTurant <fo*]|
précendoit que l^argent fût rendu aux habitants & que la fomme fut tirée do
créfor de leglife. Toute cette relation , qui ne fe trouve que dans le Roman
en vers de la vie de du Guefclin , paroit fufpeâe* Un écrivain qui fe fonde-
roit fur de pareilles autorités , quand elles ne font pas confirmées par des au-
teurs plus graves , donneroit au-lieu d'une hiftoire » un tilTu de faolcs abfor-
des , aventurées par de mauvais veifificateurs^
Charles V, 349
temps , il marche vers Burgos , où Dom Pedre intimidé ■
n'ofe Tatendre. Rien n'eft capable de calmer i'éfroi du Ann. i}66.
tyran. En vain les principaux habitants , les feigneurs ,
& ks généraux le preffent de marcher à Tennemi , le
conjurent de ne pas douter de leur zèle & de leur fidé-
lité : convaincu par les remords dont il eft déchiré ,
qu'il n'a mérité Tatachement d'aucun de fes fujets , il
le retire avec précipitation à Séville , dans le delTein
d'enlever de cete ville fa famille & fes tréfors. Tout
plie fous le nouveau roi : viftorieux fans avoir comba-
tu , il foumet en paflant Navarette , il arive k Burgos ,
sy fait proclamer pour la féconde fois ; fans s'arêter il
fc remet à la pourfuite de fon frère : à peine la ville
de Tolède ofe-t-elle réfifter un moment. Maître abfolu
de la nouvcle . Caftille , il pafTe en Andaloufie. Les ha-
bitants de Cordoue le reçoivent ^ il entre à Séville , il
J7 trouve un. tréfor immenfe, que* la précipitation avec
aquele Pçdre avoit abandonné cete ville , ne lui avoit
{)as permis d'emporçer. Il pénètre enfuite dans la Ga-
ice , qu il foumet en partie , & revient tenir les Etats
à Bureos.
Le barbare & malheureux Dom Pedre en partant Pcdrc fugitif,
de Séville avoit envoyé Béatrix fa fille avec une partie ^^ f"'^^ *^
de fes tréfors au roi de Portugal fon alié , dont le fils ^^^l^J^'^
devoit époufcr la princeflb. Les circonftances ne déci-
dent que trop fouvent de Tamitié des fouverains. Pedre
étoit détrône , fugitif. Le roi de Portugal lui envoya
Béatrix & (es tréfors , en lui faîfant hgnifier de ne .
pas entrer plus avant dans fes Etats. Le roi de Caftille
privé de la feule retraite fur laquele il comptoit , fut
obligé de fuir dans la Galice. A rivé dans cete provin-
ce , le mauvais état de fes afaires , loin d'adoucir la
férocité de fon ame , parut n'avoir fervi qu'à l'iriter :
il laifToit en tous lieux des traces de fa cruauté. La
mort de l'archevêque de Saint- Jacques , mafîacré à la
porte de Téglife , & celle du doyen de cete cathé-
drale immole au pied des autels y en préfence même de
ce prince inhuAiain 1 furent les dermers éfets de fa fu-
3^0 Histoire deFrance,
! reur (a). Sa crainte redoublant fans cefle , il fut bien-
Ann. i}66. tôt obligé de s*embarquer à la Corogne pour aler en
France implorer le fecours d'Edouard : heureux dans fa
difgrace de trouver dans la générofité de ce prince un
afyle & des fecours dont il étoit fi peu digne.
Le départ des compagnies acheva de rendre le calme
après lequel on foupiroit depuis fi long - temps. Les
peuples ne pouvoient fe lafler d'admirer & de combler
de bénédiâions le prince auquel* ils étoient redevables
de cet heureux changement. Charles ne perdit point un
temps fi précieux. On le vit apliquer tous fes foins à
réparer les maux ocafionnés par les défordres précé-
dents. Economie dans les' finances y rétablifTement des
monnoies. 9 modération des fiibfides , prVteâion des
cultivateurs , liberté du commerce ; il n'y avoir pas une
feule de ces parties qui n'exigeât une atention particu-
lière.
Monnoics. L'altération des monnoies avait befoin d'un promc
RecœuU des remède. A la faveur des infidélités commifes dans les
tfr^o/i«fl«««. refontes , il s'étoit introduit dans le royaume quantité
cour^^£'s mon- ^^ mounoies étrangères d'un aloi encore inférieur. Le
noies joLiix^ TOI pourvut k cct inconvéuicnt , en raprochant le prix
^iA/i/o/iif. ^^^ métaux de la valeur qu'ils avoient fous Philippe de
Valois ( b) . Par ce moyen les efpeces febriquées hors
du royaume fe décréditerent d'elles-mêmes y quoiqu'on
eût acordé un délai pour le décri. Les gages des ofi-
ciers des monnoies turent réformés & fixés : les ofices
de contre-gardes , jugés inutiles , furent retranchés , &
leurs fondions atribuées aux gardes. L^éçablifiement
d'un hôtel des monnoies dans la ville de Tours eft de
ce même temps.
Il n'étoit pas moins nécefiaire de fonger au foulage-
{a) Tant de meurtres & de facrîlegcs multiplièrent fur fa cétc les anathémes
^Iminés contre lui par le pape. « Il fut avifé , dit Froiffard , qu il n'étoit roîc
» digne de poner le nom de roi, ne de tenir le royaume, U. fut en plein con/îf-
» toirc d'Avignon , en la chambre dcsi excommuniés , ^publiquement déclaré
» & réputé pour B & incrédule «.
^ {h) Le marc d'or fin fut fixé à foixaote-quatre livres • 8c le marc d aident à
cinq livres cinq fous. '
.çient des provinces ruinées par la guerre , en modérant — "^^
le poids des impofitions donc elles étoient acablées. Le Ann. i^eé.
roi leur acorda cece grâce aufli conforme à la juftice Diminution
Su'k l'humanité. La jnupart obtinrent des diminutions ^^VS^^r"^?
efeux (a). Pour comprendre le fens de cete expref- Chartres.
fion 9 il eft à propos de fe rapeler que les.fubiides KecœuU des
étoient impof^s par familles ou teux. Les états conte- ^''^*^'*"^''"^'
nant le nombre des feux renfermés dans chaque pro-
vince y avoient été drelTés dans des temps où la popu-
lation étoit beaucoup plus confîdérable qu'elle ne Tétoit
alors ; cependant la néceflité avoit contraint de fuivre
toujours Tanciènne répartition , en forte qu'on reietoit
fur les familles qui exiftoient y la part de l'impolition
qu'on ne pouvoit plus lever fur celles qui étoient étein-
tes. Ce genre de vexation difparut fous le règne de
Charles.
. Des commifTaires , chargés dMnftruâions particulier Domaines.
res , furent envoyés dans les provinces pour examiner Ckambredes
l'état des domaines , dont les revenus formoient alors ^^uiD^foi
la plus grande richelTe du fouverain. Ces commifTaires ^99.
étoient chargés de raporter les procès-verbaux de leurs
perquifitions , afin que fur leur raport le confeil fût en
état d'ordonner les réparations & les améliorations dont
le patrimoine royal étoit fufceptible.
La France reprenoit une face nouvele. Les habitants Agriculture.
des campajgnes labouroient cete terre dont la fécondité
avoit été fi long- temps ralentie par les horreurs de la
guerre : l'abondance renaquit du travail paifible des cul-
tivateurs. Les Eîfançois , plus que toute autre nation ,
oublient aifément les malheurs paffés : plufieurs années
de ftérilité font éfacées par une année d'abondance. Ils
doivent peut-être moins cete heureufe difpofition à leur
caraâere ^ qu'à la nature du climat , & à la fertilité '
du pays qu'ils habitent.
yuoique le commerce fût bien éloigné de cet état Etatd
de '^rofpérité où nos pères l'ont vu s'élever par les foins "*""•
{é) On trouve dans le Tr^ for des Chartres plus de deux cents 'lettres de cece
espèce 9 expédiées en faveur des diférentc$ villes & communautés.
; du coBi-
5^2 Histoire de France,
■ vigilants du minîftre d'un de nos plus grands roîs ; il*
Ann. 1^66. ^^ £^^^ ^^^ cependant s'im agi ncF qu'il fôt alors abfolu-
Manufaaorcs. ment négligé par un peuple aâif & induftrieux. Nous
avions en France plulieurs manufaâures , groffieres à
la vérité , mais qui auroient pu nous fufire , fi le luxe
n'a voit » fait donner la préférence aux ouvrages étran-
gers. On frabriquoit des draps dans pluffeurs villes,
leles que Paris , Rouen , Amiens , Tournai , Reims ,
Carcanonne ,' Marvejols , Saint ^ Orner , Dourlens ,
Châlons , Térouane , Beaiivais , Louviers , &c. On
îgnoroit à la vérité la manière de préparer les laines
avec autant de fuccès qu'en Flandre. JHruxelles fournilToit
les draps fins pour les habits des feigneurs 6c des gens
riches, il en étoit k - peu - près de même de toutes nos
autres manufaâures. Les plus bêles étofes de foie nous
venpient d'Italie , Quoique depuis long-temps les mar-
chands Italiens eunent aporté des vers à foie dans nos
provinces méridionales.
Corps des Depuis lonç-temps dans nos grandes villes , les mar-
marchands. chands & artifans étoient réunis en corps de commu-
nautés, diflinguées les unes des autres p^r des privi-
lèges , des ufages & des flatuts qui leur étoient par-
ticuliers. La plupart de ces établilTements avoient été
inftitués par faint Louis; mais il n'avoit fait que con-
firmer Içurs coutumes , dont l'origine remontoit à des
Tréfor des temps bien antérieurs. La fingularité de quelques-unes
chart. reg. ,4, de CCS coutumes témoigne leur ancienneté. On trouve
du chàteUt^^ P^^ exemple dans les loix de la confrairie des drapiers
p. 78. ' de Paris , qu'aux rejpas publics de cetfc communauté ,
Rtcœuildis jj y ^y^jf ^^ p^^ deftiné pour le roi. Item le roi notre
Jeigneur doit avoir Jon mets entier. Ces velbges de 1 an-
cienne fimplicité fembleroient annoncer que nos rois
jadis ne dédaignoient pas de fe trouver à ces fortes
d'affemblées.
Les marchands & artifans formoient dans les villes
le corps le plus confidérable , la nobleffe pafTant ftne
grande pal-tie de Tannée dans les châteaux, lorfqu'elle
n'étoit pas employée à la fuipe de la* cour ou ckns les
armées.
, C H A R 1^ s s V. 3^3
jnrftiéeiSt Les compagnies générales de commerce diftri- 1
bxxéc^ en diférences çlaiTes fe)bn les diyerfes profeffions Ann, ijé^.
qu'elles exer^oienc , s'étoienc acrues fucceflivement par
les privilèges qu'elles avoienc obtenus.
Le plus aiipien de coqf J^ç. corps de marchands du
royaume , eft fans , contredifi celui des marchands de
Pftris* Poui? découvrir rorigine du corps municipal
connu de nos jours {q\x$ le nom d'hôtel-^e-yille , il faut
remonter plufieurs fiecles au-delà du commencement
de la monarchie. Il y a près de dix -huit cents ans Mim. délits
qu'il exiftoii; fous l'epipire de, Tibère une fociété de ^^'^^^^'^^^^^^
commerçants par eau, défigpée fous le nom de Nauta M.Bonamy.
Parijîaci: Cete fpciété' n'^ jamais éprouvé d'autres in- ^'f*"^^ f^j
téruptions que celles qui ont' dû naturélement être nlft.'df^FarU.
ocafionnées par les révolutions dans le gouvernement j Recœuii des
& ces fufoenfions momentanées ne l'ont pas empê* ^'^'^Tr^for^^^s
chée de fubfifter jufqu'à ce jour. Sous le règne de Chart.rcg.io.
Louis VII, les bourgeois de Paris commerçants fur
la Seine , obtinrent du roi la confirmation des privi-
lèges dont ils avoient jpuï fous fes prédécefleurs. Ils
venoient d'aquérir des religieufes de Haute - Bruyère chan.deia
un emplacement hors de la ville, dans le deffein dy ^^^'"*''* ^"
établir un port pour la commodité de leur commerce. ^'"^"^'
Cete conimunguté de marchands étoit apelée Hanji ,
d'un ancien mot celtique quiiignifie fociété. Elle avok ^
le privilège exdufif de tout commerce par eau. Les
négociants étrangers qui youloient amener des mar<-
çhandifes pour leur propre compte, étoient dans l'obli-
gation de s'y faire agréger & de s'aflocier avec un
marchand hanfé de Paris , qui les acompagnoit pen^
dant le cours du débit de leurs marchandifes. Les rois Gnftitrhà^
acorderent à la fociété dt^ marchands de Veau ^ la ul-it-yiUu
moitié des amendes & confifcations : ils leur atribuerent
Î>lufîeurs autres droits, tels que la levée de quelques
égeres impofitiqns fur diférents corps, la faculté d'a-r
yêter leurs débiteurs. Ces prérogatives excitèrent l'ému?
lacion de la plupart 4es bourgeois , qui s'empreiTereni
4'y être., admis.
354 HisToini Di Faai^ce,
'iSSSS!!;;!^ Les marchands dt Vtau y pour la direâion des afairet
Atifi. i^w. communes de leur fociété, avoient fait choix d'un pré*
wa^ch^^d^*^* v6t , qui aflifté d^oficiers inférieurs , apelés Eckevins ,
£chcvins. exerçoic une jurifdiâion particulière (ur eux. C*eft à
^ete inftitution que Ton peut atribu^r Torigine de la
police & infpeâion que le prévôt des marchands 6c les
échevins ont fur la rivière. Lès avantages que les mar-
chands retiroient d'une pareille union durent faire afpi^*-
rer tous les corps de commerce à s^ faire agréger >
enforte que tous les habitants de Paris > bourgeois ^ né^
gociants èc artifans , eurent une relation immédiate ou
indireâe à eete aflbciation générale. La jurifdiôion du
prévôt des marchands & des échevins embrafïa par ce
moyen prefque toute la ville dans fon reffort. La né-
celficé où fe trouva le gouvernement d*impofer difë-
rences aides fur les Parifiens, acrut encore Tautorité
du corps municipal. Les rois lui atribuerent la connoif^
fance des conteftacions entre les coleâeurs & les habi-
tants. L'impofition de la capitàtion fe fait encore de
hôs jours par le prévôt des marchands & les échevios»
Ils turent apelés aux affemblées de police y aux élec-
, tions des jurés. On a vu fous le règne précédent quele
étoit Tautorité des magiftrats municipaux , par labus
que Marcel & les échevins firent de leur errait fur le
peuple.
Les afaires concernant îe commerce fe traitotenc en
commun. Les marchands ffe rendoient pour tenir leurs
conférences , dans un lieu apelé de toute ancienneté ,
h pariottcr aux bourgeois. Ces aflemblées fe tenoient
fous la première race , au Keu où font aâuélement li-
tués les Jacobïtts de la rue Saint- Jacques. Sous les der-
niers defcendants de Gharkmagne , cetc partie de la
ville avant été détruite par les ravages des Normands ,
le parlouer aux bourgeois fut transféré dans une mai-
fon près du grand Châtelet , où Ton contînna de s'af-
fembler jnfqu'aûx dernières années du règne de Jean.
Ce fut pendant la prifon de ce prince que Marcel &
les échevins firent Taquifition d'une maifbn fituée dan«
Char£ss V. 35^
la place de Grève y apelée la mai/on aux pilliers : ce
bâtiment avoît anciennement apartenu aux dauphins de
Viennois. Le prix de cet achat fut de deux mille qua*
tre cents florins d'or {a). Uemplaçement de cete mai*
fou ocupoit une partie du terrein fur lequel eft conf-
truit rhôtel-de-vtUe. L'ancien édifice fltt démoli fous
le règne de François I , qui fit jeter les fondements du
nouveau bâtiment , achevé tel que nous le voyons
aujourd'hui , fous le règne de Henri IV.
Le roi encouragea toutes les diférentes efpeces de
négociants & d'artifans par le renouvélement & Fau-»
gmencation de leurs privilèges. Non content de pro-»
réger le commerce intérieur , il atira les étrangers^
Ij€s Caftillans y les Poctu^s, les Italiens fur « tout >
qui étoient alors en poflemon de Êiire le commerce
maritime le plus étendu , furent invités à fréquenter
nos ports par les exemtions & par la liberté qu'il
leur acorda.
Les foins utiles dont le monarque s'ocupoit , ne Teffl*-
pêchoient pas d'orner fes palais 6c d^embélir la capi-
tale. Il avoit &it conftruire l'hôtel de SainD-Paul (a)
qu'il habitoit préférablement k toutes les demeures royar
les.. Il apeloit ce palais V hôtel folennd des grands éaaf
tcments. Il l'unit irrévocablement au domaine de la
couronne : il déclara même dans les lettres d'union,
qu'il la faifi>it pour la finguliere afeSion qu\il portoit
audit hôtel , auquel en phijUurs ptaipjs il avoit aquis
& recouvré à Vaide de Ùïeu fanté de pbifieurs grandes
maladies. Quoique ce palais fût fbmptueux pour le
temps y c'étoit moins la magnificence du bâtiment que
rafpeâ riant de fes jardins étendus le long des bords
de la Seine i qm Àiloit de ce £é)our un lieu de délices
pour le roi. L^art du jardinage n'avoit pas encore écé
Ano. xji^.
Trifor des
ckanr, ^.97,
Recœuil dts
ordonnaïuesm
lAtiments.
Union de
rhôtel de Se-
Paul au do-
maine.
Chambre des
Comptes , mé-
morial D, foU
70 , reÛOm
Recœuil des
ordonnances*
M Celte Comme reTieot à $%s^i Hv. tf C 6 <L de notre monnoîe.
ii) Cet hocel éioit bâti encfie le lien od eft la me du Ptdt-Mafc on des Cé^
leftlns , Se réglife de faint Paul dotit il tiroît (on nom. Le jardin conteaaac
y t9Ç tcpencs » s'&e^deic xks «ôoé de la xracsc yaGfofaa port an pi&cre. La Marrer
Traité de la iolk$ » tom. % » mt. x%u
Yy ij
3$* Histoire de Fraz^cEi
■ porté à ce degré d élégance & de perfeâion, qui rcC-
Ann. 1^66. treignant Ics agréments d'un jardin au feul plaifir de la
vue & de Todorat y en a banni abfolument ce qui peut
flater le goût. Les arbres fruitiers , les plantes utiles^
les légumes difputoient aux fleurs , aux ifs , aux til-
leuls ,. rhoneur d'cmbélir les vergers de nos aïeux. Cet
agréable défordre qui révolteroit aujourd'hui notre dé-
licatefTe , ofroit peut-être un fpeâacle aufli agréable que
nos par terres, figurés , dont Parangement paroît vouloir
aflervir les beautés touchantes de la nature , que Tart
devroit fe contenjer d'imiter. Des treilles , des ton-
neles ou pavillons de verdures embéliffoient ces enclos
champêtres. On y voyoit des arbres fruitiers de toute
efjpece à haute tige : Tufage des arbres nains & des
efpaliers n'étoit pas encore connu. Le roi fit mettre en
une feule fois cent poiriers , cent quinze pommiers ,
onze cent vingt-cinq cerifiers (a) & cent cinauante
pruniers. Ces fruits étoient deftinés pour les tables du
roi , de la reine & des grands commenfaux de leurs
. maifons : on ne fervoit que des noix aux tables des ofi-
ciers inférieurs. On ne creufoit point la terre pour y
captiver des eaux inutiles : àu4ieu de badins & de
Î'ets-d'eau , de grands viviers remplis de poiiTons ofroient
e plaifir de la pèche. Les jardins du palais des Tour-
. xieles y ainfi nommé du grand nombre de tours dont
il étoit environné , étoient à-peu- près femblables à ceux
de Phôtel de Saint-Paul. On avoit pratiqué dans ceux
du palais des Tourneles un afiemblage de \plufieurs
alées y auquel on avoit donné le nom de dédale ou
labyrinthe (a). Ces deux hôtels furent conftruits dans
le même temps.
Fondatioa Près de Thôtel de Saint-Paul , le roi fonda le mo-
^^Puil ^^ naftere des Céleftins, fur le terrein qu'ils ocupent en^
(a) Les rues da quartier Saint-Paul qui ocupent une partie du texreiD oà
étoient finies les plants des cerifiers 6c Jes treHles de ces jardins , onr retena
les noms de Beautreillis & de la Cerifaye. La Marre , Traité dt la Poiice,
icm. 3 « pag. )Sri.
(If) A reztrémité du jardin de Thotel des Tourneles » il y aToit un paix co^
touié de fimplcs pieux , d'od la rue du Parc Royal a tiré fou nom. JUd.
C H A R I E s V. 357
COre aujourd'hui; Il pofa lui-même la première pierre -i
de l'éghfe, & donna pour la fondation de cete niaifon An«*- ï3<f^.'
quinze mille écus d'or , k prendre fur le receveur de J^^^'^'f^^
Paris. Cet& fomme étoic due par les Juifs pour certaine \klmhTt dtJ^
grâce qu^ïls avaient obtenue {a). L'ordre ces Céleftins comptes.
avoic été inftitué dans le treizième fiecle par Pierre de
Mourrfaon , qui parvint au fouverain pontificat fous le
nom de Céleftin V. Le roi avoit une fingulieife afec-
tion pour ces religieux. La maifon des Céleftins de
Mantes lui eft auin redevable de fa fondation.
L'inftitution delà confrairie des fecrétaires du roi, fous Confrairic des
rinvôcation des quatre Evangéliftçs , dans l'églife des Ce- S! ""'''' ^"^
ledins de Paris , eft du même temps que TétabliiTement Mémoriaux
de ce monaftere. Cete compagnie a toujours continué ^^ }<^ Chambre
jufqu'à ce jour , d'y tenir (es aflemblées. Le roi , en fegifi^^^o^li*
aprouvant cete congrégation , confirma les privilèges foi. 299.
dont avoient toujours jouiy^y norair^j & fecrétaires. La ^^f^^^^^^^^^
connoifTance des caufes où ils pouvoient être intéreffés ,
étoit atribuée aux requêtes de Thôtel. Cete afibciation
étoit foumife à des loix audi utiles que fages : lorsqu'un
des fecrétaires du roi tomboitdans l'indigence, & qu'il
découvroit fon état à la compagnie , chacun de fes
confrères étoit tenu de lui prêter tous les ans vingt
fous parifis , qu'il n'étoit dans l'obligation de rendre
qu'en cas cjue les afaîres fe rétabliflent. Les ftatuts pref-
crivoient jufqu'à la forme de l'habillement. Il eft die
qu'ils feront vêtus décemment , cju'ils ne pouront s'ha-
biller de robes rayées ou mî-parties de deux couleurs ,
[ c^s robes étoient pareilles k celles que portent encore
aujourd'hui les bedeaux des églifes] qu'ils ne porte-
ront point de tunique avec de longues manches def-
cendantes jufques fur les mains , [ on apeloit ces man-.
ches des moufles ] & qu ils ne chaufferont point de^
poulaines {b).
(a) Les lettres ne s'expliquent point far la namre de cete grâce , qai étoit pro-
bablement une prolongation du temps de leur féjour en France.
* (fi) Dans le quatrième volume de cete hiftoire il a déjà été queftion de cete
chauflure ndicule, co^ue laquele le roi fit publier un févcrc ordonnance 5 elle'
3$8l Histoire de France^
- '. Quoique Charles , par toutes fes aâions , parue m
Ann. i)^^. defirer autre chofe que de foulager la mifere des peu-
séditioa à pjçg cependant répuifement des finances ne lui avoit
Tournai» * *»ii'»' i» a tir*
Tréfor du P^^ permis de diminuer les impots au gré de Ion m-
chlnr.reg.A» clinsition bîenfaifante. Xa levée des fubudes ocafîonna
R^r * ^'Vd' ^"^ fédition à Tournai. Ce fbulévement eut moins pour
ordon^Lts!^ ol>jet l'impôt , oue la manière de Texiger. Les plus ri-
Spicii. cont. ches hsbitants de cete ville étoient dans Tufage de fe
dt Nang. rendre adjudicataires de ces levées , dont enfuite ils fai-
foient eux-mêmes la répartition. Les citoyens moins
aifés^ fe plaignirent de Tinjuilice des exaâeurs. La
ville fe trouva divifée en deux faâions : le peuple prit
les armes. Le rot informé de ce mouvement ^^y en-
voya Edouard de Renty , chevalier de Picardie. (Je fci-
gneur fe conformant aux intentions du prince , apaifa
la révolte , fans employer les voies de rigueur. La ville
fut punie pendant un temps par le retranchement de
fes droits municipaux. Le roi y dans les lettres qui
prdonnent cete fufpenfion ^ y parle moins en fouveraia
qui févit contre des rebeles , qu'en père qui corigc fes
iiidfoi.140. enfants. Trois années après y lorfque le tumulte eue
été pacifié y &• les habitants réconciliés entr'cux, leurs
privilèges leur furent rendus.
Le Prince de Cependant Tarivée de Dom Pcdre à la cour du prince
SdïfurK" de Galles avoit produit une féconde révolution en Caf-
trône de Caf- tille. Le jeune Edouard héfita quelque temps à fe dé-
cille. clarer en faveur du monarque détrôné : à la fin , la
^çZfn'^MS g^^^^"^ ^^ Tentreprife , la gloire de rétablir dans
ne fut abolie entièrement que (bas le règne fuivant. A cete mode extravagante
fnccéda celte des fouliers faits en bec àt canne , remplacée enrotoe f9S des
pantoufles d'un pied de latge. On ignore l'origine des fouliers à poulaioe.
Voici la plus vraifemblable des diférentes opinions^enri fils de Geofroi Plan-
tagenet comte d'Anjou « étoit cftimé Ton des princes les plus acomplis de (on
temps. Sa beauté , (a uitte ayantagcufe cicicoient radmication de tov les
courtifans. Un feul défaut défiguroit cet extérieur prévenant : il avoit à rezzré-
mité du pied une.croiflancQ de chair aflèz longue. Pour dérober la vue de cete
diformite , il portoit une chauflure dont le bout préfentoit une (orme 4e
grife. Cece chaufTute biaace fut attfli^6t adoptée par les feigoeocs 'j U le pco-
pie , vrai finge de la aobleiTe , ne tarda pas à L*ia&iter. Cece mode fiibCfta
pendant plus décrois fiecles. FU. Cbro^ol. Trivdli ^ witiiu 4a Naof^ frJ$
^mtri^mc vol* 4^ cçt4 hifi»
C H À R t E •$' V^ 359
Ces ' Etats un !roi , indigne du trône k la vérité , mais ■
fouverain légitime , & cece générofité qui lui étoit na- ^nn. i^^^.
turclc , le déterminèrent. Il ne voulut pas toutefois ^]^qJ?^i{/^
prendre une dernière réfolution^ fans confulter le roi wfk^^Efpa'gn.
ion père. Ajrant obtenu ce confcncement , il fit fes Marîana ,
préparatifs; le duc de Lencaftre fou fircrc fe difpo-. il%'J'''''
loit à partir de Londres pour fe rendre auprès de Mém. de lU^
lui : le brave Chandos devoit Pacompa^ner dans cete ^^^^^^^ ^
expédition* l^its compagnies qui avoient placé Tranfta*
mare lur le trône , n'eurent pas plutôt apris que le -•
prince de Galles les mandoit, quelles ne fongerent
plus qu'à prendre congé du nouveau xoi de Cattille y
qui les laiuà partir après les avoir récompenfées. Ots
troupes ne joignirent 1^ prince , qu'après avoir effuyé
beaucoup de dificultés. Le roi d'Aragon / dié de
Tranftamare,^ avoit fermé les paiTages de fes Etats;
le comte de Foix voulut auffi les empécber de palier
{\XT fes terres : elles furmonterent ces obAacles« On les
vit acourir par diférentes routes au rendez -vous de
l'armée qu'Edouard aflêmbloit en Guieone. Le féné-
chai de Touioufe & le comte de Narbonne ayant mis
Qudques troupes fur pied , ataquerent quelques -* unes
de ces compagnies qui s'étoient renfermées dans Mon*
tauban. Ces brigaxuls renforcés par la jonâion de .
plufîeurs de leurs compagnons^ remportèrent une vîc«-
toire complète , & nrent quantité de prifonniers ,
qu'ils renvoyèrent fur leur parole. Ces pnfi)aniers ob*
tinrent une difpenfe du pape pour ne point aquiter
leurs rançons. Lorfque \z prince eut annoncé fon def*
fein, les grands vallaait de (a principauté dT Aquitaine
s'emprefferent de venir l'aflurer de leur atachement.
Edouard oui vouloit fonder les difpofitions de ce% Sei-
gneurs y demanda au fire d'Aibret quel nombre de
combatants il pouvoit loi fournir. Sirc^ répondit d'Ai-
bret, fi je vouhm prier uns nus féaux > j ^aurais bim
milît tances {a) y & toute ma tare gardée. Le prince
(«) Mille tanccsçWTokat fewicr tm corps tk ^loq à fix wilk homnwi.
Ann. H66.
Histoire de France,
idit
^^^^ ron çui peut
bien jcrvir' fort feigneur avec mille lances. Se retournant
enfuite vers le feiçneur Gafcon : Sire d* Albut , pour-
fuivit-il , je les retuns tous. Quelque temps après le
prince fit des réflexions , & conçut quelque ombrage
de la puiflânce de ce feigneur. Il lui manda de congé-
dier une partie de fon monde , & de n*en retenir que
deux cents. D'Albrçt fe.tint fort ofenfé de ce contr'or-
dre : il s'en plaignit avec hauteur; & l'afàire auroit
eu des fuites fans le comte d'Armagnac fon oncle ,
qui l'apaifa. Froiffard , qui étoit à Bordeaux dans le
temps de ce démêlé , affure o^ la fierté du prince en
cete ocafion & le reffentimenticcret du feigneur d'Al-
bret , produifirent les premières femences du fouléve-
ment de la Guienne contre la domination Angloife.
Ce fut peu de temps avant l'expédition de Caftille ,
Sue la princeffe de GaUes donna la naiflance au prince
Lichard^ fucceflèur d'Edouard III, fon aïeul. Le.
prince n'avoit retardé fon départ , que pour affifter
aux couches de la princeffe x rien ne V arêtant plus , il
hâta fes préparatifs. Ses troupes étoient norabreufes &
aguéries. Le duc de Lencaftre l'étoit venu joindre avec
un nouveau renfort d'Angleterre. Jacques , roi titu-
laire de Majorque , mari de Jeanne, reine de Sicile,
s'étoit rendu auprès de lui, dans l'efpérance de venger
la mert de fon père, que le roi d'Aragon avoit tait
mourir en prifon , & de faire valoir les droits à la
feveur de la révolution qui fe préparoit. Le prince lui
promit de le "rétablir après l'expédition de Caftille.
L'armée ne pouvoit entrer en Efpagne que par les
Etats des rois de Navarre & d'Aragon. Ce aernier
étoit allé de la France & du nouveau roi de Caflille.
Le Navarrois avoit auffi. conclu un traité avec Tranf-
tamare ; mais ce prince , peu fcrupulçux obfervateur
de fes promeffes, pouvoit âifément être gagné ; la
dificuUé confif^oic à fixer fon incoqfliancç. (a coiv-
duitç
Charles V. 36'!
^uite de Charles -le -mauvais dans cete circoitiftance , •
donc il eût pu tirer avantage , prouve que la mauvaife i^nn. ij^r-
£bi & rinftabiJité font les plus dangereux* écœuils de
la politique. Trois fois on le vit changer d'aliés : tan- publ!^om.\ \
tôt ami de Dom Pedre, auquel il vendit fa foi cin- part.i,p,ii6,
quante-fix mille florins d'or, tantôt uni avec Tranfta- ^-{f^'
mare , il finit par fe faire arêter prifonnier , & ne re- ' •^•"^•
CŒuillit de tant de variations que le mépris des deux
partis.
Henri de Tranftamare , informé^de ce qui fe paflbit,
n'ctoic pas fans inquiétude : ce prince tenoit alors les
Etats aUbmblés à Burgos. Du Guefclin ne lui diffimula
point le danger ; il lui propofa de pafler en France ,
avec promefle de lui amener un fecours de chevaliers
François & Bretons , plus confidérable par la valeur
que par le nombre : il partit tandis que le roi prenoit
avec les Etats les mefures néceflkires pour s'opofer k
Tinvafion dont on étoit menacé. Il n'eut pas de peine
à mettre fur pied une puifl'ante armée ; Tafedion de
la noblefle & du peuple , & la crainte de rentrer fous
là cruele domination de Pedre , excitoient les Cafl:il-
lans à fe ranger' à Tenvi fous fes étendards.
Cependant le prince de Galles étoit arivé dans la ^\?^^}^^f^
valée de Roncevaux , incertain de l'exécution des pro- çn^j/^çn^£f!
mefles du roi de Navarre , quoiqu'il vînt récemment pagne.
de fîgner un dernier traité. Edouard reçut à Ronce- Froîjfard.
vaux un cartel que lui aporta un héraut d'armes de la
part du comte de Tranftamare. Henri dans ce dcfi ,
après avoir repréfenté au prince qu'il ne s'écoit point
atiré fon inimitié , finiflbit en lui difant : Vous ave[
la grâce & la fortune d^armcs plus que nul prince au--
jourd^hui , pourquoi rious croyons que vous vous glori^
Jie^ en votre puijfance , & pour ce que nous fçavons de
vérité que nous quérc[ * pour avoir bataille , veuiller * Ckerchei^
nous laijfer fçavoir par quel le:^ * vous entrerez en Caf * C^d/^.
tille , 6r nous vous irons au-devant pour garder & dé^
fendre notre feigncurie. Donné y &c. Le prince conçut
dès Ce moment beaucoup d'eftime pour Henri. Ce ^a-
Tome V. 2i %
<^6i Histoire de France,
^ï^^^ï^ïï=!= tard y dit- il à fon confeil , e/i un chevalier plein de
Anu. xjtf> grande prouejfe. II fit retenir le héraut jufqu à nouvel
ordre , & pourfuivit fa route vers Fampelune , où il
efpéroit trouver le roi de Navarre ; mais ce prince
a voit encore une fois changé de deffein. Intimidé par
le roi d'Aragon, & gagné par Tranftamare , il eût
bien voulu ne pas tenir l'acord qu'il avoit fait avec
le prince de Galles , & lui refufer le palTage ; mais il
n'eut jamais le courage de le tenter ouvertement , quoi-
qu'il lui fût très facile de le faire, en gardant les dé-
filés qui féparoient fes Etats de la France, où cent
hommes pouvoient tenir contre une armée entière. Au
défaut d'une réfolution vigoureufe , il s'avifa d un ex-
pédient , dont il méritoit bien d'être la viâime. Il con-
vint avec Olivier de Mauny , chevalier Breton , pa-
rent de du Guefclin , de fe faire enlever dans une
partie de chafle. L'entreprife fut exécutée; & Mauny,
maître de la perfonne du Navarrois , l'envoya en Ara-
gon , où il fut étroitement gardé : il reconnut alors le
mauvais fuccès de fon artifice , & fe vit contraint de
donner fon fils en otage pour recouvrer fa liberté.
Pendant ce temps-là , l'armée du prince de Galles ayant
travcrfé la Navarre , où elle vécut à difcrétion , ariva
fur les frontières dEfpagne. Edouard renvoya le hé-
raut de Tranftamare avec fa réponfe , dans laquele il
ofroit au prince fa médiation, en cas qu'il voulût- ré-
connoître Pedre pour légitime roi de Caftille. Comme
les détails de cete guerre font étrangers à notre hif-
toire , on fe borne à eiç raporter les principaux événe-
ments.
Henri avoit rafTemblé toutes fes forces. Du Guef-
clin , fidèle à la parole qu'il lui avoit donnée en par-
tant, étoit revenu de France par l'Aragon , condui-
fant avec lui un corps de quatre mille hommes^ d'armes
François , Bretons , Allemands & Araeonnois. L'ar-
mée étoit compofée de près de cent mille combatants,
à la tête defquels Tranftamare vint au-devant de fon
rival. Il s'en faloit beaucoup que l'armée du prince de
C H A R £ E s V. 3<?3
Galles fut auffi nombreufe ; mais la valeur fupléoît au -
nombre. Les meilleures troupes d'Angleterre & 4© Ann, xj^t»
Gafcogne, les compagnies d'aventuriers les plus bra-
ves & les plus aguerris , formoient un corps d'autant
plus redoutable 9 qu'il étoit commandé par des chefs
expérimentés , tel que le captai de Buch , le comte
d'Armagnac , Cliflbn , Auberticourt , Felleton , Cau-
relée & une infinité d'autres ; Chandos fur-tout , qui
ne cédoit qu'au feul prince de Galles l'honeur de pafler
four le plus grand capitaine de fon fiecle. Edouard ,
ame de cete armée • formidable ^ étoit acompagné de
fon frère le duc de Lencailre.
Les deux armées defiroient également de combatre ,
mais par des motifs diférents. Les Caftillans étoient
excités par leur zèle pour le nouveau roi , & par l'ar-
deur de fignaler leur courage. Les troupes du prince
de Galles , outre l'honeur de foutenir la querele de
Pédre I étoient animées par la néceflité. Elles avoient
eiTuyé quantité de fatigues , & plus d'une fois éprouvé
la difete des vivres : elles ne pouvoient efpérer que de
la viâoire une pofition plus avantageule. Quelques
détachements avoient déjà été défaits par des troupes
Efpagnoles. Dans cete conjonâure le maréchal d*An-
dreghen, du Guefclin, & quelques autres feigneurs
François , confeillerent à Tranftamare d'éviter Ta ba- Na^ara^ ou de»
caille y & de lailFer les ennemis s'afbiblir d'eux - mêmes Navarete.
par leur féjour dans un [>ays où ils manquoient de tout. H/^. dds
Si cet avis eût été fuivi , il n'eft pas douteux que le ^'^'Z"^-
prince de Galles fe fût trouvé dans l'obligation de fe
retirer : mais Henri de Tranftamare , sûi* de l'afeâion
de fon armée , & brûlant du defir d'aquérir de la gloire
en fe mefurant avec Edouard , rejeta ces confeils trop
prudents. Il pourfuivit fa marche , & vint camper a
jMajara dans le même temps que les ennemis arivè-
rent k Navarete. Edouard renouvela fes ofres de mé-
diation y &c le C^ftillan fon défi. Ces mefTages réci-
proques précédèrent le jour de la bataille , qui fe livra
entre Naiara & Navarete, le famedi trois Avril , veille
Zz ij
3<^4 Histoire de France,
• du dimanche des Rameaux de l'année 1366. Le prince
Ann. 1^67. de Galles en cete journée mit le comble k la gloire
cju'il s'étoit aquife aux champs de Crécy & de Poi-
tiers. Ce héros fe lurpafla dans cete ocafion , où la
viftoire lui fut difputée avec beaucoup plus d'opiniâ-
treté que dans les deux autres batailles. Du côté de
Henri , il n'y eut qu'un corps de troupes commandé
par le comte de Tello fon frère , qui lâcha le pied
dès le commencement de Taftion, Tranftamare fit des
prodiges de valeur : ataqué en même -temps par le
prince de Galles & par Dom Pedre , il foutint ce dou-
ble éfort avec autant de préfence d'efprit que de cou-
rage. Trois fois il ralîa (es troupes j^ & les ramena «au
combat , tandis que du Guefdin , le maréchal d'An-
dreghen , & les autres étrangers , tenoient tête k Chan-
dos. Mais enfin il falut fubir lafcendant ordinaire du
prince de Galles : il fut vainqueur. Henri voyant fon
fuit^a/Hcnrt. ^^^^^ taillée en pièces , changea de cheval {a) , &
Ibidem. f^ît k toute bride vers Najara , d'où il gagna TAra-
{jon (b). Le corps où comhatoient du Guefclin , &
es autres feigneurs François , tenoit encore ferme ,
mais la partie n'étoit plus égale ; il fàlut mettre bas
les armes. La plupart de ceux qui refloient, furent
faits prifonniers. L'infanterie Efpagnole fe fervic de
fronde dans cete bataille.
Cete vidoire rétablit Pedre fur le trône par une ré-
volution auffi prompte que celle qui Ten avoit chalFé.
Auffi-tôt qu'il aperçut le prince de Galles , il voulut
fe jeter k les^ieds. Edouard s'avança précipitamment
f«) La cheval de bataille de Henri de Tranftamare fut préfenté à Londres
à Edouard HL Rym, aii, pubL tom, % , part. s.
(b) Du Guefclin , dit un de nos hilîoriens » dans le fort du combat fe dé-
tacha du corps de bataille où il étoit , pour aller forcer à la retraite Tranfla-
marc , qui ne vouloit pas s'y déterminer : le chevalier Breton fut même obi ieé
de faifir la bride du cheval de Henri & de le tirer de la mêlée ; il panit enlm
& fc fit jour , fuivi de quatre cavaliers , à travers les ennemis , ne pouvant
fe réfoudre à fuir autrement. Il n'y a pas un fcul hiftorien qui fafle mention
de ce fait ; raporté feulement par les auteurs MS. de la vie de du Guefclin »
qui ont chargé l'hiftoire de ce grand homme de tous les ornements fabolcox
que leur imagination leur a fuggérés.
Charles V, 3^^
au-devant de lui : Chcrcoufin , lui dit Pedro, je vous ■
dois moult de ^grâces pour la bêle journée que j^ai eue Ann. 13^^.
par vous. Sire y reprit le modefte & généreux vain-
(]ueur , rende:^-en grâces à Dieu ; car la vi3oire vient
toute de lui y non pas de moi. Si le roi de Caftille avoit
été capable d'un recour fur lui-même, la magnani-
mité du prince auroit fait une vive impreffion fur fui ;
mais il étoit bien éloigné de profiter d*un fi beau mo-
xlele : le lendemain du combat , il ne roUgit pas c^e
demander au prince les prifonniers Caflillans , afin
d'exercer fa barbarie fur eux. Cete horrible propofi-
tion fut rejetée par Edouard : il fit plus ; il confeilla
au roi de ne pas abufer des avantages que la viâoire
lui donnoit , & d'efîayer au-contraire de regagner par
fa clémence Tafedion de fes fujets. Le tiran , gêné par
la préfence du prince , diflimula ; mais cete contrainte
pafiagere ne fervit dans la fuite qu'à redoubler fon hu-
meur fanguinaire ; il n'atendit , pour la fatisfaire , que
le moment où il fe vèroit délivré de la préfence im-
portune de fon bienfaiteur. , •
L'armée vidorieufe marcha vers Burgjos, qui ouvrit ^il^ç^^ -^i^^^
fès portes. Toutes les autres villes d'Efpagne fuivircnt titudc^"envcrs
le torrent. Pedre triomphant de fes ennemis , ne defiroit le prince de
que le départ des troupes qui l'avoient rétabli, d'au- ^*^^"'
tant plus que les compagnies commençoient à rançon-
ner l'Efpagne^, ainfi qu'elles avoient pillé la France.
Le prince de Galles le prévint, en lui demandant l'a-
compliflement de fes promefTes, & fur -tout l'argent
néceffaire pour le paiement de fes troupes. Le roi
éluda ce paiement fous diférents prétextes, & fit dé-,
clarer enfin qu'il étoit dans l'impuiiTance de l'aquiter
pour le prélent. Cependant les troupes qui dépérif-
foient à vue-d'œuil , n'afpiroîent qu'à retourner en Fran-
ce. Le prince lui-même tomba malade , foit par l'in-
tempérie du climat, ou par le -chagrin fecret que lui
cauloit. l'ingratitude du roi de Caftille. Il fut enfin
obligé de fe contenter des vaines promefTes de ce per-
fide monarque, & de ramener en Guicnne fon ar-
Henri de
Trandam^ire
revient ca
France.
^66 Histoire de France,
=ï= méc triomphante , maïs confidérablement afoiblie. Une
Ann. 15^7. partie ds les troupes revint par TAragon, dont le roi
s'étoit réconcilié avec le parti vainqueur. Edouard ne
recœuillit de cete expédition que le trifte honeur d'a-
voir rétabli un tyran , qui paya fes bienfaits de la
plus noire ingratitude.
La plupart des prifonniers de diftinâioA £sdts à la
bataille de Navarete y avoient été mis à rançon , Se
renvoyés fur leur parole. Le prince de Galles ne re-^
tînt que Bertrand du Guefclin , & cela par un refte
de confidération dont Pedre étoit indigne. On crai-
gnoit, non fans raifon, que le chevalier Breton, étant
mis en liberté , ne tentât une nouvele révolution. Du
Guefclin , fous la garde de Chandos & du captai de
Buch 9 fut conduit à Bordeaux , mais traité avec tous
les égards que méritoit la réputation qu'il s*étoit aquife
par la bravoure &c fa générofité. Les gens de guerre
des partis diférents Taimoient & Teftimoient également.
Henri de Tranflamare ne féjourna pas long -temps k
la cour du roi d'Aragon , dont Tamitié , depuis le
revers qu'il venoit d'éprouver , commençoit k lui de-
venir fufpeâe. Il vint trouver k Montpellier le duc
d'Anjou, frère & lieutenant- général du roi en Lan-
§uedoc. Ce prince lui donna tous les témoignages
'afeâion qu'il pouvoit atendre dans la facheule con-
jonâure où il fe trouvoit : non content de lui promettre
tous les fecours qui dépendroient de lui, il lui fournit
les fommes néceffaires pour fubfifier d'une manière
convenable k fa dignité ; il lui donna le château de
Roquemore pour lieu de fa réfidence , < en atendanc le
rétabliflement de (es afeires. Tranftamare vit le pape ,
& revint ji'Avignon comblé des bienfaits & des alTu-
rances d'amitié du fouverain pontife. Il raffembla un
petit corps de troupes , avec lequel profitant de l'ab-
fence du prince de Galles , il fat des courfes dans la
Guienne. La princefle de Galles fit porter fes plaintes
au roi 9 qui manda au Caftillan cle difcontinuer les
hoftilités, Charles ocupé du foin de rétablir l'ordre &
Charles V. 3^7
l'abondance dans fes Etats , ne jugea pas à propos , ■ '
malgré fon amitié pour Henri, de s'expofer à une Ann. i3^7«
rupture ouverte avec les Ânglois : il fit même arêter
& retenir prifonnier au château du Louvre le jeune
comte d'Auxerre, qui devoit conduire des troupes à
ce prince. Tranftamare fe rendit k des raifons fi lages ;
mais comme il né vouloit pas laifTer échaper Tocafion
de faire féntir au prince* de Galles les éfets de fon
refTentiment , il remit au duc d'Anjou le château de
Roquemore ; & quitant les terres de la domination
du roi de France, il entra dans le comté de-Bigorre,
t>ù il s'empara par efcalade du château «de Bannières,
3u'il tint jufqu'au retour du prince. Alors il s'aprocha
u royaume d'Aragon , par lequel il fe préparoit à ^
repafTer en Caftille. Ses troupes étoient augmentées:
il fe trouvoit à la tête de dix mille hommes ; & le roi
d'Aragon , qui avoit fait un ^nouveau traité avec Pé-
dre , voulut inutilement lui difputer le pafTage.
Cependant le prince de Galles étoit de retour à Bor- j^^
deaux. Les troupes qui l'avoient acompagné dans fon de Gaiicrfc
voyage d'Efpagne , étoient confidérablement diminuées. j^^oaîJ/c avec
Les compagnies, qui dans le commencement de cete dcGulfnnc.*
guerre montoient à trente milje hommes , étoient ré- Froiffàrd,
duites à fix mille; mais quoiqu'en petit nombre, de Chron.MS.
Eareils hôtes étoient ,fort incommodes : le prince eût
ien voulu les congédier , ce qui ne pouvoit fe faire
qu'en aquitant les fommes qui leur avoient été pro-
mifes. La mauvaife foi du roi de Caftille ne laiifoit
plus efpérer qu'il remplît fes engagements. L'argent
manquoit abfolument : Edouard, qui tenoit dans fa
principauté d'Aquitaine un éiat plus brillant & plus
faftueux qu'aucun fouveraîn , avoit épuifé fon . tréfor
& fes reflources. Pour fupléer au mauvais état de fes
finances , quelques confeillers lui fuggérerent d'af-
feoir une impofitîon générale fur toutes les terres dé-
pendantes de fa fouveraineté. Le feul Chandos, qui
ajrant été lieutenant - général du roi d'Angleterre en ,
Guienne > connoiflbit mieux le caraâere de la noblefTe
3(î8 Histoire de Frakce,
■ de ces provinces , voulut envain s'opofer à Cet àvîs
Ann. 1567. pernicieux. L'extrême befoin d'argent fit qu'on ne l*é-
coûta pas. L'afaire fut propofée dans u|ie aflemblée
tenue a Nyort , où fe trouvèrent les principaux fei-
gneurs, & les députés des bonnes villes d'Aquitaine.
Le confeil du prince demanda pour cinq années feule-
ment la levée d'un fubfide de viagt fous par feu fur
toute la province. Les députés du Poitou , du Limo-
fin , de la Saintonge & du Rouergue , n'opoferent
3u'une foible réfiftance ; les feiçneurs d'Armagnac^
'Albret , de Comînges , de Péngord , de Carmain ,
de Picornet, en un mot toute la nobleiTe de Gafco-
gne, refufa généralement d'y confentir^ aléguant que
leurs terres & feigneuries étaient franches de toutes detes :
& que du temps pajfé qu^ils avaient obéi au roi de^France,
ils n^avoient été grevés ^ ni preffés de pareilles impoji-
tions. Ils protefterent cju'ils défendroient leurs fran-
chifes autant qu'il feroit en leur pouvoir. Une fi ferme
réfolution étonna le prince , qui , malgré fa fierté na-
turele , fe vit contraint de diuimuler. L'affemblée fut
rompue , & remife à un autre temps. Les feigneurs ,
en (e féparant, formèrent dès -lors la réfolution de ne
pas s'y trouver , & d'employer les moyens les plus
promts & les plus éficaces pour fecouer Tinfuportable
]oug de la domination Angloife. Si cete impofition avoit
eu lieu , on eflimoit qu'elle auroit annuélement pro-
duit douze cent mille francs , à vingt fous par rèu ;
ce qui fupofe qu'alors on comptoit près de quatre
millions d'habitants dans les feules provinces qui corn-
pofoient la principauté d'Aquitaine. Chandos chagrin
de ce que , malgré fes repréfentations réitérées , le
prince perfiftoit dans fon deflein, fe retira quelque
temps après en .Normandie , fous prétexte d'aler vifiter
la terre^ de Saint-Sauveur-le- Vicomte , & les autres
feigneuries qu'il poffédoit dans cete province. Ce fage
Anglois ne vouloit pas être foupçonné d'avoir contri-
bué à l'exécution d'un projet injufte , dont il prévoyoit
lesfuneftes conféquen ces.
On
G^H A R L E s V. 3(^9
On vît peu de temps après arîver à Paris les comtes ^— — — ^
d'Armagnac, de Cominges , d'Albret, de Périgord, Ana. t^s^.
ainfi que la plupart des feieneurs & prélats de Gafco- Les Seigneurs
•I * . * |«^ 1 • j «de Guienne
gne: ils venoient porter leurs plaintes des vexauons portent leurs
que le prince de Galles vouloit exercer contre eux , & plaintes au
demander en même -temps juftice au roi comme fei- *^J:
jneur fuzerain de la Guienne. Charles dut être agréa- DuTiiUt.
élément; furpris d'une femblable députation ; mais trop Kap. rw.
labile politique pour fe déterminer fans y avoir ré- <^^ron.MS.
fléchi mûrement , il fe contenta d*affurer ces fei^neurs
en termes généraux, de fa bienveillance & de fa pro-
teâion. Certes y feigneurs , leur dit-il , la jurifdiSion de
la couronne de France voulons -nous toujours garder
mais nous avons jure plujieurs articles que nous vijite--
rons. Il acompagna cete réponfe indécife d'une pro-
melTe d'employer volontiers fa médiation auprès du
prince de (jalles. Les feigneurs fatisfaits de la ré^p-
tien du roi, & jugeant bien qu'il ne vouloit ^fe in-
duire qu'avec la circonfpeâion que demandoit une en-
treprife aufli importante , continuèrent de demeurera
la cour , dans la vue de hâter par leur préfence la réfo^
lution du confeiL Leur féjour à Paris commença de
donner quelque inquiétude au prince de Galles ; mais
comme il n'étoit pas acoutumé k céder , il perfifta dans
ion projet, malgré les fages confeils de fes plus fideleS
ferviteurs.
Tandis que ces nuages, avant -coureurs d'une ré- Henri de
volte prochaine , s'élevoient en Guienne , Henri , des Tranftamaro
frontières de TAragon, menaçoit Pedre d'une nouvele trofffcmc'ré-
invafion. iSon armée grofliffoit journélement : il ne voiucion.
lui manquoit plus pour le fuccès que la préfence du ^^fi* ^fp*
brave du Guelclin. Ce chevalier Breton étoit toujours Unt^as IfiQ.
Erifonnier à Bordeaux , quoique fa liberté fût inçef- rroiffari.
imment folicitée , même par les feigneurs Anglpis.
On fit entendre au prince de Galles qu'on le foupçon-
noit de retenir du Guefclin, pafbe qu'il s'étoit rendu
trop redoutable. Edouard piqué de ce reproche , fie
venir du Guefclin. Aufli-tôt qu'il Ip vit : mejjir^ ffcr^
Tome V, Aaa
370 Histoire DE France,
■ '■ - ■ trandy lui dic*il , on prétend ^uc je ne vous ofe mettre
Ann. x}«. ^ délivrance i de peur que j^ai de vous. Il y en a qui h
fj^^^^^^^^^ difinty répondit du Guefclin , & de cela me tiens fort
Vit MS.de honoré. Le prince rougit ; & mettant fin à la conver-
duGuefclin. fation , luî propofa de taxer lui-même fa rançon. Le
^'^'TT^' chevalier , lans s'étonner , la mit à cent mille florins.
Et ou prenez;- vous tant d argent ^ dit le prmce? Le roi
de France & de CaJHlle , reprit-il , le pape & le duc
iT Anjou y me les prêteront y ^ il y a tel qui garde les clefs
du cofre où je trouverai Vargent. Mais , pourfuivit-il ,
on peut fe vanter que dès ce moment Henri ejl roi de
Cajtille : fi j^alois en mon pays y les femmes me feroient
ma rançon de leurs quenouilles. La tranchife du Breton
charma tous les amflants , & le prince lui-même té-
moigna plus d'une fois la. haute opinion qu'il avoit de
• fa générofité. La princefle de Galles , qui pour lors
fe tt^uvoit k Bordeaux , cucieufe de voir notre héros ,
le Wt ioviter k dîner ; & jpour lui donner une preuve
efTenciele de Teftime qu'elle fa^it de fa valeur , elle
s'ofrit de payer vingt mille francs en déduâion de fa
rançon. Du Guefclin fléchiiTant le genou devant elle ,
lui dit : Madame , je penfois être le plus laid chevalier
du monde , mais vois --je bien que je ne me dois plus
tant déplaire. Edouard aprit avec fatisfaâion la libé-
ralité de la princefTe fon époufe. Chandos qui étoit
de retour , ofrit fa bourfe k du Guefclin : il y eut
peu cToficiers généraux qui ne lui témoignaient le
même emprefTement. Comblé de carefles & de pré-
ients, il partit pour aler raffembler la fomme dont
il étoit convenu. Sur fa route il répandoit avec profu-
fion fes libéralités , les diftribuant k tous les gens de
Suerre qu'il rencontroit. Il fe rendit auprès du duc
'Anjou, qui pour lors étoit en guerre avec Jeanne,
reine de Naples , comteffc de Provence. Il acompagna
ce prince au fiege de Tarafcon , qui fe rendît, ainfi
que la ville d'Arles. Gete guerre ayant été terminée
par un promt acomodement , il . partit pour la Bre-
tagne : arivé dans fa maifon , il aemanda cent mille
Ann. 13^9;
Charles V. yjx
francs qu*il àvoit laifles en dépôt à la dame du Guef-
clin fon époufe. Cete dame npn moins libérale que
fon mari , en avoir difpofé comme il auroit fait lui-
même , en remettant en équipages tous les gens dé
guerre qui s'étoient adrelTés à elle. l)u Guefclin aprouva
remploi , & retourna vers le duc d'Anjpu , qui lui
donna vingt mille francs : il reçut une pareille fomme
du pape ; mais toujours prodigue , il ne lui reftoic
rien lorfqu'il fut arivé à Bor^aific. Il fe préfcnta
devant le prince de Galles , qui lui demanda s*il apor-
toit la fomnip convenue pour fa rançon : il répondit
fans façon , qu^xl n^avoii pas un double. V^ous faites
le magnifique , dit le prince en plaifantant , vous aonne^
à tout U monde > & vous n^ave:^ pas de quoi Jîibvenir
à vous-même} il faut donc que vous teme[ prijon. Du
Guefclin fe retiroit , lorfqu^un gentilhomme , de ta
part du roi de France , ariva chargé de payer fa rân-*
çon entière y à la réferve de vingt mille francsf que
la jpnncefTe de Galles avoit généfêufemenc rabattis.
JDu Guefclin libre, fe hâta de pafler en Caftille. du Guefclin
li'empreffement avec lequel on acotroit pour fervir p^^c en Efpa-
fous les étendards, lui procura un corps ae plus de ^'^^^.^ ^..
deux mille hommes d*armes : il fe rendit auprès de Henri ci-deffiâ!'^ ^
de Tranflamare. Ce prince avoit déjà fait des progrès.
A peine s'étoit-il prefenté aux frontières des Etats de
Pedre, que Calahorra , Bnrgos , & plufieurs autres
places , s'étoient rendues d'elles - mêmes. Le roi de
Majorque , qui étoit refté malade à Burgos , & n'avoit
pu fuivre le prince de Galles , fut fait prifonnier : il
îligieufement. La plupart des feigr
coient venus joindre à Tranftamare. Il avoit formé le
ficge de Tolède, renipli de flateufes efpérahces d'un
fuccès prochain , qui furent agréablement confirmées
par ParivéeKÎe du Guefclin. Henri reçut dans le même ^^l^^^lf^^^
temps des ambafTadeurs de la part du roi de France: ]pag.i\^.
ils etoient chargés de confirmer & de renouveler les
A a a ij
yj% Histoire de France,
anciennes aliances. Le traité de confédération fut ligné
Ann. 15^8. devant Tolède. Le Caftillan & les miniftres de Fran-
ce , au nom de leur fouverain , jurèrent une ligue
ofenfive & défenfive contre leurs ennemis. Tranfta-
mare s'obligea entr'auttes articles , d'aflifter fon alié
de toutes \çs forces maritimes de fes Etats , & de
fournir toujours le double des vailTeaux que le roi de
France mettroit en mer. Cete convention prouve qu'a-
lors notre marine# étoit bien inférieure à celle des
autres puiflances. La France & l'Angleterre n'étoient
pas encore en guerre ; mais Charles ^guroit déjà
qu'elle ne tarderoit pas à fe déclarer.
Pcdrc raflcm- Pedre , EUX premiers . mouvements , avoit effayé de
^^^u£T'' ^e ï^^"*'® e^ défenfe. Il voulut raffembler toutes les
forces du royaume pour les opofer a fon frère : mais
prodigue dans la profpérité du fang de fes fujets,
\ il s'étoit privé par fes cruautés des lervices qu'il au-
roit dû mériter de leiyr afeâion. Il ne polTédoit plus
dans fes Etats que quelques places, fur lelqueles il avoit
peu k compter , des tréfors immenfes , & le vain titre
. de roi. La plupart des feigneurs qu'il manda , loin de
fe rendre k fes ordres , ou s'excuferent fur des pré-
textes frivoles, ou coururent augmenter le nombre des
partifans de fon adverfaîre. Il dut reconnoître alors
que la terreur eft un fragile apui du trône. Dans cete
^ extrémité il eut recours au nouveau roi de Portugal
fon alié, & au roi de Grenade. Le Portugais & le
Mahométan lui fournirent des troupes , dont il forma
une armée de quarante mille hommes, avec laquele
il s'avança dans le deffein de faire lever lé fîege. Henri
de Tranftamare , informé par fes efpions que Pedre ,
parti de Séville k la tête d'une puiflante armée de Por-
tugais & de Maures , s'avançoit à grandes journées
pour le combatre, aflembla le confeil de guerre. Les
avis furent partagés ; mais celui de du Guefclin pré-
. valut. On laifla une partie de l'armée pour continuer
le fiege, & les meilleures troupes marchèrent en bon
ordre au-devant des ennemis, dans l'intention de les
furprendre en les prévenant.
Charl-es V. 373
Pcdre étoit arîvé k Montiel , ne croyttnt pas fon rival
fi près de lui : fon armée difperfée ne s'atendoic pas Aon. 15^8.
à combatre. Lorfque Tarmée de Henri parut, il raf- h^^^j*** ^*
fembla fes croupes avec précipitation ; mais la brièveté Tranftamarc.
de temps qu'il eut pour les difpofer au combat y le peu ibidem. *
de zèle de fes foldfats prefque tous étrangers & mer-*
cenaires, un fecret . prefTentiment de fon infortune ,
& plus que tout cela cete conviâion intime & ces re-
mords tardifs qui déchirent Tame dès tyrans , fem-
bloient avoir marqué Tinflant inévitable de fa perte.
Aveuglé par le danger , il ne lui refta que fa fureur :
fon armée fut entièrement défaite ; & lui-même , après
s'être batu quelque temps en défefpéré, apréhenâant
de tomber vif entre les mains d'un.frere, dont il n'ef-
péroit aucune grâce , il prit la fuite , fuivi de douze
cavaliers , & fe jeta dans le château de Montiel. La
place étoit très forte , mais abfolument dépourvue de .
vivres ; elle fut aufli-tôt inveftie : Tranftamare fit à
Tinftant élever une muraille qui Penvironnoit , en forte
qu'on ne pouvoit en fortir que par un paflage exaâe-
ment gardé. Pedre réduit à rhorrible extrémité , ou de
mourir de faim dans cete foirterefTe , ou de fe faire jour
à travers une armée entière, tenta de fe fauver à la
feveur de robfcurité de la nuit. Le Bègue de Vilai-
nes gardoit le paffage. Lorfque ce malheureux prin-
ce , fuivi de douze cavaliers qui Tavoient acompagné
dans fa fuite , vint fe préfenter : Arête ^ ou tu es mort,
dit le chevalier François au premier qui fe préfenta.
L'inconnu fans répondre , pouffe fon cheval , & fran-
chit le paffage. Vilaines s'adreffe au fécond cavalier,
& pour Tempêcher d'échaper, faifit les rênes. Cétoit
Pedre lui-même , qui ne voyant plus de reffources ,
fe découvrit en implorang la générofité de celui qui •
Tarêtoit. Je te prie , dit-il , au nom de gcntilkjfc , que
tu me mettes en fauveté ^ & je me rançonnerai à toi
tout ce aue tu voudras , mais que tu mefcheves des
mains du bâtard. Le Bègue touché par ce fentimenç
d^humanité qui rend tout infortuné refpeâable , donna
374 Histoire de France,
^ fa parole au roi-fupliant , il le conduifitk fa tente. II
Ann. 15^8. n'y avoit pas long -temps qu'il étoic entré, lorfquc
Tranftamare en fut informé. Il acourut : Où cfi hJUs
du P. Juif y qui ft dit roi de CaJlUlc} Le roi prifon-
nier lui rendit les mêmes injures , & fans doute avec
plus de fondement. A l'inftant ces deux frères furieux
s'élancent , fe faififTent : la rage égale qui les anime
foutient quelque temps la violence de leurs éforts. A
la fin, Pedre plus vigoureux renverfe Henri fur un
matelas : il aloit l'immoler , lorfque le comte de Ro-
quebertin , Aragonnois, prenant la jambe de Tranfta-
Pcdre?^^ ^^ mare, le remit fur Pedre. Henri profite de cet'avan-
Uidenu ^^8^ » ^^ ^^^^ ^^ ^^^g poignard qu'il portoit en échar-
pe , il le plonge dans le corps de fon ennemi , de fon
frère , de fon roi. Il fut à l'mftant achevé par les gens
qui acompagnoient Tranflamare. Sa tête expofee fur
les murs de Montiel , & delà portée à Séville , fut
jetée dans la rivière de Guadalquivir. Ainfî périt , à
l'âge de trente - quatre ans, le cruel Dom Pedre, vic-
time de fes propres fureurs , & de l'emportement de
fes pallions. Boureau de fa famille, tyran de fes fu-
jets , fes cruautés femblerent fidre oublier le crime de
celui qui le privoit de la vie {a).
La mort cie Pedre afiura la poflèfiion du rovamtie
de Caftille à Tranftamare. Il s'empara des tréfors &
des enfants de fon prédécefieur , & fe foutint fur le
trône malgré les éforts des rois de Navarre, d*Ara-
gon , de Grenade & de Portugal. Il |x>rta la guerre
dans les Etats de ce dernier jufqif k Lifbonne , qu^il
affiégea par mer & par terre : Ferdinand fut trop
grand homme que reçoit da GuefcHn , fans avoir de meilleur ga^««ii. ^u u»
auteur înccrtab lui-même de ce quril écrit. Froîflard , contemporain de Pedre ,
& qui parle de ce tragique événement en bomme bien informé , puifqn'ii
fréquentoit la cour in prince de Galles » ne die pas un mot qui puifle faire
foupçonner le héros Breton d'une fi uoire perfidie. Fid. hift. d'Efp* tom. ; ,
pi^. 40^.
Chaules V. 37^
heureux d'obtenir la paix. En vain le duc de Lcncaftre , '.
après avoir époufé Confiance , fille de Pedre prît le Ann, ij^s.
titre de roi de Caftille. Henri , environné de tant
d'ennemis , brava leurs éforts , & trouva encore le
moyen de donner des marques de fa reconnoifTance au
roi de France , eu lui fourniiïànt plufieurs fois des
flotes nombreufes. Après un règne de dix années ,
empoifonné , dit-on , par des brodequins que le roi
de Grenade lui fit donner , il mourut couvert de gloi-
re, & tranfmît fa couronne k fes defcendants juf-
qu^au temps où elle pafla dans la maifon d'Autriche
par le mariage de Tarchiduc Philippe avec Théritiere
de Caftille.
Tous les feigncurs François , qui avoient acompagné
Dom Henri à la conouête d'Efpagne , furent libéra-
lement récompenfés. Du Guefctin fut fait connétable
de Caftille. Le roi lui donna le duché de Molines &
les feigneuries de Soria , d'Almazan , d*Ariença , de
Monteagudo & de Seron , outre cent mille florins d'or ,
dont une partie fut.aquitée de la rançon de Jacques
ou Jaime , roi de Majorque , que paya Jeanne , reine
de Naples , époufe de ce prince. Bernard de Foix ,
fils naturel de Gafton , eut la feigneurie de Médina
Cœli , qui fut érigée en comté ; celle d'Agreda fut
donnée k Olivier de Mauny , & le Bègue de Vilai-
nes j créé comte de Ribadeo^ époufa une dame de
Tilluftre maifon de Guzman : enfin tous eurent lieu
d'être t:ontents de la magnificence & de la générofîté
du monarque.
Pendatit ces mouvements de la guerre d'Efpagne, Lc pape pan
Urbain V acomplit le projet qu'jl avoit formé dès fon pour Rome.
avènement au pontificat , de transférer le faint fiege à ^^ofi. MS.
Rome. Le roi de France avoit inutilement tenté de -^''<"/^*
Ten détourner. Nicolas Orefme , çrand - maître du
collège de Navarre à Paris , qui avjoit été précepteur
du roi , & qui dans la fuite parvint à Fépifcopat de
Lizieux, fut envoyé par ce prince à la cour d'Avignon.
Il harangua fa fainteté en préfence des cardinaux. L'o-
37^ Histoire de Fr.ance,
' rateur voulut en vain déguifer la foiblefle des moyens
Ann. i}i?8. qu»îj pouvoit opofer à la réfolution du faine père par
une foule de citations inutiles & de mauvaifes raifons :
La France , difoit-il , étoit un lieu plus faint que Rome
la foi : Cejàr t
toute la nation Gauloife etoit fort adonnée à la religion
avant même qu^elle eût reçu la foi : CeJàr témoigne que
depuis que la France ejl chrétienne , elle eji ornée de
précieufes reliques ; la croix , la couronne alpines , les
clous y le fer de la lance qui perça le côté de notre
Seigneur. Il raporta enfuite le paflaçe de faint Bernard
touchant les vices des Romains : il ajouta que;, les études
avoiènt été transférées de. Rome à Paris, ce qui lui
donna ocafion de s'étendre fur les louanges de Tuni-
verfité : enfin ^ conclut-il , le pape doit réfider en France,
parce que chft fonpays natal, comme J. C a réjidé dans
la Judée. Le fameux Pétrarque écrivit à Urbain pour
àpuyer la propofition contraire : mais quoiqu'il eût
une meilleure caufe à foutenir , il n'employa pas des
raifons plus folides.
Ces diférentes folicitations n'étoient pas capables de
rien changer au deffein du fouverain pontife : fi quel-
que motif avoit pu balancer , c'eût été fans contredit
1 atachement qu'il avoit pour le roi ; mais cete con-
fidération , toute puiflante qu'elle étoit , lui parut de-
voir céder à l'intérêt de l'églife , oui demandoit fa
préfence en Italie.* Le dernier jour a Avril de Tannée
13^7 , Urbain partit d'Avignon pour fe rendre k Mar-
feille, où l'atendoit une flote de vingt-trois bâtiments
fournis par la reine de Sicile , les Vénitiens & les Gé-
nois. Il s'embaroua le vingt - trois du mois de Mai ,
conduifant avec lui le facré colege , à la réferve de
quatre cardinaux qui Tfemeurerent en France. Le doge
& les principaux citoyens de Gênes lui firent une
pompeufe récejption. Ayant féjourné quelque temps
en cete ville , il reprit la route de Rome par Porto-
Venere , Pife , Piombino & Corneto , où il reçut une
députation folennele de la part des Romains^ oui lui
envoyèrent les clefs du château Saint- Ange. Il fe ren-
dit
Charles V* 377
dît enfuice à Vîcerbe. Ce fut en cete ville qu*il con- =!ï!=!:
firma Tordre des Jcfuatcs j infticué par Jean Colomban. ^»o* u^«*
Cece congrégation a fubHfté jufqi^au fiecie dernier.^
qu'elle fut fupriïfiée par Clément XL
Tandis que le pape étoit à Viterbe, les habitants de R^^voitedca
cete ville prirent quercle avec quelques domeftiques y^l'ç^" ^^
des cardinaux, qui lavoient leurs mains dans une ronr
raine apelée Grifoul. La populace courut aux armes ^
en criant : vive U peuple , meure Véglije. La plupart des
cardinaux fe réfugièrent dans le palais de la lainteté,
dont la vie dans ce tumulte n'étoit pas en sûitté : car
on difoit que les féditieux le menaçoient. A la vue de$
troupes qu'Urbain fit aprocher , la ville rentra dans Iç
devoir, & les chefs; de la révolte furent pendus de-*.
vant les portes des cardinaux qu'ils avoient infultés.
Enfin le louverain pontife ariva efcorté de deux mille
hommes d armes , aux portes de Rome ^ où le peuple
&: le clergé vinrent au-devant de lui. Il y avoit ioi-
xante & trois ans que cete capitale du monde chré*
xien étoit privée de la préfence des fuccelTeurs de faipt
Pierre. Les Romains témoignèrent leur joie de cet heu^
xeux retour. ^Le faint père y dès les premiers jours de
fon arivée , fit travailler aux réparations du Vatican
& des autres édifices , oui étoient tombés en ruine , ,
pendant une fi longue aofence.
Le pape Urbain par ks refus conftaots & réitérés , Maria^reJa
avoit toujours réfifté aux preflahtes foliçitations d'E- ^"^ ^^ *^"^^
douard , qui ne ceflbit depuis loqg-temps de lui de- rh^ritîcrc^c
inander fes bules d0 difpenle pour le mariage du comte Fian^drc,
^e Cambridge fon fils avep l'héritière de Flandrç. Le' ^^^1%^'
roi de France dç fon côté , qui avoit un intérêt vifi-' '^
ble à xr^verfer cete alianqe , avoir fflit agir de fi puif-
fants r^fibrts ^ quje non-feulement il déconcerta les me-
iures du monarque Anglois , mais qu'il procura ce(c>
aliance avantageufe au nouveau duc de Bourgogne.
Quoique Louis , comte de Flandre 9 n*eût jamais té-
rnoigné oi^vertement de . répugnance à Tunion de fa
Camille avec celle d'Edoviard, ^ cela dans Tapréhen-
fomeV, Bbb
37^ Histoire di France,
■ fion de mécontenter les Flamands , que les intérêts de
Aon. 15^8. leinr commerce lioienc avec l'Angleterre ; il étoic ce-
pendant porté d'inclination pour la France. Le fou-
verain pontife ayant déclaré qu il n'atorderoit point de
difpenfe au prince Anglois , Louis ne fit point difi-
* culte d'écouter les propofitions du roi. Urbain acorda
lt$ bules de difpenfe nécefTaires pour ce mariage ,
dont les conditions furent réglées a Gand par les dé-
Chroniq. de Putés du roi & du comte de Flandre. Charles , en
Flandre. Faveur de ce mariage, donnoit au comte les châtéle-
cw«' ''^ "^^^ de Tille, de Douai & d'Orchies, avec la claufe de
Annâ/es de 1^ rcverfion à la couronne au défaut d'hoirs mâles de
Flandre. Ja poftérité des deux époux. Il fembloit que le duc
de Bourgogne n'avoit pas befoin de cete augmenta-
'rion , puifqu'en époufant Marguerite de Flandre , il
aloit devenir un des plus puiflants princes de TEurope.
Audi le roi n*avoit-il cédé ces cnâtélenies que pour
contenter le comte & les Flamands ; & par un traité
fecret le duc s'obligea de les reftituer au roi fon frè-
re , dès que la mort du comte lui permettroit d'en dif-
pofer. Mais Charles étant décédé le premier , le duc
de Bourgogne éluda facilement cete convention pen-
dant la- minorité du roi fon neveu.
Naiflancc du Vers ce même temps la reine donna la naifTance à
dauphin. un fils qui fut nommé Charles. Il remplaça fon perc
d^^^uTv. ^"^ ^^ trône, & fut le plus infortuné de /nos monar-
* ques. Comme le roi n'avoit point eu d'enfants mâles ,
cet événement fut célébré par des réjouïffances extra-»
ordinaires. Le prince nouveau -né fut tenu fur les
fonds baptifmaux par Charles de Montmorenci , & par
la reine douariere Jeanne d'Evreux , veuve de Charles^
le-bèl , qui le porta elle-même entre fes bras de l'hô-
tel du roi à réglifede faint Paul , acompagnée des prin-
ces & princeues du fang, & des principaux feigneurs
de la cour fuperbement parés. Deux cent Varias ^ avec
à^^ flambeaux précédoient la marche, en tête de la-
quele on voyoït Hugues de Châtillon , feigneur de
Dampieire , grand-maître des arbalétriers de France ,
C H 4 it £ B s V. 379
qui cenoit un bafiîn d'or > & le comte de TancarvîUe ■
portant une coupe d'or , dans laquele écoit le Tel, A«»i x^^t.
couverte d'une touailîc ou nappe atachée à Ton cou.
LUufant reçut k nom ik Chants pour kdit fcignatr de
JMonîmoraicy j qui ce même nom portoit. Le jour de
cete cérémonie » le roi &c diftribuer huit deniers à cha«
quej)erronne qui voulut fe préfenter. Il y eut fi grande
preffe , dit une chronique du tenips , çue plufieurs ftm*
mes y furent mortes. Le roi donna le Dauphiné en
apanage k £>n fils , auffi-tôt qu^il eut reçu le jour : il
fut ainfi le premier des enfants de France qui porta le
titre de dauphin en naiflant.
. Quelque temps auparavant f Charles qui fongl&oit à nidMi
$Vtacher 1^ chefs des plus puiflantes maifous^ avoic
conclu le mariage dlfaoele <ie Bourbon , fceur cadece
delà reine fon époufe^ avec le fire d'Albret. Le prince
de Galles fut extrêmement mécontent de cete ahance^
ôc dès-lors il eut fait éprouver à çp feigneur les éfets
dé fon reffentiment, s'il n'en avoit été détourné par les
perfonnes les plus prudentes de fon confeil.
Il n'eft pas douteux que le roi fe difpofoit dès-lors Voyage H
à rompre avec l'Angleterre. Cependant Lyonnel, duc ducacciarca-
de Clarence, fécond fils d'Edouard., fut reçu à Paris ^
avec toutes ces démonûrations de bienveillance & d'a-
mitié 9 dont la politique des cours fçait couvrir , fous
le dehors de pontefib, fes véritables intentions* Le due
de Clarence avoit obtenu la permiflion de traverfer la puâ^m. % \
France pour aler à Milan epoufer Violante fille à^ part.i,p\x^\
Galéas Vifçonti. Les ducs de Berry & de Bourgogne 'H -Mi.
â^lerent k Saint-Denis au-devant de ce prince j qui fut
logé au Louvre. Tout le temps qu'il féjourna à raris ,
fe pair» en feftins & en réjouïuances. Le roi k foa
départ le combla de préfents, ainfi que les fei|;neurs
de fa fuite : le comte de Tancarville le conduifit juf-
ou'a Sens , d'où il pourfuivit fon voyage jufqu'à Milan.
Ce, jeune prince ne jouît pas long-temps des douceurs
de ce mariage : il mourut au bout de cinq mois, w Ces j^,^, Thoyr.
$9 mêmes plaifirs , dit Thiftorien d'Angleterre , qu'on
Bbbij
380 HisToULK DE France,
=5555^^= ^y lui procuroit avec tant de profufîon , précipitèrent
Ann; 13^8. yy fa fin ».
Suite des mé- Lcs feîgneurs de Guienne n*avoient point quité Pa-
aerSgn"^" ris : ils preflbient mceffammênt le roi de fe déclarer.
de Guienne. Leur mécontentement contre le gouvernement Anglois
Froifani. avoic été caufé par plus d'un motif. Lorfqu*£douard
faifoit la guerre à la France, il s^étoit concilié l'ata-
chement de la noblefTe d'Aquitaine par fes bienfaits.
Il n'y avoit pas de feigneur confîdérable dans cete
province qui ne fût penfîonnaire du monarque An^lois^
Ce prince parvenu à TacomplifTement de les deileins ,
parut oublier dans la profpérité les fervices de ceux k
qui il étoit redevable aune partie de fes fuccès. Il ré-
Rymer. aB. voqua Ics dons qu'il leur avoit acordés dans le temps
fuU. tom. j , oue leurs fecours lui furent néceflaires. Ils fe crurent
^^^^'^^ dédaignés, & conferverent un reffentiment que TAn-
glois ne prit pas afiez foin de calmer. A cete indifpo-
fition s'étoit joint le démêlé du feigneur d'Albret & du
f)rince de Galles ^ & lorfqu'il fut queftion d'établir le
iibfide , tous les efprits étoient déjà préparés à un fou-
lévement général.
Maladie da Le roî avoit toujours lœuil fur les démarches des
prince de Gaf- Jeux Edouards , & fa politique adroite mettoit à pro-
^^ Ibidem ^^ toutes Ics fkutcs qui leur échapoient. Ce fut vers ce
temps qu'Olivier Cliflbn s'atacha entièrement à fon fer-
vice. Ce feigneur fut chargé de réorimer les courfes
ue les compagnies , revenues de Caftille avec le prince
e Galles , renouveloient en France. Le jeune Eaouard
avoit raporté de fon expédition d'Efpagne un fonds de
mélancolie que rien ne pouvoit didiper. Cete efpece de
langueur dégénéra en une maladie d'autant plus dan-
gereufe , que les progrès en avoient été plus 4ents. Il
«étoit malade à Bordeaux , lorfqu'il fut informé qu'il fe
faifoit à la cour de France des mouveipents qui pou-
voient avoir des fuites pernicieufes. Il ne manqua pas
d'en inftruire le roi fon père. Le monarque Anglois
négligea ces avis importants. Ce n'étoit plus ce prince
habile , dont le géme éclairé prévoyoit tout , & diri-
i
C H A R t E s V. 381
feeoit les événements par fon aâivké. On eût dit que '
Ta fortune lui avoit fait oublier qu'il ne s'étoit*élevé Ann. n^g;
Îue par une atention infatigable. Il ne crut jamais la
rance en état de fe relever de TabaifTement ou le bon-
heur de fes armes Tavoit réduite. Tandis qu'il s'endor-
moit au fein de Tes profpérités , Charles le difpofoit à
réparer les di^races de fon père & de fon aïeul.
» Les vains éforts des partifans de T Angleterre ne juf-
tifieront jamais Edouard fur Pinobfervation de la plus
grande partie des articles du traité de Brétigny. Il
n'avoit pas évacué les places , il avoit exigé des ran-
çons de plufieurs princes & feigneurs qui lui avoienc
été uniquement donnés en ôta^e, il avoit toujours éludé
de fe mettre en état de recevoir la renonciation du roi ,
en envoyant la fienne(^). A tant d'infraôions il ne
(a) Le judicieux critique à qui le pdblic eft redevable de la nouvele édition
du P. Daftiel , raporce une obrervation , qui » fi elle étoic fondée , jeteroîc
quelque obfcnrité fur la bonne foi de Jean dans l'exécution de l'article des
renonciations refpeâives. Cete obfcrvation eft faite d'après un mémoire inféré
dans le XVIIe volume des Mémoires de l'Académie. On ne peut chercher la
mérité dans une meilleure fonrce ', cependant le fçavant auteur de cete diflferta-
don n'a pas examiné la conduite éc les expreffions captieufe» d'Edouard avec fon
atention & fa perfpicacité ordinaire. Voici ce qu'il marque : »> On trouve dans
9> les ades de Rymer un mandement daté de Weftminfter le vingucinq No-
» vembre 13^1, adreffé à Thomas pédale chevalier , & à Thomas de Dun*
«> clent pour fe trouver à Bruges le jour de faiot André » afin d'y recevoir , au
9j nom d'Edouard , les renonciations du roi Jean y & faire en mimer temps
ar> celles auxquelles Edouard était Migi ce, H n*cft point du tout queftion dans
ce mandement de renoncer au nom d'Edouard à la couronne de France. Il eft
feulement dit que les commiflaires feroienc au roi diférentes requêtes concer-
nant l'acompliflèment du traite de Brétigny ; qu'ils afiiftctoient aux renoncia-
tions qui dévoient être faites par Jean & fon fils s qu'ils recevroient les lettres
3ui dévoient être envoyées à Bruges , & qu'ils donncroient fur ce toutes lettres,
e quitances & d'abfolution. Il n'eft pas fait une feule fois mention dans ce
mandement d'exécuter au nom d*£douard l'article qui le concernoit. Ce prince
qui vouloir éluder fa renonciation à la couronne , afeâe toujours fur. ce point
un filence fufpeâ. Ce mandement fe trouve dans le troifieme volume , panie 1 »
pag, 49 y des ades publics de Rymer de l'édition de la Haye. Ajoutons une
dernière obfervation fur les fuites du traité de Brétigny. Le roi Jean , par fes
lettres de 13^1 , déclara dans une audience publioue à fambaffadeur d'Angle-
terre , que quoiqu'Edouard n'eût pas fatisfait dans les temps prefcrits aux
daufes du traité , fon intention n'étoit pas de l'imiter , & qu'il vonloit au*
contraire remplir fes promefles autant qu'il éroit en lui. Les Anglois avoienc
été mis en uofiefilon du Comté de Pontnieu ; il ne manquoit plus que la for-
malité de l'mveftiture. Ce jour même Jean s'aquita de fa parole. Pour cet
éfct 9 le fcigacur de Bourbon comte de Ponthicu , fe divefiit de ce comté U
Ann* 15^8*
Apel des
fcîji^neurs de
Guicane.
Du TilUt.
Tri for des
çhanrts,
Froiffard.
Chron. MS,
381 Histoire db Frakce^
' pouvott opofer que de faibles dificulc^s ^ qui écoienc
iurvemues pour des mouvances de terres , qu'il pré**
cendoic dépendre des provinces qui lui avoient été ce*
dées. L'évafion du duc d'Anjou ^ dont il fe plaignit
il amèrement , avoit été plus que fufifamment répa-
rée 9 puifque le feu roi s'étoit lui-même remis en Iba
pouvoir ;. démarehe qui Tufifoit feule pour refticuer les
chofes au même état où elles étoient avant le traité
de Brétigny. Cependant Edouard , quoiqu'il n'eût au-
cun droit à la fouveraineté de Guienne ^ Tavoit de fon
chef érigée en principauté , comme s'il en eût déjà été
le feigncur fuzerain. AufR le roi oe fit examiner en
(on confeil les articles de la paix ^ que pour revêtir la
démarche k laquele il étoit déterminé , de toutes les
formalités qu'exigecyent la juftice & les droits des na-
tions. Jamais nos rois , dans les temps les plus heu-
reux de la monarchie, n*ont témoigné , ni plusjde fer-
meté, ni plus de grandeur que Charles en fit piroître
dans cete ocafion.
Le confeil du roi avoit aprouvé la légitimité des
f>laintes des feigaeurs ; il ne reftoit plus qu'à recevoir
cur apel dans la cour fouveraine des pairs. Le roi
pour cet éfet fè rendit au parlement , acompagné des
princes & des pairs du royaume. Les feigneurs de Guienne
propofèrent les raifons quMls avoient de s'adrefFer au
roi de France , comme k leur fouverain légitime , pour
le fuplier de les protéger contre les entrepriles du
prince de Galles. La cour reçue leurs plaintes , &
lur-le«champ on drefïa un aâe , par lequel ce prince
fiit cité a comparoître pour rendre raifon de fa con-
duite,. & fe conformer au jugement qui feroit pro-»
nonce. Bernard Pelot , juge criminel de Touloufc 9
&: Jean de Chapponal cnevalier ^ eurent commiflion
Àt Tes «partcflianccf , en nettanc ontrc les matnsdu loi onevciifreoa bajçaece»
regardée comme le figne de û propriété. Cette manière de tranfmettre la pof-
(Mon d une fckneurte fabfifte encore en plufieurs provinces. Cet aftc fc trouve
d«ns ttn MS. delà biblioth. royale , Qu (oat infccées la plupan des pièces cou*
coiuâttt la fVJL de Brétigny.
C H A 11 t E s V. 383
id*alcr à Bordeaux iignifier cet ajournement au prince. ■-
Les deux députés parurent devant Edouard , & lui Aim. tjét.
préfentercnt leurs lettres de créance. Le prince qui ^^fa^çi""^^
ne s'atendoît pas au motif de leur melTage , les reçut prin//dc ^ai-
favorablement ; mais il changea de couleur , lorfqu*ils j«. n cft cité
lui demandèrent la permiflion de faire la leâure de Lirs/^"' ^^^
laôe dont ils étoient porteurs : il leur acorda la H- Froijfard.
4>erté qu'ils demandoient. Cet aâe mérite par fa Ç\t^ foi.cUx,reao.
gularité d*être raporté ici. w Charles , par la grâce de .2>/y"r2f
» Dieu , roi de France , à notre nepvcu le prince de channs,
jy Galles & d'Acquitaine , Salut. Comme ainh foit que ^* ^''^'•
9y plufîeurs prélats , b&rons y chevaliers , univerfîtés ,
yy communautés & collieges des marches 6c limitations
. 9^ du pays de Gafcongne, demourants & habitants es
3^ bandes de noftre royaulme avecques plufîeurs autres
» du pays & duché d^Acquitaine, fe foyent traiâs par-
y0 devers nous & noftre court, pour avoir droiâ crau-
yy cuns griefs & moleftes indeues que vous par foible
yy confeil 6c fimple information leur avez propofé à
» faire , de laquele chofe fommes efmervcillez ; Donc-
9> ques pour obvier 6c remédier à ces chofes , nous
^ nous fommes adhers avecques eulx 6c adhérons |
jy tant que de notre magefté royale & feigneurie nous
T> vous commandons que vous viengncz en noftre cité
yy de Paris en propre perfonne , 6c vous monftrez *&
yy préfentez devant, nous en noilre chambre des pers
>> pour ouyr droiâ fur lefdiâes complaintes & griefs
yy efmeus de par vous à faire fur voftre peuple qui
yy clame à avoir & à ouir reflbrt en noftre court. Ec
yy^ ce n'y ait point de faulte , & foit au plus haftive-
Ji> ment que vous pourrez après ces lettres veues. En
» tefmoing de laquelle chofe nous avons à ces prëfetites;
yy mis notre (cel. Donné à Paris le vingt-iixieme jour
» du mois de Janvier jy. Le prince n'entenclît pas cet»
lefture fans émotion : il devoit fans doute paroîtrc ex-
traordinaire au vainqueur de Créci & de Poitiers de
fe voir mandé au parlement de Paris par un ajourne^
filent perfonnd. Il demeura quelque tejnps pcnjifj .
3^4 Histoire de Frakce^
s croulant la tétt & regardant les François. Il rompit en-
Ann. IJ58. fin le (ilence : Nous irons voulentiers à Paris y dic-il,
puifque mandé nous ejl du roi de France , mais ce fera
le iacinet en tête , ^ J'oixante mille hommes eri ma com-
pagnie. Les députés fe jetèrent à genoux, en le fu pliant
d'ejçcufer la hardiefle de leur meiTage , par Tobliga-
tion où ils éroient d'obéir au roi leur maître. Le
prince , qui avoit eu Iç temps de fe remettre , les
afliira cju il n'étoit point indigné contre eux : il les
congédia, & leur envoya ordre le même jour de fe
retirer ; mais il ne tarda paç à changer de fentiment.
Quelque nwdération qu'il eût afedée , il étoit vivement
piqué de la déclaration au'il venoit de recevoir publi-
quement. Il demanda fi les envoyés du roi de France
îivoîent un fauf-conduit de lui ; & ayant apris qu'ils
ne s'étoient pas munis de ceta précaution , il fit courir
après eux , fous le prétexte faux qu'ils dévoient plutôt
être regardés comme les mefiagers des feigneurs de
Guienne ks fujets, que comme Içs envoyés du roi-
Je ne veux pas , dit-il yçu^ilsfe départent Ji lé^rement
de nous y & çu^ils raportent en leurs jongles [pTaifante-
ries ] au duc d^ Anjou qui nous aime un petit , comment
ils m^ont perfonnélement ajourné en mon hôtel. Le féné^.
çhal d^Agénois partit aufii-tôt, & les ateignit près
d'Agen. Ce (èigneur en les are tant fe fervit d'un vain
déguifement pour couvrir Thoneur du prince de Gal-
les ; il alégua pour caufe de leur détention rechange
que leurs gens avoient &it d'un cheval dans une hôcé^
lerie 014 ik ^voienç logé la veille : on les conduifit pri-
fi>nniers dans le château 4'Agen, où ils demeurèrent
plus d'une année. On retrace à regret ce trait dç peti-
Ceflè de la part d'i^douard que rien ne peut excufer,
tant il çf): vraji qu/s daps \^s héros il y a toujours de
l'homme. •
Conduite du ^^ roi n'a prît pas fans indignation l'infulte faite à
^- fçs députés ; mais il avoit la force de contenir fon ref-
fentiment. Il devoit à fts ennemis l'exemple d'une
. ipodér^tian qui annonçoit fa fupérioj'itép ï-e duc d'An-
jou,
Charles V. 38^
jou, lieutenant-général du Languedoc, témoigna plus ïS^=
d^inspatience : irîré de rafronc,& i)rûlanc du defir de ^o. 136S.
fîgnaler la haine pcrfonnele qui Tanimoit contre les
Anglois, il l'aifit avidement cete ocafion de la fatis-
faire, en vengeant la querele du roi fon frère. Ce
prince étcit dans le feu de la jeunefle & d'un carac-
tère impétueux. Il fît des préparatifs & raflembla des
troupes dans Tintention de commencer la guerre en
faifant des courfes fur les terres de la domination du
prince de Galles , lorfqu*il reçut des ordres précis &
réitérés de fufpendre tout aôe d'hoftilité. Il obéit à
regret, &ne fe conlbla de cete inaâion que dans
1 eïpérance de pouvoir biencot éclater librement. En
ëfet, la rupture entre les deux couronnes paroiffoit
infaillible , & le roi ne (èmb.loit diférer que pour
prendre des mefurcs plus certaines , & donner en
même- temps à la juftice de lès armes toute la force
qu'elle pouvoit recevoir de Tobfervation des plus exac-
tes formalités. On doit encore cete juftice a Charles,
d'ajouter ou il fur en partie détermine à la guerre par
la néceilite que lui impofoient les circo'nflances. Il fe
repréfenta plus d'une fois les malheurs des règnes pré-
cédents ; mais y [ dit Froiffard , qu'on ne peut foup-
çonher de partialité , qui même didimule rarement fon.
penchant fecret pour l'Angleterre] il étoit fi fort requis
des hauts bar(^ de Guienne & d^autre part , qui lui
montraient les extorjtons & grands dommages qui à caufc
de ce advenoient Çf pouvaient advenir dans la fuite , que
uulement ne pouvait dtffimulfr ; jaçait ^uc moult lui
grevât à penfér 6r canfiifrer la deJlruSion du pauvre
peuple , qui ja Jt long-têmps avoit duré^
Edouard étoïc bien éloigné de juger des véritables
intentions du roi. Rempli de fa grandeur, il ne s'ima-
rinoit'pas que la France fût en pouvoir de balancer
la fortune qui l'avoit jufqq'àlors n conftamment favo-
rifé. Il ne socupoit à Londres que du foin de recœuil-
lir tous les jours de nouveaux avantages de Tabaifle-
jncnt où il croyoit avoir réduit fes ennemis. Il rete-
Tome V. Ccc
2^6 Histoire de France,
. noie encore la plupart des otages qui lui ayoicnt été
Ann i3<{&. donnés par le dernier traité : il en avoit relâché quel-
ques-uns fur leur parole; quelques autres impatien-
tés d'une fi longue détention , corapoferent avec lui ,
ainfi q^e nous Pavons vu ci-devant. Le duc de Berry
étoit revenu depuis, peu, & jfigeant aux difpofitions
oà le roi étoit pour lors ,^ que la guerre aloit nécef-
fairement recommencer , il diféra de retourner en An-
gleterre, & atendit Tévénement. Lç comte de Har-
court fe conduifit de la même manière , ainfi aue plu-
fieurs de ceux qui avoient obtenu de femblables per-
miflions. Mais le roi d'Angleterre n'avoit pas la même
indulgence pour tous : Guy de Blois fut obligé de cé-
der le comté de Soiflbns au feigneur de Coucy qui avoit
époufé une fille . d'Edouard : le comte d'Alençon paya
une fomme confidérable, ainfi, que le duc de Bour-
bon j & même ce dernier n'eût pas éoé délivré , s'il ne
fe fut fei^i d^un flxatagême. Il y avoit dans ce temps
à la cour d'Angleterre un prêtre tout-puiflant par fon
crédit & par la faveur dont le roi l'honoroit j^ il fe
Froîfard. nommoit Guillaume de Wican. // étoit fi bien auprès
dit roi que par lui étoit tout fait, nejànf lui on ntfai^
fpit rien. Edouard eût bien voulu donner à Guillau-
me, avec, la dignité de chancelier, l'évêché de Win-
chefter, qui venoit de vaquer par la mort du cardinal
de Winchefter. La nomination à l'évêché dépendoit
de fa fainteté. Edouard n'ignoroit pas que le pape
avoit beaucoup de confidération pour la maifon de
France.: il pria le duc de Bourbon d'obtenir pour Wi-
can fon chapelain l'évêché * vacant , promettant à ce
E rince .qu'en reconnoilTance îU lui ftroit bien courtois à
t prifon. Le duc ayant communiqué cete propofition
au roi de France & obtenu fon agrément, fit les dé-
marches nécefTaires auprès du fouverain poatife, qui
lui donna Tévêché pour en difpofer à fa volonté. Le
prince ayant reçu les bules, ne les remit à Edouard
ue lorlqu'il eut. terminé avec ce monarque Tacord
e fa délivrance , pour laquele il fut encore obligé djg
3,
Charles V. 387
^lannef vingt mille francs. Oeft par ces moyens qu'E- ^"^^
dauard 9 contre les termes formels du traité, exigea hnn. n62.
des fommes confidérables ou des terres , de la plus
grande partie des otages , retenant tous ceux qui ne ««
voulurent pas , ou qui. fe trouvèrent dans TimpolTibi-
lité de fe racheter à de pareilles conditions.
Le prince de Galles fe préparoit à Texécution de la Pr^paranfi
menace qu il avoit faite , brfqu'on lui avoic fignifié g"Xs°^*^ ^^
l'ajournement à la cour des pairs, Quelque temps uidem.
auparavant, il avoit engagé les compagnies quM avoit
ramenées d'Efpagne , à fe retirer des terres de fa do-
mination : ces troupes étoient alors vers les bords de
Ja Loire, il les envoya prier de ne pas s'éloigner ,
farce qu il auroit incelfamment befoin de leur fccours.
l raffembloit en m;me*temps à Bordeaux des gens de
guerre & des armes , efpérant fe mettre le premier en
campagne, lorfqu'il fut prévenu par un foulévement
prefque général de toute la noblede de Guienne.
Les feigneurs de Périgord ^ de Gominges & de Sonlévemcnt
Carmain ataquerent près de Mèntauban un corps de àtUGwcnnt.
croupes Angloiiës qu'ils détirent entièrement. Aux pre-
mières nouveles de ces hoftilités-, Edouard irité fit
ferment d en tirer une prompte vengeance : mais fa
fanté confidérablement altérée ne lui permettoit pas
d^agir avec fou aâtvité iordinaire. Œandos étoit pour
lors en Normandie ; il eut ordre de fe rendre înceC-
famment en Gûienne Lorfqu^il fut arivé , le prince
renvoya vers Montauban avec des croupes pour ré-
primer les courfes de Tennemi. ♦
Le roi cependant étoit exaûemcnt informé de Tétat
du prince de Galles. Depuis fon retour <l'Efpagne une
fièvre lente le confumoit de jour en jour : déjà fon*.
extrême foiblefle ne lui permettoit plus de monter à
cheval. On envoyoit jouri>tlement a Paris un détail
circonftaxicié de la maladie. Les médecins de la fa- •Frw/W.
culte confultës , jugèrent dès-lors fon infirmité incura-
èle, & affurercnt qu'il feroit dans peu ataqué dune
bydropific nortcle^ J^'îiiaâioa de ce prince délivrok
C c c i j
388 Histoire de France,
■ î la France d'un ennemi redoutable , & cete coilfidéra-
Ann. 1368. tion n'étoit pas un des moindres motifs cjui déterminè-
rent Charles à porter avec plus de confiance le coup
qu'il méditoit. 11 fit, ainfi que le prince de Galles,
traiter fecrétement avec les chefs des compagnies.
Ceux de ces aventuriers qui n étoient pas originaires
Anglois , prêtèrent d'autant plus volontiers Toreille
aux proportions qui leur furent faites de la part du
roi , que ce tnonarque s*étoit mis par fon économie
en état de payer leurs fervices, au -lieu que les fi-
nances d'Edouard étoient alors presque entièrement
épuifées.
Le roi prend Dàns le m'ême temps que le roi ménageoit ces ref-
^our^cîtrcr ^^^^^es , il fit fondcr tes habitants de Ponthieu , qu'il
dans les pro- trouva difpofés à fecouer le joug des Anglois. Les villes
vinces céciécs. de Saint - Valeri , d'Abevîlle , du Crotoi , ainfi que
Uidem. la plupart des autres places de cete province , témoignè-
rent unanimement le même defir de rentrer fous Po-
béiflance de leur fouverain légitime. Le mécontente-
ment général de la domination Angloife provenoit de
la hauteur avec laquele ces infulaires traitoient les pro-
vinces de la France , qu'ils regardoient comme un
pays de conquête. Ces diférentes négociations du coi
turent ménagées avec un fi profond fecret, que Ni-
colas de Louvain , qui pour 'VOrs étoit gouverneur de
Ponthieu ^ n'en eut pas le moindre foupçon.
PrAentions ^^ comte de Salleoruche & Guillaume de Dormans
du roi dAn- chancelier du Dauphiné , ambafiadeurs de France
gictcirc. ^ Londi-es, avoient envoyé la dernière réponfe du
confeil d'Angleterre fur les' plaintes refpeâives des
deux rois. Le mi;ii{lere Anglois demandoit au nom
\ d'Edouard y yy que le roi de France réparât les atentats
3> des feigneurs de Guienne ; qu'il les temît en To-
>> béiffance du roi ; qu'il envoyât fes lettres de renon*
. >^ ciation à la fouveraineté des provinces cédées par le
^> traité de Brétigny, confirmé k Calais, & qu'alors
$> le confeil pen(oit que le roi d'Angleterre feroit cïe
» fon côté les renonciations auxqueles il s'étoit obligé >j.
Charles V. 389
La fierté de cete réponfe' n'étonna point le roi : il ?^— T—^
Tavoit prévue. Auffi-tôt qu'il Peut reçue, il tint fon lit Ann. i$6t.
de juftice, la xtint Jcant à fa droite. Le cardinal de Réception de
Beauvais chancelier de France , fit la leâure des arti- g^j^^* ^"'
clés propofés par le roi d'Angleterre , & demanda Uidm.
Tavis de la cour des pairs. Les feigneurs de Guienne
avoient déjà préfenté au parlement leurs requêtes , con-
tenant les moyens de Tapel qu'ils avoient intenté, &
la juftice de leurs plaintes. Huit joià's après , dans un
fécond lit de juftice tenu en la même forme que le
f Précédent, la réponfe aux demandes d'Edouard fut
ue publiquement & la guerre décidée contre les An- ;
^Lois. Tous les membres de cete augufte aflemblée* aflu-
rèrent alors le roi de leur zèle & de leur atachement ,
soufrant de le fervir de corps & de biens. La cour en
même -temps ordonna que la réfolution qu'on venoit
de prendre feroit envoyée au pape, à l'empereuîr &
aux autres princes , ainfi qu'aux principales villes
d'Aquitaine. - ^
Le procédé du prince de Galles à l'égard des ^épu- ^n»- 'J^^'
tés qui lui avoient fignifié à Bordeaux l'ajournement jg^agume?**
à la cour des pairs, faifoit juftèment apréhender que ibidem^
le droit des gens ne fut pas plus refpeaé à Londres.
Le roi ne jugea donc pas à propos d'expofer fes en-
voyés à de nouveles infultes. Cependant, comme il ne
vouloit pas qu'on pût lui reprocner d'avoir commencé
la guerre fans prévenir fes ennemis , il choifit un Bre-
ton valet de fon hôtel pour aler défier Edouard* Ce
meflager partit , & trouva les ambafladeurs de France
à Douvres , qui fe difpofoient à repafler. Le récit qu'il
leur fit de la commiflioh dont il étoît chargé , hâta
leur départ : ils ne fe crurent en sûreté que lorfqu'ils
furent arivés à Boulogne. Cependant le Breton prit la
route de Londres ; & s'étant fait préfenter au confeil
où le roi aiiiftoit, il fe jeta aux genoux de ce prince,
en le fupliant » de recevoir de la part du roi fon fei-
-^y gneur une lettre dont il ignoroit le contenu , n^a--
»partcnant point à lui dUn rien fçavoirv/ Il feroit
Ponthiea,
390 Histoire de France,
' j' dificile d'exprimer la furprife d'Edouard & de fcs *mî*
Ann. 1169. niftres à la ledure de cete lettre \ ils ne pouvoieai:
croire ce qu'ils vetioient d entendre : il &Iut, pour les
en convaincre 9 qu'ils examinailënc à diveriës reprifes
les fceaux qui ateftoient 1 authenticité de cet écrit»
£douard qui fe ppllédoit mieux que n'avoit fait le
prince de Galles^ die au meiïager quil avoit bien
rempli fa commiflion, qu'il pouvoit retourner libre*
ment. Il fortit 4^ Londres fur -le- champ ^ & revint
rendre compte au roi de rei:écutiQn de les ordres.
Ré(îuftioii Jamais menace ne fut luivie d'un éfet li prompt. A
pontki^a^ ^* peine le meflkger fut-il de retour que Guy de Luxem-
bourg comte de. Saint - Paul , & .Guy de Châtillon
grand -maître des arbalétriers saprocherenc d*Abc^
yille, qui leur ouvrit fes portes : les Anglois oui s'y
trouvèrent furent faits priloiinniers , ainfi que Nicolas
de Louvain gouverneur de la province pour Edouard.
Saint- Valeri fe rendit en même-temps , le Croroi Ôc
la plupart des autres places fe Ibumirent d'elles-mê«
mes/ Les François mettant k profit ces heureux com«
mcncements , marchèrent vers le Pont-de-Remi fur
la Somme , qui étoit eardé par une fisrte garnifon.
La fortereife qui défend<)it le pont fut emportc^e après
une affez vigoureufe réfilhnce. La réduâion du Poa<-
(hieu fe fit avec une célérité qui ne laiiTa pas aux çnne^
mis le temps de fe reconnoître» Le roi d'Angleterre
fe difpofoit k y faire pafTer des troupes 9 lorlqu^il
aprit la perte çntiere de cete province. La bonne vo-
lonté des habitants de la plupart des villes , avoit plus
oue toute autre chofe contribué à la réduâioix de Pon-
tnieu. Le roi, pour récompenfer leur zèle, renouvela
& augmenta leurs privilèges. Il fut ordonné qu'à la-
venir le comté de Ponthicu ne pouroît être aliéné du
domaine d^ la couronne ; qu'on ne condruiroit point
de forterelTe dans les places , dont la garde fcroit con-»
fiée à la fidélité des habitants ; qu'ils ne pouroienc
être affujétis aux nouvcles impofitions que de leur
ponfentemeot^ & ^uils jou/roieiai; d'uoe liberté ea-^
Trifor dis
Char. reg. 100,
Charles V, j^t
tîcre de commerce dans toute Tétendue des terres de .:
la domination du roi. ^ Ann. 13^^.
Edouard irité déjà de ce que le roi ^è France , au- Coicrc d*E-
lieu de lui feire déclarer la guerre par quelque fei- ^^"^^^'
gneur ou préliar,. s'étoic fervi du minillere d*un fîm- ^^^'Jf^^^^
£Ie valet de fon bôtel , eue peine à retenir fa colère ,
)rfqtt'il apric L^iBvafion fubice du Ponthieu. Le comte
dauphin ^* Auvergne , le comte de Forcien , les lires
de Maulévricr & de Roye , & les autres feigneurs qui
étoient encore en otage en Angleterre , apréhenderent
que le monarque cédant aux premiers tranfports de
Ion rellëntiment , ne fe portât k quelque vrolence ;
mais il fe contenta de les garder plus étroitement ,
ainfî que les otages des villes, Pluneurs compoferenc
Cour leur liberté, & payèrent des rançons confidéra-
les. La rupmre: entre les deux couronnes fembloit Rym.aci,pu6.
alors donner à Edouard le droit d'exiger des rançons , '^'^' hpart.z.
les otages donnés par le traité de paix étant devenus
prifonnicrs de guerre.
Une déclarauon de guerre auffi fubite & auffi peu n fait armer
trrévue , n'avoir pas permis au roi d'Angleterre de faire ïc clergé & le»
les préparatifs néceffairès. Ses conquêtes, peut-être "^°*""'
plus brillantes que réélement avantageufes , avoient
épuifé fes finances en acroiiTant Tétendue de fa domi-
nation. Il s*agifroit> de repouffer un ennemi devenu
d'autant plus à craindre , que jufqu'alors il lui avoit
paru peu redoutable. Le parlement* de la nation con- Ryfn.aB.pubL
voqué à Londres , acorda au monarque les fubfîdes tom. i^pan.i]
qu'il demanda pour mettre fur pied une puiflante ar- p^s-^s^-
mée. Ce fut dans cete affemblée qu'Edouard , en con-
féquence des prétendues infraâions atentées contre le
traité^ de Bréti^ny , reprit le titre de roi de France,
dont il avoit difcontinué de fe décorer depuis la paix.
Cete vaine proclamation qui flatbit l'orgueuil du peu-
ple, fut reçue avec un aplaudifïèment univerfel. La
nation entière , par Torgane du parlement , aflura le
roi de fon zèle & de la continuation des fubfîdes acor-
ilés pendant le cours de la guerre. Le duc de Len-
39^ Histoire de Frakce^
■ : caftre fécond fils du roi , fut nommé pour comman-
Ann. 1^69. der les croupes de tranfport deftinées pour Calais. Ce-
Uid.p.iéx. pendant une flote Françoife venoit de jeter fur les
Kàp Thoyr,^ Qovts d'Angleterre des troupes qui s'emparèrent de
i la cour de rortimouch , & le rembarquèrent après avoir pille
Lonares. çece ville , qu'ils livrèrent aux flammes. L'emharas
^ d'Edouard fembloit croître à tous moments : la na-
R aa uhi ^^^^ entière fous les armes ne lui parut pas encore
tQm.\.p^.x\ fufire à la dëfenfe du royaume. Le clergé eut ordre
d'endolTer la cuirafle pour voler au lecours des fron-
tières infultées par les efcadres Françoifes. Par un
mandement daté de Weftminfter, il fut enjoint aux pré-
lats y aux éclefiaftiques féculiers , aux abés y aulc prieurs ,
aux moines de prendre les armes , & de s^anèmbler
par compagnies pour former des troupes régulières prê-
, tes à marcher contre lennemi. Une pareille ordon-
nance étoit plus capable d'alarmer la nation , que de
la raflurer contre les entreprifes étrangères.
Afaircsd'B- Lorfque la guerre étoit déclarée entre la France &
coflTc. TAngleterrc , TEcofle devenoit une puiffance redouta-
fJi^'Tom. ^\ ^^^' Edouard fe hâta de ménager une trêve avec
^art. j. ' ' ççte couronne. Depuis douze années les afaires de ce'
royaume avoîent bien changé de face. Edouard Bail-
lieu 1 , ce fantôme de roi gagé par le monarque Anglois
à quarante fous (lerlipgs {a) par jour de fervice , plus
(j) Le ftcrlîqg Anfrloîs n^a p!u« , ainfi aoc notre livre numéraire , qu'une va«
leur idéale. Le dénier fterling devoir peler trente«-deux graios de froment ; la
livre fterling de douze onces étoit compofée de deux cent quarante deniers, à
vingt deniers par once. II y a diférente« opinions fur Tétymologie de ce inot :
quelques auteurs ont cru qu*il rîroit fon origine de Star j expref!îon angloife
qui hgniHe étoile , parce qu'anciennement les monnoies angloifes en portoienr
l'empreinte. D'autres ont raponé qu'Edouard furnommé le Confeflcur , dernier
roi de la ^ynaftie des Angio- Saxons, fit fraper une monnoie qui ponoic Tem^
freinte d'une croix , aux quatre câcés de laquele on voyoit quatrf étourneaux»
oifeaux apelés en Anglois Stariings. Le dernier fentimentqui ne paroît pas le
moins vr<|ifemblable , eft que les Normands conquéunts de l'Ar.glctcrrc ,
apeloient Taocienne monnoie du pays , plus pure que cçllç qu'ils firent fraper»
du nom des Saxons & Danois leurs p'-édéceflcnrs dans la poflcfî'on de cete île»
On diftinguoit autrefois les peuples du Nord de la Germanie fous la dénoroi-
n;itjon générale d'Ofterlîngs ou d'Efterltngs. V Glojfairedu Cûngt , au mot
l^iVcrlingu. La livrée ftfrling numéraire ^toit 4éja £oic avérée par le traîné d>
facig;ué
Charles V* 393
fatigué qu honoré d i poids d'une couronne précaire, — ■ -^
avoïc entia cédé Tes droits au monarque Ànglois , a°^- '3^^^
moyennant une pcnfion viagère de deux mille livres
ftcrlings. Edouard fit quelque tentative pour s'aflUrér
la podéflion de ce royaume : mais la nation Eçôlïoife ^^^^m*
témoigna tant d'éloiejneraent qu'il défefpéra de vaincre
fon opiniâtreté i 6c l)avid de Brus délivré en promet-
tant une rançon de cent mille marcs d*argent, pour
le paiement de laquele il donna vingt feigneurs Lcof- ^
ibis en otages, remonta enfin fur le trône après une
fi longue captivité. Ce roi,» toujours ami de la France,
avoit conclu une ligue ofenfive & défenfive avec Char-
les, qui s'obligea de lui fournir mille hommes d'ar-
nies. Le roi de France toutefois fe fentant alfez fort
par lui-même , n'exigea pas qèie fon alié rompît ouvcr--
tement avec l'Angleterre, il confentit même que Da-
vid prêtât Toreille aux propofitions d'Edouard,, avec
lequel il conclut une trêve ce quatorze années. David
ne furvécut pas long-temps à ce dernier traité. Il mou-
rut, & laifla la couronne d'Ecofle à Robert Stuart fils
de fa fœur ai née. Ce prince fut le premier monarque
de la famille des Stuarts, maifon illufire autant qu'in-
fortunée , jdont les defcendants fubfiftant encefre de
nos jours, ofrent à l'Europe étonnée un exemple fra-
pant des viciflîtudes humaines.
On palTeroit fous filence un incident peu important
par lui-même , & qui ne devient intérelïant que parce
qu'il fournit un de qqs traits qui fervent à caraâérifer
les princes. Le roi étoit dans Tufage de faire préfent ^^'^•P-^ss*
au roi d'Angleterre d'une provifion pour fa table de$
meilleurs vins de France. Quoique la guerre fût dé-
clarée entre les deux Etats, Charles ne fe crut pas
difpenfé de faire toujours le ^ême envoi. Pour s'a*
liance entre la France & l'Ecoflc , en 1571 , Charlçs V s'obiîgeoic d'cntrctcnip
au fervlce dji roi (TEcofTe mille hommes fur le pied de neaf deniers flerlin^s
par )our pour chaque archer » dix-huir pour un écuycr , & trois fous pour un
chevalicf » ce qui auroit fait au prix de l'ancienne monnoie environ trois livres
l*arcber« fit livres récuyer ^ Se douze francs au chevalier.
Tome y. Ddd
394 Histoire de France,
, ! quiter de ce devoir de policefle , il fit embarquer cîn-
Ann. Z3K5. quante pipes de vin, que Jean £uftache échanfon de
France eut ordre de préienter à Edouard. Mais ce prince
trop vivement piqué , n';eut pas la force de difTimuler
fon chagrin dans une ocaiion fi frivole : il* renvoya le
vin , & cela , dit-il , pour certaines raifons , fans vouloir
s'expliquer' davarntage fur les <:aufes -de fon refus.
Regîfin A. La multitude & Timportancc des afeires du gbuver-
du parlement^ nemcut empêchant le roi d'allifter réguliéren>ent aux
troncfiS- féances du parlement , avoient ocafionné Tabus û^s
c[Mx, fol. 9$, lettres de furféance que les monarques étoient dans
vcrfo, Tufage d'acorder. L'éfet de ces fortes de lettres étoit
J:^:a1Lt ^^ f^fpendre les jugements , fous prétexte que le roi
s en réfervoit la connomance. Le prince mtormé de
ce défordre , enjoignit airx préfidents du parlement de
ne plus déformais diférer de prononcer les arêts de la
COUT, quelques ordres contraires qu'ils reçuffent de fa
part , déclarant que de pareilles défenfes dévoient être
regardées comme arachées à Tindulgence du fouverain
par 4'importunité de ceux qui l'environnent.
Dcfcentc des La guerre alumée en même-temps aux deux extrê-
Angiois à Ca- mîtés de la France , obligea Edouard de divifer fes
*jRtf . Tk f^^^^^ Le duc dé Lencaftre vint débarquer à Calais
Chron. MS. avec une partie des troupes Angloifes , tandis qu'E-
Fraiffard. douard de Cambridge & le comte de Pembrok feren»
pub/.'"tom.\ l dirent. dans la Guienne, ataquée alors vers les fron-
part. %. cieres du Poitou & du Languedoc par les ducs de Berry
& d'Anjou. Le prince Edmond pénétra en France par
la Bretagne , dont le duc y quoique vaflal du roi , lui
ouvrit les portes.
Sagecondttite Le* roi étoic à Rouen , d'où il hâtoit les préparatifs
^^R^ 7 d ^'^^^ ^°^^ 4^'^^ faifoit équiper dans le port de Har-
•r£â"L ." fleur. Quatre mille hommes d'armes fous les ordres du
Froijfàrd, duc (k Bourgogoe 9 n'atendoient que le moment de
^^' s'embarquer pour aler faire une defcente en Angle*
terre , lorfqu'on reçut la nouvele dfe l'arivée du duc de
Lencaftre , qui avoit déjà fait des courfes jufqu'aux
environs d'Aire & de Térouanne. Charles, de lavis
contre
Charles V. 395
de fofl confeil , abandonna le projei; de Rembarque- -
mène I & fit partir fur-le-champ le duc de Bourgognes Ann. i)^^.
avec les meilleures^ croupes pour arêter les progrès du
duc de Lencaftre. Les François avoienc ordre exprès
d éviter toute aâion décifive, & de laiflèr les ennemis
s^afbiblir d'eux-mêmes.
. Le duc de Bourgogne ayant pafTé ta Som«ne auprès Le duc de
d'Ahevillo , le prefla de marcher vers les Aiiglois , ^^"^ç^^"^^^
qu'il trouva retranchés dans la valée de Tournehem lesAnglois.
près Saint-Omer : il s'empara de la hauteur fur laquele
li forma TafEece de fon camp. Les troupes demeuré-
rent quelque temps en préfef¥:6 9 fe contentant desol>*
ferver réciproquement. Ccte nouvçle méthode de faire
la guerre gênoit extrêmement Fin^pétuolité Francoife ;
mais le duc en partant avoit rççu des inftruftions trop
précilês du roi Ion frerc pour s'en écarter: des mefîar
gers de la cour veooieot inceflammeot les lui renou-
veler : le comre de Flandre fon beau- père qui pour
lors étoit à Gand , apuyoit encore par lies coolèils une
réfolution fi lage. I^impatience naturele du Jeune prince
^voit befoin d'être contenue par de fi piaiilaHCs motifs.
Il y eut quelques efcarmouches dans tefqueles les en-
liemis étonnés de la tranquilité avec laquele oa s'ata-r
choit uniquement à les tenir en échec y ellayerent inuti^
lement d'engager les François à une aâion générale.
C'écoit par une conduite fi pru^dente que Charles âpre-
noit à les troupes ^ vaincre e ix les empêchant de com-
batre : il connoiâoit le génie de la naiio»n , dont Tardeur
trop bouillante n'a befoin qite d'être réprimée.
l/)rrque le roi pgea que les ennemis avoient été arê^ Entreprife
tés affez long-tenips pour qu'il ne leur fût plus poffible j^^ Ha^g^*^
d'entreprendre rien de confidérable pendant le refte de fans fuccès?
la campagne , il céda aux foHcitatioos du duc de Bour-
gogne > qui lui demandoit inftammont , a^u nom de
tous les chevaliers François , la permiffion de livrer
bataille ou de (e retirer : on décampa , & les troupes
fe féparerent (a). Le comte de Saint- Paul & le con-
(a) Les Anglois » & les Funçois enx-mémcs qui rarement laiflcat écbaper
D d d i j
39^ Histoire dk France^
5!ï!=!!55!!!!î nétable de Fiennes eurent ordre de veiller fur toutes
Anîu 136s. les démarches du duc de Lencaftre, qui avoit repris la
route de Calais. A peine y fut-il rentré 1 qu'il forma
le projet plus hardi que praticable d'aler brûler la flote
Françoife dans le port ce Harfleur; mais il fut pré-
venu. Le comte de Saint-Paul qui devina fon deilein^
ala fe jeter dans la place avec deux cents hommes d*ar-
mes. Le duc, après avoir traverfé la Picardie & la
Normandie , toujours harcelé par les François, & avoir
demeuré quatre jours devant Harfleur fans ofer livrer
d'alFaut , fut oblieé de revenir fur fes pas; Toute fon
expédition fe réduifit à commettre quelques ravages
. dans'le Vermandois. Hugues de Châtillon grand-maî-
tre des arbalétriers , &; nouveau gouverneur d'Abe-
ville , fut fait prifonnier par un parti de Tarmée enne-
mie commandé par Nicolas de Louvain , qui en cete
ocafion fe vengea des François qui 1 avoient rançonné
k la prife d'AbevilIe.
Le duc de Lencaftre perdit dans le même temps le
château de Beaufort entre Troîes & Châlons. Il avoit
confié cete place à la garde d Yvain de Galles. Cet
Yvain fe faifoit nommer le pourfuivant d^amour : il
étoit fils d Aimon, le dernier des anciens fouverains
du pays de Galles, à qui Edouard avoit fait trancher
la tête. Il avoit été élevé à la cour de Philippe de Va-
lois en qualité dUnfant d'honeur de fa chambre : il fit fes
premières* armes lous le roi Jean .A la paix le duc de
Lencaftre qui probablement ijgnoroit fa naiffacce, fe
fit gouverneur de la fbrterefïe de Beaufort. F.nnemî
naturel des Anglois , il faifit avidement Tocafion de
venger les anciennes injures de fa maifon. Le roi de
France agréa fes ofres de fervice, & lui donna le
commandement de quelqMes vaifleaux , avec lefquels
il fe mit à faire des courfes fur les côtes d'Angle-
terre. N
rocafîon<!e plaiTantcr bien oa mal, dirent à propos de cete retraite de.Toor-
ncbcni , qu'il ne faloit plus apclcr le duc de Bourgogne Philippe k Hardi, n^a'f
Philippe de TourHtt'cn»
Yvain de Gai
les confacre
fes ferviccs à
la France.
Ibidem^
CHARLES V. 397
La Guienne cependant étoic devenue le principal tliéâ- ■
tre de la guerre. Le duc d Anjou avoic atiré k fon fer-' Ann. 1^69.
vice la plupart des compagnies qui n'étant pas Ângloi- guerre ca
ks , fe dévouoient à celui des deux partis qui étoit en ^"^f,"^^'
état de mettre un plus haut prix k leurs fecours. Les ' '"'
feigneurs Galcôns s'étant réunis avoient formé un corps
de dix mille hommes. Ils entrèrent dans le Quercy,
qu'ils ravagèrent & foumirent en partie. Cahors, ca*
pitale de la province, le rendit k la folicitation de fon
cvêque , frère de l'archevêque de Touloufe. Plus de
foixante places , tant cités , que châteaux du Limofîn
& du Rouergue , furent priies ou fecouerent d'elles-
mêmes le joug étranger. Les généraux Anglois de
leur côté failbient tous leurs éforts pour repoufler
tant d'ataques : les terres du comte de Périgord , plus
voilines des frontières ennemies , furent les premières
cxpofées. On fe batoit prefque en même-temps dans
toutes les parties de l'Aquitaine , avec une fureur que
les pertes ou les fuccès iritoient également. La Roche-
pofai , place très importance dans le Poitou, fut prife
par les feigneurs de la province partifans de la France.
Châtelleraut fubit le même fort. Le prince Edmond ,
CanoUe ^ Chandos , le captai de Buch , & les autres
chefs ennemis parcouroient ces diférentes provinces pour
les contenir dans l'obéifTance ; mais tandis qu'ils re-
prenoient quelques places , ils recevoient des avis du
loulévement ou de la furprife de quelques- autres. La
Roche - fur -Yon , forterefl'e prefque imprenable en
Poitou , fut livrée aux Anglois par la perfidie de Jean
Blondeau qui en étoit gouverneur. Ce lâche comman-
dant avoir reçu des ennemis fix mille francs pour le
prix de fa trahifcm. Il ne porta pas loin l'impunité de
fon crime. Ayant eu l'imprudence de fe retirer dans
Angers , le gouverneur de cete ville le fit arêter , &
quelque temps après , le duc d'Anjou ordopna qu'oti
le fit mourir du fuplice des traîtres : il fut lié dans un *
fac & précipité dans la Loire:
La prife du château de Belfeperche en Bourbonnois ,
39* Histoire de Frakce,.
ô — ! malgré les heureux commencements de cetc gnerre,
^ Ans. jyép. caula un vif chagrin à la cour de France. La duchelle
"* douariere de Bourbon mère de la reine , demeuroit
dans cece forcerelle , que Ton croyoic par Ton éloigne*
mène hors d^infulte de la part des ennemis. Quelques
chefs des compagnies Ângloifes ayant apris que cete
})lace étoit négligemment gardée, la furorirent par efca-
ade & firent la princeiTe prifonniere.. Le duc de Bour^-
bon vint peu de temps après y mettre le fiege dans l'inr
tention de délivrer la mère. La place réduite à Textré-
mité aloit être forcée , lorfque les comtes de Cambridge
& de Pembrok acoururent au fecours de la garnie
fon qu*ils emmenèrent en prélence des troupes Fran-
çoifes. Le duc eut la mortification de voir la princefle
^ & les d^mes de fa fuite , obligées de monter a cheval
& de fuivre-les ennemis , qui les conduîfirent dans une
forterelTe du Limofin apelée la Roche- Vauclaire, oà
ils la retinrent juf<|u*à ce qu elle fût échangée. La capti-
vité de la ducheflë de Bourbon étoit contre les loix de
la guerre , & le prince de Galles déiaprouva fort un
pareil procédé : il afTura nifême ^ue ii la princcfTe étoit
au pouvoir d'autres gens que des compagnons , il Tau-
roit fur-le-champ fait remettre en liberté.
ch^d^ ^^ ^^^^ première campagne prefque en tous lieux déf^
T&idm avantageufe aux Anglois , leur fut fatale fur-tout par
! la perte du brave Chandos , tué dans un combat fur
le poiic de Leufac ptès de Poitiers. La mort de ce
grand homme caufa la plus vive afliâion au prince de
Galles , qui regrétoit en lui le phis expérimenté de
fes géncraux , 6c la meilleure tète de fon confeil.
Edouard s*étoft déjà repenti plus d*une fois de n'avoir
pas déféré b fes avis , Inriqo'il avoir voulu le détournef
du deflein d'établir des impofîtions nouvdes. Les An-
glois pleurèrent Chandos : les François aflez généreux
pour rendre juftice k leurs ennemis , furent fenfibles à
ion infortune. On étoit alors perfuadé que s*il eût vé-
cu , ks confeils [prudents & la droiture de fes inten-
tîosu fturoi^t terminé la guerre : mais une pareille idée
Charles V. 39.5
étoît plutôt un hommage qu'on rendoit k la vertu de " ' ' ^
ce généreux chevalier , qu'une efpérance bien fondée. Ann. rj^^.
Les prétentions des rois de France & d'Angleterre
*écoient trop opofées pour que leurs démêlés puilem:
être facilement terminés. Il n'y a çueres d'aparence
que Chandos, qui n'avoit pu prévenir la rupture, eût
trouvé plus de facilité à ménager la réconciliation.
hcs Ânglois reconnurent , mais trop tar^ , la faute £<louard s'é-
qu'ils avoient commife en traitant avec hauteur des dc^^^rcga"^*"*
provinces qui leur avoient été cédées par un traité de les fcigncars
paix , & non fbumîfes les armes à la main. La fierté ^^ Guicnnc,
des deux Edouards jufqu'alors inflexible fe démentit.
Le roi d'Angleterre , de l'avis de fon confeil , adreflà
des lettres à tous les fèigneurs & à toutes les villes
d'Aquitaine 8c des autres provinces, par lefqueles il
les invicoit à rentrer fous ion obéiâance^ leur ofraiït
•une amniftie générale pour tout ce qui s'étoit pafTé ^ &
fur-tout leur promettant l'abolition entière des impofî«-
tions qui avoient ocaiionné le ibulévement. Nous vou^
Ions , difoit-il dans ces lettres , que notre cher Jils Le
^prince de Galles fe déporte de toutes avions faites ou
à faire ^ & refiitue à tous ceux qui ont été grevés par lui
eu par fes ofiders. On diflxibua des copies de ces lettres
dans toutes les villes de Guienne ; elles furent même fe^
dans une délibération datée de la cour de Londres,
annonçoit à la nobleffe d'Aquitaine le renouvélement de
•fes prétentions k la couronne de France en ces termes:
Si avons repris le nom y renommée & titre du roi' Çf du
royaume de France , auxquels nous ne renonçâmes onques
taijiblement ne expreffément. Cete déclaration n'eut pas
un meilleur fuccès que les promefles d'abolition. Loin
•de ramener les efprits à rèbéiflànce, la révolte fem-
bloit aquérir de nouveles forces. Tel eft le fort ordi-
naire de toute autorité ufurpée ., lorfqu'cUe fe trouve
•réduite k reculer.
4oo Histoire de France,
7» . Les ducs d'Anjou & de Berry revinrent k Paris k Ii
Awi, 1169. fin de 1 automne pour concerter avec le roi les opcra-
Froijfard. tiotis de la Campagne prochaine. Il fut rciolu qu'on
mettroit fur pied deux puillantes armées ious la con-
duite de ces deux princes, qui de\ oient entrer en
mCme-temps en Guienne par le Limofin & par la Reole,
& le joindre pour faire le fiege d'Ango lème, où le
prince de. Galles, dont la ianté depcrifioit de jour
en jour , faifoit alors fa réfidence.
Etats ^(«né-' Le luccès dcs amics Françoifes avoît télement dif-
raux à Park pofé tous les efprics de la nation à contribuer au frais
chron MS. d'une guerre fi heureufement commencée , que le roi
de Charles K. , ^ j • v i r j / /, • r
Du Jiiiet. n eut pas de peme à trouver les ronds neceliaires. Les
Etats - généraux furent aiTemblés à Thôtel de Saint*-
F^ul. Le cardinal de Béarnais, chancelier de France,
{)orta la parole, & demanda au nom du roi lavis de
'aflembléc fur la guerre préfente. La réfolution una-
nime de la continuer avec vigueur fut acompagnée
des ofres que firent les trois ordres de fournir les lecours
propres à la fo'utenir. Il fut réglé cjue Tirnoofition de
douze deniers pour livre , & la gabcte du fel , feroient
afeâées pour Ventratien de la maifon du roi & de la
reine, & au*on leveroit pour la guerre une impofition
de quatre livres. par feu dans les villes, & de trente
fous dans les campagnes. On établit pareillement ua
droit d'aide fur les vins , en proportionnant le fubfidç
à leur qualité. Les vins a pelés vms François ne payé?*
renc que la moitié des droits levés fur Ws vins de
Bourgogne : ceux de Beau ne & de Saint ^^Pourçain
étoiçnt taxés au triple. L'opinion qu'on avoit de leco^
nomie du roi , fit que ces divers impôts n'excitèrent
aucrn murmure.
Gucfdfn"^^^" Charles fongea en même-temps à faire revenir du
Frlifurd. ^usfcl^^j ^ui ^^oit toujours demeuré en Caftille depuis
le rétabliflement de Henri de Tranfiamare. Il fut ré^
•folu dans le confeil qu'on dépêcheroit vers lui pour
I invirer de venir fe mettre à la tête des armées Franr
çoifes. On lui dçftina d^s-lors la chargç de connéta-
ble.
Charles V. 401
ble , dont il fut décoré à fon r«our. Robert Moreau , ^
fire de Fiennes ^ chargé de gloire & d'années, venoit Ann, 15^9,
de fe démettre de cete dignité. Du Guefclin ayant
reçu les ordres de fon fouverain, prit congé du roi de
Caftille y avec lequel il confirma Taliance entre les deux
couronnes.
Il eût fans doute été furprenant que le roi de Na- Afaircsduroi
varre fût demeuré foeftateur oifif de ces divers mou- ^^J^f^*f^«-
^•^ . * . r- . j . . • /• Mémoires dt
vements. Ce prmce artificieux ne démentit point fa littérature.
conduite ordinaire , négociant en même - temps avec '^^êfor des
Edouard & Charles , les abufant tous deux , & le trom- ^^Mém' de u
{>ant lui-même. Le roi indigné de fes manœuvres dans Chambre des
e^iilernieres guerres de Caftille , avoit fait faifir la fei- ^«'»i"^'-
gneurie de Montpellier , qui lui avoit été cédée par le
<iernier traité en échange des villes dé Mantes & de
Meulan ^ & du comté de Longùeville. Le Navarrois
irité de cete perte , qui fe joignant dans fon efprit aux
autres fujets de plainte qu'il croyoit avoir, atifoit de
plus «en plus cete haine perfonnele qui Tanimoit con-
tre le roi , eût bien voulu fignaler fa vengeance par
quelque perfidie éclatante. Il fit pour c^t^ éfet un
voyage fecret à Londres , figna un traité avec Edouard ,
pafTa par la Bretagne^ où il forma une ligue avec le
duc, & revint en Normandie dans l'intention d'exé-
cuter la promefle qu'il avoit faite au roi d'Angleterre
de défier ouvertement le roi de France. Son inftabi-
lité ne lui permit pas TacomplilTement de ce projet.
Les manœuvres couvertes &.la perfidie lui étoient plus
familières qu'une inimitié déclarée. Il renoua les négo-
ciations pour fon acommodement avec la cour de
France. Le roi oui le connoiflbit, mais qui ne vouloîc
pas le pouffer a douj: en le forçant de prendre un parti
défefpéré, feignit d'ignorer tout le manège de fa faufle
politique. Les reines Jeanne ^& Blanche ^^ toujours mé^
diacrices , ménagèrent un traité y par lequel le roi de
I^avarre obtint la reâitution de Montpellier. Il ne tarda
p9s à mériter d'en être dépouillé par de nouveles tra-
hifons ; car dans le même temps qu'il fignoit cet acord ,
Tome V. E e e
402 Histoire ve Frawci^
■! il envoyoic des députés à Londres pour conclure avec
-Ann. 15^5. Edouard un traité abfolument contraire. Convaincu en
lui-même de tant de fanfletés, il n'ofa venir a Paris
rendre hommage au roi, ainli qu'il Tavoit promis. La
perfonne même du duc de Berry , qu'on devoit lui
remettre en otage , ne lui parut pas un garant capable
de le ralîurer. Il femble que la deftinée de ce prince
inquiet étoit de fe trouver toujours par fa faute dans
une pofîtion incertaine & dificile. Gêné pour fes terres
de Normandie par le voifinage de la cour , qui veil-
loit continuélement fur toutes fes démarches j il n'é-
toit pas beaucoup plus tranquile dans fes États de
dfthJ^iJ^v. Navarre enclavés entre la Caftille , unie par la r4fcn-
Tiéfordcs noiffance & l'intérêt avec la France & TAragon, dont
Chartres. \q ^oï venoit, de conclure un traité, par lequel l'infant
Hin!JEfp. Jean, duc de Girone , fon fils aîné, devoit époufer
Jeanne de France, fille de Philippe de Valois & de
Blanche d'Evreux. Cete princefl'e riit fiancée à l'hôtel
de Saint- Paul, en préfence du roi, à deux feigneurs
Aragonnois , nompiés Dom Loup -d'Urrcra & Dom
Bérenger d'Abella , qui Tépouferent au nom du prince.
Elle partit avec eux j mais elle ne vit pas fon époux,
ayant été furprife k Béziers d'une malaaie qui termina
k^ jours.
OrJonnancc Au-miHeu des embaras de la guerre , le roi ne per-
coutreicsjcur. Joie pâs de vue les autres parties de l'adminiftration»
. HT^ T"^^ I^a police intérieure du royaume étoic fur-tout un des
foL f f 1, pnncipaux objets de ratention du monarque. La ni-
La Mare, rtwt Qii îeu avoit fait de fi grands progrès, qu'il étoit
traicé de la \ j / • t^-i
Toiice. ^ propos de prévenir, en la réprimant , la coruption
Abrég.ehron. générale. La paffiôn pour les jeux de hafard avoit fait
tom.i.p.y . oublier les amufements honêtes & utiles. Le roi pu-
KecœuU des it- i /• * / j • * i*
ordonnances, blia vers la fm de cete année une ordonnance qui prof-
crivoit tous les jeux frivoles. Des jeux confidérés de
nos jours comme propres à ocuper Tefprit , ou à pro-
curer Tadrefle corporele, furent compris dans la dé-
f'ènfe qui interdifoit ^ fous peine d'amende , tous les
Charles V. 40^
jeux de dés , de tables (a) , de palmes (b) , de quilles , : — ?
de palet, de boules & de billes, & tous les autres jeux Ann. 1^69.
qui ne rendent point les hommes habiles au fait des
armes. II n'eft point fait mention dans cetc ordon- .
nance des cartes, dont Tufage ne commença que fous
ie règne fuivant. Le roi exhortoit en même-temps fes
fujets à choiiir pour leur divertiffement des récréations
propres à les rendre robuftes & à les aguérir, teles
que l'exercice de la lance , de Tare & de l'arbalète.
Edouard avoit fait publier dans fes Etats une fembla- Rymer, an.
ble ordonnance , par laquelè il défendit les jeux de z»"^^- ^^'"- 3 »
palet, de baie, de balon , de mail, les joutes & gé- ^'^'' *'
néralement tous les divertiflbments défignés dans fes
lettres fous le nom de Ludi Gallin^ jeux François.
Pendant la prifon du roi fon père, & depuis fon ^nn. 1370.
avènement à la couronne, le roi avoit fiiit travailler ^i^^lç^^^
aux fortifications & à la nouvele enceinte de la capi- chron. MS.
taie. Cete année Hugues Aubriot , prévôt de Pans , Mémoire d€
chargé de la conduite de ces ouvrages , pofa la pre- ^'"^''^'«''^•
miere pierre des fondements de la Baftille, conftruitc
à Têxtrêmité de la rue Saint - Antoine , au lieu où
elle fubfifte encore aujourd'hui. Cet énorme édifice
ne fut entièrement achevé que fous le règne de fon Hîfloirtde
fucceifeur. Quelque -temps auparavant , Charles qui tVniverfitéy
prévoyoit le renouvélement prefque indifpenfable de ^^ Dubouiay ^
la guerre , avoit ordonné qu'on environnât de mu- '^'n^Jo^rtdl*
railles , de foffés & de remparts Tabaye de Saint-Ger- l'Umverf. par
main, qui n'étoic point encore renfermée dans Ten- ^^^^^^^^'
ceinte de Paris, en forte que ce monaftere devint une pag.é^io.
efpece de fortereffe qui défendoit la ville de ce côté-lk.
On vèra^fans doute avec fatisfaâion un exemple Trêf<fr des
édifiant d*humiiité chrétienne & de modeftie vraiment Charureg.xoo^
apoftoliqué , dans la conduite d'un prélat de France. ^'^"^^'
(fl) De Tri<flrac bu de Dames.
(i) On apcîoit alors ainff le )cu de Paume du mot latin Pûima , parce qu'on
pouiToit la baie non avec une raaucre » mais avec la paume de la main. Re^
cherches de Fafquier , Ih, /K, chap. 15. Diâionnaire Etymolog, au mot Ra-
t- e e 1 j
404 HiSTOIRS DS Fr'ascE)
Pierre d'Eftaing, de lilluftre famille de ce ûam, ar-»
Ann. i)7û- chevêque de fiourges , dans un mandement fynodal
rk'lTr^'^nk ^voit déclaré excommuniés par h fait même tous juges
gaiin.purc.^, qui pourluivroient en matière crimmele les clercs oc
P'^S' ^^- .. . perfonnes écléfiaftiques par la faifie de leurs biens. Un
ordona^nccs!^ pareil ftatut aufli préjudiciable aux loix , qu'atenta-
coire à l'autorité des magiftrats , auroic fans doute atiré
iacention du prince & des cours fouveraines ; mais le
prélat n'eut pas befoin qu on lui en fît fentfr les coh-
féquences : il reconnut lui-même que rien n'étoit plus
contraire à la raifon que de favorifer Timpunité de ceux
qui par état font obligés d'être plus purs & plus juftes-
que le refte des hommes. Il ne rougit oas de fe rétrac-
ter volontairement , & de fîgnifier (a rétraâation à
tous les écléfiaftiques de fon diocefe. Ce trait marque
jufqu'à quel excès on avoit étendu les privilèges de la
cléricature. Ce n'eft qu'à la faveur du temps & des
circonftances , & par les foins d'une vigilance infati-
gable j que l'on a pu parvenir enfin à réformer des
abus fi pernicieux.
ConJanatioQ II feroit fuperflu de retracer les fumets de plaintes
\tlm **^°* réitérées , que la conduite altiere d'Edouard avoit
^ 2>4râr dis ocafionnés* Charles jugea qu'après de fi longs délais, il
Charer.rêgifire étoit temps de rapclcr k la niémoire du monarque
^^^*.^*^- '^>- Ang^ois , qu'il étoit né vaflal de la couronne de France^
anc^w-dZn.du ^^ ^oi féant en fon lit de jitftic^ prononça lui-même
pariim,}. 110. la cogdauation de ce prince rebele. Par arêt de la cour
pi^fd^^î/ des pairs , Edouard d Angleterre & le prince de Galles
Ja cour Jom fon fils , furcflt déclarés rebeles ; & pour réparation
9"^^^ ^u^9 de leur félonie y le duché de Guienne, & les autres
recœuU dn ' ^^rrcs qu'ils poffédoient en France , aquifes & confif-
irair/s. quées au profit du roi leur iouverain.
Expéditions Ce jugement fi humiliant pour le roi d'Angleterre,
^rSouTScJu q^îque jufte qu'il fût , n'auroit été regardé que comme
Gucfciin. une vaine formalité ^ s il n'avoit été apuyé par des
FrvijfarJ. forccs Capables de le faire refpeâer. Les ducs a Anjou
& de Berry , à la tête de deux armées, ataquerent
en même- temps les ennemis par le Limofîn & par le
C ft A k L È s V. ,40^
LâhgUedoc. Dii Guefclin , nouvélemeiit revenu dé -
Caftille , rempliflbit les croupes d'une confiance qu'elles ^^' ^J7o.
n'avoienc pas encore éprouvée. Tout plioic fous les
armes Frdnçoifes : les villes de Moiflac, d'Agen , de
Port-Sainte- Marie j de Thonnins -fur -Garonne , de
Mdntpezat , fe rendirent aufli-tôt. Gautier de Mauny ,
gouverneur d'Aiguillon ^ ne put foutenîr quatre jours
de fiege dans cete place , qui fous le règne de Phi-
lippe de Valois avoit bravé pendant fix mois une
armée de foixante mille hommes , commandée par le
duc de Normandie. Ces conquêtes fubites , & fur-tout
la prife de cete dernière place , furprirent extrême-
filent les Anglois. Le prince de Galles ne fe crut pas
en sûreté dans Angoulême : fur le bruit qui couroit
qu'on devoit Tinveitir, il fe rendit à Cognac , où il
indiqua le rendez* vous de fes troupes. Le captai de
Buch , renfermé dans Bergerac , fut laifTé pour cou-
vrir la Guienne de ce côté-lk. Il conferva par fa pré-
fence d*efprit & fon courace la ville de Linde, aue
Thomas de Badefol , chef aaventuriers Gafcons , ae-
voit livrer aux François pour une fomme d'argent. II
furvint au moment que ce perfide alpit introduire les
ennemis : Mauvais traître , s'écria- t-il ^ tu y mourras ,
jamais tu ne feras trakifon après cete^cy* A ces mots il
lui plongea fon épée dans le corp^. Les Français fe
retirèrent, voyant Tentreprife découverte.
Tandis que les Anglois , prefl'és de toutes parts en ic doc de
Guienne , ne fçavoient où porter leurs éforts , le duc Bcrry foumet
de Berry fobmettoit le Limofin à la tête d'une armée S^,"''*'*
encare plus confidérable par la qualité , que par le Froifard,
nombre des combatants. Le duc de Bourbon , le Oc
comte 4*AIcnçon , Gui de Blois , Robert •d'Alencon ,
comte du Perche 9 Jean d* Armagnac, Hugues dauphin
d'Auvergne , Jean de Villemur , les lires de Beaujeu ,
de Villars , de Montandre , de Senac , de Malleval ,
de Marneil , de J^oulogne , le vicomte d'Ufez , les fei-
gneurs de Sully, de Talencon, de Conflans, d'Ap-
cher, l'élite d'une partie de k noblefie , encourageoienc
40^ _ Histoire de France,
^ par leur préfence & par leur exemple ces troupes fof-
Ann. 1570. midables. Les François , après avoir parcouru la pro*
Hiji.de Bref, vince , vinrent former le fiege de Limoges. Cete capir
taie , extrêmement fortifiée , apartenoit à la veuve de
Charles de Blois : les Anglois s'en étoient emparés;
& la çomtefle de Penthievre Tavoit cédée au roi ^ qui
par une contre-lettre s'étoit engagé de la lui rendre,
lorfqu'elle feroit en fon pouvoir.
Prifc de Li- Le duc d'Anjou , après les premiers exploits de
«oR«; cete campagne , avpit été obligé de congédier une
lùidem. partie de fon armée , compofée de troupes fournies
{)ar les feigneurs de Guienne, qui fe retirèrent dans
eurs terres pour les garantir de l'iûvafion dont ils
étoient menacés par les forces que le prince de Galles
raflembloit. Du Guefclin fe trouvant inutile auprès
du duc d'Anjou , fe rendit à Tarmée du duc de Berry,
S[ui étoit encore ocupée au fiege de Limoges. Sa pré-
ence hâta la reddition de la place, qui capitula par
Tentremife de fon évêque.,
G^îcrrcTcad Lorfquc le prince de Galles , aue tant de pertes con-
Limoges. ^^^ féçutives aigrifToient de plus en plus , eut apris la réduc-
Cruaurf Mcr- tiou de Limogcs au pouvoir des François , il ne pue
babiwnts? " retenir les tranfports de fon reffentiment : il étoit
Itidem. fur-tout indigné de ce que ceté ville- avoit été livrée
k fçs ennemis par les intrigues de Tévôqûe fon com*
pcrc , fon ami , & dans leqibel il avoit mis toute fa
confiance. Si en tint moins de compte, [dit Froiffard]
^ de tous autres gens d^égii/èy où il adjoutoit au dc^
vant grand foi : défiance injufte, fans douce , la faute
d'un particulier ne pouvant être regardée comme le
crime du corps entier. Dans fa colère il jura de re-
prendre la avilie , &; de tirer une vengeance exem-
plaire des perfides qui Tavoient trahi* Il ne remplit
que trop fidèlement çç ferment, dont les, malheureux
habitants furent les triftes viâimes. La place fut aflié-
gée un féconde fois : les mineurs ayant fait tomber
un pan de muraille , le prince entra par cete brèche,
furieux , fSc ne refpirant que la haine. Il étoit port^
Charies V. 407
fur un chariot , fa maladie ne lui permettant pas de ■
marcher à pied, ni de fuporter le mouvement du chc- Ann. 1J70.
val. Il traverla la ville, fourd aux pleurs, aux gémifli>
mênts & aux cris de tout un peuple profterné fur fon
palFage , implorant à mains jointes fa miféricordc. Ses
foldats , ou plutôt fes boureaux , ne refpeâerent ni
Tâge , ni le iexe : les vieillards , les femmes , les en-
fants, furent maiTacrés fans diftinâion : la ville inon-
dée de fang fut livrée aux flammes, qui dévorèrent
ce qui étoit échapé à Tavidité des gens de guerre»
Peut-on reconnoître k cete atrocité le généreux vain-
queur de Poitiers & de Navarette , Tami de Thuma-
nité , le tendre proteâeur d'Euflache de Calais & de
fes vertueux compagnons , contre les fureurs d*E-
douard ? Le prince de Galles avoir trop vécu pour fa
gloire- La prife de Limoges fut le dernier exploit de
ce héros , dont elle flétrit la mémoire.
Dans le fac de cete malheureufe ville, Tévêque fut
arête : le refpeâ dû à fon caraâere , empêcha ceux
qui le trouvèrent de Timmoler. Il fut conduit devant le
prince, qui le regardant avec des yeux étincelants de
colère , ne daigna lui parler oue pour Taffurer qu'il
lui ferbit trancher la tête : k Tinitant même il commanda
3u*on le traînât en prifon. Il y a toute aparence qu'E-
ouard, revenu k lui-même, reconnut qu^une paflion
aveugle Tavoit féduit. Il fe repentit , mais trop tard , .
de Texcès de fon emportement. Le prélat fut remis
au duc de Lencaftre , auprès duquel le. pape em-
ploya de fi prefTantes folicitations , qu*k la fin il obtint
la vie & la liberté.
Du Guefclin ne s'étoit pas arête long -temps en i^cf.cntcdes
Gnienne. Les ordres réitérés du roi lapeloient a la Angiois fous
cour. Une puifTante armée débarquée k Calais , tra- xn^^i^ç^,""^ ^^
verfoit la France four la conduite de Robert Knalles, ^froikrd,
l\in des plus habiles généraux d'Edouard. Charles, &c.
aux premières nouveles de la defcente des ennemis , RtcœuU des
.■i/<.i ,. «. . ordonnances.
avoit oblervé la conduite que nous lui avons vu tenir
pendant la captivité du roi fon père. Toutes les places
4o8 Histoire de France,
^^^"""^ en état de défenfe furent promptement fortifiées &
Aah- 1570» pourvues de troupes. La plupart des habitants des
campagnes s'y retirèrent avec leurs éfets les plus pré-^
cieux. En fortant de Calais , les Anglois s'étoicnt
aprochés de Fiehnes, où le vieux connétable de ce.
nom étoit pour lors avec quantité de noblefle déter-
minée à faire une vigoureufe réfiflance. La place
étant hors d'inlblte, ils ne jugèrent pas à propos de
lataquer. Ils pourfuivirent leur marche , ravageant
le plat .pays , & tirant 4es contributions de ceux qui
voulurent éviter le pillage. Ils brûlèrent en pafTant les
fkuxbourgs d'Aras , entrèrent dans le Vermandois ,
livrèrent la ville de Roie aux flammes , s'aprochè-
rent du SoifTonnois^ qui fut épargné par çonfidéra-
tion pour Enguerrand de Coucy , gendre du roi d'An-
gleterre, pénétrèrent en Champagne^ où ils s'arêtè-
rent quelque temps , paroiiTant incertains fur quele pro-
vince ils fe jeteroient. Quoique le général Anglois ,
dans le cours d'une fi longue marche , n'eût rencontré
aucune opofition au paf]^ge de fbn armée, il avoic
foin cependant de fe tenir toujours fur fes gardes , &
de marcher en ordre de bataille , étant fans çeflb har^
celé par de petits corps de troupes que conduifoient
le vicomte de Meaux , le fire de Chauni , Raoul de
Couci , Guillaume de Melun , fils du comte de Tan-
carville & les autres principaux feigneurs de ces pro<«
vinces. Ces efpeces de camps volants , qui côtoyoient
inceffamment les ennemis , le? enipêchoient de s'écar-
ter, &c garantifToient les lieux pu ils pafibient, d'une
partie des brigandages qu'ils euifenc commis fans cete
précaution.
fiidem. Enfin , après avoir couru la Champagne jufqu'à
Reims , Troies , Knolles pafl'a l'Aube , l'Yonne , la
Seine , & vint camper dans l'Ile de France awx envi-»
rons de la capitale , où le roi étoit renfermé avec plus
de douze cents hommes d'armes. Les Anglois fe pr6-
fenterent en bataille entre Villcjuif & Paris. Le roî
qui vouloit abfolumçnt éviter i;pe a^pn générale, fç
çonpenta
Charles V. 409
contenta de permettre à quelcjues détachements de for- !
tir de Tenceinte des fortifications. Les ennemis perdi- Ann. xjyo.
rent en un feul jour fept cents hommes dans un com-
bat qui fe livra près du feuxbourg Saint-Marcel. Cet
échec & la difete des vivres les obligèrent de décam-
per , & de prendre la route de Normandie , d'où quel-
ques jours après ils s'éloignèrent pour gagner l-Anjou
par le pays Chartrain & la Beaufl^.
Ce fut fur ces entrefaites que du GuefcHn ariva. DuGucfclîn
Sa préfence infpira une joie univerfele. Le roi avoit ^^^^^ ^ '*
envoyé au-devant de lui le feigneur Bureau de la Ri- conn/iabic?
viere, fon chambélan. Il entra dans Paris aux aclama- Sa modcftic.
tions du peuple : on cria Noël . ce qui iufqu'alors n'a«- J.^^^'"'^'
voit été en uiage que pour les rois. Charles reçut le g^^/
chevalier Breton à l'hôtel de Saint - Paul , où il vint
defcendre. Le monarc^ue lui déclara en préfence de fa
cour, qu'il Tavoit choifi pour commander fes armées;
il lui préfenta en même -temps l'épée de connétable.
JDu Guefclin , de laveu général , etoit eftimé le plus
grand guèrier de la nation. Chevalier intrépide, chef
expérimenté, fincere, généreux, il couFonnoit tant de.
beies qualités par une vertu qui leur ajoutoit un nou-
veau luftre. Il étoit modefte. L'exemple de ce héros
devroit faire rougir ces hommes ambitieux , plus avides
d'ocuper les places éminentes , que jaloux de s'en '
rendre dignes. Tous les princes & les feigneurs pré-
fents aplaudifToient de concert au choix que le roi ve-
noit de faire, lorfque du Guefclin avec une noble
franchife fuplia fon fouverain d'honorer de cete dignité
quelqu'un oui la méritât mieux que lui. Noble roi,
chicr Jirt , lui dit-il , Ji vous prie chiérement que vous
me déportie:^ de cet ojice , & le baillie:^^ à un autre qui
plus volontiers le prendra , & qui mieux le Jçaura faire.
il falut employer les plus vives inftances pour le ré^
foudre. Mejjire Bertrand y lui dit le roi, ne vous eTCcà^
fe^ point i je n^ai frère , coujin y neveu , comte , ne ba--
ton en mon royaume qui n^obéijfe à vous; &Jinuls en
dtoient au contraire > ils me courouceroient télemenî mi^ils
TonuV. Fff
4^0 Histoire de Frakce,
- ■' sUn apercevraient : Ji prene^ Vojice joyeufementj & je
Ann. 1570!» yous en prie. De femblables prières font des comman*-
demenrs abfolus : du Guefclin obéit; mais avant que
de recevoir l'épée de connétable, il fuplia fa niajefté
de ne daigner jamais ajouter foi aux raports quon
i}ouroit faire contre lui, fans lui avoir auparavant h\t
a grâce de l'entendre, ce aue le prince lui promit
dans les termes les plus afeâueux. Il paraît que ce
grand homme redoutoit plus les courtifans de Thôtelde
Saint-Paul > que les ennemis de TEtat. Ayant reçu ccte
obligeante anurance de la faveur de fon roi , il prêta
le ferment.
Dn Guefclin Charles fcrupuieufement ataché à la réfolutiôn qu*il
marche contre s'étoit prefcrite d'éviter , autant qu'il fe pouroit , de
^^'pro^d commettre le faluD de l'Etat à l'événement incertain
^^ ra/ tfr , j,^^ combat décîfif, recommanda fur toutes cbofes
au nouveau connétable fie temporifer avec le» enne*
niis. Du Guefclin ^ en convenant de la fagefTe de cete
conduite, ju^ea que pour en tirer avantage , il étoit
k propos de le conformer aux circonftances , fans éloi-
gner ou précipiter les ocaiîons qui fe préfenteroienc ,
foit d'exécuter à la lettre les ordres du prince > foit de
s en écarter. La dignité donc il venoit d'être décoré,
Tavoit rendu maître abfolu des opérations de la cani-
* pagne. Le peu de troupes qu'on lui avoir données ,
ne lui permettoit pas de rien entreprendre de confi-
dérable : à peine avoit-il cinq cents nommes d'armes;
mais il étoit acoutumé de furmonter de plus grauds
^ obflacles. Son argent, lès meubles, fa vaiffele , juf-
Î[u'aux joyaux de la dame du Guefclin £ba époufe^
urent employés à lever A&s gçns de guerre. Il fc vie
bientôt à la tête de quatre mille hommes d'armes.
Cete petite armée fe forma en Normandie , où il avoir
été fuivi par une foule de feigaeurs & de noblcfle:
il les traita fplendidement dans la ville de Caen.
Confraternité Ce fut pendant ce voyage que du Guefclin rcnou-
d armes. ^^j^ Tancien ufage d'une aubciation guèrierc. Il choifîc
poi;^ foa confrère d'armes Olivier de Cliâbn ^ donc il
Charebs V. ^lï
connoîiToic le courage. Ces deux héros Bretons /igné* --
renc.à Pontorfon l'ade de leur confraternité , par Je* A«n. ij?©-
quel ils s'engagèrent à défendre réciproquement leurs ^'f'piT'
biens , leur vie & leur honeur , & à le prêter une af- ^^u!contenant
iiflance mutuele contre tons , excepté contre le roi de ^« preuves ,
France ou contre le feigneur de Rohan. Il n'eft point ^-^^P'^'i^^-
fait mention dans cece exception du duc de .Bretagne ,
avec lequel Cliflbn commençoit à fe brouiller. Tous
les profits que les deux frères d'armes pouroient Êiire y
dévoient fe partager également entre eux. Teles font
les conventions de ce traité. Il feroit inutile de s'éten-
dre, davantage fur la nature de ces fortes d'aliances,
dont il a déjà été quedion dans le commencement de f^py^ ^^
cetehiftoire. '"'^'^^
Du Guefclin partit acompagné des comtes d'Alen- Avantage?
eon , de Saint- Paul & du Perche , de Mouton, de [^^^'''j^^^^
JBlainville , nouveau maréchal de France à la place ^^^^'^^
d'Arnoul d'Andreghen , qui s'étoit démis de cete di-
gnité pour prendre celle de porte-oriflamme , des fei-
gneurs de Rohan y de ClilTon y de Laval , de Beaumont ,
d'Eftrées , de Raix y de Rochelbrt y de la Hunodaye,
de Mauny , de Pont & de plufieurs gentilshommes y
fur - tout de la province de Bretagne y où la réputa-
tion de fa bravoure avoit excité une émulation géné-
rale. A la tête de ces troupes peu nombreufes y mais
choifies y il forma le projet d'aler chercher les ennemis y
qui s*étoient répandus dans le^ provinces du Maine &c Effaîs^ fur
d'Anjou. Un des plus célèbres écrivains de ce fiecle , ^^'^iJ^7/V
compare avec jultelle cete première campagne de du rom, 2,^.1^4.
Guefclin k celle qui y fous le règne de Louis le Grand,
aquit à Pimmorcel Turenne la réputation de premier
général de l'Europe. Le connétable re^ut à quelques
journées de Vire un héraut chargé de lui ofrir la ba-
taille de la part de Grancfon & des principaux chei^
des troupes Angloifes , qui pour-lors écoient canton- •
nées dans le Maine au nombre d'environ quatre mille
hommes. Il renvoya le mefTager , avec ordre de le re-
commander à fes maîtres « & de les aifurer qu'ils au^
Fffij
412 Histoire de Frahce,
^^^^^^^^^^^^= roient bientôt de fes nouveles. Quelques auteurs rapor-
Ann. 1376. tent qu'on enivra le héraut pour l'empêcher de retour-
ner , & que les François profitèrent de cete circonftance
pour furprendre les ennemis. Quoi qu'il en foit , du
Guefclin part avec l'élite de fes troupes ^ malgré Tob-
fcurité d'une nuit extrêmement pluvieufe , force fa mar-
che , & tombe fur le quartier des Anglois , qui étoîent
campés aux environs de Pontvilain. Les ennemis ne
s'atendoient pas à une ataque fi fubite. Ils fe raflem-
blent à la hâte : le connétable ne leur laiffe pas le
temps de fe reconnoître : il les prefle avec une vivacité
, qui les étonne , il les enfonce , il les renverfe. Aflaillis
prefqu'en même -temps parle maréchal de Blainville ,
qui , fuîvant les ordres du général , furvint avec le
refte de l'armée Françoife , ils font entièrement défaits.
Grantfon , Courtenai , Spenfer , font faits prifonniers.
Ceux qui dans ce combat échaperent au fer du vain-
queur , perdirent la liberté. ,
Ce premier avantage , loin de fatisfaire Tardeur expé- \
ditive de du Guefclin y femble redoubler la rapidité de |
fes opérations. Tandis qu'il fait conduire au Mans le
butin & les prifonniers faits au combat de Pontvilain ^
il marche promtement vers les autres quartiers des
ennemis , qu^il enlevé avec le même bonheur , ou plutôt
avec le même courage : il femble fe multiplier , pour
paroître prefque en même -temps dans tous les lieux
ocupés par les Anglois : par-tout il les joint , par-toct
il les difperfe ou les exterînine. Cete armée formida-
ble y que Knolles avoit conduite en France , difparut.
Du Guefclin ramena fes troupes viârorieufes & char-
gées de dépouilles. Le général Anglois courut en Bre-
tagne enfevelir fa honte dans fon château de Derval ,
n'ofant xeparoître à la cour d'Angleterre après une fi
malheureufe expédition.
Mort de la Ces revers imprévus mortifièrent d'autant plus le roi
Tcinc d'Angle- d'Angleterre , au'il éprouvoit dans le même-temps des
*X^ Th r ™^'^^"rs domeftiques non moins fenfibles. Il venoit de
Froijpir7/^ perdre l'année précédente la reine Philippe de Hainauc
Charles V* 413
fon époufc. Il eut la douleur de voir expirer entre fes ^^^^^^^^
bras cece refpeâable princeffe , qui joignoic à des qua- ^^' '37o.
lités héroïques toutes les grâces & toutes les vertus de
fon fexe. Efle lui demanda pour dernière preuve de fa
tendrefle , de ne point choifir d'autre fépulcure que celle
où Ton aloit la conduire , afin qu'un même tombeau
réunît à jamais leurs cœurs. Quelque grande que fût
Tame d'Edouard , fa fermeté n'étoit pas à l'épreuve
d'une fi cruele féparation. Il arofoit de fes larmes les
mains de cete digne époufe , pour laquele fon eflime
ne s'étoit jamais démentie. Elle rendit le dernier foupir
en lui recommandant fa famille > & fur- tout le plus
jeune de fes fils : c'étoit Thomas de Woodftock , le
feptieme des enfants mâles d'Edouard , qui fut duc de
Buckingham fous le règne fuivant. Cete augufle reine
fut univerfélement regretée.
De -
yeux
la maifon que des fujets d'alarmes ou de chagiiu. ^cim uidem.
de fes enfants qu'il aimoit le plus tendrement, le prince Rymer^\a.
de Galles , ce héros fi digne de toute l'afeâion d'un P^^^^om.i.
père , languifToit à Bordeaux d'une maladie lofigue & ^^ ^* **
cruele , à laquele s'étoit encore jointe récemment l'a-
fliâion de la mort d'Edouard, laîné de fes fils , jeune
enfant qui donnoit déjà les plus bêles efpérances. La
fanté dç ce prince s'afoiblifiant de jour en jour , les
médecins lui confeilierent d'aler refpirer l'air de Lon-
dres. Il partit de Bordeaux avec le jeune Richard fon
fécond fils ^ après avoir remis l'Aquitaine au duc de Len-
caftre.
Cependant le connétable , après avoir rangé une
partie du Poitou fous l'obéifFance du roi , étoit revenu
a Paris avec ClifToiî & les autres compagnons de fes
viâoires. Il avoit reçu dans ce même-temps une fomme
confidérable de Cafiille , qu'il avoit libéralement dif^
tribuée aux troupes. Charles , jufle apréciateur du vrai
mérite , l'honora de l'acœuil que méritoient des fervices
a importants & fi défintéreffés. .
4r4 Histoire de France,
• . Le duc de Lencaftre folicita de nouveaux (ccours
Ann. 1371. ^l'Angleterre , donc le prince de Galles hâta, les prépa-
gioiTc Tapro" natifs. Il s'agiffoit de prévenir la perce totale des pro-
che de la Ro- vinces qu'il poffédoic en France. Edouard irité de tant
^ j"^ vr A ^^ difgraces , forma un projet , qui loin de retarder la
cZon.^MS. révolution qu'avoit préparée la fierté Angloife , ne
Uîfi.cHEfp. fervit au -contraire qu'à en précipiter le dénouement,
^^' en achevant d'aliéner les efprits. Le comte de Pembrock
fut chargé de conduire un renfort confidérable de trou-
pes deftinées pour la Guienne, Son voyage avoit en-
core un autre but fur lequel il ne s'expliquoit pas ,
mais qui fut pénétré. Il vint mouiller à la vue ae la
Rochele , dont les habitants fermèrent le port , en fai-
fant dire au prince que fans fe départir du ferment
qu'ils avoient fait au roi d'Angleterre , ils étoienc dans
la réfolution de garder leur ville eux-mêmes. Ces gé-
néreux citoyens avoient été informés que le deflein
d'Edouard étoit de peupler la ville d'Anglois , & d'en-
lever tous les habitants. Dans cete vue le comte de
Pembrock avoit fait charger fur fa flote quantité de
tonneaux remplis de chaînes , pour mettre aux fers les
habitacfts de cete ville importante , trop atachés à leurs
anciens fouverains , & fur la fidélité deiquels les An-
glois croyoient ne devoir jamais compter.
Les Angioîs Tandis que Pembrock , étonné de cete réfifiance ,
font batus par délibéroit fur le parti qu'il prendroit , l'amiral de Caf-
^rtioiz!" ^^^* ^^^^^ » Boccanegra , Génois , étoit k la hauteur de la
^"^""ilidem. Rochele avec quarante voiles. Il ataqua la flote An-
gloife , qu'il délit entièrement après un combat opiniâ-
tre , où la viâroire fut difputée pendant deux jours. Les
auteurs- de ce temps obfervent que les bâtiments Efpa-
gnols étoient beaucoup plus hauts <ie bords que les oâ-
timents Anglois.
La flote Caflrillane pourfuivit les vaincus jufqu'à la
vue de Bordeaux , où elle fit échouer plufieurs de leurs
vaifleaux , & coula les autres à fond. Après cete glo-
rieufe viâoire , Boccanegra reprit la route d'Efpagne,
Il conduifit en triomphe les vaifleaux pris fur les An*
Charles V. 41^
-glois , chargés d'un butin confidérable , du créfor def- !
tiné au paiement des troupes & d'une infinité de pri- Ann. i57i*
fonniers y parmi lefquels fe trouvoient le comte de Pem*
brock lui-même.
Cet échec y 6c la difpofîtion des habitants de la Ro- HUcm.
chele y déterminèrent le roi à faire partir du Guefclin
avec des troupes pour en former le fiege. Le conné*
table s aprocha de la place ; mais ne jugeant pas Toca-
fion encore favorable , il ne voulut pas s obftiner à cete
entreprife , dont il remit l'exécution k un autre temps.
Le captai de Buch*^ qui fe trouvoit alors dans le voi-^-
finage y Tçnvoya déjficr à la bataiUt. Il accepta le défi >
& fe rendit au lieu indiqué y d'où il fut ooligé de re*
venir fur fes pas , après l'avoir vainement atendu.
La guerre alumée en même- temps de tous côtés, Retour Ju
paroifloit avoir éloigné toute efpérance de réconcilia- PP^/» ^'^"-
1* ^ \ m Y r • .^ ce. Sa mort-
tion entre les deux couronnes. Les louverams pontifes
fàifoient feuls entendre leur voix pacifique dans ces
temps de tumulte & de fang. Ces pères communs des
fidèles ne cefToient d'exhorter les rois à la concorde.
Urbain enflammé d'un zèle apoftolique pour le bon-
heur de la chrétienté y après trois années de féjour en
Italie, étoit parti de Rome malgré les vœux des fujcts
du faint-fiege & les exhortations de fainte Brigitte ,
3ui lui avoit fait annoncer qu'il niourroit infailliblement^
es qu'il auroit abandonné la capitale du monde chré^
tien. Rien ne fut capable de l'arêter. Il vint débarquer
à Marfeiile , d'où il fe rendit dans le Comtat. Son def-
feîn étoit d'aler en perfonne négocier la paix entre les rr.^ p , ^
rois de France & d'Angleterre. Dieii ne permit pas t.io,'p.%f.
3u'il pourfuivît une fi louable entreprife. Il fut ataqué
ans Avignon d'une maladie qui ne lui laiiTa plus
d'autre penfée que celle de fe préparer à la mort. Il
mourut y ainfi qu'il avoit vécu , dans les fentimënts re-
ligieux de la plus humble & de la plus parfaite réfigna-
tion. Je crois fermement ^ dit ce refpedable pontife en
expirant , tout ce que tient & enfeigne la fainte églifc
catholique } Çf Ji jamais f ai avancé quelque autre chofe.
j^i€ Histoire de France,
r i de qudquef^manurc que ce f oit y je le révoque , & mejfbu*
Ann- 1371. mets à la coreclion de VEgUfe. Urbain avoic ocupé la
chaire de faint Pierre huit ans , un mois & dix -neuf
jours. Ami de la paix , proteâeur de la juftice , il ré-
prima la chicane des procureurs & des avocats ; il prof-
crivit la fimonie ; il reftreignît , autant qu'il put , la
pluralité des bénéfices ; il employa les tréfors de Téglifc
au foulagement des pauvres ; il anima les arts & les
lettres : plus de mille étudiants répandus dans les difé-
rentes univerfités , étoient entretenus de fes libéralités.
La ville de Montpellier lui eft redevable de la fonda-
pon d'un colege. pour douze élevés de la faculté de
médecine. Il eut dé la tendrefle pour fes parents ; mais
il ne leur prodigua ni les tréfors , ni les dignités de
réglife.
;..ccuon de La vacance du faint-fiege ne dura que dix jours.
Grégoire XI. Lgj cardiuaux aflemblés dans le conclave réunirent
ibidim. \q\xvs voix en faveur du cardinal de Beaufort , neveu
de Clément VI , qui prit le nom de Grégoire XL II
reçut la couronne pontificale dans Téglife des Domini-
Chron.MS. cains d'Avignon. Le duc d'Anjou , qui pour-lors fe
dt chariis y. trouvoit cn cete ville , le conduifit de l'églife au palais.
vufLTom. îf* ^® prince marchoit à pied , tenant le frein du cheval
part. 1, ' de fa fainteté. Grégoire aufli zélé que fon prédéccfleur ,
employa fa médiation pour apaifer la querele des deux
rois. Dans cete vue il nomma les cardinaux de Beau-
vais & de Cantorbéri , avec ordre de travailler à cet
acommodement. Ces prélats tinrent à ce fujet plufieurs
conférences inutiles. Les prétentions de part & d*autre
étoient (rop éloignées pour que les deux négociateurs
pufTent les concilier.
Nouvdcspctw Pendant le cours de ces divers mouvements , le roi
fidicsduroidc de Navarre avoit à fon ordinaire multiplié les traités
^^m"^ • d ^^^^^"^^"^ 9 ^^ flatant toujours vainement de vendre à
iiifér^ure! ' ^'"^ ^^^ ^^^^ ^^^^ ^^^ aliancc infidèle , & fe trouvant
Tréfor des faus cçAe k dupe de Ces trahifons infruâueufes ; trai-
Chartra,&c. j^^t avec le roi dans le même temps qu'il eflayoit de
corompre un médecin Grec pour lui donner eu jpoi-
lon;
Charles V. 417
Ibn ; amufant le roi d'Angleterre par l*efpérance de -
joindre fes troupes aux fiennes ; paflant fecrétement k Ann. ijy^-
Londres pour y figner un traité défavoué par lui-même ,
dès qu'il étoit rentré dans fes Etats ; courant à la cour
du duc de Bretagne pour y femer la difTenfion ; re-
venant enfuite reprendre les négociations précédem-
ment entamées avec la cour de France. Qui voudroic
fuivre ce prince dans toutes fes démarches , n'y vèroic
3u'un enchaînement bizare de légèretés , d'incertitudes ,
'inconféquences & de perfidie. Le roi atentif k fa con-
duite , fe contentoit de le connoître & de le retenir
par la crainte , fans vouloir , en le pouffant k bout ,
le réduire k la néceffité de prendre un parti extrême.
On lui avoit opofé quelques dificultés dans la prîfe de
poffeflîon de la ville de Montpellier , qui lui avoit été
cédée par le dernier traité. Il n'en fkloit pas davantage
pour tenir en haleine fon caraâere remuant. Le duc
d'Anjou s'étoit emparé de Montpellier pendant la cam-
pagne précédente ; mais .cet incident provenoit moins
de la difpofition du roi k l'égard de tharles-le- Mau-
vais , que de celle du duc qui réclamoit quelques pré-
tentions fur cete ville. Le Navarrois toujours agité par
fon inquiétude naturele , fembla fixer enfin fon irré-
folution , en afeâaht de traiter de bopne-foi avec les
miniftres de France. Ses agents réglèrent avec eux tous
les articles, qu'il çft inutile de raporter ici , n'étant
pour la plupart qu'une répétition des cpnventions pré-
cédentes.
Le roi partît de Tabaye de MaubuifTon, où il avoit Lcroîc^cNa-
affiflé au lervice de la reine Jeanne d'Evreux , veuve ^^0"^^^!^^^^^
de Charles-le-Bel , & fe rendit k Vernon^ où le roi n fait fona-
de Navarrç dçvoit fe trouver. Bertrand du Cuefclin , commodcmcnt
acompagné de trois cents, hommes d'armes, conduifit l^'^^f».
à Evreux les otages pour la sûreté de ce priiice. Ces
otages étoient l'archevêque de Sens ^ Guillaufnç de
Melun , Tévêque de Laon , le fire de Montmorenci ,
le comte de rorcien, les feigneurs de Châtillon, de
Garencieres ^ de Blaru , de Saint-Payl , de Vienne ,
Tome V. Ggg
4^8 Histoire, de France,
== d'Harenvilliers, le maréchal de Blainville, Guillaume
Ann. 1J7X. de Dormans , quatre notables bourgeois de Paris &
quatre de Rouen. Le connétable revint à Vernon avec
le roi de Navarre , qui mit pied à terre au château.
La première entrevue fe fit dans un jardin où le roi
fe promenoir pour lors. Le Navarrois l'aborda en fe
jprofternant à ies genoux : Charles le releva aufli-tôt ,
& fe contenta de lui dire qu'il étoit le bien -venu,
fans Tembrafler , fuivant Tulage ordinaire. Après les
{)remier$ compliments , les deux princes entrèrent dans
a fale où Ton a voit préparé le fouper. Le roi de Na-
varre qui ne foupoit pas , fe retira , & ne revint qu'a-
f)rès le repas. Il eut alors un fort long entretien avec
e roi, dont perfonne ne fut inftruit. Les courtifans
qui les obfervoient de loin , remarquèrent feulement
que Charles -le -Mauvais intérompit plufieurs fois la
converfation pour fe jeter aux pieds du monarque. Il
paroît probable qu'il demandoit pardon de toutes les
perfidies dont il s'étoit rendu coupable. Le lendemain
. il rendit hommage-lige pour toutes les terres qu'il pof-
fédoit en France, devoir dont il ne s'étoit point en-
core aquité depuis le commencement du règne. Cet
aâc de foumiflion fit beaucoup de plaifir à la cour,
tout le monde étant perfuadé qu'après une pareille dé-
marche, il ne trameroit plus de complot préjudicia-
ble à la tranquilité du royaume. En étet il parut pen-
dant quelque temps avoir entièrement changé de ca-
raâere. Immédiatement après la conclufîon de fon
acommodement, il fuivit le roi à Paris, où il réitéra
fes proteftations d'atachement & de fidélité. Pendant
fon féjour dans la capitale , on lui prodigua tous les
témoignages de bienveillance & d'amitié qu'il pouvoit
defirer. Il partit comblé das carefîes de fon fouverain,
& reprit la route de Normandie. Avant fon départ
il avoit déjà envoyé fon fecrétaire, pour renouer à
Montreuil-liir-mer une nouvele négociation avec les
agents du roi d'Angleterre. Le roi avoit des vues trop
Supérieures , pour ne pas fentir l'impodibilité de fixer
Charles V.
419
rînconftance de ce prince ; mais c'étoit beaucoup que :
de Tempêcher de fe déclarer ouvertement. Ann. ipi.
On peut raporter à ce même temps une particula- Le roi de Na-
rité de la vie du roi de Navarre, qui par elle-même fo^foux^tl-'
feroit peu importante , fi la diflenfion qu'elle oca- ports le duc de
fionna n'avoit entraîné après elle les fuites les plus 5.^!^^"^ ^
funeftes. Dans un voyage qu'il fit en Bretagne, il mis iVrécwidl
vint à Cliffon. Olivier , qui pour lors y étoit , s'emprefJa liablej.
de lui faire la plus honorable & la plus magnifique ^'^^.^^J^'
réception. Après lui avoir procuré toutes les fêtes & J^^^[ ^^^^^'
tous les plaifirs qu'il put imaginer , ce feigneUr le con- de la chambre
duifît à Nantes auprès du duc de Bretagne. Le Na- <^^* <^^^f^^^-
varrois dont l'efprit brouillon ne *pouvoit demeurer
oifif , s'ocupa , pendant le féjour qu'il fit en Bretagne ,
du cruel plaifir de porter le trouble & l'amercume
dans la maifon de Montfort. Il avoit remarqué que
la duchefie avoit pour le feigneur de Cliffon de ces
égards, qui fans être criminels, peuvent être fufcep-
ribles d'une interprétation maligne. Il ne lui en fklut
pas davantage pour faire naître , par fes obfervations ,
des foupçons dans l'ame du duc lur la conduite de la
dame fon époufe. Les aâions les plus innocentes fufi-
ient pour donner de l'ombrage , lorfque l'artifice &
la méchanceté leur prêtent leurs couleurs. Quand il ^
l'eut préparé à recevoir toutes les impreflîons qu'il vou-
loit lui donner, il porta les derniers coups. Il lui dit
un jour en grande confidence , & comme un homme
qui ne pouvoît diflîmuler plus long-temps un fait inté-
reffant qu^ïl aimtroit mieux mourir qut de foufrir ttk
vilenie comme le fïre de Clijfon lui faijbit; car il aimait
la duchejfefa femme , & la lui avoit vu baifer dèriere une
courtine *. Montfort n'écouta que trop avidement * Rideau,
cet odieux récit, fans fe donner la peine d'examiner
s'il devoit s'en raporter au témoignage fufpeâ xîu roi
de Navarre. Sa crédule jaloufie ne lui repréfema que '
l'injure faite k fon honeur. Il réfolut de s'en venger par
la mort de Cliffon. L'exécution de ce projet fut indi-
quée h Vannft, où le duc ala quelques jours après».
G g g ij
42.0 HiStOIRE DE FrAWCE,
^""'"^"'^ ClifTon ^ le vicomte de Rohan , & plufieurs autres
Ann. 1371. feigneurs écoient de ce voyage. Trente Anglois de rhô-
tel du prince avoient été chargés de raflaffinat. Qiffon
ignorant ce qui fe tramoit contre hii , ne fpngeoit qu*k
fe livrer aux divertiffements d'une fête qui le donnoit
en préfence du duc dans un jardin : il danfoijt au mo--
ment qu'on vint l'avertir du danger qui le menaçoit.
Il fortit de Paffemblée avec précipitation , & courut
dans fes terres mettre fes jours en sûreté^ laifTant le
duc au défefpoir de fe voir enlever une vidime qu'il
comptoit immoler k fon amour outragé, Tele fut Tori-
gine de cete haine implacable que le temps ne put
jamais éfacer , reTTentiment que nous vèrons fous le
règne fuivaht produire les plus finiftres éfers , & de-
venir une des principales caufes des malheurs de la
France,
NaîflanccJc Tandis que lafage adminiftration du roi, & la prof-
Jean de Bour- périté de nos armes concouroient également k la gloire
E (k/^ & ^" bonheur de TEtat , Jean fils de Philippe duc de
d'Orléans. Bourgogne & de Marguerite de Flandre, naiiFoit k
Chron.MS. Dijon, Dans le cours de la mênie année , la reine mit
^^' au monde un .prince qui fut nommé Louis, & qui
dans la fuire eut en apanage le duché d^Orléans. Cete
puiffance invifible , dont les loix enchaînent les évé-
nements de lunivers , avoit ataché la deftinée du
royaume k la naiflance de ces deux enfants infortunés,
auteurs de cete longue querele qui rendit irréconcilia-
bles les maifons aOrléans & de Bourgogne. Mais
n'anticipons point fur les temps malheureux de ces fa-
tales divifions , gravées dans nos annales en caraâeres
de fang.
Les difgraces des Anglois devenoient de jour en jour
plus fréquentes en Guienne , fur-tout depuis la retraite
Rvm^r,tf^. du pHnce de Galles, Le duc de Lencaftre n'avoit,
patr'.u'^'^* pour contenir la nobleffe & les peuples de cete pro-
Uifi.itEfpag. vince, ni les talents de fon frère, ni des forces fufi-
fante's. Le titre faftueux de roi de CaftiÛe , qu'il venoit
de prendre depuis fon mariage avec Cwiftance ^ fille
Charles V.
42 1
aînée de Pierre - le - Cruel , dans le mêmç temps que »
le comte de Cambridge fon frère avoit époufé la ca- Ann. 1371.
dete , loin de procurer quelque avantage réel à l'An-
gleterre , n'avoit fervi qu'à refférer les nœuds de Tar
liance qui uniflbit Henri de Tranftamare avec la Fran-
ce. Tropfoible pour s'opofer au torrent, Lencaftre s'é-
toit bientôt vu forcé de repafler lui-même à Londres
pour foliciter des fecours capables de prévenir la défec-
tion~ prefque entière de la Guienne. Il avoit remis en
partant le commandement de la province à, Jean de
Grailly , captai de Buch.
Le roi peu de temps après la mort de David de AHanccavec
Brus , avoit fongé à* renouveler les anciennes confédé- ^
rations de la France avec l'Ecofle. Robert Stuard, pulu!^tom.\l
fucceffeur de David , s'obligea par le traité de porter la P'"'f' v
guerre en Angleterre à la première demande de Char- ^Zfn'^MS.
les , qui de Ion côté promit de fournir aux Ecoflbis
des armes & un certain nombre d'hommes entretenus
& payés aux dépens de la France. Ce traité, qui fut
tenu lecret , n'eut point d'exécution pour lors , parce
que la fituation du nouveau roi d'Ecoffe , à peine j
afermi fur le trône , le contraignit d'accepter une trêve ;
avec Edouard.
Le monarque Anglois avoit de fon côté folicité des j
aliances étrangères avec affez peu de fuccès. Les feuls \
ducs de Gueldre & de Juliers oferent à fon inftiga-
tion envoyer défier le roi de France : défi qui ne fut Ckton.MS.
acompagné d'aucunes hoftilités , ces deux princes étant ^^''^'^^^^^
aflez ocupés par la guerre que leur faifoit le duc de
Brabant , lequel fut tué , ainli que le duc de Gueldre ,
dans un fanglant combat qu^ik îe livrèrent. Les villes
de Flandre que le mariage de la fille de leur comte
avec le duc de Bourgogne avoit portées à fe déclarer
pour la France^ furent engagées par l'intérêt de leur
commerce à figner un traité qui les réduifit à la neu-
tralité entre les François & les Anglois. Elles obtin- J]^'^'^/*
rcnt par ce moyen la reftitution de plufieurs bâtiments J!lrr! %T' ' *
422 Histoire dk France/
'■ qui leur avpient été enlevés par le comte d*Herford
Awi. 1371. amiral d'Angleterre.
Depuis la viftoire remportée par la flote Efpagnole
Froîjfard. ^ j^ ^^^ j^ j^ Rochcle , Yvain de Galles avoit fait
une defccnte dans File de Grenefey , & formé le fiege
du château du Cornet, principiale forterefle du pays,
après avoir vaincu le gouverneur de l'île dans un
combat où les Anglois perdirent quatre cents hom<-
mes. Tandis qu'il étoit ocupé k ce fiege, il reçut un
ordre du roi de fe rendre inceflamment en Efpagne
pour engager Henri de Tranftamare à renvoyer fa note
fur les côtes de France , afin de favorifer le fiege de
la Rochele qui avoit été réfolu dans le confeil. Yvain
ariva au port de Saint- André qui féoare les frontières
de la Bifcaye du royaume des Afiuries , le même
jour que les Efpagnols vainqueurs entroient dans la
ville. Ils conduifoient en triomphe leurs prifonniers
chargés de fers , fuivant leur coutume , car autre cour-
toijic ne fçavoUnt les E/pagnols faire, dit Froiflard.
Le Gallois reconnut, parmi ces çaptifk enchaînés le
comte de Pembrock , à qui , par une bravade aflcz
déplacée , il demanda s'il venoit lui rendre hom-
mage des terres qu'il tenoit en la principauté de Galles.
Il aprit enfuite au comte qui ne le connoifToit pas,
qu'il tîroit fon origine des anciens fouvers^ins du pays
de Galles , & qu'il efpéroit dans peu fe venger des
Anglois, fur-tout du comte d'Herford & d'Edouard
Spencer , qui avoient contribué à la mort de fon père.
Un chevalier Anglois de la.fuitçdu prince, fomma
Yvain de jeter fon gage de bataille , s'of rant de le rele-
ver. Vous ères prifonnier , dit le Gallois , â* je n^aurois
nul honeur de vous apeler. Ilauroit dû fiiire ceteobfer-
vation plutôt. Des chevaliers Efpagnols furvinrefit ,
& mirent fin à cet indécent entretien. Le roi de Caf-
fillc ayant fcu l'arivée de ces prifonniers , envoya au-
d«waxit dîeux Pinfant dôm Juan fon fils. On les dé*
. chargea de leurs chaînes, & ils reçurent de la gêné-*
C tt A ». t É s V. 423
rofité du prince un traitement plus conforme k Tliu- r^!^^^^^^^^^^^
manité & aux loix de la guerre. Le comte de Pem- Atm- nyi-
brock fut remis quelque temps après, ainfi que d'au- p^'^- ^J^'
très prifonniers , à du Guefclin , pour faire partie de uT^c!' "^'^
rechange des terres qu'il poffédoit en Efpagne, pour DuTiiUe^^
lefqueles il reçut encore une fomme d'argent du m - c^lliZ. "^^^
narque Caftillan. La rançon du comte eftimée cin- Hifi.dcBreti'
quante mille livres, ne fut point aquitée, parce qu'il
mourut avant que d'être délivré.
Le captai de Buch avoir été fait connétable d'Aqui-
taine & chargé de la principale conduite de la guerre
dans cete province. Depuis la maladie du prince de
Galles & la mort du brave Chandos , ce feigneur étoit
le feul grand capitaine que les Anglois puflènt opofer ^
aux armes Françoifes. Il ne lui manquoit que des
forces fufifantes pour s'aquiter d'une commiffion fi
dificile. Après avoir jeté des troupes dans la Rochele
pour contenir les habitants dont il fe défioit , il vint
avec un petit corps d'armée ocuper les bords de la Cha-
rente , pour obferver' de ce pofte les démarches des
François qui fe raflembloient aes frontières de P Anjou ,
de l'Auvergne , du Berry , & fe prépar oient à entrer
dans le Poitou.
Le connétable ouvrit là campagne à la .tête d'une Ann. ij7x.
armée de plus de trois mille lances. Le duc de Bour- Exploits du
bon, le comte d'Alençon princef du fang, fervoient po^to^J^^^
fous {es ordres. Le maréchal de Sanccrre , le dauphin Froifard, &
d'Auvergne, les feigneurs de Cliflbn, de Laval, de UsautnsfUfz
Rohan , de Beaumarioir , de Sully , une foule de gentils- '^''"z^'-
hommes , élite de la nobleffe Françoife , Tacompa-
«loient. Il emporta d'affaut, ou réduifit rapidement
Montmorillon , dont la garnifon fut paffée au fil de
répée, Chauvigny fur la rivière de Creufe, Lenfac:
il pafla près de Poitiers fens Tataquer , & vint mettre
le fiege devant Montcontour qui capitula le fixieme
jour.
Du Guefclin , après la prife de cete dernière place ,
avoir deflein de revenir fur fes pas inveftir Poitiers ;
424 Histoire de France;
■--.. mais ayant apris que le captai étoit acouru au fecours
Ann. IJ7*- de îa place , il fe contenta de fortifier les villes qu^il
venoit de.foumettre. Après avoir mis fes conquêtes en
sûreté , il entra dans le Limofin , où le duc de Berry
faifoit alors le fiege de Saint -Sévère. La place fut
{)reirée fi vivement, qu*elle fe rendit à compofition k
a vue du captai , qui arivoit le jour même dans l in-
tention d'y jeter des troupes & des provifions.
Prifc de Tandis que le captai , défefpéré de n'avoir pu fauver
Poitiers. Saint-Sévere , délibéroit fur l'a retraite , le connétable
làidcm. toujours aftif, & qui depuis quelque temps, racna-
geoit des intelligences fecretes avec une partie des ha-
bitants de Poitiers, fe détache de Tarmée avec trois
..^^ cents hommes d'armes , prend une route opofée à celle
des.Anglois, fait une marche forcée de trente heures,
& fe préfente au point du jour devant la ville dont les
portes lui font ouvertes. Uni heure plus tard il man-
quoit fon entreprife. Un corps de huit cents lances &
oc de quatre cents archers , compofé d'Anglois & de
quelques gentilshommes du Poitou , s*avançoit pour le
f)révenir. Les ennemis voyant leur efpérance trompée
e féparerent. La plupart des feigneurs Poitevins, qui
étoient encore ataçhés à Edouard, alerent fe renfer-
ine|- dans la fbrtçrefle de Thouars qui paflbiç alors pour
imprenable. Les Anglois coururent décharger leur
colère fur Nyoft àffut les habitants oferent leur fer-
mier les portes. La ville fut prife & facagée.
LaflotcEfp^. Sur ces entrefaites la flote Efpagnole ariva devant
enoie ^rive à \q poj-t de la Rochcle. Les feigneurs .de Pont avec un
Rodi"e^ie. Prifc détachement dp l'armée Françoife faifoient le fiege de
de soubifc. Le Spubifc , châtcau fit\ié à l'embouchure de la Charente.
foiïen*"^" La dame de 3oubife renfermée dans cete place avec
Jèidem. P^^ ^^ monde, envoya demander du fecours au cap-
tai, qui fur -le - champ parçit lui-même de Saint-Jean-
d'Angély avec deux cents lances, furprit les François,
les bâtit & fit quantité dç prifbnniers. Il fe retiroit
après cete expédition ; lorfqu'H fut fubitement ataqué
jpar Yvain de Gallçs à la têje de quatre cçntf hommes
de
Charles V. 42^
de débarquement de la flote qui étok à Tancre devant .
la Rochele. Yvain , malgré robfcurité , reconnut les Ann. ij7t.
Anglois à la faveur des torches alumées qu'il avoit eu
la précaution de faire prendre à fes gens. La prom-
titude avec laquele il les ataqua , leur permit à peine
de fonger à fe mettre en défenfe. Il les défit entière--
ment, prefque tous furent tués ou faits prifonniers.
Parmi ceux qui fe rendirent , il y avoit pluficurs fei-
gneurs de la première diftinâion : entre autres Tho-
mas de Percy tomba au oouvoir de meffire David Tréfir des
Honnel , prêtre du pays de Galles , qui malgré le facer- ^^f'- ^^^^^
doce , ne fe faifoit pas un fcrùpule d'endoffer le har- m^^^ill.
iiois militaire. La plus grande perte des Anglois dans
cete déroute , fut celle du captai de Bucn qui fut
obligé de fe rendre à un gentilhomme de Vermandois ,
nommé Pierre Danvillicr. Soubifc capitula inconti-
nent^ & la dame du lieu fit ferment de fidélité, pro-
mettant que dorénavant elle obéiroit au roi de France.
Le captai de Buch fut amené à Paris, & renfermé Trifor du
dans la tour du Templç. Le roi fort content d'avoir chanr.iaytt.
ce feigneur en fon pouvoir , fit délivrer douze cents Q^^^y...
livres à Técuver qui Tavoit pris dans le combat. Ce ' ^*
feigneur conluma le refte de fa vie en prifon . où il
fut foigneufement gardé. Envain le roi d^Angleterre
fit les ofres les plus avantaceufes pour obtenir fa li-
berté, toutes les tentatives a ce fujet furent inutiles.
Charles ne crut pas devoir relâcher un ennemi mal^
heureufement trop redoutable. Le roi qui connoifToit
tout fon mérite , eflaya de Tatacher à fon fervice. Jean
de Grailly étoit trop généreux pour acheter fon élar-
gîffement k ce prix ; il préféra une honorable capti-
vité , même une mort prématurée , car lennui de fâ
prifon* abrégea ks jours ; il mourut au bout de cinq T^tfor des
ans. Thomas de Percy fut plus heureux: après avoir CkanMy.^^i
été renfermé au marché de Meaux pendant quelque
temps, il obtint fon élargiffeiffent & la permîmoa
d'aler chercher fa rançon. Il prêta pour cet éfet fer-
ITient entre les mains de quatre chevalliers , avec pro-
TomcV. Hhh
d^iê Histoire 92 Fsakcx,
! meflè , s*il manquoit k fa parole d'honeur , de comba-
Ann. 1)71. cre feul contre tous les quatre enfetnble.
Stratagème La réduâiofl de Soubile fut fuivie de celle de Saifit-
iocTrî.iryean-d'Angél7, d'Angoulême, de Taillebourg & de
chafTer les An- Saintes. Cece dernière place fut livrée par les habitants
S^^*f\ à la perfuafion de leur évêque. Cependant la flotc
ckrfa^MS. Caftillane compofée de quarante gros bâtiments , de
treize barges & de huit galères , bloquoit toujours le
port de la Rochele fans raire aucune infulte à la ville ,
dont les habitants avoient traité lecrétement avec Ta-
miral Éfpagnol & Yvain de Galles. Les Rochélois n a-
voient rien tant à coeur que de fe délivrer du- joug des
Angloîs : ils n'étoient retenus que par la crainte des
gens de guerre renfermés dans le château extrêmement
fortifié, & qui par fon élévation commandoit le port
& la ville. Tean Candorier maire de la Rochele, dans
une aflemblée clandeltinc k laquele aflifterent les prin-
paux bourgeois, prôpofa d'employer la rufe pour en-
gager le commandant à fortir de la citadele avec la
^^arnifon Angloile. Le maire fit fentîr à ceux qui l'é-
. coutoient la facilité de Fentreprife. Nous en viendrons
aifemcnt à notre honeur y leur dit- il , car Philippe
JvFancel [c'écoit le nom de ce commandant} n^efi pas
trop malicieux. Le projet fut a prouvé, & l'on convint,
avant que de fe féparer, de garder un profond fecret
jufqu'à rinftant de l'exécution. Le lendenlaîn le maire
dans un repas auquel il invita Mancel , loi montra un
ordre fupôlé d'Edouard ^ par. lequel il lui étoit enjoint
de faire une revue de la garnîfon & de la bourgeoilîe.
Le gouverneur auffi peu inflruit que la plupart des
gens de guerre de ce fiecle , ne fçavoit pas lire : il fe
contenta d'examiner les fceaux, qu'il reconnut pour
être ceux du roi d'Angleterre. Candorier feignant alors
rfe faire tout haut la ledure de la lettre, prononça
fbrdre qu'il avoit ani^ncé. L'Anglois promit d'obéir.
Au jour marqué pour cete revue qu'on lui .prefcri-
yoit, il fît fortir lagarnifon, laiffant feulement douze
hommes à la garde du château. A peine euc*il ^paflé
C H A H L s s V« 417
les fortifications , que des bourgeois armés , qui fe ■
tenoienc en embufcade dèriere une vieille muraille, ^««- M?*'-
fe mirent encre lui & la citadele , dans le même-
temps qu'un corps de deux cents hommes s'avancèrent
en bon ordre. Lorfque les Ançlois fe virent ainft enve-
lopés,ils fe rendirent à difcréaon. Les habitants fom-
merent ceux qui étoient reftës dans la fortereflb de la
remettre fur-le-champ en leur pouvoir , avec ipenaces .
de les décapiter au pied même des remparts s'ils fai-
Xoient la moindre réfiftance« Ils étaient en fi petit
nombre, qu'ils fe fournirent fans balancer.
Les Rochelois fe vovant maicxes de leur ville ^ don- Privilèges
lièrent audi-tôt avis de cet heureux événement aux tlwwnts^Ai
princes & au* connétable. Ces feigneurs , après avoir la Rochdc.
foumis en pafiant^Saint-Maixent ôc Its châteaux de Tréfordes
Merle & d'Aunai , fe rendirent à Poitiers où ils reçu- ^*^^^/'^''^^*
rent les députés de la Rochele. Les habitants, avant &7J'/*'' ^*^
que d'ouvrir les portes de leur ville aux troupes Frartr KccœuU des
çoifcs ^ faifoient des demandes qu'on ne pouvoit leur ^''^"oiff^d.
acorder fans le confentement du roi. Douze des prin- chron. MS.
xipaux bourgeois vinrent k Paris pour cet éfet. Charles
les reçut avec fon aj^bilicé ordinaire , les combla de
raréfies , leur prodigua les préfents ^ 4c les gratifia, de
privilège encore plus confidérables que ceux qu'ils
<iemafidoient# Outre la réunion irrévocable de la ville •
au domaine de la couronne ^ & la démolition de la
citadele , fans que jamais on pût en conftruire de
,Aouvel6 , le rot leur promit de n'aâeoir aucune impo-
fition que de leur con&ntement , de ne point; donner
leur pfév6té en ferme. H a été déjà fait mention de
i'ufage où ron étoit alors d'afermec les revenus dés
prévôtés & des vicomtes*. Le monarque s'engagea de ^Vv^dans
iLJ/rj' • 1 ^_J^ ce même vol, à
plus à détendre aux juges de orononcer contre eux des tannée \]6^
amsendes arbitraires : il fut ré»é que dans le cas <rà les
iunendes paroi troient indifpeniabies , elles feroient taiDées
par deux bourgeois de la ville. A tant de grâces 11 •
ajouta la nobleUe pour tous les maires & échevîns pr^
jfents & à venir • l'exemtion des droits de francs*ne&
Hhhij
4i8 Histoire DE Fraîtce,
■ en faveur des habitants non nobles j de plus franchîfc
Ann. 1571. & liberté entière , fans afl'ujétifl'ement à aucuns droits
pour leur commerce tant intérieur qu*èxtérieur. Les
députés comblés des marques de bienveillance du prin-
ce , revinrent en faire le ràport à, leurs concitoyens.
La citadele fut à Tinftant démolie , & peu de jours
après le connétable âcompagné feulement de deux cents
lances , vint prendre pofleffion de la ville au nom
du roi.
Rédu<^ion de La réduâion de la Rochele fut fuivie de la con-
piiifieurs pia- quête de la plupart des places qui tenoient encore
Froiffard & P^"^ ^^^ Auglois dans le^'proviftces d'Aunis , de Sain-
la autres hif- tonge & de Poitou. Bcuon , Moran , Surgere , Fon^
torieiu. tenaî-lc-Comtc y & plufieurs autres forffereflbs furent
emportées d'allaut^ ou abandonna par les ennemis.
Une partie de la garnifon de Benon fut paffée au fil
.i dé Tépée, & ceux qui tombèrent vifs efttre les mains
des François furent peildus , parce que David Ole-
gi-ané ,• gouverneur de cete place-, a voit fait couper
le nez & les oreilles à plufieurs Rochélois qui fe trou-
vèrent à Benon dans le temps que la Rochele fe re-
mit fous robéilfance du roi. Le refte de la garnifon
s'étoit retiré dans le château. ^Ils furent bientôt for-^
Cruautés ^^^ de fe rendre à difcrétion.* Cliflbn qui àflTftoit à ce
commifcçpai* ^^^g© > demanda qu^on les lui remît, pour en difpofer
ciiffott. à la volonté ; ce qui lui fut acdrdé. il fe mit alors à
lUdem. Ja poitè de la tour , & maffacroit les Anglois à me-
fùrfc qu'ils fortoient , jurant qa*il les traiteroit toujours
"de même par-tout où il les trouveroit. Il fendit avec
fa hache d'armes les têtes des quinze premiers qui
defccndirent. Ces meurtres commis de fang- froid fu-
rent blâmés. Ceft de-lk probablement qu'on lui donna
le furnom de Boucher.
Sîcgc de Pour' achever la réduôton entière du Poitou, il ne
Thouars. reftoit olus à foumettre que Thoiiars, place extrême-
Uidm. ment fortifiée, dans laquele les feigneurs Poitevins,
demeurés fidèles à Edouard, s'étoient renfisrmés, dé-
terminés à ne fe rendre qu'à la dernière extrémité»
CiTAAIES V. 429
te connétable fit les préparatifs néceflaîres pour une ■
conquête de cete importance. La place fut inveltie, & les ^^^* ^î7i-
ataques pouffées avec une vivacité qui laifla peu d'ef-
pérance aux afliégés de réfifter long- temps s'ils n'é-
toient jpuiflamment fecourus. On employa de l'artillerie
à ce nege. Du Guefclin avoit fait conftruire à la Ro-
chele & à Poitiers de grands engins , & fondre dts
canons qui foudroyèrent les remparts ?ivec tant d'im-
pétuofite , que ceux qui défendoient la place deman-
dèrent à capituler. Le connétable qui vouloit épar-
gner les troupes autant qu'il étoit poilible , confentit
de fufpendre les' ataques , à condition que les afliégés
fe rendroient & fe remettroient ^ ainfi que leurs terres ,
à l'obéiflance du roi , à moins que le rot d'Angleterre
ou l'un des princes feis enfants , k la tête d*une armée ert
état de* livrer bataille > ne fe préfentaflent pour déga-
ger la ville avant le vingt-neuf Septembre fuivant ,
pur de faint Michel : on étoit alors au mois de Juin.
La capitulation étant fignée de part & d'autre , les aflié-
geants fe retirèrent. Ces fortes de conventions s'exécu-
toient alors inviolablement.
Les feigneurs renfermés dans Thouars députèrent k EJonard for-
. Londres pour donner avis du traité qu'ils s'étoient vus î^oJac^t^rircc
contraints d'accepter. Ces fâcheufes nouveles étonné^ cnGuîenne.
rent le confeil d'Angleterre. Edouard frapé de ce^dif- Uîdem.
grâces, confécutives , demeura quelque temps penfif , ^l'^om^*
fans proférer une parole ; mais on pouvoit remarauer ^art. jT' * *
fur fon vifage la violence des divers mouvements aont
il étoit agité. Il ne lui reftoit des vaftes projets de fon
ambition que le regret de n'avoir pu conferver le fruit
de tant de viâoires au'il fe voyoit ravir en moins de
deux campagnes. A ta fin il rompit le filence pour
éclater en menaces. Dans les tranfports de fa colère ^
il protefta qu^il tntnroit en France arme fi putjfamment ^
qù^il abatroit la puijfancc du rot , & qu^îl ne retour-^
neroit jamais en Angleterre qù^il nUût recmquis ce
qu^on lui avoit enlevé j ou perdu le démourant*. Oïl ^Urefia
préparoic alors en Angleterre un armement coniidé^
430 HisToiRi DB France^
^SSSSSSSS rable, qui devoit incefTamment débarquer à Calais fous
Aaa. xj7ft. les ordres du duc de Lencaftre. La deftinacion fut chan-
gée : on augmenta le nombre des troupes , & il fîit
réfolu qu'on porteroit tout Téfort des armes en Guienne»
ài&^^' ,,^e roi d'Andetcrre , qui depuis long- temps fem-
chron.MS. ^^^^^ avoir pcrdu Thabitude de paroitre à la tête de
Rymtr^ aii. fcs armécs ^ voulut commander lui-même cete expé-
fubL^tom. 5. idition : il n'oublia rien pour en afTurer la réu(Hte« Les
feigneurs &; la noblefle Angloife acoururent fe ranger
fous fes drapeaux. Jamais armement plus formidable
n'étoit forti des ports de l'Angleterre. Le prince de
Galles dont le féjour de Londres avoit paru ranimer la
fanté) acompagnoit fon père. Avant le départ on prit
des mefures qui alTuroient la couronne aii jeune Ri-
chard en cas qu'il furvécût à fon perè & k fon aïeul.
Le duc de Lencaftre , les autres fils du roi j les prin*
ces y prélats & barons de la grande Bretagne confa-
crerent par leurs ferments cete difpofition. Le mo-
narque Anglois en s'éloisnant de fes Etats , créa Ri-
chard lieutenant-général du royaume pendant fon ab-
fence , afin d'acoutumer de bonae heure les peuples à
le reconnoitre pour leur fouverain. Les troupes s'em-
barquèrent au port de Hantonne. La flote portoit trois
mille hommes d'armes & dix mille archers. Cete ar«
méâ^ devoit fe joindre à deux mille quatre cents hom-
mes d'armes qui fe rafTembloient aux environs [de
Niort 9 des diferentes parties de la Guienne foumilès
à Edouard.
Edonarf ne Charles informé de ces préparatifs , donnoit de foa
cn^Fra^c?** côté les Ordres néceflaires pour opofer aux ennemis
Uidtni ^^^ forces capables de leur réfifter. Le Poitou étoît
rempli de gens de guerre : on ne voyoit de tous côtés
Que des troupes , qui fe rendoient à l'armée Françoife
oevant Thouars» où l'on ne doutoit pas qu'il ne (e
livrât une fanglante bataille. Cete atente fut démentie
par rév^pement. On eût dit que les éléments écoienc
' d'acord avec la fortune pour taire avorter les defleins
d'Edouard. Lorfqu'il fut «mbarqué^ il s'éleva ua vent
Charles V. 431 .
contraire quilerepoufla toujours des côtes de France, ^ssss^^r^
Il atendit envain un changement favorable : après Aim. 1^7^*
avoir luté pendant neuf femaines contre les vents &
les âots conjurés , voyant enfin aprocher le ternie
marqué pour la délivrance de Thouars ^ & perdant ref-
pérance de fauver cete place , il fe vit contraint de
rentrer dans Tes ports : il licencia une partie de fon
armée , défefpéré d'avoir manqué fon entreprife dont
il croyoit le fuccès infaillible. Ce fut alors que ne
pouvant diflimuler fon chagrin 9 il dit, en parlant du
roi de France : li n^y eut oncaues roi qui moins fe
armât , Çf Ji n^y tut oncqucs roi qui tant me donnât
à faire.
Au jour indiqué l'armée Françoife conduite par le Reddition de
connétable , fe préfenta ïîevant Thouars , & je tint Thouars.
rangée en bataille jufqu^au foir. Elle étoit compoféo, Hf^dtm.
de dix mille lances & d'une infanterie nombreufe.
Les ducs de Berry , de Bourgogne & de Bourbon , le
dauphin 3' Auvergne, le maréchal de Sancerre, les
feigneurs de CliUon, de Laval, de Roban, de Suity,
une foule de chevaliers & de barons y étoient acou-
rus brûlant du deftr de fîgnaler leur valewr Des trou-
pes fi redoutables par le nombre & par le courage^
donnoient tout lieu de préfumer que les Anglois n'euf-
fent pas facilement empêché la reddition de la place..
Ce fut peut-être un bonheur pour Edouard de n avoir
pu aborder eh France. Les leigneurs Poitevins exé-
cutèrent de bonne foi la capitulation , & promirent de
fe rendre inceflamment k Poitiers pour renouveler a»
roi Thommage de leurs perfonnes & de leurs terres.
L*iarmée fe fépara immédiatement après la rédudion
de Thouars. La prife de cete place acheva la conquête
&\x Poitou, de TAunis & de la Saintonge : il ne refla
plus que quelques fbrterefTes petr importantes bcupées
Îar les Anglois , & qui ne pouvoîent tenir long-temps.
-e général, les princes & les feigneurs François re-
tournèrent k la cour recevoir les félicitations d'une
432 Histoire de FRANcr,
' J campagne fi glorieufe , & concerter avec le roî les
Ann. 1371. difpoficions de la guerre pour Tannée fuivante.
Ordonnance Charles du fond de fon cabinet dirigëoit les opéra-
^cndzmcTit' ^^^^^ militaires. Ce monarque éclairé ne 1:)ornoit pas
Premier régi/'- ^^^ foins à ces mouvcments tumultueux, que la né-
tre de la cour céffité de réparer les malheurs pafTés rendoit inditi^
i'ifilrfo^''^' penfables. Dans le même temps qu'il fongeoit à ré-
Recœuii dis tablir par les armes la gloire & la iplendeur de l'Etat ,
ordonnances. \\ rempliffoît des d^voirs plus fatisfaifants pour fou
cœur , & plus chers k l'humanité. Il s'ocupoh du bon-
heur de les peuples. Il faloit fon génie & fon cou-
rage pour entreprendre de réprimer les défordres cau-
fés par les gens de guerre , fur-tout dans un temps
où leurs fervices étoient fi nécefTaires : c'eft ce qu'il
ofa exécuter , & le fuccès r^ondit à la droiture de fes
jlntentions. Lorfqu'il eut confulté les princes, les gé-
néraux & les prmcipaux chefs de fes troupes, car il
s'étpit prefcrit pour règle inviolable d'écouter tous les
avis , il rendit une ordonnance pour la police mili-
taire , qui , en acordant aux défenfeurs de l'Etat les
avantages & les hbneurs légitimes qui leur font dûs,
afluroit la tranquilité publique. Par ce règlement le
connétable , les maréchaux & le grand-maître des ar-
balétriers, eurent ordre de choifir des lieutenants char-
gés de la revue des troupes, & de ne point foufrir
qu'on employât dans les rôles de montres d'autres que
ceux qui fe préfenteroient en perfonne. On découvre
dans cete inuitution l'origine des infpeâeurs militais
res. Il fut étroitement défendu à tout nomme d'armes
de fe retirer fans la permiflion de fon oficier fupé-
rieur, fous peine de perdre fes apointements ^ de ja-
mais rien exiger des habitants des villes & des cam-
pagnes fans payer. Injonâion précifc aux gens de
guerre cqngédi^ de fe retirer chez eux fans commet-
tre aucun défordre fur leur route ; obligation indifpen-
lable d'obtenir des commiflîons expreflfes du roi, des
pr^nçps. 4u f^ng ou du général, pour lever des. com-
pagnies
^
Charces V. 4J3
pagnles. Si Toir fe rapele la licence qui régnoit dan^ ■■
ce temps où chacun le faifoic chef de fa propre auto- Ana. 157t.
rite , on doit fentir combien ce dernier article étoit
imoortant, & d'une exécution délicate. Enfin pour
prévenir plus éficacement les excès des gens de guerre,
cete ordonnance rendit les commandants des compa-
gnies refponfables de la conduite de ceux qui leur
ëtoient fubordonnés. Chaque compagnie fut fixée au
nombre de cent hommes d'armes. On peut obferver
en pallant que Jes compagnies de cent hommes n'é-
toient pas d'une ijiftitution moderne. Les commandants
de ces troupes recevoicnt cent francs d'apointçments
par mois.
Le roi réforma pareillement les vexations pratiquées ibid. fid. 1%
par les gouverneurs & commandants des places , qui ^^^^»
exigeoient des habitants des fommes confidérables ^
fous prétexte d'exemtions de guet , de. garde, ou d'au-
tres lervices. En réprimant les exaâions des gens de
guerre , le prince avoir fagement pourvu à leur fub»-
fiftahce , en réglant Tordre des . revenus deftinés au
paiement des troupes. C'étoit fur les aides qu'on levoit
les fonds nécelTaires. pes commiflaires furent nom-
més pour veiller à U rentrée des fommes dues par les
receveurs particuliers au tréfor royal. Chacun de ces
receveurs étoit tenu de remettre tous les mois au tré-^
forier- général l'argent qu'il avoit dans fa cajfle, &
ce tréforier ou receveur- général devoît repréfenter •
pareillement tous les mois l'état de fa recete aux gé-
ïiëraux des aides. Tele étoit dans fon origine la jurif^
diâion de Ja cour des aides.
L'ignorance & la multiplicité des élus obligèrent le Uidmt
confeil d'en diminuer Iç nombre , & d'en réformer le
choix. Mais ce fut principalement fur Ijes fergents que
tomba le poids de la prolcription. Cete vermine avoit
pullulé au point que les villes & les campagnes en
ëtoiç.nt infettées. On en retrancha la plus grande par-
tie , & Ip nombre d.e peux qui refterent nç fut ençpre
que trop grand.
Tome V. I i i
434 Histoire de Frakce,
== Une ordonnance de Hugues Aubriot, prrévôt de
Ann. 1J71. Paris, fournit au roi Pocation de témoigner aux Pa-
Si^low^ar rifiens combien il étoit fatisfait de leur zèle & de leur
Paris. atachement. Le magiflrat vouloit obliger les bour-
RtgifircA.de geois d'aqulter les droits de francs-fiefs pour tous les
fS!l\i^velfi^ nobles QuHls avoient aauis, fous peine contre
Recœuii dà ceux qui négligeroient d*y {atis^ire , ou de repré-
ordonnancts. fenter des lettres tie noblefle qui les en exemtaflent,
de perdre leurs poffeffions. Une pareille ordon-
nance étoit direâement contraire aux immunités dont
les habitants de la capitale jouiïToient depuis un temps
immémorial ^ fous la proteâion de leurs fouverains*
Le roi, fur les remontrances du corps municipal,
confirma de nouveau les privilèges qui donnoient aux
citoyens de la première ville du royaume les droits
atribués à la nobleffe, tels que k hailj ou la garde*
noble de leurs enfants & de leurs parents , la liberté
d'aquérir des fiefs & ariere-fiefs , & de les pofféder
avec les mêmes prérogatives que les nobles aextrac-
tion , de pouvoir faire ufage de freins dorés , &: des
autres ornements militaires atachés k Tétat de cheva-
lier ; enfin d'être admis , ainf^. que les gentilshommes
d'extraâion , k Tordre de chevalerie. Nous vèrons plu-
fieurs fois dans le cours de cete hifloire nos monar-
3ues renouveler en faveur des Parifiens ces marques
e diftinâion & de bienveillanee.
Tutlupins , On vit cete année un exemple de la févérité de ce
hérétiques, tribunal redoutable , . établi pour maintenir la pureté
|;„""habTts* de la croyance par la terreur des fuplices. Les inqui-
brûiésàParîs. fiteurs de la foi condanerent au feu les livres & les
CAro«.M5. habits d'une feâe d'hérétiques nommés Turlupins j
^)ml'icléfiaft^ JSe^art/^ , ou la compagnie at pauvreté. Les erreurs de
tom.\o. ces malheureux étoient un mélange groflier du Ma-
Gioff. du nîchéifme & du fanatifme des Vaudois. Ils choifif-
LohiécLpar foient pour demeures les campagnes déferres. On les
dUiricouTts apeloit Turlupins, parce que femblables aux loups,
idit.de 17^6. JI5 fe retiroient dans les bois & dans les autres lieux
les plus folitaires & les plus éloignés du commerce
Charles V. 43^
des hommes. Aux opinions condanables dont ils écoîent ■-
înfeâés , ils ajoutoîent une dépravation de mœurs pouf- Ann. ij7*4
fée jufqu'à la plùs^brUtale diilblution. » Ils foutenoient
yy qu*on ne devoit avoir honte de rien ; que tous les
99 objets naturels étant les ouvrages de Dieu , leur
» vue n'étoit pas capable d'alarmer la pudeur ». En
çonféquence de leurs principes , ils découvraient leur
nudité ^ & fe mêlaient indiféremment camme les bétes ,
yy ne diflinguant pas de Tinftitution divine le défordre
99 introduit dans le monde par le péché du premier
99 homme >y. L'exécution de la fentence prononcée con-
tre cete abominable doârine , fe fit dans la place de
Grève, où les livres & les habits des Turlupins fu-*
rent jetés au feu. Le lendemain un homme & une
femme, convaincus de cete héréfie, furent livrés aux
flammes dans le marché aux paurceaux. L'homme étoît
mort pendant l'inftruâion du procès. Son corps fut
confervé dans de la chaux éteinte jufqu'aù jour def-
tiné pour le fuplicc. La femme apelée Perronne d'Au-
benton, fut brûlée vive.
II paroît que ces pernicieuCes erreurs avoient fait
àes progrès , & que dans quelques provinces de
France les juges féculiers ne le prêtoient pas volon-
tiers aux rigueurs qu'on exerçoit contre ceux qui s'en
étoient lailTé corompre : car le pape Grégoire, dans R^^f^l^^!^-^'
Iine lettre du même temps adreUée au roi , fe plaignit iutm.i^ & to.
99 eue plufieurs perfonnes de l'un & de l'autre fexe
>^ de ta feâe des ^égards ou Turlupins femoient di-
>f verfes héréfics contre lefqueles les inquifîteurs avoient
>^ déjà commencé des procédures ; mais que les ofi-
99 ciers royaux , loin de foutenir les juges écléfîaftiaues ,
>^ les traverfoient dans l'exercice de leur jurifdiaion ,
>^ donnoient des lieux mal sûrs pour emprifonnçr les
j^ coupables d'héréfîe , ne permettoient pas aux înqui-
>> fîteurs d'inftruire le procès fans l'intervention du juge
99 féculier, ou les forçoîcnt de montrer leurs procé-
99 dures ; que fouvent mênje ces oficiers élargiflbienc
99 de leur autorité privée ceux que l'inquifition tenoic
1 i i i j
43^ HisToiRi DE Frawce;
Ï55SÎ55S; » renfermés w. Ces plaintes nous inftruifent des rcftrîc-
Ànn. i}7%. tions Eportées dès-lors au pouvoir des inquifiteurs. Quoi-
que nos rois , nés proteâeurs d'une religion toute fainte ^
& qui ne refpire que la douceur & Thumanité, prê-
tafTent le glaive de la puilTance temporele à la jurif-
diâion fpirituele y leur intention cependant n'a Jamais
été que \qs tribunaux deftinés à conferver Tuniformité
de la croyance , paflaffent les limites qu'ils avoient
prétendu leur prefcrire. C'eft pour répondre à des
vues fi fages y que les magiftrats féculiers fe font cru
permis dans tous les temps de fe fervir de la voie de
réclamation contre les entreprifes qui leur paroifibient
abufives. Les inquisiteurs nommés arbitrairement , &
fuivant les ocafions plus ou moins preflantes d'employer
leur miniflere y ne formoient point un ordre de juges
confiant & régulier. Il n'étoit donc pas extraordinaire
de \ts voir quelquefois multiplier par ignorance ou
par ambition les objets fournis à leur infpeâion : mais
prefTés H'un côté par l'autorité féculiere , & de l'autre
par celle des évêques qui fe font toujours regardés en
France comme les feuls juges y en matière de doc-
trine, avec les fouverains pontifes j leurs entreprifes
ont été facilement réprimées.
Les Frères Prêcheurs ou Dominicains continuoient
toujours d'exercer avec les Frères Mineurs les fondions
de commifTaires délégués pour juger les hérétioues
fous l'autorité du roi, qui fournifToit même les &ais
de leurs procédures (a) ; mais le gouvernement veil-
lant avec atention fur leurs démarches , les empêcha
d'aquérir en France ce pouvoir exceffif au'ils fe font
atrioué dans d'autres Etats. Le roi , maigre fon ref-
( tf ) On trouve dans les anciens comptes plufiears mëmoîres de ces frais ,
pareils à celui que Ton rapone ici. » A frère Jaques de Marc , de Tordre des
3> Frères Prêcheurs , inquihteur des B de la province de France , pour
a> & en récompenfation de pluficurs peines , miffions & dépenfes qu^il a eues &
» foutenues en faifant la pourfuice des Turlupins & Turlupines \ qui trouvés
9> U pris ont été en ladite province , & par fa diligence punis de leurs mépren-
9» tures & erreurs , pour ce cinquante francs >>. Comptt dt ta prévoté de Paris,
raportidans U Glojfaircdi du Cange.
C R A R C E s y 4 437
peâ pour les avertiflements du faint père, ne crut pas ==S
devoir impofer filence à fes oficiers. Ann. 1 571.
Lts excommunications prononcées par les ofîciaux Excommuni-
cono-e les débiteurs qui refufoient de fatisfaire leurs j^JJ^"* ^^
créanciers, étoient devenues fi communes, que ceux Kegîftn 4
qui fe trouvoient frapés de ces foudres , ne fe pref- du parlement ,
loient pas de conjurer Torage. Le roi crut qu'il étoit ^^^jj^^^^/^^j
de fa juftice de coriger cet abus. Four cet éfet, il ordonnances.
çnjoi^nit par une ordonnance précife à tous les juges
féculiers de contraindre ceux qui auroient encouru
Texcommunication pour detes , de fe faire relever ^
de leur interdit , & d'employer la rigueur des moyens
juridiques pour les y obliger. Ce même règlement
contenoit en même- temps un ordre aux juges éclé-
fiaftiques de n'exiger qu'une fomme modérée pour
les abfolutions qu'ils acorderoient dans la fuite à ceux
qui fe foumettroient à leur jugement , en aquitant
leurs detes.
Les mœurs ^ cete partie fi effençiele de l'adminifira* Femmes Au
tion intérieure de l'Etat , excitèrent l'atention du prin* "J^ïï rJ"^
ce. La licence , fuite inévitable des temps de trou- viJ^'dû^cu*
ble, avoit introduit une. dépravation prefaue générale* teUt^foi. 47
Paris fur-tout fembloit être devenu le théâtre de la ^^^Ècœuii des
diifolution. Le roi remit en vigueur les fages régle^ ordonnâmes.
ments de Louis IX contre cete débauche grodiere ,
aufli pernicieufe à la fociété , que contraire à la reli-
gion. Le faint monarque avoit profcrit par fes ordon-
nances les afyles coniacrés à la proftitution. Charles ,
en renouvelant ces toix , qu'on avoit malheureufement
trop négligées depuis quelque temps , chargea fes ofi-
ciers , & principalement le prévôt de la capitale , dont
Texemple n'influe que trop fur les autres villes , de
tenir la main à ce que les propriétaires des maifons
ne Iqs donnaiTent point à loyer a ces infortunées viâi-
mes de l'incontinence publique, fous peine de payer
Îjar forme d'amende une année de loyer de leurs mai-
bns. Cete ordonnance fut rendue fur les plaintes de
l'^vêque de Châlohs & de* quelques bourgeois de Fa*
43? Histoire de Frafce,
-' ris , demeurant dans la rue Chapon au Marais , o^
Ann. IJ71. plufieurs dd ces femmes s'écoienc établies.
Aquifition En s'atachanc à recouvrer par les armes les provin-
l-Âa^c^^"^ ^^^ démembrées de la France fous le règne précé-
chl^e des ^^^^ *> Cliarlcs ne laiflbic pas échaper les ocafions qui
comptes, mi- fe préfentoiewt d^augmencer Tétendue de fes domai*
mor.Dj.iiZy nç^ p^^j. jçj aquifitious plus tranquiles. Jean de Châ-
D^iiia. l^^s ^ comte de Tonnerrç, lui vendu le comté d'Auxerre,
Tréfor des moyennant la fomme de trente mille francs d'or.
Chartres. Auffi-tôt que le marché fut conclu, le monarque
mit irrévocablement ce comté au patrimoine royal.
Par les lettres d'union , la villç ôç fon territoire furent
annexés au bailliage de Sens.
^ ufî^ft^^*'^* I^e roi vers ce même temps porta fes vues fur un
&àUno2?cflc ufage abufif qui s'étoit introduit dans les finances ^
de fc faire ad- dont la réfornie étoit à fous égards de la dçrniere im-
wfs" ^" ^ portance. Une infinité de perfonnes , qui par leur
ck. des c. ^^^^} leurs emplois, leurs dignités & leur naiffance,
frtémoriai D , devoieut fermer leurs çœiirs à la paffioQ de s*enrichir p
^^Relluir^s ^^^^^^^ ^^ Téciat de Tor, fe rendoient adjudicataires
çrdona^nctSf àvL produit des revenus publics. Tout le monde con-
voi toit ces marchés lucratifs. Oétoit à qui fe feroit
infcrire fur Ip rôle dçs afpirants. Dans^ la lifte des
fermiers en exercice ou en expeâapve, on comptoit
des ofîciers du roi ^ des fergents d'armes , des avocats ,
des gentilshommes , on y comptoit des éçléfiaftiques :
outre Tindécence de voir des gens deftinés à remplir
des fondions tout opofées , fe transformer en finan-
ciers ; on fent comoien un pareil abus étoit préjudi-
ciable aux intérêts du roi , par la facilité que leur don-
noit leur crédit de fe rçndre çn quelque forte les ar-
bitres du prix des baux. Un règlement févere ren-
voya les avocats au fècours de leurs clients, les fer-
gents d'armes k la guerre , les oficiers du roi à leurs
emplois , & les éçléfiaftiques au miniftere dj^s autels.
Le monarque par fon ordonnance défendit k ces difé-
fents ordres de perfonnes , ainfi qu'k la iiobleflc de
fon royaume, de fe préfenter déformais pouf afermcr
ks impofipoQ^.
C H A R X s^ s V. 43^
L'emploi d*un hiftorien feroic trop agréable , s'il ?^— ^— *'
n'écoit obligé que de raporter la fuite de ces difpofitions Aon. 1571.
fi fages 9 répandues dans les ordonnances de la plupart Continuation
de nos rois. On quite avec peine ces inftruâives &.combirdr'
douces ocupations ^ fruits bienfaifants d'un gouverne- chîzax.
ment paifible y pour pafTer aux opérations tumultueufes Froiffard.
de la guerre , où 1 orare des feits nous oblige de rentrer. ^*^^"' ^^*
Les ennemis , depuis la réduâion de Thouars , s'étoient
retirés k Niort & aux environs y pour protéger les
places qui n'a voient pas encore été foumifes par les
armes Françoifes. La rapide aâivité du connétable ne
les laifTa pas long-temps en repos dans ce pofte. L'hi*
ver n'étoit pas encore fini, qu'il rentra dans le Poitou
avec un corps de troupes compofé de ^quatorze cents
lances. Il vint au plutôt inveftir Chizai , château ex-
trêmement fortifié, à quatre lieues de Niort. Ayant
choifi un lieu avantageux pour Tafliete de Ton camp ,
il le fit entourer de retranchements & de paliflades ,
enforte qu'on ne pouvoit le forcer au combat* Tou-
tes les troupes Ângloifes acoururent des provinces
voifines , fe raflembîerent , & formèrent une armée ,
dans la réfolution de lui faire lever le fiege. Ce i^tr^
nier éfbrt que les ennemis tentèrent, ne fervit qu'à
multiplier leurs pertes. S'étant préfentés devant les
François, du Guelclin aiTembla le confeil de guerre^
& la bataille fut réfolue. A Pinflant il partagea fes
troupes en trois corps , fit abatre un partie des re-
tranchements de Ton camp , & s'avança de front vers
l'armée Angloife , ayant pris la précaution, avant que
de fe mettre en marche , de détacner deux cents hom-
mes pour tenir en refpeâ la garnifon du château , &
l'empêcher de faire aucun mouvement favorable à l'en-
nemi. On fe bâtit des deux côtés avec une valeur ,
non avec une fortune égale. Les Anglois furent entiè-
rement défaits : aucun n^cchapa ; tous furent tués ou
faits prijbnniers. La forterefle affiégée fe rendit incon-
tinent. Quoique la garnifon fe fût remife à la difcré-
44^ Histoire de Prahce,
g— ™*— TT! tîon dès vainqueurs , ils en uferenc généreufcment ,
Axui. 1)71. en la fkifanc conduire jufqu'à Bordeaux.
Bidttdiondc Les troupes viâorieufes s'aprocherent enfuite de
«fedu^ol- Nîo"> dont on vint leur préfenter les clefs. Luzigna,
cou.' " ^* forterefle eftimée alors imprenable , n'atendit pas qu'on
lUdm- Taraquât pour capituler : Châtel-AUart , Mortemar ,
enfin toutes ' les places qui reftoient encore à conqué-
rir, fubirent le joug. Le connétable ayant entière-
ment founiis le Poitou , l'Aunis & la Saîntonge iufqu'à
la rîvipre de Gironde , revint à Paris , où les ducs de
3çrry,.de Bourgogne & de Bourbon & les autres
princes & feigneurs, s'étoient déjà rendus aux ordres
du roi ,. qui les avoit riiandés pour concerter avec eux
fur les moyens de prévenir les mauvaifes intentions
du dqc de Bretagne.
Afajrcs de Malgré tant iréforts inutiles , Edouard n*avoît pas
Bretagne. ^-enonçéjà Tefpérance de rentrer dans la poffcflîon des
Frolfàrd. provincéç que. les François lui avoient enlevées. Les
liift.dcBret. biepfaits dont le duc de Bretagne lui étoit redevable,
Vitmic ^^ ^^^ permettoient pas de douter qu'il ne dût compter
4u Guefcfin. fur woe recpnnoiffance fans bornes. Il n avoit pas mis
cetj5 rçflburce en ufage, tant qu il s'étoit jugé allez fort
par lui-même; pour ne pas employer de fecours étran-
gers; mais la fituation de fes afaires le contraignit enfin
ce changer dé fyftêmè. Il voyoit chaque jour croître
î'afcendant que la fortune de Charles prenoit fur la
fienne. Dans une circonftance iî critique , il crut ne
devoir plus rien négliger. Jean de Montfort , duc de
Brçt&gne, arutant par inclination que par gratitude,
eqtra «dg.ns fes vues. Le monarque Ânglois , affuré des
di/ppfitiofts du duc , tenta un autre projet , dont la
Tentative d'E- ^"^^^ ^^t été très défavantageufe à la France.
douard pour Ou ^ VU i précédemment de quele utilité les flores
détacher le roi Efp^g/tioles avoient été pour faciliter les conquêtes de?
f aiiancc^^de ^ François dans la Guienne. Le roi d* Angleterre eflaya
Charles- de détàchcr Henri de Tranftamare des intérêts du roi
Hifi. iEfp. de. France. Li négociation étoiç (Jélicate. Le duc de
^'''''"'^ ' Lencaftre
Charles V. 441
Lencaftrei roi titulaire de Caftiile, réclamoît publi- ïï==ï!!!^
Quement les droits de Confiance fon époufe, fille de Aon. 1371.
]redre. Une pareille prétention rendoit néceflairemenç
les deux puifTances ennemies déclarées. Edouard fe
flata de Tefpérance de furmonter cet obfiacle , en fa-
crifiant des droits que fon fils ne pouvoit pas «faire
valoir : le duc de Lencaftre y confentit lui-mêftie , &
fe chargea du choix d'un négociateur. Il jeta pour
cet éfet les yeux fur le roi de Navarre. Ce prince,
depuis le dernier traité de Vernon, avoit paru tran-
quile : dévoré intérieurement du ddfir de nuire , tandis
Gu'il afeâoit au dehors un fincere atachement ; il ne
ralut pas employer des folicitations bien preflantes
pour l'engager à faifir une ocafion fi favorable de
latisfkire fon penchant naturel à faire du mal. Muni
d'un pouvoir authen||que d'Edouard & de la procu-
ration du duc de Lencafire, il fe rendit fccrétement
à Madrid, où pour lors étoit le roi de Caftille. II
ofrit à xe prince, <le la part du roi d'Angleterre &
du duc de Lencaftre , une renonciation de ce dernier
à la couronne de Caftille , & de plus un défiftement
de la guerre que les Anglois, difoit-il, fe préparoient
à lui déclarer, pourvu que de fon côté il voulût -fe
détacher de toute aliance avec la France, n^exigeant
au refte qu'une fommé d'argent dont on conviendroit
pour l'entier dédommagement des prétentions du dup
de Lencaftre.
Le généreux Caftillan, indigné d'une pareille pro^ Réponre«o-
pofition , la rejeta fans héfiter. Il répondit au Navar- Me du roi de
rois qu'il étoit incapable d'oublier ce qu'il devoit au ^^ j^^
roî de France ; que jamais il ne balanceroît entre fou
propre intérêt & l'honeur de rempUr fes engagements ,
& «qu'on ne devoit pas fe flater qu'il abandonnât fon
alié, quelques conditions avancageufes qu^on lui ofrit.
A cete réponfe , aufïi noble que précifè , il ajouta
3u*auffi-tôt que la paix feroit conclue entre les rois
e France & d'Angleterre , le duc de Lencaftre le
jOrouveroic toujours difpofé à fe prêtçr de bonne foi
TomçK Kkk
442^ Histoire pe Fraîtce,
!■ ! au projet d'un acommodemenc raifonnable. Henri de
Ann. IJ7X. Tranflamare , après avoir déclaré fes intentions d'une
manière fi digne d'un grand prince, fe crut autorifé
à rifquer quelques reprjéfentations au roi de Navarre.
Il eflaya de lui faire lentir combien fa conduite arti-
ficieyfe étoit déshonorante , Tabus coupable qu'il fai-
foit de fon efprit & de fes lumières , & Toprobre éter-
nel dont il fe couvroic en déshonorant fa naiflance &
le nom de roi , par le perfonnage aviliiTant de traître
& de parjure. Henri prodigua vainement les exhor-
tations ; Charles - Ip - Mauvais étoit incorigiWe- Il fe
retira mortifié de n'avoir pu réuffir dans fa négocia-
tion, & courut dans fes Etats de Navarre cacher fa
honte & fes regrets,
situaiiondcs Edouard ^le Fut pas dédommagé du mauvais fuccès
ragnc^diVpJfî- ^^ ^^^^ intrigue par le dénouement abfolu avec lequel
lions de la no- le duc de Btetagtie entra dans toutes fes vues. Des
Yct5^d"la*' pl^ft^cles trop puiflants s'opoifoient à la bonne volonté
France. de ce prince. Le roi , par fes manières bienfaifantes
Ckron.MS. & par ks libéralités, s'étoit concilié Tafeâion pref-
mfifd^Brit. ^^^ générale de la nobleffe Bretonne. Depujs que
yie MS.de IM^onnorty délivré de fon compétiteur, jouïlToit fans
duGuefdin. contradiâion de la pofFeffipn tranquile du duché, il
avoit paru trop négliger le foin de gagner les cœurs
de fes nouveaux fujets. Les gentilshommes fe plai-
gnoient de ce qu'en toute ocaîîon il afeftpit une pré-
férence marquée pour les Angloîs , gratifiant ces étran-
. gcrs de tous les emplois & de tous les honeurs qui
venoient à vaquer dans la province , au préjudice des
naturels du pa)rs, auxquels .ces dignités fembloient
apartenir de droit. L'amour-propre & l'intérêt ne par-
donnent gueres de pareilles injuftices : auffi le duc fe
vit -il toujours contrarié par les feigneurs qu'il avoit
aliénés. D'un autre côté, les peuples de cete 'province
qui refpiroient à peine , après avoir éprouvé pendant
vingt- trois années toutes les horreurs de la guerre la
plus cruele, ne formoient des vœux que pour la con-
tinuation d'une paix dont ils jouïiToient depuis fi peu
Charles V. 443
de temps. Les Anglois avoient commis tant de rava- ï
ges en Bretagne, que leur nom y étoit détefté. Le Ann. 1575.
duc rifquoit , en fe déclarant pour eux , d'exciter un
foulévement général. .Cete crainte fufpendit quelaue
temps Téfet de fon inclination. A la fin , ce qu'il ae-
voit à Edouard l'emporta fur l'intérêt de fes Etats &
fur fa propre tranquilité. Il feroit injufté de blâmer
ce prince d'une conduite imprudente faris dout&, &
que la politique peut condaner , mais que la recon- ,
noiflance fembloit lui prefcrire. Le roi d'Angleterre
Tavoit aflifté contre Charles de Blois de fes troupes
& de fes finances ; il lui avoit lone-temps acordé un '
afyle dans fes Etats ; il lui avoit tait époufef fa fille
dans un temps où fa deftinée étoit encore incertaine.
Le duc ne pouvoit fe diffimuler à lui-même ces obli-
gations : il paroiflbit même les avouer en quelaue forte
publiquement, en fe montrant fenfible aux difgraces
d'Edouard. Les feiçneurs Bretons n'ignoroient pas ces
dif])ofitions ; mais ils feflatoient que leur prince crain-
droit de compromettre fon autorité , en luivant aveu-
glément fon penchant- pour l'Angleterre. Le vicomte
de Rohan , le fire de Laval , les autres chefs de la .
noblefle , lui déclarèrent leurs fentiments avec fi-an-
chîfe : Chicr firt , lui dirent-ils , Jitôt que nous pouvons
apercevoir que . vous vous fere^ partie pour le roi d^An--
gleterre . nous vous relinauerons * . & mettrons hors de ^^f'^^'^àon-
^r% * . ' lierons^
Bretagne.
Une pareille menace ne produifit d^autre éfet que Leduc de Brc-
d'obliger le duc à fe ccmtraindre encore pendant cachet "fo?"^
quelque temps , & k prendre toutes les précautions penchant pour
qu'il crut néceflaîres pour dérober aux feigneurs la l'Angleterre.
connoîflknce de fes véritables intentions. Sçs démar- '*'^*'»*
che^ cependant ne purent être tenues fi fecretes , aue
lê myftere dont il prétendoit les couvrir ne fût révélé.
Kaermartin , qui preique feul de la nobleffe Bretonne
;ivoit rhoneur d'être admis dans le confeil intime,
rendoit compte aux feigneurs de toutes les réfolutions
qui s'y prenoient. Cç; fut par fon canal qu'ils apri-
Kkkij
444 Histoire DE France,
■ ' rent 1 aliance que le duc avoit contraâée avec Edouard*
Ann. IJ73. Ce traité, qui avoit été précédé de plufieurs négo-
Rym.aB.putL ciations & pourparlers préliminaires entre les minil&es
^p^\i96%oi\ afidés du prince & les plénipotentiaires nommés par
204,106,10^, Edouard , contenoic une ligue oïenfîve envers & contre
Tréfor défi ^^^^ > ^ fpécialement contre le roi de France. Le roi
chartr. lajetu d'Angleterre s'ençageoit d^affifter puiflammént Mont-
^'""ibiYla hu ^^^^ ^" ^^^ ^"'^^ ^"^ ataqué , & lui donnoit outre cela ,
Angi/K^iN! en indemnité des frais de la guerre k laquele il aloit
DuTiiUt. s'expofer , le comté de Richemond en Angleterre ^
& les terres apartenantes aux Anglois entre la Bre-
tagne & le Poitou. Le règlement de ces différents
articles fe fit à plufieurs reprises, parce que le duc
prévoyant tout le danger de Téclat que cete confédé-
ration ne manqueroit pas de produire , héfitoit tou-
jours , & vouloit ne fe déclarer qu'à la dernière ex-
trémité. La noblefle de fon côté veilloit fur la con-
duite de ce prince , dont elle étoit exadement infor-
mée par Kaermartin. Œnfin cet infidelç confeiller leva
le mafque , en remettant au vicomte de Rohan une
Ipttre, avec laquele ce feigneur fe fit rendre quatre de
fes fortereffes que le duc ocupoit* Ces places étoienc
Vhelgouet, Carhaix, Châteaublanc & Châteaulin. Les
compagnies . qui les gardoient les livrèrent , fur ila
promette que leur fit le vicomte d'aquiter la paye
qui leur étoit due.
Lcduc<cdé- Le duc alors ne croyant plus devoir rien mena-
ciarc. La no- ger , conclut définitivement fon traité avec Edouard ,
vll'i'rl^^^^^^^ & reçut garnifon Angloife dans Kemper , Morlaix
Froîjfard. & Leineveu. Ce fut le fignal du foulévement : aufli-
Hift.de Breu lot toute la Bretagne fut en armes. Lts Anglois
Argentrl. ^toient à peine entrés dans Morlaix & dans Lefneven,
oii'ils en furent chadés. Les Bretons les maflacrercnt.
Cependant Salifburi avec une fiote de .quarante voi-
^ les , s'aprocha des côtes , & vint^ brûler dans le port
de Saint- Malb fept vaifî'eaux Efpagnols. Montfort qui
voyoit l'orage fe grollir à tous moments , apek [t%
Anglois à la défenfe de fes. plus fortes places. Il leur
livra Breft, Kemperlé, Concq &t Hennetond.
Charles V. 445
Cependant les feigneurs Bretons , pour aflurer le
nciirs
promt éfet de la révolution qu'ils méditoient, s'adreflè- Ann. 1375
rent au roi de France , & Tinviterent à faire paffer ^^^^^^^^^^1
des troupes en Bretagne, afin de prévenir la Jclonic icntTes Fran-
de leur duc. Tandis qu'ils atendoient le retour des «<>«•
députés qu'ils avoient envoyés au roi , plufieurs pla- -f*''^^'»-
ces s'étoicnt déjà fouftraitcs à 4 obéiflance de Mont-
fort. Le vicomte de Rohan/avoit furpris Vannes;
Laval s'étoit rendu maître de Rennes; d'autres fei-
gneurs fournirent les villes de Dinan , de Dol & le
château de Ceffon. Le duc tenta quelques éforts pour
arêter le torrent : il vint mettre le fiege devant Saint-
Mahé , d'où il recevoit inceflamment des nouveles de
la furprife ou de la défeétion de quelques-unes de
fes places.
Le roi n'avoit pas befoin d'être vivement prelTé ^^ «>» fait
d'entrer dans le reffentiment des feigneurs Bretons. dc^Tcugn?^
Cet événement lui fourniffoit une ocafion tele qu'il saréponfc.
pouvoit la defirer , de punir le duc de Bretagne du i^/V*«.
paffage qu'il avoit donné aux Anglois & des autres
fujets de mécontentement , que fon atachement trop
marqué aux intérêts d'Edouard lui avoit caufés. Tou-
tefois, comme Charles fe montroit dans toutes fes
démarches, fcrupuleux obfêrvateur des formes juri-
diques y il ne voulut point commencer les hoftilités y
fans y être en quelque forte autorifé par des prélimi-
naires juftificatifs. Pour cet éfet il envoya fommer le
duc de Bretagne de s'aquiter des devoirs de vafTal de
la couronne , en s'abftenant de recevoir dans les terres
de fa domination les ennemis du royaume , & en
alEftam au-contraire le roi. fon feigneur dans la guerre
qu'il avoit déclarée au roi d'Angleterre. Le duc ré-
pondit au premier article , qu'à Tégard du pafTage y
â conferftoit de le refufer dans ta luite ; mais qu'il
ne pouvoit fe foumettre au fécond , en aidant le roi
de France contre celui d'Angleterre. Il aléguoit pour
mottf de ce refus le traité de Brétigny , par lequel il
prétendoit ne pouvoir être contraint y eo quelque oca-
44^ Histoire de France,
? fion , & pour quelaue caufe que ce fût , de prendre
Ann. 1375. les armes contre Edouard. Il ofric de raporter pour
preuve de ce qu'il avançoit, des lettres fcélëes des
Iceaux du roi & des ducs de Berry & de Bourgogne.
Le roi, fans s'arêter à ces excuies, donna ordre au
connétable d'entrer en Bretagne à la tête des troupes
qu'il avoit fous fon commandement.
cïtre cn"^ B?c- ^^ GucfcUn cxécuta les ordres du roi avec toute la
tagne. célérité dont il étoit capable. Il ralTembla fou armée
Ibidem. aux cnvirous de Pontorfon & de Bafoches, & parut
^UMS^de ^"^ '^^ frontières de Bretagne. Sans perdre de temps ,
duGuefciin. il viut fe logcr aux fauxDourgs de Rennes, dont le
feigneur de Laval s'étoit déjà emparé j ainfi que nous
l'avons obferyé ci-deflus. Le corps de troupes que
conduifoit le connétable fut bientôt augmenté pat
Tarivée du duc de Bourbon, des comtes du Perche,
de Sancerre & de Soiflbns, du dauphin d'Auvergne,
du vicomte de Rohan , des feigneurs de Cliflbn , de
Rieux , de Beaumont , de Beaumanoir & des autres
chefs des principales maifons de la province.
OF*^°f^»f^« Dans une ii fâcheufe extrémité le duc montra un
"c. Ré^nfc courage fupérieur à fa màuvaife fortune. Il raflem-
génércufcdc bla environ fept cents hommes d'armes, avec lefquels
^yî"°^^' il tint la campagne pendant quelque temps ; mais la
V' ^^t* partie n'étoit pas égale. Les plus prudents de fon con-
îeil lui remontrèrent qu'il étoit à propos d'effayer de
calmer cete tempête pat une fatisfaâion aparente , plutôt
3ue de s*expofer à tout perdre par une fermeté hors
e faifon ; qu'en s'acommodam au temps , & feignant
de renoncer à Taliance de TAngleterre , il ôteroit par-lk
tout prétexte au foi de TataqUer, & aux feigneurs
Bretons de perfiftér dans leur révolte. Ce confeil étoir
le plus avantageux fans doute y fi Môntfort avoît pu
fe réfoudre à le fuivre. Sa recorinoîflance" envers
Edouard , & fon reffentiment contre le roi de France,
formèrent un obftacle infurmontable. Il affura ceux
de fes ferviteurs qui lui donnoient ce falutaire avis,
^que jamais pn ne Iç foumettroit par la force, &
Charles V. 447
» que quand il devroit périr , il n'abandonneroit point -
9>raliance d'un prince qui s'étoit toujours montre fon Ann. 1375.
^y ami , pour lui préférer le roi de France , fon ennemi
yy déclare ; qu'envain Charles , en lui faifanc la guerre y
^j^. & s'apliquant à gagner fes fujets, fe flatoit deTavoir
j^ à fa merci ; que Jamais il ne pouroit le réduire à mé-
» riter les trop juftes reproches d^ingrcuitudc & de baf-
yy ftjfc de courage yy. Vainement on infifta pour le
déterminer à changer de réfolution , en lui repréfen-
tant que le roi d'Angleterre aprouveroit lui-même une
pareille conduite, qui ne feroit que trop juftifiée par
la néceiïicé : il fut inébranlable. Cete inflexibilité pré-
cipita la ruine du duc ; mais elle avoit fon excufe.
Une démarche à laquele ce prince fe porta en lc duc achevé
même -temps, à la perfuafion de Milleborne, cheva- dindifpofcr
lier Ar ■ ^ ~
befoin
extraot
tent fe joignit à la noblefl'e : le fubfide ne fut point
payé. Les Bretons apelerent de cete vexation au roi
& au parlement. Le duc irité voulut eflayer de fou-
tenir fon entreprife par Tapareil des fuplices. Plufieurs
de ceux qui refuferent de fe foumettre à Timpoiition ,
furent exécutés. Ces violences qu'on atribua aux An-
glois, aigrirent de plus en plus l'inimitié qu'on leur
{^ortoit. Les Bretons les exterminoient par-tout où ils
es rencontroient.
Enfin le duc défefpérant de pouvoir éteindre Tin- Embansda
cendie alumé dans prefque toutes les parties de ^"^
la Bretagne, prit la réfolution de paffer en Angle- ^^^,
terre, afin de foliciter en perfonne des fecours plus
éficaces que ceux qu'il avoit reçus jufqu'alors. Aux
premières nouveles que reçut Edouard , il avoit i&it
partir le feîgneur de Neuville avec quatre cents hom-
mes qui vinrent débarquer à Saint- Mahé. Les An-
glois le formèrent un camp retranché, fans ofer en-
trer dans aucune place, afin de ne pas iriter davan-
tage les Bretons : mais ces ménagements ne calmèrent .
44^ HisTOïREDE France,
- ! .pas les alarmes que caufoit leur préfence , & ne fer-
Ann. IJ7). viretic au-contraire qu'à redoubler la hardiefle des peu-
ples , qui s'aperçurent qu'on les redoucoic. Ces troupes
peu nombreufes fe trouvèrent expofées en même-
temps aux ataques des François & a la fureur des ha*
bitants^ qui ne leur faifoient aucun quartier.
Lcducpaflc • Le connétable cependant s'avançoit toujours fans
^" JiLm^"^' rencontrer aucun obftacle fur fon pafTage. Le duc
prefque environné de tous côtés, tant par les troupes
Françoifes que par fes propres fujets, reculoit toujours
devant un ennemi fupérieun Craignant , s'il tardoit da-
vantage , de fe vbir fermer tous les chemins d'une
retraite qui aloit devenir indifpenfable , il prit la route
d'Aurai , où il laifTa la ducheife fon époufe fous la
^arde du gouverneur de cete place, le feul dont là
ndélité ne lui étoît pas fufpeàe. Cete féparation le
toucha plus fenfiblement que fes autres infortunes.
L'hiftoire de Bretagne raporte qu'il verfa des larmes ,
& qu'alors il fe repentie d'avoir fuivi trop inconfidé-
rément les confeils pernicieux de Milleborne , qui lui
avoit fuggéré d'affeoir l'impofition d'un fouage dans
un temps où l'afeâion de fes fujets lui étoît plus
avantageufe que tout l'argent qu'il avoit efpéré tirer
d'une pareille exaâion. D'Aurai il vint s'embarquer
à Concq, d'où il fe rendit à Portfmouth, abandon-
nant la défenfe du refte de fes Etats à Robert Knolles ,
qu'il avoit établi lieutenant- général de la province
pendant fon abfence.
Rédadion Le départ du duc fut fuivi de la réduâîon de la
ils ^\ Ms^d" P^"P^^^ ^^^ places , que fes troupes ocupoient encore
Brctigncr ^ ^H Bretagne. Le connétable toujours adif fembloit fe
Uidem. multiplier pour les réduire. Dinan , Vannes , Jugon ,
Luzuniont, Guy-la-Foreft , la Rochederien, Guin-
^ camp , Saint - Mathieu de Finepoternc , Kemperco-
rentm, Saint-Malo ,. Ploermel , ne firent aucune ré-
fiftance. De-là du Guefclin vint former le fiegc d'Hen-
nebond , place très forte , que l'on avoit vu foutenir
les plus rudes aflauts fous le règne de Philippe de
Valois,
Charles V. 449
Valois *. La ville étant inveftie , on drelTa les machi- ^ !
nés de guerre pour favorifer les ataques. On fit ulage Ann, n??.'
de, canons à ce fiege. Le générât François , dont la *T?r'^.^^*
maxime étoit de ne laifler jamais refroidir Tardeur de ^'" '^^^^^'
ks troupes^ réfolut d'emporter la place' par un afTaut
général. Les Anglois fe défendirent avec intrépidité ,
aidés par les habitants qui combatoient avec eux.
Le connétable s'étant avancé allez près pour être en-
tendu , s adrelTa aux bourgeois qui paroifToient fur les
murailles : EcouU[ y leur d^t-il , hommes de céans y il
tfi certain que nous vous conquerrons tous ^ & foupe--
rons encore enmiit [ aujourd hui ] en cete ville y mais s^il
y a nul des vôtres qui jeie pierre ne cartel ^ tant foit
hardi , par quoi le plus petit de nous & de nos
garçons Jbit blejféy à Dieu je voue , je vous ferai à
tous tollir * la vie. Cete menace intimida ti fort les * Sur.
habitants 9 qu'à Tinfta :t même ils fe retirèrent. Les
Anglois fe trouvant alors en trop petit nombre pour
garder les fortifications qui étoient très étendues ,
rarent forcés de tous côtés y & pafTés au fil de Tépée.
On tint exaâement la promeflb faite aux habitants:
la ville fut préfervée du pillage.
D'Henncbond le connétable vint fe préfenter devant sîcgcsJcdift-
Breft, que défendoit Robert Knolles avec une forte "°"/J^^'''
garnifon. Cliflbn dans ce même temps fe détacha du
ficge, pour aler former celui de la Roche- fur -Yon
en Poitou y fuivant les ordres qu'il avoit reçus du duc
d'Anjou* Breft fit une fi vigoureufe réfiftance , que
Ton délefpéra de l'emporter d'aflaut. Afin de faire
dîverfion , on afliégea Derval y place apartenante à
Knolles. Du Guefcîin efpéroit par-là engager le généf
rai ennemi à ouiter Breft, pour voler à la défc^nfe
de fon propre néritage. Pendant ces divers m^ve*
ments les feigneurs Bretons preflbient vivement le
fiege de Bécherel qu'ils avoient tormé. Après la réduc^
rion de la Roche-lur-Yon qui capitula, Cliflbn revint
îoindre les troupes Françoifes ocupées au fiege de
Perval. Le commandant de cete place voyant qu'où
TomcV. LU
4^0 Histoire db France,
■ multîplîoit les ataqucs avec une ardeur qui ne lui
Ann. x}75- permeccoit pas de fe âacer de tenir encore long-temps^
confentit k un acord avec les affiégeants, & promit
de fe rendre 9 s'il n'étoit feçouru dans deux mois par
une armée en état de livrer bataille. Pour sûreté de
fa promeile il donna des otages , fuivant l'ufage pra-
tiqué dans ces fortes de conventions. Cete capitula*
tion fut confirmée par le duc d'Anjou.
Uidenu Tandis que Ton continuoit de prefler la réduâion
de Breft , le connétable s'avança vers Nantes , dont
les portes lui furent fermées. Il falut compofer avec les
habitants 9 qui en cete ocafion donnèrent des preuves
d'une fidélité d autant plus efiimable , qu'elle étoit
devenue rare. Ils ne voulurent confentir k recevoir
les François que comme gardiens de la ville , qui de-"
voit être rendue au duc aufli-tôt qu'il rentreroit dans
fon devoir. Ils exigèrent de plus que les revenus pu-
blics fuiFent mis en fequeftre entre leurs mains jufqu'à
ce que leur fouverain en eût difpofé. La réduâion
de cete ville achevoit prefque entièrement la conquête
de la Bretagne ^ où il ne reftoit plus au duc que les
places d'Aurai , de 13écherel , de IDerval & de fireft.
Capitulation Cependant le fiege de Derval avoit opéré Téfet que
f/c^*^*^^'^ le connétable avoit prévu. KnoUes brûlant du dcfîr
quciic"cur! ^^ confcrvcr une fortercffe dont la propriété lui àpar-
Uidem. tenoit, parut moins ardent k la défenle de Breft. II.
capitula pour cete dernière place , qu'il promit de re-
mettre au pouvoir des François dans quarante jours i
k moins qu'il ne fe préfèntât dans ce terme une armée
aflez forte pour en faire lever le fiege. La capitula-
tion fut acceptée d'autant plus volontiers^par les Fran*^
çois , qu'il n'y avoit point alors en Bretagne de trou-
pes ^^ez nombreufes pour annuler le traité. KnoUes
délivré du foin de confervcr Breft , courut^ aufIi<*jtoc
k Derval y dans l'intention de ne pas exécuter la parole
que fon comigandant avoit donnée pendant fon ab*
fence. La plupart àts troupes Françoifes fe retirèrent
alors de la Bretagne pour rentrer en France , où le
roi leur ordonnoit de fe rendre.
C H A R L E s V. • 41J r
Du Guefclin arendic afllz patiemment le temps li-
mité pour la réduâion de Breft , Jorique Saliftury, Ann. 157J.
qui éroic toujours en mer , vint débarquer près de
cete ville y avec des croupes plus nombreules que celles
quelles François écoient en état de lui opofer. Il en-
voya au général François un héraut chargé de lui
ofrir la bataille. Le connétable oui Te trouvoit campé
avantageuiement ^ lui fit répondre "qu'il defîroit le
combat aufli ardemment que les Anglois , pourvu
qu'ils vinflent dans un lieu où il pût le$ combatre.
oalifbury renvoya Ion héraut , avec ordre de dire
que fes troupes > compofées de foldats de marine, n*é-
toient pas acoucumée^ à marcher à pied ; mais que fi
les François vojloient leur envoyer leurs chevaux , de
bon cœur il iroit les trouver. Une pareille propoficion
n*étoit pas recevable. Cependant le jour marqué par
la capitulation ariya. Salilbury ayant vainement acendu
le connétable , rafraîchit BrtLï d'hommes & de mu-
nitions & fe rembarqua. Lorfque Knolles fe fut rendu
dans fa fbrtereflè de Derval y il fit fignifier au duc
d'Anjou y ainfi qu*au connétable , qui étoient à Nan-
tes y qu'il ne tiendroit point le traité (igné par fes
gens f lefquels , difoit-il , n'avoient pu compofer fans
ion aveu. Le duc d'Anjou vint audi-tôr devant la Onrairmou.
j>laçe. Le jour marqué pour exécuter la capitulation j|ç 'r7fa1n« **
étant arivé , il fit fommer Knolles de fe rendre ; & ^^Ihid^*
fur fon refus il l'envoya menacer de faire mourir les
otages. Knolles fans s émouvoir y répondit qu'il étoit
réfolu de conferver fon château ; & que li le duc
iacrifioit Iqs otages à fon reffentiment , il uferoit de
repréfailles fur des chevaliers qu'il avoir en ion pou-
voir 9 pour la rançon defquels il refufoit cent mille
francs. Le duc indiené d'une perfidie acompagnée de Froiffard»
tant d^audace , ne fut pas aiîez maître de fes pre- «-v^*
fniers tranfporcs. Cependant fur lès remontrances ^« /^.Jf' *
Garfis dtt Chaftel , maréchal de fon armée, qlii lui
repréfenta que la mort de ces otages feroit un aâe
^'inhumaiiité qu*on lui reprochcroic a jamais , ce prince
LU ij
4^2 Histoire de France,
!=îî!=5! confentic qu^on les relâchât. On aloit les mettre en
Ann. Î373. liberté, lorfaue rimplacable ClifTon, ennemi juré des
Anglois & au duc de Bretagne, fiirvint, & fit fuf-
pendre leur délivrance. Il courut aufli-tôt vers le duc ,
& le menaça de ne plus s'armer, s*ils ne mouroient,
ajoutant que ce fiege avoit coûté plus de foixante
mille livres , & qu'il étoit jufte que les ennemis fuf-
^ fent punis de leur déloyauté. La colère du duc fe re^
nouvela. Jl dit à Cliflbn : Meffirc Olivier , faites ce vue
bon vous femble. A ces mots Olivier envoya chercher
le tranche- tête. Ces malheureux otages , crittes viâimes
d'une infidélité dont ils n'étoient pas coupables, fu-
rent amenés au pied des murs de DerVal , & décapités
à la vue des afliégés. A peine ce te barbare exécution
étoit-elle achevée, qu'on vit fortir des fenêtres de la
fortereffe un échafaud tout dreffé , fur lequel on traîna
trois chevaliers & un écuyer, dor\jc on fit voler les
têtes dans les fofTés en préfence des François. Les
ennemis firent aufli-tôt une (ortie : il fe donna un fan-
glant combat aux barieres, dans lequel Cliflbn fut
dangereufement blefTé du premier trait que les aflié-
gés lancèrent. La violence du duc d'Anjou, qui oca-
iionna.ces deux aâes d'inhumanité, n'avança pas la
reddition de Derval. Il falut abandonner le fiege,
fur les ordres réitérés du roi. Un foin plus preflànt
que ne Tétoit la continuation de la guerre prefque
terminée en Bretagne, rapeloit les généraux & les
troupes à la défenfe du royaume-
Edouard en- Le duc de Bretagne fugitif, dépouillé de fes Etats ,
une ar- n'avoit recoBuilU d'autre fruit d'un fi grand facrifice,
LS*" que la gloire de remplir à Tégard du roi d'Angleterre
tous les devoirs de la reconnoiflance. Depuis qu'il
étoit a la cour dŒdouard , il ne ceflbit de preflcr ce
prince de lui fournir des forces fufifantes pour lé ré-
tablir. Il méritoit fans doute d'obtenir ce qu'il deman<*
doit , & l'intérêt de l'Angleterre femblok d'acord
avec le fien ; mais le monarque avoit d'autres vues.
Uniquement ocupé- de fes afaires perfonnêles, il té-
▼OIC
mée â
Uidem.
Charles V. 4^3
moîgna peu de fenfibilité pour les difgraces d*un alié -
malheureux. On préparoic un armement confidérable Ann. 137}*
dans les porcs d'Angleterre; mais les troupes qui dé-
voient s'embarquer n^étoient pas deftinées pour la
Bretagne. Le roi ne fongeoît uniquement alors qu'à
réparer les pertes qu'il avoic faites en Guienne ; &
pour mieux affurer l'exécution du projet qu'il médi-
toit, il avoit réfolu de commander lui-même l'expé-
dition. Ce prince , qui depuis quelque temps avoit
perdu l'habitude des travaux militaires > fembloit ne
f>as s'apercevoir qu'acablé fous le poids des années,
a foibleffe de fon tempérament ne répondoit plus à
la grandeur de fon courage. Il ne fe rendit qu'avec
Mine aux infiances de fon confeil , qui lui repréfenta
les fatigues & les dangers de cete entreprife peu con-
venable à fon âge. Le duc de Lenc^iftre fut nommé Rymer. aB.
général de Tarmée compofée de trois mille hommes ^^J^\ l^J^' ' '
d'armes & de dix mille archers. Ces troupes étant
débarquées à Calais ^ furent jointes par d'autres com-
pagnies y & formèrent un corps de plus de trente
mille hommes. Le duc de Bretagne acompagnoit le
duc de Lencaftre. Montfort qui fe flatoit de lelpoir de
faire fentir au roi de France tout le poids de fon
reifentiment , fit 'précéder d'une déclaration de guerre
fon entrée dans le royaume. Il envoya de Calais un
héraut chargé de prélenter un défi, qui par fa fingu-
laricé mérite d'être raporté. » Le huit Août 13 J 3 Défi da duc
yy furent préfcntccs lettres au roi notre Jire de par le ^^ Bretagne.
yy duc de Bretagne, contenant la forme oui s' enfuit : y^J^^'^îJ^
>^ A mon très chier feiçneur le roi de France. Sire
9^ Charles de France , qui vous clamés être, fouverain de
w mon duchié de Bretaigne , bien eft - il voir * que * vraU
yy puis le temps que je étois entré en h foi & hom-
9> mage de la couronne de France y j'ai à vous tous
9^ dits fait mon devoir envers ladite couronne & en-
^^ vers tous autres auxquieulx il apartenoit ; mais ce
9^ nonobfUnt vous ^ par vous & par vos gens , fans
y> cognoifïance de caufe ^ feulement par procez de
4^4 Histoire dx Frange,
j^ ^ » fait, avés faic entrer par votre commandement votre
Afin. IJ7J. » connétable à * votre puîlTance & force de guerre en
^ avec. » mon duchié de Bretaigne , prins tout plein de mes
3> villes, chai^eaux & forcereflës , prins prifonmers,
yy les uns rançonnés , les aulcres mis à more , & me
» ont Tait & font tout plein des aulcres oucraiges , torts
3> dommages & vilainies non réparables , & parmi ce
» vous m avés fciemment &. de voflre propre vou-
yy lente , 6c tout oulcrement & ouvertement montré
^> mon ennemi , & ymaginé à moi & mon Etat dé*
yy faire & deflruire ; & parce que vous ne me voulés
>> rendre les terres que promîtes & deubtes à moi
» avoir rendues à certain temps , tant par lettres &
yy fcel , comme autrement , comme je vous ai ptu-
» fieurs fois requis à mes grands coufls & millions ,
^y en moi déboutant & mettant tout hors de la foi ,
yy hommage & obéifTance de ladite couronne , fans
)^ coulpe ou méfait de moi ou de ma partie , fans au-
» cune caufe raifonnable , dont y mol en déplaît trop,
1) fi que parmi les avant dites chofes, & a caufè de
3> tout plein d aulcres griefs qui ad ce moi chaînent , je
» vous fais fçavoir que en vôftre défault - je me tiens
33 du tout franc , quite & décharge de là foi & hom-
» mage que av fait à vous & à la couronne de France ^
33 de toute ooéifFance & fubjeâion faite à vous & à
>3 ladiâe couronne , ne à aultre caufe de vous ou de
3> meifme la couronne , & vous tiens & répute mon
yy ennemi , & vous ne en debvez pas merveiller fi je en
33 fais dommage à vous & à votre partie , pour moi
33 revanchier des très grands oulcraîges , torts , dom-
33 maiges & vilainies devant diâes. Le duc de Bretaigne
33 & comte de Montfort & comte de Richemont, de
yy notre main efcript 33.
Procédé da I^'éfet ne répondit pas aux menaces contenues dans
ducdc Uncaf- CCS letcrcs. La méfintéligence qui fe mit entre les
ïa/d^SîJw!! ^"" do Lencaflre & de Bretagne , fit bientôt fentir
gnc, à ce dernier que rarement la confidéracion acom pagne
Uidm. rinfbrtune. Le duc de Lencaftre , dont le caraâere
C H A & £ z s y. 45^
formoic un parfait contrafte avec celui du prince de -■'
Galles fon frère, ne rougic pas d'infulter à la iituation A^q* ^m^
déplorable du duc de Bretagne , &, de lui reprocher
que cece guerre ne fe faîfanc en partie que pour fa
querele , il étoit obligé de fournir la moitié de la dé**
Senfe de Tarmée. Ce prince mortifié d'une pareille
emande , fe vit réduit a la trifte néceffité de s excufer
fur foji impuiflance aâuele ; mais en même-temps ii
ofrit à PAnglois de lui donner tele affurance qu'il exi-
geroit pour le paiement de ces frais ^ quoiqu'il ne Teût
pas promis , & qu'il eût avancé en Angleterre tout
l'argent qu'il avoit , pour contribuer à la dépenfc de
Parmement. Ces raifons eufibnt été fufifanres pour
tout autre; mais Lencaftre répliqua que puisqu'il étoit
hors d'état de payer ce qu'il exigeoit, il ne permet*-
troit pas qu'il commandât l'armée conjointement avec
lui ^ & qu'il n'avoit qu'à fe retirer avec fa fuite. Mont-i-
fort contraint de dévorer un ii cruel afront , n'eut
plus d'autre emploi dans l'armée que celui de corn--
mander le petit nombre de ceux qui Tacompagnoient ^
ce qui ne lui formoit pas une troupe de foixante hom<
mes, Edouard , en fîgnant le traité d'aliance avec le Rjmer ^ aa.
duc de Bretagne ^ avoit abandonné k ce prince la pof* M/, tom. 3 ,
feffion de tout ce qu'il pouroit conquérir en France ^'''^^•**^-*®^*
avec les troupes de fon duché. On peut juger par le
procédé du duc de Lencaftre , qu'il n'avoit pas mten-*
tion qu'une pareille libéralité fût onéreufe au roi d'An-
gleterre. De femblables détails ne peuvent paroitre
inutiles ^ puifqu'ils fervent à peindre les hommes. Ce
trait prouve que Lencaftre manquoit de çete grandeur
d'ame &c de cete générofité fi néceflàire à ceux qui
font chargés du commandement. Son inexpérience &
fa préfomption ne démentoient pas la bafteiTe de fes
ientiments^ Ce dernier éforc des Anglois , fous la con--
duite d'un tel chef, fut encore plus infruâueux que
ne rav|||nt été les précédents.
L'arTOe Angloife traverfa le Boulonnois , la Picar- ^(^j^^^
die & l'Artois^ trouvant toutes les villes Se les for- fa^Fxa^^r* *
V*.
4S^ -Histoire de France,
■Il terefles fermées fur fon pafTage. Le roi avoîc donné
Ann. i^7j. de fi bons ordres, que ces provinces foufrirent peu
Ibidem, de dommage par la précaution que les habitants des
Chron. MS. campagnes prenoient de fe retirer avec leurs éfets
dans les lieux fortifiés , enforte que les ennemis ne
trouvoient , ni vivres , ni fourages. Cete difete jointe
au froid excefîif qui furvint dans lariere-faifon , en
fit périr beaucoup. Ils étoient outre cela inceflam-
ment harcelés par de petits corps de troupes légères,
qui leur ôtoient la liberté de s'écarter. Tous les partis
qui avoient Timprudence de s'aventurer , étoient auffi-
tôt enlevés. Le leigneur de Soubife en défit une troupe
confîdérable près de Ribemont en Vermandois. Les
feigneurs de Vienne , du Beuil, de Bourdes, de Por-
çien , de Couci , de Renéval & le vicomte de Meaux ,
en détruifirent d'autres compagnies dans le SoifTon*
nois. Ils commençoient à s'afbiblir déjà confidérable-
ment , lorfqu'ils vinrent à Troies, où ils trouvèrent
du Guefclin nouvélement arivé de Bretagne. Le con*
nétable les condufit de la même manière jufque dans
la Guienne , toujours les harcelant & enlevant leurs
partis , pour peu qu ils s'éloignaflent. Enfin , de cete ar-
mée formidable , compofée de trente mille combatants
en partant de Calais , à peine pouvoit - on compter
fix mille hommes éfedifs, lorfqu'elle ariva aux envi-
rons de Bordeaux. Les légats du faint fiege fuivirent
les troupes dans le cours de cete longue marche , em-
ployant vainement leurs prières & leur médiation.
Le duc de , Le duc de Lencaftre ayant féjourné quelque temps
î^!S-!*i!!^Vn" en Guienne , repafla en Angleterre , où il fut très mal
gieterre. rcçu par le roi & par le pnnce de Galles , qui voyoïent
Chron, MS. avcc regret la perte d'un fi grand armement & des
nim^96^^^^^^^^ frais immenfes ^u'il avoit ocafionnés.
Guerre cq ^ Guicnne étoit prefqu'enciérement foumife : il
Gafcogne: nc reftoit plus que la province de Foix, dont le comte
état du comté paroifToit afeôer l'indépendance. Depuis lejMiité de
FrMrd ^^^"g^y y Gafton n'avoit jamais voulu reco^Rître le
1 &TvoA * prince de iGalIef , ni lui rendre aucuns devoirs de vaflkl.
Le
Charles V. 4^7
Le jeune Edouard , malgré la .fierté qui lui' étoit !
naturele , avoit long-temps diifîmulé le mécontentement Ann. 1575.
3ué lui caufoit la conduite altiere du comte, n'aten- *
ant qu'une conjonâure plus favorable pour le faire
rentrer dans ToLciflance. Enfin il étoit prêt à porter
la guerre dans le pays de Foix , lorfqu^il en fut dé-
tourné par Texpédition qu'il fit en Caftille pour le
rétabliilement de Pedre- le -cruel. La maladie dont il
fut ataqué au retour de cete entreprife, rompit ce
projet , qu'il n'avoit fait que diférer , & le fouléve-
ment prelque général de la Guienne , qui furvint im-
médiatement après le voyage d'Efpagne , ne permit
plus au prince de s'ocuper du deiTein de punir le
comte. (Cependant Gafton tranquile dans Tes Etats ,
fpeâateur afiez indiférent des démêlés fanglants de
la France & de l'Angleterre , avoit obfervé une exafte
neutralité entre ces deux puifTances. Cete conduite
fit le bonheur des peuples de fa province , qui fc
trouvèrent à l'abri des incurfions des gens de guerre,
par les hiénagements que les partis opofés confervè-
rent pour lui. Un gouvernement sûr & paifible au-
mtlieii au tumulte des armes ^ favorifa la population
& la fertilité du pays. Cete abondance procura au
comte les moyens d'amafler des tréfors immenfes. Ses
fujets ne crurent pas trop payer le repos dont il les
faifoit jouir par une contribution annuele de qua-
rante fous par feux , tandis qu'une impofition moins
forte de moitié avoit révolté toute l'Aquitaine contre
le prince de Galles.
Le comte de Foix vivoit à Ortez , capitale de fes Magnificence
Etats, avec toute la pompe & la fplendeur d'un J^J^*^^^^^^^^^^
fouverain. Le fafle de fa cour Temportoit fur celui proiffard/
des têtes couronnées. Il atiroît par fa piagnificence % vol.
une foule d'étrangers de tous les Etats .vjoiuns. Che-
valiers , gens de guerre, ceux qui cultivoient les
fçiçnces ou les arts, les poètes, les muficiëtis étoient
acoeuillis favorablemçiit , & récompenfés avec la libéra-
Tome K. M mm
j
4^8 Histoire de Frakce,
- lité d*un prince généreux. Ortez femWoit être deventt
Ann. IJ7I. Tafyle des plaifirs en tous genres. Sa table étoit fervic
avec . une profufion qu'on ne voyoit point ailleurs.
Tout dans Ion palais refpiroit la grandeur. L'éciquçte
de fon fervice recraçoit encore l'ancienne fierté des
premiers conquérants des Gaules , par les ufages fin-
guliers qui s'y obfervoient. Au -lieu de faire éclairer
la fale où il mangeoit, par des flambeaux portés fur
des chandeliers , une troupe nombreufe de domefti^
ques fuperbement vêtus, rangés devant lui dans une
atitude refpeâueufe , tenoient en leurs mains des flam-
beaux alumés , dont la lumière eût difputé l'éclat avec
celui du jour (a). Refpeâé de fes voiflns , redouté
de {qs vaUaux , chéri de fes fujets ^ au fein du calme 9
de l'opulence & du luxe, le comte de Foix, loin de
croire qu'il pût être le vaflal d'un autre fouverain,
fembloit avoir oublié qu'il y eût un. prince plus puiC-
fant que lui, lorfque les avantages muitipUés que k$
François remportoienc en Guienne fur les Anglois ,
vinrent le tirer de cete fécurité.
Le duc d* An- Après la difperfion de l'armée Angloife , du Guef-^
& troîp^'^'^ clin s'étoit rendu auprès du:duc d'Anjou , qui continuoit
pour entrer de preflcr les ennemis du côté <ie la Gafcogne , leur
dans la haute enlevant fans cefTe quelques villes ou quelques châ-
^^J^dem ^^^x. Une infinité de feigneurs, qui depuis que le
connétable avoit licencié (es troupes, ne vouloient pas
refter oififs, fe joignirent à celles que le duc raflem*-
(a) Cet ttfagc raporté par Froiflard » fert à confirmer la conjeâure tfoc ferme
M. l'abé le Bœuf Usa an faflage de' Grégoire «de Tours. Voici comme s'exprime
ce fçavant Académicien :■ » H paroit que les François avoient ta délicaccue de
-n ne point atlmettre de chandeliers fiiT les cables , & qa ils faiCoîent tenir à 1%
V main par leurs doneftfques la cfaaudele dont elfes dcToiçnt être éclairées.
M Locrqii*un valet teooit la bougie devant Ranchin [ ftigmur François ] pen-
» dant Ton (buper »| fuivanc la coutume , il lui ordonnoit de fe découvrir les
-ssjaoïlbcs ,^ défaite dégoûter delà dredefltis /uf^'à ce qu'elle s*>&eîgiik,
M Bc puis la ralamer , le 4e laiaire dégoiicer comsie auparavant jufcjaà ce <)tte
» fes jambes fufTent brûlées» Si le valet o(bit remuer , Ranchin avoir Ton épée
»> toute prête pour le percer ; U plus ce mathenreux répandoit de pleins ,' plus le
«> maitre éolatoic de rire « Miwu it dittiraz. Jmn. 17. Difin. fur fes amcitus
«ifages , par M. taie ie Bœaf^ pag, 204» Gng. dt Tours ^ iiy. 5 ^ cA^p* 5.
Charles V. 459
bloît dans le Périgord* Les feigneurs d* Armagnac , !
d'Albrec^ de Périgord , les comtes de Comminges & Ann. 137^
de Narbonne, le dauphin d'Auvergne., les vicomtes
de Caraman , de Villeneuve & de Thalar ^toient de
^e nombre. Le prince fe vie bientôt à la tête d'un corps
de quinze mille hommes. Avec ces forces il s'avan^
vers la liante Gafcogne. Saint -Sévère (a) fe rendit
■à compofition. Jl palïk enfuite TAdotir , entra dans sîcgc de
le comté de Bigorre & mit le fiege devait Lourde , J;°J^Ji}ç"^J^*^^
place extrêmement fortifiée , de laquele Pierre Arnaud comwdcFoîx.
de Berne étoit gouverneur pour les Anglois. Ce &i- lUdim.
goeur y parent du comte ^ Foix , fe défendit slycc
tant de courage , eue le duc d'Anjou défefpérant
d^emporter la cîcadeie , & ne voulant pas perdre le
temps à s'en rendre maître par des ataaues réguliè-
res 9 qui ne pou voient manquer de tramer en lon-
gueur^ leva le fiege après avoir fkcagé la haiTenville.
Il vint enfitite invefttr Sault ^ viUe dépendance ilu
comté de Ftnx. Gafton voyant aprocher ieâ rFraaçois
de fes frontières, (ê hâta de conjurer l'orage en trai-
raiit avec le duc. Il apréhendoit jion (a^s, ration jqifis
4» feigneurs d'Armâfipnac & d'Albret .se làifiilmt cece
ooafion de fatisfkire kiur inimitié perfonnele en exci-
tant le j>rince à porter k guerre jio&jue dans le cœur
dé fes Stats. Dans rintentim Je \gs prévenir^ il en- Rymer^aa.
-^^a des députés -^ui .conclurent fcm acommcdement ^^J^| ^^^' ^ *
cavec les icommi^&iiTes qise Jle duc d*An)ou nomma.
-Use des Tconditions fecretss de xre :(nraité.£ut ia réduo-
^tion de^ia ville de Lourde que èe comte s'obligea de
ifiûne iremottDe au xicruvoiv m roi. U me jdaatoit;pas .
^'il nerriui.fût ndlt de (temptir lûet. enga^yenient.:
-dans rete vene il ananda le gouverneurs qui fur fes
premiers ordres fe rendit à Onez. Lorfqu'il fut armé,
t^O'^ lîrSaîm-Sitvtcr dans Ptofffard , inah il n'y a -^rs ct$ cantons qoc
>dtUz f^flBccs'mtomirtées^ftifft-^SéteEc , (îtoées la première fur an csonranc d'-uu
4]ai «a Ce -]ctct daas T^dour , & ia (eeondc far llAdour m/êoie* Ceftxieia fce-
'mîere de ces deux places quMl èft ici qucŒion : elle cù. dans le voifixiage de
- 4e Lea!?de > ^m it duc «larerifime' lormer^^k fitge.
Mmm ij
4âo Histoire DE FiiA.KcSy
- ■ le comte lui déclara devant tout le monde ^ qu'il falok
Ann. 1373. qu'il lui livrât la place pour en mettre les François
en pofTefHon , ne voulant pas , difoii-il, ft brouiller
avec un prince aujji puijfant que te duc d Anjou. Le
gouverneur connoiiToit le caraâere impétueux du com-
te, & n'ignoroit pas qu'il aloit par un refus s'expofer
à toute la violence de foa refl'entiment. Cete crainte
toutefois ne fut pas capable de Tarêter : il fe tut quel-
ques moments : à la £n il rompit le filence par cete
généreufe réponfe : Monfeigruur y vraiment je vous
dois foi & hommage j car je Jiiis un pauvre chevalier
de votre fang &. de votre terre; mais le châtel de Lourde
ne vous rendrai-je ja : vous m*ave[ mandé , fi pouvés
faire de moi ce qu^il vous plaira; je le tiens du roi
d^ Angleterre qui m^y a mis & établi y & à perfonne
çui Toit je ne le rendrai fors à lui. Une fermeté fi
noble & fi refpeâueufe eii même-temps ^ irita Tim-
pécueux Gafton , qui malheureafêment n'étoit pas
acoutumé à rencontrer . d'obftacle* Furieux & ne iè
connoifTant plus, il tire fon poignard : Oh traître y
s'écria-t-il , as-tu dis que non r Par cete tète tu ne Pas
pas dit pour rien. K ces mots il s'élance fur Pinfor-
tuné Arnaud : aucun des à(fiftaint<; n'ofe s'opoièr k cet
indigne emportement. Ce gentilhomme, Ion vaiTaL,
fon parent, Tatend avec cete tranquilité :qu'infpiœ
la vertu : il reçoit cinq coups faiR fe mettre en dé-
fenfe > & tombe aux pieds du comte qa*il acofe de
fon fang • fe contentant de lui dire d'une voix cxpi*
rame : Ha, mcnfeigneur , vous ne faites pas genûlleffe,
* me tuer. ^^^^ m^ave:^^ mande & me occiés . Le comte revenu
à lui-même, fut puni par de longs & cuifants re-
mords , d autant plus cruels qu'ils ne pouvoient répa«*
rer une fi grande faute.
Cete mort ne produifit pas la réduâion de Lourde.
Arnaud avant fon départ en avoit confié la garde à
Jean de Berne fon trere , en exigeant de lui une
promefle d'honeur qu'il ne la rendroit que fur un ordre
précis figné du prince de Galles ou du roid'Angleterre»
Charles V. 4^1
Cependant cetc aâiou violente du comte de Foix ré- ■■' ■
pondoit en Quelque forte du dévouement de ce fei- ^**"- '37î»
gneur. Le roi content de fon atachement^ fans aprou-
ver Tétrange manière dont il le lui avoit montré ,
voulut de ion côté lui donner des témoignages de fa
reconnoifîance. Pour cet éfet , il lui envoya deux
commifTaires , meflire Roger d'Efpagne & un préfi-
dent du parlement de Paris ^ chargés de le mettre en
pofleffion de la jouïflknce du comté de Bigorre. pen-
dant fa vie , k ^condition d*en faire hommage. Le
comte que le titre de vaflal révoltoit , refufa ce don ,
& ne voulut recevoir que le château de Mauvoifin , parce
ijut y dit Froifîard , utt place ne rcltvoh de perjbnne
fors que de Dieu. Au-rette Gafion promit de ne ja- >
mais fe féparer des intérêts de la couronne de France^
& tint fi^lélement fa parole.
Vers le même temps Marfîac ^ la Kiolle , Langon , R<duôîo!ï<ï«
Saint-Macaire & une infinité d'autres places fe ren- pï^ficwis pia-
dirent au duc d'Anjou , ènforte qu'il ne refta plus aux "%i/^
Anglois de villes confidérables en Guienne que Bor- h(/i. Efp.
deaux & Baïonne. Le duc d'Anjou avoit formé le
defTcin d'adiéger cete dernière ville. Il écrivit même
pour cet éfet au roi de Caftille^ & le priu de venir
loindre fes troupes aux François. Henri , qui ne
laiHbit échaper aucune ocafîon de fignaler fon ata-
chement pour la France , partit auffi-tôt , & vint iè
Çréfenter devant Baïonne , tandis que Satfchez de
^ôbar , amirante de Caftille, s'aprocha des côtes de
France, afin de favorifer le fiege. Il comptoit trou-
ver le duc en Bifcaye, & lui envoya des députés à
Touloufe, pour l'engager à prefler fa marche. Cete
conquête eût été de la dernière importance ; mais le
duc d'Anjou , qui pendant cet intervale étoit convenu
d'une fuipenfion d'armes avec le duc de Lencaftre ,
rompit Tentreprife. Le monarque Efpagnol n'ayant
pas de forces fufifantes , & d'ailleurs mcommodé par
les grandes eaux 6c par la difete des vi!vres> reprit la
route de Burgos.
Ibidtnu
4^2 Histoire de France,
^^^^^^!^^^^^' Lorfque le due de Lencaftre repafTa en Angleterre ,
Ann. 137^ fes députés & ceux du duc d'Anjou avpîenc conclu
i'itmls^^'^^ une fufpenfion d'armes pour la Guienne , avec pro-
armes, meffe de fe trouver au commencement de Tannée
fuivance à Calais & à Saint-Omer , pour y traies des
conditions d'une paix définitive. Le duc de Lencaftre
croyoit qu'il étoit dô fôn intérêt de prelfer un acom^-
modement entre les deux couronnes ^ afin de fe li-
vrer tout entier au deffein qu'il avoit formé de porter
la guerre en Caftitle , projet qu'il ne pouvoir exéctt-
ter j tant que l'Angleterre feroit en guerre contre la
France. Le roi confulta le parlement, fur l'armiftice
que le prince fon frère venoît d'acôrder k l'Anglois.
La cour repréfenta au monarque qu'il ne pouvoic
Du TiiUr. accepter ce traité fait avec lé duc de Lencaftre ,
ennemi perfonnel de Henri de Tranftamare fon allé.
Le roi toutefois , k l'înftante pourfuite de Tarchevô-
3ue de Ravenne & de Tévêque de Cat petitras , ié^ts
u pape , cbnfentit que fes atnbaiTadeûts fe trouvai
ïent à Brujges atéç <?eux ii'Edouaf d , pour travailler à
la paix.
De tant de provinçcfs fcéd'ées paï le ttaité de Brétigny ,
la feule vîUe de Galaâs reftoit ^atix Ataglôîs. Ctte heu-
reufe révolution fut IVmvrajgc de 4a p^^udence du roi,
de rat9tivité, de la Vâfeur é^ du Giiefdin 4c du cou-
rage de la nation. Ra'pîn Thoyras, «qufe trop de pré»-
vention* égare foavç^ht dans fés jugeïiiehts , he ^oît
^ns les io|)éi*âritfris -de cete ^lïerre ïJ«n qui "ïnérite
de ïxçr I^terirîota du leAetfr , ni qui fbit <:olt»>aFabk'atK
fatntfuftfs journées tje Gréci^&ée Poitiers. Les difgra-
ces que M* Abgibîs dfftiyërérit fois ''Charles V , fii-
fent, ^k-iî, ufie véritable àéroifte- Il àùrbit été fens
douté plus jufte àf>récîatèûr <le ^ces dîférdftts >expl«ts,
^ sHl z^àiï cbtifîd^^é qtfe la -gloire dès ferftrèprifes fe
riiefure jn-îùdDalemejit par les obftftctes kju'ellès 'pré-
fèmènt 4 fri^iôiitér. N'eft-il pas incomparablement
pks dlficflc de réparer en détail, les grandes perces , &
(le forcer en quelque forte la fortune parles déniais
C H A R I. E s y. ^ë^
ches habilement concertées , que de profite* rapide- "
xiient du gain d'une bataille , dont Iç vainqueur ei^ ^°"' ^^''^'
fouvent redevable à la témérité des vaincus. Sans infifter
Air unç vérité fi commune , il fufit de fe rapeler le
récit de ces deux conçibats y dont les fuites furent fi
funeftes k I4 France. A celui de Maupertuis le roi
eft fait.pxifonnier : fa cappvit^ bouleverfe l'Etat, fa
liberté coûte le retranchement d'un tiers du royaume,
4c ruine le refte. £ft*ce k la conduite des chefs , eft-ce
au génie feul d'Edoqard qu*il faut raporter tout Tho-
nçur de parçils avantages ? Qu'on examine la confiante
làgeflç flu roi , les reiîprts qu'il fç»it faire agir , les
reffourçes qu'il emploie , la conduite de fes généraux ,
la difcipline ^ la valeur de fes troupes dans toutes les
expéditions militaire^ de ce règne , & qu'alors on jugç
du piérite de$ fucccs. Ce que l'hiftorien d'Angleterrp
dit de plus judicieux à Tocafioiu des revers éprouvés
par le monarque Anglois , c^cjl que de pareils exem^
pies devraient bien aprendre aux prinçfs 4 modérer hi^r
ambition ; mais qu^a sUn trouve peu qui en fçaçhent
profiter !
Charlçs, que la profpérité n'aveugloit pas^ prêta Trcvccmrc
volontiers l'oreille aqx lolicitations du pape , qui ne ronncs"* ^^^'
ççffoit de l'exhorter à la paix. Grégoirç , qui dès-lors Rymer. aa.
fe préparoit à transférer le faint liège d'Avignon à p«^^ ^^'»- 3 *
Rome, auroit bien voulu avant fon départ terminer ^*'^J>''* ***
les funeftes divifions de la France & de l'Angleterje.
\l s'étoir pour cet éfet plufieurs fois adreffé à Edouard 1
qui dp (on côté paroilïoit ne pas s'éloigper d'un acoipi-
modemen^c. I>s conférences, ainfi qu'on e;i étpit con-
venu, fp tinrent à Bruges entre les plénipotentiaires
d^ deux couronnes. Ceux du roi de France étoient
I^ duc de Bpurgogne , les comtef de Tançarville &
de Salle|>ruçh^ , & l'^véque d'Amiens ; & de la part
4ilu roi d'Aflgleçserre , le duc de Lencaftre , le comte
4ç 5aUXbviri ^ V&wém^ de Londres , a01flés de trois
chevaliers & de deux dofteucs. Ces conférences avoient
^té précédées d'une fufpenfion d'armes pour les parties
4<?4 Histoire de France,
' feptentrionales de la France , entre les commiflaires
Ann. 1374. du roi & le gouverneur de Calais.
Rym,.aci.puk Malgré les dîfpoficions pacifiques que les deux par-
^''%lonî!!'de "^5 témoignoïenc, les négociations de Bruges n'abou-
Sainc-Denis.;^ tirent qû'à la conclufion d'une trêve ^ui devoit expi-
chron. Af5. .j.g^. ^yj^^ f^^^^ j^ Pâques de Tannée fuivante : on étoit
alors au mois de Juin. Comme les allés des deux rois
étoient également compris dans ce traité , le duc de
Lencaftre , qui dans fes pouvoirs , & dans tous les
aâes préliminaires étoit qualifié de roi de Caftille &
de Léon , fut obligé de luprimer ce titre dans le der-
nier ade de cete trêve. Le roi de France crut devoir
Froijfari, ^ Henri de Tranftamare , fon généreux & fidèle alié ,
Kift. Efpagn. cete marque de fa confidération. L'évêque de Sala-
.manque , & Fernandez de Velafco , grand chambélan
du monarque Efpagnol , avoient été envoyés au con-
grès de Bruges. Ils furent ataqués près de Bordeaux
par le feigneur de Lefpafre; mais les vaifleaux Caf-
tillans étoient fupérieurs aux bâtiments Anglois. Lef*
parrc fut fait prifonnier : Velafco Temmena en Ef-
pagne ; Tévêque continua fa route , & ariva heureu-
fement à* Bruges. Les ducs de Bourgogne & de Len-
caftre 9 & les autres plénipotentiaires convinrent j avant
que de (e féparer , de fe retrouver au même lieu vers
les fêtes de la Touffaint , pour travailler de concert
au bien d'une paix £;énérale.
Afaîfcs de Cete fufpenhon d'armes , ou la Bretagne étoit ex-
Brctagnc. prelTément (pécifiée , furvint à propos pour dérober
"ii^m'r^aa ^'^^^^^ ^® Cliffon à la vengeance du duc. Jeaa de
pud'^tom. "3 1 Montfort , depuis fon retour à Londres , avoit em-
fdre. |. ployé les plus preffantes folicitations pour engager
Edouard à lui fournir une armée capable de le re-
mettre en polfedion de fon duché. Le monarque An-
glois , qui ne pouvoit diflîmuler la juftice d'une pa-
reille demande , & qui fans doute devoit fe repentir
de ne Favoir pas orévenue , jentra dans les vues de
ce prince : B eau- fils ,\u\ difoit-il, je fçais bien que
pour Famour de Moi vous avés mis en balance & hors
dç
C H A R X K s V. 4(55
dt votre Jcigneuric , grand & bel héritage ; mais bien î=ï=
foyc:^ ajfuré que je vous lé recouvrerai. Je ne ferai paix ^^* ^^^^'
à François que vous ne foye:^ dedans , & raurez votre
héritage. Les éfets répondirent à ces promefTes. Le duc
de Bretagne raflèmbla un corps de deux mille hom-
mes d'armes & de trois raille archers, dont le roi
d'Angleterre paya la folde pour fix mois. Le comte
de Cambridge, & plufieurs autres princes & feigneurs
Anglois \ voulurent partager Thonéur de cete expédi-
tion. Le duc de Bretagne s'embarqua au port xle
Southanipton , & defcendit à Saint^Mahé. Il emporta
la cicadele d'afTaùt , ôc fit paiTer la garnifon au ni de
l'épée : la ville "fe rendit auffi-tôt. Il s'avança incon-
tment vers Sàint-Paul de Léon qu'il facagea. Morlaix
ouvrit fes portes, ainfi que Lannion , Lantriguet , la
Roche-de-Kien , Guincamp , & la Roche- Bernard.
Le duc pourfuivant fes concjuêtes , . mit le fiege devant
Saint-Brieuc. Cete ville avoit été nouyélement fortifiée
par les foins d'Olivier : dje Cliffon ; elle étoit d'ailleurs
défendue par une garnifon nombreufe. GlilFon & le
feigneur de Laval commandoient dans la province de-
puis le départ du connétable : ils étoient alors à Lam-
bale. Kemperlaî , ville extrêmement importante , fe
trouvoit fort incommodée par une fortereffe que Jean
4',Eyreux , capitaine du parti de Monfort , -avoit fait
réparer dans le voiiinage. Les habitants & la garnifon
envoyèrent à Lambale demander du fecours. Cliffon
&.Beaumanoir acoururent fur -le -champ. Ils étoient
près de fè rendre maîtres de ce nouveau fort , lorfque-
le duc de Bretagne , qui , .fur les premiers avis qu'il
avoit reçus. de cete efttreprife , avoit levé le fiege de
Saint-Brieuc , partit k la hâte. avec toutes fes troupes,
' dans l'intention de les furprendre. Cliffon étoit ocupé
à^ donner ûû afiàut général. On vint lui dire que les
Àfl^is iparôiffoient à çd^ux. lîeués de fon camp. La*
partie n'étoit pas égale : il n'eut que le temps de raf-
j^t^ifeler pftédtpitâijimenc . le peu de monde qu'il avoit
avec lui ^ & de fe dérober par ù«e prom te retraite à
Tome F. ' ' Nnn
j^èC Histoire de France^
- la pourfuitc des ennemis. Il entrok dans ^Kemperlai ,
Aan. 137^. & j^g bariercs étoient à peine fermées , que le duc qui
n'avait pas retardé fa marche , ariva devant cece place.
Il la fit fur-le-champ exaâemenc inveftir ^ dans 1 apré-
heniion que fa proie ne lui écbapât. Dès le premier
jour il livra un afTaut furieux ; les auques ne furent
pas moins vives les jours fuivants. L'ardeur des a(fié-
géants étoit excitée par des motifs qui rendent les hom-
mes capables des efbrts les plus extraordinaires , la
vengeance & la haine. Les Angiois haifToient dans CliA
fon un ennemi cruel & implacable , qui faifoit gloire
de ne jamais leur acorder aucun quartier. Nous avons
raporté ci-devant la caufe imaginaire ou réele de l'ini*
mitié per£bnnële du duc contre ce feigneur. Il eft des
outrages qu'un mari jaloux ne pardonne jamais. Cliiroa
ne devoit s'atendre qu'à une mort cruele. Beaunu*
noir & Rohan y renfermés avec lui dans Kemperlai ,
n'efpâ*oient gueres un meilleur traitement , s'ils avoient
le malheur d'être pris d'afTaut ; il ne leur reftoit aucus
efjpoir de fecours étrangers. Dans une extrémité fi pé-
riileufe y ils demandèrent à capituler. Le duc fe mon*
troit inexorable , & vouloit abfolumeot qu'ils fê li-
vraient à fa difcrétion. Il ne leur acorda une fufpen-
fion d'armes de huit jours y que fur la certitude qu'ils
ciiiTonifciiape ^^ pouvoient lui échaper. £n éfet ce coure armifiice
à la vengeance aloit expirer , & les affiégés n'avotenc plus d^aucre ref-
*^" lîv fource que le défefpoir. Deux feigneurs anverenc au
' ^^' camp du duc , & £gnifierent à ce prince , ainfi qu'aux
Angiois donc fon armée étoit compofée , la trêve qui
venoit d'être conclue à Bruges y dans laquele la Bre*
tagne étoît formélemenc comprife^ Montfort fe vît con-
traint de lever le fiege , non fans regret de fe voir ara-
cher une viâime qu'il comptoit immoler à fon reflèiitî»
ment. La fufpenfion d'armes ayant été publiée en Bre-
tagne y il repaâa en Angleterre ^ où il conduific avec lui
la ducheiTe Ion époufe.
sfillti'veu^^^ ^ garnifon de Saint-Sauveur-le-Vicomte , que les
le-Yicomte. troupes du roi afiiégeoienc depuis quelque temps f
CVARLSS V. 467
voulut auffi profiter de cete trêve pour éviter de fe î=5!=î!î=
rendre , fuivant les termes de la capitulation qui avoit Ann. i}74,
été précédemment fignée de part & d'autre ; mais par ^^^"^^^
le traité conclu à Bruges , il avoit été décidé que cttt pubL'^ôm. ^\
place feroit remife aux François 5 en pavant la fomme p^^"^' up^ii,
de quarante mille livres. On ^eut fe rapeler que Geofroi ^^ ^ "^^^
de Harcourt , feigneur de Saint- Sauveur-le -Vicomte ,
avoit inftitué le roi d'Angleterre fon hériticn Après
la mort de ce feigneur , cete terre avoit été donnée à
Jean Chandos , dont la fœur la remit à Edouard 9 qui
depuis ce temps en étoit demeuré poffcflcur. Louis Trifor des
de Harcourt, feigneur de Châtelleraut , s'étant détaché tJrmzn^^^^^^^^^
des Anglois à la folicitation du duc de Berry & du »«;.
connétable , la reftîcution des biens qui avoient apar- ^^ •^'^'^^•
tenu à Geofroi de Harcourt , & entre autres dé Saint-
Sauveur-le- Vicomte ^ fut un des principaux articles qui
lui furent acordés pour l'engager a rentrer dans l'obéif-
fance du roi.
Quelques précautions qu'on eut prifespour remédier Le fcigocanfc
aux défordres que les gens de «lerrc étoicnt acoutu- i^c'l>mrajîi^^^^
mes de commettre lorlque les hoftilirés ceilbîent , il enAacriche.
étoit cependant dificiie de les réprimer entièrement. La FroijfanL
trêve laifFoit fans emploi des compagnies dont Tentre^
tien eût été onéreux pour PEtat 9 & qu'il étoit dange-
reux de licencier. Le roi fongeoit aux moyens de pré*
Venil* ce double inconvénient , lorfque l'arivée d'£n-
fuerrand de Couci , comte de Soiuons ^ vint mettre
n à cet embaras. Ce feigneur , gendre du roi d'An*
gleterre {à) , vafTal du roi de France , avoit prudem-»
ment évité de prendre part à la querele des deux cou-^
tonnes , en fe retirant du royaume. Afin de colorer fa
retraite c^un prétexte plaufible ^ H pafik en Italie , &
Ërta les arnfies pour le fervice du faint fiege contre ~
irnabo Vifeontî. Il revinc en France dans le temps
2ue la trêve venoh d'être conclue à Rruges. La mort
Il duc d'Autrkiïe lui fottnnt une nouvete ocafion de
(tf) tt rrAz épooff Uabdc fille diréc /Edouard.
Nnn ij
r
468 . Histoire de France,
^ - s'abfenter. Il étoic par fa mère neveu de ce duc & fou
Ann. 1374. héritier. Dans le deffein de réclamer cete fucccffion,
il propofa de conduire en Alemagne les croupes deve-
nues déformais inutiles : on accepta Fofre ; & le roi ,
pour en faciliter l'exécution , lui donna foixante mille
francs. Il feroit inutile de ra porter le détail de cete
expédition , qiji ne fut pas heureufe. Elle n'a d'autre
liaifon avec notre hiftoire que l'avantage qu'elle pro-
duifit au royaume , en le délivrant des compagnies.
Majorité des Le foîn de maintenir la gloire & la félicité préfente
rois. de l'Etat fixoit toute Tatention du roi. Il eût voulu
ch^ïr&lili^ pouvoir aflbrer la tranquilité publique fur des fonde-
Vonférenc'e dis Hieuts inébranlables. Ce fage monarque embrafToit IV
ordonnances. venir daus fes projcts. Il avoit éprouvé par lui-même,
Rrl^iiues Pendant la captivité du roi fon père , combien les moin-
ordonnances, drcs obftacles foht gênants pour Padminiftration , qui
Tréfordcs jQ'agit jamais avec plus d'éficacité que lorfqu'elle émane
Chartres. ,. ^r\ ' ^ r ^ ' é^ ' i
directement du louveram. Convamcu de cete maxime,
& defirant afermir , autant qu'il étoit en lui , l'autorité
royale en faveur des princes qui dévoient lui fuccéder ,
il forma le projet d'abréger les trop longues minorités
des rois. A ces vues politiques pour le maintien du
pouvoir fuprême , fe joignirent fans doute des coniîdé-
rations particulières. La foibleffe de fon tempérament
miné par un travail afiidu y & par un breuvage empoi«
fonné que le déteftable roi de Navarre lui avoit fait
prendre dans le temps qu'il n'étoit encore que dauphin ,
ne lui permettoit pas d'atendre la vieillefle pour mettre
ordre aux afaires du gouvernement. L'âge peu avancé
de Charles ^ l'aîné de fes enfants , lui caufoit de fé-
rieufes inquiétudes : il craignoit , s'il fe laiiToit préve-
nir par la mort, que ce jeune prince ne fût à la merci
des ducs d'Anjou , de Berry & de Bourgogne , 4ont
il connoiflbit l'ambition. Après avoir pcfé ces diVers
motifs , il prit les mefures qu'il jugea les plus ayanta-
geufes à fa famille & au bien du royaume. Il crut y
parvenir en dreflant le modèle de la célèbre ordonnance
qui fixe la majorité des rois à l'âge de quatorze ans-
CharlksV. 4^9
Cete ordonnance donnée à Vincenncs au mois d'Août -'
de lannée 1374 > contient les juftes caufes qui ont dé- Ann. 1574*
terminé le législateur. Après avoir parlé du rcfptâ &
de Tamour des peuples pour la perfonne facrée de leurs
rois j il rapele v aue dans tous les temps les fujets ont
jy toujours obéi plus volontiers aux ordres immédiats
yy de leur prince , qu'à ceux qui ne partoient que de
yy Taucorité paflagere d'un régent. Aux exemples tirés
»-des hiftoires étrangères , tant facrées que profanes,
>^ & de celle de la nation y il ajoute que cete Provi-
^^ dence , qui veille incefTamment fur la conduite des
» Etats y répandoit ordinairement des lumières & un
» jugement prématuré dans lame de ceux qui doivent ■
yy gouverner les autres hommes ; que les enfants des
» rois étoient confiés dès leur plus tendre enfance à
yy des perfonnages éclairés & vertueux ; qu'on employoit
>^ l'atention la plus fcrupuleufe à les initruire , & que
>> par conféquent il n'étoit pas étonnant que les princes
5> hfTeht des progrès plus rapides que le commun de
yy leurs fujets iy. Charles dans cet édit impofoit en même*
temps à fes fucceiTeurs Tindifpen fable obligation de cul-
tiver avec un foin extrême ces précieux . rejetons defB-
nés à produire le bonheur de l'univers.
Charles n'eft pas le premier de nos rois qui ait fait UiJani
une pareille loi. Philippe III r par fes lettres données
au camp devant Carthage en Afriique , confirmées l'an-
née fuivante , lorfqu il fut de retour en France , or-
donna qu'en cas qu'il mourût avant oue fon fils eût
quatorze ans acomplis , Pierre , comte d'Alençon , gou-
vernât le royaume pendant la minorité , & que fa ré-
gence cefsât auffi-tôt que le jeune prince entreroit dans
fa quinzième année. (Je qui différencie ces deux ordon-^
nances , c'eft que celle de Philippe le Hardi ne fiiit
mention que de fon fils , & preicrit les quatorze ans
révolus , au - lieu que celle de Charles V en fait une
loi pecpétuele pour tous les rois à venir , & rend lés
fouverains majeurs ^ dès qu'ils ont ateint la quatorzième
année ; ( doncc (kçtmum quartum atatis annum attigc^
47<5 Histoire db Frakce,
r— ***— "^ rit ). Ceft le fens dans lequel le chancelier de THôpi-
Ann. i>74. tal , à Tocafion de la majorité de Charles IX , expliqua
les expreilions de cete ordonnance , ain£ que le raporte
le )u(uciettx auteur de Pabr^é chronologique, il fut
dit çae Vcfpnt de UIm était que les rois furent majeurs
à quatorft ans commencés , & non pas acomplis , Jiiv-
vant la règle y que dans les caufes favorables y annus
incœptus pro perfeSo habetur , une année commencée
cft cenfée révolue.
L'ordonnance de Charles V j pour la majorité des
Tir d ^^^ ^ ^^ ^^ regiftrée au parlement que le vingt-un* Mai
Chart.reg. des ^^ Tannée fuivante , le roi y Jeant or tenant jon tit de
ancien, ordon. jufiice j affifté du dauphîn , du duc d'Anjou , de plu-
M 75' fleurs autres princes , feigneurs & prélats ^ du teoeur
& des principaux membres de Tuniverfité , ainfi que
du pévôt des marchands & des échevins de la ville de
liidem. ^^ns. L'original de lettres fut remis aux religieux de
Saint*Denis ^ pour être confervé dans leur tréfor.
La majorité de dos rois depuis rétabitflement de la
monarchie^ avoic éprouvé plufieurs variations apuyées
toutefois fur lie même prmcipe. Ils ne pouvoient être
nàjeurs que lor%u'its étoient afiez forts pour Ibuceoir
les fatigues du fervke militaire. Les premiers Francs
Dortoienc des armes extrêmement légères^ ils corn-
batoienc à pied. Leurs enfants étoient en état d'aler
à l'armée oans un âge peu avancé^ aufli étoienc-ils
Grégoire de majeurs k quinze ans. Cnildebert II , n'avoit que cet
TQurs. 4gç lorfque Gontrand le déclara majeur , en lui met-
tant dans les mains un javelot félon l'ufage , en pré*
ience de fafiemblée de la nation. La manière de taire
la guerre changea fous la féconde race ; on ne fe
iervit pceique plus que de cavalerie : Farmure corn*
plete de fer , oui couvroic entièrement les hommes ,
tofmoxr un posas esLceSif que l'âge de l'habitude pour
VMem feids refi^ fuportablcr La majorité qui mar-
choiç tomours ic pir avec k haàté éc pwier les
aunes. ,. iot teuitàét \rtCauli visvgtrmL ans*^ Cet «fage
faloiAftoîc lorique k roi ooraia; Sosl édit > mais ît £(ar
C H A R £ B s V. 471
voit par fa propre expérience qu*ua monarque peut
très bien gouverner fon royaume fans combatre. A»»- »n4»
Cete même année l'apanage de Louis de France , Apanage de«
deuxième fils du roi , fut fixé à douze mille livres J^JJ^^*
tournois (a) de rente en fonds de terres qui dévoient Xrtfor des
être érigées en comté. Il fut de plus ordonné que le Charu, laytt:
prince , parvenu à Tâçe de majorité , recevroit une ^^'/iJj^^^
Ibmme de quarante mille livres {b) pour Je mettre en ckamhrt di$.
état y c'eft-à-dire, pour former fa maifon ; & en cas Comptes, mi^^
que le roi eût d'autres enfants , le même partage leur ^ox'f^^ff*
écoit deftiné. Le roi par ces mêmes lettres régla la '
dot des dames de France. Il ordonna que la prin-«
ceffe Marie , Tainée de fes filles , aùroit en mariage
cent mille livres une fois payées y & de plus les meu-
bles & habits & joyaux convenables à fiUe de roi
de France. La dot des princefles cadetes étoit de
foixante mille livres ^ & le même mobilier.
Après ces difpofitions préliminaires en faveur de Régence
fa famille , le roi régla la forme du gouvernement. i^^^'^-
Il conféra la qualité de régent au duc d'Anjou > l'aîné
de fes frères , lui fubftituant , en cas de mort ou d*ab-
fence, le duc de Bourgogne, fans faire aucune men-
tion du duc de Berry 5 qui auroit dû précéder celui
de Bourgogne par droit de naifiance; mais la con-
duite de ce prmce l'avoit rendu fufpeâ. Ancienne-
ment les lettres , tant de jufHce que de grâce , étoient
expédiées au nom des régents ou^ régentes , & fcélées
de leurs fceaux particuliers. Cet ufage fubfifhi jufqu'k
la régence de Louife de Savoie , mère de Franbois 1.
Toutes les lettres de juftice furent alors publiées au
nom du roi , & revêtues de fon fceau , à la diférence
de celles de grâce ^ui étoient expédiées au nom de
la régente; diftinâion^i/i ne fe jit pas fans raijon ^
pour montrer^ dit du ïillet, que la. jufttce efi efiiniéc
(a) La valeac da marc d'argent étoit alors de cent (bas tournois ; ainfi cet
ïotixe mille livres monteioient anjourd'hui à cent Tipgt millç Uyiç»> le maïc
4'argent étant à cin<^iiante liyres.
<4i) QiMac cent miUc UTxts dç notre monooiCf
47* HisTOiuK DB France,
toujours durer en ce royaume ^ /bit le rot morts prîî
Aiin. XJ74. ou abfeîit; aujfi les lettres de jujîice expédiées du temps
i d^un roi défunt , font exécutées au règne de fon fuccef^
feur y tandis que les lettres de grâce ou de "comman-
dement ceffent d'avoir leur éfet avec le pouvoir de
celui qui les a données , à moins que celui qui fuccede
ne les confirme. Le premier prince , adminiftrateur
pir*^/ ''^^*' * de TEtat au -lieu du roi, qui prit le titre de régent
frajfuitr. j^ roya;ime , fut Philippe -le -Long pendant la grof-
feffe de la reine Clémence fa bele*^fœur, veuve de
Louis Hutin. Le roi , en donnant au duc d'Anjou
l'adminiftration du royaume pendant la minorité de
fon fils , aporta quelques modifications à l'autorité
de cete placç qui jufqu'alors.avoit été illimitée. Une
des conditions entr'autres fut de ne pouvoir faire
aucune aliénation, fous quelque prétexte que ce fût.
Le duc s'engagea par ferment à fuivre çn tout les
intentions de fa majefté (a).
(a) Comme l'hiftoire ne nous a fourni jufqu a jprëfent aucun monument ie
Çjcte efpece , il ne fera pas inutile de raporter ici la formule du ^ferment que
prêta le duc d*Aiiiou dans la fainte chapele du palais. Cete pièce curieafe par
elle-même eft effenciele pour la connoiflance des conftitutions fondamentales
de noue monarchie. Elle étoit conçue en ces termes : » 7e Loys duc d'Anjou
9> & de Touraine , jure fur les faints évangiles de Dieu & fur les faîntes re*
99 liques ci ptéfentes par mon ferment & par ma loyauté , qu^fi monfeigneur
M le roi , ce que Dieu ne veuille , mouroïc avant que mon très chier fcigncar
M & neveu monfeigneur Charles fon aîné fils fut entré au quatorzième an
M de fon âge y je garderai > gouvernerai , 9c défendrai le royaume & les bons
M fujets d'icelui. loy arment , juftement & raifonnablement , & au plus hono*
a^ rablen)ènt fie prpfitablemenc que je pourai & fçaurai , au bien , honeur 8c
99 profit de moodit feigneur & nçvçu ledit aine nls de monfeigneur le roi,
^ comme fpn héritier & Aicceftur , lors vrai & droiturier roi de France , &
».audi garderai" & défendrai le domaine » les noblefles , droitures & fei-
u gneuries d'icelui toyaume contre, tout homme vivant fans, en rien aligner ,
M ne foufrîr' être aliéné par quelconque manière , ne pour quelconque eau*
3» k /couleur ou ocafion que ce foit , & à ladite garde & défenfe mettrai
>> ^ expofer^i ma perfonne & tous mos bien$ , meubles Se non meubles ,
9* toutefois que befoin en fera , tout auffi comme je ferois ou «faire dcvrois
9i pdur nion ptdftt héritage , 6c fci^î faire aux grands Se aux ' petits , fans
w acception de perfonne , raifon Se juftice. Tiendrai le royaume Se tous
« les lujets d'icçlui cp bonne p^ix tout le plus que je pourai*, & les garderai
V de toute ma piiiflancp d'être pillés, roh^s, grevés ou pprknés, âc'oemet^
» trai le royaume en noùvêle guerre que je ne le puifie éviter durant la
I» tçmps de mondit gouYernemenc par quclcooq^ue loi oi| m^erc que ce foie j
Le
Charles V. 473
Le régent difpofoic fouverainement de tout fans être ^ ; '
obligé de rendre compte de fon adminiftration , lorf- Ann. 1574.
3ue fon pouvoir expiroit. Le roi qui vouloit reftrein- ^r^l^f ^réJ
re, autant quil étoit poffible, Tautorité qu'il con- gcncc/ *^'
fioit à fon frère , donna par fes lettres , datées du /«<&«.
même mois, la tutele de fes enfants, & le gouver-
nement des finances de TEtat à la reine fon époufe ,
aflîflée des ducs de Bourgogne & de Bourbon , fubfH-
tuant ces deux princes k la reine , s'il arivoit que par
la mort de cete princeffe , la tutele n'eût pas lieu. Il
ordonna en même -temps que ce qui refteroit des
revenus du royaume , les charges aquitées , feroit dé-
pofé entre les mains du feigneur Bureau de la Rivere,
premier chambélan , pour être remis au roi , lors-
qu'il feroit majeur. Par ces mêmes lettres il forma
pour la reine tutrice , & les deux princes fes frères ,
un confeil compbfé dts archevêques de Reims & de
Sens, des évêques de Laon, de Paris, d*Auxerre &
d'Amiens , des abés de Saint -Denis & de Saint-
Maixant^ du comte de Tancarville , chambélan de
M Se avec la loi & les ordonnances faites par mondit feigneur le roi fur Ta-
» gemenc des aines fils de lui & de fes fuccef&ars rois de France , fur le
» douaire de madame ma très chi ère dame madame la royue de France, femme
»> de mondit feigneur , fur la tutele » garde & gouvernement de mon très chiec
a' feigneur & neveu (on ain^ fils , 8c de mes autres neveux & nièces fes enfants,
» Se fur If partage ou apanage d'iceux » fur la garde Se déppc des joyaux ,
» vaifTelle , monnoie d'or & d'argent , pierreries , & de tous autres biens , meu-
»• bles que mondit feigneur le roi auroit au jour de fon trépaflement , Se aufli
M des meubles qui vLendroient des rentes» revenus» profits & émoluments do.
•» royaume durant le temps que j*en aurai le gouvernement , Se fur le fait de
*y fon tcdament ou dernière volonté , lefqucles loi , ordonnances Se tedament'
» j*ai oy lire de mot à mot , & me tiens pour pleinement enfourmés » Se bien
a» acertainés ^es chofes contenues en icclles » je tiçndjai , garderai Se acom*
» plirai ^ ferai tenir , garder Se acomplir de point en point lelon leur fourmq
•> Se teneur , rialment Se de fait , loyaument Se véritablement , fans fraude ,
n barat , déception » are , caùtile ou malcngin , ^ ne ferai , oirai ou veendrai,
3> ne foufrirai faire , aler pu venir à Tencontre par moi ou par autres tcnc-
y> ment "^ ou exprclTéllient , diredement ou indireâemcnt , publiquement ou '^ taciumcAti
»» ocultement, poar*queicouque cajufc , couleur ou ocafion 6c par quelconque
w voie ou manière que ce foit , Se ainH je le jure & promets fur les faints
9» évangiles & reliques defTufdits , par ma chrefticnté » le baptcfme que je pris
»3 fur les fonds , & par ma part de paradis. Ainfî me veuille Dieu aidier Se les
?» faintes évangiles & reliquçs ci préfent^ç '«.
Tome V. O p o
474 HisTOiRE<DE France,
■ : France , ou de celui qui lors le feroit , du connétable
Aun. x')74. du GuefcUn y de Jean comte de Harcourt , & de Jean
comte de Sallebruche , bouteiller de France , de Si-
mon comte de Brenne, d*Enguerrand fire de Coucy,
d'Olivier de Cliffon , des feigneurs de Sancerre & de
Blainville , maréchaux de France , de Raoul de Rey-
neval , pannetier de France , de Guillaume de Craon
& de Philippe de Maizieres , de Pierre de Villars^
grand-maître de Thôtel du roi & garde de Toriflâme ,
de Pierre d'Aumont & de Philippe de Savoifî , cham-
bélans , d'Arnaud de Corbie & d'Etienne de la Gran-
ge , préfîdents au parlement y de Philbert de TEfpi-
nafle, Thomas de Boudenay & Jean de Rye, che-
valiers, de Richard doyen de Befançon^ Nicolas Du-
bois & Evrard de Tramagon, confeillers, de Nicolas
Braque , Jean Bernier , Bertrand Duclos y Philippe
d'Augier , Pierre du Chaftel & Jean Paftourel , maî-
tes des comptes, Jean le Mercier, général des aides,
Jean d'Ay , avocat au parlement , & de fix bourgeois
de la ville de Paris , au choix de la reine & des
princes. Ce confeil de tutele , dans lequel entroit ce
qu'il y avoit de plus illuftre des trois ordres du royau-
me , étoit bien capable de balancer la puifTance du
régent, pour peu qu'il voulût en abufer. Ces difpo-
fitions furent confirmées par les ferments de la reine,
des princes , des feigneurs , des prélats , & des ofi-
ciers qui dévoient contribuer à en maintenir Texécu-
• lion. Les ferments quils prêtèrent à ce fujet furent
conçus à-peu-près dans les mêmes termes que celui
du duc d'Anjou pour la régence.
On voit dans ces deux ordonnances des veftîges de
Tufage pratiqué de toute ancienneté en France, ou
l'on admettoit deux fortes d'adminiftration , dont Tune
étoit uniquement relative à la perfomie du roi, &
l'autre au gouvernement du royaume ,' comme dans
les loix féodales on diftinguoit la tutele , qui n'avoic
pour objet que la perfonne du pupile, de la baiïïic
qui rentermoit la garde & le gouvernement de la
H A R £ £ s V. 475
terre. Blanche , mère de faine Louis , réunît la pre-
mière ces deux titres que Ton diftingua toujours, mais Ann. 1574.
qu'on ne fepara jamais depuis Charles V. Au-refte , ^^rég.chron.
l'événement trompa les elpérances du roi. Ces or- ^ ^^''^' p- ^ '^*
donnances eurent le fort de la plupart des difpofi-
tîons projetées par les hommes. La mort de la reine
fit avorter l'arangement pris pour la tutele , & Tédit
concernant la majorité rencontra des obftacles dans
1 ambition & la méfintelligence des princes ; & quoi-
que Charles VI , parvenu en âge , Teût confirmé , ce
ne fut que long -temps après, que cete conftitution
aquit ennn la force d'une loi fondamentale.
Les plénipotentiaires des deux couronnes recom- Ann. ijj;.
mencerent les conférences , ainfi qu'ils en étoient de-
meurés d'acord avant leur féparation. Il y eut quel-
ques contcftations' fur le lieu où les négociations dé-
voient fe traiter. Les députés du roi de France refu-
ferent d'aler à Bruges , & réitèrent à Saint-Omer. Il
paroît que ces dificultés furent ocafionnées par Tobfti-
nation au duc cl'Ânjou qui devoit aflifter aux confé-
rences ; car il perfifta dans la réfolution de ne pas s'y
trouver, tandis que le duc de Bourgogne, le comte
de Sallebruche , les évêques de Beauvais & d'Amiens
s'y rendirent. Les agens du roi d'Angleterre étoient
toujours les mêmes , à la réferve du duc de Bretagne
qui fe joignit à eux. Ce congrès fut auffi infruftueux
que lavoit été le précédent. La trêve fut feulement
prorogée jufqu'à la Saint- Jean -Baptifte de l'année
fuivante ; c'eft tout ce que purent obtenir les légats
du faint fiege. Les prétentions réciproques étoient trop
opofées pour qu'il fût polïible de les raprocher. Le
roi de France demandoit la rèftitution de la fomme
de quatorze cent mille livres qu'il avoit aquitée pour
la rançon du roi fon père , & de plus il exigeoit que
les fortifications de la citadele, ainfi que de la ville
de Calais , fuflent démolies. Les Anglois de leur côté
infiftoient fur le tranfport abfolu de la fouveraineté
dç la Guienne , fuivapf les termes du traité de Bré*
O o o i j
47^ HlSTOlRfi DE F^AÏTCE,
»' tigny ; & prétendoient qu'on leur rendit les places
Anik 137;. qui leur avoient été enlevées dans cete province. Le
roi , de lavis de fon confeil , déclara ne pouvoir acor-
der ces conditions , dircclcmcnt contrains au ferment
qu^il avoit fait à fon avènement à la couronne.
Quoique l'Angleterre formât des demandes qu'elle
n'auroit pas dû le flater d'obtenir , quand même elles
auroient été apuyées par une armée viâorieufe , il
s'en faloit beaucoup cependant aue fon état aâuel
répondît à la hauteur qu'elle afeaoit. Une guerre fi
longue l'a voit épuifée d'nommes & d'argent : elle étoit
privée de fes meilleurs capitaines : elle touchoit au
moment de pleurer dans la mort du prince de Galles
la perte du héros de la nation : une vie aâive pafTée
dans le tumulte des armes y ou l'embaras des afaires ,
avoit confumé la fanté de fon roi : il reflentoit déjà
Tabatement d'un vieillefle anticipée. Edouard an-mi-
lieu de tant de difgraces cherchoit à fe confoler de
fes chagrins publics & domeftiques jians le fein des
plaifirs de l'amour , amufements qui paroiiToient peu
convenables à fon âge. Ce prince , dit - on , devint
amoureux d'une demoifele d'noneur de la feue reine
fon époufe, il avoit alors plus de foixante ans. Cete
paffion remplit les dernières années d'une vie dont
jufqu'alors l'ambition avoit paru ocuper tous les mo-
ments. Le peuple mécontent d'ailleurs , ne put lui
{)ardonner cet atachement. Un roi triomphant eft
'idole de fes fujets, quand niême il les acableroit du
poids de fa gloire. Une guerre malheureufe fufit pour
renverfer les autels qu'on lui avoit élevés dans la
profpérité. la flaterie l'avoit placé au-deiTus des mor-
tels : la baffe malignité, rimpofture, l'ingratitude fe'
déchaînent contre lui, l'outragent, déchirent fa répu-
tation : on oublie fes vertus , on lui fait un crime d'une
foibleffe que le dernier & le plus inutile des hommes
ofe fe croire permife. Le magnanime Edouard fit
cete trifte épreuve : il dut aprendre qu'il faut être
heureux pour obtenir la faveur de la plus nombreufe
C H A R L E s V* 477
partie de Pefpece humaine , ou plutôt il aprit Teftime ^ ' "'
qu'on doit en faire. Le roi d'Angleterre <lans un par- ^^^ ^^75*
lement qui le tint à Londres , dem4||da un iiibiide
pour la continuation de la guerre. La nation faîfît
cete circonftance pour marquer fan mécontentement
de Tadminiltration préfente. On foupçoijna le prince
de Galles d'avoir fous main fomenté cete réfiftance.
Ce prince qui fentoit aprocher fa fin , craignoit pot«
le Jeune Richard fon fils, l'ambition du duc de Len-
canre , qui jouïflbit alors de la plus grande faveur
auprès du roi. Le parlement , avant que d'acorder le
fubfide , préfenta au monarque une adreffe pour le
prier d'éloigner de fa perfonne quelques miniflres
qu'il lui nomma; mais fur- tout le duc de Lencaftre,
& Alix Pierce ou Perers (a) , c'étoit le nom de la
maîtrelTe d'Edouard , qui fut. obligé de céder aux
înflances de Taflemblée. Cete dame , difent quelques
hiftoriens , » étoit acufée d'aler dans les cours de ^^^^l^^^'^'
V juflice , de s'afleoir fur le tribunal avec les juges , ^' '^^^^
» & de leur diâer les jugements. On lui reprochoit
» de fe tenir près du chevet du lit d'Edouard dans le
yy temps que les courtifans atendoient à la porte de
yy la chambre w. Quelques autres écrivains fe font ata-
chéis k juftifîer Edouard , qui peut-être dans cet ata-
chement n'envîfageoit que les douceurs innocentes de
la fîmple amitié (b). Au furplus , cete liaifon nous
donne lieu de placer ici le récit d une fête .qui peut
fervir à donner aux lefteurs une idée de la galanterie
qui régnoit alors. Alix étoit fi belc , qu'elle fut créée
dame du foleil. Le roi célébra l'illuflration de fa
favorite par une pompeufe cavalcade. On vit le mo-
(a) Hapin Tboyras la nomme Alix l^icrce : les tiifioriens Erpagnols qui
difent que cete demoifcle ëtoît de leur nation , lui donnent lé nom d Perers.
Elle eft nommée de même dans Rymer , où Ton trouve une lettre du roi
qui lui donne quelques bijoux qui avoient aparienu à la reine. Vide Rap, Th*
Ferr, Rym, aâ. publ. tom, 3 , pag. tj.
(tf) Ils s*apuient • pour cete judifidation C\it ce que Guillaume Baron de
^indfor , après la mort d'Edouard 5 ne fit aucune dificulté d*£poufec Alix*
C eft aux Icâcnrs à juger du mérite de cete preuve.
47^ Histoire de France,
: naxque & la dame montés fur un char de triomphe:
Ann. XJ7;» ils étoient fuivis par un grand nombre de dames de
la première d^naion, dont chacune menoit un che«
valier a taché au frein de fon cheval. Cete troupe fu-
{>erbemeut parée , marcha dans le même ordre depuis
a tour de Londres jufqu'à une des places principales
de la ville , où Ton commença un magnifique tournoi
qui dura fept jours , probablement en Ihoneur des.
lept planètes. Cete fête difpendieufe , qui fe donna
en 1374 , prefque dans le même temps que le roi
demandoit un fubfide , fembloit en quelque forte au-
torifer les murmures du peuple.
Edouard cependant, malgré les obftacles qu*il rcn-
controit dans rafeâion de fes fujets , paroiflbit n'avoir
pas perdu de vue le projet de rentrer par la force des
armes dans la pofleffion des provinces qui lui avoient
Rymer^ cêi. été eulevécs çn Aquitaine. Il fit foliciter fecrétement
puS. tom. î , le cojnte de Foix d'entrer dans fon aliaace. Pour cet
Pf''^^i' ^fet il envoya des agents avec un plein pouvoir de
traiter avec ce feigneur , fe flatant que l'inimitié qui
fubfiftoit depuis long-temps entre la maifon de Foix
& celle des feigneurs d'Albret & d'Armagnac , dé-
termineroit le comte k s'unir avec TAngleterre. Cete
négociation fut fans éfet, foit quelle n'eût pas été
ménagée avec afiez d'adreffe , foit que Gafton préférât
fa tranquilité aux avantages qu'on lui ofroit.
Les nou vêles intrigues du roi de Navarre n'eurent
pas un fûccès plus favorable pour 1 Angleterre. On
doit toujours s'atendre à découvrir quelque perfidie ^
lorfqu'il eft queftion de ce prince , dont le nom feuî
femblç annoncer les crimes. Les foibles liens qui
pouvoîent Tatacher au roi , étoient ronipus par la
mort de Jeanne de France fon époufe. 'Depuis piqs
d'une année il avoit envoyé çete princefle en France
fous prétexte de manager fes intérêts auprès du roi
fon frère. Jeanne vint d'abord à Montpellier avec
Pierre comte de Mortain , le fécond de ks enfants.
Après avoir féjourné quelque çemps dans cete ville.
Charles V. 479
elle en partit pour fe rendre k Evrerix, où elle mou- ^ -
rut Tannée fuivante. On foupçonna le roi fon époux ^^^* ^5^^.
de Tavoir fait empoifonner. Le trépas imprévu de cete
reine , qui expira fubitement dans le bain , ocafionna
ce foupçon injufte ou légitime. On intérogea les per-
fonnes qui IV prochoient , & la feule réponfe qu'on
put en tirer fut , gu^elU étoit morte pour avoir été ^roc^s MS.
mal gardée. S'il eft vrai qiie fa mort n'ait pas été na- l^arreJnt^.Ve
turele y les miniftres du roi de Navarre qui pour lors F. du Tertre.
étoient à Evreux , étoient trop intérefl'és à ce myftere M^im^deLitr
pour ne pas l'enfevelir dans un profond oubli; Ils fe
raflemblerent au moment que cet accident fut di-
vulgué. Les dames & demoifeles de la princeffe furent
apelées , ainfî que les autres oficiers de fa maifon :
on leur fit prêter ferment : on dreflk un procès verbal
Qui ne contenoit autre chofe que la dépofition d'une
ne {ts femmes apelée Margot de Germonville. Cete
femme déclara que la reine étoit morte de foiblcjfe
de cœur. La voix publique acufa dans le même temps
Charles - le - Mauvais d'avoir fait pareillement empoi-
fonner Charles de Navarre comte de Beaumont fon
fils aîné ^ & le cardinal de Boulogne qui mourut en
Efpagne. Ces^'forfaits ne furent point avérés : mais
quele étoit Thorrible réputation de ce prince, puif-
qu'il fut réduit à fe juftifier auprès de fa fainteté de
la mort du prélat ? Grégoire Al qui ocupoit alors
le faint-fiege , lui^ répondit » qu'il ne pouvoit croire
jy qu'un prince qui joignoit les fenciments de piété aux
5> vertus royales , eût été capable de faire mourir un
yy prélat qui étoit fon ami ; que d'ailleurs ayant in-
yy térogé les oficiers de la maifon du cardinal y ils lui
^y avoient atefté qu'il étoit mort de maladie & non
» de poifon.
Le Navarrois étoit toujours agité par les mouve-
ments d'une haine irréconciliable contre le roi , fenti-
ments furieux qu'irîtoit encore la profpérité du royau-
. me. 11 crut avoir trouvé une circonftance propre à
fatisfaire cete inimitié dans un démêlé qui fuirvint à la
480 Histoire dk Franck,
■ ' cour de France. Le roi avoic demandé à Philippç
Ann. n7;. d^Alen^oH prince du fane de la branche puînée de
la mailon de Valois , archevêque de Rouea , un ca-
nonicac de fa cathédrale pour un écléfiaftique qu'il
procégeoic. L'archevêque le refufa : Charles irité de
ce refus, cédant peut-être en cete ocafion un peu
trop facilement à fa colère, fit faifir le temporel du
prélat. Philippe encore plus indifcret mit le royaume
de France en interdit & fe réfugia auprès du pape.
Non content de cet éclat, il chercha les moyens de
fe faire un parti daps l'Etat par Iç crédit de fa mai-
fon , qui étoit très puiffante {a). Les ennemis du roi
étoient sûrs de trouver dans le roi de Navarre un
partifan toujours difpofé k féconder leurs projets* L'ar-
chevêque lui envoya propofer de former une liguç
avec lui contre le roi de France : il fe vanta publi-*
quement dçvant les agents du roi de Navarre que
2hU. interr. combien qu^U fut clerc , // s^ armerait en fa perfonne ,
^/tfjtfw du Çf r^ mettroit Ji avant en ladife guerre comme chevalier
qui y fût. Le prélat aveuglé par fon reffentiment , nq
trouvoit aucun obftacle capable d'arêter la vengeance.
Il fe flatoit de difpofef deç places de la comtefie d'A-
lençon fa merç , du comté du Perche : il ne défefpé-
roit pas inême d'engager dans fon parti le comte
d'Aleqçon ^ le comte d'Etampes. Si l'exécution de
ce projet eôt été auffi facile que larçhevêqye fe le
figuroit , il eft certain quç le gouveirnepient fe fe-
(fl) Philippe d*Alcnçon étoît pctit-fils de Charles comte de Valois fircrc de
quîlée ,. cardinal , & moarat à Rome en pdeur de fainceté. Le peuple prétendit
qu'ayant jk iiprc^ fon trépas , il avoit opéré plufienrs miracles. A peu pni<
vers, le même temps que l'archevêque de Rouen eut ce démêlé avec le roi ^
Charles d*Alcnçon fon frcrc aîné , qui , ainfi ouc lui , s'étoit engagé danç les
ordres facrés , & avoit été pourvu de Tarchcvêché de Lyon , eut une quetclc
très-vive avec le roi , au fjijet de la j^rifdidion de la ville de Lyon : le teai-
porcl de fon archevêché fut faifî ; mais plus modéré quç fon frère , il fc coii-
tcnta d'excommunier le bailli de Mâcon , & de mettre la ville de Lyon en in-
terdit, Hifi. des card. Hift d'A/enfon. Wfi. de Lyon, Gali. chrifi. Hift. génial.
fU 1(1 mai/on de Franc f^ &ç.
roit
C H A R L K s V. 481
roît trouvé dans une conjonâure embaraflantc par !
la divifîon de la famille royale ; mais lorfqu'il fut Ann. 137;.
queftion d'éfeâuer fes magnifiques promeffes , l'ar-
chevêque ne trouva pas les princes de fa maifon dif-
pofés à entrer dans fes vues : il fe vit contraint de
renoncer aux efpérances imaginaires dont il avoit flaté
la malignité du roi de Navarre , qui par deux fois
renoua la négociation y qu'à la fin il abandonna y re-
connoifiant que le prélat n*avoit à lui ofrir que les
é€orts inutiles d'une haine impuiffante.
Charles-le-Mauvais que rien n'étoit capable de re-
buter , entreprit alors de renouer avec TAngleterre.
Il avoit quelque temps auparavant conclu avec Edouard
un traité qui n'eut point d'exécution , parce que le
prince de Galles ne voulut pas le ratifier. Il devoit nu
venir à Cherbourg pour être plus à portée de con- toZ^jL!^',
clure une aliance avec les ennemis de l'Etat , defquels
H obtint plufieurs lettres de fauf- conduit pour difé-
^ rentes provinces où il forma fucceflîvement le projet
de fe rendre. A la fin il parut fixer fon indécifion en
s'arêtanc au deffein d'envoyer un agent à Londres. Le
prince de Galles, qui avoit toujours paru éloiené de
cete aliance , fe rendit à la fin , & le miniftre Nava-
rois revenoit vers fon maître avec les articles du
traité , lorfque le vaiiTeau qui le tranfportoit des côtes
d'Aneleterre à Baïonne , périt dans le trajet. Ainfî
Charles ne pur aprendre pour - lors le fuccès de la
négociation, & le gouvernement Anglois fut peu de
temps après ocupé d'afaires d'une autre nature par les
changements qui furvinrent. ^
Tandis que les médiateurs nommés par le faînt Mortduprîn-
ficge défefpérant de parvenir à procurer une paix fo- ce de Galles.
lide , de concert avec les plénipotentiaires , employoient
tous leurs éforts k prolonger la fufpenfion aes hofti-
lités; un héros , Thoneur de fon fiecle, l'apui de l'An-
gleterre, le prince de Galles rendoit les derniers fou-
pirs dans le palais de Weftminfter , laiflant fon père
êc la nation inconfolabLes de fa perte. Il fut fan<
Tome F^ ^ P?
4^2 Histoire de France,
, .: contredit un des plus grands hommes que rAngleterre
Ann. 1375. ait produits. Intrépide à la tête des armées , terrible
dans le combat , toujours vainqueur , afable & mo-
defte après la vidoire, généreux, libéral, jufte apré-
ciateur du vrai mérite , ami du genre humain ; jamais
Téclat que tant de fublimes qualités réuniflbient en fa
perfonne , ne lui fit oublier fes devoirs : fon pcre
n'eut point de fils plus refpeâueux , plus fournis,
f>Ius tendre. Les Anglois le pleurereno univerfélement:
eurs d'efcendants rendent encore aujourd'hui hommage
à la mémoire de ce. digne prince : il emporta même
au tombeau les finceres regrets de' la nation Françoife ,
qui fçait eftîmer & refpeaer la vertu jufque dans fes
ennemis. On Tapeloit le prince noir parce qu'il .por-
toit des armes ordinairement de cete couleur. Il mou-
rut à 1 âge de quarante-fix ans. Le parlement d'An-
gleterre affilia en corps à fes funérailles, qui forent
faites dans l'églife de Cantorbéri qu'il avoit choifie
pour le lieu de fa fépulture. On ne lui rendit pas
de moindres honeurs en France. Le roi fit célébrer
dans^ Péglife de la fainte Chapele du palais k Paris ,
un fervice funèbre, auquel il voulut amfter luî-mêroc,
acompagné de tous les grands du royaume.
La mort du prince de Galles ocafionna divers mou-
vements qui agitèrent la cour d'Angleterre. Edouard
deftinoit pour le remplacer fur le trône le jeune Ri-
chard que le duc de Lencaftre auroit bien voulu
exclure : on aléguoit même des prétextes afTez plaufi-
bles de cete exclufion. Jeanne de Kent princefTe de
Galles, qu'on apeloit communément la belle Jeanne,
avoit époufé en premières noces le comte de Salifburi:
elle vécut fix années dans ce mariage» Le comte en-
fuite fe fépara d elle , fur ce qu'il aprit qu'elle avoit
Grandi ckro- ^^^ fiancée auparavant k Thomas de Holland gui mime
nique. V avoit connue charnélement. Elle fe remaria immé-
diatement après cete féparation au comte de Hplland ,
& devenue veuve elle s'unit avec le prince de Galles.
Le comte de Saliiburi fon premier mari vivoic en-
Charles V. 483
core , & ce mariage n'avoir point été caffé. Cetc ■
irrégularité pouvoit rendre équivoque la légitimité des Ann. 1575-
fsnfants qu'elle avoit eus du prince. A ces motifs on
en ajoutoit d'autres plus injurieux à la réputation
de cete princefle. On Tacufoit d'avoir employé l'ar*
pfîce pour fe faire aimer du prince de Ctalles, qui
même , difoit-on , quelque temps après Tavoir épou-
fée, voulut la répudier, fe failant un fcrupule de la
parenté qui étoic entre elle & lui. On répandit alors
dans le public, que pour éviter Tafront d'être renvoyée, * .
elle immola fa vertu au deiir de devenir mère , & que les
çnfants qu'elle avoit mis au monde depuis qu'elle étoic
princefle de Galles , étoient les fruits d'intrigues cri*
mineles. La médifance autorifée par ces bruits, pu-
blioit ûué Richard étoit fils d'un clerc ou d'un cna*
noine ae Bordeaux. Pour acréditer ces odieufes anec-
dotes, on obfervoit qu'alors il y avoit toujours dans
le palais du prince aes clercs ou des chanoinls moult Froijfard.
jeunes & beaux. Ces imputations bien ou mal fondées ,
qui dans la fuite contriouerent à la perte de Richard ,
ne produifirent pour-lors aucun éfet. Le duc de Len-
caftre eflaya inutilement de les faire valoir auprès du
roi fon père. Edouard ne voulut rien entendre de ce
qui pouvoit blefler la mémoire d'un fils qu'il avoit
tendrement aimé. Les Ânglois refpeâoient clans le fils
an prince de Galles Tidole de la nation. L'ambitieux
Lencaftre , après de vains éforts , fut obligé de dévorer ^^^rj^^^
Ton mécontentement fecret. Richard fut une féconde fois
idéfîgné fuccefleur d'Edouard dans une aflemblée du
}>arlement , où revêtu des ornements royaux , il reçut
es ferments des princes fes oncles , ainfi que de la no-
blefTe & du peuple Anglois. Il fut reconnu prince
^e Galles , & fait enfuite chevalier de J'ordre tle la
Jaretiere.
Il s'éleva vers ce temps un démêlé très vif «entre Hérëriqncs
les oficiers royaux, & les inquifîteurs de la foi. Le ^"J^^y"/^V
Dauphîné nouriflbit encore dans fon fein un refte.des xom/iô. "'*
anciens Vaudois qui parurent alors vouloir ran^mor
Pppij
484 HiSTOIftE DE FrAIÏCE,
' les débris de cete feâe, que la perfécurion & la fé-
Anif. 1575. vérité des fuplices ne purent jamais entièrement aboUn
Les hérétiques répandus dans cete province & dans
la Savoie, commirent plufieurs défordres. Ils mafia-
crerent quelques inquifîteurs jufque dans les maifons
des Freres-Prêeheurs , qui étoient aloi*s les plus ardents
minières de ce redoutable tribunal. Le pape informé
de ces excès , écrivit au roi & au gouverneur du Dau-
phiné , pour les engager à réprimer les entreprifes
des rebeles au faint Ofice. Un évêque Italien & un
Frere-Mineur , grand iilquifiteur de Vienne , vinrent
armés d'amples pouvoirs pour punir les coupables.
On en arêta un fi grand nombre , que bientôt les
prifons ordinaires furent trop étroites pour les con*
tenir : il falut en conftruire de nouvetes. Les juges
procédèrent fans relâche aux procès de ces malheu«
reux ; mais ils rencontrèrent des obftacles à Texécu-
Rtgift.de là tion de* leuTS jugements. Ils étoient dans Tufage de
listes 'de ^^^^^ abatre les mailbns des condanés, & de s'em^
Dauphiné. parer dune partie de leurs biens, ne recevant pas,
Recœuii des difoient-ils , d'autres falaires de leurs travaux pour le
maintien de la foi. Les oficiers Céculiers portèrent
leurs plaintes au roi de ces deftruâions & de ces
faifies. Sa majefté s'adrefla au fouverain pontife lui-
même , qui ordonna cu'à l'avenir les maifons des
{)rofcrits ne feroient plus renverfées , k moins que
*énormité de leurs crimes n'exigeât qu'on enfevelît leur
mémoire fous les débris des lieux qufils avoient ha*
bités. Sa fainteté défendit de plus que dorénavant les
inquifiteurs fe 'payalTent par leurs mains des gages
qu'ils prétendoient leur être dûs , en s'adjugeant ht
propriété des biens dont la confifcation apartenoit de
droit aux feigneurs temporels. Le roi chargea le gou>-
verneur du Dauphiné de veiller loigneufement à Texéf
cution de ce fage règlement, qui mettoit un frein à
la cupidité, en retranchant les apas des confifcations.
Les falaires des inquifiteurs furent fixés à cent quatre^
vingt -dix livres par an, qui dcvoieat leur être payés
C H A R t E s V. 48^
k ptoportioD du temps qu'ils emploieroienc k rinftruc- ■
tion du procès. Le pape, qui vouloii rendre ces frais ^"*^- 'J^^
encore moins onéreux au domaiûe, ordonna que dans ^f^^'^'lf'
les cinq provinces d* Arles , d*Aix ^ d'Embrun de •*^*^-***
Vienne & de Tarentaife , on leveroic pour une feule
fois quatre mille florins d'or , & huit cents florins
par an pendant le cours de cinq années^ à prendre
cete fomme fur la reftitution des biens mal aquis &
fur les legs incertains.
Tandis que la jurifdiâion des înquîfiteurs féviflbit Prorogatiôt*
. avec rigueur contre les hérétiques , les Juifs jouïflbient ^o.^<^jo«w <ic<
d'un état paifible à l'abri de leurs privilèges , & de "j^^yj,^ ^^,
la proteftion du fouverain. Depuis la permiflion qu'ils charurtg.^U^
avoient obtenue fous le règne précédent d'habiter en Mti^
France pendant vingt années, le roi leui^ a Voit acordé -uti'xôt!^^^
une prorogation de fix ans. Cete grâce venoit encore hid. \is,
d'être augmentée d'un nouveau délai de dix années. ^'^'^'
Le féjour de la France étoit fi avantageux à cete n2L^ ordonnances ^'
tion aâive & induflrieufe > qu'elle s'emprefToit d'élôi- voL ri.
fner , autant qu'il étoit poffible , l'époque de fa retraite. ^" ^''^''*
lie aquéroit chacun de ces renouvélemens au poids
de l'or. Les impositions les plus fortes n'étoient pas
capables de la rebuter. Les Juifs étoient fi. riches,
que dans plufleurs provinces , entr'autres dans le Lan>
guedoc , ils compoierent avec. le roi, & aquiterent
d'avance une partie des taxes auxquels ils étoient
aflujétis pour tout le temps qu'il leut étoit permis de
fixer leur domicile dans le royaume. Ces compofi-^
tions , qui ne paroiflbient point à la charge du peu-
})le , remplîflbicnt les cofré^ du foi de fommes eon-^
idérales ; mais leur féjour produifoit un inconvénient ,
auquel le gouvernement ne faifoit pas alors aflez
d'atention. Comment n'apréhendoit-ôn pas qu'une peu-
plade d'ufuriers privilégiés , dont le trafic illicite étoit
autorifé , n'introduisit a la fin cfans le royaume la foif
injufte des richefles , & à îa longue l'habitude de fe
croire tout permis pour y parvenir?
£ft*il avantageux pour un fouverain d'acumuler des
4^^ Histoire de France^
'■ tréfors? Les richeffes d'un Etat font-elles mieux pla-
Ann. IJ7J. ç^^^ ^^^^ Tépargne du prince que dans les mains de
la nation ? L'exemple de deux de nos plus grands
rois , Charles & Henri , paroîtroit devoir décider la
queftion ; fi ce problême pouvoit être réfolu par des
exemples. Les Etats généraux & particuliers des pro-
vinces avoient acordé la levée de diférents fubudes
pour les frais de la guerre. Les hoftilités étoient fuf-
pendues : le roi avoit licencié une partie de fes trou-
pes ; cependant les mêmes impomions fubfifterent.
Les dificultés que Charles avoit éprouvées avant que.
de monter fur le trône , juftifioient en quelque forte
la défiance qui Pengageoit à ménager des tonds de
réferve, dans la vue de ne les employer qu'à propos.
On étoit fi pleinement convaincu oe la fageife du roi ,
. que le peuple y malgré fon penchant à défa prouver
la conduite de fes fupérieurs ^ ne témoigna pas de
mécontentement marqué de la continuation des im-
pôts. Ils n'excitèrent aucun murmure : à juger de la
facilité avec laauelç ils furent aquités » on eût dit
qu'ils étoiçnt l'éret d'une contribution volontaire , plu-
tôt qu'une taxe onéreufe. Il fe trouva même des pro*
vinces ^ tele que le Ponthieu , qui confentirent de
^nne grâce au paiement des aides , quoique leurs
privilèges les en exemtâfient.
Une partie des revenus provenants de ces fubfi**
des y étoit principalement afeâée à mettre fur pied des
fprces capables de rendre la France redoutable à fes
rivaux. Le roi fentoit le befoin que le royaume avoit
tl'une marine puilTante. Cete partie avoit été prefque
entièrement négligée depuis le règne de faint Louis ,
& les ennemis profitèrent long-temps de notre indi*
férence fur un objet aufii important. On ouvrit enfin
les yeux : on reconnut qu'on étoit redevable en parde
des heureufes opérations de la dernière guerre à la
jonâion des Botes Caftillanes au petit nombre des
vaifTeaux que la France entretenoit alors ; mais ces
$Lvaotagçs étoieiit dûs à des fecours écfangçrs , candis
Charles V. 4S7
qii^on pouvoic les rendre moins incertains > en fe les !
procurant foi -même. Un pareil projet demandoit au- Ann. ijy;-
tant d'économie que de confiance y & perfonne n*écoic
plus capable que le roi d*en préparer 1 exécution. Oa
conflraifit par fes ordres, fur les côtes de Normandie,
quantité de bâtiments qui mirent bientôt les François
en état de porter la terreur chez leurs voilins. De fa-
ges règlements pour améliorer & cm pêcher qu'on ne
dégradât les forêts qui FourniiToient les bois de conf-
truâion , étoient une ftiîte nécefl'aire de cete utile en-
treprife. Le confeil rendit pour cet éfet plufieurs
orclonnances dreffées d'après les ra ports dçs réforma-
teurs des eaux & forêts. Cétoit aîhfi que ce monarque
éclairé veilloit fans ceiTe au fein du repos y ôc ne né-
gligeoit rien de ce qui pouvoit intéreiler la fécurité
de ion royaume.
La mort de Philippe duc d'Orléans, décédé fans Mort du doc
poftérité, acrut encore l'étendue du domaine royal (a), p?^*^''"^
f-> •/• I 11 rr R^onion de ce
Le pnnce étoit oncle paternel du roi : ce rut en la duché,
faveur que Humbert fit la première ceffion du Dau- Tré/or di$
phiné, que Philippe tranfporta au duc de Normandie ^*^-'^'^"i>»
Ion frère. Il avoit époufé Blanche de France y fille poft- ^\muU des
hume de Charles -le Bel, princeffe vertueufe & d'un ordonnances.
courage élevé : on la nommoit Blanche ^ancienne. Le ^jl^)nif^
roi Jean, fon beau-frere, lui parloit un jour avec ai- Vrfins^p.ni.
greur. La duchefTe ofenfée des propos du monarque,
lui répartit fièrement , que fi elle eût été homme {b) ,
il ne lui eût oje dire ce qu^il lui difi)it. Elle vouloit
fans doute lui faire entendre que la couronne lui au-
roit apartenu. Le roi immédiatement après la more
du duc , réunit injcparablcment & irrévocablement le
duché d'Orléans au domaine de la couronne , fans que
(a) Les auteurs de THift. gén^alog. de la maifon de France fe (ont trompas
fbr la date de la mort de ce prince , qu'ils placent en i)pi. Les letcKs de
lénnion du duché d*Orléans au domaine font du mois de Septembre 1573. Le
duc Philippe mourut le premier de ce mois. Recœuil des ordonnances j t. ^U
( b ) Juvénal des Urfins qui raporte ce trait , met dans la bouche de cete
princefTe une ezprcÂioa mâle que la naïveté du langage de fon ficelé pouTaû
autorifcr , mais capable d'éfaiot&cbcr la délicateflc du nôtre.
Histoire de Frawce,
- lui ou fes fucceffeurs puffent l'en diftraîrc àl*avenîri
Ann. 1375. pour quelque caufe que ce fût. Dans les lettres qui
rejoignent cete province au patrimoine royal , il eft
exprefTément marqué que cete grâce avoit été acordée
fur les repréfentations des habitants ^ qui remontrèrent
que de temps Immémorial ils avoient été fous la do-
mination des rois de France > & aue Philippe étoit le
premier prince qui avoit poffédé le duché d'Orléans à
titre d'apanage ; que leur capitale étoit le féjour d'une
des plus floriflantes univerfités,*& que la ville d'Or-
léans avpit toujours été regardée par nos rois comme
leur chambre (a) de prédileSion. Nous vèrons après la
mort du roi cete réunion avoit le même fort que
Ann. x}7^*
celle du duché de Bougonne fous le règne précédent.
t prorogation de la trêve avoit été l'uni
Une nouvele prorogation de la trêve avoit été l'uni-
Retour des qu4s fruit dcs demîeres conférences y où les légats du
^^^k^^i^^dt ^^^ ^^S^ affifterent. Grégoire XI , qui jufqu'alors
Saint-Denis! n'avoit diféré fon départ pour l'Italie , que dans l'ef-
Chron.AîS. pérance de pacifier les troubles de la France & de
^^Chariis F. pAngleterre , fincérement afligé de l'inutilité des foins
Rym.aS.puU. qu'il avoît employés , reprit l'exécution de fon
7 — ■ ^ — — -o '
n'apuyoit cete loi par fon exemple. Depuis qu'Avi-^
gnon étoit devenu le féjour des papes , les évêques fb
croyoient difpenfés de la réfidence. Il étoit temps de
finir ce fcandale. L'état de Tltalie exigeoit d ailleurs
la préfence des fouverains pontifes. Les Florentins
avoient formé une ligue > dans laquele ils avoient en*
gagé la plupart des villes de l'Etat écléfiaftique. Le
pape excommunia les confédérés. Quelques-uns alar-
mes par ces ^foudres , fe détachèrent de l'afTociadon ,
qui avoît pris pour fign^l de ralîenient un étendard,
où époît tracé Je mot de libertas, I-es Florentins per-
f«) Anciennement on apeloic chambres royales les villes ou provinces fujeces
imoutdîatement aux princes, & dépendantes da Fifo royal, àloff ém Cangt ad
vcrkp Canjçra.
fixèrent
Crarexs y. 489
fiflerent dans leur révolte, jufqii'à ce que menacés s
par une armée d*aventuriers Bretons & Angloîs, ils Ann, 157^.
eflayerent d*apaifer fa fainteté , en lui députant Cathe-
rine de Sienne , religieufc , qui par une vie édifiante
avoit acjuis la plus fublime réputation de fkinteté. Un
Dominicain , contemporain de cete Sainte , en a écrit
Thifloire miraculeufé. Il convient de bonne foi qu'il
avoit long-temps douté de la vérité des nandes chofes
que Cadierine lui difoit avoir aprifes de Téfus-Chrift
même. >> Mais, aj ou te-t-il , comme j*avois cetepenfée,
jy & que je regardois Catherine , fon vifage fut vu tout-
yy k-coup transformé en celui d'un homme de moyen
» âge , portant une barbe médiocre , d'un vifage fi ma-
» jeflueux, qu'on voyoit manifeflëment que c^étoit le
» Seigneur «• Ou les tranfports qu'infpire Tenthou-
iiafme de la vie fpirituele , ont (a propriété de fe
communiquer par une efpece d*atraâion , ou le récit
du Cénobite eft plus capaole de diminuer fon autorité,
que d'afemiir celle de CÎatherine : ce dernier fentiment
cft celui de l'auteur de l'hifioire écléfiàftique. Le Do-
minicain ra porte enfuite , que Jéfus - Chrifl , acom-
pagné de fa fainte mcre & de plufieurs faints , aparuc
à Catherine , & l'époufa folennélement , en lui mettant
au doigt un anneau d'or , orné de quatre perles & d'un
diamant. La fainte conferva cet anneau après la vifion ;
il n'étoit à la vérité vifible que pour eue , ainfi que
les ftigmates de fon divin époux , avec lequel dans une
autre vifion elle avoit^ changé de cœur, jy Une imagi-
jy nation vive , ajoute le même auteur , échaufée par
9^ les jeûnes & les veilles , pouvoit y avoir grande part a.
Tele étoit la médiatrice que les Florentins chargèrent;
de ménager leur acommodement avec le faint p&re ;
mais ils agifToient avec fi peu de fincérité , qu'ils en-
voyèrent après elle des députés qui la défavouerent.
Samte Catherine retourna en Italie, après avoir exhorté
le vicaire de Jéfus-Chrifl d'aller à Rome.
Grégoire reçut en même temps une députation de
la part des Romains , qui le fuplioient de venir féfider
Toinc V. Qq^
490 Histoire beFraitce^
S==! dans cete ville ; & le. léçat du faint fiçge à Rome laî
Ann. 1^76. manda qu'il étoit temps de hâter fon voyage , s'il vou-
loit prévenir le fçandale de voir un antipape ocuper fa
olace. Le peuple avoit déjà jeté les yeux fur Ta né du
Montra flin : ce Religieux , ébloui de l'éclat de la tiare >
Rymer.aa. avoît écouté la propofitioq. Le pape ayant pris fa der-
J^rij?"'^* niere réfolution , en fit part aux rois de France &
d'Angleterre. Charles qui fentoit combien le féjour des
fouverains pontifes dans Avignon lui étoit avantageux 1
efTaya d'engagçr Grégoire à changer de deiTein. Le
duc d'Anjou païtit fur-le-champ de Touloufe : il vit
fa fainteté , auprès de laquele il employa des folicita-
tions inutiles» jy Saint père y lui dit - il ^ fî vous alez
yy dans un pays où vous n'êtes gueres aimé , & fi vous
7> y mourez , ce qui eft bien vraifemblable ^ les Ro-
yy mains feront maîtres de tous les cardinaux , & feront
fy ^ircf un pape à leur gré a. Grégoire fut inébranla*
ble ; il partit y emmenant avec lui le facré Colege ^ à
la r^fervçde (ix cardinaux. Il ariva enfin à Rome, aui
depuis ce temps n'a plus été privée de la préfence aes
fucceiTeuFS de faint Pierre.
Nonvcfcf La trêve étoit fur le point d'expirer , & Tefpéfancc
B^gpciaiions d*un acommodemeut décifif paroifibît plus éloigné
^#Vo/Xi ^^^ jamais. Il fe tint de nouveles conférences y dans
Grande ckro- (efquelcs les négociateurs fe trouvèrent fi peu d'acord ,
'"'"^Tiii ^^^^^ ^® purent même convenir d'une prorogation de
' l'armiftice. Ce n'eft pas que le roi enivré de la profpé-
rite préfente > voulût impofer des conditions trop dures
^ fes ennemis : ce monarque au-* contraire ^ eo faveur
des avantages d^une paix folide % fembloic facrifier fes
propres intérêts , en ofirant à l'Angleterre des condi-
tions au'eUe n auroit pas dû atendre des circonilances
fâcheuies où elle fe trouvoit. Charles ^ par une conduite
aufli fage qu'heureufe ^ avoit aquis une fupériorité que
la prudence & fon économie le mettoieni en état de
foutenir & que répuifeméhc de fes rivaux ne pouvoic
plus balancer. Il avoit trouvé le moyen de remplir ion
tréfor ^ fans exciter les murmures de îcs peuples. 1.^
nique,
Du
Charles V. 4^1
tkhefles dont il pouvoir difpôfer écoient le fruit de " ' ■ ^'
Tépargnè des revenus publics fagement adminiftrés : Ann. 157^.
clés généraux expérimentés & fidèles cammandoient fes
armées : fa âote nouvélement acrue par la conftruc-
tion de trente - cinq gros vaiiTeaux de ligne , & d'une
infinité de bâtiments de moindre grandeur , n'atendoit
^ue fes ordres pour fortir des ports de France , & faire
redouter aux Anglois' ces mêmes invafions dont ils
avoient fi fouvent menacé nos côtes. Il n'apréhendoit
fas la guerre : il ofrit la paix. Les plénipotenciaires
'rançois eurent ordre de faire aux miniffares Arrglois les
Î>ropofitions les plus avanta^eulès. Ne pouvant vaincre
e refus confiant qu'ils faifoient de céder Calais en
échangé de ce qu'ils avoient perdu en Aquitaine ^ que le
roi vouloit bien leiir reffîtuer / à la charge de s'enr réfer-
ver le refTort & la fouveraineté , il contentit de ne plus
infifler fur la renûfe ou. démolition de cete place ^ qu'il
avoit toxrjofurs exigée iufqu'aîors , & de fe contenter
de la ville de Montauoan , des pays enclavés entre les
rivières de ^Veron & de Tarn ^ & de la partie du
Querci que renferment le Lot & la Dordogne. Les
pouvoirs donnés aux ambaâadeurs de France conte-
noient un état des places qu'ils avoient ordre d'abandon-
ner, en cas que ceux du monarque Anglois voulurent,
terminer. Le nombre de ces places montoit à qua-
torze cents villes fermées , & a trois mille forterefTes
pour les feules provinces de l'Aquitaine. Cete multi-
tude prodigieufe de châteaux y qui tous étoient en état
de faire quelque réfiftance , préfente de nos j<>urs un
tableau fingulier de la France, tele qu'elle étoic alors ,
hérifTée prefque en tous lieux dé fortifications y dont
heurenfement il ne refle plus que quelques vefliges ,
monuments des guerres qui ont fi long- temps déchiré
Vintérieur du royaume.
Quelque avantageufes que de femblables propofî- Aim. 1377^
tions duflent paroitre k des ennemis que leurs déraites
dévoient avoir humiliés , il ne parut pas cependant que
les minières Anglois faflent difjpofés à féconder la bonne
492 Histoire de France,
'^^^^^'^"^ volonté du roi. Ils ne les rejetèrent pas k la vérité ab-
Aan. 1377. folument ; mais ils fe virent forcés a'avouer qu ils n*a-
voient pas d'ordre qui les autorisât à les accepter. Ils
demandèrent un délai pour en faire leur raport , & pro^
mirent.de revenir incelTamment avec la réponfe déci-
jfive du roi leur maître. Après avoir donné cete efpece
d'afTurance , (^ui toutefois n'étoit pas rufifante pour
arêter les hoftilités , ils partirent la veille du jour mar-
' que dans le dernier traite pour Texpiration de la trêve.
Mort d'E- Deux jours avant que les députés fe rembarquafient
^Trfifard P^^^ .P Angleterre , Edouard , qui s'étoit feit tranfporter
chroniq*de «u palais de Weftminfter à fa maifon de Sheen , au-
Saint-Dcnis. jourd'hui Richemont , avoit terminé fa carrière. Si
Wdfingh^^* quelque chofe eft capable de convaincre les rois de la
Rymcr^aa. vanité des grandeurs humaines y c^eft fans contredit la
^W.r^w.3. déplorable fin de ce prince. Ce monarque^ pendant le
^'^* cours d'un règne de cinquante -deux années , refpeâé
de fes ennemis , adoré de fes fujets ^ eut la morufica*
tion de fe voir fur fes derniers jours abandonné de tout
le monde ^ & livré à Tobfeflion de fa favorite. Elle
ëtoit revenue à la cour j ainfi que le duc de Lencafire,
immédiatement après la mort du prince de Galles. Dès
]e commencement dé la maladie du roi y elle s^empara
de la porte de Tapartement y où elle ne lailToit entrer
que tres-peu de monde y tous cens vendus depuis long-
temps k ion crédit , & dont eue difpofoit entièrement*
Infenfîble au trifte état d'un prince qui PaiFoit comblée
de fes bontés y elle le vit s'avancer vers les portes du
tombeau y fans s'ocuper des foins reli^eux qu'exigeoit
Taproche de ce terrible moment. Ennn il perdit con«
noiflknce. L'ingrate Alix s'empare des éfets les plus
précieux qui fe trouvent fous fes avides mains : il reA
toit une feule bague au monaroue expirant j elle Tarache
' de fon doigt y & fe retire chargée de ces honteufes
dépouilles. Tous les courtifans étoient difperfés : les
chapelains du roi avoient pris la fuite. Un fîmple prê-
tre y qui fe rencontra par hazard dans le palais y s'a-
procha du malheureux Edouard y qu'environnoient alors
Charles V. 493
les horreurs de Tagonie. Il parut vouloir fe ranimer — — '— T
aux pieufes exhortations de ce charitable miniftre ; ^i^* H77*
mais déjà fa langue embaralTée ne pouvoit plus pro-
noncer ^ue quelques paroles mal articulées : on n'en-
tendit diftinaement que le facré nom du Sauveur da
monde , qu'il proféra en rendant le dernier foupir.
Ainfi mourut à Vâge de foixante-cinq ans le plus grand
roi qui ait ocupé le trône 'de l'Angleterre depuis Guil-
laume le Conquérant. Charles , qui fe connoifToit en
hommes , & qui fe faifoit un devoir honorable de leur
rendre juftice , dit de lui , lorfqu'il fut informé de fa
mort^ que bien noblement & bien vaillamment il avait
régné , & que bien devait être de lui nouvele & mémoire
au nombre des preux.
La crainte que les François qui étoient en mer ne
tentafTent de profiter du premier tumulte que caufe tou-
jours une mutation de gouvernement , fit que Pon tâcha
de renfermer dans Tile les nouveles de la mort du roi<
On aréta tous les bâtiments dans les ports jufqù'à nou-
vel ordre ; enforu > dit FroilFard , que Von ne pouvoit
ijfir * d^Angleurre. La plupart de nos hifloriens , fur le * /•'*'^*
témoignage de cet auteur ^ ont raporté la même chofe.
Il efè cependant dificile de conciher en cete ocafion le
récit de rroiilard j quoiqu*auteur contemporain , avec
la fuite des pièces contenues dans le recœuil des aâes
publics d'Angleterre ^ où il fe trouve un palTeport
adreifé au comte de Cambridge y gardien ces ports
d'Angleterre y pour la comtefle de Bedfort , qui paiToit
en France acompagnée de toute fa fuite. Cete lettre
fiit expédiée quatre jours après le trépas d'Edouard* Si
cet incident fut ignoré pendant quelque temps à la
cour de France , il efl: plus vraifcmblable de fupofer
que la caufe qui empêcha qu'on n'en fût informé , pro-
vint de ce qu'Edouard mourut précifémeftt dans le temps
que la trêve étoit expirée. La guerre qui aloit recom-
mencer intérompoit alors la communication entre les
deux royaumes.
Edouard ^ pendant les dernières années de . fa vie ^
494 HiSTOI&S DB FftASCEi
■ avoic pris des mefures fi précifes pour afTurer le fceptre
Ano. zn7« à fon petit* fils > c[ue ce leunc prince fut couronné làns
reficoocrçr le moindre oofiacle^ foie de la parc de fes
ondes^foit de celle du peuple , qui àdorott dans Ri*
chardia mémoire de Ion pefej&;ae fi>xi aïeul :(^)«
Renouvelé- jj^ renouvélemenc de la gnorrc ôcafiomioit de vives
guOTc/ ^ alarmes en Angleterre , quoique Poh dût s'y atendre ,
ihème avant la fin du règne d^Edouàrd. On jtt'ignoroit
pas les préparatifs qui fe iaifoient en France; mais Ton
ne pouvoit prévoir fur quele partie aloit fofidre Torage.
Amiral. Une fiote ïoirmidaMe dominoit dans k . Manche ; eue
étoit' commandée par Jean de Vienne , amiral de Fran-
ce : il venoit depuis quelques anbées de fuccéder au
vicomte de Narbone , Almaric VIII de ce nom ^ qui
le premier pofTédà cete dignité! ea titre d^adndrautc ou
* T. 4 s p. \i6 d^ofiu*. Il a déjà été. fait mentixki de iWigine de cetc
decitehiftoire. charge, & dcs préTD^tive» qut ppiir-làrs y étoient ata-
diées. Il paroit qu'anciennement cet emploi étoit in-
ricœuiidts* compatible avec celui de eouverneur. Fr^;ent de Coi-
foU. tivi y amiral de France , fut /tdmoruJU par k parlement
de Je défaire de Vafice de gpwi^rneur de la Rochek ,
(a) Quoique les.cérémonîes pratiquées aà* onitoniieibeiic idtou ie la Grande*
Bretagne forment un obiqc étranger à œt ouvrage , on ne regardera peac-étre
pas comme une digrefllon dé^placée de rapoiter id non l'origine ,, mais le plos
ancien mofnamenc que i'hiftote nous» o»e dNin uCige fingmter qui s'obferre
encore de nos jp^rs en Angleterre à: J'inAugurarion de fes rois.- ^is milieu dn
fcftin de cérémonie que le roi donne 1 rous lés grands de la cour , un guer*
rier armé de toutes pièces » monté fur un cheval de bataille, cou^rt de maille»
de vermeil » entre dans la^fale : il.c^ piéeédé d'un amie chevalier ^ai ^rte
fa lance. Ce guerrier s'aproche du ipî , lui fait une profonde inclination »
8ç lui préfente un. écrit , dont . la ledure fe fait tout haut en préfence de
l^aflemblée : cet écrit contient ; que eettfi qui le préfente annotice publique-
ment à tout le royanme que s'il fe trouve. quelque' chevalier ou écnycr qui
veuille contefter l'élcâion du fouverain , il eft prêt à en foutenir la légitimité les
armes à la main, en préfence du roi , & le jour qu'il plaira au prince d'indi-
quer pour le combat. Après avoir &it cete déclaration , il fort de la faie êc
s'avance dans la cour ^lu palais » od il réitère autftrc fois le même défi au fon
de la trompette , obfervant de jeter chaque fois fon gantelet par tcwe pour
gage de bataille , que le héros d'armes a foin de relever auffi-tôr. Les écrivains
Angiois prétendent que ce guerrier repréfente la nation. Le roi ne combat pas
lui-même pour foutenir fes droits , il n'a d'autre champion de fa puiflance que
la patrie. L'antiquité de cet ufage eft teie , que la fource en eft ignorée. Raf^
TAojr. U^aifing. Froijfard ^o vo/. Gloff.du Cangjf^ advtrb. Campio.
Charles V. 49^
comme incompatible avec celui d^ admirai. Le vicomte de J
Narbone , en fe démettant de cete charge , obtint du Axm« 1577.
roi des lettres qui le difpenfoient de rendre compte
de fon exercice : il fut en méme^temps déclaré quîte
des foi âc hommage dudit ofice ; ce qui fembloit en
quelque forte contraire k fon inftitution , en ce qu'il
faifoit ferment au parlement , pour raifort defa'jurif- Rtgiftndes
diSion. ^*^'- »°5* .
La marine militaire avoit fait de ii foibles progrès ^ Marine.
que ceux qui la commandoient ne jouiifoient que d'une
confidération médiocre , eu égard à l'importance de
leur emploi. Charlemggne avoit entretenu des âotes ; que
fcs fucceileurs laiiTerent dépérir. Les premiers rois de
la troifieme race , poiFédant peu de provinces maritimes, '
n'eurent pas befoin de forces navales pour les défendre.
Ils négligèrent entièrement la marine qu'on ne vit re-
naître que dans le temps des croifades. Les guerres pref-
que continueles qui furvinrent enfuite entre la France
& rAnjglcterre , nous mirent dans l'indifpenfable né-
cellité & difputer l'empire de la mer à nos voiiîns. On
vit donc alors fortir de nos ports des flotes nombreu-
fes ; mais, elles n'apartenoient pas aux rois : elles étoienc
compofées de tous les bâtiments qui fe trouvoîent fur
nos côtes. Les marchands , propriétaires de ces vaif-
feaux y étoient obligés de les prêter pendant le temps
de la guerre , moyennant une rétribution fixée pour le
loyer. On avoit outre cda recours aux puifTances étran-
gères , teles que la Caftille & les Génois , qui paf-
foient alors pour les marins les plus expérimentés de
l'Europe. Les Aoglois & les François briguoient à l'envi
leur aliance : les efcadres mercenaires de Gènes fervoienc
indiftinâement les uns & les autres. Charles fut le pre--
mier de nos rois de la troifieme race , qui forma le
projet d'avoir toujours une flote à fa difpofition. Il fît comi^H^'/mt
pour cet éfèt Conflruire dans les ports.de Normandie , moriaiD.fri.
un nombre confîdérable de bâtiments uniquement def- '7^.
tînés pour la guerre. Ces vaifleaux furpaflbient en gran-
deur ceux qu'on employoit ordinairement , qui n'é-
49i^ Histoire de France,
■ ■ toient pour la plupart qiie des bâciments marchands.
Ann, 1377. Il s'en faloic beaucoup cependant Gue ces vaifTeaux
aprochaiTent , ^oic pour la capacité , ibit pour la ftruc-
ture, de ces énormes édifices que nous armons à pré-
fent. Les bâciments d^une grandeur médiocre ne pou-
roient aujourd'hui aborder dans les ports les plus con-
r iidérables de ce temps - Ik. Les plus grands vaifTeaux
Hz/f. «& la de guerre , apelés gaUccs , voguoient par le fecours
%m.\.* des rames & des voiles. Ils étoient garnis de tours peu
élevées , de baliftes , de machines propres à lancer des
pierres , & de grapins pour venir à Tabordagé : la
proue étoît armée d'une longue & forte poutre revêtue
de fer , pour brifer les flancs des bâtiments ennemis.
Outre ces eallécs ^ il y avoit des vaifTeaux plus hauts
de bord , dont la manœuvre fe faifoit avec les feules
voiles y à moins que lobligation de gagner l'avantage
du vent dans un combat , ne fît recourir au fervice des
rames. Comme la force des armées coniiftoit alors
dans les hommes d'armes , lorfqu'il étoit queftion de
tranfporter des troupes deftinées à faire une defcente,
on fe fervoit pour cela de grands bâtiments apelés huif*
fiers y à caule de Xhuys ou porte qui fervoit à intro-
duire les chevaux. Cette porte y dopt l'ouverture entroit
dans l'eau y écoit exaâemeqt ^Quçhée ïivant qu'on Un-
çât le bâtiment.
uflotcFran- La flote FraQçoife déjà formidable par elle-même,
IctâtrcTAn. ^"^ ^^^^^^ augmentée par Tamiral CaAillan, Fcrrand-
pictcrrc. Sauflç. Quatre jours après la mort d'Edouard , dans le
Rap. Thoyr. temps qu'ou étoit oeupé à Londres du couronnement
Kofeî" ^^ ^^^ fuccefl'eur , les François firent une defcente dans le
Chio^qiit. comté de Kent , furprireot la ville de Rye , qu'ils brûlè-
rent & facajgerent. y étant remis en mer , ils çdtoycreot
l'île. Les villes de HafHngs, de Porftmouth, de Darmoudi
& de Plimouth , efluyerent le même traitement que celle
de Rve. L'amiral vmt enfuite débarquer dans Mie de
\f^igth , dont la plupart des villes dirent prifes & rançon-
néçs. Il paroit Uirprenant que les Anglois n^euflènt alors
aucunes forces oavalies pour empêcher ces ravages : ils
manquoient
• G H A R £ E s V. 497
lAanqttoienc même de croupes de terre. Lepeuple de JLon- ^'!
dres , éfrayé des expéditions rapides des François , corn- An»., ijtt»
mencoit à murmurer contre le nouveau gouvernement*
On le hâta de rafTembler des eens de guerre. Le comte
de Sali(buri & lé ibigneur de montagu (è mirent à leur
tête y s'avancèrent vers les côtes. Ils furent obligés de
fe tenir perpétuélement en marche le long des rivages
de la mer , fans perdre de vue les efcadres ennemies
qui couroient la Manche. Ils ne purent toutefois emr
pêcher les François de mettre pied à terre , & de brûler
a leurs yeux une partie de la ville de Poû. Jean dé
Vienne après cete expédition tenta d'aborder k Han^
tonne , ou Sputhampcon , d où il fut repouffé y & vint
mouiller k la vue d une abaye peu diftante de Dou-*
vres. Le prieur de ce monaftere ayant ralFemblé les
milices des environs , dtfputa la defcente. Il fe livra ua
fanglant combat y dans lequel .les Anglûis furent dét
faits : plufieurs des leurs furent faits prifonniers » dii
nombre defouels étoit le courageux prieur. Lts Fran-i
cois y qui , fuivant le récit de FroifFard , ignoroient en-^
core la mort d'Edouard , l'aprirent k CQto dernière defn
cente y & fur-le^champ on fit partir une barge (a) pour
en porter la nouvele au roi;
, Dp fi fréquentes iocurfions avoient répandu l'alartne
dans toute l'Angleterre. Les comtes de Cambridge &
de Buckingham ^ oncles du jeune monarque y prefTés
{»ar les clameurs de la nation y qui croyoit déj» avoir
es François dans l'intérieur du royaume y ralTemblerent
k la hâte tous les hommes qui fe. trouvèrent en eut de
porter les armes. Ils bordoient le rivage.de Douvres
avec cent mille combatants y lorfque la fiote Françoife
parut k la vue de cete ville. Comme Tamiral n'avoir
pas de forces fufifantes pour tenter un débarquement
en préfence d'une armée €i nombreufe y il fe contenta
de (è tenir devant le port pendant le JQur entier & la
nuit fuivante. Le lendfemaiu il leva Tan^re ^ & vint fo
(tf) Bâciment léger , barque. Gtof. du Çangfm
Tome y: Rrr
4^8 Histoire ûe FrancEi
- préfenter k Tctitrée du havre de Calais. Ce mouvetnent
An&. 1^77- obligea les Ânslois de fe tenir fur leurs gardes de ce
côté ; ce qui ravorifa la guerre que les François fai*
(bienc alors dans le Boulonois*
Prifcd'Ardrcs. j^^. provinces d'Artois & de Picardie écoient ezcré-
^c£[q!d€ ^^«^«nt tincommodàîs.par les courfes fréquentes des
Saint-Denis, gaTAiions Atigloifes. Le roi confia le foin de réprimer
c^ônMS ^^ hoftilités au duc de Bourgc^oe fon frère. Ce prmce
^'*' * n'avoir point affifté auK ^dernières conférences. Il fie
pendant ce temps un voyage en Efpagne , pour aquiter
un vœu qu'il avoit formé d aler ea pélerînage à S. Jaques
de Compoftele : pieufei entrepriies fort ufitées alors',
& que Les plus grands feigneurs fe piquoient d'acomplir
avec autant de 2ele que les (impies particuliers. Il vît
à Madrid Henri de Tranilamare , oui le combla de
carefTes & de préfents , & confirma de nouveau les an«
ciens noeuds de Taliance 4)ui tmiiToit les CaftiHans & les
François» Le duc joignit à\xx troupes qvtt le roi lui
donna , les compagnies d'aventuriers y qui rentroient
alors en France après rexpédîrion malheureufe qu'ils
avoient tentée en Aiemagne ^ (bus la conduite <r£D«
2^err2(n4 ^e Côugî. Ce ;fiit: dans ce même temps que
ce feigneur, gendre d'Edouard ,quita Je parti de TAn*
déterre , que jufqu'alort il avoit fuivi plutôt par bien-
leançe eue par incUnation j^pour s'atacher entièrement
Rym. aB. au roî de France fon (èigneur naturel. Il permit à la
pin. IT' ^ ' dame de Couçi fon époufe de retourner à Londres , &
renvoya au nouveau roi d'Angleterre l'ordre de la Ja*
retiere , en le priant de ne fia^ trouver mauvais que
dorénavant il retidtt k fon légitime fottverain les fer«
vices d^un vafial iBdde &> d'un fu jet afeâionné.
Ibidem. On ignoroit la deftination des troupes que le duc de
Boui^ogne rafièmbloit vers les fi-ontieres de Picardie ^
lorfque ce prince parut devant Ardres qu'il Ht inv^r.
Cete place extrêmement importante auroit été capable
de foutenic ^n' long fi^ge , ii elle dût été fufifamment
Sourvuè de munitions de guerre. Les ennemis plongés
ans une imprudente (écurité y avoient négligé de fe
C H A R C E s V. 4^9
mettre en écat de défcnfe. Les arâques furent pmiflëes '^
avec une vivacité qui fit apréhender aux aflfiégés d*êtrc A»a- M?^*
emporcés d^aflaut ; ce qui les expofoit à une mort cet--
taine. Une artillerie redoutable foudroyoit les remparts^
de la ville : on employa des machines de guerre our
lançôienr des pierres du poids de deux cents livres. Lé
ièigneur de Comegines , gouverneur^ de la place , deP
efpérant de la conlerver contre des éfores n puiflants ^
s^eftima heureux d^accepter la capitulation par laquelë
il lin fut permis y ainii qu'à la garnifon , d^ fe retirer
à Calais , vks & bagues /am^s. Lit reddidoh d^Ardres
fut fuivie de celle de la fortereffe d* Ardiirich , que dé- / . * .
fendoient les trois frères de Maulevriêr ^ ib capitulèrent . /
au bout de trois jours- Le château de Vaudinguen fit '
encore moins de réfiflance. La prife dé ces trois placer
refléroit les garnifons de Calais & de Guines , qui ra-^
vageoieiM: aliparavant les pi^ôvinces voifines jufquli
Boulogne , Saint-Omer & Thérouane. !
' Charles 9 en montant (ur le trôné, avoir trouvé^ les «pîcjïts Ja
finances épûifées , & les forces de l^Etat î anéanties J gÎ^oÎS
au point ^ qu*à peine fut-il poflible de' raflembler un treiffarL
corps de douze cents combatants au commencement chro.iiii. it
de Ton regtie. Les temps étoient bien changés. Qnq| '^'-^"»'^.^^-
armées puifiantcis & bieq entretenues agifilbient âlor^
en mêmev-ttmps , & portoient en^ divers lieu* la ter^
reur du nom François; tandis que les peuples > béniP
faut à Tenvi l^heureux gouvernement dd leur fouverain ,
puïffoient au-milieu du tumulte des armes de la tran-
<|uilké de la paix. Le duc- d'Anj^tMi achevoit^ fou-
mettre ce qui reftoit h conquérir dans la Cuienne^ II
réduifiCy dans le coU#s d'U'ne feule campagne , cent
trente-quatre villes , ou places fortifiées. La plus im-
portjnce de ces conquêtes fut celle de Bergerac, ville^
confidérable alors par fa fitUation fur b Dordogne.'
Cete place foutint quinœ }6ilrs de (iege : le duc qui*
voulok en prefler la reddil(oti ', envoya le fire de Beuil;
avec un détachement dé quatre cents hommes d^ar-'
mes, pour amener -Partilterie'qtfi'éeoità la Réole. -Lt^
R r r ij
ijoo Histoire de France,
T^— ^— îeigneur de FeUeton, gouverneur de Bordeaux, rafr^
AiiB.,1377; fembla fept à huit cents lances, dans le deilèin d'in^
terccpter le convoi. Il fut prévenu par le général
François , oui fit partir Pierre de Beuil au-devant die
Ton frère : il étoît acompagné du feigneur de Vilaines,
id'Yvain de Galles & de quatre cents hommes d'ar-
snes. Les deux troupes s^étant réunies , rencontrer
rent les Anglois , qu'ils défirent entièrement , .& ari-
verent au fiege , conduifànt quantité de prifonniers ,
parmi lefquels fe trouvoit FeUeton lui-même- Ber-
gerac fe rendit le lendemain.
i^^H^aA^^ ^^^ opérations de la guerre n*étoient pas moins
12^011^ Brc-" heureufes en Bretagne, La ville d' Aurai , qu*affiégcoic
tagoc. le feigneur de. Cliflbo , fe rendit. Les autres places
ibid. qui s*étôient remifes au duc de Bretagne, avoient fubi
le même fort ; en forte que ce prince ne poflëdoic
plus daqs fes Etats que le château de Breit invefti
par les François. . ,
poftiiitisen. Le gouvërnemçQt d'Angleterre fe trouvoit alors
ïVEcoffc?^!^ dans une pofitidn.trè? embaraffante. La France rem-
Froiffari. P^^'^^it ^^^s cefle quelque nouvel avantage vers les
frontières de Picardie, dans la Bretagne, & fur-tout
en Guienne. Un^ armée: navale ravageoit impunément
les côtes de Tile. A.t^nt de pertjes fe joignit l'invafion
d'un ennemi toujour{S> redoutable aux Anglpis : le roi
d'Ecoflè déterminé pa^r l'avis de foa conleil , afiemblé
à Edimbourg , réfolut de porter la guerre en Angle-
terre. Tandis Que fes troupes fe raflembloienc vers les
frontières , Alexandre Ramfey , feigneur Ecoflbis ,
furprit par efcalade le château de Warwich. Aux pre-
mières nouveles de l'iruption , le comte de Northumber-
land açourut îi la tête aun corps d'armée confidérable.
Kamfey avoit trop peu de monde pour défendre la
citadele dont il s'étoit emparé : il effaya de (brtir
avec le butin & les prifonniers qu'il avoit faits ; mais
fyvcé par les habitants de la ville qui avoient coupé-
le pont , & par conféquent rendu fa retraite impra-
ticable , il fe fenferipa dans la tour^ eà bientôt il
C it A n L s s V, ^or
fut affiégé par Parmée Àngloife. La place fut èm- .
portée d'aflaut , la garnifon palTée au fil de Tépée, Ann. 1377.
& le commandant fait prifonnier de guerre. Les An-
glois voulurent enfuite pénétrer dans TEcoflë. La dé-
faite d'une partie de leur armée les obligea de reve-
nir fur leuris pai.
Le roi cete année goûta la fatisfaâion d^avoir un Voyage de
illuftre fpeâatéUr de la gloire dont il étoit environné. ch^tksTv
Oétoit Tempereur Charles IV fon oncle. Il venoit «i France.
nouvélement de Taire élire roi des Romains Venceflas chron. MS.
fon fils aîné, âgé de quinze ans. Cete éleôion avoit sfil^^Dcàif^
coûté des fommes immenfes à l'empereur , qui fe Ckrîfi.dt
trouvant hors d'état de les aquiter , engagea aur ^V<^^
éleâeurs , dont il avoit acheté les fufrages , la plu-
part des revenus de l'empire , oui en fut télement
afbibli , qu'il ne s'en releva de long-temps. Ce fut
probablement ce qui fît dire que j^ Charles IV avoir
^y ruiné fa famille pour aquérir l'empire , & qu'il avoit
to ruiné Tempire pour établir fa famille ». (Jet empe-
teur qui avoit pàfTé les premières années de fa vie à
la cour de France, defira fur la fin de fes jours de
revoir les lieux oir il avoit été élevé. Il avoit d'ailleurs
une finguliere dévotion k Saint-Maur-des-FofTés près
de Paris. Par une lettre écrite de fa propre main ,
il avoit demandé au roi la permiffion de venir en
France. Charles faifit avec joie cete ocafion de don-
ner à l'empereur des témoignages fenfibles de la ten-
dre amitié qu'il avoit toujours confervée pour lui.
Aufli-tôt qu'il eut reçu les premières nouyeles du
projet de ce voyage , il fe hâta d'en foliciter l'acom-
plifiement par l'invitation la plus afeôueufe. Il en-
toya les comtes de Sallfebruche & de Braine, le fei-
gneur de la Rivière fon premier chambélan , le fei-
fneur de Cbevreufe fon maître -d'hôtel, acompagné
e plufieurs des principaux oficiers de fa maifon ,
Îour recevoir le prince à fon entrée dans le royaume^
Is fe remuent à Moufon fur la Meufe qui fépare
len cet endroit le Rhételoîs du duché de Luxenibourg^
^02 Histoire de France,
v - • par où Ton penfoic d'abord que Temperéur dcvoît
^wu IJ77* ariver- Le jeune Venceflas écoic déjà dans cete ville,
lorfqu'il apric qiie fon père , qui avoic été retenu par
les loins d'apaifer quelques troubles en Alemagne ,
prenoic fa route par le Brabant j le Haibaut & le
Cambréfîs. Le prince & les députés François partir
rent aufii-tot de Moufon , & vinrent à Camorai ,
où ils ateodirenc Tempereur qui devoit inceflànunenc
y ariver. On faifoîc cependant pour cete réception les
préparatifs les plus magnifiques que le luxe de ce fié-
cle pouvoic imaginer. Cete entrevue a été fi fidèle-
ment décrite par un grand nombre d'écrivains , qu^on
(c feroit contenté d'en faire une mention fuccinte, fi
les cérémonies qu'on y obferva n'avoient uqi raporc
trop direâ avec les mœurs Se les ufages du temps ^
pour qu'on fe foie cru permis de priver les leâeurs de
cete curieufe defcription , qu'on abrégera . cependant
le plus qu'il fera poflible. Les feigneurs envoyés par
le roi de France, & leur fuite compofée de trois
cents chevaux , reçurent l'empereur à une lieue dç
Cambrai; ils le complimentèrent de la part du roi.
L'évêque parut à quelque diftance , acompagné de
deux cents hommes de la ville« Ces deux troupes efcor*
terent le prince , qui fit fon entréç à cheval. Il étoit
vêtu d'un manteau gris , & afublé dun chaperon de
même couleur y fourc de martre. Le prince fon fils étoit
à fes côtés. Les chapitres vinrent en procedion aur
devant de lui. Après qu'il eut f^it fes prières à la
cathédrale > où il ala defcendre , il fe rendit au par
lais épifcopal préparé pour fon logement, : pendant
fon féJQur en cete ville » il fut défrayé aux dépens
de révêque. Dès le premier jour <ie fon arivée , il
déclara aux envoyés du roi , en préfence de tout le
mondç^que combien qu^il eét fa dévotion à faint
Maur^ il "venait principakmtnt povr veoir h roi y la
royne & leurs citants : & pour p^v/enter /on fils le roi
des Romains, au roi fon Mveu pour Hrp, tout peu ;
^ ^u^apm avoir .acomp^ C9>.4e/lr^ çwnd Ptcu U
Charles V. ^oj
poudrait prendre , il Vaccepuroit en gré. On étoît alors I
au 22 ^!^ovemb^e, & l^empcreur comptoic paiTer les Ann. 1377.
fêtes de Noël à Saioc-Quentin. Les députés du roi
rengagèrent à recarder fon départ. Le motif de ccte
fufpenûon éioic <)ue les empereurs <lX>ccident jouïi^
foiem dans les terres dépendantes de Tempire du
droit d'ailifter au fer vice divin revêtus des ornements
impériaux, 6c de chanter )a feptienie leçon des ma-
tines de Noël. Chriftine de rifan aâure qu'on lui
eût refulë en France la fàtis&âion d^ufer de ce pri^
vilege. Une pareille dificuité aurott de nos jours un
air de puérilité ; mais c'étoit alors le fiecle des mi-
nuties; ôc Ton peut obièrver en. paflant^ que ce fut
à'-peu-près vers ce même temps que Ton s^aflèrvit en
France aux rigueurs d'un cérémonial qui paroiilbit
ikc pas devoir s'acorder. avec le génie d'une nation
ennemie de la contrainte. Les ducs de Bourgogne ^
3ui parmi les princes François furent prefque les feuls
ont la puiilance s^acrut éc s'afermit pendant les ré-
volutions des règnes fuivants, conservèrent dans leurs
Etats ces ufages qui leur ofroient à chaque' inftant
ridée de leur grandeur. Leur cour iè piquoit d'une
obfervation fcrupuleufè de bienfeances & de règles
mefurées avec la plus grande prédlîon. Il fe fornia y
pour ainfi dire, une efpec^ de code de rites cérémo-
nieux* Cete étiquete févere fuivit Thériiiere du der-
nier duc de Bourgogne , lorfque cete princefTe tranf^
Î>orta une partie de cete opulente fucçeflion k 1â mair
on d'Autriche ^ par fon mariage avec Maximilien.
hts Cours de Vienne 4c de Madrid retracent encore
des veftiges de cet ancien cérémonial. Charles en
partant de Cambrai vint k Saint^Quentin : les oficiers
du rot £c jks principaux bourgeois le reçurent , en
obièrvant de lui dire , fu^il fut It bieri-vcnu en la
pilk Au r0. Il reçut les ntêmes compliments &' les
mêmes honeurs dans toutes les villes. Le duc de
Bo«irbon , frère de la reine , le comte d*Eu , les évo-
ques de Beauvais &: de Paris ^ vinrent au-devant de^
^04 Histoire de France,
f— — rr lui & Tacompagaçrenc lorfqu'il encra dans Compîegne»
Ano. IÎ77» Il avoic été lurpris en forçant de Noyon, d'une vio-
lente ataque de goutte qui le tourmenta pendant le
refte du voyage. A Senlis il trouva les ducs de Berry
& de Bourgogne , le comte de Harcourc, Tarchevê-
que de Sens & Tévêque de Laon. Les gens de la
niite de ces princes formoient un cortège qui s*au-
gmentoit fans cefle. Ils étoient , fuivanc Tufage de
ce cemps^iiabillés des couleurs ou livrées des feîgneurs
auxquels ils étoient atachés : c'eft ce qu*on apeloit
robes mi - parties ^ faites d'étofes de diferentes cou-
leurs. Le roi qui avpit été informé de la maladie de
Tempereur , lui envoya un chariot de fon corps noble-
ment apareillé, & atelé de chevaux blancs , & la
litière du dauphin apareillée de deux mules. Il étoit
alors k Louvres. Avant x]ue d'encrer dans Saint-Denisj
les archevêques de Rouen , de Reims & de Sens ,
les évêques de Laon , de Beauvais ^ de Paris > de Li-
zieuX) de Noyon, de Baïeux, de Meaux, d'Evreux^
de Thérouanne & de Condom y & Tabé de Saint-
Waft d*Arras , tous du confeil du roi , vinrent le
complimenter de la part du monarque. Il étoit cq
jour-là fi cruélcment tourmenté de la goutte , qu'on
fut obligé de porter fa litière jufque devant le maître^
autel de l'abaye de Saint-Denis ,,& delà jufqu'à Tapar*
cernent qu'on lui avoit préparé. Tous les princes &
feîgneurs qui Tavoient acompagné jufqu'alors , pri-
rent congé de lui pour fe rendre auprès du roi. Lç
lendemain , après avoir vifité les reliques de Tabaye ,
& s'êtrç fait dçfcendre dans les caveaux où font renr
fern^és Içs tombeaux de nos rois , on le reconduiîit à
fon apartement , devant les fenêtres duquel parurent
le feignei»r dç la Rivierç , & Colart de lanques ,
écuyf rs du corps du roi , qui lui préfenterent deux
phevaux «oirs àeftinés pour lui fervir deHffioncure ^
ainfi qu'au roi des Romains. Il fe mie alors en che^
min , toujours porté dans fa litière , qu'il ne quica
gy*îj U Çhapelç poHr n»onter à cheval. Le prévôt do
Paris #
C » A R L E s Vr 50^
Paris, le chevalier du Guet, le orévôt dés marchands, ■
les échevins , & ks plus natables bourgeois , vêtus Aûû. x577-
de robes mi- parties de blanc & de violet , vinrent à
fa rencontre entre Saint -Denis & la Chapefe. Le
prévôt porta la parole en ces termes : Tns cxcéîent
prince j nous les ofidtrs du roi à Paris , le prévôt de$
marchands , fir Its bourgeois de fa banne ville , vous
venons faire la révérence & nous ofiir à vous faire
votre bon plaifir ; car ainfi le veut le rûi notre Jire ,
& le nous a commandé. CKriftine de Pifan & les chrtH
iiToueurs de ce fiecle ont grand foin de remarquer
qu*on donna des chevaux morels ou noirs k Tempe-
reur & k fon fils , parce que les empcneûrs étoient
dans Tufage d*cntrer dans les villes de leur domina-
tion montés fur des chevaux blancs. Il fkloit au*alor«
les droits des fouverâitrs fuflent bien mal éclaircis ,
puifqu'on étoit obKgé de fe tenir fi rigoureufemehc .
en garde contre les prétentions chimériques. Nou*
vèrons dans la fuite Turbanité Françoifc dédaigner cei
frivoles apréhenfions.
Dans le même temps que l'empereur fortc^t do
Saint- Denis , le roi fur un courficr blanc fuperbe-
meut harnaché, fê difpofoit k fortir de Paris. Il étoit
vêtu d'une cote hardie ( ^r ) d'écarlate vei'meil , 6c
d*un manteau k fond de cuve fburé d^hermines. Sa
tête étoit couverte d'un chapeau k bec bordé , & Cou-
vert de perles. Les duc de Berri, de Bourgogne, dd
Bourbon & de Bar , les princes, feigneurs & prélats
lui formoient le plus brillant cortège. Les prélats,
fuivant les ordres du prince , portèrent k cete céré-
(tf) La cote haadie étoit une efpece dcr cuniaue férée par la tailte, & qui
defcendoit jurqu'ainc pieds , à- peu près contmeics foufcâu* d'eftfauts. Cccnâ-
billcment fe portoit (ous le manteau \ il étoit commun aux hommes & aux
femmes , il étoit à queue traînante pour les pcrfonncs de diftinftion. Chrrftînc
de Pifan au tréfor de la cité des dames , x part. chap. i , raporte qu'un taiP
landier de robes de Paris avoit fait pour une (impie dame , qui demeuroit en
Gârinois , une cote hardie dans laqucle il étoit entré cinq aunes de drap dd
Bruxelles à la grande mefure \ la queue traînoit à terre de trois quartiers , âc
tes manches à bombardes defcendoient jafque fur les pieds. ^
Tome V. Sss
^oS Histoire de France,
^*^****^ monle des chapes Romaines : ces chapes avoient k-peu-
Ann. 1577. près la forme de celles que portent aujourd'hui les
chantres de nos églifes. Les onciers de la maifon du
roi marchèrent enfuite , diftingués par leurs habits ,
fuivant leurs difèrents. emplois. Les maîtres -d'hôtel
portoient des robes de velours Inde & tanné , les che-
valiers d'honeur de velours vermeil , les écuyers de
camocas bleu, les huiflîers de camocasbleu & rouge,
les pannetiers , échanfons & valets tranchants de fatia
blanc & tanné : les écuyers de cuifine vêtus de hou-
pelandes de foie , portoient fur leurs têtes des aumu-
çes (a) fourées. Les valets -de -chambre avoient des
robes gris -blanc & noir, les fergents d*armes bleu
& noir , les fommeliers brun & vermeil. Le maré-
chal & deux écuyers ayant chacun une épée en échar-
pe , marchèrent devant le roi. Le parement royal ,
^ui étoit de velours brodé , femé de fleurs de lis en-
richies de perles, étoit porté fur ua grand courfier
que conduiioit le palefrenier du roi. Charles envi-
ronné de cete nombreufe troupe auffi lefte que ma-
gnifique, rencontra rempereur entre Paris & la Cha-
pelé. Ces deux princes fe faluerent en étant leurs ba-
rètes (a) & leurs chaperons (b). Le roi fe contenta
de donner la main à l'empereur fans ofer Taprocher^
dans la crainte de blefTer {qs jam}:)es : il ala enfuitc
au roi des Romains , & reprit au-milieu de. ces deux
princes le chemin de la capitale.
Le monarque conduifit ces auguftes voyageurs à
travers un fouie innombrable d'habitants qui bordoient
les rues fur leur paflage. L'empereur fut logé au pa-
lais dans les apartements du roi , qui fe retira dans
les chambres d'enhaut qu'on apeloit galetas. Le roi
en entrant dans la fale où étoit l'empeVeur, mit la
(û) L'aumuce étoic an habiHcmenc qoi couvroit la téce Se les épaalcs ; elle
«voit à-pcu-prés la forme du chapeton , laah ua peu plus longue* & plus étroite.
(6) Efpece de coifures donc les bonmies Ce fervoient aTec le chaperon. Les
toques des Cantabres & des Béarnois font encore apelées barètes.
(c) Une ancienne chronique raporte que Tempereur ôta Ton aumoce £c fon
chaperon 2 8c que le xoi ou ion chapel tant feulement. Chron* Flandr. cap. lOj»
Charles V. ^07
main à fon chaperon ; Charles IV voulut Tem pécher , •
mais il lui] dit qu'il vouloit encore lui montrer fa coife : Am. 1377.
c'étoit un couvrechef léger qu'on portoit autrefois fous
le chaperon. Toutes les entrevues fe paflerent en
protefUtions réciproaues d'atachement & de tendreflc.
L'enipereur , ainn gu'il Tavoit demandé , en ari-
vant à Paris ^ n'eut point d'autre garde que celle du
roi , £c il fut fervi par les oficiers de la cour. On lui
donna dans la grande fale du palais un fuperbe feftin/
auquel le roi, le dauphin & tous les prmces afiiftè-
rent. Les tables étoient drelTées fous des dais brodés
d'or : des monceaux de vaifTcle d'or, de vermeil & %
d'argent étoient étalés dans les fales voifînes. On de*
voit faire quatre fervices de quatre-vingts mets difé-
rents ; mais on fut obligé d'en retrancner un à caufe
de l'incommodité de l'empereur , qui ne lui permit
pas de tenir table plus long-temps. La ville de Paris
©frit à ce prince un préfent de vaiflele d'argent &
de vermeil : il y avoit entre autres fingularités un
vaifTeau d'argent qui repréfentoit les armes de la
capitale.
Le roi n'oublia aucunes des atentions qui pouvoîent
contribuer à la fatisfaâion de fes hôtes : repas , con-
certs , préfents, rien ne fut épargné. L'univerfité par
l'organe de fon chancelier , harangua Tcmpereur en
latin : ce prince fe fervit de la même langue pour lui
répondre. Le roi qui dans ce fiecle pouvoit fans con-
tredit pafler pour éloquent, fit prier Charles IV de
venir prendre féance au confeiL Le monarque parut
en cete ocafion prendre l'empereur pour juge ae fes
démêlés avec l'Angleterre : il parla pendant plus de
deux heures fur ce fujet, il fit lire toutes les pièces
juftificatives , il finit en demandant l'avis de ce prin-
ce, & en le priant d'être perfuadé ainfi que les fei-
gneurs de fa fuite , que toutes fes démarches pendant
fe cours de cete guerre avoient été guidées par la juf-
tice. Charles non content d'aprouver les raifons aie-
guées par le roi , lui ofrit de le féconder de tout fon
S ss ij
5o8 Histoire de France,
^ pouvoir dans la pourfuite de cctc guerre : il lui donna
Ann. 1577, niême la lifte des princes & feigneurs qu'il promet*
toit d'engager à fonfervice.
L9 procédé du roi à la réception de Tempercur,
préfenre un tableau donc la fingularité provenoit peut*
être de 1 efprit du temps plutôt que du caradere du
prince. Charles qui y dit^on , eut grand foin de faire
déclarer par les oficiets de fes villes , que les honeurs
qu'ils rendoient étoienc une fuite de lès ordres, qui
ne voulut pas que l'empereur entrât dans Paris monté
iur un cheval blanc , parce que c'étoit un figne de
• domination ; Charles qui n'auroit pas fouferc que fou
hôte eût cluinté dans fes Etats la feptieme leçon des
matines de Noël, comme fi l'ofice de diacre ou de
chantre pouvoit aquérir ouelque droit fur un Etat,
plaida lui-même fa caufe devant ce prince , contre les
entreprifes duquel il prenoit des précautions fi recher-
chées : tant il eft vrai que rien n'eft j^lus capable de
f ecrécir le génie que les petitefTes pointilleufes de l'éti*
^uete , dont les^ frivoles formalités mettent à tout me*
ment Tafeâation de la grandeur en contradiâion avec
elle-même. L'empereur, après s'être aquité de fon
vœu à Saint-M aur-des^Fofli^ , & avmr vifité les mai-*
fons royales , honoré par-tout , comblé de préfents &
de témoignages d'amitié , reprit la route de TAlemagne.
Il fut reconduit jufqu'aux frontières par les princes
& les plus grands feigneurs du royaume. Il a voit été
défrayé aux dépens du foi, ainfi que toute fa fuite,
mandant fon féjour en France. Avant que de quiter
la cour, il avoît créé le dauphin vicaire général &
perpétuel de l'empire en Dauphiné. C'éroit une fuite
des anciennes prétentions des Céfars d'Occident fur
le royaume d'Arles. On ne s'opofa point en France
à cet aâe de fouveraineré. Le chancelier impérial en
expédia les lettres revêtues du fceao d^or. Ces lettres
contenoient , outre la concedîon du vicariat , une
donation du château de Pompet, & de quelques ter*
xes. qui apartenoient k Pempereur danj> le Daaphiné.
Charles V. 1J09
Peu de temps après le départ de rempcreur, la .
confiance du roi fut éprouvée par une afliaion d^au- Ann. 1577-
tant plus fenfible^ qu'il ▼ étoit moins préparé. Jeanne .^*^" ^^ ^*
de Bourbon fon époule donna la naiflance à une dc^B^^Aoïll^
princelie^ qui fut tenue fur les fonts par le prieur de Uidtm, '
lainte Catherine -du -Val -des- Ecoliers , & par une ^roiffard.
demoifelle qui aidait la reine à dire Jes heures : cete
demQifelle s'apeloit Catherine de Vdliers. La reine
avoir été guidée dans le choix du parain & de la
maraine par la dévotion finguliere qu'elle avoit à
fainte Caàierine« Cet acouchement n'auroit point eu
de fuites flcheufes fans Timprudencc de la princcfFe,
oui fe baigna contre l'avis de fes médecins. A peine
fiit-elle entrée dans le bain, qu'elle reflentit les ata^
ques d^une maladie dangereule qui la conduifît en
peu de jours aux portes du tombeau. Elle mourut,
laiflknt le roi fon époux & toute la France inconfo-
labiés de fa perte.
On étoit encore rempli des premières împreffions confpîratio»
de cete douleur générale , lorfque l'Etat fut menacé <l^couvçrtc.
du plus grand des malheurs dans la petfonne de fon crimcs"du*roi
jroi. Une confpiration abominable étoit fur le point de Navarre.
d^éclaten Heureufement la découverte de cete norri- J^^^'^y^^^
ble trame en prévint l'exécution. Lorfqu'il s'agit de torUnsf^ '^*
quelque trahiibn fignalée , le leâeur n'a pas befoin Procès MS.
qu'on lui défigne le perfbnnage funefle qui va paroi- ^'IJ^f^^J^
tre fur la fcene. Le roi de Navarre , après avoir ba- ^de u 'chamhrt
lancé quelque temps entre le projet de venir lui- ^" Comptes.
même à la cour de France pour ménager fes intérêts lif^lTurl!^^
fur l'explication de quelques articles du dernier traité
qui n'étoient pas encore entièrement difcutés , ou d'en-
voyer Charles comte de Beaumont fon fils aîné , avoit
enfin pris ce dernier parti. Le roi qui étoit trop jufte
pour rendre le fils refpohfable de la conduite crimi-
r>ele du père , reçut le jeune prince avec toute la
bienveillance & les égards dûs a fa naiflance. Il n'y
avoit pas long-temps quil étoit k la cour , lorfqu'on
fut informé par des avis fecrcts qu'on vouloit atentCK
5 10 HistoiredeFran^e,
-? aux jours du roi. Ces avis qui ne fpécifioient rien de
Ann. IJ77. pofîtif, jctoienc le monarque dans un extrême em-
paras : comment découvrir un crime dont la fource
fe perdoit dans les ténèbres ? Les foupçons tombè-
rent fur Charles-le-Mauvais. Le paffé ne jufttfioit que
trop les craintes préfentes. On cherchoit des indices
qu'on n'elpéroit trouver que dans les perfonnes ata-
chées au Navarrois. Le comte de Beaumont paroif-
foit peu propre à éclaircir ces foupçons : la jeuneiTe
de ce prince* fembloit en quelque forte garantir fon
innocence : fes démarches confirmèrent la perfuafion
où Ton étoit qu'il ignoroit abfolument les fecrets dan-
gereux du roi fon père. Le roi de Navarre ne l'avoit
envoyé en France que pour repréfenter, tandis qu'il
. avoit fait partir 4 fa fuite un de fes confeillers dépo-
fitaire de fes véritables intentions. Ce fut par le canal
de cet agent qu'on eflaya de pénétrer un myftere qui
paroiflbit inexplicable. Le roi s'étant arête à cete ré-
fol ution^^ chargea Jean du Rofay y huiffier d'armes,
& Guillaume du Rojay , écuyer d'écurie , de s'aflurer
de la perfonne de Jaques du Rue , chambélan du roi
de Navarre. L'exécution de cet ordre manifefta les
crimes que méditoit Charles-le-Mauvais. Du Rue fut
conduit prifonnier à Corbeil , d'où on le transféra au
Châtelet de Paris. Parmi les papiers qui furent faifis,
on trouva un mémoire inftruâif de la conduite que
les miniftres du Navarrois dévoient tenir pour acom-
plir le déteftable projet de ce prince. Les horreurs
contenues dans ce mémoire , "urenc confirmées &
même augmentées par les dépoiitions du jprifonnier ,
?ui fubit plufieurs mtérogatoires , tant à Corbeil qu'à
^aris , en préfence du chancelier & des commifTaires
nommés, pour commencer Tinftruâion du procès. Il
ne fera pas inutile d'obferver que le chancelier , & les
magiftrats tirés du parlement & des autres cours fou-
veraines pour recevoir les dépofitions d'un prifon-
piçr en matière criminele, fe tranfportoiçnt dans les
prifons même? où les coupables étoient détçnus.
Charles V. 511
Il ne falut pas employer Tapareil des tortures pour ■
obliger du Rue à révéler les (ecrets dont il étoit dé- Ann. xj??*
pofîcaire. Les juges frémirent en fondant ces myftè-
rcs afreux* On aprit que le roi de Navarre avoit mis
en ufage les plus prefTantes folicitations & les pro-
mefles les plus capables de féduire , pour engager un
médecin Juif nommé Angcly natif de l'île de Chypre,
à venir à la cour de France dans Tintention d em-
poifonner le roi. Le Navarrois difoit à cet étranger ,
3ue fa profeflion lui faciliteroit les moyens de s'intro-
uire dans la familiarité du roi de France , auprès
duquel les fçavants étqient toujours afTurés d'un accès
favorable ; que ce monarque re vèroit d*autan^• plus
volontiers , qu'il parloit bien latin & étoit moult ^rgu--
mentati^. Le médecin fe voyant obfédé fans ceue ,
comprit à ces inftances. réitérées qu'il n'avoir d'autre
parti à prendre que d'accepter la commiflion ou de
fè dérober, en fuyant, aux fuites de cete dangereufe
confidence. Il quita la cour du roi de Navarre ; mais
il ne porta pas loin le funefte fecret de ce prince , qui
dit à du Rue , quelque temps après le départ d' An-
gel j que le phyficien de Chypre avbit été noyé dans
la mer.
Un projet échoué n'étoit pas capable de ralentir
les éforcs de cete haine implacable dont le roi de
Navarre étoit dévoré : fon imagination aftive lui fuggé-
roit à tout monie^it quelque nouvele perfidie. Le pro-
cès qu'on inftruifoit alors , dont l'original fubfifte en-
core aujourd'hui , contient le détail circonftancié d'un
tiflu d'eritreprifes crimineles : cette ennuyeufe & ré-
voltante répétition n'ofre qu'un tableau multiplié des
mêmes noirceurs. La profpérité de la France iritoit
de plus en plus les tranfports de Charles-le* Mauvais.
Il oifoit orcUnairement à fes plus intimes confidents ,
qu^il n^aimoit point le roi ac France, quelques bêles
paroles qu^il lui eût dites , ni quelque beau femblant
qu^il lut eût fait , qu^il avoit toujours tendu par
toutes les manières qu^il avoit pu à lui faire grief &
$ia Histoire de France,
-■ ■ ■ dommage , & qtic s^il pouvait il mcttroit volontiers
Afitt. ï}77. peine à fa dcfiru3ioni Enfin il crut que le moment
favorable k fa fureur écoit arivé. Edouard qui le
connoifToit trop pour eftimer fon aliance, venoit de
mourir. La r^nce d'Angleterre fuivoit alors d'au-
tres maximes : on le fiatoit de Telpérance du mariage
de Richard avec la princeiTe de Navarre. Charles en
faveur de cetc union &c des avantages fans nombre
qu'on lui prodiguoit , s'étoit lié fans réferve avec les
ennemis : il devoit déclarer la guerre à la France i
& livrer en même-temps aux Anglois Tes places de
Normandie. Ses agents cependimc avoient ordre d'à-
mufer la cour de France par des négociations , Jufqu'à
ce que le projet concerte fût près d'éclater. Comme
il étoit perfuadé par l'expérience du pafTé, qu'il ne
pouvoit former aucune entreprife que la fagdTe du
roi ne déconcertât, il avoit pris des mefures ^u'il
croyoit infaillibles pour arêter le cours * d'une vie à
laquele le falut du royaume étoit ataché. Cet acentat
devoit précéder & fervir de iignal à la révolution
ou il fe propofoit. S'il eût pu réuffir - dans l'exécution
oe cet horrible dldfein , la France eût été fans doute
expofée au plus grand danger. L'embaras d'une mino-
rité y la jaloufie fecrete des princes , les ennemis in-
troduits jufque dans le cœur du royaume , aloient re-
nouveler les malheurs pafiés. Tous les mécontents ( âc
fous quel gouvernement ne s'eti trouve -t- il pas? )
étoient autant de partifans couverts , qui ^ pour lever
le mafque y n'arendoient que la faveur des circonftan-
ces. Le poifon deftiné k trancher les jours d'un de nos
plus grands monarques , avoit été préparé en Navarre
par un© Juive , fous les yeux de Charles -le -Mauvais.
Un valet-de-chambre de cet indigne prince avoit ordre
de fe rendre à Paris , de fe procurer l'accès de la mai-
fon royale par le moyen d'un parent oficier de la cui-
fine du roi , & d*épier le moment d'exécuter le parri-
cide. Le lâche roi de Navarre s'aplaudiflbit déjà de
fon crime, donc le fuccès ne dépendait plus que d'un
fecret
Charles V. 513
ecret de quelques jours , lorfquc la détention de fon '
miniftre renverfa fes efpérances & le couvrit de con- ^nn. n??*
fufîon.
Le prince de Navarre n*étoît point à la cour lorfque
du Rue fut arête : on lui envoya un fauf-conduit pour
s'y rendre incefTamment. Il entfoit fi peu dans hs
complots de fon père , qu'il vint fur-le-champ à Senlis
où le roi étoit pour-Iors, Il demanda Télargiflement du
miniftre. Charles pour-^toute réponfe demanda les prin-
cipaux membres du confeil , & fit lire en préfence du
jeune prince , les dépofitions du prifonnier. Il lui dé-
• clara en même-temps que la tranquilité du royaume,
& l'intérêt même des deux princes de Navarre exi-
geoient qu'on s'aflbrât de toutes les places que le roi
leur pereiçofledoit en France. La plupart des gouver-
neurs de ces forterefl'es avoient acompagné le comte
de Beaumonc : ils étoient préfents à cet entretien : on
les fit jurer de remettre au pouvoir du roi ïcs villes &
châteaux qui leur étoient confiés. Charles de Navarre
en cete ocafion agit avec tant de bonne- ft)i , que ce fut
à fon inftigation qu'on arêta un de ces commandants
ilont la fidélité lui paroiflbit fufpeâe. Le refte de fa
conduite ne fervit qu'à confirmer l'opinion où l*on étoit
dès-lors de la droiture de {qs intentions. Charles V &
fon fuccefTeur eurent toujours lieu de fe louer dans la
fuite de fon atachement & de fa fidélité.
Il y auroit eu de la foiblefle à ménager davantage aj^, jj^g^
un traître , dont la haine déclarée paroiflbit moins dan-
gereufe que la fureur fecrete. Le duc de Bourgogne
& le connétable eurent ordre d^entrer en Normandie
avec des troupes , & de s'emparer de toutes les places
Îue le roi de Navarre pofledoit dans cete province.
it comte de Beaumont* les acompagnoit à cète expé-
dition. Quelques ville? fe rendirent fans réfiftance ;
mais il fiilut employer la force pour en foumettre la
plus grande partie. On prit dans le château de Bernai
un fecrétaire du Navarrois , apelé Pierre du Tertre. Il
fut amené k Paris & renfermé dans* la tour du Temple. -
Tome V. T 1 1
514 Histoire de France,
! Il fut intérogé par les mêmes commiiTaires qui avoient
Ann. 137g. reçu les dépofitions de Jaques du Rue. Ce nouvel exa-
^ men éclaircit plufieurs particularités des traités que
Charles-le-Mauvais avoit conclus en- divers temps avec
Jes ennemis de TEtat : on fçuc qu'il confervoit toujours
fes anciennes prétendons fur la Bourgogne. On avoit
furpris plufieurs lettres dont le fens envelopé fous des
expreflions bizares paroifïbit inexplicable : le fecrétaire
donna la clef de cete efpece de chifre , qui ne confif-
toit qu'à fubftituer des noms étrangers aux noms véri-
tables des lieux ou des perfonnes dont on vouloit par-
ler. C'étoit à cet artifice , qui de nos jours paroîcroit •
fodier , que fe réduifoit toute la finefle de ce temps-
: il n'en avoit pas cependant falu davantage pour
épuifer les conjeftures des examinateurs. 'Qxx Tertre
confeflà tout , négociations avec les Anglois ^ traités
frauduleux avec la France , tentatives fur des places ^
manœuvres fecretes pour fufciter fans cefi'e de nouveles
afaires au roi. A l'égard des poifons , il fe défendit
conftamment d'en avoir eu la moindre cônnoifiance ;
froteftant que bien loin d'y participer , il défavouoit
autement le roi de Navarre , s'il étoit vrai qu'il fût
coupable de pareils forfaits. Il perfifta jufqu'k la fin
dans ce déni.
Lorfoue toutes les charges de ces deux procès curent
été fufifamment établies , le roi qui vouloit rendre
f)ublics les crimes du roi de Navarre , & la juftice de
a conduite qu'on obfervoit à l'égard de ce prince., or-
idonna que lès deux prifonniers hifient amenés au par-
lement , & qu'on les intérogeât de nouveau en pré-
fence de cete augufte aflemblée. La féance fiit une des
f>Ius nombreufes qu'on eût encore vues jufqu'alors pour
e jugement de deux particuliers. Le chancelier , les
archevêques de Sens & de Rouen , les évèques de
Beauvais , de Condom , de Baïeux ^ de Térouane &
d'Evreux , les abés de Saint-Denis , de Saint-Benisne
de Dijon , de Saint -Waft d'Aras , de Sainte- £0-
^ lombe & de Saint- Germain -des -Prés , les nonces du
T
C H A R L E s V.. ^r«J
ape (a) , \c comte de Harcaurt , le vicomte de i
^houars y le fire de Couci, une mulcîciKle d autres fei- htm. 137^
geurs Y ailîfterent avec les préfidents & confeiliers
de la grand^chambre & des enquêtes , & plufieurs n>a-
giftrats tirés de la chambre des comptes & des autres
cours fouveraines y ainfi que les fecrétaires du roi y te
prévôt des marchands , & auelques-uns àes principaux
bourgeois de Paris. Quoiqu en eete ocafion il s^aek de
procéder criminélement , les confeiliers écléfiaffiques
furent préfents ^ audi-bien que les magiftrats iara^ies ,
aux derniers intérogatoires & confrontations, it eft
encore à propos de remarquer que dans cete féance
publique on lu prima les procédures qui concernoient
les liaifons que le roi de Navarre avoic entretenues
avec Philippe d*Alençon , archevêque de Rouen : on
crut aparemment devoir ce ménagement à la naiflauce
ou au caraôere de ce prélat.
Les dépofitions que Jaqves du Rue & Pierre du
Tertre avoient faites féparément , leur furent reprélèn-
tées : après en avoir entendu la leâure , ils les confir-
mèrent par un dernier aveu y ajoutant qu'ils fçavoienc
bien qu*ils étoient dignes de mort y fi le rot ne kurfai--
foit mijericordc. Cete confeflion fut portée au roi , qui
ordonna que raifort & jufiice leur fût faite. La cour
alors procédant a^i jugement y prononça leur condana--
tion (b). On les traîna dui palais jufqu*aux haies y où
(d) Du Tillct met au nombre des écléfiaftiqucs qui affiftcrcnt à ce jugement
le prieur des Chartreux. Il y a toute aparence cpi'il s*eft trompe : ï\ cft fans,
exempte que ces foKtaires ayenc jamais pris féance. parmi les magjdracs ; il aura
probablement pris le prieur du Val-Iès-Chanres pouc le ptieur des Cbaafeuz.
jDu TîUa j recœuildes rangs » pag, f |.
(h) Cete condanatton parok jnflv à Tégard de Jaques du Rue » qui con«
▼ient d*avotr participé aux complots formés far le rot de Navarre contre la vie
du roi. Pierre du Tertre n étoit pas dans le même cas : il n avoit fervi que d'a-
gent pour les négociations d'un- prince auquel il étoit ataché depuis vingt-trois
ans. Il eft donc à propos. »our mettre eii évideace la iuftice de ce jugement »
d*obferver qu'il fut regarde comme coupable ». parce cia il écoit né fujet du roi
de France. De tous les écrivains de ce ficelé une feule chronique r^rte cete
particularité. Voilà comme elle s'ezprime : « En Tan 1 577 furent décapités es
»9 haies de Paris (ire Jaques du Rue , & maître Pierre du Tertre natifs de
» France , confeiliers du roi de Navarre , pour trahifons par eux coramifcs
9» contre la majefci: royale , &c «» MS, bihL R. num. 102 9T.
T 1 1 ij
iji^ Histoire de France^
■ ils furent exécutés à la vue d une ifïuhitude innombra-
Ann. 1378. ble de peuple. Le jour deftiné pour cete exécution étoic
précifément le vingt & un du mois de Juin , jour de la
loirc du Lendit , qui atiroit alors à Paris une afluence
prodigieufe de monde, tant des provinces du royaume,
que des pays étrangers. L'ouverture de cete foire , par
ordre exprès du roi , fut retardée , afin que le fuplice
des deux criminels eût un plus grand nombre de té-
moins.
saifîc des Cependant le duc de Bourgogne & le connétable
d^^N%^" ^^^ avoient éprouvé pour la réduction des places ocupées
Normandie. ^0 Normandie par les Navarrois , plus de dificulté
ihidem, qu'on n'avoit prévu d'abord. Ils conduifoient avec eux
le fils du roi, de Navarre , dans Tidée que la préfencc
de ce jeune prince aplaniroit les obftacles ; mais la
plupart des garnifons refuferent de reconnoître fon au-
torité, en déclarant qu'elles ne remettroient qu^au roi
de Navarre lui-même , ou fur un ordre précis de fa
main , les forterefl'es confiées à leur garde. On ne put
les foumettre qu'en formant des fieges réguliers. Le roi
cependant , pour hâter le progrès de fes troupes ,• s'é-
toit avancé jufqu'à Rouen , d'où il veillpit par lui-même
aux opérations de la guerre. Breteuil fut une des pre-
mières places qui fe rendit aux feigneurs de Couci &
de la Rivière. Pierre , comte de Mortain , & la prin-
cefle de Navarre fa fœur , y étoient renfermés. On les
envoya au roi , qui les reçut avec toute la bienveillance
poflîble , comme fon cher neveu & fa chère nièce.
Baïeux , ville confidérable fituée à peu de diftance
de la mer , parut d'abord vouloir foutenir un fiege.
L'impoflibilité de recevoir .du fecours changea bientôt
Ja réîblution des habitants. Ils étoient d'ailleurs invités
h fe rendre par leur évêque , prélat fort ataché aux
intérêts de la France , & qui même étoît du confeil du
roi : ils voy oient le prince de Navarre dans Tarméc
des affiégeants. Ces motifs , joints aux menaces que leur
faifoient les généraux François de les pafîer au fil de
Tépée & d'abandonner la ville au pillage , s'ils fe
C H A R L E s V* ^17
laiflbient emporter d'aflaut , les engagèrent à capituler. i
Ils demandèrent une fuipenfion d'armes de trois jours, Add. ijys.
après laquele ils ouvrirent leurs portes & reçurent gar-
nifon Françoife , fous la réferve toutefois des droits
des enfants du roi de Navarre. Carcntan fe fournit aux
mêmes conditions. Le connétable étoit alors ocupé au
fiege de Pont-Audemer , conjointement avec Jean de
Vienne amiral de France. Une nombreufe garnifon dé-
fendoit cete ville : on fit conduire devant^ la place plu-
fîeurs machines de guerre , & principalement des ca-
nons dont Tufage commençoit à devenir fréquent. Le^
Navarrois foutinrent plufieurs affauts avec une valeur
qui auroit long -temps retardé cete conquête , fi le
défaut de vivres ne les avoit forcés de fubir le joug.
Suivant les claufes de la capitulation qui leur avoit été
acordée , on les conduifit jufqu'à Cherbourg , où fe
retiroient toutes les garnifons des places évacuées. A
Îeine les François fe furent - ils mis en pôfl'ciîion de
^ont-Audemer , quils raferent là citadele & les for-
tifications de la ville fuivant les intentions du roi , qui
avoit ordonné que toutes les forterefTes Navarroifes fut-
fènt démantelées.
Aufîi-tôt qu'on eut découvert la confpiration formée Le Jucd*An-
par le roi de Navarre , le duc d*Anjou , gouverneur i®" scmparc
de la Guienne , avoit été chargé de fe faifir de la ville J'r.^^''"'^'^'
de Montpellier , & de toutes les terres que. Charles- Uîdem.
le-Mauvais poffédoit en Languedoc. C'étoit un des
arangements du Navarrois , avant que d'en venir à la
rupture ouverte de la France , de fe défaire de cete
ville & des domaines qui en dépendoient , prévoyant
bien qu'il ne pouroit les conferver. Le duc , fuivanc
les inllruâions qu'il avoit reçues du roi fon frère ,
donna commifiion k Jean de Beuil , fénéchal de Tou-
loufe , d'aller prendre pofleffion de Montpellier. Le
fénéchal pour cet éfet s'étant rendu en cete ville pré-
fenta aux confuls les ordres du gouverneur. Ces ofi-
ciers lui repréfentcrent qu'ayant fait ferment de fidélité
au roi de Navarre , ils ne pou voient obéir, au com-
5i8 Histoire de Frakce,
■ mandement qu'on leur aportoit , à moins au*on ne
Ann. 1)7%.. leur fignifiât en même-temps un ordre figné du roi de
France , leur feigneur fuzerain , par lequel ils fe trou-
vaffent difpenfés de leur dernier engagement. De Beuil
le leur promit , & cependant s'empara de la ville , def-
titua les oficiers commis par le roi de Navarre , & fie
arborer les armes de France fur les murailles. Les con-
fuis revinrent une féconde fois à la charge , & le fcné-
chal alors leur donna la fatisfaâion qu'ils demandoient.
Les lettres par lefqueles le roi informoit le duc d'Anjou
des atentats qu'on venoit de prévenir , furent lues pu-
bliquement : les habitants indignés des trahi fons du
Navarrois , non -» feulement fe conformèrent à>la fou-
miflion qu'on exigeoit d'eux y mais encore arêterent de
leur propre mouvement Guy de Gauville & Léger d^Or-^
gejfin , que ce prince avoit établis gouverneurs de leur,
ville*
Le roi de Na- Charles - le - Mauvais étoit depuis» long -temps acou-
varrcpaflccn cumé aux revers qui'acom.paçnoient ordinairement fcs
^^Uidm' defTeins finiûres : une perfidie dévoilée n'excitoit en
Rymcr! asi. lui ni houte , ni remords. C'étoit fur-tout dans ces cir*
pM. tom, 5 i confiances critiques que fon génie fertile en expédients
^ 7^* ' ^' ^^ déployoit toute Taôivité dont il étoit capable. A peine
fut- il informé que fes agents avoient été arêtes en
France , qu'il fongea aux moyens de fe garantir des
éfets de la colère du roi. Il dépêcha fur -le -champ un
de fes ccMifeillers à la cour de Londres pour donner
avis de l'embaras où il fe trouvoit , & prefler en même-
temps les fecours qu'on s'étoit engagé de lui fournir.
Son envoyé fut reçu favorablement , & cependant il ne
put obtenir une réponfe décifive. La régence exigea
que le roi de Navarre vînt lui-même régler les condi-
tions d'un nouveau traité* La conduite oe ce prince ne
pouvoit plus être fufceptible d'interprétation équivoque :
les projets étoient manifeftes , & les Anglois vouloient
profiter de WmpuiHance où il étoit de reculer défor-
mais , pour lui vendre le plus cher qu'ils pouroient les
fçrviçcs qu'il atendoit d'eux. Cete politi(jue intcrefféc
C H A R L E s V. '519
pouvoit leur paroître avantageufe pour le rfioment ; —
mais elle leur devenoit préjudiciable dans la fuite y en Ann. 1578.
ce qu'elle découvroit qu'ils n'a voient jamais en vue que
•leurs propres afaires , auxquelles ils facrifioient : fans
fcrupuie les partifans qui avoienc le malheur de s'unir
a eux^ Nous aurons plus d'une fois ocafion de voir la
fierté de ces infulaires , & leur atachement exceilif à
leur intérêt perfonnel , dégoûter de leur aliance ceux
que de vaines promefTes avoient d^abord féduits. Char«
les , déterminé par la néceflité , pada en Angleterre :
fa préfence leva les dificultés. On lui acorda cinq cents
hommes d'armes & cinq cents archers de troupes auxi-
liaires pour défendre fes Etats de Navarre contre les
Caflillans ^ qui fe préparoient à lui faire la guerre.
Les Anglois exigèrent en récompenfe de ce fbible Le roi de Na*
fecours , qu'il leur livrât la ville de Cherbourg , la plus varre livre
forte & prefque Tunique place qu'il poffédât encore en aux^Ang^^^
Normandie. Quelque dure que dût paroître une fem- Uidem.
blable condition , il fut obligé d'y foufcrire. Il ne con-
fentit à cet abandon que pour trois ans ; mais les mi-
niftres Anglois , fatisfaits de fe rendre maîtres d'une
ville qui ouvroit à leurs flotes une des portes de la
France , n'infiflerent pas fur le terme auquel ils s'en-
gageoient de la remettre , bien perfuadés que la refti-
tution dépendroit des circonftances. Ces conventions
ne furent pas plutôt fîgnées de part & d'autre , que
les comtes d'Arondel & de Salisburi alerent prendre
pofleflion de Cherbourg , tandis que le roi de ISavarre
retournoit dans fes Etats , content d'une négociation
qui ne lui procuroit à la vérité aucun avantage , mais
qui pouvoit devenir nuifible à fes ennemis.
Le roi n'avoit pas négligé d'inflruire le roi de Caf- Guerre Ju roi
tille , fon fidèle alié , des nouveaux fujets de mécon- tl f^i^^llf
' . „ . / I -».T ^ • TT contrclaNa-
tentement qui 1 animoient contre le Navarrois. Un pa- varre.
reîl avis étoit pour Henri de Tranftamare une invita- Hîft. itE/ff.
tion fufîfante. Charles , qui s'atendoit à voir inceflam- ^'"''''«f * ^«^-
ment les troupes Caftillanes fondre fur la Navarre >
féfolut de prévenir leurs hoftilités en «'emparant de
j
^20 Histoire de France,
. Logrono. La prife de cete place importante par fa fi-
Ann. I378, tuation , eût fermé aux ennemis Tentrée la plus facile
qu'ils pouvoienc choifîr pour pénétrer dans fes terres.
Plus intriguant que guérier , il entreprit de s'en ren-
dre maître en corompant la fidélité de Dom Pedre
Manriaue , fénéchal de Caftille , auquel il ofrît vingt
mille florins d*or. Pedre lui demanda du temps pour
fe déterminer , & cependant fit informer le roi fon
maître de ces propofitions. Henri manda au gouverneur
de feindre d'agréer les ofres , & de recevoir Targest.
JLa fomme fut remife , & le jour pris, pour livrer la
place. Le roi de Navarre devoit s'y rendre en perfonne,
ainfi qu'il en étoit convenu dans une entrevue qu'il eut
avec Dom Pedre : toutefois il changea de defTein , dé-
tourné peut-être par un preflentiment fecret qui alarma
fa défiance ; il fe contenta d'y envoyer deux cents
lances avec fon étendard. Les Navarrois n'eurent pas
plutôt été introduits dans la ville , qu'ils furent furpris
& faits prifonniers. Martin Henriques , qui portoit l'é-
tendard royal de Navarre , eut le oonheur de s'échapcr
en fe jetant dans l'Ebre qu'il traverfa à la nage , &
vint à toute bride avertir le roi du mauvais fuccès de
J'çntreprifç. Charles furieux de cete difgrace , & fur-
tout de la perte de fon argent , dut cependant s'eftimer
heureux de n'être pas tombé lui-même dans le pîegc
qu'il tendoit à fes ennemis.
L'infant de Caftille fur ces entrefaites s'avança vers
les frontières de la Navarre qu'il ravagea , furpric la
plupart des places qu'il trouva ouvertes , s'empara de
Tubais & de Viane , qui furent obligées de fe rendre
à compoficion , & vint faire le dégât jufqu'aux environs
de Pampelune. Après çete expédition le prince Caftil-
lan fortifia les villes dopt il s'étoit emparé , & reprit
la route de Tolède.
Continuation Lôs afaires du roi de Navarre n'avoient pas un fuccès
aciaguerrcco plus favorable dans fes terres de Normanaie. Après la
^ZS' P"^^ ^ ^^ démolition de Pont-Audemer , les François
çhronlàs. s'étoienç mis eij pofTeffion dç la plupart dçs autres
places»
Charles V. 521
places* Conches , Avranches , Paffi capitulèrent. On !!!î!!5!!ï=
marcha vers Evreuj , dont le gouverneur fe retira pré- Ann. 1578.
cipitamment. Les habitants fe voyant abandonnés , ou-
vrirent leurs portes. Le connétable, acompagnédu duc
de Bourbon , & de l'amiral de Vienne , ala former le
fiege de Gaurai où le commandant d'Evreux s'étoit
renfermé , réfolu de fe défendre jufqu'à 1 -extrémité.
Gaurai étoit alors réputé le plus beau château de la
Normandie. Les affiégés paroiflbient déterminés à faire
une lonçue défenfe , lorliqu'un accident imprévu vint
ralentir leur ardeur. Le commandant étant aie faire la rr- j j
vifite d'une tour qui fervoit de magafin pour Tartille- ^^ Bourbla.'^^
rie , une des chandeles dont il étoit éclairé tomba fur
la poudre , qui s'embrafant à l'inftant , le confuma ,
ainfî que tous ceux qui Tacompagnoient. Cete particu-
larité prouve cjue Pufage de rartillerie fervie avec de
la poudre , étoit plus fréquent qu'on ne le penfe com-
munément , & qu'on l'employoit également pour la
défenfe & l'ataque des villes.
On profita de la confternation que cet événement Prîfcdutré-
avoit jeté dans la garnifon , pour prefler les ataques. Nava^rd^^ ^^
Le délîr de s'emparer de cete place s'étoit acru , fur- uidtm.
tout depuis qu'on avoit apris que le tréfor du roi de
Navarre y étoit dépofé : il confiftoit en foixante mille
francs d'or , trois couronnes du même métal fort riches ,
& quantité de pierreries qui avoient apartenu Ji des •
rois de France. Le roi en ayant été informé , envoya
au camp le fieur de la Rivière pour s'emparer de ces
richeffes. Ce feigneur folicitoit inceflamment les géné-
raux de compoler avec les affiégés , afin jde pouvoir
emporter l'argent fir les bijoux. Le duc & le connéta-
ble , qui ne vouloient acorder que des conditions avan-
tageuses au roi , continuèrent le fiege , & forcèrent
enfin la garnifon k fe rendre. Le tréfor fut remis au
fieur de la Rivière qui le defiroit fort } & les François
étant entrés dans la fortereiie , la démolirent.
Enfin , il ne reftoit plus à foumettre que la ville de sîcgc <lc
Cherbourg. Le connétatle vint l'inveftir vers le milieu ^'^"^^^"'S-
Tome Vn V V V
522 Histoire de France,
=== de Tété. Cete place paflbîc alors pour imprenable , a
Ann. 1J78. moins qu'on ne s'en rendît maître par famine. Toutes
^Tmite garnirons des places évacuées par les Navarrois s'y
Amlus^dt étoient retirées ; les Anglois y avoient jeté de bonnes
France. troupcs , & Taccès libre de fon .port leur facilitoit les
ChJnl7s, "^^ moyens d'être continuélement ratraîchies de munitions
Mémoires dt de bouche & de guerre. L'exécution d'une entreprife
intirature. jg ^^^^ importance paroiflbit d'une dificulté prefque
infurmontable. La fortune , qui avoit toujours acom-
pagné du Guefclin , échoua devant cete place. Le fiege
pouflé avec toute l'aftivité poflible , ne fe trouva pas
plus avancé à l'entrée de l'hiver que le premier jour.
Olivier du Guefclin , frère du connétable , fut fait pri-
fonnier dans une embufcade dreffée par les affiégés. Le
peu d'aparencc qu'il y avoit d'achever cete conquête ,
obligea le roi de rapeler fes troupes , & de remettre
l'entreprife à une autre faifon. On dit que le général
ne fe retira qu'à regret : fi cela eft , le monarque ju-
geoit plus famement que le guérier. Il fe contenta de
donner des ordres pour faire cantonner des troupes
dans le Cotentin , afin de refTérer les ennemis , & de
les empêcher de faire des courfes.
sicgc de Ce fut à- peu -près vers ce temps que la France
Morl^Yvain pcï'dit uu guerier , dont la valeur avoit rendu d'im-
dc Galles. portants fervices. Le brave Yvain de Galles faifoit
r^^^'^^irc ^'^^^ ^^ ^^8^ ^^ Mortagne , ville de l'Angoumois
très confidérable par fa utuation fur la Gironde. La
place' défendue par le Soudich (a) del'Eftrade, fei-
Chron, MS,
{a) Il feroit dificile de trouver Torigine de ce titre dans fon écytnol<^ie. Les
Grecs , les Perfans , les Turcs ont eu des Soudans , des Sultans ^'exprefTicns qui
paroifTent defceodre de la même fource. Sans prétendre décider dans quel temps
on s*efl fervi en France de ce terme pour exprimer une dignité , ce oui n'anva
peut-être qu'après les croifades , nous remarquerons que Soudan ou Soidan ré-
Fond au mot de confervateur & de défenfeur. C*étoit une dignité afeâée dans
Aquitaine , particulièrement à deux maifous de tEftrade Se de la Trou : ils
furent apelés Soudkhs des lieux de la garde defquels ils étoient chargés comme
Drotedeurs ; & dans la Qiite ce titre perpétué dans leur famille , n'ayant d*a-
Dord été qu une dîftinâion perfonnele , devint une qualité arachée à la pro-
priété des feî^neuries. Les Soudichs aloicnt de pair avec les comtes , les barons
& les autres feigneurs titrés. Vid, Giojf. du Cang, ad verb* Soldanus, Sulcanos,
Syndicus , &c. Coût, de Bord. Froijfard , Monjlrelet j Rjmer ^ aS. pukL
d' Angle t»
Charles V. 523
gneur Gafcon du parti Anglois , ne pouvoir réfifter . .
encore long -temps, lorfqu'elle fuc préfervée par un Ann. ij7«.
affaffinat. Un fcélérat du pays de Galles , nommé
Jaques Laube , ayant trouvé le moyen de s'infinuer
dans la familiarité d'Yvain , choifit le moment favo-
rable , & lui plongea un poignard dans le cœur. Après
ce coup déteftable il courut vers la ville , dont il fe
fît ouvrir les barieres , & fe préfenta devant le gou-
verneur de Mortagne. Sire , lui dit-il , jt vous ai dcli-^
vré (Pun de vos plus grands ennemis. Alors il raconta
de quele manière il avoit exécuté ce meurtre. Le Sou*
dich indigné lui répondit ; Tu l^as meurdri j & /cache
bien , tout conjidéré , que fi je ne voyois notre très
grand profit en ce fait , je te ferois trancher la tête ;
mais puifqu^il efi fait ^ il nt je peut défaire ; mais
c^efi dommage du gentilhomme quand il efi ainfi mort,
& plus nous y aurons de blâme que de louange. Cete
mort ralefttit Tardeur des afliégeants , & peu de temps
après , le feigneur de Neuville étant entré dans la
rivière de Bordeaux avec une efcadre Angloife , les
mit dans la néceflité de ne plus fonger qu'à ta retraite.
Ces divers mouvements, qui ocuperent pendant le Le duc de Un-
cours de cete année une partie àç^s forces du royau- ^sti{ntul\o^
me , n'avoient pas empêcné qu^on ne fe fût trouvé mii^ ^^ ^^^^
en état de faire avorter une entreprife que les An- R^p^Thoy.'
glois tentèrent en Bretagne. Le duc de Lencaftre , ^chlon'tis
dans la vue d'apaifer , par une expédition éclatante , &c.
les murmures du peuple qui fe plaignoit hautement
de la nouvele adminiftration , avoit fait équiper un
armement confidérable avec lequel il s'étoit mis en
mer. La flote ennemie , après avoir tenu pendant
auelque temps en alarmes les côtes de Normandie ,
nt voile vers la Bretagne, & vint s^arêter à la vue
de Saint-Malo. On ne s'atendoit pas probablement au
delTein des ennemis ; car ils débarquèrent fans obfla-
cle , après avoir pris & brûlé dans le port plufieurs
vaiffeaux de la Rochele chargés de vins. Le duc fit,
fur-le-champ , dreffer fes bateries , & commencer les
V V V ij
524 * Histoire de France,
,. ataques. Les Anglois , dit Froifîard , avoient quatre
Ann. X378* ccnts canons à ce fiege; mais , fuivant toute apârence,
c'eft une erreur qui s'eft gliffée dans cet niftorien.
Quoique l'ufage de ces machines meurtrières com-
mençât à devenir commun , il n'eft pas probable qu'on
en ait employé un nombre fi prodigieux, quand on
ks fupoferoit du plus petit qualibre. Le fire de Ma-
ieftroit & quelques feigneurs Bretons s'étoient jetés
dans la place avec deux cents lances. Ce fccours
remplit de confiance les habitants , ainfi que la gar-
nifon. La ville d ailleurs étoit abondamment pourvue
de munitions de guerre & de bouche , en forte qu'elle
pouvoit tenir plus de deux ans fans être obligée de
fe rendre. Le roi cependant , inftruit de la defcente
des Anglois , avoit chargé les ducs de Berri & de
Bourgogne de marcher avec le connétable vers les
côtes de Bretagne. Ils eurent bientôt raffemblé des
troupes , & vinrent fe préfenter à la vue del ennemis.
Cete armée d'obfervation retardoit encore le fiege , &
mettoit le pays à couvert des courfes. Les généraux
François Fe conformant aux ordres précis qu'ils avoient
reçus du roi , évitèrent d'en venir à une aâion déci-
five, & fe contentèrent de tenir fans cefle en échec
les troupes Angloifes. Le duc de Lencaftre faifoit
depuis quelque temps travailler à une mine , dont il
efpéroit un grand éfet : Thiftorien de Bretagne affure
au-contraire qu'il comptoit fur la chute d'une partie
de la muraille que Ton fapoit fecrétement , Taffiete
des fortifications fur un roc extrêmement dur , ne
i>ermettant pas l'ouverture d'une mine., Quoi qu'il en foit,
es affiégés qui ne redoutoient gue ce côté de l'ataque,
profitèrent un jour de la négligence du comte d'A-
rondel , qui devoit être de garde. Ils firent une fi
heureufe lortie, qu'ils chaflerent les Anglois du poftc,
& comblèrent leurs travaux. Le duc de Lencaftre
fut défefpéré de ce défavantage : il maltraita de pa-
roles le comte , par la faute duquel il voyoit fes
efpérances évanouies. Son defTein étant découvert ,
Charles V. ^2^
il eût été inutile de recommencer de no\iveaux ou- .:
vrages au feul endroit par lequel il s'étoit flaté de Ann. x}7«.
furprendre la ville. Sur Tavisr de fon confeil de guerre,
il le rembarqua & revint à Londres , où le mauvais
lUccès de fon entreprife Tavoit précédé. Son retour
renouvela les reproches que lui faifoit la nation.
Ce revers ne permettoit pas au duc de Bretagne Envoyc^dc
Tefpoir d'un rétabliffement prochain dans fes Etats , ^'*"f *^«^^
où il ne poffédoit plus que la feule ville de Breft. '^y^'^^^^^
Depuis plufieurs années ce prince fugitif traînoit fon ArgcnuL
infortune tantôt à la fuite de la cour d'Angleterre &
le plus fouvent en Flandre, où le comte, fon parent,
lui avoit acordé un afyle. Il lui ariva pendant fon
féjour dans cete province, de témoigner fon mécon-
tentement contre la cour de France, en termes fi
f)eu ménagés, qu'il acheva d'indifpofer le roi contre
ui ; & ce nouveau fujet d'inimitié ne fut peut-être
pas un des moindres de ceux qui engagèrent le rfio-
fiarque à fe porter aux dernières extrémités , la feule
iits démarches de ce prince que l'on puiffe taxer d'im-
prudence. Ce fut à Vocafion d'un miniftre François
arête dans un des ports de Flandre. Comme cete
afaire tient aux ufages & à l'efprit des cours de ce
temps-là^ elle parbît mériter par fa fîngularité d'être
raportée. Le roi avoit chargé un gentilhomme , apelé
Pierre de Bournezel , de paflbr en Ecoffe , dans le
iieflein d'exciter les Ecoflbis à faire une irruption en
Angleterre. Ce gentilhomme n'ofant s'embarquer dans
un port de France , fe rendit à l'Eclufe , où il fut
obligé d'atendre , pendant quelques jours , un vent fa-
vorable. Un agent difcret eût confervé l'obfcurité de
Vincognito } mais celui-ci plus vain de la commiffion
dont fon maître l'honoroit , que capable de s'en aqui-
ter , afeâa tout l'extérieur d'un perfonnage impor-
tant, ^y Ce noble , dit un ancien hiftorien , faifoit mer-
^^ veilles de parade : ce n'étoit que' vaiflele d'or &
j> d'argent , pages de livrée , fervice de magnificence ,
3> & une fuite de duc & de prince. Il failoit fonner
^iG Histoire de France ,
! 3y la trompeté avant fon dîner : on portoit devant lui
Ann. XJ78. yy une épée dont le foureau étoit doré ; il contrefaifoit
3^ en tout le mignon de cour ^y. Ce fafte exceflif pour
un inconnu fit naître des foupçons- Le bailli de l'E-
clufe vint Tarêter d'une manière aflez rude, en le fai-
fîfTant par fon acoutremcnt. Il fut conduit à Bruges:
en entrant dans la cour du palais tout fon orgucuil
l'abandonna ; il fe mit à genoux devant le comte de
Flandre , qui étoit à Tune des fenêtres , acompagné du
duc de Bretagne , & lui cria qu'il fe rendoit fon pri-
fonnier. Comment^ Ribaud^ lui dit le comte, dis-tu
que tu es mon prifonnier ? Les gens de monfeigneur
peuvent bien venir devant moi & parler à moi} mais
tu ne daignois. Bpurnezel humilié, trembloit & n'ofoit
répondre une parole , lorfque le duc de Bretagne acheva
de le confterner , en lui difant : Entre vous autres
bourdeurs & langagiers au palais à Paris & en la cham-
bre de mori/èigneur j mette[ le royaume à votre vo-
lonté j & jouijje:^ du roi à votre entente ^ & en faites
bien Çf mal ainji que vous voule:^ : ne nul haut prinu
du fang après que vous Vave:^ cceuilli en haine ne peut
être ouï : mais on en pendra encore tant de teles gens
que les gibets en feront tous remplis. Le malheureux
gentilhomme ne répliqua pas, & s'eftima trop heu-
reux de retourner en France fans s'aquiter de fa
commiflion.
Le roi , informé de ce traitement fait à un homme
envoyé de fa part , fut très irité contre le comte de
Flandre, qui emplova difér.entes excufes pour Tapai-
fer, rejetant toute la faute fur Parogance de l'agent
François. Charles ne jusea pas cete fatisfaâion lufi-
fante, & fe crut autorife à demander que le comte
cefsât de donner retraite dans fes Etats au duc de
Bretagne , auteur de l'afront fait à l'un de ks mi-
nières. Le comte fe voyant menacé par le roi de
France , affembla les Etats de Flandre pour les con-
fulter : il leur expofa le fait, & leur demanda s'ils
jugeoient à propos, que pour éviter de fe brouiller
C H A R i. E s V. 527
avec la cour de France , il dût bannir de fes terres -t
le duc de Bretagne , /o/z coujîn - germain j ou s'ils Ann. 1378.
vouloient que ce prince continuât de demeurer chez
lui. Oui j monfci^ntur j répondirent-ils unanimement,
(& ne fçavons aiijourdhui ftigncur quel qu^il foit , s^il
vous voulait faire guerre , que vous ne trouvijfie^ de--
dans votre comté ae Flandre deux cent mille hommes
tout armés. Mes beaux enfants , je vous merde , dit
le comte en congédiant Taflemblée. Ce démêlé ,
ocafionné . par l'imprudente vanité d'un négociant ,
auroit eu des fuites plus férieufes fans le départ du
duc , qui , fur ces entrefaites , pafla en Angleterre ,
dans Tefpoir au'il détermineroit , par fa préfence , la
cour de Lonares à faire , en fa faveur , des éforts
plus confidérables que ceux qu'on avoit tentés juf-
qu'alors.
La régence d'Angleterre ne manqua pas d'obfer- ^^ ^^^ ^«
ver , à l'égard du duc de Bretagne, la conduite qu'elle Angîfterre.^
avoit tenue avec le roi de Navarre. On exagéra les Brcft livré
dificultés de lui fournir les fecours fufifants pour le ^"^^ngiois.
rétablir. On fit naître des obftacles , on demanda ^^Zté.
des sûretés. Forcé par la trifte fituation de fa for- Rymer /aa.
tune , Montfort au défefpoir , ofrit de fubir toutes ^"^^^ ^^^' 3 »
les loix que le confeil de Londres voudroît lui im- &/l/^'^^^*
pofer. Dépouillé entièrement de fes Etats , il lui ref-
toit pour unique domaine la ville & le château de
Breft. Cete place étoit à la bienféance des Anelois ,
elle devenoit entre leurs mains une dès clets du
royaume. Ils exigèrent qu*elle leur fût livrée pour
la tenir durant tout le temps qu'ils feroient en guerre
avec la France. Le duc y confentit , & k cete condi-
tion on promit de Taffifter puiflamment. Le traité
n'eut pas plutôt été conclu , qu'on prefTa l'exécution
de ce marché avantageux : une efcadre Aneloife vint
prendre poffeflion de Breft , & y conduilit les muni-
tions néceflaires pour la défénfe de la place. Outre
plufieurs baliftes , careaux & autres inftruments de
guerre > il y avoit deux grands canons & deux pe-
JUIV.
528 Histoire de France,
! tics , fix cents boulets de pierre , du falpêtre , du
Ann. X57*- charbon & du foufrc de vin pour le fervice de ces
quatre pièces (a). Les Anglois fe voyoient par ce
moyen maîtres des quatre principaux ports du royau-
me , Calais , Cherbourg , Breft & Bordeaux.
On s'étoit flaté , pendant quelque temps , de leur
enlever cete dernière place. Le duc d'Anjou , dans fon
gouvernement de Cuienne , avoit fait des prépara-
tifs confîdérables pour ce fiege. Le roï fon frère lui
avoit acordé, pour l'exécution de cete entreprife, i^ne
impofition générale fur la province. Les diverfions
qu*avoient ocafionnées la guerre alumée en même-
temps dans la Bretagne & dans la Normandie , rom-
Sirent ce projet. Cependant le duc avoit reçu le pro-
uit de rimpôt , qui ne fut point reftitué , dit Froif-
fard , aux pauvres gens qui avoicnt été travaillés de
payer Ji grandes fommes. L*avidité de ce duc étoit
e:jtrême : il folicitoit fans celle de nouveles gratifi-
cations du roi : fes importunités , k cet égard , devin-
rent fi fréquentes , que dans ijine nouvele conceflioa
qui lui fut acordée , le roi crut néceffaire d'ajouter
qu'il ne pouroit plus k Tavenir en demander de fem-
blables. Charles , qui commençoit k connoître parfai-
tement le caraftere de fon frère , modéroit , autant
3u'il étoit pofiible , cete ardeur infatiable d'acumuler
es richefles : mais lautorité qu'il lui avoit confiée
étoit trop étendue pour qu'il ne lui fût pas facile
d'en abuler. C'eft peut-être k cete avarice du duc
d'Anjou qu'il faut raporter l'origine d'un fouléve/nent
qui ariva dans le même temps , & cete conjeâure
paroît d'autant plus vraifcmblable , que fon gouver-
nement fut le tnéâtre de cete rebélion, la feule qui
ait troublé la félicité de ce règne , & pour la puni-
tion de laquele on obferva une aparence de rigueur
, qu'au fiegci
Sjûm-Malo le duc de Lcncirilre foudroya la vUle ^ycc quatre cents canons.
entièrement
C H A R £ U 8 Vî. 5 ! 52^
entièrement opofée à. la clémence 4U roi ^ :X}tii ,' dans ^'^"^^"""^^
tout le cours de fa vie , (e raojitra, plutôt le père ^^' 'J7«*
jque le juge de fcs fujets.^ , ; ,1 •
La levée des ftouveles imppfitiops acordées ani duc . ^^7°*^^ ^."
d* Anjou pour ibutenir 1e$ irais dç là guerre ., ^excita ,^^^,ôtj^,^^^^^^^
.une écEieute générale k ]V[ont;pellier,..Le$r;habit^nts de chroniq. dt
cete ville s'aflcmblerpnt en tunîiulter& coururent aux ^^'»^^«''^'« '
maifons où étoient logés les principaux oficiers du ck^Llis.
duc. Guillaume Fointel > chancelier ; Jaques de- la
Chaine , fccrétajre de ce prince, li Guy de Séry &
Arnault de Lair furent ^ maflaqr.^s dans le premier
moment par ceté populace fédic^u;i(e* , qui. feiirépani^
dant enfuite dans les diférents quartiers de ia ville ^
immoloit fans difiinâion tous ceux qu'elle jpencon^'
troit , oficiers du roi , ou du duc. Quatre-vingts, per^
fonnes furent les viâimes de ces furieux y . i<}ui préci*^
citèrent dans le puits les corps de çcxix qJu'iU venoient
xi'égorger. Ce défordre eut .le fort de la. plupart jdes
^motions populaires. L'énormité d'une, ifautc ne: fe
fait jamais mieux fentir que lorfqiiVHe eft .coramife.
Un repentir tardif s'empar,a de ce peuple aveugle :
la plus faine partie des citoyens! , qui n'étoiend. point
x:omplice de cete indifcrete iureur , géjmîSbient fur le^
Jfi^ites de la révolte : ils çonnoi^bient Thumeur iohplar»
cajole du duc : ils aiendÂr^nt i^n frépiitiTaïne lê^ i£bts de
fa vengeance. .
Le duc d'Anjou tranfp©rt4 de la jplus -viorkntc co->
lere , acourut pour châtier eetç 1 ville nebeie: Une
troupe nopibreyfé d'honjmes ^:^'4vme$ & xl'arbadêtricri
Tacompag^ioif ^ mais pç formidable içortege ffccdt peu
nécelTaire contre des coupabl^^i ^ui /n'opofoiebt à fqa
refTentiment que des regrejcs .&; .des larmes. Le fpec*^
cacle qui s'ofroit à les regards , en entrant dans Mont-
,pellier , étoit capable de défarmer la vengeance, la. plu§
inflexible* Les oficiers du roi le reçurent aux portes t
ils etoient fuivis du* cardinal d'Albane (a) , qui mît
(a) On lit dans l'biftoire de France du P. Daniel , le cardinal Pierre de Luné^
C*eft une erreur quia été ocafionnée parla manierf peu et a âe donc \:t nohi i
Tome V. X X X
53© HiSTÔiftï DE Î'rawce,
■- " "' pied à terre en Tabordanc. Le clergé , les ordres re-
Ann. i37«. Hgieux des deux fexes 9 les membres de Tuniverfité,
s'avançoienc les yeux baiffés : tous fe profternerent
devant lui dès qu'il ^àrut. Tous les enfants des citoyens ,
au-defTous de; Tâge de treize ans , venoient enfuite
, , criznt y mifericorde. Les inagiftrats municipaux fer-
moient cete marcïhe lugubre : ils s'étoient dépouillés
des ornements de leur dignité , fans manteaux , fans
chaperons y fans ceinture ^ la corde au cou. Dans cet
état.funefte d'abaiflement ^ viâîmes innocentes du
cpime de leurs compatriotes, ils fe jetèrent aux pieds
du prince, en lui préfcntant les clefs de la ville &
le \batatu: de la cloche qui avoit fenri de fignal aux
révohés. Le dûc les fit remettre, ainfi que les clefs,
au fénéchal de Beaucaire , & pourfuivit fa route à
travées une multitude d'hommes , de vieillards , de
' femmes &. d'eôfants profternés fur fon paflage : Tair
retenciffoiti de leurs gémiflemencs. On pofa fur -le-
champ des 'cor|)s- de -gardes dans les diférents Quar-
tiers : tous les habitats eurent ordre d'aportcr leurs
arn^es.. Le lendemain le duc d'Anjou fe fit voir fur
un échafaud dreffé dans la grande place , où le peu-
ple en filence atendbit fon arêt. La ville fut conda-
née; k la» perte de fcs privilèges-, k la privation du
confulat^^de fon unîvènîté/ de fés archives , de fon
fceau , de fon hôtel municipal & de fa jurifdiâion
commune, k la confifcation de la moitié des biens ^
au paiement de fi« vii^gt^^ mille livres d'amende,
fomine exorbitante pour «ce temps-lk , &'de tels dé-
pens qu'il plaîroit au^ pritace de fixer, k fonder une
eglife defiervie'par douzie éhafpelains. A ces peines,
on ajouta que les tours & les portes feroiènt abatues ,
été imprfni^ JaflS'les anciennes éditions iJcs chroniques de France. Le carénai
Pieire de Lune étoit alors cn^ Italie. Dans la chronique manufcnte d'après U-
qucle an g^ impriiné les chroniques de France , on^ \\x le cardinal d*Albaoe : il k
oommoic Anglh Grimoard. Ce prélat étoit éfeûivement un des ûx cardinaux
Îue Grégoire XI lailTa en France, lorfquii transféra le faine iicge à Rome.
hron* AtS.iihi, rayai, num. 8}io, Uïft. ici. lom. lo ^pag. 50i««s
, C H 4 a t K s . y* . . : i^^i
•Jcs murailles rafées. Les cq^fuls &; Içç pô^çipp^iyc ?5S55HSB
.bourgeois furent obligés de retirer eux-mêmes les Ann. x)7|.
corps de ceux qui avoieut été tués dans le temps de
Ja révolte. Jufque-IM , les b^bic^^us.ftpnfierpés ,ii*ayoijenjt
pas rompu cet afrôux lilf j^e qi^)^; terf ^ûr in^pire>
inais quand la fuite: de qece cerrà>le ' fentepcp leur
-annonça que lix cents citoyens étcfieoc .dévoyés à. la
morC| delquels deux cents dévoient périr par le fer,
deux cents par la corde , deux cents par les flamr
jnes, la poftérité de ces m^lheurcius^ réalité k la. fer- - •' ■\
.vitude , & notée dVne pçrpétu^/ infamie»; alors po "^ *.,' ' ^
n^entendic plus qu'un .mélangé C4?^fus dç yoix.plftiflr
tives &. de cris, perçants..: 1« hommes, épçrflits de-
mandoient grâce ; les femmes échëvelées le frapoienc
Ja poitrine. Au-milieu des clameurs qu'excitoit.la dé-
folation univerfele , Jç cardinal d'Albaçe sW^nça vers
,1e duc f '& Je fupHa , dtaos deSS) tercr^Sjfi p^elTàots^ de
modérer , ou du -moins de- fqfpdndr^e Ja rigjueur de ce
jugement, qu'il obtint uii délai de vipgc-qjiatrê heu-
-res* Ce terme expiré^ Taflembléie. fe rendit au inême
lieu : le prélat n*employa d'autre éloquence que celle
que lui infpiroit la rerveur» do* fa, charité. Vxk I^<i>roSr
tûcain animé d«. même uï»4^i. Ja:;p»rQle. apflèyt:J»ij,
.& :plaida la caûfe.de rhim;^amté-.Sansr^fer dç yiains
détours pour diflimuler la faute q\i^-ies .h*bitîtnft5
avoîent commife , les-difcoUnsd^ ce$, idjeux. orateurs : -^
ne furent apuyés que. fur cete mapnve fublime ^ te ; '
chef r d^œuvre de là- jitiprale' ,. ^u'il é^ioit .réfervié \ au
chriftîanifme . i d'apr,endf 6 1 ciux ; tpçaippîf J J«i piiçdfin: ikfe . '
injuresi , Le . fuccès-. couronna leur* rîfiiEefl^Qn^ ^r ^^le* 4lfc
fc laifîa' fléchir ; il remit ',à la. ville, la^ nplu? j graodp
partie des peines qu'il venoit d'impofer', fe conten-
tant de prendre iix mille francs pour fes déf^ens, &
les fix vihgt mille livres <i'amen4è. . Çeuy qui fièrent
convaincus d'avoir (nod^pé leuj^s ;.>o^ains dans 4e Jaog
des oficiers maffacrés., furpnt putii^ 4e mort. Cetp
émotion paflagere ne fut poiot imitée par d'autres
xilles pendant le refle de la vie de Charjes .y^j, ma»
X X X i j
•4'\
^3* Histoire de France,
''' - €lle annonçGfic déjà celles qui furvinrent dès les pre-
Ann. ij7^« mieres années du règne de fon fuccefl'eur j pendant
la minorité duquel on vèra plus d'une fois de lenv-
blables fcenes fe renouveler dans diférentes provinces,
fftutes toujours rachetées par des punitions pécuniaires.
Nouvclcs L'utile emploi du revenu des fubfides impofés fur le
aquifitions au peiiple , ne làiflbit aucun prétexte aux murmures. Le
"^^Trlrordes ^^^ P^^ Téconornie de fon adminiftratiou , s'étoit trouvé
Chartres. en pouvoir , non-feulement d'aquiter les dépcnfes pro-
Mém.dtia digieiafés qu'exigeoieht les entreprifes qu'il âvoit fi
Chambre des jl.P . ^^^tr .^ : . ^, y . .. * . ^ .
C0mpu9. wéureuleraent ' exécutées ; mais il avoit encore trouvé
dânkiféïi épargne des fonds fufifancs pour augmenter
le' patrimoine de ktouronne par de nouveles aqui^
fîcions. Outre celles déjà raportées, il unit au do-
maine la feigneurie de Creil qu'il acheta de Béatriz
dé 'Bourbon , reine de Bohême , le comté de Dreux ,
que lui cédèrent pat* ^échâïige Je vicomte de Thouars ,
j& Marguerite 'de ThdUarsV fcttime dé Guy Turpin ,
la ville i& la vic^omté de Péwnas , ainfi qu'une partie
de l'ancienne vîgueriede Béziers. Enfin, l'arcnevê-
vêque de Reims lui tranfporta les feigneuries de M ouzor
& de Beaumont en Argonne. Par les lettres de ce
^ttahiport , il fut' ie^pr^uement marqué que Mouzoa
^oif jtena ' tài 'frëkc'-ahu* , 'fam 'r4c6nnoiJfanct d^aucun
fcigntut um^ofél. j' -
Terres poffiJ- Les termes de ce traflfi)ort>paroîtroîent devoir fixer
aiw.^° " l*in<^ertitudequ*a fait naître la diycrfité des opinions
Pa/quier. 'fur ^âf nature du frdnc-aku. Ilîeft'afiez probable que
Mém.diiht. ^iJrfqifetDe^iftÀ-bàfefe^; cônfêdér^^ con)^Qs>fous le nom de
'Fi^ancs, eMVahiréiities Ga[ules,i'Chacuiir de* ces guériers,
égauïKLi etitr'eux , eut la propriété immédiate & le do-
^ maine' abfolu de la terre qui lui étoit échue en par-
^fig^ 9 propriété qU^il tranfmit à fes fuccefieurs au
même titre* Les feigneuries ainfi pofi^édééSi , étoient
diférentes ''de 'la jouînabce 'précaire des bénéfices que
le prince *acordaif, ^foit pour un temps indéterminé,
foit à vie , foit à perpétuité , mais toujours à des ^con-
dicions de fervice, de reconnoifiance ^ d'hommage &:
C H A R t E s V. 533
d'autres devoirs. La politique du gouvernement ayant J
ataché des privilèges fans nombre à la qualité de Ann. x^jt.
vaflal du prince, la plupart de ceux qui poffédoient
des terres en franc-aUu , s'empreflèrent de renoncer
à une indépendance onéreufe , pour devenir vajfaux £ic^/^ ^
du roi j en changeant, pour ainfi dire, Teflence de loîx ^t.ni,
leurs pofleffions. Ils remettoient pour cet éfet leurs ^'^•^'' ^^•^*
terres au ibuverain, & les recevoient enfuite de lui
comme fiefs. Ce titre de vaflal , dans la fuite , fut
' rendu fi commun , que les diftindions ceflerent , en
fe répandant généralement fur le corps entier de la
nation. L'indépendance abfolue des leigneuries dut
fans doute alors être regardée comme avantageufe :
aufli-a-t-on du remarquer précédemment que le comte
de Foîx ne voulut recevoir que le château de Mau-^
voifin , parce aue cete place ne rdcvoit que de Dieu.
On ne connoilibit prefque plus de feigneuries confi-
dérables poflédées en franc-aleu {a)' : le petit nombre
qui reftoit fufit cependant pour découvrir des veftiges
du plus ancien droit de propriété qui ait exifié parmi
les fondateurs de notre monarchie.
Le roi rapela vers ce même temps au domaine de Traité entre le
la couronne une partie des aliénations faites par les «>i&ic comte
'r • 1 T^ r* 1 r^ j • «c Savoie con-
anciens louverams du JJaupmné. Un ne doit pas trcicsmaifai-
omettre , k Tocafion du gouvernement de cete pro- «urs.
vince , un traité conclu entre le roi , comme dauphin ^ ^?^%*^j^
de Viennois (a) , & Amédée, comte de Savoie. Cete com^us ^da*
fage convention , qui intéreflbit la tranquilité publi- Daupkiné.
que , devroit depuis long-temps être établie entre ^tou- Jj^^^^'J!'
tes les nations policées. Une inimité de bandits de la
Savoie & du Dauphiné avoient pris l'habitude de fe
refiigier dans Tune de ces provinces pour fe dérober
{a ) Le mot d'tf/eu pris dans Ton ëtjmologie , préfente Tidée d'une pcflèdioû
libre de toute fujétion. Il eft compote de TA privatif & de Leudc , expreffion
Celtique , qui fignific fujet. K/d. Pa/quier, liv. i , chap. i;. Glojf, du Cange ,
éàd vtrh. Alodia.
{b) Le roi dans ces lettres prend le titre de dauphin de Viennois, quoiqu'il
e&t donné k Dauphiné au prince Charles , fon fils aSné , lorCqu'il vint aa
monde.
5|34 Histoire pe France,
s à la punition des forfaits qu'ils avoient commis dans
Ann. X378. l'autre. Les deux princes , pour prévenir de pareils
abus , convinrent de fe rendre réciproquement tous
les malfaiteurs qui fe trouveroient dans leurs Etats,
quand même ils feroient leurs propres fujets. Une
profcription fi févere & fi précife arêta oientôt le
défordre , en mettant un frein aux brigandages de
ces fcélérats , qui ne fe trouvèrent plus encouragés au
crime par Tefpoir de l'impunité.
^^f^^"^^ "ïu On ^ fouvent eflayé en JFrance de rendre aux hom-
ctltcicc?^ mes une partie de leur tranquilité, en abrégeant la
Livre rouge loogucur des procédures ; mais Thydre fans celle re-
vieux du châ' nailîante de la chicane , fçait par^ mille détours éluder
'read ^ la prévoyance des plus habiles légiflateurs ; enfortc
Rtcœuii des quc le projet de la détruire , facile dans la fpécula-
ordonnances, çj^^ ^ ^ toujours paru impraticable lorfqu'on a voulu
l'exécuter. Ce que Ton peut de mieux , efl d'apliquer
de temps en temps quelques remèdes palliatifs à cetc
maladie incurable. Depuis que l'ancienne forme de
lios jugements , fi commode par fa fimplicité , avoit
été remplacée par une jurifprudence nouvcle, Vtm^
baras de^ concilier les coutumes & les loix diférentes,
s'étoit acru au point , qu'un malheureux plaideur,
égaré dans un labyrinte de formalités , étoit obligé ,
pour fa défenfe , de recourir à des interprètes mieux
verfés dans un langage devenu étranger pour lui. Ce
trifte befoin avoit engendré une infinité de miniflres
fubalternes , plus intéreflés à obfcurcir les droits des
citoyens qu'à . les défendre. Paris & les autres villes
du royaume étoient inondées d'un déluge de folici-
teurs. Ces armées de praticiens répandus dans les
diférences jurifdi6bions , adiégeoient les tribunaux >
étourdifToient les juges fous prétexte de les inflruirc ,
& trouvoient l'art , à force de verbiage & d'écriture ,
d'éternifer l'iniquité. La jurifdiftion du châtelet entre*
tenoit une multitude prodigieufe de ces athlètes ,
toujours prôts à entrer en lice pour foutenir la caufe
bonne ou mauvaifc du premier Venu. On crut ataf,
Charles V. 53^
quer le mal dans fon principe , en retranchant du -
nombre exceflîf des procureurs ceux que leur infufi-' ^^n. xj?».
Jance rendoit incapables de cet emploi. Le foin de veiller
à cete réforme fut confié au parlement , au prévôt
de Paris & aux confeillers du Châtelet. Ils choifi-
rent parmi la multitude Quarante des plus loyaux ^ &
rejetèrent les autres , par lefquels le peuple étoit moult
grevé , 6' en plufieurs manières opnmé induement.
Tels font les termes employés dans cete falutaire
ordonnance.
L*année précédente , le roi par un nouveau régie- Rtekaacnc
ment avoit décidé que les ofices des confeillers-audi- î^u^&!^ufic
teurs du Châtelet , qui étoient auparavant afermés grefe du châte-
au plus ofrant^ feroient dorénavant donnés en garde ^"•
à des perfonnages éclairés & fufifants. Le prix des difé- f''*"'* '^rl^
rentes écritures expédiées par les grehers , qui pour uier.foi. 148;
lors étoient clercs des juges, & demeurants chez eux, RecœuUdes
fut fixé par ce même règlement , qui contcnoit aufli ^^^^«''^"^"•
Tordre des fondions des confeillers , à-peu-près fem-
blable à celui qui s*obferve encore aujourd hui.
Il étoit fi avantageux aux Juifs d'habiter en France , D^fcnfc de
qu'ils aquiterent toujours , fans dificultés , les taxes recevoir ics^a-
auxqueles ils étoient afliijétis. Souvent même ils aloient nouveaux con-
au-devant de ces impofitions, qu'on les vit augmenter venis contre
à diférentes reprifcs , ajoutant des fommes cônfidé- ^^^^if'^j^^
râbles k celles qu'on leur demandoit, pour obtenir de ckan reg./il»
nouveles prorogations de domicile. Plufieurs d'en tr'eux, pièces 100.
*^^n/1<ïMf i^*» Irkffntfv fAir%ii«* otrrviAnf r\ii«r/»t«r l*»c 'VT^ii^r Âsr txiCCtUtl acJ
ordonnances.
reconnu les vérités du chriftianifme. Ces nouveaux
convertis , tranfportés d'un zèle indifcret , confon-
doient avec leur éloignement pour la loi qu'ils avoient
abjurée , une inimitié perfonneîe contre ceux qui per-
fiftoient dans leur aveuglement. Les Juifs n'avoient pas
de plus cruels perfécuteurs que les chrétiens modernes.
Jotirnélement traduits devant les tribunaux par des acu-
fations prefque toujours deftituées de fonciement , ilis
portèrent leurs plaintes au pied du trône. Le monarque,
perfuadé que la juflice eft un bien dû à tous les hom-
53^ Histoire de France,
s mesj fans acception de leurs fentiments en matière de
Abu. IJ78. foi , défendit expreffément que les Juifs régénérés par
le batême , fe rendiflent délateurs , à moins qu'ils ne
donnaffent caution , & qu'ils ne fuflent en état de
fournir des preuves évidentes de leurs acufations. Les
juges eurent ordre en même-temps de n'admettre aucun
des raports qui leur feroient faits , qu'ils n*eufl'ent été
cooftatés par des informations juridiques.
Ordonnance Charles le Bel en 1324 rendit une ordonnance pour
fur les francs- contraindre les perfonnes non nobles , qui depuis
riflremcQts?^*^' trente années poUédoient des fiçfs fans la permiflion du
Recœuii des TOI , ^ payçr dcux annéçs du revehu de ces biens ;
ordonnances. ^ j^^ écléfiaftiques qui fe trouvoient dans le même
Cnron,Jancii . * * //* i i • i i r
Martiaiis Le- cas , à porter au trélor Iç produit de quatre , de iix ,
fhovicenfis. & même de dix années , fui van t les dirérentes provin-
ççs , pour le droit d amortiflement des biens par eux
^quis depuis quarante an$. Cete ordonnance des
francs-fiefs & amorpfTpments fut renouvelée pendant
les dernières années de Charles V. Philippe le Hardi ,
fuivant une ancienne chronique , fut le premier de nos
;*ois j qui çxigea que les écléfiaftiques achetaflbnt le
droit de polFéd^r des bi^ns ^ qqi une fois aquis par euX|
. ne fortoient plus de leurs mains. Ce roi déclare formé*
lemenf à la fin de fes lettres , que ce règlement ne pou-
voit avoir lieu que pour IcjS aquifitions paflees , ne vou^
lant pas qu'on le fuivît pour les aliénations futures qui
Mimoriaide feroient faites en faveur du clergé , dont Vcxccs pouroit
Uchamhrtdcs dcvcnir fi préjudiciable . ourdies ne dcvroicnt point, du
comptes ^regifi. \ ^.'* ^i' ^ 1 r\ ' * * J--. jti u
5.7^)1. tout efrc folcrccs. b.On ignore , dit un autçur célèbre,
Efprit des yy quel ef^ le terme au-delà duquel il n*eft plqs permis
ch!\[^^ ^^* ** ^ ^^^ faipill/e qui ne s'éteint jamais , d'aquérîr de nou^
>j vêles poffelïîons. a Nos rois en refpeâapt les immu-
nités du corps éçléfiaftique , dont ils font les premiers
défenfeurs , \ font réglé3 pour permettre l'acroiffçmcnt
du domaine facré de Téglife , lur la néceflité plus ou
moins preflante d'en ralentir le cours, en augmentant
ou diminuant à propos le droit d'amortiffement. Il fe-
roit bien iijutitç d'expliquer ^ux Içdeurs l'origine & la
nature
Charles V. ^37
fï^ture de ce droit : le terme èl'amortijfcmcnt endéfigne -
affez clairement la lignification. , Ann. ijrs»
Ce n'étoit pas afTez pour le malheur du genre hu- Grand rchîrme
main , que depuis tant d'années les funeftes divifions «i'Occidcot.
des princes temporels répandifTent dans les plus bêles"
contrée^ de TEurope le carnage & la défolation ; une
calamité inatendue vint ajouter aux maux dont on gé«
miflbit I de nouveles horreurs , des guerres fanglantes ,
des haines implacables , des trahifons y le fcandale &
le ridicule. Et quele fut Torigine de tant de défordres ^
L'éleâion d'un miniftre de paix , d'un fucceffeur du
prince des Apôtres , deftiné pour entretenir parmi les
fidèles la concorde & la charité. Deux conipétiteurs .
ambitieux d'ocuper la chaire de faint Pierre , (e difpu-
tent ce fuprême honeur avec un acharnement dont Thif- .
toire de Téglife ne fournit point d'exemple. Leurs pré- .
tentions partagent l'univers chrétien. La tiare flotante
entre ces deux têtes , réunit &c femble fixer latention
générale. Les pontifes enneniis , trop foibles par eux^
mâlmes, réclament les fecours des puifiances du fiecle:
il faut choifir entr eux. Le fage tempérament de la
neutralité fe trouve précifément être celui qu'on adopte
le moins : on s'arme y on court avec empreflèment fe
ranger fous les enfeignes de l'un ou de l'autre : chacun
des deux rivaux compte des fouverains parmi fes adhé-
rents : ils ont tous deux leurs armées y leurs généraux ^
leurs prélats y leurs doâeurs^ leurs faints {a). Dans cete
double guerre y on combat également avec le fer & la
foudre : enfin cete odieufe querele , qu'on auroitdû af-
foupir dès fa naifiance , ne fe termine qu'après trente
années d'hoftilités , d'intrigues & d'écrits y fans qu'il
foie poflible de démêler dans cete étrange Gonfulion
quel étoit le parti le plus jufte.
Grégoire s étoit flaté de rétablir en Italie la puifiance Gacrrc ea
temporêle des papes , qu'avoic afoiblie leur ^'^^g"® ^h^I'^^d^
Èîft. iccirf.
(s) sainte Catherine de Siennç ^côit pour Urbaîci > faiot Vincent Ferrîet
potir .Clëmcntt
Tome V. Y jr 7
^38 Histoire t>% France,
,-. abfetice de Rome. Les Florentins maintinrent toujoun
Ano. i}i9. avec fuccès la ligue qu'ils avoient formée contre le
laint fiege. Vainement le cardinal de Genève , chargé
par fa fainteté d'amener des troupes à la défenfe des
►terres de léglife , étoic repaflë en Italie avec fix mille
Bretons , commandés par Jean de Maleftroit & Sylvelire
Bude. Ces troupes commirent ufle infinité de défor-
dres , s'emparèrent de quelques villes , mais ne termi-
nèrent pas la guerre. Leur infolefice & leurs brigan-
dages contraignirent à la révolte des places qui avoienc
été foumifes |ufqu'à leur arivée. Les habitants de Ce-
iennê excédés des traitements injurieux qu'ils efTuy oient
de ces foldats étrangers , s'aflemblerent , prirent les
armes , & les chaderent de leur ville. Le légat du faint
fiege dans le territoire de Bologne , joignit aux Bre-
tons les compagnies Ângloifes , commandées pair Jean
Acut , autre chef d'aventuriers , qui rava|;eoit Tlcalie.
La ville de Céfenne fut reprife par ces brigands réu-
nis. Les habitants furent pafTés au fil de Tépée , fans
diftinâion de fexe : cinq mille hommes périrent dans
ce mafTacre ; les vainoueurs ne réferverent que les
bêles femtnes pour en faire à leur plaifir. Le cardinal
aflié|;ea inutilement Bologne y qui étôit entrée dans
la ligue des FljDrentins : il efTaya d'atii:er le comman-
vferneur qui devinoit fon defTein , répondit à celui qui
vint le provoquer à ce combat : w Monfieur Je révé-
la rendiuîme fe travaille que je pe fors point de la ville :
>y mon gentilhomtne , dites-lui que. je ne fors point,
n ôc la caufe ef^ afin qu'il n'y entre pas. ce Enfin le
faint fiege fut obligé de conclure un acommodement
avantageux aux* Florentins.
Mondafâpe Ces coRtradiftions , & le peu d'autorité dont les
chi^oi MS. P^P^^ jouïfToîent dans Rome même , où le peuple pcn-
chroniq. de daut leut abfence s'étoit rendu prefque indépenda^it ^
rroifards^c. avoicut dégoûté Grégoire du féjour de l'Italie : déjà
Charles V. ^39
même il médîtoic fon retour en France , Idrfqu'il fut -
furpris de la maladie donc il mourut le vingt^fept Mars a»»« » J7».
de Tannée 1^77 (a), y âgé de quarante -lîx ans , après ^'^fi^J^^M*
avoir ocupé le faint fiege fept ans deux mois & vingt- ^^^****^*
fept jours. On acufa ce pontife d*uae prédileâaon trop
marquée en faveur de fa famille, dont plufieurs furent
élevés aux dignités , quoiqu'on en eût pu trouver de plus
convenables pour la fcience & pour les mœurs. Am^
reftc > il fut amateur des gens de lettres 9 qu'il honora
toujours d*iine proteâion finguliore. Qudlquçs jours
avant fa mort y il donna une bule , par laquele il tra^-
çoit aux cardinauic la conduite qu'ils dévoient tenir ^
pour lui donner un fucceffeur : a Et nous chargeons^
s> dit-il , leurs confciences délire un digne paxteur n.
Les circonftances fâcheufes où les éleâeurs le trouvé-»
rent » \e,% ocuperent bientôt d'autres foins que de celui
de fe conformer à ce$ louables difpôfitions. ..
La préfènce du pape à Rome étoit audi avantageuie
aux Romains , que le féjour de ces mêmes pontifes
dans Avignon avoit été nuifible à la France. Selon le
témoignage d'un de nos anciens écrivains , depuis que
le faint fiege eut été transféré en Provence ,/ ce ce ne ^^^^""^'7'
^ fut plus qu'un mélange & débauche de toutes chofes : ^F^ZuUit. j^
2> le pape à la vérité acordoit au roi des levéeis de çh. 25.
yy décimes fur le clergé ^ beaucoup plus à l'abandon
f} que l'on n'avoit fait auparavant > lous prétexte de
yy Y^yages imaginaires d'outre* mer ; & le roi en con-
yy tr'échange connivoit aux grâces expeôatives , & pro^
yy vifions extraordinaires du pape fur les bénéfices ^ en<^
» femble aux exaâions qu'il faifoit delTus tous les bé-
9^ néfîciers pour entretenir fon état 9^. Cependant on
ne Jugeoit pas ainfi pour lors ; & les François étoient
auffa jaloux que les Italiens de la réfîdence des fuccef*
feurs de faint Pierre.
Le jour même que les cardinaux célébrèrent le fer-«
{a) Suivant Tufage obfervé alors d'affigner le reooavélemeot <le Fanoée au
eur de Pàque , Vannée l)^% commenta le dix-huic Avril. Glojf- du Cange^ai
^rb. Ânnuc.
Vyyi)
^4P Histoms D£ France,
^ - vice de Grégoire XI dans Téglife de Sainte-Maric-la-
Ann. ins. Neuve, ils mandèrent les fénaceurs & les bannerets,
^néî'^" ou chefs de quartier de la ville , pour leur recom-
du'papc.^ " mander la sûreté du Vatican , où le conclave devoit fe
Hiji. Eciif. tenir. Le fénateur portant la parole pour les Ro-
mains , déclara que potM^ remédier aux défordres fur-
venus dans Rome & dans TEtat écléfiaflique , depuis
que le faint iiege avoit été ocupé par des Ultramon-
tains , il étoit abfolument néceffaire d'élire un pape
Italien, que Pamour pour le lieu de fa naiflance enga-
geât à préférer Rome à tout autre féjouK II finit en
aflurant que tele était Tintention unanime du peuple.
Cete première déclaration infpira une li grande rraycur
aux prélats , que Tarchevêque d'Arles , qui en qualité
de camérier de l'églife Romaine , devoît garder le con-
clave^ remit ce foin à Tévêque de Marfeille , & courut
fe renfermer dans le château Saint- Ange.
Le fénateur 6c les autres chefs qui gouvernoient dans
Rome , avoient obligé les nobles de fortir^e la ville:
les payfans des environs , hommes féroces , connus fous
le nom de montagnards , étoient acourus fe joindre à
la populace atroupée dans les environs du Vatican. Ce
détordre , qui croiflbit k tous moihents , étoit fecréte-
ment fomenté par quelques prélats qui avoient intérêt
qu'on choisît un pape Italien. Seize cardinaux , defquels
quatre étoient Italiens , onze François & un Arago-
nois , fe trouvoient alors k Rome : fix autres réfîdoient
en France, & Jean de la Grange, dit le cardinal d'A-
miens , rempliffoit en Tofcane les fondions de légat
du faint fiege.
Embarasdes ^^^ précautions dont les Romains s'armerenc , prou-
cardinaux. vent qu'ils n'étoteut pas afTurés de réuflîr par la violence
Uidtnu qu'ils employoierit ; & peut-être les éleâeurs les eut
fent-ils déconcertés ^ en leur opofant Tunion & la conf-
iance : mas divifés entr'èux y ils n*étoient ocupés qu'à
fe donner mutuélement Texclu^on. Les feize cardinaux
formoient trois faéHons , Italiens / François & Limo-
fins : ces derniers étoient les plus nombreux \ les trois
' C H A & I £ s V. ^4t
dérilîers papes , Limofins de naifTance , ayant rempli ■_!■
le facré colege de leurs compatriotes. Les François puis Ann. XJ78.
éloignés encore de la faâion Limofine que de Tlta*^
lienne ^ fe joignirent à cete dernière ^ aimant mieux
donner leurs fufrages à un Italien , que de voir encore
un Limofin ocuper le faint fiege. Ils convinrent de
faire un choix hors du facré colege , & fe propoferent
de nommer l'archevêque de Bari , Napolitain. Ce fut
dans ces difpofitions qu'ils entrèrent au conclave , dix
jours après la mort de Grégoire XI. Avant que d'ari-
ver au lieu où raffemblée devoit fe tenir , ils avoienc
été obligés de pafler avec peine à travers une foule de
'Romains armés , qui ne ceffoient de crier : Romano
io volcmo , nous voulons un Romain : Avtjt:^ vous ^
fcigneun cardinaux ^ &fi nous baille^ un pape Komainj
autrement nous vous ferons les têtes plus rouges que
vos chapeaux*
Le lendemain de leur entrée au conclave , les car- Ekaîon
dinaux s'aflemblerent pour procéder à Téledion ; car ^'Urbainvi.
la fureur du peuple s'iritoit de plus en plus : il ne -^*'^"».
difcontinuoit pas d'afliéger le palais avec un vacarme
éfroyable , prêt à chaque inftant, d'en brifer les portes ,
empêchant qu'on ne portât à manger aux prélats , qui
ne purent fermer l'œuil de la nuit. Un des cardinaux
éfrayé de ce tumulte , propofa un expédient fingulier
pour fe tirer d'embairas. » Prenons , dit -il , un frère
>^ mineur 9 mettons -lui la chape & la mitre papale^
y^ & feignons de l'avoir élu , & puis nous retirons d'i-
>^ ci , & nous en élirons un autre ailleurs a , comme
fi le choix d'un cordelier eût été pljis facilement an-
nulé que celui d'un autre. Ce mauvais fubterfuge fut
unanimement rejeté. Alors le cardinal d'Aigrefeuille 9
qui le premier donna fa voix | déclara qu'il élifoit pu*
rement &: librement le feigneur Barthélemi Prignano ^
archevêque de Bari. A Tinflant il fut fuivi des autres
Cardinaux des deux faâions réunies , oui fomioient
plus des deux tiers des éleâeurs auxquels le cardinal de
f lorence fe joignit encore. Un feul cardinal ofa pro-
54^ Histoire de Frakce^
— tefter , & un autre plus courageux encore refiifa conf».
A^- '578- tamment de donner fa voix. (Je fut ainli que fe ficcete
éleâion y fur la<][uele il feroit téméraire de hazarder un
jugement , puilque le concile , qui dans la fuite ter-
mina le fchilme , laiiTa la queftion indécife. On ne peut
cependant s*empêcher de faire quelques obfervanons
qui fe préfenccnt naturélemenr. Si les cardinaux furent
tous forcés ^ comme ils TaiTurerent quelques mois après ^
pourquoi ne feignirent - ils pas de concert ? Pourquoi
ce choix hors du facré colege ? Tarchevêquc de Bari
leur avoit-il donné parole d'abdiquer ? Etoient*ils plus
sûrs de fa proraefTe que. de celle d'un d'cntr'eux ? Le
choifîrent - ils enfin pour fatis&ire les Romains ? Ils
écoient fi peu sûrs de Faprobation du peuple , qu'ils
d'oferent d'abord publier Téleâion ^ apréhendant que
l'archevêque , qu'iis envoyèrent prier ae fe rendre au
conclave y ne nit infulté. Tous ces faits avoués par
eux-mêmes , ne s'acordent gueres avec le défaveu qu ils
publièrent enfuite : le refte de leur conduite préfentô
toujours la même inconféquence. Quoi quil en foit^
ils réitérèrent l'éleâion après leur dîner , l'archevêque
préfent. L'évêque de Marfeille importuné par les Ro-
mains y impatients de fçavoir quel étoit le pape qu'on
venoit d'élire, leur dit d'aler à Saint- Pierre, & qu'ils
Taprendroient. Ils crurent. entendre que c'étoit le car-
dinal de ^int - Pierre : abufés par cete idée , ils cou-
rurent au logis de ce prélat , qu'ils démeublerent fui-
vant la coutume de piller la maifon du nouveau pape
en figne de joie.
L'éleâion cependant ne fe publioit pas : le peuple
furieux de fe voir trompé , brife les portes du palais.
Dans cete extrémité , les cardinaux engagent le cardi-
nal de Saint -Pierre à fe laiiTer revêtir des ornements
du pontificat. Les Romains entrent , fe profternent de-
vant lui. Envain il leur crie , ce Je ne fuis point pape^
« & ne veux point être antipape : on a élu l'arche^
3y vêque de Bari qui vaut mieux que moi v. Ils ne l'é*
coûtent point, ils Iç tpçttçp; d^ns ype çhair^ ^ \o
Charles V. ^43
Îiortent en triomphe y tandis qu'à la faveur du tumulte """"'-—
es cardinaux s'échapent du conclave : fix fe fauvent '^^^' 'î^*-
dans le château Saint- Ange ^ quatre fbrtent de Rome j
les autres fé retirent dans leurs palais. L'archevêque le
lendemain rend Ton éleâion publique : le peuple paroîc
content. Les cardinaux qui étoient demeurés chez eux ,
fe rendent auprès du nouveau pape > ceux du château
Saint-Angè arivent , & pour la troifieme fois Téleftion
feft réitérée. On intronife le pontife , qui prend le nom
d'Urbain VL Les préiats qui étoient fortis de Rome
y reviennent ; lui rendent leurs refpeâs comme à un
pape légitime. Il font plus y ils inftruiient les cardinaux
d'Avignon de la promotion qu'Us viennent de faire ,
& ceux-ci la ratifient en y accédant. Le cardinal de
la Grange y légat en Tofcane y de retour à Rome y joi-
gnit fa voix à celle de fes colegues : ainfî on peut af-
lurer que pendant quelque temps le pape fut reconnu
par les vingt- trois cardinaux qui compofoient alors le
facré colege.
Urbain avant que de parvenir au pontificat > iouïf- ^fl»>« ^
foit de la plus grande réputation , foit pour la dottrîne, uspiéi^^^^^
foit pour les mœurs ; humble , dévot , défincérefTé , Uidcfn.
févere pour lui feul , indulgent pour les autres. Le
triple diadème fit en lui un changement qu'on auroit •
peine k croire y s'il n'étoit ateflé par tous les hifloriens
^e ce fîecle. Feu de jours après fon exaltation y il
donna les premiers indicés de l'humeur auftere qui le
dominoit. Le receveur des deniers de la chambre apof-
tolique vint y fuivant l'ufage y lui préfenter le produit
de la recette ; il refufa l'argent , en le chargeant d'im-
précations : Que ton argent périjfc avec toi, s'écria-t-il.
Ce défintéreflement outré ne <iura pasu Le lundi de
Pâques il pronon^ un difcours très- véhément dans la
fale de fon palais : là y fans aucun ménagement y adref-
fant la parole aux évéques qui compofoient une partie
de fon auditoire ; il leur dit qu'ils étoient tous des
Earjures d*avoir abandonné leurs églifes pour réfider à
i cour. L'évêque de Pampelune choqué de Tapolbrophe^
544 Histoire de France^
^**""''"'^*^ fe leva & lui répondit en ces termes : a Je ne fuîs
Ann. IJ78. ^y point parjure , je ne fuis point à la cour pour mon
w intérêt particulier , mais pour Tutilité publique -, &
» je fuis prêt à m'en retirer ». Les cardinaux eurent
leur tour , & Furent traités encore plus durement dans
un confiftoire quil tint huit jours après : il les taxa pu-«
bliquement de fimonie , dlnjuftice , de luxe & de per-
fidie y ne défignant perfonne dans ces fanglantes in-
veâives , mais les menaçant tous en général de les
f)unir févérement , s'ils ne fe corigeoient. Il eut enfuite
a témérité d'avancer qu'il feroit juftico des rois de
France & d'Angleterre , s'ils ne mettoient fin à leurs
divifions qui troubloient le repos de la chrétienté , ce
qui lui donna fujet de revenir aux cardinaux dont il .
acufa Quelques-uns d'entretenir cete guerre , & de (a«>
crifîer le bien public à leur avarice. Le cardinal de la
Grange crut que ce dernier reproche s'adreflbit à lui.
Ce prélat avoit éfeâivement acumulé d'immenfès ri-
chefies dans le miniftere y & la voix publique lui en
faifoit un crime. Il intérompit le pape avec un gefte
menaçant , Çc lui dit : Comme archevêque de Bari tu as
menti.. A l'inllanç il fortit & s'éloigna de Jlomç avec
précipitation.
Bfcscardiftaux ^^^ ^^^^^ incidents auroient dû tempérer le zèle amer
fc retirent à du pontife ; mais malheureufement Ion caradere im-
*^^^UUem. P^^weux qui commençoit à fe mariifcfter , s'ejnflammoîc
'^ par les contradiâions. Ce fut vraifemblablement cete
conduite inflexible qui porta les cardinaux à fe reflbu*
venir des violences qu'ils avoient effuyées dans le con-
clave , & à concerter entr'eux les moyens d'ataquer
une éleâion contre laquele la contrainte qu'on avoic
employée à leur ^gard , fembloit leur ouvrir yne voie
de réclamation. Ils diffimulerent cependant, jufqu'au
mois de Mai , qu'ils obtinrent la permifliqn de ibrtir de
Rome fous prétexte d'éviter les chaleurs de Tété. Ils
s'étoient ménagé pendant ce temps la propeâion d'Ho-
porat y comte de Fondi , qui les reçut dans la villp
d'Aj;naai. Cç comçe éçoit aninié contre le pape t qui
avoit
^ C H A R X Ç s .V. , 54^
avoit voulu le priver de ion gouvernement* Les pré- — — ' '
Jacs traiterenc en même- temps avec les Bretons & les Ana. iiy^.
autres chefs des. compagnies , qu'ils engagèrent à leur
lèrvicc.
Urbain fut bientôt informé de c^ qui fe tramoit Urbain cflayc
contre fes intérêts. Il fe repentit d'avoir permis aux^^^".*P**^"'
cardinaux xie fortir de Rome : il eflaya deles ramener, ^*'^""'
& pour cet éfet il fe rendit à Tivqli , d'où il voulut
ife réconcilier avec eux ; mais il n'écoit plus temps. Il
ce re^ut queS des reproches pour reponfe à fes inyicatidnç.'
Déjà ('on combatoit aux portes de Rome : Bernard dp
la Sale , capitaine Gafcon , mandé pour la défenfe du
facre colége , avoit pris la route d'Agnani. 'Les Romains
voulurent lui difputer le paflage d'un pont , il les mit
en fuite , après en avoir tué cmq cents & fait quantité
de prifoQniers. Le peuple furieux de cet échec rentra
dans la ville y & fit main-baffe fur tous les étrangers
^ui fe trouvoient alors à Rome > les maflàcrant indif^
tinâement , prêtres ou féculiers. Ce genre de perfécu<-
tion dura plulieurs jours. Les Romains étoient prinçi*
paiement acharnés lur les François & les Bretons.
Les cardinaux s'étant déclarés hautement , envoyèrent ï-» cardinaux
dans toutes les cours les proteflations qu'ils avoient dref- tcTréicalon^^^
fées contre l'éleâion d urbain. Chaque jour ce pontife Wdem.
voyoit déferter quelques - uns des prélats de fa pour.
Ji'archevêque d'Arles ^ camérier de l'églife Romaine ,
vola les ornements ^ la chapele 9 & jufqu'à la tiare :
il porta ces tréfbrs facrés dans Agnani. Cet abandon
générjîl pénétra le pape & lui aracha des larmes» £n*
vironné d'ennemis , il ne lui reilpit plus que la faveur
du peuple & fon titre ; & ce qui devoit le toucher plus
vivement » il ne pouvoit atribuer fes difgraces qu'à lui*
tnême/ll s'étoit atiré gratuitement l'inimitié de la reitie
de Naples , qui non -contente d% le reconnoitre dès
fon avepemeqt au pontificat , lui avoit prêté de l'ar*
gent 9 ^ fourni des troiipies. Compctnt fur fa recon*
noiiTance y elle lui dem^|^a fon agrément pour le nia-
riage du marquis dç Mont£brrat avec l'héntiere de Si-»
Tome K , .,?zz
54^ Histoire db France^
■> cile ; mais l'ambitieux pantife avoic formé le projet
^ Aon. 137g. extravagant d'unir cete princeffe avec François Prigna*
no j Ton neveu 9 homme fans mérite & lans mœurs : il
refufa le confentement que lit reine demandoic , 6c fe
brouilla irréconciliablement avec elle.
Lc^carJinâux Ce fut cete inimitié qui engagea les cardinaux à
i"::ti^l q»;te' l^f%"r f Aenani pour le tiranfporter k Fondi,
tion Je Clé- Ville utuée dans la Campante a neur heues de Napies,
mcjic VIL Q^ jIj exécutèrent enfin la délibération prife depuis
Uùdtm. long temps , de procéder à une nouvele eleâion. On
obferve comme une iingularité digne de remarque ,
qu'en cete ocàfion les François trompèrent les cardi-
naux Italiens* , qu'ils invitèrent à fe joindre avec eux ,
en les flatant chacun féparément , & fous la foi d'un
fecret inviolable , de Texaltation au fouverain ponti-
ficat* Sur cet efpoir ils vinrent à Fondi y où ils curent
la mortification d'être témoiiis du choix qui fat fait
du cardinal Robert de Genève y fils du comte de cç
nom*
HijQoin de Le uouveau pape prit le nora.de Clément VII. Cete
ri/^/vrr/. par nomination avoit été concertée précédemment ; cepen-
''ibid^pûr ^^^^ ^^® lettre de Robert , comte Palatin , qui depuis
M.Crevief. fut roi dcs Romaîus , adrelTée k l'empereur vînceflas,
J. CEnfaau |^Q^5 ^ confe^vé une particularité qui mérite d'être ra-
portée. Les cardinaux aflèmblés k Fondi , embarafles
lur le choix qu'ils feroîçnt , eurent deflein de nommer
le roi de France fouverain pontife , & le monarque
refufa la proposition qui lui en fut faîte , parce qii'il
étoit eflropié du bras gauçhç , incommodité qui ne lui
Îermettroit pas de célébrèr.décemment le Icrvice divin^.
1 n'eft pas abfolument incroyable que le faeré cofege,
dans la vue de s'apuyer du crédit d'un chef puiffant &
refpefté , ait conçu un pareil projet ; mais on peut af^
furer que le roi étoit trop fage pour s'y prêter. Charle*
à qui la jeuriefle de fon fils caufoit de fi férîeufes în-
Suiétudes , & qui prenoît tant de précautions contre les
angers d'une minorité, feiltc|îc trop que la Providence
Fapcloit au gouvernement de fon rpyaunie , & aoo ài
la fuccefïidn de faint Pierre*
Charles V. 547
Urbain ayant apris Téleâion de Clément , & n^efpé- •■
rant plus de paix , fit les préparatifs convenables à Aon. 1578.
ia défenfe de fes droits. Il fe forma un nouveau
^olege de vingt-fix cardinaux pour remplacer les dé- ^'^- ^^''^*
ferteurs. Les deux pontifes alors , chacun à la tête* de *^'"* *^'
fon parii , commencèrent les hoftilités. en perfonne
i>ar des excommunications réciproques , âans lefqueles
es adhérents ne furent pas oubliés. Des injures > des
anathêmes , des malédiâions y oh en vint aux armes»
dément eut d^abord Tavaiitage ; mais le parti d'Ur-
bain reprit le defTus en Italie y qui fut le principal
théâtre de la guerre : fon rival ayant quite Fondi ,
fut mal reçu à Naples 9 malgré la proteâion de la reine :
après avoir demeuré quelque temps dans le château de
i'(Euf , il fe vit contraint de s'embarquer :- il prit la route
de Marfeille , où il ariva ^tigué d'une périlleufe na-
vigation I & de-lk vint établir fa couf dans Avignon.
Urbain jprofitant de ces avantages , prefla fes adver-
faires : rien ne lui coûta pour exécuter fes projets.
Il vendit les domaines , les droits des églifes & des
monafteres ^ les calices d'or ou d'argent , les croix »
les images des faims , les ornements des. églifes ; êc
<outfui: fondu & converti en efpeces. Avec ces refîbur-
ces y il renverfa du trône la reine dé Naples y pour y
placer un prince qui pkya fes bienfaits de (a plus
noire ingratitude , qui voulut atenter à fa liberté ,
3ui le profcrivit , qui mit fa t^te à prix , qui le força
e fe réfugier dans une forterefïe , dU haut de laauele
on Je voyoit quatre fois par jour , tenant un flambeau
d'ane main y une clockete de l'autre , excommunier fes Uidem.
.^ennemis y candis quç par fes ordres y dans ce même
x;hâteau qui lui fesrvoit d'afyle y on apliquoit à la quef^
tion (îx cardinaux qu'il traÎQoit k ia mite charges de
chaînes : ifs étoient acufés d'avoir conlpiré contre lui.
Jamais fa haine irnplaçakle ne leur pardonna ce crime
araché à la néceuité où* il les avoit réduits. Il les £t
périr de diférents genres de mort , non fans avoir
,go\)fé long- temps \p pl^ifir de les entendre çémîr
Z z ? i)
54^ Histoire ve Francï,
-- dans les plus crueles tortures. Souvent dans l*apré-
Ann. 1378. henfion que fes boureaux moins inhumains que lui ,
ne fe relâchafl'ent , il leur recommandoit de déchirer
ces malheureux prélats, jufqu'à ce que leurs cris per-
çants parvinffent k fes oreilles ; & pour avertir qu^il
étoit préfenc quoiqu'invifible , il fe promenoir dans
un jardin voifin , récitant fon bréviaire k haute voix.
Les triftes annales de Tunivers ne préfentent que trop
fouvent des traits de barbarie deshonorants pour l'hu-
inanité : il manquoit l'exemple d'un tyran Furieux &
tçanquile , affez impie pour ofer , en afTouvifl&rit fa
rage , adrefler fes prières à un Dieu clément & con^
fervateur.
Pendant le cours de ces défôrdres , les Clémentîns
& les Urbaniftes fe traitoîem fans quartier. Quicon-
que avbit le malheur de tomber au pouvoir du parti
opofé, prélat , •prêtre ou clerc, rencontroic une mort
inévitable, Lçs bornes de cet ouvrage nous dbRgcnt
de fuprimer les événements fans nomore que produifït
la querele des deux pontifes , pour nous renfermer uni-
quement dans les faits qui ont quelques raports avec
les a&ires du royaume,
indécifiondtt . Immédiatement après fon exaltation, Urbain n'avoir
f)as manqué d*en informer le roi de France , ainfi que
es autres princes chrétiens. ïl fut d'abord reconnu par
runiverfité , comme il Tavoit été par l.es cardinaux d'A-
vignon. Charles gui fu» ces entrefaites reçut de la part
des prélats d'Italie diférents avis contraires h cetc élec-
tion , balança quelaue temps à fe déclarer. Il eft affez
vraîfemblable que le cardinal de la Grange , en qui le
roi avoit beaucoup dé confiance , ne contribua pas
peu à cete indéciiion : il s'étoit un des premiers échapé
de Rome (a). Les envoyés du pape cependant fiiivcïiem
(a) M Peu de temps apris i'^iedion d*Urbain , dit on cEroniqaeor de tt (Tccle »
« le roi eac noaveles des cardinaux aui étoient à Rome : ils" lui marqooient
a» qa*ii n'ajoutât ibt à cbofe qui eût été faire à cete nomination , fc q«*ils lai
» certifieroîent plus à plein la vérité ; qu'en atendant il ne donnât aucune
» réponfe aux mciïagers qtii de pat ledit BartbéieitilviendroicDt >»• U raj^octe
tou
C H A R £ s s V« 549
IlEi cour j efpéranc de jour en jour que le monarque fe .?
décideroit , lorfqu'ils virent ariver a Paris Tévêque de -Ann. X57^*
Famagôufte^ & Nicolas de Saint-Saturnin, Domini-
cain , maître du facré Palais. Ils ëtoient chargée par
les cardinaux afTemblés dans . A^nani d'inftruire le
prince de tout ce qui s'étoit paflé dans le conclave
^de Rome : ils aportoient un aâe figné par les élec<-
teurs , qui contënoit leurs proalftatioiis juriaiqués contre
Péleâtiofl d'Urbain, & le récit des violences qu'on
avoit employées pour les contraindre à ce choix. Il
eft toutefois remarquable que dans cet aâe -de défa-^
vçu où ils expofent en pleine libectéjes motifs qui les
autorifoient à regarder comme nule cete nomination ,
il n'eft point du tout fjpécifié que Barthélcmi Prjgna-
cxio , archevêque de Ban, fût convenu avec eux ide fc
I)rôter à une éleâion feinte. On ne pèui foupçonner
es cardinaux d'avoir fuprimé. une circonftance fi far..^^
-vorablé à leur caufe : il réfulte naturétémeiic de ce %
'iïlencc qu'il ne leur avoit rien promis,,. ainii que quel- V
ques écrivains fe font hafardés de le publier avec afles
peu de certitude. •
La députation de Tévêque de Famagoufte & du Do- AiTcmWéc
minicain, fervit à préparer les éfprits à l'éclat que pour examiner
feu' de temps après produifit Medion deJClémentVIL iî.S'.^'*"'
)ès qu'elle fut tendue publique, Charles fut folicité ^jud!^
de fe déclarer en fa faveur. Le nibnarque religieux ne
jugea pas à propos de s'en raporter à fes propres lu-
mières dans une afaire de îS grande importance. Il
fuivoit plus que jamais cete équitable citcohfpeâàon
Î|ue lui diâoit la droiture de fon cceur. La queftiba
ut agitée dans une nombreufe afleniblée^ compofée
encore qu'Un cheyâliet 8c un écay^r déparée d'Urbain , arîverent à Paris , les-
quels après avoir parié. plufîeprs fois au toi , furent congédiés avec cete-ré-
. ponfe : «< Qu'il n'avoir point ouï nouveles do cete élëâîon , & fi avoit tant de
^a»bôns amis cardinaui^, dont plufieurs avoient été fetviceurs de Tes prédécef*
-"*> fcurs rois de France 8C de lui * ft encore en avoit plufieurs à lui de. fa penfion^
) i> oue il tenoit fermement que fe aucune éledlion eût été faite , ils la lui euiTens '
y> ngnifiéç , & pour ce étoit fon entention d*aichdrc , avant que plus avsMit
' « il procédât en ce fait <«. Chrotié MS, bibL R* num. 7412.
55^ Histoire de France, .
y*—'™'— ^ de fix archevêques^ de% trente évêques, de plufîeufs
.Ami. XJ7». ^bés & doâeurs. La plupart des avis penchpient pour
le nouveau choix que les cardinaux venoient de taire.
Le roi cependant ne trouvant point cece unanimité de
fentiment qui annonce l'évidence, & ne voyant pas
les faits aiTez; éclaircis , jugea qu'il étoit à propos de
idiférer encore jufqu'à ce qa*uae information plus
exaâe levât tous, les f«upuies. On envoya des per*
fonnes de confiance pour faire Tur les lieux mêmes
les perquifitions néceuaires , & puifer la vérité dans
fa iource- Ils revinrent à Paris avec des lettres mu-
nies des fceaux des prélats , donc la publication, fut
permife.
Le roi adhère Le roi toujours incertain j atendoit encore. Enfin
à ciémcntvii. ^.y^fkt VU Une lettre écrite de la main du pontife ,
lidm. yevêtue du témoignage authentique de tout le con*
«lave y & fortifiée encore par celui des cardinaux
)d' Avignon V il aflembla de nouveau fon confeil auquel
tidîflerent les dodeurs'^ aiiifi que les principaux de la
ttobleflè &, du clergé. Lk -^ délirant fincérement ré*
gler fes démarches fur la juftice , il exhorta, fous la
foi du ferment, chacun d'eux en particulier k o'écouter
ilains les confeils qu'ils aloient lui donner , que la voix
de leurs confciences , fans acception de perf^nne- Tous
. . alors lui confeillerent de rejeter la non^inatioi) d'Ur«
bain, comme un éfèt de la violence qui ne lui avoit
acquis aucun droit , & de s'atacher au pape que les car^
dinaux avoient' élu librement« Le monarque déterminé
^r cete délibération générale , fe fournit ., ainfi que
fes Etats , k l'obédience de Clément VIL
runivcrfité ^ L*anverfité fiit mandée &. invitée de fe conformer
prend le a^ême à la réfolution qu'pn venoit de preqdrç. Ce corps
P^"*' célèbre çompofé des perfonnages les plus émiqents
par leur fçavoir & par leur atachement a la faiqe doc-
trine, fuplîa le roi dë*luî permettre dç diférer à pren«-
dre un parti décifîf , jufqii'à ce qu'une matiçre fl
fravé eût été mûrement examinée ^ Charles eut la
oQté dç lui acorder Iç déUJi denia^dé» I) fç. (in(.
G H A R X. B s V. ç^t
à cet éfec , plufieurs aflemblées où les avis fe trou- SSfffl^as^mi
verent partagés. Enfin folicitées de nouveau, les fa- Am* J37tw
cultes réunies fuivîrent les intentions de la cour, en
adhérant à Clément. Il eft vrai néanmoins que ce côn-^
(entemenc ne fut pas unanime : plufieurs membres de
Kuniverfité étoiedt david que Ion choisit le parti de la
oeutrali(é entre Urbain âc Clémente II efi bien hono--
rable pour cete fçavante compagnie d'avoir la première
propoté de Ile reconnoitre. aucun des deux conten-
dancs , Jufqu*à Ce ^u© leurs prétentions- euffent été
décidées par les lumières d'un^ concile gétiéraL On ne
comprit pas pour loi^s tout le mérité 1er un avis fi fa-
ge, auquel azht la^ fuite on fe trouva forcé de recouv-
rir. Marche trop ordinaire à Tefprit humaih, lorfqu^il
s*agit de délibérer fur de grands intérêts : on s'égare
k)ng*tcmps ayant que la néceffité des circonfknces
ramené .enfin, au- fei^l parti que^ la raifpn préfentoit
d'abord.
Charles , en adoptant Téleâion de Clément ^ ne fut Proredâtîons
entraîné par aucune confidération humaine : il ne ^"«^ûidcFrau-
confulta que cete pureté d'intention qui caraéèérifa toUt r^icaion"
jours fes. démàrcbesr Oti cqft&ty 6) encore à Rome ttn ^x/rbam.
aâe daxis lequel ce monarque religieux filit voir toute ^'fi- ^dtf.
k droiture de. foivccBur. Je me îfuis déterminé à fuivre ^'*^^/^
le parti de Clément, dit-il, a fur leâ écrits dés cardi-
as eaux ^ auxquels apartienc Téleâion du pape, & qui
» ont témoigné eâ leur confcience qu'ils ont élu cer
yxlm-ci canoniquement. J'ai fiiivi Taviâ de mon coh-
fiifeSl ^ de plufieuf t prélats & fçavants hommes de mon
27 royaume, qtti en ont mûreDMiit délibéré. Mais parce
t>x]}xt qiielqu'un pouroit plréteikire- que les cardinaux
yy auroient agi par pafiion , & fe feroient trompés ,
» je déclare que je lî'ar pris lerpajrti du. pape Clément
5> par aUctune inclination de parenté , ni .autjre motif
p numain , mais croyant bien fairie^^ & par les xaifons
55^ HiSToi&E DB Erakce;
^ ! i> foit danis un concile général h>u autrement , pour
Ann. I378* >^ n'avoir rien à me reprocher devant Dieu ».
Cependant , malgré les fufrages des cardinaux y &r
Tilluitre naifTance^ de Clément , les adhérents de ce
pontife ne paroiiToient pas former le plus grand nom-'
bre- Prefque toutes les villes de rltalie , excepté
Jeanne y reine de Naples ^ s'atacherent au parti opofé.
L'empereur 9 quoiqu'ami de la France, la plupart des
puifT^nces de l!Alemagne > & les Pays Bas reconnu-*
reqt Urbain : le roi de Caftille d'abord fuivit le même
I^arti (a) , ainfi (jue T Aragon. Enfin, à Tégard de
'Angleterre , il lui fufifoit, pour fe déclarer Urba-^
nifit j de voir les François CUmcntins. C'étoit un motif
de divifion de plus entre les deux nations rivales.
Difôrentes Qi}oique de temps en temps on effayât de renou-
hoftiiitésdaM yeler les négociations pour la paix, dont la cour de
itUmoll. Londres ne paroiffoit pas s'éloigner , & que le roi
Frçijfant. defiroit encore plus , dans la vue d'afllirer par un
traité folide les avantages qu'il avoit reniportés ; les
hoftilités toutefois ne di(bontinuoient pas. Divers partis
pénéijrerent d^^ns le Limofini & l'Auvergne, où deux
pu trois chefs de compagnies Angloifes , plus bri-*
gaqds qye gmériers , furpnreoi: quelques châteaux. Le
plus confidér^Die de tous etoit c^u} de Vtentadoùr ,
Jitué fur les frontières du Limofio^ & dç^ TAuvcrgile-
Le con)te de Yentadour , courbé fous le faix des
années, s'étpit retiré dans cete place. Tune des mieux
forpifi^es de la province. Il s-'y croypit en sûreté ,
fjuand U flic trahi par un ancien dpmefti^ue , qui fàci^
lita l'entrée de$ ennemis > moyennant ujnefomate de
iix mille livres. I^e perfide cependant, arête par un
(<f) L'hiftoîre d'irpoene lapoote < omme uii« fingolarlté dîgiie de remu^ae »
.qtielçpapç Urbain fo uiianc fdliqter v ,pa,r fes arohaflàdeurs » roMdicoce dÀ
foyaainedè Caftille^ envoya deux pièces d'^écarlace )l B/.H'enri , afin* difoic*
'û, qjBecc roi , la reine Ton épàufi & fonfiU' portaient des Inbits de la tnéine
couleur que le £en. Lorfiiue r£(^a«;fie fis Ait déclfirée en faveur de Cléaienr,
alors Henri de Tranftamare 6c iton fils ne furent plus traités dans tes bules d'Urr
bain que de bâtards <c d'ufttrpatct»:^ , ^c, Hift. tCEfpagne. Rymtu aé. pubi^
rçfto
C H A R LE s V. 553
rcfte de^fcrupule , eut honte de livrer fon maître : il TUSSSUS^
mit da^s fon marché qu'on refpeâeroit la perfonne & Aon. i57<«
les biens du comte , condition que Geofroi^téec-noirc^
c'étoic le nom du capitaine , exécuta ndélement. Ces
fortes d'expéditions , maiheureufement trop fréquentes
dans quelques provinces éloignées y doivent être plutôt
regardées comme des courtes d'un tefte de bandits
qui infeftoient encore le royaume , que comme des
opérations militaires avantageufes à Tun des deux
partis. Ces conduâeurs de croupes gardoient pour eux^
mêmes les places dont ils s^emparoient : c*étoit*lk (ju'ils
raflèmbloient les dépouilles qu'ils enlevoient indif-
tinâement à tous ceux que le hafard leur préfentoit*
Nous vèrons encore long-temps , dans le cours de cete
hiftoire y la France en proie à de femblables hordes
d'aventuriers y qui ne diféroient des voleurs de grand
chemin de nos jours , que^ par leur nombre ôc par
l'impunité.
Cependant le feigneur de Neuville , après la levée Guerre en
du fiege de Mortagne , avoit repris fur les François J^nj^'i^^jJ.
plufieurs places dans le Bordelois, De retour à Bor* vane.
aeaux , il trouva dans cete ville le roi de Navarre. Uidem.
Ce prince y juftemcnt puni de tant de coupables mar
nœuvres , preffé de tous côtsés , éprouvoit enfin que
les artifices des raédiants leur font encore plus nuifir-
bles qu'à ceux qu'ils veulent perdre. Dôm Juan , In-
fant de Caftille^ à' la tête d'une armée de vingt mille
honmies , étoit rentré en Navarre : il ravagea ce
malhepreux rovaume , & vint enfui te mettre, le fiege
devant Fampefune. Charles , trop foible pour réfifter
aux éforts d'un ennemi fi puiffant y venoit implorer
Tafiiftance des An^ois* Il leur repréfenta la fituation
embaraflante où il fe trouvoit : afin de les déterminer
h lui fournir d^s .Forces fufifantes pour repoufler le
danger qui le menaçoit , il leur rapela les termes du
traité qu'il avoit conclu avec la régence d'Angleterre.
Neuville le raffura , en lui promettant qu'on aloit
iaceflamment faire partir des troupes qui ne manque-
Tomc V^. A a a a
554 Histoire de Fraucs^
r— T— ^ roient pas d'arivef au(fi*câc que lui fur les n-oDtieres
Abu. 137s* de fes Etats. Alors ne douant point que ces magni-
fiques promefTes ne fuifenc fuivies aune prompte
exécution y il reprit la route de la Navarre , afin
d'être plus à portée de raflembler les forces de fon
royaume 9 pour les joindre aux troupes auxiliaires
qu'on lui faifoitisfpérer.
Le roi de Na- Ce prînce qui I dans le cours d*une vie fi fi^rdle en
▼arrc foiicitc événements , n'entreprit & n'acheva jamais par lui-
du recours. . ^ / f. • «i- • • r *
Uiiim. "™ême aucune expédiuon militaire, nola rentrer en
Navarre. Il fe rendit à Saint-7ean*Pied* de-Port^ où il
s'arêta jufqu'à l'arivée du fecours ; mais il eut le temps
de faire des réflexions défagréables fur l'inconvénient
de ne devoir fa sûreté qu'à la faveur mendiée d une
proteâion étrangère. Les commandants des troupes qui
dévoient fe Joindre au Navarrois , au-lieu de marcher
contre les Caftillans , s'anmferent à reprendre dix ou
douze forterefTes , dont plufieurs capitaines Brecons
s'étoienr emparés dans les environs de Baïonne, tandis
eue le Navarrois , qui de jour en jour atendoic les
Anelois , s'impatientoit de la lenteur de leur masche.
Il dépêchoit mceffamment des mefTagers y pour les
informer de l'extrémité où il fe trouvoit réduit. Les
Efpagnols prefibient toujours vivement le fiege de
. Fampelune ^ dont ils fe feroient infailliblement rendus
maîtres fans la vigilance & la bravoure du vicomte de
Châtillon ^ qui fit une vigoureufe défenfe ^ quoiou'il
n'eût avec lui que deux cents hommes de garnifon,
'& que les vivres commençailent à manquer. Lp cou*
rage de ce fdgneur fauva la place. Enfin ce fecours
fi long-temps defiré ariva fur les frontières de Na-
!varre« Charles avoir rafiemblé toutes les - fi)rces de
fon royaume^ qui réunies aux troupes Angloîfès,
formèrent une armée de plus de vingt mille hommes
d'armes.
sicgedcPam- L'infant de Caftille informé de la jonâion des An-
pelune icv<. giQjg ^ j^g Navarrois , tint un confeil de guerre
ihtdem. p^^^ délibérer fi l'on marcheroit aux ennemis. Les
C H A & L E s V. 5^^
avis fe trouvèrent partagés : plufîeurs chevaliers Ef- !!=î^
pajgnols defiroient qu'on livrât bataille , & le jeune Adb. ii?»
prince eût volontiers penché vers cete réfolution ; mais
dans le temps que la délibération étoit fufpendue par
la diverfité des fentiments , le roi de Caftille envoya
des ordres précis à Dom luan de lever le fiege : il
obéit j & ramena Tes troupes en Efpagne. IjSS troupes
Andoifes qui refterent dans la Navarre , profitant
de la retraite de Tinfà^nt , fe raflèmblerent fur Tarière-
faifon , dans le deflein de faire quelques courfes. Tho-
mas Trivet , leur commandant y avoit indiqué le ren^
dez*vous à quelque diftance de Tudele , vers les con-
fins qui féparent les trois royaumes de Navarre , d*A-
ragon & de Caftille- Il pafla PEbre , & vint camper
dans la valée de Sorie. Il s'aprocha de la ville qui
porte|le même nom , fituécà l'entrée de la vieille Caf-
tille. Après avoir ravagé les environs, il eflayad^a tit-
rer la garnifon dans une embufcade ; mais Tentrei-
prife échoua. Les Anglois , repouifés avec perte , fu-
rent, obligés* de fonger à la retraite. Ils ne furent 'pas
plus heureux dans une autre tentative fur la ville
a Alfuro , dont la garnifon étoit* imprudemment fortie.
Les fetmties de la ville fermèrent elles-mêmes les
barieres , & fe préfenterent fur les murailles avec
une contenance ii réfolue , qu'ils n'oferent rifquer TaG-
faut. Le capitaine Trivet , voyant Tordonnance guè-
riere de ces modernes amazones , dit en courant à
toute bride : Voilà et braves femmes, retoamons arièrt,
nous n'avons rien fait.
Le roi de Navarre*, qui ne croyoit pas que Pexpj^- Les Angloîs
:ion des Angloîs duc te borner a faire le dégât dans |c retirent ae
les campaçhes , s'étoit avancé jufqu'à Tudele. Cepen- * ^^^ms
dant le roi de Caftille , fur les premières nouveles de
rirniprion des ennemis , donna de fi bons ordres ., qu'il
fe trouva bientdt' fur les bords de TEbre , à la tètê
d'ube armée de quarante mille hommes. Il fit garder
les paflages de manière qu'on ne pouvoit tenter de
Ibrtir de Tudele f^ns s'expofer à tomber au pouvoii:
A a a a ij
5S^ Histoire ps France,
îï!!ï!== des Efpagnols. L'intention du Caftillan étoit de for-
Ann. 1J78. mer le fiege de la place- Il paroiffoit impoflible que
Charles évitât un danger fi preflànt. Dans une tele
extrémité , il eut recours à la voie de la négociation,
fa reflburce ordinaire. Il promit , il figna tout ce
qu'on voulut, Henri de Tranfiamare exigea pour con-
dition préliminaire que les Anglois. fortifient des Etats
de Navarre. Le mariage du prince de Navarre avec
une })rincefre de Cafiille fut» projeté fous Yzaémtot
du roi de France , qui devoit être demandé. Le Na-
varrois enfermé n'étoit pas en état de conteftèr aucun
des articles du traité qu'on lui préfenta i il fe feroit
foumis à des claùfes encore plus dures, pour fortir dp
ce mauvais^as^ Le roi d'Efpagne ne fc contenta pas
des promefles d'un prince dont la parole n'étoic pas
inviolable ; il fe fit remettre pour sûreté les villes & les
fortereflès de P Etoile, de la Garde & de Tudek. Cétoit
la deftinée de Charles-le-Mauvais , de ne faire aucune
démarche cjui ne fervît à multiplier fes pertes. Il fut
encore obligé d*emprunter vingt mille francs du roi
d* Aragon , pour payer le fervice inutile des trompes
qu'il avoit apelées à (on fecours.
Guerre en Les Anglois , fur la fin de cete même année , furent
^dT^S^Îcs £^"^ heureux en Normandie , qu'ils ne l'avoient été
François. ^aus la Navarre. Le roi ayant jugé par une première
ihîdem. tentative qu'il étoit dificile de leur enlever Cherbourg,
ihu^twl ^ ^^ P"^^ ^^^^^ P^^^^ ^^ ^^ province , & qui recevoit à
tout moment dans fon port de nouveaux Tecpurs d'An-
gleterre, s'étoit contenté de jeter des troupes dans les
fortcréfTes voifines , pour tenir 4a gamifoo en. échec.
'Il paroit , fuivant quelques lettres , que le deflein de
Charles étoit de faire un puiiTant éfort de ce côté à
l'ouverture de la campagne; .Guillaume des Bordes
eut ordre d'entrer dans le Cotencin avec des.tipoupes,
&' de! rcfférer Cherbourg autant* qu'il ferOit poflible.
Pour cet. éfet,, il vint s'établir. à. Moritbourg > d'où
{*ournélement il faifoit des courfes aux environs. Vers
e même temps > Jean Harlefton partit de Southam-
C H ▲ a £ s s V. 5^7
ptoo avec trois cents hommes d'armes & trois cents s
archers : il vint débarquer à Cherbourg. Les Angto^s ,A^?*M7?*
ayant reçu ce nouveau renfort , fe mirent ea can^-
fagne : ils ne tardèrent pas à rencontrer des Bordes. .
iC combat fut terrible , & la viâoire long - temps *
indécife. Les hommes d'armes ^ fuivant Tufage ^ ayoieot
quité leurs chevaux (a). Les deux commandants ^ vn^
hache à la main^ un pied avanf l^autre, k fignal^-
rent par une bravoure égale. Harlefton , renv^rf)é*
par terre , aloit perdre la vie , lorfqu'il fut relevé
par les fiens. Irité d'une chute qui fembloit en ce
moment lui donner de nouveles forces ^ il reprend
fes armes : la mêlée recommence avec plus de fureur^
le fang coule de toutes parts, la terre qfl jonchée dp
morts ; tous les combatants , dit . un hiftorien de ce
fiecle 9 voulaient vaincre ou périr ; enfin , la fortuné
fe déclara pour les Anglois. Les François furent .en-
tièrement aéfkits ; tous perdirent la vie ou la liberté :
aucun hontme d'honeur ne chercha Ton falut dans
la fuite. Guillaume des Bordes fut du nombre, des
prifonniers.
Le roi ayant apris la déEsiite de fes troupes^ fe
hâta d'en faire marcher de nouveles fous la conduite
du feigneur de Bremailles y pour couvrir la frontière.
Il fe fortifia dans Montbourg , ainfi qu'avoir fait des
jBordes y mais il ne put empêcher fes ennemis de
confcrver leur fupériorité. Comme on s'ocupoit alors
en France des préparati^ d'une guerre plus impor-
tante y les troupes eurent ordre de revemr fur leu.r^
pas y & d'abandonner la plus grande partie du . Co-
tentin. Les habitants qui par cete retraite demeuroient
expofés à la merci des Anglois y préférèrent le parti
de quiter leurs maifons pour aler s'établir ailleurs ,
emmenant avec eux leurs femmes , leurs enfants &
(a) Un Ceal chevalier itomm^ Lancelot. de Lorris» fc ^ioEjTiir Tofi cojarfieç»
& demanda une joùce enThodeur de Ta .dame , avanc le tdfnbat. Un chevalier
Anglois acepta le défr 8c le tôà*. Ce fut dommage » dk Frdiflàrd , car il itoii
«sert ekt^ier , jeune y poli , & moult fort amoureux^
^58 - HistoiRÈ d£ France^
^ leurs plus précieux éfèts , enforte que le territoire
Arnï. IJ7S. du Coteritin ^ Pun des plus fertiles de la province,
"fïit àbfolutnent dépeuplé.
Mariage «c La néceflîté des circonftances oblige quelquefois
ciStcïc Si' ^^^^ S^^ ^^^^ ^ ^^ ^^^^ ^" gouvernement de fe porter
Paul. à des démarches qu'on ne peut juftifier aux yeux du
Froiffard. -publîc. La difgrace du comte de Saint-Paul fur les
^ J^*^^ /f • :dernieres années du règne de Chartes V, eft de ce
pàrt\i,p.%i. %cnn. La conduite du roi à Tégard de ce feigneur
auroit toujours été foupconnée d'une prévention in-
jufte , fi les aâes d'Angleterre ne nous révéloient jpas
un Tecrec qu'on ne pouvoit alors rendre public , lans
découvrir en niême - temps par quel canal on étoit
iriftruit des myfteres de la cour de Londres. Depuis
Ibng-temps le jeune Walerand , comte de Saint-Paul ,
de la maifon impériale de Luxembourg i étoit pri-
fonnier en Angleterre. On avoit ofert pluficurs fois
de le relâcher j à condition que le captai de Buch
feroit remis en liberté, échange auquel le roi ne vou-
lut jamais confentîr. Ùamour fit ce que la politique
avoit refufé : il délivra le comte , il paya même une
partie de fa rançon. Walerand étoit traité avec la
confidération due k fa naifTanee. Prifonnier fur fa
parole , il étoit des toutes les fêtes qui fe donnoient
a fa cour. Ce fiit là qu'il vit Mahaud de Côurtenai ,
fille du premier mariage de la princefTe de Galles
avec Thomas de HoUand. Çete jeune princefle fem-
bloit avoir hérité des charmes de fa mère : on ne
Tapeloit eue la bêle Mahaud. Le jeune Saint-Paul
8c ceté oeauté naîiTante- sUnnamounrent loyaumcnt
Vun dt Vautre : ils étoiedt toujours cnfcmhh aux dardis
6r éhatcmcnts , tant au^on s^cn aperçut : Mahaud eïle-
méme ne fit pas dificulté d*avouer fon penchant à
fa mère; Le mariage fiit arête. L^élargiflfcment dil
comte devoit être néceflairement un des premiers ar-
çcîesî; ri deyenoic par cete aliabce , beau-trere du roi
aAngkterre , :auquel il fit hommage -lige envers &
contre tous ^ & promit de. renoncer à la qualité de
C H A R L £ s V» 5^^
va0àl du roi de France. Pour sûreté de fa parolç , U ■
s'engagea de livrer aux Anglois fes châteaux de Bohin ^?»- '378'
& de Gùi/i dans le Vermandois. Il repaflk en Fran-
ce , pour exécuter fa promeffe ; mais la nouvele de
ion prochain^^lnariage Pavoit précédé. Le roi , qui
avoic à Londres des efpions fidèles y avoit fait fâifit
fes places. Walerand lui-même auroit été arête, s'3
^voit paru à la cour : il repafla promptcment en An-
gleterre , où Tamour le confola de cete difgrace. Il ne
revint en France que fous le règne fuivant.
Au-milieu des guerres qui agicoient la plupart des Commence-
Etats de l'Europe , la Flandre feule , depuis le règne ^^'^^*^"pP2
de Philippe de Valois , avoit jouï , prelque fans in- aA!
téruption , des avantages de la paix, fous le gouver- Froiffard.
nement modéré de fon fouveram. La fertilité natu- f^ronMS.
rele du fol, Tinduftrie des habitants, la multitude & ;;t^';J%7:^
la diverfité des manufaâures , i&ifoient circuler fans &c.
ceflè , & portoient par mille canaux l'abondance & la
profpérité dans toutes les parties de la province. Les
diffenfions éterneles des puifTances voifines étoient
encore une nouvele fource de richefles pour les Fla-
mands , faâeurs néceifaires de tant de nations unique-
ment ocupées du foin de «'entre-détruire. Cete neu-
reufe contrée étoit devenue Tafyle des arts , du com-
merce & de lopulence. Les plaifirs & le luxe ré-
gnoient à la cour du comte Louis ; & le peuple ,
avide imitateur des grands qu'il vo^oit plongés dans
les délices , avoit encore renchéri iur les modèles :
bien- tôt du fein de la moleâe , il fe laîfTa entraîner
au penchant féduâeur de la volupté , & par un
ëfet inévitable de la dépravation des mœurs , il fe
livra fans réferve aux excès de la licence la plus dé-
réglée. Dans cet état de coruption , fourd à la voix
de la raifon & de la vertu , quel frein eût été capa-
ble d'enchaîner fon indocile férocité ? Un de nos Muerai,
biftoriens raporte que dans l'efpace de trois mois '«n.i#?-4>'*
quatorze mille hommes perdirent la vie dans les lieux
confacrés au jeu , à l'ivrognerie & à la débauche. Orj
^6o Histoire de Francs^
die - il , comme la mauvàifc conduite du prince avoit
Ann. i|78- cati/c ctlU du pcuolc , Ditu fuTcita le peuple contre le
prince , & les châtia .tous deux run par Vautre. L'oubli
Ats devoirs & de Thonêcecé fut de tout temps le
préfage infaillible d'une révolution prochaine.
Le comtjs de Flandre avoit auprès de lui , fans le
connoître ^ un de ces hommes dont les talents y utiles
ou pernicieux j font également capables de fervir ou
de nuire ^ de qui la conduite ne peut jamais être
regardée comme indiférente ; de ces hommes en un
mot, qu'il faut perdre fans reflburce, lorfqu'après les
avoir élevés, on veut les éloigner de la faveur. Jean
Lyon , c'étoit le nom de ce dangereux Flamand, né
parmi le peuple , s'étoit avancé à la cour du prince
par fon adrelFe & fes complaifances. // étoitj dit
Froiiïard , fage homme , hardi, cruel & entreprenant. A
l'éloquence , au courage , au génie , il joignoit ce
flegme fupérieur qui fixe la réuffite des plus hardis
projets. Il ne lui manquoit aucune des qualités pro-
5res à former un chef de parti : intrépidité réflécnie ,
iflimulation profonde , confiance à l'épreuve des dif-
graces , & ce oui efl incomparablement plus dificile ,
à l'épreuve de la profpérîté : jamais furpris , mettant
à profit les moindres démarches de fes adverfaires:
implacable dans fa haine, il fçavoit dévorer un afront
pour méditer dans le filence une vengeance aufli sûre
que terrible. Chargé d'afraffiner un homme qui dé-
plaifoit au prince , ce premier crime lui feryic de
recommandation. Il fut fait doyen des Navieurs j ou
négociants par eau de Gand, emploi à-ptu-près fem-
ble à ce qu'étoit alors à Paris celui de prévôt des
marchands. Ctte place , extrêmement lucrative , lui
donnoit le plus grand crédit dans une ville ; dont le
principal commerce fe fkifoit par la navigation. Gand
étoit regardé comme l'entrepôt le plus confidérable
' * des richeffes de la Flandre, qui étoient aportées dans
fes murs , & eh fortoient journélemént par la com-
munication facile d'une infinité de canaux que forme
en
C H A R t E s V. ^Sl
en cet endroit la jonâion de la Lis & de TEfcaut. '
Jean Lyon remplie fa charge au gré de la plupart Ann. 137».
de fes compatriotes. Quelques années après, le comte
féduit par Tapas d'une légère augmentation de revenu ,
fans confidérer que cet acroiflëment ne pouvoit fe
faire qu'en m-ultipliant les droits , ce qui ne manque-
roit pas d^exciter les murmures dt^ peuple , deftitua le
doyen pour mettre en fa place un de fes ennemis.
Loin de témoigner aucun reffentiment de la perte de
fon ofice, il afeda Tair de fatisfaâion d'un homme
redevable au prince de l'avoir délivré d'une com-
miffion onéreufe , il atendit pour fc venger , Toca-
fion propice, qui ne tarda pas à fe préfenter.
Les habitants de Bruges ayant acncté du comte la
persiidion de tirer un canal de la rivière de Lis ,
envoyèrent des pionniers pour commencer les ouvra-
ges. Les Gantois n'aprirent pas , fans murmurer , un
projet fi préjudiciable à leur commerce, Jean Lyon
eut foin de fomenter ce mécontentement. Comme il
avoit gagné la confiance du peuple pendant fon ad-
miniftration , ce fut à lui qu'on s'adrefTa pour fçavoir
ce qu'il étoit à propos de faire dans une pareille con-
jonaure. On le prefla long-temps avant qu'il parût
le déterminer à aire fon avis j mais lorfqu'il vit les
cfprits échaufés an degré qu'il defiroit, il ne fit plus
dificulté de lever le maujue. Il déclara dans une
^demblée du peuple ^ que l'unique remède aux abus
dont on fe plaign'oit , étoit de renouveler une an-
cienne affociation connue fous le nom de Jf^itcapc--
rons ou chaperons blancs , à caufe des chaperons de
• cete couleur qui fervoient dé fignal à la ligue des
• diférents corps de métiers réunis. La propofition fut
avidement embraffée : le peuple fe rangea en foule
fous fon nouveau chef. Il en choifit une partie , &
• marche contre les travailleurs de Bruges , qui fuient
à fon aproche. Les.foflTés font comblés, & les Gan-
tois rentrent triomphants dans leur ville.
L'artificieux Flamand eut foin de c6uvrîr cete en-
Tomc V. Bbbb
f^éz Histoire de France,
. treprife , ainfi que celle qu'il médita dan? la fuite i
Ann. i378t du fpécieiTX préccxçe de 1 utilité publique , afcâanc
toujours de témoigner autant de refped que d'atache*
ment pour le prince , & rejetant la çaule de tous les
déibrdres fur ceux qui Tenviron noient. Les gens bien
întencionnés prévoyoient les fuites facheufes de ce
mouvement : on envoya des députés au comte. Ils
revinrent avec des lettres d'abolition de ce qui s'étoit
paiTé y & une promelTe d'empêcher la continuation
du canal. On . ne mettoit d'autre prix à cete grâce
c)ue la difTolution de la ligue ; mais le chef ^vpit un
intérêt trop preflant a maintenir une union , dont
fa propre sûreté dépeqdoit. ' Il écouta froidement \t
réponfe des députés , & n'eut pas dç peine à faire
comprendre au peuple que ce n'étoit qu'à cete n^^me
ligue qu*il étoit redevable de fa confervation , ^ de l'in-
dulgence qu'on avoit pour lui. Bonnes gens , ditril|
voye:[ fi ces blancs chaperons ne vous gardent pas mieuf
& vos franchifes que ceux vermeils noirs , ou d^autres
couleurs : dès aue vous les quiterej , je ne donnerons pas
trois deniers ae vos franchi/es. Ces derniers mots dé-
terminèrent Içs Gantois à perfifter dans leur révolte,
& dèsrlors Jean Lyon ne parut plqs qU'efçorté de trois
cents hommes arm^s.
^ Le conite envoya fon bailli avec dçs troupes y pour
punir les mutins. Ce coup d'autorité ne réullîç pas. Le
bailli fuç tué , les hommes d'armes mis en fuiçe , Se k
bannière du prince déchirée & a^aînée dans les rues
par la populace en fuyeur. Cependant le chef des re-
beles déguifant toujours fes véritables dçfîeins , permit
upe nouvele députation ; mais pour 1^ rendrç infruç-
tueufe , dans le même - temps que les envoyés folicitè-
rent & obtenoient une féconde fois que la ville rentrç-
roit en eracç, il fortit acompagné des plus déterminés
de fa faâion , fous prétexte d'examiner s'il ne le trou-
voît pas dans les environs quelque forterefle capable
d'incommoder , en cas qu*on fût obligé de foutenif un
iîeçe. Le cor^te ^?ui^ avoiç fait bâtir au lieu qopiïoé
Charles V. ^^3
Andreghen un château fuperbe , dont la conftruâion '
avoic coûté plus de deux cent mille francs {a). Ce Ann. i}?*-
fut-là précifement que Lyon conduifit fes gens. Il entre
feignaqt de chercher s'il n'y. avoît point d'armes ou
autres munitions dç guerre : çn un inftant la marfon
PU lé comte avoit dépolé fes plus riçhçs tréfors eft en-
tièrement pillée par les faâieux , (jui mettent en fe
retirant le feu à plus de vinet endroits diférents. Leur
conduâeur étoit à peu de diftance , l.orfqu*en fe retour-
nant il vit le palais en flammes ^ il marqua autant de
fi^rprife q^ue de douleur. Que vois-- je ! s'écria- 1- il ,
le château de monfei^neur ard [ brûle ] j on ne le peut
amender , encore vaut^il mieux que adventure Vait ars ^
que nous : mais tout conjidéré , ce ckâfeau , nous étoit
un périlleux voijin. Après çete expédition il revint fur
fes pas j bien perfuadé que déformais toute voie de
réconciliation étoit fermée entre les Gantois & Ip
comte , qui ne voulut plus eu éfet entendre parlçr 4*au-
cun acommodement.
Ce n'étoit encore qjie le prélude de la révolution que
le rebele préparoit. Il entreprit & exécuta le projet
ayffi hardi que fingulier de foulever toutes les villes de
|a Flandre , en commençant par celle de Bruges , ri-
vale de Gand , & dont Tintérêt avoit ocafionné le pre-
mier tumulte. Il va s'y préfenter k la tête de dix mille
hommes. Une hache à la main il force les portes , af-
femblç les Brugeois dans leur propre ville ; & moiçié
par crainte , moitié par la rapidité de fon éloquence ,
il les engage a s'unir avec les Gantois , à figner Tadie
de confédération , & à lui donner des otages de leur
fidélité. Maîçre abfolu de Gapd ^ de Bruges , il ne
douta plus qu'il ne lui fût facile d'entraîner dans fon
parti le refte de la province. Ses mefures étoient fi bien
concertées , que fa mort même n'y a porta aucun chan-»
gement. Il fut ataqué d'une maladie fubîte qui l'em-
porta en vingt- quatre heures y non fans foupçon d'a-
{a) Cctc rommc revient à plus de deux miUion? de notre monnoiç j Targcnç
{cane à cinquante francs le marc.
^^4 Histoire de France,
^ voir été empoifonné. On lui fit de magnifiques funé-
Am. 157B. railles.
Les Gantois fuivîrcîit le plan que Jean Lyon leur
avoit tracé. Ils fe choifirent quatre nouveaux chefs.
Grammont, Dan, Ypres , Courtrai , fe joignirent aux
révoltés dont le nombre s'augmentoit fans cefle. Ils
vinrent fe préfenter devant Oudenarde. Ils formoient
alors une armée de cent mille combatants. Tandis qu'ils
prefToient ce fiege avec cete opiniâtreté que la fureur
infpire , ils envoyoient des détachements contre les
places qui refufoiept de s'unir à la ligue. Un de ces
détachements penfa furprendre le château de Terre-
monde. La ville d'Oudenarde , quoique défendue avec
courage , étoit ataquée de manière à ne pouvoir réfifter
encore long-temps , lorfque le duc de Bourgogne , que
fon mariage avec l'héritière de Flandre renooit intéreffé
à la confervation de cete province , vint , en qualité de
ftiédiaceur, menacer un acommodement entre le comte
& fes fujets; Apres quinze jours employés en négocia-
tions , il termina le diférend. Le comte Louis , par le
traité , açprda une abolition générale k toutes les villes
qui avoient participé à la révolte , & les Gantois s'obli-
ferent à réparer à leuçs frais le château d'Andreghen.
«a fuite nous prouvera bientôt que cete réconciliation
n'étoit qu'aparcnre. Le comte conferva toujours dans
le fond de Ion cœur un reflentîment fecret ; & les re-
beles , enhardis par l'impunité , n'en devinrent que plus
inquiets & plus infolents.
Fin du cinquième Tome.
^.
De l'Imprimerie de P. Alex. LE PRIEUR,
Imprimeur du Roi, rue Saint -Jacques.