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Full text of "Histoire de France depuis l'établissement de la monarchie jusqu'au regne de Louis XIV"

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IS  T  O  I  RE 


D    E 


FRANCE. 


TOME    CINQUIEME. 


HISTOIRE 


D    E 


FRANCE, 

VEPUIS  L'ÉTABLISSEMENT  DE  LA  MONARCHIE 
JUSQU'A    LOUIS   XI r. 

Par    M.     V  I  L  L  A  R  É  T. 


^. 


TOME    CINQUIEME. 


A      PARIS, 

SAILLANT  &NYON,rue  Saint- Jean-de-Bcauvais. 
E  S  A I N  T  ,  rue  du  Foin  Saint-Jacques. 


«•: 


:•» 


M.     D  C  C.    LXX. 

Avec  Aprobation  ,    &    Privîlcgc  du   Roi 


Les  Eloges  fi  jufiement  acordés  à  V Ouvrage 

de  M%  VAbé  Velly  ;  le  mérite  de  cet  excélent 

Ecrivain  trop  tôt   erdevé  à  la  nation  par  une 

mort  précipitée  ;   l'importance  &  Vutilité  d'un 

travail  auffi  intérejfant  que  le  fien  ,  impofent  au 

Continuateur  les  plus  étroites  obligations.  Si  j'ofè 

me  préfenter  dans  une  cariere  au* il  parcourait 

avec  tant  de  fiiccès  ,  ce  neft  pas  fans  éprouver 

cete  crainte  que  doit  injpirer  un  pareil  prédéçef- 

Jjèur.  La  France  retentit  eruore  des  fiifrages  don» 

nés  aux  premiers  volumes  de  fi>n  Hiftoire.   Il 

Jaut  en  mériter  de  femhlahles  en  marchant  fiir 

Ces  traces.   Je  fens  toute  la  difiçulté  de  Ventre- 

prife  :  je  ni  y  abandonne  cependant  avec  confiance» 

Les  motifs  de  cete  confiance  font  puifés  dans  un$ 

fource  trop  pure  pour  ne  pas  me  flater  d'obtenir 

au- moins  l'indulgence  publique  :  je  n'ai  d'autre 

objet  d^ns  mon  travail  y  que  le  defir  de  fervir  ma 

patrie  :  fon  aprobation  fera  pour  moi  la  plus 

chère  iSf  la  plus  glorieufe  des  récompenfes. 

Tome  V.  "J* 


vj 


JM  ON  SIEUR  l'abé  VELLY  en  écrivant 
l'hlftoire  de  la  nation ,  sétok  propofê  un  plati, 
fous  lequel  on  ne  l'avoît  point  encore  envilàgée 
jufquà  préfent.  La  plupart  de  nos  biftoriens  , 
uniquement  atachés  au  récit  des  grands  événer 
ments  ,  au  détail  des  guerres  ,  des  traités  ,  ÔC 
des  révolutions  qui  en  ont  été  les  fuites  ,  onc 
paru  regarder  tout  autre  objet  comme  étranger 
a  leur  travail.  Nous  ferions  plus  inftruits  ,  Se 
peut -être  meilleurs  que  nous  ne  le  ibnunes,  fî 
dans  le  même  temps  qu'ils  traçoient  les  vîéloî- 
res  ,  les  défaites  ,  les  négociations  ,  ouvrages- 
malheureufement  trx>p  répétés  de  la  politique  ou- 
de  la  violence  >  ils  avoient  (uivi  là  marche  de 
l'efprit  humain  ,  les  progrès  fucceffifs  des  vices 
Se  des  vertus  ,  le  déveippement  des  lumières, 
&  les  avantages  qui  peuvent  en  réfulter  pour  le 
bonheur  de  1  humanité. 

Il   faut  convenir   cependant  que  cet   oubli 
n*eft  pas  un  dé.'aut  particulier  à  nos  écrivains  : 
Ceux  des  autres  nations  ,  (ans  en  excepter  les 
plus  célèbres  ,  ne  nous  ont  guère  tranfmis  que. 
les  exploits  militaires  de  leurs  compatriotes.   Si. 


VJJ 

quelquefois  il  leur  arîve  de  peindre  les  mœurs , 
ce  ne  font  jamais  celles  de  leur  patrie  qui 
étoîent  {bus  leurs  yeux  &  qu'ils  pouvoient  ren- 
dre avec  fidélité  ,  mais  des  mœurs  étrangères 
donc  ils  n'étoient  inftruits  que  fuperficiélementt 
ce  qui  n*a  pas  peu  contribué  à  ne  nous  donner 
que  de  faulTes  idées  des  peuples  anciens  ,  par 
l'habitude  où  nous  fommes  de  ne  les  confidéret 
que  les  armes  à  la  main  ,  ou  dans  les  ocafions 
éclatantes.  De  -  là  cece  admiration  aveugle  peur 
ce  qui  eft  éloigné  de  nous  ,  erreur  qu'il  feroic 
inutile  de  combatre  ,  fi  le  mépris  pour  fbn  fiè- 
cle  n'en  étoit  pas  la  pernicieufe  conféquence. 
C^eft  à  l'efprît  phîlofbphiqie  de  ces  derniers 
temps  que  nous  fommes  redevables  des  premiers 
écrits  dans  le  genre  hiftoriqae  ,  où  l'on  fe  (bit 
ataché  à  faire  connoître  les  bpmmes  :  &  s'il 
écoic  permis  d'en  bazarder  un  feul  exemple  > 
on  ofëroic  alfurer  qu'on  éft  mieux  inftruîc  du 
génie  &  du  caraâere  des  Romains  ,  après 
avoir  lu  la  candeur  &  la  décadence  de  leur 
empire  par  l'illudre  Montefquieu  ,  qu'en  par- 
courant la  plupart  des  billoriens  de  l'ancienne 
Rome. 

Il  (èroit  fiiperflu  de  répéter  dans  un  difcours 


•  •  • 

"VHJ 

prélîmînaîre  le  defleîn  de  cet  ouvrage  annonce 
dès  Ton  commencement*  C'eft  rexécutîon  en 
partie  du  vafte  projet  conçu  par  monfeigneur 
Je  duc  de  Bourgogne ,  augufte  &  vertueux  père 
du  meilleur  des  monarques.  Ce  refpe<5lable 
prince ,  dans  la  vue  de  fe  remplir  des  connoif^ 
iànces  relatives  au  gouvernement  ,  vouloîc 
joindre  au  détail  exzâï  Se  circonftancié  de  l'étac 
actuel  des  provinces  ,  un  abrégé  hiflorique  de 
nos  loix  ,  de  nos  mœurs  6c  de  nos  ufagcs  ,  de 
nos  découvertes  plus  ou  moins  rapides  dans  les 
arts  &  dans  les  fciences  ,  &  des  divers  établie* 
fèments  qui  en  ont  été  les  fruits  ;  un  ouvrage 
en  un  mot  où  ces  objets  înftruélifs  incorporé^ 
pour  ainfi  dire  à  l'hiftoire  générale  ,  &  mar- 
chant d*un  pas  égal  avec  les  événements  ,  pvC- 
fent  mettre  à  chaque  infiant  le  leéleur  à  portée 
de  comparer  les  François  avec  eux  -  mêmes  > 
en  raprochant  les  changements  furvenus  dans- 
la  légiflation  ,  dans  le  génie  des  peuples  ,  dans 
leur  caraâere  ,  dans  la  forme  du  gouverne- 
ment :  variations  qu'on  ne  peut  juftement  apré« 
cier  fans  remonter  aux  principes  d'où  elles^ 
émanent. 

M.   le  comte    de    Boulait)  villiers   entreprit 


iz 

3*exécutef  ce  projet  j  en  ce  qui  concernoît  la 
nation  repréfentée  par  les  états  -  généraux.  Il  ne 
nous  apartienc  pas  de  décider  Ci  cet  écrivain 
célèbre  ne  s'eft  pas  laifTé  entraîner  par  trop  de 
prévention  en  faveur  d'un  ordre  dont  les  droits 
refpeâables  fans  doute  ,  ne  doivent  pas  donner 
Texclufîon  au  refte  des  citoyens  ,  non  moins 
utiles  pour  l'harmonie  de  la  fociété.  Quoi  qu'il; 
en  foit  ,  cet  ouvrage  ,  fbutenu  d'un  ftyle  no* 
ble ,  Cerné  de  réflexions  hardies  j  de  traits  lu- 
mineux ,  ne  remplilFoit  pas  cependant  l'objet 
d'une  hiftoire  auflî  complète  que  celle  dont- 
M.  l'abé  Velly  Ce  traça  le  delTein.  Après  avoir 
débrouillé  le  cahos  dé  nos  premières  Dynafties 
qu'il  avoit  trouvé  l'art  de  rendre  aufli  agréable 
qu'inllru<5lif ,  il  commençait  à  s'aprocher  des 
iîecles  où  les  monuments  devenus  moins  rares  > 
s'ils  augmentent  la  dificulté  du  travail  ,  procu- 
rent en  même  -  temps  la  fàtîsfa<5iion  d'écrire 
avec  plus  de  certitude.  Chaque  volume  qu'il 
donnoît  ,  aquéroic  un  degré  d'importance  Se 
d'utilité  à  fbn  ouvrage.  U  rempliifoit  cete  incé- 
'  reliante  cariere  avec  un  fuccès  proportionné  à 
fon  mérite  ,  lorsqu'une  mort  imprévue  l'arêtant 
au  milieu  de  fa  courfè  ,  priva  la  (bciécé  d'un 
citoyen  eftimable  à  tous  égards  >  &  la  littérature 


d'un  écrivain  deftîné  par  {çs  talents  à  en  faire 
rornement.    Quoique  je  n'eufle  pas  le  bonheur 
de  le  connoîrre  particulièrement  ,    je  partageai 
avec  le   public  les  juftes  regrets  qu'encîtoît    la 
perte  d'un  homme  que  la  douceur  du  cara<5lere, 
1  aménité  de  refprit ,   la  droiture  de  lame  ,    U 
pureté  des  mœurs  ,  rafTiduïté   au   travail  âc  le 
génie  rendoient  également  cher  à  la  nation  Sq 
à  iès  amis.   Je  lùplie  le, même  public  d'excufer 
la  liberté  que  je  prends  de  l'arêter  un  momenc 
fiir  quelques  réflexions  qui  me  concernent  ;  je 
les  aurois  fuprîniées  (ans  la  nécellîté  preique  in-» 
diipenfable  de  juftifier  à  Tes  yeux  la  hardîeiïè 
de  mon  entreprifè.  M.  Tabé  Veily  n'étoit  plus, 
perfonne  ne  s'ofroic  à  continuer  Touvrage  qu'il 
avoit  û  heureufèment  commencé.  J'ofàî  me  pré- 
{èntèr ,  peut  -  être  fans  trop  confulter  mes  forces» 
Employé  pendant  pluCeors  années  Cous  les  or-» 
dres  d'une  cour  Souveraine  où  j'avois  eu  l'oca- 
fîon  d'examiner  une  grande  partie  des  chartres 
&  des  plus  anciens  monuments  de  notre  mo* 
narchie  ,  je  me  crus  en  état  ,  à  l'aide  de  ces 
premières  clartés  ,  de  marcher  flir  les  traces  de 
mon  prédécelïèur»   Bientôt  éfrayé  par  les  difi- 
cultes  que  je  voyoîs  fe  multiplier  dès  mes  pre- 
miers eCals ,  fétois  pr^ès  d*y  renoncer.  L'amitié 


vînt  au  fecours  de  tna  tîmidîté.  J*avoîs.fait  part 
de  mon  projet  à  M.  Capperonier  de  l'académie 
de  belles  -  lettres  ,  garde  de  la  bibliothèque  de 
Sa  Majellé.  Lorlque  je  voulus  abandonner  mon 
deflfein  ,  loin  de  fè  prêter  aux  motifs  de  ma 
jufte  criainte  ,  il  m'encouragea ,  &  {es  preflTan- 
les  exhortations  m'infpirerenc  un  peu  plus  de 
confiance.  Je  travaillai ,  guidé  par  Tes  confeils  : 
aux  lumières  qu'il  mé  communiquoît  ,  il  joignit 
l'utile  fècours  de  m'indiquer  les  fources  où  je 
devois  puifer.  DépoHtaire  de  la  bibliothèque  la 
plus  précieufè  confiée  à  fes  foins  ,  il  étoit  plus 
à  portée  que  perfonne  de  me  fournir  les  maté- 
riaux nécelfaires.  Je  n'infifterai ,  pas  fur  ce  der- 
nier fervîce  ,  qu'il  fe  fait  un  plaifir  honorable 
de  rendre  à  tous  ceux  qui  cultivent  les  lettres. 
CTeft  aux  lecteurs  à  juge^  fi  j'ai  /çu  tirer  quel- 
que profit  ,  &  de  la  -munificence  littéraire  ,  Sc 
du  zèle  de  mon  ami ,  qui  n'aprendra  qu'avec  le 
public  l'hommage  que  je  rends  ici  à  la  recon- 
jioillànce  &  à  l'amîtié.  Cet  avant -propos  eft 
prefque  la  feule  partie  de  moi^travail  lùr  laquele 
je  ne  Taye  pas  confulté. 

Comme  il  ne  fèroît  pas  jufte  de  laifier  Coup- 
çonner  mon  prédécellèur  des  fautes  qui  peuvent 


t\] 


m'être  ëcfeapëes ,  je  croîs  être  obligé  d'averrîr 
que  rhiftoire  de  France  commencée  par  M.  l'abé 
Velly  ,  finit-  incluiivement  à  la  page  3p5>  du 
quatrième  volume. 


1  7,t'\\  iu: 


HISTOIRE 


ilJljJillÉliilljfilIii'^^''^ 


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rrfiJiiii^ 


h  'il 

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S*aBmt— 'fij»            * 

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HISTOIRE 


DE 


BRAN  CE. 


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*i 


1 


J  E   AN      II. 


fiui$  loni;-^çemps  utieir^j[iKM^  générale  dans  l^s  mopurs 
joi  dans  le  eénie  de  ht^natioa.:  Les  roîs  uniquçttieivi: 
occupés  du  foin  de  récal;jlir  l'autorité  (buveraine  •  avoient 
formé  dey  en|:r^^r«;s  fpyvea^  contredites  ,  qijielquefais 
ieiireufes ,  qu^  lembloien^  n'avoir  |>our^objet  que  à'^i-^ 
iujper  ^f  p;:e^^  de^la.^QHrcîifiie  j^tpaiisen  voubhp 

^Lieriliir  leur  puifTancè  l  ils  avoient  négligé  d'en  régler 
Fufage.  Les  prog;r^s  ^e/içet^  pu^âance  furent  içroo  ra-* 
pides  j  pour  qu'elle  pût  recevoir. une  forme  conita^nte 
parlç  cpnçours  d'anç<f(ag«  éçopqmie.^  Les  peuples    à 

Îjeirie  forfis  dç/refclava^p^,  ^toient  encore,  nioinseclairis 
ijrla  n^çuije  4e;  jeurR  ^vQJirsf^  In^pabtes;  d|/e  ^itc^xfiQi^ 
fonuV.  '       ^ À    ' 


Ann.  X3p. 


V;  -  les  limites  précifes  qui  fépareat  la  liberté  de  ia  licence, 
Ann-  i^;o.    on  les  veixà  bientôt  s'armer  contre  l'autorité  fouveraine, 
de  cette  même  liberté  <ju*elle  leur  avoit  accordée.   La 
nobleflç  mécontente  des  rois  dont  toutes  les  démarches 
tendoient  à  TabaiiTer  &  à  rafTujécir  y   impatiente  du 
joug  qu'on  vouloit  lui  impofer  ,  déploroit  en  fecret  la 
'   /  pepte  de  fes  anciens  privilèges  :  eBe  ne  voyoit  qu'avec 
•   'indignation  les  pouples  «ifraflchis  former  dans  l'Etat  un 
.     çprps..,  dont  le  crédit,  balahçoit  au -moins  le  fien  par 
fon  influence  dans  les  délibérations  publiques.  Le  choc 
de.  ces  deux  ordres  diyifé$  d'intérêt  >  ^oit  été  fufpendAi 
moins  par  politique  qtie  par  Tignoran^^e  leurs  foroès 
refpeâives J;  Un  ^ouvêrnetnent  wible  idctoit  fiéceil&iri^- 
•     ment  faire  éclater  l'orage  qui  s'étoit  grofli  par  la  con- 
trainte d'une  adminiftrarionr  (violente.   Ce  fut  dans  ces 
circonflances  dangèreufes  que  Jean  mourut  fur  lé  trône» 
Héritier  des  ^tat$  &  des  déiaqts  de  ion  père  ,  k  Tim- 
prudence  ^  >,Ja  témérité  i  à  l'hjimeur^ inflexible  de  ce 
prince  ,  il  ajouta  une  prodigalité  aveugle ,  &  toute  la 

foiblQflre.d'un£iprit  borné*"     ..^^,^ — 

Philippe  de  Valois  avant  que  de  mourir  àvoiï  paru 
reconnoître  fes  fautes  :  fes  remontrances  k  fes  enrants 
au  lit  de  la  mort  annoncèrent  fes  regrets  &  la  condam-. 
nation  de  fa  conduite  paiOfée  :  foibles"&  tardifs  témoi- 
gnages d'une  confçience  qui  ne  fe  réveille  qu'aux  dët 
liiéré  Cris  dé]  la  iuftîce  ,  commafe'  fi  c'^dît^  fa  ^  preÂiiefc 
•  *  '  '        fois  qU'ib  fé  ftifleht  fait  entendre  \  IV  téu^  ncémÀùiUfk 


qu^ils  euffent  à  garder  là  concorde  entre  eux  ,  àfatre  la 
paixji  Lon  pouvoit ,  à  maintenir  Vàrdre  de  la  jujfice , 
Jur-'tout  à  Jbulager  les  pèupks  ,  ^  autres  belles  ckofes. 
dit  Mézcrai  ^  'que  les  princes  recommandent  phs  Jbùvent 
â  leurs  Jhccejffeurs  j  tn  mûuraàt',  ^u^ikiiè  k^lprati^ucni 
en  leur  vivant.         *    '    '  :,.':....       ^^ 

Le  nouveau  monarque  rendit  les  devoirs  funet>res'à 
fon  père ,  dont  le  cèrps  fut  inhumé  k  Saint-Denis^  dahs 
un  tombeau  placé  au  côté  èaùche  dii'grai|i4  auté!^;'lé$ 
entrailles  de  cç  prinée  ,  fuivant  fes  dernières  difj^ëfi^ 
^dons  y  furentf  enterrées  àzA^  Tiégllfe  des  Doniimcaiils 


r  J      JB      A    oK       .1  î.  3^ 

de  la  rue  Saint-Jacques  tfe  Paris  ^  &  leiaœùi!  fut  porté  / 

au  couvent  des  Chartreux  de  Bourg -Fontajftejoa  Va:^  aha.  ^^^o.. 
lois.  :    .  •  :•  :'■/•* 

Les  préparati&  nécefiaires  pour  le  facre  en  retardèrent  Couronoe- 
la  cérémonie.  La  cour  fe  rendit  à  Rheims  :  le  coi  &r  «cnt  <*«»«>•» 
la  reine  forent  couronnés  le  vingts  fiic  Septembre.  Ce 
même  jouir  Jean  arma  Sievaliers  Charles  Dauphin  ^  le 
comte  d^Aniou  y  &  Louis  comte  d'Alençon  fes  enfants^ 
le  duc  d'Orléans  fon  frefe  ,  &  Philippe  duc  de  Bour-. 
gogne ,  fils  de  la  reine  Jeanne  fon  époufe  :  il  accorda 
auiii  le  même  honeur  aux  comtes  d'Ëtampes  &  de 
Dammartin ,  aii  vicointe  de  Touraine  neveu  du  pape , 
au  fdgneur  de  TËfcan  &  à  plufieurs  princes  oc  fei-^ 
gneurs  ). entre  autres  à  Jean  d'Artois  ^  fils  du  malbeu-* 
reux  Robert  d'Artois ,  qui  fous  le  règne  précédent  avoit 
été  envelopé  dans  la  dilgrace  de  fon  père. 

Le  roi  célébra  la  cérémonie  de  fon  couronnement  & 
de   Tonlre  de  chevalerie  ,  conféré  aux  princes  &  auk  ^ 

grands  de'  TEtat  ^  avec  une  magnificence  ipii  iurpaila 
tout  ce  qui  avoit  été  pratic|ué  par  f«  predébeflenrs  :  k 
luxe  des  habillements  y  qui  depuis  quelque  temps  avoit 
fait  des  progrès  cxceflifs  »  rendoit  ces  fortes  de  fèces 
\  fi>rt  difpendieufes.  Le  .roi  Êdfoic  tous  les  irais*  de  ces 
grandes  folenmtés  ^:  que  fa  muintûde  des  téàifmnàsi^ïxs 
portoiit  à  des  (bmmcs  prodigieufes  (dY  .t  ' 

Philippe  duc  #01éans  avoit  cédé  a  Charles  fon  n» 
veu  ,  les  droits  qu'il  avoit  fur  le  Dauphiné  par  le  pre-  ^p'^^l^ntin. 
mîer  tranfport  que  le  dauphin  Hunibert  lui  en  avôit   ^   '"'^"* 
fait)  ainfi  qu^on  a  dû  Toblerver  fous*  le  régde  (préc^ 
tient.  Lorfque  racquifixicin  et  cette-  province  fut  toq- 
..:...'•'  *    .  ,  •   i  •;:.   ..  K    -'  '•  :    >  ^'i  i  ,  ■'  ' 

'  (a)  On  fauraidbit  à  toii&  les  princes  8c  feif^octA  ^Atnh  par  le  tnonarcjite  à 
k  ptofeffioà  des  armes ,  non-^euemfctit  iet  ka^its  ciéceflali^B  poar  reprèfcoteif , 
içMt  comme  icayer&la  taille»  ibir  Comme  chevaliers  lev)par/loiienr.réceptîoa« 
maïs  encôre'^ane  double  tenture  Si  garniture  générale '3e'' côuc  ce  qui  fcrvoit  ^ 
meubler  les  pl^^Éphes  apanemeots  s  car  il  etoit  de  Tordre  que  les  •  (éoifteii- 
daires  fuAent  l9n  en  particulier,  chacun  dans  des  chambres  féparées  Se  diti* 
Wées.lw     -  *  -    -      .  .  .       . 


«Mmta<  nl^léés.(oiar  la  TeUiej9ppDiirU  j«^4e  U^^réomiib.  Qo  caipl4?]roK 
poiiK  œs  menues  Se  habillements  les  foncures  les  .pins,  eyqut&a  ft  ks  éiôfes  ias 
^litt  piiUifurcs  d'or  Se  de  (pie.  ... 

A  ij 


IF4 


4  ÎIlST.OLRE    U  K    FHAIÎCE, 

-  fommée  en  fàvjsur  de  Charles  &  de  fe$  fuccefleurs ,  il 
Ann^  2  5JO*  avoitioé  réglé  que  ie  duc  d'Orléans  feroit  indemnifé  de 
la*  renonciation  abfolue  qu'il  fit  pour-lors  à  fes  préten- 
tions. Philippe  de  Valois  dans  les  derniers  jours  de  fa 
vie  avoit  réglé  cette  indemnité ,  en  ordonnant  que  Phi- 
Hppe  duc  aOrléans  fon. fécond  fils  auroit  en  augmen-. 
tation  d'apanage,  le  comté  de  l^lois  ,  dont  lui-même 
9Voit  porté  le  titre  avant  que  de  parvenir  à  la  couronne* 
Dès  que  Jean  fut  monté  fur  le  trône  ,  il  invefiit  foti 
frère  de  ce  comté. 

La  cour  partit  de  Rheims  &  arriva  à  Paris  ,  où  le 
roi  fit  fon  entrée  le  dix-fept  Oâobre.  La  capitale  dans 
la  réception  de  fon  fouverain ,  étala  toute  la  pompe  dont 
le  génie  de  la  nation  étoit  fufceptible  dans  ce$  temps 
de  groiliéreté  &  d'ignorance  ,  ou  une  profufion  fans 
choix  &  une  abondance  d'ornements  nial*entendus  te- 
noient  lieu  de  la  délicacejQe  &  du  goût  qui  manquoient 
Chron.MS.  à  nos  aïeux.  Toutes  les  rues  de  la  ville  ,  dit  une. an- 
duroiJtàn,iia  cieniie  achronique  ,  étoient  tapilTées  d^étofes  de  diverfes 
BiU.duR»i.  couleurs  :  \ts  artifans  des  diférents  corps  de  métiers, 
diftribués .  fuivant  leurs  clafTes  ,  étoient  revêtus  d'ha* 
bits  uniformes  :  les  bourgeois  de  Paris  formoient  un 
corps  pdrdculier  ;  ils  portoient  aufli  des  robes  de  la 
même  couleur.  Les  Lombards  &  ufuriers  ,  dont  mal* 
heureufement  la  ville  abondoit  pour-lors ,  fe  fignalerent 
<n  cette  occafîoh  :  ils  étoient  tous  hsÉ^Ués  de  robes  de 
foie  de  deux  couleurs  ^  &  portoient  fur  leurs  têtes  des 
chapeaux  [hauts  agus  ]  à  pointe  exhaufTée ,  femblables 
à  leurs  habits.  Tous  les  habitants  ainfi  partagés  en 
plufieurs  troupes  ,  les  unes  à  pied  ,  les  autres  a  che- 
val, allèrent  au-deyant  du  roi ,  oui  entra  dans  Paris 
au  fon  des  inftrun«nts  ,  traverfa  le  grand  pont  ,  au- 

J'ourd'hui  nommé  le  Pont -au -change,  &  vmt  loger  à 
^hôtel  de*  Nèfle  .(/z).  Les  réjouïflances  durèrent  pendant 
huit  jours.  ^ 

•fr.  *  "<tf)  Cet  b6cef  éMic  fur  le  bor<l  d^  fa  Seiac  iA  Ait  conftniîc  l'hAcel  At  Ne- 

*  ftn  daos  1a  fiikc ,  àfcu-pt  es  dans  le  même  cenein  donc  le  collège  de  Mazarnà 

U  rbôtel  de  Comi  occupent  aujourd'btti  une  partie,  U  faut  diftinguer  cet  bôcel 


J      E       A      N         I   I-  "  5 

•   Aufli-tôt  que  Te  pape  eût  été  informé  de  la  mort  de  '■' 

Philippe  de  Valois  ,  il  écrivit  aux  deux  rois  de  France    ^nn.  ijjo. 
&  d'Angleterre  pour  les  exhorter  à  la  paix.   Edouard    ,^f^"l*^^* 
toujours  conttamment  ataché    aux  maximes  de   poli-  ^part\  'Tp.  U\ 
tique  qu'il  s'étoit  prefcrites  dès   le  commencement  de  60^0^,69,7% 
fon  règne  ,  parut  le  prêter  de  bonne  grâce  aux  invita-    cLmbn  des 
tions  du  faint  Père  :   mais  toute  cette  bonne  volonté  Comptes,  m/- 
aboutit  à  une  confirmation  de  la  trêve  conclue  fous  le  moriaiCfoL 
règne  précédent ,  trêve  qui  fiit  prorogée  à  diverfes  re-  '^^* 
prifes  jufqu'à  trois  années. 

La  lituation  des  afàires  étoit  toujours  la  même  :  le 
monarque  Anglois  ne  perdoit  pas  de  vue  l'exécution  de 
fès  ,projets.  Son.  ambition  ne  paroifibit  fe  repofer  que 
pour  reprendre  de  nouvelles  forces  ;  &  pour  le  malheur 
de  la  France ,  le  caraâere  du  roi  ,  violent ,  foupçon- 
neux  &  vindicatif  9  n'étoit  que  trop  capable  de  féconder 
plus  que  jamais  les  defTeins  dangereux  de  ce  redoutable 
ennemi. 

La  prorogation  de  la  trêve  entre  les  deux  couronnes  Hoftiiités  en 
ae  fufpendoit  pas  les  hoftilités  en  Bretagne  :  •lies  étoient  B«^c|agnc. 
toujours  auffi.  vives  ,  quoique . depuis  la  défaite  &  la  jPj^^J/^'* 
piBe  de  Charles  de  Blois  à  la  bataille  de  la  Roche  de 
Kien  ,  la  guerre  ne  fût  plus  foutenue  que  par  la  com- 
leflè  de  Penchievre  fon  epoufe ,  &  la  veuve  de  Mont- 
fort.  Les  Anglois  maîtres  de  la  Roche  de  Rien ,  défo-- 
loient  par  des  ravages  continuels  les  environs  de  cette 
ville  5  fous  prétexte  que  les  habitants  avoient  favorifé 
le  parti  de  Charles  de  Blois  :  ils  commirent  tant  de 
cruautés  ,  que  les  payfans  défefpérés  fe  rafiemblerent 
en  armes  ;  car  tout  étoit  devenu  foldat  dans  ces  temps 
de  guwres  &  de  brigandages  :  ils  entourèrent  la  place 
dans  la  réfolution  de  l'emporter  k  Quelque  prix  que  ce  fût. 
Ils  furent  encore  encouragés  parlajonâiondelanoblefle 
de  la  province  ,  &  par  la  prélence  de  Pierre  de  Craon, 
feigneur  Breton ,  &  d'Antoine  Doria,  Génois^  que  le 

ée  Nèfle  li'cin  antre  da  même  nom  ,  qui  fut  bâti  dans  le'niéme«-tcnips.  Ce  fécond 
hôtel  étoit  fitué  aa  liea  même  od  fut  conftruit  rhôtd  de  Soiffons  qu  on  vient  de 
démolir  en  1747. 


6  Histoire    dé  France « 

.  ^  roi  leur  envoya  accompagnés  de  plusieurs  hommes  d*ar- 

Ann.  i3;o.  mcs.  La  garnifon  Angloife  foucmt  les  premières  ata- 
ques  avec  afTurance  3  mais  en  peu  de  jours  les  ailauts 
confécutifs  qu'on  livroic  à  la  place  y  firent  perdre  aux 
ennemis  Tefpoir  de  pouvoir  la  défendre  :  ils  demandé^ 
renc  à  capituler  ;  les  afliégeancs  écoienc  fi  animés  contre 
eux  qu'ils  refuferent  de  les.  recevoir  à  compoficion.  Les 
acaques  recommencerenc  avec  plus  de  fureur  :  au  plus 
fore  de  TafTaut  Pierre  de  Craon  fiif pendit  au  bout  a  un 
bâton  une  bourfe  de  cinquante  écus  y  &  promit  de  la 
donner  a  celui  qui  le  premier  entreroit  dans  la  ville  : 
ce  prix  propofé  redoubla  Tardeur  des  afiaillants  ;  cinq 
Génois  s'étant  avancés  jufque  ibus  les  murailles  abati- 
rent  cinquante  pieds  du  mur  par  le  moyen  de  la  fape 
f  &  pénétrèrent  aans  la  place  :  ils  furent  fuivis  des  trou** 
pes  qui  entrèrent,  par  la  brèche ,  pafTant  au  fil  de  Tépée 
tout  ce  qui  fe  préfenta  fur  leur  pafikge.  La  ville  fut 
livrée  au  pillage  ,  &  fuivant  les  funeftes  loix  de  la 
guerre  9  les  habitants  furent  maffacrés  fans  difUnâion 
d'àgc  ni  d^fexe.  Deux  cent  cinquante  Anglois  fe  fau-- 
verent  dans  le  château  y  où  ils  furent  invedis  dans  le 
moment  ,  &  forcés  en  peu  d'heures  de  fe  remettr#à 
la  difcrétion  des  vainqueurs ,  k  condition  qu'ils  auroient 
la  vie  fauve  :  mais  malgré  la  promeflè  qu'on  leur  avoic 
faite  y  il  ne  fut  pas  pomble  de  les  garantir  de  ta  fureur 
4u  peuple  :  ceux  qui  étaient  chargés  de  les  efcorter  les 
Cohduiurent  jufqu'au  château-neuf  de  Quintin  y  où  les 
bouchers  y  charpentiers  &  autres  artifans  fe  jetèrent 
fur  eux  ,  &  les  mafTacrerent  impitoyablement.. 
Vroiffari.  Cette  vidoire  y  qui  releva  le  parti  de  la  comcefie  de 
Fenthievre  y  époufe  de  Charles  de  Biais  y  fur  bientôt 
fuivie  d'un  nouveau  fuccès«  Raoul  de  Caours  y  à  la  tête 
de  fix  vinçts  hommes  d'armes  y  pafia  devant  la  ville 
d'Aurai.  Thomas  Dagorne,  Anglois,  qiii  commandoit 
^ims  la  .place  pour  la  comtd^  de  Moutfbir^  fortit  pour 
combatre  :  il  fut  entièrement  défait  ,  &  perdit  la  vie 
dans  cette  aâion  ,  où  plus  de  cent  hommes  d^armes  du 
côté  des  Anglois  demeurèrent  fur  le  champ  de  bataille. 


J      E       A      N         I   I.  7 

Toutes  xes  petites  expéditions  ,   qui  ne  terminoient  ! 

point  cette  longue  &  fan^lante  querelle  y  ne  fnvoient  Aon.  1350. 
qu'à  entretenir  &  à  redoubler  la  Fureur  des  deux  par-  D'Arg^ri. 
cis  :  les  Andois  fur-tout  n^épargnoient  perfonne.  Les  cul^ 
tîvateursyétpient  forcés  d'abandonner  les  campagnes  de- 
venues le  théâtre  du  meurtre  &  du  ravage.  Depuis  la 
défolation  du  royaume  par  les  incurflons  des  Normands 
fous  le  déclin  de  la  féconde  race  ,  on  ignoroit  la  bar-* 
bare  coutume  d'exterminer  les  gens  fans  défenfe,  &  de 
dévafter  les  terres  :  ce  ne  fut  que  dans  cette  guerre 
cruelle  qu^on  renouvela  ce  genre  de  deftruâion  inconnu 
aux  généreux  guerriers  des  règnes  de  Fhilippe-Auçufle 
&  de  fai'nt  Louis.  Cette  manière  d'exercer  les  hoftilités 
excitoit  Tindignation  de  la  noblefle  ,  &  fut  l'occafion 
prilicipale  de  ce  combat  tant  célébré  par  les  auteurs 
Bretons. 

Richard  Brembro  y  capitaine  Anglois  y  commandant  Combt;  des 
de  lagarnifon  de  Ploermel ,  brûlant  du  defir  de  venger  Trente, 
la  lÉJlrt  de  Thomas  Dagorne  fdn  compagnon  d'armes^  m^?But* 
tué  devant  Aurai ,  portoit  la  terreur  &  le  ravage  dans 
tous  les  environs  y  maâacrant  indiftinébment  les  mar*^ 
chands  ,  les  artifans  &:  les  laboureurs.  Le  fèigneur  dô 
Beaumanoir^  qui  pour-lors  étoità  JofTelin ,  à  deux  lieues 
de  diftance  de  Ploermel  ,  entreprit  d'arrêter  ou  de  fu(^ 
pendre  le  cours  de  ces  défordres.  Il  alla  trouver  Rî-^ 
chard  Brembro ,  fous  la  sûreté  d'un  fauf-cohduit.  Dans 
cette  entrevue  le  feigneur  Breton  repréfenta  au  com-* 
mandant  Anglois  ,  qu'il  étoit  indigne  d'un  fl  vaillant 
chevalier  de  Faire  mauvaifc  guerre  ,  en  ataquant  ,  non 
ceux  qui  portoient  les  armes  y  mais  les  artiians^  labou-* 
i'eurs  >  &  autres  g6ns  incapables  de  fe  défendre  ;  qu'ciâ 
brave  guerrier  épargnoit  les  cultivateurs  de  la  terre  i  & 
que  fi  TAnglois  vouloit  mériter  ce  titre ,  il  ne  dévoie 
combatre  que  contre  ceux  qui  avoient  les  armes  k  là 
main ,  &  noo  contre  des  payfans  hors  d'état  de  lui  ré-> 
fifter.  Le  fier  Anglois  crut  fon  honeui'  blefii  4>ar  ce* 
reproches  qui  n'avoîent  que  trop  de  fondenieht..It  répon- 
dit k  Beauxâanoir  avM  ^hauteur  i>  af^^âantt  tdték^ep  fa 


8  HistoiredxFrance^ 

■>  nation  au-deflus  des  Bretons ,  dont  il  ne  parla  qu*avec 
^nn.  lijô.  mépris  ,  en  difant  qu'il  né  leur  aparcenoit  pas  de  fo 
*  comparer.  parangoTuicr  *  aux  Angloîs.  Beaumanoir  fputint  avec 
une  noble  fierté  Thoneur  de  toute  la  noblefTe  Bretonne 
infultée  par  les  bravades  de  Brerabro.  Ce  pour-parléf» 
loin  de  concilier  un  accommodement  ,  fe  termina  par 
un  défi  donné  par  le  feigneur  Breton  y  &  accepté  par 
l'Anglois.  Ils  convinrent  de  fe  trouver  à  certam  jour 
accompagnés  chacun  de  vingt-neuf  chevaliers  y  dans  le 
deffein  de  décider  leur  querelle  les  armes  à  la  main. 
Le  lieu  du  rendez-vous  rut  indiqué  près  d**in  chêne  qui 
fe  trouvoit  placé  à  moitié  d'un  grand  chemin  entre 
J^loermel  &  Jofielin.  Ces  rivaiix  de  gloire  furent  exaâs 
à  Taffignation  ,  &  fe  rendirent  aii  jour  marqué  ,  le  fa-p 
raedi  veille  du  dimanche  Latarc  ,  dçj'an  1350/  L'hifto-r 
rien  de  Bretagne  nous  a  confervé  les  noms  des  com-» 
bâtants. 

Les  chevaliers  du  parti  de  Beaumanoir  étoient  le  fire 
de  Tinteniac  ,  Yves  Charruel ,  Huon  de  Saint- H^)n^ 
Olivier  Artel ,  Jean  RoufTelet  ,  chevaliers  ;  Guillaume 
de  Montauban ,  Triûan  de  Peflivian ,  Robîn  de  Seau- 
mont  9  Alexandre  Fardet  t  Haterel ,  Geofroi  ou  Gui  de 
Rochefort  y  Robin  de  RagiSenel  ^  Karo  de  Bodegat , 
Geofroi  Dubois  ,  Olivier  de  Kaerenrais  ^  Geofroi  oe  U 
Roche  /  Geofroi  de  Beaucorps  ,  Jeannot  de  Serens , 
Huet  ou  Morice  de  Trexuiguidi  ,  Moriçe  &  Çelia 
d*Entragujr ,  Guillaume  de  la  Lande ,  Olivier  de  MQn-r 
teville  ^  Simon  Richard  y  Geofroi  Foulard  ,  Alain  de* 
Tinteniac  y  Alain  de  Kaerenrais  y  Loys  Goyon  |  Guyoa 
diç  Fohtblanc  ,  Morice  Du  parc  j  écuyers.  S^lon  .quel-? 
Ques  auteurs  y  il  faudroit  retrancher  deux  cômbataqtsr 
ae  ceux  dont  nous  venons  de  donner  les  noips  ,  pouc 
fiibftituer  à  leur  place  deux  frères  de  la  nfiaifon  de  Fqnp 
fénay ,  qtfon  aflTure  avoir  été  du  nombre  des  chevaliers, 
choifis  par  .Beaumanoir  ppur,  iputçnir^n  .petite  journée 
la  gloire  de  la  Bretagne.  /  :: 

.  C^Wi  qui  ijonibatiretit  avec  Brembrp  y  étoient   Çor- 
bm  Jtjiollc  iî.Croquart>  Hsrvi  4e  LeïVAlefi ,  Jean  cPl^^, 

faoton , 


J      E      A     N        I  !•  9 

(ancon .,  Richard  le  Gaillard  ,  Hugues  fon  frère  ,  Jean-  " 

nequin  Taillard  ,  Repefort  ,  Richard  de  la  Lande,  Ann.  ij;6. 
Thomelin  Billefort ,  [  ce  Thomelin  fe  fervoit  dans  les 
batailles  d'un  maillet  de  plomb  du  poids  de  vingt-cinq 
lîyçes  ]  Hucheton  Clervaban  ,  qui  étoit  armé  d'un  fau- 
chart  crochu  taillant  des  deux  côtés ,  [  ces  fortes  d'ar- 
mes commençoieut  à  n'être  plus  en  ufage',  ]  Gautier 
TAUemant ,  Jeannequin  de  Gamehoup ,  Hanequin  He- 
rouart^  Jeannequin  le  Maréchal ,  Thomelin  Holethon, 
Jlue^ou  Huguede  Caurelée,  ou  de  Caverlay  ,  Knol- 
les  ,  Robinet ,  Malipas  ,  Yfray  ou  Ifaunay  ,  Jean 
Trouffel.  Quatre  chevaliers  Bretons ,  nommés  Perrin 
de  Camaléon  ,  Jean  le  Gaillard  ,  Raoulet  ,  Prévôt  & 
Dardaine  y  augmentèrent  le  nombre  des  guerriers  de  la 
compagnie  de  Brembro.,  &  n'eurent  pas  honte  de  com- 
batre  pour  une  querelle  où  il  s'agiiToit  ,  non  de  l'inté- 
rêt dès  deux  partis  de  M ontfort  &  de  Blois  ,  mais  de 
l'honeur  de  la  nation  Bretonne.  On  ne  devoit  admettre 
à  cette  partie  que  des  eentilhomnies  \  cependant  comme 
JSrembro  ne  put  remplir  le  nombre  prcfcrit  de  trente , 
il  prit  pour  le  compléter  un  foldat  de  conditio^i  rotu- 
rière, nommé  Hulbitct. 

Ce  combat  fe  donna  en  préfence  de  toute  la  noblefTe 
de  la  contrée  ,  qui  obtint  des  fauf-conduits  pour  y  af- 
iîfler.  Avant  que  de  donner  le  fignal  de  la  bataille  , 
Brembro  qui  avoit  difpofé  &  harangué  les  chevaliers 
de  fan  parti ,  leur  promettant  une  viaoire  complète  fur 
la  foi  d'une  prophétie  de  Merlin  ,  où  il  étoit  margué 
€u'il  devoit  ce  jour  même  obtenir  un  triomphe  afluré  , 
ie  détacha  de  la  troupe  ,  &  s'avança  au  milieu  du 
champ.  Quelaue  certain  qu'il  fût  du  fuccès  de  cette 
jpurnée  lîir  la  prédiâion  de  Merlih  ,  il  fit  apeler 
JBeaumanoir ,  auquel  il  dit  qu'il  croyoit  ce  combat  ir- 
réguUer  ,  atendu  qu'il  avoit  été  indiqué  fans  le  congé 
des  princes  ,  ajoutant  qu'il  étoit  plus  à  propos  de  re- 
mettre la  partie  à  une  autre  fois.  Beaumanoir  lui  ré- 
pondit qu'il  s'avifoit  trop  tard  ;  &  que  puifqu'il  avoit 
pris  la  peine  de  venir ,  il  ne  s'en  retourneroit  point yi/w 
TomcK  B 


20  Histoire  ds  France^ 

■  mener  les  mains ,  6i  Ravoir  qui  avoit  la  pjus  btUf  amu; 
Ann.  ino,  [  car  la  beauçé  <Je  faniie  éçoit  la  préçention  favorite  de 
nos  çhamp^oûs  d'honeur  ]  que  cependant  il  ea  alloit  con^ 
férer  avec  (e$  compagnons  j  qui  furent  du  mâme  avis 
que  leur  comç^andant ,  infultant  par  des  railleries  ameres 
la  réfieiçm  (ardivç  de  PÀngloîs.  Brembro  cependant 
inflftoit  ençorç  en  difant  j  que  quand  tous  les  comba* 
tants  périroiçQt  y  la  querelle  des  princes  nç  feroit  pas 
4^çidee  :  à  qupi  Beaumanoir  répliqua  que  dans  ce  com« 
bat  il  étoit  queftion  y  non  de  la  cwereUe  des  prij^ces  ^ 
mais  de  Tboneur  de  leur  napon.  K^Ujh  folit  de  comba-^ 
tre  y  difoit  Sirembro  ;  ap:  quand  nous  Jetons  morts  ,  toute 
la  Bretagne  ne  recouvrera  pas  de  tels  hommes.  Beauma- 
noir  aum  modefte  qu'intrépide ,  lui  repartit  que  quoi- 
qu'il eût  avec  lui  de  braves  ch&vaUers  >  cependant  les 
ieigneurs.  les  pJus  confîdérables  du  parti  n^  étoiene 
pas  y  tçls  que  Ibs  Lavais  y  les  Montforts  èç  les  Lohéacs. 
Al<xr$  fanst  vouloir  entendre  davantage  les  repréi^nta- 
^ons  de  FAoglois,  il  rejoignit  fa  troupe  >  &  donna  le 
i^gnal  du  plus  tçrribk  combat  qu'on  eut  e^icore  vu  dans 
tout  Ite  cours  de  cette  guerre  y  qui  paâia  même  en  pi^o- 
verbe  ;  car  long-temps  après  y  lorlqu'on  &ifoit  le  récit 
d*uçye  aâion  vive  ôç  meurtrière  y  on  difoit  qu'il  n'avoit 
jamais  été  çoQ^batu  fi  vaillamment  depi^s  la  bataiHe  des 
Trente.  Seloii  lu  pl^s.  commune,  opimon ,  les  cbevalier% 
des  djeux  partis,  çocabatircnt  à  pied  y  à  la  réferve  d^^ 
Guillaume  de  Monjcauban  y  k  qui  la  permiflîon  de  corn- 
batre  à  cheval  fut  accordée.  Tous  bs  écrivains  fe  font 
conformés  à  l'hiftoriea  de  Bretagne  ,  qui  luirméme  ce* 
pendant  n'eu  pacoit  afiuré  fui;  aucun  témoignage  digne 
de  foi.  Si  je  ne  craignois  de  bkâcr  le^  fentunent  géné- 
ral y  j'oferois  afitmer  que  le  combat  fe  fit  à  cheval  : 
je  ne  puis  au-moin^  me  difpenfèr  de  raporter  ici  fur 
quel  fi>Qdement  j'apuie  cette  conjeâure.  Tous  les  conv- 
bats  particuliers  entre  chevaliers  s!étoienjD  toujours  d^ 
cidés  à  cheval  >  &  fe  décidèrent  loog^temps  en(:ore  après 
de  la  même  manière.  D'Argentré  qui  a  écrit  Phiftoire 
.    de  Bretagne  deux  fiecles  après  cet  événement  y  &  qui. 


JeanIÏ.  ît 

dit  que  VôTL  cemhàm  à  pied ,  fiiît  ëh  célà'ttnc  traditioil    ^ 
popmaiicc  i  il  rie  peut  cébfendànfc  s'erriiiêichet  d*avoùer    Âhà.  i)|o- 
<^a'il  à  lu  rihe  ancienne  hittbirë  en  Vers ,  compofëe  j^àk^ 
bn  auteur  contemporain  ,  (][ui  paroît  faire  chèeridte  que 
Ton  combatit  à  cheval;  II  n'allegiie  aucune  autorité  pdilit 
détruite  ce  témoignage  :  il  fe  tontente  de  dire  que  quel* 

3*  ues-uns  déà  chévilTiers  cotnbatirent  â^fec  des  drftiéi 
ont  les  cavaliers  ne  fé  fcfvoient  jias  oi-dihaircfrieifït  j 
ftiàîs  il  eft  également:  obligé  dé  convenir  qùé  d*autre4 
émployéféht  aufli  des  àrhiés  iitufitée^  dans  les  combàti 
à  pied.  D'ailleurs  il  n'étoit  pis  nàtui-cl  qu'bri  eût  àfc- 
cordé  le  privilège  de  fe  batré  à  cHéVâl  iH  fciil  Gùtl- 
laumé  dé  Montàubari  ,  qtii  fe  kinï  dé  cet  âiàntaçé 
pour  déférrriinéf  fct  viftoif é  en  faveur  dé  fôtt  {iârti  i  àîfaft 
que  réyénemént  va  tiàni  Ife  pfouièV. 

Là  fortuite  parut  fé  déclarer  pbur.  lès  Anglcris  àii 
coriimencèhiént  du  combat  par  la  pHfè  d'Yves  Chàruèl 
&  de  triftari  dé  ]^eftiviaii  ,  &  par  la  ihort  de.RôirfTé^- 
!«•  Mèlot  &  Pôttlaft,  déuik  àutrfei  ctievàlifets  du  raériVé 
pàfû  i  furent  bleffés  ;  mîisf  la  vdcur  dé  'BéiHimtnbit 
fôtftîrit  le  courage  dès  Bretons;  On  fe  batït  âe  p'aré  & 
d*âiit*è  avec  iati  âclwitrièmétit  faris  eiéBtilë  ,  Ji^^u'â  ce 
que  les  combataht^  é^aléniétit  fattî^ues  fulpéndifeM: 
léurS  èàvLp^  pbtft  reprendra  ïratlètné  &  fé  tâfr^îèhir. 
Àpfës  né  cèixri  îhécrvâffle  ,*  fis'  réi^iiirérit  à  H  charge, 
Brerfibf'o  s'élança  fni^  Beaùmanoif  dins  le  temprs  qu'A- 
lain de  Kaeréfirais  le  prévint  en  le  feiivwfâtft  ann  àdup 
dé  lance  dans  le  viftgé  ; ,  6t  Géofror  Dubé/îs  lui  â^dhx 
mtfféfàti  épêè  au  tra^^ef*  du  corpi  ,  lui  ccrupâ  H  tèiè  (â^. 
jLà  rnbti  du  tomriiaîhdant  jeta  la  terreur  pàTihx  lés  Aa- 
glois.  Croquart ,  foldat  de  fortune  ,  lés  rahima  pàt  (où. 
exemple  &  fes  difcôùrs.   Ec6utc[  ,  ctimpdgrtôni  ,  lèiif 

(tf)  Mènerai  ,'  qîA  rapbrte  ce  cotnb'at  Jaûs  foh  abrégé  chibnolojâtjtre ,  liïi/qilè 
tû  noce  ^e  ivt  Gaerdio  fe  Bacic  une  autre  foif  conée  ^Bicnibro  &  le  tu^; 
c"c&  ûiie  erreur  :  celui  qui  ponoit  ce  nom  de  Brembrp  ,  &  que  du  Guefclin  rua 
criCohÀatfnigulicrpendâiil  lôficgcde  Rcnî'es,  ncft^aslc  Aicnic;  its*açcloj[t 
QtdUâume  Bïémbré,  paréi^^  de  Rjch'a^d  Bteiiâb/ô',  qui  perdit  éféaiveih'enc  la 
vie  à  la  bataille  des  Trertte.  Vîd.  iAr^ntrL^  Kfi.  dt  Brttagne^  liv\%  ^ch.^\. 
Troîffàrd ,  ta  vit  dt  BirtraniduGùifctin  Ma, 

Bij 


12  Histoire    DE  Frakce, 

~  dit- il  ,  ne  vous  atcnde^  pas  aux  prophéties  de  Merlin  ; 

Ann.  1350.    çàr  à  grand  peine  les  peut-- on  croire  pour  cette  fois  :  le 
remède  ejl  de  fe  ferrer  ,  tenir  ferme  &  bien  combatre.    La 
troifîeme  reprise  fut  encore  plus  furieufe  que  les  deux 
premiers  afiàuts.   Ce  fut  fur  la  fin  de  ce  combat  que 
JBeaumanoir  ,  qui  avoifété  bleffé  ,  preflé  par  la  foif , 
demanda  k  boire.  Beaumanoir  ,  bois  de  ton  fang  ,  lui 
cria  Geofroi  Dubois  ,  ta  foif  fe  paffera.  A  ces  mots  il 
rentra  au  combat ,  dont  1  acharnement  redoubloit  ^  loin 
de  diminuer.   Jufqu*alors  les  Anglois  fe  tenant  étroite- 
ment ferrés  ,  avoient  fou  tenu  les  éforts  de  leurs  advér- 
faires ,  lorfque  Guillaume  de  Montauban  ,  oui  proba- 
blement s'étoit  retiré  du  combat  pour   quelques  mo- 
ments y  remonta  à  cheval  ^  prit  fa  lance ,  &  teignit  de 
s'éloigner.  '  Faux  5'  mauvais  chevalier  y  s'écria  Beauma- 
noir ,  où  vas  tu  ?  Il  te  fera  reproché  à  toi  &  à  ta  race 
à  jamais.   Fais  bien  ta  befogne  ,  lui  répondit  Montau- 
ban :  de  mon  côté  je  ferai  mon  devoir.    En  difant  tes 
mots  y  il  pouiTa  fon  cheval  à  toute  bride  ;    &  prenant 
les  Anglois  en  flanc  ,  il  les  rompit  ,    &  en  renverfa 
fept  par  terre  du  premier  choc.  Les  Anglois  étant  ou- 
verts par  cette  irruption  fubite ,  les  Bretons  pénétrèrent, 
&  achevèrent  de  les  tailler  en  pièces* 

On  peut  voir  par  ce  récit ,  que  s'il  eft  vrai  que  Ton  com- 
batit  à  pied,  la  gloire  que  la  noblefle  Bretonne  acquit 
en  cette  fameufe  journée  >  feroit  due  au  cheval  de  Guil- 
laume de  Montauban  ,  fupérioritéque  les  Anglois  n'au- 
roient  pas  manqué  de  reprocher.  Prefque  tous  les  che- 
valiers du  parti  de  Brembro  furent  tués  ou  pris  :  Knol- 
les ,  Caurelée  ,  Bellefort  &  Croquart  furent  faits  pri- 
fonniers  &  conduits  à  Joflelin.  Le  feigneur  de  Tinte- 
niac  fut  eftimé  le  jplus  brave  combatant  des  chevalier$ 
Bretons  :  le  prix  de  la  valeur  des  Anglois  fut  atribué 
à  Croquart.  Ce  Croquart  étoit  un  de  ces  aventuriers 
que  le  malheur  des  guerres  avoit  élevé.  Dans  fa  jeuneile 
il  avoit  fervi  un  chevalier  de  Hollande  ?  il  s'atacha  dans 
la  fuite  à  un  homme  d'armes ,  &  combatit  fi  vaillam- 
ment dans  une  occafiôn  où  fon  maître  fut  tué  ,  que 


.      J      £       A.      N         I   I.  13 

les  foldats  ,  témoins  de  fa  bravoure  ,   Pélurent  unani-  î=^ï!5= 
mement  pour  leur  chef.  Devenu  capitaine  ,  il  rançonna    ^nn.  ido- 
les châteaux  &  les  bourgades  ,  à  Texemple  d'une  infi- 
nité d'autres  conduâeurs  de  troupes.  Il  devint  extrême- 
ment riche  k  force  de   rapines  &  de  brigandages.    It 
s'étoit  acquis  une  telle  réputation  ,  que  le  roi  de  France 
ne  dédaigna  pas.de   le  faire  folliciter  d*entrer  à  fon 
fervice  ,  ofrant  de  lui  donner  Pordre  de  chevalerie  , 
de  le  marier  avantageufement ,  &  de  lui  afîigner  deux   . 
mille  livres  de  revenu  en  terres  ;   mais  la  vie  libre  & 
indépendante  de  chef  de  brigands  lui  parut  préférable. 
II  refufa  les  ofres  du  roi.    ôe  Croquart  mourut  d'une 
chute  de  cheval  en  voulant  franchir  un  foffé. 

Jean  fignala  les  commencements  de  fon  règne  par  un      Chron.  MS. 
de  ces  coups  d'autorité  dont  fon  prédécefTeur  lui  avoit  %[^'/^''JI* 
tracé  l'exemple.    Raoul  comte  d'Eu    &  de  Guienne  ,  SpiciLYJ'ntini 
connétable  de  France ,  prifonnier  en  Angleterre  ,  avoit  ^^"S\ 
obtenu  d'Edouard  la  permiflion  de  faire  plufieurs  voya-       ^<^'m^''^' 
ges  en  France  fur  fa  parole ,  pour  traiter  de  fa  rançon 
&  de  celle  de  quelques   chevaliers   pris  avec  lui  à  la 
journée  de  Caen  fous  le  règne  précédent.  Après  la  mort 
de  FUlippe  de  Valois,  il  vint  k  Pari# folliciter  auprès 
du  nouveau  roi  un  arangerhent  pour  fa  délivrance.   Il 
étoît  aufli  chargé  par  lé  roi  d'Angleterre  de   négocier 
la  confirmation  &  la  prorogation  de  la  trêve. 

Parmi  les  feigneurs  qui  s'étoient  emparés  de  la  con-    Raoul  comte 
fiance  du  roi  ,   Charles  d'Efpagne  ,  dit  de  la  Cerda  ,  Jifa^Tranc^^^ 
frère  de  Lpuk  d^Efpagne  ,   occupoit  le  premier  rang.    Hifi.génér.de 
Fier  de  fa  namance  &  de  la  faveur  du  fouverain  ,    fon  ^^  mai/on  de 
ambition  démefurée  afpiroit  k  tout.    Il  envifageoit  la  f^^'^jV^/'* 
pofleflion  des  dignités  les  plus  confidérables  de  l'Etat 
comme   une   fuite   néceflaire  de  Taveugle    amitié    du 
prince.   Il  exerçoit  depuis  quelque  temps  la  charge  de 
connétable  «n   Tabfence   du  comte  d'Eu  :  on  le  foup- 
çonnà  d'avoir  contribué  k  fa  perte  ,  foupçon  que  la  fuite 
rendit  aflez  vraifemblable.    La  Cerda  fit  entendre  au 
roi  que  le  connétable  n'étoit  venu  en  France  que  pour 
femer  la  difcorde  parmi  les  princes  ,  &  ménager  une 


t4  HiSTÔÏRE     DM    FkANCE, 

'  révolution  «ri  faveur  d'Edouard  dttéc  il  écoiC  tiiidiiis  te 

AaA.  ifj<K    pfifbfinier  quô  le  partifan  féé^et.  L*  totldùitë  éqiiivé^tiè 
de  ce  feigneUf  à  h  d^fenfë  dé  fô  Ville  de  Câë6  ,  fut 
rapelôe  &  repréfentée  fôus  les  dâittletir^  les  plus  odiea- 
fes  ;  &  vériiablemenf  le  eomte  d'£u  s'étoit  coâfdilii  â^vtné 
manière  k  rendra  fufpëââ  eu  fi  vâleâf  oH  (à  fidélité. 
En  ràpdrtanÉ  6et  événement ,  ùéxiÉ   avenus  ttpofé  les 
réflexions  défavantagêlifes  à  fon  héâeât  >   qu'on  dut 
fwmef  fur  le  peu  de  réÇi&âtice  qtt*il  fit  ^  &  la  manœu- 
vre imprudente  qu'il  employa  dâris  eèfté  occafiofi  y  où 
il  ^^âgifTôit  du  faluf  de  TÊtât.  Charles  d^Efpagfië  n'eut 
p^  (&  jlHsine  à  rendre  fes  rAifOnâ  ^laûfiblés  :  d'âitleu^s 
1  art  étoit  peu  riéèeflTairë  ôôiir  réveîller  la  défiance  d'un 
prince  naturellement  ombrageux  ,    &  pour'  porter  fon 
ame  impéCueufe  aux  ei^pédienti  les  plus  violents.    Là 
perte  du  connétable  fut  réfolue  :  le  leiie  Novembre  îl 
fur  arrêté  par  le  prévôt  de  ï^wis ,  en  fortaflt  de  Thôiel 
de  Nede  où  Idgèoit  le  roi  ^  &  ifaii^etié  dilns  lé  ttiêtue 
hôtel  où  on  lui  donna  des  gardes.  Ses  aitiié  hiurihut'è- 
i?ent  ;  les  gens  défintéreffés  atendirent  tti  filëncé  lé  dé- 
Vëlopement  d'un  myftercf  qu'on  n'âvoit  pâs^  défféih  à6 
leur  révéler.    La'^eour  des  piïH  éfôif  feulé  efl  âtéii  dtf 
yiiger  le  êonnétable  ,   &  îl  li'y  âvOît  pas  tf  apdrericè  qucf 
ce  Corps^  refpéâable  voulut  mârquêf  âii  prince  une  coitl- 
plaifance  aveugle  en  fe  déshonorant  ptfr  un  jugemerit 
précipiter  Comme  ori  igneroit?  Fart  d'éiudet  les  loi*  ,  il 
&loi(  kiilèr  un  libre  eour^  k  leur  autorité  où  lei  vîolcr 
oâVttPtdment  i  c^eft  à  ce  ^derrriér  piirti  q(foA  fe  déter- 
mina.   L'infortuné  Raoul  fiit  rire  dé  fe  prîfdn  la  nuit 
du  dix-neuf  Novembre ,  trôi^J'ours^  après  fa  défcntîott , 
&  décapité  âstns  l'hôtel  de  Nèfle  ,   en  préfertce  du  duo 
de  Bourgogne  ,  des  comfés  d'ArMagtf ac  &  de  Morit-^ 
fort  y  de- Girucher  de  CliâtiiMotf ,  duc*  d*AtRentes  ,  de» 
fcigneurs  de  Boulogne  &  et  Rueil  ,   &  te  plofieurs 
atotres  feigtteurs  &  chevalmrS-  Cette  exécution  fe  fit  du* 
commândtement  du  ror.   ?ouf  donner  une  ap^rence  de 
juftice  à  cette  mort  ,  an  publia  qu'il  avoit  avoué  phi-' 
ficurs  trahîfons  en  préfence  êvi  duc  d'Athetfés  &  dt.phc^ 


I     s     A     ^       I  !•  i^ 

ûeurs  amp^  defo»  Ugnas^  Ses  amis  obônrent  pa»  grâce  ■ 
la  permî(Iion  die  \dï  répare  les  derniers  devoirs  :  il  fqt    Aw.^  ij^o^ 
enterré  fans  pompe  d^ns  un  territoire  apartenant  aux 
Auguftiqs  dQ  Paris ,  hors  du  moaaftere.  Eff  lui  finit  la 
branche  des  cQ4?(ices  d'^Ëu  de  la  maifaa  de  Brieni]be« 

Cet  abus  du  pouvoir  arbitraire  ne  pouvoit  manquer 
d'iodi^pf^r  tous  Ie$  ordres  du  royaume  ^  &  fur^tout  la 
noblefle^  Ou  ne  vit  plus  dans  le  connétable  çiu'une  vie- 
tin;ie  de  la  cupidité  de  fos  rivaux  y  ^  de  Tinjuitice  du 
monarque.  Il  fut  jugé  innocent;  &  fon  crime ,  vrai  ou 
faux  y  f^t  rçgar^é  coijime  une  imputation  odieufe  ^  im 
ouvjragQ  de  çénebres,  &  d'iniquité.  Que  oonvoic-om 
penfeç  en^  éfet  d'un  prince  qui  faifoiç  périr  la  première 
peiffon^e  d^  VEtat,  fans  daigner  confulter  ks  lioix^m 
même  çonferver  urte  ombre  de  juftice  ,  en  fe  confer-^ 
mant  aux  règles  prefcrites  par  les  cooiftitutions  du 
royaijimQ  ^  règles  inviolables  ,  &  qui  font  les  garartts 
iaçrés  d«  la  lib^riié  ^  de  la  vie  dss  hommes  ?  IL  ne 
refpe^Q^  pas  dav^ncage  le  droit  des  nations  ^  puifque 
le  çonpis^  û%Vk ,  relâché  fur  fa  foi  ,  mais  encore  aâuel- 
leipeut  pififon^iqr  du  roi  d'Angleterre  ,  éçoit  mqrt  civi- 
lem^n.K  ».  ^  n'apartSQoit  plus  k  k  France  pendant  le 
cours  de  fa  captivité.  Il  devoit  jouïr  au  moins  de  la 
f%uve-garde  acqiûfepajf  U  privatîoi^  dfune  liberté  perdue 
les  arômes  à  la  main  pour  foutenir  cecte  même  puiilaace 
qui  roprimoit. 

I^'irrégularit^  de  cette  exécutip»  n-ajaaonçoit  pas  ua 
eQuvef9eji»ent  cnodiéré,  Il  eft  bien  dangereux  poui;  un 
u>uverav9  4^  ^yeir  par  fon  exemple  la  route  de  Tinr 
juftice  &  de  la  cruauté.  Le  roi  ea  fie  kii-même  la  trifte 
eitp^ieQce  ,  lorsqu'un  revers  fiindie  précipita  dans  Tin- 
fi^r-ct^Q  fa  préfbmptipn  &  fon  impétuoiité.  Em  liJanc 
Thiftoire  de  font  règne  >  on  eft  étonné  de  voir  un  foulé* 
vement  général  dans  tous  les  efprits  >  &  la  nation  en?^ 
riere ,  occupée  de  fes.  feuls  intérêts  ^  témoigner  peu  do 
fenfibilité  pour  les.  n^alfaeurs  du  prince.  Sans  prétendre 
juftifiei  les  fujets  ,^  les  réflexions  que  peuvent  faire  les 
iefteurs  fur  la;  févâuté  defon  caraâere  ,  fufiront  pour 


Ann.  1350. 


Mémorial  Je 
le  chambre  des 
comptes^  coté 
C.jfol,  9%. 

lbid.foL9l 


Uid. 


i^  Histoire   db   France, 

diminuer  la  furprife.  La  plupart  des  hiftoriens  raportent 
à  la  mort  du  connétable  Torigine  de  tous  les  défordres 
qui  agitèrent  le  royaume  dans  la  fuite. 

Un  de  nos  hiftoriens  à  prétendu  ,  fur  la  foi  de  Vil- 
lanî ,  que  le  crime  de  Raoul  étoit  d'avoir  fait  une  con- 
vention avec  le  roi  d'Angleterre  ,  de  lui  donner  quatre- 
vingt  mille  écus  d'or  pour  fa  rançon ,  ou  de  lui  remet- 
tre au  défaut  de  cette  fomme  la  ville  de  Guines  ^  qui 
confine  avec  le  territoire  de  Calais.  Indépendamment 
du  oeu  de  probabilité  de  cette  convention  ,  qui  n'eft 
ateuée  que  par  Villani ,  on  ne  trouve  aucun  veftige  de 
ce  prétendu  traité  dans  le  recœuil  des  ades  de  Rymer , 
&  Ton  ne  peut  foupçonner  qu'il  ait  été  lbuftrait.de  ce 
recœuil ,  qui  contient  des  négociations  du  même  temps 
entre  Edouard  &  les  partifans  feArets  qu'il  avoit  en 
France  ,  aufli  myftérieufes  &  plus  importantes  ;  une 
entr'autres ,  dont  nous  aurons  occafion  de  parler  incef- 
famment ,  dans  laquelle  il  étojc  queftion  du  partage  du 
royaume.  Villani  d'ailleurs  eft  le  feul  de  tous  les  écrivains 
contemporains  qui  fafle  mention  de  ce  traité ,  que  le  con- 
tinuateur de  Nangis ,  &  l'auteur  de  la  chronique  du  roi 
Jean ,  qui  vivoient  dans  le  même  temps  ,  n'auroient  pas 
manque  de  raporter. 

Le  bailli  de  Calais  [  car  il  y  avoit  toujours  un  bailli 
titulaire  de  cette  ville  ,  quoiqu  elle  fût  au  pouvoir  d'E- 
douard ]  ,  receveur  des  domames  ,  eut  ordre  de  prendre 
.  pofîeflion  au  nom  du  roi  de  tous  les  biens  du  connéta- 
ble ,  dont  l'état  avoit  été  remis  à  la  chambre  des  com- 
ptes par  le  bailli  d'Amiens  ,  aînfi  que  les  papiers  apar- 
tenants  k  ce  feigneur. 

Les  dépouilles  de  Raoul  furent  partagées  entre  les 
favoris,  tharles  d'Efpagne  obtint  la  charge  de  copné- 
table  ,  objet  de  fon  ambition  &  de  fes  intrigues.  Le 
comté  d'Eu  fut  donné  à  Jean  d'Artois.  Le  comté  de 
Guines  demeura  réuni  au  domaine  de  la  couronne  juf- 
qu'au  règne  de  Louis  XI ,  que  par  lettres- patentes  de 
1461  ,  confirmées  par  autres  lettres  du  24  Juille||i4^3  , 
il  fut  donné  à  Antoine  de  Croï.  C'eft  en  vertu  de  cette 

donation , 


.  f     E      A      N         I   I.  XJ 

donation  que  le  comté  de  Guines  a  fait  dans  la  fuite    - 
partie  des  terres  poffédées  par  cette  illuftre  maifon.  Aiin..iHi. 

Peu  de  temps  après  la  cérémonie  de  fôn  couronne-  voyage  du  roL 
meut  ,  Jean  nt  un  voyj^  L  la  cour  d'Avignon.   Le  «»  Provence. 
fouverain  pontife.  Clément  Vl,  fit  à  fa  recommanda-    ^^J^*^^'^*^ 
tion  une  promotion  de  douze  cardinaux.  A  fon  retour 
le  roi  paiia  par  la  province ,  de  Languedoc  y  a  où  le 
9>  vicaire-général  de  Tarchevéque  de  Touloufe,  Etienne 
»  Aldebrand  ,  vint  de  la  part  de  ce  prélat  fe  plaindre 
yy  de  la  rigueur  exceflive  dont  les  moines  ufoient  envers 
y>  ceux  de  leur  communauté  qui  fe  rendoient  coupables 
y>  de  grandes  fautes  ,  les  mettant  en  une  prifon  oofcure 
yy  &  perpétuelle  qu-ils  apeloient  vadc  in  pacc.   Ils  ne 
i>  leur  donnoient  pour  nouriture  que  du  pain  &  de  Feau 
y>  &  leur  ôtoient  toute  communication  avec  leurs  con- 
yy  frères ,  en  forte  que  ces  malheureux  mouroient  tou- 
9y  jours  défefpérés  )^.   Sur  cette  plainte  le  roi  ordonna 
que  déformais  les  abés  &  les  autres  fupérieurs  vifite- 
roient  &  confoleroient  deux  fois  le  mois  ces  frères  en- 
fermés, &  qu'il  leur  feroit  permis   de  demander  aufli 
deux  fois  le  mois  la  compagnie  d'un  moine  de  la  com- 
munauté. Il  en  fit  expédier  des  lettres-patentes  ,  dont 
Texécution  fut  commife  au  fénéchjil  de  Touloufe  ,    & 
aux  autres  fénéchaux  du  Languedoc.  Croiroit-on  qu'une 
ordonnance   fi  fage  &  fi  conforme  à  l'humanité  duc 
trouver  des  contradiâeurs  ?  Les  Frères  Mineurs  &  les 
Frères  Prêcheurs,  moins  compatiifants  pour  leurs  com- 

Sagnons ,  que  jaloux  de  la  jurifdiâion  qu'ils  exerçoient 
ans  rintérieur  de  leurs  maifons  ,  fe  donnèrent  de 
grands  mouvements  pour  la  révocation  de  ce  règle- 
ment :  ils  réclamèrent  même  l'autorité  du  faint  pj^re  ; 
mais  le  roi  fut  inébranlable.  //  voulut  abfolument  être 
obéi  ,  ou  au^ils  fortijfcnt  de  fon  royaume.  Ils  obéirent 
donc  ,  mais  avec  une  extrême  répugnance.  Contcftatioo 

-     '         •  ...  r  r    ^  1-  •  ^ntrc  les  pré- 

Les  ordres  religieux ,  lur-tout  les  mendiants ,  avoient  uts  &  les  reii- 
dans  le  pape  Clément  VI  un  proteâeur  déclaré.  Il  leur  peux  mcn- 
eaî  dogrina  des  témoignages  éclatants  dans  une  occafion  3^*^^  \Tlz- 
cà  il  s'agiiToit  de  leur  entière  extinâioa.  Comme  cet^  pe. 
Tome  V.  C 


i^^  Histoire   de   FraIïce, 

- •  '•  afaire  tîetit  auy.  mœurs  de  ce  temps ,  nous  ne  pouvons 

Aim.  U.M*.'  nous,  difpenfer  de  la  rapodrcer  d'après  le  conciituacetir 
Spiciiconcin^  do  Nangis  9  &  hauteur  de  Phiftoirc  eccléfiaftique  Dans 
^iVft!^içcUr.  ^*  temps  à»  la  dernière  cqjj^tagion  ,  la  plupart  des  eccl^^ 
fiaftiq;U;e$ri  avoâ^n:  pets  la  faîte  ,  abaxidonnant  le  foin 
c^'admviiflreir'  les  mourants  à^  la^chairité  des  religieux, 
mçndiasuts  ^y .  dont  le:  zèle  plus  hardi  remplit  ces*  fbnaions 
.  périlkufes.  Cecte  faince  générofité  leur  atira  de  la.re-^ 
GonnoilTance  des  fidèles  expirants  y  quantité  d'aumônes 
&  de  legs  pieux  qui  les  enrichirent.  L'épidémie  ayant 
difcontinioé  fes  ravages  y  les  biens  que  ces  religieux 
avoient  acquis*  pendant  x:es  jours  die. oiiamité  y  excitèrent* 
l'envie.  Ils  contmuoient  d'ailleurs  de  prêcher ,  d-entendre 
les  confeffions  y  &  de  doimer  fépuleure  aux  défunts  ; 
fondions  oui  fembloient  leur  avoit  été  réf ignées  par  la 
défertion  de  prêtres  féouliers«  La  hiérarchie  eccléfiafti-» 
que  s'éleva  contre  eux.  Les  cardinaux ,  prélats  &>  curés 
{portèrent  leurs  plaintes  à  la  cour  d'Avignon.  Sa^  fainteté 
tint  un  confifboire  à  ce  fujet  ;  un  cardinal  parla  au  nom 
des  eccléiiafiiques.  La  fubflance  de  fon  diicours  Ait  que 
les  religieux  mendiants  n'étoient  .apelés  ni  choifis  par 
l'Eglife  ;  au'il  ne  leur  apartenoit  pas  de  s'ériger  en  mir* 
niftres  de  la  parole  dpi  X)ieu  y  d'entendre  les  confèfliôns^ 
ni  de  donner  là  fépuleure^  ;  qu'il  étoit  à  propos»  de  les 
caffir  &  fufpendre  de  c^s  exercices. ,  ou  du<^moins  de- 
les  priver  entièrement  des  profits  immenfes  qu'ils  ti-» 
roient  des  fépultures.  Ce  ftit  fur  ce  dernier  article  que 
Torateur  infilfa. 

Les  députés  de$  ordres  mendiants  y  préfents  au  con« 
fifibîre  y  ne.  répondirent  à  ces  reproches  que  par  un  fî- 
lence^  refpeâueux.  Le  faiht  père  fe  chargea  de  leur  dé*« 
fènfe  y  alléguant  en  leur  faveur  que  ces  religieux  avoient 
été  apelés  de  Dieu  &  par  TEglife  pour  fecourir  l'Eglife 
même  ;  qu'on  ne  devoit  pas  les  méprifer  pour  avoir  été 
introduits  dans  le  fein  du  chriftianifme  par  une  voca- 
tion plus  tardive  que  les  autres.  Pour  démontrer  ce  qu'il 
avançoit  y  il  s'apuya  fur  l'exemple  de  faint  Paul  y  qui 
bien  qu'apelé  le  dernier ,  a  mérité  d'occuper  les  premiers 


J      k       A      N         I   I.  1^ 

rangs  entre  les  apôtres.   Le  pontife  jtifqtte^lk  sMtoit  ^^^  '      ' 
contenté  d'employer  des  raifons  ^loignëos  4  mais  dhan^  ^'^^  'tn- 
gçant  tout-<i'un-c0ap  de  ton  y  il  s'adreâTa  perfoutinelk^ 
ment  aux  adverfaires  des  mendiants  y  en  demandant  auic 

rélats  Quels  feroient  les  objets  de  leurs  prédications  , 
ces  religieux  écoient  condamnés  au  iilence.  i>  Parlée 
f}  re2-yous  d'humilité  ^  leur  dit  le  nape  y  vous  oui  entre 
9>  toutes  les  conditions  du  monde  eces  les  plus  iuperbes^  * 
>y  les  plus  vains  &  les  plus  pompeox  4ans  vos  mon-  * 
9>  tures  &  dans  vos  équipages  ?  Padlerez-vaas  de  la  pau-^ 
»  vreté  y  vous  qui  êtes  n  tenaces  &  fi  avides ,  oue  toutes 
9}  les  prébendes  &  tous  les  bénéfices  du  monoe  ne  fuf- 

V  firoient  pas  à  irotre  cupidité  ?  Je  ne  parle  point  de  la 

V  chafleté  y  dit  fa  fàinteté  en  rougifuint  y  Dieu  fçait 
^  comme  chacun  fe  conduit ,  éc  comment  plufieurs 
i>  âatent  leurs  corps  y  &  vivent  dans  le»  déH[^$  a; 

Le  pape  ajouta  :  v  que  plufieurs  prélats  &  curés  haïf^ 
9>  foient  les  mendiants  &  leur  fèrftioient  leurs  portes  y 
f>  afin  qu'ils   ne  fiifient   pas  témoins  de  la  vie  fcan-« 
f>  daleule  qu'ils  menoient  y   tandis  que-leut^   maifons 
»  étoient  ouvertes  à  des  boufbns  &  à  des  infâmes  *  ;    *  Lenonibus 
f>  qu^on  ne  devoir  pas  trouvet  mauvais  fi  les  mendiants  ^J^'^ff''^^^^' 
f>  avoîent  reçu  quelques  biens  dans   le  temps  de    la 
jy  mortalité  y    en    reconnoiflknce    des    fervices   qu'ils 
19  avoient  rendus  aux  malades  &  aux  mourants  aban* 
y>  donnés  par  leurs  curés  ;  que  ce  falaire  de  leurs  tra^ 
»  vaux  fpirituels  a  voit  été  employé  à  conftruire  des 
»  édifices  qui  ^ifoient  Tornement  de  Téglife  *.   Fàrcc     ^  jyr^„  ,7, 
f>  que  vous  ne  vous  êtes  point  conduits  ainfi  ,  continua  voiuptaûbus 
»  le  faint  père  ,  vous  vous  aftige[  de  ne  pas  fout  avoir  ^^J^^'"*" 
yy  pour  Femphytr  à  vos  ^agcs  ,  &  Dieu  fçait  quels  ^ 
yy  ufages  !  Vous  haïjje^  les.  mendiants  &  vous  les  accu-^ 
>yje\  ,  pendant  que  plufieurs.  dUntre  vous  ne  ^ occupent 
»  que  des  vanités  du  Jiecle  ;  &  maintenant  vous   vtne[ 
yy  contre   les  mendiants  comme  une   troupe  de  taureaux 
}y  contre  les  vaches  du  peuple  ,  afin  d'exclure   ceux  qui 
yy  font  éprouvés  par  V argent  ce  Une  répoçfe  fi  vive  fut 
terminée  en  repréfentant  les  maux  dont  TEglife  feroit 

C  ij 


20  Histoire   de  Frakce, 

""^^"""^  frapée^  fi  les  prélats  obtenoienc  leur  demande  ;  qa'au 

Ann.  1J51.    furplus  s'ils  avoient  quelques  moyens  à  produire  contre 

les  religieux  mendiante  ^   ils  les  mifTent  par  écrit  y  & 

2u'il  feroit  droit  fur  les  raifons  refpeâives  des  parties, 
lettë  afaire  y  que  le  moine  continuateur  de  Nangis  pa- 
roît  raporter  avec  complaifance  y  n'eut  pas  d'autre  fuite. 
La  harangue  de  fa  fainteté  peut  donner  un  exemple  de 
.    réjoquence  de  fon  fiecle. 
Trêve  renou-      La  treve  conclue  entre  Edouard  &  le  nouveau  roi 
Tcicc.  de  France  expiroitau  mois  d'Août  de  Tannée  135 1.  Les 

c'hrfn.'^MS.  «^gociations  pour  parvenir  à  concilier  les  intérêts  des 
du  roi  Jean.  *  dcux  coufonnes ,  fe  pourfuivoient  toujours  ,  comme  fi 
u^h^^h^^î^  les  deux  partis  euiTent  concouru  avec  une  égale  fincé- 
compus.  '  '^  rite  au  bien  d'une  paix  folide  &  confiante.  Tandis  que 
les  députés  nommés  de  part  6c  d'autre  travailloient  k 
un  accommodement  qui  ne  fe  termina  jamais  y  les  hof^ 
tilités  recommencèrent  y  même  avant  la  fin  de  la  trêve. 
Il  y  eut  un  fanglanr  combat  en  Saintonge.    Le  maré- 
chal Gui  de  Nèfle  fut  vaincu  &  fiiit  prilonnier  ,  ainfi 
que  Guillaume  de  Nèfle  fon  frère  ,  Àrnoul  d'André- 
ehen  y  &  plufieurs  autres  feigneurs.  Ce  combat  fe  donna 
le  premier  jour  d* Avril.  Les  François  fe  vengèrent  de 
cette  défaite  au  mois  de  Septembre  fuivant  parla  prife 
de  Saint-Jean-d'An£;é}y .  La  place  manquait  de  vivres  , 
fut  obligée  de  fe  rendre  parcompofition.Ùne  prorogation 
de  la  treve  pour  une  année  ralentit  du -moins  ,  fi  elle 
ne  fufpendit  pas  entièrement  les  fureurs  de  la  guerre. 
Froîffard.         Le  pape  ,  à  la  prière  du  roi  ,  avoir  accordé  à  Rr- 
p.fr"cAn>«'  gault  de  Roufîy  ,  ci-devant  abé  de  Saint -Denis  ,  qu^ 
NicoiaL  Trt-  avoit  été  compris  dans  la  dernière  promotion  èts  car- 
v€ui  fakanno  Jinaux  ,  difpenfe  de .  fe  rendre  à  la  cour  d'Avignon 
Januenfa  t.  9,  pour  recevoir  les  ornements  de  la  nouvelle  dignité.  Sa 
*«'•  48.  fainteté  lui  envoya  le  chapeau  ,  qui  lui  fut  préfenté  au 

iu^TtM.  ^^  ^  Paris  ,  en  «réfence  du  roi ,  par  les  évêques  de 
raris  &  de  Laon.  rfous  ne  raportons  cette  cérémonie 
que  parce  que  ce  fut  la  première  fois  que  les  fouverains 
pontifes  dérogèrent  à  l'ancien  ufage  ,  &  envoyèrent  le 
chapeau  de  cardinal  dans  une  cour  étrangère.  L^infti- 


7      £      A      N         I   I.  21 

tution  de  cette  marqua  de  la  dignité  des  princes  de  ' 
TEglife  romaine  eft  due  au  pape  Innocent  iV  ,  qui  le  -^^'  M)»* 
premier  ordonna ,  en  125%  ,  que  les  cardinaux  porte- 
roient  un  chapeau  rouge  ;  ce  qui  probablement  fut 
réglé  en  conféquence  d^une  délibération  du  cortcile  de 
Lyon^  tenu  fix  années  auparavant^  en  1246.  Jufque-là 
les  feuls  cardinaux  à  latcre  avoient  été  décorés  par  cette 
marque  de  diftinâion. 

Le  roi  ne  pouVoit  ignorer  qu^en  fe  montrant  févere     inftitutîon 
dès  fon  avènement  à  la  couronne^  il  devoit  néceflaire-  ^^^^l'^^^^^ 
ment;  avoir  indifpofé  plufieurs  feigneurs  :  pour  éfacer     Froiffard. 
ces  pœmieres  impreflions  j  il  voulut  eflàyer  de  ramener    SphUcontin. 
les  cfprits  en  inftituant  un  ordre  de  chevalerie.  Edouard  ^^^f^  ^^ 
avoit  employé  ce  moyen  dans  fes  Etats  avec  fuccès  ;  jurdJean. 
mais  tel  eft  le  privilège  du  génie  ,  que  (fe  qui  concourt     Mémorial  de 
à  féconder  Tadminifiration  d'un  prince  habile ,  change  ^^^J^^f^' ^'' 
de  nature  entre  les  mams  d  un  monarque  qui  lubnitue 
le  caprice  au  difcernement.   Le  iroi  aAngleterre  ,  en 
inftituant  Tordre  de  la  Jarretière ,  avoit  fixé  le  nomt^fe 
des  chevaliers  à  vingt- fix.   Jean  établit  l'ordre  de  l'Ë- 
toile  ,  &  crut  renchérir  fur  fon  rival ,  &  l'emporter  du- 
moins  par  le  nombre  :  il   créa  tinc^  cents  chevaliers. 
Cette  marque  de  diftinâion  multipliée  à  l'excès  ,   ne 
difttngua  perfonne ,  &  l'ordre  fut  avili  dès  fon  origine. 
Cependant  ^  comme  cette  inftitution  d'un  ordre  parti* 
culier  de  chevaliers  eft» la  première* dont  notre  hiftoire 
fafTe  mention  ^    &  qu'elle*  a  fervi  de  modèle  dans  la 
fuite  aux  établiffements  de  la  même  efpece  ^  nous  efpé- 
rons  que  les  leâeurs  ne  nous  fcauront  pas  mauvais^ré   • 
de  raporter  ici  quelques  détails  que  nous  fourniftent 
les  monuments  qui  nous  en  reftent. 

Ce  fut  au  palais  royal  de  Saint-Ouen,  autrement  de 
Clichy  près  raris  ,  que  le  roi  indiqua  l'affemblée  gé- 
nérale ces  chevaliers  défignéspour  être  admis  au  nouvel 
ordre  militaire  {a). 

(tf)  Comme  il  s'cA  trouvé  quelques  écrivains  qui  ont  prétendu  que  cette 
fondation  avoit  pour  obiet  non  une  aflbciation  guerrière .  mais  une  çonfrairie 
pxenfe ,  on  ne  peut  fe  difpenfer  de  raporter  ici  les  lettres  a  invitation  qui  furenS 


22  Histoire   DE  France, 

■>      La  cérémonie  de  cette  inftitution  fut  célébrée  au  mois 

Ann.  1351.    d'Oâobre  à  Saint- Ouen.  Le  roi  revêtu  d'un  manteau 

4'e  velours  doublé  d-hertninop  ,  p^^t  fur  un  trône  en- 

adreffées  «ux  récipic^dair/cs.  Ces  lettres  conpcQncDt  |cs  motifs  &  rx>bjet  «le 
récabUnçnient ,  lesrezles  de  l'ordre,  8c  jaH^u'à  la  ferme  des  habillements  qup 
dévoient  porter  les  cfievaliers. 

Dç  PAR  LE  Roi..  Biau  cQufin  .,  ppns  à  l'oniicar  de  Dieu  ^  8c  tn  cC- 
faucement  de  chevalerie  8c  accroiflement  d*onn^ur  t  avons  oïden^  de  faire  unç 
compai^nie  de  chevaliers. qui  feront  apelés  les  chevaliers  Noftrë-Dame  de  laaobU 
maifon ,  qui  porteront  la  robe  ci-après  devifée ,  c'-eft  affiivoîr  une  cote  blanche , 
un  fcrcot  8c  un  chaperon  vermeil.  Quand  ils  feront  fans  mantel  »  8c  quand 
ils  veftiront  mantel  qui  fera  fait  à  euife  de  chevalier  nouvel  à  entrer  8c  de« 
mourer  eii  TEglifê  de  la  noble  maifen/il  fera  vermeil  ,  8c  (omti  di^vaîre. 
Bon  pas  d'erminçs»  de  cencUil  »  ou  Gvnit  blaAC,  8c  faadca  qu'ils  aieoi.  deflbus 
ledit  mantel  fcrcot  blanc  ou  cote  hardie  blanche  »  ch^uflÊs  noires  8c  fe^liers 
dorés  y  6c  porteront  continuellement  un  annel  entour  la  vex^e  duquel  fera 
éfcrit  leur  nom  &  furnom  »  auquel  annel  il  y  aura  un  eûnail  plat  vermeil ,  en 
l'efmail  une  efloile  4>^anche  »  au  milieu  de  l'cftoille  une  rondette  d*aizar ,  au 
milieu  d'icelle  rondette  d'azur  un  petit  foleil  d'or ,  8c  ou  mantel  fus  l'cfpaule 
ou  devant  en  leur  chaperon  un  fremail  »  auquel  aura  une  eftoille  toute  tele. 
conmijc  çn  Tannel  eft  divifé« 

Et  to^s  Les  famedis  quelque  part  qu'il  feront  »  il  porteront  vermeil  8c  blanc 
en  cote  8c  en  fcrcot  »  8c  cnaperon  comme  defliis  ,  le  faire  le  peuvent  bonne^ 

tt.  Et  (î  il  veulent  ^porter  mantel  «  il  fera  vermeil  8c  fenduz  à  l'un  des 
h  «  8c  tous  les  jours  blanc  ddfous.  Et  fe  touzi  les  jours  de  la  ^ppaine  il 
veulent  porter  le  fremail  l  faire  le  pourront  8c  fur  quelque  robe  que  il  leur 
plaira  :  8c  en  Tarmeure  pour  guerre  il  porteront  ledit  6email  en  leur'  cahiail 
ou  en  leur  cote  d'armes,  ou  la  où  il  leur  plaira  appAremment. ' 

Et  feront  tenus  de  jeûner  tous  les  famedis  fe  il  peuvent  bonnement  ;  8c  fc 
bonn.ement  ne  pçuvent  jeûner  ou  ne  veulent ,  il  donront  ce.  jour  quinzq  de- 
niers pour  Dieu  en  Tonneur  des  quinze  joycs  No(lrc-Dame«  Jureront  que  à 
leur  pouvoir  il  donront  lovai  con(eil  au  prince  de  ce  que  il  leur  demandera» 
foit  aarmcs  ou  d'autres  cnofes.  Et  fe  il  y  a  aucun  qui  avant  cefte  compaigniq 
aycnt  emprifé  aucun  ordre  ,  il  le  devront  Icflier ,  le  il  peuvent  bonnement  ; 
8c  fe  bonnement  ne  le  peuvent  leffier  ,  *  fi  fera  oette  compaigaie  devant  ,  8c 
deci  en  avant  n'en  pourront  aucune  autre  cmprcndre  fans  te  congié  du  prince. 
Et  feront  tenus  de  venir  tous  les  ans  à  la  noble  maifon  affife  entre  Paris  6c 
Saint-Denis  en'  France ,  à  la  veille  de  la  fefte  Noftre-Dame  de  miaouft  dans 
prime  ,  8c  y  denu>urer  tout  le  jour  6c  lendemain  jour,  de  la  Fcfte  jafqu  à  vef- 
près  :  6c  fe  bonnement  n'y  peuvent  venir  ,  il  en  feront  creu  par  leur  fimplc 
parole.  Et  en  tous  les  lieux  ou  il  fe  trouveront  cinq  enfemble  ou  plus  à  la 
veille  6c.  au  jour  de  ladite  miaou(t  ,  £c  que  bonnement  il  n'auront  peu  venir 
à  ce  jour  au  lieu  de  la  noble  maifon ,  il  porteront  leCdites  robes  6c  «o^endronc 
vefpres  6c  la  mefTe  enfemble  fe  il  peuvent  bonnement. 

Et  pourront  lefdits  cinq  chevaliers  ,  fe  iî  leur  plaift  ,  lever  une  bannière 
vermeille  fem^e  des  eftoilles  ardennées  ,  6c  une  imfuge  de  Noftie-Dame  blan** 
che  »  efpécialement  fur  les  ennemis  de  lafoy  ou  pour  U  guerre  de  leur  droituriet 
feigneur. 

Et  au  jour  de  leur  trefpaffement ,  il  en  voiront  à  la  noble  maifon  ,  Te  il 
peuvent  bonnement  ,'leur  annel  6c  leur  fremail  les  meilleurs  que  il  auroient 


J      E      A      N         I   I.  23 

rîchi  de  tous  les  ornements  que  Part  de  ce  fiécle  àvoït  ^ïï=^= 
pu  irtiâginer.  Le  dais  du  trône  étoit  furmonté  par  uri'  ^°°-  ^'^** 
ciel  d'azur  fenVé  de  nuées  d/argent  ,  k  travers  léTquefles 


infcrîption'  :  Monflrant  regibus  ajha'  viam  :  les  aftres' 
guident  lés  rois. 

Tandis  que  la  cour  étoit  occupée  des  préparatifs  &. 
de  l'exécution  de  cette  fête  ,  Edouard  toujours  atentif 
à  profiter  des  circonftances ,  furprit  la  ville  &  le  château 

faits  pôor  ladite  compaignié,  pour  en  ordener  ^  proalfît  de  lêars  âmes  &:  à 
Tonmar  de  Téglife  de  la  noble  maifon  \  en  laquelle  fera  fait  leur  fervici»  fo-' 
lemnelemcnt  6c  fera  tenu  chacun  de  faire  dire  une  meflc  pour  le  trépaflif  au 
pluftât  que  il  pourront  bonnement  depuis  que  11  l'auront  içeu. 

£r  eft  ordené  que  les  arm^  &  timbres  de  tous  les  feigncurs  &  chevaliers 
de  la  noble  maiu>n  feront  pains  eii  la  fale  d*icelle  au-deffds  d'un  chafcun  là 
oii  il  fera. 

Et  fe  il  y  a  aucun  qui  bonteu(ement ,  qtfe  Dieu  ne  Noftre-Dame  ne  veillent ,  fc 
parte  de  bataille  ou  de  biefoigiie  ordcni^e,  il  fera  foufpendude  la  compaignie» 
&  ne  pourra  porter  tel  habit  ,  &  li  tourner  à  s'en  en  la  noble  maifon  fes 
armés  &  fon  timbre  ce  delTus  delfous  fans  dcsfacier  ,  jufques  à  tant  que  il 
(bit  refticuez  par  le  prince  ficnTon  confeil  »  6c  tenuz  pour  relayez  par  fon 
bienfait.  • 

Et  eft  encore  ordené  que  en  la  noble  maifon  aura  une  table  appellée  la  table 
d'ônneur ,  en  laquelle  feront  affis  la  veille  U  le  jour  de  la  première  fefte  les 
trois  plus  fuAfanz  princes  »  trois  plus  fuf&fanz  bannercz ,  &  trois  plus  fufH- 
fanz  bachelers  »  qui  feront  à  ladite  fefte  de  ceuls  qui  ferotit  reçUs  en  ladite 
cdmpaignîe  :  6c  en  chafcune  veille  ^  fefte  de  la  miaouft  chafcun  an  après 
enfnivant'  ferooit  alfis'  à  ladite  table  d'ônneur ,  les  trois  princes ,  trois  banne- 
rez,6c  trois  bachelers»  qui  l'année  auront  plus  fait  en  armes  de  guerres  5  car 

^_   nul  fait  d'armes  de  pais  n'y  fera  mis  en  compte. 

w  Et  eft  enc0r  ordene  que  nuls  de  ceuls  de  ladite  compaignie ,  ne  devra  emprendre 
à  Hier  en  aucun  voya^  lointain  fans  le  dire  ou  faire  fçavoir  au  prince  : 
les  quiçf  cheÎFaliers  feront  en  nombre  cinq  cens  »  6c  des  quicx  nous  comme 
inventeur  6c  fondeur  d'icetle  compaignie  Icrons  prince  ,  6c  aîn(î  l'en  devront 
être  nos.  fucceiTeors  xois.  Et  yous  avons  efleu  à  être  du  nombre  de  ladite  coùi- 

f»aignie  i  6c  penfons  à  faire  ,  fe  Dieu  plâiftS  la  première  fèfte  ^  entrée  de 
adite  compaignie  à  Saint-Ouyn  la  veille  6c  le  jour  de  l'aparicion  prouchenc. 
Si  foiez  aus  dis  jours  6c  lieu  ^  fi  vous  povez  bonnement ,  a  tout  votre  habic, 
annel  6c  fremail.  Et  adoncquaftfera  à  vous  6c  aus  autres  plus  à  plain  parlé 
fur  cette  matière. 

Et  eft  encor  ordené  que  chafcun  apporte  fes  armes  6c  fon  timbre-  pains  en 
un  feuillet  de  papier  ou  de  parchemain  ,  afin  que  les  paincres  les  puiffent  mettre 
pluftoft  6c  plus  promptcment  là  oii  ils  devront  eftre  mis  en  ladite  .maiftin. 

Donné  à  Saint-Chriftophe  en  Hatale  le  fixfeme  jour  de  novembre ,  l'an  do 
grâce  i  j  ç  i .  Signé  au  bas  ^  S  e  r  i  z.    Sp/c/V,  tom.  3  ,  pag.  7^0. 


24  Histoire    de  France, 

--  de  Guînes^  par  la  trahifon  de  Guillaume  de  Beaucour«> 

Apn.  x^i.  roy,  à  qui  la  sarde  en  avoic  été  confiée  pendant  lab- 
fence  du  fire  oe  Baulanmehan  ,  que  la  curioficé  d'af- 
fifter  à  la  cérémonie  de  i  ordre  de  Tétoile  avoit  atiré  à  * 
Saint-Ouen.  Ce  fut  ce  même  Aymery  de  Pavie  ,  gou- 
verneur de  Calais  ,  dont  nous  avons  déjà  parlé  dans  le 
volume  précédent  ,  qui  corompit  la  fidélité  de  Beau- 
courroy.  Les  Anglois  fe  préfenterent  devant  la  place , 
&  y  entrèrent  fans  auc*une  réfiftance.^Cette  trq^ifon  ne 
demeura  pas  impunie.  Beaucourroy  fut  arrêté  &  puni 
de  mort  ;  loais  fon  fuplice  ne  répara  pas  le  dommage 
que  caufoit  la  perte  d'une  fortereife  aufli  importante. 

Le  roi  fe  plaignit  hautement  de  cette  infraoion  de  la 
trêve  qu'on  venoit  de  conclure.  Il  en  envoya  demander 
raifon  a  Edouard  ;  mais  le  monarque  Anglois ,  peu  dé- 
licat fur  Tobfervation  des  traités  y  répondit  à  des  plain- 
•  tes  fi  juftes  y  que  les  trêves  étoient  marchandes  ;  plai* 

fantene  peu  convenable  à  un  fi  grand  prince.    Le  roi 
d'Angleterre  ajouta  que  les  François  ,   fous   le  règne 

f précédent ,  lui  avoient  donné  l'exemple  de  ces  fortes  de 
urprîfes  ,  par  la  tentative  que  Gharny  avoit  faite  fur 
Calais  ;  tentative  gue  Philippe  de  Valois  avoit  défa- 
vouée.  Une  mauvaife  foi  fi  manifefte  répond  d'avance 
aux  reproches  que  ce  même  Edouard  fera  dans  la  fuite 
fur  de  prétendues  inobfervations  de  traités  y  lorfque  les 
François  plus  heureux  commenceront  k  réparer  une 
partie  de  leurs  pertes.  Le  roi  d'Angleterre  foutenoic 
d'ailleurs  qu'il  avoit  des  droits  inconteftables  fur  le  comté  < 
de  Guines  pour  la  rançon  du  connétable  ;  mais  c'étoft 
une  mauvaife  juftification  ,  puifque  ,  lorfque  *Ia  trêve 
avoit  été  rçnouvelée  ,  le  douze  Septembre ,  immédiate-* 
ment  avant  la  furprife  3k  Guines  y  il  n'avoit  point  été 
queftion  des  prétentions  d'Edouard  à  ce  fujet. 
CWM5.  ^  conjonaure  préfente  força  l«roi  de  diffimuler  cet 
iiu  rQi^Uan\  afront  :  la  langueur  de  l'Etat  lie  permettoit  pas  de 
kiU.royd.  fopger  à  renouveler  la  guerre  ;  il  fàlut  remettre  la 
vengeance  à  des  circonljances  plus  favorables.  Une  fa- 
mine afreqfe  défoloiç  Iç  royaume  :  on  n'avoit   poinç 

encore 


\ 


J      £      A      N         I    I.  •  1^ 

eneore  éprouvé  en  France  une  difecte  fi  générale  &  fi  - 
exceilîve.  Le  fecier  de  fîromenc  fe  payoic  à  Paris  huit  Ann.  z^i. 
livres  parifis  ,  ce  qui  revenoic  à  plus  de  cinquante  francs 
'de  nocre  monoie  (a^  ;  fomme  exorbitante  pour  un 
temps  où  Targent  étoit  beaucoup  plus  rare  qu'au jour- 
d*Iiui  :  le  peu  d'efpeces  qui  fe  trouvoient  dans  le  royau- 
me ,  étoit  entre  les  mains  dec  fang-fues  publiques  ^  ou 
avoit  été  abforbé  par  les  dépenfes  des  guerres  précé-- 
dentes.  La  mifere  des  peuples  étoit  fi  grande  ,  que  les 
malheureux  habitants  de  la  campagne  déterroient  les 
racines  dans  les  champs  y  &  mangeoient  jufqu'à  Técorce 
des  arbres.  Quelles  pouvoient  être  les  refiburces  de 
r£tac  dans  une  fituauon  fi  déplorable  ?  Loin  de  pou- 
voir exiger  de  nouveaux  fubfides ,  on  fut  contraint  de 
fufpeudre  la  levée  des  inipofitions  acordées  par  plu- 
ficurs  provinces  la  dernière  année  du  règne  de  Philippe 
de  Valois  ,  &  continuées  pendant  la  première  année  du 
règne  de  Jean,  En  vain  on  avoit  efpéré  de  tirer  quel- 
que fecours  de  la  recherche  de  <*ux  qui  avoient  admi- 
niftré  les  finances.  Cet  examen  a  prelque  toujours  été 
ihfruâueux.  On  arêta  les  coupables  ^  on  les  punit  ; 
mais  ces  remèdes  violents  n'aretoienc  pas  le  mal  dans 
fon  principe.  Kous  avons  vu  fous  le  règne  précédent 
plufieurs  de  ces  Lombards  enrichis  de  la  fubftance  du 
peuple  y  furprendre  de  l'indulgence  du  prince  des  let-  . 
très  qui  fufpendoient  Téfet  des  pourfuites  qu'on  faifoic 
contre  eux.  La  chambre  des  comptes  en  cette  occafion 
fignala  fon  zèle  pour  le  bien  de  PEtat  y  &  pour  les  in- 
térêts du  fouverain  ,  en  continuant  de  percer  le  myflérc 
des  déprédations  commifes  par  ces  avares  étrangers. 
Elle  travailla  à  cette  recherche  avec  une  atendon  infa- 
tigable y  &  avec  cette  intégrité  dont  elle  a  fans  celTe 
renouvelé  les  preuves. 

(a)  Cette  année  le  plas  haut  prix  du  marc  d'amnt  fut  de  neuf  livres  dix 
Tous  Se  d'onze  Hvres  tournois.  La  livre  tournois  étok  d'un  cinauicme  plus  foible 
que  la  livre  parifis  »    en  forte  qa*en  fupoGint  dans  le  cours  de  cette  année  le 

Eciz  du  marc  d'argent  It  dix  livres  touroois  ,  cçtte  valeur  étoit  équivalente  à 
uît  livres  parifis.    Un  Tetier  de  froment   coucoit  donc  réellement  ua  marc 
d'argent. 

Tome  y.  D 


i6  Histoire   de   France, 

-  Il  féroit  dificile  de  couitater  Torigine  de  l^établîffc- 

Ann.  IJ5I.    ment  de  cette  cour  :  elle  fe  confond  &  fe  perd  dans  les 

oro^tc^"^  ^^^  ténèbres  de  la  plus  haute  antiquité.   L'exercice  de  fes 

corop  es,  fondions  ,  de  quelques  noms  qu'on  les  ait  qualifiées  ,' 
a  commencé  en  même^temps  que  la  monarchie.  Malgré 
les  révolutions  du  gouvernement  y  les  invaiions  des  bar* 
bares  ,  la  perte  des  titres  tes  plus  précieux  de  la  cou- 
ronne à  la  déroute  de  Bellcfoge  fous  Philippe- Augufte, 
l'enlèvement  de  la  plus  conlxdérable  partie  du  tréfor 
des  Chartres  par  les  Anglois  y  maîtres  de  Paris  pendant 
près  de  quinze  années  après  le  rc^e  de  Charles  VI  ^ 
&  le  malheur  récent  ocafionné  par  Tincendie  de  1737  » 
on  conferve  encore  a  la  chambre  des  monuments  ©ri- 
vaux des  temps  les  plus  éloignés  ,  monuments  qui 
avoient  été  recœuillis  dans  des  dépôts  que  les  temps  & 
les  événements  oot  heureufement  épargnées  y  ce  qui 
forme  des  preuves  inconteftableis  de  l'ancienneté  &  de 
la  continuité  de  fon  adminiftration  dans  des  liecles  fort 

*  antérieurs  à.  fa  réfideifce  à  Paris.. 

Il  y  a  toute  aparence  qu*èlle  étoit  d'abord  compofée 
de  tous  les  grancb  oficiers  de  la  couronne ,  adminifbra* 
teurs  chacun  pour  la  partie  qui  le  concernoit  ,  des  re« 
venus  des  domaines  royaux  &  des  diférents  droits 
afe^és  au  fouveraia  dans  toute  Tétendue  du  royaume. 
On  voin  fous  pluiSeors  des  premiers  rois  de  la  troifieme 
race  ,  ces  grands  oficiers  confirmer  rauthenticité  des 
lettres  du  prince  par  leurs  fignatures  ;  ce  qu*on  ne  doit 
pas  regarder  comme  une  vaine  formalité  ,  mais  comme 
un  caraâere  eiFentiel  qui  confacroit  la  validité  de  ces 
Chartres;  caraâere  équivalent  k  Penregiftrement  qui 
lui  a  fuccédé  immédiatement.  Lts  foins,  du  gouverne* 
ment  fe  multipliant  avec  la  puifTance  des  rois  \ 
Tafluence  des  afaires  ne  permit  plus  à  ces  grands 
oficiers  de  re^nplir  feuls  tentes  les  diférentes  fonc- 
tions qu'ils  avoient  exercées  dans  les  premiers  temps 
die  leur  infiitution  :  on  fut  obligé  de  leur  aflbcier  des 
prélats  ,  &  autres  perfonnes  recommandables  par  leur 
probité  &  leurs  lumières  ,  chevaliers  &  feigneurs  de 


J      E      A      K         I   I.  ft7 

marque ,  qui  par  leurs  travaux  les  foulageoîent  du  poids  ■ 
des  afaires  ,  &  vaquoient  cofijointemenc  avec  eux  k  ^iin.  ifjx, 
4'examen  &  au  jugement  des  comptes.  Bientôt  ces  nou*- 
veaux  juges  &  maîtres  furent  fèuis  chargés  de  cette 
partie  du  miniftere  public.  Les  «ands  ofices  de  k 
couronne  ,  ooitiiés  à .  vie  d'abord  ,  deretius  dans  la 
fuite  hérédicaîtes ,  furent  poiSëdés  par  des  feigneurs  qui 
ne  s'en  réferveretit  que  les  citres  &  les  honeurs.  Ceft 
ce  qu'on  peut  voir  j«ir  les  charges  de  fénéchal  &  de 
grand  échanfon  ^  donc  les  ttnikires  ^  loin  d'être  k  la  fuite 
de  nos  monarques  ^  encreteiioient  par  eux-mêmes  dans 
leur«  grands  fiefs  une  cour  tiombreufe  ^  image  tracée 
fur  le  modèle  de  celle  des  rois  y  ayant  Mffi  leurs  grands 
ofîciers  octtpés  des  mênles  fondions  ,  &  décorés  des 
.mêmes  titres. 

Les  grands  bouceilliers  contintterent  plus  long-temps  Pahmer 
que  les  autres  grands  oficiers  de  (a  couronne  ,  de  A^ 
maintenir  dans  la  pol&ffion  du  4roit  qu'ils  avoient  an^ 
ciennen^ettt  de  pl-éfider  au  jugement  des  comptes  >  quoi- 
qu'une interruption  de  jouifi^nce  pendant  plusieurs  an^ 
nées  ,  femblât  devoir  anéantir  cette  pr^ogadve.  La 
prefcription  avoit  fi  peu  éteint  ce  droit  ,  qu'on  le  fit 
revivre  fous  Charles  Vl  en  la  perfonhe  de  Jacques  de 
Bourbon  >  grand  bouteillier  de  France  qui  >  le  i^etze  août 
1397  ,  fit  en  la  <:kambrt  kjirment  acoutumé  de  prcmkr 
pré^dcnt  lai  ,  charge  que  Von  difoit  apartcmr  fir  être 
afiStée  au  grand  bouPtilîkr  y  quel  qu^il  fût  y  quoique  Jes 
titres  de  provijion  n^en  jMent  aucune  mention  :  Ce  qui 
cooflatoit  encore  plus  évidemment  i'autheaticité  de  cette 
prérogative.  Un  ancien  reciftre  de  la  chambré,  en  par-  Mimoriaidê 
tant  des  droits  du  grand  bouteillier  ,  marque  préçirér  ^^^^"^^^^^ 
ment  qu'il  étoît  fouveratn  des  comptes.  Il  n'eft  pas  pro-  ^^'"^"*' 
bable  qu'il  ait  été  le  feul  des  grands  oficîers  en  poflef- 
fion  de  préfider  à  l'examen.  &  au  jugement  des  comr 
ptes.  Ce  qui  confirme  encore  cette  opinion  ,  c'eft  que 
rori  voit  dans  les  anciens  CQriiptes  ,  le  cTi^incerier  dé 
France  compris  avec  les  préfidents  &  maîtres  de  la 

D  ij 


i8  Histoire  db  France, 

■  chambre  {a\    Les  chanceliers  alors  comptoient  à  la 

Ann.  IJ5I,    chambre  de  rémolument  du  fceau  :  cet  ufage  ne  fub- 

r/^T^'''^'  fifte  plus  aujourd'hui  ;  ce  compte  eft  préfenté  par  ks 
Mémorial  A.  référendaires  :  il  n'y  a  plus  que  les  lettres  de  provifîon 

/<)/•  13.  de  ce  premier  chef  de  la  magiftrature  qui  foient  fu jetés 

^il^%!tt  ^  l'enregiftrement.  La  chambre  par  fes  arêts  commet- 
Arrit  du  6  ^^^^  ^  ^^  recette ,  &  adminiftroit  les  droits  de  la  grande 

Hars.ij^il.  .chambrerie.  Les  dépenfes  des  armements,  des  voyages 
de  la  cour ,  des  équipages  du  prince  ,  des  frais  de  ion 
hôtel ,  dont  les  comptes  étoient  fournis  à  fon  examen 
&  réglés  en  vertu  de  fes  jugements  ,  entrajnoient  né- 
cefTairement  dans  le  relTort  de  fa  jurifdiâion  toutes  les 
diférentes  parties  fubordonnées  aux  titulaires  des  gran- 
des dignités.  On  formeroit  un  recœuil  immenfe  de  toutes 
les  preuves  qui  fe  trouvent  dans  les  anciens  regillres  : 
dons ,  concernons ,  graces  ,  rémiffions  ,  afaires  civiles 
&  politiques  des  princes  ,  intérêts  de  la  nation ,  traités , 
négociations  ,  déclarations  de  guerre  ,  trêves ,  pacifica- 
tions ,  commiifions  fecretes  ,  bulles  des  fouverains  pon- 
tifes ,  décrets  des  conciles ,  tous  les  monuments  de  i  ad* 
miniftration  publique  s'y  trouvent  dépofés. 

(tf)  Dans  les  anciens  comptes  pour  le  droh  de  bûche  eftimë  en  total  4e  lîv. 

J^arifis ,  étoient  compris  monfeigneur  le  chancelier  ,  le  préfident  des  comptes  , 
es  confeillers  clercs  6c  lais ,  le  changeur  6c  le  clerc  du  tréfor.  Dans  Tétat  du 
même  compte  il  y  a  des  articles  qui  fournirent  un  témoignage  fenfiblc  de  la 
modeftie  ,  de  la  trugalité  &  du  defintéreflement  de  notre  ancienne  magiftra- 
ture. Voici  le  montant  de  leurs  gages  6c  droits  utiles. 

Six  fous  parlfis  pour  chacun  jour  de  gages  ,  6c  leur  en  eft  fait  te  compte  au 
tréfor  par  chacun  terme  de  Nod  U  de  Saint-Jean.  Ceft  par  an  civ.  Hv.  x*  fous 
parifis ,  6c  quand  biflexte  échiet  ils  montent  à  cix.  Ilv.  xvi.  fous  parifis. 

Item  par  an  pour  droit  d*efcripture  qui  fe  comptent  par  jour  audit  tréfor» 
XXX.  Hy.  parifis. 

Item ,  par  an  deux  manteaux ,  Tun  d'hiver  »  l'autre  d*efté ,  qui  fe  comptent 
efdîts  termes  de  Noël  6c  de  Saint -Jean.  Ceft  à  fçaroir  ,  le  manteau  d'hiver 
au  terme  de  Noël  Dour  le  jour  de  Noël ,  6c  le  manteau  d^été  au  terme  de  Sainte 
Jean  pour  le  jour  de  Pentecoufte.  Pour  chacun  manteau  c  fous  parifis. 

Item  un  couftel  garny  de  gucunivet  6c  4^  gayne  ,  une  eforitoirc  gamy  de 
cornet  6c  de  bourfo»  6c  une  paire  de  gans. 

Ltt  officiers  de  la  chambre  ponoient  anciennement  de  grands  cifeaux  à  lents 
ceintures  ,  pour  marquer  le  pouvoir  qu'ils  avoient  de  retrancher  les  mauvais 
emplois  dans  ïit%  comptes  qu'on  leur  préfentoit.  Mémorial  dt  ta  Chamire  du 
Compti*. 


J      E      A      N         I   I.  29 

Pafquier  dans  fes  curieufes  &  fçavantes  Recherches  . 
die  :  V  qu'en  Itfanc  les  anciens  regittres  &  mémoriaux    Ado.  1551. 
i>  de  cette  illuftre  compagnie  dans  lefquels  fe  trouvent 
»  une  infinité  d'afaires  d*£tat  y  il  faut  que  les  feigneurs 

V  des  comptes  ayent  été  décorés  des  premières  dignités 
»  de  la  France  ,  ou  qu'ils  ayent  eu  plus  qu'aucuns  des 
}y  autres  oficiers  du  roi  un  foin  particulier  de  rédiger 

V  &  recœuillir  dans  leurs  archives  toutes  les  afaires  im-. 
»  portantes  qui  fe  paiToient  en  France.  a«  Le  fentiment 
de  ce  célèbre  écrivain  ne  doit  pas  être  regardé  comme 
une  iimple  conjeâure  y  il  avoir  confulté  les  monuments 
les  plus  authentiques  dont  la  garde  étoit  confiée  à  la 
chambre.  Pafquier  étoit  avocat-général  de  cette  cour. 

Une  lettre  de  meffire  Jean  de  Saint-Juft  ,  confeiller 
du  roi  9  maître  ordinaire  en  fa  chambre  des  comptes , 
adrelTée  à  M.  le  chancelier  ,  le  23  Novembre  1339  > 
nous  a  tranfmis  une  partie  des  prérogatives  de  cette 
compagnie.  Ils  fignolent  les  lettres  du  prince  comme 
fecretaires  ^  &  fcelloient  les  Chartres  &  lettres-^patentes 
du  grand*fceau  de  la  chancellerie.  Le  grand  nombre  &c 
la  diverfité  des  a&ires  ayant  obligé  les  feigneurs  des 
comptes  de  fixer  leur  réfidence  à  raris  ,  il  ne  leur  fut 
plus  poflîble  de  vaquer  à  l'expédition  des  lettres  éma- 
nées (lu  fouverain  :  ils  continuèrent  cependant  de  jouïr 
des  droits  honoraires  &  utiles  de  la  chancellerie  juf- 
qu'en  l'année  1300  ,  que  Guillaume  de  Crefpy  chancelier 
de  France  leur  retrancha  leur  part  de  la  chancellerie ,  pour 
ce  çff^ils'  ne  /iiivoUntplus  la  cour ,  en  leur  réjervant  toute- 
fois  V exemption  &  franchifes  pour  eux  6f  leurs  afaires 
particulières. 

Tel  étoit  l'état  de  la  chambre  dès  tes  premières  an- 
nées de  fon  inftitùtion  ,  &  lorfqu'elle  étoit  inféparable- 
ment  atachée  à  la  fuite  de  nos  rois  :  çUe  conferva  la 
plus  nande  partie  de  fes  prérogatives  long-temps  après 
«fa  réfidence  a  Paris  :  c'eft  au  reg^e  de  faintXouis  que 
Ton  peut  en  fixer  l'époque.  Par  l'ordonnance  de  ce  Ordonnances 
prince  de  l'an  12^2  ,  il  eft  dit  que  ceux  qui  auront  reçu  ^/««'^^'^> 
le  lien  des  villes  pendant  une  année  viendront  à  Paris  ^'^^^^^y 


^o  Histoire   de  France, 

^™*''"***^  ïiux  gau  du  roi  qui  font  les  gens  des  comptes  j  auxoSaves 

AniL  13 ;i.    de  la /aint.  Martin  enfitivant  pour  rendre  compte  de  leur 

recetu  €f  dépmfe.  Jean  de  Saint-Jufi  (jui  a  rccœuilii  & 

^'édigé  un€  partie  des  aQciennes  archives  au  commen- 

cemeat  du  quatorzième  iiecle  ^  en  donnant  des  éclair- 

ciflbments  fur  l'état  de  la  chambre  au  chancelier  Pierre 

Mémorial  s.  ^^^^^  y  ^^  formellement  :  J^ai  pieça  fym  par  les  an-- 

jufl.  '  cieMs  que  ceux  de  la .  cliambre  des  comptes  réfidens  à  Paris 

fi  copime  ils  ont  été  puis  à  tems  notre  Jcigneur  /aint 

Loys. 

(a)  Quoique  la  chambre  des  comptes  ,  ayant cefië 

d'être  ambulatoire  »  femblâc  devoir  natiutdlement  bor« 

ner  fes  fondions  à  la  diicuffion  âc  au  jugement  des  ma« 

tieres  de  finance  ,  que  l'augmentation  des  domaines , 

des  droits  &  de  Tautorité  de  nos  monarques  rendoit  un 

des  foins  les  plus  importants  du  gouTernement  ^  on  la 

vit  eqçore  ocupée  des  afaires  les  plus  graves  êc  les  plus 

intéreflantes  ,  dîftinâes  abf(^ument  de  l'économie  des 

Mémorial  c.  ^cvenus  de  l'Etat.  Les  gens  des  comptes  ,  difpenfateurs 

'  de  l'autorité  fouveraine  ,  décidoient  de  l'incapacité  des 

.    juges  ,  les  dépofoient^  en  commettoient  d'autres  à  leur 

place  ^  Se  ces  aâes  de  pouvoir  étoient  exercés  par  eux^ 

fans  qu'ils  j  fufTent  autorifés  par  des  lettres  af^tériçu- 

res  :  preuve  certaine  de  Tancienne  étendue  qu'enjbraf- 

foit  leur  inftitution  primitive*  ^ 

On  peut  citer  encore  ,  comme  un  témoignage  irré* 

I^rochaole  de  la  confidération  dont  nos  rois  nonoroient 
es  geos  des  comptes  ^  les  lettres  -  patentes  du  13  Ifars 
1339  9  par  lefquelles   Philippe  de  Valois  leur  confié 

(a)  AfKÎêmnemeBt  »  dit  Pa&akr  *  les  gentilshommes ,  baillifs  U  fénécliaaz 
«dniniftroient  la  jofticc  fans  iteucenaot  de  robe  loogcie.  Advint  que  M.  Go* 
demar  do  Fay ,  baillif  de  Cbaumont  èc  de  Vitry  »  fe  trouvant  n  être  capable 
pour  exercer  cette  diaige  ,  il  Rit  ordonné  par  la  chambre  tjiiM  s'en  demet- 
troit  s  car  comment  ^'H  fait  kon  hommi  tTarmts  «  il  n*a  pas  ttconttttnié  à 
tenir  plaids  ne  afTiArs  ^  &  que  Ton  y  poanroye  d'aucun  bonne  perfonne  qai  ^ 
(bit  cheraHef.  Ce  qui  fm  exécuté  fliivant  le  mémorial  ,  k  30  août  15H  »* 
^nil  remis  As  iceaux  à  la  chambse  {^or  aommer  zlù.  gouverneac  derdîts 
bail  lies. 

C'eiï  à  des  circonftances  à-peu-près  femblables  qu'on  peut  raporter  Torigine 
des  lieutcoanis  des  bailliages  6c  fénéchaufTéa.  , 


J      E      A      N        I  I.  31 

f Pendant  foti  abfence  le  dépôt  facré  de  la  puiiTance  roya-  "^amsus^ss: 
e  :  la  régence  abfolue  du  royaume  n'exprimeroic  pas    Ann.  ijji* 
une  autorité  plus  illimitée.   Le  roi  partoit  alors  pour 
l'armée  ,  &  la  chambre  dépofitaire  des  droits  du  mo-^ 
narque  les  exercoit  fans  réferve  (a). 

De  toute  ancienneté  il  y  avoit  deux  préfidents  à  la 
tête  de  cette  compagnie  y  un  prélat  &  un  fëîgneur  che- 
valier. Quelquefois  ,  dit  Pafquier ,  //  y  avoit  deux  autres 
prélats  avec  un  fei^neur  lai  ,  mais  fur- tout  Vétat  de  pre^ 
fnier  préjident  étott  afeâé  à  la  prélature.  La  première 
préfidenceeft  encore  de  nos  jours  une  charge  de  premier 
préfident  clerc  :  ce  qui  eft  exprimé  dans  les  lettres  de 
provifioiï.  Dans  ces  temps  malheureux  où  nos  funeftes 
divifions  livrèrent  le  royaume  aux  Anglois  ,  la  cham- 
bre è^  comptes  fc  reflentit  de  la  confufîon  générale 
Qui  boulevcrfa  tous  les  ordres  dû  royaume.  Le  premier 
foin  dé  Charles  VII ,  loriîjue  la  capitale  fut  rentrée 
fous  TobéifTance  de  fon  légitime  fouverain  y  fut  de  re- 

{a)  Ces  lettres  nous  ont  para  fi  int^refTantes  «  que  nous  avons  cru  devoir 
les  raporter. 

PHXLIP9E»  &c.  à  nos  am^s  £c  ftxvx ,  les  gens  de  nos  comptes  à  Paris, 
£alat  &  dUeûion.    Noa$   fommes  au  temps  ptéfent  moule  occupés  pour  en- 
tendre au  iait  de  nos  guerres  &  à  la  défenU  de  notre  peuple.   Et  pour  ce  que 
lions  ne  pouvons  pas  bonnement  entendre  aux  requéces ,  délivrer  tant  de  grâces 
aue  de  juftice,  que  piufieur^  gens  i  tant  d'églife,  de  religion ,  que  autres  nos 
iujets  nous  ont  louvent  à  requerre  :  pourquoi  nous  qui  avons  grande  &  pie- 
niere  confiance  de  vos  loyautés  ,  vous  commettons  par  ces  préfentes  lettres 
pienier  pouvoir  jufqu'^  la  fête  de  la  Touflaint  prochain^  à  venir  d*oéboyer 
de  par  nous  à  toutes  gens  ,    tant  d*égUre  ,   de  religion  comme  de  féculier , 
grâces  fur  requêtes  tant  faits  que  faire  à  perpétuité  ,  d*oAroyer  privilèges  8C 
grâces  perpétuels  &  à  temps  à  perfonnes.(éculiers ,  églifes ,  communes»  &  ba- 
bitans  des  villes  ,  &  iaipo/itions  &  maletottes  pour  le  profit  commun  des  lieux , 
de  faire  grâces  de  rappel  ,   à  bannir  de  notre  royaume  ,  de  recevoir  à  traité 
de  comp^fitîon  quelques  perfonnes  de  communautés  que  ce  fbient  fur  canfcs 
tant  civiles  que  criminelles ,  qui  encore  n'auront  été  jugées  »  &  fur  quelcon- 
ques ;iutrcs  cnofes  qu&  vous  verrez  qui  feroient  à  odroyer ,  à  nobiliter  bour- 
fcoi^,  &  quelques  autres  perfonnes  non  nobles  y  de  légitimer  perfonnes  nées 
ors  mariage  quant  au  temporel  ,  &  d'avoir  fucceffion  du  père  &  mère  ,  àt 
confermer  &  renouveller  privilèges  &  donner  nos  letcKs  en  cire  verte  fut; 
toutes  cbofes  devant  dites  &  chacune  d'icelles  à  valoir  perpétuellement  &  fer- 
mement ,  fans  revocation  de  fans  empêchement.  Et  aurons  ferme  &  fiable  tout 
ce  one  vous  aurez  fait  is  cho(ès  deirufdices  êc  chacunes  d'icelles.  En  témoin 

de  laquelle  cho(£  nous  avons  fait  mettre  noue  fcel  à  ces  préfeutes.  Donné  au 

bois  de  Vincennes,  le  x^  mars  1335. 


3^  Histoire   de    France, 

■  mettre   Tordre  dans  Tadminiflration  de  la  juftice  &des 

Afin.  i);i.    finances   de  l'Etat  :  par  fon   ordonnance  du  dix -huit 

RÊcœuîi  des  Mars  1^37  ,  il  rétablit  les  deux  charges  de  préfîdents 

1557.^"^"'    eccléliaiiique  &  laïque  fuivant  l'ancienne  forme.   Louis 

XI  fon  fils  s'écarta  de  cet  ufage  en  conférant  la  dignité 

de  premier   préfident  clerc  à de  Beanveau , 

quoiqu'il  fût  féculier.  Charles  VIII ,  par  une  difpofi- 
tion  contraire ,  donna  l'état  de  premier  préfident  lai  k 
l'Evêque  de  Lodeve  ,   &  peu  après  fous  Xouis  XII , 
meffire  Jean  Nicolas ,  maître  des  requêtes  de  l'hôtel  du 
roi  ,  fut  pourvu   de  cet  ofic^  ,  en   i^o^.   Il  avoit  été 
employé  par  le  roi  Charles  VllI  en  plufieurs  grandes 
charges  en  Italie  ^  &  nommément  en  celle  de  chance* 
lier  du  royaume  de  Naples  ,  &  eji  chofc  grandement 
mémorable  que  cet  état  de  premier  préfident  ait  été  tranp- 
mis  en  quatre  fucuffives  générations  de  biCdieul  ,  dieul  j 
père  &  fils  y  meffire  Jean  ,  Aymar  ,  Antoine  &  Jean 
Nicolay  ,  ce  qui  n^ advint  à  autre  famille  de  la  France. 
C'eft  ainfi  que  s'exprimoit ,  il  y  a  près  de  deux  fiecles , 
un  magiftrat  aufii  judicieux  que  fcavant  y  en  rendant  k 
la  maifon  de  Nicolay  la^juftice  due  aux  vertus  héréditaires 
de  cette  illuftre  famille.  Depuis  ce  temps  cette  dignité 
a  toyjours  été  remplie  par  leurs  defcendants  pendant 
le  cours  de  fix  générations  ,  &  nous  avons  vu  cette 
fucceffipn  non  interrompue  parvenir  jufqu'k  nous  ,  par 
une  fuite  de  magiftrats  que  leur  intégrité  &  leurs  lu* 
mieres    ont    également  rendus  recommandables.     La 
France  voit  avec  fatisfadion  revivre  dans  la  perfonne 
de  meffire  Aymard-Jean  Nicolay  ,  les  refpeâaoles  qua- 
lités de  fes  ancêtres.  S'il  eft ,  comme  on  n'en  peut  dif- 
convenir  ,  une  nobleffe  d'extraâion  qui  mérite  notre 
vénération  &  nos  refpeds  ,  c'eft  fur-tout  celle  qui ,  fon- 
dée fur  des  fervîceç  réels  jpc  multipliés  jrendus  au  prince 
&  k  la  patrie  ,  s'eft  acquis  des  droits  imprefcriptibïes  fur 
la  reconnoiiTance  publique. 

Les  maîtres  de  la  chambre  des  comptes  ,  ainfi  que 
les  confeillers  du  parlement ,  étoient  diftingués  en  con- 
feîllers  clercs  &  en  confeillers  laïques  y  coutume  qui  fut 

religieulement 


:        J      E      A      N         I    r.  33 

religieufemem  obfervée  pendant  long-temps  :  on   ne  î=îS!!îS!!= 
trouva  qu'une  ei^ception  a  cette  loi  générale  fous  Char-   A^-  <}/'• 
les  yil ,  lorfque  la  chambre  des  comptes  étoh  réfidente 
à  Bourges.  Le  nombre  des  maîtres  étoit  fixé  ancienne- 
ment à  cinq  j  dont  trois  étoient  clercs  &  deux  laïques  :         ^ 
ce  nombre  nit  augmenté  dans  la  fuite  y  les  rois  créèrent 
des  charges  nouvelles ,  ce  qui  introduifit  11  diftinâion 
des  maîtres  ordinaires  &  extraordinaires.  François  I  en 
ajouta  de  nouveaux.   Henri  II  fon  fils   multiplia  le^ 
états    au  double  ,   &    les  poflèflëurs  exerçoient  leurs 
charges  alternativement  pendant  fix  mois. 

Lorfque  les  confeillers  maîtres  ^  clercs  &  laïques  \ 
fuîvoient  la  cour  ^  ils  étoient  en  même-temps  juges  & 
raporteurs  des  comptes  :  ils  confièrent  dans  la  fuite  le 
foin  de  raporter  les  comptes  à  leurs  clercs  ou  fecré- 
taires  ,  qui  furent  apelés  petits -clercs  pour  les  diiiin* 
guer  des  maîtres  eccléfiaftiques.  Ces  petits-clercs  rapor- 
teurs nommés  d*abord  &  inftitués  par  les  maîtres  ,  ob* 
tinrent  des  lettres  de^  confirmation  des  rois  avec  le  titre 
de  clercs  &  enfuite  de  confeillers  -  auditeurs.  Quelque 
temps  après  ,  la  chambre  fit  choix  de  quelques  audir 
teurs  9  qu'elle  commit  à  la  révifion  &  correâion  de$ 
comptes  y  dont  l'examen  devenoit  plus  pénible  pal:  les 
augmentations  &  variations  des  finances  :  ces  correc- 
teurs avoient  féance  au  grand  bureau  des  confeillers 
maîtres.  Charles  VII  par  fon  édit  de  1447,  leur  en  in-, 
terdit  Tentrée  >  k  moins  qu'ils  ne  fufient  dans  U  nécef<- 
fité  d'y  venir  pour  fiiire  raport  de  leurs  correâions. 
Ces  charges  fe  multiplièrent  ainfl  que  celles  dçs  audi- 
teurs y  des  maîtres  &  des  préfidents  ,  fixées  aujourd'hui 
au  nombre  de  un  premier  préfident ,  douze  préfidents  y 
foixante  &  dix-huit  maîtres ,  treiïte-huit  correâeurs  ,  & 
quatre-vingt-deux  auditeurs. 

Les  magiftrats  qui  rempliflbient  les  fondions  d'avo-» 
cats  &  de  procureurs  -  généraux  du  parlement  les  exer* 
cerent  pareillement  à  la  chambie  des  comptes  jufqu'ea 
14^4,  que  Charles  VII ,  par  édit  du  vingt-trois  Décem- 
bre ,  créa  un  ofice  de  procureur -général ,  &  Louis  XI 
Tenu  V.  E 


34  Hl  STO  I  RE     DE    Fr  AN  CE  , 

^^^^^^a^^^  celui  d'avocat -général  ,  fucceffivemenc  remplis  jufqu^à 
Ami.  X55»-    ce  Jour  fans  innovation. 

Les  afaifcs  importantes  qui  fe ,  traitoient  journellcr 
ment  àja  chambre  dés  comptes,  dcAiandânt  un  fecret 
inviolable  ;  potir  en  dérober,  la  cortnoiflaiice  aux  ofi- 
ckrs  fùbalternésr  de  éette  cour  ,  Tighorance  des  lettres 
^toit  une  âcs  condîtions  requifcs  dans  ceux  qu'on  ad- 
Mettoit  à  ces  emplois  :  ils  éroietit  obligés  d*afir mer  pat 
ferment  qu'ils  ne  ffeavoient  ni  lire  ,  ni  écrire.  Coltnct 
Malingre  y  reçu  dans  l'état  de' premier  huiffier  ,  [  charge 
dont  les  provifîpns  ennobliffent  aujourd'hui  celui  .qiri 
éaeft  revêtu  J  fut  ie  premier  qui  en  143^  obtint  a^ 
kttres  de  difpenfe  de  1  ignorance  prefcrite  à  fes  prédé- 
ceffeurs. 

LHmportancc  des  fondions  &  l'antiquité  immémo- 
riale de  cette  compagaic ,  lui  ont  mérite  des  diftinâions 
•&  des  hôneurs  qui  P&alént  aux  corps  les  plus  refpeâa* 
1>les'de  l'Etat. /Dans  les  cérémonies  publiques  ,  la  coilr 
Mémorial  B.  ^^  pairs  &'Ia  chambrc  des   comptes    marchent  en- 

fol.  144.  fembie.  Les  confeitlcrs  de  la  cour  &  les  maîtres , 
[  comme  il  eft  raporté  dans,  un  ancien  mémorial  }  ung 
d^un^y  ung  (P autre  [,  tant  qu^vn  y  peut  fournir^  &  n*ya 

•  diférence  ,    finon   que  ceux  qui.  /ont  ae  parlement  font 

au  -  dejjus  à  dextre.  Lorfque  les  rois  aoclent  dres  deui 
compagnies  à  quelques  cérémonies  ,  aàions  de  grâces 
&  procdfions  indiquées  à  la  cathédrale  ,  ils  s'èxpriinent 
ainn  dans  les  lettres  d'invitation  adrcffées  à  la  chambra 
des  comptes  ;  Çf  pan;e  quelle  diférend^  que  vous  aveT 
(ivcc  notre  cour  de  parlement  n^ejt  pas  encore  terminé  , 
nousvûUlons  m.  'atendant  qu^il  le  f oit ,  &  pour  cette  fois 
feulement ,  que  vous  ayei^  à  fortir  par  la.  porte  du  chœur 
du  côté  de  l^ évangile. 
Origine  des      ^^  ^^^  >  P^^  ^^  atcntipu  \  réformjer  quelques  abus 

malheurs  de    introduits  dans  les  finances  ,  avbit  paru  s'apliquer  aux 

TEtac  foins  du  gouvernement.    Ce  thoriarque  ,  dans  toute'  la 

vigueur  de  l'âge,  Ibrfqtfil  ÎYionta  fur  le  trôpe  ,  avoir  de 
la  probité,  cette  vertu  fi  refpeftable ,  fur-tout  dans  un 
fouvçrain  :  il  étoit  brave  &  généreux  j'ces  heureufes 


,  J      «       A       N         I   I.  3^ 

qualités  avpîent  éjcé  cultivées  par  une  excellente  éduca-  . 

tiort.  Outre  ces  (avantages  ,  lexemple  des  fautes  de  fon    ^na.  i|;i. 

père  étoit  devant  fes  yeux  ;  leçon  udlc  ^  mais   qu'il 

négligea.  L'aveuglement  qui  l'empêcha  d'en  profiter  eft 

incompréhenfible  :  il  eût  pu  rendre  heureux  les  peuples 

dont  la  Providence  lui  avoit  confié  le  gouverhement  ; 

êc  jamais  ^   depuis  que  fa  famille  tenok  les  rêoes  de 

Tempirë  François  ,  la  France  a'avoit  été  réduite  dans 

un  état  fi  déplorable  qu'elle  le  fur  Cous  £on  régne.   Il 

faut  convenir  ,  cependant  ,  pour  juftifier  en  partie  la 

mémoire  de  ce  roi  ^  que  pluueurs  circànftances  étr^- 

gères  concoururent  avec  fon  imprudence  aux  malheurs 

de  l'Etat.    C'eft  au  mariage  de  Jeanne  fa  fille  qu  oa 

peut  raporter  l'époque  des  funeftes  divifions  qui  déchi<- 

rerent  le  royaume.  Cette  pfeincefTe  ,  âgée  pour-lors  de 

huit  ans  ^  rut  acordée  avec  ie  jeune  Charles  ^  roi  de 

Navarre. 

Il  efi:  nécefiàire  ^  potir  l'incelligeocB  de  l'hiftoire  ^  de  Ponraic  de 
faire  connoitre  ce:  prince  ,  qui  va  joàer.un  fi  terrible  S^^^^^c^^^^ 
rôle  fous  les  règnes  con£écuti£^  de  Jeani.j&  de  Charr- 
ies V.  Charles  9  roi  de  Navarre,  étoit  fils  de  Philippe, 
comte  d*Evreux  ,  &  roi  de  Navarre  lui-même  9^  caufe 
de  Jeanne  de  France  ,  fon  époufe  ,  fille  de  Louis  X. 
//  avait  j  dit  Méaetay.,,  toutes  ies  bànneîvqualms  qu^iim 
mtckantc  ante  rend pémimufès , lUfptit ^Véhûûmu^  Z^^- 
djjdfc  ,  la  hardujffc  6r  la.  liberaUtL  li  étoit!  J'homnaec  le 
^ip»  beau  &  le  mieux  fidc  de  fon  temps  ;  mais  cet  exté- 
rieur prévenant  étoit  démenti  per  les  vices  les  plils 
odieux.  Sous  l'apavenceTéduifante  des  grâces. de  la  Au- 
gure exiftmt  une  axne  cruelle ,  artificieuie  ,  vôndkracKe , 
capable  de  le  porter  aux  plus  grands  excès),  k  cp;n  le 
crime  ne.coûtx>it  rien.  Son  imagination  mèmci  fémblmt 
acquérir  de  nouvelles  fiirces ,  lorfiju^il  s*agiflbit  de  pro^ 
jeter  un  Jbrfiiit.  Sa  vie  ne  fut  qu'un  tifTu  d'aâions  abo- 
minables. Toujours  inconféquent d»ns  fes  démarches, 
fans  defieia  fixe,  fôn  inconftance  ne  paroifibic  ooncre- 
<itte  que  par  une  perverfitd  inaltérable.  En  jugeant  de 
fa  conduite  par  le  principe  &  par  l'événement ,  on  eût 

E  ij 


3^  HlSTOI^RE     DE    FrA47C£^ 

. .     '  dit  qu*il  ne  commettoic  le  mal  que,  pour  le  plaiiir  de 
Aûn.  XÎ5Ï»    le  commettre.  Son  génie  inquiet  &  turbulent  étoit  dans 
une  aâivité  perpétuelle.   S'aventurant  prefque  toujours 
avec  imprudence  ,  il  étoit  affuré  de  trouver  des  reflbur- 
res  contre  tous  les  revers  *dans  fon  efprit  dMntrigues  & 
de  cabales.   Brouillon  &  politique  ,  il  s^accommodoit 
au  joug  de  la  néceflité  aufli  facilement  qu'il  fçavoit 
faire  ufage  des  circonftànces  heureufes  ,  lorfque  le  iuccès 
couronnoit  fon  audace  :  connoifTant  toutes  les  paillons 
humaines  qu'il  manioit  à  fon  gré ,  rien  ne  pouvoit  ré« 
ffter  à  la  rapidité  de  fon  éloquence.  Cétoit  un  torrent 
qui  entrainoit  tous  les  efprits.    AiTemblage  inouï  de 
tous  les  vices  ^  il  eft  peut-être  le  feul  grand  criminel 
<jui  n'ait  jamais  démenti  fon  caraâere  par  un  aâe  de 
vertu.  Le  mépris  des  loix  divines  &  humaines  y  la  per- 
fidie y  la  haine  couverte,  y  le  refTentiment  implacable  y 
Timpudence  la  plus  éfrénée  y  fembloient  fe   dîfputer 
l'empire  de  fon  cœur  atroce.   Trahifons  y  révoltes  dé- 
clarées ,  négociations  firauduleufes  ,  furprifes ,  parjures  y 
afiaflinats  y  empoifonnements  y  tels  étoient  les  funeftes 
jeux  d  uii  prince  né  pour  le  malheur  du  genre  humain. 
Mobile  de  prefque  toutes  les  conjurations  y  éternel  ^r- 
tifan  de  dilcord!es  y  il  déchira  le  royaume  y  il  porta  le 
fer  &  la  flamme  dans  toutes  les  parties  de  la  France  y 
&  mit  plufieurs  fois  l'Etat  fur  le  penchant  de  fa  ruine. 


jamais  furnom  ne  fut  mieux  mérité. 

Mariage  de      Cette  même  année  le  roi  avoir  fait  célébrer  le  ma;* 

^z^nc\/^ï'  ^^^^^  ^"  connétable  Charles  d'Efpagne  ,  fon  favori, 

SuProl  *^^"    avec  Marguerite  de  Blois  ,  dame  de  l'Aigle  ,  fille  de 

Charles  de  Blois.*  Cette  princefTe  étoit  nièce  y  à  la  mode 

de  Bretagne ,  du  roi  Jean  y  Charles  de  Blois  étant  fils 

de  Marguerite ,  fœur  de  Philippe  de  Valois.   Le  roi  en 

fiiveur  de  ce  mariage  donna  au  connétable   le  comté 

d'Angoulême  &  les  châteaux  de  Benaon  &  de  Fronte- 

nay-Fabatu.   Ces  terres  y  ainfi  qu'il  a  été  précédemment 


J      E       A      N         I   I.  37 

obfervé  ,  avoieiit  été  affignées  pour  le  paiement  de  trois  ï!!ï!=!5!î 
mille  livres  de  rente  faiïant  partie  de  plufieurs  autres    Ann.  ijji. 
revenus  promis  à  Philippe  ,  roi  de  Navarre,  &  à  Jeanne 
isL  femme ,  en  indemnité  de  leurs  droits  fur  les  comtés  de 
Champagne  &  de  Brie.  Cette  donation  fut  le  germe  des 
premiers  mécontentements  du  roi  de  Navarre ,  ,&  de 
là  jaloufie  contre  le  connétable  ,  auquel  il  reprochoit 
de  l'avoir  dépouillé  ,  en  le  déshéritant  ,  Ê'  retenant  fon 
héritage.  Tels  étoient  les  termes  dont  il  fe  fêrvoit  pour 
exprimer  fes  plaintes.  Ces  terres  éfeâivement  avoient 
été  cédées  au  roi  &  à  la  reine  de  Navarre  :  mais  Jean- 
ne ,  avant  que  de  mourir  ,  avoit  fait  un  fécond  échange 
avec  le  roi  Philippe  de  Valois  du  comté  d'Aneoulême 
&  des  feigneuries  de  Benaon&  de  Frontenai-rabatu , 
au-lieu  defq^uelles  terres  on  lui  avoit  donné  Pontoife , 
Beajumont-iur-Oyfe  &  Anieres.  Les  plaintes  du  roi  de 
Navarre  auroient  donc  été  mal  fondées  ,  s'il  en  avoit 
été  réellement  mis  en  pofTeflion  :  mais  on  ne  trouve 
aucun  vefiige  de  TaccomplifTement  de  ce  traité.  Il  pa- 
roît  même  par  tous  les  diférents  accords  qui  furent 
faits  dans  la  fuite  avec  ce  prince  ,   que  l'échange  n'a- 
voit  point  été  exécjuté.  Le  roi  y  fans  être  arête  par  cet 
obflacle  ^  qu'il  auroit  pu  lever  facilement  y  en  latisfai* 
f^nt  le  roi  de  Navarre  ^  ne  fuivoit  dans  la  diftribution 
de  fes  grâces  que  fon  aveugle  inclination  pour  le  con- 
nétable.   //  avoit  pour  ce  feigneur  ,   dit  un  hiftorien     ViUanL 
contemporain  ,  un  amour  Ji  fingulier  ^  qu^il  préféroit  fes 
confeils  à  tous  ceux  des  autres  feigneurs  ;   &  ceux   qui 
vouloient  mal  parler  ,  faifoient  un  crime  au  roi  de  ra- 
mour  defordonnc  qu^d  avoit  pour  ce  jeune  homme.    Ce 
n'eft  pas  un  des  moindres  defagréments  atachés  à  la 
poiTeuion  du  diadème  y  que  les  rois  ,  plus  malheureux 
en  cela  que  les  derniers  de  leurs  fujets  ,  ne  puifTent  fe 
livrer  aux  douceurs   de  l'amitié  en  fuivanc  leurs  pen- 
chants ,  &  que  gênés  par  leur  propre  grandeur ,  Téclat 
de  leur  rang  les  rende  comptaoles  au  public  de  leurs 
afeâions  particulières.   On  a  quelquefois  reproché'  aux 
fouverains  de  n'avoir  point  d'amis  :   acordent-ils  cet 


•  3^  Histoire   DE*  France, 

g**"— — ^  honeur  à  quelques-uns  de  leurs  fujecs  ,  auffi-tot  la 
Ann.  13 51.  même  îndilcrérion  ,  qui  blâtnoit  leur  infenlibilité  ,  con- 
damne leur  choix  :  on  fe  plaint  que  ceux  qui  aprochent 
du  trône  jouïffent  feuls  de  toutes  les  grâces.  Cepen- 
dant ces  faveurs  ,  qui  paroiffent  excemves  ,  dcvroienc 
moins,  être  imputées  k  la  trop  grande  bonté  ou  à  la  foi- 
blefle  du  prince  ,  qu'à  l'infatiable  ambition  de  ceux  oui 
les  obfedent.  Charles  d'Efpagne  ,  parvenu  au  faîte  des 
honeurs  ,  comblé  des  bienfaits  de  fon  maître  ,  fe  vit 
autant  d'ennemis  qu'il  y  avoit  de  courtifans  avides  :  les- 
grands  feigneurs  ,  &  fur -tout  les  princes  du  lang  , 
étoient  indignés  ;  mais  aveuglé  par  la  profpérité  ,  il 
n'aperçut  pas  ,  ou  méprifa  peut-être  la  haine  prelique 
générale  que  lui  atiroit  fon  élévation.  Il  ofa  être  trop 
heureux. 

Ann.  ijft.        Les  fêtes  &  les  intrigues  ocupoieht  la  cour  de  France , 
Entrcprife    trauquilc  d'ailIcurs  fur  la  foi  du  dernier  traité  qui  avoit 

sriJt'^Omcr!^^  prorogé  la  trêve ,  tandis  que  TAnglois  ,  touiours  aren- 
Froijfard.  ^^^ >  ^^  laîfToit  échapcr  aucune  oca  lion  injuue  ou  légi- 
chronrq.  de  timc  de  faifîr  fes  avantages.  Le  gouverneur  de  Calais  , 

^^"^chron  MS.  -^Y^^^y  ^^  Pavie  ,  encouragé  par  le  fuccès  qui  avoit 
du  roi  Jean.  *  couronné  fon  entrcprife  fur  Guines  ,  eflaya  de  s'empa^ 
rer  de  la  ville  de  Saint-Omer ,  ^  la  faveur  de  quelques 
intelligences  dont  il  croyoit  s'être  afTuré.  Charny  ,  gou- 
verneur de  cette  vijle ,  fut  inftruit  de  fon  defTçîn.  Non 
content  d*avoir  pris  toutes  les  précautions  néceffaires 
pour  la  sûreté  de  la  place  où  il  commandoit ,  il  réfolut 
de  ne  pas  manquer  une  conjonfture  fi  favorable  de  fe 
faifir  d'un  ennemi  qui  venoit  lui-même  fe  livrer  à  la 
vengeance  qu'il  méditoit  depuis  fi  long-temps.  Il  fit 
avertir  le  maréchal  de  Bcaujeu  du  jour  que  la  tetitative 
devoit  fe  faire.  Aymery  comptant  fur  la  jM-écifio»  des 
mefures  qu'il  avoit  prifes  ,  s'aprocha  de  Saint-Omer 
avec  fécurité  ;  le  maréchal  le  laiffa  pourfuivre.fa  mar- 
ché jufqu'^u  près  de  Bourboorg:  loflqu'il  te  vit  engagé 
fi  avant  ,  qti'il  ne  lui  étoit  plus  poffible  de  reculer  ,  il 
le  fuîvit.  Quelques  foldats  de  Taricre- garde  Angloife 
apercevant  un  gros  détachement  de  cavalerie  qui  ve- 


/x_ 


J      E       A      N      '  I    T.  î         •  ^9 

noit  à  eux  ,  en  donnèrent  avis  à  leur  commandant  :  il  — ' 

renvoya  reconnoître  ;  •&  fur  le  raport  qu'on  vint  lui  Ann,  ijîx. 
faire  que  c'étoit  un  corps  confidérable  ,  il  voulut  re^ 
tourner  fur  fts  pas  ,  convaincu  que  fon  entreprife  étoit 
découverte.  Mais  il  n^étoit  plus  Kmps  :  il  falut  fe  ré- 
foudre, au  combat  malgré  l'inégalité  du  nombre.  L'ac- 
tion fut  fanglante  :  4e  maréchal  de  Bcaujeu  fut  tué. 
.Charny  étant  forti  de  Saint- Omer  avec  une  partie  de 
la  garnifon ,  vint  achever  la  déroute  des  Anglois  ,  qui 
fe  bâtirent  en  défcfpérés.  Aymery  de  Pavie  ,  envelopé 
de  toutes  parts  ,  fut  fait  prilonnier  :  chargé  de  chaînes , 
on  le  conduifit  à  Saint-Omer  ,  où  Charny  le  fie  écarte- 
1er,  fuplice  trop  cruel  fans  doute  dans  une  guerre  où 
les  furprifes  &  les  violations  des  traités  paroiiToienc 
autorifees  par  les  exemples  des  deux  partis.  Charny 
lui-même  auroit  dû  fe  reflbuvenir  qu'en  femblable  oca- 
fion  ,  Edouard  Payant  en  fon  pouvoir ,  lavoit  généreu- 
ement  épargné. 

On  (^ontinuoit  cependant  les  négociations  pour  la 
paix.  Le  recœuil  public  des  aftes  d'Angleterre  contient 
une  infinité  de  lettres  de  pouvoir  donnée  par  Edouard 
à  fes  minifires  pour  terminer  les  diférends  entre  les 
deux  couronnes  }  mgàs  il  paroit  par  les  prétentions 
exceflives  de  ce  prince  ,  &  par  les  dificultés  fans 
nombre  que  fes  plénipotentiaires  aportoient  à  la  con- 
clufion  du  traité  ,  que  Ig  monarque  Anglois  rfavoit 
d'autre  vue  que  d'amufer  le  roi  ,  6c  l'empêcher  de 
prendre  des  mefures  décifives  contre  fes  defleins  per- 
nicieur. 

Lorlq[«ie  Guy  de  Nèfle  ,  maréchal  de  France  ,  fait     Défaite  & 

J)rifonnier  en  ^aintonge ,  eut  recouvré  fa  liberté ,  le  roi  ^c°Ncnïmar7- 
'envoya  en  Bretagne  avec  des  troupes  ,  pour  foutenir  le  chai  dcFrancc. 
parti  de  Charles  de  Blois  :  il  ne  fit  qu'augmenter  le     Froifard. 
nombre  des  •  difgraces  de  ce   malheureux  prince.   Les  ^^^''^'"'  '^^ 
troupes  de  la  cottHefTe  de  Monfbrt  ,  commandées   par     "cfr^i.  Ms. 
Gaultier  de  Vintley  y  Tannegui  du  Châtel ,  Garmér  de    Hift.deBret. 
Cadoudal ,  &  Y<pes  deTrezuiguidy ,  s'étoient  campées  à 
Mauron  ,. près  du  château  de  Brefvili.  Le  maréchal  de 


40  Histoire  DE  France, 

— — —  Nèfle  comptant  fur  la  fupériorité  du  nombre ,  voulut 
Ann.  X55X.    les  forcer  dans  leurs  retranchements.    Les   Anglois  & 
-    les  Bretons  du  parti  de  la  comteiTe  fe  défendirent  avec 
intrépidité  :  Tannegui  du  Châtel  perça  le  corps  de  ba- 
taille où  commandoit  le  maréchal  y  perdit  la  vie  dans 
-Cette  ocafion.  La  mort  du  chef  détermina  la  viâoire  : 
les  partifans  de  Charles  de  Blois  furent  entièrement 
défaits.  Le  vicomte  de  Kohan  ,  le  lire  de  Tinteniac, 
{  ce  brave  chevalier  qui  avoit  donné  des  preuves  fi  écla- 
tantes de  Ton  courage  au  combat  des  Trente ,  ]  le  fire 
de  Bricquebec  &  le  châtelain  de  Beauvais  |  expirèrent 
fur  le  champ  de  bataille. 
Le  roi  arbitre      La  réputation  de  bravoure  &  de  générofité  que  le 
dun  différend  j-^j  j^  France  s*étoit  acquife  ,  lui  mérita J'honeur  d'être 

entre  les  ducs         .     .  j»  •  u       /•  '  • 

dcLcncaftrc&  pns    pour    juge   d  uue  querelle  lur venue  entre  deux 

de  Bninfvich.,  princes  qui  n'étoient  point  fes  fujets.  Le  duc  de  Len- 
^^"'^•^^••caftre  ,    àcufé  par  le  duc  de  Brunfwich  d'avoir,  tenu 

l'iirtl  i7p.  ^o.  des  propos  injurieux  ,  avoit  donné  un  démenti  public 
Froifard.     dc" Cette  acufkàon  5  &.jeté  fôn  gaœ  ,  fuivant^  lufage 

i^t^ïUan.^^  S"^  ^^  pratiquoit  alors.  Le  duc  de  ïrunfwich,  en. qua- 
lité de  demandeur  ^  avoit  le  droit  de  choifir.  jpour  juge 
le  prince  devant  lequel  ilprétendoit  que  la  quereUe 
fût  vuidée  :  il  s'adrefla  pour  cet  éfet  au  roi  >  &  fit 
.fignifier  a  T Anglois  qu'il  le.trouveroit  à  Paris  9  &  que 
là  ils  décideroient  leur  diférend  les  armes  à  la  main« 
Le  duc.  de  Lencaftre  obtin(^une  permiflion  d'Edouard 
de  fe  rendre  à  la  cour  de  France  »  afin  de  défendre  fon 
honeur.  Ces  deux  rivaux  comparurent  dansv  une  lice  ou 
chàmp-clos  ^  qui  avoit  été  préparé  dans  le  pré  aux 
clercs  y  hors  des  murs  de  la  ville .,  du  côté  de  l'abaye 
Saint-  Germain  ,  lieu  où  fe  livroient  ordinairemei^t  c^ 
fortes  de  combats.  Après  qu'ils  eurent  fait  les  ferments 
acoutumés  en  femblable^  rocafions  y  ils  montèrent  ^ 
cheval  ,  &  tirèrent  leurs  épées.  Déjà  Ton  avoit  donné 
le  fignal  qui  permettoit  aux  afFaillants  de  combatre  , 
lorfque  le  roi ,  qui  en  qualité  de  juge  afiîftoit  à  ce  fpec^ 
tacle  avec  toute  fa  cour,  les  empêcha  d'aller  plus  avant, 
^  dç  piefurèr  leurs  forces  :  fatisfait  du  courage  égal 

"es 


i 


JevAn      II.^  41 

des  deux  parties ^  il  prie  la  querelle  fur  lui-même,  &  ^ 

fe  chargea  du  foin  de  les  réconcilier.    Cette  médiation    ^^^^  ny»^- 

dut  être  d'autant  plus  glorieufe  au  roi  ,  qu'en  préfer- 

vant  le  duc  de  Lencaftre  des  fuites  incertaines  d'un 

combat  dans  lequel  il  pouvoit  fucomber  ,  il  fe  mon- 

troit  foigneux  de  la  confervation  d'un  de  fes  plus  dan-  # 

gereux  ennemis. 

Le  roi  fe  difpofoit  à  faire  le  voyage  d^Avignon  ,  fur    Mort  de  cié- 
les  nouvelles  qu'il  reçut  de  la  vacance  dû  laint  fiege.  mcntvi. 
Clément  VI  mourut  le  fix  Décembre  de  cette  année  ,     ^'t^^^^ifc 
après  avoir  ocupé  la  chaire  de  faint  Pierre   pendant  ^  roThan.  * 
Tefpace  de   dix   ans   &  fept  mois.    «  Ce  pape  ,    dit     HÎfi.  EccU- 
w  un   hiftorien   contemporain  ,  fut  près  -  libéral   pour  ^^"^j^^^i^  yn^ 
9^  donner  des  bénéfices  par  les  expedtatives  &  la  claufe  ianiXi\c.^^^ 
»  anteferri  ,  ou  de  préférence  :  il  entretenoitfa  maifon 
»en  fouverain  :   la  magnificence  &  la  profufion   ré- 
9>  gnoient  à  fa  table  :  il  avoit  un  cortège   nombreux 
»  de  chevaliers  &  d'écuyers ,  &  quantité*  de  chevaux 
«qu'il  mohtoit  fouvent  par  divertiflement  :  il  ne  né- 
»gligea  point  Tavancenient  de  fa  famille  :    il  acquit 
»pour  fes  parfents  de  grandes  terres  en  France  :  il  en 
f>  ht  plufieurs  cardinaux  ,  quoiqu'ils  fuflent  trop  jeunes, 
»  &  qu'ils  menafTent  une  vie  fcandaleufe.  Dans  les  pro- 
jy  motions  il  n'a  voit  égard  ni  à  la  fcience ,  ni  à  la  vertu  ; 
»  il  ^coit  cependant  lui-même  affez  inflruitdans  les  let- 
»  très  ;  mais  fes  manières  étoient  cavalières  &  peu  ecclé- 
yy  fiaftiiques.  Etant  archevêque  [  c'eft  toujours  le  même 
écrivain  qui  parle ,  ]  »  il  ne  garda  pas  de  mefures  avec 
»  les  femmes  ;  mais  il  alla  plus  loin  que  les  jeunes  fei- 
»  gneurs  :  &  quand  il  fut  pape ,  il  ne  fçut  ni  fe  contenir 
M  lut  ce  point ,  ni  fe  cacher.  Les  grandes  dames  alloîent 
»  k  fes  chambres  comme  les  prélats  ,  entre  autres  une 
»  comteffe  de  Tufenne  ,  pour  laquelle  il  faifoit  quan- 
»  tité  de  grâces.   Quand  il  étoit  malade  ,   c'étoient  les 
»  dames  qui  le  fervoient,  comme  les  parentes  prennent 
w  foin  des  féculiers  a.   A  ce  portrait  qui  ne  paroît  pas 
flaté  ,  qu'on  peut  même  foupçonner  d'avoir  été  difté 
par  la  paflion,  Villani  auroitdû  ajouter  que  Clément  VI 
Tome  V.  F 


4^  Histoire  de^^France, 

==!=  cultiva  Içs  arts  âc  les  fciences  ,  qu'il  fut  éloquent  pour 
Ann,  xji*.    fon  fiçcle  ,  qu'fl  aima  la  juftiçe  &  U  paix  ,   qu'il  em- 
ploya lans  çeffe  fa  médiation  &  fes  foins  paternels  pour 
établir  la  concorde  ,   &  que  pendant  le  cours  de  fon 
pontificat  ,  ou  ne  peut  lui  reprocher  d  avoir  négligé 
un  feul  moment  de  s'apliquer  à  mettre  fin  aux  funcftes 
défordres  de  la  guerre.    Ses  follicitatipns  continuelles 
auprès  des  roi^^cfc  France  &  d'Angleterre  ,   font  des 
preuves  inconteft^bles  de,  fon  amour  pour  la  paix  y  & 
de  fon  zèle  pour  le  bonheur  de  l'humanité. 
ElcûîQn  de      ^^^  cardinaux  aflemblés  dans  le  conclave  fc  preflè- 
Innocent  VI.    rcut  de  douucr  un  fuçcefîeur  au  fouverain  pontife  oui 
Uidem.      venoit  d'expirer.    Le  motif  de  cette   précipitation  tut 
qu'ils  avoient  apris  que  le  rois  de  France  oevoit  bien- 
tôt fe  .rendre  à  Avignon  ^  dans  le  deflein  de  déterminer 
par  fa  préfence  les  lufrages  des  prélats  qui  compofoient 
le  facre  collège ,  en  faveur  d'un  pape  qui  lui  fut  rede- 
vable de  fon  exaltation.  Los  cardinaux  le  hâtèrent  de  le 
prévenir  par  la  nomination  d'Etienne  Aubert^  cardinal |, 
évêque  d'Oftie.  Ayant  que  de  procéder  k  cette  éleâion  y 
ils  avoient  fait  un  règlement  entre  eux  pour  borner  la 
puifiànce  du  fouverain  pontife  qu'ils  alloient  élire.  Par 
ce  règlement  le  pape  ne  devoit  plus  faire  de  cardinaux  9 
que  leur  nombre  ne  fût  réduit  a  feize  ^  &  ce  nombre 
ne  pouvoir  être  augmenté  que  de  quatre  :  le  pape  n*au- 
roit  même  la  liberté  de  créer  de  nouveaux  princes  de 
réglife  Romaine  ^  que  du  confentement  unanime  du 
facré  collège.  Ce  même  règlement  privoit  le   pape  du 
pouvoir  de  dépofer  ou  de  faire  arêter- aucun  cardinal 
fans  l'ayis  de  tous  ^  &  de  prononcer  contre  eyx  aucune 
cenfure  que  du  confentement  des  deux  tiers.  On  avoir 
inféré  que  celui  fur  qui  le  choix  tomberoit  ^  promettroic 
dès*lors  de  ne  jamais  mettre  la  main  fur  les  biens  des 
prélats ,  de  leur  vivant ,  ni  après  leur  mort ,  de  ne  point 
aliéner  ni  inféoder  les  terres  pofTédées  par  Téglife  B.o- 
maine  ^  fans  la  délibération  des  deux  tiers  des  cardinaux^ 
qui  fe  réfervoient  encore  la  perception  &  difpofition  de  la 
moitié  de  tous  les  fruits  &  revenus  des  amendes  ^  coa* 


J     E     A     K       I  L  43 

damnatHVis  ^  &c  autres  émoluments  atrilnués  à  Kéglife 
Romaine  ,  en  quelque  province  que  ce  fur  ,  folvant  le  Ann.  i^*- 
privilège  acordé  par  Nicolas  IV.  La  charge  de  maré- 
chal de  la  cour  de  Rome  y  &  le  gouvernement  des  pro^ 
vinces  &  terres  de  Téglife  ,  ne  pouvotent  être  conférés 
à  aucun  parent  ou  allié  du  pape.  Enfin  ^  pour  acorder 
k  quelque  prthce  que  ce  fût  les  décimes  ^  &  autres  fub^ 
iîdes  ecclénaftiqucs  ,  où  les  réferver  à  la  chambre  apol- 
tx>lique  ,  il  étoic  néceffaire  <jue  cette  grâce  fut  confirmée 
par  les  fufra^s  des  deux  tiers  des  cardioau:s  ,  qui  tou!^ 
dévoient  jouir  d'une  entière  liberté  dans  leurs  délibé- 
rations. Ils  avoient  juré  d'obferver  inviolablemenp  ce 
compromis  ^  les  uos  purement  &  Amplement ,  les  au- 
tres avec  la  reftriâion  y  s^il  étoit  conforma  Ou  droit. 

Le  nouveau  pontife ,  qui  étoit  du  nombre  de  ces  der* 

iiiers  y  commença  fcn  pontificat  par  la   révocation  du 

règlement  ^  comme  abuiif  &  préjudiciable  à  la  plénitude 

du  pouvoir  donné  par  Dieu  même  au  pape  (èul.   Ce 

coup  d'autorité  ne  tut  pas  k  feule  mortincation  qu^'it  fie 

effuver  aux  cardinaux  ,    il  fuprima  plulieurs  réferve^ 

de  oénéfices    acordées    par  fon  prédéceâeur  en  fàvecrr 

de  quelques  -  uns  d^entre  eux  :  il  ordonna  aux  prélats  , 

êc  autres  bénéîîciers. ,,  de  réfider  k  kurs  bénéfices.    La 

fimpUcité  des  mœurs  die  ce  pontife  fè  ren>arq«Faf  par  la 

dinlinution  de  la  dépenfe  de  fa  ntaifon  :  il  réforma  cette 

foule  de  domeftiques  que  Clément  VI  entretenoit  h  fa 

fuite  :  il  s'atacba  for-toatk  réprimer  le  honteux  trafic 

que  les  oficiers  apoftoliques  ^ifoient  de  ta  judice  y  en 

acordant  l'impuinité  aux  meurtriers  ,  qu'ils  arbfoîvoîent 

ou  toléroieat  pour  de  Fargent  :  il  priva  ces-  mêmes  oft- 

ciers  du  ptom  in&me  qti'iis  ciroiëne  y  tant  chi  jeu  t!e^ 

dés  y  que  des  femmes^  proflituées.  Il  prk  h  nom  d'^In- 

aoccnr  VI.  Le  roi  ayant  été  informé  de  fon   éleôion  , 

abondofflia  le  pojet  du  voyage  d' Avigni^n. 

La  cour  cepmdaiic  ne  jou^flSwt  mie  d'un  calme'  apa**  J^^^^^^^^^^^ 
rent  :  l'élévatiow  du  c^wnécaWf©  excitoic  de  plus  en  plus  ïié  cmrc  îc  roi 
la  jafofufîe  des  priuces  &  dtfs  feigfieurs.  Le  jeune  roi  ^^.^f'^'^'J^J?^ 
de  Navarre  fiir-tout  ,  que  fe.  dignité  &  la  <jualit^  de  ^^^,''^^^' 

F  ij 


44  Histoire   peFrance, 

*— ^— — ^  gendre  du  itionarque  faifoîent  prétendre  à  la  ^emier& 
Ann.  135^-    place    3ans  la   faveur  ,   fuportoit  impatiemment    une 
Froijfard.     préférence  fi  préjudiciable  à  fes  vues.  Il  avoit  déjà  mar- 
dfr^Uea^^'  S?^  ^^  plufieurs  circonftances  fon  indifpofition  contre 
ViiianL      Charles  d'Efpagne  :  mais  celui-ci ,  loin  d'eflkyer  de  Ta- 
Chroniq.  de  paifer  par  une  conduite  plus  modefte ,  s'étoit  comporté 
SpUiLcondn.  ^^^^  toute  la  hauteur  que  la  fortune  infpire-  Dans  une 
deNangîs.      dîfpute  très-vive  ,  le  gendre  &  le  fayon  s'étoient  tenu 
de^Ckarief^e'  ^^^  ^  l'autre  des  difcoùrs  très- piquants  :  le  roi  <jui  au- 
mauvais  à  la   ^oit  dû  aréter  cette  méfintelligence  dans  fon  prmcipe^ 
chambre  des     Tirrita  encofe  en   protégeant  ouvertement  le  connéta- 
^^ISém'.delit'  ^Ic^Le  roi  de  Navarre  fe  plaignoit  que  Charles  d'Eif-- 
terature.         pagnê  l^avoit  infulté  par  des  propos  ofenfants  ,  en  le 
déngn^nt  fous  les  noms  injurieux  de  billonneur  &  mùn- 
noycur  :  il  ajoutoit  que  non-content  de  l'avoir  désho- 
noré ,  il  lui  avoit  par  les  fuggeftions  atiré  la  difgrace  du 
roi  :  il  jura  hautement  de  s'en  venger  ,   &  fe  retira  à 
Evreux  ,  très-mécontent  de  la  cour.  Ce  fut  dans  cette 
ville,  que  livré  tout  entier  aux  tranfports  de  fon  ref— 
fentiment,  il  forma  le  projet  d'abatre  Torgueuil  du  fa- 
vori par  une  vengeance  éclatante. 

L'ufage  qui  fubfiftoit  alors  ,  ofroit  au  roi  de  Na- 
varre un  moyen  honorable  &  légitime  de  fatisfaire  fa 
haine ,  en  déclarant  au  connétable  ce  qu'on  apeloit  une 
guerre  particulière.  Un  de  fes  oficiers ,  auquel  il  aVbit 
confié  la  réfolution  où  il  étôit  de  perdre  fon  ennemi , 
lui  demanda  s'il  Tavoit  défié  :  Je  le  ticns^  tout  défié  y 
répondit  brufquement  le  Navarrois.  En  même -temps 
le  prince  communiqua  à  ce  même  oficier  toute  la  fuite 
de  fon  projet  :  il  étoit ,  difoit-il,  téfolu  d'aller  à  Pa- 
ris ,  là  de  faire  une  ihfulte  de  propos  délibéré  au  con- 
nétable ,  &  enfuite  de  le  fiiire  ataquer  par  une  troupe 
d'hommes  armés  qui  fe  tiendroient  prêts  pour  cette 
expédition.  Charles  fe  rendit  à  Paris ,  ne  relpîrant  que 
la  vengeance  qu'il  méditoit  :  il  épia  pendant  plufieurs 
jours  Te  moment  d'exécuter  fon  deflein  ;  mais  ,  foit 
éfet  du  hazàrd  ^  foie  que  Charles  d'Efpagne  fe  défiant 
de  lui  ,  fe  tînt  fur  fes  gardes  avec  plus  de  précaution 


J      E      A      N         I   I.  45 

qu^k  Tordinaire  ,  il  ne  put   jamais  rencontrer  Tocafion  ï55î^=î!=5 
favorable  à  racompliflement  de  fon  entreprife.  Il  revint    a^-  nj^- 
à  Evreux  défefpéré  d'avoir  manqué  fon  coup  ,  &  plus 
animé  que  jamais  à  fatisfaire  fon  inimitié  ^  à  quelque 
extrémité  qu'il  dût  fe  porter. 

Le  roi  de  Navarre  aprit  à  Evreux  que  le  connétable  ^"°-  ^n.î- 
venoit  d  ariver  à  TAigle  :  il  ne  perdit  point  de  temps ,  cha^?«"d*Ef- 
&  fit  partir  des  hommes  armés  ,  chargés  d'exécuter  fes  pagne. 
ordres.  Ces  aflTaffins  trouvèrent  le  connétable  dans  fon  Uidcnu 
lit.  Cet  infortuné  feigneur  ,  vi6Hme  imprudente  ,  que 
la  fortune  fembloit  n'avoir  favorifée  ,  que  pour  la  livrer 
ornée  à  la  fureur  de  fes  ennemis  ,  voulut  fe  lever  &  fe 
mettre  en  défenfe  ;  niais  il  fut  terraffé  dans  le  moment  ; 
&  les  cruels  fa telli tes  qui  l'ataquoient  ,  fans  être  tou- 
chés de  fa  jeuneffe ,  ni  des  prières  qu'il  leur  adrefla  de 
lui  conferver  la  vie ,  le  percèrent  de  coups ,  &  le  maf- 
facrerent.  Charles  de  Navarre  cependant  s'étoit  aproché 
de  l'Aigle  y  &  atendoit  dans  une  grange  voifine  de 
cette  ville  les  nouvelles  de  Tiffue  de  cet  mdigne  com- 
plot. Dévoré  d'inquiétude  dans  fon  impatience ,  il  en- 
voyoit  de  moment  en  moment  quelques-uns  de  fes  gens 
à  la  découverte  ,  lorfqu'il  vit  acoufir  à  toute  bride  le 
haron  de  MarcuU  y  qui  ariva  près  de  lui  en  criant  : 
C^ejl  fait  ,  c^ejl  fait.  Xe  roi  lui  demandant  comment 
fait ,  l'aflaflin  lui  annonça  que  le  connétable  étoit  mort  : 
les  autres  meurtriers  ,  au  nombre  defquels  étoient  Gilles 
de  Bantelu  ,  Maubué  y  Colin  y  Doubkau  y  &  plufieurs 
Navarroiis  furvinrent  enfuite. 

Lé  roi  de  Navarre  témoigna  d'abord  une  douleur 
feinte ,  afeftant  de  verfer  quelques  larmes  ,  comme  s'il 
avoit  été  pénétré  de  trifteUe.  Il  vouloit  fans  doute  dé- 
guifer  la  honte  d'un  pareil  atentat ,  &  pallier  l'horreur 
de  fon  aâion  aux  yeux  de  quelques  feigneurs  de  fa 
fuite  ,  qui  auroient  pu  la  condamner  ;  mais  il  étoit 
encore  trop  jeune  pour  être  capable  de  diffimuler  long- 
temps :  il  cnangea  un  moment  après  de  ton  &  de  vi- 
fage ,  &  ne  rougit  plus  d'avouer  tout  haut  le  meurtre 
dont  il  avoit  voulu  paroître  innocent  quelques  inftants 


4^  Histoire    de   France, 

■■■'  auparavant.  Il  raflëmbla  fon  monde  autour  de  lui  ,  & 
Ann.  I  j;;.  {[  aflura  les  cruels  exécuteurs  de  fes  volontés  ,  qu'il  pre- 
noit  fur  lui  tout  ce  Qui  avoit  été  fait  ,  proteftant  avec 
ferment  qu'il  défenoroit  tous  fes  complices  ^  &  qu'il 
ne  prendroit  aucunes  lettres  de  pardon  ou  de  rémiflGlon>, 
quMs  n'y  fulTent  compris.  Jugeant  bien  que  le  roi  ne 
laifleroît  pas  un  pareil  crime  impuni  ,  il  fongea  aux 
précautions  qui  pouvoient  le  mettre  à  couvert  de  fon 
reffentiment.  Dans  cette  vue  il  écrivit  k  plufieurs  villes 
du  royaume ,  ainii  qu'à  la  plupart  des  feigneurs  &  prin- 
ces. Ses  manifeftes  contenoient  la  juftification  oe  fa 
conduite  ,  ôc  la  néceflité  où  il  s'étoit  trouvé  de  fe  portîex 
à  cette  violence. 

Le  duc  de  Lencaftre  ,  qui  étoit  pour-lors  en^  Flan- 
dre y  ayant  été  informé  de  k  nwrt  du  connétable  ^  ju- 
gea que  le  roi  de  Navarre  n  avoit  d'autre  parti  à  pren- 
dre que  celui  de  fe  jeter  entre  les  bras  du  roi  d'Angle- 
terre :  ij,  lui  dépêcha  un  de  ies  gens  chargé  de  l'engager 
à  lui  envoyer  quelques  perfonne  de  confiance  pour 
traiter  à  ce  fujeç.  Charles  répondît  à  cette  invitation  , 
en  faifant  partir  fon  chancelier ,  &  un  chevalier  nommé 
Friquet  (a)  :  il  donna  cotnmiflioo  en  même  -  temps  k 
deux  autres  de  fes  oficiers  d^  fe  içendre  à  Bruges  pour 
y  emprunter  de  l  argent  fur  des  joyaux.  Le  due  pron^rit 
aux  meifagers  du  Navarroi$  toute  Tafliftance  dont  il 
auroit  befoin  ,  tant  pour  le  préfenc  que  pour  l'avenir , 
^  le  fit  affurer  qu'il  feroit  fécondé  par  toutes  les  force$ 
de  l'Angleterre  :  il  preffa  même  le  chancelier  de  Na-. 
varre  de  paSer  à  Londres  avec  lui.  Heureusement  les 
éfets  ne  répondirent  pas  à  ces  magnifiques  promefTes. 

(tf)  Cd  Friqncc  fot  arâc<  quelque  temps  apxâs  •  lodqœ  1«  mi  s'sfllira  de  la 
pctfQwe  du.  roi  de  Navanre  ,  en  le  lurpreoant  k  Rouen  avec  pluïeuxs  feigneor»^ 
dont  qua^c  furent  décapités.  Friquet  fiibit  jplufîeurs  interrogatoires  ,  dont  les 
procis^verkaufront  été  conreryév-  ju(qa'à  prêtent  ^  il.  Ac  astiqué  i  \^  queAîon  » 
&L  pea€-£tfe  tncme  e&t-il  été  exéeu^^  %'û  ne  s'éook  (iauv«  du  châcekt  pai^  Vft-> 
drefTe  d'un  de  fes  domefliques.  C*efl  des  déportions  de  ce  chevalier  qu*ont  été. 
extraites  toutes  les  particularités  que  nous  avons  raportées  concernant  TaiTaflinat 
du  connétable,  ainfi  Que  tes  circonftances  d'un  comploc  ^e  le  xoi  de*  Navarre. 
avoii  formé ,  ^  dans  lequel  il  entraîna  le  dauphin. 


J      E      A      N         I   I.  47 

Le  premier  fecours  auquel  TAnglois  s'engagea  envers  ?****—? 
le  prince  y  dévoie  être  compofé  de  cinq  cents  hommes    Aon.  ijjj. 
d'armes  &  de  deux  cents  archers  ,  qui  reçurent  ordre 
de  fe  tenir  prêts  à  partir  à  fa  première  requifition. 

Pendant  ces  négociations  Cwrles  fortifioit  fes  places  j^.j^^ 
en  Normandie  ,  &  fe  préparoit  à  foutenir  la  guerre  : 
il  faifoit  venir  des  tfoupes  de  tous  côtés  ,  &  ne  négli- 
geoit  rien  pour  fe  procurer'  des  alliances*  Toutefois  , 
loit  pour  gagner  du  temps  y  foie  qu'il  ne  défefpérât  pas 
de  néchir  la  colère  du  roi ,  il  envoya  le  comte  de  îsTa- 
mur.à  Paris  ,  afin  de  fonder  les  dilpofitions  de  la  cour^ 
où  il  avoit  quantité  de  partifans  fecrets. 

Lorfque  le  roi  avoit  apris  raflaflînat  commis  en  la  Coicrcduroî, 
perfonne  du  premier  oficier  de  la  couronne  ,  prince  du  ["*^*^  ^'"" 
fane ,  fon  allié  &  fon  favori ,  il  s'étoit  abandonné  k  une  Ï^S  Navar^ 
douleur  fi  peu  mefurée  ,  qu'il  avoit  paiTé  quatre  jours  rois. 
fans  vouloir  parler  k  perfonne.  Dans  les  premiers  mou* 
vements  de  fa  colère  y  il  jura  de  tirer  la  vengeance  la 
plus  terrible  de  cette  perfidie  ;  mais  la  fituation  préfente 
des  afaires  ne  permettoit  pas  au  monarque  d'écouter  fon 
refTentiment  ou  fa  juftice.  Le  roi  de  iNavarre  par  lui- 
même  étoit  puiflant  :  il  poffédoit  en  Normandie  ^  & 
fur-tout  vers  les  cotes  maritimes  de  cette  province,  des 
places  &  des  forterefTes  k  la  bienféance  des  Anglois  :  en 
le  pouilant  k  bout ,  il  pouvoir  y  recevoir  ces  dangereux 
ennemis  de  l'Etat,  les  introduire  dans  le  cœur  du  royau- 
me ,  &  même  jufqu'aux  portes  de  la  capitale ,  près  de 
laquelle  il  tenoit  les  villes  de  Mantes ,  de  Meulan  &  de 
Pontoife.  Dans  cette  conjonâure  embarafTante  ,  le  roi 
prêta  Toreille  aux  follicitations  de  Jeanne  d'Evreux  , 
veuve  de  Charles  le  fiel  ,  &  k  celles  de  Blanche  de 
Navarre  ,  veuve  de  Philippe  de  Valois  ,  &  fœur  du 
Prince  coupable.  L'intercefnon  de  ces  princefTes  fut  fé- 
condée par  le  cardinal  de  Boulogne  ,  &  par  plufîeurs 
autres  feigneurs  &  prélats.  Ce  fut  dans  ces  circonflances 

aue  le  comte  de  Namur  vint  k  Paris  ,  chargé  de  la  parc 
u  roi  de  Navarre  d'obtenir  un  pardon  qu'on  n'etoit 
guère  en  état  de  lui  refufer.  Le  cardinal  de  Boulogne,  & 


4^  Histoire    de   France. 

=îî=  Pierre  diic  de  Bourbon  ,  furent  nommés  avec  d  autres 
Ann.  i3;5.    commîffaires  pour  travailler  à  régler  Jes  conditions  de 
cet  acommodement.     Le  roi  leur  donna  plein  pouvoir 
de  traiter  avec  le  roi  de  Navarre  &  fes  complices. 

On  découvre  dans  ce  traité  toute  la  foiblefle  du 
gouvernement  ,  le  malheur  du  prince  &  de  TEtat ,  & 
la  perfidie  des  miniflres  chai'gés  dé  le  conclure.  Par  les 
conventions  ,  qui  furent  arêtées  &  fignées  à  Mantes  ^ 
le  vingt-deux  Février ,  le  roi  acorda  au  roi  de  Navarre 
le  comté  de  Beaumont- le -Roger  ,  &  les  châtellenies 
de  Couches  ^&  de  .Breteuil  ^  feîgneuries  qui  aparte- 
noient  au  duc  d'Orléans  ,  frère  du  roi  ^  &  a  la  poflef^ 
fion  defquelles  ce  prince  renonça.  On  céda  de  plus 
Pont-Audemer  ,  le  Cotentin  ,  &  les  vicomtes  de  Va- 
lognes  y  de  Coutances  &  de  Carentan.  On  convint  ^ue 
le  roi  de  Navarre  pofféderoit  ces  terres  à  une  feule  foi  & 
hommage-lige  ,  &  en  pairie  avec  celles  qui  lui  aparte- 
noient  déjà  en  France ,  &  qu'k  Tég^f d  de  celles  de  fes 
terres  qui  étoient  fituées  en  Normandie  ,  il  les  tien-- 
droit  aufïï  noblement  que  le  duc  de  Normandie,  lorf^ 
Qu'il  y  en  avoit  un  ;  au'il  pouroit  avoir  deux  fois  Tan , 
dans  tel  lieu  de  fa  dépenaance  de:  la  Normandie  c^u'il 
lui  plairoit  de  choifir ,  un  échiquier  ou  cour  de  jufhce^ 
telle  que  les  anciens  fouverains  de  cette  province  la  te- 
noient.  [  L'échiquier  en  Normandie  étoit  une  jurifdic- 
tion  qui  ,  à  l'inllar  des  parlements  ,  jugeok  en  dernier 
reflbrt  tous  les  apels  des  juges  de  la  province  ]  Le  roi 
de  Navarre  devoit  être  mis  en  poflemon  de  ces  terres 
quinze  jours  après  qu'il  auroit  vu  le  roi.  Il  renonçoin 
en  échange  à  la  propriété  de  Pontoife  ,  ainfi  qu'à  la 
délivrance  qui  devoit  lui  être  faite  de  Beaumont-fur- 
Oife  &  d'Anieres.  On  arangea  le  paiement  de  tout 
ce  qui  lui  étoit  dû  d'arérages  de  plufîeurs  rentes  fur 
le  tréfor  :  on  lui  promit  de  faire  rédiger  par  écrit  les 
articles  de  fon  contrat  de  mariage  avec  Jeanne  ,  fille 
du  roi  y  ôc  de  faire  faixe  inceflamment  l'affiette  des 
douze  mille  livres  de  rente  en  terre  ,  faifant  partie  de 
la  dot  dp  cette  princelTe.  On  publia  une  amniftie  géné- 
rale, 


J      E       A      N         I   I.  49 

raie  ,   tant  pour  lui  que  pour   fes  adhérents.  Les  fei-  ■    ^ 

fneurs  de  Normandie  oui  avoient  eu  part  à  raflaflînat  ^*^-  'în- 
u  connétable  ,  eurent  la  liberté  de  devenir ,  s'il  leur 
plaifoit^  vaflaux  du  roi  de  Navarre.  Quelles  Conditions 
plus  avantageufes  ee  prince  auroit-il  pu  prétendre  ,  s^il  ^ 
«ût  rendu  au  roi  &  a  TEtat  les  fervices  les  plus  fîgna-- 
lés  ?  £nfin\  pour  comble  d'humiliation ,  on  lui  donna 
le  fécond  fils  de  France  en  otage  &  pour  garant  de  la 
sûreté  de  fa  perfonne  ,  tandis  qu'il  viendrpit  à  la  cour 
faire  au  roi  une  fatis&âion  aparente« 

Le  roi  de* Navarre  ayant  ainfi  pris  toutes  fes  sûre- 
tés ,  fe  rendit  à  Paris  ,  où  le  roi  tint  fon  lit  de  juftice  : 
ce  prince  criminel  comparut  dans  Paflëmblée  du  par- 
lement y  k  laquelle  afiiftoient  les  pairs  du  royaume  ^  & 
{>lufieurs  gens  du  confeil.  Là  j  s'adrefTant  au  roi  ^  il 
e  pria  de  lui  pardonner  la  mort  du  connétable  ^  fou- 
tenant  cependant  qu'il  n'avoît  fait  cbnlmettre  ce  meurtre 
que  pour  une  caufe  très -légitime  ,  dont  il  ofrit  d'inf- 
truire  fa  majefté  ,  quand  il  lui*plairoit  de  l'entendre. 
Il  ajouta  qu'au-refte  il^n'avoit  point  prétendu  violer 
par  cette  aaion  le  f efpeà  dû  à  la  majefté  du  fouverain. 
Après  qu'il  eut  prononcé  d'une  voix  alTurée  cette  froide 
e^ufe  ,  Jacques  de  Bourbon  ,  nouveau  connétable  , 
mit  la  main  au  roi  de  Navarre  du  commq§dement  du  ' 
roi ,  c'efl-à-dire  ,  l'arêta  ,  &  le  conduifit  dans  une  falle 
prochaine.  Les  deux  reines  y  Jeanne  &  Blanche  ^  en- 
trèrent enfuite  y  &  s'inclinèrent  devant  le  roi  :  Regnaulc 
de  Trie  ,  dit  Patrouillard  ,  s'étant  profterné  devant  le 
trône  y  &  parlant  au  nom  des  princefTes  y  implora  la 
clémence  du  monarque  en  faveur  du  roi  de  Navarre. 
Après  qu'il  eut  ceffe  de  parler  ,  le  connétable  &  les 
maréchaux  eurent  ordre  de  faire  rentrer  le  prince  :  il 
reparut  au  milieu  des  deux  reines.  Le  cardinal  de  Bou- 
logne prenant  alors  la  parole  pour  le  roi ,  dit  :.  Mon-^ 
feigneur  de  Navarre  ,  nul  ne  Je  doit  émerveiller  fi  le  roi 
de  France  s^efi  tenu  pour  niai-content  de  vous  pour  le 
fait  qui  efi  advenu  y  [  lequel  il  convient  ja  que  je  die  , 
puijque  vous  Pavés  fi  publié  par  vos  lettres  ,  &  autrement 
Tome  V.  Q 


^o  Histoire.de   France, 

'  par-^tout  s  g^^  chacun  le  fçait  ]   car  vous  êtes  tant  tenu 

Ann.  1J5}.    ^  f^i  ^^^  ji^  /^  dcujfics  avoîr  fait,  t^ous  êtes  defon  fans 

Jl  prochain  çue  chacun  le  fçait  ,  vous  êtes  foh  homme  Qi^ 

fonpairn  ^  Ji  avés  époujé  fa  fille  y  &  de  tant  avés^vous 

plus  méprins  :   toutefois  pour  Vamour  de  mefdames  les 

roynes  qui  cy  font  ,    qut  moult  affeSueufement  Ven  ont 

prié  Ci  aujjî  qu'il  tient  qn/e  vous  Vavés  fait  par  petit  con- 

Jeil ,  il  vous  pardonne  de  bon  cœur  &  de  oonne  volontés. 

A  ces  mots,  les  reines  &  le  roi  de  Navarre  fe  mirent 

à  genoux  devant  le  roi ,  &  lui  rendirent  grâces.    Le 

cardinal  de  Boulogne  ajoute  ,  qu'aucun* du  lignage  du 

roi  iSu  autre  ne  s'avanturât  dores^en-avant  de  faire  tels 

faits  comme  le  rot  de  Navarre  avoit  fait  ,*  car  vrajmmt 

s^ïl  advenoit  y  Çf  fût-^il  k  fils  du  roi  qui  le  fît  du  plus 

petit  oficier  que  le  roi  eût  y  fi  en  jf^roit-il  jufiidé  :  Çf 

adonc  la  cour  fe  départit.    Ce  fut  ainii  que  le  termina 

cette  repréfentatîoQ  théâtrale  ,   honteux  palliatif  ^  qui 

ne  réparoit  pas  Toutrage  feit  à  l'autorité  royale  ,  &  à 

la  fainteté  des  loix.  Lt  roi  de  Navarre ,  fuivant  ce  que 

raporte  le  continuateur    de  Nantis  y  fonda  plufieurs 

chapelles  ,  où  l'on  célébroit  des  (ervices  pour  le  repos 

de  Tame  du  connétable. 

Panîtîon  d*an      On  donna  dans  ce  même  temps  un  exemple  de  la 

vS!^""   -févérité  delà  juftîce  par  le  châtiment  public  d'un  fêi- 

chron.  MS.  g^eur  de  roitou ,  qui  avoit  Taudace  de  s'ériger  en  petit 

du  roi  Jean,     fouvcrain  ,  mais  dont  le  pouvoir  étoit  trop  ïbible  pour 

Jèî^d^'^arUm  ^^^^^^  ^^^  ^^^^  .^  ^^  taire.  Ce  gentilhomme  s'apeloit 
7.reg.foL%\  Regnault  de  PreifCgny  :  il  étoit  feigneur  de  Marans  près 
yoL  1.  de  la  Rochelle.  Il  n'y  avoit  aucune  efpece  de  concuf- 

iions  ,  d'injufiice  &  de  barbarie  quM  n^eût  exercée 
dans  Tes  domaines.  Il  rançonnoit  tous  les  habitants  » 
faifoit  conduire  en  prifon  ceux  qui  refufoient  de  lui 
payer  les  fommes  qu^il  exigeoit  ;  &  s'ils  perfiftoient 
dans  leur  refiis  ,  il  les  faifoit  traîner  au  fuplice.  Il  en 
avoir  fait  ainfi  exécuter  plufieurs  y  quoiqu'ils  apelafTent 
à  la  juftice  du  roi.  Il  diioit  en  plaifantant,  lorlqu'il  les 
envoyoît  à  la  mort  ,  que  s'il  ne  les  faifoit  pas  mourir 
conformément  au  droit ,  c'étoit  à  tort ,  jure  aut  injuria  »* 


J      E       A      N      I    I.  51 

il  atâcjuoic  de  même    jufgu'aux  religieux  qu'il   empri-  ,     .    . 

fonnoïc,  pour  obliger  enfuite  les  monafteres  de  les  ra-    Ann.  ij^, 
checer  ,  ne  les  laiSant  aller  qu'après  leur  avoir  crevé 
un  œuil ,  araché  la  barbe  ,  &  avoir  aflbuvi  fa  cruauté  . 

.  par  d^ndignes  outrages.  Ce  fcélérat  fut  enfin  arête  lui- 
même  ,  enfermé  au  châtelet,  &  condamné  à  être  pendu 
par  arêt  du  parlement  ,  auquel  aflifterent  ,  ayec  les 
confeillers  de  la  cour,  plufieurs  princes  du  fang ,  ducs, 
comtes  ,  barons  y  maîtres  des  requêtes  ,  &  maîtres  de 
la  chambre  des  comptes.  Ce  jugement  peut  donner  une 
idée  des  abus  qui  régnoient  encore  dans  les  jurifdiétions 
fu  bai  ternes  des  feigneurs. 

Cette  année  fut  remarquable  par  un  violent  tremble-  Tremblement 
ment  de  terre  qui  fe  fit  lentir  en  diférentes  parties  du  ^^  f^."^* 
monde  :  on  en  éprouva  plufieurs  fecouffes  k  Kheims  &  5^',^'^lif"""* 

raris  ,  mais  oui  ne  caulerent  pas  de  dommages  con- 
fidérables.  Ce  rut  en  'AUemaene  due  ce  mouvement 
intérieur  du  globe  produifît  les  plus  fâcheux  éfets  : 
plufieurs  villes  &  châteaux  furent  renverfés  :  la  ville 
oe  Bafle  fut  détruite  de  fond  en  comble.  La  plupart 
des  habitants  périrent  fous  les  ruines  de  leurs  édifices. 
Après  le  tremolement ,  il  fortit  du  débris  des  maifons 
un  feu  qui  dévora  les  matériaux  ,   &  les   réduîfit  en 

•cendres.  Lorfque  de  nos  jours  la  ville  de  Lîlbonne  a 
été  détruite  en  partie  par*  un  femblable  accident  ,  le 
fcvL  s*exhaloit  k  travers  les  décombres  des  bâtiments 
abymés.  • 

On  pouvoir  dès -lors  voir  le  commencement  de  ces    Ann.  1354. 
intrigues  ,   &  des  menées  fourdes  qui  préfageoient  &    Rcconiiation 
préparoient  les  malheurs  du  royaume.  La  trahifon  Vé-  JJ^hScISf?^ 
toit  gliflée  jufque  dans  le  confeil  du   roi.    Le  comte  avec  le  roi. 
d'Harcourt  &  Louis  ,  fon  frère  ,  qui  avoient  toujours     Froijfard. 
été  atachés  &  unis  d'intérêts  au  roi  de  Navarre  ,  le  ré-  sfvenTs^'  ^' 
Concilièrent  tout-d*un-coup  avec  le  roi  de  Fra;nce,  fans    \hronMS. 
ou'on  pût  foupconner  les  motîft  de  cette  réconciliation,  du  roi  Jeu 
v^es  feigneurs  dévoient  ,•  dit-on  ,  révéler  au  monarque 
plufieurs  fecrets  importants  ,   entr'autres  tout  le  tiflu 
du  complot  formé  contre  Charles' d'Efpagne.  Les  fuites 

G  i j 


ean. 


^1  Histoire   DE   France, 

■  ■  ?  de  cette  découverte  éclatèrent  peu  de  temps  après.  Le 

Aan.  tj54.  cardinal  de  Boulogne  ,  qui  avoit  trahi  vifiblement  W 
gloire  &  les  intérêts  de  fon  prince  dans  le  traité  défa- 
vantageux  conclu  à  Mantes  avec  le  roi  de  Navarre , 
fut  diferacié  ,  &  partit  pour  Avignon.  Robert  de  Lor- 
ris  ,  chambellan  du  roi  ,  fe  déroba  par  une  prompte 
fuite  au  courroux  du  monarque.  Dépofitaire  des  feçrets 
de  fon  maître ,  il  avoit  eu  la  lâcheté  de  les  vendre  au 
roi  de  Navarre  ;  âc  ^  ce  qui  fur-tout  excitoit  le  reffen- 
timent  du  roi  ,  il  avoit  été  pleinement  informé  de  Pa- 
tentât médité  &  exécuté  contre  les  jours  du  connétable» 
Le  roi  ne  put  jamais  pardonner  dans  le  fond  de  fon 
cœur  à  ceux  qui  avoient  eu  part  à  cet  afTaflinat  :  con- 
traint de  diflimuler  Tafront  qu'on  lui  avoit  fait  dans 
la  perfonne  de  fon  favori ,  il  avoit  remis  à  des  circon- 
fbnces  plus  favorables  la  vengeance  de  cet  outrage.^ 
Le  roi  de  Na-  Le  roi  de  Navarre ,  qui  avoic  des  intelligences  jufque 
varrc  quitte  la  dans  le  confeil  fecret  ,  fut  informé  que  Pon  prenoit 
îîî[^u?AyV  ^"  mefures  pour  le  faire  arêter.  Il  partit  fubitement 
gnon,oi2ii(ie.  de  la  cour  ^  &  fe  retira  d'abord  en  Normandie  ;  mais 
meure  caché,  ayant  apris  que  le  roi  aiTembloit  des  troupes  à  Rouen 
liidem.  ^  ailleurs ,  dans  le  deffein  de  le  furprendre  ,  il  aban- 
donna cette  province  ,  &  fe  rendit  (ecrétement  à  Avi- 
gnon 9  où  le  tenoient  alors  les  conférences  pour  la 
paix  entre  les  irlinifbes  do  France  &  d'Ânsleterre. 
Pendant  le  féjour  qu'il  fit  dans  cette  ville ,  il  demeura 
caché  dans  les  hôtels  des. cardinaux  d'Oftie  &  de  Bou- 
logne :  il  fe  rendoit  toutes  les  nuits  che2  le  duc  de 
Lencaflre  ,  plénipotentiaire  d'Edouard  :  c'efl:  là  qu'il 
émployoit  les  renburces  &  les  manœuvres  que  lui  liig- 
géroit  fon  génie  inquiet  &  turbulent  ,  &  qu'il  s'éfor- 
coit  de  traverfer  autant  <ju'il  pouvoit  les  négociations.. 
Les  deux  cardinaux  ^  mmiftres  du  pape  ^  en  donnant 
un  afvle  obfcur  à  ce  prince ,  ne  fe  rendoient  que  trop 
fufpeâs  de  partialité.  Néanmoins  le  roi  de  Navarre  , 
malgré  fcs  intrigues-,  ne  put  empêcher  qu'on  ne  proro- 
geât la  trêve  pour  une  année. 

Le  roi  prit  enfin  le  parti  d'éclater  contre  un  prince 


J      E      A      N         I   I.  -  ^j 

dont  la  conduite  ne  méritoît  plus  aucun  ménagement.  55== 
Four  cet  éfet  il  fe  rendit  à  Caen  ,   &  fît  ordonner  la   Ann.  15^4. 
faifie  de  toutes  les  terres   pollédées  par  le  Navarrois  :     }^  ^î  fei« 
les  oficiers  du  roi  furent  chargés  de  s'en  emparer.  Mal-  ju îoi  dV  >ï^ 
heureufement  ce  n'étoit  qu  une  faifie  juridique.  Charles  varrc. 
avant  fon  départ  avoit  pris  foin  de  faire  fortifier  fes 
places  &  de  les  munir  de  garnifons  nombreufes.    On 
méprifa  des  ordonnances  fi  mal  apuyées.   Les  princi-* 
pales  villes  ,  telles  qu'Evreux  ,  Pont-^udemer  ,  Cher- 
pourg  ,   Gauray  ,   Avranches  &  Mortagne  refuferent 
d'ouvrir  leurs  portes.    Les  gouverneurs  de  ces  places 
répondirent  à  ceux  qui  fe  préfenterent  de  la  part  du 
roi ,  qu'ils  ne  les  rendroientau'au  roi  de  Navarre  ,  .leur 
feignèur  y  qui  les  leur  avôit  aonnées  en  garde. 

Cependant  Charles  le  mauvais  négocioit  une   ligue  Retour  du  roi 
avec  rAngleterre.  Le  duc  de  Lencaftre  avoit  reçu  aE-  ^^  Navarre, 
douard  un  plein  pouvoir  de  traiter  avec  ce  prince,  qui  ^y^-^^^p^^^ 
après  avoir  palTé  quelque  temps  à  la  cour  a  Avignon  ,  '^lik/on^ids. 
partit  pour  le  rendre  dans  fes  Etats  de  Navarre ,  où  il  Froiff.  &c. 
raflembla  des  troupes  &  vint  enfuite  débarquer  à  Cher- 
bourg ,  à  la.  tête  de  deux  mille  hommes  d'armes.  Avant 
?[ue  ce  prince  fe  fût  mis  en  état  de  défenfe ,  il  eût  été 
acile  au   roi  de   l'acabler  avec    toutes  les  forces  du 
royaume.  La  trêve  fubfiftoit  encore  avec  l'Angleterre  ; 
un  éfort  médiocre  eût  fufi  pour  réduire  ce  pnnce  ,  & 
le  mettre  hors  d'état  de  nuire  :  fa  ruine  eût  fauve  l'E- 
tat. Mais  le  roi,  content  de  l'avoir  menacé  par  la  con- 
damnation prononcée  contre  lui  ,  n'avoit  pas  cru  qu'il 
falût  une  puifTante  armée  pour  faciliter  l'exécution  d'un 
pareil  arêt.  Telle  étoit  la  mauvaife  politique  d'un  mo-^ 
narque  imprudent ,  que  les  événements  furprîrent  pref- 
que  toujours ,  &  qui  ne  fe  déterminant  jamais  qu  à  la 
dernière  extrémité  ,  fe  privoit  par  fa  précipitation  des 
refiburces  que  lui  eufient  procurées  facilement  plus  de 
fermeté  dans  fa  conduite,  oc  des  précautions  plus  fages. 

Cependant  Charles  ,  de  retour  en  Normandie  avec  Nouveau  traf- 
des  forces  confidérables  ,  menacoit  de  faire  une  vigou-  jtNawrJ*^ 
reufe  réfiftance  :  les   troupes  Navarroifes  qu'il   avoit      lujim.]. 


54  Histoire   de   France, 

:  !  amenées  faifoient  deç  courfes  continuelles.  La  ville  de 

Ann.  I5J4.  Conches  ,  la  feule  des  places  du  roi  de  Navarre  dont  le 
roi  s'étoit  emparé  ,  fut  reprife.  D'un  autre  côté ,  le 
duc  de  Lencaftre  s'avança  jufqu'aux  ifles  de  Jerfey  & 
de  Grenefey  ,  dans  l'intention  de  profiter  des  circon- 
flances  &  de  faire  peut-être  malgré  la  trêve  une  irrup- 
tion dans  la  province  de  Normandie  ,  dont  Tentrée 
alloit  lui  être  ouverte  pour  peu  qu'où  prefsât  trop  le  roi 
de  Navarre.  Que  faire  dans  une  pareille  circonuance  ? 
Il  falut  recourir  aux  négociations  :  on  fut  trop  heureux 
d'acheter  la  paix  de  ce  prince  qu'on  venoit  de  condam^ 
ner.  Jacques  de  Bourbon  comte  de  Ponthieu  ,  conné- 
table  de  France ,  &  le  duc  d'Athènes ,  Tallerent  trou- 
ver ,  munis  de  pleins  pouvoirs  pour  traiter  avec  lui. 
Ils  fe  rendirent  a  Valogne ,  &  y  conclurent  un  acom- 
modement ,  par  lequel  le  roi  de  Navarre  promit  de  fe 
préfenter  devant  le  roi  .&  de  lui  parler  en  public  avec 
obéi/Jancc ,  révérence  &  honeur  ,  en  le  priant  de  lui  par- 
donner ,  ainfi  qu'à  fes  frères ,  &  à  tous  ceux  qui  étoient 
entrés  dans  fon  parti  :  il  devoit  aufli  pour  la  forme  fu- 
plier  le  roi  de  lever  la  faifie  de  fes  terres.  Le  roi  par 
ce  même  traité  acordoit  un  pardon  général  y  cane 
pour  Charles  que  pour  fes  adhérents  :  dans  cette  am- 
niftîe  on  avoit  compris  non-feulement  la  défobéifTance  ^ 
mais  encore  les  crimes  de  léfe-majefté  contre  la  per- 
fonne  du  roi  &  contre  l'Etat.  Le  roi  de  Navarre  avoit 
fourni  la  lifte  de  tous  ceux  qui  dévoient  jouir  de  cette 
grâce  :  leur  nombre  montoit  à  trois  cents.  Ceux  qui 
avoient  conclu  le  précédent  traité  de  Mantes  étoient  men- 
tionnés dans  cette  lifte  ^  témoignée  non-fufpeâ  de  leur 
perfidie.  On  y  voit  le  duc  de  JBourbon  >  le  cardinal 
de  Boulogne  ,  Geofroi  de  Charry ,  Robert  de  Lorris , 
&  le  Cocq  évêoue  de  Laon.  Quelle  condition  plus  dé- 
plorable que  celle  d'un  prince  environné  de  traîtres  , 
&  qui  trouve  fes  plus  grands  ennemis  dans  ceux  qu'il 
honore  de  fa  confiance  !  Le  roi  de  Navarre  s'engageoit 
de  plus ,  à  renouveller  fes  proteftations  d'obéiflance  & 
idp  fidélité   au  roi   en  préfence    des  reines   Jeanne  & 


J      E      A      N         I   I.  ^tj 

Blanche  ,  du   dauphin  9  du  comte  d'Anjou  ,  du  duc  ' 

d'Orléans  ,  du  comte  de  Foix  ,  du  connétable  &  du  ^^'  ^^^^ 
chancelier  :  tous  les  princes  &  feigneurs  du  fang  dé- 
voient confirmer  &  garantir  ces  conventions  par  fer* 
ment  :  les  oficiers  du  roi ,  dont  la  lifte  eft  inférée  dans 
le  traité  ,  étoient  obligés  de  jurer  de  ne  jamais  con- 
feiller  au  roi  d'y  contrevenir.  Les  articles  de  Tacord 
de  Mantes  concernant  les  intérêts  du  roi  de  Navarre , 

3ui  n'avoient  point  été  exécutés ,  font  rapelés  dans  ce 
ernier  traité  :  toutes  les  fommes  qui  lui  étoient  dues 
par  le  roi  font  évaluées  à  cent  mille  écus. 

L'acommodement  étant  terminé ,  le  roi  de  Navarre 
alla  trouver  le  dauphin  au  Vaudreuil  ^  &  fe  rendit  à 
Paris  avec  ce  prince.  Il  fe  préfenta  devant  le  roi ,  qui 
pour-lors  ^toit  logé  au  Louvre  :  après  de  légères  excu- 
lès  fur  ce  qui  s'étoit  ]>afré  y  il  {>rotefta  que  depuis  la 
mort  du  connétable ,  il  n'avoit  rien  fait  dont  le  roi  de 
France  eût  fujet  d'être  mécontent.  II  fuplia  le  roi  de 
vouloir  lui  pardonner  &  le  tenir  en  fa  grâce ,  &  promit 
(ju^il  lui  ferait  bon  Qf  loyal  comme  fils  doit  être  à  fon 
père  ,  Çf  vajfal  à  fon  feigneur.  Adoncques  ,  dit  un  de 
nos  anciens  hiftoriens ,  lui  fit  dire  le  roi  de  France  par 
le  duc  d^ Athènes  j  çu^il  lui  pardonnait  de  bon  cœur.  Le 
roi  parut  fatisfait  ou  feigniMe  Têtre  ,  de  ces  protefta- 
tions  de  la  part  d'un  prince  à  qui  les  ferments  ne  coû- 
toient  rien.  • 

On  étoit  fur  le  point  de  voir  recommencer  la  guerre 


qu'à  produit 

une  prorogation  de  la  trêve  pour  une  année  ,  &  cette 
trêve  alloit  expirer.*  L'hiftorien  d'Angleterre  ,  quelque 
partial  qu'il  foit  en  faveur  de  cette  nation  ^  ne  peut 
s'empêcher  de  laifler  entrevoir  que  le  plus  grand  obfta- 
de  à  la  paix  étoit  ocafionné  par  les  difpofitions  d'E- 
douard. Quoique  les  avantages  qu'il  avoit  remportés 
fur  la  France  femblalTent  lui  donner  la  fupériorité ,  un 
motif  puiflanç  l'avoit  empêché  jufqu'alors  de  renou- 


5^  Histoire    DE   France^ 

■  vêler  la  çuerre  :  il  fkloit  qu'avant  tout  ,  il  mît  fin  aux 
Mn.i^U'    inquiétudes   qui  le  troubloient  dans  Tintérieur  de  fes 
Etats.  La  prifon  de  David  de  Brus  ^  &  la  dernière 
.  vidoire   remportée  fur  les  EcoiTois  ,   n*avoient  pu  les 
réduire.   Il  voyoit  cette  fiere  nation  toujours  les  armes 
à  la  main,  &;  prête  à  faire  une  irruption  en  Angleterre 
pour  peu   qu'il  s'en  éloignât  :  c'en  ce  q^ui  Tavoit  fait 
çonfentir  que  fes  députés  aiTçmblés  à  G  urnes  avec  ceux 
du  roi  de  France  ,  prolongeaflent  Tarmiftice  depuis  le 
mois  d'août  13^4  jufqu'à  l'année  fuivante.  Le  cardinal 
de  Boulogne  ,  médiateur  nommé  par  le  pape  ,  étoit 
préfent  à  cet  acommodement.    Rapin  Thoiras  prétend 
que  le  roi  avoit  ofert  de  céder  à  Edouard  la  Guienne 
&  les  comtés  d'Artois  &  de  Guines  en   toute  fouve- 
raineté  ,   fans  en  faire  hommage  à  la  cd\ironne  de 
France  ;  mais  bientôt  i  ajoute-t-il ,  pour  U  malheur  de 
la  France  &  le  Jîen  propre  ,   il  rompit  brufquement  la 
négociation  commencée.  Ce  que  cet  écrivain  avance  n'eft 
apujré  fur  aucune  preuve  ,   &  fe  trouve  au  contraire 
deftitué  de  toute  vraifemblance.  Les  aâes  publics  d'An- 
gleterre qui  raportent  généralement  tout  ce  qui  con- 
cerne l'intérêt  des  deux  Etats  ,  les  pouvoirs  donnés  par 
Jean  &  par  Edouard  à  leurs  plénipotentiaires  ,   leurs 
plaintes ,  leurs  juftification#&  leurs  prétentions  refpec- 
tives  ,  ne  font  aucune   mention  de  ces  ofres   préten- 
dues. Quelles  raifons  auroieot  pu  forcer  le  roi  d'ache- 
ter la  paix  à  des  conditions  fi  défavantageufes  ?  Ce  fut 
prefque  tout  ce  que  le  vainaueur  de  Poitiers  put  ara-, 
cher  de  la  trifte  fituation  ou  la  prifon  du  roi ,  la  mi- 
fere  du  royaume  ,  nos  divifions  inteftines  ,  &  la  fureur 
de  la  nation  conîurée  contre  elle-même  réduifirent 
l'Etat. 

Pendant  cette  dernière  année  de  trêve ,  Edouard  fe 
^répara  férieufement  à  recommencer  les  hoftilités.  Il 
Te  hâta  de  conclure  avec  l'Ecofle  un  acommodemenc 
qui  pût  le  tranquilifer  à  cet  égard-  Les  Ecoflbis  invio-r 
lablement  atachés  à  leur  fouverain ,  ne  voulurent  con-r 
feiïtir  à  la  paix  qu'à  condition  qu'il  feroit  mis  eii  lir»  ' 

berté. 


g 


T      £       A      N         I   I.  ^J 

berté.  Edouard  avoit  peine  k  leur  acorder  cet  article  ;  — sïsss: 
mais  leur  fermeté  l'y  contraignit.    Il  s'engagea  donc    A»"-  Mf4- 
par  le  traité  à  délivrer  David  ,  moyennant  une  rançon    J^*"-  ^*' 
de  quatre-vingt-dix  mille  marcs  d'argent  payables  dans  ^^[  ^^^\* 
le  cours  de  neuf  années  ;  mais  on  eut  loin  d'inférer 
dtt  reftriâions  qui  retardèrent  fous,  diférents  prétextes 
la  délivrance  du  roi  d'Ecoffe  :  ce  prince  demeura  en* 
core  prifonnier  pendant  plus  de  trois  années. 

Edouard  cependant  dont  toutes  les  vues  ne  tenàoient  conférences 
qu'à  furprendre  le  roi  de  France ,  témoignoit  publique*  pw^*  pau- 
ment les  difpofitions  les  plus  favorables  à  la  paix.  Les 
miniflres  des  deux  fouverains  étoient  convenus  de  fe 
raflembler  à  la  cour  d'Avignon  avec  de  nouveaux  pou- . 
voirs.  Le  monarque  Anglois  renvoya  fes  plénipoten- 
tiaires avec  des  inftruâions  'plus  amples  ,  jufqu^à  ofrir 
même  de  s'en  raporter  pour  la  déciiion  de  fes  diférends 
avec  le  roi  ^  à  l'arbitrage  du  pape  Innocent  ;  mais  il 
^rok  par  plufieurs  lettres  de  ce  fouverain  pontife 
adreiTées  au  roi  d'Angleterre  avant  &  après  les-confé* 
rences  qui  furent  tenues  à  ce  fujet ,  qu'Edouard  avoit 
mis  à  la  conclufion  du  traité  des  conditions  qui  la  rén- 
doient  impraticable.  Ce  prince  y  toutefois  voulant  témoi- 
fi^ner  encore  plus  de  fincerité  ,  afeâa  de  faire  intervenir 
les  prélats  &  la  plus  grande  partie  de  la  nobleffe  dans 
les  négociations  qui  fe  traitoient.  Le  recœuil  des  aâes 
publics  d'Angleterre  contient  plufieurs  lettres  de  pro- 
curation (ignées  par  le  cierge  &  par  la  plus  grande 
partie  de  la  noblene  Angloife  y  dont  les  députés  avoient 
ordre  d'affifter  de  leur  part  aux  conférence  tenues  à 
Avignon  y  &  de  ratifier  ,  en  leur  nom  fous  l'autorité 
du  roi ,  les  conditions  de  paix  quL  feroient  arêtées  dei- 
vant  les  commiiTaires  nommés  a  cet  éfet  par  le  faint 
père.  Le  monarque  politique  avoit  plufieurs  vues  en 
autorifant  une  pareille  démarche  :  il  fe  Juftifioit  d'a^  , 
vance  des  jufïes  reproches  ^u'on  pouroit  lui  faire  dans 
la  fuite  y  d'avoir  y  pour  fatisfaire  uniquement  fon  am^ 
bition  y  perpétué  une  guerre  également  ruineufe  pour 
les  deux  partis.  En  apdant  ainfi  les  premiers  ordres  de 
Tome  V.  H 


,1^  Histoire  DE    France, 

VEtaç  pe^y  g4rani:8  die  f:*  conduite  ,  U  çn  ijnpdfpit  ;^ 
A^i;.  1554.    fep  fujets  par  cçfce  confiance  ,  ^  les  ani^ioit  d'aut»f|t 
;plus  ^  fçcotider  fes  éforts  pour  foutepif  yne  querelle 
étrftngçfç  à  Piotérêt  de  la  nittion.    Mjii?  loffi|u'il  fut 
quçftion  de  réglçr  U$  îirticles  du  traita,  feg  n\m^re§  , 
.ftwls  déppfitaixes  ^ç  fes  véri^bles  intçncipns  ,  «fejpnt 
4ç  t»iit  de  déçQurs  ,  fïiukipUerent  fi  fort  ks  difiçuffçs, 
&  avancçrenç  des  dçmandes  fi  eiçorbit^ntQç  ,  qu'U  fut 
fi^dU  dVugurçf  la  fuite  dçs  conférence^.  11$  rapçlerent 
alors  les  ofrçs  prétendueç  .  de  la  cçflioi»  d<?  la  Muiçnne 
&  des  comtés  d'Artois  &  de  Guinw  çn  touç^  fouvp- 
jraineté.  Qç  conçoit  aifégieiiç  que  ces  prétenppns  excçf- 
fives  matiifeiloieni  trpp  puvçrçem^nt  le  pgu  de  difpo- 
iition  que  TAnglois  àporcoit  ï  la  paiï  :  on  çeJSa  de 
part  '$t  d'autre  ^  ni^goçier  pour  n^  iongçr  qu'^  repren- 
dre les  armes. 
Ann.  rj5f.        La  çrevç  ne  fut  pas  plutôt  expirée,  que  le  pripçç  de 
Edouard  paffc  Galles  qui  venoU  de  recevoir  du  roi  fon  père  la  lieutf^ 
tagc^î?BoÛI  nance-générale  du  duché  de  Guie«nç  ,  ftt  fes  prépara- 
lonnois&rAr-  tifs  pour  paffer  dans  cette  province ,  tandis  qu'Edouard 
ria  r^^ h"?  ^^^^^  ^^^  ^*  ^^^^  ^  ^^^  aébarquer  ^  Calais  avec  une 
roitTrcJaflï  armée  confidérable  pkh  tête  de  laquelle  il  ravagea  Ip 
CQ  Angleterre.  Boulonnois  &  TAftois  j  &  s'avança  jufqu'à  Hefdin  fur 
chron.Ms.  içs  frontières  de  la  Picardie.  Il  fawgea  &  twrula  les 
</^Mi"^4''S/^^virons  de  la  place  dont  il  ne  put  s'eioparer.  1L§  rai 
[  cependant  raflembloît  fes  forces  :  la  ville  d'Amiens  fut 
indiquée  pouJ^  le  rendez-vous  des  troupes,  Jean  ayant 
formé  fon  armée  ,  vint  préfenter  la  bataille  aux  enr 
fiemis  ;  mais  le  roi  d'Angleterre  né  jugea  pas  a  propjos 
de  s'e^pofer  k  l'événement  d'un  combat  :  il  fç  retira 
précipitamment  L'armée  Françoife  le  pourfuivit  jufqu'à 
Saint-Omer  ,  d'où  ^e  roi  l'envoya  défier  pat  le  maré- 
chal d'Andreghen  &  par  plufieurs  chevaliers ,  lui  ofrant 
de  le  conxbatre  corps  à  corps  ,  ou  pçuvoir  contre  pow^ 
voir ,  comme  on  s'e:)cpftmoit  alors  ,  c'eft-à-dire  avec 
leurs  forces  refpcâiveç*  Edouard  fatîsfait  d'avoir  couru 
&  pillé  quelques  provinces  ^  refufa  le  défi ,  ôc  répondit 
qu'il  avoic  aJOTez  attndu  iaiis  que  perfonne  vint  à  la 


J     K      A      IT        IL        '•  {^ 

rencontre  >  &  qu*il  n'atendroit  pas  davantage.  Aptes  dette    '"' 
défaite  ^  que  les  hiftoHens  les  plus  favorables  k  'té    Ann.  155;. 

S  rince  ,  faute  de  meilleure  jûftihcâtion ,  fe  contentent 
e  révoquer  en  doute  ,  quoiqu'elle  fôic  ateftée  par  tou» 
les  écrivains  Contemporains  ,  TAnglois  fe  retira  ver* 


contemporaîf 
bientôt  on  lé 
qu'il  reçut  de  la  prife  de  Berrich  par  les 


ne. 

Ibidem, 


Calais ,  d'où  bientôt  on  lé  vit  rcpaflbr  k  Londres  ,  fur 

les  nouvelles  qu'il  reçut  de  la  prife  de 

EcoiIbis« 

Dans  le  même -temps  que  le  roi  d'Angleterre  âta-  Dcfccntcda 
quoit  la  Franco  du  côte  de  l'Artois  &  de  la  Picardie ,  prince  de  Gal- 
le prince  de  Galles  fit  une  irruption  4^ns  la  Gafcogne ,  '^^  ^"  ^^^^^' 
dërola  les  environs  de  Toulouie  ,  de  Nàrbonne  &  de 
CarcaiTonne  i  &*  revint  à  Bordeaux  ,  emmenant  avec 
lui  quantité  de  prifonniérs ,  &  chargé  d*un  butin  confî- 
déraole.  Le  prince  fit  ces  côurfes  fatts  rencontrer  aucun 
cbftacle  ;  quoique  le  nombre  des  troupes  Françoifes 
fût  fupérieur  aux  fiennes.  Il  fut  redevable  de  cet  avan- 
tage à  la  niéfintelligence  qui  divifoit  les  générauk 
François.  Ces  chefs  étoient  Jacques  de  Bourbon  con*- 
nétable  de  France  ,  le  maréchal  de  Clermont ,  le  comte 
d'Armagnac  lieutenant  du  roi  en  Languedoc  ,  [  il  avoit 
fuccédé  au  roi  de  Navarre  dans  cette  commiflion  ,  ]  & 
Gaflon  Phœbus  comte  de  Foix.  Ce  dernier  quelque 
temps  auparavant  avoit  été  Conftitué  prifonnier  au  Cnâ* 
telet  pour  raifon  de  là  mouvance  de  fes  terres.  Après 
un  mois  de  captivité ,  le  roi  qui  l'avoit  fait  arêter  ,  lui 
rendit  la  liberté ,  &  fut  affeï  imprudent  pour  lui  con- 
fier le  commandement  d*unQ  partie  de  fès  troupes  en 
Languedoc. 

Ce  n'étoit  pas  aflez,  pour  le  malheur  de  la  Frànôe  ,  conjuration 
d'être  menacée  au*-dehors  d'une  guerre  plus  obftinée  &  formée  par  ic 
plus  fanglante  encore  qu'elle  ne  Tavôit  été  fous  le  règne  ~i^<=Navarrc. 
précédent  :  les  Anglois  n'étoient  pas  les  plus  dangereux  rap!^'J^nsUs 
ennemis  du  roi  &  de  TEtat  ;  il  faloit  pdur  combler  nos  Mém.  de  Uu. 


difgraces  ,   que  Tintérieui'  du  royaume  fût  infeôé  par  ^„^^f 'j'^^f 
le  poifoti  lent  &  couvert  de  là  haine  &  de  la  perfidie,  ^arrt'. 
Le  roi  paroifFoit  à»ocuper  uniquement  des  fôin$  nécef- 
fairesà  la  défenfe  de  TEtat  :  il  viroit  iranquile  aa  mi- 

Hij 


ëo  Histoire  de   Frakcs; 

Ann.  ij 55.  jj^^  jçj  u^^g  fjy.  |j^  fidélité  defquels  il  comptoit ,  [  car 
un  des  défauts  dominancs  du  caraâere  de  ce  prince, 
extrême  en  tout ,  étoit  de  porter  à  un  excès  égal  les 
foupçons  &  la  confiance  ]  lorfque  la  découvert^  d'un 
complot  pernicieux  le  tira  de  cette  fécurité.  On  peut 
aflurer  qu'en  cette  occafion  il  fut  expofé  au  plus  grand 
danger  qu'il  eût  couru  de  fa  vie  ;  &  ce  qui  dut  lui 
rendre  cette  découverte  plus  douloureufe ,  c'eft  qu'il  fut 
frapé  par  l'endroit  le  plus  fenfîble. 

Le  roi  de  Navarre  n'eut  pas  plutôt  conclu  le  traité 
de  y alogne  9  qi^'il  forma  ce  nouvelles  intrigues  :  il 
trouva  le  moyen  de  s'infinuer  dans  l'efprit  du  daupiiin 
avec  lequel  il  étoit  revenu  à  Paris.  Charles  dauphin  , 
Tainé  des  enfants  du  roi  ,  étoit  alors  âge  de  dix-fept 
ans.  La  jeunefTe  de  ce  prince  ,  la  douceur  de  fon  ca«- 
raâere  ,  la  droiture  &  la  ^^énéroflté  de  fon  cœur  ,  & 
fon  inexpérience  ,  le  rendoient  facile  à  recevoir  les  im- 
preflions  qu'on  voudroît  lui  donner.  Livré  aux  coofeils 
d'un  perfide  9  il  fe  laiiTa  féduire  par  les  aparences 
trompeufes  de  la  confiance  &  de  l'amitié.  Le  Navar- 
rois  lui  avoit  fait  entendre  que  le  roi  fon  père  le  haïf- 
foit  à  mort  y  &  que  la  preuve  de  cette  haine  fe  décou-* 
vroit  facilement  9  en  ce  que  Jufçiu'alors  il  ne  lui  avoit 
donné  aucun  apanage.  Pour  fentir  combien  cette  odieufe 
infinuadon  étoit  dépourvue  de  vraifemblance  y  il  fufit 
de  confidérer  que  CJharles  étoit  déjà  en  poiTeflion  du 
Dauphiné  y  dont  le  gouvernement  s'adminiftroit  en  fon 
nom.  Le  dauphin  crut  tout  :  il  ne  vit  plus  dans  l'au- 
teur de  fes  jours  qu'un  père  dur  ,  dont  il  n'avoit  rien 
à  efpérer  :  rempli  de  cette  funefle  idée  y  il  s'abandonna 
entièrement  aux  fuggeftions  du  traître  qui  l'obfédoit  : 
prefTé  par  fes  foUicitations  &  fes  confeils  y  il  forma  le 
deffein  de  partir  fecrétement  de  la  cour  ,  &  de  fe 
rendre  auprès  de  Tempereur  fon  oncle  [  c'étoit  Char- 
.  les  IV  y  fiis  de  ce  Jean  ,  roi  de  Bohême  y  tué  à  la  ba- 
taille de  Crécy  ].  Le  jour  fut  pris  pour  l'évafion  :  il 
manda  au  roi  de  Navarre  qui  pou{-lor$  étoit  dans  fes 
terres  de  Normandie  y  de  lui  envoyer  des  gens  de  con- 


7      E      A      N         I   I.  €l 

fiance  avec  lefauels  il  pût  s'échaper.  Charles  le  mauvais  ,  .-. 

au  comble  de  les  vœux  d  avoir  u  bien  réufli ,  fe  rendit    ^^'  >55;» 
à  Mantes  pour  veiller  de  plus  près  à  l'exécution  de  ce 
projet.    Leatreprîfe  paroiiToit   immanquable  :  trente     ^'»yM^<^«- 
hommes  d'armes  atendôient  à  Saint  -  Cioud  Théritier 
préfomptif  de  la  couronne  j  pour  le  livrer  à  la  difcré- 
tion  du  plus  fcélérat  de  tous  les  hommes.  jHeureufe- 
jnent  le  dauphin  aperçut  le  piège  qu'on  tendoit  à  fon  d/roUt^^a-- 
innocence  :  il  prévit  les  fuites  dangereufes  de  1  intrigue  vane. 
dans  lacjuelle  ion  imprudence  venoit  de  l'engager  :  il  J'^^^^c^g^foire 
en  frémit.  Non  content  d'avoir  reconnu  fa  faute  ,  il    ^  Mém!^d€ 
eut  le  courage  d'en  faire  l'aveu  à  fon  père.  Jean  moins  ^în-pour  fer^ 
étonné  de  la  criminelle  audace  du  roi  de  Navarre  ,  que  ^roiLN'Jlarre 
touché  du  repentir  de  fon  fils ,  non-feulement  lui  par-  pûrM.Secouf- 
donna  ,  mais  même  fit  grâce  en  fa  faveur  à  tous  ceux  ^^^ 

3ui  avoient  eu  quelque  part  à  ce  projet.  Le  roi  &  le 
auphin  lui-même  ignoroient  jufqu  a  quel  point  les  con- 
jurés efpéroient  porter  leurs  atentats  1^  ce  ne  fut  que 
quelque  temps  après  y  qu'on  pénétra  les  replis  de  cet 
horrible  myftere.  Ce  Friquet  dont  nous  avons  déjà 
parlé  ,  «gentilhomme  atache  au  roi  de  Navarre  y  gou- 
verneur de  la  ville  de  Caen  y  ayant  été  arête  &  mis  çn 
prifon  au  Châtelet  y  fut  apliqué  k  la  queftion  :  il  con- 
vint à  la  torture  que  le  deflein  de  Charles  le  mauvais 
étoit  de  faire  enfermer  le  roi  dans  quelque  fôrtereflè  y 
&  de  Ty  faire  mourir.  Le  dauphin  devoit,  difoit-on, 
acompamé  du  roi  de  Navarre  y  aller  vers  l'empereur 
fon  oncle  ,  afin  d'en  obtenir  du  fecours  pour  prendre 
h  roi  Jedfi  j  Vemprifonner  dans  une  tour  ;  é  iUec  le  faire 
mourir. 

Le  peu  d'aparence  qu'il  y  avoit  de  réuffir  dans  un 

1>areil  complot ,  dont  le  dauphin  ne  connut  jamais  que 
e  commencement  ,  qui  tenaoit  feuleitlent  à  fe  rendre 
auprès  de  Charles  IV  j  prouve  bien  que  le  Navarrois 
avoit  d'autres  vues  :  il  eût  été  abfurde  de  penfer  que  ^ 

l'empereur  eût  favorifé  une  trahifon  aufli  noire  :  on 
avoit  feulement  perfuadé  au  jeune  Charles  de  (è  laifTer 
conduire  vers  fon  oncle  >  pour  fe  plaindre  à  lui  de  la 


6i  HlSTDlRE.DE     FHA'NCE, 

!  dureté  prétendue  du  roi  fon  père  >  tâcher  de  Tengagei^ 
Ano.  i3j;«    ^  folliGicer  pour  lui  quelque  augmeotation   d'apanage* 
Ce  fut  l'unique  niotir  qu'on  lui  fit  envifager  ;  mais  Id 
'^  roi  de  Navarre  fe  garda  bien  de  lui  découvrir  fes  véri- 

tables intentiori^  ^  fut -tout  lé  deiTeifi  qu'il  méditoit 
contre  la  perfonne  du  roi.  Ceft  encore  un  des  articles 
de  la  dépofition  tle  Friquet ,  qui  nous  aprend  cet  abo>* 
minable  complot-  Le  Navarrois  avoit  pris  fes  mefures 
pour  furprendre  le  roi  Jean  dans  un  voyage  que  ce 
monarque  devoit  faire  k  Tabaye  de  Grandpré  en  Nor- 
mandie y  pour  tenir  fur  les  fonts  baptifmaux  l'enfant 
du  comte  d'Eu,  Il  paroît ,  autant  qu'on  le  peut  con- 
jeâurer  ,  que  ce  projw  devoit  s'exécuter  ,  dès  que  le 
dauphin  fe  ièroit  mis^  entre  les  mains  des  gens  qui  t^a* 
•    tenaoient  à  Saint-Cioud.   • 

Qu'on  fe  rcpréfente  les  fuites  de  cette  aâion  ,  cnfei* 
faut  réflexion  que  c'étoit  Charles  le  mauvais  y  qui  par 
ce  moyen  fe  fût  trouvé  maître  du  père  &  du  fils  en 
même  temps  ;  &  qu'on  juge  de  forl  étonnement ,  lorf-* 

3u'il  reçut  la. nouvelle  que  le  coup  étoit  manqué.  Lé 
auphin  lui  marqua  fimplement  qu'il  ne  lui  renvoyât 
perlonne  ,  parce  qu  il  avoit  changé  de  defiein  ,  ce  qu'il 
n'auroit  certainement  pas  fait  avec  fi  peu  de  précautions 
êc  d'une  manière  fi  libre  y  s'il  avoit  été.  coupable  d'au- 
tre chofe  que  du  pro}et  indifcret  de  quiter  la  cour  fans 
la  permiffion  du  roi.  Cette  feule  démarche  ,  indépen- 
damment de  ce  qui  a  été  obfervé  ci-defTus  ,  fufit  pour 
opérer  la  jufBfication  de  l'innocence  du  prince ,  êc  la 
conduite  du  roi  envers  fon  fils  achevé  d'en  4émontrer 
l'évidence.    Ces    particularités  qui    pouroient    paraître 


la  fflojre  feroit  flétrie  par  l'ombre  mêiiie  du  foupçon  : 
c'eft  Charles  le  face  qu'il  faloit  juûifier. 

Le  roi  n'eut  beioin  que  de  faire  fentir  au  dauphin  Ib 
danger  auquel  il  s'étoit  expofé  en  fe  livrant  imptudenir 
meot  entre  les  m^os  d'un  prince  que  les  plus  énorme; 


J      £       A      K    •     I    I.  <>3 

àrimes  n'étoient^pas  capables  d'éfrayer  ,   &  qui  avoît 

un  intérêt  viiible  k^  Ccmet  la  difieniion  dans  la  famille    Aoo.  ZH^ 

royale.  Après  cgs  remontrances  tempérées  par  k  ten*p 

drefle  paternelle  ,  1^  monarque  ,  quoique  perfuadé  de 

l^innocence  &  du  fi&cere  repentir  de  ion  tils  y  voulut 

é«er  tout  prétexte  aux  mécontents^  de  tenter  encore  de     Troïffard. 

le  féduire  :  pour  cet  éfct  il  ajouta  au.  Dauphiné  ,  qui!  SaL'tTDtnts 

poiTédoit  déjà  ^  1&  duché  de  Normandie  ,  dont  il  lui  ^ag.  i66. 

^nn^  rinveftitu#e«  Le  dauphin  fit  hommage  au  roi  fon 

père  de  ce  duché  dans  la  .maifon  de  Martm  de  Marie  ^ 

chanoine  de  NotrerDan^e.  Ce  chanoine  demeuroit  dans 

le  cloître. 

Ceice  d&ng;ereufe  entreprife  étant  échouée  ,  le  Na* 
varrois  fe  vit  obligé  de  recourir  à  la  clémence  du  roi. 
Le  dauphin  y  que  nous   apâerons  déformais  duc  de 
À^  Normandie  y  avoit  fi  peu  compris  toute  Pénormité 
^u  complet  dans  lequel  il  avoic  été  engagé  y  qu'il  fut 
le.  premier  &  Je:  plus  ardent  à  follicicer  en  feveur  des  fJ^J^^rel^  ^'^^ 
coupables  Pindulgence  de  foa  père  ,  qui  trompé  lui-      Tré/ôr  des 
même  par  les  aparences  ,  ne  fit  aucune  dificulté  de  fe  chan.reg.^i, 
i^endre  a  fes  prières.  On  expédia  des  lettres  de  grâce ,  p'*^*"*^^* 
dans  lefquelles  le  dauphin  voulut  être  compris  y   pour 
ftfiTurer  davanta^  ceux  qui  avoient  eu  part  a  cette  conC- 
piratio^  y  qu^il  ne  legardoit  que  comme   une  intrigue 
palTagere  y  <f oè  fon  feul  inoérét  avoit  ocafionnée.  Dans 
ces  lettres  d'abfblution  accordées  à  Phéritier  préfomptif 
de  Ig  couronne  y  le  roi  s'exprime  ainfi  :   Comme   n^a- 
gucres  nous  efit  été  raporté  que  notre  très -- cher  fils  aîné 
Charles  ^  due  de  Normand  ,  fe  vmiloit  partir  de  notre 
royaume  fans  notre  fcen  Sf  licence  y  &  auer  devers  notre 
tm-^cher  frerc  lUm^ereur  ^  &c.  nous  aui  avons  fçu  pleine^ 
ment  toute  Vintentton  de  notredit  fils  le  duc  y  &c.  nous 
4LVons  tenu  &  tenons  notredit  fils  &  tous  ceux  qui  avec 
uotredit  fils   le  duc  dévoient  aller  devers  notredit  frère 
Pempenear  y  &  eftoam  dUux  ^  pour  exmfés  pleinement  dé 
tout  ce  qu^on  nous  a  raporté  contre  eux.  On  voit  claire-î- 
ment  par^  les  termes  de  ces  lettres  y  que  le  fond  dû 
projet  écoit  un  myâ;ere  également  inconnu  du  père  H 


^4  HistoiredeFrAnce,^ 

55==  du  fils.  Lorfqu'ils  en  furent  inftruîts  /ils  prirent  la  ré- 
Anii.  13;;.  folutîon  d'en  punir  les  principaux  auteurs  :  c'eft  ce  que 
la  Alite  de  Thiftoire  nous  dévelopera.  Le  roi  de  iNa- 
Varre  cependant  qui  fe  croyoit  impénétrable  ,  entrete- 
noit  toujours  Tes  tiairons  avec  le  duc  de  Normandie  :  il 
fut  la  dupe  de  cette  faufie  politique.  Le  dauphin  y  qu'une 
première  erreur  ,  quoique  légère  ,  avoit  éclairé ,  pour 
déconcerter  encore  plus  mûrement  les  mefures  d'un  en- 
nemi artificieux  9  fisignitde  fe  laifier  tromper ,  &  par  ce 
moyen  entretint  fa  confiance. 

Un  motif  puiilant  contraignoît  le  roi  &  fon  fils  à 
fufpendre  les  éfets  de  leur  reflentiment  contre  le  roi  de 
Navarre  &  fes  adhérents.  Le  gouvernement  fe  trouvoit 
alors  dans  la  circonftànce  la  plus  critique.  Les  reflburces 
pour  foutenir  la  guerre  étoient  épuifées  :  on  n'en  pour- 
voit atendre  que  de  la  bonne  volonté  de  la  nation  :  il 
faloit  confulter  tous  les  ordres  ,  dont  les  fufrages 
alloient  devenir  nécefiaires  ;  ce  n'étoit  guère  le  temp^ 
d'indifpofer  une  partie  de  la  noblefTe  par.  une  inflexibi-» 
lité  hors  de  faifon.  L'affemblée  de  Etats-généraux  avoit 
été  indiquée  pour  la  fin  du  mois  de  Novembre  de  cette 
année.  I)éja  les  députés  du  clergé  y  de  la  nobleffe  & 
du  tiers-état,  s'étoient  rendus  à  raris  pour  cet  éfbt,  ► 
Etats-Géné-  Dans  le  cours  de  cette  hiftoire ,  il  a  déjà  été  queftion 
aux.  des  Etats-généraux  :  notre  eftimable  prédéceffeur  avoit 

jugé  fagement  qu'il  ne  pouvoit  traiter  cette  matière 
avec  troD  de  circonfpeâion.  En  éfet  ,  comment  pou- 
voir fe  nater  de  coi>nbître  précifément  quelle  étoit  la 
nature  de  ces  aifeniblées  dans  les  diférents  fiecles  ?  on 
fe  trouve  à  chaque  pas  arête  par  des  dificultés  fans 
ceffe  renaiifantes.  Les  premiers  âges  de  notre  hiftoire 
ne  préfentçnt  que  des  ténèbres  impénétrables  :  une  in- 
finité de  monuments  &  de  faits  fans  liaifon  entre  eux  > 
fouvent  contradiâoires  ,  des  ufages  établis  d'abord  , 
anéantis  çnfuite  ,  renouvelés  ou  remplacés  par  d'au- 
tres y  fans  qu'on  aperçoive  les  caufes  qui  enchaînent  ces 
viciflitudes  ,  tantôt  une  fuccefiion  premue  imperceptible 
pi9tr  1^  lenteur  de  fes  progrès ,  quelquefois  un  changemnt; 

fubiç, 


J      E      A      N         I   I.  6^ 

fubit  y  furprennent  à   tout  moment  Tatention  la  plus  J 

exaâe,  &  laifTent  tout  au  plus  à  rimagination  la  liberté  ^Q*  ^^ss* 
de  former  des  coniedures.  Mais  ce  n'eft  pas  fur  un 
pareil  objet  qu*il  eft  permis  k  refprit  fyftématique  de  fç 
donner  carrière.  M,  Tabé  Velly  a  évité  cçt  écœuil ,  & 
s^eft  gardé  d'entrer  dans  un  labyrinthe  où  tant  d*écri- 
vains  fe  font  égarés  avant  lui.  Après  avoir  dit  fuccinc- 
tement  que  nos  diètes  nationales  ,  nommées  d'abord 
aifemblées  du  champ  de  Mars  y  enfuite  du  champ  de 
Mai  y  parlements  ,  &  enfin  états-généraux  y  ont  com^ 
mencé  fous  la  première  race  de  nos  rois  y  il  fe  contente 
de  raporter  litéralement  le  fentiment  de  Pafquier.  Sx 
Ton  ajoute  ici  quelques  obfervations  à  ce  que  ce  fça- 
vant  magiftrat  a  écrit  fur  ce  fujet ,  ce  n'eft  pas  par  le 
defir  ambitieux  d'agiter  une  queftion  qui  paroit  avoir 
déjà  été  difcutée  y  mais  uniquement  dans  la  vue  de 
raffembler  ,  autant  que  le  peuvent  comporter  les  bor- 
nes que  rétendue  de  cet  ouvrage  nous  prefcrit ,  ce  que 
Ton  peut  avancer  de  plus  intéreflant  &  de  plus  vrai 
fbr  cette  matière. 

En  fe  repréfentant  les  principales  révolutions  de 
notre  monarchie  ,  on  s'aperçoit  fans  peine  que  l'autorité 
des  aflemblées  ^générales  a  toujours  dépendii  de  la  puif- 
fance  ou  de  la  foiblefle  des  princes. /Tant  que  les  rois  de 
la  première  race  conferverent  la  difpofition  des  fiefs  ou 
bénéfices  militaires  &  des  dignités  y  &  qu'ils  ne  les  don-^ 
nerent  que  pour  un  temps  y  cette  multitude  de  leudes  ou 
feigneurs  qui  compofoient  les  aflemblées  du  champ  dç 
Mars  y  n'avoit  garde  de  manquer  de  complaifance  pour 
le  fouverain  ,  duquel  émanoic  Içs  grâces  &  les  récom- . 
penfes.  IJeureux  les  monarques  ,  s'ils  avoient  toujours 
retenu  dans  leurs  niains  ce  puiflant  mobile  de  l'afeâion 
&  de  la  fidélité  des  gens  de  guerre  y  dans  lefquels  on 
pouvoit  dire  que  réfidoit  alors  la  nation  !  Mais  bientôt 
oubliant  l'intérêt  de  leur  grandeur  y  ils  donnèrent  ou 
vendirent  les  chargç^  &  les  fiefs  à  titre  d'hérédité.  Ils 
fe  perdirent  ^gd^ement  par  une  libéralité  exceflive  y  ou 
par  une  honteuie  avarice  ;  n'ayant  plus  rien  k  donner 
^       Tomt  K  i 


6G  Histoire    db   France^ 

'  ou  à  vendre ,  ils  ne  furent  plus  aimés  ni  redoutés.  Ces 

^^-  nn-  mêmes  aflemblée$  ,  auxquelles  jufque-lk  ils  avoient 
impofé  la  loi ,  les  alServirent  àr  leur  tour  :  le  monarque 
ne  fut  plus  qu'un  fantôme  ,  &  •  lautorité  fouverame 
afoiblie  fit  place  à  un  nouveau  genre  de  gouvernement  r 
la  puiiTance  des  makes  du  palais  éclipfa  ta  majefté  des 
rois.  Ces  redoutables  minières  continrent  quelque  temps 
une  nation  belliqueufe  ,  plutôt  par  la  terreur  que  par 
Pefpoir  des  récompenfes.  Leur  pouvoir  étoit  iî  bien 
afermi ,  que  la  révolution  qui  plaça  la  poftérité  de  Char- 
tes Martel  fur  le  trône  ,  fe  fit  prcfque  fans  éfort.  Le 
\  vafto  génie  de  Charlemagne  éleva  la  monarchie  Fran- 

çoife  au  plus  haut  degré  de  puiiTance  &  dé  '  grandeur*. 
Loin  d'abolir  les  afièmblées  nationales  ,  jamais  prince 
ne  les  convoqua  fi  fréquemment  ;  elles  embraiToient 
même  dans  leufs  délibérations  un  plus  grand  nombre 
d'objets.  Tout  ce  qui  concernoîc  le  gouvernement  ecclé- 
fiaffique  ,  politique  &  civil ,  y  étoit  rédié  ;  mais  le  mo- 
narque étQit  l'ame  de  ces  aÔemblées.  Cette  dépendance 
à  la  vérité  étoit  encore  plus  atachée  à  hn  mérite  per— 
fonnel  qu*à  fa  dignité  ;  malheureufement  pour  la  gloire 
&  le  bonheur  de  TEtat ,  ce-  grand  homme  fut  le  der- 
nier héros  de  ia  race.  L'ouvrage  de  la  valeur  de  Mar* 
.  tel  9  de  la  prudence  de  Pépin ,  de  la  magnanimité  de 
Charles  ,  fut  détruit  par  les  premières  démarches  du 
fils  de  ce  dernier.  Louis  le  Débonnaire  ne  connut 
ni  la  juftice  qu'il  devoit  aux  autres  ,  ni  le  refpeâ:  que 
fa  propre  grandeur  exigeoit  de  lui-* même.  Sévère  y 
ou  plutôt  cruel  par  foiblefie  ^  il  ofa  faire  juger  la  caufe 
des  rois  dans  une  affemblée ,  en  faiiant  condamner  (on 
neveu  Bernard  y  rot  d'Italie.  La  révolte  de  fes  enfants 
le  força  ei^fu\te  de  reconnoître  u,ne  autorité  au-deflus 
de  lanenne,  en  fe  foumettant  au  jugement  qui  fut  pro» 
nonce  contre  lui-même  dans  une  autre  afiemblée ,  qui 
eut  l'audace  de  le  faire  defcendre  du  trône  :  violateur 
de  la  loi ,  il  fut  la  viâime  de  fon  injuftice.  Ses  defcen- 
dants  y  encore  plus  mal-adroits  y  regardèrent  les  grands 
de  TEtat  comme  autant  d'ennemis  :  ils  craignoient  de. 


J     E      A      N        I  I.  Cy 

les  réunir  en  corps  ;   &  s'imaginaat  de  tronvcr  leur  == 
avantage  en  les  divifanc  ,  ils  évitèrent ,    autant  qu'ils    ^^^  ^M5- 

Î>urent ,  les  convocations  générales.  Sous  le  fin  de  la 
econde  race  ^  on  ne  voie  preique  plus  que  des  afîem- 
blées  particulières  :  cette  mauvaife  politique  acheva  de 
tout  perdre.  Les  aflemblées  générales  auroient  peut-être 
été  la  refTource  de  Tempire  &  àm  prince ,  fi  les  foibles 
Carliens  n^avoient  pas  négligé  trop  long -temps  de  les 
convoquer  :  ils  avoiont  a|)réhefidé  que  les  Etats  n^éclai* 
rafTent  les  inconvénients  a'une  mauvaife  adminiâradon  '; 
&  lorfqu'un  gouvernement  videux  eut  abfblument  di«- 
vifé  toutes  les  parties  de  TEtat  y  il  n'étoit  plus  temps 
d'implorer  le  feul  afyle  qu'ils  auroient  pu  trouver  dans 
une  réunion  déformais  impoilible.  Louis  ie  Débonnaire 
lui-même ,  dans  un  temps  où  la  corruption  qu'il  avoit 
le  premier  introduite  y  ne  comraençoit  qu'à  fe  faire 
fentir ,  avoit  éprouvé  quelles  étoient  ies  refiources  qu'un 
ibuverain  pouvoit  trouver  dans  ces  aflemblées  générales. 
Un  parlement  féduit  ou  intimidé  par  Tes  enfants  y  Ta- 
voit  dépofé  :  un  parlement  libre  te  rétablit.  Mais  les 
derniers  rois  xle  la  féconde  race  étoient  bien  éloignés 
de  pouvoir  fe  flater  d'un  pareil  fecouri^.  La  nation  éooit 
partagée  en  une  infinité  de  portions  ,  dont  chaque  chef, 
devenu  fouvcrain  ,  avoit  un*intérêt\ifible  à  favorifer 
une  divifion  qui  entretenoit  l'indépendance  y  Se  garaii*- 
tifToit  les  ufurpatioxis.  De  cette  anarchie  naquit  le  gou- 
vernement féodal  que  Hugues  Capet  trouva  établi  y  forf- 
qu'il  parvint  à  la  couronne. 

L'élévation  trop  prompte  des  deux  premières  Dynaf- 
nés  n'avoit  eu  qu'une  durée  proportionnée  à  cette  ra- 
pidité. La  puiiTance  fouveraine  ious  la  troifieme  race  y 
par  une  marche  opofée  y  s'avancant  pas  à  pas  y  ût  des 
procès  plus  lents  ,  mais  plus  sûrs  y  Ôc  jeta  des  le^adnes  plus 
profondes.  Les  Carliens  s'étoient  laiflé  dépouiller  d'un 
pouvoir  qu'ils  avoient  reçu  tout  entier.  Les  defcendants 
de  Hugues  augmentèrent  continaellement  ce  pouvoir 
qu'ils  avoient  reçu  très-borné  y  6c  rétablirent  l'autorité 
royale  y  dont  les  fondements  confacrés  par  le   temps 


6S  HiSToiRK  DE   France, 

ont  enfin  acouis  ce  dernier  degré  d'immutabilité  ,  an-* 
Aon.  1355-   quel  les  établiflements  humains  peuvent  parvenir. 

Nous  avons  vu  la  France  ,  ^  lorfque  nugues  Capet 
monta  fur  le  trône  ,  former  un  corps  à-peu-près  fem- 
blable  à  ce  que  font  aujourd'hui  rAllemagne  &  la  Po- 
logne.   Nos  rois  s'ocuperent  uniquement  du  foin  d'a- 
^randir-leurs  domaines,  ou  d'acquérir  des  vaiTaux  :  ils 
ibngerent  peu  à  rétablir  les  anciennes  afTemblées  de  la 
nation  :  les*  feigneurs  ne  les  réclamèrent  pas  ,  aimant 
mieux  jouïr  dans  leurs  grands  fiefs  d'une  fouveraineté 
prefque  indépendante,  que  de  paroi tre  dans  ces  afTem- 
blées générales  ,  où  ils  étoient  toujours  forcés  de  ref^ 
pçâer  dans  le  prince  un  éclat  qui  éclipfoit  le  leur.  Les 
rois  cependant  voy oient  fans  peme  ces  petits  fouverains 
fe  déchirer  &  s'afoiblir  par  des  guerres  mutuelles  ,  &, 
la  puiffance  du  monarque  s'acroillbit  toujours  de  leurs 
pertes.  Speâateurs  ateatifs  des  démêlés    particuliers , 
les  premiers  fouverains  de  la  troifieme  race  fçurent  pro- 
fiter des  circonflances  ,  foit  en  prenant  parti  dans  les 
querelles  ,  foit  en  fe  portant  pour  médiateurs  ou  pour 
juges  ,  &  tirant  toujours  avantage  ,  ou  de  leur  fecours , 
pu  de  leur  neutralité* 

A  mefure  que  la  puiffance  des*  rois  s'augmenta  & 
s'afçrmit  ,  l'indépendance  des  feigneurs  diminua.  Les 
afTemblées  générales  devinrent  plus  fréquentes  &  plus 
régulières  :  on  les  vit  renaître  avec  l'autorité  du  lou- 
verain.  Lest  afTemblées  particulières  n'avoient  pas  eu  le 
même  fort  :  établies  dès  le  règne  de  Charlemagne ,  elles 
avoiént  toujours  été  tenues  depuis  afTez  régulièrement. 
Hugues  Capet  &  fes  premiers  fuccefTeurs  les  convo- 
quèrent dans  }eurs  domaines ,  ainfi  que  le  faifoient  dans 
les  leurs  les  poflefTeurs  des  erands  nefs.  Les  rois  ,  en 
réunifTant  des  provinces  à  celles  qu'ils  pofTédoient  déjà  , 
obligèrent  kurs  nouveaux  vaflaux  à  le  rendre  à  leurs 
afTemblées  ou  parlements  ,  qui  dès-lors  étoient  regar- 
dés comme  des  afTemblées  générales  pour  toutes  les 
terres  de  leur  domination..  C/eft  la  raifon  pour  laquelle 
les  provinces  qui  ont  été  rapelées  de  bonne  heure  à 


J      E      A      N        i   !•  €^ 

lancien  domaine  de  lios  monarques  ,   n'ont    point  eu  ■ 

d'Etats  particuliers  depuis  cette  réunion  ,   tandis  que    Ann,  1555. 

celles  qui  ont  été  réunies  dans  des  temps  poftérieurs  ^ 

&  fous  de  certaines  conditions  y  comme  le  Languedoc  ^ 

la  Provence ,  le  Dauphiné ,  la  Bourgogne  ,  la  Bretagne , 

la  Flandre  &  TArtois ,  ont  confervé  leurs  Etats  ou  af- 

fembléesparticulieres. 

Les  afiemblées  générales  ne  fe  tenoient  que  dans  les 
grandes  ocafions  ,  telles  que  le  couronnement  des  rois , 
ou  les  guerres  que  la  nation  avoit  à  foutenir  contre  les . 
étrangers,  Ces  afiemblées  ne  furent  long-tems  compo* 
fées  que  du  clerg;é  &  de  la  QobleiFe.  Les  peuples  ré- 
duits a  l'état  de  fervitude  n'étoient  ,  ni  apelés  ,  ni  con- 
fultés  dans  les  délibérations  publiques  ;  mais  lorfque 
les  habitants  des  villes /élevés  au  rang  de  citoyens,  for- 
mèrent dans  l'Etat  un  corps  féparé  du  clergé  &  de  la 
noblefTe ,  ils  durent  néceflairement  être  apelés  aux  af^ 
Xemblées  convoquées  pour  la  défenfe  de  cette  même 
patrie  qui  leur  devenoic  commune  avec  les  deux  pre- 
miers ordres  de  la  nation.  En  éfet ,  les  premiers  établif* 
fements  des  communes  fe  font  formés  fous  Louis  VI: 
&  fous  Louis  VII  y  fon  fils  ,  on  voit  déjà  les  gens  des 
bonnes  villes  afiifter  aux  Etats  de  11 45.  Ce  qui  fervit 
encore  à  augmenter  la  confidération  que  le  tiers- état 
.  conmiençoit  d'acquérir  ,  ce  fut  l'ufaee  que  les  rois  in^ 
troduifirent  d'employer  des  trouves  loudoyées  dans  les 
armées.  Les  revenus  du  fouverain  ne  funfant  pas  au 
paiement  de  cette  folde  ,  il  falut  que  les  fuiets  contri- 
DuaiTent  à  cette  dépenfe  :  il  étoit  à  propos  de  confulcer 
leurs  facultés  :  &  quipouvoit  mieux  en  rendre  copipte 
qu'eux-mêmes  ?  Il  n'en  donc  pas  étonnant  que  les  dé- 
putés des  bonnes  villes  ayent  été  apelés  aux  aflem- 
olées  y  fur-tout  lorfqu'il  s'agilFoit  de  quelque  impofition. 
On  prenoit  alors  avec  eux  les  mefures  nécelTaires  pour 
en  taire  la  répartition.  On  voit  encore  fous  faint  Louis 
les  députés  du  tiers-état  afEfler  à  ralTemblée  dans  la- 
quelle on  réfolut  la  guerre  contre  le  comte  de  la  Marche. 
Âînfi  l'on  ne  doit  pas  regarder  les  Etats  de  1301  y  fous 


yo  Histoire   DE  France, 

■  Philippe  le  Bel ,  comme  les  premiers  où  fé  foient  trouvés 

Abu.  nj;,  [es  députés  du  peuple ,  iT\ais  comme  ceux  où  ils  aflifterent 
pour  la  première  fois  avec  voix  délibéracive.  Ce  troifieme 
ordre ,  f oible  dans  fes  commeocements  ,  s^étoic  confidé* 
rablement  agrandi  par  les  arcs  &  le  commerce  j  éfec 
ordinaire  de  Ta  liberté.  Les  croifades  &  les  euerres  fan* 
glances  qui  leur  fuccéderent ,  avoient  épuifé  la  noblefle  ^ 
candis  que  les  bourgeois ,  k  la  faveur  de  leur  obicuricé  , 
avoienc  acquis  des  richefles ,  qui  furent  avec  raifon  re« 
gardées  comme  une  des  principales  refTources  de  l'Ecac, 
fur-touc  dans  un  temps  où  Targenc  écoic  devenu  le  pre*» 
mier  mobile  de  la  guerre.  Les  fucceiTeurs  de  Philippe 
le  Bel  les  apelerenc  prefque  coujours  aux  ailemblees 
générales. 

Comme  le  principal  mocif  dé  ces  afTemblées  écoic  de 
trouver  des  fonds-  pour  foucenir  la  guerre  ,  &  que  c'é- 
toic  ordinairemenc  fur  le  ciers*écac  que  tomboic  la  plus 

§rande  partie  des  impoii  tiens  y  les  fuAragés  des  députés 
u  peuple  devoienc  néceflairemenc  avoir  la  principale 
influence  dans  les  délibéracions.  Le  croiiieme  ordre 
s  acoucuma  par  degrés  à  fe  prévaloir  de  la  néceffîcé 
des  temps  :  après  avoir  balancé  le  crédic  de  la  noblef- 
fe  y  il  encrepric  de  difcucer  les  droics  &  d  acaquer  les 
iimices  de  Faucorité  fouveraine.  Ce  fut  aux  £tats  de  cetce 
année  qu  il  ofa  faire  le  premier  eifai  d'un  pouvoir  ufur* 
pé  :  on  y  vie  Tadmininration  publique  réglée  &  ré- 
formée en  plufieurs  parcies  ,  le  prince  jtranfiger  avec 
fes  fujecs  ,  abandonner  le  profic  qu'il  ciroicd^Ta  fabri- 
cacion  des  monnoies ,  en  échange  de  rimpofîtion  k  bu- 
quelle  on  fe  foumic ,  &  le  peuple  afli^ner  la  réparci- 
tion  &  la  levée  y  fixer  Temploi  ,  &  décider  du  manie-* 
mène  des  finances*  Plufieurs  écrivains  ont  comparé  la 
déclaracion  du  roi  Jean  y  rendue  fur  les  remontrances 
des  Étacs  de  1255  ^  k  la  fameufe  chartre  acordée  k  la 
nation  Ang^oi/e  par  un  prince  do  même  nom.  On  ne 
peut  donc  leidifpenfer  de  donner  un  précis  des  délibé-p 
rations  de  cetce  aflemblée  célèbre.  Ce  précis  ,  d'ail- 
leurs y  en  nous  repréfentanc  les  mefures  que  l'on  prit  ^ 


L 


J      s      A      N         I   I*  71 

foit  pour  Ie$  opérations  de  la  guerre,  foitpour  k  po-  . 

lice  intérieure  ,  nous  procurera  la  connoiflance  de  plu^    Am.  ijj;. 
fieurs  parties  eflencielies  du  gouvernement. 

Il  eft  k  propos  d'obferver  avant  tout  qu'on  diflin« 
guoit  alors  le  royaume  de  France  eh  deux  parties ,  Tune 
nommée  la  langue  d'OyZ  (  û  )  ,  ou  le  pays  coutumier  , 
qui  coraprenoit  la  France  feptentrionale  :  on  Tapeloit 
pays  coutumier  ,  parce  oue  les  provinces  qui  la  compo- 
ibient  étoient  régies  par  la  coutume ,  candis  que  la  partie 
méridionale  ,  apelée  la  langue  d'Oc  ^  fûivoit  le  droit 
écrit.  La  feule  province  du  Lyonnois ,  quoique  régie  par 
le  droit  écrit ,  étoiç  cenfée  de  la  langue  d'Oyl ,  ou  pays 
coutumier.  La  Garonne  faifoit  la  réparation  de  ces  aeux 
parties.  Comme  la  Guienne  &  quelques  provinces  voi- 
fines  étoient  alors  fous  la  dominauon  Angloife ,  la  langue 
d'Oc  formoit  la  moindre  portion  du  royaume  ,  n'étant 
compofée  que  de  la  province  connue  a«ujourd'hui  fous  le 
nom  de  Languedoc  y  a  laquelle  il  faut  ajouter  le  Quercy 
&  le  Rouergue. 

L'àfTemblée  compofée  des  députés  de  la  langue  d'Oyl 
ie  tint  dans  la  graod'chambre  du  parlement  le  deux  Dé- 
cembre ,  qui  étoit  k  mercredi  après  la  faint  André. 
Pierre  de  la  Foreft  y,  archevêque  de  Kouen  j  chancelier  de 
France ,  fit  l'ouverture  des  États  j  &  parla  au  nom  du 
xoi.  Après  avoir  expofé  la  fituation  du  royaume  &  les 
befoins  du  prince  ,  il  leur  déclara  de  fa  part  qu'ils  euf* 
fent  à  délihierer  encr'eux  des  moyens  capables  de  fub- 
venir  aux  néceffités  de  l'Etat ,  &  à  la  défenfe  de  la  pa- 
trie. Il  ajouta  que  le  roi  étant  informé  que  les  fujets 
du  royaume  fe  tenoient  grevés  par  k  changement  des. 
mormeits  ^  il  cfroit  à  faire  forte  montioie  &  durable,, 
mais  que  on  bit  fît  aucune  aide  qui  fût  fîififante  à  faire 
fa  guerre.  Dès  que  le  chancelier  eut  ceflé  de  parler  y  ceux. 

(fi)  Ce  nom  de-  knene  A^Ojl  rire  (on  étymologie  »  foivant  plafîeurs  anteurc, 
du  mot  ùyl  dont  fe  tervorent  les  habitants  de  ces  provinces  pour  exprimer  oui  : 
c'eft  par  cette  dénomination  t^n'on  difHnguoit  cette  partie  du  royaume  des  pro- 
Tînces  méridionales  od  Ton  cmployoit  le  terme  d*oc  oons  le  même  fens.  Du  Congé 
ad  vcri.  Lingtt». 


72  Histoire    de   France, 

J  ^ui  écoienc  chargifs  de  répondre  pour  les  trois  ordres  ,* 
Ann.  1355.  Içavoir  Jean  de  Craon  ,  archevêque  de  Rheims  ,  pour 
le  clergé  ;  Gauthier  de  Brienne  ,  duc  d'Athènes  ,  pour 
la  nobleffe  j  Etienne  Marcel ,  prévôt  des  marchands  de 
Paris  ,  pour  le  tiers-état  ,  protefterent  qu^ib  étoicnt 
tous  aparcillés  de  vivre  &  mourir  avec  le  Roi  y  &  de  mettre 
corps  &  avoir  à  fon  fervice.  Enfuite  de  cette  réponfe , 
ils  fu plièrent  le  roi  de  leur  permettre  de  conférer  en- 
tr'eux  fur  les  expédients  les  plus  propres  à  fournir  Içs 
fecours  qu'on  leur  demandoit  ,  &:  lur  les  repréfenta- 
tions  qu'ils  avoient  à  faire  au  fujèt  de  la  réformation  de 
plufieurs  abus  qui  s'étoient  introduits  dans  le  gouverne- 
ment. La  féance  finit ,  &  éhs  le  lendemain  les  confé- 
rences commencèrent. 

Le  premier  article  dont  on  convint ,  &  dont  on  fit  une 
loi  invariable ,  fiit  que  tout  ce  qui  feroit  propofé  par  les 
Etats  j  n'auroit  de  validité  qu  autant  que  les  trois  ordres 
réunis  y  concourroient  unanimement  ^  &  que  la  voix 
de  deux  des  ordres  ne  pouroit  lier  ni  obliger  le  troi- 
fieme  qui  auroit  refufé  fon  confentement.  On  peut  juger 
par  ce  jugement  préliminaire  ,  quel  étoit  alors  le  crédit 
du  tiers-état  ,  admis  à  partager  en  quelque  forte  l'éga- 
lité des  fufrages  avec  le  clergé  &  la  nobleffe  y  dont  il 
étoit  l'efclave  deux  fiecles  auparavant. 

L'autorité  de  l'aflèmbîée  étant  fixée 'par  cette  conven* 
tion  y  on  délibéra  fur  les  diférents  pomts  dont  il  étoit 
queftion.  Il  fut  décidé  qu'on  opoferoit  aux  ennemis  une 
armée  de  trente  mille  hommes  d'armes  ^  ce  qui  dévoie 
former  au -moins  un  corps  de  quatre-vingt-dix  mille 
combatants  ,  qui  joints  aux  communes  du  royaume , 
compofées  d'une  infanterie  confidérable  ^  auroient  dû 
rendre  l'Etat  invincible.  Afin  de  trouver  les  fonds  né- 
cefTaires  à  l'entretien  de  ces  trouoes  ,  on  établit  une 
gabelle  fur  le  fel ,  &  une  impofition  de  huit  deniers 
pour  livre  généralement  fur  toutes  les  chofes  vendues  » 
excepté  les  ventes  d'héritages.  Perfonne  ne  devoit  être 
exempt  de  cette  impofition  :  &  pour  ôter  tout  prétexte 
Jl^ux prétentions  de  ceux  qui  auroienç  voulu  s'y  fouftraire , 

te 


7    £    A    K      I  L  73 

le  roi ,  la  reine  &  les  enfants  de  France,  &  les  princes  ■ 

du  fang  y  écoienc  obligés.  Les  Etats  fe  réferverent  le    A»»*  ^'n» 

choix  de  ceux  qui  dévoient  être  commis  à  la  levée  & 

régie  de  cette  impofition.    Le  roi  &  fon  confeil  eurent 

bien  de  la  peine  k  pafTer  cet  article  y  qui  privoit  le  fou- 

verain  de  la  difpofîtion  des  fonds  deftinés  pour  la  guerre. 

On  jugea  que  cette  impofition  feroit  fufifante  à  rentre-^ 

tien  des  trente  mille -hommes  d  armes  ,  qui  *fut  évaluée 

à  cinquante  mille  livres  par  jour  (a). 

Le  roi  aprouva  tout  ce  qui  avoit  été  délibéré  par  le» 
Etats  ,  &  rendit  une  ordonnance  conforme  aux  mefures 
qu'on  avoit  prifes  pour  foutenir  la  guerre  ,  &  aux  re- 
montrances qui  lui  furent  préfentées  pour  redreflbr  les 
abus  de  certaines  parties  de  Tadminifiration.  Cette  or- 
donnance prefcrit  la  levée  de  la  gabelle  &  impofition , 
Téleâion  à  faire  par  les  Etats  de  neuf  fur-intendaftts 
généraux  y  fçavoir  trois  de  chaq^ie  ordre  y  la  nomina- 
tion des  députés-  particuliers  dans  les  provinces. ,  pour 
r  ordonner  du  ^ic  des  aides  àcordées  par  les  EtatSr, 
e  ferment  que  ces  oficiers  devoieiit  prêter  en  préfence 
des  gens  du  roi  ,  Temploi  de  ces  fonds  uniquement 


r. 


•  (tf)  n  cft  probable  que  c*cft  ainfi  qu'il  faut  interpréter  cet  endroit  de  TOrdon- 
nance  du  roi  Jean  rendue  fur  la  délibitwàn  des  Etats ,  où  la  femme  deftinée  au 
paiement  des  trente  mille  hommes  d  anqes  eft  fixée  à.  50000  livres  parifis ,  fatis 
rpécifier  fi  c*eft  par  jour ,  par  mois,  ou.par  an.  Toutes  les  autres  explications 
qu'on  .a' voulu  donner  paroi(Cent  également  défeâueufes.  Le  fçava^t  éditeur  de 
rbiiloire  du  père  Daniel  femble  pcrfuadé  d*après  Sala ,  abréviateur  de  Froi^Tard  , . 
que  cette  fomme  fut  eftimée  cinquante  cent  raille  livres.  Outre  que  cette  manière 
tle  s'exprimer  n'étoit  point  ufitée  al  ors  >  il  faudrait  que  ce  fût  ùnç  faute  de  copifte  ; 
mais  il  eft  impofGble  que  çpttc  faute  fe  t;rpave  répétée  dan«  tcHis  les  manufcrits 
de  ce  (îcclc. ,  tels  que  FroiiTard  »  la  grande  chronique  ,  la  chtoqiqae  }AS.  du 
roi  Jean  ,  l'ordonnance  mcriae  pnfervéc  d^ns  les  rtfanufait^  de  (a  bibliothèque 
du  roi.  Le  (entiment  de  .M.  te- comte!  de  Boalaki voilier  qui  ptétend qu'on  doit 
lire  50000^  livres^c  poi^f ,  eft' encore  p{us  éloigné  de  la  vra^feoiblsHic^.'  Par  jour 
ou  parifis  Vécri-foieiit  à-pcu-près  de  même  en  abréviation  ,  &  c'eft*  ce  qui  a  pu 
ocafionner  Tcrrear.  Et  ce  qui  achevé  de  rendre  ^idehte-  la  conjedure  quon 
avance  ici ,  c'cft-qu'H  falqit  4  jgpo, livres  par  jour  pour  ia  /olde  6é  treatc  mille 
hommes  d^arrpca.  Notre  livrera  touJAurs  ,été  compotéc dft  ving^  fous  ,  8c.  la  paie 
d'uB  homme  d'atmé' étoît  de  trente  foûs  pir'joût  dès  lô  r^gne  de  Philippe  de 
Valois  ,  am&qaonîe  trouve  préciCém^t  m'irqné  dans^les  ofres  qui  furent  faîtes 
au  roi  par  la  province  de  Normandie.  Trcfor  des  ckartres,  Mim.  de  la  chxtmhrc 
dejeçmpiesm  t^nu  ad.  puhL  tom.  i  ,  p<yf .'  4  »  P«»ff«  ^  9^* 

Tome  K  K 


74  Histoire  de  Frawce, 

-  deftiùés  à  la  guerre  ,  fans  que  le  roi  ni  fes  g^w  putfient; 

Apm  1555.  ks  toucher  ,  6c  fans  que  la  diftribueion  en  puiffe  être 
faite  que  par  les  feuls  députés  des  Etats  aux  geadarmes 
mêmes.  Le  roi  s'engagea  à  ne  point  divertk  les  foRH 
mes  qui  en  proviendroienc  ,  pour  les  employer  à  d'au- 
tres ufages  ;  &  ddns  le  cas  où  il  v  auroic  mandement 
contraire  ,  leà  députés  font  obliges  fous  k  foi  de  leur 
ferment  de  défobéir  &  de  réfifter  à  toutes  violences  pour 
ce  fujet.  Le  jugement  des  difîcultés  à  naître  entre  les 
ûir-intefidants  généraux  eft  atribué  au  parlement  y  Tau* 
dition  des  comptes  de  la  recette  &  dépenfe  réfefvée 
aux  gens  du  confeil.  Comme  cette  imposition  étoit 
acordée  pour  une  année  ^  raflèmblée  des  Etats  fut  in- 
diquée à  pareil  jour  de  l'année  fuivante.  Tel  fut  le  ré^** 
glement  concernant  la  levée  &  Temploi  du  fubfide 
établi  pour  la  guerre^ 

Voici  les  engagements  que  le  roi  voulut  bien  con-^ 
traâer.  :  convaincu  ,  dio-il ,  de  la  grande  obéiiTance  &c 
amour  que  fes  peuples  lui  ont  toujours  témoignés  y  & 
touché  de  leurs  plaintes  ocafiùnnées  par  les  pertes 
qu'ils  avoient  fourertes  y  il  promit  tant  pour  lui  y  que 
pour  fes  fucceflèurs ,  de  faire  dorénavant  une  monnoie 
bonne  &  ftable  y  fçavoir  des  deniers  d'or  fin  de  cin- 
.  quante^deux  au  marc  y  valant  chacun  vingt  fous  parifis  y. 
&  la  monnoie  blanche  ou  d'argent  k  proportion  y.  en- 
forte  qu'un  marc  d'or  fàt  égal  en  valeur  a  onze  marcs 
d^argent  ;  de  ne  point  porter  dans  les  refontes  de  fa 
monnoie  le  prix  du  marc  d'argent  au-delà  de  fix  livres 
tournois.  Pour  la  commodité  du  menu  peuple  y  un  jour 
de  la  femaîne  fut  deltiné  à  fabriquer  de  la  monnoie 
noire  ou  de  billon  y  des  deniers  &  des  mailles  de  cui* 
vre.  Afin  de  rendre  ftable  l^état  des  monnaies ,  le  roi 
ordonna  que  dès  que  la  monnoie  forte  commenceroit  à 
courir  y  les  prélats  y  chapitres  y  nobles  &  principaux  de 
chaque  ville  auroient  un  eftalon  (a)  ou  patron  pour 
vérifier  le  poids  y  le  titre  &  l'aloi  des  monnoies ,  *& 

{a)  On  apelle eftalon  tout modelcde  poîds^oude meûire*   Glff.  du  Canff  ma 
Virb,  Scalo. 


J      E       A      N         I   I.  7Ç  

prévenir  dans  la  fuite  tout  changement  ou  altération  ;  ' 

qu'il  feroit  commis  pour  le  gouvernement   des  mon-   ^^^'  *h; 

noies  des  perfonnages  intelligents  &,  d'une  probité  ir- 

réprodiable  ,  qui  préceroient  ferment  entre  les  main^ 

du  monarque  y  en  préfence  des  furintendants.  L'article 

des  monnoies  fut  terminé  par  la  promefle  que  faifoit 

le  roi  d'exécuter  le  règlement ,  &  de  foire  acompagner 

cette  promefle  par  les  ferments  du  duc  de  Normandie  y 

de  fes  trois  autres  enfants  ,  des  princes  du  fang  ,  du 

chancelier  ,  des  membres  du    parlement  ,  du   grand* 

confeil  ,  des  gens  des  comptes  y  des  tréforiers  &  des 

ofîciers  de  la  monnoie     II  ajouta  y  que  s'il  arivoit  que 

des  gens  mal -intentionnés  confeillanent  le  contraire  y 

ils  feroient  à  Tinftant  même  defUtués  de  leurs  ofices, 

&  déclarés  incapables  d'en  pofTéder  d'autres  k  l'avenir^ 

£n  conféquence  de  la  loi  établie  pour  l'immutabilité 

des  monnoies  y  les  coupeurs  d'efpeces  y  devenus  inuti-» 

les  y  fiirent  rapelés  (a). 

Après  avoir  affuré  l'état  fixe  &  certain  des  monnoies, 
l'ordonnance  fiût  mention  d'un  autre  objet  non  moins 
important  ,   &  qui  intéreflbit  particulièrement  la  tràn-p 

2uilité  publique.  Le  roi ,  tant  ponr  la  reine  fon  époufe , 
;s  enonts  y  les  princes  de  fon  fang ,  oue  pour  les  ofi* 
ciers  y  tels  que  le  connétable ,  les  maréoiaux  y  le  maître 
des  arbalétriers  ,  les  maitres^d'faotel  y  les  amiraux  y  les 
naltres  des  garnifons  y  châtelains  &  capitaines  y  renonce 
à  perpétuité  au  droit  uficé  jufqu'aiors  de  prendre  ûir 
les  gens  du  peuple  ,  ikds  ,  vivres,  vins  ,  charttus ,  du- 
i^aux  ou  autres  ckofcs  ^ueUts  ^uUUcs  foitnt  ^  fe  ré&rvant 
cependant ,  lorfqu'il  voyageroit  y  le  droit  de  faire  fournir 
a  les  maicre^-d'hiôtel  y  par  la  jnftice  des  lieux  y  les  chofes 
indifpeniablement  néceflàires  ,  telles  que  formes  {b^ , 
cables  ^  trépeaux  y  couettes  y  couifias  ,  feutre  ou  paille 

(tf)  On  a  pu  voir  fous  le  legnc  ck  Philippe  de  iValok  ,f  uGigc  des  comiBis  éta- 
blis Bcmr  coapcr  &  cifâilkr  k^vieiiks  e(f«ecs.  SpictL  cmuùn  dt  Hmagis. 

(/)  Oo  apeleit  ainfi  des  eTpcoes  de  fi^cs  pbs  Ws  <}oe  Us  fauceoils  osdia^ 
Tes  :  les  éegcs  des  ^lifeseo  ontretcnu  k  nom.  Uu.  Cange-^  gloffaire  au  m9i 
foma. 

K  ii 


7^  Histoire    DE  France, 

'  •  '  banie  &  foins  ,  ainfi  que  des  voitures  pour  les  porter, 
Anp.  IJ5J.  en  payant  le  jufte  prix  defdites  fournitures  ,  le  jour 
même  ou  le  lendemain  ;  &  faute  de  paiement  ,  ceux 
qui  les  auroient  prifes  dévoient  être  pourfuivis  pour  y 
fàtisfaire  pardevant  le  juge  des  lieux  ou  le  Prévôt  de 
Paris.  A  l'égard  de  toutes  autres  perfonnes,  de  quelque 
qualité  qu'elles  fuflènt  ,  qui  prérendroient  ufer  d'un 
lemblabfe  droit  ^  fa  majeflé  permit  non-feulement  qu'on? 
pût  leur  réfifter  par  foi-même  ,  &  en  apelant  à  fon  fë- 
cours  les  voilins  &  les  communes  les  plus  prochaines  , 
mais  encore  qu'en  cas  de  violence  on  faisît  tous  ceux 
qui  auroient  pris  quelque  chofe  ,  qu'ils  fuflènt  punis 
comme  voleurs  &  perturbateurs  du  repos  public  ,  & 
condamnés  à  la  peme  du  quadruple  envers  la  partie 
ofenfée  :  enjoint  fous  les  peines  les   plus  féveres  aux 

I'uges  de  tenir  la  main  à  l'exécution  de  cet  article  de 
'ordonnance.  Pour  donner  encore  plus  de  vigueur  à 
cette  loi  ,  il  fut  ajouté  que  le  procureur-général  du  roi  ^ 
préfent  &  à  venir ,  feroit  ferment  de  pourfuivre  avec  la 
plus,  grande  rigueur  tous  ceux  qui  oleroient  y  contre- 
venir ,  auffi-tôt  qu'il  en  feroit  averti ,  quand  même  il 
n'y  auroit  aucune  plainte  formée  à  ce  fujet.  On  peut 
juger  par  la  leâure  de  ce  feul  article  de  l'ordonnance , 
des  vexations  auxquelles  le  peuple  étoit  alors  expofé  , 
efpece  de  tyrannie  d'autant  plus  cruelle  ,  qu'elle  étoit 
autorifée  par  l'ufage  &  par  le  droit.  Le  roi  par  fa  dé- 
claration afranchit  entièrement  fes  fujets  de  cette  fervi- 
tude  ,  &  d'une  manière  li  formelle  ,  qu'il  ajouta  dans 
un  autre  endroit ,  que  dans  le  cas  même  où  les  aides  qur 
lui  étoient  acordées  par  les  Etats  ,  n'auroient  pas  lieu  ,' 
ce  qui  fembleroit  devoir  rendre  nulles  les  renonciations 
qu'il  fait  par  cet  édit,  il  n'entendoit  pas  cependant  que 
ni  lui ,  ni  fes  fuccefleurs  puifent  revenir  contre  celle-ci  , 
fous  quelque  prétexte  que  ce  fut.  Il  s'engagea  de  plus  ^ 
tant  pour  lui  que  pour  la  reine ,  lc;s  princes  fes  enrancs, 
les  feiçneurs  du  fang ,  &  tous  fes  oficiers  ,  à  ne  jamais 
contramdre  perfonne  de  prêter  de  l'argent  involputaire- 
ment. 


J      K      A     N        I  I.  77 

Défcnfe  k  tous  créanciers  de  tranfporter  leurs  dettes  - 
k  perfonne  plus  puifTante,  ou  à  quelques  oficiers  privi-  ^^n*  M5X« 
légiés  ,  fous  la  peine  de  perdre  leurs  créances ,  &  d'a- 
mende arbitraire.  Toutes  les  dettes  des  Lombards  ufu- 
ricrs  ,  [  c'eft  ainfi  qu  on  apeloit  les  traitants  ]  font  dé- 
clarées prcfcrites  après  le  terme  de  dix  ans.  A  Tégard 
des  dettes  qui  ne  font  pas  dans  le  cas  de  la  prefcrip- 
tion  ,  les  débiteurs  ne  pouvoient  être  ajournés  hors  dé 
leur  juftice  naturelle. 

Le  roi  par  ce  même  édit  ordonne  que  toute  jurifdic- 
tîon  foit  laiffée.aux  juges  ordinaires  ,  fans  que  défor- 
mais on  puiiTe  traduire  aucun  de  fes  fujets  pardevant  fçis 
maîtres  a'hôtel ,  les  connétable  ,  maréchaux  ,  amiraux, 
maîtres  des  eaux  &c  forêts  ,  ou  leurs  lieutenants ,  ré- 
fervant  toutefois  la  jurifdidion  des  maîtres  de  requêtes  ' 
de  rhôtel  fur  les  oficiers  de  fa  maifon  y  mais  feulement 
en  caufe  perfonnelle  &  en  défendant ,  &  celles  des  ma- 
réchaux de  France ,  de  leurs  lieutenants  à  la  guerre , 
&  des  maîtres  des  eaux  &  forêts  pour  les  cas  de  leur 
reflbrt  uniquement.  A  l'égard  des  maîtres  des  eaux  & 
forêts  ,  il  leur  interdit  expreffémcnt  la  connoiffance  des 
matières  de  chaffe  ,  de  pêche  ou  autres  délits  dans  les 
terres  •&  jufti ces  particulières  des  prélats  &  feigneurs 
hauts-jufticiers.  Toutes  les  garennes  nouvellement  fai- 
tes,  &  qui  ocupoient  pour  le  feul  plaifir  de  la  chaiTe 
des  terrems  qui  auroient  été  employés*  plus  utilement 
au  labourage  ,  font  abolies  pour  remédier  aux  abus  que 
les  maîtres  des  eaux  &  forêts  avoient  commis  en  is'é- 
for^ant  d'acroître  Tétendue  des  anciennes  garennes ,  & 
d'en  fofmer  de  nouvelles. 

Comme  le  peuple  fe  plaignoit  amèrement  des  mal- 
verfations  journalières  des  fergents  (a) ,  dont  le  roi  fe 
propofe    de    réformer  &  reftreindre  dans  la  fuite   le 

(a)  Autrefois  fous  le  nom  de  fergents  on  entendoit  toute  efpece  de  feryîtcurs^ 
ainfi  que  Tempone  la  fignificarion  du  mot  Serviens. 

Il  y  avoit  pluficurs  fortes  de  fergents  out-e  les  fergents  d'armes  ,  dont  Tindi- 
tutlon  a  été  laportée  fous  le  règne  de  Philippe  -  Auguftc.  On  diftinguoit  entre    . 
antres  les  feigenteries  fiéfées  qui  étoient  des  fiefs  donnés  à  condition  d*a(Efict 


78  Histoire   de   Frakce, 

i  nombre  exceflif ,  il  leur  eft  exprcffément  défendu ,  fous 
Aaa.  13;;.  peine  de  deftitution  de  leurs  ofices  ^  de  prifon  &  de  puni- 
tion exemplaire  t  d'exiger  aucune  chofe  par-deik  leurs 
iàlaires  ,  ni  de  fe  faire  payer  plufieurs  journées  ^  poMc 
diférentes  exécutions  qu'ils  auroient  faites  dans  le  même 
jour.  Il  eft  ordonné  en  même-temps  à  tous  les  oficier$ 
fervents  ,  autres  que  ceux  qui  poffédoient  des  fergen- 
teries  fiéfées  ^  de  faire  les  exécutions  par  eux-mêmes  p 
fans  pouvoir  commettre  perfonne  k  Texerciçe  de  leurs 

aux  n^mcDts  de  U  cour  du  fcignenr.  Ceux  qai  ne  vouloient  potnc  exercer  ces 
fooôîons  pouvoient  donner  à  (erme  leurs  fergenterîes  avec  la  permiffion  du  roi. 

On  apeloftc  grandes  lêrgeatenes  celles  &nt  r«aiploi  éioic  le  phs  relevé  , 
comme  le  fervice  militaire  fcrfonnel  avec  un  eu  plufieurs  honunes ,  de  ponet 
la  bannière  du  roi  ou  fa  lance ,  de  conduire  ou  emmener  fon  hode  ou  armée  ^ 
^*étre  Ton  maréchal ,  de  porter  foa  épée  à  Ton  couronnement ,  ou  fon  iuthtr  [  fa 
oovi^]^. PU  faire  autns  tdtftrvîus»  On  peut  inférer  de-là  ou  «ndcnntioent  ks 
ofices  les  plus  confidérables  dire^ement  atachés  à  la  perionne  de  aos  x»is  » 
étoient  autant  de  grandes  fei^en teries.' 

Les  petites  lêrgenteties  écoieat  celles  d'tm  ordœ  iafiriear ,  &  xbnt  les  poflèC- 
feurs  ne  semplifloient  pas  uft  (crvice  immédiatement  rendu  au  raociaraiie  ,  &  qui 
eût  quelque  raport  au  devoir  militaire  ,  comme  d'acompagner  le  Icigneur  ou 
la  dame ,  de  porter  leurs  ordres ,  de  nourir  les  chiens  âc  les  lévriers  ,  d'élever  , 
de  changer  les  oifeaux  pour  la  chafle',  d'avoir  foin  des  arcs  âc  des  flèches ,  &e« 
Les  prélats  ,  feigneuts  &  communautés  avoient  aufli  leurs  fergents  chargés  di& 
diférentes  fondions  ,  de  garder  les  bois  ,  les  prés  ,  les  garennes  \  la  jgfture  de 
Teau ,  mettre  les  bornes ,  £»ii;e  les  fiemoaces  Zn  ajousnements ,  à  foire  toute  ma- 
miere  de  forvice  qui  apariient  à  fervanu ,  foit  eu  ^dmit  ,  fait  eu  jufiiàam.  Lesi 
fergents  ,  généralement  parlant ,  avoient  droit  &  étoient  tenus  «l'exécuter  les 
mandements  &  corami  (fions  des  rois ,  ponces ,  têigneurs ,  on  autres  dont  ils  rele* 
▼oient',  de  fignifier ,  de  proclamer  Se  nconplir  les  jiqgements  »  &c 

Les  cours  de  juûâce  fvoientaufC  leurs  fergents  ou  apariteurs.  Dlfins  l'ancienne 
coutume  MS.  de  Normandie  ,  i  pan.  feâ.  i ,  chap.  x.  l'aRicle  qui  cojicerne 
ces  oficiers  nous  «prend  quelles  étoient  en  parties  leois  lonâîons.  En  par- 
lant des  fergents  de  Tépée ,  il  eft  dit ,  »  (bus  les  vicomtes  £bnt  les  feigcatsdc 
o>  répée ,  lelquels  doivent  tenir  les  vues ,  &  faire  les  femonces  &  ks  comman- 
3»  déments  des  afifcs  de  faire  tenir  ce  qui  eft  jugé ,  fi  doivent  les  nans  [gages  ^ 

»  nanti fements  1  délivrer ,  gardé  fur  ce  Tordce  <ie  dfoît &  pour  ee  ^ar-ilL 

93  ifergents  de  l'épée ,  car  ils  doivent  jufticier  venueufcment  tous  les  malfiùcevrs  » 
»  gens  difamés  d'aucun  aime ,  &  les  doivent  avec  le  glaive  de  Tépée  &  avec  au- 
9»  très  armes  fi  ▼igoureufttiient  ittfticier,  que  lecbomies  )^eiis  qui  footoaîfibics 
a»  foient  par  les  fergents  de  Tépée  gardés  paifiblemeot ,  9c  que  les  maUattei»6 
»  foient  épouvantés  &  punis  lelon  droit ,  &  à  ce  furent  les  fergents  de  Fépéé 
M  principalement  établis  «.  Hors  l'exécution  des  criminels  »  dont  il  parott  qu'au- 
trefois cette  forte  de  fergents  avoit  la  charge ,  les /ergents  ou  aparkcors  des  >u- 
dfdiâions  exercèrent  les  mêmes  foulions  ,  îc  c'eft  particulièrement  ces  fergen- 
terîes uniquement  judiciaires  »  que  l'ordonnance  a  en  vue.  Qui  voudra  coonottre 
d'une  oiaoicrc  plus  détaillée  toutes  les  différentes  efpcces  de  fcsgcnterîcs^  pouri 
«onfulter  le  (^avam  glolTaire  de  du  C^nge  au  mot  Servies. 


J     s      A      N        I  I.  79 

fondions  :  permis  k  ceux  qui  ayant  compté  fur  les  diP- 
penfes  d'exploiter  par  eux^nvétnes  ^  quô  le  prince  acor-- 
doit  ordinairement  ,  ôc  qui  font  révoquées  par  Tédit , 
de  vendre  leurs  oiices  dan^  le  terme  de  deux  mois. 

Quelque  temps  auparavant  on  avoit  publié  un  édit 
concernant  les  laboureurs  ,  qui  devoit  être  obfervé  fous 
de  certaines  peines  &  amendes  pécuniaires.  L^ordon- 
nance  rapele  ce  règlement  &  adjuge  aux  feigneurs  hauts- 
jufljciers  le  profit  de  cet  amendes  y  chacun  dans  l'éten- 
due de  leurs  domairies. 

Pour  affurer  la  tranquîlité  &  la  Hberté  du  commerce, 
toute  efpece  de  trafic  eft  interdit  aux  gens  du  grand- 
eonfeil  ,  prélidents  &  confeillers  du  parlement  ,  maî- 
tres des  requêtes  ,  mahres  des  comptes  ,  tréforiers  de 
France ,  receveurs ,  maîtres  des  eaux  &  forêts ,  échanfons, 
bouteilliei^ ,  pannetiers ,  rpaîtres  d'écurie ,  maîtres  ,  gar-- 
des  &  oficiers  des  monnoies  ,  maîtres  des  garnîfons , 
fénéchaux ,  prévôts ,  baillifs ,  procureurs  &  fecrétaires 
du  roi ,  châtelains  f  6c  généralement  à  tous  juges  &  ofi- 
ciers. Défenfe  k  eux  de  faire  aucun  commerce  direôe- 
ment  ni  indireâement  ,  par  eux  -  mêmes  ou  fous  des 
noms  empruntés  ,  k  peine  de  contifcation  des  marchan- 
difes  y  &  de  punition  arbitraire. 

Toutes  les  contraventions  antérieures  contre  les  mon- 
noies ,  tant  civiles  ,  cjue  criminelles  ,  excepté  le  crime 
de  faufle  monnoie ,  ou  le  tranfport  des  efpeces  hors  du 
rovaume  ,  font  remifes  &  pardonnées  en  faveur  du  fub- 
fiae  acordé  par  lés  Etats  ^ 

Le  roi  promet  qu'k  l'avenir  il  ne  convoquera  plus  Ta- 
riere-ban  fans  une  évidente  &  urgente  néceflité  ,  fur  les 
avis  des  députés  des  trois  Etats  y  k  moins  qu'il  ne  lui 
fut  impofiible  de  les  aflembler. 

Tous  les  autres  fubfides  dévoient  celTer  pendant  le 
cours  des  aides  acordéeK  par  les  Etats ,  dont  les  députés 
âvoieat  ordre  de  fe  raflembler  Tannée  fuîvante  pour  en 
impofer  de  nouvelles ,  û  la  guerre  continuoît  :  &  dont 
le  cas  où  les  trois  ordres  ne  pouroient  convenir  d'aides 
fufifantes  «  le  roi  (e  réfervoit  la  faculté  de  recourir  a 


Ann.  1355. 


n 


80  HlSTOIRE*DE    FrAKCE^ 

-  '  fon  domaine  des  monnoîes  ,    &  à  fes  autres  droits , 

Anû.  Ï355-    excepté  les  prifes  des  vivres  ,  provifions  &  uftenfiles , 
auxquelles  il  déclaroit  avoir  renoncé  abfolument. 

Le  refte  de  l'ordonnance  ne  concerne  plus  que  le 
fèrvice  militaire.  Les  faufTes  montres  ftfnt  défendues 
fous  peine  de. confîfcation  d'armes  &  de  chevaux  &  de 
punition  arbitraire.  Afin  de  prévenir  tous  les  abus  qui 
le  commétoient  à  cet  égard  ,.  il  eft  ordonné  que  les  fur- 
incendants  députés  des  Etats  afiifleront  aux  revues  ; 
que  nul  ne  fera  cru  fur  fon  écrit  ou  fur  fa  parole  ^  fans 
en  excepter  même  les  princes  du  fang  &  les  feigneurs  ; 
qu'il  ne  fera  rien  payé  qu'à  ceux  qui  fe  feront  réelle- 
ment préfentés  en  armes  &  en  équipages  ;  que  les  che- 
vaux feront  marqués  ,  afin  d'empêcher  qu'on  en  puiffe 
faire  diférentes  montres  ;  qu'il  fera  fait  une  proclamation 

Générale  ,  portant  défenfe  exprelTe  à  tous   gendarmes, 
e  s'abfenter  du  royaume  fans  permiifion.  Enjoint  aux 
oficiers  généraux,  tels  que  le  contiétable,  les  amiraux  , 
les  maîtres  des  arbalétriers  ,  les  tréforiçrs  des  guerres  ou 
autres  ,  de  n'exiger  aucun  droit  de  ceux  qui  feront  des 
courfes  fur  Tennemi  par  terre  ou  par  mer.  Les  capitaines 
feront  rendus  refponfables  des  défordres  que  leurs  gen» 
pouront  faire  dans  les  lieux  de  leur  pacage.  Les  troupes  ne  ^ 
peuvent  féjourner  plus  d'uq  jour  d«ns  ks  villes  de  Içur 
route  ;  permis  de  leur  refufer  de^  vivres  avi-delk.de  ce 
tçrme  ,  &  même  de  les  contraindre  d'aller  en  avant. 
Enfin  le  roi  promet  de  faire  les  plus  puifTants    éfortsi 
*  pour  terminer  la  guerre  promptement,  &de  ne  con- 
clure,  ni  paix,  ni  trêve  ,  que  par  l!avis   des  députés 
choifis  dts  trois  Etats  :  &  pour  (e  mettre,  plutôt  en  état 
deprefler  lesennemis  ,  qu'il  fera  fait  inceuamment  une. 
puDlicatioii  portant  ordre  à  tous  les  gens  de  guerre  de 
le  rendre  au  premier  ban ,  en  armes  $c  en  équipages , 
prêts  à  entrer  en  campagne  ,  à  peine  contre  les  négli- 
gents d'y  être  contraints  par  les  oficiers  du  rpi , -,&  je$ 
leigneurs  hauts  -  jufticiers  ,   prélats  ,   duc?  ,.  comtes, 
barons  ,  chapitres  &  communautés.  Ce^te  ofrdo^nancp 
eft  dat^edu  3.8  Décembre  1355  ,  fçell^e  le  18  Janvieij 

f  uivant , 


7     s      A      N        I   I.  Si 

foîvant ,  &  publiée  en  jugement  au  Châtelet  de  Paris  ,  ■ 

en  la  préfencede  Jean  Luillier  ,  lieutenant  du  prévôt    Ann.  ijyf. 
de  Paris  ,  le  22  du  même  mois. 

Tel  eft  le  précis  exaft  de  cette  fameufc  déclaration 
rendue  en  cpnféauence  de  la  délibération  unanime  des 
Etats  généraux  de  1355.  Elle  ne  renferme  pas  un  feul 
article  qui  ne  rapele  quelqu'un  des  ufages  du  fiecle  où 
elle  fut  publiée  i  &  ç'eft  le  principal  motif  oui  lui  fait 
ocuper  clahs  cet  endroit  de  Thiftoire  une  étendue  que  les 
bornes  ordinaires  fembloient  lui  interdire. 

Les  meiiires  que  Ton  prit  dans  cette  aflembléc  pour 
trouver  les  fonds  néceflaires  ,  n'opérèrent  pas  Téfet  qij^on 
en  avoit  atendu.  Le  roi  avoit  beaucoup  infifté  fur  Tin- 
fufifance  de  Tàide  acordée  par  les  Etats,  prétendant  qu'une 
capitation  générale  ouvroit  une  voie  plus  sûre  &  moins 
embaraffaiîte  pour  fournir  à  Tentretien  de  Tarmée  ; 
cependant  pour  ne  pas  rebuter  la  bonne  volonté  des 
États  ,  il  accepta  le  fubfide  tel  qu'il  lui  fut  ofert  :  on 
convint  feulement  ,  avant  de  féparer  rafTcmblée  ,  que 
des  députés  àes  trois  ordres  fe  troûveroient  à  Paris  au 
mois  de  Mars  ,  &  qu'alors  on  examineroit  le  produit 
de  rimpofition. 

Suivant  la  réfolution  prife  par  les  Etats  ,  les  dépu-  LesEut^  fe 
tés  fc  raflèmblcrént  à  Paris  le  premier  Mars  fuivant ,  «^^ffcmbicnt. 
excepté  ceux  de  plufîeurs  des  villes  de  Picardie  ,  &  ju^rtTjèJ!^.^* 
d'une  partie  de  la  noblelTe  &  des  villes  de  Normandie,  Mémorkide 
qui  tinrent  une  aflémblée  particulière  de  la  province  au  ^^^^^^^  ''^ 
Vaudrcuil  ,  où  les  partifans  du  roi  de  Navarre  ,  Aar-  ^^'frôffard. 
tout  le  comte  de  Harcourt ,  atentif  à  traverfer  en  tout     ProchMS^ 


les  deffçins  du  roi ,  donnèrent  des  témoignages  publics  ^^^^^ 
de  leur  mauvaife  volonté.  On  aflure  qu'a  cette  aflém- 
blée du  Vaudreuil ,  le  comte  de  Harcourt  tint  ouver- 
tement les  propo$  le!»  plus  injurieux  contre  le  fouverain. 
li  avoit  conçu  contre  le  roi  Jean  une  haine  implacable. 
Tar  hjang  Dieu^  le  fang  Dieu  ,  difoit-il ,  ce  roi  tjl  un 
mauvais  %ornme  ,  &  tvéji  pas  bon  roi,  &  vraiment  je  me 

farcftrai  de  lui  La  fuite  va  nous  faire  voir  que  ce  pref- 
intiment  étoit  fondé. 

Tome  y.  L 


du  roi  df  Na- 


Si  Histoire   de   France, 

?      Il  s*cn  faloh  beaucoup  que  le  fubfide  acordé  par  les 
Ann.  lis  S'    Etats  fût  trouvé  fufifant  pour  fournir  à  Tentretien  des 
Nouveau  fiib-  troupcs  :  uue  grande  partie  des  habitans  de  diverfes 
tionpaTtêtc.'    Pfovinces  refufcrent  de  fe  foumettre  à  Timpofîtion  ;  & 
Uidem.      i  oii  fut  en£n  obligé  de  revenir  au  fentiment  du  roi ,  en 
E  ^'^^Ms  ^'^  ^^poùitit  une  capitation  générale  fur  tous  les  fujets  du 
^^^      '      royaume  ,   fans  en  excepter  les  princes  du  fang  ,   le 
clergé  ni  la  nobleiTe.    Ce  tribut  par  tête  fut  propor- 
tionné à  la  valeur  des  biens  :  il  fut  fixé  à  quatre  livres 
Sour  cent  livres  dé  revenu  ,  quarante  fous  au-defTous 
e  cent  livres  ,  &  vingt  fous  au-deifous  de  quarante 
livres^   Les  bénéfices  pofTédés  par  les  prélats  &  gens 
d'églife  privilégiés  ou  autres  ,  furent  taxés  pareillement. 
Ce  qui  m  paroître  cette  impontion  plus  onéreufc  ,  fut 

3ue  les  laboureurs  ,  ouvriers  &c  ierviteurs  à  gages , 
ont  les  (klaires  £^roient  .eftimés  monter  à  la  valeur  de 
cent  fous  par  an  ,  furent  taxés  à  dix  fous.  Les  meubles 
mêmes  furent  compris  dans  cette  contribution  :  on  payoit 

{>our  mille  livres  de  meubles  ,  autant  que  pour  cent 
ivres  de  revenu.    Il  n'y  eut  d'exempt  que  les  veuves  ; 
les  en£ants  en  tutelle^  les  religieufes  ,  les  moines  cloi-- 
tricrs  &  les  mendiants.   Le  commerce  procuroic  au  roi 
RAp.Th.t.i,  d'Angleterre  des  refTources  plus  faciles.  Le  produit  an- 
f%*&ii.        nuel  du  feul  fubfide  fur  les  laines  ^   acordé  à  Edouard 
par  le  parlement  de  la  nation ,  étoic  évalué  à  trois  cent 
cinquante  mille  marcs  d'argent. 
Révolte  dtt      Dans  le  temps  qu'on  s'ocupoic  des  mefures  propres 
^P  c    Ar-  ^  foutenir  la  guerre  dont  on  étoit  menacé  au  -  dehors , 
i4/,^CTi.      on  vit  les  premières  étincelles  de  cet  embrafement  gé- 
néral j  qui  ne  tarda  pas  à  fe  manifefler.   La  populace 
d'Arras  (è  fouleya  :  la  noblefTe  voulut  s'opofer  aux  pre- 
miers éforts  de  la  fédition  ;  rnais  le  nombre  des  re- 
belles croifiant  à  tous  mome;its  ,    elle  fut  obligée  à^ 
céder  &  de  fe  retirer  de  la  ville  :  plus  de  vingt  per- 
fonnes  de  diflindion  périrent   danç  ,çe  défordre.    Cet 
atentat  ne  demeura  pas  impuni  :  A^ftoul.  d'Andreghen  , 
maréchal  de  France  ,  entra  dans  Arras  j  fans  parottre 
y  être  conduit  par  le  deffein  d'exejrqei?  aucyine  févéricé. 


Je     a    n    i  I  L  83 

Le  lendemain  de  fon  arïvée  ,  il  fit  emprifonner  cent  - 

des  principaux  mutins  ;  le  fuplice  de  vingt  des   plus   Aon.  t^ss- 
coupables  ^  décapités  aux  yeux  du  peuple  y  jeta  la  ter- 
reur dans  le  cœur  des  révoltés  ,  &  les  fit  rentrer  dans 
le  devoîf. 

Le  roi  réfolut  enfin  lexécution  d'un  deflein  formé     Le  roî  fur- 
depuis  long-temps.  Si  Pon  s'en  raporte  au  témoignage  N^^aric'^à''*^ 
de  la  plupart  des  hiftoriens  contemporains  ,  jamais  il  Rouen. 
n'oublia  la  mort  de  Charles  d'Eljpagne  ,   il  conferva     Froiffard. 
toujours  le  defir  de  venger  cet  aflamrwit  fur  ceux  qui  ^^j^^i^^'^"'^' 
en  étoient  les  auteurs  ou  les  complices.  Depuis  ce  cruel    Grande  chr^ 
afront ,  les  ofcnfes  réitérées  dont  le  roi  de  Navarre  &  «'^«f-        ^ 
fés  çartifans  s'étoient  rendus  coupables  envers  lui,  leurs  ^roUean. 
intrigues  toujours  opofées  a  fes  projets  ,  la  confpira- 
tion  dans  laquelle  ils   avoient  engagé  l'innocence  du 
dauphin  ^  les  fuites  de  ce  complot  découvertes  depuis , 
le  pardon  qu'il  avoit  été  contraint  de  leur  acorder  ,  les 
éforts  qu'ils  avoient  faits  dans  raffemblée  des  Etats- gé- 
néraux ,  pour  indifpofer  les  trois  ordres  de  la  nation 
contre  le  gouvernement  ,  tout  femblbit  lui  renouveler 
à  chaque  moment  le  fou  venir  d'une  première  injure. 

Le  roi  cependant  avoit  diflîmulé  ;  &  malgré  la  ^rio- 
lence  de  fbn  reflentiment ,  le  defir  de  rendre  fa  ven- 
geance plus  complète  ,  Ta  voit  emporté  fur  fon  impé- 
tuofité  naturelle*  Le  duc  de  Normandie  contribua  de 
fon  côté  à  l^acompliiTement  de  ce  projet  :  car  ce  qui  fé 
pafTa  dans  cette  ocafion  ne  permet  pas  de  douter  au'il 
n'entrât  dans  les  vues  de  ion  père.  Ce  prince  ecoit 
pour-Iors  à  Rouen  ,  capitale  de  fon  nouvel  apanage. 
Il  y  tenoit  une  cour  nombreufe  :  il  trouva  facilement 
les  moyens  d'y  atîrer  plufieurs  fois  le  roi  de  Navarre , 
avel  lequel  il  avoit  toujours  entretenu  une  étroite  liai- 
fon.  Les  feigneurs  de  la  fuite  de  Charles  le  mauvais 
Tacompagnoient  ordinairement  dans  les  fréquents 
voyages  qu'il  faifoit  d'Evreux  à  Rouen.  Le  dauphin 
Tinvita  un  jour-  à^n  grand  repas.  Il  s'y  rendit  ,  luivî 
d'un  nombre  de  fes  plus  fidèles  partifans. 

Dès  la  nuit  qui  précéda  ce  même  jour  ,  le  roi  étoit 

L  ij 


lUdiitt. 


84  HiSTorç-E   DB   France, 

■  ■  parti    de    Manneville  ,   armé   &   acompagné  de  cent 

Ann.  ijyj,  hommes  d'armes  ,  au  nombre  defquels  écoîenc  le  comte 
izUsLvœun&c  ^'^^j^^  ^^^  ^^^  >  ^^  ^^^  d'Orléans  Ion  frère  ,  Jean  d'Ar- 
phificurrfci-  tois  comte  d*Eu ,  Charles  d'Artois  fon  frère  ,  le  comte 
gncurs  arécés  de  TancarviUe ,  le  maréchal  d'Andreghen  ,  &  'plufieurs 
&  exécutés,  autres  feigneurs.  Arivé  fous  les  murs  de  Rouen  ,  pré- 
cifément  à  Theure  du  feftin  y  &  fans  pafler  par  la  ville , 
il  fait  le  tour  ,  entre  par  une  fàufTe  porte  du  château  ,  & 
fe  préfente  à  l'entrée  de  la  falle  où  les  convives  étoienc 
affemblés.  Tout  le  monde  fe  leva  auffi-tôt  qu'il  parut  : 
on  lui  préfenta  un  gobelet  ;  mais  le  monarque  lançant 
un  regard  terrible  fur  les  afliftants  :  Que  perfonne  ne  fe 
remue  fous  peine  de  mort ,  s'écria-t-il  d'un  ton  à  glacer 
d'éfroiles  plus  hardis.  Il  s'aprocheaufli-tôtdu  roi  de  Na- 
varre ,  qu  il  faifit  lui-même.  Le  comte  de  Harcourt  veut 
cnvain  fe  fauver  ;  il  eft  arête  dans  le  même  inftant.  Tous 
les  feigneurs  &  chevaliers  de  la  fuite  du  roi  de  Navarre 
le  précipitent  les  uns  fbr  les  autres  pour  fe  dérober  k 
la  fureur  du  monarque  :  quelques-uns  eurent  le^bon- 
heur  de  s'échaper  en  pafiant  par-defFus  les  murailles. 
Tous  les  autres  furent  chargés  de  chaînes  ,  &  con- 
duits dans  diférentes  chambres  du  château*  Le  roi  ^ 
après  cette  expédition^  fe  mit  à  table  :  auf&-tôt  qu'il 
eut  dîné  y  il  fît  mettre  fur  deux  charettes  le  comte  de 
Harcourt  y  les  feigneurjs  de  Graville  ,  Maubué  de  Mai- 
nemars ,  chevaliers ,  &  Olivier  Doublet ,  écuyer.  Jean , 
acompagné  du  dauphin  fon  fils ,  &  de  fes  hommes  d'ar- 
mes y  monta  à  cheval  y  conduifant  avec  lui  fes  prifon- 
niers.  Un  hiflorien  de  ce  temps  raporte  que  lorfque  ces 
infortunés  pafFerent  fur  la  place  de  Rouen  ,  les  habi- 
tants de  la  ville  ,  étonnés  de  ce  fpeâacle  imprévu  y  vou- 
lurent les  délivrer  ;  mais  le  roi  ôtant  fon  cafque  y  fe  fit 
reconnoître  ,  &  perfonne  n  ofa  branler.  Dans  le  même 
moment  il  tira  de  fa  poche  un  aâe  y  d'où  pendoient 
plufieurs  fceaux  y  afTurant  que  c'étoit  un  traité  conclu 
avec  l'Angleterre.  Le  même  auteur  aipute  que  le  comte 
de  Harcourt  y  &  les  trois  autres  feigneurs  nièrent  }uf- 
qu'à  la  mort  la  concluiion  de  ce  traité  ;  on  les  conduifit 


Viltani. 


J      Ê       A      N         I   I.  85 

cependant  hors  de  la  ville  dans  un  champ  a  pelé  le  Champ-  .. 

du-Pardon  ,  où  ils  furent  decolés  en  préfence  du  roi    Ann.  15;;: 
&  du  duc  de  Normandie. 

£n  confidérant  de  fang-froid  la  conduite  du  roi  dans 
cette  ocafîon  ,  on  ne  peut  s'empêcher  de  déplorer  le 
caraâere  inconfidéré  de  ce  prince  y  qui  fe  laiilant  tou- 
jours emporter  aux  tranfports  impétueux  de  fon  ame  ^ 
trouvoit  moyen  de  donner  un  air  ainjuftice  à  toutes  fes 
aâions  ,  tandis  au41  eût  pu  fatisfaire  un  reiTentiment 
légitime  y  en  le  laifant  autorifer  par  les  loix.  Qui  ne 
feroit  indigné  de  voir  un  roi  flétrir  la  majefté  de  fon 
fang ,  avilir  &  dé^ader  Taugufte  caraâere  de  monar- 
Gue  j  en  faifant  lui-même  Tonce  de  jfàtellice  ^  arêtant  de 
fa  propre  main  des  fujets  coupables  ,  les  traînant  au  fu- 

Ïlice  ,  &  raflafîant  fes  yeux  de  Téfufion  de  leur  fang  ? 
1  ne  lui  manquoit  plus  que  de  fouiller  fes  mains  la- 
crées  par  la  plus  horrible  des  fondions. 

Les  corps  des  feigneurs  que  le  roi  venoit  de  faire 
exécuter ,  furent  traînés  au  gibet  de  Rouen ,  où  ils  de- 
meurèrent fufpendus  par-deilou5  les  bras  avec  des  chaî- 
nes de  fer  ,  &  leurs  têtes  ||ifes  k  côté  d'eux  fur  des 
lances  plantées  pour  cet  éfet.    Le  jour  même  de  cette 
aâion  ,  &  le  lendemain  ^  le  roi  renvoya  tous  ceux  qu'il 
avoit  fait  arêter  ,  à  l'exception  du  roi  de  Navarre  y  de 
ce  Friquet  dont  nous  avons  parlé  ci  -  defTus  y  &c  d'un 
gentilhomme  apelé  Vaubattu,   Le^oi  de   Navarre  fut     Froiffard. 
conduit  au  Louvre  à  Paris  ,  d'autres  difent  au  château    SpicU contin. 
Gaillard  près   d'Andely  ,  enfuite  au  Châtclet  (a)  y  où  ''^^'^• 
on  lui  donna  des  gens  du  confeil  pour  le  garder.   Il  y 
a  toute  aparence  que  ces  gens  du  confeil  y  qui  furent 

(a)  Les  auteurs  contemporains  ne  font  pas  d'acord  entre  eux  fur  le  lieu  de  la 
détention  du  roi  de  Navarre.  Le  continuateur  de  Nangis  a/Ture  que  ce  prince 
cfluya  les  plus  durs  traitements  durant  tout  le  temps  qnil  fut  uècé  ;  qu'on 
envoyoit  quelquefois  Ters  lui  des  hommes  qui  paroi (Toient  déterminés  à  lui 
trancher  la  tête ,  &  qu'à  Tinftant  il  çn  furvenoit  d'autres  qui  rufpendoient  Texé- 
cmion.'Il  ajoure  oui  1  fut  chargé  de  chaînes  pendant  le  cours  de  ùi  captivité^ 
mats  cet  auteur  ett  fe  feul  qui  raporte  ces  faits ,  &  probablement  fur  le  récic 
du  roi  de  Navarre  lui-même  ,  qui  avoit  intérêt  d'exciter  la  compaiGon  pour  des 
/ôufranccs  qa'il  exagéroit.  . 


Ann.  1}SS' 


96  Histoire   de   Frange^ 

chargés  de  la  garde  du  roi  de  Navarre  ,  écoient  des 
commifTaires  nommés  pour  travailler  à  rinftruâion  de 
fon  procès  ,  de  la  même  manière  qu'on  en  uià  contre 
Friquet  ,  oui  avoit  été  aurti  dans  le  même-temps  ren- 
fermé au  Châtelet  avec  Vaubattu.  Si  Ton  commença 
_  éfeâiveraent  quelques  procédures  contre  ce  prince  ,  ce 

^  qui  paroît  allez  probable  par  les  plaintes  qu'il  fit  des 

menaces  concinudiles  de  mort ,  &  des  traitements  ri- 
goureux qu'il  efluya  dans  fa  prifon  ;  ce  commencement 
d'inftruâion  de  procès-criminel  aura  vraifemblablement 
été  fuprimé  pendant  les  troubles  qui  furvinrent  peu  de 
temps  après.  Il  ne  nous  eft  refté  que  le  procès -verbal 
des  interrogatoires  fubits  par  Friquet.  On  voit  feule- 
ment par  le  certificat  du  fecrétaire  du  roi  ,  qui  acom- 
pagne  cet  interrogatoire  ,  que  le  roi  de  Navarre  fut 
mterrogé. 
Ann.  i^j6.  La  prifou  du  roi  de  Navarre  ,  &  le  fuplice  des  fei- 
PhiHppc  de  gneurs  arêtes  avec  lui  ,  loin  d'éteindre  le  zèle  de  fes 
partifans ,  fut  le  fignal  du  foulévement  d'une  partie  de 
la  province  de  Normandie.  Philippe  de  Navarre  ,  firere 
de  ce  prince  ,  rafTembla  t||is  ceux  qui  étoient  atàchés 
à  fa  maifon  ^  fortifia  les  piices  &  châteaux  des  domai-. 
nés  de  fon  frère ,  y  mit  de  fortes  garnifons  ,  réfbiu  de 
fe  défendre  jufqu'a  la  dernière  extrémité.  Il  écrivit  en 
même-temps  au  roi ,  qu'il  lui  déclaroit  une  guerre  im^ 
mortelle  y  li  l*on  ateatoit  à  la  vie  de  fon  frère.  La  faifie 
qu'on  voulut  fiiire  des  terres  du  roi  de  Navarre  eut 
aulli  peu  d'ééèt  que  cojle  qu'on  avoit  déjà  tentée  avant 
le  traité  de  Valogncs  :  fes  troupes  cantonnées  dans  le 
Cotentin  rendirent  vains  tous  les  éforts  qu'on  fit  pour 
les  en  chailèr.  La  noblefle  &  la  plupart  des  villes  de  la 
province.,  indifpofées  contre  le  gouvernement ,  ou  em- 
brafierent  le  parti  du  Navarrois  ,  ou  gardèrent  la  neu- 
tralité. Godefroi  de  Harcourt ,  le  même  qui  fous  le 
règne  précédent  avoit  introduit  les  Anslois  dans  le 
royaume  y  fe  montra  dans  cette  circonftance  un  des 
plus  ardents  ennemis  du  roi.  L'afront  faoglant  que  fa 
maifon  venoit  de  recevoir^  juftifioit  en  quelque  manière 


Navarre   fc 
cantonne  en 
Normandie. 
Ikidcm. 


Tri  for  des 
Chartres. 


J      E      A      N         I   I.  ,87 

cette  féconde  révolte  ,  fi  Ton  peut  trouver  quelque  mo-  ''^— "T 
tif  légitime  de  s'armer  contre  fa  patrie.  Ann.  ijj^ 

Philippe  de  Navarre  &  Godefroi  de  Harcour&  ^  non-*     Philippe  de 
contents  d'avoir  pris  les  mefures  propres  à  rompre  les  ^*T*r''^  ^ 
premiers  éforts  du  roi  ,  fongerent  à  s'apuyer  d'un  fe-  d^Harcoun 
cours  étranger ,  fur  lequel  les  ennemis  de  l'Etat  pou-  traitent  avec 
voient  toujours  compter.  L'AnçIeterre  leur  ofroit  une  ^^^^' 
reiTourxx  infaillible.    Ils  s'adreflerent  à  Edouard  ,  qui     ^  ^'^^ 
leur  témoigna  les  difpofitions  les  plus  favorables.  Il  fît  puhlHom!  ^, 
expédier  un  fauf-conduit  pour  leurs  agents  qui  pafsè-  part.i^p.nx. 
rent  à  Londres.  Il  ne  s'en  tint  pas-là  :  comme  le  roi  y 
en  arêtant  le  roi  de  Navarre  ^  &  en  conduifant  les 
quatre  chevaliers'  au  fuplice  ,  les  avoit  acufés  d'une 
confpiradon  contre  l'Etat  y  &  d'un  traité  avec  l'Angle* 
terre  y  le  j||C)narque  Anglois  entreprit  de  perdre  fon 
rival  de  r^utation  ,  en  lui  donnant  un  démenti  à  la 
face  de  l'Europe. 

Pour  cet  éfet  Edouard  fit  expédier  des  lettres-paten-    Manîfcftcdu 
tes  adreffées  au  pape ,  à  l'empereur  ,  &  généralement  ~J<i'Angietcr. 
à  tous  les  princes  ,  Seigneurs  &  peuples  de  la  chrétien-   ùwp.n^. 
té.   Ci  Les  prudents  de  ce  fiecle  y  dit  le  roi  d'Angle- 
jy  terre  dans  ce  manifeile  y  s'éfbrceQt  de  déguifer  leurs 
yy  fautes  y  ôc  de  pallier  leurs  méchancetés  y  en  flétrif- 
v  faut  l'innocence  des  autres  :  nous  croyons  qu'il  efl 

V  conforme  à  ce  que  Ton  doit  à  Dieu  &  à  l'humanité 
y>  d'aracher  le  voile  qui  couvre  la  vérité  y  &  de  l'expo- 
sa fer  toute  nue  en  éfaçant  par  un  témoignage  public 

V  les  fauifes  couleurs  dont  elle  étoit  ofufquée.  Tout  le 
yy  monde  fçait  que  Tean  de  France  y  poiTefTeur  aâuel 
yy  contre  Dieu  &  juûice  de  ce  rovaume  qui  m'apar- 

V  tient  y  s'étant  réconcilié  fous  la  toi  du  ferment  avec 
9^  le  roi  de  Navarre  ,  6c  lui  ayant  promis  d'oublier 
yy  tous  les  fujets  de  mécontentement  qu'il  pouvoit  avoir 
yy  contre  lui  &  contre  fes  adhérents  y  l'a  cependant  fait 
39  arèter  avec  le.  comte  de  Harcourt  &  pluiiéurs  autres 
9^  nobles ,  &  les  a  traités  d'une  manière  fur  laquelle  le 
9>  refped  dû  à  Thoneur  de  la  profeflion  des  armes 
»  nous   impofe  .filcncc.    Mais    comme  ledit   7ean   de 


B8     ^         Histoire  de  France, 

'  yy  France  ,  pour  juftîfier  fon  aôion  ,  prétend  ,  à  ce 

l*Aiui.  ijfe.  yy  qu'on  dît ,  avoir  entre  les  mains  les  -lettres  du  roi  de 
yy  Navarre  &  des  nobles ,  par  lefquelles  il  paroît  au'ils 
fy  ont  confpiré  contre  lui  ,  &  qu  ils  ont  promis  de  fe 
yy  joindre  à  nous  ,  &  de  nous  livrer  la  ^Normandie , 
>>  craignant  que  ces  difcours  ne  fafTent  tort  à  notre 
yy  honeur  &  k  celui  du  roi  de  Navarre  ,  &  voulant  à 
yy  caufe  des  liens  du  fang  qui  nous  unifient,  laver  ledit 
>^  roi  de  Navarre  de  cette  faufle  imputation  ,  quoiqu'il 
w  foit  notre  ennemi ,  nous  déclarons  en  parole  de  roi 
»  &  devant  Dieu  ,  aue  le  rois  de  Navarre  &  fes  amis 
yy  n'ont  jamais  fait  de  traité  avec  nous  ,  n'ont  jamais 
w  Êivorilé  notre  parti,  &  qu'au  contraire  nous  les  avons 
>^  toujours  regardés  comme  nos  ennemis  ce,  Donné  à 
Weftminfter  le  14  Mai  i^i^.  ^ 

Philippe         1^5  ennemis  du  roi  ne  manquèrent  pas  de  répandre 
de  Navarre     ce  manifefte  ,  &  ne  réuffirent  que  trop  à  multiplier  le 
SeHarcom     ^^^^^^  ^^^  mécontents.    Le  prince  de  Navarre  pafla 
paÀencenAn.  ^n  Angleterre  ,  acompagné  de  Godefroide  Harcourt , 
gictcrrc&reo-  afin  de  preficF  la  conclunon  dn  traité  commencé.  Go- 
àEdoS!^^^  defroi  de  Harcourt  n'écoutant  que  fon  reflcntimcnt,  no 
Rym.aa.puU.  ^^t  pas  plutôt  arivé  à  Londres ,  qu'il  reconnut  «Edouard 
iom.s.p^n.i,  pour  roi  de  France  &  duc  de  Normandie  ,  lui  rendit 
^%y^'  $.     "O"^*^^?^  cfl  c^^te   qualité,   avoua  |tenir  de   lui  fes 
'•/^f»H«  (eigneuries  de  Saint -Sauveur -le -Vicomte^,  &  autres 
terres  confidérables  en  Normandie  ,  &  de  plus  inftitua 
fiid.  f.  u8.  ^^.  monarque  héritier  de  toutes  fes  pofiefiions.  Il  fut 
fait  en  récompenfe  lieutenant  d'Edouard  dans  la  pro-> 
vince.  Philippe  de  Navarre  fit  pareillement  hommage 
au  roi  d'Angleterre.  Dans  l'aâe  de  cet  hommage  font 
inférées  les  conditions  de  l'alliance ,  dont  la  principale 
eâ  la  euerre  réfolue  contre  la  France ,  jufqu-k  ce  qu'E^ 
douard  en  eût  fait  la  conquête  ,   &. procuré  la  déli- 
vrance du  roi  de  Navarre.  Ils  s'engagèrent  de  plus  l'un 
&  l'autre  à  ne  conclure  ,  ni  paix  ,  ni  trêve ,  que  d'un 
mutuel  acord. 
Guerre  en        Cependant  le  due  de  Lencaflre  étoit  entré  en  Nor- 
Nor^nandic.     mandic  ^  conduifant  un  renfort  confidérable  d'Anglois , 

qui 


J    E    A    w      IL  89 

3ui  joints  aux  troupes  Navarroifes  ^  formèrent  un  corps      ■  ■ 
[armée  compofé  ae  quarante  mille  hommes  d'armes,    Ann.  ij5^* 
&  d'une. infanterie  nombreufe.  Peu  de  temps  avant  fon   Jj^Jf^f^^ 
arivée  ,  le  comte  de  Tancarville  ,  connétaole  de  Nor-  nique!.  ^^  ^ 
mandie ,  &  lieutenant  du  roi  dans  cette  province,  avoit     Prife d'E- 
pris la  ville  &  le  château  d'Evreux  ,  qui  furent  pillés  vrcux. 
&  brûlés  ,  tant  par  les  Navarrois  qui  fe  reciroient ,  aue 
par  les  François  viâprieux.  Le  premier  exploit  du  duc  sîcgcdcPont- 
de  Lencaftre  fut  de  faire' lever  le  fiege  de  Pont- Aude-  Audcmcrkvé» 
mer  ,  invefti  depuis  deux  mois  par  le  maître  des  arba- 
létriers ,  que  Taproche  des  Angfois  contraignit  k  la  re- 
traite. 

Le  duc  de  Lencaftre  ^  Philippe  de  Navarre  ayant    PrtfcdcVct- 
réuni  leurs  forces  ,  s'avancèrent  jufqu'k  Breceuil  qu'ils  ^^^^ 
fortifièrent,  pillant  &  ravageant  tout  ce  qu'ils  rencon- 
treront fur  leur  pafTage.  De  -  là  ils  pénétrèrent  dans  le 
Perche  ,  s'emparèrent  de  Verneuil ,  qu'ils  raferent  & 
brûlèrent  en  partie. 

Aulfi-tôt  que  le  roi  eut  aorîs  la  defçente  du  duc  de  Lcroiraflcm- 
Lencaftre  en  Noiwandie  ,  u  raflembla  des  troupes  >  &  p J.  ^  ^^^ 
prit  la  route  de  Verneuil ,  ou  il  efpéroit  rencontrer  les     '  ^ 

/ennemis  ;  mais  il  aprit  en  chemin  qu'ils  s'étoient  reti- 
rés ,  &  nlarchoient  vers  la  ville  de  TAigle.  Le  roi  fe 
mit  fur  leurs  traces  :  loriqu'il  fut .  arive  près  de  ce^te 
dernière  ville  ,  il  fe  vit  obligé  de  renoncer  au  projet  de 
les  jpin^e«  Les  Anglois  s'étoient  retranchés  dans  les 
forêts ,  d'où  il  étoit  impoUible  de  les  déloger  ,  &  dans 
lefquelles  il  y  avôit  tout  à  craindre  de  tomber  en  quel- 

Îue  embufcade.    En  revenant  fur   fes   pas  ,   l'armée 
rançoife  prit  le  château  de  Tillieres ,  dans  lequel  on 
mit  une  forte  garnifon.  Le  roi  vint  enfuite  s'atacher  au  m 

fiege  de  Breteuil ,  qui  ne  fe  rendit  k  compofîtion  qu'a- 
près une  réfiftance  de  deux  mois. 

.Ce  qui  fe  paiToir  en  Normandie  n'étoit  que  te  pré-  pcfccntc  in 
lude  des  opérations  de  cette  campagne  ,  quoique  la  fc"cnGuîcn^i 
faifon  déjà  avancée  femblât  laiiTer  peu  d'intervalle  pour  il  ravage  l'Aa- 
former  des  entreprifes  confidérables.  Un  ennemi  plus  ^^[[^L^^j^" 
redoutable  qiie  les  Navarrois  âc  le  duc  de  Lencaftre ,  bm^ 
Tome  K  M 


9©  Histoire  pè  France, 

-     -  menaçoit  la  France  par  rextrémité  opoféc  k  celle  où  îe 

Ann.  13;^.    roi  ecoit  pour-lors  ocupé.  Tandis  que  le  monarque  faifeic 

le  liege.de  Breteuil ,  le  prince  de  Galles  ,  nouvellement 

arivé  d^Angleterre  ,4éfoioic  la  France  méridionale  :  après 

avoir  pafïe  la  Garonne  ,  il  pénétra  dans  TAuvergAe  & 

dans  le  Limofîn^ ,   qu'il  parcourut  avec  la  rapidîcé  d'un 

torrent  :  il  vint  enfuite  fondre  fur  la  province  de  Berry  ^ 

eflaya  d'emporter  d^affaut  Bourges  &  ïflbudun  ;  mais 

CCS  villes   étoient  trop  bien  fortifiées  pour  être  prifes 

d'emblée.  Il  ne  voulut  pas  retarder  fa  courfe  en  s'arê- 

tant  devant  ces  places  :  déjà  il  étoit  arivé  fur  les  limites 

qui  féparent  le  Berry  de  la  Tou raine ,  incertain  s'il  re- 

tourneroit  fur  fes  pas,  ou  s'il^traverferoit  la  Loire  pour 

joindre  dans  le  Perche  Tarmée  du  duc  de  Lencaftre , 

lorfqu'il  aprit   que   tous  les    paflages  de  cette  rivière 

étoient  gardés ,  &  que  le  roi  raflemoloit  à  Chartres  une 

armée  tormidable.  Il  s'arêta  ;  &  par  l'avis  de  fon  con- 

feil  ,  il  réfolut  de  reprendre  la  routfe  de  Boirdeaux  pat 

la  Touraine  &  le  Poitou. 

Le  roî  marche      Le  roi  n*àvoit  été  informé  qu'à  fdh  retour  à  Paris  , 

de  GaUcs"""  ^P^^s  la  prife  de  Breteuil ,  de  l'irruption  du  prince  de 

^Froiffard.     ^^^^^^'  Sur  la  première  nouvelle  qu'il  en  reçut ,  //  jura 

SpiciLcontin.  qu^il  marchcroit  contre  lui ,  (f  qu^tl  h  combatroit  j  quel-^ 

dijJangis       qii^  part  qu^il  h  trouvât.    Toute  la  noblefle  de  France 

nique/ ^  ^   c"^  ordre  de   marcher:    le  rendez -vous  général  des 

ckron.MS.  troupes  fut  indiqué  vers  les  frontières  de  la  Touraine 

mî!ro2'    ^  ^^  Bléfois.    En  atendant  que  l'armée  fût  affemblée^ 

le  roi  envoya  les  feigneurs  de  Craon  &  de  Boucicaut , 

&  l'Hermitê  de  Chaumont  ,  avec  trois  cents  hommes 

d'armes.   Ils  eurent  ordre  de  harceler  les  troupes   du 

^  prince.  Les  François  fe  mirent  en'  embufcade  dans  un 

paffagp  d'ificile  ,  afTez  près  de  Romorantin  :  ils  ne  fe 

furent  j>as  plutôt  cantonnés  dans  leur  pofte  ,  qu'ils  dé* 

couvrirent  an  détachement  de  l'armée  ennemie  ,  com- 

pofé  de  deux  cents  lances  j  qu'ils  ataquerent  *  brufque- 

ment.  Les  Anglois  ,  quoique  furpris  ,  firent  une  vigou- 

reufe  réfiftance  y   &  donnèrent  le  temps  au  prince  de 

Galles   de  venir  à  leur  fecours.   Les   François  furent 


J     E      A     N     I  I.  9Z 

alors  pbligés  de  fonger  à  la  retraite ,  &  de  s'enfermer  ■■ 

dans  le  cnâteau  de  Horaorantin  ,  la  ville  n'étant  pas  Aan.  ijj*. 
en  état  de  dé&nfe.  Le  prince  piqué  de  cette  ataque , 
fembla  pour  Quelque  temps  oublier  au'il  alloit  bientôt 
avoir  fur  les  oras  toutes  les  forces  de  la  France  ,  &c 
qu'il  ne  pouvoit  retourner  en  Guienne  avec  trop  de 
promptitude.  Il  fit  foramer  les  trois  feigneurs  &  leurs  - 

nommés  d'armes  ,  de  livrer  la  forterelTe  ,  &  de  fe 
rendre  à  dHcrétion.  Sur  leur  refus  ,  les  Anglois  livrè- 
rent un  premier  alTaut  ,  où  ils  furent  repouiTés.  Le 
prince  toujours  plus  animé  ,  fit  (èrment  de  ne  point 
partir  quil  ne  les  eut  foumis.  Les  ataqucs  recom- 
mcncerent ,  &  la  place  auroic  peut-être  tenu  plus 
long-temps ,  fi  quelques  ingénieurs ,  qui  fuiyoient  l'ar- 
mée du  prince,  ne  fe  fuUènc  avifés  de  faire  drefier 
quelques  bateries  de  canons ,  &  de  jeter  dans  la  place 
quantité  de  feux  d'artifice.  Par  ce  «moyen  ils  mirent  le 
feu  à  quelques  bâtiments  qui  écoient  dans  la  badè-cour 
du  château  ^  la  fiamme  fe  communiqua  bientôt  à  une 
des  toiirs  ;  alors  les  àifiégés  furent  contraints  .de  fubir 
les  loix  du  vainqueur^  &  de  fe  rendre  prifonniers  de 

fuerre.   C'eft  la  première  fois  ^u'il  eft  fait  mention 
ans  notre  hiftoire  de  l'ufage  de  1  artillerie  pour  le  (iego 
des  places  (a).  • 

Le  fiege  du  château  de  Romoraotin  ,  quoique  de  peu   prin.  de  ro- 
de  durée  ,  avoit  fait  perdre  au  prince  de  Galles  un  motaocto. 
temps  précieux.  La  plus  grande  partie  de  l'armée  Fran-       ind. 
çoife  étoit  raiTemblée  :  de  nouvelles  troupes  venoient  à  . 

cous  moments  la  joindre.  Le  roi  étant  parti  de  Char- 
tres I  fe  rendit  en  un  jour  k  Blois ,  &  le  furlcndemain  à 
Loches ,  où  il  aprit  que  les  Anglois  écoient  encrés  dans 
la  Touraine. 
.  Le  prince  s*ayançoit  cou  jours  vers  Foiciers  ,  s'éfer- 

• 

(a)  Troiflard  d'apris  lequel  ce  fait  eft  raporcé »  s*ezpriine  ainfi  :  »  Sx  ima- 
>»  ginereat  aucans  AibtiU  hommes  que  pour  traire  ic  lancer  on  fe  traivailloit  ca 
w  vain  9  ft  ordonnèrent  apofter  canons  en  avant  &  attrait  en  quarreaulx  8c  à 
»  feu  gregois  dans  la  bafle-cour ,  fi  que  touce  la*  baifc-cour  fut  embrafée  o. 
Froiffard^  iom.  i  ^-pag.  Z69  A.  . 

M  ij 


Ann.  i^s6 
Les  deux  ar- 


ucrs. 


92  HisjroiRE   DÉ   France, 

cane  de  recouvrer  par  des  marches  forcées  ,  les  mo-^ 
mènes  qu'il  avoic  lacrifiés  k  la  prife  d*une  place  peu 
mécs  fe  rcn-"  importante.  A  mefure  que  les  deux  armées  aprochoient 
contrent  à      de  Poitîers ,  la  diftance  qui  les  féparoit  fe  retréciflbit. 
pîès"5c"poi-     ^^i^  ^^^  François  avoient  paffé  la  petite  rivière  de  la 
Creufe  au  pont  de  Chauvigny  ;  &  ^ifant  le  tour  d^un 
Jiid.       bois  afTez  près  de  Poitiers  ,  avoient  aflis  leur  camp  aux 
environs  d'un  petit  village  apelé  Maupertuis.   Les  en- 
nemis ariverent  prefque  àufïi-tôt  au  même  endroit  par 
Tautre  côté  du  bois.  Ce  fut-là  que  le  prince  aprit  de 
quelques  François   pris   par  un  de   fes  détachements, 
que  le  roi  de  France.  &  tpute  foh  -armée  Tavoient  pré- 
cédé y  &  qu'il  ne  lui  étoit  plus  poflible  d'avancer  ,  ni 
de  reculer  fans  combat re.  ^11  envoya   reconnoître  les 
troupes  Françoifes  par  un  corps  de  ceux  cents  hommes 
d'armes  ,  &  il  aprit  à  leur  retour  quelles  forces  redou- 
tables il  avoit  en  têter.  Mais  le  péril  ,  tout  grand  qu'il 
étoit ,  loin  de  l'intimider-,  redoubla  fon  courage.  JJieu 
y  ait  part ,  dit-il ,  or  nous  faut-il  f^avoir  comment  nous 
les  combatrons  à  notre  avantage.   C'étoit  le  famedi  dix- 
fept  Septembre  1356 ,  que  les  dgux  armées  fe  rencon- 
trèrent :  elles  panèrent  la  nuit  en  préfence   l'une  de 
l'autre.  Les  Anglois  employèrent  ce  temps  à  fortifier 
leur  camp,  qu'ils  avoient  aflî^daas  un  lieu  très -avan- 
tageux ,  prefque   inacceffible   par  la  nature  du  terrein 
entrecoupé  de  haies  ,  de  buiflbns  &  de  vignes. 

Tous  nos  hiftoriens  ont  judicieufement  bbfervé  qu'en 
cette  conjonâure  rien  n'étoit  pliis  facile  que  de  triom- 
pher fans  répandre  de  fang.  L'armée  Angloife  ,  fati- 
guée d'une  longue  &  pénible  marche ,  commençoit  de- 
puis quelques  jours  k  foufrir  de  la  difette  des  vivres 
&  des  fourages  ,  ayant  été  obligée  dans  fa  route  de 
repafler  par  des  provinces  qu'elle  avoit  dévaftées  :  en- 
velopée  de  tous  côtés  par  une  armée  dix  fois  plusT 
iiombreufe  ,  un  retardement  de  trois  jours  l'eut  forcée 
de  mettre  bas  les  armes  ,  &  de  fe  rendre  à  difcrétion  : 
la  guerre  étoit  finie.  La  prife  du  prince  de  Galles  & 
^e  fon  armée  eût  obligé  U  roi  d'Angleterre  de  fubir 


J      E      A      K         I   I.  93 

toutes  les  conditions  qu'on  eût  voulu  lui  împofer.  La-  l' 

vcugle  impétuofité*  du  roi  priva  la  France  de  cet  avan-.  Ann.  xjj^. 
tage  y  &  devint  pour  lui  &  pour  fes  peuples  une  (burce 
intarifTable  de  malheurs. 

A  .peine  le  jour  commençoit  à  paroître  ,  que  le  roi     icroiformc 
fit  célébrer  la  meffe  ,  à  laquelle  il  communia  ,  ainfi  Jjf ÏJ'/'JJ 
que  fes  quatre  fils  &  les  princes'  du  fang  ,  félon  Tufage  AngioiJ  ^ 
alors  pratiqué  dans  les  jours  deftinés  à  quelque  .a£Bon«        lUd. 
Il  aiTembla  enfliite  le  confeil  de  guerrç  y  auquel  aflif- 
terent  les  ducs  d'Orléans  &  de  Bourbon  y  le  comte  de 
Ponthieu  y  Jacques   de  Bourbon  ,  le  duc  d'Athènes^ 
aloirs  connétable  de  France  y  les  comtes  de  Sallebrache, 
de  Dammartin  ,  de  Ventadour ,  le  fire  de  Clermont , 
Arnoul  d'Andreghen  ,   maréchal  de  France  ,  les  fires 
de  Saint-Venant  y  de  Landas  y  de  Fiennes  y  Euftache 
de  Ribaumont ,  Geofroi  de  Charny  ,  les  fires  de  Châ- 
tillon  y  de  Sully  y  de  Nèfle  y  de  jDujras  ,  &  plufieurs 
autres  feigneurs.   Soit  que  Pon  fût  infi:ruit  des  iuten-» 
tions  du  roi  y  auxquelles  on  n'ofa  pas  aporter  4'opofi-* 
tion  ,  foit  que  le  petit  nombre  des  ennemis  infpirât  une 
confiance  inconfidérée  y  parmi  cette  foule  de  princes 
&  de  chevaliers  y  Télite  des  guerriers  &  de  la  nobleiTe 
Françoife  y  il  ne  fe  trouva  pas  un  homme  afiez  prudent 
ou  afiez  généreux   pour  ouvrir  le  feul  avis  falutaire. 
L'ataque   du  t:amp  ennemi  fut  unanimement  réfolue. 
Auffi-tôt  les  troupes  reçurent  ordre  de  fe  mettre  fous 
ies  armes.  Tandis  qu'Euftache  de  Ribaumont  y  Jean  de 
Landas  y  &  Guichard  de  Beaujeu  y  étoient  partis  pour 
rcconnoître  Tarjmée  ennemie  ,  le  roi  ,  monté  fur  un 
cheval  blanc  y  parcouroit  les  rangs  de  la  fienne.  Entre 
vous  autres  ,  difoit-il  tout  haut ,  quand  vous  êtes  à  Pa^ 
ris  ,  à  Chartres  ,   à  Rouen  ,  ou  à  Orléans ,  vous  ml-- 
nacer  les  Anglois  ^  fir  difire[  avoir  le  bacinet  [  le  caf- 
que  J  en  la  tête  devant  eux  :  or  y  étes-vous  ,  je  vous  les 
montre  :  fi  leur  veuille^  remontrer  leurs  maltalents  [  leurs 
torts  ]  >  &  contre-venger  vos  ennemis  j  &  les  dommages 
outils  vous  ont  faits  :  car  fans  faute  nous  combatrons. 
On  ne  répondit  à  cette  harangue  militaire  que  par  des 
proteftations  de  courage  &  de  fidélité. 


94  HiSTOxiix  DS  Frakci, 

Cet.t«  exhorcaçion  ,  accompagnée  de  reproches ,  fcrt 

An».  i}j«.    encore  à  prouver  la  durecé  naturelle  du  roi  ,  qui  lui 
atira  dans  une  aucre  ocaiion  une  vérité  un*  peu  hardie. 
Mém>irtd«  On  raporte  de  lui ,  qu'entendant  un  jour  quelques  fol- 
liuir.  tom.  »,  dats  quî  chancoient  la  chanfon  de  Rolland  («)  ,  il  s'é- 
fog'iao'       ÇJ.JJJ  qy'jj  y  j^yQjç  long-tcmps  qu'on  ne  voyoit  plus  de 
Rolland  parmi  les  François.  Un  vieux  capitaine,  F^Sj^^ 
de  cette  plainte  injurieuie  pour  la  nation ,  répondit  fiè- 
rement qu'on  ne  manqueroic  point  de  Rollanas  dans  les 
armées ,  ii  les  foldats  voyoient  encore  un  Charlemagne 
h,  leur  tête.  • 

I-e  roi  Jean ,  guerrier  auffi  intrépide  que  chef  impru- 
dent ,  commandoic  une  des  plus  HoriiTantcs  armées  que 
la  France  eût  mifes  fur  pied  depuis  long  ^  temps  :  elle 
étoit  compofée  de  plus  ae  foixante  mille  comoatants , 
parmi  lefquels  on  voyoit  trois  mille  chevaliers  portant, 
bannière ,  ou  ftnqons.  Les  quatre  fils  du  roi ,  les  princes 
du  fang  »  les  plus  illuftres  leigneurs ,  tout  ce  qu'il  y 
avoit  en  France  de  gens  diftingués  ea  état  de  porter  les 
armes  »  fe  trouvoient  alors  raflemblés  à  Maupertuit 
fqus  les  ordres  du  monarque  {b).  Cette  armée  avoic  à 
combatre  un  corps *de  troupes  de  huit  mille  hommes , 
formé  pour  la  plus  grande  partie  de  François  &  de 

(a)  Nos  ancêtres  «voient  tetenu  4ei  GermaiM  Tufage  d'aller  au  eombat  en 
chantant  de*  veri  à  ta  louange  des  guertlen  célèbre*  de  leur  nation.  La  mi- 
moite  de  la  bravoure  &  de*  exploit*  de  Rolland  lé  conferva  long-tempi^ 
bien  avant  fout  la  troifieme  race.  Les  foldats  ehantoient  encore  la  chanfon 
tffù  avoit  iié  compofée  en  l'honeut  de  ce  hétoit 

Taillefer  qui  moult  bien  chantoit , 
Sur  an  cheval  qui  tôt  albit , 
^  Devant  eus  alloit  en  chantant 

De  l'Altemagne  6e  de  Rolland 
Et  d'Olivier  te  de*  vaflâuz 
<2ui  moururent  à  Roncevanx. 

Roman  dt  Rou  ,  defeript.  dt  tarmit  dt  Guîlt.  U  Conquérant. 

Xt>)  *>  Là  étolt  toute  la  fleur  de  France ,  [  dit  un  de  no*  anciens  écrivains ,  ] 
M  ne  nul  chevalier  ne  efcuyer  n'ofoit  demeurer  à  l'hâtel  ^  s'il  ne  vouloir  £ue 
«déafaonoré.  «  Froiffard,  tom,  i  ,fol,  87. 


J      £      A      N         I   I.  •  9^ 

Gafcons ,  parmi  lefquels  on  comptoic  au  plus  trois  mille  *— '^"""^ 
Anglois  ;  mais  ce  corps  de  troupes  ,  fi  toible  en  com-   a»»*  m;^* 
paraifon  des  forces  qu'il  avoit  en  tête  ^  marchoit  fous 
les  ordres  du  prince  de  Galles. 

L'armée  Françoife ,  rangée  en  bataille  ,  étoit  divifée  o^^"  ^« 
en  trois  corps  de  feize  mille  hommes  d'armes  ,  dont  **^"' ^'°*'«*- 
tous  ttoitnt  montrés  &  pnj/cs  hommes  d^armcs  ,  outre  les  '  *^ 
gens  de  pied.  Le  duc  d'Orléans  ,  frère  du  roi ,  condui-^ 
foit  le  premier  corps.  Le  dauphin  y  duc  de  Normandie, 
acompagné  de  fes  deux  frères ,  commandoit  le  fécond. 
Ces  trois  princes  avoient  été  confiés  à  la  garde  du  fire 
de  Saint- Venant  y  de  Landas ,  de  Tibaut  de  Bodenay  y 
&  d'Arnaud  de  CervoUe ,  dit  l'archiprêtre.  Le  roi  s'é- 
toit  réfervé  la  troifieme  divifion  :  Philippe,  le  plus  jeune 
de  ks  fils  ,  étoit  auprès  de  lui.  Les  trois  chevaliers  qu^il 
avoit  envoyés  pour  examiner  Tordre  de  bataille  des 
ennemis  ,  raporterent  que  le  pofte  que  le  prince  ocu- 
poit ,  étoit  extrêmement  fortiné  )  que  des  haies  &  des 
DuifTons  épais  lui  fervoient  de  retranchements  ;  qu'il 
avoit  bordé  ces  haies  d'archers  ,  à  travers  lefquels  il 
étoit  indifpenfable  de  pafler  ,  avant  que  d'entrer  dans 
un  chemin  fi  étroit  ,  qu'à  peine  quatre  hommes  pou* 
voient  y  pafier  de  front  ;  que  ce  chemin  aboutifibit  à 
des  vignes  ,  &  à  des  terres  hérifiées  d'épines  ,  où  les 
hommes  d'armes  ,  qui  compbfoient  l'armée  ennemie , 
s'étoient  poftés  après  avoir  quité    leurs  chevaux  ;   & 

3ue  le  front  de  leur  bataille  étoit  couvert  par  le  refte 
e  leurs  archers  ,  rangés  en  forme  de  herfc.  Le  roi 
demanda  au  feigneur  Euftache  de  Ribaumont ,  de  quelle 
manière  il  faloit  ataquer.  L'avis  de  ce  chevalier  fut 
que  les  hommes  d^armes  milfent  pied  à  terre  ,  excepté 
trois  cents  des  plus  braves  &  des  mieux  armés  ,  defti- 
nés  à  rompre  &  ouvrir  les  archers  qui  bordoient  l'ar- 
mée ennemie  ,  &  que  lorfque  ce  premier  corps  de  ca- 
valerie fe  feroit  ouvert  un  pafiage  ,  la  gendarmerie  à 
pied  donnât  l'épée  à  la  main  fur  le  corps  de  bataille  du 
prince.  Le  roi  aprouva  ce  confeil ,  &  donna  fes.  ordres 
en  conféquence.  -Tous  lçs«  gendarmes  defcendirent  de 


f€  .HxSTOXRB    DB    FrANGB| 

"       ■  ■'■  ■■  de  cheval  ;  on  réfcrva  fculcinent  la  cavalerie  AUemande 
Aoa.  2  5j^.    pour  foutenir  les  maréchaux,  qui  devoienc  commencer 
Taâion  à  la  tête  de  trois  cents  gens  d'armes  à  «hevaL 
On  commanda  aux  hommes  d*armes  d'ôter  leurs  épcr 
rons  y  &  de  tailler  leurs  lances  à  cinq  pieds  de  hauteur, 
afin  qu'elles  fulTent  moins  embarailàntes  dans  la  mê- 
lée ,  où  il  s  agiilbit  de  combatre  ferrés  les  uns  contre 
^les  autres. 
Le  cardinal*     Déjà  les  troupcs  commcnçoient  à  s'ébranler ,  lorfque 
^^  ^f  1^^^.     ^^  cardinal  de  Périgord  vint  fufpendre  Taâion.  Ce  pré- 
cJSidcmcnt  ï^^  ^  ^^  Cardinal  d'Urgel  ,  légats  députés  par  le  papo 
ibidm.       Innocent  YÎ ,  dans  le  deflein  d'apaifer  les  troubles  du 
ropume  ,   avoient  fuivi  le  roi  depuis  la  Normandie 
juique  dans  le  Poitou.  Dès  la  pointé  du  jour  ,  le  car- 
dinal de  Périgord  étoit  forti  de  Poitiers  pour  faire  une 
dernière  tentative.  Il  acourut  k  toute  bride  vers  Tarmée 
Françoife ,  &  ariva  au  moment  que  Taâion  alloit  com- 
mencer. Aufli-tÔE  que  le  roi  l'aperçut ,  il  alla  au-devant 
de  lui.  Le  cardinal  conjura  le  roi ,  les  mains  jointes ,  de 
vouloir  bien  l'entendre  avant  que  d'engager  le  combat. 
Il  lui  remontra  enfuite  ,  qu'au-lieu  d  expofer  tant  de 
braves  gens  ,  il  ne  tenoit  au'à  lui  d  obtenir  dans  cette 
ocafion  tous  les  avantages  aune  viâoire  complète ,  fans 
être  obligé  de  livrer  de  bataille  ;  que  les  ennemis  fe- 
roient  trop  heureux  de.  reconnoitre  la  fupériorité  de  fes 
armes ,  pourvu  qu'il  voulût  leur  acorder  des  conditions 
fuportables.   Jean  confentit  à  cette  ouverture  d'acom- 
modenient  :  il  dit  feulement  au  cardinal  d'engager  le 
prince  à  fe  déterminer  promptement ,  ^  de  lui  aporter 
aufli<ôt  fa  réponfe. 

•  Le  jeune  Edouard  fentoit  l'extrémité  k  laquelle  il  fe 
trouvoit  réduit  :  il  voyoit  toute  la  grandeur  du  péril  j 
mais  il  comptoit  fur  lui-même.  On  en  peut  juger  par 
la  difpofition  de  fon  armée  ,  &  par  le  fang  froid  avec 
lequel  il  profita  de  toutes  les  refTousces  que  la  fituation 
du  terrein  ,  &  le  temps  lui  permettoient.  Il  écouta  les 
propofitions  ,  &  répondit  qu'il  accepteroit  toutes  les 
conditions  qu'on  lui  prefcriroit  ,  pourvu  qu'elles,  n'in- 

térefTaflçnç 


J      E      A      K        I   I.  97 

cëreflafTent  point  fon  honeur  &  celui  de  fes  gens.  Le  ■ 
cardinal  revint  prompçement  raporter  cette  réponfe  au    Ai».  in«. 
roi  ^  duquel  il  obtint  après  Quelques  infiances  y    une 
fufpenfion  d*armes  pour  le  reue  du  jour.   Ce  temps  fe 
paua  réciproquement  à  fe  faire  diférentes  propofitions , 
dont  le  prélat  fut  porteur.  Enfin  ,  le  prince  de  Galles 
ofrit  de  remettre  les  villes  &  les  châteaux  qu'il  avoit 
conquis ,  de  rendre  la  liberté  k  tous  les  prifonniers  ^ 
&  de  ne  point  porter  les  armes  contre  la  France  pen- 
dant fept  ans.  Les  feigneûrs  qui  formoient  le  confeil , 
&  le  roi  lui-même  y  rejetèrent  ces  ofres  ;  &  le  cardinal 
fut  chargé  de  fignifier  aux  ennemis  ,   qu^on  ne  leur 
acorderoit  la  liberté  de  fe  retirer  y  qu'à  condition  que 
le  prince  de  Galles  y  &  cent  des  principaux  dé  fon  ar--' 
mee  y   fe  rendroient  prifonniers  de  guerre/  Le  prince 
protefta  de  fon  côté  y  que  jamais  il  ne  perdroit  ùl  li- 
Derté  que  les  armes  à  la  main.  La  nuit  étoit  furvenue 
pendant  ces  diférents  pourparlers.  Le  prélat  ne  voyant 
plus  d*efpoir  de  parvenir  à  un  aconunodement  y  rentra 
dans  Poitiers  y  ^  Ton  ne  foagea  plus  de  part  &  d  autre 
qu^à  fe  préparer  au  combat.  . 

Les  ennemis  cependant  âvoient  employé  le  temps 
de  la  fufpenfion  d'armes  k  fortifier  leur  camp  par  de 
nouveaux  retranchements  :  ils  travaillèrent  ce  jour  & 
la  nuit  fuivante  k  creufer  des  folTés  profonds  y  revêtus 
de  palifra<le$  y  derrieris  lefquels  ils  placèrent  leurs  ar- 
phers. 

Le  lendemain  lundi  dix -neuf  Septembre  ,  les  deux 
armées  fe  mirent  fous  les  armes  dans  le  même  ordre 
qu'on  avoit  obfervé  la  veille.  Le  cardinjtl  étoit  revenu  k 
la  charge  y  les  François  luirdéelarerent  qu  ils  ne  vouloient 
plus  entendre  parler  d'acommodement  y  ajoutant  que 
s'il  paroifToit  encore  ,  il  lui  en  pouroit  mal  prendre. 
Alors  le  prélat  prit  congé  du  roi  ;  &  retournant  vers 
le  prince  de  Galles  y  il  lui  dit  :  Beau  Jils  y  faitew  ce  que 
vous  pourc:^  \  il  vous  faut  comhatre.  C^ejl  bien  notre 
int/tnU(M  y  répondit  Edouard  y  &  Dieu  veuille  aider  au 
flroit.  Ce  prince  ne  fit  qu'un  feul  changement  k  fou 
Tome  K  N     . 


98  Histoire   ds   France. 

'^— "^^^  ordonnance  de  bataille  ;  ce  fut  de  placer  trois  cetfti 

AnO'  n5^-   hommes  d'armes  ,  &  trois  cents  archers  à  cheval  fur  le 

revers  d'une  petite  élévation  à  fa  droite  ,  au  pied  de 

laquelle  étoit  le  corps  d'armée  du  duc  de  Normandie. 

Bataille  de      Auffi-tôt  qu'on  cut  donné  le  iignal  du  combat  y   les 

dcPohiw***^"  trois  cents  hommes  d'armes  à  cheval  commandés  par 

liiiiem.      ^^^  maréchaux  d'Andreghen  &  de  Clermont ,  deftinés 

à  commencer  Tataque ,  s'avancèrent.  A  peine  furent-ils 

engagés  dans  le  défilé  bordé  de  haies  des  deux  côtés  y 

que  les  archers  Anglois  y  oui  étoient  placés  derrière  ce 

retranchement  naturel  y   nrent  pleuvoir  fur  eux   une 

frêle  de  traits.  Ces  flèches  longues  &  dentelées  ,  tirées 
fi  peu  de  difbince  ,  perçoient  égaleme i't  les  hommes 
'  &  les  chevaux  y  qui  tombant  fous  leurs  maîtres  y  oca^ 
fionnerent  le  premier  défordre  y  que  le  nombre  4es  ca- 
valiers démontés  redoubloit  à  tous  moments.  L6  che- 
min étroit  &  inégal  fut  bientôt  embaraifé  ,  de  manière 
à  ne  pas  permettre  à  ceux  oui  étoient  aux  derniers 
rangs  d'avancer  :  les  chevaux  bleiTés  &  fans  conduâeurs 
augmentèrent  la  confuiion.  Les  deux  maréchaux  & 
quelques  hommes  d'armes  des  mieux  montés  ,  franchi- 
rent cet  obflacle  y  &  fondirent  avec  intrépidité  fur  l'a- 
vant-garde  des  ennemis*:  envelopés  de  toute  part  y  ils 
furent  en  un  infiant  mes  ou  pris.  Le  maréchal  de  Cler- 
mont (  a  )  perdit  la  vie  y  &  Andreghen  fe  rendit  pri- 
fonnier.  Ce  premier  édiec^  quelque  léger  qu'il  parût  > 
décida  l'événement  de  la  bataille.  Lts  hommes  d'armes 
qui  n'a  voient  pu  aller  en  avant  y  emportés  par  leurs 

(a)  On  atriboa  la  mort  da  maréchal  de  Clermont  à  Jean  Chandos  »  cheTs- 
lier  Ânglois.  Ces  deux  feigoeurs  ,  pendant  la  fafpenfion  d*aitnes  de  la  veille  , 
s^éroient  rencontrés  &  avoient  pris  querelle  fur  la  repréfenution  d'une  dame 
habillée  de  bleu  qu'ils  portoient  en  broderie  fur  leur  cote  d'armes.  Comme  la 
figure  étoit  la  même  »  cette  reflemblance  excita  la  jaloufie  êc  Tanimofité  réci- 
proque des  deux  guerriers.  Ils  fe  donnèrent  plufieurs  démentis ,  &  fe  feroient 
battts  fur-le-cbamp  fans  l'armiftice  qui  leur  interdifbit  les  yoies  de  faits.  Us  Ce 
défierenii^ttr  le  lendemain.  Vous  mt  trouvirg^  demain  ,  dit  Chandos  >  soiu  apa- 
reilii  dt  défendre  par  fait  d armes  qu'elle  (  cette  dame  bleue  )  efi  auM-iien  mienfla 
comme  vôtre.  Chandes ,  reprit  le  maréchal ,  ce  /ont  bien  les  parol^  de  nos  An* 
glois  qui  neffavent  avifer  rien  de  nouveau  ;  mais  tout  ce  qu'ils  wens  leur  efi 
beau.  Ils  fe  fépareie&t  &  fe  tinrent  exaftemcnt  parok  le  jow  de  la  bataille. 


J    s    A    K      IL  c99 

chevaux  y  &  culbucoient  les  uns  fur  les  autres*  Ils  fe  ^ 


replièrent  for  le  corps  où  tommandoit  le  duc  de  Nor-    ^^^  "M^ 
mandie,  &  la  précipîtadon  avec .  laquelle  î#  firent  ce 
mouvement  y  jeta  Talarme  &  Téfroi  dans  une  partie  de$ 
guerriers  qui  coropoioient  cette  divi/îon.    La  plupart 
Fabandonnerent  &  coururent  à  leurs  cbevaiH:  »  dans  1« 
moment  que  les  gendarmes  &  les  archers  placés  der^ 
riere  ce  monticule  dont  nous  avons  parlé ,  defcendirenç 
avec    impétuofité    &    vinrent    achever   Tébranlement. 
Ceux  qui   acompagnoient   le  dauphin  .&   fes  frères  ^ 
au -heu  de  fonger  k  remédier  à  ce  défordre  ,   caufé 
par   l'irruption  de  fix  cents  hommes  fur  un  corps  de 
vingt  mille  combatants  ,  s'abandonnèrent  à  une  lâche 
'frayeur  :  ils  emmenèrent  les  jeunes  princes ,  ^  couvri- 
rent leur  honteufe  retraite  du  fpécieux  prétexte  de  fauver 
refpérance  de  TEtat.    Le  duc  d'Orléans  ,  qui  com-  - 
-mandoit  le  fécond  corps  de  bataille  ,  témoigna  encore 
moins  de  courage  ,   en  fuyant  à  toute  bride  ayant  que 
d'avoir  feulement  tiré  l'épée.  Sa  fuite  entraîna  cellp  de 
la  divifîon  qui  étoit  foijs  fes  ordres.   En  «vain  ^   pour 
éfacer  la  honte  de  ceux  qui  fe  'compostèrent  fi  lâche- 
ment dans  cette  journée ,  on  a  produit  une  prétendue 
lettre  du  comte  a' Armagnac ,  où  il  marque  que  le  roi 
avoît  fait  commander  au  dauphin  ,  aiiifi  qu'à  fes  deux 
^ireres  ,  &  au  duc  d'Orléans  de  fe  fauver.   Le  comte 
*  d'Armagnac  n'adifta  point,  à  cette  bataille  ,  &  fon  ab- 
sence ôte  toute  obligation  de  s'en  raporter  k  fon  té-* 
moignage  ,  quand  le  contraire  eft  atefté  par  les  ^écri- 
vains contemporains  qui  s'acordent  généralement  .k  con- 
damner cette  infâme  retraite.   D^ailleurs. ,  quelle  apa- 
rence  que  le  roi  qui  n'abandonna  jamais; le  champ  ^e 
bataille,  ait  pu  donner  dès. le  commencement  du  com* 
bat  un  ordre  qui  entralnoît  la  défaite  id»  fon  arinée. 
'    Le   prince  de  Galles  obfervoit  cependant .  tous  nos 
mouvements  :  dès  qu'il,  s'étoit  aperçu  que  les xleux  corps 
d'armée  du  duc  de  Normandie  &  du  duc   d'Orléans 
commençoient  à  s'ébranler  .y  il  avoit  c'onné  ordre  à  fes 
hommes  d'armes  de  remonter  à  chevaL  Jean  *ChiindQS , 

N  ij 


^ 


ïQO  Histoire  »e   Frange, 

'  qui  n^abandonna  jamais  le  prince  pendant  Mute  Tac- 

Attù.4jsé.  tion ,  lui  dit  :  allons ,  feigmur^  la  victoire  efi  à  vous  f 
adreffonsMious  au  bataillon  que  commande  le  roi  :  ce 
doit  être  notre  unique  but.  £t  lui  montrant  de  loin  le 
roi  de  France  ^  qui  fe  faifoit  remarquer  par  fa  cotte 
d*armes  femée  de  fleurs  de  lys  d'or  ^  &  plus  encore  par 
fon  air  martial  :  Je  jfçais  fort  bien  ,  ajouta- 1-  il ,  que 
par  vaillance  il  ne  fuira  pas  ;  ainji  moyennant  Vaide  de 
Dieu  &  de  faint  Georges  ,  il  demeurera  en  notre  pouvoir. 
Allons  j  Jean  ,  reprit  le  prince ,  vous  ne  me  verre:^  Ç au- 
jourd'hui retourner  en  arrière.  A  ces  mots  ,  ce  jeune 
fuerrier  s*avançant  fièrement  a  là  tète  des  fiens  ,  déb- 
oucha le  défilé ,  &  vint  fondre  fur  le  corps  de  troupes 
dont  le  roi  s*étoit  réfervé  la  conduite.  Ce  fut-là  feule- 
ment qu'il  eft  permis  de  dire  qu'on  fe  bâtit. 

Le  monarque  François  méprifant  la  honceufe  défer*- 
tion  de  plus  des  deux  tiers  de  fon  armée  ,  fentit  re- 
doubler ion  courage  :  jamais  il  ne  fe  montra  fi  grand 
ni  fi  digne  de  commander  à  des  hommes  généreux.  Si 
ia  cinquième  partie  des  François  qui  Tacompaenoieiit 
eût  témoigné  la  même  valeur  ,  il  eût  contraint  la  for^- 
tune  k  fe  déclarer  pour  lui.  Il  donna  fes  ordres  avec 
tranquilité  ,  rangea  fa  troupe^  &  préfenta  un  front 
immobile  au  choc  de  Tennemi.  La  rencontre  de  ces 
deux  corps  fut  terrible.  Aucun  des  deux  partis  ne  put 
s'atribuer  le  prix  du  courage  dans  cette  fanglante  mê- 
lée :  on  comoatit  avec  un  acharnement  égal  :  on  fe  dif- 
«  putoit  pied  à  pied  le  terrein  jonché  de  bleffés ,  de  morts 
&  dé  mourants. 

Ceux  de  la  noblefTe  Françoife  qui  dans  cette  journée 
conferverent  le  fouvenir  de  ce  qu'ils  dévoient  à  leur 
fouverain  &  à  leur  patrie,  méritent  bien  que  l^hiflotre 
tranfmette  leffers  noms  à  la  poflérité.  Outre  ceux  d^a 
*  nommés  ,  on  diftinguoit  entre  autres  le  duc  de  Bour- 
bon ,  Jacques  de  Bourbon  /  Jean  &  Jacques  d'Artois 
dont  la  vertu  éfacoit  les  fautes  de  Robert  d'Artois  leur 
père  ,  le  duc  d'Athènes  ,  Gaultier  de  Brienne  conné- 
table de  France  >  Jean  vicomte  de  Meluo  comte  de 


J      E      A      N         I   L  lOX 

Tancarville  ,  Guillaume  de  M elun  Ton  fils  archevêque  J 

de  Sens  ,  Jean  &  Simon  fes  frères  ,  Arnaut  Chauveau    Aon.  15;^. 

évêque  de  Châlons  en  Champagne  ^  les  feigneurs  de 

Pons  y  de  Farchenay ,  de  Damp-Marie  ,  de  Moncabou- 

ton  9  de  Surgeres  j  de  la  Rooiefoucault ,  de  Saintf é  , 

de  Langle  ^  d'Argencon ,  de  Linieres  ^  de  Moncandre  , 

de  Rochechouarc ,  d'AuInoy ,  de  Beau]  eu  ,  de  Château- 

Villain  ,  de  Montpenfier  ,  de  Ventadour  ,  de  CervoUe  ^ 

de  Mareuil  ^  de  la  Tour  y  de  Charencon,  de  Montagu^ 

de  Rocheforc  j  de  la  Chaire ,  d'Apchon  y  de  Linal  y  de 

Norvel  ,  de  Pierre  rBufi&ere,  de  Merle  ,  de  Raineval^ 

de  Sainc-Dizier  >  de  Chauny^^  de  Hely  y  de  Monfanc  & 

de  Hagnes.  Robert  Teigneurse  Duras  avoic  été  tué  dès 

le  commencement  de  Taétion.  Le  prince  de  Galles  ayant 

trouvé  le  corps  de  ce  feigneur  ^  neveu  du  cardinal  de 

Périgord  ,  le  fit  relever  lur  un  bouclier  &  l'envoya  à 

c^  prélat  y   en  lui  faifant  faire  q^uelques  reproches  de    . 

ce  que  des  gens  de  fa  fuite  y  au-heu  de  rentrer  avec  lui 

dans  Poitiers  y  s'étoient  rangés  du  parti  des  François. 

Tant  de  braves  combatants  rafTemblés  autour  de  leur 
prince  auroient  dû  former  un  rempart  invincible  :  leur 
nombre  &  celui  des  ennemis  éroit  à-peu-près  égal; 
mais  ils  avoient  le  défavanuge  d'être  à  pied  contre  une 
gendarmerie  bien  montée.  La  fureur  dès  deux  partis 
lembloit  prendre  à  tous  moments  de  nouvelles  forces. 
Les  chefs  de  quelque  cavalerie  Allemande  ayant  été 
mes  y  ces  étrangers  fe  retirèrent  de  la  bataille  :  le  con- 
nétable qui  étoit  à  leur  tête  vint  fe  joindre  à  la  troupe 
du  roi*  jLes  François  firent  des  prodiges  de  valeur  : 
ataqués  de  tous  côtés  y  foulés  par  les  chevaux  des  enne- 
mis y  ils  donnoient  ou  recevoiént  la  mort  avec  la  même 
intrépidité.  Le  roi  les  animoit  par  fa  préfence  &  plus 
encore  par  fon  exemple.  Philippe  le  plus  Jeune  de  fes 
fils  étoit  à  fes  côtés  :  ce  prince  y  à  peine  âgé  de  treize 
ans  y  combadt  avec  une  ardeur  qu*on  n'auroit  pas  aten- 
due  de  la  foiblefTe  de  fon  âge  :  il  s'opofoit  aux- coups 
QA>n  adrefToit  à  fon  père  :  il  lui  faifoit  un  rempart  de 
ion  corps  :  il  fut  bleué  en  s'acquitant  de  ce  noble  der 


102  Histoire    de   France, 

^^^^aa:!::!:!!^  voir.  Déjà  le  connétable  &  le  duc  de  Bourbon  étoienc 
Ann.  13 j^.    tombés  couverts  de  bleflutes  :  la  bannière  de  France 
étoit  étendue  par  terre  entre  \^  bras  de  Charni  ,  qui 
n'avûit  pas  voulu  la  quiter,  même  en  expirant.  Les  Fran- 
çois s'éclairciflbient  à  vue  d'œuil  :  le  roi  environné  de 
morts  &  de  blefTés  ie  montroit  fupérieur  à  fa  difgrace: 
il  ralioit  autour  de  lui  le  peu  de  !feigheurs  François 
qui  vivoîent  encore.  Une  iiache  à  la  main  ,  ce  monar- 
que éfrayoit  ceux  des  ennemis  qui  ofoient  Taprocher  : 
chaque  coup  qu*il  leur  portoit  étoit  un  coup  mortel  : 
on  eût  dit  qu'en  ce  moment  ce  prince  vouloit  feul  ara- 
cher  là  viâoire  à  la  multitude  qui  1  acabloit.  En  vaià 
Prifcduroî.  lui  crioit-on  de  tous  cotéîT,  Jirt  j,  rtndc[-vous  ;  il  oe 
liidim.  :    répondoît  à  cette  invitation  que  pkr  de  nouveaux  éforts, 
Enfin  épùifé  d'un  combat  fi  opiniâtre  &  fi  violent , 
àpnt  reçu  deux  blefTures  dans  le  vifage  [  car  fon  ba«- 
uf^Tom^'    cinét  ou  fon  cafque  étoit  tombé  dans  la  chaleur  db 
parti  u'"^'    Taftion  ,  &  ce  cafque  fut  porté  au  roi  d'Angleterre 
qui  réçompenfa  le  guerrier  qui  le  lui  préferica  }  un  che- 
valier François  banni  de   fa  patrie  pour  , un  meilrtre 
qu'il  avoît  commis  dans  une  guerre  particuriere  ^  s'apro- 
cha  de  lui  ,  &  le  prefFa  de  nouveau  de -rendre  les  ar- 
mes :  Et  à  ûui  me  rendrai-^je ,  dit  le  roi ,  i  ^ui  ?  Où  eji 
mon  coufîn  le  prince  de  Galles  :  fi  je  le  voyais  ,  je  par- 
leroîs.  Le  prince  nUJi pas  ici  j  continua  le  cnevalier ,  mais 
rende^-^vous  à  moi  &  je  vous  mènerai  devers  lui.   Qui 
Àes-voùs  jf  lui  demanda  le  roi  ?  Sire  y  reprit-il ,  jejuis 
Denis  de  Morbec  chevalier  d^ Artois  ^  je  fiers  le  roi  d^ An- 
gleterre ,  parce  gue  je  ne  puis  être  au  royaume  xle  Fratict, 
pourtant  que  j\ai'forfiait  tout  le  mien'  [  ^ifïïpé  mon  bien]. 
Alors  le  roi  tira  ie\gltïte\ct  de  fa  main  droite  &  le  re- 
mit à  Denis  en  lui  dïfant  :  Je  me'rtnds  à  vous. 

Le  princJfe  de  Galles  cependant ,  qui  avoit  ataqué  le 
corps  de  bataille  du  roi  par  un  endroit  opofé  à  celui 
où  le  monarque  combatoit ,  après  avoir' éhfoncé  ,  pris 
ou  diflipjé  tout  ce  qu'il  avoit  rencontré'  fur  fon  pafTage , 
revénoit  de  la  poùrfuice  dès  fuyards.  De  cette  multi- 
tude de  François  qui  cûuvroient  les  champs.de  Mau- 


J      £      A      K         I  !•  ÏO3 

per tuis  ,  il  ne  paroifToit  plus  que  des  monceaux  de  ■■■ 
morts.  Jean  Chandos  fit  drefler  à  la  hâte  un  pavillon  Aon.  lysé. 
où  le  prince  ôta  fes  armes  &  fe  rafraîchit  au'  milieu 
des  compagnons  de  fa  viâoire.  Il  demandoit  aux  che- 
valiers qui  arivoient  en  foule  y  ce  qu'étoit  devenu  le 
roi  de  France  y  perfonne  ne  pouvoit  lui  en  donner  des 
nouvelles  ;  on  1  alTuroit  feulement  qu'il  faloit  qu'il  fût 
mort  y  parce  qu'il  n'avoit  pas  quite  le  champ  de  ba- 
taille. Le  prince  toujours  plus  inquiet  fur  le  fort  du  roi 
Jean  ,  pria  le-  comte  de  Warwich  &  Renaut  de  Gobe- 
ghen  d  en  faire  une  exaâe  perquifition.  Ces  deux  fei- 
gneurs  remontèrent  k  cheval  &  partirent.  A  peu  de 
diftance  ils  découvrirent  d'une  petite  élévation  une 
troupe  de  gendarmes  qui  marchoient  à  pied  fort  lente- 
ment :  ils  piquèrent  *de  ce  côté.  Il  étoit  temps  qu'ils 
arivaffent  ;  c'étoit  éfeâivement  la  troupe  qui  conduifoit 
le  roi.  Depuis  le  moment  ^ue  ce  prince  s'étoit  rendu 
à  Denis  de  Morbec  y  il  avoit  été  piufieurs  fois  en  dan- 
ger de  perdre  une  vie  que  la  viftoire  venoit  de  refpeâer. 
Plufieurs  guerriers  Anglois  ou  Gafcons  fe  difputoieut 
l'honeur  d'une  lî  belle  prife^  Ils  avoient  araché  ce  prince 
au  chevalier  d'Artois  ,  &  chacun  d'eux  prétendoit  s'a- 
tribuer  fa  rançon.  C^cji  moi  qui  Vai  pris  y  s'écrioient- 
ï\s  tous  en  méme-tems.  Le  roi  tenant  fon  fils  par  la 
main  avoit  beau  leur  dire  :  Seigneurs  ,  menc{  -  moi 
courtoifement  ,  fir  mon  fils  aufji  y  devers  le  prince  mon 
couïin  y  &  ne  vous  querelle:^  pour  ma  prife  y  car  je  fiiis 
affeî,  grand  Jèigneur  pour  vous  faire  tous  riches.  Cts  pro** 
meiles  les  apaifoient  pour  un  mojgient  ;  mais  les  que- 
relles renaiiloient  aum-tôt.  Le  roi  vit  plus  d^une'ibis 
l'inftant  où  fon  fils  &  lui  alloient  être  les  <  viéHmes;  de 
l'avarice  &  de  la  brutalité  de  cette  foldatefque  éfi^née  y 
lorfque  les  deux  feigneurs  Anglois  parurent.  Leïefpeâ 
dû  au  rang  qu'ils  ocupoient  &  les  ordres  qu'ils  donnè- 
rent fous  peine  4^  mort  y  qu'on  eût  à  fe  retirer  y  déli* 
vrerent  le  roi.  Ils  mirent  pied  à  terre  ,  s'aprocherent 
du  monarque  y  qu'ils  faluerent  avec  la  plus  profpnde 
foumiffion  y  Ce  prirent  avec  lui  le  chemin  de  la  tente 


104  Histoire  de   France^ 

is^!!^:ss  du  prince  de  Galles.  Autant  qu'on  le  peut  conjefturer 
Ann.  i}y6;  par  le  filence  unanime  de  tous  les  hiitoriens,  les  An- 
glois  ne  firent  point  ufage  d'artillerie  à  la  bataille  dé 
Poitiers  ^  quoiqu'ils  eufTent  des  canons  ^  ainfi  qu'on  a  pu 
robferver  ci  -  deiTus  au  fiege  de  Romorantin  ,  ce  qui 
fembleroit  devoir  faire  révoquer  en  doute  ,  quils  euf- 
fent  employé  ces  machines  meurtrières  k  la  bataille  de 
Crécjr,  circonftance  d'ailleurs  quin'eftraportée  que  par 
Villani. 

Dans  cete  Journée  ,  fi  fatale  à  la  France  ,  la  perte 
n'excéda  pas  le  nombrç  de  fix  mille  hommes  ;  mais  ces 
fîx  mille  nommes  étoient  l'élite  de  la  nation.  La  plu- 
part des  princes  &  feigneurs  qui  périrent  en  cete  ba-^ 
taille  moururent  en  combatant  auprès  de  leuf*  roi.  Parmi 
ces  braves  guerriers  on  comptoit  le  maréchal  de  Cler- 
mont ,  pierre  duc  de  Bourbon  {a)  ,  Robert  de  Duras , 
le  duc  d'Athènes  ,  &  Geofroi  de  fcharny ,  ainfi  qu1l  à 
déjà  été.  raporté.  Aux  nom^  de  ces  feigneurs  if  fau- 
droit  en  ajouter  une  foule  d'autres  non  moins  difHn-' 
eues  ^  tels  que  Guichard  de  Beaujeu  ,  Guillaume  de 
Nèfle  y  les  feigneurs  de  Suisgeres  y  de  la  Rochefouçault^ 
de  la  Fayette  ,  de  Laval  ,  d'Humieres  ,  d'Urfé  ,  de 
l'Angle  ,  de  Bqdçnai ,  de  Landas ,  de  Dammartin  ,  dç 
Pons  ,  de  Montagu  ,  de  Charpbly  ,  de  la  Heufe  ,  de  la 
S  îcil  eoktin  '^^^^  »  ^®  Ribaumont  ,  Tévêque  de  Châlons  {b).  Il  j 
âeNa/^U  ^^   P^?  F^^  4ô  gratjdes  mctifons  dans  le  royaiime  qui  n'eu^- 


^ 


(tf)  Le  corps  de  ce  prince  fat  afoné  au  couvent  des  Dominiauaîns  de  Poitiers  od 
il  demeura  en  dépôt  ;  il  -fut  tnfuîte  transféré  à  Paris  dans  réglife  des  Jacobins 
de  la  rue  Saint*Xacques.  |1  étoit  mort  chaLigé  àç,  detjtes  :  fes  créancier^ ,  fuivanc 
Tufage  alors  pratiqué  ,  Tavoient  fait  excon^munier.  On  refufa  de  prier  Dieu 
pour  k  repos  de  Ton  an>e.  Il  falut  que  fon  f!ls  Louis  II  du  nom  ,  duc  de  Bourbon» 
ibllkitik  auprès  du  pape  Innocent  VI  la  levée  de  Teficommunication  ,  qu*tl 
n'obtint  <]tt*a  coi|diti9a  d'acqutter  les  dettes  po^r  lefi^ueUes  elle  avoit  été  en- 
courue. 

{b)  Froiflard  dît  exprefRment ,  Renaud  dt  Chauveau  fui  tué  dans  ce  epmèar. 
Le  P.  Daniel  le  compte  au  nonribrc  des  prirq^niçrs  c9ntrè  U  témoignage  de  Froif- 
fard  3c  du  continuateur  de  Nangîs. 

^  Où  voit  par  Texcmplc  de  Ce  prélat  &  de  J'archçycque  de  Sens  qui  ailîftcrcnt  \ 
la  baiaillè  de  Poitiers  ;  que  l*uGq;e  &  les  loix  féodales  qui  obligeoienc  les 
ccdéfiaftiques  ^u  fciiviccr  pcrfonûcl  dans  les  armées  ,  fubfiffoit  encore  daas 
pluiiei^rs  partlç$dc  la  France.  Les  lôizdc  rEglifecoadamnoient  cette  coutume 

fçnf 


7     £      Â      H        II.  105 

fent  à  regreter   la  mort  de  quelques  oaretits  ou  âliés.     , 
Dix-fèpt  comtes  &  plus  de  huit  cents  barons  &  cheva-    ^-  <H^* 
liers  ,  couverts  de  bleflures  pour  la  plupart,  furent  feits 
prilonniers.  Jean  de  Melun  comte  ae  Tancarville  étoit 
de  ce  nombre  ,  ainfi  que  Guillaume  archevêque  de  Sens 
(pn  fils ,  &  Jean  &  Simon  de  Melun  fes  deux  autres 
^enfants  ,   le  feigneur  de  Pompadour  ,  les  comtes  de  SpicU.  eotubii 
Vaudemont  &  de  Vendôme  ,  de  Graville ,.  d'Etampes ,  de  Nantis. 
Jean  de  Saintré  eftimé  le  plus  brave  chevalier  de  fon 
temps  ,  Jacques  de  Bourbon  ,  les  deux  princes  d'Ar- 
tois ,  les  feiçneurs  de  Rochechouart ,  de  Damp-Marie  ^ 
de  Parthenai,  de  Mohtandre  ,  de  Brunes  ,  de  Malval>' 
de  Pierre-  Buffiere  ,  de  Saverac  ,  de  Genville.   Les  enr 
nemis  en  pourfuivant  les  reftes  dé  Tarmée  jufqu'aux 
portes  de  Poitiers  ,  que  les  habitants  fermèrent  ,  en 
tuereqt  une  partie  &  firent  les  auçres  prifonniers  -le 
nombre  en  étoit  fi  confidéràble ,  que  plufieurs  genoar- 
mes  Anglois  ou  Gafcons  en  avoigrit  cinq  ou  fix.     . 

On  doit  cete  juftice  jau«,.  vainqueurs  ,^  de  cpn^v^nir 
qu^après  le  combat  ils  uferent  de  la  viâoire  avec  une 
générofité  qui  en  relevoit  encore  Pécîat.  Ils  prirent  foin 
des  bleffés ,  &  renvoyèrent  la  plupart  de  leurs  prifon- 
iiiers  furv  leur  parole:  ils  emmenèrent  les  autres  dan$ 
leurs  teates  ,  ou  ils  les  tr^jccrenç  ay^  toute  Thumanité 
poiOGble.  Sifirmtiddfarmfirlàu^%^^rifqnnitr&^  un  ^n- 
ciçn  hiftorien  ,  &  leur  firent  uint  $amour  ^u^ils  purent 
chacun  aux  fiens.  La  difpofitioA  des  prifonniers  étoit 
alors,  une  partie  de  la  récompenfe 'militaire  :  ceux  qui 
s^eç  trouvoieut  les  maîtres  ,  pouvoient  les  rçnvoyer  on 
les  retenir  ;  &  s'il  arivoit  qu  ua.  prifonnier  fût  :4'u^Ç 
celé,  confidération  qu-il  importât  au  jfrince  de  Tavoi^* 
en  fa  puiiTance  ^  la  raoço^  étoit  eftimée  , .  &  payée  à 

\  laquele  les  pQ(reflioDS  tcfl^porcLes  afleryiflbîent  le  clergé.  Cetç  contradiâîon 
de  la  forme  de  notre  gouvernement  avec  l'cfprif  de  la  religion',  Tubfif^t  jaï- 
qo^à  ce  qae*te<  «ûige  infenfiblètneot  abellpar  difiérehtbs  diifekifes ,  fe  eoavettie 
en  oontribuciofis  d^ommes  $l  d'atgeht.  François  ^I ,  .par  fon  i^ii  djU  !q«dtre  Xa^V 
let  1 541  ,  régla  les  claufe«  4c  cete  exemption.  Depuis  ce  .^emps  ,Ie^  écléfîa(« 
tiques  ont  été  Àifpenfés  entiéretnenc  dû  ban  9^  àrtere-baïf  pâr-diVelfeslcccreè^ 
patentes ,  &  encore  par  comiat  im  i9  Avril  i^s^*  (^^  |«ouis  JCIU. 


10^  HisToms  DE  F&Akce^ 

'        I         celui  auquel  le  prifonnier  s'étoit  rendu.  Les  Angibîs  & 
Aan.  î^^.   les  Gafcons  qui  combacirent  en  cete  ocafîon   fous  le 
prince  de  Galie$  s^enrichirenc  cous  ,   tant  par  le  pillage 
du  camp  j  que  par  les  fommes  qu'ils  reçurent  pour  les 
rançons  de  ceux  qu'ils  avoient  pris. 

Au(Ii-tôc  que  le  prince  de  Galles  aperçut  le  roi  qiQ 
sVprochoit  de  fa  tente  acompagné  des  deux  feigneu js  * 
Anglois  ,  il  s'avança  vers  lui  avec  empreflement.  Ce 
jeune  héros  oubliant  fa  viâoire ,  s^inclina  profondément 
devant  cet  augufte  prifonnier ,  le  pria  d'entrer  dans  fon 
pavillon  ,  &  fit  aporter  des  rafiraichiflements  qu'il  lui 
préfenta  lui-même.  Le  foir  on  lui  prépara  un  feftin  au- 
quel aflifterent  les  princes  &  les  feigneurs  François  aifis 
à  diférentes  tables.  Il  fe  fit  un  honeur  de  fervir  le  roi , 
fe  tenant  debout  devant  la  table.  Jean  le  pria  de  ie 
pl|^er  auprès  de  lui  ;  mais  il  s'en  défendit  toujours  avec 
autant  de  politefTe  qu&  de  modeftie  ^  en  difant  y  qu^it 
ne  lui  apartenoit  pas  de  s^ajfeoir  à  la  table  de  Ji  grand 
prince  édeR  vaillant  homme  ^u^étoit  k  rai. 

Quelque  termeté  que  le  roi  confervât  dans  fon  mal^ 
heur  ,  le  prince  crut  apercevoir  une  impreffion  de  trif» 
leife  fur  ion  vifage  :  cete  idée  le  pénétra. .  Cher  Jirt , 
lui  dit -il  ,  ne  veuille:^  mie  vous  atrijkr  fi  Dieu  n^a 
pas  voulu  aujourd'hui  confenûr  à  votre  volonté  ,  car  cer^ 
tainement  monfeigneur  mon  père  vous  fera  tout  honeur 
,&  amitié  j  &  s'acordera  avec  vous  Ji  rai/onnablement  ^ 

Îfue  vous  demeurerez  bons  amis  enfemhle  à  toujours.  A 
'égard  de  Vévenematt  du  combat  ,  quoique  la  journée 
ne  Joit  pas  vôtre  ,  vous  ave[  aquis  la  plus  haute  répu^ 
tatton  de  prouefje  ,  Çf  avei  pajje  aujourd'hui  tous  les 
mieux  combatants.  Je  ne  le  ois  mie  ,  cher  fire  ,  pour  vous 
louer  j  car  tous  ceux  de  notre  parti  qui  ont  vu  les  uns 
&  les  autres  j  fe  font  par  pleine  confcience  à  ce  acordés 
&  vous  en  donnent  le  prix.  Les  paroles  du  prince  de 
Galles  étoient  acompagnées  de  cet  air  tendre  &  de  ce 


J     E      A     K        I  I.  107 

La  conftance  du; roi  n'avoir  pas  fléchi  fous  le  poids 


de  fon  infortune  :  on  die  que  la  générofîté  de  fon  vain-  Aoq.  xn^ 
queur  lui  aracha  quelques  larmes  j  non  de  douleur, 
mais  d'admiration.  II  répondit  à  des  proteflations  fi  m  ir  t^ 
obligeantes ,  que  ce  qui  contribuoit  fur-tout  à  foulager  Rap^Tàyraî. 
le  fentiment  de  fa  dilgrace  ,  c'étoit  de  ce  qu'on  ne  pou- 
voit  lui  reprocher  d'avoir  rien  fait  d'indigne  de  Itii ,  & 
de  ce  qu'il  écoit  tombé  entre  les  mains  du  plus  vaillant  & 
du  plus  généreux  prince  du  monde.  Tous  les  feigneurs 
François  &  Anglois  préfents  k  ce  combat  de  grandeur 
tl'ame ,  louoient  également  les  deux  princes ,  ^  difoient 
en  parlant  du  jeune  Edouard  ,  qu'il  feroit  un  jour  un 
grand  roi.  Cet  augure  ne  fe  vérifia  pas  :  une  mort  pré* 
maturée  enleva  au  milieu  de  fa  cariere  ce  •  prince  , 
Tefpérance  de  l'Angleterre  &  les  délices  du  genre  hu- 
main.  Le  lendemain  de  !a  batarille  larrtiée  ennemie  r^ 
prit  la  route  de  Bordeaux  par  le  Poitou  &  la  Sainton» 
ge  ,  fans  rencontrer  aucun  obftacle  fur  fon  paflage. 

Ce  funefte  événement   porta    le  coup    mortel  à  la     Le  dauptiin 
France.  Le  prince  de  Galles  s*étant  éloigné  de  Poitiers  ^««««^càPa- 
avec  fon  armée  viâorieufe  &  chargée  de  nos  dépouil-  spidl.  contin: 
lés  ,  le  dauphin  revint  à  Paris  dix  jours  après  la  dé-  Nang. 
foute.  Ce  prince  fut  reçu  avec  tous  les  honeurs  dus  à   .  Ckr<fn.MS. 
Ion  rang.  Sa  préfence  cependant   ne  diminua   pas   la    '^Froiffani 
confiernation  qu*une  fi   trîfte  nouvelc  avoit    répandue 
dans  tous  les  cœurs.    Le  falut  de  l'Etat  ne  paroifToît 
fondé  que  fur  lui ,  6c  fa  conduite  jufqu'alors  n'infpiroit 
pas  la  confiance.   La  confpiration  du  roi  de  Navarre , 
dans  laquele  H  s'étoît  laiué  engager  ,   n'avoit  pas  dû 
•faire  concevoir  des  idées  avantageufes  de  fon  efprit:  fa 
retraite  dès  le   commencement  de  la   bataille  ,  où  il 
avoit  manqué  k  ce  qu'il  devoit  à  fon  père  ,  à  fon  foi  & 
à  fa  patrie  ,  faifoit  encore  juger  moins  favorablement 
de  fon  courage.  Ces  premières  impreflions  ne  contri- 
buèrent pas  peu  à  troubler  les  cbmmencemtents  de  fon 
adminiflration.  Il  çffuya  des  contradîdtons  qui  Téjproù- 
▼crcnt  ;  mais  fon  génie  forcé  de  fè  déveloper   par  lès^ 
obftacles  qu'il  rencontra  1  fe  forma  aux  afeires   par 


Aon*  lis 6, 


le  dauphin 
lieutenant  riS 


îoS  Histoire   de  France^ 

rhabitude  &  la  nécedicé  :  il  regagna  par  fon  aplica- 
non  Teftime  qu*on  lui  avoir  refulée  d*abord/&  il  aquît 
enfin  par  fa  prudence  le  furnom  de  fage  &  de  reftau- 
raceur  de  rEtaC.  Il  eut  d'autant  plus  lieu  de  s*aplaudir 
de  cete  gloire ,  qu'elle  fut  en  lui  le  fruit  de  la  renexion 
&  de  la  pàtienoe. 

Aufli-tot  que  le  dauphin  Charles  fe  fut  rendu  à  Pa- 
is >  on  s'ocupa  du  foin  de  calmer  Téfroi  général  &  de 
fo^aume^**  donner  une  forme  au  gouvernement  ,  que  la  prifon  du 
^^flbmbiéc  fouverain  laiflbit  en  quelque  forte  fans  conduâeur. 
des  Etats-  Quelque  temps  avant  la  bataille  de  Poitiers  le  duc  de 
MétT'de  Normandie  avoit  été  fait  lieutenant  du  royaume ,  abfî 
Lin.  pour  fer^  que  le  prouvent  des  lettres  des  mois  de  Jum  &  de  Sep- 
v'>  i  ^hift.  du  tembre  précédents ,  dans  lefqueles  il  prend  cete  qualité. 
^vlfl^StcZf-  ^^  lieutenance  de  roi  acordée  aux  fils  aînés  de  nos  mo- 
ft.  narques  y  étoit  afiurément  moins  bornée  que  les  lieu- 

tenances  conférées  à  d'autres  princes  ou  feigneurs ,  qui 
He  jouïfToient  que  d'un  pouvoir  limité  &  renfermé  dans 
de  certains  diftriâs.  Le  roi  Jean  avoit  été  pareillement 
lieutenant  général  du  royaume  pendant  les  dernières 
années  du  règne  de  Philippe  de  Valois  fon  père.  Mais 

3uel  que  fût  le  caraâere  eifenciel  de  cete  commifHon  ^ 
n'étoit  pas  réglé  qu'un  pareil  titre  emportât  l'exer- 
cice abfolu  &  fans  réferve  de  l'autorité  y  &  la  plénitude 
du  pouvoir  fouverain.  Quoi  qu'il  en  fpit  ,  ce  fut  efi 
cete  qualité  de  lieutenant  du  roi  fon  père  y  que  Charles 

{)reila  la  convocation  des  Etats  généraux  y  qui  fuivanc 
es  mefures  prifes  dans  la  dernière  aifemblée  y  ne  dé- 
voient fe  trouver  à  Paris  qu'à  la  fin  du  mois  de  ^Jio- 
vembre.  Les  députés  fe  hâtèrent  de  s'y  rendre  ,  &  ils 
fe  trouvèrent  tous  raflemblés  dès  le  commencemçnt 
d'Oftobre  :  l'ouverture  fe  fit  le  dix-fept  de  ce  mois 
dans  la  chambre  du  parlement. 
Etats-Géné-'  J^a  première  délibération  de  l'affemblée  fut  de  re^ 
ranx,  connoître  l'autorité  de  l'héritier  préfomptif  de  la  cou- 

ronne ,  comme  lieutenant  général  du  royaume.    Cet 
aâe  d'obéiflance  étoit  incontefkblemeijt  dû  à  la  dignité 
'  de  fa  naiflknce.  On  a  recherché  les  raifons  qui  empêr 


J     B      A      K        I  I.  .10^ 

chefent  le  dauphin  de  prendre  le  titre  de  régent  ,  •  que  -^ 

Froifiard  ôc  le  continuateur  de  Nahgis  lui  atribuent  ^^'  ^5^* 
feulTement ,  puifqu'il  eft  certain  que ,  pendant  près  de 
deux  années ,  il  ne  prit  dans  toutes  fes  lettres  que  la 
qualité  de  lieutenant  du  roi  de  France.  Il  n'eft  pas 
vrai  que  les  Etats  ayent  refufé  à  Charles  la  régence 
qui  lui  apartenoit  de  droit  y  il  ne  Teft  pas  davantage 
qu'il  Tait  demandée.  Tous  les  raifonnements  qu'on  a 
employés  pour  éclaircir  cete  queftion  ,  n'ont  fervi  qu'à 
la  rendre  plus  obfcure.  Dans  les  difcuffions  dont  ce 
point  de  notre  hiftoire  a  été  l'objet  ^  on  a  omis  la  feule 
conjeâure  vraifemblable  y  &  qui  paroiflbit  fe  préfenter 
naturélemenc.  Le  dauphin  n'avoit  alors  que  dix -neuf 
ans  ;  &  par  les  loix  du  royaume  il  ne  pouvoir  être  dé*- 
claré  majeur  qu'à  vingt  &  un  ans.  Sa  minorité  étoit  in- 
compatiole  avec  la  régence  y  à  moins  que  le  roi  ne 
l'eût  relevé  de  ce  défaut  par  un  aâe  émané  de  fon  au- 
torité abfolue. 
Ce  qui  confirme  encore  cete  opinion  ,  c'eft  que  ce 

})rince  ,  ^environ  deux  ans  après  ,  lorfau'il  eut  ateinc 
'âge  requis  par  les  loix  y  prit  le  titre  de  régent  fans 
contradiâion  y  &:  fans  y  être  autorifé  par  fon  père  en- 
core prifonnier  en  Angleterre.  |^e  fut-là  fans  aoute  un  .  .  ., 
des  principaux  motifs  qui  l'engagèrent  ,  lorfqu'il  fut 
parvenu  à  la  couronne  y  à  donner  cete  déclaration  qui 
.fixe  la  majorité  de  nos  rois  à  l'âge  de  quatorze  ans.  Il 
vouloit  prévenir  les  inconvénients  auxquels  l'Etat  peut 
.être  expofé  par  la  trop  longue  minorité  des  princes , 
inconvénients  qu'il  avoit  éprouvés  lui-même  :  car  il  eu 
certain  que  s'il  eût  pu  prendre  la  qualité  de  régent  in>- 
nr*  édiatement  après  la  bataille  de  xoitiers  y  ce  titre  fu-- 
périeur  à  celui  de  lieutenant  y   eût  rendu  fon  pouvoir 

{Ans  éficace  y  &  plus  capable  de  contenir  les  fujets  dans 
eur  devoir. 

Il  s'en  faloit  beaucpup  que  les  députés  des  Etats 
aportaifent  à  cete  aifemblée  des  difpofitions  convena- 
bles à  la  fituation  préfente*  La  France  avoir  befoin 
d'un  prompt  fecours  y  on  parla  d'abus  &  de  réforma* 


xiô  Histoire   di  France^ 

==!  don':  îl  faloit  rétablir  les  finances  ;  on  fe  plaignit  de 
Ann.  i^jtf.  ceux  qui  les  avoienc  précédemment  adminiftrées.  Il  étoic 
nécefTaire  de  réunir  tous  les  ordres  du  royaume  ^  afin 
d'opofer  de  puiflants  éforts  à  un  ennemi  redoutable , 
&  tous  les  corps  divifés  entre  eux  ne  fe  montrèrent 
d'acord  que  pour  faire  éclater  leurs  murmures  :  fuites 
trop  ordinaires  des  malheurs  de  TEtat  ,  qui  feinblent 
répandre  fur  ceux  oui  le  compofent  un  efprit  de  ver- 
tige 9  qui  les  aveugle  ^  &  leur  fait  méconnoitre  leurs 
véritables  intérêts. 

La  noblefïe  qui  ^  depuis  le  commencement  de  la 
guerre  contre  les  Anglois ,  avoit  foufèrt  des  pertes  con- 
fidérables  ,  fe  trouvoit  alors  prefque  fans  crédit  :  écra- 
fée  à  la  bataille  de  Crécy ,  la  défaîte  de  Poitiers  avoit 
achevé  fa  ruine.  Les  plus  braves  feigneurs  &  gentils- 
liommes  avoient  été  tués  ou  faits  prifonniers  à  cete 
dernière  journée  ,  &  ceux  qui  s'étoient  déshonorés  par 
une  honteufe  fuite  ,  haïs  6c  méprifés  généralement  y. 
ofoient  à  peine  fe  montrer.  Ceux  qui  ne  s^étoient  pas 
trouvés  à  cete  bataille  étoient  de  jeunes  gens  à«aui  Tage 
fie  permettoit  pas  encore  de  porter  les  armes.  Le  luxe 
de  là  plupart  des  nobles  ajoutoit  encore  à  la  haine  qu'oa 
Spiat.  cottt.  ^^^^  portoit.  î>  Cette  thnée  ,  [  dit  le  continuateur  de 

dcNang.  i>Nangis,  ]  un  grand  nombre  de  nobles  &  de  mili- 
^  taires  (e  livrèrent  plus  que  jamais  au  fafte  &  à  la 
»  difTolution.  Outre  ces  habits  trop  courts  qu'ils  por- 
>f  tôiènt  depuis  quelque  temps  ,  ils  commencèrent  en- 
»  core  à  fe  rendre  plus  ridicules  à  force  de  magnifi- 
»  cence  :  ils  chargeoient  de  perles  leurs  chaperons  & 
39  leurs  ceintures  dorées  :  tous  depuis  les  plus  grand; 
»  jufqu'aux  plus  petits  fe  couvroient  de  pierres  précieu- 
se fes  y  rangées  avec  art.  Les  perles  &  les  diamants 
»  étoient  hors  de  prix  :  à  peine  en  pouvoit-on  trouver 
n  à  Paris.  Je  me  louviens ,  [  continue  le  même  hifto- 
»  rien  ,  ]  d'avoir  vu  vendre  dix  livres  parifis  deux  perles 
>i  qui  n'avoient  été  achetées- que  huit  deniers  a.  Les 
nobles  commencèrent  auffi  à  porter  alors  des  plumes 
d^oife^ux  fur  leurs  chapeaux  çu  toques  :  ils  pafibiene 


J     X     A     R       I  I.  m 

Ici  nuits  dans  les  débauches  les  plus  crimineles ,  &  leur  '^'— **— 
acharnement  pour  la  paume  &  le  jeu  de  dés  ,  n*avoit  Ann.  ijs^. 
point  de  frein.  Le  peuple  gémifToit  de  voir  confumer  f 
par  des  dépenfes  fupernues  y  Targent  qu'il  avoit  donné 
pour  le  foucien  de  la  guerre.  Ce  fut  alors  que  les  habi* 
tants  de  la  campagne  fe  crurent  en  droit  de  rendre 
aux  nobles  la  dénomination  injurieufe  de  Jacques  Bon^ 
homme.  Les  payfans  apeloient  ainii  les  gentilshommes 
&  gens  de  guerre  y  qu'ils  acufoient  d'avoir  abandonné 
leur  roi  à  la  bataille  de  Poitiers.  Il  n'eft  donc  pas  éton- 
nant que  dans  Taflemblée  des  Etats  les  députés  du 
Seuple  ayent  eu  la  principale  influence  y  quoique  les 
élioérations  paiTaiTent  fous  le  nom  des  trois  ordres» 
Nous  verrons  bientôt  Tufage  que  le  tiers-état  fit  de  fon 
crédit. 

Les  députés  qui  compofoicnt  l'afTemblée  ^  étoient  au  Ouvemutdes 
nombre  de  huit  cents.    Le  chancelier  ayant  expofé  au  ^'*^* 
nom  du  prince  la  fituation  préfente  de  l'Etat ,  &  ayant .  Cotumfde 
demande  aide  &  confeil ,  tant  pour  la  défenfe  &  le  gou-  u  unut  &  W- 
vernement  du  royauipe ,  que  pour  la  délivrance  du  roi  ;  ^Jl^i^^fùTotk 
les  trois  ordres  ,  avant  que  de  faije  leurs  ofres  ,   fu-  ^uRoi! 
plièrent  ,  fçavoir ,  le  clereé  par  la  bouche  de  Jean  de 
Craon^  archevêque,  de  Rheims  y  la  noblefle  par  celle 
du  duc  d'Orléans  frère  du  roi  ^  &  le  tiers^état  par  celle 
d'Etienne  Marcel  prévât  des  marchands  de  Paris  y  qu'il 
leur  fût  acordé  un  délai  pour  délibérer  entre  eux.  Le 
dauphin  y  confentit  ^  &  dès  le  lendemain'  ils  commen* 
cerent  leurs  conférences  y  qui  fe  tinrent  dans  la  maifoa 
des  Cordeliers ,  où  les  trois  ordres  s'afTemblerent  fépa« 
rément.  On  avoit  nommé  des  cens  du  confeil  du  roi 
)our  y  affifter  ;  mais  vçomme  leur  préfence  gènoit  la 
iberté  des  délibérations  y  les  députés  exigèrent  que 
'entrée  de  leurs  affembléss  fût  interdite  à  ces   con- 
êillers.   Ce  préliminaire  n'annonçoit   pas  un  dévoue- 
ment entier  aux  intentions  du  prince  &  de  ks  nd-* 
niftres. 

Après  huit  jours  employés  en  délibérations  fans  s'a^ 
xêter  à  un  objet  fixe  y  on  reconnut  que  le  trop  grand 


112  ^Histoire   de  France, 

^*'*'*'*^  nombre  ne  faifoit  gu^aporter  de  la  cohfufion.  On  con- 
Aftn.  ij)6.   vint  donc  de   choifir  parmi  cete  multitude  cinquante 
perfonnes  tirées  des  trois  ordres  ,  pour  rédiger  les  avis 
&  dreffer  un   projet  de  réforme  ,    qui    feroit  enfuite 
aprouvé  par  Taffemblée  générale  ,  lorfqu*ils  en  auroient 
fait  leur  raport.  Le  choix  tomba  fur  plufieurs  membres 
de  raflemblée  qui   n'étoient  pas  agréables  au  dauphin 
ni  à  ceux  de  fon  confeil.  Ces  élus  nommés  par  les  Ëtats 
travaillèrent  en  conféquence.  Après  qu'ils  eurent  dreffé 
les  principaux  articles  ,  ils  envoyèrent  prier  le  duc  de 
Normandie  de  fe    rendre    aux   Cordeliers.   Il  y   vint 
acompagné  de  fix  perfonnes.  Avant  que  de  lui  déclarer 
la  rélolution  de  Taffemblée ,  les  députés  voulurent  l'o- 
bliger de  leur  promettre  de  tçnir  focret  ce  qu'ils  aloient 
lui  dire.  Le  prince  ne  jugeant  pas  qu'il  fût  convenable 
à  fon  rang  ni  à  fa  naiflance  de  faire  cete  promeffe  re- 
jeta la  propofition.  Ce  refus  ne  les  empêcha  pas  de  lui 
préfenter  les  chefs  des  demandes  dont  ils  étoient  de- 
meurés d'acord  dans  leurs  conférences. 
Remontrances      Robert  le  Cocq  évêque  de  Laon,  portant  la  parole 
des  Etats.        Dour  leç  députés ,  remontra  qu'il  ne  faloit  rechercher 
F^'1r"'j     l'origine  de  tous  les  malheurs  qui  afligeoient  le  royau-» 
ihTfnTq.'dfi  ^^  >  ^^®  dans   la  mauvaife  adminiftration  k  laquele  il 
S.  Denis.       étoit  à  propos  avant  toute  autre  chofe  de  remédier.  Qua 
les    miniftres    &   confeillers  ,  qui  jufqu^alors   avoienc 
environné   &  obfédé  le   roi ,  Vétoient  rendus  coupa- 
bles des  fautes  que  leurs   confeils  pernicieux   avoient 
fait  commettre  ;   qu'il   faloit  priver  de  leurs  dignité» 
&  deftituer   de  leurs  charges  ces   oficiers    prévariçar* 
teurs  ,  les  faire  arêter  ,  &  cojifîfqucr  leurs  biens  ;  que 
comme  il  y  en  avoit  parmi  eux  qui  par  le  privilège 
de  leur  état    n'étoient    point  fujets    à  la   jurifdiâion 
temporele  ^  il  étoit  à  propos  que  le  due  écrivît  de  fa 
propre  main  au  *pape' pour  le   prier  de  permettre  aux 
Etats   de   nommer  dçs  commiilaires  qui  fuflent  auto- 
rifés    à  juger    définitivement  les  écléfiaftiquçs   qui  fe 
trouveroient  coupables  de  malverfations. 
Le  C^q  donna  enfuite  la  liftç  des  profcrî(s  ^  qui  con- 

tenoiç 


J    :e     A     N       1  î.  iij 

tenoic  les  noms  de  vîn^t-deux  acufés.  On  voyoic  en  '^^^^^'^SfH 
tête  le  nom  de  Pierre  de  la  Foreft  chancelier  de  France  ,  Ann,  155^% 
archevêque  de  Rouen  ,  fuivi  de  ceux  de  Simon  de  Buffi 
premier  préfidenc  du  parlement  ,  de  Robert  de  Lorris 
chambélaa  du  roi  ^  de  Jean  Chamillart  &  de  Pierre 
d'Grgemont  préfidenti  au  -parlement  ,  de  Nicolas 
Braque  maître-d'hôtd  du  roi ,  de  Jean  Poilvilkin  fou- 
verain  maître  des  monnoies  ,  d'Enguerrand  du  Petit 
Cellier  ,  &  de  Bernard  de  Fremont  tréforiers  des 
guerres ,  d'£tienne  de  Paris ,  de  Pierre  de  la  Charité 
&  d'Ancel  Coquarc  maitres  des  requêtes,  de  Robert* 
Defpréaux  notaire  ou  fecrétake  du  roi  ',  de  Jean  Tur- 
pin  chevalier  des  requêtes  du  parlement  ,  de  Jeafr 
d'Auxerr^  maître  ^es  comptes, de  Jean  de  Brechaigne 
valet  de  chambre  du  roi ,  du  Borgne  de  Beaufle  mai- 
tre  de  Técuriç  ,  de  Geofroi  le  Mazanier  échanfon  {ces 
trois . derniers  étoient  delà  maifon  du  dauphin]  &  do 
irere  Regnaut  Meichin  abé  de  Faloife  préfident  de» 
enquêtes  du  parlen^ent.  Les  Etats  acufoient  ces  mi- 
ûiftres   &  oficiers  »  d'avoir  flaté  le  roi ,  de  n'avoir  eu 

V  égard  dans  les  confeils  qu'ils  avoient  donnés ,  ni  à 

V  la  crainte  de  Dieu  ^  qî  à  i'boneur  du^  fouverain ,  ni 
i>  à  la  mifer^  des  peuples  ;  de  n'avoir  eu  en  vue  que 
yy  leur  intérêt  particulier  ,  s'ocupant   uniqviement   du 

V  foin  d'aquérîr  des  pofTeflions  ^  aaracher  ces  dons  ^x*- 
»  cefTifs  9  &  de  fe  faire  conférer  les  uns  aux  autres  ou* 
f>  à  leurs  amis  les  dignités  6c  les  cha;rges  ,  6c  fur-tout 

V  d'avoir  caché  au  roi  la  vérité  >>. 

Après  ces  rejpréientadons  générales  contre  tes  abus  Uidmi 
de  l'adminiâration  ,  les  députés  palTerent  aa  projet 
qu'ils  avoient  formé  pour  les  réparer.  Ils  dédarerenc 
qu'il  étoit  à  propos  qu'on  choisît  parmi  ceux  qui  com- 
pofbient  les  Etats  9  des  réformateurs  autorifés  par  des 
commiflions  exprefles  à  réprimer  les  malverfations  des  - 
oiiciers  qui  fe  trouveroient  en  faute  :  Que  le  dauphiiï 
fe  formât  ui^  conlèil  compofé  de  quatre  prélats  ,  de 
douze  chevaliers  &  d'un  pareil  nombre  du  tiers-état  : 
Que  rien  ne  fe  décidât  fans  la  participation  de  ces  vingt* 
Tome  r.  P 


Âim.  135^* 


114  Histoire   dk   France, 

huit  confeillers ,  &  que  la  monnoîe  fiuc  rétablie  fui-* 
vant  Tordonnance  qui  feroît  réglée  par  les  Etats.  Les 
députés  terminèrent  la  remontrance  par  la  demande  de 
la  liberté,  du  roi  de  Navarre.  Jean  de  Pecquigny  pour 
la  nobleiGTe ,  Nicolas  le  Chanteur  avocat ,  &  Edenne 
Marcel  pour  le  tiers^état ,  confirmèrent  en  cete  oca- 
fion  ce  que  Tévêque  de  Laon  venoit  d'avancer  au  nom 
de  rafTemblée. 
Uùlem.  Le  dauphin ,  malgré  les  fujets  de  défiance  qu'il  avoic 

dû  concevoir  de  la  conduite  des  Etats  ,  ne  s'atendoit 
pas  à  de  pareilles  propofitions.  Surpris  de  la  hardieiTe 
des  députés ,  il  répondit  qu'il  examineroit  avec  fon  con- 
feil  la  nature  de  leurs  demandes.  En  atendanc  qu'il  en 
eût  délibéré ,  il  voulut  fçavoir  quels  étoient  les  fecours 
que  les  Etats  pouvoient   acorder  dans  la  circonftance 

I)réfente.  Les  députés  répondirent  que  ,  moyennant 
'exécution  4^  leurs  demandes ,  ils  s'engageoient  d'en^ 
tretenir  trente  mille  hommes  d'armes ,  &  que  pour  aifi- 
gner  les  fi3nds  néceflàires  à  cete  dépenfe ,  on  établiroic 
une  impofition  d'un  dixième  &  demi  ou  de  trois  ving- 


tièmes fur  tous  les  revenus  ,  tant  des  écléfiafUques  ^ 
eue  des  nobles^*  &  que  le  tiers-état  paieroit  l'armement 
Se  la.  folde.  d'un  homme  d'armes  par  chaque  centaine 


de  feux.  Ils  demandèrent  enfui  te ,  qu'afin  de  connoitre 
Il  le  produit  de  cete  impofition  jpouvoit  fufire  à  l'entre- 
tien des  troupes  ,  l'aiTemblée  lût  prorogée  jufqu'à  la 
quinzaine  de  raques.  Cete  dernière  demande  mani- 
leftoit  ouvertement  l'intention  des  Etats.  Leur  aiTemblée 
étant  prorogée  jufqu'à  Pâques  ,  ils  n'auroient  pas  man- 
qué de  prétexte  pour  là  continuer  au-delà  de  ce  terme, 
&  peut-être  par  une  fuceffion  de  délais  feroient-ils 
parvenus  à  fe  rendre  permanents. 
Le  dauphin      ^^  confeil  du  priuce  demeura  quelque  temps  partagé 

Tompc  raflcm-  fur  l'agrément  ou  le  refus  de  ces  propofitions  :  ceux 

^èidem.       ^^^  étoiettt  compris  dans  la  profcription  les  rejetèrent 

Mém.delit-  tous  d'une  voix.  Quelques-uns  d'eux  négpcierent  avec 

tirature.         les  députés  dans  l'elpérance  d'en  obtenir  quelque  modi- 
fication i  mais  ils  furent  inébranlables,  A  la  fin  la  plu« 


J     «     A     ÎT       II-  .,  ^î$ 

ralité  des  voîx  termina  Tindécifion, ,  &  il  fut  réiblu  i 

que  le  dauphin  confentiroit  aux  demandes  qui  lui  Ano.  xi5^. 
avoient  été  faites.  Charles  fentit  quele  ateince  une  pa- 
reille condefcendance  aloit  porter  k  fon  autorité  :  cepen- 
dant ne  voulant  pas  aler  ouvertement  contre  Tavis  dxf. 
plus  grand  nombre  .des  gens  de  fon  confeil  ,  il  feignit 
d'agréer  tout  ce, qui  avoit  été  réfolu,  &  promit  de  fç 
rendre  au  parlement  le  lundi  veille  de  la  TouiTaints , 
pour  donner  fa  déclaration  conforme  à  la  délibération. 
En  même  temps  que  le  dauphin  fiatoit  les  députés 
de  la  réuilite!  de  leurs  projets ,  il  prqppit  des  mefure$ 
pour  les  déconcerter.  L*afaii;e  fut  agitée  de  nouveau 
dans  fon  confeil ,  &  ceux  qui  le  compofpient  revinrenç 
à  fon  opinion  :  il  y  fut  décidé  que  le  prince  avoit  un 
intérêt  vifible  à  rompre  une  aflemblée  pernicieufe  à 
Tautorité  royale,  &/qui,  abufant  de  la  néceffité  &  des 
circonftanceâ  ,  cherchôit.^  s'^mparçr  du  gouvernement» 
Le  jour  deftiné  pour  la  publication  de  Pordoxinance  des 
Etats ,  les  députés  fe  rendirent  au  parlement.  Tout  le 
peuple  aflemblé  devant  la  porte  atendoit  Téfet  des 
promefles  du  prince ,  qu*on  avoit  eu  foin  de  répandre 
dans  le  public.  Son  anvée  fit  év9^QPuir  ces  efpérançes. 
Auffi-tôc  qu'il  parut  à  la  poritie  du  palai?,  il  envoya  un 
ordre  aux  Etats  aUbmbles  dans  la  chambre  du  parlçl^ 
ment  de  lui  députer  neuf  d*en;tr'eux  qu'il  nommai; fijgr^ 
voir  les  archevêques  de  Lyon  &  de  Rheims ,  &  Tévê- 
que  de  Laou  de  ta  part  du  clergé  ;  Vaileran  de  Luxemn 
bourg ,  le  fire  de  (Jonflans  maréchal  de  Champagne , 
&  Jean  de  Pecquigny  gouverneur. d'Artois  ;  de  la  part 
de  la  nobleffe  ;  &  de  Ja  part  du  tiers -état  ,  Etienne  :.. 

Marcel  prévôt  des  marchands  de  Paris ,  Charles  Gonfaç; 
échevin  ,  Nicolas  le  Chanteur  /  qui  furent  encore 
acompagnés  de  quelques  autres  députés  des  bonnes 
villes.  Lorfqu'ils  turent  en  préfence  du  prince,  il  leur 
déclara  devant  tout  le  monde  qu*il  atendoit  des  noiH 
vêles  du  roi  ,  iTans  les  ordres  duquel  il  ne  pouvoît 
rien  décider,  &  qu'il  étoit  auffi  réfolu  de  confulter 
l'empereur  fon  oncle:  en  conféquence  de  ces  raifons  il 

P  ij 


/.• .  •/'  ■  i 


ïltf  JIlSTOIRE  DE*  FlLAVCS^ 

^''"'™"^'  demanda  un  dt^lai  &  remit  l^aflfemblée  au  jeudi  fuivant; 
Ann.  is^s^é.  Q^  commençoit  à  murmurer ,  lorfqûfc  le  duc  d'Orléans 
prit  la  parole  &  juftifia  la  conduite  du  dauphin  d'une 
manière  fi  fpécieulè  ,  que  le  tumulte  s'apaifa.  L'aflem- 
blée  fe  fépara  :  plufieurs  députés  prévoyant  ce  qu'ils 
dévoient  atendre  de  k  fuite  de  cete  afaire  ,  eu  peut- 
être  inftruits  &  gagnés  par  les  gens  du  confèii  ^  fe 
retirèrent  -dans  ïeurs  provinces.'  Le  furlendemain  le 
duc  de  Normandie  fit  apeler  au  Louvre  quelques-uns 
des  députés  &  leur  déclara  fes  intentions  ^  qu'il  leur 
ordonna  de  conmuniquer  aux  autres.  Il  leur  dit  qu'ils 
cuflent  à  fe  retirer  jufqu'à  nouvel  ordre  j  qu'il  les  man* 
deroît  lorfqu'fl  le  jugeroit  à  propos  ;  que  jKDfur  le  pré- 
fent  il  ne  jpouvoit  prendre  de  réfolution  qu'il  n'eût  fçu 
les  intentions  du  roi  fon  père  ,  vers  lequel  il  avoie 
député  quelques  chevaliers  y  &  qu'il  ne  fe  fût  abouché 
avec  l'empereur  fon  oncle ,  auprès  duquel  il  comptoit 
fe  rendre  incefiamment.  Après  leur  avoir  déclaré,  fes 
Volontés  d'une  manière  fi  précîfe,  illcs  congédia. 
' ,  Ceux  des  députés  qui ,  comptant  fur  le  fuccès  de 
leurs  prétentions  9  fe  regardaient  déjà  comme  les  arbi- 
tres du  gouvernement ,  furent  extrêmement  mortifiés 
de  la  réfolution  du  dauphin  ;  mais  il  falut  s  y  conformer; 
Aucun  '  prétexte  lie  les  autoriibit  k  prolonger  kurs 
fëancéSj^  fans  fe  portera  une  révolte  déclai^ée.  Ils  fu^ 
rént  donc  obligés  de  fe  féparer.  Avant  la  diffolutîon 
de  Paflèmblée,  ils  dreflerent  un  aâe  de  leurs  délibé- 
rations ,  dont  on  délivra  une  copie  à  chacun  des  dé- 
putés ,  afin ,  difoient-Us,  de  juftifaer  leur  conduite. 
Etats  de  Tandis  q\ie  les  Etats  de  la  Langue^d*OiI ,  aflcmblés 
Sdem'  ^.  ^^^^  •  contefteient  fur  dts  points  de  l'admîniflra- 
OrdotuMS.  tion,  dont  peut-être  il  eût  été  plus  féauc  de  remettre 
JfJ^'^'j^^/tf  Texamen  à  à^s  temps  plus  heureux,  les  Etats  de  Lan- 
*  jguedoc,  aflemblés   fous   l'autorité  du   comte  d'Arma- 

gnac ,  lieutenant  du  roi  dans  ces  ptovinces ,  fe  figna- 
îererit'par  des  témoignages  éclatants  de  leur  fidélité  & 
de  leur  atachement.  Ils  furent  convoqués  à  Touloufer 
\k  on  convint  unanimement  de  lever  &  entretenir  cinq 


T    s    A    sr      I  L  11-7 

mille  hommes  d'armes ,  k  deux  chevaux  au^moîns  cha-  — — *— 
cun  y  mille  archers  k  cheval  ^  &  deux  mille  pavoiiies  Ann.  i^s^é 
ou  fancaifins  ,  armés  d'écus.  Non -contents  d'avoir 
acordé  cete  aide  de  leur  propre  mouvement ,  les  Eta»  • 
ordonnèrent ,  w  que  hommes  ni  femmes ,  pendant  Tan- 
V  née ,  fi  le  roi  n'étoit  auparavant  délivré ,  ne  porte- 
»  roient  fur  leurs  habits  or  ,  argent ,  ni  perles ,  ni  fou- 
yy  rures  de  verd  ou  de  gris ,  ni  robes ,  ni  chaperons 
yy  découpés  ,  ni  autres  cointifes  [  ornements  ]  quelcon^ 
yy  ques  y  &  qu'aucuns  meneflriers  ,  ni  jongleurs  ne  joue- 
y>  roienc  de  leur  métier  ouinftrument  yy.  Ils  firent  aufli 
un  nouveau  règlement  pour  la  monnoie  >  par  lequel  on 
réduifit  à  trente  -  deux  fous  les  efpeces  qui  auparavant 
valoient  foixante  fous.  Le  comte  d'Armagnac  députa 
au-  dauphin  k  Paris  trois  perfonnes  tirées  du  clergé, 
de  la  noblefie  &  du  peuple,  afin  de  lui  préfenter  la 
délibération  des  Etats  ,  qui  fut  confirmée  par  ce  prince. 

La  réfolution  que  les  Etats-généraux ,  avant  que  de     ^^^^  j^g 
fe  féparer  avoient  prife  de  drefTer  un  aâe  de  ce  qui  du  roi  Jean. 
avoit  été  arête  entr'eux  pour  le  bien  du  royaume ,  étoit  -.  cjirtmiq.  dt 
fur-tout    rouvrage   de   Robert  le  Cocq  &  d'Etienne     AnJaladl 
Marcel ,  les  deux  hommes  les  plus  dangereux  de  leur  frana. 
temps. 

Le  premier,  prêtre  intrigant,  parvenu  par  la  faveur 
des  rois  Philippe  de  Valois  &  Jean ,  élevé  de  la  pro- 
fedion  d'avocat  aux  charges  de  confeiller  &  d'avocat- 

S:énéral ,  fait  enfuite  évêque  &  duc  de  Laon ,  comblé 
es  bienfaits  de  fes  maîtres  ,  devint  un  de  leurs  plus 
cruels  ennemis ,  fans  qu'aucun  motif  pût  autorifer  une 
fi  noh-e  ingratitude.  Etienne  Marcel ,  artificieux ,  vin^ 
dicatif,  d'une  ambiton  démefurée,  auffi  cruel  que  per- 
fide ,  audacieux  jufqu'k  l'infolence  ,  incapable  de  re- 
mords, ne  trouvoit  aucun  moyen  coupable  ni  honteux, 
pourvu  qu'il  lui  fervît  k  parvenir  k  fes  fins.  Il  étoit  alors 
prévôt  des  marchands  de  la  ville  de  Paris  :  cete  place, 
&  plus  encore  fes  menées  fourdes ,  &  l'afeâaaon  de 
fe  déclarer  le  protedeur  des  droits  du  peuple  ,  lui 
Avoient    aquis    une    grande    autorité.    L'honeur  qu'il 


j 


tl8  HiSTOI&E    DK  FrAKGC^ 

f— — *—  venoit  de  recevoir  récemment  d*être  choifi  pour  chef 
L^nn.  z5j^«  des  députés  du  tiers* état  dans  les  deux  dernières 
aflemblees  générales  ^  avoit  encore  augmenté  fon  cré-* 
'  dit.  Il  fe  lervit  de  ce  crédit  pour  ataauer  T-autorité 
fouveraine,  qu'il  prétendoit  avilir  :  fuivi  aune  populace 
inieitfée  qu^il  avoit  féduite  y  on  le  vit  plus  dune  fois 
fecouer  le  âambëaii  de  la  fédition  y  &  poulTer  la  har- 
dieile  jufqu'aux  plus  énormes  atentats.  Il  bouleverfa 
tout,  &  il  eût  tout  perdu  fans  Tévénement  incfpéré  qui 
mit  fin  à  fes  crimes.  Il  eft  hors  de  doute  que  depuis 
quelque  tenip^  il  £3rmoit  des  projets  pernicieux  contre 
le  gouvernement.  Il  étoît  entré  dans  la  confpiration 
formée  par  le  roi  de  Navarre,  avec  lequel  il  avéit  eu 
alors  une  étroite  intelHffehce,  Il  avoit  fait  pluiieurs 
voyages  à  Evreux  ,  ou  il  étoît  demeuré  caché  pendant 
quelque  temps ,  ayant  foiivent  des  conférences  fecrè- 
tes  avec  Charles- le  -  Mauvais.  VraifemblaWemenl  ces 
intrigues  furent  inconnues,  puifqu'il  fut  depuis  honoré 
de  la  charge  de  prévôt  des  marchands. 
\  Le  danphin  Les  Etats  s'étant  féparés  fans  acorder  aucun  fubiîde, 
^^/iw«»  le  dauphin  s'adrefla  plufieurs  fois  à  Marcel  &  aux 
échevins ,  dans  Tefpérance  d*en  obtenir  quelque  (ècours  ; 
mais  ils  le  refufereot  fans  ménagement ,  en   aiTuranc 

Îu^ils  n^acorderoient  rien  qu'on  ne  raflemblât  les  Etats, 
le    prince  ,  qui  avoit   de  fortes  raifons  pour   ne  pas 
çonfentir  à  leur  retour  ,   prit  un  autre  parti  ,  qui  fut 
d'envover  des    gens  dé  Ion  conlfeil  vers  les   diféren- 
tes  villes  du  royaume ,  pour  les  exhorter  à  contribuer 
à  la  défepfe  de  rEtàt.  En  atcndaht  Téfet  que  produis 
Toient  ces  députations ,  il  prit  la  route  de   meéz  où 
Tcmpereur  Charles  IV ,  fon  oncle ,  étoit  pour  lors. 
Charles  IV.      Charles  IV ,  fils  de  Jean  roi  de  Bohême ,  avoit  été 
kXn"î,f.*"  ^^H""^  ^^i  d«  Romains  dès  Tannée  134^.  Bleffé  à  la 
tcurdcûbuic  journée  de  Crécy ,  il  fuccéda  au  royaume  de  Bo}ieme 
^"^Tiii  après  la  mort  de  fon   père  ,  tué   dans    cete  bataille. 

/'iSf^;?'  Çeft  lui  qui  pour  déterminer  le  pape  à  favorifer  fa 
foritV.B^^  promotion  à  Tempire  ,  eut  la  foibleffe  de  figner  ce 
n^  T.  VI.     pa^e  ^  par  Içcjuel  \\  s'eogageoit  ^  n'entrer  daps  Rome 


niAlU.KS    LV. 


/>€ '  /if  . //ii/iii t/i  ,  ft '  /,it, n *m/*i 'r/n/        lù^yL,  ^ 


HNh 


j 


I      s      À      N        I   I.  .119 

âue  le  jour  de  fon  couronnement ,  encore  fous  la  con-  *— ™™^ 
icion  numiliante  d'en  fortir  le  même  jour,  fans  pou-  Ann.  xfj^, 
voir  jamais  y  revenir  ,  à  moins  que  le  faint  fiege  ne 
lui  en  acordât  une  permiflion  expreffe,  Ccte  conduite 
ignominîeufe  le  rendit  Tobjet  du  mépris  de  la  plupart 
des  princes  &  feigneurs  Allemands  y  &c  même  Italiens: 
on  rapeloit  Ucmpereur   des  prêtres.   On  raporte  à    ce 

{>riBce  l'époque  de  la  décadence  de  l'empire  ^  &  de 
'anéantiflement  des  droits  des  empereurs  fur  Tltalie. 
Ce  n'étoit  pas  ainfi  que  Charlemagne  briguoit  la  fuc- 
ceiRon  des  Céfars. 

Charles  IV  étoit  fi  foible  &  fi  pauvre  ,  qu'il  fut 
arête  à  Worms  par  le  boucher  qui  lui  avoir  fourni 
de  la  viande ,  &  il  ne  feroit  pas  lorti  ,  fi  Févêque  de 
la  ville  n'avoit  fatisfait  le  créancier.  Armé  de  bules  & 
de  décrets ,  il  difputa  l'empire  avec  aflez  peu  de  fuccès 
pendant  les  dernières  années  de  Louis  de  Bavière^ 
après  la  mort  duquel  fon  parti  prit  le  defTus  :  ayant 
acheté  les  droits  de  fes  compétiteurs ,  avec  lefquels  il 
compofa ,  il  fut  enfin  reconnu  empereur  jpar  les  élec- 
teurs. Ce  prince  eft  l'auteur  de  cete  conilitution  célè- 
bre y  connue  fous  le  nom  de  bule  d'or  y  publiée  fur  le 
xnodele  drefTé  par  Barthole,  le  plus  fameux  jurifcon- 
jfulte  de  fon  temps.  Elle  contient  trente  chapitres  y  qui 
ont  pour  objet  de  régler  la  forme  du  gouvernement , 
l'éleaion  des  empereurs  y  la  fuccefiion  des  éleâeurs  y 
les  privilèges  des  membres  de  l'empire,  les  afiemblées 
ou  aietes  générales  ,  le  cérémonial  de  la  cour  impériale  y 
les  fonâions  des  éleâeurs,  le  fervice  de  la  table  de 
l'empereur  le  jour  de  fon  couronnement,  ou  les  autres 
jours  qu'il  tiendra  cour  folennele.  Dans  ces  folenni- 
tés  y  Téleâeur  de  Saxe  doit  venir  au  lieu  de  la  féance 
impériale  ,  tenant  un  bâton   &  une   mefure  d'argent 

3u'il  remplit  d'avoine  ,  dont  on  a  pris  foin  de  placer 
evant  lui  un  monceau  élevé  jufqu'au  poitrail  ae  fon 
cheval;  il  remet  enfuite  cete  mefure  au  premier  pale- 
frenier y  &  le  refte  de  l'avoine  efi:  abandonné  au  pil- 
lage.   Cete   cérémonie  efi;  encore  en   ufage.  LVIecr 


V 


120  Histoire   de   France^ 

"— — — ?  teur  de  Brandebourg  vient  pareillement  à  cheval ,  por- 
Aan.  155^.  tant  un  baflîn  d'areent ,  une  aiguière  oléine  d'eau  y  &c 
une  ferviete  pour  donner  à  laver  à  S.  M.  I.  Le  comte 
Palatin  arive  portant  quatre  écueles  remplies  de  vian- 
des ;  il  defcend  de  cheval ,  &  les  pofe  fur  la  table  ; 
enfin  le  roi  de  Bohême^  portant  une  coupe  d'argent 
du  poids  de  douze  marcs  ,  remplie  de  vin ,  met  pied 
à  terre ,  &  préfente  à  boire  k  l'empereur.  Il  n'y  avoit 
point  alors  d'éleâeurs  de  Bavière  ni  d'Hanovre.  Le 
dernier  article  de  la  bule  d'or  oblige  les  éleâeurs 
féculiers  de  faire  inftruire  leurs  fils  dans  les  langues 
étrangères. 

La  première  partie  de  cete  conilitution  fut  publiée 
k  Francfort  en  i^i^è ,  &  la  dernière  k  Metz  le  jour  de 
Noëî  de  la  même  annjée»  précifément  dans  le  même 
temps  que  le  dauphin  arivfi^ 


Commence-      Avant  que  de  quiter  Paris ,  il  avoit  laiiTé  dans  ceic 


OomxQic^. 


paroifToit  incertaine ,  &  qui  auroit  pu  compromettre 
Ion  autorité ,  s'il  eût  été  préfent.  N'ayant  pu  obtenir 
de  fecours  de  TafTemblée  générale ,  il  vouloir  "recourir 
à  l'expédient  ordinaire  &  trop  ufité  de  l'altération  des 
efpeces.  Il  chargea  fon  frère ,  ou  plutôt  les  gens  de 
fon  confeil  ^  de  publier  en  fbn  abfence  une  nouvele 
prdonnance  àcs  mon  noies.  Peu  de  temps  après  fon 
déoart ,  on  fe  mit  en  devoir  d'exécuter  fçs  ordres.  La 
puolication  de  l'ordonnance  caufa  un  mécontentement 

Général  ^  que  les  ennemis  du  gouvernement  eurent  foin 
e  fomenter. 
JLes  Parifîens  n'avoient  point  encore  démenti  Juf-^ 
qu'alors  c^  zèle  &  cet  atacnement  k  leurs  fouverams , 
qui  les  avoient  toujours  diftingués  depuis  les  commen* 
céments  de  la  monarchie  ;  nous  les  .alons  voir,  bientôt 
changer  dç  conduite  ^  oublier  ce  qu'ils  doivent  k  la  uia^ 
[efté  du  prince ,  lever  l'étendard  de  la  rébellion ,  &  fe 
pp;:(er  aux   plus  condanables  excès  ^  fous  le  prétejcte 

Ipécieux 


Jean      II.  121 

foécîeux  du  bien  de  l'Etat  &  de  la  liberté  publique,  v- 
Que  n'eft-îl  permis  à  rjiiftoire  de  couvrir  des  ténèbres  Ann.  ijj^. 
d'un  filence  éternel ,  ces  temps  de  défordres  &  de  cri- 
mes ,  dont  là  vérité  nous  arachera  dans  peu  le  funefte 
récit  l  Au-refte  ,  les  heureux  habitants  de  cete  grande 
ville  ,  aujourd'hui  l'afyle  des  vertus  paifibles ,  des  fcien- 
ces  &  des  arts  ,  n'ont  plus  rien  de  commun  que  le 
nom  avec  leurs  prédécelfeurs  ,  dont  ils  ont  réparé  les 
fautes  par  leur  amour  &  leur  fidélité  pour  les  princes , 
convaincus  par  une  longue  fuite  d'expériences  ,  que 
leur  intérêt  eft  le  même  que  celui  du  monarque ,  au- 
quel il  eft  inféparablement  uni. 

Marcel  &  (es  partifans  prévirent  bien  que  le  deflein 
du  duc  de  Normandie  étoit  de  fe  procurer  de  l'argent 
par  une  refonte  des  monnoies  ,    pour  s'exemter  de  fe 
foumettre  aux  conditions  que  les  Etats  avoieht  voulu 
lui   impofer.  Il  étoit  important  pour  eux  de  le  priver 
de  cete  reffource..  Ils  refuferent  donc  ouvertement  de 
permettre  le  coijirs  des  nouvelles  efpeces.   Cete  démar- 
che fut  comme  le  fignal  de  la  révolte ,  &  des   crueles 
difTcntions  qui   la  fuivirent.    Acompagné  de   quelques 
féditieux ,  le  prévôt  des  marchands  le  rendit  au  Louvre , 
où  demeuroit  le  comte  d* Anjou  :  il  demanda  en  pré- 
fence  de  tout  le  monde ,  que   l'ordonnance  fût  révo- 
quée., proteftant  au  nom  clu  peuple,  qu'on   ne  foufri- 
roit  pomt  que  1^  nouvcle   monnoie  eût  cours.  Le  comte 
répondit  qu'il  ne  pouvoit  donner  une  réponfe  pofitive 
fans  avoir  pris  l'avis  de  fon  confeil ,  &   rcpiit  la  déci- 
jGon   au  lendemain.  Marcel  revint  avec  une  fuite  pliis 
nombreufe ,  &  fut  renvoyé  de  nouveau.  Le  prince  par 
ces  délais  elTayoit  de  gaener  du  jemps  jufqu  au  retour 
de  fon  frère  ,  qu'il  avoit  rait  avertir  dé  ce  qui  fe  pafloit  ; 
mais  le  prévôt  des  marchands  devenant  de  jour  en  jour 
plus  l^ardi ,  fe  préfenta  au  Louvre  efcorté  d'un  fi  grand 
nombre  de  féditieux  que  la  crainte  d^un  foulévemenc 

Îjénéral  força  le   conieil  de  fufpendre  l'exécution  dç 
•ordonnance ^.&  d'atendre  l'arivée   du   duc   de   Nor- 
•xiiandie.    Ce  premier  eflai  de  la  hardiefl'e  de  Marcel  , 
Tome  V.  '  .     Q 


_\ 


122  Histoire   de   France, 

-.:  ■  couronné  par  le  fuccès  ,  lui  infpira  une  confiance  qui 

Ann.  155^.    ne  fervic  qu'à  le  rendre  plus  entreprenant.  Fier  d'avoir 
vu  reculer  devant  lui  Tautorité  fouveraine ,  il  fe  crut 
en  état  de  touc  ofer. 
Guerre  en        On  n'étoic  occupé  à  Paris  que  d'intrigues  &  de  con- 
défSîc&mJrt  déflations  fur  la  forme  du  gouvernement,  A  voir  Tem- 
dc  Gcofroi  de  preflemcnt  avec  lequel  les  partis  opofés  vouloient  faifir 
Harcourt.        {^^  rênes  de  l'Etat  ,  on  eut  dit  que  la  prifon  du  roi 
Qll^iFZtî^   J^can  avoit  laiffé  vacant  l'exercice  du    pouvoir  fouve* 
deNang.         ram.  La  guerrc  cependant  le  contmuoit  en  Normandie» 
chron.  MS.  Geofroi  crHarcourt ,  cantonné  dans  le  Cotentin  ,  rava- 
s.Denh^'    ^  gcoit  ccte  proviuce  par  des  courfes  continueles  ,  fani. 
Mem.de  Ut'  que    pcrfonnc    s^oposât  à  ces  incurfions.  Le  dauphin 
tératurt.         ^  j^g  E^^ts  ,  dans  le  temps  qu*ils  étoient  encore  anem- 
blés  ,  avoietft  envoyé  huit  cents  hommes  d'armes  fous 
la  conduite  de  quatre  capitaines.  Robert  de  Clermont^ 
lieutenant  du  duc  de  Normandie  dans   cete  province , 
n'eût  pas  plutôt  reçu  ce  renfort ,  qu'il  le  joignit  au  peu 
de  troupes  qu'il  avoit.   Il  s'avança  dans  le  Cotentin. 
Geofroi  d'Harcôurt,  toujours  animé  par  fa  haine,  loin 
d'éviter  le  combat,  ainfi  qu'on  le  lui  confeilloit,  raffem- 
bla  toutes  fes  forces  j  &  préfenta  la  bataille.  Il  fut  endé* 
rement  défait  :  la  plupart  de  lès  gens  furent  tués  ou 
faits  prifonniers,  &  le  refte   l'abandonna.    Se  voyant 
feul ,  &  ne  pouvant  fe  déterminer  k  fuir ,  il  réfolut  de 
vendre  fa  vie  chèrement.  Il  n'ignoroit  pas  que  s'il  avoit 
le  malheur  d'être  pris  vivant ,  il  ne  pouvoit  s'^atendre 
qu'à  périr  fur  un  €chafàud.   Dans  céte   funefte   extré- 
mité,  le   défefpoir  raninïa  fon  courage  :  il  faîfit  une 
hache  d'armes  ;  &  mettant  un  pied  devant  l^autre  pour 
-être  plus  fort ,  dit  Froifflart  ^  car  il  était  boiteux  ahurit 
jambe  ,  il  atendit  les  vainqueurs.  Ce  feigneur  étoit  d'une 
force  extraordinaire  :  auffi  fe  défendit- il  Ifc^ng- temps 
avant  que  de  pouvoir  être  abâtu.  Il  portoit  des  coups Jt 
terribles  ,  ajoute  le  ihême  auteur ,  que  nul  ne  les  ofoit 
'  atendre.   £nfin   deux  hommes  d'armes  rhonterènt  fur 
leurs  chevaux  ;  &  venant  avec  impétuofité  fondre  fur 
lui  les  lances  baiffées,  le  renverferent  par  terre  :  auffi- 


£ 


N      I  L  123 


Ann.  ijj^* 

reflendment  ne  Teûc  pas  armé  pour  foucenir  une  que- 
rele  fi  înjufte. 

Le  pape  avoît  chargé  les  cardinaux  de  Périgord  &  ,  Confércncci 
de  S,  Vital  de  fe  rendre  à  Metz,  où  fe  fit  Tcntreviie  ^^^^ 
du  dauphin  avec  l'empereur.  Mais  les  légats  du  faint 
fieçe  s  employèrent  envain  à  trouver  des  moyens  de 
pacification  entre  la  France  &  TAngleterre.  Leurs  foins 
ne  produifirent  que  des  projets  vagues  d'un  acommode^ 
ment  auquel  le  roi  d'Angleterre  étoit  bien  éloigné  de 
fe  prêter.  Le  prince  revint  a  Paris  avec  Pierre  de  la 
Foreft  qui  Ta  voit  acompagné  dans  ce  voyage.  *Ce  pré^- 
lac  étoit  compris  dans  une  promotion  de  fix  cardinaux 
que  le  pape  venoit  de  créer  :  mais  la  pourpre  Ro- 
maine ne  le  mit  pas  à  l'abri  des  pourfiiites  de  la  fac- 
tion opofée ,  qui  fe  fortifioit  de  jour  en  jour. 

Charles  ^  de  retour  k  Paris  ,  trouva  les  efprits  encore     Retour  in 
moins  favorablement  difpofés,  qu'il  ne  les  avoit  laiffés  ^."P'»*'**  P*' 
avant   fon  départ.   Peu  de  jour  après  fon   arivée  ,  il     '  jn^^fn. 
donna  commifiion  k  l'archevêque  de  Sens  [  qui  depuis 
la  bataille  de  Poiriers ,  où  il  fut  pris  y  avoit  été  rela«- 
ché   fur  fa  parole]   au  comte  de  Roufli,  au  feigneur 
de  Renel  ,  à  Robert  de  Lorris,  &  k  quelques- autres 
de  fon  confeîl ,  d*aHer  engager  le  prévôt  des  marchands 
a  fe  trouver  dans  une  niaifon  près  de  faint  Germain 
TAuxérois  ,   pour   conférer  avec   eux.   Il  y   vint  fuivi 
d*uac  foule  de  gens  armés ,  qui  formoient  une  efpece 
de   garde   k   cet  infolent   magiftrat.    Les   envoyés  du 
dauphin  le  prefierent  de  ne  plus  mettre  obfi^cle   au 
cours  de  la    nouvele  monnoie.   Il  y  eut  une  contefta- 
cion  fort  vive:  non -feulement  le  prévôt  rejeta  la  de- 
mande ;  mais  au  forrir  de-lk  il  fouleva  toute  la  popu- 
lace y  tant  par  lui-même  ,  que  par  fes  émiifaires  :  il 
fit  fermer  les    bouriques  ,  &   cefler   le  travail  des  ou- 
vriers, &  dans  le  même-temps  il  ordonna  aux  bour- 
geois de  prendre  les  armes. 

Q  ij 


Ann.  1)5^. 

Sédition  :  les 
Parifîens  fer- 
ment les  bouci- 
q lies  &  pren- 
nent les  armes: 
le  dauphin  cft 
obligé  de  cé- 
der. 


Nouvclc  con- 
"vocation  des 
Etats. 

Ihidem. 


124  Histoire    de   France, 

Le  confeil  du  duc  alTemblé  à  la  hâte ,  jugea  qu'il 
n*y  avoic  point  d'autre  parti  k  prendre  que  celui  de 
céder  pour  un  temps.  Le  lendemain  le  diic  fe  rendit 
au  palais,  où  il  déclara  en  préfence  de  Marcel,  &  des 
principaux  chefs  des  féditieux  ,  qu'il  pardonnoit  tout 
ce  qui  avoit  été  «enté  contre  fon  autorité,  &  parti- 
culièrement les  troubles  du  jour  précédent  :  il  fuprima  la 
nouvele  monnoie  ;  enfin  il  confentit  à  la  deftitution 
&c  à  Temprifonnement  des  oficiers  profcrits ,  dont  la 
plupart  fe  retirèrent  pour  n'êiye  pas  immolés  k  la  fu- 
reur du  peuple.  Le  chancelier  ,  &  Simon  de  Bufli , 
premier  préndent ,  qui  étoient  de  ce  nombre ,  avoienr 
été  nommés  par  le  roi  pour  venir  k  Bordeaux  en  qua- 
lité de  Négociateurs  j  Marcel  demanda  qu'on  révo- 
3uât  leurs  commiflions  :  il  fàlut  le  fatisfaire  k  Tégard 
e  Buffi.  Le  chancelier  feul  fut  autorifé  k  fe  rendre 
auprès  du  roi ,  fous  prétexte  de  lui  remettre  les  fceaux. 
Ces  deux  plénipotentaires  ,  malgré  cete  révocation 
aparente ,  continuèrent  Texercice  du  pouvoir  qui  leur 
avoit  été  confié.  Le  prévôt  des  marchands  ne  s'en 
tint  pas  Ik  f  il  extorqua  du  dauphin  un  ordre  qui 
l*autorifoit  k  faire  faifir  les  biens  de  Buffi  ,  de  Ni- 
colas Braque  ,  d'Enguerrand  du  petit  Cellier  ,  &  de 
Jean  Poillevilain ,  fouverain  maître  des  monnoies.  On 
établit  chez  eux  des  fergents  gardiens  de  leurs  éfets 
inventoriés. 

Le  prince  fut  enfin  contraint  de  confentîr  k  la  con- 
vocation des  Etats.  Ils  s'alTemblerent  le  cinq  Février 
fuivant ,  ce  fut  Ik  que  fon  autorité .  fi  chancelante  & 
il  combatue  reçut  les  derniers  coups.  Ils  ajoutèrent 
de  nouyeles  demandes  k  celles  qui  avoient  été  faites 
précédemment.  On  n'étoit  point  en  état  de  rien  refii- 
ler  ;  on  acorda  tout.  Ils  s'atribuerent  eux  -  mêmes  la 
faculté  de  pouvoir  fe  ralTembler  quand  bon  leur  lëm- 
bleroit.  Au- lieu  de  vingt-huit  pcrfonnes  tirées  de  leur 
<:orps  ,  dont  ils  avoient  demandé  que  le  confeil  du 
prince  fût  compofé,  ils  en  choifirent  trente -fix  aux* 
quels  on  remit  le  gouvernement  des  afaires  &  Tad^ 


Jean      II:  12^ 


minîftration  des  finance^  ,   en  forte  qu'on  ne  rëferva  ! 

pas  au  dauphin  Pombre  même  de  Tautorité,  à  moins  Ann,  13;^. 
que  Ion  ne  donne  ce  nom  à  4a  vaine  formalité  de 
confacrer  les  délibérations  abfolues  des  Etats  par  une 
ordonnance  publiée  en  fôn  nom.  Cete  ordonnance 
contenoit  plulîeurs  articles  déjà  raportés  dans  le  pré- 
cis des  Etats  tenus  avant  la  bataille  de  Poitiers.  On  y 
inféra  de  plus  quelques  autres  règlements ,  tels  que  la 
révocation  des  dons  exceflifs  ,  &  des  aliénations  des 
domaines  de  la  couronne  depuis  Philippe-le-Bel  ;  dé- 
fcnfe  exprefle  dans  toutes  les  jurifdidions  de  recevoir 
aucunes  comportions  (a)  en  matière  criminele  ,  aboli- 
tion de  toutes  lettres  d'Etat,  dont  Téfet  étoit  de  fuf- 
Î>endre  le  cours  de  la  juftice  ;  ordre  k  tous  les  juges 
ubalternes  qui  ne  rendoienc  point  leurs  fentences  ,  & 
laifToient  les  afkire^  indécifes ,  [  dans  la  crainte  d'en- 
courir l'amende  à  laquele  ils  étoient  fujets  lorfque  les 
)uges  fupérieurs  réformoient  leurs  jugements]  de  ter- 
mioer  les  procès ,  &  de  prononcer  leurs  fentences , 
fous  peine  de  prife  de  corps  &  de  privation  de  leurs 
ofices  ;  taxation  des  écritures  &  frais  de  juftice  ;  fa- 
laires  des  fergents  &  hu^ffiers. 

.On  ne  peut  dilconvenir  que  la  plupart,  de  ces  arti-  chcrchcmou^à 
clés  ne  renfermaHent  des  loix  très-fâges  :  la  manière  envahir  toute 

l'aotoiité. 

(  a  )  L'ufage  d'erpier  toute  efpece  de  délk  par  une  amende  pécuniaire  étort 
auffi  ancien  ()ue  la  monarchie.  Les  Francs  l'a  voient  aponé  de  Germanie.  On 
peut  voir  ce  qui  a  été  die  fur  ce  fujet  au  commencement  de  cere  hiftoire. 
Ces  taies  ,  proportionnées  à  tous  les  crimes  fpécifiës  avec  la  phis  fcmpuleufe 
^xaôitude  dans  nos  anciennes  ioxx  >  ne  laifToient  zva^  juges  que  les  fondions 
d'en  ordonner  le  paiement  :  mais  dans  la  fuite  il  furvint  des  dificultés  ,  les 
moeurs  changèrent ,  les  elpeces  de  délit  fe  multiplièrent.  Les  compofitions  pour 
les  meurtres  ou  injures  (t  régloicnt  fuivant  les  qualités  de  Tagrefleur  ou  de 
lofenfé  :  les  conditions  dcs»hommes  varièrent  :  il  fe  préfenta  des  cas  équi- 
voques où  les  parties  ne  pouvoient  demeurer  d'acord  du  prix  de  la  compofi- 
tion  j  alors  les  jup^cs  la  fixèrent.  Ces  compofitions  ,  dont  l'éfet  étoit  d*<iracer 
entièrement  le  crime  ,  étoient  vicieufes  en  ce  qu'elles  pouvoient  bien  réparer 
l'ofenfc  faite  à  un  paniculier ,  &  non  pas  celle  dont  tout  criminel  eft  coupable 
envers  la  fociété.  Nos  loix  plus  fagcs  ne  tranfigent  pi  us  en  matière  criminele  « 
la  tranquilité  publique  étant  intéreflée  à  la  punition  exemplaire  do  ceux  qui  la 
troublent.  Il  ne  rede  donc  pins  des  anciennes  compofitions  que  les  dédomma- 
gements adjugés  à  la  partie  ofenfée ,  proportionnés  à  fa  condition  &  à  la  na* 
turc  de  rotcnfct 


Il6  HlSTOl3l£     DE     FrAÏ^CE^ 

■^  feule  de  les  autorifer  étoic  vicieufe.   Mais  ces  conftitù* 

Ann.  iys6.    tions  avancageufes  étoient  ce  qui  ocupoit  le  moins  les 

Etats  :  ils  vouloient  feulement  en  impofer  aux  peuples 

par  ces  dehors  de  réformation.  Leur  principal  but  écoit 

d'envahir  toute  Tautorité  fous  le  vaile  toujours. abufif 

de  nouvel  ordre  &  d'économie.  Il   avoit  été  décidé  que 

pour   entretenir  trente  mille  hommes  d'armes  ,  on  le- 

veroit  un  fubfide ,  dont  ils  difpoferoient  feuls  :  ils  fe 

trouvoknt  par  ce  moyen  maîtres  d'une  des  parties  les 

plus   effencieles  du  gouvernement.   Afin  de  fe  rendre 

plus  redoutables  y.  les    députés   obligèrent   les  princes 

d'inférer  dans  (a  déclaration ,  qu'il  fieroît  permis  à  cha- 

cua  des  membres  des  Etats  de  fe  hire  eicocter  par  fîx 

hommes   armés.  La  dernière  féanjce  fut  terminée  par 

une  harangue  féditieufe ,  que  pronmtça  Févêque  de  Làon. 

Uîdem.  Afin  qu'il  oe  manquât  rien  k  Taviliflfement  du  pouvoir 

Mémorial  de  fouverai.n ,  le  dauphin  fut  contraint  de  fufpendre  ,  &  en 

il.ltTr^^^^^  quelque  forte  de  dijffbudre  les  deux  cours  lupërieures  du 

comptes,  L         i  oiftii  •!• 

parlement  &  delà  chambre  des  comptes  ;  u  n  y^eut  po^nt 
de  jurifdiâion  dans  Paris  ^  jufqu'à  ce  que  les  Etats  y 
eufient  pourvu.  Les  députés  choifis  pour  former  le 
confeil  ^  firent  eux-mêmes  Tordonnance  du  parlement  » 
ceft-à-dirè,  nommèrent  ceux  qui  dévoient  le  compo- 
fer ,  n'y  admettant  que  .des  gens  qui. leur  étoient  enûé- 
rement  dévoués ,  &  réduifant  leur  nombre  à  feize  y  tant 

Êréfidents  que  confeillers.  Ils  réduifirent  aufli  la  cham- 
re  des  comptes ,  qu*ils  Compoferent  de  leurs  créatu- 
res :  mais  ces  nouveaux  oficiers  étoient  peu  au  fait  des 
afaires  qui  fe  traitoient  à  la  chambre  :  il  falut  leur  en 
affocier  d^anciens  pour  les  înftruire. 
T^^J^^^^^^**^  Sans  ces  troubles  intérieurs  ,  un  rayon  d*efpérance 
fembloit  préfager  un  temps  plus  heureux ,  &  permettre 
à  la  ^France  de  refpirer ,  après  avoir  été  agitée  par  de 
fi  violentes  fecouffes.  Le  roi ,  après  la  déraîte  de  Poi- 
tiers ,  avoit  été  conduit  à  Bordeaux,  Depuis  cete  fa- 
tale journée  9  il  y  avoit  eu  plufieurs  négociations  enta- 
mées pour  parvenir  à  un  acommodement.  Le  cardinal 
de  Périgord  s'écoit  réconcilié  avec  le  prince  de  Galles  , 


lèidem. 


t       \     J.     E      A      N         I  I.  127 

&  n'aroit  cclTé  depuis  d  employer  fa  médiarion  en  oua-  *'*'^*''*^ 
lité  de  légat  du  (aint  fiege.  Le  prince  nétoit  pas  âoi-    ^^"-  '^^^" 
gné  d'entendre  à  des  propofitions  raifonnables  ;  mais 
ce     n'écoit    pas  -  Fintendon  du   roi    fon    père  >   dont 
l'ambition    politique  prétendoit  tirer  de  cete  viftoire 
tous  les  avantages  qu'elle  pouvoir  lui  procurer,  Ilavoit 
donné  à  fon  fils,  avant  fon  départ  ,  un  plein  pouvoir  p^^^tom'^sl 
de   conclure  en  fon  nom  toute  efpece    de  traités   de  pan\ï,p.iiû 
paix,   de  trêve  ,  ou  d'alianee,  fans  mettre  à  ce  pou- 
voir aucune  refbiâion  ;  mais  alors  il  n'étoit  pas  maî- 
tre de  la  liberté  d*un  roi  de  France.  Un  pareil  événe- 
ment changeoit  toutes  les   mefures  qu'il  avoît  prifes. 
Il  rejeta  domrles  projets  de  pacification  qui  lui  furent 
préfçntés ,  &  il  exigea  que  le  roi  fût  amené  à  Londres, 
il  confentit  feulement  à  la  conclufion  d'une  trêve  pour 
deux  ans  entre  les  deux  couronnes  ;  encqre  y  fut-îl   . 
déterminé  par  fon  feul  intérêt.    Il  faloit  transférer  le 
roi  ^  &  il  craignoit  qu^me  fi   belle  proiq  iic  lui  ftit 
ravie  darïs  lé  J)aflage.  ' 

I-a  trêve  fut  conclue  à  Bordeaux  le  23  Mars ,  en-  Publication  de 
viron  un  riiois  après  la  tçnue  des  Etats  à  Paris.  L'Ar-  rfs^Nouvcaux 
chévêque'çlè' Setlfe^^i    qui    depuis   ce  'temp-s   avok  été  troubles. 
député   vërfe  le  roi /revint   danîi  fa   capitale   avec  It  ^''^^/^''^i^^i 
comte  de  Tancatvïlle  îjbïr  petie /&  le  comte ' àtÊuvlU  "" ^"^'''• 
aporterent  le  traité  figné  ,  6c'  ulielettrie  dû  to\  qui,  en 
Vertu  de  la  trêve  axëtée  >'  annuloît  ce.qui  avoit  été  feit  pdfi 
les  Etats  ,   &  fur  -  tout  défeqdoit  la  levée  du  fubfidé. 
Le  daiiphin  fit   publier^  ces  léttiftis  le  ^-dirq   Avril.  Ce 
coup  deconcertbit  les  nouveaux  gôuvei^oeu^s  j  qui  par-l^ 
fe    t'roùVoient'Jirivîés  dû  maniement  des  finances.   ïisj 
curent  radrèfle  ^dè  faire  ^pafler   ceije  fiipreffion    d'ilthU 
pots ,  pôjir  un  atentat  coptre  rintéi^ét  de  la  nation ,  éc  le 
peuple  iifibécile  le  ctut.  Il  's*aflerrtble  en  turtiulte ,  & 
demande  la   continuation  de  là  Jeyée' du' fubfide  .aye<î 
la  mênife  ardeur  ,  que  dans  d'àutrers  'circonftançes  il  en  .      .    , 
auroit  déftiaiidé  la   fupréffion.    Les'  comtes  d'Eu    êi 
de  Tanèatvillie.i:&' ^archevêque    d«'5ens,    menacés 
par  une  populace  en  fureur ,  font  obligés  de  fortir  de 


128  HlSTOlRJÈS    DE    FrANCE, 

JSSass;^;^  Paris.   Le  duc  de  Normandie ,  toujours  contraint  de 
Ann.  ij;^.    céder  ,   fit   publier  une  ordonnance,  qui,  malgré  lei 
défenfes   du    roi  fon  père ,  prorogeoit   les   Etats  ,    & 
prefcrivoic  la  continuation  de  la  levée  du  fubfide-    Cete 
condefcendance  apaifa   les  féditieux,   &  rétablit  pour 
quelque  temps  un  calme  aparent  dans  la  capitale. 
.Aao.  i}'S7.        MarceJ   &   fe^   partifans    avoîent  6qs^  vues   qui   ne 
Md  f<s"ar-    s'^cordoient  pas  avec  l'ombre  même  de  la  tranquilité  : 
nics,&pofc   ils  répandirent  dans  le    pyblic ,   que  les  comtes  d'Eu 
des  chaînes     &  de  Tancarville  ,  &c   Tarçhevêque  de  Sens,  raflem- 
"*  bloient  dés  troupes,  dans  ïe  deffein  de  fe  venger  des 

habitants  de  Paris ,   dont  les  enfuîtes   &  les  menaces 
Spîcîi.  contin.  1"   avoîent  contiîaints  de,  fe. retirer  .de  cete   ville.   Le 
deNang.        peuple  éfrayé  prit  les  armes  j  on  plaça  des  corps-de- 
^u%^re'^^^'    &  des  fentineles  dans' les    dîférents  quartiers: 
Traité  de  la  oix  ne  laifla  pendant  le  jo^ur  que  trois  portes  ouvertes, 
Toiicf,tom.i.  du  côté  du  grand   pont  ,  aujourd'hui  nommé,  le  poijt 
au  change,  &  pendant  la  nuit  toutes. les  portes  étoîent 
exadement  fermées-    On  pofa   pour  la   première  fois^ 
,  des  chaînes  ^e  fer  dans  les  rues  &  dans  les  carefours; 
oh  creuia  dés  foifTés  aijtour  des  murailles,  qufdéfen- 
doient  la  partie  occidentale  de  la  ville  y  on  en  fit  pa- 
Jreillemeni;  :çrpujer  ^autour  des;  fauxbourgs  du  .  cote  .de 
.    ,\.     loriçm  ;  on  .élévaj  des  pa^àpeff  i    on   conftruifijc   des 
redoutes 3  pn  plaç^  Tui'.les  rmiparts*  d^^^  baliftcs,  cjes 
Çareaux  ,  td|^s  guérîtes]  des  canons/  &   autres  ma-- 
chines  ^é  guerre^  Un' détrùifît  quantité  de  beaux  édi- 
fices qui  fe  trouvoieut.  placés,  ûii;  les  alignements-  pris 
pour  ces  nouveles    fprtmcatipns^   Le^  propnétairqs  ,de 
ces  édifices  foufrirentlcçj;. démolitions  lans  mur;nulrer. 
Sous  lé, règne  préçédeni  ,  Iprfque  le  roi  d'Angleterre 
étoit  campé  à  Poiflî,  on  avoit  voulu  ruiner  quelques 
maîfons  ,  pour  eh  lemptoyér   le  tèr'rein  aux  fortifica- 
tions de.  la  ville  ;  cete  entreprife  âvoit  penfé  caufer  un 
foulëvement  général.  Les  tejnps  étoient  bien  changés  : 
U  P.  Daniel,  ujpritdc  fcyfthc^  m  cete  ocajioa  y  fit  oûhïier  aux  Varl^^ 
Jiens  leurs  'intérêts  particuliers  auxquels,  dix  ans  ,aupa* 
rayant  i  ils   à^voierit  pref^ue  facrifié  lefalut  de  tout  le 

royaume: 


Jean      II.  129 

royaume.  On  continua  de  travailler  Tannée  fuîvante  à  ' 

ces  fortifications.  On  abatit  une  partie  des  bâtiments    ^^-  ^y^^* 
apartenants  aux  Frères  Mineurs  ou  Cordeliers ,  &:  aux 
Jacobins  de  la  rue  faint  Jacques  ,  à   travers   lefquels 
on    conduifit   la   fuite    des    nouveaux    murs    &    des 
fofrés(a). 

Les   nouveles  de  la  bataille  de  Poitiers  avoient  été  transfôS*  à''^ 
aportées  à  Londres   par   Geofroi  Hanielin ,  valet  de  Londres. 
chambre  du  prince  de  Galles^  qui  préfenta  en  même-  Rym.aH.puM. 
temps  au  roi  d'Angleterre  la  cote  d'armes  &  le  baf- ^^'"l*^'''^'** 
ftnet  du  roi  de  France.    Ce  fuccès  inefpéré  fut  célébré  ^'*'  **' 
par   des  aftions  de  grâces   &  des    réjouïflances     qui 
furent  continuées  pendant  plus  de  huit  jours.  Le  prince 
de  Galles ,  pour  le  conformer  aux   intentions   de  fon 
père  ,  ne  s'ocupa  plus  ,  après  la conclufion  de  la  trêve, 

Î|u'aux  préparatifs  de  fon  paffage  en  Angleterre  avec 
on  illuftre  prifonnier.  Ce  paflage  avoit  les  dificultés; 
la  plupart  des  feigneurs ,  chevaliers  &  hommes  d'armes 
de  Guîenne  &  de  Gafcogne  ,  ne  prétcndoient  pas 
que  le  roi  fût  transféré  hors  de  la  province  j  &  leurs 

f rétentions  à  cet  égard  avoient  une  aparencc  de  juftice: 
Is  étoient  pour  le  moins  auffi-bien  fondés  que  les 
Anglois' à  s'atribuer  Thonçur  du  gain  de  la  bataille: 
c*étoit  k  un  chevalier  François  que  le  roi  s'étoit  rendu , 
&  le  prince  étoit  trop  équitable  pour  ne  pas  convenir 
de  la  force  de  leurs  raifons  :  il  employa,  pour  les 
apaifer ,  la  douceur  &  les  ménagements  qu'il  devoir 
aux  compagnons  de  fa  vidoire  ;  il  les  gagna  fur-tout  Froijfard. 
par  fes  manières  généreufes  &  par  fes  bienfaits.  Cete  •  Ckron,  dirtr- 
dificùlté  Ipvée ,   U  ne  reftoit  plus  d'autre  obîfecle  que  ^^J'^^  ^w. 

(à)  En  creufant  dans  4e  terrein  apanenanc  aux  Jacobins  on  décoavroit  des 
fondements  de  cours  Se  de  forcerefles  d'une  confbniâion  fi  folide  ,  que  les 
maneauz  &  les  plus  forts  inflrumencs  pouvoienc  à  peine  les  'entamer.  L'opi- 
nion vulgaire,  mais  peu  vraisemblable  >  étoit  que  les  Sarafins  avoient  ancre- 
fois  conftriiîc  ces  édinces.  Le  fécond  concii\uacpir  de  Nangis  qui  raporce  ccce 
découvene  comme  témoin  oculaire  »  die  qu'uae  ancienne  chronique  nu'on  li« 
foit  encore  de  fon  temps  >  marquoic  que  jadis  il  y  avoic  d^ns  ce  même  lieii 
un  ch^Lceau  apelé  HauufeuHU.  C'eft  probablement  de  cece  tradition  que  la  rao 
«pelée  encore  de  nos  jours  dç  Hautcfcuille,  a  tiré  fon  nom. 

Tome  V,  R 


ijo  Histoire    dk   France, 

^  les  périls  du  trajet,  dans  le  cours  duquel  il  apréhen- 

Ann.  1357.  doit  que  quelques  armateurs  ne  tentaflent  de  lui  en- 
lever fon  prifonnier.  Il  cacha  foignçufement  le  jour 
de  fon  départ  ;  &  lorfau'on  s*y  atendoit  le  moins ,  il  fit 
embarquer  le  roi  pendant  la  nuit  avec  les  principaux 
prifonniers ,  &  fe  mit  en  mer  avec  eux  :  en  peu  de 
temps.il  ariva  au  port  de  Flymouth,  &  prie  la  route 
de  Londres. 
Entrevue  des  Edouard  ayant  apris  t'arivée  du  roi  dans  fes  Etats  , 
deux  rois.  ordonna  les  aprêts  pour  le  recevoir  ,  nipins  comme 
lUdem.  un  prifonnier ,  que  comme  un  ^rand  roi  qui  venoit 
lé  vifiter.  Il  ala  au-devant  de  lui  à  quelque  diftance 
de  Londres.  Cete  première  entrevue  fe  pafla  en  té- 
moignages réciproques  d'honeur  &  de  bienveillance. 
Le  roi  d'Angleterre  en  ce  moment  fembla  oublier  les 
avantages  de  la  viâoire ,  &  que  ce  prince  captif  étoit 
le  même  auquel  il  refufoit  jufqu^au  titre  de  roi  de 
France.  //  lui  Jity  difent  nos  anciennes  chroniques  , 
moult  grand  aontur  fir  rcvértnct.  Jean  de  fon  côté 
répondit  à  des  procédés  fi  généreux  avec  une  nobleile 
digne  de  la  grandeur  de*  fon  ame.  Jamais  ce  prince  ne 
laifla  échaper  la  moindre  marque  de  foibleue  &  de 
découragement  :  c'eft  une  juftice  que  les  Anglois  , 
témpins  de  fa  confiance  ,  lui  rendirent  unanimement. 
Après  un  long  entretien  ,  les  deux  rois  fe  féparerent. 
Le  roi  de  France  continua  de  marcher  vers  Londres^ 
acompagné  de  fon  modefle  vainqueur. 
*  .  i  j     .       On  avoit  réfolu  de  rendre  au  jeune  Edouard  les  plus 

Entrée  du  roi  j       1.  •       -i     1  ^r  r  ©  *  1 

àLonircs.  grands  honeurs  ;  mais  il  les  retufa  tous,  &  voulut 
Uidtm.  abfolumeht  qu^on  les  adrcfsât  au  roi  de  France  lui* 
même.  Ce  monarque  monté  fuf  un  cheval  blanc  fuper- 
bement  harnaché ,  entra  dans  Londres  en  conquérant. 
Le  prince  de  Galles  marchoit  à  côté  de  lui ,  monté  fur 
une  petite   haquenée  noire  ,   ne   fe  faifant  remarquer 

Î|ue  par  Tair  refpeûueux  avec  lequel  il  Tacompagnoit. 
1  fembfoit  qu'en  ce  moment  les  Anglois  fufpendant 
cete  haine  héréditaire  &  fi  peu  raifonnable  qui  les 
anime  contre  nous  ,  s'éforçafferit  à  Tcnvi  de   féconder 


J      E       A      N         I   I.  131 

les  intentions  de  leur  prince. .  Le  maire  de  Londres  ,  '        """" 

les  magiftrats  en  habit  ae  cérémoiiie,  &  les  principaux  ^nn.  i3j7« 
habitants ,  vinrent  recevoir  le  roi  avec  les  niCmes 
honeurs  qu'il  eût  pu  atendre  ,  s'il  fût  entré  dfins  Paris. 
Toutes  les  rues  par  lefqueles  il  paiTa  étoient  tendues, 
&  les  bourgeois  avoient  étalé  leurs  plu6  bcles  tapifl'e- 
ries  ,  leurs  armes  &  leur  argenterie.  On  pouroit  ob- 
jeéter  qu'un  peu  d'orgueuil  national  fe  mêloit  peut- 
être  à  Péclat  ae  cete  pompe  ;  mais  on  ne  peut  s'em- 
pêcher de  convenir  qu*il  eft  beau  de  le  manifefter 
ainfî  (a). 

Quoique  la  Bretagne  eût  été  comprife  dans  je  ^^^gnT:  fit 
traite  ,  cependant  les  holtilités  n  avbient  pas  celle  gc  de  Rennes 
auffi-tdt  après  la  publication  de  la  trêve  (  b  ).  Charles  P^r  ^^^à^  ^^ 
de  Blois  avoit  obtenu  fa  liberté ,  moyennant  une  ran-  *  ^^^j^^^^f^l 

pubL  u 
part,  i  y 

iFrance,  après  avoir  laiffé  l*es  deux  fils  en  otage.  Sa 
préfence  ranima  pour  quelque  temps  la  fortune  chan- 
celante de  fa  mailbn.  Quelque  temps  avant  la  bataille 
de  Poitiers ,  le  duc  de  Lencatftre  avoit  voulu  joindre 
l'armée  du  prince  de  Galles  avec  les  troupes  qu'il  com- 
mandoit  en  Normandie.  Il  efpéroit  pafler  la  Loire  au 
Pont-de-Cé  ;  mais  il  le  trouva  défendu  par  les  François. 
Apȏs  plufieurs  autres  tentatives  inutiles  ,  il  fe  vit  con- 
traint de  renoncer  à  fon  projet.  Réfolu  de  donner  de 
l'ocupation  à  fes  troupes ,  il  entra  en  Bretagne ,  s'avança 

(a)  Que  les  ledcurs  daignent  me  permettre  une  obfcrvation  très  courte  qui 
))ettc  fervir  à  ma  joftificaiion ,  tant  pour  le  paffé,  que  pour  ce  que  je  pourpis 
dire  dans  la  fuite.  Les  éloges  des  deux  Edouai^s  &  de  la  nation  Angloife,  ne 
doivent  pas  me  faire  acufet  d'une  partialité  dont  je  fuis  incapable  ,  fiur-teut  en 
faveur  d*unc  nation  prefque  toujours  ennemie  de  la  mienne.  Je  dois  ,  pour 
^  rhoneur  de  ma  patrie  »  mon  premier  hommage  i  la  vérité.  En  rempliflant  ce 
devoir  eifenciel  de  tout  hiftorien  ,  je  ne  puis  refufer  mon  eftime  aux  aôîons 
louables  de  nos  plus  grands  adverfaires  :  puiffe  cet  exemple  de  la  fincérité 
f  rançoife  être  imité  de  nos  rivaux  ! 

(Jf)  D*Argentré  dit  que  la  Bretagne  avoit  été  exceptée  de  la  treye  ;  cepen- 
dant elle  fe  trouve  fonnélemcDt  comprife  dans  le  traité.  Rym»  aB,  puU.  tom.  3, 
portai  ,  pag.  ijj^  •  •  ., 

R  ij 


13a  Histoire  0e   Frawce, 

— ^— — ^  jufqu'à  Hennebond  pour  vifiter  la  comceiTe  de  Mont- 
Ann.  ij;7.    fort ,  &  Vint  cnfuitc  former  le  fiege  de  Rennes. 
DuGacfciin      Ce  fut  pendant  ce  fiege  que  Bertrand  du  Guefclin 
£re™connt^  Commença  de  mériter   une  partie  de  cete  grande' ré- 
trc.  putation   qui  Téleva  depuis  au   faite   des  honeurs.   Il 

ihîdem.  s'étoit  aquis  déjà  Teftime  des  gens  de  guerre  par  àts 
prodiges  de  valeur  :  formé  dans  la  profemon  des  armes 
dès  fa  première  jeunefle  j  on  peut  dire  de  lui  qu'il  fut 
l'ouvrage  de  fes  mains,  &  qu'il  ne  dut  fon  avancement 
qu'à  fon  courage  (a).  Quoique  forti  d'une  des  meil- 
leures maifons  de  la  province,  aliée  à  la  plus  haute 
nobleffe ,  la  fortune  de  Régnant  du  Guefclin  fon  père 
ne  répondoit  pas  à  fon  origine.  Ce  feigneur,  chargé 
d'une  nombreufe  famille ,  ne  jouïiTok  que  d'un  revenu 

(iz)  L'hiftoricD  it  Brcc^ne  raporte  que  Bertrand  du  Gaefclin  montK^  dès  fa 
plus  cendre  enfance  une  dilpontiôn  extraordinaire  pour  le  métier  de  la  guerre.  Il 
écoît  continuélement  aux  prrfes  avec  les  jeunes  payfans  des  environs  du  château 
de  fon  père.  Quelquefois  on  le  raportoit  prefque  afTommé  des  coups  qu'il  avoic 
reçus  en  fe  bâtant  avec  eux.  Ce  ne  fut  qu*à  force  de  reproches  qu'on  vint  à  bout 
de  lui  faire  quiter  cete  habitude.  Devenu  plus  grand ,  rFen  ne  pouvoit  aréter  fa 
fougue.  Il  n'y  a  point  de  plus  mauvais  gcrf  on  au  monde ,  difoit  la  dame  du  Guef- 
clin fa  mère  »  il  eft  toujours  hUJfé  ,  le  vifage  rompu  ,  toujours  hâtant  ou  hatu  :  fon 
père  &  moi  nous  le  voudrions  voir  fous  terre.  Ce  fut  par  ces  préliminaires  que  le  , 
jeune  Bertrand  annonçoit  ce  qu  it  ferok  dans  ta  (ûite.  On  donnoit  un  jour  à  Rennes 
un  tournois  oii  Rcgnaot  du  Guefclin  fon  père  affiftoit.  11  auroit  bien  voulu 
être  de  la  partie  ,  mais  il  n'avoit,  ni  armes  ,  ni  cheval ,  &  Tocafion  lui  manqua 
de  dérober  les  bagues  ou  les  joyaux  de  fa  mère ,  fa  reffource  ordinaire.  Il  (e 
trouva  cependant  au  rendez-vous  i  &  voyant  un  gentilhooime  qui  après  avoir 
couru  une  lance  ,.  fe  retiroit  à  fon  hôteleric ,  du  Guefclin  le  fuivit  ,  &  là 
trouvant  ce  chevalier  qui  fe  faifoit  défarmer ,  il  fe  mit  à  genoux  devant  lui  » 
3c  le  pria  de  vouloir  bien  lui  prêter  fon  cheval  &  fes  armes.  Il  n'eut  pas  de 
peine  a  obtenir  fa  demande.  Il  s'arme  en  diligence  ,  monte  fur  fon  conrfier , 
vole  au  tournois  &  fe  mêle  parmi  les  combatants  fans  être  reconnu  de  per* 
fonne.  La  vîfPere  baiflée ,  l'écu  pendu  au  cou  »  la  lance  fur  la  cuiffe  ,  il  fournît 
la  première  courfe  »  faifant  perdre  les  ar^ons^  à  (on  adverfaîrc.  Son  adreflc  & 
fa  Donne  grâce  atirerent  les  yeux  de  tous  les  fpeâateurs  :  quinze  courfes  pa- 
reilles fournies  avec  le  même  fuccès ,  mirent  le  comble  à  la  furprife  :  toute 
l'aflemblée  le  nonunoit  tieuyer  avantureux.  Regnaut  du  GueUlin  vint  (c 
mettre  fur  les  rangs  &  fe  préfenta  pour  courir  contre  lui.  Au(fi-tôt  que  Ber- 
trand aperçut  fon  père,  qu'il  reconnut  à  fes  parements,  il  jeta  fa  lance  par 
ferre  :  on  étoît  curieux  de  fçavoir  qui  étoit  ce  redouuble  champion  ,  on. 
trouva  moyen  d'enlever  fon  cafaue.  L'^tonncment  &  la  joie  du  père  ne  peuvent 
s'exprimer  s  il  l'cmbraffa  avec  les  plus  tendres  marques  d'afeâion.  Tous  le& 
.gentilshommes  prêfenrs  »  la  plupart  fes  parents  ou  (es  amis,  le  comblèrent  de 
carc/Tcs  \  &  dans  la  fuite  le  pcre  ne  négligea  rien  de  ce  qui  pouvoic  contribuer 
a  faire  patoltre  avec  éclat  wct  fils  qu^- donnoit  de  fi  belcs  efpéranccs. 


J      K      A      N        II.  133 

médiocre  ,  qui  ne  le  mettoic  pas  en  (îtuatlon  de  faire  ^"^"^"T^ 
pour  Bertrand   fon  fils  la  dépenfe  néceflairè  k  Tentre-    Ann.  xjx7- 
tien   de  chevalier  ;  mais  le  jeune    homme  brûlant  de 
Tardeur  de  fe  fignaler^  furmonta  toutes  les  dificultés. 
Il   fit  le  premier  eflai  de  fa  valeur  daais  un  tournois, 
en  préfençe  même  de  fon  père ,  qui  ne  le  reconnut  qu*k 
la  nn  des  joutes ,  lorfqu'il  eut  étonné  toute  l'afTemblée 
par  fis  merveilleux  faits  (V armes  ,  àinfi  qu'on   s'expri- 
moit  alors.  Dans  la  fuite  il  s'aflbcia  plulieurs  aventu- 
riers ,  fit  des  courfes  fur  les  Anglois  &  les  firetons  du 
parti  de  Montfort ,  s'empara  par  firatagème  du  château:^ 
de  Fougères,  en  la  forêt  de  Tillai ,  dont  il  fe  fit  une^ 
place  d  armes.  Il  fui  vit  toujours  le  parti  de  Charles  de 
Blois ,  auquel  fa  famille  étoit  atachée.  Lorfbue  les  An- 
glois formèrent  le  fiege  de  Rennes ,  du  ouefclin  fiit 
un  des  chevaliers  qui  contribueront  le  plus  à  la  déli- 
vrance de  cete  place. 

Il  y  avoit  près  de  huit  mois  que  le  duc  de  Lencafhre  Du  Gucrdin 
avoit  invefli  Rennes.  La  place  refférée  de  manière  que  ^  i^^«  ^*^« 
rien  n'y  pouvoit  entrer,  étoit  réduite  à  Pexcrêmité*  Le 
général  Anglois  avoit  fait  ferment  de  ne  point  décam- 
per que  les  affiégés  ne  fe  fuffent  rendus  ;  &  il  ne  doutoic 
pas  qu'avant  peu  de  jours  il  ne  les  eût  à  difcrétion.^ 
Dans  cete  conjonâure  embarafiante  ,  un  bourgeois 
de  la  ville  s'ofric  de  pafier  à  travers  le  camp  des  enne- 
mis, de  tromper  le  duc  par  un  faux  avis,  &  d'aler: 
enfuite  à  Nantes  avertir  Charles  de  Blois  du  danger 
où  la  place  fe  trouvoit.  Il  remplit  fidèlement  fa  pro^ 
meffe  :  en  for  tant  de  la  villç,  il  fe  rendit  auprès  du  duc 
de  Lencaftre  ,  lui  «peignit  avec  :une  naïveté. afeâ:ée  la 
difete  afreufe  des  afliégés ,  qui  fondoient  leur  unique 
efpérance  fur  un  fecours  de  troupes  Françoifes ,  dont 
ils  atendoient  Tarlvée  dans  deux  ]ours.  Le  di|c  profi- 
tant de  cete  découverte  ,  réfolut  .  de  fprtir  avec  une 
Ç artie.de  ks  troupes  pQur  aler  au-devant  des  Français, 
ie  bourgeois  trouva  le  moyen  de  s^^échaper  :  à  Quel- 
que diflance  du  camp  des  Anglois  ,  il  rencontra  Ber- 
trand du  Guefclin,  &  lui  raconta  la  fauife  confidence 


134  HiSTOi-RÊ    pE  Fraiîce, 

f— —— — ^  Qu'il  venoit  de  faire  au  duc.  Le  chevalier  Breton  pro- 
Aw  ^17.  face  fur-le-champ  de  cette  ouverture  pour  jeter  du  fe- 
cours  dans  la  place  :  il  rafl'emble  tous  fes  fergents  qui 
formoient  une  petite  troupe ,  fe  met  à  leur  tête ,  vient 
fondre  fur  le  camp  des  Anglois ,  malTacre  tout  ce  qu'il 
rencontre,  rcnverfe  les.  tentes,  y  met  le  feu ,  s'empare 
de  deux  cents  chariots  de  vivres ,  cju'il  fait  marcher 
devant  lui ,  &  entre  dans  Rennes ,  où  si  efl  reçu  comme 
un  libérateur.  • 

Le  duc  de  Lencafbe,  après  avoir  inutilement  atendu 
c&  prétendu  fecours  des  François  qu'il  comptoit  dé- 
truire ,  reconut  l'artifice ,  &  revint  à  fon  camp.  Surpris 
du  déforde  qui  s^étoit  pafTé  pendant  fon  abfence  ,  il  s'in- 
forma de  celui  qui  avoit  exécuté  un  coup  fi  hardi  ;  on 
lui  nomma  du  Guefclin  qu'il  ne  connoiuoit  pas  :  il  té- 
moigna quelque  defir  de  voir  un  homme  qu'il  ne  pou« 
voit  s'empêcher  d'eftimer.  Un  héraut  d'armes ,  chargé 
d'un  faut- conduit  pour  le  chevalier  Breton,  fe  rendit 
à  Rennes ,  &  lui  ht  l'invitation  de  la  part  du  prince. 
Du  Guefclin  fe  fit  lire  le  fauf-conduit  ;  car  il  ne  f^voic 
ni  lire,  ni  écrire  (a).  Il  répondit  enfuite  au  meflager, 
qu'il  fatisfcroit  l'empreffement  du  général  :  il  acompa^ 

fna  cette   réponfe  d'un  habilement  complet  de  foie^ 
e  cent  florins  d'or  ,  &  le  congédia. 
DaGacrdia      Le  lendemain  du   Guefclin  fe  rendit  au  camp  en« 
va  trouver  le    nemi.  Tous  les  Ansrlois  acoururent  poui'  voir  cet  hom« 

duc  de  Lcn-  j»      •        F?  v    ti       •  *^  i 

faftre.  nie  extraordmaire  (à)*  Il  mit  un  genou  en  terre  devant 

(iid.       le  duc ,  <jui  le  releva  ^  &  lui  fit  l'apœuil  le  plus  gracieux. 

(tf)  Tous  les  maîtres  chargés  de  rkfttuire  avtfienc  été  contraints  d'y  rcr 
lionccr. 

Nuls  maîtres  ne  trouva,  8c  fachiés  fans  douter. 
De  qui  le  Bers  (  comte  )  Bertrand  fe  laifsât  dodrîner  : 
Ainçois  Yoololt  fon  maître  &  férir  &  frapen 

-  Fié  du  connitébU  du  Gurfdin  ^  MS. 

(})  Du  Guefclin  étoit  d'une  (grandeur  médiocre  ,  le  vifs^e  brun  ou  plutôt 
noir ,  le  nez  extrêmement  dourt ,  les  yeux  élevés  &  nrefque  forçant  de  la  tête , 
)es  épanlcs  larges  »  les  bras  longs,  la  main  petite  »  les  membres  ptopor^onnéa 


J      E-     A      N         IL  ij^ 

Le  chevalier  Taflura  qu'il  étoit  k  fon  commandement ,  , 

pourvu  Gue  ce  ne  fût  pas  contre  le  chef  de  fon  «parti.  ^^^'  i3f7* 
Le  duc  lui  ayant  demandé  quel  étoit  ce  chef:  C^eji^ 
dit-il  y  Monfagruur  Charles  de  Blcis  ,  auquel  par  droit 
apartîcnt  It  audit  de  Bretagne.  UAnglois  reprit  aufli^ôt  : 
Meffirt  Bertrand  ,  avant  que  ce  que  vous  dtus  fe  termine 
ainjl  y  il  en  coûtera  cent  miac  têtes.'  Eh  bien ,  Monfeigrutir , 
répondit  Bertrand  y  qu^on  en  tue  tant  qu^on  voudra, 
ceux  qui  demeureront  auront  la.  robe  des  autres.  Cete 
repartie  fît  rire  le  duc,  qui  charmé  de  la  liberté  guer- 
rière de  du  Guefclin  ,  voulut  r£hga£;er  à  fon  fervice. 
Aux  oiïes  exceflives  qui  lui  furent  oitei ,  il  répondit 
avec  autant  de  franchife  que  de  défîntérefTement.  Il 
fe  préparoit  à  prendre  congé  du  duc  y  lorfque  Guillaume 
Bremoro ,  parent  du  chevalier  du  même  nom  ,  tué  au 
combat  des  trente ,  le  pria  dé  lui  fiiire  Thoneur  de  tirer 
trois  coups  de  lance  .contre  lui  :  plutôt  fix,  mon  capi^ 
taine,  reprit-il ,  en  lui  prenant  la  main,  L.^  défi  accepté 
fut  afligné  pour  le  lendemain.  Le  combat  fe  donna 
entre  la  ville  &  le  camp  :  Brembro  fut  vaincu  &  tué: 
Du  Guefclin  triomphant  falua  le.  prince,  qui  avoit  voulu  ; 
être  fpeâatenr,  &  rentra  dans  la  ville.    .  ' 

L'hiver  aprochoit,  àc  les  fccours  d'hommes,  d'armes  ^c^*î^«fi«g« 
&  de  vivres,  &  fur-tout  la  préfence  de  du  Guefclin,        ^^"' 
avpient  rendu   le  couragq  aux  aiffiégés.    La    reddition 
de    la  place  paroiiToit  déformais   fort  incertaine.   Les  \ 

Anglois  tentèrent  un  dernier  éfort.  Ils  firent  aprocher 
des  murailles  -  de  puifianœs   machines  ,'  :&    donnèrent 

ie  jour  même  M»à  aïTamt  glanerai.  Penluiet,  ^ui  côm- 

f  -       ■ 

U  nèrreux  ,  la  contenance  gÉerriere  :  il  a*^coit  iien  moins  que  htûsi  dt  vifkze  ; 
attffi  écoic-îl  pea  agréable  imiz  dames  en  fa  jcttoeilc.   D^Jirgtntri^  h^fi.diUft^ 

Jamais ,  di/ifit^it^  je  ne  ferai  aîra€  ni  cooveh  (  iienpenu.  )    / 
Ainçofs  ferai  t!es  dames •tr^Vbufofin  écoiîAtiits',    .'  i'    * 
Car  bien  fçaiV^pie  jeWfWis-bîeiî  l^^iêrtc  malferns. 
Iifia^piu(^ae  Jefais'l^U^  tttc  yfi^x  bien  hardis. 

fTic  ékUnnii^iUt  du  GutfcBn  ,  MS» 


13^  Histoire  de  France, 

T  mandok  dans  la  place ,  aflifté  de  du  Guefclîn ,  les  re- 

Ann.  ij;7.  pouflà  vigoureufenient ,  &  la  nuit  fuivante  il  brûla  leurs 
machines  dans. une  fortie.  Après  cet  échec,  le  duc  déf- 
efpéra  d'emporter  la  place  ;  il  fe  feroit  retiré  l'ur-le- 
çhamp  ;  mais  il  étoit  retenu  par  lai  honte*  de  faufTer  le 
ferment  qu'il  avoit  fait.  Du  Guefclin  voulut  lui  épar- 

Sner  cet  afront  par  un.  expédient  qui  fut  aprouvé  des 
qux  partis.  On  convint  que  le  duc  entreroit  armé 
lui  dixième;  que  fes  enfeignes  feroient  plantées  fur 
les  portes ,  pendant  qu'il  y  demeureroit ,  &  qu'après 
cete  fatisfaftion  il  leveroit  le  fiege.  La  convention 
s'exécuta  fidèlement.  Le j prince  vint  à  Rennes ,  y  relia 
quelques  heures,  &  fe  retira.  A  peine  eut-il  paffé  la 
porte  qu'on  abatit  fes  enfeignes  ,  qui  lui  furent  jetées 
des  murailles.  Cete  aâion  l'indigna;  mais  religieux 
obfçrvatQur  de  fa  parole  ,  il  ne  voulut  pas  en  témoigner 
fon  reflentiment ,  6c  réfifla  aux  folicitations  de  fon 
armée ,  qui  bruloic  :de  venger  cete  injure  faite  au  gé- 
néral &  à  la  nation.  Edouard ,  habile  politique ,  & 
jaloux  de  la  réputation  de  fes  généraux  ,  pour  couvrir 
Rym.aB.puhL  l'honeur  du  dpc  de  Lencaftre  ,  lui  envoya  vers  le 
tom.i,paruj,  mêmc-tcmps  un  ordre  de  lev^er  le  iîege  de  Hennés-^  la 
m*  IJ7.        Bretagne^  ainfi  que  le  portent  ces  lettres  ,  étant  com- 

f)rife  daas   k   trêve.    C'étoit  s^avifer  un   peu  tard  d6 
'inobfervation  du  traité  à  cet  égard.  Il  n'étoit  pas  difi- 
cile  de  s'apercevoir  que  dans  une  pareille  démarche , 
l'Anglois  ne  confultoit  que  fon  intérêt  &  la  néceilité. 
Ce  qui  fert  encore  mibux  à  démontrer  le  peu  de  fincé- 
rite  de  cet;e  conduite,  c'eft  que  le  duc  de    Lencaftre 
n'en  continua  pas  moins  la  guerre. 
Saîte  des     .    La  chaîne  des  événements  nous  ramené  malgré  nous 
^^^^1^'^*''*      au  fpeaacle  afligeant  des  malheurs  de  la  France,  mal- 
Froiffari.     ^curs  d'autaut  plus  déplorables ,  que  la  nation  ne  pou- 
Grand$  chro-  voit  Içs  imputer  qu  ^  elle-même.  Ce  crifte  tableau  ne 
^î'^^*  préfente  qu'un  mélange   de   bi&reries  ,  de   lâchetés, 

d'audace  ,  d'inconféqueRices ,  de  foiblefle  &  de  barba-* 
ries,  que  Thiftoire  ne  peut  pafler  fous  filence^  Se  que 
rhooeur  de  l'humanité   voudroit    condïiner   au  jplus 

protond 


Jean      II.  137 

profond  oubli.  La  conduite  des  nouveaux  réformateurs  '* 

choifîspar  les  Etats  ,  ne  tarda  pas  à  faire  regreter  Tan-  Aa»-  ^^57* 
cien  miniftere.  On  reconnut  fans  peine  que  Te  bien  pu- 
blic n'avoit  été  qu  un  vain  prétexte  ,  dont  ils  avoient 
coloré  leur  ambition  &  leur  avarice,  Marcel  >plus  acré- 
ditéj  plus  ambitieux  &  plus  avide  qu'aucun  de  fes 
colegues  .  avoit  ufurpé  la  principale  autorité.  Robert   . 

\     g-y  /i       c  CL'   ^  ^  \        ^  f      AC  Les  nouveaux 

le  Cocq  ,  prélat  raaieux ,  employa  tous  les  étorts  pour  réformateurs 
engager  une  partie  du  clergé  a  fe  prêter  à  fes  vues  ;  f^^^^"],.^*^* 
Jean  de  Pecquigny  avoit  eflàyé  de  féduire  la  noblefle:  ^  /j/^,J^' 
mais  ces  deux  ordres  plus  circonfpeâs  qu'un  peuple 
infenfé ,  né  fe  laiiTerent  pas  emporter  au  torrent.  Ceux 
mêmes  d'entr'eux  oui  avoient  été  nommés  pour  former 
avec  les  députés  du  tiers-état  le  nouveau  confeil  de 
reformations  dédaignèrent  de  partager  avec  de  pareils 
émules  une  autorité  qui  ne  cherchoit  qu'à  s'établir  fur 
les  ruines  du  gouvernement.  Ils  abandonnèrent  à  ces 
tyrans  fubalternes  les  rênes  de  l'Etat,  perfuadés  que 
leur  puiffance  s'anéantiroit  d'elle-même  ;  &  aue  pour 
les  détruire  ,  il  n'y  avoit  qu'à  les  laiffer  agir.  Il  faut  en 
même-temps  rendre  juftice  à  la  plus  faine  partie  de  la 
nation  :  ce  feroit  une  erreur  de  regarder  ce  grand  nom- 
bre de  députés  des  bonnes  villes  du  royaume  comme 
.  autant  de  complices  de  Marcel  &  de  fes  adhérents  :  la 
plupart  reconnurent  la  méchanceté  des  chefs  du  parti , 
&  s'en  détachèrent  ;  en  forte  que  de  trente-fix  réfor- 
mateurs placés  par  les  Etats  à  la  tête  du  gouvernement , 
il  ne  s  en  trouva  que  dix  ou  douze  ,  échevins  &  bour- 
geois ,  la  plupart  de  Paris,  qui  vouluflènt  prendre  part 
aux  afaires. 

Ce  fubfide  ,  dont  le  peuple  avoit  demandé  TétabliiTe- 
ment  avec  tant  de  fureur,  ne  produifit  pas  ce  qu'on» 
en  avoit  efpéré.  Le  clergé  &  la  noblefle  fe  difpensè- 
rent  de  le  payer.  Le  tiers -état  feul  y  fut  afliijéti.  Les 
chefs  de  la  faâion ,  qui  difpofoient  de  tout ,  avoient  < 
commis  pour  la  perception  de  Vaidt ,  des  gens  qui  leur 
étoîent  entièrement  dévoués  :  ces  commis  recevoient  des 
falaires  fi  exceflifs  ,  que  leurs  gages  abforboient  une 
Tome  V.  S 


138  Histoire  de   France, 

■  partie;  de  Targent  qu'on  en  retiroit  :  le  prévôt  dfes  ttiar- 

Ann.  1357,  chands  &  les  réformateurs  convertiflbient  le  refte  k  leur 
profit.  Par  ce  moyen  Marcel  acumula  des  fommes  con^ 
fidérables ,  tandis  qu'il  ne  fe  trouva  aucuns  fonds  pour 
la  levée  &  Pentrctien  des  troupes.  Les  Farifiens  eux- 
mêmes  commençoient  a  fe  dégoûter  de  Tadminiflration 
préfente.  Le  frère  du  roi  de  Navarre  étoit  rentré  dans 
Ëvreùx  par  Tadreffe  de  Regnaut  de  Granville^  qui  avoit 
furpris  &  tué  le  eouverneur.  Les  troupes  Navarroifes 
s'étendant  vers  les  confins  de  la  Normandie ,  faifoient 
des  courfes  à  peu  de  diflance  de  Faris ,  &  menaçoient 
dé}a  cete  capitale  d'un  voifinage  dangereux  :  on  n'avoit 
point  d^armée  à  leur  opofer.  Le  danger  ouvrit  les  yeux 
du  peuple  :  tous  ces  beaux  projets  d'ordre  ,  évanouis 
aufli-tôt  que  formés ,  firent  tomber  leurs  auteurs  dans 
le  mépris  qu'ils  méritoient. 
^^j^^M  ***      Le  dauphin   faifit  cete  circonftance  favorable  pour 

Icià  icsautrcs  fccouer  le  joug  fous  lequel  il  gémiflbit.  Le  prévÔ€  des 

feaicux.  marchands  ,  Charles  Confac  ,  Jean  Delifle  ,  échevins , 
liidem.  &  jgg  principaux  faâieux ,  furent  mandés  au  Louvre. 
Le  prince  prenant  pour  la  première  fois  l'air  d'empire 
convenable  à  fa  dignité  &  au  fang  dont  il  étoit  ibrti , 
leur  déclara  qu'il  prétendoit  déformais  gouverner  par 
lui-même  ;  qu'il  ne  vouloit  plus  avoir  de  curateurs  :  il 
leur  défendit  en  même-temps  ^  de  fon  autorité  abfolue, 
de  fe  mêler  davantage  des  afkires  du  royaume^  dont 
jufqu'alors  ils  s'étoient  télement  emparés^  qu'on  leur 
obéiflbit  plus  .qu'à  lui.  Marcel  terraffé  par  ce  difcours^ 
auquel  il  ne  s^atendoit  pas ,  n'eut  d'autre  parti  à  pren- 
dre que  celui  de  la  foumiflîon.  Il  fentoit  trop  le  difcré- 
dit  où  il  étoit  pour  olèr  réfifter  ^  &  il  fe  retira  confus 
«avec  fes  partifans.  L'évêque  de  Laon ,  devenu  auffi 
timide  qu'il  avoit  été  audacieux  ^  courut  auffi -tôt  fe 
réfugier  dans  fcwi  diocèfe  i  car  il  voyait  bien  qu^il  avoit 
tout  honni  Çt  gâté ,  dit  une  ancienne,  chronique. 
Le  dauphin       Peu  de  temps  après  cet  éclat  d'autorité  ,  le  dauphin 

*^îi*"     fortît  de  Paris,  &  parcourue  diférentes  villes  du  royau- 
me y  pour  foHciter  par  lui-même  ks  fecours  qu'exi* 


Jean      II.  139 

geoit  la  ficuation  préfente  de  TEtat,  II  y  a  toute  aparence  =!!== 
qu'il  tira  peu  de  fruit  de  ce  voyage,  puifqu'il  revint  au    *"»•  *Jn« 
bout  de  fix  femaines  ie  remettre  de  nouveau  entre  les 
mains  de  Marcel  &c  de  (es  complices. 

Pendant  la  courte  abfencè  du  duc  de  Normandie^  la  il  revient  far 
cabale  ennemie  du  gouvernement,  aToit  fait  de  fèrîeu-^"  Ç^^^*^^^^^ 
fes  réflexions  fur  la  conduite  qu'elle  avoit  tenue.  Ceux  ihidem. 
qui  étoient  à  la  tête  de  ce  parti ,  comprirent  les  confé- 
quences  de  leurs  démarches  :  ils  s'étoient  trop  avancés 
pour  reculer  en  sûreté.  Ils  prirent  les  mefures  qu'ils 
crurent  les  plus  propres  à  les  garantir  de  Torage  dont 
ils  étoient  menacés  ;  &  après  des  précautions  qu'ils 
eurent  foin  de  couvrir  d'un  voile  impénétrable  ,  ils 
députèrent  vers  le  prince,  afin  de  l'engager  à  revenir 
à  raris  ,  en  lui  faifant  les  ofres  les  plus  magnifiques. 
Ils  lui  promirent  de  l'argent  en  abondance  :  il  ne  fut 
plus  queftion  des  oficiers  dont  ils  avoient  tant  de  fois 
exigé  la  deftitution,  âc  fur  -  tout  ils  ne  lui  parlèrent 
plus  de  délivrer  le  roi  de  Navarre.  Ils  parurent  même 
avoir  totalement  oublié  ce  prince  :  ils  demandèrent  feu- 
lement  comme  une  grâce ,  que  l'on  raiTemblât  à  Paris 
les  députés  de  vingt  ou  trente  villes  ,  pour  agir  de  con- 
cert avec  eux.  Le  dauphin ,  féduit  par  cete  foumiflion 
aparente ,  fe  rendit  à  leurs  prières  ,  &  revint  à  Paris. 
Ce  fut  probablement  en  reconnoiflance  de  leur  récon- 
ciliation avec  le  prince ,  que  les  Parifiens  ofrirent  à 
Notre-Dame  une  chandele  de  cire,  de  la  longueur 
du  tour  de  la  ville  (a). 

Le  duc    n'eut  pas  de  peine  à  reconnoître,  dès  les 
;  premiers  jours   de  fon  arivée,  le  peu  de   fincérité  de 
•Marcel  &  de  fes  partifans.  Lorfqu'il  fut  queftion  d'exé- 
cuter les  promenés  qu^on  lui  avoit  faites  ,  on  lui  ré- 

(tf)  L'autear  ingénieux  des  eflais  fur  Paris  conjedbire  qu*aparemment  cete 
chandele  étoit  roulée  :  il  ajoute  d'après  l'hiftoire  de  la  yille  de  Paris  ,  que  ce 
don  qui  fe  rcnouveloit  tous  les  ans  rut  fufpendu  pendant  les  guerres  de  la  li-  « 

gttc  ,  &  qu'en  1^05  ,  fous  la  prévôt  éde  Myron  ,  la  ville  convertit  le  don  an- 
nuel de  cete  longue  bougie  en  une  lampe  d'argent  qui  brûle  jour  &  nuit  de- 
Tant  Tautelde  la  Vierge,  iiijf,  Jg  Paris,  tom»  1 ,  pag.  J4-  Bj^^  kiftoriq.  fur 
■  Taris,  tom.  i  ^  pag.  176. 

s  ij 


140  Histoire   de  Frakce, 

.         pondit  qu'on  ne   pouvoit  rien   décider  ,  que  les  troÎJ 
Awr.  1357.    Etats  du  royaume  ne  fuffent  affemblés.  Malgré  l'expé- 
rience du  paffé ,  le  prince  eut  encore  la  complaifance 
de  faire  cete  convocation  :  le  jour  de  Taflemblée  fut  indi- 

3ué  pour  le  7  Novembre.  Marcel  eut  auffi  la  témérité 
'écrire  en  fon  nom  aux  principales  villes,  &  de  join- 
dre des  lettres  d'invitgition  à  celles  du  prince.    Le  (Jocq 
balança  quelque  temps  entre  la   crainte   &  le  delîr  de 
revenir  k  Paris.   Enfin ,  prefTé  par  les  folicitations  du 
prévôt  des  marchands ,  il  s'y  détermina. 
Délivrance  du       A    peine    l'affemblée  des   Etats   étoit-elle    ouverte, 
roidcNavar-  qu'on  reçutla  nouvelle  de  la  délivrance  du  roi  de  Na- 
ibîdtm.       varre  {a).  Tous  les  gens  bien  intentionnés  en  frémi- 
Spicu/cont.  rent  ',  Marcel  ,  l'évêque   de  Laon   &  leurs  femblables 
^^Wmd  Li    ^rî^^ph^^^'^^-   Cet  événement  avoit  été  médité  &  exé- 
tératw-e.^     '  cuté  avcc  toute  la  prudence  &  l'adrefle   imaginables. 
Mém.  pour  Jean    de  Pecquigny  ,    gouverneur    d'Artois ,   fuivi    de 
"du^rotdf^i  trente  hommes  aarmes ,  ^'aprocha  de  nuit  du  château 
varre^parM.  d'Arleux  en  Pailleul ,  fur  les  frontières  de  la  Picardie 
Stcoujjt.         &  du  Cambrefis ,  où  le  roi  de  Navarre  étoit  enfermé  : 
il  le  furprit  par  efcaladc  ,   &  en  tira  ce  prince ,  qu'il 
conduifit  d'abord  à  Amiens.    D'autres  difent  que  Pec- 
quigny  furprit  un   ordire  de  Triftan  Dubois  ,  châte- 

(tf)  Tout  ce  qui  concerne  le  roi  de  I^avarrc  (t  trouve  amplement  éclaire! 
dans  les  mémoires  de  l'Académie  ,  6c  principalement  dans  les  deux  volumes 
compofés  par  M.  Secouflc ,  dont  le  premier  contient  les  faits ,  &  le  fécond  les 
pièces  juftificatives  raportées  avec  la- dernière  exaditudc.  Cet  infatigable  & 
judicieux  Académicien  eft  entré  dans  le  plus  grand  détail  ;  &  ne  laiffe  rien  à 
defirer  foit  pour  le  dévelopement  des  intrigues  de  ce  temps ,  foit  pour  la  juftefle 
de  fes  remarques.  C'eft  un  hommage  quon  eft  d'autant  plus  flaté  de  rendre  à  la 
mémoire  d'un  homme  fi  refpeâable  par  Tutiliré  &  l'importance  de  fcs  travaux  , 
au  H  eft  entièrement  conforme  à  la  plus  cxaéle  vérité.  Je  me  fais  un  honeur 
de  convenir  que  fcs  mémoires  fur  la  vie  du  roi  de  Navarc  m'ont  fervi  de  guide, 
&  qu'en  écrivant^  je  ne  pouvois  trop  m*aplaudir  d'avoir  trouvé  un  pareil  fc- 
cours ,  Quoique  j'euffe  dcia  examiné  avec  l'atention  la  plus  fcrupuleufe  ,  la 
plupart  des  pièces  originales  fur  lef<jueles  ces  mémoires  font  compofés.  Mais 
il  m'étoit  échapé  quantité  d'obfervations  que  la  pcrfpicacité  de  ce  içavant  lité- 
^  ratcur  a  fidèlement  faifics.  Je  déclare  donc  une  feis  pour  toutes,  que  lorfqu'il 

eft  qucftion  du  roi  de  Navarre  ,  je  fais  le  plus  fréquent  ufage  des  mémoires  de 
M.  Secouflc  ,  qui  lui-mcnic  ne  parle  que  d'après  tous  nos  anciens  hiftoricns, 
les  chroniques  les  plus  curieufes,  tant  imprimées  que  manufcritcs,  6c  les  rc- 
giftres  des  chartres  du  parlement  5c  de  la  cnambre  des  comptes. 


Jean      II.  141 

lain  d'Arleux,  à  qui  la  garde  du  Navarrois  avoit  été  ! 

confiée  ,  &  qu'avec  cet  écrit  il  fe  fit  remettre   le  roi    Ann.  1357. 
prifonnier.  Quoi  qu'il  en  foit ,  la  fortie  de  ce  roi  vint 
mettre  leconible  aux  défordres  qui  agitoient  le  royaume. 

Vingt  mois  d'une  étroite  captivité ,  loin  d'adoucir  liîd<m. 
la  férocité  de  Charles  le  mauvais  ,  n'avoient  au-con- 
traire  fervi  qu'à  redoubler  fa  haine  implacable.  Auffi- 
tôt  qu'il  fut  entré  dans  Amiens  ,  il  ht  affembler  les 
habitants;  &  dans  une  harangue  prononcée  publique- 
ment, il  fe  plaignit  du  gouvernement,  &  de  la  rigueur 
avec  laquele  on  l'avoit  traité' durant  (a  détention.  Aten- 
tif  à  fe  procurer  l'atachement  de  la.  plus  vile  populace , 
il  fit  ouvrir  toutes  les  prifons ,  tant  des  juflices  féculiè- 
res  qu'écléliaftiques. 

Les  partifans  qu'il  avoit  à  Paris  ne  furent  pas  plutôt    Le  toi  de  Na- 
aifurés  de  fon  évafîon ,  qu'ils  préparèrent  toutes  chofes  J*™  ^^^'^^  * 
pour  lui  concilier  l'afeâion  des  Parilîens ,  &  lui  mé-    "^ 
nager  une  réception  éclatante  dans  la  capitale.  Ils  ne 
s'en  tinrent  pas-là.  Fecquigny ,  le  Cocq  &  Marcel  alè- 
rent  trouver  le  dauphin  ,  non  plus  avec  une  feinte  fou- 
miiïion  ,  mais  avec  la  hardieile  qu'infpire  le  fuccès  : 
ils  demandèrent  pour  le  roi  de  Navarre  le  fauf-conduit 
le  plus  ample  ;  &  le  prince  étonné  de  ce  revers ,  &  de 
leur  audace ,  n'eut  pas  la  force  de  leur  refufer  une  chofe  , 
qui  d'ailleurs  n'étoit  plus  en  fon  pouvoir.  Dès  ce  mo- 
ment l'évêque  de  Laon  fe  mit  à  la  tête  du  confeil  du 
duc ,  fans  s'inquiéter  de  fon  agrément.  Ce  prélat  diâoit 
lui-même   &  prononçoit  toutes  les  réponfes  du  dau- 
phin ,  qui  fe  vit  tout  d'un  coup  à  la  merci  des  f<^di- 
tieux.  Le  Navarrois  ayant  reçu  le  fauf-  conduit ,  s'a- 
vança vers  Paris ,  efcorté  de  plufieurs  habitants  d^A- 
miens ,   &  fur- tout  de  cete  ft>ule  de  fcélérats  ,  dont  il 
venoit  de  brifer  les  fers.    Sur  fa  route  il  haranguoit 
les  habitants  des  villes  &  des  bourgades  par   lefqueles 
il  paiToit-    A  fon  aproche ,  la  plupart  des  députés  des 
villes  y  principalement  des  provinces  de  Xlhampagne  & 
de  Bourgogne ,  qui  étoient  à  Paris  pour  ralTemblée  des 
Etats ,  fe  retirèrent  avec  précipitation ,  ne  voulant  pas 


142  Histoire   de  France, 

T  feulèacnent  être  feupçonnés  d'avoir  contribué  k  fa  déli- 

Ann,  1/57.    vrance.  L'évêque  de  Paris,  Jean   de  Meulant,  acom- 

paçné  de  deux  cents  perfonnes ,  ala  au-devant  de  lui  . 

julqu'à  S.  Denis.   Jean  de   Pecquigny  ,  le  prévôt  des  1 

marchands  &  les  échevins,  vinrent  encore  groflir  lef  1 

cortège  avec  lequel  il  fit  fon  entrée,  aux  aclamations 
publiques.  Il  traverfa  la  ville,  &  defcendit  à  Tabaye 
Saint  Germain -des -Prés  ,  où  (on  logement  avoit  été 
préparé.  Le  dauphin  ,  témoin  de  cet  acœuil ,  fîit  obligé 
de  dérober  à  la  connoiflance  du  public  les  mouvements 
de  fon  indignation. 
Il  harangua  le  Le  lendemain  de  fon  arivée ,  Charles  le  mauvais  fit 
rrSuxS«^^^^^  inviter  les  habitants  de  Paris  de  fe  rendre  dans  le  Pré- 
mdim.  aux-Clercs,  près  de  Tabaye  Saint  Getmain-des-Prés, 
Ce  même  jour  ,  environ  à  P heure  de  vêpres  ,  il  motità 
fur  un  échafaud  dreffé  contre  les  murs  de  Tabaye.  Cete 
.échafaud  fervoit  ordinairement  à  nos  rois  ,  lorfqu'ils 
afiiftoient  au  fpeâacle  des  combats  en  champ  clos ,  qui 
fe  faifoient  dans  des  lices  qu'on  préparoit  cmns  ce  pré« 
Il  s'y  trouva  plus  de  dix  mille  perfonnes  :  le  duc  de 
Normandie  lui-même  étoit  préfent.  Le  roi  de  Navarre, 
oui  xie  laiiToit  échaper  aucune  ocafion  de  faire  briller 
ion  éloquence  ,  prononça  un  long  difcours.  Il  choifit 
pour  ion  texte  ces  paroles  du  dixième  pfaume  :  Jufius 
Dominus  ,  &jujlitias  dilexit  :  œauitatem  vidit  vidais  gus. 
La  préfence  du  dauphin  Tempécha  de  rien  dire  contre 
lui ,  du-moins  ouvertement  j  mais ,  fuivant  une  ancienne 
chronique ,  en  fe  plaignant  des  oficiers  du  roi  êc  du  prin- 
ce, //  dk  d'eux  des  chofes  ajfe[  deshonnétes  &  vilaines  par 
paroles  couvertes.  Après  avoir  parlé  des  violences  «qu'on 
lui  avoit  fa.ît  foufrir  ,  dont  il  fit  une  peinture  fi  tou- 
chante, qu'il  aracha,  dit-on,  les  larmes  de  fes  audi- 
teurs ;  il  protdla  qu'il  vouloit  vivre  &  mourir  pour  la 
dé&nfe  du  royaume  de  France.  Il  infinua  da^s  fa  ha- 
rangue ,^ue  s'il  s'agifToit  de  r^vendiouer  la  couronne, 
il  lui  étoit  aiiîé  xle  prouver  que  fes  droits  étoient  plus 
inconteftables  que  <reux  de  qui  que  ce  fût.  Il  dâfignoit 
par -là,  quoique  d'une  manière  indireâe,  les  préten- 


J  *    £       A      K         ï   L  1^43 

rions  du  roi  d'Angleterre.  Cete  partie  de  fon  difcours  ,  •> 

raportée  à  Edouard,  ne  fut  pas  un  des  moindres  mo-    Ann.  1357. 
tirs   qui  empêchèrent  ce  prince  de  fournir  jamais  au 
Navarrois  d'alFez  puifTants  fecours  pour  lui  aquérir  une 
fupériorité  décidée.  Le  peuple  avide   de  nouveautés , 
écouta  la  harangue  avec  une  latisfaâion  incroyable. 

Marcel  ,  k  qui  ces  premiers  fuccès  avoient  infpiré    Marcel  &  les 
une  nouvele  audace ,  ala  trouver  le  dauphin  au  palais ,  ^ccnt^l^JZ^ 
&  le  pria  de  vouloir  rendre  juftice  au  roi  de  Navarre  phb  devoir  le 
fur  les  griefs  dont  il  fe  plaignoit.  Uévêque  de  Laon ,  ^^^ç^j^.*^"^^ 
oui  pour  lors  étoit  préfent,  répondit  au  nom  du  duc ,  der  fcs'dema^ 
fans  atendre  qu'il  l'en  chargeât  :  Que  non  -  feulement  <i«. 
Monfeigneur  rendroit  juftice  au  roi  de  Navarre ,  mais      i***»»- 
qu'il    agiroit  à  fon  égard   avec  grâce  Sf  courtoijie  j  Çt 
comme  un  bon  frère  doit  agir  av€c  fon  frère.  Le  dau- 
phin y  toujours  obligé  de  cédor  aux  importunités  d'un 
confeil  entièrement  dévoué  à  fes  ennemis  ,  confentit 
par  complaifance  à  une  entrevue  avec  le  roi  de  Na- 
varre j  elle  fe  fit  dans  l'hôtel  de  la  reine  Jeanne  :  il  s'y 
rendit  y  acompagné  d'un   petit  nombre  de   fergents  ^ 
qui  compofoient  fa  garde  ordinaire.  Le  Navarrois  y 
vint  avec  une  nombreufe  fuite  d'hommes  armés  y  qui 
obligèrent  les  fergents  d'armes  du  duc  do  (è  retirer  y  & 
fe   placèrent  en  même -temps  devant  la  porte  de  la 
chambre  où  les  deux  princes  fe  virent.  On  peut  croire 
que  leur  difpofition  mutuele  ,  &  la  diverfîté  de  leurs 
intérêts  ne  donnèrent  pas  lieu  à  un  entretien  fort  libre  : 
ils  fe  débarafTerent  de  cete  contrainte  y  le  plutôt  qu^iU 
purent  y  en  fe  féparant. 

Le  confeil  du  dauphin  étoit  difpofé  k  facisfaire  le 
roi  de  Navarre  fur  toutes  fes  demandes  :  on  les  exa^* 
mina  feulement  pour  la  forme.  Quelques  membres  du 
confeil  y  qui  n'étoient  pas  vendus  à  la  cabale- ,  voulu<- 
rent  faire  des  repréfentations  ;  mais  la  pluralité  der 
voix  l'emporta.  Le  prévôt  des  marchands  voyant  que^ 
le  duc  témoignoit  quelque  répugnance  à  fe  d^étermi^ 
ner  ,  lui  dit  :  Sire  ,  faites  amiablement  au  roi  de  N^xr^ 
varre  ce  qu^U  vous  requiert  ;  car  il  convient  qu^il  fait 


144  Histoire    de   France. 

l  ainji.  Il  fut  donc  décidé  que  tous  les  chefs  de  demande 
Ann.  I3J7,    fçroîent  acordés  ;  que  le  duc  de  Normandie  donneroic 
des   lettres  d'abolition  pour   Charles   &  pour  tous  fes 
adhérents  ;  qu'il  feroit  remis  en  poffeflion  de  cous  fes 
biens ,  terres  &  fortereflës  ;  que  les  corps  du  comte  de 
Harcourt ,  des  feigneurs   de  Graville  ,  de   Mainemars 
&  Doublet ,  exécutés  à  Rouen  ,  feroient  détachés  du 
gibet  y    &.   rendus   à  leurs    parents  ou   à  leurs   amis, 
pour  être   inhumés  honorablement  ;    que   leurs  biens 
feroient  refticués  à  leurs  héritiers.  A  l'égard  des  fom- 
mes  que  le  Navarrois  prétendoit  lui  être  dues ,  &  des 
dédommagements  qu'il  demandoit  ,    la    difcuffion   en 
fut   remife  à  la  prochaine   affemblée  des   Etats  ^  qui 
devoit  fe  tenir  le  15  Janvier  fuivant. 
Délivrance  de      Mais    ce  qui  mit  le  comble  à  Toprobre  d'un  traité 
tous  les  prifon-  que    la  contrainte  où    fe  trouvoit    alors  le  dauphin  , 
"'rr^/lJ*!! j  pouvoit  feule   juftifier  ,   ce  fut  la  dernière  condition 
Ckart.reg.zl\  qu'cxigca  Ic  roi  de  Navarre.    Il  voulut  que  toutes  les 
pièce  ^^i^.       prifons  de  Paris  fuffent  ouvertes  :  fon  cœur  acoatumé 
au  crime  ,  fe  trouvoit  flaté  que  tous  les  fcélérats  lui 
euflènt  obligation  de  Pimpunité  de  leurs   forfaits.  Le 
dauphin ,  malgré  fon  amour  pour  la  juftice,  fut  con- 
traint dc;  faire  publier  une   déclaration  ,  par  laquele  , 
en  confidération    du   roi   de   Navarre   qui  Ten  avoir 

f)rié  ,  il  ordonnoit   au   prévôt  de  Paris  de   donner  la 
iberté    a   tous  les    prifonniers  ,  larrons  ,  meurtriers  ,^ 
y>  voleurs  de  grands  chemins  j  faux  monnoveurs ,  fauj^ 
yyfaircs,   coupables  de  viol  ^  raviJJeurs  de  femmes  ,  per^ 
yy  turbateurs   du   repos  public,  ajjajjins  ,  Jb^ 
yy  cieres  ,  empoifonneurs  yy ,  &c.    Ce   fut  le    Navarrois 
lui-même  qui  donna  la  lifte  de  tous  ces  crimes.   On 
Uii.reg.Zo^  expédia  des  pareilles  lettres  adreffées  à  l'abé  de  Saint- 
puce  loo.       Germain -des -Prés  pour  la  fortie   des  criminels  déte- 
nus dans  les  prifons  de  fa  jurifdidion.  Ceux  qui  étoient 
arêtes  pour  les  dettes  du  roi ,  furent  compris  dans  cece 
délivrance  :  à  Tégard  des  prifonniers  pour  dettes  par- 
ticulières ,  il  étoit  enjoint  au  prévôt  de  Paris  &  aux 
autres  chefs  des  diférentes  jurifdiâions  ^  d'engager  les 

créanciers 


J      X      A      »        I   I.  141        - 

créanciers  à  confentir  à  leur  élargiflemcnt  ,  faute  de  ' 
quoi  il  y  feroit  pourvu  d'une  autre  manière.  Ann.  1357- 

Le  roi  de  Navarre  féjourna  quelque  temps  encore  k   LcNavarrois 
Paris.   Le  dauphin  &  lui  fe  virent  (ouvent,  &  mangé-  îoKpoiftn'. 
rent  piufieurs  fois  enfemble ,  tantôt  au  palais ,  tantôt  né  le  duc  de 
chez  la  reine  Jeanne ,  ou  chez  I^évêque  de  Laon.  On  a  Normandie. 
cru  que  ce  fut  dans  un  de  ces  feftins  que  Charles  le      ^^^^^^ 
mauvais  trouva  le  moyen  de  faire  prendre  au  duc  un 

J>oiibn  fi  violent ,  que  malgré  la  promptitude  avec 
aquele  il  fut  fecouru ,  il  perdit  les  ongles  &  les  che- 
veux ,  &  conferva  toute  fa  vie  une  langueur  qui  en 
avança  la  fin.  Quelques-unes  de  nos  anciennes  hiftoi- 
res  ,  teles  que  celle  de  Chrifline  de  Pifan  ,  raportent 
cete  aâion  exécrable ,  fans  en  marquer  précifément  les 
circonflances ,  &  fans  fixer  le  temps  où  elle  fut  com- 
mife.  Lorfque  fous  le  règne  de  Œarles  VI ,  on  com- 
mença les  inflrudions  du  procès  criminel  intenté  con- 
tre le  Navarrois ,  il  ne  fut  point  queflion  de  cet  em- 
poifonnement.  Il  y  a  toute  aparence  qu'il  avoit  pris 
des  mefures  fi  sûres  &  fi  fecretes ,  qu'on  ne  put  tor- 
mcr  contre  lui  que  de  violentes  préfomptions. 

Lorfque  Charles  le  mauvais  le  préfenta  devant  les     Le  roî  de 
places  qui  dévoient,  fuivant  l*acord,  lui  être  reflituées,  Navarre  lève 

ff^j  -1  !•  r  r  Ji        des  troupes. 

la  plupart  de  ceux  qui  les  gardoient,  retulerent  de  les  jUd. 
remettre ,  &  répondirent  que  ces  places  leur  avoient  été 
confiées  par  le  roi ,  &  qu*ils  ne  les  rendroient  qu'à  lui- 
même.  Ce  refus  fervit  de  prétexte  au  Navarrois  pour 
fe  plaindre  de  l'inexécution  des  pronieflcs  qu'on  lui 
avoit  faites  ,  &  pour  lever  des  troupes  ,  dans  Tunique 
intention  ,  difoit-il ,  de  fe  faire  rendre  juflice  par  la 
force  des  armes.  Avant  que  de  partir  de  Paris  ,  les  chefs 
de  la  fadion  lui  avoient,  remis  des  fommes  confidéra- 
bles.  Les  gouverneurs  de  places  qui  tenoient  pour  lui 
en  Normandie ,  Tétoient  venu  trouver  à  Mantes  ,  où 
il  eut  avec  eux  une  conférence  fecrete  ,  dans  laquele 
il  leur  donna  des  inflruâions  fur  la  conduite  qu'ils 
avoient  k  tenir. 

L'acœuil   que   les    Farifiens   avoient  fait  au  roi  de 
Tome  V.  T 


i4<?  Histoire   de   France, 

!  Navarre  ,  &  le  crédit  donc  il  jouïflbit  dans  cete  ville , 
Ann.  1357.  ne  purent  jamais  engager  Philippe  de  Navarre  fon 
N^vS  Kfu-  fr^^^  ^  ^^  fi^^  ^  ^^^^  faveur  populaire ,  foit  qu'il  con- 
fc  de  venir  à  nût  le  peu  de  fond  qu'on  doit  faire  fur  une  multitude 
^^"  u*  Tfti^  i^co^^^^^  9  f^^^  4^'"  ^^  jugeât  pas  à  propos  de  s'ex- 
lités.  pofer  en  même  -  temps  que   fon  frère  aux  coups    que 

Froîjfard.     Icurs   ennemis    communs    pouvoient    leur    porter.    Il 
SpiciLcontin.  répondit    à    toutes    les    folicitations     qu'on     employa 
pour  l  a  tirer  à  Jraris  ,  que  en  communautés  il  ny  avoit 
nul  certain  arrêt  fors  que  pour  tout  honnir.  Il  eut  même 
fî  peu  d'égard  pour  l'acord  qui  avoit  été  conclu,  que 
fes  troupes  s'avancèrent  jufqu'à  quatre  ou  cinq  lieues 
de  Paris   du  côté  de  Trappes  &  de  V  illepreux ,  s'em- 
parèrent de  plufieurs  forterefles  ,  &  ravagèrent  dix  ou 
douze  lieues  de  pays,  prirent  Maule  Jiir  Mauldre  qu'elles 
fortifièrent ,  &   dont  elles  firent   une    place  d'armes , 
d'où  elles  continuoient  leurs  courfes.  Pierre  de  Villiers, 
chevalier  du  guet,  fortit  de  Paris  avec  quelques  trou- 
pes  formées   des   gens   de  la  ville   &  de   la   vicomte, 
pour  fepouffer  les  Navarrois  ;  mais  il  rentra  fans  avoir 
feulement   rencontré   les   ennemis.   Les    habitants    des 
campagnes   fituées  de  ce   côté-là  ,  vinrent  fe  réfugier 
à  Paris. 
Le  dauphin      Le  dauphin  touché  de  ces  ravages  ,  voulut  fe  mettre 
afTcmble  des    g^  ^tat  d'y  remédier  ;  il  donna  fes  ordres  pour  affem- 
"Trirt  MS.  ^^^^  ^^^  hommes   d'armes.    Les   faâieux   crurent  que 
'  cet  armement  fe   préparoit  contre  eux ,  &  firent  plu- 
fieurs repréfentations  au  prince  ,  lui  donnant  à  enten- 
dre que  les  Parifiens  étoient  alarmés  des  troupes  qu'il 
vouloit  introduire    dans  la  capitale.    Il   eut  beau    les 
affurer  de  la  droiture  de  fes  intentions  ;  rien  ne  put 
calmer  leurs  inquiétudes.  Ils  firent  garder  les   portes 
de   la  ville  ,  avec    ordre    de  ne    lailier   entrer   aucun 
homme  armé ,  s'il  n'étoit  connu.  Le  Navarrois  armoîc 
de  fon  côté ,  &  ces  préparatifs  annonçoient  déjà  toutes 
les  horreurs  d'une  guerre  civile, 
chapcronsmi-      Enfin    Marcel    &    fes    complices    trouvant  encore 
Scrféditfcwf  trop  de  contrainte  dans  le    foible   ménagement  qu'ils 


Jean      II.  147 

avoient   confervé  jufque-Ià  pour    le    gouvernement,  .' 

réfolurent  de  fe  déclarer  ouvertement,  en  donnant  à    Ann.  1357. 
leur    parti  un  caraâere    d'indépendance  &  de  révolte  J^j^^-  ^?'*'"'- 
déclarée.  Il  fut  réglé  que  pour  s'unir  plus  étroitement    ^ Fto^^d. 
&  fe  reconnoître  ,  ils  prendroient  une   marque  vifible    Grande  ckro^ 
qui  leur  ferviroit  comme  de  fignal  de  raliement,    Cete  '''^*'* 
marque  étoit  un  chaperon  ou  càpuce  mi-parti  de  drap 
rouge  &  pers  {a).  A  ces  chaperons  ils  ajoutèrent  des 
fermails  (A)   d'argent    mi -partis    d'émail   vermeil    & 
aizuré,  avec  cete  infcription,  à  bonne  fin  ;  &  ils  éri- 

ferent  une  confrairie  fous  l'invocation  de  Notre-Dame. 
(Orfque   les  faftieux  eurent  arboré  ce  figne  de  confé- 
dération ,  on  ne  vit  plus  dans  Paris  que  chaperons  &  . 
fermails  mi-partis  :  ceux  mêmes   qui  dans  le  fond  de 
leurs  cœurs    condanoient    ces  coupables  excès ,   furent 
obligés  d'en  porter  de  femblables.    L'Univerfité  dans     $Jir*ïï^^^ 
cete  conjondure  donna  des  témoignages  d'une  fidélité  ^^  p^^  run?- 
dont  il  eft  étonnant  que  nos  hiftoriens    modernes    ne  vcriité. 
fafTent  aucune  mention  :  le  redeur  de  ce  corps,  alors  ^'J^^^^^  ^* 
très  confidérable    par  l'afluence  des   étudiants  qui  s*y  paille.   ^* 
rendoient  de  prefque  toutes  les  provinces  du  royaume 
&  des  Etats  voifms  ,   défendit  par  un  mandement  à 
toutes  les  perfonnes  académiques  de  prendre  aucunes 
marques  de  fadion. 

Tandis  que  ce  qui  fe  paflbit  à  Paris  annonçoit  Le  roi  Je  Na- 
une  révolution  prochaine;  le  roi  de  Navarre  étoit  à  î^*mémo1rcdM 
Rouen.  Il  donna  dans  cete  ville  un  fpeâacle  bien  feigneurs  cxé- 
propre  à  réveiller   dans   tous  les  efprits  le  méconten-  cutésàRoucn. 

(jo)  Le  chaperon  étoic  une  cfpece  d'habillement  de  tête ,  à«pett-près  femblable 
aux  capuces  de  nos  religieux. 

Le  pers  étoif  d*une  couleur  d'un  bleu  tirant  fur  le  vert.  Du  Congé  ad  verbum 
Perfus. 

{h)  Le  fermail  ^toit  une  forte  d*agrafe  avec  laquele  on  atachoit  le  manteau 
fous  le  cou  ou  fur  la  poitrine.  Les  hommes  &  les  femmes  s'en  fervoient  éga- 
lement. Les  fermails  écoient  ordinairement  d'or  ou  d'argent  enrichis  de  pierres 
précieufes. 

»  La  reine  Clémence  femme  de  Louis  Hatin  »  dans  fon  teftament ,  laiffa  au 
•M  comte  d'Alençon  le  meilleur  fermail  qu'elle  eut  en  France  <<.  Dans  FroiiTard. 
»  Et  fi  eut  pour  le  prix  un  riche  fermail  à  pierres  précieufes  que  madame  de 
»?  Bourgogne  prit  en  fa  poitrine  ««•  Glojf,  au  mot  Fermeilletum. 


148  HisToiRï  DS  France, 

cernent  que  la  trop  grande  févérité  du  roi  avoit  excité* 


Ann.  1)57.    Le   lendemain  de  Ion  arivée,  il  envoya  recœuillir  les 
Ckron.MS.  reftes  des  feigneurs  exécutés  lors   de  Ion  emprifonne- 

Spiciicontin.  r\  11  J  '^  j      tt  I 

deNang.  ment.  On  ne  trouva  plus  le  corps  du  comte  de  Har- 
Froiffard.     court'  que  fa  famille  ,   fuivant   toute  aparence  ,  avoit  I 

Iranctf*^  ^^  enlevé  fecrétement.  On  détacha  les  corps  des  trois 
autres  gentilshommes  dont  les  têtes  avoient  auffi  dif- 
paru  :  après  les  avoir  enfevelis ,  on  les  plaça  dans  des 
cercŒuils.  Lorfque  ces  funèbres  aprêts  furent  ache- 
vés ,  le  roi  de  Navarre  à  cheval ,  fuivi  d'une  multi- 
tude de  peuple ,  ariva  au  gibet.  On  avoit  préparé  trois 
chars ,  fur  le  ^premier  defquels  étoient  les  corps  de 
Mainemars  &  de  Doublet ,  qui  n'étoient  pas  encore 
chevaliers.  Ce  char  étoit  fuivi  de  deux  écuyers  por- 
tant deux  écuflbns,  fur  lefquels  on  avoit  peint  les  ar- 
mes des  défunts.  Le  fécond  char  qui  portoit  le  feigneur 
de  Graville  chevalier ,  étoit  acompagné  de  deux  hom- 
mes à  cheval  ,  tenant  en  leurs  mains  deux  banieres 
de  fes  armes,  &  de  deux  autres  conduifant  deux  che- 
vaux armés  ,  Tun  pour  la  guerre  &  Tautre  pour  le 
tournois.  Cete  marche  lugubre  étoit  terminée  par  le 
troifieme  char ,  fur  lequel  on  avoit  pofé  la  repréfenta- 
cîon  du  comte  de  Harcourt  :  des  chevaux  diverfemenc 
armés  étoient  conduits  à  fa  fuite  par  des  valets  en 
deuil.  Les  parents  &  amis  de  ces  gentilshommes  ef* 
cortoient  le  convoi ,  ainfi  que  le  roi  de  Navarre.  La 

f)ompe  funèbre  s^arêta  dans  le  champ  du  Pardon  ,  où 
'exécution  avoit  été  faite.  Après  avoir  chanté  les  vi- 
giles des  morts  ,  tout  le  cortège  prit  la  route  de 
Kouen  ,  &  entra  par  la  petite  porte  au  château ,  pré- 
cifément  à  l'endroit  où  ces  feigneurs  avoient  été  mis 
dans  des  charetes  pour  être  conduits  au  fuplice.  Alors 
on  tira  des  chars  les  cercœuils  qui  furent  portés  par 
des  chevaliers  jufqu'k  la  cathédrale  ,  puis  expofés  dans 
une  chapele  ardente  de  trente  -  fix  pieds  de  long. 
Tous  les  piliers  de  Pé^life  étoient  revêtus  de  velours 
noir ,  &  femés  d'écuilons  chargés  des  armes  de  ces 
feigneurs. 


T      E      A      N        I   I.  •  149 

Le  lendemain  le  peuple  s'afTembla  dans  la  place  de 


S.  Oiien  :  Charles  parut  aune  fenêtre  au-deffus  de  Ann.  1317, 
la  porte  de  cete  abaye.  Là  il  prononça  une  harangue 
dont  j  le  texte  étoit ,  Innocentes  &  reSi  adhœferunt  mihi, 
les  hommes  innocents  &  jufles  fe  font  atachés  k  moi. 
Il  répéta  fes  déclamations  ordinaires  contre  le  gouver- 
nement ,  &  iît  en  termes  magnifiques  Téloge  des 
quatre  feigneurs,  qu'il  compara  aux  martyrs.  La  po- 
pulace féduite  par  fon  éloauence  s'atendrit  &  l'admira, 
il  fe  rendit  enfuite  à  leglife  de  Notre-Dame  où  les 
corps  des  gentilshommes  avoient  été  laides  la  veille  : 
on  leur  donna  la  fépulture  (a)  après  aue  Tévêque 
d'Avranches  eut  célébré  un  fervice  folennei  pour  le  re- 
pos de  leurs  âmes.  Le  foir  même  ,  le  Navarrois  donna 
un  fuperbe  feftin  où  il  admit  les  bourgeois  les  plus 
acrédités ,  dont  le  principal  étoit  un  marchand  de  vin  ^ 
maire  de'  la  ville.  Dans  le  même  temps  qu'il  prodi- 
guoit  aux  habitants  de  Rouen  ces  témoignages  de  fa- 
miliarité, les  troupes  de  fon  parti  brûloient  Couronne, 
maifon  fuperbe  apartenante  au  duc  de  Normandie  , 
(ituée  à  trois  lieues  de  la  ville. 

Le  dauphin  cependant  faifoit  tous  {es  éforts.pour     Lc  dauphin 
fe  délivrer  de  la  tyrannie  fous  laquele  il  gémiflbit.  I)ans  harangue  ic 
la  vue  de  s'atirer  Tafeftion    du   peuple ,  il  fit   avertir  ^^^^î?' 
les  Parifiens    qu'il    fe    rendroit  aux    haies   pour    leur         '^'^' 
expofer  lui-même  fes  intentions.  Envaîn  Tévêoue  de 
Laon  &  le  prévôt  des  marchands  voulurent-ils  le    dé- 
tourner de  ce  deffein  ;  il  fe  rendit  acompagné  de  peu 
gens  au  lieu  indiqué.    Une  pareille   démarche   fit  im- 
preflion  fur   la   populace  :  une  multitude  innombrable 
atendoit  le  prince.  Il  aflura  les  habitant»  de  Paris  qu^il 
vouloit  vivre  &  mourir  avec  eux  ;  qu'il  n'avoit  raflëmblé 
des  troupes  que    pour  les  défendre^  qu'il  auroit  déjà 
repouITé  les  ennemis  qi^i  faifoient  des  courfes  dans  les 
environs  ,  s'il   en  avoit   eu  le  pouvoir  ;  mais  que  les 

(a)  Ils  furent  inhumés  dans  la  chapele  des  Innocents ,  aujourd'hui  nommée 
la  chapelle  de  faint  Romain ,  où  Ton  voit  encore  leurs  heaumes.  Hiftoirt  de 
Iformandît  raponit  par  M.  Hicoujfe^  Mém.  de  iittén  pag*  18^» 


i«jo         .Histoire    de  France, 

■  adminiftrateurs  chargés  par  les  Etats  de  l^emploi  des 
Ann.  i}57.  £nances  ,  s*en  étoient  emparés  dans  le  deffein  de  les 
détourner  à  leur  profit  particulier  ;  qu*il  efpéroit  ce- 
pendant les  forcer  un  jour  à  rendre  compte  d'une  con- 
duite fi  préjudiciable  au  bien  du  royaume.  Ce  difcours 
fut  reçu  avec  un  aplaudiffement  général.  Tous  furent 
pénétrés  de  voir  Tnéritier  préfomptif  de  la  couronne 
le  juftifier  en  quelque  forte  devant  fes  fujets  &  les 
prendre  pour  juges  de  fes  aâions  :  le  prince  dans  cete 
journée  gagna  tous  les  cœurs  ,  à  la  réferve  des  faâieux 
atachés  au  prévôt  des  marchands 
Les  panifans  Marcel  érrayé  de  ce  changement ,  eflaya  de  ramener 
de  Marcel  ha-  le  peuple  :  pour  cet  éfet  il  le  fit  aflemoler  le  lende- 
'cu^?c'^à  kur  ^^^^  ^  ^'  Jacques  de  Thôpital.  Le  duc  de  Normandie 
tour^.  ^  *  ^"'  informé  de  cete  démarche ,  s'y  reàdit  au(fi-tôt.  Il  ne 
ilndem.  parla  pas  lui-même  au  peuple  ;  mais  Jean  deDormans^ 
chancelier  du  duché  de  Normandie  ,  répéta  les  mê- 
mes chofes  à- peu- près  que  le  prince  avoit  dites  la 
veille  ,  &  toute  raliemblée  parut  l'écouter  avec  fatis- 
fadion,  Lorfqu'il  eut  ceffé ,  Charles  Confac  échevin 
voulut  prendre  la  parole  :  mais  il  en  fut  empêché  par 
un  murmure  univerfel.  Le  triomphe  du  duc  étoit  com- 
plet :  il  fe  retira.  Dès  qu'il  fut  parti  ,  les  émiflkires  du 
prévôt  &  de  Tévêque  de  Laon  répandus  parmi  la  mul- 
titude ,  firent  tant  qu'on  voulut  bien  entendre  l'orateur. 
Confac  recommença  fon  difcours  dans  lequel  il  dé- 
clama beaucoup  contre  les  oficiers  du  duc.  Après  cete 
première  harangue  Marcel  prit  la  parole  pour  afirmer 
avec  ferment  que  l'argent  du  fubfixle  n'avoit  été  tou- 
ché, ni  par  lui,  ni  par  aucun  des  députés  choifis  par  les 
Etats.  Un  avocat  nommé  Jean  de  S.  Onde ,  l'un  des 
généraux  des  aides ,  déclara  que  la  plupart  des  fom- 
mes  qui  provenoient  de  l'impofition  ,  avoient  été  mjd 
employées,  &  qu'il  en  avoit  été  délivré  k  plufieurs 
chevaliers  par  ordre  du  duc  de  Normandie  iufqu'à 
cinquante  mille  moutons  d'or  (a),  ainfi  qu'il  étoit 

•  (a)  Le  moacon  d'or  étoit  une  pièce  de  monnoie  fur  laqucle  il  y  avoit  Tem'- 
preintc  d*ua  agneau  avec  cete  infcription ,  Agnus  Dti  ^  gui  tollis  ptccata  mun^ 


J      E      A      N        I   I.  ï^t 

prouvé    par    les   rôles.    L'échevin    Confac  revint  en-  "*""  ! 

core  à  la  charge  :  il  fit  Téloge  de  Marcel  préfent ,  Ann.  1357. 
alTura  qu'il  n  avoit  rien  fait  jufqu'à  ce  jour  que  pour 
le  bien  commun,  &  que  fi  les  Parifiens  ne  foutenoient 
pas  leur  prévôt  des  marchands  ,  il  feroit  obligé  de  cher- 
cher un  afyle  pour  fe  fouftraire  au  danger  évident  qu'il 
avoit  encouru  en  travaillant  pour  le  falut  public.  A 
ces  mots  cete  multitude  inconftante  ,  fi  favorable  au 
dauphin  un  moment  auparavant  ,  .  enibrafla  avec  la 
même  facilité  le  parti  opofé  :  les  auditeurs  s'écriè- 
rent unanimement,  que  Marcel  avoit  raifon ,  &  qu'ils 
lé  défendroient  contre  tous.  Ce  fut  ainfi  que  fe  termina 
cete  fcene  ridicule ,  où  l'on  vit  le  fouverain  plaider 
lui-même  fa  caufei  en  préfence  du  peuple  contre  des 
fujecs    audacieux,  &  h  plus  grand  mal  fut  qu^il  ne  /^  if  P.  D^wW, 

gagna  pas.  hifi.de France. 

Au   milieu  de  ce   tumulte,  les  députés   des  Etats    Etats  à  Paris. 
s'étoient  rendus  à  Paris  vers  les  fêtes  de  Noël.  Il  n'y     Froijfard. 
afiîfta   que.  des  gens  du  tiers  -  état  &  quelques   éclé-  cûonhul^^c. 
fiafliques.    La  noblefTe  dédaignoit  de  fe  trouver  à  ces 
afièmblées ,  où  la  principale  autorité  étoit  devenue  le 

fartage  de  ceux  qui  auroient  dû  le  moins  y  prétendre. 
1  ne  fut  rien  décidé  :  on  convint  feulement  de  fe  raf- 
fembler  vers  la  mi- carême.  En  atendant  on  ordonna 
par  provifion  une  fabrication  de  monnoie  plus  foible 
que  la  précédente  ,  &  Ton  convint  que  le  duc  de  Nor- 
mandie auroit  pour  fa  dépenfe  particulière  la  cinquiè- 
me partie  du  profit  qui  en  proviendroit ,  les  quatre 
autres    étant  réîervées  pour  les  frais  de  la  guerre. 

Les  troupes  que  le   pj-ince  avoit  mandées  ariverent  surprîfc  &  pil- 
à  Paris  &  aux  environs  :  elles  pouvoient  compofer  un  ^^8^  d'Etam- 
corps    de    deux    mille   hommes    d'armes.    Les    deux  ^"/^/^^«. 
reines  Jeanne    &  Blanche   employoîent  toujours  leur 
médiation    pour    acorder  le  dauphin  &  le  roi  de  Na- 
varre: Jean  de  Pecquigny  &  les  partifans  du  Navarroîs 

di  ,  mftrert  nobis  ;  &  fur  le  revers  une  croîi  avec  ces  mots ,  Chrifius  vincit  i 
Chrifiut  régnât  «  Chrifius  imperat.  Il  y  avoit  cinquante-deux  pièces  dans  uo  marc 
d*or  fin.  Vu  Cange  ^  gloff,  ad  yerb.  Muttones. 


1^2  Histoire  de  France, 

!  foutenoîent  hautement  les  intérêts  de  ce  prince.  Les 
Afln.  I3J7.  ennemis  cependant  continuoient  leurs  brigandages.  Le 
jour  même  du  mariage  du  comte  d'Etampes  avec  Jeanne 
fille  de  Raoul  comte  d'Eu  ,  connétable  de  France ,  dé- 
capité au  commencement  de-  ce  règne ,  les  Navarrois 
qui  s*étoient  cantonnés  dans  le  pays  Chartrain,  fur- 
prirent  Etampes  qu'ils  pillèrent,  &  emmenèrent  quan- 
tité de  prifonniers. 
Aflaflînat  du  Un  incident  qui  paroiflbit  devoir  être  de  peu  de  confé- 
dauphin.  "  quence ,  manifefta  plus  que  jamais  Tefprit  de  révolte 
&  d'indépendance  qui  régnoit  alors.  Un  miférable 
valet  de  changeur  nommé  rerrin  Marc ,  aflaflina  d'un 
coup  de  couteau  Jean  Baillet  tréforier  du  duc  de  Nor* 
mandie  :  il  commit  cet  afTaflinat  dans  la  rue  neuve  S. 
Merry ,  &  fe  réfugia  dans  l'églife  du  même  nom.  Le 
duc  informé  de  ce  meurtre  commis  en  la  perfonne  d'un 
de  fes  oficiers  auquel  il  étoit  fort  ataché ,  donna  ordre 
k  Jean  de  Châlons  maréchal  de  Champagne  ,  d'aler 
fur-le-champ  fe  failir  du  coupable.  L'ordre  fut  exé- 
cuté. Le  maréchal  acomp^né  de  Guillaume  Staife  pré- 
vôt del^aris  ôc  de  plufieurs  hommes  armés,  fe  rendit 
à  S.  Merry ,  dont  il  fit  brifer  les  portes.  Perrin  Marc 
fut  araché  de  l'églife ,  traîné  au  Châtelet,  &  le  lende- 
main pendu  en  préfence  du  peuple ,  après  avoir  eil 
le  poing  coupé  au  lieu  même  où  il  avoit  commis  le 
crime.  Ce  fcéléràt  étoit  clerc  écléfiafiiquc.  L'évêque 
de  Paris  réclama  le  droit  des  francHifes  &  le  privi- 
lège de  la  cléricature  ,  qu'il  prétendoit  avoir  été  vio- 
lés dans  la  jufte  exécution  d'un  aflaflîn  digne  du  der- 
nier fuplice.  Il  falut  détacher  du  eibet  cet  infâme  & 
le  raporter  dans  l'églife  de  faint  Merry  :  on  lui  fit  des 
funérailles  folenneles  auxqueles  fe  trouvèrent  le  prévôt 
des  marchands  &  quantité  de  bourgeois  de  Paris ,  le 
jour  même  que  le  prince  affifta  au  fervice  de  fon 
tréforier. 

Le  dauphin  ,  dans  la  vue  d'intimider  les  faâieux 
en  leur  annonçant  le  prochain  retour  du  roi,  avoic 
fait  répandre    dans    le  public  qu'on    étoit   à  la  veille 

dua 


J      E      AN      II.  1^3 

d'un  acommodement ,  &  que  le  projet  de  paix  aporté 
depuis  peu  de  Londres  par  le  comte  de  Vendôme  &  Abu.  mît^ 
l'évêque  de  Térouane  ,  nouveau  chancelier  nommé 
à  la  place  de  Pierre  de  la  Foreft ,  contenoit  des  pro- 
pofîtions  fi  modérées ,  qu'il  nV  avoît  pas  lieu  de  dou- 
ter qu'on  n'obtînt  dans  peu  la  délivrance  du  monar- 
que. Mais  les  ennemis  du  gouvernement,  ^ui  parieurs 
liaifons  fecretes  avec  l'Angleterre  étoient  mformés  de 
ce  qui  fe  pafToit  à  Londres  ,  ne  rabatirent  rien  de 
leur  préfomption.  Jean  de  Pecquigny  étant  venu  à 
Paris  comme  député  du  roi  de  rïavarrc  ,  fe  plaignit 
de  Finexécution  de  plufieurs  articles  du  dernier  traité. 
Cétoit  en  préfence  des  reines  Jeanne  &  Blanche  & 
de  plufieurs  du  confeil  ,  que  le  duc  de  Normandie 
donnoit  audience  à  Pecquigny.  Lorfque  le  député  eut 
fini  fes  reproches ,  le  prince  fléchit  un  genou  devant 
les  reines  ,  qui  le  relevèrent  promptement  &  le  fi- 
rent afleoir  auprès  d'elles.  Après  cete  cérémonie  il 
afirma  qu'il  avoit  exadement  rempli  le  traité,  &•  que.  • 
fi  quelqu'un  en  état  de  lui  répondre  ofoit  foutenir  le 
contraire  ,  il  étoit  prêt  à  lui  en  donner  le  démenti  ; 
mais  que  Pecquigny  n'étoit  pas  d'un  rang  à  pouvoir 
relever  ce  défi  ;  que  cependant  s'il  perfiftoit ,  il  y  avoit 
dans  fa  cour  des  chevaliers  qui  combatroient  contre 
lui.  L'évêque  de  Laon  toujours  partial ,  toujours  im- 

Eudent ,  rompit  l'entretien  en  difant  que  monfeigneur 
î  duc  aurait  avis  fur  les  demandes  du  roi  de  Navarre  : 
ou'il  confulteroit  fon  confeil  &  rendroit  une  réponfe 
fatisfaifafite. 

Quelques  jours  après  ,  les  Parifiens  ,  que  le  Cocq ,      Députitioa 
Marcel  &  leurs  partifans ,  ne  ceffoient  d'animer ,  adref-  '^"/^'^^^hi"* 
ferent  une  députation  folennele  au  duc  de  Normandiç  *^  ^"^  ^°' 
pour  rengager   k  fatisfaire  le  Navâffois.   Frère  Simon 
de  Langres  ,  maître  de  V ordre  des  Jacobins  [  général  de 
l'ordre  de  S.  Dominique]  écoit  à  la  tête  des  députés, 
au  nom  defquels  il  parla.  Ce  religieux  eut  la  hardiefle 
de  dire  au  prince  que  lui  &  fes  colegues  s'ccoient  afiem- 
blés  &  avoient  délibéré  que  le  roi  de  Navarre  fcroiç 
Tome  F.  V 


Ann,  i^sj. 


154  Histoire   de   France, 

toutes  fes  demandes  en  une  feule  fois  ,  &  qu'auffi-tôt 
qu'il  les  auroit  faites  ,  le  duc  feroit  tenu  de  lui  remet- 
tre toutes  fes  forterefles  ,  &  qu'enfuite  on  lui  ren- 
droit  juftice  fur  fts  autres  demandes.  Après  cete  auda- 
cieufe  harangue  le  Jacobin  fe  tut,  &  n'ofa  achever  ce 

3u'il  s'étoît  chargé  de  déclarer.  Alors  un  religieux 
e  fAit  Denis ,  prieur  d'Effone  près  de  Corbeil ,  prit 
la  parole ,  &  s'adreffant  k  Simon  de  Langres  :  J^ous 
nouvel  pas  tout  dit  j  s'écria- 1- il.  Il  fe  tourna  enfuite 
vers  le  duc  &  lui  fignifia  fans  détour ,  qu'ils  étoient 
unanimement  déterminés  à  fe  déclarer ,  ou  contre  le 
roi  de  Navarre  ,  ou  contre  lui-même ,  s'ils  refufoient 
l'un  ou  l'autre  de  fe  foumettre  à  ce  qu'ils  avoient  réglé* 
C'étoit  le  comble  de  Thumiliation  pour  la  majefté 
fouveraine  ,  que  de  fe  voir  fi  indignement  outragée 
par  deux  moines  rebeles. 
Nouveaux  Tant  d'excès  n'étoient  encore  que  le  prélude  des 
pTris*-^a(ïkffi!  ^^^^^^^  qu^  méditoit  la  fureur  de  Marcel  &  de  ks 
^  '^  complices.  Le  jeudi  22  Février  il  fit  affembler  la  plu- 

f>art  des  gens  de  métier  de  la  ville  aux  environs  de 
'églife  de  faint  Eloi  où  eft  aujourd'hui  fituée  la  mai- 
fon  des  Barnabites.  Fendant  que  cete  populace  armée 
arivoit  au  rendez-vous ,  Regnaut  d'Acy  avocat-général 
retournant  du  palais  k  fa  maifon  près  de  l'églife  de 
faint  Landry  ,  fut  ataaué  &  pourfuivi  jufqu'à  l'églife 
de  la  Madeleine.  On  l'ateignit  dans  la  boutique  d'un 
pâtiflier  où  il  s'étoit  réfugié  :  il  fut  à  Tinftant  percé  de 
coups  ,  &  mourut  fur  la  place.  Le  prévôt  des  mar- 
chands à  la  tête  des  féditieux  marche  aufli-tôc*  vers  le 
palais,  monte  les  degrés  ,  entre  dans  la  chambre  du 
dauphin ,  qui  parut  éfrayé  en  voyant  cete  multitude 
qui  rempliflbit  fon  aoartement.  Èire ,  dit  Marcel,  ne 
vous  csbahijfés  de  chojc  que  vous  voyés ,  car  il  cji  or-' 
donné  ,  Çf  convient  qu^il  foit  ainji.  Se  tournant  enfuite 
vers  fes  fergents.  Allons  ^  continua-t-il ,  faites  en  bref 
ce  pourquoi  vous  êtes  venus  ici. 

A  peine  eut- il  ceffé  de  parler   que    ces  furieux  fe 
jetèrent  fur  les  maréchaux  de  Champagne  &  de  Nor- 


Paris  :  aflafli 
nat  de  deux 
feieaears  en 
prélcncc  du 
dauphiu. 

Ibidem. 


J      E      A      N         I   I.  ï$$ 

mandie.  Le  premier  qui  écoit  le  feigneur  de  Conflans^  * 

eft  à  Tinflanc  maflacré  en  préfence   du  dauphin  :  fon    Aiui.,x}57« 
fang  même  rejaillit  fur  le  prince.  Robert  de  Clermont, 
le  lècond  de  ces  deux   infortunés  feigneurs,  fe  fauve 
dans  une  chambre  de    retrait  * ,    voinne   de  Taparte-    *  CMme. 
ment  du  duc  :  on  le  fuit  &  dans  le  même  moment  il  eft 
immolé  à  la  rage  de  ces  fcélérats.  Tous  les  oficiers  du 
prince  épouvantés  de  ces  fanglantes  exécutions ,  fe  dif- 
perfent  &  fuient.  On  dit  qu'en  cete  horrible  extrémité , 
abandonné  de  tout  le  monde ,  feul ,  à  la  merci  d'une 
troupe  de  forcenés ,  le  prince  s'abaifla  jufqu'à  deman- 
der la  vie  à  Marcel ,  qui  lui  dit  :  Siré ,  vous  n^aye[ 
garde*.  Le  prévôt  en  même- temps  ôta  fon   chaperon    *N*ayeipas 
mi-parti ,  fignal  de  la  faâion ,  qu'il  lui  donna  ,  &:  prit  p^'^- 
le    chaperon  du  dauphin ,  qui  étoit  de  brunette   noire 
avec  un  orfroi  *  d9r  ,  dont  il  fe  para  le  refte  de  la     *  Frange. 
journée  comme  d'un  gage  de  fon  triomphe. 

La  fcene  n'étoit  pas  finie  :  il  falut  encore  que  le  dau- 
phin vît  traîner  devant  lui  les  corps  des  deux  feigneurs 
mailàcrés  :  on  les  roula  le  long  àts  degrés  du  palais 
jufqu'à  la  pierre  de  marbre  fous  les  fenêtres  de  l'apar- 
tement  du  prince  ,  où  ils  demeurèrent  le  refte  du  jour 
expofés  aux  regards  &  aux  infultes  de   cete  lâche  & 
vile   multitude  ,   fans  que  perfonne    osât  les  enlever. 
Sur  le  foir  on  ks  porta  par  ordre  du  prévôt  des  mar- 
chands à  fainte  Catherine  du    Val -des -Ecoliers,  Les 
religieux  de  cete  maifon  firent  dificulté  de  leur  don- 
ner la  fépulture  fans  un  ordre  précis  de  Marcel ,  qui 
voulut  marquer  une  forte  de  déférence  en  répondant 
qu'il  n'y  avoit  qu'à  fe  conformer  aux  intentions  de  M. 
le    duc.    Ce    prmce   confterné   répondît  qu'on   n'avoit 
qu'à   les    entérer  fans  folennité.    Lorfau'on  aloit  leur 
rendre   ce   dernier  devoir  ,  l'évêque   de  Paris    fit  dé- 
fendre  fous   peine  d'excommunication  ,  de   donner  la 
fépulture   à  Robert  de  Clermont ,  qui   étoit  morç  ex- 
communié pour  avoir  tiré  avec  violence  Perrin  Marc 
del'églife  de  S.  Merry.  On  prit  le  parti  de  les  enterrer 
feerétement ,  ainfi  que  Régnant  d'Acy ,  tué  le  même 

V  ij 


15^  Histoire  db  France, 

-"  jour.   Ce  trifte  fervice  fut  rendu  par  deux  pauvres  vâ- 

Anii,  XJ77.   lefs^  qui  pQuj.  leuj.  falaire  emportèrent  le  manteau  d'uû 

des  deux  maréchaux. 
c^tT  ^^"^^*°      Marcel  enhardi  au  crime  par  la  facilité  qu*il  trou- 
prouvcHacon"  ^oît  à  le  Commettre  ,  s'étoit  rendu  à  Thôtel   de  ville , 
duitc  de  Mar- acompagné  des   barbares   exécuteurs   de   fes  volontés. 
Une  foule  de  peuple    rcmpliflbit  la  place  :  il  parut  à 
Tune  des  fenêtres  de  rhôtel.   Là  il  dit  que  tout  ce  qui 
venoit  de  fe  faire  étoit  uniquement  en  vue  du  bien  du 
royaume  ;    que   les  feigneurs   immolés    étoient  faux , 
mauvais  ,    Sf  Jraîtres   &  qu'il   étoit   néceflaire    que  le 
^  peuple  le  foutînt  contre  les  fuites  que  pouvoit  produire 

une  aâion  à  laquele  il  ne  s'étoit  porté  que  pour  le  fa- 
lut  public.  La  place  retentit  aufli-tôt  d'une  aclama- 
tion  générale  ;  tous  Taffurerent  qu'ils  vouloient»  vivre 
&  mourir  avec  lui.  Fier  de  laTaveur  de"  ce  peuple 
înfenfé ,  il  retourne ,  ou  plutôt  il  eft  porté  au  palais  : 
îl  remonte  avec  une  partie  de  fes  gens  à  Tapartement 
où  le  dauphin  ,  acablé  de  douleur  ,  crut  en  le  voyant , 
que  ce  fcéléra-t  venoit  peut-être  dans  ^intention  de 
couronner  fes  forfaits  par  un  paricide.  Il  avoît  encore 
fous  fes  yeux  Tafreux  fpeftacle  des  deux  maréchaux 
fanglants  ,  étendus  fur  la .  table  de  marbre..  Le  prévôt 
des  marchands  înfuhant  à  la  douleur  du  prince  ,  lui  dît 
qu*H  ne  devoît  pas  s^aflîger  de  ce  qui  venoit  d'ariver  ; 

3ue  tout  s'étoit  fait  par  k  volonté  du  peuple  au  nonv 
uguel  il  venoit  lui  demander  une  aprobation  de  ce 
qui  s'étoît  paflë  :  il  te  pria  en  même  -  temps  de  s'unir 
pour  toujours  étroitement  avec  Tes  Pàrîfîens.   Le  dau^ 

{>hin  acorda  tout  :  qu^eût  produit  un  refus  ?  \\  pria 
es  habitants  de  Paris  d'être  de  fes  amis ,  les  affurant 
qu'il  feroit  des  leurs.  Des  îè  foir  même  le  prévôt  lui 
envoya  deux  pièces  de  drap,  l'une  rouge  &  l'autre 
pets,  pour  faire  des  chaperotis  tant  pour  le  prince, 
que  pour  les  oficiers  royaux. 
Etatsà  Paris;  Il  s'étoît  tenu  quelques  jours  auparavant  une  afTem- 
^d€nu  bFée  de  plufieurs  députés  des  villes ,  dans  laquele  it 
avoit  été   arête  qu'on  leveroit  un  fubfide  d'un   dcmi^ 


J      E      A      N         I    I.  1^7 

dixième  fur  les  revenus  écléfîaftiques  ,  &  que  les  villes  ' 

fermées  fourniroienc  un  homme  d'armes  par  fbixante-    ^""'  '^^^' 
cinq  feux  ,  &  les  habitants  de  la  campagne  un  homme 

{)ar  cent  feux.  Ce  fut  pendant  cete  tenue  d'Etats  que  char/nug^o. 
'évêque  de  Laon   obligea    le  duc  de  Normandie  d'é-      Mémoire  de 
trire  au  pape  en  fa  faveur  pour  en  obtenir  le  chapeau  ^^^^^'^^^^^ 
de  cardinal.  Mais  Sa  Sainteté  ne  parut  point  avoir  égard 
k  cete  recommandation  ,  &  il  y  a  toute  aparence  que 
le    prince   empêcha   fous    main    qu'on   n'acordât    cete 
dignité  à  un  prélat  aufli  indigne  de  la  pourpre  Romai- 
ne, que  de  Tépifcopat  qu'il  deshonoroit. 

Quelques  -  uns  des  députés  des  Etats  n*avoient  point 
encore  quité  Paris  dans  le  temps  du  meurtre  des  ma- 
réchaux :  Marcel  les  pria  de  fe  trouver  aux  Auguftins. 
Regnaut  de  Corbie  leur  parla  pour  juftifier  la  conduite 
du  prévôt  des  marchands  :  il  les  prefla  de  ratifier  tout 
ce  qui  avoit  été  fait ,  &  d'engager  les  autres  villes  du 
royaume  à  s'unir  avec  les  Pariiiens.  La  crainte  d'être 
maltraités  ayant  fait  confentir  les  députés  k  tout  ce 
qu'on  exigeoit  d'eux  ,  ils  furent  remerciés  de  cete 
complaifance. 

Cnaque*  jour  produifoit  quelque  nouvele  démarche 
de  la  part  des  fadieux.  Ils  vinrent  trouver  le  dauphin 
dans  la  chambre  du  parlement,  &  lui  demandèrent  par 
la  bouche  de  Marcel  l'aprobation  de  tout  ce  que  les 
Etats  avoient  ordonné  ;  qu'il  les  laifsât  les  maîtres  du 
gouvernement  comme  ils  l'avoient  été  jufou'alors  \ 
qu'il  renvoyât  quelques  perfonnes  de  fon  confeil  ,  aux- 
queles  ils  le  prioient  de  fubftîtuer  trois  ou  quatre 
bourgeois  qu'ils  lui  nommeroient.  Les  circonftances  & 
la  néceffité  ne  laiflbient  aucun  prétexte  k  la  réfiftance  : 
ils  obtinrent  tout  ce  qu'ils  exigeoient. 

Sur    ces  entrefaites*  ariva   le  roi  de  Navarre  ,  fuivi  ^^^^^"^^ 
d'une  troupe  nombreufe  de  gens  armés.  Comptant  fur    ^     ^*^^ 
la  difpofîtîon  des  efprits  &  lur  l'impuiffance  du  dau- 
phin ,  il  venoit  poiir  augmenter  encore  le  trouble  &  la 
confufion.    Le  jour  même  de  fon  arivée  le  prévôt  des 
marchands  Pala  trouver  k  l'hôtel  de  Nèfle  où  il  écoic 


158  Histoire   de   France, 

'  defcendu.  Ils  eurent  enfemble  une  longue  conférence. 
Ann.  i3;7.  Cependant  les  deux  reines  Jeanne  &  Blanche  qui  fe 
portoient  toujours  pour  médiatrices,  quoiqu'elles  pen- 
chaflent  en  fecret  pour  le  Navarrois ,  Tune  étant  fœur, 
&  l'autre  tante  de  ce  prince  ,  ménagèrent  un  acommo- 
dement.  Le  dauphin  ne  contefta  aucun  des  articles 
dreflés  par  le  Cocq  &  Marcel.  Cet  excès  de  condef- 
cendance  ne  fatisfaifoit  pas  encore  les  mécontents  :  ils 
écrivirent  à  la  plupart  des  villes  du  royaume  pour 
juftifier  la  conduite  qu'ils  avoient  tenue,  &  pour.le^ 
porter  à  s'unir  avec  eux  en  arborant  les  chaperons  mi- 
partis.  Ils  eurent  la  mortification  de  ne  recevoir  au- 
cune réponfe ,  à  la  réferve  des  feuies  villes  d'Amiens 
&  de  Laon. 
Défordrcs  des  Cependant  les  défordres  dont  la  capitale  étoit  agitée  , 
compagnies,  commençoient  à  fe  communiquer  au  refte  du  royaume. 
Depuis  la  dernière  trêve  conclue  à  Bordeaux ,  pfuficurs 
troupes  répandues  dans  diverfes  parties  de  la  France, 
n^avoient  pas  difcontinué  les  hoftilités  ,  &  s'étoient 
même  emparées  de  quelques  places.  Le  roi  qui  pour 
lors  étoit  à  Londres ,  fe  plaignit  de  Tinobfervation  du 
traité.  Edouard  voulant  faire  croire  qu'il  n'avoit  au- 
cune part  à  ces  entreprifes  ,  envoya  deux  chevaliers 
chargés  d'ordonner  en  fon  nom  la  reftitution  de  ces 
places  ;  mais  ceux  qui  les  ocupoient  refuferent  de  les 
chroniq.  de  évacuer.  La  plupart  répondirent  a  qu  ils  n'étoient  point 
Saint-Denis.    ,,  ^   j^  folde  du   roi  d'Angleterre  .  &  que    ce  n'étoit 

Cnron.  Mo,  1    •         •  r  «-i  *•    •  r 

du  roi  Je jn.      '^  P^s  pour  lui ,  ni  en  Ion  nom ,  qu  ils  teuoient  ces  for- 
Mémoire  de  jy  tereffes.  Il  y  en  eut  qui  aléguerent  pour   motifs  de 

^'^^Rym.'^aa.  ^^  ^^""  ^^^^^  '  qu'cux  &  Icurs  troupcs  apartenoient 
puM.  t'om.  3*,  ^y  au  roi  de  Navarre.  D'autres  enfin  reconnurent  qu'ils 
par(.  I.  ,^  avoient  fait  cts  ufurpations  de  leur  propre  mouve- 

w  ment ,  mais  qu'ils  étoient  bien  aflurés  de  trouver  des 
^y  gens  qui  les  avoueroient  yy.  Les  chevaliers  Anglois 
furent  congédiés  avec  ces  réponfes ,  &  les  fortcrefles 
demeurèrent  au  pouvoir  de  ceux  qui  s'en  étoient  ren- 
dus maîtres.  Ces  places  étoient  devenues  autant  de 
retraites  de  voleurs   qui  ravageoient   les    environs   & 


Jean      IL  i^^ 

faifoient  des  courfes  continueles ,  pillant  &  rançonnant  ■   ,■ 

toutes  Içs  provinces,  à  la  défenfe  deiqueles  les  troubles    Ann.  13^7. 
intérieurs  du  royaume  ne  permettoient  pas  de  pourvoir. 

Après  la  déroute  de  Poitiers  la  plupart  des  troupes 
qui  compofoient  Tarmée  du  roi  Jean ,  s'étoient  dif- 
perfées.  Acoutumées  k  fubfîfter  de  la  profeflion  des 
arnies ,  de  leur  folde  &  du  pillage  ,  elles  fe  trouvè- 
rent tout  d'un  coup  privées  des  feuls  moyens  qui  pou- 
voient  fournir  à  leur  entretien.  Le  roi  étoit  prifon- 
nier  :  fon  fils  trop  jeune  encore  pour  prendre  les  rênes 
de  TEtat  &  faire  refpeâer  fon  autorité  ;  les  princes 
ou  privés  de  la  liberté  ou  déshonorés  par  une  hon- 
teufe  fuite  ;  la  noblelTe  écrafée  ou  avilie  aux  yeux 
d'un  peuple  devenu  infolent  par  les  malheurs  pu- 
blics ;  des  féditieux  dévorés  d'ambition  ,  mais  trop 
foibles  par  eux-mêmes  &  trop  peu  acrédités  pour 
s'emparer  de  la  puifFance  fuprême  fans  contradiâion  ; 
la  divifioa  de  tous  les  corps  ;  tout  concouroit  à  mul- 
tiplier les  défefpoirs  d'un  gouvernement  foible,  ou 
plutôt  d'une  véritable  anarchie. 

Qui  pouvoit  dans  ces  malheureufes  circonflances 
contenir  une  multitude  féroce  ,  familiarifée  avec  le 
carnage ,  qui  ne  vivoit  que  de  brigandage  &  de  rapi- 
ne ,  incapable  d'ailleurs  de  fubir  d'autre  joug  que  celui 
de  la  dilcipline  militaire  ,  malheureufement  trop  né- 
gligée depuis  quelque  temps  .^  Il  n'eft  donc  pas  éton- 
nant de  les  voir  le  répandre  dans  toutes  les  parties 
du  royaume  ,  pour  fe  procurer  les  avantages  dont  les 
privoit  le  défaut  d'ocupation.  On  a  dû  remarquer  que 
depuis  quelque  temps  nos  rois  ,  outre  les  troupes  natio- 
nales ,  avoient  atiré  à  leur  fervice  quantité  d'étrangers 
qu'ils  foudoyoient.  Ces  fecours  utiles  peut-être  pour  le 
moment,  parce  qu'ils  ménageoient  le  fang  des  fujets, 
entraînoient  cependant  des  conféquences  très  dangereu- 
fes ,  ainfi  qu'on  l'avoit  fouvent  éprouvé. 

Plus  de  deux  fiecles  avant  le  règne  du  roi  Jean, 
on  avoit  vu  de  nombreufes  troupes  formées  de  ces 
hardis  aventuriers ,  ravager  la  France  &   contraindre 


i(?o  Histoire   de   France, 

■  les  monarques  de  lever  des  armées  pour  réprimer 
Ann.  i3;7.  leurs  brigandages.  Les  guerres  prefque  continueles 
lurvenues  depuis  ce  temps,  avoienc  facilité  les  moyens 
de  les  employer  contre  les  ennemis,  &  de  les  conte- 
nir dans  le  devoir.  Dès  que  la  malheureufe  journée  de 
Maupertuis  eut  laiffé  le  royaume  fans  chef^  quelques- 
unes  de  ces  troupes  cherchèrent  à  fupléer  au  défaut 
de  la  paye  ,  en  pillant  les  habitants  des  campagnes. 
On  ne  s^opofa  pas  aux  premiers  ravages  qu'elles  com- 
mirent :  enhardies  par  Timpunité  ,  elles  multipliè- 
rent leurs  défordres  ,  fe  raflemblerent  &  formèrent 
bientôt  des  corps  redoutables.  Réunies  fous  divers 
chefs,  ces  compagnies  conçurent  &  exécutèrent  de  plus 
grandes  entreprifes.  La  confufîon  dans  laquele  TÉtat 
languilToit  favorifoit  encore  leur  audace*  Elles  n*é- 
toient  d  abord  compofées  que  d'aventuriers  &  de  fol- 
dats  de  fortune  :  plufieurs  chevaliers  &  gentilshom- 
mes fe  joignirent  k  elles.  François,  Anglois,  Ecoflbis, 
Bretons  ,  Normands  ,  Flamands  ,  Hennuyers ,  Bra- 
bançons ,  Allemands ,  oubliant  les  diférents  partis  pour 
lefquels  ils  avoienc  combacu  jufau'alors  ,  s'upifibient 
entr'eux  dans  le  deflçin  de  faire  la  guerre  pour  eux- 
mêmes  ,  ôc  de  partager  les  dépouilles  des  provinces  (a). 

(a)  Mais  au  noble  coyaume  avoit  confudon 
D*une  grant  compagaic  ;  &  écoient  foifon 
Gens  de  maint  pays  &  de  mainte  nation , 
L*un  Englois,  l'autre  Efcot  :  C  avoit  m^int  Breton  t 
Hannuyers  &  Normans  y  avoit  à  foifon  : 
Par  li  pays  aloicnt  prendre  leur  manfion  , 
Et  prcnoicnt  par-tout  les  gens  à  rançon  : 
Vingt-cinq  capitaines  trouver  y  pouvoit-on« 
Chevaliers ,  écuyers  y  avoit ,  ce  dit-on  » 
Qui  de  France  exilier  avoient  dévotion , 
Et  il  n'y  dcmeuroît  bucf ,  vache  ne  mouton. 
Ne  pain ,  ne  char ,  ne  vin ,  ne  oye ,  ne  chapon^ 
Tout  piliart,  meurtrier,  traiteur  &  larron 
£toient  en  la  route  .dont  je  fais  mentioxx. 

Déjà 


T      E      A      N         II.  1^1 

Déjà  plufieurs  de  ces  compagnies  avoient  des  chefs  ■ 

de  réputation  k  leur  tête.  Arnaud  de  Cervole  étoit  un    Ann.  1^7. 
des  plus  célèbres ,  on  le  furnommoit  Tarchiprêtre  (a).  ca^iV^^^^^dc^ 
Il  avoit  été  pris  à  la  bataille  de  Poitiers  ,  &  peu  de  compagnies" 
temps  après  ,  ayant  aquité  fa  rançon  par  le  fecours  du  n^^c  à  contri- 
maréchal  d^Andreghen  ,  il  étoit  rentré  en  France.   Ce  SaI^s^^^^^^ 
chevalier  qui  ne  connoiflbit  d'autre  ocupatîon   que  la 
guerre  ,  ramafla  quelques-unes  de  ces  hordes  éparfes , 
en  forma  une  petite  armée  avec  laquele  il  traverfa  le 
Limofin  &  l'Auvergne  ,  s'empara  des  ponts  de  la  Du- 
rance  &  du  Rhône  ,  &  vint  faire  trembler  le  pape  dans 
Avignon.   Il  députa  vers  Innocent  VI  ,  pour  l'afTurer 
qu'il  "ne  feroit  fait  aucun  tort  au  territoire  de  l*églife  ; 
mais  cependant  il  pilloit  la  Provence, 

Le  faint  père  n'etoit  pas  tranquile ,  &  comptoit  peu 
fur  les  promefles  du  chef  d'une  troupe  qui  donnoit  k 
fès    gens  le   nom   de  focieta   dcll^  acquifio.    Envaîn  il     SùcliUiUs 
implora  le  fecours  de  l'empereur  Charles  VI.  Le  roi  ^'^'^  ^^'^^ 
Jean  prifonnîer  en  Angleterre  &  le  dauphin ,  auxquels 
il  s'adrefla  ,   n'étoîent  pas  en  fîtuation  de  l'aflifter.   Le 
pape  fut  donc  obligé  de  mettre  lui-même  une  armée 
fur  pied  :  on  ferma  les  portes  d'Avignon  :  on  éleva 
des  fortifications ,  &  l'on  commença  autour  de  la  ville . 
ces  murs  qui  font  encore  aujourd'hui  une  des  merveilles 
de  l'Europe.  Comme  cete  dépenfe  excédoit  fes  forces  9 
il  fît  contribuer  toute  la  chrétienté.    Ces  fages  préeau- 

T,n  la  grant  compagnie  y  avoic  de  gens  tant 
Qae  ne  vous  le  diroit  créature  vivant  »  &c.    • 
Hifi,  MS.  di  Bertrand  du,  Guefclin ,  glojf.  de  du  Cange  ad  vtrB,  Campagnia. 

(a)  Dans  les  (ledes  antérieurs  le  titre  d*archiprétre  répondoit  à  celui  de 
vicaire  épifcopal  :  dans  la  fuite  il  fut  dooné  aux  prêtres  fubordonnés  aux 
archidiacres  :  leur  diftrid  étoit  pareil  à  ce  qu'eft  aujourd'hui  celui  des  doyens 
ruraux.  Arnaud  de  Cervole  «  né  d*une  famille  noble  de  Gafcogne  ,  quoique 
chevalier  &  fnarié  ,  jeuïflbit  du  revenu  d*un  arckiprêtre  ,  fui  vaut  l'ufage  qui 
fubfiftoit  encore  dans  quelques  provinces.  On  voit  dans  cete  coutume  des  vefti- 
ges  de  ces  donations  faites  aux  gens  de  guerre  par  Charles  Martel  des  revenus 
ecléfiaftiques.  Mémoires  de  littérature  ^  tom,  if  ,  pag,  iV4«  par  M^  le  Baron 
de  Zurlauberu  D.  Giojf,  dt  du  Cange  adyerk,  Archiprcsbytcr. 

Tome  K  X 


Uidem. 


iCi  Histoire    deFrance, 

!  rions ,  les  murailles  &  Jarmée  ne  raflurerent  pas  le  foU- 

Ann.  1357,  verain  pontife.  Il  falut  compofer  avec  TArchiprêtre, 
qui  entra  dans  Avignon  acompagné  des  principaux  ca- 
pitaines de  fes  troupes ,  fut  admis  pluneurs  fois  k  la 
table  de  fa  fainteté  &  des  cardinaux  ,  obtint  pour  le 
falut  de  fon  ame  la  rémiflion  de  tous  fes  péchés  ,  & 
forrit  de  la  ville  fêté  ,  comblé  de  carefles  ,  emportant 
avec  lui  quarante  mille  écus  &  l'abfolution  (a). 
Ravages  des  Diférentes  compagnies  de  ces  brigands  infeuoient  les 
.compagnies,  ^rovinccs  voifiues  de  rîle  de  France  du  côté  de  la 
Normandie  ,  du  pays  Chartrain  ,  de  la  Beauce  &  de 
rOrléanois.  La  gârnifon  d'Epernon  vint  piller  la  ville 
de  Châtres-fous- Montlhéry  ,  aujourd'hui  Arpajon  ,  em- 
menant un  grand  nombre  de  prifonniers.  Il  n'étoît 
plus  poflible  de  forrir  de  Paris  fans  s'expofer  à  tomber 
entre  les  mains  des  gens  de  guerre.  Comme  une  partie 
de  ces  troupes  étoit  favorifée  fecrétement  par  le  roi  de 
Navarre  ,  ou  dépendoit  de  lui  ,  ceux  qui  vouloient 
pourvoir  à  leur  sûreté  ne  voyageoient  pas  fans  obtenir 
des  pafleports  ou  fauf-conduits  de  ce  prince  ,  auxquels 
on  avoit  plus  d'égard  qu'à  ceux' qui  étoient  expédiés  au 
nom  du  duc  de  Normandie, 
Départ  du  roi  C'étoit  fur  -  tout  lorfque  les  traités  les  plus  auten- 
dc  Navarre,  nques  fembloient  devoir  garantir  la^foi  des  promefTes, 
que  le  rqi  de  Navarre  préparoit  les  plus  noires  trahi- 
Ions.  Croyant  avoir  diflipé  eiitiérement  les  juftes  fujeti 
de  défiance  du  dauphin  y  comptant  d'ailleurs  fur  ceux 
qui  Tenvironnoient  ,  il  partit  de  Paris  pour  aler  en 
d'autres  lieux  drefler  de  nou vêles  machines,  &  atendre 
que  fes  partilans  enflent  amené  les  habitants  de  la  ca- 
pitale au  point  de  fouhaiter  de  l'avoir  pour  chef. 

Le  lendemain  de  fon  départ ,  le  duc  de  Normandie, 

•  {a)  Quand  rarchiprctrc  &  fes  gens  curent  rodé  tout  le  pays  ,  le  pape  &  le 
clergé  firent  traité  à  l'archiprétre  ,  &  vint  fous  bonne  condition  en  Avignon 
&  la  plupart  de  fes  gens  ,  &  fut  auflî  révércromcnt  reçu  comme  s'il  eût  été 
fils  au  roi  de  France  ,  &  dina  pluficurs  fois  de  lez  le  pape  &  les  cardinaux  , 
&  lui  furent  pardonnes  tous  fes  péchés  ,  &  au  départir  on  lui  livra  quarante 
mille  écus  pour  délivrer  à  fes  compa;jaons.  frùijjard  ^tom*  i  ^foL  $%  >  vtrfa^ 
coL  a. 


3 


Jean      II.  1^3 

m  depuis  la  prifon  du  roi  n'avoit  porté  que  le  titre  ! 

e  lieutenant  ,  prit  la  qualité  de  régent  du  royaume.    Ann.  1557- 
Charles  étoit  alors  dans  fa  vingt  &  unième  année  :  il     ^c  dauphin 
avoit  rage  requis   par  les    conftitutions    du    royaume  Sc^réecnt.^  "*^ 
pour  prendre  en  main  les  rênes  du  gouvernement.  Juf-     Tréfor  des 
que- là  les  arêts  du  parlement  &  autres  lettres  de  juf-  chanus. 
tice  avoient  été  expédiées  au  nom  du  roi  ,  quoiqu  ab-  parilmin"  ^ 
fent  ;  mais  depuis  on  mit  à  la  tête  de  tous  les  édits  ,    Mèmor  aidt 
arêts  &  déclarations  le  nouveau  titre  du  pidnce  ,    qui  ^^  <^^^^^''^  àes 
étoit  Charles   aîné  fils  du  roi    de    France  ,    régent    du     ReccèuU  des 
royaume  ,  &c.  Les  lettres  ne  furent  plus  fcélées  comme  ordonnances  ', 
auparavant  du  fcel  du  Châtelet  en  Tabfence  du,  grand.  Conférence  des 
mais  uniquement  du  fceau  du  duc  de  Normandie ,  par  ordonnances, 
Jean  de  Dormans  ,  qui  de  chancelier  du  prince  comme   q/^^JI'^^^[ 
duc  de   Normandie  ,   fut  créé  chancelier  du   régent,  nique. 
Quelque  temps  auparavant  Tévêque  de  Térouane  chan- 
celier de  France  s'étoit  retiré. 

Il  ne  paroit  dans  tous'  nos  anciens  hiftoriens  aucuns 
vieftiges  de  la  moindre  opofition  à  la  régence  que  le 
dauphin  s'atribua  pour-lors  :  quoique  le  pouvoir  de  ce 
prince  n'eût  Jamais  été  fi  borné  ,  perfonne  ne  s'avifa 
de  lui  contefter  un  titre  qui  apartient  légitimement  à 
rhéritier  préfomptif  de  la  couronne.  Il  n'y  fut  pas 
niême  autorifé  par  le  roi  fon  père.  Ces  circonftances 
réunies  femblent  démontrer  ce  qui  a  été  avancé  précé- 
demment ,  que  s'il  ne  le  prit  pas  plutôt  ,  fi  même  il 
ne  fit  aucune  démarche  pour  engager  les  ordres  du 
royaume  à  le  lui  déférer ,  il  n'en  avoit  été  empêché  que 
par  fa  minorité. 

Le  régent  ,  quoique  revêtu  d'un  titre  qui  le  rendoit    Confcilicrs 
dépofitaire  de  toute  la  puiffance  fouveraine  ,  ne  jouïf-  **°""^^  *^  ^^ 
foit  pas  pour  cela  d'une  autorité  plus  étendue.    Il  pa- 
roit même  que  plus  fon  pouvoir  devenoit  redoutable , 
Î)lus  ceux  qui  Tenviron noient  s'éforçoient  de  redoubler 
à  dépendance.  Dans  le  même- temps  qu'il  prenoit  la 
Qualité   de  régent  ,  les  faâieux  l'obligèrent  d'admettre 
iahs  fon  confeil  des  échevins  de  Paris  ,  tels  aue  Ro- 
bert de  Corbiè  ,  Charles  Confac  &  Jçan  de  rilie.  Rien 


gcnt. 


1^4  Histoire   de   Frakce, 

'  ne  fe  décidoic  que  fur  les  délibérations  de  ces  confeil- 
Ann.  I3J7.    lers  ,  Confirmées  par  le  prévôt  des  marchands  &  par 
révêque  de  Laon.   Le  régent  avoit  perdu  jufqu'à  la  li- 
berté :  obfédé  par  un  confeil  tyrannique ,  environné  de 
féditieux  ,  tous  fes  pas  étoient  obfervés. 
Exécution        Le  dix-fept  Mars  de  cette  année  on  arèta  au  vilage 
Wmf"ui     de  Saint  -  Cloud  un   gentilhomme  apelé   Philippot  ^e 
vouioit  ai"c-    Repenti  ou  de  Renti  JDeux  jours  après  il  fut  décapité 
ver  le  régent,    aux  hales  &  fon  corps  expofé  au  gibet.   Apliqué  à  la 
c/iron.  MS.  queftion  y  il  avoua  qu'il  avoit  avec  plufieurs  autres  per- 
lonnes ,  qui  ne  furent  pas  nommées ,  formé  le  deliein 
d'enlever  le  régent  à  Saint -Ouen  où  il  étoit  aie  trois 
ou  quatre  jours  auparavant.  Il  n'y  avoit  pas  d'aparence 
que  ce  complot  eût  été  fuggéré  par  le  roi  de  Navarre, 
oui  n'avoit  aucun  intérêt  de  tirer  le  prince  des  mains 
ae  gens  entièrement  dévoués  à  fes  volontés.   Il  y  eut 
plufieurs   perfonnes  ,  dit  la  chroniaue  d'où  ce  fait  eft 
tiré  ,  qui  affurerent  que  le  deflein  des  conjurés  n'étoit 

{)as  de  faire  du  mal  au  prince  ,  mais  au -contraire  de 
e  délivrer  de  la  tyrannie  des  Parifiens. 
Le  régent        Enfin  le  régent  prit  la  réfolutîon  de  fecouer  le  joug 
fort  de  Pans,    f^y^^^  lequel  il  gémiffoit  depuis  fi  long-temps.  Les  con- 
Sai!u^D€nis\  tradidions    perpétueles   qu'il   effuyoit    depuis   plus   de 
fol.  179'      '  dix-huit  mois  ,   Tavoient  formé  dans   Thabituoe  de  fe 
Chron.MS.  contraindre.   Les  obftacles  l'avoient  inftruit  dans  l'art 
de  régner.  De  concert  avec  le  roi  de  Navarre  &  fes 
partilans  ^  il  avoit  indiqué  une  affemblée  de  la  nobleile 
de  Picardie  à  Senlis.  Ce  rendez- vous  lui  fournit  un  pré- 
texte de  fortir   publiquement  de  Paris  ,  fans  que  fon 
départ  pût  alarmer  les  Parifiens.   Le  Navarrois  ne  s'é- 
tant  pas  trouvé  à  l'affemblée  ,  Pecquigny  vint  faire  des 
excules  de  fa  part.    De  Senlis  le  régent  ,  au-lieu  de 
reprendre  le  chemin  de  la  capitale  ,  fe  rendit  à  Com- 
piegne  où  quantité  de  noblefle  vint  le  trouver.  Plufieurs 
députés  des  trois  ordres  de  la  province  de  Champagne 
^    s'aflTemblerent  à  Provins  où  le  régent  les  avoit  mandés  : 
.  le  roi  de  Navarre   qui  devoit  y  venir   ne  parut  pas. 
Les  Parifiens  ^  que  la  fortie  du  prince  commençoit  à 


Jean      II.  ï€^ 

inquiéter  ,  envoyèrent  à  ces  Etats  Arnaud  de  Corbie  > 

échevin  ,  &  Tarcnidiacre  de  Téglife  de  Paris,  pour  con-    ^^n.  i3j8, 
férer  avec  les  députés  de  Champagne. 

Le  régent  repréfenta  aux  Champenois  la  fîtuation  &c  ru^m"  ne 
les  .befoins  de  TEtat ,  leur  remontra  la  néceflité  de  Tu-  tcnuTa* Ptot 
nion  entre  le  prince^  &  les  fujets  pour  fou  tenir  le  'vins. 
royaume  dans  la  conjonâure  dificile  où  il  fe  trouvoit  : 
il  finit  en  leur  difant  que  deux  députés  de  Paris  vou- 
loient  leur  parler  pour  leur  communiquer  les  inten- 
tions des  habitants  de  ccte  ville.  Le  prince  paroiflbit 
encore  conferver  quelque  ménagement  pour  les  rebè- 
les  :  il  vouloit  avant  que  de  fe  déclarer  ouvertement 
s'aflurer  des  moyens  de  les  punir.  Corbie  prononça  un 
difcours  auquel  les  députés  prêtèrent  peu  d'atention  : 
ils  fe  contentèrent  de  demander  la  permiflîon  de  déli- 
bérer entre  eux  fans  vouloir  admettre  les  envoyés  de 
Paris.  Le  régent  acompacné  du  duc  d'Orléans  ,  du 
comte  d'Etampes  &  de  plufieurs  feigneurs  vint  à  la 
féconde  féance  des  Etats  aflemblés  dans  un  jardin  de 
la  ville.  Simon  de  Roufly  comte  de  Brefne  ,  portant 
la  parole ,  aflura  le  prince  de  la  part  de  tous  les  Cham- 

f>enois  ,  qu  ils  étoient  prêts  à  lui  prouver  leur  zèle  & 
eur  fidélité  comme  k  leur  feigneur  ,  &  à  lui  fournir 
les  fecours  néceflaires  ,  le  fupliant  d'indiquer  une  af- 
femblée  k  Vertus  pour  délibérer  fur  la  nature  des  fe- 
cours les  plus  prompts  &  les  plus  éficaces ,  &  lui  dé- 
clarant que  les  députés  de  la  province  étoient  réfolus 
de  ne  plus  fe  trouver  à  Paris. 

Le  comte  de  Brefne  fe  tournant  vers  Arnaud  de 
Corbie  &  l'archidiacre  ,  dit  qu'k  Tégard  des  propofî- 
tions  des  Parifiens  il  navoit  aucune  réponfe  k  leur 
faire  :  s'adreflant  enfuite  au  régent  y  il  lui  demanda  au 
nom  de  fes  compatriotes  ,  s'il  avoit  reconnu  dans  le 
feigneur  de  Connans ,  maréchal  de  Champagne  ,  quel- 
que aâion  lâche  ou  criminele  ,  qui  eût  mérité  la  mort 
que  les  Parifiens  lui  avoient  fait  foufrir ,  ajoutant  qu'il 
ne  parloit  pas  du  maflâcre  de  Robert  de  Clermont, 
maréchal  de  Normandie  ,  ne  doutant  pas  que  la  pro- 


i6S  Histoire  de  France, 

î*""^"*"*?  vince  ne  fe  fît  un  devoir  d'en  cirer  vengeance.  Le  prince 
Ann.  1358.  répondit  que  les  deux  maréchaux  lavoient  toujours  fi- 
dèlement fervi  &  confeillé.  Alors  le  comte  fe  mettant 
à  genoux  devant  le  régent  ,  dit  :  Monfcigncur  ,  nous 
Champenois  qui  cy  Jommcs  vous  mcrcions  de  et  que  vous 
ave:[  dit  y  &  nous  atendons  que  vous  fit[Jie[  bonne  jujlice 
de  ceux  qui  votre  ami  ont  mis  à  mort  i^  fans  caufe. 
Conduite         Dans  cete  ocafion  délicate  où  il  s'agiflbia  de  fe  mé- 

Snc.'^'^"     nager  entre  les  Parifiens  &  les  Champenois  ,  Charles 

aprit  à  faire  ufage  de  cete  prudence  qui  dans  la  fuite 

lui  mérita  la  fupériorité  fur  fes  ennemis  ,  &  lui  aquic 

à  jufte  titre  la  réputation  du  plus  grand  politique  de 

Mlm.delht.  ^^^  fiecle.     Il  étoit  également  dangereux  de  paroître 

kift.de  Charles  favorifcr  Ics  Champenois  ou  les  Parifiens  ,    amfi  que 

lemauvais^par  pobferve  judicieufemeut  le  fçavant  académicien  ,  dont 
les  curieufes  &  profondes  recherches  embraflent  une 
grande  partie  des  troubles  intérieurs  furvenus  dans  le 
royaume  après  la  bataille  de  Poitiers.  Si  le  prince  eût 
indifpofé  les  députés  de  Champagne  ,  il  fe  fût  privé 
des  lecours  néceflaires  pour  Texécution  du  projet  qu  il 
méditoit.  S'il  s'étoit  ouvertement  déclaré  pour  eux  ,  il 
eût  averti  les  rebeles  de  Paris  de  ce  qu'ils  avoient  à 
craindre.  Pour  fe  tirer  d'un  pas  fi  délicat  ,  il  exhorta 
les  Champenois  k  l'union  ,  fans  s'expliquer  fur  celle 
que  les  Parifiens  vouloient  former  avec  eux  :  &  il  ne 
parla  qu'en  termes  généraux  du  meurtre  de  fes  oficiers, 
Cete  conduite  produifit  Téfet  qu'il  avoit  prévu  :  les 
Champenois  n'en  furent  que  plus  animés  contre  les 
Parifiens ,  &  n'en  fervirent  que  mieux  fon  reflentiment 
particulier,  qu'il  eut  la  fagefle  de  diflimuler. 
.  ^  Le  régent  va      Lorfque  les  Etats  fe  furent  féparés  ,  le  régent  partît 

àMcaux,  de  Provins  pour  aler  à  Meaux-  La  ducheffe  de  Nor- 
Ibidcm.  mandie  fon  époufe  étoit  dans  cete  ville  :  il  avoit  apris 
quelques  jours  auparavant  que  les  Parifiens  formoienc 
le  projet  de  s'en  emparer,  rour  les  prévenir  il  envoya 
devant  lui  le  comte  de  Joigny  avec  foixante  hommes 
d'armes  ,  qui  fe  rendirent  maîtres  de  la  forterefle  du 
marché.  I^es  habitants  de  Meaux  en  furent  très-fâchés , 


Jean      II.  1^7 

&  le  maire  de  la  ville  dit  au  comte  de  Joigny  ,  que  s'il  J 

avoit  prévu  fon  deflein  ,  il  s'y  feroit  opofé.  Deux  jours    Ann.  ijjs, 
après  le  régent  étant  arivé  ,  fit  une  févère  réprimande 
à  ce  magiitrat  ,  &  lui  impofa  une  amende  y  qu'il  eut 
cependant  la  bonté  de  lui  remettre. 

Charles  reçut  à  Meaux  des  lettres  fort  infolcntes  de     i-cttrcs  m(of 
la  part  des  Parifiens.  Ces  lettres  contenoient  une  efpece  lieux! '^^*^'''^^* 
de  déclaration  de  guerre.  Les  rebeles  ,    avant  que  de     chron.MS^ 
les  envoyer  ,  avoient  déjà  commencé  les  hoftilités.  Lorf- 
que  le  régent  s'étoit  retiré  de  Paris  ,   tout  ce  qu'il  y 
avoit  de  noblefle  dans  la  ville ,  l'avoit  abandonnée ,  & 
la  plupart  s'étoient  atachés  k  la  fuite  du  prince.    Cete 
délertion  avoit  confterné  un  peuple  inconftant  &  timi- 
de ,  qui  reçoit  les  impreffions  d'une  efpérance  infenfée 
&  d'une  terreur  fubite  avec  la  même  facilité.    Marcel 
eflaya  de  les  raffurer    par    quelque  entreprife  d'éclat. 
Pour  cet  éfet  il  s'empara  du  château  du  Louvre  ,   qui  ils  s'emparent 
pour-Iors  étoit  fitué  nors  de  l'enceinte  de  Paris  :    il  y  du  Louvre. 
avoit  trouvé  un  amas  confidérable  d'armes  &  de  ma- 
chines de  guerre  ,  qu'il  fit  tranfporter  k  l'hôtel  de  ville 
&  diftribuer  enfuite  dans  les  diférents  quartiers  de  la 
ville.  Par  cete  violence  il  fe  flatoit  de  rendre  les  Pari- 
iîens  irréconcialibles  avec  le  régent  ,   &  fe  les  atacher 
inviolablement. 

Les  Etats  de  Vermandoîs  affemblés  k  Compiegne  Etats  du  Vcr- 
atendoient  le  prince  ,  qui  vint  y  préfider-  Ils  acorderent  champagn^^^ 
un  fubfide  k- peu- près  égal  k  celui  qu'ofrirent  les  Etats 
de  Champagne  affemblés  k  Vertus  dans  le  même-temps. 
Ces  fortes  de  fubfides  étoient  de  la  même  nature  que 
ceux  déjà  fpécifiés  dans  les  ordonnances  des  Etats  pré- 
cédents :  ils  confiftoient  dans  le  dixième  des  revenus 
écléfiaftiques  ,  le  vingtième  des  revenus  nobles  &  des 
fiefs  pofïédés  par  les  roturiers ,  l'entretien  d'un  homme 
d'armes  par  foixante  &  dix  feux  dans  les  villes  ,  & 
par  cent  feux  dans  les  campagnes  :  cete  impofition  s'é- 
tendoit  jufqu'aux  gens  de  condition  fervile  ,  qui  étoient 
pbligés  d'entretenir  un  homme  d'armes  par  deux  cents 
feux. 


1^8  Histoire    de   France, 

'^"""""Tt      Cependant  le  temps  aprochoit  que  les   Etats  •  gêné- 

Ann.  ijjg.    raux  du  royaume  dévoient  fe  tenir  à  Paris.  Le  régent 

Le  régent  in-  déjà  sûr  de  la  Champagne,  du  Vermandois  &  de  quel- 

picgnc   les      ^."^^  autres  provinces  ,  changea  le  lieu  de  la  convoca- 

Etats  qui  de-  tion  ,  qu'il   indiqua  dans  la  ville  de  Compiegne.    Ce 

àTris^^"'^^^  changement  fut  reçu   agréablement,    La  conduite   des 

(iid^m,      faftieux  avoit  télement  indigné  la  plupart  des  villes  , 

que  leurs  députés  furent  ravis  de  n'être  pas  obligés  d^ 

le  trouver  à  Paris.  Dès  les  premières  féances  on  fuplia  le 

f)rince  de  chaffer  de  fon  confeil  &  de  fa  préfence  Robert 
e  Cocq  ,  regardé  par  tous  les  gens  bien  intentionnés 
comme  un  traître  ,  &  comme  un  des  principaux  arti- 
fans  des  défordres  qui  àâigeoient  le  royaume.  Ce  pré- 
lat ,   chargé  de  la  haine   &  du  mépris  univerfel  ,  fut 
trop  heureux  d'échaper  au  reflentiment  des  nobles ,  qui 
menacèrent  de  le  maltraiter.   Il  partit  furtivement  ,   & 
prit  avec  précipitation  la  route  de  Paris  ,  où  il  ariva 
efeorté  d^une  troupe  nombreufe  de  gens  d'armes ,  qu'on 
avoit  envoyés  au-devant  de  lui, 
.  Etats  tenus      Charles  jufqu'à  ce  moment  s'étoit  vu  dans  la  nécef- 
Ridc^^^  fité  de  parcourir  les    provinces  pour  foliciter  des   fe-^ 
cours  de  chacune  en  particulier  :  il  eut  enfin  la  fatiC» 
faâion  de  voir  la  plupart  des  villes ,  que  Tefprit  de  ré- 
volte n'a  voit  point  infeélées  ,  réunir  leurs  lufrages  en 
fa  faveur.  Les  Etats-généraux  aflemblés  à  Compiegne  , 
fe  réglèrent  fur  les  fubfides  acordés  par  la  Champagne 
&  le  Vermandois.    Tout  ce  qui  s'étoit  paffé  dans  les 
Etats    tenus  à   Paris    l'année  précédente  ,  y  fut  géné^ 
ralement  condané  ,  ainfi  que  la  conduite  de  la  ville 
de  Paris  ,  &  des  autres  ^ui  avoient  embraffé  le  même 

{)arti.  Ce  qui  dut  être  plus  flateur  pour  le  régent  dans 
a  conduite  de  raflemblée  à  fon  égard  ,  ce  rut  le  ter 
moignage  public  ,  dont  la  reconnoiflance  des  trois  orr 
dres  couronna  la  grandeur  de  fon  courage.  Les  Etats 
le  remercièrent  au  nom  de  la  nation  w  de  ce  que  dans 
>^des  temps  orageux,. de  trouble  &  de  calamité  ,  il 
yy  n'avoit  point  défefpéré  du  falut  de  la  France  a.  Ce 
fut-là  le  premier  hommage  rendu  à  cete  fage  confiance 


J     s      A     N        IL  1^9 

*rec  laquele  ce  prince  fe  montra  digne  de  réparer  les  ■! 

ifnalhcurs  dé  l'Etat.  Ann.  ijyg. 

Les  Parifîens  n'envoyèrent  point  de  députés  k  cete     Entrevue  du 
affembléc.  Quelques  jours  auparavant  ,   le  roi  de  Na-  a^Nawre!^^ 
4^arre  avoir  demandé  une  entrevue  ,  que  le  régent  lui       uidcm! 
avoit  acprdée .:  ces  deux  princes  le  virent  à  Clermonc 
en  Beauvaifis.  Charles  le  mauvais  y  qui  voulut  pénétrer 
les  vues  du  prince ,  lui  parla  d'un  acord  avec  les  Pari- 
-fiens.  Le  dauphin  lui  répondit  qu'il  aimoit  la  ville  de 
Paris  ;  quîl  y  connoiilbit  des  citoyens  fidèles  à  leur 
prince  &  à  leur  patrie  ;  mais  qu'il  n'y  rentreroit  jamais  , 
que   les  auteurs  de  la  révolte  &   des  excès    auxquels 
lès  féditieux  s'étoient  'emportés  y  n'euffent  été    punis. 
Le  Navarrois  ala  porter  cete  réponfe  à  Paris.  IWarcel 
comprit  dès-lors  une  partie  du  danger  qui  le  menaçoit  : 
il  fe  fit  quelques  mouvements  dans  la  capitale  pour 
mettre  Je  roi  de  Navarre  à  la  tête  du  parti  (a)  ;  mais 
comme  cete  difpofition  n'étoic  pas  générale  y  il  fe  retira 
lie  cete  ville ,  après  y  avoir  féjourné  quelques  jours. 

Le  prévôt  des  marchands  reconnut  à  la  conduite  du     f^^^^^  ^* 
régent  qu'il  avoit  mal  jugé  du  génie  de  ce  prince  ;  il  fe  marchands. 
repeatit  de  s'être  engage  fi  avant  ;  mais  il  étoit  alors       Uidem. 
dincile  de  reculer.   Il  eUava  cependant  de  conjurer  l'o- 
rage.  Pour  cet  éfet  le  reàeur  de  Tuniverfité  ,  à  la  tête  i-^îJ^g^/dt 
de  plufieurs  députés  de  ce  corps  y  fe  rendit  à  Compicgne  pûtes  au  ré- 
dans Tefpérançe  de  ménager  quelque  acommodement.  S^^ 
Le  prince  les  reçut  avec  bonté  ,  iSc  leur  répondit,  comme 
il  avoit  déjà  fiiit  au  roi  de  Navarre ,  qu'il  étoit  prêt 
d^acorder  une  amniftie  générale  aux  Parifiens  .  pourvu 
.qu'ils  rentraflent  dans  leur  devoir  ,  &  qu'ils  livraflent 
entre  fes  mains  dix  ou  douze  y  ou  même  cinq  ou  fix 
des  plus  coupables  y  à  la  vie  defquels  il  leur  promettoic 
de  ne  point  atenter  :   il  ajouta  qu  ils  ne  dévoient  rien 
«fpérer  de  lui  ^.s'ils  ne  lui  donnoient  cete  marque  de 
foiimiifion.  Marcel  y  qui  jugeoit  de  toutes  le»  âmes  par 

(<i)  yolooticrs  en  eotTent  fait  aucans  de  ladite  ville  de  Paris  leur  capitaine 
&leùr   fcigneor  ,   comme  hva  0c  mauvais  ^a'ils  ^coicnc  envers  leur  prince. 

Tomjt  V.,  y 


Aniir  Z358. 


Tyo  Histoire   de    France, 

la  férocité  de  la  f  ieiine  ,  ne  crut  jamais  que  le  prince  pût 
être  aflez  généreux  pour  lui  conferver  la  vie  ,  dès  qu*U 
Tauroit  en  fon  pouvoir.   Il  fentoit  bien  d'ailleurs  ^ue 
1  atrocité  de  fes  crimes  étoic  indigne   de  grâce  ,   ainfi 
qu'il  Tavoua  lui-même  au  moine  continuateur  de  Nan- 
gis  :  il  fit  cependant  encore  quelques   tentatives  avec 
auffi  peu  de  luccès.   Ce  fcélérat  ,  dévoré  de  remords, 
n'avoit  plus  devant  les  yeux  que  l'horrible  apareil  des 
plu;^  honteux  fuplices  :  abatu ,  confterné  ,  le  défefpoîr 
ranima  fon  audace  ,  &  lui  rinc  lieu  de  courage.    Il 
voulut  du  moins  reculer  fa  perte  i  qu'il  voy oit  inévita- 
ble. Il  fit  redoubler  les  travaux  des  fortifications  de  la 
ville  ,  comme  s'il  eût  voulu  s'enfevelir  fous  les  ruines 
de  la  capitale.  Il  introduifit  des  troupes  Angloifes  & 
Navarrojfes.dans  Paris  ;  il  envoya  même  lever  des  fol- 
dats  ou  brigands  ,  &  acheter  des  armes  jufqu^en  Pro- 
vence. Il  eft  vraifémblablé  que  Targent  que  le  prévôt 
4e$  marchands  donna  pour  cet.  éfet ,  étoit  defiiné  à  dé* 
tacher  quelques  troupes  de  celles  qui  étoient  alors  aux 
environs  d'Avignon  ,  fous   la    conduite  d'Arnaud  de 
Cervole.     Ces  troupes  ne  parurent  point  :  les  armes 
furent  achetées  &  envoyées  :  mais  le  comte  de  Poitiers 
s'en  empara  ,  &rles  envoya,  au  régent  fon  frère.  L'é- 
vêque  de.  Laon  de  fon  coté  fe  fortifioit  dans  fon  dio** 
cele#  •  .         - 

Ravages  a)m-  Les  Parifiens  ,  viâimes  de  leur  obftination  ,  fe  virent 
^"^*°.^.î^i^^!'  bientôt  réduit?  à  fe  tenir  renfermés  dans  les  nouveles 
fortifications  quHls  élevoient.  Les  compagnies  répan- 
dues dans  les  environs  ,  pmrtoient  le  ravage  jufqu*aii* 
près  de  leurs  murailles  :  les  nobles  qu'ils  avoienc  irités, 
s'étoient  armés  ,  &  ne  les  traicoîent  pas  avec  moins 
de  rigueur.  Foulques  de  Laval ,  à  la  tête  d'une  troupe 
de  firetons  ,  dévafbit  la  Beauce  ,:  tandis  qu'une  autre 
troupe  vint  une  féconde  fois  facagcr  &  brûler  Etampes. 
L'intérieur  de  la  Prance  étoic  devejiù  le  .théâtre  de-  la 
défolation  ;  on  ne  voyoit  que  pillages  ,  mafikcres  & 
incendiés^  Cependant  le  régçeht  ,  lècondéj)ar  la  Lptus 
faine  partie  des  villes  ÎSc  de  la  hoblelle  ,  rafiembloit  des 
forces  capables  de  foumettre  les  rebeles.  /  .  : 


fcs  proYinces. 


Jean      II.  lyi 

Tant  de  maux  ne  paroiiToieiu  pas*  fufceptibles  d*a-  ^'"*'*™''^ 
croiiTemenc ,  lorfqu'un  nouveau  genre  de  calamité  vint    ^n-  ^5». 
y  mettre  le  comble ,  &  fembla  par  fes  excès  fufpendre    ^p^^^^  *^« 
&  faire  oublier  pendant  quelque -temps  la  fureur  des  m7efa°jacqu^ 
deux  partis.  Les  campagnes  livrées  à  toutes  les  horreurs  "e- 
de  k  guerre  ,  n'étaient  plus  qu'un  féjour  afreux  pour  j^/^r^'* 
les  habitants.  Cete  multitude  de.  troupes  répandues  de      ihidem. 
tous  côtés  ,  portoienten  tous  lieux  la  mifere  &  la  faim.     Mcmoire  de 
Les  malheureux  cultivateurs  abandonnoient  leurs  champs  ^'''/^^^^^'^  ^^ 
à  la  merci  des  brigands  qui  les  ocupoient.   Expofés  à  Saint-Dt^s. 
des  infultes  continueles  y   oprimés  indiftinâement  par 
les  faâions  opofées  ,  qui  fembloient  avoir  oublié  qu'el- 
les avoient  à  faire  à  ûcs  hommes  ;  rançonnés  malgré 
leur  extrême  pauvreté  ,  dépouillés  de  tout ,  ils  voyoient 
tous  les  jours  croître  leurs  maux  ^  fans  pouvoir  fe  flater 
d^aucun  adoucifTement,  N'atendant  plus  riea,  leur  défef* 
poir  fc  convertit  en  rage.  La  première  étincele  de  cete 
révolution  ,    qui  devint  fubit^ment  un    embrafement 
géaéral  ,  parut  dans  le  ^^^uvaifis.  Quelques  payfans 
de  cete  contrée  s'étant  rafTembléis  ,  jurèrent  entre  eux 
d'exterminer  les  gentilhommes  ,  difant  que  tous  les  no^ 
hles  honntffoit  le  royaume  de  France  ,  &  que  ce  feroit 
un  grand  bien  qui  tous  les  détruiroit.    Honni  foit  cebd 
par  qui  il  demeurera  qu^ils  ne  foient  tous  détruits  ,  '  s'é* 
cricrent-ils  d'une  commune  voix.    Ils  s'arma ent  auffi* 
tôt  de  bâtons  ferrés,  &  vinrent  aiTaillîr  le  château  d'un 
gentilhomme  du  voifinage.     Après  avoir  enfoncé    les 
portes  ,  ils  entrèrent  comme  des  furieux  :  le  chevalier, 
la  femme  &  leurs  en&nts  ,  furent  mafl&crés  par  ces 
barbares  :  ils  pillèrent  la  maifon ,  qu'ils  livrèrent  aux 
flammes  en  fe  retirant.  Ce  premier  atroupement  n'^toic 
pas   compofé   dé  cent  perlonnes  ;   mails  bientôt  il  ne 
tut  pas  poffible  de  les  compter.  Dans  tous  les  environs 
de  Paris  &  de  Pile  de  France  ;  dans  les  provinces  de 
Picardîp  ,  du  Soiflonnois  ,  du  Beauvaifis  ,  en  un  mot 
dans  prefque  toutes   fes   parties  feptentrionales  de  la 
France  ,  on  ne  vit  plus  que  des  bandes  de  ruflres  af* 
fcmblés  y  qui  tuoieat  même  ceux  des  leurs  qui  refiifoient 

y  ij 


^7^  Histoire   dé   Frakck, 

■  de  fe  joindre  à  eur.  Ce  foulévemcnt  ariva  preFqtte  dan» 

Ann.  ij5^.    le  même  jour  ;  &  ce  qui  dok  parokre  extraordinaire , 
Ch^r^^^^^  '^*  c*éft  qu*il  fut  excité  fans  qu*on  eût  pu  foupçonner  ces 
pUcc}^^]  ^*  hommes  agrefles  de   s'y  être  préparés  par  un  concert 
médité.  La  plupart  n'a  voient  aucune  liaiion  les  uns  avec 
l^s^  autres  ,  uniquement  oeupés  de  leurs  travaux",  & 
n'ayant  jamais  pris  aucune  part  aux  afaires  du  gouver- 
Troîffarè.     nemcnc  Diférentes  troupes  s'étant  réunies  ,  formèrent 
Cominuat.tU  en  peu  de  temps  des  corps  confidérables.  Un  hiftorien 
"i^vn.  MS.  contemporain  affure  ,  que  fi  elles  avoient  été  toutes  af- 
femblées ,  elles  auroient  au-moins  compofé  une  armée 
de  cent  mille  hommes.    Les   plus  formidables  de  ces 
troupes  fe  donnèrent  des  chefs  ,.  entre  autres  un  habi- 
tant du  village  de  Mello  ,  apelé  Guillaume  CailUt.  On 
donna  le  nom  de  Jacques  à  ces  payfans  ramaffés. 
Cruautés  cxcr-      l»^s  excès  auxquels  ils  s'emportèrent ,  furpaflenr  tout 
cécs  par  ks    ce  quc  la  vengeance  la  plus  éfrénée  &  la  oarbarie  la 
Jacques.         pjyg  atroce  peuvent  ima^ner.  On  frémit  ,  &  le  livre 
échape  des  mains  ,  lorlqu  op  Ht  dans  nos   anciennes 
chroniques ,  que  ces  furieux  y  transformés  en  bêtes  fé- 
roces ,  entrèrent  dans  le  château  d'un  chevaKer  y  Fata- 
cberent  à  un  poteau  ,  violèrent  en  fa  préfence  fa  femme 
&  fes  filles  j  embrochèrent  enfuite  ce  feisneur  y  le  firent 
rôtir  9  forcèrent  fes  enfants  &  fon  époule  à  manger  de 
fa  chair ,  &  terminèrent  cete  afreufe  fcene  par  le  maf* 
facre  de  cete  malheureufe  famille  ,  &  par  rembrafe- 
ment  de  la  maifon.   Plus  de  deux  cents  châteaux  ^  ou 
demeures  de   gentilshommes  ,  furent  pillés  &  brûlés. 
Quand  on  leur  demandoit  ,  dit  FroifFard^  le  motif  qui 
les  engageoit  2i  commettre  des  aâions  fi  abominables  ^ 
ils  répondoient  quUs  ne  Jçavoient ,  mais  qu^ib  faifoient 
fli/z/r  qu^ils  y oy oient  faire  les  autres  y  &rpenfoient  qu^ils 
dujjent  en  tele  manière  détruire  tous  les  nobles  Çf  gentils-^ 
homtrus  du  monde, 
ta  noblcfc     ^^^   premiers    moments  de  cete  révolution  ;|^rodui- 
fc  raflemblc.    firent  les  éfets  du  débordement  d^un  fleuve  :  tout  fuyoit> 
ihidim.      devant  les  Jacques.  La  nobleflb  épouvantée,  fc  refugioit 
dans  les  villes  fermées  y  ou  dans  les  châteaux  aflez.  for^ 


I      E      A      K        II.  Ï7J 

tîfîës  pour  braver  leurs  infultes.  Les  duchefles  de  Nor-  ■■'  ■  ■  li» 
mandie  &  d'Orléans  ,  &  plufieurs  dames  de  la  première  am.  ijst. 
diftinâion  y  furent  réduites  à  la  nécef&cé  de  chercher  ua 
afylc  qui  pût  les  mettre  à  couvert  des  outrages  de  ce» 
monflres  ,  que  le  refpeâ  du  fexe  &  du  rang  n'étoient 
pas  capable  d'arêter.  La  noblefîe  revenue  de  la  frayeur 
que  caufa  d'abord  cete  incurfion  fubite ,  fe  raflembla  ; 
les  gentilshommes  demandèrent  du  fecours  aux  provin- 
ces voifines  j  plufieurs  chevaliers  étrangers ,  de  Flandre  y 
du  Brabant  y  du  Hainaut  &  de  Bohême  y  vinrent  fe 
joindre  à  eux:  :  ils  cherchèrent  alors  ces  troupes  épar- 
iès  y  en  exterminèrent  la  plus  grande  partie  féparément , 
&  contraignirent  les -autres  à  fe  réfugier  dans  leurs  de- 
meures. 

Ce  qui  dut  paroitre  furprenant ,  €*eft  qu'on  fijt  rede-^     Défaite  dcf 
vable  de  la  défaite  entière  d'une  des  plus  formidables  ^^^^n^^j/*  ^^ 
compagnies  de  ces  malheureux  ^  au  roi  de  Navarre ,  kuK"hcfs- 
qui  paroifFoit  avoir  intérêt  de  laifîer  fubfifter  une  guerre     Uidcm:, 
uniquement  déclarée  à  la  nobleffe  ,  dont  la  plus  grande, 
partie  étoit  atachée  au  régent.  Il  eft  vf  ai  que  le  Navar-» 
rois ,  en  s'armant  contre  les  payfans ,  vengeoit  Tinjuire 
perfonnele  qu'ils  lui  ayoient  faite  par  le  malTacre  de 
Uuillaume  &  Teftard  de  Pecquigny ,  chevaliers  d*Ar- 
tois ,  frères  ou  parents  de  Jean  de  Pecquigny ,  Tun  de 
ies  plus  zélés  partifans.  Ce  prince  dans  un  fèul  jour  en 
fit  pafibr  trois  mille  an  fil  de  Tépée  y  près  de  Clermont 
en  JSeauvaiiis  y   &  fit  exécuter  Guillaume  Caillet  y  ce 
chef  dont  il  a  déjà  été  fait  mention.  Les  nobles  raflurés 
par  leur  réunion  y  &  les  fecours  qu'ils  avoient  reçus  ^ 
tinrent  alors  la  campagne  ,  mettant  tout  à  feu   &  à 
iang  y  &c  maiTacrant  indiftinâement  tous  les  payfans 
qu'as  reocontroient  y  innocents  ou  coupables.  Ceux  des 
environs  de  la  Loire  fe  retiroient  la  nuit  dans  des  îles ,  dtNangZ 
ou  dans  des  bateaux  qu'ils  arêtoient  au  milieu  du  fleu- 
ve :  c'étoit-lk  qu'ils  fe  renfermoient  avec  leurs  familles 
&  leurs  befliaux  y  pour  fe  dérober  à  la   fureur  des 
croupes  Angloîfes  ,  qui^  malgré  la  trêve  y  parcoururent 
laTouraineyPOrléanois  y  où.  elles  pillèrent  &c  brûlèrent 


SptciL  conttni 


CE 


Ann.  1358. 

Les  vilagcs 
fortifiés. 


ua 


Courage  hé- 
roïque 
payfan. 

Ibidem. 


*  Magnus 
fcrratus. 


174  Histoire    de   Fra 

Mehun  &  Boifgency  ,  fe  répandant  enfuite  clans  le  pays 

Charcrain  t  le  Maine  &  la  Bretagne  ,  jufqu^à  Nantes. 

Les  vilages  étoient  devenus  autant  de  places  d'ar- 
mes, lats  habitants  de  la  campagne  qui  n'avoient  point 
quité  leurs  demeures  ,  &;  qui  ne  s*étoient  point  unis 
avec  les  Jacques  ,  entourèrent  leurs  églifes  de  foffés  , 
garnirent  leurs  tours  de  planches ,  fur  îfcfqueles  ils  pla- 
cèrent des  pierres  &  des  machines  pour  les  lancer ,  & 
conftruifirent  des  échaugucttts  fur  les  clochers  ,  où  les 
fentineles  veilloient  jour  &  nuit.  Dès  qu^on  voyoit  apro- 
cher  l'ennemi  y  les  faâionnaires  donnoient  un  fignal 
avec  la  cloche  ou  un  cornet  :  alors  ceux  qui  étoient 
dans  les  champs  ^  ou  dans  leurs  maifons  y  acouroienc 
fe  renfermer  dans  Téglife.  La  néceflité  de  fe  défendre 
les  avok  inftruits  dans  lart  de  la  guerre. 

En  lifant  les  chroniques  de  ce  temps  on  voit  Quel- 
quefois avec  furprife  la  férocité  ruftique  allée  avec  Thé- 
roïfme.  Environ  deux  cents  payfans  s'étoient  renfermés 
dans  Longucil ,  bourg  fîtué  vis-à-vis  Saint -Corneille 
de  Compiegne  y  déterminés  à  le  défendre  jufqu'à  l'extré- 
mité. Ils  avoient  élu  pour  capitaine  un  d'entre  eux^ 
apelé  Guillaume  Lalouette.  Une  <:ompagnie  Ângloife  ^ 
qui  ocupoit  le  château  de  Creil  ,  croyant  avoir  bon 
marché  d'eux ,  vint  les  ataquer.  Les  Anglois  entrèrent, 
fans  prefque  trouver  d'autre  obftacle  que  le  chef ,  avec 

auelques-uns  des  plus  réfolus.  Dès  le  commencement 
u  combat  y  Guillaume  Lalouette  tombe  percé  de 
coups  :  il  avoit  avec  lui  un  valet  de  ferme  aune  fta-> 
ture  &  d'une  force  de  corps  prodigieufes  ,  apelé  le 
Grand-ferré  *.  Ce  valet,  ému  par  la  vue  de  fon  maître 
expirant  y  s'atendrit  y  verfe  des  larmes ,  &  devient  fubi-^ 
tement  un  autre  homme.  Il  ranime  ceux  de  fes  cama«> 
rades  ,  qu'il  peut  exciter  à  vendre  chèrement  leurs  vies , 
&  à  venger  la  mort  de  leur  capitaine  ;  il  faifit  une 
hache  y  ^  tombe  fur  les  Anglois.  Chaque  coup  qu'il 
porte  ,  met  un  ennemi  hors  de  défenfe  :  il  en.  étend  àix-i 
nuit  fur  la  place  y  met  le  refte  en  fuite  y  les  chaflè  hors 
^]i  bourg  :  fwivi  dç  fes  compagnons  ,  il  les  pourfuit  > 


Jean      II.  1735 

ouvre  leurs  rangs  ,  arache  leur  drapeau ,  après  avoir  .-.^ 

tué  celui  qui  le  porcoit  ,  &  les  diflipe  entièrement.  Ann.  135$. 
Non-content  de  ces  premiers  exploits  ,  il  dit  k  un  des 
fiens  d'aler  jeter  le  drapeau  des  ennemis  dans  le  fofTé  : 
celui-ci  refuie  ,  parce  qu'un  gros  d'Anglois  coupoit  le 
feul  paffage  qui  pouvoit  y  conduire.  Le  Grand-^ferrc 
fe  fait  fuivre  par  l'on  homme  ,  ataque  lui  feul  les  An- 
glois  ,  les  renverfc ,  s'ouvre  le  chemin  ,  &  jeté  le  dra- 
peau dans  le  fofTé  :  il  revient  au  combat ,  qu'il  n'aban- 
donne point  fans  avoir  exterminé  les  ennemis.  Dans 
cete  première  ocafion ,  il  en  tua  quarante  de  fa  propre 
main.  Quelques  jours  après ,  les  Anglois  voulant  avoir 
leur  revanche ,  furent  repoufles  par  le  Grand-ferré  avec 
autant  de  courage  que  la  première  fois.  Dans  ce  fécond 
combat ,  ce  payian  guerrier  s'échaufa  fî  fort,  qu'ayant 
bu  de  leau  froide  ,  il  tomba  malade  dangereuiement*, 
&  fiit  obligé  de  retourner  à  fon  vilagc  ,.apelé  RoChe- 
cour  y  à  peu  de  difiance  de  Longueil. 

Les  Anglois  informés  de  fon  état ,  voulurent   pro- 
fiter de  cete  circonftance  pour  fe  défaire  d'un  ennemi 
fi  redoutable  :  ils  envoyèrent  douze  des  leurs  dans  le 
-defTftin  de   le  furprendre  dans  fon  lit.   La  femme  du 
•malade  les  apercevant,  courut  à   fon   mari  pour  lui 
^prendre  le  danger  qui  le   menacoit.    Loin  a  en  être 
éfrayé ,  cete  ocafion  de  fîgnaler  ^on  courage  lui  rend 
£es  forces  :  il  fe  jeté  hors  de  fon  lit ,  s'arme  de  fa  ha- 
che ,  s'avance  dans  fa  cour.  AufE-tôt  qu'il  aperçoit  les 
aflaillants  :  Voleurs  ,  s'écria- t-il ,  vous  vene^  m^ataquer 
-dans  mon  lit  comme   des   traîtres  :  mais   vous   ne   me 
prendrez  pas  ainji.    A  ces  mots  oubliant  leur  nombre 
&c   fa  tbiblefTe  ,  il  s'apuie  contre  la  muraille   &   les 
provoque  lui  -  même  au  combat  :  cinq  font  immolés , 
le  refte  prend  la  fuite.  Cete  dernière  viâoire  redoubla 
fon    mal  ;  il  fe  remit  au   lit  ,   demanda    les    facrc- 
ments ,  &  mourut  en  chrétien  ,  après  avoir  eombattt 
en  héros.  L'hîfloire  a  célébré  des  ax^ions  de  courage 
moins  dignes  d'être  ra portées. 

Il  fenu>loit   qu'une  fureur   épidémique  s'étoit   em- 


>• 


tj6  Histoire   dk   France^ 

'  parée  de   tous  les   efprits.   Jamais  confufion  fi  épou- 

inn.  ïhs.    vancable  n'avoit  afligc  le  royaume  ,   fans  même   en 

Triftc  fima- excepter  les  ravages  caufés  par  les  Normands.  Tou- 

.tion  de    la  i*      i  ^  *^        j    •        i 

France.  ^^  les/  horreurs  que  peuvent  produire  la  guerre  natio- 

nale,  &  les  difcordes  civiles  ,  fe  trouvoient  rallem- 
blées  :  la  France  ékoit  également  dévaftée  par  les  An- 
glois  y  les  Navarrois  &  les  compagnies.  Les  habi«< 
tants  des  villes  ,  d'un  autre  côté ,  aux  prifes  avec  les 
nobles  &  les  payfans  ^  fe  déchiroient  impitoyable- 
ment y  &  fe  faifoient  plus  de  maux  ^  aue  les  troupes 
étrangères  ne  pouvoient  leur  en  cau^r.  Enfin  ,  ii 
l'on  veut  fe  former  une  jufte  idée  de  Tétat  où  le  peu- 
ple étoit  rédu't^  qu'on  fe  figure  cjue  dans  nos  pro- 
vinces £eptentrionales ,  il  n'y  avoit  prefque  pas  un 
feul  petit  canton  qui  ne  fût  teint  de  fang  ,  &  d^oà 
<  il  ne  s'élevât  la  flamme  de  quelque  incendie. 


parti  les  villes   que  1  eljpi 
pas  corompues  ,    confirmoit  dfans  leur  fidélité  celles 
4}ui  s'étoient  d'abord  déclarées  pour  lui  :  enfin  il  em- 
pJoyoit  tous  les  reflbrts  d'une  fage  politique  pour  réta- 
blir la  fortune  chancelante  de  TËtat*   Les  gentilshom- 
mes ^  ennemis  déclarés  des  bourgeois  de  Paris  ,    Se 
des  autres  habitants  des  villes  rebeles^  acouroient  fe 
ranger  fous  fes  drapeaux.  Quelques-uns  s'étoient  enga- 
gés au  feryice  du  roi  de  Navarre,  féduits  par  la  guerre 
3ue  ce  prince  avoit  faite  aux   payfans  révoltés  ;  mais 
nç  fontînt  pas  long-temps  ce  perfonnace  ;  &  la  plu- 
part de  ceux  qui  l'avoient  fuivi  d'abord  ,  l'abandon- 
oerent  ,  lorfan'iU  eurent  reconnu  fes  defleîns   perni- 
.cieux.   Marcel  cependant ,  &  ceux  de  fa  faâion,  quoi- 
iC}ue   maîtres   abfoJus   dans   Paris,  n'étoient  pas  (ans 
inquiétude.  Ils  ne  pouvoient  ignorer  que  la  plus  faine 
pajjie  des  jiabitants  Je  ceie   capitale  n'entroient  pas 
chr^ni    it  ^^^^  ^^""  vues,  &  qu'ils  n*atendoient  cju'une  conjonc- 
Maini^Dms.^  ^"^^  favorable  pour  faire  éclater  leurs  difpofidons.  Il 
fîrpn.m,  fe  fit  dans  ce  temps  même  une  xentativi^  pour  intro- 
duire 


Jean      II.  177 

duire  des  hommes  d'armes  du  régent  >   laquele  dut 
faire  encore  mieux  comprendre  aux  féditieux ,  que  ce    Ann.  ijj'* 
prince  avoit  plus  d'un  partifan   parmi  le  peuple.   Le 
defTein  de  faire   entrer  ces  gendarmes  ayant  été  dé- 
couvert, on  arêta  le  charpentier  du  roi  &  le  maître     LePont^ut^ 
du  pont  de  Paris  ,  acufés  d'avoir  vouly  favorifer   ce  ^^'^P* 
projet.  Ils  furent  eicécutés  dans  la  place  de  Grève.  Lorf- 
que  le  boureau  aioit  décapiter  le  premier  ,  il  tomba 
tourmenté  par  des  convulfions  :  une  partie  du  peuple 
cria  miracle,  &  dit  que  cete  injufte  exécution  déplai- 
foit  à  Dieu.  Un  avocat  du  Châtelet ,  apelé  Jean  Go- 
dart ,  qui  étoit  aux  fenêtres  de  Thôtél-de-ville  ,  dit  k 
la   multitude  ,  Bonnes  gens  ,  ne  veuilles  vous   émou-- 
voir  Ji  Raoulet  [  c'étoit  le  nom  de  l'exécuteur  ]  eji  ainji 
chu  at  mauvaife  maladie;  car  il  en  eft  entaché ^  6f   en 
chct  Couvent. 

Depuis  quelque  -  temps  le  régfent  faifoit  travailler  ^«J^^PV^^  ^^^ 
aux    fortifications  du  marché  de  Meaux  :  fa  fituation  J^c^J*;  "^^ 
dans  une  île  formée  d'un  côté  par  la  rivière  de  Marne      uutm. 
qui  le  fépare  de  là  ville,  &  de  l'autre  par  un  canal,     ïlf^Z^r 
eft  très  avantageufe.  La  ducheffe  de  Normandie ,  la  J^aui  l^o^ 
princeffe  fa  fille ,  &  Ifabelle  de  France ,  l'une  des  filles 
du  roi  Jean ,  étoient  alors  renfermées  dans  cete  j)lace, 
(bus  la  carde  de  Gafton  comte  de  Foix  ,  de  Cirailly' 
Captai  de  Buch  ,  qui  s'y  étoient  arêtes  en  revenant'    ^,    •  ^ 
de    PrufTe  *  ,   &    de    plufieurs    autres    fei^neurs     &  ^^^^^  houÏL 
chevaliers.   Les  fa£Heux  de  Paris  ,  qui  épioient  l'oca-  wt  en  panU 
fion  de  s'emparer  de  cete  fortereffe ,  faifirent  le  temps  ^^^^^;;^/^^j 
que  le  régent  étoit  parti  de  Meaux  pour  aler  à  Mon-  toUntdanstu^ 
rereau-Fault-Yonne  &  à  Sens.  Etant  fortis  de  Paris  au  fé^gt  dy  aicr 
lîombre  -de  trois  cents   bourgeois  armés  fous  la  con-  ^^^^^  '"^ 
duite   de  Pierre  Gilles  ,  épicier  de  cete  ville ,   ils  fe 
joignirent  en  chemin  à  quelques  compagnies  de  pay- 
fans  y  &  ariverent  à  Meaux ,  dont  le  maire  &  les  ha-^ 
bitants   leur  ouvrirent  les  portes  ,  nualgré  le  ferment 
de  fidélité  qu'ils  avoient  prêté  au  régent. 

Ils  fe  préfenterent  en  bataille  devant  le  marché  ;  mais    Uur  défaite 
ces  bourgeois  &  ces  ruflres ,  fans  ordre  &  f^ns  difci^ 
Tome  V.  Z 


ly^  Histoire   de.  Frakce^ 

===  pline ,  furent  repouffés  &  taillés  en  pièces  k  la  pre- 
Asp,  i3;s«    miere  fbr,tie  que  fit  fur  eux  le  comte  de  Foix  ,  luivi 
feulement  de  vingt -cinq  hommes  d'armes.  Ceux  qui 
purent  fe  dérober  par  la  fuite  forcirent  de  la  ville  avec 
précipitation.  Alors  la  garnifbn  qui  gardoit^  le  marché , 
indignée  de  la  perfidie  des  habitants  de  Meaux,,  fe  jeta 
dans  la  cité  y  y  mit  le  feu  qui  dura  quinze  jours  ,  pafla 
une  partie  des  habitants  au  fil  de  Tépée ,  fe  faifit  du 
maire  de  là  ville  ^  qui  fut  puni  du  dernier  fupUce^  & 
pourfuivit  les  fiiyaras  Jufque  dans  la  campagne.  Il  périt 
ce  jour  -  là  plus  de  fept  mille  hommes.  Ces  troupes 
de  payfans  ^  qui  avoient  accompagné  les  Parifiens  p 
furent  prefque  entièrement  exterminées.    Ce  te  défaite 
donna  le  coup  mortel  à  ta  faâion  de  la  Jacquerie  ^  & 
les  troupes   de  ce   parti   n'ofoient  plus    paroitre.    Le 
jeune  Enguerrand,  fire  de  Coucy ,  avoit  rafTemblé  plu- 
fieurs  gentilshommes ,  à  la  tête  dëfquels  il  les  pour- 
fuivoit  y  &  les  mafiàcroit  fans  pitié  par-tout  où  il  les 
rencontroit. 
Marcel  arc-       L'échec  que  les  Parifiens  venoient   de  recevoir  à 
wrv'I^c.^^^'^^  Tataque  de  Meaux  ,  avoit  confidérablement   refroidi 
Uidèm.      1^^  ardeur.  Marcel  intimidé  par  les  ennemis  qui  le 
Mém.  dt  Litt*  meuaçoient  au  -  dehors  y  jSc  par  La  divifion  intérieure 
de  la  ville ,  dont  il  ne  doutoit  pas  qu'une  partie  ne  le 
déteflât^  &  ne  Ibupirât  en  fecret  après  le  retour  du 
légitime  fouverain^  prit  la  réfolution  d'à  peler  le   roi 
de  Navarre  à  fon  fecours  y  &  de  ranimer  le  zèle  de 
fes   partifans  par  la  pcéfence  d'un  chef  acrédiré  y  qui 
ayant  des  troupes  à  fes  ordres,  y  pût  foutenir  fa  fac- 
tion, chancelante.  Le  Navarrois  fe  rendit  à  Paris  y  ha* 
rangua.  le  peuple  à  foa  orxlinaire^  Lorfqu'il  out  ceffè 
de  parler  y  Téchevia  Confac  dit  q^e  TEtat  mal  âdmi- 
nifiré  avoit  befoin  de  quelqu'uaqui  le  zouveraât  mieux/ 
Ce  que  le  roi  de  Navarre  étoit  le  feuf  qui  par  £el  naif- 
fànce  &   par  fes  qualités  perfonneles  ^  méritât  c^^tre 
choifi  pour  capitaine- général.  Quelques  féditieux,  ré-^ 
pandus  dans  la  place  i  confirmèrent  la  propofition  par 
leur  fufrage  y  mais  le  peuple  témoignoit  fi>n  indigna- 


J      B.     A      K     •  I   L  17^ 

rion  par  un  morne  filence.  Perfonne  cependant  n'ofa   - 
contredire  ,  &  Marcel  décida  qu'on  écriroit  au  nom    Aim.  155^. 
des  Parifiens  à  toutes  les  villes  du  royaume^  afin  de 
les  enga^r  à  confirmer  Péleâion  du  roi  de  Navarre 
pour  capitaine-général  de  l'Etat. 

Si  ,  dans  le  cours  de  ces  troubles ,  le  Navarrois 
conçut  Quelque  deiTein  de  monter  fur  le  trône  y  ainfi 
Que  E^uiieurs  de  fes  démarches  le  font  foupçonner,  il 
dut  bien  connoicre  alors  le  peu  de  fondement  de  fes 
précendons.  La  plupart  des  gentilshommes  ^  qui  s*é* 
coient  atachés.  k  lui  dans  la  faufie  confiance  qu'il  leur 
ayoic  infpirée  de  la  droiture  de  fes  intentions  ^  n'eu- 
rent pas  plutôt  découvert  les  projets  dangereux  de  fon. 
ambition,  qu'ils  Tabandonnerent.  Une  grande  partie 
de  la  noblefle  de  Bourgogne,  qui  l'avoit  fuivi  pendant 
cete  campagne ,  fe  reura  ,  ne  voulant  plus  fervir  fous 
les  ordres  d'un  capitaine  de  bourgeois  rebeles.  Le  parti 
du  régent  fe  fortifioit  par  ces  déferdons ,  &  ce  prince 
prudent  mettoit  à  profit  toutes  les  fkufies  démarches 
de  fes  ennemis. 

La  plupart  des  payfans  foulevés  avoient  été  exter-     Le  r^gene 
minés.    La  noblefle ,  délivrée  de  cet  obftacle ,  s'étoit  JjP~^**^  ^^ 
4*endue  auprès  du  ragent.  Ce  prince  qui ,  pendant  fon       ûùUm. 
féjour  à  Sens ,  avoir  convoqué  tous  les  gentilshommes 
en  état  de  contribuer  à  réduire  les  rebeles ,  &  k  re- 
poufler  les  ennemis ,  fe  voyoit  k^la  tête  d'un  corps  de    joookommes 
plus  de  trois  mille  hommes  d'armes.  Avec  ces  forces  i^\£%lf^ 
il    s'avançoit  vers   Paris  ,«dans   la  réfoludon  de  faire  ixooo^Âom- 
enfin  éprouver  aux  habitants  fédideux  les  juftes  éfets  ma. 
de  fon  reflendment.  Les  troupes  difperfées   dans   les      'W^*»"- 
environs  ,  pillèrent  &  brûlèrent  les  maifons  de  cam- 
pagne des  Parifiens.  Le  roi  de  Navarre ,  nouveau  ca- 
pitaine-général ^  fordt  de  Paris  fuivi  de  fix  mille  hom- 
mes ;  mais  il  ne  fit  rien  qui  juftifiât  le  dtre  qu'on  lui 
avoir  déféré.  Il  ala  d'abord  k  Gonefle  >  &  s'aprocha  de 
la  ville  de  Sq|||^ ,  fur  laqude  plufieurs  nobles  réunis 
firent  une  teAtive  qui  tfe  réuflit  pas.  Cependant  l'ar* 
mée  du  régent  étoit  à  Chelles  ^  abaye  diftance  de  quatre 

Z  ij 


i8o  Histoire  d£  France, 

•  Jieues  de  Paris.  Il  y  eut  là  quelques  conférences  jiouf 

Aao.  i5j8.    un  acommodement.  Le  prince  voyant  qu'il  n'étoit  pas 

pofïïble  de  le  conclure  ,  partit    de  Chelles ,    &  vint 

camper  aux  environs  de  Viqjpcnncs ,  de  Confians  &  de 

Charenton.  Marcel  de  fon  côté  preflbit  plus  que  jamais 

les  travaux  des   fortifications.   Il  avoit  introduit  dans 

la  ville  pkfîeurs  troupes  d'Anglois  &  de  Navarrois, 

moins  pour  la  défenfe  de  la  place,  que  pour  donner 

de  Tautorité  à  fon  parti  ^  qui    commençoit  k  bailTer. 

Spicti.  cont.  JDans  ce  temps-là  même ,  quelques   feigneurs   atachés 

deïiang.        -au  régent,  S'étant  aprochés  jufque  fous  les  murs  de 

-Pafis,  provoquèrent  les  Parinens  au  combat  j. mais  ils 

Je  tinrent  renfermés  fans  ofer  répondre  à  ce  défi ,  di- 

fant   a  que    leur   defiein   n'étoit  pas  de  prendre   \ts 

»  armes  contre  leur  fîeigneur ,  mais   qu'en  cas   d^ata* 

y>  que ,  ils  étoient  déterminés  à  fe  défendre  n. 

Enerevne  da      ijt  régent  cédant  aux  folicitations  de  la  reine  Jeanne , 

dt^NaV^rc'^*  confentit  à  une  entrevue  avec  le  roi  de  Navarre  :  pour 

Chron.  A«.  ^^^  .^^^^  >  ^^  drcfla  un  pavillon  entre  Vincennes   & 

durai  Jean.     Tabayc  Saint- Antoine.  L'armée  du  régent  ,  compofée 

de  douze  mille  hommes ,  étoit  campée  Jiir  les  champs 

en  quatre  batailles.    Les   troupes  du  roi  de  Navarre , 

.^ui  ne  montoient  qu'à  huit  cents  hommes  d'armes ,  ocu* 

E oient  une  montagne  entre  Montreuîl  &  Charonne. 
.es  troupes  des  deux  partis  fe  tinrent  éloignées  du 
lieu  de  la  conférence  Les  deux  princes  convinrent  de 
.tout.  Les  prétentions  du  Navarrois  furent  évaluées  à 
400000  florins  payables  en  ^iférents  temps ,  &  à  dix 
mille  livres  de  rente  en  terre  :  il  s'engageoit  de  fon 
côté  à  s'unir  avec  le  régent,  envers  Gr  contre  tous  ,  ex- 
cepté contnc  le  roi  de  France  ,  &  promettoit  de  porter 
les  Parifiens  à  fe  foumettre ,  &  a  fournir  trois  cent 
mille  écus  pour  une  partie  de  la  rançon  du  roi ,  à 
cdnditioii  que  le  régent  leur  remtttroit^  toutes  peines 
criminelcs'  pour,  le  paffe.  Après  la  condufion  de  ce 
traité,  l'évêque  dé  Lifieux  célébra  Ui^mefTe  dans  le 
pavillon  même ,  en  préfence  des  feignélirs  &  des  deux 
.princes,  qui  jurèrent  l'jexécution de l'acommodemehtyir 


Jean      II.  i8i 

•  

h  corps   dt  Dieu  facTt%  que  Tévéque  tenoit  entre  fes  ' 

mains.  Le  prélat  alors  partagea  Thoftie  qu  il  leur  pré-  ^^*  ''^** 
fenta.  Le  roi  de  Navarre ,  tout  méchant  qu'il  étoit ,  ne 
put  foutenir  cete  épreuve  :  la  préfeiice  redoutable  du 
|uge  des  rois  Tarrèta.  Il  dit  que  n'étant  pas  à  jeun  ^ 
il  ne  pouvoit  communier  ,  &  révêque  fut  obligé  de 
confommer  Thoftie. 

Les  deux  princes  fe  féparerent  :  le  Navarrois  revint 
à  St-Denis  ^^  &  le  régent  retourna  aux  Carieres  ,  foi- 
blejnent  convaincu  de  la  fîncérité  de  fon  ennemi  ^  qui 
ne  tarda  pas  k  manifefter  fes  véritables  fentiments.  En 
éfet  9  deux  jours  après  qu'il  eut  quité  le  régent ,  il  vint 
à  Paris ,  fous  prétexte  de  faire  ratifier  le  traité.  Les  Pa* 
rifiens  9  dit-on  ^  ne  voulurent  pas 'y  accéder.  Le  roi 
de  Navarre  renouvela  {t.s  aliances  avec  eux ,  &  leur 
laifTa  des  troupes  qu'il  avoit  amenées.  Il  y  eut  dans  ce 
même  temps  un  combat  près  de  la  Grange -aux -mer- 
-ciers  ,  entre  des  troupes  de  l'armée  du  régent  &  des 
rebeles ,  qui  furent  repouflés  avec  perte,  Cete  aftion  , 
que  les  rarifiens  avoient  engagée ,  fournit  au  roi  de 
Navarre  un  prétexte  de  fe  difpenfer  de  l'exécution  du 
traité  :  lorfqu'on  vint  le  fommer  de  la  part  du  régent  dé 
fe  rendre  auprès  de  lui  pour  Taider  contrt  tous  y  ainfi 
qu'il  Tavoit  promis ,  il  répondit  que  le  prince ,  en  ata- 

3uant  les  Parifiens  y  avoit  le  premier  enfreint  Tacommo- 
ement ,  &  l'avoit  relevé  de  fon  ferment. 
La  pofîtion  des  troupes  incommodoit  les  habitants  de     paris  bio- 
Paris. On  avoit  conftruit  fur  la  Seine  un  pont  de  ba-  qu^  -  ravtgc 
teau  au-deflbus  de  Corbeil  :  à  la  faveur  de  cete  comuni-  ^^^™j)^^^^ 
cation  ,  les  détachements  de  l'armée  faîfoient  librement  nil^ue.  ' 
des  courfes  le  long  de  la  rivière,  &  empêchoient  que  SpUiLcontin. 
rien  n'entrât  dans  la  ville  de  ce  côté-là.    Marcel,  qui  ^'"*^' 
vouloit  eflayer  de  ranimer  la  confiance    par   quelque 
aâion  d'éclat  y  fortit  de  Paris  k  la  tête  d'environ  douze 
cents  hommes  ;  il  furprit  Corbeil ,  &  détruiflt  le  pont. 
C'étcSt  précifement  le  jour  du  marché ,  auquel  on  avoit   . 
coutïÉpe  de  tranfporter  du  pain  de  Corbeil  à  la  capi- 
tale. Le  prévôt  des  marchands  ,  &  les  Parifiens  qui  l'a- 


i82  Histoire    d£  France, 

.  voient  acompagné  à  cette  e^jpédition  ,  rentrerait  en 

Ami.  iî5g.    triomphe  dans  la  ville.  Voilà  le  feul  exploit  digne  de 

remarque ,  qui  fe  fit  pendant  refpece  de  blocus  que  le 

régent  avoit  formé  à  Torient  de  Paris.    Encore  cete 

aâion  n'efk-elle  raportée  ,que  par  le  continuateur   de 

Nangis  ,  qui  pouroit  bien  avoir  confondu  cete  entre- 

prife  des  rarifiens  fur  Corbeil ,  avec  une  autre  qu'ils 

firent  pour  détruire  un  pont  jeté  fur  la  Seine  près  de 

Charenton  ^  vis-à-vis  la  maifon  des  Carieres  y  ou  le 

régent  étoit  logé  ,  à  Tataque  duquel  ils  furent  repooffés. 

Le  roi  de       Xcs  Parifiens  9  quelques  jours  après,  firent  une  autre 

Navarre  fc     fortic  fous  la  conûuite  du  roi  de  N^avarre.  Ce  prince 

oroutlle  avec       »/  /•/*•  \i  j'  ^   ^ 

les  Parifiens,    S  étant  avaucé  julqu*auprès  des  troupes  du  régent ,  eut 
&  fe  retire.  '    Une  longue  confërence  avec  les  chefs  du  parti  opofé  » 
s^Uii"'^^'  a|>rès   laquele  il  ramena  fes  gens  fans  avoir  combatu. 
de^NLlg^^'"'  Cete  conduite  le  rendit  fufpcâ:  :  les  bourgeois  indignés 
CAroniq.  de  de  cc  qu'il  les  avoit  empêcnés  de  fignaler  leur  courage, 
'  ^^«««       conçurent  du  mépris  pour  lui  :  ils  s  imaginèrent  qu  il 
étoit  d'intelligence  avec  les  nobles ,  qu'ils  regardoient 
comme  leurs  ennemis.  Dès  ce  moment  il  perdit  leur 
confiance  ,  &  ils  le  privèrent  même  du  titre  de  capi- 
taine :  c'eft  la  raifon  que  le  continuateur  de  Nantis 
aporte  de  la  retraite  au  Navarrois.  Ce  prince   irité 
contre  les  Parifiens  ,  fortit  de  la  ville  ,  emmenant  avec 
lui  la  plus  grande  partie  des  troupes  Navarroifes  & 
Angloiles  de  fa  fuite.  Ces  troupes  furent  infultées  par 
le  peuple  ,  qui  tua  plufieurs  Anglois*  Quelques  autres 
hiftoriens  ont  prétendu  que  Charles  le  mauvais  ,  s'a- 
percevant  que  le  parti  des  faâieux  chanceloit  >  ne  fe 
crut  pas  en  sûreté  y  &  fe  retira  ,  laifiknt  encore  dans 


Denis  ,  où  il  demeura  pendant  quelque  temps. 

Noavdcscon-      La  reiile  Jeanne  étoit  alors  aujwrès  du  récent ,  dans 

un^^^ÏÏ'c-  ^^  dcffein  de  renouer  les  négociations.  On  tint  denou* 

ment.  velcs  coufércnces  près  de  Vitry  ,  à  l'extrémité  4^  pont 

Uidem.     conflruit    devant   Carieres.    L'archevêque  de  Tyon , 


Jean      II.  183 

commiiTaire  député  par  fa  fainteté  pour  ménager  un  ■ 

acommodemenc  ^  s'y  rendit  acompagné  de  l'évêque  de   Ann*  1358. 
Paris  ^  &;  de  quelques  bourgeois  de  Paris.  Le  roi  de 
Navarre  y  vint  efcorté  d'hommes  d'armes  &  d'archers  : 
le  régent  n'y  parue  qu'acompagné  d'une  fuite  peu  nom- 
breufe  &  fans  armes.  Ce  fut  dans  l'un  des  bateaux  qui 
compofoient  le  pont ,  que^  la  conférence  fut  tenue.  Les 
principales  conaitions  de  l'acommodement  y  furent  ré- 
glées :  les  Parifiens  dévoient  fuplier  le  régent  de  leur 
pardonner  ;  &  pour  réparation  d!e  leur  conduite  pafTée^ 
ils  fe  remettoient  k  fa  difcrétion  ,  avec  la  claufe  qu'il 
ne  feroit  rien  décidé  fur  cet  article  y  que  par  l'avis  una« 
nime  de  la  reine  Jeanne  >  du  roi  de  Navarre ,  du  duc 
d^Orléans  &  du  comte  d'Etampes.  On  convint  de  fe 
raflembler  à  Lagny  quelques  jours  après  ,  pour  ratifier 
cet  acord.  En  conféquence  y  le  régent  s'engagea  pour 
préliminaire  à  laiiTer  libres  les  panages  ^  tant  par  eau 
que  par  terre  >  du  côté  de  la  ville  y  que  fon  armée  te- 
noit  bloquée.  Il  tint  parole  y  en  filant  publier  dans 
fon  camp  que  la  paix  étoit  faite  entre  lui  &  les  Pari- 
fiens ,  &,  les  troupes  fe  retirèrent.  Mais  tout  efpoir  dé 
pacification  s'évanouit  le  lendemain  de  la  conférence  y 
dont  le  réfultat  paroit  avoir  été  plutôt  un  projet  d'a- 
commodement  y  qu'un  véritable  traité.  Les  Parifiens  y 
loin  de  donner  au  régent  les  marques  de  foumifiîon 

3vJiï  atendoit  d'eux  y  renvoyèrent  avec  des  menaces  & 
es  injures  ceux  qui  vinrent  de  fa  part  fe  préfenter  de- 
^^ant  la  ville.  Cet  obflacle  venoit  uniouement  de  l'obfti- 
nation  des  faâieux ,  &  du  défefpoir  oe  Marcel.    ' 

Ce  fcélérat  fe  voyoic  enfin  à  la  veille  d'expier  fes  for-     Tenears  de 
faits  :  tourmenté  par  fa  crainte  plus  que  par  fes  remords ,  M*fccL 
dévoré  de  foupcons  &  d'inquiétudes  y  il  portoit  en  tous 
lieux  les  foins  lunefles  dont  il  étoit  déchiré.  Il  ne  lui 
refloit  plus  d!àucre  ^fyle  que  dans  l'incertaine  proteâion 
d'^un  homme  encore  plus  méchaflt  que  lui:  fon  Êdutdé*. 
pendoit  du  roi   de   Navarre.  Il  avoit  de  fréquents  en-     (^onîq.  de 
tretiens  avec  ce  prince ,  qui  s'étoit  retiré  à  Saint-Denis:    MéZ^deUt- 
Ik  il  employoit  les  fuplications  ks  plus  bafies  y  reflburces  térature. 


N 


1^4  Histoire    de   France, 

-    ■  des  lâches  &  des  traîtres  :  il  le  conjuroit  de  le  garan- 

Ann.  1358.  tir  ,  ainti  que  fes  complices  ,  des  châtiments  qui  le  me- 
naçoient  :  il  rapeloit  à  ce  prince ,  qu'il  iie  s'étoit  rendu 
coupable  que  pour  foutenir  fcs  intérêts  ,  foiten  lefai- 
fant  for  tir  de  prifon ,  fôit  en  fe  déclarant  en  toute  oca- 
fion  pour  lui  contre  le  duc  de  Normandie  ,  conimé  fi 
Ja  voix  des  bienfaits  eût  été  affez  puifTante  pour  faire 
quelque  impreflion  fur  Tame  de  Charles  le  mauvais: 
Ce  roi  ,  à  qui  les  ferments  ne  coûtoient  rien  ,  rafTutoit 
Froiffard^t.i.  \q  prévôt  &  fcs  adhérents.  »  Certes  j  feigficurs  &  amis , 
^colI!^  »  leur  difoit-il,  il  ne  vous  arivera  jamais  de  mal  j  que 
yy  je  ne  le  partage  avec  vous.  Ëendant  que  vous  avez  le 
ry  gouvernement  de  Paris  ,  je  vous  confeille  de  vous  bien 
yy  pourvoir  d'or  &  d'argent ,  que  vous  puiffiez  trouver 
»  dans  le  befoin.  Vous  pouvez  vous  en  fier  à  moi ,  & 
»  me  l'envoyer  hardiment  à-  Saint-Denis  ,  où  je  le  gar- 
yy  derai  bien  ,  &  j^entretiendrai  fecrétement  des  gens 
5>  d'armes  &  des  compagnons  j  qui  ferviront  k  vous 
yy  défendre  contre  vos  ennemis,  a  Marcel  ,  quôiqu'a- 
vare  ,  crut  qu'en  fatisfaifant  le  Navarrois  ,  il  le  procu- 
reroit  un  protefteur  déclaré.  :  il  ne  manqua  pas  dans  la 
fuite  d'envoyer  deux  fois  par  femaine  a  Saine- Deni^ 
deux  yàm/nier;  chargés  de  norins* 
LcsParificns  Vainement  par  ces  précautions  le  prévôt  des  mar-' 
maltraitent  les  chands  eflayoit  de  conjurer  l'orage.  Sort  crédit  s'afoi- 
^^Uidcm'  ^^*^^^  ^^  P^^  ^^  jour,  &  fes  partifans  commençoienc 
à  fe  décourager.  Un  incident  qui  furvint  dans  le  même 
temps  acheva  de  précipiter  fa  perte  ,  en  le  ^rçant  de  * 
recourir  aux  derniers  expédients  que  le  défefpoir  &  la- 
rage  lui  fuggérerent.  Outre  les  Navarrois  &  les  An- 
glois  que  Charles  le  mauvais  avoit  à  fa  fuite  ,  &c  dont 
la  plus  grande  partie  s'étoit  retirée  avec  ce  prince  à 
Saint-Denis ,  il  y  avoit  encore  quelques  troupes  de  ces 
étrangers  que  les  Parificns  entretenôient  à  leur  folde. 
Le  peuple,  mécontent  du  Navarrois  ,  &  de  tous  ceux 
par  lelquels  il  s^étoit  laiïTé  gouverner  jufqu'alors ,  fou- 
piroit  en  fecret  après  le  retour  de  fon  légitime  fouve- 
cain  :  la    préfence  des  J^nglois  rapeloit  aux  habitants 

de 


J      X      A     N        I  L  18^ 

de  Paris  le  fouvenir  de  leur  roi  prifonnier  k  Londres.  J 

Le  fpeâacle  afligeanc  des  calamités  qui  défoloient  la  Ano.  i^ys. 
France  ,  excitoic  leur  indignation  :  ils  ne  purent  foufrir 
plus  long-temps  ,  que  les  plus  cruels  ennemis  du  royau- 
me femblaflènt  triompher  jufque  dans  le  fein  de  la  ca« 
pitale  :  ils  infulterent  les  Anglois  ,  qui  tentèrent  de  fe 
défendre  ;  mais  la  partie  n'étoit  pas  égale  :  environ 
foixante  Anglois  furent  tués  dans  le  premier  tumulte. 
Marcel  favorifa  Tévadon  de  la  plupart  de  ces  étrangers: 
toutefois  il  fut  obligé  ,  pour  fatisfkire  le  peuple  j  de 
confentir  à  Temprilonnement  de  cent  cinquante  An- 
glois 9  qui  furent  enfermés  dans  le  Louvre.  Le  roi  de 
Navarre  fut  très  ofenfé  de  cete  violence.  Le  prévôt , 
entièrement  dévoué  aux  volontés  de  ce  prince  ^  fe  ren^ 
dit  au  Louvre  y  acompagné  de  plufieurs  hommes  d'ar- 
mes &  archers  y  délivra  les  priionniers  y  malgré  la  ré- 
fifiance  des  Parifiens  y  &  les  fit  fortir  de  Paris  par  la 
porte  Saint-Honoré  :  ceux  c^uî  les  efcortoient ,  avoieac 
leurs  arcs  bandés  y  prêts  k  tirer  fur  le  peuple. 

La  retraite  des  Anglois  auprès  du  roi  de  Navarre  Défaite  Jet 
augmenta  le  nombre  des  brigands /&  multiplia  les  ra-  Panficnspar 
vages.  Ces  troupes  maltraitées  fe  vengèrent  en  com-  J^ioïc^^ 
mettant  des  déA)rdres  horribles  dans  les  environs  de 
Paris  ,  &  venant  défier  les  habitants  jufque  fous  les 
murs  de  la  capitale.  Le  Parifiens  aflemolés  tumultuai-- 
remeut%  demandèrent  qu^on  les  conduisit  contre  elles. 
Le  prévôt  des  marchands  fortit  avec  douze  cents  hom- 
mes ,  qu'il  partagea  en  deux  corps  ,  afin  ,  difoit-il  ,  de 
furprendre  &  d  enveloper  les  Anglois.  Il  fe  réferva  la 
conduite  du  corps  le  moins  nombreux  y  avec  lequel  il 
fe  contenta  de  parcourir  les  endroits  où  il  fçavoit  bien 
qu^il  ne  rencontreroit  pas  les  ennemis ,  avec  lefquels  il 
s'entendoit.  L'autre  corps  cependant  tomba  dans  une 
embufcade  dreffée  près  de  Samt-Cloud  ;  les  Anglois 
en  tuèrent  iiif  cents  ,  &  pourfuivîrçnt  le  rçfte  jufqu'aux 
portes  de  la  ville.  Marcel  revinç  de  fon  expédition  fans 
avQÎr  combatu  ,  &  fut  hué  par  la  populace  ,  lorfqu'il 
rentra.  Le  lendemain  de  cete  aâion  ^  les  parents  &  les 
.  TQmcF.  •         Aa 


Ann.  1358. 

Marcel  veut 
lîvr:r  Paris  au 
roidcNavarrc. 

Citron  MS- 
du  roi  Jean, 

Chfoniq  de 
Saint  Denis. 

h'roijjard^ 
Spicd.  contin, 
de  Nang, 

Ml  m»  de 
littératurt. 


18^  Histoire   DE   France, 

amis  de  ceux  qui  avoienc  été  tués  ,  fortirent  pour  enle- 
ver les  corps  :  les  Anglois  les  ataquerent  une  féconde 
fois  ,  &  en  maiGTacrerent  plus  de  cent  vingt. 

Le  roi  de  Navarre  ,  tranquile  fpeftateur  de  ces  déf- 
aftres  ,  voyoit  avec  une  fatisraâion  fecrete  les  Parifîens 
punis  au  gré  de  Ton  reflentimenc.  Il  efjpéroit  d'ailleurs 
que  les  incommodités  qu'ils  foufroient ,  les  ameneroienc 
à  fe  livrer  eux-mêmes  entièrement  à  fa  difcrétion.  La 
confufion  étoit  poulTée  trop  loin  pour  fubfîfter  encore 
long- temps  dans  cet  état  :  il  faloit  que  cete  crife  vio- 
lente fe  terminât  par  une  révolution  décifive.  Marcel 
n'efpérant  plus  obtenir  du  régent  une  grâce  ,  dont  fes 
crimes  Tavoient  rendu  indigne,  déteflé  de  la  plus  grande 
partie  du  peuple ,  dont  il  avoit  été  l'idole  ,  en  horreur 
à  tous  les  bons  citoyens  ,  n  avoit  plus  rien  à  ménager. 
Le  feul  parti  qu'il  avoit  à  prendre  etoît  ,  ou  de  s*enfe- 
Velir  fous  les  ruines  de  fa  faâion  ,  ou  de  s^abandonner 
fans  réferve  au  roi  de  Navarre  qui  le  méprifoit ,  & 
qui  ne  le  regardoit  que  comme  un  vil  initrument  de 
les  méchancetés.  Il  ala  le  trouver  fecrétement  ,  & 
drefla  de  concert  avec  lui  un  projet  bien  digne  de  la 
noirceur  de  ces  deux  âmes  crueles.  Le  fimple  récit  fait 
frémir.  Le  prévôt  des  marchands  convint  de  livrer,  la 
ville  au  Navarrois.  Ses  troupes  ,  jointes  aux  rebeles , 
dévoient  s'emparer  à^  la  Bajtillc  Saint- Antoine  &  des 
principales  portes  ,  fè  répandre  enfuite  dans  la  ville , 
&  ma  nacrer  tous  les  partifans  du  régent ,  dont  les  mai- 
fons  étoient  déjà  marquées  pour  cete  horrible  exécu- 
tion ,  après  Jaquele  on  auroit  couronné  Charles*le- 
mauvais  roi  de  France.  C'étoit  Févêquç  de  Laon  qui 
étoit  chargé  de  cete  cérémonie.  Le  nouveau  monarque 
eût  cédé  à  Edouard  les  provinces  qui  fe  feroient  trou- 
vées à  fa  bienféance  ,  &  lui  eût  fait  hommage  du  refte 
du  royaume.  On  ajoutoit  que  le  roi  d^Angleterre ,  aullî- 
tôt  que  la  nouvele  de  cete  révolution  lui  fcroit  parve- 
nue ,  de  voit  faire  décapiter  le  roi  Jean.  Villani  eft  le 
feul  qui  fafle  mention  de  ce  dernier  article  de  la  con- 
fpiration  que  le  roi  de  Navarre  &  Marcel  avoicnt  fort 
bien  pu  méditer  ;*mais  il  n*y  a  pas  la  moindre  apa- 


J      K      A      N        I  I.  287 

rence  qu^Edouard  fc  fut  prêté  â  féconder  les  projeta  des   ■  f 

iëditieux  par  la  mort  du  roi  fon  prifonnier.  Ce  mo-  Ana.  xjjs. 
narque  étoit  incapable  d'une  pareille  horreur  y  &  Ton 
ne  peut  fans  témérité  détrir  fa  mémoire  par  une  impu* 
tation  il  odieufe.  Il  eft  bien  vrai  que  dans  ce  temps-lk 
même  les  agents  du  roi  de  Navarre  k  Londres  conclu-- 
rent  entre  ce  prince  &  le  roi  d'Angleterre  un  traité  , 
dont  incefTamment  il  fera  fait  mention  ;  mais  ce  traité 
n'a  d'autre  objet  que  la  continuation  de  la  guerre  :  & 
loin  qu'Edouard  paroiiTe  confentir  à  faire  périr  le  roi 
Jean  &  à  recevoir  l'hommage  de  Charles-le-mauvais 
pour  le  royaume  de  France ,  l'Anglois  .au-contraire  n'y 
parle  que  de  fes  prétentions  à  la  couronnti  Ce  ^u'il  y 
a  de  certain  ,  c'eft  que  le  roi  de  Navarre  amufoit  éga- 
lement le  régent  par  des  négociations  qui  paroifToient 
ne  tendre  qu'à  rétablir  la  paix  ,  &  le  roi  d  Angleterre 
par  l'eljpérance  d^embraifer  fon  parti  &  de  Taider  à  con- 
quérir la  France.  A  la  faveur  de  ces  intrigues  ,  trom- 
pant la  défiance  de  l'un  ^  &  tirant  des  fecours  de  l'au- 
tre ,  il  fe  frayoit  une  route  fecrete  k  la  révolution  qu'il 
projetoit ,  &  qui  étoit  fur  le  point  d'éclater  ,  fi  la  tra- 
nifon  de  Marcel  n'eût  été  prévenue. 

Le  prévôt  des  marchands  ayant  pris  toutes  les  me-    i^ortJcMar- 
fures  qu'il  croyoit  nécefTaires   pour  l'exécution  de  fon  cd ,  réduaion 
projet,  fit  avertir  le  roi  de  Navarre  de  s'aprocher  avec  de  Paris. 
des  troupes  :  il  devoit  lui  ouvrir  les  portes  à  un  fignal      -ï*'^*"»* 
convenu.  Pour  cet  éfet,  pendant  la  nuit  qui  précéda 
le   premier   Août ,  il  vint  à  la  porte  Saint-Antoine , 
Tune  de  celles  qu*il  avoit  promis  de  livrer  :  ayant  ren- 
voyé une  partie  des  bourgeois  commis  k  la  ^arde  de 
cete  porte  &  leur  ayant  fubflitué  des  gens  k  la  dévo^ 
rion  ,  il  prit  les  clefs  des  mains  de  l'oficier  qui  en  étoit 
dépofi taire.  Jufque-là  il   n'avoit  rencontré  aucun  ob- 
Aacle  k  fa  trahifon  :  la  ville  aloit"^  devenir  la  proie'  du 
Navarrois ,  lorfqu*un  fidèle  &  généreux  citoyen ,  fur- 
venant  avec  une  troupe  de  fes  amis ,  arêta  les  fureurs 
de  Marcel,  &  fauva  fa  patrie.    Ce  bourgeois,   digne 
d'être  immortalifé  dans  les  annales  de  la  nation  ,  fe 

Aa  ij 


i88  Histoire   de  FrasTcè, 

'"  noityiioîc   Jean  Maillard  :  il  étoit  capitaine  d*un   des 

Ann.  ij;8.  quartiers  de  Paris.  Ataché  conftamment  k  fon  prince 
légitime,  il  n'atendoit  que  le  moment  de  faire  éclater 
fon  zèle  :  les  intrigues  de  Marcel  n'avoient  pu  être  fi 
fecretes  qu  il  ne  les  eût  pénétrées.  Il  arive  au  moment 
que  ce  perfide  aloit  conlommer  fon  crime,  il  Taborde  : 
Etienne  y  lui  dit -il,  que  faites -vous  ici  à  cete  heure  ? 
Jean  ,  répondit  le  prévôt ,  à  vous  qu^en  monte  [  qu'im- 
porte] de  le  fç avoir  ?  Je  fuis  ici  pour  prendre  garde 
à  la  ville  dont  j^ai  le.  gouvernement.  Pardieu  ,  reprit 
Maillard ,  il  nUn  va  mie  ainfi  j  ains  n^étes  ici  à  cetc 
heure  pour  nul  bien  ,  &  je  vous  montrerai  ,  conti- 
nua-1- il  en-«'adreflant  à  ceux  qui  étoient  auprès  de 
lui  ,  comme  il  tient  les  clefs  de  la  porte  entre  fes  mains 
pour  trahir  la  ville.  Jean  ,  vous  mente:[,  répliqua  le 
prévôt,  mais  vous  ,  Etienne  y  mente:^  ,  s'écria  Maillard 
tranfporté  de  fureur.  En  même-temps  il  levé  fa  bâche 
d^armes  :  Marcel  veut  fuir  ;  il  le  Joint ,  le  frape  k  la 
tête  ;  &  quoiqu'il  fût  armé  de  (on  bafiinet  ,  il  le 
renverfé  k  fes  pieds.  Ses  compagnons  fe  jetent  fur  les 
gens  du  prévôt  ;  ils  en  mafiacrent  une  partie,  &  s'af- 
furent  des  autres.  Maillard  marche  vers  la  porte  Saint- 
Honoré ,  par  laqùele  les  Navarrois  dévoient  aufli  être 
introduits.  En  traverfant  la  ville,  ils  éveillent  le  peu- 
ple ,  Tapelent  k  la  défenfe  de  la  sûreté  commune  :  ils 
racontent  ce  qu'ils  venoient  de  faire;  ils  arivent  k  la 

Î)orte  ,  font  main  -  bafl'e  fur  tous  ceux  qui  veulent 
e  mettre  en  défênfe  ,  arêtent  ceux  qui  ne  réfiftent 
point ,  &  les  conduifent  en  prifon  ,  ainfi  que  la  plu- 
part des  autres  complices  de  Marcel,  qui  furent  laifis 
cete  même  nuit  dans  leurs  lits. 

Le  peuple  excité  par  les  cris  de  Monjoit  Saint-- 
Denis ,  mêlés  avec  les  noms  du  roi  &  du  réeent  s'af- 
ieitible  tumultuairement.  Les  rues  fe  rempliflent  d'une 
foule  dTîabitants  en  armes  :  tous  les  faâieux  qui  fe 
préfentent  font  mâflacrés.  En  vain  les  autres  fe  réfu- 
gient dans  leurs  maifons  :  il  n'ett  plus  pour  eux  d'afylc 
contre  l'emportement  d'une   mulcitude  iritée  :  on  en-- 


J     E      A      N        I  I.  189 

fbhce  Ids  portes ,  on  les  charge  de  fers  j  on  les  traîne  '■ 

en  prîfon.  Un  des  principaux  auteurs  des  troubles  a  Ana,  x^^s, 
feul  le  bonheur  d'échaper  à  la  vengeance  publique. 
Uévêque  de  Laon ,  ce  prélat  coupable  de  tant  d'aten- 
tats  trouve  le  moyen  de  fe  fauver ,  tandis  que  le  corps 
de  fon  complice  Marcel  eft  traîné  dans  les  rues  par 
la  populace ,  oui  croit ,  par  mille  outrages  fur  un  ca- 
davre infenfible^  fe  venger  du  traître  qui  Ta  portée  à 
la  révolte.  Tel  ,  par  un  ordre  de  la  Providence,  eft 
ordinairement  le  fort  des  chefs  de  fédition  ,  que  la 
feveur  populaire  n'élevé  que  pour  les  précipiter  avec 
plus  d  éclat.  On  ne  peut  s'empêcher  de  remarquer 
comme  un  éfet  de  la  juftice  divine ,  qu'après  leur 
mort ,  Marcel  &  quatre  de  fts  plus  criminels  com- 
plices 9  qui  avoient  trempé  dans  le  meurtre  des  deux 
maréchaux ,  furent  portés  couverts  de  fange ,  fanglants 
&  déchirés  ,  k  Sainte  Catherine  du  Val  des  écoliers , 
&  jetés  fur  le  tombeau  de  ces  deux  feigneurs  ,  où  ils 
demeurèrent  expofés,ainfi^que  des  viôimes  expiatrices. 

Dès  que   le  jour  parut ,  Maillard  affembla  le  peu-    -p„nîrion  Jc$ 

{>\c  aux  Haies  :  il  prononça  un  difcours  pathétique  fur  complices  de 
es  malheurs  qui  avoient  afligé  la  ville  depuis  le  com-  ^«^^«j- 
mencement  des  féditions  :  il  déclara  les  motifs  qui  Ta-  J*'*^«. 
voient  excité  à  tuer  le  prévôt  des  marchands ,  quoi-* 
qu'il  fût  fon  comperc.  La  harangue  fut  écoutée  avec 
un  aplaudiilèment  général .:  tous  demandèrent  à  grands 
cris  qu'on  punît  les  perfides  qui  avoient  voulu  trahir 
la  ville  ,  le  roi  &  le  régent.  Enfuite  le  confeil  des  pm-^ 
d^ hommes  [on  donna  vraifemblablement  ce  nom  à  des 
commiflaires  ctoifis  parmi  les  principaux  bourgeois] 
travailla  au  procès  des  partifans  de  Marcel  y  qui  avoient 
été  emprifonnés.  Plulieurs  furent  punis  les  jours  fui- 
vants  de  diférents  fuplices  ;  la  plupart  furent  apliqués 
à  la  queftion  avant  que  de  mourir.  Les  prifons  étoient 
remplies  de  ceux  qu'on  arêtoit  à  tous  moments.  Comme 
une  infinité  de  gens  de  la  plus  vile  populace  profitoienc 
de  ce  premier  tumulte  pour  piller  les  maifons  des  prof» 
crits  >  le  confeil  de  la  ville  nt  publier  une  défenfe  très 


190  Histoire   de  France, 

T— —^"^  févere  d'atenter  à  leurs  biens  ou  aux  perfonnes  de  kurs 
Aûfl.  1358.    femmes  &  de  leurs  enfants. 

La  face  de  hi  ville  écoic  bien  changée.  Le  peuple  ne 
fbupiroic  plus  qu'après  le  retour  du  régent ,  aont  quel- 
ques jaurs  auparavant  on  n*eût  ofé  prononcer  le  nom  , 
fttns  s'expofer  k  perdre  la  vie  :  les  cnaperons  mi-partis 
étoient   évanouis  :  les   principaux    chefs    des    rebeles 
étoient  morts  ou  chargés  de  fers  :  ceux  qui  n^avoienc 
pas  encore  perdu  leur  liberté ,  voy oient  avec  éfroi  leurs 
SpiciLeont.  Complices  traînés  au  fuplice.  Parmi  ces  malheureux,  on 
icNaog.        comptoit  des  citoyens  dont  la  conduite,  jufqu*au  mo- 
ment des  troubles ,  avoit  été  irréprochable ,  mais  que 
l'exemple  de  leurs  parents  ou  de  leurs  amis ,  la  terreur 
qu*infpiroit  Marcel ,  &  les  féduâions  du  roi  de  Na- 
varre avoient  entraînés  dans  le  parti  des  révoltés.  Un 
de  ces  bourgeois ,  généralement  eftimé ,  s'écrioit ,  lorf- 
Uidem.      qu'on  le  conduifit  à  la  mort  :  Malheureux  que  je  fuis  î 
0  roi  de  Navarre  j  plût  au  ciel  que  je  ne  t^eujje  jamais 
vu  ni  entendu  ! 
Le  régent  rc-      On  députa  vers  le  régent,  Simon  Maillard  &  deux 
^^rî^^""*   confeillers  au  parlement,  Jean  Alphons  &  Jean  Paf- 
Saint^Deniu    wurel.  Ces  députés  trouvèrent  le  prince  à  Charenton. 
chron.  MS.  Us  lui  rendirent  compte  de  ce  qui   s^étoit  pafle ,  &  le 
ftiplierent  de  la  part  des  Parifiens  d^achever  de  rendre 
le  calme  à  la  ville  par  fa  préfence.  Charles  écouta  les 
députés  avec  bonté  ;  il  leur  promit  de  les  fuivre  incef- 
famment,  &  les  chargea  d'afTurer  les  Parifiens  de  fon 
afeâion  &  de  fa  clémence.  Peu  de  jours  après  il  vint 
à   Paris  ,  acompagné    du  maréchal  a  Andreghen  ,    & 
du  feigneur   de  Roye  &   d'un  nombreux  cortège  de 
feigneurs  &  de  chevaliers.  Il  fut  reçu  aux  aciamations 
Chrifi.  de    de  tous  les  habitants.   Le  lendemain  de   fon  arivée,  le 
Pifan  ,  MS.    i^égent  partit  du  Louvre  où  il  étoif  logé ,  pour  fe  ren- 
lag^i^lnBo.  dr®  à  rhotel-de-ville.  Les  rues   par  lefqueles  il  padà, 
étoient  bordées  d'une  multitude  de  peuple,  qui  le  com- 
bloit  de  bénédidions  &   de  proteftations  de  fidélité. 
L'infolence  d^un  bourgeois  lui   fournit  une  bêle  oca- 
fion  demanifefter  k  grandeur  de  fon  ame.  Cet  homme  fy 


Jean      II*  191 

préfentant  devant  lui  avec  éfronterie 5  lui  dit:  Pardicu  ,  ■• 

jirc  y  fi  j^^^  fiilf^  <^ru,  vous  ny  fujfici  ja  entre  ;  mais  Ann.  i^^i^ 
au  fort  on  y  fera  peu  pour  vous.  Tous  les  feigneurs 
qui  acompagnoient  le  prioce  furent  indignés  d'une  pa- 
reille audace  :  le  comte  de  Tancarville  fe  mit  en  devoir 
de  punir  ce  téméraire  ;  mais  le  priince  ^  fans  s'émou<- 
voir  ,  arêta  l'emportement  de  c^e  feigneur ,  &  regar- 
dant le  bourgeois  en  fouriant,  fe  contenta  de  lui  ré- 
pondre ,  On  ne  vous  en  croira  pas ,  beauRre.  Il  pour- 
luivit  fa  marche  ,  laiflant  tous  les  fpeoateurs  auffi 
furpris  que  charmés  de  fa  modération. 

Etant  arivé  k  l'hôtel -de- ville  ,   devant  lequel   une 
foule  d'habitants  étoient  raflemblés  ^  il  dédara  publi- 

3uement  tout  le  détail  de  la  conffHranon  qu'on  ycnoit 
e  prévenir.  Il  aprit  au  peuple  que  le  deifein  de 
Marcel  ,  de  Tévêque  de  Laon  &  de  leurs  complices^ 
étoit  de  livrer  la  ville  aux  Anglois  &  aux  Navarroi^, 
de  maffacrer  tous  ceux  que  l'on  fçauroit  être  atachés 
à  leur  fouverain  ,  &  de  couronner  enfuite  Charles-le- 
itiauvais.  On  avoit  découvert  les  particularités  fecretes 
de  la  conjuration  ^  tant  par  l'aveu  des  coupables  apli- 
oués  à  la  torture  ,  que  par  la  détention  de  Thomas 
de  Ladit ,  chancelier  du  roi  de  Navarre ,  qui  avoit  été 
arête  dans  le  moment  qu'il  aloit  fortir  de  Paris ,  dé- 
guifé  en  moine  :  il  fut  exécuté  quelque -temps  après. 
Le  prince  termina  fon  difcours  par  l'aflurance  qu'il 
donna  d'enfevelir  dans  l'oubli  tout  ce  qui  s'étoit  paffé 
pendant  ces  temps  de  troubles ,  &  de  réduire  les  éfets 
de  fa  juftice  à  la  punition  des  auteurs  de  la  revente, 
qui  par  leurs  violences  &  leurs  intrigues  avoiem  gd- 
rompu  la  fidélité  de  leurs  concitoyens. 

Pour  donner  une  preuve  évidente  que  -cete  promefle 
n'avoit  point  d'exception  oui  pût  alarmer  la  cranquilité 
de  ceux  qui  avoient  eu  le  malheur  de  pariâdper  à  la     p^^^^^  ^^ 
fédition  ,  le    prince  acorda   aux   prières   de   Gentien  ckart.reg.ie. 
Triftan  ^  nouveau  prévôt  des  marchands ,  des  échevins  p^g-  ^o. 
&  des  jM^incipaux  bourgeois  de  Paris,  des  lettres  {a) 

(a)  Cet  Ictucs  imprimées  dans  le  quameme  yolome  des  ordoonanccs^  p.  .}4^  » 


I 

t^x  Histoire  de  France, 

■  d'abotition    générale  ,    ne   déclarant  exclus    de    cete 

Aon*  Il 58.    grâce  que  deux  ,  cjui  s'étanc  rendus  coupables  de  haute 
trahilon  ,  étoient  indignes  d'éprouver  la  clémence  du 
fouveraîn.  Toujours  atentif  à  difliper  jufqu*aux   moin- 
dres équivoques ,  Charles  dans   ces  lettres  s'expliqua 
fur  la  nature  du  crime  de  haute  trahifon  :  il  entendoit 
défigner  par  ce  terme  ceux  qui  étoient  ou  auroient  été 
du  confeil  fecret  /ur  le  fait  de  la  grande  trahifon  dudit 
prévôt  &  de  fis  complices ,   c^eji  à  fçavoir  de  vouloir 
atcnter  à   la  vie  du  roi  &  du  prince  régent ,  ou  de  Us 
tenir  en  prifon  perpetucle,  &  défaire  le  roi  de  Navarre 
roi  de  France-  La  plupart  de  ceux  qui  étoient  coupa- 
bles de  ces   forfaits  ,  étoient   arêtes    ou  évadés.     Les 
Parifiens  rafTurés  par  ce  garant  de  la  bonté  du  prince , 
rentrèrent  dans  leur  devoir,  &  lui  vouèrent  un  ata- 
chement  inviolable.  Charles  pouffa  la  générofité  juf- 

3 u*à  remettre  aux  femmes  &  aux  enfants  de  plufieurs 
bs  coupables,  une  partie  de  leurs  biens   confifqués, 
fans  même  en  excepter  la  veuve  de  Marcel,  &  celle 
de  Téchevin  Confac  ,  qui  avoic  été  exécuté.  Cete  der- 
nière époufa  en  fécondes  noces  Pierre    de  Dormans , 
neveu  du  chancelier. 
LcroidcNa-      La  nuit  que  Marcel  devoit  livrer  la  ville,  le  roi  de 
wEdoMrd!"  Navarre    s'étoit    préfenté  à  la  porte    Saint  -  Antoine  : 
Chron.MS.  l'ayant  trouvée  fermée   contre  îbn  atente,  il  craignit 
yuiaai.      que  quelque  nouvel  incident  n'eût  fait  échouer  Tentre- 
prife  :  le  tumulte  qu'il  entendit ,  redoubla  fon  inquié-i 
cude  :  il  envoya  de   fes  gens  à  la  découverte,  &  fue 
bientôt  inftruit  de  ce  qui  s*étoit  pailé.  Il  voulut  répa- 
rer ce  contre-temps   en  ataquant  la  ville  ;  mais  il  fuç 
repouffé  vigoureufement  y  &  revint  à  Saint-Denis  tranf* 
porté  de  colère  contre  les  Parifiens.  Il  leur  fit  éprouver 
les  éfecs  de  fon  refientiment ,  en  ravageant  les  environs 
de  la  capitale.  Quelques  jours  après ,  il  reçut  la  nou- 

raportent  une  paftic  des  faits  furTenus  pendant  les  troubles  de  Paris  :  ic  cet 
faits  ezaé^ment  conformes  à  ce  qui  a  et^  dit  ci-deflus  ,  achèvent  de  donnée 
un  caraâere  de  yiiïii  incoAteftablc  aux  andcos  éciivabs  qui  en  fournifTene 
ks  détails. 

vclo 


T     E      A      N        IL  193 

Vele  du  traité  conclu  entre  fcs  agents  &  le  roi  d'An-  . 

gleterre,  La  date  de  ce  traité  eu  du  premier  Août,  le    ^«o-  nf«- 
jour  même  «^ue  le  complot  de  Marcel   devoit  éclater,    ^f/'^^''*  ^^* 
Cete  convention  portoit  que  le  roi  de  Navarre  aide-  ^]^\[^foij^. 
roit  Edouard  de   tout  Ton  pouvoir  pour  conquérir  la 
France  ;  &  que  dans  le  cas  où  ces  deux  princes  pou- 
roient  y  réuflir^  Charles  auroic  pour  fa  part  les  comtés 
de  CKimpagne  &  de  Brie,  les  comtés  de  Chartres  & 
le  bailliage    d'Amiens  ,   &   que  les  autres    provinces 
âpajrtiendroient  au  roi    d'Angleterre ,  réfervé  de  faire  , 
droit  au  Navarroi«  fur  fes  prétentions    au  duché  de 
Normandie. 

Le  Navarrois  lié  déformais  avec  TAngleterre  dont 
il  fe  promettoit  un  puiffant  fecours»  n'eljpérant  plus 
rien  des  Parifiens  depuis  la  découverte  &  la  punition 
de  fes  complices  ,  ceUa  de  garder  des  mcfures  avec  le 
régent, ^u il  avoit  prétendu  amufer  jufqu'alors  par  des 
négociations  &  des  traités  démentis  ou  violés  prefque 
toujours  au(&-tôt  que  conclus.  £n  fe  retirant  de  Saint*- 
.J^enis.,  qu'il  abandonna  au  pillage  avant  que  de  s'en 
éloigner  ,  il  l'envoya  défier  ouvertement.  Il  marcha  ^T^^^^^  ^^' 
enfuite  vers  Meljun  qui  apartenoit  à  la  reine  Blanche  pag'[i^f'^^' 
fa  fosur  ,  &  dont  cetp  princeSe  lui  ouvrit  les  portes: 
il  s'emparar  de  l'île  &  de  la  partie  de  la  ville  ficuée 
vers  la  Brie  :  les  troupes  du  régent  s'étoient  fortifiées 
dans  l'autre  partie.  Jrhilippe  de  Navarre  de  fon  coté 
rentra  dans  la  Normandie  ,  jeta  de  fortes  earnîfons 
:dans  les  villes  de  Mantes  &  de  Meulan ,  par  le  moyen 
defqueles  il  fe  rendit  maître  du  cours  de  la  Seine ,  & 
£ut  en  état  de  faire  des  courfes  dans  le  pays  Chartrain 
&  jufqu'aux  environs  de  Paris.  Les  troupes  Angloifès 
fp  joignirent  alors  aiix  troupes  Navarroifes  plus  ou- 
vertement qu'elles  n'avoient  tait  jufqu'alors  ;  &  par  ce 
moyen  Edouard,  malgré  la  trêve ,  continuoit  tou- 
jçiurs  les  hoflilités  fous  le  nom  du' roi  de  Navarre.  Le 
politique  Anglois  efpéroit  afoiblif  le  royaume  ,  en 
fomentant  fecrétement  les  divifions  qui  le  déchiroîent , 
parties  fecours  indireâs  &  la  proteâion  tacite  qu'il 
To/ne  F.  Bb 


Add.  1558. 


Défenfe  de 
fonner  les  clo- 
ches quand  les 
TÉprcs  fcroicnt 
£nies. 

Froijfard. 

SpiciL  cont, 
deNang, 


PîUages  & 
brigandages. 
Culture  des 
terres  aban- 
données. 


194  Histoire   de  France, 

acordoit  k  Tun  des  deux  partis.  Il  entretenoic  cepea- 
dant  le  roi  Jean  &  fon  fils  de  refpérance  d'un  acommo- 
dément:  prochain.  Cete  conduite  étoit  éfeâivement  une 
voie  prelque  affurée  de  forcer  la  France  à  fubir  les  con- 
ditions qu'il  voudroit  difter. 

Chaque  jour  ajoutoit  quelques  nouveles  infortunes 
aux  calamités  qui  afiigeoient  la  nation.  Les  villes  les 
mieux  fortifiées  n'étoient  pas  exemptes  de  la  terreur 
générale ,  &  il  faloit  être  perpétuélement  fur  fes  gar- 
des. Ce  fut  vers  ce  temps  qu'on  défendit  de  fonner  les 
cloches  dans  les  églifes  œ  Paris  depuis  les  vêpres 
chantées  jufqu'au  grand  jour  du  lendemain ,  dans  Tapré- 
henfion  de  troubler  par  le  moindre  bruit  Tatention  des 
fentineles  qui  veilloient  pendant  la  nuit  pour  avertir 
de  Ta  proche  des  ennemis.  On  excepta  de  cete  défenfe 
le  couvrefiu  (a)  qu'on  avoit  coutume  de  fonner  tous 
les  .foîrs  à  Notre-Dame.  A  cete  heure  les  chanoines 
après  les  complies  chantoient  tout  de  fuite  les  matines , 
qu'auparavant  ils  ne  difoient  qu'à  minuit.  Peu  de  pla- 
ces échaperent  au  pillage  &  à  l'incendie ,  &  la  plu^ 
part  eflbyerent  ce  malheur  plus  d'une  fois. 

Les  garnifons  cantonnées  dans  les  villes  &  les  for- 
tereffes  formoient  autant  de  troupes  de  fcélérats  qui 
ne  laiiToient  paiTer  aucune  ocafion  d'exercer  les  plus 
afreux  brigandages.  Toute  communication  ,  non-feu- 
lement de  province  à  province ,  mais  même  de  cités  à 
cités  étoit  intérompue.  On  voyoit  les  chemins  couverts 
d'herbes  &    de  ronces  :  les  maifons ,  les   églifes  ,  les 


(a)  Aneienaemcnt  dans  la  plaoart  des  TÎHes  policées  on  zvcniSoit  par  le  (on 
d*une  cloche  les  habitants  de  le  renfermer  chez  eux  &  d'éteindre  leur  feu , 
précaution  que  la  ouancité  de  bois  employée  dans  la  conftru^iion  des  maifon» 
dé  nos  aïeux  rendoit  nécefTaire  :  on  fonnoit  cete  cloche  à  fept  heures  du  foir 
dans  rhiver  ;  c'eft  ce  qu'on  apeloit  Theure  du  couvre -feu.  Il  n*étoit  plus 
permis  alors  d*aler  dans  les  rues  à  moins  au  on  n*eût  une  lumière  ,  afin  de 
mévenir  les  brigandages  qui  auroient  pu  U  commettre  pendant  VohCcxaiié  : 
la  garde  des  plus  grandes  villes  nétoit  pas  alors  exercée  avec  cete  régu- 
larité qui  fait  aujourd'hui  la  s&reté  de  nos  cités  les  plus  tumukuenfes. 
C'eft  à  cete  heure  du  couvre-feu  que  la  première  inftitution  de  VAngtius  fixa 
le  moment  de  la  prière  qu'elle  prefcrit.  Il  en  a  déjà  été  queftion  dans  le  vo* 
lume  précédent,  yid*  Giogl  di  du  Cangeadverè.  Ignitagium  &  Ai^cius. 


Jean      IL  19^ 

monafleres ,  en  un  mot  tous  les  bâtiments  qui  pou-  =5!!ï!!^55 
voient  être  fortifiés,  étoient  ou  remplis  de  troupes  ou*  An».  1358. 
détruits  également  par  les  deux  partis.  Les  Anglois  & 
les  Navarrois  les  renverfoient  pour  fatisfaire  leur  ini- 
mitié :  les  troupes  du  régent  ne  les  épargnoient  pas  ' 
davantage ,  pour  priver  les  ennemis  des  retraites  qu'ils 
auroient  pu  s'y  former.  Les  monafteres  étoient  aban- 
donnés :  on  ne  voyoit  dans  les  villes  que  des  perfonnes 
religieufes  des  deux  fexes  qui  acouroient  de  toutes  parts 
chercher  des  afyles  contre   les  fureurs    de  la  guerre. 
T,cs  habitants  des  campagnes  expofés  à  toutes  fortes  de 
ravafi^es  y  après  avoir  payé  tribut  aux  diférentes  troupes 
qui  les    rançonnoient  y    &  n'en  ayant   pas  été  traités 

{>lus  favorablement  y  furent  contraints  de  renoncer  k 
a  culture  infrudueufe  de  leurs  terres.  Ou  ne  labouroit 
plus  :  les  champs  déferts  &  ftériles  n'étoient  plus  ocupés 
€^ue  par  des  bandes  de  foldats  &  de  briganas.  Le  con-  . 
tmuateur  de  Nangis  y  pour  donner  le  dernier  trait  au 
tableau  de  la  défolation  de  la  France,  ajoute  que»  la 
y>  mifere  devint  fi  grande  ,  qu'elle  s'étendit  jufqu'aux 
n  chefs  du  clergé  qui  jouïiToient  aup^aravant  des  plus 
y>  confidérables  revenus.  On  ne  voyoit  plus  dans  Paris 
y>  &  dans  les  autres  grandes  «villes  qu'abés  &  abefies 
5>  ocupés  à^  chercher  les  moyens  de  fubfifter.  Les  pré- 
y>  lats  &  grands  bénéficiers  ,  qui  autrefois  auroient 
y>  rougi  de  marcher  en  public ,  à  moins  qu'ils  n'euflent 
»  été  acom pagnes  du  faftueux  cortège  d'une  multitude 
y>  d'écuyers  ,  de  domeftiques  &  de  chevaux ,  étoient 
^y  alors  dans  l'humiliante  néceffité  d  aler  à  pied ,  fuivis 
5>  feulement  d'un  moine  ou  d'un  valet ,  &  de  fe  con- 
yy  tenter  d'une  nouriture  frugale  a. 

Ce  fcroit  abufer  de  la  patience  du  leâeur  que  de  le 
fatiguer  par  les  détails  auffi  révoltants  qu'ennuyeux  des 
opérations  d'une  guerre  qui  fe  faifoit  par-tout  dans  le  ' 
même  temps  :  il  aimera  mieux  fans  doute  embrafiër 
les  principales  expéditions  dans  une  narration  rapide , 
qui  fans  lui  laiffer  rien  ignorer  des  faits  eflencicls  ,  fu- 
primeles  moins  importants.  Ces  détails  ne  produireicnt 

Bb  ij 


1^6  HlSTQlfLE     DE     FHAKCE. 

--  qu'une   répétition   monotone    d'aâions   dans  lefqueles^î 

Ann.  1358.    on  voit  toujours  régner  la  même  fureur  :  prifes  &  re- 

prifes  de  petites  places  y  démolitions  de  châteaux  ,  de 

forterefles ,  combats  multipliés  prefque  à  Tinfini ,   où 

Ton  Te  difputoit  la  viâoire  avec  autant  d'acharnement 

Î|ue  fî  la  fortune  de  chaque  parti  en  avoit  dépendu  : 
uccès  cependant  qui  n'aportoit  d'autre  avantage  que  . 
celui  de  rendre  les  vainqueurs  maîtres  de  quelque  petit 
canton  ,  difputé  le  lendemain  par  quelques  troupes 
du  parti  contraire.  Comment  d'ailleurs  feroit-il  poflible 
de  ne  pas  s'égarer  dans  ce  cahos  d'événements  confus , 
&  dont  les  écrivains ,  même  du  temps  où  ils  fe  font 
paffés  ,  n'ont  pu  démêler   Tobfcurité  ?  C'eft  iur-tout 


dans  rhifloire  de  ces  temps  de  défordre  &  de  trouble 
ou'on  peut  avancer  avec  vérité ,  qu'il  eft  plus  aifé  de 
dire  tout»  que  de  ne  dire  que  ce  qu'il  faut. 
Défordrcsclcs      ^^  principal  defTein  du  roi  de  Wavarre  étoit  de  ref- 
compagnies,     férer  &  d'afamer  la  capitale.  Il  s'étoit  emparé  des  pa(^ 
fages    fur    les   rivières  qui  pouvoient  y  conduire  des 
provifîons.  Maître  de  l'Oife  par  Creil^   de  la   Marne 
par  Lagny ,  il  coupoit  la  Seine  au-defTus  &  au-defTous 
de  Paris  par  les  garnifons  de  Melun  y  de  Mantes  6c  de 
Meulan  :  il  tenoic   encore,  les  fortereffes  d' Argenteuil , 
de  Franconville  &  de  Croiffy ,  par  le  moyen  defqueles  ' 
il  refféroit  la  ville  de  ce  côté-là.  Le  régent  raffembloit 
des  troupes  :  il  fe  trouva  obligé  de  prendre  à  fa  folde 
plufieurs  de    ces   compagnies   de  brigands  qui  infef-* 
toient   le  royaume.   L'état  de  fes  finances  ne  lui  per* 
mettant  pas  de  payer  leurs  funefies  fecours  y  ils  com- 
mirent Qts  défordres  afreux  dans  tous  les  endroits  où 
il   les   diftribua  y  quelques-uns  même  de  leurs  chefs 
traitèrent  fecrétement  avec  les  ennemis  y  &  formèrent 
une   confpiratipn  qui  fut  découverte.  La  punition  de 
ces  traîtres  produifit  la  défertion   de  leurs  troupes , 

Î[uî  alerent  (e  joindre  au  Navarrois.  Ce  prince  ,  qui 
e  trouvoit  en  état  de  les  payer  par  le  moyen  des  fom- 
mes  qu'il  avoit  tirées  de  Marcel  ,  voyoit  journélement 
grolBr  le  nombre  de  fes  partifans.  Cete  jonâion  lut 


A      »         II. 


197 


:R>urnit  pendant  quelque  temps  les   moyens  de  pouffer  ™**— '^— S 
les  hoftilités  avec  chaleur.  '   Aim.  i^yir. 

Les  villes  de  Picardie  &  de  Vermandois  ,  fur  les  sîcgc  de 
diemandes  du  régent ,  fournirent  un  corps  de  troupes  ^«»»confcii. 
fous  la  conduite  de  Tévêque  de  Noyon,  &  des  fei-  rf,^!^^^'/'"*'^ 
gneurs  de  Coucy,  de  Ravtnal  on  Ravënel ,  de  Chauny  Froijfiud. 
&  de  Roye.  Ils  formèrent  le  fiegc  du  château  de  c^on.MS^ 
Mauconfeil ,  place  importante  par  fa  fituadon.  Jean 
de  Pecquigny ,  averti  du  danger  où  étoit  ce  fort , 
arive  k  la  tête  de  la  garnifon  de  Creil ,  s'aproche  des 
ailiégeants  à  la  faveur  d'un  brouillard  ,  les  furprend 
dans  leur  camp,  &  les  met  en  fuite.  La  plupart  des 
feigneurs  furent  tués  ou  pris  :  Tévêque  de  Noyon 
étoit  au  nombre  de  ces  derniers.  Les  ennemis  firent 
lin  butin  confidérable  ,  tant  par  le  pillage  du  camp  oh 
ils  trouvèrent  quantité  d'armes  &  de  joyaux  ,  que 
par  les  rançons  de  leurs  prifonniers.  Les  chevaliers 
aquitoient  ces  rançons  en  chevaux  ou  en  argent,  & 
les  boui:geois  en  ttofts ,  en  fers  de  glaives ,  en  haches  , 
en  épées  ,  en  Jacques  ,  en  pourpoints ,  en  hou:^eaux  & 
en  outils.  Les  Navarrois  obligeoient  ceux  que  leur 
fortune  mettoit  hors  d'état  de  payer  leurs  rançons ,  de 
fervir  dans  leurs  troupes  pendant  un  certain  temps. 
On  fe  fortifioit  de  tous  côtés  ,  les  feigneurs  n'étoient 
ocupés  qu*à  garantir  leurs  domaines  ,  tout  le  monde 
devenoit  guerrier.  Un  écléfiaftique  nommé  le  chanoine 
de  Robefart ,  cantonné  dans  le  La«iois ,  s'étoit  rendu 
la  terreur  des  Ânglois  &  des  Navarrois  dont  il  avoic 
exterminé  plufieurs  partis. 

Le  roi  de  Navarre,  qui  entretenoit  des  intelligences    Entreprife fat 
dans  les  villes  qui  tenoîent   le  parti   du   régent ,  fit  Amiens. 
tenter  une  entreprife  fur  Amiens ,  dont  quelques  bour-      iMm. 
geois  avoient  promis  de  le  rendre  maître.   Ces   traî- 
tres introduifîrent  fecrétement  des    hommes    d'armes 
dans   leurs    maifons.    Tout   paroiifant   difpofé  ,  Pec- 

3uigny  vint  de  nuit  à  la  tête  d'un  corps  de  troupes  ; 
furprit  le  fauxbourg  dont  il  s'empara  :  mais  n'ayant 
pas  fuivi  ce  premier  avantage  aflez  promptement  ^  il 


j 


19^  Histoire    de   France, 

-.  donna  le  temps  aux  habitants  de  la  vilk  de  fe  mettre 

Ann.  I.3J8.  en  état  de  renfler.  Cependant  ,  foit  par  un  éfet  du 
hafard ,  ou  de  quelque  avis ,  le  connétable  de  Fiennes 
&  le  comte  de  Saint  -  Paul  ariverent  dans  la  ville  par 
un  autre  côté  :  ils  avoient  des  troupes  avec  eux  ;  les 
Navarrois  furent  repoufl'és  avec  perte  ;  &  vojrant 
qu'ils  ne  pouvoient  emporter  la  ville,  ils  fe  retira-- 
rent  dans  le  fauxbourg  qu'ils  abandonnèrent  après 
Tavoir  pillé  &  brûlé.  Trois  mille  matfons  {a)  furent 
la  proie  des  flammes.  Dès  que  le  jour  parut ,  on  fit 
dans  les  maifons  de  la  ville  la  recherche  des  coupables 
de  coœ  trahifon.  Plufieurs  bourgeois  furent  arêtes , 
dix-fept  furent  exécutés  publiquement:  Tabé  du  Gard, 
&  Fremin  de  Coquerel  maire  de  la  ville ,  étoient  du 
nombre  de  ceux  qui  furent  décapités.  Il  fe  fit  dans 
le  même-temps  un  autre  tentative  fur  la  ville  de  Laon 
que  Pévêque  vouloit  livrer  aux  Navarrois.  La  conju- 
ration fut  découverte  :  le  perfide  prélat  eut  le  bonheur 
d'être  aflez  promptement  averti  pour  s'échaper  de  la 
ville  &  fe  retirer  a  Melun  auprès  du  roi  de  Navarre , 
laiflant  ks  complices  expofés  au  châtiment  qu'il  eût 
partagé  avec  eux ,  s'il  avoit  été  arête. 
Confpira^  On  n'entendoit  parler  que  de  confpirations  :  il  fe 
^^^'  pafibit  peu  de  femaines  qu'on  n'en  découvrît  quelque 

nguvele.  Le  régent  ayant  été  inftruit  qu'il  s'étoit  formé 
un  complot  d'introduire  dans  Paris  des  troupes  du  roi 
de  Navarre ,  fit  arêwr  plufieurs  bourgeois  de  cete  ville. 
Quelques  habitants  fe  rendirent  en  tumulte  à  l'hôtel* 
de-ville  :  Jean  Culdoé  prévôt  des  marchands  réfifla 
aux  demandes  qu'ils  lui  tirent  d'aler  foliciter  auprès  du 
prince  Télargiflement  de    ceux  qu'on  avoit  emprifon- 

(a)  II  parole  furprenant  que  le  fauzbourg  d'Amiens  fôt  alors  compof<f  de 
trois  mille  maifons  ,  les  quacre  faaxbourgs  de  cette  ville  nea  contenant  pas 
aujourd'hui  deux-cents  chacun.  Cependant  toutes  les  chroniquesdu  quatorzième. 
iîecle  font  d'acord  fur  ce  nombre  de  trois  mille  j  &  comme  il  n*efl  pas  écrie 
en  chiffres  s  il  ne  peut  y  avoir  d*erreur.  Le  fçàvant  Académicien  oui  a  fourni 
des  mémoires  fut  la  vie  de  Charles4e-manvais  ,  n'a  pas  fait .  dtii culte  d'a- 
dopter le  même  nombre  de  trois  mille  ,  fondé  probablement  fur  les  mémec 
autorités.  Il  faut  fans  doute  qu'Amiens ,  fur-tout. par  fes  fauzbourgs ,  ait  étî 
^iv:içniiemcD(  unç  ?i|lç  plus  conûdéiable  ^qu'elle  ne  Tçft  de  nos  jours. 


Jean      I  I.  155 

nés.    Le  lendemain  le  régent  acompagné  d  une  nom-  '■ 

breufe  efcorte  ,  vint  à  la  place  de  Grève  :  il  monta  Ann.  x^^a. 
fur  les  degrés  de  la  croix  d'où  il  parla  au  peuple ,  & 
il  les  aflura  que  ceux  qu'il  avoit  fait  arêter  étoient  par- 
tifans  du  roi  de  Navarre ,  &  qu'il  en  avoit  des  preuves 
certaines.  Un  bourgeois  qui  avoit  eu  des  relations  avec 
le  roi  de  Navarre ,  confirma  par  ferment  la  vérité  de  ce 

Î[ue  le  prince  venoit  de  déclarer  :  cete  démarche  apaifa    " 
e  peuple.  Cependant  le  régent  qui  vouloit  gagner  les 
cœurs  par  fa  clémence ,  après  avoir  fait  inftruire  le 
procès  des  coupables ,  leur  pardonna  (a). 

li^^  cardinaux  de  Périgord  &  d'Urgel ,  légats  nom-  Prife  Shmtt^ 
mes  •  par  fa  fainteté  pour  négocier  un  acommodement  "• 
entre  le  roi  de  Navarre  &  le  régent,  après  avoir  em-     ^?"^'?*  , 

I       ^      •         .|  1  -i-  r    *  •  Chroma,  de 

ployé    inutilement  leur  entremile  ,   turent   contraints  Saint-Denis. 
de    reprehdre   la   route  •  d'Avignon.  Ils  n'avoient  pas     MémdeUt* 
été  plus  heureux  dans  un  voyage  qu'ils  ayoieut  fait  à  *  '^^^^^^ 
Londres  pour  traiter  delà  paix  entre  les  dei^x  couronnes. 
Une  troupe  d'Anglois  &  de  Navarrois  compofée   au 
plus  de  mille  hommes ,  s'aprocha  d'Auxerre  ^  que  dé- 
fendoit  une  garnifon  de  deux  mille  hommes.  La  place 
ëtoit  fi  mal  gardée  que  les  ennemis  s'en  emparèrent 
dès  le  premier  éfort.  La  garnifon  &  les  habitants  payè- 
rent chèrement  leur  négligence  :  la  ville  fut  pillée  ,  &     ' 
le  butin  fut  évalué  à  plus  de  cinq   cent  mille  moutons 
d'or  :  Guillaume  de  Châlons ,  fils  ^m  comte  d'Auxerre , 
fut  fait  prifonnier.  Les  Navarrois  ayant  paiTé  huit  jours 
dans  la  ville  ,  menacèrent  les  habitants  de  les  renfer* 
mer  tous  dans  un  quartier  de  la  place  &  de  brûler  le 
refte  s'ils  ne  vouloient  confentir  a  racheter  leurs  per- 
sonnes &  leur  ville.  Il  falut  fubir  la  loi  des  vainqueurs  : 
on  demeura  d'acord  de  donner  quarante  mille  moutons 
d'or    &   quarante  perles    eflimées  dix  mille  gloutons 

(a)  Villanî  qui  raporte  cete  ccajuration  dans  laquelle  il  envelope  les  comtes 
<I*Etainpes  &  de  Koufly  ,  [  on  a  va  ci  deiTus^dcs  témoignages  bien  fenfibles 
éc  la  iidéHté  de  ce  dernier  i  Toccafion  de  la  tenae  des  Etats  de  Champa^ 
gne  ]  ,  dit  que  le  régent  fit  exécuter  les  bourgeois  &  pardonna  aux  comtes } 
mais  fon  témoignage  ne  peut  balancer  celui  de  tous  les  écrivains  de  la  ns^ 
tion  »  qui  difent  formélement  le  contraire. 


açx>  Histoire  de  France; 

-.  "  d'or.   Les  habitants  dépouillés  entièrement ,  nVtoient 

^n.  z};3.   pas  en  état  de  fournir  cete  fomme  :  ils  mirent  en  gage 
entrç  les  mains  des  ennemis  pour  sûreté  du  paiement , 
les  joyaux  de  Téglife  de  S.  Germain ,  qui  ièule  avoit 
*  été  exceptée  de  la  fpoliation  générale.  Les    habitants 

s'obligèrent  de  payer  à  cete  égUfe  une  rente  annuele  de 
trois  mille  florins;^  en  cas  qu'il  ne  leur  fût  pas  poffîble 
de  retirer  ces  gages.  Cependant  les  Anglois  continuè- 
rent de  demeurer  dans  la  ville  &  d'y  vivre  à  difcré* 
pon  :  ils  abatirent  les  portes  &  les  fortifications  ^  & 
comblèrent  les  foifés  y  tandis  que  des  bourgeois  déb- 
outés dç  la  part  de$  malheureux  habitants  étoient  aies 
a  Paris  pour  fotiçiter  auprès  du  régent  la  confirma* 
tion  du  traité  auquel  la  néceflité  les  avoit  contraints  de 
fe  foumettre,  &  pour  obtenir  quelque  fecours  d^ar* 
gent.  Ils  furent  volés  à  leur  retour. 

La  plupart  des  capitaines  Anzlois  ou  Navarrois  s'é«- 
Coient  formé  des  établifTements  oans  des  villes  ou  forte^ 
refTes  d'où  ils  exerçoient  impunément  les  plus  afreux  bri« 
«gandages  :  ils  pilfoient  ou  brûloient  tous  les  cantons 
qui  fe  trouvoient  à  portée  de  leurs  courfes ,  &  Ton 
étoit  quelquefois  furpris  de  fe  trouver  ataqué  à  Tim* 
provifte  par  une  troupe  de  brigands  dont  la  réfidence 
çtoit  éloignée  do  plus  de  trente  lieues.  L'unique  précau-p 
jtion  pour  fe  mettre  à  l'abri  de  leurs  violences  étoic 
d'acheter  de  ces  capitaines  des  fauf- conduits  ou  des 
{exemptions  de  pillage  &  de  rançons  y  &  ce  remède 
devenoit  aufli  incommode  que  le  mal  même  ,  puifque 
pour  jouir  de  quelque  sûreté,  il  auroît  falu  paver  en 
même  -  temps  tribut  à  tous  les  diférents  cheé.  Les 
troupes  mên^e  ataçhées  au  parti  du  régent  n'étoient  guè« 
res  plys  fcrupuleufes ,  ou  féduites  par  l'exemple ,  ou 
forcées  par  la  néceffité  ;  car  les  finances  du  prince  ne 
pouvoient  fufire  à  conœnter  l'avidité  de  plufîeurs  de 
ces  compagnies  mercenaires  que  la  néceflité  Tavoit 
foricé  de  prendre  à  fa  folde.  Enfin  c'étoit  par-rtout  le 
même  tableau  de  défordre  &  de  dévaluation  ,  mais 
yarié   &    multiplié  à  Tin^pi.    Ces  bpgands  vçndoienc 

'  leurs 


Jean      I  I.     ^  201 

leurs  fervices  indiftinâement  aux  divers  partis ,  tou-  ■ 
jours  difpofés  à  paffer  de  Tun  k  l'autre  à  la  moindre  a«^»-  mî^-  ' 
ouverture  d'obtenir  le  prix  de  leur  perfidie.  Le  régent 
ëntretenoit  plufieurs  corps  de  foldats  ultramontains  qui 
formèrent  le  complot  de  livrer  aux  ennemis  les  forte- 
refles  qu'ils  avoient  en  garde.  Sur  la  dépofition  de 
leurs  chefs  on  en  fit  mourir  une  partie:  les  autres  de- 
mandèrent lé  paiement  de  leurs  gages  :  on  étoit  dans 
l'impoflibilité  de  les  fatisfaire  ,  ils  le  crurent  autorifés 
à  fe  payer  par  leurs  mains  :  ils  fe  répandirent  dans 
les  environs  des  places  qu'ils  ocupoient ,  mafiacrant  les 
hommes ,  violant  les  femmes  &  les  filles ,  &  mettant 
le  feu  par-tout.  Après  ces  horribles  excès  ^  il  falut  en- 
core compofer  avec  eux  &  leur  acorder  des  lettres 
de  rémiflîon.  Arnaud  de  Cervole  9  dit  l'archiprêtre ,  s'é- 
toit  engagé  au  fervice  du  régent  avec  la  troupe  qu'il 
commandoit.  Il  voulut  ataquer  Robert  Canolle ,  capi- 
taine Anglois  ,  qui  s'étoit  fortifié  dans  Malicorne  , 
place  du  Gâtinois ,  mais  il  fut  honteufement  repouiTé. 

La  valeur  avec  laquele  le  connétable  de  Ficnnes  &  PrifcdcSaint- 
le  comte  de  Saint -Paul  s'étoient  conduits  à  la  défenfe  ^^ll^izlicdl 
d'Amiens  y  leur  avoit  aquis  la  confiance  des  gens  de  Ficnnes. 
giierr^Ils  fe  trouvèrent  à  la  tête  de  deux  mille  hom-     Froijfard, 
mes  liâmes  &  .de  douze  mille  hommes  des  commu-  ^^^^i%^ 
nés.  Cet  forces  confidérables  les  engagèrent  à  former 
fe  fiege  de  Saint- Valéry.   La  place ,  quoique  défendue 
vigoureufement ,    fut  lérée  de  fi  près ,  que  les  afïiégés 
demandèrent  à  capituler.    A  peine  les    François   s'en 
furent^ils  mis  en  pofleflioh  que  l'on  vit  paroître  Philippe 
de  Navarre,  le  comte  de  Harcourt  &  Pecquigny  qui 
àcouroient  pour  faire  lever  le  fiege.  Mais  ils  arivoient 
trop  tard,  il  falut  fonger  à  la  retraite  avec   d'autant 
plus   de  promptitude  ,  que  l'armée  Françoife  qui  s'é- 
toit encore  groflie  par  de  nouveles  troupes ,  fe  mit  fur 
leurs  traces.  Les  Navarrois  ne  fe  fentant  pas  affez  forts 
pour  réfifter  à  un  corps  de  trente  mille  hommes  ,  re- 
pafferent  la  Somme  ayant  toujours  à  leur  dos  le  con- 
Tomt  V^         '  Ce 


202  Histoire   de    France, 

■  nétable  qui  les  preflbit  vivement.  Il  les  auroit  ateints 
Ann.  1358.     fans  la  dificuké  que  firent  les  habitants  de  Saint-Quen- 
tin de  laifler  palier   les   troupes  Frahçoifes.  Ce  refus 
arêta  la  pôurfuite  &  fauva  les  Navarrois ,  qui  fe  reti- 
rèrent dans  la  Normandie  où  ils  continuèrent  de  piller 
&   de  rançonner  la  province. 
Ann.  1359.        Le  régent  opofoit  aux  contradiâions  &  aux  obfta- 
RécabiifTc-    clés  qui  le  renouveloient  fans  ceffe ,  une  patience  qu'o» 
dcrs'  Sîtuls  ^^  P^^^  ^^  ^^^^^  d'admirer  dans  un  âge  fi  peu  avancé. 
pendant  les     La  douccur  de  fon  caraâere  &  la  fagefle  de  fes  vues 
troubles.         ^^J  jpg  manifeftoient  dans  toute  fa  conduite  ,  lui  conci- 
Iioient    joùrnélement  Tafedion    des    peuples    dans    le 
même-temps  qu'elles   lui  méritoient  Teflime  générale. 
Sûr  d'avoir  allez  tempéré  la  fermentation  qui  régnoit 
dans   les    efprits ,  pour  n'avoir  plus  befoin  de    conti- 
nuer les  ménagemens  donc  le  malheur  des  temps  lui 
avoit  fait  jufqu'alors  une   néceflite ,  il  crut  «ju'il  pou- 
voit  fans  péril  fe  montrer  tel  qu'il  étoit ,  &  juflifier  la 

?énérofîte  de  fon  ame  &  la  droiture  de  fes  intentions. 
,    ,    ,    ,      I  fe   rendit  au   parlement  où  il   prononça  lui-même 

la  chambre  ats  ,  *  «  1      •!     //  1         •  ♦•! 

comptes ,  reg.  ^ue  Ordonnance  par  laquele  il  declaroit  qu  il  avoir 
D/oi.i^.reao.  toujours  regardé  conime  fujets  fidèles  &  afeâionnés 
les  vingt-deux  oficiers  que  TafTemblée  des  Etats  de 
1357  l'avoit  contraint  de  deflituer  ;  que  l'apréUgifion 
de  plus  grands  malheurs  n'auroit  pas  été  cajffble  de 
le  faire  céder  à  l'importunité  des  ennemis  du  gouver- 
nement^ s'il  n'avoit  efpéré  aue  dans  des  circonftances 
plus  heûreufes  il  lui  feroit  libre  de  fuivre  les  mouve- 
ments de  fa  juftice  ;  que  le  temps  étoit  arivé  de  rcJH-^ 
tuer  en  leurs  états  &  renommées ,  des  oficiers  qui  n*a- 
voient  été  pourfuivis  qu'en  haine  de  leur  atachement 
au  bien  général  &  à  l'honeur  du  fouverain  ;  qu'en 
conféquence  il  les  réintégroit  dans  leurs  biens  &  digni- 
tés ,  ordonnant  qu'ils  feroient  payés  des  gages  de  leurs 
ofices  comme  s'ils  les  avoient  toujours  confervés.  Le 
prince  ajouta  qu'il  defiroit  que  fa  déclaration  fût  figni- 
fiée  au  pape,  à  l'empereur  ,  aux  princes  &  aux  villes, 
afin   que    ce   témoignage  authentique  éfaçât  jutqu'au 


Jean      II.  203 

moindre  foupçon  qu'auroit  pu  faire  naîtrç  la  deftitu-  ,  i 

tion  de  ces  oficiers.  Ann.  135  p. 

Cete  démarche  confirma  de  plus  en  plus  les  François     subfîdc  ac- 
bien  intentionnés  dans  ces  fentiments  d'amour  &  de  co^dé  par  les 
rcfpeâ:  fi  naturels  à  la  nation  pour  fes  fouverains.  Le  ^rTmhr  -d 
prince  ne  tarda  pas  à  faire  Tépreuve  du  zèle  &  de  Tata-  compTeJ^!  mT- 
chement  tant  de  la  noblefie  aue  des  principales  villes  morîaiD. 
de  fon  parti.  Dans  une  affemblée  d'£tats-généraux  qui  ^rffnâanLf!' 
fe  tint  pour  lors,  les  nobles  y  outre  les  fubfides,  s'obli-     chroniq.  de 
gèrent  unanimement  de  fervir  à  leurs  dépens  pendant  Saint-Denis. 
un  mois  ,  fans  y  comprendre  le  temps  necefTaire  j  foit 
pour  fe  rendre  à  l'armée ,  foit  pour  fe  retirer.  La  feule 
ville  de   Paris   offrit  Tentretien  de  fix  cents  hommes 
d'armes ,  quatre  cents  archers  &  mille  brigands  :  les 
autres  villes  feifant  des  éforts  proportionnés,  fourni- 
rent juiqu'à  douze  mille  hommes  d'armes.  C'étoit  beau- 
coup ,  n  Ton  confidere  le  déplorable  état  des  campa- 
{;nes  ,  la  defiiruâion  &  le  pillage  de  tant  de  villes ,  & 
a  nécefiîté  où  elles  étoient  de  veiller  chacune  en  par- 
ticulier à  leur    propre  défenfè   contre  cete  multitude 
'd'ennemis  qui  les  environnoient  de  toutes  parts. 

Afin  de  ne  pas  perdre  Téfet  de  ces  heureufes  difpofi-     Sicgc  de 
tions ,  il  fut  réfolu  que  l'on  feroit  le  fiege  de  Melun.  M^^^"- 
Cete  ville  ocupée  par  les  Navarrois  incommodoit  ex-  ^^roUean.  * 
trêmement  la  capitale*par  fa  fituation  fur  la  Seine.  D'ail-     Frofjfard. 
leurs  trois  reines ,  Jeanne  veuve  de  Chiairles  IV ,  Blan-  ^^"^•^?''"''* 
che   de  Navarre  *  veuve  de  Philippe  de  Valois,  &  la        ''''^'^' 
reine  de  Navarre  y  étoient  renfermées.  La  place  fut    vieduconni- 
înveftie   &    féf ée    vivement.    Ce   fut  à    ce  fiege  que  f<^^^  "^mÏ 
Bertrand  du  Guefclin,  ataché  depuis  peu  au  régent,  ^''^* 
fervit   pour  la  première  fois  dans  l'armée  Françoife: 
il  fit  dès-lors  admirer  cete  rare  valeur  dont  il  avoit 
déjà   donné  des    preuves    dans  les  gu^res  de  Breta- 

Îjne.  Le   régent  qui  afiiftoit  à  ce  fiege  fiit  témoin  de 
•intrépidité  avec  laquele  il  monta  feul  à  Tafiaut  d'une 
tour  qu'il  eût  emportée  fi  fon  échele  n'eût  été  fracaffée 
ar  un  tonneau  de  groifes  pierres  qu'on  lança  fur  lui. 
a  trempe  de  fes  armes  le  garantit,  mais  il  fut  préci- 

C  c  ij 


E 


204  Histoire   DE  France, 

•    -  pité  dans  le  fofl'é  d'où  on  le  retira  privé  de  connoîf- 
Ann.  155^.    lance.  Le  prince  qui  ne  Tavoit  pas  perdu  de  vue  con- 
çut pour  lui  la  plus  haute  eftime  :  ce  fut  Charles  lui- 
même  qui   envoya. du  monde  k  fon  fecours.    Lorfque 
le    chevalier    Breton   fut  revenu  de    révanouiffemenc 
caufé   par   fa   chute  ,   il  courut  à  Taflaut   qui   duroit 
encore ,  renverfa   plufieurs  Navarrois ,  obligea  les  au- 
tres de  repafler  la  bariere  &  de  lever  le  pont.  La  nuit 
qui  furvint  fépara  les  combatants. 
Projet  aac-      On  devoit  livrer  un  autre  •  affaut  le  lendemain  ;  mais 
commodément  la  nuit  même  les  afiiégés  firent  des  propositions  d'acom- 
leVcgc^"'  *^*  modement.   La  reine  Jeanne  &  fon  confeil  promirent 
Ibidem.       de  rendre  la  ville ,  &  l'on  y  régla  les  conditions  pré- 
liminaires  d*un  nouveau  traité  de  paix  avec  le  roi  de 
Navarre.  En  atendant  Tacompliffement  de  ce  projet 
de  pacification ,  le  prince  retira  fes  troupes  &  revmt 
à  Paris  fur  la  promeffe  qui  lui  fut  faite  que  les  Na- 
varrois évacueroient  Melun. 
Conférences      Tandis  que  les  agents  des  deux  princes  difcutoient  à 
^^UUm       ^^^^^^  les  articles  de  Pacommodement ,  le  régent  vou- 
lut  donner  k  fes  fujets  des  marques  de  la  confiance 
qu'il  avoir  en  leur  ateâion.  Les  gens  de  fon  confeil  fe 
rendirent  au  parlemenr  où  furent  convoqués  le  prévôt 
des    marchands  &  les  principaux  bourgeois.    L^alTem- 
blée  fut  confultée  fur  le  traité  qu'on  négocioit.  Tous 
les  aflîftants  ODnfeillerent  au  prince  de  Taccepter.  Les 
députés  du  roi  de  Navarre  furent  invités  de  le  rendre 
à  raris ,  &    lorfque  tout  fut  réglé ,  le  régent  vint  k 
Pontoife  où  le  Navarrois  devoit  fe  trouver  pour  ratifier 
"    les  conditions. 

Le  roi  de  Navarre,  avant  que  de  partir  de  Mantes, 
exgiea  qu'on  lui  donnât  pour  otage  le  duc  de  Bourbon  , 
Louis  de  Harcourt,  les  feigneurs  de  Montmorency  & 
de  Saint- Venant ,  Guillaume  Martel  ^  le  Baudrain  de 
la  Heuze ,  le  prévôt  des  marchands ,  &  deux  bour- 
geois de  Paris.  Il  ariva  efcorté  de  cent  hommes  d'ar- 
mes; mais  aufli-tôt  qu'il  aperçut  le  régent  qui  étoit 
forti  de   Pontoife  pour  le   recevoir  ,  U  renvoya  une 


J      £      A      N         I    L  lO^ 

partie  de  fes  gens.  Ces  deux  princes  s'abordèrent  ayant  ,  ■- 

le  chaperon  avalé  de  la  tête  :  après  s'être  donné  des  té-    ^^^*  ^^S9* 

moignagp  réciproques  d'amitié  j  ils  prirent  le  chemin 

de  la  ville ,  où  ils  entrèrent  à  la  lueur  des  flambeaux. 

Il  y  eut  encore  de   nouveles  dificultés  pour  la  conclu- 

iîon   du   traité^  &   elles  furent  pouilées  fi  loin  de  la 

part  du   roi   de  Navarre ,  que  Ton  crut  Tacommode- 

ment  défefpéré.    Le   régent   même  lui  fit   dire  par  le 

comte  d'Etampes  ,  que  s'il  refufoit  les  conditions  qu'on 

lui  ofroit  ,  il  ne  faloit  plus  fonger.  à  la  paix ,  &  qu'il 

étoit  prêt  à  le  «faire  conduire  sûrement  au  lieu  où  il 

avoit  été  reçu. 

Tout  paroiiToit  rompp   lorfque  le  Navarrois ,  par    Paix  conclue 
une  de  ces  "bizareries  aparentes  dont  il  couvroit  ordi-  iT^^'^j^Çf."^ 

r  .^  r      •  1  /    ^     &icroidcNa- 

nairement  les  artifices ,  parut  entièrement  changé.  Ce  v^rrc. 
ii'étoit  plus  le  même  homme  :  autant  fes  prétentions     Chronîq.  de 
de  la  veille  avoient  paru  exceflîves ,  autant  fpn  définté-  ^^chr^n^MS. 
relTement  opofa-t-il   un   contrafte  fingulier.  Il  vouloit  du  roi  Jean. 
tout  ,  il  ne  demandoit  plus  rien ,  il  fit  venir  dans  fa     Mémoire  de 
chambre  le  confeil  du  régent  auquel  il  déclara  la  réfo-  ^ech^^^^^^ 
lution  où  il  étoit  de  finir  Tes  malheurs  de  l'Etat,  d'être  mauvais. 
ami  du  roi    &  de  fon  fik ,  &  de  les  fervir  de  tout  ç^^j-^^^  /'* 
fon  pouvoir.    Il   protefla  qu'il  ne  demandoit  plus  ,  ni  G-ioV^'  ^' 
argent,  ni  terres  nouveles  ,  fatisfait  feulement  d'obte-     Chambre  des 
nir  la  refKtution  de  celles  qui  lui  apartenoient  légiti-  ^^rUilD.  "'^^ 
mement.   Il  ajouta  que  fon  intention  étoit  de  publier 
FalTurance  de  fes    fentiments   devant   le  peuple.    Un 
changement  fi  peu  atendu  ne   pouvoit  que  furprendre 
agréablement   le  régent  :  il   s'écria  tranfporté  de  joie 
que    fi  le   roi  de    Navarre  penfoit  comme  il  parloit  , 
cUtoit  Dieu  lui  -  même  qui  Vavoit  injpiré.  Charles  -  le  - 
mauvais ,  plus  dangereux  ami  qu'ennemi  redoutable, 
ne  le  laîfla  pas  long-temps  dans  l'erreur.  Cependant 
le  jour  même^  devant  le  peuple  de  Pontoife  afTemblé 
dans  la  falle  du  château ,  il  répéta  la  déclaration  qu'il 
avoit  faite  au  coafeil  du  régent:  il  promit  de  plus  qu'il 
feroit   évacuer   toutes   les   forterefles   qui  avoient   été 
prifes  par  lui  ou  par  (es  allés   dipuis  le  commence- 


io€  Histoire    de   France, 

"'  ment  de  la  guerre.   Il   tint   parole  à  Tégard  de  quel- 

Ann.  155^.    quej5.Qnes  ^  ^eles  que  Poifly,    Chaumont   en  Vexin, 

Joui -la- Ville  ,  &  la  Chanville.  Mais  cete  Iftnne-foi 

aparente  partoit  d  un    principe  qu'il  eft  indifpenfable 

de  déveloper. 

Une  grande  partie"  des  troupes  qu'il  avoit  em- 
ployées juqu'alors  étoit  compofée  d 'Anglois  ,  &  de 
ces  compagnies  de  brigands  qui  ravageoient  le  royau- 
me. La  plupart  des  chefs  de  ces  compagnies,  après 
avoir  dépouillé  les  provinces,  cherchoient  à  mettre 
leur  butin  en  sûreté.  Plulîeurs  même,'  de  leur  autorité 
privée,  vendoient  les  villes  qu'ils  ocupoient  fans  le 
confulter.  Les  Anglois  voul#îent  aufli  retourner  dans 
leur  île  pour  y  tranfporter  leurs  richefles ,  &  plu- 
fîeurs  étoient  rapelés  par  Edouard  qui  raflembloit  fes 
forces  pour  l'exécution  d'un  projet  qui  éclata  quelque- 
temps  après.  Que  rifquoit  donc  le  roi  de  Navarre  en 
acceptant  la  paix }  Il  fe  délîvroit  d'une  guerre  qui 
commençoit  a  lui  devenir  onéreufe ,  fe  réfervant  tou- 
jours la  faculté  de  la  continuer  par  le  moyen  de  Phi- 
lippe de  Navarre  fon  frère ,  qui  n'y  voulut  point  ac- 
céder ,  &  qui  feignant  d'être  irité  contre  lui ,  dit  en 
fe  retirant  :  v  II  faut  qu'on  ait  enforcelé  le  roi  de  Na- 
3}  varre  pour  lui  faire  accepter  un  acommodement  fi 
Rymer.aSi,  ^^  Préjudiciable  a.  D'ailleurs  la  trêve  avec  l'Angleterre 
pubi.  tom  3  i  étoit  expirée.  Comme  Edouard  ne  lui  avoit  fourni 
part,  u  des    fecours  qu'avec   une    extrême    circonfpeôion  ,  il 

efpéroit  dans  Je  renouvélement  de  la  guerre  faire  fts 
conditions  meilleures;  &  fà  bonne -foi  fimulée  ,  eh 
l'aprochant  du  régent ,  le  mettoit  à  portée  de  tramer 

f)lus  sûrement  de  nouveles  perfidies.  Ce  jugement  de 
a  conduite  de  Charles  n'eft  pas  a'puyé  fur  de  fîmples 
conieftures.  Plufîeurs  Anglois  repayèrent' à  Londres  , 
&  la  fureur  des  compagnies  fembla  fe  ralentir  pen- 
dant quelque- temps.  Enfin  le  Navarrois  s'infinuant 
dans  la  familiarité  du  régent  forma  une  confpiration 
dont  le  mauvais  fuccès  lui  fit  lever  le  mafque. 
Quoique  par  u*dçs  premiers  articles  du  traité  de 


Jean      II.  207 

paix ,  nie  &  la  partie  de  la  ville  de  Melun  pofTéd^es  .    -j 

par  les  Navarrois,  duflent  être  rendues,  il  ralut  en-  Ann.  i^s^.^ 
core  Taçj^ecer  de  la  reine  Blanche  ;  &  malgré  cete  nou- 
vêle  convention ,  la  place  ne  fut  pas  évacuée.  Le  Na- 
varrois avoit  converti  la  guerre  en  un  autre  genre  de 
déprédation.  Toutes  les  marchandifes  &  denrées  oui 
paubîent  fous  le  pont  de  Melun  pour  defcendre  à  Fans, 
etoient  fujetes  k  des  droits  exoroitants.  Le  tonneau  de 
vin  étoit  taxé  à  fix  écus  d'or ,  le  muids  de  grain  à 
deux  écus  &  le  refte  à  proportion.  Le  produit  de  ces 
importions  étoit  deftiné,  difoit-on  ,  pour  payer  les 
fommes  dues  aux  troupes  que  le  roi  de  Navarre  avoic 
entretenues  dans  Melun.  On  en  ufoit  de  même^  aux 
ponts  de  Mantes  &  de  Meulan  pour  les  marchandifes 

3ui  remontoient  la  Seine,  dont  la  navigation  n'étoit 
evenue  libre  que  pour  enrichir  le  Navarrois  ,  qui 
trouvoit  le  fecret  de  mettre  la  capitale  à  contribution  , 
fans  être  obligé  de  faire  la  guerre. 

Le  régent  Iblicité  par  le  roi  de  Navarre,  qui  avoit    Rctonrdaroî 
des    raifons  fecretes  de  revenir  à  Paris,  affembla  les  de  Navarre. 
principaux    bourgeois  dans  la  chambre  du  parlement,  ^^f^^^w^^* 
Après  la  lefture  du  traité,  il  voulut  bien  déclarer  que      chroniq.' de 
le    roi  de  Navarre    demandoit  la  permiflion  de  rêve-  Sainte  Denis. 
nir  à  Paris  ^  mais  ^u'il  ne  la  lui  acorderoit  pas  contre       '*"'  ^  ''^* 
le  gré  des  habitants.  Jean   Defmarès,  avocat  au  par- 
lement, répondit  pour   raifemblée,  que  les  Parinens 
nVvoient  que  des   grâces  à  lui  rendre  de  la  paix  qu'il 
leur  avoit  procurée  ;   &  qu'ils  ne  s'opofoient  point  au 
retour  du  roi  de  Navarre ,   pourvu  qu'il  n'amenât  pas 
avec  lui  certains  traîtres ,  qu'il  nomma  tout  haut.  L'é- 
véque  de  Laon  étoit  en  tête  des  perfides  défignés  par 
Torateur  du  peuple.  Le  prince  répondit  que  les  fouhaits 
de  TaiTemblée  étoient  conformes  à  fon  intention  ;  que 
le  roi  de  Navarre  Tavoit  inutilement  prié  de  pardon- 
ner à  ces  coupables  indignes  de  grâce.  Ces  détails  pou- 
roient  dans  d  autres  circonftances  paroi tre  trop  longs  ; 
mais  après  des  divifîons  fi  crueles ,  il  femble  qu'on  ref- 
pire ,  toiCque  des  temps  moins  orageux  laiflbnt  entre- 


2o8  Histoire    dj:  France, 

î  voir  le  rétablifferaenc  de  Tharmonie.  Il  eft  bien  con- 
Ann.  135^.   fplanc  pour  les  cœurs  pénétrés  de  Taniour  de  leur  pa- 
trie ,  de  voir  enfin  renaître  cete  confiance  de   la  part 
du  fouverain  y  &'ces  fentimens  de  zèle  &  d'afeâion  de 
la  part  des  fujets. 

Le  Navarrois  ayant  obtenu  la  liberté  de  paroître 
dans  la  capitale ,  ne  tarda  pas  à  s  en  fervir.  Le  régent 
ala  au-devant  de  lui  jufau'a  Saint -Denis,  &  l'amena 
au  Louvre,  où  il  le  fit  loger  :  il  le  combla  même  de 
tant  de  careiTes,  que  plufieurs  de  ceux  qui  avoient 
fervi  le  plus  fidèlement ,  ne  purent  s'empêcher  de  mur- 
murer de  cet  excès  de  confiance.  Après  une  femaine 
de  féjour  dans  Paris ,  il  en  partit  pour  aler  à  Melun , 
fous  prétexte  d'en  faire  retirer  fes  troupes.  Il  fe  con- 
duifit  avec  fa  bonne-fqi  ordinaire.  Il  vifita  fes  fœurs , 
qui  demeuroient  toujours  dans  cete  ville  :  il  reprit  en- 
luite  la  route  de  Normandie;  mais  les  Navarrois  y  de- 
meurèrent. Le  régent  étoit  trop  éclairé  pour  ne  pas 
pénétrer  fes  artifices  :  les  circonftances  feules  Tempê- 
choient  d  en  témoigner  fon  jufte  reflentiment. 

La  paix  conclue  avec  le  roi  de  Navarre  n'avoit  point 
fufpendu  le  cours  des  hoftilités  :  le  feul  changement 
qu'elle  aporta  fut  qu'une  partie  des  mêmes  troupes  con- 
tinua la  guerre  fous  un  autre  nom  :  Philippe  de  Navarre 
en  Normandie,  &  les  Anglois  dans  les  autres  provin- 
ces ,  s'avouèrent  alors  d'Edouard ,  tandis  que  les  chefs 
des  compagnies ,  vendant  leurs  ferviçes  interelTés ,  tan- 
tôt aux  ennemis ,  tantôt  au  régent ,  mais  ne  comba-^ 
tant  en  éfet  que  pour  eux-mêmes,. achevoient  d'aflbu- 
vir  leur  avidité ,  &  d'enlever  le  refte  des  dépouilles  du 
royaume. 
Entrcprifc  Pierre  d'Andelée ,  capitaine  Ànglois  ,  qui  s'étoit  em-^ 
SiÔr^s  paré  de  plufieurs  fortereffes  entre  Troies  &  Châlons, 
Froifard.  entreprit  de  fe  rendre  m?LÎtre  de  cete  dernière  ville, 
dans  Uquele  il  trouva  moyen  de  s'introduire  à  la  faveur 
de  la  nuit.  Les  habitants  réveillés  par  le  bruit  des 
armes,  fe  levèrent  avec  précipitation,  criûnt  aux  lar^ 
rons  An^iois  &  Navarrois.  S'étant  raflèmblés  \  ils  fou- 

tinrent 


J     E      A      N        I   I.  2,09 

tinrent  le   premier   choc  ,  &  donnèrent  le  temps    au  ! 

ieigneur  de  Grancey,  chevalier  de  Bourgogne  d'ariver    An«.  xijy. 
avec  foixante  hommes  dWmes  au  fecours  de  la  place. 
5a   préfence  ranima  les  habitants^  qui  achevèrent  de 
repouflèr  les  ennemis. 


Euftache   d'Auberticourt,  autre  chef  d'aventuriers,    Dëfeitcd'An. 


donner  ce  titre  au  conduâeur  d'une  troupe  de  bri* 
gands.  Il  étoit  amoureux  d'Ifabele  de  Juilliers  ,  fille 
dAjgMfite  du  même  nom ,  qui  avoit  époufé  en  premiè- 
^ffroces  le  comte  de  Kent ,  dont  elle  étoit  veuve. 
La  dame  de  fon  côté  n'étoit  pas  ingrate.  Flatée  de  fé 
voir  adorée  par  un  guerrier ,  dont  elle  entendoit  tous 
les  jours  vanter  les  exploits ,  elle  répondit  à  fa  tendrelTe 
oar  des  fenciments  réciproques.  La  comtefle ,  qui  pour 
lors  étoit  en  Angleterre ,  envoyoit  à  fon  chevalier  , 
harnais  de  guerre ,  haauenées ,  courjiers  Çf  lettres  amou-^ 
rcufes  y  par  auoi  ledit  mejjire  Eujlache  en  étoit  plus 
hardi ,  of  faijbit  tant  de  chevaleries  &  de  beaux  faits 
d^armes  ,  que  chacun  ga&noit  avec  lui.  Auberticourt 
époufa  dans  la  fuite  ifabele  de  Juilliers.  Les  défor- 
dres  qu'il. commettoit  étoient  fi  grands  ,  que  le  régent 
crut  ne  pouvoir  7  remédier  plus  sûrement ,  qu'en  lui 
opofant  un  adverfàire  de  même  trempe.  Il  chargea  de 
cete  commiflion  Brocard  de  Féneftrange ,  chef  d'aven- 
turiers Lorains  ,  &  lui  promit  une  fomme  eonfidé^ 
rable  pour  cete*  expédition.  Féneftrange  raffembla  fes 

Î^ens  au  nombre  de  cinq  cents  hommes  d'armes  :  plu- 
leurs  feigneurs  &  gentilshommes  ,  Champenois  & 
Bourguignons  9  fe  joignirent  à  lui.  Le  château  de  Hans^ 
apartenant  à  Auberticourt^  fut  emporté  d'aflaut.  Fé* 
neftrançe  Tateignit  enfuite  près  dp  Nogent- fur- Seine. 
Le  capitaine  Lorain  ,  comme  le  plus  expérimenté  > 
raiigea  fa  petite  armée  en  (rois  batailles  ;  il  fe  réferva 
le  commandement  de  la  première,. ayant  pour  fécond 
révêque  de  Troies.  Jean  de  Châlons  &  le  comte  de 
TomcV.  Dd 


iio  Histoire  de  France^ 

;— *— — ^  Joui  écoienc  à  la  tête  de  la  féconde ,  &  le  comte  de 
Ann.  ijS9'  JoinviUe  çonduifoit  la  troïfîeme.  Le  combat  fut  long 
&  fanglant  ;  mais  enfin  Euftache  d'Auberticourt  >  dan- 
gereufement  blefTé  d'un  coup  de  lance  qui  lui  rompit 
trois  dents  ,  £ut  entièrement  dé&it,  &  obligé  de  fe 
rendre  prifonnier. 

Cete  vidoire  procura  quelque  tranquilité  k  la  pro- 
vince ;  mais  ce  foible  foulaeement  ne  fut  pas  de  lonr- 
gue  durée.  On  avoit  promis  a  Féneftrange  trente  mille 
écus^  qu'il  n'étoit  psLs  poflible  d'aquiter-  Il  fit  deman- 
der au  régent  le  paiement  de  fes  (ervices  ;  &  comme 
on  diféroit  de  le  fansfaire ,  il  eut  la  hardieiïe  d'ei|MW' 
au  prince  un  défi ,  par  lequel  il  lui  déclaroit  I^^Rr- 
re,  ainfi  qu'au  royaume  de  France.  Il  ne  s'en  tint 
pas  aux  menaces  :  il  devint  en  peu  de  temps  un  ennemi 
plus  redoutable  que  ne  l'avoit  été  Auberticourt.  II 
commença  les  hoftilités  par  la  prife  ,  le  pillage  & 
Tembrafement  de  Bar- fur -Seine,  qu'il  détruint  de 
fond  en  comble  :  il  courut  enfuite  la  Champagne, 
mettant  tout  à  feu  &  à  fang  ,  ravageant  les  villes 
fans   défenfe  ,  les    bourgs.  &   les   campagnes  ,   avec 

Elus  de  fureur   &  d'inhumanité  qu'aucun   des  autres 
rigands   qui  l'a  voient  précédé.  La  foiblefTe  du  gou- 
vernement empêchoit  le  régent   de  punir  ces   barba^* 
res  excès ,   que  le  malheur  des  temps  fembloit  aifoir 
légitimés.  Il  falut  compofer  avec  Féneftrange,  qui  ne 
confentit  de  fe  retirer  en  Loraine  ,  qu'après  avoir  été 
payé  entièrement  de  ce  qu'il  prétendpit  fui  être  dû. 
Impiété  mi-  *    Commç  vers  ce  temps-là  on  s'aperçut  que  les  rava- 
racuicufcmcnt  ges  ocafionnés   par  les  gens   de   guerre  ,  devenoient 
^^Froiffaril      "^^^??  fréquents  ,  on    atribua  ce   ralentiffement  k  la 
roijfar .     «unition  niiraculeufe  d'une  impiété   commife  par  un 
nomme  d'armes  :  voici  comme  Frôiflard  raporte  cete 
aventure  ,  que  Ton  place  ici  fans   prétendre  faire  va- 
loir ,  encore  moins  garantir  ce  qu'elle  a  de  prodigieux , 
mais  uniquement  dans  la  vue  de  donner  une  idée  de 
la  licence  &  de  la  férocité  qui  régnoient  parmi  ces 
brigands.    Les    Anglois  étant  entrés  dans   un  vilage 


J      B      A      N        I   !•  lïï 

apelié  Ranay  ,  forcèrent  Téglife  où  le  curé,  vêtu  de         . 
fes  habits  facerdotaux,  cél^broit  la  melTe.  Un  écuyer    ^a»-  ^is^ 
prit  le  calice  y  renverfa  le  vin  y  &  frapa  de  fa  mam , 
armée   d'un  gantelet  de  fer  ,  le   prêtre    qui  voulut  lui  " 

faire  quelques  repréfentadons  fur  ce  facrïlege  :  le  coup 
fut  fi  violent  ,  que  le  fâng  du  œiniftre  rejaillit  fuc 
TauteL  Ce  fcélérat  fortit  enfuite  de  Téelife,  empor- 
tant le  calice  y  la  patène  &  le  corporal  ;  mais  il  ne 
porta  pas  loin  ces  dépouilles  facrées.  A  peine  fut -il 
dans  la  campagne  ,  que  fon  cheval  l'emporta  ;  & 
après  avoir,  tourné,  quelque -temps  ,  fe  renverfa  fur 
fui  y  &  le  tua  par  fa  chute.  Les  compagnons  de  cet 
écuyer  regardoient  avec  furprife  cet  événement  ;  mais 
leur  terreur  augmenta ,  lorsqu'ils  virent  dans  le  mo- 
ment rhomme  &  le  cheval  réduits  en  cendre.  Ils 
firent  dès- lors  ferment ,  que  jamais  églijc  ils  ne  viole- 
raient.  Jean  de  Pecquigny ,  ce  digne  ami  du  roi  de  Na-  • 
varre  ,  termina  dans  ce  même -temps  fa  vie  criminele: 
ion  valet-de-chambre  Tétrangla  dans  fon  lit. 

La  ruine  des  provinces  força  ces    voleurs    d'aban-      Evacuation 
donner  des  lieux  défolés   qui  n'ofr oient    plus  rien  à  de  pluficurs 
leur  avarice.  Ils  fe  jetèrent  fur  le  Berry  ,  le  Limofin  P^^^*'* 
&  l'Auvergne  :  leur  deflein  ,  difoit' Robert  de  Canolle ,      c^^!m5. 
leur   chef,  étoit  dealer  violer  le  pape  &  les  cardinaux  à 
u4vignony  d^avoir  de  leurs  florins  y  aujfi-bien  ijueVarchi-* 
prêtre  en  avoit  eu.  Quelques  autres  compagnies  évacuè- 
rent à  prix  d'argent  les  villes  &  les  fortereffes  qu'elles 
ocupoient.  On  s'eftimoit  trop  heureux  de  fe  défaire  k 
quelque   condition  que  ce  rut,    de    ces    incommodes 
voifins.  Ce  fut  ainfi  que  les  habitants  de  Noyon  achetè- 
rent le  château  de  Montconfeil ,  qu'ils  démolirent  juf- 
qu'aux   fondements  ,  aufli-tôt  que  les  ennemis  fe  fu- 
rent   retirés.    Les    habitants   de  Compiegne    aquirent 
pareillement  le   château  de  Creil ,  dont  la  garnilon  al  a 
fur -le -champ   s'emparer  de  Pont  -  Saint -Maxence  & 
de  Clermont ,  pour  en  retirer  encore  une  nouvele  com- 
poiition.  Jean  dç  Segur  ,  commandant  de  la  garnifon 
Aùgloife  de  Nogent- fur -Seine  ,  vendit  cete  place  à 

Dd  ij 


3.12  Histoire  db  France, 

y*— — ^  Tévêquc  de  Troies ,  qui  lui  donna  fes  lettres  d'oWîga- 
Ann.  155^.    tion  de  la  fomme  convenue.  Segur  eut  rimprudenGC 
Spiciicontin.  Je  venir  k  Troies  pour  recevoir  le  paiement  :  les  habi^ 
'^'        tants  de  la  ville   entourèrent  la  maifon  du  prélat ,  de- 
mandant à  grands  cris  qu'on  leur  livrât  ce  feigneur: 
Comment  y  difoient-ils ,  Monfiigneûr  Vcvégucfc  truffc-P-il 
de   nous  tenir  auprès   dt   lui  le  plus  grand  pillard  de 
France ,  &  veut  encore  que  nous  lui  donnions  notre  ar-- 
gent?  L'évêque.eut  beau  leur  repréfenter  que  le  che- 
valier n'étoit  venu  que   fur  la  foi  d'un   faufconduit 
pour  Pacompliifement  d'un  traité,  dont   eux-mêmes 
étoient  demeurés  d'acord,   ils  ne   voulurent  rien  en- 
tendre :  malgré  les  prières  du  prélat ,  ils  forcèrent  le 
palais  épifcopal ,  mailacrerent  Segur  ,  &  le  tnirent  en 
pièces  ,  après  Tavoir  immolé  à  leur  reflentimentr 
Expiration  de      Edouard  ,  exaâement    informé  de   la  fituation   du 
i'A^r^  *^^^' royaume  ,  jugea   qu'il  étoit  temps  de  mettre  à  profit 
Propofitions  ^^^  circonftances  fi  favorables  à  Ion  ambition.  Juiqu'a- 
de  paix  rcjc-   lors  il  ne  s'étoit   point  encore   ouvertement   expliqué 
*^^*        .      fur  les  conditions  qu'il  prétendoit  impofer.  Depuis  la 
Ch^oniq! dt  prifon  du  roi,  on  avoir  plufieurs  fois  traité  de  la  déli- 
Smnt'Dtnis.    vrauce ,  fans  pouvoir  y  parvenir  :  le   monarque    An- 
çhrçn.MS.  riois  avoit  fes  vues,  en  traînant  les  négociations  en 
longueur.  La  France  s'afoibliiToit  tous  les  jours  par  la 
défunion  de  (es  propres  forces ,  &  il  n'en  avoit  coûté 
à  TAnglois  que  quelques  troupes ,  &    d'acorder  aux 
^rnifons   de   fes  places    une  permiffion  tacite  de  fe 
joindre  aux  compagnies   qui  déchiroient  nos  provin- 
ces. La  trêve  étant  expirée  ,  on   renouvela  les  hofli- 
lités  &  les  conférences  pour  la  paix.  L'archevêque  de 
Sens,  le  comte  de  Tancarville  fon  frère,  le  comte  de 
Dammartin  ,    le  maréchal   d'Andreghen ,    prifonnicrs 
en  Angleterre ,  avoient  fait  plufieurs  voyages  de  Lon- 
dres à  raris ,  mais  inutilement. 
Traité  ponr      Le  roi  Jean  cependant,  malgré- les  égards  <}ont  les 
IiiKoL^^^^    vainqueurs  adouciflbient  fa  captivité  ,  s'ennuyoit  d'un 
féjour  qui  depuis  fi  long- temps  le  tenoit  éloigné  de  fes 
Etats  :  (on  impatience  ne  lui  permit  pas  de  difërer  da- 


J    E     A    K      I  I.  aij 

Vantage  le  recouvrement  de  fa  liberté.  Il  crut  obtenir  "^^'^^'^ 

des  conditions  moins  défavantageufes  en  traitant  avec   A^*  'H5« 

Edouard 7 fans  employer  d^autre  agent  aue  lui-même, 

dans  Tefpoir  que  rAnglois  par  généronté  relâcheroit 

quelque  chofe  de  fes  prétentions  :  mais  ce  prince  poli-^ 

tique  ne  fe  piquoit  pas  de  facrifier  fes  intérêts  à  des 

raifons  de  bienféance.  Il  prefcrivoit  fes  loix  avec  toute 

la  rigueur  dont  fa  bonne  fortune  Tavoit  mis  en  état 

de  faire  ufage  ;  &  le  roi  qui  vouloit  terminer  à  quelque 

prix  que  ce  fût  j  confentit  à  tout.   Le  modèle  du  traité 

dreflé  &  figné  par  les  deux  rois,  &  par  le  prince  de 

Galles  &  le  duc  de  Bourbon  ,  fut  aporté  en  France , 

afin  que  le  régent  le  ratifiât.  Ce  prince  trouva  exceP- 

five  la  dureté  des  conditions  exigées .  par    TAnglois  : 

toutefois  Tapréhenfion   qu'on  ne  le  foupçonnât  de  ne 

Sas  témoigner  aiTez  de  zèle  pour  procurer  la  délivrance 
u  roi  ion  père ,  lempêcha  de  prendr&fur  lui  un  refus , 
qu'on  auroit  pu  mal  interpréter.  Il  convoqua  les  trois 
ordres  du  royaume.  La  confufion  qui  regnoit  alors 
en  France ,  ne  permit  pas  k  plufieurs  des  députés  des 
bonnes  villes  de  fe  rendre  à  cete  invitation. 

L^aiTemblée  rejeta  unanimement  le  traité,  &  con-  Rejeté patlq 
feilla  au  duc  de  continuer  la  guerre ,  plutôt  que  d'ac-  ^**"" 
cepter  la  paix  à  ce  prix.  Le  régent  afiuré  de  la  difpo- . 
fition  des  Etats ,  &  en  quelque  forte  autorifé  par  leur 
avis  ,   fe  conduifit    d'une  manière    bien    capable    de 
faire  impreffion  fur  l'efprit  du  peuple*  Il  fe  rendit  au 
palais  ,    &  fe  montra  aux  Panfiens  fur  le  péron  dé 
marbre  de  la  cour.   Guillaume  de  Dormans ,  avocat- 

fénéral ,  lut  tout  haut  le  traité  aporté  de  Londres. 
Idouard  s'y  fàifoit  céder  les  duchés  de  Normandie 
&  de  Guienne,  la  Saintonge,  l'Aunîs,  Tarbes,  le  Pé-^ 
rigord ,  le  Querci ,  le  Limonn ,  le  Bigorre  ,  le  Poitou ,  ^ 

rXnjou,  le  Maine,  la  Touraine ,  les  comtés  de  Bou- 
logne ,  de  Guines  &  de  Ponthieu ,  Montreuil  fur  mer 
&  Calais  ^  pour  les  pofTéder  en  toute  fouveraineté.  Il 
prétendoit  encore  qu  on  abandonnât  la  fuzeraineté  du 
duché  de   Bretagne  :  il  exigeoit  enfin  quatre  millions 


114  Histoire  de  France, 

r  .•  <l'écuS  d'or   pour  la  rançon  du  roi.   La  leâiire  de  ce 

Ann.  i)S9'    traité  fouleva  tous  les  efprits  :  on  entendit  un  murmure 
général  d'indignation  :  le  peuple  s'écria   de  concert  , 
Que  ledit  traité  n^étoit  point  pajfable  nifaifabk  ,  &  que 
toute  la  nation  étoit  réfoluc  de  faire   bonne  guerre  au 
roi   Anglois.    Lorfque  les   feigneurs  qui    avoient  ap- 
porté le  traité  en  France ,  furent  retoiurnés  à  Londres  , 
&:  qu'ils  eurent  rendu  aux  deux  rois  la  réponfe  du 
régent ,  le  roi  Jean  j  qui  ne  s'acendoit  pas  à  ce  refus , 
en    témoigna   un  extrême   déplaifir  :   ffaAa ,  dit  -  il  , 
Charles  beau  -fils  >  vous  vous.  confeille[  au  roi  de  Na-^ 
V^rre  àûi  vous  déçoit  &  dectvroit  quarante  tels^  que  vous 
ét€s.    Edouard  de   fon  côté  jura  qu'avant   que  l'hiver 
fût  pafTé,  il  entrerbit  en  France  avec  une  armée  fi 
formidable,  quil  obligeroit  le  régent  de  fubir  les  loix 
qu'il  voudroit   diâer,  &  qu'il   ne  défarmeroit  point, 
Ry«.  aB.    Qu'il  n'eût  fubjugué  la  France.  Il  fit  cependant  trans- 
part.  i^p.  177.  ^^^^^  ^^  ^oi  ^^  château  de  Sommerton  dans  le  duché 
de  Lincoln,  &  lui  retrancha  une  partie  de  la  liberté 
dont  il  avoit  joui  jufqu'alors. 
Piuficurs  ë-      Le  bruit  de  la  refolution  d'Edouard  fe  répandit  bien- 
STc^^h  ^^f-  Tandis  qu'il  raOembloit  en  Angleterre  l'armement 
ofrir  ieur$ fer-  le  plus  redoutable  qu'il   eût  jamais  formé.,  une   infi- 
^*f^«    .^       nite  de  barons  &  de  chevaliers  Allemands  fe  préparoîent 

Edouard.  %  •i««i  j  1  j  *  i- 

Froiffard.  ^  vcnir  le  jomdrc. ,  dans  la  vue  de  partager  avec  lui 
le  pillage  de  la  .  France.  Les  richeiies  que  plufieurs 
de  leurs  compatriotes  avoient  raportées,  étoient  un 
puiflant  motif  pour  aiguillonner  leur  bonne  volonté. 
On  voyoit  journélement  acourir  par  la  Flandre  &  le 
Brabant  de  ces  conduâeurs  de  troupes  mercenaires  , 
atirés  par  Tefpoir  da  butin,  Leur  nombre  étoit  fi  con- 
fidérable ,  qu'ils  remplifibient  les  environs  &  la  ville 
^  de  Calais,  où  l'on  difoit  que  le  roi  d'Angleterre  de- 

voit    inceflamment  ariver.    L'oifiveté ,  les   plaifirs    & 

Abonne  chère  les  obligèrent  bientôt  de  vendre  jufqu'à 
urs  équipages  pour  fournir  k  leurs  dépenfes.  Le  duc  de 
Lencaftre  étant  defcendu  à  Calais  avec  quelques  trou* 
pes ,  fut  afiez  embarafié  d'y  rencontrer  cete  foule  d'é« 


.Jean      J  I.  n$ 

crangers  ,  dont  la  plupart  étoienc  venus  fans  être* man-  ■  ■  ■>. 

dés.  Il  étoit  auflî  dangereux  d'accepter  que  de  refu-  Aun.  lyss* 
fer  leur  fécouxs.  Le  duc  s^arêta  au  projet  de  les  éloi- 
gner de  Calais ,  &  de  profiter  de  ce  mouvenient  pour 
commencer  Iqs  hoftilités.'  Ils  acceptèrent  la  propomion 
qu  il  leur  fit  de  fe  «netire  k  leur  tête ,  &  d- ouvrir  la 
campagne  ,  dans  Icfpérance  qu'ils  trouveroient  en 
France  de  quoi  fe  dédommager  du  temps  qu'ils  avoient 
perdu  :  il  fit  donner  à  la  plupart  l'argent  nécefTaire 
pour  payer  ce  qu'ils  dévoient ,  &  fe  remettre  en  équi- 

{>age.  Le  duc  de  Lencaflre  avec  fqs  troupes  ravagea 
es  environs  de  S.  Omer ,  courut  le  Cahi Wéfis ,  l' Ar-< 
tois^  jufquaux  frontières  de  la  Picardie ,  où  il  reçue 
la  nouvele  du  débarquement  d'Edouard  : .  alors  il  re- 
prit la  route  de  Calais.  Il  rencontra  le  roi  k  quelque 
diftance  de  la  ville  ^  avec  la  première  ba f aille  àc  loti 
armée.  Ces  capitaines  Alemands  y  Bohémiens  ,  Bra-i 
ba^tiçons  ^  Hennuyers  ,  repréfenterent  a  Edouard  cju'iU 
avoient  tout  quité  pour  venir  lui  ofrir  leurs  ferjvices  , 
&  que  la  trop  longue  atente  de  fon  arivée  les  avoic 
réduits  dans  l'indigence  ayant  dépendu  harnais  >  che-^ 
vauxi.  9  habits  &  tout  vendu  ,  enforte  que  peu  ou  rien  leur 
étoit  demeuré.  Edouard  leur  dit  dej  retourner  à  Calais  y 
où  il  leur  feroit  fçavoir  fts  in tentipns.  Quelques,  jours 
après  ^  il  leur  envoya  dire  qu'il  n'avoit  pais  aporté 
d  Angleterre  un  tréfor  aflèz  conndérable  pour  les  payer  ; 
mais  que  s'ils  vouloient  l'acompagner  k  leurs  frais ,  il 
leur  permettroit  de  tenter  la  fortune  avec  lui ,  fans, 
être  obligé  de  fa  part  de  leur  dontaer;  de  folde  ,  ni 
aucuns  dédommagements  pour  pertes  dUquivages ,  t/^ar- 
mcs  &  de  chevaux  perdus.  La  déclaration  d'Edouard  ne 
les  fatisfit  pas  :  piufieurs  retournèrent  dans  leur  par 
trie ,  &  les  autres  prirent  le  parti  qu'on  leur  ofroit.  EdonarJ  cn- 

L'armée  Angloife.montoit  k  cent  niille  combatants,  trc en  France, 
Cinq  cents  hommes  marchoient  en  avant  pour  aplanir  ^c™^.  *?* 
les    chemins  :  fix   mille   chariots  atelés  ^rtoient  les  Spuu.  contins 
bagages  ,  l'artillerie  &    \ts  provifions.    Les    ennemis  dtNangis, 
avoient  des  fours  &  des  moulins  portatifs,  auffi-bien     ^chSnltis, 


2i€  HiSToiii£   DE   France^ 

?  que  des  grains  pour  leur  nouricure  :  car  la  famitie 
Aao.  13;^.  défoloic  alors  la  France;  &  ce  malheureux  rovaume^ 
depuis  fi  Iong-€emps  dévafté  en  détail ,  toucnoic  au 
moment  d'éprouverj  un  ravage|général  par  de  nouveaux 
ennemis.  Lorfque  le  régent  aprit  la  defcente  du  roi 
d'Angleterre,  il  jugea  que  ce  lerok  une  grande  témé- 
rité que  de  commettre  le  falut  de  TEtat  au  fuccès 
douteux  d'une  bataille ,  avec  le  peu  de  troupes  qu  il 
avoit.  Il  fe  contenta  donc  de  fortifier  les  villes  qui  pou- 
voient  être  défendues ,  &  d'y  mettre  de  bonnes  gar- 
nirons ,  abandonnant  le  plat  pays  à  la  difcrétion  des 
'  ennemis.   Ainfi  le  prince  Anglois ,  fans  trouver  pref- 

Que  la  moindre  réfiftance  ,  traverfa  le  Cambras, 
apnt  les  habitants  réclamèrent  envain  les  privilèges 
de  l'empire,  entra  dans  l'Artois  &  la  Picardie,  que 
fes  troupes  parcoururent ,  fans  ataquer  les  villes  for^ 
cifiées.  Il  vint  enfuite  s'atacher  au  fiege  de  Reims , 
malgré  les  inconimodités  de  la  faifon.  La  place  fuc 
inveftieie  jour  de  la  Saint  André.  Elle  étoit  défendue 
par  meffire  Jean*de  Craon  fon  archevêque ,  par  le  comte 
de  Porcien  &  Hugu^  dç  Porcien  fon  frère ,  les  fires  de 
la  Bone  ,  de  Canency,  Pannore  ,  de  Lore,  plufieurs 
autres  chevaliers  de  par  une  forte  garnifon. 

Les   ennemis  foufrirent  beaucoup  d'incomtnodités 
pendant  ce  fiege ,  fans  pouvoir  fe  flater  d^avoir  rem- 
porté d'autre  s^vantage  que  de  ruiner  les  environs  de 
.  la  place.  On    foupçonna  Edouard  de  n'avoir   afiiégé 
Reims ,  par  préférence  à  pluiieurs  autres  villes  quMl 
avoit  laiiiées  derrière  lui ,  que  dans  Tintencion  de  s'y 
faif  e  facrer  &  couronner  roi  de  France.  Peut-être  auffi 
Gomptoit-il   fur  la  réufiite  d'ifne   confpiraçion  qui   fe 
tramoit  à  Paris  dans  le  même  temps. 
ÇoDfpirarion      Par  le  dernier  traité   de  pacification,  le  Navarrois 
UiJinu      '^^voit  longé  a  le  procurer  un  accès  libre  auprès  du 
chroniq.  de  ^^g^^P  >  ^ue  dans  la  vue  de  marquer   plus    sûrement 
S0înt-Denis.    Tendroit  où  il   voudroit  le  fraper.    Il  vivoit  avec  le 
fharlregfll^  pHiice  dans  la  plus  intime  familiarité  t  il  étoit  de  tous 
pifcc'sSt'r    '  les  confeils.  Cnarle$  le  confultoic  î  mais  il  avoit  tou^ 

jours 


J      B      A      N      I   I.  ^ 

jours  les  yeux,  ouverts  fur  fa  conduite  publique  &  fe-  ï!!5!!!= 
crête  :  aucune  de.fès   démarches  ne  lui  échapoic.    Le    Aqq.  m5^. 
régent  avoit  fait  vers  ce  temps-là  un  voyagea  Rouen  ,    Mém.deiUr. 
d'où  il  étoit  revenu  pour  célébrer  les  noces  de  Cathe-  ^tmmvahjlr 
rine  de  Bourbon ,  fœur  de  la  princeffe  fon   époufe  ^  M.  Secouie. 
avec  Jean  de  Harcourt ,  fils  du  comte  de  Harcourc ,  ^^^î^^^^f j; 
qui  avoit  eu  la  tête  tranchée.  Le  Navarrois  qui  aflîf-  Frtma! 
toit  à  ce  mariage  ,  obtint   un  fauf- conduit  pour   le 
Captai  de  Buch  fon  parent  »  lequel  ne  s'en  fervit  que 
pour  efcalader  le  château  de  Clermont  en  Beauvailis. 
Quoiqu'il  ne  fût  pas  douteux   que  cete  entreprife  n'a- 
voit  pas  été  formée  fans  la  participation  de  Charles- 
le-mauvais  ^  cependant  le  duc  de  Normandie   feignit 
de  l'ignorer.    Le  roi   de  Navarre^  féduit  par  la  con- 
fiance qu'on    lui    témoigyoit  ,    fe  croyoit  à  la  veille 
d'exécuter  la  plus  noire  trahifon.  Ua  bourgeois  de  Pa- 
ris 5  nommé  Martin  Pifdoc  y  ancien  ami  &:  complice  de 
Marcel  9  étoit  à  la  tête  de  la  conjuration.  Il  avoit  eu 
le  bonheur ,  dans  le  temps  de  la  réduâion  de  Paris , 
d'être  compris  »u  nombre  de  ceux  auxquels  le  prince 
avoit  pardonné.   Peu   touché  d'une  pareille  grâce  ,  il 
avoit  toujours    çonfervé   un  violent  dçfir   de  venger 
la  mort  dç  Marcel.  Il  ne  pouvoit  Tefpérer  qu'en  exci- 
tant  une  révolution.  Pour  cet  éfet  il  tenta  la  fidélité 
de  deux  autres  bourgeois  nommés  Jean  le  Chavenatier 
&  Denis  le  Paumier.  Ces  deux  citoyens  ne  fe  conten- 
tèrent pas  de  rejeter  les  propofitions  de  Pifdoé  :  ils  en 
avertirent  le  réeent>  qui  leur  ordonna  de  diflimuler 
avec  ce  traître  ^  dont  par  ce  moyen  on  dévelo pales  in- 
trigues. Voici  quel  étoit  le  complot  dans  lequel  il  avoit 
die  à  Chavenatier  que  trempoient  les  oficiers  du  roi 
de    Navarre.     On   devoit   introduire  fecrétement  par 
div^r£es  portes  de  Paris  des  hommes  d'armes  déguifes , 
les  diftribuer  dans  les  diférents  quartiers  de   la  ville  ^ 
furprendre  le  régent  ^ns  le  Louvre  ,  maffacrer  tout 
ce  qui  s'y  rencontreroit ,  enfin  s'emparer  des  principales 
places  9   afin  d'empêcher  lé  peuple  de  s'afiëmbler  :  par 
C9  moyçn  les  conjurés  fe  fufient  rendus  maîtres  de  la 
Tome  V.  Ee 


||8  Histoire   de   France, 

"    capitale.    La  vigilance  du   régent  prévint  Texécution 
Ann.  13J5.    jg   qq   projet}    Martin  Pifiloé  fut  arête,  &   apliquéà 
la  queftion  ,  ^ans  laoueie  il  déclara  les  particularités 
de  la  confpiration  :  il  fubit  enfuitç  le  dernier  fuplice  ; 
&  fon  corps ,  divîfé  çn  quartiers ,  fut  expofé  aux  qua- 
tre peAes  principales  de  la  ville.   Le  Navarrois  avoit 
d*abor4  afeâé  une  contenance  aiTurée;  mais  lorfqu'il 
vit  qu^pn  fe  préparoic  à  donner  la  queftion  à  Pifdoé, 
il  ne  fecrut  plus  en  sûreté  dans  Paris  :  la  précipitation 
avec  laquele  il  fe  retira  ,  fut  un  nouvel  indicé   de  fa 
<:omplicité. 
Ann.  13^0.        -^^  ^®i  ^^  Navarre  fe  voyant  découvert,  ne  garda 
Le  Navarrois  pluç  de  mefurcs  !  de  Mantes   où   il  s^étoit  réfugié,  il 
défie  le  régent,  envoya  défier  le  régent  &  fes  frères,  &  recommença 
if^ûczt  Ir^  ^^  guerre  plus*  vivement  ou*  jamais.  Le   premiei?  aae 
Reims.  d'hoftilîté  tilt  la  priie  <ie  Kouboife ,  château  très  fort 

Froiffard.  fur  la  Seine ,  dont  un  de  fes  capitaines  s'empara.  Le 
dcNangT^''^'  roi  d'Angleterre  cependant  continuoit.  le  fiege  de 
c&roniq.  de  Rcims ,  qu'il  fut  enfin  obligé  de  lever  peu  de  temps 
Saint-Dénis,  après  la  déclaration  de  guerre  envoyée  «u  régene  par  le 
roi  de  Navarre.  Il  lui  venoit  tous  les  Jours  de  nou- 
veaux renforts.  Le  feigneur  de  Roye,  aflifté  du  brave 
chanoine  de  Robefart ,  délit  un  parti  de  trois  cents 
hommes  dermes  qui  aloient  joindre  Tarmée  Angloife  ; 
mais  ces  petits  exploits  n*empéchoient  pas  les  ennemis  de 
vivre  à  difcrétion  au  milieu  ae  la  France  comme  dans 
un  pays  de  conquête.  Les  Anglois  fe  rendirent  maîtres 
du  château  de^  Commercy  par  le  moyen  de  la  mine. 
L'ufage  de  miner  dans  ce  temps -là  étoit  de  crcofer 
fous  fédifice  qu'on  vouloit  détruire  :  on  foutenoic 
d*efj>ace  en  efpace  le  terreiu  par  dies  étançons  de  bois , 
&  lorfque  Touvrage  étoit  achevé  ,  on  mertoit  le  feu 
aux  étançons  oui  n*étoient  pas  plutôt  confumés  que 
l'édifice  s'écrouloit.  Lorfoue  Barthélémy  de  Bonnes 
capitaine  Anglois  ,  qui  amégecûf  Commercy ,  crut  fa  ' 
mine  en  état  de  produire  fon  eret ,  il  fit  venir  fur  fa 
barole  d*honeur  Henri  de  Noir  qui  commandoit  dans 
la  place:  il  le  coaduifit  jufque  (bus  U  tour  principale^ 


Jean      II.  219 

&  lui  montra  qu^elle  n'étoic  plus  foutenue  que  par  les  ■ 

apuis  qu'on  y  avôic  placés.  Certainement  fire  ,  dit  lé  ^^^  '5^^' 
commandant  François  à  TAnglois  ,  vous  ave[  honnt 
caufey  Ç/  et  que  fait  en  aver  vient  de  grande  sentillejfey^ 
fi  nous  rendons  à  votre  volonté  :  Ji  Jacques  bons  hom-- 
mes  eujfent  eu  pareil  avantage  y  ils  n^en  auroient  pas 
uje  avec  tant  de  courtoifie.  La  garnifon  demeura  pri- 
sonnière. 

Edouard  après  fept  femaines  de  fîege  avoit  décampé  Froîjfard. 
de  devant  Reims ,  &  traverfant  la  Champagne  s*apro-  ç„l^^^:i^f* 
choit  des  frontières  de  la  Bourgogne,  11  avoit,  avant  dcNang. 
que  de  partir  d'Angleterre ,  pris  toutes  les  précautions 
poffibles  )  afin  que  rien  ne  retardât  la  marche  de  fon 
ar*mée.  Il  conduifoit  avec  lui ,  pour  traverfer  les  étants 
&  les  rivières  ,  jufqu'à  des  oateaux  de  cuir  bouilli 
dont  chacun  pouvoit  contenir  trois  ou  quatre  hommes, 
II  parcourut  la  France  avec  la  même  fécurité  dont  il 
eût  pu  jouïr  dans  fes  propres  Etats,  prenant  le  plaifir 
de  la  chafle  du  vol  &  de  la  pêche,  Perfonne  n*ofoit 
fe  préfenter  devant  une  armée  auffi  formidable  que  la 
fîenne  ;  &  s*il  fe  commettoit  de  temps  à  autres  quel- 
ques hoftilités  ,  ce  n*étoit  que  par  des  détachements 
qui  s'éloignoient  du  gros  dé  l'armée  pour  faire  des 
courfes,  ou  ataquer  quelques  petites  places. 

Sur  les  avis   qu'Edouard  reçut  du  projet  que  quel-     Dcfccntcca 
ques   chevaliers  de  Normandie  ,  de  Picardie,  &    de  Angleterre. 
Flandre  avoient  formé  de  faire  une   defcente  en  An-  -„j^^7ôm''^' 
gleterre  pour  enlever  le  roi  Jean  ,  il  envoya   ordre  de  part.i,f,\l'^, 
transférer  ce   prince  du  'château  de   Sommerton  à  ce-  ^/^'v. 
lui  de  Berkampftedc.    La  crainte   qu'on    ne  lui'  ravît 
fon  prifonnier  ne  lui  permcttoit  pas  d'être   trahqùile  : 
il  le  fît  conduire  fucceflivement  de  forterefle  en  for- 
terefTe  jufqu'à  la  tour  de  Londres,  Il   crut  avoir  tout 
Heu  de  s'aplaudîr  de  cete  prévoyance,  lorfqa'il  fut  in- 
formé que  les  François  avoient  débarqué  en  Angle- 
terre,  &  s'étoient  emparés  de  la  ville  de  Wynchelfe, 
qu*ils    avoient   pillée  oc  embrafée  avant    que   de  re- 
monter fur  leurs  vaifFeaux. 

E  c  ii 


110  HisTornE   DE   France^ 

^  '      De  toutes  les  parties  de  la  France,  la  Bourgoj^nft 

Ann.  ijéo.    étoit  Celle  qui  avoit  le  moins  foufert ,  grâce  k  la  (âge 
La  Bourgogne  conduite  de  la  reine  Jeanne,  qui  maleré  fon   mariage 

compote  avec  ^  i  i'«r^i  S 

Edouard  pour  en  lecondcs  noces  avec  le  roi,  avoit  conlervé  la  tutele 
fc  racheter  du  du  jeune  duc  de  Bourgogne,  fils  d'elle  &  de  Philippe 
^*  F^  T  d  ^  Bourgogne  ,  fon  premier  mari ,  tué  au  fiege  d'Ài- 
s^piciLcont.  guillon  fous  le  règne  précédent.  Après  la  bataille  de 


dt  Nang.        Poiticrs  ,  ccte  vertueufe  princefle ,  voyant  les  défordres 

Gui  afligeoient  le  royaume  ôc  l'impumance  où  elle  étoit 

d'y  remédier ,  s'étoiç  retirée,  dans  les  Etats  de  fon  fils. 

Elle  mourut  à-peu-près   dans  ce  temps  (  ^  ) ,  laifiant 

le  jeune  duc  fous  la  conduite  d'un  confeil  compofé 

des  principaux  de  la  province.   L'âge  de  ce  prince  ne 

lui  avoit  pas  permis  de  prendre  part  aux  troubles  qui 

agitoient  la  France ,,  &  les  fojets  n'en  avoient  été  cj^ue 

moins  malheureux.    L'a  proche  de  1  armée   Angloile  , 

(^ui  d'abord  s'empara  de  Flavigny  où  elle  trouva  quan- 

Rymer.  aB.  ^^  ^^  vivres,  jeta  l'alarme  dans  toute  la  province.  Le 

pu6L  tom.  3  i  roi  d'Angleterre  avoit ,  difoit-on  ,  defiein  d*y  demeu- 

&7ùi^'^'^^^'  ter  îufqu'au  printemps  :  pour  conjurer  cet  orage  ,  on 

conclut  un  traité  par  lequel  le  duc  &  les  Etats  de  Bour- 

gome  s'engagèrent  à  payer  en.  quatre  termes  deux  cent 

mille  moutons  d'or  y.  moyennant  laquele  fomme  l'An- 

glois  acordoit  une   trêve  de   trois  années  :  mais  cete 

trêve  devoit  être  rompue   en  cas  que  par  l'avis  de  la 

plus    grande  partie  des    pairs  du  royaume  ,  Edouard 

voulût  fo  faire  couronner  roi  de  France ,  ôc  que  le  duc 

de  Bourgogne  y  aporcât  quelque  obftacle.  Quinze  {t> 

eneurs  s'obligèrent  k  la  garantie  de  ce  traité ,  ainfi  que 

les  prélats  &  les  principales  villes  de  la  province. 

Edouard  après  la  conclufion  de  ce  traité  s'éloigna  de 

(a)  Mëzerâi  marque  la  mort  ic  ccte  reine  Qppt  ou  huit  mois  apris  la  hz^ 
taille  de  Poitier».  Cependant  le  continuateur  de  Naog^s  dit  que  la  notfvele  de  Is 
èompofition  faite  par  la  province  de  Bourgogne ,  pour  éviter  le  pillage ,.  fur 
aportée  à  Paris  dans  le  temps'  méniie  qu*il  écrivoit  fes  annafes.  Il  ajoute ,  qu'il 
ne  garantit  pas  ce  fait ,  qui  peut-être  n'étoit  qu'un  bruit  populaire  ,  ne  pou-* 
vant  fe  figurer  que  la  nobkfie  de  Bourgogne  &  la  reine  Jeanne ,  qui  ponr-lors 
réfidoit  dans  cete  province  ,  Ce  fulTcnt  déshonorées  par  un  traité  fi  honteux. 
Suivant  le  témoignage  de  cet  écrivain  ,  il;  paroit  incontefiable  que  la  icioc 
vivoit  encore.  Spiciu  cçtuin.  (k  Nangis^ 


Jean      II.  fiif  • 

Ja  Bourgogne,  &  s'avança  vers   Paris  en  côtoyant  le  ! 

Nivernois  qui,  dit -on,  fe  racheta  du  pillage  par  un    Ann.  ij^o. 
traité  dont  pourtant  on  ne  trouve  aucun  veltige  dans    l>™*c  An- 
les  aâes  publics  d'Angleterre.  L'armée  Angloife ,  après  fvoîr^trave7fé 
avoir  traverfé  &  ravagé  le  Gatinois,  vint, camper  aux  la  France,  , 
environs  de  Montlhéry  &  de   Longjumeau.   Edouard  IlèsdcP^m! 
étoit  logé  au  château  de  Chanteloup,  .entre  Montlhéry     Froijfard' 
&  Châtres  [  aujourd'hui  Arpajon  3»  ^^''?''-  ^'^• 

.  Ce  fut  là  pour  la  première  fois  que  ce  prince  prêta  ^f^at/^"'' 
l'oreille  aux  proportions  d'un  acommodement.  Uabé 
de  Cluny  &  Simon  de  Langres  général  des  Domini-  Négociations 
cains ,  légats  nommés  par  S,  S.  pour  procurer  la  paix  **^  7^/v"«tu  ^^ 
entre  la  France  &  l'Angleterre,  après  plufieurs  voya- 
ges de  Paris  ,  où  le  régent  fe  tenoit  renfermé  ,  au 
camp  d'Edouard  ,  déterminèrent  enfin  le  monarque 
Anglois  k  confentir  qu'on  commençât  les  négociations.* 
La  conférence  fe  tint  dans  la  maladrerie  de  Longju^ 
meau  :  le  connétable  de  Fiennes ,  le  maréchal  de  Bou- 
cicaut ,  Jean  le  Maingre ,  les  ièigneurs  de  Garencieres 
éc  de  Vignay  ,  Jean  de.  Buflî  &  Guichard  de  Lan^le 
chevaliM|,  &  Maillard,  ce  fidèle  bourgeois  de  Pans, 
bien  c^ie,  après  avoir  délivré  fes  concitoyens,  de 
travailler  au  bonheur  général ,  s  y  trouvèrent  de  la  part 
du  régent  :  &  de  celle  du  roi  d'Angletnre,  le  duc 
de  Lencaftre,  les  comtes  de  Warwich  &  de  Nore- 
tonne  ,  Jean  Chandos  ,  &  Gautier  de  Mauny.  Ces 
plénipotentiaires  fe  féparerent  fans  rien  conclure. 

Edouard  alors  s'aprocha  de  Paris   &  vint  loger  au    £joaar<!  cn- 
Bourg4a-Reine ,  d'où  il  envoya  un  héraut  au  régent ,  voie  défier  le 
chargé  de  *le  défier  à  la  bataille.  Le  prince  ne  fit  au-  ^^^^l' 
cune  réponfe  à  cete  bravade.   On    renoua  cependant  ^^' 

la  négociation  ,  mais  avec  aufli  peu  de  fruit  que  la 
première  fois.  Edouard  fe  flatoit  qu'en  faifant  le  dé* 
gât  dans  les  environs  de  la  ville ,  il  atireroit  les  habi- 
tants au  combat  ;  mais  le  régent  avoit  fait  défenfe  ex-  < 
preffe  de  fortir.  On  détruifît  les  fauxbourgs  de  S* 
Germain ,  de  Notre-Dame-des-champs  &  de  S.  Mar- 
cel.   Les  fortifications  que    le  prévôt  des  marchands 


♦  a2«  Histoire   db   France, 

— "-*™*^  avoit  Élit  conftruire  dans  le  temps  des  derniers  trou- 
Ann.  ijtfo.    bles  mettoicnt  la  ville  hors  d'infuke ,  &  du-moins  on 

tira  ce  bien  de  la  révolte  de  Marcel. 
Les  environs  Lcs  Anglois  campés^  Châtîllon  ,  k  Montrouge  ,  à 
i'bÉsf^^'  Vanvres  ,  k  Vaugirard ,  k  Gentilly ,  k  Cachand ,  côu^ 
roient  impunément  la  campagne  &  venoiedt  journéle-^ 
ment  infulter  les  Parifiens  julque  fous  leurs  murailles. 
Environ  douze  cents  hommes  des  vilages  voifins  de 
Châtres  s^étoient  retirés  dans  un  monaftere  aparté- 
nant  k  S.  Maur-des-FofTés  :  ils  avoient  fait  une  efpece 
de  forterefTe  de  Téglife  ,  entourée  de  fofl'és  &  garnie 
de  machines  de  guerre.  Les  Anglois  ataquerent  ce  fort. 
Le  capitaine  qui  cammandoit  cete  multitude  fe  trou- 
vant trop  incommodé  des  pierres  que  les  Anglois  ûd 
difcontinuoient  pas  de  lancer  ,  gagna  une  tour  con- 
tiguë  k  Téglife ,  luivi  des  hommes  de  guerre  qu'il  avoit 
avec  lui  ,  &  abandonna  ces  malheureux    habitants  f 

3ui  fè  voyant  fans  défenfe ,  réfolurent  de  fe  livrer  au< 
Lnglois  9  reprodiant  k  ce  chef  déferteur  qu'il  les  laif-* 
foit  k  la  dikrrétion  des  ennenûs.  Ce  barbare  ^irité  de 
ces  Juftes  reproches  /  &  voulant  les  enipêch  de  fe 
rendre,  fit  mettre  le  feu  k  Téglife.  La  namiro  en  un 
inftant  dévora  tous  ceux  qui  sy  étoient  réfugiés.  Mais 
il  ne  porta  pas  loin  la  punition  de  fon  crime  :  Fembra- 
femcnt  parvint  de  Téglife  k  la  tour  qui  fut  brûlée  > 
ainfi  que  ceux  qui  s'y  étoient  renfermés. 

Les  habitants*  de  Thoury  ,  ville  afTez  confidérâble 
entre  Ecampes  &  Orléans ,  s'étoient  cantonnés  dans 
des  loges  &  des  baraques  de  bois ,  qu'ils  avoient  conf- 
'  truites  auoDor  d'un  château  bien  fortifié ,  fi^tué  au  mî-^ 
lieu  de  leur  ville.  Ils  avoient  détruit  leurs  habitations 
&  emporté  avec  eux  ce  qu'ils  poffédoient.  Les  An- 
glois s'en  étant  aprochés ,  un  des  leurs  mit  le  feu  k 
une  maifon  qui  par  hafard  fubfiftoit  encore  :  il  faifoit 
un  grand  vent  qui  porta  des  parceles  de  feu  fur  les 
toits  de  ces  cabanes.  L'incendie  fe  communiquant  avec 
une  rapidité  inconcevable,  fit  périr  tous  ces  infortû-^ 
nés  au  milieu  des  flammes.  Les  hommes,  les  femmes 


Jean      IL  223 

&  les  enfants  pouflbient  des  cris  qui  ateodriflbient  leurs  ■; 

ennemis  mêmes  :  il  ne  fut  pas  poilible  de  les  fecourir:    Ann.  1560. 
ils  périrent  prefque  tous',  &  la  ville  ne  fut  plus  qu'un 
monceau  de  ceixdre$«   Les  villes  de  Mootlhéry  &  de 
Longjumeau  furent   aufli  inceudiées  :  on  vpyoit  ces 
embralemeots  des  remparts  de  Paris.  La  plupart  des 
habitants;  des  campaj^nes  circoQvoifines  acouroient  dans 
cete  capitale  :  on  les  vi^oit  errer  dans  les  rUes  fans 
trouver  aucun  fecours.  Ajouter  à  tanc  de  calamités 
une  famine  afreufe  :  le  fetier  de  blé  valoit  quarante^ 
huit  livres  parifis.   Teje  étoit  la  fîtuation  de  nos  pères    '  ckriT.MS. 
dans  Tenceinte  de. ces  murs»  aujourd'hui  le:  théâtre, de  duroijcan. 
la  moleâe  >  des  plaifirs  &  de  la  diffipatîon.  - 

JLçs  campagnes  avoient  été  trop  maltraitées  ,  &  lar-  ^  Les Angioi$ 
mée  An^loife  étoit  trop  nomboretife  pour  qu'Edouard  p^HsP^"^  *** 
pûc  la  foire,  fubfiftcr  long  -  tcmpst  dans  Iç  même  en-      ù^^^^ 
droit.   Il  fottçea.  donc  à  s'éloîgpier  de^  Paris  ,   voyaiir 
quUl  n'y  avoit.  pas  d'apareacè»  de.  pwiVoir: forcer  cjetc 
ville,  ou  détermioer  le  régent  au  combat.   Le^  trou-» 
pes  ennemies  décampcreoc  après  avoir  achevé  de  dé-» 
truire  &  d*embrafcr  tous  les  poftes  qu'elles  ocupoient. 
Un    détachement  de   Tarière -garde  vint   infi|lter  les 
Parifiens   îufqu'auprès  de  Si  mrcbL  Plufieors  cheva-  • 
Hers  ae  pouvant  uuifrîr  ee  défi  »  fortdrent  de  la  ;villé 
malgré  la  défenfe  du  .régent  :  ils  furent  punis  de  leur 
témérité.  A  peine  avoient-ils  paffé  le  Bourg-la-Reiiie 
qu'ils  tombèrent  dans  une  emoufcade  :  la  plupart  fu- 
rent tués,  on  pris>  &  les  autres  eurent  bkn  de  la  peine 
à  fe  faire  jour  à  travers^  les  ennemis  pour  rentrer  dans 
Paris.    Les  Ai^ois  le  même  iour  laiâerent  aler  fur 
leur  parole  les  .prifonniers  cp'ils  firent  en  cete  ocafion« 

Le  dcflein  d'Edouard  étoit  de  rafraîchir  fon  armée  Edoaarfba- 
dans  laBeauce  &  dajis  le  oays  Chartrain  ,  de  paffer  {^"^t  mU^ 
enfutce  en  Bretagsie  ^  &  ae  centrer  de  nouveau  en 
France  pour  faire  le  fiége  de  Paris,  ne  voulant  point 
retourner  en  Angleterre  qu'il  n'eût  achevé  fon  entre- 
prife.  Les  lésats  du  pape  ne  ce0bient  de  l'exhorter  à 
la  paix  y  quelquefois  il  n'en    paroiflbit  pas  éloigné  : 


i24  Histoire   de   France, 

'■■  mais  la  dureté  des  conditions  détruifoic  '  bientôt  tout 

Aûû.  i}6o.  efpoir  d'acommodement.  La  fureur  des  deux  partis 
cependant  commençoit  à  fe  ralentir  par  Tépuifement 
de  leurs  forces  :  la  France  étoit  aux  abois  ,  &  les  An- 
glois  eux-mêmes  excédés  d'une  marche  pénible  à  tra- 
vers des  provinces  devenues  ftériles  par  les  malheurs 
de  la  guerre ,  épuifés  d'ailleurs  par  les  incommodités 

Su'ils  avoient  (oufertes  des  ^ueurs  de  Thiver,  pen- 
ant  lequel  ils  avoient  prefque  toujours  tenu  la  cam«- 
pagne ,  ne  demandoient  ^us  qu'à  jouir  de  quelque 
repos.  Cete  armée  fi  floriflante,  en  entrant  en  Fran- 
ce, avoit  déjà  beaucoup  perdu  de  fon  aâivité.  Edouard 
ne  pouvoit  s'empêcher  de  cohfidérer  que  tout  ce  grand 
armement  ne  lui  avoit  produit  d'autre  avantage  que 
de  lui  procurer  la  trifte  facilité  de  porter  dans  les 
campagnes  le  ravage  &  la  défolation  ,  fans  qu'il  pût 
s'aplaudir  de  la  conquêtp  d'une  place  importante;.  Ces 
réflexions  ne  durent  pas  peu  contribuer  à  lui  infpirer> 
des  difpofitions  pacifiques.  Les  deux  légats ,  qui  ne  le 

3uitoient  prefque  pas ,  lui  firent  enfin  agréer  que  des 
éputés  des  deux  partis  s'afTemblafTent  pour  traiter  de 
la  paix.. 
du d^cLca-       Comme  Edouard  témoignoit  encore  quelque  îrré- 
caftrp!^  ^  ^^  folution ,  le  duc  de  Lencaitre  acheva  de  le  déterminer 
par  fes  repréfentations.   Confidcrc[  ,  Monfcigncur ,  lui 
dit  ce  prince,  que  cete  guerre  que  vous  faites  au  royau^ 
me  de  France  eji  trop  peu  favorable  pour  vous  :  vos 
gens  y  gagnent ,  &  vous  y  perdre^  votre  temps  ;   tout 
conjiaéré  que  vous  y  guerroyé:^  félon  votre  opinion  (^), 
vous  y  itjere[  votre  vie ,  ^  c^fft  fort  que  vous  en  venie[ 
ja  à  votre  entente.  Si  vous  confeille  que  entendit^  que 
vous  en  puijjie[  yffr  à  votre  honeur ,  que  prenie[  les 
ofres   qu^on    vous  préfente  :  car  ,  monfèigneur  ,    nous 
pouvons  plus  perdre  en  un  jour  que  nçus  n^ avons  gagné 
en  vingt  ans. 

(a)  C'eft  comme  s*il  avoit  dit  s  En  fu^ofant  mime  qutvous  fiffiif  ta  ^trtf 
/^toa  votre  e/péraacf. 

On 


J      E      A      N        I  I.  22^ 

On  ne  peut  pafler  fous  filence  un  événement  dont  ^^^^^— "^ 
le  témoignage  unanime  de  tous  Içs  écrivains  contem-    a°"-  '3^o- 
porains  ne  permet   pas  de  douter.    Ils  xaportent  que     Edouard  fc 

-%  ,  *  i*-i»Af  /•'^  /^        détermine. 

dans  le  temps  que  le  roi  d  Angleterre  étoit  campé  au-  uifUm. 
près  de  Chartres ,  il  furvint  "un  orage  acompagné  de 
tonnerres  &  de  grêle  d'une  groffeur  prodîgieule,  qui 
écrafoit  les  hommes  &  les  chevaux.  Les  tentes  ara- 
chées  par  la  violence  du  vent  étoient  entraînées  dans 
les  torrents  rapides  que  formoit  cet  afreux  déluge. 
Mille  hommes  d'armes  &  dIus  de  fix  mille  chevaux 
périrent  en  cete  ocafion.  On  dit  Gu*en  ce  moment 
Edouard  éfrayé  fe  tourna  vers  Péglife  de  Chartres^  i& 
fît  vœu  de  facrifier  Ion  reflentiment  &  fes  prétentions 
au  bien  de  la  paix.  Le  brillant  auteur  de  Teflai  fur  Effaifurthift. 
Thiftoire  générale  oppofe  au  récit  des  hiftoriens  qu'il  ^''^'•\^^^-^' 
acufe  de  (implicite,  une  objeâion  plus  éblouiflante  ^^/î^'^['''*** 
que  folide.  Rarement  ,^1'tX  ^  la,  pluie  a  décidé  de  la 
volonté  des  vainqueurs  &  du  deJHn  des  Etats.  Si  cet 
illuftre  écrivain  s'étoit  donné  la  peine  de  faire  aten- 
tion  k  cete  multitude  de  révolutions  arivées  dans  Tuni- 
vers ,  il  auroit  reconnu  que  très  foxiven^  des  caufes 
plus  foibles  qu*une  tempête  extraordinaire ,  ont  oca- 
lionne  des  changements  encore  moins  prévus  :  il  n'en 
faut  pas  tant  à  la  fragilité  humaine  pour  nous  détermi- 
ner dans  les  aâions  les  plus  importantes.  D'ailleurs  ce 
qu'il  avance  ne  peut  détruire  un  feit  atefté  &  qui  ne 
répugne  point  à  la  raifon.  Il  n'eft  pas  néceffaire  da 
recourir  au  miracle  ,  &  Ton  peut  fe  convaincre ,  fans 
être  acufé  ii'une  fuperftîtieufe  crédulité,  que  la  Pro- 
vidence fe  fert  fouvent  des  moyens  les  plus  fimples 
pour  nous  faire  entendre  la  voix  de  la  juftice  &  de  la 


traité 


raifon.  Froiffard  ,  qui    pour  lors    écrivoit  fon  hiftoire     f^ifi^r. 
&  ,oui  eut  plufieurs  fois  Thoneur  de  voir  Edouard  III ,  ^^  Nanèf^'^^' 
&  ne  lui  parler ,  aflure  que  ce  priftce  depuis  le 
convint  de  Timpreffion  que  Torage  fit  fur  lui.  Le  con- 
tinuateur de  Nangis  marque  précifément  que  plufieurs 
des  principaux  feigneurs  &  capitaines  Anglois  alerent 
;rome  V.  F  f 


2z6       "       Histoire    de   Fratîce, 

■  nuds  pieds  de  leur  camp  à  l'églife  cath^rale  de  Char- 

Ann,  13^0,  ç^es  rendre  grâces  à  Dieu  du  recour  ^c  la  paix. 
Conférences  ^^  ^"^  ^  Brétîgny ,  bourg  litué  ^  une  licue  de  dif- 
&  traité  de  tance  de  la  ville  de  Chartres  ,  qqe  fe  rendirent  les 
Brccigny.  députés  chargés  de  cece  intéreflanti^  négociation.  Le 
d  u^'^hltihcf.  traité  fut  fait  au  nom  des  deux  princes  fils  des  rois 
du  roi.        '  de  France  &  d'Angleterre.   Les  plénipo ternaires  nom- 

^om'^^'ïrt^i  ^^^  ^^  ^^  JP^^^  ^"  régent  étoient ,  Jean  de  Dormans 
tom.^  Impart,  i  ^^^^^^  ^^  Beauvais  ,  chancelier  du  duc  de  Normandie , 

Mémorial,  de  Jean  de  Melun  comte  de  Tancarville  encore  prifon- 
^Compusl^^^^  nier   fur  fa  parole  ,  les  feigneurs  de  Montmorency  , 
chron.MS.  de   Boucicault^  de  Vignay  &  de  Reneval,  Simon  de 
^'^ChrinT' de  ^^^Y.  ?^^^^^^  préfidcut  ,  Eftienne  de'  Paris  chanoine 
Saïnt-Denis!  ^^  Notre  -  Dame ,  Pierre  de  la  Charité  grand  chantre 
de  ladite  églife ,  Jean   Dogerant  doyen  de  Chartres , 
Guillaume   de  Dormans  y   Jean  Delmarès  avocat    au 
parlement,  &  Jean  MailIar()i|)ourgeois  de  Paris.  I^ts 
minières   Anglois  étoient  y  le  duc  de  Lencaftre  »   les 
comtes  de  Northampton  ,  le  duc  de  Warwich ,  de  Staf- 
ford  ,  de  Salifbury  ,  les  feigneurs  de  Mauny  ,  de  Gob- 
hean ,  de  Beauchamp ,  le  Captai  de  Buch  ,  &  autres 
chevaliers  au  nombre.de  vingt-deux.  Les   conférences 
durèrent  pendant  une  femaine  entière.  Enfin  toutes  les 
conditions  d'une  paix  fi  defirée  étant  réglées  de  parc 
&  d'autre ,  le  famedi  feptieme  jour  du  mois  de  Mai  ^ 
on  convint  pour  préliminaire ,  d'une  crevé  qui  dévoie 
durer  jufqu'a  la  faine  Michel  de  Tannée  fuivance. 
Articles  du      ^^  lendemain  de  la  conclufion  de  la  crevé  ^  le  traicé 
traité  de  Bré-  de  paix  ,  cél   qu'il  devoit  fubfifter  jufqu'à  ce  au  il  eue 
^'gny*  éf é  confirmé  par  les  deux  rois  ,  fut  figné  par  les  plé- 

nipotentiaires des  deux  partis.  Comme  la  fuite  de  Thif- 
toire  obligera  plus  d'une  fois  de  recourir  aux  condi- 
cions  de  cete  paix  pour  TéclaircifTemenc  des  contcfb- 
tions  qui  furviendront ,  il  efl:  néceffaire  d'en  raporter 
au  -  moins  le  précis  le  plus  fommaire ,  mais  en  même- 
cemps  le  plus  exaâ^  en  diflinguanc  cous  les  arcicles ,  afin 
d^évicer  la  confiifion.  Voici  ces  articles  au  nombre  de 
quarante,  i?.  Le  roi  d'Anglecerre ,  outre  ce  qu'il  te- 


J      E       A      N         I    L  .  227 

noît  en  Guîenne  &  en  Gafcogne ,  dévoie  être  mis  en  . 

pofleflion  du  Poitou,  des  fiefs  de  Thouars  &  de  Belle-  ^^*  »3«0- 
ville ,  de  la  Saintonge  ,  de  T Agénois  ,  du  Périgord  , 
du  Limofin  ,  du  Quercy  ,  de  larbes  &  de.^Bigorre, 
du  comté  de  Gaure  ,  de  TAngoumois  &  du  Kouer- 
gue  y  pour  les  tenir  en  toute  fouveraineté  ainfi  que  les 
rois  de  France  les  avoient  tenus  ,  avec  l'obligation  de 
la  part  des  feigneurs ,  tels  que  les  comtes  de  Foix ,  d'Ar- 
magnac ,  de  rifle ,  de  Périgord ,  lé  vicomte  de  Limo- 
ges &:  autres  dont  les  terres  étoient  enclavées  dans  les 
provinces  cédées ,  d'en  faire  hommage  au  monarque 
Angloîs. 

2^.  On  cédoit  à  Edouard  Montreuil  ;  3*.  le  comté 
de  Ponthieu  ;  4^.  Calais  avec  fon  territoire  ,  &  les  fei- 
gneuries  de    Merch  ,  Sangate ,   Coulogne  ,    Hoipes  , 
Wall ,  &  Oye  ;  ^''.  le  comté  de  Guines  ;  6"^.  les  îles 
dépendantes  de  toutes  les  provinces  cédées.   7^.  Le  roi 
de  France  &  fon  fils,  dévoient  dans  le  terme  d'un  an 
cranfporter  au  roi  d'Angleterre  tous  leurs  droits  géné- 
ralement (}Qelconques  fur  ces  provinces.   8°.  Il  eft  dit 
que  le  roi  d'Angleterre  les  tiendra  au  même  titre  que 
les  rois  de  France,  6c  que  toutes  les  aliénations  faites 
depuis    70   ans    par    les    monarques   François   feront 
révoquées  :  9°.  Que  le  roi  d'Angleterre  poffédera  dans 
ces  pays  les  terres  qui  avoient  apartenu  à  fes  prédécef- 
feurs ,  de  la  même  manière  que  les  rois  de  France  les 
avoient  tenues  depuis  ce  temps  :  10^.  ^ue  fi  dans  les 
lefdites   terres  jadis  poflédées  par  les  fois  d'Angleterre 
il    fe  trouvoit  quelques  aquifitiona  nouveles  faites  par 
les  rois  de  France ,  Edouard-  &  fes  fuccefleurs-  les  tien- 
dront au  même  titre.  L*onzieme  article  eft  une  répéti- 
tion du  (eptieme. 

Le  douzième  article  qui  mérite  le  plus  d'atention, 
par  les  dificultés  qui  fuivitent  fon  inexécution,  porté 
<jue  le  roî  de  France  &  fon  iils  aîné  renonceront  ex- 
preffément  aux  reflbrt  &  fouvéfaîneté  fur  toutes  les 
provinces  cédées  en  vertu  du  traité,  &  que  de  leur 
4^ôté  Edouard  &  le  prince  de  Galles  renonceront  expref-* 

F  f  i  j 


228  Histoire    de   France, 

^^^^^^^^^  fément  à  toucés  lés  prétentions  qu'ils  formoienc  avant 
Ann.  13^0.   le  traité,  &  fbécialement  au  droit  &   au   nom  de  la 
couronne  de  France ,  ainfi  qu'à  Thommage  des  duchés 
de  Normandie,   de  Touraine,  des  comtés  d'Anjou  & 
du   Maine ,  de  la  Bretagne  &  du  comté  de  Flandre , 
&  que  les  deux  rois  conviendront  à   Calais  du  lieu 
&  du  jour  auquel  ils  doivent  faire  les  renonciations 
réciproques,  ij"*.  En  conféquence  du  traité  le  roi  d'An- 
gleterre doit  faire  conduire  le  roi  de  France  à  Calais 
trois  femaines  après  la  S.  Jean  -  Baptifte.  14"^.  Le  roi 
de  France  doit  payer  à  Edouard  trois  millions  d'écus 
d'or  pour  fa  rançon  ,  fçavoir  fix  cent  mille  écus  à  Ca- 
lais quatre  mois  après  Ion  arivée  ,  &  quatre  cent  mille 
/écus  d'or  d'année  en  année  jufqu'k  la  nn  du  paiement. 
15®.  Immédiatement  après  le  paiement  des  premiers  fix 
cents  mille  écus ,  &  la  remiie  au  roi  d'Angleterre  de 
la  Rochelle  &  du  comté  de  Guines ,  le  roi  poura  fornr 
librement  de  Calais  ,en  livrant  pour  otages  rhilippe  de 
France  fon  fils  ,  les  comtes  d'Eu ,  de  Longueville ,  de 
Ponthieu ,.  de  Tancarville  ,  de  Joigny ,  de  Sancerre , 
de  Dammartin,  de  Ventadour,  de  Sallebruch,  d'An- 
cœur  &   de  Vendôme  ,.  les  feigneurs.  de  Craon  ,  de 
Derval ,  d'Odenham  &  d'Aubigny  :  ces  princes  &  fei- 
gneurs avoient  tous  été  pris  à  la  bataille   de   Poitiers. 
Voici  les  noms  des  autres  otages  :  Louis  comte  d'Anjou 
&  Jean  comte  de  Poitiers  fils  du  roi,   Philippe   duc 
d'Orléans  fon  frère,  le  duc  de  Bourbon,  les  comtes 
de  Blois  ou  d'AIençon  ou  leurs  frères  ,  les  comtes  de  S. 
Paul,  de  Harcourt,  de  Portien  ,  de  Valentinois ,.  de 
Brenne  ,  de  Vaudemont ,  de  Forez  ,  le  vicomte    de 
Beaumont  ,  les  feigneurs  de  Coqcy ,  de  Fiennes ,  de 
Préaux  ,  de  S.  Venant ,  de  Garencieres ,    le  dauphin 
d'Auvergne  ,  les  feigneurs  de  Hangeft ,  de  Montmo- 
rency j^  de  Craon  >  de  Harcourt  &  de  Lignyoïé®.  Ceux 
des   prtfonoiers  qui  font  donnés  en  otage  étoient  dé- 
clarés   quites  de  toute  rançon,  à  moins  qu'ils  n'euf- 
fent  compofé  avant  le  traité.  17^.  Dans  le  cas  où  quel- 
'    qu'un  des  otages  fe  retireroit  fans  congé ,  le  roi  devok 


J      I      A      N        II.  129 

en  rendre  un  autre  de  femblable  condition  k  la  pre-  - 

miere  demande  du  roi  d'Angleterre.  Cet  article  por-  Ann,  tj^o. 
toit  encore  que  le  roi  de  ^France  en  partant  de  Calais 
pouroit  emmener  avec  lui  dix  des  quarante  otages  ci- 
defïîis  nommés  ,  du  choix  deiquels  les  deux  rois  con-* 
viendroient.  18*^.  Le  roi ,  trois  mois  après  fon  déparc 
de  Calais^  devoit  livrer  au  roi  d'Angleterre  quarante-- 
deux  otages  bourgeois  y  dont  quatre  de  la  ville  de  Pa« 
ris ,  &  deux  des  dix-neuf  villes  fuivantes  ;  fçavoir  de 
Rouen  ,  S.  Omer  ,  Arras  ,  Amiens  ,  Beau  vais  ,  Lille , 
Douai  ,  Tournai ,  Reims ,  Châlons  ,  Troiès  ,  Char- 
tres ,  Touloufe  ,  Lyon  ,  Orléans  ,  Compiegne ,  Caen , 
Tours  &  Bourges.  Le  k)"".  article  concerne  la  con- 
duite du  roi  à  Calais ^.&  fon  féjour  dans  cete  ville  pen- 
dant quatre  mois ,  dont  le  premier  mois  aux  dépens 
du  roi  d'Angleterre  >  &  les  trois  autres  aux  dépens  du 
roi.  ao^.  Le  roi  un  an  après  fon  départ  de  Calais, 
rendra  la  terre  de  Montfort ,  au  comte  de  ce  nom. 
•Par  le  21^.  article  les  deux  rois  conviennent  d'efTajrer 
de  terminer  par, eux  ou  par  leurs  commiiTaires  le  difé- 
rend  entre  Cnarles  de  Blois  &  Jean  de  Montfort,  pour 
raifon   de  la  Bretagne ,  &  que  fi  par  eux  ^  mêmes  ou 

}>ar  les  amis  de  ces  deux  contendants  ils  ne  peuvent 
es  mettre  d'acord  au  bout  d'un  an  &  demi  ,  les  deux 
parties  pourfuivront  leurs  droits  comme  elles  voudront, 
avec  la  liberté  à  leurs  amis,  de  les  aider  ,  &  qu'au 
furplus  quel  que  foit  l'événement,  l'hommage  ue  la 
Bretagne  reftera  au  roi  de  France,  az^.  Les  deux  rois 
f«l  confirmeront  réciproquement  la  poiTefiion  des  terres 
cédées ,  toutes  les  fois  qu'un  des  deux  le  demandera.  Le 
2.5^.  article  a  pour  objet  la  reftitution  de  toutes  les 
terres  de  Philippe  de  Navarre.  24'.  Le  roi  d'Angle- 
terre pour  cete  fois  feulement  poura  difpofer  de  la 
fuccefiion  de  Geofroi  de  Harcourt ,  qui  Tavoit  infti- 
tué  fon  héritier ,  ainfi  qu'il  a  été  marqué  plus  haut. 
25^  Aucuns  des  fujets  des  deux  princes  qui  par  le  traité 
changent  de  domination,  ne  peuvent  être  inquiétés 
pour  quelque  aâion  qu'ils  ayenc  commife  auparavant» 


1^0  Histoire   de   F^^ance, 

^  26^.  Tous  les  propriétaires  des  terres  confifquées  peo- 
Ann.  liéô^  dant  la  guerre  en  feront  remis  en  poffeïlion ,  à  Fex- 
ception  des  feigneurs  de  Fronfac  ,  &  de  Galard  Braf* 
fac  feigneur  de  Limeuil.  Le  fécond  de  ces  deux  fei- 
gneurs ,  très  puiffant  &  très  confidéré  dans  la  Guieone^ 
avoit  fait  un  traité  particulier  avec  le  prince  de  Galles  , 
confirmé  par  Edouard  qui  lui  donna  quatre  mille  liv. 
de  rente  en  terre ,  en  confidération  jdu  mariage  pro- 
jeté de  fon  fils  avec  la  fille  du  feigneur  d^Albret  , 
alié  depuis  long-temps  avec  le  roi  d*Angleterre  (tt). 
Par  le  27®.  article  le  roi  doit  remettre  dans  le  cours 
d'un  an  toutes  les  terres  tranfportées  par  le  traité. 
28^.  Le  roi  d'Angleterre  doit  remettre  a  fes  propres 
dépens  toutes  les  terres  ou  places  tenues  par  lui  ou 
par  fes  aliés  dans  la  Touraine ,  TAnjou  ,  le  Maine  y  lo 
Berry  ,  l'Auvergne ,  la  Bourgogne  ,  la  Champagne  , 
la  Picardie  ,  la  Normandie  &  Tlle  de  France ,  la  Bre- 
tagne exceptée  ,  à  condition  qu'au  préalable  le  roi  de 
France  aura  fourni  Taôe  de  renonciation  &  aura  livré  * 
le  Ponthieu  9  la  Saintonge  ,  l'Angoumois  ^  &  la  fei- 
gneurie  de  Montfort.  29®.  Le  roi  de  France  fera  pa- 
reillement la  délivrance  à  fes  dépens  des  terres  qu'il 
doit  céder  ;  &  en  cas  de  défobéifiance  de  la  part  de 
ceux  qui  tenoient  lefdites  terres  ^  les  deux  rois  font 
obligés  de  s'aider  mutuélement  à  les  réduire.  30^.  Le 
clergé  doit  jouir  de  fon  temporel  dans  les  provinces 
dépendantes  des  deux  monarques.  Le  31^.  article  con- 
firme l'aliance  des  deux  rois.  Le  32^.  oblige  le  roi  de 

(a)  Jean  de  Galard  de  Braflac  ,  feîgnear  de  Lîmeail,  itoh  fils  de  Pierre  de 
Galard  ,  grand  maicte  des  arbalétriers  fûas  le  règne  précédent  ,  charge  qui 
répond  à  celle  de  grand-maître  de  l'artillerie.  Les  defcendants  de  cete  mai-» 
fon  ,  connu  fous  •  les  noms  de  Galard  Terraube  &  Galard  Bralîac  ,  Tune  des 
plus  anciennes  &  des  plus  diftinguéet  de  la  Guienne  ,  ont  toujours  depuis  ce 
cemps  (îgnalé  leur  lele  &  leur  atackement  pour  la  perfonne  de  nos  rois  ,  8c 
ont»fufifammcnt  réparé  par  leurs  fcrvices  &  leur  fidélité,  une  démarche  à  la- 
qucle  Jean  de  Galard  ne  s'étoit  laiffé  entraîner  que  par  la  conjondure  des 
temps  ,^  la  pofitjon  de  fes  domaines  ,  Taliance  &  Tafinité  de  (a  nuifon  avec 
celles  d*Armagnac  ,  dcFoixIli:  d'Albret»  &  fur* tout  retendue  de  U  principauté 
de  Guienne  ,  dont  les  limites  incertaines  ocafionnoient  quelquefois  des  dificulté< 
pour  la  movaztïcç  &  le  vpffon  dçs  fci^oet^s  voifiaes» 


J      E       A      l/        II.  231 

France  de  renoncer  k  l'aliance  des  Ecoffoîs,  &  le  roi  . 
d'Angleterre  à  celle  des  Flamands.  Par  le  33^.  les  deux  Ann.  1360. 
rois  s'engagent  à  faire  aprouver  le  traité  par  le  pape 
fous  la  peine  des  cenfures  écléfiaftiques.  Le  34^  con- 
firme toutes  les  collations  des  bénéfices  faites  pendant 
la  guerre.  Le  35^.  prefcrit  que  les  fujets  des  deux 
royaumes  jouiront  des  privilèges  des  univerfités.  3^°. 
Les  deux  rois  doivent  (e  donner  mutuélement  des  let- 
tres de  sûreté  fcélées  de  leurs  grands  fceaux ,  lignées 
par  les  princes  de  leur  fang ,  &  par  vingt  des  principaux 
leigneurs.  S  il  fe  trouvoit  des  oppofants  au  traité  ^  le 
roi  de  France  devoit  s'unir  avec  Edouard  pour  les 
contraindre.  Le  37e.  annule  tous  les  traités  précé- 
dents. 'Le  38^.  règle  la  manière  dont  les  deux  rois, 
un  mois  après  que  le  traité  aura  été  juré  à  Calais  ,  s'en- 
vèront  mutuélement  leurs  lettres  confirmatives.  39^. 
I4GS  rois  de  France  &  d'Angleterre  doivent  promet-* 
trc  de  ne  point  foufrir  qu'il  furvienne  de  la  part  de 
Rome  aucun  obflacle  k  l'exécution  du  traité.  Enfin  par 
le  40e.  il  eft  dit  que  les  deux  rois  conviendront  enfem- 
ble  à  Calais  de  la  manière  dont  le  roi  d'Angleterre 
cédera  au  roi  de  France  les  dix  otages  qu'il  doit  ren- 
dre ,  fuivant  Tarticle  dix-feptieme. 

Six  chevaliers  Anglois  députés  par  Edouard   &  le   Confirmation 
prince    de  Galles  vinrent  à  Paris  le  lendemain   de  la  àVaHs^p^k 
conclufion  du  traité  ,  pour  en  entendre  la  confirma-  régènc. 
non  de  la  propre  bouche  du  régent.  Ce  prince  manda     Ckron.MS. 
le  prévôt  acs  marchands   &  les  principaux  bourgeois  ^^^^J^^'^^ 
de  Taris ,  en  préfence  defouels  il  fit  lire  tous  les  arti- 
cles de  la  paix  par  Jean  Defmarès.  Après  cete  leâure 
Guillaume  de   Melun  archevêque    de  Sens  célébra  la 
meffe  dans  l'hôtel  de   Sens   ou  le  régent  étoit  logé. 
Pendant  la  célébration  le  prince  fordt  de  fon  oratoire  j 
s'avança  vers  Tautel,  &  pofant  une  de  fes  mains  fur 
le  Miiiel  ,  tandis   qu'il  aprochoit  l'autre  du  S.  Sacre- 
ment fans   toutes  --fois  y  toucher  ,  il   prononça    tout 
haut   devant  les  chevaliers  Anglois ,  le  ferment  pref- 
crit d'obferver  inviolablemenc  toutes  les  conditions  da 


ijî  Histoire   deFrance, 

-■  traité.    Auffi-tôt  que  le  ferment  fut  fait,  un  huiflîer 

Ann.  13^0.  d  armes  ouvrit  une  des  fenêtres  de  Tapartement  du 
duc  y  &  annonça  au  peuple  afièmblé  dans  la  cour  de 
Thôtel  ,  cnie  la  paix  étoit  faite.  Le  régent  fe  rendit 
enfuite  à  Notre  -  Dame  pour  rendre  à  Dieu  des  grâ- 
ces folenneles  du  retour  de  la  tranqûilité. 

Cete  cérémonie  fut  le  fignal  des  réjouïflances  publi- 
ques.   Les  chevaliers  Anglois  furent  honorés  &  fêtés 
pendant  le  peu  de  féjour  qu'ils  firent  k  Paris.  Le  ré- 
gent les  conduifit  lui-même  k  la  fainte  Chapelle  y  & 
leur   montra  les  reliques  qu'on  y   conferve.    Il    leur 
donna  un  feflin  magnifique^  &  les  congédia  après  avoir 
fait  préfent  k  chacun  d'eux  d'un  cheval  de  prix.    ^ 
A^^r'^é^^^^t      Le  prince  de  Galles  fit  le  même  ferment  dans  Té- 
le"  prfncc  d^  glif®  cathédrale   de   Louviers  en    préfence  de  fix  dé- 
Gaiics.  pûtes  du  régent.  Après  ces  premières  sûretés  de  paci- 

cft''co"Lu'à  fi""o^  dpnnées  de  part  &  d'autre  ,  le  roi  d'Ande- 
Calais.  terre  &  Ion  fils  s  embarquèrent  k  Harneur  &    palle- 

Uîdim.       rent  k  Londres  y  afin  de  commencer   l'exécution    du 
traité  en  faifant   conduire  k  Calais  le  roi  prifonnier. 
Jean  étoit  pour  lors  renfermé  dans  la  tour  de  Lon- 
foZ'i^'^""'  dres.  Ce  fut  Ik  que  ce  prince  ratifia  le  traité  de  Brétigny 
en  préfence  de  rhilippe  de  France  fon  fils  ,  des  comtes 
de  Ponthieu,  de  Tancarville,  d'Auxerre,  de  Joiçny  , 
de  Sancerre  y  &  de  Sallebruch.    Le  même  jour  il  fut 
élargi  de  la  tour  y  en  promettant  de  tenir  loyale  prifon 
jufcju'à  lacompliffement  des  conditions  qui  fuivant  lo 
Rym.aH.puBl.  traité  dévoient  précéder  fon  entière  délivrance.  Con- 
tom.  },part.i,  fermement  aux  termes  de  Tacord  le  roi  monta  fur  le 
dcNang.         vaiUeau  qui  devoit  le  tranfporter  en  France,   &   vmc 
Froijfard.     débarquer  k  Calais,  dans  le   même  temps  que  le  ré-» 
Ckron.MS.  g^^^.  p^^^j^  de  Paris  &  fe  rendit  k  S.  Omer. 
Subfidc ,  &      On  commençoit  cependant  k  lever  dans  le  royaume 
acordés^plncs  ^^  fubfîde  acordé  pour  payer  la  rançon  du  roi.  La  ville 
Parificns  pour  de    Paris  fournit  quatre- vingt  mille  florins  d'or  pour 
la^ rançon  du  ç^  ^^^^  J^   premier   paiement,  &  on   tira   par  forme 
d'emprunt  cent  mille  royaux  d'or  tant  des  gens  d'églife 
&  nobles  ,  que  des  gens  aifés  du  tiers-état«       . 

Edouard 


T    E     A    N      ï  ï*  ^33 

Edouard  ariva  trois  mois  après  le  roi  dans  la  ville  ^ 

'de  Calais  ,  &  les  deux  rois  dinerenc  enfemble.  Le  Ana.  xj^o, 
comte  de  Flandre  entra  dans  la  falle  où  ils  étoient  à 
table  :  il  fè  mit  à  genoux  devant  le  roi  de  France  y  & 
5'étant  relevé  il  falua  le  roi  d*Angleterre  d'une  fimple 
inclination.  Le  comte  de  Flandre  vcnoit  à  Calais  pour 
ratifier  les  claufes  du  traité  qui  concernoient  its  Etats , 
teles  que  Taliance  des  Flamands  avec  les  Anglois  j  &: 
la  fouveraineté  du  roi  de  France  fur  cete  province.  Le 
récent  s^étoit  rendu  à  Boulogne ,  d'où  il  ala  voir  le 
roi  Ton  ^ere  k  Calais  5  ayant  pris  la  précaution  de  ie 
faire  donner  les  deux  fils  puînés  du  roi  d'Angleterre 
en  otage.  L'entrevue  du  père  6c  du  fils  après  une  d 
lonjg;ue  abfqnce  fut  extrêmment  tendre.  Ils  prirent 
enfemble  les  mefures  convenables  pour  lacompliilè- 
ment  du  traité  &,  le  foulagement  des  maux  dont  le 
royaume  étoit  acablé. 

jLcs  premiers  jours  de  Tarivée  d'Edouard  k  Calais    tes  deux  lott 
furent  employés  k  drefTer  les  modèles    des   lettres  &  ^uu^êraUé 
des  aâes  jugés  néceflaires  pour  la  sûreté  y  ratification  dcBiécigoy» 
&,  exécution  de  tous  les  articles  que    les   deux   rois     Rvnur.  aa^ 
fignerent.  Enfin  le  vingt-quatre  Odobre  après  la  con-  P'^^-^'^^  ^  ^ 
firmation  de  la  paix  ,  ils  entendirent  la  méfie  enfemble  y  ^^ckron.^MS. 
•&  jurèrent  Tobfervation  du  traité  fur  les  faipcs  Evaa*  duroiJeau. 
giles.  Lorfqu'il  fut  queftion  dealer  k  lofi-ande  y  aucun 
des  deux  monarques  ne  voulut  précéder  l'autre  :  on 
aporta    la  paix   au  roi  de  France  y  qui  ne  la  ^voulut 
prendre  y  mais  fortant  de  fbn  oratoire  la  préfenqi  au 
roi  d'Angleterre  qui  la  refufa  pareillement  :  alors  les 
deux   prmces   s^embrafFerent  en    préfencp  de  tout   le 
monde. 

Les  aâes  relatifs  aux  diférentes  conditions  du  traité 
furent  expédiés  le  même  jour  ;  mais  le  plus  important  de 
tous  y  ôc  dont  les  autres  ne  font  que  des  dépendances, 
c'eft  la  ratification  dû  traité  niême  conclu  entre  le  duc 
de  Normandie  &  le  prince  de  Galles ,  autorifés  par  les 
pouvoirs  des  deux  rois  leurs  pères.  Le  changement  le 
plus  confidérable  qui  fut  ^t  a  ce  traité  &  qui  mérit» 
Tome  F.  •  G  g 


^54  Histoire   de   Fkakce, 

;  !  ^oe   férieufe  atention ,  c'eft  qu'on  retrancha  l'article 

Aaa*  i|^.  douzième  qui  concernoit  les  renonciations  refpeâives 
d'Edouard  a  la  couronne  de  France  ,  &  du  roi  à  la 
fouveraineté  des  provinces  cédées.  Pu  Tillet  &  quel- 
!ques  écrivains  après  lui ,  ont  prétendu  que  cete  Ibuf- 
traâion  du  douzième  article  étoit  l'ouvrage  de  la  poli- 
tique du  duc  de  Normandie  ^  qui  vouloit  fe  ménager 
un  moyen  de  revenir  contre  un  acord  défavantageux  ; 
mais  le  Fere  Daniel  obferve  qu'il  n'y  a  pas  d'aparence 
que  le  retranchement  d'un  point  fi  efTenciel  eût  échapé 
à  la  connoiilance  d'Edouard  &  de  fes  miniftres.  On 
peut  ajouter  à  cete  remarque  judicieufe  ,  que  ce  fut 
plutôt  un  artiiice  employé  par  le  roi  d'Angleterre  pour 
ie  conferver  fa  prétention  chimérique  au  ^trône  Fran- 
çois y. prétention  qu'il  n'abandonna  jamais  fincérement. 
Xa  bonne  foi  que  le  roi  4c  France  témoigna  dans  l'exé- 
cution du  traite^  &  qu'il  ne  démentit  point ,  ne  peut 
donner  prife  au  moindre  foupçon  :  il  faudrait  donc 
^  que  le  duc  de  Normandie  t'eût  trompé  auilî-biea 
Trlfot  it  qu'Edouard ,  ce  qui  ne  paroit  pas  vraifemblable.  Enfin 
^^Aa^^iûi^  pour juflifier  pleinement  la  franchife  du  roi  kcet  égard ^ 
l'exécution  du  o»  trouve  dans  le  recœuil  des  pièces  confervées  dans 
traité  d^  Bré-  uu  manufcrit  de  la  bibliodieque  du  roi ,  un  aâe  daté 
tigMUiQt.ài  jç  Boulogne,  par  lequel  le  roi  renonce  à  la  fouvcrai- 
neté  des  provinces  cédées  à  Edouard ,  à  condition  tou* 
tefois  que  ce  roi  renoncera  de/on  côté  à  fes  prétentions  y 
confosmément  au  dotmeme  article  du  traité  de  Bré- 
cigny.  Oue  pouvoit  ^ire  de  plus  le  roi  de  France?  Il 
envoya  dans  la  fuite  cet  aâe  de  renonciation  k  Brugés> 
ainfi  qu'on  en  écoit  convenu  ;  mais  le  roi  d'Angleterre 
n'agit  pas  de  même ,  perfonne  ne  fe  rendit  à  Bruges 
de  Ta  part,  / 

Vues  d*E-        U^®  pareille  conduite  ne  prpuve-t-elle  pas  manifefle* 
Couard  en  re-    ment  quo  fatisfàit  de  l'acompliflèment  des  autres  con» 
ficHcdouLt  ^i^i^^s>  iï.  ûe  vouloit  pas  en  rempliffant  ce  feul  arti- 
iBc  article.       cle  ,  fe   privcr' d'uri!  dioit  prétendu  qu'il  fe   réfervoit 
tacitement  de    faire  «valoir  dans  la  luite  ?  PofTefTeur 
de  plus  de  la.moiitié  du  royaume^  il  s'imaginoit  n'a- 


7      s      A      N        II.  23^ 

voir  plus  qu*un  pas  à  faire  pour  envahir  le  refte  k  la  ^*'^'*"^' 
première  ocafîon^  &  le  droit  de  fuzerainecé  dévoie  lui    Ann.  ij^©» 

f ^arbitre  un  avantage  chimérique  dans  la  perfonne  de 
ean ,  dès  qu^il  pcrnftoit  k  fe  regarder  lui-même  com«> 
me  fèul  légitime  roi  de  France.  Audi  négligea-t-il  dô 
répondre  aux  fommations  qui  lui  furent  Êtites  d'en-» 
voyer  à  Bruges  Taâe  de  la  renonciation. 

jLes  autres  articles  du  traité ,  à  la  réferve  de  quel-     DéUnaace 
ques-uns  des  moins  importants ,  furent  exécutés  fidé-  *^  '^V 
lemenc.   Le  roi  fit  expédier  des  ordres  à  tous  les  gou-      -^^^««• 
verneurs  6c  commandants  des  provinces  &  places  cé- 
dées ^  de  les  délivrer  aux  oficiers  du  roi  d'Angleterre. 
Les   principaux  otages  fe  rendirent  à  Calais.  Enfin  le 
roi  après  quatre  ans  un  mois  %c  fix  jours  de  captivité     ^^^H^^^ 
partit  k  pied  de  cete  ville  le  25  Oâobre  1360 ,  acom- 
pagné  du  prince  de  Galles    &  de  fes   deux  frères  y  Se 
vint  le  même  jour  en  pèlerinage  k  Notre  -  Dame  de 
Boulogne.    Edouard  Tavoit  conduit  par  honeur  jufqu'k 
une  lieue  de  diflance  de  la  ville  de  Calais. 

Le  roi  d'Angleterre  fuivant  le  traité  devoit  rendre     Pkjlippc  le 
au  roi  dix  des  otages  :  Philippe  le  plus  jeune  des  en-  f^£!iS 
fants  de  France  fut  de  ce  nombre.  L^atachement  que  eftccadu. 
ce   prince  avoir  témoigné  au  roi  fon  père  le  jour  de 
la  bataille  de  Poitiers ,  le  lui  avoit  rendu  extrêmmenc 
cher  :  cete    inclination  s'étoit  encore  fortifiée  par   lô 
lonç  féjour  qu'ils  avoient  fait  enfemble  en  Angleterre  ^ 
&  le  roi  ne.  tarda  pas  k  lui  donner  des  marques  de  fa  ^ 
prédileâion  fur  fes  autres  enfants.  • 

Le  jour  même  de  la  confirmation  faite  k  Calais  du  Traité  avec 
traité  de  Brétigny  ,  fut  conclu  lacommodement  du  roi  '« ^®*  «*«  ^a- 
de  Navarre ,  par  la  médiation  d'Edouard.  En  confé-  ^^^^Jâ..  mq 
quence  le  roi  acorda  au  Navarrois  une  abolition  gène*  concernant  u 
raie  tant  pour  lui  que  pour  fes  partifans,  &  la  refti-  trahi  dtBH^ 
tution  de  tous  leurs  biens.  Parmi  ce  grand  nombre  dç  ^if/^^ii %x^ 

Î partifans  compris    dans  Tamniftiè^  le  roi  de  Navarre      Rynur^aOk 
e  réferva  le  droit  d'en  nommer  trois  cents ,  auxquels  ^'"biJ^^^'J^j, 

...  -,  .      !•  j»  I     1^  •  mémoires  de 

on  devoit  donner  des  lettres  particuberes  daboliaon  Un.pourfer^ 
expédiées    en  chaocélerie  ,  &  cç  pardon  n'exceptoit  v""  ^  f^'fi^  <^« 

Gg  ij 


i^G  Histoire   de   France, 

!!!~î!=:=s  aucun  crime ,  non  pas  même  celui  de  lefe-majefté.  On 
Ann.  n^o.    ne  peut  retenir  fon  indignation  à  la  ledure  de  la  lifte 
roi  de  ^vdr-  qu^jj  donna  ,  d'y  voir  Robert  le  Coq  Evêque  de  Laon, 
a)tfe!^       *"  c^  prélat  fi  digne  des  plus  féveres  châtiments  :  mais 
Trtfor  des    le.roi  en  acordant  cete  grâce  k  laquele  il  ne  fe  déter- 
îwavara  ^*  ^î^oit  quc   oour  le  bien    de  la  paix  ,  exigea  que  ce 
Chambre  des  prêtre  turbulent  fortît  du  royaume.  Il  pafla  en  Efjpa- 
cwKptesy  mém.  gne  où  il  mourut  évêque  de  Çalahorra.  Charles  s'obli- 
gea par  ce  traité  de  venir  trouver  le  roi  &  de  lui  faire 
ferment  de  fidélité ,  k  condition   cependant  qu'on  lui 
remettroit  pour  sûreté  de  fa  perfonne  douze  otages  à 
fon  choix  parmi  les  princes  &  feigneurs ,  les  enfants 
de  France  exceptés.  Les  glaces  ocupées  parles  Anglois^ 
dans  les   domaines  du  roi  de  Navarre  j  dévoient   lui 
être  reftituées  ;   &  fi  quelques  ennemis  vouloient  lui 
faire   la  guerre,   le  roi  promit  d*obferver  une  exaâe 
neutralité.    Enfin  ce  traité  confirma  Tacord  précédem- 
^  ment  fait  entre  le  duc  de  Normandie  &  la  reine  Blan*- 
che.  Cete  paix  avec  le  Navarrois  fut  jurée  par  les  rois 
de  France  &  d'Angleterre  en  préfence  du  duc  d'Or- 
léans ,  de  Tévêque  de   Térottane  ,  du  comte  de  Tan- 
carville  &  des  autres  plénipotentiaires  du  roi  de  Fran« 
Trifordes    ce ,  &  de  Philippe  de  Navarre,  de  Tévêque  d'Avran- 
CAtfrrr. /tfy.  4,  chcs ,  du  Captai  de  Buch  &  des  feigneurs  de  Pecqui- 
fiece^.  gny  a^  nom  du  roi  de  Navarre,  qui  envoya  quelque 

temps  après  fes  lettres  de  ratification. 

Le  roi  fe  rend      QucIqucs  jours  après  ,  le  roi  partit  de  Boulogne  & 

\l^lT^lZl  vint  à  Saint-Omer ,  où  Pon  célébra  fon  arivée  par  des 

rois  lui  prére  réjouifiauccs   &  dcs  fêtcs.   On  donna   un   magnifique 

Séiité"^         tournoi  auquel  affifterent   plufieurs    feigneurs  &  che- 

chroniq.de  valîers  François  &  Anglois.  De  Saint-Omer  Jean  fe 

s.  Denis.       rendit  à  Hefdin ,  où  il  demeura  quelque  temps.  Ce  fut 

^FroiTar^^^  en  cete  ville  qu'il  nomma  plufieurs  oficiers  pour  com- 

SpUiL^cont.  pof^^r  f^  mailbn  :  il  y  fit  Tordonnance  de  fon  hôtel  & 

itNang.        de  fa  chambre  des  comptes  qu'il  forma  de'fix  maîtres 

des  comptes  ,  moitié  clercs  &  moitié  lais.  Le  monarque 

prit  enfuite  la  route  de. Paris  par  Amiens,  Compieghe 

&  Senlis.  Il  ariva  le  ii  Décembre  à  S.  Denis,  où  le 


I      E      A     N        II.  137 

Navarrois  qui  ne  s'écoit  point  encore  préfenté  devant  : 

lui  9  vint  le  trouver  ^  emmenant  avec  lui  les  otages  qu'on  Aon.  1^60. 
lui  avoit  donnés  pour  sûreté  de  fa  perfonne  ^  conformé- 
ment au  traité.  Le  roi  reçut  ce  prince  dans  Téglife  de 
S.  Denis  devant  le  grand  autel.  Charles  s'inclina  pro*- 
fondement  devant  fon  fouverain  j  &  jura  fur  le  corps 
de  N.  S.  que  Tabé  de  S.  Denis  revêtu  de  fes  habits 
facerdotaux  tenoit  entre  fes  mains,  »  que  dorénavant 
yy  il  feroit  bon ,  loyal ,  &  fidèle  fujet  &  fils  du  roi  de 
yy  France  fon  beau-pere ,  qui  de  fon  côté  promit  qu'il 
»  lui  feroit  bon  père  &  feigneur  yy.  Ces  promeffes 
réciproques  furent  acompagnées  des  ferments  du  duc 
de  Normandie  &  de  Phiuppe  de  Navajrre.  Cette  entre- 
vue fe  termina  par  un  feltm  auquel  Jean  invita  le  roi 
de.  Navarre ,  qui  le  même  jour  partit  de  S.  Denis  ôc 
retourna  en  Normandie. 

On  faifoit  cependant  à  Paris  les   préparatifs  de   la    Le  roi  vient 
réception  du  roi ,  qui  entra  dans  cete  capitale  le  13  ^  P*"f- 
Décembre.    Les  Parifiens    ffemblerent  en  cete  ocafion      ^^'^^'^ 
avoir  oublié  les  maux  qu'ils  avoient  fouferts.  La  pré- 
iènce  du  fouverain  avoit  tout  éfacé.  Les  lieux  par  Icf- 
quels  il  pafTa   étoient   tarifés  ;  des  fontaines  de   vin 
couloient  dans  les  rues  remplies  d'une  foule  de  peuple. 
Le  roi   traverfant  la  ville  fous  un  dais  de  drap  aor 
porté  fur  quatre  lances  ,  ala  d'abord  defcendre  à  Té- 
glife  de  Notre-Dame ,  où  il  rendit  à  Dieu  fes  aâions  "^ 

de  grâces.  Après  s'être  acuité  de  cete  obligation  reli- 
gieufe,  il  vint  au  palais/  Il  y  étoit  atendu  par  les  dé- 
putés de  la  ville ,  qui  lui  ofrirent  au  npm  des  habitants 
un  préfent  de  mille  marcs  de  vaifelle  d'argent. 

Le  roi  de  retour  dans  fes  Etats ,  avant  que  de  re-     Du  TiUet  ; 

prendre  les  rênes  du  gouvernement,  confirma  tous  les  recmii  des  rois 

aâes  de  fouveraineté  exercés  jpar  Charles  de  France  not!^'^^^^'''^' 

fon  fils  aîné ,  comme  régent  du  royaume  en  l'abfence     kegtftres  du 

du  roi  fon  père,  Cete  confirmation  qui  fut  pour  lors  Pf^^''"^^^^^^  ^% 

jugée  d'une  néceffité  indifpenfable,  fert  à  établir  la  di-  ^'ck.'des  c. 

fërence  effcnciele  qui  fe  trouve  entre  la  régence  admi-  ^ip^onai  a  , 
*  ^  foi.  14. 


238  Histoire  de    France, 

■  niftrée  pendant  Tabfence  ou  la  maladie  du  monarque  9 

Ann.  i%6o.    &  celle  qui  a  lieu  pendant  fa  minorité.  Dans  le  dernier 
•^^^f"*  ^^'  ^^^  ^^  ratification  du  prince  parvenu  à  la  majorité  n'eft 

rois  ronce.  ^^  jugée  néceflaire  ,  parce  que  les  loix  &  les  confti- 
tutions  du  royaume  ayant  apelé  au  gouvernement  de 
TEtat  celui  qui  a  rempli  les  fondions  du  fouverain, 
ces  mêmes  loix  font  cenfées  avoir  confirmé  tous  les 
aâes  émanés  de  Tautorité  qui  lui  a  été  confiée.  On  ne 
regarde  comme  régent  proprement  dit ,  que  celui  qui 
gouverne  pendant  la  minorité  :  celui  qui  régît  pour 
abfence  ou  maladie  n  eft  régent  qu'accidentélement  & 
en  quelque  façon  par  prêt ,  quoiqu'il  ait  jouï  pen- 
dant fon  minittere  de  toute  la  plénitude  au  pouvoir 
abfolu. 
Dificolté  de       La  mifere  des  peuples  rendoit  très  onéreufe  Texé- 

çordu  roi!*'*    cution   des  articles  de  la  paix  :  on  manquoit  d'argent 
Tréfor  des    P^^r  aquitcr  le  paiement  de  la  rançon  du  roi.  Le  pape^ 

Chartres.  avoit  acorclé  deux  décimes  fur  le  clergé  de  France,  j^z. 
DuTiUet.  plupart  des  bonnes  vilIes*^s'étoient  taxées  elles -mê-^ 
mes  ;  plufieurs  adminiftrateurs  des  finances  avoient  été 
arêtes  &  conftitués  prifonniers  :  enfin  la  néceffité  où 
L'on  fe  trouvoit  avoit  fait  recSiirir  à  tous  les  expédients 
pour  recouvrer  les  fonds  nécefTaires.  L'afoibliffemenc 
des  monnoies  fut  la  feule,  reiTource  qu'on  ne  mit  pas 
d'abord  en  ufaçe  ,  &  que  peut  -  être  l'extrême  déran- 
gement des  afaires  auroit  rendu  excufable.  Il  paroîtra 
MS   .  '^^  doute  fineulier  que  dans  le  temps  où  tout  lembloit 

du  rouèatt.  *  ^^viter  le  roi  a  fe  procurer  des  fecours  par  l'afoiblifle* 
ment  des  efpeces ,  on  fabriquât  au-contraire  une  mon- 
noie  nouvele  plus  forte  que  la  précédente.  Mais  c'étoit 
avec  cete  monnoie  que  les  décimes  &  autres  impofi- 
tions  dévoient  être  payées  par  les  peuples  ;  &  le  roi 
d'Angleterre  ne  fe  leroit  pas  contenté  pour  la  rançon 
du  roi  d'efpeces  au-deflbus  de  leur  valeur.  Il  eft  dit 
feulement  que  dans  le  même  temps  ott  fabriqua  pour 
'Phittp.  de    ^®  menu  peuple  de  petits  blancs  faux  de  la  valeur  de 

Comine.         dçux  deoiers,  Ceft  probablenîent  ce  qui  a  donné  liçtt 


Jean      II.  439 

à  Pun  de  nos  écrivains  de  raporter  dans  le  fiecle  fui-  ■ 

vant,   qu'on  fie  une  monnoie  de  cuir  avec,  un  clou    ^nm  i^éo. 
d'argent  dans  le  milieu. 

IjÇs  Juifs  crurent  trouver  le  moment  favorable  pour.    Rapel  des 
obtenir  leur  rapel.  Bannis  de  France  fous  les  règnes  ^'*^^- 
précédents  ,  &^  même  depuis  ravénemem  du  roî  à  la  cJ^^^anLf!* 
couronne  y   ils  n'avoienr  depuis  ce   temps  jouï  de  la 
permiflion  d'y  demeurer  que  par  une  efpece  de  tolé- 
rance.   Avant  la  délivrance  du  roi  ils  avoient  fait  plu- 
fieurs    démarches    auprès  du  régent  qui  n'avoit   pa$ 
marqué  d'éloignement  de  leur  acorder  une  grâce  pour, 
laquele  ils  ofroient  des  fommes  confîdérables.  Peu  de    ^^^f^''  ^" 
temps  après  (a  délivrance  le  roi  donna  une  déclaration  ^      '^'^'  *^* 
par  laquele  il  leur  permettoit  de  revenir  &  de  demeu- 
rer dans  le  royaume  pendant  vingt  années.  La  même 
ordonnance  étoit  acompagnée  de  lettres  qui  commet- 
toient  à  la  garde  &  confervation  de  leurs  privilèges  le 
comte  d'£tampes  ^  prince  du  fang  de  la  branche  d'E- 
Vreux.  Outre  la  fomme  que  trete  nation  induftrieufe>     Mrlg.ckra^ 
toujours  perfécutée.  toujours  étrangère  dans  Tunivers  •  «^'- ^*  ''^'^• 

o'*^*ii  l'i-/  1  de  France. 

&  toujours  riche ,  donna  pour  cete  liberté  ,  chaque  ordonnances, 
chef  do  famille  payoit  douze  florins  d'or  de  Florence  je vo/./>.47w 
pour  fon  entrée  dans  le  royaume ,  fix  florins  tous  les 
ans  pour  le  droit  d'y  féjourner  j  &  de  plus  un  florin 
par  tête^  de  tribut  annuel  impofé  généralement  fur 
tous.  En  leur  permettant  d'habiter  en  France  y  le  roi 
jugea  au'il  étoit  à  propos  de  mettre  un  frein  à  leur 
cupidité  9  &  de  modérer  l'intérêt  exceflif  des  fommes 
quils  prêtoicnt  à  fes  fujets.  Il  leur  fut  défendu  d'exi- 
ger au-delà  de  quatre  deniers  pour  livre  par  femaine  : 
une  ufure  fi  exorbitante  autorifée  par  une  déclaration 
du  prince  ^  annonce  à  quel  degré  de  mifere  le  royaume 
étoit  réduit. 

Les  Juifs  avoient  éprouvé  plus  d'une  fois  des  vicif-     RecœuUdis 
fitudes  qui  leur  avoient  alternativement  ouvert  ou  in-  *'^^^«".'"'^^** 
terdit  l'entrée  du  royaume.  Il  en  a  été  fouvent  queftion 
dans  le  cours  de  ceto  hifloire.  Saint  Louis  avant  fon 
départ  pour  la  première  croifade  les  avoit  chaflés  de 


24^  Histoire   de   France^ 

"  fes  Etats ,  &  s'étoit  emparé  de  leurs  biens ,  non  dans 

Ann.  ij6o.    rintention   de  profiter  de  leurs  dépouilles,  maïs  pour 
dédommager  fes  fujets  des  ufures  qu'ils  en  avoient  ex« 
.rorquées.  A  Ton  recour  il  les  rapela  ;  mais  il  ne  tarda  pas 
à  les  chafTer  de   nouveau  :  &  quelques  mois   après  il 
leur  permit  de  revenir.   Ce  fut  dans  le,  temps  de  cete 
dernière  révocation  qu*ils  furent  afTujétis  k  l'obligation 
cfe  porter  fur  Tépaule  &  fur  la  poitnne  un  morceau  de 
drap   rouge  ou  jaune  qu'on  nomma  la  roue  des  Juifs 
{rota  Juaceorum)  à  laquele  Philippe -le -Hardi  ajouta 
une  corne  atachée  à  leur  bonnet/  lis  jouirent  de  quel- 
que tranquilité  jufqu'au   règne  de  Philippe-le-BeL  Ce 
prince  défendit  même  aux  inquifiteurs  de  la  foi  de  les 
inquiéter.  Quelques  années  après  il  leur   enjoignit  de 
fortir  du  roy'aume,  &  n'oublia  pas  Tufage  pratioué  de 
faifir  &  confifquer   leurs  biens.    Louis  Hutin  les   fit 
revenir  6c  leur  permit  de  demeurer  dans  le  royaume 
en  les  prenant  fous  fa  proteâion  e/pccialc.  A  cete  grâce 
Philippe-le-Long  ajouta  de  nouveaux  privilèges  en  leur 
permettant    d'hériter.  Charles -le -Bel  au-contraire  les 
exila  de  nouveau  &  les  dépouilla.   Philippe  -  de  -  Valois 
confentit  à  leur  retour  &  leur  ordonna  de  fe  retirer 
huit  ans  après.  Jean  j  Iorfqu*il  monta  fur  le  trône  ^  les 
rétablit  :  ce  qui  dura  jufau'en  1357.  Pendant  la  prifoa 
du  roi  ils  furent  encore  tannés.   A  fon  retour  le  mo- 
narque confentit  k  leur  rapel  ^  ainfi  que  nous  venons 
de  le  voir  :  ils  demeurèrent  en  France  pendant  tout 
Pafuiêr       '^  ^egne  de  Charles  V.  La  pièce  de  drap  qu*ils  écoient 
c^wl«'i7tf  obligés  de  porter  avoit  été  changée  en  une  platine  d'é- 
fronce,  p.7^i.  tain  de  la  grandeur  du  grand  Iccl  royal.   Enfin  fous 
Charles  VI ,  ils  furent  chaffés  pour  la  feptieme  fois  en 
1394.  Ils  n'ont  jamais  été  raoelés  depuis,  &  s'ils  ont 
continué  de  demeurer  dans  le  royaume ,  ce   n*a   été 
qu'à  la  faveur  d*un  confentement  tacite.  Louis  XIII  en 
161^  les  bannit  abfolument.  Les  juife  de  Metz  furent 
feuls  exceptés  de  cete  dernière  profcription.  Ils  font  à 
préfent  les  feuls  de  leur  nation  qui  pofledent  en  France 
un  domicile  public  &  autorifé  dans  cete  ville. 

Oa 


Jean      IL  441 

On  peut  voir  par  rincertîtude  du  fort  de  cete  nation 


dans  les  fiecles  palTés^  que  nos  aïeux  n^étoient  pas  trop  Ann.  i3<îo. 
d'acord  avec  eux-mêmes  fur  le  danger  auquel  on  s'ex- 
pofoit,  ou  fur  Tutilité  qu'on  pouvoit  retirer  en  permet- 
tant aux  Juifs  de  demeurer  en  France.  Ils  étoient  ufu- 
rJers^  mais  habiles  négociants.  Nos  pères  négligeoient 
rinduftrie  &  le  commerce  :  à  cete  négligence  ils  ajou- 
toient  un  goût  maufTade  ,  quoique  très  vif ,  pour  la 
diflipation  &  pour  le  luxe.  Les  Juifs  les  ruinoient,  mais 
ils  iatisfkifoient  leurs  pallions  &  leur  pareflè.  On  igno* 
roit  encore  en  France  iufqu'aux  éléments  de  Part  des 
finances  :  ils  étoient  habiles  calculateurs  :  ils  envifageoient 
du  premier  coup-d*œuil  les  profits  à  faire  efi  achetant 
en  gros  les  revenus  du  fouverain.  Ils  fiirent  les  feuls 
traitants  jufqu'à  ce  que  les  Italiens  &  les  Lombards 
viaiTent  partager  avec  eux  c^te  profeflioo  lucrative. 
Nous  fommes  devenus  plus  éclairés  dans  la  fuite ,  & 
iious  avons  apris  à  nos  dépens  à  nous  procurer  Tintel- 
ligence  du  commerce  3  la  fcience  d'entretenir  &  d*au- 

Î^menter  notre  luxe,  Part  enfin  de  combiner  les  ref- 
ources  du  prince  &  les  acuités  du  peuple.  - 

Le  roi  incontinent  après  fa  délivrance  fe  mit  en  de-*  Le  roi  exécute 
voir  d^acomplir  les  obligations  qu*il  avoit  contraâées.  le  traité,  mai- 

^^       n         t      ^  '  ^1  •  *  I    •  gré  les  iDltau- 

Ce  fut  alors  que  rejetant  toutes  les  voies  qu'on  lui  ces  de  fes 
préfentoit  pour  éluder  Içs  conditions  du  traité  le  plus  fujccs. 
défavantageux  que  jamais  roi  de  France  eût  fîgne,  il 
mit  réélemeut  en  pratique  cete  maxime  digne  à  jamais 
de  préfîder  à  toutes  les  a(9:ions  àcs  fouverains  ^  maxime 
qu'il  prononçoit  fouvent  :  Si  la  jujlict  &  la  bonne-foi 
étaient  bannies  du  rejlc  du  monde  ^  il  faudrait  encore 
qu^on  retrouvât  ces  vertus  dans  la  bouche  &  dans  le  cœur 
des  rois.  Les  commifTaires  députés  par  Edouard  pour 
recevoir  les  places  &  les  provinces  cédées  ,-^n'efluyerenc 
de  la  part  .du  monarque  François  ,  ni  dificulté  ,  ni  refus. 
En  vain  une  partie  de  la  nation  indignée  de  fe  voir 
arachée  k  la  domination  de  fon  prince  légitime ,  pour 
pafTer  fous  un  joug  étranger ,  opofa-t-elle  les  plus  for- 
tes ioftances  :  Jean  ^  efclave  jnéoranlable  de  fa  parok  9 
Tome  K  Hh        . 


î4^  Histoire    DE  France, 

'      .  "  ne  répondit  aux  prières  &  aux  gémiflements  de  fes 
Aon.  î}6o.   peuples,  qu*en  leur  repréfcncant la  bonne-foi  des  trai- 
tes ,  &  la  nécefficé  indifpenfable  d*immoler  leurs  incli- 
nations au  bien  de  la  paix. 

On  voit  avec  fatisfaâion  les  traits  de  notre  hifloire 
qui  fervent  à  faire  connoitre  tes  ufages  y  les  mœurs  & 
le  génie  de  la.  nation  y  &  ces  objets  ibnt  bien  dignes 
éfedivement  de  notre  atentiofi.  Ces  traits  cependant  ^ 
il  faut  rendre  hommage  à  la  vérité  ,  ne  font  pas  tou- 
jours notre  éloge  :  les  François  ont  été  plus  d'une  fois 
taxés  de  frivolité,  d'inconflance  &  de  légèreté  :  mais 
|>uifqa'jl  faut  toujours  payer  par  quelque  endroit  le 
tribut  à  rhumanité ,  il  doit  être  tlateur  pour  nous  qu'on 
ne  puîiTe  pas  nous  reprocher  que  ces  imperfeâions  de 
refprit  ayent  jamais  infefté  nos  cœurs  ;  &  c'eft  par-là , 
j*ofe  le  dire ,  que  nous  rachetons  nos  défauts.  Le  cœur 
des  François  eft  toujours  le  même  :  les  goûts  ^  les  mo- 
des y  les  manières  mêmes  de  penfer  changent  parmi 
nous  :  nos  fentiments  font  inaltérables.  Dans  les  temps 
les  plus  orageux  nos  monarques  ont  éprouvé  qa*ils  pof- 
fedent  dans  les  cœurs  de  leurs  fujets ,  une  refiource  in* 
faillible  &  capable  de  leur  faire  furmonter  les  plus 
grands  obftades. 

Lorfqu'il  fut  queftion  de  mettre  les  Anglois  en  pof^ 
fedion  des  villes  &  territoires  exprimés,  dans  les  con»- 
ventions ,  les  nobles  &  les  gens  du  peuple  marquèrent 
un  égal  éloignement.  Les  la  Marche  ,  les  Comminges  , 
les  Périgords ,  les  Chatillons ,  les  Carmings ,  les  Pin- 
cornets  ,  les  Foix ,  les  Armagnacs  ,  les  Albrets ,  quoi- 
que CCS  derniers  fulTent  liés  avec  Edouard  par  une 
aliance  particulière,  tous  ces  chefs,  dis-je^  denos  plus 
illuflres  maifons,  tous  les  feigneurs  &  gentilshommes 
qui  leur  étoient  atachés  ,  ne  purent  entendre  fans  fré- 
mir qu'ils  aloient  changer  de  maître  :  ils  rcpréfentè- 
rent  unanimement  qu'ils  ne  reconnoiflbient  point  d^au- 
tre  fouverairi  que  le  roi;  q^i'ils  étoient  inféparablemênt 
unis  à  la  monarchie  Françoife.  Ils  raponoient  leurs 
Chartres  &  leurs  privilèges  confacrés  par  tous  nos  rois 


J      s      A   .  N         I  le  24^ 

depuis  Charlemagne  :  tous  regardoient  comme  un  avi-  '- 

liflemenc  infuportable  de  reconnoître  un   autre  domi-    ^^^'  '5^'^- 
nation  que  celle  de  leur  prince  légitime.  * 

Le  roi,   pénétré  de  cete  généreufe  réfiftance  ,  gé- 
miiïbit  dans    le  fond  de  fon  cœur  ;  mais  fa  promefTe 
Tobligeoit  de  renoncer  malgré  lui  à  de  (i  fidèles  vafFaux  t 
il  faloit  acheter  le  bonheur  de  la  nation  par  ce  retranr 
chement.    Il  envoya  Jacques  de  Bourbon  pour   ame- 
ner les  efprits  à  ce  changement.  ^  la  prière  du  roi  de 
France  &  de  fon  çhier  coujîn  ,  dit  Froiflàrd ,  iis  ohéi-^ 
rentf  mais  ce  fut  bien  ennuys.   Les  peuples  des  villes 
ne  témoignèrent  pas  un  moindre  atachement  ;  il  falut 
employer  les  raifons  les  plus  preffantes  pour  les  déter- 
miner.   Les  habitants  de  la  Rochele  refuferent  de.  fe 
iburpettre  pendant  plus  d*une  année  :  ils  ne  vouioient 
permettre  renjtrée  de  leur  ville  à  aucun  An^lois.   Ils 
répondirent  à  toutes  les  fblicitadons  du   roi   par  les 
plus  vives  pjroteftations  de  zèle  &   de  fidélité  :  ils  le^ 
fuplierent  pour  Dieu  de  ne  point  les  quiur  de  leur  foi  ^ 
de  ne  les  point  Ster  de  fon   domaine ,  de  ne  les  point 
livrer  à  des  étrangers,  proteftant  qu'ils  aimoient  mieux 
donner  tous  les  ans  la  moitié  de  leurs  biens,  que  d'être 
fujets  du  roi  d'Angleterre.  Jean  flaté^  mais  en  même- 
temps  déchiré  par  le  fentiment  douloureux  que  lui  eau- 
foît  la  perte  de  fî  dignes  fujets ,  leur  répondit  afeSueu--  . 
fement  que  le  bien  de  la  paix  &  le  faïut  du  royaume 
exigeoient    qu'ils  fe  facrinafTcnt-    Enfin  v^oyaht  qu'ils 
ne  pouvoient  changer  leur  deflinée ,  ils  fe  fournirent, 
&    voici  leur   dernière  réponfe;  ail  roî[:  Nous  obéironi 
aux  Anglots  des  kvres  ,  mais  nos  cœurs  nt  s^én  mouve-^ 
vont.  Oefl:  fur-^tout  par  ces  exemples  de  zèle  &  de  fen- 
fibilité  que  notre  nation  s'efl  rendue  recommandable 
dans  tous  les  temps  :  les  François  aiment  leurs  princes 
&    méritent  d'en  être  aimés.   Les  peu  oies   mécontents 
du  roi  avoient  d'abord  paru  afTez  indîferents  aux  mal- 
heurs de  TEtat  :  mais  ïorfqu'îls  virent  qu'il  faloit  chan- 
ger de  domination ,  ils  féntirent  alors  fe  réveiller  dans 
leurs  ccBurs  c^te  afeâion  natufele  pour  leur  fouverain  ; 

H  h  ij 


244  Histoire   de  TtiAvctf 

--  ils  oublièrent  tous  les  fujets  de  plainte  qu'ils  croyoieflt 

Ann.  13^0.    avoir  ,  &  ne  virent  plus  dans  le  changement  de  condi- 
tion dont  ils  étoient  menacés  ,  que  la  féparation  dQ::lott- 
reufe  qu'éprouveroient  des  enfanti  qu'on  aracheroit  du 
fein  paternel.  C'eft  fur^  ce  rapprt  mutuel  de   bonté  , 
d'atachement ,  de  confiance  &  d^amour/ que  doivent 
principalement. fe  fonder   la  gloire  du  monarque i  le 
bonheur  des  peuples ,  &  la  féeurité  de  T^tat. 
Le  roi  donne      On  prétend  que  la  néceflîté  d^avoir  de  Targent  pbli- 
f?fii^^^"î^-  gea  le  roi^  de  donner  Ifabele  fa  fille  en  mariage  à  Jean 
vî^nti.  ^^^  Galéas  feigneur  de  Milap ,  encore  rtial  afermî  dans  fa 
Tréfor  des    ttouvole  dpmihatiom   Ce  feigneur  étoit  frère  de  Ber- 
Chartr.  rcgift.  nabo.  Vifcouti ,;  conuu  par  les  longs  démêlés  avec  la 
^'irr^MsT  ^^"^   d'Avignon  3,   &  fes  violences  exercées  fur -tout 
Uid.reg.29  contre  les  geps  d'églife.  Excommunié  par  Iç  pape  il 
frï07.  fie  un  jour  venir  l'archevêque  dé  Milan  qui  jivpit  refufé 

t.^i^'uv!^^.  d'ordonner  un  moine,  à  fa  recôinmandaftoîi.  Lorfque 
le  prélat  fut  arivé  :  Mets  -  toi  à  genoux  |  Ribaùd ,  lui 
*dit  Bernabo ,  ru  fçais-tu  pas  que  je  fuis  ptipf.$  cmpt-* 
rcur  fir  feigneur  en  toutes  mes  terres  y  &  que  î)iw  même 
ne  pouroit  y  faire  que  et  que  je  voudrois  ?  Il  ne  fê  con- 
tentoit  pas  de  ces  blafphêmes  ,  il  contraignit. un  .prêtre 
de  monter  fur  une  tour ,  de  lancer  delà  une  fentence 
d'excommunication  contre  le  pape  Innocent  VI  &  Iw 
cardinaux.  Il  ne  rentra  en  grâce  avec  le  faint  fiege  que 
fous  le  pontificat  d'Urbain,  ualéas  acheta  ^  dit-on  >  Tlio- 
neur  de  s*alier  à  la  maifon  de  France:  c*eft  du -moins 
le  fentinient  de  tous  nos  hiftoriens  moderneSé  II  eût  été 
'  cependant  à  propos  que  ces  écrivains  euâei^t    prouvé 

cfete  efpece  de  vente  d'une  princeiTe  du  fang  royal) 
marché  auffi  honteux  pour  le  vendeur  que  pour  Taqué* 
reur,  Jean  Galéas  Vifconti  feigneur  de  Milan  y  époufa 
Ifabele  de  France ,  à  laquele  le  roi  fon  père  donna  en 
dlnriT.  apanage  le  comté  de  Sommieres  en  Languedoc  ,  & 
Du  TUUt.  trois  mille  livres  de  rente.  Dans  la  fuite  Galéas  obtint 
le  comté  de  Vertus  en  échange  de  celui  de  Sommieres. 
Voila  les  feuls  monuments  authentiques  qui  fubfiflenc 
de  ce  mariage.  Il  eft  trifle  que  la  menioire  du  roi  foit 


J     1      A      »        ï  I.  245 

flétrie  par  un  foupçon  d'avarice ,  défaut  que  fes  plus  — ^— ^ 
grands  ennemis  ne  lui  ont  jamais  reproche*  La  foible  Ann.  i|«a. 
reflburce  qu'un  pareil  traité  lui  eût  procurée  ne  pouvoic 
entrer  en  comparaifon  avec  le  déshoneur  de  la  conven- 
tion* Le  paiement  de  la  rançon  du  roi  n'écoit  pas  la 
condition  la  plus  fâcheufe  du  traité  de  Brétigny  :  le 
démembrement  de  tant  de  provinces  formoit  alors  Tob- 
jet  le  plus  important. 

Dans  le  même   temps  que  les   gens  prépofés  par    Ezccotîonda 
Edouard  pour  fe  mettre  en  poffeflion  des  villes ,  pro-  ^^"*" 
vinces  &  châteaux  mentionnés  au  traité  de  Brétigny  JZ^'fpJti] 
s'aquitoient  de  cete  commiffion ,  Iç  roi  d'Angleterre  en- 
voya en  France  Jean  Chandos  avec  le  titre  de  fon  lieu* 
tenant-général  en  Guienne.  Le  caraâere  de  ce  feigneur 
étoit  bien   propre  à  féconder  les   vues    du    monarque 
Anglois ,  dont  le  deflein  étoit  de  gagner  les  efprits.  & 
de   fe   concilier  l'aféftion   des  feigneurs   François   qui 
alpient   devenir   fes    vaiTaux.    Chandos   étoit  regardé 
comme  un  des  plus  eftimables  chevaliers  de  fon  temps* 
Il   poiTédoit  Tart  de  (è  faire  aimer  par  fon  afâbilité  , 
fa  modération  &  fa  générolité ,  dans  un  fiecle  où  Ton    . 
nVvoit   pas  encore  perfeftionné   cette  impofture  ingé- 
nieufe/qui  fous  le  nom  de  politefTe  fubftitue  l'image 
des  vertus  à  la  réalité.  L^ Anglois  reçut  Içs  hommages 
des  feigneurs  François  y  qui  ne  confentirent  à  cete  dé«* 
marche  que  preiTés  par  les  exhortations  de  Jacques  de 
Bourbon  f    envoyé    par  le   roi   à    Montpellier    pour 
cet  éfet. 

Les  ennemis,  [  car  quel  autre  nom  peut- on  donner  SpUii.  comin. 
aux  Anglois  qui  n'avoient  confenti  à  la  paix  que  pour  '''^^X^^ 
continuer  la  guerre  fous  une  autre  forme  ?  ]  les  enne-     cZon.'^MS. 
mis ,  dis^je  »   n'exécutèrent  pas  avec  la  même  fidélité 
les  conditions  auxqueles  ils  s'étoient  engagés.  La  plu-*  • 
part  des  garnifons  des  places  qu'ils  dévoient  rendre  re- 
xufèrenc  de  les  livrer  ,  les  unes  fous  prétexte  que  leurs 
apointements  leur  étoient  dûs ,  les  autres  aléguant  qu'el- 
les les  tenoient  pour  le  roi  de  Navarre  :  d'autres  enfin 
répondirent  qu'elles  les  gardoient  en  leurs  noms.    Si 


jt4^  Histoire   de  Fhatîce, 

-  (quelques  -  unes  évacuerenc ,  ce  ne  fut  que  daQS  rinten-t 

Ann.,i}^o»    Don  de  chercher  dans  le  royaume  des  établiSemenU 

plus  avantageux. 
Edouard  no      \jQs  ordres  d'Edouard  cependant  paroiflbient  précis; 

mité!^"*'^^  mais  il  n'employa  jamais  que  des  ordres  fans  les  apuyer 
DuTilUt.  par  la  force ,  quoiqu'il  s'y  fût  obligé  par  le  traité  ;  e» 
ibrte  qu'il  falut  encore  retirer  la  plupart  de  c^s  places 
des  mains  de  ceux  qui  s'en  étoient  rendus  maîtres  ^  ei) 
les  contraignant  à  main  armée  de  les  abandonner ,  ou 
compofer  avec  chacun  d'eux  par  des  traités  particu-^ 
liers.  Les  fommes  employées  à  ces  diverfes  aquiiitions 
montoient  à  plus  dq  deux  millions*  L'on  peut  donc 
afTurer  qu'à  cet  égard  le  roi  d'Angleterre  n'exécuta  pas 
le  traité  de  Brétigny  ^  tout  avantageux  qn'il  étoit^pour 
lui.  Les  hiftoriens  qui  lui  font  le  plus  Ëivorables  ne 
l'excufent  que  foiblement  fur  cet  article.  Il  ne  tint  pas 
plus  exaâement  fa  parole  pour  la  renonciation  qu'il 
devoit  envoyer  à  Bruges ,  &  il  ne  répondit  jamais  aux 
fommations  qui  lui  furent  faites.  Une  mauvaife  foi  fi 
marquée  n'empêcha  pas  le  roi  Jean  de  livrer  toutes 
les  provinces  &  les  villes ,  à  la  réferve  de  Belleville  & 
de  la   feigneurie  de  Gaure  j  qui  ocafionnerent    quel* 

Î|ues  conteftations ,  remifes  à  1  arbitrage  des  commit 
aires  nommés  de  part  &  d'autre.  Les  otages  furent 
donnés  ,  une  partie  de  la  rançon  fut  aquitée  pendant 
les  trois  dernières  années  de  la  vie  du  roi  &  les  pre* 
mieres  du  règne  de  fon  fils.  Le  monarque  Anelois  , 
contre  l'efprit  &  les  termes  formels  du  traité,  fous  le 
yain  prétexte  de  quelques  conditions  les  moins  impor- 
tantes qui  réftoient  a  remplir  ^  fe  piiétendit  en  droit 
de  retenir  les  otages.  Plufiecfrs  d^entre  eux  ftirent  obli- 
gés d'acheter  leur  délivrance  particulière  :»les  aâes 
•  publics  d'Angleterre  contiennent  quelques  -  unes  de 
ces"  conventions.  Le  duc  de  Bourbon  donna  de  l'argent 
pour  fa  liberté  ;  le  duc  d'Orléans  céda  plu&ears  fei- 
gneuries  en  Poitou  au  fils  du  roi  d'Angleterre  pour 
le  même  fujet;  le  dauphin  d'Auvergne,  Gui-de-Blois , 
l^  comte  d'Alençoii  i  ^  quelques  autres  (tirent  réduits 


J      H   'a      K         II.  14^ 

k  de  pareils  acords.  Quelques-uns  k  la  vérité  fc  reci-  •*—'**—?!? 
rerentTans  coiigé;  mais  que  les  partifans  les  plus  outrés  Ann.  ^5^0. 
de  r Angleterre  réclament  s'ils  rofciit  contre  leur  re- 
traite. Quel  écoit  le  droit  d'Edouard  pour  les  retenir  ? 
Lé  traité  de  Brétigay  confirmé  à  Caiais.  Les  condi* 
dons  de  ce  traité  avoient  été  rempiies  par  le  roi  de 
France  à  la  réferve  d*une  partie  de  la  rançon  pour 
laquele  même  Edouard  avoit  acordé  un  délai ,  &  le 
roi  d'Angleterre  n'en  avoic  encore  exécuté  aucunes. 
Il  n'avoit  pas  feiilensent  voulu  s^reindre  à  la  vaine 
formalité  de  êl  renonciation  à  la  couronnç  de  France. 
Indépendamment  dss  raifons  tirées  de  la  confkitcpcion 
de  \i  monarchie  qui  n'admet  le  (démembrement  d'au-» 
cune  des  parties  de  la  fouveraineté  &  qui  itapele  éter-* 
nélement'  ces  parties  au  corps  dont  elles  ont  été  fôpa- 
réeSy  raifons  qu'il  feroit  facile  de  faire  vaioii:  contre 
des  prétentions  injuftes;  inxiépendamment,  dis-jd^  de 
ces  raifons  9  Charles  ne  fut  que  trop  bien  fondé  h  re-^ 
garder  comme  nul  un  traité  qui  n'avoit  été  décote 
que  de  la  part  de  la  France  ,  &  h.foutenir  fur-tout 
l'invalidité  de  la  renonciation  que.  le  roi  fon  père  de-> 
voit  faire  à  la  fouveraineté  des  provinces  cédées  au 
roi  d'Angleterre  ,  puifqu'£douard  avoit  paru  par  fon 
filence  refufer  de  renoncer  à  fes  droits  imaginaires. 
Que  des  écrivains  Anglois  fe  foient  emportés  jufqu'k 
condaner  la  conduire  d'un  de  nos  plus  grands  mo- 
narques *  dans  fes  démêlés  avec  Edouard  y  on  peut  le  "^  Charles  V. 
pardonner  à  l'excès  d'un  zèle  aveugle  £c  mal  entendu 
en  faveur  de  la.  patrie  :  mais  que  des  François  fe.  foient 
déshonorés  par  une  femblable  injuftice  ^  c^eft  ce  qu'on 
ne  peut  voir  fans  indignation ,  &  qui  doit  foulever 
contre  eux  le«r  fiecle  &  la  poâérité. 

Toutes  les  conditions  du  traité  de  Brétigny  peuvent 
iè  r  a  porter  à  trois  chefs  principaux,  i^.  l»a  reddition 
réciproque  des  places  :  Jean  s'en  aquita  exaéèement  j  & 
FAnglbis  ,  de  l'aveu  de  ks  plus  zélés  partifans  ,  multiplia 
lecrétemeiTt  les  dificïiltés.  ^  2®.  Les  renonciations  ref- 
pèâives  :  le  roi  d'Angleterre  n^envoya  jamais  la  iienne  ^ 


Ann.  1160. 
Trifor  des 
Chartres. 


Le  roi  &ic 
Tordonnance 
de  Ton  parle- 
mène» 

Chrofu  MSt 
Regiftres  du 

parlement. 
tUçœuU  des 

ordonnances. 

Cçnfirence  des 

ordonnances. 


%éfi  Histoire  DE  France, 

quoique  le  roi  de  France  *ren  prefsât  en.  mème-tempi 
que  les  députés  à  Bruges  préfencoienc  de  fa  parc  une 
renonciation  en  bonne  Forme.  3^.  Lk  rançon  de  trois 
millions  d'or  :  le  feul  tréfor  des  Chartres  fournit  plu- 
fieurs  quitances  de  paiement  montant  à  là  fomme  de 
dix-fept  cent  quarante -neuf  mille  huit  cent  dix  -  huic 
écus.  Les  aâes  publics  d'Angleterre  contiennent  di- 
verfes  preuves  d'autres  paiements  :  il  s'en  trouve  pour 

Î^lus  de  cinq  cent  trente  mille  écus^,  fans  compter  les 
bmmes  déléguées  par  Edouard  au  prince  de  Galles  fôn 
fils  ,  qu'on  prétend  n'avoir  pas  été  aquitées.  Il  n*eft 
doac  plus  queftion  que  d'une  partie  du  dernier  million 
de  la  irançon  du  roi  prifonnier,  qu'Edouard  avoit  acheté 
dix  mille  francs  de  Denis  de  Morbec. 

Cete  difcuflîon  que  des  récriminations  hafardées 
ont  rendue  indifpenfable  peut  fervir  une  fois  pour  tou« 
ces  de  j  unification  pour  Charles  V  ,  &  d'apologie  de 
la  fincérité  du  roi  Jean^  à  qui  peut-être,  on  n'a  d'au'^ 
très  ntproches  à  faire  que  de  s'être  conduit  avec  une 
droiture  que  fon  rival  fçut  toujours  mettre  k  profit , 
&  qu'il*  ne  fut  jamais  tenté  d'imiter.  Le  dauphin  étoic 
trop  éclairé  pour  ne  pas  s'apercevoir  du  maneee  de  la 
politiaue  Angloife;  mais  il  remit  à  des  temps  plus  heu- 
reux le  foin  dé  s'en  venger.  Plus  jufie  &  non  moins 
politique  qu'Edouard  >  il  le  voyoit  tranquilement  s'en* 
férer  pour  ainfi  dire  de  lui-même  y  &  lui  fournir  par 
fa  mauvaife  foi  les  armes  dont  il  fe  fervit  dans  la  fuite 
avec  autant  de  bonheur  que  de  fagefle. 

Jean  inftruit  par  Tadverfité ,  affifté  d'ailleurs  par  les 
confeils  d'un  fils  fi  fage  &  fi  modéré,  donna  toute 
fon  atention  aux  foins  du  gouvernement.  Il  n'y  avoir 
point  eu  dç  parlement  depuis  plus  d'une^iannée  :  q^uel- 
ques  membres  de  cet  augufle  corps  avoient  continué 
pendant  cete  longue  abfence  de  veiller  à  robfcrvation 
des  loix  &  au  maintien  de  la  juftice  :  ils  avoient  feuls 
rempli  jes  fondions  de  juges  avec  la  même  autorité  que 
s'ils  eufient  formé  le  nombre  ordinaire  des  confeillers« 
Ce  n'étoit  pas  la  première  Fois  que  les  défordres  dit 

royaume 


J      R      A      N        IL  249 

royaume  &  le  malheur  des  guerres  avoienc  intérompu  . 

les  léances  de  la  cour.  En  1303  fous  Philippe-le-Bel ,  *«"•  'J^^- 
il  n'y  eut  point  de  parlement ,  a  caufe  de  la  guerre  de 
Flandre  :  pareille  cellàtion  deux  années  après  y  à  caufé 
des  trouWes  furvenus  en  France.'  La  confufion  qui  afli- 
geoit  TEtat  pendant  la  prifon  du  roi  Jean,  &  fur- tout 
pendant  Tannée  qui  précéda  la  conclufion  de  la  paix  , 
avoir   probablement  empêché    le  dauphin    régent  de 


pas  au-refte  regard 
téruption  des  afTemblées  régulières  de  notre  cour  de 
Paris  pendatit  les  guerres.  Les  prélats ,  barons  &  che- 
valiers qui  formoient  le  plus  grand  nombre  des  mem- 
bres du  parlement  ,  ne  pouvoient  y  aflifter  ,  étant 
détournés  de  leurs  fondions  de  préfidents  &  cbnfeiliers, 
par  Tobligatibn  où  ils  étoient  de  s'amiiter  du  fer  vice 
militaire  qu'ils  dévoient  au  prince.  Il  y  avoit  peut- 
être  encore  une  autre  raifon  qui  empêchoit  le  fbuve- 
rain  de  défigner  ceux  qui  dévoient  compofer  le  parle- 
ment. Cétoit  le  paiement  des  gages,  regardés  alors 
comme  un  objet  confidérable  ,  malgré  leur  modicité. 
On  imagina  dans  la  fuite  un  fyftême  d'économie  pour 
faciliter  la  tenue  des  parlements  pendant  la  guerre. 
Afin  de  diminuer  la  depenfe  on  n'aflignoit  des  cages 

3u'à  un  certain  nombre  de  préfidents  &  de  confeillers 
ont  tous  les  ans  on  faifoit  un  rôle  nouveau ,  en  ob- 
icrvant    de  le  diminuer  autant  qu'il   fe   pouvoit.   Ce^ 

Î>endant  les  autres  confeillers  qui*  n*étoient  pas  infcrîts 
ur  ce  rôle  confervoient  le  droit  d'affifter  aiix  jugements 
avec  voix  délibérative.  Mais  leurs  fervices  étoient  gra- 
tuits ,  &  ils  ne  pouvoient  exiger  aucun  honoraire.  L'or- 
donnance de  Philîppe-dç- Valois  cjui  prçfcrit  ce  régie-  j^  p'^/,?''^^' 
ment,  s'exprime  ?mfi,  &  toutefois  fe  d  plaft  aux  autres  valois^lUx. 
venir  e faits  Etats  &  ofices ,  il  plaît  bien  au  roi  qu^ih 
y  viennent ,  mais  ils  ne  prenront  gages.  En  forte  qu'on 
peut  jconfîdérer  tous  ceux  qui  avoient  droit  d  entrée  & 
de  féance  au  parlement  dans  ces  fiecles  reculés ,  comme 
TomcV.  li 


a^o  Histoire    de    France, 

*  faifant  er^  tout  temps  partie  du  fénat  de  la   France , 

Aan.  i^dt.  foit  qu'ils  fulTeht  infcrits  fur  la  lifte  de  ceux  qui  rece- 
voient  des  gages  y  foit  qu'ils  exerçaiTent  gratuitement 
ces  fublimes  ibnâions.  £t  quels  étoient  ces  gages? 
Les  monuments  qui  fublîftcnt  encore  d^  nos^  purs 
-  iiQus  en  inftruifent.  On  voit  dans  un  compte  de  Phi- 
lippe-le-Ber  rétat  des  gages  d'un,  feigneur  pour  foi- 
xànte-neuf  jours  de  réfîdence  k  la  cour  &  pour  onze 
jours  de  fervice  au  parlement  :  le  total  monte  k  dix- 
neuf  livres  fîx  fous ,  dont  treize  livres  feize  fous  pour 
les.  jours  employées  à  la  fuite  de  la  cour,  à  raifon  de 
quatre  fous  par  jour  ,  &  les  cinq  livres  dix  fous  pour 
les.^  jours  confacrés  au  fervice  du  parlement  :  il  taloit 
même  qu'il  fût  préfîdent  pour  que  fes  honoraires  mon- 
Ordonnancedc  taflcnt  a  cctc  fomme  ^  car  plus  d'un  fiecle  après,  les 
CharUsYL  confcillers  au  parlement  ne  recevoient  encore  pour  ga- 
ges que  cinq  îbus  parifis  par  jour  de  fervice.  Le  pre- 
mier préfident  avoir  mille  livres  parifis  par  an  pour 
tout  revenu  de  la  place  qu'il  ocupoit  ^  les  trois  autres 
préfidents  chacun  cinq  cents  livres  parifis ,  &  tous  les 
autres  membres  tant  clercs   que  lais ,  feigneurs ,  che- 


valiers d'armes  ou  de  loix  ,  cinq  fous  parifis  chacun: 

pour  les  jours  qu'ils 
fiégeoient;    Les  gages  du  chancelier    de   France  n'é- 


encore  ne  les  touchoient-ils  que. 


toient  pareillement  que  de  mille  livres  parifis.  Ces  ma- 
giftrats ,  outre  leurs  gages  ,  recevoient  du  roi  deux 
in^ceaux  par  an  ,  femblables  à  ceux  que  portent  en- 
core de  nos.  jours  les  préfidents  à  mortier.  C'étôit  la 
forme  d'habillement  qui  diftinguoit  les  chevaliers,  n  On 
n  peut  juger ,.  dit  un  écrivain  moderne ,  de  la  modi* 
l>  cité  du  prix  de  ces  manteaux  par  l'ufage  qui  fubfîfte 
yy  aâuélement  de  payer  tous  les  ans  à  chacun  des  mcm*^ 
^  bres  du  parlement  douze  livres  pour  les  manteaux. 
yy  Quoique  les  temprs  foient  bien  changés ,  ajoute-t-il , 
i>  les  gages  font  à-peu- près  demeurés  au  même  taux, 
7>  au  -  moins  pour  les  Confeillers  :  ceux  -  mêmes  de  la 
»  grand'cham  ore  ^  la  capitation  &  autres  frajs  préle- 
»  vés  ,  a'ont  de   net  qu'enviroa  deux  cent  quarante 


J      £       A      K         I   I.  25 1 

»  livres,   les  manteaux    compris.    Que   diroîc  le  roi  ^s;  ; 

f^  Jean,  ceft  toujours  le  même  auteur  qui  parle,  s'il    aoq*  n^^ 

r>  vivoit  de  nos  jqurs ,  lui  qui  dans  un  (lecle  fi  fore 

^  éloigné  du  notre ,  admiroit  déjà  Tétonnance  mode*- 

y>  ration  de  fcs  fénateurs  »  ?  En  éfct  ce  monarque  en  roUtan^lcu 

parlant  des  gages  du  parlement  s'exprime  ainfi  :  Dtp* 

quels  gages  ,  tout   modiques  qu^Hs  font ,   la    modejh 

Jincéritc  défaits  ofiàcrs  de   notre  cour  eft  contente*  Lz    Chambre  des 

dépenfe  annuele  du  parlement  montoit  alors  à  la  fom-  ^^'^nV;'"f" 

me  douze  mille  livres  partlts*  ,  reSo. 

Un  défincéreiTement  fi  louable  ne  peut  fervir  qu'à  . 
relever  encose  la  vertu  de  ces  refpeâablcs  interprètes 
dQs  loix.  Uniquement  guidés  par  le  defir  de  contribuer 
au  bien  de  la  patrie ,  ils  n'envifagent  dans  leurs  tra-*- 
vaux  que  Thoneur  ataché  k  la  noblefle  &  à  l'impor* 
tance  de  leurs  fondions.  L'intérêt  ,  ce  vil  mobile  de 
rant  d'autres  profeffions  ,  n'a  jamais   fouillé  le  fane- 
suaire  de  notre  raagifirature.  De  quele  reconnoiflance 
la  nation  ne  doit-elle  pas  être  pénétrée   pour  la  mé^ 
moire  de  nos  rois  qui  ont  remis  en  des  mains  fi  pures 
le  dépôt  facré  de  la  portion  là  plus  précieufe  de  la  puif- 
faoce  fouveraine ,  le  foin  de  veiller  fous  l'autorité  inva* 
riabledes  loix  à  la  confervation  des  biens,  delà  sûreté 
êc  de  la  vie  des  citoyens  1  Les  bornes  de  cet  ouvragç 
ne  permettent  pas  de  railembler  fous  le  même  point 
de  vue  tout  ce  qui  peut  avoir  raport  k  notre  cour  des 
pairs  :  cete  difcumon  exigeroit  pliuieurs  volumes.  L'abé 
Velly  en  a  déjà  fait   mention ,  lorfque  fous  le  règne 
de  rhilippe  IV  ,  il  a  raporté  l'époque  k  laquele  on  fixe 
communément  la  réfidence  habituele  du  parlement  de 
nos  rois  dans  la  capitale  de  la  France.  Nous  obferve- 
rons  dans  la  fuite  de  marquer ,  autant  qu'il  fera  pof- 
fible  ,  les  changements  &  les  augmentations  furvenus 
dans  cete  illuflre  cour ,  à  mefure  qiie  renchaînement 
des  faits  faifloriques  noue  les  préfènto-a. 

L'£tat  fe  trouvoit  alors  dans  une  fituation  dénlo-  Nouveaux 
rable  :  le  démembrement  de  tant  de  provinces  etoit  JfJ^g^^  Jj^^^ 
la  moindre  des  calamités  dont  le  royaume  gémiiToit.    ^chr^n^MS 

li  ij 


1^2  Histoire    de  Frakce, 

■  Le  traité,  de  Brétigny  n'avoic  terminé  la  guerre  pendant 

Amb.  i}4o.  laquele  les  hoftilités  avoienr  du  -  moins  unb  aparence 
de  jultice ,  que  pour  livrer  la  France  aux  rapines  & 
aux  cruautés  des  gens  de  guerre  transformés  en  brigands 
&  en  voleurs  de  griands  chemins.  Edouard  avoit  lailTé 
en  France  le  comte  de  N5(^arwich ,  tant  pour  licencier 
les  troupes  que  pour  faire  obferver  la  trêve  qui  avoit 
été  publiée  avant  la  fîgnature  du  traité.  Mais  cete  trêve 
fut  mal  gardée ,  &  principalement  de  la.  part  des  An- 
glois.  Les  foldats  à  mefure  qu'on  les  congédioit ,  fe 
téunifToient  ^  &  choififToient  entre  eux  de  nouveaux 
chefs  fous  la  conduite  defquels  ils  commencèrent  à  ra- 
vager les  provinces  ,  mais  avec  d'autant  plus  de  fu- 
reur,  que  n'étant  avoués  d'aucuns  princes,  nul  frdfl 
n'étoit  plus  capable  de  les  retenir  :  ils  faifoiem:  ,  difent 
nos  anciennes  chroniques,  plus  de  maux  que  pendant 
la  guerre  entre  les  deux  couronnes,  pillant  indiftinc- 
tement  amis  &  ennemis ,  &  maflacrant  impitoyable- 
ment tous  ceux  qui  avoient  le  malheur  de  tomber  en* 
tre  leurs  mains. 

Ann.  ijtfx.  ^^^  nouveaux  ennemis  fe  jetèrent  d'abord  fur  la 
Champagne  &  la  Bourgogne  ,  où  ils  commirent  les 
plus  grands  excès.  Ils  fe  nommèrent  les  Tards-venus, 
parce  qu'ils  ne  vinrent  délbler  la  France  qu'après  les 
compagnies  dont  il  a  déjà  été  queftion.  Ils  s'empare-» 
rent  du  fort  château  de  Genvilie,  qu'ils  n'évacuèrent 
moyennant  cent  mille  livres ,  qu'après  avoir  détruit  & 
»  rançonné  les  environs  de  Verdun,  de  Toul  &  de 
Langres.  Ils  traitèrent  enfuite  de  la  même  manière 
Befançon ,  Dijon  &  Beaune.  Les  provinces  qu'ils  dé- 
•foloient  étoient  le  rendez- vous  de  leurs  femblables: 
on  les  voyoit  acourir  de  toutes  parts  ,  &  bientôt  ils 
formèrent  un  corps  d'armée  de  plus  de  feize  mHIe 
combatants.  Plufieurs  de  ces  compagnies  s'étoient  déjà 
mifes  en  pofTeffion  de  la  ville»  &  du  Pont  -  Saint -£i- 
prit  {a)  près  de  Lyon.  Les  Tards -venus  fe  fentant 

(a)  Froiflard  ne  marque  la  prife  clà  Pont- Saint -Efprit  par  les  compagnies 
<pc  vos  k  milieu  de  Taïui^c  iiÛTaute  ,  apiés  la  bataUic  de  Bk:ignais.  il  y  a 


Jean      IL  253 

affeï  forts  pour  former  les»  plus  grandes  entreprifcs,  ■ 
prirent  la  réfolution  dealer  rendre  vîfite  à  Sa  Sainteté.  Aen,  ij.6u 
Si  s^avifcrcnt  Us  œmpagnons ,  die  Froiflard  ^  qu^ils  fc 
tireroient  vers  Avignon  &  iroicnt  voir  le  pape  &  les  car-- 
dinaux.  Car  les  richefles  du  S.  Père  &  des  prélats  de 
(a  cour  étoient  un  merveilleux  apas  pour  ces  voleurs 
avides  de  butin  &  peu  fcrupuleux.  Ils  traverferent  le 
Mâconnois,  prenant  la  route  du  Comtat.  La  multi- 
tude de  ces  brigands  caufa  les  plus  vives  alarmes  :  tou-- 
tes  les  provinces  qu'ils  parcouroient ,  expofées  aux  déf- 
ordres  les  plus  funeftes  ,  adrefToient  leurs  plaintes  au 
conleil  du  roi.  La  France  étoit  menacée  d'une  défola*- 
pon  générale^  fi  Ton  ne  remédioit  de  bonne -heure  à 
tant  aexcès. 

La  diiiculté,  pour  ne  pas  dire  rimpoflibilité  d'en 
arêter  le  cours  y  jetoit  le  gouvernement  dans  un  emha-* 
ras  inexprimable  :  on  manquoit  de  troupes  &c  des 
fonds  néceflaires  pour  en  lever-  Dans  cete  extrémité 
le  roi  eut  recours  a  Jacques  de  Bourbon  y  qui  pour  lors 
étoit  à  Montpellier  ocupé  à  mettre  Jean  Çhandos  en 
pofTenion  de  plufieurs  des  places  qu'on  devoit  livrer 
aux  Anglois.  Jacques  de  Bourbon  étoit  un  des  princes 
les  plus  eftimés  de  Ton  temps.  Sa  générofîté  £c  fa  bra- 
voure lui  avoient  aquis  l'afeâion  de  la  nobleiTe  &  des 
gens  de  guerre.  Dès  qu'il  eut  reçu  les  ordres  du  roi , 
Il  ne  fongea  plus  qu  à  les  remplir  ,  il  fe  rendit  dans 
l'Agénois  6c  dépêcha  des  couriers  dans  les  provinces 
vodiines.  Il  eut  bientôt  railemblé  fous  fes  ordres 
quantité  de  gentilshommes  >  chevaliers  &  écuyers  qui 
tous  brûloient  du  defir  de  combatre  avec  lui.  Suivi  de 
cete  généreufe  noblelTe^  il  s'avança,  par  le  Lyonnois 
dans  la  province  de  Forez ,  dont  le  comte  mort  depuis 
quelque  temps ,  avoit  époufé  fa  fœur.  Les  enfants  de 

toute  a^rence  que  cete  ville  fut  prife  deux  (bis  :  car  une  cbtooique  écrire 
fous  le  règne  du  roi  Jean  ,  aflîlre  précifément  que  les  compagnons  qui  éioitnt 
Jortis  dt  france  ,  &  qui  fe  faifoient  aptler  la  grande  compagnie ,  s'cnoparercnt 
du  château  8c  de  la  ville  du  Pont-Sainc-Efprit  le  jour  même  des  lonocenu  de 
l'an  I  )  ^o.  Chroaiq.  MS.  dêkroi  lu»  ^  bibL  du  roi  »  unm.  ^6$  «• 


254  Histoire  DE  France, 

^  cete  princefîe  fe  joignirent  à  leur  oncle  :  il  fe  mit  avec 

Ann.  ij^i.    les  troupes  ,  qui  groffiflbient  tous  les  jours ,  à  la  pour- 
Xbite  des   ennemis.  Les  compagnies  ravageoienc  pour 
lors  les  environs  de  Châlons-fur-Sône.    Ces  brigands 
ayant  apris  Paproche  des  François,  tinrent  confeil  entre 
eux  pour  fçavoir  s'ils,  les  atendroient*  Après  avoir  fait 
le  dénombrement  de   leurs   forces  qui   fe   trouvèrent 
monter  k  feize  mille  hommes ,  ils  réfolurent  de  rifquer 
Tévénement  du  combat  :  Si  la  fortune  cji  pour  nous  , 
difoient-ils  ,   nous  ferons   tous  riches  pour  un  long^ 
temps  y  tant  en  bons  prifonniers  que  nous  prendrons^ 
que  en  ce  que  nous  ferons  fi  redoutés  ou   nous   irons  , 
que  nul  ne  Je  mettra  contre  nous  :  fi  nous  perdons  ,  nous 
ferons  privés  de  nos  gages.    Ils  vouloient  faire  enten-» 
dre  p4r-lk  que  n'ayant  rien  à  perdre,  ils  ne  couroienc 
d-autre  rifque  que  de  gagner. 
Bataille  de       C^tt  rélolution  unc  fois  prife ,  loin  d'atendre   que 
Brignais.        les  Frauçoîs  vinflcnt  les  chercher ,  il  alerent  eux-mê- 
mortdcjac^    mes  à  leur  rencontre.   Ils  quiterent  le  Mâconnois;  & 
quesdeBour-  traverfant  une  partie  du  Forez  &  du  Beaujolois  qu'ils 
bon.  ravagèrent,  ils  vinrent  s'emparer  du  château  de  Bri- 

arlfr  M5  S"^^^  >  ^^w^  ^^^  '^  petite  rivière  du  même  nom  ,  envi- 
ron k  trois  lieues  de  diflance  du  Rhône  dans  le.  Lyon- 
nois.  Jacques  de  Bourbon  aprenant  qu'ils  étoient  fi 
près  de  lui ,  rafTembla  ks  troupes,  &  vint  leur  préfen- 
ter  .la  bataille.  Ces  compagnies  compofées  de  vieux 
foldats  &  de  chefs  expérimentés  ,  s'étoient  poftées  fur 
une  montagne  dont  le  pied  fortifié  par  la  nature  étoit 
encore  défendu  par  des  retranchements  qui  redou-< 
blojent  la  dificulté  de  Taproche ,  quoiqu'ils  euffent  été 
faits  k  la  hâte.  Les  ennemis  ne  fe  contentèrent  pas  do 
ces  précautions,  ils  eurent  encore  recours  k  la  rufe, 
en  faifant  pafTer  leurs  troupes  les  plus  aparentes  & 
les  mieux  ordonnées  fur  le  revers  de  la  montagne, 
empêchant  par  ce  flratagême  qu'on  ne  pût  découvrir 
leurs  forces.  Cete  manœuvre  leur  réuffit.  Ceux  que 
leç  généraux  François  envoyèrent  k  la  découverte  ra-> 
porterçnt ,  k  Jacques  de  Bourbon ,  au  comte  d'Ufez  & 


I     i:     A     N       II,  255 

aux  autres  chefs ,  gu'ils  avoient  obfervé  Tordonnance  ■■ 

des  ennemis  9  qui  formoient  tout  au  plus  un  corps  de  ^^^*  M^^' 
cinq  à  fix  mille  hommes  fort  mal  arniés.  Ce  faux  ra* 
|>orc  produifît  une  confiance  inconfidénée.  Le  feisneur 
de  JBourbon  fe  détermina  fur -le- champ  à  les  forcer 
dans  leurs  retranchements ,  malgré  lea  avis  de  Tarchi* 
prêtre ,  lequel  ayant  combatu  lui-mêmfe  avec  les  pre- 
mières compagnies  de  brigands  qui  s'étoient  formées 
en  France ,  devoit  mieux  connoître  que  tout  autre  les 
xeilburces  qu'ils  fçavoient  mettre  en  ufage*  L'ataque , 
ainfi  que  Tarchiprètre  Tavoit  prédit ,  fut  très  malheu-* 
reufe.  Les  ennemis'  cachés  dèriere  la  montagne  fe 
montrèrent  .tout-à-coup  &  fondirent  fur  les  François 
déjà  ébranlés  par  les  obftacles  qu'ils  avoient  rencon- 
trés aux  premiers  affauts  Qu'ils  avoient  donnés  aux 
retranchements.  La  défaite  lut  entière.  La  plupart  des 

fens  de  diftinâion  furent  tués  ,  faits  prifonmers  ou 
leiTés.  Parmi  ces  derniers  on  comptoit  Jacques  de 
Bourbon  ,  qui  mourut  trois  jours  après  des  blcffureô 
qu'il  avoit  reçues;  Pierre  de  Bourbon  fon  fils  bleifé 
pareillement ,  lui  furvécut  peu  de  temps  :  le  jeune 
comte  de  Fore4  perdit  aufli  la  vie.  Hegnaut  de  Forez 
fon  oncle  fut  du  nombre  des  prifonniers  ,  ainfi  que  le 
comte  d'Ufez ,  Robert  de  Beaujeu ,  Louis  de  Châlons  ^ 
Tarchi prêtre  &  plus  de  cent  chtevaliers.  Tel  fut  l'évé- 
nement de  la  bataille  de  Brignais  y  dont  le  malheur 
des  temps  rendit  la  perte  encore  plus  fenfible  qu'elle 
ne  leût  été  dans  toute  autre  circonflance. 

Après  cete  viâoire  les  compagnies  continuèrent  de      Les  compa- 

fillcr  &  de  rançonner  les  provinces  du  Lyonnois ,  du  fJ^J^j/j^'^fi^^ 
brez  &  du  Beaujolois.   Une  partie  de  ces   brigands  du^Pont-s^nt^ 
réunis  fous  la  conduite  de  Seguin  de  fiadefol,  gentil-  Erpnt.&ran- 
homme  Navarrois ,  s'empara  de  la  forterefle  dfEnce  k  cou^d'iv* 
une  lieue  de  Lyon  y  tandis  que  les  autres  ayant  choifi  gnon. 
pour  chef  un  des  leurs  qui  fe   faifoit  apeler  l^ami  de 
JDïtu   &  V ennemi  de  tout  le  monde  y  reprirent  la  pour- 
fuite   de  leur  premier   deflein ,  ^ui  étoit  dealer  vififer 
le    pape  &  les  cardinaux.   lù  jurèrent  entre  eux  j  die 


24S  Histoire  de  Frakce^ 

^^^^^=ï=  Froiflard  ,  çu^ils  auraient  de  V argent  des  prélats,  ou 
Ann.  13^1,  çiî^Hs  feraient  haryés  *  de  grand  manière.  Ils  furpri* 
rent  une  féconde  fois  la  ville  du  Pont- Saint- Efprit, 
qu'ils  pillèrent  après  avoir  mafl'acré  la  plupart  des  ha- 
bitants ^  &  commis  les  plus  afreux  excès,  ils  firent  un 
butin  ineftimable  dans  cete  ville,  où  ils  trouvèrent  u  1.0 
quantité  de  vivres  fufifante  pour  les  faire  fubfitter 
pendant  plus  •d'une  année.  Maîtres  da  Pont- Saint -Ef^ 
prit  qui  leur  fervoit  de  place-d'armes  y  ils  faifoient  des 
courfes  jufqu^aux  portes  d'Avignon ,  laifTant  par -tout 
des  marques  funeftes  de  leur  paflkge. 

Les  nouveles  de  la  déroute  de  Brignaîs  étant  par- 
venues en  France,  pi ufieurs- pillards  Anglois ,  Aile-* 
mands ,  Brabançons ,  Gafcons  &  autres  qui  ocupoient 
encore  une  partie  des  places  qu'Edouard  devoit  refti- 
tuer ,  &  qui  avoient  refufé  de  les  rendre  ,  fe  hâtèrent 
de  les  évacuer  dans  la  vue  de  partager  la  fortune  de 
leurs  compagnons.  Ils  n'envifageoient  rien  moins  quo 
de  s'emparer  d'Avignon  &  de  piller  ent4érement  la 
Provence.  On  les  voyoit  ariver  en  foule.  Ces  fcélérat^ 
excités  par  la  foif  du  pillage  &  fàmiliarifés  avec  toute 
efjpece  de  crime  ,  fe  livroient  aux  plus  monftrueuz 
defordres.  Ils  violoient  les  femmes  vieilles  ou  jeunes  , 
fans  diftinâion  d'âge  &  de  condition  2  ils  pafToient  au 
fil  de  l'épée  les  hommes  faits ,  les  vieillards  &  les  en« 
fants  :  rien  n'étoit  capable  d'arêter  leur  fureur.  Les  mai- 
fons ,  les  églifes  devenues  la  proie  de  ces  barbares  y 
étoient  ruinées  de  fond  en  comble ,  &  ce  qu'ils  ne 
pouvoient  ravir  étoit  livré  aux  flammes.  Il  y  avoit 
entre  eux  une  funefte  émulation  de  forfaits  :  les  plus 
cruels  &  les  plus  impies  étoient  les  plus  eftimés. 
Embaras  de  Cependant  la  cour  du  pape  trembloit  dans  Avignon. 
lacourd'Avir  ^^  faintcté  eut  recours  aux  armes  fpiritueles  ;  mais  que 
pouvoient  les  foudres  de  Téglife  contre  des  fcélérats 
déterminés  ?  On  prêcha  une  croifade  contre  eux  :  le  pape 

(go)  Hary/s  ,  fecouts  ^  vieille  czprciCon  gauloife  qui  probablement  tire  (})il 
érymologie  du  mot  cclticjue  hatr  ^  fcaiiles  &  branches  d'arbres  ,  au^eœenc 
(faevelure  d'arbre. 

promic 


gaoo. 


J      E      A     "N         II.  2^7 

promît  abfolution  de  peine  &  de  coulpe  à. tous  ceux  oui  '^*****'**^ 
voudroient  prendre  les  armes.  Le  cardiÂI  d'Oltie  riit  ^^^^  '3^o* 
choifi  pour  le  chef  des  croifés.  Ce  prélat  ayant  établi  le 
fiege  de  fa  millîon  à  Carpentras  ,  éloigné  de  fept  lieues 
d'Avignon  >  engageoit  fous  les  drapeaux  de  Péglife 
tous  ceux  qui  vouloient  fauver  leurs  âmes  &  aquérir 
les  pardons.  Il  rafiembla  d'abord  quelques  troupes  ; 
mais  le  zèle  de  ces  nouveaux  croifés  le  ralentit  prompte- 
ment  quand  ils  eurent  reconnu  que  le  cardinal  n'avoit 
d'autre  folde  à  leur  donner  *que  des  indulgences.  La 
plupart  fe  retirèrent  en  leur  pays,  quelques-uns  aie- 
renc  en  Lombardie  y  les  autres  enfin  fe  joignirent  aux 
compagnies. 

Le  mal  croiflbit  de  plus  en  plus  :  Innocent  &  les  Unepaniediis 
prélats  de  fa  cour  prefles  par  les  ennemis  ne  fçavoient  ^ffcclYtaUc. 
comment  conjurer  l'orage  qui  les  menaçoit.   Heureu-  ^*  ^^^ 
iement  le  marquis  de  MondFerrat  vint  les  délivrer  de 
de  x:çte  fâcheuie  extrémité.  Ce  feigneur  promit  rtioyen- 
nanc  une  fomme  confidérable  j  de  débaraiTer  la  Pro- 
vence de  ces  hôtes  dangereux.  La  propofition  du  mar- 
quis fut  acceptée  de  la  fainteté  :  il  conclut  avec  les 
chefe  des  compagnons  un  acommodement  y  par  lequel 
ils    s'engagèrent  à  fe  retirer  moyennant  foixante  mille 
florins  9  &  outre  cete  fomme ,  Patfolution  de  leurs  péchés , 
grâce  que  le  pape  leur  acorda  volontiers.  Le  marquis 
de    Montferrat  ,  qui  pour   lors  étoit   en  guerre  avec 
les  fcîgneurs  de  Milan  ,  Galéas  &  Bernabo  Vifconti , 

{>ric  k  fa  foide  ces  compagnies  qui  W  fuivirent  en  Ita- 
ie  ^  &  lui  furent  d'un  j^rand  fecours  pour  la  conquête 
de  plufieurs  villes  &  tortereffes  qu'il  emporta  fur  fes 
et^nemis.  Ce  fut  environ  vers  ce  temps  qu  ariva  la  pré* 
tendue  proclamation  d'un  nommé  Jean  Gouge  natif  f f«^;  ^^«'^^^ 
de  Sens ,  qui  prit  le'atre  de  roi ,  &  s  empara  du  châ- 
teau de  Codelet  près  d'Avignon  ,  où  il  tut  pris  avec 
Jean  de  Vernai  gentilhomme  Anglois  qu'il  avoit  choifi 
pour  fon  liqptenanf.  Cet.  événement  ne  paroi  t  pas  bien 
avéré.  Tous  les  hiftoriens  de  ce  ficelé  qui  raportent 
îufqu'aux  moindres  déuiis^  n'en  £bnt  aucune  mention. 


varn. 


1^8  Histoire  Di  France, 

\  !  Ce  fait  ne  nous  a  été  tranfmis  que  par  une  lettre  du 

Ann.  ii4i.    pape  Innoceftt  VI  :  c'étoit  préciiémenc  dans  le  même^ 

temps  que  les  compagnies,  ravageoienc  les  environs  d*A- 

vignon ,  &  la  frayeur  du  faint  père  aura  bien  pu  lui 

groflir  les  objets. 

BiiganJages       Le  paflage  des  compagnies  en  Italie  fous  la  con« 

commis  par    j^j^^  j^  marouîs  de  Montferrat  foulasçea  la  France 

Scoruiii  de  Ba-  .  •      1         jyr      j  /r 

defoi.samort.  ^n  partie,  mais  les  délordres  ne  cellerent  pas  encore. 
Ibidem.      Scguin  de  Badefol ,  après  avoir  long-temps  ravagé  le 

dJ'roide^a^  Lvonnois ,  Tabandônna  i^ur  entrer  dans  T Auvergne, 
a-  ^^  .j  gïçj^pj^j.^  jg  Brioude  qu'il  tint  pendant  plus  d'un 
an ,  &  qu  il  n'abandonna  que  lorfqu'il  eut  abfoiumeiit 
ruiné  les  environs  :  encore  falut-il  compofer  avec  lui 
pour  l'obliger  à  lâcher  prife.  Il  fe  fit  payer  cent  mille 
florins  pour  Tévacuation  de  Brioude.  Chargé  des  dé- 
pouilles des  diférences  parties  du  royaume  quil  avoit 
parcourues ,  ce  chef:  de  brigands  fe  retira  en  Gafco* 
gne  avec  des  richeflès  immenfes.  FroifTard ,  dont  l'hif* 
toire  fournit  une  partie  de  ces  détails  ,  ajoute  qu'on 
n'entendit  plus  parler  depuis  de  Badefol,  ^u^il  a  Jeur 
Icmcnt  entendu  aire  qu^il  mourut  (Tune  manière  étrange. 
La  mort  d'un  capitaine  de  voleurs  feroit  par  elle-mé* 
me  un  objet  aflèz  peu  important ,  fi  elle  ne  fervoit  à 
faire  connoître  de  plus  en  plus  la  perfidie  &  la  fcélé- 
ratelTe  réfléchie  du  roi  de  Navarre.  C'eft  le  procès 
manufcrit  de  ce  roi  qui  nous  aprend  les  çirconftances 
de  cete  mort. 

Suelque*tem)|ri  après  le  retour  de  Seguin  de  Bi- 
en Gafcogne ,  Charles  -  le  -  mauvais  ,  qui  fe  pré- 
paroit  à  porter  de  nouveau  le  trouble  dans  le  royau* 
me  ,  voulut  Tatirer  contre  la  promefTe  que  ce  fameux 
aventurier  avoit  faite  en  remettant  Brioude  au  roi ,  de 
ne  plus  porter  les  armes  contre  la  France.  Segurn 
prêta  Toreille  aux  proportions  du  Navarrois  qui  ofroit 
de  lui  afTurer  des  revenus  confidérables  en  fonds  de 
terre.  Tout  étoit  convenu ,  hors  le  lieu  où  ces  rentes 
dévoient  être  aÏÏîgnées.  Le  roi  de  Navarre  vouloit  que 
ce  fût  en  Normandie  :  Seguin  au-contraire  les  demau- 


Jean      II.  2^9 

doit  dans  la,  Navarre.  Cet  obftacle  étoit  d^ficile  à  lever  ^■- 
par  lobftÎQacion  réciproque  des  parties.  Charles  diibit  Ana,  ii^u 
a  les  confidents  que  le  ùajlon  était  trop  cher  y  &  qu'il* 
lui  demaodoit  de  trop  belcs  poiTellions.  Seguin  cepen- 
dant avoit  entre  its  mains  le  fecrct  du  roi  de  Navarre; 
mais  ce  princç  n'en  conçut  pas  d inquiétude.  Puifquil 
ycut  tant  fe  faire  valoir  ,  dit-il ,  il  ny  a  qu^k  s'en  di^ 
faire.  Cete  réfolution  prife ,  le  Navarrois  le  fit  inviter 
à  diner  ^  ayant  auparavant  pris  la  précaution  d'ordon-* 
ner  à  l'un  de  fes  valets-de-chambre  de  lervir  un  plat 
d'oranges  &  de  poires  fucrées  devant  lui.  Charles  pré- 
fenta  lui  même  à  Seguin  ces  fruits  dont  il  vantoit  rex- 
célcnce  ,  l'invitant  k  les  goûter  :  à  peine  Badefol  en 
eut  il  fait  lefiai^  qu'à  Tinâant  même  il  tomba  dans 
une  défaillance  dont  il  ne  revint  que  pour  témoigner 
fa  douleur  par  des  cris  horribles.  Le  roi  de  Navarre 
fans  changer  de  vifage  le  fit  emporter  chez  lui*  Il  mou-» 
rue  peu  de  jours  après. 

On  s'ëtoic  flaté  que  la  paix  conclue  entre  les  deux     Afaîres  de 
CCHironnes  auroit  eiifin  terminé  la  longue  ai  fanglante  ^^^^^^T\trà 
querele  de  la  iucceflion  de  Bretagne.    Les  comtes  de  hift.af^Br!t/ 
Montfort   &  de  Blois  s'étoieiat  rendus  à  Calais ,  l'un     Froiffard. 
&  l'autre  conduits  par  l'efpérance  de  faire  agir  la  pro-   ^jj^7<î/n!'^* 
teâion  àes  deux  rois.  Celui  de  ï^rance  malgré  fa  bonne  part,  kti/ 
volonté  5  n^étoJt  pas  dans   une  conjonâure  affez  favo^ 
rable    pour  apuyer   avec    éficacicé   les  prétentions   de 
Charies<l^Blois.  Tout  ce  qu'il  put  obtenir  ,  ce  fut  la 
neutralité  de  la   France   &c  de  l'Angleterre  pour   les 
afaires  de  Bretagne.  Edouard  témoigna  beaucouo  d'in* 
diférence  mur  Momfort  fon  gendre  :  le  feul  duc  de 
Xiencaflre  le  foutint  avec  chaleur  ^  mais   ies  inftances 
furent  inutiles.  On  fut  fupris  de  la  froideur  du  monar- 
que Anglois.  Ce  prince  au  Êiixe  de  la  profpérité  pa<- 
roiflbit  négliger  toute  autre  coniidération  que  les    ob- 

Î*ecs  partscuiiers  de  £bn  ambition  :  il  avoit  délibéré  ,  dit 
'kiftorîen  de  Bretagne  ,  de  licencier  plujîeurs  foldats 
€f  voleurs  qu'il  tenoît  dans  les  places  ,  &  il  aimoit 
^eilx  que  ces  brigands  alaâeot  chercher  fortune  en 

K  k  i] 


i6o  Histoire   de    France, 

— — — ^  Bretagne  que  de  demeurer  en  fes  terres  :  en  laiflanc 
Ann.  ï^éu  indécis  le  diférend  des  deux  rivaux  ,  il  ménageoit  à  fes 
garnirons ,  lorfqu'il  les  auroit  congédiées ,  une  retraite 
dans  cete  province.  Cete  mauvaife  politique  lempêcha 
de  féconder  le  projet  d'acojnmodement  qui  fut  propofé 
par  les  feigneurs  atacbés  aux  deux  partis  :  il  fut  quef- 
tion  de  partager  également  le  duché  entre  Montfort  & 
Blois ,  qui  refuferent  à  la  vérité  d*y  confentir  ;  mais 
pour  peu  qu'Edouard 'eût  infifté ,  fon  gendre  eût  été 
forcé  de  s'y  foumettre.  Charles-de-Blois  de  fon  côté 
rejeta  la  propofition  avec  hauteur  ,  en  difant  gu'il 
voulait  tout  ou  rien.  L'afàîre  demeura  donc  au  même 
point  où  elle  étoit  avant  le  traité  de  Brétigny ,  &  fut 
réfervée  à  l'arbitrage  des  commifTaire^  ,  ainfi  qu'on  en 
étoit  convenu  par  le  vingt  &  unième  article  de  la  pa- 
cification. En  atendant  que  le  démêlé  pût  fe  décider  à 
l'amiable  >  le  duc  de  Lencaftre  obtint  qu'il  y  auroit 
une  trêve  jufqu'au  mois  de  Mai  de  l'année  luivantCr 
Peut-être  leroit-on  parvenu  à  terminer  la  difpute  ,  fans 
la  mort  du  duc.  Ce  feigneur  ne  laiiTa  que  deux  filles, 
dont  une  époufa  un  des  fils  du  roi  d'Angleterre  ,  qui 

Îrit  après  la  mort  de  fon  beau-pere ,  le  nom  de  duc  de 
iCncaflre. 
Après  plufieurs  conférences  ,  les  compiifTaires  déj)U- 
tés*de  part  &  d'autre  fe  féparerent  fans  avoir  pu  rien 
décider.  Le  comte  de  Montfort  &  Gharles  de  filois  re- 
prirent les  armes  ,  &  la  guerre  albit  recommencer  avec 
une  nouvele  fureur  ,  lorlque  les  prélats  &  les  feigneurs 
de  la  province  fufpendirent  une  féconde  fois  l'orage ,  en 
ménageant  une  trêve  qui  devoit  durer  jufqu'k  la  faint 
Michel  de  Tannée  1363. 

Ce  fut  quelque  temps  après  le  retour  du  roi  que  Ber- 
s'MchcluCct'  trand  du  Guefclin  s'atadia  entièrement  à  la  Trance. 
\ice  da  roi.     Sur  le  •  raport  du  duc  de  Normandie  &  de  tous  les 
Uidem.      princes  &  feigneurs  ,  car  les  fufrages  étoient  unanimes 
en  faveur  de  ce  brave  guerrier  ,  Jean  crut  ne  pouvoir 
faire  une  meilleure  aquifition  que  de  l'atirer  à  Ion  fer- 
vice.  Bertrand  fe  rendit  aux  premières  invitations  qui 


T      £       A      K         I   I.  iCl 

lui  furent  faites  :  il  parla  au  prince  avec  cetc  liberté  ,  .-J 

cete  franchife  &  cete  généroiîté  qui  lui  étoient-natu-    ^n-  iJ^'- 
reles.  Sire  ,  dit-il ,  mon  métier  ejl  la  guerre  >  j^ai  aquis 
Vamitié  de  plujieurs  braves  guerriers  des  plus  conjîdérables 
de  mon  pays  fji  vous  me  donner  moyen  de  les  entretenir  y 
ils  vous  feront  très-loyable  fervice.  Je  ne  veux  d^ autre  té^ 
main  de  leur  valeur  que  vous-^méme  y  répondit  le  roi ,  &  en 
atendant  mieux  je  vous  donne  cent  lances  de  mes  ordon-- 
nances  ,  &  l^apointement  qui  y  eft  dont  vous  les  poure:[ 
apointer.  On  voit  par  cete  réponlë  que  dès-lors  nos  rois      Milice  Fr. 
avoient  des  troupesrégulieres  d'hommes  d'armes ,  diftri-  ^«  ^'  Daniel^ 
buées  par  compagnies  de  cent  lances  chacune  ;  &  lorf-  ''  ^D^Cange] 
que  dans  la  fuite  Œarles  VII  formera  Tinftitution  d'une  giof.  ad  vtrL 

f Pareille  milice ,  il  ne  fera  que  renouveler  un  ufage  que  l*^^^*- 
es  défordres  du  royaume  avoient  intérompu  pendant 
quelque  temps.  Chaque  lance  ou  homme  d'arme  avoit 
avec  lui  trois  archers  ,  un  coutilier  ,  ainli  nommé  parce 
qu'il  étoit  armé  d'un  coutelas  aflëz  ferablable  à  nos 
bajonnetes  ^  &  un  page  ;  enforte  qu'une  compagnie  de 
cent  lances  formoit  un  corps  de  fix  cents  hommes. 

\jts  capitaines  auxquels  le  roi  donnoit  l'agrément  de    Juijcnne  Ja 

^       .  r  •       ^  A  I      ^      ,  Gucfclm  reli- 

ées compagnies  9  rormoient  eux-mêmes  leurs  troupes,  gjçufc  fj^„Yc 

Du  Guefclin  compofa  la  fîenne  de  gentilshommes  de  ic  château  ie 
fa.  province,  la  plupart  fes  parents  ou  amis  ,  d'une  va-  P^°«o'^on- 
leur  éprouvée  :  ils  l'acompagnerent  dans  toutes  fes  expé-  iiiji^JfBre!.* 
ditions.  On  lui  confia  d  abord 'la  garde  du  château  de 
Pontorfon  en  baffe  Normandie  ,  où  malgré  la  paix ,  les 
garnifons  Angloifes  qui  n'avoient  pas  évacué ,  commet- 
toient  quantité  de  défofdres.  Du  Guefclin  répondit  à  la 
haute  opinion  qu'on  avoit  de  lui  :  il  bâtit  les  Anglois 
en  pluneurs  rencontres  ,  &  fit  deux  fois  prifonnier  le 
chevalier  Felleton  qui  les  commandoit.  La  dernière 
ocafion  où  Felleton  fut  pris  eft  trop  finguliere  pour  la 
paffer  fous  filence  :  TAnglois  pendant  fa  première  capti- 
vité à  Pontorfon  ,  s'étoit  ménagé  une  intelligence  fecrete 
avec  deux  chambrières  de  la  dame  du  Guefclin  ,  qui 
faifoit  alors  fa  réfidence  dans  le  château  avec  Julienne 
du  Guefclin  religieufib  ^  fœur  de  fon  mari.  Felleton  étant 


i6i  Histoire   de  Frange, 

-^  ■■'  élargi  choifît  le  temps  d'une  abfence  de  du  Gucfclîn , 

Aiiiï.  ii6u    &  ne.matKjua  pas  de  venir  de  nuit  pour  efcalader  le 

château  ,  aiafi  quil  en  écoic  convenu  avec  les  deux  per^ 

fides  fuivances.  Tout  le  monde  étoit  endormi  »  les  An-* 

;lois  avoient  déjà  dreflë  quinze  écheles  conire  les  murs 

le  la  tour  ^  lorfque  la  dame  du  Guefclin  y  qui  dans  le 

moment  revoit  qu'on  furprenoit  Le  château  ,  ou  ce  auà 

paroi c  plus  vrailemblable  ,  réveillée  par  le  bruit  des 

ennemis  qui  montoient  avec  précipitation  ,  s'écria  que 

lennemi  étoit  au  pied  de  la  tour.  Julienne  du  Guelclia  , 

qui  couchoit  avec  fa  bêle- fouir  fe  jeté  hors  du  lit ,   & 

prend  fur  elle  un  Jacque,  {a)  pendu  en  la  chambre ^ 

comme   rcjfcntant  la   rau   dont  eik  étoit.    Uintrépide 

(4)  Le  Ttcqae  00  Jacke  itéit  une  effece  de  ctfaqae  mtlîraire  <|u*on  nec« 
toit  par-deflas  le  hauberté  Cet  habtllenieQt  fait  en  ferme  de  furtouc  coûte 
qui  ne  pafToit  pas  les  genoux ,  étoît  compofé  de  pluiienrs  peaux  de  cerf  apli- 
quées  les  unes  fut  les  autres  ,  garnies  en  dedans  de  boure  &  de  linge  :  ce 
qui  le  rendoit  imp^ttable  aux  lances  9c  aux  dards.  La  daitté  da  Jaccpie^le 
rendoit  très  •incommode  ;  &  pour  remédier  à  ce  défaut  00  avoit  foin  de  le  tenir 
fort  laige  ,  enfi>rte  que  Thomme  flotoit  dedans.  On  employoit  pour  les  plus 
forts  jofqu*à  trente  cotre  de  cerf.  Ceux  qui  ks  Toulotent  plus  légers  ,  fe  fer- 
▼oieat  de  ufetas ,  <)a'on  apeloit  alors  ceirdaux  :  ces'  cafecas  employés  en  plu« 
iieurs  doubles  opéroient  le  même  éfet  que  le  cuir. 

Si  aveit  diacan  «n  Taeqae  par-^eflbs  Ibn  haubert. 

Rrnn.  di  du  Guefclin^ 

Si  eut  oa  Jacque  moult  fon  »  de  bonne  foie  empli. 

Ibid.  da  Cta^  Gloff. 

Qaelqneleis  on  cmirioit  ces  Jaoqtxa  des  étofes  les  plus  précteufes  d'or  ft  d'ar« 
gent.  «  Et  le  voit  adonc  yéta  d'un  court  Jacque  de  drap  d*or  à  la  mode  d'Ale« 
i»  magne  <«•  Froiffard. 

C'eft  decete  (orne  dliabillemefic  que  nos  ancét*TS  ont  pris  le  modèle  de  lenn 
Jaquetes  ,  anxqeeles  oftt  fiiccédé  noc  poutpoiats  &  ki  jiifta«Gorps  qoe  nous 
portons  aujourd'IRif» 

C*étok  onpofHpofnt  de  cbamois» 
Farci  de  borne  fus  U  fous , 
Un  grand  vilain  Jacque  d*Angloîf 
Qui  lai  pendott  jufqu'aux  genoux* 

't^es  de  Cocquillard ,  rapprtées  par  le  T.  batiUl  « 
ivm»  a  «  #4af.  240.,  diU  milicefraafoifi. 


Jean      IL  lê) 

religîeufe  s^étant  armée  monte  fur  le  haut  de  la  tour ,  rsss^sums:!!: 
&  trouvant  les  écheles  dont  les  Anglois  n'avoient  pas  Ann.  1361. 
encore  gagné  les  derniers  échelons  ,  elle  les  renverfe 
par  terre  en  criant  alarme  pour  apelèr  la  garni fon  à  la 
défenfe  du  château.  Fclleton  fe  voyant  découvert  prit 
le  parti  de  la  retraite  ;  mais  malheureufement  il  ren- 
contra du  Guefclin  qui  le  fit  prifonnier.  On  aprit  de 
lui  la  trahifon  des  deux  chambrières  :  elles  furent  noyées 
dans  la  rivière  oui  paiTe  au  pied  du  château. 

Plufieurs  chets  d'aventuriers  Bretons  atirés  probable*^ 
ment  par  Teipoir  des  récompenles  &;  des  honeurs  dont 
le  roi  avoir  favorifé  du  Guefclin ,  acoururent  en  Fran-  ^f'//L7/'''' 
ce  ,  &  fuivant  Tufage  de  ces  troupes  irrégulieres  ,  ils  '  ''*^"' 
commirent  beaucoup  de  défordres  dans  les  provinces 
du  Poitou  y  de  l'Anjou  ,  du  Vendomois  ,  de  l'Ôrléanois 
&  du  pays  Chartrain  :  &  ce  qui  doit  paroître  étonnant^ 
c'eft  que  non  -  feulement  le  gouvernement  n'aportoit 
•  aucun  remède  à  leurs  brigandages,  mais  même  paroif-* 
foit  les  favorifer.  Les  peuples  fe  plaignirent  d*une  cala** 
mité  qui  fe  j&ifoit  reflcncir  jufquaux  portes  de  Paris. 
l^es  bourgeois  de  cete  capitale  aâigés  de  voir  le  com- 
merce abfolument  intéroxnpu  par  le  peu  de  sûreté  des 
routes  publiques  ,   s'adreilerent  au  confeil  :  on  ne  ré- 

}>ondit  à  leurs  repréfentations  que  par  une  défenfe  de 
e .  mêler  en  aucune  manière  de  ce  qui  regardoit  ces 
Bretons  &  Gajcons  ,  &  de  faire  leurs  afaires  h  mieux 
^u^ils  pouroient.  Une  pareille  conduite  de  la  part  des 

E  rinces  &  des  miniftres  manifeftoit  plus  que  de  la  foi- 
leflè.  Il  femble  que  dans  ces  temps  de  défafire  tout 
étoit  conjuré  pour  agraver  les  maux  de  la  nation  On 
Icvoit  cependant  les  fubfîdes  avec  la  même  exaâitude 
qu'on  auroit  pu  faire  fi  l'Etat  eût  jouï  de  toutes  les 
profpérités  qui  acompagnent  la  paix  &  l'abondance. 

On  avoir  impofé   quantité  de  droits   dont   la  levée 
étoit^  plus  à  charge  au  peuple  que  profitable  à  TEtât  & 
au  Prince.  Au  défaut  des  voies  fîmples  ,  fi  avantageu-      Tréfor  des 
(es  au  roi  &  a  fes  fujets  ,  on  cherchoit  l'art  de  perfec-  f*^'^^-  %«• 
donner  la  reflburce  toujours  ruineufe  de  ce  qu'on  apele  "^''^^^û^"- 


2^4  Histoire  de  France, 

''*"**''^  en  langage  de  calculateur  ,  la  fcience  des  expédients. 
Afin.  15^1.  Ces  tributs  multipliés  sabforboient  en  frais  de  régi^ 
Mémorial  de  ^  ^^  ^^^^^  j^  fermiers.  Le  roi  ,  de  Tavis   des  mcil- 

la  chambre  des  •  ^  i       /•  r  «i  t      i»  ^ 

comptes ,  reg.  icurcs  tctcs  de  lon  conleil ,  abolit  toutes  ces  modernes 
D.foLix.      inventions  de  la  cupidité  ,  auxqueles  il  fubititua  Tim- 

Î^ofition  générale  d'une  aide  de  douze  deniers  pour  livre 
ur  toutes  les  marchandiles  vendues  dans  le  royaume , 
d'un  cinquième  fur  le  prix  du  fel  ,  &  d'un  treizième 
fur  les  vms  &  autres  boiiTons.  Cete  impofition  fur  les 
liqueurs  étoit  proportionnée  k  leur  qualité ,  enforte  qu'un 
vin  médiocre  étoit  taxé  beaucoup  moins  que  les  vins 
de  Bourgogne  &  de  Champagne.  Les  élus  &  députés 
Aqs  provinces  &  des  villes  avoient  commidîon  d'adju- 
ger chacun  dans  leurs  diftriâs  ,  la  levée  de  cete  aide 
lur  le  fel  &  fur  les  boiiTons  ,  aux  fermiers  qui  fe  pré-* 
fentoient.  Comme  ils  connoifToient  la  nature  des  can- 
tons qu'ils  afermoient  ,  &  de.  quel  produit  ils  étoient 
fufceptibles  ,  les  furprifes  &  les  non*valeurs  ne  pou-^. 
voient  prétexter  Tinfolvabilité  de  ces  adjudicataires  par- 
ticuliers. La  plupart  de  ces  fermes  étoient  données  kdes 
Juifs  ou  à  des  Lombards  ,  que  Ton  regardoit  avec  rai- 
fon  comme  autant  de  fang-fues.  En  conféquence  de 
cete  déclaration  le  roi  rétablit  la  monnoie  fur  1  ancien 
pied  &  diminua  le  prix  du  marc  d'or  &  d  argent.  Afin 
de  prévenir  les  inconvénients  oui  fuivoient  ces  fortes 
de  mutations  ,  foit  qu'elles  hauflaffent  ou  baiflàiTent  la 
valeur  des  efpeces  \  la  même  ordonnance  défendit  à  tous 
marchands ,  artifan's  ,  laboureurs  ,  &  gens  de  fervice  y 
de  prendre  ocafion  de  cete  diminution  pour  furvendro 
.     &  renchérir  leurs  marchandifes  &  leurs  falaires. 

acsdomaiiM^  .^^^^  ^^^^'  P^^^  ^f^  ^^S^^  précautions  pour  le  reta- 
rda couronne  blifiement  d'une  partie  des  finances  ,  le  monarque  ju- 
*^*lî?t^  g^^  ^^^^^  n'étoit  pas  moins  néceflàire  de  réparer ,  autant 

chlrt/rfgll^,  qu'il  étoit  poffible  ,  les  défordres  furvenus  depuis  plu- 
jpiece^^%.  *  iieurs  années  par  les  libéralités  imprudentes  des  «rois 
co^^s^^ml  ^"  prédéceflcurs  &  de  lui-même.  Les  grandes  pertes 
^mmalD^^oL  ^^^  quelquefois  cet  avantage  pour  les  diflipateursqui 
u^vtrfo.      les  ^prouvpnt ,  qu'elles  les  ramènent  involontairement 

à 


T     E      A     N        I  I.  2S^ 

Yéconottùe.  Les  aliénations  des  domaines  avolent  été  — — — ! 
acordées  avec  autant  de  profufion  que  de  défaut  de  Ann.  xj^i. 
difcernement.  Nos  rois  ,  dit  un  judicieux  écrivain , 
ont  été  prefque  tous  généreux  &  magnifiques  :  la  no- 
ble/Te &  l'élévation  de  leurs  fentiments  ne  leur  permet- 
toient  pas  de  réfifter  aux  importunes  folicitations  de 
ces  vils  adulateurs  rampants  à  la  fuite  des  cours  ,  & 
dont  rinfatiable  cupidité  engloutiroit  tous  les  revenus  de 
la  couronne  fans  afibuvir  leurs  defirs  :  femblables  à  ces 
hydropîques  dont  l'ardeur  fe  redouble  à  proportion 
qu*on  s*éforce  de  les  défaltérer. 

C*étoit  dans  la  vue  de  prévenir  ces  inconvénients , 
que  la  chambre  des  comptes  ,  toujours  atentive  à  con- 
lerver  les  intérêts  du  prince  ,  &  pour  empêcher  ,  au- 
tant qu'il  étoit  en  elle  ,  que  les  fouverains  ne  fuflënc 
importunés  par  cete  foule  de  demandeurs ,  avoit  grand 
foin  de  dérooer  au  public  la  connoiflknce  des  domaines 
royaux  ,  &  avoit  expreffément  défendu  à  tous  les  mem- 
bres de  cete  compagnie  de  révéler  aux  étrangers  l'état 
des  revenus  du  royaume.  Mais  eft-il  des  barieres  im- 
pénétrables à  la  fureur  de  s'enrichir  ?  L'avarice  a  des 
yeux  de  Lynx.  Excédés  d'importunités ,  les  fouverains 
s'étoient  infenfiblement  dépouillés  des  meilleures  par- 
ties de  leurs  domaines.  Le  roi  réprima  ces  extorfions 
abufives  ,  en  révoquant  toutes  les  aliénations  qui  avoiçnc 
été  faites  depuis  Fhilippe-le-Bel ,  excepté  les  apanages 
des  enfants  de  France  >  &  ce  que  la  piété  des  monar- 
ques avoi(  acordé  k  l'églife.  Far  une  autre  déclaration 
le  roi  réferva  au  parlement  de  Paris  Iç  jugement  de 
toutes  les  caufes  relatives  au  patrimoine  de  la  couron- 
ne. Si  malgré  les  lumières  ôc  l'intégrité  de  la  cour  & 
/de  la  chambre  des  comptes  ,  quelques  abus  dans  la 
liiite ,  ont  pu  s'introduire  dans  radminiftration  des  do-^ 
Uiaines ,  ces  inconvénients  pafFagers  ,  fournis  aux  re- 
cherches d'examinateurs  éclaurés  &  fcrupuleux  ^  étoienc 
trop  voifins  de  la  réforme  pour  ne  pas  être  facilement 
rpdxeiTés.  C'efl;  à  leurs  foins  vigilants  que  nos  rois  fonç 
Tome  V.  %\ 


2^è  Histoire   de   France, 

^***"'''*^  redevables  de  la  confervation  d'un  des  revenus  les  plus 
Afm.iïj6t.    eifenciels  au  maintien  de  leur  grandeur. 
Mort  du  duc      Le  démembrement  de  tant  de  provinces  cédées  par 
de  Bourgogne:  le  traité  de  Brétieny  avoit  télement  rétréci  les  limites 

réunion  de  ce     j  >m       »  *^  J^  $'t     ia 

ducWài^cou-  ""  royaume  ,   quil  ny  avoit  pas  daparence  quil  dût 
ronnc.  recouvrer  fitôt  fon  premier  luftre  ,  lorlqu'une  mort  im- 

CAron.  MS.  prévuc  rendit  *  à  la  France  une  partie  de  fon  ancienne 
niqut^^  ^  ^'  étendue.  Le  jeune  duc  de  Bourgogne ,  Philippe  de  Rou-^ 
Mém.deiitt.  vre  ,  ainfi  apclé  parce  qu*il  étoit  né  au  château  de  ce 
deU^maihfdi  ^^^  >  X  mourut  vers  les  fêtes  de  Pâques  de  cete  année, 
France^  ^''  '  à  peine  âgé  de  quinze  ans.  Il  avoit  été  du  nombre  des 
F/^1/T^*  ^  ôtaçes  donnés  k  Edouard  ,  dont  il  obtint ,  peu  de  temps 
n/ir^/  après  fori  paflage  en  Angleterre,  la  permiflîon  de  re- 

DuTulct.  Venir  en  France.  Cinq  ans  avant  fa  mort  il  avoit  époufé 
la  princeflc  Marguerite  ,  fille  &  unique  héritière  de 
Louis  ,  dit  de  Maie ,  comte  de  Flandre ,  de  Nevers  & 
de  Rethel  ;  mais  la  jeunefle  des  époux  avoit  jufqu'alors 
empêché  la  confommation  de  ce  mariage.  Ce  prince 
étoit  fils  de  Philippe  de  Bour|;ogne ,  tué  au  fiege  d'Ai- 
guillon en  134Ô ,  premier  mari  de  Jeanne  de  Bourgogne, 
3ui  époufa  le  roi  Jean  en  fécondes  noces.  Eudes  duc 
e  Bourgogne  ,  grand -père  de  Philippe  de  Rouvre, 
vivoit  encore  dans  le  temps  que  fon  fils  mourut ,  &  il 
ne  termina  fes  jours ^qu'en  1349.  Eudes  avoit  aqùis  par 
fon  mariage  avec  Jeanne  de  France ,  les  comtés  d'Ar- 
tois &  de  Bourgogne  ,  &  la  feigneurie  de  Salins.  Il 
fut  le  fondateur  de  la  Chartreufe  de  Beaune.^  Philippe 
fon  fils  époufa  Jeanne  de  Boulogne ,  héritière*  de  Guil- 
laume III  ,  comte  de  Boulogne  &  d'Auvergne.  Ainfi 
Philippe  de  Rouvre  pctit-fils  d'Eudes  ,  réuniffbit  la  plus 
opulente  fucceffion  de  PEurope  après  les  têtes  couron- 
nées. En  lui  finit  la  première  branche  royale  de  Bour- 
gogne ,  qui  a  fubfifte  pendant  trois  cent  trente  années 
aepuis  Robert  de  France  premier  duc ,  fils  du  roi  Ro- 
bert ,  6c  petit-fils  de  Hugues  Capet.  Philippe  douzième 
&  dernier  duc  de  cete  maifon  fut  inhumé  à  Crteaux , 
monaftere  fondé  par  fes  ancêtres  ,  où  Ion  voit  encore 
plus  de  foiicante  tombeaux  de  princes  &  princefTes  des 


J      K      A      N      I  I.  iQj 

deux  branches  de  Bourgogne.  Les  ducs  de  cete  pro-  ! 

vince  ,  depuis  Robert  II  ,  étoient  rois  titulaires  de  Ann.  ij^x, 
Theflalonique ,  jufau'k  Eudes  IV ,  oui  vendit  cete  cou- 
ronne idéale  ,  ainu  que  it%  droits  lur  les  principautés 
d'Achaïe  &  de  Morée  ,  k  Louis  de  Bourbon  comte  de 
Oermont.  De  pareilles  prétentions  trouveroient  aujour- 
d'hui peu  d*aquéreurs. 

Philippe  à  fon  retour  d'Angleterre  avoit  fait  un  tef- 
tament ,  par  lequel  la  fucceflîon  de  fes  Etats  fut  divifée 
en  deux  parties.  Les  Comtés  de  Boulogne  &  d'Au- 
vergne furent  poffédés  par  Jean  de  Boulogne ,  oncle 
^e  Ta  reine  Jeanne  mère  du  jeune  prince.  Les  comtés 
de  Bourgogne  &  d'Artois  échurent  à  Marguerite  de 
Flandre.  Le  duché  de  Bourgogne  ,  ainfi  que  tout  ce 
qui  provenoit  de  l'héritage  dired  d'Eudes  IV  ,  retourna 
au  roi  Jean ,  k  qui  d'ailleurs  cete  fucceflîon  apartenoit 
par  droit  de  naifTance  ,  ce  monarque  étant  fils  de 
Jeanne  de  Bourgogne  fœur  d'Eudes.  Il  eft  bien  vrai 
aue  fans  la  difpofition  teftamentaire  du  duc ,  le  droit 
au    roi  de  France  auroit  pu  être  coritefté  par  le  roi  ^ 

de  Navarre ,  k  caufe  de  Marguerite  de  Bourgogne  fa        •  • 
grand  -  mère ,   pareillement  lœur    d'Eudes ,  &   même 
Paînée  de  la  mère  du  roi.   Mais  Jean  opofoit  k  cete 
prétention  l'avantage   qu'il    avoit  fur  le    roi   de   Na- 
varre d*un  degré  de  proximité.  Du  Tillet  a  penfé  que 
le  .duché  de  Bourgogne ,  confidéré  comme  apanage  de 
fils    de    France,  étoit  reverfible  k  la  couronne   faute 
d'hoirs  mâles.    On   a  prétendu -que  ce   fentiment  fou- 
froit  une  dificulté  k  laquele  il  feroit  dificile  de  répon- 
dre.   Le  droit  de  -reverfion  des  grands  fiefs,  dit-on  , 
n'écoit    pas  encore  établi  lorfcjue  Robert  de   France 
reçut  du  roi  Henri  fon  frère  Fmveftiture  du  duché  de 
Bourgoçne  en  1032.  Ce  ne  fut  que  long-temps  après,     Trlfor  dts 
que  Philippe -le -Bel  par  fon  codicile  ordonna  que  Id  îtEiS'^' 
comté  de  roitou  par  lui  donné  en  apanage  k  fon  fils  rcgum. 
puîné   retourneroit  k  la   couronne  au  défaut    d'hoirs 
mâles.  Mais  avant  Philippe  IV  ,  la  reverfion  des  grands 
fief  donnés  en  apanage  aux  enfants  de  France  ^toii; 

Ll  îj 


i62  Histoire   de  France, 

en  ufâge.  La  cour  des  pairs,  compofée  des  grands  du 
Aim.  ij^i.    royaume  au  nombre  de  trente -cinq,  décida  par   un 
Pafquier.     ^f^^  ^  qu'au  défaut  d'hoirs  mâles  les  apanages  retour- 
neroient  au  roi  ;  &  cet  arêt  fut  rendu  en  conformité 
d'une  loi  établie  depuis  le  commencement  de  la'troi- 
DuTHUt.    £eme  race.   Quelques  années  après,  deux  femblables 
arêts.  intervinrent,  dont  le   premier  adjugea  au  roi  le 
comté  de  Clermont  en  Beauvaifîs ,  qui  avoit  été  donné 
à  Philippe  fils  puîné  de  Philippe  Augufte.  Le  fécond 
réunit  pareillement  au  domaine  royal  les  comtés  de 
Poitou  &  d'Auvergne  qui  avoient  apartenu  à  Alphonfe 
frère  de  faint  Louis*  Ce  dernier  arêt  fut  rendu  contre 
les  prétentions  de  Charles  d'Anjou  roi  de  Sicile.   Ce 
n'en  donc  point  k  la  difpofition   particulière  de  Phi- 
lîppe-le-Bel  qu'il  faudroit  avoir  recours  pour  autorifer 
la  légitimité  des  droits  du  roi  fur  le  duché  de  Bour- 
gogne, comme  grand  fief  démembré  de  la  couronne, 
mais  aux  arêts  antérieurs   que  nous   venons  de  citer , 
jugements  authejn tiques,  &  quifupofent  néceifairement 
Chamhn  des  ^^e  îoi*  Ce  ne  fut  point  cependant  en  conféquence  de 
Comyex,  m/-  cete  loi  que  le  roi  le  mit  en  poiFedion  de  la  Bourgo- 
'"rte^ô/^^*  gne ,  mais  en  vertu  du  droit  de  proximité ,  ainfi  qu'il 
^^Recetuiî  des  le  déclara  lui-même  dans  les  lettres  de  réunion  de  cete 
ordonnances,    provincc.    Par  ces  mêmes  lettres  le  roi  réunit  irrévo- 
^Mi/'tfjr.  »i».  cablement  à  la  couronne  les  comtés  de  Touloufe  ,  de 
Champagne    &  de  Brie ,    &   le  duché   de  Norman- 
die ,  enjoignant  à  fon  fils ,  lorfqu'il  feroit  parvenu  au 
trône ,  &  à  fes  fuccefTeurs ,  de  ne  jamais  donner  ateinte 
à  cete  difpofition,  en  détachant  du  domaine  royal  au- 
cune de  ces  quatre  provinces.  Il  voulut  même  que  les 
rois  à   l'avenir  fuflent  obligés    de  jurer    l'obfervation 
de  cete  loi ,  en  montant  lur  le  trône.   Une  pareille 
ordonnance  étoit^tr^s  fage,  fur-tout  dans  l'état  d'afoi- 
bliffement    où  fe  trouvoit   le  royaume.    Malheureufe- 
ment  le  roi  lui-même  enfreignit  le  premier  cete  dif- 
pofition. 

Le  roi  de  Navarre  ne  manqua  pas  de  revendiquer 
les  droits  qu'il  prétendoit  à  la  lucceflion  dePhilippe  de 


J      ï      A      N         II.  2^9 

Rouvre*   Il  envoya  des  députés  chargés  de  demander  - 

juftice.  Le  roi  lui  fit  ofrir  de  remettre  Tafaire  àParbi-    A""-  n*^'. 
tragedefa  fainteté.  Le  Navarrois  qui  fe  fondoit  moins    Le  roi  de Na- 

/-*'  j'*  nri  /^nr-ni  varrc  réclame 

lur  un  droit  mconteltable  ,  que  lur  lelpoir  demba-  laflicccffiondc 
rafler  la  cour  par  une  demande  capable  de  faire  naître  Bourgogne. 
des  inquiétudes  ,  auroit  bien  voulu  tourner  '  Pafaire 
fin  une  négociation  à  la  faveur  de  laquele  il  eût  pu 
obtenir  quelque  dédommagement,  &  peut-être  réa- 
lifer  fes  anciennes  prétentions  fur  la  Champagne  & 
fur  la  Brie.  Il  fit  k  ce  fujet  plufieurs  démarches  tou- 
jours infruâueufes.  Il  n'auroit  pas  manqué  de  mani-* 
fefter  fon  mécontentement  s'il  eût  trouvé  la  circonf- 
tance  favorable.  Ne  voyant  aucune  aparence  de  fuc- 
ces  ,  il  fut  obligé  de  fe  contraindre  ,  &  ce  déni  fu- 
pofé  de  juftice  devint  pour  lui  dans  la  fuite  un  pré- 
texte de  plus  pour  autorifer  la  guerre  k  laquele'  dès* 
lors  il  fe  préparoit  fourdement. 

Immédiatement  après  la  réunion   juridique   de   la  Voyage  du  rot 
Bourgogne  ,   le  roi   partit  de  Paris  pour  aler  prendre  ^^^^'^'^^^^ 
poiFeiuon  de  cete  province.    Il  confirma  les  privilèges  ordonnançai^ 
&  franchifes  tant  des  feigneurs  que  des  villes  &  com- 
munautés.   Il  revint  à  Paris    par  la  Champagne ,  où 
pareillement  il  acorda  des  lettres  de  confirmation  tant 
au  clergé  qu'à    Ta   nobleffe  &  au    tiers -état  de  cete 

Srovince.  Le  roi  s'éforçoit  par  toutes  fortes  de  moyens 
e  réparer  les  pertes  ouc  l'Etat  venoit  de  foufrir ,  en  ra- 
prochant  &  rafermiflant  y  autant  qu'il  étoit   poflible  ^ 
les  parties  du  royaume  qui  fubfifloient  encore  entières. 
La   France  avoit  tout  à  redouter  d'un  ennemi  devenu     ckronîq.  de 
puiflant  par  nos  malheurs  ,  &  qui  cherchoit  encore  à  Fland.p.x%i» 
le  rendre  plus  redoutable.    Depuis  la  mort  du  duc  de  Rym.aa.puii. 
Bourgogne  ,  Edouard  avoit  formé  le  projet  de  marier  tom.i»pan.%. 
le  prince  Edmond  comte  de  Cambridge  Ion  fils,  avec 
Marguerite  de  Flandre  veuve  de  Phinppe  de  Rouvre.  . 
Les   miniflres  Anglois  agirent  fi  puiffamment  auprès 
des    principaux  membres    des  Etats  de  Flandre  ,  que 
le  comte   Louis  ,  quoiquer  peu  favorablement  difpofé 
en  faveur  de  l'Angleterre^  confentit  à  cete  aliance,  • 


2.70  Histoire   de   France, 

^  preffé  par  les  importunités  de  fon  confeil  qui  avoir  été 

Ann.  ij^i.  gagné.  Les  articles  de  cete  réunion  furent  réglés,  & 
le  roi  d'Angleterre  qui  fentoit  tout  l'avantage  d'un 
pareil  traité  fe  hâtoit  de  le  conclure.  L'afaire  paroiflbit 
immanquable,  &  les  Anglois  aloient  joindre  à  ce  qu'ils 
pofTédolent  déjà  en  France ,  les  comtés  de  Flandre  i  de 
Bourgogne  &   d'Artois.  Le  roi  informé  de  ce  qui  fe 

Î)aflbit,  comprit,  tout  mauvais  politique  qu'il  etoic , 
e  danger  auquel  il  étoit  expofé.  Il  fkloit  parer  ce 
coup ,  &  la  cnofe  n'étoit  pas  facile.  Le  comte  de  Flan* 
dre,  quoique  partifan  de  la  France,  avoit  donné  fa 
parole.  D'ailleurs  Jean  n'étoit  pas  d'humeur  à  fe  com- 
mettre de  nouveau  avec  Edouard ,  en  fe  déclarant 
trop  ouvertement  contre  ce  mariage.  Dans  cete  con- 
jonâure  embaraffante  il  réfolut  d^employer  le  minif- 
tere  du  pape ,  afin  d'opofer  aux  projets  ambitieux  d'E- 
douard un  obftacle  invincible ,  &  qu'on  ne  pût  pas 
lui  atribuer.  Il  fe  rendit  pour  cet  éfet  à  la  cour  d'A- 
vignon (a). 
Mon  du  pape  Innoccnt  VI  venoit  de  mourir  le  i2«  Septembre  de 
Innocent vi.  q^^q  année,  après  avoir  ocupé  le  fîege  de  laint  Pierre 
ffl'oi/tfl^^^  pendant  neuf  ans  &  neuf  mois.  Ce  fouverain  pontife 
joignoit  à  une  piété  folide  les  lumières  d'un  efprit 
éclairé.  Il  aima  les  lettres  ;  il  protégea  ceux  qui  s'y 
apliquoient  ;  il  les  cultiva  lui-même.  On  ne  peut  fans 
injuuice  l'acufer  -d'avoir  trop  écouté  la  voix  du  fang 
en  conférant  à  fes  parents  les  dignités  écléfîaftiques , 
puifque  ceux  de  fa  famille  qu'il  éleva  aux  honeurs 
mftinerent  fon  choix  par  leur  mérite  perfonnel  &  par 
leur  exaâitude  à  remplir  les  devoirs  de  leur  état.  l)ix 
jours  après  la  mort  du  fouverain  pontife  les  cardinaux 

(a)  Depuis  Ton  retonr  de  Londres  le  roi  ne  fit  que  ce  fenl  voyage  II  la  cour 
d'Avignon  >  ^  où  il  n*ariva  qu*aprcs  la  mort  d'Innocent  VL  Cete  opinion  ne 
peut  à  la  .vérité  s*âcorder  avec  ce  que  dit  Froiâard  ,  qui  raporte  que  le  pape 
Innocetft  vivoit  encore  Sudomui  plufienrs  fêtes  au  roi.  Il  faudroit  que  Jean  eut 
fait  deux  voyages  à  peu  de  diftance  Tun  de  Tautre  ,  &  le  contraire  cft  ié- 
montré  par  la  luite  des  lettres  de  ce  xt>i ,  recoeiiiUis  dans  le  quatrième  volume 
des  ordonnances.  Fipifiàrd  aura  fans  doute  confondu  ce  voyage  avec  celui  que 
,  ce  même  prince  fit  avant  fa  prifon.  Vojti  U  qmtriaof  vol.  &s  onbunéncts  îi 
M.  Stcouffu 


J      E      A      H        II.  271 

entrèrent  au  conclave  pour  lui  donner  un  fucceffeur.  - 
Ils   demeurèrent   afleniDlés  pendant    plus    d'un    mois    Ann.  xs^u 
fans  pouvoir  convenir  en  faveur   duquel  d'entre   eux 
ils   reuniroient    leurs    fufrages.    Ils    terminèrent  enfin 
leur  indécifion  en  fixant  leur  choix  hors  du  facré  co- 
lege.  Guillaume  Grimaud  ou  Grimoard,  abé  de  faint      Eicaion 
Vidor  de   Marfeille ,  fils  du   feigneur   de  Grifac    en  d'Urbain  v. 
Gévaudan  ,  fut   unanimement   élu  le  28  Oâobre.    Il 
étoit  pour  lors  en  Italie.  Les  cardinaux  lui  mandè- 
rent de  fe  rendre  à  Avignon  y  &  tinrent  fon  éleâion 
fecrete  jufqu'à  ce  qu'ils  fe  fuflent   aflurés  de  fon  con- 
fentement.  Grimaud  entra  fecrétement  dans    la  ville  5 
&   le   lendemain    de   fon   arivée ,  fon    exaltation   fut 
rendue  publique.  Il  fut  facré  évêque   par  le  cardinal 
de  Maguelonne  évêque  d'Oftie ,  &  couronné  pape  fous 
le  nom  d'Urbain   V .  L'éclat  de  la  tiare  n'altéra  point 
la  fimplicité  de  fes  mœurs.  Ennemi  du  faôe ,  il  fuprima 
la   pompeufe  cavalcade  qu'on   avoit  préparée    fuivant 
Tufage  ordinaire ,  pour  célébrer  fon  avènement  au  pon- 
tificat. 

Le  roi  qui  depuis  quelques  jours  étoit  logé  à  Ville-     3Tr//br  des 
neuve  près  Avignon  ,  fe  trouvoit  à  portée  d'agir  éfica-  ^^^^[\  jp/f^! 
cément  auprès  du  nouveau  pape  pour  empêcher  le  ma-  inam^Unres 
riage  qu'Edouard  projetoit.  Le  prédécefleur  de  fa  fain-  *^^  ^  *^^' 
te  té  avoit  acordé  a^roi  d'Angleterre  des  bules  de  dif- 

Îenfe  générale  fans  défigner  le  nom  des  perfonnes. 
ean  prépara  le  fouverain  pontife  à  révoquer  ces  bules  ^ 
&  à  déiendre  exp^ffément  de  conclure  l'aliance  du 
comte  de  Cambridge  &  de  Marguerite  de  Flandre  , 
atendu  qu'ils  étoient  parents  au  troifieme  &  au  qua- 
trième degrés.  Cete  interdidion  déconcerta  les  mefu- 
res  d'Edouard ,  qui  dans  la  fuite  tourna  fes  vues  d'un 
autre  côté  ,  en  faifant  époufer  à  fon  fils  une  fille' de 
dom  Pedro  roi  de  Caftille ,  avec  lequel  il  avoit  déjà 
figné  un  traité  de  confédération. 

Le  roi  qui  fuivoit  le  monarque  Angloîs  dans  toutes  Lcroîs'alic 
fes  démarches  ,  chercha  les  moyens  de  le  traverfer  en-  Y^Tvlu&z-^ 
core  y  opofant  au  Caftillan  un  rival  redoutable.   Pour  marre. 


272  Histoire   de   France, 

-.  cet  éfet  il  conclut  un  traité  fecret  avec   Henri  comte 

Ann.  ij^r.  de  Tranftamarre ,  frère  naturel  du  roi  de  Caftille. 
Tréfor  des  Henri  qui  depuis  long -temps  faifoit  la  guerre  à  fon 
coTiôo!  frère ,  s'engagea  par  ce  traité  de  tirer  hors  de  France 
les  compagnies  qui  la  défoloient ,  de  fervir  le  roi  cnr 
vers  &  contre  tous  ,  fans  qu4l  pût  jamais  fe  difpenfer  de 
rhommage  qu'il  lui  rendoit.  Le  roi  pour  fe  latacher 
davantage  devoit  lui  donner  dix  mille  livres  de  rente 
en  terre  ;  &  s'il  fe  trouvoit  obligé  par  le  mauvais  fuc- 
ces  de  fon  entreprife  ,  de  reveqir  en  France  ,  il  pro- 
mettoit  de  lui  affigner  un  entretien  honête  &  con- 
forme k  fa  condition.  Ce  traité  prépara  la  révolution 
qui  éclata  fous  le-  règne  fuivant.  Èï  Jean  fe  fût  toujours 
conduit  avec  cete  prudence  ,  il  n'eft  pas  douteux  qu'il 
n'eût  prévenu  une  partie  de  fes  difgraces  ,  &  qu'il  ne 
fe  fût  fouftrait  à  l'afcendant  que  le  roi  d'Angleterre 
çonferva  toujours  fur  lui. 

Edouard  étoit  enfin  parvenu  au  terme  de  fes  prof- 
pérités.  Idole  de  fes  fujets  qui  n'envifageoient  (ju'avec 
une  efpece  de  tranfport  l'éclat  qui  environnoit  leur 
monarque  ;  maître  d'une  partie  de  la  France  c^u'il  ve- 
noit  de  fe  faire  céder  par  un  traité  dont  la  vidoire  elle- 
même  avoit  drelTé  les  articles  en  fa  faveur  ;  père  d'une 
famille  nombreufe  &  qui  donnoit  les  plus  bêles  efpé- 
rances  ;  un  fils  aîné  couvert  de  gldre ,  déjà  aufïî  cner 
k  fa  nation  que  lui  même  ;  un  fils  compagnon  de  fes 
triomphes  &  dont  la  réputation  étoit  capable  d'exciter 
U  jaloufie  de  tout  autre  que  d'ua  père  ;  que  d'avan- 
tages  réunis  !  voilà  quele  étoit  la  muation  du  monar- 
que Anglois ,  dont  le  bonheur  paroiflbit  établi  fur  des 
tondements  inébranlables.  Que  lui  manquoît-il  pour 
fixer  la  fortune.^  La  modération.  Au -lieu  de  fonger 
à  cimenter  la  pofTeflîon  injufte  ou  légitime  qu'il  s'é- 
toit  aquife  ,  il  ne  fut  atentif  qu'à  fe  procurer  de  nou- 
veaux avantages,  foit  en  étendant  les  droits  au  gré 
de  l'interprétation  arbitraire  qu'il  leur  donnoit ,  loît 
en  éludant  (bus  de  vains  prétextes  l'acompliflemenc 
des  promeiTes  les  plus  authentiques.  Il  étoi(  bien  \uÛù 

-     que 


Jean      II.  173 

que  fes  artifices  retournaf&nt  contre  lui  -  même  :  aufli  .,i_,i..,,«, 
le  vèrons  -  nous  dans  la  fuite  perdre  infenfiblemenc  ce  "T  ~" 
qu'il  avoit  envahi  avec  tant  de  facilité.  Leçon  pour  les  ^'  ^  ' 
rois  dont  Tinfatiable  ambition  néglige  de  fe  renfermer 
dans  les  bornes  d'une  grandeur  véritable ,  qui  ne  doit 
jamais  avoir  pour  baie  que  Téquité.  L'exemple  d'un 
louverain  que  le  fuccès  n'entraîne  jamais  au  -  delà  des 
limites  de  la  juftice ,  eft  trop  rare  pour  échaper  aux 
hommages  de  fon  fiecle  &  à  la  vénération  de  la  pofté- 
rîté.  Nous  avons  vu  de  nos  jours  cete  efpece  de  pro- 
dige dans  un  prince  qui  s'arêtant  lui-même  au  milieu 
de  fes  conquêtes,  a  donné  la  paix  à  fes  ennemis  fans 
fe  réferver  d'autre  fruit  de  la  viâoire  que  i'honeur  d'a- 
voir vaincu ,  &  la  gloire  encore  plus  grande  de  ré- 
tablir la  tranquilité  de  l'Europe.  Je  laifle  à  nos  adver- 
faires  les  plus  déclarés  le  foin  de  le  nommer. 

Le  monarque  Angloîs  entroit  pour -lors  dans  fa  Rap.Tkoyras. 
cinquantième  année.  Il  voulut  qu'elle  fut  folennifée 
par  une  efpece  de  jubilé.  Les  prifons  furent  ouver- 
tes par  fon  ordre ,  &  tous  les  coupables  obtinrent  leur 
prace  :  il  n'excepta  pas  même  de  cete  amniftie  générale 
Tes  criminels  de  lefe-majefté.  Il  confirma  les  privilè- 
ges dç  la  nation  exprimés  dans  la  grande  chartre  acor- 
dée  autrefois  par  le  roi  Jean-fans-terre.  Il  étoit  dans 
Tufage  de  donner  de  temps  en  temps  aux  Angloîs 
Cete  marque  de  fon  refpefl:  pour  les  conftitutions  de 
TEtat ,  &  Pon  compte  jufqu  a  dix  ratifications  de  cete 
chartre  pendant  le  cours  de  fon  règne.  Cete  même' 
année  dans  laflemblée  du  parlement  tenu  à  Londres, 
31  fut  réglé  qu'à  Tavenir  on  ne  fe  ferviroît  plus  dans 
les  tribunaux  d'Anjgleterre  &  dans  les  aâes  publics, 
de  la  langue  FrançoiCe  dont  f  ufage  fubfîftoît  depuis 
Guillaume-le-conquéraot  {a)^   Edouard   vouloit  fans^ 

(a)  lorCque.  Gaîllaiime  eat  fait  ta  conquête  de  l'Angleterre  ,  il  fit  rédiger 
les  lois  dn  pays  en  fran^oîs ,  ordonnant  que  dorénavant  tous  les  procès  inftruit^ 
1  la  ceur  du  roi  fcrotent  plaides  en  François.  Cete  ordonnance  obligea  les  jn« 
j^lHî^iont  Subalternes  d'adoptju:  le  mime  lâi^agc  :  il  inftitua  des  écoles  {fur 
hlîques  od  on  rcnfeignoit ,  &  tous  les  jeunps  gens  qui  fe  deftinoieni;.  aui  }çt« 

Tome  y.  Mm 


474:-  Histoire    DE.  France, 

==  doute  éù^t  dansîlei  cœm:  de3  Anglois  jufqu-au.  fouttcûîr:, 

Ann.  i}6%.    d'une   rjèvolwÏQtK  QWJi  les.  ayqit  aJuj^us  aûttefois.kL  un 

firaple,  feudaraire  de:  la  courpane.  de  I?rançe.^  mai»  h, 

mémoire  de  q^  évéaemejDtejft.inéfagable,  4c  U.de\;oit 

fc  Goûvamcre  Inirmême  qiae»  le  ttone  qu'il  oçupoit^vpii; 

été,  fonde  par  ces  Normands,  dont:  il.  profcrivoir  l;idiQ< 

me.   La.  profcription  cependant,  ne  fîit  pa$  entière,  £& 

k  chancélerie  d'Ajigleterxe  continua,  de  faire  ufage  de 

la  langue  Fr^nçoife ,  principalement  dans  les.  chargeât 

Rymer.  aB.  cx^édiées.  pQur  des  alaires.qui,cpi)cernoJent  la.  France* 

fuU.  iom.  j ,  Lq  prince  de  Galles  que  fon  ^ox^  venoit  de,  revêtit  4c, 

&%iv/'^^^  la  principaixté  d:Aquitâine,  en  réunifiant  fous,  ce  titre, 

froiiard.     la,  Uuienne^  &  les,  provinces,  voifines  qui-  lui  avoien!} 

étd  cédées   par  le  traité  de  Bréaeny.,  le  fervit  de.  U 

langue.  Françoife,  dans  les  lettres  de  reconnoiffance  de 

cete  inveftiture.,  k  la  charge  d'ui>e  once  d'pr  de,  revenu 

annueL 

Le  nouveajLi  duc  d'Aquitaine  juftifioît  par  ibxi  m^ 
rite,  perfonncl  les  marques  de  feyeur  &  de  diftinâioa 
donc  Ion  père  le  cpmbloit.  Peu.  de  temps  après  il  pajc-^ 
tit  de  Londj:e3  Pour  fe  rendre  en  Guiennê.>  &  vint 
tenir  fa  cour  à  Bordeaux.  Si  quelque  cbofe  était  ca-^ 
gable  de  contenir,  ces  provinces,  fous  le  jqug  dlune  do^ 
miuation  étrangère  ,  ç*6toit  fea^.  contredit  la  préfence 
d'un  prince,  qui  s'é toit;  concilié  par  fes.  vertu»  TeÛime 
univerfele  :  on  laifle  à  juger  fi  par  cet  ^fte  de  fbuve-^ 
raineté  prématurée,  le  roi  d'Angleterre  ue  donnoit  pas 
une  areinte*  formele  aui  traité  de  Brédgny ,  puifqu'il, 
ne  s^écoit,  pas.  encore  rois  en  état,  de  recevoir  la  renon-*- 
ciation.  du  roi  à-  la  fiizerainçté  des  provinces  au'il  érir^ 
geoit  de  fon  chef  en  principautés.  I»fque-lk  îi  c'avoiç 
aucun  droit  :  les  reproches  qu'on  pouvoit  lui  faire  à  cec[ 
égard  font  déjà  en  fi  grand  nombre,  qu.^il  efit  fuperfli^ 
de  les  multiplier  à  toutes  les  ocaiions  qui  s'en  préfentent. 

vrts  ^toîent  obîSgés de  rapren^.  Cet  niage,  otioi<fO*atioIi  par  BAmcid,  tfoh^ 
fifta  encore  eo  partie  pendant  long-temps  ,  &  l'on  rctfouve  maître  encore  ai>- 

Kurdliui  dans  c|aelqi^c&  fornolcs  jodiciaives-  dcS'  vcftigcs  de  Taiickfi  laagagiê 
omand» 


Jean      IL  27^ 

Comme  les  modfs  du  voyage  du  roi  n'avoîent  pas  été 


^ivulgU4és  9  chacun  ie  crue  autorifé  à  les  deviner.  C*eft  ^■'*- '^^^^ 
•le  fort  de  prefque  toutes  les  démarches  des  princes; 
miais  de  toas  les  prétextes  ou'on  imagina ,  celui  qui  eft 
le  :plus  ddtitué  ue  vraifemolance ,  c*eft  le  projet  pré- 
tendu de  tbn  mariage  avec  Jeanne  reine  de  Sicile ,  veuve 
de  Louis  de  Tarente  Ton  fécond  mari  ^  mort  au  mois 
de  Mai  précédent.  Quele  aparence  que  le  roi  qui  dans 
cont  le  cours  de  fa  vie  ne  donna  jamais  ocafion  de  le 
foupconner  de  fentinients  éouivoques  fur  l'honeur,  eût 
voulu    démentir  la  réputation  qu'il  s-étoit  «aquife  tu 
époufantune  princeflè  aufli  décriée  que.  Jeanne?  QuVHe 
ait  été  coUpal>le  des  ^fordres  que  lui  ont  reprochés 
plufieurs  écrivains  contemporains ,  ou  que  fuiVant  To- 
pinion   de  quelques   autres ,  elle  ait  été  plus  nialheu- 
reufe  que  criminele,  il  n^en  éft  pas  moins  vrai  de  dire 
que  fes  aparence  étoîént  contre  elle  ,  &  que  ce  te  feule 
raifon  étok  fufifante  pour  empêcher  Jean  de  fortgerà 
une  pareille  aliance  :  ^*ailleurs  il  rfétoit  pas  de  Tîrité- 
rêt  du  fàîtît  fiége  d'avoir  Un  feudataire  tel  que  le  roi 
de  france.    Il  ne   parok  pas  que   cete  princeffe  qui 
époufa  Jac(jues  tf  Aragon  peu  de  temps  après  fa  mort 
cle'fon  dernier  mari,  ait  été  folicîtée  de  prêter  PoreiHe 
k     des   propôfîtions   de  mariage  avec    le    monarque 
François. 

Tandis  que  le  roi  hiénageoit  Tes  ^ribérêts  à  la  cour    Guerre  entre 
d*Avi*n<>*i  en  s'opbfant  fous-main   à  Tagrandiffement  ï«  comtes  de 
de  fa  puiffarieç    d^Edouard  ,  il   fe   liVra   un   fenglant  ^^^J^,;^^^- 
combat  ^rès  dé  Touloufe^entjrè  GaftdnThœbus  comte     chron.MS. 
-de  Foixv^&lle'Cftînte  d^Armaghac.  Le  pï^mîer  ^gria  du  roi  Jean. 
-tine  viÔtfirfe' complété;   Lès  Wmtes  dé    Goininges.  &      ^*'^''"- 
de  Madiflftin  ,  4é  tire  d'^AIbret;,  fes  deux  'frères  ,  ïe 
leigneur  de  la  Garde  , .  &  le  comte  d'^Armagnac  lui- 
trièmt  ^rcfnt  faits  prifottrtiers.    Le  comte  de  Foiâc  les 
lit  conduire  à  Ortaîs ,  où  il  les  retint  jufqu'à  ce  qu'ils 
'éi!flSw;My^4eBfs  rafrçoMs.  L^immîtîé  que  d:es  intérêts 
deTamïlle  avoiejàit  Êit  naître  ent^êjes  ipajifons  de  Foîx 
£c  d'Armagnac  fut  caufe  que  le  comte  dé  Foisc  -jporta 

M  m  îj 


2j(j  Histoire    d«   France, 

•  la  rançon  de  fon  advcrfaire  à  une  fomme  exceflîve  :  il 
Ana.  x}éi.  exigea  cinquante  mille  livres  que  le  comte  d  Armagnac 
fe  trouvoit  hors  d'état  d'aquiter  :  il  ofrit  pour  obtenir 
fon  élargiiTement  la  caution  du  roi  de  Navarre.  Gafloii> 
quoique  beau-fi:ere.de  ce  roi ,  ne  voulut  pas^  accepter 
ùi  garantie  ^  le  connoij/ant ,  difoit-il ,  trop  cauteleux  Çf 
malicieux.   Agnès   de  Navarre  comteffe  dé  Foix,  fut 
ofenfée  de  ce  que  fon  mari  ne  vouloit  pas  s*en  rappr- 
ter    à  la  bonne  foi  du  roi    fon   frère.    Llle  mit  tant 
d'amertume  &  d'aigreur  dans  les  plaintes  qu'elle  fit  à 
ce  fujet,  que  le  cqmte  fatigué  de  les  reproches. conti- 
nuels confentit  enfin  à  rendre  la  liberté  au  comte,  d'Ar- 
.  magnac ,  à  condition  que  le  toi  de  Navarre  s'oblige- 
roit  à  payer  les  cinquante  mille  livres» 
Hîftoire  tra-       Le    comte  d'Armaguac  paya  exaâçment  la  fomme 
çiquc  du  fils  au  Navarrois  qui  s'étoit  engagé  pour  lui  ;  mais  Charles 

du  comte  de  .    i  j    *iT  i     Pr  ^     '^  r  a   \ 

Foix(tf).  peu  jaloux  dejhonçur  de  le  montrer  garant  ndeie^ 
ibUem.  retint  les  cinquante  mille  livres,  &  après  avoir  amufé 
le  cpmpe.de  Foix  par  plûfîeors  défaitç^s  »  il  finit  par 
refufer  puvertement  la  rpftitutipp.  Gaftoa  indigné 
d'une  m^uvaife  foi  fi  manifefte,  obligea,  fon  époufe 
de  fe*rendre  auprès  du  roi  de  Navarre  pour  le  déter-- 
miner  à  lui  faiye  raifon.  Agnès  partit,  quoiqu'elle  ef- 
pérât;  peu  defuccès  de  ton  voyage  :  elle  connoilToit 
trop  le  caraftere  de  fon  frère  pour  fe  flatèr  qu'il  vou- 
lût fe  deffaifir  d'une  fomme  doi>t  il  s'étoi(  une  fois 
rendu  le  maître.  Lorfqu'elle  fut  arivée  k  Pampelune> 
Charles  ne  la  défabufa  pas  :  elle  eut  beau  employer  les 
plus  vives  inftances\,  en  lui  repréfentant  qu'il  aloitpar 
ce  refus  alun^er  entre  elle  &  fon  mari|  une  haine  îrré- 
çonciliabliç;;  en  vain    elle  luf  protefta  qucvs'il  pei;fif- 

.  itoit ,  elle  xi,'ofçroh  .plus  retourner  à  Ortais,  ïmj  elle  i»e 
devoit  plus  s'atendre  qu'à  de   mauvais   traitements  de 

.  la  part  d'un  époux  irité ,  qui  ne  s'étoit  laiiTé  féduire 

»  '       •    ■     .  i  •     '       -'     ^     '  .\.   .       •'  : 

{a^  CoBUXte  la  guerre  Viliiihé<:  entre  Itc  comtof  de  f  oiz -fc^' Armagnac  fut 
-  ^^'^C'"^  ^^  nialbeur  du   |eune   Gaflon  de  Foix  »  on  a  rappné  de  foice  ccce 
'  feiefte-  catastrophe  ^i  rt^mz  ^isc'plttfitars  aimées'  après  ,    fous  U  r^e  dft 
CbaiIei.Y.    '  rj   i'  \\\.  ..   •     ' 


J      s      A      K        I  Ir  277 

que  J)ar  fes  folicitations^  Charles  fut  inflexible  k  toutes  '   — 

les  fuplications  de  fa  fœur.  Jt  ne  fçais  Ji  vous  dcmturcrer   Ann.  ii^xp 
eu  fi  vous  retournerez  vers  votre  mari ,  lui  dit-il  ;  mais 
je  fuis  maître  de  cet  argent  y  &  jamais  il  ne  fortira  de 
Navarre. 

La  comteiTe  au  défefpoir ,  craignant  de  fe  préfenter 
devant  fon  mari ,  prit  le.  feul  parti  que  lui  permettoit  |a 
fituation  ,  elle  continua  de  demeurer  à  Pampelune. 
Elle  avoit  un  fils  nommé  Gafton  comme  fon  perç  : 
ce  jeune  prince  qui  donnoit  déjà  les  plus  bêles  efpé- 
rances ,  demanda  quelques  années  après  au  comte  la 
permiflion  d>ler  en  Navarre  voir  la  comteffe  fa  mère. 
Gafton  y  confentit.  Agnès  eut  la  confolation  de  re- 
.  voir  ce  fils  dont  elle  regrétoit  Tabfence.  Le  roi  de  Na- 
varre lui-ipême^  quoiqu'il  n'aimât  perfonne  ,  reçut 
fon  neveu  avec  toutes  les  démonftrations  d'une  ten- 
dre/Iè  véritable.  Gafton  qui  dans  cete  entrevue  avoit 
fenti  redoubler  fon  atachement  pour  fa  mère,  auroit 
bien  voulu  la  réconcilier  avec  Tauteur  de  fes  jours:  il 
la  prefta  de  revenir  avec  lui ,  ne  doutant  pas  qu'il  ne 
parvînt  k  réunir  deux  perfonnes  fi  chères.  Agnès  qui 
connoiflbit  l'inflexibilité  de  fon  mari ,  réfifta  aux  priè- 
res de  fon  fils ,  qui  ne  pouvant  rien  obtenir ,  fe  dif- 
Dofa  k  retourner  vers  fon  père.  A  fon  départ  Charles- 
le-mauvais  le  combla  de  xrarefTes  &  de  préfents.  Après 
qu'il  l'eut  préparé  par  ces  aparences  de  bonté ,.  il  le 
lit  monter  dans  fon  apartement  le  jour  qu'il  vint  pren- 
dre Congé  de  lui,  &  ayant  fait  retirer  tout  le  monde. 
Beau  neveu  ^  lui  dit-il ,  il  me  déplaît  de  la  grande  haine 
qui  efi  entre  ma  fœur  &  votre  père  :  tauufois  pour  dé- 
teindre ,  vous  prendrez  de  ceu  poudre  [  en  difant  cela 
il  lui  donna  un  paquet]  vous  la  mettre^  adroitement  fur 
Us  viandes  qu^ on  jert  devant  votre  père  ,  6  dès  qu^il 
en  aura  mangé ,  il  ne  fongera  autre  chofe  que  ravoir 
fa  femmt  ^  fir  par  ce  moyen  ils  feront  inféparabUment 
réunis  :  mais  fur-tout  gardti  qu^on  ne  vous  voie,  car 
'  tout  feroit  perdu.  L'imprudent  Gafton  promit  tout 
&  parût* 


iiji  Histoire   db   France; 

-  Quelques  jours  après  fon  arivéc  à  Qrtais ,  en  jouant 

•Ann.  13 61.  avec  Yvain,  fils  naturel  du  Comte,  il  lui  àriva  de  fe 
déshabiller.  Yvaîn  aperçut  le  pa<juet  de  poudre  ataché 
contre  la  poitrine  de  fon  frère  :  il  lui  demanda  ce  q^ue 
c'étoit-  Le  jeune  de  Foix  fe  défendit  mal  &  devint 
rêveur.  Il  eut  enfuite  Tindifcrétion  de  fe  vanter  que 
dans  peu  fa  mère  feroit  réconciliée  avec  fon  père.  Le 
bâtard  curieux  démêla  une  partie  du  myftere^  &  ayant 
été  maltraité  par  fon  frère  qui  lui  donna  un  fouflet,  il 
ala  porter  fes  plaintes  au  comte  de  Foix  :  il  fit  plus ,  il 
acula  Gafton  de  porter  fur  lui  une  poudre  dont  il  pré- 
tendoit  faire  ufage  pour  remettre  la  comteffe  en  fès 
bonnes  grâces ,  ainfi  qu'il  s'en  était  vanté.  Le  comte 
de  Foix  frapé  de  ccte  découverte,  ordonna  à  Yvain- 
de  tarder  le  nlence;  &  le  jour  même,  lorlque  le  jeune 
Gafton  vint  fe  mettre  à  table  devant  fon  père,  il  le  fit 
aprocher  &  fkifît  le  paquet  dont  il  fit  TeiFai  fur  un 
cnien  qui  mourut  fur-le-champ.  Le  père  furieitx  vou- 
lut k  Tinftant  même  'immoler  fon  fils  ;  mais  tous  les 
gentilshommes  de  fa  fuite  préfenCs  à  cete  afi^fe  fcè- 
ne,  fe  jetèrent  aif- devant  de  lui.  Ils  furent  obligés 
d'opofer  la  violence  à  fes  premiers  trànfports.  Le  fils 
confterné  n'eut  pas  la  force  de  prononcer  une  parole 
pour  fa  juftification  :  éclairé  par  répreuve  c\vi*on  venoit 
de  faire  de  la  poudre,  fur  Ia  nature  du  crime  dont  le 
déteftable  roi  de  Navarre  Tiivoit  rendu  l'inftrument, 
il  fe  voyoit  malgré  fon  innocence  convaincu  de  pa- 
ricide.  JDans  cet  horrible  état ,  immobile  devant  fon 
père  ,  il  paroiffoit  s^ofrir  volontairement  à  fa  ven- 
geance. Ce  ne  fut  qtfavec  des  peines  infinies  ^ue  les 
chevaliers  qui  entouroient  le  cohite  <ie  Fbix ,  obtinrent 
.  qu'il  fufpendroit  la  punition  de  fon  rtialheUreux  fils. 
Un  le  conduifit  dans  la  cour  du  château,  où  il  'fut 
foîgneufemerit  gardé  ,  mais  abandonné  à  lui  -  même. 
Ce  fut  Ik  que  ce  jeune  prince  paffa  les  dix  derniers 
jours  de  fa  vie  Tans  prendre  de  nourîture  &  fans  ceiTer 
•  de  verfcr  des  torrents  de  larmes. 

Le  comte  cependant  affembla  les  feigneurs  die  fes 


J      E       A;      N         II.  1^^, 

Etats  ,  (|ul  r££ufer,eot  uoaoimçment  de  foufcnrA  à>  la-.  ^ 


cpiid^^Uon,  d'un.n,  cher  coupab)e«  Enfin  Iqs  gens  qui;  A^a.  13^^. 
évHeot.  ch^fgés  de  lui  porter  k  mafigçr  dans  la  priibn 
vinr.em;ayer.cir  le  perie  qu'il  refufoit  abrolumcnt  de  pren- 
dre, aucqnQ  npupitu;cc.  Gaûpn  ]?hœbus  confervoit  en- 
core tout.  £bn,  reirentiment  :  il  n^pme  kla  tour ,  fe  fait 
ouvrir  la  porte.  t<Q  fils  étcnda  fur  Ton  lit;  frémit  à  la 
%:ue  de  fbn  per^e  :,  près  d'expirer  d!une  abftinçnce.  vo- 
lontaii;e  IL  tp^ma  ie^  yeuse  vers  lui  £c  fembloit  en  im- 
plorer lie  cpqp/  morteU  te  cpmte  tenpit  alors  a  fa 
main  un  coype^.  CJPAC  oa  ne  voyoit  que  la  pointe  : 
ï\'  Ta^cQQhe.  dç  la  gorge,  dp  Gafton ,  en  lui  difant ,  Ah 
traître  pour^jupi  ne  manges --tu  ?  Il  fe  retira.  Son  fils 
écoic  mort  ^^  les  uns  difent  de  la  bleflure  qu'il  reçut  du 
couteau,  de  £pn  père  ,.  d'autres  qui  ont  voulu  s'ép^r-.  , 
gneç  à  eux  r  mêmes  Vhorreur  d'une  aâion  fî  cruelç  ,, 
allnrent  que  la  payeur  jointe  à  la  fpiblefTe  termina  les, 
jours  de  ce  prince  infortuné,  !Pans  cete  funefle  avenr 
ti4re  il  feroit  difîcilededire  quel  étoit  le  plus  à  plaindre- 
du  père  ou  du  fils.  Le  jeune  Ga^on  quelque- tem ps  avanc 
ce:  njalheur  avoit  été  fiancé  avec  une  fille  du  comte, 
d*  Armagnac. 

Le  roi  avanf  que  de  s'éloigner  de  fes  Etats ,  avoir  Projet  de 
laiffé.  le  gouyennempn;:  du  royaume  au  dauphin  q,ui  croifadc 
av^it  été  revêtu  du  titre  de  lieutenant-général  de  TE- 
tat.  Confirroié  parc  l'exemple  du  paffé,  Jean  fe  reppfbit 
av^ec  confiance  des  foins  de  l-admaiiflration  publique  fu;r 
1%  fagefle  &  fur  la  mpdération  d'un  fils  qui  par  fa  cofi- 
duite  s'étpit  rendu  digne  de  toute  fon  eflime.  Tran- 
^ùiLe  a  cet  égard  il  féjourna  près  du  pape  plus  long- 
temps que  ne  fembloit  le  permettre  Tétat  de  fcs  afai- 
res.  Ijl  le  Ijivra  même  fafls  fcruple  au  goût  qu'il  avoir 
poujr  Içs.  e^ntreprifes  fingi^ieres  >  pl.U3  convenable  ^  uti: 
ancien  preux  f  qu'au  fouverain  d'ua  empire  qui  âvpit 
befoin  de  fa  préfènce.  Depuis  longtemps  les  croifades 
écoieqt  pafTées  de  mode  ,  grâce  aux  dificultés  &  au  peu 
de  ftuit  qu'on  avoir  rccœuilli  de  ces  expi^ditions.  On 
^coit  revenu,  dp  la  fureur  de  dépeupler  l'Europe  pour. 


î8o  Histoire  de  France; 

^*'"'*''***  alcr  enfevelir  fes  habitants  dans  les  provinces  de  PAfie. 
Àan.  ij^i.  Jean  forma  le  projet  de  renouveler  ces  migrations  fi 
fouvent  réitérées  &  toujours  funefles.au  genre  humain. 
En  arivant  k  la  cour  a  Avignon  il  fut  infbrmé  oue  le 
roi  de  Chypre  devoit  s'y  rendre  inceflammcnt.  11  ré- 
folut  de  Tatendre,  non  «feulement  pour  conférer  avec' 
lui  fur  la  fituation  des  afaires  des  cnrétiens  en  Orient , 
mais  -encore  pour  fatisfaire  la  curiofité  qu'il  avoit  de 
connoître  par  lui-même  un  prince  qui  s*étoit  aquis  une 
grande  réputation  d'éloquence  &  de  bravoure ,  qualités 
brillantes  ,  dont  le  roi  (e  çiquoit  également. 
cT'^'^'^MS      '^^^"^  ^^  Luzignan  roi  de  Chypre  avoit  fuccédé  à 

du  rouèan.  *  Hugucs  fon  père.  Il  s'étoit  déjà  hgnalé  par  plufieurs 
Spicii.cont.  expïoits  contre  les  infidèles,    &    venoit  récemment, 

%Mt!viUani.  ^^"ft^  ^^  fecours  des  chevaliers  hofpitaliers ,  d'enlever 
'  à  ces  ennemis  du  nom  chrétien  la  ville  de  Satalie  : 
c'eft  TAtalie  des  anciens,  (ituée  dans  la  Pamphilîe, 
province  qui  fait  aujourd'hui  partie  de  la  Caramanie.  Ce 
prince  n'ariva  que  le  29  Mars  1362  ,  le  mercredi  de 
de  la  femaine-fainte.  Valdemar  III  roi  deDanemarck 
!•  s'y  trouva  dans  le  même- temps  :  il  venoit  mettre  fa 

perfonne  &  fes  £ta(s  fous  la  proteâion  du  faint  fiege. 
Valdemar  étoit  père  de  Marguerite  ,  princeffe  dont 
le  coura2;e  honora  fon  fexe  :  elle  réunit  les  trois  cou** 
ronnes  de  Suéde,  de  Danemarck  &  de  Norvège,  & 
mérita  d'être  apelée  la  Sémiramis  du  Nord.  Le  ven- 
dredi-faint  les  trois  rois  afiifterent  au  fervice  célébré 
}>ar  fa  fainteté%  Urbayi  prononça  un  difcours  pathé^ 
tique  dans  lequel  il  expofa  le  déplorable  état  des  çhré-* 
tiens  Orientaux  :  après  le  fermon  le  roi  de  France  dé- 
clara publiquement  le  deflèin  qu'il  avoit  conçu  depuis 
quelque  temps  d'aquiter  en  prenant  la  croix ,  le  vœu  que 
Philippe  de  V  alois  fon  pcre  avoit  fait  :  il  ajouta  qu'il  avoit 
jufqu'alors  tenu  fa  réfolution  fecrete,  atendant  que 
Tocafion  fe  préfentât  de  la  faire  éclater.  Il  fuplia  en 
même-temps  le  pape  de  confirmer  ce  pieux  projet ,  ce 
que  le  fouvei^^in  pontife  lui  acorda  fur -le -champ  en 
lui  donnant  là  marque  des  croifés.  Le  cardinal  de  Pé- 

rigord  | 


Jean       II.  i%t 

rigord  ,  les  comtes  <i*Axtois  ,  d*Èu  ,  de  Dammartin  -  -  .-' 
&  de  Tancarville ,  ks  maréchaux  d'Andreghen  &  de  A«**-  »ï^^- 
Boucicauc,  le' grand -prieur  de  France,  tous  les  fei- 
gneurs  &  chevaliers  de  la  fuite  du  roi  fe  croiferent  en 
même -temps.  Le  lendemain  le  pape  fit  expédier  une 
bule  adrATée  au  roi  Jean ,  par  laquele  il  le  conftîtuoic 
chef  de  cete  entreprifë ,  &  nommoit  en  même -temps 
le  cardinal  de  Périgord  légat  du  faint  fiege  à  Tarmée 
des  croifés.  On  fixa  le  temps  du  départ  à  deux  années  ^ 
f>endant  lefqueles  on  devoit  faire  les  préparatifs  nécef-r 
îàires.  Le  roi  de  Chypre  partit  enfuite  d'Avignon  pour 
aler  foliciter  les  princes  de  la  chrétienté  de  féconder 
rëfort  commun  qu'on  le  difpofoit  a  tenter.  Le  fruit 
que  les  fidèles  d'Afie  recœuillirent  de  ce  projet  fut  de 
voir  apefantir  leurs  chaînes.  Les  Sarafins  informés  de 
l'armement  qu'on  préparoît ,  en  prirent  ocafîo^  de 
tourmenter  les  chrétiens  d'Egypte  &  de  Syrie,  qu'ils 
avojent'jufqu'alors  traités  avec  affez  de  ménagement: 
c*eft  dtf^moins  ce  que  Ion  doit  conjeâurer  de  là  li- 
berté dont  ufa  Pierre  Thomas  nonce  du  pape,  qui  en 
revenant  de  Conftantinople  paflk  par  Jérufalem  qui 
pour  lors  étoît  fous  la  domination  des  infidèles.  Ce 
THMice  enflammé  d'un  zèle  apoftolique  prêcha  publique- 
ment dans  la  ville,  &  fe  retira  lans  être  inquiété.  Il 
seft  bien  vrai  que  le  fultarf  d^Egypte  fit  trancher  la.  tête 
^  l'Emîr  de  jférufalera,  pour  le  punir  d'avoir  foûfert 
^et-atehtat  contre  fon  autorité.  • 

Tandis  que  le  roi  de  France  cherchoîta  divertir  l'en-»    Traité  à  ton- 
•nui  qui  le  dévoroic,  par  des  projets  auffi  déplacés  qu'im-  drcsTOuriaii- 
pratkablcs  ,   &  dont  Texécution  eût -ac^ievé  la  ruine  ccsdufeng!**^ 
ilu  royaume  j  le  roi  d^Angleterre   toujours  atencif  à     Rym.  aS; 
profiter  des  circoûftances ,  s'apliquoit  encorç  à  tirer  de  P'^^-  tm.i» 
nouveaux  avantages  de  la  trifte  fitùatîôh  de  la  France,  ^'^l^ 
Le   duc  d'Orléans  frère  du  roi ,  les  ducs  d'Anjou,  de 
Berry  &  le  duc  de  Bourbon  fuportoient   impàtiepi- 
^laent  leur   éloignement  de  leur  patrie,  malgré  la  li- 
4>erté  dont  ils  jouiflbiérit  en  qualité  d^^tages  à  Londres*. 
Edouard  leur  propofa  de  les  kifler  partir  k  des  condî- 
Tome  P^.  N  n 


28z  Histoire   de   France^ 

^— —  tions  dures  k  la  vérité  ,  mais  que  le  defir  de  revoir  la 
Ann.  IJ61.  France  leur  fit  accepter.  Sans  rien  diminuer  de  la  ri- 
gueur des  loix  prefcrite  par  le  traité  de  Brétigny  ,  le 
monarque  Anglois  exigea  que  pour  la  sûreté  de  la  dé- 
livrance qui  lui  devoit  être  faite  des  feigneuries  de  Gaure 
&  de  Belleville ,  ces  princes  lui  fiflent  remQ|p:e   avant 

3ue  d'être  élargis ,  les  châteaux  de  Chifec ,  de  Melle , 
e  Cointay  &  de  Villeneuve  ,  ainfi  que  toutes  les  terres 
poffédées  par  le  duc  d'Orléans  en  Poitou  &  en  Sain- 
tonge  9  avec  la  châtélenie  de  Beaurain  en  Ponthieu. 
Moyennant  ce  tranfport  le  rpi  d^Angleterre  cpnfentoit 
au  départ  de  ces  princes  ,  mais  avec  cete  reftriâion 
qu'en  cas  qu'on  manquât  de  lui  remettre  au  temps 
marqué  les  feigneuries  de  Belleville  &  de  Gaure  y  ils 
feroient  obligés  de  retourner  à  Londres  ie  conftituer 
en  otage,  &  que  cepenfdant  les  terres  ôc  feigneuries 
rèmifes  en  nantiiTement  lui  demeureroient  en  propriété 
fans  préjudice  de  fes  autres  prétentions.  Il  n'étoit  guè* 
res  dodiDle  de  dreiTerle  plan  d'un  traité  plustabufif , 
&  il  n'y  a  qu'un  excès  d'ambition  qui  ait  pu  aveugler 
le  monarque  Anglois  jufqu'au  point  de  n'en  pas  recon- 
noitre  l'injuflice.  Il  fit  plus  :  il  n'eut  pas  hont^  de 
convenir  par  ce  même  traité  au'il  n'avoit  point  exé- 
cuté à  l'égard  de  la  France,  l'article  le  feul  intéref- 
fant  de  la  paix  de  Brétigny  :  il  voulut  que  les  princes 
s'obligeaiTent  de  faire  en  forte  que  le  roi  renonçât  aux 
réclamations  qu'il  étoit  en  droit  de  faire  au  fujet  de 
l'inexécution  du  traité  par  lequel  le  roi  d'Angleterre 
devoit  faire  ^  évacuer  les  places  à  fes  frais  ,  condition 
qu'il  âvouoit  n'avoir  pas  été  remplie  de  fa  part.  £o 
conféquence  de  ce  projet  les  princes  furent  conduits  à 
Calais. 
Ann.  13^3.  Ce  traité  entre  le  roi  d'Angleterre  &  les  princes  du 
fang ,  avoit  été  ménagé  pendant  lé  voyage  d!^Avignon: 
ce  lut-lk  que  le  roi  le  reçut  &c  le  connrma.  Cependant 
il  l'envoya  au  dauphin  Ion  fils  aîné  &  fon- lieutenant 
pendant  fon  abfence.  Le  prince  ayant  .communiqué  cet 
acord  à  la  cour  des  pairs  ,  &  pris  lavis  des  prélats^ 


J      «       A      N         I   I.  183 

fcigneurs  &  gens  de  fort  confeU ,  repréfcnta  au  roi  fon  ■ 
père  qu'il  n'écoit   pas  poiËble  d'accepter  un  traité  fi    A'^-  ^J^J- 
)réjudictabie  ^  dans   lequel  tout  l'avantage  étoit  pour 
e  roi  d'Angleterre  fans  qu'il  en  revint  d'autre  bien  k 
a  France  que  la  liberté  momentanée  des  princes  aux-- 
quels  elle   auroit  déjà  dû  être    rendue  j    puifque   les 
conditions    efTencieles    du  traité   de  Brétigny   étoient 
acomplies  de  la  part  du  roi.  Ce  refus  rompit  le  traité  : 
le  duc  d'Anjou  plus  impatient  que  le  duc  de  Berry 
fon  frère   &  que  le  duc  d'Orléans  y  partit  fans  avoir 
obtenu  con^é  d'Edouard  &  ne  revint  plus.  Il  fe  rendit 
à  Paris  où  il  déclara  devant  le  duc  de  Normandie  6c 
les  notables  aflëmblés   au   palais,  que  lorfque  le  roi 
feroit  informé ,  ainfi  que  le  public ,  de  la  caufe  de  fon 
évafiQn  ,  il  étoit  certain  qu'on  aprouveroit  fa  retraite  : 
on  «n'a  jamais  fçu  quele  étoit  cete  caufe.  Le  roi  d'An*  Rym.aa.pHU. 
gleterre  eut  beau  le  réclamer ,  il  ne  voulut  jamais  re-  '^^  î»f^-u 
tourner  en  otage ,  quoique  le  duc  de  Normandie  eût  ^^'  ^^' 
blâmé  fa  conduite ,  &  que  le  roi  fon  père  l'eût  vive- 
ment folicité  de  réparer  ce  manque  de  parole. 

Le  roi  fut  extrêmement  fenfible  à  la  faute  qu'avoit     Le  toi  (orme 
commife  le  duc   d'Anjou.    Délicat  fur  l'honeur  plus  J^  J^Jf^iJ^ 
Gu'aucun    prince  de  (on   temps,  il  réfoluc  de  réparer  hks. "* 
1  évafion  de  fon  fils  en  fe  remettant  lui-même  entre  les     Fm 
mains  d'Edouard  :  car  à  quel  autre  motif  peut-on  atri- 
buer  fon  retour  eu  Angleterre  ?    //  voulait  ,  difoit-il , 
cxcufer  fon  fils  le  duc  d^ Anjou.    Ce  remède  violent 
n'étoit  pas  aiTurément  diâé  par  la  prudence^  mais  il 
étoit  bien  digne  de  la  franchife  &  de  ta  générofité  du 
roi.  Ceux  qui  ont  voulu  déshonorer  la  mémoire  de  ce 
prince  en  raportant  qu'il  repalTa  en  Angleterre  pour 
fatisfaire  l'amour  qu'il  avoir  conçu  pour  une  dame  de 
eete  lie ,  fe  font  autorifés  d'une  expreflion  équivoque 
du   moine  continuateur  de  Nangis ,  qui  dit  que  le  roi 
retourna  à  Londres   pour  fe  divertir  j   causa  joà.    Sur 
cete  idée  ils  ont  imaginé  un  roman.   La  comtefTe  de 
Salifbury  a  voit  été  célèbre  pour  fa  beauté  :  Edouard 
l'aimoity  le  roi  de  France  eu  étoit  aufli  devenu  amou- 

N  n  ij 


LOQ- 

Froiffari. 


1 


284  Histoire   DK  France, 

-'  reux ,   &   pour  fatisfaire   cete  bêle  paflîon  ,  il  avoit 

Ann.  13^3.  formé  le  deiTein  de  fe  remettre  au  pouvoir  de  fon 
rival.  C'eft  ainfi  que  Timpodure  &  la  témérité  ataquçnt 
les  réputations  les  plus  refpedables,  en  forgeant  des 
anecdotes  aufli  ridicules  qu'odieufes. 
«  'Toutes  les  repréfentations  qu'on  put  faire  au  roi 
pour  le  détourner  de  fon  voyage  de  Londres  ne  furent 
point  capables  de  Tébranler.  A  fon  recour  d'Avignon 
il  revint  par  Montpellier  &  vifica  une  partie  du  Lan- 
guedoc. Il  confirma  fur  fa  route  les  privilèges  &  fran- 
chifes  de  la  plupart  des  villes  &  communautés  de  cete 
Recœuii  des  province.  Ce  fut  pendant  ce  voyage  qu'il  jeta  les  fon- 
V0/.4  déments  d  une  pumance  dont  1  acroillement  rapide  de- 

Rym.aB.pubL  vint  Une  fourcç  de  divifîons  &  de  malheurs,  ofufqua 
^^J* sôf"^''*'  Téclat  du  trône,  &  penfa  renverfer  la  monarchie  après 
;  Cts  lettres   l'avoir  ébranlée  par  tes  plus  violentes  fecoufles.  Il  km-» 
^G^r^^^^^u   ^"^^^J  P^^  ^^^  fatalité  inévitable ,  que  toutes  les  vertus 
^r^^^îfj!    du  roi  ne  duflent  éclater  qu'au  dommage  du  royaume 
&  à  la  ruine  de  fa  poflérité.  Depuis  la  funefle  journée 
de  Maupertuis,  il  avoit  conçu  pour  Philippe,  le  plus 
jeune  de  fes  fils ,  un  atachement  qui  s'étoit  fortifié  de 
jour  en  jour.  Il  efl  vrai  que  ce  prince  s'étoit  montré 
digne  de  cete  prédileâion  par  fon  courage  &  par  fa 
tendreffe.  Tean  voulut  le  récompenfer  en  lui  donnant 
un    apanage   plus   confidérable  que  ceux  qu'il    avoit 
acordés  à  les   frères  aînés ,  les   ûucs    d'Anjou    &    de 
Berry.  Philippe  eut  le  duché  &  le  comté  de  Bourgogne. 
Quoique  le  roi  eût  irrévocablement  réuni    cete   piro- 
-vincc  au  domaine  de  la  couronne^  w  cependant ,  dit-il , 
yy\  la  requête  des  fujets  de  cete  province,  &  pour 
yy  reconnoitre  le  zèle  que  Philippe  fon  quatrième  fils 
.y>  lui  a  témoigné  en  s'expofant  a  la  mort  &  xom bâtant 
»  intrépidement  à  fes    cotés  à  la  bataille  de  Poitiers 
.«  où  ce  fils  fi  cher  avoit  été  blelTé  &  fait  prifonnier 
»  avec  lui,  il  lui  donne   pour  lui  &  pour  fes  hoirs  les 
3>  duché   &   comté  de  Bourgogne  ,  pour  les  pofféder 
»  ainfi  que  les  ducs  précédents  ».  Par  ces  mêmes  let- 
tres le  roi  déclare  fon  fils  premier  pair  de  France ,  & 


Jean      IL  285 

cete    prérogative  ne  duc  pas   être  une  des  moindres  ' 

caufes  de  la  jaloufie  de  fes  frères,  prérogative  cepcn-    Ann.  ij^j, 
dant  dont  il  ne  jouît  pleinement  &  fans  contradiàion 
que  pluiieufs  années  après  l'oâroi  qui  lui  en  avoit  été  - 
fait.  Les  ducs  d'aquitaine  &  de  Normandie  ayoient 
jufqu'alors   précédé  en  plusieurs   ocafions  les   ducs  de 
Bourgogne  comme  pairs  de  France.  Ce  fait  eft  remarr 
quable   en   ce  qu'il  prouve  qua  l^autoritc  royale  peut 'Nouvel  ahrégi 
en^  quelque  forte  changer  la  nature  des  chofes  en  donnant  ^^^^f^j}'^^ 
4  \ine  injlitution  nouvele  la  priorité  des  temps  fur  déplus  mnalt^t![\ 
^/ic/e/i/ze^.  \];*eft  Tobfervation  d'un  de  nos  plus  judicieux  z^.  305- 
modernes.  Il  fe  rencontrera  dans  la  fuite  d'autres  exem* 
pies  de  ce  droit  de  nos  monarques. 

.    Le  roi  ,  après  avoir  mis  le  prince  Philippe  en  pof-     Trifor  des 
feflion  du  duché  &  jdu  comté    de   Bourgogne  ,  vint  ^^\['^'^^^ 
çenic  dans  Amiens  une  aflemblée  des  £cats*2énéraux     Kegiftresda 
de   la  Languedoyl ,  tant   pour   régler  Timpontion   de  Pfriem.coté  A 
l'àide  deftinée  au  paiement  du  refte  de  fa  rançon  ,  qu'a-     lucœuîi  dês 
£n   de  prendre   des   mefures   pour  la  réformacion  du  ordonnances, 
royaume,  A:  l'abolition  de  pluueurs  abus  introduits  par  ^•î'^'^if-^^^' 
le  malheur  des  temps.  En  conféquence  il  fut  défendu  à 
tous   les  :  princes  5  feigneurs  ,   villes   &    communautés 
d'impofer  dans  la  fuite  des  droits    arbitraires  fur  les 
marchandifes  &  denrées  qui  paflbient  fur  les  terres  de 
leurreflbrt.  Cete  efpece  de  vexation  qui  s'exercoit  dans 
ie   cœur    du   royaume ,   étoit  audi   préjudiciable    aux 
droits  du  roi  q^e  nuifible  au  commerce  intérieur^  qui 

Î>ar  cete  tyranifie  fe  trouvoit  intercepté  à  tous  les  paf* 
âges  de  villes  &  de  rivières.  Il  étoit  facile  d'augurer 
par  les  démarches  du  roi.  de  Na.varre>  que  ce  prince 
préparoit  de  nouveaux  troubles.  Il  y  avoit  même  des 
commencements  d'hoftilité.  Cete  railon  jointe  à  l'éva- 
cuation d*une  partie  des  garnifons  Angloiles  qui  n'étoit 
pas  encore  faite, ,  &  aux  défordrès  continués  par  les 
compagnies  qui  étoient  demeurées  en  France  ,  fai-. 
foie  qu'on  étoit  obligé  de  fe  conduire  comnK  fi  la 
jguerre  la  plus*  vive  eut  fubfifté.  Auffi  le  roi  défendic 
^s  guerres  particulières  jufqu'à  ce  que  la  guerre  publi- 


\ 


1Î6  Histoire   d£   France^ 

'  qug  cefsât  entièrement.  Pendant  les  troubles  quiavoiênt 

Aan.  i}é).    agité  le  royaume  &  principalement  la  capitale  ,  il  pa- 

roît  que  refpric  de  chicane  avoit  déjà  fait  de  rafyle  des 

Reg.  A.  du  loix  un   dédale  inextricable.   Le   parlement   étoit  fur- 

PiirUm.foi.s4'  chargé  de  la  multiplicité  des  afaires  qui  s'y  portoieht 
en  première  inftance.  Le  roi  pour  remédier  à  cet  in- 
convéniei\t ,  ordonna  que  dans  la  fuite  on  ne  préfente- 
roit  au  parlement  que  les  caufes  des  pairs^  de  quel- 
ques prélats  ,  des  chapitres  &  communautés  religieu- 
fes  y  des  barons ,  conlbls  &  échevins  des  communes , 
les  matières  domaniales ,  les  apels  des  jugements  du  ' 
prévôt  de  Paris  ,  des  fénéchaux  &  baillifs  royaux  & 
autres  juges  qui  refTortifToient  nuement  au  parlement 
fans  jurildiâion  intermédiaire  ^  à  moins  que  le  roi  ou 
la  cour  n'acordât  des  lettres  d'évocation.  Ce  feul  ar- 
ticle de  l'ordonnance  fait  connokre  quele  étoit  alors  la 
nature  des  afaires  réfervées  au  jugement  du  parlement. 
Cete  même  ordonnance  eflaya  de  réprimer  le  luxe 
oratoire  dont  fe  piquoient  les  avocats  de  ce  fîecle.  Elle 
leur  défendit  expreffénîent  de^  plaider  plus  de  deux  fois 
dans  la  même  caufe  ^  leur  enjoignant  fous  peine  d^être 
punis  févérement  de  fe  renfermer  uniquement  dans  la 
queftion  qu'ils  auroient  à  traiter  y  fans  charger  leurs 
plaidoyers  de  répétitions  y  toujours  inutiles  y  &  qui 
fembk^ient  infulter  à  l'atention  dîes  magiftrats  y  de  di- 
grefïïoh^  étrangères  à  leur  objet  y  enfin  de  tout  cet 
étalage  de  vaines  déclamations  &  de  verbiage  frivole 
dont  le  moindre  inconvénient  eft  la  perte  d^un  temps 
trop  précieux  pour  l'employer  à  fatisfaire  la  vanité 
de  Torateur  :  &  afin  que  la  fcicncc  expérimentée  des 
avocats  foit  mieux  connue  de  la  cour ,  tels  font  les 
termes  de  l'ordonnance,  &  gu^ils  /oient  de  plus  en 
plus  animés  à  écrire  bien  ,  fucdntement  &  effendékment ; 
ils  mettront  dans  la  fuite  leurs  noms  &  teurs  furnoms 
tn  fin  des  mémoires  &  écritures  qu^ils  compoferont  pour 
hurs  ttients.  II  n'étoît  gueres  poflible  d'aporter  des 
précautions  plus  fages  pour  prévenir  l'abus  qu'on  peut 
faire  du  talent  de  la  parole  y  li  la  manie  de  faire  parade 


Jean      II.  187 

d'une  éloquence  déplacée  n'étoit  pas  un  défaut  incori-  • 

gible.  C'eft  à  cete  ordonnance  qu'on  peut  raporter  Tori-    ^nn.  lye^. 
gine  de  l'ufage  introduit  pour  l'ordre  des  avocats  ^  qui 
les  oblige  de  figner  leurs  écritures  ,  ufage  qui  s'eft  per- 
pétué jufqu'à  ce  jour. 

La  sûreté  de  la  ville  de  Paris  exigeoit  une  a  tendon     R^Ument 
particulière.  Les  défordres  qui  s'y  commettoient  jour-  pour  iç  guc« 
nélement  provenoient  de  la  négligence  de  ceux  a  qui    ^j^l^'^a^^, 
l'infpeftion  du  guet  avoit-  été  commife.  De  toute  ancien-  ordonnanas , 
neiÀ  un  certain  nombre   de  bourgeois  tirés  des  corps  voLi^p.é€%. 
de  métiers  veilloient  pendant  la  nuit  dans  les  diférents  ^ cUuUt^* 

3uartiers  de  la  ville.  Deux  infpeâeurs  avoient  la  charge  r.  }^. 
c  faire  remplir  ce  fervice  en  avertiflant  chaque  com- 
munauté d'artifans  du  jour  qu'elles  dévoient  fournir- 
le  nombre  de  gardes  néceflaires.  Ces  infpeâeurs  étoient 
apelés  dcTcs  du  guet.  Dans  la  fuite  les  rois  ajoutèrent 
à  cete  garde  bourgeoife  vingt  fergents  à  cheval  &  vingt- 
fix  argents  à  pied,  fous  la  conduite  d'un  oficier  apelé 
le  chevalier  du  guet.  Ces  clercs  ou  infpeâeurs  du  guet 
pendant   les    troubles  civils   difpenferent  à  prix  d'ar- 
gent les  bourgeois  Tiu   fervice  qu'ils  dévoient^  &  la 
prévarication  tut  poùiTée  fi  loin  que  non-feulement  les 
gens   de    métier    avoient    difcontinué    abfolument   de 
monter  leurs  gardes  j  mais  la  négligence  du  devoir  avoic 
gagné  jufau'aux  fergents  à  cheval  &  à  pied ,  quoique 
payés  par  le  roi.  Les  d'eux  clercs  du  guet  furent  cafles  ^ 
£c    leurs   ofices  donnés  à  deux  notaires  du  châtelet^ 
chargés  de  rétablir  l'ordre  pour  la  garde  de  la  ville  y 
contormément  à  l'ancien  ufage.  Voici  de  quele  manière 
cete  partie  de  notre  ancienne  police  s'exécutoit.  L'hi- 
ver >  à  l'entrée  de  la  nuit ,  &  pendant  l'été  à  l'heure  du 
couvrefeu  qu'on  fonnoit  à  Notre-Dame  à  fept  heures 
du  foir  y  les  gens  de  métier  nommés  pour  faire  la  garde 
cete  Quit-là  le  préfentotent  devant  le  châtelet.  Les  clercs 
du   guet  faifoient  l'apel  &  les  diftribuoient  enfuite  dans 
les    quartiers  où  ils  étoient  obligés  de  fe  tenir  éveillés 
Se  armés  jufqu'au  point  du  jour ,  que  celui  qui  faifoit 
iencinelle  au  châtelet Tonnoit  de  la  trompette^  fignal 


iS^  Histoire   deFrakce, 

s  qu'on  apeloîc  guctc  cornée.    Cependant  le  chevalier  du 
Aan.  13^3.    guet  k  la  tête  de  fes  fergents,  tant  à  cheval  qu'à  pied, 
raifoit  fa  ronde  dans  Paris ,  vifitoit  tous  les  poftes  ocu- 
pés  par  le  guet  bourgeois,  &  ne  fe  retiroit   pareille- 
ment que  lorfque  le  jour  paroiflbit. 
Le  roi  paflTe      Cete  Ordonnance  pour  la  police  de  la  cstpitale  fut  le 
en  Angleterre,  dernier  aâe  important  de  fouvcraineté  que  le  roi  exerCa^ 
^MiSfT^w/,^.'  dans  fes  Etats  qu'il  fe  préparoit  à  quicer ,  malgré  tous 
part.i.   '    *  les  éforts  qu'on  tenta  pour  le  retenir*   Il  fe  rendit  peu 
^Ck^on^MS  ^^    ^^n^ps    après  k  Boulogne    où  il  s'embarqua   pour 
iaroTjtan.  '  l'Angleterre ,  ayant  reçu  précédemment  un  faufconduit 
d'Edouard.  Jean  fut  reçu  avec  tous  les  boneurs  conve- 
nables k  la  majefté  d'un  grand  roi.  Il  vit  le  monarque 
Anriois  k  fa  bêle  maifon  d'Altem,  fituée  k  quelques 
milles  de  Londres,  Les  diférents  corps  de  cete  capitale 
vinrent  au-devant  de  lui,  &  le  conduifirent  jufqu'k 
Thôtel  <îe  Savoie  qu'on  avoit  préparé  pour  le  recevoir. 
Les    rois  d'Ecofle  &  de  Chypre  étoient   pour  lo«   k 
Londres.  Edouard  eut  la  fatisfaâion  de  réunir  dans  le 
même- temps  k  fa  cour  trois  têtes  couronnées.   Il  les 
traita  avec  une  magnificence  vraiment  royale.   Les  fu- 
jcts  fecondoient  k  l'envi  le  goût  de  lèiïr  fouverain.  Le 
maire  de  Londres   au   nom  de  la  ville  donna  une  fête 
Rap.  Thoyr.  pbmpôùfe  auK  quatre  rois.  La  fomptuofité  d'un  firnplc 
i0tn.uP'^H'  Dourgepis  peut  donner  une  idée  de  l'opulence  qui  ré- 
gnoit  alors  en  Angleterre.    Un'marclKind  de  vin  eue 
fhoneur   d'inviter  chez  lui  les  rois  de  France,  d'An- 
gleterre ,  d^Ecofle  &  de   Chypre  ,   &  de   donner^  un 
repas  fplendide  k  ces  princes,  àinfi  qu'k  tous  les  feî^ 
gneurs  &  gens  de  leur  fuite. 
Le  roi  de Na-      Quel  Gu'ait  été  le  mofif  du  voyage  du  roi  ,  il  fertwt 
pofb\&iw^u  ^^fi^^'^   ^^  ^^  juftifier.   Jamais  fa  préfence  n'a  voit  été 
guerre.  plus  néceflaire.  Depuis  long-temps  diférents  avis  an- 

nonçoient  les  mauvaifes  intentions-  du  Nàvarrois.  Plu- 
fîeurs  feigneurs  de  Gafcogne  ,  quoique  fournis  au  prince 
de  Galles  par  la  paix  de  Brétigny ,  confèrvant  toujours 
leur  ancien  atachement  pour  la  Fraflce ,  avoîént  îmândé 
au  roi  que  Charles  •  le -mauvais  armoic  dans  fes  Etats 

de 


J      E       A      N         I   I.  285 

de  Navarre.  On  avoit  intercepté  des  lettres  de  ce  prince  =!ïïSS! 
adrefifées  à  fes  vaffaux  de  jN ormandie ,  par  leiqueLes  Ann.  ij^j. 
il  les  afluroit  qu'il  fe  rendroit  inceiTamment  dans  cete 
province.  Jean  de  Crailly  captai  {à)  de  Buch  s*avan- 
coit  avec  la  qualité  de  lieutenant  du  roi  de  Navarre. 
Il  engagea  au  fervice  de  ce  prince  plufieurs  des  com- 
|>agnies  :  après  avoir  traverfé  le  Bordelois  &  le  Poitou  ^ 
Il  entra  dans  la  Touraine  y  prenaQt  la  route  de  la  Nor- 
mandie. Ses  gens  fe  vantoienc  publiquement  qu'ils  ^ 
aloient  faire  la  guerre  au  roi  de  France.  Les  compa- 
|;nies  qui  étoient  reftées  dans  le  Languedoc  avoient 
arboré  les  armes  du  roi  de  Navarre  ,  &  commen- 
çoient  déjà  les  hoflilités  en  fon  nom.  L'irruption  fut 
lufpendue  par  la  maladie  du  captai ,  pendant  laquele 
une  partie  de  fes  troupes  fe  débandèrent;  mais  le  roi 
de  Navarre  n'en  pourfuivoit  pas  moins  vivement  Texé- 
jcution  de  ffis  projets.  Afin  même  de  manifefter  plus 
ouvertement  fa  rupture  avec  la  France  ,  il  fit  peindre 
fur  {i^s  enfeignes  les  armes  de  France  écartelées  de 
celles  de  Navarre ,  en  fuprimant  de  ces  armes  la  mar- 
que qui  (hjrvoit  à  diftinguer  les  branches  cadetes  de  la 


^primer  les  deilems  de  ijharles  y  le  natant  toujc 
que  ce  prince  n'en  viendroit  jamais  jufqu'à  l'exécution. 

(  tf  )  Le  titre  de  Captai  avoit  été  ancienDement  afeûé  à  quelques  -  uns  des 
plus  illufties  feigoeurs  d'Aquitaine.  Il  paroit  qu'originairement  il  étoit  équi- 
valent à  celui  de  comte  ,  &  défi^oit  même  une  &périorité  ,  ainfi  que  Tan* 
nonce  la  finûfication  du  mot  Capit^lis  »  chef  principal.  Cete  dignité  perCbn- 
nele  d'abord ,  ainfi  que  toutes  les  autres  «  devint  dans  la  fuite  acachée  aux  fa- 
jnilles  ft  aux  terres  qu'elles  poflédoient.  Dans  le  temps  des  premiers  ducs  d'A- 
qoitaine  •  il  y  avoit  plufieurs  Captais  \  mais  ce  titre  apareounent  négligé  fut 
remplacé^  par  d'autres ,  enîbne  que  vers  le  quatorzième  uede  on  ne  connoiffoit 
4^a  plus  que  deux  Captais ,  celui  de  Bach  U  celui  de  Trene.  Vid$  Glojf,  du 
Caagt  àd  vtri.  Capitalit. 

(  A)  Les  armes  des  princes  d'Evreux  rois  de  Navarre  »  écoienc  femées  de 
France  à  la  branche  componée  d'argent  3c  de  gueules  »  étartelée  de  Navarre  » 
ic  gueules  aq  ràis  d'efcarboucle  fommeté  d'or.  Le  roî  de  Navarre  avoit  re- 
tranché de  cc^  amies  la  branche  componée ,  ce  qui  fembloit  annoncer  unp  pré* 
f  cncioD  à  la  coioonne  de  f  raoce.  Hifi*  gtnidogiqui  d$  U  nmjmi  d$  Frana  j 
ipni.t9pag.9^é^ 

Tome  V.  Oo 


290  Histoire    db   France, 

î      Le  duc  de  Normandie ,  lieutenant-général  du  royau- 
Ann.  13^4.    me  en  rabfence  du  roi  fon  père,  ne  vit  pas  avec  la 
Guerre  en   même  fccurité  les  démarches  du  Navarrois.  Il  affcm- 
^Fr^iffa^d.     ^'^  '^    confeil,  par  l'avis  duquel  il  chargea  Jean   de 
^^uu!cont.  Châlons   comte  d'Auxerre   &  Bertrand  du  Gucfditi^ 
deNang.       d  acaqucr  les  places  tlu  roi  de  Navarre  en  Normandie. 
ckron.MS.  Dy  <;fuefclin  s'empara  de  la  ville  de  Mantes  qu'il  prit 
par  ftratagême  :  il  mit  enfuitc  le  fîegc  devant  le  château 
qui  écoit  fortifié  ,   &  Pem porta  d'aflaut  après  une  lon- 
gue &  vigoureufe  défènfe.   Il  y  eut  un  grand  carnage. 
On  fit   prifonniers   plufieurs   rarifîens    atachés  depuis 
long-temps  au  roi  de  Navarre  :  on  en  conduifit  vingt- 
huit  à  Paris  où  ils  furent  décapités.  La  prife  de  Meulaû 
fuivic  de  près  celle  de  Mantes.  Cete  conquête  aflbroit 
la  navigation  de  la  Seine  au-defibus  de  Paris. 
Mort  du  roi.      Lc  jouf  même  que  Bertrand  du  Gucfclin  fe  rendit 
Ibidem,      maître  de  Mantes,  le  8  Avril  de  Tannée  r3(54,  le  roi 
B^^rts  ^^^'  ^^^  depuis  quelque- temps  étoit  malade  k  Londres ,  ter- 
'^^^''  mina  par  fa  mort  les  malheurs  de  fon  règne.  Ce  feroic 

une  entreprife  fuperflue  que  de  s'atachef  à  réfuter  la  fable 
avancée  par  quelques  écrivains  An^lois  :  il  fufira  de 
la  raporter  pour  en  faire  fentir  le  ridicule.  Ces  hifèo- 
riens  affurent  que  le  roi  au  lit  de  la  mort  fit  inviter 
Edouard  de  venir  le  trouver ,  &  lui  demanda  humble- 
ment pardon  de  lui  avoir  retenu  injuftement  la  cou- 
ronne de  France  jufqu*au  traité  de  Brétigny ,  grâce 
que  le  monarque  Angldis  lui  acorda  fans  réfcrve.  Ils 
ajoutent  que  le  roi  de  France  confeiTa  de  plus  qu^il  Êii- 
foift  fecrécement  ramafier  dans  Londres  Tor  le  plus  fin 
de  TAngleterre  {a) ,  qu'il  envoyoit  en  France  réduit 

(tf)  Edouard  finis  doute  a^m  décomrcn  le  gmid*fecfeede  la  tM«(mtarfoB 
d«s  métaux  par  le  moyen  des  deax  Clirfiniftes  qot  pararenc  en  Angleterre  fon» 
fon  règne.  Ces  deux  prétendus  adeptes  fe  nommoient  Jean  le  Romt  It  Gotl- 
kame  d'AlM.  Snr  les  pfemteres  nouveles  raporeée^i  au  roi  ^4m  avoit  déeon* 
ven  dans  fes  Etats  éeux  pofTei^ars  de  la  pieire  pkîlofophale ,  )1  f  t  «xpédier 
des  ordres  ^  tous  les  ofieiei^  de  Ton  royaoïiHs  pour  s'a/Tutr  de  la  peribnne 
des  deux  artiAes ,  &  pour  les  conduire  sâremeirc  à*  Lombes.  Là  foire  des  nio^ 
■OBientt  Aagkifs  ne  nous  apread  pas  ce  ^oc  .devint  cete  alaire.  Ctfitx  qaî  pié-^ 
tendent  que  TAlchymie  o'eft  pas  une  fctence  vaine  ,  peuvent  afcutei  les  nonv 
de  ces  deux  |bUofopbes  au  catalogue  de  leurs  fages.  Ils  véroM  avec  (àtisfaâioa 


J      «      A      N         II.  •  i^f 

cnlingocsy  aiûfî  que  des  armes  &  des  flèches.  Edouard^     . 

^ui  avoit  pofTé  légèrement  for  le  prétendu  rapt  de  lai    ^^  ^^^^' 

cauroniie^  n'encendic  pas  raillerie  lur  Farticle  de  Tor,- 

qu^il  fit  arêter,  dit>-oii,  aioii  que  les  armes.  II.  faut  en 

vérité  poufier  le  zèle  60  la  patrie  juf^u*au  faaatifme 

pour  avancer  de  pareilles  abfurditéis.    ^ 

Jean  étoit  âgé  de  quarante-cinq  an^  lotfmi'îl  tnon^    Caraacrc  de 

rut  (a).  On  ne  peut  trop  fortement  rcfpréfenter   aux!  ^^P"**"- 

rois  que  celui  qui  peut  tout  ce  qu'il  veut  y  ne  doit 

jamais  vouloir  fe  venger  :  récompefnfer  ou  punir  ,  yoilk 

fes  droits  dont  îl  ne*  peut  abûfer  qù^  fa-  hante  &  potii* 

le  malheur  du  geni^e  humain,   lean  fe  laifla  dornihet* 

par  la  cokre  :  cetQ  paffionôfufqud  tes  lumières  de  fotf 

efprit.    Formé  pour   tout   autre  rang  que  celui  qu'il 

ecupa,  H  ne  fut  pas  un  grand  roi.  Généreux,  fincere, 

libéral ,  amareur  des  lettres,  de  la  juftice,  de  la  piété , 

fidèle  ài  fa.  pawle,  bftlve  jùfqiA^  l4éroïfme ,  eohfta^nil 

dans  l^initié;.  mâ^is  implacable  datis  êl  h^ine,  fvtctt'^ 

fiant  tout  k  4.  veiigeaflfeev  toujours    entraîné  par  les* 

accès  de  fan  irapé^<Uïté  ^  il  commit  des  fautes  irré-^ 

parables,   L'adverfieé  fit  en  lui  un  e^ngëment   fur-- 

prenant.  Il  ne  fut  plus  le  même  prince  depuis  que 

vaiâcu  &  fafic  prifon^iier  il  lutâ  feul  contre  la  fonuncr 

qui  Tacabloit.  Toute  la  duretés  de  fon;  caraâere  difpa-^ 

rat  :  il  ne  lui   refta  plû«  de  cere  inflexibilité  d^ame; 

qu'an   courage  invincible  épfou^é  paf  les^  revers.    Il 

Içut  alors  parloMfer  :  dit  le'  ^*  lôtfque  Paris  r^tra  fqus 

àiakis  Uîtâtêit  l^fUcif,  qû*dîrr»|W)tta  3r  Èiôtrtec!  ,  qu'ils  ivoiénr  fait"  drrar- 
goht  «  6c  M'ib  eo  texfirânt  méine  aâbélcdicor;  yid.  Rym.  àB.^puhl.  tom.  %^ 
pari.  3  »  y»/.  »4.  /    ^  •    J 

^a)  Il  pânjîf  qtfc  jJféfquc  tous  nos  hîftbrîcns  fc  font  trompés  lur  l'Age  de 
Tesm  II ,  lorfija'ilt  om  airur#  qm  ce  prinee  ite^  Monéâ  fur  lé  ttckkt  que  da^s  fa 
^pacantft  &  unième  aan^e*  Voî«i  quelles  fon»  les  ration»  qnî  oat  déremiiné  ai 
préRrei^  l'opinion  adoptée  dan»  cece  hiftoire*  £n»$i8,  Philippe^tle-Valois  mit 
j€0n  ÎBbn-  ils'  tfntft  Ibr  marn^  des  hpmtrtcs ,  &  loi  donna  poar  ^uvetneûr  Ber- 
'wtfà'io  Mor^vi''  Sfidt^:  tom^  i^  pàf-  71  ^  #  réffVini  du  qUàêriàné  vol,  di  ceté^ 
hifioire^  Jean  ,  qpoicmç  fUsr  «oiqiic  alors- ,,  tt  fut  marié  que  quatre  ànnécii 
âffirès  ,  en  ^3fi  «  tfînn  que  le  marque  tt  continuateur  de  NangiSi  Ces  fait» 
Çjtfnc  A^SLOcùti  a^c  k-femtiMûit^d^Pcre  Amlcfaiie ,  foiyafttt  kquel  Jean  naquiif 

Oo  ij 


Ann.  i}^4« 


Mim.  dt  Utt. 


2^2  Histoire   de  Frakce^ 

foQ  obéifTance ,  écrire  aux  habitants  avec  là  bonté  d*un 
père  qui  excufe  fe^  tenfants  :  il  défendit  qu  on  usât  de 
rigueur.  Uhumanité  avoii  repris  fes  droits  fur  un  cœur 
aveuglé  par  la  flaterie  :  il  reconnut  fes  erreurs ,  &  par 
une  efpeçe  de  prodige ,  il  fe  concilia  dans  le  malheur 
l'amour  de   fes    peuples  ,  Teftime  &  le  refpeft  de  fes 
ennemis.  Au-i'e^te  >  il  faut  convenir  que  Tindocilité  de 
fes  fujets  contribua  autant  que  fon  imprudence  aux  ca- 
lamités  publiques.    Ils.  avoient  befoin  aufli-^bien   que 
leur  fouverain  d'être  inftruits  par  l'infortune.  Jean  aima 
«.  *^.*.  les   lettres  6ç  lés  çulçiva  lui-même  :  il  Anima: les  fça- 
voLiy' ^''  vants  par  la  proteâion . &  les  récompetifeSi  qu^il  leur 
acorda.    Il  arvoit.  fait  traduire  en  frani^ois  une  grande 
partie  de  la  Bible  &  plufieurs  autres  ouvrages  de  piété. 
Son  goût  pour  les  bons  auteurs  latins  lui  fit  defirer  d'a- 
voir leurs   produâtons  en. notre  langue.  On  lui  doit  la 
plus  ancienne  traduâion  que  nou»  çonno>(Iion&  dés  Dé* 
çades  de  Tite-Live,'que  Pierre  :Bércheur ,  prieur  de 
Saint-Ëloi  9  entreprit  par  fqs  ordres.   Cete  traduâion 
fut  bientôt  fuivie  de  celles  de  Sallufie  y  de  Lucain ,  des 
commentaires  de  Céfar.  Les  poëtès  &  lès  orateurs  de 
l'ancienne  .Rome   devenus   plus  communs   excitèrent 
notre  émulariop^.  &   préparèrent  la  renaiflance  des  leC' 
très  négligées  en  France,  depuis  long-temps.  La  Une- 
rature  de  ce  fiecle  mérite  d'ocuper   un  article   à  part. 
Iléfervons  ce  détail  pour  le  règne  de  Charles  Y  ^  qui 
témoigna  encore  plus  dezele  que  fon  père  pour  Thoneur 
àts  fciences  &  des  arts. 

Edouard  fut  fincérement  afligé  de  la  mort  du  roi  :  il 
donna  des  larmes  à  la  perte  de  ce  prince  pour  lequel  il 
avoit  conçu  la  plus  tenare  amitié.  On  lui  rendit  à  Lon- 
dres les  devoirs  funèbres  avec  toute  la  pompe  &  cour 
l'apareil  qu'on  auroit  pu  employer  pour  les  fouverains 
de  la  nation.  Son  fervice  fut  célébré  dans  l'églife  de 
faintPaul  :  quatre  mille  torches  &  un  pareil  nombre 
de  cierges  éclairoient  le  temple.  On  préfenta  ,  fuivanc 
l'ufage  y  quantité  de  chevaux  couverts  de  houifes  aux 
armes   de   France  :  ces  chevaux  étoient  conduits  par 


J     E      A      H        II.  2^3 

aucant  de  chevaliersé  Après  ^ue  le  monafqae  Angloii^  =!!ï=; 
iè  fut  aquicé  des  triftes  devoirs  que  fa  généroficé  con-*  Ann.  1^64. 
facroic  k  la  mémoire  d*un  prince  long- temps  fon  rival 
&  devenn  fon  ami ,  acompagné  dés  princes  &  feigneurs  ^ 
tant  Arigloiâ  que  François  ,  qui  fe  trouvoient  à  Lon- 
dres, il  conduific  le  corps  du  feu  roi  jufqu'au  rivage, 
où  on  rembarqua  pour  le  tranfporter  en  France,  Il 
fut  d'abord  dépofé  à  rabaye  Saint-Antoine-des-champs  ^ 

}>rès  Paris;  &  lorfque  tduc  fut  ptêt  pour  les  obfeques, 
es  enfants  de  France,  les  princes  du  fang  ,  le  roi  de 
Chypre ,  qui  pour  lors  étoit  à  Paris ,  le  clergé  de  la 
ville  &  les  cours  fouveraines  alerént  le  chercher  à  Ta- 
baye.  Il  fut  aporté  à  Téglife  de  Notre-Dame  par  les 
gens  du  parlement  ;  Ji  j  comme  aœutumé  avait  été  des  chon.  MS. 
autres  rois  ,  pour  ce  qu^ils  repréfentent  la  perConne  dii  ^"  ''^'  •''? "  * 
roi  au  jait  de  jujiice ,  qui  ejt  le  principal  membre  de  fçi^  %^^  r^ao. 
Jii  couronne  j  par  lequel  le  roi  règne  &  a  feigneurie.  Le 
dimanche  5  mai ,  le  fervice  fut  célébré  à  la  cathédrale, 
&  le  lendemain  le  corps  fut  tranféré  k  Saint -Denis, 
dans  le  même  ordre  qu'il  avoit  été  aporté  à  Notre- 
Dame.  Il  fut  inhumé  auprès  du  grand  autel  de  Ta- 
baye  (a).  Après  le  fervice  le  nouveau  roi  vint  dans  la 
cour  du  cloître  ;  &  là  apuyé  contre  un  figuier ,  il  reçut 
les  hommages  des  pairs  &  des  feigneurs  Frahçois  , 
préfents  à  cete  cérémonie. 

•  Jean  I  ,  ou  fi  Ton  compte  au  nombre  de  nos  rois  Enfontsdoroi 
le  fils  de  Louis  X ,  qui  régna  cinq  jours ,  Jean  II  eut  ^^"• 
de  fon  premier  mariage  avec  Bonne  de  Bohême  qua- 
tre fils  ;  Charles  qui  lui  fuccéda,  Louis  ,  duc  d'Anjou, 
Jean  ,  duc  de  Berry ,  &  Philippe  ,  duc  de  Bourgogne  ; 
&  quatre  filles ,  Jeanne ,  reine  de  Navarre  ,  Marie , 
duchefie  de  Bar ,  Ifabele ,  époufe  de  Galéas  Vifconti , 
&  Marguerite,  religieufe  k  Poiflv. 
Ce  fut  fous  le  règne  du  roi  Jean  ,  que  les  comtes 

(a)  En  préparant  le  caveaa  oA  il  fat  dépofif  «  on  trouva*  plu fieurs  anncaot 
enrichis  de  pierres  précieufes  »  &  une  couronne.  d*or  d'un  poids  confidérablc , 
fans  infcription  &  fans  veftige  d'aucun  corps  de  fouverain,  auquel  ces  orncmenift 
tuBcnî  pu  apaneoir.  SpiciL coaiintuù\  deislan^/uhaano  1564* 


294  HiSTaiRE     DE    FrAVCEj^ 

!  de  Bar  commencerenc  à  prendre  le  titre  de  ducs  :  Ru- 
Aan.  i3^f.    berc  fut  le  premier.    On  ne  fçait  à   qui  ^    de   Charr 
Ercàioninccr-  Jcs  IV,  empereur,  ou  du  roi  de  France,  atribuer  cete 
SIî'b^Î «rTu-  ^feâion.    Un  fçavant  académicien  a  prétendu  que  le 
ché.  roi  de  France  en  13  <  5  érigea  le  comté  de  Bar  en  du» 

Réflexions  fur  ché  -  pairie  ,  fondé  fur    ce  que  la  partie  du  Barois  , 
^dachédtBar,  ^^^^  laquele  eft  fituée  la  ville  de  Bar-le-Duc ,  relevait 
;7dr  M.  Bon-  de  la  couronuc  de  France.  Cete  préfompcion  eft  fcnrte: 
^"^^im  de    ^^  prouve  le  droit,  mais  elle  ne  détruit  pas  le  témoi- 
litcér.t^m.  lo,  guage    d'un   chroniqueur  du  quatorzième  fiecle  ^  qui 
p^g'  474*        marque  précifément ,  que  Charles  IV  vint  à  Metz  (a)  , 
où  il  conféra   le  titre  de  duc  au  comte  de  Bar.   Char- 
les IV  qui  aimoit  toutes  les  aâions  d^aparat ,   &  qui 
toujours   avide   d'exercer   des  aâes   de    fouveraineté , 
même  hors  des  limites  de  fa  domination,  peut  bien 
avoir  oublié  le  droit  du  roi  de  France  pour  faire  un 
duc.  C'étoit  fa  pailîon  dominante  ,  contre  laquele  on 
prit  des  précautions  ,   lorfqu'il   vint  en  France.    Cet 
empereur  aimoit  fi  fort  à  repréfenter  ,  qu'il  s'arêta  pen*^ 
dant  les  fêtes  de  Noël  à  Cambrai ,  parce  que  les  ^u* 
gujits  d'Occident  avoient  droit  d*y  cnanter  la  feptietne 
leçon  à^s  matines  ,  revêtus  des  ornements  impériaux 
Au-re(be ,  peut-être  le   comte  de  Bar  s'arogea«t-iL  le 
titre  de  duc  de  fa  propre  autorité.  Sa  qualité  de  beau- 
frère  de  Charles ,  roi  de  France  ,  &  d'alié  de  Tempe* 
reUr ,  empêcha  ces  princes  de  s'y  opofer  pendant  leux?» 
règnes.    Ùufage   prévalut  enfuite,  &  tint  lieu  à  f<s 
fuccefTeurs  de  titre  légitime. 

Sous  le  règne  de  Jean,  l'Europe  fut  témoin  d^iin 
de  cesv  événements,  qui  par  leur  fingularité  méritenc 
d'être  inférés  dans  toutes  les  hiftoires.  On  vit  renou- 
veler l'exemple  de  Tatcoce  févérité  des  Spartiates ,  qui 

(0)  Mil  trois  cents  cinquante  6c  trois 
Vint  de  Bohême  à  Metz  un  roi  : 
£d  féjournant  dans  fon  repair 
Fit  duc  le  comte  de  Bair, 

Chrçmq.  en  Vin  »  çompfifée  p^  un  chanoine  de  Metf^ 


J      E      A      N         I  I.  295 

condaneretit  Agis  à  la  mort-  Martin  Faliérî ,  doge  de  r 

Vcnife  ,  acufé  a*avoir  confpiré  contre  la  république  ,  Ann.  13^4. 
fut  jugé  par  le  'confeil  fuprême  ,  &  décapité  publi- 
quement. En  13^5  ,  peu  de  temps  auparavant  ,  Ni- 
colas Gabrini  ,  dit  Rienïi ,  Romain  de  la  plus  baffe 
naiflance ,  après  s*être  élevé  par  fon  éloquence  &  fa 
hardielTc  jufqu'à  la  fouverainete  de  Rome ,  fous  le  titre 
de  tribun  ,  cnaflc  cnfuite ,  livré  au  pape  Clément  VI , 
qui  le  retint  prifonnier  dans  Avignon ,  renvoyé  k  Rome 
par  Innocent  VI  ,  où  il  fut  reçu  comme  libérateur 
de  fa  patrie  ,  eut  enfin  le  fort  de  fes  pareils  :  il  fut 
maffacré  dans  une  émeute  populaire.  Cet  homme  fîn- 

fulier  afeâoit  toute  la  hauteur  de  Tancienne  Rome  , 
ont  il  prétendoit  rétablir  la  fplendeur  y  citant  les 
{)rinces  k  comparoître  devant  lui  comme  empereur  de 
'univers  :  il  prenoit  pour  titre,  Nicolas,  chevalier, 
candidat  du  oaint-Efprit  ,  févere  &  clément  ,  libéra- 
teur de  Rome , zélateur  de  l'Italie  ,  l'amour  du  monde, 
tribun  ,  augufte.  Né  avec  l'éloquence  &  1  gudace  des 
Grecs ,  fans  avoir  leurs  vertus,  il  fut  comme  eux  l'idole 
paifagere,  &  la  viâime  de  Tinconftance  des  Romains. 

L'opinion  commune  atribue  au  roi  Jean  le    privi-  ^ç^J^^P'^^J? 
leee,  par  lequel  tous  les  membres  du  parlement  étoient  vcurdu^priic- 
afrancnis  des  drgit^de  péage  pour  leurs  vivres,  j^  afin  «»cnt- 
»  quêtant  libres  de  tous   obltacles  &  empêchements,      R^g'fi'-i  A. 
yy  ils  ne  loient  ocupés  que  du  iom  de  donner.au  rot  yb/.i?,rr^a. 
»  des  preuves  de  leur  atachement  k  fa  perfonne ,  &  de     ^^'^-  ^'^fo. 
yy  leur  zèle  pour  le  bien  de  l'Etat  v.  Cete  déclaration  ^rdo'nna^^^^^^ 
n'acordoit  pas  k   la    cour  '  une   exemption    nouvele  : 
par  des  lettres  de  l'année  précédente  1352,  il  cft  ex- 
preffément  marqué  que  le  cnancelier  ,  le  parlement  ^  la 
chambre  des  comptes  ,  les  gens   du  roi ,  les  tréforiers 
de  France  &  les  fecrétaires  du  roi  jouiffoient   depuis 
un    temps  immémorial    d'une    exemption    entière   de 
tous   droits   de  péage  ,  de  tonlieu ,  de  coutume ,  de 
chauffée ,  de  travers  ,  &  généralement  d'exaâion  quel- 
conque pour  les  blés  ,  grains ,  vins ,  animaux  ,  bois  , 
ic    autres    provifions    néceflaires  pour  leurs  maifoos. 


i€f6  Histoire  de  Frakce, 

'  Les  lettres  qui  furent  données  pour  les  maintenir  dan^ 
Ann.  1^64.  cete  franchife,  menaçoient  en  même-temps  les  rec^ 
yeurs  qui  les  troubleroient ,  d'être  chafT^s  de  leurs  em- 
plois ,  &  punis  exemplairement.  Les  plaintes  de  Si- 
mon de  Bufly ,  premier  préfîdent ,  &  de  Jacaues  d*A- 
delaincourty  confeiller  au  parlement  ^  contre  les  exac- 
teurs des  ponts  de  Mantes  &  de  Meulan,  donnèrent 
lieu  k  ce  renouvélement  des  anciennes  immunités  dç 
la  magiftrature. 


CHARLES 


Z/.' R in/  iù Thune  , 


i[[r^"|:i^ 


CHARLES    V. 

.-   France    paroifToît  réduite  au  dernier  degré  ss 
d'abaifibment.   Il  y  avoic  peu  d'aparence  qu'elle  put  fe    Aniu  xK4f 
relever  fîtôt  de  tant  pertes.  Mais  il  eft  dans  tous  les  JEtats^ 
Ôc  fur-tout  dans  le  nôtre  y  des  reflburces  qui  n'atendenc 
]>our  fe  manifefter  ,  que  les  lumières  d'un  génie  aâif  ^ 
qui  fçache  faire  jouer  à  propos^  ces  refforts  inconnus 
au  vulgaire.  Uo  prince  éclairé  peut  tout ,  lorfqu'atentif 
à  profiter  des  circonftances  ,  il  fçait  alier  là  fageflè  k 
la  vigilance.  Charles,  d'une lanté  délicate  ,  peu  propre 
aux  expéditions  militaires  ,  monta  fur  le  trône  dans  un  ^ 

temps  où  la  conjonâure  préfente  fcmbloit  exiger  un 
prince  guerrier,  dont  la  valeur  fut  capable  de  repouf- 
1er  un  ennemi  devenu  trop  puiffant  ,  &  de  rétablir  les 
limites  de  l'empire.   Ce  roi  ,  du  fond  de  fon  cabinet  ^ 
exécuta  fans  tirer  l'épée  ce  qu'on  auroit  k  peine  ofé  fo 
promettre  du  plus  grand  capitaine.  Le  règne  de  ce  mo- 
narque ,  malheureufement  d  une  trop  courte  durée  ,  va. 
prouver  combien  la  fupériorité  des  lumières  l'emporte 
lur  l'excès  du  courage  :  il  nous  donnera  une  jufte  idée 
des  vertus  les  plus  eflencieles  dans  un  fouveîrairi.  Charr: 
les  V   peut  aprendre  à  tous  les  monarques  la  routé 
qu'ils  doivent  fuivre  pour  fe  couvrir  de  gloire  ,  rendre 
leur  Etat  floriflant  ,   &  affurer  la  félicité  des  peuples 
que  la  Providence  leur  a  foumis.    Il  portoit  dans  un 
corps  débile  une  ame  forte ,  intelligente  &  courageufe , 
qualités  dont  la  droiture  de  fon  cœur  ne  lui  permit 
jamais  d'abufer.  Il  montra  que  la  faine  politique  &.  la 
probité  font  inliéparables  :   incapable  4e  tromper  ,  il 
*^     TomcV.  Pp 


È^%  Hxsxoi&s    DE  Francs^ 

'  ne  fe  laîfla  jamais  furprendre.  Il  foutint  avec  vigueur 
^ûii-  »3^4-  k$  démarches  aucorifées  par  la  juftice.  Eprouvé  par  les 
concradiâions  ,  il  fe  forma  une  habitude  de  confiance 
que  rien  n*étoit  capable  d'ébranler  :  enfin  il  enchaîna 
la  jfbrtune  par  les  liens  les  plus  folides  &  les  plus  ho- 
norables ,  fa  fagefle  &  la  probité.  Il  aquit  la  connoif- 
fance  des  hommes  j  connoiflance  fi  néceflaire  à  ceux 
qui  fopt  chargés  de  les  conduire  :  il  mit  en  ufage  leurs 
bonnes  qualités  pour  le  bien  du  gouvernement.    Il  fit 

{>Ius  y  il  t}):a  même  quelque  utilité  de  leurs  défauts  : 
a  prudence  préfidoit  à  toutes  Tes  aâions.  Sa  bonté 
tempéra  la  févérité  de  la  juftice  :  il  défendit  fes  fujets^ 
il  les  foulagea  ^  il  anima  les  fciences  &  les  arts  par  Ton 
exemple  &  par  les  récompenfes  dont  il  les  honora  :  il 
fut  généreux  avec  économie ,  également  éloigné  de  l'a- 
varice &  de  la  prodigalité  :  exaâ  à  remplir  les  obli- 
gations facrées  de  la  religion  ,  il  fut  pieux  par  goûc 
autant  que  par  devoir.  Quoiqu'il  fût  la  meilleure  tête 
de  Ton  confeil ,  il  écoutoit  tous  les  avis  ,  &  ne  rougif^ 
foit  pas  de  réformer  le  fien.  L'Etat  reprit  une  nouvelc 
face  fous  la  domination  de  ce  grand  prince  ;  la  nation 
recouvra  fon  ancien  luftre.  Il  travailla  toute  fa  vie 
pour  le  bonheur  de  fes  fujets ,  il  les  aima,  il  en  fut  ai- 
mé ,  il  mérita  leur  plus  tendre  atachement  :  c'eft  le 
plus  beau  trait  dont  on  puiiTe  couronner  fon  éloge. 
Etat  da         Avant  que  d'entrer  dans  le  détail  des  événements  de 

royaume.  ce  rcgne ,  il  ne  fera  pas  inutile  de  jeter  un  coup  d'œuil 
fur  le  tableau  du  royaume ,  &  de  le  confidérer  un  mo- 
ment dans  les  diverfes  parties  relatives  au  gouverne- 
ment politique  &  civil  :  car  c'eft  dans  ces  fources  qu'il 
faut  cnercher  1  origine  des  vertus  &  des  vices  domi-> 
nants  dans  un  fiecle^  L'adminiftration  bonne  ou  mau- 
vaife  ébranle  en  quelque  forte  la  mafle  entière  d'une 
aation ,  &  forme  ton  caraâere  général ,  dont  la  direc- 
tion dépend  abfolument  du  fouverain  qui  la  gouverne. 
Torcctmili-      La  prorfèflion  des  armes  y  toujours  honorée  en  France 

^'^*  depuis  rétabliflenaent  de  notre  monarchie  ,  s*efl  Main- 

tenue dans  toute  ia  fplendeur  pendant  près  de  quatorze 


.    Charles    V,  299 

fîecles ,  malgré  ccte  multitude  de  changements  furve-  '■ 

nus  dans  la  conftitucion  de  TEtat.  Les  François  de  nos  ^^^  M  ^4* 
jours  volent  aux  combats  avec  la  même  ardeur  &  la 
même  intrépidité  <}ui  animoient  leurs  ancêtres  fous  les 
CloVis  y  les  Carlovmgiens  ,  &  les  fuccefTeurs  de  Hu- 
gues Capet.  Le^  même  efprit  guerrier  règne  parmi  no* 
tre  nation ,  &  ce  feu  martial  qui  la  remplit ,  n'a  befoin 
d'autre  aliment  pour  s  entretenir  ,  que  cle  la  confidéra- 
tion  &  des  honeurs  atachés  de  tout  temps  k  Pétat  d'hom- 
me de  guerre.  Un  peuple  feniible  à  la  gloire ,  6c  qui 
fait  tout  pour  elle^  feikibleroit  être  invincible  :  mais 
une  longue  fuite  d'expériences  nous  aprend  que  la 
valeur  n'eft  pas  toujours  le  garant  de  la  viâoire  :  rexcès 
même  du  courage  peut  être  nuifible  y  lorfque  tournant 
contre  lui-même  les  propres  éfbrts ,  il  fe  livre  à  la 
préfomption  &  k  la  témérité  ,  fuites  trop  ordinaires 
d'une  confiance  aveugle.  L'hiftoire  des  règnes  de  Phi- 
lippe de  Valois  &  de  Tean  ,  préfente  naturélement  ces 
réflexions.  Le  (iecle  où  vécurent  ces  princes  cft  fertile 
en  guerriers  ;  Tétat  militaire  jouiffoit  alors  de  la  plus 
grande  coniidération  :  c^étoit  le  feul  état  honorable.  A 
ce  motif  de  gloire  ,  plus  que  fufifant  pour  échaufer 
jQOtre  nobleife  y  fe  joignoit  encore  la  raifon  d'intérêt  :  ^ 

c^étoit  dans  cete  cariere  brillante  que  fe  faifoient  le$ 
fortunes  rapides  y  on  s*enrichiiIoit  en  combatant  :  plu- 
£eurs  profeflions  devenues  de  nos  jours  fi  profitables 

Î>our  ceux  qui  les  exercent  y  étoient  alors  ignorées  ou 
anguifiantes  :  on  n'aauéroit  de  Tilluftration  &  des  richef- 
fes  que  la  lance  ou  Tépée  à  la  main.  Cependant  mal- 
gré tant  d^avantagcs  prodigués  aux  gens  de  guerre, 
jamais  nos  armes  n'a  voient  été  fi  malheureufes.  Les 
fiœeftes  Jour  nées  de  Crécy  &  de  Poitiers  nous  couvrir 
rent  de  honte  :  l'Etat  ébranlé  penfa  devenir  la  proie 
de  nos  vainqueurs.  Ces  malheurs  paroiira||  ipcom- 
préhenfibles  au  premier  afpeâ.  La  furprife  difparoî- 
tra  peut-être  en  examinant  quele  étoit  alors  notre  ma^ 
nîere  de  faire  la  guerre  ,  quels  ufages  on  obfervoit 
dans  les  combats,  &  fur- tout  de  queles  efpeces  de 

Pp  ij 


300  Histoire   de  Frahc^^ 

'  troupes  nos  armées  étoient  compofées  :  c'cft  dans  €6t 

Ann.  14^4.    examen  qu'on  doit  démêler  le  vice  caché  qui  produifit 
ces  revers  étonnants. 
Armées.         Depuis  long-temps  la  fbrCe  de  nos  armées  réfidoiç 

{)rincipalement  y  pour  ne  pas  dire  uniquement ,  dans 
.  .  ^  a  cavalerie.  Tout  homme  de  guerre  étoit  un  comba* 
g^J.^  ^"^^^^"  tant  à  cheval ,  &  c'eft  la  raifon  pour  laquele  nos  an- 
Memoîre  de  ciens  écrivains  rendoient  en  François  Texpreffion  de 
littérature,  milcs y  par  cclle  de  chevalier,  dont  Tufage  fubfîfte  en- 
t^ncTZl&l  core  &  n'cft  réfervé  que  pour  la  haute  nobleffe.  On  a 
Valérie ,  par  VU  dans  les  commeucemcnts  de  cete  hiftoire  Tinftitu- 
M,de  Sainu.  tion  de  la  chevalerie  ,  l'éducation  de  ceux  qui  étoient 
"^  ''^''  admis  à  cet  ordre  ,  une  partie   des  cérémonies   prati- 

quées à  leur  réception ,  &  des  prérogatives  atachées  à 
leur  état.  Les  chevaliers  étoient  en  quelque  forte  égaux 
à  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  grand  en  France ,  honorés 
de  Tamicié  &  de  la  familiarité  des  plus  illuftres  prin- 
ces, qui  fe  faifoient  gloire  eux-mêmes  de  cete  qua- 
lité. La  chevalerie  pouvoit  être  confidérée  comme  Tame 
de  la  nation  ,  en  ce  qui   concernoit  le   gouvernemeoc 
politique  &   militaire  :  elle  avoit  même  la^  meilleure 
part  au  eouvernement  civil,  malgré  l'introduâion  des 
cens  de  lectres  dans  Tadminittration  des  loix.  Tous  {les 
honeurs  étoient  réfervés  pour  les  chevaliers  :  les  jeux  , 
les  fpeâacles ,  les  fêtes  ,  avoient  toujours  quelque  ra- 
port  à  cete   inftitution.    Leurs  privilèges    étoient   fans 
nombre ,  leur  caraâere  étoit  indélébile  ,  à  moins  que 
auelque  trahifon  ou   quelque  lâcheté  ne  les  en  fiflent 
déchoir.    Rien  ne  pouvoit  les  priver  de  leurs  droits, 
jufque-là  que  les  chevaliers  clercs  pouvoient  fe  ma- 
rier  &    confèrver   les  prérogatives   de  la    cléricature. 
JLeur   état  à  la  vérité  leur  impofoit  les   plus  étroites 
chScrî.       obligations.    La   chevalerie  dans  les   beaux  fiecles  de 
fon  infUfeition ,  étoit  un  exercice  confiant  de  ce  que 
rhéroïfi^a  de  plus  fublime  &  de  plus  dificile  dans  la 
pratique.   Leurs  fautes  étoient  plus  févérement  punies 
que  celles  du  refte  des  hommes.  S'ils  fucomboient  dans 
les  jugements ,  ils  étoient  condanés  à  de  plus  fortes 


G   H    A   R   I   E    s      V#  301 

amendés   que  les  fimples  écuyers.   Leurs  fervîces  mi-  — 

licaires  étoienc  doubles  (a).  Toujours  en  adion ,  leur  Ann,  13^4. 
vie  fembloic  être  ly  combat  continuel ,  ils  n'étoient 
prefque  jamais  libres  de  fe  refufer  à  une  entreprife 
utile  ou  nonorable ,  &  les  ocafions  de  fe  fignaler,  quoi- 
oue  fréquentes ,  fufifoient  encore' k  peine  à  leur  avi- 
dité pour  la  gloire. 

Les  obligations  que  les  chevaliers   promettoient  de     Vœux  parti- 
remplir,  lorfqu'ils  etoient  reçus,   oaroiflbient  renfer-  ^"^^^"• 
mer  les  devoirs  de  leur  état ,  &  ces  devoirs  étoient  aflez 
pénibles   par  eux-mêmes,  fans  chercher  encore  à  les 
multiplier  :  cependant  ils  étoient  dans  Tufage  de  s^im* 
pofer  des  loix   particulières  pour    de  certaines  entre- 

f>rifes  qu'ils  faiioient  vœu  d'acomplir  dans  un  temps 
imité  &  à  des  conditions  prefcrites.  Pour  donner  une 
idée  de  ces  vœux ,  &  des  formalités  qu'ils  obfervoient, 
il  fufîra  de  raporter  le  cérémonial  de  celui  qu'on  peut 
regarder  comme  le  plus  authentiaue.  On  le  nommoit 
U  vœu  du  fiaon  ou  au  fai/àn.  Ceft  le  fçavant  &  labo- 
rieux Académicien  dont  les  profondes  recherches  ont 
ëcla^irci  Thiftoire  de  notre  ancienne  chevalerie ,  qui  noqf 
fournit  ce  détail  curieux.  La  fingularité  de  ce  vœu  nous 
retrace  cete  fimplicicé  groffiere  de  nos  aïeux ,  qui 
alioient  les  cérémonies  religieufes  avec  les  pratiques  de 
la  fu perdition  la  plus  infenfée  &  la  plus  ridicule. 

Le  jour  deftiné  pour  cet  engagement  folennel,  une     pétc  fingu- 
dame  ou  une  demoifele  magnifiquement  habillée ,  fe  J|^^«  •  ^<^"  ^^ 
rendoit  au  lieu  où   les   chevaliers  avpient  été   convo-    *^*°' 
qués  :  elle  portoit  un  baffin  d'or  ou  d'argent ,  fur  lequel 
etoit  un  paon,  ou  faifan,  quelquefois  rôti,  mais  tou- 
jours paré  de  fes  plus  bêles  plumes.  La  dame  préfenr 
toit  l'oifeau   à  tous  les  aififtants  à  tour  de  rôle ,  afin 
que    chacun    d'eux  fit  fon  vœu  fur  l'animal  :  elle  le 
pofoit.  enfuite  fur  une  table    pour  être  diftribué,  & 

(a)  Il  fut  ordonné  aux  chevaliers  en  141  x  ,  aa  fiep;e  de  Dun-ie-Roy  >  de  porter 
hait  fafcines,  tandis  que  les  écuyers  n  étoient  obligés  d'en  porter  que  quatre. 
M^m,  délit,  tom,XX,  pag.éô'j,  Dijftrt,  fur  t  ancienne  cheva/irû  j  par  AL  de 
la  Curne  de  Sainte-Palaye^ 


30X  Histoire  de  France, 

^  choififToit   dans    raffemblée  celui  qui  étoît  eftimé  le 

Attn.  i|#4.  plus  brave,  pour  qu'il  fît  la  difleâion  de  Tanimal. 
L'habileté  confîftoit  à  le  parcager^e  manière  c^ue  tous 
les  chevaliers  préfents  en  puffent  avoir  une  parue.  Phi- 
lippe-le-Bon  duc  de  Bourgogne ,  renouvela  cete  an- 
.cienne  cérémonie  de  la  manière  la  plus  folennele.  Il 
donna  un  fuperbe  banquet  dans  une  fale  alfez  fpa- 
cieufe  pour  contenir ,  outre  les  tables  j  une  infinité  de 
machines  &  de  décorations.  Il  y  parut  des  figures 
d'hommes  &  d'animaux  extraordinaires ,  des  arbres , 
des  montagnes ,  des  rivières ,  une  mer  y  des  vaifieaux. 
Ces  objets  artificiels  étoient  entremêlés  de  perfonna* 
ges  ,  d  oifeaux  ,  &  d'autres  animaux  vivants  ,  qui 
écoient  en  mouvement  dans  la  fale  ou  fur  les  tables  p 
repréièntant  des  aâions  relatives  au  deflein  du  duc. 
Au  milieu  du  repas  ^  un  Sarazin  d'une  taille  gigan* 
tefque  parut ,  un  éléphant  marchoit  à  fa  fuite  portant 
un  château  ,  dans  lequel  étoit  renfermée  une  dame 
éplorée  ,  revêtue,  d'un  habit  blanc  de  relipeufe  :  cete 
dame  repréfentoit  la  religion.  Lorfau'elle  fut  arivée 
Rêvant  le  duc ,  l'éléphant  s'arêta ,  &  la  dame  Religion 
ouvrant  une  des  fenêtres  du  château ,  prononça  une 
complainte  fur  les  maux  que  lui  faifoient  éprouver  les 
infidèles  ,  &  fur  le  peu  de  zèle  que  témoienoient  pour 
fon  fervice  ceux  qui  étoient  chargés  par  «at  de  l'obli- 
gation de  la  fecourir.  Alors  le  roi  d  armes  portant  un 
faifan  fur  le  poing  ,  entra  précédé  d'oficiers  d'armes , 
il  introduifit  devant  le  duc  deux  autres  dames  &  lui 
ofrit  l'oifeau ,  orné  d*un  colier  d'or  enrichi  de  pierre- 
ries &  de  perles  :  il  lui  préfenta  en  même -temps  la 
requête  des  dames ,  à  laquele  le  duc  répondit  par  une 
promefle  de  combatte  les  infidèles.  Le  commencement 
de  cete  promefib  étoit  conçu  en  ces  termes  :  Je  voue 
à  Dieu  mon  créateur  tout  premièrement  y  &  à  la  très 
glorieufe  f^i^J^^  >  Jà  mère  or  après  aux  dames  &  au 
faifan  ,  &c.  Toute  la  cour  du  duc  acompagna  ce  vœu 
dune  aclamation  générale,  en  fuite  de  laquele  les  che- 
valiers préfents  à  cete  fête,  firent  chacun  leur    vœu 


Charles    V.  303 

particulier  :  ces  vœux  étoient  des  pénitences  arbitrai-  : 

res  9  teies  que  de  ne  point  coucher  dans  un  lit,  de  ne  Ann.  13^4* 
point  manger  fur  une  nape ,  de  fe  priver  de  viande 
ou  de  vin  certains  jours  de  la  femaine,  de  ne  porter 
qu'une  partie  de  leur  armure ,  ou  de  la  porter  toute 
entière  jour  &  nuit ,  &  autres  femblables  obligations 
auxqueles  ils  fe  foumettoient  volontairement ,  jufqu'k 
ce  qu'ils  euiTenc  acompli  leur  vœu. 

Après  ces  promelTesy  la  dame  vêtue  de  blanc  def-- 
cendit  du  château  apelé  le  château  de  la  foi,  &  vint 
remercier  raiTemblée,  à  laquele  elle  préfenta  douze 
dames  conduites  par  autant  de  chevaliers.  Chacune  de 
ces  dames  portoit  fon  nom  écrit  fur  un  rouleau  ataché  ^ 
à  fon  épaule  ,  à-peu-près  femblable  à  ce  au'on  voit  en- 
core dans  nos  tapifleries  antiques.  Sur  le  rouleau  de 
la  dame  du  château  repréfentant  la  religion,  étoit 
écrit  le  nom  de  Grâce  de  Dieu  qu  elle  portoit  aufTi  :^ 
les  noms  des  douze  autres  dames  étoient  Foij  Charité, 
Jufiice  y  Raifon  ,  Prudence  j  Tempérance  ^  Force  ,  yé-- 
rilé  j  LargeJ/èj  Diligence  ,  Efpérancc  &  Vaillance.  Lorf- 
que  la  Grâce  de  Dieu  eut  reçu  les  rouleaux  fur  lef- 
quels  étoient  gravés  les  noms  de  fcs  douze  compagnes , 
elle  forma  un  balet  avec  elles ,  &  toutes  enfin  ,  difenç 
les  écrivains  de  oui  cete  particularité  eft  extraite  ,  corn-- 
mencerent  à  danjer  en  guife  de  momerie  ,  &  à  faire  bonne 
chère  pour  remplir  Çf  rachcver  plus  joyeufement  la  fête. 
!Les  balets  de  nos  opéra  dans  lefquels  nous  voyons 
danfer  la  Viâoire,  la  Gloire,  TAmour,  la  Haine,  les 
Furies ,  les  Dieux ,  les  Démons  ,  &c.  ofriront  peut-^ 
écre  dans  quelques  fiecles  à  nos  defcendants  des  fin- 
gularités  aufli  peu  raifonnables ,  &  dont  Tufage  à  tous 
égards  n'a  pas  pour  objet  une  fin  auffi  utile  &  aufli 
honorable. 

Les  honeurs  exceflifs  rendus  aux  chevaliers ,  la  con-  inconvénients 
fidération  dont  ils  jouïiToient,  la  générofîté  même  àc  At\z  AtvTXc- 
ceux  qui  exerçoient  cete  profeiflion ,  n'empèdherent  pas  "rgnoranccr 
qu'il  ne  fe  glîfsât  parmi  eux -des  abus  qui  fe   perpé- 
tuant &  fe  multipliant  dans  la  fuite ,  contribuèrent  à 


304  Histoire  de  France, 

!  les  rendre  moins  recommendables.  On  peut  regarder 
Ann.  ijtf4.  fur-cout  Tignorance  à  laquele  ils  s*habituerent ,  comme 
une  des  principales  caufes  de  leur  aviliffement.  Les 
chevaliers ,  dans  Torigine  de  leur  inftitution ,  écoient 
obligés  de  s'inftruire  dans  les  lettres  ,  en  même-temps 
qu'ils  fe  formoient  au  métier  des  armes  :  ils  négligè- 
rent infenfiblemenc  cete  première  partie  de  leur  éou- 
cation ,  &  ils  pouffèrent  cet  oubli  fi  loin ,  que  les 
exercices  militaires  devinrent  Içur  unique  ocupacion. 
Les  mieux  inflruits  fçavoient  à  peine  lire  :  la  connoif-- 
fance  des  lettres  étoit  en  quelque  façon  réputée  bon- 
teufe  pour  un  gentilhomme  :  elle  étoit  prefque  une 
indice  de  roture.  Cete  négligence  entraîna  nécefTaire- 
ment  après  elle  Timprudence  &  l'indocilité  :  un  cheva- 
lier ne  connut  bientôt  plus  d'autre  frein  que  les  loix 
de  convention  ,  que  les  guerriers  s'étoient  impofées 
entre  eux*  Leur  religion  dégénéra  en  pratiques  iuperl^ 
titieufes ,  k  la  faveur  defqueles  ils  fe  croyoienc  tout 
permis.  Un  trait  d'Etienne  de  Vignoles ,  dit  la  Hirc  , 
oui  vivoit  au  commencement  du  fiecle  fuivant,  peut 
faire  connoitrequele  étoit  la  piété  militaire.  Il  étoit  près 
d'entrer  dans  Montargis  que  les  Anglois  afliégeoient , 
Iprfqu'il  rencontra  un  chapelain  auquel  il  demanda  l'ab- 
folution.  Le  prêtre  lui  dit  de  fe  confeffer  :  la  Hire  ré- 
pondit qu^il  n^en  avoit  pas  le  loijîr  ,  car  ilfaloit  pront'^ 
ptcmcnt  fraptr  fur  Us  ennemis  :  qu^au-^rejle  il  avoit  fait 
tout  ce  ^ue  les  gens  de  guerre  ont  acoutumé  de  faire  , 
fur  quoi  le  chapelain  lui  bailla  Vabfolution  ule  quele^ 
La  Hire  abfous  fit  fa  prière  à  Dieu  en  ces  termes; 
Dieu  ,  je  te  prie  que  tu  fajjes  aujourd'hui  pour  la  Hire 
autant  que  tu  voudrois  que  la  Hire  fit  pour  toi  s^il  étoit 
Dieu  y  &  que  tu.fujfes  la  Hire.  Quelç  étrange  dévo- 
tion, dans  laquele  cependant  on  découvre  qne  droi- 
ture de  cœur  eflimable. 

La  difTolution  ,  fuite  de  l'ignorance  ,  engageoit  les 
gens  de  guerre  dans  les  écarts  de  la  plus  exceffive  pro- 
digalité. Pour  réparer  le  défordre  de  leurs  fortunes , 
il  n'y  eut  point  d'çxpédient  auquel  ils  n'eulFent  recours, 

pourvu 


Charles    V.  305 

pourvu  que  le  genre  de  brigandage  qu'ils  fc  permet-  J 

toienc  ne  choquât  point  les  règles  de  la  chevalerie.  La  ^^s.  i|«^ 
plupart  ne  firent  plus  la  guerre  que  pour  avoir  oca- 
lion  de  piller.  Talbot,  général  Anglois,  difoit  que  Jt 
Dieu  était  homme  d^armts  ,  il  ferait  pillard.  L'indé- 
pendance de  ces  guerriers  favorifoit  leurs  injuflices  y 
en  leur  procurant  Timpunité.  Un  courage  ,  qui  n'a 
d  autre  mobile  que  Tavidité  du  gain  ^  ne  tarde  pas  à 
dégénérer. 

Le  trop  grand  nombre  acrut  encore  le  défordre.  Çaufesdela 
La  facilité  avec  laquele  on  créoit  les  chevaliers ,  en  décadence  de 
introduifit  une  multitude  indigne  d'être  admife  à  cet  ^*  *^'*^^*^«"^- 
honeur.  Cétoit  la  coutume  de  conférer  cete  marque 
tie  diftinâion  fur  le  champ  de  bataille  avant  le  com- 
mencement de  l'aâion.  Fnilippe  de  Valois  ^  au  camp 
de  Vironfofle ,  étant  en  préfence  de  l'armée  Angloife^ 
£t  quantité  de  chevaliers  :  on  ne  combatit  point  ;  &  il 
n'y  eut  d'autre  événement  en  cete  ocafion  que  le  paf- 
fage  d'un  lièvre  entre  les.  deux  arm#s  ^  ce  qui  fut 
çaufe  qu'on  apela  les  nouveaux  reçus  les  chevaliers  du 
Lièvre^  Les  diftinâions  honorables  inventées  pour  ré- 
compenfer  la  vertu ,  doivent  fuivre ,  non  devancer  les 
aâions  par  lefdueles  on  peut  les  mériter.  Que  diroit-on 
de  nos  jours  y  li  nos  princes  acordoient  la  croix  de  faine 
Louis  9  objet  de  l'ambition  de  nos  guerriers  ^  à  dès 
oficiers  qui  entrent  au  fervice  ? 

Ces  abus  fréquents  avoient  déjà  rendu  trop  commua 
un  titre  dont  oa  auroit  dû  être  avare  pour  lui  confer- 
yer  fon  premier  luftre.  ^L'inftitution  de  l'ordre  de  l'E- 
toile 9  fi  nombreux  dèa  fon  origine  9  porta  une  nou- 
vele  ateinte  à  la  chevalerie.  On  en  afoiblit  encore  plus 
l'éclaf  en  le  conférant  k  des  villes  entières;  teles  auà 
Paris  &  la  Rochelle.  Mais  ce  qui  mit  le  comble  à  iV 
viliflement  de  cete  qualité ,  ce  fut  de  la  voir  profti* 
tuéb  à  des  jongleurs  y  à  des  baladins ,  à  des  ménétriers. 
Ce  n'étoit  pas  illuftrer  ces  profeflîons  :  c'étoit  déshono-» 
rer  fans  refTource  la  prétendue  diiïinâion  dont  on  Içs 
4^coroit. 

TomcV.  Qq     ' 


I 


! 


3^^  Histoire  de   Frasce, 

'  Un  des  plus  grands  vices  de  la  chevalerie  >  &  dont 
Aaa»  X  jrf4*  Tinflitution  n'avoit  pu  prévoir  les  funeftes  conféquen* 
ces,  fiit  l'habitude  introduite  de  faire  des  courfespar» 
ticulieres ,  pour  fe  fignaler  dans  les  provinces  étrange* 
res  y  fur-tout  pendant  les  premières  années  qui  fuivoîent 
les  réceptions.  Les  chevaliers  nouvélemenc  armés  aloîenc 
chercher  les  aventures.  Ces  chevaliers  errants >  pro- 
teâeurs  de  Tinnocence ,  ndrcffeurs  des  totts ,  &  fur^ 
tout  dévoués  aux  dames ,  établiuoient  quelques  pas  alar- 
mes y  s'ofrant  de  foatentr  contre  tous  a(&ullants  la 
beauté  de  leurs  amies.  Parmi  ces  vertueux  baladins , 
il  s'en  trouva  de  mccurs  très  équivoques ,  qui  ne  fe 
I  firent  pas  un  fcrupute  d'abufer  du  refpeâ  qu'on  avoit 

pour  leur  profeflion,  &  de  l'avantage  que  leur  don* 
noit  leur  armure  de  fer  ,  qui.  ks  couvrant  entière- 
ment ,  empèchoit  qu'on  ne  les  connût.  Uardeur  du 
butin  étoit  un  puimnt  motif  de  valeur  :  les  chevaux  t 
les  armes ,  la  dépouille  entière  Àa  vaincus  devenoicnt 
la  proie  des  vâÉiqueurs.  Flufieurs  fe  transfbrmeient  ea 
voleurs  de  grands  chemins ,  rançonnèrent  les  campa- 
gnes^ &  déoroufferent  les  paiFants,  le  tout  en  l'no- 
neur  des  dames.  A  l'exemple  des  gentilshommes  y  qad>- 
ques  roturiers  Se  foldacs  de  fortune  fe  mafqueirenc,  & 
s^abillerenc  de  fer  >  &ns  refpeâ  pour  les  loix  de  h 
dievalerie^  qm  isncerdifoient  cete  armure  à  tous  autres 
qu'aux  chevaliers.  Ces  nouveaux  brigands  s'enfaardbH 
renc,  s^affocîerent ,  formèrent  des  troupes  redoutablies , 
&  forcèrent  les*  princes  &  les  rots  mêmes  de  compo- 
fer  avec  eux ,  6c  d'acheter  leurs  fecours.  IL  falote  bien 
reconnoftre  pour  chevaliers  des  gens  qui  içavoienc  ic 
feire  craindre.  Les  défordres  afreux  coamûs  par  ks 
compagnies  fous  ces  règnes ,  étoient  aMocifés  par  i\i- 
fage  de  la  guerre  y  dont  les  chevaliears  avoknt  doimé 
Fexemple  y  qui  gagna  jufqu'au  peuple  :  &  la  nation , 
confiderée  comme  guerrière  >  fut  corompue  par  FefÎHric 
de  brigandage.^ 
Défaut  dans  '  L'habitude  de  L'indépendanœ;  rendoic  les  chevaliers 
les  armes.       plus  propres  aux  comoats  particuUers  qu'aux  aâttins 


Chariss    V.  307 

générales ,  donc  le  fuccès  dépend   autant  du  concert  ■ 

unanime  9  que  de  la  bravoure  des  combatants.  Dans  Ann.  i)^4« 
les  batailles ,  leur  valeur  avoit  moins  pour  objet  le  defîr 
de  déterminer  là  viâoire  en  faveur  ce  leur  partie  que 
de  faire  um  apertifc  d^ armes  ^  ou  de  s'emparer  de  quel-- 
que  prifonnier.  ïis  cherchoient  à  ie  (ignaler  ou  à  s'en-^ 
richir.  Combien  de  fois  arivoit-il  qu'ils  fortoient  de 
leurs  rangs  pour  s*atacher  k  quelque  guerrier  plus  apa- 
rent  que  les  autres  !  L*avoient-ils  contraint  die  fe  ren- 
dre ,  ils  ne  paroifibient  plus  ,  dans  Tapréhenfion  de 
perdre  leur  proie.    Ajoutons  aux  défordres  perpétuels 

3ue  ces  mouvements  dévoient  ocaiionner ,  l'embara» 
es  écuyers  qui  acompagnoient  leurs  maîtres  unique-^ 
ment  pour  être  témoins  du  combat  y  porter  leurs  ar- 
mes 9  tenir  leurs  chevaux  y  &  les  relever  en  cas  qu^ils 
fuffenc  Knverfés*  Pour  peu  qu'une  troupe  fujete  à  tant 
^inconvénients  fôt  ébranlée^  la  conluhon  dévoie  être 
borrible»  &  ne  lailfer  aucune  efpérance  deraliement, 
lorfqu^elle  étoit  rompue. 

Les  cbevaiiers  Anglois  n^avoient  il  la  vérité  aucune 
fupériorité  fur  tes  nôtres  ^  car  tout  étoit  égal  des  denx 
côtés  ;   mais  ils  Temportoient  fur  nous  par  leurs  ar^ 
chers.  Ce  fiit  à  ces  troupes ,  que  Tefprit  de  chevalerie 
dédaignoit  ^  qu'ils  durent  les  viâoires  de  Crécy  &  de 
Poitiers.    Nos   archers  manquoient   d'adreffe  y  Ôt   les 
François  faifoient  fi  peu  d'eftime  de  cete  milice  y  qu'ils 
fe  fervotent  d'étrangers ,  plutôt  que  de  s^ataoher  à  for«- 
mer  de    bons   archers    nationaux.    Il  n'en  étoit  pas 
de  même  des  Anglois  qui  en  avoient  d'excellents.  Cet 
exercice  étoit  cultivé  avec  foin   en  Angleterre,  ai  le 
reccBuil  des  àâes  publics  de  cete  nation  contient  plu*- 
fieurs  ordonnances  des  rois  à  ce  fujet.   Ces   archers 
tenoient  en  quelque  foirte  lieu  d'infanterie.  Les  Fran- 
çois ftmtirent  ce  défaut  :  mais  loin  d'y  remédier  par 
un    (emblabie  établiiïèment  y  ils  eurent  recours  à  1  ex- 
pédiait de  démonter   leurs  hommes  d'i^rmes,  quii  ne 
pouvoient  fe   mouvoir  que  dificilement  y  étant  emba*^ 
raffés ,  ou  plutôt  acablé»  fous  le  poids  de  kurs  arment 

Qqij 


3o8         .    Histoire    de  France, 
,  .     .    .  On  peut  inférer  de  PimperFeôion  de  notre  milice, 

Ann.  ij^4*  que  dans  les  batailles  où  l'ordre  obfervé  par  les  combà- 
tants  décidoit  tout,  nous  devions  être  autant  inférieurs 
à  nos  ennemis ,  que  nous  l'emportions  fur  eux  dans 
les  ocafions  particulières  ,  où  il  ne  s'agifloit  que  de 
combatre  d'homme  à  homme.  Auffi  doit- on  remarquer 
que  dans  toutes  les  afaires  oui  fe  palToient  entre  de 
petits  corps  de  troupes  détachés ,  l'avantage  nous  de- 
meuroit  prefque  toujours  à  nombre  égal. 

Tel  étoit  à- peu- près  dans  le  quatorzième  fiede  l'état 
de  nos  troupes  ^  au  nombre  defqueles  il  eft  inutile  de 
compter  les  milices  des  communes ,  foldats   peu  agué- 
ris,  fans  difcipline   &  prefque  fans  armes,  qui  mar- 
choient  à  Tennemi  fous .  les  bannières  de  leurs  paroif-*^^ 
fes  :.on  les  voit  toujours  taillées  en  pièces. 
Armes  oftn-      Les  armes  ofenfives  étoient  à -peu -près  les  mêmes 
W*^*^"**  que  celles  dont  on  fe  feçvoit  depuis  long  -  temps,  teles 
que  la  lance ,  l'épée  ,  le  poignard  ,  la  hache  d!armes , 
le  bâton  féré,  la  mafTue,  le  maillet.  Tare  &  l'arba- 
îlete.  On  employoit  encore. pour  armes  défenfives,  les 
boucliers,  pavois,  targcs,  ou  écus  :  maïs  on  ne  faifoit 
{>rçfque  plus  ufage  des  hauberts ,  qui  étoient  des  ch^ 
niifes  de  doubles .  mailles  de  fer  forgé ,  fous  lefqueles 
ron  mettoit  encore  des  jplatines  de  même  métal.    L'in- 
commodité de  cete  armure  par-deifus  laquele  il  ialoit 
{porter  un  gambijfon  ou  Jacques  ,  fut  caufe  c^on   lui 
ùbititua  l'armure  de  fer  complète^  qui  n'étoit  encore 
que  trop  embarafTante. 
Ataque  «c       L'ataque  &  la  défenfe  des  places  n'avoit. point  encore 
Jéfcnfc  des    ^éprouvé  de  changement  conndérable.  On  a  vu  fous  les 
^^*^^^  règnes  précédents  quele  étoit  la  forme  des  fieges.  L'u- 

fage  de  la  poudre  &  des  canons  étoit  déjà  connu  :  ce- 
pendant nous  avons  trouvé  jufqu'ici  peu  d'ocalîons 
dans  lefqueles  on  les  ait  employés  ,  foit  négligence, 
foie  habitude  de  fe  fervir  des  anciennes  machines ,  plus 
:  propres  peut-être  à  l'ataaue  des  places  par  la  nature  des 
fortifications.  Cete  terrible  invention  eft  plus  ancienne 
quon  ne  lé  peuTe  communément,  s'il  eft  vrai,  ainfi 


,      Charles    V.  309 

que  Tavance  l-hiftoriçn  de  l'Empire ,  qu'on  voit  à  Am-  —  ■  ■ 

'  berg  une  pièce  de  canon  fondu  en  1301.  .A"°-  ^3^-^- 

Quoique  les  rois  entretinfient  peu  de  troupes  réelées ,  i^opuiation  de 
il  leur  étoit  cependant  facile  de  former  de  grandes  ar-  ^*^'^°^^' 
inées(û).  On  a  vu  Philippe  de  Valois  &  Jean  fon  fil$, 
au  premier  fignal  de  guerre ,  alTcmbler  des  corps  de 
troupes  de  quatre-vingt  ou  cent  mille  hommes.  Une 
nombreufe  population  fupléoit  au  défaut  de  prévoyan- 
ce ^  &  Ton  ne  peut  que  blâmer  Tufage  où  l'on  étoit 
alors  d  atirer  en  France  des  troupes  étrangères ,  tandis 
Gu'on  ne  devoit  pas  manquer  de  foldats  nationaux. 
Dans  prétendre  entrer  dans  la  difcudion  des  caufes  mo« 
raies  ou  phyfiques  qui  ont  diminué  le  nombre  des 
habitants 9  dn  raporce  comme  un  fimple  fait,  que  le 
royaume  étoit  beaucoup  plus  peuplé  qu'il  ne  l'efl  au- 
iourd  hui.  Au  commencement  du  règne  de  Philippe  de 
Valois  on  comptoir  deux  millions  cinq  cent  mille  feux 
dans  les  feules  terres  dépendantes  de  la  couronne  âc 
fujetes  à  l'impofition  de  l^aidc  Ces  terres  ne  faifoient 
pas  k  beaucoup  près  le  tiers  de  Tétendue  que  renferme 
aujourd'hui  le  royaume  :  on  n'y  comprenoit  pas  alors 
les  provinces  poilédées  en  France  par  le  roi  d' Angles- 
terre  &  de  Navarre  ,  les  grandes  feigneuries  de  Guien-* 
ne,  teles  que  les  comtés  de  Foix  &  d'Armagnac  9 
Baïonhe  &  fes  dépendances  ,  le  Rouf&Uon ,  la  %our« 
gogne  ,  la  Franche -Comté,  la  Flandre,  le  Hainaut , 
k  Cambreiîs ,  l'Artois  y  la*  Bretagne  ,  l'Alface ,  la  Lo- 
raine,  le  Barois  ,^  le  Dauphiné  , la  Provence.  On  peut 
afirmer  fans  exagération  ,  que  la  France  renfermoit 
alors  dans  fon  fein  huit  millions  de  feux  :  ce  qui  for- 
me ,  en  comptant  trois  perfonnes  par  feu ,  un  total 
de  vingt-quatre  millions  d'habitants,  fans  compter  les 
feigneuries  écléliaftiques  &  féculieres,  qui  ne  furent 
pas  aiTiijéties  au  dénombrement  qu'on  fit  alors.  Qu'on 
ajoute  à  ce  calcul  les  célibataires ,  les  ferfs  ;  car  mal- 

(tf)  Etat  da  fubfide  impofô  par  feux  en  i  ;  18  ,  tranfcrit  dai^s  un  MS.  du  temps» 
Ce  MS.  intitulé  ,  Voyage^Outremer  «  eft  à  la  bibliotK.  royale  »  faos  nu(nero 
extérieur,  il  eftcâté  au  premier  feuillet  verfo ,  H.  num.  xx.  - 


310  Histoire  ds  France, 

!5!5==  gré  le  afranchifiemencs  des  communes ,  il  y  avoît  en- 

Ann.  15^4.    cote  beaucoup  de  familles  qui  n'avoient  pas  aquis  la 

liberté  ,  &  qui  ne  furent  point  comptées  ;  un  clergé 

compofé  d'une  multitude  immenfe  d*écléfiaftiques  &  de 

{)erfonnes  religieufes  dos  deux  fexes  ;  les  univerfités  & 
e  corps  entier  de  la  nobleffe  y  tous  exempts  de  fubfide  , 
on  fera  éfrayé  du  dépérifiemtnt  fenfible  de  l'efpece  hur« 
maine  depuis  quatre  fiecles. 
La  vertu  eft  ^  lé^iflation  (b  perfeâionnoit  tous  les  jours.  Les 
le  principe  de  rois  avoieut  paru  atefitifs  à  réformer  »  à  prévenir  mè-> 
vcrncmcnr"  me  les  abus  par  une  multitude  de  fages  ordonnances  : 
cependant  PËtat  n^étoit  pas  plus  â^iâant  que  dans 
les  fiecles  précédents.  Que  peuvent  les  meilleures  lois 
fana  les  mœurs  ^  La  vertu  ,  dans  quelque  fens  qu*oi| 
Tentende ,  eft  aufli  néccifiairQ  dans  les  monarchies  qua 
dans  toute  autre  forme  de  gouvernement.  Elle  eft 
eftenciele  dans  les  princes  ^  dans  leurs  tniniftses  ,  dans 
les  interprètes  des  loîx ,  dans  ceux  qui  doivent  les  ob-* 
ferver.  Il  eft  tant  de  moveos  d'éluder  les  loix  les  plus 
claires  &  le$  plus  préciles,  que  leur  obfervation  dé^ 
pend  moins  de  leur  force  coaâive  que  du  concours 
volontaire  de  cous  ^s  ordres  ,  ôc  ce  concours  ne  peut 
-  extfter  dh%  qu^un  honeur  fa^ce  tiendra  lieu  de  vertu. 
Si  Tamour  de  la  patrie  eft  banni ,  fi  tous  les  mem«« 
bres  de  la  fociété  uniquement  ocupés  de  leur  intérêt 
particulier  deviennent  injuftes ,  vicieux  ^  foibles  &'  mé- 
chants ,  vainement  les  lois  les  rapéleront  au  bien  gé- 
néral :  elles  n'auront  de  vigueur  que-  contre  ceux  ^ui 
ne  pouront  s'y  fouftraire  y  &  bientôt  elles  ne  contrain- 
dront perfomie.  Il  nV  a  point  de  ciment  qui  puiffe 
{>révenir  la,  diflbtudon  a^ln  corp  politique  dont  toutes 
es  parties  font  divifees  entre  elles.  Ces  réflexions  plus 
convenables  fans  doute  k  un  traité  de  morale  y  n^au* 
roient  pas  trouvé  plasce  dans  cote  biftoire ,  fi  Pun  de 
nos  plus  fublimes  écrivains  ,  dans  un  ouvrge  où  il 
dévelope  en  homme  de  eénie  les  principes  des  loix 
&  des  gouveraernei^ts ,  n^voit  avancé  cet  étrange  pa- 
radoxe /que  la  vertu  aUfi  point  k  pfincipt  du  gouv^^ 


CjlLARXSSV.  311 

ntment  monarchique.  Gardons  -  nous  de  difpenfer  le  ""  ^^^ 
genre  humain  de  vertu.  C'efl:  fur  la  fagefle  &  rincé*  Ann.  i}64- 
gricé  des  magifirats,  c'eft-à-dire^  fur  ceux  de  l^urs 
lujets  qui  deroient  alier  dans  un  degré  plus  éminenc 
les  vertus  de  Tame  aux  lumières  de  refpric,  que  nos 
monarques  fe  repofoienc  du  foin  de  veiller  au  itiain--^ 
tien  des  lotx  anciennes  &  des  nouveaux  règlements* 
Il  a  déjà  été  parlé  des  cours  fûuverainei  ^  à  la  garde 
defqueles  étoit  confié  le  précieux  dépôt  de  nos  cpnfti* 
cucions.  1\  ne  refte  plus  qu'à  io  former  une  idée  des 
}urifdiâion9  inférieures» 

La  France  étoit  diftribuée  en  bailliages  pour  le»  pro^    Jarirdîaions 
vinces  où  l'on  iiiivoic  la  coutume  y  &  en  fénéchauâées  \^^^^^^  ^ 
pour  les  pavs  de  drcnt  écrit.    Les  fénéchaux  &  baillis     lUcœlu  des 
exerçoient  leurs   emplois  par   commiilion  du  prince,  ordonnances. 
révocable  à  volontés    Les  charges  de   prévôts   &   de     K^^^xm 
vkomtes  furent  conférées  par  les  rois  ,  tantôt  k.  titre       "   ^  '* 
de  garde^  caiitôt  à  titre  de  ferme  :  dans  ce  dernier  cas 
elles  s'adjugeoient  au  plus  ofrant  &  dernier  enchérii^ 
icar^  Cete  forme  de  bail  des  émoluments  de  la  juftice 
ofiroit  un  apas  dangereux  pour  la  cupidité  des  adju^ 
dicataires  :  il  étoit  bien   tnfte  de  ne  trouver  fouvene 
^ua  avare  fermier  à  k  place  d'un  nMgiftrat  équitable 
&  défintérefFé  :  auj]^  les  viUes ,  dit  Paf^uiet  f  afcShn-' 
noient  Us  prévôts  tn  garde  comme  ceux  qui  par  leur  prud^ 
honrnm  ttoicnt  apelés  à  ceU  charge  fans  bourfe  délier* 

CeiRJuges  &  ofiçiers  royaux  avoient  droit  de  réfor-^ 
mer  léS  abus  commiis  dan3  les  jurifdiâioiis  des  feigneurs 
&  prélftts  ,  &  de  punir  les  ofioers  prévaricateurs.  Corn-» 
me  b  pliipart  des  fénéchaux  &  baillis  exerçoient  en 
iDiâme- temps  la  profeilion  des  armes,  ils  commet- 
foienc  des  lieutenants  pour  ocuper  leurs  fieges  lorP» 
(}0^s.  étoient  abfents.  la^s  revenus  du  domaine  étoient 
reçus  par  les  baillis  &  par  les  iénéchaiix  ,  chacua 
dans  leur  département,  &  les  fommes  reçues^  étoient 
remtfes  par  eux  aux  receveurs  généraux  que  le  roi 
nommoît  k  cet  éfec)  em  forte  que  le  partage  obfervé 
pour  l'exercice  dc^pi  jufiicc  daas  le  Yojraume^  étoic  1& 


312  Histoire   de   F&ance, 

■  même  que  celui  qu'on  fuivoic  pour  Tordre  des  fînan*. 
Ann.  15^4.  ces.  Ces  oficiers  rurenc  encore  chargés  de  la  réparti- 
tion &  de  la  levée  des  nouveaux  fubfides  »  juiqu'au 
temps  où  les  adminiftrateurs  &  réformateurs  généraux 
fur  le  fait  des  aides  &  des  finances ,  &  les  élus  pro- 
vinciaux choiiis  pair  les  Etats  &  confirmés  par  les 
rois,  introduifirent  un  nouvel  arangement,  &  chan- 
gèrent dans  la  fuite  l'ancienne  divifion  de  la  France 
en  bailliages  &  fénéchauffées  ,  à  laquele  on  fubftitua  le 

rrtage  du  royaume  en  généralités  &  en  éleâions.  C'eft 
ces  généraux  des  finances  que  l'on  raporte  l'origine 
de  nos  cours  des  aides. 
Monnoies.        Sous  les  règnes  précédents^  &  fur«*tout  fous  ceux 
Recœuildes  de  Philippe  &  de  Tean>  la  valeur  des  monnoies  avoit 
^'Mémtrid^dt  ^P^^^vé  des   variations  fans   nombre.   Les  rois  féduits 
laChambrtiUs  P^r  la  facilité  de  cete  relTource,  ne  l'avoient  employée 
Compus.        aue  j;rQp  fréquemment,  promettant  à  chaque  mutauon 
de  n'y  plus  avoir  recours,  &  ne  fe  faifant  aucun fcru- 
pule  de  violer  cete   promeffe.  Pour  donner  une  idée 
au  gain  prodijgieux  que  ces  changements  produifoient 
au  roi ,  il  fufira  de  ra porter  un  feul  exemple  des  abus 
ocafionnés  par   l'infbabilité  des  monnoies.  Le  prix  du 
marc    d'or  &  d'argent  étoit  fixé  par  l'ordonnance  du 
prince.   Supofez  le  marc   d'argent  à  huit  livres    cinq 
V}\x^  y  un  nouveau  règlement  ordonnoit  une  refonte , 
&  que  les  vieilles  efpeçes  fufient  prifes  aux  hôtels  d^ 
monnoies  fur  le  pied  de  fept  livres  le  marc  :  cela  for- 
jnoit  pour  le  profit  du  prince  un  bénéfice  de  *vîn«- 
cinq  Tous.  On  compte  dans  une  feulé  année  onze  ra- 
brications  fucccflîves  de  nouveles  efpeces  :  le   prince  ' 
dut  donc  retirer  par  ce  canal  treize  livres  quinze  fous 
par  marc  de  tout  l'argent  monnoyé  dans  ion  royau- 
me ,  c'eft-à-dire^  prelque  le  double  de  ce   qu'il  de- 
voir y  enavoir  réélement.    On  cite  ce   feul    inconvé- 
nient parmi 'un  grand  nombre,  tels  que   les  augmen-* 
tarions  &  diminutions  fubites  de  la  valeur  fnuméraire , 
Pinfidélîté  dans  l'aliage,  dont  le  fecretjétoit  recommandé 
9UX  maîtres   &  aux  ouvriers  4ç«%(nonnoies  fous  le9 

'^  peinçs 


Charles    V*  313 

peines  les  plus  féveres ,  les  malverfacions  des  ofîciers.  ,.! 

Quariva-t-il  d'une  vexation   fi  intolérable?  La  mau-   Ami.  13^4. 
vaife  foi  détruifit  le  crédit  public  &  particulier  :  elle  fit 
languir  ,  elle  anéantit  le  commerce ,  elle  fit  des  faux- 
monnoyeurs.   Les   étrangers  imitèrent  nos  monnoies , 
&  par  ce  moyen  s'enrichirent  de  nos  pertes.   L'argent 
diiparut ,  les  fujets  devinrent  pauvres ,  &  par  une  luite 
inévitable  le  fouverain  partagea  leur  mifere ,  &  devint 
même  plus  indigent  que  le  peuple.   Du  défaut  de  cir- 
culation des  efpeces  devoit  naître  la  dificuké  d'aquiter 
les  charges  de  l'Etat  &  de  foutenir  1  éclat  de  la  ma- 
jefté  fouveraine ,  qui  devient  un  fardeau  immenfe  lorf- 
Que    la  mifere  des  peuples   les   réduit  à  l'impoilibilité 
a'y  contribuer.    On   peut  facilement  juger  cjue  le  roi 
en  mourant  avoit  laiilé  à  fon  fuccefieur  une  infinité  de 
déîbrdres  à  réparer ,  &  des  obftacles  qu'il  étoit  dificile 
de    furmonter  ,    fans    une  atention  continuele  guidée 
par  des  vues  fupérieures. 

Tandis  que  le  nouveau  monarque,  acompagné  des     Guerre  «i 
princes   &  des  feigneurs   de  fa  cour,  aloit  à  Reims    ^^)JÎ^^J* 
célébrer  la  cérémonie  de  fon  couronnement,  ks  trou-    SpUiL'^conu 
pes  commandées  par  le  brave  du  Guefclin ,  fignaloient  deNang. 
ion  avènement  à  la  couronne  par  des  fuccès  qui  fem-  f^lT^Gucii 
bloient  déjà  préfager  la  grandeur  &  la  félicité  de  fon  din^  Ms. 
reene.   Les   François  s'étoient  emparés  du  château  de   chronUonin^ 
o  abolie ,  environ  dans  le  même  temps  qu  ils  a  voient     ckron.  MSi 
pris  Mantes  &   Meulan.  Les  habitants  de  Rouen  quç  bibiiot.duroi^ 
CCS  trois  places  fituées  fur  la  Seine-  incommodoient  en  ^^^i/^^^  * 
intérompant  leur    commerce   avec  la  ville  de  Paris  ^ 
avoient  contribué  par  leurs  fervices  à  cete   çonqtiête. 
Cependant  Jean  de  Grailly  captai  de  Buch ,  étoit  def- 
ceodu  en  Normandie  pour  fe  mettre  k  la  tête  des  Na- 
yarrois.  Ce  n'étoit  pas  au  nombre  de  fes  troupes  que 
du  Guefclin  étoit  redevable  des  avantages  qu  il  venoif 
^e  remporter.  Il  auroit  eu  bçfoin  d'un  puiflant  fecourç 
qu'on   n*étoit  pas  en   état  de  lui  fournir.    Le  roi  lui 
envoya  le  comte    d'Auxerre  ,  le   vicomte  dp    Beau** 
jnent ,   le  fire   de    Beaujçu  ,  avec  quelques  hommes 
Tome  V.  R  r     ^ 


3^4  Histoire    de  France, 

-'  d*arines  ,  auxquels  on  joignit  les  croupes  que  le  fîrc 

ÂDXk.  ij6A.  d*Albret  &  quelques  autres  feigneurs  Gafcons  avoîenc 
amenées  depuis  peu  au  fervice  du  roi.  Ces  forces  réu- 
nies a  celles  que  cDnduifoit  du  Guefclin  formoient  un 
{)etit  corps  d'onze  à  douze  cents  hommes  d'armes ,  avec 
efquels  il  ne  craignit  pas  d'aler  à  la  rencontre  des  en- 
nemis. Le  captai  de  fon  côté  le  cherchoit ,  loin  de 
l'éviter  :  il  s'avança  près  de  Cocherel  fîtué  fur  la  gau- 
che de  la  rivière  d'Eure,  &  choifit  fon  pofte  fur  une 
éminence  où  il  rangea  fes  troupes  en  bataille.  Les 
François  ariverent  dans  le  même- temps  dû  côté  de 
riton  ,  petite  rivière  qui  va  fe  perdre  dans  l'Eure  près 
de  Pont-de-l' Arche.  Lorfqu^ils  furent  en  préfence  des 
ennemis,  ils  délibérèrent  entre  eux  fur  le  choix  du 
commandant  qui  fe  chargcroit  d'ordonner  la  bataille 
&  de  les  mener  au  combat.  Du  Guefclin  avoit  la 
confiance  des  troupes  ;  mais  la  naiifance  &  le  rang 
du  comte  d'Auxerre  engagèrent  les  principaux  capi- 
taines à  lui  ofrir  l'autorité  de  général  :  il  s'en  défendit 
modeftement  ,  &  le  fufraee  unanime  déféra  la  con- 
duite de  l'aâion  à  l'intrépide  Breton. 

Du  Guefclin  ne  démentit  pas  la  haute  opinion  qu'on 
àvoit  conçue  de  fon  courage  &  de  fon  expérience.  Il 
étendit  le  front  de  fa  petite  armée  de  manière  que  les 
ennemis  la  jugèrent  aun  tiers  plus  nombreufe  qu'elle 
ne  rétoit  réélement.  Le  captai  trompé  réfolut  draten- 
dre  un  renfort  de  quatre  cents  lances  que  lui  amenoit 
Louis  de  Navarre ,  Frère  de  Charles- le-mau vais ,  &  de 
ne  pas  abandonner  le  pofte  avantageux  qu'il  ocupoit. 
Les  François  expofés  à  l'ardeur  du  loleil ,  manquoîent 
de  provifions ,  tandis  que  les  Navarrois  défendus  con- 
tre la  chaleur  par  un  bois  à  l'ombre  duquel  ils  étoient 
rangés  ,  fembloient  encore. inful ter  à  nos  troupes,  en 
étalant  à  leurs  yeux  les  vivres  &  le  vin  qu'ils  avoient 
en  abondance  {a).  On  envoya,  félon  Tufage  ,  un  hé- 

(a)  Du  Guefclin  Ht  au  héraut  qui  vîift  tuî  ofrir  âc  la  pan  du  général  <la .  vii» 
le  «les  provifions  *de  bouche.  »  Gentil  hi^raut;.»  vous  fçavez  très  -bien  prêcher^ 
»  aufll  poux  Youc  difcouts  je  vous  douacun  courfier  de  cent  florins ,  mais  dites 


Bacailfc  de 
Cocherel. 


Charles    V.  31^ 

raut-d'armes  aux  Navarrois  pour  leur  propofer  la  ba-     . 
taille  dans  la  plaine;  mais  il  revint  fans  réponfe.  Du    Ann,  1^6^. 
Guelclin  qui  vouloir  à  quelque  prix  que  ce  fût  atirer 
les   ennemis  au   combat ,  s'avifa  d'un   ftratagême  ;  il 
feignit  de  décamper.   On  fonne  la  retraite  ,  les  valets 
&    les    bagages   repafTent  la    rivière  y  les   troupes   fe  ^ 
mettent  en  marche  &  reprennent  le  chemin  du  pont. 
Les  ennemis  voyant  ce  mouvement ,  fe  croient  allures 
de   la   viâoife  :  en  vain  le  captai^  Tun  des   meilleurs 
capitaines  de  fon  temps  ^  veut  les  retenir  en  leur  di- 
fant ,  çu^il  n^avoit  jamais  ouï  dire  aue  du  Guefclin  eût 
jamais   daigné  décamper,  &  que  cUtoitune   rufe.   On 
ne  récQute  pas  :  lui-même  entraîné  par  le  torrent  eft 
obligé  de  fuivre  fes  gens.   A  peine  (ont -ils  delcendus 
&  commencent  -  ils  k  s'étendre  dans  la  plaine,  que  les^ 
François  font  volte-face  :  il  n'eft  plus  temps  de  rega- 
gner la  montagne  ,  les  deux  armées  fe  joignent.  jl)u 
Guefclin  courant  de  rang  en  rang  ,  infpîre  à  tous  le 
courage  qui  Tanime  :  Pour  Dieu  ,  amis  ,  difoit-il ,  fou- 
vene^j^'vous  que  nous  avons  un  nouveau  roi  de  France  ; 

Îue  ja  couronne  foit  aujourd'hui  étrennée  par  vous  {à). 
id  viâoîre  eft  difputée  avec  une  bravx)ure  égale  :  l'avan- 
tage fe  détermine  enfin  en  faveur  des  François  par 
la  prife  du  général  ennemi ,  qui  dans  cete  furieufe 
mêlée  fè  conduifit  avec  autant  de  fagefle  que  de  va- 
leur. Il  auroit  prévenu  la  difgrace  de  fon  parti ,  fi  fon 
avis  eût  prévalu;  mais  le.déraut  de  fubordination  em- 
pêchoit  alors  les  chefs  de  difpofer  toujours  des  mou- 
vements de  leurs  troupes.  Dans  Je  plus  fort  de  l'aâion 
trente  chevaliers  Gafcons  exécutèrent  un  projet  qu'ils 
avoient  formé    avant  le  commencement   du  combat. 

»  an  captai  que  je  ▼eux  combatre ,  &  que  s'il  ne  vient  pas  a  moi ,  je  marcherai 
»  à  lai  :  avant  la  fin  du  jour  je  mangerai  un  quartier  du  captai  »  Il  enecndoit' 
par  ce.  propos  qu'il  auroit  le  quart  de;  la  valeur  des  biens  du  captai  pour  fa  ranr 
fon»  eip^rant  le  faire  prifonnier.  VU  MS.  de  du  Guefclin^ 

(a)  C'cft  probablement  fur  ce  dîfcours  de  du  Oucfclin  que  quelques  écri- 
vains ont  cru  que  la  bataille  de  Cocherel  fe  donna  te  jour  du  couronnement 
du  roi,  au- lieu  ^u'il  eft  coaftanc  quelle  le  précéda  de  trois  jours.  Chambre  dis 
mmvus  f  mémorial  D* 

Rr  ij 


^'i 


3itf  Histoire   de  France, 

^  Etroitement  férés  les   uns  contre  les  autres,  ils  péné- 

Ann.  1J64.  trerent  dans  un  bataillon  où  le  captai  combatoic  en 
perfonne  :  ils  s'atacherent  uniauement  à  lui ,  &  l'ayant 
joint  ils  Tenleverent  malgré  les  éforts  qu'on  fit  pour 
le  délivrer.  Cete  bataille  plus  célèbre  par  Ihabileté 
des  chefs  &  par  la  valeur  oue  par  le  nombre  des 
combatants  j  fe  donna  le  jeudi  19  Mai  ,  trois  jours 
avant  le  facre  du  nouveau  roi.  Chriftine  de  Pifan  a 
marqué  que  le  defTein  du  captai  étoit  d'aler  s'opofer 
au  couronnement  de  Charles  V  ,  defTein  chimérique 
&  dénué  de  toute  vraifemblance.  Du  Guefclin  qui 
jugeoit  de  l'événement  en  guerrier  expérimenté,  dit 
au  commencement  du  combat ,  qu^il  ejpéroit  donner  le 
captai  au  roi  pour  étrenne  de  fa  noble  royauté.  11  tint 

{parole ,  &  cete  viâoire  importante  à  pluiîeurs  égards , 
e  fut  fur-tout  en  ce  qu'elle  ranima  la  confiance  des 
François,  découraeés  depuis  long -temps  par  les  dé- 
faites qui  avoient  flétri  les  deux  règnes  précédents* 
Chron.MS.      La  nouvcle  de  cete  vidoire  fotaportéeà  Reims  par 
libiiot.durois  Eugucrraud   d'Audan  ,   cjui  étoit  parti  de  cete   ville 
^^Mém.d€Ut-  ^^^  ^^  bruit  qu'il  y  auroit  un  combat  en  Normandie. 
tirature.         Il  fe  rendit  a   toute    bride  au   camp  des  François, 
combatit  fous  la  bannière  de  du  Guefclin ,  &  quoioue 
bleffé  reprit  après  la  bataille  la  route  de  Reims ,  ou  il 
vint  annoncer  au  roi  la  défaite  de  fes  ennemis  &  la 
prife  du  captai. 
Le  roi  &  la      Charles  &  Jeanne  de  Bourbon  fon  époufe  reçurent 
n&àRdms'*"  ^  R^ims  Tonâion  royale  (a)  ,  &  furent  couronnés 

litdim.  ^^)  Lorfquc  les  roîs  étoienc  mariés  à  leur  ayénement  aa  trône  ,  les  reines 

recevoient  en  même- temps  qu'eux  la  couronne  &  roné^ion  royale  à  Reims. 
On  ne  fe  fervoit  pas  pour  elle  de  la  fainte  Ampoule ,  mais  d'un  ccêmc  di^renc. 
Anciennement  les  reines  étoient  ointes  au  front  ,  fur  les  épaules  &  à  la  poi« 
trine  :  pour  cet  ëfet  »  elles  portoient  à  leur  facre  une  tunique  &  une  chemife 
fendues  des  deux  cotés.  Les  princefics  qui  n'époufbient  les  rois  qu'après  leur 
couronnement  n'étoit  pas  couronnées  à  Reims  ,  mais  dans  d'autres  égli/ês , 
telles  qu'Orléans  ,  Sens  ,  Paris  ,  Saint-Denis  ,  la  Sainte-Chapelle  ,  &c.  Les 
ornements  royaux  dcftinés  à  cete  cérémonie ,  la  couronne ,  le  fceptre  >  la  main 
^e  juftice  ,  l'épée  ,  les  éperons  ,  les  fandales  ,  la  camifole  ,  la  tunique ,  la 


tnntque  ^ 
caimanquc  oc  ic  maniean  ac  latin  Dieu  azuré ,  etoient  conierves  dans  l'abayc 
de  Saint-Denis.  Philippe-AugnAe  les  avoit  fait  renouveler  :  on  lei.  eardoît  or- 
dinairement au  tréfor  du  paiais  >  jufqu  à  faint  Louis  quf  co  confui  la  ganlc 


» 


Charles    V.  317 

*vec  les  cérémonies  ordinaires.  Les  évêques  de  Beau-  ■! 

vais  j  de  Laon,  de  Langres  &  de  Noyon  y  pairs  éclé«  Ann.  15^4* 
fiaftiques ,  les  ducs  d'Anjou  &  de  Bourgogne  aflîfiè- 
rent  à  cete  folennicé.  Marguerite  de  Flandre  comcefTc 
d'Artois  fit  en  cete  qualité  les  fondions  de  pair ,  fou- 
tenant  de  fes  mains  la  couronne  fut  la  tête  du  nou** 
Teau  roi.  Le  roi  de  Chypre ,  les  ducs  de  Luxembourg  , 
de  Brabant ,  de  Loraine  &  de  Bar ,  les  prinCes  & 
les  feigneurs  François  contribuèrent  par  leur  préfence 
à  la  pompe  de  cete  augufte  fête.  Cinq  jours  après ,  le 
roi  &  la  reine  acompagnés  d'une  cour  brillante ,  firent 
leur  entrée  dans  la  capitale.  La  reine  &  les  princeifes 
ëtoient  montées  fur  des  chevaux  fuperbément  harna-* 
chés.  Philippe  duc  de  Bourgogne ,  qui  portoit  encore 
le  titre  de  auc  de  Touraine  ,  marchoit  à  pied  à  côté 
de  la  reine  ,  tenant  le  frein  du  palefroi  de  cete  prin- 
ceiTe.  Le  comte  d'Eu  conduifoît  la  duchefTe  d'Oriéans 
de  la  même  manière  :  la  duchefTe  d'Anjou  étoit  efcor- 
fée  par  le  comte  d'Etampes  :  Madame  Marie ,  fille 
4lu  roi  y  conduite  par  les  feigneurs  de  Beau  jeu  &  de 
Cbâlons,  fermoit  la  marche.  On  fit  le  jour  même  de 
iiiperbes Joutes  dans  la  cour  du  palais,  où  le  roi  de 
Chypre  fit  admirer  fon  adrefTe. 

A  fon  avènement  à  la  couronne  le  roi  confirma  la 
donation  faite  à  Philippe  ,  le  plus  jeune  de  fes  frères  , 
du  dnc^é  de  Bourgogne.  Ce  prince  lui  en  fit  hom- 
mage le  jour  même,  en  lui  remettant  le  ducjié  de 
Touraine  dont  il  avoit  reçu  l'invefliture  trois  années 
auparavant. 

li'autorité  des  cours  fouveraines  finifToit  au  même   Confirmation 
infiant  que  le  roi  cefibit  de  vivre  :  les  maeiflrats  ne  ^udicfrarT&* 
pouvoient  reprendre  leurs  fondions  que  de  ragrément  iatrcs."*'^ 
du  fuccefleur.   Aufli*tôt  que  Charles  fut  informé  de     Regijires  dd 
la  mort  de  fon  père  ,  il  confirma  tous  les  oficiers  de  P^^imtot. 

anx  rtlipeas  it  Saiiit*Deiiis.  Matthieu  qui  ponr-lors  écoit  aM ,  en  donna  (a 
veconnoifTance.  On  fc  ferait  de  ces  anciers  ornements  )iifqu  an  règne  de  Henri  II, 
^ai  fit  (aire  de  nouveaux  habits  &  léparcr  les  couronnes.  Du  Tillet  »  cowron'-. 
Miment  des  rois  «  pi^.  %6é^ 


3i8  Histoire   de  France, 

,  judicaturè  dans  Texercice  de  leurs  charges  (a).  Le  par- 
Ann.  15(^4.  îement  étoit  alors  compofé  de  deux  préfidents  cheva- 
Mémorial  de  \{^j^^  &  jg  jgQx  préfidents  maîtres,  de  quinze  confeil- 

^^^Jf^/'"^"  1ers  clercs,  de  quatre  confeillers  chevaliers  &  de  neuf 
Recauii  des  confeillers  maîtres   pour  la  grand'chambre.    On  ape- 

ordonaancts.  |^^^  maîtres  ccux  qui  n'étant  pas  nobles ,  ne  pouvoient 
être  admis  à  Tétat  de  chevaliers.  On  peut  oblerver  que 
la  dignité  &  non  la  nobleffe  régloit  les  rangs  au  par- 
lement ,  puifque  les  confeillers  chevaliers  étoient  îub- 
ordonnés  à  àts  préfidents  qui  n'étoient  que  maîtres. 
L'élévation  dépendoit  entièrement  du  mérite  ,  des  fu- 
frages  du  corps,  &  du  choix  du  prince.  Deux  préfi- 
dents maîtres  ,  vingt-deux  confeillers  clercs  ,  un  confeil- 
ler  chevalier,  &  dix  confeillers  maîtres  formoient  la 
chambre  des  .enquêtes.  Un  préfident ,  deux  clercs ,  un 
chevalier  &  deux  maîtres  tenoient  les  requêtes  du  pa- 
lais. Dans  la  même  année ,  le  roi  qui  donnoit  fon  aten- 
tion  à  toutes  les  parties  du  gouvernement  &  principa- 
lement au  maintien  de  la  juftice,  rendit  une  nouvele  or- 
donnance pour  les  requêtes  du  palais.  Ce  règlement, 
entre  autres  articles ,  enjoint  expreffément  aux  avocats 
&  procureurs  d'affifterles  pauvres  de  leurs  confeils, 
&  de  plaider  pour  eux  fans  exiger  aucuns  fakires  ou 
honoraires  ,  &  aux  gens  des  requêtes  d'expédier  gra- 
tuitement &  diligemment  les  caufes  de  ceux  qui  par 

(â)  Ces  lettres  de  confirtnatîon  ^tant  très-courtes  ,  on  fe  flate  qae  les  leâears 
ne  feroor  p^s  fâchas  de  les  trouver  ici  :  »  Charles  ,  &c.  à  uns  amés  &  féaux 
a>  les  préfidents  &  autres  gens  de  notre  parlement ,  enquêtes  &  requêtes  ,  gens 
M  de  nos  comptes ,  &c.  nous  vous  nundons  &  à  chacun  de  vous ,  que  vos  ofices 
»>  &  chacun  d'iceux  vous  exerciés  9c  en  icenx  vaquiés  ,  tout  ainfi  &  en  la  forme 
9>  &  manière  que  vous  faifiés  avant  que  nous  vinflions  au  gouvernement  de  V 
M  notre  royaume  »  jufqu'à  tant  que  par  nous  en  notre  grand  confeii  en  foit  plas 
»  à  plein  ordonné  ».  Ces  lettres  font  datées  du  dix-fept  Avril  15^4  >  dix  joars 
après  la  mort  du  roi.  Regifi.  A.  du  parlement  ,  foi,  SS  »  ^^ffo.  Chambre  dtt 
comptes  ,  mémorial  D.  foL  60  ,  verfo.  Recœuii  des  ordonnances  «  tmn.  4  • 
P^g'  4TJ. 

Leroî»  outre  ces  lettres  générales,  en  adrefla  de  particulières  à  toutes  les 
cours  fouveraines  :  celles  qui  furent  expédiées  pour  confirmer  les  membres  an 
parlement  dd^ns  leurs  états  ,  forment  le  plus  ancien  monument  en  ce  genre. 
L'original  de  ces  lettres  fut  trouvé  deux  ficelés  après ,  &  la  cour  en  ordonna 
le  dépôt  au  regidre  des  anciennes  ordonnances,  yid.  Reg.  du  parUment  coU 
A*/oL  1.  B^eceeuil  dss  ordonnances  ^  tom.  4  ,  fol,  418* 


Charles    V.  319 

leur  indigence  fe  crouveroienc  hors  d'état  d*aquiter  les  '■?? 

frais  des  procédures.   C'eft  par  de  femblables  conftitu-    Ann.  ne.^. 
tions  que  Charles  annonçoit  à  iès  fujets  la  douceur  &c 
la  fagefle  de  fon  règne. 

Le  roi   peu   de  -jours  après  fou  entrée  à  Paris,  ala  ^^^î^^^^^pi 
en   Normandie  :  il  vouloit  par  fa  préfence  fortifier  les  ^^cZ^n^MS 
difpofitions  favorables  de  la  noblelfe  de  cete  province. 
On  -  lui  préfenta   les   prifonniers  faits    au   combat  de 
Cocherel.    Roland  Bodin   fimple  écuyer  avoir  en  fort 
pouvoir  le  captai  qu'il  remit  au  roi.  Ce  feigneur  fut  en- 
voyé d'abord  au  marché  de  Meaux  ,  pour  y  demeurer 
prifonnier  fur  fa  parole  d'honeur  :  les  autres  prifonniers 
lurent  traités  à-peu-près  avec  les  mêmes  égards,  à  la 
réferve  de  ceux  qui  étant  nés  fujets  du  roi  de  France 
avoient  embraffé  le  parti  du  Navarrois.   Ces  derniers 
furent  gardés  plus  étroitement  :  plufieurs   même  d'en- 
tr  eux  furent  punis  de    mort.   Pierre   de  Saquainville> 
Tun    des  principaux    confeillers   du  roi   de  Navarre  y 
ayant  eu  te  malheur  d'être  du  nombre  des  prifonniers  y 
fut    décapité    à  Rouen.    Le  continuateur   de   Nangis 
écrit  aue  dans  le  même  temps  un  chanoine  de  la  ca« 
thédrale  d'Amiens  nommé  Kieret ,  fauteur  du  Navar* 
rois  ,  fut   exécuté.    La  juftice  écléfîaftique  le  réclama  y 
mais  foiblement ,  atendu   qu'il  portoit  les  armes  ,  & 
qu'il  avoir   commis   plufieurs  mauvaifes  aâions  qui  le 
rendoient  indigne  de  jouïr  des   privilèges  de  la  cléri* 
cature. 

L'important  fervice  que  du  Guefclin  yenoit  de  ren-     Don  i  Bct- 
dre  à  l'Etat  méritoit  une  récompenfe ,  qui  en  l'atachant  dfn  du"comté 
par  les  liens  de  la  reconnoiifance  l'encourageât  à  faire  de  Longueviu 
de  nouveaux  éforts  pour  fe  rendre  digne  de  la  âveur  ^^* 
de  fon  fouverain.  Le  roi  étant  a  Saint-Denis  lui  donna  ch^^re  %i^ 
le  comté  de  Longueville  ,  pour  le  tenir  lui  &  fes  fuc-  Comptes. 
cefTeurs ,  à  la  charge   d'entretenir    quarante   hommes 
d'armes  au  fervice  du  roi  pendant  la  guerre.    Le  nou- 
veau comte  fit  le  même  jour  hommage  lige  de  la  fei- 
gneurie  dont  le  monarque  lui  donnoit  Tinveftiture ,  & 
parût  peu  de  temps  après  pour  en  aler  prendre  pofleif* 


320  Histoire  de   Frakce, 

■  fion  par  la  force  des  armes  :  car  les  Navarroîs  étoienC 

Ann.  131^4.  encore  maîtres  du  château  de  Longueviile,  d*où  il  nc; 
tarda  pas  à  les  chaiTer.  On  lit  dans  quelques  chroni- 
ques ^  que  le  roi  donna  ce  comté  à  Eiertrand  du  Gue(^ 
clin  pour  le  récompenfer  de  la  rançon  du  captai  qu'il 
lui  avoit  remis  ;  mais  le  contraire  eft  prouvé  pair  ua 
aâe  de  Jean  de  Grailly  même,  qui  reconnoit  avoir  été 
fait  prifonnier  par  Roland  Bodin. 

Bertrand  du  Guefclin  en  alant  prendre  poflbflion  du 
comté  de  Longueville ,  aiTura  le  roi  c^u'il  partoic  dans, 
la  réfolution  de  combatre  les  ennemis  de  TEtat  y  & 
qu'il  efpéroit  délivrer  inceffamment  la  France  des  trou- 
pes de  brigands  qui  Tinfeftoient  :  mais  le  mal  étoit 
trop  univerlel  pour  être  facilement  réprimé.  Les  gens 
de  guerre  des  diférents  partis'étoient  prefque  également 
k  charge  aux  peuples.  Xes  Bretons  que  commandoic 
du  Guefclin  commirent  une  infinité  de  défordres  en 
s^éloignant  de  Rouen ,  raviflant  tout  ce  qu'ils  rencon- 
troient ,  &  pillant  iitdiftinâement  amis  &  ennemis. 
Comme  la  peinture  des  mœurs  eft  un  des  principaux 
objets  qu'on  a  en  vue  en  écrivant  cete  hiftoire ,  ce 
trait  de  la  conduite  de  du  Guefclin  &  de  fes  gens  ferc 
à  &ire  connoltre  le  caraâere  des  guerriers  de  ce  fiede. 
A  quels  excès  ne  devoient-ils  pas  fe  livrer  ,  fi  du  Guef^ 
clin  regardé  de  fon  temps  comme  un  chevalier  irré^ 
prochable  n'étoit  pas  exempt  de  cet  efprit  de  rapine  t 
malgré  la  générouté  dont  il  fe  piquoit  ? 
U  rod  jtiftifîc  Dans  le  même  temps  quo  le  roi  commençoit  à  faire 
régira  du^J  preffentir  au  roi  de  Navarre  ce  qu'il  devoit  atendre 
lie  Navarre.  d\me  gucrrc  jqifil  avoit  excitée  lé  premier  ,  il  ne  né- 
Mémoiresde  glig^oit  rien  de  ce^ui  pouvoit  contriouer  à  rendre  évi- 
t  wur€.  dente  la  juftice  de  fes  démarches.  Le  feu  roi  avoit 
remis  k  Tarbitrage  de  fa  fainteté  Icjugement  des  pré- 
tentions du  Navarrois  fur  la  fucceifîon  de  Bourgogne. 
Charles  donna  fes  inftruftions  au  duc  d* Anjou  &  aux 
ambafTadeurs  députés  à  la  coor  d'Avignon.  Ses  inf* 
truâions  furent  acompagnées  d'une  foumiflion  de  la 
part  du  duc  dç  Bourgogne  de  c'en  raporter  à  ce  qui 

fcroit 


Charles    V-  321 

feroît  décidé  fur  ce  point.  Non  content  de  ces  précau-  T""*™^ 
tions,  le  roi  chargea  fes  envoyés  à  Londres  de  faire  Ann.  1364. 
part  au  roi  d'Angleterre  des  fujets  légitimes  au'il  avoit 
de  foutenir  par  la  force  des  armes  la  querele  injufte 
que  lui  fufcicoit  le  roi  de  Navarre.  Ges  envoyés  avoient 
ordre  de  prefler  le  monarque  Anelois ,  conformément 
au  traité  de  Brétigny,  de  féconder  les  éforts  du  roi 
dans  cece  ocafion ,  de  défendre  au  prince  de  Galles  de 
favorifer  diredernent ,  ni  indireftement ,  Gharles  -  le- 
mauvais  &  fes  aliés ,  &  de  lui  ordonner  au-contraire 
de  fecourir  le  roi  de  France  de  tout  fon  pouvoir, 
ainfi.  qu'il  y  écoit  obligé. 

Charles   n'efpéroit  recœuillir   d'autre  fruit   de  cete     Gacrrc  ca 
démarche  auprès  du  roi  d'Angleterre,  aue  l'avantage    ^^^^^^^^ 
de  mettre  dans  leur  tort  fes  adverfaires  déclarés  &  les    chmn'^MS. 
ennemis  fecrets.  En  juftifiant  fa  conduite ,  il  aquéroit  .  Mémoire  dt 
cete    fupériorité  que  donnent  la  raifon  &  la  juftice  :  ''"'^^'"^'• 
cete  fupériorité  forme  l'apui  le  plus  folide  que  la  faine 
politique  puifle  fe  procurer,  fur-tout   quand   la  pru- 
dence   &    Taftivité  concourent  k  Tafermir.    Philippe  , 
nouveau  duc  de  Bourgogne ,  fut  chargé  par  le  roi  fon 
frère  du  foin  de  foutenir  une  guerre  dont  fon  apanage 
étoit  le  prétexte.    Il  entra  en  Normandie ,  acompagtié 
de  du  Guefclin  ,  de  Boucicaut,   du  comte  d'Auxerre, 
de  Louis  de  Ghâlons  &  de  Jean  Bureau  de  la  Rivière, 
fevori  du  roi,  adminiftrateur  des  finances  :  emploi  qui 
.dans  ce  temps  n'étoit  pas  incompatible  avec  celui  d  hom- 
me de  guerre.    Cinq  mille  hommes  d'armes  ^|^po- 
foient  l'armée  du  duc  :  il  les  divifa  en  trois  corp^  dont 
il  fe  ^ferva  le  plus  confidérable ,  &   confia  les  deux 
autres  à  la  conduite  de  du  Guefclin  &  du  i^igneur  de 
la  Kiviere. 

Tandis  que  le  duc  de  Bourgogne  s'emparoit  de  Mar- 
rheranville ,  de  Càmerolles  &  de  plufieurs  autres  pla- 
ces oçqpéçs  par  les  Anglois  &  les  Navarrois ,  la  Ri- 
vière founiettoit  les  forterefles  du  comté  d^Evreux ,  & 
du  Guefclin  faifoit  trembler  le  Çoçentip  par  la  feule 
TomcV.  Sf        . 


322  Histoire    de   FrÀkce, 

iL  terreur  de  fon  nom  (a).  Les  villes  fe  rendoîent  pref- 

jinii.  13H.  que  fans  défenfe.  Le  château  de  Valognes  fut  la  feule 
place  qui  opofa  quelque  réfiftance.  Cete  forterefle  étoit 
conftruite  dès  le  temps  de  Clovis  ;  ce  qui  '  prouve  que 
Part  des  fortificatiohs  avoit  peu  changé  depuis  la  pre^ 
miere  face.  Du  Cuefclin  fit  lancer  par  fes  machines  des 
pierres  d'une  groffeur  énorme  ,  fans  pouvoir  entamer  le 
mur  de  la  citadele.  IHté  par  la  dificulté ,  il  livra  plu- 
fieurs  alTauts  avec  tant  de  vigueur  y  que  les  affiégés  in- 
V  timides,  confentirent  de  fe  rendre  à  compofition.  Ils 

fortirent^  emportant  avec  eux  leurs  éfets.  Les  Fran- 
çois ,  en  le$  voyant  pafler  ,  les  infulterent  avec  des 
huées ,  &  les  acablerent  des  reproches  les  plus  outra- 
geants. Huit  chevaliers  Anglois ,  indignés  d'un  pareil 
traitement ,  rentrèrent  dans  la  tour ,  réfolus  de  (e  dé- 
fendre jufqu'à  la  dernière  extrémité.  Du  Guefclin  eue 
beau  les  fommer  d'exécuter  la  capitulation ,  ils  furent 
inébranlables  :  il  falut  les  forcer.  lis  combatirent  com- 
me dès  lions  ;  vainéus  &  pris  y  on  leur  trancha  la  tête. 
Leur  valeur  mérjfoit  une  conduite  plus  généreufe  de 
la  part  des  vainqueurs. 
BrcM^^nc^  ^^  couquêtes  étoient  fî  rapides ,  qu'il  y  avoir   peu 

^^c^on^MS.  d'apârencc  que  le  roi    de   Navarre  pût  foutenir    une 
Froifard.     gucrre  fi  défavatîtageufe  ^  fans  perdre  en  peu  de  temps 
L^J&^n"'''^  *  toutes  fes  pofTedions  en  Normandie ,  lorfque  deux  évé- 
Spicii.conu  nements  obligèrent  les  généraux  de  retirer  leur^  treu- 
il Nang.        pes  de  cete  province.   Le  crômte  de  Montbeliiard ,  foli- 
cité  iHf  1q  Navarrois,  Venoit  d'entrer  en  Bourgogne , 
où  le  roi  manda  au  duc  fon  frère  de  fe  rendre  încef- 
famment  y  pour  s'opofer  à  cete   irruption  fubg^.    Le 
duc  partit  aulli-tôt^  &  n'eut  pas  de  peine  k  repoufler 
un  11  foible  ennemi  :  ainfi  cete  diverhon  momentanée 
M'eût  feit  que  différer  dé  quelques  mois  la  ruine  entière 
de  Chài-les-k-mauvais  ,  fi  du  Guefclin  n'av^t  été  j>ô- 
Teillement  obligé   de  quicer  prife ,  potot  V^lcr  au  fe- 

(a)  Lorfqtie  du  Guefclin aprochoit  »  tout  fii.y<Mt 4evâRt  lui.  Ceux  oui  (ère* 
tiroicnt  dans  les  villes  ,  crioient  qu'on  fermât  les  portes  >  ^e  le  diakk  veaoiu 
Vie  MS.  de  du  Guefclin, 


Ibidem. 


Charles    V.  323 

cours  de  fes  anciens  maîtres.  Il  reçut  un  ordre  du  roi  s 

d'aler  en  Bretagne.   La  guerre  alumée  depuis  fi  long-    inn.  13^4. 
temps  dans  cete  province  >  fe  pourfuivoit  avec  plus  de 
fureur  que  jamais ,  &  paroifToic  ne  pouvoir    plus  fe 
terminer   que  par  la  ruine  entière  de  Tun   des  deux 
partis. 

Les  troupes  Angloifes,  qui  combatoient  en  Nor- 
mandie pour  le  roi  de  Navarre ,  furent  envoyées  par 
Edouard  au  comœ  de  Montfort  y  dans  le  même  temps 
que  Charles  de  Blois  invitoit  du  Guefclin  à  venir  le 
joindre.  Depuis  le  fiege  de  Rennes,  raporté  fous  le 
règne  précédent ,  quelques  trêves  intérompues  par  de 
petits  exploits  9  tels  que  la  prife  de  Carhaix  ôc  de  la 
Roche-aux^nes  par  Charles  de  Blois  &  fes  partifans  ^ 
avoient  traîné  en  longueur  la  décifion  de  cete  fan- 
glante  querele. 

Charles  de  Blois  aloit  former  le  fiege  de  Bécherel  j 
lorfque  Montfort  ayant  raffemblé  fes  troupes ,  vint  fe 
prélenter  au-devant  de  fon  rival.  Les  armées  fe  ren- 
contrèrent dans  les  Landes  de  Beaumanoir^  encre  Bé- 
cherel &  le  bourg  d*£uran ,  où  les  deux  partis  étoient 
convenus  de  le  trouver,  pour  remettre  au  fort  des 
armes  la  juftice  de  leurs  prétentions.  Les  troupes 
étoient  rangées  en  bataille  :  on  n*atendoit  plus  que  le 
fignal  y  lori^ue  les  prélats  &  les  feigneurs  repréientè* 
rent  fi  vivement  à  Charles  de  Blois  l'incertitude  d'un 
combat  9  dans  lequel  on  aloit  prodiguer  le  plus  pur 
fang  de  la  Bretagne ,  qu'ils  le  forcèrent  de  confêntir 
qu'on  envoyât  au  comte  de  Montfort  des  feigneurs, 
chargés  de  renouveler  l'ancien  projet  d'acommodement 

f>ropofé  à  Calais  ,  qui  auroit  mis  fin  à  tous  les  démè- 
és ,  en  divifant  également  le  duChé  de  Bretagne  entre 
les  deux  contendants^.  Montfort  rejeta  d'abord  la  pro- 

{>ofition  :  enfin ,  preffé  par  les  feigneurs  de  fon  armée  , 
e  traité  fut  conclu  &  figné  par  les  deux  princes ,  ainfi 
que  par  les  feigneurs  de  leurs  partis. 

Jean   de   Montfort  &  Charles  de  Blois  convinrent 
par   cet  acord  de  conferver  refpeâivement  le  titre  de 

S  f  ij 


3H  Histoire   de  France, 

'  duc  avec  les  mêmes  prérogatives.  Rennes  &  Nantes 
Ann.  1^64.  dévoient  être  les  capitales  des  deux  duchés  formés  par 
cete  divilîon.  Les  otages  furent  donnés  de  part  & 
d  autre  :  la  paix  fut  publiée ,  &  cete  heureufe  nouvele 
répandit  la  joie  dans  la  province  ,  déchirée  depuis  fi 
long- temps  par  les  horreurs  d*une  guerre  également 
ruineufe  pour  les  partifans  des  deux  chefs. 
Jiiéiem.  Charles  de  Blois  dépêcha  un  exprès  pour  préfenter 

à  la  princeffe  fon  époufe  les  articles  de  la  paix  qu'il 
venpit    de    conclure.     Cete   dame  altiere   ne  fut    pas 
affez  maîtreffe  d'elle-même   pour  retenir  les   mouve- 
ments de  fon  indignation  ,  à  la  lefture  du  traité  des 
Landes.  Dans  fa  colère  elle  s'écria,  que  fon  mari  fai^ 
/bit   trop    bon  marché  de  ce  qui  nUtoit  pas  à  lui  ^  & 
qu^il  n'y    aloit  rien   du  Jien.  La  comtefle  de  Penthiè- 
vre  ,    fuivant   toujours  les   tranfports    de  fa   paflion , 
écrivit  à  fon  mari ,  qu^elle  Vavoit  prié  de  défendre  fon 
héritage  comme  il  devoity  paru  qu'il  en  valoit  la  peine , 
&  que  tant  de  gens  de  bien  étoient  morts  à  foutenir  fon 
droit ,  Çf  qu'il  y  avoit  eu  tant  de  fang  répandu  ,  qu'il 
ne    devoit  pas   remettre  fon   patrimoine  en  arbitrage  , 
ayant  les  armes  au  poing.  Vous  fcre[  tout  ce  ^u'il  vous 
plaira ,  ajoutoit-elle  ,  en  finiffant  fa  lettre ,  je  ne  fuis 
qu'une  femme  Çf  ne  puis  mieux  ;  mais  plutôt  j'y  perarois 
la  vie  y   ou   deux ,  fi  je  les  avois ,  que  d'avoir  confend 
à  chofe  fi  reprochaole  à  la  honte  des  miens.   En  faifant 
cete  réponfe,  la  comtefle  répandoit  des  larmes.    Cos 
témoignages  de  douleur,  ou  plutôt  de  fierté,  ne  fu- 
rent raportés   que  trop  fidèlement  à  Charles  de  Blois. 
La  réfolution  de  la  comtefle  le  confterna  :  il  fe  voyoit 
réduit  à  la  cruele  alternative ,  ou  de  fe  déshonorer  par 
une  violation  de  parole ,  ou  de  porter  la  douleur  dans 
Ta  me  d'une  époule  qu'il  idolâtroit.   L'honeur  &  la  rai- 
fon   lui   traçoient  la  route  qu'il   devoit   fuivre;    mais 
l'amour  l'entraîna.  Il  faudroit  oeut-être  fe  croire  une 
ame  fupérieure  à  toutes  les  afeoions  humaines  ,    pour 
ofer  le  condaner. 
Ui(Um.  Avant  que  les  deux  armées  fe  féparaflênt ,  on  s'étoit 


Charles    V.  32^ 

promis  de  s'envoyer  réciproquement  la  ratification  du  ■ 

traité  qu'on  venoit  de  conclure.  Le  lieu  où  cete  afaire  ^*^-  ''^*' 
ilevoit  fe  confommer,  avoit  été  indiqué  entre  Ploer- 
mel  &  Joflelin,  près  de  ce  chêne  célèbre  par  le  combat 
des  trente.  Les  députés  de  Charles  de  Blois  y  portèf 
rent  fa  rétraôation ,  &  la  guerre  recommença.  Mont- 
fort  protefta  contre  ce  manque  de  foi ,  &  déclara  pu- 
bliouement  qu'il  déchargeoit  fa  confcience  de  tous  les 
malheurs  qui  aloient  fuivre  une  infraâion  fi  manifefle 
d'une  paix  folennélement  jurée.  Il  remit  cependant 
les  otages  en  liberté  y  ne  retenant  que  du  Guefclin , 
qui  étoit  de  ce  nombre.  Le  chevalier  Breton  trouva 
moyen  de  s'évader  ,  &  de  venir  en  France.  Ce  fut 
alors  qu'il  fit  en  Normandie ,  fur  les  terres  du  roi  de 
Navarre  ,  les  conquêtes  dont  on  vient  de  parler. 

On  tenta  de  nouveau  de  terminer  le  diférend  de  la  itiJtm 
Bretagne  par  la  médiation  du  prince  de  Galles.  Jean 
&  Charles  fe  rendirent  à  Bordeaux  ;  mais  ce  dernier 
iie  pouvoit  rien  décider  fans  l'aveu  de  fa  femme,  qui 
ce  vouloit  rien  relâcher  de  fes  prétentions.  Ainfi  cete 
entrevue ,  après  bien  des  contefïations  infruftueufes , 
n'aboutit  qu'à  des  défis  de  bataille  donnés  6c  acceptés 
réciproquement.  Néanmoins  un  refle  d'efpérance  de 
parvenir  à  un  acord  ,  fit  ménager  une  trêve  jufqu'k  la 
fin  de  l'année.  Aufli-tôt  qu'elle  fut  expirée,  le  comte 
de  Montfort  &  l'époux  de  la  comtefle  de  Penthiè- 
vre,  entrèrent  en  campagne.    Après  la  prife  de  quel- 

Sues  châteaux  ,  Jeaii  vint  inveftir  Aurai.  Charles  de 
(lois  ,  averti  du  danger  de  la  place ,  rafTembla  fes 
troupes  ,  dans  l'intention  de  forcer  fon  ennemi  à  lever 
!e  fiege.  Sur  ces  entrefaites ,  du  Guefclin  vint  le  join- 
dre avec  fes  troupes.  Indépendamment  de  ce  nouveau 
renfort ,  le  vicomte  de  Rohan ,  les  fires  de  Léon ,  de 
Rieux  ,  de  Rochefort ,  de  Dinan ,  d'Amiens ,  de  Raix, 
de  Maleflroit ,  de  Quentin ,  de  Loheac  ,  de  Kergol- 
lay ,  de  Pont,  de  Beaumanoir,  le  comte.  d'Aulcerre, 
Liouis  de  Châlons  fon  frère ,  apelé  le  chevalier  vert  {a) , 

(4)  U  portoic  aparemzneot  ce  nom  à  caafe  de  la  couleur  de  fes  aimes. 


^i6  Histoire   db   Frakce, 

■  le  comte   de   Joigny  ,  les  feigneurs  de  Beau  jeu  ,   de 

Ann.  i3^4.    Béthune  ,  de  Raineval,  de   ireauville,  de  Prie,  de 

Villaines  ,  de  Pierreforc,  de  Poiriers    &  de  Fouqui- 

gny  ;  une  foule  de  feigneurs  François  &  Bretons  corn- 

?oloienc  la  HorifTante  armée  de  Charles  de  j^lois» 
'out  paroifToîc  Taffurer  de  la  viâoire.  En  montant  à 
cheval  pour  aler  joindre  fhs  troupes ,  la  çonwGc  foa 
époufe  lui  dit  :  Je  vous  prie  de  m^acorder  une  requête  ; 
c^efi  de  n^acorder ,  ni  pacifier  en  forte  que  ccfoitj,  ^moit 
que  le .  corps  du  duché  vous  en  demeure  :  car  il  eji 
juftcnunt  mon  patrimoine.  Charles  baifa  la  Dame ,  lui 
promit  d  employer  fa  vie  à  foutenir  fa  querele  ,  & 
parut.  Il  ne  fut  que  trop  exaft  à  remplir  cete  pro- 
meffe. 
Ihidm.  Tandis  que  Charles  de  Blois ,  plein  de  confiance  ^ 

fe  préparoit  k  faire  valoir  les  droits  d'une  époufe  am«- 
bitieuie,  le  comte  de  Montfbrt  prenoit  des  mefures, 
dont  la  fagefle  fembloit  lui  promettre  la  ruine  de  fon 
rival.  De  l'avis  des  feigneurs  de  ion  parti  ^  un  héraut 
fut  envoyé  à  Charles.  Ce  héraut  avoit  ordre  de  lui 
repréfenter  le  traité  des  Landes ,  de  lui  en  demander 
l'exécution  I  &  de  lui  protefkr  qu'à  fon  refus  le  comte 
fe  croyoit  juftifié  devant  Dieu  &  devant  les  hommes 
des  maux  qui  en  réfulteroient^  rejetant  entièrement 
le  crime  fur  la  confcience  de  Charles,  déformais  feul 
refponfable  de  la  mi&re  des  peuples ,  &  de  tout  le 
fang  de  la  noblelTe  de  la  province ,  que  (on  obftination 
aloit  faire  répandre.  Cete  démarche  du  comte  de  Mont* 
fort  infpira  un  nouveau  courage  à  £es  troupes.  De 
quels  éforts  n'eâ  pas  capable  une  armée,  lorfqu'elle 
eft  alFurée  de  marcher  au  combat  pour  foutenir  une 
caufe  jufte  ?  Charles  de  Blois,  foit  fierté,  foit  con* 
viâion  intérieure ,  dédaigna  de  femblables  précautions. 
Il  vint  afiboir  fon  camp  à  la  vue  de  celui  de  Montforc 
Une  prairie  coupée  par  un  ruiffeau,  féparoit  les 
deux  armées.  Le  feigneur  de  Bcaumanoir  fit  une  der- 
nière tentative  pour  ménager  un  acommodement  :  obligé 
de  fe  retirer  fans  rien  conclure ,  on  ne  s'ocupa  plus  que 


Chaules    V.  327 

des  préparatifs  du  combat.  Du  Guefclin  rangea  les  =!!!!!=; 
croupes  de  Charles  de  Blois  en  trois  batailles  ,  ainli  Ann.  1^64. 
qu'on  s'exprimoit  alors  :  un  corps  de  réferve  formoic 
l'ariere- garde.  Il  fe  chargea  de  la  conduite  du  pre- 
mier corps  ;  les  comtes  d*Auxerre  &  de  Joigny  com- 
mandèrent le  fécond  :  Charles  de  Blois  fe  réferva  le 
troifieme  :  les  feigneurs  de  Rieux ,  de  Raix  ,  de  Tour- 
nemine  &  de  Font  conduifîrent  Tarière  *  garde.  Jean 
Chandos,  qui  étoit  eftimé  le  plus  grand  capitaine  de 
foQa  temps ,  fut  chargé  par  le  comte  de  Montfort  du 
foin  de  régler  Tordre  de  la  bataille.  Ce  feîgneur  avoit  '^ 

étéenvoyé  par  Edouard  au  comte,  ainfi  que  du  Guef- 
clin  à  Cnarles  de  Blois.  En  coniidérant  Tarangement 
obfervé  par  Bertrand  ,  TAnglois  lui  rendit  hautement 

J'uftice  :  incapable  d'une  bafle  jaloufie ,  il  fit  en  grand 
lomme  Téloge  du  général  qu'il  avoit  à  combatre.  Il 
difpofa  fes  troupes  dans  le  même  ordre.  Lç$  trois 
corps  de  bataille  étoient  fous  le  commandement  du 
comte  de  Montfort,  de  Robert  Knolles,  &  de  Ma- 
thieu de  Gournay  ;  &  ces  trois  corps  étoient  difbofés 
de  manière  ,  que  celui  de  Montfort  avoit  en  tête  Char- 
les de  Blois.  Hue  de  Caurelée  fut  deftiné  à  conduire 
le  corps  de  réferve  :  ce  ne  fut  qu'avec  des  peines  infi- 
nies qu'on  pût  le  déterminei:  k  prendre  ce  pofte,  qu'il 
regardoit  comme  le  moins  honorable ,  tant  Tart  mi- 
litaire étoit  encore  dans  fon  enfance.  Il  fiilut  que 
Chandos  employât  les  prières  &  même  les  larmes 
pour  lui  perfuader  que  loin  que  fon  honeuir  fut  bleffé , 
en  commandant  le  corps  de  réferve,  cet  cncïploi  au-: 
contraire  étoit  d'une  tele  conféijtieiicc  ,  qu'il  étoit  né- 
ceflaire  qu'à  fon  refus  il  s'en  cbargeât  lui-même.  Cau- 
relée, à  moitié  convaincu 5  obéit,  &  Tévénement  To- 
Wigea  de  reconnoître  que  c^erft  au  général  feul  k  juger 
de  Timportance  d'un  pofte.  Chandos  ne  choifit  le  com- 
mandement d'aucun  des  corps  de  bataille  ,  afin  d'être 
filus  libre  de  veiller  k  tous  les  mouvements.  C'eft  pour 
a  première  fois  qu'on  voit  dans  cete  guerre  des  com- 
binaifons  réfléchies  &c  une  manœuvre  raifonnée. 


328  Histoire   de   France, 

!  Les  deux  armées  étoient  en  préfence  ,  &  près  d'en 
Ann.  13^4;  venir  aux  mains.  Le  comte  de  Montfort  fie  encore 
lire  à  haute  voix  le  traité  des  Landes,  priant  tous  les 
feigneurs  de  fon  parti  de  prononcer  avec  franchife  fur 
l'équité  de  fes  prétentions ,  s'en  remettant  abfolument 
à  leur  décifîon,  &  ofrant  de  renoncer  a  tout,  s'ils  le 
condanoient.  Il  fut  intérompu  par  une  aclamation  uni- 
verfele  :  Tarmée  entière  l'aflùra  Qu'elle  combatroit  juf- 
qu'à  la  mort  pour  le  foutien  de  fa  querele.  Après 
avoir  remercié  les  fiens  de  leur  afeâion  ^  il  adrefTa^s 
».,  vœux  au  Seigneur  ,  en  fe  profternant  k  terre.  On  vou- 

lut encore  tenter  un  acommodement  ;  mais  Chandos 
foit  par  impatience ,  foit  qu'il  eût  des  ordres  fecrets 
d'Edouard  pour  s'y  opofer  {a)  y  abrégea  brufquement 
les  pourparlers.  Beaumanoir  toujours  médiateur ,  quoi- 
qu'ataché  au  parti  de  Charles  de  Blois,  venoit  de  fe 
retirer;  &  l'on  aloit  commencer  Taâion,  lorfque  Ta- 
rivée  d*un  courier  fufpendit  encore  le  combat.  C'écoit 
le  roi  de  France  qui  mandoit  au  comte  de  Montfort 
de  lever  le  fiege  de  devant  Aurai ,  &  de  fe  rendre  à 
Paris ,  avec  amirance  qu'il  trouvcroit  en  lui  jujiice  ^ 
contentement.  Montfort  plein  de  refped  pour  le  mo- 
narque de  la  part  duquel  il  recevoit  ce  meflage,  ofrit 
de  fe  retirer ,  pourvu  que  la  place  fût  mlfe  en  fequef- 
tre  au  pouvoir  d'Olivier  de  Cliflbn  ,  feigneur  de  fon 
parti  ,  &  du  fire  de  Beaumanoir ,  du  parti  opofé. 
Charles  de  Blois .  ne  répondit  à  ces  propofitions  que 

f)ar  un  refus.  Impatient  de  combatre ,  les  retardemcnts 
ui  fembloient  ne  fervir  qu'à  diférer  fon  triomphe. 
C'eft  ainfi  que  ce  prince,  digne  par  ks  vertus  d'une 
jneilleure  fortune,  couroit  de  lui-même  au-devant  de 
fa  perte. 

Ce  fut  le  vingt- deux  de  Septembre  que  le  fort  de 

(il)  Le  r<5if  qui  précéda  1&  combat  ,  plaliear»  chevaliers  Angloîs  Yinrent 
trouver  Chandos  pour  le  prier  de  rejeter  tou^çs  propofi rions  d'acommodement» 
en  repréfentant  »  qu'ils  avoient  dépeofé  tout  ce  qu'ils  avoient ,  &  qu'ils  écoient 
M  fi  pauvres  qu'ils  vouloienc  par  bataille  ,  ou  tout  perdre ,  ou  aucune  chofe  re- 
»  couvicr  «.  troiffard  ,  tom  i  ^  foL  i  j  i ,  vfrfç. 

la 


Charles    V.  329 

k   Bretagne  fut  décidé   par  une  des    plus  fanglantes  .- 

aâions  qu'on  eût  vues  depuis  long^temps.   Jamais  on    Ann.  ij^^- 
ne  combatit  avec  plus  de  fureur  j  &  ce  qu'il  y  a  de  fin-  ^f^î^ic^l'Au- 
gulier,  jamais  peut-être  on  ne  defira  moins  de  com-  ^^mj^^. 
batre.   Les    fçigneurs  Bretons   des   deux  côtés  étoienc 
également  fatigués  d'une  guerre  aufli  funefte  au  peu- 

fue  qu'à  la  noblefle.  Montiort  ofroit,  pour  le  bien  de 
à  paix  9  la  moitié  de  fes  prétentions  :  Charles  de  Blois 
lui-même  auroit  volontiers  accepté  le  parti;  mais  ua 
motif  trop  puifTant  le  retenoit ,  les  reproches  ,  les 
pleurs  de  la  comteflc  fon  époufe ,  lui  diâoient  des  loix  <■■' 

qu'il  n'eut  pas  la  force  de  mécônnoître. 

On  épargne  aux  leâeurs  le  récit  des  préfages  {d^ 
qui  parurent  annoncer  le  malheur  de  Charles  de  Blois. 
Lorfque  les  forces  font  égales  des  deux  côtés  y  ce  n'eft 
point  par  de  vains  prodiges ,  mais  par  la  conduite  des 
nommes ,  qu'il  faut  augurer  du  fuccès.  Charles ,  prince 
religieux  ,  s'étoit  préparé  au  combat  par  des  aoes  de 
piété  :  il  eût  falu  fans  doute  que  de  pareils  aâes  euilenc 
été  acompagnés  d'une  juftice  évidente,  pour  intérefler 
le  ciel  en  faveur  de  celui  qui  les  pratiquoit^ 

Les  deux  armées  en  filence  atendoient  qu*on  donnât 
le  fignal  du  combat.  Chandos  empêcha  les  troupes 
de  fon  parti  d'avancer  les  premières  :  Montfort ,  mal- 
gré l'impétuofité  qui  lui  étoit  naturele ,  fuivit  les  con- 
leils  dû  général  Ânglois.  Du  Guefclin  ne  put  obte^ 
nir  le  même  empire  lur  Charles  de  Blois  :  ce  prince  ^ 


(a)  On  remarqua  qu'on  Lévrier  que  Charles  de  Blois  aimoit  beaucoup ,  &  qui 


fcîgn 

relTes  quil  écoic  dans  Tufage  d*adre(fer  à  fon  maître.  Uhiftoricn  de  Bretagne 
ra porte  ce  triit  fur  le  témoignante  d*uhe  chronique  du  temps.  Le  fait  lui  auroic 
paru  moins  citraordinairc ,  s'il  avoit  fait  atention  à  Tezaâe  reflemblance  qui 
devoir  fe  trouver  entre  Charles  de  Blois  &  Jean  de  Monfbrt ,  revêtus  des  mêmes 
ornements.  Le  chien  égaré  dans  le  premier  tumulte  des  préparatifs  d*an  com- 
bat j  aura  cherché  fon  maître  »  &  ne  Taura  pu  reconnoitr.e  qu'aux  fignes  exté- 
rieurs dont  la  conformité  Taura  trompé.  Si  Ton  ezaminoit  la  plupart  des  fignca 
prodigieux  oue  les  hiftoriens  raponcoc  ,  on  ea  démélcroic  aifémenc  le  pria« 
x»pe»  i^cla /urprife pefTeroi;. 

Tom  V,  T  c 


330  Histoire    de   France, 

y  emporté    par  fon  courage  ,  eft  fourd  aux   plus  fages 

Ann.  13^4.  avis  :  il  lé  met  en  marche  &  pafle  le  ruifleau  avec  le 
corps  qu'il  conduifoit  ;  les  autres  font  obligés  de  le 
fuivre.  Le  comte  de  Montfort  voyant  ce  mouvement, 
s'avance  avec  moins  de  précipitation ,  &  fe  préfente 
en  bon  ordre.  Comme  les  troupes  extrêmenîent  férées , 
&  couvertes  de  leurs  pavois ,  rendoient  les  traits  inu- 
tiles ,  les  archers ,  après  avoir  fait  leur  première  dé- 
charge ,  fe  retirèrent ,  &  rentrèrent  dans  les  rangs  des 
hommes  d'armes.  On  s'aproche ,  on  fe  joint  ;  &  dans 
n^  le  moment  les  deux  corps  de  bataille  commandés  par 

Montfort  &  Charles  de  Blois  ,  font  aux  prifes,  L'ho- 
neur  animoit  également  les  deux  partis.  Cete  &tale 
journée  aloit  fixer  irrévocablement  la  fortune  des  deux 
princes  :  le  vaincu  devoit  perdre  la.  vie  ;  tele  étoit  la 
réfolution  prifé  de  part  &  d'autre  par  les  feigneurs 
frétons.  Ce  fut  probablement  le  motif  qui  porta  Jean 
de  Montfort  à  faire  couvrir  un  de  fes  gentilshommes 
d'armes  exaâement  femblablcs  aux  fiennes ,  afin  de 
diminuer  le  danger  en  le  partageant,  &  non  pour  élu- 
der Téfet  d'une  prétendue  prophétie  de  Merlin  ,  qui 
afTuroit  gu^en  une  certaine  bataille  ^  celui  qui  porterait 
des  hermines  [  armes  de  Bretagne  ]  Jèroit  défait.  Le 
malheureux  gentilhomme  paya  cher  Thoneur  de  por- 
ter les  armes  de  fon  maître.  Charles  de  Blois ,  trompé 
})ar  cete  aparence ,  fondit  fur  lui  avec  impétuofité ,  & 
e  tua  de  fa  main  :  aufli-tôt  il  s'écria  que  fon  ennemi 
étoit  mort  ;  mais  le  comte  de  Montfort  vint  bientôt 
lui  ravir  cete  fauffe  joie.  L'ataque  avoît  été  fi  brufque 
&  fi  vive  de  la  part. de  Charles  de  Blois,  que  la  pré* 
fence  de  Montfort  ne  pue  d'abord  entièrement,  réta- 
blir le  défordre  qu'elle  avoit  caufé,  lorfque  Caurelée 
vint  avec  fon  corps  de  réfervç  prendre  en  queue  la 
bataille  de  Charles ,  qui  par  ce  moyen  fe  trouva  en- 
velopé.  En  vain  il  fait  des  prodiges  de  valeur  ;  il  vit 
bientôt  l'épais  bataillon  où  il  combatoit,  aflailli,  percé 
de  tous  côtés ,  &  s'éclairciflant  à  vue  d'œuil.  Cepen- 
dant Chandos  &  CliiTon  couroiem  de  rang  en  rang, 


ChAB.££S      V.  331 

&c  combatoient  en  même- temps  qu^ils  animoîcnt  leurs  ! 

gens.    Les  autres  corps  s'étoient   joints    pareillement,    Ann.  15^4. 
ï)u  Guefclin ,  défcfpéré  de  ce  que  l'imprudent  Charles 
n'avoît  pas  déféré  à  fon  avis  ,  fe  furpaffa  dans   cete 
journée.  La  mêlée  fut  horrible  :  la  fkur  de  la  nobleiîe 
J3retonne  ,  les  meilleurs  guerriers ,  tant  François  qu'An- 
glois ,  les  troupes  d'aventuriers  les   plus    déterminés  , 
formoient  les  deux  armées   qui  dans  les  plaines  d'Au* 
rai  fe  difputoient  la  gloire  de  faire  un  duc  de  Breta- 
gne,  La  terre  étoic  couverte  d'armes ,  de  chevaux ,  de 
blelTés   &  de  morts    entafTés  y   fans  qu'un  des   partis 
parût  vouloir  céder  la  vidoire  à  l'autre  :  tous  comba- 
toient avec  autant  d'acharnement  ,  que  fi  la  querele 
leur   eût   été  perfonnele.    Cependant  l'inftant  déciiif 
aprochoit  :  Charles  de  31ois  raifoit  des  éforts  inutiles 
j)our    rétablir  fon  corps  d'armée  ;   la  confufion   étoit 
lans   remède.    Laval   &  Rohan,   fes  braves  &  gêné* 
reux  amis,  ralient  autour  de  lui  l'élite  des  leurs ,  & 
lui   font   un  rempart  de  leurs  corps  :  vainement  fon 
courage  héroïque  féconde  le  leur  ;  preffé  de  plus    en 
plus  ,  il  ne  lui  refte  d'autre  efpoir  qu'une  mort  glo- 
rieufe.  Un  Aaglois  l'âleint ,  le  faifit  par  fon  bajfinet ,  ^jJJ^^  Il 
&  lui  plonge  Ion  épée  dans  la  gorge  :  il  tombe,  &  bIoIs." 
cède  en  expirant  la  principauté  à  fon  rival.  Jean  de       lUdtnu 
Blois ,  fon  nls   naturel ,  eft  tué  à  fes  côtés.    On  alTure 

3ue  Charles ,  avant  que  de  mourir ,  regréta  la  perte 
e  tant   de   braves    gens  immolés  aux  quereles  de  fa 
maifon  ;  voici  fes  dernières  paroles  :  Pat  guerroyé  long-     ^Contrema 
temps  contre  mon  cfcient"^.  confdencc 

Lz  nouvele  de  cete  mort  vole  aufli-tôt  dans  les  difé- 
rents  endroits  où  Ton  fe  bat  encore;  les  partifans  de 
Montfort  redoublent  leurs  éforts  ;  ceux  de  fon  infor- 
tuné compétiteur  ,  confternés  de  cete  perte ,  chance- 
lent  ,  &  fentent  ralentir  leur  ardeur  par  le  défefpoir 
de  foutenir  un  parti ,  qui  déformais  n'a  plus  de  chef. 
Du  Guefclin  aprend  ce  malheur  commun  :  dans  fon 
afliftion  il  eût  voulu  ne  pas  furvivre  à  Charles  de  Blois  ; 
mais  quel  fruit  retirer  d'un  trépas  inutile.^    Couvert 

T  t  i j 


332  HistoiRE  DE   France, 

-  de   bleflures  ,   &  perdant  fon  fang ,   la  terreur   qu'A 

Ann.  i}64.  infpiroit,  empêchoïc  qu'on  n'osât  l'aprochcr.  Chandos 
arive ,  fe  nomme  ,  Tinvite  à  fe  rendre  ;  le  héros  Breton 
cède  à  la  fortune,  &  donne  fa  foi -au  héros  Anglois. 
Le  combat  cefle.  Montfort  vient  recœuillir  le  fruit  de 
fa  viâoire  :  il  peut  jouir  de  la  funefte  fatisfaâion  de 
voir  fon  rival  mort ,  environné  de  fes  courageux  dé- 
fenfeurs.  Ce  fpedacle  lui  arache  des  larmes  :  Ah  , 
mon  coujin ,  s'écria-t-il ,  par  votre  opiniâtreté  vous  avc[ 
ité  caufe  de  beaucoup  de  maux  en  Bretagne  ,  Dieu  vous 
le  pardonne  ;  je  regrete  bien  que  vous  êtes  venu  à  cete  ma-- 
lefin.  Monjeigneur ,  lui  dit  Chandos  j  en  l'arachant  de 
ce  trifte  lieu ,  vous  ne  pouviez  avoir  votre  coujtn  en  vie  , 
&  le  duché  tout  ènfembte  :  remercie:^  Dieu  &  vos  amis» 

Ainfi  finit  après .  vingt-trois  années  de  viciflitudes  & 
de  combats ,  l'infortuné  Charles  de  Blois  ,  prince  orné 
<le  touis  les  dons  de  l'efprit  &  du  cœur  ,  brave ,  géné- 
reux ,  fidèle ,  fage  même ,  s'il  eût  été  moins  tendre 
époux.  Il  couronna  tant  de  bêles  qualités  par  une 
piété  fincere  :  il  en  rempliiToit  les  aufteres  devoirs  juf- 
^u^au  fein  des  armes  :  lorfqu'on  le  dépouilla,  on  le 
trouva  revêtu  d'une  haire.  Sa'*mort  fut  le  falut  de  la 
province.  Il  fut  enterré  dans  l'églife  des  Cordeliers  de 
Guincamp.  On  avoit  envie  d'en  faire  un  bienheureux  : 
on  prétendit  qu'il  s'étoit  opéré  des  miracles  à  fon  tom- 
beau. On  conimença  même  des  enquêtes  pour  fa  cano- 
nifation ,  fous  les  pontificats  d'Uroain  V  &  de  Gré- 
goire XI.  Ce  dernier  pape  ne  permit  pas  qu'on  les 
continuât.  Le  comte  de  Montfort ,  devenu  duc  de  Bre- 
tagne ,  avoit  un  intérêt  trop  fenfible  de  s'opofer  à 
cete  béatification.  Le  vainqueur  d'un  faint  ne  pouvoic 
paffer  que  pour  un  ufurpateur.  Quelques  écrivams  ont 
alTuré  que  Charles  de  Blois  ne  fut  pas  tué  dans  le 
combat  ;  qu'il  fut  feit  prifonnier ,  &  préfenté  à  Mont- 
fort ,  qui  fouilla  fa  viûoire ,  en  lui  faifant  trancher  la 
tête  en  fa  préfence.  Une  contradiâtion  fi  manifefte  entre 
des  auteurs ,  tous  contemporains ,  laifTe  une  incertitude 
qu'il  efi  dificile  de  réfoudre.  Queles  mœurs  que  celles 


Charles    V.  333 

cle  ce  (iecle ,  li  cet  horrible  abus  de  la  vîâoire  efl  un  *! 

fait  véritable  (a)  ?  Ann.  13^4- 

.    Le  comte  de  Montfort  fit  avertir  les  habitants  de      liîdem. 

Rennes    &    des  villes    voifines  ,   qui  avoient  tenu   le 

parti  de  Charles  de  Blois,  de  la  liberté  qu'il  leur  acor- 

doit  de  venir  rendre  les  derniers  devoirs ,  à  ceux  qui 

avoient  été  tués  dans  le  combat.  Le  champ  de  bataille 

étoit   couvert  des  feigneurs  les  plus  didingués  de  la 

Bretagne.    On  comptoit  parmi  les  morts,  Charles  de 

Dinan  ,  les  fires   de   Léon,  d'Ancenis ,  d'Avaugour, 

de  Loheac,  de  Kergollay ,  de  Maleflroiti  de  Pont,  de 

Rochefbrt ,  de  Rieux  ,  de  Tournemine ,  de  Montau- 

ban  ,   de  Coetmen,  de  Boisboidèi  &  de  Kaergouet. 

Les  prifonniers  en  grand  nombre  n'étoient  pas  moins 

confidérables  par  leur  ran^  &  par  leur  naiiiance.  Les 

comtes  d' Auxerre ,  de  Joigny ,   de    Rohan ,  Guy  de 

Xeon ,  les  fires  de  Rbchefort ,  de  Raix ,  de  Rieux ,  Je 

comte  de  Tonnerre,  Henri  de  Maleftroit,  Olivier  de 

Mauny ,  les  feigneurs   de  Riville  ,  de   Fran ville  ,  de 

Raineval  &  de  Beaumanoir,  demeurèrent  au  pouvoir 

des  vainqueurs.  Olivier  de  Cliflbn,  que  nous  vèrons 

dans  la   fuite,  connétable   de  France ,   perdit  un  œuil 

dans  ce  combat.    On  publia  que  cete  viâoire  n'avoit 

pas  coûté  vingt  hommes  au  parti  de  Montfort  ;  mais 

c'eft  un  fait  démenti  par  la  fureur  avec    laquele    on 

combatit.  Il  eft  vrai  que  l'on  doit  fupofer,  dans  les 

batailles  qui  fe  donnoient  alors ,  le  nombre  des  morts 

^u  côté  des  vaincus  toujours  infiniment  plus  confidé- 

rable    que    du  côté  des  viâorieux.    On  ignoroit  alors 

encore  la  manoeuvre  des  retraites ,  qui  n'étoit  pas  pra- 

(d)  Les  princes  de  la  maifon  de  Penthievre  defcendants  de  Charles  de  Blois  » 
loog-temps  après  reprochèrent  cece  mort  an  duc  de  Bretagne.  Le  feigneur  de 
Boilac  &  Nicole  de  Bretagne  fon  époufe  ,  dans  les  letrres  de  tranfport  qu'ils 
firent  au  roi  Louis  XI  de  leurs  prétentions. au  duché  de  Bretagne,  rapelcrent 
€|cte  aâion  odieufe  dont  la  mémoire  s>icoit  confervée.  Cependant  ce  fait  ne  fe 
trouve  raporté  que  dans  les  vies  MS.  de  du  Guefclin ,  tandis  que  pre(que  tous 
les  autres  hiftoriens  ,  tels  mie  Froiflard ,  le  continuateur  de  Nangts  ,  Bc  les 
chroniques  du  mênne  (îecle  aflurent  le  contraire.  Dans  un  pareil  conflit  d  opinions 
diamétralement  opofées ,  celle  qui  honore  Thumanité  ne  pouroi^c-clle  pas  mé-* 
jBCcr  la  préférence. 


334  Histoire    de   France, 

S*  ticable  par  le  peu  d'ordre  obfervé  dans  les  croupes  ic 


Aûiî.  13(^4.  par  la  pefanteur  des  armes.  Lorfque  deux  armées 
s*ataquoient  ,  ce  n*étoit  pas  dans  le  choc  qu'il  périf- 
foit  beaucoup  de  monde  :  les  hommes  couverts  de  fer , 
ne  faifoient  gueres  autre  chofe  que  fe  renverfer,  &  fc 
relever  le  plus  fouvent  fans  blemire  :  mais  quand  un 
corps  de  troupes  étoic  une  fois  rompu  ,  ne  pouvant 
plus  fe  ralier,  ni  fe  retirer  ,  les  hommes  d'armes  de-^ 
meuroient  expofés  fans  défenfe ,  &  c'écoit  alors  que  le 
icarnage  commençoit  :  on  peuc  inférer  delà  que  les  vain- 
queurs dévoient  perdre  fort  peu  des  leurs. 

Aurai  fe  rendit  incontinent.  Guillaume  de  Harte- 
celle  ,  gouverneur  de  cete  place ,  en  étoit  forti  avafit 
la  bataille ,  à  la  tête  de  quarante  lances.  Charles  de 
Blois  l'avoit  retenu  pour  l'aflifler  dans  le  combat.  Il 
fut  du  nombre  des  prifonniers. 

Quoique  Charles  de  Blois  eût  laiffé  plufieurs  enfants  > 
deux  deiquels  étoient  encore  otages  en  Angleterre  pour 
la  rançon  de  leur  père ,  le  combat  d'Aurai  termina  la 
guerre  alumée  pour  lafuccedion  de  la  Bretagne.  On 
fait  une  obfervation  bien  honorable  pour  la  noblelTe 
de  cete  province.  Les  princes  de  Montfort  &  de  Biais 
fe  -difputerent  le  duché  pendant  Tefpace  de  vingt-trois 
années^  fans  qu'il  fe  fût  trouvé  iix  gentilshommes  dans 
les  deux  partis  qui  euffent  quité  par  trahifon,  ou  par 
inconftinc^  >  celui  auquel  ils  s'étoient  atachés  dans  le 
commencement  de  la  conteflation  :  encore ,  fi  quel* 
ques-uns  abandonnèrent  Charles  de  Blois  protégé  par 
la  France  ,  DQuroic- on  atribuer  leur  dhangement  au 
fuolice  des  feigneiirs.  Bretons^ ,  ordofitié  fans  forme  de 
juftice  par  Philippe  de  Valois.  De  pareils  exemples 
de  fidélité  font  trop  précieux  pour  les  paflèr  fous  fi- 
lence. 

Les  fèîgneurs  dévoués  à  Charles  de  Bloîs ,  devenus 
par  fa  mort  libres  de  leur  foi,  ne  tardèrent  pas  à 
reconnoître  les  décrets  de  la  Providence  dans  le  triom- 
phe de  Jean  de  Montfort.  Le  feîgneur  de  Maleftroit, 
gouverneur  de  Vannes  ,  lui  en  ouvrit  les  portes  j  &  la 


C   H   A   R   t   E   s      V-  ^3^ 

province  entie;:e  annonçoic  une  difpofition  prochaine  **— *— *^ 
à  fe  foumettre  au  vainqueur.  Ann.  i3<f4. 

La  nouvele  de  la  défaite  d' Aurai ,  portée  k  Nantes ,  suite  de  la 
fut  un  coup  de  foudre  pour  la  veuve  de  Charles  de  bawiiicdAu- 
Blois  :  elle  perdit  Tufage  de  fes  fens  ,  &  ne  revint  ^^^' uidem. 
d'un  lonjg  évanouiflement  que  pour  fe  livrer  aux  vains 
&  tardirs  regrets  que  lui  arachoic  fa  déplorable  iitua- 
tion.  Le  duc  d^Anjou  ,  qui  avoit  époufé  une  des  filles 
de  cete  princefle ,  apric  ce  malheur  dans  la  ville  d'An- 
gers ,  où  il  étoit  pour  lors  :  il  fe  rendit  aufli-tôt  près 
de  la  comtefle  de  Penthievre ,  &  calnriâ  les  premiers 
tranfports  de  fa  douleur  par  les  plus  tendres  confola- 
tions.  Il  lui  fit  ofre  de  tout  fon  pouvoir  &  de  ics  fer- 
vices  ;  il  écrivit  en  même- temps  à  tous  les  feigneurs  & 
aux  villes  qui  tenoient  fon  parti  y  en  les  priant  de  per- 
fifter  dans  leur  fidélité.  La  comtefle  reçut  aufii  des 
envoyés  de  la  part  du  roi,  qui  TaflUrerent  d'un  prompt 
fecours  &  d'une  promefle  formele  d'employer  les 
moyens  le  plus  éficaces  pour  réparer  la  perte  qu'elle 
venoit  de  faire.  Le  monarque  François  ,  par  ces  mê- 
mes envoyés  ,  exhortoit  le  duc  d'Anjou  fon  frère  à 
ne  pas  abandonner  cete  princefle  infortunée  /  &  lui 
mandoit  qu  il  feroit  puiflamment  fécondé.  Elle  fe  re- 
tira cependant  en  Anjou  auprès  du  duc  ,  abandonnant 
les  places  qui  lui  reftoient ,  à  la  fidélité  des  peuples  & 
des  feigneurs  atachés  k  fa  maifon. 

Charles  ,  dans  une  difgrace  fî  cruele  ,  fuivoit  en 
homme  les  mouvements  naturels  de  cete  compaflîon 
qu'éprouvent  les  cœurs  fenfibles  :  mais  fa  qualité  de 
monarque  ne  lui  permettait  pas  de  s'y  livrer  aveuglé- 
ment; il  avoit ^  comme  roi,  d'autres  devoirs  à  rem- 
plir. La  fortune ,  en  fe  déclarant  pour  Monfort ,  chan- 
geoit  par  cete  importante  révolution  le  fyftême  qu'on 
avoit  luivi  jufqu'alors.  Il  étoit  à  craindre,  n  Ton  preflbit 
trop  le  vainqueur,  qu'il  ne  renonçât  entièrement  à  la 
France, en  fe  jetant  entre  les  bras  du  roi  d'Angleterre  , 
&  lui  faifant  nommage  de  la  Bretagne  ,  dont  il  poffé- 
doit  déjà  la  meilleure  partie  par  la  reddition  de  Jugon  ^ 


33^  Histoire   de   France, 

■  de  Dinan  ,  de  Kimper  &  d'un  grand  nombre  d*autfes 

Aan.  15^4.    places  qui  fe  rendoient  journélement  depuis  la   mort 
de  Charles  de  Blois. 

Edouard  étoit  à  Douvres,  difpofé  k  profiter  de  la 
cîrconftance  ,  &  à  prendre  des  mefures  fur  le  parti 
(jUe  le  roi  choifiroit.  On  étoit  encore  en  guerre  avec  le 
roi  de  Navarre  :  le  royaume  épuifé  demandoit  que  Ton 
s'ocupât  du  foin  de  réparer  fes  pertes  :  étoit-il  temps 
de  s'atirer  une  guerre  nouvele  ?  Le  roi  pefa  ces  raifons 
dans  fon  confeil ,  &  l'avis  de  préférer  la  voie  de  la 
négociation  aux  remèdes  violents,  prévalut.  Charles* 
fe  confola  de  ne  bouvoir  fatisfaire  la  générofité  ,  en 
ailiftant  la  comtèfle  de  toutes  les  forces  de  fes  Etats , 
par  la  fatisfadion  encore  plus  jufte  &  plus  grande  de  fa- 
crifier  fon  penchant  particulier  au  bonheur  &  à  la  tran- 
quilité  de  les  fujets.  Il  fut  réfolu  dans  le  confeil ,  qu'on 
méhageroit  pour  la  veuve  de  Charles  de  Blois  les  con- 
ditions les  plus  favorables,  en  même-temps  qu'on  tâ- 
cheroit  de  conclure  avec  Montfort  l'acommodement  le 
moins  défavantageux ,  que  la  circonftance  préfente  pou- 
voit  permettre, 

Jean  de  Craon,  archevêque  de   Reims,  le  fire  de 
Craon  fon  coufin  &  le  maréchal  de  Boucicaut  ,  furent 
envoyés  pour  fonder  les  difpofitions  de  Jean  de  Mont- 
fort.  Ce  prince,  fur  les  premières  ouvertures  de  paix 
qui  lui  furent  faites ,  dépêcha  vers  le  roi  d'Angleterre 
pour  fçavoir  fes  intentions.    Edouard  lui  fit  répondre 
cju'il  lui  confeilloit  de  faire  la  paix,   pourvu  que  le 
auchc  lui  demeurât.    Montfort  ayant  reçu  ce  confen- 
tement ,  écouta  les  propofitions  ,    &  les  conférences 
commencèrent.  Les  peuples  de  Bretagne ,  en  proie  de- 
puis fi  long-temps  k  toutes  les  horreurs  de  la  guerre  , 
ne  cefToient  de  faire  des  vceux  au  ciel  pour  la  paix. 
Cependant ,  malgré  les  prières  publiques ,  &  les  dif- 
pofitions du  prince  ,  Paeommodement  fut  fur  le  point 
d'être  rompu  ;   les  commiflaires  de  part  &  d'autre  fe 
retiroient  lans   efpérance  de  renouer   la   négociation. 
Une  foule  d'habitants  s'étaient  rendus  k  Guerrande  , 

où 


"C    H    A    R    t   E    s      V.  337 

oii  les  conférences  fe  tenoient ,  dans  refpoir  d*écre  les 
premiers  témoins  d'un  traité  qui  aloit  rendre  la  tran-  Ana.  i^<^. 
quilité  à  la  province.  Lorfqu'ils  aprirent  que  les  dépu- 
tés fe  féparoient ,  on  n'entendit  plus  qu'un  cri  géné- 
ral. Ils  environnèrent  le  lieu  où  le  confeil  fe  tenoit: 
Donnc^'-'nouslapaixenVhoneur  de  Dieu  ^  s'écrioient-ils 
de  concert.  Cete  prière  étoit  acompagnée  &  intérom- 
pue  de  gémîffements,  de  larmes  &  de  fanglots  ;  ils  fe 
rouloient  k  terre ,  en  invoquant  à  leur  fecours  la  pro- 
tedion  divine.  Un  fjpeâacle  fi  touchant  étoit  capable 
de  fléchir  les  âmes  les  moins  fenfibles  :  //  n^y  avoit 
r^wr^?  y?re  ,  dit  rhiftorien  de  Bretagne,  qui  ne  pleurât 
avec  eux.  On  vint  rendre  compte  à  Montfort  de  cete 
fcene  atendriflante  :  il  fortit  de  fon  apartement  ;  & 
jetant  fes  regards  fur  cete  multitude  défefpérée ,  il  ne 
jput  retenir  les  larmes  :  fur-le-champ  il  rapele  fon  con- 
ieil ,  &  déclare  avec  ferment ,  qu'avant  jfbn  départ  il 
promettoit  à  Dieu  &  au  peuple  d'acorder  la  paix ,  k 
quelque  condition  que  ce  fût.  On  reprit  les  conféren- 
ces ,  &  le  traité  fut  enfin  conclu  le  famedi  veille  de 
Pâques  de  cete  année. 

Par  ce  traité,  dont  les  conventions  furent  rédigées     TraW  ic 
en  préfence  des  députés  repréfentants  le  roi  de  France,  ^"^^o^^^f^rtre 
médiateur  &  juge  en   qualité  de  feigneur  fuzerain  de  connu  duc  de 
la  Bretagne ,   la  veuve  de  Charles  de  Blois    renonça  Bretagne, 
aux  droits  qu'elle  prétendoit  au  duché.  On  lui  réferva    ^^^f^^^tri 
le  comté  de  Penthievre ,  la  vicomte  de  Limoges,  dix  kift.JeBrle/ 
mille  livres  tournois   de  rente  perpetuele  en  fonds  de  V«^-  coruin. 
terres,   &   trois    mille  livres    de    rente  viagère.    Ces  '^^  ^^^*  ^^5 
feigneurics    &  rentes  dévoient  être  poffédées  par  elle  de  Charles  K 
&  fa  poftérité,  k   la  charge  d'en  faire  hommage   au  ^^^^{'''i/"^^ 
duc  de  Bretagne,  dont  elle  feule  étoit  difpenfée  pen-  Britan.  18+. 
dant  fa  vie.  En  conféquence  de  cete  renonciation  ,  le 
duché  de  Bretagne  fut  adjugé  k  Jean  de   Montfort  , 
&  k  fes  defcendatits  en  ligne  mafculine.   Au  défaut  de 
fa  poftérité  ,  celle   de   la  maifon  de   Penthievre  étoit 
apeiée  k  la  fucceffion  :  il  fut  exprefl'ément  réglé  que  les 
femmes  ne  pouroictjt  k  l'avenir  fuccéder  k  la  fouverai- 
Tomc  K  V  V        . 


33^  Histoire   de   France, 

,        neté  de  la  Bretagne,  quau  défaut  des  mâles.   Mont- 
Ann.  ï}é4,    fort  s'engagea  de  plus  de  procurer  la  liberté  de  Jean> 
fils  de  (Jharles   de   Blois  ,  qui  étoit  alors  en  Angle- 
terre, de  lui  faire  époufer  fa  fœur,  &  de  fournir  pour 
fa  rançon  cent  mille  francs ,    à  prendre  fur .  une  aide 
en  Bretagne.  Cet  article  ne  fut  pomt  exécuté.  Les  deux 
rois  de  France  &  d'Angleterre  ,  le  prince  de  Galles 
&   le  duc  d'Anjou ,  furent  apelés  comme  garants  de 
Rymer,  acj.  ccte   tranfaftion  ,  Qu'ils  ratifièrent.  Il  fut  çnfin   réglé 
pt^hL  tom.  3 ,  que  iç  comte  de  Montfort ,  déformais  duc  de  Breta- 
putt.i^p.19.  g^ç^  feroit  reçu  en  cete  qualité  à  faire  hommage  au 
roi  de    France ,  feigneur  luzerain  du  duché.  Comme 
il  n'étoit  pas  encore  en  état  de  s'aquiter  de  ce  devoir  , 
le  roi  lui  acorda  la  permidion  de  le  diférer  jufqu'à  la 
faint  Jean.   Olivier  de  Cliflbn  vint  trouver  le  roi  de  la 
part   du  duc  de  Bretagne  ,    pour  obtenir    ce    délai* 
Charles  qui  eftimoit  ce  leigneur  ,  employa  pour  fe  l'a- 
tacher  les  bienfaits  &  Ta^bilité ,  moyens  infaillibles  y 
lorfau'un  roi  les  met  en  ufage.  Il  lui  rendit  les  biens 
de  (a  maifon ,  qui  avoient  été  confifqués  par  Philippe 
de  Valois.  Pluheurs   autres  feigneurs  Bretons  prirent 
le  même  parti  ;  enforte  que  la  Bretagne ,  quoique  fou- 
mife  à  un  duc  dévoué  aux  Anglois ,  tenoit  à  la  France 
par  la  portion  la  plus  confidérable  de  la  nobleffe.  Tan- 
negui  du  Châtel  étoit  de  ce  nombre.   La  plupart   de 
ces  feigneurs  eurent  en  France  des  établifTcments  con- 
fîdérables.    Cliflbn   devint  connétable   dans  la  fuite  ^ 
ainfî  qu'on  Ta  déjà  dit  ;  &  du  Châtel  fut  gouverneur 
de  l'Ile  de  France  ,  &  prévôt  de  Paris.  Il  dopna  les 
plus  grandes  preuves  de  fwélité  aux  rois  :  nous  le  vèrons 
même  pouflèr  le  zèle  à  Texcès  en  faveur  du  petit-fils  de 
Charles  V. 
Mariage  ivL       ^^^  ^^  temps  après  le  traité  de  Guerrancîe  ,  le  nou- 
duc  de  Brcta-  veau  duc  de  Bretagne ,  qui  étoit  veuf  de  Marie  ,  fil/c 
8"^  d'Edouard  ,  de    l^quele   il   n'avoit    pas  eu    d'enfants , 

fuhl'^tom^l ^  époufa  en  fécondes   noces  Jeanne  fiile  de,  la  princefle 
part.  I  cp  1.  '  de  Galles  ,  comtefle  de  Kent ,  &  de  Thomas  de  Rol- 
land fon  premier  mari.  Ce  mariage  fe  fit  avec  Ta  gré- 


Charles     V.  339 

ment  du  roi  d'Angleterre  ,  auquel  Montfort  avoit  pro-  -: 

mis  ,  lorfqu'il  perdroit  la  princefle  fon  époufe  de  ne    Am.  m  h- 
contraâer   aucun    engagement    que   de  fon   confente- 
ment.    Cttc  aliance  ne  Tem pécha  pas  cependant  de  fe 
rendre  à  Paris ,  l'année  fuivante  ,  où  il  fit  hommage 
au  roi  du  duché  de  Bretagne ,  de  la  feigneurie  de  Mont* 
fort-rAmaury ,  &  des  autres  terres  qu'il  poilédoit  en 
France.  Il  y  eut  que^ue  conteftation  pour  la  forme 
de  rhommage  ;  on  eut  recours  k  Texpédient  ordinaire 
de  le  faire  en  termes  généraux.  Le  duc  ôtant  fon  man<« 
reau  &  fon  chaperon  fe  mit  à  genoux  devant  le  roi , 
Se   déclara  qu'il  lui  faifoit  hommage  tel  que  fes  pré- 
décelTeurs  Pavoient  fait.  Après  la  cérémonie  ,  Tévêque 
de  âeauvais ,  chancelier  de  France ,  déclara  que  Thom- 
mage  que  le  duc  venoit  de  rendre  étoit  lige,  puifque 
les    prédéccfleurs   de  Montfort  Tavoient  fait  en    çetc 
forme ,  &  pour  preuve  il  montra  deux  aftes  d'hom- 
mage rendu  par  les  ducs  Artur  &  Jean  le  Roux.   Il 
étoit  dificile  d'élndor  un  témoignage  fi  authentique  : 
aulli  le  duc  de  Bretagne  &  fon  chancelier   n'y  répon- 
dirent que  par  une  proteftation  générale.   Cela  n'em- 
pêcha pas  le  roi  de  marquer  au  duc  touie  la  bienveil- 
lance poilible,  &  de  le  combler  de  careilbs  &  de  pré- 
fents.    Montfort  y  répondit  de  fon  côté   par  des  dé- 
monftrations   de  reconnoiffance  &:  d'amitié;  maisj  dit    . 
rhiftorien  de  Bretagne,  toutes  ces  œntenanccs  ne  trom-- 
poient  ni  Pun  ni  Vautre  :  le  roi  étoit  fin  &  acord ,  & 
le  duc  ne  V étoit  pas  moins.    La  comtefle  de  Penthievre 
ne  ratifia  que  dans  ce  temps  le  traité  que  fes  olénipo- 
tentiaires  avoient  fi^né  pour  elle  à  Guerranoe  ,  près 
de  deux  années  auparavant.  Traite  ariir 

La  grande  afaire  de  la  Bretagne  étant  terminée ,  la  avecTcrordc 
France  n'eut  plus  k  combatre  que  le  roi  de  Navarre,  Navarre. 
prince  toujours  inquiet  &  dangereux-  par  fes  manœu-  ^,^'^'^^r  ^'* 
vres  ;  mais  ennemi    trop   foible  pour  rélilter  j^ar  Iuh  ^^  Navarra. 
jmème  aux  forces  du  royaume  déformais  réunies  pour    Mém.dtUn. 
l^acabler.  Il  fut  trop  heureux  que  les  reines^  Jeanne  &      ^chînfùs. 
Blanche ,  veuves  de  Charles-le-Bel  &  de  Philippe  de  ^c. 

Vv  ij 


340  Histoire   de    France, 

==  Valois ,  employaffent  leur  médiation  pour  lui  ménager 
Ann.  i5(^;,   racommodemenc  le  moins  défavantageux.  Le  captai  de 
Buch  négocioit  depuis   long -temps  en  faveur  de   ce 
prince,  &  fe  fervoit  habilement  du  crédit  que  lui  don- 
iioient  Peftime  &  Tamitié  dont  le  roi  Thonoroit.   Un 
<les   puifTants    motifs  qui  déterminèrent  encore  plutôt 
le  Navarrois ,  ce  fut  le  traité  de  ligue  ofenfive  oc  dé- 
fenfîve  que  le  roi  de  France  vjenoit  de  conclure  avec 
le  roi  d'Aragon.    Après  plufieurs  conférences  tenues 
en  divers  lieux ,  les  conditions  de  cete  paix  forent  ré- 
.  glées  à  Saint -Denis  où  les  deux  reines  fe  trouvèrent, 
ainiî  que  le  captai  &  les  députés  de  la  part  du  roi  de 
Navarre.    La  reftitution  de  Mantes,  de  Meulan  &  du 
comté  de  Longueville  ,  formoit  la  feule  dificulté.  On 
leva  cet  obftacle,  en  donnant  au  roi  de  Navarre  la 
feigneurie    de    Montpellier  ,  que   Philippe  de    Valois 
avoir  aquife  du  roi  d'Aragon.  Toutes  les  places  prifes 
en  Normandie  par  les  généraux  François  ,  furent  ren- 
dues.   Les  renonciations  aux  anciennes  prétentions  de 
la  maifon  d'Evreux  fur  la  Champagne  &  la  Brie,  fu- 
rent renouvelées  &  confirmées  ,    &  la  difcuffion  des 
droits  du  rof^de  Navarre  fur  le  duché  de  Bourgogne, 
remife   au  jugement  qui  feroit  prononcé  par  le  pape. 
Le  refte   des  conventions  n'eft  qu'une  répétition   des 
articles  contenus  dans  les  traités   précédents  ;  le  réta- 
blifTement  des  partifans   du  roi  de  Navarre,  la  refti- 
tution de  leurs  biens ,  les  pardons ,  les  abolitions  de 
divers   complots  &  trahifons ,  âcc.  La  liberté  du  cap- 
tai*^ fans  payer  de  rançon ,  fut  un  des  articles  du  traite  : 
le  roi  deuroitfort  l'atirer  à  fonfervice,  &  ce  feigneur 
méritoit  à  tous  égards  qu'un  monarque  audi  connoiA 
feur  en  hommes  que  l'étoit  Charles  ,  s'apliquât  k  le 
gagner.  Pour  cet  éfet,  il  lui  donna  la  feigneurie  de 
ïfemours  dont  il  fit  hommage ,  &  devint  par  confé- 
quent  vaiTal  du  roi  de  France.  Mais  ce  prince  eut  la 
mortification   de  ne  pouvoir  le  conferver  long-temps. 
Jean    de  Grailly   étant   retourné  en  Guienne,  vit  le 
prince  de  Galles,  &  ne  put  réfifter  aux  reproches  qu'il 


Charles    V.  341 

lui  fit.  Il  envoya  fon  écuyer  à  la  cour  de  France ,  avec  *?— — "^ 
ordre  de  remettre  au  roi  Toriginal  de  la  donation^  &    Ann.  13^5. 
de  renoncer  en  fon  nom  à  Thommàge  qu'il  avoit  fait. 
Quelque-temps  avant  la  retraite  du  captai  en  Guicn-     fhrift.  de 
ne,  on  avoit  confeillé  au  roi  de  le  faire  arêcer  ;  mais  rjf"l*^^' 
ce  prince  auffi  généreux  que  politique,  ne  voulut  point     *   ^** 
qu'on  atentât  à  fa  liberté ,  quelque  eftime  qu'il  lit  du 
courage  &  de  lexpérience  d'un  ennemi  fi  dangereux. 
Il  fut  dans  la  fuite   fait  prifonnier  une  féconde  fois, 
&  mourut ,  après  cinq  ans  de  captivité ,  au  Temple 
à  Paris  ,  où  le  roi  le  retint  étroitement  gardé ,  fans  vou- 
loir le  rendre  au  roi  d'Angleterre,  qui  lui  fit  pour  fa 
rançon  les  ofres  les  plus  avantageufes. 

A  peine  une  année  s'étoit  écoulée  depuis  que  Charles 
ocupoit  le  trône  :  ce  temps  lui  avoit  fufi  cependant 
pour  faire  déjà  fentir  à  fes  fujets  ce  que  peut,  pour 
le  bonheur  de  tout  un  peuple ,  la  conduite  de  celui 
qui  tient  les  rênes  du  gouvernement.  Deux  traités  éga- 
lement avantageux  ,  venoient  de  mettre  le  royaume  à 
l'abri  des  hoftilités  étrangères  :  il  ne  manquoît  plus  à 
la  félicité  publique  que  le  rétablifiement  de  la  tranqui- 
licé  intérieure  des  provinces,  &  ce  grand  ouvrage  de- 
mandoit  toute  la  fagefie  du  prince,  aidé  du  concours 
des  circonftances. 

La  paix  générale  entre  les  puiflances  avoit  multiplié  Nouveaux  déf- 
prefque  à  l'infini  ces   troupes   de  brigaads  qui  déchi-  Jar?cscompï 
roient  le  joyaume.  N'étant  plus   employés  au  fervice  gnîcs. 
des  princes  ,   ils   aloient  recommencer  leurs  défordres     Froifard. 
avec  plus  de  fureur.    Déjà  la  plupart  de  ces  fcélérats  ^^J^^^«-«*^ 
étoient  rentrés   dans  la  France  ,  qu'ils   apeloient   leur 
chambre ,  aparemment  parce  qu'ils  la  regardaient  com- 
me leur  demeure  ordinaire.  Il  n'étoit  pas  facile  de  les 
en  déloger  :  on  avoit  éprouvé  à  la  journée  de  Brignais 
combien  ces  troupes  aguerries  étoient  redoutables.  On 
n*eût  pu  employer  pour  cet  éfet  que  de  nouvelcs  levées 
qui  leur  auroient  été  trop  inférieures.  D'ailleurs,  l'o- 
bligation d'entretenir  des    armées    eût    rendu    inutiles 
les  avantages  de  la  paix ,  par  la  néceffité  où  le  roi  fe 


34^  Histoire    de   France, 

■  fût  trouvé  de  iarcharger  encore   le  peuple  d'impofî* 

Ann.  ijtfj.    tions* 

Froîjfard.  Dans  cete  conjondure  embaraiTance ,  on  avoit  inu- 
tilement tenté  divers  expédients.  Louis  d'Anjou^  l'ur- 
nommé  le  Grand ,  roi  de  Hongrie  ,  frère  &  vengeur 
du  malheureuK  André,  premier  mari  de  Jeanne  reine 
de  Sicile  ,  eût  volontiers  atiré  les  compagnies  k  Ton 
fervice  :  elles  lui  euflent  été  d'un  grand  lècours  dans 
les  guerres  qu'il  eut  à  foutenir  à  diverfes  reprifes  con- 
tre les  Valaques ,  les  Tranfylvains ,  les  Croates  &  les 
Tarcares.  Il  avoit  pour  cet  éfet  écrit  au  pape  ^  au  roi 
de  France  &  au  prince  de  Galles.  On  propofk  cete 
expédition  aux  principaux  chefs  ,  avec  pronjefie  de 
leur  fournir  Targent  néceflaire  &  toutes  les  commo- 
dités pour  le  paflkge.  Ils  délibérèrent  entre  eux  fur  ces 
ofres,  qu'ils  refuferent,  ne  voulant  pas  s'expofer  aux 
périls  d'un  fi  long  voyage.  Quelques  -  uns  des  leurs 
qui  connoifToient  Ta  Hongrie ,  leur  avoient  raporté  ^ 
que  dans  ce  pays  il  y  avait  tels  détroits  j  que  s^ils  y 
étoient  une  fois  engagés ,  on  les  feroit  tous  de  maie  mort 
mourir.  Comme  ils  étoient  ennemis  de  tout  le  monde , 
ils  fe  rendoient  juftice ,  &  craignoient  qu'en  cherchant 
à  les  éloigner  ,  on  ne  fongeât  en  même-temps  à  les 
faire  périr.  Le  projet  de  les  faire  embarquer  pour  la 
croifade  que  le  roi  de  Chypre  folicitoit  depuis  ii  long- 
temps ,  n'eut  pas  un  fuccès  plus  heureux.  Les  expédi- 
tions éloignées  ne  tentoient  pas  des  gens  acoutumés  à 
trouver  fans  peine,  dans  les  provinces  qu'ils  ocupoient, 
les  moyens  de  fatisfaire  leur  avidité  pour  le  pillage. 

Cependant  le  mal ,  loin  de  diminuer ,  aquéroit  tous 
les  jours  de  nouveles  forces.  Ce  n'étoient  plus  feule- 
ment des  voleurs  &  des  aventuriers  qui  compofoient 
ces  troupes  :  on  les  voyoit  incefTamment  s'acroître  par 
l'arivée  d'une  infinité  de  chevaliers  ,  de  gentilshommes, 
&  même  de  feigneurs  de  la  première  diftinâion ,  qûç 
le  préjugé  du  rang  &  de  la  naiflance  n'étoio  pas  capa- 
ble de  retenir.  La  mauvaife  politique -des  princes  n'a-' 
voit  pas  peu  contribué  à  perpétuer  ce  mal,  Ils  éçoient 


Charles    V.  343 

depuis  long-temps  dans  Tufage  d'acorder  des  penfions  .-: 

fur  le  tréfor  à  des  gens  de  guerre  de  tout  pays ,  à  la  Ann.  1^65. 
charge  du  fervice  militaire  ,  avec  un  cerqtio  nombre 
d'hommes  d'armes,  tandis  qu'ils  auroient  pu  entre- 
tenii*  k  meilleur  marché  des  troupes  foudoy^es  &  ré- 
gulières dont  ils  euflênt  été  les  maîtr^es.  Dés  au'un  ^ 
homme  d'armes  avoit  aquis  quelque  réputation  >  il  fai-* 
foit  acheter  fes  fervices  ,  devenait  chef  d'une  com- 
nagnie  dont  il  djfpofoît  ,  .&  aquiéroit  le  droit  de  faire 
la  guerre  pour  le  parti  qtai  lui  procuroit  de  plus  fortes 
penfions  :  c^étoient  fes  foldats  &  non  ceux  du  prince 
qu'il  condiiifoit  ^u  combat.  Il  n'avoit  befoin  pour  for- 
mer &  augmenter  fa  troupe  d'être  autorifé  par  aucune 
commiflion  :  la  levée  des  gens  de  guerre  ne  fe  faifant 
pas  au  nom  du  roi  9  il  h'étoit  pas  plus  en  fon  pouvoir 
de  les  licencier*  La  confusion  étoit  alors  fi  grande' , 
que  le  droit  de  faire  la  guerre  fembloit  apartenir  à  qui- 
conque ofoit  s'armer.  Loin  donc  d'être  furprjs  qu'à  la 
faveur  d'une  pareille  licence^  les  compagnies  fe  foient 
rendues  formidables ,  on  doit  plutôt  regarder  comme 
une  feveur  finguliere  de  la  Providence  qui  veille  au 
maintien  du  royaume,  que  la  monarckb  ufait  pas  été 
entièrement  renverfée. 

♦  Les  principaux  chefs  de  ces  troupes  étoicnt  le  che-     Froifard. 
valier  Vcrd ,  frère    du    comte    d'Auxerre  ,  Perducas     ^jf  ^^-  ^^ 
d'Albret  ,  Hue  de  Caurelée ,  Mathieu  de  Gournay,  ^^'''/^^'«• 
Gauthier    Huet  ^  Robert  Briquet ,  Jean   Carfeuillée  , 
Nandon  de   6agei:^nt ,  Lanny ,  le  Petit  Mefchin  ,   le 
Bourg  Camus ,   le  Bourg  de   Lefparre ,   Batillet  Ef-^ 

fiotte,  Aymon  d'Ortige ,  Perrot  de  Savoie,  Lefcot, 
ean  de  Éraines,  Arnaud  de  Ccr voile  ,  dit  PArchi- 
prêtre  ,  dont  il  a  déjà  été  parlé.  Ce  dernier  fut  peu 
de  temps  après  maflacré  par  fes  gens. 

Les  compagnies  y  après  avoir  parcouru  &  pillé  la 
Champagne  ,  le  Barois  ,  la  Locame  ,  &  pénétré  par 
l'Alface  jufqu'aux  frontières  de  l'Allemagne,  étoient 
revenues  fur  leurs  traces.  On  étoit  à  la  veille  d'éprou- 
ver de  nouveau   leurs  brigandages  ,  lorfque  l'embaras 


344  Histoire   de   France, 

Î5î5!!=!!î!  où  fe  troiîvoit  le  confeil  du  roi  fut  enfin  terminé  par 
Ann.  i3^f.  Tarivée  de  Henri  de  Tranftamare  k  la  cour  d'Avignon. 
Ce  prince  ven  oit  pour  fui  vre  auprès  du  pape  la  conda- 
nation  du  roi  de  Caftille  fon  frère  f  qui  par  fa  conduite 
tyrannique  avoit  foulevé  toute  l'Efpagfie.  Dom  Fedre 
(  c'étoit  le  nom  de  Ce  monarque  ,  auquel  on  ajouta 
celui  de  cruel  ,  qu'il  n'avoit  que  trop  mérité  ,  )  étoit 
devenu   l'objet  de  la  haine   univerfele.    L'horreur  des 

f)euples  oprimés  par  fon  avarice  (a)  ,  l'indÎMatibn  de 
a  noblefle  dont  il  avoic  prodigué  le  fang  ,  Te  reffenti- 
ment  des  princes  de  fa  maifon  ,  viâimes  de  fes  injuf- 
tices  &  de  fa  barbarie  ,  préparoieïit  depuis  long-temps 
la  perce  de  cet  indigne  monarque. 
Guerre  d'Ef-      Henri  fie  propofer  au  roi  le  renou vêlement  du  traité 
pagne.  Départ  nui  avoit  été  projeté  fous  le  règne  précédent ,  par  lequel 
Scr""^*"     il  s'ofroit  de  prendre  à  fon  fervice  les  compagnies  qui 
Hifi.  dEfp.  caufoient  tant  de  maux  en  France.  La  propofition  rut 
Mariana  &     acceptée  ,  &  lon  choifit  pour  mettre  à  la  tête  de  ces 
^^Froifàrd.     ^^^P^s  Bertrand  du  Guefclin  ,  qui  étoit  encore  prifon- 
Du  Tiiiec.    nier  de  guerre.  Chandos  exigea  cent  mille  francs  pour 
^^'/^''  ^^   fa  rançon  :  le  roi  en  paya  quarante  mille  livres  ,  le  pape 
chron.  MS.  &  I^  Éaftillan  fournirent  le  refte, 

SpîciLcontin.  Charles  en  foulageant  ks  Etats  retiroit  encore  un 
deNang.  autre  avantage  de  cete  encreprife  :  il  fatisfeifoit  une 
vengeance  légitime.  Fedre  étoit  accufé  par  la  voix  pu* 
blique  de  la  mort  de  Blanche  de  Bourbon  fon  époufe, 
la  plus  bêle  j  la  plus  vertueufe  &  la  plus  infortunée 
princefTe  de  fon  temps.  Cete  reine  fœqr  de  la  reine  de 
France  ^  après  dix  années  de  mariage  paiTées  dans  la 
difgrace  ou  la  captivité  ,  avoit  fini  fes  jours  dans  le  châ^ 
teau  de  Xérès  y  où  fon  barbare  époux  ^  félon  quelques 
écrivains  ,  l'avoit  fait  empoifonner  :  d'autres  aflurenç 
qu'elle  fut  étoufée  entre  deux  matelas.  Ceux  qui  ont 
voulu  noircir  la  réputation  de  çete  malheùreufe  reine, 
par  le  foupçon  d'un  commerce   criminel  avec  un  des 

{a)  A  fa  mort  on  trouva  dans  fes  cofres  cent  cinquante  millions  ,  fomme 
prodigicufc  pour  le  temps ,  &  qui  paroît  prcfquc  incroyable.  Wft.  d^Efpagn'ê  ^ 
Alariana  ^  Firrgra^ ,  &f. 

feerç? 


Charles    V.  345 

Ibères  naturels  du  roi  ,  n'ont  pu  apuyer  ccte  odieufe  ■ 

imputation  fur  aucun  fondement  vraifemblable.  Ann.  ij^^ 

On  prit  avec  du  Gucfclin  les  mefures  les  plus  con- 
venables pour  déterminer  les  compagnies  au  voyage 
<l'£fpagne.  Elles  étoient  alors  campées  aux  environs  de 
Châlôns-fur-Sone  ,  &  formoient  une  arniée  de  trente 
mille  combatants.  Le  faint  père  avoit  employé  contre 
ces  brigands  les  armes  fpiritueles  ;  mais  ils  ora voient 
les  foudres  de  l'églife.  Urbain  ne  ceflbit  de  les  excom-  Trifir  des 
munier  :  on  retrouve  encore  dans  le  tréfor  de  nos  ^^^'' J^^f* 
Chartres  les  fentences  réitérées,  lancées  contre  eux,  .&  ^^^iiid.j^â. 
les  promelTes  de  pardons  &  d'indulgences  ,  enfin  de  Bertrand  du  * 
toutes  les  grâces  apoftoliques  à  ceux  qui  prcndroient  ^^^^^xiiu 
les  armes  pour  les  exterminer.  Le  fouverain  pontife 
voyant  que  ces  remèdes  n'opéroient  que  foiblement  fur 
des  pécheurs  endurcis  ,  prit  une  autre  voie  :  il  les 
exhorta  par  fes  bules  k  quiter  le  genre  de  vie  qu'ils 
xnenoient  ,  en  les  aiTurant  d'une  abfolution  générale 
pour  tous  leurs  crimes  paiTés  :  ils  furent  aum  foUrds 
aux  exhortations  qu'ils  l'avoient  été  aux. menaces.  £n^ 
vain  le  pape  fit  iojftruire  leur  procès  en  plein  confif*- 
toire  ,  les  cita  k  comparoître  ,  les  condana  ,  les  dé^ 
clara  excommuniés  ,  agrava  les  cenfures  ,  défendis 
qu'on  leur  donnât  la  fépulture  :  vingt  bules|  d'interdit 
ou  d*indulgences ,  furent  moins  éficaces  qu'une  fimple 
promefTe  de  du  Guefclin.  Il  s'obligea  par  un  aâe  au-^ 
centique  d'emmener  hors  de  la  r  rance  hâtivement  j 
Jansjéjour  &  fans  exaSion  ,  les  compagnies  qui  étoient 
en  Bretagne  ,  Normandie  ,  pays  Chartrain  &  ailleurs , 
moyennant  une  fomme  que  k  roi  devoit  fournir. 

L'événement  prouva  qu'on  ne  pouvoit  confier  cete 
importante  commiffionk  quelqu'un  plus  capable  de  s'en 
aquiter.  Le  chevalier  Breton  envoya  un  héraut  chargé 
de  demander  aux  chefs  un  fauf-conduit  pour  les  aler 
trouver  :  l'ayant  reçu  ,  il  fe  rendit  à  leur  çanip.  L'arc 
des  négociations  étoit  inuàle  auprès  de  gens  que  le  feul 
iotérèt  préfent  conduifoic  II  fe  contenta  de  leyr  repré^ 
fenter  avec  une  liberté  guerrière  les  défordres  de  leur 
Tome  V.  X  x 


34^  Histoire   de   Frakce^ 

vie  :  Nous  avons  ajft[fait  vous  &  moi  ,  leur  dit-  il , 


latjfons.  A  cete  brufque 
des  raifons  plus  convainquantes  pour  de  pareilles  gens  : 
il  leur  fit  envifager  le  profit  qu'ils  retireroient  de  Pen- 
treprife  qu'il  leur  propofoit ,  les  tréfors  du  roi  de  Caf- 
tille  livres  à  leur  difcrétion  j  une  fortune  afiurée  ,  & 
pour  premier  éfet  de  fes  promefTes  deux  cent  mille 
francs  de  la  part  du  roi  de  France.  Il  finit  fa  harangue 
militaire  en  leur  annonçant  qu'avant  leur  entrée  en  Ef- 
pagne  ,  il  fe  propofoit  d'aler  avec  eux  rendre  vifîte  à 
fa  Sainteté.  On  ne  peut  s'empêcher  de  regreter  qu'en 
cete  ocafion  du  Guefclin  eût  oublié  que  le  faint  père 
venoit  récemment  d'aquiter  une  partie  de  fa  rançon. 
Le  projet  du  voyage  d'Avignon   étoit  toujours  flateur 

Î^our  cete  foldatefque  infatiable.  Le*  traité  fut  conclu 
ur- le- champ  :  les  chefs  vinrent  à  Paris  faluer  le  roi. 
Ils  furent  acœuillis  favorablement ,  on  les  régala  f^Ien- 
didement  au  Temple ,  on  leur  fit  des  préfents  outre  les 
deux  cent  mille  francs  qu'ils  touchèrent.  Ils  partirent 
fatîsfaits  ,  &  rejoignirent  les  leurs  pour  faire  les  prépa- 
ratifs du  départ. 

Le  projet  de  la  guerre  d'Efpagne  étant  rendu  public, 
plufieurs  feigneurs  &  chevaliers  fe  joignirent  aux  com* 
pagnies  ,  tels  que  le  maréchal  d'Andreghen ,  le  fire  de 
Beau  jeu  ,  le  Bègue  de  Vilaines  ,  les  'fires  d'Albret ,  de 
Mauni  ,  d'Auberticourt  ,  d'Anthoin  ,  de  Brinel  ,  de 
Neuville,  deBailleul,  de  Berguette ,  de  Saint- Venant, 
&  une  infinité  d'autres  gentilshommes  de  moindre  dif- 
tinâion.  Bertrand  du  Guefclin  fit  ofrir  à  Jean  Chandos 
de  partager  avec  lui  l'honeur  de  cete  expédition  :  il  s'en 
excufa ,  mais  fon  refus  n'empêcha  pas  plufieurs  cheva- 
liers Anglois  de  prendre  'parti  :  le  jeune  comte  de  la 
Marche ,  Jean  de  Bourbon  ,  fut  nommé  par  le  roi  pour 
chef  de  Tentreprife  ,  avec  or^re  de  fe  conduire  en  tout 
par  les  avis  de  du  Guefclin  qu!i  étoit  le  véritable  géné- 
ral. 


Charles    V.  347 

Du  Guefclîn ,  pour  s'aquiter  de  Ùl  prbmeflc ,  prit  la 


route  de  la  Provence.  Urbain  ne  s'atendoit  pas  à  cete   ^nn.  i$6s. 
importune  vîfite.  Lorfque  Tarmée  aprocha  d'Avignon ,   ^  ^^l^^ 
il  envoya  au-devant  d'elle  un  cardinal  chargé  de  la  me-  n^fircoiff 
nacer  de  Texcommunication ,  fi  elle  ne  fe  retiroit  prom-  «l'Ay^non. 
rement  du   territoire  de  Téglife.    Le  cardinal  s'aquita     ^y^^j^sde 
de  cette  commiflîon  à  contre  cœur  ^  fçachant  trop  à  duGuifcUn. 
.queles  gens  il  avoit  à  faire.  Le  premier  auquel  il  s'adrefTa 
étoit  un  Anglois  ,  qui  lui  dit  :  Soyer  le  bien  venu  ,  apor- 
te^-vous  de  ^argent  (  a  )  ?   Cette  demande  renfermoic 

(a)  On  a  fiiprimé  les  propos  tenns  de  part  &  d'autre  dans  cete  négociation  » 
difcours  trop  fidèlement  raportés  par  quelques  hiftoriens  fur  la  foi  des  Roman- 
ciers de  ce  ficelé.  Ces  produdîons  grofileres  d'une  imagination  déréglée ,  ne 
méritent  pas  d'être  inférées  dans  le  corps  de  Thiftoire  :  cependant  pour  latisfaire 
ceux  des  ieâonrs  qui  font  curieux  d'examiner  dans  ces  morceatix  détachés  la 
toumute  d*efprit  qui  régnoit  alors ,  on  fe  contentera  d'en  placer  ici  un  fimpie 
extraie ,  qui  inffira  pour  faire  îuger  du  refte.  Du  Guefclîn ,  fuivant  le  Roman 
qui  pone  fon  nom  ,  ayant  déclaré  au  cardinal  qu'il  faloit  pour  (on  armée 
,  aooéoo  francs  9c  rabfolution ,  le  prélat  répondit  que  pour  des  pardons  on  lui 
en  donneroit  tant  qu'il  vondroit ,  mats  que  pour  de  l'argent  c'6toit  une  autre 
afaire.  Bertrand  reprit  que  fes  gens  préféroient  l'or  à  l'abfolution.  ^'Ce  font  tous 
»>  des  earnements  ,  ajouta-t-il  ,  nous  les  faifons  prud-hommes  malgré  eux.  <( 
Il  con&lla  an  prélat  de  fe  déterminer  promptemcnt.  Le  cardinal  fit  Con  raporc 
au  pape ,  &  lui  remit  en  même-temps  la  confeffion  générale  de  toute  l'année 
ca  ces  termes  :  ' 

Je  TOUS  viens  aporter  la  lot  confeflîon  s 

Us  ont  ars  maint  moutier  »  mainte  belle  maife» 

Occis  femmes ,  cnfans ,  à  grande  deftrudion  « 

Pucelles  Tiolées  Se  dames  de  grand  nom ,  &c»  . 

Four  tous  ces  crimes  ils  demandent  rabfolution»  Us  t'auront  ,  dit  le  papei 
mais  lorfque  le  cardinal  ajoute  qu'ils  exigent  xooooo  francs  »  ie  faint  Perc  n'en 
veut  point  entendre  parler.  Enfin  voyant  dans  la  campagne  les  ravages  conunis 
par  les  compagnies ,  il  fe  réfolut  à  faite  cotifer  les  bourgeois  d'Avignon.  Le 
prélat  retourne  au  camp  avec  la  fomme.  Bertrand  inftruit  de  la  onaniere  dont 
die  avoit  été  levée ,  fe  fait  un  fcrupule  de  la  recevoir. 

Ha  Dieu  !  fe  dit  Benrand ,  or  vois-je  chrétienté 

Pleine  de  convoitife  &  de  déloyauté  ; 

Avarice  &  orgueuil  te  toute  vanité 

Demeure  en  fainte  Eglife  &  toute  cruauté  ^ 

Cil  qui  doivent  garder  fainte  chrétienté 

Et  donner  de  leurs  biçns  pour  Dieu  de  ivajefté  ; 

AS  11 


348  Histoire   de   Frakce, 

^.  Tunique  objet  fur  lequel  Te  prélat  devoit  diriger  fa  mit- 

Ann.  1)^5.    fion.  Les  généraux  lui  répétèrent  à-peu-près  la  même 
chofe  ,  en  termes  plus  ménagés.  On  fit  quelques  difi- 
cultés  :  cependant  les  troupes  ravageoient  les  environs 
d'Avignon.  Le  pape  voyoit  de  fon  palais  la  défolation 
des  campagnes  ;  il  falut  céder  &  acheter  l'éloignement 
de  ces  brigands  y  en  leur  acordant  ce  qu^ils  demandoienc. 
Les  généraux  n*étoient  que  foiblement  obéis   par  une 
armée  compofée  en  grande  partie  de  voleurs  &  de  fcé-. 
lérats  ,  la  lie  des  nations  de  l'Europe  ,  acoutumés  aux 
forfaits  &  à  l'indépendance.  C'étoit  beaucoup  que  de 
pouvoir  modérer  leurs  brigandages  ,  en  ne  les  laiiTanc 
féjourner  dans  les  provinces  que  le  moins  qu*il  étoit  pof- 
fible. 
Ann.  i}6é.        Ces  hôtes  incommodes  étoient  atendus  en  Efpagne 
GucrrcdEf-  ^y^Q  autant   d'impatience   qu'on  en   avoit  en  France 
Sc^ranftama-  jpour  leur  fortie.  Du  Guefclin,  après  avoir  traverfé  ra- 
re détrône      pîdemeut  le  Languedoc  &  le  refte  de  la  France  méri- 
^«rwEr    ^^^'^^^^  9  ^^^^^  ^^^^  1* Aragon.   A  Tarivée  de  ces  trou- 
j/lJiânaJtf"  pes  ,  les  places  prifes  fur  TAragonnois  par  le  roi  de 
Ttras^Ajda^  CaftiUe  furent  emportées.   Henri  de  Tranftamare  vînt 
^^FroiiTari     \^^^^^^  ^^  Gucfcliu  ,   avec  lequel  il  entra  en  CaftiUe. 
OrotuMS.  Jamais  révolution  ne  fût  fi  prompte  :  ce  fut  plutôt  une 
courfe  qu'une  conquête  :  Henri  le  préfenta  devant  Ca- 
lahorre  qui  lui  ouvrit  fes  portes.  Ce  fut  en  cete  ville 
qu'à  la  perfuafion  de  du  Guefclin  ,  de  Hue  de  Caure- 
ree ,  &  du  comte  de  Ribagorce ,  il  fe  fit  pour  la  pre- 
mière fois  proclamer  roi  de  CaftiUe.  Sans  perdre  de 

Ce  (ont  eux  qai  le  tiennent  enclos  &  enfermé , 
Et  (prennent  tout  par-tout  tfc  ont  tout  demandé  « 
Et  non  tiéant  vaillant  de  leur  propre  hérité  ,  fie. 

Après  cette  indécente  exclamation  il  Renvoya  le  cardinal  ,  en  aiTurant  <fo*]| 
précendoit  que  l^argent  fût  rendu  aux  habitants  &  que  la  fomme  fut  tirée  do 
créfor  de  leglife.  Toute  cette  relation  ,  qui  ne  fe  trouve  que  dans  le  Roman 
en  vers  de  la  vie  de  du  Guefclin ,  paroit  fufpeâe*  Un  écrivain  qui  fe  fonde- 
roit  fur  de  pareilles  autorités ,  quand  elles  ne  font  pas  confirmées  par  des  au- 
teurs plus  graves  ,  donneroit  au-lieu  d'une  hiftoire  »  un  tilTu  de  faolcs  abfor- 
des ,  aventurées  par  de  mauvais  veifificateurs^ 


Charles    V,  349 

temps  ,  il  marche  vers  Burgos  ,  où  Dom  Pedre  intimidé  ■ 

n'ofe  Tatendre.  Rien  n'eft  capable  de  calmer  i'éfroi  du  Ann.  i}66. 
tyran.  En  vain  les  principaux  habitants  ,  les  feigneurs  , 
&  ks  généraux  le  preffent  de  marcher  à  Tennemi  ,  le 
conjurent  de  ne  pas  douter  de  leur  zèle  &  de  leur  fidé- 
lité :  convaincu  par  les  remords  dont  il  eft  déchiré  , 
qu'il  n'a  mérité  Tatachement  d'aucun  de  fes  fujets  ,  il 
le  retire  avec  précipitation  à  Séville  ,  dans  le  delTein 
d'enlever  de  cete  ville  fa  famille  &  fes  tréfors.  Tout 
plie  fous  le  nouveau  roi  :  viftorieux  fans  avoir  comba- 
tu  ,  il  foumet  en  paflant  Navarette  ,  il  arive  k  Burgos , 
sy  fait  proclamer  pour  la  féconde  fois  ;  fans  s'arêter  il 
fc  remet  à  la  pourfuite  de  fon  frère  :  à  peine  la  ville 
de  Tolède  ofe-t-elle  réfifter  un  moment.  Maître  abfolu 
de  la  nouvcle .  Caftille  ,  il  pafTe  en  Andaloufie.  Les  ha- 
bitants de  Cordoue  le  reçoivent  ^  il  entre  à  Séville ,  il 
J7  trouve  un.  tréfor  immenfe,  que*  la  précipitation  avec 
aquele  Pçdre  avoit  abandonné  cete  ville  ,  ne  lui  avoit 
{)as  permis  d'emporçer.  Il  pénètre  enfuite  dans  la  Ga- 
ice  ,  qu  il  foumet  en  partie  ,  &  revient  tenir  les  Etats 
à  Bureos. 

Le  barbare  &  malheureux  Dom  Pedre  en  partant    Pcdrc fugitif, 
de  Séville  avoit  envoyé  Béatrix  fa  fille  avec  une  partie  ^^  f"'^^  *^ 
de  fes  tréfors  au  roi  de  Portugal  fon  alié  ,  dont  le  fils  ^^^l^J^'^ 
devoit  époufcr  la  princeflb.  Les  circonftances  ne  déci- 
dent que  trop  fouvent  de  Tamitié  des  fouverains.  Pedre 
étoit  détrône  ,  fugitif.    Le  roi  de  Portugal  lui  envoya 
Béatrix  &  (es  tréfors  ,  en  lui  faîfant  hgnifier   de  ne    . 
pas  entrer  plus  avant  dans  fes  Etats.  Le  roi  de  Caftille 
privé  de  la  feule  retraite  fur  laquele  il  comptoit  ,  fut 
obligé  de  fuir  dans  la  Galice.  A  rivé  dans  cete  provin- 
ce ,  le  mauvais  état  de  fes  afaires  ,  loin  d'adoucir  la 
férocité  de  fon  ame  ,  parut  n'avoir  fervi  qu'à  l'iriter  : 
il  laifToit  en  tous  lieux  des  traces  de  fa  cruauté.    La 
mort  de  l'archevêque  de  Saint- Jacques  ,  mafîacré  à  la 
porte  de   Téglife  ,   &  celle   du  doyen  de   cete   cathé- 
drale immole  au  pied  des  autels  y  en  préfence  même  de 
ce  prince  inhuAiain  1  furent  les  dermers  éfets  de  fa  fu- 


3^0  Histoire   deFrance, 

!  reur  (a).  Sa  crainte  redoublant  fans  cefle ,  il  fut  bien- 

Ann.  i}66.    tôt  obligé  de  s*embarquer  à  la  Corogne  pour  aler  en 

France  implorer  le  fecours  d'Edouard  :  heureux  dans  fa 

difgrace  de  trouver  dans  la  générofité  de  ce  prince  un 

afyle  &  des  fecours  dont  il  étoit  fi  peu  digne. 

Le  départ  des  compagnies  acheva  de  rendre  le  calme 
après  lequel  on  foupiroit  depuis  fi   long  -  temps.  Les 
peuples  ne  pouvoient  fe  lafler  d'admirer  &  de  combler 
de  bénédiâions  le  prince  auquel*  ils  étoient  redevables 
de  cet  heureux  changement.  Charles  ne  perdit  point  un 
temps  fi  précieux.  On  le  vit  apliquer  tous  fes  foins  à 
réparer  les  maux  ocafionnés  par  les  défordres  précé- 
dents. Economie  dans  les'  finances  y  rétablifTement  des 
monnoies.  9   modération  des  fiibfides  ,   prVteâion   des 
cultivateurs  ,  liberté  du  commerce  ;  il  n'y  avoir  pas  une 
feule  de  ces  parties  qui  n'exigeât  une  atention  particu- 
lière. 
Monnoics.         L'altération  des  monnoies  avait  befoin  d'un  promc 
RecœuU  des  remède.  A  la  faveur  des  infidélités  commifes  dans  les 
tfr^o/i«fl«««.    refontes  ,  il  s'étoit  introduit  dans  le  royaume  quantité 
cour^^£'s  mon-  ^^  mounoies  étrangères  d'un  aloi  encore  inférieur.  Le 
noies joLiix^  TOI  pourvut  k  cct  inconvéuicnt  ,  en  raprochant  le  prix 
^iA/i/o/iif.  ^^^  métaux  de  la  valeur  qu'ils  avoient  fous  Philippe  de 
Valois  (  b) .   Par  ce  moyen  les  efpeces  febriquées  hors 
du  royaume  fe  décréditerent  d'elles-mêmes  y  quoiqu'on 
eût  acordé  un  délai  pour  le  décri.    Les  gages  des   ofi- 
ciers  des  monnoies  turent  réformés  &  fixés  :  les  ofices 
de  contre-gardes  ,  jugés  inutiles  ,  furent  retranchés ,  & 
leurs  fondions  atribuées  aux    gardes.    L^éçablifiement 
d'un  hôtel  des  monnoies  dans  la  ville  de  Tours  eft  de 
ce  même  temps. 

Il  n'étoit  pas  moins  nécefiaire  de  fonger  au  foulage- 

{a)  Tant  de  meurtres  &  de  facrîlegcs  multiplièrent  fur  fa  cétc  les  anathémes 
^Iminés  contre  lui  par  le  pape.  «  Il  fut  avifé  ,  dit  Froiffard ,  qu  il  n'étoit  roîc 
»  digne  de  poner  le  nom  de  roi,  ne  de  tenir  le  royaume,  U.  fut  en  plein  con/îf- 
»  toirc  d'Avignon  ,  en  la  chambre  dcsi  excommuniés  ,  ^publiquement  déclaré 

»  &  réputé  pour  B &  incrédule  «. 

^  {h)  Le  marc  d'or  fin  fut  fixé  à  foixaote-quatre  livres  •  8c  le  marc  d  aident  à 
cinq  livres  cinq  fous.  ' 


.çient  des  provinces  ruinées  par  la  guerre  ,  en  modérant  — "^^ 
le  poids  des  impofitions  donc  elles  étoient  acablées.  Le   Ann.  i^eé. 
roi  leur  acorda  cece  grâce  aufli  conforme  à  la  juftice     Diminution 

Su'k  l'humanité.   La  jnupart  obtinrent  des   diminutions  ^^VS^^r"^? 
efeux  (a).   Pour  comprendre  le  fens  de  cete  expref-  Chartres. 
fion  9  il  eft  à  propos   de  fe  rapeler  que  les.fubiides     KecœuU  des 
étoient  impof^s  par  familles  ou  teux.  Les  états  conte-  ^''^*^'*"^''"^' 
nant  le  nombre  des  feux  renfermés  dans  chaque  pro- 
vince y  avoient  été  drelTés  dans  des  temps  où  la  popu- 
lation étoit  beaucoup  plus  confîdérable  qu'elle  ne  Tétoit 
alors  ;  cependant  la  néceflité  avoit  contraint  de  fuivre 
toujours  Tanciènne  répartition  ,  en  forte  qu'on  reietoit 
fur  les  familles  qui  exiftoient  y  la  part  de  l'impolition 
qu'on  ne  pouvoit  plus  lever  fur  celles  qui  étoient  étein- 
tes.   Ce  genre  de  vexation  difparut  fous  le  règne  de 
Charles. 

.    Des  commifTaires  ,  chargés  dMnftruâions  particulier     Domaines. 
res  ,  furent  envoyés  dans  les  provinces  pour  examiner     Ckambredes 
l'état  des  domaines  ,  dont  les  revenus  formoient  alors  ^^uiD^foi 
la  plus  grande  richelTe  du  fouverain.  Ces  commifTaires  ^99. 
étoient  chargés  de  raporter  les  procès-verbaux  de  leurs 
perquifitions ,  afin  que  fur  leur  raport  le  confeil  fût  en 
état  d'ordonner  les  réparations  &  les  améliorations  dont 
le  patrimoine  royal  étoit  fufceptible. 

La  France  reprenoit  une  face  nouvele.  Les  habitants  Agriculture. 
des  campajgnes  labouroient  cete  terre  dont  la  fécondité 
avoit  été  fi  long- temps  ralentie  par  les  horreurs  de  la 
guerre  :  l'abondance  renaquit  du  travail  paifible  des  cul- 
tivateurs. Les  Eîfançois  ,  plus  que  toute  autre  nation  , 
oublient  aifément  les  malheurs  paffés  :  plufieurs  années 
de  ftérilité  font  éfacées  par  une  année  d'abondance.  Ils 
doivent  peut-être  moins  cete  heureufe  difpofition  à  leur 
caraâere  ^  qu'à  la  nature  du  climat  ,  &  à  la  fertilité  ' 
du  pays  qu'ils  habitent. 

yuoique  le  commerce  fût  bien  éloigné  de  cet  état    Etatd 
de '^rofpérité  où  nos  pères  l'ont  vu  s'élever  par  les  foins  "*""• 

{é)  On  trouve  dans  le  Tr^ for  des  Chartres  plus  de  deux  cents 'lettres  de  cece 
espèce  9  expédiées  en  faveur  des  diférentc$  villes  &  communautés. 


;  du  coBi- 


5^2  Histoire  de  France, 

■  vigilants  du  minîftre  d'un  de  nos  plus  grands  roîs  ;  il* 
Ann.  1^66.    ^^  £^^^  ^^^  cependant  s'im agi ncF  qu'il  fôt  alors  abfolu- 
Manufaaorcs.  ment  négligé  par  un  peuple  aâif  &  induftrieux.  Nous 
avions  en  France  plulieurs  manufaâures  ,  groffieres  à 
la  vérité  ,  mais  qui  auroient  pu  nous  fufire ,  fi  le  luxe 
n'a  voit  »  fait  donner  la  préférence  aux  ouvrages  étran- 
gers. On  frabriquoit  des  draps  dans  pluffeurs  villes, 
leles  que  Paris  ,  Rouen ,  Amiens ,  Tournai  ,  Reims , 
Carcanonne  ,'  Marvejols  ,  Saint  ^  Orner  ,   Dourlens  , 
Châlons  ,  Térouane  ,   Beaiivais  ,  Louviers  ,  &c.  On 
îgnoroit  à  la  vérité  la  manière  de  préparer  les  laines 
avec  autant  de  fuccès  qu'en  Flandre.  JHruxelles  fournilToit 
les  draps  fins  pour  les  habits  des  feigneurs  6c  des  gens 
riches,  il  en  étoit  k  -  peu  -  près  de  même  de  toutes  nos 
autres  manufaâures.  Les  plus  bêles  étofes  de  foie  nous 
venpient  d'Italie  ,  Quoique  depuis  long-temps  les  mar- 
chands Italiens  eunent  aporté  des  vers  à  foie  dans  nos 
provinces  méridionales. 
Corps  des        Depuis  lonç-temps  dans  nos  grandes  villes  ,  les  mar- 
marchands.      chands  &  artifans  étoient  réunis  en  corps  de  commu- 
nautés, diflinguées  les  unes  des  autres  p^r  des  privi- 
lèges ,  des  ufages  &  des  flatuts  qui  leur  étoient  par- 
ticuliers.  La  plupart  de  ces  établilTements  avoient  été 
inftitués   par  faint  Louis;  mais  il  n'avoit  fait  que  con- 
firmer Içurs  coutumes ,  dont  l'origine  remontoit  à  des 
Tréfor  des    temps  bien  antérieurs.  La  fingularité  de  quelques-unes 
chart.  reg.  ,4,  de  CCS  coutumes  témoigne  leur  ancienneté.   On  trouve 
du  chàteUt^^  P^^  exemple  dans  les  loix  de  la  confrairie  des  drapiers 
p.  78.        '    de  Paris ,  qu'aux  rejpas  publics  de  cetfc  communauté , 
Rtcœuildis  jj  y  ^y^jf  ^^  p^^  deftiné  pour  le  roi.  Item  le  roi  notre 
Jeigneur  doit  avoir  Jon  mets  entier.  Ces  velbges  de  1  an- 
cienne fimplicité  fembleroient  annoncer  que  nos   rois 
jadis  ne  dédaignoient  pas  de  fe  trouver  à  ces  fortes 
d'affemblées. 

Les  marchands  &  artifans  formoient  dans  les  villes 
le  corps  le  plus  confidérable  ,  la  nobleffe  pafTant  ftne 
grande  pal-tie  de  Tannée  dans  les  châteaux,  lorfqu'elle 
n'étoit  pas  employée  à  la  fuipe  de  la* cour  ou  ckns  les 

armées. 


,         C  H  A  R  1^  s  s     V.  3^3 

jnrftiéeiSt  Les  compagnies  générales  de  commerce  diftri-  1 

bxxéc^  en  diférences  çlaiTes  fe)bn  les  diyerfes  profeffions    Ann,  ijé^. 
qu'elles  exer^oienc ,  s'étoienc  acrues  fucceflivement  par 
les  privilèges  qu'elles  avoienc  obtenus. 

Le  plus  aiipien  de  coqf  J^ç.  corps  de  marchands  du 
royaume  ,  eft  fans ,  contredifi  celui  des  marchands  de 
Pftris*    Poui?   découvrir  rorigine   du    corps  municipal 
connu  de  nos  jours  {q\x$  le  nom  d'hôtel-^e-yille ,  il  faut 
remonter   plufieurs  fiecles  au-delà  du  commencement 
de  la  monarchie.   Il  y  a  près   de  dix -huit  cents  ans     Mim.  délits 
qu'il  exiftoii;  fous   l'epipire   de, Tibère  une  fociété  de  ^^'^^^^'^^^^^^ 
commerçants  par  eau,  défigpée  fous  le  nom  de  Nauta  M.Bonamy. 
Parijîaci:  Cete  fpciété' n'^  jamais  éprouvé  d'autres  in-     ^'f*"^^  f^j 
téruptions    que   celles    qui   ont'  dû   naturélement  être  nlft.'df^FarU. 
ocafionnées  par  les  révolutions  dans  le  gouvernement  j     Recœuii  des 
&  ces  fufoenfions  momentanées  ne  l'ont  pas  empê*  ^'^'^Tr^for^^^s 
chée  de  fubfifter  jufqu'à  ce  jour.   Sous  le  règne  de  Chart.rcg.io. 
Louis  VII,  les  bourgeois  de  Paris  commerçants  fur 
la  Seine  ,  obtinrent  du  roi  la  confirmation  des  privi- 
lèges dont  ils  avoient  jpuï  fous   fes  prédécefleurs.  Ils 
venoient  d'aquérir  des  religieufes  de  Haute  -  Bruyère     chan.deia 
un  emplacement  hors  de  la  ville,  dans  le  deffein  dy  ^^^'"*''*  ^" 
établir  un  port  pour  la  commodité  de  leur  commerce.    ^'"^"^' 

Cete  conimunguté  de  marchands  étoit  apelée  Hanji , 
d'un  ancien  mot  celtique  quiiignifie  fociété.  Elle  avok  ^ 
le   privilège   exdufif  de  tout  commerce  par  eau.  Les 
négociants   étrangers   qui  youloient  amener  des  mar<- 
çhandifes  pour  leur  propre  compte,  étoient  dans  l'obli- 
gation de  s'y  faire   agréger   &  de  s'aflocier  avec    un 
marchand  hanfé  de  Paris  ,  qui  les  acompagnoit  pen^ 
dant  le  cours  du  débit  de  leurs  marchandifes.  Les  rois    Gnftitrhà^ 
acorderent   à  la    fociété    dt^   marchands   de  Veau  ^  la  ul-it-yiUu 
moitié  des  amendes  &  confifcations  :  ils  leur  atribuerent 

Î>lufîeurs  autres  droits,  tels  que  la  levée  de  quelques 
égeres  impofitiqns  fur  diférents  corps,  la  faculté  d'a-r 
yêter  leurs  débiteurs.  Ces  prérogatives  excitèrent  l'ému? 
lacion  de  la  plupart  4es  bourgeois ,  qui  s'empreiTereni 
4'y  être.,  admis. 


354  HisToini  Di  Faai^ce, 

'iSSSS!!;;!^  Les  marchands  dt  Vtau  y  pour  la  direâion  des  afairet 
Atifi.  i^w.  communes  de  leur  fociété,  avoient  fait  choix  d'un  pré* 
wa^ch^^d^*^*  v6t ,  qui  aflifté  d^oficiers  inférieurs ,  apelés  Eckevins , 
£chcvins.  exerçoic  une  jurifdiâion  particulière  (ur  eux.  C*eft  à 
^ete  inftitution  que  Ton  peut  atribu^r  Torigine  de  la 
police  &  infpeâion  que  le  prévôt  des  marchands  6c  les 
échevins  ont  fur  la  rivière.  Lès  avantages  que  les  mar- 
chands retiroient  d'une  pareille  union  durent  faire  afpi^*- 
rer  tous  les  corps  de  commerce  à  s^  faire  agréger  > 
enforte  que  tous  les  habitants  de  Paris  >  bourgeois  ^  né^ 
gociants  èc  artifans ,  eurent  une  relation  immédiate  ou 
indireâe  à  eete  aflbciation  générale.  La  jurifdiôion  du 
prévôt  des  marchands  &  des  échevins  embrafïa  par  ce 
moyen  prefque  toute  la  ville  dans  fon  reffort.  La  né- 
celficé  où  fe  trouva  le  gouvernement  d*impofer  difë- 
rences  aides  fur  les  Parifiens,  acrut  encore  Tautorité 
du  corps  municipal.  Les  rois  lui  atribuerent  la  connoif^ 
fance  des  conteftacions  entre  les  coleâeurs  &  les  habi- 
tants. L'impofition  de  la  capitàtion  fe  fait  encore  de 
hôs  jours  par  le  prévôt  des  marchands  &  les  échevios» 
Ils  turent  apelés  aux  affemblées  de  police  y  aux  élec- 
,  tions  des  jurés.  On  a  vu  fous  le  règne  précédent  quele 
étoit  Tautorité  des  magiftrats  municipaux ,  par  labus 
que  Marcel  &  les  échevins  firent  de  leur  errait  fur  le 
peuple. 

Les  afaires  concernant  îe  commerce  fe  traitotenc  en 
commun.  Les  marchands  ffe  rendoient  pour  tenir  leurs 
conférences  ,  dans  un  lieu  apelé  de  toute  ancienneté , 
h  pariottcr  aux  bourgeois.  Ces  aflemblées  fe  tenoient 
fous  la  première  race ,  au  Keu  où  font  aâuélement  li- 
tués  les  Jacobïtts  de  la  rue  Saint- Jacques.  Sous  les  der- 
niers defcendants  de  Gharkmagne  ,  cetc  partie  de  la 
ville  avant  été  détruite  par  les  ravages  des  Normands , 
le  parlouer  aux  bourgeois  fut  transféré  dans  une  mai- 
fon  près  du  grand  Châtelet ,  où  Ton  contînna  de  s'af- 
fembler  jnfqu'aûx  dernières  années  du  règne  de  Jean. 
Ce  fut  pendant  la  prifon  de  ce  prince  que  Marcel  & 
les  échevins  firent  Taquifition  d'une  maifbn  fituée  dan« 


Char£ss    V.  35^ 

la  place  de  Grève  y  apelée  la  mai/on  aux  pilliers  :  ce 
bâtiment  avoît  anciennement  apartenu  aux  dauphins  de 
Viennois.  Le  prix  de  cet  achat  fut  de  deux  mille  qua* 
tre  cents  florins  d'or  {a).  Uemplaçement  de  cete  mai* 
fou  ocupoit  une  partie  du  terrein  fur  lequel  eft  conf- 
truit  rhôtel-de-vtUe.  L'ancien  édifice  fltt  démoli  fous 
le  règne  de  François  I ,  qui  fit  jeter  les  fondements  du 
nouveau  bâtiment  ,  achevé  tel  que  nous  le  voyons 
aujourd'hui ,  fous  le  règne  de  Henri  IV. 

Le  roi  encouragea  toutes  les  diférentes  efpeces  de 
négociants  &  d'artifans  par  le  renouvélement  &  Fau-» 
gmencation  de  leurs  privilèges.  Non  content  de  pro-» 
réger  le  commerce  intérieur ,  il  atira  les  étrangers^ 
Ij€s  Caftillans  y  les  Poctu^s,  les  Italiens  fur  «  tout  > 
qui  étoient  alors  en  poflemon  de  Êiire  le  commerce 
maritime  le  plus  étendu  ,  furent  invités  à  fréquenter 
nos  ports  par  les  exemtions  &  par  la  liberté  qu'il 
leur  acorda. 

Les  foins  utiles  dont  le  monarque  s'ocupoit ,  ne  Teffl*- 
pêchoient  pas  d'orner  fes  palais  6c  d^embélir  la  capi- 
tale. Il  avoit  &it  conftruire  l'hôtel  de  SainD-Paul  (a) 
qu'il  habitoit  préférablement  k  toutes  les  demeures  royar 
les..  Il  apeloit  ce  palais  V hôtel  folennd  des  grands  éaaf 
tcments.  Il  l'unit  irrévocablement  au  domaine  de  la 
couronne  :  il  déclara  même  dans  les  lettres  d'union, 
qu'il  la  faifi>it  pour  la  finguliere  afeSion  qu\il  portoit 
audit  hôtel  ,  auquel  en  phijUurs  ptaipjs  il  avoit  aquis 
&  recouvré  à  Vaide  de  Ùïeu  fanté  de  pbifieurs  grandes 
maladies.  Quoique  ce  palais  fût  fbmptueux  pour  le 
temps  y  c'étoit  moins  la  magnificence  du  bâtiment  que 
rafpeâ  riant  de  fes  jardins  étendus  le  long  des  bords 
de  la  Seine  i  qm  Àiloit  de  ce  £é)our  un  lieu  de  délices 
pour  le  roi.  L^art  du  jardinage  n'avoit  pas  encore  écé 


Ano.  xji^. 


Trifor  des 
ckanr,  ^.97, 

Recœuil  dts 
ordonnaïuesm 


lAtiments. 

Union  de 
rhôtel  de  Se- 
Paul  au  do- 
maine. 

Chambre  des 
Comptes ,  mé- 
morial  D,  foU 
70  ,  reÛOm 

Recœuil  des 
ordonnances* 


M  Celte  Comme  reTieot  à  $%s^i  Hv.  tf  C  6  <L  de  notre  monnoîe. 

ii)  Cet  hocel  éioit  bâti  encfie  le  lien  od  eft  la  me  du  Ptdt-Mafc  on  des  Cé^ 
leftlns ,  Se  réglife  de  faint  Paul  dotit  il  tiroît  (on  nom.  Le  jardin  conteaaac 
y t9Ç  tcpencs  »  s'&e^deic  xks  «ôoé  de  la  xracsc  yaGfofaa  port  an  pi&cre.  La  Marrer 
Traité  de  la  iolk$  »  tom.  %  »  mt.  x%u 

Yy  ij 


3$*  Histoire   de   Fraz^cEi 

■  porté  à  ce  degré  d  élégance  &  de  perfeâion,  qui  rcC- 

Ann.  1^66.  treignant  Ics  agréments  d'un  jardin  au  feul  plaifir  de  la 
vue  &  de  Todorat  y  en  a  banni  abfolument  ce  qui  peut 
flater  le  goût.  Les  arbres  fruitiers ,  les  plantes  utiles^ 
les  légumes  difputoient  aux  fleurs  ,  aux  ifs  ,  aux  til- 
leuls ,.  rhoneur  d'cmbélir  les  vergers  de  nos  aïeux.  Cet 
agréable  défordre  qui  révolteroit  aujourd'hui  notre  dé- 
licatefTe ,  ofroit  peut-être  un  fpeâacle  aufli  agréable  que 
nos  par  terres,  figurés  ,  dont  Parangement  paroît  vouloir 
aflervir  les  beautés  touchantes  de  la  nature ,  que  Tart 
devroit  fe  contenjer  d'imiter.  Des  treilles  ,  des  ton- 
neles  ou  pavillons  de  verdures  embéliffoient  ces  enclos 
champêtres.  On  y  voyoit  des  arbres  fruitiers  de  toute 
efjpece  à  haute  tige  :  Tufage  des  arbres  nains  &  des 
efpaliers  n'étoit  pas  encore  connu.  Le  roi  fit  mettre  en 
une  feule  fois  cent  poiriers  ,  cent  quinze  pommiers , 
onze  cent  vingt-cinq  cerifiers  (a)  &  cent  cinauante 
pruniers.  Ces  fruits  étoient  deftinés  pour  les  tables  du 
roi ,  de  la  reine  &  des  grands  commenfaux  de  leurs 
.  maifons  :  on  ne  fervoit  que  des  noix  aux  tables  des  ofi- 
ciers  inférieurs.  On  ne  creufoit  point  la  terre  pour  y 
captiver  des  eaux   inutiles  :  àu4ieu  de  badins   &    de 

Î'ets-d'eau  ,  de  grands  viviers  remplis  de  poiiTons  ofroient 
e  plaifir  de  la  pèche.  Les  jardins  du  palais  des  Tour- 
.   xieles  y  ainfi  nommé  du   grand  nombre  de  tours  dont 
il  étoit  environné ,  étoient  à-peu- près  femblables  à  ceux 
de  Phôtel  de  Saint-Paul.  On  avoit  pratiqué  dans  ceux 
du   palais    des  Tourneles  un  afiemblage  de  \plufieurs 
alées  y  auquel  on   avoit   donné  le  nom  de  dédale  ou 
labyrinthe  (a).   Ces  deux  hôtels  furent  conftruits  dans 
le  même  temps. 
Fondatioa        Près  de  Thôtel  de  Saint-Paul ,  le  roi  fonda  le  mo- 
^^Puil  ^^    naftere  des  Céleftins,  fur  le  terrein  qu'ils  ocupent  en^ 

(a)  Les  rues  da  quartier  Saint-Paul  qui  ocupent  une  partie  du  texreiD  oà 
étoient  finies  les  plants  des  cerifiers  6c  Jes  treHles  de  ces  jardins ,  onr  retena 
les  noms  de  Beautreillis  &  de  la  Cerifaye.  La  Marre  ,  Traité  dt  la  Poiice, 
icm.  3  «  pag.  )Sri. 

(If)  A  reztrémité  du  jardin  de  Thotel  des  Tourneles  »  il  y  aToit  un  paix  co^ 
touié  de  fimplcs  pieux ,  d'od  la  rue  du  Parc  Royal  a  tiré  fou  nom.  JUd. 


C  H   A   R  I   E   s      V.  357 

COre  aujourd'hui;  Il  pofa  lui-même  la  première  pierre  -i 

de  l'éghfe,  &  donna  pour  la  fondation  de  cete  niaifon    An«*-  ï3<f^.' 
quinze  mille  écus  d'or ,  k  prendre  fur  le  receveur  de    J^^^'^'f^^ 
Paris.  Cet&  fomme  étoic  due  par  les  Juifs  pour  certaine  \klmhTt  dtJ^ 
grâce  qu^ïls  avaient  obtenue  {a).    L'ordre  ces  Céleftins  comptes. 
avoic  été  inftitué  dans  le  treizième  fiecle  par  Pierre  de 
Mourrfaon ,  qui  parvint  au  fouverain  pontificat  fous  le 
nom  de  Céleftin  V.   Le  roi  avoit  une  fingulieife   afec- 
tion  pour  ces  religieux.   La  maifon  des    Céleftins    de 
Mantes  lui  eft  auin  redevable  de  fa  fondation. 

L'inftitution  delà  confrairie  des  fecrétaires du  roi,  fous  Confrairic des 
rinvôcation  des  quatre  Evangéliftçs ,  dans  l'églife  des  Ce-  S!  ""''''  ^"^ 
ledins  de  Paris  ,  eft  du  même  temps  que  TétabliiTement      Mémoriaux 
de  ce   monaftere.  Cete  compagnie  a  toujours  continué  ^^ }<^  Chambre 
jufqu'à  ce  jour ,  d'y  tenir  (es  aflemblées.    Le  roi ,  en  fegifi^^^o^li* 
aprouvant   cete  congrégation  ,  confirma  les  privilèges  foi.  299. 
dont  avoient  toujours  jouiy^y  norair^j  &  fecrétaires.  La  ^^f^^^^^^^^^ 
connoifTance  des  caufes  où  ils  pouvoient  être  intéreffés , 
étoit  atribuée  aux  requêtes  de  Thôtel.   Cete  afibciation 
étoit  foumife  à  des  loix  audi  utiles  que  fages  :  lorsqu'un 
des  fecrétaires  du  roi  tomboitdans  l'indigence,  &  qu'il 
découvroit  fon  état  à  la  compagnie ,  chacun  de   fes 
confrères  étoit  tenu  de  lui  prêter  tous  les   ans   vingt 
fous  parifis ,  qu'il  n'étoit  dans    l'obligation   de  rendre 
qu'en  cas  cjue  les  afaîres  fe  rétabliflent.  Les  ftatuts  pref- 
crivoient  jufqu'à  la  forme  de  l'habillement.  Il  eft  die 
qu'ils  feront  vêtus  décemment ,  cju'ils  ne  pouront  s'ha- 
biller de  robes  rayées  ou  mî-parties  de  deux  couleurs  , 
[  c^s  robes  étoient  pareilles  k  celles  que  portent  encore 
aujourd'hui  les  bedeaux  des  églifes]  qu'ils  ne  porte- 
ront point  de  tunique  avec  de   longues  manches  def- 
cendantes  jufques  fur  les  mains ,  [  on  apeloit  ces  man-. 
ches    des   moufles  ]  &  qu  ils  ne  chaufferont   point   de^ 
poulaines  {b). 

(a)  Les  lettres  ne  s'expliquent  point  far  la  namre  de  cete  grâce  ,  qai  étoit  pro- 
bablement une  prolongation  du  temps  de  leur  féjour  en  France. 

*  (fi)  Dans  le  quatrième  volume  de  cete  hiftoire  il  a  déjà  été  queftion  de  cete 
chauflure  ndicule,  co^ue  laquele  le  roi  fit  publier  un  févcrc  ordonnance  5  elle' 


3$8l  Histoire   de  France^ 

-  '.  Quoique  Charles ,  par  toutes  fes  aâions ,  parue  m 
Ann.  i)^^.  defirer  autre  chofe  que  de  foulager  la  mifere  des  peu- 
séditioa  à    pjçg     cependant  répuifement  des  finances  ne  lui  avoit 

Tournai»  *  *»ii'»'  i»         a  tir* 

Tréfor  du    P^^  permis  de  diminuer  les  impots  au  gré  de  Ion  m- 
chlnr.reg.A»  clinsition  bîenfaifante.  Xa  levée  des  fubudes  ocafîonna 
R^r  *  ^'Vd'  ^"^  fédition  à  Tournai.  Ce  fbulévement  eut  moins  pour 
ordon^Lts!^  ol>jet  l'impôt ,  oue  la  manière  de  Texiger.  Les  plus  ri- 
Spicii.  cont.  ches  hsbitants  de  cete  ville  étoient  dans  Tufage  de  fe 
dt  Nang.        rendre  adjudicataires  de  ces  levées ,  dont  enfuite  ils  fai- 
foient  eux-mêmes  la  répartition.   Les  citoyens  moins 
aifés^    fe  plaignirent   de  Tinjuilice  des  exaâeurs.   La 
ville  fe  trouva  divifée  en  deux  faâions  :  le  peuple  prit 
les  armes.   Le  rot  informé  de  ce  mouvement ^^y  en- 
voya Edouard  de  Renty ,  chevalier  de  Picardie.  (Je  fci- 
gneur  fe  conformant  aux  intentions  du  prince ,  apaifa 
la  révolte  ,  fans  employer  les  voies  de  rigueur.  La  ville 
fut  punie  pendant  un  temps  par  le  retranchement  de 
fes  droits  municipaux.    Le   roi  y  dans   les  lettres  qui 
prdonnent  cete  fufpenfion  ^  y  parle  moins  en  fouveraia 
qui  févit  contre  des  rebeles ,  qu'en  père  qui  corigc  fes 
iiidfoi.140.  enfants.    Trois  années  après  y  lorfque  le  tumulte  eue 
été  pacifié  y  &•  les  habitants  réconciliés  entr'cux,  leurs 
privilèges  leur  furent  rendus. 
Le  Prince  de      Cependant  Tarivée  de  Dom  Pcdre  à  la  cour  du  prince 
SdïfurK"  de  Galles  avoit  produit  une  féconde  révolution  en  Caf- 
trône  de  Caf-  tille.   Le  jeune  Edouard  héfita  quelque  temps  à  fe  dé- 
cille.  clarer  en  faveur  du  monarque  détrôné  :  à  la  fin ,  la 

^çZfn'^MS  g^^^^"^  ^^  Tentreprife ,  la  gloire  de  rétablir  dans 

ne  fut  abolie  entièrement  que  (bas  le  règne  fuivant.  A  cete  mode  extravagante 
fnccéda  celte  des  fouliers  faits  en  bec  àt  canne  ,  remplacée  enrotoe  f9S  des 
pantoufles  d'un  pied  de  latge.  On  ignore  l'origine  des  fouliers  à  poulaioe. 
Voici  la  plus  vraifemblable  des  diférentes  opinions^enri  fils  de  Geofroi  Plan- 
tagenet  comte  d'Anjou  «  étoit  cftimé  Ton  des  princes  les  plus  acomplis  de  (on 
temps.  Sa  beauté  ,  (a  uitte  ayantagcufe  cicicoient  radmication  de  tov  les 
courtifans.  Un  feul  défaut  défiguroit  cet  extérieur  prévenant  :  il  avoit  à  rezzré- 
mité  du  pied  une.croiflancQ  de  chair  aflèz  longue.  Pour  dérober  la  vue  de  cete 
diformite  ,  il  portoit  une  chauflure  dont  le  bout  préfentoit  une  (orme  4e 
grife.  Cece  chaufTute  biaace  fut  attfli^6t  adoptée  par  les  feigoeocs  'j  U  le  pco- 
pie  ,  vrai  finge  de  la  aobleiTe  ,  ne  tarda  pas  à  L*ia&iter.  Cece  mode  fiibCfta 
pendant  plus  décrois  fiecles.  FU.  Cbro^ol.  Trivdli  ^  witiiu  4a  Naof^  frJ$ 
^mtri^mc  vol*  4^  cçt4  hifi» 


C  H  À  R  t  E  •$'  V^  359 

Ces  '  Etats  un  !roi ,  indigne  du  trône  k  la  vérité ,  mais  ■ 

fouverain  légitime ,  &  cece  générofité  qui  lui  étoit  na-    ^nn.  i^^^. 
turclc  ,  le   déterminèrent.    Il  ne  voulut  pas    toutefois  ^]^qJ?^i{/^ 
prendre  une  dernière  réfolution^  fans  confulter  le  roi  wfk^^Efpa'gn. 
ion   père.   Ajrant  obtenu  ce  confcncement ,  il  fit  fes  Marîana , 
préparatifs;  le  duc   de  Lencaftre  fou  fircrc  fe  difpo-.  il%'J''''' 
loit  à   partir   de   Londres   pour  fe  rendre  auprès  de     Mém.  de  lU^ 
lui  :  le  brave  Chandos  devoit  Pacompa^ner  dans  cete  ^^^^^^^  ^ 
expédition*  l^its  compagnies  qui  avoient  placé  Tranfta* 
mare  lur  le  trône  ,  n'eurent  pas  plutôt  apris  que  le     -• 
prince  de  Galles  les  mandoit,  quelles   ne   fongerent 
plus  qu'à  prendre  congé  du  nouveau  xoi  de  Cattille  y 
qui  les  laiuà  partir  après  les  avoir  récompenfées.  Ots 
troupes  ne  joignirent  1^  prince  ,  qu'après  avoir  effuyé 
beaucoup   de  dificultés.    Le  roi  d'Aragon  /  dié   de 
Tranftamare,^  avoit  fermé  les   paiTages  de  fes  Etats; 
le  comte  de  Foix  voulut  auffi  les  empécber  de  palier 
{\XT  fes  terres  :  elles  furmonterent  ces  obAacles«  On  les 
vit   acourir  par  diférentes  routes  au  rendez -vous  de 
l'armée  qu'Edouard  aflêmbloit  en  Guieone.  Le  féné- 
chai  de  Touioufe  &  le  comte  de  Narbonne  ayant  mis 
Qudques  troupes  fur  pied ,  ataquerent  quelques  -*  unes 
de  ces  compagnies  qui  s'étoient  renfermées  dans  Mon* 
tauban.    Ces  brigaxuls  renforcés   par    la  jonâion    de  . 
plufîeurs  de  leurs  compagnons^  remportèrent  une  vîc«- 
toire   complète  ,   &   nrent  quantité   de    prifonniers  , 
qu'ils  renvoyèrent  fur  leur  parole.  Ces  pnfi)aniers  ob* 
tinrent  une  difpenfe  du  pape   pour  ne  point  aquiter 
leurs  rançons.  Lorfque  \z  prince  eut  annoncé  fon  def* 
fein,  les  grands  vallaait  de  (a  principauté  dT Aquitaine 
s'emprefferent  de  venir  l'aflurer  de  leur  atachement. 
Edouard  oui  vouloit  fonder  les  difpofitions  de  ce%  Sei- 
gneurs y  demanda  au  fire  d'Aibret  quel  nombre  de 
combatants  il  pouvoit  loi  fournir.  Sirc^  répondit  d'Ai- 
bret,  fi  je  vouhm  prier  uns  nus  féaux  >  j  ^aurais  bim 
milît  tances  {a)  y  &  toute  ma  tare  gardée.   Le  prince 

(«)  Mille  tanccsçWTokat  fewicr  tm  corps  tk  ^loq  à  fix  wilk  homnwi. 


Ann.  H66. 


Histoire  de  France, 

idit 

^^^^ ron  çui  peut 

bien  jcrvir' fort  feigneur  avec  mille  lances.  Se  retournant 
enfuite  vers  le  feiçneur  Gafcon  :  Sire  d* Albut ,  pour- 
fuivit-il ,  je  les  retuns  tous.  Quelque  temps  après  le 
prince  fit  des  réflexions ,  &  conçut  quelque  ombrage 
de  la  puiflânce  de  ce  feigneur.  Il  lui  manda  de  congé- 
dier une  partie  de  fon  monde ,  &  de  n*en  retenir  que 
deux  cents.  D'Albrçt  fe.tint  fort  ofenfé  de  ce  contr'or- 
dre  :  il  s'en  plaignit  avec  hauteur;  &  l'afàire  auroit 
eu  des  fuites  fans  le  comte  d'Armagnac  fon  oncle , 
qui  l'apaifa.  Froiffard ,  qui  étoit  à  Bordeaux  dans  le 
temps  de  ce  démêlé  ,  affure  o^  la  fierté  du  prince  en 
cete  ocafion  &  le  reffentimenticcret  du  feigneur  d'Al- 
bret ,  produifirent  les  premières  femences  du  fouléve- 
ment  de  la  Guienne  contre  la  domination  Angloife. 
Ce  fut  peu  de  temps  avant  l'expédition  de  Caftille , 

Sue  la  princeffe  de  GaUes  donna  la  naiflance  au  prince 
Lichard^  fucceflèur  d'Edouard  III,  fon  aïeul.  Le. 
prince  n'avoit  retardé  fon  départ ,  que  pour  affifter 
aux  couches  de  la  princeffe  x  rien  ne  V arêtant  plus  ,  il 
hâta  fes  préparatifs.  Ses  troupes  étoient  norabreufes  & 
aguéries.  Le  duc  de  Lencaftre  l'étoit  venu  joindre  avec 
un  nouveau  renfort  d'Angleterre.  Jacques  ,  roi  titu- 
laire de  Majorque  ,  mari  de  Jeanne,  reine  de  Sicile, 
s'étoit  rendu  auprès  de  lui,  dans  l'efpérance  de  venger 
la  mert  de  fon  père,  que  le  roi  d'Aragon  avoit  tait 
mourir  en  prifon ,  &  de  faire  valoir  les  droits  à  la 
feveur  de  la  révolution  qui  fe  préparoit.  Le  prince  lui 
promit  de  le  "rétablir  après  l'expédition  de  Caftille. 

L'armée  ne  pouvoit  entrer  en  Efpagne  que  par  les 
Etats  des  rois  de  Navarre  &  d'Aragon.  Ce  aernier 
étoit  allé  de  la  France  &  du  nouveau  roi  de  Caflille. 
Le  Navarrois  avoit  auffi.  conclu  un  traité  avec  Tranf- 
tamare  ;  mais  ce  prince  ,  peu  fcrupulçux  obfervateur 
de  fes  promeffes,  pouvoit  âifément  être  gagné  ;  la 
dificuUé  confif^oic  à  fixer  fon  incoqfliancç.   (a  coiv- 

duitç 


Charles    V.  36'! 

^uite  de  Charles -le -mauvais  dans   cete  circoitiftance  ,  • 

donc  il  eût  pu  tirer  avantage ,  prouve  que  la  mauvaife   i^nn.  ij^r- 
£bi   &  rinftabiJité  font  les  plus  dangereux*  écœuils  de 
la  politique.  Trois  fois  on  le  vit  changer  d'aliés  :  tan-  publ!^om.\  \ 
tôt  ami  de  Dom  Pedre,  auquel  il  vendit   fa  foi  cin-  part.i,p,ii6, 
quante-fix  mille  florins  d'or,  tantôt  uni  avec  Tranfta-  ^-{f^' 
mare  ,  il  finit  par  fe  faire  arêter  prifonnier  ,  &  ne  re-       '  •^•"^• 
CŒuillit  de  tant  de  variations  que  le  mépris  des  deux 
partis. 

Henri  de  Tranftamare  ,  informé^de  ce  qui  fe  paflbit, 
n'ctoic  pas  fans  inquiétude  :  ce  prince  tenoit  alors  les 
Etats  aUbmblés  à  Burgos.  Du  Guefclin  ne  lui  diffimula 
point  le  danger  ;  il  lui  propofa  de  pafler  en  France , 
avec  promefle  de  lui  amener  un  fecours  de  chevaliers 
François  &  Bretons ,  plus  confidérable  par  la  valeur 
que  par  le  nombre  :  il  partit  tandis  que  le  roi  prenoit 
avec  les  Etats  les  mefures  néceflkires  pour  s'opofer  k 
Tinvafion  dont  on  étoit  menacé.  Il  n'eut  pas  de  peine 
à  mettre  fur  pied  une  puifl'ante  armée  ;  Tafedion  de 
la  noblefle  &  du  peuple ,  &  la  crainte  de  rentrer  fous 
là  cruele  domination  de  Pedre  ,  excitoient  les  Cafl:il- 
lans  à  fe  ranger' à  Tenvi  fous  fes  étendards. 

Cependant  le   prince  de  Galles   étoit  arivé  dans  la  ^\?^^}^^f^ 
valée  de  Roncevaux ,  incertain  de  l'exécution  des  pro-  çn^j/^çn^£f! 
mefles  du  roi  de  Navarre ,  quoiqu'il  vînt  récemment  pagne. 
de  fîgner  un  dernier  traité.  Edouard  reçut  à  Ronce-      Froîjfard. 
vaux  un  cartel  que  lui  aporta  un  héraut  d'armes  de  la 
part   du  comte  de  Tranftamare.   Henri  dans  ce  dcfi , 
après  avoir  repréfenté  au  prince  qu'il  ne  s'écoit  point 
atiré  fon  inimitié  ,  finiflbit  en  lui  difant  :  Vous  ave[ 
la  grâce  &   la  fortune  d^armcs  plus  que  nul  prince  au-- 
jourd^hui ,  pourquoi  rious  croyons  que  vous  vous  glori^ 
Jie^  en  votre  puijfance ,  &  pour  ce  que  nous  fçavons  de 
vérité  que  nous  quérc[  *  pour  avoir  bataille  ,   veuiller     *  Ckerchei^ 
nous  laijfer  fçavoir  par  quel  le:^  *  vous  entrerez  en  Caf      *  C^d/^. 
tille ,  6r  nous  vous  irons  au-devant  pour  garder  &  dé^ 
fendre  notre  feigncurie.  Donné  y  &c.  Le  prince  conçut 
dès  Ce  moment  beaucoup  d'eftime  pour  Henri.  Ce  ^a- 
Tome  V.  2i  % 


<^6i  Histoire  de  France, 

^ï^^^ï^ïï=!=  tard  y  dit- il  à   fon    confeil  ,  e/i  un   chevalier  plein  de 
Anu.  xjtf>   grande  prouejfe.  II  fit  retenir  le  héraut  jufqu  à  nouvel 
ordre ,  &  pourfuivit  fa  route  vers  Fampelune ,  où  il 
efpéroit   trouver  le  roi  de   Navarre  ;  mais  ce   prince 
a  voit  encore  une  fois  changé  de  deffein.  Intimidé  par 
le  roi  d'Aragon,  &  gagné  par  Tranftamare  ,  il  eût 
bien  voulu   ne  pas  tenir  l'acord  qu'il  avoit  fait  avec 
le  prince  de  Galles ,  &  lui  refufer  le  palTage  ;  mais  il 
n'eut  jamais  le  courage  de  le  tenter  ouvertement ,  quoi- 
qu'il lui  fût  très  facile  de  le  faire,  en  gardant  les  dé- 
filés qui  féparoient  fes  Etats  de  la   France,  où  cent 
hommes  pouvoient  tenir  contre  une  armée  entière.  Au 
défaut  d'une  réfolution  vigoureufe ,  il  s'avifa  d  un  ex- 
pédient ,  dont  il  méritoit  bien  d'être  la  viâime.  Il  con- 
vint  avec  Olivier  de  Mauny  ,  chevalier   Breton  ,  pa- 
rent de   du    Guefclin  ,  de  fe  faire  enlever  dans   une 
partie  de  chafle.  L'entreprife  fut  exécutée;  &  Mauny, 
maître  de  la  perfonne  du  Navarrois  ,  l'envoya  en  Ara- 
gon ,  où  il  fut  étroitement  gardé  :  il  reconnut  alors  le 
mauvais  fuccès  de  fon  artifice ,   &  fe  vit  contraint  de 
donner  fon   fils    en  otage   pour  recouvrer  fa   liberté. 
Pendant  ce  temps-là  ,  l'armée  du  prince  de  Galles  ayant 
travcrfé  la  Navarre  ,  où  elle  vécut  à  difcrétion ,  ariva 
fur  les  frontières  dEfpagne.   Edouard  renvoya  le  hé- 
raut de  Tranftamare  avec  fa  réponfe ,  dans  laquele  il 
ofroit  au  prince  fa  médiation,  en  cas  qu'il  voulût- ré- 
connoître  Pedre  pour  légitime  roi  de  Caftille.  Comme 
les  détails  de  cete  guerre  font  étrangers  à  notre   hif- 
toire ,  on  fe  borne  à  eiç  raporter  les  principaux  événe- 
ments. 

Henri  avoit  rafTemblé  toutes  fes  forces.  Du  Guef- 
clin ,  fidèle  à  la  parole  qu'il  lui  avoit  donnée  en  par- 
tant, étoit  revenu  de  France  par  l'Aragon ,  condui- 
fant  avec  lui  un  corps  de  quatre  mille  hommes^  d'armes 
François  ,  Bretons ,  Allemands  &  Araeonnois.  L'ar- 
mée étoit  compofée  de  près  de  cent  mille  combatants, 
à  la  tête  defquels  Tranftamare  vint  au-devant  de  fon 
rival.  Il  s'en  faloit  beaucoup  que  l'armée  du  prince  de 


C  H   A   R  £  E   s      V.  3<?3 

Galles  fut  auffi  nombreufe  ;  mais  la  valeur  fupléoît  au  - 
nombre.  Les  meilleures  troupes  d'Angleterre  &  4©  Ann,  xj^t» 
Gafcogne,  les  compagnies  d'aventuriers  les  plus  bra- 
ves &  les  plus  aguerris ,  formoient  un  corps  d'autant 
plus  redoutable  9  qu'il  étoit  commandé  par  des  chefs 
expérimentés ,  tel  que  le  captai  de  Buch  ,  le  comte 
d'Armagnac  ,  Cliflbn ,  Auberticourt ,  Felleton ,  Cau- 
relée  &  une  infinité  d'autres  ;  Chandos  fur-tout ,  qui 
ne  cédoit  qu'au  feul  prince  de  Galles  l'honeur  de  pafler 

four  le  plus  grand  capitaine  de  fon  fiecle.  Edouard , 
ame  de  cete  armée  •  formidable  ^  étoit  acompagné  de 
fon  frère  le  duc  de  Lencailre. 

Les  deux  armées  defiroient  également  de  combatre , 
mais  par  des  motifs  diférents.   Les  Caftillans  étoient 
excités  par  leur  zèle  pour  le  nouveau  roi ,  &  par  l'ar- 
deur de  fignaler  leur  courage.   Les  troupes  du  prince 
de  Galles ,  outre  l'honeur  de  foutenir  la  querele   de 
Pédre  I  étoient  animées  par  la  néceflité.  Elles  avoient 
eiTuyé  quantité  de  fatigues ,  &  plus  d'une  fois  éprouvé 
la  difete  des  vivres  :  elles  ne  pouvoient  efpérer  que  de 
la    viâoire   une   pofition    plus  avantageule.   Quelques 
détachements  avoient  déjà  été  défaits  par  des  troupes 
Efpagnoles.  Dans  cete  conjonâure  le  maréchal  d*An- 
dreghen,  du   Guefclin,  &  quelques   autres  feigneurs 
François  ,  confeillerent  à  Tranftamare  d'éviter  Ta  ba-  Na^ara^  ou  de» 
caille  y  &  de  lailFer  les  ennemis  s'afbiblir  d'eux  -  mêmes  Navarete. 
par  leur  féjour  dans  un  [>ays  où  ils  manquoient  de  tout.      H/^.  dds 
Si  cet  avis  eût  été  fuivi ,  il  n'eft  pas  douteux  que  le  ^'^'Z"^- 
prince  de  Galles  fe  fût  trouvé  dans  l'obligation  de  fe 
retirer  :  mais  Henri  de  Tranftamare ,  sûi*  de  l'afeâion 
de  fon  armée  ,  &  brûlant  du  defir  d'aquérir  de  la  gloire 
en  fe  mefurant  avec  Edouard ,  rejeta  ces  confeils  trop 
prudents.  Il  pourfuivit  fa  marche ,  &  vint  camper  a 
jMajara  dans  le  même  temps  que  les  ennemis  arivè- 
rent  k  Navarete.  Edouard  renouvela  fes  ofres  de  mé- 
diation y  &c  le  C^ftillan  fon  défi.    Ces  mefTages    réci- 
proques précédèrent  le  jour  de  la  bataille ,  qui  fe  livra 
entre  Naiara  &  Navarete,  le  famedi  trois  Avril ,  veille 

Zz  ij 


3<^4  Histoire   de   France, 

•        du  dimanche  des  Rameaux  de  l'année  1366.  Le  prince 
Ann.  1^67.    de  Galles  en  cete  journée  mit  le  comble  k  la  gloire 
cju'il  s'étoit  aquife  aux   champs  de  Crécy   &  de  Poi- 
tiers.  Ce   héros   fe  lurpafla  dans  cete  ocafion  ,  où  la 
viftoire  lui  fut  difputée  avec  beaucoup  plus  d'opiniâ- 
treté que  dans  les  deux  autres  batailles.  Du  côté  de 
Henri ,  il  n'y  eut  qu'un   corps  de  troupes  commandé 
par  le  comte  de  Tello  fon  frère  ,  qui   lâcha  le  pied 
dès  le  commencement  de  Taftion,  Tranftamare  fit  des 
prodiges   de  valeur  :  ataqué  en  même -temps   par   le 
prince  de  Galles  &  par  Dom  Pedre ,  il  foutint  ce  dou- 
ble éfort  avec  autant  de  préfence  d'efprit  que  de  cou- 
rage. Trois  fois  il  ralîa  (es  troupes  j^  &  les  ramena  «au 
combat ,  tandis  que  du  Guefdin ,  le  maréchal   d'An- 
dreghen ,  &  les  autres  étrangers  ,  tenoient  tête  k  Chan- 
dos.  Mais  enfin  il  falut  fubir  lafcendant  ordinaire  du 
prince  de  Galles  :  il  fut  vainqueur.  Henri  voyant   fon 
fuit^a/Hcnrt.  ^^^^^    taillée  en  pièces ,  changea  de  cheval  {a)  ,   & 
Ibidem.      f^ît  k  toute   bride  vers  Najara  ,  d'où  il  gagna  TAra- 

{jon  (b).  Le  corps  où  comhatoient  du  Guefclin  ,  & 
es  autres  feigneurs  François  ,  tenoit  encore  ferme , 
mais  la  partie  n'étoit  plus  égale  ;  il  fàlut  mettre  bas 
les  armes.  La  plupart  de  ceux  qui  refloient,  furent 
faits  prifonniers.  L'infanterie  Efpagnole  fe  fervic  de 
fronde  dans  cete  bataille. 

Cete  vidoire  rétablit  Pedre  fur  le  trône  par  une  ré- 
volution auffi  prompte  que  celle  qui  Ten  avoit  chalFé. 
Auffi-tôt  qu'il  aperçut  le  prince  de  Galles ,  il  voulut 
fe  jeter  k  les^ieds.  Edouard  s'avança  précipitamment 


f«)  La  cheval  de  bataille  de  Henri  de  Tranftamare  fut  préfenté  à  Londres 
à  Edouard  HL  Rym,  aii,  pubL  tom,  %  ,  part.  s. 

(b)  Du  Guefclin ,  dit  un  de  nos  hilîoriens  »  dans  le  fort  du  combat  fe  dé- 
tacha du  corps  de  bataille  où  il  étoit  ,  pour  aller  forcer  à  la  retraite  Tranfla- 
marc  ,  qui  ne  vouloit  pas  s'y  déterminer  :  le  chevalier  Breton  fut  même  obi ieé 
de  faifir  la  bride  du  cheval  de  Henri  &  de  le  tirer  de  la  mêlée  ;  il  panit  enlm 
&  fc  fit  jour ,  fuivi  de  quatre  cavaliers  ,  à  travers  les  ennemis ,  ne  pouvant 
fe  réfoudre  à  fuir  autrement.  Il  n'y  a  pas  un  fcul  hiftorien  qui  fafle  mention 
de  ce  fait  ;  raporté  feulement  par  les  auteurs  MS.  de  la  vie  de  du  Guefclin  » 
qui  ont  chargé  l'hiftoire  de  ce  grand  homme  de  tous  les  ornements  fabolcox 
que  leur  imagination  leur  a  fuggérés. 


Charles    V,  3^^ 

au-devant  de  lui  :  Chcrcoufin  ,  lui  dit  Pedro,  je  vous  ■ 
dois  moult  de  ^grâces  pour  la  bêle  journée  que  j^ai  eue  Ann.  13^^. 
par  vous.  Sire  y  reprit  le  modefte  &  généreux  vain- 
(]ueur  ,  rende:^-en  grâces  à  Dieu  ;  car  la  vi3oire  vient 
toute  de  lui  y  non  pas  de  moi.  Si  le  roi  de  Caftille  avoit 
été  capable  d'un  recour  fur  lui-même,  la  magnani- 
mité du  prince  auroit  fait  une  vive  impreffion  fur  fui  ; 
mais  il  étoit  bien  éloigné  de  profiter  d*un  fi  beau  mo- 
xlele  :  le  lendemain  du  combat ,  il  ne  roUgit  pas  c^e 
demander  au  prince  les  prifonniers  Caflillans  ,  afin 
d'exercer  fa  barbarie  fur  eux.  Cete  horrible  propofi- 
tion  fut  rejetée  par  Edouard  :  il  fit  plus  ;  il  confeilla 
au  roi  de  ne  pas  abufer  des  avantages  que  la  viâoire 
lui  donnoit ,  &  d'efîayer  au-contraire  de  regagner  par 
fa  clémence  Tafedion  de  fes  fujets.  Le  tiran ,  gêné  par 
la  préfence  du  prince ,  diflimula  ;  mais  cete  contrainte 
pafiagere  ne  fervit  dans  la  fuite  qu'à  redoubler  fon  hu- 
meur fanguinaire  ;  il  n'atendit ,  pour  la  fatisfaire  ,  que 
le  moment  où  il  fe  vèroit  délivré  de  la  préfence  im- 
portune de  fon  bienfaiteur.  ,       • 

L'armée  vidorieufe  marcha  vers  Burgjos,  qui  ouvrit  ^il^ç^^ -^i^^^ 
fès  portes.  Toutes  les  autres  villes  d'Efpagne  fuivircnt  titudc^"envcrs 
le  torrent.  Pedre  triomphant  de  fes  ennemis ,  ne  defiroit  le  prince  de 
que  le  départ  des  troupes  qui  l'avoient  rétabli,  d'au-  ^*^^"' 
tant  plus  que  les  compagnies  commençoient  à  rançon- 
ner l'Efpagne^,  ainfi  qu'elles  avoient  pillé  la  France. 
Le  prince  de  Galles  le   prévint,  en  lui  demandant  l'a- 
compliflement  de  fes   promefTes,  &    fur -tout  l'argent 
néceffaire   pour  le  paiement   de  fes    troupes.    Le   roi 
éluda  ce  paiement  fous   diférents  prétextes,  &  fit  dé-, 
clarer  enfin  qu'il  étoit  dans  l'impuiiTance  de  l'aquiter 
pour    le   prélent.    Cependant  les  troupes  qui  dépérif- 
foient  à  vue-d'œuil  ,  n'afpiroîent  qu'à  retourner  en  Fran- 
ce.  Le    prince  lui-même  tomba  malade ,  foit  par  l'in- 
tempérie du  climat,  ou  par  le -chagrin  fecret  que  lui 
cauloit.  l'ingratitude    du   roi   de  Caftille.   Il  fut   enfin 
obligé  de  fe  contenter  des  vaines  promefTes  de  ce  per- 
fide monarque,  &   de  ramener  en  Guicnne  fon  ar- 


Henri  de 
Trandam^ire 
revient    ca 
France. 


^66  Histoire  de   France, 

=ï=  méc  triomphante ,  maïs  confidérablement  afoiblie.  Une 
Ann.  15^7.  partie  ds  les  troupes  revint  par  TAragon,  dont  le  roi 
s'étoit  réconcilié  avec  le  parti  vainqueur.  Edouard  ne 
recœuillit  de  cete  expédition  que  le  trifte  honeur  d'a- 
voir rétabli  un  tyran ,  qui  paya  fes  bienfaits  de  la 
plus  noire  ingratitude. 

La  plupart  des  prifonniers  de  diftinâioA  £sdts  à  la 
bataille  de  Navarete  y  avoient  été  mis  à  rançon  ,  Se 
renvoyés  fur  leur  parole.  Le  prince  de  Galles  ne  re-^ 
tînt  que  Bertrand  du  Guefclin  ,  &  cela  par  un  refte 
de  confidération  dont  Pedre  étoit  indigne.  On  crai- 
gnoit,  non  fans  raifon,  que  le  chevalier  Breton,  étant 
mis  en  liberté ,  ne  tentât  une  nouvele  révolution.  Du 
Guefclin ,  fous  la  garde  de  Chandos  &  du  captai  de 
Buch  9  fut  conduit  à  Bordeaux ,  mais  traité  avec  tous 
les  égards  que  méritoit  la  réputation  qu'il  s*étoit  aquife 
par  la  bravoure  &c  fa  générofité.  Les  gens  de  guerre 
des  partis  diférents  Taimoient  &  Teftimoient  également. 
Henri  de  Tranflamare  ne  féjourna  pas  long -temps  k 
la  cour  du  roi  d'Aragon ,  dont  Tamitié  ,  depuis  le 
revers  qu'il  venoit  d'éprouver  ,  commençoit  k  lui  de- 
venir fufpeâe.  Il  vint  trouver  k  Montpellier  le  duc 
d'Anjou,  frère  &  lieutenant- général  du  roi  en  Lan- 

§uedoc.  Ce  prince  lui  donna  tous  les  témoignages 
'afeâion  qu'il  pouvoit  atendre  dans  la  facheule  con- 
jonâure  où  il  fe  trouvoit  :  non  content  de  lui  promettre 
tous  les  fecours  qui  dépendroient  de  lui,  il  lui  fournit 
les  fommes  néceffaires  pour  fubfifier  d'une  manière 
convenable  k  fa  dignité  ;  il  lui  donna  le  château  de 
Roquemore  pour  lieu  de  fa  réfidence  ,  <  en  atendanc  le 
rétabliflement  de  (es  afeires.  Tranftamare  vit  le  pape , 
&  revint  ji'Avignon  comblé  des  bienfaits  &  des  alTu- 
rances  d'amitié  du  fouverain  pontife.  Il  raffembla  un 
petit  corps  de  troupes ,  avec  lequel  profitant  de  l'ab- 
fence  du  prince  de  Galles ,  il  fat  des  courfes  dans  la 
Guienne.  La  princefle  de  Galles  fit  porter  fes  plaintes 
au  roi  9  qui  manda  au  Caftillan  cle  difcontinuer  les 
hoftilités,  Charles  ocupé  du  foin  de  rétablir  l'ordre  & 


Charles    V.  3^7 

l'abondance  dans  fes  Etats ,  ne  jugea  pas  à  propos ,  ■  ' 

malgré  fon  amitié  pour  Henri,  de  s'expofer  à  une  Ann.  i3^7« 
rupture  ouverte  avec  les  Ânglois  :  il  fit  même  arêter 
&  retenir  prifonnier  au  château  du  Louvre  le  jeune 
comte  d'Auxerre,  qui  devoit  conduire  des  troupes  à 
ce  prince.  Tranftamare  fe  rendit  k  des  raifons  fi  lages  ; 
mais  comme  il  né  vouloit  pas  laifTer  échaper  Tocafion 
de  faire  féntir  au  prince*  de  Galles  les  éfets  de  fon 
refTentiment ,  il  remit  au  duc  d'Anjou  le  château  de 
Roquemore  ;  &  quitant  les  terres  de  la  domination 
du  roi  de  France,  il  entra  dans  le  comté  de-Bigorre, 
t>ù  il  s'empara  par  efcalade  du  château  «de  Bannières, 

3u'il  tint  jufqu'au  retour  du  prince.  Alors  il  s'aprocha 
u  royaume  d'Aragon  ,  par  lequel  il  fe  préparoit  à  ^ 
repafTer  en  Caftille.  Ses  troupes  étoient  augmentées: 
il  fe  trouvoit  à  la  tête  de  dix  mille  hommes  ;  &  le  roi 
d'Aragon ,  qui  avoit  fait  un  ^nouveau  traité  avec  Pé- 
dre ,  voulut  inutilement  lui  difputer  le  pafTage. 

Cependant  le  prince  de  Galles  étoit  de  retour  à  Bor-      j^^ 
deaux.  Les   troupes  qui  l'avoient  acompagné  dans  fon  de  Gaiicrfc 
voyage  d'Efpagne ,  étoient  confidérablement  diminuées.  j^^oaîJ/c  avec 
Les  compagnies,  qui  dans  le  commencement  de  cete  dcGulfnnc.* 
guerre  montoient  à  trente  milje  hommes ,  étoient  ré-     Froiffàrd, 
duites  à  fix  mille;  mais  quoiqu'en   petit  nombre,  de      Chron.MS. 

Eareils  hôtes  étoient  ,fort  incommodes  :  le  prince  eût 
ien  voulu  les  congédier ,  ce  qui  ne  pouvoit  fe  faire 
qu'en  aquitant  les  fommes  qui  leur  avoient  été  pro- 
mifes.  La  mauvaife  foi  du  roi  de  Caftille  ne  laiifoit 
plus  efpérer  qu'il  remplît  fes  engagements.  L'argent 
manquoit  abfolument  :  Edouard,  qui  tenoit  dans  fa 
principauté  d'Aquitaine  un  éiat  plus  brillant  &  plus 
faftueux  qu'aucun  fouveraîn  ,  avoit  épuifé  fon .  tréfor 
&  fes  reflources.  Pour  fupléer  au  mauvais  état  de  fes 
finances  ,  quelques  confeillers  lui  fuggérerent  d'af- 
feoir  une  impofitîon  générale  fur  toutes  les  terres  dé- 
pendantes de  fa  fouveraineté.  Le  feul  Chandos,  qui 
ajrant   été   lieutenant  -  général  du  roi   d'Angleterre  en  , 

Guienne  >  connoiflbit  mieux  le  caraâere  de  la  noblefTe 


3(î8  Histoire    de   Frakce, 

■  de  ces  provinces  ,    voulut  envain    s'opofer  à  Cet  àvîs 


Ann.  1567.  pernicieux.  L'extrême  befoin  d'argent  fit  qu'on  ne  l*é- 
coûta  pas.  L'afaire  fut  propofée  dans  u|ie  aflemblée 
tenue  a  Nyort ,  où  fe  trouvèrent  les  principaux  fei- 
gneurs,  &  les  députés  des  bonnes  villes  d'Aquitaine. 
Le  confeil  du  prince  demanda  pour  cinq  années  feule- 
ment la  levée  d'un  fubfide  de  viagt  fous  par  feu  fur 
toute  la  province.  Les  députés  du  Poitou ,  du  Limo- 
fin  ,   de    la  Saintonge   &   du   Rouergue  ,  n'opoferent 

3u'une  foible  réfiftance  ;  les  feiçneurs  d'Armagnac^ 
'Albret ,  de  Comînges  ,  de  Péngord ,  de  Carmain  , 
de  Picornet,  en  un  mot  toute  la  nobleiTe  de  Gafco- 
gne,  refufa  généralement  d'y  confentir^  aléguant  que 
leurs  terres  &  feigneuries  étaient  franches  de  toutes  detes  : 
&  que  du  temps  pajfé  qu^ils  avaient  obéi  au  roi  de^France, 
ils  n^avoient  été  grevés  ^  ni  preffés  de  pareilles  impoji- 
tions.  Ils  protefterent  cju'ils  défendroient  leurs  fran- 
chifes  autant  qu'il  feroit  en  leur  pouvoir.  Une  fi  ferme 
réfolution  étonna  le  prince ,  qui ,  malgré  fa  fierté  na- 
turele  ,  fe  vit  contraint  de  diuimuler.  L'affemblée  fut 
rompue ,  &  remife  à  un  autre  temps.  Les  feigneurs , 
en  (e  féparant,  formèrent  dès -lors  la  réfolution  de  ne 
pas  s'y  trouver ,  &  d'employer  les  moyens  les  plus 
promts  &  les  plus  éficaces  pour  fecouer  Tinfuportable 
]oug  de  la  domination  Angloife.  Si  cete  impofition  avoit 
eu  lieu ,  on  eflimoit  qu'elle  auroit  annuélement  pro- 
duit douze  cent  mille  francs  ,  à  vingt  fous  par  rèu  ; 
ce  qui  fupofe  qu'alors  on  comptoit  près  de  quatre 
millions  d'habitants  dans  les  feules  provinces  qui  corn- 
pofoient  la  principauté  d'Aquitaine.  Chandos  chagrin 
de  ce  que  ,  malgré  fes  repréfentations  réitérées  ,  le 
prince  perfiftoit  dans  fon  deflein,  fe  retira  quelque 
temps  après  en  .Normandie  ,  fous  prétexte  d'aler  vifiter 
la  terre^  de  Saint-Sauveur-le- Vicomte ,  &  les  autres 
feigneuries  qu'il  poffédoit  dans  cete  province.  Ce  fage 
Anglois  ne  vouloit  pas  être  foupçonné  d'avoir  contri- 
bué à  l'exécution  d'un  projet  injufte ,  dont  il  prévoyoit 
lesfuneftes  conféquen  ces. 

On 


G^H  A    R   L   E    s      V.  3(^9 

On  vît  peu  de  temps  après  arîver  à  Paris  les  comtes  ^— — — ^ 
d'Armagnac,  de   Cominges ,  d'Albret,  de  Périgord,    Ana.  t^s^. 
ainfi  que  la  plupart  des  feieneurs  &  prélats  de  Gafco-    Les  Seigneurs 

•I  *  .    *  |«^  1    •  j  «de  Guienne 

gne:  ils   venoient  porter  leurs  plaintes   des  vexauons  portent  leurs 
que  le  prince  de  Galles  vouloit  exercer  contre  eux ,  &  plaintes  au 
demander  en  même -temps  juftice  au  roi  comme  fei-  *^J: 
jneur  fuzerain  de  la  Guienne.   Charles  dut  être  agréa-     DuTiiUt. 
élément;  furpris  d'une  femblable  députation  ;  mais  trop     Kap.  rw. 
labile   politique   pour  fe  déterminer  fans  y  avoir  ré-     <^^ron.MS. 
fléchi  mûrement ,  il  fe  contenta  d*affurer  ces  fei^neurs 
en  termes  généraux,  de  fa  bienveillance  &  de  fa  pro- 
teâion.  Certes  y  feigneurs ,  leur  dit-il ,  la  jurifdiSion  de 
la   couronne  de  France  voulons -nous   toujours  garder 
mais  nous  avons  jure  plujieurs  articles  que  nous  vijite-- 
rons.  Il  acompagna  cete  réponfe  indécife  d'une  pro- 
melTe  d'employer  volontiers   fa  médiation  auprès   du 
prince  de  (jalles.   Les  feigneurs  fatisfaits  de  la  ré^p- 
tien  du  roi,  &  jugeant  bien  qu'il  ne  vouloit ^fe  in- 
duire qu'avec  la  circonfpeâion  que  demandoit  une  en- 
treprife  aufli  importante ,  continuèrent  de  demeurera 
la  cour ,  dans  la  vue  de  hâter  par  leur  préfence  la  réfo^ 
lution   du  confeiL   Leur  féjour  à  Paris  commença  de 
donner  quelque  inquiétude  au  prince  de  Galles  ;  mais 
comme  il  n'étoit  pas  acoutumé  k  céder ,  il  perfifta  dans 
ion  projet,  malgré  les  fages  confeils  de  fes  plus  fideleS 
ferviteurs. 

Tandis  que  ces  nuages,  avant -coureurs  d'une  ré-     Henri  de 
volte  prochaine ,  s'élevoient  en  Guienne  ,  Henri ,  des  Tranftamaro 
frontières  de  TAragon,  menaçoit  Pedre  d'une  nouvele  trofffcmc'ré- 
invafion.    iSon  armée    grofliffoit    journélement  :  il  ne  voiucion. 
lui  manquoit  plus  pour  le  fuccès  que  la  préfence  du  ^^fi*  ^fp* 
brave  du  Guelclin.  Ce  chevalier  Breton  étoit  toujours  Unt^as  IfiQ. 

Erifonnier  à  Bordeaux  ,  quoique  fa  liberté  fût  inçef-  rroiffari. 
imment  folicitée ,  même  par  les  feigneurs  Anglpis. 
On  fit  entendre  au  prince  de  Galles  qu'on  le  foupçon- 
noit  de  retenir  du  Guefclin,  pafbe  qu'il  s'étoit  rendu 
trop  redoutable.  Edouard  piqué  de  ce  reproche  ,  fie 
venir  du  Guefclin.  Aufli-tôt  qu'il  Ip  vit  :  mejjir^  ffcr^ 
Tome  V,  Aaa 


370  Histoire    DE  France, 

■   '■  - ■  trandy  lui  dic*il ,  on  prétend  ^uc  je  ne  vous  ofe  mettre 

Ann.  x}«.     ^  délivrance  i  de  peur  que  j^ai  de  vous.  Il  y  en  a  qui  h 

fj^^^^^^^^^  difinty  répondit  du  Guefclin  ,  &  de  cela  me  tiens  fort 
Vit  MS.de  honoré.  Le  prince  rougit  ;  &  mettant  fin  à  la  conver- 

duGuefclin.  fation ,  luî  propofa  de  taxer  lui-même  fa  rançon.  Le 
^'^'TT^'  chevalier  ,  lans  s'étonner ,  la  mit  à  cent  mille  florins. 
Et  ou  prenez;- vous  tant  d  argent  ^  dit  le  prmce?  Le  roi 
de  France  &  de  CaJHlle  ,  reprit-il  ,  le  pape  &  le  duc 
iT Anjou  y  me  les  prêteront  y  ^  il  y  a  tel  qui  garde  les  clefs 
du  cofre  où  je  trouverai  Vargent.  Mais ,  pourfuivit-il , 
on  peut  fe  vanter  que  dès  ce  moment  Henri  ejl  roi  de 
Cajtille  :  fi  j^alois  en  mon  pays  y  les  femmes  me  feroient 
ma  rançon  de  leurs  quenouilles.  La  tranchife  du  Breton 
charma  tous  les  amflants ,  &  le  prince  lui-même  té- 
moigna plus  d'une  fois  la. haute  opinion  qu'il  avoit  de 

•  fa  générofité.    La  princefle   de  Galles ,  qui  pour  lors 

fe  tt^uvoit  k  Bordeaux ,  cucieufe  de  voir  notre  héros  , 
le  Wt  ioviter  k  dîner  ;  &  jpour  lui  donner  une  preuve 
efTenciele  de  Teftime  qu'elle  fa^it  de  fa  valeur ,  elle 
s'ofrit  de  payer  vingt  mille  francs  en  déduâion  de  fa 
rançon.  Du  Guefclin  fléchiiTant  le  genou  devant  elle , 
lui  dit  :  Madame ,  je  penfois  être  le  plus  laid  chevalier 
du  monde ,  mais  vois --je  bien  que  je  ne  me  dois  plus 
tant  déplaire.  Edouard  aprit  avec  fatisfaâion  la  libé- 
ralité de  la  princefTe  fon  époufe.  Chandos  qui  étoit 
de  retour ,  ofrit  fa  bourfe  k  du  Guefclin  :  il  y  eut 
peu  cToficiers  généraux  qui  ne  lui  témoignaient  le 
même  emprefTement.  Comblé  de  carefles  &  de  pré- 
ients,  il  partit  pour  aler  raffembler  la  fomme  dont 
il  étoit  convenu.  Sur  fa  route  il  répandoit  avec  profu- 
fion  fes  libéralités  ,  les  diftribuant  k  tous  les  gens  de 

Suerre  qu'il  rencontroit.  Il  fe  rendit  auprès  du  duc 
'Anjou,  qui  pour  lors  étoit  en  guerre  avec  Jeanne, 
reine  de  Naples ,  comteffc  de  Provence.  Il  acompagna 
ce  prince  au  fiege  de  Tarafcon  ,  qui  fe  rendît,  ainfi 
que  la  ville  d'Arles.  Gete  guerre  ayant  été  terminée 
par  un  promt  acomodement ,  il .  partit  pour  la  Bre- 
tagne :  arivé  dans  fa  maifon ,  il  aemanda  cent  mille 


Ann.  13^9; 


Charles    V.  yjx 

francs  qu*il  àvoit  laifles  en  dépôt  à  la  dame  du  Guef- 
clin  fon  époufe.    Cete  dame  npn  moins  libérale  que 
fon  mari ,  en  avoir  difpofé  comme  il  auroit  fait  lui- 
même ,   en  remettant    en  équipages  tous  les  gens  dé 
guerre  qui  s'étoient  adrelTés  à  elle.  l)u  Guefclin  aprouva 
remploi  ,  &  retourna  vers  le   duc  d'Anjpu ,  qui   lui 
donna  vingt  mille  francs  :  il  reçut  une  pareille  fomme 
du    pape  ;    mais   toujours  prodigue ,  il  ne  lui  reftoic 
rien    lorfqu'il    fut    arivé  à   Bor^aific.    Il   fe    préfcnta 
devant  le  prince  de  Galles ,  qui  lui  demanda  s*il  apor- 
toit  la  fomnip  convenue  pour  fa  rançon  :  il  répondit 
fans  façon ,  qu^xl  n^avoii  pas  un  double.   V^ous  faites 
le  magnifique ,  dit  le  prince  en  plaifantant ,  vous  aonne^ 
à  tout  U  monde  >  &  vous  n^ave:^  pas  de    quoi  Jîibvenir 
à  vous-même}  il  faut  donc  que  vous  teme[  prijon.  Du 
Guefclin   fe  retiroit  ,   lorfqu^un   gentilhomme  ,   de  ta 
part  du  roi  de  France ,  ariva  chargé  de  payer  fa  rân-* 
çon  entière  y  à  la  réferve   de  vingt   mille  francsf  que 
la  jpnncefTe  de  Galles  avoit  généfêufemenc  rabattis. 

JDu  Guefclin  libre,  fe  hâta  de  pafler  en  Caftille.    du  Guefclin 
li'empreffement  avec   lequel    on  acotroit  pour  fervir  p^^c  en  Efpa- 
fous  les  étendards,  lui  procura   un  corps  ae  plus  de  ^'^^^.^  ^.. 
deux  mille  hommes  d*armes  :  il  fe  rendit  auprès  de  Henri  ci-deffiâ!'^  ^ 
de  Tranflamare.  Ce  prince  avoit  déjà  fait  des  progrès. 
A  peine  s'étoit-il  prefenté  aux  frontières  des  Etats  de 
Pedre,  que   Calahorra ,  Bnrgos ,  &   plufieurs   autres 
places  ,   s'étoient  rendues  d'elles  -  mêmes.    Le  roi  de 
Majorque ,  qui  étoit  refté  malade  à  Burgos ,  &  n'avoit 
pu  fuivre  le  prince  de  Galles ,  fut  fait  prifonnier  :  il 


îligieufement.  La  plupart  des  feigr 
coient  venus  joindre  à  Tranftamare.  Il  avoit  formé  le 
ficge  de    Tolède,  renipli  de  flateufes  efpérahces  d'un 
fuccès  prochain ,  qui  furent  agréablement  confirmées 
par  ParivéeKÎe  du  Guefclin.  Henri  reçut  dans  le  même  ^^l^^^lf^^^ 
temps  des  ambafTadeurs  de  la  part  du  roi  de  France:  ]pag.i\^. 
ils  etoient  chargés  de  confirmer  &  de  renouveler  les 

A  a  a  ij 


yj%  Histoire   de  France, 

anciennes  aliances.  Le  traité  de  confédération  fut  ligné 
Ann.  15^8.    devant  Tolède.  Le  Caftillan  &  les  miniftres  de  Fran- 
ce ,  au   nom  de  leur   fouverain  ,  jurèrent  une  ligue 
ofenfive  &  défenfive   contre  leurs  ennemis.   Tranfta- 
mare  s'obligea   entr'auttes  articles  ,  d'aflifter  fon  alié 
de   toutes   \çs  forces  maritimes  de  fes   Etats  ,    &   de 
fournir  toujours  le  double  des  vailTeaux  que  le  roi  de 
France  mettroit  en  mer.  Cete  convention  prouve  qu'a- 
lors notre  marine#  étoit  bien    inférieure   à   celle   des 
autres  puiflances.  La  France  &  l'Angleterre  n'étoient 
pas   encore  en    guerre  ;  mais    Charles  ^guroit  déjà 
qu'elle  ne  tarderoit  pas  à  fe  déclarer. 
Pcdrc  raflcm-      Pedre  ,  EUX  premiers .  mouvements ,  avoit  effayé  de 
^^^u£T''  ^e  ï^^"*'®  e^  défenfe.  Il  voulut  raffembler  toutes  les 
forces  du  royaume  pour  les  opofer  a  fon  frère  :  mais 
prodigue   dans   la  profpérité  du   fang  de   fes    fujets, 
\  il  s'étoit  privé  par  fes   cruautés  des  lervices  qu'il  au- 

roit  dû  mériter  de  leiyr  afeâion.  Il  ne  polTédoit  plus 
dans  fes  Etats  que  quelques  places,  fur  lelqueles  il  avoit 
peu  k  compter ,  des  tréfors  immenfes ,  &  le  vain  titre 
.  de  roi.  La  plupart  des  feigneurs  qu'il  manda ,  loin  de 
fe  rendre  k  fes  ordres ,  ou  s'excuferent  fur  des  pré- 
textes frivoles,  ou  coururent  augmenter  le  nombre  des 
partifans  de  fon  adverfaîre.  Il  dut  reconnoître  alors 
que  la  terreur  eft  un  fragile  apui  du  trône.  Dans  cete 
^  extrémité  il  eut  recours  au  nouveau  roi  de  Portugal 

fon  alié,  &  au  roi  de  Grenade.  Le  Portugais  &  le 
Mahométan  lui  fournirent  des  troupes ,  dont  il  forma 
une  armée  de  quarante  mille  hommes,  avec  laquele 
il  s'avança  dans  le  deffein  de  faire  lever  lé  fîege.  Henri 
de  Tranftamare ,  informé  par  fes  efpions  que  Pedre  , 
parti  de  Séville  k  la  tête  d'une  puiflante  armée  de  Por- 
tugais &  de  Maures ,  s'avançoit  à  grandes  journées 
pour  le  combatre,  aflembla  le  confeil  de  guerre.  Les 
avis  furent  partagés  ;  mais  celui  de  du  Guefclin  pré- 
.  valut.  On  laifla  une  partie  de  l'armée  pour  continuer 
le  fiege,  &  les  meilleures  troupes  marchèrent  en  bon 
ordre  au-devant  des  ennemis,  dans  l'intention  de  les 
furprendre  en  les  prévenant. 


Charl-es    V.  373 

Pcdre  étoit  arîvé  k  Montiel ,  ne  croyttnt  pas  fon  rival 


fi  près  de  lui  :  fon  armée  difperfée  ne  s'atendoic  pas  Aon.  15^8. 
à  combatre.  Lorfque  Tarmée  de  Henri  parut,  il  raf-  h^^^j***  ^* 
fembla  fes  croupes  avec  précipitation  ;  mais  la  brièveté  Tranftamarc. 
de  temps  qu'il  eut  pour  les  difpofer  au  combat  y  le  peu  ibidem.  * 
de  zèle  de  fes  foldfats  prefque  tous  étrangers  &  mer-* 
cenaires,  un  fecret  .  prefTentiment  de  fon  infortune  , 
&  plus  que  tout  cela  cete  conviâion  intime  &  ces  re- 
mords tardifs  qui  déchirent  Tame  dès  tyrans ,  fem- 
bloient  avoir  marqué  Tinflant  inévitable  de  fa  perte. 
Aveuglé  par  le  danger ,  il  ne  lui  refta  que  fa  fureur  : 
fon  armée  fut  entièrement  défaite  ;  &  lui-même  ,  après 
s'être  batu  quelque  temps  en  défefpéré,  apréhenâant 
de  tomber  vif  entre  les  mains  d'un.frere,  dont  il  n'ef- 
péroit  aucune  grâce  ,  il  prit  la  fuite ,  fuivi  de  douze 
cavaliers  ,  &  fe  jeta  dans  le  château  de  Montiel.  La 
place  étoit  très  forte ,  mais  abfolument  dépourvue  de . 
vivres  ;  elle  fut  aufli-tôt  inveftie  :  Tranftamare  fit  à 
Tinftant  élever  une  muraille  qui  Penvironnoit ,  en  forte 
qu'on  ne  pouvoit  en  fortir  que  par  un  paflage  exaâe- 
ment  gardé.  Pedre  réduit  à  rhorrible  extrémité ,  ou  de 
mourir  de  faim  dans  cete  foirterefTe ,  ou  de  fe  faire  jour 
à  travers  une  armée  entière,  tenta  de  fe  fauver  à  la 
feveur  de  robfcurité  de  la  nuit.  Le  Bègue  de  Vilai- 
nes gardoit  le  paffage.  Lorfque  ce  malheureux  prin- 
ce ,  fuivi  de  douze  cavaliers  qui  Tavoient  acompagné 
dans  fa  fuite  ,  vint  fe  préfenter  :  Arête ^  ou  tu  es  mort, 
dit  le  chevalier  François  au  premier  qui  fe  préfenta. 
L'inconnu  fans  répondre ,  pouffe  fon  cheval ,  &  fran- 
chit le  paffage.  Vilaines  s'adreffe  au  fécond  cavalier, 
&  pour  Tempêcher  d'échaper,  faifit  les  rênes.  Cétoit 
Pedre  lui-même ,  qui  ne  voyant  plus  de  reffources , 
fe  découvrit  en  implorang  la  générofité  de  celui  qui  • 
Tarêtoit.  Je  te  prie ,  dit-il ,  au  nom  de  gcntilkjfc  ,  que 
tu  me  mettes  en  fauveté  ^  &  je  me  rançonnerai  à  toi 
tout  ce  aue  tu  voudras  ,  mais  que  tu  mefcheves  des 
mains  du  bâtard.  Le  Bègue  touché  par  ce  fentimenç 
d^humanité  qui  rend  tout  infortuné  refpeâable ,  donna 


374  Histoire  de    France, 

^  fa  parole  au  roi-fupliant ,  il  le  conduifitk  fa  tente.  II 
Ann.  15^8.  n'y  avoit  pas  long -temps  qu'il  étoic  entré,  lorfquc 
Tranftamare  en  fut  informé.  Il  acourut  :  Où  cfi  hJUs 
du  P.  Juif  y  qui  ft  dit  roi  de  CaJlUlc}  Le  roi  prifon- 
nier  lui  rendit  les  mêmes  injures  ,  &  fans  doute  avec 
plus  de  fondement.  A  l'inftant  ces  deux  frères  furieux 
s'élancent ,  fe  faififTent  :  la  rage  égale  qui  les  anime 
foutient  quelque  temps  la  violence  de  leurs  éforts.  A 
la  fin,  Pedre  plus  vigoureux  renverfe  Henri  fur  un 
matelas  :  il  aloit  l'immoler  ,  lorfque  le  comte  de  Ro- 
quebertin  ,  Aragonnois,  prenant  la  jambe  de  Tranfta- 
Pcdre?^^  ^^  mare,  le  remit  fur  Pedre.  Henri  profite  de  cet'avan- 
Uidenu  ^^8^  »  ^^  ^^^^  ^^  ^^^g  poignard  qu'il  portoit  en  échar- 
pe ,  il  le  plonge  dans  le  corps  de  fon  ennemi  ,  de  fon 
frère ,  de  fon  roi.  Il  fut  à  l'mftant  achevé  par  les  gens 
qui  acompagnoient  Tranflamare.  Sa  tête  expofee  fur 
les  murs  de  Montiel ,  &  delà  portée  à  Séville  ,  fut 
jetée  dans  la  rivière  de  Guadalquivir.  Ainfî  périt ,  à 
l'âge  de  trente  -  quatre  ans,  le  cruel  Dom  Pedre,  vic- 
time de  fes  propres  fureurs ,  &  de  l'emportement  de 
fes  pallions.  Boureau  de  fa  famille,  tyran  de  fes  fu- 
jets ,  fes  cruautés  femblerent  fidre  oublier  le  crime  de 
celui  qui  le  privoit  de  la  vie  {a). 

La  mort  cie  Pedre  afiura  la  poflèfiion  du  rovamtie 
de  Caftille  à  Tranftamare.  Il  s'empara  des  tréfors  & 
des  enfants  de  fon  prédécefieur ,  &  fe  foutint  fur  le 
trône  malgré  les  éforts  des  rois  de  Navarre,  d*Ara- 
gon ,  de  Grenade  &  de  Portugal.  Il  |x>rta  la  guerre 
dans  les  Etats  de  ce  dernier  jufqif k  Lifbonne  ,  qu^il 
affiégea   par  mer   &  par  terre  :  Ferdinand  fut  trop 


grand  homme  que  reçoit  da  GuefcHn ,  fans  avoir  de  meilleur  ga^««ii.  ^u  u» 

auteur  înccrtab  lui-même  de  ce  quril  écrit.  Froîflard  ,  contemporain  de  Pedre , 
&  qui  parle  de  ce  tragique  événement  en  bomme  bien  informé  ,  puifqn'ii 
fréquentoit  la  cour  in  prince  de  Galles  »  ne  die  pas  un  mot  qui  puifle  faire 
foupçonner  le  héros  Breton  d'une  fi  uoire  perfidie.  Fid.  hift.  d'Efp*  tom.  ; , 
pi^.  40^. 


Chaules    V.  37^ 

heureux  d'obtenir  la  paix.  En  vain  le  duc  de  Lcncaftre ,  '. 

après  avoir  époufé  Confiance ,  fille  de  Pedre  prît  le  Ann,  ij^s. 
titre  de  roi  de  Caftille.  Henri  ,  environné  de  tant 
d'ennemis  ,  brava  leurs  éforts  ,  &  trouva  encore  le 
moyen  de  donner  des  marques  de  fa  reconnoifTance  au 
roi  de  France ,  eu  lui  fourniiïànt  plufieurs  fois  des 
flotes  nombreufes.  Après  un  règne  de  dix  années , 
empoifonné  ,  dit-on  ,  par  des  brodequins  que  le  roi 
de  Grenade  lui  fit  donner ,  il  mourut  couvert  de  gloi- 
re, &  tranfmît  fa  couronne  k  fes  defcendants  juf- 
qu^au  temps  où  elle  pafla  dans  la  maifon  d'Autriche 
par  le  mariage  de  Tarchiduc  Philippe  avec  Théritiere 
de  Caftille. 

Tous  les  feigncurs  François ,  qui  avoient  acompagné 
Dom  Henri  à  la  conouête  d'Efpagne  ,  furent  libéra- 
lement récompenfés.  Du  Guefctin  fut  fait  connétable 
de  Caftille.  Le  roi  lui  donna  le  duché  de  Molines  & 
les  feigneuries  de  Soria ,  d'Almazan  ,  d*Ariença  ,  de 
Monteagudo  &  de  Seron ,  outre  cent  mille  florins  d'or , 
dont  une  partie  fut.aquitée  de  la  rançon  de  Jacques 
ou  Jaime ,  roi  de  Majorque ,  que  paya  Jeanne ,  reine 
de  Naples ,  époufe  de  ce  prince.  Bernard  de  Foix , 
fils  naturel  de  Gafton  ,  eut  la  feigneurie  de  Médina 
Cœli ,  qui  fut  érigée  en  comté  ;  celle  d'Agreda  fut 
donnée  k  Olivier  de  Mauny  ,  &  le  Bègue  de  Vilai- 
nes j  créé  comte  de  Ribadeo^  époufa  une  dame  de 
Tilluftre  maifon  de  Guzman  :  enfin  tous  eurent  lieu 
d'être  t:ontents  de  la  magnificence  &  de  la  générofîté 
du  monarque. 

Pendatit  ces  mouvements  de  la  guerre  d'Efpagne,     Lc  pape  pan 
Urbain  V  acomplit  le  projet  qu'jl  avoit  formé  dès  fon  pour  Rome. 
avènement  au  pontificat ,  de  transférer  le  faint  fiege  à      ^^ofi.  MS. 
Rome.  Le  roi   de   France   avoit  inutilement  tenté  de      -^''<"/^* 
Ten   détourner.    Nicolas    Orefme  ,  çrand  -  maître  du 
collège  de  Navarre  à  Paris ,  qui  avjoit  été   précepteur 
du  roi ,  &  qui   dans  la  fuite  parvint  à  Fépifcopat  de 
Lizieux,  fut  envoyé  par  ce  prince  à  la  cour  d'Avignon. 
Il  harangua  fa  fainteté  en  préfence  des  cardinaux.  L'o- 


37^  Histoire   de   Fr.ance, 

'  rateur  voulut  en  vain  déguifer  la  foiblefle  des  moyens 

Ann.  i}i?8.    qu»îj  pouvoit  opofer  à  la  réfolution  du  faine  père  par 

une  foule  de  citations  inutiles  &  de  mauvaifes  raifons  : 


La  France  ,  difoit-il ,  étoit  un  lieu  plus  faint  que  Rome 

la  foi  :  Cejàr  t 
toute  la  nation  Gauloife  etoit  fort  adonnée  à  la  religion 


avant  même  qu^elle  eût  reçu  la  foi  :  CeJàr  témoigne  que 


depuis  que  la  France  ejl  chrétienne ,  elle  eji  ornée  de 
précieufes  reliques  ;  la  croix  ,  la  couronne  alpines  ,  les 
clous  y  le  fer  de  la  lance  qui  perça  le  côté  de  notre 
Seigneur.  Il  raporta  enfuite  le  paflaçe  de  faint  Bernard 
touchant  les  vices  des  Romains  :  il  ajouta  que;,  les  études 
avoiènt  été  transférées  de. Rome  à  Paris,  ce  qui  lui 
donna  ocafion  de  s'étendre  fur  les  louanges  de  Tuni- 
verfité  :  enfin  ^  conclut-il ,  le  pape  doit  réfider  en  France, 
parce  que  chft  fonpays  natal,  comme  J.  C  a  réjidé  dans 
la  Judée.  Le  fameux  Pétrarque  écrivit  à  Urbain  pour 
àpuyer  la  propofition  contraire  :  mais  quoiqu'il  eût 
une  meilleure  caufe  à  foutenir  ,  il  n'employa  pas  des 
raifons  plus  folides. 

Ces  diférentes  folicitations  n'étoient  pas  capables  de 
rien  changer  au  deffein  du  fouverain  pontife  :  fi  quel- 
que motif  avoit  pu  balancer ,  c'eût  été  fans  contredit 
1  atachement  qu'il  avoit  pour  le  roi  ;  mais  cete  con- 
fidération  ,  toute  puiflante  qu'elle  étoit ,  lui  parut  de- 
voir céder  à  l'intérêt  de  l'églife  ,  oui  demandoit  fa 
préfence  en  Italie.*  Le  dernier  jour  a  Avril  de  Tannée 
13^7  ,  Urbain  partit  d'Avignon  pour  fe  rendre  k  Mar- 
feille,  où  l'atendoit  une  flote  de  vingt-trois  bâtiments 
fournis  par  la  reine  de  Sicile ,  les  Vénitiens  &  les  Gé- 
nois. Il  s'embaroua  le  vingt  -  trois  du  mois  de  Mai , 
conduifant  avec  lui  le  facré  colege  ,  à  la  réferve  de 
quatre  cardinaux  qui  Tfemeurerent  en  France.  Le  doge 
&  les  principaux  citoyens  de  Gênes  lui  firent  une 
pompeufe  récejption.  Ayant  féjourné  quelque  temps 
en  cete  ville ,  il  reprit  la  route  de  Rome  par  Porto- 
Venere ,  Pife  ,  Piombino  &  Corneto  ,  où  il  reçut  une 
députation  folennele  de  la  part  des  Romains^  oui  lui 
envoyèrent  les  clefs  du  château  Saint- Ange.  Il  fe  ren- 
dit 


Charles    V*  377 

dît  enfuice  à  Vîcerbe.   Ce  fut  en  cete  ville  qu*il  con-  =!ï!=!: 
firma  Tordre  des  Jcfuatcs  j  infticué  par  Jean  Colomban.    ^»o*  u^«* 
Cece  congrégation  a  fubHfté  jufqi^au  fiecie  dernier.^ 
qu'elle  fut  fupriïfiée  par  Clément  XL 

Tandis  que  le  pape  étoit  à  Viterbe,  les  habitants  de   R^^voitedca 

cete   ville   prirent   quercle  avec  quelques  domeftiques  y^l'ç^"  ^^ 

des  cardinaux,  qui  lavoient  leurs  mains  dans  une  ronr 

raine  apelée  Grifoul.  La  populace  courut  aux  armes  ^ 

en  criant  :  vive  U  peuple  ,  meure  Véglije.  La  plupart  des 

cardinaux  fe  réfugièrent  dans  le  palais  de  la  lainteté, 

dont  la  vie  dans  ce  tumulte  n'étoit  pas  en  sûitté  :  car 

on  difoit  que  les  féditieux  le  menaçoient.  A  la  vue  de$ 

troupes  qu'Urbain  fit  aprocher ,  la  ville  rentra  dans  Iç 

devoir,  &  les  chefs;  de  la   révolte  furent  pendus  de-*. 

vant  les  portes  des  cardinaux  qu'ils    avoient  infultés. 

Enfin  le  louverain  pontife  ariva  efcorté  de  deux  mille 

hommes  d  armes  ,  aux  portes  de  Rome  ^  où  le  peuple 

&:  le  clergé  vinrent  au-devant  de  lui.  Il  y  avoit  ioi- 

xante  &  trois  ans  que  cete  capitale  du  monde  chré* 

xien  étoit  privée  de  la  préfence  des  fuccelTeurs  de  faipt 

Pierre.  Les  Romains  témoignèrent  leur  joie  de  cet  heu^ 

xeux  retour.  ^Le  faint  père  y  dès  les  premiers  jours  de 

fon  arivée  ,  fit  travailler  aux  réparations  du  Vatican 

&  des  autres  édifices ,  oui  étoient  tombés  en  ruine ,  , 

pendant  une  fi  longue  aofence. 

Le  pape  Urbain  par  ks  refus  conftaots  &  réitérés ,     Maria^reJa 
avoit  toujours  réfifté  aux  preflahtes  foliçitations  d'E-  ^"^  ^^  *^"^^ 
douard ,  qui  ne  ceflbit   depuis  loqg-temps  de  lui  de-  rh^ritîcrc^c 
inander  fes  bules  d0  difpenle  pour  le  mariage  du  comte  Fian^drc, 
^e  Cambridge  fon  fils  avep  l'héritière  de  Flandrç.  Le'   ^^^1%^' 
roi  de  France  dç  fon  côté ,  qui  avoit  un  intérêt  vifi-'  '^ 

ble  à  xr^verfer  cete  alianqe ,  avoir  fflit  agir  de  fi  puif- 
fants  r^fibrts  ^  quje  non-feulement  il  déconcerta  les  me- 
iures  du  monarque  Anglois ,  mais  qu'il  procura  ce(c> 
aliance  avantageufe  au  nouveau  duc  de  Bourgogne. 
Quoique  Louis  ,  comte  de  Flandre  9  n*eût  jamais  té- 
rnoigné  oi^vertement  de  .  répugnance  à  Tunion  de  fa 
Camille  avec  celle  d'Edoviard,  ^  cela  dans  Tapréhen- 
fomeV,  Bbb 


37^  Histoire   di  France, 

■  fion  de  mécontenter  les  Flamands ,  que  les  intérêts  de 
Aon.  15^8.    leinr  commerce  lioienc  avec  l'Angleterre  ;  il  étoic  ce- 
pendant  porté  d'inclination   pour  la  France.  Le  fou- 
verain  pontife  ayant  déclaré  qu  il  n'atorderoit  point  de 
difpenfe   au  prince  Anglois  ,  Louis  ne  fit  point  difi- 

*  culte  d'écouter  les  propofitions  du  roi.  Urbain  acorda 
lt$  bules  de  difpenfe  nécefTaires  pour  ce  mariage  , 
dont  les  conditions  furent  réglées  a  Gand  par  les  dé- 

Chroniq.  de  Putés  du  roi  &   du   comte  de  Flandre.   Charles ,  en 
Flandre.         Faveur  de  ce  mariage,  donnoit  au  comte  les  châtéle- 
cw«'  ''^    "^^^  de  Tille,  de  Douai  &  d'Orchies,  avec  la  claufe  de 
Annâ/es  de  1^  rcverfion  à  la  couronne  au  défaut  d'hoirs  mâles  de 
Flandre.         Ja   poftérité  des   deux  époux.   Il  fembloit  que  le  duc 
de  Bourgogne  n'avoit  pas  befoin  de  cete  augmenta- 
'rion ,   puifqu'en    époufant  Marguerite  de  Flandre ,  il 
aloit  devenir  un  des  plus  puiflants  princes  de  TEurope. 
Audi  le  roi  n*avoit-il  cédé  ces  cnâtélenies  que  pour 
contenter  le  comte  &  les  Flamands  ;  &  par  un  traité 
fecret  le  duc  s'obligea  de  les  reftituer  au  roi  fon  frè- 
re ,  dès  que  la  mort  du  comte  lui  permettroit  d'en  dif- 
pofer.  Mais   Charles  étant  décédé  le  premier ,  le  duc 
de  Bourgogne  éluda  facilement  cete  convention  pen- 
dant la-  minorité  du  roi  fon  neveu. 
Naiflancc  du      Vers  ce  même  temps  la  reine  donna  la  naifTance  à 
dauphin.         un  fils  qui  fut  nommé  Charles.  Il  remplaça  fon  perc 
d^^^uTv.  ^"^  ^^  trône,  &  fut  le  plus  infortuné  de /nos  monar- 

*  ques.  Comme  le  roi  n'avoit  point  eu  d'enfants  mâles , 
cet  événement  fut  célébré  par  des  réjouïffances  extra-» 
ordinaires.  Le  prince  nouveau -né  fut  tenu  fur  les 
fonds  baptifmaux  par  Charles  de  Montmorenci ,  &  par 
la  reine  douariere  Jeanne  d'Evreux ,  veuve  de  Charles^ 
le-bèl ,  qui  le  porta  elle-même  entre  fes  bras  de  l'hô- 
tel du  roi  à  réglifede  faint  Paul ,  acompagnée  des  prin- 
ces &  princeues  du  fang,  &  des  principaux  feigneurs 
de  la  cour  fuperbement  parés.  Deux  cent  Varias  ^  avec 
à^^  flambeaux  précédoient  la  marche,  en  tête  de  la- 
quele  on  voyoït  Hugues  de  Châtillon  ,  feigneur  de 
Dampieire  ,  grand-maître  des  arbalétriers  de  France , 


C  H  4  it  £  B  s    V.  379 

qui  cenoit  un  bafiîn  d'or  >  &  le  comte  de  TancarvîUe  ■ 

portant  une   coupe  d'or  ,  dans  laquele    écoit  le  Tel,    A«»i  x^^t. 

couverte  d'une  touailîc  ou  nappe  atachée  à  Ton  cou. 

LUufant  reçut  k  nom  ik  Chants  pour  kdit  fcignatr  de 

JMonîmoraicy  j  qui  ce  même  nom  portoit.   Le  jour  de 

cete  cérémonie  »  le  roi  &c  diftribuer  huit  deniers  à  cha« 

quej)erronne  qui  voulut  fe  préfenter.  Il  y  eut  fi  grande 

preffe ,  dit  une  chronique  du  tenips ,  çue  plufieurs  ftm* 

mes  y  furent  mortes.  Le  roi  donna  le  Dauphiné  en 

apanage  k  £>n  fils ,  auffi-tôt  qu^il  eut  reçu  le  jour  :  il 

fut  ainfi  le  premier  des  enfants  de  France  qui  porta  le 

titre  de  dauphin  en  naiflant. 

.    Quelque  temps  auparavant  f  Charles  qui  fongl&oit  à      nidMi 

$Vtacher  1^  chefs  des  plus  puiflantes  maifous^  avoic 

conclu  le  mariage  dlfaoele  <ie  Bourbon ,  fceur  cadece 

delà  reine  fon  époufe^  avec  le  fire  d'Albret.  Le  prince 

de  Galles  fut  extrêmement  mécontent  de  cete  ahance^ 

ôc  dès-lors  il  eut  fait  éprouver  à  çp  feigneur  les  éfets 

dé  fon  reffentiment,  s'il  n'en  avoit  été  détourné  par  les 

perfonnes  les  plus  prudentes  de  fon  confeil. 

Il  n'eft  pas  douteux  que  le  roi  fe  difpofoit  dès-lors     Voyage  H 
à  rompre  avec  l'Angleterre.  Cependant  Lyonnel,  duc  ducacciarca- 
de  Clarence,  fécond  fils  d'Edouard.,  fut  reçu  à  Paris  ^ 
avec  toutes  ces  démonûrations  de  bienveillance  &  d'a- 
mitié 9  dont  la  politique   des  cours  fçait  couvrir ,  fous 
le  dehors  de  pontefib,  fes  véritables  intentions*  Le  due 
de  Clarence  avoit  obtenu  la  permiflion  de  traverfer  la  puâ^m.  %  \ 
France  pour  aler  à  Milan  epoufer  Violante  fille  à^  part.i,p\x^\ 
Galéas  Vifçonti.  Les  ducs  de  Berry  &  de  Bourgogne  'H -Mi. 
â^lerent  k  Saint-Denis  au-devant  de  ce  prince  j  qui  fut 
logé  au  Louvre.  Tout  le  temps  qu'il  féjourna  à  raris , 
fe  pair»  en  feftins  &  en  réjouïuances.  Le  roi  k  foa 
départ  le  combla  de   préfents,  ainfi  que  les  fei|;neurs 
de  fa  fuite  :  le  comte  de  Tancarville  le  conduifit  juf- 
ou'a  Sens ,  d'où  il  pourfuivit  fon  voyage  jufqu'à  Milan. 
Ce,  jeune  prince  ne  jouît  pas  long-temps  des  douceurs 
de  ce  mariage  :  il  mourut  au  bout  de  cinq  mois,  w  Ces    j^,^,  Thoyr. 
$9  mêmes  plaifirs  ,   dit  Thiftorien  d'Angleterre ,  qu'on 

Bbbij 


380  HisToULK  DE   France, 

=5555^^=  ^y  lui   procuroit  avec  tant  de  profufîon ,  précipitèrent 

Ann;  13^8.     yy  fa  fin  ». 

Suite  des  mé-      Lcs  feîgneurs  de  Guienne  n*avoient  point  quité  Pa- 

aerSgn"^"  ris  :  ils  preflbient  mceffammênt  le  roi  de  fe  déclarer. 

de  Guienne.     Leur  mécontentement  contre  le  gouvernement  Anglois 

Froifani.     avoic  été  caufé  par  plus  d'un  motif.  Lorfqu*£douard 

faifoit  la  guerre  à  la  France,  il  s^étoit  concilié  l'ata- 

chement  de  la  noblefTe  d'Aquitaine   par  fes  bienfaits. 

Il   n'y   avoit  pas  de  feigneur  confîdérable  dans  cete 

province  qui  ne  fût  penfîonnaire  du  monarque  An^lois^ 

Ce   prince  parvenu  à  TacomplifTement  de  les  deileins , 

parut  oublier  dans  la  profpérité  les  fervices  de  ceux  k 

qui  il  étoit  redevable  aune  partie  de  fes  fuccès.  Il  ré- 

Rymer.  aB.  voqua  Ics  dons  qu'il  leur  avoit  acordés  dans  le  temps 

fuU.  tom.  j ,  oue  leurs  fecours  lui  furent  néceflaires.  Ils  fe  crurent 

^^^^'^^  dédaignés,  &  conferverent  un  reffentiment  que  TAn- 

glois  ne  prit  pas  afiez  foin  de  calmer.  A  cete  indifpo- 

fition  s'étoit  joint  le  démêlé  du  feigneur  d'Albret  &  du 

f)rince  de  Galles  ^  &  lorfqu'il  fut  queftion  d'établir  le 
iibfide ,  tous  les  efprits  étoient  déjà  préparés  à  un  fou- 
lévement  général. 
Maladie  da       Le  roî  avoit  toujours  lœuil  fur  les  démarches  des 
prince  de  Gaf-  Jeux   Edouards ,  &  fa  politique  adroite  mettoit  à  pro- 
^^ Ibidem       ^^  toutes  Ics  fkutcs  qui  leur  échapoient.  Ce  fut  vers  ce 
temps  qu'Olivier  Cliflbn  s'atacha  entièrement  à  fon  fer- 
vice.    Ce   feigneur  fut  chargé  de  réorimer  les  courfes 
ue  les  compagnies  ,  revenues  de  Caftille  avec  le  prince 
e  Galles  ,  renouveloient  en  France.  Le  jeune  Eaouard 
avoit  raporté  de  fon  expédition  d'Efpagne  un  fonds  de 
mélancolie  que  rien  ne  pouvoit  didiper.  Cete  efpece  de 
langueur  dégénéra  en  une  maladie  d'autant  plus  dan- 
gereufe ,  que  les  progrès  en  avoient  été  plus  4ents.  Il 
«étoit  malade  à  Bordeaux  ,  lorfqu'il  fut  informé  qu'il  fe 
faifoit  à  la  cour  de  France  des  mouveipents  qui  pou- 
voient  avoir  des  fuites  pernicieufes.  Il  ne  manqua  pas 
d'en  inftruire  le  roi  fon  père.   Le  monarque  Anglois 
négligea  ces  avis  importants.  Ce  n'étoit  plus  ce  prince 
habile ,  dont  le  géme  éclairé  prévoyoit  tout ,  &  diri- 


i 


C   H   A  R  t  E   s      V.  381 

feeoit  les  événements  par  fon  aâivké.  On  eût  dit  que  ' 

Ta  fortune  lui  avoit  fait  oublier  qu'il  ne  s'étoit*élevé    Ann.  n^g; 

Îue  par  une  atention  infatigable.  Il  ne  crut  jamais  la 
rance  en  état  de  fe  relever  de  TabaifTement  ou  le  bon- 
heur de  fes  armes  Tavoit  réduite.  Tandis  qu'il  s'endor- 
moit  au  fein  de  Tes  profpérités ,  Charles  le  difpofoit  à 
réparer  les  di^races  de  fon  père  &  de  fon  aïeul. 
»  Les  vains  éforts  des  partifans  de  T Angleterre  ne  juf- 
tifieront  jamais  Edouard  fur  Pinobfervation  de  la  plus 
grande  partie  des  articles  du  traité  de  Brétigny.  Il 
n'avoit  pas  évacué  les  places ,  il  avoit  exigé  des  ran- 
çons de  plufieurs  princes  &  feigneurs  qui  lui  avoienc 
été  uniquement  donnés  en  ôta^e,  il  avoit  toujours  éludé 
de  fe  mettre  en  état  de  recevoir  la  renonciation  du  roi , 
en  envoyant  la  fienne(^).  A  tant  d'infraôions  il  ne 

(a)  Le  judicieux  critique  à  qui  le  pdblic  eft  redevable  de  la  nouvele  édition 
du  P.  Daftiel ,  raporce  une  obrervation  ,  qui  »  fi  elle  étoic  fondée  ,  jeteroîc 
quelque  obfcnrité  fur  la  bonne  foi  de  Jean  dans  l'exécution  de  l'article  des 
renonciations  refpeâives.  Cete  obfcrvation  eft  faite  d'après  un  mémoire  inféré 
dans  le  XVIIe  volume  des  Mémoires  de  l'Académie.  On  ne  peut  chercher  la 
mérité  dans  une  meilleure  fonrce  ',  cependant  le  fçavant  auteur  de  cete  diflferta- 
don  n'a  pas  examiné  la  conduite  éc  les  expreffions  captieufe»  d'Edouard  avec  fon 
atention  &  fa  perfpicacité  ordinaire.  Voici  ce  qu'il  marque  :  »>  On  trouve  dans 
9>  les  ades  de  Rymer  un  mandement  daté  de  Weftminfter  le  vingucinq  No- 
»  vembre  13^1,  adreffé  à  Thomas  pédale  chevalier  ,  &  à  Thomas  de  Dun* 
«>  clent  pour  fe  trouver  à  Bruges  le  jour  de  faiot  André  »  afin  d'y  recevoir ,  au 
9j  nom  d'Edouard  ,  les  renonciations  du  roi  Jean  y  &  faire  en  mimer  temps 
ar>  celles  auxquelles  Edouard  était  Migi  ce,  H  n*cft  point  du  tout  queftion  dans 
ce  mandement  de  renoncer  au  nom  d'Edouard  à  la  couronne  de  France.  Il  eft 
feulement  dit  que  les  commiflaires  feroienc  au  roi  diférentes  requêtes  concer- 
nant l'acompliflèment  du  traite  de  Brétigny  ;  qu'ils  afiiftctoient  aux  renoncia- 
tions qui  dévoient  être  faites  par  Jean  &  fon  fils  s  qu'ils  recevroient  les  lettres 
3ui  dévoient  être  envoyées  à  Bruges ,  &  qu'ils  donncroient  fur  ce  toutes  lettres, 
e  quitances  &  d'abfolution.  Il  n'eft  pas  fait  une  feule  fois  mention  dans  ce 
mandement  d'exécuter  au  nom  d*£douard  l'article  qui  le  concernoit.  Ce  prince 
qui  vouloir  éluder  fa  renonciation  à  la  couronne ,  afeâe  toujours  fur.  ce  point 
un  filence  fufpeâ.  Ce  mandement  fe  trouve  dans  le  troifieme  volume  ,  panie  1  » 
pag,  49  y  des  ades  publics  de  Rymer  de  l'édition  de  la  Haye.  Ajoutons  une 
dernière  obfervation  fur  les  fuites  du  traité  de  Brétigny.  Le  roi  Jean ,  par  fes 
lettres  de  13^1 ,  déclara  dans  une  audience  publioue  à  fambaffadeur  d'Angle- 
terre ,  que  quoiqu'Edouard  n'eût  pas  fatisfait  dans  les  temps  prefcrits  aux 
daufes  du  traité ,  fon  intention  n'étoit  pas  de  l'imiter  ,  &  qu'il  vonloit  au* 
contraire  remplir  fes  promefles  autant  qu'il  éroit  en  lui.  Les  Anglois  avoienc 
été  mis  en  uofiefilon  du  Comté  de  Pontnieu  ;  il  ne  manquoit  plus  que  la  for- 
malité de  l'mveftiture.  Ce  jour  même  Jean  s'aquita  de  fa  parole.  Pour  cet 
éfct  9  le  fcigacur  de  Bourbon  comte  de  Ponthicu ,  fe  divefiit  de  ce  comté  U 


Ann*  15^8* 


Apel  des 
fcîji^neurs  de 
Guicane. 

Du  TilUt. 
Tri  for  des 
çhanrts, 
Froiffard. 
Chron.  MS, 


381  Histoire  db  Frakce^ 

'  pouvott  opofer  que  de  faibles  dificulc^s  ^  qui  écoienc 
iurvemues  pour  des  mouvances  de  terres  ,  qu'il  pré** 
cendoic  dépendre  des  provinces  qui  lui  avoient  été  ce* 
dées.  L'évafion  du  duc  d'Anjou  ^  dont  il  fe  plaignit 
il  amèrement ,  avoit  été  plus  que  fufifamment  répa- 
rée 9  puifque  le  feu  roi  s'étoit  lui-même  remis  en  Iba 
pouvoir  ;.  démarehe  qui  Tufifoit  feule  pour  refticuer  les 
chofes  au  même  état  où  elles  étoient  avant  le  traité 
de  Brétigny.  Cependant  Edouard ,  quoiqu'il  n'eût  au- 
cun droit  à  la  fouveraineté  de  Guienne  ^  Tavoit  de  fon 
chef  érigée  en  principauté ,  comme  s'il  en  eût  déjà  été 
le  feigncur  fuzerain.  AufR  le  roi  oe  fit  examiner  en 
(on  confeil  les  articles  de  la  paix  ^  que  pour  revêtir  la 
démarche  k  laquele  il  étoit  déterminé ,  de  toutes  les 
formalités  qu'exigecyent  la  juftice  &  les  droits  des  na- 
tions. Jamais  nos  rois ,  dans  les  temps  les  plus  heu- 
reux de  la  monarchie,  n*ont  témoigné ,  ni  plusjde  fer- 
meté, ni  plus  de  grandeur  que  Charles  en  fit  piroître 
dans  cete  ocafion. 
Le  confeil    du  roi  avoit  aprouvé  la  légitimité  des 

f>laintes  des  feigaeurs  ;  il  ne  reftoit  plus  qu'à  recevoir 
cur  apel  dans  la  cour  fouveraine  des  pairs.  Le  roi 
pour  cet  éfet  fè  rendit  au  parlement ,  acompagné  des 
princes  &  des  pairs  du  royaume.  Les  feigneurs  de  Guienne 
propofèrent  les  raifons  quMls  avoient  de  s'adrefFer  au 
roi  de  France  ,  comme  k  leur  fouverain  légitime  ,  pour 
le  fuplier  de  les  protéger  contre  les  entrepriles  du 
prince  de  Galles.  La  cour  reçue  leurs  plaintes ,  & 
lur-le«champ  on  drefïa  un  aâe  ,  par  lequel  ce  prince 
fiit  cité  a  comparoître  pour  rendre  raifon  de  fa  con- 
duite,. &  fe  conformer  au  jugement  qui  feroit  pro-» 
nonce.  Bernard  Pelot ,  juge  criminel  de  Touloufc  9 
&:  Jean  de  Chapponal  cnevalier  ^  eurent  commiflion 


Àt  Tes  «partcflianccf ,  en  nettanc  ontrc  les  matnsdu  loi  onevciifreoa  bajçaece» 
regardée  comme  le  figne  de  û  propriété.  Cette  manière  de  tranfmettre  la  pof- 
(Mon  d  une  fckneurte  fabfifte  encore  en  plufieurs  provinces.  Cet  aftc  fc  trouve 
d«ns  ttn  MS.  delà  biblioth.  royale ,  Qu  (oat  infccées  la  plupan  des  pièces  cou* 
coiuâttt  la  fVJL  de  Brétigny. 


C   H   A    11  t   E    s      V.  383 

id*alcr  à  Bordeaux  iignifier  cet  ajournement  au  prince.  ■- 

Les  deux  députés  parurent  devant  Edouard ,  &  lui    Aim.  tjét. 
préfentercnt  leurs  lettres  de  créance.    Le    prince  qui  ^^fa^çi""^^ 
ne  s'atendoît  pas  au  motif  de  leur  melTage ,  les  reçut  prin//dc  ^ai- 
favorablement  ;  mais  il  changea  de  couleur  ,  lorfqu*ils  j«.  n  cft  cité 
lui  demandèrent  la  permiflion   de  faire  la  leâure  de  Lirs/^"'  ^^^ 
laôe   dont  ils  étoient  porteurs  :  il  leur  acorda  la  H-     Froijfard. 
4>erté  qu'ils  demandoient.  Cet  aâe   mérite  par  fa  Ç\t^  foi.cUx,reao. 
gularité  d*être  raporté  ici.  w  Charles ,  par  la  grâce  de     .2>/y"r2f 
»  Dieu ,  roi  de  France ,  à  notre  nepvcu  le  prince  de  channs, 
jy  Galles  &  d'Acquitaine ,  Salut.  Comme  ainh  foit  que     ^*  ^''^'• 
9y  plufîeurs  prélats  ,  b&rons  y  chevaliers  ,   univerfîtés  , 
yy  communautés  &  collieges  des  marches  6c  limitations 

.  9^  du  pays  de  Gafcongne,  demourants  &  habitants  es 
3^  bandes  de  noftre  royaulme  avecques  plufîeurs  autres 
»  du  pays  &  duché  d^Acquitaine,  fe  foyent  traiâs  par- 
y0  devers  nous  &  noftre  court,  pour  avoir  droiâ  crau- 
yy  cuns  griefs  &  moleftes  indeues  que  vous  par  foible 
yy  confeil  6c  fimple  information  leur  avez  propofé  à 
»  faire  ,  de  laquele  chofe  fommes  efmervcillez  ;  Donc- 
9>  ques  pour  obvier  6c  remédier  à  ces  chofes ,  nous 
^  nous  fommes  adhers  avecques  eulx  6c  adhérons  | 
jy  tant  que  de  notre  magefté  royale  &  feigneurie  nous 
T>  vous  commandons  que  vous  viengncz  en  noftre  cité 
yy  de  Paris  en  propre  perfonne  ,  6c  vous  monftrez  *& 
yy  préfentez  devant,  nous  en  noilre  chambre  des  pers 
>>  pour  ouyr  droiâ  fur  lefdiâes  complaintes  &  griefs 
yy  efmeus  de  par  vous  à  faire  fur  voftre  peuple  qui 
yy  clame  à  avoir  &  à  ouir  reflbrt  en  noftre  court.  Ec 
yy^  ce  n'y  ait  point  de  faulte ,  &  foit  au  plus  haftive- 
Ji>  ment  que  vous  pourrez  après  ces  lettres  veues.  En 
»  tefmoing  de  laquelle  chofe  nous  avons  à  ces  prëfetites; 
yy  mis  notre  (cel.  Donné  à  Paris  le  vingt-iixieme  jour 
»  du  mois  de  Janvier  jy.  Le  prince  n'entenclît  pas  cet» 
lefture  fans  émotion  :  il  devoit  fans  doute  paroîtrc  ex- 
traordinaire au  vainqueur  de  Créci  &  de  Poitiers  de 
fe  voir  mandé  au  parlement  de  Paris  par  un  ajourne^ 
filent   perfonnd.    Il  demeura  quelque   tejnps  pcnjifj  . 


3^4  Histoire  de  Frakce^ 

s  croulant  la  tétt  &  regardant  les  François.  Il  rompit  en- 


Ann.  IJ58.    fin  le  (ilence  :  Nous  irons  voulentiers  à  Paris  y  dic-il, 
puifque  mandé  nous  ejl  du  roi  de  France ,  mais  ce  fera 
le  iacinet  en  tête ,  ^  J'oixante  mille  hommes  eri  ma  com- 
pagnie. Les  députés  fe  jetèrent  à  genoux,  en  le fu pliant 
d'ejçcufer  la  hardiefle  de  leur  meiTage ,  par  Tobliga- 
tion   où  ils    éroient  d'obéir  au   roi   leur   maître.    Le 
prince  ,  qui  avoit    eu  Iç  temps  de  fe  remettre ,   les 
afliira  cju  il  n'étoit  point   indigné    contre  eux  :  il  les 
congédia,  &   leur  envoya   ordre  le  même  jour  de  fe 
retirer  ;  mais  il  ne  tarda  paç  à  changer  de  fentiment. 
Quelque  nwdération  qu'il  eût  afedée ,  il  étoit  vivement 
piqué  de  la  déclaration  au'il  venoit  de  recevoir  publi- 
quement. Il  demanda  fi  les  envoyés  du  roi  de  France 
îivoîent  un  fauf-conduit  de  lui  ;  &  ayant  apris  qu'ils 
ne  s'étoient  pas  munis  de  ceta  précaution  ,  il  fit  courir 
après  eux ,  fous  le  prétexte  faux  qu'ils  dévoient  plutôt 
être  regardés   comme  les   mefiagers  des  feigneurs   de 
Guienne  ks  fujets,  que  comme  Içs   envoyés  du  roi- 
Je  ne  veux  pas  ,  dit-il   yçu^ilsfe  départent  Ji  lé^rement 
de  nous  y  &  çu^ils  raportent  en  leurs  jongles  [pTaifante- 
ries  ]  au  duc  d^ Anjou  qui  nous  aime  un  petit ,  comment 
ils  m^ont  perfonnélement  ajourné  en  mon  hôtel.  Le  féné^. 
çhal  d^Agénois  partit  aufii-tôt,   &   les   ateignit  près 
d'Agen.  Ce  (èigneur  en  les  are  tant  fe  fervit  d'un  vain 
déguifement  pour  couvrir  Thoneur  du  prince  de  Gal- 
les ;  il  alégua  pour  caufe  de  leur  détention  rechange 
que  leurs  gens  avoient  &it  d'un  cheval  dans  une  hôcé^ 
lerie  014  ik  ^voienç  logé  la  veille  :  on  les  conduifit  pri- 
fi>nniers  dans  le  château  4'Agen,  où  ils  demeurèrent 
plus  d'une  année.  On  retrace  à  regret  ce  trait  dç  peti- 
Ceflè  de  la  part  d'i^douard  que  rien  ne  peut  excufer, 
tant  il  çf):  vraji  qu/s  daps  \^s  héros  il  y  a  toujours  de 
l'homme.  • 
Conduite  du       ^^  roi  n'a  prît  pas  fans  indignation  l'infulte  faite  à 
^-  fçs  députés  ;  mais  il  avoit  la  force  de  contenir  fon  ref- 

fentiment.    Il    devoit  à  fts  ennemis  l'exemple   d'une 
.  ipodér^tian  qui  annonçoit  fa  fupérioj'itép  ï-e  duc  d'An- 
jou, 


Charles    V.  38^ 

jou,  lieutenant-général  du  Languedoc,  témoigna  plus  ïS^= 
d^inspatience  :  irîré  de  rafronc,&  i)rûlanc  du  defir  de    ^o.  136S. 
fîgnaler  la  haine  pcrfonnele  qui   Tanimoit  contre  les 
Anglois,  il  l'aifit  avidement  cete  ocafion  de  la  fatis- 
faire,  en  vengeant  la  querele  du    roi  fon   frère.    Ce 
prince  étcit  dans  le  feu  de  la  jeunefle  &  d'un   carac- 
tère impétueux.  Il  fît  des  préparatifs  &  raflembla  des 
troupes  dans   Tintention  de  commencer  la  guerre   en 
faifant  des  courfes  fur  les  terres  de  la  domination  du 
prince  de  Galles ,  lorfqu*il  reçut  des  ordres  précis  & 
réitérés  de  fufpendre  tout  aôe  d'hoftilité.   Il  obéit  à 
regret,    &ne  fe  conlbla   de  cete  inaâion  que  dans 
1  eïpérance  de  pouvoir  biencot   éclater  librement.   En 
ëfet,  la  rupture   entre   les    deux  couronnes  paroiffoit 
infaillible  ,   &   le  roi    ne   (èmb.loit  diférer    que   pour 
prendre   des   mefurcs  plus  certaines ,    &    donner    en 
même- temps  à  la  juftice  de  lès  armes   toute  la  force 
qu'elle  pouvoit  recevoir  de  Tobfervation  des  plus  exac- 
tes formalités.  On  doit  encore  cete  juftice  a  Charles, 
d'ajouter  ou  il  fur  en  partie  détermine  à  la  guerre  par 
la  néceilite  que  lui  impofoient  les  circo'nflances.    Il  fe 
repréfenta  plus  d'une  fois  les  malheurs  des  règnes  pré- 
cédents ;  mais  y  [  dit  Froiffard  ,  qu'on  ne  peut  foup- 
çonher  de  partialité ,  qui  même  didimule  rarement  fon. 
penchant  fecret  pour  l'Angleterre]  il  étoit  fi  fort  requis 
des  hauts  bar(^  de  Guienne  &  d^autre  part ,  qui   lui 
montraient  les  extorjtons  &  grands  dommages  qui  à  caufc 
de  ce  advenoient  Çf  pouvaient  advenir  dans  la  fuite  ,  que 
uulement   ne  pouvait  dtffimulfr  ;  jaçait  ^uc   moult  lui 
grevât   à  penfér  6r  canfiifrer  la   deJlruSion  du  pauvre 
peuple  ,  qui  ja  Jt  long-têmps  avoit  duré^ 

Edouard  étoïc  bien  éloigné  de  juger  des  véritables 
intentions  du  roi.  Rempli  de  fa  grandeur,  il  ne  s'ima- 
rinoit'pas  que  la  France  fût  en  pouvoir  de  balancer 
la  fortune  qui  l'avoit  jufqq'àlors  n  conftamment  favo- 
rifé.  Il  ne  socupoit  à  Londres  que  du  foin  de  recœuil- 
lir  tous  les  jours  de  nouveaux  avantages  de  Tabaifle- 
jncnt  où  il  croyoit  avoir  réduit  fes  ennemis.  Il  rete- 
Tome  V.  Ccc 


2^6  Histoire   de   France, 

.  noie  encore  la  plupart  des  otages  qui  lui  ayoicnt  été 

Ann  i3<{&.  donnés  par  le  dernier  traité  :  il  en  avoit  relâché  quel- 
ques-uns fur  leur  parole;  quelques  autres  impatien- 
tés d'une  fi  longue  détention ,  corapoferent  avec  lui , 
ainfi  q^e  nous  Pavons  vu  ci-devant.  Le  duc  de  Berry 
étoit  revenu  depuis,  peu,  &  jfigeant  aux  difpofitions 
oà  le  roi  étoit  pour  lors  ,^  que  la  guerre  aloit  nécef- 
fairement  recommencer  ,  il  diféra  de  retourner  en  An- 
gleterre, &  atendit  Tévénement.  Lç  comte  de  Har- 
court  fe  conduifit  de  la  même  manière  ,  ainfi  aue  plu- 
fieurs  de  ceux  qui  avoient  obtenu  de  femblables  per- 
miflions.  Mais  le  roi  d'Angleterre  n'avoit  pas  la  même 
indulgence  pour  tous  :  Guy  de  Blois  fut  obligé  de  cé- 
der le  comté  de  Soiflbns  au  feigneur  de  Coucy  qui  avoit 
époufé  une  fille .  d'Edouard  :  le  comte  d'Alençon  paya 
une  fomme  confidérable,  ainfi,  que  le  duc  de  Bour- 
bon j  &  même  ce  dernier  n'eût  pas  éoé  délivré ,  s'il  ne 
fe  fut  fei^i  d^un  flxatagême.  Il  y  avoit  dans  ce  temps 
à  la  cour  d'Angleterre  un  prêtre  tout-puiflant  par  fon 
crédit  &  par  la  faveur  dont  le  roi  l'honoroit  j^  il  fe 
Froîfard.  nommoit  Guillaume  de  Wican.  //  étoit  fi  bien  auprès 
dit  roi  que  par  lui  étoit  tout  fait,  nejànf  lui  on  ntfai^ 
fpit  rien.  Edouard  eût  bien  voulu  donner  à  Guillau- 
me, avec,  la  dignité  de  chancelier,  l'évêché  de  Win- 
chefter,  qui  venoit  de  vaquer  par  la  mort  du  cardinal 
de  Winchefter.  La  nomination  à  l'évêché  dépendoit 
de  fa  fainteté.  Edouard  n'ignoroit  pas  que  le  pape 
avoit  beaucoup  de  confidération  pour  la  maifon  de 
France.:  il  pria  le  duc  de  Bourbon  d'obtenir  pour  Wi- 
can   fon   chapelain   l'évêché  *  vacant ,  promettant  à  ce 

E rince  .qu'en  reconnoilTance  îU  lui  ftroit  bien  courtois  à 
t  prifon.  Le  duc  ayant  communiqué  cete  propofition 
au  roi  de  France  &  obtenu  fon  agrément,  fit  les  dé- 
marches nécefTaires  auprès  du  fouverain  poatife,  qui 
lui  donna  Tévêché  pour  en  difpofer  à  fa  volonté.  Le 
prince  ayant  reçu  les  bules,  ne  les  remit  à  Edouard 
ue  lorlqu'il  eut.  terminé  avec  ce  monarque  Tacord 
e  fa  délivrance  ,  pour  laquele  il  fut  encore  obligé  djg 


3, 


Charles    V.  387 

^lannef  vingt  mille  francs.  Oeft  par  ces  moyens  qu'E-  ^"^^ 


dauard  9  contre  les  termes  formels   du  traité,  exigea    hnn.  n62. 
des   fommes  confidérables  ou   des  terres ,   de  la   plus 
grande   partie  des  otages ,  retenant  tous  ceux  qui  ne  «« 

voulurent  pas  ,  ou  qui. fe  trouvèrent  dans  TimpolTibi- 
lité  de  fe  racheter  à  de  pareilles  conditions. 

Le  prince  de  Galles   fe  préparoit  à  Texécution  de  la     Pr^paranfi 
menace  qu  il  avoit  faite ,  brfqu'on   lui  avoic  fignifié  g"Xs°^*^  ^^ 
l'ajournement    à  la    cour  des    pairs,    Quelque    temps       uidem. 
auparavant,  il  avoit  engagé  les  compagnies  quM  avoit 
ramenées  d'Efpagne ,  à  fe  retirer  des  terres  de  fa  do- 
mination :  ces  troupes  étoient  alors  vers  les  bords  de 
Ja  Loire,  il   les  envoya   prier   de  ne  pas   s'éloigner  , 

farce  qu  il  auroit  incelfamment  befoin  de  leur  fccours. 
l  raffembloit  en  m;me*temps  à  Bordeaux  des  gens  de 
guerre  &  des  armes ,  efpérant  fe  mettre  le  premier  en 
campagne,  lorfqu'il  fut  prévenu  par  un  foulévement 
prefque  général  de  toute  la  noblede  de  Guienne. 

Les    feigneurs   de   Périgord  ^  de   Gominges    &   de    Sonlévemcnt 
Carmain   ataquerent  près  de  Mèntauban  un  corps  de  àtUGwcnnt. 
croupes  Angloiiës  qu'ils  détirent  entièrement.  Aux  pre- 
mières nouveles  de  ces  hoftilités-,   Edouard  irité   fit 
ferment  d  en  tirer   une  prompte  vengeance  :  mais  fa 
fanté   confidérablement   altérée  ne  lui   permettoit    pas 
d^agir  avec  fou  aâtvité  iordinaire.   Œandos  étoit  pour 
lors  en  Normandie  ;   il  eut  ordre  de  fe  rendre  înceC- 
famment    en  Gûienne     Lorfqu^il  fut  arivé ,  le  prince 
renvoya  vers   Montauban  avec  des  croupes   pour  ré- 
primer les  courfes  de  Tennemi.  ♦ 

Le  roi  cependant  étoit  exaûemcnt  informé  de  Tétat 
du  prince  de  Galles.  Depuis  fon  retour  <l'Efpagne  une 
fièvre  lente   le  confumoit  de  jour  en  jour  :  déjà  fon*. 
extrême  foiblefle  ne  lui  permettoit  plus  de   monter  à 
cheval.   On   envoyoit  jouri>tlement  a  Paris  un  détail 
circonftaxicié  de  la  maladie.   Les  médecins    de   la   fa-  •Frw/W. 
culte  confultës ,  jugèrent  dès-lors  fon  infirmité  incura- 
èle,  &  affurercnt  qu'il  feroit  dans   peu  ataqué   dune 
bydropific  nortcle^  J^'îiiaâioa  de  ce  prince  délivrok 

C  c  c  i j 


388  Histoire   de  France, 

■  î  la  France  d'un  ennemi  redoutable  ,  &  cete  coilfidéra- 

Ann.  1368.   tion  n'étoit  pas  un  des  moindres  motifs  cjui  déterminè- 
rent Charles  à  porter  avec  plus  de  confiance  le  coup 
qu'il  méditoit.  11  fit,  ainfi  que  le  prince  de   Galles, 
traiter    fecrétement    avec  les   chefs    des    compagnies. 
Ceux  de  ces  aventuriers  qui  n  étoient  pas   originaires 
Anglois  ,   prêtèrent   d'autant  plus   volontiers   Toreille 
aux  proportions  qui  leur  furent  faites  de  la  part  du 
roi ,  que  ce  tnonarque  s*étoit  mis   par  fon  économie 
en   état  de  payer  leurs    fervices,  au -lieu   que  les  fi- 
nances   d'Edouard   étoient  alors    presque  entièrement 
épuifées. 
Le  roi  prend      Dàns  le  m'ême  temps  que  le  roi  ménageoit  ces  ref- 
^our^cîtrcr    ^^^^^es ,  il  fit  fondcr  tes  habitants  de  Ponthieu ,  qu'il 
dans  les  pro-  trouva  difpofés  à  fecouer  le  joug  des  Anglois.  Les  villes 
vinces  céciécs.  de  Saint  -  Valeri  ,  d'Abevîlle  ,  du  Crotoi ,  ainfi   que 
Uidem.      la  plupart  des  autres  places  de  cete  province ,  témoignè- 
rent unanimement  le  même  defir  de  rentrer  fous  Po- 
béiflance  de  leur  fouverain  légitime.    Le  mécontente- 
ment général  de  la  domination  Angloife  provenoit  de 
la  hauteur  avec  laquele  ces  infulaires  traitoient  les  pro- 
vinces   de  la  France  ,  qu'ils   regardoient  comme   un 
pays  de  conquête.    Ces  diférentes  négociations  du  coi 
turent  ménagées   avec  un  fi  profond  fecret,  que  Ni- 
colas de   Louvain ,  qui  pour  'VOrs  étoit  gouverneur  de 
Ponthieu  ^  n'en  eut  pas  le  moindre  foupçon. 
PrAentions        ^^  comte  de  Salleoruche  &  Guillaume  de  Dormans 
du  roi  dAn-    chancelier   du    Dauphiné  ,    ambafiadeurs    de    France 
gictcirc.  ^  Londi-es,  avoient   envoyé  la   dernière   réponfe    du 

confeil  d'Angleterre  fur  les'  plaintes  refpeâives  des 
deux  rois.  Le  mi;ii{lere  Anglois  demandoit  au  nom 
\ d'Edouard  y  yy  que  le  roi  de  France  réparât  les  atentats 
3>  des  feigneurs  de  Guienne  ;  qu'il  les  temît  en  To- 
>>  béiffance  du  roi  ;  qu'il  envoyât  fes  lettres  de  renon* 
.  >^  ciation  à  la  fouveraineté  des  provinces  cédées  par  le 
^>  traité  de  Brétigny,  confirmé  k  Calais,  &  qu'alors 
$>  le  confeil  pen(oit  que  le  roi  d'Angleterre  feroit  cïe 
»  fon  côté  les  renonciations  auxqueles  il  s'étoit  obligé  >j. 


Charles    V.  389 

La  fierté  de  cete  réponfe'  n'étonna  point  le  roi  :  il  ?^— T—^ 
Tavoit  prévue.  Auffi-tôt  qu'il  Peut  reçue,  il  tint  fon  lit    Ann.  i$6t. 
de  juftice,  la  xtint  Jcant  à  fa  droite.  Le  cardinal  de    Réception  de 
Beauvais  chancelier  de  France ,  fit  la  leâure  des  arti-  g^j^^*  ^"' 
clés  propofés    par   le  roi  d'Angleterre ,    &    demanda      Uidm. 
Tavis  de  la  cour  des  pairs.  Les  feigneurs  de  Guienne 
avoient  déjà  préfenté  au  parlement  leurs  requêtes ,  con- 
tenant les  moyens  de  Tapel  qu'ils  avoient  intenté,  & 
la  juftice  de  leurs  plaintes.    Huit  joià's  après  ,  dans  un 
fécond   lit  de  juftice  tenu  en  la  même  forme   que  le 

f Précédent,  la    réponfe   aux  demandes   d'Edouard  fut 
ue  publiquement  &  la  guerre  décidée  contre  les  An-  ; 

^Lois.  Tous  les  membres  de  cete  augufte  aflemblée*  aflu- 
rèrent  alors  le  roi  de  leur  zèle  &  de  leur  atachement , 
soufrant  de  le  fervir  de  corps  &  de  biens.  La  cour  en 
même -temps  ordonna  que  la  réfolution  qu'on  venoit 
de  prendre  feroit  envoyée  au  pape,  à  l'empereuîr  & 
aux  autres  princes  ,  ainfi  qu'aux  principales  villes 
d'Aquitaine.  -  ^ 

Le  procédé  du  prince  de  Galles  à  l'égard  des  ^épu-  ^n»-  'J^^' 
tés  qui  lui  avoient  fignifié  à  Bordeaux  l'ajournement  jg^agume?** 
à  la  cour  des  pairs,  faifoit  juftèment  apréhender  que  ibidem^ 
le  droit  des  gens  ne  fut  pas  plus  refpeaé  à  Londres. 
Le  roi  ne  jugea  donc  pas  à  propos  d'expofer  fes  en- 
voyés à  de  nouveles  infultes.  Cependant,  comme  il  ne 
vouloit  pas  qu'on  pût  lui  reprocner  d'avoir  commencé 
la  guerre  fans  prévenir  fes  ennemis ,  il  choifit  un  Bre- 
ton valet  de  fon  hôtel  pour  aler  défier  Edouard*  Ce 
meflager  partit ,  &  trouva  les  ambafladeurs  de  France 
à  Douvres ,  qui  fe  difpofoient  à  repafler.  Le  récit  qu'il 
leur  fit  de  la  commiflioh  dont  il  étoît  chargé ,  hâta 
leur  départ  :  ils  ne  fe  crurent  en  sûreté  que  lorfqu'ils 
furent  arivés  à  Boulogne.  Cependant  le  Breton  prit  la 
route  de  Londres  ;  &  s'étant  fait  préfenter  au  confeil 
où  le  roi  aiiiftoit,  il  fe  jeta  aux  genoux  de  ce  prince, 
en  le  fupliant  »  de  recevoir  de  la  part  du  roi  fon  fei- 
-^y  gneur  une  lettre  dont  il  ignoroit  le  contenu  ,  n^a-- 
»partcnant  point  à  lui  dUn  rien  fçavoirv/  Il  feroit 


Ponthiea, 


390  Histoire   de    France, 

'  j'  dificile  d'exprimer  la  furprife  d'Edouard  &  de  fcs  *mî* 

Ann.  1169.  niftres  à  la  ledure  de  cete  lettre  \  ils  ne  pouvoieai: 
croire  ce  qu'ils  vetioient  d  entendre  :  il  &Iut,  pour  les 
en  convaincre  9  qu'ils  examinailënc  à  diveriës  reprifes 
les  fceaux  qui  ateftoient  1  authenticité  de  cet  écrit» 
£douard  qui  fe  ppllédoit  mieux  que  n'avoit  fait  le 
prince  de  Galles^  die  au  meiïager  quil  avoit  bien 
rempli  fa  commiflion,  qu'il  pouvoit  retourner  libre* 
ment.  Il  fortit  4^  Londres  fur -le- champ  ^  &  revint 
rendre  compte  au  roi  de  rei:écutiQn  de  les  ordres. 
Ré(îuftioii  Jamais  menace  ne  fut  luivie  d'un  éfet  li  prompt.  A 
pontki^a^  ^*  peine  le  meflkger  fut-il  de  retour  que  Guy  de  Luxem- 
bourg comte  de.  Saint  -  Paul ,  &  .Guy  de  Châtillon 
grand -maître  des  arbalétriers  saprocherenc  d*Abc^ 
yille,  qui  leur  ouvrit  fes  portes  :  les  Anglois  oui  s'y 
trouvèrent  furent  faits  priloiinniers ,  ainfi  que  Nicolas 
de  Louvain  gouverneur  de  la  province  pour  Edouard. 
Saint- Valeri  fe  rendit  en  même-temps  ,  le  Croroi  Ôc 
la  plupart  des  autres  places  fe  Ibumirent  d'elles-mê« 
mes/ Les  François  mettant  k  profit  ces  heureux  com« 
mcncements  ,  marchèrent  vers  le  Pont-de-Remi  fur 
la  Somme ,  qui  étoit  eardé  par  une  fisrte  garnifon. 
La  fortereife  qui  défend<)it  le  pont  fut  emportc^e  après 
une  affez  vigoureufe  réfilhnce.  La  réduâion  du  Poa<- 
(hieu  fe  fit  avec  une  célérité  qui  ne  laiiTa  pas  aux  çnne^ 
mis  le  temps  de  fe  reconnoître»  Le  roi  d'Angleterre 
fe  difpofoit  k  y  faire  pafTer  des  troupes  9  lorlqu^il 
aprit  la  perte  çntiere  de  cete  province.  La  bonne  vo- 
lonté des  habitants  de  la  plupart  des  villes  ,  avoit  plus 
oue  toute  autre  chofe  contribué  à  la  réduâioix  de  Pon- 
tnieu.  Le  roi,  pour  récompenfer  leur  zèle,  renouvela 
&  augmenta  leurs  privilèges.  Il  fut  ordonné  qu'à  la- 
venir  le  comté  de  Ponthicu  ne  pouroît  être  aliéné  du 
domaine  d^  la  couronne  ;  qu'on  ne  condruiroit  point 
de  forterelTe  dans  les  places ,  dont  la  garde  fcroit  con-» 
fiée  à  la  fidélité  des  habitants  ;  qu'ils  ne  pouroienc 
être  affujétis  aux  nouvcles  impofitions  que  de  leur 
ponfentemeot^  &  ^uils  jou/roieiai;  d'uoe  liberté  ea-^ 


Trifor  dis 
Char.  reg.  100, 


Charles    V,  j^t 

tîcre  de  commerce  dans  toute  Tétendue  des  terres  de  .: 

la  domination  du  roi.  ^  Ann.  13^^. 

Edouard  irité  déjà  de  ce  que  le  roi  ^è  France ,  au-     Coicrc  d*E- 
lieu  de  lui  feire  déclarer  la  guerre  par   quelque   fei-  ^^"^^^' 
gneur  ou  préliar,.  s'étoic  fervi  du  minillere  d*un  fîm-     ^^^'Jf^^^^ 

£Ie  valet  de  fon  bôtel ,  eue  peine  à  retenir  fa  colère , 
)rfqtt'il  apric  L^iBvafion  fubice  du  Ponthieu.  Le  comte 
dauphin  ^* Auvergne ,  le  comte  de  Forcien  ,  les  lires 
de  Maulévricr  &  de  Roye ,  &  les  autres  feigneurs  qui 
étoient  encore  en  otage  en  Angleterre ,  apréhenderent 
que  le  monarque  cédant  aux  premiers  tranfports  de 
Ion  rellëntiment ,  ne  fe  portât  k  quelque  vrolence  ; 
mais  il  fe  contenta  de  les  garder  plus  étroitement , 
ainfî  que  les  otages  des  villes,  Pluneurs  compoferenc 

Cour  leur  liberté,  &  payèrent  des  rançons  confidéra- 
les.   La  rupmre:  entre  les  deux   couronnes  fembloit  Rym.aci,pu6. 
alors  donner  à  Edouard  le  droit  d'exiger  des  rançons ,  '^'^'  hpart.z. 
les  otages  donnés  par  le  traité  de  paix  étant  devenus 
prifonnicrs  de  guerre. 

Une  déclarauon  de  guerre  auffi  fubite  &  auffi  peu     n  fait  armer 
trrévue ,  n'avoir  pas  permis  au  roi  d'Angleterre  de  faire  ïc  clergé  &  le» 
les    préparatifs   néceffairès.    Ses  conquêtes,  peut-être  "^°*""' 
plus    brillantes   que  réélement    avantageufes  ,  avoient 
épuifé  fes  finances  en  acroiiTant  Tétendue  de  fa  domi- 
nation.   Il   s*agifroit>  de  repouffer  un   ennemi  devenu 
d'autant  plus  à  craindre  ,  que  jufqu'alors  il  lui  avoit 
paru  peu  redoutable.   Le  parlement*  de  la   nation  con-  Ryfn.aB.pubL 
voqué  à  Londres ,  acorda  au  monarque    les    fubfîdes  tom.  i^pan.i] 
qu'il  demanda  pour  mettre  fur  pied  une  puiflante  ar-  p^s-^s^- 
mée.  Ce  fut  dans  cete  affemblée  qu'Edouard  ,  en  con- 
féquence  des  prétendues  infraâions  atentées  contre  le 
traité^ de  Bréti^ny ,  reprit  le  titre  de  roi  de  France, 
dont  il  avoit  difcontinué  de  fe  décorer  depuis  la  paix. 
Cete  vaine  proclamation  qui  flatbit  l'orgueuil  du  peu- 
ple, fut   reçue  avec  un  aplaudifïèment  univerfel.   La 
nation  entière  ,  par  Torgane   du    parlement ,  aflura  le 
roi  de  fon  zèle  &  de  la  continuation  des  fubfîdes  acor- 
ilés  pendant  le  cours  de  la  guerre.    Le  duc  de  Len- 


39^  Histoire   de   Frakce^ 

■  :  caftre  fécond  fils  du  roi ,  fut  nommé  pour  comman- 
Ann.  1^69.    der  les  croupes  de  tranfport  deftinées  pour  Calais.  Ce- 
Uid.p.iéx.  pendant    une  flote  Françoife   venoit   de  jeter   fur  les 
Kàp  Thoyr,^  Qovts   d'Angleterre    des    troupes   qui  s'emparèrent  de 
i  la  cour  de    rortimouch  ,    &  le   rembarquèrent   après   avoir    pille 
Lonares.         çece  ville  ,   qu'ils   livrèrent  aux    flammes.    L'emharas 
^  d'Edouard   fembloit  croître  à  tous    moments  :  la  na- 
R     aa  uhi   ^^^^   entière  fous   les  armes  ne  lui  parut  pas  encore 
tQm.\.p^.x\  fufire  à  la  dëfenfe  du  royaume.    Le  clergé  eut  ordre 
d'endolTer  la  cuirafle  pour  voler  au  lecours  des  fron- 
tières infultées    par  les   efcadres    Françoifes.    Par  un 
mandement  daté  de  Weftminfter,  il  fut  enjoint  aux  pré- 
lats y  aux  éclefiaftiques  féculiers  ,  aux  abés  y  aulc  prieurs , 
aux  moines  de  prendre  les  armes ,  &  de  s^anèmbler 
par  compagnies  pour  former  des  troupes  régulières  prê- 
,   tes  à  marcher  contre  lennemi.   Une  pareille   ordon- 
nance  étoit  plus  capable  d'alarmer  la  nation  ,  que  de 
la  raflurer  contre  les  entreprifes  étrangères. 
Afaircsd'B-       Lorfque  la  guerre  étoit  déclarée  entre  la  France  & 
coflTc.  TAngleterrc  ,  TEcofle  devenoit  une  puiffance  redouta- 

fJi^'Tom.  ^\  ^^^'   Edouard    fe   hâta  de    ménager   une    trêve    avec 
^art.  j.  '     '  ççte  couronne.  Depuis  douze  années  les  afaires  de  ce' 
royaume  avoîent  bien  changé  de  face.  Edouard  Bail- 
lieu  1  ,  ce  fantôme  de  roi  gagé  par  le  monarque  Anglois 
à  quarante  fous  (lerlipgs  {a)  par  jour  de  fervice ,  plus 

(j)  Le  ftcrlîqg  Anfrloîs  n^a  p!u«  ,  ainfi  aoc  notre  livre  numéraire ,  qu'une  va« 
leur  idéale.  Le  dénier  fterling  devoir  peler  trente«-deux  graios  de  froment  ;  la 
livre  fterling  de  douze  onces  étoit  compofée  de  deux  cent  quarante  deniers,  à 
vingt  deniers  par  once.  II  y  a  diférente«  opinions  fur  Tétymologie  de  ce  inot  : 
quelques  auteurs  ont  cru  qu*il  rîroit  fon  origine  de  Star  j  expref!îon  angloife 
qui  hgniHe  étoile ,  parce  qu'anciennement  les  monnoies  angloifes  en  portoienr 
l'empreinte.  D'autres  ont  raponé  qu'Edouard  furnommé  le  Confeflcur  ,  dernier 
roi  de  la  ^ynaftie  des  Angio- Saxons,  fit  fraper  une  monnoie  qui  ponoic  Tem^ 
freinte  d'une  croix  ,  aux  quatre  câcés  de  laquele  on  voyoit  quatrf  étourneaux» 
oifeaux  apelés  en  Anglois  Stariings.  Le  dernier  fentimentqui  ne  paroît  pas  le 
moins  vr<|ifemblable  ,  eft  que  les  Normands  conquéunts  de  l'Ar.glctcrrc , 
apeloient  Taocienne  monnoie  du  pays ,  plus  pure  que  cçllç  qu'ils  firent  fraper» 
du  nom  des  Saxons  &  Danois  leurs  p'-édéceflcnrs  dans  la  poflcfî'on  de  cete  île» 
On  diftinguoit  autrefois  les  peuples  du  Nord  de  la  Germanie  fous  la  dénoroi- 
n;itjon  générale  d'Ofterlîngs  ou  d'Efterltngs.  V  Glojfairedu  Cûngt  ,  au  mot 
l^iVcrlingu.  La  livrée  ftfrling  numéraire  ^toit  4éja  £oic  avérée  par  le  traîné  d> 

facig;ué 


Charles     V*  393 

fatigué  qu honoré  d  i  poids  d'une  couronne  précaire,  —  ■       -^ 
avoïc   entia    cédé    Tes    droits   au    monarque  Ànglois  ,    a°^-  '3^^^ 
moyennant   une  pcnfion   viagère  de  deux  mille  livres 
ftcrlings.   Edouard  fit  quelque  tentative  pour  s'aflUrér 
la  podéflion  de  ce  royaume  :  mais  la  nation  Eçôlïoife      ^^^^m* 
témoigna  tant  d'éloiejneraent  qu'il  défefpéra  de  vaincre 
fon  opiniâtreté  i  6c  l)avid  de  Brus  délivré  en  promet- 
tant une  rançon  de  cent  mille  marcs  d*argent,   pour 
le  paiement  de  laquele  il  donna  vingt  feigneurs  Lcof-    ^ 
ibis  en  otages,  remonta  enfin  fur  le  trône  après  une 
fi  longue  captivité.  Ce  roi,»  toujours  ami  de  la  France, 
avoit  conclu   une  ligue  ofenfive  &  défenfive  avec  Char- 
les, qui  s'obligea  de   lui  fournir  mille  hommes  d'ar- 
nies.    Le  roi  de  France  toutefois  fe  fentant  alfez  fort 
par  lui-même ,  n'exigea  pas  qèie  fon  alié  rompît  ouvcr-- 
tement  avec  l'Angleterre,  il  confentit  même  que  Da- 
vid prêtât  Toreille   aux  propofitions   d'Edouard,,  avec 
lequel  il  conclut  une  trêve  ce  quatorze  années.  David 
ne  furvécut  pas  long-temps  à  ce  dernier  traité.  Il  mou- 
rut, &  laifla  la  couronne  d'Ecofle  à  Robert  Stuart  fils 
de  fa  fœur  ai  née.  Ce  prince  fut  le  premier  monarque 
de  la  famille  des  Stuarts,  maifon  illufire  autant  qu'in- 
fortunée ,  jdont  les  defcendants   fubfiftant   encefre   de 
nos  jours,  ofrent  à  l'Europe  étonnée  un  exemple  fra- 
pant  des  viciflîtudes  humaines. 

On  palTeroit  fous  filence  un  incident  peu  important 
par  lui-même ,  &  qui  ne  devient  intérelïant  que  parce 
qu'il  fournit  un  de  qqs  traits  qui  fervent  à  caraâérifer 
les  princes.  Le  roi  étoit  dans  Tufage  de  faire  préfent  ^^'^•P-^ss* 
au  roi  d'Angleterre  d'une  provifion  pour  fa  table  de$ 
meilleurs  vins  de  France.  Quoique  la  guerre  fût  dé- 
clarée entre  les  deux  Etats,  Charles  ne  fe  crut  pas 
difpenfé  de  faire  toujours  le  ^ême  envoi.  Pour  s'a* 

liance  entre  la  France  &  l'Ecoflc  ,  en  1571  ,  Charlçs  V  s'obiîgeoic  d'cntrctcnip 
au  fervlce  dji  roi  (TEcofTe  mille  hommes  fur  le  pied  de  neaf  deniers  flerlin^s 
par  )our  pour  chaque  archer  »  dix-huir  pour  un  écuycr ,  &  trois  fous  pour  un 
chevalicf  »  ce  qui  auroit  fait  au  prix  de  l'ancienne  monnoie  environ  trois  livres 
l*arcber«  fit  livres  récuyer  ^  Se  douze  francs  au  chevalier. 

Tome  y.  Ddd 


394  Histoire    de  France, 

,  !  quiter  de  ce  devoir  de  policefle ,  il  fit  embarquer  cîn- 

Ann.  Z3K5.    quante  pipes  de  vin,  que  Jean  £uftache  échanfon  de 

France  eut  ordre  de  préienter  à  Edouard.  Mais  ce  prince 

trop  vivement  piqué ,  n';eut  pas  la  force  de  difTimuler 

fon  chagrin  dans  une  ocaiion  fi  frivole  :  il*  renvoya  le 

vin  ,  &  cela ,  dit-il ,  pour  certaines  raifons ,  fans  vouloir 

s'expliquer'  davarntage  fur  les  <:aufes  -de  fon  refus. 

Regîfin  A.      La  multitude  &  Timportancc  des  afeires  du  gbuver- 

du  parlement^  nemcut  empêchant  le  roi  d'allifter  réguliéren>ent  aux 

troncfiS-     féances   du   parlement  ,   avoient  ocafionné  Tabus  û^s 

c[Mx, fol. 9$,  lettres  de    furféance  que  les   monarques  étoient  dans 

vcrfo,  Tufage  d'acorder.  L'éfet   de  ces  fortes  de  lettres  étoit 

J:^:a1Lt  ^^  f^fpendre  les   jugements  ,  fous  prétexte  que  le  roi 

s  en  réfervoit  la  connomance.    Le  prince  mtormé  de 

ce  défordre ,  enjoignit  airx  préfidents  du  parlement  de 

ne  plus  déformais  diférer  de  prononcer  les  arêts  de  la 

COUT,  quelques  ordres  contraires  qu'ils  reçuffent  de  fa 

part ,  déclarant  que  de  pareilles  défenfes  dévoient  être 

regardées  comme  arachées  à  Tindulgence  du  fouverain 

par  4'importunité  de  ceux  qui  l'environnent. 

Dcfcentc  des       La  guerre  alumée  en  même-temps  aux  deux  extrê- 

Angiois  à  Ca-  mîtés  de  la  France  ,  obligea  Edouard    de  divifer  fes 

*jRtf  .  Tk      f^^^^^  Le  duc  dé  Lencaftre  vint  débarquer  à  Calais 

Chron.  MS.  avec  une  partie  des  troupes  Angloifes ,  tandis   qu'E- 

Fraiffard.     douard  de  Cambridge  &  le  comte  de  Pembrok  feren» 

pub/.'"tom.\ l  dirent. dans  la  Guienne,  ataquée  alors  vers  les  fron- 

part.  %.  cieres  du  Poitou  &  du  Languedoc  par  les  ducs  de  Berry 

&  d'Anjou.  Le  prince  Edmond  pénétra  en  France  par 

la  Bretagne ,  dont  le  duc  y  quoique  vaflal  du  roi ,  lui 

ouvrit  les  portes. 

Sagecondttite      Le*  roi  étoic  à  Rouen ,  d'où  il  hâtoit  les  préparatifs 

^^R^    7  d    ^'^^^   ^°^^  4^'^^  faifoit  équiper  dans  le  port  de  Har- 

•r£â"L ."  fleur.  Quatre  mille  hommes  d'armes  fous  les  ordres  du 

Froijfàrd,     duc   (k    Bourgogoe  9   n'atendoient  que  le  moment  de 

^^'  s'embarquer  pour  aler  faire  une  defcente  en    Angle* 

terre ,  lorfqu'on  reçut  la  nouvele  dfe  l'arivée  du  duc  de 

Lencaftre  ,   qui   avoit  déjà  fait  des  courfes  jufqu'aux 

environs  d'Aire  &  de  Térouanne.  Charles,  de  lavis 


contre 


Charles    V.  395 

de  fofl  confeil ,    abandonna  le  projei;  de  Rembarque-  - 

mène  I  &  fit  partir  fur-le-champ  le  duc  de  Bourgognes    Ann.  i)^^. 
avec  les  meilleures^ croupes  pour  arêter  les  progrès  du 
duc  de  Lencaftre.   Les  François  avoienc  ordre  exprès 
d  éviter  toute  aâion  décifive,  &  de  laiflèr  les  ennemis 
s^afbiblir  d'eux-mêmes. 

.  Le  duc  de  Bourgogne  ayant  pafTé  ta  Som«ne  auprès  Le  duc  de 
d'Ahevillo  ,  le  prefla  de  marcher  vers  les  Aiiglois ,  ^^"^ç^^"^^^ 
qu'il  trouva  retranchés  dans  la  valée  de  Tournehem  lesAnglois. 
près  Saint-Omer  :  il  s'empara  de  la  hauteur  fur  laquele 
li  forma  TafEece  de  fon  camp.  Les  troupes  demeuré- 
rent  quelque  temps  en  préfef¥:6  9  fe  contentant  desol>* 
ferver  réciproquement.  Ccte  nouvçle  méthode  de  faire 
la  guerre  gênoit  extrêmement  Fin^pétuolité  Francoife  ; 
mais  le  duc  en  partant  avoit  rççu  des  inftruftions  trop 
précilês  du  roi  Ion  frerc  pour  s'en  écarter:  des  mefîar 
gers  de  la  cour  veooieot  inceflammeot  les  lui  renou- 
veler :  le  comre  de  Flandre  fon  beau- père  qui  pour 
lors  étoit  à  Gand ,  apuyoit  encore  par  lies  coolèils  une 
réfolution  fi  lage.  I^impatience  naturele  du  Jeune  prince 
^voit  befoin  d'être  contenue  par  de  fi  piaiilaHCs  motifs. 
Il  y  eut  quelques  efcarmouches  dans  tefqueles  les  en- 
liemis  étonnés  de  la  tranquilité  avec  laquele  oa  s'ata-r 
choit  uniquement  à  les  tenir  en  échec  y  ellayerent  inuti^ 
lement  d'engager  les  François  à  une  aâion  générale. 
C'écoit  par  une  conduite  fi  pru^dente  que  Charles  âpre- 
noit  à  les  troupes  ^  vaincre  e ix  les  empêchant  de  com- 
batre  :  il  connoiâoit  le  génie  de  la  naiio»n ,  dont  Tardeur 
trop  bouillante  n'a  befoin  qite  d'être  réprimée. 

l/)rrque  le  roi  pgea  que  les  ennemis  avoient  été  arê^     Entreprife 
tés  affez  long-tenips  pour  qu'il  ne  leur  fût  plus  poffible  j^^  Ha^g^*^ 
d'entreprendre  rien  de  confidérable  pendant  le  refte  de  fans  fuccès? 
la  campagne ,  il  céda  aux  foHcitatioos  du  duc  de  Bour- 
gogne >  qui   lui  demandoit  inftammont  ,  a^u   nom   de 
tous  les  chevaliers   François  ,   la  permiffion  de  livrer 
bataille  ou  de  (e  retirer  :  on  décampa ,  &  les  troupes 
fe  féparerent  (a).   Le  comte  de  Saint- Paul  &  le  con- 

(a)  Les  Anglois  »  &  les  Funçois  enx-mémcs  qui  rarement  laiflcat  écbaper 

D  d  d  i j 


39^  Histoire   dk   France^ 

5!ï!=!!55!!!!î  nétable  de  Fiennes  eurent  ordre  de  veiller  fur  toutes 
Anîu  136s.    les  démarches  du  duc  de  Lencaftre,  qui  avoit  repris  la 
route  de   Calais.   A  peine  y  fut-il  rentré  1  qu'il  forma 
le  projet  plus  hardi  que  praticable  d'aler  brûler  la  flote 
Françoife  dans  le  port  ce   Harfleur;  mais  il  fut  pré- 
venu. Le  comte  de  Saint-Paul  qui  devina  fon  deilein^ 
ala  fe  jeter  dans  la  place  avec  deux  cents  hommes  d*ar- 
mes.    Le  duc,  après  avoir  traverfé  la  Picardie   &  la 
Normandie ,  toujours  harcelé  par  les  François,  &  avoir 
demeuré  quatre  jours  devant  Harfleur  fans  ofer  livrer 
d'alFaut ,  fut  oblieé  de  revenir  fur  fes  pas;  Toute  fon 
expédition  fe   réduifit  à  commettre   quelques   ravages 
.  dans'le  Vermandois.    Hugues  de  Châtillon  grand-maî- 
tre des  arbalétriers  ,    &;  nouveau   gouverneur  d'Abe- 
ville ,  fut  fait  prifonnier  par  un  parti  de  Tarmée  enne- 
mie commandé  par  Nicolas  de  Louvain  ,  qui  en  cete 
ocafion  fe  vengea  des  François  qui  1  avoient  rançonné 
k  la  prife  d'AbevilIe. 

Le  duc  de  Lencaftre  perdit  dans  le  même  temps  le 
château  de  Beaufort  entre  Troîes  &  Châlons.  Il  avoit 
confié  cete  place  à  la  garde  d  Yvain  de  Galles.  Cet 
Yvain  fe  faifoit  nommer  le  pourfuivant  d^amour  :  il 
étoit  fils  d  Aimon,  le  dernier  des  anciens  fouverains 
du  pays  de  Galles,  à  qui  Edouard  avoit  fait  trancher 
la  tête.  Il  avoit  été  élevé  à  la  cour  de  Philippe  de  Va- 
lois en  qualité  dUnfant  d'honeur  de  fa  chambre  :  il  fit  fes 
premières* armes  lous  le  roi  Jean  .A  la  paix  le  duc  de 
Lencaftre  qui  probablement  ijgnoroit  fa  naiffacce,  fe 
fit  gouverneur  de  la  fbrterefïe  de  Beaufort.  F.nnemî 
naturel  des  Anglois ,  il  faifit  avidement  Tocafion  de 
venger  les  anciennes  injures  de  fa  maifon.  Le  roi  de 
France  agréa  fes  ofres  de  fervice,  &  lui  donna  le 
commandement  de  quelqMes  vaifleaux ,  avec  lefquels 
il  fe  mit  à  faire  des  courfes  fur  les  côtes  d'Angle- 
terre. N 

rocafîon<!e  plaiTantcr  bien  oa  mal,  dirent  à  propos  de  cete  retraite  de.Toor- 
ncbcni ,  qu'il  ne  faloit  plus  apclcr  le  duc  de  Bourgogne  Philippe  k  Hardi,  n^a'f 
Philippe  de  TourHtt'cn» 


Yvain  de  Gai 
les  confacre 
fes  ferviccs  à 
la  France. 
Ibidem^ 


CHARLES      V.  397 

La  Guienne  cependant  étoic  devenue  le  principal  tliéâ-  ■ 

tre  de  la  guerre.  Le  duc  d  Anjou  avoic  atiré  k  fon  fer-'  Ann.  1^69. 
vice  la  plupart  des  compagnies  qui  n'étant  pas  Ângloi-  guerre  ca 
ks  ,  fe  dévouoient  à  celui  des  deux  partis  qui  étoit  en  ^"^f,"^^' 
état  de  mettre  un  plus  haut  prix  k  leurs  fecours.  Les  '  '"' 
feigneurs  Galcôns  s'étant  réunis  avoient  formé  un  corps 
de  dix  mille  hommes.  Ils  entrèrent  dans  le  Quercy, 
qu'ils  ravagèrent  &  foumirent  en  partie.  Cahors,  ca* 
pitale  de  la  province,  le  rendit  k  la  folicitation  de  fon 
cvêque ,  frère  de  l'archevêque  de  Touloufe.  Plus  de 
foixante  places ,  tant  cités ,  que  châteaux  du  Limofîn 
&  du  Rouergue ,  furent  priies  ou  fecouerent  d'elles- 
mêmes  le  joug  étranger.  Les  généraux  Anglois  de 
leur  côté  failbient  tous  leurs  éforts  pour  repoufler 
tant  d'ataques  :  les  terres  du  comte  de  Périgord  ,  plus 
voilines  des  frontières  ennemies  ,  furent  les  premières 
cxpofées.  On  fe  batoit  prefque  en  même-temps  dans 
toutes  les  parties  de  l'Aquitaine ,  avec  une  fureur  que 
les  pertes  ou  les  fuccès  iritoient  également.  La  Roche- 
pofai ,  place  très  importance  dans  le  Poitou,  fut  prife 
par  les  feigneurs  de  la  province  partifans  de  la  France. 
Châtelleraut  fubit  le  même  fort.  Le  prince  Edmond , 
CanoUe  ^  Chandos ,  le  captai  de  Buch ,  &  les  autres 
chefs  ennemis  parcouroient  ces  diférentes  provinces  pour 
les  contenir  dans  l'obéifTance  ;  mais  tandis  qu'ils  re- 
prenoient  quelques  places ,  ils  recevoient  des  avis  du 
loulévement  ou  de  la  furprife  de  quelques- autres.  La 
Roche  -  fur -Yon  ,  forterefl'e  prefque  imprenable  en 
Poitou  ,  fut  livrée  aux  Anglois  par  la  perfidie  de  Jean 
Blondeau  qui  en  étoit  gouverneur.  Ce  lâche  comman- 
dant avoir  reçu  des  ennemis  fix  mille  francs  pour  le 
prix  de  fa  trahifcm.  Il  ne  porta  pas  loin  l'impunité  de 
fon  crime.  Ayant  eu  l'imprudence  de  fe  retirer  dans 
Angers  ,  le  gouverneur  de  cete  ville  le  fit  arêter  ,  & 
quelque  temps  après ,  le  duc  d'Anjou  ordopna  qu'oti 
le  fit  mourir  du  fuplice  des  traîtres  :  il  fut  lié  dans  un  * 
fac  &  précipité  dans  la  Loire: 

La  prife  du  château  de  Belfeperche  en  Bourbonnois , 


39*  Histoire   de   Frakce,. 

ô —  !  malgré  les   heureux  commencements   de  cetc  gnerre, 

^  Ans.  jyép.   caula  un  vif  chagrin  à  la  cour  de  France.  La  duchelle 

"*  douariere  de  Bourbon  mère  de  la  reine ,  demeuroit 
dans  cece  forcerelle  ,  que  Ton  croyoic  par  Ton  éloigne* 
mène  hors  d^infulte  de  la  part  des  ennemis.  Quelques 
chefs  des  compagnies  Ângloifes  ayant  apris  que  cete 

})lace  étoit  négligemment  gardée,  la  furorirent  par  efca- 
ade  &  firent  la  princeiTe  prifonniere..  Le  duc  de  Bour^- 
bon  vint  peu  de  temps  après  y  mettre  le  fiege  dans  l'inr 
tention  de  délivrer  la  mère.  La  place  réduite  à  Textré- 
mité  aloit  être  forcée ,  lorfque  les  comtes  de  Cambridge 
&  de  Pembrok  acoururent  au  fecours  de  la  garnie 
fon  qu*ils  emmenèrent  en  prélence  des  troupes  Fran- 
çoifes.  Le  duc  eut  la  mortification  de  voir  la  princefle 
^  &  les  d^mes  de  fa  fuite ,  obligées  de  monter  a  cheval 

&  de  fuivre-les  ennemis ,  qui  les  conduîfirent  dans  une 
forterelTe  du  Limofin  apelée  la  Roche- Vauclaire,  oà 
ils  la  retinrent  juf<|u*à  ce  qu  elle  fût  échangée.  La  capti- 
vité de  la  ducheflë  de  Bourbon  étoit  contre  les  loix  de 
la  guerre  ,  &  le  prince  de  Galles  déiaprouva  fort  un 
pareil  procédé  :  il  afTura  nifême  ^ue  ii  la  princcfTe  étoit 
au  pouvoir  d'autres  gens  que  des  compagnons ,  il  Tau- 
roit  fur-le-champ  fait  remettre  en  liberté. 
ch^d^  ^^         ^^^^  première  campagne  prefque  en  tous  lieux  déf^ 
T&idm       avantageufe  aux  Anglois  ,  leur  fut  fatale  fur-tout  par 
!  la   perte  du  brave  Chandos  ,  tué  dans  un  combat  fur 

le  poiic  de  Leufac  ptès  de  Poitiers.  La  mort  de  ce 
grand  homme  caufa  la  plus  vive  afliâion  au  prince  de 
Galles ,  qui  regrétoit  en  lui  le  phis  expérimenté  de 
fes  géncraux ,  6c  la  meilleure  tète  de  fon  confeil. 
Edouard  s*étoft  déjà  repenti  plus  d*une  fois  de  n'avoir 
pas  déféré  b  fes  avis ,  Inriqo'il  avoir  voulu  le  détournef 
du  deflein  d'établir  des  impofîtions  nouvdes.  Les  An- 
glois pleurèrent  Chandos  :  les  François  aflez  généreux 
pour  rendre  juftice  k  leurs  ennemis ,  furent  fenfibles  à 
ion  infortune.  On  étoit  alors  perfuadé  que  s*il  eût  vé- 
cu ,  ks  confeils  [prudents  &  la  droiture  de  fes  inten- 
tîosu  fturoi^t  terminé  la  guerre  :  mais  une  pareille  idée 


Charles    V.  39.5 

étoît  plutôt  un  hommage  qu'on  rendoit  k  la  vertu  de  "  '  '  ^ 
ce  généreux  chevalier ,  qu'une  efpérance  bien  fondée.  Ann.  rj^^. 
Les  prétentions  des  rois  de  France  &  d'Angleterre 
*écoient  trop  opofées  pour  que  leurs  démêlés  puilem: 
être  facilement  terminés.  Il  n'y  a  çueres  d'aparence 
que  Chandos,  qui  n'avoit  pu  prévenir  la  rupture,  eût 
trouvé  plus  de  facilité  à  ménager  la  réconciliation. 

hcs  Ânglois  reconnurent ,  mais  trop  tar^ ,  la  faute    £<louard  s'é- 
qu'ils  avoient  commife  en  traitant  avec    hauteur  des  dc^^^rcga"^*"* 
provinces   qui  leur  avoient  été  cédées  par  un  traité  de  les  fcigncars 
paix  ,  &  non  fbumîfes  les  armes  à  la  main.  La  fierté  ^^  Guicnnc, 
des   deux  Edouards  jufqu'alors  inflexible  fe  démentit. 
Le  roi  d'Angleterre ,  de  l'avis  de  fon   confeil ,  adreflà 
des  lettres  à  tous  les  fèigneurs   &  à  toutes  les  villes 
d'Aquitaine  8c  des    autres   provinces,  par  lefqueles  il 
les  invicoit  à   rentrer  fous  ion  obéiâance^  leur  ofraiït 
•une  amniftie  générale  pour  tout  ce  qui  s'étoit  pafTé  ^  & 
fur-tout  leur  promettant  l'abolition  entière  des  impofî«- 
tions  qui  avoient  ocaiionné  le  ibulévement.  Nous  vou^ 
Ions ,  difoit-il  dans  ces   lettres ,   que  notre  cher  Jils  Le 
^prince    de   Galles  fe  déporte  de  toutes  avions  faites  ou 
à  faire  ^  &  refiitue  à  tous  ceux  qui  ont  été  grevés  par  lui 
eu  par  fes  ofiders.  On  diflxibua  des  copies  de  ces  lettres 
dans  toutes  les  villes  de  Guienne  ;  elles  furent  même  fe^ 


dans  une  délibération  datée  de  la  cour  de  Londres, 
annonçoit  à  la  nobleffe  d'Aquitaine  le  renouvélement  de 
•fes  prétentions  k  la  couronne  de  France  en  ces  termes: 
Si  avons  repris  le  nom  y  renommée  &  titre  du  roi' Çf  du 
royaume  de  France ,  auxquels  nous  ne  renonçâmes  onques 
taijiblement  ne  expreffément.  Cete  déclaration  n'eut  pas 
un  meilleur  fuccès  que  les  promefles  d'abolition.  Loin 
•de  ramener  les  efprits  à  rèbéiflànce,  la  révolte  fem- 
bloit  aquérir  de  nouveles  forces.  Tel  eft  le  fort  ordi- 
naire de  toute  autorité  ufurpée .,  lorfqu'cUe  fe  trouve 
•réduite  k  reculer. 


4oo  Histoire    de   France, 

7»  .  Les  ducs  d'Anjou  &  de  Berry  revinrent  k  Paris  k  Ii 

Awi,  1169.    fin  de  1  automne  pour    concerter  avec  le  roi  les  opcra- 
Froijfard.     tiotis  de  la  Campagne  prochaine.   Il    fut  rciolu  qu'on 
mettroit  fur  pied  deux  puillantes  armées  ious  la  con- 
duite  de   ces    deux    princes,  qui    de\ oient  entrer    en 
mCme-temps  en  Guienne  par  le  Limofin  &  par  la  Reole, 
&  le  joindre  pour  faire  le  fiege  d'Ango  lème,  où  le 
prince  de. Galles,   dont   la  ianté   depcrifioit   de    jour 
en  jour  ,  faifoit  alors  fa  réfidence. 
Etats  ^(«né-'      Le  luccès  dcs  amics  Françoifes  avoît  télement  dif- 
raux  à  Park    pofé  tous  les  efprics  de  la  nation  à  contribuer  au  frais 
chron  MS.  d'une  guerre  fi    heureufement  commencée ,  que  le  roi 

de  Charles  K.       ,  ^        j  •  v  i         r       j  /      /,    •  r 

Du  Jiiiet.  n  eut  pas  de  peme  à  trouver  les  ronds  neceliaires.  Les 
Etats  -  généraux  furent  aiTemblés  à  Thôtel  de  Saint*- 
F^ul.  Le  cardinal  de  Béarnais,  chancelier  de  France, 

{)orta  la  parole,  &  demanda  au  nom  du  roi  lavis  de 
'aflembléc  fur  la  guerre  préfente.  La  réfolution  una- 
nime de  la  continuer  avec  vigueur  fut  acompagnée 
des  ofres  que  firent  les  trois  ordres  de  fournir  les  lecours 
propres  à  la  fo'utenir.  Il  fut  réglé  cjue  Tirnoofition  de 
douze  deniers  pour  livre ,  &  la  gabcte  du  fel ,  feroient 
afeâées  pour  Ventratien  de  la  maifon  du  roi  &  de  la 
reine,  &  au*on  leveroit  pour  la  guerre  une  impofition 
de  quatre  livres. par  feu  dans  les  villes,  &  de  trente 
fous  dans  les  campagnes.  On  établit  pareillement  ua 
droit  d'aide  fur  les  vins ,  en  proportionnant  le  fubfidç 
à  leur  qualité.  Les  vins  a  pelés  vms  François  ne  payé?* 
renc  que  la  moitié  des  droits  levés  fur  Ws  vins  de 
Bourgogne  :  ceux  de  Beau  ne  &  de  Saint  ^^Pourçain 
étoiçnt  taxés  au  triple.  L'opinion  qu'on  avoit  de  leco^ 
nomie  du  roi ,  fit  que  ces  divers  impôts  n'excitèrent 
aucrn  murmure. 
Gucfdfn"^^^"  Charles  fongea  en  même-temps  à  faire  revenir  du 
Frlifurd.  ^usfcl^^j  ^ui  ^^oit  toujours  demeuré  en  Caftille  depuis 
le  rétabliflement  de  Henri  de  Tranfiamare.  Il  fut  ré^ 
•folu  dans  le  confeil  qu'on  dépêcheroit  vers  lui  pour 
I  invirer  de  venir  fe  mettre  à  la  tête  des  armées  Franr 
çoifes.  On  lui  dçftina  d^s-lors  la  chargç  de  connéta- 
ble. 


Charles    V.  401 

ble ,  dont  il  fut  décoré  à  fon  r«our.  Robert  Moreau ,  ^ 

fire  de  Fiennes  ^  chargé  de  gloire  &  d'années,  venoit   Ann,  15^9, 
de    fe  démettre  de   cete   dignité.  Du  Guefclin  ayant 
reçu  les  ordres  de  fon  fouverain,  prit  congé  du  roi  de 
Caftille  y  avec  lequel  il  confirma  Taliance  entre  les  deux 
couronnes. 

Il  eût  fans  doute  été  furprenant  que  le  roi  de  Na-  Afaircsduroi 
varre  fût  demeuré  foeftateur  oifif  de  ces  divers  mou-  ^^J^f^*f^«- 

^•^  .         *         .  r-    .  j  .  .  •  /•       Mémoires  dt 

vements.    Ce   prmce  artificieux  ne  démentit  point  fa  littérature. 
conduite  ordinaire  ,  négociant  en  même  -  temps  avec     '^^êfor  des 
Edouard  &  Charles  ,  les  abufant  tous  deux  ,  &  le  trom-  ^^Mém' de  u 

{>ant  lui-même.  Le  roi  indigné  de  fes  manœuvres  dans  Chambre  des 
e^iilernieres  guerres  de  Caftille ,  avoit  fait  faifir  la  fei-  ^«'»i"^'- 
gneurie  de  Montpellier ,  qui  lui  avoit  été  cédée  par  le 
<iernier  traité  en  échange  des  villes  dé  Mantes  &  de 
Meulan  ^  &  du  comté  de  Longùeville.  Le  Navarrois 
irité  de  cete  perte ,  qui  fe  joignant  dans  fon  efprit  aux 
autres  fujets  de  plainte  qu'il  croyoit  avoir,  atifoit  de 
plus  «en  plus  cete  haine  perfonnele  qui  Tanimoit  con- 
tre le  roi ,  eût  bien  voulu  fignaler  fa  vengeance  par 
quelque  perfidie  éclatante.  Il  fit  pour  c^t^  éfet  un 
voyage  fecret  à  Londres  ,  figna  un  traité  avec  Edouard , 
pafTa  par  la  Bretagne^  où  il  forma  une  ligue  avec  le 
duc,  &  revint  en  Normandie  dans  l'intention  d'exé- 
cuter la  promefle  qu'il  avoit  faite  au  roi  d'Angleterre 
de  défier  ouvertement  le  roi  de  France.  Son  inftabi- 
lité  ne  lui  permit  pas  TacomplilTement  de  ce  projet. 
Les  manœuvres  couvertes  &.la  perfidie  lui  étoient  plus 
familières  qu'une  inimitié  déclarée.  Il  renoua  les  négo- 
ciations pour  fon  acommodement  avec  la  cour  de 
France.  Le  roi  oui  le  connoiflbit,  mais  qui  ne  vouloîc 
pas  le  pouffer  a  douj:  en  le  forçant  de  prendre  un  parti 
défefpéré,  feignit  d'ignorer  tout  le  manège  de  fa  faufle 
politique.  Les  reines  Jeanne  ^&  Blanche ^^  toujours  mé^ 
diacrices ,  ménagèrent  un  traité  y  par  lequel  le  roi  de 
I^avarre  obtint  la  reâitution  de  Montpellier.  Il  ne  tarda 
p9s  à  mériter  d'en  être  dépouillé  par  de  nouveles  tra- 
hifons  ;  car  dans  le  même  temps  qu'il  fignoit  cet  acord , 
Tome  V.  E  e  e 


402  Histoire  ve   Frawci^ 

■!  il  envoyoic  des  députés  à  Londres  pour  conclure  avec 
-Ann.  15^5.    Edouard  un  traité  abfolument  contraire.  Convaincu  en 
lui-même  de  tant  de  fanfletés,  il  n'ofa  venir  a  Paris 
rendre  hommage  au  roi,  ainli  qu'il  Tavoit  promis.  La 
perfonne   même  du  duc   de   Berry ,  qu'on   devoit  lui 
remettre  en  otage ,  ne  lui  parut  pas  un  garant  capable 
de  le  ralîurer.  Il  femble  que  la  deftinée  de  ce  prince 
inquiet  étoit  de  fe  trouver  toujours  par  fa  faute  dans 
une  pofîtion  incertaine  &  dificile.  Gêné  pour  fes  terres 
de   Normandie  par  le  voifinage  de  la  cour  ,  qui   veil- 
loit  continuélement   fur  toutes   fes  démarches  j  il  n'é- 
toit   pas  beaucoup    plus   tranquile    dans  fes   États  de 
dfthJ^iJ^v.  Navarre  enclavés  entre  la  Caftille ,  unie  par  la  r4fcn- 
Tiéfordcs    noiffance  &  l'intérêt  avec  la  France  &  TAragon,  dont 
Chartres.        \q  ^oï  venoit,  de  conclure  un  traité,  par  lequel  l'infant 
Hin!JEfp.  Jean,   duc  de  Girone  ,  fon  fils  aîné,  devoit   époufer 
Jeanne  de  France,  fille  de  Philippe  de  Valois  &  de 
Blanche  d'Evreux.  Cete  princefl'e  riit  fiancée  à  l'hôtel 
de  Saint- Paul,  en  préfence  du  roi,  à  deux  feigneurs 
Aragonnois ,  nompiés  Dom  Loup  -d'Urrcra  &   Dom 
Bérenger  d'Abella ,  qui  Tépouferent  au  nom  du  prince. 
Elle  partit  avec  eux  j  mais  elle  ne  vit  pas  fon  époux, 
ayant  été  furprife  k  Béziers  d'une  malaaie  qui  termina 
k^  jours. 
OrJonnancc       Au-miHeu  des  embaras  de  la  guerre  ,  le  roi  ne  per- 
coutreicsjcur.  Joie   pâs   de  vue  les  autres  parties  de  l'adminiftration» 
.  HT^  T"^^    I^a  police  intérieure  du  royaume  étoic  fur-tout  un  des 
foL  f  f  1,         pnncipaux  objets  de  ratention  du  monarque.    La  ni- 
La  Mare,    rtwt  Qii  îeu  avoit  fait  de  fi  grands  progrès,  qu'il  étoit 

traicé  de  la       \  j  /         •  t^-i 

Toiice.  ^  propos  de  prévenir,  en  la  réprimant  ,  la   coruption 

Abrég.ehron.  générale.  La  paffiôn  pour  les  jeux  de  hafard  avoit  fait 

tom.i.p.y  .  oublier  les  amufements   honêtes   &  utiles.  Le  roi  pu- 

KecœuU  des   it-  i       /•       *  /  j  •      *     i* 

ordonnances,  blia  vers  la  fm  de  cete  année  une  ordonnance  qui  prof- 
crivoit  tous  les  jeux  frivoles.  Des  jeux  confidérés  de 
nos  jours  comme  propres  à  ocuper  Tefprit ,  ou  à  pro- 
curer Tadrefle  corporele,  furent  compris  dans  la  dé- 
f'ènfe   qui  interdifoit  ^   fous   peine  d'amende ,  tous   les 


Charles    V.  40^ 

jeux  de  dés  ,  de  tables  (a)  ,  de  palmes  (b)  ,  de  quilles ,  : —  ? 

de  palet,  de  boules  &  de  billes,  &  tous  les  autres  jeux    Ann.  1^69. 
qui   ne  rendent  point  les   hommes  habiles  au  fait  des 
armes.    II  n'eft   point  fait  mention  dans  cetc  ordon-  . 
nance  des  cartes,  dont  Tufage  ne  commença  que  fous 
ie  règne  fuivant.   Le  roi  exhortoit  en  même-temps  fes 
fujets  à  choiiir  pour  leur  divertiffement  des  récréations 
propres  à  les  rendre  robuftes   &  à  les  aguérir,  teles 
que   l'exercice  de  la  lance ,  de  Tare  &  de  l'arbalète. 
Edouard  avoit  fait  publier  dans  fes  Etats  une  fembla-    Rymer,  an. 
ble  ordonnance ,   par  laquelè  il  défendit  les  jeux   de  z»"^^-  ^^'"-  3  » 
palet,  de  baie,  de  balon ,  de  mail,  les  joutes  &  gé- ^'^'' *' 
néralement  tous  les   divertiflbments  défignés  dans  fes 
lettres  fous   le  nom  de  Ludi   Gallin^  jeux  François. 

Pendant  la  prifon    du  roi  fon   père,  &  depuis  fon    ^nn.  1370. 
avènement  à  la  couronne,   le  roi  avoit  fiiit  travailler  ^i^^lç^^^ 
aux  fortifications  &  à  la  nouvele  enceinte  de  la  capi-     chron.  MS. 
taie.  Cete  année  Hugues  Aubriot ,  prévôt   de   Pans  ,     Mémoire  d€ 
chargé  de  la  conduite  de  ces  ouvrages ,   pofa  la  pre-  ^'"^''^'«''^• 
miere  pierre  des  fondements  de  la  Baftille,  conftruitc 
à   Têxtrêmité    de  la  rue  Saint  -  Antoine ,   au   lieu  où 
elle    fubfifte   encore  aujourd'hui.    Cet  énorme  édifice 
ne  fut  entièrement  achevé  que  fous  le  règne  de  fon     Hîfloirtde 
fucceifeur.  Quelque -temps   auparavant ,    Charles   qui  tVniverfitéy 
prévoyoit  le   renouvélement   prefque  indifpenfable   de  ^^  Dubouiay  ^ 
la  guerre ,   avoit  ordonné  qu'on  environnât   de   mu-  '^'n^Jo^rtdl* 
railles ,  de  foffés  &  de  remparts  Tabaye  de  Saint-Ger-  l'Umverf.  par 
main,    qui  n'étoic   point  encore  renfermée   dans  Ten-  ^^^^^^^^' 
ceinte  de  Paris,  en  forte  que  ce  monaftere  devint  une  pag.é^io. 
efpece  de  fortereffe  qui  défendoit  la  ville  de  ce  côté-lk. 

On  vèra^fans   doute    avec  fatisfaâion  un   exemple     Trêf<fr  des 
édifiant  d*humiiité  chrétienne  &  de  modeftie  vraiment  Charureg.xoo^ 
apoftoliqué ,  dans   la  conduite  d'un  prélat  de  France.  ^'^"^^' 

(fl)  De  Tri<flrac  bu  de  Dames. 

(i)  On  apcîoit  alors  ainff  le  )cu  de  Paume  du  mot  latin  Pûima ,  parce  qu'on 
pouiToit  la  baie  non  avec  une  raaucre  »  mais  avec  la  paume  de  la  main.  Re^ 
cherches  de  Fafquier  ,  Ih,  /K,  chap.  15.    Diâionnaire  Etymolog,  au  mot  Ra- 

t-  e  e  1  j 


404  HiSTOIRS    DS    Fr'ascE) 

Pierre  d'Eftaing,  de  lilluftre  famille  de  ce  ûam,  ar-» 
Ann.  i)7û-    chevêque  de    fiourges  ,  dans  un   mandement  fynodal 
rk'lTr^'^nk  ^voit  déclaré  excommuniés  par  h  fait  même  tous  juges 
gaiin.purc.^,  qui  pourluivroient  en  matière  crimmele  les  clercs  oc 
P'^S'  ^^- ..  .    perfonnes  écléfiaftiques  par  la  faifie  de  leurs  biens.  Un 
ordona^nccs!^  pareil    ftatut  aufli  préjudiciable  aux    loix ,   qu'atenta- 
coire  à  l'autorité  des  magiftrats  ,  auroic  fans  doute  atiré 
iacention  du  prince  &  des  cours  fouveraines ;  mais  le 
prélat  n'eut  pas  befoin  qu  on  lui  en  fît  fentfr  les  coh- 
féquences  :  il  reconnut  lui-même  que  rien  n'étoit  plus 
contraire  à  la  raifon  que  de  favorifer  Timpunité  de  ceux 
qui  par  état  font  obligés  d'être  plus  purs  &  plus  juftes- 
que  le  refte  des  hommes.   Il  ne  rougit  oas  de  fe  rétrac- 
ter volontairement  ,    &  de  fîgnifier   (a  rétraâation  à 
tous  les  écléfiaftiques  de  fon  diocefe.  Ce  trait  marque 
jufqu'à  quel  excès  on  avoit  étendu  les  privilèges  de  la 
cléricature.    Ce  n'eft  qu'à  la  faveur  du  temps  &  des 
circonftances  ,  &  par  les  foins  d'une  vigilance  infati- 
gable j  que  l'on  a  pu  parvenir  enfin  à  réformer  des 
abus  fi  pernicieux. 
ConJanatioQ       II  feroit  fuperflu  de   retracer  les  fumets  de  plaintes 
\tlm  **^°*  réitérées  ,   que  la   conduite    altiere    d'Edouard    avoit 
^  2>4râr  dis    ocafionnés*  Charles  jugea  qu'après  de  fi  longs  délais,  il 
Charer.rêgifire  étoit    temps  de   rapclcr  k  la  niémoire  du   monarque 
^^^*.^*^-  '^>-  Ang^ois ,  qu'il  étoit  né  vaflal  de  la  couronne  de  France^ 
anc^w-dZn.du  ^^  ^oi  féant  en  fon  lit  de  jitftic^  prononça  lui-même 
pariim,}.  110.  la  cogdauation  de  ce  prince  rebele.  Par  arêt  de  la  cour 
pi^fd^^î/  des  pairs ,  Edouard  d  Angleterre  &  le  prince  de  Galles 
Ja  cour  Jom     fon  fils ,  furcflt  déclarés  rebeles  ;  &   pour  réparation 
9"^^^  ^u^9  de  leur  félonie  y  le  duché  de  Guienne,  &  les  autres 
recœuU  dn  '  ^^rrcs  qu'ils  poffédoient  en  France ,  aquifes  &   confif- 
irair/s.  quées  au  profit  du  roi  leur  iouverain. 

Expéditions      Ce  jugement  fi  humiliant  pour  le  roi  d'Angleterre, 

^rSouTScJu  q^îque  jufte  qu'il  fût ,  n'auroit  été  regardé  que  comme 

Gucfciin.        une    vaine    formalité  ^    s  il    n'avoit  été  apuyé  par  des 

FrvijfarJ.     forccs  Capables  de  le  faire  refpeâer.  Les  ducs  a  Anjou 

&  de  Berry  ,  à  la  tête  de  deux    armées,  ataquerent 

en  même- temps  les  ennemis  par  le  Limofîn  &  par  le 


C  ft  A  k  L  È  s    V.  ,40^ 

LâhgUedoc.    Dii   Guefclin ,   nouvélemeiit   revenu    dé  - 

Caftille  ,  rempliflbit  les  croupes  d'une  confiance  qu'elles  ^^'  ^J7o. 
n'avoienc  pas  encore  éprouvée.  Tout  plioic  fous  les 
armes  Frdnçoifes  :  les  villes  de  Moiflac,  d'Agen  ,  de 
Port-Sainte- Marie  j  de  Thonnins -fur -Garonne  ,  de 
Mdntpezat ,  fe  rendirent  aufli-tôt.  Gautier  de  Mauny , 
gouverneur  d'Aiguillon  ^  ne  put  foutenîr  quatre  jours 
de  fiege  dans  cete  place  ,  qui  fous  le  règne  de  Phi- 
lippe de  Valois  avoit  bravé  pendant  fix  mois  une 
armée  de  foixante  mille  hommes ,  commandée  par  le 
duc  de  Normandie.  Ces  conquêtes  fubites ,  &  fur-tout 
la  prife  de  cete  dernière  place  ,  furprirent  extrême- 
filent  les  Anglois.  Le  prince  de  Galles  ne  fe  crut  pas 
en  sûreté  dans  Angoulême  :  fur  le  bruit  qui  couroit 
qu'on  devoit  Tinveitir,  il  fe  rendit  à  Cognac  ,  où  il 
indiqua  le  rendez*  vous  de  fes  troupes.  Le  captai  de 
Buch  ,  renfermé  dans  Bergerac ,  fut  laifTé  pour  cou- 
vrir la  Guienne  de  ce  côté-lk.  Il  conferva  par  fa  pré- 
fence  d*efprit  &  fon  courace  la  ville  de  Linde,  aue 
Thomas  de  Badefol ,  chef  aaventuriers  Gafcons ,  ae- 
voit  livrer  aux  François  pour  une  fomme  d'argent.  II 
furvint  au  moment  que  ce  perfide  alpit  introduire  les 
ennemis  :  Mauvais  traître  ,  s'écria- t-il  ^  tu  y  mourras  , 
jamais  tu  ne  feras  trakifon  après  cete^cy*  A  ces  mots  il 
lui  plongea  fon  épée  dans  le  corp^.  Les  Français  fe 
retirèrent,  voyant  Tentreprife  découverte. 

Tandis  que  les   Anglois ,  prefl'és  de  toutes  parts  en     ic  doc  de 
Guienne ,  ne  fçavoient  où   porter  leurs  éforts ,  le  duc  Bcrry  foumet 
de  Berry  fobmettoit  le  Limofin  à  la  tête  d'une  armée  S^,"''*'* 
encare  plus   confidérable  par  la  qualité ,  que  par  le     Froifard, 
nombre   des   combatants.    Le   duc    de   Bourbon  ,  le  Oc 
comte    4*AIcnçon  ,  Gui  de  Blois ,  Robert  •d'Alencon  , 
comte  du  Perche 9  Jean  d* Armagnac,  Hugues  dauphin 
d'Auvergne ,  Jean  de  Villemur  ,  les  lires  de  Beaujeu , 
de  Villars ,  de  Montandre ,  de  Senac  ,  de   Malleval , 
de  Marneil ,  de  J^oulogne ,  le  vicomte  d'Ufez  ,  les  fei- 
gneurs  de  Sully,  de  Talencon,   de   Conflans,  d'Ap- 
cher,  l'élite  d'une  partie  de  k  noblefie ,  encourageoienc 


40^    _      Histoire   de  France, 

^  par  leur  préfence  &  par  leur  exemple  ces  troupes  fof- 

Ann.  1570.    midables.   Les  François  ,  après  avoir  parcouru  la  pro* 

Hiji.de  Bref,  vince ,  vinrent  former  le  fiege  de  Limoges.  Cete  capir 

taie ,  extrêmement  fortifiée ,  apartenoit  à  la  veuve  de 

Charles  de  Blois  :  les  Anglois  s'en  étoient  emparés; 

&  la  çomtefle  de  Penthievre  Tavoit  cédée  au  roi  ^  qui 

par  une  contre-lettre  s'étoit  engagé  de  la  lui  rendre, 

lorfqu'elle  feroit  en  fon  pouvoir. 

Prifc  de  Li-      Le    duc    d'Anjou  ,  après  les  premiers   exploits  de 

«oR«;  cete  campagne  ,  avpit   été   obligé    de  congédier   une 

lùidem.      partie  de  fon  armée  ,  compofée  de  troupes   fournies 

{)ar  les  feigneurs  de  Guienne,  qui  fe  retirèrent  dans 
eurs  terres  pour  les  garantir  de  l'iûvafion  dont  ils 
étoient  menacés  par  les  forces  que  le  prince  de  Galles 
raflembloit.  Du  Guefclin  fe  trouvant  inutile  auprès 
du  duc  d'Anjou ,  fe  rendit  à  Tarmée  du  duc  de  Berry, 

S[ui  étoit  encore  ocupée  au  fiege  de  Limoges.  Sa    pré- 
ence  hâta  la  reddition  de  la  place,  qui  capitula  par 
Tentremife  de  fon  évêque., 
G^îcrrcTcad      Lorfquc  le  prince  de  Galles  ,  aue  tant  de  pertes  con- 
Limoges.  ^^^    féçutives  aigrifToient  de  plus  en  plus  ,  eut  apris  la  réduc- 
Cruaurf  Mcr-  tiou  de  Limogcs  au  pouvoir  des  François ,  il  ne  pue 
babiwnts?  "  retenir   les    tranfports    de  fon  reffentiment  :  il    étoit 
Itidem.       fur-tout  indigné  de  ce  que  ceté  ville- avoit  été  livrée 
k  fçs  ennemis  par  les  intrigues  de  Tévôqûe  fon  com* 
pcrc ,  fon   ami ,  &  dans   leqibel  il  avoit  mis   toute  fa 
confiance.  Si  en  tint  moins  de  compte,  [dit  Froiffard] 
^  de  tous  autres  gens  d^égii/èy  où  il  adjoutoit   au  dc^ 
vant  grand  foi  :  défiance  injufte,  fans  douce ,  la  faute 
d'un   particulier  ne  pouvant  être  regardée  comme   le 
crime  du  corps  entier.    Dans  fa  colère  il  jura  de  re- 
prendre la  avilie ,   &;   de  tirer   une   vengeance  exem- 
plaire   des   perfides   qui    Tavoient  trahi*  Il  ne  remplit 
que  trop  fidèlement  çç  ferment,   dont  les, malheureux 
habitants  furent  les  triftes  viâimes.  La  place  fut  aflié- 
gée   un   féconde  fois  :  les  mineurs  ayant  fait  tomber 
un  pan  de  muraille ,  le  prince  entra  par  cete  brèche, 
furieux  ,  fSc  ne  refpirant  que  la  haine.  Il  étoit  port^ 


Charies    V.  407 

fur  un  chariot ,  fa  maladie  ne  lui  permettant  pas  de  ■ 

marcher  à  pied,  ni  de  fuporter  le  mouvement  du  chc-  Ann.  1J70. 
val.  Il  traverla  la  ville,  fourd  aux  pleurs,  aux  gémifli> 
mênts  &  aux  cris  de  tout  un  peuple  profterné  fur  fon 
palFage  ,  implorant  à  mains  jointes  fa  miféricordc.  Ses 
foldats ,  ou  plutôt  fes  boureaux  ,  ne  refpeâerent  ni 
Tâge  ,  ni  le  iexe  :  les  vieillards ,  les  femmes ,  les  en- 
fants, furent  maiTacrés  fans  diftinâion  :  la  ville  inon- 
dée de  fang  fut  livrée  aux  flammes,  qui  dévorèrent 
ce  qui  étoit  échapé  à  Tavidité  des  gens  de  guerre» 
Peut-on  reconnoître  k  cete  atrocité  le  généreux  vain- 
queur de  Poitiers  &  de  Navarette ,  Tami  de  Thuma- 
nité ,  le  tendre  proteâeur  d'Euflache  de  Calais  &  de 
fes  vertueux  compagnons  ,  contre  les  fureurs  d*E- 
douard  ?  Le  prince  de  Galles  avoir  trop  vécu  pour  fa 
gloire-  La  prife  de  Limoges  fut  le  dernier  exploit  de 
ce  héros ,  dont  elle  flétrit  la  mémoire. 

Dans  le  fac  de  cete  malheureufe  ville,  Tévêque  fut 
arête  :  le  refpeâ  dû  à  fon  caraâere  ,  empêcha  ceux 
qui  le  trouvèrent  de  Timmoler.  Il  fut  conduit  devant  le 
prince,  qui  le  regardant  avec  des  yeux  étincelants  de 
colère  ,  ne  daigna  lui  parler  oue  pour  Taffurer  qu'il 
lui  ferbit  trancher  la  tête  :  k  Tinitant  même  il  commanda 

3u*on  le  traînât  en  prifon.  Il  y  a  toute  aparence  qu'E- 
ouard,  revenu  k  lui-même,  reconnut  qu^une  paflion 
aveugle  Tavoit  féduit.  Il  fe  repentit ,  mais  trop  tard , . 
de  Texcès  de  fon  emportement.  Le  prélat  fut  remis 
au  duc  de  Lencaftre ,  auprès  duquel  le.  pape  em- 
ploya de  fi  prefTantes  folicitations ,  qu*k  la  fin  il  obtint 
la  vie  &  la  liberté. 

Du   Guefclin  ne   s'étoit  pas  arête   long -temps   en     i^cf.cntcdes 
Gnienne.    Les  ordres   réitérés   du  roi   lapeloient  a  la  Angiois  fous 
cour.    Une  puifTante   armée  débarquée  k  Calais  ,  tra-  xn^^i^ç^,""^  ^^ 
verfoit  la  France  four  la  conduite  de  Robert  Knalles,     ^froikrd, 
l\in  des    plus   habiles   généraux  d'Edouard.  Charles,  &c. 
aux  premières  nouveles  de  la  defcente  des  ennemis  ,     RtcœuU  des 

.■i/<.i  ,.  «.  .      ordonnances. 

avoit  oblervé  la  conduite  que  nous  lui  avons  vu  tenir 
pendant  la  captivité  du  roi  fon  père.  Toutes  les  places 


4o8  Histoire   de  France, 

^^^"""^  en  état  de  défenfe  furent   promptement  fortifiées   & 
Aah-  1570»    pourvues   de   troupes.    La  plupart  des   habitants   des 
campagnes  s'y  retirèrent  avec  leurs  éfets  les  plus  pré-^ 
cieux.    En    fortant   de   Calais  ,  les   Anglois   s'étoicnt 
aprochés  de   Fiehnes,  où  le  vieux  connétable  de  ce. 
nom  étoit  pour  lors  avec  quantité  de  noblefle  déter- 
minée  à   faire   une    vigoureufe    réfiflance.    La    place 
étant  hors  d'inlblte,  ils  ne  jugèrent  pas  à  propos  de 
lataquer.    Ils    pourfuivirent    leur   marche ,  ravageant 
le  plat  .pays ,  &  tirant  4es  contributions  de  ceux  qui 
voulurent  éviter  le  pillage.  Ils  brûlèrent  en  pafTant  les 
fkuxbourgs    d'Aras  ,  entrèrent  dans   le  Vermandois  , 
livrèrent  la  ville  de   Roie  aux   flammes  ,   s'aprochè- 
rent  du  SoifTonnois^  qui  fut  épargné   par  çonfidéra- 
tion  pour  Enguerrand  de  Coucy ,  gendre  du  roi  d'An- 
gleterre, pénétrèrent  en   Champagne^  où  ils  s'arêtè- 
rent  quelque  temps ,  paroiiTant  incertains  fur  quele  pro- 
vince  ils   fe  jeteroient.  Quoique  le  général  Anglois , 
dans  le  cours  d'une  fi  longue  marche ,  n'eût  rencontré 
aucune  opofition  au   paf]^ge   de  fbn  armée,  il  avoic 
foin   cependant  de  fe  tenir  toujours  fur  fes  gardes ,  & 
de  marcher  en  ordre  de  bataille ,  étant  fans  çeflb  har^ 
celé  par    de   petits  corps  de  troupes  que  conduifoient 
le  vicomte  de  Meaux  ,  le  fire  de  Chauni ,  Raoul  de 
Couci  ,  Guillaume  de  Melun  ,  fils  du  comte  de  Tan- 
carville  &  les  autres  principaux  feigneurs  de  ces  pro<« 
vinces.   Ces  efpeces  de  camps  volants ,  qui  côtoyoient 
inceffamment  les  ennemis ,  le?  enipêchoient  de  s'écar- 
ter, &c  garantifToient  les  lieux  pu  ils  pafibient,  d'une 
partie  des  brigandages  qu'ils  euifenc  commis  fans  cete 
précaution. 
fiidem.  Enfin ,  après   avoir   couru  la   Champagne  jufqu'à 

Reims ,  Troies ,  Knolles  pafl'a  l'Aube  ,  l'Yonne  ,  la 
Seine  ,  &  vint  camper  dans  l'Ile  de  France  awx  envi-» 
rons  de  la  capitale ,  où  le  roi  étoit  renfermé  avec  plus 
de  douze  cents  hommes  d'armes.  Les  Anglois  fe  pr6- 
fenterent  en  bataille  entre  Villcjuif  &  Paris.  Le  roî 
qui  vouloit  abfolumçnt  éviter  i;pe  a^pn  générale,  fç 

çonpenta 


Charles    V.  409 

contenta  de  permettre  à  quelcjues  détachements  de  for-  ! 

tir  de  Tenceinte  des  fortifications.  Les  ennemis  perdi-  Ann.  xjyo. 
rent  en  un  feul  jour  fept  cents  hommes  dans  un  com- 
bat qui  fe  livra  près  du  feuxbourg  Saint-Marcel.  Cet 
échec  &  la  difete  des  vivres  les  obligèrent  de  décam- 
per ,  &  de  prendre  la  route  de  Normandie ,  d'où  quel- 
ques jours  après  ils  s'éloignèrent  pour  gagner  l-Anjou 
par  le  pays  Chartrain  &  la  Beaufl^. 

Ce  fut  fur  ces  entrefaites    que   du  GuefcHn  ariva.     DuGucfclîn 
Sa  préfence  infpira  une  joie  univerfele.   Le  roi  avoit  ^^^^^  ^  '* 
envoyé  au-devant  de  lui  le  feigneur  Bureau  de  la  Ri-  conn/iabic? 
viere,  fon  chambélan.  Il  entra  dans  Paris  aux  aclama-    Sa  modcftic. 
tions  du  peuple  :  on  cria  Noël .  ce  qui  iufqu'alors  n'a«-    J.^^^'"'^' 
voit  été  en  uiage  que  pour  les  rois.  Charles  reçut  le  g^^/ 
chevalier  Breton  à  l'hôtel  de  Saint  -  Paul ,  où  il  vint 
defcendre.  Le  monarc^ue  lui  déclara  en  préfence  de  fa 
cour,  qu'il  Tavoit  choifi  pour  commander  fes  armées; 
il  lui  préfenta  en  même -temps  l'épée  de  connétable. 
JDu  Guefclin ,  de  laveu  général ,  etoit  eftimé  le  plus 
grand  guèrier  de  la  nation.  Chevalier  intrépide,  chef 
expérimenté,  fincere,  généreux,  il  couFonnoit  tant  de. 
beies  qualités  par  une  vertu  qui  leur  ajoutoit  un  nou- 
veau luftre.  Il  étoit  modefte.  L'exemple  de  ce  héros 
devroit  faire  rougir  ces  hommes  ambitieux  ,  plus  avides 
d'ocuper   les    places   éminentes ,  que    jaloux  de  s'en  ' 
rendre  dignes.   Tous  les  princes  &  les  feigneurs  pré- 
fents  aplaudifToient  de  concert  au  choix  que  le  roi  ve- 
noit  de  faire,  lorfque   du   Guefclin  avec   une  noble 
franchife  fuplia  fon  fouverain  d'honorer  de  cete  dignité 
quelqu'un  oui  la  méritât  mieux  que  lui.   Noble  roi, 
chicr  Jirt ,  lui  dit-il ,  Ji  vous  prie  chiérement  que  vous 
me  déportie:^  de  cet  ojice  ,   &  le  baillie:^^  à  un  autre  qui 
plus  volontiers  le  prendra  ,  &  qui  mieux  le  Jçaura  faire. 
il  falut  employer  les  plus  vives  inftances  pour  le  ré^ 
foudre.  Mejjire  Bertrand  y  lui  dit  le  roi,  ne  vous  eTCcà^ 
fe^  point  i  je  n^ai  frère  ,  coujin  y  neveu  ,  comte  ,  ne  ba-- 
ton  en  mon  royaume  qui  n^obéijfe  à  vous;  &Jinuls  en 
dtoient  au  contraire  >  ils  me  courouceroient  télemenî  mi^ils 
TonuV.  Fff 


4^0  Histoire    de  Frakce, 

-  ■'  sUn   apercevraient  :  Ji  prene^  Vojice  joyeufementj  &  je 

Ann.  1570!»    yous  en  prie.  De  femblables  prières  font  des  comman*- 

demenrs  abfolus  :  du  Guefclin  obéit;  mais  avant  que 

de   recevoir  l'épée  de  connétable,  il  fuplia  fa  niajefté 

de  ne  daigner  jamais  ajouter  foi  aux    raports  quon 

i}ouroit  faire  contre  lui,  fans  lui  avoir  auparavant  h\t 
a   grâce  de  l'entendre,  ce  aue  le   prince  lui    promit 
dans  les   termes  les  plus    afeâueux.  Il  paraît  que  ce 
grand  homme  redoutoit  plus  les  courtifans  de  Thôtelde 
Saint-Paul  >  que  les  ennemis  de  TEtat.  Ayant  reçu  ccte 
obligeante  anurance  de  la  faveur  de  fon  roi ,  il  prêta 
le  ferment. 
Dn  Guefclin      Charles  fcrupuieufement  ataché  à  la  réfolutiôn  qu*il 
marche  contre  s'étoit    prefcrite  d'éviter  ,  autant  qu'il   fe  pouroit ,  de 
^^'pro^d     commettre    le  faluD  de  l'Etat  à  l'événement  incertain 
^^  ra/ tfr  ,    j,^^   combat  décîfif,  recommanda  fur  toutes   cbofes 
au  nouveau  connétable  fie  temporifer  avec  le»  enne* 
niis.  Du  Guefclin  ^  en  convenant  de  la  fagefTe  de  cete 
conduite,  ju^ea  que  pour  en  tirer  avantage ,  il  étoit 
k  propos  de  le  conformer  aux  circonftances ,  fans  éloi- 
gner ou  précipiter  les  ocaiîons  qui  fe  préfenteroienc , 
foit  d'exécuter  à  la  lettre  les  ordres  du  prince  >  foit  de 
s  en  écarter.   La  dignité  donc  il  venoit  d'être  décoré, 
Tavoit  rendu  maître  abfolu  des  opérations  de  la  cani- 
*  pagne.   Le  peu  de  troupes  qu'on  lui  avoir  données , 
ne   lui   permettoit  pas  de  rien  entreprendre  de  confi- 
dérable  :  à  peine  avoit-il  cinq  cents  nommes  d'armes; 
mais  il  étoit  acoutumé  de  furmonter  de  plus   grauds 
^  obflacles.  Son  argent,  lès  meubles,  fa  vaiffele  ,  juf- 

Î[u'aux  joyaux  de  la  dame  du  Guefclin  £ba  époufe^ 
urent  employés  à  lever  A&s  gçns  de  guerre.  Il  fc  vie 
bientôt  à  la  tête  de  quatre  mille  hommes  d'armes. 
Cete  petite  armée  fe  forma  en  Normandie ,  où  il  avoir 
été  fuivi  par  une  foule  de  feigaeurs  &  de  noblcfle: 
il  les  traita  fplendidement  dans  la  ville  de  Caen. 
Confraternité  Ce  fut  pendant  ce  voyage  que  du  Guefclin  rcnou- 
d  armes.  ^^j^  Tancien  ufage  d'une  aubciation  guèrierc.  Il  choifîc 
poi;^  foa  confrère  d'armes  Olivier  de  Cliâbn  ^  donc  il 


Charebs    V.  ^lï 

connoîiToic  le  courage.   Ces  deux  héros  Bretons  /igné*  -- 
renc.à  Pontorfon  l'ade  de  leur  confraternité  ,  par  Je*    A«n.  ij?©- 
quel  ils  s'engagèrent  à  défendre  réciproquement  leurs    ^'f'piT' 
biens  ,  leur  vie  &  leur  honeur ,  &  à  le  prêter  une  af-  ^^u!contenant 
iiflance  mutuele  contre  tons  ,  excepté  contre  le  roi  de  ^«  preuves , 
France  ou  contre  le  feigneur  de  Rohan.   Il  n'eft  point  ^-^^P'^'i^^- 
fait  mention  dans  cece  exception  du  duc  de  .Bretagne  , 
avec  lequel  Cliflbn  commençoit  à  fe  brouiller.   Tous 
les  profits  que  les  deux  frères  d'armes  pouroient  Êiire  y 
dévoient  fe  partager  également  entre  eux.   Teles  font 
les  conventions  de  ce  traité.  Il  feroit  inutile  de  s'éten- 
dre, davantage  fur  la  nature  de  ces    fortes  d'aliances, 
dont  il  a  déjà  été  quedion  dans  le  commencement  de     f^py^  ^^ 
cetehiftoire.  '"'^'^^ 

Du  Guefclin  partit  acompagné  des  comtes  d'Alen-     Avantage? 
eon  ,    de  Saint- Paul  &  du  Perche  ,  de  Mouton,   de  [^^^'''j^^^^ 
JBlainville  ,  nouveau  maréchal   de  France  à  la  place  ^^^^'^^ 
d'Arnoul  d'Andreghen  ,  qui  s'étoit  démis  de  cete  di- 
gnité pour  prendre  celle  de  porte-oriflamme  ,  des  fei- 
gneurs  de  Rohan  y  de  ClilTon  y  de  Laval ,  de  Beaumont , 
d'Eftrées  ,  de  Raix  y  de  Rochelbrt  y  de  la  Hunodaye, 
de  Mauny  ,  de  Pont  &  de  plufieurs  gentilshommes  y 
fur  -  tout  de  la  province  de  Bretagne  y  où  la  réputa- 
tion de  fa  bravoure  avoit  excité  une  émulation   géné- 
rale. A  la  tête  de  ces  troupes  peu  nombreufes  y  mais 
choifies  y  il  forma  le  projet  d'aler  chercher  les  ennemis  y 
qui  s*étoient  répandus  dans  le^  provinces  du  Maine  &c     Effaîs^  fur 
d'Anjou.    Un  des  plus  célèbres  écrivains  de  ce  fiecle  ,  ^^'^iJ^7/V 
compare  avec  jultelle  cete  première  campagne  de  du  rom,  2,^.1^4. 
Guefclin  k  celle  qui  y  fous  le  règne  de  Louis  le  Grand, 
aquit  à  Pimmorcel  Turenne  la  réputation  de  premier 
général  de  l'Europe.   Le  connétable   re^ut  à  quelques 
journées  de  Vire  un  héraut  chargé  de  lui  ofrir  la  ba- 
taille de  la  part  de  Grancfon  &  des  principaux  chei^ 
des  troupes  Angloifes  ,  qui  pour-lors  écoient  canton-   • 
nées  dans  le  Maine  au  nombre  d'environ  quatre  mille 
hommes.  Il  renvoya  le  mefTager ,  avec  ordre  de  le  re- 
commander à  fes  maîtres  «  &  de  les  aifurer  qu'ils  au^ 

Fffij 


412  Histoire   de  Frahce, 

^^^^^^^^^^^^=  roient  bientôt  de  fes  nouveles.  Quelques  auteurs  rapor- 
Ann.  1376.    tent  qu'on  enivra  le  héraut  pour  l'empêcher  de  retour- 
ner ,  &  que  les  François  profitèrent  de  cete  circonftance 
pour  furprendre  les  ennemis.   Quoi  qu'il  en  foit  ,    du 
Guefclin  part  avec  l'élite  de  fes  troupes  ^  malgré  Tob- 
fcurité  d'une  nuit  extrêmement  pluvieufe ,  force  fa  mar- 
che ,  &  tombe  fur  le  quartier  des  Anglois  ,  qui  étoîent 
campés  aux  environs  de  Pontvilain.    Les  ennemis   ne 
s'atendoient  pas  à  une  ataque  fi  fubite.   Ils  fe  raflem- 
blent  à  la  hâte  :   le  connétable  ne  leur  laiffe  pas   le 
temps  de  fe  reconnoître  :  il  les  prefle  avec  une  vivacité 
,     qui  les  étonne ,  il  les  enfonce  ,  il  les  renverfe.  Aflaillis 
prefqu'en  même -temps  parle  maréchal  de  Blainville , 
qui  ,   fuîvant  les  ordres  du  général  ,    furvint  avec  le 
refte  de  l'armée  Françoife ,  ils  font  entièrement  défaits. 
Grantfon  ,  Courtenai  ,  Spenfer ,  font  faits  prifonniers. 
Ceux  qui  dans  ce  combat  échaperent  au  fer  du  vain- 
queur ,  perdirent  la  liberté.  , 
Ce  premier  avantage ,  loin  de  fatisfaire  Tardeur  expé-  \ 
ditive  de  du  Guefclin  y  femble  redoubler  la  rapidité  de  | 
fes  opérations.   Tandis  qu'il  fait  conduire  au  Mans  le 
butin  &  les  prifonniers  faits  au  combat  de  Pontvilain  ^ 
il  marche  promtement  vers  les  autres    quartiers    des 
ennemis  ,  qu^il  enlevé  avec  le  même  bonheur  ,  ou  plutôt 
avec  le  même  courage  :   il  femble  fe  multiplier ,  pour 
paroître  prefque  en  même -temps  dans  tous  les  lieux 
ocupés  par  les  Anglois  :  par-tout  il  les  joint ,  par-toct 
il  les  difperfe  ou  les  exterînine.    Cete  armée  formida- 
ble y  que  Knolles  avoit  conduite  en  France ,  difparut. 
Du  Guefclin  ramena  fes  troupes  viârorieufes  &  char- 
gées de  dépouilles.  Le  général  Anglois  courut  en  Bre- 
tagne enfevelir  fa  honte  dans  fon  château  de  Derval , 
n'ofant  xeparoître  à  la  cour  d'Angleterre  après  une  fi 
malheureufe  expédition. 
Mort  de  la       Ces  revers  imprévus  mortifièrent  d'autant  plus  le  roi 
Tcinc  d'Angle-  d'Angleterre ,  au'il  éprouvoit  dans  le  même-temps  des 
*X^    Th  r   ™^'^^"rs  domeftiques  non  moins  fenfibles.  Il  venoit  de 
Froijpir7/^  perdre  l'année  précédente  la  reine  Philippe  de  Hainauc 


Charles    V*  413 

fon  époufc.  Il  eut  la  douleur  de  voir  expirer  entre  fes ^^^^^^^^ 
bras  cece  refpeâable  princeffe ,  qui  joignoic  à  des  qua-  ^^'  '37o. 
lités  héroïques  toutes  les  grâces  &  toutes  les  vertus  de 
fon  fexe.  Efle  lui  demanda  pour  dernière  preuve  de  fa 
tendrefle ,  de  ne  point  choifir  d'autre  fépulcure  que  celle 
où  Ton  aloit  la  conduire  ,  afin  qu'un  même  tombeau 
réunît  à  jamais  leurs  cœurs.  Quelque  grande  que  fût 
Tame  d'Edouard  ,  fa  fermeté  n'étoit  pas  à  l'épreuve 
d'une  fi  cruele  féparation.  Il  arofoit  de  fes  larmes  les 
mains  de  cete  digne  époufe  ,  pour  laquele  fon  eflime 
ne  s'étoit  jamais  démentie.  Elle  rendit  le  dernier  foupir 
en  lui  recommandant  fa  famille  >  &  fur- tout  le  plus 
jeune  de  fes  fils  :  c'étoit  Thomas  de  Woodftock ,  le 
feptieme  des  enfants  mâles  d'Edouard  ,  qui  fut  duc  de 
Buckingham  fous  le  règne  fuivant.  Cete  augufle  reine 
fut  univerfélement  regretée. 
De        - 


yeux 

la  maifon  que  des  fujets  d'alarmes  ou  de  chagiiu.  ^cim       uidem. 
de  fes  enfants  qu'il  aimoit  le  plus  tendrement,  le  prince     Rymer^\a. 
de  Galles  ,   ce  héros  fi  digne  de  toute  l'afeâion  d'un  P^^^^om.i. 
père  ,  languifToit  à  Bordeaux  d'une  maladie  lofigue  &  ^^  ^*  ** 
cruele  ,  à  laquele  s'étoit  encore  jointe  récemment  l'a- 
fliâion  de  la  mort  d'Edouard,  laîné  de  fes  fils  ,  jeune 
enfant  qui  donnoit  déjà  les  plus  bêles  efpérances.    La 
fanté  dç  ce  prince  s'afoiblifiant  de  jour  en  jour  ,  les 
médecins  lui  confeilierent  d'aler  refpirer  l'air  de  Lon- 
dres. Il  partit  de  Bordeaux  avec  le  jeune  Richard  fon 
fécond  fils  ^  après  avoir  remis  l'Aquitaine  au  duc  de  Len- 
caftre. 

Cependant  le  connétable  ,  après  avoir  rangé  une 
partie  du  Poitou  fous  l'obéifFance  du  roi  ,  étoit  revenu 
a  Paris  avec  ClifToiî  &  les  autres  compagnons  de  fes 
viâoires.  Il  avoit  reçu  dans  ce  même-temps  une  fomme 
confidérable  de  Cafiille  ,  qu'il  avoit  libéralement  dif^ 
tribuée  aux  troupes.  Charles ,  jufle  apréciateur  du  vrai 
mérite  ,  l'honora  de  l'acœuil  que  méritoient  des  fervices 
a  importants  &  fi  défintéreffés.  . 


4r4  Histoire   de   France, 

•     .  Le  duc  de  Lencaftre  folicita  de  nouveaux  (ccours 

Ann.  1371.  ^l'Angleterre  ,  donc  le  prince  de  Galles  hâta,  les  prépa- 
gioiTc  Tapro"  natifs.  Il  s'agiffoit  de  prévenir  la  perce  totale  des  pro- 
che de  la  Ro-  vinces  qu'il  poffédoic  en  France.  Edouard  irité  de  tant 
^  j"^  vr  A  ^^  difgraces  ,  forma  un  projet ,  qui  loin  de  retarder  la 
cZon.^MS.  révolution  qu'avoit  préparée  la  fierté  Angloife  ,  ne 
Uîfi.cHEfp.  fervit  au -contraire  qu'à  en  précipiter  le  dénouement, 
^^'  en  achevant  d'aliéner  les  efprits.  Le  comte  de  Pembrock 

fut  chargé  de  conduire  un  renfort  confidérable  de  trou- 
pes deftinées  pour  la  Guienne,  Son  voyage  avoit  en- 
core un  autre  but  fur  lequel  il  ne  s'expliquoit  pas  , 
mais  qui  fut  pénétré.  Il  vint  mouiller  à  la  vue  ae  la 
Rochele  ,  dont  les  habitants  fermèrent  le  port ,  en  fai- 
fant  dire  au  prince  que  fans  fe  départir  du  ferment 
qu'ils  avoient  fait  au  roi  d'Angleterre  ,  ils  étoienc  dans 
la  réfolution  de  garder  leur  ville  eux-mêmes.  Ces  gé- 
néreux citoyens  avoient  été  informés  que  le  deflein 
d'Edouard  étoit  de  peupler  la  ville  d'Anglois ,  &  d'en- 
lever tous  les  habitants.  Dans  cete  vue  le  comte  de 
Pembrock  avoit  fait  charger  fur  fa  flote  quantité  de 
tonneaux  remplis  de  chaînes ,  pour  mettre  aux  fers  les 
habitacfts  de  cete  ville  importante ,  trop  atachés  à  leurs 
anciens  fouverains  ,  &  fur  la  fidélité  deiquels  les  An- 
glois  croyoient  ne  devoir  jamais  compter. 
Les  Angioîs  Tandis  que  Pembrock  ,  étonné  de  cete  réfifiance , 
font  batus  par  délibéroit  fur  le  parti  qu'il  prendroit ,  l'amiral  de  Caf- 
^rtioiz!"  ^^^*  ^^^^^  »  Boccanegra  ,  Génois  ,  étoit  k  la  hauteur  de  la 
^"^""ilidem.  Rochele  avec  quarante  voiles.  Il  ataqua  la  flote  An- 
gloife ,  qu'il  délit  entièrement  après  un  combat  opiniâ- 
tre ,  où  la  viâroire  fut  difputée  pendant  deux  jours.  Les 
auteurs-  de  ce  temps  obfervent  que  les  bâtiments  Efpa- 
gnols  étoient  beaucoup  plus  hauts  <ie  bords  que  les  oâ- 
timents  Anglois. 

La  flote  Caflrillane  pourfuivit  les  vaincus  jufqu'à  la 
vue  de  Bordeaux  ,  où  elle  fit  échouer  plufieurs  de  leurs 
vaifleaux  ,  &  coula  les  autres  à  fond.  Après  cete  glo- 
rieufe  viâoire  ,  Boccanegra  reprit  la  route  d'Efpagne, 
Il  conduifit  en  triomphe  les  vaifleaux  pris  fur  les  An* 


Charles     V.  41^ 

-glois  ,  chargés  d'un  butin  confidérable  ,  du  créfor  def-  ! 

tiné  au  paiement  des  troupes  &  d'une  infinité  de  pri-    Ann.  i57i* 
fonniers  y  parmi  lefquels  fe  trouvoient  le  comte  de  Pem* 
brock  lui-même. 

Cet  échec  y  6c  la  difpofîtion  des  habitants  de  la  Ro-  HUcm. 
chele  y  déterminèrent  le  roi  à  faire  partir  du  Guefclin 
avec  des  troupes  pour  en  former  le  fiege.  Le  conné* 
table  s  aprocha  de  la  place  ;  mais  ne  jugeant  pas  Toca- 
fion  encore  favorable  ,  il  ne  voulut  pas  s  obftiner  à  cete 
entreprife ,  dont  il  remit  l'exécution  k  un  autre  temps. 
Le  captai  de  Buch*^  qui  fe  trouvoit  alors  dans  le  voi-^- 
finage  y  Tçnvoya  déjficr  à  la  bataiUt.  Il  accepta  le  défi  > 
&  fe  rendit  au  lieu  indiqué  y  d'où  il  fut  ooligé  de  re* 
venir  fur  fes  pas  ,  après  l'avoir  vainement  atendu. 

La  guerre  alumée  en  même- temps  de  tous  côtés,     Retour Ju 
paroifloit  avoir  éloigné  toute  efpérance  de  réconcilia-  PP^/»  ^'^"- 

1*  ^        \        m  Y         r  •  .^       ce.  Sa  mort- 

tion  entre  les  deux  couronnes.  Les  louverams  pontifes 
fàifoient  feuls  entendre  leur  voix  pacifique  dans  ces 
temps  de  tumulte  &  de  fang.  Ces  pères  communs  des 
fidèles  ne  cefToient  d'exhorter  les  rois  à  la  concorde. 
Urbain  enflammé  d'un  zèle  apoftolique  pour  le  bon- 
heur de  la  chrétienté  y  après  trois  années  de  féjour  en 
Italie,  étoit  parti  de  Rome  malgré  les  vœux  des  fujcts 
du  faint-fiege  &  les  exhortations  de  fainte  Brigitte  , 

3ui  lui  avoit  fait  annoncer  qu'il  niourroit  infailliblement^ 
es  qu'il  auroit  abandonné  la  capitale  du  monde  chré^ 
tien.  Rien  ne  fut  capable  de  l'arêter.  Il  vint  débarquer 
à  Marfeiile ,  d'où  il  fe  rendit  dans  le  Comtat.  Son  def- 
feîn  étoit  d'aler  en  perfonne  négocier  la  paix  entre  les  rr.^  p  ,  ^ 
rois  de  France  &  d'Angleterre.   Dieii  ne   permit  pas  t.io,'p.%f. 

3u'il  pourfuivît  une  fi  louable  entreprife.  Il  fut  ataqué 
ans  Avignon  d'une  maladie  qui  ne  lui  laiiTa  plus 
d'autre  penfée  que  celle  de  fe  préparer  à  la  mort.  Il 
mourut  y  ainfi  qu'il  avoit  vécu  ,  dans  les  fentimënts  re- 
ligieux de  la  plus  humble  &  de  la  plus  parfaite  réfigna- 
tion.  Je  crois  fermement  ^  dit  ce  refpedable  pontife  en 
expirant  ,  tout  ce  que  tient  &  enfeigne  la  fainte  églifc 
catholique  }  Çf  Ji  jamais  f  ai  avancé  quelque  autre  chofe. 


j^i€  Histoire   de   France, 

r  i  de  qudquef^manurc  que  ce  f oit  y  je  le  révoque  ,  &  mejfbu* 

Ann- 1371.    mets  à  la  coreclion  de  VEgUfe.    Urbain  avoic  ocupé  la 
chaire  de  faint  Pierre  huit  ans  ,  un  mois  &  dix -neuf 
jours.  Ami  de  la  paix  ,  proteâeur  de  la  juftice  ,  il  ré- 
prima la  chicane  des  procureurs  &  des  avocats  ;  il  prof- 
crivit  la  fimonie  ;  il  reftreignît  ,  autant  qu'il  put  ,    la 
pluralité  des  bénéfices  ;  il  employa  les  tréfors  de  Téglifc 
au  foulagement  des  pauvres  ;  il  anima  les  arts  &  les 
lettres  :  plus  de  mille  étudiants  répandus  dans  les  difé- 
rentes  univerfités ,  étoient  entretenus  de  fes  libéralités. 
La  ville  de  Montpellier  lui  eft  redevable  de  la  fonda- 
pon  d'un  colege.  pour  douze  élevés  de  la  faculté  de 
médecine.  Il  eut  dé  la  tendrefle  pour  fes  parents  ;  mais 
il  ne  leur  prodigua  ni  les  tréfors  ,   ni  les  dignités  de 
réglife. 
;..ccuon  de      La  vacance  du   faint-fiege  ne  dura  que  dix  jours. 
Grégoire  XI.    Lgj    cardiuaux  aflemblés   dans  le  conclave   réunirent 
ibidim.       \q\xvs  voix  en  faveur  du  cardinal  de  Beaufort  ,    neveu 
de  Clément  VI  ,  qui  prit  le  nom  de  Grégoire  XL  II 
reçut  la  couronne  pontificale  dans  Téglife  des  Domini- 
Chron.MS.  cains  d'Avignon.   Le  duc  d'Anjou  ,  qui    pour-lors  fe 
dt  chariis  y.  trouvoit  cn  cete  ville ,  le  conduifit  de  l'églife  au  palais. 
vufLTom. îf*  ^®  prince  marchoit  à  pied  ,  tenant  le  frein  du  cheval 
part.  1,      '    de  fa  fainteté.  Grégoire  aufli  zélé  que  fon  prédéccfleur , 
employa  fa  médiation  pour  apaifer  la  querele  des  deux 
rois.   Dans  cete  vue  il  nomma  les  cardinaux  de  Beau- 
vais  &  de   Cantorbéri ,  avec  ordre  de  travailler  à  cet 
acommodement.  Ces  prélats  tinrent  à  ce  fujet  plufieurs 
conférences  inutiles.  Les  prétentions  de  part  &  d*autre 
étoient  (rop  éloignées  pour  que  les  deux  négociateurs 
pufTent  les  concilier. 
Nouvdcspctw      Pendant  le  cours  de  ces  divers  mouvements  ,  le  roi 
fidicsduroidc  de  Navarre  avoit  à  fon  ordinaire  multiplié  les   traités 
^^m"^  •    d  ^^^^^"^^"^  9  ^^  flatant  toujours  vainement  de  vendre  à 
iiifér^ure!  '  ^'"^  ^^^  ^^^^  ^^^^  ^^^  aliancc  infidèle  ,  &  fe  trouvant 
Tréfor  des    faus  cçAe  k  dupe  de  Ces  trahifons  infruâueufes  ;  trai- 
Chartra,&c.    j^^t  avec  le  roi  dans  le  même  temps  qu'il  eflayoit  de 
corompre  un  médecin  Grec  pour  lui  donner  eu  jpoi- 

lon; 


Charles    V.  417 

Ibn  ;  amufant  le  roi  d'Angleterre  par  l*efpérance  de  - 
joindre  fes  troupes  aux  fiennes  ;  paflant  fecrétement  k  Ann.  ijy^- 
Londres  pour  y  figner  un  traité  défavoué  par  lui-même , 
dès  qu'il  étoit  rentré  dans  fes  Etats  ;  courant  à  la  cour 
du  duc  de  Bretagne  pour  y  femer  la  difTenfion  ;  re- 
venant enfuite  reprendre  les  négociations  précédem- 
ment entamées  avec  la  cour  de  France.  Qui  voudroic 
fuivre  ce  prince  dans  toutes  fes  démarches  ,  n'y  vèroic 

3u'un  enchaînement  bizare  de  légèretés  ,  d'incertitudes , 
'inconféquences  &  de  perfidie.  Le  roi  atentif  k  fa  con- 
duite ,  fe  contentoit  de  le  connoître  &  de  le  retenir 
par  la  crainte  ,  fans  vouloir  ,  en  le  pouffant  k  bout , 
le  réduire  k  la  néceffité  de  prendre  un  parti  extrême. 
On  lui  avoit  opofé  quelques  dificultés  dans  la  prîfe  de 
poffeflîon  de  la  ville  de  Montpellier  ,  qui  lui  avoit  été 
cédée  par  le  dernier  traité.  Il  n'en  fkloit  pas  davantage 
pour  tenir  en  haleine  fon  caraâere  remuant.  Le  duc 
d'Anjou  s'étoit  emparé  de  Montpellier  pendant  la  cam- 
pagne précédente  ;  mais  .cet  incident  provenoit  moins 
de  la  difpofition  du  roi  k  l'égard  de  tharles-le- Mau- 
vais ,  que  de  celle  du  duc  qui  réclamoit  quelques  pré- 
tentions fur  cete  ville.  Le  Navarrois  toujours  agité  par 
fon  inquiétude  naturele  ,  fembla  fixer  enfin  fon  irré- 
folution  ,  en  afeâaht  de  traiter  de  bopne-foi  avec  les 
miniftres  de  France.  Ses  agents  réglèrent  avec  eux  tous 
les  articles,  qu'il  çft  inutile  de  raporter  ici  ,  n'étant 
pour  la  plupart  qu'une  répétition  des  cpnventions  pré- 
cédentes. 

Le  roi  partît  de  Tabaye  de  MaubuifTon,  où  il  avoit   Lcroîc^cNa- 
affiflé  au  lervice   de  la  reine  Jeanne  d'Evreux ,  veuve  ^^0"^^^!^^^^^ 
de  Charles-le-Bel  ,  &  fe  rendit  k  Vernon^  où  le  roi  n  fait  fona- 
de  Navarrç  dçvoit  fe  trouver.  Bertrand  du  Cuefclin ,  commodcmcnt 
acompagné   de  trois  cents, hommes  d'armes,  conduifit      l^'^^f». 
à  Evreux  les  otages  pour  la  sûreté   de  ce  priiice.  Ces 
otages    étoient    l'archevêque   de  Sens  ^  Guillaufnç  de 
Melun  ,   Tévêque  de  Laon  ,  le  fire  de  Montmorenci , 
le    comte  de   rorcien,  les  feigneurs  de  Châtillon,  de 
Garencieres  ^   de  Blaru ,   de  Saint-Payl ,  de   Vienne , 
Tome  V.  Ggg 


4^8  Histoire,  de   France, 

==  d'Harenvilliers,  le  maréchal  de  Blainville,  Guillaume 
Ann.  1J7X.  de  Dormans ,  quatre  notables  bourgeois  de  Paris  & 
quatre  de  Rouen.  Le  connétable  revint  à  Vernon  avec 
le  roi  de  Navarre ,  qui  mit  pied  à  terre  au  château. 
La  première  entrevue  fe  fit  dans  un  jardin  où  le  roi 
fe  promenoir  pour  lors.  Le  Navarrois  l'aborda  en  fe 
jprofternant  à  ies  genoux  :  Charles  le  releva  aufli-tôt , 
&  fe  contenta  de  lui  dire  qu'il  étoit  le  bien -venu, 
fans    Tembrafler ,   fuivant  Tulage  ordinaire.  Après  les 

{)remier$  compliments ,  les  deux  princes  entrèrent  dans 
a  fale  où  Ton  a  voit  préparé  le  fouper.  Le  roi  de  Na- 
varre qui  ne  foupoit  pas  ,  fe  retira ,  &  ne  revint  qu'a- 
f)rès  le  repas.  Il  eut  alors  un  fort  long  entretien  avec 
e  roi,  dont  perfonne  ne  fut  inftruit.  Les  courtifans 
qui  les  obfervoient  de  loin ,  remarquèrent  feulement 
que  Charles -le -Mauvais  intérompit  plufieurs  fois  la 
converfation  pour  fe  jeter  aux  pieds  du  monarque.  Il 
paroît  probable  qu'il  demandoit  pardon  de  toutes  les 
perfidies  dont  il  s'étoit  rendu  coupable.  Le  lendemain 
.  il  rendit  hommage-lige  pour  toutes  les  terres  qu'il  pof- 
fédoit  en  France,  devoir  dont  il  ne  s'étoit  point  en- 
core aquité  depuis  le  commencement  du  règne.  Cet 
aâc  de  foumiflion  fit  beaucoup  de  plaifir  à  la  cour, 
tout  le  monde  étant  perfuadé  qu'après  une  pareille  dé- 
marche, il  ne  trameroit  plus  de  complot  préjudicia- 
ble à  la  tranquilité  du  royaume.  En  étet  il  parut  pen- 
dant quelque  temps  avoir  entièrement  changé  de  ca- 
raâere.  Immédiatement  après  la  conclufîon  de  fon 
acommodement,  il  fuivit  le  roi  à  Paris,  où  il  réitéra 
fes  proteftations  d'atachement  &  de  fidélité.  Pendant 
fon  féjour  dans  la  capitale ,  on  lui  prodigua  tous  les 
témoignages  de  bienveillance  &  d'amitié  qu'il  pouvoit 
defirer.  Il  partit  comblé  das  carefîes  de  fon  fouverain, 
&  reprit  la  route  de  Normandie.  Avant  fon  départ 
il  avoit  déjà  envoyé  fon  fecrétaire,  pour  renouer  à 
Montreuil-liir-mer  une  nouvele  négociation  avec  les 
agents  du  roi  d'Angleterre.  Le  roi  avoit  des  vues  trop 
Supérieures ,  pour  ne  pas  fentir  l'impodibilité  de  fixer 


Charles     V. 


419 


rînconftance  de  ce  prince  ;  mais  c'étoit  beaucoup  que  : 

de  Tempêcher  de  fe  déclarer  ouvertement.  Ann.  ipi. 

On  peut  raporter  à  ce  même  temps  une  particula-   Le  roi  de  Na- 
rité  de  la  vie  du  roi  de  Navarre,  qui   par  elle-même  fo^foux^tl-' 
feroit   peu  importante ,    fi  la   diflenfion    qu'elle   oca-  ports  le  duc  de 
fionna  n'avoit    entraîné   après  elle  les  fuites    les  plus  5.^!^^"^  ^ 
funeftes.   Dans  un  voyage   qu'il   fit   en   Bretagne,  il  mis  iVrécwidl 
vint  à  Cliffon.  Olivier ,  qui  pour  lors  y  étoit ,  s'emprefJa  liablej. 
de  lui  faire  la  plus  honorable  &  la  plus  magnifique      ^'^^.^^J^' 
réception.  Après  lui  avoir  procuré  toutes  les  fêtes  &  J^^^[  ^^^^^' 
tous  les  plaifirs  qu'il  put  imaginer ,  ce  feigneUr  le  con-  de  la  chambre 
duifît  à  Nantes  auprès  du  duc  de  Bretagne.   Le  Na-  <^^*  <^^^f^^^- 
varrois    dont    l'efprit   brouillon  ne  *pouvoit   demeurer 
oifif ,  s'ocupa ,  pendant  le  féjour  qu'il  fit  en  Bretagne , 
du   cruel  plaifir  de  porter   le  trouble  &    l'amercume 
dans  la    maifon  de   Montfort.  Il  avoit  remarqué  que 
la  duchefie  avoit  pour  le  feigneur  de  Cliffon  de  ces 
égards,  qui  fans  être   criminels,  peuvent  être  fufcep- 
ribles  d'une  interprétation    maligne.  Il  ne  lui  en  fklut 
pas  davantage  pour  faire  naître ,  par  fes  obfervations  , 
des  foupçons  dans  l'ame  du  duc  lur  la  conduite  de  la 
dame  fon  époufe.  Les  aâions  les  plus  innocentes  fufi- 
ient  pour  donner   de  l'ombrage  ,  lorfque  l'artifice  & 
la  méchanceté  leur  prêtent  leurs   couleurs.    Quand  il    ^ 
l'eut  préparé  à  recevoir  toutes  les  impreflîons  qu'il  vou- 
loit  lui  donner,  il  porta  les  derniers  coups.   Il  lui  dit 
un  jour  en  grande  confidence ,  &  comme  un  homme 
qui  ne  pouvoît  diflîmuler  plus  long-temps  un  fait  inté- 
reffant  qu^ïl  aimtroit  mieux  mourir  qut  de  foufrir  ttk 
vilenie  comme  le  fïre  de  Clijfon  lui  faijbit;  car  il  aimait 
la  duchejfefa  femme  ,  &  la  lui  avoit  vu  baifer  dèriere  une 
courtine    *.    Montfort    n'écouta   que    trop    avidement     *  Rideau, 
cet  odieux  récit,  fans  fe  donner  la   peine   d'examiner 
s'il  devoit  s'en  raporter  au  témoignage  fufpeâ  xîu  roi 
de  Navarre.   Sa   crédule  jaloufie  ne  lui  repréfema  que    ' 
l'injure  faite  k  fon  honeur.  Il  réfolut  de  s'en  venger  par 
la  mort  de  Cliffon.  L'exécution  de  ce  projet  fut  indi- 
quée h  Vannft,  où   le  duc  ala  quelques  jours  après». 

G  g  g  ij 


42.0  HiStOIRE     DE    FrAWCE, 

^""'"^"'^  ClifTon  ^  le  vicomte   de  Rohan  ,   &    plufieurs    autres 
Ann.  1371.    feigneurs  écoient  de  ce  voyage.  Trente  Anglois  de  rhô- 
tel  du  prince  avoient  été  chargés  de  raflaffinat.  Qiffon 
ignorant  ce  qui  fe  tramoit  contre  hii ,  ne  fpngeoit  qu*k 
fe  livrer  aux   divertiffements  d'une  fête  qui  le  donnoit 
en  préfence  du  duc  dans  un  jardin  :  il  danfoijt  au  mo-- 
ment   qu'on  vint  l'avertir  du  danger  qui  le  menaçoit. 
Il  fortit  de  Paffemblée   avec   précipitation  ,  &  courut 
dans   fes  terres  mettre  fes  jours   en  sûreté^  laifTant  le 
duc  au  défefpoir  de  fe  voir  enlever  une  vidime  qu'il 
comptoit  immoler  k  fon  amour  outragé,  Tele  fut  Tori- 
gine    de  cete  haine  implacable  que  le   temps  ne   put 
jamais   éfacer ,   reTTentiment  que  nous   vèrons  fous  le 
règne  fuivaht  produire   les   plus  finiftres  éfers ,  &  de- 
venir  une   des  principales  caufes  des   malheurs  de  la 
France, 
NaîflanccJc      Tandis  que  lafage  adminiftration  du  roi,  &  la  prof- 
Jean  de  Bour-  périté  de  nos  armes  concouroient  également  k  la  gloire 
E  (k/^    &  ^"  bonheur  de  TEtat ,  Jean  fils  de  Philippe  duc  de 
d'Orléans.       Bourgogne   &  de   Marguerite  de  Flandre,  naiiFoit  k 
Chron.MS.  Dijon,  Dans  le  cours  de  la  mênie  année  ,  la  reine  mit 
^^'  au   monde  un  .prince   qui  fut  nommé  Louis,   &  qui 

dans  la  fuire  eut  en  apanage  le  duché  d^Orléans.  Cete 
puiffance  invifible  ,  dont  les  loix  enchaînent  les  évé- 
nements de  lunivers  ,  avoit  ataché  la  deftinée  du 
royaume  k  la  naiflance  de  ces  deux  enfants  infortunés, 
auteurs  de  cete  longue  querele  qui  rendit  irréconcilia- 
bles les  maifons  aOrléans  &  de  Bourgogne.  Mais 
n'anticipons  point  fur  les  temps  malheureux  de  ces  fa- 
tales divifions  ,  gravées  dans  nos  annales  en  caraâeres 
de  fang. 

Les  difgraces  des  Anglois  devenoient  de  jour  en  jour 

plus  fréquentes  en  Guienne ,  fur-tout  depuis  la  retraite 

Rvm^r,tf^.  du  pHnce  de  Galles,    Le  duc  de    Lencaftre   n'avoit, 

patr'.u'^'^*  pour  contenir  la  nobleffe  &  les  peuples  de  cete  pro- 

Uifi.itEfpag.  vince,  ni  les  talents  de  fon  frère,  ni  des  forces  fufi- 

fante's.  Le  titre  faftueux  de  roi  de  CaftiÛe ,  qu'il  venoit 

de  prendre  depuis  fon  mariage  avec  Cwiftance  ^  fille 


Charles    V. 


42 1 


aînée  de  Pierre  -  le  -  Cruel ,  dans  le  mêmç  temps  que  » 

le  comte  de  Cambridge  fon  frère  avoit  époufé  la  ca-  Ann.  1371. 
dete ,  loin  de  procurer  quelque  avantage  réel  à  l'An- 
gleterre ,  n'avoit  fervi  qu'à  refférer  les  nœuds  de  Tar 
liance  qui  uniflbit  Henri  de  Tranftamare  avec  la  Fran- 
ce. Tropfoible  pour  s'opofer  au  torrent,  Lencaftre  s'é- 
toit  bientôt  vu  forcé  de  repafler  lui-même  à  Londres 
pour  foliciter  des  fecours  capables  de  prévenir  la  défec- 
tion~  prefque  entière  de  la  Guienne.  Il  avoit  remis  en 
partant  le  commandement  de  la  province  à,  Jean  de 
Grailly ,  captai  de  Buch. 

Le  roi  peu  de   temps   après  la  mort  de  David  de    AHanccavec 
Brus ,  avoit  fongé  à*  renouveler  les  anciennes  confédé-    ^ 
rations  de  la  France  avec  l'Ecofle.    Robert    Stuard,  pulu!^tom.\l 
fucceffeur  de  David  ,  s'obligea  par  le  traité  de  porter  la  P'"'f'  v 
guerre  en  Angleterre  à  la  première  demande  de  Char-      ^Zfn'^MS. 
les  ,  qui  de  Ion  côté  promit  de   fournir  aux  Ecoflbis 
des  armes  &  un  certain  nombre  d'hommes  entretenus 
&  payés  aux  dépens  de  la  France.   Ce  traité,  qui  fut 
tenu  lecret ,  n'eut  point  d'exécution   pour  lors ,  parce 

que  la    fituation    du  nouveau    roi    d'Ecoffe  ,   à  peine  j 

afermi  fur  le  trône  ,  le  contraignit  d'accepter  une  trêve  ; 

avec  Edouard. 

Le  monarque  Anglois  avoit  de  fon  côté  folicité  des  j 

aliances  étrangères  avec  affez  peu  de  fuccès.  Les  feuls  \ 

ducs  de   Gueldre  &  de  Juliers  oferent  à  fon  inftiga- 
tion  envoyer  défier  le  roi  de  France  :  défi  qui  ne  fut     Ckton.MS. 
acompagné  d'aucunes  hoftilités  ,  ces  deux  princes  étant  ^^''^'^^^^^ 
aflez  ocupés  par  la  guerre  que  leur  faifoit  le  duc  de 
Brabant ,  lequel  fut  tué  ,  ainli  que  le  duc  de  Gueldre  , 
dans  un  fanglant  combat  qu^ik  îe  livrèrent.  Les  villes 
de  Flandre  que  le  mariage  de  la  fille  de  leur  comte 
avec  le  duc  de  Bourgogne  avoit  portées  à  fe  déclarer 
pour  la  France^  furent  engagées  par  l'intérêt  de  leur 
commerce  à  figner  un  traité  qui  les  réduifit  à  la  neu- 
tralité entre  les  François  &  les  Anglois.   Elles  obtin-    J]^'^'^/* 
rcnt  par  ce  moyen  la  reftitution  de  plufieurs  bâtiments  J!lrr!  %T'  '  * 


422  Histoire   dk   France/ 

'■  qui  leur   avpient  été  enlevés  par  le  comte  d*Herford 

Awi.  1371.    amiral  d'Angleterre. 

Depuis  la  viftoire  remportée  par  la  flote  Efpagnole 
Froîjfard.     ^  j^  ^^^  j^  j^  Rochcle ,  Yvain  de   Galles  avoit  fait 
une  defccnte  dans  File  de  Grenefey ,  &  formé  le  fiege 
du   château  du   Cornet,  principiale  forterefle  du  pays, 
après    avoir   vaincu  le  gouverneur    de   l'île   dans   un 
combat  où  les   Anglois   perdirent  quatre  cents  hom<- 
mes.    Tandis  qu'il  étoit  ocupé  k  ce  fiege,  il  reçut  un 
ordre   du  roi  de  fe  rendre  inceflamment   en    Efpagne 
pour  engager  Henri  de  Tranftamare  à  renvoyer  fa  note 
fur  les  côtes  de  France ,  afin  de  favorifer  le  fiege  de 
la  Rochele  qui  avoit  été  réfolu  dans  le  confeil.  Yvain 
ariva  au  port  de  Saint- André  qui  féoare  les  frontières 
de   la  Bifcaye    du  royaume  des  Afiuries ,   le   même 
jour  que  les  Efpagnols  vainqueurs  entroient  dans  la 
ville.    Ils  conduifoient  en  triomphe    leurs    prifonniers 
chargés  de  fers  ,  fuivant  leur  coutume  ,  car  autre  cour- 
toijic    ne  fçavoUnt  les  E/pagnols  faire,  dit  Froiflard. 
Le   Gallois  reconnut,  parmi   ces   çaptifk  enchaînés  le 
comte  de   Pembrock ,  à  qui ,   par  une  bravade   aflcz 
déplacée  ,    il   demanda  s'il  venoit    lui    rendre     hom- 
mage des  terres  qu'il  tenoit  en  la  principauté  de  Galles. 
Il  aprit  enfuite   au  comte  qui  ne  le  connoifToit  pas, 
qu'il  tîroit  fon  origine  des  anciens  fouvers^ins  du  pays 
de  Galles ,  &   qu'il   efpéroit  dans  peu  fe  venger   des 
Anglois,  fur-tout  du   comte  d'Herford   &  d'Edouard 
Spencer  ,  qui  avoient  contribué  à  la  mort  de  fon  père. 
Un  chevalier  Anglois  de  la.fuitçdu  prince,   fomma 
Yvain  de  jeter  fon  gage  de  bataille ,  s'of rant  de  le  rele- 
ver. Vous  ères  prifonnier  ,  dit  le  Gallois ,  â*  je  n^aurois 
nul  honeur  de  vous  apeler.  Ilauroit  dû  fiiire  ceteobfer- 
vation    plutôt.    Des  chevaliers   Efpagnols  furvinrefit , 
&  mirent  fin  à  cet  indécent  entretien.  Le  roi  de  Caf- 
fillc  ayant  fcu  l'arivée  de  ces  prifonniers ,  envoya  au- 
d«waxit  dîeux  Pinfant   dôm  Juan  fon  fils.  On  les  dé* 
.  chargea  de  leurs  chaînes,  &  ils  reçurent  de  la  gêné-* 


C    tt    A    ».   t    É    s      V.  423 

rofité  du  prince   un  traitement  plus  conforme  k  Tliu-  r^!^^^^^^^^^^^ 
manité  &    aux  loix  de  la  guerre.  Le  comte  de  Pem-    Atm-  nyi- 
brock  fut  remis  quelque  temps  après,  ainfi  que  d'au-  p^'^-  ^J^' 
très  prifonniers  ,  à  du   Guefclin ,  pour  faire  partie  de  uT^c!'  "^'^ 
rechange  des  terres  qu'il  poffédoit  en  Efpagne,  pour      DuTiiUe^^ 
lefqueles  il  reçut  encore  une  fomme  d'argent  du  m  -  c^lliZ.  "^^^ 
narque  Caftillan.    La  rançon   du   comte  eftimée  cin-    Hifi.dcBreti' 
quante  mille   livres,  ne  fut  point  aquitée,  parce  qu'il 
mourut  avant  que  d'être  délivré. 

Le  captai  de  Buch  avoir  été  fait  connétable  d'Aqui- 
taine &  chargé  de  la  principale  conduite  de  la  guerre 
dans  cete  province.  Depuis  la  maladie  du  prince  de 
Galles  &  la  mort  du  brave  Chandos ,  ce  feigneur  étoit 
le  feul  grand  capitaine  que  les  Anglois  puflènt  opofer  ^ 
aux  armes  Françoifes.  Il  ne  lui  manquoit  que  des 
forces  fufifantes  pour  s'aquiter  d'une  commiffion  fi 
dificile.  Après  avoir  jeté  des  troupes  dans  la  Rochele 
pour  contenir  les  habitants  dont  il  fe  défioit ,  il  vint 
avec  un  petit  corps  d'armée  ocuper  les  bords  de  la  Cha- 
rente ,  pour  obferver'  de  ce  pofte  les  démarches  des 
François  qui  fe  raflembloient  aes  frontières  de  P Anjou , 
de  l'Auvergne  ,  du  Berry ,  &  fe  prépar oient  à  entrer 
dans  le  Poitou. 

Le   connétable   ouvrit  là  campagne  à  la  .tête  d'une    Ann.  ij7x. 
armée  de  plus  de  trois  mille  lances.  Le  duc  de  Bour-      Exploits  du 
bon,   le  comte  d'Alençon   princef  du  fang,  fervoient  po^to^J^^^ 
fous  {es  ordres.  Le  maréchal  de  Sanccrre ,  le  dauphin    Froifard,  & 
d'Auvergne,  les  feigneurs   de  Cliflbn,  de  Laval,  de  UsautnsfUfz 
Rohan ,  de  Beaumarioir  ,  de  Sully ,  une  foule  de  gentils-  '^''"z^'- 
hommes  ,  élite   de   la    nobleffe  Françoife  ,   Tacompa- 
«loient.  Il  emporta    d'affaut,  ou  réduifit  rapidement 
Montmorillon  ,  dont  la  garnifon  fut  paffée  au  fil  de 
répée,  Chauvigny  fur  la  rivière  de  Creufe,  Lenfac: 
il  pafla  près  de  Poitiers  fens  Tataquer ,  &  vint  mettre 
le  fiege  devant  Montcontour  qui  capitula  le  fixieme 
jour. 

Du  Guefclin ,  après  la  prife  de  cete  dernière  place  , 
avoir  deflein  de  revenir  fur  fes  pas  inveftir  Poitiers  ; 


424  Histoire   de  France; 

■--..  mais  ayant  apris  que  le  captai  étoit  acouru  au  fecours 

Ann.  IJ7*-  de  îa  place  ,  il  fe  contenta  de  fortifier  les  villes  qu^il 
venoit  de.foumettre.  Après  avoir  mis  fes  conquêtes  en 
sûreté ,  il  entra  dans  le  Limofin ,  où  le  duc  de  Berry 
faifoit  alors  le  fiege  de    Saint -Sévère.    La  place    fut 

{)reirée  fi   vivement,  qu*elle  fe  rendit  à  compofition  k 
a   vue  du  captai ,  qui  arivoit  le  jour  même  dans  l  in- 
tention d'y  jeter  des  troupes  &  des  provifions. 
Prifc  de         Tandis  que  le  captai ,  défefpéré  de  n'avoir  pu  fauver 
Poitiers.         Saint-Sévere ,  délibéroit  fur  l'a  retraite ,  le  connétable 
làidcm.      toujours  aftif,   &   qui    depuis   quelque   temps, racna- 
geoit  des  intelligences  fecretes  avec  une  partie  des  ha- 
bitants de  Poitiers,  fe   détache  de  Tarmée  avec  trois 
..^^  cents  hommes  d'armes ,  prend  une  route  opofée  à  celle 
des.Anglois,  fait  une  marche  forcée  de  trente  heures, 
&  fe  préfente  au  point  du  jour  devant  la  ville  dont  les 
portes  lui  font  ouvertes.  Uni  heure  plus  tard  il  man- 
quoit  fon  entreprife.   Un  corps  de  huit  cents  lances  & 
oc  de  quatre  cents  archers  ,  compofé  d'Anglois  &  de 
quelques  gentilshommes  du  Poitou ,  s*avançoit  pour  le 

f)révenir.    Les  ennemis  voyant  leur  efpérance  trompée 
e  féparerent.   La  plupart  des  feigneurs  Poitevins,  qui 
étoient  encore  ataçhés  à  Edouard,  alerent  fe  renfer- 
ine|-  dans  la  fbrtçrefle  de  Thouars  qui  paflbiç  alors  pour 
imprenable.     Les    Anglois    coururent  décharger   leur 
colère   fur  Nyoft  àffut  les  habitants  oferent  leur  fer- 
mier les  portes.  La  ville  fut  prife   &  facagée. 
LaflotcEfp^.      Sur  ces  entrefaites  la  flote  Efpagnole  ariva  devant 
enoie  ^rive  à  \q  poj-t  de  la  Rochcle.    Les  feigneurs  .de  Pont  avec  un 
Rodi"e^ie.  Prifc  détachement  dp  l'armée  Françoife  faifoient  le  fiege  de 
de  soubifc.  Le  Spubifc ,  châtcau  fit\ié  à  l'embouchure  de  la  Charente. 
foiïen*"^"   La  dame  de  3oubife  renfermée  dans  cete  place  avec 
Jèidem.      P^^  ^^  monde,  envoya  demander  du  fecours  au  cap- 
tai, qui  fur -le  -  champ  parçit  lui-même  de  Saint-Jean- 
d'Angély  avec  deux  cents  lances,  furprit  les  François, 
les   bâtit  &  fit  quantité  dç  prifbnniers.   Il   fe  retiroit 
après  cete  expédition  ;  lorfqu'H   fut  fubitement  ataqué 
jpar  Yvain  de  Gallçs  à  la  têje  de  quatre  cçntf  hommes 

de 


Charles    V.  42^ 

de  débarquement  de  la  flote  qui  étok  à  Tancre  devant  . 

la    Rochele.  Yvain  ,  malgré   robfcurité ,  reconnut   les    Ann.  ij7t. 
Anglois  à  la  faveur  des  torches  alumées  qu'il  avoit  eu 
la  précaution  de  faire  prendre  à  fes  gens.    La    prom- 
titude  avec  laquele  il  les  ataqua ,  leur  permit  à  peine 
de  fonger  à  fe  mettre  en  défenfe.   Il  les  défit  entière-- 
ment,   prefque  tous  furent  tués  ou  faits   prifonniers. 
Parmi  ceux  qui  fe  rendirent ,  il  y  avoit  pluficurs  fei- 
gneurs  de  la  première  diftinâion  :  entre  autres  Tho- 
mas  de  Percy  tomba   au   oouvoir  de  meffire  David     Tréfir  des 
Honnel ,  prêtre  du  pays  de  Galles ,  qui  malgré  le  facer-  ^^f'-  ^^^^^ 
doce ,  ne  fe  faifoit  pas  un  fcrùpule  d'endoffer  le  har-     m^^^ill. 
iiois  militaire.  La  plus  grande  perte  des  Anglois  dans 
cete   déroute ,  fut  celle   du  captai  de  Bucn  qui  fut 
obligé  de  fe  rendre  à  un  gentilhomme  de  Vermandois , 
nommé  Pierre   Danvillicr.    Soubifc   capitula   inconti- 
nent^ &  la  dame  du  lieu  fit  ferment  de  fidélité,  pro- 
mettant que  dorénavant  elle  obéiroit  au  roi  de  France. 
Le   captai  de  Buch  fut  amené  à  Paris,   &  renfermé     Trifor du 
dans  la  tour  du  Templç.   Le  roi  fort  content  d'avoir  chanr.iaytt. 
ce  feigneur  en   fon  pouvoir  ,  fit  délivrer  douze  cents  Q^^^y... 
livres  à  Técuver  qui  Tavoit  pris  dans  le  combat.  Ce  '  ^* 

feigneur  conluma  le  refte  de  fa  vie  en  prifon .  où  il 
fut  foigneufement  gardé.  Envain  le  roi  d^Angleterre 
fit  les  ofres  les  plus  avantaceufes  pour  obtenir  fa  li- 
berté, toutes  les  tentatives  a  ce  fujet  furent  inutiles. 
Charles  ne  crut  pas  devoir  relâcher  un  ennemi  mal^ 
heureufement  trop  redoutable.  Le  roi  qui  connoifToit 
tout  fon  mérite ,  eflaya  de  Tatacher  à  fon  fervice.  Jean 
de  Grailly  étoit  trop  généreux  pour  acheter  fon  élar- 
gîffement  k  ce  prix  ;  il  préféra  une  honorable  capti- 
vité ,  même  une  mort  prématurée ,  car  lennui  de  fâ 
prifon*  abrégea  ks  jours  ;  il  mourut  au  bout  de  cinq  T^tfor  des 
ans.  Thomas  de  Percy  fut  plus  heureux:  après  avoir  CkanMy.^^i 
été  renfermé  au  marché  de  Meaux  pendant  quelque 
temps,  il  obtint  fon  élargiffeiffent  &  la  permîmoa 
d'aler  chercher  fa  rançon.  Il  prêta  pour  cet  éfet  fer- 
ITient  entre  les  mains  de  quatre  chevalliers ,  avec  pro- 
TomcV.  Hhh 


d^iê  Histoire  92  Fsakcx, 

!  meflè ,  s*il  manquoit  k  fa  parole  d'honeur ,  de  comba- 
Ann.  1)71.   cre  feul  contre  tous  les  quatre  enfetnble. 

Stratagème  La  réduâiofl  de  Soubile  fut  fuivie  de  celle  de  Saifit- 
iocTrî.iryean-d'Angél7,  d'Angoulême,  de  Taillebourg  &  de 
chafTer  les  An- Saintes.  Cece  dernière  place  fut  livrée  par  les  habitants 
S^^*f\  à  la    perfuafion  de   leur  évêque.    Cependant  la  flotc 

ckrfa^MS.  Caftillane  compofée  de  quarante  gros  bâtiments ,  de 
treize  barges  &  de  huit  galères  ,  bloquoit  toujours  le 
port  de  la  Rochele  fans  raire  aucune  infulte  à  la  ville , 
dont  les  habitants  avoient  traité  lecrétement  avec  Ta- 
miral  Éfpagnol  &  Yvain  de  Galles.  Les  Rochélois  n  a- 
voient  rien  tant  à  coeur  que  de  fe  délivrer  du-  joug  des 
Angloîs  :  ils  n'étoient  retenus  que  par  la  crainte  des 
gens  de  guerre  renfermés  dans  le  château  extrêmement 
fortifié,  &  qui  par  fon  élévation  commandoit  le  port 
&  la  ville.  Tean  Candorier  maire  de  la  Rochele,  dans 
une  aflemblée  clandeltinc  k  laquele  aflifterent  les  prin- 
paux  bourgeois,  prôpofa  d'employer  la  rufe  pour  en- 
gager le  commandant  à  fortir  de  la  citadele  avec  la 
^^arnifon  Angloile.  Le  maire  fit  fentîr  à  ceux  qui  l'é- 
.  coutoient  la  facilité  de  Fentreprife.  Nous  en  viendrons 
aifemcnt  à  notre  honeur  y  leur  dit- il  ,  car  Philippe 
JvFancel  [c'écoit  le  nom  de  ce  commandant}  n^efi  pas 
trop  malicieux.  Le  projet  fut  a  prouvé,  &  l'on  convint, 
avant  que  de  fe  féparer,  de  garder  un  profond  fecret 
jufqu'à  rinftant  de  l'exécution.  Le  lendenlaîn  le  maire 
dans  un  repas  auquel  il  invita  Mancel ,  loi  montra  un 
ordre  fupôlé  d'Edouard ^  par. lequel  il  lui  étoit  enjoint 
de  faire  une  revue  de  la  garnîfon  &  de  la  bourgeoilîe. 
Le  gouverneur  auffi  peu  inflruit  que  la  plupart  des 
gens  de  guerre  de  ce  fiecle ,  ne  fçavoit  pas  lire  :  il  fe 
contenta  d'examiner  les  fceaux,  qu'il  reconnut  pour 
être  ceux  du  roi  d'Angleterre.  Candorier  feignant  alors 
rfe  faire  tout  haut  la  ledure  de  la  lettre,  prononça 
fbrdre  qu'il  avoit  ani^ncé.  L'Anglois  promit  d'obéir. 
Au  jour  marqué  pour  cete  revue  qu'on  lui  .prefcri- 
yoit,  il  fît  fortir  lagarnifon,  laiffant  feulement  douze 
hommes  à  la  garde  du  château.  A  peine  euc*il  ^paflé 


C  H   A   H  L   s   s      V«  417 

les  fortifications  ,  que  des    bourgeois  armés ,   qui  fe    ■ 
tenoienc  en  embufcade    dèriere   une  vieille  muraille,    ^««-  M?*'- 
fe  mirent  encre  lui   &  la  citadele  ,   dans  le  même- 
temps  qu'un  corps  de  deux  cents  hommes  s'avancèrent 
en  bon  ordre.  Lorfque  les  Ançlois  fe  virent  ainft  enve- 
lopés,ils  fe  rendirent  à  difcréaon.  Les  habitants  fom- 
merent  ceux  qui  étoient  reftës  dans  la  fortereflb  de  la 
remettre  fur-le-champ  en  leur  pouvoir ,  avec  ipenaces  . 
de  les  décapiter  au  pied  même  des  remparts  s'ils  fai- 
Xoient  la  moindre    réfiftance«    Ils   étaient  en  fi  petit 
nombre,  qu'ils  fe  fournirent  fans  balancer. 

Les  Rochelois  fe  vovant  maicxes  de  leur  ville  ^  don-     Privilèges 
lièrent  audi-tôt  avis   de   cet  heureux  événement  aux  tlwwnts^Ai 
princes  &  au* connétable.  Ces  feigneurs ,  après  avoir  la  Rochdc. 
foumis  en  pafiant^Saint-Maixent  ôc  Its  châteaux  de      Tréfordes 
Merle  &  d'Aunai ,  fe  rendirent  à  Poitiers  où  ils  reçu-  ^*^^^/'^''^^* 
rent  les  députés  de  la  Rochele.  Les  habitants,  avant  &7J'/*''  ^*^ 
que  d'ouvrir  les  portes  de  leur  ville  aux  troupes  Frartr     KccœuU  des 
çoifcs  ^  faifoient  des   demandes  qu'on  ne  pouvoit  leur  ^''^"oiff^d. 
acorder  fans  le  confentement  du  roi.  Douze  des  prin-      chron.  MS. 
xipaux  bourgeois  vinrent  k  Paris  pour  cet  éfet.  Charles 
les  reçut  avec  fon  aj^bilicé  ordinaire ,  les  combla  de 
raréfies ,  leur  prodigua  les  préfents  ^  4c  les  gratifia,  de 
privilège  encore  plus   confidérables  que  ceux  qu'ils 
<iemafidoient#  Outre  la  réunion  irrévocable  de  la  ville  • 
au  domaine  de  la  couronne  ^  &  la  démolition  de  la 
citadele  ,    fans  que  jamais   on   pût  en  conftruire  de 
,Aouvel6  ,  le  rot  leur  promit  de  n'aâeoir  aucune  impo- 
fition  que  de  leur  con&ntement ,  de  ne  point;  donner 
leur  pfév6té  en  ferme.   H  a  été  déjà  fait  mention  de 
i'ufage  où  ron  étoit  alors  d'afermec  les  revenus  dés 
prévôtés  &  des  vicomtes*.  Le  monarque  s'engagea  de   ^Vv^dans 

iLJ/rj'  •  1  ^_J^      ce  même  vol,  à 

plus  à  détendre  aux  juges  de  orononcer  contre  eux  des  tannée \]6^ 
amsendes  arbitraires  :  il  fut  ré»é  que  dans  le  cas  <rà  les 
iunendes  paroi  troient  indifpeniabies ,  elles  feroient  taiDées 
par  deux  bourgeois  de  la  ville.  A  tant  de  grâces  11     • 
ajouta  la  nobleUe  pour  tous  les  maires  &  échevîns  pr^ 
jfents  &  à  venir  •  l'exemtion  des  droits  de  francs*ne& 

Hhhij 


4i8  Histoire    DE  Fraîtce, 

■  en  faveur  des  habitants  non  nobles  j  de  plus  franchîfc 
Ann.  1571.    &  liberté   entière  ,  fans  afl'ujétifl'ement  à  aucuns  droits 
pour  leur  commerce  tant  intérieur   qu*èxtérieur.    Les 
députés  comblés  des  marques  de  bienveillance  du  prin- 
ce ,  revinrent  en  faire   le  ràport  à,  leurs  concitoyens. 
La  citadele  fut  à  Tinftant   démolie ,  &  peu  de  jours 
après  le  connétable  âcompagné  feulement  de  deux  cents 
lances  ,  vint   prendre    pofleffion  de   la  ville  au  nom 
du  roi. 
Rédu<^ion  de       La  réduâion  de  la  Rochele  fut   fuivie  de  la  con- 
piiifieurs  pia-  quête   de  la   plupart  des   places   qui    tenoient  encore 
Froiffard  &  P^"^  ^^^  Auglois  dans  le^'proviftces  d'Aunis  ,  de  Sain- 
la  autres  hif-  tonge  &   de  Poitou.  Bcuon ,  Moran ,  Surgere  ,  Fon^ 
torieiu.  tenaî-lc-Comtc  y  &   plufieurs   autres   forffereflbs    furent 

emportées   d'allaut^  ou  abandonna  par  les  ennemis. 
Une  partie  de  la  garnifon  de  Benon  fut  paffée  au  fil 
.i        dé  Tépée,  &  ceux  qui  tombèrent  vifs  efttre  les  mains 
des  François    furent  peildus  ,  parce  que   David   Ole- 
gi-ané  ,•  gouverneur    de  cete   place-,  a  voit  fait  couper 
le  nez  &  les  oreilles  à  plufieurs  Rochélois  qui  fe  trou- 
vèrent à  Benon  dans  le  temps  que  la  Rochele  fe  re- 
mit fous  robéilfance  du  roi.  Le  refte  de  la  garnifon 
s'étoit  retiré  dans  le  château.  ^Ils  furent  bientôt  for-^ 
Cruautés     ^^^  de  fe  rendre  à  difcrétion.*  Cliflbn  qui  àflTftoit  à  ce 
commifcçpai*  ^^^g© >  demanda  qu^on  les  lui  remît,  pour  en  difpofer 
ciiffott.  à  la  volonté  ;  ce  qui  lui  fut  acdrdé.  il  fe  mit  alors  à 

lUdem.      Ja  poitè  de  la  tour  ,  &  maffacroit  les  Anglois  à  me- 
fùrfc  qu'ils  fortoient ,  jurant  qa*il  les  traiteroit  toujours 
"de  même  par-tout  où  il  les  trouveroit.  Il  fendit  avec 
fa   hache    d'armes  les  têtes   des   quinze    premiers  qui 
defccndirent.  Ces  meurtres  commis  de  fang-  froid  fu- 
rent blâmés.  Ceft  de-lk  probablement  qu'on  lui  donna 
le  furnom  de  Boucher. 
Sîcgc  de        Pour' achever  la  réduôton  entière  du  Poitou,  il  ne 
Thouars.        reftoit  olus  à  foumettre  que  Thoiiars,  place  extrême- 
Uidm.      ment  fortifiée,  dans  laquele  les   feigneurs  Poitevins, 
demeurés  fidèles  à  Edouard,  s'étoient  renfisrmés,   dé- 
terminés à  ne  fe  rendre  qu'à  la  dernière  extrémité» 


CiTAAIES      V.  429 

te  connétable  fit  les  préparatifs  néceflaîres  pour  une  ■ 

conquête  de  cete  importance.  La  place  fut  inveltie,  &  les  ^^^*  ^î7i- 
ataques  pouffées  avec  une  vivacité  qui  laifla  peu  d'ef- 
pérance  aux  afliégés  de  réfifter  long- temps  s'ils  n'é- 
toient jpuiflamment  fecourus.  On  employa  de  l'artillerie 
à  ce  nege.  Du  Guefclin  avoit  fait  conftruire  à  la  Ro- 
chele  &  à  Poitiers  de  grands  engins  ,  &  fondre  dts 
canons  qui  foudroyèrent  les  remparts  ?ivec  tant  d'im- 
pétuofite ,  que  ceux  qui  défendoient  la  place  deman- 
dèrent à  capituler.  Le  connétable  qui  vouloit  épar- 
gner les  troupes  autant  qu'il  étoit  poilible ,  confentit 
de  fufpendre  les'  ataques ,  à  condition  que  les  afliégés 
fe  rendroient  &  fe  remettroient  ^  ainfi  que  leurs  terres , 
à  l'obéiflance  du  roi  ,  à  moins  que  le  rot  d'Angleterre 
ou  l'un  des  princes  feis  enfants ,  k  la  tête  d*une  armée  ert 
état  de*  livrer  bataille  >  ne  fe  préfentaflent  pour  déga- 
ger la  ville  avant  le  vingt-neuf  Septembre  fuivant , 
pur  de  faint  Michel  :  on  étoit  alors  au  mois  de  Juin. 
La  capitulation  étant  fignée  de  part  &  d'autre ,  les  aflié- 
geants  fe  retirèrent.  Ces  fortes  de  conventions  s'exécu- 
toient  alors  inviolablement. 

Les  feigneurs  renfermés  dans  Thouars  députèrent  k    EJonard  for- 
.  Londres  pour  donner  avis  du  traité  qu'ils  s'étoient  vus  î^oJac^t^rircc 
contraints  d'accepter.  Ces  fâcheufes  nouveles   étonné^  cnGuîenne. 
rent  le  confeil  d'Angleterre.  Edouard  frapé  de  ce^dif-      Uîdem. 
grâces,  confécutives  ,  demeura  quelque   temps  penfif ,    ^l'^om^* 
fans   proférer  une  parole  ;  mais  on  pouvoit  remarauer  ^art.  jT'  *  * 
fur  fon  vifage  la  violence  des  divers  mouvements  aont 
il  étoit  agité.  Il  ne  lui  reftoit  des  vaftes  projets  de  fon 
ambition  que  le  regret  de  n'avoir  pu  conferver  le  fruit 
de  tant  de  viâoires  au'il  fe  voyoit  ravir  en  moins  de 
deux  campagnes.  A  ta  fin  il  rompit  le  filence   pour 
éclater  en  menaces.   Dans  les  tranfports  de  fa  colère  ^ 
il  protefta  qu^il  tntnroit  en  France  arme  fi  putjfamment  ^ 
qù^il  abatroit  la  puijfancc  du  rot ,  &  qu^îl  ne  retour-^ 
neroit  jamais   en   Angleterre  qù^il   nUût  recmquis  ce 
qu^on   lui  avoit  enlevé  j  ou  perdu  le  démourant*.   Oïl     ^Urefia 
préparoic  alors  en  Angleterre  un  armement  coniidé^ 


430  HisToiRi  DB  France^ 

^SSSSSSSS  rable,  qui  devoit  incefTamment  débarquer  à  Calais  fous 
Aaa.  xj7ft.    les  ordres  du  duc  de  Lencaftre.  La  deftinacion  fut  chan- 
gée :  on    augmenta  le  nombre  des  troupes  ,  &  il  fîit 
réfolu  qu'on  porteroit  tout  Téfort  des  armes  en  Guienne» 

ài&^^'    ,,^e  roi  d'Andetcrre ,  qui  depuis  long- temps  fem- 

chron.MS.  ^^^^^  avoir  pcrdu  Thabitude  de  paroitre  à   la  tête  de 

Rymtr^  aii.  fcs  armécs  ^  voulut  commander  lui-même  cete  expé- 

fubL^tom.  5.  idition  :  il  n'oublia  rien  pour  en  afTurer  la  réu(Hte«  Les 
feigneurs  &;  la  noblefle  Angloife  acoururent  fe  ranger 
fous  fes  drapeaux.  Jamais  armement  plus  formidable 
n'étoit  forti  des  ports  de  l'Angleterre.  Le  prince  de 
Galles  dont  le  féjour  de  Londres  avoit  paru  ranimer  la 
fanté)  acompagnoit  fon  père.  Avant  le  départ  on  prit 
des  mefures  qui  alTuroient  la  couronne  aii  jeune  Ri- 
chard en  cas  qu'il  furvécût  à  fon  perè  &  k  fon  aïeul. 
Le  duc  de  Lencaftre ,  les  autres  fils  du  roi  j  les  prin* 
ces  y  prélats  &  barons  de  la  grande  Bretagne  confa- 
crerent  par  leurs  ferments  cete  difpofition.  Le  mo- 
narque Anglois  en  s'éloisnant  de  fes  Etats  ,  créa  Ri- 
chard lieutenant-général  du  royaume  pendant  fon  ab- 
fence  ,  afin  d'acoutumer  de  bonae  heure  les  peuples  à 
le  reconnoitre  pour  leur  fouverain.  Les  troupes  s'em- 
barquèrent au  port  de  Hantonne.  La  flote  portoit  trois 
mille  hommes  d'armes  &  dix  mille  archers.  Cete  ar« 
méâ^  devoit  fe  joindre  à  deux  mille  quatre  cents  hom- 
mes d'armes  qui  fe  rafTembloient  aux  environs  [de 
Niort  9  des  diferentes  parties  de  la  Guienne  foumilès 
à  Edouard. 
Edonarf  ne      Charles  informé  de  ces  préparatifs  ,  donnoit  de  foa 

cn^Fra^c?**  côté  les  Ordres  néceflaires  pour  opofer  aux  ennemis 
Uidtni  ^^^  forces  capables  de  leur  réfifter.  Le  Poitou  étoît 
rempli  de  gens  de  guerre  :  on  ne  voyoit  de  tous  côtés 
Que  des  troupes ,  qui  fe  rendoient  à  l'armée  Françoife 
oevant  Thouars»  où  l'on  ne  doutoit  pas  qu'il  ne  (e 
livrât  une  fanglante  bataille.  Cete  atente  fut  démentie 
par  rév^pement.  On  eût  dit  que  les  éléments  écoienc 
'  d'acord  avec  la  fortune  pour  taire  avorter  les  defleins 
d'Edouard.  Lorfqu'il  fut  «mbarqué^  il  s'éleva  ua  vent 


Charles    V.  431    . 

contraire  quilerepoufla  toujours  des  côtes  de  France,  ^ssss^^r^ 
Il  atendit  envain  un  changement  favorable  :  après  Aim.  1^7^* 
avoir  luté  pendant  neuf  femaines  contre  les  vents  & 
les  âots  conjurés  ,  voyant  enfin  aprocher  le  ternie 
marqué  pour  la  délivrance  de  Thouars  ^  &  perdant  ref- 
pérance  de  fauver  cete  place  ,  il  fe  vit  contraint  de 
rentrer  dans  Tes  ports  :  il  licencia  une  partie  de  fon 
armée ,  défefpéré  d'avoir  manqué  fon  entreprife  dont 
il  croyoit  le  fuccès  infaillible.  Ce  fut  alors  que  ne 
pouvant  diflimuler  fon  chagrin 9  il  dit,  en  parlant  du 
roi  de  France  :  li  n^y  eut  oncaues  roi  qui  moins  fe 
armât ,  Çf  Ji  n^y  tut  oncqucs  roi  qui  tant  me  donnât 
à  faire. 

Au  jour  indiqué  l'armée  Françoife  conduite  par  le  Reddition  de 
connétable ,  fe  préfenta  ïîevant  Thouars  ,  &  je  tint  Thouars. 
rangée  en  bataille  jufqu^au  foir.  Elle  étoit  compoféo,  Hf^dtm. 
de  dix  mille  lances  &  d'une  infanterie  nombreufe. 
Les  ducs  de  Berry ,  de  Bourgogne  &  de  Bourbon  ,  le 
dauphin  3' Auvergne,  le  maréchal  de  Sancerre,  les 
feigneurs  de  CliUon,  de  Laval,  de  Roban,  de  Suity, 
une  foule  de  chevaliers  &  de  barons  y  étoient  acou- 
rus  brûlant  du  deftr  de  fîgnaler  leur  valewr  Des  trou- 
pes fi  redoutables  par  le  nombre  &  par  le  courage^ 
donnoient  tout  lieu  de  préfumer  que  les  Anglois  n'euf- 
fent  pas  facilement  empêché  la  reddition  de  la  place.. 
Ce  fut  peut-être  un  bonheur  pour  Edouard  de  n  avoir 
pu  aborder  eh  France.  Les  leigneurs  Poitevins  exé- 
cutèrent de  bonne  foi  la  capitulation ,  &  promirent  de 
fe  rendre  inceflamment  k  Poitiers  pour  renouveler  a» 
roi  Thommage  de  leurs  perfonnes  &  de  leurs  terres. 

L*iarmée  fe  fépara  immédiatement  après  la  rédudion 
de  Thouars.  La  prife  de  cete  place  acheva  la  conquête 
&\x  Poitou,  de  TAunis  &  de  la  Saintonge  :  il  ne  refla 
plus  que  quelques  fbrterefTes  petr  importantes  bcupées 

Îar  les  Anglois  ,  &  qui  ne  pouvoîent  tenir  long-temps. 
-e  général,  les  princes   &  les  feigneurs  François  re- 
tournèrent k  la  cour   recevoir  les  félicitations   d'une 


432  Histoire   de   FRANcr, 

'  J  campagne  fi  glorieufe  ,  &  concerter    avec  le  roî  les 
Ann.  1371.    difpoficions  de  la  guerre  pour  Tannée  fuivante. 
Ordonnance      Charles  du  fond  de  fon  cabinet  dirigëoit  les  opéra- 
^cndzmcTit'  ^^^^^  militaires.  Ce   monarque  éclairé  ne  1:)ornoit  pas 
Premier  régi/'-  ^^^  foins  à  ces  mouvcments  tumultueux,  que  la  né- 
tre  de  la  cour  céffité    de  réparer    les   malheurs  pafTés  rendoit  inditi^ 
i'ifilrfo^''^'  penfables.  Dans  le   même   temps  qu'il  fongeoit  à  ré- 
Recœuii  dis  tablir  par  les  armes  la  gloire  &  la  iplendeur  de  l'Etat , 
ordonnances.     \\    rempliffoît  des  d^voirs  plus  fatisfaifants    pour  fou 
cœur ,  &  plus  chers  k  l'humanité.  Il  s'ocupoh  du  bon- 
heur de  les  peuples.   Il  faloit  fon  génie  &  fon  cou- 
rage pour  entreprendre  de  réprimer  les  défordres  cau- 
fés  par  les  gens  de  guerre ,  fur-tout   dans  un  temps 
où  leurs   fervices  étoient  fi  nécefTaires  :  c'eft  ce  qu'il 
ofa  exécuter ,  &  le  fuccès  r^ondit  à  la  droiture  de  fes 
jlntentions.   Lorfqu'il  eut  confulté  les  princes,  les  gé- 
néraux &  les  prmcipaux  chefs  de  fes  troupes,  car  il 
s'étpit  prefcrit  pour  règle  inviolable  d'écouter  tous  les 
avis  ,  il  rendit  une  ordonnance  pour  la  police  mili- 
taire ,  qui ,  en  acordant  aux  défenfeurs  de  l'Etat  les 
avantages  &  les  hbneurs  légitimes  qui  leur  font  dûs, 
afluroit  la  tranquilité   publique.   Par   ce  règlement  le 
connétable  ,  les  maréchaux  &  le  grand-maître  des  ar- 
balétriers, eurent  ordre  de  choifir  des  lieutenants  char- 
gés de  la   revue  des  troupes,  &   de  ne  point  foufrir 
qu'on  employât  dans  les  rôles  de  montres  d'autres  que 
ceux   qui  fe  préfenteroient  en  perfonne.  On  découvre 
dans  cete  inuitution   l'origine   des  infpeâeurs  militais 
res.  Il  fut  étroitement  défendu  à  tout  nomme  d'armes 
de  fe  retirer  fans  la  permiflion  de  fon   oficier    fupé- 
rieur,  fous   peine  de  perdre  fes  apointements  ^  de  ja- 
mais rien  exiger  des  habitants  des  villes  &  des  cam- 
pagnes fans  payer.    Injonâion    précifc   aux    gens  de 
guerre  cqngédi^  de  fe  retirer  chez  eux  fans  commet- 
tre aucun  défordre  fur  leur  route  ;  obligation  indifpen- 
lable  d'obtenir  des  commiflîons  expreflfes  du  roi,  des 
pr^nçps.  4u  f^ng  ou  du  général,  pour  lever  des. com- 
pagnies 


^ 


Charces    V.  4J3 

pagnles.  Si  Toir  fe  rapele  la  licence  qui  régnoit  dan^  ■■ 
ce  temps  où  chacun  le  faifoic  chef  de  fa  propre  auto-  Ana.  157t. 
rite  ,  on  doit  fentir  combien  ce  dernier  article  étoit 
imoortant,  &  d'une  exécution  délicate.  Enfin  pour 
prévenir  plus  éficacement  les  excès  des  gens  de  guerre, 
cete  ordonnance  rendit  les  commandants  des  compa- 
gnies refponfables  de  la  conduite  de  ceux  qui  leur 
ëtoient  fubordonnés.  Chaque  compagnie  fut  fixée  au 
nombre  de  cent  hommes  d'armes.  On  peut  obferver 
en  pallant  que  Jes  compagnies  de  cent  hommes  n'é- 
toient  pas  d'une  ijiftitution  moderne.  Les  commandants 
de  ces  troupes  recevoicnt  cent  francs  d'apointçments 
par  mois. 

Le  roi  réforma  pareillement  les  vexations  pratiquées  ibid.  fid.  1% 
par  les  gouverneurs  &  commandants  des  places ,  qui  ^^^^» 
exigeoient  des  habitants  des  fommes  confidérables  ^ 
fous  prétexte  d'exemtions  de  guet ,  de. garde,  ou  d'au- 
tres lervices.  En  réprimant  les  exaâions  des  gens  de 
guerre ,  le  prince  avoir  fagement  pourvu  à  leur  fub»- 
fiftahce ,  en  réglant  Tordre  des  .  revenus  deftinés  au 
paiement  des  troupes.  C'étoit  fur  les  aides  qu'on  levoit 
les  fonds  nécelTaires.  pes  commiflaires  furent  nom- 
més pour  veiller  à  U  rentrée  des  fommes  dues  par  les 
receveurs  particuliers  au  tréfor  royal.  Chacun  de  ces 
receveurs  étoit  tenu  de  remettre  tous  les  mois  au  tré-^ 
forier- général  l'argent  qu'il  avoit  dans  fa  cajfle,  & 
ce  tréforier  ou  receveur- général  devoît  repréfenter  • 
pareillement  tous  les  mois  l'état  de  fa  recete  aux  gé- 
ïiëraux  des  aides.  Tele  étoit  dans  fon  origine  la  jurif^ 
diâion  de  Ja  cour  des  aides. 

L'ignorance  &  la  multiplicité  des  élus  obligèrent  le  Uidmt 
confeil  d'en  diminuer  Iç  nombre ,  &  d'en  réformer  le 
choix.  Mais  ce  fut  principalement  fur  Ijes  fergents  que 
tomba  le  poids  de  la  prolcription.  Cete  vermine  avoit 
pullulé  au  point  que  les  villes  &  les  campagnes  en 
ëtoiç.nt  infettées.  On  en  retrancha  la  plus  grande  par- 
tie ,  &  Ip  nombre  d.e  peux  qui  refterent  nç  fut  ençpre 
que  trop  grand. 

Tome  V.  I  i  i 


434  Histoire  de  Frakce, 

==      Une    ordonnance   de   Hugues   Aubriot,  prrévôt  de 
Ann.  1J71.    Paris,  fournit  au  roi  Pocation  de  témoigner  aux  Pa- 
Si^low^ar  rifiens  combien  il  étoit  fatisfait  de  leur  zèle  &  de  leur 
Paris.  atachement.    Le  magiflrat  vouloit  obliger   les   bour- 

RtgifircA.de  geois  d'aqulter  les  droits  de  francs-fiefs  pour  tous  les 
fS!l\i^velfi^  nobles  QuHls  avoient  aauis,  fous    peine   contre 

Recœuii  dà  ceux  qui  négligeroient  d*y  {atis^ire ,  ou  de  repré- 
ordonnancts.  fenter  des  lettres  tie  noblefle  qui  les  en  exemtaflent, 
de  perdre  leurs  poffeffions.  Une  pareille  ordon- 
nance étoit  direâement  contraire  aux  immunités  dont 
les  habitants  de  la  capitale  jouiïToient  depuis  un  temps 
immémorial  ^  fous  la  proteâion  de  leurs  fouverains* 
Le  roi,  fur  les  remontrances  du  corps  municipal, 
confirma  de  nouveau  les  privilèges  qui  donnoient  aux 
citoyens  de  la  première  ville  du  royaume  les  droits 
atribués  à  la  nobleffe,  tels  que  k  hailj  ou  la  garde* 
noble  de  leurs  enfants  &  de  leurs  parents ,  la  liberté 
d'aquérir  des  fiefs  &  ariere-fiefs ,  &  de  les  pofféder 
avec  les  mêmes  prérogatives  que  les  nobles  aextrac- 
tion  ,  de  pouvoir  faire  ufage  de  freins  dorés ,  &:  des 
autres  ornements  militaires  atachés  k  Tétat  de  cheva- 
lier ;  enfin  d'être  admis ,  ainf^.  que  les  gentilshommes 
d'extraâion  ,  k  Tordre  de  chevalerie.  Nous  vèrons  plu- 
fieurs  fois  dans  le  cours  de  cete  hifloire  nos  monar- 

3ues   renouveler  en  faveur  des  Parifiens  ces  marques 
e  diftinâion  &  de  bienveillanee. 
Tutlupins ,      On  vit  cete  année  un  exemple  de  la  févérité  de  ce 
hérétiques,      tribunal  redoutable  , .  établi  pour  maintenir  la  pureté 
|;„""habTts*  de   la  croyance  par  la  terreur  des  fuplices.  Les  inqui- 
brûiésàParîs.  fiteurs  de  la  foi   condanerent   au  feu  les  livres  &  les 
CAro«.M5.  habits   d'une   feâe   d'hérétiques    nommés    Turlupins  j 
^)ml'icléfiaft^  JSe^art/^ ,  ou  la  compagnie  at  pauvreté.  Les  erreurs  de 
tom.\o.         ces  malheureux  étoient  un  mélange  groflier  du   Ma- 
Gioff.  du   nîchéifme  &  du  fanatifme   des   Vaudois.  Ils  choifif- 
LohiécLpar  foient  pour  demeures  les  campagnes  déferres.   On  les 
dUiricouTts    apeloit  Turlupins,  parce  que  femblables  aux  loups, 
idit.de  17^6.  JI5  fe  retiroient  dans  les  bois  &  dans  les  autres  lieux 
les  plus  folitaires  &  les  plus  éloignés  du  commerce 


Charles    V.  43^ 

des  hommes.  Aux  opinions  condanables  dont  ils  écoîent  ■- 

înfeâés ,  ils  ajoutoîent  une  dépravation  de  mœurs  pouf-  Ann.  ij7*4 
fée  jufqu'à  la  plùs^brUtale  diilblution.  »  Ils  foutenoient 
yy  qu*on  ne  devoit  avoir  honte  de  rien  ;  que  tous  les 
99  objets  naturels  étant  les  ouvrages  de  Dieu ,  leur 
»  vue  n'étoit  pas  capable  d'alarmer  la  pudeur  ».  En 
çonféquence  de  leurs  principes  ,  ils  découvraient  leur 
nudité  ^  &  fe  mêlaient  indiféremment  camme  les  bétes , 
yy  ne  diflinguant  pas  de  Tinftitution  divine  le  défordre 
99  introduit  dans  le  monde  par  le  péché  du  premier 
99  homme  >y.  L'exécution  de  la  fentence  prononcée  con- 
tre cete  abominable  doârine ,  fe  fit  dans  la  place  de 
Grève,  où  les  livres  &  les  habits  des  Turlupins  fu-* 
rent  jetés  au  feu.  Le  lendemain  un  homme  &  une 
femme,  convaincus  de  cete  héréfie,  furent  livrés  aux 
flammes  dans  le  marché  aux  paurceaux.  L'homme  étoît 
mort  pendant  l'inftruâion  du  procès.  Son  corps  fut 
confervé  dans  de  la  chaux  éteinte  jufqu'aù  jour  def- 
tiné  pour  le  fuplicc.  La  femme  apelée  Perronne  d'Au- 
benton,  fut  brûlée  vive. 

II  paroît  que  ces  pernicieuCes  erreurs  avoient  fait 
àes    progrès  ,    &    que   dans   quelques    provinces    de 
France   les  juges  féculiers  ne  le  prêtoient  pas  volon- 
tiers aux  rigueurs  qu'on  exerçoit  contre  ceux  qui  s'en 
étoient  lailTé  corompre  :  car  le  pape  Grégoire,  dans  R^^f^l^^!^-^' 
Iine  lettre  du  même  temps  adreUée  au  roi ,  fe  plaignit  iutm.i^  &  to. 
99  eue  plufieurs   perfonnes  de  l'un  &  de  l'autre  fexe 
>^  de  ta  feâe  des  ^égards  ou  Turlupins  femoient  di- 
>f  verfes  héréfics  contre  lefqueles  les  inquifîteurs  avoient 
>^  déjà  commencé    des    procédures  ;  mais  que  les  ofi- 
99  ciers  royaux ,  loin  de  foutenir  les  juges  écléfîaftiaues , 
>^  les  traverfoient  dans  l'exercice  de  leur  jurifdiaion , 
>^  donnoient  des  lieux  mal  sûrs  pour  emprifonnçr  les 
j^  coupables  d'héréfîe  ,  ne  permettoient  pas  aux  înqui- 
>>  fîteurs  d'inftruire  le  procès  fans  l'intervention  du  juge 
99  féculier,  ou  les  forçoîcnt  de  montrer  leurs  procé- 
99  dures  ;  que   fouvent  mênje    ces  oficiers  élargiflbienc 
99  de  leur  autorité  privée  ceux  que  l'inquifition  tenoic 

1  i  i  i j 


43^  HisToiRi  DE  Frawce; 

Ï55SÎ55S;  »  renfermés  w.  Ces  plaintes  nous  inftruifent  des  rcftrîc- 
Ànn.  i}7%.   tions  Eportées  dès-lors  au  pouvoir  des  inquifiteurs.  Quoi- 
que nos  rois  ,  nés  proteâeurs  d'une  religion  toute  fainte  ^ 
&  qui  ne  refpire  que  la  douceur  &  Thumanité,  prê- 
tafTent  le  glaive  de  la  puilTance  temporele  à  la  jurif- 
diâion  fpirituele  y  leur  intention  cependant  n'a  Jamais 
été  que  \qs  tribunaux  deftinés  à  conferver  Tuniformité 
de  la    croyance ,   paflaffent  les  limites  qu'ils  avoient 
prétendu    leur    prefcrire.    C'eft  pour  répondre  à  des 
vues  fi  fages  y  que  les  magiftrats  féculiers  fe  font  cru 
permis  dans  tous  les  temps  de  fe  fervir  de  la  voie  de 
réclamation  contre  les  entreprifes  qui  leur  paroifibient 
abufives.  Les  inquisiteurs   nommés  arbitrairement ,  & 
fuivant  les  ocafions  plus  ou  moins  preflantes  d'employer 
leur  miniflere  y  ne  formoient  point  un  ordre  de  juges 
confiant  &  régulier.  Il  n'étoit  donc  pas  extraordinaire 
de  \ts  voir   quelquefois   multiplier  par  ignorance  ou 
par  ambition  les  objets  fournis  à  leur  infpeâion  :  mais 
prefTés  H'un  côté  par  l'autorité  féculiere  ,  &  de  l'autre 
par  celle  des  évêques  qui  fe  font  toujours  regardés  en 
France  comme   les  feuls    juges  y  en   matière  de  doc- 
trine, avec  les   fouverains   pontifes  j  leurs  entreprifes 
ont  été  facilement  réprimées. 

Les  Frères  Prêcheurs  ou  Dominicains  continuoient 
toujours  d'exercer  avec  les  Frères  Mineurs  les  fondions 
de  commifTaires  délégués  pour  juger  les  hérétioues 
fous  l'autorité  du  roi,  qui  fournifToit  même  les  &ais 
de  leurs  procédures  (a)  ;  mais  le  gouvernement  veil- 
lant avec  atention  fur  leurs  démarches ,  les  empêcha 
d'aquérir  en  France  ce  pouvoir  exceffif  au'ils  fe  font 
atrioué  dans  d'autres  Etats.  Le  roi  ,  maigre  fon  ref- 

(  tf  )  On  trouve  dans  les  anciens  comptes  plufiears  mëmoîres  de  ces  frais , 
pareils  à  celui  que  Ton  rapone  ici.    »  A  frère  Jaques  de  Marc  ,  de  Tordre  des 

3>  Frères  Prêcheurs  ,  inquihteur  des  B de  la  province  de  France  ,  pour 

a>  &  en  récompenfation  de  pluficurs  peines  ,  miffions  &  dépenfes  qu^il  a  eues  & 
»  foutenues  en  faifant  la  pourfuice  des  Turlupins  &  Turlupines \  qui  trouvés 
9>  U  pris  ont  été  en  ladite  province  ,  &  par  fa  diligence  punis  de  leurs  mépren- 
9»  tures  &  erreurs ,  pour  ce  cinquante  francs  >>.  Comptt  dt  ta  prévoté  de  Paris, 
raportidans  U  Glojfaircdi  du  Cange. 


C  R   A   R  C  E   s     y 4  437 

peâ  pour  les  avertiflements  du  faint  père,  ne  crut  pas  ==S 
devoir  impofer  filence  à  fes  oficiers.  Ann.  1 571. 

Lts   excommunications  prononcées  par  les  ofîciaux    Excommuni- 
cono-e  les  débiteurs  qui  refufoient  de  fatisfaire  leurs  j^JJ^"*  ^^ 
créanciers,  étoient  devenues  fi  communes,  que  ceux     Kegîftn  4 
qui  fe  trouvoient  frapés  de  ces  foudres ,  ne  fe  pref-  du  parlement , 
loient  pas  de  conjurer  Torage.  Le  roi  crut  qu'il  étoit  ^^^jj^^^^/^^j 
de   fa  juftice   de  coriger  cet  abus.  Four  cet  éfet,  il  ordonnances. 
çnjoi^nit  par  une  ordonnance  précife  à  tous  les  juges 
féculiers   de   contraindre  ceux  qui  auroient  encouru 
Texcommunication    pour    detes  ,    de  fe  faire  relever  ^ 
de  leur  interdit ,  &  d'employer  la  rigueur  des  moyens 
juridiques   pour  les  y  obliger.    Ce   même   règlement 
contenoit  en  même- temps  un  ordre  aux  juges  éclé- 
fiaftiques  de   n'exiger    qu'une  fomme   modérée    pour 
les  abfolutions  qu'ils  acorderoient  dans  la  fuite  à  ceux 
qui   fe   foumettroient  à  leur  jugement  ,  en   aquitant 
leurs  detes. 

Les  mœurs  ^  cete  partie  fi  effençiele  de  l'adminifira*     Femmes  Au 
tion  intérieure  de  l'Etat ,  excitèrent  l'atention  du  prin*  "J^ïï  rJ"^ 
ce.    La  licence ,   fuite  inévitable  des  temps  de  trou-  viJ^'dû^cu* 
ble,  avoit  introduit  une.  dépravation  prefaue  générale*  teUt^foi.  47 
Paris   fur-tout  fembloit  être  devenu  le  théâtre  de  la  ^^^Ècœuii  des 
diifolution.    Le  roi  remit  en  vigueur  les  fages  régle^  ordonnâmes. 
ments  de  Louis  IX  contre   cete  débauche   grodiere , 
aufli  pernicieufe  à  la  fociété ,  que  contraire  à  la  reli- 
gion. Le  faint  monarque  avoit  profcrit  par  fes  ordon- 
nances les  afyles  coniacrés  à  la  proftitution.  Charles , 
en  renouvelant  ces  toix ,  qu'on  avoit  malheureufement 
trop  négligées  depuis  quelque  temps ,  chargea  fes  ofi- 
ciers ,  &  principalement  le  prévôt  de  la  capitale ,  dont 
Texemple   n'influe  que  trop  fur  les  autres  villes  ,  de 
tenir  la  main  à  ce  que  les  propriétaires  des  maifons 
ne  Iqs  donnaiTent  point  à  loyer  a  ces  infortunées  viâi- 
mes  de  l'incontinence  publique,  fous  peine  de  payer 

Îjar  forme  d'amende  une  année  de  loyer  de  leurs  mai- 
bns.  Cete  ordonnance  fut  rendue  fur  les  plaintes  de 
l'^vêque  de  Châlohs  &  de*  quelques  bourgeois  de  Fa* 


43?  Histoire  de   Frafce, 

-'  ris ,  demeurant   dans   la   rue  Chapon  au  Marais ,  o^ 
Ann.  IJ71.    plufieurs  dd  ces  femmes  s'écoienc  établies. 
Aquifition         En  s'atachanc  à  recouvrer  par  les  armes  les  provin- 
l-Âa^c^^"^      ^^^  démembrées   de  la  France  fous  le  règne  précé- 
chl^e  des  ^^^^ *>  Cliarlcs  ne  laiflbic  pas  échaper  les  ocafions  qui 
comptes,  mi-  fe   préfentoiewt  d^augmencer  Tétendue   de  fes  domai* 
mor.Dj.iiZy  nç^  p^^j.  jçj  aquifitious  plus  tranquiles.  Jean  de  Châ- 
D^iiia.    l^^s  ^  comte  de  Tonnerrç,  lui  vendu  le  comté  d'Auxerre, 
Tréfor  des   moyennant   la    fomme   de  trente  mille   francs    d'or. 
Chartres.        Auffi-tôt   que  le  marché  fut    conclu,  le  monarque 
mit   irrévocablement  ce  comté  au  patrimoine    royal. 
Par  les  lettres  d'union ,  la  villç  ôç  fon  territoire  furent 
annexés  au  bailliage  de  Sens. 
^  ufî^ft^^*'^*      I^e  roi  vers  ce  même  temps  porta  fes  vues  fur  un 
&àUno2?cflc  ufage  abufif  qui  s'étoit  introduit  dans   les  finances ^ 
de  fc  faire  ad-  dont  la  réfornie  étoit  à  fous  égards  de  la  dçrniere  im- 
wfs"  ^"  ^   portance.    Une    infinité    de  perfonnes ,  qui   par   leur 
ck.  des  c.  ^^^^}  leurs  emplois,  leurs  dignités  &  leur  naiffance, 
frtémoriai  D ,  devoieut  fermer  leurs  çœiirs  à  la  paffioQ  de  s*enrichir  p 
^^Relluir^s  ^^^^^^^  ^^  Téciat  de  Tor,  fe  rendoient  adjudicataires 
çrdona^nctSf    àvL  produit  des  revenus  publics.  Tout  le  monde  con- 
voi toit    ces    marchés   lucratifs.    Oétoit  à  qui  fe  feroit 
infcrire  fur  Ip  rôle  dçs  afpirants.    Dans^  la  lifte  des 
fermiers   en  exercice  ou  en  expeâapve,  on  comptoit 
des  ofîciers  du  roi  ^  des  fergents  d'armes ,  des  avocats  , 
des  gentilshommes ,  on  y  comptoit  des  éçléfiaftiques  : 
outre   Tindécence  de  voir  des  gens  deftinés  à  remplir 
des  fondions  tout  opofées  ,  fe  transformer  en  finan- 
ciers ;   on  fent  comoien  un  pareil  abus  étoit  préjudi- 
ciable aux  intérêts  du  roi ,  par  la  facilité  que  leur  don- 
noit  leur  crédit  de  fe  rçndre  çn  quelque  forte  les  ar- 
bitres du    prix  des  baux.    Un  règlement  févere  ren- 
voya les  avocats  au  fècours  de  leurs  clients,  les  fer- 
gents d'armes  k  la  guerre ,  les  oficiers  du  roi  à  leurs 
emplois ,  &  les  éçléfiaftiques  au  miniftere  dj^s  autels. 
Le  monarque  par  fon  ordonnance  défendit  k  ces  difé- 
fents   ordres  de  perfonnes ,  ainfi  qu'k  la   iiobleflc  de 
fon  royaume,  de  fe  préfenter  déformais  pouf  afermcr 
ks  impofipoQ^. 


C  H  A  R  X  s^  s    V.  43^ 

L'emploi  d*un  hiftorien  feroic  trop  agréable  ,  s'il  ?^— ^— *' 
n'écoit  obligé  que  de  raporter  la  fuite  de  ces  difpofitions  Aon.  1571. 
fi  fages  9  répandues  dans  les  ordonnances  de  la  plupart  Continuation 
de  nos  rois.  On  quite  avec  peine  ces  inftruâives  &.combirdr' 
douces  ocupations  ^  fruits  bienfaifants  d'un  gouverne-  chîzax. 
ment  paifible  y  pour  pafTer  aux  opérations  tumultueufes  Froiffard. 
de  la  guerre ,  où  1  orare  des  feits  nous  oblige  de  rentrer.  ^*^^"'  ^^* 
Les  ennemis ,  depuis  la  réduâion  de  Thouars ,  s'étoient 
retirés  k  Niort  &  aux  environs  y  pour  protéger  les 
places  qui  n'a  voient  pas  encore  été  foumifes  par  les 
armes  Françoifes.  La  rapide  aâivité  du  connétable  ne 
les  laifTa  pas  long-temps  en  repos  dans  ce  pofte.  L'hi* 
ver  n'étoit  pas  encore  fini,  qu'il  rentra  dans  le  Poitou 
avec  un  corps  de  troupes  compofé  de  ^quatorze  cents 
lances.  Il  vint  au  plutôt  inveftir  Chizai ,  château  ex- 
trêmement fortifié,  à  quatre  lieues  de  Niort.  Ayant 
choifi  un  lieu  avantageux  pour  Tafliete  de  Ton  camp , 
il  le  fit  entourer  de  retranchements  &  de  paliflades , 
enforte  qu'on  ne  pouvoit  le  forcer  au  combat*  Tou- 
tes les  troupes  Ângloifes  acoururent  des  provinces 
voifines ,  fe  raflembîerent ,  &  formèrent  une  armée , 
dans  la  réfolution  de  lui  faire  lever  le  fiege.  Ce  i^tr^ 
nier  éfbrt  que  les  ennemis  tentèrent,  ne  fervit  qu'à 
multiplier  leurs  pertes.  S'étant  préfentés  devant  les 
François,  du  Guelclin  aiTembla  le  confeil  de  guerre^ 
&  la  bataille  fut  réfolue.  A  Pinflant  il  partagea  fes 
troupes  en  trois  corps  ,  fit  abatre  un  partie  des  re- 
tranchements de  Ton  camp ,  &  s'avança  de  front  vers 
l'armée  Angloife  ,  ayant  pris  la  précaution,  avant  que 
de  fe  mettre  en  marche ,  de  détacner  deux  cents  hom- 
mes pour  tenir  en  refpeâ  la  garnifon  du  château ,  & 
l'empêcher  de  faire  aucun  mouvement  favorable  à  l'en- 
nemi. On  fe  bâtit  des  deux  côtés  avec  une  valeur , 
non  avec  une  fortune  égale.  Les  Anglois  furent  entiè- 
rement défaits  :  aucun  n^cchapa  ;  tous  furent  tués  ou 
faits  prijbnniers.  La  forterefle  affiégée  fe  rendit  incon- 
tinent. Quoique  la  garnifon  fe  fût  remife  à  la  difcré- 


44^  Histoire  de  Prahce, 

g— ™*— TT!  tîon    dès   vainqueurs  ,  ils  en  uferenc  généreufcment , 
Axui.  1)71.    en  la  fkifanc  conduire  jufqu'à  Bordeaux. 
Bidttdiondc        Les    troupes  viâorieufes    s'aprocherent   enfuite   de 
«fedu^ol-    Nîo">  dont  on  vint  leur  préfenter  les  clefs.  Luzigna, 
cou.'  "  ^*     forterefle  eftimée  alors  imprenable ,  n'atendit  pas  qu'on 
lUdm-      Taraquât  pour  capituler  :  Châtel-AUart  ,  Mortemar  , 
enfin  toutes '  les   places  qui  reftoient  encore  à  conqué- 
rir, fubirent  le  joug.    Le    connétable    ayant  entière- 
ment founiis  le  Poitou ,  l'Aunis  &  la  Saîntonge  iufqu'à 
la  rîvipre  de  Gironde  ,  revint  à  Paris ,  où  les  ducs  de 
3çrry,.de   Bourgogne   &  de    Bourbon  &  les  autres 
princes  &  feigneurs,  s'étoient  déjà  rendus  aux  ordres 
du  roi ,. qui  les  avoit  riiandés  pour  concerter  avec  eux 
fur  les  moyens  de  prévenir  les  mauvaifes   intentions 
du  dqc  de  Bretagne. 
Afajrcs  de        Malgré  tant  iréforts  inutiles ,  Edouard  n*avoît  pas 
Bretagne.        ^-enonçéjà  Tefpérance  de  rentrer  dans  la  poffcflîon  des 
Frolfàrd.     provincéç  que.  les   François  lui  avoient  enlevées.  Les 
liift.dcBret.  biepfaits  dont  le  duc  de  Bretagne  lui  étoit  redevable, 
Vitmic  ^^  ^^^  permettoient  pas  de  douter  qu'il  ne  dût  compter 
4u  Guefcfin.     fur  woe  recpnnoiffance  fans  bornes.  Il  n  avoit  pas  mis 
cetj5  rçflburce  en  ufage,  tant  qu  il  s'étoit  jugé  allez  fort 
par  lui-même;  pour  ne  pas  employer  de  fecours  étran- 
gers; mais  la  fituation  de  fes  afaires  le  contraignit  enfin 
ce  changer  dé  fyftêmè.   Il  voyoit  chaque  jour  croître 
î'afcendant  que  la  fortune  de  Charles  prenoit  fur  la 
fienne.  Dans  une  circonftance  iî  critique  ,  il  crut  ne 
devoir  plus  rien  négliger.   Jean  de  Montfort ,  duc  de 
Brçt&gne,  arutant  par  inclination   que  par  gratitude, 
eqtra  «dg.ns  fes  vues.  Le  monarque  Ânglois ,  affuré  des 
di/ppfitiofts   du  duc  ,   tenta  un  autre  projet ,  dont  la 
Tentative  d'E-  ^"^^^  ^^t  été  très  défavantageufe  à  la  France. 
douard  pour       Ou  ^  VU  i précédemment  de  quele   utilité   les   flores 
détacher  le  roi  Efp^g/tioles  avoient  été  pour  faciliter  les  conquêtes  de? 
f aiiancc^^de  ^  François  dans  la  Guienne.  Le  roi  d* Angleterre  eflaya 
Charles-         de  détàchcr  Henri  de  Tranftamare  des  intérêts  du  roi 
Hifi.  iEfp.  de.  France.  Li  négociation  étoiç  (Jélicate.  Le  duc  de 
^'''''"'^  '      Lencaftre 


Charles    V.  441 

Lencaftrei  roi  titulaire  de  Caftiile,  réclamoît  publi-  ïï==ï!!!^ 
Quement  les  droits  de  Confiance  fon  époufe,  fille  de  Aon.  1371. 
]redre.  Une  pareille  prétention  rendoit  néceflairemenç 
les  deux  puifTances  ennemies  déclarées.  Edouard  fe 
flata  de  Tefpérance  de  furmonter  cet  obfiacle ,  en  fa- 
crifiant  des  droits  que  fon  fils  ne  pouvoit  pas  «faire 
valoir  :  le  duc  de  Lencaftre  y  confentit  lui-mêftie ,  & 
fe  chargea  du  choix  d'un  négociateur.  Il  jeta  pour 
cet  éfet  les  yeux  fur  le  roi  de  Navarre.  Ce  prince, 
depuis  le  dernier  traité  de  Vernon,  avoit  paru  tran- 
quile  :  dévoré  intérieurement  du  ddfir  de  nuire ,  tandis 
Gu'il  afeâoit  au  dehors  un  fincere  atachement  ;  il  ne 
ralut  pas  employer  des  folicitations  bien  preflantes 
pour  l'engager  à  faifir  une  ocafion  fi  favorable  de 
latisfkire  fon  penchant  naturel  à  faire  du  mal.  Muni 
d'un  pouvoir  authen||que  d'Edouard  &  de  la  procu- 
ration du  duc  de  Lencafire,  il  fe  rendit  fccrétement 
à  Madrid,  où  pour  lors  étoit  le  roi  de  Caftille.  II 
ofrit  à  xe  prince,  <le  la  part  du  roi  d'Angleterre  & 
du  duc  de  Lencaftre ,  une  renonciation  de  ce  dernier 
à  la  couronne  de  Caftille ,  &  de  plus  un  défiftement 
de  la  guerre  que  les  Anglois,  difoit-il,  fe  préparoient 
à  lui  déclarer,  pourvu  que  de  fon  côté  il  voulût -fe 
détacher  de  toute  aliance  avec  la  France,  n^exigeant 
au  refte  qu'une  fommé  d'argent  dont  on  conviendroit 
pour  l'entier  dédommagement  des  prétentions  du  dup 
de  Lencaftre. 

Le  généreux  Caftillan,  indigné  d'une  pareille  pro^    Réponre«o- 
pofition  ,  la  rejeta  fans  héfiter.   Il  répondit  au  Navar-  Me  du  roi  de 
rois   qu'il  étoit  incapable  d'oublier  ce  qu'il  devoit  au  ^^  j^^ 
roî  de  France  ;  que  jamais  il  ne  balanceroît  entre  fou 
propre  intérêt  &  l'honeur  de  rempUr  fes  engagements , 
&  «qu'on  ne  devoit  pas  fe  flater  qu'il  abandonnât  fon 
alié,  quelques  conditions  avancageufes  qu^on  lui  ofrit. 
A    cete   réponfe  ,   aufïi  noble  que  précifè  ,  il   ajouta 

3u*auffi-tôt  que  la  paix  feroit  conclue  entre  les  rois 
e    France  &    d'Angleterre ,  le  duc   de    Lencaftre  le 
jOrouveroic   toujours  difpofé  à  fe  prêtçr  de  bonne    foi 
TomçK  Kkk 


442^  Histoire   pe  Fraîtce, 

!■  !  au  projet  d'un  acommodemenc  raifonnable.  Henri  de 

Ann.  IJ7X.    Tranflamare ,  après  avoir  déclaré  fes  intentions   d'une 
manière  fi  digne  d'un  grand  prince,  fe  crut  autorifé 
à  rifquer  quelques  reprjéfentations  au  roi  de  Navarre. 
Il  eflaya  de  lui  faire  lentir  combien  fa  conduite  arti- 
ficieyfe  étoit  déshonorante ,  Tabus  coupable  qu'il  fai- 
foit  de  fon  efprit  &  de  fes  lumières ,  &  Toprobre  éter- 
nel dont  il  fe  couvroic  en  déshonorant  fa  naiflance  & 
le  nom  de  roi ,  par  le  perfonnage  aviliiTant  de  traître 
&  de  parjure.   Henri   prodigua  vainement  les   exhor- 
tations ;  Charles  -  Ip  -  Mauvais  étoit  incorigiWe-    Il  fe 
retira  mortifié  de  n'avoir  pu  réuffir  dans  fa  négocia- 
tion, &  courut  dans  fes  Etats  de  Navarre  cacher  fa 
honte  &  fes  regrets, 
situaiiondcs      Edouard  ^le  Fut  pas  dédommagé  du  mauvais  fuccès 
ragnc^diVpJfî-  ^^  ^^^^  intrigue  par  le  dénouement  abfolu  avec  lequel 
lions  de  la  no- le  duc  de  Btetagtie   entra  dans  toutes  fes  vues.  Des 
Yct5^d"la*'    pl^ft^cles  trop  puiflants  s'opoifoient  à  la  bonne  volonté 
France.  de  ce  prince.   Le  roi ,  par  fes  manières  bienfaifantes 

Ckron.MS.  &  par  ks  libéralités,  s'étoit  concilié  Tafeâion   pref- 
mfifd^Brit.  ^^^   générale   de  la  nobleffe   Bretonne.    Depujs   que 
yie MS.de  IM^onnorty  délivré  de  fon   compétiteur,  jouïlToit  fans 
duGuefdin.     contradiâion  de  la  pofFeffipn   tranquile   du  duché,  il 
avoit   paru   trop  négliger  le  foin  de  gagner  les  cœurs 
de   fes  nouveaux  fujets.    Les    gentilshommes  fe   plai- 
gnoient  de  ce  qu'en  toute  ocaîîon  il  afeftpit  une  pré- 
férence marquée  pour  les  Angloîs ,  gratifiant  ces  étran- 
.    gcrs  de  tous  les  emplois  &  de  tous  les  honeurs  qui 
venoient  à  vaquer   dans  la  province  ,  au  préjudice  des 
naturels  du    pa)rs,  auxquels   .ces    dignités   fembloient 
apartenir  de  droit.  L'amour-propre  &  l'intérêt  ne  par- 
donnent gueres  de  pareilles  injuftices  :  auffi  le  duc  fe 
vit -il  toujours  contrarié  par  les  feigneurs   qu'il  avoit 
aliénés.  D'un  autre  côté,  les  peuples  de  cete 'province 
qui  refpiroient  à  peine ,   après  avoir  éprouvé  pendant 
vingt- trois  années  toutes  les  horreurs  de  la  guerre  la 
plus  cruele,  ne  formoient  des  vœux  que  pour  la  con- 
tinuation d'une  paix  dont  ils  jouïiToient  depuis  fi  peu 


Charles    V.  443 

de  temps.  Les  Anglois   avoient  commis  tant  de  rava-  ï 

ges  en  Bretagne,  que  leur  nom  y  étoit  détefté.  Le  Ann.  1575. 
duc  rifquoit ,  en  fe  déclarant  pour  eux ,  d'exciter  un 
foulévement  général.  .Cete  crainte  fufpendit  quelaue 
temps  Téfet  de  fon  inclination.  A  la  fin ,  ce  qu'il  ae- 
voit  à  Edouard  l'emporta  fur  l'intérêt  de  fes  Etats  & 
fur  fa  propre  tranquilité.  Il  feroit  injufté  de  blâmer 
ce  prince  d'une  conduite  imprudente  faris  dout&,  & 
que  la  politique   peut  condaner ,  mais  que  la  recon-  , 

noiflance  fembloit  lui  prefcrire.  Le  roi  d'Angleterre 
Tavoit  aflifté  contre  Charles  de  Blois  de  fes  troupes 
&  de  fes  finances  ;  il  lui  avoit  lone-temps  acordé  un  ' 
afyle  dans  fes  Etats  ;  il  lui  avoit  tait  époufef  fa  fille 
dans  un  temps  où  fa  deftinée  étoit  encore  incertaine. 
Le  duc  ne  pouvoit  fe  diffimuler  à  lui-même  ces  obli- 
gations :  il  paroiflbit  même  les  avouer  en  quelaue  forte 
publiquement,  en  fe  montrant  fenfible  aux  difgraces 
d'Edouard.  Les  feiçneurs  Bretons  n'ignoroient  pas  ces 
dif])ofitions  ;  mais  ils  feflatoient  que  leur  prince  crain- 
droit  de  compromettre  fon  autorité ,  en  luivant  aveu- 
glément fon  penchant-  pour  l'Angleterre.  Le  vicomte 
de  Rohan  ,  le  fire  de  Laval  ,  les  autres  chefs  de  la  . 
noblefle  ,  lui  déclarèrent  leurs  fentiments  avec  fi-an- 
chîfe  :  Chicr  firt ,  lui  dirent-ils  ,  Jitôt  que  nous  pouvons 
apercevoir  que .  vous  vous  fere^  partie  pour  le  roi  d^An-- 
gleterre  .  nous  vous  relinauerons  *  .  &  mettrons  hors  de     ^^f'^^'^àon- 

^r%  *  .    '  lierons^ 

Bretagne. 

Une  pareille  menace  ne  produifit  d^autre  éfet  que  Leduc  de  Brc- 
d'obliger   le    duc    à    fe    ccmtraindre    encore    pendant  cachet  "fo?"^ 
quelque   temps ,   &  k  prendre    toutes  les  précautions  penchant  pour 
qu'il  crut  néceflaîres  pour  dérober   aux   feigneurs  la  l'Angleterre. 
connoîflknce  de  fes  véritables  intentions.  Sçs  démar-      '*'^*'»* 
che^  cependant  ne  purent  être  tenues  fi  fecretes ,  aue 
lê  myftere  dont  il  prétendoit  les  couvrir  ne  fût  révélé. 
Kaermartin ,  qui  preique  feul  de  la  nobleffe  Bretonne 
;ivoit    rhoneur    d'être  admis   dans   le   confeil   intime, 
rendoit  compte  aux  feigneurs  de  toutes  les  réfolutions 
qui  s'y  prenoient.  Cç;  fut  par  fon  canal  qu'ils  apri- 

Kkkij 


444  Histoire   DE    France, 

■     '     rent  1  aliance  que  le  duc  avoit  contraâée  avec  Edouard* 
Ann.  IJ73.    Ce   traité,  qui  avoit  été    précédé  de  plufieurs  négo- 
Rym.aB.putL  ciations  &  pourparlers  préliminaires  entre  les  minil&es 
^p^\i96%oi\  afidés  du   prince   &  les  plénipotentiaires  nommés  par 
204,106,10^,  Edouard ,  contenoic  une  ligue  oïenfîve  envers  &  contre 
Tréfor  défi    ^^^^  >  ^  fpécialement  contre  le  roi  de  France.  Le  roi 
chartr.  lajetu  d'Angleterre  s'ençageoit  d^affifter   puiflammént  Mont- 
^'""ibiYla  hu  ^^^^  ^"  ^^^  ^"'^^  ^"^  ataqué  ,  &  lui  donnoit  outre  cela , 
Angi/K^iN!  en  indemnité  des  frais  de  la  guerre  k  laquele  il  aloit 
DuTiiUt.    s'expofer  ,   le   comté   de   Richemond  en  Angleterre ^ 
&  les  terres  apartenantes  aux   Anglois  entre  la  Bre- 
tagne   &  le   Poitou.    Le  règlement   de    ces    différents 
articles  fe  fit  à  plufieurs  reprises,  parce  que  le    duc 
prévoyant  tout  le  danger  de  Téclat  que  cete  confédé- 
ration ne  manqueroit  pas  de  produire  ,  héfitoit   tou- 
jours ,  &  vouloit  ne  fe  déclarer  qu'à  la  dernière  ex- 
trémité. La  noblefle   de  fon  côté   veilloit  fur  la  con- 
duite de  ce   prince ,  dont  elle  étoit  exadement  infor- 
mée par  Kaermartin.  Œnfin  cet  infidelç  confeiller  leva 
le   mafque ,  en  remettant  au  vicomte  de  Rohan   une 
Ipttre,  avec  laquele  ce  feigneur  fe  fit  rendre  quatre  de 
fes  fortereffes   que  le  duc  ocupoit*  Ces   places  étoienc 
Vhelgouet,  Carhaix,  Châteaublanc  &  Châteaulin.  Les 
compagnies .  qui  les    gardoient   les  livrèrent  ,   fur  ila 
promette  que   leur  fit  le   vicomte   d'aquiter   la    paye 
qui  leur  étoit  due. 
Lcduc<cdé-      Le  duc  alors   ne  croyant   plus  devoir    rien   mena- 
ciarc.  La  no-  ger ,  conclut  définitivement  fon  traité  avec  Edouard , 
vll'i'rl^^^^^^^    &    reçut   garnifon   Angloife   dans   Kemper ,  Morlaix 
Froîjfard.      &  Leineveu.  Ce   fut  le  fignal  du  foulévement  :  aufli- 
Hift.de  Breu  lot    toute    la   Bretagne    fut  en    armes.    Lts  Anglois 
Argentrl.     ^toient  à  peine  entrés  dans  Morlaix  &  dans  Lefneven, 
oii'ils  en  furent  chadés.  Les  Bretons  les  maflacrercnt. 
Cependant    Salifburi  avec  une  fiote  de  .quarante  voi- 
^  les  ,  s'aprocha  des  côtes ,  &  vint^  brûler  dans  le  port 

de  Saint- Malb  fept  vaifî'eaux  Efpagnols.  Montfort  qui 
voyoit  l'orage  fe  grollir  à  tous  moments  ,  apek  [t% 
Anglois  à  la  défenfe  de  fes. plus  fortes  places.  Il  leur 
livra  Breft,  Kemperlé,  Concq  &t  Hennetond. 


Charles    V.  445 

Cependant  les  feigneurs  Bretons ,  pour  aflurer  le 


nciirs 


promt  éfet  de  la  révolution  qu'ils  méditoient,  s'adreflè-    Ann.  1375 
rent  au  roi  de  France ,  &   Tinviterent  à  faire  paffer  ^^^^^^^^^^1 
des    troupes   en   Bretagne,  afin  de  prévenir  la  Jclonic  icntTes  Fran- 
de    leur  duc.  Tandis  qu'ils  atendoient  le    retour   des  «<>«• 
députés   qu'ils  avoient  envoyés  au  roi ,  plufieurs  pla-      -f*''^^'»- 
ces   s'étoicnt   déjà  fouftraitcs  à  4  obéiflance   de  Mont- 
fort.    Le   vicomte   de  Rohan/avoit   furpris    Vannes; 
Laval    s'étoit    rendu   maître  de  Rennes;  d'autres  fei- 
gneurs fournirent  les  villes  de  Dinan ,  de  Dol  &   le 
château  de  Ceffon.   Le  duc  tenta  quelques  éforts  pour 
arêter  le  torrent  :  il  vint  mettre  le  fiege  devant  Saint- 
Mahé  ,  d'où  il  recevoit  inceflamment  des  nouveles  de 
la   furprife  ou  de  la  défeétion   de  quelques-unes  de 
fes  places. 

Le  roi  n'avoit  pas  befoin  d'être  vivement  prelTé  ^^  «>»  fait 
d'entrer  dans  le  reffentiment  des  feigneurs  Bretons.  dc^Tcugn?^ 
Cet  événement  lui  fourniffoit  une  ocafion  tele  qu'il  saréponfc. 
pouvoit  la  defirer ,  de  punir  le  duc  de  Bretagne  du  i^/V*«. 
paffage  qu'il  avoit  donné  aux  Anglois  &  des  autres 
fujets  de  mécontentement ,  que  fon  atachement  trop 
marqué  aux  intérêts  d'Edouard  lui  avoit  caufés.  Tou- 
tefois, comme  Charles  fe  montroit  dans  toutes  fes 
démarches,  fcrupuleux  obfêrvateur  des  formes  juri- 
diques y  il  ne  voulut  point  commencer  les  hoftilités  y 
fans  y  être  en  quelque  forte  autorifé  par  des  prélimi- 
naires juftificatifs.  Pour  cet  éfet  il  envoya  fommer  le 
duc  de  Bretagne  de  s'aquiter  des  devoirs  de  vafTal  de 
la  couronne ,  en  s'abftenant  de  recevoir  dans  les  terres 
de  fa  domination  les  ennemis  du  royaume ,  &  en 
alEftam  au-contraire  le  roi.  fon  feigneur  dans  la  guerre 
qu'il  avoit  déclarée  au  roi  d'Angleterre.  Le  duc  ré- 
pondit au  premier  article ,  qu'à  Tégard  du  pafTage  y 
â  conferftoit  de  le  refufer  dans  ta  luite  ;  mais  qu'il 
ne  pouvoit  fe  foumettre  au  fécond ,  en  aidant  le  roi 
de  France  contre  celui  d'Angleterre.  Il  aléguoit  pour 
mottf  de  ce  refus  le  traité  de  Brétigny  ,  par  lequel  il 
prétendoit  ne  pouvoir  être  contraint  y  eo  quelque  oca- 


44^  Histoire    de   France, 

?  fion ,  &  pour  quelaue  caufe  que  ce  fût ,  de  prendre 

Ann.  1375.    les  armes    contre  Edouard.  Il  ofric  de  raporter  pour 

preuve  de   ce  qu'il   avançoit,  des   lettres    fcélëes   des 

Iceaux  du  roi  &  des  ducs  de  Berry  &  de  Bourgogne. 

Le  roi,   fans  s'arêter  à  ces  excuies,  donna  ordre  au 

connétable  d'entrer  en  Bretagne  à  la  tête  des   troupes 

qu'il  avoit  fous  fon  commandement. 

cïtre  cn"^  B?c-      ^^  GucfcUn  cxécuta  les  ordres  du  roi  avec  toute  la 

tagne.  célérité  dont  il  étoit  capable.   Il  ralTembla  fou  armée 

Ibidem.      aux  cnvirous  de  Pontorfon  &  de  Bafoches,  &  parut 

^UMS^de  ^"^  '^^  frontières  de  Bretagne.  Sans  perdre  de  temps , 

duGuefciin.     il  viut  fe  logcr   aux  fauxDourgs  de  Rennes,  dont  le 

feigneur  de  Laval  s'étoit  déjà  emparé  j  ainfi  que  nous 

l'avons  obferyé    ci-deflus.   Le   corps    de  troupes   que 

conduifoit   le  connétable    fut   bientôt    augmenté    pat 

Tarivée  du  duc  de  Bourbon,  des  comtes  du  Perche, 

de  Sancerre  &  de  Soiflbns,  du  dauphin  d'Auvergne, 

du  vicomte  de  Rohan ,  des  feigneurs  de  Cliflbn  ,  de 

Rieux ,  de   Beaumont ,  de  Beaumanoir  &  des  autres 

chefs  des  principales  maifons  de  la  province. 

OF*^°f^»f^«      Dans  une  ii  fâcheufe   extrémité  le  duc  montra  un 

"c.  Ré^nfc    courage  fupérieur  à   fa  màuvaife  fortune.  Il  raflem- 

génércufcdc     bla  environ  fept  cents  hommes  d'armes,  avec  lefquels 

^yî"°^^'        il  tint  la  campagne  pendant  quelque  temps  ;  mais  la 

V'      ^^t*  partie  n'étoit  pas  égale.  Les  plus  prudents  de  fon  con- 

îeil  lui  remontrèrent  qu'il  étoit  à   propos   d'effayer  de 

calmer  cete  tempête  pat  une  fatisfaâion  aparente  ,  plutôt 

3ue  de  s*expofer  à  tout  perdre  par  une  fermeté  hors 
e  faifon  ;  qu'en  s'acommodam  au  temps ,  &  feignant 
de  renoncer  à  Taliance  de  TAngleterre  ,  il  ôteroit  par-lk 
tout  prétexte  au  foi  de  TataqUer,  &  aux  feigneurs 
Bretons  de  perfiftér  dans  leur  révolte.  Ce  confeil  étoir 
le  plus  avantageux  fans  doute  y  fi  Môntfort  avoît  pu 
fe  réfoudre  à  le  fuivre.  Sa  recorinoîflance"  envers 
Edouard ,  &  fon  reffentiment  contre  le  roi  de  France, 
formèrent  un  obftacle  infurmontable.  Il  affura  ceux 
de  fes  ferviteurs  qui  lui  donnoient  ce  falutaire  avis, 
^que  jamais  pn  ne  Iç  foumettroit  par  la  force,  & 


Charles     V.  447 

»  que  quand  il  devroit  périr ,  il  n'abandonneroit  point  - 

9>raliance  d'un  prince  qui  s'étoit  toujours  montre  fon  Ann.  1375. 
^y  ami ,  pour  lui  préférer  le  roi  de  France ,  fon  ennemi 
yy  déclare  ;  qu'envain  Charles ,  en  lui  faifanc  la  guerre  y 
^j^.  &  s'apliquant  à  gagner  fes  fujets,  fe  flatoit  deTavoir 
j^  à  fa  merci  ;  que  Jamais  il  ne  pouroit  le  réduire  à  mé- 
»  riter  les  trop  juftes  reproches  d^ingrcuitudc  &  de  baf- 
yy  ftjfc  de  courage  yy.  Vainement  on  infifta  pour  le 
déterminer  à  changer  de  réfolution ,  en  lui  repréfen- 
tant  que  le  roi  d'Angleterre  aprouveroit  lui-même  une 
pareille  conduite,  qui  ne  feroit  que  trop  juftifiée  par 
la  néceiïicé  :  il  fut  inébranlable.  Cete  inflexibilité  pré- 
cipita la  ruine  du  duc  ;  mais  elle  avoit  fon  excufe. 

Une  démarche  à   laquele   ce    prince  fe    porta    en  lc  duc  achevé 
même -temps,  à  la  perfuafion  de  Milleborne,  cheva-  dindifpofcr 

lier  Ar    ■  ^  ~ 

befoin 


extraot 

tent  fe  joignit  à  la  noblefl'e  :  le  fubfide  ne  fut  point 
payé.  Les  Bretons  apelerent  de  cete  vexation  au  roi 
&  au  parlement.  Le  duc  irité  voulut  eflayer  de  fou- 
tenir  fon  entreprife  par  Tapareil  des  fuplices.  Plufieurs 
de  ceux  qui  refuferent  de  fe  foumettre  à  Timpoiition  , 
furent  exécutés.  Ces  violences  qu'on  atribua  aux  An- 
glois,   aigrirent  de  plus  en  plus  l'inimitié  qu'on   leur 

{^ortoit.    Les  Bretons  les  exterminoient  par-tout  où  ils 
es  rencontroient. 

Enfin  le  duc  défefpérant   de  pouvoir   éteindre  Tin-     Embansda 
cendie    alumé    dans     prefque    toutes    les    parties    de  ^"^ 
la   Bretagne,   prit  la  réfolution  de  paffer   en  Angle-        ^^^, 
terre,  afin  de  foliciter  en  perfonne  des    fecours  plus 
éficaces  que  ceux  qu'il   avoit  reçus   jufqu'alors.   Aux 
premières   nouveles  que  reçut  Edouard ,  il  avoit  i&it 
partir  le  feîgneur  de  Neuville  avec  quatre  cents  hom- 
mes   qui   vinrent  débarquer  à  Saint- Mahé.   Les  An- 
glois  le  formèrent  un   camp  retranché,  fans  ofer  en- 
trer dans  aucune  place,  afin  de  ne  pas  iriter  davan- 
tage les  Bretons  :  mais  ces  ménagements  ne  calmèrent  . 


44^  HisTOïREDE  France, 

-  !  .pas  les   alarmes  que  caufoit  leur  préfence ,  &  ne  fer- 

Ann.  IJ7).    viretic  au-contraire  qu'à  redoubler  la  hardiefle  des  peu- 
ples ,  qui  s'aperçurent  qu'on  les  redoucoic.  Ces  troupes 
peu    nombreufes    fe    trouvèrent    expofées    en    même- 
temps  aux  ataques  des  François  &  a  la  fureur  des  ha* 
bitants^  qui  ne  leur  faifoient  aucun  quartier. 
Lcducpaflc     •  Le   connétable   cependant  s'avançoit   toujours   fans 
^"  JiLm^"^'  rencontrer    aucun    obftacle  fur   fon  pafTage.   Le    duc 
prefque  environné  de  tous  côtés,  tant  par  les  troupes 
Françoifes  que  par  fes  propres  fujets,  reculoit  toujours 
devant  un  ennemi  fupérieun  Craignant ,  s'il  tardoit  da- 
vantage ,   de  fe   vbir  fermer  tous  les   chemins   d'une 
retraite  qui  aloit  devenir  indifpenfable ,  il  prit  la  route 
d'Aurai  ,  où  il  laifTa  la  ducheife  fon  époufe  fous   la 
^arde  du  gouverneur   de  cete  place,  le  feul   dont   là 
ndélité   ne   lui  étoît  pas  fufpeàe.    Cete  féparation  le 
toucha    plus   fenfiblement   que   fes    autres   infortunes. 
L'hiftoire  de  Bretagne  raporte  qu'il  verfa  des  larmes , 
&  qu'alors  il  fe  repentie   d'avoir  fuivi  trop  inconfidé- 
rément  les  confeils  pernicieux  de  Milleborne ,  qui  lui 
avoit   fuggéré  d'affeoir   l'impofition  d'un  fouage  dans 
un    temps   où   l'afeâion   de   fes    fujets  lui  étoît  plus 
avantageufe    que  tout  l'argent  qu'il  avoit  efpéré   tirer 
d'une   pareille  exaâion.   D'Aurai   il  vint    s'embarquer 
à  Concq,  d'où  il  fe   rendit  à  Portfmouth,  abandon- 
nant la  défenfe  du  refte  de  fes  Etats  à  Robert  Knolles , 
qu'il    avoit   établi    lieutenant- général  de  la    province 
pendant  fon  abfence. 
Rédadion        Le  départ  du   duc  fut   fuivi  de  la  réduâîon  de  la 
ils ^\  Ms^d"  P^"P^^^  ^^^  places ,  que  fes  troupes  ocupoient  encore 
Brctigncr    ^  ^H  Bretagne.  Le  connétable  toujours  adif  fembloit  fe 
Uidem.      multiplier  pour  les  réduire.    Dinan  ,  Vannes ,  Jugon , 
Luzuniont,  Guy-la-Foreft  ,    la  Rochederien,  Guin- 
^  camp  ,  Saint  -  Mathieu  de   Finepoternc  ,    Kemperco- 

rentm,  Saint-Malo ,.  Ploermel  ,  ne  firent  aucune  ré- 
fiftance.  De-là  du  Guefclin  vint  former  le  fiegc  d'Hen- 
nebond ,  place  très  forte ,  que  l'on  avoit  vu  foutenir 
les    plus  rudes  aflauts  fous  le   règne  de  Philippe   de 

Valois, 


Charles    V.  449 

Valois  *.    La  ville  étant  inveftie  ,  on  drelTa  les  machi-  ^  ! 

nés  de  guerre  pour  favorifer  les  ataques.  On  fit  ulage    Ann,  n??.' 
de,  canons  à  ce  fiege.  Le  générât  François ,   dont  la    *T?r'^.^^* 
maxime  étoit  de  ne  laifler  jamais  refroidir  Tardeur  de  ^'"  '^^^^^' 
ks  troupes^  réfolut  d'emporter  la  place'  par  un  afTaut 
général.   Les  Anglois   fe  défendirent  avec  intrépidité , 
aidés   par  les   habitants   qui    combatoient   avec    eux. 
Le  connétable  s'étant  avancé  allez  près  pour  être  en- 
tendu ,  s  adrelTa  aux  bourgeois  qui  paroifToient  fur  les 
murailles  :  EcouU[  y  leur  d^t-il ,    hommes  de  céans  y  il 
tfi  certain  que   nous  vous  conquerrons  tous  ^  &  foupe-- 
rons  encore  enmiit  [  aujourd  hui  ]  en  cete  ville  y  mais  s^il 
y   a  nul  des  vôtres  qui  jeie  pierre  ne  cartel  ^  tant  foit 
hardi  ,   par    quoi   le   plus   petit    de   nous  &    de   nos 
garçons  Jbit  blejféy  à   Dieu  je  voue  ,  je  vous  ferai  à 
tous  tollir  *  la  vie.  Cete  menace  intimida   ti  fort   les      *  Sur. 
habitants  9  qu'à  Tinfta  :t  même  ils  fe    retirèrent.   Les 
Anglois  fe  trouvant  alors  en  trop  petit  nombre  pour 
garder     les    fortifications   qui   étoient    très    étendues , 
rarent  forcés  de  tous  côtés  y  &  pafTés  au  fil  de  Tépée. 
On  tint  exaâement  la   promeflb  faite  aux  habitants: 
la  ville  fut  préfervée  du  pillage. 

D'Henncbond  le  connétable  vint  fe  préfenter  devant  sîcgcsJcdift- 
Breft,  que  défendoit  Robert   Knolles  avec  une    forte  "°"/J^^''' 
garnifon.   Cliflbn  dans  ce  même  temps  fe  détacha  du 
ficge,   pour  aler  former  celui  de  la  Roche- fur -Yon 
en  Poitou  y  fuivant  les  ordres  qu'il  avoit  reçus  du  duc 
d'Anjou*    Breft  fit  une  fi  vigoureufe   réfiftance ,   que 
Ton   délefpéra   de  l'emporter   d'aflaut.    Afin  de    faire 
dîverfion ,  on  afliégea   Derval  y    place  apartenante   à 
Knolles.  Du  Guefcîin  efpéroit  par-là  engager  le  généf 
rai    ennemi  à  ouiter  Breft,  pour  voler  à  la  défc^nfe 
de  fon  propre    néritage.    Pendant   ces   divers  m^ve* 
ments   les   feigneurs    Bretons    preflbient  vivement   le 
fiege  de  Bécherel  qu'ils  avoient  tormé.  Après  la  réduc^ 
rion  de  la  Roche-lur-Yon  qui  capitula,  Cliflbn  revint 
îoindre  les    troupes    Françoifes    ocupées  au  fiege   de 
Perval.   Le  commandant  de  cete  place  voyant  qu'où 
TomcV.  LU 


4^0  Histoire   db   France, 

■  multîplîoit  les    ataqucs  avec  une  ardeur    qui  ne  lui 

Ann.  x}75-  permeccoit  pas  de  fe  âacer  de  tenir  encore  long-temps^ 
confentit  k  un  acord  avec  les  affiégeants,  &  promit 
de  fe  rendre  9  s'il  n'étoit  feçouru  dans  deux  mois  par 
une  armée  en  état  de  livrer  bataille.  Pour  sûreté  de 
fa  promeile  il  donna  des  otages ,  fuivant  l'ufage  pra- 
tiqué dans  ces  fortes  de  conventions.  Cete  capitula* 
tion  fut  confirmée  par  le  duc  d'Anjou. 
Uidenu  Tandis  que  Ton  continuoit  de  prefler  la  réduâion 

de  Breft ,  le  connétable  s'avança  vers  Nantes ,  dont 
les  portes  lui  furent  fermées.  Il  falut  compofer  avec  les 
habitants  9  qui  en  cete  ocafion  donnèrent  des  preuves 
d'une  fidélité  d  autant  plus  efiimable ,  qu'elle  étoit 
devenue  rare.  Ils  ne  voulurent  confentir  k  recevoir 
les  François  que  comme  gardiens  de  la  ville ,  qui  de-" 
voit  être  rendue  au  duc  aufli-tôt  qu'il  rentreroit  dans 
fon  devoir.  Ils  exigèrent  de  plus  que  les  revenus  pu- 
blics fuiFent  mis  en  fequeftre  entre  leurs  mains  jufqu'à 
ce  que  leur  fouverain  en  eût  difpofé.  La  réduâion 
de  cete  ville  achevoit  prefque  entièrement  la  conquête 
de  la  Bretagne  ^  où  il  ne  reftoit  plus  au  duc  que  les 
places  d'Aurai ,  de  13écherel  ,  de  IDerval  &  de  fireft. 
Capitulation  Cependant  le  fiege  de  Derval  avoit  opéré  Téfet  que 
f/c^*^*^^'^  le  connétable  avoit  prévu.  KnoUes  brûlant  du  dcfîr 
quciic"cur!  ^^  confcrvcr  une  fortercffe  dont  la  propriété  lui  àpar- 
Uidem.  tenoit,  parut  moins  ardent  k  la  défenle  de  Breft.  II. 
capitula  pour  cete  dernière  place ,  qu'il  promit  de  re- 
mettre au  pouvoir  des  François  dans  quarante  jours  i 
k  moins  qu'il  ne  fe  préfèntât  dans  ce  terme  une  armée 
aflez  forte  pour  en  faire  lever  le  fiege.  La  capitula- 
tion fut  acceptée  d'autant  plus  volontiers^par  les  Fran*^ 
çois ,  qu'il  n'y  avoit  point  alors  en  Bretagne  de  trou- 
pes ^^ez  nombreufes  pour  annuler  le  traité.  KnoUes 
délivré  du  foin  de  confervcr  Breft ,  courut^  aufIi<*jtoc 
k  Derval  y  dans  l'intention  de  ne  pas  exécuter  la  parole 
que  fon  comigandant  avoit  donnée  pendant  fon  ab* 
fence.  La  plupart  àts  troupes  Françoifes  fe  retirèrent 
alors  de  la  Bretagne  pour  rentrer  en  France ,  où  le 
roi  leur  ordonnoit  de  fe  rendre. 


C   H    A    R    L   E    s      V.     •  41J  r 

Du  Guefclin  arendic  afllz   patiemment  le  temps  li- 


mité pour  la  réduâion  de  Breft ,  Jorique  Saliftury,  Ann.  157J. 
qui  éroic  toujours  en  mer ,  vint  débarquer  près  de 
cete  ville  y  avec  des  croupes  plus  nombreules  que  celles 
quelles  François  écoient  en  état  de  lui  opofer.  Il  en- 
voya au  général  François  un  héraut  chargé  de  lui 
ofrir  la  bataille.  Le  connétable  oui  Te  trouvoit  campé 
avantageuiement  ^  lui  fit  répondre  "qu'il  defîroit  le 
combat  aufli  ardemment  que  les  Anglois  ,  pourvu 
qu'ils  vinflent  dans  un  lieu  où  il  pût  le$  combatre. 
oalifbury  renvoya  Ion  héraut ,  avec  ordre  de  dire 
que  fes  troupes >  compofées  de  foldats  de  marine,  n*é- 
toient  pas  acoucumée^  à  marcher  à  pied  ;  mais  que  fi 
les  François  vojloient  leur  envoyer  leurs  chevaux  ,  de 
bon  cœur  il  iroit  les  trouver.  Une  pareille  propoficion 
n*étoit  pas  recevable.  Cependant  le  jour  marqué  par 
la  capitulation  ariya.  Salilbury  ayant  vainement  acendu 
le  connétable  ,  rafraîchit  BrtLï  d'hommes  &  de  mu- 
nitions &  fe  rembarqua.  Lorfque  Knolles  fe  fut  rendu 
dans  fa  fbrtereflè  de  Derval  y  il  fit  fignifier  au  duc 
d'Anjou  y  ainfi  qu*au  connétable ,  qui  étoient  à  Nan- 
tes y  qu'il  ne  tiendroit  point  le  traité  (igné  par  fes 
gens  f  lefquels  ,  difoit-il ,  n'avoient  pu  compofer  fans 
ion  aveu.  Le  duc  d'Anjou  vint  audi-tôr  devant  la  Onrairmou. 
j>laçe.  Le  jour  marqué  pour  exécuter  la  capitulation  j|ç 'r7fa1n«  ** 
étant  arivé ,  il  fit  fommer  Knolles  de  fe  rendre  ;  &  ^^Ihid^* 
fur  fon  refus  il  l'envoya  menacer  de  faire  mourir  les 
otages.  Knolles  fans  s  émouvoir  y  répondit  qu'il  étoit 
réfolu  de  conferver  fon  château  ;  &  que  li  le  duc 
iacrifioit  Iqs  otages  à  fon  reffentiment ,  il  uferoit  de 
repréfailles  fur  des  chevaliers  qu'il  avoir  en  ion  pou- 
voir 9  pour  la  rançon  defquels  il  refufoit  cent  mille 
francs.  Le  duc  indiené  d'une  perfidie  acompagnée  de  Froiffard» 
tant  d^audace  ,  ne  fut  pas  aiîez  maître  de  fes  pre-  «-v^* 
fniers  tranfporcs.  Cependant  fur  lès  remontrances  ^« /^.Jf'  * 
Garfis  dtt  Chaftel  ,  maréchal  de  fon  armée,  qlii  lui 
repréfenta  que  la  mort  de  ces  otages  feroit  un  aâe 
^'inhumaiiité  qu*on  lui  reprochcroic  a  jamais ,  ce  prince 

LU  ij 


4^2  Histoire   de  France, 

!=îî!=5!  confentic  qu^on  les  relâchât.  On  aloit  les  mettre  en 
Ann.  Î373.  liberté,  lorfaue  rimplacable  ClifTon,  ennemi  juré  des 
Anglois  &  au  duc  de  Bretagne,  fiirvint,  &  fit  fuf- 
pendre  leur  délivrance.  Il  courut  aufli-tôt  vers  le  duc , 
&  le  menaça  de  ne  plus  s'armer,  s*ils  ne  mouroient, 
ajoutant  que  ce  fiege  avoit  coûté  plus  de  foixante 
mille  livres  ,  &  qu'il  étoit  jufte  que  les  ennemis  fuf- 
^  fent  punis  de  leur  déloyauté.  La  colère  du  duc  fe  re^ 
nouvela.  Jl  dit  à  Cliflbn  :  Meffirc  Olivier ,  faites  ce  vue 
bon  vous  femble.  A  ces  mots  Olivier  envoya  chercher 
le  tranche- tête.  Ces  malheureux  otages  ,  crittes  viâimes 
d'une  infidélité  dont  ils  n'étoient  pas  coupables,  fu- 
rent amenés  au  pied  des  murs  de  DerVal ,  &  décapités 
à  la  vue  des  afliégés.  A  peine  ce  te  barbare  exécution 
étoit-elle  achevée,  qu'on  vit  fortir  des  fenêtres  de  la 
fortereffe  un  échafaud  tout  dreffé ,  fur  lequel  on  traîna 
trois  chevaliers  &  un  écuyer,  dor\jc  on  fit  voler  les 
têtes  dans  les  fofTés  en  préfence  des  François.  Les 
ennemis  firent  aufli-tôt  une  (ortie  :  il  fe  donna  un  fan- 
glant  combat  aux  barieres,  dans  lequel  Cliflbn  fut 
dangereufement  blefTé  du  premier  trait  que  les  aflié- 
gés lancèrent.  La  violence  du  duc  d'Anjou,  qui  oca- 
iionna.ces  deux  aâes  d'inhumanité,  n'avança  pas  la 
reddition  de  Derval.  Il  falut  abandonner  le  fiege, 
fur  les  ordres  réitérés  du  roi.  Un  foin  plus  preflànt 
que  ne  Tétoit  la  continuation  de  la  guerre  prefque 
terminée  en  Bretagne,  rapeloit  les  généraux  &  les 
troupes  à  la  défenfe  du  royaume- 
Edouard  en-  Le  duc  de  Bretagne  fugitif,  dépouillé  de  fes  Etats , 
une  ar-  n'avoit  recoBuilU  d'autre  fruit  d'un  fi  grand  facrifice, 
LS*"  que  la  gloire  de  remplir  à  Tégard  du  roi  d'Angleterre 
tous  les  devoirs  de  la  reconnoiflance.  Depuis  qu'il 
étoit  a  la  cour  dŒdouard  ,  il  ne  ceflbit  de  preflcr  ce 
prince  de  lui  fournir  des  forces  fufifantes  pour  lé  ré- 
tablir. Il  méritoit  fans  doute  d'obtenir  ce  qu'il  deman<* 
doit ,  &  l'intérêt  de  l'Angleterre  femblok  d'acord 
avec  le  fien  ;  mais  le  monarque  avoit  d'autres  vues. 
Uniquement  ocupé-  de  fes  afaires  perfonnêles,  il  té- 


▼OIC 

mée  â 


Uidem. 


Charles    V.  4^3 

moîgna  peu  de  fenfibilité  pour  les  difgraces  d*un  alié  - 
malheureux.  On  préparoic  un  armement  confidérable  Ann.  137}* 
dans  les  porcs  d'Angleterre;  mais  les  troupes  qui  dé- 
voient s'embarquer  n^étoient  pas  deftinées  pour  la 
Bretagne.  Le  roi  ne  fongeoît  uniquement  alors  qu'à 
réparer  les  pertes  qu'il  avoic  faites  en  Guienne  ;  & 
pour  mieux  affurer  l'exécution  du  projet  qu'il  médi- 
toit,  il  avoit  réfolu  de  commander  lui-même  l'expé- 
dition. Ce  prince ,  qui  depuis  quelque  temps  avoit 
perdu  l'habitude   des  travaux  militaires  >  fembloit  ne 

f>as   s'apercevoir  qu'acablé  fous  le  poids  des   années, 
a  foibleffe    de  fon  tempérament  ne  répondoit  plus  à 
la  grandeur  de  fon    courage.  Il  ne  fe  rendit  qu'avec 
Mine  aux  infiances  de  fon  confeil ,  qui   lui  repréfenta 
les  fatigues  &  les  dangers  de  cete  entreprife  peu  con- 
venable à   fon   âge.  Le  duc  de  Lenc^iftre  fut  nommé     Rymer.  aB. 
général  de  Tarmée  compofée  de  trois  mille  hommes  ^^J^\  l^J^'  '  ' 
d'armes  &    de  dix  mille  archers.    Ces    troupes   étant 
débarquées  à  Calais  ^  furent  jointes   par  d'autres  com- 
pagnies y  &  formèrent    un    corps  de    plus    de    trente 
mille   hommes.   Le  duc  de  Bretagne  acompagnoit  le 
duc  de  Lencaftre.  Montfort  qui  fe  flatoit  de  lelpoir  de 
faire  fentir  au  roi  de   France   tout    le   poids  de  fon 
reifentiment ,  fit  'précéder  d'une  déclaration  de  guerre 
fon  entrée  dans  le  royaume.   Il  envoya  de  Calais  un 
héraut  chargé  de  prélenter  un  défi,  qui  par  fa  fingu- 
laricé   mérite   d'être    raporté.  »  Le   huit  Août   13  J 3      Défi  da  duc 
yy  furent  préfcntccs  lettres  au  roi   notre  Jire   de  par  le  ^^  Bretagne. 
yy  duc  de  Bretagne,   contenant  la  forme   oui    s' enfuit  :  y^J^^'^îJ^ 
>^  A  mon  très  chier  feiçneur  le  roi  de  France.    Sire 
9^  Charles  de  France ,  qui  vous  clamés  être,  fouverain  de 
w  mon  duchié   de    Bretaigne  ,  bien  eft  -  il   voir  *  que      *  vraU 
yy  puis  le  temps  que  je  étois  entré  en  h  foi  &  hom- 
9>  mage  de  la  couronne  de  France  y  j'ai  à  vous  tous 
9^  dits  fait  mon  devoir  envers   ladite  couronne  &  en- 
^^  vers  tous  autres    auxquieulx  il  apartenoit  ;  mais  ce 
9^  nonobfUnt  vous  ^  par  vous   &   par  vos  gens ,    fans 
y>  cognoifïance   de  caufe  ^  feulement   par    procez   de 


4^4  Histoire  dx    Frange, 

j^  ^  »  fait,  avés  faic  entrer  par  votre  commandement  votre 

Afin.  IJ7J.    »  connétable  à  *  votre  puîlTance  &  force  de  guerre  en 
^  avec.      »  mon  duchié  de  Bretaigne  ,  prins  tout  plein  de  mes 
3>  villes,  chai^eaux    &    forcereflës  ,  prins   prifonmers, 
yy  les   uns   rançonnés ,  les  aulcres  mis  à  more ,  &  me 
»  ont  Tait  &  font  tout  plein  des  aulcres  oucraiges ,  torts 
3>  dommages  &  vilainies  non  réparables ,  &  parmi  ce 
»  vous  m  avés  fciemment  &.  de  voflre    propre   vou- 
yy  lente  ,  6c   tout   oulcrement   &  ouvertement  montré 
^>  mon    ennemi ,  &    ymaginé  à  moi  &  mon  Etat  dé* 
yy  faire  &  deflruire  ;   &  parce  que  vous  ne  me  voulés 
>>  rendre    les   terres   que    promîtes  &  deubtes  à  moi 
»  avoir  rendues  à  certain  temps ,  tant  par  lettres  & 
yy  fcel ,   comme   autrement ,  comme   je  vous  ai   ptu- 
»  fieurs  fois  requis  à  mes  grands  coufls  &  millions , 
^y  en  moi  déboutant  &  mettant  tout  hors  de  la  foi , 
yy  hommage   &   obéifTance   de  ladite   couronne ,   fans 
)^  coulpe  ou  méfait  de  moi  ou  de  ma  partie ,  fans  au- 
»  cune  caufe  raifonnable ,  dont  y  mol  en  déplaît  trop, 
1)  fi  que  parmi  les    avant  dites  chofes,  &  a  caufè  de 
3>  tout  plein  d  aulcres  griefs  qui  ad  ce  moi  chaînent ,  je 
»  vous  fais  fçavoir  que  en  vôftre  défault  -  je  me  tiens 
33  du  tout  franc ,  quite  &  décharge  de  là  foi  &  hom- 
»  mage  que  av  fait  à  vous  &  à  la  couronne  de  France  ^ 
33  de  toute  ooéifFance  &  fubjeâion  faite  à  vous  &  à 
>3  ladiâe  couronne  ,    ne  à  aultre  caufe  de  vous  ou  de 
3>  meifme  la  couronne ,    &  vous  tiens  &  répute  mon 
yy  ennemi ,  &  vous  ne  en  debvez  pas  merveiller  fi  je  en 
33  fais  dommage  à  vous  &  à  votre  partie ,  pour  moi 
33  revanchier  des  très  grands  oulcraîges ,  torts ,  dom- 
33  maiges  &  vilainies  devant  diâes.  Le  duc  de  Bretaigne 
33  &  comte  de   Montfort  &  comte  de  Richemont,  de 
yy  notre  main  efcript  33. 
Procédé  da        I^'éfet  ne  répondit  pas  aux  menaces  contenues  dans 
ducdc  Uncaf-  CCS  letcrcs.    La  méfintéligence  qui  fe   mit    entre  les 
ïa/d^SîJw!!  ^""  do  Lencaflre  &   de   Bretagne ,  fit  bientôt  fentir 
gnc,  à  ce  dernier  que  rarement  la  confidéracion  acom pagne 

Uidm.      rinfbrtune.   Le  duc  de  Lencaftre  ,  dont  le   caraâere 


C  H  A  &  £  z  s    y.  45^ 

formoic  un  parfait  contrafte  avec  celui  du  prince  de  -■' 

Galles  fon  frère,  ne  rougic  pas  d'infulter  à  la  iituation    A^q*  ^m^ 
déplorable  du  duc  de  Bretagne ,  &,  de   lui  reprocher 
que  cece   guerre  ne  fe  faîfanc  en  partie  que  pour  fa 
querele  ,  il  étoit  obligé  de  fournir  la  moitié  de  la  dé** 

Senfe  de  Tarmée.  Ce  prince  mortifié  d'une  pareille 
emande ,  fe  vit  réduit  a  la  trifte  néceffité  de  s  excufer 
fur  foji  impuiflance  aâuele  ;  mais  en  même-temps  ii 
ofrit  à  PAnglois  de  lui  donner  tele  affurance  qu'il  exi- 
geroit  pour  le  paiement  de  ces  frais  ^  quoiqu'il  ne  Teût 
pas  promis ,  &  qu'il  eût  avancé  en  Angleterre  tout 
l'argent  qu'il  avoit ,  pour  contribuer  à  la  dépenfc  de 
Parmement.  Ces  raifons  eufibnt  été  fufifanres  pour 
tout  autre;  mais  Lencaftre  répliqua  que  puisqu'il  étoit 
hors  d'état  de  payer  ce  qu'il  exigeoit,  il  ne  permet*- 
troit  pas  qu'il  commandât  l'armée  conjointement  avec 
lui  ^  &  qu'il  n'avoit  qu'à  fe  retirer  avec  fa  fuite.  Mont-i- 
fort  contraint  de  dévorer  un  ii  cruel  afront  ,  n'eut 
plus  d'autre  emploi  dans  l'armée  que  celui  de  corn-- 
mander  le  petit  nombre  de  ceux  qui  Tacompagnoient  ^ 
ce  qui  ne  lui  formoit  pas  une  troupe  de  foixante  hom< 
mes,  Edouard  ,  en  fîgnant  le  traité  d'aliance  avec  le  Rjmer  ^  aa. 
duc  de  Bretagne  ^  avoit  abandonné  k  ce  prince  la  pof*  M/,  tom.  3 , 
feffion  de  tout  ce  qu'il  pouroit  conquérir  en  France  ^'''^^•**^-*®^* 
avec  les  troupes  de  fon  duché.  On  peut  juger  par  le 
procédé  du  duc  de  Lencaftre ,  qu'il  n'avoit  pas  mten-* 
tion  qu'une  pareille  libéralité  fût  onéreufe  au  roi  d'An- 
gleterre. De  femblables  détails  ne  peuvent  paroitre 
inutiles  ^  puifqu'ils  fervent  à  peindre  les  hommes.  Ce 
trait  prouve  que  Lencaftre  manquoit  de  çete  grandeur 
d'ame  &c  de  cete  générofité  fi  néceflàire  à  ceux  qui 
font  chargés  du  commandement.  Son  inexpérience  & 
fa  préfomption  ne  démentoient  pas  la  bafteiTe  de  fes 
ientiments^  Ce  dernier  éforc  des  Anglois ,  fous  la  con-- 
duite  d'un  tel  chef,  fut  encore  plus  infruâueux  que 
ne  rav|||nt  été  les  précédents. 

L'arTOe  Angloife  traverfa  le  Boulonnois  ,  la  Picar-    ^(^j^^^ 
die    &  l'Artois^  trouvant  toutes  les  villes  Se  les  for-  fa^Fxa^^r*  * 


V*. 


4S^  -Histoire   de   France, 

■Il  terefles  fermées  fur  fon  pafTage.  Le  roi  avoîc  donné 

Ann.  i^7j.    de  fi   bons  ordres,  que  ces  provinces  foufrirent  peu 
Ibidem,      de  dommage  par  la  précaution  que  les  habitants  des 
Chron.  MS.  campagnes    prenoient   de   fe  retirer  avec  leurs    éfets 
dans    les  lieux  fortifiés ,   enforte  que  les  ennemis  ne 
trouvoient ,  ni  vivres  ,  ni  fourages.   Cete  difete  jointe 
au   froid  excefîif  qui  furvint  dans   lariere-faifon  ,  en 
fit   périr  beaucoup.  Ils  étoient   outre   cela    inceflam- 
ment  harcelés  par  de  petits  corps  de  troupes  légères, 
qui  leur  ôtoient  la  liberté  de  s'écarter.  Tous  les  partis 
qui  avoient  Timprudence  de  s'aventurer ,  étoient  auffi- 
tôt  enlevés.  Le  leigneur  de  Soubife  en  défit  une  troupe 
confîdérable   près   de  Ribemont  en  Vermandois.   Les 
feigneurs  de  Vienne  ,  du  Beuil,  de  Bourdes,  de  Por- 
çien  ,  de  Couci ,  de  Renéval  &  le  vicomte  de  Meaux , 
en   détruifirent  d'autres  compagnies    dans  le  SoifTon* 
nois.    Ils  commençoient  à  s'afbiblir  déjà  confidérable- 
ment  ,  lorfqu'ils  vinrent  à  Troies,  où  ils  trouvèrent 
du  Guefclin  nouvélement  arivé  de  Bretagne.   Le  con* 
nétable  les  condufit  de  la  même  manière  jufque  dans 
la  Guienne  ,   toujours  les   harcelant  &  enlevant  leurs 
partis ,  pour  peu  qu  ils  s'éloignaflent.  Enfin  ,  de  cete  ar- 
mée formidable ,  compofée  de  trente  mille  combatants 
en  partant  de   Calais  ,   à  peine  pouvoit  -  on  compter 
fix  mille  hommes  éfedifs,  lorfqu'elle  ariva  aux  envi- 
rons   de  Bordeaux.   Les  légats  du  faint  fiege  fuivirent 
les  troupes  dans  le  cours  de  cete  longue  marche ,  em- 
ployant vainement  leurs  prières  &  leur  médiation. 
Le  duc  de    ,    Le  duc  de  Lencaftre  ayant  féjourné  quelque  temps 
î^!S-!*i!!^Vn"    en  Guienne  ,  repafla  en  Angleterre  ,  où  il  fut  très  mal 
gieterre.         rcçu  par  le  roi  &  par  le  pnnce  de  Galles  ,  qui  voyoïent 
Chron,  MS.  avcc  regret  la  perte   d'un  fi  grand  armement  &  des 
nim^96^^^^^^^^  frais  immenfes  ^u'il  avoit  ocafionnés. 

Guerre  cq        ^    Guicnne    étoit  prefqu'enciérement  foumife  :   il 

Gafcogne:       nc  reftoit  plus  que  la  province  de  Foix,  dont  le  comte 

état  du  comté  paroifToit    afeôer  l'indépendance.   Depuis  lejMiité  de 

FrMrd      ^^^"g^y  y  Gafton  n'avoit  jamais  voulu  reco^Rître  le 

1  &TvoA  *    prince  de  iGalIef ,  ni  lui  rendre  aucuns  devoirs  de  vaflkl. 

Le 


Charles    V.  4^7 

Le    jeune    Edouard ,    malgré    la  .fierté  qui  lui'  étoit  ! 

naturele ,  avoit  long-temps  diifîmulé  le  mécontentement    Ann.  1575. 

3ué  lui  caufoit   la  conduite  altiere  du  comte,  n'aten-    * 
ant   qu'une  conjonâure  plus   favorable   pour  le  faire 
rentrer  dans  ToLciflance.  Enfin  il  étoit  prêt  à  porter 
la  guerre  dans  le  pays  de   Foix ,  lorfqu^il  en  fut  dé- 
tourné par  Texpédition   qu'il   fit  en  Caftille    pour   le 
rétabliilement  de  Pedre- le -cruel.   La  maladie  dont  il 
fut    ataqué  au   retour  de  cete  entreprife,  rompit    ce 
projet  ,  qu'il  n'avoit  fait  que  diférer  ,  &  le  fouléve- 
ment  prelque  général  de  la  Guienne ,  qui  furvint  im- 
médiatement après  le  voyage  d'Efpagne ,    ne  permit 
plus  au   prince   de    s'ocuper  du   deiTein   de    punir    le 
comte.    (Cependant   Gafton  tranquile   dans  Tes  Etats , 
fpeâateur  afiez  indiférent   des    démêlés  fanglants   de 
la  France  &  de  l'Angleterre ,  avoit  obfervé  une  exafte 
neutralité  entre    ces    deux   puifTances.    Cete  conduite 
fit   le    bonheur  des    peuples  de  fa   province ,  qui  fc 
trouvèrent  à  l'abri  des  incurfions  des  gens  de  guerre, 
par  les  hiénagements  que  les  partis  opofés  confervè- 
rent  pour  lui.    Un  gouvernement  sûr  &  paifible  au- 
mtlieii  au  tumulte  des  armes  ^  favorifa  la  population 
&  la  fertilité  du   pays.    Cete  abondance  procura  au 
comte  les  moyens  d'amafler  des  tréfors  immenfes.  Ses 
fujets  ne  crurent   pas  trop  payer  le  repos  dont  il  les 
faifoit   jouir  par    une  contribution    annuele    de   qua- 
rante fous  par   feux  ,  tandis  qu'une  impofition  moins 
forte  de  moitié  avoit  révolté  toute  l'Aquitaine  contre 
le  prince  de  Galles. 

Le  comte  de  Foix  vivoit  à  Ortez ,  capitale  de  fes   Magnificence 
Etats,   avec    toute  la    pompe    &   la  fplendeur   d'un  J^J^*^^^^^^^^^^ 
fouverain.    Le  fafle  de   fa  cour  Temportoit  fur  celui     proiffard/ 
des   têtes  couronnées.    Il  atiroît  par  fa  piagnificence  %  vol. 
une  foule  d'étrangers  de  tous  les  Etats  .vjoiuns.  Che- 
valiers ,    gens   de    guerre,   ceux   qui    cultivoient  les 
fçiçnces  ou  les  arts,  les  poètes,  les  muficiëtis  étoient 
acoeuillis  favorablemçiit ,  &  récompenfés  avec  la  libéra- 
Tome  K.  M  mm 


j 


4^8  Histoire    de  Frakce, 

-  lité  d*un  prince  généreux.  Ortez  femWoit  être  deventt 

Ann.  IJ7I.  Tafyle  des  plaifirs  en  tous  genres.  Sa  table  étoit  fervic 
avec .  une  profufion  qu'on  ne  voyoit  point  ailleurs. 
Tout  dans  Ion  palais  refpiroit  la  grandeur.  L'éciquçte 
de  fon  fervice  recraçoit  encore  l'ancienne  fierté  des 
premiers  conquérants  des  Gaules  ,  par  les  ufages  fin- 
guliers  qui  s'y  obfervoient.  Au -lieu  de  faire  éclairer 
la  fale  où  il  mangeoit,  par  des  flambeaux  portés  fur 
des  chandeliers  ,  une  troupe  nombreufe  de  domefti^ 
ques  fuperbement  vêtus,  rangés  devant  lui  dans  une 
atitude  refpeâueufe ,  tenoient  en  leurs  mains  des  flam- 
beaux alumés ,  dont  la  lumière  eût  difputé  l'éclat  avec 
celui  du  jour  (a).  Refpeâé  de  fes  voiflns ,  redouté 
de  {qs  vaUaux ,  chéri  de  fes  fujets  ^  au  fein  du  calme  9 
de  l'opulence  &  du  luxe,  le  comte  de  Foix,  loin  de 
croire  qu'il  pût  être  le  vaflal  d'un  autre  fouverain, 
fembloit  avoir  oublié  qu'il  y  eût  un.  prince  plus  puiC- 
fant  que  lui,  lorfque  les  avantages  muitipUés  que  k$ 
François  remportoienc  en  Guienne  fur  les  Anglois  , 
vinrent  le  tirer  de  cete  fécurité. 
Le  duc  d* An-  Après  la  difperfion  de  l'armée  Angloife  ,  du  Guef-^ 
& troîp^'^'^  clin  s'étoit  rendu  auprès  du:duc  d'Anjou ,  qui  continuoit 
pour  entrer  de  preflcr  les  ennemis  du  côté  <ie  la  Gafcogne ,  leur 
dans  la  haute  enlevant  fans  cefTe  quelques  villes  ou  quelques  châ- 
^^J^dem  ^^^x.  Une  infinité  de  feigneurs,  qui  depuis  que  le 
connétable  avoit  licencié  (es  troupes,  ne  vouloient  pas 
refter  oififs,  fe  joignirent  à  celles  que  le  duc  raflem*- 


(a)  Cet  ttfagc  raporté  par  Froiflard  »  fert  à  confirmer  la  conjeâure  tfoc  ferme 
M.  l'abé  le  Bœuf  Usa  an  faflage  de'  Grégoire  «de  Tours.  Voici  comme  s'exprime 
ce  fçavant  Académicien  :■  »  H  paroit  que  les  François  avoient  ta  délicaccue  de 
-n  ne  point  atlmettre  de  chandeliers  fiiT  les  cables  ,  &  qa  ils  faiCoîent  tenir  à  1% 
V  main  par  leurs  doneftfques  la  cfaaudele  dont  elfes  dcToiçnt  être  éclairées. 
M  Locrqii*un  valet  teooit  la  bougie  devant  Ranchin  [  ftigmur  François  ]  pen- 
»  dant  Ton  (buper  »|  fuivanc  la  coutume  ,  il  lui  ordonnoit  de  fe  découvrir  les 
-ssjaoïlbcs  ,^  défaite  dégoûter  delà  dredefltis  /uf^'à  ce  qu'elle  s*>&eîgiik, 
M  Bc  puis  la  ralamer ,  le  4e  laiaire  dégoiicer  comsie  auparavant  jufcjaà  ce  <)tte 
»  fes  jambes  fufTent  brûlées»  Si  le  valet  o(bit  remuer  ,  Ranchin  avoir  Ton  épée 
»>  toute  prête  pour  le  percer  ;  U  plus  ce  mathenreux  répandoit  de  pleins ,'  plus  le 
«>  maitre  éolatoic  de  rire  «  Miwu  it  dittiraz.  Jmn.  17.  Difin.  fur  fes  amcitus 
«ifages  ,  par  M.  taie  ie  Bœaf^  pag,  204»  Gng.  dt  Tours  ^  iiy.  5  ^  cA^p*  5. 


Charles    V.  459 

bloît  dans  le  Périgord*    Les  feigneurs   d* Armagnac  ,  ! 

d'Albrec^  de  Périgord  ,  les  comtes  de  Comminges  &    Ann.  137^ 
de  Narbonne,  le  dauphin    d'Auvergne.,  les  vicomtes 
de  Caraman ,  de  Villeneuve  &  de  Thalar  ^toient  de 
^e  nombre.  Le  prince  fe  vie  bientôt  à  la  tête  d'un  corps 
de  quinze  mille  hommes.  Avec  ces  forces  il  s'avan^ 
vers  la  liante  Gafcogne.    Saint -Sévère   (a)  fe  rendit 
■à  compofition.    Jl    palïk  enfuite  TAdotir ,  entra  dans      sîcgc  de 
le  comté  de  Bigorre  &  mit  le  fiege  devait  Lourde ,  J;°J^Ji}ç"^J^*^^ 
place  extrêmement  fortifiée ,  de  laquele  Pierre  Arnaud  comwdcFoîx. 
de  Berne  étoit  gouverneur  pour  les  Anglois.    Ce  &i-      lUdim. 
goeur  y  parent  du  comte  ^  Foix ,   fe  défendit  slycc 
tant  de  courage  ,    eue    le    duc   d'Anjou    défefpérant 
d^emporter  la  cîcadeie  ,  &   ne   voulant  pas  perdre  le 
temps  à  s'en  rendre  maître   par  des  ataaues   réguliè- 
res 9  qui  ne   pou  voient  manquer   de  tramer  en   lon- 
gueur^ leva  le  fiege  après  avoir  fkcagé  la  haiTenville. 
Il   vint    enfitite  invefttr  Sault  ^   viUe  dépendance  ilu 
comté  de  Ftnx.  Gafton  voyant  aprocher  ieâ  rFraaçois 
de  fes  frontières,  (ê  hâta  de  conjurer  l'orage  en  trai- 
raiit  avec  le  duc.  Il  apréhendoit  jion  (a^s,  ration  jqifis 
4»  feigneurs  d'Armâfipnac  &  d'Albret  .se  làifiilmt  cece 
ooafion  de  fatisfkire  kiur  inimitié  perfonnele  en  exci- 
tant le  j>rince  à  porter  k  guerre  jio&jue  dans  le  cœur 
dé  fes  Stats.  Dans  rintentim  Je  \gs  prévenir^  il  en-     Rymer^aa. 
-^^a  des  députés  -^ui  .conclurent  fcm  acommcdement  ^^J^|  ^^^'  ^  * 
cavec  les  icommi^&iiTes   qise  Jle  duc  d*An)ou  nomma. 
-Use  des  Tconditions  fecretss  de  xre  :(nraité.£ut  ia  réduo- 
^tion  de^ia  ville  de  Lourde  que  èe  comte  s'obligea  de 
ifiûne  iremottDe  au  xicruvoiv  m  roi.    U  me  jdaatoit;pas    . 
^'il  nerriui.fût  ndlt  de  (temptir  lûet.  enga^yenient.: 
-dans  rete  vene  il  ananda  le  gouverneurs  qui  fur  fes 
premiers  ordres  fe  rendit  à  Onez.  Lorfqu'il  fut  armé, 

t^O'^  lîrSaîm-Sitvtcr  dans  Ptofffard  ,  inah  il  n'y  a  -^rs  ct$  cantons  qoc 

>dtUz  f^flBccs'mtomirtées^ftifft-^SéteEc  ,  (îtoées  la  première  fur  an  csonranc  d'-uu 

4]ai  «a  Ce  -]ctct  daas  T^dour ,  &  ia  (eeondc  far  llAdour  m/êoie*  Ceftxieia  fce- 

'mîere  de  ces  deux  places  quMl  èft  ici  qucŒion  :  elle  cù.  dans  le  voifixiage  de 

-  4e  Lea!?de  >  ^m  it  duc  «larerifime'  lormer^^k  fitge. 

Mmm  ij 


4âo  Histoire    DE   FiiA.KcSy 

-    ■  le  comte  lui  déclara  devant  tout  le  monde  ^  qu'il  falok 
Ann.  1373.    qu'il  lui   livrât  la  place  pour  en  mettre  les  François 
en  pofTefHon ,  ne  voulant  pas  ,  difoii-il,   ft   brouiller 
avec  un  prince  aujji  puijfant  que  te  duc   d  Anjou.   Le 
gouverneur  connoiiToit  le  caraâere  impétueux  du  com- 
te, &  n'ignoroit  pas  qu'il  aloit  par  un  refus  s'expofer 
à  toute  la  violence  de  foa  refl'entiment.    Cete  crainte 
toutefois  ne  fut  pas  capable  de  Tarêter  :  il  fe  tut  quel- 
ques moments  :  à  la  £n  il  rompit  le  filence  par  cete 
généreufe    réponfe  :    Monfeigruur  y  vraiment  je   vous 
dois  foi  &  hommage  j  car  je  Jiiis   un  pauvre  chevalier 
de  votre  fang  &.  de  votre  terre;  mais  le  châtel  de  Lourde 
ne  vous  rendrai-je  ja  :  vous  m*ave[  mandé  ,  fi  pouvés 
faire  de  moi  ce  qu^il  vous  plaira;  je  le  tiens   du   roi 
d^ Angleterre  qui  m^y  a  mis  &  établi  y   &  à  perfonne 
çui  Toit  je  ne  le  rendrai  fors    à   lui.    Une  fermeté  fi 
noble  &  fi  refpeâueufe  eii  même-temps  ^  irita  Tim- 
pécueux    Gafton  ,    qui    malheureafêment    n'étoit    pas 
acoutumé  à  rencontrer .  d'obftacle*    Furieux   &    ne  iè 
connoifTant  plus,  il  tire   fon  poignard  :  Oh  traître  y 
s'écria-t-il ,  as-tu  dis  que  non  r  Par  cete  tète  tu  ne  Pas 
pas  dit  pour  rien.  K  ces  mots  il  s'élance  fur  Pinfor- 
tuné  Arnaud  :  aucun  des  à(fiftaint<;  n'ofe  s'opoièr  k  cet 
indigne   emportement.    Ce  gentilhomme,  Ion  vaiTaL, 
fon    parent,    Tatend   avec  cete   tranquilité  :qu'infpiœ 
la  vertu  :  il  reçoit  cinq  coups  faiR  fe  mettre  en  dé- 
fenfe  >  &   tombe  aux  pieds  du    comte  qa*il  acofe  de 
fon  fang  •  fe  contentant  de  lui  dire  d'une  voix  cxpi* 
rame  :  Ha,  mcnfeigneur ,  vous  ne  faites  pas  genûlleffe, 
*  me  tuer.    ^^^^  m^ave:^^   mande  &  me  occiés    .    Le  comte  revenu 
à  lui-même,   fut  puni  par  de  longs   &   cuifants   re- 
mords ,  d  autant  plus  cruels  qu'ils  ne  pouvoient  répa«* 
rer  une  fi  grande  faute. 

Cete  mort  ne  produifit  pas  la  réduâion  de  Lourde. 
Arnaud  avant  fon  départ  en  avoit  confié  la  garde  à 
Jean  de  Berne  fon  trere  ,  en  exigeant  de  lui  une 
promefle  d'honeur  qu'il  ne  la  rendroit  que  fur  un  ordre 
précis  figné  du  prince  de  Galles  ou  du  roid'Angleterre» 


Charles    V.  4^1 

Cependant  cetc  aâiou  violente  du  comte  de  Foix  ré-  ■■'  ■ 

pondoit  en  Quelque  forte  du  dévouement  de  ce  fei-  ^**"-  '37î» 
gneur.  Le  roi  content  de  fon  atachement^  fans  aprou- 
ver  Tétrange  manière  dont  il  le  lui  avoit  montré , 
voulut  de  ion  côté  lui  donner  des  témoignages  de  fa 
reconnoifîance.  Pour  cet  éfet ,  il  lui  envoya  deux 
commifTaires  ,  meflire  Roger  d'Efpagne  &  un  préfi- 
dent  du  parlement  de  Paris  ^  chargés  de  le  mettre  en 
pofleffion  de  la  jouïflknce  du  comté  de  Bigorre.  pen- 
dant fa  vie  ,  k  ^condition  d*en  faire  hommage.  Le 
comte  que  le  titre  de  vaflal  révoltoit ,  refufa  ce  don , 
&  ne  voulut  recevoir  que  le  château  de  Mauvoifin ,  parce 
ijut  y  dit  Froifîard  ,  utt  place  ne  rcltvoh  de  perjbnne 
fors   que  de  Dieu.   Au-rette  Gafion  promit  de  ne  ja-  > 

mais  fe  féparer  des  intérêts  de  la  couronne  de  France^ 
&  tint  fi^lélement  fa  parole. 

Vers  le  même  temps  Marfîac  ^  la  Kiolle ,  Langon ,   R<duôîo!ï<ï« 
Saint-Macaire  &   une  infinité  d'autres  places  fe  ren- pï^ficwis  pia- 
dirent  au  duc  d'Anjou ,  ènforte  qu'il  ne  refta  plus  aux  "%i/^ 
Anglois  de  villes  confidérables  en  Guienne  que  Bor-     h(/i.  Efp. 
deaux  &  Baïonne.    Le  duc   d'Anjou  avoit  formé  le 
defTcin  d'adiéger  cete  dernière  ville.  Il  écrivit  même 
pour  cet  éfet  au  roi  de  Caftille^  &   le   priu  de  venir 
loindre    fes   troupes    aux    François.    Henri  ,   qui   ne 
laiHbit  échaper  aucune  ocafîon  de  fignaler  fon  ata- 
chement  pour  la  France ,  partit  auffi-tôt ,  &  vint  iè 

Çréfenter  devant  Baïonne  ,  tandis  que  Satfchez  de 
^ôbar  ,  amirante  de  Caftille,  s'aprocha  des  côtes  de 
France,  afin  de  favorifer  le  fiege.  Il  comptoit  trou- 
ver le  duc  en  Bifcaye,  &  lui  envoya  des  députés  à 
Touloufe,  pour  l'engager  à  prefler  fa  marche.  Cete 
conquête  eût  été  de  la  dernière  importance  ;  mais  le 
duc  d'Anjou  ,  qui  pendant  cet  intervale  étoit  convenu 
d'une  fuipenfion  d'armes  avec  le  duc  de  Lencaftre  , 
rompit  Tentreprife.  Le  monarque  Efpagnol  n'ayant 
pas  de  forces  fufifantes  ,  &  d'ailleurs  mcommodé  par 
les  grandes  eaux  6c  par  la  difete  des  vi!vres>  reprit  la 
route  de  Burgos. 


Ibidtnu 


4^2  Histoire  de   France, 

^^^^^^!^^^^^'  Lorfque  le  due  de  Lencaftre  repafTa  en  Angleterre , 
Ann.  137^    fes  députés  &  ceux   du  duc  d'Anjou  avpîenc   conclu 

i'itmls^^'^^  une  fufpenfion  d'armes  pour  la  Guienne ,  avec  pro- 
armes, meffe  de  fe  trouver  au  commencement  de  Tannée 
fuivance  à  Calais  &  à  Saint-Omer ,  pour  y  traies  des 
conditions  d'une  paix  définitive.  Le  duc  de  Lencaftre 
croyoit  qu'il  étoit  dô  fôn  intérêt  de  prelfer  un  acom^- 
modement  entre  les  deux  couronnes  ^  afin  de  fe  li- 
vrer tout  entier  au  deffein  qu'il  avoit  formé  de  porter 
la  guerre  en  Caftitle ,  projet  qu'il  ne  pouvoir  exéctt- 
ter  j  tant  que  l'Angleterre  feroit  en  guerre  contre  la 
France.  Le  roi  confulta  le  parlement,  fur  l'armiftice 
que  le  prince  fon  frère  venoît  d'acôrder  k  l'Anglois. 
La  cour  repréfenta  au  monarque  qu'il  ne  pouvoic 
Du  TiiUr.  accepter  ce  traité  fait  avec  lé  duc  de  Lencaftre  , 
ennemi  perfonnel  de  Henri  de  Tranftamare  fon  allé. 
Le  roi  toutefois  ,   k  l'înftante  pourfuite  de  Tarchevô- 

3ue  de  Ravenne  &  de  Tévêque  de  Cat petitras  ,  ié^ts 
u  pape ,  cbnfentit  que  fes  atnbaiTadeûts  fe  trouvai 
ïent  à  Brujges  atéç  <?eux  ii'Edouaf  d  ,  pour  travailler  à 
la  paix. 

De  tant  de  provinçcfs  fcéd'ées  paï  le  ttaité  de  Brétigny , 
la  feule  vîUe  de  Galaâs  reftoit  ^atix  Ataglôîs.  Ctte  heu- 
reufe  révolution  fut  IVmvrajgc  de  4a  p^^udence  du  roi, 
de  rat9tivité,  de  la  Vâfeur  é^  du  Giiefdin  4c  du  cou- 
rage de  la  nation.  Ra'pîn  Thoyras,  «qufe  trop  de  pré»- 
vention*  égare  foavç^ht  dans  fés  jugeïiiehts  ,  he  ^oît 
^ns  les  io|)éi*âritfris  -de  cete  ^lïerre  ïJ«n  qui  "ïnérite 
de  ïxçr  I^terirîota  du  leAetfr  ,  ni  qui  fbit  <:olt»>aFabk'atK 
fatntfuftfs  journées  tje  Gréci^&ée  Poitiers.  Les  difgra- 
ces  que  M*  Abgibîs  dfftiyërérit  fois ''Charles  V  ,  fii- 
fent,  ^k-iî,  ufie  véritable  àéroifte-  Il  àùrbit  été  fens 
douté  plus  jufte  àf>récîatèûr  <le  ^ces  dîférdftts >expl«ts, 
^  sHl  z^àiï  cbtifîd^^é  qtfe  la  -gloire  dès  ferftrèprifes  fe 
riiefure  jn-îùdDalemejit  par  les  obftftctes  kju'ellès  'pré- 
fèmènt  4  fri^iôiitér.  N'eft-il  pas  incomparablement 
pks  dlficflc  de  réparer  en  détail,  les  grandes  perces ,  & 
(le  forcer  en  quelque  forte  la  fortune  parles  déniais 


C   H   A    R   I.   E    s     y.  ^ë^ 

ches  habilement  concertées ,  que   de  profite*  rapide-  " 


xiient  du  gain  d'une  bataille  ,  dont  Iç  vainqueur  ei^  ^°"'  ^^''^' 
fouvent  redevable  à  la  témérité  des  vaincus.  Sans  infifter 
Air  unç  vérité  fi  commune  ,  il  fufit  de  fe  rapeler  le 
récit  de  ces  deux  conçibats  y  dont  les  fuites  furent  fi 
funeftes  k  I4  France.  A  celui  de  Maupertuis  le  roi 
eft  fait.pxifonnier  :  fa  cappvit^  bouleverfe  l'Etat,  fa 
liberté  coûte  le  retranchement  d'un  tiers  du  royaume, 
4c  ruine  le  refte.  £ft*ce  k  la  conduite  des  chefs ,  eft-ce 
au  génie  feul  d'Edoqard  qu*il  faut  raporter  tout  Tho- 
nçur  de  parçils  avantages  ?  Qu'on  examine  la  confiante 
làgeflç  flu  roi  ,  les  reiîprts  qu'il  fç»it  faire  agir  ,  les 
reffourçes  qu'il  emploie ,  la  conduite  de  fes  généraux , 
la  difcipline  ^  la  valeur  de  fes  troupes  dans  toutes  les 
expéditions  militaire^  de  ce  règne ,  &  qu'alors  on  jugç 
du  piérite  de$  fucccs.  Ce  que  l'hiftorien  d'Angleterrp 
dit  de  plus  judicieux  à  Tocafioiu  des  revers  éprouvés 
par  le  monarque  Anglois ,  c^cjl  que  de  pareils  exem^ 
pies  devraient  bien  aprendre  aux  prinçfs  4  modérer  hi^r 
ambition  ;  mais  qu^a  sUn  trouve  peu  qui  en  fçaçhent 
profiter  ! 

Charlçs,   que  la   profpérité  n'aveugloit  pas^  prêta     Trcvccmrc 
volontiers  l'oreille  aqx  lolicitations  du  pape ,  qui    ne  ronncs"*  ^^^' 
ççffoit  de  l'exhorter  à  la  paix.  Grégoirç ,  qui  dès-lors     Rymer.  aa. 
fe    préparoit  à  transférer  le   faint   liège   d'Avignon  à  p«^^  ^^'»-  3  * 
Rome,  auroit  bien  voulu  avant  fon  départ  terminer  ^*'^J>''*  *** 
les  funeftes  divifions  de  la  France  &  de  l'Angleterje. 
\l  s'étoir  pour  cet  éfet  plufieurs  fois  adreffé  à  Edouard  1 
qui  dp  (on  côté  paroilïoit  ne  pas  s'éloigper  d'un  acoipi- 
modemen^c.  I>s  conférences,  ainfi  qu'on  e;i  étpit  con- 
venu, fp  tinrent  à  Bruges  entre  les   plénipotentiaires 
d^  deux  couronnes.  Ceux  du  roi  de  France   étoient 
I^  duc  de  Bpurgogne ,  les  comtef   de  Tançarville  & 
de  Salle|>ruçh^ ,  &  l'^véque  d'Amiens  ;    &  de  la  part 
4ilu  roi  d'Aflgleçserre  ,  le  duc  de  Lencaftre  ,  le  comte 
4ç  5aUXbviri   ^  V&wém^  de  Londres  ,  a01flés  de  trois 
chevaliers  &  de  deux  dofteucs.  Ces  conférences  avoient 
^té  précédées  d'une  fufpenfion  d'armes  pour  les  parties 


4<?4  Histoire   de   France, 

'  feptentrionales  de  la  France  ,   entre  les  commiflaires 
Ann.  1374.    du  roi  &  le  gouverneur  de  Calais. 
Rym,.aci.puk      Malgré  les  dîfpoficions  pacifiques  que  les  deux  par- 
^''%lonî!!'de  "^5  témoignoïenc,  les  négociations  de  Bruges  n'abou- 
Sainc-Denis.;^  tirent  qû'à  la  conclufion  d'une   trêve  ^ui  devoit  expi- 
chron.  Af5.  .j.g^.  ^yj^^  f^^^^  j^  Pâques  de  Tannée  fuivante  :  on  étoit 
alors  au  mois  de  Juin.  Comme  les  allés  des  deux  rois 
étoient    également  compris   dans  ce  traité  ,  le  duc  de 
Lencaftre  ,  qui  dans  fes  pouvoirs  ,   &   dans  tous  les 
aâes  préliminaires  étoit  qualifié  de  roi  de  Caftille  & 
de  Léon ,  fut  obligé  de  luprimer  ce  titre  dans  le  der- 
nier ade  de  cete  trêve.    Le  roi  de  France  crut  devoir 
Froijfari,     ^  Henri  de  Tranftamare ,  fon  généreux  &  fidèle  alié  , 
Kift.  Efpagn.  cete   marque   de  fa  confidération.   L'évêque  de  Sala- 
.manque  ,  &  Fernandez  de  Velafco ,  grand  chambélan 
du  monarque  Efpagnol ,  avoient  été  envoyés  au  con- 
grès de  Bruges.  Ils  furent  ataqués  près  de  Bordeaux 
par  le  feigneur  de  Lefpafre;  mais  les  vaifleaux  Caf- 
tillans  étoient  fupérieurs  aux  bâtiments  Anglois.  Lef* 
parrc   fut  fait  prifonnier  :  Velafco  Temmena   en   Ef- 
pagne  ;   Tévêque  continua  fa  route ,  &  ariva  heureu- 
fement  à* Bruges.  Les  ducs  de  Bourgogne  &  de  Len- 
caftre 9  &  les  autres  plénipotentiaires  convinrent  j  avant 
que  de  (e  féparer ,  de  fe  retrouver  au  même  lieu  vers 
les  fêtes  de  la  Touffaint ,  pour   travailler  de  concert 
au  bien  d'une  paix  £;énérale. 
Afaîfcs  de       Cete  fufpenhon  d'armes ,  ou  la  Bretagne  étoit  ex- 
Brctagnc.        prelTément    (pécifiée ,  furvint  à  propos  pour  dérober 
"ii^m'r^aa  ^'^^^^^  ^®  Cliffon  à  la   vengeance  du  duc.   Jeaa  de 
pud'^tom.  "3 1  Montfort ,  depuis  fon   retour  à  Londres  ,   avoit  em- 
fdre.  |.  ployé  les   plus    preffantes    folicitations    pour   engager 

Edouard  à  lui  fournir  une  armée  capable  de  le  re- 
mettre en  polfedion  de  fon  duché.  Le  monarque  An- 
glois ,  qui  ne  pouvoit  diflîmuler  la  juftice  d'une  pa- 
reille demande ,  &  qui  fans  doute  devoit  fe  repentir 
de  ne  Favoir  pas  orévenue ,  jentra  dans  les  vues  de 
ce  prince  :  B eau- fils  ,\u\  difoit-il,  je  fçais  bien  que 
pour  Famour   de  Moi  vous  avés  mis  en  balance  &  hors 

dç 


C   H    A    R  X   K   s      V.  4(55 

dt  votre  Jcigneuric ,  grand  &   bel  héritage  ;  mais  bien  î=ï= 
foyc:^  ajfuré  que  je  vous  lé  recouvrerai.  Je  ne  ferai  paix   ^^*  ^^^^' 
à  François  que  vous  ne  foye:^  dedans ,  &  raurez  votre 
héritage.  Les  éfets  répondirent  à  ces  promefTes.  Le  duc 
de   Bretagne  raflèmbla  un  corps  de  deux  mille  hom- 
mes d'armes    &  de  trois  raille  archers,  dont  le   roi 
d'Angleterre    paya  la  folde  pour  fix  mois.  Le  comte 
de  Cambridge,  &  plufieurs  autres  princes  &  feigneurs 
Anglois  \  voulurent  partager  Thonéur  de  cete  expédi- 
tion.   Le  duc    de   Bretagne   s'embarqua    au    port   xle 
Southanipton ,  &  defcendit  à  Saint^Mahé.   Il  emporta 
la  cicadele  d'afTaùt ,  ôc  fit  paiTer  la  garnifon  au  ni  de 
l'épée   :  la  ville  "fe  rendit  auffi-tôt.  Il  s'avança  incon- 
tment  vers  Sàint-Paul  de  Léon  qu'il  facagea.  Morlaix 
ouvrit  fes  portes,  ainfi  que  Lannion ,  Lantriguet ,  la 
Roche-de-Kien  ,  Guincamp  ,   &  la  Roche- Bernard. 
Le  duc  pourfuivant  fes  concjuêtes  , .  mit  le  fiege  devant 
Saint-Brieuc.  Cete  ville  avoit  été  nouyélement  fortifiée 
par  les  foins  d'Olivier  :  dje  Cliffon  ;  elle  étoit  d'ailleurs 
défendue  par  une  garnifon  nombreufe.    GlilFon  &  le 
feigneur  de  Laval  commandoient  dans  la  province  de- 
puis le  départ  du  connétable  :  ils  étoient  alors  à  Lam- 
bale.    Kemperlaî  ,  ville  extrêmement  importante  ,  fe 
trouvoit  fort  incommodée  par  une  fortereffe  que  Jean 
4',Eyreux  ,   capitaine  du  parti  de  Monfort ,  -avoit  fait 
réparer  dans  le  voiiinage.  Les  habitants  &  la  garnifon 
envoyèrent  à  Lambale  demander  du  fecours.    Cliffon 
&.Beaumanoir  acoururent  fur -le -champ.   Ils  étoient 
près  de  fè  rendre  maîtres  de  ce  nouveau  fort  ,  lorfque- 
le  duc  de  Bretagne  ,  qui  ,  .fur  les   premiers  avis  qu'il 
avoit  reçus. de  cete  efttreprife  ,  avoit  levé  le  fiege  de 
Saint-Brieuc  ,  partit  k  la  hâte. avec  toutes  fes  troupes, 
'    dans  l'intention  de  les  furprendre.  Cliffon  étoit  ocupé 
à^  donner  ûû  afiàut  général.   On  vint  lui  dire  que  les 
Àfl^is  iparôiffoient  à  çd^ux.  lîeués  de  fon  camp.   La* 
partie  n'étoit  pas  égale  :  il  n'eut  que  le  temps  de  raf- 
j^t^ifeler  pftédtpitâijimenc .  le  peu  de  monde  qu'il   avoit 
avec  lui  ^  &  de  fe  dérober  par  ù«e  prom te  retraite  à 
Tome  F.    '  '  Nnn 


j^èC  Histoire  de   France^ 

-  la  pourfuitc  des  ennemis.  Il  entrok  dans  ^Kemperlai  , 

Aan.  137^.    &  j^g  bariercs  étoient  à  peine  fermées  ,  que  le  duc  qui 
n'avait  pas  retardé  fa  marche  ,  ariva  devant  cece  place. 
Il  la  fit  fur-le-champ  exaâemenc  inveftir  ^  dans  1  apré- 
heniion  que  fa  proie  ne  lui  écbapât.  Dès  le  premier 
jour  il  livra  un  afTaut  furieux  ;  les  auques  ne  furent 
pas  moins  vives  les  jours  fuivants.    L'ardeur  des  a(fié- 
géants  étoit  excitée  par  des  motifs  qui  rendent  les  hom- 
mes capables  des  efbrts  les  plus  extraordinaires  ,  la 
vengeance  &  la  haine.  Les  Angiois  haifToient  dans  CliA 
fon  un  ennemi  cruel  &  implacable  ,  qui  faifoit  gloire 
de  ne  jamais  leur  acorder  aucun  quartier.  Nous  avons 
raporté  ci-devant  la  caufe  imaginaire  ou  réele  de  l'ini* 
mitié  per£bnnële  du  duc  contre  ce  feigneur.  Il  eft  des 
outrages  qu'un  mari  jaloux  ne  pardonne  jamais.  Cliiroa 
ne    devoit  s'atendre  qu'à  une  mort  cruele.    Beaunu* 
noir  &  Rohan  y  renfermés  avec  lui  dans  Kemperlai , 
n'efpâ*oient  gueres  un  meilleur  traitement ,  s'ils  avoient 
le  malheur  d'être  pris  d'afTaut  ;  il  ne  leur  reftoit  aucus 
efjpoir  de  fecours  étrangers.  Dans  une  extrémité  fi  pé- 
riileufe  y  ils  demandèrent  à  capituler.  Le  duc  fe  mon* 
troit  inexorable  ,  &  vouloit  abfolumeot  qu'ils  fê  li- 
vraient à  fa  difcrétion.  Il  ne  leur  acorda  une  fufpen- 
fion  d'armes  de  huit  jours  y  que  fur  la  certitude  qu'ils 
ciiiTonifciiape  ^^  pouvoient  lui  échaper.   £n  éfet  ce  coure  armifiice 
à  la  vengeance  aloit  expirer  ,  &  les  affiégés  n'avotenc  plus  d^aucre  ref- 
*^"  lîv         fource  que  le  défefpoir.    Deux  feigneurs  anverenc  au 
'  ^^'      camp  du  duc ,  &  £gnifierent  à  ce  prince  ,  ainfi  qu'aux 
Angiois  donc  fon  armée  étoit  compofée  ,  la  trêve  qui 
venoit  d'être  conclue  à  Bruges  y  dans  laquele  la  Bre* 
tagne  étoît  formélemenc  comprife^  Montfort  fe  vît  con- 
traint de  lever  le  fiege  ,  non  fans  regret  de  fe  voir  ara- 
cher  une  viâime  qu'il  comptoit  immoler  à  fon  reflèiitî» 
ment.  La  fufpenfion  d'armes  ayant  été  publiée  en  Bre- 
tagne y  il  repaâa  en  Angleterre  ^  où  il  conduific  avec  lui 
la  ducheiTe  Ion  époufe. 
sfillti'veu^^^      ^  garnifon  de  Saint-Sauveur-le-Vicomte ,  que  les 
le-Yicomte.     troupes  du  roi  afiiégeoienc  depuis   quelque   temps  f 


CVARLSS      V.  467 

voulut  auffi  profiter  de  cete  trêve  pour  éviter  de  fe  î=5!=î!î= 
rendre ,  fuivant  les  termes  de  la  capitulation  qui  avoit    Ann.  i}74, 
été  précédemment  fignée  de  part  &  d'autre  ;  mais  par     ^^^"^^^ 
le  traité  conclu  à  Bruges  ,  il  avoit  été  décidé  que  cttt  pubL'^ôm. ^\ 
place  feroit  remife  aux  François  5  en  pavant  la  fomme  p^^"^'  up^ii, 
de  quarante  mille  livres.  On  ^eut  fe  rapeler  que  Geofroi  ^^  ^  "^^^ 
de  Harcourt ,  feigneur  de  Saint- Sauveur-le -Vicomte  , 
avoit  inftitué  le  roi  d'Angleterre  fon  hériticn    Après 
la  mort  de  ce  feigneur  ,  cete  terre  avoit  été  donnée  à 
Jean  Chandos  ,  dont  la  fœur  la  remit  à  Edouard  9   qui 
depuis  ce  temps  en  étoit  demeuré   poffcflcur.    Louis     Trifor  des 
de  Harcourt,  feigneur  de  Châtelleraut ,  s'étant  détaché  tJrmzn^^^^^^^^^ 
des  Anglois  à  la  folicitation  du  duc  de  Berry  &  du  »«;. 
connétable  ,  la  reftîcution  des  biens  qui  avoient  apar-    ^^  •^'^'^^• 
tenu  à  Geofroi  de  Harcourt ,  &  entre  autres  dé  Saint- 
Sauveur-le- Vicomte  ^  fut  un  des  principaux  articles  qui 
lui  furent  acordés  pour  l'engager  a  rentrer  dans  l'obéif- 
fance  du  roi. 

Quelques  précautions  qu'on  eut  prifespour  remédier  Le  fcigocanfc 
aux  défordres  que  les  gens  de  «lerrc  étoicnt  acoutu-  i^c'l>mrajîi^^^^ 
mes  de  commettre  lorlque  les  hoftilirés  ceilbîent  ,  il  enAacriche. 
étoit  cependant  dificiie  de  les  réprimer  entièrement.  La     FroijfanL 
trêve  laifFoit  fans  emploi  des  compagnies  dont  Tentre^ 
tien  eût  été  onéreux  pour  PEtat  9  &  qu'il  étoit  dange- 
reux de  licencier.  Le  roi  fongeoit  aux  moyens  de  pré* 
Venil*  ce  double  inconvénient ,  lorfque  l'arivée  d'£n- 

fuerrand  de  Couci ,  comte  de  Soiuons  ^  vint  mettre 
n  à  cet  embaras.  Ce  feigneur  ,  gendre  du  roi  d'An* 
gleterre  {à)  ,  vafTal  du  roi  de  France  ,  avoit  prudem-» 
ment  évité  de  prendre  part  à  la  querele  des  deux  cou-^ 
tonnes  ,  en  fe  retirant  du  royaume.  Afin  de  colorer  fa 
retraite  c^un  prétexte  plaufible  ^  H  pafik  en  Italie ,  & 

Ërta  les  arnfies  pour  le  fervice  du  faint  fiege  contre    ~ 
irnabo  Vifeontî.   Il  revinc  en  France  dans  le  temps 
2ue  la  trêve  venoh  d'être  conclue  à  Rruges.  La  mort 
Il  duc  d'Autrkiïe  lui  fottnnt  une  nouvete  ocafion  de 

(tf)  tt  rrAz  épooff  Uabdc  fille  diréc  /Edouard. 

Nnn  ij 


r 


468  .   Histoire   de  France, 

^  -  s'abfenter.  Il  étoic  par  fa  mère  neveu  de  ce  duc  &  fou 

Ann.  1374.  héritier.  Dans  le  deffein  de  réclamer  cete  fucccffion, 
il  propofa  de  conduire  en  Alemagne  les  croupes  deve- 
nues déformais  inutiles  :  on  accepta  Fofre  ;  &  le  roi , 
pour  en  faciliter  l'exécution  ,  lui  donna  foixante  mille 
francs.  Il  feroit  inutile  de  ra porter  le  détail  de  cete 
expédition  ,  qiji  ne  fut  pas  heureufe.  Elle  n'a  d'autre 
liaifon  avec  notre  hiftoire  que  l'avantage  qu'elle  pro- 
duifit  au  royaume  ,  en  le  délivrant  des  compagnies. 
Majorité  des  Le  foîn  de  maintenir  la  gloire  &  la  félicité  préfente 
rois.  de  l'Etat  fixoit  toute  Tatention    du  roi.  Il  eût  voulu 

ch^ïr&lili^  pouvoir  aflbrer  la  tranquilité  publique  fur  des  fonde- 
Vonférenc'e  dis  Hieuts  inébranlables.  Ce  fage  monarque  embrafToit  IV 
ordonnances.  venir  daus  fes  projcts.  Il  avoit  éprouvé  par  lui-même, 
Rrl^iiues  Pendant  la  captivité  du  roi  fon  père  ,  combien  les  moin- 
ordonnances,  drcs  obftacles  foht  gênants  pour  Padminiftration  ,  qui 
Tréfordcs   jQ'agit  jamais  avec  plus  d'éficacité  que  lorfqu'elle  émane 

Chartres.  ,.   ^r\  '  ^      r     ^         '         é^  '  i 

directement  du  louveram.  Convamcu  de  cete  maxime, 
&  defirant  afermir ,  autant  qu'il  étoit  en  lui ,  l'autorité 
royale  en  faveur  des  princes  qui  dévoient  lui  fuccéder , 
il  forma  le  projet  d'abréger  les  trop  longues  minorités 
des  rois.  A  ces  vues  politiques  pour  le  maintien  du 
pouvoir  fuprême ,  fe  joignirent  fans  doute  des  coniîdé- 
rations  particulières.  La  foibleffe  de  fon  tempérament 
miné  par  un  travail  afiidu  y  &  par  un  breuvage  empoi« 
fonné  que  le  déteftable  roi  de  Navarre  lui  avoit  fait 
prendre  dans  le  temps  qu'il  n'étoit  encore  que  dauphin , 
ne  lui  permettoit  pas  d'atendre  la  vieillefle  pour  mettre 
ordre  aux  afaires  du  gouvernement.  L'âge  peu  avancé 
de  Charles  ^  l'aîné  de  fes  enfants  ,  lui  caufoit  de  fé- 
rieufes  inquiétudes  :  il  craignoit ,  s'il  fe  laiiToit  préve- 
nir par  la  mort,  que  ce  jeune  prince  ne  fût  à  la  merci 
des  ducs  d'Anjou  ,  de  Berry  &  de  Bourgogne  ,  4ont 
il  connoiflbit  l'ambition.  Après  avoir  pcfé  ces  diVers 
motifs  ,  il  prit  les  mefures  qu'il  jugea  les  plus  ayanta- 
geufes  à  fa  famille  &  au  bien  du  royaume.  Il  crut  y 
parvenir  en  dreflant  le  modèle  de  la  célèbre  ordonnance 
qui  fixe  la  majorité  des  rois  à  l'âge  de  quatorze  ans- 


CharlksV.  4^9 

Cete  ordonnance  donnée  à  Vincenncs  au  mois  d'Août  -' 
de  lannée  1374  >  contient  les  juftes  caufes  qui  ont  dé-  Ann.  1574* 
terminé  le  législateur.  Après  avoir  parlé  du  rcfptâ  & 
de  Tamour  des  peuples  pour  la  perfonne  facrée  de  leurs 
rois  j  il  rapele  v  aue  dans  tous  les  temps  les  fujets  ont 
jy  toujours  obéi  plus  volontiers  aux  ordres  immédiats 
yy  de  leur  prince  ,  qu'à  ceux  qui  ne  partoient  que  de 
yy  Taucorité  paflagere  d'un  régent.  Aux  exemples  tirés 
»-des  hiftoires  étrangères  ,  tant  facrées  que  profanes, 
>^  &  de  celle  de  la  nation  y  il  ajoute  que  cete  Provi- 
^^  dence  ,  qui  veille  incefTamment  fur  la  conduite  des 
»  Etats  y  répandoit  ordinairement  des  lumières  &  un 
»  jugement  prématuré  dans  lame  de  ceux  qui  doivent  ■ 
yy  gouverner  les  autres  hommes  ;  que  les  enfants  des 
»  rois  étoient  confiés  dès  leur  plus  tendre  enfance  à 
yy  des  perfonnages  éclairés  &  vertueux  ;  qu'on  employoit 
>^  l'atention  la  plus  fcrupuleufe  à  les  initruire  ,  &  que 
>>  par  conféquent  il  n'étoit  pas  étonnant  que  les  princes 
5>  hfTeht  des  progrès  plus  rapides  que  le  commun  de 
yy  leurs  fujets  iy.  Charles  dans  cet  édit  impofoit  en  même* 
temps  à  fes  fucceiTeurs  Tindifpen fable  obligation  de  cul- 
tiver avec  un  foin  extrême  ces  précieux .  rejetons  defB- 
nés  à  produire  le  bonheur  de  l'univers. 

Charles  n'eft  pas  le  premier  de  nos  rois  qui  ait  fait  UiJani 
une  pareille  loi.  Philippe  III  r  par  fes  lettres  données 
au  camp  devant  Carthage  en  Afriique ,  confirmées  l'an- 
née fuivante  ,  lorfqu  il  fut  de  retour  en  France  ,  or- 
donna qu'en  cas  qu'il  mourût  avant  oue  fon  fils  eût 
quatorze  ans  acomplis  ,  Pierre  ,  comte  d'Alençon  ,  gou- 
vernât le  royaume  pendant  la  minorité  ,  &  que  fa  ré- 
gence cefsât  auffi-tôt  que  le  jeune  prince  entreroit  dans 
fa  quinzième  année.  (Je  qui  différencie  ces  deux  ordon-^ 
nances  ,  c'eft  que  celle  de  Philippe  le  Hardi  ne  fiiit 
mention  que  de  fon  fils  ,  &  preicrit  les  quatorze  ans 
révolus  ,  au  -  lieu  que  celle  de  Charles  V  en  fait  une 
loi  pecpétuele  pour  tous  les  rois  à  venir  ,  &  rend  lés 
fouverains  majeurs  ^  dès  qu'ils  ont  ateint  la  quatorzième 
année  ;  (  doncc  (kçtmum  quartum  atatis  annum  attigc^ 


47<5  Histoire   db  Frakce, 

r— ***— "^  rit  ).  Ceft  le  fens  dans  lequel  le  chancelier  de  THôpi- 

Ann.  i>74.    tal ,  à  Tocafion  de  la  majorité  de  Charles  IX ,  expliqua 

les  expreilions  de  cete  ordonnance ,  ain£  que  le  raporte 

le  )u(uciettx  auteur  de  Pabr^é  chronologique,   il  fut 

dit  çae  Vcfpnt  de  UIm  était  que  les  rois  furent  majeurs 

à  quatorft  ans  commencés  ,  &  non  pas  acomplis  ,  Jiiv- 

vant  la  règle  y  que  dans  les  caufes  favorables  y  annus 

incœptus  pro  perfeSo  habetur  ,  une  année  commencée 

cft  cenfée  révolue. 

L'ordonnance  de  Charles  V  j  pour  la  majorité  des 

Tir   d     ^^^  ^  ^^  ^^  regiftrée  au  parlement  que  le  vingt-un*  Mai 

Chart.reg.  des  ^^  Tannée  fuivante ,  le  roi  y  Jeant  or  tenant  jon  tit  de 

ancien,  ordon.  jufiice  j  affifté  du  dauphîn  ,  du  duc  d'Anjou  ,  de  plu- 

M  75'  fleurs  autres  princes  ,  feigneurs  &  prélats  ^  du  teoeur 

&  des  principaux  membres  de  Tuniverfité  ,  ainfi  que 

du  pévôt  des  marchands  &  des  échevins  de  la  ville  de 

liidem.      ^^ns.  L'original  de  lettres  fut  remis  aux  religieux  de 

Saint*Denis  ^  pour  être  confervé  dans  leur  tréfor. 

La  majorité  de  dos  rois  depuis  rétabitflement  de  la 
monarchie^  avoic  éprouvé  plufieurs  variations  apuyées 
toutefois  fur  lie  même  prmcipe.  Ils  ne  pouvoient  être 
nàjeurs  que  lor%u'its  étoient  afiez  forts  pour  Ibuceoir 
les  fatigues  du  fervke  militaire.  Les  premiers  Francs 
Dortoienc  des  armes  extrêmement  légères^  ils  corn- 
batoienc  à  pied.  Leurs  enfants  étoient  en  état  d'aler 
à  l'armée  oans  un  âge  peu  avancé^  aufli  étoienc-ils 
Grégoire  de  majeurs  k  quinze  ans.  Cnildebert  II ,  n'avoit  que  cet 
TQurs.  4gç  lorfque  Gontrand  le  déclara  majeur  ,  en  lui  met- 

tant dans  les  mains  un  javelot  félon  l'ufage ,  en  pré* 
ience  de  fafiemblée  de  la  nation.  La  manière  de  taire 
la  guerre  changea  fous  la  féconde  race  ;  on  ne  fe 
iervit  pceique  plus  que  de  cavalerie  :  Farmure  corn* 
plete  de  fer ,  oui  couvroic  entièrement  les  hommes , 
tofmoxr  un  posas  esLceSif  que  l'âge  de  l'habitude  pour 
VMem  feids  refi^  fuportablcr  La  majorité  qui  mar- 
choiç  tomours  ic  pir  avec  k  haàté  éc  pwier  les 
aunes.  ,.  iot  teuitàét  \rtCauli  visvgtrmL  ans*^  Cet  «fage 
faloiAftoîc  lorique  k  roi  ooraia;  Sosl  édit  >  mais  ît  £(ar 


C   H   A   R  £   B   s      V.  471 

voit  par   fa  propre  expérience  qu*ua  monarque  peut 
très  bien  gouverner  fon  royaume  fans  combatre.  A»»-  »n4» 

Cete  même  année  l'apanage  de  Louis  de  France ,    Apanage  de« 
deuxième    fils  du  roi  ,  fut  fixé  à  douze  mille  livres  J^JJ^^* 
tournois  (a)  de  rente  en  fonds  de  terres  qui  dévoient     Xrtfor  des 
être   érigées  en  comté.  Il  fut  de  plus  ordonné  que  le  Charu,  laytt: 
prince  ,   parvenu  à  Tâçe  de  majorité ,  recevroit   une  ^^'/iJj^^^ 
Ibmme  de  quarante  mille  livres  {b)  pour  Je  mettre  en    ckamhrt  di$. 
état  y  c'eft-à-dire,  pour  former  fa  maifon  ;  &  en  cas  Comptes,  mi^^ 
que  le  roi  eût  d'autres  enfants ,  le  même  partage  leur  ^ox'f^^ff* 
écoit  deftiné.    Le  roi  par  ces  mêmes  lettres  régla   la       ' 
dot   des  dames   de  France.    Il  ordonna  que  la  prin-« 
ceffe   Marie ,  Tainée  de  fes  filles  ,  aùroit  en  mariage 
cent  mille  livres  une  fois  payées  y  &  de  plus  les  meu- 
bles   &  habits   &  joyaux  convenables  à  fiUe  de  roi 
de    France.    La   dot   des   princefles  cadetes   étoit  de 
foixante  mille  livres  ^  &  le  même  mobilier. 

Après  ces  difpofitions  préliminaires  en  faveur  de  Régence 
fa  famille  ,  le  roi  régla  la  forme  du  gouvernement.  i^^^'^- 
Il  conféra  la  qualité  de  régent  au  duc  d'Anjou  >  l'aîné 
de  fes  frères  ,  lui  fubftituant ,  en  cas  de  mort  ou  d*ab- 
fence,  le  duc  de  Bourgogne,  fans  faire  aucune  men- 
tion du  duc  de  Berry  5  qui  auroit  dû  précéder  celui 
de  Bourgogne  par  droit  de  naifiance;  mais  la  con- 
duite de  ce  prmce  l'avoit  rendu  fufpeâ.  Ancienne- 
ment  les  lettres ,  tant  de  jufHce  que  de  grâce  ,  étoient 
expédiées  au  nom  des  régents  ou^  régentes ,  &  fcélées 
de  leurs  fceaux  particuliers.  Cet  ufage  fubfifhi  jufqu'k 
la  régence  de  Louife  de  Savoie ,  mère  de  Franbois  1. 
Toutes  les  lettres  de  juftice  furent  alors  publiées  au 
nom  du  roi ,  &  revêtues  de  fon  fceau ,  à  la  diférence 
de  celles  de  grâce  ^ui  étoient  expédiées  au  nom  de 
la  régente;  diftinâion^i/i  ne  fe  jit  pas  fans  raijon ^ 
pour  montrer^  dit  du  ïillet,  que  la.  jufttce  efi  efiiniéc 

(a)  La  valeac  da  marc  d'argent  étoit  alors  de  cent  (bas  tournois  ;  ainfi  cet 
ïotixe  mille  livres  monteioient  anjourd'hui  à  cent  Tipgt  millç  Uyiç»>  le  maïc 
4'argent  étant  à  cin<^iiante  liyres. 

<4i)  QiMac  cent  miUc  UTxts  dç  notre  monooiCf 


47*  HisTOiuK   DB   France, 

toujours  durer  en    ce   royaume  ^  /bit  le  rot  morts  prîî 
Aiin.  XJ74.    ou  abfeîit;  aujfi  les  lettres  de  jujîice  expédiées  du  temps 
i  d^un  roi  défunt ,  font  exécutées  au  règne  de  fon  fuccef^ 

feur  y  tandis  que  les  lettres  de  grâce  ou  de  "comman- 
dement ceffent   d'avoir  leur  éfet  avec  le    pouvoir  de 
celui  qui  les  a  données  ,  à  moins  que  celui  qui  fuccede 
ne  les  confirme.   Le    premier   prince  ,    adminiftrateur 
pir*^/ ''^^*' *  de  TEtat  au -lieu  du   roi,  qui   prit  le  titre  de   régent 
frajfuitr.        j^  roya;ime  ,  fut  Philippe -le -Long  pendant  la  grof- 
feffe   de    la  reine  Clémence   fa  bele*^fœur,  veuve  de 
Louis  Hutin.    Le  roi  ,  en   donnant  au  duc  d'Anjou 
l'adminiftration  du  royaume   pendant  la  minorité   de 
fon    fils  ,   aporta   quelques   modifications  à   l'autorité 
de  cete  placç   qui   jufqu'alors.avoit  été  illimitée.  Une 
des    conditions    entr'autres  fut  de  ne    pouvoir    faire 
aucune  aliénation,   fous  quelque  prétexte  que  ce  fût. 
Le   duc  s'engagea  par  ferment   à  fuivre  çn  tout  les 
intentions  de  fa  majefté  (a). 

(a)  Comme  l'hiftoire  ne  nous  a  fourni  jufqu  a  jprëfent  aucun  monument  ie 
Çjcte  efpece  ,  il  ne  fera  pas  inutile  de  raporter  ici  la  formule  du  ^ferment  que 
prêta  le  duc  d*Aiiiou  dans  la  fainte  chapele  du  palais.  Cete  pièce  curieafe  par 
elle-même  eft  effenciele  pour  la  connoiflance  des  conftitutions  fondamentales 
de  noue  monarchie.  Elle  étoit  conçue  en  ces  termes  :  »  7e  Loys  duc  d'Anjou 
9>  &  de  Touraine ,  jure  fur  les  faints  évangiles  de  Dieu  &  fur  les  faîntes  re* 
99  liques  ci  ptéfentes  par  mon  ferment  &  par  ma  loyauté ,  qu^fi  monfeigneur 
M  le  roi ,  ce  que  Dieu  ne  veuille  ,  mouroïc  avant  que  mon  très  chier  fcigncar 
M  &  neveu  monfeigneur  Charles  fon  aîné  fils  fut  entré  au  quatorzième  an 
M  de  fon  âge  y  je  garderai  >  gouvernerai ,  9c  défendrai  le  royaume  &  les  bons 
M  fujets  d'icelui.  loy arment ,  juftement  &  raifonnablement ,  &  au  plus  hono* 
a^  rablen)ènt  fie  prpfitablemenc  que  je  pourai  &  fçaurai ,  au  bien  ,  honeur  8c 
99  profit  de  moodit  feigneur  &  nçvçu  ledit  aine  nls  de  monfeigneur  le  roi, 
^  comme  fpn  héritier  &  Aicceftur ,  lors  vrai  &  droiturier  roi  de  France ,  & 
».audi  garderai"  &  défendrai  le  domaine  »  les  noblefles  ,  droitures  &  fei- 
u  gneuries  d'icelui  toyaume  contre,  tout  homme  vivant  fans,  en  rien  aligner  , 
M  ne  foufrîr'  être  aliéné  par  quelconque  manière  ,  ne  pour  quelconque  eau* 
3»  k  /couleur  ou  ocafion  que  ce  foit  ,  &  à  ladite  garde  &  défenfe  mettrai 
>>  ^  expofer^i  ma  perfonne  &  tous  mos  bien$  ,  meubles  Se  non  meubles , 
9*  toutefois  que  befoin  en  fera  ,  tout  auffi  comme  je  ferois  ou  «faire  dcvrois 
9i  pdur  nion  ptdftt  héritage  ,  6c  fci^î  faire  aux  grands  Se  aux  '  petits  ,  fans 
w  acception  de  perfonne  ,  raifon  Se  juftice.  Tiendrai  le  royaume  Se  tous 
«  les  lujets  d'icçlui  cp  bonne  p^ix  tout  le  plus  que  je  pourai*,  &  les  garderai 
V  de  toute  ma  piiiflancp  d'être  pillés,  roh^s,  grevés  ou  pprknés,  âc'oemet^ 
»  trai  le  royaume  en  noùvêle  guerre  que  je  ne  le  puifie  éviter  durant  la 
I»  tçmps  de  mondit  gouYernemenc  par  quclcooq^ue  loi  oi|  m^erc  que  ce  foie  j 

Le 


Charles    V.  473 

Le  régent  difpofoic  fouverainement  de  tout  fans  être  ^     ;         ' 
obligé  de  rendre  compte  de  fon  adminiftration ,  lorf-    Ann.  1574. 

3ue  fon  pouvoir  expiroit.  Le  roi  qui  vouloit  reftrein-  ^r^l^f  ^réJ 
re,  autant  quil  étoit  poffible,  Tautorité  qu'il  con-  gcncc/  *^' 
fioit  à  fon  frère  ,  donna  par  fes  lettres  ,  datées  du  /«<&«. 
même  mois,  la  tutele  de  fes  enfants,  &  le  gouver- 
nement des  finances  de  TEtat  à  la  reine  fon  époufe , 
aflîflée  des  ducs  de  Bourgogne  &  de  Bourbon ,  fubfH- 
tuant  ces  deux  princes  k  la  reine ,  s'il  arivoit  que  par 
la  mort  de  cete  princeffe ,  la  tutele  n'eût  pas  lieu.  Il 
ordonna  en  même -temps  que  ce  qui  refteroit  des 
revenus  du  royaume ,  les  charges  aquitées ,  feroit  dé- 
pofé  entre  les  mains  du  feigneur  Bureau  de  la  Rivere, 
premier  chambélan  ,  pour  être  remis  au  roi ,  lors- 
qu'il feroit  majeur.  Par  ces  mêmes  lettres  il  forma 
pour  la  reine  tutrice ,  &  les  deux  princes  fes  frères  , 
un  confeil  compbfé  dts  archevêques  de  Reims  &  de 
Sens,  des  évêques  de  Laon,  de  Paris,  d*Auxerre  & 
d'Amiens  ,  des  abés  de  Saint -Denis  &  de  Saint- 
Maixant^  du  comte    de   Tancarville  ,  chambélan  de 

M  Se  avec  la  loi  &  les  ordonnances  faites  par  mondit  feigneur  le  roi  fur  Ta- 

»  gemenc  des  aines  fils  de  lui  &  de  fes    fuccef&ars  rois    de   France  ,    fur  le 

»  douaire  de  madame  ma  très  chi ère  dame  madame  la  royue  de  France,  femme 

»>  de  mondit  feigneur ,  fur  la  tutele  »  garde  &  gouvernement  de  mon  très  chiec 

a'  feigneur  &  neveu  (on  ain^  fils ,  8c  de  mes  autres  neveux  &  nièces  fes  enfants, 

»  Se  fur  If  partage  ou   apanage  d'iceux  »  fur  la  garde  Se  déppc  des  joyaux  , 

»  vaifTelle  ,  monnoie  d'or  &  d'argent ,  pierreries ,  &  de  tous  autres  biens ,  meu- 

»•  bles  que  mondit  feigneur  le  roi  auroit  au  jour  de  fon  trépaflement  ,  Se  aufli 

M  des  meubles  qui  vLendroient  des  rentes»  revenus»  profits  &  émoluments  do. 

•»  royaume  durant  le  temps  que  j*en  aurai  le  gouvernement ,  Se  fur  le  fait  de 

*y  fon  tcdament  ou  dernière  volonté ,  lefqucles  loi ,  ordonnances  Se  tedament' 

»  j*ai  oy  lire  de  mot  à  mot ,  &  me  tiens  pour  pleinement  enfourmés  »  Se  bien 

a»  acertainés  ^es  chofes  contenues  en  icclles  »  je  tiçndjai  ,  garderai  Se  acom* 

»  plirai  ^  ferai  tenir ,  garder  Se  acomplir  de  point  en  point  lelon  leur  fourmq 

•>  Se  teneur ,  rialment  Se  de  fait  ,  loyaument  Se  véritablement  ,  fans  fraude , 

n  barat ,  déception  »  are  ,  caùtile  ou  malcngin  ,  ^  ne  ferai ,  oirai  ou  veendrai, 

3>  ne  foufrirai  faire  ,  aler  pu  venir  à  Tencontre  par  moi  ou  par  autres  tcnc- 

y>  ment  "^  ou  exprclTéllient  ,  diredement  ou  indireâemcnt  ,  publiquement  ou     '^  taciumcAti 

»»  ocultement,  poar*queicouque  cajufc  ,   couleur  ou  ocafion  6c  par  quelconque 

w  voie  ou  manière  que  ce  foit  ,  Se  ainH  je  le  jure  &  promets  fur  les  faints 

9»  évangiles  &  reliques  defTufdits  ,  par  ma  chrefticnté  »  le  baptcfme  que  je  pris 

»3  fur  les  fonds ,  &  par  ma  part  de  paradis.  Ainfî  me  veuille  Dieu  aidier  Se  les 

?»  faintes  évangiles  &  reliquçs  ci  préfent^ç  '«. 

Tome  V.  O  p  o 


474  HisTOiRE<DE  France, 

■  :  France  ,  ou  de  celui  qui  lors  le  feroit ,  du  connétable 

Aun.  x')74.  du  GuefcUn  y  de  Jean  comte  de  Harcourt ,  &  de  Jean 
comte  de  Sallebruche  ,  bouteiller  de  France ,  de  Si- 
mon comte  de  Brenne,  d*Enguerrand  fire  de  Coucy, 
d'Olivier  de  Cliffon ,  des  feigneurs  de  Sancerre  &  de 
Blainville ,  maréchaux  de  France ,  de  Raoul  de  Rey- 
neval ,  pannetier  de  France ,  de  Guillaume  de  Craon 
&  de  Philippe  de  Maizieres  ,  de  Pierre  de  Villars^ 
grand-maître  de  Thôtel  du  roi  &  garde  de  Toriflâme , 
de  Pierre  d'Aumont  &  de  Philippe  de  Savoifî  ,  cham- 
bélans ,  d'Arnaud  de  Corbie  &  d'Etienne  de  la  Gran- 
ge ,  préfîdents  au  parlement  y  de  Philbert  de  TEfpi- 
nafle,  Thomas  de  Boudenay  &  Jean  de  Rye,  che- 
valiers, de  Richard  doyen  de  Befançon^  Nicolas  Du- 
bois &  Evrard  de  Tramagon,  confeillers,  de  Nicolas 
Braque  ,  Jean  Bernier  ,  Bertrand  Duclos  y  Philippe 
d'Augier  ,  Pierre  du  Chaftel  &  Jean  Paftourel ,  maî- 
tes  des  comptes,  Jean  le  Mercier,  général  des  aides, 
Jean  d'Ay ,  avocat  au  parlement ,  &  de  fix  bourgeois 
de  la  ville  de  Paris  ,  au  choix  de  la  reine  &  des 
princes.  Ce  confeil  de  tutele  ,  dans  lequel  entroit  ce 
qu'il  y  avoit  de  plus  illuftre  des  trois  ordres  du  royau- 
me ,  étoit  bien  capable  de  balancer  la  puifTance  du 
régent,  pour  peu  qu'il  voulût  en  abufer.  Ces  difpo- 
fitions  furent  confirmées  par  les  ferments  de  la  reine, 
des  princes ,  des  feigneurs ,  des  prélats ,  &  des  ofi- 
ciers  qui  dévoient  contribuer  à  en  maintenir  Texécu- 
•  lion.  Les  ferments  quils  prêtèrent  à  ce  fujet  furent 
conçus  à-peu-près  dans  les  mêmes  termes  que  celui 
du  duc  d'Anjou  pour  la  régence. 

On  voit  dans  ces  deux  ordonnances  des  veftîges  de 
Tufage  pratiqué  de  toute  ancienneté  en  France,  ou 
l'on  admettoit  deux  fortes  d'adminiftration  ,  dont  Tune 
étoit  uniquement  relative  à  la  perfomie  du  roi,  & 
l'autre  au  gouvernement  du  royaume  ,'  comme  dans 
les  loix  féodales  on  diftinguoit  la  tutele ,  qui  n'avoic 
pour  objet  que  la  perfonne  du  pupile,  de  la  baiïïic 
qui   rentermoit  la  garde   &    le   gouvernement   de  la 


H    A    R   £   £    s      V.  475 

terre.    Blanche ,  mère  de  faine  Louis ,  réunît  la  pre- 


mière ces  deux  titres  que  Ton  diftingua  toujours,  mais    Ann.  1574. 
qu'on   ne  fepara  jamais  depuis  Charles  V.  Au-refte ,   ^^rég.chron. 
l'événement    trompa   les  elpérances  du   roi.    Ces    or-  ^  ^^''^' p- ^ '^* 
donnances    eurent  le  fort  de  la    plupart  des  difpofi- 
tîons  projetées   par  les  hommes.   La  mort  de  la  reine 
fit  avorter  l'arangement  pris  pour  la  tutele  ,  &  Tédit 
concernant  la   majorité  rencontra  des   obftacles  dans 
1  ambition  &  la  méfintelligence  des  princes  ;   &  quoi- 
que Charles  VI ,  parvenu  en  âge  ,  Teût  confirmé ,  ce 
ne   fut  que   long -temps  après,  que  cete  conftitution 
aquit  ennn  la  force  d'une  loi  fondamentale. 

Les  plénipotentiaires  des  deux  couronnes  recom-  Ann.  ijj;. 
mencerent  les  conférences ,  ainfi  qu'ils  en  étoient  de- 
meurés d'acord  avant  leur  féparation.  Il  y  eut  quel- 
ques contcftations' fur  le  lieu  où  les  négociations  dé- 
voient fe  traiter.  Les  députés  du  roi  de  France  refu- 
ferent  d'aler  à  Bruges ,  &  réitèrent  à  Saint-Omer.  Il 
paroît  que  ces  dificultés  furent  ocafionnées  par  Tobfti- 
nation  au  duc  cl'Ânjou  qui  devoit  aflifter  aux  confé- 
rences ;  car  il  perfifta  dans  la  réfolution  de  ne  pas  s'y 
trouver,  tandis  que  le  duc  de  Bourgogne,  le  comte 
de  Sallebruche  ,  les  évêques  de  Beauvais  &  d'Amiens 
s'y  rendirent.  Les  agens  du  roi  d'Angleterre  étoient 
toujours  les  mêmes ,  à  la  réferve  du  duc  de  Bretagne 
qui  fe  joignit  à  eux.  Ce  congrès  fut  auffi  infruftueux 
que  lavoit  été  le  précédent.  La  trêve  fut  feulement 
prorogée  jufqu'à  la  Saint- Jean -Baptifte  de  l'année 
fuivante  ;  c'eft  tout  ce  que  purent  obtenir  les  légats 
du  faint  fiege.  Les  prétentions  réciproques  étoient  trop 
opofées  pour  qu'il  fût  polïible  de  les  raprocher.  Le 
roi  de  France  demandoit  la  rèftitution  de  la  fomme 
de  quatorze  cent  mille  livres  qu'il  avoit  aquitée  pour 
la  rançon  du  roi  fon  père  ,  &  de  plus  il  exigeoit  que 
les  fortifications  de  la  citadele,  ainfi  que  de  la  ville 
de  Calais ,  fuflent  démolies.  Les  Anglois  de  leur  côté 
infiftoient  fur  le  tranfport  abfolu  de  la  fouveraineté 
dç  la  Guienne ,  fuivapf   les  termes  du  traité  de  Bré* 

O  o  o  i  j 


47^  HlSTOlRfi     DE    F^AÏTCE, 

»'  tigny  ;   &    prétendoient    qu'on  leur  rendit  les  places 

Anik  137;.    qui  leur  avoient  été  enlevées  dans  cete  province.   Le 

roi ,  de  lavis  de  fon  confeil ,  déclara  ne  pouvoir  acor- 

der  ces    conditions  ,  dircclcmcnt  contrains  au  ferment 

qu^il  avoit  fait  à  fon  avènement  à  la  couronne. 

Quoique  l'Angleterre  formât  des  demandes  qu'elle 
n'auroit  pas  dû  le  flater  d'obtenir ,  quand  même  elles 
auroient  été  apuyées  par  une  armée  viâorieufe  ,  il 
s'en  faloit  beaucoup  cependant  aue  fon  état  aâuel 
répondît  à  la  hauteur  qu'elle  afeaoit.  Une  guerre  fi 
longue  l'a  voit  épuifée  d'nommes  &  d'argent  :  elle  étoit 
privée  de  fes  meilleurs  capitaines  :  elle  touchoit  au 
moment  de  pleurer  dans  la  mort  du  prince  de  Galles 
la  perte  du  héros  de  la  nation  :  une  vie  aâive  pafTée 
dans  le  tumulte  des  armes  y  ou  l'embaras  des  afaires , 
avoit  confumé  la  fanté  de  fon  roi  :  il  reflentoit  déjà 
Tabatement  d'un  vieillefle  anticipée.  Edouard  an-mi- 
lieu de  tant  de  difgraces  cherchoit  à  fe  confoler  de 
fes  chagrins  publics  &  domeftiques  jians  le  fein  des 
plaifirs  de  l'amour ,  amufements  qui  paroiiToient  peu 
convenables  à  fon  âge.  Ce  prince ,  dit  -  on ,  devint 
amoureux  d'une  demoifele  d'noneur  de  la  feue  reine 
fon  époufe,  il  avoit  alors  plus  de  foixante  ans.  Cete 
paffion  remplit  les  dernières  années  d'une  vie  dont 
jufqu'alors  l'ambition  avoit  paru  ocuper  tous  les  mo- 
ments. Le  peuple  mécontent  d'ailleurs  ,  ne  put  lui 
{)ardonner  cet  atachement.  Un  roi  triomphant  eft 
'idole  de  fes  fujets,  quand  niême  il  les  acableroit  du 
poids  de  fa  gloire.  Une  guerre  malheureufe  fufit  pour 
renverfer  les  autels  qu'on  lui  avoit  élevés  dans  la 
profpérité.  la  flaterie  l'avoit  placé  au-deiTus  des  mor- 
tels  :  la  baffe  malignité,  rimpofture,  l'ingratitude  fe' 
déchaînent  contre  lui,  l'outragent,  déchirent  fa  répu- 
tation :  on  oublie  fes  vertus ,  on  lui  fait  un  crime  d'une 
foibleffe  que  le  dernier  &  le  plus  inutile  des  hommes 
ofe  fe  croire  permife.  Le  magnanime  Edouard  fit 
cete  trifte  épreuve  :  il  dut  aprendre  qu'il  faut  être 
heureux  pour  obtenir  la  faveur  de  la  plus  nombreufe 


C   H   A    R   L    E    s      V*  477 

partie  de  Pefpece  humaine ,  ou  plutôt  il  aprit  Teftime  ^     '       "' 

qu'on  doit  en  faire.  Le  roi  d'Angleterre  <lans  un  par-    ^^^  ^^75* 

lement   qui  le  tint  à  Londres  ,  dem4||da  un  iiibiide 

pour  la   continuation   de  la    guerre.    La  nation   faîfît 

cete  circonftance  pour    marquer  fan   mécontentement 

de   Tadminiltration    préfente.  On  foupçoijna  le  prince 

de   Galles  d'avoir  fous  main  fomenté  cete  réfiftance. 

Ce  prince  qui  fentoit  aprocher  fa  fin ,  craignoit  pot« 

le  Jeune  Richard  fon  fils,  l'ambition  du  duc  de  Len- 

canre  ,   qui  jouïflbit  alors    de  la  plus  grande  faveur 

auprès  du   roi.  Le  parlement ,  avant  que  d'acorder  le 

fubfide ,    préfenta  au   monarque   une  adreffe    pour  le 

prier    d'éloigner    de    fa   perfonne    quelques    miniflres 

qu'il  lui  nomma;  mais  fur- tout  le  duc  de  Lencaftre, 

&  Alix  Pierce  ou  Perers   (a) ,  c'étoit  le  nom   de   la 

maîtrelTe    d'Edouard  ,  qui  fut.   obligé   de    céder  aux 

înflances  de   Taflemblée.    Cete  dame ,  difent  quelques 

hiftoriens  ,  »  étoit    acufée   d'aler   dans   les   cours    de  ^^^^l^^^'^' 

V  juflice ,  de  s'afleoir  fur  le  tribunal   avec  les  juges ,      ^'     '^^^^ 

»  &  de  leur  diâer  les  jugements.    On  lui   reprochoit 

»  de  fe  tenir  près  du  chevet  du  lit  d'Edouard  dans  le 

yy  temps    que   les  courtifans  atendoient   à  la  porte  de 

yy  la   chambre  w.  Quelques  autres  écrivains  fe  font  ata- 

chéis  k  juftifîer  Edouard ,  qui  peut-être  dans  cet  ata- 

chement  n'envîfageoit  que  les  douceurs  innocentes  de 

la  fîmple  amitié  (b).   Au  furplus  ,   cete  liaifon   nous 

donne  lieu  de  placer  ici  le  récit  d  une  fête  .qui  peut 

fervir  à  donner  aux  lefteurs  une  idée  de  la  galanterie 

qui  régnoit  alors.   Alix  étoit  fi  belc ,  qu'elle  fut  créée 

dame   du    foleil.    Le  roi    célébra    l'illuflration   de   fa 

favorite  par  une  pompeufe  cavalcade.   On  vit  le  mo- 

(a)  Hapin  Tboyras  la  nomme  Alix  l^icrce  :  les  tiifioriens  Erpagnols  qui 
difent  que  cete  demoifcle  ëtoît  de  leur  nation ,  lui  donnent  lé  nom  d  Perers. 
Elle  eft  nommée  de  même  dans  Rymer  ,  où  Ton  trouve  une  lettre  du  roi 
qui  lui  donne  quelques  bijoux  qui  avoient  aparienu  à  la  reine.  Vide  Rap,  Th* 
Ferr,  Rym,  aâ.  publ.  tom,  3  ,  pag.  tj. 

(tf)  Ils  s*apuient  •  pour  cete  judifidation  C\it  ce  que  Guillaume  Baron  de 
^indfor  ,  après  la  mort  d'Edouard  5  ne  fit  aucune  dificulté  d*£poufec  Alix* 
C  eft  aux  Icâcnrs  à  juger  du  mérite  de  cete  preuve. 


47^  Histoire   de   France, 

:  naxque  &  la  dame  montés  fur  un  char  de  triomphe: 

Ann.  XJ7;»    ils  étoient  fuivis  par  un  grand  nombre  de  dames  de 

la  première  d^naion,  dont  chacune  menoit  un  che« 

valier  a  taché  au  frein  de  fon  cheval.  Cete  troupe  fu- 

{>erbemeut  parée  ,  marcha  dans  le  même  ordre  depuis 
a  tour  de  Londres  jufqu'à  une  des  places  principales 
de  la  ville ,  où  Ton  commença  un  magnifique  tournoi 
qui  dura  fept  jours  ,  probablement  en  Ihoneur  des. 
lept  planètes.  Cete  fête  difpendieufe ,  qui  fe  donna 
en  1374  ,  prefque  dans  le  même  temps  que  le  roi 
demandoit  un  fubfide ,  fembloit  en  quelque  forte  au- 
torifer  les  murmures  du  peuple. 

Edouard  cependant,  malgré  les  obftacles  qu*il  rcn- 

controit  dans  rafeâion  de  fes  fujets  ,  paroiflbit  n'avoir 

pas  perdu  de  vue  le  projet  de  rentrer  par  la  force  des 

armes  dans  la  pofleffion  des  provinces  qui  lui  avoient 

Rymer^  cêi.  été  eulevécs  çn  Aquitaine.  Il  fit  foliciter  fecrétement 

puS.  tom.  î ,  le  cojnte  de  Foix  d'entrer  dans  fon  aliaace.  Pour  cet 

Pf''^^i'  ^fet  il  envoya  des   agents  avec  un  plein  pouvoir  de 

traiter  avec  ce  feigneur ,  fe  flatant  que  l'inimitié  qui 

fubfiftoit  depuis  long-temps  entre   la  maifon  de  Foix 

&   celle  des   feigneurs  d'Albret  &  d'Armagnac ,  dé- 

termineroit  le  comte  k  s'unir  avec  TAngleterre.   Cete 

négociation  fut   fans  éfet,  foit  quelle  n'eût    pas   été 

ménagée  avec  afiez  d'adreffe ,  foit  que  Gafton  préférât 

fa  tranquilité  aux  avantages  qu'on  lui  ofroit. 

Les  nou vêles  intrigues  du  roi  de  Navarre  n'eurent 
pas  un  fûccès  plus  favorable  pour  1  Angleterre.  On 
doit  toujours  s'atendre  à  découvrir  quelque  perfidie  ^ 
lorfqu'il  eft  queftion  de  ce  prince ,  dont  le  nom  feuî 
femblç  annoncer  les  crimes.  Les  foibles  liens  qui 
pouvoîent  Tatacher  au  roi ,  étoient  ronipus  par  la 
mort  de  Jeanne  de  France  fon  époufe.  'Depuis  piqs 
d'une  année  il  avoit  envoyé  çete  princefle  en  France 
fous  prétexte  de  manager  fes  intérêts  auprès  du  roi 
fon  frère.  Jeanne  vint  d'abord  à  Montpellier  avec 
Pierre  comte  de  Mortain  ,  le  fécond  de  ks  enfants. 
Après  avoir  féjourné  quelque  çemps  dans  cete  ville. 


Charles    V.  479 

elle  en  partit   pour  fe  rendre  k  Evrerix,  où  elle  mou-  ^  - 

rut  Tannée  fuivante.  On  foupçonna  le  roi  fon  époux  ^^^*  ^5^^. 
de  Tavoir  fait  empoifonner.  Le  trépas  imprévu  de  cete 
reine ,  qui  expira  fubitement  dans  le  bain ,  ocafionna 
ce  foupçon  injufte  ou  légitime.  On  intérogea  les  per- 
fonnes  qui  IV  prochoient  ,  &  la  feule  réponfe  qu'on 
put  en  tirer  fut  ,  gu^elU  étoit  morte  pour  avoir  été  ^roc^s  MS. 
mal  gardée.  S'il  eft  vrai  qiie  fa  mort  n'ait  pas  été  na-  l^arreJnt^.Ve 
turele  y  les  miniftres  du  roi  de  Navarre  qui  pour  lors  F.  du  Tertre. 
étoient  à  Evreux  ,  étoient  trop  intérefl'és  à  ce  myftere  M^im^deLitr 
pour  ne  pas  l'enfevelir  dans  un  profond  oubli;  Ils  fe 
raflemblerent  au  moment  que  cet  accident  fut  di- 
vulgué. Les  dames  &  demoifeles  de  la  princeffe  furent 
apelées ,  ainfî  que  les  autres  oficiers  de  fa  maifon  : 
on  leur  fit  prêter  ferment  :  on  dreflk  un  procès  verbal 
Qui  ne  contenoit  autre  chofe  que  la  dépofition  d'une 
ne  {ts  femmes  apelée  Margot  de  Germonville.  Cete 
femme  déclara  que  la  reine  étoit  morte  de  foiblcjfe 
de  cœur.  La  voix  publique  acufa  dans  le  même  temps 
Charles  -  le  -  Mauvais  d'avoir  fait  pareillement  empoi- 
fonner  Charles  de  Navarre  comte  de  Beaumont  fon 
fils  aîné  ^  &  le  cardinal  de  Boulogne  qui  mourut  en 
Efpagne.  Ces^'forfaits  ne  furent  point  avérés  :  mais 
quele  étoit  Thorrible  réputation  de  ce  prince,  puif- 
qu'il  fut  réduit  à  fe  juftifier  auprès  de  fa  fainteté  de 
la  mort  du  prélat  ?  Grégoire  Al  qui  ocupoit  alors 
le  faint-fiege  ,  lui^  répondit  »  qu'il  ne  pouvoit  croire 
jy  qu'un  prince  qui  joignoit  les  fenciments  de  piété  aux 
5>  vertus  royales ,  eût  été  capable  de  faire  mourir  un 
yy  prélat  qui  étoit  fon  ami  ;  que  d'ailleurs  ayant  in- 
yy  térogé  les  oficiers  de  la  maifon  du  cardinal  y  ils  lui 
^y  avoient  atefté  qu'il  étoit  mort  de  maladie  &  non 
»  de  poifon. 

Le   Navarrois   étoit  toujours  agité   par  les  mouve- 
ments d'une   haine  irréconciliable  contre  le  roi ,  fenti- 
ments  furieux  qu'irîtoit  encore  la  profpérité  du  royau- 
.  me.    11   crut    avoir  trouvé  une  circonftance   propre  à 
fatisfaire  cete  inimitié  dans  un  démêlé  qui  fuirvint  à  la 


480  Histoire  dk  Franck, 

■    '  cour   de    France.    Le   roi  avoic   demandé  à  Philippç 

Ann.  n7;.  d^Alen^oH  prince  du  fane  de  la  branche  puînée  de 
la  mailon  de  Valois  ,  archevêque  de  Rouea ,  un  ca- 
nonicac  de  fa  cathédrale  pour  un  écléfiaftique  qu'il 
procégeoic.  L'archevêque  le  refufa  :  Charles  irité  de 
ce  refus,  cédant  peut-être  en  cete  ocafion  un  peu 
trop  facilement  à  fa  colère,  fit  faifir  le  temporel  du 
prélat.  Philippe  encore  plus  indifcret  mit  le  royaume 
de  France  en  interdit  &  fe  réfugia  auprès  du  pape. 
Non  content  de  cet  éclat,  il  chercha  les  moyens  de 
fe  faire  un  parti  daps  l'Etat  par  Iç  crédit  de  fa  mai- 
fon ,  qui  étoit  très  puiffante  {a).  Les  ennemis  du  roi 
étoient  sûrs  de  trouver  dans  le  roi  de  Navarre  un 
partifan  toujours  difpofé  k  féconder  leurs  projets*  L'ar- 
chevêque lui  envoya  propofer  de  former  une  liguç 
avec  lui  contre  le  roi  de  France  :  il  fe  vanta  publi-* 
quement  dçvant  les  agents  du  roi  de  Navarre  que 
2hU.  interr.  combien  qu^U  fut  clerc ,  //  s^ armerait  en  fa  perfonne , 
^/tfjtfw  du  Çf  r^  mettroit  Ji  avant  en  ladife  guerre  comme  chevalier 
qui  y  fût.  Le  prélat  aveuglé  par  fon  reffentiment ,  nq 
trouvoit  aucun  obftacle  capable  d'arêter  la  vengeance. 
Il  fe  flatoit  de  difpofef  deç  places  de  la  comtefie  d'A- 
lençon  fa  merç ,  du  comté  du  Perche  :  il  ne  défefpé- 
roit  pas  inême  d'engager  dans  fon  parti  le  comte 
d'Aleqçon  ^  le  comte  d'Etampes.  Si  l'exécution  de 
ce  projet  eôt  été  auffi  facile  que  larçhevêqye  fe  le 
figuroit ,  il  eft  certain   quç   le  gouveirnepient  fe   fe- 


(fl)  Philippe  d*Alcnçon  étoît  pctit-fils  de  Charles  comte  de  Valois  fircrc  de 


quîlée ,.  cardinal ,  &  moarat  à  Rome  en  pdeur  de  fainceté.  Le  peuple  prétendit 
qu'ayant  jk  iiprc^  fon  trépas  ,  il  avoit  opéré  plufienrs  miracles.  A  peu  pni< 
vers,  le  même  temps  que  l'archevêque  de  Rouen  eut  ce  démêlé  avec  le  roi  ^ 
Charles  d*Alcnçon  fon  frcrc  aîné ,  qui ,  ainfi  ouc  lui ,  s'étoit  engagé  danç  les 
ordres  facrés ,  &  avoit  été  pourvu  de  Tarchcvêché  de  Lyon  ,  eut  une  quetclc 
très-vive  avec  le  roi ,  au  fjijet  de  la  j^rifdidion  de  la  ville  de  Lyon  :  le  teai- 
porcl  de  fon  archevêché  fut  faifî  ;  mais  plus  modéré  quç  fon  frère  ,  il  fc  coii- 
tcnta  d'excommunier  le  bailli  de  Mâcon  ,  &  de  mettre  la  ville  de  Lyon  en  in- 
terdit, Hifi.  des  card.  Hift  d'A/enfon.  Wfi.  de  Lyon,  Gali.  chrifi.  Hift.  génial. 
fU  1(1  mai/on  de  Franc f^  &ç. 

roit 


C   H    A    R   L   K    s      V.  481 

roît  trouvé  dans    une    conjonâure    embaraflantc  par  ! 

la  divifîon  de  la  famille  royale  ;  mais  lorfqu'il  fut  Ann.  137;. 
queftion  d'éfeâuer  fes  magnifiques  promeffes  ,  l'ar- 
chevêque ne  trouva  pas  les  princes  de  fa  maifon  dif- 
pofés  à  entrer  dans  fes  vues  :  il  fe  vit  contraint  de 
renoncer  aux  efpérances  imaginaires  dont  il  avoit  flaté 
la  malignité  du  roi  de  Navarre ,  qui  par  deux  fois 
renoua  la  négociation  y  qu'à  la  fin  il  abandonna  y  re- 
connoifiant  que  le  prélat  n*avoit  à  lui  ofrir  que  les 
é€orts  inutiles  d'une  haine  impuiffante. 

Charles-le-Mauvais  que  rien  n'étoit  capable  de  re- 
buter ,  entreprit  alors  de  renouer  avec  TAngleterre. 
Il  avoit  quelque  temps  auparavant  conclu  avec  Edouard 
un  traité  qui  n'eut  point  d'exécution ,  parce  que  le 
prince  de   Galles  ne  voulut  pas  le  ratifier.   Il  devoit  nu 

venir  à  Cherbourg  pour  être  plus  à  portée  de  con-  toZ^jL!^', 
clure  une  aliance  avec  les  ennemis  de  l'Etat ,  defquels 
H  obtint  plufieurs  lettres  de  fauf- conduit  pour  difé- 
^  rentes  provinces  où  il  forma  fucceflîvement  le  projet 
de  fe  rendre.  A  la  fin  il  parut  fixer  fon  indécifion  en 
s'arêtanc  au  deffein  d'envoyer  un  agent  à  Londres.  Le 
prince  de  Galles,  qui  avoit  toujours  paru  éloiené  de 
cete  aliance ,  fe  rendit  à  la  fin ,  &  le  miniftre  Nava- 
rois  revenoit  vers  fon  maître  avec  les  articles  du 
traité ,  lorfque  le  vaiiTeau  qui  le  tranfportoit  des  côtes 
d'Aneleterre  à  Baïonne  ,  périt  dans  le  trajet.  Ainfî 
Charles  ne  pur  aprendre  pour  -  lors  le  fuccès  de  la 
négociation,  &  le  gouvernement  Anglois  fut  peu  de 
temps  après  ocupé  d'afaires  d'une  autre  nature  par  les 
changements  qui  furvinrent.  ^ 

Tandis  que  les  médiateurs  nommés  par  le  faînt  Mortduprîn- 
ficge  défefpérant  de  parvenir  à  procurer  une  paix  fo-  ce  de  Galles. 
lide ,  de  concert  avec  les  plénipotentiaires  ,  employoient 
tous  leurs  éforts  k  prolonger  la  fufpenfion  aes  hofti- 
lités;  un  héros ,  Thoneur  de  fon  fiecle,  l'apui  de  l'An- 
gleterre, le  prince  de  Galles  rendoit  les  derniers  fou- 
pirs  dans  le  palais  de  Weftminfter ,  laiflant  fon  père 
êc  la  nation  inconfolabLes  de  fa  perte.  Il  fut  fan< 
Tome  F^  ^ P? 


4^2  Histoire   de  France, 

,  .:  contredit  un  des  plus  grands  hommes  que  rAngleterre 
Ann.  1375.  ait  produits.  Intrépide  à  la  tête  des  armées  ,  terrible 
dans  le  combat ,  toujours  vainqueur ,  afable  &  mo- 
defte  après  la  vidoire,  généreux,  libéral,  jufte  apré- 
ciateur  du  vrai  mérite  ,  ami  du  genre  humain  ;  jamais 
Téclat  que  tant  de  fublimes  qualités  réuniflbient  en  fa 
perfonne  ,  ne  lui  fit  oublier  fes  devoirs  :  fon  pcre 
n'eut    point    de   fils    plus  refpeâueux ,   plus   fournis, 

f>Ius  tendre.  Les  Anglois  le  pleurereno  univerfélement: 
eurs  d'efcendants  rendent  encore  aujourd'hui  hommage 
à  la  mémoire  de  ce.  digne  prince  :  il  emporta  même 
au  tombeau  les  finceres  regrets  de'  la  nation  Françoife , 
qui  fçait  eftîmer  &  refpeaer  la  vertu  jufque  dans  fes 
ennemis.  On  Tapeloit  le  prince  noir  parce  qu'il  .por- 
toit  des  armes  ordinairement  de  cete  couleur.  Il  mou- 
rut à  1  âge  de  quarante-fix  ans.  Le  parlement  d'An- 
gleterre affilia  en  corps  à  fes  funérailles,  qui  forent 
faites  dans  l'églife  de  Cantorbéri  qu'il  avoit  choifie 
pour  le  lieu  de  fa  fépulture.  On  ne  lui  rendit  pas 
de  moindres  honeurs  en  France.  Le  roi  fit  célébrer 
dans^  Péglife  de  la  fainte  Chapele  du  palais  k  Paris , 
un  fervice  funèbre,  auquel  il  voulut  amfter  luî-mêroc, 
acompagné  de  tous  les  grands  du  royaume. 

La  mort  du  prince  de  Galles  ocafionna  divers  mou- 
vements qui  agitèrent  la  cour  d'Angleterre.  Edouard 
deftinoit  pour  le  remplacer  fur  le  trône  le  jeune  Ri- 
chard que  le  duc  de  Lencaftre  auroit  bien  voulu 
exclure  :  on  aléguoit  même  des  prétextes  afTez  plaufi- 
bles  de  cete  exclufion.  Jeanne  de  Kent  princefTe  de 
Galles,  qu'on  apeloit  communément  la  belle  Jeanne, 
avoit  époufé  en  premières  noces  le  comte  de  Salifburi: 
elle  vécut  fix  années  dans  ce  mariage»  Le  comte  en- 
fuite  fe  fépara  d  elle ,  fur  ce  qu'il  aprit  qu'elle  avoit 
Grandi ckro-  ^^^  fiancée  auparavant  k  Thomas  de  Holland  gui  mime 
nique.  V avoit   connue    charnélement.    Elle  fe  remaria   immé- 

diatement après  cete  féparation  au  comte  de  Hplland , 
&  devenue  veuve  elle  s'unit  avec  le  prince  de  Galles. 
Le  comte  de   Saliiburi  fon  premier  mari  vivoic  en- 


Charles    V.  483 

core ,  &  ce  mariage  n'avoir  point  été  caffé.  Cetc  ■ 
irrégularité  pouvoit  rendre  équivoque  la  légitimité  des  Ann.  1575- 
fsnfants  qu'elle  avoit  eus  du  prince.  A  ces  motifs  on 
en  ajoutoit  d'autres  plus  injurieux  à  la  réputation 
de  cete  princefle.  On  Tacufoit  d'avoir  employé  l'ar* 
pfîce  pour  fe  faire  aimer  du  prince  de  Ctalles,  qui 
même  ,  difoit-on ,  quelque  temps  après  Tavoir  épou- 
fée,  voulut  la  répudier,  fe  failant  un  fcrupule  de  la 
parenté  qui  étoic  entre  elle  &  lui.  On  répandit  alors 
dans  le  public,  que  pour  éviter  Tafront  d'être  renvoyée,  *    . 

elle  immola  fa  vertu  au  deiir  de  devenir  mère ,  &  que  les 
çnfants  qu'elle  avoit  mis  au  monde  depuis  qu'elle  étoic 
princefle  de  Galles ,  étoient  les  fruits  d'intrigues  cri* 
mineles.  La  médifance  autorifée  par  ces  bruits,  pu- 
blioit  ûué  Richard  étoit  fils  d'un  clerc  ou  d'un  cna* 
noine  ae  Bordeaux.  Pour  acréditer  ces  odieufes  anec- 
dotes, on  obfervoit  qu'alors  il  y  avoit  toujours  dans 
le  palais  du  prince  aes  clercs  ou  des  chanoinls  moult  Froijfard. 
jeunes  &  beaux.  Ces  imputations  bien  ou  mal  fondées , 
qui  dans  la  fuite  contriouerent  à  la  perte  de  Richard , 
ne  produifirent  pour-lors  aucun  éfet.  Le  duc  de  Len- 
caftre  eflaya  inutilement  de  les  faire  valoir  auprès  du 
roi  fon  père.  Edouard  ne  voulut  rien  entendre  de  ce 
qui  pouvoit  blefler  la  mémoire  d'un  fils  qu'il  avoit 
tendrement  aimé.  Les  Ânglois  refpeâoient  clans  le  fils 
an  prince  de  Galles  Tidole  de  la  nation.  L'ambitieux 
Lencaftre  ,  après  de  vains  éforts ,  fut  obligé  de  dévorer  ^^^rj^^^ 
Ton  mécontentement  fecret.  Richard  fut  une  féconde  fois 
idéfîgné  fuccefleur  d'Edouard  dans  une   aflemblée   du 

}>arlement ,  où  revêtu  des  ornements  royaux ,  il  reçut 
es  ferments  des  princes  fes  oncles ,  ainfi  que  de  la  no- 
blefTe  &  du  peuple  Anglois.  Il  fut  reconnu  prince 
^e  Galles  ,  &  fait  enfuite  chevalier  de  J'ordre  tle  la 
Jaretiere. 

Il  s'éleva  vers  ce  temps  un  démêlé  très  vif  «entre     Hérëriqncs 
les  oficiers  royaux,  &  les  inquifîteurs  de  la  foi.   Le  ^"J^^y"/^V 
Dauphîné  nouriflbit  encore  dans  fon  fein  un  refte.des  xom/iô.  "'* 
anciens    Vaudois  qui  parurent  alors  vouloir  ran^mor 

Pppij 


484  HiSTOIftE    DE    FrAIÏCE, 

'  les  débris  de  cete  feâe,  que  la  perfécurion  &  la  fé- 
Anif.  1575.  vérité  des  fuplices  ne  purent  jamais  entièrement  aboUn 
Les  hérétiques  répandus  dans  cete  province  &  dans 
la  Savoie,  commirent  plufieurs  défordres.  Ils  mafia- 
crerent  quelques  inquifîteurs  jufque  dans  les  maifons 
des  Freres-Prêeheurs ,  qui  étoient  aloi*s  les  plus  ardents 
minières  de  ce  redoutable  tribunal.  Le  pape  informé 
de  ces  excès  ,  écrivit  au  roi  &  au  gouverneur  du  Dau- 
phiné  ,  pour  les  engager  à  réprimer  les  entreprifes 
des  rebeles  au  faint  Ofice.  Un  évêque  Italien  &  un 
Frere-Mineur ,  grand  iilquifiteur  de  Vienne  ,  vinrent 
armés  d'amples  pouvoirs  pour  punir  les  coupables. 
On  en  arêta  un  fi  grand  nombre  ,  que  bientôt  les 
prifons  ordinaires  furent  trop  étroites  pour  les  con* 
tenir  :  il  falut  en  conftruire  de  nouvetes.  Les  juges 
procédèrent  fans  relâche  aux  procès  de  ces  malheu« 
reux  ;  mais  ils  rencontrèrent  des  obftacles  à  Texécu- 
Rtgift.de là  tion  de*  leuTS  jugements.  Ils  étoient  dans  Tufage  de 
listes  'de  ^^^^^  abatre  les  mailbns  des  condanés,  &  de  s'em^ 
Dauphiné.  parer  dune  partie  de  leurs  biens,  ne  recevant  pas, 
Recœuii  des  difoient-ils ,  d'autres  falaires  de  leurs  travaux  pour  le 
maintien  de  la  foi.  Les  oficiers  Céculiers  portèrent 
leurs  plaintes  au  roi  de  ces  deftruâions  &  de  ces 
faifies.  Sa  majefté  s'adrefla  au  fouverain  pontife  lui- 
même  ,  qui  ordonna  cu'à  l'avenir  les  maifons  des 
{)rofcrits  ne  feroient  plus  renverfées  ,  k  moins  que 
*énormité  de  leurs  crimes  n'exigeât  qu'on  enfevelît  leur 
mémoire  fous  les  débris  des  lieux  qufils  avoient  ha* 
bités.  Sa  fainteté  défendit  de  plus  que  dorénavant  les 
inquifiteurs  fe  'payalTent  par  leurs  mains  des  gages 
qu'ils  prétendoient  leur  être  dûs  ,  en  s'adjugeant  ht 
propriété  des  biens  dont  la  confifcation  apartenoit  de 
droit  aux  feigneurs  temporels.  Le  roi  chargea  le  gou>- 
verneur  du  Dauphiné  de  veiller  loigneufement  à  Texéf 
cution  de  ce  fage  règlement,  qui  mettoit  un  frein  à 
la  cupidité,  en  retranchant  les  apas  des  confifcations. 
Les  falaires  des  inquifiteurs  furent  fixés  à  cent  quatre^ 
vingt -dix  livres  par  an,  qui  dcvoieat  leur  être  payés 


C   H   A   R   t   E   s     V.  48^ 

k  ptoportioD  du  temps  qu'ils  emploieroienc  k  rinftruc-  ■ 

tion  du  procès.  Le  pape,  qui  vouloii  rendre  ces  frais    ^"*^-  'J^^ 
encore  moins  onéreux  au  domaiûe,  ordonna  que  dans     ^f^^'^'lf' 
les    cinq    provinces    d* Arles  ,   d*Aix  ^  d'Embrun     de   •*^*^-*** 
Vienne  &  de   Tarentaife ,  on  leveroic  pour  une  feule 
fois    quatre  mille  florins   d'or  ,   &  huit  cents    florins 
par  an    pendant  le  cours  de  cinq  années^  à  prendre 
cete  fomme  fur  la   reftitution  des  biens  mal  aquis  & 
fur  les  legs  incertains. 

Tandis  que  la  jurifdiâion   des    înquîfiteurs  féviflbit     Prorogatiôt* 
.  avec  rigueur  contre  les  hérétiques ,  les  Juifs  jouïflbient  ^o.^<^jo«w  <ic< 
d'un  état   paifible  à  l'abri  de  leurs  privilèges ,  &   de    "j^^yj,^  ^^, 
la  proteftion  du  fouverain.  Depuis  la  permiflion  qu'ils  charurtg.^U^ 
avoient  obtenue  fous  le  règne   précédent  d'habiter  en  Mti^ 
France  pendant  vingt  années,  le  roi  leui^  a  Voit  acordé  -uti'xôt!^^^ 
une  prorogation  de  fix  ans.  Cete  grâce  venoit  encore     hid.  \is, 
d'être  augmentée  d'un  nouveau  délai   de  dix  années.  ^'^'^' 
Le  féjour  de  la  France  étoit  fi  avantageux  à  cete  n2L^  ordonnances  ^' 
tion  aâive  &  induflrieufe  >  qu'elle  s'emprefToit  d'élôi-  voL  ri. 

fner ,  autant  qu'il  étoit  poffible ,  l'époque  de  fa  retraite.  ^"  ^''^''* 
lie  aquéroit  chacun  de  ces  renouvélemens  au  poids 
de  l'or.  Les  impositions  les  plus  fortes  n'étoient  pas 
capables  de  la  rebuter.  Les  Juifs  étoient  fi.  riches, 
que  dans  plufleurs  provinces ,  entr'autres  dans  le  Lan> 
guedoc  ,  ils  compoierent  avec. le  roi,  &  aquiterent 
d'avance  une  partie  des  taxes  auxquels  ils  étoient 
aflujétis  pour  tout  le  temps  qu'il  leut  étoit  permis  de 
fixer  leur  domicile  dans  le  royaume.  Ces  compofi-^ 
tions ,  qui  ne  paroiflbient  point  à  la  charge  du  peu- 

})le ,  remplîflbicnt  les  cofré^  du  foi  de  fommes  eon-^ 
idérales  ;  mais  leur  féjour  produifoit  un  inconvénient , 
auquel  le  gouvernement  ne  faifoit  pas  alors  aflez 
d'atention.  Comment  n'apréhendoit-ôn  pas  qu'une  peu- 
plade d'ufuriers  privilégiés  ,  dont  le  trafic  illicite  étoit 
autorifé ,  n'introduisit  a  la  fin  cfans  le  royaume  la  foif 
injufte  des  richefles  ,  &  à  îa  longue  l'habitude  de  fe 
croire  tout  permis   pour  y  parvenir? 

£ft*il  avantageux  pour  un  fouverain  d'acumuler  des 


4^^  Histoire   de   France^ 

'■  tréfors?  Les  richeffes  d'un  Etat  font-elles  mieux  pla- 
Ann.  IJ7J.  ç^^^  ^^^^  Tépargne  du  prince  que  dans  les  mains  de 
la  nation  ?  L'exemple  de  deux  de  nos  plus  grands 
rois ,  Charles  &  Henri  ,  paroîtroit  devoir  décider  la 
queftion  ;  fi  ce  problême  pouvoit  être  réfolu  par  des 
exemples.  Les  Etats  généraux  &  particuliers  des  pro- 
vinces avoient  acordé  la  levée  de  diférents  fubudes 
pour  les  frais  de  la  guerre.  Les  hoftilités  étoient  fuf- 
pendues  :  le  roi  avoit  licencié  une  partie  de  fes  trou- 
pes ;  cependant  les  mêmes  impomions  fubfifterent. 
Les  dificultés  que  Charles  avoit  éprouvées  avant  que. 
de  monter  fur  le  trône  ,  juftifioient  en  quelque  forte 
la  défiance  qui  Pengageoit  à  ménager  des  tonds  de 
réferve,  dans  la  vue  de  ne  les  employer  qu'à  propos. 
On  étoit  fi  pleinement  convaincu  oe  la  fageife  du  roi , 
.  que  le  peuple  y  malgré  fon  penchant  à  défa prouver 
la  conduite  de  fes  fupérieurs  ^  ne  témoigna  pas  de 
mécontentement  marqué  de  la  continuation  des  im- 
pôts. Ils  n'excitèrent  aucun  murmure  :  à  juger  de  la 
facilité  avec  laauelç  ils  furent  aquités  »  on  eût  dit 
qu'ils  étoiçnt  l'éret  d'une  contribution  volontaire ,  plu- 
tôt qu'une  taxe  onéreufe.  Il  fe  trouva  même  des  pro* 
vinces  ^  tele  que  le  Ponthieu  ,  qui  confentirent  de 
^nne  grâce  au  paiement  des  aides  ,  quoique  leurs 
privilèges  les  en  exemtâfient. 

Une  partie  des  revenus  provenants  de  ces  fubfi** 
des  y  étoit  principalement  afeâée  à  mettre  fur  pied  des 
fprces  capables  de  rendre  la  France  redoutable  à  fes 
rivaux.  Le  roi  fentoit  le  befoin  que  le  royaume  avoit 
tl'une  marine  puilTante.  Cete  partie  avoit  été  prefque 
entièrement  négligée  depuis  le  règne  de  faint  Louis , 
&  les  ennemis  profitèrent  long-temps  de  notre  indi* 
férence  fur  un  objet  aufii  important.  On  ouvrit  enfin 
les  yeux  :  on  reconnut  qu'on  étoit  redevable  en  parde 
des  heureufes  opérations  de  la  dernière  guerre  à  la 
jonâion  des  Botes  Caftillanes  au  petit  nombre  des 
vaifTeaux  que  la  France  entretenoit  alors  ;  mais  ces 
$Lvaotagçs  étoieiit  dûs  à  des  fecours  écfangçrs ,  candis 


Charles    V.  4S7 

qii^on  pouvoic  les  rendre   moins  incertains  >  en  fe  les  ! 

procurant  foi -même.  Un  pareil  projet  demandoit  au-  Ann.  ijy;- 
tant  d'économie  que  de  confiance  y  &  perfonne  n*écoic 
plus  capable  que  le  roi  d*en  préparer  1  exécution.  Oa 
conflraifit  par  fes  ordres,  fur  les  côtes  de  Normandie, 
quantité  de  bâtiments  qui  mirent  bientôt  les  François 
en  état  de  porter  la  terreur  chez  leurs  voilins.  De  fa- 
ges  règlements  pour  améliorer  &  cm  pêcher  qu'on  ne 
dégradât  les  forêts  qui  FourniiToient  les  bois  de  conf- 
truâion ,  étoient  une  ftiîte  nécefl'aire  de  cete  utile  en- 
treprife.  Le  confeil  rendit  pour  cet  éfet  plufieurs 
orclonnances  dreffées  d'après  les  ra ports  dçs  réforma- 
teurs des  eaux  &  forêts.  Cétoit  aîhfi  que  ce  monarque 
éclairé  veilloit  fans  ceiTe  au  fein  du  repos  y  ôc  ne  né- 
gligeoit  rien  de  ce  qui  pouvoit  intéreiler  la  fécurité 
de  ion  royaume. 

La    mort  de  Philippe  duc   d'Orléans,  décédé  fans     Mort  du  doc 
poftérité,  acrut  encore  l'étendue  du  domaine  royal  (a),  p?^*^''"^ 

f->  •/•  I  11  rr    R^onion  de  ce 

Le   pnnce  étoit  oncle  paternel   du  roi  :  ce  rut  en  la  duché, 
faveur  que  Humbert  fit  la  première  ceffion  du  Dau-     Tré/or  di$ 
phiné,  que  Philippe  tranfporta  au  duc  de  Normandie  ^*^-'^'^"i>» 
Ion  frère.  Il  avoit  époufé  Blanche  de  France  y  fille  poft-  ^\muU  des 
hume  de   Charles -le   Bel,  princeffe  vertueufe  &  d'un  ordonnances. 
courage  élevé  :  on  la  nommoit  Blanche  ^ancienne.  Le     ^jl^)nif^ 
roi  Jean,  fon  beau-frere,  lui   parloit  un  jour  avec  ai-  Vrfins^p.ni. 
greur.  La  duchefTe  ofenfée  des  propos  du  monarque, 
lui  répartit  fièrement ,  que  fi  elle  eût  été  homme  {b)  , 
il  ne  lui  eût  oje  dire  ce   qu^il  lui  difi)it.    Elle  vouloit 
fans  doute  lui  faire   entendre  que  la  couronne  lui  au- 
roit  apartenu.    Le   roi   immédiatement  après  la  more 
du  duc  ,  réunit    injcparablcment   &   irrévocablement  le 
duché  d'Orléans  au  domaine  de  la  couronne ,  fans  que 

(a)  Les  auteurs  de  THift.  gén^alog.  de  la  maifon  de  France  fe  (ont  trompas 
fbr  la  date  de  la  mort  de  ce  prince  ,  qu'ils  placent  en  i)pi.  Les  letcKs  de 
lénnion  du  duché  d*Orléans  au  domaine  font  du  mois  de  Septembre  1573.  Le 
duc  Philippe  mourut  le  premier  de  ce  mois.  Recœuil  des  ordonnances  j  t.  ^U 

(  b  )  Juvénal  des  Urfins  qui  raporte  ce  trait  ,  met  dans  la  bouche  de  cete 
princefTe  une  ezprcÂioa  mâle  que  la  naïveté  du  langage  de  fon  ficelé  pouTaû 
autorifcr ,  mais  capable  d'éfaiot&cbcr  la  délicateflc  du  nôtre. 


Histoire  de  Frawce, 

-  lui  ou  fes  fucceffeurs  puffent  l'en  diftraîrc  àl*avenîri 

Ann.  1375.  pour  quelque  caufe  que  ce  fût.  Dans  les  lettres  qui 
rejoignent  cete  province  au  patrimoine  royal ,  il  eft 
exprefTément  marqué  que  cete  grâce  avoit  été  acordée 
fur  les  repréfentations  des  habitants  ^  qui  remontrèrent 
que  de  temps  Immémorial  ils  avoient  été  fous  la  do- 
mination des  rois  de  France  >  &  aue  Philippe  étoit  le 
premier  prince  qui  avoit  poffédé  le  duché  d'Orléans  à 
titre  d'apanage  ;  que  leur  capitale  étoit  le  féjour  d'une 
des  plus  floriflantes  univerfités,*&  que  la  ville  d'Or- 
léans avpit  toujours  été  regardée  par  nos  rois  comme 
leur  chambre  (a)  de  prédileSion.  Nous  vèrons  après  la 
mort    du  roi   cete  réunion  avoit   le   même    fort  que 


Ann.  x}7^* 


celle  du  duché  de  Bougonne  fous  le  règne  précédent. 
t  prorogation  de  la  trêve  avoit  été  l'uni 


Une  nouvele  prorogation  de  la  trêve  avoit  été  l'uni- 
Retour  des  qu4s  fruit  dcs  demîeres  conférences  y  où  les  légats  du 
^^^k^^i^^dt  ^^^  ^^S^  affifterent.  Grégoire  XI  ,  qui  jufqu'alors 
Saint-Denis!  n'avoit  diféré  fon  départ  pour  l'Italie ,  que  dans  l'ef- 
Chron.AîS.  pérance  de  pacifier  les  troubles  de  la  France  &  de 
^^Chariis  F.  pAngleterre  ,  fincérement  afligé  de  l'inutilité  des  foins 
Rym.aS.puU.  qu'il  avoît  employés ,  reprit   l'exécution  de  fon 


7  — ■      ^ —     —         -o ' 

n'apuyoit  cete  loi  par  fon  exemple.  Depuis  qu'Avi-^ 
gnon  étoit  devenu  le  féjour  des  papes ,  les  évêques  fb 
croyoient  difpenfés  de  la  réfidence.  Il  étoit  temps  de 
finir  ce  fcandale.  L'état  de  Tltalie  exigeoit  d  ailleurs 
la  préfence  des  fouverains  pontifes.  Les  Florentins 
avoient  formé  une  ligue  >  dans  laquele  ils  avoient  en* 
gagé  la  plupart  des  villes  de  l'Etat  écléfiaftique.  Le 
pape  excommunia  les  confédérés.  Quelques-uns  alar- 
mes par  ces  ^foudres  ,  fe  détachèrent  de  l'afTociadon  , 
qui  avoît  pris  pour  fign^l  de  ralîenient  un  étendard, 
où  époît  tracé  Je  mot  de  libertas,  I-es  Florentins  per- 

f«)  Anciennement  on  apeloic  chambres  royales  les  villes  ou  provinces  fujeces 
imoutdîatement  aux  princes,  &  dépendantes  da  Fifo  royal,  àloff  ém  Cangt  ad 

vcrkp  Canjçra. 

fixèrent 


Crarexs    y.  489 

fiflerent  dans  leur  révolte,  jufqii'à  ce  que  menacés  s 
par  une  armée  d*aventuriers  Bretons   &  Angloîs,  ils   Ann,  157^. 
eflayerent  d*apaifer  fa  fainteté  ,  en  lui  députant  Cathe- 
rine de  Sienne ,  religieufc ,  qui  par  une  vie  édifiante 
avoit  acjuis  la  plus  fublime  réputation  de  fkinteté.  Un 
Dominicain ,  contemporain  de  cete  Sainte ,  en  a  écrit 
Thifloire  miraculeufé.  Il  convient    de  bonne  foi  qu'il 
avoit  long-temps  douté  de  la  vérité  des  nandes  chofes 
que  Cadierine  lui  difoit  avoir  aprifes  de  Téfus-Chrift 
même.  >>  Mais,  aj ou te-t-il ,  comme  j*avois  cetepenfée, 
jy  &  que  je  regardois  Catherine ,  fon  vifage  fut  vu  tout- 
yy  k-coup  transformé  en  celui  d'un  homme  de  moyen 
»  âge ,  portant  une  barbe  médiocre ,  d'un  vifage  fi  ma- 
»  jeflueux,  qu'on  voyoit  manifeflëment  que  c^étoit  le 
»  Seigneur  «•  Ou    les    tranfports    qu'infpire   Tenthou- 
iiafme  de  la   vie  fpirituele  ,    ont  (a  propriété  de    fe 
communiquer  par  une  efpece  d*atraâion  ,  ou  le  récit 
du  Cénobite  eft  plus  capaole  de  diminuer  fon  autorité, 
que  d'afemiir  celle  de  CÎatherine  :  ce  dernier  fentiment 
cft  celui  de  l'auteur  de  l'hifioire  écléfiàftique.  Le  Do- 
minicain ra porte  enfuite  ,  que  Jéfus  -  Chrifl ,  acom- 
pagné  de  fa  fainte  mcre  &  de  plufieurs  faints  ,  aparuc 
à  Catherine ,  &  l'époufa  folennélement ,  en  lui  mettant 
au  doigt  un  anneau  d'or ,  orné  de  quatre  perles  &  d'un 
diamant.  La  fainte  conferva  cet  anneau  après  la  vifion  ; 
il  n'étoit  à  la  vérité  vifible   que  pour  eue  ,  ainfi  que 
les  ftigmates  de  fon  divin  époux ,  avec  lequel  dans  une 
autre  vifion  elle  avoit^  changé  de  cœur,   jy  Une  imagi- 
jy  nation  vive  ,  ajoute  le  même  auteur  ,  échaufée  par 
9^  les  jeûnes  &  les  veilles ,  pouvoit  y  avoir  grande  part  a. 
Tele  étoit  la  médiatrice  que  les  Florentins  chargèrent; 
de  ménager  leur  acommodement  avec  le  faint  p&re  ; 
mais  ils  agifToient  avec  fi  peu  de  fincérité  ,  qu'ils  en- 
voyèrent après  elle  des  députés  qui   la   défavouerent. 
Samte  Catherine  retourna  en  Italie,  après  avoir  exhorté 
le  vicaire  de  Jéfus-Chrifl  d'aller  à  Rome. 

Grégoire  reçut  en  même  temps  une  députation  de 
la  part  des  Romains  ,  qui  le  fuplioient  de  venir  féfider 
Toinc  V.  Qq^ 


490  Histoire   beFraitce^ 

S==!  dans  cete  ville  ;  &  le.  léçat  du  faint  fiçge  à  Rome  laî 
Ann.  1^76.   manda  qu'il  étoit  temps  de  hâter  fon  voyage ,  s'il  vou- 
loit  prévenir  le  fçandale  de  voir  un  antipape  ocuper  fa 
olace.   Le  peuple  avoit  déjà  jeté  les  yeux  fur  Ta  né  du 
Montra flin  :  ce  Religieux  ,  ébloui  de  l'éclat  de  la  tiare  > 
Rymer.aa.  avoît  écouté  la  propofitioq.  Le  pape  ayant  pris  fa  der- 
J^rij?"'^*   niere  réfolution  ,  en  fit  part  aux  rois  de  France  & 
d'Angleterre.  Charles  qui  fentoit  combien  le  féjour  des 
fouverains  pontifes  dans  Avignon  lui  étoit  avantageux  1 
efTaya  d'engagçr  Grégoire  à  changer  de  deiTein.    Le 
duc  d'Anjou  païtit  fur-le-champ  de  Touloufe  :    il  vit 
fa  fainteté  ,  auprès  de  laquele  il  employa  des  folicita- 
tions  inutiles»  jy  Saint  père  y  lui  dit  -  il  ^  fî  vous  alez 
yy  dans  un  pays  où  vous  n'êtes  gueres  aimé ,  &  fi  vous 
7>  y  mourez  ,  ce  qui  eft  bien  vraifemblable  ^  les  Ro- 
yy  mains  feront  maîtres  de  tous  les  cardinaux  ,  &  feront 
fy  ^ircf  un  pape  à  leur  gré  a.  Grégoire  fut  inébranla* 
ble  ;  il  partit  y  emmenant  avec  lui  le  facré  Colege  ^  à 
la  r^fervçde  (ix  cardinaux.  Il  ariva  enfin  à  Rome,  aui 
depuis  ce  temps  n'a  plus  été  privée  de  la  préfence  aes 
fucceiTeuFS  de  faint  Pierre. 
Nonvcfcf         La  trêve  étoit  fur  le  point  d'expirer  ,  &  Tefpéfancc 
B^gpciaiions    d*un   acommodemeut   décifif  paroifibît    plus    éloigné 
^#Vo/Xi     ^^^  jamais.   Il  fe  tint  de  nouveles  conférences  y   dans 
Grande  ckro-  (efquelcs  les  négociateurs  fe  trouvèrent  fi  peu  d'acord  , 
'"'"^Tiii      ^^^^^  ^®  purent  même  convenir  d'une  prorogation  de 
'  l'armiftice.  Ce  n'eft  pas  que  le  roi  enivré  de  la  profpé- 

rite  préfente  >  voulût  impofer  des  conditions  trop  dures 
^  fes  ennemis  :  ce  monarque  au-* contraire  ^  eo  faveur 
des  avantages  d^une  paix  folide  %  fembloic  facrifier  fes 
propres  intérêts  ,  en  ofirant  à  l'Angleterre  des  condi- 
tions au'eUe  n  auroit  pas  dû  atendre  des  circonilances 
fâcheuies  où  elle  fe  trouvoit.  Charles  ^  par  une  conduite 
aufli  fage  qu'heureufe  ^  avoit  aquis  une  fupériorité  que 
la  prudence  &  fon  économie  le  mettoieni  en  état  de 
foutenir  &  que  répuifeméhc  de  fes  rivaux  ne  pouvoic 
plus  balancer.  Il  avoit  trouvé  le  moyen  de  remplir  ion 
tréfor  ^  fans  exciter  les  murmures  de  îcs  peuples.    1.^ 


nique, 
Du 


Charles    V.  4^1 

tkhefles  dont  il  pouvoir  difpôfer  écoient  le  fruit  de  "  '  ■  ^' 
Tépargnè  des  revenus  publics  fagement  adminiftrés  :  Ann.  157^. 
clés  généraux  expérimentés  &  fidèles  cammandoient  fes 
armées  :  fa  âote  nouvélement  acrue  par  la  conftruc- 
tion  de  trente  -  cinq  gros  vaiiTeaux  de  ligne  ,  &  d'une 
infinité  de  bâtiments  de  moindre  grandeur  ,  n'atendoit 
^ue  fes  ordres  pour  fortir  des  ports  de  France  ,  &  faire 
redouter  aux  Anglois'  ces  mêmes  invafions  dont  ils 
avoient  fi  fouvent  menacé  nos  côtes.    Il  n'apréhendoit 

fas  la  guerre  :  il  ofrit  la  paix.  Les  plénipotenciaires 
'rançois  eurent  ordre  de  faire  aux  miniffares  Arrglois  les 
Î>ropofitions  les  plus  avanta^eulès.  Ne  pouvant  vaincre 
e  refus  confiant  qu'ils  faifoient  de  céder  Calais  en 
échangé  de  ce  qu'ils  avoient  perdu  en  Aquitaine  ^  que  le 
roi  vouloit  bien  leiir  reffîtuer  /  à  la  charge  de  s'enr  réfer- 
ver  le  refTort  &  la  fouveraineté ,  il  contentit  de  ne  plus 
infifler  fur  la  renûfe  ou.  démolition  de  cete  place  ^  qu'il 
avoit  toxrjofurs  exigée  iufqu'aîors  ,  &  de  fe  contenter 
de  la  ville  de  Montauoan  ,  des  pays  enclavés  entre  les 
rivières  de  ^Veron  &  de  Tarn  ^  &  de  la  partie  du 
Querci  que  renferment  le  Lot  &  la  Dordogne.  Les 
pouvoirs  donnés  aux  ambaâadeurs  de  France  conte- 
noient  un  état  des  places  qu'ils  avoient  ordre  d'abandon- 
ner,  en  cas  que  ceux  du  monarque  Anglois  voulurent, 
terminer.  Le  nombre  de  ces  places  montoit  à  qua- 
torze cents  villes  fermées  ,  &  a  trois  mille  forterefTes 
pour  les  feules  provinces  de  l'Aquitaine.  Cete  multi- 
tude prodigieufe  de  châteaux  y  qui  tous  étoient  en  état 
de  faire  quelque  réfiftance  ,  préfente  de  nos  j<>urs  un 
tableau  fingulier  de  la  France,  tele  qu'elle  étoic  alors , 
hérifTée  prefque  en  tous  lieux  dé  fortifications  y  dont 
heurenfement  il  ne  refle  plus  que  quelques  vefliges  , 
monuments  des  guerres  qui  ont  fi  long- temps  déchiré 
Vintérieur  du  royaume. 

Quelque  avantageufes  que  de  femblables  propofî-    Aim.  1377^ 
tions  duflent  paroitre  k  des  ennemis  que  leurs  déraites 
dévoient  avoir  humiliés  ,  il  ne  parut  pas  cependant  que 
les  minières  Anglois  faflent  difjpofés  à  féconder  la  bonne 


492  Histoire   de  France, 

'^^^^^'^"^  volonté  du  roi.  Ils  ne  les  rejetèrent  pas  k  la  vérité  ab- 
Aan.  1377.    folument  ;  mais  ils  fe  virent  forcés  a'avouer  qu  ils  n*a- 
voient  pas  d'ordre  qui  les  autorisât  à  les  accepter.  Ils 
demandèrent  un  délai  pour  en  faire  leur  raport ,  &  pro^ 
mirent.de  revenir  incelTamment  avec  la  réponfe  déci- 
jfive  du  roi  leur  maître.  Après  avoir  donné  cete  efpece 
d'afTurance  ,   (^ui   toutefois  n'étoit  pas  rufifante   pour 
arêter  les  hoftilités  ,  ils  partirent  la  veille  du  jour  mar- 
'     que  dans  le  dernier  traite  pour  Texpiration  de  la  trêve. 
Mort  d'E-        Deux  jours  avant  que  les  députés  fe  rembarquafient 
^Trfifard      P^^^  .P Angleterre  ,  Edouard  ,  qui  s'étoit  feit  tranfporter 
chroniq*de  «u  palais  de  Weftminfter  à  fa  maifon  de  Sheen  ,  au- 
Saint-Dcnis.    jourd'hui  Richemont  ,    avoit  terminé  fa  carrière.    Si 
Wdfingh^^*  quelque  chofe  eft  capable  de  convaincre  les  rois  de  la 
Rymcr^aa.  vanité  des  grandeurs  humaines  y  c^eft  fans  contredit  la 
^W.r^w.3.    déplorable  fin  de  ce  prince.  Ce  monarque^  pendant  le 
^'^*  cours  d'un  règne  de  cinquante -deux  années  ,  refpeâé 

de  fes  ennemis  ,  adoré  de  fes  fujets  ^  eut  la  morufica* 
tion  de  fe  voir  fur  fes  derniers  jours  abandonné  de  tout 
le  monde  ^  &  livré  à  Tobfeflion  de  fa  favorite.  Elle 
ëtoit  revenue  à  la  cour  j  ainfi  que  le  duc  de  Lencafire, 
immédiatement  après  la  mort  du  prince  de  Galles.  Dès 
]e  commencement  dé  la  maladie  du  roi  y  elle  s^empara 
de  la  porte  de  Tapartement  y  où  elle  ne  lailToit  entrer 
que  tres-peu  de  monde  y  tous  cens  vendus  depuis  long- 
temps k  ion  crédit ,  &  dont  eue  difpofoit  entièrement* 
Infenfîble  au  trifte  état  d'un  prince  qui  PaiFoit  comblée 
de  fes  bontés  y  elle  le  vit  s'avancer  vers  les  portes  du 
tombeau  y  fans  s'ocuper  des  foins  reli^eux  qu'exigeoit 
Taproche  de  ce  terrible  moment.  Ennn  il  perdit  con« 
noiflknce.  L'ingrate  Alix  s'empare  des  éfets  les  plus 
précieux  qui  fe  trouvent  fous  fes  avides  mains  :  il  reA 
toit  une  feule  bague  au  monaroue  expirant  j  elle  Tarache 
'  de  fon  doigt  y   &  fe  retire  chargée  de  ces  honteufes 

dépouilles.  Tous  les  courtifans  étoient  difperfés  :  les 
chapelains  du  roi  avoient  pris  la  fuite.  Un  fîmple  prê- 
tre y  qui  fe  rencontra  par  hazard  dans  le  palais  y  s'a- 
procha  du  malheureux  Edouard  y  qu'environnoient  alors 


Charles    V.  493 

les  horreurs  de  Tagonie.  Il  parut  vouloir  fe  ranimer  — — '— T 
aux  pieufes  exhortations  de  ce  charitable  miniftre  ;  ^i^*  H77* 
mais  déjà  fa  langue  embaralTée  ne  pouvoit  plus  pro- 
noncer ^ue  quelques  paroles  mal  articulées  :  on  n'en- 
tendit diftinaement  que  le  facré  nom  du  Sauveur  da 
monde  ,  qu'il  proféra  en  rendant  le  dernier  foupir. 
Ainfi  mourut  à  Vâge  de  foixante-cinq  ans  le  plus  grand 
roi  qui  ait  ocupé  le  trône 'de  l'Angleterre  depuis  Guil- 
laume le  Conquérant.  Charles  ,  qui  fe  connoifToit  en 
hommes ,  &  qui  fe  faifoit  un  devoir  honorable  de  leur 
rendre  juftice  ,  dit  de  lui ,  lorfqu'il  fut  informé  de  fa 
mort^  que  bien  noblement  &  bien  vaillamment  il  avait 
régné  ,  &  que  bien  devait  être  de  lui  nouvele  &  mémoire 
au  nombre  des  preux. 

La  crainte  que  les  François  qui  étoient  en  mer  ne 
tentafTent  de  profiter  du  premier  tumulte  que  caufe  tou- 
jours une  mutation  de  gouvernement ,  fit  que  Pon  tâcha 
de  renfermer  dans  Tile  les  nouveles  de  la  mort  du  roi< 
On  aréta  tous  les  bâtiments  dans  les  ports  jufqù'à  nou- 
vel ordre  ;  enforu  >  dit  FroilFard  ,  que  Von  ne  pouvoit 
ijfir  *  d^Angleurre.  La  plupart  de  nos  hifloriens ,  fur  le  *  /•'*'^* 
témoignage  de  cet  auteur  ^  ont  raporté  la  même  chofe. 
Il  efè  cependant  dificile  de  conciher  en  cete  ocafion  le 
récit  de  rroiilard  j  quoiqu*auteur  contemporain  ,  avec 
la  fuite  des  pièces  contenues  dans  le  recœuil  des  aâes 
publics  d'Angleterre  ^  où  il  fe  trouve  un  palTeport 
adreifé  au  comte  de  Cambridge  y  gardien  ces  ports 
d'Angleterre  y  pour  la  comtefle  de  Bedfort ,  qui  paiToit 
en  France  acompagnée  de  toute  fa  fuite.  Cete  lettre 
fiit  expédiée  quatre  jours  après  le  trépas  d'Edouard*  Si 
cet  incident  fut  ignoré  pendant  quelque  temps  à  la 
cour  de  France  ,  il  efl:  plus  vraifcmblable  de  fupofer 
que  la  caufe  qui  empêcha  qu'on  n'en  fût  informé ,  pro- 
vint de  ce  qu'Edouard  mourut  précifémeftt  dans  le  temps 
que  la  trêve  étoit  expirée.  La  guerre  qui  aloit  recom- 
mencer intérompoit  alors  la  communication  entre  les 
deux  royaumes. 

Edouard  ^  pendant  les  dernières  années  de .  fa  vie  ^ 


494  HiSTOI&S    DB    FftASCEi 

■  avoic  pris  des  mefures  fi  précifes  pour  afTurer  le  fceptre 
Ano.  zn7«    à  fon  petit*  fils  >  c[ue  ce  leunc  prince  fut  couronné  làns 
reficoocrçr  le  moindre  oofiacle^  foie  de  la  parc  de  fes 
ondes^foit  de  celle  du  peuple  ,  qui  àdorott  dans  Ri* 
chardia  mémoire  de  Ion  pefej&;ae  fi>xi  aïeul  :(^)« 
Renouvelé-        jj^  renouvélemenc  de  la  gnorrc  ôcafiomioit  de  vives 
guOTc/  ^     alarmes  en  Angleterre  ,  quoique  Poh  dût  s'y  atendre  , 
ihème  avant  la  fin  du  règne  d^Edouàrd.  On  jtt'ignoroit 
pas  les  préparatifs  qui  fe  iaifoient  en  France;  mais  Ton 
ne  pouvoit  prévoir  fur  quele  partie  aloit  fofidre  Torage. 
Amiral.      Une  fiote  ïoirmidaMe  dominoit  dans  k .  Manche  ;  eue 
étoit'  commandée  par  Jean  de  Vienne ,  amiral  de  Fran- 
ce :  il  venoit  depuis  quelques  anbées  de  fuccéder  au 
vicomte  de  Narbone  ,  Almaric  VIII  de  ce  nom  ^  qui 
le  premier  pofTédà  cete  dignité!  ea  titre  d^adndrautc  ou 
*  T.  4  s  p.  \i6  d^ofiu*.  Il  a  déjà  été.  fait  mentixki  de  iWigine  de  cetc 
decitehiftoire.  charge,  &  dcs  préTD^tive»  qut  ppiir-làrs y  étoient  ata- 
diées.   Il  paroit  qu'anciennement  cet  emploi  étoit  in- 
ricœuiidts*  compatible  avec  celui  de  eouverneur.  Fr^;ent  de  Coi- 
foU.  tivi  y  amiral  de  France  ,  fut  /tdmoruJU  par  k  parlement 

de  Je  défaire  de  Vafice  de  gpwi^rneur  de  la  Rochek , 

(a)  Quoique  les.cérémonîes  pratiquées  aà*  onitoniieibeiic  idtou  ie  la  Grande* 
Bretagne  forment  un  obiqc  étranger  à  œt  ouvrage ,  on  ne  regardera  peac-étre 
pas  comme  une  digrefllon  dé^placée  de  rapoiter  id  non  l'origine ,,  mais  le  plos 
ancien  mofnamenc  que  i'hiftote  nous»  o»e  dNin  uCige  fingmter  qui  s'obferre 
encore  de  nos  jp^rs  en  Angleterre  à:  J'inAugurarion  de  fes  rois.-  ^is  milieu  dn 
fcftin  de  cérémonie  que  le  roi  donne  1  rous  lés  grands  de  la  cour  ,  un  guer* 
rier  armé  de  toutes  pièces  »  monté  fur  un  cheval  de  bataille,  cou^rt  de  maille» 
de  vermeil  »  entre  dans  la^fale  :  il.c^  piéeédé  d'un  amie  chevalier  ^ai  ^rte 
fa  lance.  Ce  guerrier  s'aproche  du  ipî  ,  lui  fait  une  profonde  inclination  » 
8ç  lui  préfente  un.  écrit  ,  dont .  la  ledure  fe  fait  tout  haut  en  préfence  de 
l^aflemblée  :  cet  écrit  contient  ;  que  eettfi  qui  le  préfente  annotice  publique- 
ment à  tout  le  royanme  que  s'il  fe  trouve. quelque'  chevalier  ou  écnycr  qui 
veuille  contefter  l'élcâion  du  fouverain  ,  il  eft  prêt  à  en  foutenir  la  légitimité  les 
armes  à  la  main,  en  préfence  du  roi ,  &  le  jour  qu'il  plaira  au  prince  d'indi- 
quer pour  le  combat.  Après  avoir  &it  cete  déclaration  ,  il  fort  de  la  faie  êc 
s'avance  dans  la  cour  ^lu  palais  »  od  il  réitère  autftrc  fois  le  même  défi  au  fon 
de  la  trompette  ,  obfervant  de  jeter  chaque  fois  fon  gantelet  par  tcwe  pour 
gage  de  bataille  ,  que  le  héros  d'armes  a  foin  de  relever  auffi-tôr.  Les  écrivains 
Angiois  prétendent  que  ce  guerrier  repréfente  la  nation.  Le  roi  ne  combat  pas 
lui-même  pour  foutenir  fes  droits  ,  il  n'a  d'autre  champion  de  fa  puiflance  que 
la  patrie.  L'antiquité  de  cet  ufage  eft  teie  ,  que  la  fource  en  eft  ignorée.  Raf^ 
TAojr.  U^aifing.  Froijfard  ^o  vo/.  Gloff.du  Cangjf^  advtrb.  Campio. 


Charles    V.  49^ 

comme  incompatible  avec  celui  d^ admirai.  Le  vicomte  de  J 

Narbone  ,  en  fe  démettant  de  cete  charge  ,  obtint  du  Axm«  1577. 
roi  des  lettres  qui  le  difpenfoient  de  rendre  compte 
de  fon  exercice  :  il  fut  en  méme^temps  déclaré  quîte 
des  foi  âc  hommage  dudit  ofice  ;  ce  qui  fembloit  en 
quelque  forte  contraire  k  fon  inftitution  ,  en  ce  qu'il 
faifoit  ferment  au  parlement  ,  pour  raifort  defa'jurif-  Rtgiftndes 
diSion.  ^*^'-  »°5*  . 

La  marine  militaire  avoit  fait  de  ii  foibles  progrès  ^  Marine. 
que  ceux  qui  la  commandoient  ne  jouiifoient  que  d'une 
confidération  médiocre  ,  eu  égard  à  l'importance  de 
leur  emploi.  Charlemggne  avoit  entretenu  des  âotes  ;  que 
fcs  fucceileurs  laiiTerent  dépérir.  Les  premiers  rois  de 
la  troifieme  race ,  poiFédant  peu  de  provinces  maritimes,  ' 
n'eurent  pas  befoin  de  forces  navales  pour  les  défendre. 
Ils  négligèrent  entièrement  la  marine  qu'on  ne  vit  re- 
naître que  dans  le  temps  des  croifades.  Les  guerres  pref- 
que  continueles  qui  furvinrent  enfuite  entre  la  France 
&  rAnjglcterre  ,  nous  mirent  dans  l'indifpenfable  né- 
cellité  &  difputer  l'empire  de  la  mer  à  nos  voiiîns.  On 
vit  donc  alors  fortir  de  nos  ports  des  flotes  nombreu- 
fes  ;  mais,  elles  n'apartenoient  pas  aux  rois  :  elles  étoienc 
compofées  de  tous  les  bâtiments  qui  fe  trouvoîent  fur 
nos  côtes.  Les  marchands ,  propriétaires  de  ces  vaif- 
feaux  y  étoient  obligés  de  les  prêter  pendant  le  temps 
de  la  guerre ,  moyennant  une  rétribution  fixée  pour  le 
loyer.  On  avoit  outre  cda  recours  aux  puifTances  étran- 
gères ,  teles  que  la  Caftille  &  les  Génois  ,  qui  paf- 
foient  alors  pour  les  marins  les  plus  expérimentés  de 
l'Europe.  Les  Aoglois  &  les  François  briguoient  à  l'envi 
leur  aliance  :  les  efcadres  mercenaires  de  Gènes  fervoienc 
indiftinâement  les  uns  &  les  autres.  Charles  fut  le  pre-- 
mier  de  nos  rois  de  la  troifieme  race  ,  qui  forma  le 
projet  d'avoir  toujours  une  flote  à  fa  difpofition.  Il  fît  comi^H^'/mt 
pour  cet  éfèt  Conflruire  dans  les  ports.de  Normandie ,  moriaiD.fri. 
un  nombre  confîdérable  de  bâtiments  uniquement  def-  '7^. 
tînés  pour  la  guerre.  Ces  vaifleaux  furpaflbient  en  gran- 
deur ceux  qu'on  employoit  ordinairement  ,  qui  n'é- 


49i^  Histoire  de  France, 

■   ■  toient  pour  la  plupart  qiie  des  bâciments  marchands. 
Ann,  1377.    Il  s'en  faloic  beaucoup  cependant  Gue  ces  vaifTeaux 
aprochaiTent  ,  ^oic  pour  la  capacité ,  ibit  pour  la  ftruc- 
ture,  de  ces  énormes  édifices  que  nous  armons  à  pré- 
fent.   Les  bâciments  d^une  grandeur  médiocre  ne  pou- 
roient  aujourd'hui  aborder  dans  les  ports  les  plus  con- 
r    iidérables  de  ce  temps  -  Ik.    Les  plus  grands  vaifTeaux 
Hz/f.  «&  la  de  guerre  ,  apelés  gaUccs  ,  voguoient  par  le  fecours 
%m.\.*    des  rames  &  des  voiles.  Ils  étoient  garnis  de  tours  peu 
élevées  ,  de  baliftes ,  de  machines  propres  à  lancer  des 
pierres  ,  &  de  grapins  pour  venir   à  Tabordagé  :  la 
proue  étoît  armée  d'une  longue  &  forte  poutre  revêtue 
de  fer  ,  pour  brifer  les  flancs  des  bâtiments  ennemis. 
Outre  ces  eallécs  ^  il  y  avoit  des  vaifTeaux  plus  hauts 
de  bord  ,  dont  la  manœuvre  fe  faifoit  avec  les  feules 
voiles  y  à  moins  que  lobligation  de  gagner  l'avantage 
du  vent  dans  un  combat ,  ne  fît  recourir  au  fervice  des 
rames.    Comme  la  force  des  armées  coniiftoit  alors 
dans  les  hommes  d'armes  ,  lorfqu'il  étoit  queftion  de 
tranfporter  des  troupes  deftinées  à  faire  une  defcente, 
on  fe  fervoit  pour  cela  de  grands  bâtiments  apelés  huif* 
fiers  y   à  caule  de  Xhuys  ou  porte  qui  fervoit  à  intro- 
duire les  chevaux.  Cette  porte  y  dopt  l'ouverture  entroit 
dans  l'eau  y  écoit  exaâemeqt  ^Quçhée  ïivant  qu'on  Un- 
çât  le  bâtiment. 
uflotcFran-      La  flote  FraQçoife  déjà  formidable  par  elle-même, 
IctâtrcTAn.  ^"^  ^^^^^^  augmentée  par  Tamiral  CaAillan,  Fcrrand- 
pictcrrc.         Sauflç.  Quatre  jours  après  la  mort  d'Edouard  ,  dans  le 
Rap.  Thoyr.  temps  qu'ou  étoit  oeupé  à  Londres  du  couronnement 
Kofeî"     ^^  ^^^  fuccefl'eur ,  les  François  firent  une  defcente  dans  le 
Chio^qiit.    comté  de  Kent ,  furprireot  la  ville  de  Rye  ,  qu'ils  brûlè- 
rent &  facajgerent.  y  étant  remis  en  mer  ,  ils  çdtoycreot 
l'île.  Les  villes  de  HafHngs,  de  Porftmouth,  de  Darmoudi 
&  de  Plimouth ,  efluyerent  le  même  traitement  que  celle 
de  Rve.    L'amiral  vmt  enfuite  débarquer  dans  Mie  de 
\f^igth  ,  dont  la  plupart  des  villes  dirent  prifes  &  rançon- 
néçs.  Il  paroit  Uirprenant  que  les  Anglois  n^euflènt  alors 
aucunes  forces  oavalies  pour  empêcher  ces  ravages  :  ils 

manquoient 


•     G   H   A   R  £   E   s      V.  497 

lAanqttoienc  même  de  croupes  de  terre.  Lepeuple  de  JLon-  ^'! 

dres ,  éfrayé  des  expéditions  rapides  des  François ,  corn-    An».,  ijtt» 

mencoit  à  murmurer  contre  le  nouveau  gouvernement* 

On  le  hâta  de  rafTembler  des  eens  de  guerre.  Le  comte 

de  Sali(buri  &  lé  ibigneur  de  montagu  (è  mirent  à  leur 

tête  y  s'avancèrent  vers  les  côtes.  Ils  furent  obligés  de 

fe  tenir  perpétuélement  en  marche  le  long  des  rivages 

de  la  mer  ,  fans  perdre  de  vue  les  efcadres  ennemies 

qui  couroient  la  Manche.  Ils  ne  purent  toutefois  emr 

pêcher  les  François  de  mettre  pied  à  terre ,  &  de  brûler 

a  leurs  yeux  une  partie  de  la  ville  de  Poû.  Jean  dé 

Vienne  après  cete  expédition  tenta  d'aborder  k  Han^ 

tonne  ,  ou  Sputhampcon  ,  d  où  il  fut  repouffé  y  &  vint 

mouiller  k  la  vue  d  une  abaye  peu  diftante  de  Dou-* 

vres.  Le  prieur  de  ce  monaftere  ayant  ralFemblé   les 

milices  des  environs ,  dtfputa  la  defcente.  Il  fe  livra  ua 

fanglant  combat  y  dans  lequel  .les  Anglûis  furent  dét 

faits  :  plufieurs  des  leurs  furent  faits  prifonniers  »   dii 

nombre  defouels  étoit  le  courageux  prieur.   Lts  Fran-i 

cois  y  qui ,  fuivant  le  récit  de  FroifFard  ,  ignoroient  en-^ 

core  la  mort  d'Edouard ,  l'aprirent  k  CQto  dernière  defn 

cente  y  &  fur-le^champ  on  fit  partir  une  barge  (a)  pour 

en  porter  la  nouvele  au  roi; 

,    Dp  fi  fréquentes  iocurfions  avoient  répandu  l'alartne 

dans  toute  l'Angleterre.  Les  comtes  de  Cambridge  & 

de  Buckingham  ^  oncles  du  jeune  monarque  y  prefTés 

{»ar  les  clameurs  de  la  nation  y  qui  croyoit  déj»  avoir 
es  François  dans  l'intérieur  du  royaume  y  ralTemblerent 
k  la  hâte  tous  les  hommes  qui  fe.  trouvèrent  en  eut  de 
porter  les  armes.  Ils  bordoient  le  rivage.de  Douvres 
avec  cent  mille  combatants  y  lorfque  la  fiote  Françoife 
parut  k  la  vue  de  cete  ville.  Comme  Tamiral  n'avoir 
pas  de  forces  fufifantes  pour  tenter  un  débarquement 
en  préfence  d'une  armée  €i  nombreufe  y  il  fe  contenta 
de  (è  tenir  devant  le  port  pendant  le  JQur  entier  &  la 
nuit  fuivante.  Le  lendfemaiu  il  leva  Tan^re  ^  &  vint  fo 


(tf)  Bâciment  léger ,  barque.  Gtof.  du  Çangfm 

Tome  y:  Rrr 


4^8  Histoire  ûe  FrancEi 

-  préfenter  k  Tctitrée  du  havre  de  Calais.  Ce  mouvetnent 

An&.  1^77-  obligea  les  Ânslois  de  fe  tenir  fur  leurs  gardes  de  ce 
côté  ;  ce  qui  ravorifa  la  guerre  que  les  François  fai* 
(bienc  alors  dans  le  Boulonois* 

Prifcd'Ardrcs.      j^^.  provinces  d'Artois  &  de  Picardie  écoient  ezcré- 
^c£[q!d€  ^^«^«nt  tincommodàîs.par  les  courfes  fréquentes  des 

Saint-Denis,  gaTAiions  Atigloifes.  Le  roi  confia  le  foin  de  réprimer 
c^ônMS  ^^  hoftilités  au  duc  de  Bourgc^oe  fon  frère.  Ce  prmce 
^'*'  *  n'avoir  point  affifté  auK  ^dernières  conférences.  Il  fie 
pendant  ce  temps  un  voyage  en  Efpagne  ,  pour  aquiter 
un  vœu  qu'il  avoit  formé  d  aler  ea  pélerînage  à  S.  Jaques 
de  Compoftele  :  pieufei  entrepriies  fort  ufitées  alors', 
&  que  Les  plus  grands  feigneurs  fe  piquoient  d'acomplir 
avec  autant  de  2ele  que  les  (impies  particuliers.  Il  vît 
à  Madrid  Henri  de  Tranilamare  ,  oui  le  combla  de 
carefTes  &  de  préfents ,  &  confirma  de  nouveau  les  an« 
ciens  noeuds  de  Taliance  4)ui  tmiiToit  les  CaftiHans  &  les 
François»  Le  duc  joignit  à\xx  troupes  qvtt  le  roi  lui 
donna  ,  les  compagnies  d'aventuriers  y  qui  rentroient 
alors  en  France  après  rexpédîrion  malheureufe  qu'ils 
avoient  tentée  en  Aiemagne  ^  (bus  la  conduite  <r£D« 
2^err2(n4  ^e  Côugî.  Ce  ;fiit:  dans  ce  même  temps  que 
ce  feigneur,  gendre  d'Edouard  ,quita  Je  parti  de  TAn* 
déterre ,  que  jufqu'alort  il  avoit  fuivi  plutôt  par  bien- 
leançe  eue  par  incUnation  j^pour  s'atacher  entièrement 
Rym.  aB.    au  roî  de  France  fon  (èigneur  naturel.  Il  permit  à  la 

pin.  IT'  ^  '  dame  de  Couçi  fon  époufe  de  retourner  à  Londres  ,  & 
renvoya  au  nouveau  roi  d'Angleterre  l'ordre  de  la  Ja* 
retiere  ,  en  le  priant  de  ne  fia^  trouver  mauvais  que 
dorénavant  il  retidtt  k  fon  légitime  fottverain  les  fer« 
vices  d^un  vafial  iBdde  &>  d'un  fu jet  afeâionné. 
Ibidem.  On  ignoroit  la  deftination  des  troupes  que  le  duc  de 

Boui^ogne  rafièmbloit  vers  les  fi-ontieres  de  Picardie  ^ 
lorfque  ce  prince  parut  devant  Ardres  qu'il  Ht  inv^r. 
Cete  place  extrêmement  importante  auroit  été  capable 
de  foutenic  ^n'  long  fi^ge ,  ii  elle  dût  été  fufifamment 

Sourvuè  de  munitions  de  guerre.  Les  ennemis  plongés 
ans  une  imprudente  (écurité  y  avoient  négligé  de  fe 


C  H   A    R    C   E    s      V.  4^9 

mettre  en  écat  de  défcnfe.  Les  arâques  furent  pmiflëes  '^ 

avec  une  vivacité  qui  fit  apréhender  aux  aflfiégés  d*êtrc    A»a-  M?^* 
emporcés  d^aflaut  ;  ce  qui  les  expofoit  à  une  mort  cet-- 
taine.  Une  artillerie  redoutable  foudroyoit  les  remparts^ 
de  la  ville  :  on  employa  des  machines  de  guerre  our 
lançôienr  des  pierres  du  poids  de  deux  cents  livres.  Lé 
ièigneur  de  Comegines  ,  gouverneur^  de  la  place  ,  deP 
efpérant  de  la  conlerver  contre  des  éfores  n  puiflants  ^ 
s^eftima  heureux  d^accepter  la  capitulation  par  laquelë 
il  lin  fut  permis  y  ainii  qu'à  la  garnifon  ,  d^  fe  retirer 
à  Calais  ,  vks  &  bagues  /am^s.  Lit  reddidoh  d^Ardres 
fut  fuivie  de  celle  de  la  fortereffe  d* Ardiirich  ,  que  dé-    /  .        * . 
fendoient  les  trois  frères  de  Maulevriêr  ^  ib  capitulèrent  .      / 

au  bout  de  trois  jours-  Le  château  de  Vaudinguen  fit  ' 

encore  moins  de  réfiflance.  La  prife  dé  ces  trois  placer 
refléroit  les  garnifons  de  Calais  &  de  Guines ,  qui  ra-^ 
vageoieiM:  aliparavant  les  pi^ôvinces  voifines  jufquli 
Boulogne  ,  Saint-Omer  &  Thérouane.  ! 

'   Charles 9  en  montant  (ur  le  trôné,  avoir  trouvé^ les     «pîcjïts  Ja 
finances  épûifées  ,    &   les   forces  de  l^Etat  î  anéanties  J  gÎ^oÎS 
au  point  ^  qu*à  peine  fut-il  poflible  de'  raflembler  un     treiffarL 
corps  de  douze  cents  combatants  au  commencement     chro.iiii.  it 
de  Ton  regtie.  Les  temps  étoient  bien  changés.  Qnq|  '^'-^"»'^.^^- 
armées  puifiantcis  &  bieq  entretenues  agifilbient  âlor^ 
en   mêmev-ttmps  ,  &  portoient  en^  divers  lieu*  la  ter^ 
reur  du  nom  François;  tandis  que  les  peuples >  béniP 
faut  à  Tenvi  l^heureux  gouvernement  dd  leur  fouverain , 
puïffoient  au-milieu  du  tumulte  des  armes  de  la  tran- 
<|uilké  de  la   paix.    Le  duc-  d'Anj^tMi  achevoit^  fou- 
mettre  ce  qui  reftoit  h  conquérir  dans  la  Cuienne^  II 
réduifiCy  dans  le  coU#s  d'U'ne  feule   campagne  ,    cent 
trente-quatre  villes ,  ou  places  fortifiées.   La  plus  im- 
portjnce  de  ces  conquêtes  fut  celle  de  Bergerac,  ville^ 
confidérable  alors  par   fa  fitUation  fur  b  Dordogne.' 
Cete  place  foutint  quinœ  }6ilrs  de  (iege  :  le  duc  qui* 
voulok  en  prefler  la  reddil(oti  ',  envoya  le  fire  de  Beuil; 
avec  un  détachement  dé  quatre  cents  hommes  d^ar-' 
mes,  pour  amener -Partilterie'qtfi'éeoità  la  Réole. -Lt^ 

R  r  r  ij 


ijoo  Histoire   de    France, 

T^— ^—  îeigneur   de  FeUeton,  gouverneur  de  Bordeaux,  rafr^ 
AiiB.,1377;    fembla  fept  à  huit  cents  lances,  dans  le  deilèin  d'in^ 
terccpter   le    convoi.    Il    fut  prévenu  par  le   général 
François ,  oui  fit  partir  Pierre  de  Beuil  au-devant  die 
Ton  frère  :  il  étoît  acompagné  du  feigneur  de  Vilaines, 
id'Yvain  de  Galles  &  de  quatre  cents  hommes  d'ar- 
snes.    Les  deux   troupes  s^étant   réunies  ,  rencontrer 
rent  les  Anglois ,  qu'ils  défirent  entièrement ,  .&  ari- 
verent  au  fiege ,  conduifànt  quantité  de  prifonniers  , 
parmi  lefquels  fe  trouvoit   FeUeton  lui-même-  Ber- 
gerac fe  rendit  le  lendemain. 
i^^H^aA^^        ^^^  opérations   de  la  guerre   n*étoient   pas  moins 
12^011^ Brc-"    heureufes  en  Bretagne,  La  ville  d' Aurai ,  qu*affiégcoic 
tagoc.  le  feigneur  de.  Cliflbo ,   fe  rendit.    Les  autres   places 

ibid.  qui  s*étôient  remifes  au  duc  de  Bretagne,  avoient  fubi 
le  même  fort  ;  en  forte  que  ce  prince  ne  poflëdoic 
plus  daqs  fes  Etats  que  le  château  de  Breit  invefti 
par  les  François.       .  , 

poftiiitisen.  Le  gouvërnemçQt  d'Angleterre  fe  trouvoit  alors 
ïVEcoffc?^!^  dans  une  pofitidn.trè?  embaraffante.  La  France  rem- 
Froiffari.  P^^'^^it  ^^^s  cefle  quelque  nouvel  avantage  vers  les 
frontières  de  Picardie,  dans  la  Bretagne,  &  fur-tout 
en  Guienne.  Un^  armée: navale  ravageoit  impunément 
les  côtes  de  Tile.  A.t^nt  de  pertjes  fe  joignit  l'invafion 
d'un  ennemi  toujour{S>  redoutable  aux  Anglpis  :  le  roi 
d'Ecoflè  déterminé  pa^r  l'avis  de  foa  conleil ,  afiemblé 
à  Edimbourg ,  réfolut  de  porter  la  guerre  en  Angle- 
terre. Tandis  Que  fes  troupes  fe  raflembloienc  vers  les 
frontières  ,  Alexandre  Ramfey ,  feigneur  Ecoflbis , 
furprit  par  efcalade  le  château  de  Warwich.  Aux  pre- 
mières nouveles  de  l'iruption ,  le  comte  de  Northumber- 
land  açourut  îi  la  tête  aun  corps  d'armée  confidérable. 
Kamfey  avoit  trop  peu  de  monde  pour  défendre  la 
citadele  dont  il  s'étoit  emparé  :  il  effaya  de  (brtir 
avec  le  butin  &  les  prifonniers  qu'il  avoit  faits  ;  mais 
fyvcé  par  les  habitants  de  la  ville  qui  avoient  coupé- 
le  pont ,  &  par  conféquent  rendu  fa  retraite  impra- 
ticable ,  il  fe  fenferipa  dans  la  tour^  eà  bientôt  il 


C  it  A  n  L  s  s    V,  ^or 

fut  affiégé   par  Parmée  Àngloife.  La    place   fut  èm-  . 

portée  d'aflaut  ,  la  garnifon  palTée  au  fil  de   Tépée,    Ann.  1377. 
&  le  commandant  fait  prifonnier  de  guerre.  Les  An- 
glois  voulurent  enfuite  pénétrer  dans  TEcoflë.  La  dé- 
faite d'une  partie  de  leur  armée  les  obligea  de  reve- 
nir fur  leuris  pai. 

Le  roi  cete  année  goûta  la  fatisfaâion  d^avoir  un    Voyage  de 
illuftre  fpeâatéUr  de  la  gloire  dont  il  étoit  environné.  ch^tksTv 
Oétoit  Tempereur   Charles  IV  fon    oncle.   Il  venoit  «i  France. 
nouvélement  de  Taire  élire  roi  des  Romains  Venceflas     chron.  MS. 
fon  fils  aîné,  âgé  de   quinze  ans.  Cete  éleôion  avoit  sfil^^Dcàif^ 
coûté   des   fommes    immenfes  à  l'empereur  ,   qui    fe     Ckrîfi.dt 
trouvant    hors    d'état    de  les  aquiter  ,    engagea   aur  ^V<^^ 
éleâeurs ,  dont  il    avoit  acheté  les  fufrages ,  la   plu- 
part  des   revenus  de   l'empire  ,  oui   en  fut  télement 
afbibli ,  qu'il    ne  s'en  releva  de  long-temps.    Ce   fut 
probablement   ce  qui  fît  dire  que  j^  Charles  IV  avoir 
^y  ruiné  fa  famille  pour  aquérir  l'empire ,  &  qu'il  avoit 
to  ruiné  Tempire  pour  établir  fa  famille  ».  (Jet  empe- 
teur  qui  avoit  pàfTé  les  premières  années   de  fa  vie  à 
la  cour  de  France,  defira  fur  la  fin  de   fes  jours  de 
revoir  les  lieux  oir  il  avoit  été  élevé.  Il  avoit  d'ailleurs 
une  finguliere  dévotion  k  Saint-Maur-des-FofTés  près 
de   Paris.   Par  une  lettre   écrite  de  fa  propre  main  , 
il  avoit    demandé   au  roi  la  permiffion  de   venir  en 
France.  Charles  faifit  avec  joie  cete  ocafion  de  don- 
ner à  l'empereur  des  témoignages  fenfibles  de  la  ten- 
dre amitié    qu'il    avoit  toujours  confervée   pour    lui. 
Aufli-tôt   qu'il  eut   reçu   les   premières    nouyeles   du 
projet  de  ce  voyage ,  il  fe  hâta  d'en  foliciter  l'acom- 
plifiement    par  l'invitation    la   plus  afeôueufe.  Il  en- 
toya  les  comtes  de  Sallfebruche  &  de  Braine,  le  fei- 
gneur  de  la  Rivière  fon  premier  chambélan ,  le  fei- 

fneur  de  Cbevreufe  fon  maître -d'hôtel,  acompagné 
e  plufieurs  des  principaux  oficiers  de  fa  maifon , 
Îour  recevoir  le  prince  à  fon  entrée  dans  le  royaume^ 
Is  fe  remuent  à  Moufon  fur  la  Meufe  qui  fépare 
len  cet  endroit  le  Rhételoîs  du  duché  de  Luxenibourg^ 


^02  Histoire   de   France, 

v  -   •  par  où  Ton    penfoic   d'abord   que    Temperéur   dcvoît 

^wu  IJ77*  ariver-  Le  jeune  Venceflas  écoic  déjà  dans  cete  ville, 
lorfqu'il  apric  qiie  fon  père ,  qui  avoic  été  retenu  par 
les  loins  d'apaifer  quelques  troubles  en  Alemagne , 
prenoic  fa  route  par  le  Brabant  j  le  Haibaut  &  le 
Cambréfîs.  Le  prince  &  les  députés  François  partir 
rent  aufii-tot  de  Moufon  ,  &  vinrent  à  Camorai , 
où  ils  ateodirenc  Tempereur  qui  devoit  inceflànunenc 
y  ariver.  On  faifoîc  cependant  pour  cete  réception  les 
préparatifs  les  plus  magnifiques  que  le  luxe  de  ce  fié- 
cle  pouvoic  imaginer.  Cete  entrevue  a  été  fi  fidèle- 
ment  décrite  par  un  grand  nombre  d'écrivains ,  qu^on 
(c  feroit  contenté  d'en  faire  une  mention  fuccinte,  fi 
les  cérémonies  qu'on  y  obferva  n'avoient  uqi  raporc 
trop  direâ  avec  les  mœurs  Se  les  ufages  du  temps  ^ 
pour  qu'on  fe  foie  cru  permis  de  priver  les  leâeurs  de 
cete  curieufe  defcription ,  qu'on  abrégera .  cependant 
le  plus  qu'il  fera  poflible.  Les  feigneurs  envoyés  par 
le  roi  de  France,  &  leur  fuite  compofée  de  trois 
cents  chevaux  ,  reçurent  l'empereur  à  une  lieue  dç 
Cambrai;  ils  le  complimentèrent  de  la  part  du  roi. 
L'évêque  parut  à  quelque  diftance  ,  acompagné  de 
deux  cents  hommes  de  la  ville«  Ces  deux  troupes  efcor* 
terent  le  prince ,  qui  fit  fon  entréç  à  cheval.  Il  étoit 
vêtu  d'un  manteau  gris  ,  &  afublé  dun  chaperon  de 
même  couleur  y  fourc  de  martre.  Le  prince  fon  fils  étoit 
à  fes  côtés.  Les  chapitres  vinrent  en  procedion  aur 
devant  de  lui.  Après  qu'il  eut  f^it  fes  prières  à  la 
cathédrale  >  où  il  ala  defcendre ,  il  fe  rendit  au  par 
lais  épifcopal  préparé  pour  fon  logement,  :  pendant 
fon  féJQur  en  cete  ville  »  il  fut  défrayé  aux  dépens 
de  révêque.  Dès  le  premier  jour  <ie  fon  arivée  ,  il 
déclara  aux  envoyés  du  roi ,  en  préfence  de  tout  le 
mondç^que  combien  qu^il  eét  fa  dévotion  à  faint 
Maur^  il  "venait  principakmtnt  povr  veoir  h  roi  y  la 
royne  &  leurs  citants  :  &  pour  p^v/enter  /on  fils  le  roi 
des  Romains,  au  roi  fon  Mveu  pour  Hrp,  tout  peu  ; 
^  ^u^apm   avoir  .acomp^   C9>.4e/lr^  çwnd  Ptcu  U 


Charles    V.  ^oj 

poudrait  prendre  ,  il  Vaccepuroit  en  gré.  On  étoît  alors  I 

au  22  ^!^ovemb^e,  &  l^empcreur  comptoic  paiTer  les  Ann.  1377. 
fêtes  de  Noël  à  Saioc-Quentin.  Les  députés  du  roi 
rengagèrent  à  recarder  fon  départ.  Le  motif  de  ccte 
fufpenûon  éioic  <)ue  les  empereurs  <lX>ccident  jouïi^ 
foiem  dans  les  terres  dépendantes  de  Tempire  du 
droit  d'ailifter  au  fer  vice  divin  revêtus  des  ornements 
impériaux,  6c  de  chanter  )a  feptienie  leçon  des  ma- 
tines de  Noël.  Chriftine  de  rifan  aâure  qu'on  lui 
eût  refulë  en  France  la  fàtis&âion  d^ufer  de  ce  pri^ 
vilege.  Une  pareille  dificuité  aurott  de  nos  jours  un 
air  de  puérilité  ;  mais  c'étoit  alors  le  fiecle  des  mi- 
nuties; ôc  Ton  peut  obièrver  en.  paflant^  que  ce  fut 
à'-peu-près  vers  ce  même  temps  que  Ton  s^aflèrvit  en 
France  aux  rigueurs  d'un  cérémonial  qui  paroiilbit 
ikc  pas  devoir  s'acorder.  avec  le  génie  d'une  nation 
ennemie  de  la  contrainte.   Les  ducs   de  Bourgogne  ^ 

3ui  parmi  les  princes  François  furent  prefque  les  feuls 
ont  la  puiilance  s^acrut  éc  s'afermit  pendant  les  ré- 
volutions des  règnes  fuivants,  conservèrent  dans  leurs 
Etats  ces  ufages  qui  leur  ofroient  à  chaque'  inftant 
ridée  de  leur  grandeur.  Leur  cour  iè  piquoit  d'une 
obfervation  fcrupuleufè  de  bienfeances  &  de  règles 
mefurées  avec  la  plus  grande  prédlîon.  Il  fe  fornia  y 
pour  ainfi  dire,  une  efpec^  de  code  de  rites  cérémo- 
nieux*  Cete  étiquete  févere  fuivit  Thériiiere  du  der- 
nier duc  de  Bourgogne ,  lorfque  cete  princefTe  tranf^ 
Î>orta  une  partie  de  cete  opulente  fucçeflion  k  1â  mair 
on  d'Autriche  ^  par  fon  mariage  avec  Maximilien. 
hts  Cours  de  Vienne  4c  de  Madrid  retracent  encore 
des  veftiges  de  cet  ancien  cérémonial.  Charles  en 
partant  de  Cambrai  vint  k  Saint^Quentin  :  les  oficiers 
du  rot  £c  jks  principaux  bourgeois  le  reçurent ,  en 
obièrvant  de  lui  dire  ,  fu^il  fut  It  bieri-vcnu  en  la 
pilk  Au  r0.  Il  reçut  les  ntêmes  compliments  &'  les 
mêmes  honeurs  dans  toutes  les  villes.  Le  duc  de 
Bo«irbon  ,  frère  de  la  reine ,  le  comte  d*Eu ,  les  évo- 
ques de  Beauvais  &:  de  Paris  ^  vinrent  au-devant  de^ 


^04  Histoire    de   France, 

f— — rr  lui  &  Tacompagaçrenc  lorfqu'il  encra  dans  Compîegne» 
Ano.  IÎ77»    Il   avoic  été  lurpris  en  forçant  de  Noyon,  d'une  vio- 
lente ataque  de  goutte  qui  le  tourmenta  pendant   le 
refte  du  voyage.    A  Senlis  il  trouva  les  ducs  de  Berry 
&  de  Bourgogne  ,  le  comte  de  Harcourc,  Tarchevê- 
que    de   Sens  &   Tévêque  de   Laon.   Les  gens  de  la 
niite  de  ces   princes  formoient  un   cortège  qui  s*au- 
gmentoit  fans  cefle.   Ils  étoient ,  fuivanc    Tufage    de 
ce  cemps^iiabillés  des  couleurs  ou  livrées  des  feîgneurs 
auxquels   ils    étoient  atachés  :  c'eft   ce  qu*on  apeloit 
robes  mi  -  parties  ^  faites  d'étofes  de  diferentes    cou- 
leurs.  Le  roi  qui  avpit  été  informé  de  la  maladie  de 
Tempereur ,  lui  envoya  un  chariot  de  fon  corps  noble- 
ment   apareillé,   &  atelé   de  chevaux   blancs  ,  &  la 
litière  du  dauphin  apareillée  de   deux  mules.  Il  étoit 
alors  k  Louvres.  Avant  x]ue  d'encrer  dans  Saint-Denisj 
les    archevêques  de  Rouen  ,  de  Reims  &   de  Sens  , 
les  évêques  de  Laon ,  de  Beauvais  ^  de  Paris  >  de  Li- 
zieuX)  de  Noyon,  de  Baïeux,  de  Meaux,  d'Evreux^ 
de   Thérouanne  &  de   Condom  y   &  Tabé  de  Saint- 
Waft   d*Arras  ,  tous  du  confeil   du   roi  ,  vinrent  le 
complimenter   de  la   part  du    monarque.   Il  étoit  cq 
jour-là  fi  cruélcment  tourmenté  de  la  goutte ,  qu'on 
fut  obligé  de  porter  fa  litière  jufque  devant  le  maître^ 
autel  de  l'abaye  de  Saint-Denis ,,&  delà  jufqu'à  Tapar* 
cernent  qu'on  lui  avoit  préparé.  Tous  les  princes  & 
feîgneurs  qui    Tavoient   acompagné   jufqu'alors  ,    pri- 
rent congé  de  lui  pour  fe  rendre  auprès  du  roi.   Lç 
lendemain ,  après  avoir  vifité  les  reliques  de  Tabaye , 
&  s'êtrç  fait  dçfcendre  dans  les  caveaux  où  font  renr 
fern^és  Içs  tombeaux  de  nos  rois ,  on  le  reconduiîit  à 
fon  apartement ,  devant  les  fenêtres  duquel  parurent 
le   feignei»r   dç  la  Rivierç  ,  &    Colart  de  lanques , 
écuyf  rs  du  corps  du  roi ,  qui  lui   préfenterent  deux 
phevaux  «oirs  àeftinés   pour  lui  fervir  deHffioncure  ^ 
ainfi  qu'au  roi  des  Romains.  Il  fe   mie  alors  en  che^ 
min  ,  toujours    porté  dans  fa   litière ,  qu'il  ne  quica 
gy*îj  U  Çhapelç  poHr  n»onter  à  cheval.  Le  prévôt  do 

Paris  # 


C  »   A    R  L   E    s       Vr  50^ 

Paris,  le  chevalier  du  Guet,  le  orévôt  dés  marchands,  ■ 

les  échevins  ,  &  ks  plus  natables  bourgeois  ,  vêtus  Aûû.  x577- 
de  robes  mi- parties  de  blanc  &  de  violet  ,  vinrent  à 
fa  rencontre  entre  Saint -Denis  &  la  Chapefe.  Le 
prévôt  porta  la  parole  en  ces  termes  :  Tns  cxcéîent 
prince  j  nous  les  ofidtrs  du  roi  à  Paris ,  le  prévôt  de$ 
marchands  ,  fir  Its  bourgeois  de  fa  banne  ville  ,  vous 
venons  faire  la  révérence  &  nous  ofiir  à  vous  faire 
votre  bon  plaifir  ;  car  ainfi  le  veut  le  rûi  notre  Jire , 
&  le  nous  a  commandé.  CKriftine  de  Pifan  &  les  chrtH 
iiToueurs  de  ce  fiecle  ont  grand  foin  de  remarquer 
qu*on  donna  des  chevaux  morels  ou  noirs  k  Tempe- 
reur  &  k  fon  fils  ,  parce  que  les  empcneûrs  étoient 
dans  Tufage  d*cntrer  dans  les  villes  de  leur  domina- 
tion montés  fur  des  chevaux  blancs.  Il  fkloit  au*alor« 
les  droits  des  fouverâitrs  fuflent  bien  mal  éclaircis  , 
puifqu'on  étoit  obKgé  de  fe  tenir  fi  rigoureufemehc . 
en  garde  contre  les  prétentions  chimériques.  Nou* 
vèrons  dans  la  fuite  Turbanité  Françoifc  dédaigner  cei 
frivoles  apréhenfions. 

Dans  le  même  temps  que  l'empereur  fortc^t  do 
Saint- Denis  ,  le  roi  fur  un  courficr  blanc  fuperbe- 
meut  harnaché,  fê  difpofoit  k  fortir  de  Paris.  Il  étoit 
vêtu  d'une  cote  hardie  (  ^r  )  d'écarlate  vei'meil ,  6c 
d*un  manteau  k  fond  de  cuve  fburé  d^hermines.  Sa 
tête  étoit  couverte  d'un  chapeau  k  bec  bordé ,  &  Cou- 
vert de  perles.  Les  duc  de  Berri,  de  Bourgogne,  dd 
Bourbon  &  de  Bar  ,  les  princes,  feigneurs  &  prélats 
lui  formoient  le  plus  brillant  cortège.  Les  prélats, 
fuivant  les  ordres   du  prince  ,  portèrent  k  cete  céré- 

(tf)  La  cote  haadie  étoit  une  efpece  dcr  cuniaue  férée  par  la  tailte,  &  qui 
defcendoit  jurqu'ainc  pieds  ,  à- peu  près  contmeics  foufcâu*  d'eftfauts.  Cccnâ- 
billcment  fe  portoit  (ous  le  manteau  \  il  étoit  commun  aux  hommes  &  aux 
femmes  ,  il  étoit  à  queue  traînante  pour  les  pcrfonncs  de  diftinftion.  Chrrftînc 
de  Pifan  au  tréfor  de  la  cité  des  dames ,  x  part.  chap.  i  ,  raporte  qu'un  taiP 
landier  de  robes  de  Paris  avoit  fait  pour  une  (impie  dame  ,  qui  demeuroit  en 
Gârinois  ,  une  cote  hardie  dans  laqucle  il  étoit  entré  cinq  aunes  de  drap  dd 
Bruxelles  à  la  grande  mefure  \  la  queue  traînoit  à  terre  de  trois  quartiers ,  âc 
tes  manches  à  bombardes  defcendoient  jafque  fur  les  pieds.  ^ 

Tome  V.  Sss 


^oS  Histoire    de   France, 

^*^****^  monle  des  chapes  Romaines  :  ces  chapes  avoient  k-peu- 
Ann.  1577.  près  la  forme  de  celles  que  portent  aujourd'hui  les 
chantres  de  nos  églifes.  Les  onciers  de  la  maifon  du 
roi  marchèrent  enfuite ,  diftingués  par  leurs  habits  , 
fuivant  leurs  difèrents.  emplois.  Les  maîtres -d'hôtel 
portoient  des  robes  de  velours  Inde  &  tanné ,  les  che- 
valiers d'honeur  de  velours  vermeil ,  les  écuyers  de 
camocas  bleu,  les  huiflîers  de  camocasbleu  &  rouge, 
les  pannetiers  ,  échanfons  &  valets  tranchants  de  fatia 
blanc  &  tanné  :  les  écuyers  de  cuifine  vêtus  de  hou- 
pelandes  de  foie ,  portoient  fur  leurs  têtes  des  aumu- 
çes  (a)  fourées.  Les  valets -de -chambre  avoient  des 
robes  gris -blanc  &  noir,  les  fergents  d*armes  bleu 
&  noir  ,  les  fommeliers  brun  &  vermeil.  Le  maré- 
chal &  deux  écuyers  ayant  chacun  une  épée  en  échar- 
pe  ,  marchèrent  devant  le  roi.  Le  parement  royal , 
^ui  étoit  de  velours  brodé ,  femé  de  fleurs  de  lis  en- 
richies de  perles,  étoit  porté  fur  ua  grand  courfier 
que  conduiioit  le  palefrenier  du  roi.  Charles  envi- 
ronné de  cete  nombreufe  troupe  auffi  lefte  que  ma- 
gnifique,  rencontra  rempereur  entre  Paris  &  la  Cha- 
pelé.  Ces  deux  princes  fe  faluerent  en  étant  leurs  ba- 
rètes (a)  &  leurs  chaperons  (b).  Le  roi  fe  contenta 
de  donner  la  main  à  l'empereur  fans  ofer  Taprocher^ 
dans  la  crainte  de  blefTer  {qs  jam}:)es  :  il  ala  enfuitc 
au  roi  des  Romains ,  &  reprit  au-milieu  de.  ces  deux 
princes  le  chemin  de  la  capitale. 

Le  monarque  conduifit  ces  auguftes  voyageurs  à 
travers  un  fouie  innombrable  d'habitants  qui  bordoient 
les  rues  fur  leur  paflage.  L'empereur  fut  logé  au  pa- 
lais dans  les  apartements  du  roi ,  qui  fe  retira  dans 
les  chambres  d'enhaut  qu'on  apeloit  galetas.  Le  roi 
en  entrant   dans  la  fale  où  étoit  l'empeVeur,  mit  la 

(û)  L'aumuce  étoic  an  habiHcmenc  qoi  couvroit  la  téce  Se  les  épaalcs  ;  elle 
«voit  à-pcu-prés  la  forme  du  chapeton  ,  laah  ua  peu  plus  longue*  &  plus  étroite. 

(6)  Efpece  de  coifures  donc  les  bonmies  Ce  fervoient  aTec  le  chaperon.  Les 
toques  des  Cantabres  &  des  Béarnois  font  encore  apelées  barètes. 

(c)  Une  ancienne  chronique  raporte  que  Tempereur  ôta  Ton  aumoce  £c  fon 
chaperon 2  8c  que  le  xoi  ou  ion  chapel  tant  feulement.  Chron*  Flandr.  cap.  lOj» 


Charles    V.  ^07 

main  à  fon  chaperon  ;  Charles  IV  voulut  Tem pécher ,       • 
mais  il  lui]  dit  qu'il  vouloit  encore  lui  montrer  fa  coife  :    Am.  1377. 
c'étoit  un  couvrechef  léger  qu'on  portoit  autrefois  fous 
le    chaperon.    Toutes    les    entrevues  fe  paflerent   en 
protefUtions  réciproaues  d'atachement  &  de  tendreflc. 

L'enipereur  ,  ainn  gu'il  Tavoit  demandé ,  en  ari- 
vant  à  Paris  ^  n'eut  point  d'autre  garde  que  celle  du 
roi ,  £c  il  fut  fervi  par  les  oficiers  de  la  cour.  On  lui 
donna  dans  la  grande  fale  du  palais  un  fuperbe  feftin/ 
auquel  le  roi,  le  dauphin  &  tous  les  prmces  afiiftè- 
rent.  Les  tables  étoient  drelTées  fous  des  dais  brodés 
d'or  :  des  monceaux  de   vaifTcle   d'or,  de  vermeil  &  % 

d'argent  étoient  étalés  dans  les  fales  voifînes.  On  de* 
voit  faire  quatre  fervices  de  quatre-vingts  mets  difé- 
rents  ;  mais  on  fut  obligé  d'en  retrancner  un  à  caufe 
de  l'incommodité  de  l'empereur ,  qui  ne  lui  permit 
pas  de  tenir  table  plus  long-temps.  La  ville  de  Paris 
©frit  à  ce  prince  un  préfent  de  vaiflele  d'argent  & 
de  vermeil  :  il  y  avoit  entre  autres  fingularités  un 
vaifTeau  d'argent  qui  repréfentoit  les  armes  de  la 
capitale. 

Le  roi  n'oublia  aucunes  des  atentions  qui  pouvoîent 
contribuer  à  la  fatisfaâion  de  fes  hôtes  :  repas  ,  con- 
certs ,  préfents,  rien  ne  fut  épargné.  L'univerfité  par 
l'organe  de  fon  chancelier  ,  harangua  Tcmpereur  en 
latin  :  ce  prince  fe  fervit  de  la  même  langue  pour  lui 
répondre.  Le  roi  qui  dans  ce  fiecle  pouvoit  fans  con- 
tredit pafler  pour  éloquent,  fit  prier  Charles  IV  de 
venir  prendre  féance  au  confeiL  Le  monarque  parut 
en  cete  ocafion  prendre  l'empereur  pour  juge  ae  fes 
démêlés  avec  l'Angleterre  :  il  parla  pendant  plus  de 
deux  heures  fur  ce  fujet,  il  fit  lire  toutes  les  pièces 
juftificatives  ,  il  finit  en  demandant  l'avis  de  ce  prin- 
ce,  &  en  le  priant  d'être  perfuadé  ainfi  que  les  fei- 
gneurs  de  fa  fuite ,  que  toutes  fes  démarches  pendant 
fe  cours  de  cete  guerre  avoient  été  guidées  par  la  juf- 
tice.  Charles  non  content  d'aprouver  les  raifons  aie- 
guées  par  le  roi ,  lui  ofrit  de  le  féconder  de  tout  fon 

S  ss  ij 


5o8  Histoire   de   France, 

^  pouvoir  dans  la  pourfuite  de  cctc  guerre  :  il  lui  donna 

Ann.  1577,    niême  la  lifte  des  princes  &  feigneurs  qu'il  promet* 
toit  d'engager  à  fonfervice. 

L9  procédé  du  roi  à  la  réception  de  Tempercur, 
préfenre  un  tableau  donc  la  fingularité  provenoit  peut* 
être  de  1  efprit  du  temps  plutôt  que  du  caradere  du 
prince.  Charles  qui  y  dit^on  ,  eut  grand  foin  de  faire 
déclarer  par  les  oficiets  de  fes  villes ,  que  les  honeurs 
qu'ils  rendoient  étoienc  une  fuite  de  lès  ordres,  qui 
ne  voulut  pas  que  l'empereur  entrât  dans  Paris  monté 
iur  un  cheval  blanc  ,  parce  que  c'étoit  un  figne  de 
•  domination  ;  Charles  qui  n'auroit  pas  fouferc  que  fou 

hôte  eût  cluinté  dans  fes  Etats  la  feptieme  leçon  des 
matines  de  Noël,  comme  fi  l'ofice  de  diacre  ou  de 
chantre  pouvoit  aquérir  ouelque  droit  fur  un  Etat, 
plaida  lui-même  fa  caufe  devant  ce  prince ,  contre  les 
entreprifes  duquel  il  prenoit  des  précautions  fi  recher- 
chées :  tant  il  eft  vrai  que  rien  n'eft  j^lus  capable  de 
f ecrécir  le  génie  que  les  petitefTes  pointilleufes  de  l'éti* 
^uete ,  dont  les^  frivoles  formalités  mettent  à  tout  me* 
ment  Tafeâation  de  la  grandeur  en  contradiâion  avec 
elle-même.  L'empereur,  après  s'être  aquité  de  fon 
vœu  à  Saint-M aur-des^Fofli^ ,  &  avmr  vifité  les  mai-* 
fons  royales ,  honoré  par-tout ,  comblé  de  préfents  & 
de  témoignages  d'amitié  ,  reprit  la  route  de  TAlemagne. 
Il  fut  reconduit  jufqu'aux  frontières  par  les  princes 
&  les  plus  grands  feigneurs  du  royaume.  Il  a  voit  été 
défrayé  aux  dépens  du  foi,  ainfi  que  toute  fa  fuite, 
mandant  fon  féjour  en  France.  Avant  que  de  quiter 
la  cour,  il  avoît  créé  le  dauphin  vicaire  général  & 
perpétuel  de  l'empire  en  Dauphiné.  C'éroit  une  fuite 
des  anciennes  prétentions  des  Céfars  d'Occident  fur 
le  royaume  d'Arles.  On  ne  s'opofa  point  en  France 
à  cet  aâe  de  fouveraineré.  Le  chancelier  impérial  en 
expédia  les  lettres  revêtues  du  fceao  d^or.  Ces  lettres 
contenoient ,  outre  la  concedîon  du  vicariat ,  une 
donation  du  château  de  Pompet,  &  de  quelques  ter* 
xes.  qui  apartenoient  k  Pempereur  danj>  le  Daaphiné. 


Charles    V.  1J09 

Peu   de  temps  après  le  départ   de  rempcreur,  la  . 
confiance  du  roi  fut  éprouvée  par  une  afliaion  d^au-    Ann.  1577- 
tant  plus  fenfible^  qu'il  ▼  étoit  moins  préparé.  Jeanne     .^*^"  ^^  ^* 
de    Bourbon   fon    époule    donna   la   naiflance  à  une  dc^B^^Aoïll^ 
princelie^  qui  fut  tenue  fur  les  fonts  par  le  prieur  de       Uidtm,  ' 
lainte   Catherine -du -Val -des- Ecoliers  ,  &   par  une     ^roiffard. 
demoifelle  qui  aidait  la  reine  à  dire  Jes  heures  :  cete 
demQifelle    s'apeloit    Catherine  de    Vdliers.    La    reine 
avoir  été  guidée  dans   le  choix  du   parain   &  de  la 
maraine    par   la   dévotion  finguliere   qu'elle    avoit    à 
fainte  Caàierine«    Cet  acouchement  n'auroit  point  eu 
de  fuites  flcheufes  fans  Timprudencc  de  la  princcfFe, 
oui  fe  baigna  contre  l'avis  de  fes  médecins.  A  peine 
fiit-elle  entrée  dans  le  bain,  qu'elle  reflentit  les  ata^ 
ques    d^une  maladie   dangereule   qui   la  conduifît   en 
peu  de  jours   aux  portes  du   tombeau.   Elle  mourut, 
laiflknt  le  roi  fon  époux  &  toute  la  France  inconfo- 
labiés  de  fa  perte. 

On  étoit  encore  rempli  des  premières  împreffions    confpîratio» 
de  cete  douleur  générale ,  lorfque  l'Etat  fut  menacé  <l^couvçrtc. 
du  plus  grand  des  malheurs  dans  la  petfonne  de  fon  crimcs"du*roi 
jroi.   Une   confpiration  abominable  étoit  fur  le  point  de  Navarre. 
d^éclaten  Heureufement  la  découverte  de  cete  norri-    J^^^'^y^^^ 
ble  trame  en  prévint  l'exécution.    Lorfqu'il  s'agit  de  torUnsf^  '^* 
quelque  trahiibn  fignalée ,  le    leâeur  n'a  pas    befoin      Procès  MS. 
qu'on  lui  défigne  le  perfbnnage  funefle  qui  va  paroi-  ^'IJ^f^^J^ 
tre  fur  la  fcene.   Le  roi  de  Navarre ,  après  avoir  ba-  ^de  u  'chamhrt 
lancé    quelque    temps   entre   le   projet   de   venir    lui-  ^"  Comptes. 
même  à  la  cour  de  France  pour  ménager  fes  intérêts  lif^lTurl!^^ 
fur  l'explication  de  quelques  articles  du  dernier  traité 
qui  n'étoient  pas  encore  entièrement  difcutés ,  ou  d'en- 
voyer Charles  comte  de  Beaumont  fon  fils  aîné ,  avoit 
enfin  pris  ce  dernier  parti.  Le  roi  qui  étoit  trop  jufte 
pour  rendre  le  fils  refpohfable  de  la  conduite  crimi- 
r>ele   du   père ,   reçut   le  jeune   prince    avec   toute   la 
bienveillance  &  les  égards  dûs  a  fa  naiflance.    Il  n'y 
avoit  pas  long-temps  quil  étoit  k  la  cour  ,  lorfqu'on 
fut  informé  par  des  avis  fecrcts  qu'on  vouloit  atentCK 


5 10  HistoiredeFran^e, 

-?  aux  jours  du  roi.  Ces  avis  qui  ne  fpécifioient  rien  de 
Ann.  IJ77.  pofîtif,  jctoienc  le  monarque  dans  un  extrême  em- 
paras :  comment  découvrir  un  crime  dont  la  fource 
fe  perdoit  dans  les  ténèbres  ?  Les  foupçons  tombè- 
rent fur  Charles-le-Mauvais.  Le  paffé  ne  jufttfioit  que 
trop  les  craintes  préfentes.  On  cherchoit  des  indices 
qu'on  n'elpéroit  trouver  que  dans  les  perfonnes  ata- 
chées  au  Navarrois.  Le  comte  de  Beaumont  paroif- 
foit  peu  propre  à  éclaircir  ces  foupçons  :  la  jeuneiTe 
de  ce  prince*  fembloit  en  quelque  forte  garantir  fon 
innocence  :  fes  démarches  confirmèrent  la  perfuafion 
où  Ton  étoit  qu'il  ignoroit  abfolument  les  fecrets  dan- 
gereux du  roi  fon  père.  Le  roi  de  Navarre  ne  l'avoit 
envoyé  en  France  que  pour  repréfenter,  tandis  qu'il 
.  avoit  fait  partir  4  fa  fuite  un  de  fes  confeillers  dépo- 
fitaire  de  fes  véritables  intentions.  Ce  fut  par  le  canal 
de  cet  agent  qu'on  eflaya  de  pénétrer  un  myftere  qui 
paroiflbit  inexplicable.  Le  roi  s'étant  arête  à  cete  ré- 
fol  ution^^  chargea  Jean  du  Rofay  y  huiffier  d'armes, 
&  Guillaume  du  Rojay ,  écuyer  d'écurie ,  de  s'aflurer 
de  la  perfonne  de  Jaques  du  Rue  ,  chambélan  du  roi 
de  Navarre.  L'exécution  de  cet  ordre  manifefta  les 
crimes  que  méditoit  Charles-le-Mauvais.  Du  Rue  fut 
conduit  prifonnier  à  Corbeil ,  d'où  on  le  transféra  au 
Châtelet  de  Paris.  Parmi  les  papiers  qui  furent  faifis, 
on  trouva  un  mémoire  inftruâif  de  la  conduite  que 
les  miniftres  du  Navarrois  dévoient  tenir  pour  acom- 
plir  le  déteftable  projet  de  ce  prince.  Les  horreurs 
contenues  dans  ce  mémoire  ,  "urenc  confirmées  & 
même  augmentées  par  les   dépoiitions  du jprifonnier , 

?ui  fubit  plufieurs  mtérogatoires  ,  tant  à  Corbeil  qu'à 
^aris  ,  en  préfence  du  chancelier  &  des  commifTaires 
nommés,  pour  commencer  Tinftruâion  du  procès.  Il 
ne  fera  pas  inutile  d'obferver  que  le  chancelier ,  &  les 
magiftrats  tirés  du  parlement  &  des  autres  cours  fou- 
veraines  pour  recevoir  les  dépofitions  d'un  prifon- 
piçr  en  matière  criminele,  fe  tranfportoiçnt  dans  les 
prifons  même?  où  les  coupables  étoient  détçnus. 


Charles    V.  511 

Il  ne  falut  pas  employer  Tapareil  des  tortures  pour  ■ 
obliger  du  Rue  à  révéler  les  (ecrets  dont  il  étoit  dé-  Ann.  xj??* 
pofîcaire.  Les  juges  frémirent  en  fondant  ces  myftè- 
rcs  afreux*  On  aprit  que  le  roi  de  Navarre  avoit  mis 
en  ufage  les  plus  prefTantes  folicitations  &  les  pro- 
mefles  les  plus  capables  de  féduire ,  pour  engager  un 
médecin  Juif  nommé  Angcly  natif  de  l'île  de  Chypre, 
à  venir  à  la  cour  de  France  dans  Tintention  d  em- 
poifonner  le  roi.    Le  Navarrois  difoit  à  cet  étranger  , 

3ue  fa  profeflion  lui  faciliteroit  les  moyens  de  s'intro- 
uire  dans  la  familiarité  du  roi  de  France  ,  auprès 
duquel  les  fçavants  étqient  toujours  afTurés  d'un  accès 
favorable  ;  que  ce  monarque  re  vèroit  d*autan^•  plus 
volontiers ,  qu'il  parloit  bien  latin  &  étoit  moult  ^rgu-- 
mentati^.  Le  médecin  fe  voyant  obfédé  fans  ceue  , 
comprit  à  ces  inftances. réitérées  qu'il  n'avoir  d'autre 
parti  à  prendre  que  d'accepter  la  commiflion  ou  de 
fè  dérober,  en  fuyant,  aux  fuites  de  cete  dangereufe 
confidence.  Il  quita  la  cour  du  roi  de  Navarre  ;  mais 
il  ne  porta  pas  loin  le  funefte  fecret  de  ce  prince ,  qui 
dit  à  du  Rue ,  quelque  temps  après  le  départ  d' An- 
gel  j  que  le  phyficien  de  Chypre  avbit  été  noyé  dans 
la  mer. 

Un  projet  échoué  n'étoit  pas  capable  de  ralentir 
les  éforcs  de  cete  haine  implacable  dont  le  roi  de 
Navarre  étoit  dévoré  :  fon  imagination  aftive  lui  fuggé- 
roit  à  tout  monie^it  quelque  nouvele  perfidie.  Le  pro- 
cès qu'on  inftruifoit  alors ,  dont  l'original  fubfifte  en- 
core aujourd'hui ,  contient  le  détail  circonftancié  d'un 
tiflu  d'eritreprifes  crimineles  :  cette  ennuyeufe  &  ré- 
voltante répétition  n'ofre  qu'un  tableau  multiplié  des 
mêmes  noirceurs.  La  profpérité  de  la  France  iritoit 
de  plus  en  plus  les  tranfports  de  Charles-le*  Mauvais. 
Il  oifoit  orcUnairement  à  fes  plus  intimes  confidents , 
qu^il  n^aimoit  point  le  roi  ac  France,  quelques  bêles 
paroles  qu^il  lui  eût  dites  ,  ni  quelque  beau  femblant 
qu^il  lut  eût  fait  ,  qu^il  avoit  toujours  tendu  par 
toutes  les  manières  qu^il  avoit  pu  à  lui  faire  grief  & 


$ia  Histoire   de    France, 

-■    ■  ■  dommage  ,    &  qtic   s^il  pouvait  il  mcttroit   volontiers 

Afitt.  ï}77.  peine  à  fa  dcfiru3ioni  Enfin  il  crut  que  le  moment 
favorable  k  fa  fureur  écoit  arivé.  Edouard  qui  le 
connoifToit  trop  pour  eftimer  fon  aliance,  venoit  de 
mourir.  La  r^nce  d'Angleterre  fuivoit  alors  d'au- 
tres maximes  :  on  le  fiatoit  de  Telpérance  du  mariage 
de  Richard  avec  la  princeiTe  de  Navarre.  Charles  en 
faveur  de  cetc  union  &c  des  avantages  fans  nombre 
qu'on  lui  prodiguoit ,  s'étoit  lié  fans  réferve  avec  les 
ennemis  :  il  devoit  déclarer  la  guerre  à  la  France  i 
&  livrer  en  même-temps  aux  Anglois  Tes  places  de 
Normandie.  Ses  agents  cependimc  avoient  ordre  d'à- 
mufer  la  cour  de  France  par  des  négociations ,  Jufqu'à 
ce  que  le  projet  concerte  fût  près  d'éclater.  Comme 
il  étoit  perfuadé  par  l'expérience  du  pafTé,  qu'il  ne 
pouvoit  former  aucune  entreprife  que  la  fagdTe  du 
roi  ne  déconcertât,  il  avoit  pris  des  mefures  ^u'il 
croyoit  infaillibles  pour  arêter  le  cours  *  d'une  vie  à 
laquele  le  falut  du  royaume  étoit  ataché.  Cet  acentat 
devoit  précéder  &  fervir  de  iignal  à  la  révolution 
ou  il  fe  propofoit.  S'il  eût  pu  réuffir  -  dans  l'exécution 
oe  cet  horrible  dldfein ,  la  France  eût  été  fans  doute 
expofée  au  plus  grand  danger.  L'embaras  d'une  mino- 
rité y  la  jaloufie  fecrete  des  princes  ,  les  ennemis  in- 
troduits jufque  dans  le  cœur  du  royaume  ,  aloient  re- 
nouveler les  malheurs  pafiés.  Tous  les  mécontents  (  âc 
fous  quel  gouvernement  ne  s'eti  trouve -t- il  pas?  ) 
étoient  autant  de  partifans  couverts  ,  qui  ^  pour  lever 
le  mafque  y  n'arendoient  que  la  faveur  des  circonftan- 
ces.  Le  poifon  deftiné  k  trancher  les  jours  d'un  de  nos 
plus  grands  monarques ,  avoit  été  préparé  en  Navarre 
par  un©  Juive  ,  fous  les  yeux  de  Charles -le -Mauvais. 
Un  valet-de-chambre  de  cet  indigne  prince  avoit  ordre 
de  fe  rendre  à  Paris ,  de  fe  procurer  l'accès  de  la  mai- 


fon  royale  par  le  moyen  d'un  parent  oficier  de  la  cui- 
fine  du  roi ,  &  d*épier  le  moment  d'exécuter  le  parri- 
cide. Le  lâche  roi  de  Navarre  s'aplaudiflbit  déjà  de 
fon  crime,  donc  le  fuccès  ne  dépendait  plus  que  d'un 

fecret 


Charles    V.  513 

ecret  de  quelques  jours  ,   lorfquc  la  détention  de  fon  ' 

miniftre  renverfa  fes  efpérances  &  le  couvrit  de  con-    ^nn.  n??* 
fufîon. 

Le  prince  de  Navarre  n*étoît  point  à  la  cour  lorfque 
du  Rue  fut  arête  :  on  lui  envoya  un  fauf-conduit  pour 
s'y  rendre  incefTamment.  Il  entfoit  fi  peu  dans  hs 
complots  de  fon  père  ,  qu'il  vint  fur-le-champ  à  Senlis 
où  le  roi  étoit  pour-Iors,  Il  demanda  Télargiflement  du 
miniftre.  Charles  pour-^toute  réponfe  demanda  les  prin- 
cipaux membres  du  confeil  ,  &  fit  lire  en  préfence  du 
jeune  prince ,  les  dépofitions  du  prifonnier.  Il  lui  dé- 
•  clara  en  même-temps  que  la  tranquilité  du  royaume, 
&  l'intérêt  même  des  deux  princes  de  Navarre  exi- 
geoient  qu'on  s'aflbrât  de  toutes  les  places  que  le  roi 
leur  pereiçofledoit  en  France.  La  plupart  des  gouver- 
neurs de  ces  forterefl'es  avoient  acompagné  le  comte 
de  Beaumonc  :  ils  étoient  préfents  à  cet  entretien  :  on 
les  fit  jurer  de  remettre  au  pouvoir  du  roi  ïcs  villes  & 
châteaux  qui  leur  étoient  confiés.  Charles  de  Navarre 
en  cete  ocafion  agit  avec  tant  de  bonne- ft)i ,  que  ce  fut 
à  fon  inftigation  qu'on  arêta  un  de  ces  commandants 
ilont  la  fidélité  lui  paroiflbit  fufpeâe.  Le  refte  de  fa 
conduite  ne  fervit  qu'à  confirmer  l'opinion  où  l*on  étoit 
dès-lors  de  la  droiture  de  {qs  intentions.  Charles  V  & 
fon  fuccefTeur  eurent  toujours  lieu  de  fe  louer  dans  la 
fuite  de  fon  atachement  &  de  fa  fidélité. 

Il  y  auroit  eu  de  la  foiblefle  à  ménager  davantage    aj^,  jj^g^ 
un  traître  ,  dont  la  haine  déclarée  paroiflbit  moins  dan- 
gereufe  que  la   fureur  fecrete.   Le  duc   de  Bourgogne 
&  le  connétable  eurent  ordre  d^entrer  en  Normandie 
avec  des  troupes ,  &  de  s'emparer  de  toutes  les  places 

Îue  le  roi  de  Navarre  pofledoit  dans  cete  province. 
it  comte  de  Beaumont*  les  acompagnoit  à  cète  expé- 
dition. Quelques  ville?  fe  rendirent  fans  réfiftance  ; 
mais  il  fiilut  employer  la  force  pour  en  foumettre  la 
plus  grande  partie.  On  prit  dans  le  château  de  Bernai 
un  fecrétaire  du  Navarrois  ,  apelé  Pierre  du  Tertre.  Il 
fut  amené  k  Paris  &  renfermé  dans*  la  tour  du  Temple.  - 
Tome  V.  T  1 1 


514  Histoire   de    France, 

!  Il  fut  intérogé  par  les  mêmes  commiiTaires  qui  avoient 
Ann.  137g.  reçu  les  dépofitions  de  Jaques  du  Rue.  Ce  nouvel  exa- 
^  men  éclaircit  plufieurs  particularités  des  traités  que 
Charles-le-Mauvais  avoit  conclus  en- divers  temps  avec 
Jes  ennemis  de  TEtat  :  on  fçuc  qu'il  confervoit  toujours 
fes  anciennes  prétendons  fur  la  Bourgogne.  On  avoit 
furpris  plufieurs  lettres  dont  le  fens  envelopé  fous  des 
expreflions  bizares  paroifïbit  inexplicable  :  le  fecrétaire 
donna  la  clef  de  cete  efpece  de  chifre  ,  qui  ne  confif- 
toit  qu'à  fubftituer  des  noms  étrangers  aux  noms  véri- 
tables des  lieux  ou  des  perfonnes  dont  on  vouloit  par- 
ler. C'étoit  à  cet  artifice  ,  qui  de  nos  jours  paroîcroit  • 
fodier  ,  que  fe  réduifoit  toute  la  finefle  de  ce  temps- 
:  il  n'en  avoit  pas  cependant  falu  davantage  pour 
épuifer  les  conjeftures  des  examinateurs.  'Qxx  Tertre 
confeflà  tout  ,  négociations  avec  les  Anglois  ^  traités 
frauduleux  avec  la  France  ,  tentatives  fur  des  places  ^ 
manœuvres  fecretes  pour  fufciter  fans  cefi'e  de  nouveles 
afaires  au  roi.  A  l'égard  des  poifons  ,  il  fe  défendit 
conftamment  d'en  avoir  eu  la  moindre  cônnoifiance  ; 

froteftant  que  bien  loin  d'y  participer  ,  il  défavouoit 
autement  le  roi  de  Navarre  ,  s'il  étoit  vrai  qu'il  fût 
coupable  de  pareils  forfaits.  Il  perfifta  jufqu'k  la  fin 
dans  ce  déni. 

Lorfoue  toutes  les  charges  de  ces  deux  procès  curent 
été  fufifamment  établies  ,  le   roi   qui    vouloit   rendre 

f)ublics  les  crimes  du  roi  de  Navarre  ,  &  la  juftice  de 
a  conduite  qu'on  obfervoit  à  l'égard  de  ce  prince.,  or- 
idonna  que  lès  deux  prifonniers  hifient  amenés  au  par- 
lement ,  &  qu'on  les  intérogeât  de  nouveau  en  pré- 
fence  de  cete  augufte  aflemblée.  La  féance  fiit  une  des 

f>Ius  nombreufes  qu'on  eût  encore  vues  jufqu'alors  pour 
e  jugement  de  deux  particuliers.  Le  chancelier  ,  les 
archevêques  de  Sens  &  de  Rouen  ,  les  évèques  de 
Beauvais  ,  de  Condom  ,  de  Baïeux  ^  de  Térouane  & 
d'Evreux  ,  les  abés  de  Saint-Denis  ,  de  Saint-Benisne 
de  Dijon  ,  de  Saint -Waft  d'Aras  ,  de  Sainte- £0- 
^       lombe  &  de  Saint- Germain -des -Prés  ,  les  nonces  du 


T 


C   H    A    R   L   E    s      V..  ^r«J 

ape   (a)  ,  \c  comte  de  Harcaurt  ,    le  vicomte  de  i 

^houars  y  le  fire  de  Couci,  une  mulcîciKle  d  autres  fei-  htm.  137^ 
geurs  Y  ailîfterent  avec  les  préfidents  &  confeiliers 
de  la  grand^chambre  &  des  enquêtes ,  &  plufieurs  n>a- 
giftrats  tirés  de  la  chambre  des  comptes  &  des  autres 
cours  fouveraines  y  ainfi  que  les  fecrétaires  du  roi  y  te 
prévôt  des  marchands  ,  &  auelques-uns  àes  principaux 
bourgeois  de  Paris.  Quoiqu  en  eete  ocafion  il  s^aek  de 
procéder  criminélement  ,  les  confeiliers  écléfiaffiques 
furent  préfents  ^  audi-bien  que  les  magiftrats  iara^ies , 
aux  derniers  intérogatoires  &  confrontations,  it  eft 
encore  à  propos  de  remarquer  que  dans  cete  féance 
publique  on  lu  prima  les  procédures  qui  concernoient 
les  liaifons  que  le  roi  de  Navarre  avoic  entretenues 
avec  Philippe  d*Alençon  ,  archevêque  de  Rouen  :  on 
crut  aparemment  devoir  ce  ménagement  à  la  naiflauce 
ou  au  caraôere  de  ce  prélat. 

Les  dépofitions  que  Jaqves  du  Rue  &  Pierre  du 
Tertre  avoient  faites  féparément ,  leur  furent  reprélèn- 
tées  :  après  en  avoir  entendu  la  leâure ,  ils  les  confir- 
mèrent par  un  dernier  aveu  y  ajoutant  qu'ils  fçavoienc 
bien  qu*ils  étoient  dignes  de  mort  y  fi  le  rot  ne  kurfai-- 
foit  mijericordc.  Cete  confeflion  fut  portée  au  roi  ,  qui 
ordonna  que  raifort  &  jufiice  leur  fût  faite.  La  cour 
alors  procédant  a^i  jugement  y  prononça  leur  condana-- 
tion  (b).  On  les  traîna  dui  palais  jufqu*aux  haies  y  où 

(d)  Du  Tillct  met  au  nombre  des  écléfiaftiqucs  qui  affiftcrcnt  à  ce  jugement 
le  prieur  des  Chartreux.  Il  y  a  toute  aparence  cpi'il  s*eft  trompe  :  ï\  cft  fans, 
exempte  que  ces  foKtaires  ayenc  jamais  pris  féance. parmi  les  magjdracs  ;  il  aura 
probablement  pris  le  prieur  du  Val-Iès-Chanres  pouc  le  ptieur  des  Cbaafeuz. 
jDu  TîUa  j  recœuildes  rangs  »  pag,  f  |. 

(h)  Cete  condanatton  parok  jnflv  à  Tégard  de  Jaques  du  Rue  »  qui  con« 
▼ient  d*avotr  participé  aux  complots  formés  far  le  rot  de  Navarre  contre  la  vie 
du  roi.  Pierre  du  Tertre  n  étoit  pas  dans  le  même  cas  :  il  n  avoit  fervi  que  d'a- 
gent pour  les  négociations  d'un- prince  auquel  il  étoit  ataché  depuis  vingt-trois 
ans.  Il  eft  donc  à  propos.  »our  mettre  eii  évideace  la  iuftice  de  ce  jugement  » 
d*obferver  qu'il  fut  regarde  comme  coupable  ».  parce  cia  il  écoit  né  fujet  du  roi 
de  France.  De  tous  les  écrivains  de  ce  ficelé  une  feule  chronique  r^rte  cete 
particularité.  Voilà  comme  elle  s'ezprime  :  «  En  Tan  1 577  furent  décapités  es 
»9  haies  de  Paris  (ire  Jaques  du  Rue  ,  &  maître  Pierre  du  Tertre  natifs  de 
»  France  ,  confeiliers  du  roi  de  Navarre  ,  pour  trahifons  par  eux  coramifcs 
9»  contre  la  majefci:  royale ,  &c  «»  MS,  bihL  R.  num.  102  9T. 

T  1 1  ij 


iji^  Histoire   de   France^ 

■  ils  furent  exécutés  à  la  vue  d  une  ifïuhitude  innombra- 

Ann.  1378.  ble  de  peuple.  Le  jour  deftiné  pour  cete  exécution  étoic 
précifément  le  vingt  &  un  du  mois  de  Juin  ,  jour  de  la 
loirc  du  Lendit ,  qui  atiroit  alors  à  Paris  une  afluence 
prodigieufe  de  monde,  tant  des  provinces  du  royaume, 
que  des  pays  étrangers.  L'ouverture  de  cete  foire  ,  par 
ordre  exprès  du  roi  ,  fut  retardée  ,  afin  que  le  fuplice 
des  deux  criminels  eût  un  plus  grand  nombre  de  té- 
moins. 
saifîc  des  Cependant  le  duc  de  Bourgogne  &  le  connétable 
d^^N%^"  ^^^  avoient  éprouvé  pour  la  réduction  des  places  ocupées 
Normandie.  ^0  Normandie  par  les  Navarrois  ,  plus  de  dificulté 
ihidem,  qu'on  n'avoit  prévu  d'abord.  Ils  conduifoient  avec  eux 
le  fils  du  roi,  de  Navarre  ,  dans  Tidée  que  la  préfencc 
de  ce  jeune  prince  aplaniroit  les  obftacles  ;  mais  la 
plupart  des  garnifons  refuferent  de  reconnoître  fon  au- 
torité, en  déclarant  qu'elles  ne  remettroient  qu^au  roi 
de  Navarre  lui-même  ,  ou  fur  un  ordre  précis  de  fa 
main  ,  les  forterefl'es  confiées  à  leur  garde.  On  ne  put 
les  foumettre  qu'en  formant  des  fieges  réguliers.  Le  roi 
cependant  ,  pour  hâter  le  progrès  de  fes  troupes  ,•  s'é- 
toit  avancé  jufqu'à  Rouen  ,  d'où  il  veillpit  par  lui-même 
aux  opérations  de  la  guerre.  Breteuil  fut  une  des  pre- 
mières places  qui  fe  rendit  aux  feigneurs  de  Couci  & 
de  la  Rivière.  Pierre  ,  comte  de  Mortain  ,  &  la  prin- 
cefle  de  Navarre  fa  fœur ,  y  étoient  renfermés.  On  les 
envoya  au  roi ,  qui  les  reçut  avec  toute  la  bienveillance 
poflîble  ,  comme  fon  cher  neveu  &  fa  chère  nièce. 

Baïeux  ,  ville  confidérable  fituée  à  peu  de  diftance 
de  la  mer  ,  parut  d'abord  vouloir  foutenir  un  fiege. 
L'impoflibilité  de  recevoir  .du  fecours  changea  bientôt 
Ja  réîblution  des  habitants.  Ils  étoient  d'ailleurs  invités 
h  fe  rendre  par  leur  évêque  ,  prélat  fort  ataché  aux 
intérêts  de  la  France ,  &  qui  même  étoît  du  confeil  du 
roi  :  ils  voy oient  le  prince  de  Navarre  dans  Tarméc 
des  affiégeants.  Ces  motifs  ,  joints  aux  menaces  que  leur 
faifoient  les  généraux  François  de  les  pafîer  au  fil  de 
Tépée   &    d'abandonner  la  ville    au  pillage  ,  s'ils   fe 


C  H    A   R   L   E    s      V*  ^17 

laiflbient  emporter  d'aflaut ,  les  engagèrent  à  capituler.  i 

Ils  demandèrent  une  fuipenfion  d'armes  de  trois  jours,  Add.  ijys. 
après  laquele  ils  ouvrirent  leurs  portes  &  reçurent  gar- 
nifon  Françoife  ,  fous  la  réferve  toutefois  des  droits 
des  enfants  du  roi  de  Navarre.  Carcntan  fe  fournit  aux 
mêmes  conditions.  Le  connétable  étoit  alors  ocupé  au 
fiege  de  Pont-Audemer ,  conjointement  avec  Jean  de 
Vienne  amiral  de  France.  Une  nombreufe  garnifon  dé- 
fendoit  cete  ville  :  on  fit  conduire  devant^  la  place  plu- 
fîeurs  machines  de  guerre  ,  &  principalement  des  ca- 
nons dont  Tufage  commençoit  à  devenir  fréquent.  Le^ 
Navarrois  foutinrent  plufieurs  affauts  avec  une  valeur 
qui  auroit  long -temps  retardé  cete  conquête  ,  fi  le 
défaut  de  vivres  ne  les  avoit  forcés  de  fubir  le  joug. 
Suivant  les  claufes  de  la  capitulation  qui  leur  avoit  été 
acordée  ,  on  les  conduifit  jufqu'à  Cherbourg  ,  où  fe 
retiroient  toutes  les  garnifons  des  places  évacuées.   A 

Îeine  les  François  fe  furent  -  ils  mis  en  pôfl'ciîion  de 
^ont-Audemer  ,  quils  raferent  là  citadele  &  les  for- 
tifications de  la  ville  fuivant  les  intentions  du  roi  ,  qui 
avoit  ordonné  que  toutes  les  forterefTes  Navarroifes  fut- 
fènt  démantelées. 

Aufîi-tôt  qu'on  eut  découvert  la  confpiration  formée    Le  Jucd*An- 
par  le  roi  de  Navarre  ,  le  duc  d*Anjou  ,   gouverneur  i®"  scmparc 
de  la  Guienne  ,  avoit  été  chargé  de  fe  faifir  de  la  ville  J'r.^^''"'^'^' 
de  Montpellier  ,   &  de  toutes  les  terres  que. Charles-      Uîdem. 
le-Mauvais   poffédoit    en    Languedoc.    C'étoit  un  des 
arangements  du  Navarrois  ,  avant  que  d'en  venir  à  la 
rupture  ouverte  de  la  France  ,   de  fe  défaire  de  cete 
ville  &  des  domaines  qui  en  dépendoient  ,    prévoyant 
bien  qu'il  ne  pouroit   les  conferver.   Le  duc  ,   fuivanc 
les  inllruâions   qu'il    avoit  reçues   du  roi    fon  frère , 
donna  commifiion  k  Jean  de  Beuil  ,  fénéchal  de  Tou- 
loufe  ,  d'aller  prendre  pofleffion  de    Montpellier.   Le 
fénéchal  pour  cet  éfet  s'étant  rendu  en  cete  ville  pré- 
fenta  aux  confuls  les  ordres  du  gouverneur.    Ces  ofi- 
ciers  lui  repréfentcrent  qu'ayant  fait  ferment  de  fidélité 
au  roi  de  Navarre  ,  ils  ne  pou  voient  obéir,  au  com- 


5i8  Histoire  de  Frakce, 

■  mandement  qu'on  leur  aportoit  ,  à  moins  au*on   ne 
Ann.  1)7%..  leur  fignifiât  en  même-temps  un  ordre  figné  du  roi  de 
France ,  leur  feigneur  fuzerain  ,  par  lequel  ils  fe  trou- 
vaffent  difpenfés  de  leur  dernier  engagement.  De  Beuil 
le  leur  promit ,  &  cependant  s'empara  de  la  ville ,  def- 
titua  les  oficiers  commis  par  le  roi  de  Navarre  ,  &  fie 
arborer  les  armes  de  France  fur  les  murailles.  Les  con- 
fuis  revinrent  une  féconde  fois  à  la  charge ,  &  le  fcné- 
chal  alors  leur  donna  la  fatisfaâion  qu'ils  demandoient. 
Les  lettres  par  lefqueles  le  roi  informoit  le  duc  d'Anjou 
des  atentats  qu'on  venoit  de  prévenir  ,  furent  lues  pu- 
bliquement :   les  habitants   indignés  des  trahi fons  du 
Navarrois  ,  non -»  feulement  fe  conformèrent  à>la  fou- 
miflion  qu'on  exigeoit  d'eux  y  mais  encore  arêterent  de 
leur  propre  mouvement  Guy  de  Gauville  &  Léger  d^Or-^ 
gejfin ,  que  ce  prince  avoit  établis  gouverneurs  de  leur, 
ville* 
Le  roi  de  Na-      Charles  -  le  -  Mauvais  étoit  depuis»  long -temps  acou- 
varrcpaflccn  cumé  aux  revers  qui'acom.paçnoient  ordinairement  fcs 
^^Uidm'      defTeins  finiûres  :   une   perfidie  dévoilée   n'excitoit    en 
Rymcr! asi.  lui  ni  houte  ,  ni  remords.  C'étoit  fur-tout  dans  ces  cir* 
pM.  tom,  5  i  confiances  critiques  que  fon  génie  fertile  en  expédients 
^ 7^*  '  ^'  ^^  déployoit  toute  Taôivité  dont  il  étoit  capable.  A  peine 
fut- il  informé  que  fes  agents    avoient  été  arêtes  en 
France  ,  qu'il  fongea  aux  moyens  de  fe  garantir  des 
éfets  de  la  colère  du  roi.  Il  dépêcha  fur -le -champ  un 
de  fes  ccMifeillers  à  la  cour  de  Londres  pour  donner 
avis  de  l'embaras  où  il  fe  trouvoit ,  &  prefler  en  même- 
temps  les  fecours  qu'on  s'étoit  engagé  de  lui  fournir. 
Son  envoyé  fut  reçu  favorablement  ,  &  cependant  il  ne 
put  obtenir  une  réponfe  décifive.   La  régence  exigea 
que  le  roi  de  Navarre  vînt  lui-même  régler  les  condi- 
tions d'un  nouveau  traité*  La  conduite  oe  ce  prince  ne 
pouvoit  plus  être  fufceptible  d'interprétation  équivoque  : 
les  projets  étoient  manifeftes  ,  &  les  Anglois  vouloient 
profiter  de  WmpuiHance  où  il  étoit  de  reculer  défor- 
mais ,  pour  lui  vendre  le  plus  cher  qu'ils  pouroient  les 
fçrviçcs  qu'il  atendoit  d'eux.    Cete  politi(jue  intcrefféc 


C    H    A    R    L    E    s      V.  '519 

pouvoit  leur  paroître  avantageufe  pour  le  rfioment  ;  — 


mais  elle  leur  devenoit  préjudiciable  dans  la  fuite  y  en  Ann.  1578. 
ce  qu'elle  découvroit  qu'ils  n'a  voient  jamais  en  vue  que 
•leurs  propres  afaires  ,  auxquelles  ils  facrifioient  :  fans 
fcrupuie  les  partifans  qui  avoienc  le  malheur  de  s'unir 
a  eux^  Nous  aurons  plus  d'une  fois  ocafion  de  voir  la 
fierté  de  ces  infulaires  ,  &  leur  atachement  exceilif  à 
leur  intérêt  perfonnel  ,  dégoûter  de  leur  aliance  ceux 
que  de  vaines  promefTes  avoient  d^abord  féduits.  Char« 
les  ,  déterminé  par  la  néceflité  ,  pada  en  Angleterre  : 
fa  préfence  leva  les  dificultés.  On  lui  acorda  cinq  cents 
hommes  d'armes  &  cinq  cents  archers  de  troupes  auxi- 
liaires pour  défendre  fes  Etats  de  Navarre  contre  les 
Caflillans  ^  qui  fe  préparoient  à  lui  faire  la  guerre. 

Les  Anglois  exigèrent  en  récompenfe  de  ce  fbible    Le  roi  de  Na* 
fecours  ,  qu'il  leur  livrât  la  ville  de  Cherbourg ,  la  plus  varre  livre 
forte  &  prefque  Tunique  place  qu'il  poffédât  encore  en  aux^Ang^^^ 
Normandie.  Quelque  dure  que  dût  paroître  une  fem-      Uidem. 
blable  condition ,  il  fut  obligé  d'y  foufcrire.  Il  ne  con- 
fentit  à  cet  abandon  que  pour  trois  ans  ;  mais  les  mi- 
niftres  Anglois  ,  fatisfaits  de  fe  rendre  maîtres  d'une 
ville  qui  ouvroit  à  leurs  flotes  une   des  portes  de  la 
France  ,  n'infiflerent  pas  fur  le  terme  auquel  ils  s'en- 
gageoient  de  la  remettre  ,  bien  perfuadés  que  la  refti- 
tution  dépendroit  des  circonftances.    Ces   conventions 
ne  furent  pas  plutôt  fîgnées  de  part  &  d'autre  ,  que 
les    comtes  d'Arondel  &  de  Salisburi  alerent  prendre 
pofleflion  de  Cherbourg  ,  tandis  que  le  roi  de  ISavarre 
retournoit  dans  fes  Etats  ,  content  d'une  négociation 
qui  ne  lui  procuroit  à  la  vérité  aucun  avantage  ,  mais 
qui  pouvoit  devenir  nuifible  à  fes  ennemis. 

Le  roi  n'avoit  pas  négligé  d'inflruire  le  roi  de  Caf-    Guerre  Ju  roi 
tille  ,  fon  fidèle  alié  ,  des  nouveaux  fujets  de  mécon-  tl  f^i^^llf 

'  .    „      .        /  I     -».T      ^         •       TT  contrclaNa- 

tentement  qui  1  animoient  contre  le  Navarrois.  Un  pa-  varre. 
reîl  avis  étoit  pour  Henri  de  Tranftamare  une  invita-     Hîft.  itE/ff. 
tion  fufîfante.  Charles  ,  qui  s'atendoit  à  voir  inceflam-  ^'"''''«f * ^«^- 
ment  les  troupes  Caftillanes  fondre   fur  la   Navarre  > 
féfolut  de  prévenir  leurs  hoftilités   en  «'emparant  de 


j 


^20  Histoire   de   France, 

.  Logrono.    La  prife  de  cete  place  importante  par  fa  fi- 

Ann.  I378,  tuation  ,  eût  fermé  aux  ennemis  Tentrée  la  plus  facile 
qu'ils  pouvoienc  choifîr  pour  pénétrer  dans  fes  terres. 
Plus  intriguant  que  guérier  ,  il  entreprit  de  s'en  ren- 
dre maître  en  corompant  la  fidélité  de  Dom  Pedre 
Manriaue  ,  fénéchal  de  Caftille  ,  auquel  il  ofrît  vingt 
mille  florins  d*or.  Pedre  lui  demanda  du  temps  pour 
fe  déterminer  ,  &  cependant  fit  informer  le  roi  fon 
maître  de  ces  propofitions.  Henri  manda  au  gouverneur 
de  feindre  d'agréer  les  ofres  ,  &  de  recevoir  Targest. 
JLa  fomme  fut  remife  ,  &  le  jour  pris,  pour  livrer  la 
place.  Le  roi  de  Navarre  devoit  s'y  rendre  en  perfonne, 
ainfi  qu'il  en  étoit  convenu  dans  une  entrevue  qu'il  eut 
avec  Dom  Pedre  :  toutefois  il  changea  de  defTein  ,  dé- 
tourné peut-être  par  un  preflentiment  fecret  qui  alarma 
fa  défiance  ;  il  fe  contenta  d'y  envoyer  deux  cents 
lances  avec  fon  étendard.  Les  Navarrois  n'eurent  pas 
plutôt  été  introduits  dans  la  ville ,  qu'ils  furent  furpris 
&  faits  prifonniers.  Martin  Henriques  ,  qui  portoit  l'é- 
tendard royal  de  Navarre  ,  eut  le  oonheur  de  s'échapcr 
en  fe  jetant  dans  l'Ebre  qu'il  traverfa  à  la  nage  ,  & 
vint  à  toute  bride  avertir  le  roi  du  mauvais  fuccès  de 
J'çntreprifç.  Charles  furieux  de  cete  difgrace  ,  &  fur- 
tout  de  la  perte  de  fon  argent ,  dut  cependant  s'eftimer 
heureux  de  n'être  pas  tombé  lui-même  dans  le  pîegc 
qu'il  tendoit  à  fes  ennemis. 

L'infant  de  Caftille  fur  ces  entrefaites  s'avança  vers 

les  frontières  de  la  Navarre  qu'il  ravagea  ,  furpric  la 

plupart  des  places  qu'il  trouva  ouvertes  ,  s'empara  de 

Tubais  &  de  Viane ,  qui  furent  obligées  de  fe  rendre 

à  compoficion  ,  &  vint  faire  le  dégât  jufqu'aux  environs 

de  Pampelune.  Après  çete  expédition  le  prince  Caftil- 

lan  fortifia  les  villes  dopt  il  s'étoit  emparé  ,   &  reprit 

la  route  de  Tolède. 

Continuation      Lôs  afaires  du  roi  de  Navarre  n'avoient  pas  un  fuccès 

aciaguerrcco  plus  favorable  dans  fes  terres  de  Normanaie.  Après  la 

^ZS'     P"^^  ^  ^^  démolition  de  Pont-Audemer ,  les  François 

çhronlàs.  s'étoienç  mis  eij  pofTeffion  dç  la  plupart  dçs  autres 

places» 


Charles    V.  521 

places*  Conches  ,  Avranches  ,   Paffi  capitulèrent.   On  !!!î!!5!!ï= 
marcha  vers  Evreuj  ,  dont  le  gouverneur  fe  retira  pré-    Ann.  1578. 
cipitamment.  Les  habitants  fe  voyant  abandonnés  ,  ou- 
vrirent leurs  portes.  Le  connétable,  acompagnédu  duc 
de  Bourbon  ,  &  de  l'amiral  de  Vienne  ,  ala  former  le 
fiege  de    Gaurai  où   le  commandant  d'Evreux  s'étoit 
renfermé  ,   réfolu   de   fe  défendre  jufqu'à  1 -extrémité. 
Gaurai   étoit  alors   réputé  le  plus  beau   château  de  la 
Normandie.  Les  affiégés  paroiflbient  déterminés  à  faire 
une  lonçue  défenfe  ,  lorliqu'un  accident  imprévu  vint 
ralentir  leur  ardeur.   Le  commandant  étant  aie  faire  la      rr-   j  j 
vifite  d'une  tour  qui  fervoit  de  magafin  pour  Tartille-  ^^  Bourbla.'^^ 
rie  ,  une  des  chandeles  dont  il  étoit  éclairé  tomba  fur 
la  poudre  ,  qui   s'embrafant  à  l'inftant ,  le  confuma , 
ainfî  que  tous  ceux  qui  Tacompagnoient.  Cete  particu- 
larité prouve  cjue  Pufage  de  rartillerie  fervie  avec  de 
la  poudre ,  étoit  plus  fréquent  qu'on  ne  le  penfe  com- 
munément ,   &  qu'on  l'employoit  également  pour  la 
défenfe  &  l'ataque  des  villes. 

On   profita  de  la  confternation  que  cet  événement    Prîfcdutré- 
avoit  jeté  dans  la  garnifon  ,   pour  prefler  les  ataques.  Nava^rd^^  ^^ 
Le  délîr  de  s'emparer  de  cete  place  s'étoit  acru  ,  fur-      uidtm. 
tout  depuis  qu'on  avoit  apris  que  le  tréfor  du  roi  de 
Navarre  y  étoit  dépofé  :  il  confiftoit  en  foixante  mille 
francs  d'or ,  trois  couronnes  du  même  métal  fort  riches  , 
&  quantité  de    pierreries  qui  avoient  apartenu  Ji  des  • 
rois  de  France.  Le  roi  en  ayant  été  informé  ,  envoya 
au  camp  le  fieur  de  la  Rivière  pour  s'emparer  de  ces 
richeffes.  Ce  feigneur  folicitoit  inceflamment  les  géné- 
raux de  compoler  avec  les  affiégés  ,  afin  jde  pouvoir 
emporter  l'argent  fir  les  bijoux.  Le  duc  &  le  connéta- 
ble ,  qui  ne  vouloient  acorder  que  des  conditions  avan- 
tageuses au  roi  ,   continuèrent  le  fiege  ,    &  forcèrent 
enfin  la  garnifon  k  fe  rendre.   Le  tréfor  fut  remis  au 
fieur  de  la  Rivière  qui  le  defiroit  fort  }  &  les  François 
étant  entrés  dans  la  fortereiie ,  la  démolirent. 

Enfin  ,  il  ne  reftoit  plus  à  foumettre  que  la  ville  de      sîcgc  <lc 
Cherbourg.  Le  connétatle  vint  l'inveftir  vers  le  milieu  ^'^"^^^"'S- 
Tome  Vn  V  V  V 


522  Histoire   de   France, 

===  de  Tété.  Cete  place  paflbîc  alors  pour  imprenable  ,  a 

Ann.  1J78.    moins  qu'on  ne  s'en  rendît  maître  par  famine.  Toutes 

^Tmite  garnirons  des  places  évacuées  par  les  Navarrois  s'y 

Amlus^dt  étoient  retirées  ;  les  Anglois  y  avoient  jeté  de  bonnes 

France.  troupcs ,  &  Taccès  libre  de  fon  .port  leur  facilitoit  les 

ChJnl7s,  "^^    moyens  d'être  continuélement  ratraîchies  de  munitions 

Mémoires  dt  de  bouche  &  de  guerre.    L'exécution  d'une  entreprife 

intirature.      jg  ^^^^  importance  paroiflbit  d'une  dificulté    prefque 

infurmontable.  La  fortune  ,  qui  avoit  toujours  acom- 

pagné  du  Guefclin  ,  échoua  devant  cete  place.  Le  fiege 

pouflé  avec  toute  l'aftivité  poflible  ,   ne  fe  trouva  pas 

plus  avancé  à  l'entrée  de  l'hiver  que  le  premier  jour. 

Olivier  du  Guefclin ,  frère  du  connétable ,  fut  fait  pri- 

fonnier  dans  une  embufcade  dreffée  par  les  affiégés.  Le 

peu  d'aparencc  qu'il  y  avoit  d'achever  cete  conquête , 

obligea  le  roi  de  rapeler  fes  troupes  ,    &  de  remettre 

l'entreprife  à  une  autre  faifon.    On  dit  que  le  général 

ne  fe  retira  qu'à  regret  :  fi  cela  eft  ,   le  monarque  ju- 

geoit  plus  famement  que  le  guérier.  Il  fe  contenta  de 

donner  des  ordres  pour  faire  cantonner  des   troupes 

dans  le  Cotentin ,  afin  de  refTérer  les  ennemis  ,  &  de 

les  empêcher  de  faire  des  courfes. 

sicgc  de         Ce  fut  à- peu -près  vers  ce  temps  que    la   France 

Morl^Yvain  pcï'dit  uu   guerier  ,  dont  la  valeur  avoit  rendu  d'im- 

dc  Galles.       portants    fervices.    Le  brave  Yvain    de  Galles    faifoit 

r^^^'^^irc  ^'^^^  ^^  ^^8^  ^^  Mortagne  ,  ville  de  l'Angoumois 
très  confidérable  par  fa  utuation  fur  la  Gironde.  La 
place' défendue  par  le  Soudich  (a)  del'Eftrade,  fei- 


Chron,  MS, 


{a)  Il  feroit  dificile  de  trouver  Torigine  de  ce  titre  dans  fon  écytnol<^ie.  Les 
Grecs  ,  les  Perfans  ,  les  Turcs  ont  eu  des  Soudans  ,  des  Sultans  ^'exprefTicns  qui 
paroifTent  defceodre  de  la  même  fource.  Sans  prétendre  décider  dans  quel  temps 
on  s*efl  fervi  en  France  de  ce  terme  pour  exprimer  une  dignité ,  ce  oui  n'anva 
peut-être  qu'après  les  croifades ,  nous  remarquerons  que  Soudan  ou  Soidan  ré- 

Fond  au  mot  de  confervateur  &  de  défenfeur.  C*étoit  une  dignité  afeâée  dans 
Aquitaine  ,  particulièrement  à  deux  maifous  de  tEftrade  Se  de  la  Trou  :  ils 
furent  apelés  Soudkhs  des  lieux  de  la  garde  defquels  ils  étoient  chargés  comme 
Drotedeurs  ;  &  dans  la  Qiite  ce  titre  perpétué  dans  leur  famille ,  n'ayant  d*a- 
Dord  été  qu  une  dîftinâion  perfonnele  ,  devint  une  qualité  arachée  à  la  pro- 
priété des  feî^neuries.  Les  Soudichs  aloicnt  de  pair  avec  les  comtes ,  les  barons 
&  les  autres  feigneurs  titrés.  Vid,  Giojf.  du  Cang,  ad  verb*  Soldanus,  Sulcanos, 
Syndicus  ,  &c.  Coût,  de  Bord.  Froijfard  ,  Monjlrelet  j  Rjmer  ^  aS.  pukL 
d' Angle  t» 


Charles    V.  523 

gneur    Gafcon  du  parti  Anglois ,  ne  pouvoir  réfifter  .     . 

encore    long -temps,  lorfqu'elle  fuc  préfervée  par   un    Ann.  ij7«. 
affaffinat.    Un  fcélérat   du    pays    de  Galles  ,    nommé 
Jaques  Laube  ,    ayant  trouvé  le   moyen  de  s'infinuer 
dans  la  familiarité  d'Yvain  ,  choifit  le  moment  favo- 
rable ,  &    lui  plongea  un  poignard  dans  le  cœur.  Après 
ce  coup  déteftable  il  courut  vers  la  ville  ,  dont  il    fe 
fît  ouvrir  les  barieres  ,  &   fe  préfenta  devant  le  gou- 
verneur de  Mortagne.  Sire ,  lui  dit-il ,  jt  vous  ai  dcli-^ 
vré  (Pun  de  vos  plus  grands  ennemis.  Alors  il  raconta 
de  quele  manière  il  avoit  exécuté  ce  meurtre.  Le  Sou* 
dich  indigné  lui  répondit  ;  Tu  l^as  meurdri  j  &  /cache 
bien ,   tout  conjidéré ,   que  fi  je   ne   voyois   notre  très 
grand  profit  en  ce  fait ,  je  te  ferois   trancher  la  tête  ; 
mais  puifqu^il  efi  fait  ^  il  nt  je  peut  défaire  ;    mais 
c^efi  dommage  du  gentilhomme  quand  il  efi  ainfi  mort, 
&  plus  nous  y  aurons  de  blâme  que  de  louange.   Cete 
mort  ralefttit  Tardeur  des  afliégeants ,  &  peu  de  temps 
après  ,  le  feigneur   de  Neuville   étant   entré    dans  la 
rivière   de  Bordeaux  avec  une  efcadre  Angloife  ,   les 
mit  dans  la  néceflité  de  ne  plus  fonger  qu'à  ta  retraite. 

Ces  divers  mouvements,  qui  ocuperent  pendant  le  Le  duc  de  Un- 
cours  de  cete  année  une  partie  àç^s  forces  du  royau-  ^sti{ntul\o^ 
me ,   n'avoient   pas   empêcné  qu^on  ne   fe  fût   trouvé  mii^  ^^  ^^^^ 
en   état   de  faire  avorter  une  entreprife  que  les  An-    R^p^Thoy.' 
glois   tentèrent  en  Bretagne.    Le  duc   de   Lencaftre ,     ^chlon'tis 
dans  la  vue  d'apaifer ,  par  une  expédition  éclatante ,  &c. 
les  murmures  du   peuple  qui  fe  plaignoit    hautement 
de  la   nouvele  adminiftration ,  avoit  fait    équiper    un 
armement  confidérable   avec  lequel   il  s'étoit   mis  en 
mer.    La   flote  ennemie  ,    après   avoir    tenu   pendant 
auelque  temps  en   alarmes  les  côtes   de  Normandie  , 
nt  voile   vers  la  Bretagne,    &  vint  s^arêter  à  la  vue 
de  Saint-Malo.   On  ne  s'atendoit  pas  probablement  au 
delTein  des  ennemis  ;  car  ils  débarquèrent  fans  obfla- 
cle  ,    après  avoir  pris  &  brûlé  dans  le   port  plufieurs 
vaiffeaux  de  la  Rochele  chargés  de  vins.  Le  duc  fit, 
fur-le-champ ,  dreffer  fes  bateries  ,  &   commencer  les 

V  V  V  ij 


524       *       Histoire  de   France, 
,.  ataques.   Les  Anglois  ,  dit   Froifîard  ,  avoient  quatre 

Ann.  X378*   ccnts  canons  à  ce  fiege;  mais ,  fuivant  toute  apârence, 
c'eft    une    erreur  qui  s'eft   gliffée  dans  cet  niftorien. 
Quoique   l'ufage   de    ces  machines    meurtrières  com- 
mençât à  devenir  commun  ,  il  n'eft  pas  probable  qu'on 
en   ait  employé  un  nombre  fi  prodigieux,  quand  on 
ks  fupoferoit  du  plus  petit  qualibre.    Le  fire  de  Ma- 
ieftroit   &  quelques   feigneurs    Bretons  s'étoient  jetés 
dans   la   place    avec    deux    cents  lances.    Ce  fccours 
remplit  de  confiance  les  habitants ,  ainfi   que  la  gar- 
nifon.   La  ville  d  ailleurs  étoit  abondamment  pourvue 
de  munitions  de  guerre  &  de  bouche ,  en  forte  qu'elle 
pouvoit    tenir   plus  de  deux  ans  fans  être  obligée  de 
fe    rendre.  Le  roi  cependant ,  inftruit  de  la  defcente 
des  Anglois  ,  avoit  chargé  les  ducs  de  Berri   &  de 
Bourgogne  de  marcher    avec   le    connétable    vers  les 
côtes  de  Bretagne.    Ils  eurent   bientôt  raffemblé  des 
troupes ,  &  vinrent  fe  préfenter  à  la  vue  del  ennemis. 
Cete  armée  d'obfervation  retardoit  encore  le  fiege ,  & 
mettoit  le  pays  à  couvert  des  courfes.  Les  généraux 
François  Fe  conformant  aux  ordres  précis  qu'ils  avoient 
reçus  du  roi ,  évitèrent  d'en  venir  à  une  aâion  déci- 
five,  &  fe  contentèrent  de  tenir  fans  cefle  en  échec 
les   troupes   Angloifes.    Le    duc    de   Lencaftre  faifoit 
depuis   quelque   temps  travailler  à  une  mine ,  dont  il 
efpéroit  un  grand  éfet  :  Thiftorien  de  Bretagne  affure 
au-contraire  qu'il  comptoit  fur  la  chute   d'une  partie 
de   la  muraille  que  Ton  fapoit   fecrétement ,   Taffiete 
des   fortifications   fur  un   roc  extrêmement    dur  ,  ne 

i>ermettant  pas  l'ouverture  d'une  mine., Quoi  qu'il  en  foit, 
es  affiégés  qui  ne  redoutoient  gue  ce  côté  de  l'ataque, 
profitèrent  un  jour  de  la  négligence  du  comte  d'A- 
rondel ,  qui  devoit  être  de  garde.  Ils  firent  une  fi 
heureufe  lortie,  qu'ils  chaflerent  les  Anglois  du  poftc, 
&  comblèrent  leurs  travaux.  Le  duc  de  Lencaftre 
fut  défefpéré  de  ce  défavantage  :  il  maltraita  de  pa- 
roles le  comte  ,  par  la  faute  duquel  il  voyoit  fes 
efpérances   évanouies.    Son    defTein   étant   découvert , 


Charles    V.  ^2^ 

il  eût   été   inutile  de  recommencer    de  no\iveaux  ou-  .: 

vrages   au  feul  endroit    par  lequel  il  s'étoit   flaté  de    Ann.  x}7«. 
furprendre  la  ville.  Sur  Tavisr  de  fon  confeil  de  guerre, 
il  le  rembarqua  &  revint  à  Londres ,   où   le  mauvais 
lUccès  de  fon    entreprife  Tavoit  précédé.    Son    retour 
renouvela  les  reproches  que  lui  faifoit  la  nation. 

Ce  revers  ne  permettoit  pas  au  duc  de  Bretagne  Envoyc^dc 
Tefpoir  d'un  rétabliffement  prochain  dans  fes  Etats  ,  ^'*"f  *^«^^ 
où  il  ne  poffédoit  plus  que  la  feule  ville  de  Breft.  '^y^'^^^^^ 
Depuis  plufieurs  années  ce  prince  fugitif  traînoit  fon  ArgcnuL 
infortune  tantôt  à  la  fuite  de  la  cour  d'Angleterre  & 
le  plus  fouvent  en  Flandre,  où  le  comte,  fon  parent, 
lui  avoit  acordé  un  afyle.  Il  lui  ariva  pendant  fon 
féjour  dans  cete  province,  de  témoigner  fon  mécon- 
tentement contre  la  cour  de  France,  en  termes  fi 
f)eu  ménagés,  qu'il  acheva  d'indifpofer  le  roi  contre 
ui  ;  &  ce  nouveau  fujet  d'inimitié  ne  fut  peut-être 
pas  un  des  moindres  de  ceux  qui  engagèrent  le  rfio- 
fiarque  à  fe  porter  aux  dernières  extrémités  ,  la  feule 
iits  démarches  de  ce  prince  que  l'on  puiffe  taxer  d'im- 
prudence. Ce  fut  à  Vocafion  d'un  miniftre  François 
arête  dans  un  des  ports  de  Flandre.  Comme  cete 
afaire  tient  aux  ufages  &  à  l'efprit  des  cours  de  ce 
temps-là^  elle  parbît  mériter  par  fa  fîngularité  d'être 
raportée.  Le  roi  avoit  chargé  un  gentilhomme ,  apelé 
Pierre  de  Bournezel ,  de  paflbr  en  Ecoffe ,  dans  le 
iieflein  d'exciter  les  Ecoflbis  à  faire  une  irruption  en 
Angleterre.  Ce  gentilhomme  n'ofant  s'embarquer  dans 
un  port  de  France  ,  fe  rendit  à  l'Eclufe ,  où  il  fut 
obligé  d'atendre ,  pendant  quelques  jours ,  un  vent  fa- 
vorable. Un  agent  difcret  eût  confervé  l'obfcurité  de 
Vincognito }  mais  celui-ci  plus  vain  de  la  commiffion 
dont  fon  maître  l'honoroit ,  que  capable  de  s'en  aqui- 
ter  ,  afeâa  tout  l'extérieur  d'un  perfonnage  impor- 
tant, ^y  Ce  noble ,  dit  un  ancien  hiftorien ,  faifoit  mer- 
^^  veilles  de  parade  :  ce  n'étoit  que'  vaiflele  d'or  & 
j>  d'argent ,  pages  de  livrée ,  fervice  de  magnificence , 
3>  &  une  fuite  de  duc  &  de  prince.  Il  failoit  fonner 


^iG  Histoire    de  France , 

!  3y  la  trompeté  avant  fon  dîner  :  on  portoit  devant  lui 
Ann.  XJ78.  yy  une  épée  dont  le  foureau  étoit  doré  ;  il  contrefaifoit 
3^  en  tout  le  mignon  de  cour  ^y.  Ce  fafte  exceflif  pour 
un  inconnu  fit  naître  des  foupçons-  Le  bailli  de  l'E- 
clufe  vint  Tarêter  d'une  manière  aflez  rude,  en  le  fai- 
fîfTant  par  fon  acoutremcnt.  Il  fut  conduit  à  Bruges: 
en  entrant  dans  la  cour  du  palais  tout  fon  orgucuil 
l'abandonna  ;  il  fe  mit  à  genoux  devant  le  comte  de 
Flandre ,  qui  étoit  à  Tune  des  fenêtres  ,  acompagné  du 
duc  de  Bretagne  ,  &  lui  cria  qu'il  fe  rendoit  fon  pri- 
fonnier.  Comment^  Ribaud^  lui  dit  le  comte,  dis-tu 
que  tu  es  mon  prifonnier  ?  Les  gens  de  monfeigneur 
peuvent  bien  venir  devant  moi  &  parler  à  moi}  mais 
tu  ne  daignois.  Bpurnezel  humilié,  trembloit  &  n'ofoit 
répondre  une  parole ,  lorfque  le  duc  de  Bretagne  acheva 
de  le  confterner  ,  en  lui  difant  :  Entre  vous  autres 
bourdeurs  &  langagiers  au  palais  à  Paris  &  en  la  cham- 
bre de  mori/èigneur  j  mette[  le  royaume  à  votre  vo- 
lonté j  &  jouijje:^  du  roi  à  votre  entente  ^  &  en  faites 
bien  Çf  mal  ainji  que  vous  voule:^  :  ne  nul  haut  prinu 
du  fang  après  que  vous  Vave:^  cceuilli  en  haine  ne  peut 
être  ouï  :  mais  on  en  pendra  encore  tant  de  teles  gens 
que  les  gibets  en  feront  tous  remplis.  Le  malheureux 
gentilhomme  ne  répliqua  pas,  &  s'eftima  trop  heu- 
reux de  retourner  en  France  fans  s'aquiter  de  fa 
commiflion. 

Le  roi ,  informé  de  ce  traitement  fait  à  un  homme 
envoyé  de  fa  part  ,  fut  très  irité  contre  le  comte  de 
Flandre,  qui  emplova  difér.entes  excufes  pour  Tapai- 
fer,  rejetant  toute  la  faute  fur  Parogance  de  l'agent 
François.  Charles  ne  jusea  pas  cete  fatisfaâion  lufi- 
fante,  &  fe  crut  autorife  à  demander  que  le  comte 
cefsât  de  donner  retraite  dans  fes  Etats  au  duc  de 
Bretagne  ,  auteur  de  l'afront  fait  à  l'un  de  ks  mi- 
nières. Le  comte  fe  voyant  menacé  par  le  roi  de 
France  ,  affembla  les  Etats  de  Flandre  pour  les  con- 
fulter  :  il  leur  expofa  le  fait,  &  leur  demanda  s'ils 
jugeoient  à  propos,  que  pour  éviter   de  fe  brouiller 


C    H    A    R   i.    E    s      V.  527 

avec  la  cour  de  France  ,  il  dût  bannir  de  fes  terres  -t 

le    duc    de   Bretagne , /o/z  coujîn  -  germain  j  ou    s'ils    Ann.  1378. 

vouloient  que  ce  prince  continuât  de   demeurer  chez 

lui.  Oui  j  monfci^ntur  j  répondirent-ils  unanimement, 

(&  ne  fçavons  aiijourdhui  ftigncur  quel  qu^il  foit ,  s^il 

vous  voulait  faire  guerre ,  que  vous  ne  trouvijfie^   de-- 

dans   votre  comté  ae  Flandre  deux   cent  mille  hommes 

tout    armés.   Mes   beaux  enfants  ,  je  vous    merde ,  dit 

le    comte     en    congédiant   Taflemblée.    Ce    démêlé  , 

ocafionné  .  par    l'imprudente    vanité    d'un    négociant  , 

auroit  eu   des  fuites  plus    férieufes   fans  le  départ  du 

duc ,   qui ,  fur   ces   entrefaites ,   pafla  en  Angleterre  , 

dans  Tefpoir  au'il  détermineroit ,  par  fa  préfence ,  la 

cour   de    Lonares  à  faire  ,  en    fa  faveur ,   des    éforts 

plus    confidérables  que  ceux    qu'on   avoit  tentés  juf- 

qu'alors. 

La  régence   d'Angleterre    ne   manqua  pas   d'obfer-     ^^  ^^^  ^« 
ver  ,  à  l'égard  du  duc  de  Bretagne,  la  conduite  qu'elle  Angîfterre.^ 
avoit  tenue  avec   le   roi  de  Navarre.    On  exagéra  les     Brcft  livré 
dificultés  de  lui  fournir   les  fecours   fufifants   pour  le  ^"^^ngiois. 
rétablir.    On   fit   naître    des    obftacles  ,    on   demanda     ^^Zté. 
des  sûretés.  Forcé   par   la   trifte   fituation  de  fa  for-    Rymer /aa. 
tune  ,  Montfort  au   défefpoir  ,  ofrit   de   fubir    toutes  ^"^^^  ^^^'  3  » 
les  loix  que  le  confeil  de  Londres   voudroît  lui    im- &/l/^'^^^* 
pofer.   Dépouillé  entièrement  de  fes  Etats  ,  il  lui  ref- 
toit  pour   unique  domaine  la  ville  &  le    château    de 
Breft.   Cete  place  étoit  à  la  bienféance  des   Anelois , 
elle    devenoit    entre   leurs    mains    une    dès  clets    du 
royaume.   Ils   exigèrent  qu*elle    leur    fût  livrée    pour 
la  tenir  durant  tout  le  temps  qu'ils  feroient  en  guerre 
avec  la  France.  Le  duc  y  confentit ,   &  k  cete  condi- 
tion  on  promit   de  Taffifter    puiflamment.    Le    traité 
n'eut  pas   plutôt  été   conclu ,  qu'on  prefTa  l'exécution 
de  ce  marché  avantageux  :  une  efcadre  Aneloife  vint 
prendre  poffeflion  de  Breft ,   &  y  conduilit  les  muni- 
tions néceflaires    pour  la  défénfe  de   la  place.    Outre 
plufieurs    baliftes  ,  careaux    &   autres  inftruments  de 
guerre  >  il  y  avoit  deux   grands  canons   &  deux  pe- 


JUIV. 


528  Histoire    de   France, 

!  tics ,   fix    cents    boulets  de    pierre  ,  du   falpêtre  ,    du 
Ann.  X57*-    charbon   &  du  foufrc  de  vin   pour  le  fervice  de  ces 
quatre    pièces  (a).    Les  Anglois  fe   voyoient   par  ce 
moyen  maîtres   des  quatre  principaux  ports  du  royau- 
me ,  Calais ,  Cherbourg  ,  Breft  &  Bordeaux. 

On  s'étoit  flaté ,  pendant  quelque  temps ,  de  leur 
enlever  cete  dernière  place.  Le  duc  d'Anjou ,  dans  fon 
gouvernement  de  Cuienne  ,  avoit  fait  des  prépara- 
tifs confîdérables  pour  ce  fiege.  Le  roï  fon  frère  lui 
avoit  acordé,  pour  l'exécution  de  cete  entreprife,  i^ne 
impofition  générale  fur  la  province.  Les  diverfions 
qu*avoient  ocafionnées  la  guerre  alumée  en  même- 
temps  dans  la  Bretagne  &  dans  la  Normandie ,  rom- 
Sirent  ce  projet.  Cependant  le  duc  avoit  reçu  le  pro- 
uit  de  rimpôt ,  qui  ne  fut  point  reftitué  ,  dit  Froif- 
fard  ,  aux  pauvres  gens  qui  avoicnt  été  travaillés  de 
payer  Ji  grandes  fommes.  L*avidité  de  ce  duc  étoit 
e:jtrême  :  il  folicitoit  fans  celle  de  nouveles  gratifi- 
cations du  roi  :  fes  importunités  ,  k  cet  égard ,  devin- 
rent fi  fréquentes  ,  que  dans  ijine  nouvele  conceflioa 
qui  lui  fut  acordée  ,  le  roi  crut  néceffaire  d'ajouter 
qu'il  ne  pouroit  plus  k  Tavenir  en  demander  de  fem- 
blables.  Charles ,  qui  commençoit  k  connoître  parfai- 
tement le  caraftere  de  fon  frère  ,  modéroit ,  autant 
3u'il  étoit  pofiible  ,  cete  ardeur  infatiable  d'acumuler 
es  richefles  :  mais  lautorité  qu'il  lui  avoit  confiée 
étoit  trop  étendue  pour  qu'il  ne  lui  fût  pas  facile 
d'en  abuler.  C'eft  peut-être  k  cete  avarice  du  duc 
d'Anjou  qu'il  faut  raporter  l'origine  d'un  fouléve/nent 
qui  ariva  dans  le  même  temps ,  &  cete  conjeâure 
paroît  d'autant  plus  vraifcmblable ,  que  fon  gouver- 
nement fut  le  tnéâtre  de  cete  rebélion,  la  feule  qui 
ait  troublé  la  félicité  de  ce  règne  ,  &  pour  la  puni- 
tion de  laquele  on  obferva   une  aparence  de  rigueur 


,  qu'au  fiegci 
Sjûm-Malo  le  duc  de  Lcncirilre  foudroya  la  vUle  ^ycc  quatre  cents  canons. 

entièrement 


C  H   A   R  £  U   8      Vî.      5     !  52^ 

entièrement  opofée  à. la  clémence  4U  roi  ^  :X}tii ,'  dans  ^'^"^^"""^^ 
tout  le  cours  de   fa  vie  ,  (e  raojitra,  plutôt  le    père  ^^'  'J7«* 
jque  le  juge  de  fcs  fujets.^  ,  ;  ,1     • 

La  levée  des  ftouveles  imppfitiops  acordées  ani  duc  .  ^^7°*^^  ^." 
d* Anjou  pour  ibutenir  1e$  irais  dç  là  guerre .,  ^excita  ,^^^,ôtj^,^^^^^^^ 
.une  écEieute  générale  k  ]V[ont;pellier,..Le$r;habit^nts  de     chroniq.  dt 
cete   ville  s'aflcmblerpnt  en  tunîiulter&  coururent  aux  ^^'»^^«''^'«  ' 
maifons  où  étoient  logés   les  principaux   oficiers    du     ck^Llis. 
duc.    Guillaume  Fointel  >  chancelier  ;  Jaques  de-  la 
Chaine  ,   fccrétajre   de  ce  prince,  li  Guy   de  Séry   & 
Arnault  de  Lair    furent  ^  maflaqr.^s   dans  le    premier 
moment  par  ceté  populace   fédic^u;i(e* ,  qui.  feiirépani^ 
dant  enfuite   dans  les  diférents  quartiers  de  ia  ville ^ 
immoloit   fans   difiinâion  tous    ceux   qu'elle  jpencon^' 
troit ,  oficiers  du  roi ,  ou  du  duc.  Quatre-vingts,  per^ 
fonnes  furent  les  viâimes  de  ces  furieux  y .  i<}ui  préci*^ 
citèrent  dans  le  puits  les  corps  de  çcxix  qJu'iU  venoient 
xi'égorger.  Ce  défordre  eut  .le  fort  de  la.  plupart  jdes 
^motions   populaires.    L'énormité    d'une,  ifautc    ne:  fe 
fait  jamais  mieux  fentir  que  lorfqiiVHe  eft  .coramife. 
Un  repentir    tardif  s'empar,a  de  ce  peuple   aveugle  : 
la   plus  faine   partie  des  citoyens! ,  qui  n'étoiend. point 
x:omplice  de  cete  indifcrete  iureur  ,  géjmîSbient  fur  le^ 
Jfi^ites  de  la  révolte  :  ils  çonnoi^bient  Thumeur  iohplar» 
cajole  du  duc  :  ils  aiendÂr^nt  i^n  frépiitiTaïne  lê^  i£bts  de 
fa  vengeance.  . 

Le  duc  d'Anjou  tranfp©rt4  de  la  jplus  -viorkntc  co-> 
lere  ,  acourut  pour  châtier  eetç  1  ville  nebeie:  Une 
troupe  nopibreyfé  d'honjmes  ^:^'4vme$  &  xl'arbadêtricri 
Tacompag^ioif  ^  mais  pç  formidable  içortege  ffccdt  peu 
nécelTaire  contre  des  coupabl^^i  ^ui  /n'opofoiebt  à  fqa 
refTentiment  que  des  regrejcs  .&;  .des  larmes.  Le  fpec*^ 
cacle  qui  s'ofroit  à  les  regards ,  en  entrant  dans  Mont- 
,pellier  ,  étoit  capable  de  défarmer  la  vengeance,  la.  plu§ 
inflexible*  Les  oficiers  du  roi  le  reçurent  aux  portes  t 
ils  etoient  fuivis  du*  cardinal  d'Albane  (a)  ,  qui  mît 

(a)  On  lit  dans  l'biftoire  de  France  du  P.  Daniel ,  le  cardinal  Pierre  de  Luné^ 
C*eft  une  erreur  quia  été  ocafionnée  parla  manierf  peu  et  a  âe  donc  \:t  nohi  i 

Tome  V.  X  X  X 


53©  HiSTÔiftï  DE  Î'rawce, 

■-  "    "'  pied  à  terre  en  Tabordanc.  Le  clergé  ,  les  ordres  re- 

Ann.  i37«.  Hgieux  des  deux  fexes  9  les  membres  de  Tuniverfité, 
s'avançoienc  les  yeux  baiffés  :  tous  fe  profternerent 
devant  lui  dès  qu'il  ^àrut.  Tous  les  enfants  des  citoyens , 
au-defTous  de;  Tâge  de  treize  ans  ,  venoient  enfuite 
,  ,  criznt  y  mifericorde.  Les  inagiftrats  municipaux  fer- 
moient  cete  marcïhe  lugubre  :  ils  s'étoient  dépouillés 
des  ornements  de  leur  dignité ,  fans  manteaux  ,  fans 
chaperons  y  fans  ceinture  ^  la  corde  au  cou.  Dans  cet 
état.funefte  d'abaiflement  ^  viâîmes  innocentes  du 
cpime  de  leurs  compatriotes,  ils  fe  jetèrent  aux  pieds 
du  prince,  en  lui  préfcntant  les  clefs  de  la  ville  & 
le  \batatu:  de  la  cloche  qui  avoit  fenri  de  fignal  aux 
révohés.  Le  dûc  les  fit  remettre,  ainfi  que  les  clefs, 
au  fénéchal  de  Beaucaire  ,  &  pourfuivit  fa  route  à 
travées  une  multitude  d'hommes ,  de  vieillards  ,  de 
'  femmes  &.  d'eôfants  profternés  fur  fon  paflage  :  Tair 

retenciffoiti  de  leurs  gémiflemencs.  On  pofa  fur -le- 
champ  des  'cor|)s- de -gardes  dans  les  diférents  Quar- 
tiers :  tous  les  habitats  eurent  ordre  d'aportcr  leurs 
arn^es..  Le  lendemain  le  duc  d'Anjou  fe  fit  voir  fur 
un  échafaud  dreffé  dans  la  grande  place  ,  où  le  peu- 
ple en  filence  atendbit  fon  arêt.  La  ville  fut  conda- 
née;  k  la»  perte  de  fcs  privilèges-,  k  la  privation  du 
confulat^^de  fon  unîvènîté/  de  fés  archives  ,  de  fon 
fceau  ,  de  fon  hôtel  municipal  &  de  fa  jurifdiâion 
commune,  k  la  confifcation  de  la  moitié  des  biens  ^ 
au  paiement  de  fi«  vii^gt^^  mille  livres  d'amende, 
fomine  exorbitante  pour  «ce  temps-lk  ,  &'de  tels  dé- 
pens qu'il  plaîroit  au^  pritace  de  fixer,  k  fonder  une 
eglife  defiervie'par  douzie  éhafpelains.  A  ces  peines, 
on  ajouta  que  les  tours  &  les  portes  feroiènt  abatues , 

été  imprfni^  JaflS'les  anciennes  éditions  iJcs  chroniques  de  France.  Le  carénai 
Pieire  de  Lune  étoit  alors  cn^  Italie.  Dans  la  chronique  manufcnte  d'après  U- 
qucle  an  g^  impriiné  les  chroniques  de  France ,  on^  \\x  le  cardinal  d*Albaoe  :  il  k 
oommoic  Anglh  Grimoard.  Ce  prélat  étoit  éfeûivement  un  des  ûx  cardinaux 

Îue  Grégoire  XI  lailTa  en  France,  lorfquii  transféra  le  faine  iicge  à  Rome. 
hron*  AtS.iihi,  rayai,  num.  8}io,  Uïft.  ici.  lom.  lo  ^pag.  50i««s 


,  C  H  4  a  t  K  s .  y* .  .   :  i^^i 

•Jcs  murailles  rafées.  Les  cq^fuls  &;  Içç  pô^çipp^iyc  ?5S55HSB 
.bourgeois  furent  obligés  de  retirer  eux-mêmes  les  Ann.  x)7|. 
corps  de  ceux  qui  avoieut  été  tués  dans  le  temps  de 
Ja  révolte.  Jufque-IM  ,  les  b^bic^^us.ftpnfierpés  ,ii*ayoijenjt 
pas  rompu  cet  afrôux  lilf j^e  qi^)^;  terf ^ûr  in^pire> 
inais  quand  la  fuite:  de  qece  cerrà>le  '  fentepcp  leur 
-annonça  que  lix  cents  citoyens  étcfieoc  .dévoyés  à. la 
morC|  delquels  deux  cents  dévoient  périr  par  le  fer, 
deux  cents  par  la  corde ,  deux  cents  par  les  flamr 
jnes,  la  poftérité  de  ces  m^lheurcius^  réalité  k  la.  fer-  -  •'  ■\ 
.vitude  ,  &  notée  dVne  pçrpétu^/ infamie»;  alors  po  "^  *.,'  '  ^ 
n^entendic  plus  qu'un  .mélangé  C4?^fus  dç  yoix.plftiflr 
tives  &.  de  cris,  perçants..:  1«  hommes,  épçrflits  de- 
mandoient  grâce  ;  les  femmes  échëvelées  le  frapoienc 
Ja  poitrine.  Au-milieu  des  clameurs  qu'excitoit.la  dé- 
folation  univerfele  ,  Jç  cardinal  d'Albaçe  sW^nça  vers 
,1e  duc  f  '&  Je  fupHa ,  dtaos  deSS)  tercr^Sjfi  p^elTàots^  de 
modérer  ,  ou  du -moins  de- fqfpdndr^e  Ja  rigjueur  de  ce 
jugement,  qu'il  obtint  uii  délai  de  vipgc-qjiatrê  heu- 
-res*  Ce  terme  expiré^  Taflembléie.  fe  rendit  au  inême 
lieu  :  le  prélat  n*employa  d'autre  éloquence  que  celle 
que  lui  infpiroit  la  rerveur»  do*  fa,  charité.  Vxk  I^<i>roSr 
tûcain  animé  d«.  même  uï»4^i.  Ja:;p»rQle. apflèyt:J»ij, 
.&  :plaida  la  caûfe.de  rhim;^amté-.Sansr^fer  dç  yiains 
détours  pour  diflimuler  la  faute  q\i^-ies  .h*bitîtnft5 
avoîent   commife  ,  les-difcoUnsd^  ce$,  idjeux. orateurs    :  -^ 

ne  furent  apuyés    que.  fur    cete  mapnve  fublime  ^  te  ;  ' 

chef  r  d^œuvre  de  là-  jitiprale' ,.  ^u'il  é^ioit  .réfervié  \  au 
chriftîanifme .  i d'apr,endf 6 1  ciux  ;  tpçaippîf J  J«i  piiçdfin:  ikfe  .  ' 
injuresi ,  Le .  fuccès-.  couronna  leur*  rîfiiEefl^Qn^  ^r ^^le*  4lfc 
fc  laifîa'  fléchir  ;  il  remit ',à  la.  ville, la^ nplu? j  graodp 
partie  des  peines  qu'il  venoit  d'impofer',  fe  conten- 
tant de  prendre  iix  mille  francs  pour  fes  déf^ens,  & 
les  fix  vihgt  mille  livres  <i'amen4è. .  Çeuy  qui  fièrent 
convaincus  d'avoir  (nod^pé  leuj^s  ;.>o^ains  dans  4e  Jaog 
des  oficiers  maffacrés.,  furpnt  putii^  4e  mort.  Cetp 
émotion  paflagere  ne  fut  poiot  imitée  par  d'autres 
xilles  pendant  le  refle  de  la  vie  de  Charjes  .y^j,  ma» 

X  X  X  i  j 


•4'\ 


^3*  Histoire   de  France, 

'''  -  €lle  annonçGfic  déjà  celles  qui  furvinrent  dès  les  pre- 

Ann.  ij7^«    mieres  années  du  règne  de   fon  fuccefl'eur  j  pendant 

la    minorité  duquel  on  vèra  plus  d'une  fois  de  lenv- 

blables  fcenes  fe  renouveler  dans  diférentes  provinces, 

fftutes  toujours  rachetées  par  des  punitions  pécuniaires. 

Nouvclcs         L'utile  emploi  du  revenu  des  fubfides  impofés  fur  le 

aquifitions  au  peiiple ,  ne  làiflbit  aucun  prétexte  aux  murmures.  Le 

"^^Trlrordes    ^^^  P^^  Téconornie  de  fon  adminiftratiou ,  s'étoit  trouvé 

Chartres.         en  pouvoir ,  non-feulement  d'aquiter  les  dépcnfes  pro- 

Mém.dtia  digieiafés  qu'exigeoieht    les   entreprifes    qu'il    âvoit  fi 

Chambre  des     jl.P .  ^^^tr     .^  :    .     ^,        y  .      ..  *         .       ^  . 

C0mpu9.        wéureuleraent  '  exécutées  ;  mais  il  avoit  encore  trouvé 
dânkiféïi  épargne  des  fonds  fufifancs  pour  augmenter 
le'  patrimoine  de  ktouronne  par  de  nouveles  aqui^ 
fîcions.   Outre   celles   déjà   raportées,  il  unit  au    do- 
maine la  feigneurie  de  Creil  qu'il  acheta  de   Béatriz 
dé  'Bourbon  ,  reine  de  Bohême ,  le  comté  de  Dreux , 
que  lui  cédèrent  pat*  ^échâïige  Je  vicomte  de  Thouars , 
j&   Marguerite 'de  ThdUarsV  fcttime  dé  Guy  Turpin  , 
la  ville  i&  la  vic^omté  de  Péwnas ,  ainfi  qu'une  partie 
de  l'ancienne  vîgueriede   Béziers.    Enfin,  l'arcnevê- 
vêque  de  Reims  lui  tranfporta  les  feigneuries  de  M ouzor 
&  de  Beaumont  en  Argonne.    Par  les  lettres  de  ce 
^ttahiport ,  il  fut'  ie^pr^uement  marqué  que  Mouzoa 
^oif  jtena  '  tài  'frëkc'-ahu* ,  'fam  'r4c6nnoiJfanct  d^aucun 
fcigntut  um^ofél.      j'  - 
Terres  poffiJ-       Les  termes  de  ce  traflfi)ort>paroîtroîent  devoir  fixer 
aiw.^°       "  l*in<^ertitudequ*a  fait  naître  la  diycrfité  des  opinions 
Pa/quier.     'fur  ^âf  nature  du  frdnc-aku.    Ilîeft'afiez  probable  que 
Mém.diiht.  ^iJrfqifetDe^iftÀ-bàfefe^;  cônfêdér^^  con)^Qs>fous  le  nom  de 
'Fi^ancs,  eMVahiréiities  Ga[ules,i'Chacuiir de* ces  guériers, 
égauïKLi  etitr'eux ,  eut  la  propriété  immédiate  &  le  do- 
^     maine'  abfolu  de  la  terre  qui  lui  étoit  échue  en  par- 
^fig^  9   propriété    qU^il    tranfmit  à   fes    fuccefieurs  au 
même  titre*    Les  feigneuries  ainfi   pofi^édééSi ,  étoient 
diférentes ''de 'la  jouînabce 'précaire  des  bénéfices  que 
le  prince  *acordaif,  ^foit  pour  un  temps  indéterminé, 
foit  à  vie ,  foit  à  perpétuité ,  mais  toujours  à  des  ^con- 
dicions  de  fervice,  de  reconnoifiance  ^  d'hommage  &: 


C   H   A   R  t   E    s      V.  533 

d'autres  devoirs.  La  politique  du  gouvernement  ayant  J 

ataché    des    privilèges   fans    nombre  à  la    qualité    de    Ann.  x^jt. 
vaflal  du  prince,  la   plupart  de  ceux  qui  poffédoient 
des    terres  en  franc-aUu  ,   s'empreflèrent  de  renoncer 
à   une  indépendance  onéreufe  ,   pour  devenir  vajfaux     £ic^/^  ^ 
du    roi  j   en   changeant,  pour  ainfi  dire,  Teflence  de  loîx  ^t.ni, 
leurs  pofleffions.   Ils   remettoient  pour   cet  éfet  leurs  ^'^•^'' ^^•^* 
terres    au  ibuverain,  &  les  recevoient  enfuite  de  lui 
comme    fiefs.    Ce  titre  de  vaflal  ,  dans  la  fuite  ,  fut 
'  rendu   fi  commun  ,  que  les  diftindions  ceflerent ,  en 
fe   répandant   généralement  fur  le  corps  entier  de  la 
nation.     L'indépendance  abfolue   des  leigneuries    dut 
fans   doute  alors   être  regardée  comme  avantageufe  : 
aufli-a-t-on  du  remarquer  précédemment  que  le  comte 
de   Foîx  ne  voulut  recevoir  que  le  château  de  Mau-^ 
voifin  ,  parce  aue  cete  place  ne  rdcvoit  que  de  Dieu. 
On  ne  connoilibit  prefque  plus  de  feigneuries   confi- 
dérables  poflédées  en  franc-aleu  {a)'  :  le  petit  nombre 
qui  reftoit  fufit  cependant  pour  découvrir  des  veftiges 
du  plus  ancien  droit  de  propriété  qui  ait  exifié  parmi 
les  fondateurs  de  notre  monarchie. 

Le  roi  rapela  vers  ce  même  temps  au  domaine  de  Traité  entre  le 
la  couronne  une   partie  des  aliénations  faites  par  les  «>i&ic  comte 

'r  •  1         T^         r*    1        r^  j    •  «c Savoie con- 

anciens  louverams    du    JJaupmné.     Un  ne    doit    pas  trcicsmaifai- 
omettre  ,  k  Tocafion  du  gouvernement  de    cete   pro-  «urs. 
vince  ,  un  traité  conclu  entre  le  roi ,   comme  dauphin  ^  ^?^%*^j^ 
de  Viennois  (a)  ,  &  Amédée,  comte  de  Savoie.  Cete  com^us  ^da* 
fage  convention  ,  qui  intéreflbit  la  tranquilité  publi-  Daupkiné. 
que ,  devroit  depuis  long-temps  être  établie  entre ^tou-  Jj^^^^'J!' 
tes  les  nations  policées.  Une  inimité  de  bandits  de  la 
Savoie  &   du  Dauphiné  avoient  pris  l'habitude  de  fe 
refiigier  dans  Tune  de  ces  provinces  pour  fe  dérober 

{a  )  Le  mot  d'tf/eu  pris  dans  Ton  ëtjmologie  ,  préfente  Tidée  d'une  pcflèdioû 
libre  de  toute  fujétion.  Il  eft  compote  de  TA  privatif  &  de  Leudc  ,  expreffion 
Celtique ,  qui  fignific  fujet.  K/d.  Pa/quier,  liv.  i  ,  chap.  i;.  Glojf,  du  Cange  , 
éàd  vtrh.  Alodia. 

{b)  Le  roi  dans  ces  lettres  prend  le  titre  de  dauphin  de  Viennois,  quoiqu'il 
e&t  donné  k  Dauphiné  au  prince  Charles  ,  fon  fils  aSné  ,  lorCqu'il  vint  aa 
monde. 


5|34  Histoire   pe   France, 

s  à  la  punition  des  forfaits  qu'ils  avoient  commis  dans 

Ann.  X378.    l'autre.    Les   deux   princes  ,    pour  prévenir  de  pareils 

abus  ,  convinrent  de  fe  rendre   réciproquement    tous 

les   malfaiteurs  qui  fe  trouveroient  dans  leurs  Etats, 

quand   même  ils    feroient    leurs  propres   fujets.   Une 

profcription   fi   févere    &    fi  précife   arêta    oientôt  le 

défordre  ,  en  mettant   un    frein  aux    brigandages   de 

ces  fcélérats ,  qui  ne  fe  trouvèrent  plus  encouragés  au 

crime  par  Tefpoir  de  l'impunité. 

^^f^^"^^  "ïu      On  ^  fouvent  eflayé  en  JFrance  de  rendre  aux  hom- 

ctltcicc?^       mes  une  partie  de   leur  tranquilité,  en   abrégeant  la 

Livre  rouge  loogucur  des  procédures  ;  mais  Thydre  fans  celle  re- 

vieux  du  châ'  nailîante  de  la  chicane  ,  fçait  par^  mille  détours  éluder 

'read         ^  la  prévoyance   des    plus  habiles    légiflateurs  ;  enfortc 

Rtcœuii  des  quc  le  projet  de  la  détruire  ,   facile  dans    la    fpécula- 

ordonnances,    çj^^  ^  ^  toujours    paru  impraticable  lorfqu'on  a  voulu 

l'exécuter.  Ce  que  Ton  peut  de  mieux ,  efl  d'apliquer 

de  temps  en  temps  quelques  remèdes  palliatifs  à  cetc 

maladie    incurable.    Depuis  que  l'ancienne  forme  de 

lios   jugements  ,    fi  commode  par  fa  fimplicité  ,  avoit 

été    remplacée    par  une  jurifprudence  nouvcle,  Vtm^ 

baras  de^  concilier  les  coutumes  &  les  loix  diférentes, 

s'étoit  acru   au   point  ,    qu'un   malheureux    plaideur, 

égaré  dans  un   labyrinte  de  formalités ,  étoit  obligé , 

pour  fa   défenfe ,  de   recourir  à  des   interprètes  mieux 

verfés  dans  un  langage  devenu  étranger  pour  lui.  Ce 

trifte  befoin  avoit  engendré  une  infinité   de  miniflres 

fubalternes  ,   plus  intéreflés  à  obfcurcir  les  droits  des 

citoyens  qu'à .  les  défendre.   Paris    &   les  autres  villes 

du   royaume  étoient  inondées  d'un  déluge  de  folici- 

teurs.    Ces  armées  de  praticiens    répandus   dans    les 

diférences    jurifdi6bions  ,    adiégeoient    les    tribunaux  > 

étourdifToient  les  juges  fous  prétexte  de  les  inflruirc  , 

&  trouvoient  l'art ,  à  force  de  verbiage  &  d'écriture , 

d'éternifer  l'iniquité.  La  jurifdiftion  du  châtelet  entre* 

tenoit    une    multitude  prodigieufe    de    ces    athlètes  , 

toujours  prôts  à  entrer  en  lice  pour  foutenir  la  caufe 

bonne  ou  mauvaifc  du  premier  Venu.   On  crut   ataf, 


Charles    V.  53^ 

quer  le  mal  dans  fon  principe ,  en  retranchant  du  - 
nombre  exceflîf  des  procureurs  ceux  que  leur  infufi-'  ^^n.  xj?». 
Jance  rendoit  incapables  de  cet  emploi.  Le  foin  de  veiller 
à  cete  réforme  fut  confié  au  parlement ,  au  prévôt 
de  Paris  &  aux  confeillers  du  Châtelet.  Ils  choifi- 
rent  parmi  la  multitude  Quarante  des  plus  loyaux  ^  & 
rejetèrent  les  autres ,  par  lefquels  le  peuple  étoit  moult 
grevé  ,  6'  en  plufieurs  manières  opnmé  induement. 
Tels  font  les  termes  employés  dans  cete  falutaire 
ordonnance. 

L*année   précédente  ,  le  roi  par  un  nouveau  régie-     Rtekaacnc 
ment  avoit  décidé  que  les  ofices  des  confeillers-audi-  î^u^&!^ufic 
teurs  du    Châtelet  ,   qui    étoient   auparavant   afermés  grefe  du  châte- 
au plus  ofrant^  feroient  dorénavant  donnés  en  garde  ^"• 
à  des  perfonnages  éclairés  &  fufifants.  Le  prix  des  difé-     f''*"'*  '^rl^ 
rentes    écritures  expédiées  par  les  grehers  ,  qui  pour  uier.foi.  148; 
lors  étoient  clercs  des  juges,  &  demeurants  chez  eux,      RecœuUdes 
fut  fixé  par  ce  même  règlement ,  qui  contcnoit  aufli  ^^^^«''^"^"• 
Tordre  des  fondions  des  confeillers ,   à-peu-près  fem- 
blable  à  celui  qui  s*obferve  encore  aujourd  hui. 

Il  étoit  fi  avantageux  aux  Juifs  d'habiter  en  France ,  D^fcnfc  de 
qu'ils  aquiterent  toujours  ,  fans  dificultés  ,  les  taxes  recevoir  ics^a- 
auxqueles  ils  étoient  afliijétis.  Souvent  même  ils  aloient  nouveaux  con- 
au-devant  de  ces  impofitions,  qu'on  les  vit  augmenter  venis  contre 
à  diférentes  reprifcs  ,  ajoutant  des  fommes  cônfidé-  ^^^^if'^j^^ 
râbles  k  celles  qu'on  leur  demandoit,  pour  obtenir  de  ckan  reg./il» 
nouveles  prorogations  de  domicile.  Plufieurs  d'en tr'eux,  pièces  100. 

*^^n/1<ïMf      i^*»      Irkffntfv     fAir%ii«*  otrrviAnf    r\ii«r/»t«r     l*»c     'VT^ii^r         Âsr  txiCCtUtl  acJ 

ordonnances. 


reconnu  les  vérités  du  chriftianifme.  Ces  nouveaux 
convertis  ,  tranfportés  d'un  zèle  indifcret ,  confon- 
doient  avec  leur  éloignement  pour  la  loi  qu'ils  avoient 
abjurée  ,  une  inimitié  perfonneîe  contre  ceux  qui  per- 
fiftoient  dans  leur  aveuglement.  Les  Juifs  n'avoient  pas 
de  plus  cruels  perfécuteurs  que  les  chrétiens  modernes. 
Jotirnélement  traduits  devant  les  tribunaux  par  des  acu- 
fations  prefque  toujours  deftituées  de  fonciement  ,  ilis 
portèrent  leurs  plaintes  au  pied  du  trône.  Le  monarque, 
perfuadé  que  la  juflice  eft  un  bien  dû  à  tous  les  hom- 


53^  Histoire    de  France, 

s  mesj  fans  acception  de  leurs  fentiments  en  matière  de 
Abu.  IJ78.    foi  ,  défendit  expreffément  que  les  Juifs  régénérés  par 
le  batême  ,   fe  rendiflent  délateurs  ,  à  moins  qu'ils  ne 
donnaffent  caution  ,    &   qu'ils  ne  fuflent  en  état  de 
fournir  des  preuves  évidentes  de  leurs  acufations.   Les 
juges  eurent  ordre  en  même-temps  de  n'admettre  aucun 
des  raports  qui  leur  feroient  faits  ,  qu'ils  n*eufl'ent  été 
cooftatés  par  des  informations  juridiques. 
Ordonnance      Charles  le  Bel  en  1324  rendit  une  ordonnance  pour 
fur  les  francs-  contraindre    les  perfonnes   non    nobles  ,    qui    depuis 
riflremcQts?^*^'  trente  années  poUédoient  des  fiçfs  fans  la  permiflion  du 
Recœuii  des  TOI  ,  ^  payçr    dcux   annéçs   du  revehu  de  ces  biens  ; 
ordonnances.     ^  j^^  écléfiaftiques  qui  fe    trouvoient  dans  le   même 

Cnron,Jancii  .  *      *         //*       i  i    •       i  i      r 

Martiaiis  Le-  cas  ,  à  porter  au  trélor  Iç  produit  de  quatre ,  de  iix  , 

fhovicenfis.  &  même  de  dix  années  ,  fui  van  t  les  dirérentes  provin- 
ççs  ,  pour  le  droit  d  amortiflement  des  biens  par  eux 
^quis  depuis  quarante  an$.  Cete  ordonnance  des 
francs-fiefs  &  amorpfTpments  fut  renouvelée  pendant 
les  dernières  années  de  Charles  V.  Philippe  le  Hardi , 
fuivant  une  ancienne  chronique ,  fut  le  premier  de  nos 
;*ois  j  qui  çxigea  que  les  écléfiaftiques  achetaflbnt  le 
droit  de  polFéd^r  des  bi^ns  ^  qqi  une  fois  aquis  par  euX| 

.  ne  fortoient  plus  de  leurs  mains.  Ce  roi  déclare  formé* 

lemenf  à  la  fin  de  fes  lettres  ,  que  ce  règlement  ne  pou- 

voit  avoir  lieu  que  pour  IcjS  aquifitions  paflees ,  ne  vou^ 

lant  pas  qu'on  le  fuivît  pour  les  aliénations  futures  qui 

Mimoriaide  feroient  faites  en  faveur  du  clergé ,  dont  Vcxccs  pouroit 

Uchamhrtdcs  dcvcnir  fi  préjudiciable  .   ourdies  ne  dcvroicnt  point,  du 

comptes ^regifi.  \   ^.'*  ^i'    ^         1   r\      '     *         *      J--.  jti    u 

5.7^)1.  tout  efrc  folcrccs.  b.On  ignore  ,  dit  un  autçur  célèbre, 

Efprit  des    yy  quel  ef^  le  terme  au-delà  duquel  il  n*eft  plqs  permis 

ch!\[^^  ^^*  **  ^  ^^^  faipill/e  qui  ne  s'éteint  jamais  ,  d'aquérîr  de  nou^ 
>j  vêles  poffelïîons.  a  Nos  rois  en  refpeâapt  les  immu- 
nités du  corps  éçléfiaftique  ,  dont  ils  font  les  premiers 
défenfeurs  ,  \  font  réglé3  pour  permettre  l'acroiffçmcnt 
du  domaine  facré  de  Téglife  ,  lur  la  néceflité  plus  ou 
moins  preflante  d'en  ralentir  le  cours,  en  augmentant 
ou  diminuant  à  propos  le  droit  d'amortiffement.  Il  fe- 
roit  bien  iijutitç  d'expliquer  ^ux  Içdeurs  l'origine  &  la 

nature 


Charles    V.  ^37 

fï^ture  de  ce  droit  :  le  terme  èl'amortijfcmcnt  endéfigne  - 

affez  clairement  la  lignification.  ,  Ann.  ijrs» 

Ce  n'étoit  pas  afTez  pour  le  malheur  du  genre  hu-  Grand  rchîrme 
main  ,  que  depuis  tant  d'années  les  funeftes  divifions  «i'Occidcot. 
des  princes  temporels  répandifTent  dans  les  plus   bêles" 
contrée^  de  TEurope  le  carnage  &  la  défolation  ;  une 
calamité  inatendue  vint  ajouter  aux  maux  dont  on  gé« 
miflbit  I  de  nouveles  horreurs  ,  des  guerres  fanglantes , 
des  haines  implacables  ,  des  trahifons  y  le  fcandale  & 
le  ridicule.  Et  quele  fut  Torigine  de  tant  de  défordres  ^ 
L'éleâion  d'un  miniftre  de  paix  ,  d'un  fucceffeur  du 
prince  des  Apôtres  ,  deftiné  pour  entretenir  parmi  les 
fidèles  la  concorde  &  la  charité.    Deux  conipétiteurs  . 
ambitieux  d'ocuper  la  chaire  de  faint  Pierre  ,  (e  difpu- 
tent  ce  fuprême  honeur  avec  un  acharnement  dont  Thif- . 
toire  de  Téglife  ne  fournit  point  d'exemple.  Leurs  pré-  . 
tentions  partagent  l'univers  chrétien.   La  tiare  flotante 
entre  ces  deux  têtes  ,  réunit  &c  femble  fixer  latention 
générale.  Les  pontifes  enneniis  ,  trop  foibles  par  eux^ 
mâlmes,  réclament  les  fecours  des  puifiances  du  fiecle: 
il  faut  choifir  entr  eux.    Le  fage  tempérament  de  la 
neutralité  fe  trouve  précifément  être  celui  qu'on  adopte 
le  moins  :  on  s'arme  y  on  court  avec  empreflèment  fe 
ranger  fous  les  enfeignes  de  l'un  ou  de  l'autre  :  chacun 
des  deux  rivaux  compte  des  fouverains  parmi  fes  adhé- 
rents :  ils  ont  tous  deux  leurs  armées  y  leurs  généraux  ^ 
leurs  prélats  y  leurs  doâeurs^  leurs  faints  {a).  Dans  cete 
double  guerre  y  on  combat  également  avec  le  fer  &  la 
foudre  :  enfin  cete  odieufe  querele ,  qu'on  auroitdû  af- 
foupir  dès  fa  naifiance  ,   ne  fe  termine  qu'après  trente 
années  d'hoftilités  ,  d'intrigues  &  d'écrits  y  fans  qu'il 
foie   poflible  de  démêler  dans  cete  étrange  Gonfulion 
quel  étoit  le  parti  le  plus  jufte. 

Grégoire  s  étoit  flaté  de  rétablir  en  Italie  la  puifiance     Gacrrc  ea 
temporêle  des   papes  ,    qu'avoic   afoiblie  leur  ^'^^g"®  ^h^I'^^d^ 

Èîft.  iccirf. 
(s)  sainte  Catherine  de  Siennç  ^côit  pour  Urbaîci  >   faiot  Vincent  Ferrîet 
potir  .Clëmcntt 

Tome  V.  Y  jr  7 


^38  Histoire  t>%  France, 

,-.  abfetice  de  Rome.  Les  Florentins  maintinrent  toujoun 

Ano.  i}i9.  avec  fuccès  la  ligue  qu'ils  avoient  formée  contre  le 
laint  fiege.  Vainement  le  cardinal  de  Genève  ,  chargé 
par  fa  fainteté  d'amener  des  troupes  à  la  défenfe  des 
►terres  de  léglife  ,  étoic  repaflë  en  Italie  avec  fix  mille 
Bretons  ,  commandés  par  Jean  de  Maleftroit  &  Sylvelire 
Bude.  Ces  troupes  commirent  ufle  infinité  de  défor- 
dres ,  s'emparèrent  de  quelques  villes  ,  mais  ne  termi- 
nèrent pas  la  guerre.  Leur  infolefice  &  leurs  brigan- 
dages contraignirent  à  la  révolte  des  places  qui  avoienc 
été  foumifes  |ufqu'à  leur  arivée.  Les  habitants  de  Ce- 
iennê  excédés  des  traitements  injurieux  qu'ils  efTuy oient 
de  ces  foldats  étrangers  ,  s'aflemblerent  ,  prirent  les 
armes  ,  &  les  chaderent  de  leur  ville.  Le  légat  du  faint 
fiege  dans  le  territoire  de  Bologne  ,  joignit  aux  Bre- 
tons les  compagnies  Ângloifes  ,  commandées  pair  Jean 
Acut ,  autre  chef  d'aventuriers  ,  qui  rava|;eoit  Tlcalie. 
La  ville  de  Céfenne  fut  reprife  par  ces  brigands  réu- 
nis. Les  habitants  furent  pafTés  au  fil  de  Tépée  ,  fans 
diftinâion  de  fexe  :  cinq  mille  hommes  périrent  dans 
ce  mafTacre  ;  les  vainoueurs  ne  réferverent  que  les 
bêles  femtnes  pour  en  faire  à  leur  plaifir.  Le  cardinal 
aflié|;ea  inutilement  Bologne  y  qui  étôit  entrée  dans 
la  ligue  des  FljDrentins  :  il  efTaya  d'atii:er  le  comman- 


vferneur  qui  devinoit  fon  defTein  ,  répondit  à  celui  qui 
vint  le  provoquer  à  ce  combat  :  w  Monfieur  Je  révé- 
la rendiuîme  fe  travaille  que  je  pe  fors  point  de  la  ville  : 
>y  mon  gentilhomtne  ,  dites-lui  que.  je  ne  fors  point, 
n  ôc  la  caufe   ef^  afin  qu'il  n'y  entre  pas.  ce  Enfin  le 
faint  fiege  fut  obligé  de  conclure  un  acommodement 
avantageux  aux*  Florentins. 
Mondafâpe      Ces  coRtradiftions  ,   &  le  peu  d'autorité  dont  les 
chi^oi  MS.  P^P^^  jouïfToîent  dans  Rome  même  ,  où  le  peuple  pcn- 
chroniq.  de  daut  leut  abfence  s'étoit  rendu  prefque  indépenda^it  ^ 
rroifards^c.  avoicut  dégoûté  Grégoire  du  féjour  de  l'Italie  :  déjà 


Charles    V.  ^39 

même  il  médîtoic  fon  retour  en  France  ,  Idrfqu'il  fut  - 
furpris  de  la  maladie  donc  il  mourut  le  vingt^fept  Mars    a»»«  »  J7». 
de  Tannée  1^77  (a),  y  âgé  de  quarante -lîx  ans  ,  après  ^'^fi^J^^M* 
avoir  ocupé  le  faint  fiege  fept  ans  deux  mois  &  vingt-  ^^^****^* 
fept  jours.  On  acufa  ce  pontife  d*uae  prédileâaon  trop 
marquée  en  faveur  de  fa  famille,  dont  plufieurs  furent 
élevés  aux  dignités ,  quoiqu'on  en  eût  pu  trouver  de  plus 
convenables  pour  la  fcience  &  pour  les  mœurs.  Am^ 
reftc  >  il  fut  amateur  des  gens  de  lettres  9  qu'il  honora 
toujours  d*iine  proteâion  finguliore.    Qudlquçs  jours 
avant  fa  mort  y  il  donna  une  bule ,  par  laquele  il  tra^- 
çoit  aux  cardinauic   la  conduite  qu'ils   dévoient  tenir ^ 
pour  lui  donner  un  fucceffeur  :  a  Et  nous  chargeons^ 
s>  dit-il ,  leurs  confciences  délire  un  digne  paxteur  n. 
Les  circonftances  fâcheufes  où  les  éleâeurs  le  trouvé-» 
rent  »  \e,%  ocuperent  bientôt  d'autres  foins  que  de  celui 
de  fe  conformer  à  ce$  louables  difpôfitions.    .. 

La  préfènce  du  pape  à  Rome  étoit  audi  avantageuie 
aux  Romains  ,  que  le  féjour  de  ces  mêmes  pontifes 
dans  Avignon  avoit  été  nuifible  à  la  France.  Selon  le 
témoignage  d'un  de  nos  anciens  écrivains  ,  depuis  que 
le  faint  fiege  eut  été  transféré  en  Provence  ,/ ce  ce  ne  ^^^^""^'7' 
^  fut  plus  qu'un  mélange  &  débauche  de  toutes  chofes  :  ^F^ZuUit.  j^ 
2>  le  pape  à  la  vérité  acordoit  au  roi  des  levéeis  de  çh.  25. 
yy  décimes  fur  le  clergé  ^  beaucoup  plus  à  l'abandon 
f}  que  l'on  n'avoit  fait  auparavant  >  lous  prétexte  de 
yy  Y^yages  imaginaires  d'outre* mer  ;  &  le  roi  en  con- 
yy  tr'échange  connivoit  aux  grâces  expeôatives ,  &  pro^ 
yy  vifions  extraordinaires  du  pape  fur  les  bénéfices  ^  en<^ 
»  femble  aux  exaâions  qu'il  faifoit  delTus  tous  les  bé- 
9^  néfîciers  pour  entretenir  fon  état  9^.  Cependant  on 
ne  Jugeoit  pas  ainfi  pour  lors  ;  &  les  François  étoient 
auffa  jaloux  que  les  Italiens  de  la  réfîdence  des  fuccef* 
feurs  de  faint  Pierre. 

Le  jour  même  que  les  cardinaux  célébrèrent  le  fer-« 

{a)  Suivant  Tufage  obfervé  alors  d'affigner  le  reooavélemeot  <le  Fanoée  au 
eur  de  Pàque ,  Vannée  l)^%  commenta  le  dix-huic  Avril.  Glojf-  du  Cange^ai 
^rb.  Ânnuc. 

Vyyi) 


^4P  Histoms    D£  France, 

^  -  vice  de  Grégoire  XI  dans  Téglife  de  Sainte-Maric-la- 

Ann.  ins.    Neuve,  ils  mandèrent  les  fénaceurs  &  les  bannerets, 

^néî'^"  ou   chefs  de  quartier  de  la  ville  ,    pour  leur  recom- 
du'papc.^     "  mander  la  sûreté  du  Vatican ,  où  le  conclave  devoit  fe 

Hiji.  Eciif.  tenir.  Le  fénateur  portant  la  parole  pour  les  Ro- 
mains ,  déclara  que  potM^  remédier  aux  défordres  fur- 
venus  dans  Rome  &  dans  TEtat  écléfiaflique  ,  depuis 
que  le  faint  iiege  avoit  été  ocupé  par  des  Ultramon- 
tains  ,  il  étoit  abfolument  néceffaire  d'élire  un  pape 
Italien,  que  Pamour  pour  le  lieu  de  fa  naiflance  enga- 
geât à  préférer  Rome  à  tout  autre  féjouK  II  finit  en 
aflurant  que  tele  était  Tintention  unanime  du  peuple. 
Cete  première  déclaration  infpira  une  li  grande  rraycur 
aux  prélats  ,  que  Tarchevêque  d'Arles  ,  qui  en  qualité 
de  camérier  de  l'églife  Romaine ,  devoît  garder  le  con- 
clave^ remit  ce  foin  à  Tévêque  de  Marfeille ,  &  courut 
fe  renfermer  dans  le  château  Saint- Ange. 

Le  fénateur  6c  les  autres  chefs  qui  gouvernoient  dans 
Rome  ,  avoient  obligé  les  nobles  de  fortir^e  la  ville: 
les  payfans  des  environs ,  hommes  féroces ,  connus  fous 
le  nom  de  montagnards  ,  étoient  acourus  fe  joindre  à 
la  populace  atroupée  dans  les  environs  du  Vatican.  Ce 
détordre  ,  qui  croiflbit  k  tous  moihents  ,  étoit  fecréte- 
ment  fomenté  par  quelques  prélats  qui  avoient  intérêt 
qu'on  choisît  un  pape  Italien.  Seize  cardinaux  ,  defquels 
quatre  étoient  Italiens  ,  onze  François  &  un  Arago- 
nois ,  fe  trouvoient  alors  k  Rome  :  fix  autres  réfîdoient 
en  France,  &  Jean  de  la  Grange,  dit  le  cardinal  d'A- 
miens ,  rempliffoit  en  Tofcane  les  fondions  de  légat 
du  faint  fiege. 

Embarasdes  ^^^  précautions  dont  les  Romains  s'armerenc  ,  prou- 
cardinaux.  vent  qu'ils  n'étoteut  pas  afTurés  de  réuflîr  par  la  violence 
Uidtnu  qu'ils  employoierit  ;  &  peut-être  les  éleâeurs  les  eut 
fent-ils  déconcertés  ^  en  leur  opofant  Tunion  &  la  conf- 
iance :  mas  divifés  entr'èux  y  ils  n*étoient  ocupés  qu'à 
fe  donner  mutuélement  Texclu^on.  Les  feize  cardinaux 
formoient  trois  faéHons  ,  Italiens  /  François  &  Limo- 
fins  :  ces  derniers  étoient  les  plus  nombreux  \  les  trois 


'  C  H  A    &   I   £    s      V.  ^4t 

dérilîers  papes  ,  Limofins  de  naifTance  ,  ayant  rempli  ■_!■ 

le  facré  colege  de  leurs  compatriotes.  Les  François  puis    Ann.  XJ78. 

éloignés  encore  de  la  faâion  Limofine  que  de  Tlta*^ 

lienne  ^  fe  joignirent  à  cete  dernière  ^  aimant  mieux 

donner  leurs  fufrages  à  un  Italien ,  que  de  voir  encore 

un   Limofin  ocuper  le  faint  fiege.    Ils  convinrent  de 

faire  un  choix  hors  du  facré  colege  ,  &  fe  propoferent 

de  nommer  l'archevêque  de  Bari  ,  Napolitain.  Ce  fut 

dans  ces  difpofitions  qu'ils  entrèrent  au  conclave  ,  dix 

jours  après  la  mort  de  Grégoire  XI.  Avant  que  d'ari- 

ver  au  lieu  où  raffemblée  devoit  fe  tenir  ,  ils  avoienc 

été  obligés  de  pafler  avec  peine  à  travers  une  foule  de 

'Romains  armés  ,  qui  ne  ceffoient  de  crier  :    Romano 

io  volcmo  ,  nous  voulons  un  Romain  :  Avtjt:^  vous  ^ 

fcigneun  cardinaux  ^  &fi  nous  baille^  un  pape  Komainj 

autrement  nous  vous  ferons  les  têtes  plus  rouges   que 

vos  chapeaux* 

Le  lendemain  de  leur  entrée  au  conclave  ,  les  car-  Ekaîon 
dinaux  s'aflemblerent  pour  procéder  à  Téledion  ;  car  ^'Urbainvi. 
la  fureur  du  peuple  s'iritoit  de  plus  en  plus  :  il  ne  -^*'^"». 
difcontinuoit  pas  d'afliéger  le  palais  avec  un  vacarme 
éfroyable  ,  prêt  à  chaque  inftant,  d'en  brifer  les  portes , 
empêchant  qu'on  ne  portât  à  manger  aux  prélats  ,  qui 
ne  purent  fermer  l'œuil  de  la  nuit.  Un  des  cardinaux 
éfrayé  de  ce  tumulte  ,  propofa  un  expédient  fingulier 
pour  fe  tirer  d'embairas.  »  Prenons  ,  dit -il  ,  un  frère 
>^  mineur  9  mettons -lui  la  chape  &  la  mitre  papale^ 
y^  &  feignons  de  l'avoir  élu  ,  &  puis  nous  retirons  d'i- 
>^  ci ,  &  nous  en  élirons  un  autre  ailleurs  a  ,  comme 
fi  le  choix  d'un  cordelier  eût  été  pljis  facilement  an- 
nulé que  celui  d'un  autre.  Ce  mauvais  fubterfuge  fut 
unanimement  rejeté.  Alors  le  cardinal  d'Aigrefeuille  9 
qui  le  premier  donna  fa  voix  |  déclara  qu'il  élifoit  pu* 
rement  &:  librement  le  feigneur  Barthélemi  Prignano  ^ 
archevêque  de  Bari.  A  Tinflant  il  fut  fuivi  des  autres 
Cardinaux  des  deux  faâions  réunies  ,  oui  fomioient 
plus  des  deux  tiers  des  éleâeurs  auxquels  le  cardinal  de 
f  lorence  fe  joignit  encore.  Un  feul  cardinal  ofa  pro- 


54^  Histoire   de  Frakce^ 

—  tefter ,  &  un  autre  plus  courageux  encore  refiifa  conf». 


A^-  '578-  tamment  de  donner  fa  voix.  (Je  fut  ainli  que  fe  ficcete 
éleâion  y  fur  la<][uele  il  feroit  téméraire  de  hazarder  un 
jugement  ,  puilque  le  concile  ,  qui  dans  la  fuite  ter- 
mina le  fchilme ,  laiiTa  la  queftion  indécife.  On  ne  peut 
cependant  s*empêcher  de  faire  quelques  obfervanons 
qui  fe  préfenccnt  naturélemenr.  Si  les  cardinaux  furent 
tous  forcés  ^  comme  ils  TaiTurerent  quelques  mois  après  ^ 
pourquoi  ne  feignirent  -  ils  pas  de  concert  ?  Pourquoi 
ce  choix  hors  du  facré  colege  ?  Tarchevêquc  de  Bari 
leur  avoit-il  donné  parole  d'abdiquer  ?  Etoient*ils  plus 
sûrs  de  fa  proraefTe  que.  de  celle  d'un  d'cntr'eux  ?  Le 
choifîrent  -  ils  enfin  pour  fatis&ire  les  Romains  ?  Ils 
écoient  fi  peu  sûrs  de  Faprobation  du  peuple  ,  qu'ils 
d'oferent  d'abord  publier  Téleâion  ^  apréhendant  que 
l'archevêque  ,  qu'iis  envoyèrent  prier  ae  fe  rendre  au 
conclave  y  ne  nit  infulté.  Tous  ces  faits  avoués  par 
eux-mêmes ,  ne  s'acordent  gueres  avec  le  défaveu  qu  ils 
publièrent  enfuite  :  le  refte  de  leur  conduite  préfentô 
toujours  la  même  inconféquence.  Quoi  quil  en  foit^ 
ils  réitérèrent  l'éleâion  après  leur  dîner  ,  l'archevêque 
préfent.  L'évêque  de  Marfeille  importuné  par  les  Ro- 
mains y  impatients  de  fçavoir  quel  étoit  le  pape  qu'on 
venoit  d'élire,  leur  dit  d'aler  à  Saint- Pierre,  &  qu'ils 
Taprendroient.  Ils  crurent. entendre  que  c'étoit  le  car- 
dinal de  ^int  -  Pierre  :  abufés  par  cete  idée  ,  ils  cou- 
rurent au  logis  de  ce  prélat ,  qu'ils  démeublerent  fui- 
vant  la  coutume  de  piller  la  maifon  du  nouveau  pape 
en  figne  de  joie. 

L'éleâion  cependant  ne  fe  publioit  pas  :  le  peuple 
furieux  de  fe  voir  trompé  ,  brife  les  portes  du  palais. 
Dans  cete  extrémité ,  les  cardinaux  engagent  le  cardi- 
nal de  Saint -Pierre  à  fe  laiiTer  revêtir  des  ornements 
du  pontificat.  Les  Romains  entrent ,  fe  profternent  de- 
vant lui.  Envain  il  leur  crie  ,  ce  Je  ne  fuis  point  pape^ 
«  &  ne  veux  point  être  antipape  :  on  a  élu  l'arche^ 
3y  vêque  de  Bari  qui  vaut  mieux  que  moi  v.  Ils  ne  l'é* 
coûtent  point,  ils  Iç  tpçttçp;  d^ns  ype  çhair^  ^  \o 


Charles     V.  ^43 

Îiortent  en  triomphe  y  tandis  qu'à  la  faveur  du  tumulte  """"'-— 
es  cardinaux  s'échapent  du  conclave  :  fix  fe  fauvent  '^^^'  'î^*- 
dans  le  château  Saint- Ange  ^  quatre  fbrtent  de  Rome  j 
les  autres  fé  retirent  dans  leurs  palais.  L'archevêque  le 
lendemain  rend  Ton  éleâion  publique  :  le  peuple  paroîc 
content.  Les  cardinaux  qui  étoient  demeurés  chez  eux , 
fe  rendent  auprès  du  nouveau  pape  >  ceux  du  château 
Saint-Angè  arivent  ,  &  pour  la  troifieme  fois  Téleftion 
feft  réitérée.  On  intronife  le  pontife  ,  qui  prend  le  nom 
d'Urbain  VL  Les  préiats  qui  étoient  fortis  de  Rome 
y  reviennent  ;  lui  rendent  leurs  refpeâs  comme  à  un 
pape  légitime.  Il  font  plus  y  ils  inftruiient  les  cardinaux 
d'Avignon  de  la  promotion  qu'Us  viennent  de  faire , 
&  ceux-ci  la  ratifient  en  y  accédant.  Le  cardinal  de 
la  Grange  y  légat  en  Tofcane  y  de  retour  à  Rome  y  joi- 
gnit fa  voix  à  celle  de  fes  colegues  :  ainfî  on  peut  af- 
lurer  que  pendant  quelque  temps  le  pape  fut  reconnu 
par  les  vingt- trois  cardinaux  qui  compofoient  alors  le 
facré  colege. 

Urbain  avant  que  de  parvenir  au  pontificat  >  iouïf-     ^fl»>«  ^ 
foit  de  la  plus  grande  réputation ,  foit  pour  la  dottrîne,  uspiéi^^^^^ 
foit  pour  les  mœurs  ;  humble  ,  dévot  ,  défincérefTé  ,       Uidcfn. 
févere  pour  lui  feul  ,   indulgent  pour  les  autres.    Le 
triple  diadème  fit  en  lui  un  changement  qu'on  auroit  • 

peine  k  croire  y  s'il  n'étoit  ateflé  par  tous  les  hifloriens 
^e  ce  fîecle.  Feu  de  jours  après  fon  exaltation  y  il 
donna  les  premiers  indicés  de  l'humeur  auftere  qui  le 
dominoit.  Le  receveur  des  deniers  de  la  chambre  apof- 
tolique  vint  y  fuivant  l'ufage  y  lui  préfenter  le  produit 
de  la  recette  ;  il  refufa  l'argent ,  en  le  chargeant  d'im- 
précations :  Que  ton  argent  périjfc  avec  toi,  s'écria-t-il. 
Ce  défintéreflement  outré  ne  <iura  pasu  Le  lundi  de 
Pâques  il  pronon^  un  difcours  très- véhément  dans  la 
fale  de  fon  palais  :  là  y  fans  aucun  ménagement  y  adref- 
fant  la  parole  aux  évéques  qui  compofoient  une  partie 
de  fon  auditoire  ;  il  leur  dit  qu'ils  étoient  tous  des 

Earjures  d*avoir  abandonné  leurs  églifes  pour  réfider  à 
i  cour.  L'évêque  de  Pampelune  choqué  de  Tapolbrophe^ 


544  Histoire  de  France^ 

^**""''"'^*^  fe  leva  &  lui  répondit  en  ces  termes  :  a  Je  ne  fuîs 
Ann.  IJ78.  ^y  point  parjure  ,  je  ne  fuis  point  à  la  cour  pour  mon 
w  intérêt  particulier  ,  mais  pour  Tutilité  publique  -,  & 
»  je  fuis  prêt  à  m'en  retirer  ».  Les  cardinaux  eurent 
leur  tour  ,  &  Furent  traités  encore  plus  durement  dans 
un  confiftoire  quil  tint  huit  jours  après  :  il  les  taxa  pu-« 
bliquement  de  fimonie  ,  dlnjuftice ,  de  luxe  &  de  per- 
fidie y  ne  défignant  perfonne  dans  ces  fanglantes  in- 
veâives  ,  mais  les  menaçant  tous  en  général  de   les 

f)unir  févérement ,  s'ils  ne  fe  corigeoient.  Il  eut  enfuite 
a  témérité  d'avancer  qu'il  feroit  juftico  des  rois  de 
France  &  d'Angleterre  ,  s'ils  ne  mettoient  fin  à  leurs 
divifions  qui  troubloient  le  repos  de  la  chrétienté  ,  ce 
qui  lui  donna  fujet  de  revenir  aux  cardinaux  dont  il . 
acufa  Quelques-uns  d'entretenir  cete  guerre  ,  &  de  (a«> 
crifîer  le  bien  public  à  leur  avarice.  Le  cardinal  de  la 
Grange  crut  que  ce  dernier  reproche  s'adreflbit  à  lui. 
Ce  prélat  avoit  éfeâivement  acumulé  d'immenfès  ri- 
chefies  dans  le  miniftere  y  &  la  voix  publique  lui  en 
faifoit  un  crime.  Il  intérompit  le  pape  avec  un  gefte 
menaçant ,  Çc  lui  dit  :  Comme  archevêque  de  Bari  tu  as 
menti..  A  l'inllanç  il  fortit  &  s'éloigna  de  Jlomç  avec 
précipitation. 
Bfcscardiftaux  ^^^  ^^^^^  incidents  auroient  dû  tempérer  le  zèle  amer 
fc  retirent  à  du  pontife  ;  mais  malheureufement  Ion  caradere  im- 
*^^^UUem.  P^^weux  qui  commençoit  à  fe  mariifcfter ,  s'ejnflammoîc 
'^  par  les  contradiâions.  Ce  fut  vraifemblablement  cete 
conduite  inflexible  qui  porta  les  cardinaux  à  fe  reflbu* 
venir  des  violences  qu'ils  avoient  effuyées  dans  le  con- 
clave ,  &  à  concerter  entr'eux  les  moyens  d'ataquer 
une  éleâion  contre  laquele  la  contrainte  qu'on  avoic 
employée  à  leur  ^gard  ,  fembloit  leur  ouvrir  yne  voie 
de  réclamation.  Ils  diffimulerent  cependant,  jufqu'au 
mois  de  Mai ,  qu'ils  obtinrent  la  permifliqn  de  ibrtir  de 
Rome  fous  prétexte  d'éviter  les  chaleurs  de  Tété.  Ils 
s'étoient  ménagé  pendant  ce  temps  la  propeâion  d'Ho- 
porat  y  comte  de  Fondi  ,  qui  les  reçut  dans  la  villp 
d'Aj;naai.  Cç  comçe  éçoit  aninié  contre  le  pape  t  qui 

avoit 


^  C    H    A    R  X    Ç    s     .V.  ,  54^ 

avoit  voulu  le  priver  de  ion  gouvernement*    Les  pré-  — —    '    ' 
Jacs  traiterenc  en  même- temps  avec  les  Bretons  &  les    Ana.  iiy^. 
autres  chefs  des.  compagnies  ,  qu'ils  engagèrent  à  leur 
lèrvicc. 

Urbain  fut  bientôt  informé  de  c^  qui  fe  tramoit  Urbain  cflayc 
contre  fes  intérêts.  Il  fe  repentit  d'avoir  permis  aux^^^".*P**^"' 
cardinaux  xie  fortir  de  Rome  :  il  eflaya  deles  ramener,  ^*'^""' 
&  pour  cet  éfet  il  fe  rendit  à  Tivqli ,  d'où  il  voulut 
ife  réconcilier  avec  eux  ;  mais  il  n'écoit  plus  temps.  Il 
ce  re^ut  queS  des  reproches  pour  reponfe  à  fes  inyicatidnç.' 
Déjà  ('on  combatoit  aux  portes  de  Rome  :  Bernard  dp 
la  Sale  ,  capitaine  Gafcon ,  mandé  pour  la  défenfe  du 
facre  colége  ,  avoit  pris  la  route  d'Agnani.  'Les  Romains 
voulurent  lui  difputer  le  paflage  d'un  pont  ,  il  les  mit 
en  fuite ,  après  en  avoir  tué  cmq  cents  &  fait  quantité 
de  prifoQniers.  Le  peuple  furieux  de  cet  échec  rentra 
dans  la  ville  y  &  fit  main-baffe  fur  tous  les  étrangers 
^ui  fe  trouvoient  alors  à  Rome  >  les  maflàcrant  indif^ 
tinâement  ,  prêtres  ou  féculiers.  Ce  genre  de  perfécu<- 
tion  dura  plulieurs  jours.  Les  Romains  étoient  prinçi* 
paiement  acharnés  lur  les  François  &  les  Bretons. 

Les  cardinaux  s'étant  déclarés  hautement ,  envoyèrent  ï-»  cardinaux 
dans  toutes  les  cours  les  proteflations  qu'ils  avoient  dref-  tcTréicalon^^^ 
fées  contre  l'éleâion  d  urbain.  Chaque  jour  ce  pontife  Wdem. 
voyoit  déferter  quelques  -  uns  des  prélats  de  fa  pour. 
Ji'archevêque  d'Arles  ^  camérier  de  l'églife  Romaine , 
vola  les  ornements  ^  la  chapele  9  &  jufqu'à  la  tiare  : 
il  porta  ces  tréfbrs  facrés  dans  Agnani.  Cet  abandon 
générjîl  pénétra  le  pape  &  lui  aracha  des  larmes»  £n* 
vironné  d'ennemis  ,  il  ne  lui  reilpit  plus  que  la  faveur 
du  peuple  &  fon  titre  ;  &  ce  qui  devoit  le  toucher  plus 
vivement  »  il  ne  pouvoit  atribuer  fes  difgraces  qu'à  lui* 
tnême/ll  s'étoit  atiré  gratuitement  l'inimitié  de  la  reitie 
de  Naples  ,  qui  non -contente  d%  le  reconnoitre  dès 
fon  avepemeqt  au  pontificat ,  lui  avoit  prêté  de  l'ar* 
gent  9  ^  fourni  des  troiipies.  Compctnt  fur  fa  recon* 
noiiTance  y  elle  lui  dem^|^a  fon  agrément  pour  le  nia- 
riage  du  marquis  dç  Mont£brrat  avec  l'héntiere  de  Si-» 
Tome  K  ,    .,?zz 


54^  Histoire   db   France^ 

■>  cile  ;    mais  l'ambitieux  pantife   avoic  formé  le  projet 

^  Aon.  137g.    extravagant  d'unir  cete  princeffe  avec  François  Prigna* 
no  j  Ton  neveu  9  homme  fans  mérite  &  lans  mœurs  :  il 
refufa  le  confentement  que  lit  reine  demandoic  ,  6c  fe 
brouilla  irréconciliablement  avec  elle. 
Lc^carJinâux      Ce  fut   cete  inimitié  qui  engagea  les   cardinaux  à 
i"::ti^l  q»;te' l^f%"r  f  Aenani  pour  le  tiranfporter  k  Fondi, 
tion  Je  Clé-  Ville  utuée  dans  la  Campante  a  neur  heues  de  Napies, 
mcjic  VIL       Q^  jIj  exécutèrent  enfin    la   délibération    prife  depuis 
Uùdtm.      long  temps  ,  de  procéder  à  une  nouvele  eleâion.  On 
obferve  comme  une  iingularité  digne  de    remarque , 
qu'en  cete  ocàfion  les  François  trompèrent  les  cardi- 
naux Italiens* ,  qu'ils  invitèrent  à  fe  joindre  avec  eux , 
en  les  flatant  chacun  féparément ,  &  fous  la  foi  d'un 
fecret  inviolable  ,   de  Texaltation  au  fouverain  ponti- 
ficat* Sur  cet  efpoir  ils  vinrent  à  Fondi  y  où  ils  curent 
la  mortification  d'être  témoiiis  du  choix  qui  fat  fait 
du  cardinal  Robert  de  Genève  y  fils  du  comte  de  cç 
nom* 
HijQoin  de      Le  uouveau  pape  prit  le  nora.de  Clément  VII.  Cete 
ri/^/vrr/.  par  nomination  avoit  été  concertée  précédemment  ;  cepen- 
''ibid^pûr    ^^^^  ^^®  lettre  de  Robert ,  comte  Palatin  ,  qui  depuis 
M.Crevief.     fut  roi  dcs  Romaîus  ,  adrelTée  k  l'empereur  vînceflas, 
J.  CEnfaau     |^Q^5  ^  confe^vé  une  particularité  qui  mérite  d'être  ra- 
portée.    Les  cardinaux  aflèmblés  k  Fondi ,  embarafles 
lur  le  choix  qu'ils  feroîçnt ,  eurent  deflein  de  nommer 
le  roi  de  France  fouverain   pontife  ,   &  le  monarque 
refufa  la  proposition  qui  lui  en  fut  faîte  ,  parce  qii'il 
étoit  eflropié  du  bras  gauçhç ,  incommodité  qui  ne  lui 

Îermettroit  pas  de  célébrèr.décemment  le  Icrvice  divin^. 
1  n'eft  pas  abfolument  incroyable  que  le  faeré  cofege, 
dans  la  vue  de  s'apuyer  du  crédit  d'un  chef  puiffant  & 
refpefté  ,  ait  conçu  un  pareil  projet  ;  mais  on  peut  af^ 
furer  que  le  roi  étoit  trop  fage  pour  s'y  prêter.  Charle* 
à  qui  la  jeuriefle  de  fon  fils  caufoit  de  fi  férîeufes  în- 

Suiétudes  ,  &  qui  prenoît  tant  de  précautions  contre  les 
angers  d'une  minorité,  feiltc|îc  trop  que  la  Providence 
Fapcloit  au  gouvernement  de  fon  rpyaunie  ,  &  aoo  ài 
la  fuccefïidn  de  faint  Pierre* 


Charles    V.  547 

Urbain  ayant  apris  Téleâion  de  Clément ,  &  n^efpé-  •■ 

rant  plus  de  paix  ,   fit  les   préparatifs  convenables  à   Aon.  1578. 

ia    défenfe  de    fes   droits.    Il  fe  forma    un   nouveau 

^olege  de  vingt-fix  cardinaux  pour  remplacer  les  dé-     ^'^-  ^^''^* 

ferteurs.  Les  deux  pontifes  alors  ,  chacun  à  la  tête*  de  *^'"*  *^' 

fon  parii  ,    commencèrent   les  hoftilités.  en  perfonne 

i>ar  des  excommunications  réciproques ,  âans  lefqueles 
es  adhérents  ne  furent  pas  oubliés.  Des  injures  >  des 
anathêmes  ,  des  malédiâions  y  oh  en  vint  aux  armes» 
dément  eut  d^abord  Tavaiitage  ;  mais  le  parti  d'Ur- 
bain reprit  le  defTus  en  Italie  y  qui  fut  le  principal 
théâtre  de  la  guerre  :  fon  rival  ayant  quite  Fondi , 
fut  mal  reçu  à  Naples  9  malgré  la  proteâion  de  la  reine  : 
après  avoir  demeuré  quelque  temps  dans  le  château  de 
i'(Euf ,  il  fe  vit  contraint  de  s'embarquer  :-  il  prit  la  route 
de  Marfeille ,  où  il  ariva  ^tigué  d'une  périlleufe  na- 
vigation I  &  de-lk  vint  établir  fa  couf  dans  Avignon. 
Urbain  jprofitant  de  ces  avantages ,  prefla  fes  adver- 
faires  :  rien  ne  lui  coûta  pour  exécuter  fes  projets. 
Il  vendit  les  domaines  ,  les  droits  des  églifes  &  des 
monafteres  ^  les  calices  d'or  ou  d'argent ,  les  croix  » 
les  images  des  faims  ,  les  ornements  des.  églifes  ;  êc 
<outfui:  fondu  &  converti  en  efpeces.  Avec  ces  refîbur- 
ces  y  il  renverfa  du  trône  la  reine  dé  Naples  y  pour  y 
placer  un  prince  qui  pkya  fes  bienfaits  de  (a  plus 
noire  ingratitude  ,   qui   voulut  atenter  à  fa  liberté  , 

3ui  le  profcrivit ,  qui  mit  fa  t^te  à  prix ,  qui  le  força 
e  fe  réfugier  dans  une  forterefïe ,  dU  haut  de  laauele 
on  Je  voyoit  quatre  fois  par  jour ,  tenant  un  flambeau 
d'ane  main  y  une  clockete  de  l'autre ,  excommunier  fes  Uidem. 
.^ennemis  y  candis  quç  par  fes  ordres  y  dans  ce  même 
x;hâteau  qui  lui  fesrvoit  d'afyle  y  on  apliquoit  à  la  quef^ 
tion  (îx  cardinaux  qu'il  traÎQoit  k  ia  mite  charges  de 
chaînes  :  ifs  étoient  acufés  d'avoir  conlpiré  contre  lui. 
Jamais  fa  haine  irnplaçakle  ne  leur  pardonna  ce  crime 
araché  à  la  néceuité  où*  il  les  avoit  réduits.  Il  les  £t 
périr  de  diférents  genres  de  mort ,  non  fans  avoir 
,go\)fé  long- temps    \p   pl^ifir   de  les  entendre  çémîr 

Z  z  ?  i) 


54^  Histoire   ve  Francï, 

--  dans  les  plus   crueles  tortures.    Souvent   dans  l*apré- 

Ann.  1378.  henfion  que  fes  boureaux  moins  inhumains  que  lui  , 
ne  fe  relâchafl'ent ,  il  leur  recommandoit  de  déchirer 
ces  malheureux  prélats,  jufqu'à  ce  que  leurs  cris  per- 
çants parvinffent  k  fes  oreilles  ;  &  pour  avertir  qu^il 
étoit  préfenc  quoiqu'invifible  ,  il  fe  promenoir  dans 
un  jardin  voifin ,  récitant  fon  bréviaire  k  haute  voix. 
Les  triftes  annales  de  Tunivers  ne  préfentent  que  trop 
fouvent  des  traits  de  barbarie  deshonorants  pour  l'hu- 
inanité  :  il  manquoit  l'exemple  d'un  tyran  Furieux  & 
tçanquile  ,  affez  impie  pour  ofer  ,  en  afTouvifl&rit  fa 
rage ,  adrefler  fes  prières  à  un  Dieu  clément  &  con^ 
fervateur. 

Pendant  le  cours  de  ces  défôrdres  ,  les  Clémentîns 
&  les  Urbaniftes  fe  traitoîem  fans  quartier.  Quicon- 
que avbit  le  malheur  de  tomber  au  pouvoir  du  parti 
opofé,  prélat , •prêtre  ou  clerc,  rencontroic  une  mort 
inévitable,  Lçs  bornes  de  cet  ouvrage  nous  dbRgcnt 
de  fuprimer  les  événements  fans  nomore  que  produifït 
la  querele  des  deux  pontifes ,  pour  nous  renfermer  uni- 
quement dans  les  faits  qui  ont  quelques  raports  avec 
les  a&ires  du  royaume, 
indécifiondtt    .  Immédiatement  après  fon  exaltation,  Urbain  n'avoir 

f)as  manqué  d*en  informer  le  roi  de  France ,  ainfi  que 
es  autres  princes  chrétiens.  ïl  fut  d'abord  reconnu  par 
runiverfité  ,  comme  il  Tavoit  été  par  l.es  cardinaux  d'A- 
vignon. Charles  gui  fu»  ces  entrefaites  reçut  de  la  part 
des  prélats  d'Italie  diférents  avis  contraires  h  cetc  élec- 
tion ,  balança  quelaue  temps  à  fe  déclarer.  Il  eft  affez 
vraîfemblable  que  le  cardinal  de  la  Grange ,  en  qui  le 
roi  avoit  beaucoup  dé  confiance  ,  ne  contribua  pas 
peu  à  cete  indéciiion  :  il  s'étoit  un  des  premiers  échapé 
de  Rome  (a).  Les  envoyés  du  pape  cependant  fiiivcïiem 

(a)  M  Peu  de  temps  apris  i'^iedion  d*Urbain ,  dit  on  cEroniqaeor  de  tt  (Tccle  » 
«  le  roi  eac  noaveles  des  cardinaux  aui  étoient  à  Rome  :  ils"  lui  marqooient 
a»  qa*ii  n'ajoutât  ibt  à  cbofe  qui  eût  été  faire  à  cete  nomination  ,  fc  q«*ils  lai 
»  certifieroîent  plus  à  plein  la  vérité  ;  qu'en  atendant  il  ne  donnât  aucune 
»  réponfe  aux  mciïagers  qtii  de  pat  ledit  BartbéieitilviendroicDt  >»•  U  raj^octe 


tou 


C   H   A   R   £   s   s      V«  549 

IlEi  cour  j  efpéranc  de  jour  en  jour  que  le  monarque  fe  .? 

décideroit ,  lorfqu'ils  virent  ariver  a  Paris  Tévêque  de  -Ann.  X57^* 
Famagôufte^  &  Nicolas  de  Saint-Saturnin,  Domini- 
cain ,  maître  du  facré  Palais.  Ils  ëtoient  chargée  par 
les  cardinaux  afTemblés  dans .  A^nani  d'inftruire  le 
prince  de  tout  ce  qui  s'étoit  paflé  dans  le  conclave 
^de  Rome  :  ils  aportoient  un  aâe  figné  par  les  élec<- 
teurs ,  qui  contënoit  leurs  proalftatioiis  juriaiqués  contre 
Péleâtiofl  d'Urbain,  &  le  récit  des  violences  qu'on 
avoit  employées  pour  les  contraindre  à  ce  choix.  Il 
eft  toutefois  remarquable  que  dans  cet  aâe  -de  défa-^ 
vçu  où  ils  expofent  en  pleine  libectéjes  motifs  qui  les 
autorifoient  à  regarder  comme  nule  cete  nomination , 
il  n'eft  point  du  tout  fjpécifié  que  Barthélcmi  Prjgna- 
cxio ,  archevêque  de  Ban,  fût  convenu  avec  eux  ide  fc 

I)rôter  à  une  éleâion  feinte.  On  ne  pèui  foupçonner 
es  cardinaux  d'avoir  fuprimé.  une  circonftance  fi  far..^^ 
-vorablé  à  leur  caufe  :  il  réfulte   naturétémeiic  de   ce  % 
'iïlencc  qu'il  ne  leur  avoit  rien  promis,,. ainii  que  quel-   V 
ques  écrivains  fe  font  hafardés  de  le  publier  avec  afles 
peu  de  certitude.      • 

La  députation  de  Tévêque  de  Famagoufte  &  du  Do-      AiTcmWéc 
minicain,  fervit  à  préparer  les  éfprits   à  l'éclat   que  pour  examiner 

feu'  de  temps  après  produifit  Medion  deJClémentVIL  iî.S'.^'*"' 
)ès  qu'elle  fut  tendue  publique,   Charles  fut  folicité     ^jud!^ 
de  fe  déclarer  en  fa  faveur.  Le  nibnarque  religieux  ne 
jugea  pas  à  propos  de  s'en  raporter  à  fes  propres  lu- 
mières  dans  une  afaire  de  îS  grande   importance.    Il 
fuivoit  plus  que  jamais  cete   équitable  citcohfpeâàon 

Î|ue  lui  diâoit  la  droiture  de  fon  cceur.    La  queftiba 
ut  agitée  dans  une  nombreufe  afleniblée^  compofée 

encore  qu'Un  cheyâliet  8c  un  écay^r  déparée  d'Urbain ,  arîverent  à  Paris ,  les- 
quels après  avoir  parié. plufîeprs  fois  au  toi  ,  furent  congédiés  avec  cete-ré- 
.  ponfe  :  «<  Qu'il  n'avoir  point  ouï  nouveles  do  cete  élëâîon ,  &  fi  avoit  tant  de 
^a»bôns  amis  cardinaui^,  dont  plufieurs  avoient  été  fetviceurs  de  Tes  prédécef* 
-"*>  fcurs  rois  de  France  8C  de  lui  *  ft  encore  en  avoit  plufieurs  à  lui  de.  fa  penfion^ 
)  i>  oue  il  tenoit  fermement  que  fe  aucune  éledlion  eût  été  faite  ,  ils  la  lui  euiTens  ' 

y>  ngnifiéç  ,  &  pour  ce  étoit  fon  entention  d*aichdrc  ,    avant  que  plus  avsMit 
'  «  il  procédât  en  ce  fait  <«.  Chrotié  MS,  bibL  R*  num.  7412. 


55^  Histoire  de  France,   . 

y*—'™'— ^  de   fix  archevêques^  de%  trente  évêques,  de   plufîeufs 
.Ami.  XJ7».    ^bés  &  doâeurs.  La  plupart  des  avis  penchpient  pour 
le  nouveau  choix  que  les  cardinaux  venoient  de  taire. 
Le  roi  cependant  ne  trouvant  point  cece  unanimité  de 
fentiment   qui  annonce  l'évidence,  &  ne  voyant  pas 
les  faits  aiTez;  éclaircis  ,  jugea  qu'il  étoit  à  propos  de 
idiférer   encore   jufqu'à    ce    qa*uae    information    plus 
exaâe  levât  tous,  les  f«upuies.  On  envoya  des  per* 
fonnes    de  confiance  pour  faire  Tur  les  lieux   mêmes 
les  perquifitions  néceuaires  ,  &  puifer  la  vérité  dans 
fa  iource-  Ils  revinrent  à  Paris  avec  des  lettres  mu- 
nies des  fceaux  des  prélats  ,  donc  la  publication,  fut 
permife. 
Le  roi  adhère      Le  roi   toujours  incertain  j  atendoit  encore.  Enfin 
à  ciémcntvii.  ^.y^fkt  VU  Une  lettre  écrite  de  la  main    du  pontife  , 
lidm.      yevêtue    du   témoignage  authentique  de  tout  le  con* 
«lave  y  &    fortifiée  encore  par  celui    des    cardinaux 
)d' Avignon  V  il  aflembla  de  nouveau  fon  confeil  auquel 
tidîflerent  les  dodeurs'^  aiiifi  que  les  principaux  de  la 
ttobleflè  &,  du  clergé.  Lk  -^  délirant   fincérement  ré* 
gler  fes  démarches  fur  la  juftice  ,  il  exhorta,  fous  la 
foi  du  ferment,  chacun  d'eux  en  particulier  k  o'écouter 
ilains  les  confeils  qu'ils  aloient  lui  donner ,  que  la  voix 
de  leurs  confciences ,  fans  acception  de  perf^nne-  Tous 
.    .  alors  lui  confeillerent  de  rejeter  la  non^inatioi)  d'Ur« 

bain,  comme  un  éfèt  de  la  violence  qui  ne  lui  avoit 
acquis  aucun  droit ,  &  de  s'atacher  au  pape  que  les  car^ 
dinaux  avoient'  élu  librement«  Le  monarque  déterminé 
^r  cete  délibération  générale ,  fe  fournit .,  ainfi  que 
fes  Etats  ,  k  l'obédience  de  Clément  VIL 
runivcrfité  ^    L*anverfité  fiit  mandée  &.  invitée  de  fe  conformer 
prend  le  a^ême  à  la   réfolution  qu'pn  venoit  de    preqdrç.    Ce  corps 
P^"*'  célèbre    çompofé   des   perfonnages   les  plus  émiqents 

par  leur  fçavoir  &  par  leur  atachement  a  la  faiqe  doc- 
trine, fuplîa  le  roi  dë*luî  permettre  dç  diférer  à  pren«- 
dre    un   parti  décifîf ,    jufqii'à  ce    qu'une  matiçre  fl 

fravé  eût  été  mûrement    examinée  ^  Charles   eut  la 
oQté    dç  lui  acorder  Iç  déUJi  denia^dé»   I)  fç.  (in(. 


G   H   A    R  X.   B  s      V.  ç^t 

à  cet  éfec ,  plufieurs  aflemblées  où  les  avis  fe  trou-  SSfffl^as^mi 
verent  partagés.  Enfin  folicitées  de  nouveau,  les  fa-  Am*  J37tw 
cultes  réunies  fuivîrent  les  intentions  de  la  cour,  en 
adhérant  à  Clément.  Il  eft  vrai  néanmoins  que  ce  côn-^ 
(entemenc  ne  fut  pas  unanime  :  plufieurs  membres  de 
Kuniverfité  étoiedt  david  que  Ion  choisit  le  parti  de  la 
oeutrali(é  entre  Urbain  âc  Clémente  II  efi  bien  hono-- 
rable  pour  cete  fçavante  compagnie  d'avoir  la  première 
propoté  de  Ile  reconnoitre.  aucun  des  deux  conten- 
dancs  ,  Jufqu*à  Ce  ^u©  leurs  prétentions-  euffent  été 
décidées  par  les  lumières  d'un^  concile  gétiéraL  On  ne 
comprit  pas  pour  loi^s  tout  le  mérité  1er  un  avis  fi  fa- 
ge,  auquel  azht  la^  fuite  on  fe  trouva  forcé  de  recouv- 
rir. Marche  trop  ordinaire  à  Tefprit  humaih,  lorfqu^il 
s*agit  de  délibérer  fur  de  grands  intérêts  :  on  s'égare 
k)ng*tcmps  ayant  que  la  néceffité  des  circonfknces 
ramené  .enfin,  au-  fei^l  parti  que^  la  raifpn  préfentoit 
d'abord. 

Charles ,  en  adoptant  Téleâion  de  Clément  ^  ne  fut    Proredâtîons 
entraîné    par  aucune    confidération   humaine  :  il  ne  ^"«^ûidcFrau- 
confulta  que  cete  pureté  d'intention  qui  caraéèérifa  toUt  r^icaion" 
jours  fes.  démàrcbesr  Oti  cqft&ty 6)  encore  à  Rome  ttn  ^x/rbam. 
aâe  daxis  lequel  ce  monarque  religieux  filit  voir  toute     ^'fi-  ^dtf. 
k  droiture  de.  foivccBur.  Je  me  îfuis  déterminé  à  fuivre  ^'*^^/^ 
le  parti  de  Clément,  dit-il,  a  fur  leâ  écrits  dés  cardi- 
as eaux  ^  auxquels  apartienc  Téleâion  du  pape,  &  qui 
»  ont  témoigné  eâ  leur  confcience  qu'ils  ont  élu  cer 
yxlm-ci  canoniquement.  J'ai  fiiivi  Taviâ  de  mon  coh- 
fiifeSl  ^  de  plufieuf t  prélats  &  fçavants  hommes  de  mon 
27  royaume,  qtti  en  ont  mûreDMiit  délibéré.  Mais  parce 
t>x]}xt  qiielqu'un  pouroit  plréteikire-  que  les  cardinaux 
yy  auroient  agi  par   pafiion ,   &  fe  feroient    trompés  , 
»  je  déclare  que  je  lî'ar  pris  lerpajrti  du.  pape  Clément 
5>  par  aUctune  inclination  de  parenté ,  ni  .autjre   motif 
p  numain ,  mais  croyant  bien  fairie^^  &  par  les  xaifons 


55^  HiSToi&E  DB  Erakce; 

^  !  i>  foit  danis  un  concile   général  h>u   autrement  ,  pour 

Ann.  I378*    >^  n'avoir  rien  à  me  reprocher  devant  Dieu  ». 

Cependant ,  malgré  les  fufrages  des  cardinaux  y  &r 
Tilluitre  naifTance^  de  Clément ,  les  adhérents  de  ce 
pontife  ne  paroiiToient  pas  former  le  plus  grand  nom-' 
bre-  Prefque  toutes  les  villes  de  rltalie  ,  excepté 
Jeanne  y  reine  de  Naples  ^  s'atacherent  au  parti  opofé. 
L'empereur 9  quoiqu'ami  de  la  France,  la  plupart  des 
puifT^nces  de  l!Alemagne  >  &  les  Pays  Bas  reconnu-* 
reqt  Urbain  :  le  roi  de  Caftille  d'abord  fuivit  le  même 

I^arti  (a)  ,    ainfi   (jue  T Aragon.  Enfin,  à  Tégard  de 
'Angleterre  ,  il  lui   fufifoit,  pour  fe  déclarer    Urba-^ 
nifit  j  de  voir  les  François  CUmcntins.  C'étoit  un  motif 
de  divifion  de  plus  entre  les  deux  nations  rivales. 
Difôrentes        Qi}oique  de  temps  en  temps  on  effayât  de  renou- 
hoftiiitésdaM  yeler  les  négociations  pour  la  paix,  dont  la  cour  de 
itUmoll.      Londres  ne  paroiffoit  pas  s'éloigner  ,  &  que   le   roi 
Frçijfant.     defiroit    encore    plus  ,  dans  la  vue  d'afllirer  par  un 
traité  folide  les  avantages  qu'il   avoit  reniportés  ;    les 
hoftilités  toutefois  ne  di(bontinuoient  pas.  Divers  partis 
pénéijrerent  d^^ns  le  Limofini  &  l'Auvergne,  où  deux 
pu  trois  chefs  de  compagnies  Angloifes  ,   plus   bri-* 
gaqds  qye  gmériers ,  furpnreoi:  quelques  châteaux.  Le 
plus  confidér^Die  de  tous  etoit  c^u}   de  Vtentadoùr , 
Jitué  fur  les  frontières  du  Limofio^  &  dç^  TAuvcrgile- 
Le   con)te  de   Yentadour  ,  courbé   fous  le  faix   des 
années,  s'étpit  retiré  dans  cete  place.  Tune  des  mieux 
forpifi^es   de  la  province.    Il  s-'y  croypit    en    sûreté , 
fjuand  U  flic  trahi  par  un  ancien  dpmefti^ue ,  qui  fàci^ 
lita  l'entrée  de$  ennemis  >  moyennant  ujnefomate  de 
iix  mille  livres.  I^e  perfide   cependant,    arête  par  un 

(<f)  L'hiftoîre  d'irpoene  lapoote  < omme  uii«  fingolarlté  dîgiie  de  remu^ae  » 
.qtielçpapç  Urbain  fo  uiianc  fdliqter  v  ,pa,r  fes  arohaflàdeurs  »  roMdicoce  dÀ 
foyaainedè  Caftille^  envoya  deux  pièces  d'^écarlace  )l  B/.H'enri ,  afin*  difoic* 
'û,  qjBecc  roi ,  la  reine  Ton  épàufi  &  fonfiU' portaient  des  Inbits  de  la  tnéine 
couleur  que  le  £en.  Lorfiiue  r£(^a«;fie  fis  Ait  déclfirée  en  faveur  de  Cléaienr, 
alors  Henri  de  Tranftamare  6c  iton  fils  ne  furent  plus  traités  dans  tes  bules  d'Urr 
bain  que  de  bâtards  <c  d'ufttrpatct»:^  ,  ^c,  Hift.  tCEfpagne.  Rymtu  aé.  pubi^ 

rçfto 


C  H   A   R   LE   s      V.  553 

rcfte  de^fcrupule  ,  eut  honte  de  livrer  fon  maître  :  il  TUSSSUS^ 
mit  da^s  fon  marché  qu'on  refpeâeroit  la  perfonne  &  Aon.  i57<« 
les  biens  du  comte ,  condition  que  Geofroi^téec-noirc^ 
c'étoic  le  nom  du  capitaine ,  exécuta  ndélement.  Ces 
fortes  d'expéditions ,  maiheureufement  trop  fréquentes 
dans  quelques  provinces  éloignées  y  doivent  être  plutôt 
regardées  comme  des  courtes  d'un  tefte  de  bandits 
qui  infeftoient  encore  le  royaume ,  que  comme  des 
opérations  militaires  avantageufes  à  Tun  des  deux 
partis.  Ces  conduâeurs  de  croupes  gardoient  pour  eux^ 
mêmes  les  places  dont  ils  s^emparoient  :  c*étoit*lk  (ju'ils 
raflèmbloient  les  dépouilles  qu'ils  enlevoient  indif- 
tinâement  à  tous  ceux  que  le  hafard  leur  préfentoit* 
Nous  vèrons  encore  long-temps  ,  dans  le  cours  de  cete 
hiftoire  y  la  France  en  proie  à  de  femblables  hordes 
d'aventuriers  y  qui  ne  diféroient  des  voleurs  de  grand 
chemin  de  nos  jours  ,  que^  par  leur  nombre  ôc  par 
l'impunité. 

Cependant  le  feigneur  de  Neuville ,  après  la  levée  Guerre  en 
du  fiege  de  Mortagne  ,  avoit  repris  fur  les  François  J^nj^'i^^jJ. 
plufieurs  places  dans  le  Bordelois,  De  retour  à  Bor*  vane. 
aeaux ,  il  trouva  dans  cete  ville  le  roi  de  Navarre.  Uidem. 
Ce  prince  y  juftemcnt  puni  de  tant  de  coupables  mar 
nœuvres  ,  preffé  de  tous  côtsés  ,  éprouvoit  enfin  que 
les  artifices  des  raédiants  leur  font  encore  plus  nuifir- 
bles  qu'à  ceux  qu'ils  veulent  perdre.  Dôm  Juan ,  In- 
fant de  Caftille^  à' la  tête  d'une  armée  de  vingt  mille 
honmies  ,  étoit  rentré  en  Navarre  :  il  ravagea  ce 
malhepreux  rovaume ,  &  vint  enfui  te  mettre,  le  fiege 
devant  Fampefune.  Charles ,  trop  foible  pour  réfifter 
aux  éforts  d'un  ennemi  fi  puiffant  y  venoit  implorer 
Tafiiftance  des  An^ois*  Il  leur  repréfenta  la  fituation 
embaraflante  où  il  fe  trouvoit  :  afin  de  les  déterminer 
h  lui  fournir  d^s  .Forces  fufifantes  pour  repoufler  le 
danger  qui  le  menaçoit ,  il  leur  rapela  les  termes  du 
traité  qu'il  avoit  conclu  avec  la  régence  d'Angleterre. 
Neuville  le  raffura  ,  en  lui  promettant  qu'on  aloit 
iaceflamment  faire  partir  des  troupes  qui  ne  manque- 
Tomc  V^.  A  a  a  a 


554  Histoire  de  Fraucs^ 

r— T— ^  roient  pas  d'arivef  au(fi*câc  que  lui  fur  les  n-oDtieres 
Abu.  137s*   de  fes  Etats.  Alors  ne  douant  point  que  ces  magni- 
fiques   promefTes    ne   fuifenc    fuivies   aune    prompte 
exécution  y  il   reprit  la   route   de    la   Navarre  ,  afin 
d'être    plus  à  portée  de  raflembler  les  forces  de  fon 
royaume  9  pour  les   joindre   aux   troupes    auxiliaires 
qu'on  lui  faifoitisfpérer. 
Le  roi  de Na-      Ce  prînce  qui  I  dans  le  cours  d*une  vie  fi  fi^rdle  en 
▼arrc  foiicitc  événements  ,  n'entreprit  &  n'acheva  jamais   par  lui- 

du  recours.  .  ^  /  f.  •  «i-     •  •    r  * 

Uiiim.  "™ême  aucune  expédiuon  militaire,  nola  rentrer  en 
Navarre.  Il  fe  rendit  à  Saint-7ean*Pied* de-Port^  où  il 
s'arêta  jufqu'à  l'arivée  du  fecours  ;  mais  il  eut  le  temps 
de  faire  des  réflexions  défagréables  fur  l'inconvénient 
de  ne  devoir  fa  sûreté  qu'à  la  faveur  mendiée  d  une 
proteâion  étrangère.  Les  commandants  des  troupes  qui 
dévoient  fe  Joindre  au  Navarrois  ,  au-lieu  de  marcher 
contre  les  Caftillans ,  s'anmferent  à  reprendre  dix  ou 
douze  forterefTes  ,  dont  plufieurs  capitaines  Brecons 
s'étoienr  emparés  dans  les  environs  de  Baïonne,  tandis 
eue  le  Navarrois  ,  qui  de  jour  en  jour  atendoic  les 
Anelois ,  s'impatientoit  de  la  lenteur  de  leur  masche. 
Il  dépêchoit  mceffamment  des  mefTagers  y  pour  les 
informer  de  l'extrémité  où  il  fe  trouvoit  réduit.  Les 
Efpagnols  prefibient  toujours  vivement  le  fiege  de 
.  Fampelune  ^  dont  ils  fe  feroient  infailliblement  rendus 
maîtres  fans  la  vigilance  &  la  bravoure  du  vicomte  de 
Châtillon  ^  qui  fit  une  vigoureufe  défenfe  ^  quoiou'il 
n'eût  avec  lui  que  deux  cents  hommes  de  garnifon, 
'&  que  les  vivres  commençailent  à  manquer.  Lp  cou* 
rage  de  ce  fdgneur  fauva  la  place.  Enfin  ce  fecours 
fi  long-temps  defiré  ariva  fur  les  frontières  de  Na- 
!varre«  Charles  avoir  rafiemblé  toutes  les  -  fi)rces  de 
fon  royaume^  qui  réunies  aux  troupes  Angloîfès, 
formèrent  une  armée  de  plus  de  vingt  mille  hommes 
d'armes. 
sicgedcPam-  L'infant  de  Caftille  informé  de  la  jonâion  des  An- 
pelune  icv<.  giQjg  ^  j^g  Navarrois  ,  tint  un  confeil  de  guerre 
ihtdem.      p^^^  délibérer  fi   l'on  marcheroit  aux  ennemis.  Les 


C   H  A    &   L   E   s      V.  5^^ 

avis  fe  trouvèrent  partagés  :  plufîeurs  chevaliers  Ef-  !!=î^ 
pajgnols  defiroient  qu'on  livrât  bataille ,  &  le  jeune  Adb.  ii?» 
prince  eût  volontiers  penché  vers  cete  réfolution  ;  mais 
dans  le  temps  que  la  délibération  étoit  fufpendue  par 
la  diverfité  des  fentiments ,  le  roi  de  Caftille  envoya 
des  ordres  précis  à  Dom  luan  de  lever  le  fiege  :  il 
obéit  j  &  ramena  Tes  troupes  en  Efpagne.  IjSS  troupes 
Andoifes  qui  refterent  dans  la  Navarre ,  profitant 
de  la  retraite  de  Tinfà^nt ,  fe  raflèmblerent  fur  Tarière- 
faifon ,  dans  le  deflein  de  faire  quelques  courfes.  Tho- 
mas Trivet ,  leur  commandant  y  avoit  indiqué  le  ren^ 
dez*vous  à  quelque  diftance  de  Tudele ,  vers  les  con- 
fins qui  féparent  les  trois  royaumes  de  Navarre ,  d*A- 
ragon  &  de  Caftille-  Il  pafla  PEbre ,  &  vint  camper 
dans  la  valée  de  Sorie.  Il  s'aprocha  de  la  ville  qui 
porte|le  même  nom  ,  fituécà  l'entrée  de  la  vieille  Caf- 
tille. Après  avoir  ravagé  les  environs,  il  eflayad^a  tit- 
rer la  garnifon  dans  une  embufcade  ;  mais  Tentrei- 
prife  échoua.  Les  Anglois ,  repouifés  avec  perte ,  fu- 
rent, obligés*  de  fonger  à  la  retraite.  Ils  ne  furent  'pas 
plus  heureux  dans  une  autre  tentative  fur  la  ville 
a Alfuro ,  dont  la  garnifon  étoit*  imprudemment  fortie. 
Les  fetmties  de  la  ville  fermèrent  elles-mêmes  les 
barieres  ,  &  fe  préfenterent  fur  les  murailles  avec 
une  contenance  ii  réfolue ,  qu'ils  n'oferent  rifquer  TaG- 
faut.  Le  capitaine  Trivet ,  voyant  Tordonnance  guè- 
riere  de  ces  modernes  amazones  ,  dit  en  courant  à 
toute  bride  :  Voilà  et  braves  femmes,  retoamons  arièrt, 
nous  n'avons  rien  fait. 


Le  roi  de  Navarre*,  qui  ne  croyoit  pas  que  Pexpj^-      Les  Angloîs 

:ion  des  Angloîs  duc  te  borner  a  faire  le  dégât  dans  |c  retirent  ae 

les  campaçhes  ,  s'étoit  avancé  jufqu'à  Tudele.  Cepen-   *  ^^^ms 


dant  le  roi  de  Caftille ,  fur  les  premières  nouveles  de 
rirniprion  des  ennemis ,  donna  de  fi  bons  ordres .,  qu'il 
fe  trouva  bientdt' fur  les  bords  de  TEbre  ,  à  la  tètê 
d'ube  armée  de  quarante  mille  hommes.  Il  fit  garder 
les  paflages  de  manière  qu'on  ne  pouvoit  tenter  de 
Ibrtir  de  Tudele  f^ns  s'expofer  à  tomber  au  pouvoii: 

A  a  a  a  ij 


5S^  Histoire   ps  France, 

îï!!ï!==  des  Efpagnols.  L'intention  du  Caftillan  étoit  de  for- 
Ann.  1J78.  mer  le  fiege  de  la  place-  Il  paroiffoit  impoflible  que 
Charles  évitât  un  danger  fi  preflànt.  Dans  une  tele 
extrémité  ,  il  eut  recours  à  la  voie  de  la  négociation, 
fa  reflburce  ordinaire.  Il  promit  ,  il  figna  tout  ce 
qu'on  voulut,  Henri  de  Tranfiamare  exigea  pour  con- 
dition préliminaire  que  les  Anglois.  fortifient  des  Etats 
de  Navarre.  Le  mariage  du  prince  de  Navarre  avec 
une  })rincefre  de  Cafiille  fut»  projeté  fous  Yzaémtot 
du  roi  de  France ,  qui  devoit  être  demandé.  Le  Na- 
varrois  enfermé  n'étoit  pas  en  état  de  conteftèr  aucun 
des  articles  du  traité  qu'on  lui  préfenta  i  il  fe  feroit 
foumis  à  des  claùfes  encore  plus  dures,  pour  fortir  dp 
ce  mauvais^as^  Le  roi  d'Efpagne  ne  fc  contenta  pas 
des  promefles  d'un  prince  dont  la  parole  n'étoic  pas 
inviolable  ;  il  fe  fit  remettre  pour  sûreté  les  villes  &  les 
fortereflès  de  P Etoile,  de  la  Garde  &  de  Tudek.  Cétoit 
la  deftinée  de  Charles-le-Mauvais ,  de  ne  faire  aucune 
démarche  cjui  ne  fervît  à  multiplier  fes  pertes.  Il  fut 
encore  obligé  d*emprunter  vingt  mille  francs  du  roi 
d* Aragon ,  pour  payer  le  fervice  inutile  des  trompes 
qu'il  avoit  apelées  à  (on  fecours. 
Guerre  en  Les  Anglois ,  fur  la  fin  de  cete  même  année  ,  furent 
^dT^S^Îcs  £^"^  heureux  en  Normandie  ,  qu'ils  ne  l'avoient  été 
François.  ^aus  la  Navarre.  Le  roi  ayant  jugé  par  une  première 
ihîdem.      tentative  qu'il  étoit  dificile  de  leur  enlever  Cherbourg, 

ihu^twl  ^  ^^  P"^^  ^^^^^  P^^^^  ^^  ^^  province  ,  &  qui  recevoit  à 
tout  moment  dans  fon  port  de  nouveaux  Tecpurs  d'An- 
gleterre, s'étoit  contenté  de  jeter  des  troupes  dans  les 
fortcréfTes  voifines  ,  pour  tenir  4a  gamifoo  en. échec. 
'Il  paroit  ,  fuivant  quelques  lettres  ,  que  le  deflein  de 
Charles  étoit  de  faire  un  puiiTant  éfort  de  ce  côté  à 
l'ouverture  de  la  campagne;  .Guillaume  des  Bordes 
eut  ordre  d'entrer  dans  le  Cotencin  avec  des.tipoupes, 
&'  de!  rcfférer  Cherbourg  autant*  qu'il  ferOit  poflible. 
Pour  cet.  éfet,,  il  vint  s'établir. à.  Moritbourg  >  d'où 

{*ournélement  il  faifoit  des  courfes  aux  environs.  Vers 
e   même  temps  >  Jean  Harlefton  partit  de  Southam- 


C  H  ▲  a  £  s  s    V.  5^7 

ptoo  avec  trois  cents  hommes  d'armes  &  trois  cents  s 


archers  :  il  vint  débarquer  à  Cherbourg.   Les  Angto^s  ,A^?*M7?* 
ayant   reçu   ce  nouveau  renfort ,  fe   mirent  ea  can^- 

fagne  :  ils  ne  tardèrent  pas  à  rencontrer  des  Bordes.  . 
iC  combat  fut  terrible  ,  &  la  viâoire  long  -  temps  * 
indécife.  Les  hommes  d'armes  ^  fuivant  Tufage  ^  ayoieot 
quité  leurs  chevaux  (a).  Les  deux  commandants  ^  vn^ 
hache  à  la  main^  un  pied  avanf  l^autre,  k  fignal^- 
rent  par  une  bravoure  égale.  Harlefton  ,  renv^rf)é* 
par  terre  ,  aloit  perdre  la  vie  ,  lorfqu'il  fut  relevé 
par  les  fiens.  Irité  d'une  chute  qui  fembloit  en  ce 
moment  lui  donner  de  nouveles  forces  ^  il  reprend 
fes  armes  :  la  mêlée  recommence  avec  plus  de  fureur^ 
le  fang  coule  de  toutes  parts,  la  terre  qfl  jonchée  dp 
morts  ;  tous  les  combatants ,  dit .  un  hiftorien  de  ce 
fiecle  9  voulaient  vaincre  ou  périr  ;  enfin  ,  la  fortuné 
fe  déclara  pour  les  Anglois.  Les  François  furent  .en- 
tièrement aéfkits  ;  tous  perdirent  la  vie  ou  la  liberté  : 
aucun  hontme  d'honeur  ne  chercha  Ton  falut  dans 
la  fuite.  Guillaume  des  Bordes  fut  du  nombre,  des 
prifonniers. 

Le  roi  ayant  apris  la  déEsiite  de  fes  troupes^  fe 
hâta  d'en  faire  marcher  de  nouveles  fous  la  conduite 
du  feigneur  de  Bremailles  y  pour  couvrir  la  frontière. 
Il  fe  fortifia  dans  Montbourg  ,  ainfi  qu'avoir  fait  des 
jBordes  y  mais  il  ne  put  empêcher  fes  ennemis  de 
confcrver  leur  fupériorité.  Comme  on  s'ocupoit  alors 
en  France  des  préparati^  d'une  guerre  plus  impor- 
tante y  les  troupes  eurent  ordre  de  revemr  fur  leu.r^ 
pas  y  &  d'abandonner  la  plus  grande  partie  du  .  Co- 
tentin.  Les  habitants  qui  par  cete  retraite  demeuroient 
expofés  à  la  merci  des  Anglois  y  préférèrent  le  parti 
de  quiter  leurs  maifons  pour  aler  s'établir  ailleurs  , 
emmenant  avec  eux  leurs   femmes ,  leurs  enfants  & 

(a)  Un  Ceal  chevalier  itomm^  Lancelot.  de  Lorris»  fc  ^ioEjTiir  Tofi  cojarfieç» 
&  demanda  une  joùce  enThodeur  de  Ta  .dame  ,  avanc  le  tdfnbat.  Un  chevalier 
Anglois  acepta  le  défr  8c  le  tôà*.  Ce  fut  dommage  »  dk  Frdiflàrd ,  car  il  itoii 
«sert  ekt^ier ,  jeune  y  poli ,  &  moult  fort  amoureux^ 


^58  -  HistoiRÈ  d£  France^ 

^  leurs    plus  précieux    éfèts  ,  enforte   que  le  territoire 

Arnï.  IJ7S.   du  Coteritin  ^  Pun  des  plus   fertiles  de  la  province, 

"fïit  àbfolutnent  dépeuplé. 
Mariage  «c      La   néceflîté    des    circonftances  oblige    quelquefois 

ciStcïc  Si'   ^^^^  S^^  ^^^^  ^  ^^  ^^^^  ^"  gouvernement  de  fe  porter 
Paul.  à  des  démarches  qu'on  ne  peut  juftifier  aux  yeux  du 

Froiffard.  -publîc.  La  difgrace  du  comte  de  Saint-Paul  fur  les 
^ J^*^^ /f  •  :dernieres  années  du  règne  de  Chartes  V,  eft  de  ce 
pàrt\i,p.%i.  %cnn.  La  conduite  du  roi  à  Tégard  de  ce  feigneur 
auroit  toujours  été  foupconnée  d'une  prévention  in- 
jufte  ,  fi  les  aâes  d'Angleterre  ne  nous  révéloient  jpas 
un  Tecrec  qu'on  ne  pouvoit  alors  rendre  public ,  lans 
découvrir  en  niême  -  temps  par  quel  canal  on  étoit 
iriftruit  des  myfteres  de  la  cour  de  Londres.  Depuis 
Ibng-temps  le  jeune  Walerand ,  comte  de  Saint-Paul , 
de  la  maifon  impériale  de  Luxembourg  i  étoit  pri- 
fonnier  en  Angleterre.  On  avoit  ofert  pluficurs  fois 
de  le  relâcher  j  à  condition  que  le  captai  de  Buch 
feroit  remis  en  liberté,  échange  auquel  le  roi  ne  vou- 
lut jamais  confentîr.  Ùamour  fit  ce  que  la  politique 
avoit  refufé  :  il  délivra  le  comte ,  il  paya  même  une 
partie  de  fa  rançon.  Walerand  étoit  traité  avec  la 
confidération  due  k  fa  naifTanee.  Prifonnier  fur  fa 
parole ,  il  étoit  des  toutes  les  fêtes  qui  fe  donnoient 
a  fa  cour.  Ce  fiit  là  qu'il  vit  Mahaud  de  Côurtenai , 
fille  du  premier  mariage  de  la  princefTe  de  Galles 
avec  Thomas  de  HoUand.  Çete  jeune  princefle  fem- 
bloit  avoir  hérité  des  charmes  de  fa  mère  :  on  ne 
Tapeloit  eue  la  bêle  Mahaud.  Le  jeune  Saint-Paul 
8c  ceté  oeauté  naîiTante-  sUnnamounrent  loyaumcnt 
Vun  dt  Vautre  :  ils  étoiedt  toujours  cnfcmhh  aux  dardis 
6r  éhatcmcnts  ,  tant  au^on  s^cn  aperçut  :  Mahaud  eïle- 
méme  ne  fit  pas  dificulté  d*avouer  fon  penchant  à 
fa  mère;  Le  mariage  fiit  arête.  L^élargiflfcment  dil 
comte  devoit  être  néceflairement  un  des  premiers  ar- 
çcîesî;  ri  deyenoic  par  cete  aliabce ,  beau-trere  du  roi 
aAngkterre  ,  :auquel  il  fit  hommage -lige  envers  & 
contre  tous  ^  &  promit  de.  renoncer  à  la  qualité  de 


C  H   A   R  L  £   s      V»  5^^ 

va0àl  du  roi  de  France.  Pour  sûreté  de  fa  parolç ,  U  ■ 
s'engagea  de  livrer  aux  Anglois  fes  châteaux  de  Bohin  ^?»-  '378' 
&  de  Gùi/i  dans  le  Vermandois.  Il  repaflk  en  Fran- 
ce ,  pour  exécuter  fa  promeffe  ;  mais  la  nouvele  de 
ion  prochain^^lnariage  Pavoit  précédé.  Le  roi ,  qui 
avoic  à  Londres  des  efpions  fidèles  y  avoit  fait  fâifit 
fes  places.  Walerand  lui-même  auroit  été  arête,  s'3 
^voit  paru  à  la  cour  :  il  repafla  promptcment  en  An- 
gleterre ,  où  Tamour  le  confola  de  cete  difgrace.  Il  ne 
revint  en  France  que  fous  le  règne  fuivant. 

Au-milieu  des  guerres  qui  agicoient  la  plupart  des     Commence- 
Etats  de  l'Europe  ,  la  Flandre  feule ,  depuis  le  règne  ^^'^^*^"pP2 
de  Philippe  de  Valois ,  avoit  jouï ,  prelque  fans   in-  aA! 
téruption  ,  des  avantages  de  la  paix,  fous  le  gouver-     Froiffard. 
nement  modéré  de   fon  fouveram.  La  fertilité  natu-     f^ronMS. 
rele  du  fol,  Tinduftrie  des  habitants,  la  multitude  &  ;;t^';J%7:^ 
la  diverfité  des  manufaâures ,  i&ifoient  circuler   fans  &c. 
ceflè ,  &  portoient  par  mille  canaux  l'abondance  &  la 
profpérité  dans  toutes  les  parties  de  la  province.   Les 
diffenfions    éterneles    des    puifTances    voifines    étoient 
encore  une  nouvele  fource  de  richefles  pour  les  Fla- 
mands ,  faâeurs  néceifaires  de  tant  de  nations  unique- 
ment ocupées  du  foin  de  «'entre-détruire.    Cete  neu- 
reufe  contrée  étoit  devenue  Tafyle  des  arts ,  du  com- 
merce &    de  lopulence.  Les  plaifirs  &   le  luxe  ré- 
gnoient  à  la  cour  du  comte  Louis  ;    &  le  peuple  , 
avide  imitateur  des  grands  qu'il  vo^oit  plongés  dans 
les  délices ,  avoit  encore  renchéri  iur   les  modèles  : 
bien- tôt  du  fein  de  la  moleâe ,  il  fe  laîfTa  entraîner 
au    penchant   féduâeur   de  la  volupté  ,    &    par    un 
ëfet  inévitable    de   la  dépravation  des  mœurs  ,  il   fe 
livra  fans  réferve  aux  excès  de  la  licence  la  plus  dé- 
réglée. Dans  cet  état  de  coruption  ,   fourd  à  la  voix 
de  la  raifon  &  de  la  vertu  ,  quel  frein  eût  été  capa- 
ble  d'enchaîner    fon  indocile  férocité  ?    Un   de  nos      Muerai, 
biftoriens  raporte   que    dans   l'efpace    de   trois  mois  '«n.i#?-4>'* 
quatorze  mille  hommes  perdirent  la  vie  dans  les  lieux 
confacrés  au  jeu  ,  à  l'ivrognerie  &  à  la  débauche.  Orj 


^6o  Histoire   de  Francs^ 

die  -  il ,  comme  la  mauvàifc    conduite  du  prince   avoit 

Ann.  i|78-  cati/c  ctlU  du  pcuolc ,  Ditu  fuTcita  le  peuple  contre  le 
prince ,  &  les  châtia  .tous  deux  run  par  Vautre.  L'oubli 
Ats  devoirs  &  de  Thonêcecé  fut  de  tout  temps  le 
préfage  infaillible  d'une  révolution  prochaine. 

Le  comtjs  de  Flandre  avoit  auprès  de  lui ,  fans  le 
connoître  ^  un  de  ces  hommes  dont  les  talents  y  utiles 
ou  pernicieux  j  font  également  capables  de  fervir  ou 
de  nuire  ^  de  qui  la  conduite  ne  peut  jamais  être 
regardée  comme  indiférente  ;  de  ces  hommes  en  un 
mot,  qu'il  faut  perdre  fans  reflburce,  lorfqu'après  les 
avoir  élevés,  on  veut  les  éloigner  de  la  faveur.  Jean 
Lyon  ,  c'étoit  le  nom  de  ce  dangereux  Flamand,  né 
parmi  le  peuple  ,  s'étoit  avancé  à  la  cour  du  prince 
par  fon  adrelFe  &  fes  complaifances.  //  étoitj  dit 
Froiiïard  ,  fage  homme  ,  hardi,  cruel  &  entreprenant.  A 
l'éloquence  ,  au  courage  ,  au  génie  ,  il  joignoit  ce 
flegme  fupérieur  qui  fixe  la  réuffite  des  plus  hardis 
projets.    Il  ne  lui   manquoit  aucune  des  qualités  pro- 

5res  à  former  un  chef  de  parti  :  intrépidité  réflécnie , 
iflimulation  profonde  ,  confiance  à  l'épreuve  des  dif- 
graces ,  &  ce  oui  efl  incomparablement  plus  dificile , 
à  l'épreuve  de  la  profpérîté  :  jamais  furpris ,  mettant 
à  profit  les  moindres  démarches  de  fes  adverfaires: 
implacable  dans  fa  haine,  il  fçavoit  dévorer  un  afront 
pour  méditer  dans  le  filence  une  vengeance  aufli  sûre 
que  terrible.  Chargé  d'afraffiner  un  homme  qui  dé- 
plaifoit  au  prince  ,  ce  premier  crime  lui  feryic  de 
recommandation.  Il  fut  fait  doyen  des  Navieurs  j  ou 
négociants  par  eau  de  Gand,  emploi  à-ptu-près  fem- 
ble  à  ce  qu'étoit  alors  à  Paris  celui  de  prévôt  des 
marchands.  Ctte  place  ,  extrêmement  lucrative  ,  lui 
donnoit  le  plus  grand  crédit  dans  une  ville  ;  dont  le 
principal  commerce  fe  fkifoit  par  la  navigation.  Gand 
étoit  regardé  comme  l'entrepôt  le  plus  confidérable 
'   *  des  richeffes  de  la  Flandre,  qui  étoient  aportées  dans 

fes  murs  ,  &  eh  fortoient  journélemént  par  la  com- 
munication facile  d'une  infinité  de  canaux  que  forme 

en 


C   H    A    R   t   E    s      V.  ^Sl 

en  cet  endroit  la  jonâion  de  la  Lis  &  de  TEfcaut.   ' 

Jean  Lyon   remplie  fa  charge   au  gré  de  la   plupart   Ann.  137». 

de  fes  compatriotes.  Quelques  années  après,  le  comte 

féduit  par  Tapas  d'une  légère  augmentation  de  revenu , 

fans   confidérer  que  cet  acroiflëment   ne    pouvoit   fe 

faire  qu'en  m-ultipliant  les  droits ,  ce  qui  ne  manque- 

roit  pas  d^exciter  les  murmures  dt^  peuple ,  deftitua  le 

doyen  pour   mettre  en  fa  place   un  de   fes    ennemis. 

Loin  de  témoigner  aucun  reffentiment  de  la  perte  de 

fon  ofice,  il  afeda  Tair  de  fatisfaâion   d'un   homme 

redevable   au    prince   de    l'avoir    délivré    d'une  com- 

miffion    onéreufe  ,  il  atendit  pour  fc   venger  ,  Toca- 

fion  propice,  qui  ne  tarda  pas  à  fe  préfenter. 

Les  habitants  de  Bruges  ayant  acncté  du  comte  la 
persiidion  de  tirer  un  canal  de  la  rivière  de  Lis  , 
envoyèrent  des  pionniers  pour  commencer  les  ouvra- 
ges. Les  Gantois  n'aprirent  pas ,  fans  murmurer ,  un 
projet  fi  préjudiciable  à  leur  commerce,  Jean  Lyon 
eut  foin  de  fomenter  ce  mécontentement.  Comme  il 
avoit  gagné  la  confiance  du  peuple  pendant  fon  ad- 
miniftration ,  ce  fut  à  lui  qu'on  s'adrefTa  pour  fçavoir 
ce  qu'il  étoit  à  propos  de  faire  dans  une  pareille  con- 
jonaure.  On  le  prefla  long-temps  avant  qu'il  parût 
le  déterminer  à  aire  fon  avis  j  mais  lorfqu'il  vit  les 
cfprits  échaufés  an  degré  qu'il  defiroit,  il  ne  fit  plus 
dificulté  de  lever  le  maujue.  Il  déclara  dans  une 
^demblée  du  peuple  ^  que  l'unique  remède  aux  abus 
dont  on  fe  plaign'oit ,  étoit  de  renouveler  une  an- 
cienne affociation  connue  fous  le  nom  de  Jf^itcapc-- 
rons  ou  chaperons  blancs  ,   à  caufe  des   chaperons  de 

•  cete  couleur  qui   fervoient  dé  fignal   à  la  ligue   des 

•  diférents  corps  de  métiers  réunis.  La  propofition  fut 
avidement  embraffée  :  le  peuple  fe  rangea  en  foule 
fous    fon  nouveau   chef.   Il  en  choifit  une  partie ,  & 

•  marche  contre  les  travailleurs  de  Bruges  ,  qui  fuient 
à  fon  aproche.  Les.foflTés  font  comblés,  &  les  Gan- 
tois rentrent  triomphants  dans  leur  ville. 

L'artificieux  Flamand  eut  foin  de  c6uvrîr  cete  en- 
Tomc  V.  Bbbb 


f^éz  Histoire   de    France, 

.  treprife ,    ainfi   que  celle   qu'il   médita  dan?  la  fuite  i 

Ann.  i378t  du  fpécieiTX  préccxçe  de  1  utilité  publique  ,  afcâanc 
toujours  de  témoigner  autant  de  refped  que  d'atache* 
ment  pour  le  prince ,  &  rejetant  la  çaule  de  tous  les 
déibrdres  fur  ceux  qui  Tenviron noient.  Les  gens  bien 
întencionnés  prévoyoient  les  fuites  facheufes  de  ce 
mouvement  :  on  envoya  des  députés  au  comte.  Ils 
revinrent  avec  des  lettres  d'abolition  de  ce  qui  s'étoit 
paiTé  y  &  une  promelTe  d'empêcher  la  continuation 
du  canal.  On .  ne  mettoit  d'autre  prix  à  cete  grâce 
c)ue  la  difTolution  de  la  ligue  ;  mais  le  chef  ^vpit  un 
intérêt  trop  preflant  a  maintenir  une  union  ,  dont 
fa  propre  sûreté  dépeqdoit.  '  Il  écouta  froidement  \t 
réponfe  des  députés  ,  &  n'eut  pas  dç  peine  à  faire 
comprendre  au  peuple  que  ce  n'étoit  qu'à  cete  n^^me 
ligue  qu*il  étoit  redevable  de  fa  confervation ,  ^  de  l'in- 
dulgence qu'on  avoit  pour  lui.  Bonnes  gens  ,  ditril| 
voye:[  fi  ces  blancs  chaperons  ne  vous  gardent  pas  mieuf 
&  vos  franchifes  que  ceux  vermeils  noirs  ,  ou  d^autres 
couleurs  :  dès  aue  vous  les  quiterej  ,  je  ne  donnerons  pas 
trois  deniers  ae  vos  franchi/es.  Ces  derniers  mots  dé- 
terminèrent Içs  Gantois  à  perfifter  dans  leur  révolte, 
&  dèsrlors  Jean  Lyon  ne  parut  plqs  qU'efçorté  de  trois 
cents  hommes  arm^s. 

^  Le  conite  envoya  fon  bailli  avec  dçs  troupes  y  pour 
punir  les  mutins.  Ce  coup  d'autorité  ne  réullîç  pas.  Le 
bailli  fuç  tué ,  les  hommes  d'armes  mis  en  fuiçe  ,  Se  k 
bannière  du  prince  déchirée  &  a^aînée  dans  les  rues 
par  la  populace  en  fuyeur.  Cependant  le  chef  des  re- 
beles  déguifant  toujours  fes  véritables  dçfîeins  ,  permit 
upe  nouvele  députation  ;  mais  pour  1^  rendrç  infruç- 
tueufe ,  dans  le  même  -  temps  que  les  envoyés  folicitè- 
rent  &  obtenoient  une  féconde  fois  que  la  ville  rentrç- 
roit  en  eracç,  il  fortit  acompagné  des  plus  déterminés 
de  fa  faâion  ,  fous  prétexte  d'examiner  s'il  ne  le  trou- 
voît  pas  dans  les  environs  quelque  forterefle  capable 
d'incommoder  ,  en  cas  qu*on  fût  obligé  de  foutenif  un 
iîeçe.  Le  cor^te  ^?ui^  avoiç  fait  bâtir  au  lieu  qopiïoé 


Charles    V.  ^^3 

Andreghen  un  château  fuperbe  ,  dont  la  conftruâion  ' 

avoic  coûté  plus  de  deux  cent  mille  francs   {a).  Ce   Ann.  i}?*- 
fut-là  précifement  que  Lyon  conduifit  fes  gens.  Il  entre 
feignaqt  de  chercher  s'il   n'y.  avoît  point  d'armes   ou 
autres  munitions  dç  guerre  :  çn  un  inftant  la  marfon 
PU  lé  comte  avoit  dépolé  fes  plus  riçhçs  tréfors  eft  en- 
tièrement pillée  par  les  faâieux  ,  (jui  mettent  en  fe 
retirant  le  feu  à  plus  de  vinet  endroits  diférents.  Leur 
conduâeur  étoit  à  peu  de  diftance ,  l.orfqu*en  fe  retour- 
nant il  vit  le  palais  en  flammes  ^  il  marqua  autant  de 
fi^rprife  q^ue  de  douleur.    Que  vois-- je  !  s'écria- 1- il  , 
le  château  de  monfei^neur  ard  [  brûle  ]  j  on  ne  le  peut 
amender  ,  encore  vaut^il  mieux  que  adventure  Vait  ars  ^ 
que  nous  :  mais  tout  conjidéré  ,  ce  ckâfeau  ,  nous  étoit 
un  périlleux  voijin.  Après  çete  expédition  il  revint  fur 
fes    pas  j  bien   perfuadé  que  déformais  toute  voie  de 
réconciliation    étoit    fermée  entre   les    Gantois   &    Ip 
comte  ,  qui  ne  voulut  plus  eu  éfet  entendre  parlçr  4*au- 
cun  acommodement. 

Ce  n'étoit  encore  qjie  le  prélude  de  la  révolution  que 
le  rebele  préparoit.    Il  entreprit  &  exécuta  le  projet 
ayffi  hardi  que  fingulier  de  foulever  toutes  les  villes  de 
|a  Flandre  ,  en  commençant  par  celle  de  Bruges  ,  ri- 
vale de  Gand ,  &  dont  Tintérêt  avoit  ocafionné  le  pre- 
mier tumulte.  Il  va  s'y  préfenter  k  la  tête  de  dix  mille 
hommes.  Une  hache  à  la  main  il  force  les  portes  ,  af- 
femblç  les  Brugeois  dans  leur  propre  ville  ;   &  moiçié 
par  crainte  ,  moitié  par  la  rapidité  de  fon  éloquence , 
il  les  engage  a  s'unir  avec  les  Gantois  ,  à  figner  Tadie 
de  confédération  ,  &  à  lui  donner  des  otages  de  leur 
fidélité.   Maîçre  abfolu  de  Gapd  ^  de  Bruges  ,  il  ne 
douta  plus  qu'il  ne  lui  fût  facile  d'entraîner  dans  fon 
parti  le  refte  de  la  province.  Ses  mefures  étoient  fi  bien 
concertées  ,  que  fa  mort  même  n'y  a  porta  aucun  chan-» 
gement.  Il  fut  ataqué  d'une  maladie  fubîte  qui  l'em- 
porta en  vingt- quatre  heures  y  non  fans  foupçon  d'a- 

{a)   Cctc  rommc  revient  à  plus  de  deux  miUion?  de  notre  monnoiç  j  Targcnç 
{cane  à  cinquante  francs  le  marc. 


^^4  Histoire  de  France, 

^  voir  été  empoifonné.   On  lui  fit  de  magnifiques  funé- 

Am.  157B.  railles. 

Les  Gantois  fuivîrcîit  le  plan  que  Jean  Lyon  leur 
avoit  tracé.  Ils  fe  choifirent  quatre  nouveaux  chefs. 
Grammont,  Dan,  Ypres  ,  Courtrai ,  fe  joignirent  aux 
révoltés  dont  le  nombre  s'augmentoit  fans  cefle.    Ils 
vinrent  fe  préfenter  devant  Oudenarde.    Ils  formoient 
alors  une  armée  de  cent  mille  combatants.  Tandis  qu'ils 
prefToient  ce  fiege  avec  cete  opiniâtreté  que  la  fureur 
infpire  ,  ils  envoyoient   des    détachements  contre  les 
places  qui  refufoiept  de  s'unir  à  la  ligue.   Un  de  ces 
détachements   penfa  furprendre  le  château  de  Terre- 
monde.  La  ville  d'Oudenarde  ,  quoique  défendue  avec 
courage  ,  étoit  ataquée  de  manière  à  ne  pouvoir  réfifter 
encore  long-temps ,  lorfque  le  duc  de  Bourgogne ,  que 
fon  mariage  avec  l'héritière  de  Flandre  renooit  intéreffé 
à  la  confervation  de  cete  province ,  vint ,  en  qualité  de 
ftiédiaceur,  menacer  un  acommodement  entre  le  comte 
&  fes  fujets;  Apres  quinze  jours  employés  en  négocia- 
tions ,  il  termina  le  diférend.  Le  comte  Louis  ,  par  le 
traité ,  açprda  une  abolition  générale  k  toutes  les  villes 
qui  avoient  participé  à  la  révolte ,  &  les  Gantois  s'obli- 

ferent  à  réparer  à  leuçs  frais  le  château  d'Andreghen. 
«a  fuite  nous  prouvera  bientôt  que  cete  réconciliation 
n'étoit  qu'aparcnre.  Le  comte  conferva  toujours  dans 
le  fond  de  Ion  cœur  un  reflentîment  fecret  ;  &  les  re- 
beles  ,  enhardis  par  l'impunité ,  n'en  devinrent  que  plus 
inquiets  &  plus  infolents. 

Fin  du  cinquième  Tome. 


^. 


De  l'Imprimerie  de  P.  Alex.  LE  PRIEUR, 
Imprimeur  du  Roi,  rue  Saint -Jacques.